AVIS. Au volume annuel, publie jusgu'd present, CAcade- mie a substilue le Compie-Rendu de ses Travaux, seance par seance. Cetle publication parait tous les io jours, et forme, a la fin de lanne'e acade'mique, deux volumes in-S". s'adi\esser pour les abomnements : Soil k M. JACOtET, Edileur, liiiprimeur de FAcademie , Soil I M. BRISSART-BIA'ET, Libraire de FAcademie. DE liJ FR. ET 15 FR. PAR LA POSTE , & BO fr. el as fr. par la posfe. SEANCES ET TRAVAUX DE L'ACADEMIE DE REIMS. 5 JUILLET ISiir — 7 MARS 1845i p. Cj 06 • I'llinr I ~ — - -^ ■--»-».>.-~a..»>.-~y^^- SEANCES ET TRAVAUX DE L'AGADJ^MIE DE REIMS. ^,_,.. Premier volamc* 5 JUILLET 184-4. — 7 MARS 1845, Faisant suite an 2°" roluine des Annates. 1. JACQUET, EDITEUR, IMPRIMEUR DE l'ACADI^MIE, BRISSART-BINET, LIBRAIRE DE l'ACAD^^MIE. MDccraiv. SEANCES ET TRAVAUX DE L'AGADI^MIE DE REIMS. EXTRAIT DU RfiGLEMENT INTfiRIEUR. ARTICLE PREMIER. L'Academie se reiinit le premier et Ic troisierae ven- dredi de chaque mois , a sept heures du soir, sauf le cas de convocation extraordinaire. Elie clot ses seances le troisieme vendredi du mois d'aont, et fait sa rentree le premier vendredi de no- vembre. ARTICLE iV. Quoique les seances ordinaires ne soient pas ])nbli- ques, les etrangers peuvent y assisler, pourvu qu'ils soient presentes par deux menibres. EXTRAIT DES STATUTS ORGANIQUES. ARTICLE XXI. Les nieinbres correspondants s'engagent a commu- niqiier a TAcadeniie leiirs ouvrages et le fruit de leurs reclierches ; si Vnn d'eux laisse ecouler trois ann^es sans exdcuter cette clause, ii sera cense renoncer a son litre , et son nom pourra etre rave du tableau. PUBLICATION DES SEANCES ET TMVAUX DE L'ACADEMIE DE REIMS. L. JACOIET, EBITELR, 1844 S'ayantpas 6U en mesure de commencer plus (dt cette publication, I'dditeurcroit de son devoir de mentionner icipour memoire les tra- vaiix suivanfs,qid ontoccupc les deux premieres rhinions academi- qncs qui ontsuivi la stance publique du 23 Juin dernier: — Seance du 1 Juin : Nomenclature d'uue coUeclion de miueraux offerts a rAcaJt'inic par M. Aubriot. — Essai sur les meilleurs modes d'engrais applicablcs ii I'arrondissement dc Vkf^'xm?,, par M. Maillet. — Leitre sur laneccssiic d'une publication des seances de TAcademic, par M. Belin de Lannay. — Note sur I'cmploi du sulfate de potasse, par M. Grosjeon. — Vers, Ames amis , par M. Violelte. — Seance du 21 Juin : Considerations sur I'avenir de I'industrie, par M. de Mai- zieres. — Rapport de M. Paris d'Epernaij , sur la monographic de M. de Marcuse. — Rapport <7e M. Ba«rfej;i/ie sur la composition du second volume des Annales de TAcademie. SEANCES ET TRAVAUX DE L'ACAD£MIE DE REIMS. A" 1. Soanrc flu 5 Jnillct 1S44. SOMilAIRE. Correspondance. — Nomiuatian des commissaires charges de rendre compte (Ics travaux do I'lnstilut. — Lecture deM. Max. Sutaiiie: Biogra[)liic de Robert Nanteuil. — Lecture de M. Courmcaux : Des- tinee de Sliakspeare en France ; traduction d'HamJet en vers, par M. Jules Pcrrcau. — Lecture de M. Aubriot : Lettrc ecrite par M. Natalis Rondot , delegue en Chine. — Lecture de M. L. Paris : Lettre de M. Legendre, sculpteur, solhcitant I'honncur d'executer unc statue a Colbert. La seance estouverte sous la presidencc de M. Ro- billard, vice-president . Le proces-verbal de la precedente reunion est lu et adopte. M. le secretaire donne lecture d'unc leltre de M. dr. 4 Bussi^res, depule de la Maine informant I'Academie que M. Tintendant de la liste civile a aulorise, au nom du roi, la souscription pour les bibliotlieques de la cou- ronne, de quatre exemplaires de la publication de Dom Marlot. L' Academic procedc a la nomination des conimis- saires rapporteurs destravaux de I'lnstitut.Sont nom- mespour I'academie des sciences, MM. Garcet, Lan- douzy, Bergouhnioux ; pour I'academie des sciences morales et politiques, MM. Boache et Conlant; pour I'academie des inscriptions et belles letlres, MM.Ban- deville, Fanart, L. Paris. LfXTURES. Lecture do M. Max. SlTAl^E: Biograpliie de Robert ?l;l\TElll. !En Tannee 1645, un jeunc homme, qui suivait a I'u- niversite de Reims le cours de philosopliie , el ait sur le point de passer sa these. On salt que I'usage exi- geait que ces theses fussent ornces d'une grayure dont le sujet etait laisse au choix de Televe. Noire jeune philosophc , auquel Tart du dessin etait aussi familier deja que les propositions qu'il devait soulenir , voulut essayer son talent ct executer lui-meme la gravure de la sienne. 11 prit pour sujet une Sainte Famille, oil Ton netrouveaucun nomdc peintre; mais, sur une pierre jelee dans le coin de Testampe , a droite , on lit : R. — 5 — Nanteml,ph\losophm auditor, sculpcbal, liemis , anno Dei 1645. C'est qiren efiet cet artiste precoce, qui n'avait pas 15 ans alors, n'etait autre que Robert Nanleuii , qui devint bientut le pluscelebre graveur de son siecle. Ne a Reims en 1G30, Nanteuil fut un deces hommcs qui semblent nes pour les arts , vers lesquels uiie im- perieuse vocation les cntraine. Tout en suivantassidil- nieut les cours de Tuniversile, il trouvait le temps de frequenter encore I'atelier de N. Regnesson , graveur remois, qui , apres avoir ete son maitre, devint bien- tot son coUaboraleur, ct dontil epousa bienlot la scEur a Tagede IT ans (en 1647). A Hans, il grava le busle d'un religieux de Saint- Nicaise de Reims. La bibliotheque royale possede une epreuve de cetle petite piece portraits et 6 portraits attribues a Nauteuil , mais dout I'autheii- ticite n'est pas reconnue. — 8 — oil (le graiide fortune. Ainsi , nous avons vu enlre au- Ires un busle de Louis XIV, poiiant cette dedicace : ' Incurs elonnantes au miHeu de cette nuit. — Les idees » sont bizarres mais gigantcsques. — Leurs ouvrages » modernes, composes dans notrc gout, sont froids et » insipides. Les monstres brillants de Shakspeare plai- ') sent mille fois plus que la sagesse moderne. -■ C'ost » un ecrivain dont les folies et les beautes sont sans » egales. Son genie poetique ressemble a un arbre » touflii, plante par la nature, jetant au hazard mille » rameaux, et croissant inegalement avec force. 11 » mcurt, si vous voulez forcer sa nature, et le tailler » en arbre des jardins deMarl5^ » C'est a (rente ans (]ue Voltaire formulait ce juge- ment si plein de franchise et d'impressions scnties, si remarquable enfin pour repnipie oii il fut rendu, — 14 — epoque, a coup sur anti-sympatliique au syst^me de Shakspeare. — • Plus tard il revint sur ses pas; il aurait. voulu effacer ces louanges imprudcntes, echap- pees a un acces do juvenile enlliousiasme. — Lorsque grandit en Fi ance la renomraee que le premier il avail importee, entrevoyant dans I'avenir sa gloire palir, a Feclat de celle du Gilles anglais, il entreprit, a coups d'epigrammes, de boutades, de traductions incompletes ctperfides, de caricatures indecentes, voire memc d'in- jures grossieres, de chasser le monstre qu^il avait dei- fie, le bouffon ivre au piedestal duqucl, de sa main vive et hardie, il avait pose la premiere pierre. — Que conclure de ces reticences, de ces restrictions, et surtout de cette palinodic, si ce n'est qu'en louant Shakspeare, Voltaire rcstail foncierement csclave et serf de son grand ami Jean, que ses eloges n'etaient que justice ri- goureuseet ne revelaientqu'un cri d'admiration arrache a la sensibilite du grand artiste (1) ; que , rentre en lui- memc, et degage de rinfluencc electrique qu''exercait sur son genie nerveux le drame anglais, I'auteur de Me'rope, avec la mobilite qu'on lui connait, maudissait son heresie, et courait Texpier par un sacrifice a I'an- lique Melpomene, dans le temple grec de Corneille et de Racine? Que conclure encore, si ce n'est que lorsque les esprits ne sont pas miirs pour Tappreciation d'un genie recemment revele dans un monde etranger, d'in- stitution sociales et de pliilosopliic diflerentes, Tliomme de talent, — meme lorsqu'il marclic le premier a la tete de son siecle, — ne pent rompre completement I'inextri- cable reseau de traditions et d'habitudes qui forme comme le moule oii le jugement prend son empreinte. (1) Yillemain. — IS — '— Et, oela soiUlif en passani, par iiu admirable bien- I'ait de rinlelligence divine qui n'a pas perinis que I'hu- manite put briser violemmenl el d'un seul coup le fais- oeau de liens qui rattachent le present au passe; inais qui a voulu que I'idee, en politique conime en littera- ture, pour arriver forte et viable, murit aux flancs des revolutions ? Cest deja chose usee, banale et de mauvais gout, en btterature et meme en morale, que de vcnir aprcs taut d'autres jeter la pierre aux morts d'il y a soixante ans. Au point de vue d'une sage philosophie, — chre- fienne ou deisle, — nous pensons qu'il est impie de renier nos peres, et qu'il faut recueillir leur heritage avec ou sans benefice d'inventaire ; nous pensons que si, — comme le dogme chreticn nous Tcnseigne, — tous les ages de riiuraanite sont solidaires I'un de Tautre, nous devons supporter franchement et courageusement celte solidarite, et accepter chacune des generations de nos ancetres avec ses passions , ses exploits , ses bienfaits, ses crimes, ses taches et sa gloire ; nous pen. sons enfln que la Saint-Barthelemy et les Salurnales de 93 sont bien plutot le crime des temps que le crime des hommes; que c'est une mauvaise et dangereuse methode que de vouloir peser et toiser les hommes et les choses d'autrefois avec nos poids et nos mesures actuels, etque Thistorien calme, austere et rccueilli, qui plane au-dessus des haines de parti , pent, sans crainte et sans reproche, amnistier bien des memoires injustement fletries, et laisscr tomber de ses levres sur bien des tombes anathematisees un tardif et sincer'e Requiescat in pace. — Je ne ferai done pas le proces ;i ces pauvrcs grands hommes du dix-huilieme siecle qu'il est si fort de mode aujourd'hui de honnir et de — 16 — rappelisser, oomme si le Satan de Milton n'avait pas aussi sa "randeur. Tons ccs morts fameux se defen- dent encore assez bien d"eux-niemes, Dieu nierei, et sont encore entiers dans leurs tombeaux, malgre les morsures des partis. — Quoi qu'il en soil, ces reserves une fois faites, et pour en revenir a notre snjet, le souffle d'incredulitequi dessecliait tant d'imaginations, ■le meprisdes temps passes, combine avcc le respect a peu pres unaninie des traditions litteraires du der- nier siecle, Tc^puisement d'une societe decrepite et blasee, le mouvemcnt qui emportait tous les esprits ardents vers les theories sociales, la depravation uni- verselle, et puis enfin le pressentiment des orages qui se formaient a I'horizon expliquent comment le xviii" siecle malgr^ sa science reelle, malgre sa vaste erudi- tion et son incomparable esprit, posseda si peuTintelli- gence artistique de I'antiquite et du moyen-age; com- ment 11 meconnut et travestit deplorablement cette famille de grands pocles dont nous parlions en com- raencant, ■ — Homere, Dante, Milton. — Loin de fouiller aux racines des institutions et des litteratures modernes, le xviii'^ siecle qui ne connaissait d'autre beau que le beau selon Louis XIV, aurait volonliers fait table rase de notre histoire et passe Tepongesur nos annales. — Comment done dans de pareilles con- ditions comprendre et apprecier les liommes et les clioses du moyen-age ou des temps heroiques? La ci- vilisation nivelait et polissait tout : Tesprit seul avait du relief. Comment done aimer les tiers genies, ces gmies a pic (1), incultes, sauvages et spontanes comme leur siecle? Pourquoi gravir les Alpes? a quoi bon al- (1) Sainle-Bcuve. — 17 — U'l- chcrcher la chute da Whin quand on a cliez soi Ics allees tie Trianon, Ics cascades dcs Tiitons et des Naia- des de Versailles? — En Angleterre nicnie, sur sa ferre natale, oii I'influence des idees classiques ecloses an xV siecle en Italie n'avait que niediocrenicnt adoii- ci Taprete des moeurs insulaires , la gloire de Sliaks- speare parut sY'ciipser quclque temps. L'esprit IVan- oais soufllait de I'aulre cote du delroit el avail deja pe'- netre a la cour d'Elisabelli. Nos voisins furent bienlot comme nous inondes et infectes de mythologie de pathos et d'eupheniisnic. Pendant 3U ans il n'y eut presque en Angleterre d'autre litteralure que ccUe qui ctait frappee au coin du gout francais, c'est-a-dire au coin du paganisme litteraire. Quelques vieux Saxons rebelles, Butler, entrc autres, essayaient bien de faire lefeal'orage, niais la mode I'emportail, la litteralure britannique etail en train de se denationaliser. Shaks- peare fut rogue, amende, affadi, inutile par la pleiade des beaux esprits d'alors, Waller, Davenant, Koches- ler. Au commencement du xviii'' siecle, Dryden, Pope et Shaftesbury, — trois hommes eminents d'ailleurs, — • Ic declarcnt vieiili, suranne\barbare cl grassier, et tel etait dil M. GuizoH'oubli, oil tombaient plusieurs pro- » duclions shakspeariennes , qu'un poiUe obscur du » temps, nomme Tate, ne craignit pas de donner )> comme son ouvrage un roi Lear, dont il a tire le » fond d'une piece du nieme nom, qu\in de ses amis I'a )> engage a lire comme interessanle. » A ce point de vue, en presence de fails si caracferis- tiques, il ne serait cerlcs pas deraisonnable de soute- nir que Voltaire a contribue puissamment, quoiquein- direclement, a reveillcr, mais surtout a etendre le cuile de Shakspeare, meme en Anglelerre. En eflet, tant que 2 ~ 18 — la gloire du poete trElisabeth n'avaitpas franclii les li- miles de la Brelagne, les Anglais s'etaient contenles de radmirer pour ainsi dire silencieusemcnt chez eux, en famille. Lorsque le grand nom s'etendit sur le con - linenl, lorsqne nos critiques francais, armesde la lu- nette classique, signalerent jninutieusement les taclies du nouvel astre, qui faisait palir Teclat de notre theatre et se dressait audacieusement en face du soleil un peu blafard de Crebillon et de Voltaire, les Anglais qui n'es- timent guere au monde qu'euxmemes, pousses d'ail- leurs par un louable sentiment de national! te, mirent sur pied une armee de savants commentateurs pour defendre leur grand homme meconnu. Johnson, i\Ia- lone , GarrJck etMistres Montagu, descendirent dans I'arene, et leurs noms resteront lies a celui de Shaks- peare.Mais, nous Tavons dit,les temps n'etaient pas ve- nus. Leurs efforts communsimprimant une vive secousse au monde litteraire, avancerent la question sans con- tredit, mais ne purent la resoudre. Pour consacrer ce grand nom, pour reconnaitre dans le poete anglais un createur de premier ordre, un genie cosmopolite hu- main, eternel, il n'a fallu rien moins quune vaste revo- lution de I'humanite, une revolution sociale et poli- tique ; il a fallu 89. — La chute de I'ancien ordre, Ta- venement du principe democratique qui constituait le triomphe de lapersonnalitehumaine,ledemembrement des pouvoirs qui multiplie les roles sur la scene politi- que, et met en relief lant d'individualites : nos lon- guesluttesdomestiques et nationales,la complication el la diversite des interets qu'a crees a chacun de nous la nouvelle forme de societe; — enfin Tamour des inves- tigations historiques,la facilite des rapports europeens, le sentiment general de la liberie dans Tart, la connais- — 19 — sance plus repanilne des langues viVantes, ofplus que tout ccla, faut-il le dire? le speclacie de 60 annees de peripeties \iolentes ct de ciicuifs sanglants, voila ce qui nous a donne la clef des conceptions shakspeariennes, voila ce qui, — bien plus que Malone et la legion des glossateurs , — elucida pour nous taut d'ccuvres litte- raires, lesquelles dcvaicnt forceaienf restor letlrc close pour rimniense majorile des esprils d'il y a 80 ans. — Aussi voyez, ce qui arrive : a peine s'accomplitcctle edu- cation des esprits, a peine ontmiiri les intelligences, qu'aux portes de la France, sur un sol qui avaif ressenti tous les contre-coups de notre tourmente revolution- naire — en Alleniagne, — chez le peuple qui dutle plus niediter sur le cole esthetique que decouvre unc refonte sociale, surgissent trois prophetes, quiouvrirent des temples aShakspeare, fondent definitivementle cuUedu grand poete en Europe, etprechent un nouveletauda- cieux evangile litteraire. Heritiers deLessing, forts de leur confratcrnite avec Goethe,Tieck et les deux Schle- gel remuerent T Alleniagne autant que Napoleon. Ce fut alors que par eux s'organisa centre I'esprit et la litle- raturefrancaise unegrandecroisade,quitrouva un mer- veilleuxauxiliaircdansramour propre national des'Alle- niands. Le nom francais etaitporle alors au plus liaut degre de splendeur ; nos aigles parcouraient trionipha- lement la moitie de TEurope ; les clefs de Munich, de Vienne etde Berlin efaient enfre nos mains; nos soldats montaient la gardealaportedespalaisimperiaux.Nous foulions aux pieds la terre vaincue ; on ne pouvait nous cliasser ; mais par forme de compensation, on chassait nos poetes, on salissait nos gloires. Les cours publics de Vienne, proteges peut-etre par des factionnaires francais, retentissaient d'analhcmes fulmines confre — 20 — Corneille et Moli^re, lliicine et Voltaire, qu^on meltait honteusement a la porte, et qu'on immolait sans piti^ ni merci a Shakspeare, a Calcleron, a Schiller, et pas une protestation ne parlait de la France, oil la littera- ture se tenait coite et faisait la morte. Malgre tout, c'est a la France qu'il etait reserve de donner a lafgloire de Shakspeare le sceau indelebile, la sanction deOnitive.Les belles appreciations deLessing et de Sclilegel fiirent depassees par les admirablcs travaux de madarae de Stael, de MM. de Baraute, Guizot, Villemain etHugo. NuUepart I'auteur tVIIam- letetdOU'llo ne trouva de si eloqucnts defenseurs, de si judicieiix apologistes qu'cn France. Le grand proces iitterairc s'instruisit et se jugea avec toute la religion et riinpartialite de juges eclaires, qui scni- blaient avoir pris pour devise celte magnilique epi- graphe d'un philosophe allemand , SliU und bewegt, calme eteniu. — Des-lorsropinionfutfixee,etla deci- sion dcs critiques contemporains, acquit force de chose juge'e. Aujourd'hui les esprits les plus hostiles au grand poete , ceux qui sympatisent le moins avec Tallure de son genie et la forme de ses ouvrages s'unissent aux admirateurs dc /?('c/iaJY/ /// cl Romeo pour reconnaitre dans Shakspeare , un de ces genies puissants et pro- ductifs qui fecondent toule une litterature, et planent pendant des siecles sur le theatre des nations. Pour tout le monde aujourd'hui, Shakspeare est un des cinq ou six poetes rois auxquels il fut donne d'imposer Icur blason et leur livree, a plusieurs generations d'ar- tistes. A ces elusde Dieu, qui oserait con tester I'omni- potence et le prestige qu'ils exercent? leurs ceuvres sont des sources inepuisables ou viennent s'abreuver toutes les ames qui ont soif de poesie ; les idees qu'ils ~ 21 — sement en font germer mille autres( I ).Lcur puissance proliiique est immense, leur si lion ineflacahle, des legions d'arlistes marchenl a la lueur de leur flambeau, et tel est le sublime privilege du genie que loutes Icurs creations semblent s'animer comme la statue de Pyg- malion; que tons leurs personnages fictifs deviennent des elres reels qu'on a connus, aimers, dont on se sou- vient tout-a-coup, dont on sait Ics trails, dont on evo- que le fantome aux heuresde reverie, et qui feraient croire a la metempsycose. Une mince fraction de The- ritage de ces grands createurs fait encore la fortune d'une foule de talents de premier ordre. A coup siir \A'alter-Scolt et Byron sont de grands ecrivains; mais dans leur tresor de gloire litteraire, on peut faire la part de patrimoine qui leur fut transmisepar leur commun aieul Sliakspeare, dont ils procedent tous deux, et sans lequel ils n'auraient pas ete tout ce qu'ils sont. Quand il fut bien etabli en France qu'on pouvait, sans etre barbare ou traitre admirer les produits des lilteratures etrangeres, et les comparer impartialement auxnotres; quand on vitles gardiens de nosgloiresna- tionales inscrire en tele du nouveau codede la critique que le beau ne saurait etre Tapanage d'une seule ecole, d'un seul systeme, mais qu'il peut revetir les formes les plus diverses et se rencontrer dans les voies les plus opposees, sans pour cela cesser d'etre \ebeau, que c'e'- tait le fait d'une critique large et feconde, de ne point s'emprisonner dans des theories exclusives, mais de savoir mesurer et comprendre a la fois les genies de tous les temps et de tous les lieux ; que I'horame de sensetde gout ne devait plus ainsi qu'autrefois n'ad- (I) Chntcaubriaiid. ' - 22 — iiiirer uii grand poete qiraii detriment d'un autre, uiuis qifil elait juste et ralionnel tie reunir dansun coramun sentiment d'adrairalion, dans un meme culte, sans faire tort a aucun , Esehyle et Corneille, Sophocle et Sliakspeare, Racine et Schiller; lorsque, disons-nous, la critique se fut proclaiuee pour ainsi dire luimani- taire, et qu'elle eut avoue pour dogme le panlheisme liUe'raire, les traductions de Sliakspeare se multiplie- rent en France,etdeshommesd''un talent eleveessaye- rent d'y naluraliser cette innombrable famillede types shakspeariens, qui, selon Tenergique expression de M. de Chateaubriand, ont eu hoirs etligne'e dans noire litlerature raoderne. La traduction de Letourneur fut I'efondue par MM. Guizot et A. Pichot ; apres eux vinrent MM. Fran- cisque Michel, Benjamin Laroche etPhilarete Chasles, et le noyau d'ecrivains qui preterent leur concours aux publications de M. Sullivan. Mais quelque estime me- ritee qu'aient oblenue tons ces travaux — que domine toujours celui auquel M. Guizot a attache son nom, ces traductions ne sont pas moins frappees d'un vice radical : elles sont en prose. Or, la traduction en prose d'un poete, et surtout d'un poete conime Shakspeare, n'est jamais et ne pent etre qu'une caricature plus ou moins ressemblante. Vous pourrez bien ainsi obtenir Texactitude de proportions, la ressemblance brute el materielle, mais jamais la physionomie, jamais Texpres- sion ideale, jamais la spiritualite. Le vers seul, avec I'harmonie du rhythme, avec le coloris qu'il prete a Timage, avec le relief qu'il donne a la pensee, lors- qu'elle est habilement coulee dans le metre, le vers seul ingeuieusement manie, — en meme temps qu'il pent aspirer k la lilteralile, — peut aussi conscrver — 23 — celle idealilc, cc pailum de grace, ceUe savour [)oe- tique et tout ce haut gout shakspearien qui s'evapo- rent et se perdent dans une version prosaique. C'est ce qu'avait compris I'eloquent critique Schlegei, qui consacra 25 ans d'une vie si pleine a traduire litte- ralement en vers les 35 drames de Shakspeare, et parvint a elever au poete anglais un monument d'une admirable liomogeneite au fronton duquel il put glo- rieusement inscrire un nom deja illustre. Mais cette ceuvre presque surhumaine, — le plus grand titre lit- teraire de Schlegei dans I'avenir, — u'etait possible qu'a un traducteur allemand. Dans eel elTroyable la- bour, il faut faire une large part a la souplesse de I'idiome germanique qui , par la decomposition des mots, par la variete de ses tours et de ses inversions, par son intime parente avec la languc anglaise, qui n'eii est, en quelque sorte, qu'un dialocte melange d'ele- monts latins et celtiquos, enlin i)ar sa constitution na- tive et physiologique se preto plus qu''aucune autre langue a la traduction exacte dans toute la force du terme, e'est-a-dire a la traduction vivante. En France, il ne pouvait en etre ainsi,et les propagateurs de Shaks- peare durent se partager la besogne. Les esprils d'elite, les poetes distingues ne manquerent pas a la tache. Alfred de Vigny prit Othello et le Marchand de Venise ; Emile Deschamps, Romeo et Juliette et le Somje d'une nuit d'e'te, Antoni Deschamps , lelioi Lear ; Paul Lacroix, Macbeth et Richard III ; M. Alexandre Du- mas, Mosdames Tastu et Collet Iraduisirent des frag- ments de Jules Cesar, de Jean Sans-Terre , du Conle d'hiver, et de la Tempe'te ; mallieureusement, on le sait, COS essais brillants, fort heureux pour la plupart, sont restes presque tous inacheves et intcrrorapus. Neaii^ 91 nioins M3I. Alfred ile Vignv et Kniile Deschainps out complete I'oeuvre eomniciicee ; a ces deux Cellini de notre poesie rnoderne riionnciir d'avoir produit line belle et vivanle oopie de I'OiheUo et du Hotne'o , une veritable uMivred'artiste ciselee avec un art inflni oil respire tout entiere la poesie de Slsakspcare. Certes, copier ainsi, c'esl creer. Le Machcih de M. Paul La- croix reoeninient public, alteste aussi un talent vigou- reux, et ces trois ouvrages reunis etabiissent d'une maniere frappanfe la faeulte dissimilation dont est donee la poesie francaise.^ — ^La qneslion, ce nous sem- ble, est jugeo a fond sans appel possible. Viennent maintenant destraducteursde talent, des ecrivains per- severants, et Shakspeare tout entierpeut passer dans iiolre iancrue. Dans la grande et poetique famille shakspearienne, parnii tous ces types anjourd'liui si connus, il est une Ogureque son incontestable originalite place au pre- ruierrang: nous voulons parler d'Handet, I'oeuvre du theatre anglais qui fut I'objet des jugemenis les plus coiitraireset dont rinteliigence souleva les plus grands debats d'esthelique. Hamlet est une des plus expres- sives creations de la poesie du nord, une de cellesqui nous expliquent ie mieux certains cotes du xvi'' siecle en Angleterre, — celle de toutes enfin qui nous fait \oir le plus avantdans Tame du poete lui-menie. Au point de vue de Tart proprement dit, Hamlet est une ceuvre de premier oi-dre, qui tour a tour s'erapare de nous par la terreur naive, nous attache par la rapidile des scenes et I'inexorable verite des caracleres, nous etonne, nous conduit a la reverie, et nous fait descen- dre par une penle invincible la sombre spirale du doufe. 11 faudrait un volume pour examiner sous toutes ses — 25 — faces cetteoeuvremoiiumeiitaledel" Hamlet. — Aiix pre- miers pas qu'on fait dans la piece, on y respire une at- mosphere de terreur et de sceplicisme qui vous op- presse jusqu'au denouement; je ne sais quels miasmes de philosophic amere, inquiete et sombre, flottent dans Tair; partout,(lanscette triste et imposante conception la pensee ne brille que d'une lueur crcpusculaire; entre la folic fcinte et la folic reclle,on distingue difllci- lementlcs limites; les ideeselle style sont comme voi- les, et je ne sais quelle ravissante demi-teinte enve- loppe lesdcux figures d'llamlet etd'Ophelie.La lutte de Thommc avec Ic sort, Tinsulfisancc et le desastre d'une amc noble mais faible,doutant d'elle-memc, appelee a un role sous lepoids duquel die se sent plier, peut- etre est-ce la ce que Shakspearc a voulu represenlcr, — si tant est qu'il ait eu d'autre but qued'emouvoir et de faire pcnscr, — en drama tisant une pagedeschroniques dc Saxo-Gramiiiaticus, d'oii la fable tVIIainlct avail cle dejaextraite parBelleforest dontclle forme la 108' his- loire (ragique. Qu'on ne s'etonnedonc pas de voir une pareille ceuvre jugee si differemn:enl. Quand la base d'un ouvrage git a une telle pro- fondcur, [)eu (Fcsprits peuvent asscz creuser pour y attfiindrc. Schlcgcl disait que ce drarae enigmatique, d' Hamlet ressemblc a ces ei/uations irrationnelles quun ue peiitre'soudre, et daits Icsquelles il resle loujours une fraclion (rune grandeur inconnue. Quoi qu'il en soit, ilamlct est cerlainemeul le drame le plus fortement cuq)rcint de la pcrsonnalitc deShakspcare,et c'est aussi la piece de theatre la plus fonciercment auglaisc , et par conscMjucnl, — a certains egards au moins, — la plus dilTicilc a traduire en vers, en vers litleraux. C'est ce qu'otU afliriuc dcvanl nous les juges les plus compe- — '20 — tents, eeux dont la voix estpreponderante. La traduc- tion exacte et poetique (run chef-d'oeuvre de cet ordre doit sufTire a creer un titre litteraire serieux. Eh bien! Messieurs,<;ette traduction en vers, en vers litteraux, est a moitie faite, — et je tiens a honneur d'etre le premier a vous Tapprendre, — ^ par un jeune lioranie, par unRe- moisdontle nom n'a pas encore ete prononce devant vous. Voila trois ansque M. Jules Perreau economise au profit d'f lamlet les rares loisirs d'une vie studieuse, modeste et remplie. Une afTection chronique, qui lon^^- temps a mis sa vie en danger, n'a pu le detourner d'un labeur qui exige une liberte d'esprit complete, une perseverance a toule epreuve. Deja deux actes enlieis sont traduits. Nous avons suivi pas a pas I'auteur dans son travail ; chacun des 200 vers deja ecrits , nous I'a- vons minutieusement compare au texte ; souvent nous avons relu rcpiivrc d'une seule haleine, avec Tintelli- gence sympathique que nous pretait notre profonde admiration pour Shakspeare, et Telude attentive que nous faisons du texte; et nous n'hesitons pas a le de- clarer, — parce qu'il faut rendre justice a tous, meme a ses amis, — la traduction de M. Perreau nous sem- ble pouvoir rivaliser avec celles qui ont obtenu I'appro- bafion des juges les plus eclaires sur la matiere. Nous ne craignons pas de nous avancer trop, en proclamant que c'est une conquete nationale, une naluralisalion de I'Hamlet de Shakspeare, et parmi les ceuvres de pure lilterature , une des plus importantes sans contredit , qui se soientproduites a Reims depuis longues annees. Au reste le jugement que nous portons sera refere a TAcademie. Apres avoir, dans un second article , ex- pose le systeme de traduction adopte par M. Perreau, nous aurons Tiionneur d'offrir a TAcademie, de la part — 27 — de I'auteur lui-meine, les deux premiers actes complets de rilamlet, el nous solliciterons la permission dc les lire a la compagnie, dont I'arretj nous Tesperons, con- firmera notre jugement. 5 Juillet 1844. Euo. COUIIME.VUX. De M. !\'alalis ROi\DOT, delegu^ toinmercial de Reims, Dimanchc, 17 Mars, 1843. A bord lie rARCniM^Dt , en mer pres du cap Vert. Mon cher ^lonsieur , Vous in'avez a mon depart de la ville de Reims, qui m'aefe si gracicusemenl iiospitaliere, exprirae le desir d'avoir de Icmpsa autre demes nouveIles:vous m'avez toujours temoigne lant de bieHveillance et d'inleret, quejem'enipresse de satisfairea votre \oeu, et cem'est un devoir et surtout un plaisir. Si j'ai bonne memoire, je vous ai ecrit de la rade de Brest un long ohapelet de notes, probablemcnt indei'hiflVables, car je n'etaispas habitue conime maintcnant au tangage du navire. J'au- rais aujourd'hui bien des cboses a vous dire, car j'ai vu Seville, la mcrveille de TEspagne, Cadix et Santa- Crux de Tenerifl'e. A Seville, j'ai bravement gravi les 35 rampas de la Giralda, la lour nioitie moresque, moitie renaissance, qui doniine de ses 3G0 pieds domes et minarets. J'ai dessine lavieille cathedrale aux sept nefs, don t deuxde chapelles, toutes sombres el silencieuses de ce froid ~ 29 — silence qiron ne Irouvc jamais dans nos oglises aitx verrieres multipliers. J'y ai admire la fameuse CapiUa rcale. A la voiite du dome, elcve de 130 pieds, regne un triple cordon des leles des roisd'Espai^ne. An has, dans des niches aux amies d'Espagne, sous des balda- quins de velours pourpre, gisent quaire cercueils, re- couverls du long drap raortuairc, la eouronne et le sceplre places a la tele sur des coussins : cest la que dorment les rois Alphonse X, le Sage, et Fabrice, la reine Beatrix, epousc de Ferdinand 111, et la celebre Dona Maria-Padilla, la favorite de Pierre le Cruel; au centre, dans une urne de vermeil, le roi Ferdi- nand 111, le Saint, celui qui en 1248, cliassa les Maurcs d'Espagne. Au musee,je me suis respectueusement ebalii devant le saint Thomas conversant avec les docteurs de Zur- baran, le saint Thomas de Villanova et le saint Felix de Cantalice de Murillo, les chefs-d'oeuvre de Tecole espagnole ; devant le saint Jerome et la Vierge de Pedro Torrigiano, le Florentin. A la manufacture de tabac, 3,000 femmes (on les ap- pelle cigarreras) travaillenl les cigarres dans une lon- gue salle voiitec. Toutes, elles sont de sang espagnol, Canariennes on Andalouses, aux cheveux et aux yeux noirs, a la peau brune, dont plus de la moitie est jolie et le quart charmant. Toutes vives, mutines ou langou- reuses;vous les voyez coquettes, une anemone dans les cheveux, porter avec grace ieur tartan en mantille et la robe de colon imprime ; toutes vous les entendez joyeuses, rire et jouer avec vous, malheureux qui sue?, a comprendre Ieur babil provoqnanl. Le guide, imper- turbablement drape dans son manteau et sa gravite , ne manque jamais de terminer la visile par tine prome- — 30 — nade sur los tcrrasses de pierrc. Certes, c'est toiijours un beau point de vuc que celui qui embrasse sous ce beau ciel de I'Andalousie la cathedrale, la Gisalda, TAloasar et ses jardins d'orangers et de citronniers, et la luoitie de Seville. Mais conibien je prelere une de ces rues coquettes, corame la Calle Catalana , si j'ai bonne souvenance, petite rue qui court sinueuse vers la Plaza del Daque,a\ec ses casas si blanches.Etquelles y sont jolies les casas ! Apres la grille, le vestibule co- lonne et dalle de marbre, le soir eclaire par cette Ele- gante lanterne suspendue, originale de forme et d'or- nements; puis les galerles a ogive moresque, qui en- ceigncnt la cour interieure, el Patio. Durantl'ete, c'est le lieu de reunion de la faraille, salon fleuri de rosiers et d'orangers, oil la fontaine a vasque de marbre reni- place le Brasero. Pas une fenetre qui n'ait son balcon ou son Miradero , I'un et Fautre legers treillis d'ara- besques de fer, peints en vert clair. Derriere la grille du Miradero, une vitrine voilee de rideaux flottauts de raousseline brochee ; sur les dalles, une natte fine; sur les balcons, des caisses de jasmins, d'orangers, de ci- Ironniers, de rosiers; aussi a la brise du soir, Fair est- il embaume par les fleurs des patios et des balcons. Toute medaille a son revers. lei, c'est le toit, plan in- cline de tuiles grises, qui , par ses longues gouUieres penchees au-dessus des miradores, versentfort pro- prement Teau pluviale an beau milieu de la rue. Celle- ci est loujours etroite, tellemenl resserree, que c'est merveille de voir le moindre calessero s'y aventurer. La diligencia peninsulare , remorquee par ses dix mules inlercepte tout passage. — Je ne vous diraimot du palais des rois Maures,de I'Alcasar, car mon voca- bulaire adniirdtif nVsf pas assez varie.Revez une salle — 31 — dont I'ogive morosque avec ses dcntolles de pierre,ses colonneUcs de inarbrca chapiteau corintliien,decoupe les douze entrees dont les portes sont en mosaujues de bois de cedre sculpte, dont les. murs sont voiles par celte line dentelle d'arabesfjncs, de ileurs, d'oiseaux, si gracienseiuent enlacee autour des baleons et des ven- tussas evidees ajoiir,ornements cpii sedetaclientdores snr des fonds debleu cobalt et de vermilion. A la nais- sance de la coupole a pendenlifs, la galerie des portraits des rois de Castille et des Espagnes, termines a Phi- lippe 111, Voyez-vous bien tonte cettefeerie? alors re- vez encore 1 5 a 20 salles comnie cela enchassees dans des galeries ou des cours de marbrc, a la fontaine tradi- tionnelle, dans des jardins oil j'ai mange desi bonnes oranges, cueilli de si belles roses, a deux pas do la cellule oil Pierre le Cruel fit mourir sa femme Blanche de Bourbon, et vous aurez Tidee de TAlcasar. Cadix est une aussi belle ville que Seville , comme groupe de maisons, mais pauvre sous tons les rap- ports ; sans fortune publique, sans richesse privee, sans monuments. I.' Alameda y est une promenade, comme n'en a aucnne de nos villes de France, surtout quand, le soir, elle est aniniee par ces Andaloiises si belles, si gracieuses, si elegantes sous leur mantillc de blonde, si coquettes le jour derriere leur miradtsro, le soir, derriere leur eventail dore. En resume, quien no a vislo Seoilla , no a vislo ma- levilla. Lundi dernier 1 i, au matin, la vigie criait : terre ! terre! Cetait Teneiille qui nous monlrait ses piltc- resques montagnes d'Anaga. J'ai couru sur quelqucs cretes bien abruples ; j'ai gravi , luon lourd marteau en main, les rocs volcaniques si grandioses; vu , dans — 32 — celle course rapide, unc des fanieiises cayernes des Guanches, de loin le Pic, et sur les cactus Raquettes, les Coccus lacia (Cochenille) qui de\iennent. une des richesses des Canaries. Apres deux hcures et demie de relache, I'Archimede faisait force de voiles, et j'ou- bliais deja Santa-Crux et sa ceinfure de forts, et ses chameaux, et ses fcmmes aux mantilles de llanelle blanche , bordee de satin , et coiflees d'un c'sapeau pointu de feutre noir. Hier nous etions par 19" 42 de latitude nord , el 23" 13 de longitude ouest , c'est-a- dire, loul juste a la hauteur du banc d'A rgain, oil s'est perdue la ^leduse. Heureusemenl 100 lieues de mer nous en separaient, et notre commandant vaut mille Chaumarey ! Vousavezsans doute appris par les journaux coni- bien violent a ete le coupde vent,qui, dans le golfe de Gascogne, nous a cnleve une embarcalion, fracasse notie guibre, et pendant trois jours nous a enipeche dedoubler le cap Fiuislere.Ce m'a donne la satisfaction de voir une mer pleinement furieuse, d'etre inonde sur le pont el dans ma cabine par les vagues qui deferlaient sanscesse sur le navire. Un autre jour, je vous dirai de quelle deplorable facon je suis installe a bord : ce sera un jour ou il ne fera pas si beausoleil et si jolie brise qu'aujourd'hni, et oil quelques oups de mer me rembruniront les idees. En aUcndanl,je prends la confiance de vous rap- peler que je compte trouver a Manille, en y arrivant dans six mois, deux ou trois grosses letires de vous, qui me dironl les nouvelles remoises,ou en est la carte geologique, ceque devient et I'acaderaie et son comptc- rendu, et ce qu"il y a de nouveau dans le nionde scien- lifiqueet industriel. 33 — COMMI'NICATION DE M. L. PARIS. M. L. Paris doiiiie lecture d'une leltre ecrilc par M. Legendre, sculpteur. 11 nous a paru que , pour la parfaite intelligence de cette leltre , nous devions re- produire prdalablementcellequeM. le maire de Reims adressa a M. le president de I'Acaddmie, dans le niois de Janvier 1844 . Monsieur le president , Aucun monument ne rappelle dans nos murs la m^moire de Jean Colbert, ne a Reims le 20Aoijt 1619. Le voeu de consacrer une statue k ce grand homme a et^ plusieurs fois manifest^, et je ne doute pas qu'il ne soil partage par tous les habitants. ^Passociant a ce projet , j'adresse a M. le ministre de Tinterieur une demande a I'effet d'obtenir de lui un bloc en marbre blanc semblable a celui qui a servi pour le Colbert en pied, modele pour la cliambre des Pairs, chez M. De- bay pere, a Paris , et je me propose de la transmettre incessamment a M. llouzeau, notre depute, en le priant de la presenter lui-meme a M. le ministre, el de Tappuyer de tout son pouvoir. J'ai I'lionneur, Mon- sieur le President, de vous en informer. J'ai la con- fiance que r Academic de Reims s'empressera de con- courir , autant qu'il est en elle , a I'execution de ce projet, et qu'elle voudra bien joindre scs sollicitalions aux miennes. J'espere, au surplus, que si nous obtenons de !M. le ministre le marbre que je lui demande, les — 31 — souscriptions des habitants suffiront pour couvrir les frais de mise en ceuyre, et qu'il n'en r^sultera aucune charge pour la caisse municipale. Veuillez agreer , etc. Le Maire, DE Saim-Marceal'x. Leltre de M. lexendre. o"- Paris, le 3 Juillet, 1844. Monsieur Paris, membre de rAcademic, bibliothecaire de la ville de Reims. MONSIEIR , Lors de mon voyage a Reims, vous me files I'hon- ncur de m'entretenir du projet d'erection de la statue de Colbert sur une de vos places publiques; vous eutes aussi I'obligeanee de m'engager a m'occuper de ce pro- jet auquel I'Academie , I'administration et tous les horames de cceur prenncnt un vif interet. Dans )a pensee d'accelerer la realisation de ce pro- jet , j'ai fait une esquisse que j'ai Thonneur de vous adresser, en vous priant de vouloir bien la soumettre a I'Academie el a I'administration municipale. Ce monument , je pense , pourrail s'execuler au moyen d'une souscriplion nationale , a laquclle il ap- partenail a TAcaderaie et a la ville de Reims de donner I'impulsion. Le minislre de I'interieur et celui des Gnances — 35 — pourraient y concourir pour 6 a 8,000 fr.; une fois la souscription de la ville , celle de I'Academie et celle des ministres connues, on pourrait s'occuper de Texe- culion de la slaliie. Pendant la duree de ce travail, Ics souscriptionsparliculiercscompleteraientcertainement la sonime necessaire a rachevement dii monument, dont la hauteur totale pourrait elre de 6 metres ; la statue en bronze aurait 2 metres 50 cent, de liaut ; le piedestal serait execute en raarbre d'ltalie ; sa hau- teur serait 3 metres 50 cent. La depense totale, y compris la fourniture du bronze , celle des marbres , frais de modele , defonte, de cisclure, la construclion du massif du piedestal, son execution e[ la pose, celle dn transport de la stalue de Paris a Reims , pcuvent s'cvaluer a 30,000 fr. Si la souscription n'atteignait pas celte somme , on pourrait obtenir une economic de 4 a 5,000 fr. , en executant le mcme piedestal en pierrc. L'esquisse que j'ai I'honneur de vous adresser est juste le cinquieme de Texecution : la tot.dile me serable devoir sMiarmoniser avecla place deriI6le!-de-VilIe. Voila,Monsiem', mon projet : veuillez, je vons prie, le soumettre en mon nom au jugement de I'adminis- tration municipa'e et a celui de I'Academie; heureux si elle voit dans celte demarche une preuve de mon respect pour elle, et d'admiralion pour le grand mi- nistre; plus heureux encore si elle mejugedigne d'exe- cuter un monument que semble reclamer la reconnais- sance publique et auquel il serait glorieux de pouvoir concourir. Je suis, etc. Reims. — L. J acoikt, imprinipur do rAcadcmie. SEANCES ET TRAVAUX DE L'ACADEMIE DE REIMS. ^■" 1 ScaDce du 19 Julllet lf^44. Correspondance. — Lecture de M. Eug. Geruzez : Essai sur madamc de Sevigne. — Lecture de M. Nanquette : Rapport sur la Thcologie dcs gens du monde, par M. Sainte-Foi. — Gommuiiication de M.TarbodeSaint-IIardouin : Lettres ecrites par M. Walchcr, sculp- leur, sollicitanl I'honneur d'exccuter la statue de Colbert; — Ilom- mage fait a rAcadeinie, au nom de I'auteur, d'un Essai sur ie prin- cipe et raveuir do la concurrence, parM.Jobart, dc Bruxclles.— Lecture de M. de Maiziere : Suite d'un essai sur I'avenir de I'in- dustrie. La seance est ouverte sous la presidence de Mon- seigncur rarchcveque. M. le secretaire donne lecture 1 " d'une lettre de M. le sous-prefet, annoncant I'intention de former aupres -^38- da conseil gdn«^ral, dans sa procliaiae session, unc de- mande d'allocation en faveur de I'Academie ; 2" D'une lettre de M. Casimir Bonjour, remerciant rAcademie pour le litre de membre correspondant qaelle lui a decerne ; 3° D'une lettre de M. de Bussieres, depute de la Marne, informant M. le president de TAcademie que M. le ministre de I'instruclion puhlique souscrit pour 50 exemplaires a la publicalion de Dom Marlot. LECTURE DE M. ECG. GERCZEZ. Essai sur madarac de Sevigne. t< Si je pouvais seulement vivre deux cenls ans, il me semble que je serais une personnc tres-admirable (1).» Cesouhaitde longuedur^eque formait madamede Se- Yign6 en Yue de la perfection morale qu elle desirail at- teindre, se trouve aujourdluii realise pour sa memoire: elle a conquis , sans y pretendre , uue admiration qui nes'epuisepas,etqui appellesurson nom leshommages reserves au genie. On I'aurait bien surprise et un pen alarmee,sionluieutfaitenlrevoirqu'en laissant courir sa plume libertine (2), la bride sur le cou , comme elle dit, sur ce papier que devorait si rapidcment sa grande ^criture, elle achevaitla gloire d'un siecle,illustre entre (1) Tom. Ill, pag. 123, t'ditioii dc M. dc Montmerquo. (2; « Jcsuislellement libertine quand jocris, que le premier tour quejeprends regue tout le long de ma lettre. » (Lettre v, png. 410.) — 39 — ions, ct prenait place a cotd des Pascal, des Moliere , des la Fontaine : et cependant rien n'est plus vrai ; car il ne faiit pas s'y meprendre, madame de Sevigne est bien de cette race de priyllegies auxquels il suflit de se montrer tels qu'ils sont, et qui marquent naturellement I'empreintedeleur suiu'riorile dans des ceuyres inimi- lables. La correspondance de madame de Sevigne est bien de meme titre que les Provinciales, les Fables et les Femmes savantes, et ce titre c'estla perfection dans un genre donne. On se recrieparce qu'ici la gloire n'a pas coiite d'efforts. Eh, qu'iniporte ! elle u'en est pas de moindre yaleur : c'est une bonne fortune sans doute, raais il n'y a ni dol, ni surprise , la possession est le- gitime. Laissonsles etrangers nous envier cet accident imperissable ; pour nous , jouissons-en cberement, corame d'un bien qui pouvait nous echapper. Voyons, en effet, quel concours de faits contingents etait necessaire a la production et a !a conservation de cette correspondance. Avant tout, il fallait que la Providence fit naitre de noble race etdans une maison opulente une enfant merveilleusement douee des dons de I'esprit et du coeur; que la culture de cet esprit su- perieur fut complete, et qu'il echappat , malgre Ten- tourage, a la contagion dupedantisme etde I'aireterie; qu'un veuvage survtnt , anres quelques annees d'une union feconde, et que, par un double miracle , pour Tepoque , ce veuvage fut opiniatre et chaste. Ce n'est pas tout : une separation cruelle devait faire naitre le besoin d'epancher et de transmetlre des sentiments de- venus plus vifs par cette separation menie. II fallait en- core que rambiiion litteraire n'arrivat pas avec la con- science du talent, car si madame de Sevigne eijt donne la moindre distraction a son coeur, le moindre detour — 40 — a son esprit, en regardant (hi coin do Toeil la posterite, le charine etait rompu. Nons avions un anteur de plus, ecrivant d'agreables memoires, plus ou moins menson- gers (nous en avons deja tant!); raais lafemme du monde, aTed'entrain de son intarissable enjouement, mais la m^re et Timpetuosite de sa lendresse nous etaient ra- vis. Ainsi le desinteressement de toute gloire etait la condition de rinimorlalite! Voyez encore : ces fcuilles legeres, couvertes par de rapides improvisations, sou- mises aux caprices des courriers, exposees aux inQde- lites du cabinet noir , monstre nouvellement ne dans 1' ombre, et dont heureusement on ne se defiait pas, a la negligence de cenx qui les recoivent , parfois a la curiosite indiscrete du voisinage , qui peut les egarer apres en avoir passe son envie ; tous ces jeux de I'es- pril, toutes ces lendresses du cceur fixes surune ma- tiere fragile , combien de perils devaient-ils traverser pour ne pas perir sur la route de I'avenir ? mais enfin nous les tenons, et Dieu en soil loue, car ce n'est rien moins qu'un chef-d'oeuvre. Aussi n'est ce pas sansrai- son que I'Academie francaise proposait, il y a quelques annees , dans ses concours, Teloge de madame de Se- vigne(l), que devait sui vre celui de Pascal, et que nous rencontrons anjourd'hui deux historiens serieux qui ont lulte de zele et d'erudition pour nous faire connai- tre, dans tons leurs details, la vie et les ecrits de cette femme immortelle. Rien ne nous erapeche maintenant de crayonner apres tant d'autres la figure de madame de Sevigne : ses recents historiens nous en donnent le pretexte et les moyens , et nous pouvons d'ailleurs apporter dans (1) On sail que le phxa i-te decerne, sans soupoon do partialite , meme involontali-e, de la part des jugcs, a madame A Tastu. — 41 — cetle esquisse qiielques souvenirs d'lui conimerce as- sidu. Laissons de cote les details d'line gcuealogie glo- rieuse, qui nous montre parmi les aieux de IMarie de Chantal, unefoule de braves gentilshonimes, et, ce qui vaut inieux, une sainle. Madame de Sevigne y trouvait de bons exemples sans en tirer vanitd. C'esl d'elle seule que nous voulons parlcr. Orpheline a cinq ans, Marie de Rabutin Chantal fut d'abord confide aux soins de son aieul maternel , dont la mort la fit bientot passer sous la tutelle d'un excellent oncle, le bon abbe de Coulanges , qui gouverna avec une teudresse presque paternelle la fortune et Feducation de sa niece. II sut augmenler au profit de sa pupille un bien deja consi- derable, et il orna son esprit de connaissances solides et varices. EUe cut plus tard pour maifres Chapelain et Menage qui lui apprirent , a I'envi Tun de Tautre, I'espagnol, I'italieu, le latin, peut-etre meme un pen de grec. On salt que Menage ainiait a endoctriner les jeunes filles et qu'il ctait sujet a s'eprendre de ses ele- ves : ses madrigaux pour mademoiselle de la Vergne et ses lettres a Marie de Chantal en font foi. Pour ma part, je n'aime guere ce pedagogue qui faille danieret en debitant son latin, et j'admire la bonne ame de ces belles jeunes filles qui lui conservent leur amitie.Voyez- vous d'ici ce jure peseur de syllabes , cet inquisiteur d'etymologies, s'adonisant aupres de Julie d'Augennes, de Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, et de Marie de Uabutin Chantal, etqui prepare galamment pour la cour et la ville la marquise de Montausier, la comtcsse de la Fayette el la marquise de Sevigne , c'est-a-dire ce que le xvii" siecle nous olTre de plus digne, dc plus tendre, de plus spirituel, parmi lant de femmes dont on rcmarquail Tcsprit et la beaute. Heureux pedant ! — 4-2 — Mais il paicra quelque jour les torts tie sa galanleric empesee , car Moliere n'est pas loin , il le surveille, et il tirera de sa physionomie quelques-uns des traits dont 11 peindra Vadius. Le bon Cliapelain fut plus cir- conspect; il avait plus de conscience que d'imagination, et le feu qui prenait si difficilement a son cerveau retif, ne lui echaulTa jamais le coeur. Son elevelui sutgrede ses lecons , et Ten aima au point d'etre blessee au vif des epigrarames de Boileau. Quant a Menage , elle se fit un jeu de decourager sa passion a force de confiance et de familiarite : clle le fourrait intrepidement dans son carrosse , bien assuree qu'on ne medirait pas de ces tete-a-tete (1). A vingtans, Marie de Rabutin dcTint, par son uia- riage, marquise de Sevigne. On pouvait mieux rencon- trer. Le marquis etait soirituel et brave, mais dvapore, dissipateur, quereileui, iibertin : les graces de sa jeune epouse ne purent le fixer, Ninon I'entraina. Ninon de- Tait se trouTer souvent sur la route de madame de Se- vigne : elle lui debauclia d'abord son mari; vingt ans apres elle derangea son fils, et apres vingt autres an- nees, dit-on, son petit-fils : dangereuse et incurable beaute qui corrompt irois generations dans la menie famille, pour la douleur de la plus vertueuse des epou- ses, de la plus tendrc des meres. — Madame de Sevigne aimait ce jeune et infideie mari , mais son coeur etait navre. L'epee du chevalier d'Albret lui procura le veuvagc. II faut dire comment (2) : le 4Fevrier 1651 , (1) Nous voyons encOre qu'elle s'amusait asesdepcns : « Le pere Bouhours et Menage s'arrachenl les yeux et nous divertissent. » Tom. IV, pag. 466. (2) Voycz sur ce duel les Minnohcs de Conrarf, edit, par M. de Moutmerque. Collect. Pcli'iot. — 43 — en pleiiie Fronde, le marquis et le chevalier se rencon- trerent derriere Picpus : comme le sujet dela querelle n'elait point grave (il s'agissait d'une maitresse banale et de propos que desavouait le marquis) , les deux champions commencerent par s'embrasser. Mais, elant veuus sur le terrain , ils jugerenl convenable de croiser le fer. Les moeurs ont bien change , car les duels, par rafllnement de point d'honncur , etaient alors aussi commons que le deviennent lesaccommodements sans dignity. Sevigne porta quelques bottes a son adver- saire , puis il s'enferra etourdiment dans Tepe'e de d'Albret qui le traversa depart en part. Le lendemain Sevigne mourut. Sa femme accomplissait ce jour-la meme sa vingt-cinquieme annee. La Fronde, qui a son debut enrola tant de gens d'es- prit, entraina toute la famille des Sevigne, alliee au coadjuteur. Renaud de Sevigne commandait le regi- ment organise au petit archeveche, et ce fut lui qui recut en cctle qualite la premiere aux Corinthiens, qui ne fut pas la seule, car les frondeurs n'etaient pas heu- reuxhorsde I'enceinte de leurs murailles. Le marquis fit cause commune avec son oncle, et on peut penser sans temerite que madame de Sevigne,entrainee par I'exem- ple,dut decocher quelques epigrammes contre le Maza- rin. Mais sa part dans celte petite guerre n'est pas fort considerable. Madame de Sevigne fut janseniste comme elle etait frondeuse, par affection de famille, les Ar- nauld etant lies avec les Sevigne. Veuve a vingt-cinq ans, que fera-t-elle de son veu- vage, de cette liberte inattendue qu'elle retrouve a un age oil il est si facile d'en abuser et de la reperdre? Elle est Jeuue, elle est belle, elle est maitresse d'une fortune un pen compromise, il est vrai, par les prodi- — Uh — ^alites de son niari, mais considerable encore et bieu- lot rassise par la providence du bon abbe de Coulanges. Les pretendants ne devaient pas manquer et moins en- core les amants. Madame de Sevigne n'est pas d'liunieur a pleurer longtemps, quoiqu'elle aime a pleurer sou- vent (1). Son araie, madame de la Fayette, lui a dit : « Vous paraissez nee pour les plaisirs, et il semble qu'ils soient faits pour vous : la joie est Tetat veritable de voire ame et le chagrin vous est plus contraire qu'a qui que ce soil (2). » II arriva sans doute comme pour la jeune veuve de la Fontaine : On fait un peu de bruit et puis on se console : Sur les ailcs du temps la tristesse s'envole, Le teiups ramene les plaisirs. Madame de Sevigne etait trop sincere pour faire beau- coup de bruit a I'occasion d'une perte oil elle gagnait le repos. Elle ne tarda done pas a etre, sinon conso- lee, au moins abordable. La screnite de son front ra- mena les courtisans de sa beaute. M. Walckenaer en a donne la liste, qu'il a peut-etre trop chargee. Con- tentons-nous d'en citer deux dont les poursuites furent serieuses : Bussy-Rabutin, qui avait neglige d'epouser sa cousine, quoique rien ne s'opposat a cette alliance, se mit a Taimer aussitot qu'elle fut mariee ; il Tetait aussi, mais ce personnage n'est pas fort scrupuleux. Le mariage n'avait pas ete un frein, le vcuvage fut un aiguillon. Bussy perdait son temps, quoique ses en- tretiens fussent agreables et recherches : madame de Se- vigne ne voyait pas les vices du cceur sous les agre- (1) Elledisait a sa Qlle : « Vous pleurates, ma tres-chere, et c'est unc affaire pour vous. Ce n'est pas la menie chose pour moi : c'est raon temperament. » (Tom. v, pag. 87. ) (2) Portrait de madame de Sevigne. /IB menls deTesprit, et elle ncfuti)as iiioineechiiieelors- que son cousin sc fiit doublement Iralii. Bussy, las d'at- tendre un pret dont quelques formalites retardaientla conclusion, ne lint aucun compte do la bonne volonle de madame de Scvigne et partit courrouce contre elle. Ce n'est pas tout, il composa, pour son Ilistoire amou- reuse ties Gaalcs, un portrait salyrique de sa cousine, et ce portrait, qui avait couru manuscrit, avcc ou sans I'aveu du coupable, parut dans le livre imprime, mais au mepris d'un engagement forme? . Lorsque le calom- niateur fut puni par oil il avait peche, et que son li- vre I'eut precipite dans une de ces disgraces dont on ne se releve jamais, parceque la consideration a peri en nieme temps que la faveur, madame de Sevigne, qui avait cruelleraent ressenti I'outrage, fut assez bonne pour pardonner, et elle oublia si bien qu'elle put re- trouver son enjouemcnt dans sa correspondauce avec le perfidequi Tavait difl'amee. — Le second poursuivant, plus redoulable encore parce qu'il etait plus aimablc, fut le surintendant Fouquet, qu'entouraient alors tons les prestiges de la faveur, de Topulence et du merite personnel. C'est sansdoute aux souvenirs des dangers qu'elle courut dans ce commerce plein de seduction qu'il faut rapporfer ce qu'ellc disait plus tard : <( I! y a des moments oil Ton admire qu'on ait pu s"'appro- cher a 900 lieues du Cap ! » II rcstait sans doulo beaucoup a faire pour y toucher, mais on etait pres- que a moitie chemin : les conseils et les exemples ne lui manquaient pas pour aller jusqifau bout. Lorsque Fou- quet fut arrele, madame de Sevigne ne dissinuila pas sa douleur, et quand on sut que des leltres ecriles de sa main se trouvaient dans la cassette mystdrieuse oil le surinlendant avail renfermelcs liasses dcsa corres- — 46 — pondance amoureuse, le soupcon ful perniis. Cnmbien debelles pechcresses espererent, un instant, quecctle \ertu, qui leur porlait ombrage, allait elre convain- cue d'hypocrisie ! 11 n'en fut rien : madame de Se- vigne, par une glorieuse exception, faisait mentir le vers de Boileau (1). Pourquoi cela? C'est que la jeune veuve etait mere et que sa tendresse la protegeait cen- tre I'amour. Nous avons sur ce point son propre aveu, lorsqu'elle dit a sa fille : « Je ne sais de quoi voire amitie' m'a gardee, raais qiiand ce serait de Teau et du feu, elle ne me serait pas plus chere. » Apres le proces de Fouquet, delivree des angoisses de I'amitie qui avaient distrait sa tendresse maternelle, madame de Sevigne songea a produire dans le monde ses enfants sur lesquels elle avait concentre toutes ses affections. Ce fut sur ce pied-la qu'elles'etablit. Elle s'abrita derriere la beaute de sa fille, et c'est avec raison qu'elle lui disait plus tard : « Je vous aurais cachee, si j'avais voulu etre aimee. » Cependant ma- dame de Sevigne n'avait rien perdu des agremeuts de sa jeunesse, et meme elle avoue, longtemps apres le mariage de sa fille, qu'elle est « d'une taille si mer- veilleuse qu'elle ne concoit pas que cela puisse chan- ger, et pour son visage cela est ridicule d'etre encore comme il est (3). » Ainsi Benserade n'elait que juste lorsqu'il nous montre madame de Sevigne Se lassant aussi peu d'etre sage que belle. Toutefois, lorsqu'il fut bien avere quelle etait ex - (1) Jamais surintoiuiant ne trouva de cruelles. II faut.iioutcr mademoiselle de la Vallicre; mais cllo avait d'aiilrcs rai^^ons. (2) Tom. IV, ]ia^'. ?.f.j. — 47 — cliisivement mere, la galanlerie seletint pour clit. La jeiine veuve n'eut plus a detourner travances lionora- bles, ni a repousser d'homniages injurieux. Enlrc elle et le monde, il ne fat plus question que de sa fdle. C'elait le chemin de son coeur, et elle n'avait d'amis que les admirateurs de ses enfants. Au reste, Tadmi- ration efait generale pour ce couple gracieux, et meme on ne voyait pas d'hyperbole a comparer madame de Sevigne, entre son fils et sa fille, a Latone escortee de Diane et d'ApolIon. Comme il y a des gens pour avancer et pour soute- nir toutes les opinions, on dit que madame de Sevigne n'aimait pas sa Tdle. Ceci nous semble le sublime du paradoxe impertinent. Eh ! comment madame de Sevi- gne n'aurait-elle pas aime sa filie? nee avec un cceur tendre, ce coeur avait ete froisse par les desordres d'un mari qu'elle clierissait : veuve a vingt-cinq ans, c'est - a-dire dans un age oil le besoin d'ainier devorerait Tame s'il ne trouvait pas un aliment, sa vertu la garda de ces galanteries qui donnent le change a la passion, etsa prudence, d'un nouveau lien. La flamme inte- rieure se concentre alorsdans un meme foyer, et rayonnc sur un meme objet. N'est-ce pas assez pour donner a un sentiment unique tons les transports de la pas- sion ? et si tout conspire alentour pour aviver cette flamme, si le monde repete chaque jour a cette mere eprisede sa fdle, qu'ellea raisond'en etre fiere, com- ment veut-on que I'imagination et le coeur, travaillant de concert, echaufl'es Tun par I'autre, animes par cette enivrante complicite de Tadmiration publique, ne s'exallent pas, et que le feu qu'ils attisent ne penctre pas Tame tout entiere. Nous n'accuserons done pas madame de Sevigne de — 48 — manquer de siiicerite clans ramourmaternel.Mais nous ne la tenons pas quilte de tout point ; nous lui repro- cberons de manquer de mesure. Sans etre janseniste comme Arnauld d'Andilly, on peut penser avec lui qaune mere chretiennenedoit pas aimer ainsi.«Vous etes, lui disait-il, unejolie paicnne. »> Gemot est juste etprofond, et madarae de Sevigne en sentit la porlee ; elle eut des scrupules, mais elle ne voulait pas guerir ; ce peche c'etait sa vie meme, et elle ne le croyait pas mortel : « A-t-on gage d'etre parfaite, disait-elle gar- ment : si j"avais fait cette gageure , j'y. aurais bien perdu mon argent (1).» Mais voici unaveu plus direct: <( Cette petite circonstance d'un cceur qu'on ote au Createur pour le donner a la creature, medonne quel- quefois degrandes agitations (2). » Du cote du monde elle se rassurait plus facilement : « Vous m'empecliez, disait-elle a sa fille, d'etre ridicule. » Sa title etait si accomplie a ses yens ! d'autres meres n'auraient pas la meme excuse : « A moins d'avoir des raisons comme raoijon peut se dispenser d'avoir cetexces d'amour ma- ternel (3). » Nous la prenons au mot sur Faveu, et nous faisons nos reserves sur Texcuse. Au reste, nous som- mes tous suiets a nous mettre hors de la regie, au moins sur quelque point, et qui n'a pas dit, une fois dans sa vie, comme Danville, dans VEcoledes Vieillards : (*Mais moi, c'est autre chose ! » Cette beauts que Bussy, peu flatteur par nature, (l)Tom. II, pag. 90. (2) Tom. in, pag. 177. Elle dit ailleurs , a propos ile celte exces- sive leiidresse: -• C'est ce qu'il faudrait avoir pour Dieu , si Ton fai- sait son devoir. - Tom. i, png. 2J6. Et ailleurs: •■ Je vous aime comme il faudrait aimer son salut. ■■ Tom. iv, pag. 30'>. (3) Tom. IV, pag. 09. — 49 — avail proclaniec « la plus jolie lille de France » et la Fontaine, « tonte belle, a son indifTcrence pros, » ma- demoiselle de Sdvigne est arrivee a I'age d'etre mariee; elle a brille dans ces fetes dont le souvenir electrisait la vieillessede Voltaire (1); elle y avail danse avec une grace qui tirait dcs larmes des yeux de sa mere; Ben- serade s'etait surpasse dans Ics madrigaux qu'il corapo- sait pour elle. Enlin, il n'etait bruit quede son esprit et de ses charmes : de plus, madame de Sevigne devail compter cent mille ecus avant la signature du contrat. Ccpendant les pretendanis ne se pressenl pas, on n'ar- rive pas des quatre coins du monde ponr dispuler ce Iresor a sa mere.Qu'est-ce a dire? L'aduiiration aurdit- elle produit les eilets de lacrainte? Madame de Sevi- gne s'etonne, mais enfln elle pent choisir enfre plu- sieurs partis dont lesavantages scbalancent, et sa pre- ference s'arrele surlecomte de Adlieniar deGrignan, de noble race provencale, dont le blason reraonte avec honneur jusqu'aux croisades. M. de Giignan clait hommede merite; deja eprouve dans d'importants em- plois, il paraissail reserve a une plus haute fortune; si ses grandes manieres I'avaient, dans sa jeunesse, in- cline a une negligence voisine du desordre, le temps qui miirit lesbons esprits, devail avoir reduit sa pro- digalile aux termcs d'une generosite clievaleresque ; de plus, Texperience de deux mariages anterieurs i'avaient suffisamment exerce a la pratique des ver- tus domestiques. En sorame , il n'avait contre lui que son aptitude au veuvage , qu'on pouvait croire (1) Quels plaisirs quand vos jours, marques par vos coiiqueles , Scmbellissaienl encore ;i rd'clat de vos fetes. Volt. Le Russe a Paris. — no — t'puisee, et qui etait balancee par la perspective d'un brillant avenir dans Tarniee oudans les affaires. Nous touchons a I'evenement decisif qui renferme loute la destinee a venir de madame de Sevigne. Un an apres son manage, M. de Grignan fut appele a exer- cer les fonclions de gouverneur de la Provence, sous le titre de lieutenant-general du roi, a la place du due de Vendome, trop jeune alors, et plus tard trop ami des plaisirs et de la guerre pour resider dans son gou- vernement. II n'y avait pas a besiter, car c'etait une brillante fortune que cet eraploi ; nous n'avons rien , dans notre regime adrainistratif, qui puisse donner une idee de ces vice-royautesde I'ancienne monarchic : un gouverneur de province tenait de la delegation royale un eclat et une autorite qui compensaient, pour la no- blesse, Tindependance de la grande feodalite. M. de Grisnan allait entrainer sa femme a Tautre bout de la France , et arracher crueliemcnt la fille a sa mere. Toutefois, une grossesseconimenceeajourna cette dou- loureuse separation, mais enfm il faUut sy resoudre. Nee le 5 Fevrier 1G26, veuve le 5Fevrier 1651 , madame de Sevigne se separa de sa fille le 5 Fevrier 1 671 . Ainsi le sort qui avait deja place sur le meme jour sa naissance et son veuvage, amenait encore a la meme dale, apres un intervalle de vingt annees, la crise prin- cipal de sa vie. Epreuve dechirante ! mais la gloire etait a ce prix. II faut lire dans madame de Sevigne Fexpression de ses angoisses maternelles. Tout d'abord « elle a senti de vingt lieues cet eloignement cruel comme elle senti- rait un changement de climat. » LMdee des perils de ce voyage lointain efface bientot les douleurs de la sepa- ration; elle ne voit plus que le pont d' Avignon, les hau- — 51 — teurs de Taraie et la rapidite du Rhone. Lorsque ma- darae de Grigiian est arrivee dans son gouveruement, il y a bien quelque dedommagement,car lesbannieres se deploient en son lionneiir, le canon gronde, les liora_ mages pleuvent de toiites parts ; Aix et 3/Iarseille riva- lisentde galanterie. Mais le premier bruit s'apaise, les alarmes recommencent ; sans parler de la pesanteur del'abseuce (1), il faut encore « porter i'epouvantable inquietude qu'on a d'une sante si cliere » ; on a mal a la poitrine de sa fdle, puisons'ecrieala uouvelle d'une grossesse : . (2) Tom. II , pag. 2 24. (3) Tom. II, pag. 49. (4) Tom. V, pag. 'J8. — 52 — ji' tourneaulourdu petit pout ; jo surs dc Vhumeur de ma fille, el je rcgarde par Vhumeur de ma mere (1) si La Beaiime ne revient point ; et puis je remonte etre- \iens metlre mon nez au bout de Fallee qui donnesur le le petit pont. » Etlorsqu'elle tienl enfinunede ceslet- tres, c'estbien un autre manege : elle ne la lit pas, de peur de I'avoir lue ; et lorsqu'elle i'a iue et relue, elle la relit encore ; et ce bienheureux papier regne sans partage jusqu'a ce qu'un nouveau courrier vienne le supplanter. Disons toute la verite. Madame de Sevigne a outre la passion, et elle n'a pas atteint I'lieroisme dans I'a- mour maternel : elle ne sut pas voir que Ic mariage de sa fille creait pour toutes deux une situation nouyelle ; que madame de Grignan n'etait plus tout-a-fait made- moiselle de Sevigne, quelle deva it a son epoux lameii- leure part de sa tendresse, que le devoir d'une mere etait, je ne dis pas d'etoulYer, mais de contenir son amour, el, par le plus noble des sacrifices, de paraitre s'oublier.Il n'en fut rien : madame de Sevigne continua defaire la cour a sa fille lorsqu'elle fut mariee, et si M. de Grignan se fut etabli sur le meme pied, la guerre etait alluniee. M. de Grignan evita par sa prudence les demeles d'une rivalite dangereuse; mais la position n'en etait pas moins fiiusse, et madame de Grignan, pla- cee entre les exigences de sa mere et les droits de son mari, dut souventen etre embarrassee. Onpeut croire qu'elle en souffrit, et il est certain que, pour sa part , elle s'arrangeade maniere a ne pas devenir incommode par exces de sensibilite. Quand elle eut une fille, elle (1) Ces Jnonews soiit dcs noms donnes aux allees tin pare des Rochcrs. o3 — prit le pai li clc rainier moderement, si mieme clleraima jamais , car sa mere lui disait a ce propos : (( Tatez , tatez un peu de Taraour maternel ; oii doit le trouver assezsale quand c'est un choix du cceur, et que ce choix regarde une creature aimable (!). » 11 convient de dire quelques mots de cetfe filleido- latree. Mademoiselle de Sevigne fut tout d'abord une enfant petrie de graces et d'esprit avant de devenir une femme veritablement distinguee par la culture de son intelligence et par sa beaute. Le tort de madame de Sevigne fut de le lui dire de trop bonne heure et trop souvent. S-efant niise a I'adorer pour se preserver de toute autre passion, elle (it de sa tendresse un culte, et de Tobjetde sa passion une idole. L'aimable eifant se laissa faire, ct grandit sans s'emouvoir au milieu de ces prevenances et de ces flatteries. L'amour Glial se developpe par un melange de severite et de douceur qui fait sentir I'autorile; la crainto respectueuse est au fond , et elle engendre I'affcction sous les formes de I'obeissance. Si on habitue I'cnfance a ne rien sou- ffrir, a ne rien desirer longtcmps, on la dispose a compter sur des liommages qu'elle recoit sans plai- sir. Trop siire de sa mere, mademoiselle de Sevigne n'eut pas ces effrois salutaires, ces cruelles petites douleurs qui sont les premiers aiguillons du ca>ur, et elle prit sous les baisers de sa mere une Iiabilude de dignite froide qui passa pour de h. fierte dedai- gneuse. Sa contenance reservee etquelquepeu altiere semblait imposer les hommages comme un tribut, et les recevoir comme une dette. Elle detournait par- la ceux qui auraienl etc les plus prccicux, et il n'y (I) Vol. V, pag. i/j2. — 54 — a guere que sa mere qu'elle n'ait pas d^couragee. J'avoue que madame de Sevigne me parait avoir beaucoup mieux enlendu son role de mere avee son fils. Elle en fit un jeune homme parfaitement aima- bie, et elle compta peu sur lui pour elever leur mai- son, car elle reconnut que son caractere n'etait pas d'une trerape assez forte pour le soutenir et le pous- ser dans les affaires. Elle le peint tout enlier d'un trait: « Quand il se divertit, tout est bien. » On se plait a la voir entrer dans les faiblesses de ce fils, non pas adore, mais tendrement aime, pour Ten faire sor- tir par unevoie honorable et douce. Le jeune marquis de Sevigne, ami du plaisir et homme de gout, eut ses premiers succes aupres de la Champmesle dans la so- ciete des petit Racine et des petit Despreaux, sa mere les appelle ainsi, jeunes alors et convenablement dis- sipes ; Ninon voulut le mettre en honneur par un de ses caprices si envies ; mais le caprice passe, elle lui fit tort par ses plaisanteries indiscretes. Apres ces bon • nes fortunes, il alia faire preuve debravoure a la guerre, et il s'y distingua sans avancer. Insouciant sur les hon- neurs pourvu qu''il s'amusat, il finit par trouver un peu long le temps de son noviciat dans le guidonnage, et il le dit assez gaiment : « Toujours guidon , guidon eterncl, guidon a barbe grise! Oh ! le ridicule nom de charge quand on le portedepuiscinq ans ! » Madame de Sevigne ne s'affligeait pas trop de ce mecompte, et voici en quels termes elle s'explique : « Mon fils est bien afflige de ne pouvoir sortir de ce malheureux guidon- nage; mais il doit compi'endre qu'il y a des gens pre- sents et pressants qu'on a sur les bras, a qui Ton doit des recompenses, et qu'on preferera toujours a un ab- sent qu'on croit place et qui ne fait simplement que — 55 — s'ennuyer dans urie longue subalternite. » Lc marquis de Sevigne attendit vaineineat le prix de ses services : on paya sa bravoure en eloges, et ce fiit a grand'peine qu'il echangea le giiidonnage contrc le grade de lieu- tenanlde rol. II en prit bravcmcnt son parti. Desa- buse de bonne lieure de la yanite des plaisirs ct des chinieres de Tanibiiion, il vint cli.nrnicr par les agre- ments du son esprit la solitude de sa mere, se rangea dans le manage, fit un peu de litteratnre (I), tourna a la piele et se contenta d'etre un honnete horame gd- neralemenl aime et justement considerc. A tout pren- dre, il y a de pires conditions. Mais revenons a madame de Grignan et a sa mere, si malheureuse de son eloignement. Elles se revirent souvent et longtemps ; mais ces rapproche- ments si desires, si impatiemjuentatlendus, ne tenaient pas tout ce quon s'en elait promis. II y a a cela une raison generale : c'est que I'imagination elait en jeu et que la realite n'a jamais la perfection de Tideal ; le caeur reve au-dela de ce qu'il eprouve, de sorte qu'a- pres les premiers transports, il y a toujours un peu de desenchantement. Madame de Sevigne, la plume en main, exaltait son amour en I'exprimant; sa fillc clle- meme parvenait a s'ecliaufTer et a bruier le papier : lorsqu'elles etaient reunies, les soins de la vie rcelle venaient a la traverse ; les enlretiens memes n'elaient pas aussi favorables aux epanchements, aux fusees de lendresse que la correspondance. D'ailleurs madame (ii On adu marquis de Sevigne un mcojoirc sur un passage d'llo- rare qu'il ooniprenait auliomcnt que Dacicr. L'erudit et I'homme du monde etaient a cote du ver;ial)le sens, que Dumarsaiia fait preva- loir. Lo pa sage eu litigerst le vers de I'art poeiique : Di/firilrcs/pio- jirte cnDiiiiuiiuiclicere. — 56 — tie Sdvigne vouUiit loujours etre iniiuiete de quelque chose; c'elait un besoin de son cceur; a la raoindre alteration du visage de sa fiUe, il lui fallait qu elle fut nialade : celle-ci s'osblinait a se bien porter ; e'etait dissimulation. Un air de tristesse annoncaitles regrets d'un rnari absent on des honneurs de gouvernante. Voire mere ne vous sufQt-elle plus? Et sur ce texle mille tendres reproches, puis des pleurs en abondance. Madame de Sevigne laisse deviner ces obsessions et ces petils demeles. Ecoutons-la : « II y a des gens, dit elle a sa fille, qui m'ont voulu faire croire que Texces de mon amitie vous incommodait ; que cette grande attention a decouvrir des volonles, qui nalurellement devenaient les miennes, vous faisait assurenient une grande fadeur et un grand degoiit (1). » Certes, ces gens-la etaient fort impertinents, mais bien pres de rencontrer juste. Tant de prevenances n'amenaient pas le degout, le mot est trop rude ; mais elles pouvaient etre genanles. Au resle, ces legers nuages sont un bien faible argument pour ceux qui representent la mere et la fdle en hostilite ouverle lorsqu'elles sont ensemble : nous nc voyons la que les incidents inseparables d'une affection sincere des deux parts, excessive d'un cote, l^ladame de Sevigne, qui apportait beaucoup dans la communaute, pi elendait quelquefois a recevoir en rai- son de sa mise. C'elait trop vouloir, et souvcntelle le comprenait ; car toute bonne et loujours sensee, hor- mis le chapitre de sa fille, elle s'accuse, sauf a ne pas se corriger : « 11 n'est pas juste, disait-elle, dejuger de vous par moi : cette mesure est temeraire (2). » (1) Tom. Ill, png. 5S8. (2) Tom. M. png. 101. — 57 — El plus clairemcnl encore : « Mes d«5licatesses, et les mesures que je prends sur moi, ont donne quelquefois du desagrementa mon amilie (1). » Comment se bou- der longtemps apres de pareils aveux? Concluons done que madanie de Sevigne et sa Glle faisaient bon et meme excellent menage ; mais dies faisaient menage. Tenons-nous-en a ce mot qui n'envenime rien et qui n'a pas bcsoin de commentaire. On selaisse aller volonliers a sonder ces ames d'elite oil les defauts memes ne sont qu'une sorte d'intempe- rance dans le bien. Telle est madame de Sevigne , quand on appiecie de sang-froid son idolalrie pour madame de Grignan. Mais il y a d'aulres aspects qui nous la montrent tout ensemble pleinedegenerositeet de mesure , et qui permettent de la louer sans res- triction. Le plus chagrin des moralistes , le due de la Rocliefoucauld , disait qu^elle <( contentait son idee de Tamitie aveccirconslanoes et dependances, » et ce u'est pas seulement parce qu'elle venait assidiiment charmer ses souffrances et celles de madame de la Fayette, mais parce que sa vie tout entiere atteslaitla Constance el le desinteressemenl de ses affections. On sail avec quelle ardeur elle embrassa la disgrace de Fouquet, au })eril m«^me de sa reputation, et ses alar- mes pendant le proces du surinlcndant, donl elle a raconle tous les incidents dans ses letlres a M. de Ponq3onne. Celui-ci fournit plus tard matiere a la memevertu, et lorsqu'ilccssa d'etre ministre, madame de Sevigne qui « avail fail ses preuves de generosite sur le sujel des disgracies (2) » , n'hesila pas a dire (1) Tom. Ill, pag. la.'J. (5) Tom. 1, pnji. 12S. — 38 — hauternent ce que sa conduite sut bien proiiver et ce qiief,'aranlissait son coeur : dLe malheur ne me chassera pas cle celte maison. » Son affeclion pour MM.de Port- Royal, si souvent persecutes, ne sedemcntit jamais, et elle temoigna au cardinal de Rctz le meme devouement. L'auteur des Maximes, autre debris de la Fronde, eut une egale part a son amitie. Celtc Constance dans des affections que d'autres au- raient sacrifleesoudissimuleespar politique, ne permit pas a madame de Sevigne d'entrer fort avant dans la faveur royale. Le role de courlisan ne convenait pas a son liumeur; elle ne dissimule pas combien ces adora- teurs de la fortune lui semblent peu dignes d'eslime , etil n'y a nulle partde plus cruel sarcasme contre eux que cet eloge qu elle fail, je crois, du due de la Feuil- lade : « Cest le moins lache et le moins bas courtisan que j'aie jamais vu (1). » Elle ne paraissait guere a la cour que pour y servir les iuterets de son gendre et y recueillir sur d'autres levres des eloges de sa fllle , fidelement renvoyes a leur adresse : on ne voit pas qu'elle ait ele tentee des'y etablir, ni qu'on aitessaye de faire violence a ses gouts. On Testimait assez pour croire que la Fronde avait laisse des traces dans son esprit et Fouquet dans son coeur : c'etait trop pour un lieu oil Ton n'aimait que des hommages sans reserve ; au reste, on devinait le fond de sa pensee, et en cela on voyait plus clair que les critiques et les liistoriens qui la croient completement seduite parce qu'elle est sincerement ralliee. On n\i pas assez remarque cct arriere-goiit de fronderie qui persiste en presence de la royaule triomphante. Je ne sais si je m'abuse, mais (1; Tom. n , p;ig. \'i. — 59 — je crois surpientlre un sourire legeremenl ironique sur les l^vres de la marquise, lorsqu'elle ecrit en parlarit du roi :<( Le plus surest de I'honorer etde le craindre, etde n'en parler qu'avcc admiration. » L'entliousiasme nc se traduirait pas ainsi par un simple conseilde prudence, Mais voici qui est plus clair , quoique tou- jours voile : <( La royaule, dit-ellea sa fille, est elablie au-dela de ce que \ous pouYez imaginer : on ne se leve plus, on neregardepluspersonne(I). »Peut-on accuser plus fincment I'infatuation de la puissance qui ne dai- gne plus meme laisser tomber ses regards sur les mar- ches du Irone. Cela est legerement decoche , mais le trait n'en est pas moins penetrant. Le blame est plus explicite, il delate meme a propos de Turenne, dont le souvenir perit si vite dans les fetes d'une cour volup- lueuse : « A quel point la perte d'un lieros a ete prorap- tement oubliee dans cette maison ; c'est une chose scandaleuse (2). » La bonne ame de madame de Sevi- gne ne pouvait comprendre ce rapide evanouissement de la douleur apres tant de services rendus au nionar- que et a Tetat. — Suivons encore cette veine delicate d'opposition, et nous vcrronsque les souvenirs du petit archeveche (3) n'ont jamais ele ellaces : voici , par exemple, sur les impots une mctaphore passablement democralique: « J'ai toujours, dit-elle , la vision d'un pressoir que Ton serre jusqu'a ce que la corde rompe (4). » Ailleurs , elle raille agreablement ces bons Bre- tons, enchantes qu'on ait agree les subsides qu'ils ont liberalement voles : « Nous avons perce la nue du cri (1) Tom. Ill, png. 421. (2) Tom. Ill, pag. 36.). (3) C'ctail le palais du coailiuUiir |iciKliiiit la Fronde. (4) Tom. V, pag. 60. — 60 — de Vive la rui. Nous avonsfaitdesfcuxde joie et chanle le Te Beam , de ce que S. M. a bien voulu prendre celte somine (I). » Je ne veux pas epuiser les traits de ce genre , mais je me reprocherais de ne pas eiter le passage suivant , qui contient en gernie un pamphlet foudroyant ; il n'y manque qu'un peu de Gel et de de- clamation, maisilne faut pas cliercher ces ingredients- la cliez madame de Sevigne : « On tache de reformer les liberaliles et les pensions, et Ton reprend de \ieux reglements qui couperaient tout par la moitie : je parte qu'il n'en sera rien, et que comme eel a tombe sur nos amis les gouverneurs, lieutenants-gencraux, commis- saires du roi, premiers presidents et autres, on n'aura ni la hardiesse ni la generosilede rien retrancher(2).» Nous Toila bien assures que madame de Sevigne a conserve sa liberte d'esprit au milieu de la fievre d'a- dulation qui regnait a ses coles. La contredanse royale dont parle Bussy (3) n'a pas eu la puissance de la lui enlcver pour toujours. Malgre la licence des moeurs, si scrupuleusement delaillee par M. Walckenaer, et Tindulgence qui semblait Tautoriser, madame de Se- vigne a encore conserve le don de mepriser les femmes qui out abuse de la galanterie ; et sur ce point elle a des mots dignes du pinceau de Tacite. Cest elle qui dil, ca parlant de madame de Lionne, complice des desordres de sa fille : « Je Tavais chassee depuis long- temps du nombre des meres (4). » Quelle sentence ! (l)Tom. Ill, pag, 200. (2)Tora. IV, pag. 101. (3) Void ce que raconlc cette mechante laiigue : « Un soir que le roi venait dc la faire danser, s'etant remise a sa place , qui etait aupres de moi : II faut avouer, me dit-elle , que le roi a de grandes qualites ; je crois qu'il obscurcira la ploirc de tous ses picdecesscurs. » (4) Tom. 11, pag. 140, — 61 — C'est die qui dit encore : « Le nom d'Olonne est trop difficile a purifier (1); » et quand une autre femmc, renommce par le scandale de sa vie (2), vieutde mourir apres de cruelles souffrances, elle ecrit, avec un senti- ment amer depitie dedaigneuse et d'indignation conte- nue : « La pitie qu'elle faisait n'a jamais pu obliger per- sonne de faire son eloge (3). » Madame de Sevigne, qui etait si eloignee d'etre prude, avait par sa vertu sans faste mission pour maintenir les droits de la pudeur. Petite-fille d'une sainte , liee d'amitie avec les doc- teurs les plus rigoureux de Teglise gallicane, raadame de Sevigne n'eut longtemps que cette sorte de piete seculiere qui ne defend pas de concilicr les pratiques de la religion avec les plaisirs du monde. Les grandes austerites lui paraissaient une sainte folic : « Je crains, disait-elle, que cette Trappe, qui veut surpasser I'lm- manitc, ne deviennelcsPefites-Maisons (i). ' Le grand Arnauld lui enseignait les abus dc la frequente com- munion, et elle suivait volontiersce principe de la mo- rale jansenisle. Elle tenait encore de ses pieux amis une resignation aux decrets de la Providence, voisine du fatalisme qu'on a reproche aux tlieologiens de Port- Royal. Les Essais de Nicole , qu'elle medilait et dont elle aurait voulu faire un bouillon (5) pour les avaler a son aise, ne pouvaient ni triompher de son paganisme maternel ni Tamener a la devotion ; « Vous me deman- dez, disait-elle, si je suis devote : heias! non, dontje (1) Tom. iv: pag. 80. (2) La priiicesse de Monaco. (3)Tom. V, pag. 331. ('4) Tom. II, i)ag. 17. {.">) V..ir la Mlri' du i Nuvrmlirr 1071. — 62 — suis tres-fachee(l). » La grace n'operait pas; elle n'e- tait ni a Dieu ni au (liable ; cet etat I'ennuyait, et ce- pendant elle le trouvait le plus naturel du monde : le temps de se donner entierement a Dieu ne devait venir qu'avec la vieillesse (2); cetait un peu tard , mais il faut lui savoir gre de ne s'etre jamais tournee du cole du diable , ct d'ailleurs , quand il y a peu a expier, il est juste que la p«>nitence ne soil ni bien longue , ni bien severe. Elle a fait de son mieux pour ne se brouil- ler ni avec le raonde ni avec Dieu, et quand il faudra quitter le monde pour aller a Dieu , elle trouvera la route aplanie et le passage ouvert; car Dieu ne re- pousse que les peclieursendurcis. On pent meme ci-oire que dans le cours de sa vie mondainc un direcleur molinisle I'eut debarrassee de ses scrupules de con- science. Mais Nicole est moins traitable. Nous ne trouverons pas madame de Sevigne moins convenable sur le cliapitre de la philosophie. Bien qu'autour d'elle on se piquat d'approfondir Descartes, et que Corbinelli donnat, sur ce point , a madame de Grignan de serieuses lecons, dont elle a proflte , ma- dame de Sevigne ne voulut I'apprendre que comme riiombrc. non pas pour jouer, mais pour voir jouer (3). » Toutefois on a dit spirituellement qu elle en sut assez pour faire la partie de sa fille. Je suis aussi de cet avis, car il faut avant tout (ju'elle eutre dans ses gouts, et si « elle se sait si bon gre d'etre une substance (1) Tom. IV, png 332. (2) - II est ilevot, c'est un senlimcnt qui est bien naturel danslo malheur et dans la vieilleise. » Tom. iv, pag. 30. - Je ne suis ni a Dieu ni au diable : cet etat m'ennuie, quoiquc entre nous je Ic Irouvc le plus naturel du monde. ■• Tom. ii, pag. 83. (3) Tom. IV, pag. 37 2. — 63 — qui pense et qui lit (1 ) » c'est encore en vue de madame de Grignan, a laquelle elle pense toujours, et dontelle lit les lettres le plus souvent possible. Nousavons raainlenanlquelques proces a debattre, entre lesquels il y en a un fort grave ; car ce n'est pas seulement le goiit de madame de Sevignc, mais son coeur qui a ete mis en cause ; heureusemenl nous som- mes assures de nous en tirer a son honneur, non-seu- lement parce que TalTaire est bonne au fond , mais parce que M. Aubenas, qui I'a instruite avec soin et convenablement plaidee, ne nous laisse aucun doutc. Procedons par ordre, et souvenons-nous bien que, cliez madame de Sevigne, les vieilles admirations sont incurables, et que c'est toujours son canir qui juge, de sorfe que ses preferences, meme lilleraires, soni encore des predilections. On voitque nous voulons parler de ses jugemenls sur Corneille et sur Racine. On ne lui reproche pas d'admirer le premier, mais d'etre injusle envers son jeune rival. II est certain qu'elle pense que « rien n'approchera jamais des divins endroits de Corneille; » mais oil est le crime? n'est-ce pas encore aujourtriiui Topinion des maitres de la critique? Mais elle admire pen Bajazel^ qui ne lui parait pas supe- rieur a AiKlromaque, etelle dit que Racine ne s'elevera pas plus haul. En cela, elle prophet isait mal, ne pre- voyant ni Phcdre, ni Aihalie. j^Iaison oublie qu'en par- lant ainsi elle avail sur le creur riiumilialion de son cher Corneille, recemment vaincu dans la lulte des deux Berenice, cpie Munime etait le trionqjhe de !a Champmesle, qui lui avail derobe son fds, et que le pelil Racine etait mele a cetle folic dejeunesse. Voila ^1; Tom, m,png. i(j.i. — 64 — bien des circonstances attenuantes dont il faut tenir couipte. Plus tardj lorsqiie ces nuages n'ofiusqiieront plus son jugeraent, et que Racine aura pris son rang par de nouveaux chefs-d'oeuvre, elle parlera de I'au- teur d' Esther avec la plus vive admiration. Mais j'en- tends d'ici la phrase celebre : « Racine passera comme le cafe. » Siuguliere prophclie qui se trouve vraie , etant doublement fausse ; car le moka et Racine ont passe Tun comnie Tautre, c'est-a-dire qu'ils parais- senl devoir durer egalement. Mais comment madame de Sevigne, qui ne I'entendait pas ainsi, a-t-elle pu porter une pareille sentence? Ceci est grave. Voyons cependant s'il n'y a pas moyen de sauvcr ce ridicule a une femme d'esprit. Remarquons d'abord qu'eile n-a point dit que Racine passerait; en second lieu qu'eile n'a pas annonce raalheur au cafe, et troisieme- ment qu'eile n'a jamais compare Racine au cafe. Voila qui devient embarrassant. Comment done se fait-il que tout le monde I'accuse de ce triple debt, et que I'arret en question soit devenu proverbe? M. de Saint- Surin, qui a commence a demeler cette affaire, et M. Aubenas, qui I'a eclaircie apres lui, vous diront que le premier coupable est Voltaire, et que la Harpe a consomme le crime. Madame de Sevigne avail dit en 1672, dans une disposition d'csprit que nous avons constatee : « Racine fait des comedies pour la Champ- mesle; ce n'est pas pour les siecles a venir : si jamais il cesse d'etre amoureux , ce ne sera plus la meme chose. Vive done notre vieil ami Corneille! » Quatre ans apres elle ecrivait a sa fiUe : « Vous voila done bien revenue du cafe ; mademoiselle de Meri I'a aussi cliasse, Apres de telles disgraces, peut-on conqitcr sur la fortune? >» 11 y avail quatre-vingts ans que — 65 — ces ileux petites phrases reposaient a distance rospec- tueuse, chaeune a sa place et dans son entourage (jui la modi fie, lorsque Voltaire s'avisa de les rapproclier en les alterant : « Madame de Sevigne croit toujours que Racine ii'ira pas loin; elle en jugeait comme du cafe , dont elle disail qu^on se dc'sabuserait bien- (ut{'\)... » Sur ce texte, la Harpe compose alors la phrase sacramentelle : « Racine passera comme le cafe. )) 11 la porle tout simplement au compte de ma- dame de Sevigne ; M. Suard I'adopte, et les muulons de Fanurge vienncnt ensuite. Cest ainsi que s'est compose ce petit mensonge historiquc, qui sera en- core longlemps une verile pour bien des gens. Ce- pendant madame de Sevigne a loue Racine avec en- Ihousiasme (2), et M. Aubenas nous fait remarquer que nous lui dcvons probablement Tusage du cafe au lait (3). Voltaire Taccuse ailleurs d'avoir mis Mas- caron au-dessus de Flechier. Voici lefait : apres avoir entendu I'eloge de Turenne par Mascaron , elle defie Flechier, qui travaille sur le meme sujet, de faire ja- mais aussi bien ; Voltaire prend le defi pour un jnge- ment definitif, et il oublic, du moins il ne dit pas, que I'oraison funebre de Feveque de Nuiies ayant paru , madame de Sevigne avoua de bonne grace la defaite de Mascaron. Elle ne songe pas a dire, et il est vrai qu'elle ne s'en doute pas, que quelqu'un a su , au coursde la plume, vaincre Mascaron et Flechier. On (1) Siecle de Louis XIV, cli;ip. xxmi . (2) Voyezlaleltre du 20 Fevrier 1C89. (3) On lit en effot dans sa corrcspondanro (1600) : - Nous avnns ici de bon lait ct de bonnes vaelies; nous sommes en fantansie de fairo bien ecrcmcr ce l)on Inil ct de le meler avec dn sncre et de bon cafe : n"ainierie7.-v(>us pas eo faif cafclr on ee ,-.•■/'(■ lailv. — 66 — lui reproche encore , comme indice de faux gout , le plaisir qu'elle prenait aux romans de la Calprenede ; iei il n'y a pas a contester, car elle en fait I'aveu , et voici en quels ternies : « Cette lecture me divertit en- core ; cela est e'pouvan'abk (1). » Nous n'avons rien fait, si nous laissons peser sur la memoire de niadame de Sevigne raccusation de lege- rete cruelle a propos dcs supplices infliges auxpaysans bretons par les ordres de son ami, M. de Chaulnes, pendant les troubles de 1673. Ce n'est pas que sur ce point madanie de Sevigne n'ait trouve dcs apologistes qui, lout en admettant rinhunianite de ses paroles, la decliargent de toute responsabilite pour accuser sa caste et son siecle. Voyez, dit-on, quelle etait la puis- sance des prejuges du sang a cette epoque si vantce , puisque une femme, justement renommee par la dou- ceur de ses moeurs et la sensibilite de son ame , ne trouve qu'un lexte de plaisanteries dans les executions barbares de ces pauvres Brelons roues ct pendus, parce qu ils resistenta des taxes qu'ils ne peuvent acquitter. II est vrai que si La Bruyerc a fait une fidele peinture des paysans de son temps , il devail etre fort difficile de reconnaitre des bommcs dans ces etres miserables et degrades ; maisje n'admets pas ces apologies in- directes qui laisseraient subsister le corps du delit. J'avais toujours pensc qu'on se meprenait sur le sens des paroles de madame de Sevigne, et j'ai ete charme de voir que M. Aubenas levait hardiment la paille. Pour bien comprcndre , il faut reraettre madame de Sevicnc en situation, Placons-lacntrcM. deCliaulncs, gouverneur de la Bretagne , qui dirige la repression (l)Tom. II, pag. 104. — 67 — des troubles, et niadaine de Grignan, gouvernantc de Provence, qui applaudit a toutes ces rigueurs, et nous coniprendrons d'abord qu'elle desapprouve la sedition des paysans bretons, qu'elle ne pent pas faire un re- quisitoire direct coiitre son ami lo gouverneur , et qu'elle doit se garder de heurter de front les sentimenis de sa Glle. Tout ceque nous pouvons esperer dans ce conflit, c'estun blame convert et unc pitie enveloppee. Elle dirabien pour plaire a sa fiUe, qui n'y verra pas d'ironie : « Cette province est un bel exemple pour les autres et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernantes, de ne leur point dire d'injures etde ne pas jeter de pierres dans leurs jardins (I). » Mais aussi elle la contredira en affirmant que M. de Grignan n'aurait pas fait comme M. de Cliaulnes (2), et cetle affirmation est presque lieroique dans la bouche de madame de Sevigne, car, du meme coup , elle blame un ami et elle contredil sa fille. Transcrivons mainte- nant, sans plus long preambuie, le passage incrimine : «Vous me parlez bien plaisamment de nos miseres. Nous ne sommes plus si roues. Un en liuit jours seule- ment pour entretenir la justice. II est vrai que la pen- derie me parait mainlenant un rafraicliissement. J'ai une tout autre ideedc lajusticedepuisque je suisdans ce pays. Vos galeriens me paraissent une sociele d'lion- netes gens qui se sont retires du monde pour revenir a une vie douce (3). » S'il n'y a pas la quelque secrete (1) Tom. IV, pag. 04. (2) « Vous jugez supeificiellemont dc celui qui gouvcrne cello pro- vince quand vous croye/ que vous feriez dc memc. Non, vous ne fe- riez pas comme il a fait, elle service du roi ne Ic vrudrait pas. • Lellre du 11 Docembrc ir,7o. (3) 2i Novembre 107 j. - 68 — ironic, les premieres lignes sont alroces , et les dernie- res niaises. Mais comment admetlre ce melange d''a- trocite et de niaiseriedans un esprit aussi fin, dans une ame aussi tendre? Essayons done une traduction , ou plutot un petit commentaire. Le voici : « Vous avez mauvaise grace, ma fille, a plaisanter sur nos miseres, il est vrai que nous somraes un peu moins mallieureux, on ne roue plus aussi souvent, nosjuges ne sedonnent ce passe-temps qu'une fois la semaine pour ne pas en perdre I'habitude.Ce supplice est si aflreux qu'aupris de la roue la pendaison semble un rafraicliissement. Ces gens-la enlendent la justice autrement que nous. J'avais cru qu'une mutinerie etait moins criminelle que le Tol et I'assassinat; raais puisque je vois d'un cote les galeres et de Tautre la roue , et, par amendemcnt , la potence, il faut bien que je me sois trompcc. Vos galerienssont d'honnetes gens et nos paysans d'abomi- nables scelerats. » Je clemande pardon d'avoir substi- tue cette prose languissanlc et decoloree a la poi- gnante ironie de madame de Sevigne et aux tours el- lyptiques qui donnent tant d'energie a sa pensee, mais puisqu'on s'y etait trompe, j'ai du chercher la clarte dans une glose \ ulgaire , et mettre a nu cette noble imagination qui se deguise pour se produire. Le ton badin a ete donne par les plaisanteries de madame de Grignan, mais madame de Sevigne change I'accent , et dans son apparente complicite elle a, pour qui sait comprendre, plus d'energie et d'eloquence que si elle protestait ouvertement. Nous pouvonsmaintenant, jele crois, louer a notrc aise cette femme dont le nom consacre est devenu la plus douce flatterie aux oreilles feminines. Comment ne pas aimer ccDe qui resume et qui embellil toutes - 69 — les (jualites de son sexe ? comment nV;tre pas fiore de lui elre comparee? Enjoude, lendrc, revcuso, compa- lissanle, an sourire si souvent niouille de larmes, es- prit railleur sans amevtume, badin sans licence comme sans pruderie, rcligicusc sans higoterie, tonjonrs sim- ple, vive et naturelle, madamo de S(^Yigne n'avait dc malice qne contre les heks de sa fillc et d'luimeur que contre la deraison etla mauvaise foi (1); et sa nature fut si heureuse, sipure, sisensee, qu'elle put supporter les lecons de Menage et ne pas devenir pedante, les exemples de I'liotel Ranibouillet sans se guinder Tes- prit, Tamitie de Port-Koyal et rcster indulgente, les avanccs de Fouquet sans faiblesse , et les 1 raits de Bussy sansrien pcrdre de sa bonne renommee. Quand on se represente tant dc qualites brillantes, ornement d'unesolide raison, on ne peut s'empecher de porter en- vie a ceux qui out vecu dans Tintimite de madame de Sevigne,el qui out vu briliercet esprit dont madame de la Fayette a dit qu'il eblouissait les yeux. S'il est vrai que ses letlres ne peignent pas toute la tendresse de son ame (2), et « qu'elle cache au raonde, a elle-meme et a sa fdle la moitie de Tinclinalion qu'elle a pour elle (3), » il nous manque aussi quelque cliose de Ten- frain de son esprit si vif a la replique, si prompt a s'animer , et de son intarissable gaite. Ne nous plai- gnons pas cependant; car le commerce epistoiaire a aussi des bonnes fortunes qui lui sont proprcs et qui (1) •< La dcraisoii me pique ct la mauvaise foi m'offeiise. - Tom. it, l)ag. ;> 1 . Les csprits oil il n'y a pas de remhie lui font bouillir le sang, cl elle avoue que « c'est un plaisir pour elle tie voir les convulsions ile la mauvaise foi ([ui ne sail plus oil se prendre >■ Tom. iv, pag. 1 27. (2) « Ce ser.iit une belle chose si je rem;)lissais nies leltres de re qui me ronqilit le cct'ur. •■ Tom. ii, pag. 1 13. (.i; TuQl. Ill, pag. 2.'!o. — 70 — eompensent par la precision du langage , par le trait plus finement aiguise, et par I'elevation du style et des idees, les charmants caprices de la conversation. Ces lettres, telles qu'elles sont, nous donnent le spectacle unique d'un esprit superieur, toutentier a ses pensees et a ses sentiments , courant en pleine carriere , se jouant y dans la souplesse gracieuse et forte de sa na- ture, par mille detours et de brusques ecarts, precipi- tant ou ralenlissant son allure au grede ses emotions, s'arretant sans fatigue et laissantsur sa trace un sillon de pure lumiere d'ou jaillissent, par instant, de vives etincelles. II n'y a plus a louer ce chef-d'oeuvre de naturel et de sincerite ; on a epuise toutes les formules de I'eloge, €t cependant on n'a pas exagere le merite de ce style qui peint tout ce qu'il exprime ; tour-a lour gai,attendrissantj pathetique, quelquefois sublime, Les souvenirs se pressent pour apporter teraoignage de toutes ces qualites, et nous pourrions ajouter bien des traits a ceux que la critique a dejh popularises ; mais a quoi bon choisir dans madame de Sevign^ , lorsqu'on pent tout prendre. Quant a moi, je vais m'y reraettre, car rien ne dispose a la lire corame del'a- Toir lue(1). EuG. Geruzez, (1) Nous devons a Tobligeance de M. Eug. Geruzez la communica- tion de ce brillant morceau qui ajoutcra encore a la reputation dcja si justemcnt etablie du digne suppleant de M. Villemain et de I'inge- nicux auteur des E.ssais liddraires. — 71 — i.nnruK de m. naxqiette. Rapport sur la Thoologic a IHisagp dc:< ^ons Jii moiidc. Je vicns, Messieurs, m'acquitler tl'iine dcltc deja an- cienne, en vous rcndant compte de rouvrage que notre correspondant, M. Saintc Foi, a compose el fail inipri- nier a Reims, sous le lilre de The'ologie a l\isage ties gens du nioiulc, et dont ii a depose un exemplairc dans vos archives. Le litre seul de Touvragc nous indique le hut que I'auleur s'esl propose, el la marche qu'il a du suivre : c'est de raeltre a la porlee des homines absorbes par les interels de ce monde, ce qu'il leur est necessaire ou utile de connaitre dans la science tlieologiquc ; par consequent de leur exposer les veriles religieusesdans un cadre restreint etsous une forme accessible aux es- prits qui n'ont pas fait de la religion une elude specials. II ne faut done pas que ce mot de theologie, inscrit en tele du livre, enVaie le lecteur, el lui fasse pcnser qu'il va aborder loutes les dimculles et sondcr loules les l)rofondeurs d'une science qui a occupe lant de teles savanlesrC'est une theologie, ilestvrai, mais une theo- logie a I'usage des gens du monde, c'est-a-dire une theologie qui promet de parler une languc simple et intelligible,qui promet en outre d'interesser une classe de lecteurs aupres de laquelle il faut toujours racheter par la beaute de la forme ce qu'il y a de trop serieux dans le fond. II nefaut pourtanl pas non plus, en voyant eel ou- vrage adresse aux gensdu monde, s'imagiuer que c'est un livro fiivole et superficiel, qu'on n"y Irouveraqu'un — 72 — Christianisme lout trimagiuation, tel que I'ont re\6 quelques poetes et tel qu'on lecliante dans tant de ro- mances a laMadone, un Christianisme mondain et gant- jaune, tel que le praliquenl peut-elrc certains beaux- flls, habitues de I'Opera etde Notre-Dame de Lorefte. Ce n'est pas ainsi que M. Sainte-Foi comprend le Chris- tianisme : quoique done d'une imagination riche et hardie, il voit dans la religion chrelienne autre chose qu'une source d'inspirations poetiques, et un texte de considerations plus ou moins humanitaires ; il veut que le Christianisme ne s'arrete pas a I'imaginalion, mais qu''en penetrant dans Tesprit par les croyances, il pe- netre anssi dans le coeur par les moeurs et les habitu- des. Sa theologie est une exposition breve, mais sub- stantielle, simple, mais complete des doctrines catho- liques et du lien qui en constitue Tensemble ; c'est un livre serieux et positif, oii la science a plus de part que I'imagination, oil Texactitude rigoureuse de I'expres- sion theologique ne flechit jamais devant la phrase poetique,et il est vraiment curieux,pour ceux qui con- naissent son Livre dcs peuples et des rois, de voir com- ment Tauteur salt assouplir son imagination sans jamais lui donner carriere, meme dans les points qui n'au- raient pas manque de tenter des.esprits moins sages el moins maitres d'eux-memes. M. Sainte-Foi previent, dans sa preface, qu'il nc s'allachera pas a developper les preuves de la religion, eta leur donner cette forme rationnelle qui puisse sa- tisfaire une raison curieuse,aceoutumee aux rccherches les plus temeraires, aux doutes les plus audacicux ; c'est-a-dire que son livre n'est pas uneoeuvre depole'- mique, et franchement nous Ten felicitous ; Tesprit de notre temps n'est pas un esprit de polemique et de — 73 — coulroverse; nous soiumes a uiie epoqiie de faligiie et de lassilude inlellectiicUe, et ce qifil taut a (ant d'ti- mes maladesetlanguissantcs que I'incredulite a epui- sees, c'est un point d'appui pour leurs pensees et leurs esperances. Tout le mondc aujourd'hui veut etre or- thodoxeet calholique; il n'y a a cela qu'un petit incon- venient, c'est qu'on veut etre catljoHque etorlhodoxek sa nianiere, et non pas comme TEglise I'eulend ; on veut bien adnieltre la Trinite, Tlncarnation, la Redemption et I'Eglise, mais dans un sens inconnu a loute I'anti- quite et a toute la tradition. Aussi, le livre le plus inte- ressant pent el re de la polemique contemporaine, celui que vient de traduire un de nos jeunes conipatriotes , livre oil il est a cliaque page question de pantheisme, de sceplicisrae et de ralioualisme, n'a pas precisenient pour but de cooibattre ces desolanfes doctrines, mais de prouver qu'un celebre pliilosophe est, probable - ment a son insu, et malgre I'oriliodoxie de ses profes- sions de foi, sceptique, rationalisfe dans ses doctrines, quoiqu'il ait conserve un langwge chretien. — Cequ'il f;(ut done a notre epoque, c'est moins une ceuvre de discussion qu'une exposition nette et precise des doc- trines positives de TEglise, afin qu'on ne puisse pas les confondre avec les reves de rimagination, et , sousce rapport, le livre de M. Sainte-Foi nous parait parfai- tement repondre a ce besoin de notre temps. Et d'ailleurs, il n'est malheureusement que trop vrai que si Finstruction, au moins pour ce qui con- cerne les connaissances nalurelles et positives a gagne en etendue et peul-elre en profondeur, ellc a baisse et se Irouve dans un etat d'inferiorite relative pour les connaissances morales el religieuses. Nous ne sommes plus au temps oil les esprits les plus frivoles, les fern- 7/i jnes elk's luenies, coiuiue raltestent les lellres de ma- dame de S^vignd, pouvaient comprendre et disculer les questions les plus ardues de la Iheologie, et faisaient leurs delices de Nicole et de Bourdaloue, qui seraient a peine compris aujourd'hui, et qui certes n'auraient pas le don de plaire a la majorite des lecteurs ou des audi- teurs. — De nos jours, pour un Irop grand nombre, I'inslructionreligieuse est prcsque nuHe au sein de la faraille, elle est insuffisante et incomplete dans le cours des etudes. Unefoule do personnes vraiment instruites et capables de raisonner avec justesse sur les questions scientifiques, littcraires ou politiques, seraient arretees a cliaque pas sur les choses les plus ele:uentaircs de la religion, et auraient peine, par exemple, a preciser ce qu il faut entendre par la foi, \a justification, la grdce , Vinspiralion, la juridiction spiriluelle , etc. Je veux en citer un exeraple : j'ai lu, il y a quelques annees (je demande la permission de ne pas nommer rauteur,par la raison qu'on doit des egards aux vivants), que depuis 89 il n'y avail plus de pouvoir spirituel dans I'Eglise, et la raison qu'on en donnait elait vraiment decisive , c>st qu'a dater de cette epoqued'eraancipation intel- lectuelle, le Clerge avfiit cesse d'etre un des trois or- drcs de Tetat. Sur ce principe on etahlissait que le seul pouvoir spirituel existant aujourd'hui est celui qn'un orateur pent exercer sur I'esprit public, un journaliste sur ses lecleurs, de sorle que d'apres cette theorie vraiment neuve, on rednisait le pouvoir spirituel, ce pouvoir qui atteint la conscience, la lie et Tobligede- vant Dieu, a cotte in II nonce morale que la raison et le bon sens peuvent exercer dans une discussion. — Eh bien ! cette enormit(^ theologique a ete imprimee il ya quelques annees, a Ueims,et a passe completemcnt ina- — 75 — percuc, comme une chose toule simple el toutc natu- relle, qui ne pouvait pas soulTrir rombre de contradic- tion. II est done infmiraent probable qu'ilya beaucoup de gens du raonde a qui il serait avantageux d'etudier serieusement la religion, et, comme le fait remarquer M. Sainle Foi dans sa preface, « peut-etre est-il bon » qu'elle leur soit exposee par un liomme qui vive » comme eux dans le monde, qui connaisse mieux etle » langage qu'il faut leur parler, etles preuves sur les- » quelles il faut appuyer davantage, et les vdrites qu'il » faut mettre en releif, soit parce qu'ils en compren- » nent nioins Timportance , soit parce qu'elles sont » d'une application plus frcquente dans la pratique. » Mais quoiqucM. Sainte-Foi soit liomme du monde, comme ceux auxquelsil s'adrcsse, son livre n'en pre- sente pas moins, sous le rapport de Torthodoxie et de I'exactilude thcologique, toutes les garanties desira- bles : le Cale'cliisme du concile de Trenle^ la Somme de sainl Tliowas, rExposition de la doctrine calholique de Bossuet, la Tlu'ologie du savanl P. Peronne, celle de Liebermann, le Diclionnaire delhe'ologie de Bergier, la Tlie'ologie de S. Alplionse de Liguori et le Compendium de monseigneur rarcbevequc de Reims, sont les au- tcurs qu'il a consultes et pris pour guides ; mais cc qui doit rassurer par-dessus tout, c'est que son livre a etc compose sous les yeux et avec les conseils d'un savant prelat, dont le nom fait autoritc en thdologie, el qui, dans I'approbation inscrite en tele du volume, declare qu'il nc contient rien de conlraire a la doclrin a de I'Eglise calholique, et que la lecture en sera utile a tons ceux qui desirent avoir une connaissancc exacte de la religion, de ses dogmcs, de son culle et de sa ma- rale. — 76 — Ces derniers mols indiquent la dhision du livie de M. Sain(e-Foi ; dans la premiere partie, il traite du dogme catholique ; il expose d'abord les deux sources de la foi, qui sont rEcriture sainte et la tradition ; puis, apres avoir explique la nature de la foi en general, il considere successivement les veritds qui sont I'objet de notre foi, Dieu, ses atlributs et sesoeuvres, la Trinite, rincarnation, la Redemption, nos destinies futures, la grace, etc. II traite avecplus de details la question de I'Eglise, a laquelle il consacre six chapitres, sur dix- huit que rcnferme cettc premiere partie. La nature de TEglise et ses caracteres, son autorite, son infaillibilite, sa liierarcliie y sont exposees avec une nettete et une precision dont le passage suivant pourra donncr une idee : « Pour resumer en peu de mots toutes les prero- » gatives quepossede le souverain pontifeen sa qualite » de successeur de Pierre, et de vicaire de Jesus Christ » nous dirons,qu'il est le centre de Tunite, etqueceux- » la seulement apparliennent a TEglise, qui sont en » communion de foi avec lui ; qu'il est le clief de tous » les eveques, aussibien que do tous les fideles : qu'en » cette qualite de chef de Tepiscopat, il a le devoir et le )) droit d'instiluer les eveques par toute I'Eglise, soit » immediatement, soit d'une maniere mediate, en con- » Drmant expresseraent ou tacitement Telection f-.ile » par les fideles, ou par le clerge, ou par les princes, » selon que les circonstances et le plus grand bien de » I'Eglise rendent Tun de ces modes plus avantageux » ou plus facile : qu'en consequence de ce droit du » Saint-Siege, il n'y a d'eveques legitimes que ceux qui » ontete inslitucsouconnrmespar le pape, etqui sont » en communion de foi avec lui : qu'il a le droit d'e- )) tendre ou de restreindre la circonscription des dio- — 77 — » cescs confies aux dveqiies, d'abolir les anciens, iVen » creer de nouveaux a Icur place, d'augnienter ou de » diminuer le pouvoir de juridiction des cvequcs, en » laissant couler siir eux line emanation plus ou nioins » grande de sa puissance, en se reservant, par exemple, » lejugemenl de certaincs causes, I'absolution de cer- » tains peclies et de certaines censures, ou en sous- » trayant h. la juridiction des eveques, pour les sou- » mettre immedialement a la sienne, certaines per- » sonnes ou certaines corporations, telles que les » monasteres, les chapitres, les confreries, etc. : de » sorte queles eveques ou les princes , apres avoir » fait au pape les representations qu'ils jugent ne- » cessaires ou utiles , sont obliges de respecter ses » decisions et de s'y soumettre : qu'il a le droit de » convoquer et de presider des conciles generaux et 0 particuliers, d'en con firmer les decrets, etdcdispen- » ser des lois generates de TEglise, lorsqu'il juge cettc » dispense necessaire ou utile : qu'il pent exercer par )) toute la terrc le pouvoir qu'il a recu de Dieu, soil )) par lui-meme, soit par des legats ou par des corpora- » tions religieuses: qu'il peut contraindre paries cen- » sures ecclesiastiques a Tobservalion de ses decrets et » des canons de TEglise, tons les eveques, tons les » princes Chretiens et tons les fideles : qu'il peut re- » soudre les cas de conscience el les (piestions de mo- » rale, de justice et d'equite, soit qu'elles inleressent » un ou plusieurs individus, soit traire de i'usage , ni aux caprices de la mode. Qui ne )) sail en effet que la proprietc des termes s'ailere » avec le temps? que certains mots vieillissent etsont » remplaces par d'aulres, qui n'en rendent pas tou- » jours le sens avec une parfaite exactitude? . . . D'ail- ') leurs la langue lilurgique est partout la mere et la » source de la langue usuelle ; et les pcuples pcu- » vent decouvrir dans la liturgie de I'Eglise la racine » de leur langue , de meme qu'ils peuvent decouvrir » dans sou Listoire le berceau de leur societe. » J'abuse peut-etre , Messieurs , du droit de citation que me donne mon til re de rapporteur; mais si j'ai besoin d'excuse , vous la trouverez dans les citations memes qui prouvent le merite et Tinteret de ra3uvre beaucoup mieux que tout ce que je pourrais en dire. Une des belles questions de cette seconde partie est celle des ordres religieux qui fait suite an sacrcment de I'ordre; I'auteur y expose leur but, leur utilite , leur developpement, leurs diverses formes, les crreurs sur Tetat religieux condamnees par le Saint-Siege, et Ton peut se faire une idee de Tinteret qu'il repand sur cette question par cet apercu si ingenieux et si vrai sur la condition de la femme dans la vie religieuse : « La femnie ctant par un certain cote de sa nature plus ac- » cessible en (pielque sorte que Thomme aux attraits de » la piete chretienne, etplus disposee aux douces emo- » tions de la priere, de la contemplation et de la clia- » rile, les ordres religieuxdestines aux fcmmes durent — 82 — » sc multiplier rapidement dans TEglise. . . . Les fon- » dateurs d'ordres en associant les femmes a celte sorlc » desacerdoce qui constiluela vie religieuse, releverent » singulierementsadignite, etcontribuerentaleurdon- » ner celte puissance, qui cut une influence si salutaire » sur les moeurs des peuples de TEurope au moyen-age. » Au jourd'hui encore, la fenime, qui souvent compte » pour peu de chose dans la famille, se voit associee dans » le cloitre a toutes lesfonctions, qui dans la sociele, sont » les prerogatives de riiomme. Car elle y delibere , » elle y vote , elle y prend une part plus ou moins » grande au gouvernement : et le vceu d'obeissance » qu'elle a fail , n'empeche pas qu'elle jouisse dans le )) cloitre de plus de droit et d'aulorile que la plupart » des feuiines u'en possedenl dans le monde, oil on la » regardecomraecondamneea une deplorable servitude )) et a d'eternels regrets. Ajoulezacelaqu'il n'est point » de profession oil Ton exige de ceux qui rembrassent )) autant de reflexions avant qu'ils prennent leur parti, » que c'est la seule qui soit precedee d'un noviciat, oil )) Ton puisse en fairel'essai, et que les regrets doi vent, » a cause de cela, y etre moins communs que dans les » autres, parce que I'erreur y est plus rare. » Enfln, la troisieme parlie est consacree a la morale: I'autcur semontrefidele a la penseeqifil a developpee d'une maniere si brillante dans son Livre des peuples et des rois , « que la religion ne doit pas se renfermer » dans le domaine de la vie privee, et se borner a diri- » ger les rapports de I'homme avec Dieu. Rien ne lui » doit etre etranger : elle est par sa nature le principe, » la regie etie butde toutes les actions, aussibien pour » Thomme d'etat que pour le simple citoyen. 11 n'est » pas un rapport , pas un seiil acte , soil dans la vie — 83 — )i publiquCj soil dans la vie priveequi puisse ecliapper » irapuneraent a son influence salulaire. » Mais ce que le Livre dcs peuptes et des rois a presents d'une ma- niere generale et poetique, la theologie le traite avec un sens eminemment pratique et positif, avec une sa- gesse, une moderation, une exactitude qui font de cctte derniere partie un veritable code de la conscience. Tel est, Messieurs, I'ouvrage que M. Sainte-Foi, et en terminant, je ne sais si, au lieu de louer I'auteur de son oeuvre , je ne dois pas plutot feliciter TAcademie de I'avoir pour correspondant. Juin, 1844. ~ 8i — LECTLRE DE M. DE MAIZIERE (I) Sur I'avenir de Tindustrie. L'induslrie est une science nouvelle. C'est un nou- veau levier pour soulever le globe et le porter en avant. C'est par rindustrie que pent etre resolu procliaine- raent le noble problenie de la civilisation huraanitaire, coramencee dans une nation genereuse. II ne s'agit pas ici de la -vieille Industrie restreinte a un seul genre de commerce , comme la pourpre de Tyr , les tissus de rinde, la peche des Ilollandais, For du Potose, qui ont cree I'opulence de quel FRANCISCO. Bernardo me succede. Bonne nuit, compagnons! {II sort). MARCELLUS. Hola ! he ! Bernardo ! — 119 -- BERNARDO. Horace est avec toi ? HORACE. Ceil est bien un morccaii. BERNARDO. Soyez les bien venus, amis. HORACE. Ce soir encore La chose vous a-t-elle apparu.' BERNARDO. ,le I'ignore. Pour moi, je n'ai rien vu durant ma faction. MARCELI.US. Horace pretend, lui, que c'cst illusion. Son incredule esprit sc refuse a rien croirc De I'apparition encore en ma niemoire , Qui deux fois s'est olTerte a noire omI effraye. A veiller avec nous cette nuit convic , U pourra,— dans ce lieu quand paraitra la chose, — Croire ses propres yeux et lui parler, — s'il ose ! HORACE. Bah ! nous ne verrons rien. BERNARDO. Scyons-nous un moment , Et pour forcer Horace en son retranchement , Disonslui de nouveau I'aventure effrayante Des deux deruieres nuits. HORACE. L'histoire est amusantc. Bernardo, conte-la. Reposons-nous d'abord. BERNARDO. C'elait pendant la nuitdcrnicre : vers le nord, L'aslre que vous voyez a I'occident de I'Ourse, Dans la voute etoilce ayant fini sa course , Rcvenait a I'endroit qu'il eclaire a present ; Autour de nous rejinait un silence imposant , Quand une heure sonna (L'ombre entrc.) MARCELLUS. Chut ! Voyez, il s'avance BERNARDO. Ce sent encor les traits du prince mort. MARCELLUS. Silence! Horace, lu pourrais , savant , lui parler, toi f — 120 — BeRIN ARDO. Ne ressemble-t-il pas a notre dcfunt roi? Dis , lloiace ? Horace. C'est vrai. Tout mon elre frissonne De surprise et d'horreur. Bernardo. Mos aiiiLs , jc souproniie >OT DKS AiNGLES. Essiii siir COLBERT. Alors que de loulcs parts en France la reconnais- sance publique erige des statues aux hommes qui ont bien merite du pays; alors que des cites, des bourga- des memes consacreut des monuments a la gloire d'il- lustres guerriers, d'intrepides marins, desavants emi- nents et de grands citoyens, Reims restera-t-il insen- sible a cette noble emulation ? Reims nepaiera-t il pas le Iributde gratitude qu'il doit a quelquesuns de ces hommes distingues qu'il a vu naitre en son sein ? Ne s'empressera-t-il pas d'honorer ceux qui Tout le plus honore eux-meraes? Les Gerson, les Libergier , les Colbert, les Pluclie, les Levesque de Pouilly, les Drouet d'Erlon et tant d'autres, n'ont-ils pas de justes droits a ses hommages, a sa reconnaissance ? Et, parmi ceux- ci, quia plus illustre son siecle? Qui a plus fait pour immortaliser son roi ? Qui a rendu plus de services a la France? Qui a plus contribue a sa gloire, a sa pros pierite? Qui a porte plus liaut et plus loin sa lenom- raee que Colbert, et comme ministre elcommehomme d'etat ? Qui a mieux que lui compris ses interets .' Qui lui a assigne le premier rang parmi toutes les autres nations de Tunivers? Qui a repandu sur sa patrie, sur Reims en particulier, plus de bienfaits? Qui lui a ou- \ ert plus de sources fecondes de ricliesses ? Ell bien ! Colbert, dontle nom, comme celui deson maitre, ne perira jamais, dontle genie vit dans tons les monuments qu'il a eleves aux arts, aux sciences , auxlettres, au comuierce, a la gloire, Colbert, le grand. — H6 — ministre , enlin le grand Colbert , dont les arts et Ic commerce devraient, ii Texemple des lettres , honorer les innorabrables bienfaits par des statues en marbre et en bronze, Colbert n'a pas encore obtenn de sa \ille natale cette distinction si jnstement mcritee. Depuis quelque temps seulement , dans cette en- ceinte , quelques veritables amis de la gloire de leur pays, des esprits eleves, des coeurs genereux le reven- diquent hautement pour lui, cet lionneur qui lui ap- particnt a toutes sortes de titres. Yous avez entendu leurs genereuses paroles a ce sujet. Puissent-ils bientot voir leurs voeux se realiser! Puissent les magistrats de cette cite, puissent tous nos concitoyens , de qiielque elat , de quelque condition qu'ils soient , s'empresser de s'associer a des mani- festations, a des voeux si patriot iques. Et moi aussi, je viens joindre ma faible voix a celles que vous avez entendues. Je viens payer devant vous men tribut d'admiration et de gratitude a ce grand homme , et demander qu'il soit eleve en son honneur, a Reims , aux frais du pu- blic, c'est-a-dire par souscription , un monument qui puisse recommander son nom a la posterite la plus re- culee. Pour vous montrer corabien il en est digne , je vou- drais pouvoir vous le peindre dans toutes les phases de savie, et vous enumerer les innombrables services (ju'il a rendus a la France. Cetle tache serait trop au-dessus de mes forces. Pe- riculosce ploium opus ale(v. II n'appartient, d'ailleurs, qu'au genie de louer di- gnement le genie. Au surplus, halons-nousde ledire, cetle tache difficile, plusieurs Font entreprise avec sue- — 147 — <;es a differentes epoques; ilsont peinttous les {genres tie merite el de grandeur qui ont brille dans Colbert , -itvecdes trails auxsjuelson aimea le reconnaitre. Presque lous onl etc bien inspires ; c'esl de leur pari un admirable eoncert de louanges donl la crili- quc la plus scrupuleuse ne peul rieu retranclier. Colbert avail beaucoup fait pour la gloire des let- tres; les lettresreconnaissantesont, a leur tour, beau- coup fail pour lui; elles lui ont paye leur tribut d'ad- iniraiion el de gratitude ; elles ne cesserontde le faire daus les ages a venir. Je ne me propose done point de vous repeter ce qu"'ont ecrit a sa louange tanl d'ecrivains, tant de poe- les recommandables. 11 me plait seulemenl de le niontrer a Reims , a sa ville natale, plus digne encore de ses hommages, sous deux points de vue tpii doivent le rendre plus eher a la cite. Je veux etablir que Colbert est ne d'une famille de commercants, originaire de Troyes, el non d'une noble race. A Dieu neplaise que je veuille le depouiller d'une illustration qui lui appartiendrait! Jesaistoutcequ'onl de venerable, d'auguste el de sacre ces antiques races qui n'ont point degenere, el, plus que personne, je les lionore d'un culte particulier. J'aimerais done a eonserver a Colbert et a ses no- bles descendants celte brillante aureole donl quelques dcrivains onl cru devoir enlourer son berceau , si je ne I'avais pas vu disparaitre devant le llambeaudela verite. IN^esl-ce done pas une chose et range , «jue ceux qui onl j>retendu, qui onl errit que Colbert deseendail — 148 ~ d'une noble famille d'Ecosse, et menie des rois d'Ecosse, aient ignore le lieu et la date de sa naissance ; que les Moreri, les Menage, quiont etabli cetteillustre filiation sur des titres , sur des monuments , sur des actes so- lennels, aient commis une erreur aussi grossiere, alors qu'ils paraissaient si si'irs de son illustre origine? D'a- pres cela, quelque iraposants que soient ces titres, ces monuments , ces temoignages , il est plus que permis de douter de leur authenticile. J. Colbert est ne a Reims, sur la paroisse de Saint- Hilaire, le 29 Aout 1 619 (1 ) , de Nicolas Colbert et de Marie Pussort, etnond Paris le 31 de ce mois , comrae I'ont avance ces graves historiens. II eut pour parrain un de ses oncles , Charles Colbert , et pour marrainc sa grand'mere, Marie Baclielier, veuve de Jean Colbert. Colbert, le grand Colbert, etait petit-neveu d'Odart ( prononciation bourgeoise d'Edouard ) , Colbert de Troyes, cet admirable commercant (2). Son pere Nicolas etait, avec deux autres freres, Char- les et Jean, fils de Marie Baclielier, dont nous venous de parler, et de Jean, frere d'Odart, de Troyes. Jean, frere d'Odart, etait etabli a Reims ety faisait, comme ce dernier a Troyes , le commerce en grand dans lequel entraient la draperie , les etamines , les toiles, les soies , les bles , les vins, des objets de fi- nance, et, la banque, comme le temoigne une volumi- (1) L'acle de naissance de J. Colbert existe a la ville. Celui-li seul est authentique. Si M. Paris en a vu une cinquantaine d'autrcs, comme il 1 'a avance , ils sont tous apocryphes , c'est ce qu'il doit savoir aussi bienque moi. (2) M. Paris a dit que rien n'est moins certain que les Colbert dc Reims soient de la famille des Colbert de Troyes..., et bien moins qu'ils soient originaires de Troves.... J'attendsles preuves du savant biblio- thccairc pour lui repondre. I — 149 — Dense correspondance , elait de societe avec lui. li niourut jeuneet laissa veuve Marie Bachelier, qui con- linua les aflairesde sa raaison avecun succes, une in- telligence nierveilleuse. Jean et Nicolas, des 1607, avaient en societe une maison de commerce a Reims. Charles, leur troisieme i'rere, achela, en 1617, une charge de conseiller au haillage de cette ville. Jean Colbert, tils de Nicolas , petit-lils de Jean , et petit- neveu d'Odard de Troyes, naquit done au sein du commerce, d'un pere et d'une mere foncierement com- mercants, et deja liaut places dans le monde par leur credit, leur renomraee, leur fortune, associes auxplus grandes maisons de commerce, des iMascranni, des L,u- raagna, de Lyon, de Paris, et des Lorenzy,desStam pa, de Ionian. C'est a cette ecole , c'est sous leurs yeux qu'il se forma de bonne heure aux grandes speculations, qu'il y acquit ces idees d'ordre, celle habilete, cette pre- voyance qu'il porta depuis dans le maniement des affaires publiques. Cest par ces grandes qualites qu'il arriva au faite des honneurs et de la puissance, et accomplit ses hau- tes destinees... II est done plus qu'incertain , d'apres ces temoignages, que Colbert soit descentlu d'une il- lustre famille. Tout dit que les Colbert de Reims , corame ceux de Troyes , ne durent leur illustration qu'a leurs Iravaux et leur Industrie. Auguste, avec lequel on a compare Louis XIV, cut pour ministre Mecene, auquel les potHesde I'epoque et les contemporains ont attribue une origine royale ; Colbert, ce ministre du grand roi, eutceladt; commuu avec Mecene. — 150 — Les lettres, d'accord peut-etre avec I'ainbition , se soiit plu a lui donner une illustre origine. Jean Colbert pouvait plus que personne s'eii passer. Les grands hoiniues n'ont pas besoin d'aieux. lis sont leurs propres aucetres. D'ailleurs, la gloire d'avoir ete le fils de ses ceuvres, celle d'avoir eu pour pere un homme aussi intelligent que Nicolas , a Texemple de son oncle, celle d'avoir pu puiser dans toute sa famille les plus beaux enseignenients, devraient lui suffire. La verite est, il faul I'avouer, que Colbert , sans doute pour repandre un reflet plus brillant sur le roi dont il etait le ministre , accepta volontiers cette pre- tendue illustration , s'en fit lionneur a la cour, aupres dcs grands. II fallait, a ses yeux, que tout ce qui servait ou en - tourait le grand roi fut grand. De plus, les interets de son ambition demandaient qu'il en fut ainsi. N'etait-ce pas un nioyen dese main- tenir dans la favenr du monarque, d'etre plus respec- table aux yeux des peuples, (jui aiment tons les presti- ges de la grandeur dans ceux qui leur commandent,, et enfin de paraitre digne de Talliance des plus illustres maisons. Aussi vit-il les personnages les plus liaut places en dignite briguer Tiionneur de lui efre allie. II eut la satisfaction de voir les six garcons et les trois fiUes qu'il cut de son uiariage avec Marie Charon, fiile du seigneur de Menars, enlrer dans les premieres maisons de France, et ceux-ci s'elever tons par leur, par leur proprc merite, anx premiers emplois de I'etat. Tel fut le lesultat de sa haute position etdesapre- voyance. (jiiclques annec5 plus lard, il no lui eut pas ete sans — 151 — doute facile de se dormer uiie aussi belle ^eiK^aloi^ie (]ue celle qu'oii lui avail faite, et bieii iiioiusde Teta- blir. Cliacun suit que , de son teinps encore , 11 n'y avail poinl en France d'etat civil proprenienl dit , que e'e- taienl les families seules qui enregistraient les nais- sances el les inorts ; on concoit combien il etail alors aise de se faire adinellre dans de grandes maisons , lorsqu'on pouvaily porter un noiu un pen analogue au leur, el surloulquelque illustration. Ce qu'ellesdonnaient d'un cote, elles le recevaient d'un autre. Quoiqu'il en soil, Jean Colbert, qui sut profiler de celle nierveilleuse circonstance, ainsicjue tanl d'aulres qucjepourraisciler, Jean Colbert savait bicnqu'il n'e- tait pas d'une noble origine. Ilauraitpu dire coinme un de ses cousins, Simon Colbert , qui ecrivait a Odarl ces propres paroles au sujetde L'Argentier, Troyen recemmenl enriclii tlans les linances : (iJeTai trouve bien insolent, disait-il , » depuis qu'il est secretaire du roi, quoiqu'il n'aitpas » plus de noblesse que nous. » S'il n'avait pas cette noblesse de naissance , donl il etail pourant si jaloux, il eul celle du genie. Colbert, apres avoir consacre ses premieres annces au commerce, comme son pere, commeson grand-pere, comme son oncle Odart , sous les yeux de Marie Ba- chelier, celle ferame si intelligente , I'lil recommande par les Lumagna a Mazarin , qui en lit son inteudant en tG48. Lorsque ce minislre raourut , il pria Louis XIV de le lui donner pour successeur. Ce monarque, qui, comme Mazarin , savail juger el f) — 152 — apprecier les homines du pieniier abord, conc-ut la plus haute opinion des talents et de la capacity de Colbert. Mazarin mort,le roi le nomma controleur des finances. Des ce moment, it scrvit la France et le roi avec passion ; des ce moment , il ne se fit rien de grand , rien d'utile, que Colbert n'inspirat. 11 n'est pas un genre de gloire qu'il n'ait procure a son maitre. Son premier soin fut de retablir les finances, qui t^taient dans I'elat le plus facheux. Toutes les autres parties de Tadministration furent Tobjet de son attention et de sa soUicitude ; justice , commerce, police, tout se ressentit de son esprit d'or- dre , qui a fait le fond de son caractere et de ses vues superieures. Rien ne lui demeura etranger ; il embrassa tout en en matiere d'etat, et excella et reussit en tout. Je voudrais \ous montrer ce grand ministre, au mi- lieu de'ses vastes travaux, ordonnant la facade du Lou- vre, la galerie, la colonnade et les ecuries de Versailles, rObservatoire, et creant une nombreusc marine , des ports, des arsenaux a Marseille, a Toulon , a Brest, a Rochefoit. Que ne puis-je vous dire tout ce qu'il a fait pour les lettres, les sciences, les arts et le commerce ! Je sais combien je vous interesserais. Vousadmireriez tout ce que pent le genie, tout ce que pent un seul homme : il les anime , les excite , les encourage, les recompense ; el partout, aussitot, on voit les arts etaler leur pompe, leurs merveilles; les sciences, leurs sublimes decou- vertes; les lettres enfanter leurs chefs-d'oeuvres ; le ))euple se civiliser, Thumanite s'ennoblir. En 1663, il fondc I'academie des inscriptions et belles-lettres ; en 16Gi, celle de peinture, d'archilec- ture, tie sculpture ; en I GOO , oelle des sciences ; en 1667, celle de France a Kome. Que ne lui doit pas le commerce ? A sa voix, Riquet execute le canal du Languedoc ; partout s'elevent des manufactures, d'oii sortent les draps fins , les etoCfes de sole, les dentelles , les glaces, etc. Ce n'esl pas seulement I'interieur de la France qu'il dole, qu'il enrichit d'etablissenients utiles ; nos colonies des Indes et du Canada, sous ses auspices, par sa bienfaisante inlluence, deviennent florissantes. Qui pourrait dire I'etendue du genie de ce ministre, la justesse et la solidite de ses Tues , sa haute pre- voyance, son admirable fermete, Tamour qu'il eut pour les sciences et les arts, qu'il professa ayec eclat, la pas- sion qui Tanima pour le bien de Tetat et la gloire du souverain ? II faut dire, a la louange de Louis XIV, qu'il lui don- na et conserva sa con fiance tout entiere , et que Col- bert ne la dementit jamais. Aussi esl-il le seul ministre qui ait couservd son em- ploi jusqu'a sa raort. Apres avoir imprime a son siecle le sceau de la veri- table grandeur , <( apres avoir rendu le regne de » Louis XIV le plus beau regne de notre monarcliie, » le 6 Septembre 1683, Colbert mourut age de 64 ans 6 jours, Iwmme memorable a jamais^ emportant aveclui I'eslime et les regrets du roi , I'admiration et la grati- tude de la France, et les respects du raonde civilise. Quel royaume que la France , quand elle produit un ministre egal a ses ressources ! . . — 154 — M. Paris protesfe ronlreroriginequoM. Des Angles atlribue aux Colbert. 11 souUent que la famille ties Col- bert est d'origine renioise, et que M. Des Angles fait ii tort descendre les Colbert de Reims de ceux de Troyes; tandis qu^il est parfailenient etabli que ce sont les Colbert de Troyes qui descendent des Colbert de Reims. M. Paris emet ensuite quelques doules sur raullienlicite de la copie de I'acte de naissauce de Jeau- Bapliste Colbert. — M, Monnot des Angles repoiid qu'il a leve lui-meme cet extrait sur les registres de I'elat civil a la mairie.^ — M. Paris replique qu''il a, lui aussi, tenu le registre paroissial de Saiut-Hilaire, conserve a la mairie , qu'il en a vu cinquante extrails , mais que la plupart de ces copies sont incorrectement faites et partant dissemblables. M. Des Angles persiste a dire sa copie exacte et conforme. Nous avons rcproduit rdigieitsement et texiuellement le travail de M. Des Angles. II serait facile de multiplier les commentaires ; mais nous nous borncrons a faire observer que I'Academie ne saurail accepter de solidarite a I'endroit des opinions emises par M. Des An- gles, sur I'origine des Colbert, et que la responsabilite lui en reslc tout entiere. Yoici d'ailleurs une reponse aux notes qui accompagnent I'essai deM. Des Angles : elle est extraite du Remcmiana, ouvragc en ce moment sous presse. « La famille Colbert est exclusivement remoise : on trouve cc nom dans des litres qui rcraontent au \i\' siecle, et des le xv plusieurs des ancetres du ministre figurent dans les charges publiques de la cite. Voici la veritable genealogie de Colbert : Gerard Colbert , bourgeois de Reims au xvi« siecle , avail epouse Jeanne Thierry, fille d'Oudart Thierry receveur de I'archevesche. lis eurent pour enfants : 1 . Macette Colbert, qui epousa Simon Clerjon, marchand; 2. Claude Colbert, qui epousa Nicolas Frizon. 3. .lean Colbert, d'abord prevot royal, successeur de Jean Fremyii. puis lieutenant-general, a Reims, du baillage de Vermandois ; lequel epousa Jeannne Jossetcau ; I IK* ^ OO — ^ 4. Totissaint Colbert, ifiii opijiisa uiie ClK'iU'inpsili' Ueims , i:..!:!; 5. Gerard Colbert, niarcband, qui epousa en premieres nocesAnne Couvet, el en deuxiemes noces Perette Lespagnol. Voila le premier echelon authentiquement reronmi de la descen- dance des Colbert. Oudart Colbert , I'un dos fils de Gerard et dc Perette Lespagnol, epousa Marie Coquebert, de Inquelle il eut : 1. Gerard Colbert, conlroleur general des Gabelles de Picardie, et qui mourut a Paris en ir. 17, y ayant fait nouvelle soucUe de Colbert; 2. Oudart Colbert fet non Odart) , seigneur de Villarcerf, icquel epousa Nicole Foi'est de Troyes, et alia fonder en cette ville , unc im- portante maison de commerce , dont ics articles de Reims furcnt la principalebranche. 3. Jean Colbert de Terron , controlcur general des Gabelles, qui epousa Marie Bacbelier, dc Reims; 4. Catherine Colbert, religieuse a Sainte-Claire , de Reims. 5. Nicolas Colbirt, qui, cbanoiiie de Reims, abbe de Saint-Sauveur, fut inhume chez les capucins de Reims. 6. Et Simon Colbert, sieur d'Acy, secretaire du roi, qui epousa Marie Pinguis. De I'un d'eux, Jean Colbert , marie a Marie Bachelier de Reims , na- quirent : 1 . .lean Colbert du Terron, (jui epousa Marie dc Bignicourt; ').. Nicolas Colbert de Vandiere, qui eponsa Marie Pussort; 3. Charles Colbert, lieutenant-general de Reims , qui epousa Mar- guerite de Meuilliers; 4. Marie Colbert, qui epousa Remy Coquebert. 5. Et Oudart Colbert, comme son oncle Nicolas, abbe de Saint- Sauveur et chanoine de Reims. Nous n'avons pas la pretention de suivre tous les rameaux de chaque branche de cet arbre fertile des Colbert. Nous dirons seulement que du deuxieme de ces derniers, de Nicolas Vandiere et de Marie Pussort, naquirent neuf enfants, savoir : 1. Cecile Colbert — 2. Nicolas Col- bert; — 3. Jean Colbert. — 4. Louise Antoinette Colbert. — 5. Agnes Colbert. —6. Marie Colbert. — 7. Charles Colbert. — 8. Claire Col- bert. — 9. et Francois-Oudart Colbert, et que I'un de ceux-ci, le troi- sieme, JEAN COLBERT, devint le celebre Colbert , auquel la ville de Reims travaille a elever un monument. Ce que Ton croit savoir, c'est que le veritable ancetre de toule cette noblelignee etait Jehan Colbert, arcbitecle, ou. si vous I'aimezmieux, — 156 — inailre-macow a Reims, loquel conslruisit , en iSQo , la Belle-Tour, prison fameuse qui a laissti un long souvenir parmi nous , e( vers le raeine temps , le chceur et le pourtour du chevet de I'eglise paroissiale de Saint-Jacques. Voicilextraitde nais'^anccde Colbert, telqu'il setrouvc, 7not pour mot, leltre pour leitre, sur les registres de la paroisse Saint-Hilaire , conserves au bureau del'etat civil de Reims: An 1G19. — 2'J Aout.— Ce mesme jour, Jehan, fils deNicolas Colbert etde Marie Pussot: parin, Maurice-Charles Colbert, conseiller au siege presidial dc Rheims, — marine, Mario-Bachelier, vefve de feu M. Jehan Colbert. - Deuxchosessont a remarquer dans cette mention: le nora de la femme de Nicolas Colbert, ccrit Pussot et non Pussort. Le double de celivred'extrait depose augreffedu tribunal civil, porte, nousdit-on, egalement Pussot. Or il y avail a Reims, au xviie siecle, et des Pussot et des Pussort. Nous nedoutons pas cependant qu'il n'y ait ici une erreur du copiste, qui aura (icrit un nom pour un autre , ct qu'il ne faille reellement lire Pussort. — Puis encore I'omission du nom dc Bapliste, a la suite de celui de Jean doniie a noire Colbert. Cette omission, si e'en est une, n'implique aucun vice de forme. Baptiste n'est point unnora propre, c'est une qualification. II n'y a point saint Baptiste. Anterieurement , au xvii"- siecle , on s'appelait Jean, tout court, el ceux qui voulaient indiquer lequel des deux Jean de la le- gende ils prenaient pour patron , ecrivaient ainsi leur nom : Jean (I'evangeliste), Jean (le baptisteur) ; peu a peu Ton supprima I'article et Ton ecrivit Jean-Baptiste. » LECTURE DE M. SAUBINET. Note sur les p^pinieres de M. flerbe fils, Messieuhs, J'ai ete charge, il y a peu de temps, par la Societe d'Agriculture du departenient de la Mariie, de visiter les pepinieres de M. HerW fils, a Reims. J'ai en- — 157 — voye a Chalons le rapjiort qui m'etait. doinande, inais ma visite m'a assez, inleresse pour lu'eiii^ager a vous exposer en pcu de mots lo resultat de iiics ohser- valions. Depuis longues annees la villo de Reims est tribu- taire des pepinieristes etrangers. Nos jardiniers ne s'adonnaient a ce genre de culture que dans un cercle tres-restreint el c'est a Paris, Metz et Vilry, que les consommaleurs allaient prineipalement cherclier les arbres necessaires pour creer ou renouveler les plan- tations de leurs vergers ou de leur jardin d'agrement. M. Herbe lils a entrepris de nous affranchir de ce tribut ; il a embrasse en grand la culture des pepinieres, et cettc annee Factivite de son zele a etc telle qu'il a plus que double ses plantations, il avait 90,000 pieds d'arbres I'annee derniere, et il en a pres de 250,000 cette annee. Non content de ses cultures en plein champ, il a fait eiever une serre, il y cultive les especes les plus rares, les varictes les plus nouvelles, et il pout satisfaire ainsi non seulement a la consommation cou- rante, mais a celle de riiorlicultcur le plus delicat. Je nem'arreterai pas. Messieurs, a vous faire I'enu- meration des nombreuses especes, rares ou communes, qui remplissent les carres des jardins de M. Ilerbe, disposes avecautant deraethode que d'intelligence. Je vous dirai seulement que sans compter trois mille greffes de roses faites cette annee avec un plein succes, il a plus de 4,000 pieds de rosiers, parmilesquels sont les varietes les plus nouvelles et entre autres la Pro- serpine, le Paul-Joseph et la Perpetuelle-la-Reine. Les plantes a la mode, les Caraelia, les Fuchsia, les Ma- gnolia, les Rhododendron qui reolament des soins si multiplies et si varies, se troiivent chez, lui en abon- 12 — 158 — dance, et y sont representees par leiirs yarietes les plus rares et les plus jolies. Je pourrai vous citcr en Camelia le Rosea mundi, le Gloria mundi et le Roi des Beiges. En Fuchsia, le Floribunda magna, I'lnvincibileet le Meteore; en Magnolia, leBouton blanc des Anglais et le Precoce du Mans; en Rhododendron, le Punctatum maxiraum et le Superbissimuin flon? pleno. Ses pepinieres d'arbres fruitiers et d'agrement qui contiennent plus de 150,000 pieds, otrrent aux ama- teurs depuis les arbres les plus coramuns : le peuplier, I'orme, qui servent aux plantations de nos prairies et de nos grandes routes, jusqu'aux plus rares, le Pow- lauiiia vnperiah's liar exemple, qui, importedu Japon en France par M. le comte de Cussy, commence a se repandre et nous promet un nouvel et facile ornemeut pour nos jardins. Sa vegetation est magnifique et tres- remarquable; ses fleurs sont reunies en longues grappes d^in violet tendre; chaque fleur a 6 centime- tres de longueur sur 4 de largeur; ses larges feuilles en coeur ont pres de 25 centimetres en tons sens, et leur petiole, qui est creux, a la meme longueur. M.Herbe fils a plante plusieurs pieds de ce bel arbre au printemps de 1843, etdeja ilsont atteint plus de 3 metres 1/2 de hauteur et pres de 15 centimetres de circonference. Le Poivlaunia n'est pas difficile sur le terrain, et pourra par consequent se multiplier facile- ment sur notre sol. Entre autres arbres rares, je vous citerai encore le Pavia macrostachya, le houx cr^pu dor^, le merisier a feuilles d'Aucuba, le noisetier a feuilles et fruits pourpres, I'Althaea frutex a fleurs bleues, le groseiller a feuilles de mauve etle Sympho- ricarpos a feuilles panach^es. — 159 — Une ties choses qui nfont le plus frappe, Messieurs, dans ma visite, c'est de voir dans la pepiniere d'arbres fruitiers plus de2000 quenouilles portantfruil, et of- frant ainsi a racheteur, outre Passurance indispen- sable de la reprise, Timniense avantage de pouvoir goiiter le fruit avant d'acheler, etde ne faire ainsi son acquisition qu*'en parfaite connaissance, de cause sous ce rapport d'ordinaire si sujet a caution. Ce peu de mots, Messieurs, doit suffire pour vous faire voir quel elan M. Herbe fils a donne a celte bran- che iraportante de Thorticulture ; et je crois que nous avons lout lieu de nous feliciter de trouver chez lui un etablissement aussi complet dans son genre, etoii sont reunis tous les arbres foresliers, fruitiers et d'agre- ment qu'on peut desirer. M. Herbe fils a obtenu I'au- neederniere de la Societe de Chalons-sur-Marne une medaille d'argent, et si vous eroyez utile de recom- penser ses efforts, je vous affirmerai qu'ils meritont vos suffrages et vos encouragements. E. Saubinet aine. Reims, 16 Aout 1844. LECTURE DE M. DUCHESNE, Sur le besoin dViendre et de propager I'etnde de la ^umismalique. Messieurs , Lorsque j'appris que vous m'aviez designe pour faire partie de vos correspondants, grand fut moa ^tonnement ; je me suis demande comment ii se faisait que moi, dont Tinstruction, il faut bien le dire est fort incomplete, je sois appele a participer aux travaux — 160 - d'un coi'ps savant. Je fis pars de mes doutes a quel- ques personnes qui voulurent bien me repondre : Les membres de rAcadeiiiie qui vous ont designe au clioix de leurs collegues, savent. que vous vous etes occupe de uumismatique anciennedans vos instants de loisir, et ils demandent que vous raetliez a leur disposition le pen de connaissances que vous avez pu aequerir dans cetle science, au lieu de vous en tenir a reunir des medailles , dans le seul but d'en fa ire voir un grand nouibrc aux amateurs. D'ailleurs la societe est disposee a etre indulgente. Telle est, Messieurs, la reponse qui ra'a ete faite, et, je dois le dire, j'avais besoin de cetle assurance que vous voudriez bien etre indulgents, pour me decider a accepter un honneur que je n'ai pas brigue, que je n'ai pas meme desire, tanl je le considerais comme impossible. L'archeologie a pour but I'etude de I'antiquite chez tons les peuples, par tons les moyens, et surtout par les monuments de I'art. Elle n'a pas pour motif une simple satisfaction de curiosite; son but est plus noble et plus beau : recueil- lant religieusement les debris materiels des oeuvres antiques, elle s'exerce a y decouvrir les traces des idees et les procedes des arts , qui servirent aux hom- mes pour les manifester. Les peuples anciens ont trace leur histoire sur leurs propres monuments ; les temples de leurs dieux te- moignent de leurs croyances; les ouvrages publics de leurs besoins sociaux; leurs marbres et leurs uslensiles des moeurs et des goiits individuels, subordonnes aux moeurs et aux gouts des nations. Je n'ai pas I'intention, Messieurs, de vousentretenir — 101 — de toutes les parlies (lu'eiiibrasse rarclieoloffie : d'au- tres que moi, dans celtc enceinte, le feraient beau- coup mieux; je veux seulement vous faire part de quelques rctlexions qui ni'ontete suggerees par I'elude de la numismatique, el, pour commcncer, — je crois devoir vous lire un passage d'unc toutc petite brochure, publiee il y a dix aiis, par M. Dumersan , dans la bi- bliotlieque populairc. Apres avoir enumere les agremenls que procure Te- tude des medailles, rautcur ajonte : « Veut-on tirer » de la numismatique d'autres resuUats, on pent reu- » nir les medailles qui olTrcnt des edifices, des tem- » pies, desponls, des cirques, des j)orclies, des phares, » des arcs de triomplie, des colon nes, et former ainsi » un recueil des monuments de Tarcliitecture antique. )) On peut reunir les medailles relatives a I'histoire )) naturelle et connaitre ainsi les animaux et les vegd- » taux que les anciens cmployaient, soit dans les ce- » remonies du culle, soit a des usages particuliers, ou » comme emblemes et symboles parlanls, » On peut faire une collection des meubles, des ar- » mes, des instruments des anciens (pii sont rcpre- » sentes sur les medailles. » On voitde combien d'utilites, et de quelle variete » d'interet I'etude et la connaissance des medailles » sont susceptibles. » II seraitinteressant de reunir les monnaies de tou- » tes les republiques de la Grece, de les comparer, » dans leur origine, ace qu'cUes sont devenues quand » les pays oil on les frappait out acquis plus de puis- » sance. On pourrait comparer les monnaies des re- » publiques a celles des royaumes; examiner si la ri- » chesse et Tabondance du metal se trouvent en equi- — 162 — » libre avec la position respective des etats; voir si » I'art croit el decroit, plutot en raison de ropulence .) que de la libeite , et si les peoples libres n'ont pas )> eu des medailles plus poetiques que les autres. >> Honneur soil rendu au savant qui a repandu de si hautes pensees dans un petit volume destine a etre vendu 30 centimes et que je voudrais voir entre les mains de tons les jeunes gens. II y a trois siecles au plus , I'etude de Tantiquite devait etre bien penible , car le peu d'ouvrages qui auraient pu servir de guide arx amateurs etaient dif fuset sansmethode. Plus tard soni venus les Goltzius, les Pellerin, les Vaillant , les Eckel, les Barlhelemy, qui, par leurs savants ecrits, ont aplani les difficultes ; et sans parler des excellents ouvrages de nos contem- porains, I'antiquaire de notre temps, plus heureux que ses devanciers, s'engage dans la carriere avec toute I'experience de ceux qui I'ont precede. L'etude des medailles n'est pas encore, comme beau- coup d'autres connaissances, dans nos habitudes so- riales. Depnis longlemps, il n'est plus permis a un homme du monde d'etre depourvu de toute espece de notions sur I'astronomie, sur la chimie, sur la physique, sur rhistoire naturelle. De nos jours, personne n'oserait s'avouer entiere- ment etranger a la mythologie , a I'histoire , a la geo- graphic anciennes ; eh bien ! il existe une science qui donne les representations des persounages de la my- thologie, telles que les avaient concues les poetes de I'antiquite; une science qui fournit a I'histoire des preuves irrecusables, a la geographic des temps an- ciens ses documents les plus precieux ; elcetle science. — 163 — prcsiiucetiliereineriligiiorec du viilgaire, reste le pai*- tage d'un petit nombre. Des gens d'ailleins fort instruils ne rougissent piis d'avouer que la imniisiuatique leur est a peu pres inconnue. Cependanl quelle etude est moins seoiee de difllcul- t/^s que ne Test aujourd'liui celle des medailles? Du sejour prolonge des Romains dans les Gaules i'l nous est reste d'innombrables monuments d'un transport facile, et, generalement, d'une \aleur qui permet au plus grand nombre de se les procurer. Le pays remois , surtoul est favorise sous ce rap- port. Un de vos colleges, dont je me plais a recon- nailre et a constater ici la superiorite, vous a deja mis a meme d'apprecier combien les decouverles sont frequentes et quelquefois considerables, dans le sol de Reims et de ses environs. Plusj'y reflechis, Messieurs, plus je suis etonne que Ton n'ait pas encore songe a etablir un cours de nu- raismatique anciennedans les colleges ; ce cours pour- rait etre place dans les attributions des professeurs d'histoire, et la numismatique \iendrait si bien en aide aux souvenirs de riiistorien, aux demonstrations du geographe ! La plupari des etablissements destines a I'instruc- tion sont pourvus d'une bibliotheque, d'un cabinet de physique et de chimie : pourquoi la numismatique ii'y serait-elle pas aussi representee materiellenient .' A ce propos, je croispouvoir vous dire, Messieurs, qu'un amateur distingue de notre ville forme une collection de medailles qu'il destine a un efablisse- luent d'inslruction publique. Vue collection ((wuposee dc incdaillcs conimunes, — 164 — ff veritables, et d'imitalions de ra^dailles rares (en al- lendant ruieux) ne serait pas tres-onereuse. Cettecol- j lection, que la geuerosite de quelques amateurs aug- menterait de temps a autre, soyez-en bien persuades, servirait, uon pas a faire des numismatist', s, mais a donner a tons les jeunes gens quelques notions d'une science que bientot il ne sera plus permis d'ignorer. I Alors, seulement. alors, I'amateur de medailles ne sera plus aux yeux du vulgaire une espece de fou qui ne se plait qu'au milieu de scs vieilles pieces (c'est I'ex- pression consacree), qui n'attache de >aleur a une piece qu'autant qu'elle est parfaitement indechiflVable. II semblerait vraiment queTantiquaire a adoptepour son usage cette devise altribuee a un ecrivain moderne: le beau c'est le laid. Ouant a vous, Messieurs, vous savez bien qu'il n'en est rien. Une medaille ancienne, a part sa valeur liis- torique, u'a rei'llement de prix aux yeux des amateurs qu'en raison de sa conservation ; cependant ce n'est pas un motif pour rejeter indistinctenient toutes les medailles frustes ; car telle medaille qui serait d'un grand prix, si elle etaita fleur de coin, pent, dans un etat de conservation mediocre, avoir encore plus de valeur qu'une autre qui serait parfaitement conservee. Teiles sont, ?tlessieurs, les reflexions que j'ai cru devoir vous soumetlre. La question d'enseignement public de la numisma- tique me parait digne de vos meditations. Je m'esti- mcrai lieureux si vous en jugez de meme, et si vous ni'approuvez d'avoir appele votre attention sur ce point. Apres la lecture de M. Duchesne, M. le president VI — 165 — fait observer que, dans les colleges de Belgique, les col- lections de medailles servent a ronseignement his- torique. M. Didron, a I'appni dcs ideos einises par M. Duchesne, prescnle quclqucs considerations sur la necessitc d'appliquer les etudes archeologiqueset nu- mismatiques {I I'enseignement historique. COMMrNICATlON I)E M. LOUIS LUCAS. M. Lucas signale et presente a rAcaderaieaS'»^« - 167 - LECTURE DE M. EUG. COL'RMEAliX. Tra?edie de SllAkSl TRADUITE EN VERS FRAN^AIS par if. Jiiles Perreau. Acte 1 (Suite). SCENE IV. La plate-forme. (Hamlet, Horace et Marcellus enirent). HAMLET. Le venl souffle avec force. II fait un froid cuisant. HORACE. La bise est penetrante. HAMLET. Et quelle heure a present :' -^ HOrVACE. Pas encore minuit, je pense. MARCELLtS. Davantage. noRACK. Vrai.'' je ne croyais pas. — Voici Theure oil, d'usage, I/esprit nousapparait. ( Fanfares de trompetles ; le hriutdu canon au dehors). Que veut dire ce bruit, Monseigneur ' HAMLET. Votre roi veille aussi cette nuit 1 II boit; le verre en main, tienttete a ses convives. So uieleen Irebuchaiil a leiirs danspslascivos. Aussitot qu'en sa coupe est epuise du Rhin Le vin dclicieur., la tiinbale d'airain, — 168 — Oil le bniyaiit dairon hurle, a fcndre la tele, Le trioraphe du toast qu'il porte en cette fete. Esl-ce done un usage - liOnACE. H.VMI.IiT. Oui, vrai. Bicn qu'ici ne, Aux moEurs de ce pays jcme sois faronnti, Cest une honte, amis, selon moi, do s'nstrcindrc Aux usages qu'il est honorable d'enfrcindre. — Sides noras de pourceaux et d'ivrognes fletris Nous netrouvoiis parlout que dedainset mepris, Cest qu'aux plus beaux exploits nnus melons, camarade, Un vice abrutissanl qui toujours les degrade; Cest que par lui des coeurs tout noble feu s'eteint. Tel est aussi parfois des hommes le destin ; Si la nature en cux a jete quelquevicc — (II est vrai qu'en naissant ils n'cn sont point complices, Puisque do son berceau nul iiomme n'a le clwix), — De la raison brisant I'equilibre et les lois. Si ce di'faut prcnd ti-op d'aceroissemcnt ensuite, Ou si quelquc habitude en leurs mreurs introduite Vient plus tard en ternir leclat, la purcte; Impregnes d'un levain en naissant apporte, Ces hommes, dis-jeenfin, — quand par leur innocence Et miile autres vertus eflacant ce defaut, lis seraient aussi purs cpie'la grace d'en haut, Aussi grands qu"ici-bas Thomme peut se prctendre, — Verraient sur tons ces dons la critique s'etendre. El sous un vice scul les vouloirecraser. — Ainsi d'un noir poison si I'on vient a verser Une goutle, un atome en une eau saine et pure, Cette gouttea 1 'instant en eorrompt la nature Etfaitd'une eau salubre un breuvagc raortel (L'Omhvc cntrc). Monseigneur, HORAr.l'. regardez! II vient. HAMLKr. 4nges ducicl! Vousniinislres de grace ! Oh! ma voix suppiianle Implore voire ai)|)ui — Vision etrrayante, Oui que lusois, esjirit bleniieureux oudamue, Portes-lu des eiifcrsle souffle empoisonne On les parfums du cicl:' — Dis-nous si lu meditcs Ou L'icn\eiilanls projeis, on trahisons niaudilesP — Pourquoi colajjpared, mysterieux aspect Oui saisil a la fois de crainle, de respect, l'>t de t'interrnger fait nailre en moi I'envie .' Dequel nom fappcler? rejiouds ! je Ten con\ie ! — -Monroi.' — mon pere? — Hamlet:' — monsouverain:'— Pourquoi De ce doutc cruel me torturer, dis-moi .' — 169 — Dis pourquoi tout-a-coui), t|iiill,iiit la Iroidf liic-re, Tes ossements sacrcs oiil s'onipu Icur barricre ? Dis pourquoi co sepulcrc, — oi'i cle pieuses mains Nagucre out, sous nos yeux, mis tes restes liumains, Desesmarbres glaccs ouvrant la gueulo affreuse, Te rojotte aux vivaiits ? — Vision tnicbrcuse, Caiiavredecharnc! Quel demon te poursuit, Dovenir, ajoutnnt a I'liorrcur dcia nuif, Aux rayons deson astreetaicr ton armure, Epouvanter ainsi notre faiblo nature Et Jeter nos espritsdans un abime ouvert Dp doute et do pensers oil la raison se perd? ... Dis ? qu'est-ce ? dans quel but ? — quel parti dois-je prendre .' IIORACK. S'il voulait a vous seul quelquc decrelapprendre Seigneur, il vous fait signe avec lui de sortir. MAIICELLIS. A le suivre, seigneur, nallcz pas consenlir. De ce geste trompeur, en quclque endroit plus sombre 11 vous veut attirer ! HORACE. Napprochez pas celte ombre ! HAMLET. Je veux le suivre, moi, s'il neveut point parler! HORACE. N"en faites rien, seigneur ! HAMLET. Et pour quoi done trembler, Quand j'estime mes jours nmins qu'une epingle vile.' — Pour I'esprit immortel earhc sous cette argile .' Quccraindre d'un es{)rit immortel comme soi.' Voyez ! il me fait signe ! — Oui : sors ! je vais a toi ! HORACE. Eh quoi ! si vers la mer, seigneur, il vous enlraine, Ou sur I'aflreux sommet de la roche procliaine Qui surplombesa base et pencbe vers les Hots!.... Si, contre vous tramanl de sinislres complots, II revet tout-a-coup la forme d"un vam])ire Et de votre raison vousarrachant IVnipirc Dune sombre folie il vous laisse frappe! Songez-y bien, seigneur; de ce spectre occupe, Votre esprit pent, en proie ad'horribies verliges, Evoquer tont-a-coupmille efl'rayants prestiges!.... Sur ce roc escarpe, pourricz-vous sans terreur De la mer qui rugit sonder la profondeuri' HAMLET. II me fait signe encor ! — Va ! je te suis. MARCELLUS. De grace, Oh ! ne lo suivez pas, seigneur 1 — 170 — HAMI.ET. Arriere, place ! HORACE. Arretez, raonseigueur, etcalmezce transport! HAMLET. Les destins ont parle : j'obeis a mon sort ! Jesensque de mon corps chaque fibre enflammee Se tend comme les nerfs du lion de Nemee. II me fait signc ! — Arriere, ou bien je fais, soldats, Une ombre de celui qui retiendrait mes pas. Arriere ! pour Dieu ; — Va ! — je te suis ! .... (Hamlet et Vombre sorteni). HORACE. Le delire S'est empare de lui. Quelle fureur I'lnspire! MARCELLUS. Suivons-le : car a tort nous lui cedons aiusi. HORACE. Aliens ! — qui salt aquoi menera tout ceci ? MARCEILTjS. L'etat porte en son sein quelque profond ulcere. HORACE. A la garde du ciel ! MARCELLUS. Moi, je crois necessaire De suivre Hamlet de loin. Anouss'il a recours, II faut, au moindre mot, voler a son secours. SCENE V. Vne partie plus retirie de la plate-forme. (Hamlet cntre avec Vombre). HAMLET. Dis-moi ! — jusqu'en quels lieux veux-tu que jete suive ? Je n'irai pas plus loin! l'ombre. D'une oreille attentive Ecoule. HAMLET. .I'obeis. l'ombre. L'heure approche, ou je dois Retourner dans ces lieux dout deja tant de tois J'ai senti mebriiler la sulfureuse ttamme. hamlet. Que puis-je faire, helas ! pour toi, malheureuse amc ? l'ombre. Point d'inutilespleurs. Ecoute sans parler Les mysteres qu'ici je vais te reveler. - 171 — HAMLET. Je suis pret. Cede enfln a inou impatience. t/ombre. Et tu seras aussi tout pret a la vengeance Quand tusauras... HAMLET. Quoi done ? I.'OMBRE. Je suis i'esprit soufTrant De ton pere, la nuit, pres de ccs murs errant, Et geinissant le jour au milieu des tortures Jusqu'ii ce que la flamme ait purge lessouillures Des fautcs de ma vie. — Oh ! s'il m'etait perrais De dire Irs tourments ou I'esprit estsoumis, Les terribles secrets de la prison severe Ou, pour un temps encore est condamne ton pere, De ce hideux recit le moindre mot, enfant, Tedechirerait ranic et glacernitton sang ; Tes yeux, s'illuminant d'une clarte niaudite, Meteoresaffreux, briseraient Icurorbite; Sur ton front, delachant leurs tresses et leurs ncEuds, L'horreur ferait dresser chacun de tes cheveux Gonnne d'un pore-epic les flcches animees. Mais de sang et de chair des oreilles formees Ne peuvent point ouir ces eternels secrets. Ecoute I ecoute, enfant ! — Ecoute ! — et si jamais Tucheristendrement un pere venerable,.... HAMLET. 0 ciel ! l'ombre. Venge son meurtre impie, abominable ! HAMLET. Un meurtre ■' l'ombre. Un meurtre infame. — Infame ? tous le sout! Mais c'est une infernale et laclie trahison. HAMLET. Nomme-moi I'assassin ! que ma main, empressee Comme un desir d'araour oucomme la pensee, Te venge sans retard. l'ombre. J'aime en toicet ardeur. Helas ! un tel recit souleverait ton cceur, Fut-il abject et lourd comme I'herbe maudite Qui pourrit en repos sur les bords du Oocyte. Ecoute mainlenant: — le bruit s'estrepandu Que d'un serpent ton pere en dormant fut mordu. Indignement trompe par cette adroite fable, Le pcuple ne sut point decouvrir le coupable. Apprends done, noble enfant digne de me venger. Quel serpent a mordu ton pere en son verger : — 172 — n porte, celui-la, mon sceptre el ma couronne! HAMLET. Ainsi depuis longtemps mon ame le soupconue ! Mon oncle ! eh quoi! c'est luiP l'ombre. Le monstre incestueus Adultere, enlacant dans les plis tortueux De son perfide'esprit et de son eloquence - ( Don maudit , telle est done ta fatale injluence ! ) Ma reine, qui semblait si pleine de candeur, 11 a su la'iiaiiner a sa hontcuse ardeur. Ellc a ce point, raou fils, s'etre dcshonoree! — A m'oi qui de la i'oi sur les autels juree Jamais un seul instant ne m'etais demeuti, Pieferer un opoux miserable, abruti _ Dent respril et le corps, amollis par 1 orgie, De ton pore n'ont pas la force et 1 energic ! — Comme d'attraits divins le vice revetu, Tentorait vainement d'ebranler la vertu; Ainsi qu'un meme sort I'unit avec un ange, T.e vice eut-il goute des jjlaisu'S sans melange, Bientot de cet hymen il briserail les nceuds, ^ S'il pouvait se jeter sur des rebuts honteux. .... Mais attends ! - Du matin la brise qui seleve ^ Vicnt raavertir deja que Pro.^P^'^'""^^ J X ' iemns, Tu sais qu'en mon verger j'aima.s par un beau temps, \u repos, vers midi, donner quelques instants. Lorsquau sommeil ainsi j'abandonnais monetre, Ton oncle aupri^s de moi furtivement penetre, Me trouve sans defense, et dune hole arme. Oil de la iusquiame il avait cxiirnue 1 0 ius acre et mordant, en mon oredle il verse Hardanent et d'un trait cetle liqueur perverse Do{i nait la lepra impure, et qui, dans noire sang, Implacable ennemi. rapide se ghssant Ainsi que Targent vif, y porte ses ravages, Penetre en ses canaux, en ses mdle passages, Et fait cailler bientot un sang pur et leger, Comme on voit le lait meme el se prendre et tiger, Ouand dun liquide amer on y verse une goutte. — Ainsi devint mon sang ! une hideuse croute, Ecorce degoutante et fetide, au dehors, Comme au Icpreux Lazare euvelopi)a mon corps. C'est ainsi qu'en dormant, ma couronne, la vie, Le jour, ma reine enhn par lui me fut ravie. — Marracher au milieu de mon iniquilc, — De mes fautes sans ctre ici-bas acquitte. Sans la communion, sans I'onction derniere, Sans qu'aux cieux pour mon ame ait monte la pnere. Chose trois fois horrible ! - En toi s'il est une ame, Oh ' ne le souffre pas ! ne laisse poait 1 mfame, L'incestueux souiller de son coupable amour — 173 — • '.I'ltc loiiclie royalf (jn lu ie liie par M. Wagner. 177 — ERRATA. Numero ler, page 19, ligne 15, ouvrircnt, liscz : ouvrent. Page 23, ligne 27, Paul Lacroix, lisez : Jules Lacroix. Page 24, ligne 7, memo correction. Page 26, ligne 15, 200 vers, lisez : 2,000 vers. Numero 2, page 104 et suivantes, Cazes, lisez : Caves. Numero 3, page 110, ligne 21, reproditire, lisez : produire. Page 111, ligne G, iant en demandant, lisez : tout en demandant. Reims. — L. JACQUET, Imprimeur de I'Acadcmie. SEANCES ET TUAVAUX DE L'ACADILMIE DE REIMS. fl Soanrc dii on noui et dans les lettres et dans les charges publi- jues, neveu d'un de nos plus honorables collegucs ijue noussavons apprecier, M. Maillefer avail recu de !a nature nne imagination vivc, nn coeur chaud el un iSprit posilif, faculles «jui s'allicnt raremeiiL U fut elevcd'abord i)ar un prccci>leur sous les ycu\ le son pere.Mais celui-ci comprit bientot qu'une edu- cation particuliere, (pielque garantie qu'elle puissc MlYw sous cerlains rapports, est prcsqne toujours in suffisante ; qu'il faut aux. hommes le concours de Te- ducation ))ubliquc , remuiation qui en fait la base, et le contact avec ses semblables, qui, {)reUulant anx deceptions de la vie, aide plus lard a les supporter. II fut done place au college de Saint-Denis, dc Reims, puis a celui de Belley, qui a forme d'illuslrcs eleves. Condiscii>l(!dc I.amartine, M. l\!aillefera |»uis('' dans ccMe inslilution, avec Ics juincipes religicux qni (Hil fail la regie de toule sa vie , le goiil de la bonne litte - 18i — ralure , qui dounait lant de cliarmes a sa conversation . S'll est vrai qu on n'est jamais mieux appreci^ qu'au college, jamais mieux juge que par ses condisciples, notre collegue eut pu se glorifier d'avoir ete mis, quoi- que dans un genre tres-different, au niveau de I'auteur des iJ/eJiVai/ons. Fallait-il presenter aunom du college un compliment, una harangue en vers : les el^ves de Belleys'adressaientaLamartine. Fallait-il un discours en prose : les suftrages unanimes donnaient la parole a Maillefer, Rentre dans la maison paternelle apres avoir ler- mine ses etudes, il sut trouver dans la culture des lettres d'agreables distractions au milieu des aridites du commerce. Si je ne craignais d'etre indiscret, je vons diraisque dans ses lointains et penibles voyages, pour abreger les heures si longues a bord d'un navire, la poesieiui avail oifert denombreusesrcssources. Si vous aviez lu comme moi la description des lieuxqu'il parcourait, les Amotions que lui faisait eprouver la mer Baltique, I'expression des sentiments qu'il adres- sait a ceux qu'il airaait, vous auriez pu juger que les glaces du Aord n'avaient pasrefroidi le feu de son ima- gination, ni I'ardent foyer de son cffiur. Juste appreciateur d'.i meritc litteraire, ildemelait avec une rare sagacite lout ce quMl y a de faux el de creux dans ces phrases sonores qui font a peu pres le seal merite de certains auleurs; et plus dime fois,arme du fouet de Boilcau, il avail fait justice de ces oeuvres (!e mauvais gout. Mais sa bonle naturelle, qui craignait de blesser la prrsonneen chatiant les ecrils, lui a fait condamner a Foubli des productions dont beaucoup d'aulres eussent ete fiers. Jcune encore, il s'etail allieala famille respectable — 185 — des CiO donneront au inoins une recolle double en ibin de » celles des parlies non arrosees des memos pres. »' Co resultat ravoiable (b'passe uimh ('S[)erance, car — 101 ~ » je lie pensais pas que I'action trune petite (piantite )) d'amnioniac put s'etendre a plusieuis anndes. » Je ne doute plus aujoui'd'hui (ju'elle ne se fasse )> sentir pendant trois annees an inoiiis. » Les sels aninioniacaux du coninieree pounont » ainsi venir en aide aux contrees qui ne produisent » pasassez de fumier, car, en adniettant que 400 kilo- » grammes de ce sel a 60 francs le quintal mefiique, » faisant 240 francs, fertilisent la culture d'un hectare » pendant trois annees, la depcnse annuelle ne serait » plus que de 80 francs, qu'une production plus abon- » dantecouvrirait avec usure. » Cette assertion nfa decide, Messieurs, a en faire Fessai. J\ai eu recours, pour m'en faciliter les moyens, aux lumieres et a robligeance de notre collet-ue, M. Lecomte. Quant au sel azolique, on sail que Tazote est un des principaux conslituants de I'air atmospiierique et qu'il est puissamment attire par les vegetaux, Le savant chimiste anglais, sir Humphry Davis le reconimande. M. Bousingault, dans son excellent ouvrage recem- ment i)ublie sur la Chimie appliqueea Tagriculture , en fait mention. Ce sonl ces autoriles qui nic donnentl'espoir d'ob- lenir de bons resultats : je m'en feliciterai dans Tin- teret des cultivateurs si laborieux de noire arrondis- sement. En effel, il est constant cpie les sels conlenus dans les fumiers sont quehiuefois insuflisants; il faut done, dans certains cas, en pourvoir la lerresoit pour repa- rer les perles, soil pour activer des cultures qui en exigent de fortes proportions. — 192 — Je in'estimerai heiireux si Ics cssais peuvent r^us- sir. S'ils peuvent vous paraitre utiles, on pourrait y (lonner quelque publicite, en y donnantle piix de re~ \ient compare aux engrais ordinaires. On verra qu'il y a de grands avantages dans I'era- ploi des sels ammoniacaux. Pour donner toute Tautlienticite convenable a ces operations, j'en ai redige un proces-verbal signe par plusieurs cultivaleurs , M. Tadjoint au maire de Bri- mont et notre collegue M. Lecomte. Apres celte lecture, MM. de Belly, Saubinet et Le- comte sont nommes membres d'une commission qui devra preparer un rapport sur les modes d'engrais si- gnales par M. Ruinart de Brimout. LECTURE DE M. DUQl'ENELLE. -sOTici: r.iOGKAPniQrE i:t historique Sur M. 1101ZEAI-M11R0\. MliSSIEl'RS, Le 20 Octobre dernier, lorsqu'une morl premalurec, batee sans doute par Texces du travail, vint ravir M. Houzeau Muiron a sa famille, a ses amis, a son pays, r Academic de Reims prit part au deuil general, car elle venait de perdre un de ses membres, et, pour la premiere fois depuis sa fondation , elle etait appclee a rendrc les derniers lionneurs a un de nos collegues. — 19;^ — II rosUiii III) ilcYoir iiremplir cavers ce roorcllablc confrere, devoir consacre par I'usage etqiie m'imposait iin sentiment d'amitie et de reconnaissance : c'elait de vous entretcnir de sa vie sicoiirte ct si laborieusement remplie. Deja siir sa lorn be des voix eloquentes et sinceres ont fait connalire les vortus de cet excelient citoyen; niais, dans celie enceinte, ii fallait rappeler lepharma- cien instruit, le savant modestc et riiabile nianufactu- rier. Un seul motif a pu vaincre mon hesitation a aborder la tribune dans cettc douloureiise circonstance, c'est Tassurance quej"ai de rencontrer vos sympathies en parlant d'un homnie debien, donl chaciin a pu appre- cier les brillantes et solides quaiites, et qui, sorti des rangs obscurs de la sociele, a su, par son travail etses etudes, se creer une position honorable ct bien digne d'cnvie. Jean-Nicolas llouzcaunaquit a Ueims en Juia 1801, Ses parents, dont la fortune etait bien modeste, voulu- rent cependaat utiiiser les henreuses dispositions de leur fils, et coiifieient sa premiere education a M. Ro- bert, cure de Betheny. Ce respectable et savant profes- seur, retire dans un village, tenait un pensionnat, oii lout en dirigeant rinstruclion de ses eieves, il savait leur inspirer les sentinicnis d'honneur et de probitecpii, pendant la vie de notre collcgue, furent le guide de toutes ses actions. Son aptitude an travail, son caractere docile le firent promptement cherir de ses mailres, pour lesquels il conserva toujours un souvenir atlectueux ct reeonnais- sant. Au sorlir de cette iustitulion, il suivil les classes du college jusqu'en troisieme ; et deja, a cette epoque, — 194 — on le distinguait ])ar la \ivacite de son intelligence et son imagination ardente. Mais, je doisle dire, inalgre quelques succes, Hou- zeau fat pen seduit par les etndes universitaires, et les sciences naturelles plaisaient bien plus a son es- prit curieux que les classiques imposes a I'instruction des jeunes gens ; aussi, jeune encore, il quitta le college sans terminer ses etudes, et quand vint pour lui le mo- ment de choisir un elat, ses gouts le porterent a em- brasser une profession scientifique. II voulut etrephar- macien , et, en s'atlachant a cette profession , ce fut moins pour les avantages qu'elle pouvait lui ofFrirjque par I'attrait irresistible qui Tentrainait vers les scien- ces sur lesquelles elle repose. La pharmacie, qui presente dans ses rangs des ee- lebrites de toutes les epoques, revendique la gloire d'avoir compte Ilouzeau parmi les hommes qui I'ont illustree , et d'avoir dirige les premieres etudes de ce savant praticien. Cefut en 1818 qu'il entra comme elevechez M. Du- (juenelle. IVM-meitez moi, Messieurs, de vous dire quelques mots du temps que Houzeau passa chez mon pere. Plus jeune que lui de quelques annees, je fus cepen- dant a meme d'apprecier les belles qualites de son coeur. Les dispositions atTectueuses qui Font const am - mentanime et qui prenaient leur source dans un pro- fond sentiment de bienveillance et de bonne opinion des autres, le firent clierir de ceux qui le connurent ; et par son caractere doux et obligeant, il cut bienlotga- gne I'estime et Tamitid de ma famille, dont il parta- i>eait Texislence, el qui jamais ne le considera comme ('tranger . ])e ce moment dale la liaison (jui s'elablit en- — 195 — tre nous deux, liaison qui en fit pour moi un ami si hon et si precieux que je I'aimais autant et nieme plus qu'un frere. C'est a son goiit pour le travail ct a ses habitudes tranquilles et sedentaires qu'il dul de ne pas s'aban- donner aux distractions, aux plaisirs ordinaires a cet age; et, dans ses moments de loisir, ear on ne pent tra- vailler conslamment, il cliercliait a se familiariser avec Ics arts industriels. Houzeau, malgre une constitution faible, une sante delicate, se livra avec ardeur a I'e- tude de la pharmacie; eleve soumis et altentif, il com- prit les exigences de cette profession, et tout faisait presager en lui un pharmacien consciencieux et vigi- lant. Les instants que luilaissaientses occupations phar- maceutiques etaient donnes a I'etude de la cliimie, science qui, par ses beaux resultats, frappait son ima- gination, alors meme qu'il n'en connaissait pas encore Tapplication constante aux besoins de riiumanite. Combien de fois I'ai-je vu, son traite de Thenard sous les yeux, repeter avec soin et prudence les seduisan- tes experiences de la chimie elemenlaire ! non i)as comnie le plus grand nonibre des commencantsqui font de la cliimie un amusement : lui, au contraire, etudiail avec fruit et redigeait des lecons que, sans maitre, il savait rendre profitables. Son genie industrieux lui etait d'un grand secours dans la difliculte oii souvent il etait de se procurer tous les appareils, auxquels il suppleait avec bonheur. Apres avoir employe trois annecs a s'appliquer avec un zelc veritable a I'etude de la cliimie el de la |)liarmacie, il contracia Tliabitude du travail, Vexacli- tude et la precision dans ses reclierclies, en (in tons 1.0 — 196 — Ics elements d'unc bonne pratique, si necessaire dans line science lonte dVxpeiiences. Aussi ce ful avec une joie bien grandc i[u\\ vit arriver le moment de se ren- dre a Paris, yille oil il pouvait esperer satisfaire la passion scientitique qui le dominait. Leger d'argent, mais riche d'esperance et d'ainour de la science, il annva dans la capitale oil il devait, par la suite, reparaitre dans une position si diflei'ente, et se placa successivement dans les pharmacies de mes- sieurs Boudet et Biondeau, qui ont conserve de leur an- cien eleve un excellent souvenir. En 1824, eleve assidu deTecole de pharmacie, no- tre collegue donna un esemple bien rare chez les etu- diants, de ce que pent le courage et le desir de s'in- struire. Houzeau, dont les moyens de fortune etaient fort res treints, s'occupait de lithographie. Ce surcroit de tra- vail etait une branche d'industrie bien faible ii la verite, mais qui lui permettait de sufllre a sa vie regu- liere et aux depenses d'experiences qui devaient avoir sur son avenir une si grande portee, car deja, ii cette epoque, il avait reve les industries qu'il a su creer dans notre ville. Un de ses premiers essais en lithographie fut une planche d' etiquette de pharmacie, qu'il envoya a mon pere, et, il y a quelques mois a peine, que dans une de ses visites amicales qu'il me faisait souvcnt et qui avaient pour moi tantde charmes, je lui moutrais ce souvenir de sa jeunesse; il voulut en garder un exemplaire, disanten souriant que c'etait son premier chef-d'oeuvre. En Juin 1823, a la suite d'un concours ou son sa- voir le fit admettre dans les premiers, pour Tinternat — 197 — des hopitaux, il obtint une medaille d'lionneur, r(?- conipense accordec aii travail. Ce flit pendant son sejoiir, comnie inlernc, dans los hospices, qii'il entrcprit ses premieres reelicrclies sur le gaz destine a Teclairage, et sur la decomposition des eanx savonneuses de la fabrique. Ces raalieres grasses, il les avail apportees a Paris, et il preludait a leur analyse et aiix moyens de les ntiliser. A Dieu ne plaise que je vicnne revendiquer pour noire collegue Tinvenlion de ces deux industries ! Ja- mais,dans sa franchise, i) n'a eucettc pretention. Cer- tes les fails qiril eludiail etaient acquis a la science ; deja le gaz elail employe comme eclairage dans quel- ques localites, el Taction des acides sur les savons elail consignee dans les ouvrages de chimie ; mais ce qui lui apparlient, c'esl, pour le gaz, le mode de trans- port et les ameliorations qu'il a creees pour les proce- des de fabrication; pour les eaux grasses, Tutile et grande application qiril en fil. Le 22 Decembre 1826, il donna sa demission d'in- terne aux hopitaux; ses etudes pharmaceutiques etaient terminees, 11 renonca a la brillante carriere que lui offraient les sciences, et que sa haute intelligence lui eiit permis de suivre. Cedant a ses habitudes tran- quilles, il prefera revenir a Reims, oil il fonda une of- ficine, apres avoir obtenu a Chjllons le diplome de pharmacicn. Sa presence parmi ses confreres, loin de Iroiibler le bon accord qui existait enlre eiix, ne fit que Taug- menler, et, par sa franchise et sa loyaute, il sut gagner I'amilie de ses collegues , qui se plaisaient a re- connailre en lui un homme superieur pour les connais- sances. - 198 — A ccltc epoqtie, uii inccnclie eclata dans un niaga- sin delaines. On se perdait en conjectures siir la cause de ce sinistre, quand la voix de la science se fit en- tendre; et, dans une brochure sur rinflanimation spon- tanee des laines, Houzeau expliqua clairenient la cause de ce phenoraene chiniiquc, en meme temps qu'il indi- quait le moyen de I'eviter. Ce fut pendant Texercice de la pharniacie qu'il reso- lut de faire en grand rapplication des precedes qu'il avait etudies a Paris; et Tavenir qu'il entrevoyait pour les deux industries dont il dota notre ville, le decida a quitter I'officine qui, sous sa direction, avait pros- pere au-delade ses esperances. II fit en quittant la pharniacie un sacrifice qui lui fut penible, et, plus d'une fois, il a pu regretter la vie pai- sibleet exempte d'orages qu'il eut passec dans I'exer- cice de cette profession. Mais, dans la haute position oh ses talents et son merite Tavaienteleve, il s'est tonjours souvenu qu'il etait pharmacien , et, a ce titre, il prit partaux travaux[du cercle pharmaceutique dela Marne, dans une reunion generate qui eut lieu en Septembre dernier. Ce fut au milieu de ses confreres reunis que , pour la derniere fois, sa voix se fit entendre, et ce fut alapharmacie qui avait ouvertdevant lui la brillante carriere qu'ilaparcourue, que, pour la derniere fois, il prodigua le concours de ses lumieres et de son appui bienveillant. En 1832, Houzeau quitta done la pharniacie. Cette epoque fut pour lui une ere nouvelle : debarrasse des petits soins et du travail routinier d'une profession exi- geante , il put entreprendre les travaux que son genie avait concus. Deja le premier etablissement qu'il avait fonde a Textremite du faubourg de Ceres ne pouvait — 199 - j)ius siiflire a scs operations, et il lit construire cette vasle iisiiie pres la porlo cle Mars. Vous fiites temoin , Messieurs", des ellorts qifii fit pour cette entreprise: il lui fallut unc fermete et unc perseverance bien grandes pour surmonter Ics dilli- cultes de toute nature qui pesaient sur une Industrie naissantc ; mais entin le succes couronna son travail, et vous avez pu voir dans cette usine la fabrication du gaz , I'extraction et I'epuration d'huile prendre le plus haut degre possible d'amelioration et de perfec- tionnement. llfautse reporter an point de depart de ces industries , pour apprecier ce qu'il a fallu de re- clierclies et de travail pour arriver aux resultats obte- nus. Les premiers essais pour le gaz, furent fails dans un canon de fusil, et niaintenant d'immenses cornues eu fonte fonctionnent conslainnient. Une simple eprou- vette fut le premier appareil pour la decomposition des eaux savonneuses , et aujourd'hui, des cuves im- menses aussi , suffisent a peine a la quantite d'eaux grasses fournies par la fabrique. Celleinduslrie, en memetemps (|u'elle produisait a ilouzeau de grands benefices, fut poui- Reims une cause de salubrite, etpour la fabri<[ue la source d'un revenu considerable. Ces eaux savonneuses , rejetees comme inutiles, elaient sur la voicpublique un grand cmbarras et un foyer d'infection, tandis que niainte- nant, recueillies avec soin , elles se vendeni un prix fort eleve, etproduisentainsi aux fabriquants des be- nefices reels. L'Academie des Sciences a dignement couronne les Iravaux scientifiquesdcnotre collogue, en lui decernaut un prix donl la valeur fu( par lui-inemea]»pliquee a un elablissementdebienfaisance. — 200 — Je ne vous paiierai pas de la fabrication du gaz ; la superiorite de ce mode d'eclairage ne pent etre contes- tee, et Reims doit a Houzeau de ne pas avoir attendu peut-etre longlemps encore cette industrie si utile. Sous sa direction, cette entreprise devait prendre une extension tres-vaste, si partout 11 eut rencontre le concours bienveillant que reclamaient ses efforts. Houzeau ne devait pas s'arreter a I'etablissement de cette usine, et son esprit tout de reclierclies lui lit en- trevoir la possibilite d'utiliser encore un bon nombre de matieres generalement rejetees, et qui etaient sus- ceptibles d'un emploi avantageux. En 1836, de societe avec M. Velly, 11 fonda Tusine dite des Trois-Piliers, oil se fabriquent en grand le charbon animal, la gela- tine , les differenis sels a base d'ammoniaque et le prussiate de potasse. Cette industrie, toute nouvelle dans notre pays, est, je le dis a regret , inconnue de la plupart d'entre nous ; et cependant elle peutrivaliser pour les produils ayec les etablissements les niieux monies en ce genre, ^agriculture lui doit aussi la com- position d'un engrais bien puissant : Tetude des ter- rains calcaires de nos contrees lui fit coraprendre toute la superiorite d'un engrais d'une combinaison chimique, et celui qui se fabrique dansTusine des Trois- Piliers, oblint tout recemment du Cornice agricole une distinction Ires-lionorable. Dans les relations commer- ciales creees par une industrie si etendue, si variee , Houzeau fit constamment preuve d'une sagacite bien rare, d'une franchise et d'une loyaute incontestable. La haute intelligence et Tesprit de travail qui dis- tinguaient Houzeau dans la vie privce fixerent Fatten - tion de ses concitoyens, qui, presque unanimement, I'appelerent a des emplois honorables, comptant, et — 201 — avec raison, que cette precision etcelte lucidile d'es- prit qui le caraclerisaient, il les utiliserait dans les affaires publiques. Certes un homme a qui la croix de la Legion-d'Hon- neur avait ele accordce en recompense des services rendus a I'induslrie de son pays, devait se rendre a I'appel de ses concitoyens; etso n ambilion etait biea legitime en acceptant ces litres, car ils etaient hono- rables, et il se sentait la force d'en remplir tous les devoirs avec exactitude etdesinteressenieut. II fut successivement conseiller municipal, membre du conseil d'arrondissement , du conseil general , et depute de la ville de Reims. Ici, Messieurs, je devraispeut-ctre m'arreter. Dans cette enceinte exclusiveraent reservee a I'etude et au travail , il convlendrail peu de suivre notre collegue dans sa carriere publique. Je continuei^ai cependant, parceque, dans les diflerenls eraplois qu'il dut a la confiance de ses concitoyens, toujours I'homme poli- tique s'effaca pour faire place au savant industriel, a I'economisle distingue; et au sein meme du palais le- gislatif, abandonnant a d'autres les questions purement politiques, Houzeau entrevoyait et cherchait le bon- heur de son pays dans la prosperite du commerce, de I'industrie etde Tagriculture. A son debut dans les affaires publiques, Iloiizeau eut a travaillcr pour moderer la rapidile de sa diction et son imagination ardente qui, Tentrainant souvcnt loin de son sujet, Tarretaient dans ses conclusions. Mais sa volonte ferme sut vaincre ces difficultes, et, par la suite, dans bien des occasions, vous I'avcz vu discutor savaniment tonics losquestionsd'inleret com- mercial et industriel. Alors sa parole eloquenle, Texac- — 202 — tilude de ses calculs, la justesse de ses raisonnements eclairaient ses auditeurs en meme temps qu'elles les anienaient a partager ses convictions. 11 savait avec habilete Jeter de Tinteret dans les discussions paides apercus ingenieus et inattendus qui lui etaient sug- geres par ses observations ou son imagination. Je n'ai pas I'intention de rappeler ici les nombreu- ses circonstances oil il fut a meme de mettre au jour son talent comme orateur habile etprofond : ce serait fatiguer I'attention que vous me pretez par le recit de faits bien recents et que mieux que moi vous avez pu connaitre et apprecier. Tout entier aux occupations serieuses qui le rete- naient, Houzeau trouvait encore le temps de poursui- vre les recherches en chiraie qu'il faisait tonjours dans un but pratique. C'est ainsi qu'il trouva le moyen d*'utiliser le feu qui s'echappe et se perd dans les hauls fourneaux de forges, en I'appliquant a la combustion du bois. Le procede qu'il indiqua subit des modiflcations impor- tautes, et, aujourd'hui, ii donne une economic bien grande dans les usines oil il est pratique. La fabrication du gaz, celte premiere Industrie fut pour Houzeau la cause d'une decouverte fortcurieuse: c'est la formation d'un cyanure ferrique dans une dis^ solution d'un sel de fer que Ton fait traverser par un courant de gaz'destine a Teclairage, opCTalion qui a pour but de le depouiller des gaz etrangers produits pendant la preparation. Notre collegne a rarement pubbe sestravaux scien- titiques ; cependant on a de lui un memoire sur la partie chimique de I'art du lithographe, memoire in- sere dans le Journal de pharmacie etqui se fait remar^ — 203 — quer par la linesse des apercus et riiilclligeiice de la mafiere. II publiaegaleinent dans les Annales de chimie et cle plujsique I'expose de ses precedes d'extraction el d'e- puration des huiles provenant des eaux de fabriquc. Cesmemoires, ecrits avec precision, denotent des con- naissances protbndes, et font regretter que ilouzeau n'ait pas consigne les utiles et savantes reclierches auxquelles il se livrait, et que la science eiit accueillies avec faveur; mais sa vie a ete toute d''action : il nieltait en pratique les innovations et les ameliorations, fruits de ses etudes. L'Academie de Reims, des sa fondalion, s'empressa de s'associer ce praticien si recomniandable, et, aussi souveut que le lui permettaient ses occupations, c'etait toujours avec plaisir qu'il venait s'asseoir parrai nous. Son esprit prompt et lucide sl^developpait devant nous meme dans les questions d'une nioindre importance. Nous tons, qui I'avons connu comme mend)re do cette societe qu'il eclairait de son savoir, qu'il animait par sa presence, nous le regretlerons longtenips, et le vide cause par sa perte sera diffici lenient comble. En vain sa sante, delabree depuis longtenips, recla- maitdes soins assidus; lui meme, nc se faisant pas illu- sion sur son organisation trop frele pour une vie si laborieuse, se disposait a gouler un repos si necessaire apresla session parlementaire, quand I'inferetde son pays I'appela a de nouveaux travaux, a de nouvelles fatigues. Oubliant alors ses soufl'rances, et puisant dans le besoin d'etre utile des forces que sa sante compro- mise lui refusait, il entreprit un voyage en Beigique, et, a son retour, cette terrible maladie conlre laqucllc ja science fut impuissante, fit des progres rapides aux- — 204 — quels il succomba au milieu de ses occupations scicn- tifiques et dans raccomplissement de ses devoirs. Ce fut entoure d'une famille clierie qu'il terminasa carriere toujours utile a ses concifoyens. 11 a vu ses forces s'afl'aiblir, tandis que son intelligence loujours lucide, et son cceur toujours plein de tendres affections Tout vivemeut preoccupe jusqu'a ses derniers mo- ments. Certes, ces preoccupations ont du etre bien cruelles :ce n'est pas sans regret que Ton quitte la vie, quand autour de soi tout sourit et tout applaudit aux actes d'une vie entiere. Comme tous les hommes investis de hautes fonctions politiques, Houzeau eprouva bien des chagrins, com- pagnons obliges d'une position elevee. Qui pourrait meme aflirmer que sa sante n'ait pas ete altereepar les cruelles epreuves que lui susciterent les passions po- litiques? Mais si elles aflligerent son cceur, jamais elles ne purent abattreson courage : au conti^aire, poursui- vant son oeuvre de devouement et de zele, il eut la sa- tisfaction de se voir accorder celte estime generale a laquelle il attachait lant de prix et qu'il avait con- stamment meritee, et son plus bel eloge se trouve dans les nobles paroles prononcees, en presence de la foule immense qui sepressait a ses funerailles, par les magistrats de la cite, et par son honorable coUcgue a lachambre, paroles sinceres queje pourrais resumer ainsi : Houzeau, par sa haute intelligence sut crecr des arts nouveaux et approprier a son pays des industries qui jusque-la lui avaicnt ete tofalcmcnt etrangeres. Vous avez vu sa sagacite dans les affaires comraerciales, vous avcz connu cette raison saine, cette conscience pure qui out contribue aulant que son talent a lui as- surer jiarloul une position des plus honorables : il n'a — 205 — falluquequelques jours tie nialadie pouriiiettre tout au neant, et decette belle existence il ne reste que le sou- venir. Mais ce souvenir sera garde religieusement,et Reims, en inscrivant le nom de Houzeau parmi ceux de ses il- lustresenfants,dira qu'il est mortvictimede son amour pour la science et de son devouement aux interets du pays. LECTURE DE M. MAILLET. ( Le travail de M. Maillct ayant ete renvoyc h uiie commission , sera publie ulterieurement avee le rapport de cetle commission.— En remplacemcnt de cette lecture , nous donnons ici les conclusions d'un precedent racmoire de M. Maillct, qui fut robjet du rapport de M. Ruinart de Brimont, insere dans le present numero , voyez pag. 187.) \ EXTRAIT DE L'ESSAI stir Van d'ameliorcr les tcrrcs, ct specialcment Ics terrcs calcaircs dcs environs dc Iicinis,par lis aniendcmenls et les emjrais, ou resume des connaissances actuelles siir les amendements et les cncjra'is. L'agricullurc est la scirnce dont Ic but est la re- cherche des moyens d'cblenir, de la maniere la pliis pailaiteel au moindre prix possible, lesprodnits vege- laux dontreconomie domesliqiie et iiidustrielle a de- moiilrerutilite. Un dcs pri'raiers sujels qui doit etre I'objet de I'at- lenlion de lout boii ciiltivalcur, est rcttidc du sol sur Icquel il doit Iravailkr. Le sol ne nourrit pas Ics plantcs par lui nicnic : il ~ ^206 — tieni, seulemeni pies d'olles Ics gaz, !es engrais; il leur conserve la clialeur, Thumidile ; il seil de receplacle, cl'abri et de soutien aiix racines. Les engrais seuls fournissent auxvegotaux los ele- ments qui servent a les former et a les faire parvenir a leur entier developpcmeut. Le mcilleur sol est done celui qui, dans de jnstos li- mi(es,efet le plus permeable aux lacines, les abrile le mieux, a le plus de facilile a absorber la clialeur et a la conserver, enfin celui qui cntretient pres des plan- les I'humidite la plusconvenable. Les diflerents elements qui composent les sols les out fait diviser en trois grandes et principales catego- ries,suivant la maliere qui domine dans chacune d'elles. On les desione sous le nora des terres araileuses, cal- caires, ou sableusrs. I! rr'sultedes experiences et des observations d'hom- mes dignes defoi, qui recherchaient qucllesetaient les conditions pour avoir une tcrre labourable de la racil- Icure qualite, que celle-ci doit contenir du sable, de I'argile et de la craie en parties egales, Quand done un cullivaleur aura observe avec alten lion quelle est la matiere qui domine dans sa terre, dans quelle division celle-ci peutetre classee, si elleest argileuse, ildevray ajouter de la craie et du sable; si elle est craycuse.de I'argile et du sable; si elle est sa- bleusc, de I'argile ctde la craie. II devra contiiiuer son operalion pli sieurs auiiees, jnsqu'a ce que la couclie qu'il jugeia necessaire pour ses labours, soit composee de chacune de ces terres a pen pres en parlies egales. Les montagnes voisines lui presentcnt a eel egard des ressources iiilinics, Faire cos melanges se nomme ameiKh^r une Icrre. _ 207 — Ce moyeii excellent, certain (raincliorcr le sol, est troppeuconnu et surlout \.vo\) pea pratujue. Gepen- tlant il est indispensable, etc'est a lui (jue le deparle ment du Nord , I'Anglctene, la Belyique doivcnt en grandepartie leur elonnanle fecondile. Avoir iin sol bien amende e^t line chose extreme- merit impoilanle. Que eelte opiTation soitfaite par la nature ou par les soins de riioniine, elle ne suifit pas cependant pour constiluer la ferlilite. Les plantes ve- getenl rareraent avec force quand eUes sont roduites a la seule action de fair, et quand le sol ne lear presente aucune nourriture. D'ailleurs, conmie la plupart des plantes qui sont I'objet de raoricullure, et notamment les cereales, doivent produire des substances conte- nant des sues nourriciers sous nn petit volume, ellcs epuisenl le sol des principes siniilaires qu'il conlienf. De la la neeessile de donner au sol le moyen de re produire ces plantes, en lui rendant, sous forme d'en- grais, leurs debris anieliores par les dejections des animaux qui s'en sont nourris,ou par d'aulresraalieres fermentescibleSj riches et puissantes. Les conlrees les plus fei tiles doivent leur fecondile, non seulemenl a la boime nature de leurs sols^ raais en- core al'eniploi frequent de copieux engrais. L'addition successive, reileree et longleraps conti- nuee de bons engrais, change la qualile du sol, et lui donne celle des sols les plus riches et de classe supe- perieure. EUe augraenle dans de notables proportions sa facilite a recevoir et a eonserver la chaleur, a absor- ber les roseesel aentretenirriiumidilepres des plantes. En AUemagne, des conlrees enlieremenl couvertcs de plaines sablonneuses qui elaient, il \ a quelques an- nees, presque slerilcs, sont aujourd'hui, par suite d'en- — 208 — grais copieux repantlus sur leiir surface, des plaines riches, produisant en abondancedes grains et des four- rages pour de nombreux Iroupeaux. En France, divers departeinents, et notamment, dans celui de la Marne, les cantons de Bourgogne et de Beine, arrondissement de Reims, ont faitaussi, de- puis une vingtaine d'annees, de grands pas dans la voie (111 progres. Des terres ealcaires extremement arides, nues, ne presentanl a Pceil que des landes pres- que improductives, qui fournissaient a peine la nour- rilure suffisaote a un petit norabre de brebis maigres et decharnees, sont raaintenant parees des plus riches niO!Ssons,couverles de succulents paturages et de nom- breux troupeaux pleins de Tigueur et de sante. Ccs succes sont encourageants, et les cultivateurs doivent sc sentir animes d'une nouvelle emulation, et excites viveraent a fertiliser de plus en plus le sol, qui repondra de mieux en mieux chaque annee a leurs soins , el leur procurera des recolles de plus en plus abondantes. Les avances qu'ils sauront faire a eel egard lour renlreronl avec de gros interets. Les engrais Taries, copieux, ne sont pas seulement utiles a Tagriculture, ils lui sont encore absolument in- dispensables. En eflct, de meme que pour vivre, croitre et parve- nir aleur entier developpemenl,l'homme, les animaux ont besoin d'air, de chaleur, d'eau et d^une nourriture substantielle et variee; de meme, pour germer, se de- velopper et parvenir a leur complete maturite, les planJes ont aussi besoin d'air, de chaleur, d'huniiditc, ('t d'une nourriture substantielle et variee. Les aliraenls divers fournissent celte nourriture a r horn me et aux animaux. — 209 — Lcsengrais abondants la fournissent aux vegelaux. Sous lo nom d'cngrais, on enteiul les debris des ani - maux et des vegelaux, dont la ddcoin|)osition succes- sive peut fournir dcs produits propres a ia nouiriluie des planles pendant le cours de la vegetation. Les piiiicipaux engrais susceplibles d'etre employe's avec avantage, peuvent elre classes ainsi qu'il suit, dans Tordre de leur plus grand pouvoir lerlilisantj, savoir : 1" Les matieres animales provenant des abattoirs, des ateliers d'equarrissage, la chair, le sang, les intes- lins, etc; 2" Les yidangcs de fosses d'aisance ; 3" Les OS, les polls, les debris de laine, de cornc , de vieux cuir, etc.; 4° Les fumiers d'etables et d'ecuries; 5° Les boues des rues, desruisseaux, des fosses, do riviere, les boues d'huiles et autres substances grasses ; 6" Les recoltes enfouies en vert , les lierbes de ri yiere ; 7° La suie , les cendres, le charbon , les cendres sulfureuses , etc. Les engrais les plus riches, la chair, le sang, les vi- danges, ne peuvent jamais etre employes seulset purs. LeurfermentatioDseraitlrop vive, lenr action trop forte; ilsaltereraient et detruiraient memo promptement la plupartdes planles qui se Irouveraient en contactavec eux. II faut, par des melanges , diminuer leur force a un degrc convenable, pour le succes des cultures aux- quelleson les destine. Les OS, les debris de laine, les fumiers d'etable ef. d'ecuric out aucontraireune decomposition plus lenfc ; ils ne cedent que successivement a la lerrc leurs prin- — 210 — oipes fecondantSj el leur action s'dlend ii plusieurs re^ colles. L'experieiice a deniontre qu'en faisant des melanges convenables des divers ennrais, en y ajoutant de cinq a dix pour cent de sel ordinaire^ on inultipliait siiigu- lieremenl leur propriele a atlirer et a coiiserver I'hu- niidite, le nombre des leactions des diverses subslan- ces entre elles , on augmeiilait la puissance respective des divers engrais, et on en coraposait de plus avan- tageux pour lei ou tel sol, ou pour telle ou telle plante. Lesfumiersd'ecuries soul toulnaturellementles plus employes , parce qu'ils se Irouvenl en plus grande quantile sous la main des cnltivaleurs, et parce qu'on en a I'habilude ; mais il onl le grave inconvenient de presenter un grand volume, un jpoids cousiderable, el d'etre d'un transport difficile el couleux , sans ctre k beaucoup pres I'engrais le plus riclie et le plus energique. On coM)prend facilemenl que tous les engrais peu- venl etre melanges suiv;nf les circonstances, soitavec des pailies, soil avec des lerres, sables, etc., soil avec des liquides : ce qui leiir faildonner les noms d'engrais pailleux, cVengrais terreux ou compost , et euGn d'en- grais liquides. Chacun de ces engrais, convenablement prepare , presente des avantages selon les besoins de la localito, les habitudes du pays el les transports plus ou moins longsaellecluer. On nepeulque donner des indications generates; c'est a cliaque [)ropriclaire intelligent a ob- server el a choisir la forme qui peul lui conveuir le mieux. Corame les engrais n'onl d'eflel utile sur les plantes (pia I'etal liquide ou gazeux , tout ce qui coucerne leur confection se resume dans : — 211 - i° La reunion de raatieres les plus voisines de cct etal , de liquides susceptiblcs de fermentation ct de produire les gaz, indispensables pour I'alimcntalion des plantes, la conservation de ces maticres sans fermen- tation ou la moindre possible, juscpi'au moment de les employer. 2" Leur melange, quand ce moment est arrive, soit avee des fumiers d'ecurie ou ties paillcs, pour faire des engrais pailleux, soit avee des terres argileuses ou sableuses , pour en faire des engrais terreux , soit enfin avee d'aulres liquides, a Tetal. de bouillie claire, a peine fluide, pour en faire des arrosemenls. Clnquecultivaleurdoitenfin avoir toujours presentes a I'espritces grandes verites, ces priucipes verifies par la science et la pratique la pluseclaireej que les amen- dements et les engrais torment la base de loute culture intelligente, la matiere premiere pour les agriculteurs, comme le bois pour le cliarron, le fer pour le marecbal. lis sonl les agents les plus [uiissants dela fecondite,ils donnentde I'energiea tons les autres. Sans les amendements et les engrais, vainement se donnerait-il beaucoup de mal pour labourer, prepa- rer la terre ; scs travaux seraicnt sterjles, et 11 n^ob- tiendrait que de chetives recoltes : avee eux au con- traire, ses travaux seront recompenses par des resullats abondants. Sans engrais, pas d'agriculture. Sans beau- coup d'engrais, pas de bonne agriculture, pas de belles raoissons. Avee les amendements el les engrais, il aura plusde ble, plus de fourrages, et les moyens d'avoir plus de bestiaux, et, comme consequence inevitable [)our les annees suivanles, une plus grande masse d'engrais, et I'espoir fonde d'obtenir des recoltes encore plus abon- danles. le — -li'/ — Eu iin mol, aNCO oux, cl par des assoIeaieri(s bien cnlemlus, il augmenle singulierement la fecondite du so!,ille\ivilio, il Ic rend plus productif, el il est cer- tain de parvcnir au but legitime et raisonnable qu'il doit se proitoser d;uis ses honorables et penibics Ira- vaux, c'est-a-dire, comrae nous I'avoiis dil en com- mencant, d'obteriir de la maniere la plus parlaite et au rnoindre prix possible, les produclions vegetales dont I'econoinie domeslique et induslrielle demontre chaque jour I'ntilite. LECTOUE DE M. MAQUART. NOTICE II ra'a seuible, Messieurs, qu'il ne serait pas sans interet pour TiVeademie de eonnaitre ce qui a rapport a une sepulture rencontree sous le sol qui touehait au tombeau de saint Ilemi ; sepulture d'autant plus illustre, qu'elle etait placee au pied du monument, et que eeus qui out etc inhumes aussi pres des reliques du saint ^veque, devaient avoir ete eux-memes de hauls et de puissants seigneurs. Les circonstances qui procurent la decouverte de tombeaux anciens sont rares ; d'ordinaire, c'est le ha- sard qui les amene; en d'autres eas, ce sont, ou les revolutions qui renversent les monuments eleves a la raemoire des horames illuslres, ou des reactions qui les reedifient. C'est pourquoi, il est bonde ne pas lais- ser passer en silence une decouverte qui vient ajou- ter a I'interessant travail tie notre collecfue Pierre o Tarbe, sur les sepultures de saint Remi. Vouslesavez, Messieurs, on s'occupe de la reedifi- cation du loiubeau du saint, puisque celui qui avait etc eleve par les soins de I^i. Ludinard de Vauxelles vient d'etre detruit. Les fouilles auxcpielles les fon- dalions destinees a recevoir le nouveau tombeau ont donne lieu, ont fait decouvrir au milieu des remblais des tombes en pierrequi, depuis des siecles, y ont ete descendues. Celte decouverle, inleressante pour I'archeoloqie cliretienne de Reims, avait appele toute Tattention de I'autoritesuperieure. Monsieur le Sous-Prefet de no- tre arrondisseraent, appreciant I'importance de cette decouverte, avait designe une commission speciale pour assister a la reconnaissance des sepultures qui s'of- fraient aux reclierclies des archeologues. Ceux qui avaient ete charges de cette mission se rendirent sur les lieux, et se livrerent ii un examen minutieux des choses qu'ils devaient pour ainsi dire analyser, et dresserent proces-verbal de leurs remarques scientifi- ques. II semble qu'un pareil examen ne soil pas chose or- dinaire, et en eilet, quand on se trouve face a face avec un corps que le temps a reduit en poussiere et dont on a peine a reconnaitre la forme, on se sent domine par un sentiment rcligieux ; cette image de Tanean- tissement complet de Tliomme commande plus que le respect ;ce n'est qu'avec une cerlaine terreur qu'on louche a la cendre des morts, et quand les luorls out jete pendant leur existence une Incur brillanle, quand ils ont ete les apotres de la vertu el (U> li cliarite, les — 214 - l>ropagateius dekv science , a I'aspectde leursos de- charnes, seules et precieiises reliques qui restcnt d'eiix, on s'incline, on admire en silence, et la pensee s'a- neantit de\ ant I'ceuvre de la mort. Mais,dira-t-on,il n"en est pas toujours ainsi,etquand, dans le seal but de completer des rcclierches, on se li- vre Ji de hardies investigations ; quand ce n'est plus par piete ou par respect qu'on dcmande a voir des resles precieux, que Tonplonge ses regards jusqu'au fond de la tonibe , qu'il est besoin de tout voir, toucher elreconnaitre, on est dispose a blamercequi a Tap- parence crune avide ciiriosite. Aces objections severes, il faut repondre avec calme, car alors c'estau nora de la science, de Thistoire et sous I'autorite des traditions que tout est reconnn, touche et vu. Alors encore il faut s'incliner, se taire et admirer. Ces reflexions, inspirees par le sujet, en outpour un instant detourne le recit : permettez-moi, Messieurs, d'y ramener votre attention. Derriere reraplacement du precedent tombeau de saint Remi, et dans Tenceinte fermee par la galerie sculptee du XVP siecle, on avait rencontre des tom- beauxenfouis sous le sol. L'ouverture de deux de ces lombeaux eut lieu le 23 Aout de cette annee, en presence de cinq de nos collegues , raembres du Comite d'Archeologie. Decouvertes des terres qui les environnaient, on reconnut que les couvercles et les coflres de ces sepultures avaient ete fails d'une seule pierre. Cette remarque appelait I'attention : peut-etre allait-on trouver la sepulture de Raoul le Vert ou dTIincmar ; peut-etre aussi allait-on voir, dans les re- cherches serieuses auxquelles on allait se livrer, des restes conserves d'objets d'art dus aux artistes du — 215 — moyen-age ■ on l>ien encore, des dispositions parlicu- lieres destineesa faire reconnaitre des usages aujour- d-luii eteints. Ces sepultures furent done ouvertes et livrees a I'exanien d'liommes graves appeles a les vi- siter. On reniarqua tout d'abord que les couvercles etaient tendus; Tun d'enx , surtout, «^lait brise en plusieurs pieces, et donnait a penser que d(»ja il avail ete souleve. On se mit en mesure de faire enlever avec soin la j)ierre qui recouvrait une de ces sepultures, et bientot les regards des assistants penelrerent jusqu'au fond du tombeau. La gisait depuis des siecles un corps prescjue le- duit en poudre, uiais(jue rinuiiobilite de la mortavait respecte.Tout etait reste en place, et le seul change nientqui s'etait fait sentir pendant cette longue nuit, etait celui d'un ailaisscment visible de toutes les parties. Ce corps, ensevcli sans doute avec ponqie, se retrouvait la tout enlier : vetenienis sacres, eniblciues dignitaires, symboles de la puissance liumaine qui nieurt avec riiomme, tout se retrouvait, mais non sans avoir subi les lois de la destruction : deconqioses, rou- ges et rcduits en poussiere, les objets renfcruK^s dans cette tond)c allaient, sous le plus leger attouclieiuent, changer la derniere forme que le tenq>s leur avait laissee. Le corps avait ete place dans uu cercueil en bois, sans couvercle. On put constater (jue les cotes et le fond existaient, luais on ne frouva pas de traces du dessus. Sans donte, le personnage qu'il renfeiinait avait eUU'xpose une derniere fois aux regards et aux benedictions des houinies, avant d\avoir recu la pierrc qui (le\ail cacher ses trails an vcsle deshuniains. — 21G — La forme du cercucil et de la tombe s'elargissait vers les epaules, et les^pieds etaient tournesa I'orient. L'aspect que presentait Tensemble etait celiii d'un cveque, car sur I'epaule droUe reposait encore ixn fragment du baton episcopal ; sur la poitrine elait un calice en etain, ayant la forme du ciboire moderne, sans couvercle; et parmi les etoffes qui recouvraientle corps, on retrouva le pallium et d'aulres bandes en sole tis- see d'or, qui devaient etre le manipule ou le fanon. Un coussin d'eloflfe de sole, orne de passementerie et de glands franges de fils d'or, supportait la tete ; le corps, revetu de \etements en laine et de bandelet les de sole, etait corapletement couvert; les bras etaient ramenes vers rabdomen,et les pieds, cliausses de bro- dequins franges, laissaient encore voir autour des os de la jambe un cordonnet de sole qui en faisait le tour. Tout ce que contenaitla tombe avail pris cette couleur briilee qui n'appartient qu'aux corps corrompus et de- composes par la putrefaction; lesmetaux seuls avaient resiste enpartie a une entiere oxidation ; mais les os, la laine, la sole, le bois, presque tout, en un mot, etait penetre de cette couleur bitumineuse que les corps prennent dans le cercueil. La teles'etait affaissce ; le crane meme, malgre Te- paisseur des os, n'avait pas resiste ; toute la partie su- perieure de la tele etait tombee en poussiere liumide ; la mtichoire inferieure ofTrait seule I'assemblage des dents, mais,au moindre toucher, la forme en avait dis- paru. II est bonde mentionner une particularite pen com- mune, c'esl que les os etaient reconverts d'une bril- lanle cristallisationqui n'etaitdue qu'a Fliumidile, en- core tres-sensible , qui regnait dans I'inlerieur du -^ 217 — sepulcre. Cette liuiuidite, qui explique la deconiposi- lion des os, n'etait pas due au voisinage de teries hu- mides ; au conlraire, des remblais parfaiteinent sees environnaient la lombe. Peut-on supposer que celte liuiujdite etait primilive ct qu'elle resultait de la par- faite jonction du couvercle sur le tombeau ? on a pu le penser, et Tepaisseur de la pierre viendrait a I'appui de cette supposition. yVu surplus, on a quelquefois de- couvert des liquides dans des vases antiques : il n'y aiirait done pas lieu de rejeler I'liypothese. Proeedant aux reclierches scienlifiques, les archeo- logues releverenl d'abord le calice : il etait d'etain ; aussi y a-t- il lieu de croire que ce nY'laitpas celui dont se servaiil'eveque. Puissantset riches comnie Tetaient, ceux de Reims, nieuie au temps de saint Uenii, on ne ])eul supposer que les vases sacres fussent de metal commun ; il est permis de croire avec beaucoup plus de raison, quel'usage reconnu d'inhumer les eveques avec la crosse, I'anneau pastoral et meme le caliee, avait lolere rechange des ornemenlset objets preeieux, contre de semblablcs, mais sans valeur intrinseque. La moitic du calicc qui loucliail au corps etait retluite en cendres, et ces cendres etaient pesanles; Tautre partic, qui n'adherail a rien, etait bien conservee ; la forme en etait sinq)le, sans ornements, et le travail poll. Le baton pastoral etait de bois; il avail du etre peint etpeuletredore.On retrouva,vers le iiaut de lacrosse, un ornement en cuivre qui devait avoir servi de base a la volute ; lereste avait mele scs cendres a celles du cadavrc. Poursuivant les investigations dans I'espoir de re- counailrc revecjue doni les restes aj)paraissaienl au — 218 — jour, on trouva un ornernent de cuivre d'un petit dia- metre ayant forme ajiplatie et ronde, presentant deux faces exactement semblables, sur chacune desquelles etait travaillee en relief une rosace gothique, d'un dessein dc fort bon gout et tout-a-fait dans le style des rosaces des eglises. Ce bijou avait paru servir d'a- gralTe; c'est, du moins, ce qu'indiquaient plusieurs ouverlures percces pour recevoir des ills de sole qui les traversaient encore. Sous les vetenients, ctcorame attacheeaune bande- lette, etait fixee une agraffe en cuivre de forme tres- simple. Jusques-la, a i'exccption de Tornement designe comme agraffe, rien n'indiquait I'epoque de I'existence de Feveque ; on dut chercher I'anneau pastoral : on le trouva entourant le doigt qui I'avait porle. Sans doute cet anneau allait ctre orne de quelque pierre antique, ou au moins d'une legende, qui devaU aider a completer les recherclies ; le mystere qui en- vironnait les cendres inconnues allait s'evanouir ; bien- lot on proclamerait au monde savant la decouverte des restes d'un evequc des premiers ages de la clire- tientc... II faut le dive, ce fut une amorc deception pour les arclieologues, car Tanneau etait de cuivre ; la pierre qui I'ornait, un simple email, etil n'existait pas le moindre signe grave, pas le moindre hieroglyphe sur lequel put s'exercer le savoir. Quoi qu'il en soil, les objels furent recucillis pour les deposer au Musec de la ville. On ne pouvait les considerer comme des reliques ; ce n'etait pas non plus un tresor; mais, lout simplement, on venait de trouver des objets dignes d'etre conserves, en les en - levant a une lombe inconnue. — 219 — Un instant, pourtant, on crut avoir rcconnu les res- tes explores, et cet instant fut une joie vive qui se dis- sipa comnie un nuage deforme par le vent Mais, avant de parler de cette circonstance, il est a propos de dire qu^une tonibe voisine de celle-ci fut ouverte, que terres et cendres melees et ramassees en raonceaux ne permettaient pas le moindre doute sur la violation de eette sepulture : on ne s'y arreta pas longtemps. Un espoir, ai-jedit, avait fait nattre une illusion ; on pensa avoir decouvert une tombe venerable, une tombe a jamais illustre pour Reims, celle de rarcheveque Hinemur.Mais Terreur, trop grossiere pour se prolou- ger longtemps, disparut bientdt,emporlant encore avec elle I'illusion qu'elle avait fait naitre. Sur I'epaisseur du couvercle, qu'on avait souleve, on n'avait pas d'abord remarque le nom Hincmar, plusieurs fois inscrit par une main inhabile, et trace avec une poinle d'acier sur la pierre; ce mot, plusieurs foisrepete, seretrouvait sans ordre quant asa disposi- tion sur Tepaisseur de la pierre, et sans goiit quant a la formcdesleltresqui etaientonciales.On futd'abord sur- prisd'une pareilledecouverte; la reflexionnedevaitp.is laisser longtemps de doute a cet egard. On reconnut bientol qu'il devait y avoir erreur , car, rapprocliant Tepoque a laquelle rornement a rosace gothique a d<"i eire fait, avec celle oil vivait rarcheveque Ilincmar, une periode d'au moins trois sieclesa du s'ecouler : tout rapprochement devenait alors impossible. Mais i)our(pioi ccs mols traces Tun au-dessous de Tautre sur I'epaisseur dc la dalle ? De tons les motifs, voici le plus vraisemblable : lorsqu'au XV l" siecle des fouilles fureut necessitees pour les fondations du tombcau erige a saint llemi i>ar Uobeil deLenoncourU — 220 — on dut ilecouvrir les meines tombeaux sous le inenie sol : I'un, celui qui a etc bouleverse, et I'autre, celui qui Tient d'etre decrit ; ce dernier, engage sous les lerres, aura ete forcement respecte ; raais conime il presentait seulement iin des flancs, on crut, n'ayant sans doute pas reconnu dans le premier tombeau les restes d'llincmar, qu'ils devaient etre dans le second, el on se pressa de tracer a la hate, et a plusieurs re- prises, le nom de I'iliuslre archeveque, comme pour appeler un jour I'attenlion deeeux qui viendraient a le rencontrer. Cette precaution prise par nos peres, il y a presde trois cents ans, devait aboutir a une erreur en 18U. Une indication, la seule peul-etre qu'offre d'une maniere precise la sepulture, est celle d'un mono- gramme grave en creux, precis^ment sur Tepaisseur du couvercle, verssa moitie, etdu meme cote que les mots Hincmar. Ce monogramme est forme de deux lettres majuscules gothiques enlrelacees : un B et un E ; la lettre E se trouve inscrite dans le B. Cette inscription, si simple en elle-meme, presentait trop de vague pour baser Topinion de nos coUegues les mem- bres du Comite d'Arclieologic ; ce qu'on a reconnu comme evident, c''est que ceite tombe est de plusieurs siecles posterieure au iX'= , temps de Texistence d'Hincmar, et que Teveque qui y est enseveli n'a pu vivre avant leXlP. En presence du pen crindices qui s'elaient presen- tes aux investigations de la science, on ne put rien de- terminer de precis, raalgrc les rcnscigncmenis conser- ves par la tradition, et force ruld'abandonnerrespoirde reconnaitre cette tombe. Pour la dorniere fois, on jeta iiu regard d'adieu dans le sei)ulcre, esi souhailant paix I — 221 eternelle aux manes de I'eveque ignore ; puis la pierre qui Tavait, tenu cache pendant des siecles allait bien- tot le recouvrir encore, pour le plonger de nouveau dans Toubli. L'importance historique qu'ont ies decouverles de tombeaux, amene le besoin d'en parler ; ces decou- vertes sont rares, et d'ailleurs on sail quel interet on attache a tout ce qui s'est passe dans des temps eloi- gnes de nous, et principalcment au commencement du moyen-age. Trouve-ton une sepulture, clle est ou- verte avec respect ; on fait revivre Ies cendres des morts, on recueille le peu qui restc des objets qui leur out appartenu ; on etudie profondement ces nuiets te- moins du passe pour venir en aide a riiistoire, sou- vent vague, incertaine ou silencieuse ; enfln la curio- site s'accroit encore, quand, parmi Ies tresors histori- ques confies par Ies honimes a la terre, on decouvre Ies restes morlels d'un hommequi a vecusur le sol du pays, fut-il meme d'un rang inferieur, fiitil meme d'un nom inconnu. Ne soyez done pas surpris, Messieurs, si, malgre la complete ignorance du nom de I'eveque dont j'ai de- crit la tombe, je ne laissc pas passer en silence ce fait encore inexplique; qui salt si, plus tard, de plus lieu- rcux que nous n'auront pas reconnu I'origine du fom- beau ? En attendant, j'ai pens^ qu'il etait bon de signaler le fait : TAcademie porte inscril sur sa ban- niere le nom de toutes Ies sciences, et la science ar- cheologique n'est pas la derniere a prendre rang ; c'csl a ce titre. Messieurs, que je me suis mis au travail el que je suis venuvous en faire Thommage aujourd'hui. 0->) LECTUUK DE M. L.-F. C. la Cigale t'l I'Abi'ille. Sous le gazon epais d'line plaine fleurie, Une cigale incessamnient chantait : Uiie abeille dans la prairie Ell recueillaiit son butiii, bourdoniiait , Et d'uii toil de pilie disait : n Iiisecte mallieureuse ! Tu chantes, et tu ne songes done pas Que, quand viendra la saison pluvieuse, De niisere tu periras ! A quoi tp sert ce cliant frivole ? Travaille, amasse, el quand Eole Ramenera les noirs frimas , Heureuse et riche, alors enfin tu chauteras !... » Quand cut fiiii la sermonneuse, La cigale, toute houlcuse Ettoute liumble, lui repondif : « Sans calculcr, je suis I'instinct qui me conduit ; Je rends grace a celui qui crea la nature !... II dispense a I'insccte, a I'oiseau la pature : Je inets ma gloire a le benir, a le chanter. S'll entre en ses desseins de pi oionger ma vii; Centre les noirs frimas et les vents en furie, II prendra soinde m'abriter ! Que me faut-il ?... Un briu d'herbe apaise ma faim ; Un rayon de soleil, uu coin dans la prairie Salisfonl mon orgueil !... Et de nous, je \ oiis prio, — 223 — Qui pent sc cioire surd'avoir un leiiclcmain ?« Le soleil, ccpendant, qiiitlait an mois de Jiiiii Le palais dcs jumeaux.... C'ctait toutau matin , La cigale apercut soudain dans la vallee Les flocons menacants d'une pale fumee : Letjere elle s'envolc, et, sans regret, ailletirs Elle cherclie iin abri.... Soiulain a son orciilc Une plainte s'eleve.... On disait :« Je me meurs, Jeuneet riche, an printemps!!! sC'etait I'avare abeille De qui I'homme enfumait ct pillait le tresor ! Combien de gens, accnmulant sans ccsse, Oublient Dieu , sans songer que souvent la richesse Attire sur ieur front la coiere du sort !... Tandis qu'insoucieux des splendeurs de la terre, Le poete, humblement parcourant sa carriere, Sans regret, doucement se prepare a la mort; Et, quand le riche altier se plaint, se desesperc, Son ame simple espere encor ! A la fin de la seance, M. le President fait observer que la revision annuelle du reglenient interieur de TAcademie necessite la nomination d'une commis- sion. II designe MM. Gobet, Fanart, Maquart, Cour- meaux, Aubriot. La stance est levee. — 224 — SUPPLEMENT. DISCOURS PRONONCE PAR M. LANDOUZY, sccrclaire de I' Academic, Siir lu tombc de M. Houzeau-Muiron. (line deputation, a laquclles'adjoignirent spontanemcnt la plupart des nicm))res del'Acadcmie , assisfa , le 25 Octobrc , aux obsequcs de M. Houzeau-Muiron. M. Landouzy, organs de la compagnie, en sa qualite de secretaire, prononca le discours suivant : ) Messieurs, A defaiitde I'usago, qui nous impose letrisle devoir d'acconipagner jusqu'a leur derniere demeure ceux de nos confreres qui ne sont plus, TAcademie entiere eiit niontrd par sa sponlaneile autour de cette tombe la part qu'elle prend au deuil general. Tous ici pleurent I'liomme prive , I'liomrae public , I'un des conseils les plus cclaires et les plus vigilants de la cite ; I'Academie pleure I'liomrae scientifu/ue , ce- lui qu'une etroite confraternity de gotits et d'etudes lui avait associe des sa fondation. Interprele oblige de la compagnie dans cette douloureuse solenuite, ne crai- gnez pas cependant de me voir troubler par un eloge superflu cette aflliction universelle. Non , la science n'est point oublieuse de ceux (jui Thonorent ; aussi, sur — 225 — ce point capital do sa vie coniiiic siir les aiitres, notic collegue trouvera dans un temps plus opporlun des organes plus eloqucnts pour conscrver sa nieiuoiie. On Yous dira alors tout ce que doivent a notre sa- vant confrere la chiraie appliquee, les arts, I'agricul- ture; on vous parlerade ces deductions si hardies, si logiqucs, de cet esprit si prompt, si Imride que nous avons vu dans maintes de nos seances raviver les ques- tions les plus abstraites, les plus ei)uisees en appa- rence, pour les ramener toujours vers le but pratii^ue, vers le but !e plus philosophique et Ic plus eleve. Des voix plus competentes vous rappelleront , un jour procliain, sans doute, ses travaux en economic politique, industrielle et commerciale, ct ce concours assure a toutes les idees de vrai progres, et cet entrai- nement comme instinctif vers toutes les clioses du domaine de I'intelligence ou de la saine philanthropic; maisici,en presence de cette foule qui se presse pour un dernier adieu, une pareille analyse seraitun cruel abus du respect acquis par avance a Texpression publiquc de toutes les sympathies et de tous les regrets. Multis ille bonis flebilis occidit, Nulli flebilior qiiam mihi ! La compagnie se borne pour discours a ce simple et complet panegyrique; car sipartout se remarque long temps le vide laisse par une mort si pr^maturee, il sera sensible surtout au sein de I'Academie que notre confrere devait puissamment feconder par I'exemple deson activite, par ses lumieres ct par sa ronomme«r scienlifique. — ^26 — LECTUBE DE M. PINON* TEglise de village. De celte clochette qui sonne Ecoutez le timbre argentin ; Le boui'tlon grave et monotone N'egale pas son doux tin-tin. On le connait dans le village, Ce son pur et melodieux; II parle au plus jeune un langage Qu'a toujours compris le plus vieux. C'esi le moment de la priere , C'est I'heure du repas du soir, L'heure ou la porte hospitaliere S'oiivrira pour vous recevoir. Le jour s'enfuit; quittons ce hetre Qui nous protege de ses bras, El vers cet asyle champetre Ensemble dirigeons nos pas. Oh ! quel respect mcle de crainte. Quel trouble et quel saisissement L'impie eprouve dans Tenceinte De ce modeste monument. II semble qu'une voix secrete S'eleve, et d'un ton eclatant Vient dire a son ame inquiele : « Indigne ot profane, va-t-en! » — 227 — Cost (|iic j.iiii.iis Ic fou s(t'|)li<|iie Dans cette enceinte n'cst entie; C'est que jamais sous son porlique L'indiiJient en vain n'a |)lenre. Quel tloiix et uiaj^ique bilence Regno toujours sous ses arceaux ? C'est le sommcil de I'innocenee, C'est le calnie saint des loinbcaux. lei, sous cette nieine pieire Oil ciaintifs nous restcr(>nibrc &S44. SOMllAIRE DE lA SEAXCE. Correspondance. — Lecture de M. Bourdonne. — Lecture de M. He- riot de Vroil : De quelques modifications dcnia!idccs au code civil dans I'interet de I'agriculture. — Communication dc M. Fanart : Notice biographiquosur Louis Pcrin, peintre remois, par M. A. Pe- rin, son fils.— Lecture de M. Max. Sutainc : Rapport dc la commis- sion diargce dc rexamoii de Tapparril de M. Canneaux de Reims ; Extrait d'une Icttre de M. Rousseau d'Epernay; Reponse des mcm- bres de la commission. — Communication de M. E. Derode : Ex- trait du Rcmensiana de AL L P — Lecture de M. Wagner : Le Pcre et son tils, La Mere et sa Fille, fables. La seance estouverte sous la presidence de M. Ban- dcvillc, cii rabscnce de MM. le president el le \ice- piesidenl. La parole esl a M. le sccreiaire. — Le proces-ver- bal de la derniere reunion osl lu el adople. M. le secretaire donne led urede la correspondance numuscrite ; elle se compose : 1" d'une lettre de M. de 18 — 232 — Caumont, iinitant PAcademie a coniprcudrc paiiui les socieles qui correspondent avec elle, la Socic'le fran- gaise pour la conservation des monuments, et informant la compagnieque, selon iin usage fort ancien, eetle so- ciele ticnt toujours qnelres sur ces tableaux , une simple ins[)eclion permettra dejuger si j'ai ete assez lieuieuxpour approclier du but queje devais me proposer d'alteindre , niais je ferai remar- quer que les renseignenients qu'ils contiennent sont des materiaux suffisants i)our une liistoire somniaire agricole , induslrielle ou commerciale de iios produils les plus import an Is. Je pourrais, mullipliant les exemples, ct n'ayant d'autre guide que les tableaux dont j'ai I'honneur de vous entretenir , parler des metaux les plus employes, dubois,du sucre, des principaux animaux domes- tiques, etc., etc.; je me bornerai a quelques mots sur le sel et sur le tabac, produits d'un inleret general , auxquels j'ajoulerai le viii et la laine, sources de ri- chesses pour notre contree. DU SEL. La m.nede Vicet nos 351 marais salants produisent cliaque annee 4 millions de quintaux metriques de sel , au prix, sur place, de 3 fr. le quintal. Si cetle denree n'avait a supporter pour arriver jusqu'au consommateur , qu'un impot tolerable , les frais de transport et les beneGces du commercant , elle serait certainement livree a un prix qui nedepasserait pasleqiiadrupledelavaleur premiere : 121V. le quiii- ~ 236 — tal oil 12 c. lekilog.; mais il lui faut payer iiti impot de 28 fr. 50 c, c'est-a-dire un impot 9 Ibis 1/2 plus eleve que no Test la valeur dc I'objet impose ! Le sei nVsl pas seulement line substance propre a la conservation des aliments , il est encore un excellent engrais pour les terres et pour les aniraaux ; il suit de la que le prix exorbitant auquel il est parvenu ®chezf nous, en s'opposant a ce que le cultivateur en fasse usage dans son exploitation , met obstacle a Faugmen- fation des produits du sol, a raccroi-semeiit et au de- veioppement de noire betail. Iisperons que lorsque le prix minime auquel cette denree pourrait etre livree sera connu de tons, la voix publique sera assez puissante pour obtenir le deplace- mentd'un impot qui nous coniraintd'anecter une trop grande eiendue de terres a la culiurc des cereales, et qui nous force a demander annuellenient a I'etranger pres de 200,000 teles de betail. BU TABAC. La culture du tabac n''occupe guere en France qu'une superficie de 4 miile hectares , donnant en- semble environ 8 millions de kilogrammes, estimes, a raison dc 40 c. le kilog., en feuilles et sur place, 3 millions *2'J0 miile fiancs. Ce tabac, d'une qualile mediocre, et ne represcn- tant que les 2/5 de notre consommation annuelle, est mele a 12 millions de kilog. dc nicilleure qualite, acbetes en feuilles a I'etranger , a raison de 2 fr. 20 c, pour la sonnne de 26 millions 1/2 de francs. C'est done en lotalile 20 millions de kilog. de maliercs premieres pour 30 millions de francs, lesquels20 millions, aprcs — 237 - avoir ele manufactures , dosiiient, defalcation faiie clu b^nelieedesdebifanls, une valeur de liO millions de franc.-'. L'impot que supportc ce produil , compris avec le coiit dela fabrication dans le prix de vente, ne peut etre apprecie avec exactitude , mais 11 est certainement considerable. Cependan! , liatons-nous de le dire , ce li'est pas une plainte que nous exprimons ici, car dans notrc pcnsee , le tabac, inutile a beaucoup, et nuisible a plusieurs , est une matiere que nous considerons comme cssentiellenient imposable. nr viN. La supcrilcie \inicole de la France est evaluee a 2 millions d'liectares. Chaque hectare donne en moyenne 20 liectolilres de vin , a 20 fr. Tun. Notre re- colte se compose done de 40 millions d'hectolitres , d'une yaleur totale de 800 millions de francs. Ges 40 millions d'hectolitres sont ainsi employes : Envoyea I'etranger, 1 million 1/2 , Conserve pour le |>ays, 38 millions 1/2. Cettederniere quanlile se partage a son tour entre la consommalion en nature et la conversion en eau- de-vie et en vinaicrre. Six millions d'hectolitres de vins sont converlis en 1 million l/2d'he((olilres d'eau-de-vie, et cinq autres millions d'hectolitres le sont en h millions 1/2 de vi- naigre. II reste done 27 millions 1/2 d'hecloUtres de vin a partager chaqueannee entre nos 34millions d'ha- bifants : c'est pour chacun d'eux a peu pres uii cin- quieme de litre par jour. Celte quantile serait certai- nement insuffisanle si un grand nombre de nos compatriotes ne faisaient du cidre on de la biere, leur — 238 — boisson habitiielle, et si la Providence n'avait libera- leraent gratilie notre sol de prcs de cinq mille cours d'eaii. Le million 1/2 d'hcctolitres que nous exporlons , nous est acliele au prix moyen de 36 francs , el repre- sente consequemment une yaleur totale de 54 millions de francs. Ce million 1/2 d'heclolitres s'est place pen- dant I'annee 18il principalement : dansnos colonies , qui en ont demande 400 mille hectolitres ; dans les villes anseatiques, qui en ont voulu la moitiedccelte quantite ; et enfin en Suisse , dans les Etats-Unis et en Belgique, contrees qui nous en ont pris chacune environ 100 mille hectolitres. L'histoire du vin rnppcUe nccessaircment les trop jusles reclamations eievees contreTimpot enormeet si peu equitable qui pese sur cettc denree ; impot qui devrait etre allege et surlout micux reparti dans Tin- teretde la sante publique etdans celui dela moralite ; mais I'examen de cette question est du domaine de Te- cononiiejiolitique , et nous ne faisons que de la sta- tist ique. Je passe^a Tar tide de la lais>e. DE LA LAINE. Nous avons en France 31 millions demoutons, don- nant chacun annuellement 2 kilogrammes de laine en suint , au prix moyen de 2 fr. 50 c. Tun, soit un total en nombre rond dc 60 millions de kilog. pour 150 millions dc francs. Cette quantite de GO millions de kilogrammes n'est que les trois quarts de celle que re- clamentnosbesoins, car nous en avons achete en 1H41 la valeur de 20 millions dc kilog. pour 50 millions de francs. Les principaux pays qui nous ont fourni ce - 239 — produit sont : rAlleniagne , qui en a donne 7 mil- lions de kilog. ; la Relgique , G millions ; rEspagrie , 3 millions ; et enfin la Turqnic et rAngleleirc , qui on I donne ensemble 2 millions de kilogrammes. Les 8o millions de kilogrammes de laiiieseparlagent entre les usages divers et la fabrication dcs eloffes. Les usages divers en absorbent 33 millions , et les manufactures, 47. Ces 47 millions, rednits de 70 pour cent par la main-d'ocuvrc , donnent 14 millions de kilogrammes de (issus, au prix moyen de 30 fr. Tun, representaut une somme totale de 400 millions de francs, pres dii quadruple de la valeur premiere. Nous consommons les G/7 de cette fabrication , et nous exportons le reste , on 2 millions de kilogrammes de tissus, notammcnt : aux Etals-Unis, qui en out pris 400 mille kilog, ; en Sardaigne et en Espagne , con- trees qui en ont recu 400 mille, et enlin en Turquie et dans nos colonies , oil nous avons place en tolalitc 200 mille ki!o2,rammes. De Texamen de quelques-uns des chiUVes indiques dans ce dernier arlicle, on peat deduire cetle conse- quence <|uc la France, malgre la possession de ses 31 millions de moutons , n'est pas encore assez riclie sous ce rapport, et que, pour satisfaire a sa propre consom- raation avec ses seules ressources , il lui faudrail un supplement de 3 millions de moutons, c'est-a-dire un total de 34 millions d'animaux de la race ovine. Ainsi se trouve jusfifiee Fopinion des economistes, qui veulent qu'un pays , pour se sufiire en lainage , comple autant de moutons qu'il renferme d'habitants. Si je n'avais craint d'abuser dcs inslanis que vous avez i>ien voulu m'accorder, RIessieui's, j'auraismoins abrege mon recit, car nos tableaux me penneltraient — 240 — lie faire connaitre Tordre d'iiuporlancc dcs produits dont nous nous somaics occupes, les lieux oil ils se proparent , et enGn le nombre d'ouvriers qu'ils em- ploient ; mais, grace a votre indulgeuSe attention , j'ai pu expliqucr dans quelles Tues ce travail a etc entre- pris ainsi que les applications dont je le crois suscep- tible, et il ne me reste phis qu'a attendre le jugement que porlcra TAcademie sur les essais de statistique que j'ai Tlionneur de lui souraetlre. Ce travail sera soumis a I'exanien d'une commission composee de MM. Derode, Garcet, Henriot-Dela- motte. LECTURE DE M. H. DE VROIL , AVOCAT. De qaelques modifications demandees au code civil dans Tintcrel de i'agriculture. Messieurs , De tousles eveneraents, qui, pendant ces cin- quante dernieres annees , se sont precipites les uns sur les autres avec une rapidite qui tenait du pro- dige, aucun, sans contredit, n'a exerce une plus grande induence sur le sort de la propriete fouciere et de la production agricole, que la promulgation du code civil et des lois transitoires qui le precederent. Depuis la nuitfameuse du 4 Aout 1789, dans laquelle I'assemblee conslituanle abolit a la fois tous les privi- leges de la noblesse, la propriel(^ fonciere entra dans une ere de transition qui ne finit que le jour de la pro- mulgation du code civil. La dime, les corvees sei- — 241 — gneuriales, tons les droits fcodaiix ( nfiii fiirent detriiifs sans racliat ; les biens dn clerge et de la noblesse, Ycndns nationalemcnt , renlrerent sons rompire du droit commun ; Fordre de succession I'lU change, les droiis de primogeniture ct de masculinile abolis ; les impols furent egalenient repartis; enfin des modifi- calions profondes furentap]>orlees a la constitution dn so!,et, pendant })las do dix ans, se succederentdcs lois sur toutes les questions relatives a Fecononiic agricole. Le code civil vint terminer cctle periode legislative. Plnsieurs annces se sont passces depuis i'adoption de cetfe loi nouvelle ; il est done pcrmis , des aiijour- d'lini, d'en apprccicr les principales dispositions, de la juger dans le passe qui existe deja pour clle , et , soulevant le voile qui nous cache I'avenir, de pr^voir les resullatsqu'elle pourra amcncr par la suite, ct les modiOcal ions qu'elle devra subir. Des esprits irapaticnts ont dejii de\ance , sur cc point , Fopinion qu'ils aspi- rei'.t a .2E HYPOTHECAIUE. (Code civile livre in, litre xviii, des privildgos et lujpothcques.) Uae autre partie dc la loi civile qui se ratlache d'une maniere bien etroite a Tavenirde I'agriculture, c'est le sysleme hypolhecaire. C'est riiypotheque qui doitfournir au cultivaleur les capitaux necessaires a I'exploitation du fonds , et il importe que la constitution du regime liypothecaire soit telle qu'elle attire le plus decapitaux possible vers cettebranche de la produc- tion nationale. Le systeme actuel reniplit-il cette condition indis- pensable? Cette question a , depuis quelque temps deja , ete resolue negativemcnt. En effet, I'agriculture se debat faiblement sous les eraprunts onereux qui I'accablent : elle ne peut se procurer qu'a un taux exorbilant et pen en rapport avec les revenus (ju'elle tire de la terre, les capilaux dont elle a le plus grand — 249 - besoin. Aussi une revision ('e la loi qui ri^git cette ma- tiere importanle semble urgente. Le gouveineiKent I'a bien couipris, ct, des 1841 , il adressail a la cour tie cassation , aux cours royales et aux facultes de droit une circulaire pour leur demander leur avis. Cependant c'esl une grandc prelcnlion que de ve- nir demander la reformation d'une loi (jue nous con- naissons a peine , qui souleve encore aujourdliui tanl de questions nouvelles , dont la sagesse des Iribunaux corrige tons les jours les imperfections, qui entin est passee dans nos moeurs avec tous ses avantages et tous ses inconvcuicnts. II ne faut rien moins pour cela que la conviction profonde que les interpretations de la jurisprudence ne parviendraient jamais a en faire luie bonne loi , et que la legislature seule pent , par une revision prudente , alteindre ce but si desirable. Un bon sysleme hypotliecaire doit avoir pour bases les deux principes de la pubiicitii et de la specialite. II n'est pas besoin d'ajouter a toutes ces defectuo- siles de la loi actuelle les vices noudireux de la loi d'ex})ropriation, pour reconnallrequc la reforme hy- potliecaire est une des plus urgenles de toutes celles dont on s'occupe. La securite du placement est com- promise par les inconvenients qui resultent d'une procedure embarrassee de milie details, et les capi- taux hesitent aujourd'hui a se porter verscctte nature d'ciuploi , qui de toutes cependant devrait presenter le plus degaranties. L'agriculture commence a soutTrir de cet etat de cboses : une reforme est maiiUenant jugee indispensable. Le gouvernement au surplus s'en occupe, M. le ministre de la just ice vient de livrer a la publicite Tanalyse des documents ([ue luiont traiismis, — 250 — en reponse a sa circulaire , les corps jiidiciaires et les ecoles de droit, et un projetde loi siir la revision du regime hypolhecaire doit bienlot, dit-on , etre porte devant les chambres, Cette loi, pour repondre a Fatten te du pays, devra remplacer par des dispositions completement nouvelles les demi-raesures et les terraes moyens qu'avaient eru devoir adopter les redacteurs du code : elle devra de- gager des cntraves si nombreuses qui les genent dans le systenie actucl les deux principes de la publicite et de laspecialile. L'agriculture en attend les plusheu- reux resultats , et c'est sur ces larges bases que devra s'elever I'organisation du credit foncier. Le morcellenientdu sol rendrait moins iinportante, par la suite, cette question du regime liypothecaire. En eflet , les grandcs entreprises agricoles seules ne- cessitent des avances considerables , que tres-souvent le cultivateur n'est point en position de faire ; ce qui I'oblige de recourir a des emprunts. Les petites exploi- tations, au contraire, ne reclament point ces enormes mises de fonds : de faibles sommes , resultats de Te- pargne, suffisent aux proprietaires pour les bien di- nger. Les capitaux s'amassent peu a peu la oil se rencontrent I'habilete et Tamour du travail , el les vices personnels , bien plus souvent que I'imperfection des institutions de credit, conduisent les agriculteurs a la m sere. DES BAUX DES BIRNS KCRADX. ( Code civil, Here ni, titre viii , du conlrat do louage. ) Les lerres exploilees par leurs proprietaires sont — '251 — cellcs qurconlribucnt le plus a auytiienter la riclicsse nalionale. Cliez les propriclaires sculs se rencontrent ce travail eclaire, ce gout des bonnes methodes , ces soins intelligents qui niodifient a la longue la nature d'un sol aride ct raultiplient la masse des produits agricoles. Les proprietaires assez a leur aise , pour aller dans les villes etudier la cliiniie, la physique, I'art veterinaire, etc., reviennent a la culture de la terre avee des connaissances qui sent pour eux un nou- veau capital. Ces cultivateurs eclaiies, en enseignant, par leur exemple , les nouvelles methodes , detruisent la routine et font faire plus de progres a Tagriculture que tons les livres du monde. On en a vu qui , en pcu d'annees , ont change complefement la face des con- trees qu'ils habitaient. Lesevenements politiqnes ont puissaninient conlribue a augnienter Ic norabre de ces agriculteurs intelligents, et plus d'un homrae public est venu consacrer aux soins d'une entreprise agricole sa haute raison ct sa profonde connaissance des af- faires. La loi civile n'avait point a s'occuper du proprietaire qui cultive lui-nieme ses terres. En elTet , dans cecas, la propriele se trouve en presence du proprietaire qui pent en disposer de la maniere la plus absolue , pourvu qu'il n'en fasse pas un usage proliibe par les lois on par les reglemenls. Mais , du moment que ce proprie- taire, par un contrat appele bail a fcrme, s^oblige a faire jouir quelqu'un de ses biens ruraux, pendant un certain temps et moyennant un certain prix, ce con- trat, comine la venle, rechange, etc., doit etre regle- inente [)ar la loi civile. C'est I'objet du chapitre 2 , du titre VIII dulivre iii du code civil. Dans une section commune aux baux des maisons et — 252 — des biens ruraux , le legislateur regie la forme du con- Irat et la raaniere dont il doit etre prouve ; puis 11 eniimere les obligalions du bailleur, qui se resument a delivrer la chose el. a en faire jouir , et les obliga- tions du preneur , qui soul de payer cxactement le prix du bail , et surtout de jouir de la chose en boa pere de famille. Cette expression, qui rappellerorganisalion de la faniiUe romaine, et qui se rencontre plusieurs fois dans le code, signifieque le preneur doit avoir de la chose louee le soin qu"'en aurait le proprielaire lui-meme. Enfin , une section particulicre aux baux a ferme contient quelques prescriptions speciales , traite dela durce et de la resiliatiou des baux , et complete la le- gislation sur cette matiere. Je ne crois pas que Ton ai! jamais pu adresser de reprochcs meriles a ces sages dispositions , sur le con- trat si usuel de louage, dispositions empruntees du reste, presque toules a Pothier , el qui exislaient dans le droit francais bien avant le code civil. Je cherche vainement en quoi eUespourraient etre coutraires aux veritables interets de ragricuUurc. Cependant, dans une reunion solennelle, les represenlants de Tagricul- ture se sont plaints avec amerlume de la trop courfe duree des baux , et , comrae de juste , le code civil a encoi-eele charge de cette iniquite. II s'agit maintenant de savoir si c'est bien a lui que Ton doit s'en prendre. On ne pent nier que les baux de longuc duiee ne soient les plus favorables de lous aux progres de Ta- gricullure. 11 est evident qu'uu long bail est le scul moyen d'interesser lefermier a la terre qu'il cullive, et de !e decider a faire foutes les depenses necessaires pour en augmeuler la puissance productive , depenses — 253 — qiril ne ferait pas , s'il n'etait assure de realiser le profit qui doit en resulter. Aveciin long bail , iin fer- raier se livrera a une cidture intelligenic des prairies artificielles , a I'ainelioralion dcs diHerentes especcs d'animaux ; il fera faircdes travaux d'irrication ou de dessechement qui ajouteront a la fertilile du sol. Ces baux sont Ires-frequenls en Angleterre et en Ecosse, et les farmerSj proteges par cette sage institution , ar- rivent presque tons a un degre d'aisance inconnuchez le plus grand nouibrc do nos fermicrs. Le le"islateur francais devait done, dans I'interet de la ricliesse des particuliers et de la fortune publi- que tout a la fois, accorder a cet egard la plus grande latitude possible et laisser au proprietaire raajeur et jouissant de ses droits la faculte de passer des baux aussi longs qu'il voudrait. Cest, en etTet, ce qu\a fait le code civil : I'article 1709 porte que le louago est un contrat par lequel Tune des parties s'oblige a faire jouir Tautre d'une chose, pendant xm certain temps, et on ne rencontre dans nos lois aucune disposition qui assigne une limite a ce temps et tixe le maximum de la dureedes baux. On pent done louer pour dix-liuit ans comme pour cinquante , comme pour deux cents. Ayec cette liberie illimitde, les baux doivent etre conlractes pour la duree la plus convenable aux ve- ritables inlerets des pro))rietaires fonciers qui sont, en definitive, les menies que ceux de Tagriculture. Cest aussi ce qui arrive. Les baux sont plus ou moins longs, et la mesure de leur duree est toujours I'interet du baiileur : cet interet exige que la duree du bail soit en rapport avec la fori une, I'age et la position sociale du baiileur, et avec la fortune, I'age et la position de ses enfant s. — 25 i — Mais Ton n'a pas tarde a s'apercevoir que le nom- bre dcs baux de courtedureeremporlaitde beaucoup sur celui des baux a longs terraes, et, dans un beau zele pour les piogres de Tagrieulture, on s'est plaint de cef etat de clioses et on a pri^ la loi (''y meltre un terme. Ce desir est recommandable assureraent , mais il ne faudrait pas qu'il fut un prdtexte pour leser les inlerets de persounes que la loi civile protege d'une maniere particuliere. C'est pourtant ceque To:! a de- maude! La loi ne pouvait, sans de graves inconvenicnts, laisser aux administrateurs des biens des incapables I'entiere liberte qu'elle accorde aux majeurs jouissant de leurs droits sous le rapport de la dureedes baux de leurs biens ruraux. Aussi des articles speciaux appor- tent-ilsau prineipe general des exceptions bien justi- fiees par la position despersonnesen faveur desquellcs elles sont admises. L'article 1429 porte que les baux que le marl fait des biens de sa fenune, sans son intervention, ne seroiit obligatoires vis-a-vis d'elle ou de ses heritiers, lorsque la comnuinaute viendra a se dissoudre, que pour la premiere periode de neuf ans, si on y est encore, ou pour la seconde et ainsi de suite, de maniere que le fermier n'ail que le droit d'a- cliever la periode de neuf ans oii il se trouve. L'article 1430 porle que le mari ne peul renouveler les baux des biens de sa feinnic, plus de trois ans avant lenr expiration ; de sorle qu'il pourra se faire, qu'a la dis- solution de la coraniunaute, la femnie ait encore a at- tendre pres de douze ans avant la resiliation. Les articles i718et509 porlentque les dispositions relatives aux baux dcs biens des fenmies raariees sont applicables aux baux des biens des mineurs el des in- terdits. — 255 — Les biens rurauxdes fenimes mariecs, des minours eldes intenlils sont done exclusiveruenl. reserves aux baux de neuf ans. Ces exceplions sonl iiombreusfs a la veritc , mais ellcssont commandoes par les necessi- tes socialcs les plus imperiouses. Ainsi , en cequi lou- che les biens dii mineiir par exemple, ia loi a sage- ment fail dc ne point permelire au lulcur de lesloucr pour pins de neuf ans. Dans ie sieele uii nous somraes, la vielaborieusede I'lioinme commence de bonne heure, cl plus d'un garcon de ^ingt atis esl en elal de faire \aloir utilemenl les funds qui forment son !)alrimoino. Soil qu'il veuille se livrer a ragricuUiire, soil qu'il prefere I'induslrie 5 il est indispensable que scs biens ruraux soient libres de tout bail, afin qu'il puisse les vendreou les exploiter lui-meme. C'est parce qu'elle a compris que le mincur devail, a sa m.'jorile, de- veiiir maitrc absolii de sa chose, que la loi n'a pas per- mis au tuleur de disposer de la jouissance de colle chose pour un lajjs de temps [)lus considerable. La disposition du code civil est done coinp!element jusli- fiee en ce qui conccrne Ie nnneur. II semble superflu d'enumert-r les raisons qui I'onl fail appliquer aux biens des femmes el des interdiis. D'impiloyables Procusles onl vonlu allonger hi du- reede ces b.iux el onl demande que Ie maximum ful poi'te de neuf a douze ouquinzeannees. On comprend, sans qu'il soil besoin d'insisler davaiitage, combien celle modilicalion nuirail aux interels des incap ibles. Auonne consideration , ftas meme celle des progres de la cullure et de raugmenlatinu de la fortune publique, en supposant qu'elles y fussent interessees , ne sacrait auloriser a passer sur celle difliculle. D'un aulre cote, Ie respect du a hi pro;)riele avail — 256 — faitaJraellrf a cetle projiosilion une resJriclion dotit lerc'suUataurailete de laisser les chosos a peu pres dans I'etat oil ellcs sont el d'aneantir ainsi les bons elTelsqiie Ton s'en elail promis. On avait demande que rien ne t'ul iuiperatif dansla dispo?ilion iiouvelle; que la loi auloiisai ^admini^l^aleu^ des bieiis des incapa- bles a passer des baux de douzc ou quinze ans, raais qu'elle ne I'y obiigeat pas el qu'il conservat la faciille de louer sculemenl pour iieuf anneos. Or , dans celte alternative, un adininislrateur inlelligent et soigneux des \erUab:esiiiterets decelui dont il gere la foilune preferera toujours les b.sux les plus courts. Ainsi on n'avail pasciainl dederaander, an noni deragvicul- lure, I'adoption d'une niesuie qui lesnit au plus haul de-^re les inteiels des incapablcs; niais le sentiment intime du respect dii a la propriete avait dicte une re- serve qui delrui«-ail tout u'un coup tousles avantages que Ton atUndail de celle loi. Si la fortune publique exigeait iniperieusement que la duree des baux fut augnienlee ; si I'agriculiure ne pouvait, sans celte angmeniation, faire aucun progres; bi eiifin Tesprit reghmeiilaire pouvail aller jusque la, il faudrail deniander riidoption d'une lui ainsi concue : « Le minisiium do la duree des baux des biens ruraux » appartenantaux majeurs jouissanl de leurs droits, » sera de douze arinees , » et prier le pouvoir execu lif de prendre des raesures pour que celle disposition flit rigoureusement appliquee. Ainsi I'ou alteinilrait le but que Ton se propose et Ton respecterait les sages dispositions du code civil concernant les baux des biens des incapables. Je me hate d'ajouler que cette proposition est lellement exorbitante, lelleraent ex- clusive de I'idee de propriete que, jusqu'a present, il ne s'esl truuve personne pour la presenter. — 257 — Aussi bien ca grand noinbre de b;mx de courlc du- ree, qui a si yivement preocciipc cerlaines personnes, me semble atlester les progres iiiisnonses do I'agricnl- ture, et prouver, d'une niaiiie:ee^idente, raiignieii- tation rapidc du prix desferniagcs. Aussi je ne i»ense point qu'ily ait lieu de solliciter sur celle matiere de nouvelles dispositions legislatives. CONCLUSION. Le morcellement , la niauvaise constitution du cre- dit foncier et la trop courte duree des baux, lels sont les Irois griefs de I'agriculture centre le code ci- vil et les sujets dcs plans de refornic qui out attire ratlention dansces derniers temps. J'ai deja parle de cetle opinion, si commune de nos jours , qui consiste a croire que des lois nouvelks sont les seuLs moyens d'obvier auxinconvenients des lois anciennes. J"ajou- terai que cette disposition est la plus nialheureuse qui se puisse trouver; car, eu ne tenant aucun compte des resistances indi\idueiles, el en rejctant sur la loi toutes les diflicultcs que Ton eprouvt a realiscr le jirogres, elle aftaiblit ia conQance en nos institutions el va meme jusqu'a condamner a Tinqiuissance les ellbrts de cliacun pour en corrigcr praliquement les imperfections. S'il prenait a la lettre tout ce qu'on lui repete, le proprietaire ne clier; hcrait point a airondir son domaine par des reunions et des eclianges : on a taut dit (pi'il iallait une loi pour arreter le morcelle- ment qu'il finira par douter que lui , simple partieu- lier, puisse pour sa part, au moyen de dispositions toutes dans son inlerel , et j)ri>.es dans la sphere de — 258 — ses moyens, contiibuera rendre inutile une nouvelle leoislalion siir cette uiafiere. Heureuseinent I'amour de la propriete Teinporte et les echanges ausquels il se livre ajournent presque indefiniinent I'aveneuien *• de ce morcellenient dont on nous menace. Cependant, dans un pays libre, on est en droit de beaucoup demander aux efforts individuels, et Ton doit etre mal recu lorsque Ton vient soutenir que c'cst a la loi detout faire. On peut d'autant plus compter sur une active collaboration de la part de cliacun que les mesures prises pour la plus grande utilite des in- dividus sont,en ces matieres, les plus avantageuses de toutes a la fortune publique. Ainsi les proprie- tairesdovront, dans Tinteret du bien public , dimi- nuer le Dombre des parcelles par des echanges, et rinteret personnel est un sur garant qu ils ne manque- ront point une occasion de le faire. 11 en est de meme pour la duree des baux : le proprietaire louera , sous le rapport duprix et du temps, aux meilleures con- ditions qu'il trouvera ; lefermier, pour se tirer d'af- faire , sera oblige decreer le plus de produits possible, etla richesse publique s'augmentera de tout ce qui yiendra accroitrela fortune du proprietaire. Le fractionnement du sol pouvait un jour arriver a une limite que, dans I'interet de Tagriculture , il serait bon de I'empecher de franchir ; mais je ne crois pas queTepoqueoii ilatteindra cette limite soil procliaine, et les difl'erentes mesures que Ton a proposees me semblent avoir ete inspirees plutot par le desir de pre- venir des maux que Ton redoute , que par I'intention de remedier a des inconvenients presents. Peut -etre, meme, I'interet dcTagriculture n est-il qu'un prelexte, et ces mo'ions caclient dies des pretentions que Ton — 259 — n'ose avouer. D'ailleurs, (luaiul vv lenips sera venu, il ne sera pasbesoinde reclamer riiilervention de la loi , et I'oii pourra , avcc conliance , s'eii rap- porter a rinteret prive du soin de faire cc qui sera opportun. J'on dirai toiitautani des bans a forme, et je regarde coiniue inntiles les inodiiicatioiis dcmandees pour la duree des baux des biens des incapables , et couime tres-daugereuses les lois d'exception que I'ou vou- drail adnieltre en faveurdes majeurs jouissantde leurs droits qui passeraienl des baux a longs Itrmes. Quant a la question de rorganisalion du credit foneier , per- sonne ne pent dire qu'elle ait ete iatempestivenient soulevee. Les vices du regime hypotheeaire actuel out ete demontres avec la derniere evidence , et, pour rappeler une expression prononcee naguere a la tri- bune et devenue celebre : // ij a quelgue chose a faire. Aussi, des trois questions examinees dans cet eci'it , c'est la seule dout le gouvernement se soit occupe, et dont il ait I'intention de saisir le pouvoir legislalif. Pour justilier Taudace des propositions exorbi- lanles qui se reproduisent si frequemment, on a I'habitude de presenter les faits sous un jour tel , qu'il semble rfy avoir de saint que dans leur prise en con- sideration. Ainsi, on a dit que la progression du mor- cellementelaiteffrayante, et des reclierclies savanles nous apprennent que cette progression marclie au contraire fort lentement ; (^ue les capitaux manquaient completement a ragriculture, et, nialgrc les nom- breuses defectuosites du sysleme hypotheeaire , Tin- ventaire du mobilier rural de la moiiidre fernie constate presque toujours autanl de besliaux et d'in- struments aratoirescpril en faut pour sou exploitation; — 260 — enfin que les baiix de couite diiree riiinaient les fer- niiers, et jamais les fcrmiers ii'ont etc si a leur aise. On est alle jusqiva dire que , pendant que I'industrie marcliait a pas de geant dans la voie des ameliorations et du progreS; Tagriculture seule etait restee station - naire. Or, jele deraande , cette assertion est-elle sou- tenable , et merjtc-l-elle I'honneur d'une refutation serieuse ? L'agricullure a fait des progres immenses, sur- tout depnis quelques annees , et tout porte a croire qu'elle n'est pas pres de s'arreter, Un assolement facultatif et raisonne a remplace le classique assole- ment triennal , et fournira les moyens d'arriver pro- gressivement a la suppression dela jacliere. La culture des prairies arlificielles, en augmentant !e nombredes besliaux et la masse des engrais, augmente en meme temps la puissance productive du sol. Les eflbrts de tous et de ciiacun , Tamour de la propi'iete , I'intelli- gence, I'esprit d'ordre et de travail, peuvcnt plus, pour la prosperite de I'agriculture, que des disposi- tions legislatives consacrant des mesures arbitraires, et sont les meilleurs gages de progres que le present puisse leguer a Tavenir. Cememoire sera souniis a rexamen d'une commission composec de MM. Bonneville, Contaui|el Bouche. — 261 — COMMIMCATION I>E M, FANAKT. NOTICE BIOGRAnUQUE SlIR LOUIS PFJ\1N »^ PEINTRE RfiMOlS , par SI. A. E'erin . fson lil». Messieurs , Vous nravcz fait riionneur de me noiiimcr niembre cor- lesponckint de rAcadeinie que vous avez fondee , et qui est appelee a rendre de grands services a la ville de Reims. Ce choix m'impose un devoir a remplir, celui de vous adrosser quelque ecrit que vous vouliez bien accueillir. J'ai pense devoir vous pai'ler de mon pere, et vous pre- senter tous les souvenirs que j'en ai conserves. Sa carriere d'aitiste avait ete d'abord bien entravee , et pourtant il s'est acquis une reputation qui grandit encore depuis sa mort ; ses ouvrages sont recherclies et preferes souvent aux phis renommes (1) de son epoque. Une vie de lutte et de d^vouement a I'ait pent oUrir de rinterct; et puis, en outre, Messieurs, mon pere etait remois, et aimait fort son pays; en vous exposaut la marche de son talent, c'est done entrei', il me senible, dans les vues de rAcademie qui recherche el conserve la — 262 — )ii(''in()iio des honinies qui out pu faire honneur a Reims. Lie-Louis Perin naquit a Reims, le 12 Octobre 1753. Ses parents, originaires des Ardennes, etaient venus en ccUe villc pour s'y livrer a la fabrication des lissus de laine. Avec le fiuitdeleur travail, ils eleverent honorable- ment plusieurs enfants dont Lie-Louis etait le dernier. Les Ills aines furent destines au commerce , et le plus jeune a I'etat ecclesiastique ; la volonte du pere etait tres- arretee a cet egard , mais aussitut que le jeune honime se put connaitre, Tamour des arts s'empara de lui; il scntit sa capacite et aspirait a un rang eleve. Mais, dans sa famille, il ne rencontra qu'une vive opposition a une carriere qui exige de longues etudes , des dcpenses continuelles et n'offre rien de certain pour Tavenir. Perin , cependant, suivit presqu'a la derobee les eours de I'ccole de dessin de Reims , en devint bienlot le premier eleve , et remporta le prix (2). Apres ce premier succes, I'espoir de irouver dans le professeur de recole (3) un appui aupres de ses parents le faisait rcdoubler d'cfTorts ; mais ayant copie d'apres lui un tableau (i) ou il se permit quelques change- ments , et ces changements ayant cle regardes comme des ameliorations, le maitre jaloux devint son ennemi, et fit accroitre I'opposition que son pfere mettait a sa vocation. Perin avail reconnu combien etait mauvaise la route qu'on lui faisait suivre dans Tart; comprenant que la vue des ouvrages des gi'ands maitres le ferait sortir de la voie deplorable ou on I'avait engage , il aspirait a aller etudier a Paris ; mais on Ten empecha , et plusieurs annees se passerent peniblement a dessiner ou a peindre des por- traits (5) pour gagner quelque argent. 11 fit aussi plusieurs tableaux (6) de nature morte qui montraient sa bonne or- ganisation. On neparvintpasa dompter sa resolution, eton le laissa partir poui- Paris, ;\ vingt-cinq ans , mais aver une si mo- diquc pension (7), qu'ellc suflisait a peine a sa subsistance, - 263 — fine lui permettait pasdc se livrer a dcs 6uides serieuses. La caiTit!re de la peinture d'histoire sc feriiia forcemcnt pour lui, et ses plus cheres csperances s'evanouirent a Paris coninie a Reims ; la necessite robligoa a s'adonner onlierenionl ;\u\ portraits. Quoiquo iniV'rieur a la peinture d'histoire, ce genre offre un champ vaste an talent. II ne suflit pas de reproduire I'exterieur du modele , il faut encore donner une id6e de son caraclere , de ses pensees habituelies, et savoir choi- sir la pose et I'expression qui peuvenl le mieux traduiro rhonimc interieur. De la cc naturel et cette impression des portraits laissespar les grands maitres, et qui nous in- teressent vivement lors memo que les personnages nous sont inconnus. La ressemhlance d'un ami, d'un pere, d'une epouse, remplace, pour ainsi dire, la personne meme , soulage de son absence, et renouvelle les impressions les plus precieuses et les plus vives. Apres la mort d'un parent qui leur otait cher, combien de families se desolent de n'avoir pu en conserver I'iinage, et disputent a la mort meme ce pr6cieux souvenir en faisant mouler le visage de celui qui vient d'expirer, ou en le faisant peindre d'aprc's son cadavre. Dans tons les temps, n'a-t-on pas cru recom- penser dignement les hommes illustres etleur rendre hom- mage en placant Icurs portraits dans les lieux publics ! Le peintre de portraits, s'il comprend sa mission , pent done occuper un rang 61ev6 dans I'art, et c'est a cc rang que parvint dans la suite Lie-Louis Perin. On imagine facilement le desir qu'il avait d'etudier dans les galei'ies les beaux portraits des anciennes ecoles; niais le temps lui manquait pour ces eludes qui lui eussent ele si fructueuses. 11 fallait vivre; ses travaux lui etaient pen paycs , et I'idee de sc voir force a exercer I'art comme un metier TefTrayait tellemenl , (jueparfois il pensait serieu" sement a s'enroler. Jusqu'a la tin de sa vie , ces moments d'angoisse se representaient avec douleur a son esprit. 20 — 264 — Afin d'avoir plus de portraits a faire , il s'exerca a la miniature, et, apres avoir reuni une petite soiume, il em- ploya les heures du soir a dessiner le nu d'apres les mo- dules vivants (8) , chassant ainsi, petit a petit, les vices de son (klucation , et le jour , reportant dans ses peintures les progres obtenus par ces nouvelles etudes. Depouillees de la routine qu'on lui avait imposee, ses dispositions naturelles prirent un grand developpement , etfrapperentun artiste distingue, Roslin (9), dontles con- seils, I'appui et Taffectueux attathenient lui furent tres- utiles. Perin s'cfforQait dans ses ouvrages de subordonner les accessoires aux parties principales, et se livrait tout entier a son sentiment qui le portait a rechercher le naturel et la vie ; lavue des productions de Halle et de Greuze (10) le confirma dans cette voie. L'intimitc du statuairc Hou- don le soutenait dans I'etude de la forme , toujours alTec- tionnee par lui, et Tune de ses plus belles qualites. Sorti de Torniere oil se trainaieut la plupart des pein- tres de son epoque , Perin etendait sa reputation. Vers 1785, elle 6tait grande. Quoiquil s'appelat lui-mcme le peintre de la bourgeoisie, il fit le portrait de plusieurs personnes de haut rang : la duchesse de Larochefou- cauld (11), qu'il peignit plusieurs fois, lui temoignait la plus grande bienveillance; appele au Rincy pour faire le por- trait de la duchesse d' Orleans, il y fut comble d'egards et de prevenances, et les travaux lui vinrent en foule. Vers cette 6poque, il alia voir ses parents revenus de leurs pre- ventions, et fit leurs portraits, qui comptent parmi ses plus belles miniatures. Ce furent les moments les plus heureux de sa vie. La position dont il jouissait avait ete cherement achet^e. Personne, a moins de suivre cette carriere, ne pent se faire une idee du supplice qu'^prouve I'artiste bien or- ganise, amoureux de son art, et que la necessite empcche de I'exercer consciencieusement : forc6 de travailler a la — 205 — liAte, (le laisscr des ouvrages impari'aits, iw poiivant fairn les etudes qu'il juge necossaires, souvent ni(^^pris6, il liii faut un graiul courage pour siinnonlor (ons ces chagrins et acquerir enfiu un laleut assez elcvc, pour forcer la repu- tation a venir a lui. Arrive a ce but, tout change pour celui qui a su perseverer; entoure de consideration, tons les obstacles disparaissent. Telle elail la situation de Perin quand les premiers symp- tomcs de la revoluLion se firent sentir. Le droit d'expo- ser aux salons du Louvre ccssant d'etre un privilege pour les academiciens, Perin y fit paraitre pendant phisieurs ann6es des miniatures qui produisirent une grande im- pression ct laisserent de longs souvenirs (12). 11 pei- gnail aussi de temps a autre des portraits a Thuile, et avait commence en ce gem'e un tableau de quatorze figu- res, represeutant une famille americaine au milieu d'un pare (1-")). La revolution for^a celte famille a quitter la France avant la fin de cet important ouvrage, que Perin n'abandonna qu'a regret. La revolution cependant n'in- terrompit point ses autres travaux; dans la crainte de I'exil ou meme de la niort, chacun, parson portrait, vou- lait laisser un souvenir aux siens, et Perin etait un des artistes auxquels on s'adressait de preference. Mais le fruit de son ti-avail lui fut enleve par le malheur des temps; la petite fortune qu'il avait acquisc ayant etc for- cement convertie en papier-monuaie, resta bientot sans valcur entre ses mains, et ce malheur venait I'accabler pen de temps apres son mariage. Les secousses de la revolu- tion avaient ebranl6 la saute de Perin ; pensant qu'il lui restait pen d'annees a vivre, inquiet pour I'avenir de sa femme et de ses deux enfants , il regarda son pays comnie un refuge, ct, surles instances de sa sanu- et dc ses freres, se decida a reiouiner a Ucinis. Avant son depart, Perin avait fail le portrait de madame de Lavallelte, an moment oil son mari parlait pour I'Egyple avec Bonaparte, ct Jo- - 266 — s6phine, chez laquelle se faisait cet oiivi'age, lui en le- moigna plusieurs fois sa satisfaction. C'est en Tan VI qu'il exposa pour la derniere fois an Louvre, et il quitta Paris en 1799. II etablit a Reims une manufacture d'^toffes de laines, pensant que si sa fomme, pour laquelle il avaitunc affec- tion profonde, venait a le perdre bientot, elle pourrait , en continuant le commerce, se creer de I'aisance et fournir a Teducation de scs enfants. C'ctait done elle qui s'occu- pait des affaires ; Perin ne s'en etait reserve que la direc- tion generale et continuait d'exercer son art avec la nieme ardeur qu'auparavant, resistant cependant aux instances que lui fircnt plusieurs fois ses amis de Paris, pour re- tourner en celle ville : Houdon surlout Ten prcssait vive- ment, lui meltant sous les yeux le rang qu'il occupait et qu'i! perdrait en rcstant eloigne de la capitale, lui disant combien de pcrsonnes etaient venues chez lui depuis son depart, pour dcmander que Perin fitleurs portraits ; mais a une position brillante, Perin prefera I'avenir modeste qu'il preparait a sa famille. Dorenavant fixe dans sa ville natale, il fit pendant plus de dix-sept ans un grand nombre de portraits en miniature et en grand, peignit aussi ])lusieurs ouvrages au pastel, et savait y meltre un gi-and charme. Son talent se forti- fiait toujours : les portraits que Ton a conserves a Reims et ceux qu'il peignit a Lyon (14) pendant un assez long s^jour, en donnent la preuve, et sa reputation serait encore plus repandue, si sa modestie ne Lent empeche d'envoyer ses ouvrages aux expositions de Paris. L'une de ses plus importantes productions fut portee a Dresde oii le direc- teui' de la galerie proposa vivement de I'acheter pour faire partie de cette admirable collection. Au milieu de ses travaux, il eprouvait souvcnt de vifs regrets en voyant disparaitre les plus remarquables mo- numents de la ville de Reims. On avait detruit la porte — 267 — Baseo, ce bel air de Uiuiiiphe qui pouvait si facilenienl t'tre retonslniil ailleui".« en en nuni6rotant les pieires ; plus tard, en reparanl les fondalions du lycee, on lelrouva [»la- sieurs parties de la IVise de cet arc couvertes de sculp- tures; sur Tun de ces fragments etait represente un ein- pereur assis, entoure de plusieurs autres figures. Appele pour voir ces beaux debris, Perin s'eH'or^ait de les sau- ver des mains dcs macons qui voulaient s'en servir comnie de simples pierres; rentre chez lui, les larmes aux yeux, ne sachant a qui s'adresser pour empecher celte prol'a- nalion, car alors il n'y avail point d'Academie, il fit cepen- dant des demarches aupies des aulorites de la ville, niais sa voix, etant isolee, nc fut point ecoutee, et ces precieux restes de I'art antique furent mutiles et enfouis de nou- veau. Sans prendre part aux expositions de Paris (15), Peria alia ce|)endant plusieurs fois les voir afiu de suivre les pro- gres de Tart; heureux du succes d'Isabey, qu'il coanais- sait et qu'il avail precede dans la carriere; jouissant des oeuvres de Saint, qui, avantson depart, avail vouluetre sou elevc. Perin avail la passion de Tart sans una seule idee de rivalite. Ses qualites et sa grande boule faisaient ai- mer aulant rhomme que I'artisle. Par !e fail suivant, on pent juger de la haule estime que les artistes de Reims avaicnt pour son talent. Une dame honorable de la ville venait a d'assez longs inter- valles demander a Perin pour un inconnn des miniatures- eludes dont elle desiguait les sujcls : un olTicier, une femme agee, une jeune mariee, etc. II en peignit jusqu'a sept, puis, un jour, elles lui furent toutes montrees par un peintre remois qui \ avail consacre ses economies et i qui elles servaient d'exemples et de guides. Un entier desiuleressement fut la regie de toute la con- dnile dt; Perin; quoique le prix de ses ouvrages fut sou- vent pen 61eve (IG), il metlait toujours a les faire les — 208 — niemes soins et la nieinc application. Lorsqii'aii passacfc (k- Marie-Louise, on eleva des arcs de ti'iomphe a Reims, charge des principalespeinturos, tres-siiperieur a ses col- laboratc'iirs , il loiu' fit cependant I'abandon total do la soninie qui hii revenait (17). S'inleressanl vivenient a la position des autres, on ne rentondit jamais se plaindre dc la sienne ; c'olait un plaisir pour lui de venir en aide ii ceux qui, dans la carriere des arts, annon^aient quelqucs dis- positions (18) , cherchanl a leur aplanir les difllcultes qui avaient enlrave sa marche el borne sa cari'iei'e. Tons ses efforts lendaient a rendre plus facile celle de son second fils (19); sans I'avoir pousse vers la peinture, d6s que ce- lui-cimanifesta ledesirde s'y adonner, il lui euseigna avec amour les principes de I'art (tJO), puis, dcsirantle voir pein- irc d'histoire, il le confia a Tun de nos celebres maitres, Pierre Guerin. Pour faire suivrc a son fils de solides etudes, Perin ne reculait devant aucun sacrifice et s'imposa de dures privations : sa volonte etait que son fils put sans en- traves chercher le sens le plus eleve de I'art, et ne fut ar- rc'te que devant la limite de sa propre capacile. Jamais pere n'eut pour ses enfanls un tel devouement et une aussi tendre sollicilude. Outre les amis devoues qu'il avait laisses a Paris , Perin avait conserve la plus affoctueuseintimite avec deux cama- rades du premier age, tons deux ses conipatriotes; Tun, nonune Paulin, a vecu liors dc Reims, et fut recteur de r Academic de Cahors, et Tautre, Prevost, remarquable aussi par sa haute instiuction , professait les malhema- tiques a I'ecole militaire an temps ou Napoleon y etait 61eve. La vie de Perin fut travers6e par bien des chagrins : chacun de ses freres fut emporte a un age pen avance ; le commerce eut a soiiffrii- de mauvaises chances, lorscfu'ar- riverent les dernieres et desaslreuses aunees de rcnq)ire ; les invasions rafflig»'rent proloadenient ; la carriere juili- — 269 - taire deson lils aine ('21) st' trouva an(Mee d^s son debut. AugintMitee par ces inquietudes, une inaladie de foie l — roniplii Ics vin=i iiiousscux, de MM. Roiissoaux el Rui- net , M. L.-M. Canneaux, dc Reims, s'oocupail tie son cote do I'execiUion d'une niachiiie appclee ;i reco- voir la memc deslination. M. Canneaux a desiie dgale- nient soumcllre eel appareil a voire examen. Pliisieiirs neov.cianls en Tins de celte ville ont bleu voulu s'adjoindre a votic commission el lui preler !e precieiix corKouris de leurs luniiens et do lour expe- rience; il elail important que ie precede lul apprecie par ceux-lu memes qui efaienl appcles a le mellr;^ jour- nellemcnl en usage. Nous croyons savoir que la concurrence a fait naitre cntre les inventeurs cerlaines discussions auxquelles nous devonsj vous le coniprendrez , Messieurs, rosier rompleteraent cirangers : nous n'enlendons aborder que les questions d'arl el d'ulilile, les scules en ed'et don I nous ayons a nous preoccuper ici. Le but que s'est propose M. Canneaux est celui-ci : donner a I'operalion du d(jsage et du rempliss^gc des vins mousseux la plus grande precision possible, en empecliant toule deperdition de gaz et de liquiJe, con- dition indispensable ;i la pert'eelion du travail Voyons comment M. Cimncaus a resolu ce probleme. An moyen d'un tube conducteur adapte a une pompa aspirante et foulante, mue par uii levicr, M. Canneaux va prendre dans unease ou un fnl, convenablemeiit forme , la liqueur qui doit servir au dosage. Cette li- queur est amence dans une elianibre c^ lindrique en crislal, graduee par ceniilitres, et d'oii elle est ensuite cliassee avec violence dans la bouteille par le piston. Si la dose injeclee ainsi avcc force est j)lus quo suf- fisante pour rcmplir la bouteille, rexcedant i!u vin s'o- chappe p.ir un tube aboutissant lui-meme a une autre — 276 — bouleiile qui sert de recipient,. Dans le cas conlraire , c'cst-a-dii'o, si la dose est trop faible, on remplil un robiuL't qni donne [lassago an vin destine a eel usage. Ge remplissage lomhe d'une troisieme bonteille , her- nietiqueimnt feimee, et dont le bouchon, fore par I'ex- trcmite d'un tube, iaisse echapper le liquide. Ainsi , voiis le voyez , Messieurs , dans les divcrscs phases de I'operalion, nul contact avoc I'air extericur, nuUe evaporation, nullc deperdition dc gaz. Tons les recipients, tous les vases, parfaitement fermes, coiiser- vent au vin et a la liqueur leur mousse et leur arome ; et, sous ce rapport dejh , le procede de M. Canneaux est bien preferable au dosage et au remplissage a la main. L'appareil nous a paru fonclionner avec precision , regularile et promptitude. Un ouvricr peut doserel reniplir Irois bouteillespar minule, raais en reduisant ce nombrcadeux bouleilles et dcmieseulement , on alteindrait facilemeni le cliiffre de 13 a 1,400 bouleilles par jour. C'est plus que ne peuvent fnire deux ouvriers a I'aide des procedes ac- tueliemenl en usage, surloulquand le vin a une mousse considerable (1). Le cylindre en cristal qui regoit el rend la liqueur, offre, par sa transparence meme , cet avanlnge qu'on peuttoujours, d'un simple coup d'neil , verifier la dose et s'assurer si elle enlre tout euliere dans la bonteille. Ici, Messieurs, a projjos de I'idjection de la liqueur danslc vin , une observation imporlaiite reslait a con- stater. La liqueur, en s'introduisant ainsi violemment, force le trop- plein de la bouteille a s'echapper par le (1) Par tlciix ouvriers, nousonlfndoiis un doseuret un remplisseur. — 277 — tube (le def^agcmeiU donL nous vous enlrelcnions luut- a-l'lieure. Or, il s'iigissait de verilier si le vin qui se degageait ainsi enievait une portion de la liqueur in- jectee, de telle sorte que , dans ce cas, la dose n'aurait jilus ele complete dans la bouSeiUe ; nous avons de- gusle le vin provenantde ces decharges, ot nous nous sonimes assures qu'il ne renfermait aucune partie de liqueur, ou que , s'il en contenail, c'eiait en quanlile extrememcnt minime et toul-a fait inappreciable. Nous croyons done pouvoir certifier que la dose enlre bien completement et reste tout entiere dans la bou- Icille. Relalivemcnt surtoutauxfonctions mullipliees qu'il est appelea remplir, cet appareil, peu volumincux du reste, est assez simple et facile a manoeuvrer. M. Can- neaux a trouvc nioyen de I'adaptcr et de le fixer au bloc de la machine a bouclier de M. Leroy , de sorte que I'ouvrier, qui a deja dose et rempli la boutcille, pent, sanssedeplaccr , la bouchcr aussi lui-mcmc. C'est en- core une simplification du travail qui pcut etre Ires- utile, surlout dans les clianliers oil Ton n'occupe qu'un petit nonibre d'liommes. En resume, I'appareil de M. C'inneaux nous semble uieritorrattcnlion serieuse de ions ceux qui clierchent le perfoctionnoment dans la manutcnlion si miniiticuse des vins de Chnmpagne. Sans doule on pourra micux faire encore |»lus lard ; il est probable, et nous I'espe- rons, que I'invenlcur lui-meme trouvera les moyens de simplifier encore son mecanisme; deremplacer, |)ar exemple, par une soupape le robinct du tube d'aspi- ration de la liqueur ; de donner au ressorl de la pedaio qui supporte la boutcille assez de vigueur ; a Tobtnia- tcur dans lequel vient s'einboiicr le col de la bouteille, — 278 — assoz dVlasticilo pour ompOcher tout craclionient de la mousse lors tie I'injeclion de la dose ; mais , telle qu'elle est, nous n''hesitons pas a rcconnaiire que la machine do M. Caiiiieaux est une amelioration veri- table , UM pn gres sensible obtenus par des precedes nouveaux(l),el qn'oUe pcul condiiirt adebons JCfuUats. Encore qnelques efforts dece genre, et nous verrons la manuletition des vins mousseux s'affrancliir. comriie toutes les industries qui nous environnent , des habi- tudes routin'errs dans lesquelles ellc est plongee de- puis si longlcmps. D'apres les cosisideralions que nous venons d'avoir I'honiieur de developper , nous n'lusitons pas, Mes- sieurs, a vous proposer : 1° de reconnaitre que I'appa- nil de M. Canneaux atteint le but que se proposait rinvenleur ; 2" d'mscrire son nom sur la liste des raii- didals aux recompenses que vous decernez a la fin de chaquc annee. (1) La commission a declare que, par celte expression : proctWs nouveaiix , clle n'avait pas entendu parlor d'lm systcme absoluincnt nouveau, maisd'un apparcil donl certains elements ingenieuscracnt combines recevaicnt une application nouvellc. REIMS. — I,. .lACQCET, IMPRIMEUR DE LAC\Di:MIE. SKAN(-|^:S ET TRAVAUX DE LACADEMtE DJ] UEIMS. r 7. Seance dia 3 Junvfer 1945. SOMMAIKE DE L.\ SEANCE. €orrespondance. — Comnmiiication de M. lo president. — Lecture de M. Leroux : Notice sur les anliquiles de Cori)eny. -Lecture de M. de Maiziere : Explication de riucendio par Archimede de la (lolte ro- maine sous les murs de Syracuse. — Lecture de M. Duqueuelle : Quclques mots sur Taction tuxiquc du sulfate de potasse.— Commu- nication de ^L Eujicne Courmeaux : Lettre ecrilo par M. Etienno Gallois.---Lecture de M. Jules Perreau; Premiere scene du second actc d'une traduction en vers de V Hamlet. Bulletin supplcmcnlaire : Nomenclature des dessins exposes a I'Aca- demie par M. I'ernot. La seance est ouverte sous la pr^sidencede Mori- seigneur rarcheveque. La parole est a M. le secretaire. Le proces-verbal de la dernitre reunion est lu et adople. M. le secretaire donne lecture de la correspondance manuscrite. EUese compose de letlresdeM.M. Voilie- 21 - 280 — raier, Lepine, A. Derode et A. Velly, remerciant rAcademiedu titre de membre correspondaiU qifelle leur a decerne. La correspondance imprimee comprend : 1"" Denx notices sur M. Bouclier de Crc^ecceur, membre asso- cie de rinstitut; — 2° Introduction a I'liistoire eccle- siastique, par M. I'abbe P.-S. Blanc, dedieea Monsei- gneur TarchcYeque de Reims, iin fort vol. in-8"; — 3° Rapport surle congresde vigneronsfrancaisde Mar- seille, el sur les congres scientiGques de France etd'i- talie, par M. Guillory aine; — 4" Un volume de Fables par L.-A. Bourguin; — 5" Le Journal des savants, Noverabre ISVi; — 6" Comptcs-rendus liebdomadaites des seances de TAcaderaie des sciences, 16 et23 De- cembre \S'iU;-~1''\]ne brochure intitulee : Banque pa- trimoniale du majorat , utilite de sa creation , par M.Nollet; — 8" Une lettre circulaire de M. Parcnty, archiviste adjoint de la Societe royale d"Arras, faisant hommage a TAcademie de Reims du volume des Me- moires de cette societe pour Tannee 1844. M. le president informe la compagnie que M. le mi- nistre de I'lnstruction publique a bien voulu, dans une receute enlrevue, lui expi'imer la sympathie (jue lui inspiraient les travaux de TAcademie de Reims, etles voeux qu'il formait pour le developpement pro- gressif d'une sociele qui paraissait [ enctree de I'im- portance de sa mission ; Tcxemple qu'elle donnait en editaiit de precieux monuments historiques ne pou- vait manquer d'exercer une beureuse influence sur d'autres socidtds deparlemen tales, en creant pour elles un principe d'emulalion; aussi, pour encourager TAcademie de Reims a poursuivre la voie oil , d'elle- meme, elle diail si dignement entree, M. le minlstre >- SiSl - pronietfait a la compagnie le concours du gouverne- nienl pour les publications successives des oeuvres d« Fiodoard , de Gcrbert et d'llincmar. LECTURE DE M. LEROUX. Notice 8ur la chaHssee roaiaiiicde Corbeny, ct surleseveueinentsdonl elle « {■tc le ihealrc. Vous comprendrez mieux que beaucoup d'autres , Messieurs , ce besoin de distractions scientifiques qui lourmente riiomme que ses etudes et ses gouts ren- dent apte a les recherclier. Vous le comprendrez en- core mieux cliez le medecin, qui a constamment devant les yeux le spectacle si trisle de I'humanite aux pri- ses avec la soulTrance; heureux quand il peut tempe - rer la gra\ite de son ministere par des delassements en rapport avec ses goijts et les circonstances qui le favorisent. Cest dans I'etude si interessante des debris que nous a legues I'antiquiteque, pendant mes loisirs, j'ai clier- che ces distractions , et ce sont quelques pages du pro- duit de ce travail que je viens vous presenter. Ce petit meraoire n'est peut-etre pas aussi complet que je Teusse desire , mais ma position loin des sour- ces precieuses oh j'aurais pu puiser, ne me permettait qu'a de longs intervallesde reprendre mes recherclies si souvenl interrompues. Corbeny, auquel se rattaclient de vieux et interes- sants souvenirs par sa position et la force des circon- stances , a constamment vu jusque dans ces derniers temps son histoire intimement liee a celle de Ueinis. — 282 — Chaque ^poque*, chaiiue regne pourrait doiiner lieu a 4in rapprocheme:it, souventtres interessant, entre la grande ville et riiumble village. Mon intention , aujourd'hui, est de decrire la chaus- see romaine qui, de Reims passant a Corbeny, se rend a Saint-Quentin, puis de tracer un tableau chronolo- gique des faits dont elle a pu etre le theatre. Cette chaussee, par Telendue et I'importance des pays qu'elle parcoure dans le departement de I'Aisne, a plus qu'aucune des quatre autres fixe Tattenlion des antiquaires de ce pays. Nice comnie voie romaine par quelques-uns qui se fondent sur le silence de I'ltine- raire d'Antonin, pour I'attribuer a Brunehaut , elle est admise par le plus grand nombre, basanl leur opinion sur des preuves tirees de la confection meme de la chaussee que nous examinerons plus loin, et des actes de Saint-Quentin, dans lesquels il est parle d'un chemin <> qui du temps de I'empereur Constance ti'a- » versait la riviere a pont a tirer dWmiens a Laon : » Agger puhlkus qui venit de Ambianensiuin civilale el )) pergil Leodunum Clavatum. » A ces preuves ils au- raient du en ajouter une d'une graude importance , et tiree de Tare de triomphe de la porte Mars, car cet arc, dans I'axe duquc! aboutit cette chaussee, suffit a lui seul pour nous indiquer I'antiquite de cette voie et son importance sous les Romains. Parmi ces der- niers, il y a diversite d'oi>inions ; quant a la direction et qumt a Tetendue, M. Devisme, auteur d'une his- toiredeLaon, etM.Lemaitre, dans le tome iv des A/ti- rnoires des Anliquaires de France , croient que ce chemin s'arretait au camp romain de Saint Thomas, ou sinon se dirigeait vers Sissonne, et les auteurs des ditiereales carles du departement de FAisne out suivi — 283 — ce trace, sans oepojulanl avoir aiuMinc preurea Tapimi, si ce n'est riijnoranrc oii iis etaionl des traces encore existantes vers Corbeny. 3Iais, guide par Bergier, par d'anciens titres et plans de proprietes qui montrenl cetlc chaussee se confon- dant au nord de Corbeny avec la route actuelle, et par quelfjues restes assez dislincts en face de la ferme du Petit-Saint-Jcan, au bas de la cole, je dirigeai ines recliercliessurla monlagne d'Aubigny, entre Corbeny et Festieux , et je ne tardai pas a Irouvcr au nord du nioulin les restes de cette chaussee parfaileuient mar- quee et tres-reconnaissable; le milieu, Vagger, extre- mement bombe et releve d'un metre au-dessus du sol, subsiste seul dans une longueur de trente a quarante metres, sur une largeur dequalre a cinq. Un pcu ]j1us loin la cliausseea etc coupee dans son axe par Texploi- tation d'une carriere, ce qui permet d'en etudier faci- lement les diverses couches. La confection de cette chaussee porle avec elle un cachet tout romain, quoiqu'elle ne soit pas partout uni- fornic, ce qui pent dependre, soit qu'ayant etc I'ou- vrage de plusieurs regnes, on n\y ait pas toujours ap- porle le meme soin, soil que les contrees qu'elle Ira- verse n'eussent pu fournir les memes materiaux, soil enfin que la nature du sol necessilat un aulre mode de conslruction, comme les raaraisde Barenton , d'oij Ton tire chaque jour d'enormes masses de gresjcles autrefois dans ces terrains mouvanls pour solidilier la roule. Voici la description des couches qui la composeni sur la niontagne d'Aubigny, telle qu'elle a ete decrite par i\}. deTugny, a la Societe archcologiquc du de[)ar- temenl de TAisne ; — 284 — « 1" Au-dessus du banc de pierre une couche de » terre vegetale de dix centimetres d'epaisseur jen- >> -viron. » 2° Un lit de vingt-cinq a trento centimetres de » pierres calcaires prises sur les lieiix formant la ru- » deration. Lediametre, I'inegalite de forme, de gros- » seur, et Tinclinaison des pierres du sud au nord, me •) font presumer que la couche dite siratumen manque » ici. )) S^Une couche de trente a trente-cinq centimetres, » formee de petites pierres calcaires de la grosseur » d'un oeuf de pigeon , noyees dans une espece de )) sable calcaire blanc, proveoant des debris de car- » riere, ce serait le nucleus. » 4° Enfin, la summa crusta, qui est formee d'un )) melange de terre vegetale et de marne calcaire. )• Quant au cliemin qui, au dire de M. de Caylus et » de M. Lemaitre, passaitdevant le camp remain du » vieux Laon, pour traverser la route royale a la » Fosse-Grisarde et joindre Veslud, on n^en retrouve » aucun vestige; cependant le nom de Vieux-chemin, » de Cliemln-Ronieret qu'il a conserve, la necessite de » faire communiquer le camp avec le chemin de » Reims a Saint Quenlin, doivent faire supposer qu'un » embranchement de cette espece existait sur le pla- » teau de la montagne, au nord d'Aubigny, qui elait » le seul cote facilement abordable du camp, qui de » lous les autres est isole par des pentes abruptes. L'existence deceltechaussee depuis Corbeny jusqu'k Veslud etant certaine et prouvee, il nous reste a la rechercher au-dessus de ce bourg, vers Berry-au- Bac. Bergier, tout en parlant des pays qu'elle traverse, avait ajoute qu'entre Reims et cette localite, il en res- — '28S — tait peu de traces, et ici je ne puis on dire plus quo lui car,par suite d'infonijalions prises prosdos cullivafeurs de ce pays, je dois penser qu'il n'exisle aueun resle, aucun indice connu, pas meme le plus petit lieudit qui puisse nous raj)peler le souvenir dece chemin sur le lerroir de ce village, ol,uialgre les traces d'une chaussee raise a nu par I'ouverture du canal vers la Neuvillette, on no doit pas s'astreindre a diriger les recherclies nllerieures vers le Bac, car riiisioire nous apprend qu'avant le dixieme siodc on passait pa Roucy pour se rendre de Laon a Keiras, puisque le comteReinoldou Rainaud yfit conslruire un chaleau pour proteger le passage de I'Aisne ; c'est nierae ce chemin que suivaient les rois, a leur retour du sacre, lorsquMls venaient a Corbeny faire leur neufvaine aux pieds de saint Marcoul, ct la cliasse de ce saint, qui, au sacre de Louis XVI, fultransportee a Reims, suivit ce trajet. A ces donnees historiques, j'ajouterai que des renseigneraenls ui'ont appris qu'il existe une voie ro- maine entre Cormicy, Cauroy et Saint-Thierry; mais n'ayant pu jusqu'alors rassembler assez de materiaux pour elablir la direction certaine de cette chaussee au sud de Corbeny, je passe au tableau des principaux faits historiques dont elle a ete le theatre. Oblig^ de me restreindre, je ne m'arreterai pas a la description du camp de Conde, dit Vieux-Reims, ni de celui de Saint-Thomas, aussi appelc Vicux- Laon, qnoi- que ces camps, par lour proximile de la voie, semblent en etrc une dependance fort inq)ortante. Je dois ce- pendant dire de ce dernier combien il est encore interessant par son (^tatde conservation etpar sa divi- sion en deux parties inegales, division (jui a excrce lasagacite des savants, ot (p\'on ne rotrouve que dans — 286 — un camp d^crit dans le cours d'antiquil^s raonu- men tales deM. de Cauniont. J'arrive done a I'epoque de la conquete des Gaules par les Francs, etje dois dire tout d'abord,qu'il n'enlre pas dans le butde cette dissertation de debrouillerles obscuriles liistoriques des premiers temps de notre mouarchie. Ce ne sont quelquefois que des conjectures que je hasarde, basees sur des passages d'auteurs sou- Tent fort peu d' accord entre eux; et peut-on vraiment donner autre chose avec des documents aussi incer- tains? Pharamond, qu'il possedat en propre un territoire plus ou moius etendu,ou qu'il fdt vassal et sujet de I'Em- pirecommeonatoutlieu dele penser,puisqueJornan- des , dans son Hisloire des Goths , dit que les Francs auxiliaires d'iEtius, auxiliares Franci,\ors deladefaite d'Attila, avaient eld auparavantsoldats ou suje's de I'Empire. Pharamond, disons-nous,sui\il a la tetede ses troupes la chaussee qui nous occupe ; c'est meme dans cette excursion que la mort vint metlre un terme a sa carriere, puisqu'au rapport d'historiens el selon la coutume de son temps , son cadavrc fut recouvert d'un tumulus dont on devrait trouver les debris dans les environs de Laon : SepuHus est Pliaramundus bar- harico ritu Reim?, extra urbem Laudunuin versus in monticulo. D'autres auteurs placent sou tombeau sur la montagne de Frankemberg. Enlre ces deux opinions differentes, laissons au temps le soin de decider ; il a deja dans le passe cclairci etconfirmc quclques fails historiques ; il faul esperer que dans Tavenir il nesera pas moins fertile, et qu'il nous offrira une ample re- colte de decouverles imporlantes. Jean Lacourt, dont un des manuscrils vient d'etre — 287 - publie par les soins de M. Paris, a suppose, se basant sur la grancle clironique beige, que reinplacement de ce torabeau etait occiipe par la buUe de Prouilly. Plu- sieiirs archeologues ont partage son opinion, qui doit cependanl etre pen fondee, luiisque recrivain parle de Laon conirae d'un point assez rapproclie du lieu de cette sepulture, tandis que Prouilly en est a une grande distance. Je crois que ce touibeau doit se trouver moins eloigne de cette ville. Fixer sa position n'est pas en- core possible; cependanl, quoiqueje n'aie pas rinlen- lion de me laisser entrainer par ce besoin si naturel a riioninie dedire et de faire du nouveau,je ne puis pas- ser sous silence rexistence de deux buttes de terre factices aux environs de Corbeny, placees a droite et a gauche de la route de Reims. Ces deux buttes, dont les fouilles pourront plus tard ollrir des resultats inaltendus, avaient au moyen-age doiine leurs noms au fief des Ilauls-Tcrmcs, cominc une butte semblable avait donne le sicn au fief do la Tonibelle, pres Marie. Je ne m'etendrai pasicisur la veritable signiiication du noni de ce premier fief, ni sur la comparaison a etablir avec deux mottes semblables que Tabbe Le- banif dit exister dans les envii'ons de Loclies, et que des hisloriens du moyen-age prelendent avoir ete elevees pour marquer les limites de deux royaumes, je dirai seuiemcut que rexislcncc d'un lieudit la flautc-Bonde ou la llaule-Bornc, l\ Ires-peu de distance de ces bullcs, vient nous confirmer dans la pensee que la cxistait autrefois une pierre ftchc'e, un menhir, comme il s'en trouvait pres des tumuli gaulois, el dont elles etaient, dit M. Champollion-Figcac, une depcndance si ordi- naire, qu'il ajoute que qiiand ces picrrcs sont isoleos, il est possible que le iuiuuUis ait disparu. Ici nous - 288 — avons line tradition qui nous proiive qii'nno pierre fiche'e a exisle non loin tie deux biittes encore exislan- tantes, d'oii nous devons snpposer que ces terlres sont dcs tonibeaux gaulois ou francs , le mode de se- pulture etant le uieme pour ces deux peuples. Apres Pliaramond et avant Clovis, cette chaussee servit a transporter les hordes de Vandales, de Sueves et d'yVIains, dont les eftorts multiplies vinrent echouer devant Laon, et celles du trop fanieux Altila, le fleau, lemauditdeDieu, qui s'cn allait, outre de la resis- tance de cette meme ville, cherclier une d^faite aux champs Catalauniens. Conibien de fois ne la verrons- nous pas favorisant la marche rapide d'ennemis vain- queurs , et les portant eux et leur butin jusqu'au centre de la France. Si Clovis, avant la bataille de Soissons, commaiidait comme patriee , suivant I'opi- nion de Dubos , auteur de VHistoire critique de la mo- narchic fmnQaise,o\i sous tout autre titre, dans lepays Remois, dont Laon faisait alors parlie, il dut traverser Corbeny , comme semblerait le faire croire un passage d'Hincmar , car il vint vers Reims , secus urbein Re- morum transitum faciente,dil Fiodoard {Hist. Eccl. liem., lib. I., cap. 13), n'entra pas dans la ville, fit suivre a ses troupes la chaussee qui longe les murs : Transitum aulem rex faciens secus ctvilatein Ilemi per viam, qua? usque hodie propter barbaroram per earn iter barbarica numcupalur, noluit in eaindem civilalem tn- troire (Hincmar, Vita sancti Remig'ii, apud Du Cliesne, p. 5'2S), puismarcha vers Coiicy-le-Chateau, a deux lieues duquel dut se donmr la bataille dite de Soissons , pour y rejoindre Ragnacaire et Cararic, ses compalrioles. La direction qu'il suivit a done du le faire passer par Corbeny et Laon : il ne — 289 — pouvait de Reims prendre au-dessou s del'Aisne , car il lui fallait avanltoutne pasmettre cette riviere entre ses allies et lui. Parlerais-je maiiilenanl dcs demeles de Frede- gonde el, de Bruiiohauf , des reparations iniportantes que cette derniere fit faire a cette chaussee, du sejour de Charlemagne a Corbeny , villa de ses peres oil ii tenait un parlement en 771 , lorsque les seigneurs Auslrasiens vinrent lui ofTrir une couronne que leur choix rendait legitime ?Ce serait donner a ce menioire plus d'etendue que je ne. me le propose, et il me rcste encore beaucoup a dire. Apres cet empereur , par suite des discordes civiles , on vit plus d'une fois ses successeurs victorieux on vaincns parcourir cette chaussee, qui fut a cette epoque desastreuse le thea- tre de meurtres el de combats. Je n'enlrerai dans quelques details que pour un seul de ces faits qui nous retrace les moeurs et les coutumcs barbares de ces temps d'anarchie. Un jour que Foulcon ou Foulques , archeveque de Reims, ve- nait avec une petite cscorte trouvcr Charles le Simple a Corbeny , des Flamands , vassaux du comte Baudoin , avec lequel il avait eu des demtMes , I'atta- querent a Timprovisle, Ic tuerent et mirent ses gens en fuite. Un concile tenu a Reims la menie annee lanca contrc ses meurlriers une excommunication oii, apres avoir epuise toutes les formulcs d'anal hemes jusqu\a- lors employees, il est dit qu'ils seraient jetes coinme charogue et bete morte a la voirie; « Sepuliura asini sepeliwHtir. » Cette sepulture etait celle des cxcommu- nies, et leurs cadavres qui , d'apres la croyance vul- gaire , avaient ainsi que ceux des saints Ic privilege de — 290 — ne jamais pourrir et celni de resisler iiieme aiix flam- mes, ne tardaient pas, ainsi abandonnes, a etre cou- verfs d'un monceau de pierres qui en derobaienl aux passants Todeur ef. la vuc. Cede pratique, lai)idation tardive , etait imitee des Juifs , comme Josne nous en fournil un exeraple a I'egard d'Achan, et Joaba re- gard d'Absalon. Chez les Grecs et les Remains, cettc coutume etait aussi observee, car celuiqui rencontrait un cadavre elait oblige dejeter sur lui, par trois fois, de la poussiere , sous peine d'immoler une viclimc a Ceres. Ce fut quelques annees apres ce meurlre que Cor- beny cessa d'etre viUe royale par suite de la donation qu'en fit Charles le Simple aux moines de Saint-Mar- coul, qui furent places bientot apres sous I'obedience de Tabbaye de Saint-llemy. Ce changement de maitre n'exempta pas ce bourg des ravages que causerent en tout lieu les luttes sanglantes de la race conquise avec la race conqueraute ; c'est ainsi qu'Herbert de Ver- mandois s'en empara et s'y maintint jusqu'a ce que Louis d'Outremer vint en personne le reprendre et se Tapproprier. Malgre le silence des hisloriens, ce cha- teau, Corbanacum castniw, devint sans nul doute par la suite la proie dts divers partis, qui surenttour-ii-tour s'attacher la vicloire et soufl'rit toutes les horreurs des guerres civiles, jusqu'a ce qu'enfln la morl d'llerbert vint lui donner quelque relache. Ce rival des rois, ce comte remuant et perfide que les hisloriens de cetle epoque qualifient de Ires- mediant, iniquomm cl iiifide- Hum nequissimiis, fut enfin puni de toutes ses revoltes, condamne a la potency dans une cour pleniere tenue a Laon : il subit son supplice sur le Mont-Fendu, qui de- puis fut nomme Mont-llerbert; mais cettc denomina- — 291 — fion iiVHant qu'un souvenir, dutred<'r pen a pen sa jdace a celle que lappelait uuiterielleuieiit la lorinc de reiiiinence. Cette Irancliee ouverle pour livi'er passage a la chaussee qui nous occupe, malgre rctunnenientde quelqucs ecrivains, est facile aex|)!iquer. li est vrai que les Remains n'ont dans le departement conible auoun vallon, tranche aucune autre niontagne ; niais ce qu'ils n'ont pas fait dans ledepa; tement deTAisne, ils I'onl fait dans d'autres, ainsi que nous Tassurent bien des recherclies arclieologiques, et pour le Mont- Fendu, ils y elaient excites par le p«iu d'epaisseur de la masse a traverser; et d'ail!eurs, en pratiquant cette tranchee, ils se procuraient immediatenient les gres necessaires pour solidiUer les terres mouvantes des luarais de Barrenton. Maintenant, que j'ai parcouru deux dynasties, que j'ai suivi les seigneurs se partageant pen a peu les debris de la puissance des rois, ne vonlant pas, Mes- sieurs , abuser plus longtemps de votre bienveillanle attention, si peu atliree d'ailleurs par I'aridite deseni- blabk's matieres, je m^irrete, laissant pour d'autres temps a decrire les traces encore exislantes des abus . de la feodalite et des luttes si lentement victorieuses des peuples contre elle, et esperan! plus tard ajouter de nouveaux renseignements a ceux que j'ai deja re- cueillis, et completer le raieux possible ce tableau his- torique. I.ECTCRE DE M. DE MAIZIEKE. Ejplicalion dc riuceudio par ArcliiiucJe de la fiolte lomaiiic sous les iiiurs do Syracuse. Comnie Arcliimedo suvuil consiruirc la jiarabole , vX — 292 — par consequiTit une surface parabolique de rdvolulion, en uD metal poli, comiue le cuivre, et qu'il connaissait la propriele du foyer de la parabole, de reunirtous les rayons solaires d'un miroir parabolique, dont I'axe passe par le soleil, plusieurs geometres, en lisaut le re- cit dePlularque, n'ontpas besileaexpliquer le succes d'Archimede par un miroir parabolique, ayant plu- sieurs metres de distance entre le foyer ct le sommet. D'autres geomelres physiciens n'ayant pu faire exe- culcr de niiroirs paraboliques, qui eussent au-dela de un metre de distance focale, declarerent apocryphe le recit raerveilleus- Buffon a tire quelque gloire, comme geometre et comme mecanicien dans sa jeunesse, en construisant un miroir parabolique, dont la distance focale, de 16 me- tres au moins,pou vait encore varier de plusieurs metres. II avait fait conslruire des arcs paraboliques en fer egaux, et de la distance focale de 16 metres, pour etre maintenus comme lignes generatrices ou meridiennes equidistantes sur une calotte parabolique, capable de contenir 2 a 300 miroirs plans d'un decimetre carre. Afin de pouvoir faire varier le foyer, sans deplacer son miroir, qui etait d'un grand poids,il avait donne a chaque miroir un mouvement parallele a lui-meme, le long de la normale au meridicn parabolique; puis un mouvement de rotation aulour de I'axe horizontal lati- tudinal du miroir. Cos mouvemonts elaient arretespar des courruies de cuir et des boucles. En efTt't Buflon, dirigeant son axe au soleil levant, fondit le plonib el enfliimma le bois a des distances de 16 a 30 metres. C'est ainsi qu'il passa pour avoir jus- tilid Plularque^ et demontre I'oeuvre d'Archimede. Vous allez voir combien il s'etait abuse. — 293 — Dans la machine de Bullon, sans ) nenr de Carthagene envoya un capitaine avec beau- )) coup d'autres gens de qualit«=, pour me faire des » compliments. Aflndeconnoistre sa disposition a me — 300 — » rendre les prisonniers francois, et surtout le nomm^ » Cliarapagne, qui estoit aux fers depuis onze aiis, je » priai cet envoye de dire an gouverneur que j'avois >) a lui demander des prisonniers. II m'asseura qu'il » u'y avoit que le noiume Champagne, qui estoit pri- » sonnier du roiet de Tinquisilion, et corame jc pris » un ton plus haul, sur sa reponse, il fit tant de recla- » malions sur lenoai de Champagne, et parut si eston- » ne que je jugeay bien qu'il falloil leur donner de )) la erainte pour luy procurer sa liberte ; telleraent )) qu'apres avoir laisse celte maliere, je luy dis que » j'avois dessein de faire partir le lendemain deux vais- » seaus, sur I'avis qu'il y avoit des forbans le longde )) la coste. En effet, le Marin et la Tempeste niirent a la » voile le 22 d'assez bon matin, les ayant detaehes a » dessein de reconnoistre le mouillage a vingt ou » Irente lieues le long de la coste, du coste de Porto- » Belo, d'amener tous les bastiments qu'ils pourroient » rencontrer, pour servir de represailles, en cas que » le gouverneur s'opiniastrat a ne pas rendre le capi- » taine Champagne... » Le 23, on rendit le capitaine Champagne, en suite » du memoire que j'avois envoye par M. le chevalier )) d'Hervaulx, sur lequel le gouverneur, avec les prin- » cipaux officiers, ayant tenu un grand conseil, I'in- » terprete entendit qu'ils disoient entre eux : « 11 faut )) tout accorder a cet homme, quand il nous deman- » deroit davantage. » lis ont compte pour beaucoup » d'avoir surmonte, a cause de la presence des vais- » seaux de Sa Majeste, le dessein qu'ils avoient de ne » jamais rendre ce chef de flibustiers. Je ne scaurois » I'attribuer a une autre cause qu'a I'opinion qu'ils H out eue de sa valeur, et a celle que sa patience, — 301 — » dans line si longue prison, leur a fait, concevoir de sa » fermete. II est de bonne fainilledeVitry-le-Francois; )) il a fait des actions determinees, et tesnioigne avoir » de la prudence. 11 connoist bien les Espagnols etles » dedans de Carthagene ; et conime il pent servir » dans les desseins que Ton pent avoir, je I'ai engage » a passer avec nous en France, pour le garder pour » ces occasions. » Ce ne fut pas en vain que le comte d'Estrees avail compte sur celui a qui il avait fait rendre la liberie. Avant recu de Louis XIV I'ordre d'atlaquer I'escadre espagnole , il lira de Clianipagiie d'uiiles renseigne- nients , qii'il transmit aM. de Seignelay dans un md- moire date du 20 Octobre 1680. « Quant a Tescadre espagnole, ecrivait-il a ce mi- » nislre, voicy ce que j^en ay appris du capitaine » Champagne, a qui le gouverneur et les soldats du » chasteau oii il estoit garde I'avoient dit. Premiere- » ment , qu'elle estoit composee de cinq vaisseaux » amies en Espagne , et commandee d'abord par )) Quintana ; qu'apres avoir lenu pendant vingt mois » la mer, le long des cosies de Terre-Ferme, depuis » Carthagene jusques a Comane, oii elle avoil de- » meure longtemps ct fail des prises sur les Anglois » et les Francois, elle s'esloit retiree au mois de Mars )) dernier a la Havane. » Champagne etaii resle assez longtemps prisonnier des Espagnols pour connailre leur langue. xVussi le comle d'Eslrees avail- il recours a lui pour eel objel, aussi bien que lorsqu'il avait besoin de gens braves ct determines, comrae on le voil dans la relation faile par I'amiral d'une affaire qui eut lieu a la bale de la Trinite. J'en extraisles premieres lignes, oii figure en- — 302 — core le nom de Clianipagne : " Le 1" Decembre 1680, >' les vaisseaux du roy estant mouilles a deux lieues )) d'un porl oil il y a une redoute fermee et deux » pieces de canon de six a huit livres de balle, on en- » voya dans ma chaloupe, qui avoit un tendelet et )) toufes les marques qu'on porte quand il y a des » capitaines, les sicurs Chevalier d'Hervaulx, major , » de Villelle Mursay, capilaine des Jeux^qn'i avoit )) demande permission de visiter ce lieu -la, de Mira- » monl_, ensei^ne de Y Excellent, pour la commander, » et le capitaine Champagne, qui parle bien I'espa- » gnol. lis furent receus avec toute la barbaric et I'in- » fidelite possible, com me il est contenu au proces- )) verbal qu'ils me donnerent au retour. » Pour plus de details surcette aflaire, oil notre flibuslier dut payer de sa personne comme ceux qui I'accompagnaient, il faut lire le recit qu'en fait le marquis de Villette dans ses memoires. (p. 57.) II est inutile d'insister pour montrerque Champagne avaitde la bravoure ; c'efait la premiere condition et la plus necessaire du genre de vie qu'il menait avant de tomber enlre les mains des Espagnols.ll fut raraene en France par I'amiral d'Eshees reconnaissant. II y avail dans celui-ci plusijue dela reconnaissance; c'etait un veritable inleret qu'il avait pris a cet homme, qui, du reste, s'en ctait rendu digne par son devouement. Voici ce que I'amiral ecrivit a M. de Seignelay le 2 Mars 1682 : « Je m'imagine , Monsieur, que ma pre- » sence n'estant plus necessaire dans les ports apres » le desarmement, vous aurex agreablc de me procu- » rer mon conge. Je menerai avec moi le capitaine » Champagne , qni connoist si bien les Espagnols et » le dedans du pays que M. (>olbert el vous ne serez — 303 — » pas fasches sans doule de lui faire des (jueslions a )) quelques heures perdues. Je lui ai foiirni depuis sa » sortie de prison cequi luy a esle necessaire ; raais » afin de le faire paroislre devaiit vous en meilleur » equipage, je prends la liberie de vous demander )) pour luy une ordonnance de cinq ou six cents livres. » 11 a du bon sens, et M. le chevalier d'llervaulx vous » pent asseurer que, dans la petite aftaire de la Trinite, » il fit veoir du courage et de I'audace. » Ainsi notre conq)atriote renlra dans la societe, en dehors de laquelle il avait vecu pendant d'asse/. lon- gnes annees, tantlorsqu'iletait flibustier que lorsqu'il porlait les fers des Espaguols. Ouels services put-il rendre dans la suite ? Oil et comment passa-t-il le reste de ses jours ? Oil et a quelle epoque les termina- t-il ? C'est ce quej'ignore. Jesuis fonde acroirequ'i! ne mourut pas au lieu de sa naissance , car les regis- tresmortuaires de Vitry ne portent point son noin. Quoi qu'il en soit, je m'estime heureux du hasard qui m'a fourni, ii moi enfant de Vitry, le moyen de re- commander au souvenir de notre province en particu- lier, un autre enfant de Vitry, el d'avoirpu tirer, jwur ainsi dire, une seconde fois de I'oubli le brave flibus- tier qu'un de nos liabiles uiarins jugca convenable de rehabiliter et de signaler a rattcntion de Seignelay et de Colbert, ainsi qu'aiix bonlesde Louis XIV. Veuillez. agreer, Monsieur le president, etc., Etienne Gallois, l)ililiollKcairo do In Chanihre des Pairs, nicniliic cDrrespondanl (le I'Acadaiiir dr Hrinis. — 304 — LECTURE DE M. JULES PERUEAU. Tragcdie de SHAKSPEARE, Tradiiite en vers fraiifuis par M. Jules Perreau. Actc 11. SCENI' P" Une chambrc dans la maison de Polonius. I'OLONIL'S liT REYNALDO. POLONIUS. Doiine7-lui, Reynaldo, ces bons et cet argent. RKVNAI.DO. Oui, seigneur. POl.ONIUS. Cost au niieux ; inuis il serail urgent, Bon Reynaldo, qu'axaiit do lui faiic visite, Vous vous informassiez d'abordde sa couduile. HIiVNALUO. Seigneur, j'y penserai. PO I.ONUIS. Cost bicn dit, sur ma foi! Tres-bien diU — Voycz-vous, Monsieur? deterrez-moi Les Danois (jue Paris rcnfermera pour I'beure; Sachez do tons Ics uoms, les nioyens, la deuieure; Quels sont kurs frais, leur train, leurs amis reconnus. D'habiles questions par vous circonvenus, lis ne caclicronl pas qu'ils counaissent Laerte. Mors il faut plus loin pousser la dccouverte. — Sans paraitrc jamais arraelier un secret, Vous avez, voyez-vous, certain piegc tout pret ; Vous vous faites passer pour une connaissance Eloignee et banale, et puis avec aisance Vous dites : « Jc connais son pere, ses amis, Lui-meme quelque pen. » — Le tout est bien adniis , Reynaldo? niANALIJO. Tres-bien : oui, mon seigneur. POLONIUS. . Et lui-nieme — 305 — Qut'liiue pen, » dites-vous. — I'uis vicnt K' strat.igeiiie : . Tri's iiiii)arfa!temont. Si pourtaiU c'est ce beau Que j'ai connu, ma foi, c'est uii franc I'loiinicaii! II a tel ct tcl gout. » — Bion! — Ici, surson coiiipte A voire guise alors vous Icur forgez un coiile. — Tuilipu ! pas assez fori pour le ticshonoror. Proncz garde, Monsicuil Mais vous pouvez iiarrer Dp ces lours de malice et de liberliiiage, Compagnons bien i onmis, oi'dinaire apanage U'uiie foiie jeunesse, ivre de lil)erte. BEYNALno. Comme le jeu, Seigneur? rOLONlUS. v.:.l Quclque legercte, Comme lioire, jouer, se ijuerellcr, se ballre, Ou bien aller parfois dans certains lieux s'ei)atlre. Vous irezjustpic la. nUYNALDO. Mais pourlant, mon seigneur, Ne-serait ce pas la diffamcrton honncur? pni.oNUJs. Non vraiment , si du moins, poussant trop la licence, Vous n'allez inventer tpieitjue autre medi^ance, En faire un libertin de dibauche ])erdu, Ce serait a mon plan a\oir mal repondu. Mettez dans vos recils une cerlainc adresse, Qu'ils voienl la les ecarts il'unc ardeiite jeunesse, Lcs eclairs passagers de ce feu trop puissant Qui devore ic ceeur, fait bouilJonuer le sang, Et contre la raison revolter la nature. nUVNALDO Mais, mon seigneur roi-ONiiis. Jc vols ; \otre esprit se torture A deviner. REVNAI.DU. Vraiment, j'ignore a quel sujet POLONIUS. Eh bien ! done, Reynaldo, voici notre projet. — Selon moi, voyez-vous, c'est d'adresse un cbef-d'ceuvre. - De mon tils supposez (pie pai' cette manaaivre L'bonneur soil un instant faiblement obscurci , — ■ Comme I'ouvragc aux mains de I'ouviier noirci : Adroitement sonde par vous, si e e jeime liomme Maintes fois aux exces que plus liaut je vous nomme L'a vu s'abandonncr, tenez vous pour cerl.iin Qu'il est de votre avis, (pi'il vous leiulrala main, Et vous dira : « Monsieur », ou bien : " Sa seigneuric - Ou " .Mon ami. " ( I'artout la fornudc ^ arie Selon riiomme, le peuple oul'usageadopte.) — 306 — REVN\1D ). C'est fort bien, iiion seigneur. poi.o: I us. Avec naivete II vous contesse nlors... Alors, (lis-je, il confcsse... Que vou!nis-je done dire?.. Oui, inorbleu! par la niessel Jedisais quelque chose... Oil done en etions nous.' r,EVN Ai.no. Ilestde voire avis et repond, disioz-vous roi.oMus. II est de voire avis, et vous repond, disais-je : — - Je connais le jeuiio hommc et son joyeux manege. Je le vis hier, ou bien a tel ou tel moment, Ou I'aulre jour, avec tel ou tel garnemcnt, En tel lieu, je I'ai vu de qucrelle se prendre. En tete a tete ailleurs il s'est laisse surprendre; II eut en cet endroit une dispute au jeu ; Ou bien : on I'a trouve dans quelque roauvais lieu, Enunbouge... >■ et le reste. — A present, j'imagine, Vous voyez dii biais la ruse adroite et fine Pour faire a I'hamecon mordre la verite. Nous autrrs gens d'esprit, sur un conte invente, Souvent allons au but par d'indireclcs routes. De mes instructions, car vous les avez toutes, Pour son amcndement failes votre profit. Vous en comprenez bien tout le senset I'esprit .' niJYNALDO. Oui, raon seigneur , tre.s-bien. roi.oNius. AUez , que Dieu vous garde ! Adieu ! IIKYNALDO. POLONICS. Men bon seigneur, adieu ! Mais prenez garde D'observer i)ar vous seul. Laissez lui dans son jeu Lil)ertebien entiere. REYNAI.UO. Oui, mon seigneur. POLOKIUS. Adieu! (Rcijnaldo sort.) (Ophdlieentre.) POI.ONIUS. Qu'est-ce, Oplieiic I He quoi ? quelle triste nouvelle ? opniii.iE. 0 seigneur ! d'epouvante encore je chancelle ! POI.ONIUS. Au nom du ciel I parlez ! d'oii vient cette frayeur ? — 307 — OPIII.LIE. Kii mon appanemenl je cousais , mon soigneiir, Lorsquo le priiire llamk-t, la U-le cU oouvcrto, Le.i habits en ilesordre cl la chemise ouverte, Lcs has pendants, roules , au\ laloiis descendus, Pale commeson linge, a mes yeux eperdus S"est otVerU Ses gcnoux trerahlants hcurtaient eiisembie;- Sou a'il elait si sombre et si hngard, qu'il scndile Des enters echappc pour venir en ces lieux Reveler des forfaits, des raysteres affreux 11 s'approche POLOMUS. L'amour a cause sa folie ! OPHIiLIi:. Je ne sais, mais helas ! je le crains. roi.o.MUs. Ophelie ! Que vous dit-il alors ? opiii.i.ii-. 11 mcsaisil la main, Laserra fortement, puis recula soudain De la longueur du bras. Et, dans cctte |)Osture, 11 seniblait (pi'il vouliil dcssiner ma (igure, Tant son regard litait altentif et profond ! — lltenait I'autre main appuyee h son front. — Bien, longleraiis a dure sa sombre reverie. Enfin me secouant la main dejasaisie , 11 exhale un soupir lugubre et douloureux. On cut dil (pi'en son sein quelque combat alTrcux Se livrait, menaeant d'aneantir son elre ; Puis, attachant sur moi son regard qui penetre, 11 partit tout-a-coup, abandonnant ma main..., Sans s"aider de ses yeux, il trouvait sonehemiu, Sa tete constamment sur I'qiaule inelinee, Et poussant jus(iu"au bout sa poursuite obsliiiee. POI.O NIL'S. Viens chez le roi , ma fdlc ! 11 nous faut en sa cour Le chercher, — ■ car c'est bien un delire d'amour ! — Funesle emportement, passion violentc, Qui, contre ses exces trop souvent impuissanle , A des actes aifreux pousse la volonte, Plus qu'aucuu des lleaux de notie humanite, Qu'aucune passion dont gemisse la terre ! Ola m'afllige , enfant ! — Quehjue mot trop severe Deta bouchesorti, nel'a-t-il point frappe.' opui'lif.. Oh ! non, mon bon seigneur : nul ne m'est echappe. Maisj'ai dii refuser ses lellres, et lui meme I.e bannir. — G'est vous qui poi.oNirs. (letterigueur extreme A cause sa folic.— Oh 1 (pielle est ma douleur ! — 308 — D'avoir sans plus de soin sonde, jiige ce coeur, De n'avoir \\i qu'un jcii, qn'une plaisanterie Dont tu pouvais sortir la victime, Opiielie ! -^ Aces soupcons maudils pourquoi m'etre livre? Dans ses previsions ainsi done, trop outre , Notre age agit parfois comme cctte jeunesse. Qui de itrejuger toul sans examen s'enipresse. Viens ehez le roi , ma (iile ! II nous i'aut sansdetour L'informer de ceci car sur ce triste amour II serait, je le crains , dangereux de se taire, Bien plus que d'avouer toul sans aucun uiystere. NOMENCLATURE DES DESSINS Exposes aV Academic par M. F.A. PER.\OT, artiste pemlre,membre correspondani de I'Acadc'mie de Reims, de celle de Macon ct de la Socictc libre des beaux-arts de Paris , el de la commission archeolofjiquc de la Manie, etc. Vues (leplusiours monuments bisloricjues du deparlementde la Haule-Manie , '" arrondissemenl dc Wassy, ancienne province de Champagne. I. Trois vues de I'eglise do Wassy (monument du commencement du XI' siecle), fondce par saint Berchaire, premier abbe de Mon- tier-en-Der , dans le viie siecle. II elait disciple de saint Nivard, ar- cbeveque dc Reims. Dix dessins des chapitcaux de la meme eglise. II. Vue du Menhir ou Haule-Bornc , monument druidique sur lequel est tracee une inscription romaine ainsi concue : VIROMARVS ISTATILIF. Ce monument, place prcs de Fontaines , village des bords de la Marne, renvcrse depuis 70 ans environ i)ar une tempete , doit etrc releve aux frais du conseil general de Chaumont , qui a vote les fonds necessaires. III. Deux vues de I'eglise de Joinville, patrie du sire de Joinville, his- torien de saint Louis; — vue du portail ; — vuede I'abside. IV. Vuede Teglisc de Mecourt, monument de Iransiiion tres-irapor- tant, surtoul pour un petit village. II est celebrc par le p(?lerinage qu'y fit Ic sire de .loinville en partant pour la croisade. V. Anciennes portes de cole de leglise do Mecourt. — Plusicurs cha- pitcaux dc I'interieur. - Idem, detail des fenetres et ornements d'archilecture divers, etc. — 309 — VI. Eglise de Cetfonds, celebre par ses vingt-deux (onetrps orriees de niagiiiliques vitraux, etc. Ce monument est pres dc Montier-en-Der. VII. Clocher roman de reglise Notre-Darae de Sommevoix. VIII. Porte dc I'cglise de Doujeux, pies de Joinville , ornee de pein- tures du xif siecle. IX. Vue de I'eglise de I'ancicnnc abbaye de Montier-cn-Der, fondee en 670 par saint Berchaire, disciple de saint Nivard , archeveqiie de Reims et premier ai)be de Hautviliers, etc. Tousles Guises de la maison de Lorraine qui out ete archeveques de Reims , out cte abbes de Montier-en-Der. X. Vue interieure de I'eglise de I'abbayede Montier-en-Der.— Fene- tres gemineos de la meme eglise. — Iluit cbapiteaux importants , idem. — Fenetredu cloitre bati par le cardinal de Lorraine. NOTE dts ivaipcaux, \iauTOCTis c\, eVcuAaxils Wis\otVc\\v(;s ie. \a mowaTcVie, ^vanca'vse, Ae'fxvvs C.\oms jwsc^u an Yetpt it Lou'vs-PVvVvYipt. L*s dessins en ont etc commandcs , en 1844, par le roi, pour la galerie liisloriquc de Versailles , a F.-A Pernot, artiste peintre , memlire des academies de Reims el de Macon. DESSINS. Chape de Saint-Martin , drapeau de la premiere race des roisde France, de 481 alI24.de Glovis a Louis le Jeune, l L'oritlammc , bauniere de I'abbaye de Saint-Denis, de 1124a 1 450, dc Louis le Jeune a Louis XI, 1 Rang desdrapcaux, bannieres, etendard, gonfanon, etc., 6 a 8 Banniere et pennons, etc., de 1202, d'apres des manu- scrits de la bibliotheque royale, 4 a G La banniere, le i)ennon de France, de 1272 a 1492, 4 a 6 Le Bcauceant, banniere des Templiers, de 1137 a 1312, de Louis le Jeune a Philippe le Bel, 1 La banniere des chevaliers deMalte, de 1 1 18 a 1792 ou 93, de Louis le Jeune a Louis XVI, 2 Bannieres ouelendards portcs dans les tournois, d'apres Wulson, 6 Bavcrolles de trompettes, de 142?. a ... 2 Etendard de Jeanne d'.\rc, d'apres la descri()tinn iiislo- rique, 1 — 'MO — DivprsetPtulnrtls, banniercs, pennons liistoriques.'de 1300 et 1400 a lj50, 0 a 10 I/criflamme de la raaison d'Harcourt, en 1372, 1 Etnulards pris sur les Bourguignons par Jeanne Hachette, a Beauvais, — des champs de bataille de Nancy et Granson, 4 La cornelte blanche, de 1492 a 1685, de Charles VIII a Louis XIV, 1 L'etendard de la Ligue, de 1574 ii 1589, de Henri III a Henri IV, 1 Cornetles des marches et provinces de France, assistant aux sacres et aux obse(|ues des rois, de 1500 a IGIO, 30 Drapeaux, ctcndards, etc., portcs aux funerailles du roi Henri le Grand, 1010, 10 Pavilions de vaisseaux sous Louis XIII, de 1610 a 1G42, 3 Oriflammes de mestre de camp et plusieurs etendards de cavalerie, de 1771, 6 Etendards des 4 compagnies des gardes-du-corps du roi de Louis XIV a Louis XVI, 4 Tabliers des Irompeltos , depuis Charles IX a Louis XIV, 1560 a 1716, 2 Idem sous Louis XVI, — la republique, Drapeaux et etendards de regiments attaches a la maison du roi, de 1643 a 1770, de Louis XIV a Louis XVI, 15 a 20 Drapeaux de I'infanterie francaisc etetrangere, de 1721 (Louis XV) a 1792, 123 a 140 Etendards de la cavalerie, meme epoque, 30 ii 40 Drapeau et etendard ou guidon de la garde bourgeoise do Paris sou< Louis XIII, lf.32, 2 Idem de la garde nationale de Paris en 1789 , 60 Drapeau de Tarmce rcvolutionnaire de 1793, 1 Idem de la convention nationale, — dn corps legislatif, — du directoire, — duconsulat, 8 a 10 Idem de la garde imperiale, — de la restauralion , —des cent jours, — de la 2' restauration, — de juillct 1830, 1 1 REIMS. — I.. JACQtET, IMPniMEl'R DE L ACADKMIE. SEANCES ET TRAVAUX DE L'ACADEMIE DE REIMS. stance dillereaulanl ih\ Roland furicux,(\w ics scien- cespliilosophiquesdia'erent des sciences naUirellesdans le cercle des connaissances huinaiues. De telle sorte que I'Ariosle, observateur habile, et peintreala loucheele- gantcet facile, riche, trop riche ps^ut-elre, en images et en figures, mais moins fertile en conceptions ideaies, moins pur, moins delicat, moins eleve dans los sf^nti- ments, se monlre Ic poetedu monde sensible ; tandis qne le D.mle, a I'lmaginalion rapide, an style coiicis, (1) Publie a Bruxelles pour )a premiere fois en 1844. — 314 - ainiaiil a serrer el a condenser sa pensee bien plus qu'a releiidro, sublime clafis les idees, delioal dans les senlimeiUs, aussi piofond que large, medilalif et cou- tcmplatif lout a la foi?, nous apparait comnie le po^te de la metaphysique el de la science divine. El celte difference tombe non-seulemcnt sur le beau, raais ei»- core sur le raerveilleux de teur poesie. Chez le premier, leme'rveilleux est pnrement malhematique, il emprunle lout a la dynamique, et |)rocede de I'emploi des forces miterirllestelles que sont les cors, les epees, les lances enclianlees, les monsires, les geants, les cbimeres, les guerriers athleliques et invulnerables, la fureur de Ro- land, Rodomont a Paris, les chevaliers en discorde au camp de I'Agramanl ou erranis par les chcmins. Le second, aucontraire, usant avec line egale perfection de toute espece de grandiose, se complail danscehii qui nait du sublime effort dii genie et de I'ame absoibee par Textase au sein du divin amour, ou rebelle a Dieu, et bravantavec mepris ses chatiraents el ses supplices. La predilection pour I'un ou pour I'autre de ces deux poeies decoule de la meme source , et vient des diffe- renlcs disposilions des Iccteurs, de leur manierediffe- rente do sentir ou de penser, ou de la diversile de leurs etudes. Car I'admiralion est une espece de sym- pathie ou de culle qui procede de la conformile des jugemenls et des gouts. De la vienl que Michel-Ange, homnie et eitoyen a I'allure d'espril fier et libre, a I'ame lyrique et plalonicienne, artiste presque divid el tout devoue au culte de I'idealite, fut Padmirateur exclusif du Danle, aussi bien que Vico, I'hisloriogra- phe des idees, le poete philosophe ; landis que Galilee, I'inlerprete de la nature et du ciel, et le ravisseur de l«urs secrets, faisait ses delices du Roland furieux,ei — 315 — iui eiiiprunlail cello beaule, cettc limpiJile de langoge dont sa jirosc etincelle. Le Danle s'eleve aii-dessus de I'Ariosle, non-seulemeiiten raison du temps oil il vcciit, mais encore par son sujet lui-meme, el par la subli- mile de son genie proporlionne a ce sujet. Car I'idee agrandjl tout par elle-merae, embrasse tout en \ertu de son action libre el creatrice... Aussi, tandis que le Dante, porte sur les ailes de I'ontol -giechretienne, po. netrejiisqu'au fonddis abimes, s'elance dans les cicux, ei, sans oublicr la pali ic ni la tcrre, va se perdre dans les profondeurs de I'eternel el de i'infiiii, I'Arioste, son disciple et son emulo, ne sort pas du monde exterieur, mais, emporle par rimaginalion, lien parcourl loutes les parlies, il en elargit les limiles, afironte la tene- breuse entiee desonfers, s'elance jnsqu'aux regions fa- bulenses qui voienl naitre ie feu, el men! (S sui I'liip- pogriffe, il en dirige le vol vers des planeles in- connues. Sa myliiologie. sa geographic liistnriqne ct fabulense sent eg.denicnt Ires-elendues et embrasscnt I'nnivers ioulentier, tons les temps, tuns ies !ieux,sans confusion, sans dissonance, grace a I'arl merveilleux qui sail faire noiire I'unile de leurs oppositions el de leurs contasles, comme I'harmonie nail de la variele des (^Ires, dans les cboses de la nature. Tel est lou- jours, du reste, TcQet propre de la poesie sous la plume des haulos intelligences. Toutefois, si Ic clian- tre de Florence, toujours partisan de I'ide.ilile, mcl en opposition le vice el la \erlu, le malhenrel le l)onhcur, le temps el reternile, en harraoniant la premiere ct ladcrniere parlie de sescbanlsau raoyendela secondc; le poelc de Ferrare, de son cole, s'altachant a la forme, fait nailre la variele du contrasle des moeurs, des re- ligions, des civilisations, des sites, des fables, des his- — 316 — lohvs, on envisageaiil toules ces choses sous leur asf)t'cl. cxtericiir, en Ics faisant parler a rimaginalioii fl cu les raitacliaiU a la iialure sensible. II inel eu £;iierre I'Oricnt avec I'Occident, le christiaiiisrae avoc I'i^la- iiiisnieet Icsreslesdu vieux pagaiiisuie; ks bonnes avec les uiauvaiscs fees, les sorciers et les geanls avec Ics pieux erniites ; los anges avec les monslres ct les furies vomies par I'eufer pour touimeiiter les liumains, 11 s'lmpare cle loutesles religions, de loutes les croyan- ees et d« genre parliculicr de inerveilleux qui appar- tient a chacune d'eiles. Leseleraenls de la niylhologie grecque se uielent et se confondent dans ses recits avec ceux des mylliologies arabes, georgiennes, asiatiques. Honiere se trouve chez lui cote a cole avecFerdoussi, le poete persan, et Roslavello ; les romans de la Table- Rondo et leurs paladin? s'y rencontrent avec les remi- niscences des evangiles apociyplies et les iegendesdu moyen-iige. Get eclectisme de TArioste, donl le Oante lui availfourni le modele, se relrouve encore dans la geo- graphic : car si le poete est d'une admirable exactitude qunnd, araidedel'liisloire, ilfailla I; pographiedespays qu'il rencontre, comme, |iar exenqjle, quand il decrit les boacliesde I'Eridan, les cotes de I'Armorique, Paris, leCaire, Damiclte, Alexandrie ; s'il entre au coniraire dans uu moiide ignore ou peu connu, il mele habile- men t le vrai el Ic faux , il presente cetle elrange com- plication de formes qui a lant de charmes pour I'iaiagi- nalion. Aux estremiles de TOiienl, il place la vasle Sericane qui separe la Tartaric de I'lnde, el qui est peut-elre le Thibet ou le Tuikestan Oriental (1). L'urchipelindien, dontles riches ties sont habitees par les nombreux sujels du roi Moiiotiante , est par lui (I) Hol../ti.r.,rh. X, 71, — 3i7 — pUice ^els I'Esl (I). Ly sejour delicieux d'Alciiio et |)ose de son cole accord entre les mnyens employes pour y parvenir. Ainsi, le ridi^ cule metaphysiquement considere, suppose I'absence de toute fin ; sa base objective est la substitution de la fatalile aveugle et du hasard, a la sagesse libre et agis- sanle dans la direction des faits reels et des fails pos- sibles. Par consequent, la premiere condition de toute oeuvre d'art qui veut exciter le rire chez le Iccteur, le speclateur ou I'auditeur, c'est I'absence d'uiiite rigou- reuse et intrinseque qui naisse de la nature meme des operations et des pcnsees, et qui soit, pour ainsi dire, logique et substantielle. Cependanl , merae dans los sujels comiques, les etroitcs lioiiles de notre inlelli-' - 323 — ligence, I'unile d'imprcssion necessaire pour la pro- duclion du plaisir, reclarnent impericuscmcnt une cer laine liaison ; car an decousu, un desordre trop coni- plel el semblable au calios, ne serait pas corapris . faliguerait en pure pcrte et enleverait absokiment I'in- lerot ] mais I'ordre que reclaraenl les composilious comi(]iiPs lie doit etre quo supei Qciel el qu'apparent ; ii lie doit pas t'aire disparailrc entierement la contradic- tion intiinseque, il ne doit que la deguiser et la cou- vrird'un voile au travers duquel on I'apercoive encore. Pour trouver la preuve dcs principes que j'avance , je pourrais m'adresser a la peinture, et snrtout a la musique, oncoraparautles ouvrages serieux avec ceux qui nc le sonl pas; mais le theatre antique m'olTre quelque chose de plus frappant. En eQ'et, le drame d'Aristophane, d'apres I'analyse profonde qu'ena faite Schlegel , consiste preciseinent dans I'absence absolue de coordination serieuse et tendant a un meme but. Et c'e*t en cela que reside la difference inlime entre le tragique et le comique. La forme epique la plus ce- lebre en ce genre de poesie burlesque, cVst le Don Quichotle de Cervantes^ ouvrage d'une perfection si exquise, si surprenanle, qu'aucune louange ne pent en egaler le merite. Or, plus ce poeme manque de butet de fin reelle dans son objet, plus rinlention que s'est proposce I'auleur est claire et manifoste. 11 a voulude- monlrer le vide des ordres de chevalerie, leur nullite reelle; et jiour cela, il en a dessine la caricature. Or, que Ton imagine un poeme oil I'absence de tin objec- tive soit moins apparente quo dans le Don Quichotle, et par consequent rinlention de I'ecrivain moins claire et moins delerminee; un poeme ou I'element serieux tourne conlinuellemenl au comique et s'y unisse avee — 324 — lant tie mesure et tie grace, que I'esprit^ agreableMJcnt parlage, nionte et desccnde sans cesse enlreces deux extremes sans s'arreler a aucun d'eux, on aura eoncii I'essence eslhetique et le merite parliculier da Roland furieux,.... de ce poeme qui est en meme temps la peinlure poetique et la satire du raoyen-age , et qui tient un milieu enlre le rt»raan de Cervantes et I'epo- peedu Tasse. Car celui-ci, en representant la clievale- rie dans son origine, la snontre comme sacree et pour aiusi dire hieratique j il lui assigns une fin serieuse, elevee, magnifique, et en fait [iresque une religion : landis que I'ticrivain espagnol, nous peignant la che- Yalerie profane dans sa decadence, nous fait voir la nullitede ses resultals, et nous la represenle eomme une folic el un delire complct. Les heros de I'Arioste, aucontraire, ne sont ni sages, ni sainls comme Gode- froi, ni fous cornme le chevalier de la Manche ; ils senlerit, ils parlent, ilsagissentconformement au genie heroique du siecle oil ils vticurent. — Et ce genie en tant que poetique plait el ravil; mais parce qu'il re- [lugneaux conditions reelles tie la nature et tlel'liomrae, il provoque le sourire, tout en commandant I'atl mira- tion. Cette alliance titilicaledu serieux etdu comique forme, je le repele, le merile rare et singulier de I'A- riosle. Chez lui, I'ironie comique n'esl point enliere et clairemenl exprimee comme cliez Cervantes ouBerni ; elle ne reparait pas par intervalles comme chez Ho- mere, le Dante, Shakspeare , Guarini, ou les auteurs dramatiques espagiiols, car tous les grands poelesont eu recours au ridicule pour peindre les defauts des hommcs, mais elle rcgnc dans le poeme enlier d'unc maniere latente, et \ienl plutotde la nature meme des fails racontes par le poete, fails toujours dispropor- — 325 — lioniies avec leur cause, ct pour ccl;i, provoqu;mt Ic lire par leur seul expose. Comme tons les grantls cjenies, I'Arioste devance en jiarlie son siecle, el dans d'aulres parlies il en est do- minect il en partage !es defauls. Quaiul il ecril la satire de la clievalerie el de rarislocralie leodale du moyeii- tlgc ; quand il inonlre connuenl a cctle epoque la vile plebe etait complee pour ricn , il niarchc avanl son siecle etdeyine le niouvement et les progres de la so- cicfe moderne. Quand il celebre avec une fine ironie, qu'il aniplifie liyperboliqucnient les innliles massacres, el Ic plaisir, I'honneur, la gloire que los hauls barons trouvaienl a se tailler nuituelleincnl en pieces, non par cruaute de moeiirs ou passion deloyale, ma s pour faire parade de leur bravoure; il ridiculise la guerre, et c'est quelque chose de plus encore que de la pre- senler coninie inique et i'uneste. II laisse, du reste, comprendre claireinenlson aversion pour les combats et les dissensions cruellcs qui ensanglanlerenl !e sci- zieme siecle, quand avec une eloquence enlramanleet sublime, il invite les princes de I'Europe a faire la paix, pour unir leurs armcs conlre les barbares de I'Orient, leurs enneniiscommuns. L'Arioste nemerite de reproches sericux que sur un seul point, le peu de respect qu'il garde pour les mteurs el pour la religion. La seule excuse qu'il puisse alleguer, non pour se juslifier (il no sauiait relre], mais pour attenuersa faute, c'est le goul d'un siecle deprave , I'exemple des princes de la niaison d'Est, la decadence morale de I'llalie et Tusage universel. En coraparant en effet le Roland furieux avec la Divine Comedie, on est etonne a la vuc de I'imnieiise distance morale qui separe ces deux poemes ; mais en revan- — 326 — clie, si Ton met en regard la lilleralurc contemporaine. a part les ecrits de Savonarole, on n'y rcmarque au- cune difference sensible, et Ton vfit qu'il a cede comme los autres au gout universel. On le plaint de n'avoirsn resister^ ni aux seductions de la lilterature antique dans laquelle le beau sc trouve si souveot raele au inau- vais ; ni au malheur d'uiic epoque dans laquelle I'idee chretienne etail plus que jamais obscurcie par les vices des hommes , et presque aneanlie par eux. I.ECTCRE DE M. LECOMTE. Hoyensde recoiinailre la falsiliratioii du viiiaisrc. : appreciation du procedc indiqiie par M. Rousseau d'Eperiiay. Messieurs, ' Dans une de vos dernieres seances , vous m'avez charge de vous rendre compte d'un procecle indiqud parM. Rousseau, mernbre correspondant, pour recon- naitrela falsification du vinaigre par Tacidesulfurique. Apres avoir detaille un precede indique par M. Orlila, M. Rousseau declare que Tayant trouve d'une exacti- tude un peu contestable, il lui a fait subir unc modifi- cation qu'il soumet a votre approbation. Cette modifi- cation consiste a trailer par I'eau distillee un alcoold d'extraitde vinaigre, a faire dvaporer la partie alcooli- que, et a essayer par les reaclifs ordinaires, I'eau de baryte ou le chloiiiydrate de la meme base ; tandis que M. Orfila fait evaporer Talcoole en consistance siru- peuse, et le fait agir sur le mercure qui , en presence — 327 — rle Pacide sulfiiriquo, doit tn en docomposanl une par- Ue, donner naissance a de I'acide sulfureiix, Iresrecon- naissable par son odeur el par la possibilile de le trans- former de nouveau en acide sulfuricjue. Je n'ai point a rue prononcer sur la superiorite de I'un on de I'autre de CCS moyens; tous Ics deux sent egalenicnt bons , et jccruis pouvoir dire que cclui de M. Orflla pent etre d'ltne exactitude trcs-rigoureuse. Quant a ce!ui de M. Roiissean, il se trouve decrit dans la deriiiere edition du traite de pharinacie de M. Soubeitan el dans un rapporl legal deM. Chevallier insere dans le nuinero de Janvier 18W dn journal de chimie inedicale , de |)harmacie ct de toxi(;ologie. 11 est a regretter que M. Rousseau n'ail pas eu occasion deconsuller ces ouvrages : il se serait ainsi epargne les peines qu'ils'est donnees danssesnouvellesrecherclies. Je peiise que I'Academie ne pent que remercier son savant correspondanl du zelequ'rl met a la recherclie de tout ce qui est utile et peul inleresser TAcademie. Heiuis, ivj AoiH 18'ii. JVlEssiEias, Le vinaigre est nn produit indispensable, d'un usage journalier, et qui est place parmi les substances alimentaires dont la qualite doitatlirer constamnient rattention de la science. Sa mauvaise qualite pent , oon-seulement etre nuisible a la sante el aux interels des consomraateurSj mais encore facililer cetle concur- rence deloyale qui fait des progres si effrayants. Vous avez deja vu, par la correspondancede M. Rousseau, que i'autorite d'une cite voisine a fait une enquete sur la nature de ce produit. Veuillez me [)crmettre de vous — 328 — presenter quelques observations que j'ai recueilliessur cette matiere. Depuis longieraps on m'a signale la mauvaise qua- lite de quelques vinaigres livres clans le commerce de Reims. Pour m'en assurer, je m'en suis procure a dif- ferenles sources douze ecbantillons, et les ai traites par les diCferents moyens indiques , soit, dans Ics ouvra- ges de MM. Orfila et Soubeiran , soit dans les nom- breux memoires qui ont ete publics par nos professeurs de la capitale, et par plusieurs pharmaciens des depar- tements. Je ne crois pas devoir entrer dans les details de toutes les manipulations : je pense qu'il suffira de vous annoncer les resultats que j'ai obtenus , apres vous avoir indique les principaux genres de falsification que Ton fait subir au produit dont nous nous occu- pons. La falsification du vinaigre se fait de quatre ma- nieres : 1" par addition d'eau au bon vinaigre; 2" par addition d'acides autres que Tacide du vinaigre (acide acetique) ; 3" par sa fabrication avec des li- quides autres que le vin ; A- par I'addition de matieres acres, qui lui donnentdu mordant a defaut d'acidite. Dans le premier cas, la falsification est tres-facile a constater. L'acide acetique a , comme tons les autres acides , la propriete de saturer une quantite donnee de carbonate de potasse ou de soude. Celui du bon vir naigre d'Orleans exige 8 a 10 pour 100 du premier pour etre sature. 11 est done bien certain que si ce vi- naigre nesatureque 4 ou 5 pour 100 , e'est qu'il a die melange demoilie d'eau. Voicilemoyen pratique qui m'a paru le plus simple, le |)lus prompt et le plus cerlain. Je litre un solute de carbonate de potasse ordinaire de - 329 — inaniere que 10 grariimes de liqueur salun^nt 20 de- gies de la liqueur alcalimelrique do Dcscroizilles. (Celfe liqueur est composec de niie patlie d'.icide sul- fnrique a 66" el de neuf parlies d'eaii distillee. Lede- gre eqiiivauten volume a SO c. d'eaii dislillee a 4a tem- perature de 0".) Je place d'autre part 50 grammes de vinaigre dans un vaseconvenable, et j'y ajoute par pe- lites parlies le solute aloalin place dans une eprou- vetle graduee, jiisqu'a ce que le papier bleu de tour- nesol ne soil plus roiigi larsqu'on le plonge dans la liqueur. Vers la fln de I'operation, it taut avoir soin de chaufler un pen pour chasser I'aeidi! carbonique qui pourrail encore rougir le papier aprc^'s la saturation de I'acide acetique. Dans le deuxieme , les acides qui servent a rcnforcer !ti vinaigre aflaibli par I'eau , el [lar eoiiscquenl lui donnent la proprielede salurer 8, 10 et meme plus de carbonale de potasse, sonl : I'acide sulfurique J'acide chlorhydriquc , I'acide azolique, I'acide larlrique et souvent I'acide pyro-aceficeul , tenu a la main , et lourne viv(;ment en rond , decrit un ruban de feu , formant uii cercle complet , quand la vitcsse est suffi- sanle. En mesurant quelqiies uns de ces mouvemenlSj, on a obtenu, pour un rayon quelconque, uneduree de 7 tierces. Ainsi , un phenoraene incontestable a de- Iruit a la fois deux pretendus axionies : le premier , rimpossibilile de representer le mouvement; I'autri', I'impossibilite pour un merae corps d'etre vu en doux lieuxdilYeronts: car, dans ce phenomene, la represen- tation d'une licrne en mouvement est un ruban de la longueur de la circouference decrite , et , a la fois y notreoeil voit !e clwrbon siir tous les points de cettG c'irconference. La connaissance essentieUe qui nous donne cette expc'rience, c'est que la duree d'une impression vive lumineuse est de 7 tierces. On concoit qne I'impression soit moins ^-ive qu'a I'etat de repos. Ainsi, voila deux faits etablis : 7'" est la duree d'une sensation lumineuse quelconque; et cetle sensation est plus confuse que dansle repos. Developpons les consequences de ces deux proposi- tions surTexemple suivant du mouvement d'un char. La roue du char est du diametre i"", 67;etsa vitesse est de 4 lieuc* i I'henre , ou 4 fois 4444°" i 4 en 216000 '". La circonfercnce de la roue =: i", 67 x 5, i4it> = 5™, 256472. La viltssedu char ~ 17777m, 6 en 2) Cooo tierces. 216000'", 5 X 5,246 a;'" dur^e d'lin lour dc roue— '7777' " 1 l3223-(), 52 x'" = '7777. ^ (c '= 65'", 745 dubSe. nOMBBB DE OEGR^S. y = 'tr 65'", 745 7"'- 36o 0 -0 / 56o°,7 2<1 65,745 — 335 — Pendant que la roue emploic 63"', 745 a faire un tour,un poinl. de la circonference , on le bout d'un rais, est visible sur tout Tare y" qui repond a 7"% et pour determiner y on a les deux systemes : y = 59",55 D. Ainsi un rais est visible dans Tangle 39", 53, qu'il de- crit. Seulement, la sensation qu'il cause est comme voi- lee par un nuage,a ['exception des rais qui portent une ligne brillante, ou plulot une surface brillanle. De la resulte celte regie pratique pour I'exemple cite. A compter d'un rais, tracez Tangle 39° 1/2, convert d'une teinte qui soit celle du rais affaibli eonime par un rideau de mousseline ; et , si le rais se distingue par une surface brillante , representez anssi brillante Taire coronale du sccleur correspondant de 39" 1/2. Si le nombre des rais est plus grand que 9, par exemple 11, leur intervalle est Tangle de 32° 3/4 ; de sorte que Ics /i/5 de Tangle 39° elant peinis coninic il vient d'etre dit, le dernier 5", qui est le com- mencenient du rais suivant, aura une teinte doublee. Voila pour la roue, si son centre etait immobile. Mais non-seulement la roue tourne,elleest eniportee, ainsi que chaque point du char, d'un mouvement de translation, dont la vitesse est celle donncc U lieues a Tlieure, ou 17777™, 6 en 216000 tierces ;ou un tour de roue en G3'", 745; ou encore 5"',24G'i72 en 63'", 745. Soitz "' la longueur qui repond a Y '"" : on a la re- lation. 33(3 — ,'1 LUflGIJBUB. D I! 0 KE . 7. — 5°>24647a><7 65,74.5 z = 5G°',7a53o4 63,745 Z" r 65,745 7. = o™,576i Ainsi, chaque point du char est vu sur une ligneho- rizontale de la longueur 57 centimetres. Uneligne du char estvue en une surface cylindrique dont les genera- trices sont paralleles a I'axedu char, et de la longueur 57 centimetres. On peut done se represcnter I'appa- rence du moyeu , ou de la circonference de la roue , si elle ne lournait pas; ou des rais de la roue, si elle ne tournait pas. En verlu des deux mouvemenls combines, de rotation de la roue et de translation du char, chaque point de la roue ne decril plus uu arc de cercle de 39" comme dans le premier cas , ni une parallele a I'axe du char de la longueur 57 centimetres, comme dans le second cas ; mais bien un arc cycloidal determine par ces deux don- nees et par la distance au centre du point cousidere sur le rais. Ainsi , on connail la trace effective , dans I'espace , d'uii point du rais, celle d'une de ses lignes, celle d'une de ses facettes, par exemple d'une facette brillante : ce sont des arcs cycloklaux, dts zones cycloidales deter- minees. Ainsi, un eleveen peinture , en suivant ces regies de geometric, et en considerant le mouvement d'une roue, afin d'y puiser la degradation des teintes et des reflets, offrira la representation nalurelledes diverses parties d'un char en mouvement. Une petite machine assez simple servira a decrire les arcs et les secteurs cycloidaux; elle comprend une roue — 337 — et line barre dont les dents sont egales; plusieurs cou- lisses portant des pinceaux peuvenl se fixer pardes vis depression aux points a decrire. La barre efanl fixee sur une lignc d'lin piaiiclier, la rouecoucliee sur le plancher et engrcnee avcc la b.irre, on lire sur le centre du moyeu de maniere a lui faire parcourir 57 centimetres. Un pinceau dii rais vertical inferieur decrit Tare cycloTdal quirepond a 39"; 2 pin- ceaux sur ce rais decrivent les liniites de la bande du secteur correspondant. LECTURE DE M. F. PINON. la Fauvetle. Le vautoiir giiette, I'ativie fiuivette, Force est sa loi; Son ceil b'aiiime, Car la viclime C'est toi! Quant! sur la braiiclie Ton cceiir s'epanclie Insoucieux, L'instJDCt le guide, D'un vol rapidc II fend les eieux. Dans ta letraite, A tort, paiivrettc, Tu crois echapper an bandit. Mier encoi'e, Ayant I'aurore II t'entendit. — 338 — A ta fa mi lie, Dans la charinilie Hier, tu repetais ton chant, Sans te doiiter qu'iine caresse. Refrain d'amour et de lendresse, Souvent porte ombrage au mechaut. Par ton ramage, Par ton langage, Enfant, ne crois pas le flechir. Ta voix le blesse, La faim le presse, Tu dois mourir. Sur cette terre, Val de misere, Faiit-il done qii'il en soit ainsi? Du fort verra-t-on la puissance luilever meme Tesperance Au faible qui criera : merci! - 339 - BILLETIN RETROSPEtTlF. LECTURE DE M. ALFRED LEJEUNE. CiOuip-d,'ce,i\svvv Vs ipoesiis de M. tu. carlier. Voyages poeliques. Etudes. — WMyv. Messieurs^ Giaceavous, et depuis la fondalioti de I'Acadeuiie, uiie grautle revulul.iou s'opere autour de nous. Le con- cours de vos lumieres. joitit a I'appni bieineillaiil que vous olVrez a ceux qui se presentcnt a vous, a reveille iiotre ville de sa longue torpeur : on dirait qu'ubjurant sa Iiaiiie hereditaire centre lout ce qui ii'esl pas Indus- trie el manufacture, el sontant celte agitation fermen- ter en son sein, elle favorise les essais de nos jeuries litterateurs avecd'autanl plusde complaisance et d'ar- deiir, qu'elle les a rejetes longtemps avcc plusdeme- pris et de dedain. Et celte renaissance intellecluelle que vous avez si bien developpee, est atteslee par le nombre des ecrits indigenes que cliaque jour voit eclore mainlenanL a Reims, et ceux. meme que le ciel naissant n'a pas forme's poetes veulenl payer leur tri- but a celte fievre contagieuse, par I'examen et la cri- tique des publications qu'une emulation quelque pen inlemperante multiptie parmi nous. Lorsqu'a Tune devos dernieres seances, Messieurs, j'eus I'honneur de vous lire un examen des poesies dc M. Gonzalle, je rue proposals de faire passer devatit Yos yeux les plus belks lleurs renioiscs de noire litle- — 340 — ralurc conlemporaiiie ; une plume plus habik el niieux exercee que la mieniie remplit ce cadre avec laiit de bonlieur, que ce serait tro[) de presoraption a inoi de vouloir UUler avec I'auleur dc finesse et d'esprit. Et ccpendantj en ni'associanl de coeur a ces iiitelli- genles recherches, je me suis presque repenli d'avoir consacre le seul travail que je vous aie presentc, a la ciilique des ceuvres d'un poete^ qui ne se recomman- dait que par sa profession, d'un homme doril la valeur litteraire peul etre encore a bon droit conlestee , et dont les cssais reclament tant d'indulgcnce ; je me suis reproclie de m'eire attache plutot au present qu'au passe; plutota ceux qui soul qu'a ceux qui ne sont plus; d'avuir neglige des productions |)lus dignes d'etre analysees par la critique et d'etre soumises a voire jugemont. Dans le nombre, Messieurs, cl en premiere ligne figurent les (suvres d'un homme que peu de vous, peut- etre, ont connu, mais que vous avez tons In, dont vous avez tous conipiis la haute valeur litteraire et dont, enfant, j'ai apftris a aimer les solides vertus, avant d'en apprecier le merite eminent. Je veux p;irler de I'auteur des Etudes , M. Theodore Carlicr, professenr d'hisloire au college de Reims de 1834 a 1838, niort a Nice en 1839. Si j'ai aborde sans crainte I'etude de la Muse Prole- taire, ce n'ost pas sans un grand senliment de defiance en moi-meme, que j'ai entrenris I'analyse des poesies de M. Caiiier. J'.» sais bien que vous pourriez exi- ger un interprete qui fat a la liauleur de ses ouvrages, mais a defaut d'un plus habile, on n'en pourrait Irou- ver un plus sincere, et si ce n'est pas au noni de la lilterature que je vous presentc ce travail, que ce soit — 341 — au nioins an iioin de la reconnaissance et do ramitie. Le premier ouvrage de I'auteur remonle a 1830 : c'est un volume publie a Paris, et qui, sousle litre de Voyages poetiques, renferme une suite de scenes em- prunlees li I'Asie, TAmerique, la Chine, rAtVique, a la Laponie. A I'epoque oil parut ce recueil, vous savcz lous avec quelle violence s''operail la reaction conire I'ecole descriptive de I'empire, et par suite contre toute la litlerature du xvii- et du xvin" siecle. Pour la pre- miere fois sediviserent en deux camps opposes les partis des classiques et des romanliques : les uns fiers des chefs-d'oeuvre qui depuis deux cents ans illustraient la scene francaise, et faisaient la gloire de notre pays; zeles conservateurs des anciens dogmes litteraires, pleins d'un pieux et fanatique respect pour les vieilles Iradilions, et d'une admiration facile et surannee pour les oeuvres du passe : les autres pleins d'une genereuse ardeur, d'une noble conGance en eux-memes et de foi dans I'avenir , guides dans leur marche aventureuse et irregulieie par des chefs illustres, qui, malgre leur jeunesse, cuniptaient deja de beaux et dek^gitimes suc- ces. M. V. Hugo, deju dans toute la force de son talent el presque a I'apog^e de sa gloire, venait de publier les Orientales, cette brillante et seduisante peinture des beautes d'un climat enchanteur oix nous airaions a nous reporter avec le poeic pour admirer le beau soleil d'A- sie rellete dans le miroir des lacs, dans les yeux noirs des jeunes Giles. Les Orientales ouvrirenl une nouvelle voie a la poe- sie. Le lourd et traiiiant descriplif des Dclille et des Fontanes fit place a un descriplif piltoresque el ori- ginal, vivantde mouvement et d'iniages, mais s'alla- chanl unicpiement a la reproduction des spectacles da — 342 — monde physique ct materiel, preoccupe avant tout de la forme exterieiire etnegligeant les sentimenls inhmes, les grandes el religieuses idees oil doil s'inspirer la muse reveuse et nielancolique du poele. M. Carlier, uii des plus fervents, et il faut le dire, un des plusin- telligents admiraleurs de Hugo , suivil I'irresistible impulsion donnee par le mail re, embrassa elialeureu- sement la cause du romanlisme, et le recueil des Voya- ges poe'tiques fut la manifestalion de celte preiuiere leudance. En effef, on y relrouve el les defauts que je signalais loul-a-l'heure et qui soul le caraclere disliuc- tif de celte poesie du naturisme, et les qualiles qui onl place I'auleur des Orienlaks au premier rang parnii DOS lyriques. Levers n'est souvent qu'un relentissement harmo- nieux , un peu vide d'idees et de passions ; mais il est toujours facile, malgre la hardiesse un peu liasardee des coupes et la violation des regies de I'liemistiche; le mouvement et I'cxpression temoigneiit d'un senti- nieot profond et vrai de la poesie , I'image et la cou- leur locale ysont fortement accusees et\ivement ren- dues. Si ce ne sonl pas la les seules qualiles qu'on est en droit de demander a un poete, ce sont du moins les qualiles principales du recueil de M. Carlier, et son premier essai proniettait des-lorsa la lilterature un puissant el feeond developpemenl de ces brillantcs fa- culles. Des-lors on pouvail prevoir jusqu'oii pourrait s'elever ce flexible lalent qui, dans ce pelil volume, avail deploye en meme temps el la grace de I'elegic et I'energie de I'odc, qui avail suse tiansporler avec lanlde bonlieur dans ces pays lointainsdont sa riclie imagination lui avail revele la poesie el (jni I'avail re- vetue de si vivescouleurs. Jeciterai d'abord dans le re- — 343 — cufil un des premiors inororaux irililuh' !a Perk du Haretn, scene dramatiqua, empruntco .iiix nioeiirs de la Perse. Cetle piece rsl lieureuscinenl conciui vl fort habiloment executee. Falime, jennc esclave du suUan Abbas, a Icnle de s'echapper de sa relraite; le chtf des cunuques,apies en avoir prcvcnulemonanjuo, !ui con- seillede fairc grace de la vie a la c uipablc , et de la cliasserboiileusemcnt du harem. II dil : " Le canirde la bPtiule, » Au dire du pocte , esl pleiii de vanite : » Dansccluiqu'a gpnoux la terre cntiere encensc , • Ce qui lui plait, c'esl moiiis riiomme que sa puissaiicc ; » De vos boiites, Fatime a meconnu le prix , » Payez-la de sa faute a force de raqiris ; • Que quelque cpoux sans nom rciuniene en sa demeure. » ABBAS. ■ Je rainic encore asscz pour vouioir qu'clie meure. » Celte reponse, cmpreinie en meme lemps d'une si sombre, si terrible indignation , ct d'une si delicate ja- lousie, jetee dans le moule d'un -versenergicjiie et bicn frappe, n'est-e!le pas digne de la belle et liaute trage- die? Perraetlez-raoi de citcr encore ces beaux vers, oii I'amant de Fatime, pauvre pechour que reuniujue a rencontre par liasard, et a qui il doiino I'esclave in- fideie , epancbe sa joie ct son amour : « Ma peri ! sur moii front la misere tracce • Montre aussi que ta perte occupa ma i)ensee . » J'ai pourrevoir tcstraits des I'enfance connus ■ Des crieurs du Courouc brave les sabres nus; » Mais la mort, a frapperd'ordinaire si proraple, .' Semble prendre plaisir d't'pargner qui I'affronte ; » Car, lacbercliant partout je n'ai pu la trouver, •> Et, pour rae rendre a toi, Dieu daigna me sauver. » Leprophete est propico in\m inarcbe en scs voies : » Sois beni, Mohanied , du bien quetu m'en voies, • Toi, qui dans ta bontc pritsoin de nous unir » Par les mains dccelui qui croyail nouspunir! » 25 — 344 — Je Yous le demande, Messieurs , de tels vers sont-ils Ic fruil. d'une facilite plus ou moins grande a versifier , facilile banale que Ton renconlre souvent aujourd'hui ? Un poele seul , un veritable poete pouvait Irouver de tels accenis dans une anie genereuse et forlement inspiree. II me somble que j'etais trop injuste lors- que j'accusais cettc poesie d'etre vide et creuse. Ces vers suffiraieiit seuls pour dcniier a uia critique un eclatant dementi. Phis luin, dans une auire piece {La Vente), ou le poete depcint I'affreuse douleur d'une mere forcee par la misere de sacrifier son amour a la vie de son enfant, etde le vendre pour qu'il ne raeure pas de faim , M. Carlier a su deployer encore ces heu- reiises facultes qui distinguent la pluparlde ces pieces, c'csl a savoir une rare propriete d'expression , une grande intelligence du rhylhmeet de !a poesie. Le volume se termine par une traduction en vers du 6'jaour de lord Byron. M. Marmier, dans une notice qu'il a consacree en 1839 a notre auteur, disait qu'on u'en avait pas faituiie meilleure. Or, vous savcz , Messieurs, quelles im- menses difficullesi)resentela reproduction en versd'un poeme etranger ; vous comprenez avec quel rude athlete il engageait la lulle , ot vous savez aussi , vous qui avcz lu son Giaour, qu'il I'a soutenue avec autant dc courage que de bonheur. Nonseulement on n'en a pas fait une meilleure traduction , mais je doule que Ton en puisse faire une meilleure. Est-ce a dire qu'il n'y en ait pas de plus fidele? Non, Messieurs , ce serail trop exiger ; mais ce qu'il y a de plus extraordinaire encore que cette fidelite avec la- quolle il a parfois fait passer d;ms notre langue les beaules de son modele , c'est la raerveilleuse inlelli- — 34^ — grnre, j'allais prcsqnccHre la mcrvcilleiix iiisliricl doril l';iul(ur a fail preuve dans eel ouvraj^^c; cl , (juclqae elraiigo que paraisse le mol irinslitut il;:nsunt' U'llc circonslancc , il n'oii est pas inoins jiisle. En cffi!t, quaiul il commenea son travail, M. Carlii r nc savait pas I'anglais. Melire en vers la prose tl'Ame- dee Picliot ou de toutaulrc Iradiicleur uU ele une auivre impossible : il resolut done d'appr* ndre , non pas la l.ingue ang'aisc, inais I'an^lais de h rd Byron. Je vous laisse a penser, Messieurs, ee qu'il falhit, non pas de palienles eludes , mais plus encore, ce qu'il fallnl d'inspiralions pour arriver a un aussi beau el aussi coraplet resullat. C'cst qu'il ne s'agissail pas iei de gramraaire ou de linguistiqne : avec ie lem.ps , el arraes d'un diclionnaire, Ions pourraienl dire en fran- cais ce qu'adil un auleuraiiglaisouallemand;avcc j)lus de temps et plus de pal ience,!e dire en vers; mais ce que ni le temps, nila grammaire, ni le diclionnaire, mais seulement un instinct, un sentiment exquis de lapoe'sie pouvaient donner, c'estceltc purele de formes, eette propriete d'expression qui ne decelent en rien la gene, etqui feraient parfois douter qu'on lit une traducliun, tanl Tauleur a su s'identifier. en quelqiie sorle. twee le magiiifiquctalenl de son modele.Quoi qu'il en soil d'ail- leurs, et sans vouloir ici diseuler si le sens a toujours ele parfaiteraent eompris et bienexaeleraenl renilu, il n'en est pas moins vrai que [)lu«ieurs morceanx du Giaour reunissent cesqualiles, lout en portantau plus haul degre ce cachet de poesie originale. Je cilerai entre autres la comparaison de la Greceavec unejeune fille morle, celle de la femme avec le papillon , enfin !a derni^re parlie dela confession du Giaour. Comme tra- duction, c'esl tres-bien, comme poesie, c'esl tres-beau. — 346 — Le succes de ce premier essai engagea M. Carlier a continuer celte etude, et doja, dans sa dcvorante acti- vile, il avail enlrepris lous los poemcs de Byron ; laais la mort vint le siirprendre au milieu de ces Iravaux, et ii ne reste plus aujouid'liui que le Depart , publie en 1830 , dcs fragnicnls inedils de Parisina , du Don Juan et de/a Fiancee d'Abydos , et une piece aTliyrza ; frag- ments qui font vivomenl rcgreller qu'il n'ait pu meltre ses projelsa execulion. Cependarit, au milieu de ces grands Iravaux de poe- sie , de philosopliie et d'liistoire , auxquels se iivrait assidiiment M. Carlier, son gout se formaitet gagnait en purete autanl que son espril en solidile. II n'allait plus poussc par uii sterile esprit d'imitation, dans les sentiers dcja frayes, sous la banniere d'un chef : il en- trevoyait un nouvel et plus vaste horizon ; sa personna- liie se dessinait nettemenl. Des lors sa poesie accuse plus de precision el de franchise ; ello est tbrlement era- preinle de ce caractere d'originalite que nous avons vu percer meme dans rimilation el la traduction ; des lors la place de I'autcur ful marquee au rang des pen- seurs, autanl qu'a celui des poetes , el c'est a ce double litre que se reconmiande le second et dernier recueil de M. Carlier : ks Eludes ou H'u/v;, publie en 1838. Le litre seul de I'ouvrage indiquail dejii quel chan- gement s'etail opere dans les idees et dans le genie de noire auteur. 1 1 ne recherche plus ce grand fantome de la nature ombre vague et indefinissable, qui \)reXe d'ailleurs si bien aux developpemenls d'une riche ima- giiiaiiou; il ne se contente plus dedescriptionsou de pein- tures; il fait descendre la jioesie du ciel sur la lerre, dans son cceur, et e'est la qu'il travaille, c'est la qu'il observe, e'est In qu'il chante el qu'il decrit Us senti — 3/i7 — menls el les passions de I'Aiue humaine, avec urie fi- nesse ie! En presence de I'liumanile, il en suit et en decrit les prog -es; en presence du raonde social, il en fail le sujet — 3/i8 — (Je ses observaliuiis el de scs etudes, mais ii iie le voit pas seulcnieiit tel <]u'il C'sl, mais tel (ju'il pourrail ct devrait ('(re, et e'est iiirisi qu'il devclojipe, souveiit avec un charme iufini, les grands princii'es de morale qui reglenl loutcs les actions des homines. Enfin lors- qiie, remontant aux sources de la vieel derintelligence, il se Irouve face a face avec Dieu, sa poesie alors s'e- leve a la hauteur de son sujet. Quelie a done cle la base sur laque'.le repose reJifjce de M. Carlier? quelle est la question qu'il agite? II part de I'observation de la conscience pour resoudre oe grand probleme qui, sous Irois laces dilVerenles, presente une menjc et uni- que solution : Dieu, la nature, I'liumanite. Mais, Messieurs, n'est-ce pas la de la poi^sie pan- thciste? Ces Irois terribles mots sont , je le sals, le Mane, Thecel, Phares de la philosophic moderne; quatit a moi, j'avoue ne pas savuir ce que c'est qu'une poesie pantheisle, et je crois d'ailleurs avoir premuni Tauteur contre ce reproche, en moijirant comment il n'avait en vue aucun systeine, aucune mdlhode, et qu'il ne se rat- tache en rien a aucune ccole. Pardonnez inoi , Messieurs, cette digression qui pent vous paraitre etrangere a mon sujet; mais fiar cela meme que le livre de M. Carlier est une oeuvre intime, expression des sentiments de Tame, la critique est presque impossible, ou du moins elle doit changer de caractere , elle doit necessairement porter un cachet plutot philosophiqiie que iitleraire. Loin de moi, Messieurs, la pretention de vouloir ana- lyser tout entiere cette oeuvre remarquable de ce beau et malhetircux talent : toule elude aussi rapide ne pent etre que tres-siiperliciellt", et je laisse d'ailleurs a vo- ire jngement le s lin dc eonii.'leler mon appieciation. — 340 - De inenio qu'uii Icl ouvragc est la iHisnifcslation sen- sible d'une ariie noble el grande, de nienie qu'il ne peut apftarleiiir qu'a iin horamo dotil I'esprit est fjetiereux aulanl qu'eieve, de nienie Je dirai (ju'il iie peiU etre apprecie el compris que par des cauirs syiiqiatliiqiies, el qui trouvent en eux Techo fidelo des aecenis du poete : « Ell (ie parcils momoiits il f.uit alors qu'ils troiivciit - Qutlqu'uii qui symjijlhisc avcc ce qu'ils cpruuvent. • Je n'.iViiis j)as besoin , Messieurs , de vous exposer ces consideralioiis pour que vous enmpreniez les diffi- culles et les danj^crs d'un pareil ouvrage. Livrer a la publicile ses pensees les phis secretes, initier, pour ainsi dire, les sceptiques el les indill'^renls a tons les luysleres de son coeur, c'etait deja nii pren)ier el ter- rible ecueil qu'il nc pouvait eviter, et sur lequol il vint bienlot se briser. Ajoulez a cela I'espece de somnolence qui avail succede a la fievre liltoraire des annees pseee- d< nle>,la lassikidedu public qui, a cemomenl-la nienie, n'accueillitqu'avec indiUerence I'apparilion despoemes (jueM. Hugo publia, les Fcuillcs d'aulumne, les Chants du crepusculcy les Rayons et les Ombres. Enfin, elc'est deja un grai;d tort pour tout talent qui tend a s'eiever que d'etre eloigne de Paris : quoique M. Carlier y cut conserve la bieii\ei!lance et I'aniitic de ceilaines per- sonnes haul placees dans Ie moiide lilleraire, il ne put surveiller sou n^uvre ei la [jrodnire lui-uienie. Sa ma- ladie d'ailleurs n'avail i)as allendu !a publicatioji , el la solliciludeet I'inleret que lui porlaient ses amisn'a- vaieiit pas tardea changer d'ohjet. Coiisidercz ce tacheiix coric(;ms de ciiconslances, et — 350 — vous vous expliiiuerez avec moi la cause de cet iiijuslc c't Irjsle echoc. Quant a nous qu'aucune pieoccupaliori ne trouble dans I'examen de cetouvrage, nous dent le jugemenl n'a cle fausse ui [tar la jalouseenvie, ni par uno admi- ration exagerce , aujourd'hui qu'il ne s'eleve plus sur cetle tonibe que des voix de regret, d'amour et de be- nediction, nous en appelons a la critique ajeun^ et pleiii de celespritde sincerile, je viens vous sounicltre sans reserve los impressions que j'ai peisonnellement res- senties a la lecture dts Eludes. Etd'abord, ilest facile de distiiiguer que troisidees principalesont preside a la composition de eel ouvrage complete dans son unite. De la Irois series de tableaux: I'uiie coasacree a I'analyse des p;issions et des senti- mcnls de Tame hum.iiiie; !';uilre a !a critique de la so- cietectde la vie , el. la Iruisieme a la peiiiUire de ses proprcs emolious. Et ce n'est pas la un arrangement syslemalique et prealable. II resultait loul natuielle- monl du caractere et de la viede I'auteur. Jt; dois done, apres avoir elabli quel sujet il avail aborde, quel but il se proposail , passer en revue ces differeiils tableaux. Au tilr(>, seul, vous pouvez, souvent disliiiguerquelles sunt les pieces qui se rapporlent a la pieuiieie serie. — Comparaison. — Ego'isme. — Conscience- — Etc Ei a ce propos , disons-le en passani, on a blame, et avec raison a men avis , I'aft'ec- lation bizarre que Ton remarque dans lechoix de quel- ques tdrcs, et qui, comme le dit M. Marmier : « est » capable d'ell'aroucher celui qui, detoutcs les qualites » que Ton aime a pieler aux Muses , prefere surloul » leur grace sans pretention ellcur indolente reverie. » Etcepciidaiit malhiur a celui qui n'aurait pas le ecu- — 351 — rage de braver eel eft'roiile lout dogiiuilisiiie. S'il erai- giiail de Irouver dans la |)icce iniiluloe Induclion, la theoriede celle faeulle de I'aine el qu'd i)assal oiilre, il y ijerdrait luie des plus frakhes el des plus giaeiou- ses poesies du recueil. Les iiiorceauxplidDsophiques propremeiil dils sont peu nombreux,el du moins I'aridite du fond est tou- jours liabilemt-nt deguisee sous une forme elegaiile et pootique. C'est aiiisi que dans V Apparilioa , lorsque I'auleur aburde la tlieorie du sommi'il , il la devcluppe avec aulant de verile qu'uo inflexible logieien. Plus loin, on decouvre le moralisle, el dans la piece inti- tulee Deception, on lil ces beaux vers pleins d'une si profoiide melancolie, et d'un senliment si juste et si vrai des choses : ■' Oh ! que faire ici has ? Pourquoi restcrau monde ? » Sinon pour nous trainer dans une fange immonde, >• Pour voir ce qui s'est vu tant de fois, pour savoir - Que de nos facultesDieu borne le pouvoir; » Que I'avenir, pour nous, esl une mer profonde, » V.[ qui n'a pas de lil que louche noire sonde ; " Qu'ou nous cri>yons trouver une source de pleurs, » Souvenl le ciel nous montre un frais tapis de fleurs, » El que souvent aussi, tronipant noire rsperance, » Oil nons chercliions la joie il place la souilVance. M;iis a l(nU prendre, ce sonl la li'S niorceaiix les moins lemarquablcs, ou pluloi les moins ieiuaronie donllesdeladsoiilele malheureusemcnl trop vrais nunr lui. Alors on fermc le livre, clle eceur plein de larmes. on se prcnd a niaudiru le cruel evenen)e:it qui I'enlevc a sa famille et a ses amis. Co livre ful en eff'et le chanl du cygne. Epuise par qua'.rii maladies suceessives, par les travaux as-io'us auxquels il se livrait a la meme e|)oque pour rai,nc- galion (i'hisloire, il vil a peine parailre son volume. Puisse au moins ce lardil' honimage d'une sincere re- coni!ai«sance mooter jusqu'a lui dans Ics cieux, et lui monlrer EIU. (iTaginenl Iraduil de Lalla Bookli dc Thomas Hooro.) Une |)t'i-i cliarmanle avt-c trislcsse un jour S'arrcle siir Ic seuil du culeslo sejour. Par la porte mi-close die ecoute, ravic, I/liariiini)iou\ concrrt itcs sources dc la vie ; D'un kimiueux rayon de la saintc clarl.e Elle voil s'cmbellir sou i)lumaj.';eargeiile , Et sdiipire , en priisaiil que sacoupable race A perdu dans I'Edeu sa >:;lnricuse place. — 354 — ; • Heureux , (lit-elle avecdt's;pleurs , • Les Esprils qui dans ce^bocaiie « Ciieillciit dps roses , doiit I'orage « Ne fane jamais les couieurs. >■ Jardins des mers que I'liomine jgnore ! » Tone airaable ! astres gracicux ! » J 'ai vos flours ; — mats la fleur des cieux » S'epanouit jilus belle encore. » Sur des bords d'ombre au loin converts » Meurt le doux lac de Cacheniire, » Fier d'une onde fraicbe oii se luire » Mainte iie de platanes verts. » Dans son cnurs pur I'Altan sonore » Enlraine un sable i)rocieux » J'ai ces flols ; — luais le Hot des cieux » S'ecoulc plus limpide encore. " Pour tronver les plaisirs divers » Que ton coeur tristeen vain reclame, • Cours , vole jusqu'au'murde flamme", » Ceinture du vaste univers. • Livre au dosir qvn ie dovore » Les biens les plus dolicioux ; • Qu'ilssoientsansterrae;— une|heure aux cieux, » line beure est preferable encore. >• L'ange resplendissant qui , par I'ordre de Dieu, Voille armc do son glaive aux portes du saint lieu , Voitlavierge, ets'approchc.-Asachanson plaintive II prete , emu lui-nicrae , unc oreille attentive. II sent sous sa paupiere une larme rouler, Comme une goutto d'cau tondie , sans la voiler, Surcette fleur d'azur qui , selon les Bramines, N'ouvrecpiau paradis ses corolles divines. ■• Nyropbe aimablo, dit-il, de ses malheurstouche, » Espere, car tu peux racheter ton peche; » A jamais loin de lui Dieu ne t'a point proscrite; > Au livre du destin voista sentence ecrite : » Que la peri rapporte aux cieux » Le present (pii doit niioux leui' plairc. — 355 — • Je desanncrai la colere » Qui la bannit loin de mcs youx. Va, cherche cl Irouvc enfincettc pioiisc'olfrando , Allah pardonuera, car sa clemeiice est |grande.» NomewdaVvvxe Acs t\c*w\» «xi[>os.es a VAcadtm'vj ^mvM. A.. PtTuo\. Suite et (in. DRAPEAUX ETRANGERS. BatailledeSencf, Aout 1674 16 Drapeaux. Combat de Leuze , en Septembre 1691 16 . Bataillc deNervindo, en 1693 58 Le leNovembre 1693 onapportaaNotre-Damc 93 « drapeaux cl 4 ctcndards, tons dcchires, eton n'a pu en reeouvrcr d'entiers que les suivants faisant suite a la bataillc de Nervindc 30 Bataillc de Marsaille 7 « Bataillc du Per, en Catalogue, le 28 Juillet 1695 15 Prise de Dixmudc, 29 Juillet 1695 6 • Pavilions de vaisseaux et drapeaux pris a Car- thagcnc, en 1697 0 • Etendards ct guidons pris a la bataille deFridlin- gue par le niarcchal de Villars 14 Pavilions de vaisseaux 6 Bataille d'Ekcren, 30 Juin 1703 2 « Bataille dc Spire, 1703 26 Combat de Caslclnova sur la Bormia, en Italic, 1 1 Janvier 17o4 9 Drapeaux, un fer de pique curieux. Prise de la ville de Verceil, 21 Juillet 1704, par le due de Vendome 8 Drapeaux. Prise dc la ville d'lvrec, 27Septcmbre 1704, par le due de Vendome 14 « Drapeaux pris en Italic , en 1 704 6 Bataille deCassano, en 1 70i) 4 « Bataille deCaleinato, Avril 1706 14 — 356 - Comliat (le Mcdavy, pres de Castillono, on Ita- lie , contrc le prince de Ilesse-Cassel, Sop- tomhrc 1 706 Batailledc Munikausen, 26 \out 1709 Balnille deBougnif ou Malplaquet, 1709 BalaillcdcMons, 17 Septembre 1709 Pri-e deDouay, 1712 Pris au Quesnoy, en 1712 Siege de Bouchain, Octobre 1712 Drapeaux pris sur les vaisseaux par Duguay Trouin, 1712 Bataillc de Fleunis, 1 Juin 1090 A la meme balaille Batadledu parM. de Noailles, Catalogue, 1593 Drapeaux de I'infanterie tant francaise qu'e- traugere, en 1721 (sous Louis XV) Baverolles de trompettes Drapeaux et etendards de la maison du Hoi , en 1751 II Drapeaux et etendards des gendarmes anglais , ecossais , d'Orleans, etc. 10 De toute la cavalerie francaise 50 Etendards Drapeaux celebres de differentes epoqucs 30 a 40 Drapeaux de la garde nationale de 1789 a 1792 00 Drapeaux conquis par les arnoees francaises depuis Louis XV et 1789 , sous la Repu- blique, le Consulat , TEmpire, la Restau- rationet leregne deS. M. Louis-Philippe, d'aprcs les trophecs conserves aux Invali- des , etc. 12 Drapeaux, deux fersde piques. 0 Drapeaux. 14 34 8 12 8 20 48 Drapraux. 37 Etendards. 1 8 Drapeaux et eten- dards. 1 23 Drapeaux. 3 Reims. L. ,L4CQUET, Imprimcur de I'Academie. SEANCES ET TRAVAUX DE L'ACADEMIE DE REIMS. stance s lignes et sur- faces decrites en 7 tierces i)ar les points et lignes mo- biles ; — 366 — 5° De retiide et de riinitation des teintes, des om- bres et des lumieres a jeter sur les lignes et les surfa- ces decriles, el de leur degrede diaphaneite ; 6" Enfin de la representation coninie plus ou moins vaporeuse de ce qui echappe a la vision attentive. Messieurs, 11 ne faut pas prendre I'etude (pie'je viens de vous esliiber comme une Iheorie rigoureuse ni complete ; mais comme rinterpretation rationnolle des deux tableaux vantes d'Athenes , qui, certainement n'ont etc executes que par une sorlede divination , ou d'intuition instinctive des procedesqui viennent d'etre exposes. De sorle que, danscelle branchc curicuse de son art, tout peintre observateur pourra desormais pre- tendre a unereussite plus complete et plus facile que celle des peintres grecs. Mais il faut avouer qu'avant de se livrcr aux regies qui dccoulent de cet essai, il serait utile : 1" De constaler, par des experiences precises et spe- ciales, laduree d''une sensation lumineuse, a des de- gres tres-diflerenis de lumiere; 2° D'entreprendre une serie d'experiences neuves et delicates : Sur retendue principale a representer d'un corps; Sur les parties secondaires comprenant cette cten- due capitale , qu'il convient aussi d'exprimer comme efant saisies du menie coup d'oeil ; Sur les teintes; Sur les facettes brillantes, etc., etc. Ma presente etude ne peuteire envisagee que comme le cadre oii s'cncliasseronl les investigations ulterieures de la peinture etdela physique. — 3GT — LECTL'KE 1)E M. F. PINON. De la chanson en France. lln auteur a ecrit : « Ce qui ne vant pas la peine d'etre dil on le clianfe. » A mon avis, ces paroles soiit inexactes et d'une faiisse application , et j'espere vous (loinontror que ce genre si futile, si leger en appa- rence, qu^on appelle chanson, n'esl point indigne de fixer I'allention du jiensenr et du savant, et quMl a joue un role important a toutes les epoques de noire liistoire. Mais avant de vous tracer I'liistorique en rac- courcide la chanson en France , il est utile de jeter un coup d'ceil sur la chanson en general. I''illc aimablc tic la folic , La chanson naquit parmi nous ; Souple el lcj;crc , rile so jilic Au Ion des sages et ilcs fous, ecrivait, au xviii" siecle, Tabbe de Rernis. Nous n'a- vons point la pretention d'adniettre conime cet aimable auteur, que c'est chez nous que la chanson prit nais- sance; niais il nous est perniis de dire sans tropd'or- gueil , que si nous ne somnies pas les inventeurs de ce genre de composition , nous pouvons nous en consi- derer comma les restaurateurs ellesmaitres. On a lou- jours chanle, et, nous resperonsbion, on chautera ton- jours. Des les temps les plus recules comme anjour- d'hui, les penples qui sesont le plus dislingues par leurs progres moraux et intellectuels ontaime le ciiant. Les Grecs, en cultivant la chanson, \w lirent qn'imi- ter les pcuples qui les avaieni precedes, lis n'aNaicnt point encore Pusage des letlres ar un de nos plus celebres lypDgraphos, M. Ciapeiel. La plu- part des pieces comi)osees p;ir Eusiache !)eschanq)s raconlenl les fails remarquables de son epixpie, el en bon palriolc, iUhimle le pays (]ui I'a vu nyilie, la villc — 380 — de Reims , ctlle de Troyes , VtrUis,'sa ville[ualalc , !c doux paysdc,France, lespilleries dcs Bretons on Cliaiu- pagne, quand ils passaient pour s'en aller eii Allema- gne , ayant le sire de Coney a leur lete. Voiei une ballade sur les pastours qui etaienl entre Damery et Epernay ; c'est a I'DCcasion du passage des grandcs com- pagnies^allant en A^eiiiagrie^: Entre Espargnay et Damery, Vi pastoures et pastoureaux En la prairie pres d'Ay Gardansmoutons , vaclics et veaux, Dont Lohiers disoit a I'un d'aulx : Je vueil chcvauchier sur les champs, Car bergicrs iie sontqiie mcTliaiis (mallieiirciLx). Tant com ils gardcnt les moulons. Pain bis, prunelles etboulons, Fromageet lait leur est deduit. Je te pri que nous nous armons. Qui voit gens armez, chacun fuit. Ne voiz tu pas devers Cheoi.lly Valez armez a grans tropiaulz Qui sont de poulaille garny. Qui tuent brebis pour lesjtiaulz; Qui robent et font leurs aviaulx, Detelent chevaus el jumans Et dient qu'ils viennent du Mans Et vontlogier emprcs Chaalons. Laisse tout ; apres eulx alons. Tels gens sans pain on leur pain cuit , Nous feronsquanque nous voulrons, Qui voit gens armez, chacun fuil. 11 fait ensuite IVloge de Vertus el des environs , parle dcs moeurs et des conditions des Champenois , vanle leurs succes dans I'etude, el niontredans toutcs ses comjiositionsbeaucoup d'espril et d'originaiite. La plupart des pieces coniposw's par Eustaehe Uescliamps — 381 — importer. I a rhisloire lilteraire tl pulitique de noire \niys, el on pourrait, dit M. Paulin Paris, a I'aido des (iocumenls qui le concernenl dans la collection du ca- binet des tilres a la bibliolheque royale , leconstilner loule sa vie et refaire nieme tine parlie de I'histoirede la bonne sociele francaise sous Charles V el Charles VI. Guillautue de Machaut, valct de chamhre de Phi- lippe le Bel , se distingua par plusleurs com positions gracieuses; Gaslon de Foix, Olivier de \i\ Marche se reconiniandent dgaleinent par |>iusieurs pieces qui ne sonl ni sans merite, ni sans grace; mais le plus cele- bre de lous ces poetes ful , sans conlrcdil, Charlt^s d'Orleans, pere de Louis Xll el oncle de Francois P'. Cc prince, fils de Louis d'Orleans ass.issine par les agents du paiti bourguigiion , dans la vieille rue (hi Tenjple , a Paris, naquil le 26 Mai 1391. II eul une jeunesse remplie d'ainertume et de douleur. Des son enfance , il s'ap|)liqua aux ietlres el s'exerca principalement a la poesie eta reloquence, il trouva dans son gout prononce pour les etudes de nobles dclassements et un adoucissement a ses nial- heurs. Fait prisonnier a la funesle batailte d'Azin- courl, il ful emmene en Angleterre, oil il resta pen- dant viiigt-einq ans. C'est pendant qu'il ctait caplil' qa'il coniposa la majeure parlie de ses oeuvres. On pent dire de ce prince qu'il possedait le vrai goiit de la poesie, etque dans un siecle plus eclaire, il eiit ele un de nos grands jioetes ; car, malgre le defaut ge- neral de ses compositions , qui etait oelni de son epoque , le faux gofit des allusions, il exisledans tons ses vers un ton de douceur et do inelancolie, ini ji* lu^ sais quoi de grace, d'ainabiiile ct de fraiMieur qui plait ft allache son lectrur. 1! est ini[)ossilil(' d'ecrire en — 382 — lerrncs pins doux et avec nne nii'ivele plus ojeganle. Voici lui rondeau oil il decrit le prinfemps que Marot lui-menie n'.iurait su rendre d'uiie nianiere plus par- fa ite. I^ temps a laisse son manteau Du vent, de froidure ct do pluie Et s'cst vestu de brouderie. De soleil luj-ant, cler et beau. II n'y a beste, ne oyseau Quen son jargon ne chante ou erie, Le temps a laisse son manteau Du vent, de froidure et de pluie. Riviere, fontaine etruisseau Portent en livrec jolie Gouttesd'argent, d'orfavcrie, Chacun s'abille de nouveau ; Le teraps a laisse son manteau Du vent, de froidure et de pluie. Le ton de nieiancolic qui regne en general dans les ballades, chansons, rondeaux et .-lutres pieces de vers composees par ce prince, ne doit pas surprendre ^ si Ton se rappelle qu'il etait prisoiinier cliez les Anglais; au.'^si reiiiarque-t-on qu'il parle de sa delivrance dans la plupart, dudesirqu'il a d'en voir approcher le ino- menL , des malhcurs de la Franco et de sa haine pour les Ajigl.iis. Voici une ballade qu'il coniposa lorsque ces insulaires furent chasses de la Guyenne et de la Normandie; on peut la citer comme exemple aux purs patriolesde noire epoque. Comment voy-je les Anglois esbahys Rcsjoys toi, franc royaume de France, On apparcoit que de Dion sont hays ; I'uiscpi'ilz n'ont plus couraige ne puissance Bi(?n pensoient par lour oulli'c cuidancf , ^ 383 — Toi sumioiitt'r ct U'uir cn>ervaig(', Et ont tciui a tort ton lierilai'^c ; Mais a present Dieu pour toi se combat, Et se nionslre du tout dc ta partie , Leur grant orgueil enticrement abat, pt t'a rendu Guyenne et Normandie. Quant los Anglois as pieca cnvays Rien n'y valoit ton sens, nc ta vaillance; Lors cstoics ainsi que fut lays Pecheressc qui pour faire penance Enclouse fut par divine ordonnancc; Ainsi as-lu cste en rcclusaige De dcsconfnrt et douieur dc couraige. El les Anglois mrnoient leur sabat. En grans |ionipcs, baubans et lyrainiic. Or a tourne Dieu ton ducil en esbat, Et t'a rendu Guyenne et Normandie. N'ont pas Anglois souvent leurs rois trays? Certes ouil, tons en on I congnoissance ; Et encore, le roi de leur pays Est maintenant en doubteuse balance ; D"en parler mal chacun Anglois s'avance ; Assez nionstrcnl par leur mauvais langage Que voulonliers ilz lui fcroyent oultrage; Qui sera roi entr'eulx est grant desbat ; Pour ce France, que veux-tu que te die •' De sa verge Dieu les punit ct bat Et t'a rendu Guyenne et Normandie. Charles, de relour cnFrance en 1440, epousa la niece de Pliiiippe le Bon, due de Buurgogne, prince a Tinier- cession duquel il dut sa liberie, et raoiirut Ic 8 Janvier 1466, generalemenl regrette. Parnii les poeles qiii etaient conleraporains de ce prince, il en est uii celebre: c'eslFrancois Villon, qui, conirtic Ic dil Clenieiil Rlnrol, avail un genlil enlendenient, mais donl los loniposi- lions sonl plus lilncs (jue la sagesse et riiomielete no - 384 - le comporlent, el qui iiurait beaucoup gagne on per- fct'lion s'il avail pu frcquenlcr la cour oil, dit toujoiirs Marof, les jugemenls s'amcndenl et les langages se po- lissent. Toiitefois on ne pout refuser a ce poete un ge- nie lieureux, de I'csjjrit el de la finesse ; scs vers sont bien toiirnes, et il regno dans loutes ees compositions beaucoup d'cnlrain et de gaitc. Si ses piaisanleries nc sont pas loujours frappdos au coin du 'boii gout, el la faute en est a sa raaniere de vivre et au dereglemenl de ses moeurs, on ne pcut disconvenir qu'clles parlent d'un esprit jovial el naturel. Le meilleur litre de gloire de Villon, c'est d'avoir forme Clement Marol el d'etre rcste supericur a I'eleve. Lafonlaine lui-nieme a puisc chez Villon, el Boileau le considerecoinine un des pre- miers poeles qui ail exisle chez nous avant la renais- sance. J'en excepterai cependanl Charles d'Orleans, qui en lout lui est de beaucoup superieur. Je pourrai vous pirler des oeuvres d'un nombre considerable de poeles qui florissaient a celte epoque ; mais le cadre que je use suis trace ne permettant pas un developpemenl bien elendu, je me bornerai a vous citer ceux qui se sont dislingu'^s en poesie sans arriver a la celebriledes premiers: Galiot Dupre, Jehan Longis, Oclavien de Sainl-Gclais, Martial d'Auvergne, Andre dela Vigne, Roger de Collerye, Pierre Grognel, Malheolus, Jean Lemaire, etc., etc.... Mais il en esl un pourlanl qui merile que nous en parlions a double tilre, d'abord a laison de I'originalile de ses o'uvres, etisnite comnie Champenois: c'est vous nomnier GuillaunieCoquillart. Ce poele etail chanoine el official de Veglise cathe- diale de Reims. 11 passait pour bon vivanl, el sa re- pulalion de gai convive le faisait rechercher parlout (Oil il y avail grands feslins, joyeuse chere , g.iis — 385 - jnopos el gros jeu. Ses i»oesies se rcssonloni da sa nianiere de vivre, et dans toules ses compositions, on icnconlrc une liberie d'expression et de langagc qui semblerait etonnanle sous la plume d'un ecclesiastique, si nous ne savions que I'usage ou la mode avail perrais ccllc liberie, sans pour ceia que les moeurs n'en fussent ni moins severes ni moins pures. La piece la plus iniportanle sortie de la plume dc Coquillart est intitulee les Droits nouvcaux. Pour bien comprendre cc moroeau, il faut se rendre compte de h\ transformation sociale qui avail lieu a cetle epoque el du raouvemenl general des esprits et des moeurs. Les plaisirs nouveaux, les liberies un pen vulgaires, les ten tali vcs de raffinement, le babil et les ruses ties fenimc;;, le caquel des jeunes courlisaiis, les duperies des maris, lout ce caraclere inaltendu de nouvelles ha- bitudes francaiscsemprunlecs j)Our la plupart a TJlalie, saisit au vif noire bon cbanoiiie, el il ecrit un pulit poenie qui pent elre regarde coninic la page le plus francliement liisloriquede toule ctttc epoque. Dans ses aulros compositions, Coquillart se niontre loujoura aussi vif, aussi railleur et toujiiUis aussi lidele. Pour me resuujer sur Coquillart. je dirai (jue ce poete, doue d'une verve plaisaiile el egrillarde, a ecrit avec tine I'acililemerveilleuse etplus purement qu'on ii'ecrivait a son epoque, que son elegance, sones|iiit el rironiele- gere qu'on rencontre dans ses ccuvres, le placcnl au premier rang des poeles ses conlemporains, el en font un auteur recommandable aux yeux de tons. TouUfoJs, je n'ai pas cru convenable de reprodiiiie quclques vers de Co(juil!arl : ils pidsonlent un cynisme tresprcssions et une cruilite de langage (jui ne sont plus de noire epoque; et d'ailleuis ce scrait un for^ — 386 — tniuvais service a rendro h ce paiivrc clianoine ot l*e\- poser a etre fort mal jug^ que d'ofirir a mes auclilcurs commeinodele, des vers licencieux excusables a peine au xviii^ siecle, et qui paraissaicnt fort nalurdsau xiv^. Au commencement du xv" siecle, parut iin homme dont le nom est resti'ce'ebre enlre tons, a double litre : soil comme auleur do cbanson bachiqucs pleincs de rondenr et de verile, soit comme I'inventeur d'un "cnre qui regne encore de nos jours. Olivier Basselin, ne a Vire, foulon de son etat, poele par goiit, a compose uu grand norabre de pieces legeres auxquellcs il donnait le nom de vaux de vire, dont plus tard on a fait vau- devilles, qui ioutes eurent du succesa I'epoque de leur apparition. Indifferent aux cri«es politiques qui agi- taient la France, ne prenant consei! que do sa bonne et franclie nature, Olivier Basselin eliantait au milieu des horreurs de la guerre civile, quand les Anglais s'eni- paraient de nos provinces , pendant la demenco de Charles VI; maif ce qui fait le mei ile de ce poele, c'est son nalnrel exquis el sa verve e[)icurienne. Voici deiix couplets do sa composition qui donnentun echantillon de son talent, et qui out du certaincment servir de modele a plus d'un chansonnier de notre epoque. Ayant le dos au tVu et Ic ventre a table, Etanl parmi les puts pleins d'un vin delcctaMe, Ainsiconinic un jioulet, Je me laissefai niourir de la pepie Et le nez violet. Qui aime bien le vin estde bonne nature, Les morts ne boivent plus dedans la sepultuiT. He ! qui sait s'il vivra Peut-etre encor deniain ? Chassons raelaucolie ; Je viens boire d'autant a cctte compagnic : Suiveqiii m'aimera. — 387 — LECTURE I)E M. HENRIOT. Rapport sur les Essais de stalisliquc de SI. liourdonnc. Messieurs , Uans une de vos dernieres seances , vous avez ren- voye a une commission le (ravail que vous a presenle M. Bourdonoe, intitule : Essais sur la statislique de la France. Ce travail, ainsi que M. Bourdonne Ta lui-meme iii- dique dans l''expose dont il vous a fait lecture, a pour but d'inilier les jcunes eleves qui I'requenlent les ecoles primaires superieures a I'elude de la slalistique f^ene- rale. Son desir est de leur ins[»irer ])ar la suite le goiit de se livrer aussi a Tetude de I'economie poli- tique. Destin^ a elre mis entre les mains de jeunes eleves, ce travail devait, pour remplir le but de I'auteur, etre non-seulenient concis el clair, mais encore leur pre- senter un certain attrait. M. Bouidonne a done judi- cieusement fait de s'atlaclit'r a la statislique de la France , pour laquelle il pouvait consnlter les docu- ments ollioiels publics par le gonvernement. Cos do- cuments le mettaient a memo de donner a son travail line exaclilude et une precision qu'il eijl diflicilement atteintes pour une statistique plus generate , ou pour celie deloute autre contree. M. Bourdonne a considere la France sous cinq jKMnts de vue dillerenls : 1" Sous le point de vue pliysi(]ue; — 388 — 2" Sous le point dc viie admiziistratif ; 3° Sous Ic point de vue agrico'.c ; 4° Sous le point do vue industriel ; 5" Sous le point de vue commercial. Chacun d'eux fait I'objet d'uii tableau synoptique dont les dispositions , heureuseujent corahinees , per- meltenl de saisir aisemenl ['ensemble. Par les rapporls qui existent entre plusieurs d'eutrecux, par les rappro- chements faciles a etablir enire qiielqucs-uns des cha- pilres des divers tableaux, on arrive aux deductions qui sont le but que se propose I'auteur. Le tableau de la France physique se divisc en Irois parties. La premiere, les moniagnes; la deuxienie, les cours d'e:m; la Iroisieme, les voies de communication. Celte troisieme partie, en signalanl toule I'impor- lance des routes royales et departementa!es , met e.i relief le chiflVe bieo plus considerable du developpe- ment des roules vicinaies. On pcul en conclure ques'il y a on un gra;id inleret et une grande utilite a crder les grandes voies de communication, I'utilile qui se raltache a I'cxistence et au bon entretien des chemins viciiiaux qui silltmnent la France est bien plus grande et plusgenerale. L'examen du Iroisieme tableau, ou de la France agri- cole, divise en quatre sections, agriculture, silviculture, viticulture et cultures diverses, fait ressorlir I'impor- tance relative de chacun des produilsdu sc-l iVancais. La conversion du vin en alcool, la culture du tabac, de la betlerave, des plantes tinctoriales ou oleagincuses, peuvent el re signalees comme preuve du developpe- ment que pourra prendie un jour la cidture de cer- laine plante peut-etre encore peu connue , mais dont ios proprieles sont appclees a satisfaire de nouveaux Jjcsoins de consommalion ou d'industrie. — 389 — Lo Lihieau tie la France induslrielle a ete divise en trois chapilivs, un de I'indiistric niineralogique, un de i'industrie melallurgique , un de I'induslrie manutac- iiiriere. Cette diyision permet de reconnaitre facile- nient la valeur et I'iinportance de chacune de cos branches d'industrie, de connailre leslieux oil chacune d'elles s'exerce et a pris le plus d'extension. Nous avons reniarque la bonne classification que M. Bourd nnti a donnee a son tableau commercial et a son appendice. Elle met a meme de voir au premier coup d'oeil quels sont les pays etrangers qui nous four- nissent le plus, el ceux che7- lesquels nous faisons les exporlalions les plus considerables. Subdivise par cha- pilres d'imporfalion etd'exploilalion, cclal)leau donne la designation, la quantite, la valeur des niarchandises par ordre d'importance avec I'indicalion des priiui- paux lieux de provenance ou de destination. Co dernier tableau et son appendice ont ele dresses sur des docnainnls de 1841. Nous aurions vu Vdlon- lieis que M. Bourdonne eiil mis une date aux autres tableaux, on eut du moins indique celle de la publica- tion de ses Essais. Pour la statistique , les dales sont chose utile et precieuse; nous les considerons meme comnie indispensables. Elles seules peuvenl prevenir ou faire decouvrir les erreurs quelquefois volontaires que commettent les faiseurs de systeraes. Files seules portent la lumiere dans les iliscussions d'cconomie poli- tique , par la comparaison des resultats trouves dans les slatisliques dressees a des epoques difTerentes, re- sultats qui indiqaent le progres ou la decadence de telle Industrie ou telle branche d'agriculture ou de com- merce. Loisipie M. Bourdonne I'era imc nouvellc edition , — :m — nous I'engageons a coniblcr celle lacune. Nous pensons aussi (ju'iiux divers tableaux qui composenl son ou- vrage, ii | our rait alors en ajouter v.n iioaveau qui Irai- lerait de la France sous le rapport colonial, ct comple- terait tres-convenableuicnt ?es Essais sur la slalistique de ia France. En resume, nous considerons I'ouvrage que M. Bour- donne vous a prescnte, comine un travail utile el con- seiencieuseraent traite, dont toules les parlies sont classees avec ordre el melhode; nous nous empressons de lui donner noire enliere approbation. On ne saurait Irop louer le zcle avec leqnel il cherche a imprimer une bonne direction a I'inslruction qui se donne dans i'ecole primaire superieure a laqucUe il a destine scs Essais de statislique. Pui3se-t.- il el re assez heureu x pour rencontrer parmises jeuneselevesuoe deces organisations d'elile qui, donee d'un sens droit, sache distinguer les applications prati- ques dosarls des theories el des sciences dont les ele- menlsleur ?o;it onseignes, qui veuillesuivredansla car- rieredei'industrieeldu commerce les traces el I'exeniple dece conciloyen si recommandable, M. Houzeau-Mui- roQ. dont la sagacile et I'espril de travail avaienl tail la lortune, que sa belle intelligence avail fait parvenir a une liaulc position sociale et politique, que vous avez cte a lijerae d'apprccier lorsqu'il faisail parlic de cetle compagiiie (ju'il eclairail de son savoir el de ses lu- mieres, et dont la niort preinature'e a laisse un vide qui sera difricileraonl comble. — 91 — tUMMUNI<:ATION DE M. BOMVEViMK. 1*rocpde de H. Raclet, membrc rorrespondaiil dc i'Academie de Reimv M. Bonneville croit tlevoir faire a I'Academie uiie coinniunication qui comporte pour elle iin double in- terel, et par I'importaricc nieme de son objet, etparle iiora du regrettable corrcspondant auquel elle se rat- (ache. II y a environ loyee, ii'ar- rete que tres-momciilancmcnt Pebullilion. La depense en chaibon de lerre ou en bois pent etre evaluce a 80 centimos par jour, pour chaqne cliaudiere. Lc coniiee de Beaujeu, poui" eiicouraj^er de plus en plus I'application de recliaudane, a decide que vingt- cinq chaudiercs seraicnl dislribuces, a scs frais, aux yignerons qui praliquent avoc le plusd'ardeur ce nou veau precede d'eclienillaj»i!. Du resle. Messieurs, le gouvcrneineni, qui sc [>lait a encourager loutes les decouvcrtes utiles, s'elail em- presse, sur la deniande du cornice de Beaujeu, de de- cerner a M. Raclel la croix de la Legion- d'llorineur. ]\Ialheureusemenl il tie liii a pasele donrie de jouir longlemps de cello noble recompense si bien merilee. II est decede quebpics raois apres I'avoir recue — Enfaisant parla 1' Academic de la [)crte dece citoyen recommandable qu'elle avail associo a sis travaux, j'ai cru, Messieurs, ne pouvoir rondre un pins digne liom- niage a sa menioirequ'en appelant voire attention sur les nouvelles experiences qui prouvenl rinconleslable eflicacile du |)rocede d'eclunillage du aux paliciitcs n> chorches de M. Raclet. _ 39i — BlllEIl.\ RETIUISPECIIF. Cnniplc-reiidu (In premier volume des Aniialcs dc TAeademie , PAB M. ELG. COlUUiEAUX. Un tU's Irails carackTistiques de la physioiiomie . La plupaitde ces grands principes qui serventdc pivot a la socicle, sent de forinidablcs arnies a deux trancliaiiis ; el ces belles theories, ces brillautssysteines i)roduisent comme — 39(i — Farbre dc la science des fruils de vie et dc iitorl. Voii- loir [laralyser leur action venenciise, c'cst peul-elretuei' leur vitalile, leur condition essenlielled'existence, leiir laison d'etre. — II en est d'eux comnie de certains de- fauts dont parle Larochefoucauld , et qui entrent dans la composition des vertiis, ainsi que les poisons dans la composition des remedes. ijuoiqu'il en soit, et commepour sauver le parti vic- toricux de I'exageration de son propre principe, — le principe d'association, qui avait disparu dans la lour- mente, apparut bientot a tousles yeux comme uii con- tre-poids salutaire, et de tous les points de notre France surgirentpeuapeu de nombreusesagregations qui s'ar- rogerent la noble mission de reconquerir et de fixer t' alitor ite morale flottantea tous les vents, an sein d'une anarchic intellectuelle jusque la sans exemple. Nous n'aYons a nous occuper ici que des agregations lilteraires et scienlifiques. Des plumes elnquentes ont justement et clialeu- reusement expose ce qu'ily a de genereux et d'eleve dans cette commuuaute de sentiments, dans cetle fra- ternite d' intelligences qui concourent au nierae but , et ce qu'il peut y avoir d'utile et d'efficace dans cc reveil des traditions, pour I'educalion artistique, scientiDque el litierairedes grands centres de population , pour les recherches historiques locales, pour introduire la lu- miereau sein des origines nalionales, en un mot, pour provoqueret entretenir un salutaire niouvement d'i- dees. A Dieu ne plaise que nous elevions la voix contre I'unanimite de ces elogcs; niais pcut-etre dans notre temps de publicile souveraine, I'element vital des so- cietes scientifiques el lilteraiies esl-il ailleurs. — Cc qui, selon nous, eonstitue la force et la viabilile de ces — S97 — societrs , c'cst que, — a Icur inscii peul-elre, — ellea conlribuenf, dans une lari^e proporlion, a satisfaire uii ties besoins les pins imperieux do I'epoque. En cllel , quoi de plusconfornie a resprildc nos lois, de nos iisa- j^es ct. de nos moeurs publiqnes? quoi de plus liberal , de plus democralique enfin , dans la veritable et sage acceplion du mot, que d'ouvrir luie arene , oii cliaque hoiDine, — que !e deslin condaraiiait peul-eire a ram- per dans une sphere inliine, — pent prodnire ses ti- Ires nu gr.'.nd JDur, et doimer a lous la mesure de sa valeur? N'est-ee pas elever a de jeunes intelligences line iribune d'oii leur voix peut relentir jusque dans la cite? Nest-ce pas surtout nieltre le public en me- sure de reviser les litres et de controler I'aplitude de ebacun, et I'appeler a fairele classement decisif etsans appel des caj)aciles indigenes ? N'est-ce pas enfin, dans Tappreciation inlellecluelle des liommes , — pre- Ires, avocals, niedccins, fonctionnaires ou industriels, auxquels pouventetre confies la conscience, rhonneur, la vie, les inlerets prives ou publics de leurs conci- toyens, — n'est ee pas, disons-rious , subslilner le ju- gement sulennel de lous aux sentences autocratiques de quelques faux oracles de salons, et a I'oulrecuidance des dislribnleiiis ds gloire, dont la trompelte venale ou complaisante detonne toute espece de reclame? Sans doule a lous cesavanlages nous pourrions, tout comnie un auire, — sans plaider le pour el le contrc etsous loules reserves, — op|)oser une liste des incon- ve'nients inherents a loules les socieles qui se proj)o- sent pour but la proj/agation des si iences et des lellr es, (car les Academics ont, comme loules les choses de ce monde , eoinme loules les iuslilulions liuinainus , les delauls de leurs (jualiles et les (pialilcs di; leurs t\e= — 398 — f.-mis] ; mais une conclusion inallaquablo doniinerait toujours I'exttmen de la qiiosl on : c'cst que, par cela nie!i;e que CCS compagnics exisleril si nombreuses en Fiance, ellcs ont une raison d'etre suffisanle ; c'est que ieur organi^alion s;!onl;ui(?e atleste qu'elles sont Tex- pi'e?sion d'un besoiii general de I'epoque, — lebesoin de la publicile , et que s'll li ur esl rarciBcnt donne d'elever des monumenis inipciissables , cl!es pcrmel- lent du nioins a I'esprit public de forraulir, en connais- sance de cause, des arrets sur la valour intellccluellc {\c> liomracs qui aspirenl a lui frayer lesvoies C'esl la un birnfail qu'on no saurait. sans injustice corite>-ter aux plus modesies academies, acelKsdonlun grand ecrivain disail que c'etaient d'lwnneles femmes qui fai- saienl peu purler d'elles. Voil:i, nous lecrojons, ceque !e bon sens universe! a saisi avcc un instinct silr el bien- veiilant, el ce qui, dans les departcmcnts, a favorise la propagation des socieles academiquts. — Parlout, en efl'el, dcsavanles compagnies travailient a decentraliscr la produclion inlellectuelle, fuuillent avidomentles ori- gines ties cites, inlerrogent les vestiges des races dispa- rues, reconslruisent le passe au profit de i'avcnir, et s'altaquenlaux probletnes les j'luseleves des sciences uioraU's el nalurelks. Un si vaste mouvemenl d'ldces ifC pen! que produire de beaux fruits ; deja , d'un bout .\ la ce qui donne aux livrcs emanant des socieles cdtc physionomie presque en- (l| Col ariicle JU'tti lu ;i I'AiMileiuio dims imriit's |ircinR'rcs st;iiucs «lr l';inn(''(> 184 i. — 400 - cyclopedique, ce canicfere niulliplc et complexe qui soiil citmme rexpressioii de la variele cles travaiix d'une annee. Aussi i'oconomio politique, le droit, les scii'iices physiques , I'arclieolooie , la numisniatique , la lilierature et la biograidjie ont trouved'habiies in- terprelos, el revele an public reniois des specialiles igiiorees. — Jetons un rapide coup d'oeil sur quelques- uues des etudes qui composent ce premier volume des Annales. Nous n'avons a parler ni du discoars qui ouvrit la seance publiqiie, ni du compte-rendu de iM. le secre- taire, nicies rapporls sur les trois questions mises an concours par I'Academie. Tout le nionde se souvient des solennelles paroles du savant prelat, de la maniere incisive et spirituelle donl M. Landouzy s'est acquit- te d'une tache ardue, el des judicieuses et melho- diques appreciations de MM. Bonneville , Nanquelte et Maillefcr, rapporteurs des coniiiiissions chargees de I'examen des mcmoires. Rappelons seulement , parce qu'il nous parait important de populariser de sembla- bles etudes , que le memoire qui a remporte le prix sur la question de femploi des foiuls deposes aux caisses d^'pargnes et de la propagation de ces banques des pauvres, signalecommc modes d'emploi s«5parement ou simultanement applicables : ]" le placement lujpothe- catre a courle echeance avec un roulement combine et I'aide respective desdiverses caisses d'arrondissemenl pour assurer I'exactilude des remboursemenis ; 2" I'atnorlissement avec garanties hypothecaires sur tous les bieiis de I'etat ; '3' I'acquisilion de forets faite par I'elat, avec privilege de baillourde fonds au profit des caisses d'epargnes ; 4" la facullc accordee aux depo- BAuts ages de 50 ans au moins de converlir unc parlic — 401 — (ill capital par eux depose en reiile viagere.— Comunj inoyens efficaces de multiplier rinstitulion , I'auteur, M. Eiioene Gone), propose enire aiUros I'eiiiploi d'une portion des liberalites municipales en deiivrance a quel- ques eofanls indigents, de livrets de caisse d'epargncs, etrattribution d'un inleret plus cieve en faveur des pelits versements qui ne depasseraient pas 200 francs. II y a la des idees donl I'adminislration el le credit, public peuvenl faire Icur prolit. Un remarquable travail de M. Ste-Foix, I'auteur deja bien connu du Livre des peuples et des rois , se presente lout d'abord a noire examen. Voicien quelquesorlele sommairede ce fragment, intitule Nolioti dela rkhesse. Lejeune ecrivain pose en axioiuc que la valeur des (hoses provenanl de la somme desdesirs qui Irs con- voitent , le priiicipede cette valeur est tout spiriluel, et (;ue la vc'rilable notion de la richesse dans toule s:i plenitude ne pent etre que I'apanage de I'liorame civi- lise. La valeur des cliuses, n'etant pas absolue, ne petit consister que dans un rapport mobile el llollarit entre la produclion et ies desirs qui la sollieitent. Exagerer la production au-dela des dcinandes ou provoquer par nne excitation fact ice des appetits qu'elle r.ssasiera d'abord sans pouvoir Ies assouvir ensuile, est done u'> contre-sens egalement dangereux au point de vue eco- mique et moral et ])ar consequent au point de vue poli- tique. C'est la, selon M. Sainte-Foix h; tort des gouverne- menls modernes qui, se sentanl deriver aux buur- rasques des passions, out pris leur unique point d'ap- pui sur Ies interels materiels dont le regne ahsoks engendra la libre concurrence dans loules Ies voies, c'est-a dire la produclion elVrenw^ qui abnutit a Tengor- — 402 — gernciil, a la depreciaiion, a I'epuiscnienl ; car , d'une pari, I'effervescence des desirs s'agile oragcuscment au Lord de Tabime oil scsont englouUesles rt-ssources dont ils s'alimerilaient, tandisque d'aulre part la luul- liplicalion des pruduits croiipil, sans issue, sans ecou- lemenl, el depose ainsi au sein des socieles le germe de ces malaises clironiques, dc ces agents morbifiques qui peuvent alterer niortclleaieril roconoinie d'une nation et provoquer d'ellroyablesdJsordres. — La vraie ricljesse d'une nation consiste done dans un rapport bien elabli entre la product ion ot la deniande. Mais oii irouver la rlgle qui fixcra ce rapport ? Dans la con- stitution morale d'un peiq)le relrempe par le double senlinieut dela religion el de la paUie ! Ni les lois, ni les reglements, ni nieme la coiiquele a coups de ca- non de noiivcaux debouches, eUic comptoirs universels ne suffiraienl a crcer d'cnioncloire eflicace a cetamas de matierrs stagnanle>. Ce sev?ierit la des artifices, des alermoiements, des deuji-remedes donl I'emploi, momentanenienl bienfaisanl , ne I'erait eiisuile qu'e- lever le raal a sa plus liaule puissance el nous condain- nerait peut-etrea leguer a nos cnl'anls uiie plaie incu- rable. I! faul puiger d'abord la nation de ce levain nialfaisant qui firmente dans toules classes de produc- teurs el de consoniraaletirs. La ret'orme ne peut done pas ctre I'oeuvre d'un jour , et telle ou telle mesure G- nanciere , telle ou telle couibiiiaison scieiiliUque ne saurait I'operer. La maladie qui enerve I'industrie conlciuporaino n'est pas seuleniciil ie produit sponlane, le resultat lortuit de circonstanccs maldrielles : en faire uiie question puremenl e'conomique, et s'ellbrcer de la resoudre dans lestermesoiielleest posee, s'ingd- niiT a Irouver des roceltes ct des forniules pour con- — 403 — cilior la librc oonciirrenoo avcc I;i repression do scs exceSj c'est meconnailre roiiginc de cctte maladie , c'est, — qu'oDiious pardonne cetle mechanle expression, — c'est piquer une idle dans Ic vide, c'est vouloir oler an poison son action, a la vipere son vetiin, et les plus forles letes econoujiques se briseraient avant do de^agerla grande inconnue de cet insoluble et re- doulable problenie. — La maladie n'est pas senlenient la ou on la suppose : elle a sa racinc clans un vice moral iti\^eter^. C'est done dans Tapplication d'un principe moral qu'il faul chercher le reniede , c'esl- a-dire, dans la repression des ins'incts cupides surex- cites, dans la compression des bcsoinsfactices, dans une plus jusle balance des interets individuels , et dans i'introduction parmi It's masses d'lin sentiment plus gem'reiix des interets coUectifs. — Enipoitee par lecou- rant , rindustrie ne saurait virer de boid : le pouvoir seul pent essayer I'lnitiaUve, el si la reforme est pos- sible, raecornplisseinrnt en est destine a la generation qui s'eleve. Eh bien ! a toutes les fondues de Peaio'i'sme dechaine le senlimenl religieux et pairiolique pent seul opposer un rempart inexpugnable. On p'ut refrener les era- portements des passions eg;irees, regler !es desirs, e!a- blir do justes r.ippoils ei donner anx lioniint's ct aux choses leur vraievaleur, si ce n'est bi religion, dit I'ou- vrage dont nons reprenons ici ('analyse , el sous ce mot de religion, I'auteur comprend Y ensemble des de- voirs qui oblige nt rhotmne envers Diea . enters sa pa- trie, sa famille et ses freres ? 0''i poiirra teiuperer I'egoTsme personnel par I'aniour du bien public, sice n'est \Qpalriolisme, ccllescconde cliarileaussi lieioiijue que I'aulre '! Insulllez done au sein d'.'s masses I'espi il — 4(M — i'eligieux et nalional ; car , si le mal empire encore . la consequence inevitable et clesastreiise qui vous at- tend , e'esL une baisse sensible clans la valeur de riiomrae lui-menie , c'est une depreciation de I'espece bumaine! L'lioinme va toujours se courbant vers la terre : redressez-le vers le dell Vous aurez une societe plus morale el plus riche ; car la nation la plus riche et la plus puissante, — loutes conditions topogra- pliiques etant egales d'ailleurs, — n'est pas celle oil I'eruporte la soninie du numeraire et des -valeurs re^ prescntalives dispersees enire les mains des individus, mais bien celle dont le gouvernement pent, a i'lieure du danger , [)re!ever sans crainle et sans obstacle un j)atriolique irapot d'or et de sang sur tons les ci- tojens ; — la nation la plus riche et la plus puissante , la plus cxenipte de dangers exterieurs et interieurs , celle a laquelle I'avenir apparlieudrait par des droits injprescri|)tibles , e'est la nation oil Tassociation sponlaneo des br;is el des capilaux pourrait , dans une situation donnee, improviser un formidable sys- teme de defense. L'economie, sainemenl entendue et appliquee serait done d'accord avec les loiseternelles de la morale. — Telle esll'esquisse incomplete et dccoloree dela brillante etude de M. Sainle-Foix. La conclusion sous-entendue de I'auleur parait elre(Gi nous embras- sons complelement celte opinion), que dans la pluparf. des probleraes sociaux , c'est a Ve'ducation qu'appar- lientrinitialive des reformes; qu'elle seule, motliflee et secondec par I'adoplion d'un principe relkjieux et pa- triotique , depouiliant des formes exiemporanees , et mise en liarmonie avec Tesprit des institutions vraiment liberales , peut donner la clef de toutes les questions (lui inleressent s^rieuscment I'avenir de riiumanito. — 405 — Sous cc litre : De[a rc'pre^ision des plaideurs de maii- vaisefui,M. Uoanoville a do;ine un peiil Iraile omplot ecril. avec une clialeureuse conviclion el tres-lo"iqiic- menl argumenfe d'lin bout a I'aufre. Les idees s'y en- chainent si elroitenienl, lecanevas en est. siserre, qu'il est difficile d'en extraire un sommaire sans rom|)re le 01 des (tensees , sans demembrer I'ouvrage. — Selon I'auteur, le lajnde aecroissenient constate paries sla- tisliques les plusaullientiques dans le nombrcdes pro- cesciviiset de commerce coincidaiil avec I'accroisse- ment des crini(!s et des delits qui ont pour mobile la cupidite, ne peul provenir que dela mauvaise foides plaideurs, puisque les deux aulres sources de proces , — Tignoraricedela loiet I'espril de chicane, — tendent de jour en jour adisparatlre de noire societe. Or, la le- gislation acluelle par la proleclion de son silence ollre unc prime a I'improbite du plaideur de mauvaise foi , puisque I'impunite du mensour/e are're devani la justice aflrancliit de loute craiiile les liommes iiidelicals, et en- trelieiit cluz eux i'estJoir d'uri gain illicile; car , trop souvent leurs ruses peuvenl egarer la religion des jui-es. — L'autenr, aunomdela morale et de I'equile, reclame uiie peine contre I'imposture des plaideurs qui mentent en face du tribunal. Voulant justifier cede mesure par des precedents legislatifs , il nous montre d'abord le droit romain s'efforgant de prevenir la mauvaise I'ni par le serment, vl Uai^panlVimprobus liiigatur qui I'avait viole, par une action speciale a raison de son dol, par des dommages-interels au profit des |)arties , enfln par rinfamie. Parcourant rapidement Tancien droit francais, il rappelle les ordonnances de 1270 , 1499, 1564, etc, etc., qui prononcaient I'amende et la pri- son coutre le plaideur frauduleux et contre I'avocat 29 — 406 — complice qui I'avait a!«sis(',! de sa parole ; enfin ii compare a ces sages dispositions de nos peres, la legis- lation moderne sous It.' regno de laquellc loules les rae- nees honleuses, toutes les niananivros deloyales qui ne rentrent pas exactcmentdans la definition legale du vol, de I'escroquerie ef de Tabus de corifiance peuvent se produire jusque dans le sanctunire de la justice, sans avoir a redouter nulle action repressive, a tel point (et nous cilons texluellcment ) que le coupabte est a Vavancc assure cVun bill jiuliclaire iC innocence du moment qu'il peul prouver n' avoir employe pour s^approprier le bien iVaulrui^ quele dol^ que des manoeuvres frauduleu- SES ! II y a la de qnoi surprendre et indigner tous les cosurs lionnetes. Un pareil scandale appelle un remedc efiergiquc et d'unc application facile. Celui que signale M. Bonneville reunit ces deux qualiles. En eftet, I'ex- tension de Tarlicle 213 du code de procedure a tous les cas de fraude conslalee constituerail une penalite d'amende donl les produils creeraient, ainsi que le prouvcnt de tres simples et Ires-lucides calculs, des ressources annuellessuffisantes pour couvrir les frais de la juslicecrirainelle, dont le chiffre raoyen est d'envirou 4 millions. — La justice , la morale etle tresor public, dit M. Bonneville en terminant, n'auraient done qu'a s'applaudir d'une mesurequi mettrait a la charge exclu- sive de rimprobile, un impot supportepar tous les hon- netes gens, par ceux-la memos qui sont les victimes desdelits et des crimes dont ils contribuent a payer la repression. line question archeologiquc du plus haut interet, el par le sujetmeme etpar les considerations de haute cri- tique qu'elle soulevait, a faitcclore enlrc MM. L. Paris^ — 407 — Fanartct llerbeune curieuse discussion, — nous dirions presquc une chaude polediique jilcine de verve ct d'es- prit, etincelanle de slyle et d'idees. Si i'exiguile dcno- tro cadre no nous inlerdisail lout developpement, toule theorie d'estlietiquc, nous auiions grand phusira suivro altenliveraenMes Iroisjouleursdansleur briliaule passe d'arnies , et , — si nous cedions a la lenlalion qui nous presse, nou5 oscrions^ — peut-elreetourdiment, — raal- grenotre infimite, — nous consliluer juge ducamp, sauf a descendre ensuite dans Tarene, pour payer de noire personne et y etre bravement porle a tene a l.i premiere rencontre. Mais nous n'avons pasle droit de eonibaltre: aucun litre de noblesse ne nous a enrx)re, ouvert la lice, aucune preuve de vaillantise ne nous a acquis I'honneur de nous mesurer avec dos horames dont cliaque bataille illuslre le blason ! — Reprenons nulre roled'hisloricn. D'ancierines lapisseries assez d-'Iabrees decoraient les murs laleraux de noire calliedrale : un beau jour, elles disparureni sournoisement coninie de pauvres vieilles qui n'osent plus se raonlrer a la luraierc. Quis, quid, uhi, quomodo, quandd ? C'est un Arcane que nous n'a- vons pas mission d'eclairer, Dieu nierci ! Tonjoursest- il que M. Paris cherchc si bien qu'il retrouve ces vene rabies dc'lriluSy et qa'euiu de pilie pour ces precieux vestiges d'une epoqne a laquelle les artistes de nos jours onl voue un culte — a noire sens bien legitime, - — le pieux archeologuesollicile leur exhibition ct tear res lauration, et se met a e'crire poureux un beau jilaiddyer lilleraire qui est devenu le i>orlique d\in splendido monument elcAe ;i I'Archeologie reuioise. Le naire des mauvais jours qu'avaicnt traveises ces pauvres tapis- series, le recit de leurs persecutions avaienl attendri lous lescoeurs : la cause paraissiil gagnee.... Mais vqioi — 408 - venir M. Fanarl, reiiiienii icilime de la renaissance, — "epoquebalardequi afausseel perverli louteslesidees de Part golhique, » — le voici qui, commenlant I'oeuvre sublime des Coiicy et des LibiMgier^ nous inilie aux mysteres ile la pensee symbolique des grands artistes, explique la merveiileuse basilique, el, dans quelques pages empreintes d'un lyrisrae eblouissant, gloritie ee grand poeme en pierre dont il defend la majesle, et reussit presque, a force de verve, de style et d'imagina- tion, a prouver, que poit au point de vue des grandos lois eternelles de Teslhctique, soil au point de vue de I'archilecture propremeiit dile, soit eiifm au point de vue de I'acoustique architecturale, on doit proscrire les tapisserieset les loiles peinles dans une eglise de style ogival, oil cerlaines parties, dans I'inlenlion de I'archi- lecle, sont condaranees a une niuiite absolue ; que ces infames tissus de laine contrarienl d'une raaniere fla- grante le genie mystique d'oii jailiit, comnie ditGoethe, celte poetique et colossale crislallisation; qu'ils gri- macent aubas des fenetres qu'ils entailieiit; qu'ils inler- rorapenl des lignes architecturales dont la vue est in- dispensable ; enlin qu'ils sont de veritables eloufloirs oil s'engouflreni les ondulations sonores de I'harraonie qui les a en horreur ; que declarer la guerre a I'harmo- nie, c'est afl'aiblir le sentiment religieux dont elle est sanscontredit un moteur aussi pui«sant au moins que la peinlure, et que sous tous les rapports, entrela cathe- drale etics tapisseries, entre Kobert deCoucyet Daniel Pepersark il existe une repulsion complete, native, in- surmonlable... La question en etait la, et maint esprit ni plus ni moins « mbarrasse que I'anedelJiiridanquand M. Herbe entra en lice pour demontrer queTexplica- Uon de M. Fanart li'expllquail rien ou du moins ({u'elio — 409 — n'etait qu'un brillanl sopliismecontredit par I'histoire ; que si les arcliitectestlu slyle ogiyal avaienl laissc nues certaines parlies de Icur oenvro, c't'tait precisement parce que les merveilles et les fantaisies de leur art eussenleteenfouies sous les riches decorations, sous les faslueux preseuls, que les arts de toiites les epoques, parunepieusefraternile, apportaiententribula I'eglisc; que los basiliques avaient ete pendant le nioycu-af^e les seidsmusees oalionaux ; que depouiller les temples des merveilles donl iios peros s'efaieitt \)\i\ a les parer, c'e- tait renier brulalenieiit noire passe, el rompre saerile- genienldes traditions consacreesdepuis un temps im- uieaiorial; qu'a toutes les epoques, nierae au xii" ct xiir siecles, a I'heure oii le genie des Luzarche, des Liber- gier et des Coney j>ortail I'art gothique a sa plus haute puissance, a sa plus pure et a sa plus complete expres- sion, la iiudile elait lellemenl en horrenr quefenetres, niurailies, pave, portail, voussures, niches et statues, lout ^lait on I'eini, ou orne de dorures, ou surcharge d'ornen:ienls eiranger- rcpandus a profusion ; que si la presence des lapissericsetdesloilcs peintesfrappaild'a- j)honie la cathedraie, il fallait se feliciler d'une bienfai- sante })ropriole qui temperait nn pen les eclats ^/es 5cr- penls el des laiireaux sti[>endies et le frequent desaecord de I'cxeculion niusicale, — enfiii qn'on devait fairc, quand merae [horresco referens !) bon marched^ la mu- sique qui avilissail tios eglisos ! — T( lie est I'analyse exacle d'une discussion eminemmenl interessante. lle- sunions nous : le plaidoyer de M. L. Paris estbien elo- quent, la theorie de M. Fanarl bien seduisante, les assertions de M. !!crl)e bien forniellcs...! Mais la ques tion n'est pent-elre pas traneliee. Anjourd'liui que la poussii^re du combat s'est dissipee, nous voyonseliaqno — 410 - parli conscrver ses positions et s'y retrancher iiitre|)i- dement. II a ete si vailtaraoient guerroye de part et d'autre, que la victoire est restee indccise.... Nous croyons avoir le droit de fairc comme etle, et, dussions- nous passer pour un de ces mauvais ciloyens que la loi antique notait d'iiifamie pour ne suivrc aucun dra- peau, nous ne prononcerons pas. Ces examens sommaires suffisent peut-etre pom- donner uiie ideederimportance des travaux qui com- poscnt ce premier volume des Annales. Si nous n'avions deja depasse les limites du modeste plan que nous nous somraes trace , nous n'aurions garJe d'oublier un Ires spiritnel et Ires litteraire rapport de M. Nanquetle, sur les publications de la Socie'te des Bibliophiles de Ueims; une breve et subslantielle appreciation de I'his- loire de Dom Marlot, par M. L. Paris; les inleressan- tes biographies de Linguet et de Goulin, par MM. De- rode et Pliili|)pe, et les curieuses etudes de MM. Lu- cas et Duqueneiie, sur quelques points importants de nuroismatique et d'archeologie. La poesie a Irouve aussi ses represf ntants dans MM. Wagner et Galis^ dontles vers faciles vicnnent a propos egayer la physio - noniic un jieu severe de ce premier volume. Que si dans celte rapide et incomplete revue nous n'avons pas parle des travaux scientifiques, ce n'est pas que nous les rejetions au second plan. Loin do la ! Nul plus que nous n'admire la science et n'apjilau- dit a ces courageux explorateurs qui consacrent leur ^ie a I'l'tude des secrets de la naiure. Nous voudrions ))onvoir payer dignement a leurs etudes le Iribat d'e- loges auquei elies onl droit; mais notre incompetence absolue nous defend d'abordcr certains sujetSj et les louanges d'un ignorant comme nous auraient pen de — 41 1 — f)oids. Pourtaut nous ne craindrons pas d'aveiiturer iiotre responsabilite dc crilique, en enipruntanl la voix des juges doiit la sentence a le plus d'autorite pour de- clarer que les Iravaux de MM. Ruinart, Querry, Tarbe el Saubinet sont empreinls d'un veritable cachet scien- tifiqucj et que le rapport de M. Rondot constitue une serieuse conquele pour la science geologique. En somme, ce premier volume inaugure dignement la publication des Iravaux de I'Acatlemie, et permet a notre ville de Reims de soutenir la concurrence avec la plupart des societes scientifiqucs el litteraires des deparlements. Reims. L. .lACQUET, Imprimeur dc rAcademio. SEANCES KT TRAVAUX DE L'ACADfiMIE DE REIMS. osaS^vC no. stance da 91 Fevrler 1945. sOMAIIlE DE LA SEANCE. Corrospondance. — Lecture de M. Maquart : Communication d'ua procedu nouvoau pour dessiner a la \)lomljagiiic. — Lecture do M. Max. Sutaine : Notice histofi(|uc sur la culture de la vignc dans le pays de Reims (1) . — Lecture de M. Pinon : De la clianson en France (Suite). — Lecture deM. Wagner :Le Portrait, conteenvers. Bulletin relrospeclif : Notice sur Jean-Baplislc Depertlics, peiutre remois, par M. Max. Sutaine, La seance est ouverte sous la pr^sidcnce de Monsei- gnenr raicheveqiie. Le proces-'veibal de la seance precedente est lu el adopte. La coTespondance iraprimce se compose : 1" De raliiianach general du commerce de Reims, adrcsse a PAcademie par Pauteur, M. A. Germinet ; — 2" d'un raenioire de M. Noel, avocala Nancy, sur le (1) Nous sommcs autoriscs a annoncer la publication de cet arlicU dans un de uos prochains nuraeros. 3* — 414 — rcgne de Thiebaul I", due de Lorraine, 1 vol. in-8* , Nancy, 1845 ; — 3°d'une ktlre adressee par M. le pre- sident du Cornice agricoledu departement delaManie, aM. le president de 1' Academic, pour le prevenir que Tassemljle'e "enerale du Cornice se reunira a I'hotel de ville de Cludons, le 17 Fevrier. La correspondance manuscrite ne comprend qu'une letlre de M. le maire de Reims , accoaipagnant une medyillc d'arwnt commemoiative de la reslauratioa des fonlaines de la ville, et dontM. le maire fait liom- mage a ['Academic. — La medaille est remise entre les mains de M. le Iresorier, et M. le president est prie d'adresser, au nom de la compagnie, des remerci- ments a M. le maire, dont la lettre restera deposeeaux archives. M. Louis Lucas obticnt la parole: il demande au nom de la personne pour laquelle il avait fait une com- munication a TAcademie, dans la precedente seance, qu'il nc soit pas fait de rapport par la commission chargee du soin d'examiner cette communication el d'y repondre. M. Derode, rapporteur de la commission, est, en con- sequence, prie de remeltre a M. Louis Lucas Ics con- clusions de son rapport qui ne sera point lu en seance. — M. Derode declare qu'en se conformant au desir doDt M. Louis Lucas est I'interprete, il croit devoir ncanraoins soumettre a l' Academic une question qui a ete soulevee dans le sein de la commission : celle de savoir ?i la compagnie est constituee leg ikment de ma- niere a pouvoir posseder et a accepter direttement les dons ou legs qui lui seraient fails a I'avenir. La com- mission a pense que cette question devait etreesaminc'e pour elle memc, et d'un point de vue general, et son — /.15 — rapporteur exprime le \oeu qu'une nourclle commission soil nomniee pour en faire I'objet d'un travail special el approfondi. L'AcaLlemio, sur la proposition do M. Ic president, decide que celte question est rcnvoyee a la commissian nonimeedans la precedeiite seance, eta laquelle sont adjoints RIM. Contanl ct Gonel. LECXrRE DE M. MAQCAUT. CommuuicalioD d'uD piocede Douveau pour dessiucr i la plombagiuc. MESSIEtRS, On s'est deja demande souvent si I'art du dcssin et de la peiiilure est eti jirogres, et si !a perfection est loin encore d etre .illeiiile. Il est des artistes qui n'ont pas crainl d'avancer que, souls, ils avaient conipris le vrai, el ex|)riind le mieux la nature ; quelques-uus, n'o- sant le dire, ont expose dcs ffiuvres (jui parlaient, ea raeuie lenips, [)our eux et contre eux ; d^iutres, d'un avisdianielralenient ojipose, ont pense que I'art avail re'- Irograde, el quediqjuis ['apparition des chefs-d'oeuvre des grands maltres , rjen ne pouvait plus les sur- passer, voire meine les egaler. II s'esl aussi rencontre de nos jours des homines assoz decourageants pour oser dire que I'art etail en complele decadence , el que le laid et rinfunne avaienl pris la [dace du beau el de I'ideal. Tout cela, il est vrai s'est dit, s'est repele; et de cette lulle rive et animee dos diverses opinions sur — 416 — r^talde la pi'irilure raoderne, est resullee une scission dans le monde ailislique. Nous avons vu, en e(Tft, deux camps se former, un combat s'eiigager sous les routes du Musee, aux epoques des expositions an- nuelles ; puis la vicille et la nouvelle ecole en appeler au jugeiuent public de I'excellence de leurs principes, et le public, a son toui', juge severe, imperieux, slig- matiser les cxces et les fautes de cliacun. De celle lulle, qui probabienient ne sera pas la derniere, il en est resulle un bien : on a vu, tour-a-tour, reco!e clas- sique et Tecole romanlique sacrifier au bon gout, et comprenant mieux I'interet de I'art, s'entendre el se donnor la main. Les pelites causes produisent presque loujours de grands effels, et tel artiste possedanl seul une facon de peindre differente des melhodes ordinaires, s'est fait chef d'ecole; son moyen, son procede est devenu son secret ; possedant ce qu'en terme d'art on appelle une maniere y sa maniere a fait sa reputation. Mais souvent il arrive que le secret devient celui de I'ale- lier : alors le moyon mysterieux lombe dans le vulgaire, il pcrd tout son nierileen passant dans des mains ma- ladroites. L'arlislo voil son inventiou degradee, on la flagelle deTexpresson banale usitee par le rapin. Son secret est lout simplement une fxclle, et sous eel im- placable mot, le prestige du genre disparait. C'est ainsi qu'une foule d'inventions, d'uneespece par Irop ephe- mere,se dissipenten furai'e, lorsqu'on vient a analyser leur source. Nous vivonsdans une epoque de laborieuses recber- chcs, nil partout soul lendus des lacs aux decouvertes nouvelles ; on cherclie, non a f lire de I'or, comme les alchimistcsdu nioyeu-a^'c, raais a d^couvrir des moyens -> 417 — ingonieux, a derober les secrets di', la perfection. Ce besoin devoranl d'avoir dii nonvcaii s'etend au\ arts liberaux comrae aux arts mecaniqucs. L'arl est disse- que pour en connaftro les ressorls. Ell bien ! Messieurs, ces recherches, dont plusieiirs font myslere , sont ce qu'on appcUe ass'z irisia- loment les ficelles du metier ; el si je par'c siusi, no croyez pas que je veuille exagerer ou rabaisser i'art au niveau dt's plus fuliles choses; au conlrairc, je vcux prouver que ces proccdes cache'?, ces moyens secrets de f.iirede Part, sontccux que ne craignent pas d'em- ploycr aujourd'hui les so:nrailes arlistiqiios ; el pour qui connait les oeuvres de certains niaitrcs de I'ecole niodcrne, dont je m'abstiendrai de citcr les noms, on reste convaincu que leurs peintures ne sont que !e rd- sultat de la nianiere, a eiix propre, de leproduire tel ou tel nbjet par tel ou tel procede. Ricn de plus commun cnlre artistes que d'entendre demaiidiT : Comment fnilcs-voiis ccla ? et a cetle ques- tion de repondre: C'est mon secret. Aussi esl-il vrai de dire qu'en reunissaiit les precedes deja connus en peintureet en dessin , on pourrait faire un ouvrage in- leressant , qu'a bon droit on inlilulerait les Mysleres de I' An. II y a bicn encore un principc dont on ii'osl pas suf- fisamrai nt penclre : c'est, qu'en fait d'url, tous les in- slrunienls, conjrae tous les moyens, sont boiis pour ar- riverala veritederex;)ression.Lesau!eiirsdu Diorama, par exemple, n'oni pousse Pimilation de la nature par la pcinlure a un si liaut degre de perfection, que |);tr I'emploi de quekpies uns de ces moyens simple s et fac- tices qui, bien qu'expliipie's aujourd'hui, n'en sonl pas moins d''admirables fcelles. — 418 — Chacunfaitdel'artselon son seotiraent, et I'exprime h sa maniere ; cepenilaiit, en fait d'ait, mulliplier les Dioj^ens d'opcrer, c'est aider a la perfection : publier un raoyen nouveau de reproduire, c'est, a mon avis, un bcsoin comme un devoir. Fenetre de celte pensde, j'offre a I'Acadeaiie le re'- sullat de inos experiences, el aux artistes uiie nouvelle "voie a explorer. Le hasard autant que Ics recherches m'ont amene a poser le theme que yoici : Remplacer le genre croquis par un autre genre qui, en n'exigeant pas plus de temps, reproduisil d'une maniere complete Yeffet, aussi bien que les details. Pour cela il falkiit trouver : 1° Un champ sur lequel le dessinateur put, a volonte, tracer, effacer, puis relraccr et efl'acer encore, soil en- tierement , soil en partie , le dessin qu'il aurait fait. Je trouvai que le papier connu dans le commerce sous le nom de papier-porcelaine, donton fait des carles de yisite, remplissait ces conditions. 2'' Trouver line poudre, colore'e s''il elait possible, et d defaut, d^une seule teitite, qui,au moyen de reslompe, se fijcdt siir ce me me papier-porcelaine. La plombagine, ou mine de plorab, reduite en pou- dre impalpable, etait ce qui remplissait le mieux les conditions posees. Voici comment j'operai pour la premiere fois. Cherchant a reproduire rai)idement Teflet que pre- senle a I'opil une medaille d'un mince relief ( c'elait la medaille de I'Acadorait'}, je pris une carte de papier- porcelaine, et j'enlevai avec de la pierre-ponce tami- see, el par I'aide du doigt, le brillant produit par le cylindre dans lequel on passe cette sorte de papier; — 419 — puis, eraployant de la plombagiiie anglaise mluile en poudre impalpable, j'en couvris legerement du doigt la surface de la carle dont j'avais enle^e le bruni , j'oblins une teiiite uiiie^ d'un gris egal et doux, el je dessinai sur ce ton gris la figure que represenlail la medaiilC; avec un crayon de mine lendre; puis j'en- levai les brillants de certains contours avec un gralloir. Ce que je venais de faire etait Ires simple d'exccution, et pourtant d'uu elTot complet. Je pensai aussilot a appliquer ce genre a tout autre sujet qu'une medaiiie : je dessinai ainsi une tele, un paysage, un interieur ; cliacuu de ccs divers sujets se preta facilement a rccevoir I'applioalion du precede ; le resullal fut com plot pour cliacun. Praliquant d'avanlage, j\iljordai quelques dessins de grande dimension: il me fdlul recourira d'autres moyens que Peslompe, et c'est alors que j'augmetilai les ressourccs du genre. Je Irouvai que I'emploi des teinles gradueesfailes de minede plomb et d'eui, sans gomme, pouvait el re d'un grand avantage pour les plans qui avaient besoin d'etre bicn accuses ; ainsi, par une opposition lieureuse, I'estompe dont Temploi est d''adaucir et de donner du vague aux contours, faisail valoir les plans determines avec le pinceau au moyen du lavis. Continuant les experiences, je remarquai que, sur le papier-porcekiine , et seulement avec la mine de plomb en pondre, on pouvait employer conimj instru- ments, independammenl de I'estnmpe et du crayon do mine, le lavis et les retouches au piiiceau el a la plume, poour determiner des masses el des contours ; le colon el la peau blanche pour fondre les plans vagucs el adou- cis, parliculieremi'nt les ciels el los loinlains dans le — 420 — pa J sage ; enfin le graltoir et la pierre-ponce en poudre tamise'e pour effacor plus ou raoins la leinte de plomba- gineappliquee sur la surface du papier, soil avec I'es- torape, soil avec le pinceau. Avec aulant de ressources on est surd'un bon rosuUat. Aucun genre connu dans le de«sin n'avait encore perrais d'employer siniullanemenl aulant d'lnstruraents ditterenls. Le pipier recouverl do blanc de plomb, devient done un nouveau champ sur Icqucl pout s'exer- cerl'arliste habile. Ainsice papier, parsa composiiion, permet de recevoir des applications superposees de mine, soit a I'estompe, soit au pinceau , sans s'alterer ancuncment. La pierre-ponce en poudre remi)lace dans le dessin la inie de pain, qui graisse presque tou- jours le papier et ctlace inega lenient. Elle oflre oet avantagc qu'on pent enlever la mine sur le papier-por- celaine, aulant de fois qn'on le desire. Enfin dans au- cun genre usile, Teniploi du graltoir est plus henreu- sement employe : des blancs purs , nets , comrae il en eslquelquefois besoin dans les grandes lumieres, sede- taclient avec echit, sepretent a loutcslos formes, et bril- lenlsurrechelledes tons, quelle que soit leur intensite. II est facile de concevoir que si Von voulait enlever en entier un dessin fait sur papicr-porcelaine, on pour- rait le faire sans laisser aucune trace, et que plus la couclie de b'anc qui recouvre la fenille aurait d'epais- seur, plus il serait possible de revenir sur le dessin sans en delruire rharmonie. D.ins ce genre le graltoir et la pierre-ponce sont deux utiles au\ili:iires. J-ai dit, Messieurs, que ce qui dislinguo ce genre, c'est parliculierement la rapidite avec laqiielle on I'exe- cule. En effet, on compreiidra aisemeiU qu^si I'o.'i n'a pas a s'occuper de inenager d'abord les lumieres el — 421 — mi^mccertaicns tlemi-teiiiles, on arrive de suite a leffel qe'nc'ral que Ton clierclie. Alors lout s'harmonise a incr- veillc: le pinccau viendra donner iine louche on plate ou decoupcie dans un clair-obsciir ; el I'csfompe, au boiit de laqiielle on aura place de la pierre-ponce en poudre, rappellcra un reflet d'tine Gnesse de Ion qu'on n'obtiendrait que par de grandos precautions par le precede onlinaire. Je doip dire aussi que I'esquisse doit ?e fairelarfre- ment, avec un crayon de mine ; que celte osquisse doit el re assez arrelee et accusee pour (jue le trail ne dis- paraisse pas completcmfnt sous le f'otfemenl de I'es- tonipeou de la peau, et qu'il n'est pas besoin de s'oc- cuperdes details qui ne sonl ajoules qu'apres le Ion local applique. J'ajouterai eucore que lorsque le crayon de mine ou le pinccau ne peuvent [)lus laii^ser de traces sur uue Uiute vigoureuse, on empinio avec succes le crayon lithograpliique qui depose un niir dont on couvro le trait avec de la mine. Deja plu^ieurs artistes, qui ont recu comniunicalion du precede en ont fait I'application avec succes et rapi- dite. Si, comraej'en conserve Pespoir, ce gonre tout nou- veau de dessiner est bien a<'cu(M!ii des dt ssinalcurs, ils reconnaitr nt bieatot combien il est piefi-rable a toute autre mauiere, pour obtrnir rapideinml des cro- quis dans lesquels lV//e de sa maroile, agilcr joyeuseiueul les grelois de la Folic; elle tiaine parloutsur son passage une odeur de sang qui repu gne , et linit biontot par succond)er a ses proprcs — ^3'2 — excos. Tiions done un voile epais sur ces salurnales , d'autant. que plus tard nous aurons a vous la montrer noii moins vchementc cl non nioins hostile, sorvir en- core Ics passions populaires el guider, comme dans la Li!:;uc , le bras d'un peu])lc en delire. Vous parlerai-je de Regnier, le poele lyrique et sa- iiric"iiier sciil pormi nous, forme sur Irursmodclcs, Dans sou vieux slylc encore a lies graces nouvelies. Heuieuxsi ses discours , craints du chaste leclcur , Nese sontoienl des lieux ipie frequeuloil I'aulcur, Et si (111 son hardi de ses limes cyniqucs II n'alarmoit souvent Ics oreillcs pudiques. Apres cc tableau des oeuvres de Regnier, il ne me serait guere possible de faire quelque citation, sans craindre de blesser yos orcilles et d'ellaroucher votrc bon goCit, qui a rejete bien loin de nous toules ces com- positions licencieuses fort en credit a cetle epoque. Jc me bnrncrai done a vous donner lecture de repitaplie q;ip composa Regnier lui-meme a une epoque oil, malade d'ep^'scn^cnt et des suites d'une vie dereglee, il se sentait mourir : J'ai vescu sans nul penscment . Me laissant allcr douccnunt A la bonne loy naUirdle; Et si m'clonne fort pourquoi La mort osa songer a inoi Qui ne sougeai jamais aellc. En depit toulcfois des taches qui salissent les com- positions de Regnier, il est chez nous le premier au- — \:y?, — lour ([niMborda !a satire, ct si, a rexemple tie Juvenal ef inioraco, il allajua les vices de son leiups avcc des aniios dont la piideui- et, la vcrtii avaiciit a roiigir ; il ii'en restora j)as iiioiiis ceiebre couuuc po6le el cehii qui, avant Moliore , a niiciix conuu les rareurs et le caracfere desliomines. Motin et Bertlielot, corilemno- rains dc Rcgnier, so distinr^uorent egalcmcnt par plu- sieurs chansons ero'iques. Les memos defauLs (pte chez le premier se retronvant chez les seconds, j'ainio micux ne vous on parlor que pour memoirc , et arrivor de suite a vous entrctenir d'un personnagc don I le noni represente ce qu'il y a de grand, de bravo, de galant et de chevaleresque , denotre bon Henri enlin. Toutle monde en France connait la ciianson de Vive Henri .jiiiitre ! Vivoce roi vaillant I Le premier couplet de cette chanson nous oH par- venu tel (pi'i! fut compose a cede epoque ; !e se;ond fut compose a I'avonement do Louis XVI an trone, et ne le code guore an premier on naivele et en franchise. Les deux autrcs couplets sontde Colle , qui les faisait chanter par Michau , personnagc de la piece La panic de chasse de Ileini IV. Quant a Tair de cette chanson , il est un fragment d-un morceau de musupic intilult les Tricolels, dansc fort en vogue au xxi" siccle. Jamais chanson n'eut \m succes plus popidahc : on la chan- lait })'iriout, chez le grand comme choz Ic petit, el de nos jours elle est connue de lout le monde. Ce succes doit, sans contredit, etre altribue a son naturel sans pretention , a sa franchise et surtout en ce (ju'elle re- sumait j)arfailemont le caractcre de llcnri , prince dont la meinoiro vivra longtemps encore dans tons les — Wi — c«mrs. Cest aussiaceite epoque que parut une chan- son que vous connaissez tous , et La boulangere a des ecus, etc. que nous fredonnonschaquejour est une preuvede plus que le naturelest une des conditions principales exigee par la chanson pour arriver a un si:cces populaire. Mais Henri IV hii memecultivait ce genre de poesie, et sa gracieuse romance Vicns, Aurore, Je I'iuiji'.ore, etc , cte. estun temo"gnage irrecusable du talent de notre royal troubadour. Cetfe romance date peut-etre de sa jeu- nesse , alors qu'il soupirail pour la tendre et naive Fleurefle; pent etre aussi fut-elle composee lors de ses amours avec la belle jardiniere d'Anet. Quelle que soit Tepoque de son apparition , cette petite piece res- tera toujours comnie un modele de fraicheur. La pas- sion violenfe qu'il ressentit pour la belle Gabrielle lui inspira egalcnient une chanson qui nous est parvenue telle qu'elle ful chantee par ce prince. Charraante Gabrielle , Voici vcnir le roi est une romance delicieuse qui aurait eu le merae suc- ces, sortie ou non de la plume du Bearnais. La musique de cetle peiito piece est du pere Du Caurroy , son mailre de chapelle. Arrive le xvii" siecle : a cctte epoque la langue s'epure; eiie prend, des formes plus exactes, un Ion noble et plus soutenu ; sous la pUmic de Malherbe, les \ers ac(}uierent de rharmonie. Ce poete ; aniniant ses — 135 - ouvragcsdu feu sacre de la poesie, y repand desbeanlds reconnues de tous les temps, of s'atlire ainsi radiiii- ration de ses conlemporains , cnconservantdes droits a resliinede la })oslerile. Mais si la Muse falote avait acces a la cour et tronait avec les rois, elle recevait accueil dans les rangs popu- laires, et un simple artisan lui rendait un culfe si pur, si fervent , que son nom en devint celebre. RIaitre AdamBillaut, nienuisierde Nevers, surnom- me le Virgile au rahot, n'a pas seulcment compose des rondeaux, des chansons, des poesies legeres, il s'eieva avec boidieur jusqu'au poerae et al'ode. Ce qui dis- tingue ce poete, ce sont de nombreuses chansons oil respirent la plus franche gaile et uiie joyeuse philo- sophie epicurienne . Parmi ccs chansons, je citerai comme la plus remarquable ceile intilulee : Aussitot que la lumiere, qui est restee le type du genre bachique, et(pii, par sa verve et son originalite, seratoujourscon- sideree comme chanson modele et comme un des pe- tits chefs-d'oeuvre de notre langue poetique. Mais !a ne se bornent pas les tilrcs de maiire Adam a la ce- lebrite, et dans loutes ses composilions regne avec bonhcur le langage le plus naturel et le plus franc, joint aux plus grandes beautes poelicjues. C'est ce qui le fit admirer de ses conlemporains, el til regarder ses productions comme celles d'un grand mailre en gaie science, opinion que nous avons encore aujourd'hui. N'oublions pas mailre Guillaurae, le fou de Henri IV, dont les chansons facelieuses et les saillies poeliques charmaient la cour et la ville, et sous le nom duquel on faisail passer tons les couplets qui atlaquaicnt ver- tement soil un grand personnage, soil quehpie ridi- cule de cour, maniere fort commode de diredebouues — 436 — veiites impunemeiii, et qui remplacait avantageuse- mrnt ranonyiue dc nos cliansonniers modernes. Ce maitre Guiilaume etait riionirne Ic plus jovial de son temps, et considerecomme la chanson incarnee; aussi, dix ans apres sa mort, on imprimait encore des cou- plets sous le litre de lie'veiide maiire Guillaximc. Sous Louis XIll I'elan cstdonne , et la chanson ap- paralt, radieuse et spirituelle, sortie des ccrvcaux d'e- lite de cetle epoque ; Malherbe, Racan, Maynard, Gorabaud , Boisrobert , Goniberville et bien d'autres, rendent un culte fervent a la muse cliansonniere , et thaque jour Toit surgir quelque chanson nouvelle. Le caractere triste et melancolique du monarque iie ralentit pas la verve egrillarde de nos poetes , et la grande et severe figure de Richelieu, loin de relenir Telan d'une gaitc satirique etraordaale, semblelui servir d'ali- menf. En un mot, on chante en presence des menaces etdes verroux de la Bastille. Le poole Theophile fait paraitre dc temps a autre des chansons pleines de ma - lice et d'e?prit, mais poursuivi a causi^ de la publica- tion de son Pamasse salyrique, il est oblige de s'expa- trier, et le parlement, par arret du 19 Aoiit 1623, le condamne a etre bride vif comrae coupable de lese- majeste divine et humaine. Retire a Londres pour echapper a ce jngement, ce poete ne pent obfenir I'honneur d'etre presente au roi Jacques 1", ce dont il se venge gaimentpar la boutade suivante : Si Jacques , le roi du savoir , N'a pas irouve bon de me voir , En voici la cause iiifaiillblc : C"est que , ravi dc moii ecrit , 11 crut que j'etais tout espiit , Et par cousequonl invisible. A la mort du cardinal, die prond un essor jjIus — hTi — rapjde encore, vient se meler a loufes passions po- litiques de Tepoque, etjouer un grand role dans !es troubles de la Fronde. On ferait des dixaines de volumes si Ton voulait reiinir toutes les cliansons,complaintrs, noels, roman- ces, quatrains, sonnets, qui parurent dans ce temps de troubles et d'eflervescence generale ; on chanlait [;artout, sur tout et ;i propos de tout, et c'est ce qui fit dire au premier ministre, le cardinal de Mazarin : Us chavJent, Us paicronl. On faisait des chansons sur la reine regente, Anne d'Autriclje, sur la dncliesse de Clievreuse, sur Mademoiselle, sur Conde, Turcnne, le cardind de Ixetz , sur les grands, sur les pelits, sur la misere du lemps, sur !a paix, sur la guerre, et cltaque jour voyait eclore qncl(]nc composition nou- velle. Mais celui qui servaitde point demirc a la muse de nos poetes, celui contre lequel toules les passions se souleserent, qui exerca le plus la verve satirique et meoliante des cliansonnieisd'alors, fut sans contre- dit le cardinal deMazarin, et je doute fort que de nos jours etavec le regime constilutionnel sous Icque! noi;s avons le bonlieur de vivre, un ecrivain puisse publier impunement des vers pareils a ccux- ei : Je crois que la comfiar.iison Du grand Armand el du sieur Jule .Serait l)ien aussi ridicule Que il'mi uigle avcc u\i oyson , Ou d'un barbc avcc une mule. ou bien S. l\'<)nsei,;:iicur le cardinal Ne prcii 1 la jiosle en diligence. On traileraSon Rminence Comme un faquiu de car:ia\ al. — 438 — Vous voyoz que dans ce temps de royaute absoluc, oil la liberie de la pressc n'existait pas, on ne se ge- nait guere pour attaquer, insulter nieuie les minislres donl on croyait avoir a se plaindre. Void des vers tires d'unecomplainle inlitulee le Mi- nislre d' e'lal flambe, qui peignent niieux que toutes les phrases la situation des affaires et la niisere causee par cos troubles. Par vous, pernicieux agent, Nos chevaux jeiinent a la creche ; Vous avez vole noire argent , II n'est endroit oii le sergent N'ait fait quclquc morlclle brcclie; Et par vous le peiiplc indigent Ne salt de quel bois fuire tleche. Le niarchand partout endette N'a plus personne a sa boutique; Ciceron n'est plus ecoute, Saint Cosme n'est plus consulte, Saint Yves n'a plus de pratique, Et dans ieur merite enchante La Fortune Ieur fait la nique. Le bretiilcux est sans chalands , Morel n'enseigne plus a lire , Boisseau n'ct.ile plus d'ccrans ; Martial ne vend plus de gans , Rangouze ne fait plus qu'ecrire, Richard ne va plus chez les grands Et Vynot n'a plus de quoi frire. Neufgermain ne dit plus un mot , Les Muses ne I'ont plus pour mome , . — 439 — Le Savoyard plaint chaquc'escot, L'orvictan est pris pour sol, II n'a ni theatre ni beauine , Et Cousin, Saumur el Scrcot Ne gagnenfplus ricn'.a la [)aurae. Sur le Pont-Neuf Cormier en vain Plaint sa gibcciere engagee; Laroche y prone pour ilu pain ; La pauvre foire Saint-Germain Fait (les cris comme une enragee , Et les pages n'ont plus de main Pour en cscroquer la dragee , etc. L'auteur se figure ensuite que le cardinal est arrele, que son proces est fait, et qu'on le conduit a la po- tenie. 11 le voit nionter a recliafaud, et 11 adresse les vers suivants au bourreau qui !e pend. Mon pauvre maitre Jean-Guillaume , Pese plus fori, contenle nous , Pais si bicn avec (es genoux Que les earabins de Saiul-Cosmo Ecorchenl vile, au gre de tons, L'ecorcbcur de ce grand r oyaume. Le depart deMazarin arreta'pour un moment, sans y mcttre un terme, la fougueet le nombre de chansons et pan)})lilcls diriges contre cc ministre. Quci(iue temps apres son arrivecen Italic ou il s'ctait retire, Ic faux bruit de sa mort se repand dans Paris, et aussilot tombe un deluge d'epitaphcs plus ou moinsspiritucllesctplus on moins liostilcs. Je citcrai celles-ci parnii les'plus remarquablcs : Ci gisent les"os pourris Dun rarflinal qui fut jadi« Seconde. — 4'i0 — Si savant a fairc uno intrigue , Que pour eiitrer en Paradis Sans (loute il a fait qiiclque brigue. Ci gist i'eminence dcuxieme : Dieu nous garde de la troisieuie ; Ell voic'i line troisieme : Ci dessnus gist le Mazarin Qui, plus .sul)til qu'un mascarlii , Par ses ruses trompa la France. II ciit eternise son sort Si par linesse ou par finance II avail [lu vaincre la mort. II fut soldat, prelat, marchand. En tous les trois il fut mechant , Et , tous les jours on le deguise , II nous vola comme soldat , Corame marchand vendit Tetat, Et prelat il vendit I'Eglise. C'est a cette ('poque que -Tabarin atlirait la foule sur le Poiit-r\cuf , en chanfant les refrains de Mon- dor, ou en faisant chanter par Gaulier Garguille des couplets de sa composition ; que le Savoyard amaasait la foule autour de ses treteaux, etque leurs chansons, apprises par les speclateurs , circulaient dans Paris sous le nora de ponl-)tcu(\ et oblenaient la vogue. ])artni les habitants de la ville et des faubourgs. Blot se dislinguait alors par ses epigrammcs, ses bons mots ct son inepuisable gaite. Surnoinmc Vcsprit\y>\r la so- cietesi elegante et spirituelle du:£Vii^ siecle, Madame de Scvigne disait, en parlant de quclques-uus de ses couplets, qu'ils avaient le (liable an corps. Maiigny fai- sait les dclices de la foule jar ses chansons joviales, — U\ — Hugucs Gueru coniposail scs houfibnneries peiitiant fjne !c cocJicrde M. do Vcrlliamont excrcait sa verve sur des sujofs de circonslancc. ^^lals a la mort de Ma- zarin, Louis XIV gouvenic it son lour, ol la clianson, libreeiT alhiro et en paroles, se reslieinlel se modilie an i"(«r ol a niesure que le pouvoir acquicrt la force re- doaJablcd'un gouvernenienlabsolu. Sous ce regne ga- lant, les chansons ajnoureuses, les pastorales et les raadrigaux ahondenl ; a la cour, a la ville, on s\'xta- siait en eeoulant ks cliansons douccreuses de Qui- nault, de Perin et. de I'abbe de Linieres ; on rall'olait de Bcnscrade ; Boursault egayait les repas par des cliansons a boire, ot on se painait aux vers de M. de Coulauges et de Madame Deslioulieres. Toulefois la chanson politique n'avait point enliereinent abd!(pie, et le grand roi, an milieu de ses Irionqihes ct de Teclat de Versailles, en recut de rudes allaques sans pouvoir toujours punir le coupable, qui, s'envelop- pant en naissant de mystere, dcvenait souvent insai- sissableu JeLons un coup dVil rapide sur les ehansonniers !es plus reniar(jua!)les de ce regno. Nous reniar(jucrons eu premiere ligne Dut'resny, poete spirituel el original. II elail pelit-lils de iienri IV; sa naissance lui avail fait donner plus'eurs charges donl il se delif, ne voulant pas se contraindre a reliquelte de la cour de Ver- sailles. 11 elail avanl lout ami de rindopendance et des plaisirs ; fori peu soucieux de son avenir et de la richessc, il se livrail a ses gouts ej)icuriens, sans s'in- quielcr jamais s'il saurait accpailler ses depcnses. Voici un trait de savic qui pcint Thomme : nepouvant payer sa blancliisseusc donl le nieinoirc s'elevait a une sonime asscz, considerable, il IVpousn pour s'acquitter — /^'^2 — envers elle. II est aiUeur de plusieurs chansons Ires- agreablcsdoiit il coraposait lui-raeme la musiqiie. Les plus reniarquabIes"sont : Pliitis plus avare que lendre, la Vigited Claudine. Toutes deux eurenlun succes po- pidaire, et le Buieur savant,'^qn\ se cliante encore de DOS jours, ne le cede ni en rondeur ni en verve cpi- curienne aux plus eelebres compositions de ce genre. En voici deux coujlefs : Un sot qui croit faire I'habile Dit qu'cn lisant LI pretend tout savoir ; L'n fou , qui court de vilie eu ville , En voyagcant dit qu'ii pretend tout voir; Et moi je dis d'un ton plus veritable, Que sans sortir de table Et sans avoir lu , Je sais tout, j'ai tout vu Lorsque j'ai bien bu. Dans Platon ni dans Epicure Je ne vols [las qu'il soil bien etabli S'il est du vide dans la nature Ou si I'espace d'atome est rempli : Dans un buveur la nature decide Qu'ellc abhorre le vide , Car il est certain Que j'abhorre un verre en main Quand il n'est pas plcin, etc. M. de Coulanges faisait les delices des salons de celte epoque galante : cousin germain et ami intime de madame de Sevigne, on disait de|lui que Tesprit ne sortait p.is de famille, car il efail Tame des conversa- tions, et ses bons mots faisaient fortune. II avait une fa- cilite prodigieuse pour composer des chansons surtoufes sortes de sujets ainsi que^pour',[rimprovisation. jVoici un couplet qu'il lit un jour sur Torigine de la noblesse: — 4W — D'Adam nous soramcs lous enfants , La prcuve en est coniiue, Et que tous nos premiers parents Ont mene la cliarrue ; Mais las de culliver eulin La tcrre labouree , L"un a detele le matin , L'autre I'apres-dinee. Francois de Maucroix, chanoine de Reims, plutot connu par sa correspondance a\cc Lafonlaine que par ses oouvres poetiques eunscrvecs manuscriles dans la bibliollieque de Reims, et dont une parlie a eleedilee de nos jours par M. Valkenaer, meinbre de rinstilut, a des droits inconteslables a I'estime des amis des lettres. Ses poesies ne manquent ni de facibte ni d'es- prit. Lie avee Lafontaine des I'enfanee , Tamitie qui les unissait ne subit jamais aucune alteration pen- dant le cours de leur longue carriere , et ce qui fait Telogede Tun et de Tautre, c'est qu'ils mirent la mcme clialeur a conserver leurs liaisons. Nes tous deux avec le meme goiit pour les plaisirs, les memes penchants pour la poesie, le mcme dedain pour les ric'.iesses, la raenie similitude d'esprit et de pensees se rencontrent dans leurs reuvres. Apres avoir eu une eunesse dissipee, ei a la mort d'une personne pour laqueile il eprouvait une violente passion, de !\Iau- croix entra dans les ordres, oblint bientotun canoni- cal sur Teglise de Reims par I'enlremise deM. Bru- lart de Sillery, cveque de Soissons, un de ses amis inlimcs. Libre de soins, possesseur, grace a ce bene- fice, d'une fortune independante qui suffisait et au- dela a la sagesse de ses goiits et a la moderation de ses desirs, il passa le reste de sa vie dans la culture des lettres et de Tamitie. II composa des elegies, des — 444 — sonnets, des madrigaux, des epigrammes et des clian- fl sons. H Ce quatrain qu'il improvisa en voyant monter en clmlre un pretiioaleur sans merile, nous donne unc ideede son talent. Dms tes inipcrlinents discours On ne pout ricn trouver pour plaire. El Ton s'ccrie : Ilcurcux Ics sourds ! Quand on te voit monlcr en cliaii-e. Voici un autre exemple de sa verve satirique. Ce quatrain est adresse a deux bossus maries : Jacques, Jacquinette montrcnt Qu"ils fvTonl mcntir desoi niais Tous ecux qui diront que jamais Deux montagnes ne se rencontrent. Voulez-vous juger de la pliilosopbie de Tauteur , en voici un echanlillon : Ami dc noh-e ijien , I'auleur de la nalurc A cache I'avenir dans une null obscure, Et ril de Timprudcnt qui s'inquiete en vain , Et pour un m:d douleuxse fait un malccrlaia. 11 y a dans les oeuvres de ^laucroix lieaucoup de compositions gracieuses qui loules revelent un poete spirituel. A cet egard, il merite loute votre attention, et jc crois qu on doit le regarder comme un des hoiu- lues des plus remarquables dc son siecle. Madanie Deshoulieres fut surnommee par ses con- temporains la Calliope francaise ou la dijcieme Muse. Eile iut liee avec tout ce qu'il y avail de grand et d'il- luslre, avec les deux Corneillc, Flechier, Mascaron, Quinault; Benscrade, Menage, Pelisson, Bussy-Ua- — 445 — butin, lesducs de Saint-Aignan, Montausier, de \n. Rochefoucault, de Nevers, les marecliaux de Vivonne et de Vauban, et bien d'autres. On remarque dansses ecrits de Tesprit et du naturcl, L'origine de la fortune de Benserade fut son ino-e'- nieuse facilite a faire des vers. II niettait dans ses compositions bcaucoup d'adresse ; poete, bel esprit, il avait un grand succes dans les salons par ses jeux de mots et ses turlupinades, que Boileau lui reproche tres-severeraent. Voici le portrait assez ressemblant de ce poete que nous donne Sennece. Ce bcl esprit out trois talents divers Qui Irouvcront I'avcnir peu crediile : De plaisanter les grands il ue fit point scrupule, Sans qu'ils le prissent de travers; II fut vieux et galant sans etre ridicule , Et s'enrichit'a composer des vers. L'abbe Perrin composa beaucoiip de chansons et de pieces de theatre : son principal titre au souvenir de la posterite est d'avoir etc Tun des fondaleurs de I'A- cademie de musique, avec Cambert, Sourdeac et Cham- peron. Linieres etait doue d'un esprit vif et satirique^ et eut beaucoup de succes par ses poesies legeres. On assure qu'il inilia madamc Deshoulieres aux secrets de la poesie. 11 composait avec une grande facilite', mais dissipateur et frivole, il ne s'occupait que de ses plaisirs, et depensa folleraent une forlune considd- rable. Reduit a emprunter a ses amis dans ses vieux jours, il mourut dans la misere, malgre les secours que I'amitie de Boileau lui prodiguait. Je terminerai cette revue biographique en vous par- bnt d'unpoete/picrecommandeni divcrsesqua]ite's,de 32 — 446 — Lainez, qui fit ses dtudes a Reims, et devint auteur asscz elegant. II joignait a une meinoire prodigieuse un esprit vif, naturel et inepuisable sur toules sortes de siijets ; 11 se faisait rechercher a la cour et a la ville, mais n'avait pas Lainez qui voulait I Jamais person ne ne fit micux que lui les honneurs de la table et de la conversation. Voici une de ses chansons qui raerite d'etre citee, non pas lant a cause de ses qualites poc- tiques, que parce quelle celehre notre pays remois. Apollon ct Bacchus , Parmi lesflacons et les luths, Aujoiird'huim'ont jure qu'ilsallaient en Champagne Et qu'ilsn'abandoniieraient plus Haulville, Reims et la Montagne. Grands Dieux ! si vous voulez raninaer nos concerts, Souvenez-vous d'etre fidcles : Sans votre feu divin tout languit dans nos vers , Tout languit dans nos airs. TIelas ! si vous nianquez, plus de chansons nouvelles. Parmi les chansons populaires de cette cpoque, on doit niettre an premier rang la chanson sur Malbo- rough, Cette chanson fut composee a la bataille de Maiplaquet sur le faux bruit de la mort de ce general. Chantee par les soldats de Villars et de Boufflers, elle s'etaitconservee par tradition dans quelques pro- vinces, lorsque Tannee 1781 Tentendit retentir d'un bout a I'autre du royaurae. Marie-Antoinette avait donne le jour au Dauphin, et la nourrice chargee d'al- laiter ce prince, chantait ordinairement les couplets dela chanson de Malhorough pour le bercer et I'endor- mir. Les paroles naives de la chanson, la bizarrerie de son refrain frapperent la reine, qui retint Tair et la ehanson. Bientot tout le raonde la chanta ; Louis XVI ^ 447 — lui-meiue se mil a fredonner Malborough s'en vat-en guerre. Lespetits appartoments, les cuisines, lesdcu- ries relenlirent des nienies refrains, el de Versailles ils se repandirent par toute la France. Wmm RETEOSPECTIF. Notice sur Jeaii-Baplistc Deperllies, peiiitre renioij. PAR M. MAX. SCTAINE. Nons croyons devoir compter au nombro des artistes renidis un amateur eclaiie, dont les ceuvres peiiites rosteront cerles moins lonf^femps que les oeuvrt's ecri- les, raaisauquel ses coimaissances speciales assignent de droit une place dans ce recucil. Jean-Baptiste Depcrtlics, ne a Reims le 23 Octobre 17(>1, fut un 'ie ces lioinraes dorit la vie s'ecoule avec bonlieiir au milieu des emotions saisissantes que fait nailre reludc des arts, pour lescpiels ilssc passionnent. Ses dispositions, ou plulot^ son gout pour la pein- ture se manifeslerent de bonne heurc, et, a 18 ans, il suivit le cours de Valenciennes (1), paysagisle distin- gue et professeur renorame de cetle e[)oque. Los Ic- cons de eel excollont mailre developpereiil clicz son eleve cet esprit d'observalion fm et juste rpiilitde lui plus tard, non pas precisemcnt un peinlre habile, mais du moins un tbeoricien remarquable, dont les ouvra- ges seronl loujours consultes a-vec fruit. (1) Pierre Henri Valenciennes , ne a Toulouse en 1750 , niort a Pa- ris en i819. Auleur d\in Traitd de perspective. — 448 — La peinture toutefois n'absorba d'abord qu'une par- tie de son temps ; le resle de ses loisirs etait consacre a la lilleralure et a I'etude de la musique. En 1806 il faisait, en qualile d'amaleur, parlie de rorcbestre du Theatre des jeunes eleves, silue ruede Thionville. Les representations auxquelles il assislait cbaque soir et qu'il rechauCTail. comme auraildit Boileau, des sons de son alto, lui inspirerent I'ideede tenter aussi la forlune dramalique. Le bon, le vrai meloJrame floriss.iit alors dans toute sa splendour. ]l debula par une piece de ce genre intilulee : La Cassette de bijoux, on la suite de Ju- les (i), dout Bianchi composa la musique, et qui fut jouee lo 13 Oclobre 1800, au nienie thealre. Dans une lettre atlresseea I'un de ses freres, le2l Janvier 1807, Depertbes raconte les pelites tribulations que lui valut cet ouvrage, et a la suite desquellos, malgre les in- stances tiu directeur Hussenet, il relira sa piece du re- pertoire. Sju melodrame, au surplus, n'etait pas jjIus mauvais que ces gloricuses et borri|)ilantes bistoires de traitres et de brigands, alors en possession de la scene, et que les amateurs de I'epoque allaient applau- dir avec transport. Plus tard, il ecrivit encore le Portrait, on V Artiste et I'Amaleur, comedie en un acle et en prose, melee de couplets ; le Tableau des arts et de Vamitie, comedie en Irois actes et en prose, et Fanckette et Colin, ou le Choix faild'avance, comedie en un actc, dontil fit aussi un op'ira-comique. Je ne crois pas que ces trois ou- •vrages aient jamais obleuu les honneurs de la ropre- (l) Jules, on le Toitpaternel, mclodrampenJ nctcs, par M"" Bar- tholemy Hadot. II parait que cctte dame a deiiieure a Reims pendant la revolution. — 449 — senlalion ; niais, dans tous les cas, iis ii'onl pas (?te ira- prirnds (1). Dans Fanchelle, onlrouve des scenes liabilemonl in- diquees, quclques passages qui ne manqiient prss dc finesse, el un role d'ivrogne d'un assez bon cotiii(iue. Toulefois, si Dejjerlhes n'avait laisse d'auire heritage a la posLerite que ces quolquos essais plus ou nioiiis lieureux, la posk'rile pourrait oii1)licr snn nom sans ingr^tiUide; mais la pt;inlure, celte araie fi'ON. De la cliansoa en France. (Suite cljin.) Louis meurl , et la regence ouvre une ere nouvelle a ia chanson. Sous le regent les mceurs s\afl"ranchis- senl de toute bienseance, el la galanterie esl poussee jusqu'au dernier degre du libcrtinage; les courlisans qui afl'ectaienl des airs de companction pendant les dernieres annees du rcgnc de Louis XiV, atl'ranchis de toute sorle de contrainte par la mort du raonarque, ne — 459 — craignenl pas d'efaler, d'afficlier le cynisme de leur coruliiile. Philippe d'Orltvins avail elahii les i)elifs soupcrs, baiKjuots oii ia debauclR' le disputait a la li- cence ; on vit alors les rneincs iionnues qui, six mois aiiparavant, se faisaient un devoir de mener la con- duite la plus rigidc , solliciter coninie una faveur ex- treme la permission d'assister a ces repas , el les feni- mes qui montraient au public de beaux semblanls de devolion , reclamer avecardeur une place aux soupers du maiiie, el devenir actrices de ces lionleuses orgies. La brillaient enlre tons les commensaux du prince qu''il avail surnoninies ses roue's, le marquis de La Fare, dontki verve poelique ne se sentit jamais mieux Inspi- ree qu''en chantant le vin el les belles; Chaulieu qui coiisacra ses lalcnts a clianler les plaisirs ; Simiaine, donl rivresse spiriluelle lui faisait improviser des vers forts jolis et des bons mols piquanls ; de Broglie , riiomme aux saillies heureuses et aux fines reparlies | Noce, Fauic daiunee du regent el le compagnon de ses plaisirs ; de llioni, Fargis et bien d'aiUres encore. Ces soupcrs se prolongcrcnl jusqu'a la inort de Phi- lippe, et lirent eclore une foulc de chansons bachi- ques, erotiques , licencieuses , conditions indispensa- bles pour plaire au regent et a ses amis. Dans ces chansons le coeur el Thonneur etaient traites de chi- meres, les vertus considerees commc des abus , I'a- mour n'etail qu'un mot , on se raillail des poetes qui dans leurs vers celobraienl les manirs el les qualites des dames, et Ton se faisait gloire de prechcr la plus eflVoyable licence. En meme lemps que la cour devenait i'ecole du li- bertinage , rhonnelete de moeurs et le bon gout s'e- taient refugiesdans le palais d'un grand seigneur, aux — 160 — porfes de la capitale. Le chateau de Sceaux, habite par le due et la spiriluelle duchesse du Maine , etait deve- nu le rendez-vous des savanls et des homines de let- tres les plus distingues. C'est la que le jeune Voltaire, Fontenelle , Lamolte , Saint-Aulaire , Chaulieu , Ge- nest , Malezieu , et une foule d'autres litterateurs ve- naient apporter le tribut de leur esprit , et contribuer par ragrement de leur conversation a I'amusement d'une societe nombreuseetchoisie. Voici divers echan- tillons de I'esprit qui animait les reunions du chateau de Sceaus.On demandait un jour a Fontenelle quelle difference il y avait entrela duchesse du Maine et une pendule : c'est , repondit notre airaable auteur, que Tune marque les heures, et que I'autre les fait oublier.., Voltaire , force de faire une enigme pour racheler un ease , improvisa le quatrain suivant sur le mot oiseau. Cinq voyelles, une consonne En francais composent mon nom, Et je porte sur ma personne De quoi I'ecrire sans crayon. 11 n'etait bruit que des convulsionnaires et des mi- racles operes sur la tombe du diacre Paris ; les chan- sons et les satires tombaient sur les adeptes de ce nou- veau fanatisme, et voici un joli quatrain qu'improvisa la duchesse du Maine , un soir oil la conversation etait tombee sur ces pretendus miracles : Un decrotteur a la royale Du talon gauclie estropie Obtint par grace speciale D'etre boiteux de I'autre pie. Quelques annees auparavant, en 1720, on chanlait la chanson intitulee : Va-t-en voir s'ils vienncnt, Jean , etc. — ^61 — coiuposee par Lamotic - Iloudard. Bientot apres pariit line ronde bachique dont le refrain est encore aujourd'liiii connu de tout le monde, e'est : Nous n'avoiis qu'un temps a vivre , Amis , passons-le gaiment. Cette ronde est du baron de Bonneval , tour-a-lour ambassadeur, general au service de I'Autriche, puis sur ses vieux jours pacha du grand seigneur. L'liistoire ne nous dit pas si le pacha Bonneval faisait chanter ce refrain aux odalisques de son harem ; quoi qu"il en soit, la chanson a survecu a son auteur, et meritait cette distinction. C'est aussi vers cetle epoque qu'on chantail la chanson des Bossus, composee par le docteur Santeul, un des regents de la faculte de Paris, bossu lui-raeme. Qui n'a pas connu ce couplet ? Depuis loiiijtemps je me suis ajicrcu Do I'ai^rement qn'il ij a d'etre bossu , etc. Cette chanson, avec celle de : Cost la mere Michel iiui a perdu son chat . Qui crie par la/encY/e : Qu'est c'ciui luirendra, et les couplets de Au clair de la lic7ic , Mon ami Pierrot , etc. ont eu un succes tellement populaire dopuis leur ap- parition, qu'ilme dispense de tout conimenlairea leur egard. Grand amateur de festinset deplaisirs, non raoins passionne pour les lettres et les arts, le grand prieur de Vendome habilait le Temple et rennissait dans oc — 4G2 — palais tr^s-nombreiise compagnie. La brillaient aiix soupers donnes par ce prince, Chaulieii, La Fare, Jean-Baptiste Rousseau, le due de Nevers, Catinat, Palaprat et autres. C«s repas etaient egayes par la verve epicurienne dc tous les convives, et sc prolon- geaient fort avant dans la nuit, car le grand prieur, en veritable petit-fils d'Henri IV, avail un goiit decide pour les plaisirs et principalement pour ceux de la table. Cette reunion vit naitre plusieurs chansons qui, repandues dans le monde, obtinrent un succes de vogue. Cest le xviii" siecle qu'on pent considerer conime I'age d'or de la chanson, car rien ne raanqua a son triomphe : succes, popularite, fauteuil academique, elle eut tous les honneurs ; aussi ne faillit-elle point a sa mission , et se soutint-elle avec avantage au mi- lieu de sa gloire. Nous alions la voir raeme posseder un temple ou ses fervents adorateurs lui rendront un culte passionne, et fonder sous le nom de Caveau uue societe lyrico-bachique dont le nom est encore au- jourd'hui le synonime de la gaife francaise. Ce fut un epicierquieut I'heureuse idee de cette reunion rhomrac d'esprit et chansonnier, il avail besoin de commnniquer le fruit de ses travaux poetiques a quelques auditeurs competents, et il invitait souvent a diner CoUe, Piron et Crebillon flls. La gaite la plus franche presidait a ces repas, qui etaient toujours animes par des mots piquants et de bons couplets Un jour CoUe, Piron et Crebillon voulurent a leur tour etre les amphytrions de Gallet ( c'est le nom de notre homme ), el ils I'invi- terent a diner chez Landelle, marchand de vins, de- meurant au carrefour Bussi, a Tenseigne du Caveau. Pour mieux feter leur ami et augmenter les plaisirs — /iG3 — de la reunion, Pirou invita Fuzelier, auteur de van- devillos, Colic amena Sauriii, qui avail iino cer- lainc rcnommee romnic cliansomiier, et CrebiUon fils se fit acconipagncr de Salle, son collaboraleur. Dire ce que fut le diner, toul le monde devine qu'il y eut un feu roulant de spiriluelles saillies, de fines reparties, de joyeux propos, ct que le tout fut arrose eopieuse- ment par le Chanq)agne. Ce fut au milieu des foats portcs danscetlecirconstanee, et en Ire deux chansons, qu'un des convives, anime par line inspiration ba- chique, exprima le dcsir de voir renouveler tous les mois cette petite fete gasf ronomique ; celte propo- sition fut unanimenient adoptee, el le Caveau prit naissance. Pour completer la societe, les niembres presents s'adjoignirenl Duclos , Labruere , Gentil- Bernard, Moncrif, Ilclvetius, Boucher et Rameau. Plus tard Favart en fit partie. Outre les membres ti- tulaires de la societe, il sc trouvait presque toujours a ces diners des invites choisis parnii les notabilites du temps. Le savant Freret y vint souvcnt chercher une distraction a seslravaux, et le minislre 3Iaurep;is venait s'y sonlager du poids des alTaires pubiiques. Ce qui faisail le charme du Caveau n'elait pas tant les chansons et les causeries spiriluelles que I'amilie qui unissait Ions ses membres : cliacun se donnait Tun a Tautre des conscils francs, utiles et desintcresses, sur ses compositions litleiaires, ce qui n'cmpechait pas toulefois de lancer de vives et piipiantcs cpigrammes. On avail etabli une punition terrible p.our un gour- mand : toul membre convaincu d'avoir manque aux regies dubon goul, soil en depassant les boriics pt r- miscs dans ses satires, soil en avancant quelque he- resie lilteraire , etail immedialQiUeiit condamne a — A64 — avaler un verre d'eau pendant que ses confreres sa- blaient le Champagne , le Pomard et le Volney. Ces reunions, commcncees en 1 729, secontinuerent pendant dix annees sans interruption. Diverses causes amene- rent du refroidissement entre les membres de la so- ciete, et vers la fin de 1739 ils cesserent de se reunir. Colle n'en continua pas moins a faire des chansons, et Piron des epigrammes. CoUe, parent de Regnard I'auteur comique , soutint I'honneur de cette parente par une gaite vive et spi- rituelle. Admisdans la societe duduc d'Orleans, c'est pour les plaisirs de cette societe qu'il composa la ma- jeure partie de ses vaudevilles. On peut le considerer comme un des plus fermes soutiens de la reunion du Caveau. Par mi le nombre de chansons sorties de la plume de cet auteur, je citerai celles qui se chantent encore de nos jours, savoir : Les Vendangesde la Folie, La Naissance de Bacchus, Le peche de paresse. Voici un couplet qui vous donnera une idee du genre adoptc par Colle : All ! quel malheur ! quel attentat ! Quel affront ! quelle fourberie ! Non , jamais un crime d'etat N'egala cette barbaric ! Bacchus , que ton pouvoir divin Eclate contre ceux qui tcruissent la gloire : Un coquin de laquais , en me versant a boire , A verse de I'eau dans mon vin ! . . . Vous savea que Gallet ^tait epicier : malheureuse- ment ses goirts epicuriens et la societe des joyeux vi- veurs ses confreres lui firent negliger ses interets , et ilfitde mauvaises aflaires. Poursuivi par ses crean- ciers, il se refugia au Temple, qui etait alors un lieu de — 4G5 — franchise pour lesdebileurs insolvables. Comme il re^ cevait tous les jours des meraoires de ses creanciers, il disait en plaisantant : « Me voila au temple des meinoires ! » La misere dans laquelle il etait tombe n'alterait en rien sa gaite et sa verve. Fort raalade, condamne par les medecins, il adressa une chanson en trois couplets a CoUe, qui prouve toute son insou- ciance. Voici un de ces trois couplets : Autrefois , presqu'au meine inslant J 'en aurais pu rimer autant Que nous reconnaissons d'apotres ; A present j'abrege , d'autant Qu'a Teglise un prctre in "attend , Accompagne de plusieurs autres . L'hydropisie ciont il etait atteint menacait de I'd- touffer, un pretre arrive a son lit pour lui adniinistrer I'extreme-onction, il s'ecrie en I'apercevant : « Ah ! monsieur I'abbe , vous venez pour me graisser les bottes , cela est ir« utile, car je m'en vais par eaii ; » et 11 mourut peu d'instants apres. Voici un couplet de Gallet qui teraoigne de tout son amour pour Bacchus, Si pour embellir lo moudo Jupiter m'eutconsulte, Dans les lieux oil coule Tonde Le vin seul eiit existe. La terre eiit ete sa treille Et la iner son reservoir , Et pour la mcttro en bouteille J 'aurais servi d'entonnoir. line gaite soutenue etait I'ame de la iociete du Ca- veau, d'ou etaient bannies lesi)i"etcntionsdu savoir, et le faste pedantesquc des grands mots. Piron, done d'une sante robuste et d'une hunieur cnjouee, en - 466 — ^tait UQ des membres les plus zeles, et en faisait le charnie par sa verve intarissable. Quand le bouchon de Champagne partait, et que le choc des verres se faisait entendre, la figure de Piron s'animait, et il de- venait etincelant d'esprit et de gaile. Saurin, convive du Careau dans sajeunesse, composa pour cette so- eiete beaucoup de poesies legeres qui ne manquent ni de sel, ni d'originalile, et conserva avec ses membres les relations les plus inliraes. Panard , appele le Lafontaine du vaudeville, fut un des plus celebres chansonniers deson temps. 11 avail beaucoup de ressemblance avec notre bonhomme, soil sous le rapport du talent poelique, soit sous celui du caraclere et des habitudes; comme lui, meme sim- plicile, meme incurie,meme imprevoyance. Gros, gras et lourd, on ne pouvait se figurer en le voyant qu'il fut spirituel. Mais une fois a table, il sorlait de cette masse des couplets impromptu pleins de fa- cilite, de finesse et de grace. Amateur passionne du vin, il n''en parlait qu'avec amour', et souvcnt en regar- dant son verre, les larmes lui venaient aux yeux de plaisir. Ami ferme et devoue, il conserva pour Gallet un attachement qui dura longlemps apres la raort de celui-ci. Rencontre par un de ses amis, il temoi- gnait la plus viva affliction de cette perte et s'ecriait : << x\h ! Monsieur, ma douleur est bien profonde, un ami de trente ans avec qui je passais ma vie ! a la promenade , au spectacle , au cabaret, toujours en- semble ! je I'ai perdu , je ne chanterai plus, je ne boirai plus avec lui ! il est mort ! jesuisseulau monde, je ne sals plus que devenir. — Vous savez (ju'il est mort au Temple. — Je suis alle pleurcr et gemir sur sa tombe. — Quelle tombe I ah ! Monsieur, ils Font mis — 467 — sous line goutti^re, lui qui deiuiis I'tige de raisoQ ri'avait pas bu un verrc d'ean. » Mannontcl avail souvenl recours ii lui, lorsqu'ii avail besoin de pieces de vers pour son journal \eMercurc, cl quand ii lui en demandait :« Fouillcz, luidisaitnotrehomine ; fouillez dans la boite a perruques ;» elMarmonlel retirait des cliillbns de papier grilTonnes de vers, entasses pele- mele tians cetle boite, el presque fous laches de vin, ce que Panard appelait le cacliel du genie. Voulez- vous savoir coiuine Panard enlendait la chanson ba- chique ? ecoulez : Bacchus, clier Gregoire, Nobis tmperat : Chantons lous sa gloire. El quisque bibul. Hiitoiis-nous de faire Quod desiderat : 11 aimc un bon pere Qui scppi.' libat. Ce verre deuxieme Nondum est satis , Et sans un tiemc Bcdibil silis. C'est toi que j'implore, Care mi f rater! Verse , verse encore , ft bibamus ler- D'un jus homicide Fubrica/orcs , Que la niort vous guide Jam nunc ad palres ! Que voire seciuclie Procid abeat , Et plaise aux Dieux quVlle Aunqvam rcdeaf! 468 — 0 toique la Seine Ad nos perduxit , Toi par qui Sileue Sceptirevixit , Viens dans ma poitrine, Burgiinde liquor ; Toute humeur chagrins Llnquet ineum cor. Ta charmaute chaine , Amicit'ta, Ici nous amene Cum latitid; Sois toute la vie Nostrum solamen , Au voeu qui nous lie Foveas. Amen. La fecondite de Panard dgalait la vivacite de son esprit. On estime a plus de quatre-vingts le nombre de vaudevilles qu'il flt lepresenter tant a TOpera- Comique qu'aux spectacles de la foire. Quant a ses chansons, on ne les couipte pas, on les cbante ; 11 en a fait pour tons les goiils : de bacliiques, de galantes, d'anacreontiques, delangoureuses, de gaies, de plain- tives, de morales, d'allegoriques, en un mot, il a traite chaque genre avec le meme succes. Parmi les plus remarquables compositions de Panard, on cite encore de nos jours la chanson des IVe/Z/an/s, les Conseils a imejeune demoiselle, les Ressemblances el les differences^ dont voici quelques couplets : Le voleur et le tailleur Du bien d'autrui font le leur , Voila la ressemblance : L'un vole en nous depouillaut , Et I'aulre en nous habillant , Voila la diil'erence. — 460 — Un rien detruit iiue (Icur , Uii rien fait pcrir I'lioiiiicur , Voila la rcssemblance : La fleur peut rcnaitre un jour, L'liouneur se pertl sans retour , Voila la difference. Hippoei'atc el le canon Nous depechcnt chez Pluton , Voila la ressemblancc : L'un le fait pour de I'argcut , Et I'autre graluitement, Voila la difference. Le perroquet et I'acteur Tons deux recitent par cceur , Voila la ressemblancc : Devant le monde assemble L'un siffle, I'autre est siffle , Voila la djllorence. Peu soucieux de ses inter^'ts, il etaitd'une indolence extreme, et on ne pouvait jamais le decider a songer a I'avenir. Un jour cepcndant il lui prit fantaisie de s'occuper de ses affaires : c'etait s'y prendre un peu tard, car il avait 74 ans. II arrive tout essoulTle chez Marmontel, et Taborde en lui disant : « Faites-moi avoir une pension sur le Mercure. » Surpris de ce cliangement, Marmontel le regarde en tremblant et s' eerie : « Ah ! mon Dieu, il va mourir ! » Effectivemcnt , il mourut quclques jours apres. En meme temps que Panard chantait en corapa- gnie des membres du Caveau, ses joyeux confreres, Vade obtenait un succes populaire par ses chansons grivoises. Douede bcaucoup d' esprit et d'originalite, ce poete eut I'idee de faire usage dans ses composi- tions des expressions populaires et surtout de celles plus triviales encore employees par les marchandes - 470 — de la Halle, et dont ces dames s'etaient arroge le siii- gulier inonopole. li coinposa done beaucoup de chan- sons sur les evenemenls el. siir les travers du lemps, et le langage poissard, dont il peut etre considere I'invenleur et qu'il employa dans ses oeuvres, le rendit bientot populaire. Moncrif a compose beaucoup de chansons pleines d'esprit, de delicatesse et de sentiment. Le grave hisloriographe des chats se reposait de ses travaux par des poesies legeres, dont plusieurs sorit connues des amateurs du genre. Done d'un esprit fin, d'une humeur egale et douce, il avait, quoique age, la pre- tention de paraitre toujours jeune. Un jour Louis XV I'aborda enlui disant : uSavez-vous qu'on vous donne 80 ans? — Oui sire, repond Moncrif, mais je ne les prends pas." C'estaussi vers cettc epoqueque I'abbe de Lagarde composait sa philosophie bachiqiie, qu Imbertprechait la philosophie du docteur Iso'if, et terminait son exhor- tation pai' ce couplet : Dieu, quand viendra la fin du moiide, S'il faiit que le ciel nous inonde , Fais que ce soil de Hots de vin 1 L'cau pure ternirait la gloire : Et si le mondc meurt cntin , Ne le fais pas raourir sans boire ! Fuzelier, comme ses confreres, expliquait la philo- sophie d'un huveur, pendant qu'Haguenier indiquait le moyen d'etre heureux , Grecourt, dans son Jlomme accommodant, prouvaitqu'il savait s'arranger de tout, et pour cela d'accord avec Bernard, il repetait que pour tons les hommes il y avait necessile de boire et d' aimer. I — 471 — En 1759 on \it se reformer un noiiveau Caveau^ dont firent parlie plusieurs des mend^res qui avaient illuslre Ic premier. Voici son oriaitie : le fermier ce- neral Pclletier donnait a diner les mcrcredis de cliaquo semaine a quatre auteurs, Marmontel, Boissi, Suard et Lanoue. Sur la dsmandede ceux-ci, Pelletier invita egalement Crebillon fds, Ilelvetius, Gentil Bernard, Colle et Laiijon. La reunion de ces liommes de leUres leur snggera I'idee de se former en sociele, et ils re- tablirent, sous le nom de Caveau, une reunion lyrico- bacliique oil la gaile presidait aux repas corame dans la preeedenle, mais qui laissait a desirer sous le rap- port des epigrammes et des bons raols qui avaient fait la reputation de la premiere. Toutefois cctte sociele fut visilee par cc qu'il y avail de distingue dans les lettre«, les arts et dans le monde. Son existence se prolongea jusqu'an mariage de Pelletier, mariage qui fut la cause de sa dissolution , car cette union ridicule eloigna de riiolel de ce traitant les auteurs et les gens lionnetcs. Mais si les adoralcurs de la chanson lui elevaient uu temple oii lis lui rendaient uu culte fervent, d'autres cliansonniers, a leur tour , lancaient dans le public des couplets qui etaient accueiliis avec autant de faveur que ceux sortis de la plume des grands maitres. La chanson de La l)clle Boui'bonnaisc , La inaitressc do Blaise, etc. avail a cette epoque une vogue d'autant plus grande , qu'on voulait a toute force trouver dans cette chanson une allusion a la conduile dissolue du raonarque, eta ce sujet on lit dans le Bullclin des nouvcllcs qui parut kl5 0ctobre1TC8: — 472 — (I Depuis quelque temps , il court line chanson inti- iulee La Boiirbonnaise , qui a ete repandue avec une rapidite pen commune , quoique les paroles en soient fort plates et que I'air en soit on ne pent plus niais. Les gens qui rafTinent sur tout ontpretendu que c'etait un vaudeville satirique sur une certaine fiUe de rien (la Dubarry) parvenue a jouer un role et a faire figure a la cour. » L'abbe de Lattaignant , chanoine de Reims , com-^ posait sa chanson de .Taidubon tnbac Dans ma tabatierc , etc. qui devait avoir un succes pyramidal , pendant que Vade chantait a tue-tete : Dans les gardes frangaises J'avais un amoureux , etc. N'onblions pas plusieurs autres chansons qui obtin- rentun succes populaire. En premiere ligne je citerai : Je I'ai plantc, je I'ai vu naitre , etc. , delicieuse petite romance de de Leyre, dont j.-j* Rousseau fit la musique ; Ah ! vous dirai-je , maman , etc. , connue de tons les dechiffreurs de notes ; Que ne suis-je sous la fougere, petite composition de Riboutte, controleur des rentes. En cliansons grivoises : Manon lacouturiere de Vade ; - 173 • Malgrc la bataille Qu'on doiiiie domain , Qh\ faisons ii[iaille , etc. d« Mangenol, et II ctait un p'lit liomine Qui s'ap'lait Guilleri Garabi, etc. . , Favart , Tabbe Voisenon , le due de Nivernais , le cardinal de Beriiis , Boudlers composaient , au milieu d'une societe legere et ardente aux plaisirs, des cou- plets qui faisaient fortune, soit par leur piquante rail- lerie , soit par Tesces raenie de leur licence. Rien ne peint mieux la frivolite de Tepoque que I'espece de celebrite qui vint entourer deux personnages d'alors, Nicolet , le fondateur du theatre de la Gaite , et Ram- ponneau. Raraponneau , cabaretier aux Porcherons , cut un nora populairc. Done d'une de ces faces et de ces ro- tondites sans egales , on devinait a son seul aspect (jue Bacchus etail son patron , et sa jovialiie, sa bonne liumeur , son aptitude a tenir tete a sa clientele la lu' Grent augmenter, et firent de sa maison le rendez- vous de tons les viveurs et de tons les curieux. On le chantait, on le citait de toutes parts , et bienlot lout Paris fit le pelerinage des Porcherons. Parmi ses pratiques les meilleures et les plus assi- dues on coniptait les principaux auteurs et acteurs du theatre de Nicolet. C'etait la que Dorvigny , le pere des Janots et des Jocrisses, vcnait chercher ses inspirations, que Taconnet venait y ecliauflfer sa muse grivoisc et se preparer a jouer ses roles d'ivrogne au nalurel. C'clait avec lui principalement que Ramponneau faisait les honneurs dc son nectar a six sous. 34 V7i — Conime les st'ances elaient fort longues et la con- sonimation du liquide assez abondante, il arrivait sou- vent que , pour se lever de table , nos deux lieros seniblaienl plus unis que jamais, Et ces deux grands buveursse soulenaient entreeux, quaud la plus ronflante egalite ne les reunissait pas sous la table. La renommee populaire a survecu a I'illuslre Ram- ponneau , et tout le monde a pu le voir figurer dans le Re'veillon de la Courliile , vaudeville de notre temps. Notre joyeux Desaugiers lui-meme , dans sa chanson intilulee Vive le vin de Rampouneau , a rendu son nom cher aux enfants d' Epicure. Pendant que les auteursen renom faisaientdes chan- sons pour la societe , une foule d'auteurs inconnus en faisaient , pour le public , sur les jesuites, sur la paix, sur la guerre , sur les parlements et sur les mattresses du roi. Tout ce qui ressemblait a de Topposition etait saisi avecaviditc; Topinion, les vaudevilles, les sarcasmes, les epigrammes , les caquets d'en bas et d'en haut etaient an service de quiconque se montrait Tantago- niste du pouvoir, A la cour , tons ceuxqui la compo- saient se bornaient a flatter et a plaire ; I'activite, Tes- prit et le courage etaient comptes pour pen; la souplesse et la patience , voila ce qui faisait parvenir. On ne connaissait plus I'imposant dans le caractere et la no- blesse dans les sentiments ; la vanite etait le mobile de toutes les actions , les hommes se rapetissaient pour se glisser jusqu'aux places , au lieu d'y arriver par des — 475 — talents superieurs, les feraoies ctaienl les insli iinienls de ravancenient, et la galanterie avail pris la place de I'amour , qui ennoblit quand I'autre degrade : eu un mot, petits interets, petits liommes , petites clioses , petites pretentions , voila la cour. Les anteurs clian- sonniers, en mettant au pilori de la publicite les vices etles ridicules de cette epoque , n'en voulaient certes pas aux grands noms dont la France s'honore : la no- blesse des Montmorency , des Choiseul , des Rohan , des la Tremoille reveillait encore, alors corame au- jourd'liui, de nobles souvenirs; mais ils flagellaient avec raison cette noblesse dont les principales occupa- tions etaient de savoir precisement a quelle lieure le roi se couchait , a quelle lieure il se levait , comment on flattait un ministre pour en obtenir richesses on honneurs , et surtout comment on obtenait un tabouret a la cour : aussi un concert unanime de maledictions s'elevail-il centre ces laches ambiticux , et une opposi- tion formidable , composee de mille elements divers , d'ouvriers, de bourgeois, d'ecrivains , de magistrals , de nobles, de grands eux-memes se presentait-elle au combat et attaquait-elle a outrance les vices de ces fa- voris de cour , confondant la royaute elle meme dans ses attaques. Sous Louis XVI la chanson ne prit aucun caractere particulier. La Harpe , Marmontel , Florian , Berquin soupiraient leurs dernieres romances. On chansonna bien quelques personnages , quelques evenements im- prevus, mais en general, sous le regne de ce monarquc iionnete homme , la chanson avait perdu le ton de raillerie et de satire , et semblait etre dans Tattente de Torage revolutionnaire qui commencail a poindre a r horizon. — 476 — Nous rcoiarquons parmi les chansons les plus en vogue de ce regne : 0 ma tendre musette , etc. de la Harpe ; Que j'aime a voir les hirondelles , etc. de Florian ; II plcut, il pleut, bergere, etc. deFabre d'Eglantiue, qui plus tard devint fougueux republicain ; Boutonderose, etc. par la princesse Constance de Salin-Salm ; Pauvre Jacques , Quand j'etais pres de toi, etc., cliarinante romance coraposee par la marquise de Tra- \enet, et dont I'air delicieux Qt la fortune. Yoici une petite historiette a laquelle la romance doit son origine. En 1780 , on Tcnait de construire pour la reine Marie- Antoinette le petit Trianon ; le jardin venait d'etre plante , et dans un endroit reserve , qu'on appelait la petite Suisse , on avait eleve un chalet representant une ferme avec sa laiterie. 11 fallait animer ce paysage : on fit venir de la Suisse des vaches et une jolie laitiere ; mais cette jeune fille ressentit bienlot les atteintes d'une raelancolie qui menaca ses jours. On decouvrit qu'elle regreltait son pays et son fiance. La reine fit venir Jacques , c'etait le nom du jeune Suisse auquel elle ctait promise, maria etdota les deux amants. La marquise de Travenet coraposa a cette occasion la ro- mance de Pauvre Jacques, qui fut bientot chantee a la cour et a la ville, C'est aussi sous ce regne qu'on chanta la fameuse — 477 — complainle du Juif errant et le Comte Orrij , vieille chanson duxiv siecle , reproduife par de la Place en 1785, se trouva bientot dans tonics les boncLes. Des evenements grayes se preparaient , les eerits de Voltaire , de Rousseau et de tous les auteurs de ce siecle avaient depuis longtemps echauffe les esprits ; la revoke des Elats-Unis d-Araerique , raffrancliisse- ment de ce peuple et son independance proclamee acbe- verent d'enflanimer toutes les tetes , et la convocalion des elats generaux pur Louis XVI fut le signal donne pour reclamer des ameliorations et des reformes. La chanson , dans cette circonstance , prit sa place dans la luttc qui allait s'engager , en veritable niilice le- gere, ellecommenca Tattaquepar uu feu vif et bien soutenu, puis se transformant au fur et a mesure que les evenements acqueraient de la gravite , elle devint acerbe et vehemente avec la constituante , farouche et cruelleavecla convention, etprita plaisir de se plonger avec ses sectateurs dans les honteuses actions de cette epoquc. Loin desetaire etde briser ses pipeaux , ellc se mult plie , et, comme un echo fidele, elle repele , transmet les horribles paroles qu'elle entend , et la Carmagnole et les (Ja ira deviennent la reelle expres- sion des mocurs de cetfe epoque de terreur el de sang ; puis, honteuse de ses propres execs, elle se rdfugie haletante dans les camps, se retrempe aux molsd'hon- neur et depafriofisme. Elle nous fait entendre bienloL des hymnesimmortels, et conduit nos soldalsala vic- toire el aux conqueteSj aux refrains sublimes de la Marseillaise, du Re'veil du peuple. Mais, comme si tout devait elre singulier a cetle epoque, en memo lemps cprelle hurlail dansla rue , qu'elk' dcNcnail heroique et here aux armees , elle — 478 — etait sentimenlale au theatre : la romance de Jeunes amants, cueillez des fleurs de Demoustier, etait accueillie avec enthousiasine; la chanson de Cadet Roussel est bon enfant , chantee et par les revolulionnaires et par leurs victimes dans les prisons, annoncait encore k TEurope attentive qu'au milieu de reCfroyable tourmente qui renversait Tedi- fice social, le caractere francais seul se maintenait de- bout au milieu de ces ruiues. Voici un second exemple deces contrastes. L'assemblee nationale avait decrete la fonte des cloches, et De Piis chantait : En province comme a Paris , Toutes les cloclies out leur prix ; C'est bien ce que Ton pesera. Alleluia > Graves bourdons de Saint-Victor , De resister vous auriez tort , Georges d'Amboise y passera. Alleluia ! Les carillonneurs conslernes , Les fondcurs de cloche (ilouues Gagneront Rome ou Malaga. Alleluia ! Par un tocsin mal entendu Nul nuage n'etant feudu , Le tonnerreen I'air restera. Alleluia ! Quand il va savoir au surplus Qu'en ce monde on ne sonne plus, Boileau chez les morts chantera Alleluia ! — V70 — Mille creanciers font mouvoir La soniiette de mon manoir : 0 loi nouvellc , emiiortc-la ! Alleluia ! alleluia I alleluia ! ! ! Void iin couplet qui prouveque, meine en presence de I'echafaud, la chanson savait conserver son inde- pendance. Quoique ecrit il y a cinquante ans, ce cou- plet semble avoir ete fait d'hier, tant il parail de cir- constance : Pour nourrlr le feu des partis Que dc fagots sees lis nous jctteiit, Tous ces journaux, grands ou petits, Qui sent en vogue ou qui vegotent ! . . . Par leur intolerance egaux , lis vendeiit fagots et fagols. En 1796, la lerreur avail disparu, le calme coni- mencait a renaitre ; la victoire couronnait nos arnies ; Tinstant etait favorable pour inspirer des couplets. Depuis sept ans on gemissait en France, on se fatigua de pleurer ; on chanta. Le caracterc national reprit le dessus, et la gaite vint secher los pleursque la terreur avail fait repandre. Les chansonniers d'alors, les au- teursqui consacraienl leurs productions an theatre du Vaudeville, crui'cnt le moment opportun, et, a rexera- ple de leurs joyeux predecesseurs , ils formerent le projetde sereunir de temps en temps pour diner en- semble. II futconvcnu d'abord qu'aucune des chansons apportees a ces diners ne serait publico ; mais biento t on entendit chanter dans les societies les refrains des chansonniers du VauJeville. On voulut connaitre les couplets cnfanlesa leur table, et, cedantaux instances de leurs amis, ils se ddciderent a pnblier chacpie niois un cahier contenanl les chansons apportees au diner tin — 480 — mois precedent. Les fondateurs de cctte noiivelle so eiete, connue sous le nom de Diners da Vaudeville, furent : Barre, Radet, Desfontaines, Piis, les deux Se- gur, Despreaux , Bourgueil , Demaulort , Despres, Prevostd'Iray, Cheron, Leger, Rosiere, etc. A mesure que de uouveaux auleurs oblcnaient des succes au theatre du Vaudeville, ils etaient admis aux diners aux memes prix que les fondateurs, c'est- a-dire moyen- nant unc chanson pour cliaque diner. C'est ainsiqu'on y Tit paraitre successivement Philippon de la Made- leine, Armand Gouff^, Dupaty, Seguier, Dieulafoy, Chazet, Laujon et beaucou{) d'autres. Le diner etait fixe au 2 de chaque mois, a deux heures et deniie, car on soupait encore alors ; mais il arrivait presque tou- jours que ce diner se prolongeaitfort avant dans la soi- ree et epargnait ainsi aux convives les frais d'appetit pour un nouveau repas. Les Diners du Vaudeville donnerent naissance a une foule de jolies chansons, parmi lesquelles onpeutciter le CorhiUard, d' Armand Goufle ; la Ckaumiere , de Segur ainc ; le Voyage du Temps etde I' Amour, de Segur cadet ; la Grande ronde a hoire, de Piis On y chaula les evenements de cette epoque : Bonaparte y trouva des poetes pour chanter ses victoires. Mais bientot la ferveur se rela- cha, et ces diners, plusieurs tbis suspendus, plusieurs foisrepris, cesserent fautc dedineurs. Quelqiies chan- sonniers qui avaient fait partie de cette societe, faches de n"avoir plus I'occasionde se reunir, resolurent d'en organiser une nouvelle, et, pen d'annees apres, se forma une reunion lyriquc qui, sous le nom de Caveau moderne, devait rappeler la vogue et la reuommee de Tanciennc. Armand Gouffe et Capellc en furent les premiers fondateurs, el Antignac, Brazier, Desau- — 48! — giers, Moreau 5 Francis, Dupaty, Cadel-GassicourJ en devinrent niembres. Plusieurs cliansonnicrs de la societe des Diners s'y reunirenl. Lo vieuxLau- jon, qui avail fait partie de I'ancien Caveau, fiit nonime presideni; dii nouveau, el celle joyeuse sociele clian- tante piil de Fecial. Ces diners devinrent bienlot fa- meux. Les chansons bachiques et gaslrononiiqucs firenl la reputation du Roche r de Cancale. La cave et les fourneaux de Balainn furcnt immortalises j)ar les refrains de Telite de nos chansonniers. Les departe- ments, a Finstar dn Nouveau Caveau, formerenl des societesepicuriennes, et jamais peut-etre on nechanla plus en France qu'a cette epoque. A la morl de Lau- jon, Desaugiers arriva au fauteuil dela presidence, et ce fut lui qui decouvrit Beranger, alors lout-;i-fail ignore, etqui devina son talent. L'auteur de la cliar- mante chanson du Roi d'Yvetol fut presenle par Desau- giers au Caveau comme un homnie qui devail elre un jour un de nos ju'emicrs chansonniers ; nous savons tons si la prediction s'est accomplie. Cette soeiele eut douze annees d'existence, pendant lesquelies Mi^I. de Jouy,deLongchamps, Uougemont, Gentil, EusebcSal- verle, Theaulon, Ourry, Tournay,Couparl et Jacque- lin vinrent successivenient prendre place aux diners du Uocherde Cancale. La politique, ccllcennemie nee des chansons, amcua des discussions et des divisions facheuses parmi ses niembres, et on cessa dese reunir en J8f7. En 1SI3, une societe rivale s'etail elablie chez le restaurateur Reauvilliers, et ac«juit unecerlaine cele- brite sous le noin des Soupers de Momus ; eile resisia plus longtenips (jue son ainee aux divers dissolvanls qui devaieni ameiier la dispersion dc ces socielt'si'pi- — 482 — curiennes, mais elle flnit par siiccomber en 1828. Je citerai parmi les menibres remarqiiables de cette so- ciele, Frederic de Courcy, Justin Gensoul, Martain- ville, Jousselin deLasalle, Armand Dartois, Carmou- che, Felix, Jacinthe, Lcclerc et Dusaulclioy. En 1825 flit fonde le Gymnase lyrique. Cette societe, rivale de ses ainees par le talent et la verve de beau- coup de ses membres , prolongea son existence jiis- qu'en 18i0, epoque a laquelle il y eut fusion entre elle et le Nouveau Caveau. Elle eutde I'eclat et de la vogue pendant un certain temps. Nous remarquons parmi les cliansonniers qui contribuerent a ses succes, MM. Teste d'Ouet, Saint-Gilles, Festeau, Henri Simon , Garien, P. Dewint, Salgat, Justin Cabassol, etc... En 1834 se constitua la Lice chansonniere, sous les auspices deCli. Lepage. Cette societe differaildesau- tres en ce qu'il ne s'agissait plus de diners. On se reunissait un jour par semaine chez un raarchand de vins, et on passait la soiree a clianter et a boire. Cette societe peul etre consideree comrae la premiere des reunions populaires en ce genre , qui existent en si grand nombre a Paris; car lous les societaires etaient chansonniers, et il fallait avoir fait ses preuves pour etre admis dans son sein. Parmi ceux qui s'y distin- guerent, je citerai MM. Hacliin , Chanu, J. Leroy, Blondel, Jest, Piton,etc... Ce ne serait point une simple notice, mais bien des volumes, qu'il me faudrait^crire, Messieurs, si je vou- lais vous rendre coinpte de loutes les chansons remar- quables que notre siecle vit paraitre ; outre que je m'eloignerais totaleinent de la ligne que je me suis tra- cee, j'abuscrais de vos moments qui doivent etre con- sacres a des fravaux plus utiles. Je prefere done mo — 483 — borner a vous parler des compositions les i>lus cele- bres mises au jour depuis cinquanle ans, et a ne vous entretenir que de deux liommes qui a eux seuls re- sument la chanson tout entiere, Desaugiers et Be- ranger. Au nombre des compositions qui eurent un succes briliant, je dois citer en premiere ligne celle que nous devons au plus grand ecrivain de notre epoque, a M. de Chateaubriand. La voici lout entiere : Combien j'aL douce souvenance Du joli lieu de ma naissance ! Ma socur qu'ils etaient beaux les jours De France ! 0 mon pays , sois mes amours Toujours! Te souvient-il que notre mere , Au foyer de notre chaumicre , Nouspressait sur son coeur joyeux, Ma chere , Et nous baisions ses blancs chcveux Tons deux? Ma soeur , te souvienl-il encore Du chateau que baignait la Dore Et de cette tant vieille tour Du Maure , Oil I'airain sonnait le retour Du jour? Te souvient-il dulac tranquille Qu'cftleurail I'hirondellc agile , Du vent qui courbail le roseau Mobile, Et du soleil couchant sur I'eau Si beau ? Te souvient-il de cette amie , Tendre compagnc dc nia vie ? — 484 — ^ " Dans les bois en cucillant la lleur Jolie, Helenc appuyait sur nion creur Son coeur. Oh! qui mc rcndra mon Helcne, Et ma montagnc ol le granJ chene ? Leur souvenir fait tons les jours Ma peine ! Mon pays sera mes amours Toujours. La romance de Nina, de MarsoUier, qui eut un suc- ces prodigieux, dont la moitie rcvient a Dalayrac, qui avail adapte aux paroles une musique ravissante. La chanson de la Faille , de Servieres ; celle du Menage de gavcon , de Joseph Pain ; Plus on est de fous , plus on ril , d'Armand Gouffe ; Qiiand le hien-aime redendra , de MarsoUier ; le Poinl du jour , d'E- tienne; Femme sensible, d'Hoffmann ; Paris a cinq heures c/w Hiarm, deCasimir Menetrier ; Te souviens- tu, disail un capitaine, la Colonne et Fanfan la Tulipe, d'Emile Debraux ; Fleuve du Tage , Parlant pour la Syrie , paroles et musique de la reine Hortense ; Guernadier, que lu m'affliges , Une nuit de la garde nationale , el Dormez done , mes cheres amours , de Scribe, et bien d'aulres encore ; car il est certain que j'en oublie, etdes meillcures. Marc- Antoine- Madeleine Desaugiers naquit a Frejus en 1772. D'une complexion faible et delicate, il etait serieux et melancoliquc dans sa jeunesse ; ce ne futqu'a Tagede seize ans que son physique scfortifia etque son esprit devint vif et enjoue. A dix-sept ans, il fit representer sur un theatre du boulevard une co- medie en un acte et en vers qui eut beaucoup de suc- ces el decida de sa vocation. Force de quitter la - 485 - France en 1792, il n'y rentra qii'en 1797, au sortir d''une longue el doulourcuse raaladie. Des son retour, il consacra sa vie a realiser les illusions de bonheur qu'il s'etailfaites ; son caractere devint riant, et cetle gaite, qu'il regardait conime sa divinite tulelaire , ne I'a plus abandonne un seul instant de sa vie. En rentrant en France, prive de fortune, il dut cherclier dans le theatre, qu'il avait aborde avectanl de bonheur dans sa jeunesse, des ressources et des distractions ; il travailla done beaucoup, soutenant avec une philoso- phic epicurienne les epreuves de la carriere epineuse qu'il erabrassait, et luttant centre elles avec les scales armesde son humeur joyeuse. Cefut ainsi etsans s'en douter qu'il coniraenca une reputation qui devait un jour le placer au-dessus de tons nos chansonnicrs. Quelques petites pieces elincelantes d'esprit et de gaite le lirent bientot remarqucr , et il devint en pen de temps I'ami et le coUaboraJeur de tons les auteurs qui enrichissaient les theatres de leurs spirituelles produc- tions. II serait presque inutile de parler ici des chan- sons de Desaugiers ; depuis longtemps elles sont ap- preciees. Plus spirituel que Panard, plus gai, plus decent que Colle, aussi gracicux, mais plus fort d'idees que Favart, Desaugiers reunit en lui seul les qualiles de ces trois auteurs, et ses chansons sont des petits chefs-d'oeuvre qui peuvent etre places a cote de ce que nous possedons de plus agreable en ce genre. Quel- ques-unes sont par leurs developpements de petits poenies, entre autres : M. et Madame Denis , Cadet Buteux a, V opera de la Vestale , etc. lieaucoup ont le merite d'oU'rir une peinture naive et piquante des niceurs et des ridicules de toules les classes de la so- ciete, conime : le Celibataire , les Griseltes. la Halle, — 486 — leJeune liommc a la mode , V Original sans copie, le Pilierdccafe, etc. II enestaussi que I'onpeut comparer pour la verve poetique, pour la pliilosophie , aux plus belles odes d'Horace, telles que: Ma Vie e'picurienne , Verse en- core, \a Slaniere de vivre cent ans. Quelques couplets vous indiqueront mieux que mes citations le style et le genre de Desaugiers. En voici plusieurs pris au ha- sard : Combien De gens de bien Par I'intrigue ont eu des wiskis Acquis ! Leur nom Est ea renom , Mais en secret ils sont ban , Trahis. Moi , j'aime mieux presserles bras de ramitie A pie. J'espere que c'est bien , Hcim? Sentir en epicurien. Voulez-vous savoir la maniere de vivre cent ans, ecoutez : S'endormir a I'heure Oii le jour s'enfuit , Quitter sa demeure Des que lejour luit , Au loin de ses pas Porter la marcbe irreguliere; Pour chaque repas Nouvelle course auxiliaire ; Et I'annee entiere Meme passe-temps , VoiJa la maniere De vivre cent ans. - /.87 — Flcr sur une tonne, Nnrguer le cliaj^rin ; Pre voir, quand il tonne, Un ciel plus serein ; Se inontrer soutnis Aux coups du sort parfois severe; Tendre a ses amis Sa bourse , sa main et son verre ; Suivre la banniere De Roger-Bontemps , Voila la maniere , etc. . . Des beautcs faclices Redouter I'accueil , De leurs artifices Eviter lecueil ; Sauver sa gaite Des flots de la gent chicaniere ; De la faculto Fuir la doctrine meurtriere ; Ne faire la guerre Qu'aux cerfs haletants, Voild la maniere, etc. . . D'ailleurs, dit-il, quand on est mort, c'est pour long- temps; et suivantce yieil adage, fort sage , il continue ainsi ses conseils : Presses d'eclore, Que nos desirs , Que nos plaisirs Naissent avec I'aurore; Quand PhiJbus dore Notre reduit , Chantons encore ; Chantons quand vient la nuit. Desjoycux sons De nos chansons Etourdissons La villc et la campagno , — 488 — Et que raoussant A notrc accent , Le doux Champagne Rtipete en jaillissant : Quand on est mort c'est pour longtemps, Dit un vieil adage Fori sage , Employons bien uos instants Et contents, Narguons la faulx du temps. Est-il monarque Dont les bienfaits, Dont les hauts fails Aient desarme la Parque ? Le souci marque Leur raoindre jour, Et puis la barque Les emporte a leur tour. Je n'ai pas d'or, Mais un trcsor Plus cher encor Me console et m'enivre : J'aime, je bois, Je plais parfois: Qui sail bien vivre Est au-dessus des rois. Quand on est mort , etc. . . . Voici maintenanl les consolations de la vieillesse : Quand des ans la fleur printaniere S'effeuille sous les doigts du Temps , Poursuivons gaiment la carriere : Un bel hiver vaut un printemps. Sur le galoubet, en cadence, J'aime jiarfois am'exercer, Et j'ai du moins, sijenedanse, Le plaisir de faire danser. I — 489 — i » . . , , Si moil luth sous ma main tremblante Ne produit plus quede vains sons, De ma fille la voix naissante Rajeunit mes vieilles chansons. Sachons done de la destinee Sous les fleurs amoiiir los coups , Et qu a leur soixantieme annee Nos enfants chantent comme nous. Quand des ans etc. Recherche par tout ce qu'il y avail de distingud dans Paris, Desaiigiers etait I'ame de toutes les reu- nions, par sa gaite, sa verve et son enjoument. Sa phy- sionomie ouverle et spirituelle, ses maniores Tranches et aftectueuses, son sourire aniical, ses ycux vifs et aninies, sa conversation aimable, la rondeur de sa taille, tout annoncait en lui un ami du plaisir et de la joyeusete. Son coeur etait aussi distingue que son es- prit; sa bonhomie rappelait souvent celle de Lafon- taine , et le plus bel eloge qu'on puisse faire de lui, c'est que les amis de sa jennesse furentceux de sa vie entiere et que ricn n'altera jamais en lui ce sentiment exquis. Atteint d'une maladie grave, les medecins re- connureut bientot I'existence de la pierre ; on fit en vain plusieurs essais de lithotrifie ; il fallut avoir re- cours a I'operation dela taille ; Desaugiers s'yresigna. II supporta avcc courage cette operation, maiselle ne reussit pas, et il expira peu de moments apres. Cefut entre deux crises qu'il eprouva quelque temps avantsa mort, qu'il coraposa I'cpitaphe suivante : Ci-git helas ! sous cette pierre Un bon vivant mort de la pierre. Passant, que tu sois Paul ou Pierre, Ne va pas lui jeter la pierre. 35 — fm — Je terminerai ces quelqucs lignes sur Desaugiers en rapportanl I'opinion de M. Duviquet (alors critique celebre et rcclacteur du Journal ties De'bats) : « Au me- rile de composer superiecrcraent le couplet, Desau- oiers joignait le talent non moins rare de le chanter en perfection. Sa physionomie douce et aimable s'animait au feu du vin d'Ay, aucliquetis dos verres, au concert bruyant de scs refrains. L' execution doublait le merite de la chanson. L'acteur le plus eserce auraitele vaincu par la verite tranche et expressive du masque et dela pantomime de Tauleur. » Voici niainlenant ce qu'ecrivait Charles Nodier au redacteur de la Quoiidienne, en apprenant la mort de Desauf^iers : « J'apprends a cent cinquante lieues de Paris la mort de Desaugiers. Jen'ai pu I'accompagner asaderniere deraeure; mon coeur eprouve lebesoin de s'associer aux regrets qui I'ont suivi, aux larmes qui ont arrose sa fosse , a I'expression du sentiment que tout le monde partagc , mais que personne ne pent eprouver plus amerement que moi. Nulli flebilior. » On remarquera que Desaugiers, qui aete un des der- niers interpretes de notre gaile francaise, et qu'on ne remplacera pas plus sous ce rapport que sous tons les autres, avait recu re ':C>;i.'"X FIN DU TOME PREMIE:^. I\einis. — L. jACQt'FT, imprimeur de rAcademie. Pi