Sl^.ANCES ET TIUVAUX DK I/AC.ADEMIE DE REIMS. 28 WARS 184 5. — 10 MAI I8-J3. ^mo ET TRAVAUX DE L'AGADI^MIE DE REIMS. BSe«axi^M»«> voBnnae. 28 MARS 184S. — 16 MAI 184S. REIMS. L. JACQUET, EDITEUR, IMPRIMEUR DE l'ACADEMIE. BRISSART-BINET, LIBRAIRE DE l'ACADEMIE. /v-x it? ^^ iL Hi^' ,^^ SEANCES TRAVAUX DE L'ACADEMIE DE REIMS. NMl. Seances des%Sllar«ct 4 Avril lf^4S. SOMMAIRE DES DEUX SEANCES. Corrcspondance. — Discussion sur I'ensemble des modifications a ap- porteraux statuts orgaiiiques. — Discussion sur le mode de publi- cation des travaux de TAcadeinie; — Nooiination d'une commission qui doit rechercher les uioyeus de reglcmenter cette publication; — Rapports de M. Louis Lucas sur ces deux questions. — Nomina- tion de diverses commissions pour I'examen des memoires destines auconcours, et la composition de la seance publique. — Lecture de M. Bonneville: De la repression des recidivesdans les legislations contenn)oraines. — Lecture deM. Bandeville : Rapport sur un livre intitule Riche.ri historianimlibri lY. — Lecture de M. Clicquot : Tobie, chant en vers tire de I'Ecriture sainte. Les deux seances sont ouvertes sous la presidence deMonseigneur I'areheveque. La coriespondance impiimee coinprend : 1" Pro- — 2 — grammes desprix proposes par la societe d'encourage- ment pour rindiislrienationale. -Sur la proposition de plusieurs membres, unexemplaire de ces programmes sera adresse au conseii des priuriiommcs, avec la let- *re qui y elait jointe ; — 2"Extrait de I'essai sur Tart d'ameliorer les terres et speoialement les terrains cal- caires des environs de Reims, par M. Maillet fils, membre correspondant; — 3' Recherclies sur le pas- sage de TAisne par Cesar, et sur les evenemenls qui precederent la bataille de Pontavert, par M. Leroux , docteur raedecin a Corbeny, membre correspondant ; — 4" Journal de la societe d'agricultnre des Arden- nes; — 5° Comptes-rendus Iiebdomadaires des seances de I'academiedes sciences (24 Mars 1S45); — 6° Dis- cours ou conferences dogmatiques par M. Pregnon , cure de Torcy, membre correspondant; — 7° Bulletin dela societe des antiquaires de Picardie, annee 1844, n° 4 ; — S" Triple accusation d'empoisonnement, ex- trail desAnnales d'hygiene publique , par MM. A. Chevallier, Orfila et Oilivier (d'Angers); — 9" Notice sur Julia Fonlenelle, par A. Chevallier ; — 11° Eaux minerales : sur la necessite qu'il y a pour le gouver- nement de faire etudier Taction des eaux minerales dans les saisons oii aujourd'liui on n'en fait pas d'u- sage, par A. Chevallier ; - 12" Sur la falsification du Sucre de canne par la glucose , par A. Chevallier ; — 13" Notice sur la rupture deTappareil deM. Thilorier, pour la preparation de Tacide carbonique , et sur la mortdeM. Uervy,preparateur del'ecoledepharmacie, par M. A. Chevallier; — 14° Memoire sur le lait, sa composition, par MM. A. Chevallier et Ossian Henry; — 3 - — 15" Notice surle papierderiz, par M. A. Chevallier; — 16" Dusang, ses caracteres , ses proprieles, par le meme ; ■ — 17° Des accidents aiixquels sont exposes les couleliers , emouleurs et aiguiseurs , par le merae ; — 18° Sur les alterations etles falsifications des substan- ces alimenlaires, par le meme; ■ — 19° Recherches sur I'hydrogene arsenic et sur Tappareil de Marsh , par le meme; — 20° Memoire sur les incendieset inflamma- tions spontanees , par le meme; — 21° Essais sur le vinaigre , ses falsifications, etc., etc., par MM. A. Chevallier, Th. Gobley etE. Journeil. Correspondance manuscrite : Lettres 1 °Du President dela Sociele d'AgricuIlurede la Marne, qui invite Taca- demie a lui adresser les questions qu'elle croira pro- pres a interesser Tagriculture, afin de les transmettre a la commission du prochain congres d'agriculture. — L'academie designe MM. le vicomte de Brimont et Geoflroy de Villeueuve pour la representer a ce con- gres, qui se reunira a Paris dans la premiere quinzaine de Mai. — 2°DeM. Durand , architecte, qui fait liom- mage a la compagnie de plusieurs dessins archeolo- giques. — Renvoi a une commission speciale, compo- see de MM. Brunette , Maquart et Gosset. — 3° De M. Chevallier, oflranta l'academie les brochures enon- cees plushaut. — 4" Un memoire sur Colbert adresse pour le concours^ avec cette epigraphe: Je ne dois qu'd moi seul toule ma renomme'e, etc. . . . Renvoi a une commission composee de MM. Robillard , Bouche , Paris , Contant et Derode. — 5° Un memoire sur la question d'agriculture. Renvoi a une commission com- posee de MM. de Brimont, Saubinet, De Belly, Leconte _ A _ et Geoflroy. — 6° Une leltre de M. • Eug. Varochon , sculpteur, grand prix de I'lnstitut, ex- pension uaire a Rome, soUicilant le tilre de nienibre coriespondant, et souuaettant aTAcadeniie une etude du projet de statue a Colbert , ainsi qu'une gravure representant la statue d'uu enfant charge de fruits , a\ec cette devise : Qui trop embrasse mal c'lreint. M. Lenfanf, negociantaEpernay, soumet a Texamen derAcaderaie du Tin doux conserve par un procede qui lui est propre. Commissaires : MM. Sutaine , Le- coute et Duquenelle. M. Landouzy donne lecture des questions de mede- cine qu'il se propose de soumettre au coniile d'orga- nisation du congres. M. Louis Lucas, dans la seance du 28 Mars, fait, au nom de la commission , un rapport sur les modifica- tions a apporter aux statuls organiques : les projets de la commission sont adoptes a I'unanimite. Sur les observations de M. le president , et apres une discussion a laquelle prennent part MM. D^rode, Paris, Bandeville, Landouzy et Courmeaux, une com- mission composee de MM. Saubinet, Nanquelte , Con- tant, Derode, Tarbe de Saint Mardouin, Louis Lucas, Gonel et Courmeaux, estchargee d'examiner de nou- veau le mode actuel de ])ublication des travaux et de rechercher les moyens de le regleraenter en lui conser- vant son caractere. — Dans la seance du 4 Mars , M. Louis Lucas, au nom de cette commission, pre- sente a I'Academie un rapport et un projet de regie- men I que la compagnie adopte en entier, sauf une modification de detail. — 5 — Sur la proposition de Monseigneur I'archeveque r Academic decide que les objets envoyc^s de Chine a la compagnie par M. Natalis Rondot, seront offerts par I'Acadeniie an Musee de la ville, Sur la proposition de M. Robillard , la compagnie decide que la prochaine, seance annuelle aura lieu le Jeudi 8 Mai. MM. Bandeville, Wagner , Bonneville , Phillippe, Garcet, Tarbede Saint-iiardouin, Pinon et Ern. Arnould sont charges de determiner les lectures qui devront composer cette seance. — 6 — LECTURE DE M. BONNEVILLE. DE LA REPRESSION DES RECIDIVES DANS LES PRINCIPAIES LEGISLATIONS ETRANGERES CONTEMPORAINES. FRAGMENT (i). CONSIDERATIONS GENERALES. Les etudes legislatives faites sur un seul peuple , sur un seul lieu ousur un seul temps , n'auront jamais de valeur. Ortolan. L'etude de la legislation comparee est la meilleure maniere d'approfondir les grandes questions que pre- sente la science du droit. Trolong. La legislation peoale, dont le but est de soumettre les instincts mauvais, les penchants insubordonuds de I'homme an joug salutaire de la loi, est, de toutes les theories d'ici-bas, la plus difficile. C'est une de ces sciences qu'on n'invente pas , et qui ne peuvent sortir toutes perfectionnees du cerveau des legislateurs (2). Essentiellementbasee sur la connaissance approfondie du coeur humain, sur I'exacte observation desbesoins moraux et materiels de chaque peuple , elle ne peut etre que le produit lent et tiitonne des recherches de la philosophie sociale. II faut en cette delicate matiere , pour obtenir des progres durables , faire une sorte (1) Ge fragment fait partie du deuxieme et dernier volume de Tou- vrage intitule De la Rectdive, que I'auteuf doit prochainement pu- blicr. (2) La legislation est une science de calculs moraux, ou I'imagina- tion no supplee ni au trivail, ni a I'experience. (Bijnthxm.) — 7 — d'appel a rexp<5rience de tous ; en d'autrcs termes , comparer. Ce n'est que par Ja comparaison que Tesprit debile de Fliomme pai vient a disUnguer et a recon- naitre la verile. Ses idees circonscrites sur un seiil peuple, surun seul lieu, surun soul temps, sc retrecis- sentet se faussent. II ii'arrivea Ja vraie lumiere, a la juste mesure de la repression penale , que par I'exa- men com/>a/t'' des autres legislations criminelles. Les anciens avaienl parfaitement corapris cette vi- rile. Four eux, la sagesse legislative consistait princi- palement dans Tetude des moeurs, des usages et des lois des aulres pays. Solon , Lycurgue , Platon , Cljarondas , et tous les grands l^gislaleurs dont le nom nous est reste, s'e- taienl formes a Tart difficile de faire des lois par de -longs voyages. Tous avaient ete au loin eludier les hommes, les faits, les institutions; et ce n'est qu'a force de meditations comparatives, qu'ils avaient fini par acquerir cette divine sagesse , qui, durant tant de siecles, a doraine le monde sous le nom encore revere de legislation grecque et romaine. Et en ellet , sauf les nuances de races , de caractere national, de moeurs ou de climat, riiomme social etant partout le meme ; ayant partout les memes in- stincts de bien-etre et de conservation; on concoitfa- cilement qu'une loi, sagement meditee, puisse avoir, chez dillerents peuples , une action egalement effi- cace. Les vrais principes de la science du droit, ceux que Vico appelle/ws a-ternum vemm, sont de tous les temps et de tous les lieux; leur application seule peut varier avec les circonstances , les prejuges ou les hesoins particuliers de cliaque nation ; mais au fond, les principes restent immuables, coranie la — 8 — raison, comme la verite, comme Dieu dontils dmanent. C'est, je n'ai pas besoin de le dire, en dehors de ces circonstances secondaires et variables, que je me propose de determiner le meilleur mode de repression applicable aux recidivistes. Dans ce but , j'ai du, a la maniere des anciens legistes , avant tout , comparer et clioisir. J'ai fait plus : j'ai voulu mettre mes lecteurs a meme de trouver la verite an milieu de cette mul- titude de systemes et de penalites diverses ; j'ai voulu qu'ils pusscnt se diriger eux-meraes a travers cede mer floUanle des opinions (I) ; et suivant cette pensee, me suis efforce de completer pour eux les nombreux documents que j'ai deja donnes , par le resume des penalites usitees contre la recidive, dans les princi- pales legislations conteraporaines. A une epoque oil tous les gouvernemenis , cedant a I'impulsion de la science, semblent se preoccuper a I'envie de perfectionner lour Icgislatiou penale, ce ta- bleau synoptique des diil'erents modes de penalite en usage surun meme point de la legislation, acquiertun haut degre d'interet et d'utilite. Toutefois, le jurisconsulte, qui entreprend de sou- mettre ainsi un point particulier du droit penal au creuset de la legislation comparee, eprouve d'in- croyables difficultes d'execulion. La France, qui recele dans son sein tant derichesses intellectuelles , est de lous les etats de TEurope le plus pauvre en documents de droit penal e'tranger. Croirait-ou qu'un pays qui entretient a grands frais des ambassadeurs ou des charges d'afl'aires dans toutes les capitales del'Europe et chez la plupartdes peuples (I) Montaigne. — 9 — coniuis; qui paye des cours publics d'anglais, d'al- lemand, d'arabe, de chinois , etc., ne possede pas dans sa bibliolheque royale , ni dans cellc de ses deux corps le'gislalifs, je ne veux pas dire une traduction , mais pas raerae une edition commune officielle de cha- cun des codes criminels en vigueur, chez toutes les na- tions civilisees ? Ces documents scientillques, sans les- quelsi'exnmenapprofondidu droit penal est impossible, et qu'il serait si facile au gouvernement de reunir, manquent encore a cette heure a la plupart des juris- consulteset des magistrals ! Esperonsque le gouvernement qui, depuis quelques annees (1837), a compris la necessite de relever etde reliabiliter les etudes de droit criniinel, en creant a la faculle de droit de Paris une cliaire de legislation pe'nate corn puree (i)^ sentira ce qu'il y a d'irrationnel a exiger des jeunes legistes Tetude compare'e de codes criminels etrangers, dont ni le texte, ni la traduction, nesont en- core, nuUe part en France, a 1;» disposition du public. Espe'rons que bientot , a I'exemple du gouverne- ment Russe (2), il s'empressera de doter nos princi- (1) Ce cours , confie a I'uu de nos plus habiles publicistes , M. Orto- lan, est un de ceux qui font le plus d'honncur a la savante faculte de droit de Paris, ct un de ceux que la jeunesse des ecoles suit avcc le plus d'interet. (2) L'empereur actuel de Russie, voulant proniulgucr dans ses litats un code pen;d nouveau , a conlie la redaction du projel a une commis- sion des premiers jurisconsultes de I'empire; et pour rendre I'elabora- tion ou la discussion de ce projet aussi complete el aussi raisonnee que possible, il fait faire en ce moment, sur toutes les raatieres penalcs, le rapprochement comparatif des legislations criminelles en vigueur dans les diveis etats du monde connu. Cet immense travail, jiour la re- daction duquel un de nos plus savants crirainalistes (M. Ortolan) a ete officiellement consulte, sera un des plus precieux monuments elcves a la science, ou plul(')l al'ctudedudroit penal compare.— On ne pensr pas qu'il puisse eire |)ulilie avant (liusirurs annees. — 10 — pales bibliotheques publiques d'une collection in- cessamment complete de toutes les legislations pe- nales etrangeres ; collection trop importante, trop indispensable aux etudes du droit criniinel , pour qu'on abandonne sa realisation , soil aux efforts im- puissants et aux idees changeantes des jurisconsul- tes (1), soit aux speculations inintelligentes de la li- brairie. En attendant, les studieux apotres de la legislation comparee en sont reduits a colliger ca et la quelques documents qui , pour etre en petit nombre , qui pour etre inconiplets, n'en sont pas moins des elements precieux de comparaison ; elements d'autantplus pre- eieux, que leur vive et frappante lumiere peut seule eclairer les parties obscures ou les problemes irresolus de notre droit penal. On a deja pu se convaincre, par Texpose que j'ai fait des penalites repressives, de la recidive sous Vancienne legislation franQaise et europe'enne , qu'il y avait eu sur ce point , entre le systeme francais et celui des au- tres nations de I'Europe , des rapports presque com- plets d'identite; partout les recidivistes ctaient soumis a une aggravation forcee et inevitable. Cette parite de principesn'avaitriend'etonnaut entre des legislations (1) C'est a deux houorables magislrats que la France doit la traduc- tion de quclques-uns des codes etraiigers. M. V. Fouclier, avocat ge- neral a Reiines, a commence cii 1833 la publication de la collection des lois civiles et crirainelles des etats modernes. Cc travail, si digne des encouragements du gouverncment, et dont rachevemont ciit etc d'ailleurs fort inlercssanl, semble interrompu depuis quelques an- nees. M. de Saint-Joseph a public la concordance de notre code civil et do commerce avcc les lois civiles et commerciales etraugeres. M. Angelot, avocat, a donne aussi un precis fort estimc des legisla- tions Jes etats du nord. — 11 — nees aux raemes sources (1), soumises aux memes cir- loustances sociales et politiques. Nous allons conti- nuer a retrouver la menie conforuiite de Tues repres- sives, entre nos codes crimiuels de 1791 a 1810 et les principales legislations penales etrangeres ac- tuelles. Seulenient une nouvelle raisou , rinfluence de la domination francaise, \iendra se joindre aux an- liennes causes de similitude. Le droit criminel de I'Europe aux xvi% xvii^ et xviii'' siecles, considere dans ses sources et dans ses actes legislatifs se composaitde deux elements parfai- tement distpcts : Tun special , exdusivement propre a chaque pays ; Tautre general, commun a toute TEu- rope. L'e ement commnn etait forme de la combinaison du droit romain , du droit canonique et du droit feodal ; Telement special consisfail dans les codes criminels, et, leplus souvent, danslescoutumes, droits, privileges particuliers a chaque province. Or, le droit romain, le droit canonique, le droit feo- dal et tous les codes criminels, redigesalorsoudepuis sous cette triple inspiration (2), avaient soigneusement conserve les regies antiques d'agyravation forcee en- vers les recidivistes. Ces regies profondement enraci- nees dans les habitudes judiciaires, recurent une nou- velle consecration par la propagande invasive que nos (1) Le droit romain , le droit canonique , le di-oit foodal. (2; Corarne le code allcmand de Charles-Quint, la Caroline, formee de plusieurs decrets de la diete d'Augsbourg en 1 530, de celle de Ra- tisbonne en 1532 ; le code espagnol du raeme prince , la Recopilacion de las leyes, publiee en I5CG ; lo code de Sardai£?ne; // Codicr vitto- rmnu, publie en 1723; les mille stafuts que les^Anglais appellent The common lair; le code criminel de Toscane publie par !e grand due Leopold en 1 786 ;le code pmssiendu grand P'rederic, de 179',. — 12 — codes criminels exercerent sur une grande partie de TEurope. On saitque le mouvement de 1789 et les conquetes de Tempire ont elendii , avec la domination de nos armes, Tapplication, soit du texte meme de nos codes, soitde/eurs principes, a tons les pays reunis complete- ment a la France, et meme a ceux places a I'ombre de ses ailes et de sa protection. — Quant aux pays reunis et incorpores au territoire francais, ceux-la furent im- mediatement idenliOes a notre organisation judiciaire et administrative; nos loiset nos codes leur devinrent communs. • C'est ainsi que successivement notre code penal de I'ft)! et celui de brumaire an IV, puis nos codes de 1810 etde 1808 regirent, sous le directoire, la Bel- gique (1765) et le Piemont (1798) ; sous le consulat , Gene-ve, la rive gauc lie du Rhin et la Savoie(1801); sous I'empire, une partie de Tltalie; Genes (1805), Parmes (1808), les Etats Roraains (1809); puis les villes hanseatiques (1) etle Valais (1810). Je le repete , chez lous ces peuples, et a partir de leur reunion a la France, nos codes criminels (ceux de 1791 et de Fan IV, puis ceux de 1808 et 1810) ont ete en complete vigueur. D'autres etats , sans etre reunis positivement a la France, furent crees ou proteges par elle et par suite at- tractivement places dans I'orbitede son influence etde ses idees. — Ces etats recurent des codes criminels (1) Leroi Louis Napoleon y avail promulgiiele 31 Deccmbrc 1808 un code crimiiiel, uielangc des codes de 17'JI et de I'an IV et des an- ciennes lois neerlaiidaises; uiais deux ans apres, la Ilollande ayant etc reunie ala France, les codes de 1808 et 1810 y furent introduils par derrcts du 20 Avrd, 18 Oitobre et 8 N()vend)re 1810. — 13 — imite's , quelquefois menie ideDtiqiies el siuipleuieiit (raduits des n6tres(1). Tellesfnrent les rtSpuhliques italiennes et la republique helvelique (2) a I'epoque dictatoriale ; puis, sous Tempire, les royaumes d'lta- lie (3), de Naples (4), de HoUande et le grand duclie de Varsovie. Dans ces divers etats, P aggravation force'e des codes francais fut appliquee aux recidivistes. Les evenemcnts de 1814 et 1815, qui enleverent a la Franceses conquetes, ne parent rien contre lesem- pietements et la propagande de sa legislaiion penale ; elle fut presque partout provisoireraent raaintenue. Ainsi, dansleroyaume de Naples, dans le duclie de ParmeetdePlaisance, dans le royaume des Pays-Bas (HollandeetBelgique), dans les provinces rlienanes, dans le duche dc Berg, en Pologne, en Suisse (canton de Berne, de Vaud et de Geneve), les codes criminels francais, ou ceux qui en etaient derives, furent con- serves avec de tres-legeres modifications (5). Et dans ceux memes, comme les Etats Roniains, la Savoie, le Pieinont et la Sicile , oii nos codes fu- rent immediafement abroges, pour faire retour aux anciennes lois du pays, I'espritdes lois francaises sur- (1) Des codes de 1791 et de I'an IV, puis de 1808 et 1810. (2) En 1799, le code penal general caique sur ceux alors en vigueur en France , fut publi6 pour tous les cantons (republique lieh clique.) (3) Un prqjel de code penal approprie a ritalie, avail ete prepare sur le modcle des codes francais (alors ceux do 1791 et de Tan VI) et approuve par le vice-roi , mais Napoleon ayant promulgue en France son code penal de 1810, donna ordrc de le traduire pour i'ltalie. (4)Lesdecrets des 20 et 22 Mai I8u8 y avaient organise le droit penal sur le modele des codes francais de 1791 et de Tan IV, mais en 1813, notre code penal de l8io y fut ofticiellement traduitet pro- mulgu eavec quelques adoucissements de pcnalites. (5) Ortolan , Cottrs de legislation compnr^e. — 14 — vecul el y prepara, de niemc que dans les etals Tes- tes jusqu'a nouvel ordre sous I'empire de nos codes, rediction d'une legislation nouvelle, qui n'est, en gene- ral, que le reOet Gd^e des principes du droit penal francaisde 1791 a 1810. On pourrail dejaconclure de ees considerations his- toriques, qu'aujourd'hui, danstoute I'Europe, a quel- ques exceptions pres, qu'il nous a ete impossible de verifler, le principe de Vaggravalion force'e pour les re- cidivistes est reste en Tigueur, comme regie generate et absolue. Du reste on va pouvoir s'en convaincre par la revue comparative des diverses legislations penales etran- geres qu'il nous a ete permis d'etudier. Nous avons dii negliger tons les etats restes soumis aux regies de notre code penal de 1810 (1), regies que nous avons deja examinees, en ce qui louche larecidive;nous avons dii negliger aussi la legislation de quelques etats encore regis par les regies du droit remain et du droit canon, que nous avons egalement exposees; enfin, cellc des etats qui sont en travail de codes criminels nou- veaux (2;. 11 reslera en dehors de nos appreciations qnelques codes dont nous n'avons pu a temps nous procurer letexte (3); c'est une lacune que nous devrions regretter,sirensemble des documents ci-apres reanis ne devait plus que suffire a I'examen comparatif dont nous avons cru devoir eclairer notre travail sur le meilleur mode derepression applicable aux recidivistes. (1) Tous les etats de la rive gauche du Rhin , la Hollande , la Bel- gique, le royaume de Naples, le duche de Parmes et Plaisance, dont les codes criminels sont dresses plus particulieremenl sur le modele de notre code penal. (2) L'Espagne, le Portugal, quelques etats secondaires d'AUenaa- gne, etc. (3) Ceiui de tlussie, ceux des etats d'Ainerique , etc. — 15 — Lecture de m. bandeville. Rapport sur un livre intitule : liicheri hlstoriarum libri IV. II n'est guere d'epoques moins riches en docu- ments historiques que le dixienie siecle : la Chronique de Flodoard, avec son IJisloire de I'cglise de lieims, les Epiires de Gerbert sont a peu pres les seules pieces justificalives que Ton puisse consulter. Et, pourtant cefte epoque n'est certes pas la moins fertile en eve- neraents : la dynaslie de Charlemagne, aux prises avec une maison rivale, et succombanl apres un siecle de luttes, offrait a la plume des hisloriens une suite de fails du plus haul interet.C'etait done trouver un tresor que dedecouvrir une histoire autographe qui remontat aussi haut , et corapletat la serie des documents con- temporains qui existent. Ce raanuscrit precieux, ce tresor litteraire qui vient d'etre trouve , soyons en fiers, .Messieurs, c'est I'ceuvre d'uu compatriote, d'un moine de Saint-Uemi de Reims. Je dois la connaissance de cet ecrivain au Journal des Savanls , que vous m'avez con fie pour vous en rendre comptc : le premier numero qui me tomba sous la main m'apprit qu'en 1833, MM. Pertz et Bo- hemer, editeurs du Monunienta Germanice, avaicntde- couvert dans la bibliotheque de Bamberg, et insere dans leur collection une histoire du x<" siecle , ecrite par un moine nomme Richer. Ce travail etait fausse- ment attribue a Richer, moine de Senones, chroni- — 16 — qucnr dii femps dc Pliilippc-Augiisle ; niais I'examen et la leclure diulil manuscril amenerenl bientot les deux savants a reconnaiire qif il elait beaucoup plus ancien, que e'etait un ouvrage dedie a Gerbert, et ecrit par un moine de Saiiit-Remi de Reims ; de sorte que notrecile peutse glorifler d'avoirfourni toutes les sources fiistoriques du x'' siecle, dans les travaux de Flodoard, de Richer aide Gerbert. La penseede I'Academie, depublier les oeuvres de Flodoard, rendait iuteressante au plus liaut point I'ap- parition d'un livre qui devcnait pour cette publication un complement necessaire. Mais avant de posseder I'ouvragc, il me semblait convenable d'obtenir sur I'auteurdes renseignements precis: combien delivres, achetes sur la foi d'un prospectus ou d'un rapport, ont ete justement oublies dans un coin de bibliotheque ! Je chercliai en vain le nom de noire Richer dans toutes les biographies ; je courus a la bibliotheque publique, dans I'espoir d'y trouver quelques traces de son exis- tence ; mais nos conservateurs, qui savent tout, con- naissaient une foule de Richer , depuis le moine dc Senones, dont la Chronigiie est insereedans \eSpicilege de d'Achery, jusqu'a Richer le janseniste, auleur du livre de Poteslale ecclesiasiicd ; et ils ne savaient rien de celui qui m'occupait. Seulement on m'appritqu'un professeur de Tuniversite de Liege, anirae du meme desir que raoi, avait fait la meme demarche, sans plus de succes. 11 fallait qu'un etranger, un beige, vmt apprendre aux Reniois le nom d'un auteur de Reims. Toutefois ma demarche a la bibliotheque ne fut pas enlierement inutile : je pus lire dans YHisloire litte- rairede la France, torn, vi, page 503, 1'article suivant sur Tobjet de mes recherches : « Richer , disent ces — 17 — » auleurs, nous est repiesentdoomiue un historien ee- » lebre, etdigne d'allerdepair avec Flodoard,presque » sonconteniporain. llcstau reste etonnant, qii'ayant » eu line si grande reputation en son siocle, il soit au- )) jourd'liui si pen connu. Tout ce qu'on apprend des » evenenienis de sa vie, se borne a nous dire qu'il » florissait en 992, et qu'il etait nioine a Reims, » sans specitier ie monastere, quoique la presomp- » tion soit en faveur de I'aljbaye de Saint-Remi (I). » Tritheme, qui s' etait servi utilement desesecrits, » en a tire que Tauteur, avec un genie aise et de » Tardcur pour Tetude et le travail , s'etait fait un » riche fonds de litterature sacree et profane , et » acquit le talent de bien ecrire. — Le principal, et » pent- etre unique ouvrage de Richer , etait une » Histoire des Fran^ais , divisee en deux livres (2). » L'aufeur la commcncait par ces mots, qui previen- » nent en sa faveur : Orbis ilague plaga, quae morla- )) libus sese commodam prcvbet, et i'avait dediee a Ger- )> bert, alors archeveque de Reims. Ce pouvait etre » par consequent vers 994 ou 995. Richer y avait use » de beaucoup de precision , de sorle que son ouvrage )) ne passait que pour un abrege, mais un abrege » agreable a lire, pulclirum el conipendiosum opus. II » etait si estime pour la certitude des faits, qu'il a m^- » rite a son auteur le titre d'ecrivain fort exact. Tri- » theme en preferait I'autorite, avec celle de Flodoard, » en ce qui concerne les aventures d'Hilduin , qui se » porlait pour eveque de Liege, a tout ce que Tabbe » Eckard, historien du commencement du xii^siecle, ( 1 ) Cette presomption est de venue certitude depuis la decouverte du manuscrit. (2) En qualre. — 18 — )) el tons !es aulresen avaienl ecrit. Richer, dans son » histoire , rapportait plusieiirs clioses sur Foulques, » archeveque de Reims, et Herve, son successeur im- » medial, a qui Ti'itlieme doiine par erreur le nom » de Henri (1). 11 esl etrange qu un ouvrage aussi in- » teressanl pour not re nation , qui existait encore )) au moins a la fin du xV siecle , ait ele lellement » neglige , qu'on ne le voie plus paraitre nuUe » part. On doll cependanl conveoir qu'il aurait ete » d'une grande utilite pour aider a remplir le vide » qui se trouve entre Flodoard et nos liistoriens du » xr siecle. Flodoard finil sa chronique en 966, etRi- » cher avail pousse son histoire vers 992 ou 993 (2). » Ainsi Ton y aurait une suite des principaux evene- )) ments de I'histoire de noire nation pendant 26 a » 27 ans, evenements qu'on ne trouve point ailleurs.» Convaincu de I'importance de Touvrage, je frappai a la porte de toutes les librairies pour me le procurer ; on ne savait ce que je voulais dire. Je lis parler a M.Guerard, I'auteurde I'article du Journaldes Savanls; il me fut repondu que Tedilion, faile eu Allemagne, etait epuisee. On parlail bien d'une autre, qui se preparait en France, mais c'etait d'une maniere si in- certaine, quejedevaisrenoncer atouleesperance. En- fin, apres dix mois d'altenle et de recherches, le livre tanl desire m'a ete adresse, il y a quelques jours , et e'est apres I'avoir lu que je viens vous en enlrelenir. Richer nous apprend lui-meme qu'il etait fils de Raoul ouRodolphe, oflicieretconseiller du roi Louis d'Outre-Mer. Ce tut a la valeur et aux conseils de cet officier que le roi dut la prise de Laon, en 949, et Ger- (l)VoyezTritheme, Annal. Hirsamj., loin i. (2) i/hibtoire jusqu'a 995 et Ics notes jusqu a 998. — 19 — berge celle de Mons, en 956. Notre auteur entra au monastere de Saint-Remi vers la fln du pontiGcat d'O- dalric, on dans les premieres annecsde I'arclieveque Adalberon. 11 fut disciple de Gerbert, dont il sut se concilier I'amilie. Les details qifil donne sur I'ensei- gnement de ce grand maitre nous font voir jusqu'k quel degre les eludes etaienl porfees dans cede ecole. Les dcrnieres annees qui precederent relection de Gerbert a rarclieveche, Richer les employa a etudier lamedecine. L'ardeur qu'il niett.iit a ce genre d'etude et le desir dVHudier les aphorismes d'Hippocrate lui firent entreprendre, en 991, le voyage de Chartres, voyage dont les incidents, decrits au iv* livre, for- ment un episode inferessant. Des que Gerbert futassis sur le siege archiepiscopal, il cliargea Richer du soin decontinuer les Annales qu'avait laissees Hincmar (1). Richer obeit, et dediason oeuvre au savant prelat. Les differentes nuances d'encre, que M. Periz, I'edileur, a remarquees dans le manuscrit, lui ont fait supposer que ce travail fut fait en trois aus, de995 a 998. Scion lui, la premiere partie, c'est-a-dire, le premier livre et le second jusqu\iu chapitre 78, auraient etc ecrits de 995 a 996 ; dans les deux aunees suivantes, Tauteur aurait acheve, revu et corrige son ouvrage. Ce que devint Richer apres la deposition de son prolecteur, des conjectures seules peuvent nous I'indiquer. La maniere brusque dont il arrete sa narration la veille meme du concile qui retablit Arnoul, Taflection qui le liait a Gerbert, donnent lieu de croire quil suivit ce prelat a la cour d'Othon, oil il acheva son histoire: ce qui explique la presence de ce manuscrit en Alle- magne. Accompagna-t-il Gerbert a Ravenne eta Rome, (1) Ouvrage qui ne se Irouve plus. — 20 — Itii offrit il line copie du livre qu'il lui avjiit dedi^, c'est ce qu'il est impossible de savoir. Quant a I'authenticite de Touvrage, on en trouve la preuve dans son anliquile meme. Le manuscnt de Ri- cher se Irouvait ddja dans unc bibliolheque de Bam- berg ail xii" siecle, cent ans environ apres la mort de I'auleur ; dans le catalogue de cette bibliotlieque, re- dige par le moine Roger de It 12 a 1123, et insere dans le Vindemice litteraria; de Schannat, oet ouvrage est inscrit sous le titre de Liber Richer i ad Gerberlum. Parlons maintenant de riiistoire meme. Get opus- cule, precede d'une epitre dedicatoire, ou prologue, est partage en quatre livres. La division du globe, celle des Gaules en particulier, la peinture des moeurs des Gaulois, voila les trois premiers chapilres. L'au- teur commence le recit historique au point oil s'etait arreJe Hincmar, c'est-a-dire, a la naissance de Char- les le Simple, que par erreur il fait fils de Carloman. Les invasions des Barbares, qu'il altribue a la mino- rite du prince et aux dissensions des seigneurs ; I'ave- nement du roi Eudes, et ses exploits contre les Nor- mands; la victoire de Montpensier , rapportee dans tons les details ; le couronnementde Charles, son por trait, sa faiblesse pour Haganon ; le meurtre de Foul- ques et la mort de son assassin, tel est le sommaire des 18 premiers chapitres. Jusque la, si on exceptc quel- ques rares emprunts faits a Flodoard, dans son Histoire de I'eglise de Reims, Richer a puise a des sources qui nous sont entierement inconnues. A parlirduchapitre 19, c'est-a-dire, de I'an 920, jusqu'au 22" chapiire du iir livre, I'auteur suit la C/irorti(/uede Flodoard, a laquelle il donne une forme nioins seche et moins de- cousue. Mais il ne se pique pas d'une scrupuleuse — 21 — exac'lilude, el les licences qu'il se donne pourront pa- laitrc qiielque pen hardies : ainsi, enlraine par uii sen- timent, de vanile patriotiijue, il se plail, dans le recit des balailies, a exagercr !a perte des ennemis, ce qui donne a sa narration, snivanl M. Pertz, assez de res- semblance avec les bulielins de la grande armee : oil Flodoard avail vu 1 , 1 00 morls, Uiclicr en met tra 8,000; pins loinjl ellacera le cIiilFre de 5.000 hommes, qu'il avail ecrit d'abord, pour en eorapler le doul)le : heu- reusement de (els mensonges n'ont fait de mal a per- sonne! Ailleurs, il se permellra des substitutions de noras propres : oil il avail ecrit lui-raame, d'apres Flodoard, les noms de Gislfbert etde fklglque, il metira ceux de Henri el de Germanie on de Saxe; et cela pour etendre la doininalion du roi de France bien au dela du Rliin, et lui donner un vassal plus respecta- ble dans ia personne de Henri I'Oiseleur. Mais, a part ces inlidelites et d'atilres de meme genre, qu'il est fa- cile de corriger par le texte de FloJoard, on peutdire que notre auteur ne laisse pas d'etre d'un haul interet, meme pourcette paitic de son travail, parce qu'il de- vienl corame le commentateur de son modele, dont il explique certains passages assez obscurs, et auquel il ajoute des details que la concision du premier laisse souvent a desirer. A propos de details, je serais bien tentede vous tra- duire une petite anecdote racontee par Richer, si je n'e- tais retenu par la|)resence de nos confreres medecins; cependant leur philanthropic, qui egale leur science, fait taire un peu mes scrupules : je crois done en toute securile pouvoir parler ou plutot laisser, parler I'au- teur : « I.orscpje, nous dit-il, Derold, qui mouruteve- » que d'Amiens, etait a la cour, au service du roi, on 22 » dit qii'il fut trompe par un medecin de Salerne, raais » qii'il le lui rendit bien. Us etaient tous les deux fort )) habiles dans Tart de guerir ; Derold etait prefere du » roi, I'etranger I'etait de la reine. Le roi troiiva inoyen » de decoiivrir lequel des deux connaissait mieux les » secrets de la nature : il les fit asseoir ensemble a sa » table, et sans faire connaitre sa pensee, il leur pro- ») posait de frequentes questions. Chacua repondait » coranie il pouvait : Derold, plus lettre, elablissait » ses reponses sur des preuves ; le Salernitain, peu » verse dans les lettres, avait pour lui le genie naturel » et beaucoup d'experience. lis se reunissaient done » tous les jours, et mangeaient ensemble a la table » du roi. On dissertait un jour sur la difference des » forces oumoyens curatifs, dinamidiarum ; on parlait » des ressources plus ou moins abondantes que pou- 1) vaient offrir la pharniaceutique, la chirurgie ou la » botanique.Le Salernitain, qui ne comprenait rien a )> ces noms grecs, se taisait en rougissant. Pique de » jalousie, il resolut de se defaire de son rival par le » poison, et cacha sa perfidie sous des dehors de bien- » veillance. Un jour qu'ils etaient a diner, I'etranger, » qui avait prepare sa vengeance en empoisonnant » Tongle de son grand doigt, ungue impudici loxicato, » infecta mortellement une poivrade dans laquelle ils » trempaient I'un et I'autre leurs morceaux. Derold, » sans defiance, fit usage de cette sauce, mais bien- » tot Taction du poison le fit tomber en defaillance, » et il fut emporte par ses gens. Au moyen de la the- 1) riaque il neulralisa reflet du poison, et au bout de )) trois jours, il put revenir prendre ses habitudes au- » pres du Salernitain. On lui demanda ce qui lui etait » arrive : il repondit qu'il avait ete tegerement saisi de — 23 — » refroidissement, fleumalis friyore. ne voulant pas lais- » ser voir qii'il s'etait apercu du piege ; par la il in- )) spira a sou ennenii plus de securile. Redevenu son » convive, Derold repandit sur la portion de son rival » une substance toxique qu'il avail cachee entre le » doigtauriculaire et Tindex. Get te substance, pene- )> trantdans les veines, chassa bientot la clialeur vi- » (ale. Le mallieureux fut euiporte dans le plus triste » etat. II mil tout en oeuvre pour arreter TeHet du poi- » son ; tous ses efforts demeurerent in utiles. Alors il » exalta Derold, proclaraa sa superiorite en medecine, » et implora son secours. Derold, fleclii par les in- » stances du roi, lui donna des remedes contro le poi- » son , niais il fit en sorte de ne pas le guerir com- » pletenient; par la theriaque qu'il lui donna, il fit » passer toute la violence du venin dans le pied gau- » che. Comme il vivait liabituellemenl parmi les gens » de la maison, chaque Ibis qu'il voyait dans les veines » du pied le poison produire une tumeur en forme de » pois, il le refoulait dans le pied en lui opposant son » antidote. Cette suite de reactions contraires amena » enfin sur le pied une plaie qui devint telle qu'il >» I'allut recourir aux cliirurgiens pour laire Taraputa- » tion. » J'ai toujours professe le plus graad respect pour MM. les raedecins; mais depuic que j'ai lu cette anecdote, ce sentiment s'est accru en moi jusqu'a la crainte : Dieu me garde de jamais cffenser la faculte ! Arrive a Tan 969 , Richer , abandonnnd par Flo- doard, deviententieremenl original ; ce qu'il rapporte, il en a ete le temoin , ou bien il I'a puise dans les ar- chives de Saint-Remi et dans les ecrits de Gerbert. II parle d'abord du pontificat d'Adalberon , de son zele pour la decoration de son eglise, pour la reforme des — 24 — chapitres et des monasteres. li donne sur le ooncile du Mont-Notre-Danie des details qu'on cherclieruit vainement ailleuis : dans ce concile , on inlcrdit aux religieux les cliapraiix a oreilles, les tuniques froncees et a larges manciies, les souliers elroits , allonges en forme de bee , surmontes d'oreilles , et que des do- mesfiques s'applicjuaient a faire reluire ; il est aussi parle, au snjet des costumes, de plusieurs abus dont noire langue ne permet pas la traduclion. — L'auleur consacre 23 chapitres a Gerbert, pour exaller son sa- voir et sa raethode d'enseignemenl ; puis il raconte les diflerentes hostilites qui agitereut le regne de Lo- tliaire, et il termioe son iii"^ Hvre par le recit detaille des funerailles de ce prince. LeiVlivre commence avec leregite de Louis V, sous lequel se reveillcnt plus puissanles que jamais les factions et les cabales ; puis on \oitlos debats qui s'e- levent entre Hugues Capet et Charles de Lorraine au sujet de la couronne, la deciieance du sang de Char- lemagne decretee a Senlis et consommee a Novon. Fils d'un Gdele defenseur des Carlovingiens, Richer se montreconstamment altache au parti vaincu ; ccpen- dant ses rapports avec Gerbert lui font accepter since- reraent la nouvelle dynastic; maisapresla deposition de son protecteur, il rovient tout entier a ses pre- mieres alTcctions, etnecraint plus de seraontrer hos- tile, surloul a Robert , dont !e prelat dechu croyait avoir a se plaindrc. — Viennent ensuite les discus- sions d'Arnoul et de Gerbert touchant Teveche de Reims, les actes du concile de Saint- Basle, que I'au- teur a tires des ecrits de Gerbert, mais dans lesquels on ne trouvc aucune de ces diatribes contre la cour de Rome , dont les centuriateurs de Magdebourg on I — 25 — souilt^ I'neuvre de notre il lustre archeveque. Ici je me permefti ai de rappeler a M. Guerard, I'auleur de I'ar- ticle cite, que Ramnulfus et Jean, defenseurs d'Arnoul ail concile de Saint-Basle, elaient , !e premier aljbe de Senones et non de Sens, le secon (Livre des propheles, bisloire dii vieux Tobie.) {I'umphrase.) Quoiiiain lu, Uotiiiue cs iuaiis et miti* Lt luultce niisericordice or;inlibus te. P». 86, T. 4. I. Regardez sur le bord de la poudreuse route Chemiuer iin vieillard qii'im jeune enfant conduit : Ses yeuxsembient du ciel interroger la voute, Sa main semble ecarter le voile de la nuiti Et pourtant du soleil la lueur bienfaisante Du liaut des monts descend sur les herbes des pres; Et le flot argente de I'onde scintillante Reflete les eclairs de ses rayons dores. Et pourtant dans les cieux la joyeuse hirondelle Salue en gazouillant I'astre cheri du jour ; Et sous le chene verd la tendre Philomele Module, en soupirant. son plus doux chant d'amour. — 28 — Dej;\ le papillon fiiit la rose vcimeille , Et (III genet II dispense a son gre I'esperance ou la crainte: » Nous, enfdnts d'Israel, adorons sa bonte! » II nous a disperses sur la rive etrangere » Pour dire aux nations que son nom seul est grand. » Allez. fils de Jacob, enseigneza la terre » Que le Dieu d'Israel est le Dieu tout-puissant I » C'est lui , c'est votre Dieu dont la juste vengeance, » Pecheurs, etend son bras sur votre iniquite : » Repentez-vous , priez, invoquez sa clemence, >• Car Dieu dans sa justice est le Dieu de bonte. - 32 — » Soiimis a st s dccrcis, aiix champs ile I'csclavage, >. A la face des rois je benirai son uom : >■ Un joiir il rcpreiidra son anlique heritage , » Car le Seigneur encor se souvient de Sion. » Fils d'Israel, en Dieu placcz votre esperance , » Par des actes de foi desarmez son courroux , » Afin que le Seigneur, au jour de sa clemence, » Daigne enfin abaisser un doux regard sur vons ! Reims. L. JACQUET, Imprimeur de TAcademie. siUnces ET TRAVAUX DE L'ACADfiMIE DE REIMS. N" 13. Seance (Sii IS Avril 1945. S051MA1RE DE LA S£A\CE. ■Corrcspondance. — Communication de M. Duquenelie : Noraenclaturo d'olijctsd'antiquitc recenimcnt decouverls a Reims. — Leclure do M de Maizicre : Dircctiun des bailons. — Lecture deM. Pliillippe : Rapport sur le travail intitule : Memoire de M. Charlier, sur la morve. — Lecture de M. Ern. Arnould : Voltaire et Leve&que de Pouilly.— Communications de M. Landouzjs i" au nomdeM. Ilan- nequin : Exemple de grossesse extra-uterino; 2" au nora de M. Char- lier : Extirpation des ovaires chez les vaches. — Lecture de M. Jules Perreau : Continuatiou du second acta de THamlet de Shakspeare, traduit en vers francais. La seance cstouverte sous la presidence de Monsei- gneur rarcheveque. La corrcspondance iniprimee comprend : 1° Evan- geliaire slave de Reims, du texte dii saerc, fac-simile et public par J.-B. Silveslrc, ouvragc dedie a S. M. rempereur de Russie , Paris, Firmin Didot , 1843, grand in-4"; — 2" Prograinme duCongrcs archeolo- — '.^^ — gique ct historique qui doil s'ouvrir a Lille le 3 Juin procliain; — 3" Une brochure cle xM.A.deMaiziereinti- tulce : Vaisseau aerien , plaquettc aulographiee (I); — 4" Journal des savants , Mars 1845 ; — 5'' Avan- tages moraux resultant dcla souscription a Texperience duparacasse, parM. A.deMaizicre; — 6° Kecueildes travauxde laSocielelibrc d'agricullure, sciences, arts et belles leltres du dcparleiuent de I'Eure , annee 1843, Evreux, 1844, in-8"] — 7"Comptes-rendus heb- domadaires des seances de TAcadeniie des sciences, n" 14 (7 Avril 1845); — 8° Avis a la chambre des pairs de France sur le projet de loi des modeles, dessins et lettresde fabrique, par M. Jobard, directeur du mu~ see de I'induslrie beige, Bruxelles, 18 i5 , in-8^' ; — 9° Fables de J. de Lafontaine , nouvelleedition, precedee d'une notice biographique et litteraire,et accompagnee de notes , par E. Geruzez , Paris, L. Hachette , 1 843; — 10° Histoire d'une singuliere nevrose , par M. le docteur Meugy. (1) C'est Icmorccau In parM. de Maiziere en cette meme seance, etqui figure dans lesomniaircci-dessus sous Ic titredc: Direction des ballons. — 3o — LECrrUE DE M. DL\tlE>ELLE. Biouicnclalure d'ohjels d'anliqciles reccKmcist di^couvcrls i Reims. Le siijet de la communication que je viens voiis faire pourra ne vous interesser que mediocrement : c'est la (lecouverte crane quanlite considerable d'ossements d'aniniaux dont Fenfouissemcnf, remonte a une epo- que bicn eioignee. Le lieu de ce depot, sitae liors des limites de I'an- cienne ville, Tespece et la quaniite d'ossements per- nieltenl d'atlirmer que c'efait une voirie. C'est dans le lit de I'ancienne riviere, entre les por- les de Vesle et de Flechamhault, en face la rue des Moulins , que !es ouvriers employes aux travaux dii canal ont trouve eel araas d'ossements. La quantile exlraile jusqu'a ce jour s'eleve a plus de quarante raiile kilogrammes; ce sont tons ossemenls cFani- raaux , de chevaux , deboeufs; on y rencontre aussi quelques ossemenls de pores, de raoutons et de cliiens, mais en petite cptantite. Malgre leur st^jour dans cet endroit liumide, ces os n'ont subi aucune alteration : leur couleur est seule- ment cliangee eta pris une leinte brune ; a la calcina- tion ils ont fourni du charbon animal, et sans leur de- coloration, onpourrait en rctirer la gelatine. La quan- tile que j'ai indiquee plus liaut a ete acquise pour une usine , lorsque Ton eut constate que, malgre Tepoque dloignee de leur enfouissement j ils n'avaient eprouve — 36 — aucune decoruposilion cliitnique , el qu'ils pouvaient ctre utilises. Meles a ces ossemenls, on a rencontre quelques pe- tils ouvrages en os, fails au tour : ce sonl ties sifflcts a un el deux Irous , des viroles pour emmancher des oulils; mais la piece la plus curieuse est un de a jouer d'une conservation parfaite el idenliquement pareil a ceux dont on se scrt de nos jours. Ces objets peuvent \ous donner une idee de la con- servation des OS au milieu desqucls ils se trouvaient el dont ils out lout-a fait I'aspect. lis proviennent sans doute de quelque atelier ; quelques-uns sont a peine ebauclies, d'autres presentenl des defauls el out eld rejetes avec des ossemenls sur lesquels on remarquc des lignes Iracees pour la confectiou deces sitllets ; ce sont au resle des objets fort communs el que Ton ren- contre dans presque toutes les fouilles de terrain. II n'en est pas de raeme des autres antiquites que je vais vous decrire. Les metaux s'oxidenl presque toujours par leur se- jour dans la terre, el souvent les objets curieux que Ton decouvre ne presentenl que des debris ; mais eeux que j'ai recueiilis sonl en bon etat et laissent peu de chose a regrelter. J'avais d'abord hesile a vous presenter la piece n" 1 : e'est une hache. Sa ressemblance avec celle usilee de nos jours, et connue sous ie nom de merlin, me don- nail de la mcfiance et m'empechail de la considerer comme antique ; mais j'ai la certitude qu'elle a ete Irouvce dans Tendroit precite. J'ai remarque aussi une legere difference avec la hache de noire epoque ; r'est dans le Iron destine a rccevoir le raanche : il est circulaire, el dans rinsfrumenl raoderne il offre un — 37 - carre. Une circonslance positive a siifTl pour lever mes scrupules : en exaniinaiit les ossenients parnii les- qiiels eUc a ete trouvee , j'ai remar(iue que Tos froii- lal de tous les chevaux jelds a cette voirie elaif brise, uon pas comme de nos jours on le fait dans I'abat des aFiinuinx avec une masse, mais bien avec une liache, car les fractures sont Ires allongees, ettelles que pourrait les produire Tinstrument que je vous presenfe, Dans dillerents ouvrages qui traitent de I'antiquite, on lit que dans les sacrifices, les viciiines etaient assommees au moycn d'un instrument nomme malleus ; mais obli- gatoire dans les ceremonies religieuses , cet instru- ment, pouvait etre dans les voiries, remplace par une liache dout la force devait donner un resuUat plus prompt et plus certain. N" 2, un couteau dont le manclie en cuivre est tourne; la lame epaissc est evidee sur unede ses tranches, mal- heureusemcnt elle est fracturee a son extremile. Dans quelques gravures representant des sacrifices, lesa- crificateur estarme d'un couteau nomme secespita, dont il se servaitpour egorgerles victimes. Le couteau que j'ai acquis, en raison de sa forme et de sa solidite, a dii avoir cette destination. N" 3 a 9 sont des couteaux employes chez les an- ciens sous les noms de dolabra cullri ou cuUelli, selon leur force et leur forme, lis servaient a demembrer les Tictimes et a couper les viandes; ils presentent entre eux quelques differences : il est facheux que les man- ehes de ces couteaux n'aient pu etre trouves ; un seul est garni d'une bande de cuivre lixee a la parlie infe- rieure de la lame, avec des pointes livees et egale- ment en cuivre. Les n" 10 et 11 sont d'une forme toute particuliere : — 38 — jls rcssemblenl a ccux dont se servent les sellicrs pour Irancher le cuir ; mais ceux tie noire epoque , en rai- sondeleur usage, sonltrancliants danstoutcretendue de la lame, et les anciens ne le sent que sur un cer- tain rayon. Le n'^ 12 esl curieux en ce que la lame et le man- che sont d'un seul morceau de fer ; le manche se ter- niine par un anneau qui servait a le suspendre. Sa forme s'est perpetuee jusqu'a noire epoque, el son usage elail le meme que chez nous. Le couleau d'une seule piece et tcrmine par un anneau etait coiuui des Gau- lois : j'ai fail reccmment acquisition d'une urne en terre contenant des ossemeuls liumains, deuxmedail- les gauloises d'Atisios, et un couteau offrant beau- coup de resseoiblance avee celui que jc decris. Celte forme a dii elre le couteau primitif, cpie Tart et I'indus- trie out pen a peu perfeclionne. Ici se lermine la serie de coulcaux soit de sacrifice ou d'usage domestique. II serait, je pense, difficile de se prononcer sur leur usage d'une manicre decisive. Deux pelitcs cuillers et une palere en cuivre font aussi parlie de celte trouvaille : les cuillers servaient a repandre les parfumsdans les sacrifices, etla palere a recueillir le sang des victimes. La forme de ce vase represenle une coquille ; la courbure que Ton voit a rextreraife rempiace Tanse, el sert a le prendre. Ces divers objeis metaliiques doivent a la nature de Tendroit ou ils ont cle eufouis de nV.voir subi que I>eu d'oxidalion. Le cuivre a pris une leinle doree qui a meme Iro.iipe Toell de Torfevre ; les instruments en fer ont die decomposes, seulemenl a leur surface^ qui est recouverle d"une couclie de terre et de sulfure defer: mais I'inlerieur esl en bon elat, et I'acicr a — 39 — conservt5 encore de rc^laslicite , couime on peul le voir par les deux lames de sabre qui ont ele Irouvees dans le meme lieu. L'unc de ces lames est bien le glaive ro- main, Tautre est plus grande et evideedes deux coles sur loule sa lonaueur. Je lerniinerai par vous dire quelques mots d'un as- sorfiment de poterie provenant du meme endioit. Le nombre des vases o.ii lerre est considerable :j'en pos- sede dix-sepl elj'aiconnaissanced"'un nombre aumoins cgal, qui sontdissemines dans diverses coUeclions. lis sont en general d'une petile dimension, d'une pate commune, mais dans leur forme (n" 13) , on remarque cette elegance que les anciens adoplaient pour leur polerie. Un scul de ces vases (n° 14) , qui a 6le acquis par M. A. DuchOne, est fort curieux: il est d'une forme ex- traordinaire, d'une pale noire assez tine ; c'est celui qui presente le plus d'inlerel Apres avoir examine les objets de cette trouvaille , il resterait a dire par quelle circonslance et a quelle epoque ils ont etc enfouis. Ce ne peut elre que le fait seul dela neglicence : ces divers ustensiles, par leur so- lidile et par le bon etat de conservation, devaient etre, a I'epoque de leur enfouissement, propres aux divers usages auxquels on les destiuait. lis n'ont done pas dte rejeles comme liors de service, el qu'ils aient ele employes soil pour les ceremonies religieuses, soil pour Tusage de diverses industries, ils ont elejetes avee les debris d'animaux par megarde ou par negligence. 11 cut ele diflicile de preciscr I'epoque de leur en- fouissement, sans la presence de medaillcs qui sont des documents aulhenliques, el la numismati(iuc,dont quel- ques personnes proclament rinulilite, est ici, corame — 40 — dans bfen des cireonstances, d"'un temoignage irrecu- sable. Les medailles que j'ai pu recueillir dans cet en- droitsont au nombrede sept, leur etatde conservalion est tres -mediocre , mais on pent encore distinguer les tetes et les legendes, un Hadrien, un Antonin, deux Marc-Aurele en grand bronze , deux Septime-Severe en billon, uno Julia Domna en petit bronze. — On pen done conclurc que cetle yoirie date du ii'^ au in" siecle de I'ere chetienne. J'ai peut-etre abuse de votre attention en vous de- crivant longuement ces modestes monuments des temps anciens, et si, comme je le pense, je ne vous ai pas fait partager I'enlhousiasme de I'antiquaire, du moins je yous aurai donne un echantillon de son in- nocente manie. — 44 — LECTURE DE M. PIIILLIPl'E, CIIIRLRGIEN EN CHEF DE l'hOTEL-DIEU. RAPPORT m le mcuioire de M. Cliarlier, vclerinaire i Reims , ayaul pour litre : de ki MOHVE. Messieurs, Une commission composee de MM. Geoffroy de Ville- neuve , Demilly ct moi , a ete nommee, dans I'une de vos precedentes seances , pour examiner un raemoire sur la morve, lu dans cettc enceinte par M. Cliarlier, veterinaire en celle ville. Organe decetle commission, je viens vous presenter I'analysedu travail de M. Cliarlier, vous communiquer I'impression qu'il a produite sur clle, etvous fairepart des reflexions critiques qu'il luiasuggerees. Quoi qu'on en puisse dire, ce sujet n'est pas du nom- bre de ceux qui doivcnt etre traites a la legere et ac- cueillis avec indifference. >- 42 — L'iinportaiice des questions soulev(5es par la morve a grandi depuis quelques annees. Debaltues, jusiju'a ces derniers lemps, dansle huis-clos des societes sa- vantes, ccs questions n'avaicnt franchi , qu''a de rares iiitervalles , le seuil des academies , pour se rcpandre dans le public, et n'avaient eu quede faibleset de rares retentissenienls au dehors. Mais depuis le jour ajaniais memorable oil !a transmissibilite possible et facile de la morve des solipedes a I'espece huraaine a ete de- montree de maniere a ne laisser aucun doute dans les espritSj depuis qu'on a vu ce redoutable Ueau fiapper de nombreuses \iclimes, et venir prendre rang dans les cadres dela nosologic humaine, alors I'opinion pu- blique s'cst vivement cmue , et cette sinistre maladie estdevenue un juste sujet d'efl'roi pour lous. Cepen- dant il ne nous semble pas que la croyance a la pro- pagation de cette affection soil encore suffisammcnt popularisee. Beaucoup de proprietaires , de veleri- naiies meme ignorent ou feignent d'ignorer cette ve- rite acquise a la medecinepar de cruelles experiences, continuent a se servir dans leurs travaux ordinaires d'animaux infectes , et exposent , par scepticisme ou par exces d'audace, au danger de leur contact meur- trier, les hommes charges do les conduire. C'cst cette coupable insouciance qui expliquelesca tastrophes que la science signalesi frequemment, cata- strophes qui seniblent devoir se multiplier encore , altendu que la morve etend ses ravages sur I'espece clievaline dans une progression loujours croissante ; c'est cette imprevoyance homicide, si je puis ainsi dire, qui pourrait devenir encore plusfatale a la sanle pu- blique, si I'autorite ne se hatait de prendre des mesu- res generales capables d'etouffcr le mal dans son ber- ceau. — 43 — La morve ne menace pas seulemenl riiornnie as encore pa conjurer les ravages de cetle hydre redoulable. Faut-il vous etonner mainlenant si la morve a fait edore tant d'ecrils, si elle a exerce les veilles de tantde patients invesiigateurs, si elle a remue par de clialeu- reuses discussions les corps savants des diflerenles eon- trees du monde , et si elie est encore aujourd'liui Tobjet des reclierclies et des meditations de ceux qui selivrent a Tedudecompliquee des maladies de rijomnic et des animaux sounds a sa domination ? 11 faut doncaccueil- lir avec faveur les travaux qui surgissent lous les jours sur cet important et intarissable sujet ; il faut ecouter sans prevention et discuter sans passion les donnees et les apercus fournis par les honimes amis deleurarl, de rimnianite et de la prosi)erite de leur pays , et re- cevoir avec reconnaissance toutes les lumieres des- tinees a eclaircr la question dont nous sonimes saisis. L'Academie de Reims, qui a deja cu a connaitre de ce debat , voiidra bien encore preler , je I'espere ^ — 44 — une oreille bienveillante aux d^veloppetuents dans lesquels je suis force d'entrer. Dans I'examen auquel je vais me livrer, je serai aussi peu technique que possible. Je resserrerai ma discussion dans le cercle le plus etroit, et ferai lous mes efl'orts pour menager votre patience et vos precieiix mo- ments. La morve elait connue des anciens: Absyrlhe et Arislole o:it ecrit sur cette raaladie , et en ont doiine d'assez bonnes descriptions. lis disaient qu'elle etait proprea I'espece chevaline, la regardaient commc in- curable, et alllrmaient qu'elle ne se declare pas chez les chevaux sauvages. — Hippocrate, selon Jourdain, avait reconnu qu'elle etait contagieuse. Vegece, qui ecrivait au conimenceraent du iv^ siecle et qui a traduit les hippiatres grecs , dit que quand une humeur safranee coule par les naseaux, I'animal est presde sa fin. Pour le traiteraent, Vegece propose les injections huileuses dans les narines, I'insudlation de la poudre d'Asarum, la saignee, I'infusion de cresson. Nous ver- rons bientot que les quinze siecles qui se sont ecoule's depuis cette epoque n'ontpas beaucoup avance la the- rapeutiquede cette nialadie. Nous arrivons, en traversant les ages, a une ere plus rapprocliee de nous. Au xvi'^ siecle , Soleysel , dont I'ouvrage pent encore etre consulte avec avantage, Delcarape, ecuyer du roi, et Garsault, apart la trivia- lite deleur style et I'excentricite de leurs doctrines sur la nature de la morve, ontlaissedes ecrits qui sont en- core dignes d'etre medites, Au xvii" siecle, la mede- cine des animaux acquit tout-a-coup un grand pcrfec- tionnement, en s'echappant des mains grossieres des — 45 — mait'chaux ignoraiils et des ecuyers, pourp:tsser dans eeiles des Bourgelat, des Lafosse, des Chabert. C'est a eel te epoque qu"on cominenea a entamcr la question si hrrdante alors de la contaf^ion de la morvc. J'abreffe pour le moment, ce sommairc chronologi- que, que jen'ai pas la mission de continuer plus long- tensps, pour comniencer une taclie laborieuse dontje ne me suis charge <|u\ivec la i)lus grande hesita- tion. L'auteur du memoirc sur la morve, doni la modestie se decele des les premieres pages deson remarquable ecril, s'est propose dans son oeuvre un but purcment pratique; il a dedaignc le vain etalage d'unc sterile erudition , et a evite d'aborder la question siconlro- versee de la nature et de I'cssencc de celte maUidie. Au lieu de s'engager dans le labyrinthe des theories hypotheli(iues, etdans la erainte bien legitime de ren- contrer dans celte route tenebreuse la pierre d'achop- pemcnt our le plus grand nombre, une mala- die contagieuse. m — Que. de lultessur ce lorrain lant conteste de la con- tagion, enlre les pailisans pouret contre ! Luttes sou tenues de part et d'autrcs avec des armes egalement puissantes , et il faut le dire aiissi, pour I'honneur de tous, avec uneegale bonne foi. Aussi cette question tant debattue est-elle restee longtemps dans une comj)1ete immobilite. Pourquoi done ces oscillations continuelles, ces fluc- tuations incessantes dans une question pour laquelle les faits accuniules depuis lant d'annees devaient don- ner a tous une opinion commune? C'est que ce n'est pas par la simple inteipretation des faits bruts (jue cette communauted'opinion pcul elre produile, mais bien par leur saine interpretation. De nos jours, le vent souffle a la contagion. Selon M. Charlier, le probleme n'a trouve des hesitations et des retards dans sa solution que parce qu'on s'est ob- stine a etablir deux especes de morve , I'une aigue et Tautre chronique , ayant des caracteres univoques , diflerentiels et facilement reconnaissables. C'est de la qu'est venue la division entre des hom- mes d'un merite incontestable , dont les uns ont admis la contagion pour la morve aigue , ct la non contagion pour la morve chronique. Pour M. Charlier, la morve est une seule et meme maladie, quel que soit le type sous lequel eile se pre- sente ; elle est egalement contagieuse sous ses deux formes. llreconnait avec tout lemondequ'a Tetal aigu , et alors que Fanimal infecte sue, si je puis ainsi dire, le virus par tous ses pores, le ncscio quid, qu'on appelle coiUafjium de la maladie , est plus vif , plus prompt , plussaisissant; mais ceconiagium, pour elre plus lent,. — S3 — moins aclif dans ses efl'ets , ii'en est pas moins meur- trier dans ses resultats. Telle est Fopinion de M. Gliar- lier qui, pour eviler de fatales dissidences , raye des cadres nosologiques les denominations de morve chronique, aiiiue, sur-aigue, lesqnelles ne devraient jamais, suivant lui, etre prises dans lenr acception ri- gonreuso. Toulefois , M. C.!:arlier oonfesseavec nnecandeuret une bonne foi qui Tlionorent, qu'il n'est pas toujours facile de poser les limites qui separent Tetat aigu de Tetatclironique. Souvent, dit-il, les deux types sont reunis ensenoible ou allernent une ou plusieurs fois I'un avec Tautre, et lessymptomes de la morve aigue peu- vent exisler en meine temps que ceux de la morve chronique , rester inapercus , et se derober aux plus minulieuses investigations. 11 resulte de cette declaration que cet etat coraplexe de la morve peutdejouer Texperience la plusconsom- mee, et que les plus habiles peuvent quelquefois etre conduits a confondre I'etatchronifpie avoc I'efat aigu. Voila le nceud de la queslion : c'est cetle difiiculte avouee par M. Charlier qui est la cause de la dissi- dence entre les contagionistes et les non-contagionisles. Quelques explications deviennent maintenant neces- saires, indispensables meine pour me faire compren- dre de vous. La morve aisue est une maladie conlaifieuse , conta- gieuseparleproduitde la secretion nasale, conlagieuse par Fair expire , conlagieuse par le sang , contagieuse enfin par tous les lissus du cadavre. Mais lorsque la lievre d'eruplioii s'est produite , que les pustules ouvertes ont chasse au dehors le virus qu'elles contcnaient, quelc mouveraent inflammaloire — 5C) — aigu sous i'infliicnt'e dunuel s'eslopere !e Iravail d'ali- menfation, s'est caline, au point qu'il n'y a plus, dans les organes, theatre decette explosion, rprun etat sub- inflamniatoire; en un mot lorsnue la mor\e aigmi a passe I'otat chronique confirme, y a t-il encore dans I'eeonomie un virus , un germe susceptible de repro- duire la maladie dans un autre organi-ime? Dcs liommes d'un talent eminent, a la tele desquels je place M. II. Bouley, ne le pensent pas. Si done cette tlieorie est fondce, si elle est appuyee sur Tobservation et confirmee par I'experience, il ne fant plus s'etonner si la mor\e a i'etat chronique est encore regardeecomme non-iontagieiise par une fouie de praSiciens dislingues ; car , a ce point de vue , la morvc chronique ne serait plus, a i-ropremcntparler, la morve, si Ton cnlend par ce nsol une maladie viru- lente produite par la presence dans I'organisnie d'un germe susceptible de la repeler nilleurs. Maisce n'est pas tout, il s'agit de resoudre encore une autre question, celle de savoir si la morve viru- lenteapparait toujours a Tetat aigu, en d'autres ter- mes, si la morve aigue ne pent pas debater sous les apparences clironiques, et posseder, sous cette forme ,, dcs proprietcs contagieuses. C'est , en effet , ce qui a lieu le plussouvcnt. On a raison de le proclamer ; sous ce!tc forme, la morve aigue a son debut est difficile a reconnaitre, 1 1 perioded'incubation passe souvent ina- perciie ; un pcu de tristesse, moins d'aptitude au tra- vail, un appeLit moins ouvert, un endolorissement plu- tot qu'un engorgement des ganglions de I'auge , tels. sont les signes les plus appreciables de cette forme ; puis lorsque la collection est rassemblee dans les sinus,, alors lejetageapparait avec sescaracleres connus» — S7 — Cetle morvp, a son debut, est considerde conirne line niorve clironiqiie , ii cause du peu d'inleiisite, du {)cu de violence de ses symptonics ct des troubles a peine saisissablcs iait pas le seuil des ecuries construiles dans le voisinage des egouts , dont le sol ctait jonclie de matieres en voie de decom- position, ou abreuve par des liquides putrefies, dont les ouverlures etroiics ne perraeltaient qu'un difficile acces a I'air et a la lumiere, et qu'elle respectait des clievaux entasses, vicieusement nourrls, mal pauses et trailes avec durete, mais qui n'avaient pas vecu dans le commerce d'animaux malades. De ces remar- ques il a dii conclure que si I'absence des materiaus de iliygiene predispose a la morve, Taggrave quand elle existe, la determine meme peut-etre quelquefois, cctte cause est bien loin d'etre la seulequi puisse faire naitre cette affection formidable, et que la contagion, enfin, joue le principal role dans son developpement. Monsieur Cliarlier, pour etayer son opinion, rapporte plusieufs observations interessanles qu'il a recueillies dans sa pratique et queje passe sous silence, pour me concilier voire attention encore pendant quelques in- stants. Je passe done outre pour arriver au trailement de la maladie qui nous occupe. - 62 — Le IraitemenJ de la morve a du necessairement va- rier aulant que les difterentes idees que les auteurs se sontfailcs de sa nature et de son siege. M. Cliarlier ne s'elend pas siir les diverses radthodes qui ont ete proposees. employees, essayees, que chacun a preco- riisecs a son avantage, parce que tout cequi a ete dit a cet egard, au lieu d'etre proprc a jeter quelque jour sur la tlierapeutique de celte maladie, serait philot capable d'y apporler de la confusion, Pour guerir la morve, une multitude infinie de me- dicaments ont ete administres, fanlot avec methode, lar.lot avec la temerite de I'empirisme le plus gros- sier ; les uns ont proclame I'excellence deleurs icoyens et de leurs vues, quoiqu'en eraployant des traite- ments divers et souvent opposes enlre eux; les autres, plussinceres peut-eire, ont confesse de bonne foiqu'ils avaient echoue dans leurs tentatives hasardeuses, et ont reconnu le peu de confiance que leur inspiraient tant de remedes contre une seule maladie; d'au- tres enfin, cmbrassant un scepticisme decourageant, ont prononce, en dernier ressort, rinefficacite de tout (raitement. Apres avoir deplore Timpuissance de son art dans le Iraitement de la morve, M. Cliarlier appelle I'at- iention publique sur cetle classe ehontee de charla- tans ou de guerisseurs qui puUulent dans la medecine veterinaire comme dans la medecine humaine , qui fascinent et endorment dans une fausse securite ceux qui out la faiblesse d'eraployer leurs secours, et qui marchcnt audacieusement de malheurs en malheurs, sans reprocher a leur conscience fletrie les revers sans nonibre dont leurs nioyens barbares sont suivis. Combien de fois la morve ne s'aggrave-t-elle pas dans — 63 — los mains de ces Iioniraes cupides , alors que les bion- f.iisants olTorts de la nature auraient siiffi pent et re pour raclieter la sante et la \ie des animaux? A pros avoir slygmaliseccs homiues sansnometdes- avoncs par la science dont i!s sont I'opprobre, M. Char- lier dresse la liste des moyens propres a prevenir un inal (ju'il n'est plus guere possible de detruire, quand les premiers symplomes ont eclate. C'esI done au traitenient prophylactique seulement queM. Cliarlier s'attache dans son travail. Or, comme il le dit , la raorve peut sedeclnrcr spon- fanemenl sur lecheval a la suite d'un travail prema- ture, de fatigues excessives et soutenues, dans des ecu- ries privces d'air ou viciees par une atmosphere me- phitique, par Tedet d'une alimentation insalubre et pea reparatrice. En consequence , et pour ramener de bonnes conditions bygieniques, M. Charlier propose d'elever les ecuries au-dessus du sol extcrieur, de les percer (Fouverfures larges et nombreuses, et de placer celles-ci au-dessus des rateliors, de les rendre assex ppacieuses pour procurer a chaque cheval cinquante metres cubes d'air et un metre cinquante centimetres d'cspacement. Les ecuries seront pavees en ciment pour faciliter Pecoulement des urines; la litiere sera abondante et renouvelec frequemment. i.es chevaux seront pauses par une main habile el soigneuse, et leur nourriture , toujours saine, sera donnee dans une proportion relative a leurs besoins et a leurs travaux. Pendant la saison chaude, les animaux devront etre sourais a un regime humectant et rafraichissant, ca- pable detemperer I'activite circulatoire. - G4 - Pour eviler I'invasion de la niorve dans une eciirie, on n'y inlroduira un clieval d'acquisition (ju'apres un mois ail moins, et apres la visite prealable d'un vete- rjnaire. Lorsque la morvc est entree dans une ecurie, les moyens propres a en arreter les ravages sont : 1° L'isolement on sequestration ; 2° L'abatdes aniisiaux malades ; 3" La destruction ou le nettoiement des objels qui ont subi Icur contact ; 4° La desinfeclion et Taeration de I'ecurie. La sequestration est de la plus haute importance : sequeslrerun animal malade, c'estsoustraire les ani- maux sains a safuneste influence, dit M. Cliarlier. Les plus grandes precautions doiventdonc etre prises pour eviter lout contact des cbevauxmorveux avec les ani- maux bien portants. M. Charlier pense qu'en meme temps qu'on isole un animal malade, il faut !e souraeltre aux soins hygieni- ques les mieux entendus ; il vent qu'on se conlente de les brosser, et defend Tetrillage et le bouchonnage, attendu que la poussiere produite par la matiere de la transpiration dcssecliee recele des molecules viru- lentes et pent transmetfre la maladie a I'homme par les voies respirafoires ; il ajoute que cette transmis- sion est d'autant plus facile, qu'on peul s'inoculer la maladie en se piquant les doigts. Mais la sequestration nc doit pas s'entendre dans une acception lillerale trop absolue ; le clieval malade doit faire quelques promenades etse livrer a des exer- cices moderes, capables d'entretenir Tharmonie des fonctions.Cependant cette tolerance, d'apres Tavis de votre commission, qui s'est reportee a I'article 7 de - 65 - Tarret cUi conseil d'etal du IGJuillet 1784, nedevra etre accordeeqii'aulant que le vetorinaire aura constate Tetat des chevaux , et que, sur le rapport motive, adresse par lui a I'autorile, celie-ci aura delivre une permission ecritedc sortirles aniinaux morveux. Votre commission pense en outre que cette permission ne devra jamais s'etendre aux chevaux chancres et olan- des, cpuises par le raal et arrives a un eiat voisin du marasmc; car, dans ces circonstanccs , la raison et les exigences de rhygiene publique commandeiit plutot d'abattre les chevaux que de chercher a les foire trailer dans le but illusoire de les guerir. Des que la morve est bien caracterisee, I'animal doit etre abatin, et son cadavre, apres avoir ete taillade pour le soustraire a la cupidite industrielle, etre en- foui a une grande profondcur. L'occision est done la mesure la plus sure et en meme temps la plus humaine, puisqu'il liy a pas dVspoirde guerison, et qu'elle tarit les sources de la propagation du mal. Cette mesure, ditM. Charlier, est bien dureet bien rigoureuse pour les petits proprietaires, qui n'ont pas le pouvoir de faire de grands sacrifices d'argent pour remplacer les animaux que les lois , qui veillent a la salubrile publique , leur ordonnent de sacrifier. Aussi voudrait-il cpi'on leur accordat une iuderanite pour compenser ledomiiiage qu'entraine la parte de leurs chevaux. N'etant plus places dans la triste alternative decompromettre leur existence ou leurs interets, ilsn'hesiteraient plus a se debarrasser d'a- nimaux sur lesquels repose le bien-etre de leur exploi- tation. lous les objets qui ont e(e mis en contact avec un — C6 — cheval morveux peuvent communiquer la morve a des indiviUus sains. Une masse de fails, rapportes par les veterinaires de toufes les contrees du nionde, ne permettent plus le doule a cet egard. M. Charlicr rapporle cinq exemples qui viennent corroborer I'opinion de ses coUegues sur ce point. De plus, il resulte des experiences foiles par Hiir- Irel d'Arboval, MM. Renault et H. Bouley, que la malieredujetage, exposee pendant six semaines a Fair libre, puis, apres ce laps de temps, delayee dans I'eau distillee, et inoculee, a fait naitre la morve farcineuse sur un cheval sain. <(En presence de faits si concluants, s'ecrie M. Char- lier, on comprendra toute riniportance de la desinfec- tion, surtout quand on I'ellecliira que I'liomme expose au contact des clievaux morveux , ou a celui des objets qui ont servi a leur usage, pent s'impregner d'uu virus meurlrier, d'un poison qui lui donnera la mort. » <( La contagion du cheval a Tespece Iiumaine est une verife reconnue par le raondc savant, ajoute-t-il, mais qu'il imporie au plus haut degre de repandre dans les masses et de populariser, alin d'inspirer une terreur salutaire partout oil un scepticisme aveugle repousse encore des temoignagesefirayants el irrecusables,et de prevenir des catastrophes semblables a celles que la science desolee enregislre tous les jours dans ses fu- nebres annales. » Lors done que des animaux atleints ou suspectesde morve, de quelque type qu'elle soitj onl sejourne dans des ecuries saines, il faut s'empresser de recourir a des moyens qui ont pour objet Tassainissement , la purification du local et de lout ce qui y est renferme. — 67 — Je ne suivrai pasM. Charlier dans les prescriplions sages et longucinent detaillees qii'il conseille a cet ogard, etqu'il a en grande parlie formulees sur Tex- cellcnt Traile dc la police sanitaire des animaux do- viesiiques, dc M. O. Dolafondj luais votre commission s'empre.-se de s'associer aux voeuxdecejeune et savant praiicien, qui, pen conflant dans lavertu preservatrice des fumigations guytoniennes et des irrigations dilo- rurees, donl des fails nombreux o-if prouve I'irapiiis- sance et iMneflicaeite, et se trouvant desarme en pre- sence du fleau, propose, dans la craiiite legitime et trop bien justifiee de voir renaitre d'un germe mal eleint celle indeslruttible maladie, I'abandon des ecu- ries doiiteuscs et suspectes, la migration des chevaux dans des ecuricsdenouvelle construction, et la destruc- tion par le feu des Iiarnais et de tous les objets qui au- raient ete employes au service des animaux. Cette proposition serait feconde en heureux resultats, sans doute, mais, on est bien force de le reconnaitre, cette mesure deja conseillc'e par les meilleurs esprits, entre autres parllartre! d'Arboval, ne pourra jamais guere eirc adoptee que par de riches proprictaires en posilion de fiiire de grands sacrifices, et restera toujours a I'e- tat d'utopie pour la majorite des habitants des campa- gnesetles petites industries. Apres avoir prouve par des faits authentiques que la morve, sous quelque type qu'elle sc pre^cnte, pent se communiquer aux solipedes eta I'liomme par le con- tact des chevaux morveux, que les ecuries infecte'es par les elements virulents de cette afleclion peuvent egalement la transraetlre , ainsi que tous les objets ayant servia I'usage des animaux malades, M. Charlier apj;elle I'attention publique sur les articles de lois sa- — (hS — nilaires qii'une dei)loial)le insouciance laisse trop fre- qiieninient toinber dans roubli, et pense, a juste litre, qu'on n'exterminera le fleau de la morve qu'en execu- tant dans leur inflexible rigueur les articles du code penal; il rappelle suit out a Taulorite les severes dispo- sitions des articles 459, 4C0 et 461 de cememe code, qui punissent de raraonde et de la prison ceux qui con- treviendraient aux mesures prescrites par la loi et aux defenses de I'administration. lei se termine le travail de M. Gharlier ; au risque d'abuser de votre bienveillance et de nous trainer dans des longueurs toujours faligantes , nous I'avons parcouru dans toutes ses parties. Nous sommes restes bienau-dessoHsdes devoirs qu'il nous imposait ; nous le confessons , nous avons etc sobres d'eloges , mais c'est parce que I'ouvrage se recommande assez par lui- meme; si nous n'avonspu qu'en faire unetVoide para- phrase, c'est parce qu'il est aussi coruplet que possible et toujours en liarraonie avec les saines donnees de la science, et que nuUe part il ne donne prise a une cri- tique serieuse. Pour toutes ces raisons, votre commis- sion vous prie de vous associer aux vceux exprimes dans son sein , et vient vous proposer d'adresser des remerciments a M. Gharlier, et de lui decerner une raedaille d'encouragcment dans la solennite de votre seance publique. — 69 — LECTIKE DE M. EHNEST AUNOULD. Vollaire k Levesque de Poiiilly. Toules les fois (jiie nous avons voulu completer nos etudes litteraiies sur les liistoriens, les poetes, les pu- blicisles ou les savants qui ont lionore notre pays de Reims, il ne nous a pas semble hors de propos de penetrer au coeur de leur existence presque toujours laborieuse et bien reraplie, et d'en suivre les phases multipliecs, les developpements et lessucces. Lorsque nous voyons se derouler devant nous la vie des grands ecrivains, lorsque nous evoquons ccs ombres majes- tueuses et lointaines, il nous est plus facile, en etTet,, de nous familiariser avec le genie de leurs travaux ; nous pouvonsalors detacher en quelquesorteraureole eclatanfe qui rayonne autour de leur souvenir, et de nos propres mains Iresser de nouveau leur couroune glorieuse et veneree. Un des trails saillauts qui carac- terise les ecrivains du xviii" siecle, et qui ne s'est point retrouve dans le notre, a quelques exceptions pres, c'est celte habitude de nouer par ecrit, a des dis- tances quelquefois considerables, des relations suivies sur tons les sujets mis h I'ordre du jour dans les aca- demies, dans les salons. Lorsque vous feuilletez ces correspondances volumineuses, qui sont a la fois si spirituelles, si bravement mechantes ou louangeuses, si pleiues d'erreurs et de philosophic, vous etes tout etonnes de voir mille portraits grimacer ou sourire au fond de leurs vieux cadres oblongs. Ge nc soni plus — 70 — des livres ou des noras que vous avoz sous les yens, ce sont des personnages qui apparaisseiit , c'est toute une societe qui revit autour de rous. Parnii ces ecrivains de notre pays de Reims dont j'ai voulu connaitre en detail toute la vie, afin d'en es- quisser Diieux a raon aise rapprecialion Qdele, celui dont la physionomie ni'a scmble la plus grave peut- etre et la plus pure, est Levesque de Pouilly ; comme savant, comme publitiste , comme citoyen , il fut tou- jours a la hauteur de cette grande renommee qui en- vironnaitsonnom il y a un siecle, renommee qui s'est peu a peu atTaiblie, sans aller jusqu^a Toubli toutefois, grace a Tinsouciance de nos contemporains. Ceque je Teux aujourd'hui remettre en lumlore, mais d'une fa- con toute rapide et sans insister , ce ne sont pas les eminenls services rcndus a la bonne cite par Levesque de Pouilly pendant sa trop courte magislrature, en 1746 ; je veux me taire sur nos Fontaines publiques, I'inauguration des ecoles speciales, Touverture de noa larges et desertes promenades ; tout cela trouvera place autre part. Un motseulemeot sur les correspon- dants erudits ou celebres qui s'otaient groupes autour de Levesque dc Pouilly , soit a Paris, lorsque, le pre- mier en France, il cssayait, ii vingt-deux ans, cFex- pliquer le livre immortel de Ncvton, les Principes de la philusophie nalurelle, soit a I'Academie des inscrip- tions, soit a Londrcs, entre Pope le poete et lord Bo- lingbroke , auquel il avait dans le principe adresse cette lettre si clnetienne et si consolantc, qui devint plustardla Theorie des sentiments agrc'a'oles. C'est justice de laisser dans lombre Fonlenelie, Mallebranche, d'Oiivet, Longuerue, Racine le fils, le P. Hordouin, lord Bolingbroke lui-meme, et de courir — 71 — aussitot aux lettres de Voltaire, Voltaire, que tout lef monde courtisait alors, mais qui lui-meme, a force de caresses, d'epigrammeSjd'exagerationsetd'audace; courtisait et cncensait tout ecrivain de quelque valcur. Ceci ne peut pas s'appliquer a M. do Pouiily : Voltaire ne le flatla jamais, il I'lionora et lui rendit justice. De nombreuses lettres furent ecrites a M. de Pouiily par Voltaire. Bien certainement 11 n'en est qu'un fort petit nonibre d'impriniees, meine dans les editions les plus completes, et depuis la premiere, datee de Cirey , en Octobre 1738, adressee a M. Levesque de Buiigny, et dans laquelle il est question de son frere, jusqu'en 1749, un an a\ant la mort de M. de Pouiily, nous avons eu, a notre grand regret, bien des lacunes a signaler. Aumois de Fevrier 1 739, Voltaire se trouvaita Cirey ; il ecrit a M. Levesque de Pouiily, qu'il appelle uson cher Pouiily, » en lui confessant qu'il Taimait tendre- ment depuis vingt annees. La lettre est longue, se- rieuse, pressante ; il s'agit, au dire de Voltaire, de I'affaire la plus importante et la pluscruelle: le sieur de Saint Hyacinthe I'outrage depuis troplongtemps, et, Voltaire le repete en trois ou quatre passages de sa - lettre, il a toujours oppose la plus longue et la plus dis- crete patience aux atlronts les plus impardonnables. Voltaire supplie M. de Pouiily et M. de Burigny, son frere, de s'interposer en cettc occasion : « Jevous con jure, dit-il, de procurer a M. de Saint-Hyacinthe comme a moi un repos dont nous avons besoin I'un et I'autre Je connais trop, mon cher ami, la bontd et la geiierosile de voire cceur pour ne pas compter que vous ferezflnirune affaire qui, peut-etre, perdradeux hommes , dont Tun a subsiste quelque temps de vos bienfaits, et dont I'autre vous est attache par tant d'a- — 72 — niitie. » 11 s'agissail de brocliuros publiees centre Vol- taire, et surloiit d'allusious fort transparentes, impri- mecs a la suite de la plaisauferiedu Mathanasius, ou leClief-iVwuvre iVun inconnu. On a rcimprime receni- meut cetouvrage, que Saint Hyacinthe ecrivil presque seul, sous la dictee de son iniaginafion satirique et uq peu bizarre. Et si Voltaire s''etait adresse a Levesque de Pouilly pour obtenir ce qu'il appelle la satisfaction iiecessaire a un honn?le lionime, c'est qu'en 173G, Saint-Hyacintlie avaif, du consentenient de rauteur, public pour la premiere fois quelques uns des chapi- tres dela The'orie des sentitnenls agre'ables dans un Re- cueil de divers ecrils surT amour el I'amitie. Laissons la ces querelles, et, en toule hate, paiions des deux visites que Voltaire fit a Reims en 1742 el en 1749 ; il descendait loujours cliez M. Levesque de Pouilly. Le souvenir de chacune de ces visiles nous a ete conserve par des letlres de V^ollaire lui-meme : la premiere estde la fin d'Auguste 1742, lorsqu'il accom- pagniil madarae Du Chatelet de Paris a Bruxelles, pour soutenir un Ires-gros proces conlrc un M. de Ilcens- broech. De Reims il ecrivil a madame de Cliaiiibonin, et vous vcrrez bienlol, par quelques lignes queje vais vousdire, que Voltaire tenait en liaule eslime la cite hospitalicre, et qu'il fut loin de se plaindre des hommes de lettres et des bourgeois, nos uieux : (»Nous\oila done dans la villedela sainle ampoule..." (Necraiguez pas. Messieurs, il n'y a rien d'irreverencieux. ) « Je vous jure que madame la marquise Du Cliali'let n'a ja- mais cle j)lus aimable. Ellea enchante toule la ville de Keims, et, comme de raison, ceux a qui elle plait lant lui ont donne un jour deux pieces en cinq actes. Tune avaut souper, et I'autre apres. La derniere a etesuivie — 73 — d'un bal qu'oii n'allenLlail pas et qui s'esl forme lout seul. Jamais elle n'a mieux danse au bal ; jamais elle n'a mieux chanle a souper, j.ioiais lanl mange, ni plus veille. Elle loge chez mon ami^ M. de Pouilly, liomme d'uiie vaste erudition, et cependant aimable, doux> facile, comme s'il nYHait pas savant, digne enfin de lo- ger Emilic. Au lieu d'y coucher une nuil, elle en passe troisdans eel te bonne ville. Nouspartons demain sous I'etoile d'Emilie qui nous conduit. Vous qui lenez sa place a Cirey, faitcs des voeux pour une prompte con- clusion de nos aflaires. — Adieu, clier gros chal, je Yous embrassesi lendrementqu'Emiliem'eu grondera.)) Lecher gros cliat, madarae la marquise de Cliambo- nin, devait concevoir, sous riuduence ties paroles de Voltaire, la raeiileureo|)inion du Reims de 1742 ; et ne trouvez-vous pas qu'd y aurait un cliarme infliii a evoqucr ces soupers, ces danses improvisecs, ces co- medies en vers, ces longues conversations philosojdii- ques et enjoueCfl : madame Du Cliatelet, Voltaire, Le- vesque de Poudly, e'est tout un cliapilrede la Tke'orie des sentiments agre'ables, les seductions de la bcaute du corps, de I'esprit et de Tame. Avarit I'arrivee des in- vites, des femmes, des indiilerents el des poetes de petite ville, courtisans necessaiies, ne vous semble-l-il pas entendre M. de Pouilly aborder I'un de ses lliemes favoris, doucemetit indiquer a Voltaire \Qplaisir attache' a Vaccomplissement de nos devoirs envers Dieu, envers les autres hommes ; ou develof)per celte autre pensee qu'il a raise en relief avec lant de bonheur, que les his du sentiment sont Vouvrage d\ne puissance intelligente et bienfaisante? Voltaire devait revenir a Reims en 1749, mais dans uuetout autre disposition d'csprif. Madame Du Clialc- — 74 — lei venalt ile mourir quelques joura aiiparavant, au mois de Simple 11 bre 1749 ; sur-le-champ il quitta Lu- neville ei la cour du loi de Pologrie, pour se rendre a Paris chez le comte d'Argenlai ; il liaversa Cirey, Saint-Dizior, Chalons-snr-Marne ct Reims. Malgrosa vise douleiir, qui celle fois ful sincere ct de (juelque dureCj Voltaire ne pouvail etouffor en lui celte prodi- gieuse aclivile d'esprit qui debordait en tout lemps et a toule lieure^ et se traduisail en lettrcs innouibrables, en esquisses Irop rapideuieni dessinees, en debauches iutellecluelles et en chefs-d'oeuvre. 11 ecrivit {>liis;eurs leltres durant ce rapide voyage a M. le comte d'Argen- tal, dalees de Chaions-sur-]Marne el didees de Reims. « Je vous avals bien dil, mes adorables anges, que je voyagerais a peliles journees ; me voici a Chalons ; j'i- rai passer deux ou trois jours a Reims, chez M. de Pouilly ; c'est une ame comme la voire el un esprit bien philosophique; c'est la seule societe qui paisse me con- soler quelque temps et me tenir unpen lieu de la voire, s'il esl possible. Je viens de relire des maleriaux im- nienses de raetaphysiquc, que madamc Du Chatelet avail assembles avec unepaliencc et une sagacite qui m'of- fraienl. Comment pouvait-elle pleurer avec cela a nos tragedies ? C'elait le genie de Leibnitz avec de la sen- sibilile. Ah ! mon cher ami, on ne sail pas quelle perte on a faite ! » Voltaire arrivail a Reims, triste, decourage, plein d'incertitudescl d'hesitalions pour le lieu de sa relraite aux jours de reposet de travail ; el ses leltres en por- tent rempreinle. Durant ce nouveau sejour a Reims, il n'est plus question, vous I'imaginezbien, desoupers et de comedies ; les Remois surcnt a peine que le lieute- nant general de la ville donnait pour la seconde fois — 75 — I'hospilalile an grand pod-le qu'ils avaient fete si gat- ment, il y a Iiuil ans. En arrivant a Reims, le 5 Octobre, au soir, Voltaire «?crit encore au comte d'Arg(MUal : «... Me voici a Reims , mais mon coeur, qui va un aulre train que moi, est avec vous ; il est d.ms voire petite m;iison d'Au- leuil. . . » On suit pas a pas les ravages que ce grand ch.agrin avail fails dans Tame de Vollaire ; !a inorl de madanie Du Clialelet brisuil sa vie et I'isoLiil en quel- qiiesorted;ins toute celte Europe, oh lout Ic nionde, ecrivains el rois, s'incliiiail devant sa puissance et son genie, mais oil bienpeu raimaient. Lo vido que Voltaire seritil alors se faire aulour de son arne, fut comme una expiation inallendue de loute celtc grandc vanile nio- queuse ct insatiable. Eooutez encore Voltaire parlerde lui-meme avcc sincerile, et vous vous rcndrcz, coinple de lout ce qu'i! dut souffrir en ces heures exceptionnelles. C'esl au moment oii il arrive a Reims : ((Dans la lon- gueur ile mesjoiirnees solitaires, j'aiaclieve unesoconde lecoii de ce Caliiina, dont je vous avais envoye I'esquisse au milieu du racis d'Auguste. Depuis !e 15d'Auguste jusqu'au 1" de Septenibre, j'ai travaillc a Eleclre, el je I'avais meme enlieremonl achev(?e, afiu de peidre tou- les les id(3es de Caliiina^ afin de revoir ce premier ou- vrage avecdes yeux plus frais, et de lo juger moi-meme avee plus de seveiile. J'en avais use de meir.e avec • Eleclre, que j'avais laissee la apres I'avoirfailc, el j'a- vais repris Caliiina avee beaucoup d'ardeur, lorsque eel accident funeste abaltit enlieremenl mon ame, el iie me laissa plus d'aulre idt-e que celle du desespoir. J'ai revueriCu Caliiina dans ma route ; mais (ju'il s'en faut que je puisse travailler avec celte ardeur que j'avais quaiid je lui apportais un acle tous les deux jours ! Les — 70 — iilces s'enfuient do moi ; je me surprencls des Iieurcs entieres sans pouvoir travailler, sans avoir I'idce de mon ouvrage. II n'y en a qu'une qui m'occupe jour el nuil.. . . )) Passant Irois ou qualre jours a Ueinis, dans la cliere maison de M. de Pouilly, la seule societe qui put le con- soler quelque temps, Voltaire Gt copier Catilina., etsa lotlre du 8 Octobre 1749 offre quelques parlicularites anccdotiques, qu'il ne faut pas negliger pour Thisloire liltdraire de noire ville. « J'ai cru pouvoir, mcs chers anges, ecrit-ilau comte d'Argenlal, adoucir un pen mon etat en songeant a vous plaire. J'ai fait copier a Reims Catilina, qui etail Irop pleinde ratures pour pouvoir vous etremontre a Paris. Je ne peux me refuser au petit plaisir de vous dire que j'ai trouve dans Reims un copiste qui a voulu d'abord lire I'ouvrage avant de se hasarder a le transcrire, et voici ce que mon ecrivain m'a envoye apres avoir lu la piece : » A M. DE VOLTAIRE, SUR SA TRAGEDIE DE Catilina. » Enfiii, le vrai Calilina Sur notre scene va paraitre ; Tout I'aris dira : Le voila ! Nul ne pourra le meconnaitre. Ce scclerat, par sa ficrte, Cesar, parsa valeur ailiere, Ciceron, par sa I'ermete, Montreront leur vrai caractere ; Et, dans cechef-d'ccuvre nouveau , Cliacun reconnaitra, par les coups du pineeau, Cesar, Calilina, Ciceron ct Voltaire. .. Par son tres-humble et tres-obeissaut serviteur, >- TiNiiis, de Reims. » « Ce n'est pas, ajoute Voltaire, que je prelende capii- — 77 — Ter voire suflVage par Ic sien ; mais vous m'avouerez qiril est singulier qu'un copisle ait senti si hien et ait si bien ecrit. M. tie Pouilly pense comme le copisle, luais jene liens riensans vous. Ce M. cle Pouilly, au reste, est peut-etre I'liomme de France qui a le plus le vrai goiit cle Tantiquite. II adore Ciceron , el il Irouve que jene Tai pas mal peint. Cest uri homme que vous aimeriez bien que ce Pouilly ; il a voire candeur et il ainie les belles-lettres, comme vous. II y avaitici un clianoine qui, pour s'etreconnu en vin, avait gagne un million; il a mis ce million en bienfaits : il vient de mourir. Mon Pouilly, qui est a Reims ce que vous devriez el re a Pa- ris, a la tete de la ville, a fait I'oraison funebre de ce clianoine, qu'il doit prononcer. Je vous assure qu'il a raison d'aimer Ciceron, car il Timite bien lieureuse- raent. Je pars, mes adorables anges , car, quoique je deleste Paris, je vousaime beaucoup plus queje ne hais celte grande, vilaine , turbulenfe, frivole el injuste ville. . . » Quedechoses, n'est-il pas vrai, Messieurs, dansune lettre de Voltaire ! Nous ne voulons pas tout analyser; deux outrois rcmarques seulement. Et d'abord, ce Tindis, de Reims, le copisle de Cati- /ma, s'appelait Tinois. Presque toutes les editions de Voltaire font cette faute ; je I'ai retrouvee, meme dans la table analytique de Goujon, Tune des plus exactes. 11 est d'aulant plus important de reclifler celte erreur que Tinois devint bienlot le secretaire de Voltaire, et que cefiit cette meme copie de Calilina el ces mediants vers qu'accueillit le poeleen un jour d'indulgence, qui mirent Tinois en relation avec Vollairo. Vous avez vu comment il les rapporte et les qualifie avec complai- sance dans sa derniere lellre a M. d'Argental ; la va- — 78 — nite avail ce jour-la completcment aveugid son Lon gout, el pareille chose, nous avons a le regrelter, arriva Iropsouvenl. II ne fautpascroire cepenclant queTinois ait constamment rime des vers a demi burlesques et lidicules ; si vous voulez feuilleter a la bibliolhequede Reims qucbjues-uns des manusciilsqui renferraenldes fragments du Godinotiana, vous y Irouverez a plcines mains des e,)igramiiies , des clnnsons, des couplets bieii lournes, des vers gracieux et de la bonne fac- liire, tout le bagage d'un poele de ruelles , tout cela sigrie Tinols. Je ne sals tiops'il faudraitdebanasser de lour linccul de poussiere et d'oubli les productions de Tinois ; ce qui me fait hesiter, c'est qu'il fut quelque Itmps secretaire de Voltaire avant d'avoir ete son humble serciteiir. A toiite epoque, nous rencontrons a Reims des gens qui terminent leurs envois poeliqiies par ces plaisanles forniules, et c'est a peine si nous avons le courage de rerauer les levres pour les vouer au ridicule. Tinois ne resia pas deux ens avec V^oltaire. II I'avait accompagiie a Berlin, au commencement de 1751, et une lettre adressec a madame Denis, le 3 Jan- vier, nous apprend de quelle trisle facon Tinois revint a Reims en grande hate : « Ma chere enfant, je vais vous confier ma douleur. Je ne veux plus garder de filles. Vous connaissez Jeanne, celle brave pucelle d'Orloans qui nous amusait tant, et que j'ai chantee dans un autre gout que celui de Cha- j;elaiD. Ceite Pucelle, faite pour ctreenfermee sous cent clefs, m'a ele volee. Ce grand flandrin de Tinois n'a j:as re^isleaux prieres et aux presents du prince Henri, qui mourait d'envie d'avoir Jeanne cl Agnes en sa pos- session. 11 a transcrit le pocme, il a livre mon serail au {irince Henri pourqnelques ducats. J'ai chasse Tinois; - 79 - joPai ren\oj'^ tlaus son pays. J'ai 6i4 me plaiiidre au prince ileni i : il nra jure qii'il ne sorlirait jamais de ses mains. Ce n'est, a la verite, qifun sermeut de prince, raaisil est honnete homme. . . » Vous le Yoyez, Messieurs, nous sorames loin deja des trislesses profondes de 1749, des serieuses eludes tVEleclrc et de Rome sauve'e ; voici qu'il faut que nous detournions les yeux pour ne pas voir avec degoiit ies honleux travesfisscments dool Voltaire affubia Jeanne d'Arc, la glorieuse heroine, nom qui jusqu'a- lors avail ele si saint, si respecle ! OIj I quene sommes- nous encore assis avec Voltaire, en la maison calme, grave et sereine de Levesque de Pouiily ! Que ne rcli- sons-nous ensemble cct eloge si touchant et si vrai du chanoii.e Godinot, celle oraison fuiiebrequi, aiijourd'luii encore, est pleine pour nous de larmcs el d'eloquence ! Vous avezi entcndu en quels termes Voltaire parle de eel eloge de Godinot: (( Mon Pouiily, qui est a Reims, a la teto de la ville, a fait I'oraison funebre dc ce cha- iioine, qu'il doit prononcer! Je vous assure qu'il a raison d'aimer Ciceron, car il rimite bien heureuse- ment. » — Ce discours que Levesque de Pouiily pro- nonca le17Fevrier 1730, a la renovation desofficiers de la ville, merile d'etre mis en lumiere, car il est plu- lot I'appreciation fidele que le panegyrique du riche et bieufuisant chanoine ; et nous aimons surtoiit a le relire a la suite dela Theoric des senlimenls agrc'ables, dans I'edition de 1774-. Cetle edition est la seule com- plete, nous disaienl M. L. Paris et tous les aulres biblio- philes erudits; mais pourquoi ce livre si philosophi- que el si doucement consolateur est-il devenu si rare qu'on ne le lil plus de nos jours? Les femmes sur- lout, les poetes, les academiciens, tous les gens de - 80 — coeurenfin, leliraient avideraent, et concluraient avec Levesque de Pouilly, que la philosophie morale est a la port(?e de tons les homme. — Et pourquoi surtout, Reims ne I'a-t-il pas encore reimprime? Jemesuisloujoursdemande,soiten face du monument delu place Godiriot, lorsqueje voyais le genie de la cile presenter a la reconnaissance des Remois les traits et le souvenir du bienfaisant chanoine, soit quand j'avais entre les mains ces grandesmddailles commemoralives, qui signalerontauxagcs futursnotre tardive et legitime gratikide, je me suis deraande pourquoi le nom de Le- vesque de Pouilly n'etait pas reste, comme il y a cent ans, inseparable du nom de Godinot? Si sur ce point nous interrogeons les souvenirs de nos devanciers, M. I'abbt^ de Saulx, recteur de Tuniversile de Reims en 1750, nous repondra ceci : « II a ^1^ decide dans le conseil de ville de faire graver I'inscription suivante sur la fonlaine que le corps de ville fera elever a la crois^e de la Couture en I'honneur de M. de Pouilly, ancien lieutenant des habitants, aOn, ajoule-t-il, que lout le monde saclie que Reims honore les gens de bien et pendant leur vie et apres leur mort; faisant de la sorte allusion aux expressions d'un decret du senat d'Athenes, qui decernait une couronne d'or au philoso- phe Zenon. » Cetle inscription, je ne vous la dirai pas, Messieurs; clle est longue el un pen faslueuse peut- etre ; mais en voici les derniers mots : « Habitants d'une \illeaujourd'hui si florissanle, celebrez a jamais le nom de Pouiliy son bienfaiteur; qu'il soit encore mieux grave dans le coeur de vos neveux que sur ce marbre, deposilaire de la reconnaissance du conseil et du peuple dc Reims ; Tan de grace 1756. » Le bon ectcur se trom[!aitj vons le voyez : le nom de Pouilly — 81 - ii'e>l que logerenient grave dans lo coeur de nos con- leniporains ; il ne I'esl pas sur le marbre que le corps de ville devait faire clever a la croisee de la Couture. Une autre destination est maintenant affecte'e a cetle grande pl;icc vide ; un autre enfant de Ucims, celebre et ho- nore, plus illustre parce qu'il est plus pres de nous, peul-etre , parce que la grande epopee de I'crapire rayonue autour de sa noble tctc, mais non pas plus di- gne de respects et d'hommages, so drcssera bientot, assure-t-on, sur ce piedeslal inacheve. Dites, Mes- sieurs, que penseraient aujourd'iiiii de notre indiffe- rence, et Voltaire, etraadarae Du Chatelel, el Fontenelle, el Mallebranclie? Je crois qu'ils vous rappelleraient ces paioles si remarquablesde lord Bolingbroke ecrivanta Levesque dePouiily : « Dans cctto foule d'hommes que j'ai pu connaitre cl dont j'ai elierche a etudier I'esprit et le caractere, je n'en ai encore vu que trois qui nraienl paru dignes qu'oa leur con Gat le soin de gou- verner les nations; ces trois homaies sont Pope, lord Bolingbroke et Levesque de Pouilly. » — 82 — COMMrMCATlONS DE M. LANDOl'ZY. Crossesse exlra-uterine. J'ai riionneur depresenler a rAcademie, au nom de M. le docteur Hannequin, un exeniple Ires-remarqua- ble «Je gross-esse extra-ulerine, c'est-a-dire effectuee hors de Torgaae de la gestation normale. La malade, victirne de cetle anomalie, a succombe au bout de cinq jours a I'Holel-Dieu, dans le service de M. Hanne- quin, n'ayant offerl d'autres syraptomes que ceux d'une \iolente peritonile. A I'aulopsie, on trouva dans le flanc droit, au milieu d'un epancheraent sanguin considerable, unoeufconle- nanl un foetus de deux mois environ. L'appareil reproducleur ayanl elecnleve, on crut, au premier abord, a I'existence d'une grossesse ovari- que ; mais ayantcleappele a voir ct'tle piece avec mes confreres, j'emis des doutes sur le siege que les carac- leres cxterieurs faisaient allribuer a ranomalie. En ef- fet, outre que la pbysiologie ne permet guere de con- cevoir comment le foelus [jourrait se developper a I'inlericur meme de I'ovaire (les ovules fecondes e!ant a la surface), les travaux les y>lus recents ct les plus positifs d'anatoraie palhologique apprenncnl que tons les fails donnes jusciu'ici comme appartenant a la gros- sesse ovarique, soul lomb^s devant uu exaraen rigou- reux. Cede piece dissequee jiar M. Hannequin etparmoi avec toule rallrnlion qu'elle ra^ritait, nous avons fa- cilcment rcconnu que le foelus est developpe au centre — 83 -. nieme du tiers siiperieur do la trornpe de Fallope droite, et que I'ovaire, a I'elal normal, est uiiiquemenl attache a la iiorape par un repli sereux de Irois centimetres de longueur. C'estdonclaunnouvelexeraple de ces grossesses ute- rines tubaircs, prises au premier exaraen [)our des grossesses ovariqucs, et TAcademie doit a 1^1. Hanne- quin une veritable reconnaissance pour le lui avoir communique. Parnii ics rcmarques que peutsuggercr cette piece, nous noterons la parfaite conformation du foetus, du cordon ct du placenta; I'extreme amincissement des bords de la tromfie, rdduils a la membrane sercuse ; le volume considerable de Tulerus, quoique a I'etat de vacuile (1) ; enfin, le volume do I'ovaire droit, plus grand de moilie que I'ovaire gaucbe. Comme pliononjenes morbides, nous signalerons la douleiir subile , comparce par la malade aux douleurs d'accouchemenl ct les symplomos d'epanchement sanguin, quiont precede la peritonile. On voit, en rapprocliant cetle observation des cas analogues, que I'anomalie s'est terminee comme la plu- part des grossesses tubaires raenlionnees dans la science , c'est-ii dire par rupture de la trompe, au moment oil Ics parois amincics par la dilatation ces- sonl de pouvoir resister au developpement de I'oeuf, et que repanchement sanguin resultant de celte rupture a determine une inflammation peritoueale mortelle. Or, bicn que les details consigncs dans la note de M. Hannequin n'aient pu etre aussi complets qu'ils (1) L'ulerus offre dix centimetres de longueur, sept dans sa plus grande largcur, cinq dans saplus grande cpaisseur. — 8A — reussenl ele siqueltiue indioallin paitiiuli^re ful ve- nue en aide a la delenuinalion de la maladie, ils n'en otlVent pas naoins le plus grand iuteret par leur preci- sion et par le parli qu'on peut en lirer pour le dia- gnostic dcces cas si raros et si difficiles. Qu'il survienne, en effet, chez une jeune feramc, en ['absence de lou'e cause appreciable, et surtout apres un retard dans la menstruation, une vive douleur instantanee, avec des symptomes d'epancliement sanguin dans I'abdomen, ou des accidents de perilonite, et I'on ponrra, d'ajires ce dernier fait et d'apres les donnees deja fournies p:ir les fails anlerieurs, mettre la rupture d'unkyste exlra- uterin au nombre des alterations organiques a signaler p.'irrai les previsions du diagnostic. Je depose sur le bureau les notes que M. Hanneqiin a jointt'S a la piece d'anatoinie. Notes de M. le docleur Hannequin. Marie C.itlierine B , femme H..., beige d'origine, de conslilution robusle,ageede 33 ans, eprouva tout-a-coup, le 13 Uecembre 1844, vers deux heures du matin, apres un retard dans la menstruation de trois semaines environ, une vive douleur qu'clle corapara a celle de raccouchement. EUe entra le lenderaain a I'Holel-Dieu, prescntant tous les symptomes d'une peritonitc aigue caracterisee par le deve- loppemcnt et la sensibilite du ventre. Sous I'influence d'une medica- tion energique, les accidents parurent se calmer et faire presager une lieureuse issue. Mais dans la nuit du 19, vers uneheuredu matin, la malade tomba dans un ctat alarmant. Elle eprouvait dans la re- gion iliaque droile une douleur atroce qui lui arrachait des cris. La face etait pale et completement decoloree, les yeux etaient caves, la respiration anxicuse. Trente sangsues furent immcdiatement appli- quees et produisirent un nbondant ecoulement de sang. Le matin, la malade resscnlait un soulagcment tres-marque ; le fades etait meil- leur, le pouls rclevc. Mais apres une journec asscz bonne et une nuit passable, elle expira subilement vers cinq heures du matin. L'autopsie donna les resultatssuivants : - S5 — LaperitoineofTraitdessignesnonequivoquesd'inflamaiation.Ils'etaif fait daiis la fosse iliaque droile un cnorrae epanchcinent de sang, dont la quantite peut etre ovaluiie a 750 grammes. Le kyste avail contracte des adhereiices avec Tepiploon, sur lequel se faisaient remarqucr des traces evidentes de phlegmasie. Dans ce kysle esistait un oeuf bien dt'veloppe avec son placenta el contenant un foetus de deux mois environ. L'ulerus avail un developperaenl correspondant a cette pe- riode de la grossesse, il etail enliereuient dii a Tepaisseur de ses parois; sa cavite, rompletemenf vide, ne presenlail rien de particulier. La femrae B avail eu deux enfanls du sexe masculin, Tun ^ 21 ans el I'autre a 31 ans. Ses grossesses avaient etc normales, les accouchenicnls assez longs et difficiles. Rien dans sa sanle ne revclait uue gestation anormale, el elle n'e- jirouvait d'autre malaise (lu'une loux dont elic etait tourmentee de- puis un mois. Extirpation des ovaires chez la vache. M. le secretaire communique ertsuite les resultals d'une operation de castration qu'il a vu pratiquer sur une vaebe , a Boull-sur-Suippe , par M. Cliarlier, vel^rinaire. Cetie operation, Ires-rare jusqu'ici , a pour but d'augmenler el de prolonger la secretion du lait , de souslraire !a vache aux chances sou- venl facheuses de la gestation et du velage, de cal- mer la fureurdecertaines vaches vulgairement appelees taureliercs, el de facililer I'engraisseuient, Un Ires petit nombre d'experienccs ayant eie failes en France Rur ce point si intercssant d'economie agrioole, il est tres-imporlant de les repetcr. Bien que ectle premiere operation ait complelement reussi, M. Cliarlier ne pretend en tirer, pour le mo- ment, aucune conclusion, et il a prie M. le secretaire d'en faireparla 1' Academic, uniqucnient pour prendre date, se reservant d'ex|;oser plus lard les resullats que luioffriront les experiences ult(^ricures. — 86 ^ LECTURE DE M. JULES PERREAC. Trag^diedeSflAKSPURE, TRADUITE EN VERS FRANCAIS. Jictc II (fiulte). SCENE II. line salle dans lepalais. (Le roi, la reine, Gulldenstern, Rosencrant::. et la suite entrent.) LE r.oi. Chers seigneurs, trop longtemps loin de nous retenus, Guildenstern, Rosencranlz , soyez les bien-venus! Outre que de vous voir la vivo impatience De deux sujets zeles nous allongcait I'absence, Un service important vous reclame a la cour , Et nous fail en ces lieux hater votre retour. — Etes-vous informes de la metamorphose En Hamlet opcree? A si bizarre chose Nul nom ne convient raieux, puisque I'ame ctlecorps^ Tout est chez lui change, tout, dedans et dehors! — Quelle cause, sinon le trcpas de son pcre, L'a pu Jeter ainsi hors de son caractere ? Je conjecture en vain. — Mais vous qui, tous les deux Eleves avec lui , compagnons de ses jeux , Avez suivi ses gouts des i'age le plus tcndre. Nous vous prions, Messieurs , auos vceux de vous rendre ^ De rcster a la cour quelque temps pres de lut. Par I'attrait du plaisir dissipez son ennui ; Decouvrez , saisissantlc moment favorable , Quel sujet inconnu d'un tel chagrin I'accable : Nous trouverons remede a son mal mieus coanu. LA r.EIM'. De vous deux blen souvent il s'est entretenu, Bons seigneurs; il n'est pas deux hommes en ce monde- Pour qui mon tils ressente araitie plus profonde. — 87 — Pretant a nos projets voire amical appui , Si vousdaignez rester quelque temps avec lut, Si de votre coiicours la courtoise entremise Peut amener a bien notre chere entrcprise, Nous vouseii garderons un royal souvenir. ROSENCRANTZ. Vos majesti's pouvaient ici nous rctcnir El, loin denousprier, usanl de votre puissance, liuposer leur plaisir a notre obciissance. CUII.DEN'STERN. Madame , a vous servir tons deux nous soiumes prets. Disposez plcinement de deux humbles sujets; Comraandez, imposez les plus grands sacrifices : A vos pieds prosternes, nous meltons nos services. m: noi. Merci, cher Guildenstcrn. Bon Kosencrantz , raerci. LA UElNli. Merci, cher Rosencranlz. Vous, Guildenstern, aussi. Chez noire pauvre fds , rcconnaissable a peine , Je vons en \)vie , allez. {S'adressant aux serviteurs.) Que de vousquelqu'un mene Aupresdu prince Hamlet cesdeux jeunes seigneurs. • iUlLDEKSTERN. Puissions-nous le calmer, apaiser ses douleurs Par nos soins assidus el par notre presence ! {Rosencranlz, Gul'doisfeni et quelques serviteurs sortent. Pulonius entre.) POLOSIUS. Men seigneur, pres de vous dcmandenl audience Vos deux ambassadeurs de Norwege arrives. Tout leur a reussi. LE ROI. Quoi! c'est vous qui savez Nous apporter toujours quelque bonne nouvelle. POLONIBS. Esl-il vrai, raon seigneur? Soyez siir que mon zele , O mon bon souverain , mon ame , tout en moi Releve de mon Dieu , de mon gracieux roi. Et jecroismerae, ou bien ma vieille politique Des affaires n'a plus son ancienne tactique , Jecrois avoir trouve dans notre prince Hamlet Qu9ls sont ds la folie et la cause el lobjet. LE nni. Oh! ditespromptement. Jaihate de connailre.... POLONIUS. Mais, mon seigneur, daignez auparavant admettr© Ces deux ambassadeurs. .Mcs nouvellesapres Serviront de dessert a cet autre succes. — 88 — LEROI. Faites vous-meme alors les hoiineurs d'habitude, Et les introduisez. — Olil ma chore Gertrude, Polonius.dil-il , eiitiii a pusaisir Ce secret qui remplit notre plus ther desir; Du tual de notre tils il connait I'origtne. L\ REINK. La cause de ce mal n'est autre, j'imagme , Que la morl de sou pere et notre brusque hymen. I.E ROI. Nous en ferons bientot un plus miirexaincn. — (Polonius, VolUmand el Cornelius rentrenl.) Salul ! mesbons amis. He bien ! de quels messages Vous a charges le roi ? VCSLTIMAND. Des mcilleurs temoignages, D'affables compliments, de gracieux souhaits. II vicnt a son neveu d'enjoindre I'ordre expres De cesser sur Ic champ ces secretes levees Que jusqu'ici lui-raeme il avait approuvees, Croyant que la Polognc en etait le seul but. Mais en y songeant mieux, alors qu"il reconnut Que conlre Yotre Altesse on tramait un outrage, II fut fort irrite qu'abusant de son age» De I'etat oil le metsa triste infirmite, Fortinbras usurpat aiiisi I'autoritc. II lui depecha done defense si precise. Que la sedition fut a I'inslant soumise. L'imprudent a recu de severes avis. Bref, a son oncle iJ a formellement promis Que contre Votre Altesse aucune attaque armee Par lui ne serait plus al'avenir forraee ; Et le vieux Norwegien, charmede cet accord, Lui donne un revenu de trois mille ecus d'or. Sa troupe etant dejii levee et reunie, II Tenvoie attaquer la Pologneennemie : Par la presentelettre, atravers vos etats Vous priant de livrer passage a ses soldats, Toutc conditionbien diiment stipulee, Pour(iue !a paLx chez vous ne puisse etrc troublee. LEROI. Votre succes, messieurs, nous cause grand plaisir. Nous lirons sa requete et ferons a loisir La rcponse qu'aura notre interetprescrite. Nous vous felicitons de cette reussite. Livrez-vous au repos dont vous avez besoin. Ce soir , en notre cour, delivres de tout soin , Nous donnons unfestin el des rejouissaaces-i SoYCz-y bion-venusl — 89 — POLONIUS. Selon Ipsapparenccs, Cetle iraportanle affaire est terminee au mieux. — Mon seigneur et niadame, en des termes pompeux Expliquer ce qu'on doit par majeste comprendre, Ce que c'csl que devoir , ou comme ilfaut entendre Que la nuit est la nuit , que les jours sont des jours , Ceserait pcrdre temps, jour, nuit en vains discours. Or Ja brievete de I'espritest I'esscnce ; Trop de prolixitcd'une fausse eloquence Est parade inutile : ainsi je serai bref. Done votre noble filsest fou; fou, de rechef Je dis ; car on ne pent definir la folic Que letatd'homme fou. Ainsi bien definie.... LA REINE. Usez moins de detours. L"art est inopportun. POLONIUS. Madame, je n'en mets, je vous lejure, aucun. Qu'il soil fou, c'est bien vrai, si vraique, sur parole, CVst pitie tant il Test. Quelle antithese folle! Ainsi n'en parlous plus. ,Ie veux d'art n'user point. — 1! est fou. — Tout le monde est daccord sur ce point. Restait a decouvrir la cause produclrice De cfteffet, ou mieux, la cause deslructrice. 11 faut cause a I'eflet quelquedefectueux ; Et ce restc, je vais le raettre sous vos yeux. — J'ai, seij:;neur, une fillc ; elle est niienne par suite, Tant qu'elicm'apparlient. Ma filie, bien instruile Des devoirs, du rcpect qui lui sont imposes , M"a remis ce billet. Ecoutez et pesez. (Illit.) » A la celeste idole a qui je sacrifie, » Des belles la plus belle, alatendre Ophelie! • — Vulp;aire expression ! Tons les mots en sont plats. Des belles la plus belle est un terme bien bas. — Mais suivons : « Qu'enson sein, merveille enchanteresse, » Elle garde ces vers! » LA REINE. C'est ainsi que s'adresse Hamlet a votre fii'.e.' POLONIUS. Oui, raadame. tin moment, De grace, ccoutez-moi ; je lis fidelement : • Douteque d'un feu pursoitl'etoile quibrille, » Quele soleil sc meuve et sur son centre oscille , • Que le mensonge au vrai ne pent donner le jour , ■ Mais ne doute jamais . jamais de mon amour ! » Cclui qui pour toujours est a toi, noble dame, » A toi , tant qu'a ce corps commnndera cette arae. • Hamlet. » Obeissante et fidele au devoir , Ma fille sur-le-champ ce billet m'a fail voir, M'a de plus avoue du prince les instances. — 90 — Revele sans detour toutes les circonstances De leur moindre entrvue ; et le teraps el les lieui , J'ai d'elle tout appris. Lti ROI. Sans doute c'est au mieux : Mais avez-vous aussi pu savoir d'Ophelie Comment sa passion fut par elle accueiliie ? rOLOMUS. Comment me jugez-vous , 6 mon noble seigneur ? LE ROI. Comme un brave sujet , un zele serviteur. POLO.NIL'S. Je veux doucle prouver. Or, eiit-ce ete prudence A cet ardent amour , alors en son enfance , De laisser tout-a-coup prendre un facile cssor, Moi qui I'avais surpris , sans que ma lille eucor M'eut fait aucun aveu ? car, je dois vous le dire . Qu'auriei-vous pu penser de moi , d'abord vous , sire Et vous, madame, aussi ? Trop discret confident , Si j'avais vu ce feu d'un ceil inditferent, Ou d'un mcublc garde le silence inutile, Qu'auriez-vous pu penser ? — Non , je fus plus habile , Et , marchaut droit au but . a notre jcune objet Je donnais cc conseil : « Enfant, le prince Hamlet Est un puissant seigneur , au-dessus de la sphere Ou tu dois aspircr. Ccla ne peul se faire. » A ce plan de conduite alors je la formai , _ Savoir : de lui tenir tout abord bien ferme. D'interdire tous dons, refuser tons messages ; Et ma fille dcja de ces prcceptcs sages A recueilli les fruits. Le prince , repousse , Dans un sombre chagrin s'cst d'abord affaisse ; De la I'egarement , le degout , I'insomnie ; Par ce sentier rapide, enlin , vintla folic Oil cet infortune se debat aujourd'hui , Et qui nous cause a tous un si morlel ennui. LE ROI. Peusez-vous qu'il en soit ainsi.' LA.REINE. Cela peut etre Tres-vraisemblable au raoins. POLONICS. Je voudrais bien connaitre En quel temps j'affirmai : telle chose est ainsi ! Et par I'evenement fus apres dementi ? LEROI. Je ne sais. POLONIUS. De ce cou que cettc lete saute , J'y consens , sur ce point si Ton me prend en faute '. — 91 — Vienne Tor easion seconder mon projet . Je saurai , je le jure , arracher ce secret . ' La verite ftit-elle au centre de la terra ! LE P.UI. Mais comment penetrer plus avant cemystere ? POI.OJilUS. Sous ce portique Hamlet se promene'parfois Quatre heures saus relache. LA REINK. Oui, souvent je I'y vois. Je saisirai I'instant pour lancer Oplielie , Alors, caches derrierc une tapisserie, Nous suivrons Tentrevue, et si je m'abusai, Si son egareraent par lamour ii'est cause , Du rang d'homme d'elat je consensqu'on m'efface, Qu'en une ferme obscure on me relogue el fasse , ,- Mener dcs charretiers. LEROI. Soil. Essayons ceci. {Ha7nletentre.) LA REINE. Voyez , I'inforlune s'avance par ici. A quel sombre chagrin sa pauvre ame est en proie ! li lit ! POLONIUS. II ne faut pas qu'a present il vous voie. Sortez , je vous en prie , et me laissez tout soin. Sortez tous deux, je veusl'abordersans temoin. (Le roi, la reinc et leiir suite sorlent.) POLONIUS. Comment se porte done mon bon seigneur et maitre ? HAMLET. Assez bien , Dieu merci ! • POLONICS. Vous devez meconnaitr&> ' Seigneur. HAMLET. Parfaitement. Vous etes poissonnier. POLONICS. Oh ! non , je ne fais point de ces gens le metier. HAMLET. Alors puissiez-vous etre autant qu'eux honnete hommer POLONIUS. Honnete homme , seigneur ? HAMLET. Certes,celui qu'on nomitje Honnete, au train dont va le monde en cos temps-ci, 11 faut qu'il soil au moins sur dix mille choisi. — 92 — POLONIUS. C'est juste , mon seigneur. HAMLET. S'il arrive qu'il naisse Des vers dans un chien mort , que Ic soleil caresse ( Lui, Dieu!) ce reste impur, el le feconde ainsi!.... Avez-vous une fiUe ? rOLONIl'S. Oui , mon seigneur. JIAMLET. Ami , Concevoir esl uu don : non comme voire lille Peul-etre concevrait. — Tant que le soleil brille, Gardez-donc , croyez-moi , de la laisser sorlir. POLONIUS. Oil voulez-vous par la , mon seigneur , en venir ? (a part.) Sa pensee est encor vers ma fille tendue ; Pourtanl il paraissait , a la premiere vue , Ne me point reconnaitre. II m'a cru poissonmer I — Tout est parti ! — Ma foi , je ne le puis nier : Jeune aussi , j'eprouvai d'amour la violence ; Corarae lui, j'en viiis presque a ce point de demeiice. — De lui parler encore il serait a propos (a Hamlet.) Que lisez-vous, seigneur ? HAMLET. Des mots . des mots , des mots ! POLONIUS. Mais quelle en est , seigneur , la matiere ? HAMLET. Entre qui ? Matiere ? POLONIUS. Mon seigneur , j'entends (la chose est claire) Du livre qu a present vous tenez a la main. HAMLET. Calomnie el mensonge ! Un infame coquin Qui pretend que iaLavbe aux vieux hommes grisonne : Leur ligure , dit-il , de rides se siUonne ; Une ambrc epaisse alors leur distdle des yeux , Comme aux pruniers la gomme ; a Tesprit le plus creux Le plus vide se joint un jarret sans puissance. Bien que j'aie en cela pleine , entiere creance , Je trouve malscant de nous le signaler. Pour vous , si vous saviez en crabe reculer , Vous poinriez a la Gn alteindre mon grand Age. — 93 — POLONinS. (d part.) Quoiqu'il soil bien d'un fou , pourtaiU en ce laugaga Un resle de logique est facile a sentir. (a Hamlet.) Mon seigneur , de cot air il vous faudrait sortir. HAMLET. Et dans ma tombe entrer? POLONIUS. C'est vrai , la d'air on change. (a part.) Sa replique est parfois d'une justesse etrange. Les fous heurtent souvent de ces hasards heureux Qu'eut passes un esprit sain et judicieux. II faut que je le quitte et sur-le-cliarap invente Un moyen d'entrcvue au prince et son amante. — (d Hamlet.) Seigneur, je prends de vous conge tres-humblement. HAMLET. Monsieur, vous ne pouviez rien me prendre vrairaent Dont la perte par moi fut si pcu regrettee ; Rien , excepte ma vie, oui, ma vie exccptee. POLONIUS. Adieu done , mon seigneur ! HAMLET. Peste soit des vieux fous I (Guildenstern et Rosencrantz entrent.) POLONIUS. Apres le prince Hamlet peut-etre cherchez-vous ? Le voici. GUILDENSTERN (d PoloniUS). Que Dieu veuille en sa grace vous mcttre ! {PoloniUS sort.) GUILDENSTERN. Mon honore seigneur I ROSENCRANTZ. Mon cher seigneur et maitre ! HAMLET. Quoi! c'est vous, mes amis, mesbons, mes excellents ! Comment le portes-tu , Guildenstern ? Rosencrantz , Comment menez-vous done cette sante si chere ? ROSENCRANTZ. Comme d'insoucieux enfants de cette tcrre. GUILDENSTERN. Heureux ! — Notre bonheur n'arrivant pas trop haut , La fortune n'a point fait de nous le ioyau Qui du plus vif eclat sur son front etincelle. — 94 — HAMLET. t)e ses soullersnon plus vous n'etes la scmelle. . . BOSENCRANTZ. Noil plus. HAMLET. Vous habitez done alors, messeigneurs, Vers saceinture meme, au centre desfaveurs? GL'ILDENSTERN. Nous sommes sesamants. HAMLET. Amants do la fortune ? Cetterouee ? —Eh bien! quelle nouvelle? ROSENCRANTZ. Aucune, Si ce n'est que le inonde est sage maintcnant. HAMLET. Nous touchons done alors au jour da jugement. 11 n'cn est rien, je tiens vos nouvellcs pour fausses. Repondez-moi plutotsur denioinsvagues choses: De quel crime etes-vous coupables a ses yeux ? Qu'avez-vous pu lui faire, amis, pour qu'en ceslieux Vous cnvoie en prison cette ingrate fortune.' GOILDENSTERN. En prison ? mon seigneur. HAMLET. Ce royaume en est uue. ROSENCRAiNTZ. Alors la terre aussi serait une prison. HAMLET. Uiie fanneuse, avec naaints gardes, maint donjon , Maint caehot. Ce pays est peut-etre la pire. ROSEKCRAKTZ. Nous ne pouvons, seigneur, autant de mal en dire. HAMLET. Alors il n'en est pas une pour vous , car rien, Rien pour rhomme n'exisle ou de mal, ou de bien, Que ce que son esprit de ces deuxnoms appelle. Pour moi, ce pays est une prison reelle. ROiENCRANTZ. Ah ! c'cst I'ambition qui vous le montre ainsi, Et votre ame, peut-etre, est a I'etroit ici .' HAMLET. Dicu ! moi qui me croirais, dans la coque exigue D'une noix, souverain de rimmcnse ctendue. ... Si je n'avais parfois desreves bien mauvais! GUILDENSTERN. Ce sont d'ambilinn les funestes cffets, Car, de I'ambitieux qu'est au fond la substance ? Rien que lonihre d'un reve. — 95 — HAMLET. ..... . Etd'unreve i'essence ^ estrien qu une ombre aussi. ROSENCRANTZ. I •.„!•.• w ■■ .. . C'est vrai. De plusiecroig L ambition si frele et de si peu de poids Que c'estl'ombre d'une ombre. IIAMI.ET. »T Alors , par privilece Nos gueux seuls sent des corps, ct ce brillant cortege INOS rois et nos beros a I'illustre renom ' Soni des ombres de gueux Nous rendons-nous ou noii A la cour ? car je perds de ma raison I'usage. „ ROSKNCRANTZ ET GmLDENSTtRN. Nous vous suivrons, seigneur. HAMLET. ,„ „ . . . Loin de vous ce langage I Je ne veux point, messieurs, vous mettre , vous. au ran- JJes autres serviteurs ; ear, s'il faut etre franc ° Jesuis vraiment servi d'une horrible maniere' Maisavec vous, messieurs, je serai plus sincere: Uites, que faites-vousici dans Elseneur ? ROsENCIiANTZ. Nous n avons d'autre but que de vous voir, seigneur. ^ , HAMLET. Quel gueux je fais! Je nai meme en ma penurie I as un merci pour vous ! Mais \v vous remcrcie tncor, mesbonsamis : ce plat remeicimont Scrait nu prix d un sou, bien cbcr assurement. In ordre vous rappelie ? — Allons ! parlez sans feinte • \ olre visite est ]il)rc , excmple de contrainle ^ Parlez, voyons ! jouez un jeu fi-anc avcc moi. GUILDENSTERN. Que vous dirons-nous done, seigneur? HAMLET. nf ■ , . Quoiquecesoit. Mais arnvonsau fait : - un ordre vous rappelie- J en vois dans vos regards I'avcu qui se deccle. tt votrc politique a peine a ie talent De le dissimuler. — De ce prince excellent Un ordre vous rappelie; on vous la dutransmettre? ^ ,, ROSENCRANTZ. Dans quel but-" HAMLET. Cest a vous de Ic fairc connaitre. uui, par les droits sacres de notre liaison Par nos rapports denfanee et I'obligation Ou vousenchnine a moi notre amitic constanfe Far les raisonnements qu'une voix plus sa vanle ' Invoquerait ici pour loucber votre ca-ur, — 96 — Avec aioi soyez vrais et francs ! Daus Elseiieur Vous a-t-on rappeles, ou nou ? Je vous adjure : Parlef! ROSENCRANTZ. Que dites-vous? HAMLET (dpar<). Aliens ! point d'imposture. Messieurs, j'ai I'ceil sur vous. {aaut.) Ne cherchez nul detour, Si vous m'aimez. GlJlLDIiNSTERN. Seigneur, un ordre de la cour Nous rappelle, il est vrai. HAMLET. Je vais, raoi par avance, Vous apprcndre pourquoi ; par celte confidence Prtvenaut ce qu'auraient vos avcux d'indiscret, Dans son integrite je laisse le secret Qui tous les dcuxau prince, a la reine vous lie. Depuis peu, loin de moi la gaite s'est enfuie; Mais j'ignore pourquoi je suis ainsi change: Jefuis tout exercice ct mon coeur est charge D'un si pesanl fardeau que tout ce bel ensemble , La lorre, — auais, — la terre aujourd'hui ne me semble Qu'un promontoirenu! Co d;iis majestucux, Cctle voute lancaut Tor de ses mille feux, Oui, pour moi ce beau cicl suspendu sur le monde N'est d'infectes vapeurs qu'un assemblage immonde ! L'homme! — un chef-d'ceuvreaussi! — quelle elevation D'esprit, de facultes, et quelle expression! Quel admirable jeu du corps et de la face ! Qu'il agisse, d'un ange il a toute la grace; Qu'il pense, c'est un Dieu ! Du monde I'ornement, II est le plus parfait des etres, et pourtant Qu'est-ce au fond , a mes yeux, que eette quintessence De poudre et de neant ? — J'ai pris en deplaisance L'homme etla femme aussi. — Parce souris railleur , Pourtant vous paraissez en douter. ROSENCRAKTZ. Men seigneur, Ma pensee est tout autre. HAMLET. Alors pourquoi sourire , Lorsque je vous ai dit le degoiit que m'inspire Toute I'humanite ? ROSENCRANTZ. Mon seigneur, je songcnis_ A part raoi, que si rhor.ime a pour vous pcu d'attraits, Des comediens auront triste accueil. Sur la route Nous en avons trouve, venaul ici sans doute Vous otTrir leurs talents. HAMLET. Celui qui fait le roi — 97 -- Seit'i le bien venu : S;i Majesty Jo raoi Recevra, soycz siir, iin present liignc dVlle, Kt le [iieux clievalier a I'aveiilureiix zele, Usera. s"il le veut, ilu (leuret, de I'ecu. L'amoiireux ii'aura point desoupir supcrflu, Le plaisant (inii-a paisiblement son role, Et dii bouffon parfois Ki joycuse parole Dilatera la rate aux gens de sombre bumeiir. L'amoureuse avoiira ce qui latoucheaucceur, Ou les vers suspendus parleront pour la prude. Quels sent ces comediens ? r.OSENCn ANTZ. Ceux-la que d'habitude Vous paraissiez entendre avec quelquc agremenj. Ce sont les tragedieus de la cite. H.IMLET. Vraiment ! Maisquel hasard faildoncque leur troupe voyage? Autant pour leur renora que pour leur avantage, De la ville jamais lis n'eussentdu sorlir. ROSENCRANTZ. Je soiipconne ce qui les oblige a partir : C'est cette nouveaute'qui depuis peu prospere. HAMLET. Sont-ils toujours autant estimes que nagucre , Lorsquavec vous, messieurs, j'habitais la cite? Sont-ils aussi courus ? ROSENCRANTZ. Ob ! non, en verite. II s'en faut bien. HAMI.ET. D'oii jieut vcuir leur decheance.' Se seraient-ils rouilles? ROSENCRANTZ. Non. Dans leur residence Leurs talents jusqu'ici s'etaient bien soutenus ; Mais il est un essaim denfants iiouveau-venus , Epervicrs frais (iclos, criant outre mesure Uu debut a la fin, el (pie pour leur enflure Tres-lyranniquemeiit le public applaudit. Brcf, leur troupe estde mode et jette en di' credit (Ainsi (pi'ils I'ont norame) le tbeatre ordinaire, Au point que bien des gens, meme portant rapiere. Out |): ur desplumesd'oie, etdepuis quelque temps N'obcut plus s'y montrer. HAMLET. Quoi ! ce sont des eufanls? Qui soulient done leur jeu.' Qui solde la depense ? Quiltcront-ils la scene au sortir de Tenfance, — 98 — Quand ils ne pourront plus psalmodier ? Un jour, N"auront-ils pas le droit, devenusaleur tour, Ordinaires acteurs (deiiouraent fort a craindre) Si jamais leur talent plus haul ne peut atteindre N'auront-ils pas le droit eux-memes d'accuser Leurs auteurs qui les font d'avance mepriser, Leur heritage propre ? ROSENCRANTZ. II s'est fait grand tapage Dans I'une et I'autre troupe , et, loin d'en prendre ombrage, Le peupleace debat se plait a les pousser; Meme on I'a vu, dit-on, quelque temps les forcer Des'en prendre a leurs poings, corned ienset poete, Sous peine d'echapper sans cela la recette. HAMLET. Est-il possible ? GUILDENSTERS, Oh I oui; par les coups echanges Bien des pauvres cerveaux furent endommages ! HAMLET. Ce sont done ces enfants donl la troupe I'emporte ? ROSENCRANTZ. Helas ! oui , mon seigneur. Si bien que de sa porte Ils enlevent a I'autre Herculc et son fardeau. HAMLET. Ce n'est point la, messieurs, un miracle nouveau. Car mon oncle aujourd'hui regne, et ceux qui naguere A son nez ciissent ri , du vivant de mon pere, Paieraient vingt, et cinquante, et cent ducats, qui salt ? Pour posseder de luile plus mince portrait. Oh ! par la mort ! j'y vols une chose inouie , Surnaturelle ; et si notrc philosophic, A ce fatal secret peut parvenir ! {On entend des fanfares au-dehors.) GUILPENSTERN, Seigneur ! HAMLET {h G^iildenstern et Rosencrantz.) Ce sont les comediens (1). (1) La fin de celte scene, d'une immense difficulte a traduire, meme en prose, fait allusion a des querclles qui divisaient les theatres de Londres conlemporains de Shakspeare et a la concurrence que faisait aux amis du poete la troupe des En/ants de la chapelle du rot. Reims.— L. Jacquet, imprimeur de rAcademie. SEANCES RT TRAYAUX DE L'ACADfiMIE DE REIMS. SlilANGE PUBLIQUE ANNUELLE Du 8 MAI 1845. Presidence de Monseignedr l'Archeveqce. La seance est ouverte a iiiie heure, dans la galerie liistorique du palais archiepiscopal, en presence d'lm nombieux auditoire. MM. Bourdon , Sous-Prefet de I'arrondisseraent , M. Lecointre, President du tribunal de commerce, M. DE SaijST-Marceaux, Maire de la Tille de Reims, M. HaiNnequin, premier adjoint, occupent des sieges d'honneur a droite et a gauche du bureau. Sont presents : Monseigneur l'archeveqce, mm. le vicomtc de BRIMONT, SAUBINET, ROBIILARD, BANDEVILLE, L. PARIS, L. FANART, NANQUETTE, BRUNETTE, U. LANDOUZY, DK — 100 — BKf.LY, \VAGM:K, BONNEVILLK, PmLF.lPI'E , QIERUY, GARGET, E. DERODE, 60BET, LECONTE, 31. StTAINE, TARBE DE ST - IIARDOCIN , MAQUART , GEOFFROY DE VILLENECVE , DLQl'ENELLE , MONNOT DES ANGLES, SOII.LY ; mm. gonel, clicqrot, eug. courmeaux, gl'ille- mik, pinon, aubriot, tol'rnel'r, ernest arnoll.d, gosset; MM. HERBE, DESAviGNY, membres honoraires; MM. DAIBANEL, BOURDONNE , CHARPENTIER, COLLES- SON,DEMILLY, DUCHESNE, HUBERT, LEJEL'XE, LELEU D'aUBILLY, LEROUX, MAII.LET, DE MAIZIERE, PERREAU, membres correspondanls. ORDRE DU JOUR. Discours d'ouvei ture, par Monseignecr l'Archeve- QUE, president. Conipte-rendu des travaux de PAcaderaie, pendant I'annee 1844 - 18i5, par M. Landouzy, secretaire. RAPPORTS De M. Geoffroy de Villenecve, sur la question d'agronomie; De M. Gl'illemin, sur la question d'economie poli- tique. LECTURES De MM. L. Paris : Fragment (Vim travail de M. Geru- ZEZ sur leducalion du due de Bourgogne par Fe'ne- lon ; EuG. Courmeaux : Quelques mots sur la traduction en — 101 — vers de riJamlel de Shakspeare, par M. Jules Per- reau, avec exlraits de celle iraduclion; RoBiLLxVRD : sur le roman moderne ; F. Plnon, sur Vancien diclon : 99 moutonset un Cham- penois. Proclanialion des prix et mcdailles d'encourage- nient. Programme des concours ouverts pour I'annee 1845. DISCOURS D'OUVERTURE Prononce par Monscigneur GOOSSET, ARCHEVfiQUE DE REIMS, PRESIDENT DE L'ACADlfeMIE. MfissiErRs, La fondation de rAcademie dc Reims ne remonte qua quelques annees, et cependant cette soci^te peut deja, par ses travaux, rivaliser avec la plupart des so- ciates savantes. Constamment fidele a I'esprit de son institution, qui la met en dehors des discussions poli- tiques etdes confroverses d'un ordreplus elevd, elle a continue librement sa marclie et a su se concilier les sympathies du pays, se rendre digne de la protection des autorites, et meriter le concours bienveillant du Gouvernement.C'est a ses relations avec les differentes parties de la France que nous devrons, dans quelques mois, la seance annuelle du Congres scientifique dans la ville de Reims; et bientot elle aura dote la republique des lettres de plusieurs publications qui doivent la placer aux premiers rangs parmi les academies de pro- vince. Bientot, par ses soins, les manuscrits du docte — 103 — Marlot sur Thistoire ecclesiaslique et civile de notre raetropole seront livres au public. Bientot encore les ouvrages/le^Flodoard, dont les savants reclament une edition plus complete et plus soignee que celles que nous avons, paraitront en francais, avec le lexte en re- gard, conjointement avec la Chronique de Richer, moine de Saint-Remi de Reims. Celte chronique n'est connue qu'en Allemagne, et encore ne I'esl-elle que depuis tres-peu de temps ; il vous convenait , Mes- sieurs, de la mettre au jour, en la faisant passer dans notre langue, et d'en enrichir nos bibliotheques ; car elle est du plus haut interet pour Thistoire de Reims et de la France au '^x^ siecle. Vous ne vous arretorez pas la : deja, d'apres le voeu d'un ancien ministre du Roi, auquel notre Academic doit sa creation, vous avez eu la pensee de rasserabler , pour en publier la col- lection, les nombreux ecrits d'un autre moine, impri- mes ou inedits, qui sont demeur^s jusqu'ici disperses dans^lesprincipales bibliotheques de France, de I'Al- lemagne et de I'ltalie ; du celebre Gerbert, qui a e(e successivement abb^ de Bobbio, archeveque de Reims, archeveque de Ravenne etchef de lachretiente. L'exe- cution de ce projet est digne de vous, Messieurs, et je serais heureux, comme archeveque, de pouvoir y pren dre part ; j'acquitleraisune dette envers le plus sav.mt de mes illuslres predecesseurs, a Texemple de notre saint-pere Gregoire XVI ctdu cardinal Falconieri, qui, dtant successeurs de Gerbert, I'un a Rome, et I'autrc a Ravenne, out voula concourir a I'erection du monu- ment d'un autre genre, qui s'eleve en ce moment a la memoire de Sylvcstre II, dans la vilied'Aurillac, oil ce pape a recu sa premiere education. La publication dcs ceiivres conqiletes de Gerbertj — 104 — avec la traduclion, demaiide des reclieiches et des etudes serieuses ; mais, quelque laborieuse que soit celte entreprise, elle n'est point au-dessus de \os for- ces. Les ames genereuses et devouees aiment a s'occu- per de grandes choses et ne sout arretees par aucun obstacle. Gerbert en est lui-meme un exemple bien frappant. C'est par une volonte forte et perse verante, plus encore que par son genie, qu'il a pu acquerir ce degrc de science qui a fait oublicr aux grands I'obscu- rite de sa naissance etl'a rendu capable d'exercer une puissante influence sur I'esprit et les evenements de son siecle. Pour en juger , il sullit de jeler un coup d'oeilsurla vie et les travaux litteraires de ce savant Benedictin. Gerbert naquit, vers I'an 925, dans les montagnes d'Auvergne, de parents pauvres etd'une basse extrac- tion. Ayant de bonne lieure perdu ceux a qui il devait le jour, il fut recueilli par les moines d'Aurillac , qui SB chargerent de I'elever. Anciennement les raonas- teres etaient richement dotes ; mais I'orplielin y trou- \ait un asile, ct Tindigent les secours doni il avait besoin. Gerbert, encore jeune, quitte !a solitude, avec ragreinent du pere abbe, et se rend en Espagne, oil il apprend les malhematiques ; puis il acconipagne h. RomeFeveque Haiton, qui avait ete son maitre. Arrive dans la capitale du monde cliretien, il fisa bientot ^'attention du papeet del'empereur Olton, qui setrou- vait alors en Italic. lis avaient etc frappcs de la viva- cite de son esprit, de son savoir etdeson ardeur pour Tetude. Cependant il ne resta pas longtemps en Italic ; malgre le desir qu'on avait de le retenir, il vint a Reims pour y etudier la philosophie. Mais a peine s'etait-il montredans cette ville, qu'Adalberon, qui en etait ar- — 105 — cheveque, ayant reconnu son merite, lui confia I'ecole de la cathedrale. II serait difficile de se faire une juste idee de son zele et de la sollicifucle avec laquelie il s'acquitta de ses fonctions. II enseignail lout a la fois les belles-let- tres, les sciences et les arts, s'appliquant avec soiu a former I'esprit de ses eleves par lYUude des anciens , tels que Terence, Horace, Vivgile, Ciceron, Victorin le rheleur et Aristofe. 11 insistait noaninoins principale- mentsur les niatlieniatiqueset Tastronoiuie. Ilclierclia aussi a repandre le gout de la musique en France, oil, au rapport d'un auteur conlemporain, elle etaitenlie- rement ignoree. La reputation du nouveau niaiti'e se repandit au loin, et, dejour en jour, on vit accourir, desdifferen- tes parties du royaume, de rAllemagne et de I'ltalie, de noiiveaux disciples, avides d'entendre les lecons de Tecolatre de Reims. Ce fut Gerbert qui forma dansno- tre ville Robert, le fds et le successeur de Hugues- Capet ; Francois de Paris, qui devint chancelier de France ; Adelbod, secretaire de Tempereur Henri II, et depuis eveque d' Utrecht ; Brunon, de race carlovin- gienne, eveque de Langres ; le prince Leuteric, arclie- veque de Sens ; Ingon, parent du roi Robert, et abbe de Saint-Germain-des-Pres. On compte encore parmi ses eleves le savant Fulbert, une des gloires de re{»isco- pat francais; Jean, eveque d'Auxerre ; Adalberon, eveque de Laon ; Rotliard, eveque de Cambrai ; Er- luin, successeur de Rolhard; Richer, moine de Saint- Remi, connu par son Uisloire drs Francs ; enfin, Theo- philacte, Laurent Mallitanus, I3razutuset JeanGratien, touspretres de Rome, qui, a leur lour, formerent le grand papeGregoire VII. Ainsi, Tecole de Reims, sous — 106 — la direction de Gerbert, fut, sans contredit, Tune des plus celebres de I'Europe , celle qui a le plus puissam- ment contribue a faire revivre les bonnes etudes, que le raalheur des temps, joint a certains prejuges plusou moins repandus, avait fait lomber, sur la fin du ix' et dans la premiere moitie du x'' siecle. D'un autre cote , ce concours prodigieux d'etran- gers qui so pressaient autour de la chaire de Gerbert , devait naturellement exciter la susceptibilite rivale des maitres de son temps , qui avaient eu jusqu'alors le plus de vogue et le plus de succes. En eliet, le scliolas- lique de Magdebourg , Otric, attaqua violemment dans ses lecons quelques-unes des propositions mathema- tiques de Gerbert. L'affaire ayant paru grave , Otlon voulut la faire decider dans une discussion publique , en presence de plusieurs savants. An jour indique, les deux adversaires se rendirent a la cour, et dispu- tereut depuis Taurore jusque bien avantdansla nuit. Comme I'histoire nous laisse ignorer de quel cote fut I'avantage, ilest assez vraisemblablequ'on ne s'enfen- ditpas, ctque les juges furent aussi embarrasses que Tempereur, lorsqu'ila fallu prouoncer. Quoi qu'il en soit,Otton, convaincudu meritede I'ecolatrede Reims, le fit nommer abbe de Bobbio. Ce choix eut Tapproba- tiondu pape; mais Gerbert ne demeurapas longtemps dans son abbaye : les mauvais precedes de quelques moines, qui ne pouvaieut souffrir un etranger, le de- terminerent a s'eloigner du monaslere. 11 quitta done ritalie,laissantcliezquelques-unsde ses amis ses livres et ses meubles, ainsi qu'un orgue qu'il destinait a ses pores nourriciers dWurillac , et retourna a la cour d'Otton, qui Ic chargea deTeducationde son fils. Apres y avoir passe quelques annees, il revient a Reims, — 107 — tant pour y reprcndre ses lecons , que pour repondre a la confiance dont I'honorait rarcheveque. Les contradictions qu'eprouva Gerbert ne purent le distraire de ses travaux litteraires. II etail dans la tribulation a Bobbio, lorsqu'il ecrivait a Airard de Saint- Gerauld, pour I'engager a corriger Pline et a copier les ouvrages qui se trouvaient a Orbayet dans I'eglise de Saint- Basle (pres de Verzy). On remarque ici qu'au moyen-age les sacristies des eglises ^laient des biblio- theques publiques , oil Ton conservait les manuscrits, comme les eglises elles-memes etaient de vrais musees oil Ton pouvait etudicr la sculpture et la peinlure. Ce fut dans le memo temps qu'il raanda a I'abbe Giselbert qu'il possedait le traite du philosophe Demosthene sur les oplitalmies. Gerbert avail etudie la medecine : on Yoit dans ses ecrits qu'il lisait les ouvrages de Celse etdeGalien. II exercait meme I'art medical, quand ses amis avaient recours a ses conseils. C'est ainsi qu'il prescrivit a Raimond, un de ses anciens maitres , des remedes contre une maladie du foie , et a I'eveque de Verdun un traitement contre une infirmite grave dont il efait affecte. De retour a la cour d'Otton, il pria I'archeveque de Reims de lui preterson Cesar, lui pro- mettant huit volumes de Boece sur I'astronomie , et plusieurs figures de geometric. Plus tard, lorsqu'il se retrouva a la tete de son ecole, il fit venir d'Aurillac et de Barcelone plusieurs ouvrages sur I'arithmetique , et ecrivit au diacre fitienne cardinal, pour reclamerles exemplaires de Suetone et d'Aurelius Victor , qu'il avait deposes chez lui enquittant Bobbio. Aussi, dans sa lettre a Eccard , abbe de Tours , il nous apprend qu'il avait forme une bibliolheque considerable , en se procurant des livres , avcc beaucoup de peine? cl u — 108 — grands frais, en Italic, en AUemagne et en Belgique. « Le but que je me propose en cela, disait Gerbert , » c'est d'arriver au mdpris des faux biens, raepris que » nous enseigne, non la nature, mais la vraie doctrine. » C'estpourquoi, dans mcs moments de loisir, comme » lorsque roccasion s'en presente, je communique aux » autres ce que je sais, et j'apprends ce que je ne sais » pas. » Quoique constamment occupe des sciences, Gerbert, qui aimait son pays, ne put demeurer etranger aux evenements qui interessaient la religion, la patrie, la la destinee des peuples. 11 prit done une part active aux mouvements politiques de son temps, et aux ^af- faires les plus importanles de I'Eglise, montrant par- tout une habilete qui ne se rencontre dans un savant qu'autant qu'a la connaissance des choses il allie la connaissance des hommes. Adalberon, archeveque de Reims, etant mort, Ar- noul, fils nalurel du roi Lothaire, fut elu en sa place ; mais s'etant jete dans le parti de Charles de Lorraine, au mepris du serment de fidelite qu'il avait fait a Hu- gues-Capet , il fut depose au coucile de Saint-Basle, pour cause de traliison. On le reraplaca par Gerbert, qui s'etait franchement declare en faveur de la nou- velle dynastie. Cependant, le pape Jean XV improuva la deposition d'Arnoul, comme etant contraire aux ca- nons qui reclaraent Tintervention du Saint-Siege pour ladeslitutiond'unmetropohtain. Aulieude sesoumel- Ire, Gerbert se livre aux invectives contre le pape, agissant ici d'une maniere bien peu conforrae aux sen- timents qu'il exprime dans son beau livre de la Dignile sacerdolale, etdans la letlre qu'il a ecrite quelquesan- nees apres a I'archeveque Arnoul. Mais quel est — 109 — rhomme qui n'ait liea eu a se leprocher? Dicu seal est parfait, parce que Dieu seul est grand. Geibert, se voj^ant depouille de son archeveche, se retira aupies d'Olton III, qui avait etc son disciple, et ce prince le fit elire archeveque de Ravenne, a la grande sati.-^faction du souverain pontife ; puis, en 999, le Saint-Siege etant devenu vacant par la mort de Gregoirc V, I'ancien ecolatre de Reims fut clove sur la cliaire de Sainl-Picrre, et prit le noni de Sylves- tre II. C'est le premier Francais qui soit parvenu a la papaule. Les talents, lesvertus, la piete, la clenience, la sagesse qu'il deploya pendant son pontillcat, Tout fait placer parmi les grands papes. 11 mourut le 12 Mai 1003, Ires-avance en age. Le pape Sergius IV, qui I'avait parfaitemenlconnu,. lui a fait eriger un mausolee, avec cette epitaphe : » Ci-git Sylvestre. Quand retentira la trompelte, » annoncant le jugement de Dieu, cette tombe rendra » la depouille mortelle de celui qui, a I'illustration de » la science, joignit le titre glorieux de pontife ro- )) main. » Gerbert naquit en France, et Reims, la metro- » pole de sa patrie, fut le premier siege episcopal » qu'il occupa. Plus tard, il gouverna avec gloire I'il- » lustre eglise de Ravenne. Un an apres, eleve sur le )' siege de Rome, il devint le chef de I'Eglise, II fut » redevable de cette faveur a Otton III, dont il resta » toujours I'ami fidele ct devoue. » » Tons deux illustres par leur sagesse, ils etaient » Tornement de leur siecle, la joie du monde et des » modelesde verlus. » Comme le prince des apotres auquel il succeda » sur le siege sacre, il recut trois fois la mission de — 110 — » paitre les peuples. Quand il eut rempli pendant un » lustre ces sublimes fonctions, il se trouva au bout » de sa carriere et mourut. » Le raonde, d'oii s'envola la concorde, resta stu- » pefait ; I'Eglise vit chanceler la victoire et ne connut » plus de repos. » L'eveque Sergius, son successeur, par un tendre » sentiment de piete, a orne le cercueil d'un ami. » Vous qui jetez les yeux sur cette pierre funebre, » qui que vous soyez, repetez : Seigneur , Dieu tout- » puissant, ayez pitie de lui. » Ce tombeau ayant ete ouverl en 1 648, on trouva dans un cercueil de raarbre le corps de Gerbert bien con- serve, revetudes habits pontificaux, la mitre en tete et les bras croises sur la poitrine ; mais au contact de Tair, il tomba en poussiere; il n'en resta qu'une croix d'argentet I'anneau episcopal. Ainsi passe la gloire de ce monde. On sail que lors de I'intronisation d'un pape, le maitre des ceremonies, tenant d'une main un cierge allume, et de Tautre un bassin dans lequel on voit la gloire du monde representee par des figures de chateaux et de palais d'etoupes, y met le feu par trois fois, en disant a chaque foisau nouveaupape : « Saint pere, voila comment la gloire de ce monde passe; Pa- ter sancte, sic transit gloria niundi. » Gerbert a beaucoup ecrit : il nous reste encore de ce savant un grand nombre d'ouvrages sur la theologie, sur rhistoire, la philosophic, les sciences exacteset la litteralure; et, en outre, deux cent cinquante epi- tres qui sont un monument precieux de Thistoire lilteraire du x" siecle. La science de Gerbert parut si extraordinaire, qu'on I'accusa de s'clre adonne a la magie. Pour le juslifier. — Ill — il suffirade rappeler ce qu'un poete ancicn Jui fait ilire apres sa mort : <( Ne soyez pas ^tonne si la paresse et la ciedulite du vulgaire m'ont accuse de magie, parce que je m'appliquais a I'etude de la science ) d'Archimede et des lecons de la sagesse. Dans un > temps oil c'etait une grande gloire que de ne rien > savoir, Tignorance fit de moi un magicien. Mais ma ) tombe public la piete, la probite et la saintete de ) ma vie : » Credebant magicum esse rudes , sed busta loquuntur » Quam pius, integer et religiosuseram. » Messieurs, je dois a vos suffrages Tlionneur d'avoir preside pour la seconde fois TAcademie de Reims. Je ne puis quitter le fauteuil sans vous prier d'agreer I'expression de ma gratitude etde mes sentiments pour I'honorable compagnie, a laquelle je me ferai toujours une gloire d'appartenir. COMPTE- RENDU DES TRAVAUX DE L'ACADEMIE, pendant I'annee ISii-ia, par M. LANDOUZY, Secretaire. Messiecrs , A la grande difiference de I'annee gregorienne , les annees academiques sesuiventet se ressemblent ; aussi ne pourrait-on altribiier au vain attrait de la nou- veaute cette belle et nombreuse reunion. C'est que, quels que soient nos gouts particuliers et nos occupations speciales , il reste toujours en notre ame un irresistible penchant pour ce qu'on pent appe- ler le libeialisme intellectuel ! C'est que, selon I'expression du plus grand pliiloso- phe de I'antiquite, la science est I'amie de tous (1) ! amie la plus fidele, amiedevoueejusqu'au dernier mo- ment, ddvouee surtout lorsque les autres amities s'ef- facent, et qu Ovide eut bien dii excepter de son deso- lant distique : Donee eris felix . . . L'Academie n'a done pas I'amour-propre de rap- porter a ses modestes travaux, mais seulement aTidee que represente son institution, ce temoignage debien- (l) Uu7i yv.p iv'j.vro; ri ST:iVTriu:n- (PlatON.) — 113 — veillanle sympathie qu'clle recoit aujourd'hui pour la troisieine fois. Pour commcncer par ce qu'il y a de primitif dans la science, si je puis ainsidire, et de plus iramediateraent utile, je rappellerai nos travaux d'economie agricole, qui pourraicnt attcsler a eux seuls le caractere de po- sitivisme imprime a nosrecherclies. 11 ne faudraitpas croire, en effet, que, tandis que les cornices montrent a tracer les sillons, a melanger les seniailles, a engrais- ser les bestiaux, a elever les races domestiques, 1' Aca- demic, tranquillement assise, coiume Virgile, a Tom- bre d'un hetre, ou comnie Delille, au coin d'un bon feu, compose de tendres bucoliques a I'usage des ber- gers de Cormonlreuil oude Betheny, fait des egiogues sur les charmes de la vie cliampetre, et s'apprete a chanter, au son des pipeaux, de nouvelles Georgiques. Non ! nos collegues de la section d'agriculture sont moins naifs, malgre leur amour pour les champs ; ils composent desengrais, et non pas desidylles, essaient la valeurdes amendements , experimentent eux-me- mes les nouveaux modes de culture, et donnent aux laboureurs voisins des exemples qui ne sont pas reste's sans fruits. Ainsi, M. le vicomte de Brimont nous a soumis le tableau comparatif des divers engrais employes dans les differentes divisions d'une meme piece de terre, choisie a dessein pres I'arche du pont des bois Sou- lins, au bord de la route de Neufchatel, afin que les cultivateurs qui la parcourent puissentjugereux-me- mes les resultats obtenus. Ainsi, M. Leconte nous a sommairement expose les experiences analogues qu'il a entreprises en essayant sur un meme terrain trente engrais differents. — 114 — Sous le tilre modeste d'Essai, M. Maillet fils nous a presente un excellent resume des connaissances ac- tuelles sur les amendements et les engrais : veritable manuel de culture qui sera tres-utilement consult^, surtoutdans rarrondissement de Reims. Gonforme- mentaux conclusions de M. de Brimont. l' Academic a decerne a M. Maillet une medaille d'encouragement. Nous avons recu aussi de M. Sutaine une int^ressante notice sur la culture de la vigne dans le pays de Reims; de M. Raclet de precieux documents sur les nouveaux procedes d'echenillage employes en Bourgogne, et sur les applications possibles de ces moyens en Champa- gne ; de M. Saubinet un rapport sur les belles pepi- nieres d'arbres fruitiers creees a Reims par M. Herbe fils, a qui, selon le \oeu de la commission, I'Academie accorde une medaille d'argent. En physique malhematique , nous rappellerons le compte-rendu si lucide, dans son abstraction meme, que nous a fait M, Garcet des travaux de I'Academie des sciences pendant le premier trimestre. Mais les plus nombreuses communications nous sont venues, comme toujours, de M. de Maiziere, dont les innombrables calculs n'ont jamais diminue la fe- conde imagination. Apres avoir demontr^ que I'incendie de la flotte des Romains, sous les mursde Syracuse, n'a pu avoir lieu a I'aide de cette lourde machine de BufTon, qui, avec trois cents miroirs reunis, ne produisait pas la com- bustion a plus de vingt metres, notre savant collegue pense que le physicien grec avait habitue par avance une cohortede soldals a manoeuvrercliacun un miroir, — U5 — et qu'a un commandcment donnd, clioque miroir se dirigeant sur le point, voulu, il en rosuUait un immense foyer concave dont la courbe calculoe pouvail porter I'incendie a d'imraenses distances. Si ce procdde n'etait pas cclui dn Syracusain, on ne pent nier du moiiis qu'il ne soit d'une application pos- sible ct de la plus ingcnieuse invention. M. de Maiziere senible, du rcste, avoir pris a tiiche d'expliqucr, par les lois mathematiques, tons les pro- diges altribues au genie de I'ancienne Grece. Ainsi, Pline ayantcite deux tableaux d'Allienes represenlant un char dont les roues semblaieiit animecs (Uun mou- veraent veritable, et un fuscau qui paraissait lourner entre les mains d'une lileuse, noire collogue fondcTex- plication de cos deux phenoniones sur Ic fait vulgaire du certle forme par un cliarbon ardent, quand la dii- ree de la revolution est de moins de sept tierces. Les regies poseos par M. de Maizierc sont tclles, qu'au raoyen d'un simple calcul, on pout apprdcior, d'apros hii, combien unc roue peintc sur un tableau faitclelieues a I'lieure. Par la miinie ruison, un simple eleve en peinture pent, de son cote, donner a ia voi- lure la vitesse qu'il desire, scion qu'il veut peindre, par exemplo, les chemins de for ou le roulage accelere. Heureusenicnlpour romnlalion de la racechevaline, lescalculs do notrecorrespondant ont etc faits pour une Vitesse de quatre lieues ri rbeure, mesure que les pein- Iresadopteronlnaliirellement, plutotque de se livrer a des meditations algobrique.s qui eussent sans doute force Apelle et Miclicl-Ange a renoncer a lours pinceaux. En physique api)liquec, rAcaddmio a recu de 8 — IIG — M. Sulainc un rapport sur une nouycllc machine iiiia- ginee par M. Canneaux, pour closer et remplir les bouteilles de vin de Champagne sans perte de gaz. Sui- vant les conclusions de la commission , une medaille d'encouragcment a ete accordee a I'auteur de cette utile invention. En chimie, nous avons entendu de M. Chevallier, merabre de 1' Academic royale de medecine, I'explica- tion d'un moyen facile de separer, avec I'appareil de Marsh, I'arsenic de ranlimoine ; de MM. Grosjean de Fismes et DuquencUeun travail des plus interessanls sur les eflets dangereux du sulfate de potasse, dont les mecfecins eclaircs ont proscrit depuis longfemps I'u- sage, maisqu'une aveuglerouline fait employer encore tons les jours pour sal isfaire a des indications imagi- naires ; deM. Rousseau les details d'un nouveau pro- cede qu'il propose pour reconnaitre la falsification du yinaigre par I'acide sulfurique, et sur lequcl M. Le- conte a fait un rapport d'autant plus competent, que lui-mOme venait de nous lire un travail complet sur les falsifications du vinaigre. Des experiences niultipliees deM. Leconte, dont on connait Textreme precision, il resulte qu'il faudrait suivre le bon exeinple donne toutrecemment a Paris et a llouen, c'est-a-dire jeler a la Vesle plus de la moi- tie du vinaigre vcndu a Reims. Deplorable extremite qu'on previendraitsans doute par une surveillance hy- gienique plus active, et d'autant plus indispensable surtout, que la classe ouvriere, attireepar Ic bon raar- che, est la premiere victirae de ces falsifications. En histoire naturelle, je rappellerai le savant rap- — 1 17 — port tlo M, Paris, trEpernay, sur iinc monograpliie des lopiiloptercs, soiimisea rexamcn de la compagnie par M. Marease; la collection dcs niineraux Ics plus rarcs de notre arrondissemenl , ofierte a rAcadciiiie par RJ. Aubriof, et dont PAcadcmie enrichit a son tour le musee gcologiquc, commence sous les auspices etprin- cipalement avec les dons de M. de Saint- Marceaux. Dans les sciences medicales , nous avons a signaler particulierement, deM.le docteur Hannequiu Tobser- vation d'une des anomalies les plus rares et les plus curieuses aux points dc vue physiologique et patholo- gique ; deM. Ic docteur Seurre, de Suippes, plusicurs cas de chirurgie digues d'etre mediles ; de M. le doc- teur Meugy, de Retlicl, Thistoire complete d'une de ces nevroses mulliformes sans nom precis dans la no- menclature medicate , et dont il est important de re- cueillir des fails rigoureux; sous ce rapport, le travail de M. Meugy est digue de scrvir de modele par I'ex- treme exactitude des details et la severite des deduc- tions; de M. le docteur Mopinot, de Fismes, un me- moire que I'administralion a di\ja consulte avec fruit, sur la frequence des epidemics de variole dans le de'- parlement de la Marne, et sur les moyens de repandre dans toutes les communes le bicmfait de la vaccine ; enfin, dc M. Charlier, veterinaire a Reims, un essai sur les maladies specifiquesdu clieval, travail des plus consciencieux, et dont M. Pliillippe a fait remarquer toute Tutilite dansun rapport plein d'iuteret. S'nssociant avec empressement au vmu unanime de la commission, TAcademie decernc unc medaillc d'en- couragement a M. Charlier, deja honorc d'ailleurs de — fl8 — plusieurs recompenses par le cornice agricole el lecon- seil general cle TAisiie. lei, Messieurs, devrait se borner ma laclie, s'il fal- laitnecessairemcnlcomprendre lout cequ'on lil et lout ce qu'on dit; mais notre reglement n'attribuanl point jusqu'alors, malgre mes instances, un interprete spe- cial a la classedes lettres, 11 vous faudra sub'r encore une de ces tables analytiques que Texpeditionnaire du secretariat eiit sans doute beaucoup mieux faite , I'exac- titude etanl le seul merite que je puisse donner ii une ceuvi-e si en dehors de la specialite de mes etudes. Afin decommencer par le plus facile, je parleraid'a- bord dece que nous n'avonspas recu. En efiel, remise au concours pour la deuxieme fois, la question sur Du- rocort est restee, cette aunee encore, sans rcponse di- gne d'etre menlionnce. Est-ce a dire qu'elle soit insoluble ou sans interet? Estce a dire que nous serons reduits a ignorerpour toujours ces temps anciens de notre hisloire, oil Reims n'avait, d'apres llincmar, d'autreliabilantque llemus? Nullement ! L' Academic, voulant tracer I'histoire de la cite en mettant successi\ementau concours les points les plus obscurs , devait, en bonne logique, commen- cerpar le commencement. Mais, contre Tadagevul- gaire, ce que savent le moins les historiens modernes, c'est le commencement de riiistoire ancienue. Heu- reusement, si les cloitrcs de Saint Benoitsont tombes, il reste encore quelques Benedictins, et nos confreres MM, Paris et Varin esperent prouver, dans les ses- sions du prochain congres, que la question, pour etre ardue, n'est pas le moins du monde insoluble. — 119 — 11 lie faiulniit pas croire, d'ailleurs, que cctle ab- sence de Iravaux dignes dii prix propose ne fut chose frequente dans toute societe savante. II y a pins de six ansque la plus o'minenle academie du nionde, TAcaderaie des sciences, est forcee de re- nieltrc an concours la question sur les signes certains de la niort, el cela, malgre I'attrait d'une niedaille de dixniillc francs. Du reste, en allendantces monuments de notre pre- miere origine, M. Paiis nous a donne, sous le nom de licmensiana , un rccueil de legcndes modernes, (jnc j';'urais cm superflu de rappeler, siTopinion emisepar M. des Angles , au sujct du berccau de la famille de Colbert, ne s'y trouvait fortcmcnt combaltue. Au risque de commeltre une erreur liistorique, I'A- carlemie devait necessairement partager Tavis le plus favorable a son amour-propre en maintenant, contre Tavis de M. des Angles, que ce sont los Colbert de Troyes qui desccndent des Colbert de lleims, et que « le veritable ancetre de cette noble lignce, qui devait » donner a la France son plus grand ministre, est )) Jelian Colbert, raaiire macon a Reims, qui construi- » sit en 1505 la prison de la Belle-Tour et le clievet » de Teglise Saint-Jacques. >) Le but principal du memoire de M. Des Angles etait moins, du rcsle , de soutenir les pretentions de la ville de Troyes que de montrer par I'analyse genealo- gique la plus rigoureuseque le ministre descend d'une famille de commorcants et nuUement d'une race qui posscdat la noblesse avant de Tavoir recue de lui. Ne s'est-il pas trouvc, en cQet, des biograpiies assez fol- lemenl temeraires pour faire descendre Colbert des rois d'ficosse , el assez aveugles pour ne pas voir que, - 120 — dans rechelle des iioms illuslres, les plus eleves sont precisement ceiix qui sontpaiiis de plus bas. Au premier rang , parnii Ics travaux d'liistoire, •vienncnt se placer les Iraduclions encore inedites de Flodoard, par MM. Bandeville et Lejeune, el surlout le recent memoire dans lequel M. Bandeville apprecie, avec sa rigucur habiUielle, les livres de Richer, moiae de Saint -Remi au x" siecle, dont il se propose de joindre la traduction a la chroniquc de Flodoard. Nousciterons aussi I'elude deM. Guillemin sur I'en- seignement de I'histoire, considere comme moyen d'e- ducation . L'histoire, de nos jours, ne doit plus etre, d'a- pres M. Guillemin, un simple aliment de curiosite : (I Elle est avant tout uiie science morale ct politique, et » quand le lendemain de 1830, ceux-la memes qui » avaient si bien compris lepasseetaientappelesagou- » verner le present , quand les historiens devenaient » bommes d-etat, on devait s'attendre a voir l'histoire » prendre enfiu la place qui lui avail ele si longtemps )) refusee dans Se plan d'education. » C'est par-la surlout , ajoule M. Guillemin , que )) reducalion se lie a noire organisation sociale ; et » dans un siecle oil I'imagination a ete piodigieuse- » menl esaltee, oil les esprits sont prompts a se jeler » dans les innovations de tout genre, on pent affirmer » que la slabilite de nos institutions , que le calme de ■» la sociele depcndronl jusqu'a un certain point de la » direction qui sera donuee a renseignement histo- » rique. » C'est pour rendre eel enseignement plus facile, en le rendanl plus pratique et plus pittoresque , — 1-21 -- que M. Duchesne, niembie eorrespoiidant, a propose tie placer sous les yeux des eleves les collections nu- niisniatiques et arclieologifjues ; idee si rationnelle, qu'on a ete vrainienlelonae d'apprendre pai- MsiTar- clieveque et par M. Didron , qu'elle est niise en appli- cation soidenicnt dans les colleges de la Belgique. L'arclieologie nous a fourui , d'ailleurs . comme les autres anuees , de tres nombreuses communications , parmi lesquelles je citerai seulement le savant me- moire de M. Maquait sur les sepultures decouvertes a Saint-Bemi par la commission que M. le sous-prefet avail cliargee de surveiller les fouilles ; le travail re- marquable de M. le docfeur Lerous sur la chaussee romainede Corbeny et sur les evenements dont elle a ete le theatre; La note de M. Duquenellesur un grand nombre de medailles et d'objcts anciens recemment trouves dans le litde I'ancienne riviere, entre les porles de Vesle et de Flechambault; Celle de M. Louis Lucas sur les decouvertes archeo - logiques qu'a produites Texploration de I'ancien cirae- tiere Saint -Nicaise ; La discussion engagee entre MM. Duquenelle, Ma- quart, Paris et Didron, au sujet de la restauration de Farc-de-triomphe romain ; Enfin le projet de regleraent presente par M. Louis Lucas, pour assurer la surveillance des decouvertes d'objcts d'antiquite : excellente idee , bien propre a enrichir notre musee communal, mais bien naturelle surtout chcz un aniiquaire, les collectionneurs allanl , comme chacun sail , jusqu'a se defier d'eux-memes, quand il s'agit des choscs de numismatique ! 122 En lillcialiirc propreiuent dile , nous devons pro- clamer comaie I'line desoeuvres les plus importanles de Fannee , la Iraducf ion en vers que M. Perreau nous a soumise de THanilet deShakspeare, et doutM. Cour- meaux a loleve encore le nierite par les savantes eludes qu'il nous a lues sur la destiuce delapoesie shakspea- rienne en France. Heureuse de donner loute sa sympathie a une oeu- vre qu'elle revendique conime Tun de ses plus beaux titres lilteraires, I'Acadeiuie s'est empressee d'oflrir a M. Perreau une medaille de premiere classe. Nous mentionnerons aussi, de M. K. Arnoult, le sejour de Voltaire a Reims, chez M. Levesque de Pouilly, elegant tableau, oil se Irouve peint en quel - ques lignes I'un des episodes les plus curieux et les jBoins connus de la vie de ces deux pliilosophes unis par une araitie qui lionorait autanl Voltaire que M. de Pouilly ; De M. I'abbe Tourneur, la traduction d'une etude sur TArioste, par Gioberti ; De M. Alfred Lejeune, uue etude sur les poesies de M. Theodore Carlier; De M. Robillard, uue excursion a Granville : i)ano- rama des plus piltoresques ou se peignenl en meme temps les mines arcliGologiques, les moeurs des cotes maritimes , Fimmensite de la mer, et oil les apercus artistiques et lilteraires tiennent heureusemenl plus de place que la topographic. Un fait qui m'a frappe dans ce voyage , c'est qu'k Granville lous les sentiments sont nobles , lous les hommes jusles elbienveillanls. Et certes, ilfallait que cela fill vrai pour que cela fut dit , car le philosopho, meme en voyage , ue pouvait guere se depouiller du ^ 123 — magislial, etDieii sail si roplimisme esl possible chez un magistral ! Toujours est-il que, sice n'est pour I'arrondissement de Reims et pour la Noimandie , Touvrage de noire collegue ne seraitpeut-eire pas sans danger, car pour quiconque n'Labitc pas Reims, il est certain qu'apres Tavoir lu, on ne peut habiter que Granville. Dans un genre moins serieux, mais qui offre egale- ment un grand interet litleraire, M. Pinon a trace les phases de la chanson, depuis les bardes jusqu^au Ca- veau, dont I'auteur n'etait pas un des membres les moins feconds. Nous n'avons pas reconnu d'ailleurs sans orgueil que, dans cette longue galerie de chansonniers illus- tres, Reims a ses representanls, comme dans tous les autres genres, el que Tune des romances les plus ce- lebres sans contredit, Tai du bon labac dans ma taba- iiere, a pour auteur le clianoine Latiaignant , de notre metropole. Enfin, est-il bcsoin de rappeler, comme un moment de veritable bonheur litleraire , cette seance oil ma- dame de Sevigne, que tout le monde croil connaitre a fond, parce que tout le monde Paime, nous apparais- sait, sous la plume de notre correspondanl, M. Geru- /,ez, plus aimable et plus spirituelle encore que nous ne I'avions jamais viie. A propos des impressions de voyage, j'aurais dii parler tout a I'lieure des lettres de notre collegue M. Rondol , curieuscs non-seulement parce qu'elles sonldalees de Canton ou de Macao, mais parce qu'elles soul pleines de fails intercssants pour la litleralure et riudustrie. lien est unesurloul que j'aurais lue a I'as- semblee si elle ne m'avait paru entacliee d'lieresie et — 124 — propre a etablir un schisme dani^ereus pai mi nos cor- respondants. M. Rondot ydil, eii eiret, que nullepart il ii'a vu de femiiies aussi belles qu'en Chine. Or, comme nos aulres correspondanls insulaires, M. Ana- tole Derode, dans una lettre dafee de Santo-Domingo, M. Berthelin , dans une lettre datee de Taiti, disent absolument la meme chose, chacun en ce qui concerne ses parages; il y a la, ce me semble, sur labeaute ab- solue, une question que la section des beaux arts de- Yrait peut-elre etudier, nefut-ce que par amour-pro- pre national. La plupart de nos seances ontele,cetleannee comme les autres, terminees on plulol couronnees par des vers; ainsi nousayonseudcM. Pinon lEijlhedcvillaqe, la Fau- velle, le Nid el k Berccau; de M. Clicquot, le Papillon el la Fleur, la Cigale el VAbcille , Tobie, et plusieurs autres fragments traduits de Tecriture sainte ; de M. Wagner des apologues, des fables, un fragment philosophique, et entin des contes qu'il n'a pas tenu anousde vous faire entendre de la bouche meme de Tauteur, raais fju'une modestie esagereo renferme, a peine eclos, dans un carton destine par M. Wagner lui meme au mal- heureux sort des raanuscrits d'Alexandrie. Presque lout ce qui nous a ete adresse concernant les beaux-arts vient, comme toujours, de M. Maquart, dent ractiyite suffit aux dessins du dom Marlot, aux lithographies de nos comptcs-rendus, et qui, outre les belles planches dans lesquellcs il fait revivre, avec notre collegue M. P. Tarbe, tons nos anciens monu- ments, nous a communique un prooede nouveau des plus ingenieux pour dessiner a la plombagine. -- 125 — Nous avons recu iiussi de M. Pernot, mciiibre cor- respondant, plusieurs vues de I'ancienne Champagne et la collection demandeepar le roi, des bannieres de Ja France, depuis Clovis jusqiraii regne actuel ; de M. Farochon, le dessin d'une statue representant un enfant charge de plus de fruits et de (leurs qu'il n'en peut porter, spirituel eiublenie de ce proverbe : c< Qui trop embrasse mal efreint ; » De M, Ilippolyte Durand un travail complet et des plus reuiarciuablessur la restaurationde I'eglise romane de Saint-Menoux (Allier) ; De MM. Paris et Tarbe de St-IIardouin, des rap- ports sur les projets presentes pour le monument de Colbert par MM. Legendre et Walcher; De M. Kondot, un grand nombre d'objets d'art re- cueiilis en Chine, entre autres une guitare de sapin qui, d'apres M. Fanart, doit rendre les sons les plus curieux, et dont on doit regretter de n'avoir pu encore juger I'harmonie. Nous n'avons pas besoin de dire que la conipagnie s'est empressee de faire homutage de toutes ces curiosites au musee de la ville. Enfin, peut-etre devons-nous placer dans la section des beaux-arts, car elles precedent de veritables ar- tistes, la biograpliie du graveur Nanteuil par M. Su- taine, et celle du peinire Louis Perin, par son fds, membre correspondant. Dans les sciences legislatives et philosophiques, nous mentionnerons surlout, de M. Bonneville un fragment sur la necessite d'etudier comparativemeut les legis- lations elrangeres contemporaines; de M. de Vroil li!s, un inemoire sur les modifications demandees au — 1'26 — code civil dans rinleret de ragricuUiire; de M. Bour- donne, un essai de statistique generale a I'usage des ecoles primaires superieures : travail important, dont le rapport de M. Henriot-Delamotte a fait apprecier toute la valeur ; deM. Hubert, de Charleville, un exa- men approfondi de I'etat de renscignement priraaire; veritable commentaire pratique d'une de nos plus bel- les lois, ct que, d'apres le rapport de M. Contant, I'A- cadeniic a cru devoir signaler a Taltention publique par une medaille d'encouragenient ; de M. Wyld, une etude des plus interessantes sur Tanie et la raison ; de M. I'abbe Nanquette, un rapport sur la theologie a Fusage des gens du monde de notre collegue corres- pondant M. Ste-Foi ; enfin la derniere partie des Ac- tes de la province ecclesiastique de Reims, ct la deuxieme edition dun Traite de theologie morale par notre venerable president, qui monlre si bien qu'au dix-neuvieme siecle, comme au dixieme, les grands travaux de I'esprit peuvent donner aux prelafs plus d'illustration encore que la pourpre. Apres vous avoir entretenu de ce que la science a pu gagner a nos travaux, faut-il maintenant que, se- lon Tusage, nous ayons a dire ce qu'elle a perdu, ce que nous avons perdu nous-memes en nos coliegues qui ne sont plus? Mais la perte prematuree de MM. Houzeau et Maillefer est trop recente encore pour qu'il ne soit a craindre de reveiller de douloureuses sympathies. Leur memoire a d'ailleurs trouve au-de- dans et au-dehors de rAcademic de trop dignes inter- pretes pour que je songe a faire d'eux un eloge au- jourd'hui superilu. — 127 — Heureusenient, rAcadeinie ne pouvant s'associer en un scul jour tout ce qu'il y a crintelligence active au- tour d'elle, les breches ne lardcront jamais a se re- parer. Grace a d'unaninics sudrages, nous avons pu nous adjoindre, celte anitee, M. I'abbe Tourneur, que nous connaissions dcjii par son elegante traduction d'un cuvrage celebre de pliilosopliie italienne; M. Gosset, dont il n'est pas besoin de signaler les connaissances arclieologiqucs et le goiiteelaire pour les arts ; M. Er- nest Arnould, qui eiat etc, comme son frere, Tun de nos premiers laureats, si TAcaderaie, impatienle de mettre a profit ses fortes et brillantes etudes, n'avait eu hate de I'appeler dans son sein, sans attendre la fin des travaus qu'il destinail an concours Colbert. Tc'l est, Messieurs, le sommaire de nos seances ; vous ne pouvez guere les juger, il est vrai, par ce compte-rendu, que comme un artiste eloigne jugerait les tableaux d'une ecole en parcourant seulement le livret d'exposition. Mais de ce resume si court, quel- que long qu'il vous paraisse, il doit cependant resul- ter pour vous la conviction que, sans rever des suc- ces au-dessus de ses forces, T Academic n'est point restee au-dessous de sa mission. Cetle mission n'exige que du zele pour etre fidele- mentaccomplie ; elle se resume a conserver les souve- nirs et les gloires du passe; a develo|iper le present par une etude attentive des clioses d'actualite; a pre- parer I'avenir en decernant des recompenses publi- ques a tons les efforts dignes d'encouragement. AGRICULTURE. RAPPORT DE M. GEOFFROY DE VILLEKEUVE, Messieurs , De lous les eleinenls qui constituent la force et la richesse d'un pays, il n'en est pas de plus incontes- table et de plus puissant que ceux qui se rattachent a Tagriculture; aussi done I'Acadenaie deRcims,con- \aincue de celte verite , entoure de toutes ses sympa- thies cette source feconde de pro?perite publique. Suivant avcc perseverance la ligne qu'elle s'est tra- cee, secondce dans ses elforls par le zele d'un bien- ■veiilant anonyme, que lout le raonde reconnait quand il s'agit de sentiments genereux , tous les ans elle re- serve des encouragements pour les travaux pratiques et consciencieux qui repondent avec succes aux ques- tions d'agriculture pose'es par I'Academie. Elle n'a qu'a se feliciter de cet beureux appui , car tousles ans les memoires arrivent en plus grand nom- bre, et lui donnent Tcspoir de voir se developper de plus en plus cet art , le premier et le plus anciea de tous, dontl'origine est divine et sacree. I — 129 — L'an dernier, I'Academie niit au concours Ics ques- tions suivanles : 1" Quelle est la nature exacle des diirerentes terres arables de I'arrotidissemeut de Reims? 2° Quelle est ia quanlite de funiier a y mcltre par hectare ? 3" Comment convient-il de remploycr? i° Est-il plus utile de furaerleslerros de cct arron- dissement lous les Irois ans, que tous Ics neuf ou dix ans? 5° Doit-on employer le funiier avant ou ?pres que la fermentation putridc a produit ses ellets? Certes, ce programme elait bien dignc d'excitcr les recherches desagronomcs denos contrces. Ces questions sont toules fondaraentales , et sans lour solution point de culture possible. On nepcut, en eQet, nier que de la connaissanee exacle des lerres arables decoulent tous les principes de I'agri- cuHure. Les elements generateiirs que renferme le sol sont presque lous des elements cliimiqucs^ qui , par leur combinaison dans des quanlitees donnees, eoncourcnt a la reproduction. Si done vous pouvez avoir Tanalyso parfaite du sol auquel vous eonflez les graines , 11 vous sera facile de signaler les elements qui predominent et ceux qui mnn- quent, et vous pourrez des lors , en introduisaut ceux- ci dans le sol, arriver a unc composition parfaite. Telle est toute la science des amendements ct des engrais. Trois memoires sur ce concours ont dte remis a voire commission ; elle a bien voulu me charger de vous en fairele rapi»ort. — 130 — Le premier porlant la devise suivantc : Des aliments en plus grandc abondance et de meilleure quaUle,nn peu de me'nagement dans le travail , V introduction des prairies ariiftcielles , le perfectionnement des instru- ments araloires , b bon entretien des chemins j^euvenl [aire plus pour la pruspe'rile de nos animaux domes- tiques que rewploi de nouveaux reproducteurs,» repe- lee sur un billet caclielc dans lequel se trouve le nom de I'auteur, qui nous est inconnu, a paru a voire com- mission beaucoup Irop sommaire ; il est a regrelter qu'il n'ait pas cru devoir donner plus de developpe- ment a son travail, qui, sous plusieurs points , renferrae des idees fortjustcs, mais Irop bricvement espriuiccs. Esperons que Taulour de ce memoire ne se laissera pas decourager par eel echec, et que plus heureux,ilsaura prendre sa revanche. Le second meraoireportant le n° 3, estde I\I. Maillct de Reims, dont le nom vuus est connu; vous Uii avez decerne le liire de raembre correspondant. Son travail est plein de recberches precieuses : heureux dans ses souvenirs, il acoordonneavec un soin eclaire les prin- cipes les plus utiles , puises aux nieilleures sources. Nous le felicitons d'avoir su appreeier les services que la science pent rendre a ragriculture,et nous nous empressons de repeler avec kii les axiomcs qu'il cile a cetle occasion, convaincu que Ton ne saurail leur don- ner unetropgrande publicile. La science apprend a reconnaitre les alimenls des plantes el les sources auxqnelles elles les puisent ; ayons done soin de bur prodiguer ces alimenls. M. Maillel di\ise rarrondissenient de Reims en trois >astes bancs suj ci ficiels : 1" Celui infeiieur, qui est eu craie ouchaux carbo- — 131 — nalee,el qui se trouve surtout dans les cantons de Beine, de Bourgogne el de RciiDs ; 2°Celui qui est iraraedialemenl au-dcssus, qui forme !a base desmontagnes de i'arrondisseuient, est en sable charrie par leseaux; 3" Enlin le Iroisieme , qui existe au-dessus des deux autros, qui forme la partie superieure des montagnes , est en argile,aussi charriee par leseaux. Ici I'auteur passe en revue les caracleres dislinctifs des sables calcaires. Mais, comme il a puiseses rensei- gncmenls, ainsi qu'il le dit lui-meme , dans la statis- tique de M. Clialelte [lere, nous ne I'y suivrons pas et, sansnous arreter a un tableau Ires-bien fait , portant I'indication de la profondeur des puils et des terres fraversees pour le percoment de cos puits dans cliacune des communes , nous nous empresserons d'arriver a la partie la plus digne d'elogcs de son trayail, nous vou- lons parlerdes amendements et des engrais. Amender une terre , c'est, selon M. Maillot, trans- porter pen a peu sur celle terre les elements qui lui nianquent ; c'est metlre du sable et de I'argile sur les terres crayeuses , de I'argile et de la craie sur les sa- bleuses, de la craie et du sable sur les terres argileuses, de maniere a les composer loutes de parties egales de craie, de sable et d'argile , parce qu'ainsi composee, une terre diivieiit jilus permeable aux raeines, les abrite mieus,a plus defacilite a sVchaulTer, et enfin , apres avoir ele penetree d'uiie douce clialeur et d'une hu- midite convcnable, est la plus propre a Us leur con- server. Les engrais sont I'lime de Tagricidture ; la saine theorie el Texperience enseignenl que cliaque recoltc cnlevc du sol certains principes de fecondile qu'il faut — 132 — remplaccr yrw des cngrais abondaiils. Cepeiulanl la quanlile deces engrais varie suivant la nature d» sol et suivant Ics plaotes qui s'y sont developpees ; on ne pcut done que fixer approxiinaliveiuent la quan- tile d'cny,rais qu'exige chaque hectare ; celtequaiitile doit elre aussi modifiee par la nature de I'engrais em- ploye . M. Mailleta traite avec un grand soin toute celte partie ; il dit qu'en moyenne par hectare, il faut envi- ron 44,000 ki!. tous Ics cinq ans , pour les planles epuisante*, teiles que les cercales, belteraves, etc., etc. Si on alterne avec les plantes fourrageres , la menie quantite suffira pour dixans. L'auteur dunienioirenous dit que raalheureusement la culture qtii nous environne ne connait pas encore assez Ic prix des engrais dans les villcs. Si on savait niieux les recueillir, on s'aflranchirait en grande par- lie du fumier des bcstiaux , et par la se trouverait re- solue I'une des questions les plus difficiles, en dispcn- sant le cuUivateur des soins et dts risques d'un bctail nombreux dans des localites ou la terre peut elre em- ployee plus ulilement qu'a la production des four- rages. Nous pensons avec I'auteur du memoire que le miens est de repandre le fumier et de le faire renfermer aus- sitot dans le sol , de maniere a eviter I'evaporation des gax, a ralentir I'aclion du soleil el des pluies, el a faire emmagasiner, en que'que sorte, par les parcelles dc lerres voisines dc I'engrais, les ga/> resulfanl de la de- composition des elements de I'engrais, pour les resti- luer peu a peu aux plantes , suivant le developpement de la vegelation. M. Maillet nous a parle d'une melhode suivie avec le — 13:? — plus grand siiccesdans la plainedeNismcs; il voudrait la voir adoptee par les cultivateurs de nos pays. Ellc consistea employer le fiimier a haule dose, el a clever ainsi rapidement la fecondile du sol , auquel on confie d'abord des leguiiiineusps vivaces, qui sont ensuite lemplacees par les ccreales. Du reste, celle methode est signalce dans les auteurs. Les sels ammoniacaux ^ont la parlie la plus active de la vegetation ; les fumiers en contiennent beaucoup a I'etat de carbonate, qui se volatilise a une temperature peu elevee. Cos sels se pcrdent en grande quantite, quand ces fumiers sont sourais a la fermentation , et qu'ils restent exposes des semaines et des mois enticrs a I'airet an solcil. Des lors, I'cmploi du fiimier, immedialemcnt apr^s sa sortie dcsctables, csliriConti'stablement le plusavan- tageux. Les fumiers fraisconviennenl aux tcrrcs adhdrentes, tpnaces, compactes ; ils agissent sur dies a la fois comme amendenicnt et romme engrais. Les fumiers reduits en un elat moyen de decomposi- tion convicnnent principiilcment aux tcrrcs de moyenne consislancc, parcc qii'ils produiscnt des eft'cts [»lus du- rables que les fumiers decomposes. Les fumiers gras et decomposes s'appliquent avan- tageusc.'uent aux sols Icgers donl ilscorricrent I'incolie- sion, en liur conservant en racme temps la fraiclicur necessaire a la veuelalion. Tel est le resume du travail de M. Maillet. Tout cu regrellant qu'il n'ait pas approfondi davanlage la con- naissance exacle des terres arables, et qu'il ne nous ait pas iiidique les moycns jiratiquos pour arriver a cette coiinaissancc , nous !e leUcitoii? Iiautciiiciil de la ma- — 1.3/i — nieie facile ctdaire dont il a liaite la qucsUon des fii- miers. Nous netermineronspas sans manifesler notreeton- nemcnt de ce qu'il a oublie de parler des terrains lonr- beux qui tiennenl une si vasle place dans I'arrondisse ■ mcnt de Reims. Malgre les lacunes que presenle son travail : Voire commission, appreciant tout ce qu'il renfernic d'ulile, vous propose d'accorder une mention honorable a I'auteur qui a cu le merite d'etudier avec lantdezele les verilables principcs , qu'il semble pour ainsi dire se les elrc appro pries. Le troisieme memoire est de M. Edmond Arnould , frere d'un de nos honorables collegucs. Ce travail est entierement pratique, ct Ton voit que I'auteur atenu plus au fond qu'a la forme, ce dont nous lui savons bon c^re. Car en agriculture, cesont plutot les fails ma- teriels que les theories brillanles qui font marcher la science. Pour arriver a la connaissanceexacte des terres ara- bles, M. Arnould les a etudiees sous les rapports me- teorologiqueSjgeographiques, geologiques, physiques el chimiques ; il a constate el la nature ct la quantite dc de chacune de ees terres dans les difl'erenls cantons qui composent l^arrondissement. II resulle de celte partie deson travail que I'arron- dissemerit de Reims renferrae : T, . 398 Encra.es — ^ En Pierres ,|^^ En pierrotis -^^ En terre rouge -^^ I — 135 — En greve _^ louo En sable 21. 1000 En greve c!e moMtagne ilP 1000- En argile Ji. ■ ' ■ 1000 En linion IL 1000 En roiigiere .^ ° 1000 Les moyens qu'il a employes pour arriver a ce re- sultat offrent une grande securite. INous regrellons seulementqu'ils ne soienl pas plus a la portee des per- sonnes ink'iessces a repeter frequeninicnt ceile expe- rience : peul-etre serait-il possible do ieur donncr une ai^plicalion plus facile. Apres avoir constate la nature des terres que rcn- ferme rarrondissenient de Reims, I'auteur nousdonne I'analyseexacte des principales terres deTarrondisse- ment; de cette analyse, il resulte que c'est le limon qui presente les conditions les plus satistaisantes. Se livrant ensuite a Tetude des proprieles physiques des lerres, M. Arnould rcmarque que, sous le rapport de la densile ,'lc iimon I'emporte sur les autrcs terres , landis c^u'au contraire , c'est la greve de montagne qui absorbe la plus grande quantile d'eau. La lerrecalcaire est celle chez laquelle la dessica- lion est la plus sensible. La greve possede plus que toutes les autrcs les pro- prietcs hygromelriques. L'argile est au dernier degre sujette au relrait. La conductibilite des terres par la clialeur predo- uiiue dans la craie. — 13G — J)e I'etudc t'aitc par M. Arnouldl , il resulle que les tcrres de i'arrondissemetit peuvenl etre classees dans Tordre suivanl, eu egard a leur fertililc : 1. Limon. 2. Rougieres. 3. Terres rouges. A. Terres de prairies ou d'ajaux. 5. Sables. 6. Greve de montagne. 7. Terres blanches ou craie. 8. Greve de vallee. La crainle de fixer votre allenlion pendant Irop hjrrg- teiups sur des matieres aussi arides, nous cmpechede suivre I'auleur dans tous les details pleins d'exactitude que renferme son memoire ; il elait impossible de trai- ler avecplus de soin cette parlie de son travail, et vo- ire commission verrait avec plaitir qu'elle sevulgarisat autanl que possible. M. Arnould dil avec raison que la quantite de fu- mier varie avec I'assolenaent ; elle varie aussi suivanl la qualite des lerres dans lesquelles il doit etre enfoui. Dyns les terres blanches, on met tous les neuf ans de cinquanle a soixanle-cinq mille kilogrammes de fu- mier par hectare. Dans les greves de vallee, il faut enfouir tous les six ans la memequanlite de fumier par hectare. Dans les greves de monlagiie, on allerne le fumier avec un pare : cinquante mille k"' sont sulTisants par hectare. La rougiere comporte une quantite plus faible, d'un sixieme environ. 11 en est dememe pour le limon, maisle fumier qui lui convicntest plus pailleux, el par consequent plus leger. — 137 - Le furuier Ic plus consomme, celui provcnaiU dcs beles a cornes, s'emploie specialemciit dans les sables. Sculcment dans les pays montueux et dans les Icrrrs calcaires et sablonncuses, il serait souvenl bon d'em- ployer le furaier en couverture ; il a Tavantage d'y re- trnir I'liumidile. D'accord avee {'opinion generalement admise, I'au- tcur du rasmoireestd'avisqac Pcnfouissemenl doit etre inamediat; il fail cependanl une exce[!lion en faveiir dcs fumiers tres-moudles qui sortenl d'une fosse, dans liqiielle ils onl c'te longtemps baignes do mare : cos inatieres ont, en effet, besoin d'absorber unc cerlaine dose d'oxigene pour la decomposition des matiercs non azotces. II vaudrait mieux funier moins, et plus souvent ; si la pratique ri'est pas d'accord avec cetle opinion, il faut en chercher la cause dans le peu de duree des baux et dans la culture du fromeni, qui est (leu propre aux terres blanches el exige une dose considerable de fu- mier. Pour que les fumiers contiennenl tons les principes fertilisanis, il faut qu'ils aient subi un commencement de decomposition, et qu'ils aient sejourne pendant un certain laps de temps dans les cours. Du restc, une foule de circonstances impossibles a signaler dans cet apercu rapide peuvent influer sur ces principes generaux. Voire commission , Messieurs , apprecianl toule I'exaclitude scrupuleuse et pratique du travail ile M. Arnouldjvous propose, a I'unanimile, de lui de'cer- ner le prix d'agriculture, ct elle vous prie de voiiloir bien I'engagcr a fairc publier son raemoire ajires Pa voir mis, aulanl que possible, a la portee des cullivateurs. — 138 — Nous esperons 5 Messieurs, dans cc rapport, vous avoir prouve d'uue maniere incontestable lesprogresde Tagricullure dansnotre arrondissement. Continuez a lui tendre line main bienveillante , et soyez convaincus qu'elle ne vous fera pas defaut;'si un jour, comme nousaimons a le croire, ragricuUure re- moise se place au premier rang, I'Academie pourra re- vendiquer una part de cetle gloire , et ce ue sera pas sou moindre litre a la reconnaissance du pays» LECTURE 1)E M. GUILLEMIN. RAPPORT SUR LE CONCOURS COLBERT. Messiel'us, L'Acadeiuic de Reims , dans ses concours , airiie a proposer des noms rciuois, comnie objet d'etudes, aux ainisde la science.Quelques-unsdeces noms d'ailleurs, par les grands souvenirs qui s'y ratlaclient, appartien- nentariiistoire nationale, etde bonne lieure lis ontdu fixer son attention et determiner son choix.Parmi ces personnages liistoriques qui sont nes ou qui out vecu a Reims , il en est un qui , par la grandeur de son role, par I'etendue de son action, par I'eclat des ser- vices qu'il a rendus a la France , avail parliculiere- ment droit auxhommagesdc rAcademie : c'est Colbert, ce fils d'un marcliand de Reims, qui futie plus grand ministre du plus grand de nosrois. La ville de Reims, Messieurs, pcut s'cnorgueillir a bon droit d'avoir donne Colbert a la France ; elle doit en etre fiere surtout parce que, sur le plus grand thea- tre qui puisse etre oflert a Tactivite humaine , cet homnie illustre represcnte dans sa plus haute expres- sion le caractere propre et le genie jjartioulier de sa ville nalale. C'est en mellant au service du pays ces qiutliles solidesplus que brillantes qui ont cree et qui — 140 — conservenl la fortune dc cette ville, que Colbert, an XVII* siecle a prepare celle de la Franee. Ces qualites fares qu'ila deployees dansle maniement des interets d'un grand royaume ne sont pas differentes de celles quiassurent la prosperite d'une maison parliculiere. Colbert se distingua surtout par une application infinie, par un admirable esprit d'ordre, d'exactitude etde re- gularitedans les affaires, par une grande rectitude de jugement , par line rare prevoyance . et une parfaite loyaute. II elait persuade, dit I'abbedeChoisy, que la bonne foi dans les affaires en est le fondement solide, et le merae auteur ajoute qu'il rcglait I'etat coinme une maison de banque. Vous reconnaissez la , Messieurs , I'influence de cette education marchande, laborieuse, Iionnete, severe qu'il avait recue dans sa ville dcReims. Toutefois, ce genie economique de Colbert n'aurait jamais eleve si haul sa gloire et la fortune de la France, s'il n^ei!it ele agrandi par le sentiment national, si la Providence ne I'eut approche d'un jeune prince qui , a ces faculles precieuses du roturier de Reims, joignail tous les instincts d'un grand monarque. Colbert avait besoin de Louis XIV pour devenir cet illustre minislre que nous admirons , et peut-etre Louis XIV lui-meme serait-il moins grand, s'il n'eut garde Colbert pendant vingt-deux annees. Aussi, Messieurs, le nom de Col- bert restera-t-iltoujours inseparable de celuide Louis le Grand, et ce sera pourlui uneternel honneur d'avoir attache son nom a la plus belle periode de ce regne immortel (1661 — 1683), Dans ce xvii*" siecle qui pro- duisit, avec une si merveilleuse fecondite, les chefs- d'oeuvre et les grands hommes, Colbert est un de ceux qui ont le plus fait pour la gloire de la France, un de ceux qui out pris la part la plus active a ce grand — lil - - mouvenient (jui nous a places a la l^ledclaciviiisalioit europeenne. Voila pourquoi , Messieurs , au moment on la ville de Reims va elever une statue au plus noble de ses enfants, au moment oil d'habiles artistes se dispulent riionneur de reproduire celte severe pliysionomie , TAcademie a pense qu'elle n'avait rien de mieux a faireque de metlreau concours la question suivante : Eludier la vie^ Ics iravaux de Colbert, ct appre'cier son influence sur son sikle. En nous faisant eonnailreles reformes, les innovations qu'il aintroduites danstoutes les branches de ractivite sociale , les concurrents elaient nalurellement amends a nousdevoiler le secret de la grandeur de la France au xvii'' siecle, et a nous expliquer les causes de cette merveilleuse transforma- tion qui s'opera en France a celte epoque. Les espe- rances deTAcademie ont-tUesete realiseesPles condi- tions du programme ont-elles ele remplies? vous allez le coraprendre. Deux memoires ont particulierement attire I'atlen- tion de la commission, et quoiqu'ils ne s'elevent pas a toute la hauteur oil I'Academie veut maintenir ses con- cours, ils lui ont cependant paru dignes de quelque eloge , et elle a juge qu'ils ne devaient pas rester sans recompense. L'un de ces memoires, inscrit sous le n" 2, et portant pour epigraphe ce vers deCorneille : Jc ne dois qua moiseul toute ma renommee, ne coiitient pas moins de cent pages, quclquefois rem- plies de eurieuses recherches et de details interessanls. Maliicureusement I'auteur n'a pas su en lirer lout le parii possible, el sa niise en ceuvre est tres-detec- — 142 — tucuso. II a eu le tori de diviser son travail en Irois livres, donl Ic premier est consacrea la vie de Colbert, le second a ses travaux , et le iroisieine, qui est fort court, presente les resultals generaux de son minis-- tere. Un lel plan condamiiait necessaireraent I'auleur a se repeter souvent; car commeiit sejarer les travaux d'un homnie de sa vie, cl, a moiiis de se borner a une seclie analyse, comment, en exposant ses travaux, ne pas en indiquerla portee?Maintonant, suivons-letres- rapidemenl a Iravers ses recherches , qu'il appuie presque loujours sur des texles indiques avec le plus grand soin. Colbert arrive en 1627 a Paris, et, en 1648, a I'e- poque du traite de Weslphalie, il cntre dans les bu- reaux dc Mazarin, qui gouvernait la France pendant la minorite dujeune Louis XIV; la Froudeeclale, et Mazarin est oblige de resigner momenlanementle pou- "voir. Mais I'liabile miuislre, qui s'appuie sur la passion qu'il a inspireeala regenteAnnc d'Aulriche, continue a gouvernerdu fond desoncxil, etc'cstlejeune Colbert que le cardinal et la reine prennent pour conQdent de leur correspondance secrete. Tel est le credit dont il jouitpendant les dernieres anuees du ministere de Maza- rin; telle est la confiance de celui-ci dans sa capacite, qu'en mouraiit,il ditau jeune roi que, tout convert de sesbienfaits, il croit s'acquilterenversluienluidonnant Colbert. Mazarin meurt, et, le lendemaiu de sa mort, Louis XlY prcnd possession du gouvernement. Colbert sort de I'obscurile et de la poussiere des bureaux pour entrer dans les conseils du jeune raonarque. Fuisque I'auteur iciavaiteu I'heureuse idee de nous faire con- naitreles premiers rapporls de Colbertavec Louis XIV, il aurait dii. nous le inoulrer exercanl d'abord son in- 1 — l/i3 — fluenccsiir Ic jciinc roi avant de I'ctcndrc a la France entiere. 1! aurait du nous rcpresenler le filsdu mar- chand de Reims enseignant radministralion a Louis XIV, dont I'educalion avail die si negligee^ et recevant de lui \es nobles inspiralions qui venaicnt agrandir toutes scs idees ettoutcs ses conceptions. Nous aurions voiilu yoir Colbert eclairant I'esprit de Louis XIV, et Louis XlVeievant Tame de Colbert. Nous ne savons, du restc, oil I'auteur a trouve le portrait qu'il trace de Colbert, «qui, dit-il (page 2), cacliait soussa rude enveloppe la douceur d'uncfemme et la candeur d'un enfant. » Ce n'est pas la I'idee que nous en donnent ses con- teniporains. Suivant Tabbe de Clioisy, « Colbert avait le visage naturclieraent renfrogne. Sesyeux creux, ses sourciis dpais et noirs lui faisaient une mine austere, et lui rendaient I'abord sauvage et negatif. » Ajoutons, avecle s|)irituelLcinontt'y, que jamais la nature n'avait plus aprement ecrit sur les trails d'un homme sa vocation pour elrc ministre des finances. Dans ses audiences, il elail loin d'etre aimable, et sa lacilurnite glacait d'cHroi tousles soHiciteurs. Unjour, unedame, irapatienlee de son silence, lui dit : u Mais, au raoins, faites-moi signe que vous m'enlcndez. » Voila !' homme, Messieurs, qui retablit les finances, si delabrees a la mort de Mazarin (1) ; qui ciea riiuluslrie francaiso, reorganisa notre marine, fonda la pliipart de nos aca- ( 1 ) Mnllft appclle un temps de (Ihordre. pour les finances loule radmiiiistratioii du cardinal Mazarin, jusqu'eii 1 no 1 ; vn tewpsd'ordtc, cclui du controle general de Colbert .jiiaqu'en IcS,) ; un lemps de be- som , cclui (pii sV'Couln dcpuis 1089 jnstpi'a la mort de Louis XIV, en 1715. — la — demies (I), fit elever tous ces oioimmenls qui sonl en- core aujourd' Ira i les plus magnifiques symboles de la civilisalion francaise (2). Toiile cette partie du raomoire que nous exaniinous est assez complete ; les grandes innovations de Colbert et ses reformes les plus impor- tantessont indiquees : sculement, on ne voit pas assez, a Iravers celte erudition, que la pense'e de Colbert, que sa constante preoccupation est de regler, d'organiser toutes choses de la maniere la plus equitable et en meme temps la plus productive. ( 1) Quoique sanslettres et presque sans goiit , Colbert favorisa tous Ips arts liberaux. Dans un plan dedepenscsde I'annee 1672, on Irouve CCS mots rcmarquables : » II n'y a que le roi en France qui fasse tra- vailler les sculpteurs, peintres et autres ouvriers habiles ; siSaMa- jeste ue les occupe, ils iront chercher ailleurs de quoi gagner leur vie. • En 1671, fondation de racademie d'architecture. Entretien d'unc ccole de Rome et fondation d'une autre academie de peinture et de sculpture. En 1672, permission accordee au sieur de Lulli pour tenir academie royale de musique. « Tous gentilshommes et daraoiselles y peuveiit chanter, sans que pour ce ils soient censes derogcr a leur titre de no- blesse , privilege, charges , droits, immunites, etc. » En 1671 , ua cours public dechirurgie et de pharmacie est etabli au Jardin royal des plantes. La bibliotheque du roi est portee de 16,000 vol. a 40,000 par Col- bert. II se forma a lui-meme une bibliotheque immense dont les seuls manuscrits, vendus plus tard au roi parson petit-fils, composaient plusde 14,000 volumes. Devance par Richelieu dans I'institulion de rAcadiimie francaise, ilvoulutau moins I'honorer en la logeant au Louvre et en engageant le roi a se declarer son protecteur. (2) « Rien ne marque d'avantage , ecrivait-it a Louis XIV, la gran- deur et I'esprit des princes que les batiments ; et toujours la poste- rile les mesure a I'aune de ces superbes machines qu'ils ont con- struites pendant leur vie. » Paris lui doit ses boulevards interieurs , le jardin des Tuileries, les portes triomphales St-Denis et St-Martin , des etablissements de police et de surete , I'Observatoire et la facade du Louvre. L'hotcl des Invalides fut commence en 1071. — 145 — Oi DC voit pas bieri cuiumonl, par I'XCuipU:, dans retablissciueulde I'inipot, ilans la repartition des cluir- ges publiques, Colbert s'eflorcc de diminuer peu a peu cetle odieuse inogalile qui exisic entre Ics differcntc.s classes de la soeieie. Tellesetaient, Messieurs, la bizar- rerie_,rinjustice de noire ancien ordre social, quecciix qui ptjssedaienl le moins [jayaieut le plus, ct que la iaille, par exemple, c'est-a-dire I'impot loncicr, n'altei- gnait que le pauvre peuplc, qui possedait seuleinenl le tiers du sol de la France. 11 n'y avait qu'un moyen d'alteindre les classes privilegiees : c'etait d'auginentor les contributions indirectes , qui frappaient lout le monde ; c'etait de doaner un nouveau developpoment aux aides, c'est-a-dire d'accroitre et de multiplier les taxes sur les consoramations. C'estlu un cote important du systeme financier de Colbert, ct ii fallait I'etudier d'une maniere plus complelc. On ne voit pas non plus, dans ce memoire, par quels moyens Colbeit augmente le nombre descontribuabk'S, en favoiisant I'accroissc- menl de la population, et comment, en augmcntant la population , il accroit les forces du royaume. En exemplant de la (aille pour cinq ans, (juiconquc so marierait a vingt ans, en accordant une exemption perpetuelle aux raenages qui auraient six enfanls, en interdisant la fondation de nouveaus ordrcs religieux, Colbert ajoutail a la puissance el a la richosse de la nation, el il rendait possibles ces longues guerrcs qui absorberent, il est vrai, une grandequantite d'liommes et de prodigieuses sommes d'argent, raaisqui, il faut bien le reconnaitre, ont fonde la [ireponderancfi poli- tique et niiiitaire dela France en Euroi)e. Apres avoir etudie radininistralion flnanciere dc Colbert, rautoui Iraitc successivement du commerce, ~ 14G — de I'industrie, de la inarinc, de ragriciillure el dcs beaux-arts, et ici son travail n'esl guere que la repro- duction de ce qui se lit dans lous les ouvrages de se- conde main sur le xvii'' siecle. Colbert nous apparait dans son tableau, creant des routes, ouvrant dcs ca- naux, joignant les raers, fondant des colonies, lancant surl'Ocean ces flolles forniidables qui vont disputer a la Hollandeet a TAngleterre la domination des raers, comme nos arniees de terre disputent aux puissances rivales la supremalie du continent. Le principal merile de celte parlie du memoire est encore I'erudilion, et son defaut I'absence d'idees generales qui fassent res- sortir cette transformation sociale qui s'opere sous rinfluence d'un grand homme. Celte transformation a echappe a Tauteur du me- moire n" 2, qui n'a pas vu comment, par leddveloppe- raenl donne au commerce et a I'industrie, la propriele mobiliere a pris en France, a cette cpoque, une impor- tance, une valeur qu'clle n'avait pas cues jusque-la; comment, par Timpuhion donne'eal'esprilhumaindans tous les sens, un homme, par son genie, a ete, sous le plusabsolu des monarques, le plus puissant promoteur de la liberie politique et de I'egalile civile. Malgre toulesces lacunes, 1' Academic a dii neanmoins lui tenir tompte de son travail, etcUe lui accordc une mention honorable. J'arrive au memoire porlant le numero 4 et pour epigraphe ces paroles de Colbert : c< Je voudrais quo mes projets eussent tine fin heureuse, que le royaume jouil des douceurs de Vabondance, que tout lemonde yfiit content , et, sans dignitc's, sans hon- neurs, e'loigne des affaires puhiiques, voir Pherbe croitre dans mes cours. » — U7 — I/auleur, Messieurs, avail, ce scmblej loulcc qu'il fallait pour salisfaire aux conditions du proi^ramnie ct pour s'dlevcr jusqu'au prix offert par I'Acadeinie ; une inleiligence assez large du grand mouvcment du xvii® siecle, dans les idees une parfailc clarte qui se rcfleto dans un style presque lonjours noble ct olcvd, une excellcnte distribution de la raatiere. Joignez a ccla une certaine cludcur d'auie qui vivifie tout ce travail, une certaine elevation de sentiments qui fait mieux res- sorlir encore la grandeur de cetleepoque; vouscom- prendrez aisement la superiorite incontestable de ce raemoiresur ceiui dont jc viens de vous entretenir, et. vous rogretlercz, avec la commission, que le pen d'eicn- due et dedeveloppenient donne aun aussi grand sujef, que ledcfaut de science, enfin, n'ait pas permis a I'A- caderaie de lui donner le prix, raais seulcmcnt une me- daille d'argent. Ce travail est uneesquisse assez facile, assez brillante meme du minisiere de Colbert, mais cc n'est pas nnn plus une appreciation complete de I'in- flucnce prodigieuse que eel homme a excrcee sur la societe francaise. Examinons de plus pres ce Iravail. L'autour enlre en maliere par une large ct belle in- (roductidu, dans laqiielie il presente le tableau de la grandeur de la France an xvir siecle. 11 nous montre « les dcrniers vesliges de la barbaric ellaces tout-a- » couj), comme par encliaiitement ; a lour place, les » lumieres, la politesse, tous los bienfaits do la civi- » lisalion moderne; les vrais principes de la polilj- » que appliques , pour la premiere fois , avec un » ensemble, une suite et dcs resuKals aiiparavant » inconnus ; les sources et I'cmploi dos revenus publics rt ouverls pour la i)remiere fois aux princes et aux liom- )) mes d'etat; rinleUigcnce el I'ardeur d'unc popula- 10 — I/i8 — )) lion tlovistanle, louriiee par ties mains liabilos vers » loutes Ics carrieres de ractivite humaine; les riches- >) ses du pays echangees conlre les denrets du mondrt » enlier par un commerce immense, el, sous la lulelle » d'lme main formidable, la polite du rojaume et » tonics les parlies de I'admir.islralion regies par des w codes, des ordonnances, des reglements d'une sa- » gesse admirable, el doul la pluparl servenl encore » ou onl servi longlemps de base a la pralique et a » la lewislalion de nos voisins ; les plus beaux monu- » menls de la science et des arls s'elevant de lous co- )) les a la voix d'une protection cclairee; les chefs- )) d'oeuvre de Teloquence rivalisanl dans tous les gen- » res avcc les niodeles de I'antiquite, et paraissant 0 comme les Iruils necessaires de cclle merveillcuse » epoque ; la France devenue par son hospilalile la pa- » trie des celebrites etrangeres , telle est I'esquisse » imparfaile des travaux et des succes qui out illuslre » la nalion et le gouverncmcnl a celle epoque. » L'inslrumcnt de celle oeuvre merveillcuse, c'esl Col- bert. L'auteur eludie eusuite la situation de la France a son avenemenl au pouvoir et a sa mort, et il lire de la sa division bien simple el bien nalurelle, en deux parlies. Dans quelle laiblesse, dans quel chaos Col- bert trouva-t-il la France? lei est le sujet de la pre- miere partic; dans quel ordre, dans quelle pros- perite I'a-l-il laissee? c'esl ce qu'il examine d:ms la seconde. Dans la premiere parlie, il rappelle les essais d'ad- ministralion tenles par saint Louis, par Philippe le Bel el par les Valois; puis arrivant au xvii* siecle, il nous montre les tenlatives de Sully interrompues , et la France relombanl, sous Richelieu et Mazarin, dans le — I'i9 — Cfihos administratif d'oii le genie de Henri IV, seconde par Sully, avail essaye de la tirer. C'est que. Mes- sieurs, la politique absorba, pendant tout le regne de Louis XIH, la grande anie de Richelieu, ef , pendant la miiioritd de Louis XIV, toule I'liabilele de Mazarin. C'esl que, avanl lout, il a failu cons^liluer d'une raa- riiere solide le pouvoir monarchique, il a fallu renver- ser tout ce qui fait obstacle a la centralisation politi- que, il a fallu abaltre les grands et les protestants: c'est I'oeuvre de Richelieu. En meme temps, il fallait relever I'ascendant de la France en Europe, et etablir sa preponderance sur les mines de la maison d'Autri- che. Richelieu a commence cetle entreprise dilficile, et Mazai in I'a achevce par les glorieux traites de West- phalie ct des Pyrenees (1648 — ■ 1659). Mainlenant, il s'agit d'organiser les forces du royautne; il s'agit d'etablir dans la societe francaisc I'empire de I'ordie et de la regie; il s'agit de fonder I'unite. Ce sera la tache de Louis XIV, et c'esl Colbert qui se chargera de I'executeren grande partic. L'au- teur trace ici le Iriste tableau de la situation finan- cere de la France en IGGI, et il Tcxplique par les \ices inherenls au sysleme financier, par la corrup- tion des agents du fisc ef par le mallieur des circon- sl;inces. Le commerce, lindustrie n'etaient pas dans un etat beaucoup plus prospere(l), et quclques vais- pcaux delabre's represenlaient alors toule la marine francaisc. Colbert se met a I'ceuvre avec unc aclivile (l)Onpeut voir dans Forbonnais le triste ctat oii se trouvaille cominercc dans les reraontrances adressces au roi par les six corps desinarchandsdc Paris, en 1054, ct un Memoire adresse a Mazarin, en lf)59, sur les causes de la decadence du commerce del.yon. — Forbon- nais, pages 128, l'i3 el suivanles. — J-)0 — infaligable, et, en quelques annees. la France sc niela- morphosc, pour ainsi dire, sous son aJminislration.En uienie temps qu'il s'efforce, par lousles moyens, d'eta- blir requilibre entre la recelle et la depense, qu'il cher- che a asseoir I'impot d'une maniere plus conformc a I'equile et a la justice, il cree pour le peupli?, c'esl a- dire pour la grande raajorite de la nation, une autre richesse que celle de la terre, en employant son intel- ligence et son activite a transformer les produits du sol par I'industric et a les faire circuler par le commerce. Non-seulenientlaroture,desheriteedelapropriete, dont les deux tiers appartiennent auclerge el a la noblesse, pourra ainsi arriver a la fortune, mais 1;« France, tribu- taire aup:iravant des nations elrangeres, pourra desor- luais ecbapper a cette facheuse dependance, et ses ca- pilaux cesseronl d'aller enricbir I'Angleterre et la Hol- lande (1). (I) Colbert rcndit le commerce indcpendant de I'etrangcr. .' L'cxclusion du commerce des iles dont les Hollaudaissont frappos, » leur enleve tons les ans pour 4 millions en sucrc qu'ils envoyaient » dans leroyaume. Les serges, has et draps leur 6tent encore autaiit • pourle moins. » Les points de Genes el de Vcnise sont mines dans ces villes et » leur otent 3,GOO,ooo llvrcs. » Les glacos leur otent un million. » Tous les etablissements nouvcaux ont donnc ;i vivre a une infi- » nite de peuples el ont conserve I'argent dans le royaume. » ( Extrail d'un rapport aii roi.) Les marchandises de la Flandre conquise coatinuaicnt d'aller en Espagne et en Portugal , par Ostende , en Italic par rAllemagne. Colbert leur accoxAc franc-transit par la France , et leur envoie plu- sieurs fois des voituriers et des capitaincs dc vaisseaux francais qui se chargent des marchandises a 1?4 moins chcr que les allemands ou ccux — (Til — « Mais sur la Tasfc diendue des mers el loin de la » palric , que peut. teuler le gdnie du negoce, sans » protection ct sans defense? Oil est le pavilion nalio" » nal charge dc reprcsenter au-dehors la force de I'e- » tat et la inajeste du souverain? Quelles Holies veil- » laient a la surete de nos coles? Quelles escadres )) eussent pu escorler un convoi ou presider a I'eta- » blissement d'unc colonic? •> Colbert crcc' unc marine et niontre toul-acoup an inonde eloiine 60,000 matelots. La France, obligee naguere d'emprunter des vaisseaux a la Hollande, en cut 1 00 en 1 G72. Cinq arsenaux furent construils : Brest, Rocliefort, Toulon, Dunkerque, le Havre. Dunkerque est mallieureuscmenl mine; mais Toulon, mais Brest avec ses vasles tonslructions, leinoignenl encore de rdlort prodigieux que lit alorsla France, de I'itnmor- tel deli qu'elle porta a la Hollande pour la domination des mers. La deuxieme parlie du memoire est consacree a I'ex- pose de celle regent5ralion accomplie par un grand liomme. Cet expose est clair, net, intelligent. Le sys- temede Colbert, la sagessedeses vues s'y jnslificntpar des preuves empruntees a la slalisliquc cl qui ne raan- (I'Ostcndc, pour leshabilucr a prendre chemin par la France. 11 donuo ordre aux consuls en Espagne cl en Portugal dc preparer pour ces marcliands flainantls les cutrepols les plus propres et les plus conve- nables, o Faites bien valoir , ecrlvait-il a I'inlcndanl dc Flandrc , tous ces soins aux nouveaux sujcts de Sa Majesle ; mais observez qu'elle veut lesconvlcr a se servir des clablissenicnls pour Icur avanlage et non pour les y forcer. • llenvoya reconnaUrc les routes de Veiiisc , Milan , Vcrone , alin d'y clablir des voilnrcs regleesdonU'enlreprisc IVil fai(c [lardcs Francais. — <52 — queraieot pas d'iulerel, si les bornes de ce rapport nous permeltaient de ies indiquer (1). Apres avoir rappeie les encoumgemenls donnes au coimnerce, a I'industrie, a la marine, Tauteur arrive a l'agricuUure,etsedemandesi Colbert a raerile le repro- che qu'on lui a souveiil adresse, d'avoir neglige cet art (1) Voici un aperm des mesures prises par Colbert pour retablir Tordre dans les iinances : En 1601, le peuple payait environ 90 millions d'imiiots, donl le roi louchait a peine 3.). Deux auuees de revenus etaienl consouimees d'a- vancc, et depuis Henri IV on avail cree presde 28,000 ,000 livres de rentes, sans compter une enorme quantite d'oTices a gages. La plus grande partie du domaine etait engagee. Le premier soin de Colbert fut de faire rentrerle roi dans ses do- luaines et dans ses revenus, et de liberer I'Etal des sommes conside- rables qu'il devail. En IGGl. — Rachatdes alienations du domaine. Reforme dans Tadministration des octrois des communes. En 1G62. — Rctablissement des anciennes ordonnances par les- quelles tout complable doit fournir au conseil des Etats, au vrai, de La recette et de ladepense, trois mois apres son exercice. Colbert declare casuels tous les offices comptables afin de les. supprimer peu apeu. 16G4. — Reduction du nombre des officiers de justice et de finance. 11 y en avail alors 45,780, employes a faire un travail auquel 6,000 eussent suffi. Le roi se trouvait charge aunucllement pour leurs gages de 6,344,400 livres. Les tallies sont reduites. Les privileges accordes aux ecclesiastiques, nobles, bourgeois des villes franches, s'etaient lellement etendus pendant les troubles, que leurs fermiers ne payaieut rien, en passant pour leurs simples valets. Colbert leur prescrivit de ne pouvoir se servir de gens qui auraientete compris au role des tallies. Defense aux parliculiers de vendre ni de Icguer a fonds perdus aux comraunautes ecclesiastiques aucuns dcniers comptants, heritages ou rentes. 1C65. — Reduction des rentes. « a cause des profits cxcessifs qu'ap- porlent les constitutions derentes^ pouvant servir d'occasion aroisi- — 133 — si ulile, si honorable, ct qui est en nicme temps la source la plus siiie, Ic fonck'nient le plus soiide lus actif, plus novaleur, plus progressif , plus devoue aux vc-rilables inlerets de la civilisation. Pour apprccier toute Tetendue du role de Colbert dans cclte ora;inisalion regnlicrc d'une grande nation , il faudrait pour ainsi dire demontcr tons les rouages de CO puissant gouvernement de Louis XIV, eten eludier tous les rcssorts; il faudrait enfibrasser tons les monu- ments decelle legislation si vaste etsi complete, eclai- rer les notions acquises par un tel travail des lumieres de cclte science nouvelle qu'on appcUe l' economic po- litique, joindre a la connaissance de tous les details et de tous les tails celte intelligence elevee , cetle haute raison sans laquelle il est impossible de comprendre les oeuvres du genie. II n'cstdonne qu'a quelques-uns, Messieurs, de poss^der tout cela , mais c'est touj'iurs une belle pensee de provoquer au travail des esprits serieux , et de leur offrir pour aliment la vie ct I'in- flueiice d'un grand homme. LECTIRE DE M, I.. rVRIS. lENELON ET LE DUG DE BOURGOGNE, Par M. GEUUZEZ, Profcsseur d'eloqiience h la Sorbonno , membre correspondant de l'x\cademie. Feiiolon avaif paru rndouler la faveur de I'archeve- que de Ilarlay, dont le credit Taurait. porle a I'episco- pat. Propose pour I'eveclie de Poitiers, il avait die elimine par le mauvais vouloir de monseif^neur de Pa- ris, qui, pique de la rareledeses visiles, lui avail dit: « Vous voulez el re oublie, on vous oubliera. » Ileu- reusement cetle menace n'ctail pas unc prophetic. Le lendeniain du jour oii le due deBeauvilliers fut noramd gouvernenr des enfanis de France, Fenelon elait ap- pele a rcmploi de preccpteur. 11 etait digne de celte erainenle foncfion, et le choix dont il elait honore ne surpril pcrsonnc. La France vit avec confiance Tedu- oalion (111 peiit-fils de Louis XIV, que sa naissance destiriait a la royaufe, remise aux soins de deux Iiom- mes dont la verlu et le m^rite devaicnt preserver leur eleve de la contagion des gensde cour. II y avail beau- coup a faire, car le jeunc due de Bourgogne elait ne avecun r.aturcl violent el vicieux, que la faiblossede. sesgouNcnianles n'avail pas meme essaye de combat- ~ 158 — Ire. Rcciicillons sur ce point le precieux lemoignagc de Saint-Simon ; sans doufe , selon sa coulume, il accuse les trails d^m pinceau trop vigoureux, mais il est facile desaisir le vrai sous riiyperbole : « Ce prince, heri- tier necessaire, puis presomptif de la couronne, naquit terrible, et sa jeuncsse fit trembler ; dur et colere jus- qu'aux derniers eraportements et j usque contre les choses inanimecs; impetueux avec lureur ; incapable desoullrir la moindre resistance , nieiiie des heiires et des elemiMils , sans enlrer dans des fougues a faire craindre que tout ne se rompit dans son corps ; opiniii- tre a I'exces ; passionne pour toute esjjeoe de volujjtc, il aimait la bonne chere, la chasseavec fureur, la mu- siqueavec unesorte deravissement, etlejeu encore, ou il ne pouvait supporler d'etre vaiiicuet oil le danger avec luietait extreme; enfin, livre atonies les passions et transporle de tous les plaisirs ; souvent farouche, naturellement portea la cruaute , barbare en raillerie, el a produire les ridicules avec unc juslesse qui assom- mait. De la hauteur des cieux, il ne regardait les hommes que comme des atomes avec qui il n'avait aucune rcssemblance, quels qu'ils fussent. « Tel elait le caractere qu'il fallait dompler el assouplir : la tache etait rude, mais les difficultes n'etaient pas insurmon- tables, car dans I'education , il n'y a d'incurable que I'indolcnce elle defaut absolud'esprit. C'est contre ces ecucilsque Bossuet avail echoue : la nature matcrielle, inerle, obluse du grand dauphin ne donnait aucune prise iii a la force, ni a I'adresse, tandis que Fcnelon, mieuxservi, malgre I'energie des resistances, put du moins hitter et sortir de la lutlc a son honneur. Le maitre trouvait des secours a cole des obstacles, car cct enfant indnmpte et farouche avail une rare intelli- — 159 — gence. Laissons encore parler Saint-Simon : <( L'osprit, la penelralion brillaienl en liii de loulcsparls. Jusque dans ses furies, ses reponses etonnaient ; ses raisonne- raents lendaienl loujours an jusle et au profond, meme dans ses emportements. II se joiiait des connaissanees les plus abstrailes. L'etendue et la vivacile de son es- prit elaicnt prodigieuses. » On yoit dc'ja que , si les difficulles elaient grandes, les ressourccs nc manquaicnt pas. Le caraclere de Fenelon elait merveilleusement dis- pose pour une tache a laquclle toutcs les lumieres de I'esprit ne suffisent pas. C'etait un melange exquisde tendresse et de force, de complaisance et de fermete, de patience et de souplesse, oil I'eiiergie se tcmperait de grace. Le plus sur moyen de mailriser I'enfance est del'aimeretde ue la craindre pas, de se devouersans s'asservir, et celte affccliou courageiise, qui previent toute faiblesse el toute violence, est le poi.it d'appui et le levier de I'autorile. Les enfanis ont une strategic pleine d'artifices que le sang-froid seul pent dejouer : ceder avec mollesse ou resisler avec emportement, c'est se traliir egalement a ces petits regards penetrants et impitoyables; soil qu'ils lassentou qu'ilsirritentjlssen- lent leur avanlageet ils en proOtent en tyrans consom- mes. 11 faulavec eux du caraclere et de I'arae; de Tame pour les atlirer,du caraclere pour les domincr. Ces deux qualites, Fenelon les possedait dans un rapport plein d'harmonie : il en usa pour prendre sur son eleve I'ascendant necessaire, et des lors il put instruire avec fruil celte jeune et riche intelligence, freraissante encore par iiitervalles, mais domptee el disciplinable. Les debuts de colte mejiiorable education furent orageux. Dans un de ses acces de colere si frequents, — i60 — rinlraitablo enfant avail osd dire a son precepleur : « Vous ouhliez qui je suisel qui vous efes. » Fendloa ne repondit rien. Pendant tout le reste du jour, un raorne silence laissa le coupable a scs reflexions : pas un mot a eclianger, pas un regard a rencontrer, aucune distraction au senliiuent inlerieur de la faute commise, nul prelexle a une colere nouvelle, nul moyen d'aggraver ses torts et de se soulager dans une crise plus violentc. II fallut porler jusqu'a la unit, jnsqu'au jour, le poids de cette insolence sans punition, sans pardon. Le jendemain matin, Fenelon entra plus tot que de cou- lume dans la chambre de son eleve, et d'un ton grave et triste, prevenant tout temoignage de repentir, il Ini dit : (I Je ne sais, monsieur, si vous vous rappelez ce » que vous m'avez dit hier : Que vous savicz ce que vous » eles et ce que je suis ; 11 est de mon devoir de vons ap- » prendre que vous ignorez I'un et I'autre. Vous vous » imaginez done, monsieur, ctre plus que moi?Que!ques )) valets vous I'auront dit;et moi, je ne Grains pas de » vous dire, puisque vous ni'y forcez, que je suis plus » que vous. Vous comprenez assez qu'il n'est pas ici » question de la naissance. Vous regarderiez comme un » insense ce'.ui qui pretendrait se faire un merite de ce ») quela pluiedu ciela fertilise samoisson, sans arro?er » celledesonvoisin. Vousne sericz pas plus sage si vous )» vouliez tenir vanile de votre naissance, qui n'ajoute )) riena votre merile personnel. Vousne sauriez douter « que je suis au-dessus de vous par les lumieres et )) les connaissances. Vous nesavez que ce que je vous » ai appris, et ce que je vous ai appris n'est rien, com- » pare a ce qu'il me reslerait a vous apprendre. Quant »> a Tautorile, vous n'cn avez aucune sur moi, ct je ») raiinoi-raeme, au contraire,pleincetenlieresur vous. — 161 — » Le roi ( t monseigncur vous I'onl dit as^sea scuvenf. )) Vous croyez peul-elre que je m'eslime fort lieureux » d'etre pourvu de remploi que j'exerce aupres de vous ? » Dt'sabusez-vous encore, monsieur ; je ne ni'en suis )' charge que pour obeir au roi et faireplaisira mon^ei- » gneur, ct nullemcnl pour le penible avantage d'elre » voire preceptcur; etafln que vous n'en douliez pas, je )) vais vousconduire cliez Sa Majesle pour la supplier de » vous ea nommer un autre, dont je souliaite que les » soins soient phisheurcux que les miens (1). « Cc n'etait pas une vaine menace : Fenelon elail pret a ce sacrilice, car 11 savait que, pour elre ulile dans un cmploi, il I'aut pouvoir I'exercer dignenienl. Toutcfois il pressenlait que le due de Bourgogne flccljirait, et que le coup si bicu frappe serait decisif ; il ne se Irom- pait pas : Penfant royal se repandit en pleurs ct en prieres, il pioiuil loul, et, pour le moment, ne recut aucune promcssc en ecljange. Fenelon prolongca a des- scinson anxiele et ne parulceder qu';iux sollicilalions de madame de Maintenon , qu'on fit inlervenir. C'cst sans douie a la suite do cette douloureuse epreuve que fut ecrit le billet suivant, dont I'original a etc Irouve dans les papiers de Fenelon : « Je promels, fui de prince, a M. I'abbede Fdnclon de faire sur-le-ihampce qu'il m'ordonnera et de lui obeir dans le moment qu'il me defcndra quelque chose; ct si j'y manque, je me soumets a toules sorles de punitions ct de dcshonncur. Fail a Versailles. 5'/^ne' Louis. ))Cet engagementd'hon- neur assurait I'aulorite du preceptcur, la docilite de I'e- ieve, bridait les defauts du caractere et rendait facile la culture de rintcUigence. (1) Hlstoire de FetK'loTi, pnr le cardinal de Baiissrt, t. i. p. i.s:,, i-' edit., 1808. — 162 — On tlecouvrc facilemonl dans Its ecrils do Fonelon les i)nncipesdesamethoded'enseignemcnl;ellclendait a rendre I'elude aUrayante et morale. Fenelon enlrele- nait I'ardeurdc soneleveen rallachantses compositions aux incidents meme de sa vie d'ecolier. C'clait tanlot un eloge, tanlot une excuse, plus souvent une lecon en- jouee ou severe. Le jeune due s'etait-il montre trop sensible aux railleries d'un page, indiscret leraoin de ses raeprises grammaticales, Fenelon reproduisaitcelte petite scene de malice et de depit dans un charmant apologue : le prince devenait Bacchus enfant, et lepage etait deguise en jeune Faune (1), qui marquaita Sileno (leprecepleur) par un rismoqueur, touteslesfautcsque faisait son disciple ; et Bacclius, ne pouvant souffrir un rieur malin, toujours pret a se moquer de ses expres- sions si ellcs n'etaient pureset elegantes, lui disaitd'un ton fier et impatient : u Comment oses-tu te moquer du fils de Jupiter (2)? » — Et le Faune repondait sans s'c- mouvoir : i-olilique. Ces dialogues nuUcnl on In niiere des doclrinos conlrairesa la pralique habituellc des gouverncincnls; iis rtsi>irenl ramour de la \eilu, et ds insplrent ravcrsion de ees violences el dc ces per- fidies heureiises qu'ou a Irop souvent .-idmiiees d.ms les hommes d'elal el les conqueranls. On voilqueFe- nelon n'a qu'une pense.?, qui est d'inlroduiro la irobiic dans la politique, el de gouverrier les nations par les lecrlos de la morale universelle. Fenelon eut sans doute la liardiesse nai^e de developper ces idees devanl Louis XIV , el ce doit etre apres un entrelien de cc genrequfcleinoiiarque dejlara qu'il venait « d'enlendre le |)lus bel esprit et le plus chiraerique de son royaume. » Les lecoiis deFeneion eurenl un succes qui lientdu prodigc ; uon-seulemtnt elles firent en pen de lenips du due de Bourgogae un esprit orne dc coi;naissances solides el varices, mais elles opererent une transforma- tion morale qui frappa tousles yeux. Saint-Simon nous aditcequ'etait le jeune prince, il va nous a|iprendrc cequ'il devinl sous la discii)line de Fenelon : > en etail hurnilie et gone. Saint-Simon parail rapporterlei rincipa! honneurde cetle education aux dues de Beauvilliers et de Chevreuse, ses amis ; ni;jsil nouseclaire et nous rassure par un aveu qui !e refute : «( Ces deux fieres, dit-il, n'etaient qu'un conis et qu'unc ame, M. de Cambi ai en etait la vie et le mou- vement. Leur abandon pour lui etait sans borncs, Iciir couiraeice secret etait continuel. « Jusqu'ii i tout sourit a Fe lelon, sa marchc est heu- ri'use et facile coninic son genie ; il s'eleve sans efforts, on ra;)[ilai diljOn radinire, oa Paime. II cxerce autour dehii une seduction irrt^sistible, et dais la region su- perieure, oil il plane df'ja, so:i ame est sans orguei! et ses yeux sans eblouissenient : il semb'.e qu'il doive loujours s'y depliiyer a raisccomme porle sur dcs ailes divines. Cepindant un orage se fonnait qui devait le [■rec'ipilcr. Le roi n'aiinait pas le precepleur de son son appnrtcmcnl , muine devaiil le monJe, ct on n'oulilla aucun dcs joux et dcs cxcrciccs propres a le redresser. La nature demeura la plus forte. "La priiicesse Palatine, mere dn regent, est d'un autre avis que Saint-Simon. P^lle attrihucle mal aux nioyens employes pour y remedier : <- II etait bossu : je crois que cela venait d'une barre do fcr qu'on lui faisait porter pour I'haliituer a se tcnir droit, mais qui faisait que, pour cviter la douleur qu'elle lui causait, il se tenait do travers. Je I'ai souvent dit au due deBeauviiliers. • 3I('m. tie lojwhi- cctxr Pahifiiic, p. 201. (1) Saint-Simon, M('i)i. — tOG — pelit-fils , cf Ft'iit'loii, (le son cok' , liop severe pour Louis XIV^, voyait en lui plus de lasts quede grandeur veritable : il ne lui pardonnait pas de lout saciifier a I'eclat exterieur el a ragrandissement de son pouvoir. Sa pensec secrete eclatait dans Ics instructions qu'il donnaitau diicde Bourgog(ie(l).C'etailiine opposition inlinicct detous ies instants, sur les marches nu'niesdii troiie ; o|)position redoutablc, parce qu'elle agissailet queses oeuvres parlaient pour elle. L'avcnir aussi lui (1) Fcnelosi n'avait pas cache ses veritablcs scnlimcnts a madamc de Maintenon et au due de Beauvilliers, qui avaient I'oreille du roi ; mais il ne jmt les delcririiner a fairc entendre des conseils severes. C'est alors qu'il ecrivit, sans se fairc conuailre, una Icttrc adresstie a LouisXIV.eldanslaquelle il ne n:enage rien.L'auliionticitudecettelct- trc fanicuse u'est aujourd'hui Tobjet d"aucuti doule. On y lil des passages tels queceux-ci : « Ceux qui vousonl eleve ne vousont donnepour toulc science de gouverner que la defiance, la jalousie, reloigncrucnt de la vertu, la crninte de tout merite edatant, le goiit des homines souples et rampants, la hauteur et rattention a voire scul merite. » Et plus loin: « Vospeuples, que vous devriez aimer comrae vos enfants, et quiont etc jusqu'ici si passionnes pour vous, meureid de faim. La culture des terres est presque abandonnce, etc.; le peuple meme (il faul tout dire), qui vous a tant aime, qui a eu tant de confiance en vous, commence a pcrdre ramitie, la confiance ct meme le respect. Vos vicloireset vos conquelesne le rejouissent plus; 11 est ploin d'ai- greur elde desespoir. » Citons encore : « Vous n'aimez jioint Dieu, vous ne le craignez mi'meque d'une crahite d'esclavo : c'est I'cnfer, ct non I'/as Dieu, que vous craignez. Votre religion ne consisle qu'on superstitions, en petitcs pratiques superticielles... Vous n'aimez que votre gluirc et voire commoilite... Vous avcz im archevcque (do Ilar- lay^ corrompu , scandalciix , incorrigible , faux, malin, etc... Pour votre confesseur (le pere La Chaise), iln'est pus vicicux, niais il craint la solide vertu, et ii n'aime que les gens profanes et rclaches, etc... « Cette lettre, ecrite a la tin de 10'.)4, a la veille des debats sur le quic- tisme, est un trail de lumiere. Peu importe que Louis XIV I'ait lue et qu'il en ait connu Torigine : I'liomme qui avail pu I'ecrire dcvait se Irahir et laisser penetrer les sentiments qui luidictaient ccs rudesre- oiontrances. — 1G7 — jippartenail ; lo due tic Bourgogne, nieme du vivantdc son p6re qu'il eclipsait, aurait ete le Yrai successeur de Louis XIV, ct il n'auiait pas eu d'oulre minis! re que Feneion. IJrie cour dissidente se formait au sein do la conr. Lv roi vieillissant f^tait menace de dechoir : sonorgueilet s« eonsci^'oce de des^xtte s'alarmercnt a I'aspecl de re pouvoir nouvian et a la predicalion de ces doctiines qui soumettaient !es roisa la justice, qui les asscrvissaieiit aubnnlieur otaux droits despeuples. On n'a pas assez fail remarqut-r ceconlrasle el la puis- sance de Feneion , qui cepend;!nt expliqncnl seuls sa disgrace. La querelle religieusc ne ful guere qu'une occasion el un moyen. On pent juger des craintes que devait inspirer Fene- ion par les esjierances qu'il faisait concevoir, ct par I'empire qu'il exercait aulour de lui : pour s'en faire une jusle idee, il faul avoir present a Tesprit eel admi- rable portrait que Saint-Siraon a trace: « Ce prelat etaitun grand homm€ maigre, bien fait, pri!e,avecuu grand ncz, des yeux dont le feu ct Pcsprit sorlaient corame un torrent, el une physionomie telle que je n'en ai poi,et neresscmblentpasplus al'/Zam/e^ a VOlhello el an Macbelh anglais, que Ylplngenie et la Phcdre de Racine ne resseuiblcnl a Vlplngc'nie el a la Phcdre d'Enripide. Une traduction deVJIanilet, en vers lilleraux, etail done encore chose neuve a tenter, a publier : a M. Perreau revienl celte gloire qui ne pa- raissiiil pas devoir etre le partage d'uu debutant litle- raire. Transporter dans le metre d'une langued'ori- gine laline les hardiesses el les beautcs d'une latigue saxoune : la lache elait rude! mais le succes, un suc- ces legitime a complelemenl juslilie I'audace du jeune — 174 — Iraduclenr. Trois actes aujourd'liui sonl acheves, et jamais M. Perrcan n'a plie sous le faix de ce grand ge- nie qu'ilcssayail de soulevcr. Co double joug si terri- ble,— leversella lilieralite,— il I'a por(eavcc un bon- heur qui uc s'est pas un seul instant dementi, el qui I'a fait triompher de lous les obslacles. II sembleque Shakspearc luimemesoit \enu en aide a son religieux copisle, fant paiioul et lonjouis dans ses vers on si-nt le souffle poetique du grand William ! Sceiicslragiques, scenes grotesques, pensees sublimes doubli'es de Iri- vialile, lout a die traduit et pour ainsi dire nationa- lise avee une exaclitude el une expression qui consli- luenl a nosyeux un verilable lour de force litleraire. L'alexandrin francais s'eidace au vers anglais comme le lierrc a I'aibre dont il suit lous les accidents. En un mot I'ceuvre de notre jeune confiere csl,comrae le Mac- beth de M. Jules Lacroix, un precicux facsimile de de Sliakspeaie, et I'un des litres lilleraires dont Reims peut a bon droit s'honorer. Nous ne craignons pas qu'un nous accuse d'enlliou siasme et de parlialile. Les eloges que nous decernons ici a M. Perroau, la voix de notre honorable president les sanclioniicra tout a I'lieure, au nora de rAcademie. D'ailleurs, qnelques citations sulfiront, nous en avons I'espoir, pour jusliOer tout le bicn que nous avons dit de celte tiaduclion. Je choisis d'abord un monologue du premier acle. Quclques mots d'explication sonl neccssaires. Claudius, mcurtritr du pere d'Hamlet, monte sur le trone de Danemark et epouse la reirie Gertrude, sa tomplicCj veuve du feu I'oi. llamlel ne soupconne pas encore qu'un crime ait Iranclie les jours de son pere; mais les noces preci[»ilees de sa mere, qui onl suivi les — 175 - fuiier;iillos dii roi dofiint, out ninri ct ulcere son aniDiU" filial. Teinoiii du prompt oubli qiion fait , a la cour, de ccux qui ne sont plus , son esprit, nalurellement poile a la reverie el a la mcklilation , so toint des couleurs dc sun dcuil. 11 loiiibe dans une profonde mclancoHe, et ne vit plus que sons I'influence de ces deux itieos : la inort de son pere, el le Irop prompt mariage de sa mere. C'est alors qu'il prononce ce n;onologue oil se re\elcnt lout sou degoiit de la vie, son mepris des liom- mcs, son indignation et sa tendresse Gliale : Que celte i-paisse chair ne peut-clle, 6 douleurs! Se foiulre coumie glace ou se resoudre en pleurs! etc., etc. ( 1 ) Plus tard, quand les courtisans d'llamlet I'inlerro- gent sur sa Irislesse, quand ils cssayent de provoquer quelque epanchenient, si le prince leur repoud, s'il en- Ir'ouvre un moment son anie a leurs regards curieux, c'est pour lc;ir decouvrir toules les profondeurs de son soepticisme, sans pourlant (cur faire toucher du doigt la plaio secrete qu'il cache au fond de son coeur. Dc- pnis peu, leur dit-il , Depuispou la gailo loin dc moi s'cst cufuie, etc., etc. (2) CependanI, rombrc du roi assassine apparait bien- tot la nuita llauilet sur la lerrasse du chateau, etl'en- traineau bout de la plate-forme. Ilauilet, qui a reconnu le fanlome de son pere, veut le suivre malgre les ef- forts de ses oTficiers pour ie rclenir. Et pourquoi don<: trembler, leur dit-il, dans des vers oil Ton sent quel- que chose de ramc du grand Corneille (1) Voyev! lomc i" des Seances et liuvaux dc V Academic de Reims, page 127 {y livraison). (2) Voye/. tonic ir, pag<- 'JO (KV livraison). — 17G — — l^t pourqiioi done Ircmljler, Quaml j'cstinic mos jours moins qu'miG qiin^le vile. Four I'esprit immortpl cache sous cette argile ? — Que craiiidre d'uu esprit immortel couime soi? Yoycz, il me fait signc : oui, sors, je vais a loi ! Et ple"n de conliance en son anie , ii se precipile sill lis pas du faiitonic , qui liii revele le nieuitre el le noiu des Ci);ipab!es. Hamlet jure de venger Ic liepas de son pere. Des lurs , tonfo aulre id^e s'efiace de son esprit, lout aulre sentinicnl dis[)arait dc son ame. L'amour qu'il nourrissait pour la hiaticlie Opholie, il I'etoufle, pour ne vouer sa yie qu'au cliati- nient du meurlrier. Mais adn de mieux dissiniuler ses projcts 'e vengeance etde Ironiper la surveilltnce des espions qui I'entourent, il se decide a fcindre r<^g.ire- inent; — pour tons, a la cour, saiif un on deux amis ejirouves, Hamlet est insense; il Test meme pour ?a iiKiilresse, la divine Opht'lie, dont il va sans pilie bri- ser le coeur par cctte folie simulee. Dupes de eel arti- fice, le roi el la rcine essaient par mille distractions de dissiper riinmeur sombre d'Hamlet, el lui cnvoient une troupe de comediens, au moment oil le prince, incer- t.iin et poursuivi par la sombre vision, hesite el rccule malgre lui, devant la terrible mission que lui a leguee lefanldme. Pendant quelques instants, il aceueille ces comc'diens ; I'un d'cux lui declame avec feu le recit du raeiuire de Priam par Pyrrhus, et la fuile d'Hecube. Le prince ecoate d'ahord celle scene, et s'emeut au de- bit de I'acteur; puis, tout-a-coup, par im brusque re- iour sur lui-meme, rappde au sentiment de sa situa- tion, il renvoie tout Ic monde, et s'ecrie : Enfin , rae voila seul ! Quel esclave stupide , Quel rustre suis-je done?... etc., etc. (1) (I) Voyez ci-apri>s pages 182 et 183 de cette livraison. CONTINUATION DE o;:s ^:^ ^LX^ ij-i i:^ ^:^ Q TragedledeSIIAKSPEARE, TRADIITE EN VERS FRANCAIS PAR HI. JULES PERREAU (1). Actc II (Suite). IIami.et (ri Guildenslern ct Rosencrantz). Messieurs , dans Elsoncur, Vous (■'Icsbicn-vcnus.— Vos tnnins.— Donnez de grace. Un acciu'il gracieux exige que Ton fasse Qaclqucceremoiiie , et montre luoillcur ton. Permeltez done tous deux; que decette facon Jo vous traitc , de pcur (|ue si ma politfsse S'etendail au\ actii)ns ( et, je vous Ic eonfesse , Envcrs fu\ j'ai bcsnin de heaucoup en nionlrcr, ) Vou- ne cioyiez qu'a vous je ies veux prcferer. ' Soyez Ies hien-veiius. —Mais , bah I mon oneie et pere, Ma luerect lante sent dans une errcur grossiere. Cl'lI.DriNSTEnN. En quoi , mon clier seigneur? UAMLI-T. Jesuis fou seuicment Par un vent nord-noni-ouest; mais alors que le vent Souffle au sud , je distingue au mieux une \ cssie D'une lanlerne. {Polonius cnlrc. ) POI.ONIUS. Hommagc a votrc seigneurie !.... Messieurs ! IIAMI.l-T. L'entendez-vous , Guildenslern ? vous aussi ? A tout bon entendeur dend-mot a sufli. He bien ! Ce grand enfant , vous voyez , qui s'avance , N'est pas eucor sorti des langes de Icufance. (I) Nous retablissons ici le texle conipirt de la findu second acle, dont M. r.ournieaux n'a luque des fragments dans la seance pubMque. II en est arrive. — 1T8 — ROSENCRANIZ. Pluliit il y soia revenu de nouveau. La vieillesse pour riiorame est un second berceau, HAMLET. De la troupe il me viont enlretenir , je gage. Kcoiitez ! — C'ctnit bien le lundi ; je parlage Voire avis sur ec point. I'OLONIUS. 3'apporte , raon seigneur , Un>! nouvelle. IIAMI.F.T. Et nioi , j'cn apporte , monsieur , Une a mon tour : Au temps oi'i , dans Rome r;Lntique , Roscius , cet acteur. . . . POLONIUS. Un acteur dramatique ? HAMI.ET. Bah ! bah ! POLONIUS. En veritc ! HAMLET. Cliaquc ac/evr esf vcmj sur tin dne montc. ...» rOLONIUS. Celte troupe n'a point au monde son egale Pour tragedie , liistoire , ou dramc , ou pastorale , Pastorale comique ou tragique ; en un mot , Piece avec unites , ou meme , s'il le faut Piece sans regie aucune. A tout elle se plie. Plaute ne saurait point avoir trop de saillie , Seneque de tristesse , et , pour le naturel , Le style , elle est la seule ! HAMLET. 0 juge d'Israel ! 0 Jephte ! quel tresor tu possedais ! POLOMDS. Qu'etait-ce .' HAMLET. Une rdle bien belle , un tresor de jeunesse , I t f Etqu'il aimait 1 1 1 POLONius (apart). Toujours il y revient ! HAMLET. Ai-jc tort, vieux Jephte ? He quoi ! POLONIUS. Non , seigneur , si c'est moi Que vous nommcz Jephte. Comme lui , je suis pere , Et comme a lui , seigneur , ma (ille ui'est bienchere. — \79 — HA>ILKT. Celane s'cii suit ijoiiil. POLdNIL'S. Qu'f n conclure aulromciil , Mon seigneur ? ItAMI.KT. Le voici : le liasanl le plus grand Oil Dieu fit. . . vous savez le resle de la stance. - Alors il arriva selon la vraisemblance. ■ . » La pie use chanson en son premier refrain Vous en apprendra plus, car a notre entretien Voici qui coupe court. (Quatre oil cinq comediens entrent.) II AMI.ET. Maitrcs ! je vous salue. Soyezlcsbien recus, messieurs! Voire venue Me cause grand plaisir. — Ton menton , vieil ami, Depuis notre depart s'est bieii fort rembruni. — A ma harlje vieus-tu faire l)riller la tienne i' Et vous , par la madone , 6 nol)lc dame et reine , Voire grandeur au cicl a montc, je Ic vois, De tout cc haul talon. Fasse Dieu ipie la voix N'ait point le son tele d'un ecu horsd'usage ! Vous etes bien-venus, maitres. — Mais a I'ouvrage, Vrais fauconniers francais, tout gibicr nous est bon ! ■yoyons I une tirade , un digne echantillon De votre savoir-faire ! Un morccau palhctique ! PREMIER COMliDIEN. Quel morceau , mon seigneur ? HAMLET. C'est un morceau fragique , Que tu m'as , il me semble , autrefois recite. II ne ful qu'une fois sur la scene portc . Car la piece allait uial a la I'oulc grossiere; C'etait pour son jjalais Irop delicate chei-e. A mon sens, a celui d'homiues dont I'avis doit , Kn pareille matiere, au mien im|)oser loi, C'est une bonne piece , habilement conduile, Aveccpic lion moins d'art que de sagesse ecrile. Bien qu'on rcprit au vers parfois quelque fadeur, A la pensee aussi trop peu de profondeur, C'est, au dire do tous, un ouvragc estimable, D'une saine methode et d'un goiit agreable, Bien plulot gracieux que parfaitcment beau. Parmi d'autres beautes se trouvait un morceau Qu'a tous je preferais : c'est le recit d'Ence A Didon , ct surtout, (piand dans Troie enflammee II print le vioux Piiam inunole sans merci. S'il t'en souviciU, ami , commence a ce vers-ci : Attendez. . . attcndez. . . « Aulion d'llyrcanie, 12 — 180 — »'Lc farou! he Pyrrlms , soiublaltlc en sn fiirio... . Nod... Ce n'csl point iiiiisi... mes souvenirs confus Me lionipent. Ce raoiceaii commence ]);ir Pyrrlius. — « Lc farouche Pyrrhus, lui, rioiit la sombre armure. » Noiic commc son ccciu', semblail la nuit obscure, .. Qiiand clans les ilancs du uionstre il elail leaferme , » Le'visajze a present par la rase cndamrae , >. OfYrc encore un aspect plusaitVcux, plus terrllile. >. Tout son corps rougissant n'est qu'un blnson horrible. >' Des Troycns immoles, femnies, vieillaids, cnfants, » Le sang sur sa poitrine, en hiiieux orncnients, >. Forme une cronte qjaisse et par le feu durcie; » Tandis ([ue nos palais, rouges par Tincendie , » Au meurtrici- du roi vont preter leur lueur , » Lui , lc feu qui renlcure animant sa furcur, » Ses yeux, eharbonsardents, sortant de leurorbitc, >. D'un sangcoagule tout plein , se precipite , » Cherchanl lc vieux Priam. >■ — Prencz ici. I'OLOSIt'S. D'honneur 1 Trcs-bien dil : avcc ame ct bon goiit , mou seigneur. PREMIER COMEDlliX. » II lc decouvre cnliu , qui de scs mains debiles » Portail aux cnnemis niille coups inutiles. >. Son vieux glaive a trahi son bras appesanti '. El lombc sans ressort sur la lerre amorti. » lis arrivcnt en face. Alors entre eux commencn >■ Un combat incgal. Pyrrhus sur lui s'i'lance , » II brandit. furieux, son glaive autour de lui , >. Et du sifllemcnt seul, du scul vcnl tpi'il piotluit » Ecvieillard cnervc tombel llion eniiere .. A ressonti lc coup dc I'arnie pjcurlrierc ; » Scs palais embrases croulent du liaut en bas. » Jusqu'a Pyrrhus parvient kur horrible fracas , » Au moment oil dcja son cpee execrable .. Touchait lescheveux blancs du vicillard venerable. .. :?on bras, en I'air leve , coranie dans un tableau .. Aupies de la victirae on nous pcint le bourreau , » Son bras serable un instant ne plus servir sa rage . .. Et deraeure inaclif. — Tel on voil, quand Forage » Ouelque temps a gronde, tout bruit eefser aux cieux , >. L'univers en .■>uspens , les vents tumultucux " Rclenirlenr haleinc; au-dcssous, cnnsSerncc, « D'un silence de mort la terre environnee! » Mais la foudrc Ijientot par de terrible coups » Va ilechircr les cicux. —Tel un nouveau courroux .. Apres ce court repos en Pyrrhus se rallume. » Le marteaudu geanl courhe sur soni^nrluino . AVCC moinsde pilie u'a frappe du dicu Mars " L"armure inipcnelrable et les eternels dards " Que t nnba de Pyrihus lYqiee ensanglanlce'. — .. llonte ! honte! 6 fortune I impudiciuel elTronlec I » Contre cllc liguez-vous : conspircz tous, grands dieux ! — 181 — • Delivrcz runivcrs do son joiig 0(Ji(Hix! - i'.risoz Ions los rayons desa fatale roue ! » (Juc voire lirns vcngcur do son axe sr joiio , » l':t du cicl aux enfersen jelte les debris ! » POI.ONIUS. Ce [lassago est Irop long. li AJILUT. F.e barbier du pays Comnie a voire uicnton fera Ic necess.iirc. Continue/,, de grace, llfuidrait, pouriui plaire, llnconte, un rigodon, on noire liommc s'cndort. D'llecnhe parl'^z-nous. PRP.MlF.r, COMfcDIIN. « Mais , 6 douleur ! o sort ! » Quieonque I'aurait viie afl'ublee en la sorte. » HAMLET. Affnblec ? roi.oNius. Affubl^e. Cui. Cela se supportc. rREMIKR COMEDIF.N. « Ejiloree ot picdi v.ui , dc scs piears les lorreiils » Menaccnt Tineendio. • — Elle court c!i tout sens. -~ » Cetlc tele , anUcfois d'un iliadeiue ornec, » Uu landjoau la recouvre ! 6 relne infer! nnee ! » Pour abrltor son corps languissant , aiuaigri , " Ricfi qu'un tapis on feu dans son ofl'roi saisi ! » Oh ! (]uicon(pie rcut vue en ce desordre extreme , » Avec dos mots de sang ei'it lancti ranatlienie - Conlre cetlc fortune impio , — el si les dieux " Sur eel atfrcux spectacle eussent jote les yeux , — '. .\u\ liurlement^^ d'llecube, a son cri de detrcsse , .. Lorsqu'clle \it Pyrrbus, en sa ferocc ivresse, " Depocar.i de Priam lo cadavre en morccaux » On bien ils. n';mraionl plus i;ul souci de nos maux, ■■ On dans rO!ym|ie emu tons eussenl pris lenrs amies , >■ Et I'a'il briilant du monde en eul verse des larmes ; » POLONIUS. Vnyez ! comme 11 palit ! son front est soucieux. N'apercevez-vous pas dos larmes dans ses yeux .' Je \ous en prie , assez ! HAMI.ET. Tres-bien ! je te I'atteste, De la scene bientiit tu me diras le reste. • — El vous, aion bon seigneur , veillcz, donnez vos solns A ce qu'il soil |iourvu digncmentaux besoins De toulecette troupe. Oui , songez a lour fairc Bon accucil, car ils sont du moiule le sonmiaire, La cbroniquc en petit des cboses il'ici-bas ; El mifux vaudrait pour vous, qu'ai)res voire trepas, Sur voire lombe on mil epitaplie outrageuse, — 1S2 — Que vous pxposcr vif ;i leur languc railleuse. POLONIUS. Nous aurons les egards a leur merite dus. HAMLET. Par la mort-dieu ! vieillard, faites plus , encor plus ! Si chaquc homme ici has sur son merite on traite , Est-il un seul qui n'ait merite qu'on le fouette ? Consul tez voire honneur ct votre dignite : Moins cct accueil par eux semblera merite , Plus il sera louable ! — II les faut introduire. — POLONIUS. Venez , messieurs ! HAMLET. Amis, suivez-lc,je desire Que vous jouiez demain devant la cour, ici, Le meurlre de Gonzague. Entends-tu, vieil ami? PREMIER COMtniEN. Oui , seigneur. HAMLET. Demain soir je compte vous entendre. Pourriez-vous, au besoin, pour cette fois apprendre Quclques vers qu'au recit nous intercalerons? Le pourrez-vous , messieurs? PREMIER COMEDIEN. Oui , seigneur , nous pourrons. HAMLET. C'est tres-bien. — Ce seigneur , messieurs, va vous conduire ; Mais , en chemin , de lui gardez-vous bien de rirc ! Bons amis, jusqu'au soir ! Adieu! Dans Elseneur Vous etesbien-venus. ROSEN'CRANTZ. Adieu ! mon bon seigneur. HAMLET. C'est bien ! Adieu , messieurs ! La main de Dieu vous guide ! {nosencrantz ct Guildenstern soiient.) Enfin me voila seul ! - Quel escla ve stupide , Quel rustresuis-je done ? — N"est-il pas monstrueux Qu"en un courro'ux (iclif , un recit fabulcux, L'arae de eel acteur a sa tote obcisse , Au point que sans effort sou visage palisse ? Ces larmes , cc desordre en tons ses traits jcte , Ccs sanglots dans la voix, tout son etre agite , A la hauteur du role a son gre tout s'elcve , Et tout ccla pour ricn , pour une Hecubc, un reve. — Pour Hecubc qu"est-il ? Qu'cst Ilecubc pour lui ? — Lui qui verse a ce nom tant de pleurs aujourd Inn . Que'serait-ce, ennammc d'uu courroux legitune , S'il scntait dans son cwur la rage qui m'amme ? On verrait le theatre inonde sous ses pleurs ; De ses cris, dechirant Tame des spectatcurs , — 183 — II roiidrait foil le crime et pale riiiiioceuce, Frapperait lie stupcur la vulgaire ignorance , Jetterait le desordro en leurs sens eperdiis... El inoi, nioi, coeur de boue, etre pervcrs, obtus , Commc Jean le reveur impuissant en ma cause, Jc demeure niuet 1 — Se peut-il que je n'ose Rien dire pour un roidontles jours procieux Sent Iranclii'S |)ar un crime infernal , odieu\ ! Lache I — Oui ! Qui mo le dit ? qui me frappe au visagfri^ Qui m'arracbe la barbe el , pour comhle doutrage, Me la jette a la face? Eh bien : qui vcut ici Me donner un soufflet , dire que j'ai nienti Par la gorge et le sang ? Qui lose? qui ra'affroule ? Je serais hommc encore a soulfrir cette lionle! — II faut etre bien hiclie et n'avoir point de fiel Qu"un affront puisse aigrir ; sans cela , par le cicl I Les vautours du pays de sa depouille impure Dt'j.i depuis longlemps cussent fait leur pature ! O monstre incestucux , sans remords, infernal, Denature ! — Je suis done un sot animal ? Oh ! qu"il est noble a moi , le fils cheri d'un pere Lachcment imniole , dans ma folic colire , Quand le ciel , quand I'enfer me pousse a le venger , De venir en vains mots le coeur mesoulager, M'epuiser en propos , en grossieres injures , Ainsi que ces catins , ces viles creatures ! Honle ! . . . Mais quel penser ! — Ne raconte-t-on pas Qu'au theatre, parfois , on vit des scelerats, Violemment frappes jusquau fondde leur ame Par le jeu des acteurs et les scenes du drame, Tout-a-coup reveler eux-memesleur forfait? Si le meurtre n'a point de langue , au moins il sail, Quand il veut , pour parler , eufanter un miracle !. . . II faut que ces acteurs nous donnent un spectacle Faisant allusion a ce meurtre odieux. Mon oncle sera la : j'observerai ses yeux ; Aux replis de son coeur il faut que je penetre ! S'il palit , jc connais inon devoir. . . — Oui , peut-etre Ce fantome nocturne est un malin esprit. . . ! Car le demon peut prendre un aspect qui seduil. . . — Sur les cerveaux chagrins, les esprils sans defense 11 exerce surtout sa fatalc influence. . . Peut-etre a-l-il voulu me perdre,medamner. . . ! De fails plus convaincants il faut m'environner; Je veux, au roi dressant un piegepar ce dramo, Y saisir le secret que nous cache son ame ! FIN DU SliCOND ACTIi. MEMOIPiE deSI.EilmondARWlLD SLR LA QUESTION DES AMENDEMENTS. Lc cultivaloiir ca snit (ilus que nous aajourd'hui ; dJrobup.s-lui sou secret, s'il est liossible. Reduisons en sciencu son tnct iiidclinissablp, cclairons-nous de ses. apfr.;us. CeG^spauin. Ql'ESTlO.NS. 1 "^Quelle est la ualure exacle des differeiites terres arables de rarrondissement de Reims ? 2" Quelle est la quantite tie fiunier a y meltre par liectare? — Comment convienl-il de remployer? — • — Est-il plus utile de fumer les terres de cet arron- disscment tous les trois ans que tous les neuf ou dix ans? — Doit on employer le fumier avaut ou apres que la fermentation pulride a produit son efl'et ? Cos deux queslions, pourelreresolucs, deraandaient uon-seulemerit que Ton possedat la connaissance inlime de I'arrondissenient , raais encore exigeaieiit que I'un recueillil avie soin, danschaque canton, dans clrupic comnuinc nresqae, I'avis drs cuUi\ateurs qut' !c suf- — 18o — fiage lie leurs pairs avail declares les plus ha biles. Ce travail, en ellet, n'est qu'nn resume des pi incipalcs opinions sur !a nature des Icrres et sur rapplicatioii tics enterals dans rarrondisscm.'nt, nous rciervant le druil de discuter les fails eiionces, u'eii jii|^fcr I'oppor- iunile, et, coniparant ces tails avec les pialicjues des pays reputes de bonne culUire , en ajipruuver ou en C(j!iil>allre I'uj'r.'ige. I'lUMlliRE QUESTION. La reponse a In premiere ({uesliou exigeait uneetude minutieuse des loealiles, et aussi una suile d'experien- ces delicates. EnetVet, la nature (xacted'une lerrc, c'est a-dire son mode d'aclion sur les substances (jue riiomme lui con fie, ne depend pas seule:i:ent de sa conslilution ehimifjue, physique ou mecanique. Les eirconstancesmeteorologi- quesjaquanliled'eauqui lombea!inucllemet)t,lesvaria- lions extremes de lalempcralurc (1), les vents regnanls, etc., y jouent un rule important; ee sonl ces divers phe- noinenes, avecccux proNeiianldeseirconslances geogra- pliiques, qii'il nous a ele le plusdidieile de coustater. Aussi, est-ce particulieremenl sur cette partie que nous reelauions I'indulgence de rAcudeniie. Geographic. L'arrondissemenl deKeiras, dans la region, nord-est (1) Dans rexploitalion que nous dirigeons, le chef d'allelnges note tons les jours la temperature max'ntui el minima , ce ((ui , au bout de (iuel(iues annces , nous mcttra niieux a meiue dc juger iidre position eoin|iarali\cnicnl ;i des pays dejaetudies. — 186 — de la France, est cnlre !e 49" 2' el le 49'' 26' ilc lali- tude scplenlrionale , el entre le 1" 15' 612' 10' de longitude orienlale. La liauleur barometrique varie de 64 a 65"" sur le Lord de la Suippe et de la Marno, a 275" sur la inon- tagnc de Reims. Sur une superGcie de 170,417 hectares, on eoniple 24,746 hcct. couverls de bois, et 600 occupes, suit paries clangs, soit par les rivieres, c'esl-a-dire pour les bois ,^ , et pour les eaux -j^„ (1 ). Quant a la direction des raonlagnes, les principales chaines se dirigent de Test a I'onesl, formant un angle oucst de quelques degres; elles oUVent ainsi rexposilion du nord et du sud. Tout enreconnaissant combien agit sur la nature des terres la latitude, la hauteur baroraelrique et Texposi - tion, pour la temperature, la proportion relative de I'o- relsel d'etangs,pourledegred'humidite, nousn'avons pas cru devoir entrer dans des details qui, fort impor- tanls pour une exploitation donnee, ne peuvenl elre facilemenl apprecies dans uu travail qui coraprend un arrondissenient. Melemvlogie. Nous nous etcndrons bien peu sur les phenomenes m^teorologiques. Les uns agissent directement sur K^s plantes, et non sur le sol ; pour les autres, etc'esl le plus grand norabre, les renseignements nous raanquent. Ainsi, nous dirons que les vents Ires-variables souf- flenl peut-etrede preference du sud-ouest, et soul par consequent charges d'humidile; (1} Eti France on comptc en nioyenne si3^ on bois. — 187 — Que les brouillards , abondants dans Ic sud-ouest, nuisent a ccs terres d^ja Irop humides; qu'ilssonlrares dans le resle de I'aiTondissement ; qifil lombe , en moycnne, d'apres MM. Tissotet Francois, 515raillim. d'eau, quantitequi serait plus forte d'apres M. Chaletlc pere. (A Paris, il en tombe, anne'e raoyenne, 564 mill.); Enfin, que la tempf^rature, qui a (ant d'action sur les lerres forles parliculierenient, peul varier de 25" a raoins 10°, luais, en nioyenne, est de 1 1" 5. CechillVe iiousparailexa{»ere, a Paris, la moyenneetantde 10" G7. (Observation du Bureau des Longitudes.) Geologic. La geologie nous fera pressenlir, non-seulement les differenles natures de terres que nous pouvons ren- conlrer, mais aussi la composition de ces terres par suite de leur creation. II n'cst done pas indifTerent de d<5lerminer les terrains que nous devons etudier. L'arrondissemeiit de Reims repose pour pres de la moitie de son etendue sur la formation crayeuse du ter- rain cietace; cependant , en parcourant ces vastes plaiiiesj nous nous somraes souvent demande si ces greves calcaires de plusieurs metres de profondeur qui recouvrent plus des 2/S des cantons de Beine et de Verzy, n'apparlenaient pas plutik aux formations plus recentes des alluvions anciennes du terrain alluvien. J'en appelle aux savants correspondants del' Academic, MM. Sauvage, etc., charges de la carte geologique, L'autrc moitie est formee par le terrain terliaire. Le terrain alluvien semontresurquelques points, particu- lieremcnt pres des cours d'eau ipii rongenl les unspour former les aulres. — 188 — Celle pusilion geologique devait nous fain; rencon- {rer des tcrres dc luUiir.! et de composition les plus di- verses, principalemeiit dans io terrain lertiaire enleve aux formal ions anlerieurcs dans ios nombroux cata- clysmes qui ont concouru a sa formation. En clVef, dans cc terrain vienncnt s'etager rarj^ile plaslique, Ic caleaire t;rossier, Ic ralcaire siliceux, les s.bles, k'S y-resj les niealieres dies raarne^. II s'agil niaintenant de determiner la quanlile de chaque na hire do lerres dan? rarrondissemenl. Ilclait. impossible ot. iniitiie, du ixste,d3 donnei- luie quanlile malhenialique en hectares ; il suflisait d'en iiidiquer la relation vr:ae. Si nous ysommes par\enus, c'e?l t,'race a Tobligeancc des cultiva!ours, des ai per.teurs, el aussi des raiidecins, qui, dans quelques cantons, cxercent par leur sa\oir une granc'e influence sur la culture. Pour la designation desdiflerentes terres, nousavons conserve la nomenclature des pays que nous avonspar- courus , ne voulant leur en appliquer une plus con- forme a leur nature, et qui permit de les comparer a celles ctudiees ailloars, qu'app'is avoir discute leurs proprietescl les avoir analysees. C;inton d'Ay. Ce canton, tres-riche en boiset en vignes, est moins agricoleque les aulros ; on y rencontre moins de gran- des fermes, et par consequent moins de ressources pour y puiser des rensiignenients generaux. Sur 9,000 liect. en culture, on peul aduieltre : l/2craie, c'esta-dirc 4,500 Iijct. , dont 1/3 craie grasscet ii froment ; 2/3 craie maigre ; 1/8 [)rairies en terre d'Ajaux, c'esl-ii-dire 1,125 heel. ~ 189 — Ces lerrt's, los mL'illcuros tint anion, onl cepen- (Jant une v.ileiir venalc infeiieure a la craie f^rasso, car la Maine, source tie ienr richesse, y cause souvent des inoniialions tardives qui tbiil }>eler les cereales. On ne coiuple qii'une bonne recolle snr trois, une mauvaisc el une mediocre. 3/l() pierrolis, c'est-a-dire 1,087 li. '6. 3/10 terre rouge ou roiis.^e, 1 ,087 b. 5. Le sous-sul, a ties-peu d'exceplioiis pres , est de ineine nature que le sol. Ciiuon tie Boino. Cecanloii, a I'exception dn raont de Berru et de qnolquf's alluvions qui se trouvent sur les bords de la Vesle el de la Suippe, est essentiellement crayeux. Sur 29.000 hect. dc terras labourables, il y en a : 15,000 I), en craie; 14,000 h. en greve ca lea ire. On sail combien ecs dcrnieres terres sont inferieures a la craie, par suile de leur permeabilite. Les prairies artilicielles ne peuvent y venir. Le sous-sol est de ine;ue nature que le sol. Canton de Bourgogne. Ce canton, si rcniarquable par le parti que le travail et riiiieilinence de ses liabitanis onl su en lirer, est, lui aussi, presque entierement crayeux. Ony comple* sur pres de 25,000 hect. de terres labourables : Ao, c'est-a-dire 20,000 h. de craie ; 1/'^0, ., 1,250 h.dcgrevecalcaire; ' "JJ' " 1 .'2^') 'i- de terre rouge ou rousse • l/'«j » 2,500 h.dc sable. , — 190 — Le sous-sol est en grande parlie de la craie ; cepen- danl, en quelques endroits, ei parliciilieremenldans la commune de Cmircy, onytrouve un tuf Ires-dur, qui ne se delitc pas a I'air, sur lequel la charrue ne peut avoir de prise, et qui ne donne passage a aucune racine. Ces depols paraissent appartenir au terrain souvent appele quatcrnaire, et presentent la plus grande ana- logie avec Ic crag des Anglais. A la jonciion du terrain lerliaire avec le terrain se- condaire, le sable a souvent pour sous-sol la crai(! ; partoul ailleurs, son sous-sol, ainsi que celui dela terre rouge, est sable ou terre rouge. Canton de Chatillon. Un des plus pelits en dtendue , il ne renferme guere que 8,800 li. de terres labourables oil Targilcdomiue; en effet, on les partage en 3/5,c'esl-a-dire6,400h. degrevc de montagneayant avec les inconvenients des argiles souvent ceux du calcaire ; 1 /IS, ou 533 h. argile pure ; 1/15, ou 533 h. sable; 1/15, ou 533 liraon. En sous-sol, sous la greve, comme sous le limon,on rencontre la glaise. Les difliculti's de culture dans ce terrain argileux sont encore augracntees d'une mani^re facheuse par la presence des brouillurds. Canton deFismes. Ce canton, donl la culture est la plus richc du de- ment, piesente la plus grande analogic sousle rapport des bonnes terres avec cellesduSoissonnais. — 191 — Nous diviserons ainsi les 14,000 heel, de lerres h- bourablcs qu'il rcnfcrrae : 1° 1/3 ou 4,666 h. rougiere, sable argileux , d'un rouge sale; 2^ 1/4 cu 3,500 h. sable; 3" 1/4 ou 3,500 h. greve de montagne ; 4° 1/9 ou 1,550 h.limon; 5" 1/18 ou 775 h. argile; celle-ci ne se rencontre guere qu'aBreuil et a Arcis-le-Ponsart. Le sous-sol, variable pour la rougiere, tanlot argi- leux, tantot marneux, change beaucoup la qualite de la lerre. La marne formant le sous-sol oflre tout avan- lage et procure surlout a peu de frais le calcaire et I'argile, amenderaenls si utiles en rougieres. La greve prescntc la raeme variation de sous-scl, avec des avanlagcs egaleraent importants. Ce sous -sol est tantot calcaire, tanlot la greve se trouve a 25 cent. Le limon a quelqnefois pour sous-sol de la rougiere. Les rougieres se trouvent de preference sur plateaux avecle limon que Ton rencontre quelquerois aussi dans les foods, la greve sur les cotes, et le sable dans les vallees. Cette observation interessante peut elrc faite dans les autres cantons oil ces dilTerentes terres se renconlrent. Les trois cantons de Reims. Nous ne formons qu'un seul article pour les 10,000 hect. qui coniposcnt la totalite des terres arables : 3/8 ou 3,750 h. craie; 3/8 ou 3,750 h. greve calcaire. Meme observation que pour le canton de Beine. 1/4 ou 2,500 terre rouge ou rousse. - 192 — Canton de Verzy. Ce canton, dc nientic sol que ceux do Reims el de Bt'inp, conlienl pies do 15,000 li. de teires ;(riiljles : 5/6 ou 12,500 h. de terre blanche, dont : 1/2 on 6,250 craie, 1/2 on (\250 greve calcairc; 1/G ou2,500b. en terrs rouge ou rousse. Dans ce canton, commedans lousles aulies, !a lerre ronge forme le passage du terrain secondaire au terrain lerliaire, lorsijue.le sable manque. Canton de Ville-en-Tardenois. Ce dernier canton a une grandc analogiede compo- silion de sol avec son voisin, celui de Fismes; seule- ment, I'argile y dominebeaucoup plus. Terres labourables, approximativement, 15,000 h. : 1/2 ou 7,500 greve de monlagne ; 1/6 on 2,500 sable, au nord du canton ; 1/6 ou 2,500 rougiere ; 1/8 cu 1,875 limon; 1/16 ou 937 argile. L'argile domine en sous-sol ; elie se pai tage avec le culcaire , le sous-sol dc la greve; la rougiere rej)Ose siir le calcaire ; quant au liraon, I'epaisseur est trop forte pour que la couclie de formation anterieiire y cxerce une influence marquee. i — !!)3 — ^-nsr-^L-icscs^ ;=.• t' o ^' ff- c ru <^ 'ii', ■ 3 ^=5 ^ H H 7^ 3 . . " o c^ • • . ^ o 2 r-^ T C . *o c; CL ". . . o p< g • • • S. 2. ^ • • <« . . . a 5" ' Cb • . . J ■t~ IS -^ — CrO CO O Ol o Oi: *»< e:3 o o 00 CI = IS ^ ^^ ^ O O C: ;** o o i": i-Ti O C' O C=3 o O O O O O k-^ ^ T o ,^ >* Wl^^^N^WW^ i o ta o lO IS E r c. V^ , ■a _ Uta. h^B o o CO .'~^ = =^ =» = ■-» cs' o 53 ° CO GO -I H w •^ "^ CA2 C' ri -1 jS JS Ni. ^ ic?^ c^ o ^ o i C.-'. OS » ^^ Is * O ff =rS ^ s o C-l CO C;! 00 --I o o o ^ w IS ^_» is 1'. Is s is '-I =^ * is o ^ 5= o '^ o o o o o e^ ^^ o JS jS IS G^ o o S5 o ■^^j S S "^T, (^^ '^T, S S 1=3 o t» O O Ol o s CI O C' Ol o ^^ „ ta_ -~] -1 wl p o o 1^ W * » C.-! ili. = B » S^^' o V. O C- o •^ ^ o o o o ^ o o 00 ts Is ro » B -1 C, ^ == ^ c ti^ t« ^ 04 w"'. -1 OI CI o« ta^ k-^ I 1 c o XI 'cr- oc s » ct; c; * » = s c w^ ^ C Ol 00 CJT. O Ol -4 Ot ^^ o O V- O -1 "L. » » 'V s s » s « o c^ o ci 3 ci O C-5 — 191 — . Ce nonibre de dix groupes, auqiiel nous nous som- mes borne, dans le classenoent des lerres de rarron- dissement, paraitraacerlaines personnes Irop restreint; d'autres nous feront peul-etre le reproche contraire ; e'est apres un stirieux examen que nous nous y sonimes arrete : ce sont les types qu'une enquete minutieuse nous ont indiques ; admeltant toutefois que certains groupes, lels que la terre rouge ourousse, pourraient tres-bien comporter des subdivisions ; mais alors, oil seraitla limite? Dans la suite de nos recherches, ces terres n'ont pas ele toules egaleraentsoumises a nos raoyens d'analyse. II peutetre utile d'indiquer les motifs denotreclioix: La terre crayeuse , la greve calcaire et la greve de montagne forment cliacune une trop forte partie du sol, pour que, quelles que soient les experiences ante- rieurement publiees, nous puissions nous dispenser de les repeter. Lesableetl'argile sonttelleraentcaracterise's, qu'une recherche analylique ne nous eiitfait voir que les pro- prietes physiques el chimiques, si souvent indiquees dans ces terres de composition extreme. Nous pouvions done, d priori, juger de leur mode d'action. Parmi les autres terres importantes par la superficie qu'elles erabrassent, restent la terre rouge ou rousse, la rougiere et le Union. La terre rouge ou rousse, un peu plus importanle que les deux autres par son etendue^ Test beaucoup raoins par sa position culturale ; elle sert souvent , comme nous I'avons dit , de transition aux deux ter- rains, et formant une ceinlure presque continue sur le flancdes montagnesdu terrain Icrliaire, elle se trouve placce dans les pays vignobles^ c'esl-a-dire depcliles — 105 ^ cultures. Elleliont, du reste, le milieu, quanta sa com- position et a st's prop) ieles, entre la rougiere ct le limon, variant de I'une a I'aulre. Les echanlilloiis qui nous ont servi pour iios essais out ete pris : Pourlacraie. . > . Commune de Brimont. — Siilerv. — Dizy. Greve Commune de Sillery. Grevede montagne. . Communede Couvancourt. — Fourcy. Sable Commune de Remain. — Pouilloii. Tcrre rouge. . . . Communede Pouillon. — Louvois. Rougic-re CommunedeBouvancourt. Limon Communede llomain. — Romicfuv. Argile. ..... Communede Breuil. Terrede prairies. . . Communede Dizy. Chimie. On a bcaucoup ^crit depuis Bergmann sur la com- position chiraique des terres j apres avoir fonde sur ce genre de recherclies les plus belles esperances, apres que les chimistes du plus liaut merite eurent fait les analyses les plus minutieuses , on abandonna comple- tement ce mode d'investigations, et aujourd'liui meme on ecrit qu'il est inutile et superflu ; comme apres tout exces on s'est laisse en trainer a I'exces conlraire. Si les proprietes physiques agissent puissamment sur le mode d'action du sol, depuis longtemps il est prouvc combien les elements constitutit's ont d'in- 13 — I9G — fliiciice inline physique , et combien raddilion d'un element, en minorite change les resuUats. La connaissance de ces elements nous permet une coniparaison plus facile et souvent nous indique la cause dcs difleiences. Dans Tanalyse d'une terre, Ton reclierche, soil les clemerts qui concourenl a la formation des plantes, ele- ments loujours en tres-faible quantite dans le sol, tels qne I'humus ou malieres organiques en decomposition, I'acide phosphorique, I'acidesulfurique, les chlorures, la potasse, etc. ; Soit les elements dont la presence constitue un sol doue des meilleures proprietes physiques et mecani- ques ; elements qui sont : I'argile, le sable et le carbo- nate de chaux, quelquefois I'oxyde de feretle carbo- nate de magnesie. Le premier genre d'analyse ne pouvait nous etre demande, car Ton sait que les principes que I'on re- chercherait dans ce cas, variant avec la. quantile de fumier apportee, avec le nombre de recoltes deman- dees, avec le genre des recoltes , varient avec chaque parcelle de terre. Dans la recherche des elements generaux du sol, une exactitude matheraatiquen'est pasnecessaii'c ; car i'on coraprend combien estindiffcrenterindicationde quel- ques centieraes de plus ou de moins d'un element qui pent entrer pour 60 ou 80 pour 0/0. Lorsqu'il etait en tres-petite quantite , nous avons en recours a des raoyens plus rigoureux. Voici, du rcste , succinclement, la marche suivie dans nos essais; on jugera de leur exactitude : Avanttoutes nos pesees, nous portions la tempera- ture de 150" a 160" d'un bain d'huile entretenu a une — 197 — tenipt^iadire a peu pres constante, an luoyen d'une lainpe. Un tlierniometre indiquait la tomperaliire. 1" Lavage pour enlever les matieres solubles ; 2" Dosage de 2S grammes ; (En meme temps que I'on reelierclie les principes constituanls, il y a avantage a determiner de suite Tetal de ces parties.) 3° Separation par I'eau, au raoyen dedecanlations successives : A du gravier ) / separationa la main apresavoir fait secher; du sable ) B el des raalieres tenues ; Dans les terrains qui constituent rarrondissement, le gravier et sable ne pouvait etreque calcaire-sili- ceux, ou quelquefois, comme dans la greve de mon- lagne, ferrugineux ; 4" Dosage de la partie calcaire , en determinant Tacide carbonique ; Sur line balance en equilibre, nne capsule de pla- tine contenantde Tacide azotique faible, on y verse 5 grammes de la matiere a essayer, el Ton deteiniine par une pesee le carbonate de chaux, sadiant (jue 100 parties renferment 45.7 d'acide ; 5" Puis, par dillerence, on a la silice contenue; 6" Pour les matieres tenues, dosage du calcaire par le meme procede ; Cependant, lorsqiril s'est presente en petite quan- tite, dosage direct, en traitant par Tacide clilorhydri- que, puis ammoniaque, enfin oxalate d'ammoniaque, et chaullant au rouge, puis pesant la chaux tiede. 7° Dosage de I'argile el de la silice des matieres tenues. Onprend 5 grammes de ces matieres debarrassees — 198 — de leur calcaire par acide chlorhydrique etendu (1 ), traitant par I'acide sulfurique etendu; ebullition d'une heme ; filtration et pesee de la silice ; raluraine a ele dissoute. On peut admettre que I'argile renferme, sur 40 p. 0/0 d'aluniine, 60 de silice; on a facilement les quati- tites d'argile et de silice pures. La methode suivie, dans laquelle on ne se sert que de trois r^ictifs, est loin d'etre la plus esacte , mais, assurement, c'est la plus expedilive, et son approxi- mation nous a paru suffisante par la comparaison d'un essai fait par nous avec une analyse que Barruel enlreprit par I'ordre de M. de Brimont, et quoique la terre fut prise sur la merae commune , rien ne nous permettait d'esperer ce resultat. Nous les donnons tons les deux plus loin. Que ce soit au moins pour nous Tesperance que nous avons atteint notre but pour cettepartie. (l)L'acide chlorh\-tirique dissoul un pen d'aluminc et de fer, quoi- que etendu. (Marne.) TAient de Reims. Gravier. Sable. Malieres tenues. Calcaire du gravier. du sable. drs mat. tenues. Silicedu gravier. . . du sable. . . . des mat. tenues. 62 J 00. Aluniine. CALCAIRE. ARGILE. SILICE. , S 67, ROCGIERE. 100. dOO » 00 » 11 1' S2. 47 100. » 24 Carb. decLoni.l. 40 )2.80 Oiyde de fer. ^ • ^^ 88. 60 8. 60 dOO » ''MAl^^^:.) TABLEAU DE L' ANALYSE des principales TERRES de I'arrondisscmcnt do Rf.ims. CR\IE ARABLE. fJr.'ivicr. Sllblr. Miilii'ics iciiiios. )0. 00 -21. 08 (\-2. 92 'C:ilciiii'(' rill ^;i:ivifr. (Ill s.'ililc. . (IfM inul. tf^nors. Sili('(Mliiffrjivif>r. till s;il)l('. . . . lies iiMl. iL'iilirs. 100. » GREVE DE VALl.t{. GRETIDEllOMiGSE. iiao^. J. .■>3. 40. 1-2 74 Hi 1 00. » \V>. 00 9. (■.« il. 0(1 (ii Aliiiiiiiic CAI.CAIHE. AIlClli;. sii.ici:. . o "I 17. 0(1 j 5. 00 67. 04 7. 71 24. (15 100. i-1 II. 2 11. 21 / /.I. J7. 17 I 8J » » J 22 40 } 24. CO 2 20 ) i. 47 oiyde dp frr. o. 09 » 4. 70 9.-. -il iOO. » Caloairf M « 09 \ 1 7 .'i(l 13.47 I a "J 2. 40 ) 53. 32 JO. 92 I 29. 12 100. 17. rj:. to 9. 70 100 » 100. B 100. Calr.iirc ftl iin ppu ^ „ doijHe Hi- f,r. <>. 00 82. 47 14. 53 nouGrtRE. 100. 100 Orb. drcU,..!. 40 >2.80 ()<)-.lr (le (fr. 1 . 40 ) 88. (10 8, CO 100 — 190 — APPENDICE All TABLEAU. CRAIE ARABLE. Analyse de Barruel. Sable siliceux. 27. 80 Carbonate dc chaux. 66. 70 Phosphate dechaux. 2. 00 ) 100. Alumine. 2. 30 Hydrate de peroxyde de fer. 1 . 20 Alt /re essai. Greve. 24. 00 j Sable. 14. 00 I 100. » Matieres tcnues. 62. 00 J Calcaire. 73. 00 \ Sable. 24. 00 | 100. » Argile. 3. 00 ^ La discussion de ee tableau, qui pourrait fournir les observations Ics plus importantes surles araendements et sur la nature particuliere des engrais, ne doit pas trouver place ici. En traitant la deuxieme question, nous verrons eu quoichacun des elements agit sur le fumier ; qu'il nous suffise de constater ici que le calcaire varie de 3 a 74 0/0 ; I'argile de 4 a 73 0/0 ; iasilice delOa 75 0/0; legravier dc 0 a 25 0/0; le sable de 0 a 34 0/0 ; les matieres tenues de 0 a 100 0/0. Absorption dugaz oxygene par les lerres arables. La necessile dc Toxydation prealable du sol a ete sulfjsamment demontree par de Humboldt, Saussure, — 200 — St'biibler, el se trouve tons Ics jours luise en evidence, lorsqne, par un labour profond, on raniene une partie du sol infericur dans la couche arable; ilfaul, malgre Faclion des engrais et dcs facons, un certain temps pour quelesous sol ajoute produise un efTet avaiitageux. Les experiences des celebres physiciens que nous venons de nomnier ayant prouvc que la faculle de re- tenir I'eau entraine celle d'absorber I'oxygene, Nous classons nos terres dans I'ordre suivanl :. Grevc de montagne, Rougiere, Limon, Greve de vallee, Craie. Phi/sique. Depuis une vingtaine d'annees sculement, on a compris tout le fruit que Ton pouvait tirer de I'etude des caracteres physiques des sols. Cependant, depui& le remarquable travail de Schiibler, on a fait pen de reclierches de ce genre, etsurtout on a toujours vu ce moyen d'cxamen rele'gue dans le doraaine de la tlieo- rie, se liasardant bicn tiniidcnient entre les mains, nhabiles aux experiences delicates des homnies pra- tiques. Plusieurs obstacles que nous avons rencontres en expliquent sulTisararaent la cause: D'abord, les difficultes d'experimentalion, bien plus grandes que dans une analyse chimique ; il faut, en outre, des instruments delicals et beaucoupplus nom- breux, une lonijue habitude des observations naturel- les, agir sur des portions de sol considerables, pour avoir des resultats de quelque valeur, et ce que ne possede pas le pralicien, du temps, et beaucoup. I — 201 — Nous nous sonimes deja occnpe des propri^tes phy- siques des sols en delerniinant I'etat de leurs parties, nous n'y reviendrons pas. Quant aux niani[udations employees dans ces re- cherches, nous avons prescpie toujours suivi l(;s indi- cations de Scliiibler ; il est done inutile de les rapporlei'. Densile des lerrcs. Nous nous soninies propose, non de determiner la pesanteur sp&iliquc, niais de comparer le poids des terres entre elles, sous un volume donne, a Tetat sec. Craic arable. Grevede vallee. Grevodemontagne. Limon. 1,073 1,090 1,015 1,135 • Nousvoyons se conlirmer I'observation faite qu'une terre composee etant generalement d'autant plus pe- sante, qu'elle contient plus de sable, et d'autant plus legere, qu'elle renferme plus d'argile, de terre calcaire et d'humus, il est possible de conclure de la densite d'un terrain la nature des priiicipes qui y dominent. Imbibidondes Icrrespar Vcau. La faculte que possedent les sols de retenir I'eau, en s'opposant a une evaporation trop rapide, est extreme - ment importante par I'influence qu'elle exerce sur la fertilite. II nous a paru plus interessant de constater la masse d'eau absorbcea volume ogal plutot qu'a poids egaux , car, dans la nature, c'est par capacite egale , et non par poids egaux , que I'eau agit. La densite indiquee plus haut permet, du reste, de trouver le poids. Eau aljsorbi'c liar 100 parties do terre. Craie. Grcve. Greve de m. Roiifticre. Limon. 4i82 4875 9399 5919 54G9 19 22 Iv Temps d'imbibilion — 202 — L'argilc a iiiio graiide afTiiiite pour I'eau. On volt aussi combien I'etat tie division indue sur cetle pro- priete. Le peu d'eau relative absoibee par la craie tient a la presence du gravier et du sable, car la puissante affinite de I'eau pour la terre calcaire fine a toujours ele conslatee. Aplilude da sola la dcsskation. La facultc de laisserdissiper dans I'almosphere Teau dont elles sont cliargees est tout aussi essentiellc a la bonne qualite des terres que celle de la retenir dans lino juste proportion. Lcs tei'rains qui abandonnent avectrop delenteur riiumidite acquise en hiver presen- tent de graves embarras au cultivateur , sont surtout inabordables au printemps et oecasionuent, par con- sequent, des semailles tardives. II eutfallu, croyons-nous, lenir compte, dans cetle recherche, de trois elements qui, evidemment, inlluent sur la dessication : de la surface, qu'il etait possible de rendre egale a chaque experience ; du poids, ou plutot de la luxisse employee, et de la quantite d'eau perdue pour 100 de celle existant dans cette masse. C'estce que nous nous sommes efTorcede faire. Nous avons classe les terres dans Tordre suivant : 100 parties d'eau perdent en 12 heures : Terre calcaire. 9. 10 Greve. 8. 33 ■r, .. ^ .-rw La temperature elant 4^ l\ougiere. 5. 70 Greve. 3. 50 Si la greve de vallee n'a pas perdu davantage, cela fienl probablenient a ce que I'eau occupait la partie inferieure du plateau, par suite dela permeabilite de ce soK — 203 ^ Proprie'le's hijgrome'triquesdes lerres. Ordredu degrc d'absorption. 100 parties do tcrre absorbenl, en six hcures, a la temperature de 4", do leur poids. Greve. 0,44 Craie. 1,00 Rougiere. 1,20 Greve. 3,20 Ces resultals coiiGrment la remarquc deja faiteque la faculte de ictcnir I'eaii entraine celle d'absorber rimmidite. Pour completer I'etude des proprieles physiques, il nous restait encore a determiner : Le degre de contraction des lerres ; Leur conductibilite pour la clialeur ; Et leur echautlement par le soleil. Relrait des terres. Nous ne nous sommes pas livre ii des experiences directes pour determiner le retrait , parce que cette propriete ne depend que de I'element argile. Le sable siliceux ct calcaire ne subissant aucune influence de ce genre par la dessication, le degre de contraction, qui est la cause des crevasses, sera relatifaux proportions d'argile ; d'oii le tableau suivant : Greve de montagne , Limon , Rougiere, Craie, Greve. Conductibilite des terres par la clialeur. Ici encore, nous pouvons nous servir des experiences — 20i — de Schiibler, car elles sonl precises, se rapportaut a line unite commune. La faculte de retenir la chaleur etant pour le sable calcaire, 100, sable siliceux, 95, argile, 66, Nous avons forme le tableau suivant : 1° Craie. 98 2-^ Greve. 97 3" Rougiere. 89 4° Limon. 85 5° Greve. 73 Cette faculte explique la temperature elevee el la secheresse que conserventen ete les terrains calcaires, meme pendant la nuit. F!chauffement des lerres expose'es au soleil. II ne nous etait pas possible de resoudre cette ques- tion ; car, en comparantlescirconstances qui concou- rent a rechauffement du sol par Taction solaire , on trouve que la couleur, I'ljumidite etl'angle d'incidence de la lumiere sonl les plus influentes ; circonstances qui varient ayec cliaque terre, suivant la quantited'en- grais el I'exposition ; la nature de la surface el la composition du sol etant loin d'avoir une influence comparable. Resumons mainlenant, pour chacune des terres, I'e- tude particuliere que nous avons faile de leurs pro- prietes. Terre blanche de Champagne ou Icrre crayeuse. L'element qui y domine est le carbonate de chaux, variant de 6'f a 53 p. 0/0 ; c'est lui aussi qui donne au ^ 205 — sol loutesses propri^tes, propri«^t^s en general si nui- sibles et qui se rencontrent dans lout sol exclusive- ment compose d\in element. De couleur blanche, ces terres se seclient plus diffi- cilement, mais aussi, a cause deleur faculle de retenir la clialeur, elles restent longtemps ecliauffees el pro- fitent tres-peu des rosees etdes hrouillards. Quoicpie tres-friables et oflVant pen de tenacite, leur culture est difficile en temps liumides; car elles s'at- tachent aux instruments et forment des mottes qui de- viennentfres-dures; circonstance faclicuse, puisqu'ellc les di\ise encore. Les labours ne se font j)oint avec plus de deux cbevaux. Les pluies en forment une pate qui, en se secliant, constitue une croute nuisible a la vegetation etque la secheressefendille. Les geleesde- chausscnt les plantes et les font perir. 11 faudrait des pluies frequentes et douces ; les en- grais, comme danstoule terre, changent les proprietes physiques. Nous y reviendrons plus loin. Son sous-sol calcaire, si permeable et si avide d'liu- midile, en augmente les defauts. Greve dc vallce. Ce sol, de beaucoup inferieur au precedent, en a tons les inconvenients pousses a Textreme. Ces incon- venients sont dus, non-seulement a I'etat des parties, mais aussi au sous-sol, que Ton ne pcut mieux com- parer qu'a un crible. Une enorme quanlite d'engrais pent seule procurer quelijues recoltes, et encore ne sont-elles pasassurees, surtout contre la gelee, 11 n'est pas sans exemple qu'un champ enseraence en seigle ait perdu toule trace de cuUure. Vn vent violent avail succede a une forte — 20G — gelee, et toule la vegetation avait ete transportee au loin. Les plantations artiflcielles y viennent tres-difficile- ment et meurent dans les annees de seclieresse. Les plantations y viennent; nous avons vu a Pui- sieuls des ormes d'une venue magnifique. Dans ce sol, comme dans ie precedent, on doit cher- cher a diviser le moins possible la terre, c'est-a-dire a diminuer les facons. Greve de moutague. Est un terrain essenliellement argileux , mais le eal- caire Tient le modifler avantageusement. Ce terrain est souvent couverl de pierres, quelque- fois calcaires, d'autres fois siliceuses ou meulieres, pierres beaucoup plus nuisibles qu'utiles ; aussi , dans beaucoup de localites, necraint on pas de les enlever. Le sous-sol, calcaire ou argileux, permeable ou im- permeable, la pente plus ou moins considerable, les brouillards agissent puissamment sur les qualites du sol, exagerant ou diminuant les inconvenients produits par unexces d'humidite', II se desseche difticilement, et a cause de la grande quantite d'eau, il exige pour sa culture I'emploi d'une grande force et la necessite de saisir un temps conve- nable. La presence de Toxyde de fer augmeute sa cohe- sion, mais aussi donne par sa couleur une nuance brune qui conlribue al'absorption des rayons du soleil. Les secLcresses y produisent des crevasses tres- profondes et nuisibles a la vegetation. Si la presence du calcaire a une heureuse influence sur les labours, car ce terrain, Iravaille par un temps — 207 — liumiile, forme des niottes ou des tranches continues; il s'etTrite facilement de lui-meme dans peu de jours, ou se reduit en poudre avec la Iierse; elle en a une mau- vaisea une basse temperature, carles gelees dechaus- sent souvent les plantes. Le sable serait le meilleur remede a employer ; le prix seul en doit guider I'emploi. Dans un semblable sol, on doit se borner a la cul- ture la plus simple, a celle qui exigelemoinsde travail. Liraon. Appelees souvent terres franches, ou limon blanc, sont les meilleures de I'arrondissement. Ce resullat etait facile a prevoir, par suitedel'etude particuliere de leurs proprietes. Jamais elles ne por- tent ces proprietes a Textreme. Se travaillent plus facilement que Fargile, se lais- sentplus facilement penetrer par les agents exterieurs et les racines, exigent moins de capitaux ; les travaux y sont d'une repartition plus facile. Seulement, la presence de la silice trop fine, dite alors sablon, leur donne la propriete de se battre par les pluies, cequi neccssite des binages et des liersages. L'element calcaire qui y manque y est introduit par les marnages. Cetle operation, qui exige des precau- tions, ne sepropageque lenlement, et surlout pour le genre de terres dont nous allons nous occuper, et sur lequel elle agit encore plus efficacement. Rougiere. Ce terrain se rapproche des terrains sablonneux, mais sa proportion d'argile est encore trop forte pour lui en donncr lesinconvenients. ^ -208 — Les proprietes sont a peu pr^s les mernesquecelles des limons ; Mais sont d'line culture facile et exigent encore moinsde capitaux; ils se laissent plus facilement in- fluencer par les saisons ; si le grain du sable est trop fin , sont susceptibles de se battre par les pluies. Le marnage est encore plus utile que dans le limon, car il procure les deux elements en minorite , Targile et le calcaire, qui tous les deux ameliorent le sol. Terres rousses ou rouges. Ce terrain tient le milieu entre ie limon el les rou- gieres, se rapprochant davantage de celles-ci : les pro - prietes sont les memes. Les sables. Possedenl les del'auts exageres des rougieres ; le but du cullivaleur doit elre d'y entretenir I'humidite. Ce resullat est oblenu d'une maniere bien remarquable en Flandre par les labours en plauche. Terres de prairies ou d"Ajaux. Sol calcaire greveux, charge de principes nulritifs et argileux, deposes par les debordements des eaux; ces eaux, n'elant pas stagnanles, permettenl la decompo- sition des malieres organiques ; ce qui constitue leur ditlerericeprincipale avec les terrains tourbeux. Comme nous Tavons dit , elles sont exposees aux gelees. La cultuie n'y est pas difficile; le sous-sol, k une certaiiie profondeur, etanl imbibe d'eau, procure au sol riiumidite necessaiie. Denominalion des sols. 11 n'a pas encore ele cree de nomenclature adoptee - 209 — d'une manifere geii^rale; toutenen reconnaissant Tiin- porlanco, cliaque auleura presenle la sitnne. Sans nous arretcr, ni a celle d'origine germanique, fondee sur la culture des ceieales, tropabsulue, comme sa rivale, basoe sur les proprieles chimiques, nous ne craignons pas d'cmprunter aux deux methodes ; nous appellerons : Terre blanche, terre essentiellement calcaire , propre aux cultures del'orge,de Tavoineetdu seigle ; Greve de valle'e, gravier calcaire , propre aux memes cultures ; Greve de monlagne, terre argileo-calcaire, firoj.re au froment el a I'avoine ; Limon blanc, ou terre franche, siliceo-argileuse ; terre a ble, avoinc et [elite orge ; liougiere, siliceo argilcuse, oii la silice domine, terre a ble, orge et aroine ; La terre rouge ou rousse pourrait recovoir la menie denomination. Sable, terre siliceo-calcareo-argileuse, propre au sei- gle, au sarrasin et a I'avoine; Pour la terre de prairie, sonnom indique suffisamraent ses proprietes qui tiennent a sa posi- tion , quoique la plus grande partie soil mise en culture, par suite de defri- clicments successifs. DEVXIEME QLEST10^. Quelle est la quantite de fumier a y nietlre par hec- tare ? Comment convient il de I'employer ? Est-il plus utile de fumer h s terres de cet arron- — 210 — dissement tousles Irois aas que lous les neufou dix ans? Doit-on employer le fumier avant ou apres que la fermentation putride a produit son effet? Quelle est la quantite de fumier a y mettre par hec- tare ? Cette premiere partie de la question ne devait, oe pouvait etre resolue d'une maniere directe , absolue. La quantite de fumier yarie, en effet, avee I'assole- raent ; Passolement ne pent etre le meme pour toutes les terres. Oil done prendre Tunite de comparaison ? Etait-ce pour une masse egale de matieres organiques fournies? Mais la composition des produils, et par la I'epuiseraent varie avec ces produits a masses egales, et, du reste, le but du cultivateur n'est pas de produire la plus granile masse. Ilcherche, aucontraire, les pro- duils qui, sous le plus petit poids, ont la valeur echan- geable la pluselevde, a fraisegaux de creation. Cette question en renferme deux autres qui amenent a sa solution : 1° Quelle est la quantite quel'on met dans les lion- ncs exploitations? 2° Quel est le mode d'action du sol sur le fumier ? La quantite de fumier employee nous a ete fournie par les cultivateurs. II fallait faire enlrer le volume, le poids et le degre de decomposition. La nourriture des animaux a aussi une grande importance. Nous nous sommes efforce de tenir compte de ces elements divers, et les avons signa- les quand cela etait utile. Le poids elait Telement le plus diflicile a constater. Terre blanclie. La quantite de fumier est variable avec les localite's, — 211 — el aussi avec rcpoque de la rotation, que Ton pcut fixer h quinze ou dix -huit ans. Nous cndonnons un exemple : Annees. 1. 1" Fumier et orge. 4. 2" Prairies, sainfoin ou luzcrne, 2 a 4 ans. 5. 3° Avoine. G. 4° Quelquefois apres Tavoine , sarrasin. SDanslcsbonncs tcrrcs; Jachere. Scigle. Avoine. 8. 6° Froment. 9. 7° Avoine. Ou 7" Orgc fumee. 10. 8" Jachere. 8° Prairie. IJ. Q'-Seigle. 9" 12. 10" Avoine. 10° Avoine. 13. 1 1" Jachere. 1 1" Jacheiie. 14. 12''Seigle. 12° Seigle. 15. 13° Sarrasin. 13" Avoine ou denree. Le fumier se met en deux fois, a doses diCferentes, a peu pres dans le rapport de 2 a 3. Ainsi, il se met tons les six ans, tous les neuf ans, ou tous les douze ans. Chaque voiture conticnt de 2 a 3 metres cubes de fumier, un chariot 4 metres. Par chaque voiture on fait 12 ou 1 5 tas ; ces tas, nous I'avons verifie souvent, sont, pour tout I'arron- dissement, de 16 a 1, 4 de metre cube. Dans les cultures les mieux suivies, on met de 90 a 125 metres cubes de fumier tous les neuf ans, au poids de 500 a 650 k. le metre. Cela fait 30 a 45 voitures, ou en tas ou mol(elles,de 3C0a500. 1 4 — 212 — Greve de vallce. Celte leire exige une funuiie plus consommee, et peul-eire aussi en plus grande quanlile, i-epetee plus souvent. On met de 90 a 100 melres cubes de fumier par hec- tare, tons les six ans, c'est-a dire 360 a 400 las. L'assolenient triennal, avec prairies, est generale- ment adoplepour lesterres suivanles. Greve de montagne. Dans ces terres, laquantite de fumier porlee a cha- que fiimure est beaucoup moins considerable que sur les terres blanches. 11 est moins consomme el , par consequent, moins lourd. On alterno la furaure avec un pare, tous les six ans ; on met : De 22 a 26 voilures, ce qui fail environ 300 las par hectare, c'est-a-dire 60 a 90 metres cubes. Le fumier pent peser 450 a 550 kilog. Rougierc. La rougiere recoit en volume a peu pres la me me quantite, mais le poids est moins fort. Ainsi , on com[>te en poids 16 de moins que pour la greve. On a: 20 on 22 voilures a 300 las, c'esl a-dire 60 a 90 me- tres cubes, mais ne pesanl que 400 a 450 k. Limon. Recoil le meme volume de fumier, mais plus pailleux et, par consequent, ayant un poids plus faible. 16 a 20 voilures a 300 las, ou de 50 a 80 melres cubes du poids de 375 a 500 k. Ce terrain dcmande une fumure frequenle et en — :m2 — nioiiulrc quanlitt^ que dans les terrains prect5Jen(s On adraet que le fumier s'y consomme rajtidemenl. Sable. Sans posseder pour le sable des donnees aussi prt^- cises, nous avonsvu que le fumier s''cmploie consomm«5, provenant des betes a cornes, et que la quantile varie entre celle indiquee pour la greve et celle de la rou- giere. Comnieiil coiivienl-il dc femplojer? Dans celle question renlre la derniere ; nous la trai- terons done en son temps et lieu. II s'y rattache aussi les suivantes : Y a-t-il avantage ou non a I'employer en couver- lure ? Faut-il le laisser en las sur le champ ou I'etendre ? Et etendu, faut-il I'enfouir de suite ? Le fumier en couverture est d'un usage tres-res- treint dans I'arrondissement ; meme, les essais n'en ont pas ete lieureux, ayant cte fails sur des terrains frais etdans des annees liumides, qui n'avaient pas permis de conduire les fumicrs a I'automne. Le ver blanc et la limace trou\erent protection contre la gelee, sous cetabri, et mangerent les jeunes pousses; les parties herbacees aussi ont pris trop de developpement, et il n'y a pas eu de graines. Cependant, souvent, les bons effets en ont el^ con- states dans les pays montueux ; ils prescrvent le sol des geldes. 11 nous semble aussi que Ton pourrait en ti- rer de grands avantages dans les sols calcaires el sa- blonneux, en y relenant I'huraidite. — 21/. — Fiuil-il I'li'iidiT, le funiier oii k laisscr en las ? Corame dans presque loutes les questions d' econo- mic agricole, plusieurs elements iniportants y exercent une certaine influence. D'abord , la repartition des travaux, la nature du sol, le plus grand produit, absolu que peul donner le fumier ne vient qu'apres. II est gdneralement admis dans rarrondissement qu'il faut mieux lelaisseren tas quedel'etendrej parce que, dit-on, il perd de sa force, se brule au soleil, se lave par les pluies. La reponse a ces idees se Irouve dans la question suivante. Faul-il ou lion enfouir le fumier elendu ? Quoiqu'il soit certain que la presence d'un tas de fumier pendant longteraps a la mcme place donne un exces d'engrais aux depens du reste de la terra , dans les terres calcaires, quand on conduit le fumier pour le froment, on le laisse en fas jusqu'au moment des semailles, on le recouvre de terre , cela afln qu'il se consomme moins vite. Pour les seigles, au contraire, on Tetend de tres-bonne lieure ; dans ce cas, on a con- suite surtout I'exigence du scigle, qui, comme on le sait, demande des terres bien divisees. Sur les terres fortes, le fumier conduit en hiver n'est pas elendu ; on donne au sol le temps de se dessecher, et en Avril on etend aussitot que possible. Lorsque des circonstances particulieres ne viennent pas s'y opposer, il faut etendre de suite ; on evite par la la perte de gaz fertilisants, par suite de la fermen- tation des tas, ou au moins devrait-on les rccouvrir de terre. — 21S — Eleiidu , laiil-il dc suite ciit'oiiir Ic fiiiiiiiT / L'opinion que nous avons trouvce la plus geiierale- ment repandue est en faveur de I'cnfouissement im- niediat. Nous avons trouve cependant, etcela parmi les plus intelligcnlsqui en ont faitl'essai coraparatif, des exem- ples militant pour I'opiiiion contraire. Dans les pays argileux, oil la greve de montagne domine, il faut enfouir ininiediatement, pour ne pas laisser lefumier expose au lavage des pluies ; aussi n'a- vons-nous pas trouve un seul exemple du contraire. Lorsque les furaiers sont portes au commencement de Tannee sur les champs, toiijours, si on ne les laisse pas en tas, on les enterre. L'experience a prouve depuis longtemps que, laisse expose sur le champ, le fumier etait plus vite et plus facilement assimilable. Mais il est loin d'etre prouve que reflet produit n'est pas le meme que si on I'enfouissait de suite. Un fermier cultivant sur les bonnes terres du cantoir de Fisraes nous disaitque, dans les premieres annees desa culture, il se gardait bien de laisser les fumiers ^tendus ; qu'une fois ayant fait I'essai do les abandon - ner non enfouis sur le chanqj, il en a obtenu de tels resultats, que depuis il les etend toujours deux mois avant les semailles. 11 craignait cependant de pousser eette pratique trop loin ; ainsi, il attend que les cha- leurs de Juillet soient passees. Un cultivateur de Courcy s'elait charge des labours tl'un lot de terres assez important; le propriclaire, (]uelU' que soil la saison, olendait ses fumiers ; lui, au' contraire, les soignail en veritable Chauipeiiois. Kh — 216 — bien ! toujours les recoltcs du proprietaire oat etc plus assurces, et il aflirma que les recoltes suivanles ii'en soulTriraient pas. Une raison, ce nous semble , domine loules les na- tures dans cetle question , c'est le grand degre d'epui- sement du sol au moment oil Ton y metle furaier. II est evident que si, dans des terres complelement privees de maticres fertilisantes, on apporledosengrais d'une decomposition trop facile , les plantes auront beaucoup plus de peine a s'assimiler cet engrais re- parti danstoute la masse. Le long intervalle que Ton metentrechaque fumure demande aussi que Tengrais^ par une decomposition lente, procure de la nourriture ktoutl'assolement. Nous avons ete a meme de recueillir cette observa- tion souvent faite. 11 faut laisser etendus les fumiers tres-raouilles et ceux qui sortent d'une fosse dans laquelle ils ont ete longtemps baignes de mare ; car ces matieres ont be- soin d'absorber une certaine dose d'oxygene pour la decomposition des matieres non azolees. Esl-il plus ulile de fuiiier les terres de eel arrondissemenl lous les Irois ans que lous les neuf ou di.v ans. Presque tons les cultivateurs sont d'avis qu'il fau- drait mieux fumer moins et plus souvent. Cetle opi- nion, qui est aussi la noire, est complelement en desac- cord avcc la pratique. Plusieurs causes expliquent cette anomalie : le man- que de capitauxdu cultivateur, et le peu de dureedcs baux pendant longtemps restreinte a neuf ans. En effel, le cultivateur, qui toujours possede des — 217 — terres dans une proportion plus giande que des capi- faux, est force de vivre au jour le jour ; il tire alors d'une terre tout ce qu'il pent en tirer, reservant son fumier pour les ferres dont 11 ne peut plus rien oble- nir; il allonge autant que possible le temps de pro- duction des premieres ; lorsqu'elles sont epuisees, il est oblige de raetlrc unc masse considerable d'engrais, sans quoi le fumier ne produirait aucun eil'et. Cette masse d'engrais est encore justifie'3 par la cul- ture dufroment, culture peu propre aux terres blan- ches, et qui, pourdonner des resultats, a besoin d'une forte dose de fumier. Ces deux raisons nousont paru les principales, car elles irouvent leur application etnous ont eledonnees particulierement dans les pays pauvres, oil Ton veut faire venir le froment, malgre les proprietes du sol. Dans les pays plus riches^ les fumures sont beau- coup plus frequentes, souvent tons lestrois ans ; elles ne depassenl que rarement six ans ; dans les aulres, au contraire, de six a dix-huit ans. Il serait beaucoup plus rationnel de conimencer par rendre le plus parfaile possible la machine, c'est-a- dire la terre a laquelle on confie ses matiJ^res premieres, c''est a-dire les graines ; c'est ce qu'on nous exprimait fortbienen disant : « Qu'il faudrait d'abord ratleindre ses terres, et qu'ensuite on pourrait fumer nioins etplus souvent. » C'est a quoi tendent les bons cultivateurs. On comprend asse/, Teffet produit sur les terres par les bauxde courte duree, pour qu'il nous suflise de le rappelor. I^a theorie vient aussi a I'appuide cette conclusion. En eflet, on sait qu'independammeut des mutieres — 218 — inorf^aniqucs , les engrais n*ai>issei»l que par Ics pro- diiits de leur ilecomposilion, lesquelssout des carbures etdes sels a based'ammoniaque, dans le lerme au-dela duquel il n'y a plus ni deconipositiou ni metamor- phose possible sans raction vitale, et I'acide carboni- que, rammoniaque et Teau, ces produits une fois formes, ne peuvent restcr qu'en proportion tres-limitee dans le sol. Une grande masse de fumier se trouve dans des cir- coustances plus favorables a la decomposition. II y a done une double raison a la plus grande doperdition des parties fertilisantes : la quantile de gaz produits ct leur plus grande rapidite a se produire. Doil-oii employer le fiiiuier avaul on apres que la (eniieiilalioii piilride a prodiiil son cffel ? Si nous cherchons la solution decette question dans la pratique, nous voyons que la cause qui a surtout determine le cultivateur est la nature du sol. En ellet, dans les terres calcaires, ainsi que dans les sables, terres friables ou legeres , sur lesquels les agents exterieurs out deja trop d'action , on emploie des fumiers gras, decomposes, divises. Dans les terres fortes, au contraire, la tenacite de la terre a consacre Temploi des fumiers longs, pailleux et frais. Si, independamment de ces ciroonstances, on inter- roge I'opinion geiierale, elle est presque tout entiere pour les fumiers peu decomposes ; elle admet, non- seulement qu'une quontite de fumier reduit produira moins dVflet que si on I'avait employe frais, mais elle doutc quolquefois meme si, a masse a peu pros egale, — 219 — reflet total produit sera toujoiirs a ravanlaiic dii fil- mier le plus consomme.. I! est evident pour tous que la fermentation en- leve aux engrais une si grande quantite de leurs Ele- ments, qifabandonnes dans des circonstances convena- bles, on ne trouve plus pour residu que ce que leur incineration eiit produit. Cetle perte a ete si bien remarquee dans les localites oil la nature du sol commandait des engrais courts, que toiijourson a eu rccours a quelques moyens pour fixer les gaz qui s'ecliappent, tantot a I'eau, tantot par I'emploi du platre, du sulfate de fer, des conipostesy qui ont alors le double avantage d'introduire avec les engrais des elements necessaires au sol. Comnic exception a cette regie, indcpendammentde la nature de la terre, on mettra des engrais consom- mes dans une terre epuisee ; cefait d'experieuces'ex- plique facilement : La decomposition des engrais, comrae toute fermen- tation ou putrefaction organique, a besoin d'un principe analogue au ferment, a la levure, pour entrer en de- composition , c'est-a-dire qu'il faut le contact d'une matiere elle-meme en decomposition pour produire la decomposition de la masse. Si done la terre est epuisee, le fumier frais ne troii- vera pas cc principe de decomposition, ou le trouvcra en si faible quantite, qu'il faudra un temps Ires-long pour decomposer le fumier. Si aussi on applique le fumier sur une plante qui vient tres-vite, ou bien encore si on I'applique trop tard , pour qu'il ait le temps de commencer sa decora- position avantiessemailles, ily a uvuntage a remployer court. — 220 — II est cependant de la plus grande utility en culture d'avoir des furaiers assez spongleux pour imbiber les urines. Get etat ne s'obtient qu'apres un commence- ment de decomposition. Cette pratique nousasemble generalement trop ne- gligee ; maiutenant qu'il est bien prouve que les en- grais agissent principalement par leurs principes am- moniacaux ( les elements inorganiqucs elant en suffisante quanlile), que toute decomposition de sub- stances azolees a pour terrae I'ammoniaque, on com- prendra combien la valeur des urines est superieure a celle des excrements , sachant que les excrements de chevaux ne contiennent pas 1 pour 0 0 d'azote,tandis que les urines contiennent presde 6 p. 0,0 de matieres azolees ; Que, sous le rapport de I'azote, lOOd'urinehumaine equivalent a 1,300 de crottins de cheval frais ; a 600 de bouse de vache. On comprend dans toutes les fermes ce commence- ment de decomposition necessaire au fumier, qui pent alors achever de se decomposer dans le sol, et qui, im- bibe d'urine, a une force beaucoup plus grande. Aussi le laisse-t-on continuellement sejourner de quinze jours a sixsemaines dans les cours. On pourrait seule- ment prendre plus de soin a ne pas perdre les urines. Maintenantque nous somraes arrives au terme de no- tre travail, nous ne pouvons nous dissimuler que bien des questions sont encore indecises, que bien des fails de- manderaient un plus mur examen ; mais nos connais- sancestroplimileesetnotreexperiencelropjeune encore ne nous onlpas permisde pousser plus loin nos inves- tigations. Seulementnous avons la confiance d'y avoir apporte lous nos soins, et d'avoir, autant que possible, conlrole tousles fails enoncespar ropiniou la plus gene- rale. Presque toujours nous n'avons ete qu'un instrument recueillant les idees et les avis que la complaisance et le bon vouloir des cultivateurs de I'arrondissement nous ont communiques. II nous est done impossible de ne pas leur rapporler le peu de bien, s'il y en a, qui se trouve ici, et il nous est necessaire de leur temoi- gner combien est grande notre reconnaissance pour I'hospitalitequ'ils nous oat si genereusementaccordee. — 222 — PROCLAMATION DES PRIX ET DES MEDAILLES. L'Academie, dans ses seances des 18 Avril et 2 Mai, a fixe ainsi qu'il suit la liste des recompenses. fiCONOMlE AGRICOLE. Le prix otTert par un ancien cultivaleur est decerne a M. Edmond ARNOULD, propri^taire a Toussicourt, auteiir du inemoire n" 5. Une mention honorable est accordee a M. Maillet Ills, auteur du memoire n" 3. ECONOMIE POLITIQUE. Le prix n'est pas decernd. Une medaille d'argent de premiere classe est ac- cordee a M. LOISSON , de Paris, auteur du memoire n-^ 4(1). Une mention honorable est donn^e a M. Henry JU- LID , auteur de VHisloire de Be'ziers, pour le memoire n° 2. MEDAILLES D'ENCOURAGEMENT. L'Academie decerne une medaille d'argent : 1° A M. Jules PERREAU, de Reims, pour sa tra- duction en vers de Y Hamlet de Shakspeare (medaille de premiere classe) ; 2° AM. HUBERT, professeurde philosophic au col- lege de Charleville, pour son travail sur I'enseigne- nient primaire ; ( I ) Lc uic-inoiro iIc M. Loissoii sera public dans la prochaiue liv rai- sou ilea Seances li liuvaux. — 228 — 3« AM. MAILLET fils, de Reims, pour son Essaisur Van (Vameliorer les lerres ; 4« AM. CHARLIER, medecin-veterinaireaReims, pour son Me'moire sur les maladies spe'ci/iques du clieval ; 5" A M. CANNEAUX, de Reims, ne^gociant a Lon- dres, pour son invention d'une machine a doser levin de Champagne; 6° A M. HERRfi fils , pepini(^riste a Reims, pour ses travaux d'horticulture. ACADfiMIE DE REIMS. PROGRAMME DES CONCOURS OUVERTS POUR L'ANNEE 1845. HISTOIRE. « Faire I'histoire du siege de Reims par les An- » glais, en 1559. » On devra exposer les causes qui amenerenl cat e\b- nement, determiner le caractere de I'invasion anglaise, indiquer la raarche et les positions de Tennemi, Tat- litude des Remois, ieurs moyens de defense, leurs sue ces centre Tarmee anglaise, et faire voir jusqu'a quel point ilspeuventse glorifler d'avoir preserve la France d'une invasion totale. Les concurrents devront aussi discuter la valeur des reproches adresses a I'archeveque Jean de Craon, par quelques historiens, et rechercher s'il existait un parti anglais dans la ville, et si le siege de Reims n'a — 223 — pas exerce quelque inlluence sur les iuslitulions inlt?- rieures de la cite. fiCONOIVIIE POLITIQUE. « Faire Thistoire de I'industrie manufacturiere » a Reims, et de ses differentes phases jusqu'a » nos jours; exposer sa situation actuelle en la » comparant a celle des villes qui lui font con- » cuirence; enfm, par le chiffre de ses produits, » par I'appreciation de leur qualite, par I'enume- » ration de leurs debouches , determiner le rang » que la villc occupe parmi les grands centres de > fabrication et quels seraient les moyens les plus J efficaces pour assurer les progres de son indus- » trie. » ECONOMIE AGUIGOLE. f Prix offerl par un anckn cult'ivaleur, pour I'annee 1845- 1846.; « Resoudre au point de vue des besoins de I'a- » gricullure, la question des irrigations, pour > les diverses communes de I'arrondissement do » Reims. » Les concurrents devront rccliercher s'il serait possi- sible de creuser des puils artesiens dans certaines lo- calites. lis Iraceront Texpose des connaissances a I'aide desquelles la geologic parvient a decouvrir les sources centrales, les infiltrations souterraines, et ils indiqueront les moyens economiques deconduire leurs eaux dans les communes, lis analyseront les procedes nouveaux donnes par la science pour I'etablissement — 22G — ties mares d'eau, et ils chercheront a en rendre I'appli- cation simple ct facile. Enfin, ils Iraceront I'bisloire de la science hydroscopique, et ils s'attacheront sur- tout a decrire les ingenieuses recherches si souvent couronnces de succes de M. Tabbe Paramelle. Les prix consistent en une medaiUe d'or de 200 francs, pour la question d'histoire;enunemedaille d'or de oOO francs pour la question d'economic industrielle, et en une medaille d'argent de premiere classe,pour la troisieme question, qui seront dccemecs dans la seance publique de I' Academic du IbAvrilau iQ Mai 1846. Les auteurs, ne devant pas se faire connaUre, inscriront leur nom et leiir adrcsse dans une note cachetce, sur laquelle sera repetee I'epigraphe de leur manuscrit. Les mcmoires devront etre adrcsscs (franco) a M. le doc- teur Landouzy, secretaire de I' Academic, avant le i^ Mai i846, terme de ricjueur. L'Academie distribuant en outre des medailles d'encouragement aux auteurs des travaux qu'elle juge dignes de recompense, les personnes qui croiraient avoir droit a cette distinction, enverrontleurs litres au secre'- tariat, avant le 15 Mai 184G. Reims. — L. Jacolt-t, imprimcur (lol'Acadcmie, SEANCES ET TRAVAUX DE L'ACADEMIE DE REIMS. f 15. Seances des % ot I4> llaS 1945. SOMMAIRK DES DEL'X SE.WCES. Correspondance. — Rapport de M. Bonneville , au nom du conseil d'administralion , siir une modification iraportante a introduire dans Ic mode d'cnvoi dcs actes de rAcadomio aux correspondants. — Rapports de MM. Geoffroy de Villeneuve et Guillemin sm' les concours ouvcrts pour IS-io. — Rapport de M. Courmeaux sur les questions i mellre au concours pour 184G. — Examen du pro- gramme des 'questions posees pourlc prochain Congres scientifique. — Lecture deM. Contant : Rapport sur un memoire de M. Hubert , deCharleville, ayant pour litre : Memoire sur rcnseignemcnt pri- maire. — Lecture de M. Philippeaux sur les raoyens de rendre no- ire theatre purement national. — Memoire sur quelques monnaies de Cliampagnc, par M. .lolibois. Memoire de M. Loisou sur la question d'economie politique. Les deux seances sont ouvertes sous la presidence de Monseigneur rarchevequc. La correspondance iniprimee comprend : 1" Les dernicres livraisons de Touvrage sur Reims , par 15 — 2-28 — MM. P. Tarbe el Miujuaii ; 2" le Coniptc-Rendu des travaiix de rAcademic de Besancon ; 3" le Journal de la Sociele d'agricullure des Ardennes ; 4° les Coraptes- Rendus des seances de rAcadernie des sciences ; 5" un Menioire sur la cometc dccouverte a I'Observatoire de Paris le 7 Juillet 1844, par M. Mauvais, membre de riusUtut ; 6° mi Memoirc sur la deterniinalion des perturbations absolues dans les ellipses d'une escen- tricite quelconque , par M. Hansen, traduit deTalle- mand par M. Mauvais; 1" le Journal des Savants; S" les Annales de I'Auyergne, tome xviii° ; 9" le cuivre original deMoreau, reproduisant lepourtrafc/d^' la ville^ cite el universite de Reims , ofl'ert par M. Collesson. La correspondance manuscrite comprend : 1° Une lettre de M. le inaire de Reims, qui remercie I'Academie de riiommage qu'elle a fait a la ville des curiosites chi- noises envoye s par M. Rondot ; 2° une Ictlre de M. le prefet de la Marne, qui annonce une prochaine deci- sion du Cornice agricole , relalivement a la demande faite par la commission d'organisation du Congres ; 3" une lettre de M. Hubert , acconipagnant I'envoi de son travail sur renseignemonl primaire (rapporteur M. Contant); 4" une lettre de MM. P. Tarbe et Ma- quart , accompagnant Tenvoi des Essais sur Reims ; 5° une letfrc de M. de Piiileville-Cernon , avec en- voi d'un Memoire sur rechenillage ; 6" une lettre de M. Bourdonnc, qui fait hommage a I'Academie de ses Essais sur la stalistique de la France. OFLUENCE DE COLBERT SUR SON SlICLE. MEMOIRE SUR CETTE QUESTION tnisc au concours par T Academic de Reims. Je TOudr»is que mes pTOjfla dissent une fin henrcucr, que cc rnyauoie jouit des douceurs de I'abondance , quo tout le 'nionde y fill content, el, tans dignilrs, sans lionneurs « i-loigne des nflaires publ^ues , voir I'Lerbc croi(rc dims mes couis. i.-b. colbtbt. Quelle fe'condc et glorieuse mission que le role de la France en Europe, vers le milieu et la fin du xvii'^sie- cle ! Quel admirable spectacle que celle revolution paci- fique dans les idees, dans les moeurs, dans reconomie sociale des peuples, accomplie alors par I'exemple d'un sage gouverncraent et d'unc grande nation! Les der- niers vestiges de la barbarie effaces tout-a-coup , comme par enclianlement; a leur place, les lumieres, la politesse, tous les bieufaits de la civilisation mo- derne; les vrais principes de la politique appliques pour la premiere fois avec un ensemble, une suite et des resultals auparavant inconnus ; les sources et I'em' })loi dos revenus publics revcles aux princes et aux — 230 — liommes dV'lal ; rintelligcnce cl I'ardeur d'une popu- hition florissanle tournecs par dos mains Ij;ibi!es vers toutes les carrieres dc I'aclivite huraaine, et y multi- pli.iiit les prodiiits les plus utiles et les plus varies ; les riche?ses du pays ecliangecs oonlre les denrees du nionde enlicr par un commerce immense, cl sous lalu- telie d'line marine formidable; la police du roynunie et toutes les parties de radmiiiislralion regies par des codes, des ordonnances, des reglements d'une sagesse consomraec, el donl la pluparl servent encore ou ont servi longtemps de base a la legislation el a la prati- que de nos voisins ; les plus beaux monuments de la science et des arts s'elevant de tous coles a la voix d'une protection eclairce; les chefs-d'oeuvre de I'elo- quence et de la pocjie rivalisant dans tous les genres avec les moclcles de I'antiquile, et paraissant comme les fruits necessaires de cctle merveilleuse epoque; la France devenue, par son hospilalite et rextension de scs largesses, la palrie des celebrites ^trangeres ; tou- tes les conqueles du genie niitional portees plus loin encore que la lerreur de nos armes; la langue de Bos- suet et de Moliere iiaturalisee dans toutes les cours ; le gout, les usages, les plaisirs de Paris et de Versailles modifiant partout los plus profondes habitudes dc la vieille societe; en un mot, un rayonnemeiit extraordi- naire de toutes les lumieres el de toutes les gloires, ayant la France pour foyer, et pour limites les bornes les plus reculees de I'avenir memeetdu monde eiilier ; — voila I'esquisse imparfaite des Iravaux el des succes qui ont illuslre la nation cl son gouvernemenla celte epoque ; voila le resume, bien incomplel el bicn pale, de tousles litres d'un rogueimmorlcl a la reconuaissance de la patrie et a I'adrairalion de la poslerile. — 'I'M — Unde nos |>liis «,iMnds rois a iiieritc I'honneur desi- gner de son riom celte page brillante dcrhistoire mo- derne. En vai.'i Cromwell , Guillaunie HI, Pierre I" ont duns le meme lemps renverse des Irones, tbnde ou relrempe dcs dynasties ; lis onl pu etonner le monde, mais ce nc sont pas oux qui Pont eclaire ; cl le \\n^ siede n'est plus aujourd'liui que le siecic de Louis XIV. Costqu'tii effct, pendant lout lecoursd'un regne [Tcsque seculaire, Louis sut commander di- gnement a la nation qui ale plus puissumment reagi alors sur toutes les anires ; c'esl qu'avec sa pas- sion pour la gloire , la droiture de son jugement, la fermcte de sa volunle, la noblesse de son carac- tere, il ne se trouva pas deplace a la lelc de ce cor- tege de genies qui accomj)ag!ie sa memoirc a I'iin- morlalite. Mais s'il anima tout du feu de ses regards, s'il determina ce merveilleux elan par sa puissante impulsion , on ne pretendra pas sans doute qu'il ait pu entrcr dans I'application , dans les details , dans I'ocuvre nieme de ces reformes et de ces crea- tions qui ont change en quelques anniies la face de la societe et de resprilliumain. Derrierele voile sacrij de la majeste royale, quel est done ce miiiistre infati- gable, toujours pret a seconder, a prcvenir, a eclairer les intentions du prince? Quel est cet lionime present partout, (jui porte seul, sans en elre aecable, le poids entier du gouver;iement interieur de I'etat ; qui, lais- santa d'aulres I'lionnenr Icn ible d'orgaiiisiT la dtstruc- tion par la force des annes, et d'ehlouir le monde pnr I'eclat sanglant des victoires, ne veut fonder la gran- deur et la gloire du souverain que sur le bjiiheur des peuples et les etablissemenls durables de la pais ? Quel est I'liommeenGn quiasu restaiircr alors les finances — 232 — delabiees, releverj'industfie et le commerce, creer une marine, construire I'immense edifice de la pratique el de la legislation administralives, eouronner tant d'in- stitutions" utiles par la poelique aureole des arls, et contribuer a la regeneration de I'Europc et de I'liuraa- nite parcelle de la France?... On I'a deja nomrae : e'est Colbert. II suffit, pour se convaincre des services qu'il a rendus a son payselasonsiecle, delesiiivredanstoutes les phases de bon long ministere ; de voir dans quel chaos, dans quelle faiblesse il trouva la France, dans quel ordre, dans quelle prospe'rile i\ la laissa. C'est tout le sujet, et ce sera la division naturellc de ce discours. PREMIERE PARTIE. II faut traverser plus de dix sieclos de la monarchie et arriver au regne de Henri IV, au ministere de Sully, pour rencontrer dans les annates del'economie politique en France un premier systeme regulier d'adrainistration avant Colbert. Meme apres la longue fermentation du moyen-age, le Gaulois, le Romain, le Barbare, juxtaposes par la conquete, n'e(aient pas en- core parvenus a sefondrecntierement et a s'assimiler. Aux differences d'origine, de culture sociale et de re- ligion, n'avait-on pasvu succeder les barrieres elevees entre les provinces, par la mulliplitite des pouvoirs independantSj des intcrels opposes, des coulumes lo- cales ; entre les popu'ations, par la variete et le nombre infini des dialectes ; enlre les classes de la societe, par la distinction profondedu servage, dela bourgeoisie et de la noblesse? II n'y avait done ni unil<5 de terriloire et dc nation, ni commiinaiUc tie laiiyagc el cl'interets; aucune facilile traction generaleel immediate enlre la royaute el les siijots. Chacune des grandes divisions du sysleme feodal no devenait-elle pas le cenlre d'une adiiiinislration plus oil moins lyrannique, plus ou moins eciairee ? Malgre les louables efforts de plusieurs grands rois el de leurs minislres pour ameliorer cetetat de choses el asseoir peu a pen les bases du gouverne- ment, ni Ic genie orgaiiisaleur dc Charleiuagne, ni la prudence de Suger, ni les etablissemeiUs si avances de sainl Louis, ni les vucs politiques de Pliilippe-le-Bel, ni le palriolisrae de Charles VH, ni le dcspotisme ni- veleur de Louis XI u'avnienl j)u fonder la nalionalite frangaise par I'liarmonie de lanl d'clemenls divers, ni conduire tout le royaume commeune seule familledans eelte voie d'ordre et de progres oil Rome avail jadis lance le mondesous sa domination. Toule I'liabilele du Bjonarque consistait le plus souvent a se maiulenir sur le Irone entre les allaques du dehors et les troubles de I'inlerieur, entre les exigences factieiises des grands et les plaintes des peuples opprimes; et la science ad ministrative se reduisit longtemps a quclques mesures financieres. Pour les aulres branchesdu gonvernement, a partquelquesreglementsisolesquenereliaitaucunprirj- cipe,lcslumierosel les facullesdes populilionsel des in- dividus, abandonnees a Icur spontaneile , s'epanouis- saientau hasard, sans utililegenerale et sans riireclion. L'ardeur frangaise, apres avoir ionglemps ilolte des guerrcs intestines aux expeditions lointaines, des dis- putes ])hilosophiques aux subtililes religieuses, com- mence eiiQn a trouver sa veritable voie sous Fran- cois I". Quel mouveraent remarquable offre le regno de ce prince vers les sciences, les letlres, les arlSjl'lu- — 234 - (lustrie et le commerce ! El, m.-dgre des fautes deplora- bles , malgre des enlreprises desaslreuses, quoique I'adminislration ful sacrifice aux preoccupations de la politique exlerieure, quel ecial cetteepoque nejclte-t- elle pas encore, memeatravers les splendeurs du sie- clede Louis XIV? Sous Henri II,rillustre cliancelicr deL'Hopital cut la gloire dc proclamer le premier quclqucs-iuies de ces maximes poliliques ct morales qui sonl devcnucs comme le code des admiuislrateurs ct des liomraes d'etat. Surintendanl des finances el legislaleur, il pour- suivit parlout les abus avec vigueur ; il comnieiKa des reformes que la fureur des pariis du temps de Char- les IX ne lui permit pas d'achevcr ; cnGn, i! ouvrit cclte route que le minislrc de Henri IV devail parcouriravec tant d'habilete, de perseverance el de succes, II n'entre pas dans notre sujet de nous etendre au long sur I'ceuvre de Sully, el nous n''en dirons que ce qui pent servir a mieux eclairer celle de Colberl, qui en fut la suite et le complement. Ne sait-on pas assez quel ordre merveilleux il introduisit dans loutes les parlies du gouverneraent ; comme il sut les relier el les cenlraliser; les reformes qu'il opera dans I'assielte et la perception des impots; i'economio qu'il apporta dans Icureraploi; ct tout ce qu'il fild'ulile pour Tagricul- ture, qu'il preferail a loutes les autres sources de la ricliesse publique? Sans interdiro Textension de I'in- dustrie el du commerce dans de sages limiles, il rcgar- dait le pdturage et le labourage comme les bases de I'ordre et des moeurs, comme la principa'e force de I'etal. Les charges qui peaent direclemenl sur les cul- tivaleurs lui })araissaienl les plus funeslcs et les j)lus jmpolitiques dc loules. Le premier ilcul la noble am- — 235 — bition de doter la France d'une marine, et y Iravailla avccsucces. II construisit des places fortes, creusa des ports, ouvrit des canaux et des routes, fit elever des palais, etcoramenca lesembellissemeiits de la capitale. II reforina en meme temps Injustice, et entra danstous les details de I'administralion plus qu'on ne I'avait ja- mais fiil avant lui. Si Colbert n'avait cu qii'a poursisi- vre les travaux de ce trrand liomme, te!s que les arreta la mort do Henri IV, le ministre de Louis XIV eut ob- lenu sans doute des resultals plus prompts etpluscom- plels; mais il cut eu moins de genie a deploycr, raoins de gloire a conquerir, ayant moins de difficultes a vain- cre et moins de maux a reparer... II n'en fut pas ainsi. D^ux ministeres bien differents devaient separer la fin de Sully des commencements de Colbert, et remettre presque tout en question. Le genie de Richelieu ne pouvait me'connaitre les vrais principesde I'adminislration des finances, dont le regne precedent avail fait une si neuveet si heureuse application; mais les necessites du moment le force- rent toujours d'en negliger la pratique. Quant aux au- Ires details de reconomie intdrieure, il lesabandonna a des mains inhabiles on infideles, preoccupe qu'iletait d'affranchir la royaute des pretentions de Taristocralie cldu conlroledes pariements, etdedelivrer la France de la faction proteslante et de la preponderance de )a maison d'Autriche. Les traditions de Sully furentdonc bienlot oubliees ; le desordrc se mit dans les finances et dans lesautres parties des services publics. Mazarin, au milieu des embarras de son ministere, avec sa Icgerete, sa cupidite, son sjsteme de corrup- tion, n'etait guerc capable de remedier au mal : sa fi- nesse, d'ailjeurs, convenait mieux aux negociations — 236 — qu'au gouvernement, a la politique qu'a I'adrainistra- tioD. 11 laissa done loul empirer. Parlicelli, sa crea- ture, a force de Douveautes financieres et par suite d'exactions odieuses, avail enfmameae la guerre dela Fronde. Ce commencement de revolution, qui aboutit au ridicule, eut done pour premier pretexte « la re- forme de Petal, que le mauvais menage de I'adminis- tralion meltait en peril. » Mais , apres cinq ans de troubles occasionnes par le desordre des finances, on sail que Fouquet, successeur de Parlicelli , elail par- venu a met Ire plus de confusion encore dans les affaires,, par I'embarras de ses comptes ef la folic de ses piofu- sions ; el comme c'est au sorlir de ses mains que Col- bert a pris les renes de I'administralion, 11 imporle d'en bien faire connaitre lesabus au moment de la dis- grace du dernier surintendant. Ce nerf de la guerre, qui est lout aussi bien celui de la paix, les finances souUVaient done alors : 1° d'une foule de vices conslllulifs el inhe'rcnts au systeme meme, ouplutota la routine; 2° (Tabus provenant, soil de la corruption des agents, soil de la ne'cessile et du malheur des circonslances... 1" Au nombre des yices du systeme il faut placer la repartition injuste des impots el la proportion inegalc deleur assielte. La branclie capilale du revenu public elail la taille, contribution directe et fonciere, etablie d'abord par Louis IX, etrenouvolee lemporaireraent sous ses suc- cesseurs, jusqu'a Charles VH , qui la rendil perpe- luelie. C'etait un impotlout roturier, et qui, dans I'o- rigine, represcntait pour le labouieur une sauvegarde centre les gens de guerre, el I'exemption du service znililaire. II n'elait done paye que par lepeuple, el ne — 237 — pesail ni sur le clerge, ni sur la noblesse, ni sur lesoffi- ciers publics, au nombre de 45,000. — Qu'arrivail-il de la? Commeraristocralie elle clerge, quoique raoins nombreux, possedaient les deux tiers des tcrres , tan- dis que la roture possedait I'autre tiers seulement, la parlie de la nation la plus riclie, el avec elle plus de la moilie du terriloire echappait aux chari^es les plus lourdes, au fond meme de rim|)ot; les ressourccs pu- bliques en etaient aQaiblies d'aulant, et lout le poids de celle contribution, la premiere en importance, retom- bait sur une faible parlie des terres et sur la masse pauvre, qui avail en outre a supporter la dime, les droits feodaux, les depcnses locales, sans p'irler des depredations des seigneurs, des exactions des gouver- ncursde provinces et des coUecteurs. Outre les pertes qu'essuyail le tresor par suite d'un pareil sysleme, tons les droits do I'equite, de la raison, de I'liumanitd n'etaient-ils pas violes?... Touterois celte inegalile au- rait pu etre compensee , si les ante , ou contributions indirecles , instituees en apparence pour retablir I'e- quilibre, avaient cle assises de maniere a alteindrece but. Mais, au lieu de menager le pauvre et depeser principalement ?ur le riclie , en ne frappant que les consommations de luxe, clles aggravaient encore la mi- sere du peuple, rcslreintes, comnie elles rctaient, aux denrees de premiere necessite, aux objets de consom- mation commune et generale. — Des chiffres feront mieux comprendrece defaut de proportion. En 1660, lalaille^payee par la roture, s'elevaita57,000, 000 liv.; les aides, payees par la roture egalement, par le clerge et la noblesse , ne monlaieot qu'a 152,000 liv. — Et aucan adminislraleur n'avaiteul'idc'e rationnelle et cc- nei-euse de retablir requilibrc^ en augmcntant le pro duitdes aides, pour diminuer lo poids des laillos! — 238 — Philippe deValois, qu'Edouardlll appelait plaisara- nmat Vauteurde la loi salique , fuWc premier qui ren- ditfixe et permanent un impotdoublementodieux, en ce que frappant indistinclemenl le riche et '.e pauvre, il met a prix deux denrt^es que la nature a voulu ren- dre vulgaires et gratuiles, I'eau de la raer et les rayons du soleil. La gabelle du sel, ou sirapleraent la gabelle, n'avaitfait qu'augraeDterdepuis,etetait devenue exor- bitante. D'un autre cole, landis que le sel , cet objetde pre- miere necessite, etaitsiinjuslement greve, congoit-on que le (abac, consommation de fantaisie, fut a peine taxe? Les domaines,qui avaientete,sous la premiere race, la seule source des revenus publics , avaienl ete alie- nes , souvent a vil prix, dans des temps calamiteux , et ne rapportaient plus rien a I'elat. Les douanes , placees entre les provinces, au lieu d'etre reculees a la froiiliere du royaume, etaient par la meme beaucoup plus funcsles au commerce qu'uliles au tresor. En sorarae, les seuls impols productifs, la laille et la gabelle, etaient precisement les plus odieux et les moins natureis; les aides , le tabac, les douanes, c'est- a-dire les contributions les moins onereuses pour la classe pauvre , on ne savait en tirer aucun parti. 2° Un systeme deja si defectueux par le fond deve- naitplus revoltantet plus sterile encore par tons les abus du reeouvrement, jiar la tVaude des renlrees et par leur emploi. C'etait , comine nous I'avons dit, la se- conde cause du desordre. La perception elait adjugee, aux encheres , a des fermicrs qui, associes souvent avec des gens de cour, — 239 — ecliappaicnt facilcmcnl an controlc tin gouvcrncmenf, par leur credit el par I'absencede toute espece de comples et d'ecritures unifornics. Les fermiers el lours soiis-fermiers eniployaient , pour le recouvrement de Timpol, des agenls ignoranls ou cupidt-s, donlie peu- plc avail a supporter la rapacile, et qui devaient tom- ber dans des erreurs sans nombre, taute d'un cadastre compiet el regulicr. Les contribuables, imposes sans equite, subissaient done toutes lescxtorsionsimagina- bles de la part des collecteurs , qui nerendaient pas tout aux fermiers , lesquels, a lenr tourj ne devaient guere rendre a I'etat que 50 ou 60 pour cent , suivant le litre de leur fermc. Kn 16G0, sur 81,000,000 d'impols, lo tresor ne re- cevait pas plus de 32,000,000 ! . . . . Ou passail done la dillercnce?. . . . Belle question vraimenl! N'etait-elle pas absorbee , d'abord par la remise enorme des fer- miers _, puis par les frais de poursuites, d'executions , d'emprisonnement, que les receveurs c'laient autorise's a exiger, meme avant Ics droits du tresor? .... Pour jusliGer la durete de la perception , on ne cessait de pcindre les contribuables comme des hommes pares- seux et de mauvaise volonte , auxqueis il fallait faire sentir I'autorile, et que la misere rendrait induslrieux. A peine arrives au tresor, ces fonds, dont la plus grandc parlie s'etaitcgaree en route, comment elaient- ils employes? Suivant le caprice du ministreet du sou- verain : a payer les depenses de la cour, et des plaisirs plus ou moins honneles ; ou a satisfaire des interets piives; ou a soudoycr la corruption el I'intrigue, soil aa dedans, soitau dehors. Les veritablcs besoins , les services publics elaient precisementceux pour lesquels Targenl manquait. Les adminislraleuis des finances, — 240 — soil ignorance , soil malversation , ne tenaicnt aucun compte exact des rentrees et de leur emploi , aucune balance des recettes et des dispenses. Les fermicrs ne meltaient ni exactitude ni bonne foi dans leurs verse- mcnts. Le peuple surcharge ne pouvait s'acquitler. . . En 1660, 57,000,000 de taillesrendaient moins at> tre- sor que 20,000,000 en 1620. Ajoutez a cet etat de choses la Iriste influence des annees mauvaises, des fleaux, des troubles, des neces- siles imprevues , qui amenaient des emprunls ecra- sants, et de'voraient I'avenir, souvent sans profit reel pour !e present. La dette publique s'elevait a 500,000,000 de capital, sommeenornae pour ce temps- la. On cherchait des ressources parlout, dans la dimi- nution du traitement des employes, dans la suspension des paiements, dans Ja rente scandaleuse des offices de judicature, qu'achetaient les legistes et les coramer- gants. Celte invention des Valois, exploitee avec fureur par le gouvernement et la bourgeoisie , elait devenue une plaie del'etat. Sans parler du tort qu'elle faisait a I'induslrie et au commerce qu'elle privait de bras necessaires,et a I'impot dont elle enlrainait I'exemp- tion, n'avait-elle pas le grave inconvenient d'ouvrir I'entree des charges a I'ignorance soutenue de la ri- chesse, et de la fermer au merite indigent ? En meme temps 5 et a mesure que les contributions s'alourdis- saient et se multipliaient sous toutes les formes, une foule de gens chcrchaient a s'y soustraire de toutes les manieres , les uns en se refugiant sans titres authenti- ques ou a prix d'argent dans les rangs de la noblesse, les autres en ne rougissant pas de dcscendre dans une pretendue doracsticile. Entre la misere et I'egoisme , ou al!ait-on? . . A une banqueroute — 241 — To! (^tait done le desordre des finances a k chute de Fouquet ; mais comme cette branche de radministra- lion etdereconomie sociale n'est pas la scule que Col- bert ait ete appele a reformer, continuonsle tableau de I'etal du gouvernement a cette ^poqiie par Texamen rapide des aulres parties qui sent successivement lom- bees danslesaUribulionsd'un ministre pl-is multiple , lui seul, et plus ngissantque scs trois collegues ensem- ble , Lyonne, Louvois et Letellier (1). Si presque toutes les terres et leur revenu, la con- sideration et les privileges elaient enlre les mains de la classe la moins nombreuse de la nation, n'y avait-il pas moyen de crcer une autre importance et une autre richesse au peuple, en omployant son intelligence et son activite a transformer les produits du sol par I'in- dustrie, a les fairecirculer par le commerce? N'etaient- ce pas la deux ressources immenses, que les fonctions sacrees du clerge, la vie toute militaire des nobles et Tamour-proprc des courtisans abandonnaient natu- relleraent a la rolure? Eh bien ! par suite du systeme trop exclusif de Sully , I'industrie et le commerce ex- terieur, auxquels il avait accorde peu d'encourage- raents et d'exlension, avaient ete moins favorises encore sous Richelieu et Mazarin. Malgre I'cxemple dc plu- sieurs nations voisines, dont la prosperite n'avait pas d'autres sources, la France manquait de manufactures, on le peu qu'elle en avait eujusquc la etaient en deca- dence, et ne donnaient que des produits inferieurs. (1) Pendant que I.yonne etait aux affaires clrangeres, Louvois a la guerre et Letellier ala justice, les finances, I'industrie et le commerce, Tagricullure , la marine, les bailments, la police generate et les beaux-arts etaient reunis cntre les mains de Colbert. Tanto imperio par ingetiimn. — 242 — Lts besoins du luxe la meltaient done dans uneconti- nuelle dependance de I'etranger, que ses capitaux al- laient enrichir. Quant aux productions du sol francais, !e vin, le ble, le sel, le chanvre, les eaus-de-vie, c'etaienl encore des etrangers, les Ilollandais, qui venaient les charger dans nos ports, pour les distribuer au monde enlier. Les dcnrees elrangeres, cc n'etait pas la France qui les allait chcrcher au loin ; elle les faisait venir a grands frais par renlremise de ses voisins. A part une circulation interieure Ires-reslreinte el genee par ce funesle sysleme des douanes provinciales, peut-on dire que le commerce exislat alors; et le gouverne- ment faisait-il quelque chose pour le lirer du ndanl? Quels encouragcmenls, quels honneurs venaient lemoi- gner de sa sollicitude pour les intcrcls et la prosperile des negociants? Quelles facililes, quels debouches of- frait-il a leurs operations? Peu de routes, et raal en- trelenues; une navigation interieure embarrassee; point de marine pour proteger le commerce au dehors ; point de ports francs ni d'enlrepots; des droits de fret enormes pour les sorties; la Med iter ran nee infcsteede pirates; aucune colonic florissante; aucune grande compagnie fondec el soutenue par Tetat.... Qui pour- rait dire toules les suites facheuses, toutes les conse- quences eloignees de cetle incurie du gouvernement dans une niatiere aussi grave? Sans I'industrie et le commerce, que de bras inoccupes, quel loisir laiss^ a la turbulence naturelle de la nation, quelle misere pour la foule, que de privations pour les riches, quelle pre- ponderance assuiec a la noblesse sur la bourgeoisie, quelle infcriorite pour I'dlat en face des autres gouver- nemcnts! Sous le scul point de vuc de la (ranquillile — 24^ — publiijue, que (Ic troubles funostes eusseol ele prevonus par ks Iravaus el les interOls ties entreprises intlus- trielles el coiumercii'.les ! Mais sur la vaste eteiidue des mers et loin do la pa- trie, qu'eut pu tenter alors le genie du negocesans pro- leclioii et f ans defense? Oil ('tail le pavilion nalioiial charge de represenler an dehors la force de I'e'at el la irtajeslc dn souverain? Qiielles floites veillaicnl a la surele de nos coles? Qiielles escadres eussenl pu es- corter un convoi, ou presider a rekiblissemcnl d'une colonic? La marine niilitaijc, un instant relevee par Rielieliei;, elait relonibee dans le neanl sous Maz^irin. En 1G61, 18 vaisseaux deja vicux et mal const! uils se delabraieiit dans les ports. De son cote la marine mar- chande fort reslreinte fournissait peu d'officiers et de malelols. Tout elait done a creer dans ce deparlemont ; on ne mannuait pas seuleniont de navires, mais encore de marins. Et quel syslcme de recrutcment que celte racsure \iolenle el injustc connue sous le nom de presse mariiiiue, c'est-a-dire, la levee en masse des habitants du lilloral et lenr cnrolemcnl force a bord des balimerils de I'elal ! II n'y av;iit d\ai!lours aucune ecole speciale pour donner aux ofiicicrs les coniiaissances qu'esige unc carriere aussi savanle; les cliaritiets de construc- tion, les arsenaux , sans approvisionnemcnts, sans siirvciliarce, sans police; auoun code pour regiir les iiilereis el les detailsd'une administration aussi impor- fante. Qui croirait que le tnalerici meme, les oltjcfs dc premiere neeessile nous manquaient? II fullaillinr de liollande toules nos munitions navales, jusqu'a des an- cres, des cables, de la meche, du salpelre et meme de la poudre h canon ! La France pouvait-elle desceodre a 16 — 244 — plusdefaiblesso, d'abaissement, que de se moHre ainsi dans riiiipossibilile d'armer ct de se defendre, sans la permission deses voisins, aujourd'hui ses fournisseurs, demain ses ennemis? Avcc ce deplorable sysleme de finances, sans indus- trie, sans comraeice, sans marine, quelles ressources restaient done an pays?,.. L'agricullure. Mais quoique celle branchcdes ricliesses pubiiques se ressentit en- core de tout ce qu'avail fail Sully pour la deveiopper, des e^portalionsimprudenle?, dcsraonopolescoupables causaient souveiit de cruelles famines, comrae celle de 1661. La multiplication du belail, ramelioralion des races avaient ele abandonnecs. Aucune mesurede pro- tection et d'encouraijement ne raellait le laboureur a I'abri des inii)6ts onereux et dcsdurctcs de la percep- tion. Et ce n'etaient pas soulement ies sources de la for- tune publique que I'adminisfration avait ainsi negli- gees ; cellos de la population Tetaient egalement. La misere du peu|)le et la corruption des riches etaient aulant d'obstaclcs a la fccondite des mariages, dont Ies fruits d'ailleurs n'etaient constates par aucun acte regulier de I'etat civil. Une autre cause de sterilite, c'etail le nondjre, toujours croissant, des communau- tes reliiiicuses eiablies sans aulorisation , ct dans le sein desquelles allaient s'engloutir d'immenses heri- tages. Taridis que la naissance des citoycns echappuit ainsi a la sollicitude du gouvernemcnt , on [;eut dire que le resle de leur vie aKirait a peine sa surveillance. La po- lice n'existait pas encore, soil pour controler la con- duite, soil pour proteger rexisleiice des sujels. La ca- pitale meme du royaume n'oflVait ni siircte, ni proprele. — 24S — ni elegance a plus forte raison. A peine quelques monu- ments elalaientca et la nne magnificence mal entouree. Tons les arts qui contribucrit a I'embellissemcnt des villes necoraptaient alors aucun nom celebre; mais la science avait deja Descartes , et la poe'sic Corneille. Dejalagrande voixdeBossuct, la voix de I'eloquence meme, commencait a se faire entendre , commc pour annoncer toutes les merveilles qui allaient suivre. Tout-a-coup s'ouvre une nouvelle ere dans le meme siecle , dans le meme regne , pour celte meme France, dont nous vetions desonder lesplaies. Tout-a- coup la nuit s'illuniinej le chaos se dehrouille, les sour- ces de la prosperile jaillisscnt dc toutes parts; a la fai- blesse a succede la force, I'activite remplace Tinertie. Un seul homme parait , et il accoraplit tons ces prodi- ges! . . , . Qui dira toutce qu'il a fallu a Colbert de ressources, d'energic , dc paliencc et d'adresse pour operer une transfornialion sienliere et si inatlendue? Mais aussi quelle \ivace et ine'puisable nation, que cclle qu'il etait destine a regenerer ! En vain vousia croyez mulileepar cent combats , enorvee par un lache gou- vernemenf, corronipuepar dofalalos doclrines j vienne rheureprovideiitielledesonrevoil ! \icnne le genie ({ui doit la relever dc son abai>semenl ! et , qu'il porte eu main le glaive ou le rameau d'olivier, qu'il Tappelle a toutes les conquelesde rinlclligence ou a tous les ha- sardsdesbatailles, elle suivra aussilot , pourvu qu'on agite a ses yeux le drapeau de la gloire; et vous la ver- rcz, roiiic du monde, marcher a la tete des nalions. Quo celte regcneiation de la France ait ele I'oeuvre de Colbert , c'est ce que nous ailons es?ayer de monlrer dans la seconde partie. — 240 — DECXIEME PARTIE. Leplusdigne eloge des grands liommes esl dans le recit de lours actions, el la magnificence dcs paroles nc pout rien pour kur gloire, sans I'tMoqucnce nalurelle des fails. Exposer avec melliodc el simplicKe tons los travaux de Goibortpeodanl un minislere de \ingl-deux ans , c'est monlrer assez son induence sur la prosperite de la France, sur les progres de la civilisation, sur la grandeur dn dix-sopliemc siecle; c'esl louerenmenae temps son activite prodigicusc, ses vastos connaissan- ces , la profoiideur de ses vues el la scgcsse de !eur ap- plication, l;i supericrile de son jiigcmenl, la puissance de sa volonle , son integrilc irreprocbable, sa severe economies son amour du bien public, sa passion pour !a gloire, et avec cet espiil d'ensemblo el de details que nuln'a poussc plus loin, ce talent de faire prevaloirses idees, une des premieres conditions du genie. Voilalcs inslnmu'nls el les nioyens que Colberl doit cm[)loycra la reforme du gouvernemenl el de I'adrai- nistration ; qu'on y ajoule les lumiercs d'une longue oxj)erience acquisc dans les bureaux, avant d'arrivcra la direction generalc des affaires, el Ton aura une idee complete de toules les qualitcs qui seules peuvent for- mer un grand minislre. En 1648 , Letellier, ciealure de Mazariii , avail deja une si baule opinion du raerilc deColbcit alors siniple commis, qu'il ciut devoir le donner a son bienfaiteur, commeun homme d'une ca- pacite rare etd'un devoueracnlprecieux, vers les lemps les plus critiques de la Fronde. — C'esl done dans I'iu- tL'ndance de la maison de Mazariu , el dans rauminis- — Ul — tration ties domainos rcsles a lacouronne que Colberf peut appliqiier pour h premiere fois ces principes d'ordrc el d'economiequi lui scrviront plus tarda faire tant et do si grandes chcses] c'csl dans le cabinet du cardin.il qu'il Irouve I'occasion de se reveler a Louis XIV ; c'esi alors que ce princej charme de la clarlti de scs ideosct de, I'elenduedc sos connaissances, ne pent se Iris«er de ronteiidre cl dd'inlerroger Mazarin meurl (1); maisilne veut point sansdouleem- porler an (ombcau tout le ressenliment du nial que son incurie a pu faire a la France, ni I'odieux de sa sc;in- daleuse fortune; il saura s'assurer des droits a la re- connaissance (lu payset du monarquc, avec cctlc pro- fondc appreoialini dcs lioninies, qui etait la parlic la moins contestable de son talent, d Sire, dit-ilau jcune » roi , jc vous dois tout ; niais je crois m'acquilter cn- >» vers Voire Majesle, on lui donnanl Colbert. » Le petit-fils d'un drapier de Reims, I'ancicn commis du ministre Letellier ^ I'inlendanl du defiuil cardinal denu'ure done charge d'eclaircr un roi de \ingt-troi& ans. do lui eiiseiuner I'arl difficile de faire le bonheur des pouples, de I'aider a ranimcr un royaume languis- sant, de payer enGn une detted'honneur ct de rccon- naiss'ince.Mais comme H va juslifier toules ies previ- sions, depasscr toulcs Ies osperancos! lomme il va inaugurer le \erilab'e regne de Louis XIV (2)! Le Yoila qui se met a I'oeuvre; etle premier service rendu au prince ef a la France est la disgrace de Fou- quct. Rappelons nous que c'est a radminislralion da surintendant que noiisavonslaisse la fin de la premiere (1) 9 Mars ICGI. (2) Depuis 1043 jusqu'eu 1661, Lyuis XIV n'avait regne que de. nota sous la tulelle du cardiual , — 248 — pailie. Louis, etoniie do voir les revenus de I'elal se perdre loul enliers a payer des inlerels, el les delles s'accroilre cliaque tuiiice d'unc maniere cffrayante, veut conuailre par lui-meme la cause d'une sictranse et si deplorable situalion. Colbart , invite a porter la lumiere dans ces tenebres, devoila la source d'un des- ordredeja ancien, qu'augmentaieiit encore les malver- sations de cliaque jour. On coiinait le sorlde Fouquel; mais ce qu'on perd souvent de vue, en lisant les me- moires d'alors erapreinls de la partialile conlempo- raine, c'cst que, dans loulc celte affaire, Colbert fut seul honnete homme et ciloyen avanl (out. N'esl-ce pas lui, en effet, quiprit alors le parti du peuplecon- tre la Gnance, les intorets de I'etat coutre ceux d'un particulicr? Et, en se cbargeanl d'un role dont beau- coup de gens s'obstinaicnl a ne voir encore que le cote odieux, ne monlra-t il pas un des courages les plus rares, les plusdesintercsses, les plus diffioiies, celui de Touloir le bien, sans sepreoccuper de ropinionetde la popularite?... Le raal est connu, le coupable est puni. Qui saura maintenanl reparer tant de fautcs? Qui trouvera le rc- medea cctte situation desesperee?... Cclui-lanienieqiii seul a su et a ose signaler les causes et I'auteur du desordre. Colbert succede done au surintendant, mais sous un autre litre, celui de controleur general des finances. Aussitul, pour meltre au grand jour la veritable si- tuation de I'etal, pour deblayor en quelquc sorle le champ de I'administralion, il commence par instituer un conseil royal des finances, charge de reviser les det- tes anciennes el d'arriver a liquider le passifdu tresor, avoc une chambre de justice qui doit poursuivre les — 2i9 - delits el lours autours. Les rnalvorsaiions iles compta- bleseldes trailanls (ccux: qui avaricaient ties fonds a I'clat) sonl irujneJiatemeiit constalees elseverenientpu- nics; et Ton ne decouvre pas moins dc384 mdlions de fausses orJonnances el de boiis au complanl simules. Eiimeiue lemps, voulanl en finir avec le passe ct ef- facer non-seulciuenl les traces, mais jnsqu'au souve- nir du desordro, Fljabilc ministre accorde aux peuples lareniiseenliered'unanicrededixannees,de 3,000,000 de laillcs, et de 500,000 ecus de droils onereux. C'est sur un terrain iibre el neuF que doll s'clever I'edifice d'une n: uvelle administration. Maitrealors du present, el en quclque sorle de I'avenir, il clablit , au centre meme el dans loules les raniiticalions de son minislere, les bases d'une comptabilite elaire, facile, uniforme, premiere coudiliun del'ordre et de I'economie. La res- ponsabililedes agents est garanlie par des caulionnc- mcntseldes gages hypolliecaires. Une foulede regle- mcnts, dont Tensemble forme un code complef, assure I'exaetilude des versenients au Ire'sor, la regularite des apurements de geslion, la connaissance parfoile de la silualion annuellc des finances, enfin la balance desde- penscs el des receltes par la redaction d'un veritable budget, appele e'tat de pre'voijance , et doid personne n'avait eu Tidee auparavant. Toules res iniiovalions, quielaienlalorsunc revolulion adminislrative, ont eu, depuis, force de loi ; et e'est leur pratique ou leurs deveIop|iemenfs qu'on admire encore aujourd'hui, sou- vent sans le savoir, dans rorganisation financierede la France ou des autres ctals de I'Europe. La sagesse d'un seul homme est devenue celle des nations. A pari quelques erreurs, dont aucune ceuvre liumaine n'est exerapte, cliacun de ses pas va elre une decouverte, un progres. — 250 — Tous !es abus ciianls que nous avons signales dans le sysleiDe des fenncs, sonlcorriges^ aiitant que posst- bie, par des adjudications plusavantageuses pour I'e- tal, par la uominalion niinislerielle des coUecteurs, el riuterdiciion severe, faile aux courli?ans, de toule par- licipalion aux gains des fermiers, par des repariitioDs basecs sur un comiucnceiiient de cadastre, el l.i sur- Teillancedcsinteridanls de provinces, LV'qiiilibre eislre les laiiles etlesaides s'elablil peu a [;eii. Les 57,000,000 des premieres dcsceiidenl siiccessivemenl a 32 (i's de- Taienl se reduire a 25 dans !os proj Is de Colbert) ; les aides, d'un autre cole, s'eteadenl siir une plus i^rande ^clielle, comme Ic reclusn.iit la ju^lice, el s'elevenl de 150,000 ecus a 21,000,000, compensanl aiiisi a peu presles 25,000,000 lendus au people el a I'agriculUire. Le sort des lajllables est cneore adouci par une revi- sion severe des litres d'excraplion, el d'aulres mcsures tendanl afjirerentrer le plus de privilegies possible saus le joug des impots. Voila doncenliu une admi- nistration e juilable el palernelle. Le sang el la sueur des siijets nc sonl done plus a la raerci del'ignorance et de la rapacite. Autant que la conslilution meme du royaume p^curra !e permetirealors, ce n'esl plus le ri- clie qui sera epargne aux depens du pauvre. Que ne fera point le sage minislre pour concilier I'in- teiel paiticulier qui se refuse a I'impdt, et Tinterel ge- neral qui le reclame? Ne cherchera-t-il pas a dimi- nuer le poids indi\iduel des charges , en augmenlant le nombre des conUibuables? Ne saura-t-il pas trouver un accroiisementde revenu dansuuc pcrcepliou regu- liere,dans raccroisseuiciilel le bicn-elre des popula- tions? S'il ne peul abolir la laxe odieuse dela gabelie, nc songera-l-ilpab a en aduueir I'iniquile? Toules ks autres sources dc l.i forluno |iiibli(^uc, nogligcfs par rinallcnliorij obslruecsparl'inturie, ilsaura Ics decou- VI ir, Ics raviver. Lcs postes, le (abac, auparavant im- produclifs, scroiit alTermes; la couroniie rcnlrera en possession desdomaiiics, donl r^dminislration sera sa- f^cmcri' organisee. Lc tresor s'enricliira en raclietaiit unefouie d'oflices onereiix. La liece-site des dcpenses sera soigriensemcnlconlroloc; il ii'y aura plus de pre'- toxlo aux c'ilapidalioris, quaad les bcsoiiis faclices au- ront disparu. Le principe vilal de reconomiereparai- tiMenfin dans remi)Ioi judicjeux des funds de I'eiat.. « II (uut, di^ait Colberl a Louis XIV, epiirgner cinq )' sous aux Glioses non nectssaiies. et jelcr les millions » (jnandilesl question de votregloire. Un lepas inutile » de 3,000 liv. nic fait une peine incroyablo, ct lurs- » qu'il est question de millions d'or pour la Pologne , » je vendniis lout mon bien, j'engagerais ma ftmmeet » mcsenfanls, etj'irais a pied loulenia vie poury four- » nir, s'il elait necessaire. o Admirables parolvs, qu'on voudrait voir ecrites en leltres d'or dans tousces cabinets oiis'agitentles inte- rctsdes pen pies ! Le systen;e de Colbert, la sagesse de ses \ucs, la generosile de ses senliments ne tardcnt pas a porter b'urs fruits; et puisiine les chifircs sont ici comnie le for.d meme du sujet, ne craignons pas d'cmprunler nos picuves a leur evidence. En 1667, six ansapres le com- mencement de cttte prodigieuse leforme, malgre une reduction de 23,000,000 sur ks t;;iiUs, c'est-a-diresur les charges du peuple, snr rimpol ruturicr, le revenu net de I'elat s'elevc a 97,000,000; ct en 1680 a 117,000,000; landis qu'en 166011 n'etait que de 32, avecdes contributions plus lourdcs pour la classc pau- vre et la bourgeoieie. 2.j2 En passant des finances a rindusUie , nouscntrons dans un autre rajnde oil le genie du grand hommeva se montrer sous une nouvelle face , et offrir des sujets nouveaux a noire admiration. Que de bras inoccupes, que Ic travail vienl lout-a-coup enricliir ! Quelle circu- lation, quel utile emploi des capitaus! Que de voies honorables ouvertes a I'inlelligence de Partisan ! Ici des manufactures qui s'elevenl, la d'autres qui retrouvent leur ancJenne prosperile! Le luxe n'ira plus chercher en Angleterrc ct en IloUande I'elegance des eloffes ct la finesse des draps; Elbeuf, Abbeville, Sedan, Lou- vicrs rivaliscnt avec les fabriques de nos voisins. Des secours, des encouragements , des bonncursacti- vent dans tout le royaume celte resurrection de I'indus- Irie. Lcssoieries sont perfection nees a Lyon, aNismes, a Tours, etalimcntent le commerce de leurs riches pro- duits ; la culture du murier, etablie en grand, met les fabricanls a meme de se passer de soies etrangeres pour la frame desctofles. Venise n'osera plus vanter ses glaces, que surpasscnt deja cellcs du faubourg Saint-Antoinc a Paris , et qui coijtaienl plusicurs millions a la coquetlerie francaise. Les donlelles ct les tapisseries ne serorit plus comme auparavant le monopole de la Flandie. Les fabriques des Gobelins eldcBeauvais n'ont deja plus de rivales. Les tapisdeTurquieet de Perse sortirontbienlot de la Savonnerie. Cependant, pour ne pas sacrifier I'litile ct le neces- saire aux besoins de I'eb-g.ince et du luxe, I'habile mi- nistreachete en Angletcrre le secret de cette machine ingenieuse , qui decuple Tactivite et les produits de Taiguille , dans la fabrication des bas. En meme temps, les toiles de Picardie, le piipier d'Angouleme , I'horlo- — ^253 — geiie cle Chatelleraull, k's forgi's du Berry et tics Ar- dennes, les porcelaines de Sevres, les aciers, les inaro- quins, I'imprimerie roynle, diverses fonderies de me- laux,elc., leraoignent du developpement extraordi- naire donnealors a I'induslrie mamifaclurieie, daiis le but d'cnrichir la France et Ic Ircsor , d'occu|)er utilc- mcnt les populations turbulcnies, d'alTranchir la nation du tribut paye jusque la aus etrangers, etd'enipecher la sortie d'urie immense quantite de capilaux. L'ame ct la yie de loules ces reformes , de toutes ces crcaticns, ce sonl les sages ordonnances qui reglent chaque partie de la matierc; les mesures prises pour dcfendre Touvrier conlre I'exploitiition egoisle de I'in- dustriel puissant; i'instilulion des corporations qui assurenl aux artisans la lutelle et les bienfails de I'es- prit d'association ; et enfin la nomination des conseils dc prud'hommes. Quels details ! Quel ensemble ! Quelle ceuvrc,que celle dont lesdefauts memes, deja si rarcs, nesont tout au plus que I'exageration du bien! Si dans Ic systeme financier de Colbert, le zele de I'ecoaoraic ct rijorreur des empruiits porlercnt quelqucfois at- tcinteau credit public, donl la theorie, d'ailleurs, n'e- tait pas encore bicri arrelee; il faut avouer ici qu'il poussa peut-etre trop loin la severite de I'intcrvcntion regleraonlaire , et que le desir d'assurer aux consora- nialeurs la garantie d'une bonne fabrication, et de pre- \cnir la negligence et la fraudo des fabricants , lui fit prendre plus d'une mcsurenuisible aux progreset al'in- vention. Mais landis que les fautes de Colbert n'ont eu quedessuiles temporaireset dcpuis longtemps effacees, le bien qu'il a loujours voulu faire et qu'il a fait s'est re- pandu parloul, eta produit des fruits qui durent encore. Cette renaissance, celtc extension de I'industrie fit — 554 — bienlol altlucr dans le coidiiutcc line surabondance de produils donl il fallait facililor !a circulation a I'in terieur et recoulemenl au dehors. Les operalions coin- morcialcs vonl done prendre un essor egal a cekii des manufactures. Des conseils consullatifs de marchands sonl aussitot elablis, ainsi que des cliainbres d'assu- rances, et des entrepots francs. Les ancienncs routes sent repartfes; on en construit partout de nouvelles qui I'eraportent, sinon en solidite, du moinsen largeur et en beaule, sur eelles memes des Romains. Un sys- teuie complel de navigation interieure regularise le cours des rivieres, el rclie tons les bassins de la France par un ensemble de canaux, dont le plus imporlani , celui du Languedoc, commence en 1666, a e'le une des merveilles du grand siecle, et un des Iravaux les plus gloricux du minislere de Colbert. Mais ce n'elait pas assez dc ces routes, de ces fleuves, de ces canaux, pour dpnner en quclque sorte au commerce ces ailes que I'allegorie prete au Mercure de Tanliquite; il fallait afl'ranchir les communications ct les transpoils d'une foule de liens qui les entravaient. C'elaient parlout des redevances locales, des droits de peage, des octrois, et eiiGn ces fiinesles douanes provinciales, dont nous avons deja signalerinconvenienl. Colbert abaisse pea a pcu toutes ces bairieres, et c'est un des plus emi- ncnls services qu'il ait pu rendre a I'industrie et aux negocianls. La doctrine de la balance du commerce, sur laquelle reposait son systerae dis douanes, dul elre regardee a eette epoquc par tons les peuples commercants comme un acle de Ijaule politique; et les ordonnanccs qui re- glont cetle matierc sont encore aujourd'hui la-dessus. le code des nations. On peul en resumer I'esprit en — 25S — fjuelquos mots : rcduire les droits a la sortie snr Ics dcnrees et les prodiiils manufactures du royaiime; di- niinuer aux entrees les droits snr tout cc qui sort aux fabriques; mais repousser par relevalion dcs droits Ics prodiiitf. des manufactures etrangercs. Chacune de ces sages idees, chacune de ces ameliorations inlroduilcs dans les diflerentes parlies du gouvcrnymrnt, et adop- tees aussilot ou pen a peu par nos voisins, portait an loin les reformes et la renommce de Colbert; en sortc qn'onpcutdiresansexageration, que, des les premieres annees de son ministerc, il n'etait pas sculomcnt lo bien- faileur de la France sa patrie, mais encore celui de I'Europe ct de riiunianile, desonsiecle etde I'avcnir. Apres tant de soins donnes aux finances, aux manu- factures, aux inlerefs du commerce inlerieur, le voyez- vous ajouter encore a la prosperile nationale par la creation du commerce oKirilimc? Lc droit de fret est aboii; des comploirs s'elablissent sur toutes Ics co- tes dela Med i terra nee; le conseil de commerce declare Dunkerque, racliete aux Anglais, poit franc pour le nord, et Marseille pour le levant. La fondalion de qua- Ire compagnies, pour les Indcs Orientales et Occiden- lales, I'Afrique et le nord de I'Europe; I'envoi de nou- vellcs colonies a Madagascar, a Cayenne, sur les coles de Malabar el dc Coromandel ; une perspective dc gains immcnses, une carriere toute neuve d'avenlures, de voyages, de gloire et de foi tune, ouverte a toutes les audaceSj a toutes L's ambitions, a celle meme de la no- blesse, sans qu'elle ail a craindre de deroger ; des avan- ces, des primes, des honneurs accordes aux entrepri- ses et au genie des negociauls, I'iuterel que prennent la cour et la ville a ce mouvemenl extraordinaire, tout entraine la nation entiere dans ua elan dont il serait — 2r)6 — difficile (Ic d^crire I'enlhousiasme ct la geoeralile. Oil trouver, dans I'hisloire d'uQ peuple, une epoque plus calme, plus heureuse, plus rerapiie de lous les Iravaux, plus riche de lous les fruits de la pais, que ces pre- mieres annees de I'adminislration de Colbert, lorsqu'au- cunc guerre ruineuse, aucune prodigalite du monarque ne venaient dissiper ses epargnes et arreler I'exeeution de SOS projets? Nous avons cile au commencemenl de ce discours I'esprit njeme de ces geoereux desscins, et ce voeu qu'on croirait sorti du coeur paternel de Henri IV : <( Je voudrais que ce royaume jouit des dou- » ceurs de I'abondance, et que tout le raonde y fut con- » lent !... )) Supposons un instant que de si nobles in- tentions soient resteos sans effet, que ce beau reve n'ail ele suivi d'aucune realile, que la Providence ait refuse a un tel liomrae I'occasion et le pouvoir d'accom- plir de si utiles projets : n'y a t-il pas dans ces scales paroles une cbaleur de palriotisrne, qui sufTirait pour rendre a jamais en France sa meraoire chercet sacree? Quelques detracteurs de Colbert lui out fait un crime d'avoir encourage I'odieux trafic dcs negres par I'etablissement des colonies; mais en presence du com- merce si florissant de nos voisins, et dans I'etat de I'o- pinion publique a cotte epoque, n'etait-ce pas un raal necessaire, et qu'il adoucit autant qu'il put, en reglant la condition des esclaves avec une humanite inconnue avant lui, et qui percc dans toutcs les ordonnances de son Code noir? Cependant le commerce exte'rieur arait deja pris un developpement considerable, nos vaisseaux marchands \ogutiient sur Ionics les mers, visilaient tous les ports du mondo; ct la f( rce qui devait les proteger n'existail pas encore ! Enfin les interets de la marine sent con- — 2r>7 — fiesa Colbert, (1), cl, qiu-lqnc gloire qu'il ;ii( doyx ac- qiiise par fanl ile travaiix, quclqiios services qu'il ait rentlus a la nation par l;iut de succcs, nous alioiis le voir se surpasser lui-meuie dans ce nouvcau deparlc- tcDient ajoute a ses attributions. C'est la parlic la plus irreprochnble de son oeuvro, el il la commence par une mesurc dc justice el d'hii- raanile , en abnlissanl d'aboid I'odieux syslerao de la presse , ou levee en masse; il y subslilue r//(stT(/)e Saint-Pihx, procurcur du roi, a Tours. BoNjoiR (Casimir), liomme de lettres, bibliotlie- cairede Saintc-Genevieve, a Paris. Bonneville (Frederic) it, ancien essayeur de la Banque de France. BoRGNiEZ, proviseur du College royal, a Tours. BoriiGAiN, liomme de lettres, ii Sedan. BoLLLOciiE ^^, substitul du procurcur general a la Cour royale, a Paris. BoiRDONNE, directeur de I'Ecole primaire supe- rieure , a Reims. Boi'RGEois-TniERRY, mcmbro du Conseil gene- ral, a Suippes. De BrssiEUES '^, officier superieur du genie en relraite, depute dc Reims, a Paris. BuviGNiER , president de la Societe philomatlii- (pie, a Verdun (Mcuse). 19 — 292 — MM. CAnBETTE pere ^^, officier supdrieur dii g^nie, a Paris. Carrette ^, capilaine clii genie, secretaire de la Commission scientifique d'Algerie. Carrette , avocat aux Conseils du roi et a la Cour de cassation, a Paris. Carteret, avocat aux Conseils du roi et a la Cour royale. Cayx 0 ^ , inspecteur general de I'Univer- site, bibliolLeoaire de TArsenal, depule, a Paris. Chaix-d'Est-Ange 0^, ancien balounier de I'ordre des avocats a la Cour royale , depute de Reims, a Paris. Charpentier, instituteur priniaire superieur, a Reims. Chacbry ©, conseiller a la Cour royale de Paris, membre du Conseil general de la Marne. CoLLESSON , ancien inspecteur de I'Enregistre- ment, juge suppleant, a Reims. CoRREARD DE Brebakt, jugc, a Troycs (Aube). De Caumot ^, directeur de I'Association nor- mande, a Caen. Dagonet, docteur en medecine, aChalons-sur- Marne, Danton ©, inspecteur de I'Acadeniie de Paris. Daitbanel , docteur en medecine , a Fere-en- Tardenois. Daudevili e, president de la Societe academi- que, a Saint -Qucntin. De Lafosse v+ , professcnr a la FacuUe des sciences dc Paris. — 293 — MM. De Joncieres, bonime de lettres, h Paris. De Loisson ^, hommede leltres, ancien depute de la Marne, a Pien y. De Maroles, procureur du roi, a Vitry-le-Fraa- cois. Demilly, artiste veterinaire, a Reims. De Maiziere, ancien professeurdel'Universite, a Reims. Le comte De Mellet, proprietaire, k Clialtrait (Marne). De MoMMERQiE >^^, conseiller a la Cour royale de Paris. Derode (Anatole), ofllcier de marine, a Lorient. De Rover, substitut du procureur du roi, a Paris. De Sauville, conseiller de prefecture, a Me- zieres. L. Desroussealx de Medrano, ancien membre du Conseil superieur des manufactures et du commerce, conseiller general des Ardennes, a Cliarleville. Dessain-Perix, proprietaire, a Cumiercs. DiDROX %t , inspecleur des monuments histori- ques, a Paris. Drolet, ancien professeur de I'Universite, a Reims. Di'BARLE, juge au Tribunal de la Seine, mem- bre du Conseil general de Seine-et-Marne, a Paris. Dlxiiesne, numismate, a Reims. DinEME, docteur en medecine, a Douai. DuPAiY (Jules), substitut prcs le Tribunal civil de la Seine, a Paris. — 29'f — MM. Di'PiiT, ingenieur en chef des Fonts etChaus- sees, a Chalons (Marne). DrRAND, architecte, a Paris. DrxEMPLE, membre de la Sociele geologique de France, a Pierry (Marne). Elie de Sainte-Marie , a Vitrv-le- Francois 7 tj J (Marne). Etie^ne (Gallois), bibliolhecaire de la Chambre des Pairs, a Paris. Estrayek-Cabassole, chanoine, a Chtriot-Dei.amoite, membre de la Chambre de commerce, a P»eims. — 295 — MM. Hyver '4i, procureur tUi loi, a Orleans. Hubert, professeur de pliilosopliie, a Cliarle- ville. Hlbig>'0\, juge d'instruction, a Vouziers. HrssoN if, membre de I'Acadcmie royale de me- decioe , a Paris, au college royal Louis-le- Grand. Jaisry de Mangy ^, professeur a TEcole royale des beaux-arts , a Paris. E. JoLiBOis, professeur au College royal de Tours. JoppE, bibliotheeaire, a Chalons-sur Marne. JoiKDAiN (Sainle-Foi), hoinrae de lettres , a Paris. JuBiN'AL (Achille) •& , professeur a la Faculte des lelfres, a Montpellier. Le comte De Ladeveze, honime de lettres, a Orbais (Marne). Le comte De Lambertye, proprietaire, a Cbal- trait (Marne). Lair, conseiller de prefecture, secretaire de I'A- cadeiuie de Caen. C. Leberthais, dessinateur, a Paris. Lebourdais , chimiste , a Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loire). Lebrin, directeur de TEcole des arts et metiers, a Chalons- sur-Marne. Lejei A'E, professeur au College royal de Reims, oflicier de TUniversite. Lelec n'AcBiLLY, membre du Conseil general de la Marne, h Aubilly (Marne). Lemevre, ancien censeur du College royal de Reims, a Fumay (Ardennes). ~ 296 — ]M1\L Lepine, jurisconsulte, a Renwez (Ardennes). Levesqie de PoriLLY ^ , au chateau d'Arcy- Ponsart. (Aisne). Leroux fils, raodecin a Coibeny (Aisne). Lesure, medecin a Atligny (Ardennes). LiENARD, peinire, a Chalons- surMarne. Loms ^$f, medecin en chef des epideraies de la Seine, a Paris. Maillefer (Corribert), proprie!airca Paris. Maillet, secretaire du Bureau de bienfaisance, a la mairie de Reims. V. Mareuse, avocat a la Cour royale d'Amiens, a Paris. Marinet, ingenieur en chefdu canallat('rala la Marne, a Chalons (Marne). Mathieu, avocat a la Cour royale de Paris, rue de Richelieu.. Maupassant, professeur de philosophie au Col- le.3[e de Chalons- sur-Marne. MicnELiN-HARDori> ^, president de la Societe geologique de France, conseiller-maitre a la Cour descomptes, a Paris. Mennesson (Mahomet), doctcur en droit, a Reims. MopiNOT , docteur en medecine , a Fismes (Marne). Morel (Felix), professeur de rhetoriquea Niort. MozER, juge de paix, a Verzy. MniLBACH, professeur de littcratureallemande, a Reims. NicoD, secretaire perpetuel de I'Academie du Gard, a Nismes. NisARD ^% depute, chef de division au ministere de rinstruction publicpie, a Paris. — 297 — MM, NiTOT, maire , niemhie dii Coriseil gt^neral de la Maine, a Ay. OzANWEAU 0 ^, inspecteur general de I'Uni- versite, a Versailles. OzEUAY, arcliivisle paleographCjii Bouillon (Bel- gique). H. Paris, homme de lettrcs, a fipernay. Paris, notaire, a Epernay. P. Paius ^, niembre de I'lnslitut, a Paris. Patris du Bkei il, homme de letlres, a Troves. Pauffi>, chef dc division au ministere de la Justice, a Paris. Peijlx (Alphonse), peintre, a Paris. Pkbnot, membre de la Societe archdologiquede la Marne, a Paris. PEiuiKAti (Jules), homme de leltres, a Reims. E. Perrier, secretaire de la Societe d'agricul- ture, commerce, sciences el arts, a Chalons (Marne). Perron, professeur a la Faculte des lettres, a Besancon. PiiNGRET, graveur, a Paris. PoissoN 0 '^, sous-prefet a Douai. PoLONCEAU ^, ancien recteur de I'Universite, a Paris. Po.\sL\ET, juge depaix a La Ferle-Aleps (Seine- et-Oise). Pot'LET it, chef d'institution, a Senlis. PoviLLON-PiERARD, liommc dc letlres, a Reims. Pregnon, cure a Torcy (Ardennes). P»L\, docteur en medecine, a Chalonssur-Mariic. Ralein, maitre des requetes au Conseil d'etat, a Paris. — 298 — MM. RoNDOT , atlache a I'ambassade de France a Pekin (Chine). Rousseau , docleur en racdecine, a fipernay (Maine). RoYER-CoLLARD if , professcur a I'Ecole de droit, a Paris Salle, docteur en medecine, a Chalons (Marne). Sauvage, ingonieur des mines, a Mezieres. Say (Horace), a Paris. Seurre, docteur- medecin, a Suippes. Sellier, avocat, a Chalons sur Marne. DeScckau, professeur de litteratureallemande au college royal de Saint-Louis, a Paris. Sylyestre , professeur de calligraphie , a Paris. SuRY, cure a Loivre (Marne). Tarbe '^, conseiller a la Cour de cassation, a Paris. ThierriOx\ (Jules), proprietaire a Nanteuil (Ar- dennes). TiRMAN, docteur en medecine, a Mezieres. Tranchart, president du Tribunal civil, a Vou- ziers (Ardennes). Vallet de Viriville, archivisle paleographe, a Paris. Varin it, bibliothecaire deTArsenal, a Paris. Vatier, ingenieur ordinaire du canal lateral a la Marne, a Chalons (Marne). Velly, fabricant de produitschiniiques, a Reims. VLA^CI^, membre de TAcademie deBesancon. Villard, avocat, a Rethel (Ardennes). Villefroy, homine delettres, a Soissons. YiLMET, cure a Mouther me (Ardennes). — 299 — MM. ViOLETTE, hoinnie do lettres, a Mary-sur-Marne, pres et par Lisy sur-Ourcq (Seineot-Marne). Weiss ©Jjibliolhecaire, a Besancon (Doubs). WvLD (James), inenibre cle la Societe geologi- que de France, a Epernay (Marne). TABLES POUR LES DEUX PREMIERS VOLUMES, jra 18«. — MAI 1843. TABLE DES AUTEtJRS. Edm. Arnould. — M^moire sur la question des amende- ments, mise au concours par rAcadeniiede Reims. T. ii, p. 184. Ern. Arnould. — Voltaire et Levesque de Pouilly. T. ii, p. C9. Bandeville, — Rapport sur un livre intitule : RicheriHis- toriamm Ubri IV. T. ii , p. IS. Bonneville. — Precede de M. Raclet pour la destruction de la pyrale de la vi-^ne. T. i, p. 391. — De la repression des recidives dans les principales legislations etrangeres contem- poraines, fragment. T. ii, p. 6. BouRDONNE. — Essais de statisliquc?. T. i, p. '234. Brimont (Viconite de) . — Rapport sur le nienioire de M. Maillet, intitule : Art d'mneliorer les tcr- res.T. I, p. 187. —Tableau coniparatif des nieilieurs engrais. T.I, p. 189. CiiEVALLiER. — Modification a I'appareil de Marsh. T. i, p. 493. L.-F. Clicquot. — Le Papillon et la Fleur, apologue. T. r, p. 137. — 301 — — La Tailiiie de beurre et la Tasse de lai't, fable. T. i, p. 158. — La Cigale et I'Abeille, fable. T. i, p. 2-2-2. — Tobie , chant tire de rEcriture sainte. T. II, p. 27. Th. Contant. — Rapport sur le memoiie de M. Hubert, relalif a renseignement primaire. T. ii, p. 270. E. CocRMEAUX. — Compte- rendu du premier volume des Annales del'Academie. T. i, p. 594. — Destineo de Shakspeare en France ; tra- duction d' Hamlet , en vers, par M. J. Per- reau. T. i, p. 11. — Preface de la traduction d'Hmnlet en vers. T. i, p. HO. — Quelques mots sur cette traduction , lus a la seance publique. T. ii, p. 177. E. Dlrode. — Lettre sur les ev^nements d'Haiti. T. i, p. 104. Duchesne. — N6cessite d'etendre et de propager Telude de la numismatique. T. i, p. 159. DiQUENELLE. — Notc sur la rcstauration de Tare de trioni- phe de laporte Mars. T. i, p. 145. — Notice biographique sur M. Houzeau- Miiiron. T. i, p. 192. — De Taction toxique du sulfate depotasse. T. I, p. 295. — Nomenclature d^objets d'antiquite r6- ccmmont decouverts a Reims. T. ii, p. 55. Et. Gallois. — Lettre sur la vie du capitaine de flibustiers Champagne. T. i, p. 298. Geoffroy DE Villeneuve. — Rapport sur Ic concoursd'a- griculture. T. ii, p. 128. E. Geruzez. — EssaisurMadamedeSevigne. T. i, p. 58. — Fenelonetle ducdeBourgogne.T.ii,p. 157.. — 302 — MgrGocssET. — Communication au sujet d'une enlrevue avecM. le minislre de rinstructionpublique. T. I, p. 280. — Communication relative au Congres scientifique de France. T. i, p. 359. — Discours d'ouverture de la stance publi- qnc. T. I!, p. 102. GuiLLEMiN. — De Tenseignement historique consider^ comme moyon d'education.T. i, p. 94. — Rapport SUP le concours d'economie po- litique. T. II, p. 159. Hannequin. —Note sur une grossesse extra-uterine. T. ii, p. 84. Henriot-Delamotte. — Rapport sur les Essais de statisli- que de M. Bourdonne. T. i, p. 587. JoLiBois. — Memoire sur quelques monnaies de Champa- gne. T. II, p. 274. Landouzy. — Discours prononc^ sur la tonibe deM. Hou- zeau-Muiron. T. i, p. 224. _ Communication de la note de M. Manne- quin sur une grossesse extra-uterine. T. II, p. 82. — Communication d'une note de M. Char- lier sur I'exlirpation des ovaires chez les vaches. T. ii, p. 83. — Compte-rcndu des travaux de I'Acade- mie , hi a la seance publique. T. ii, p. 442. Leconte. — Moyens de reconnaitre la falsification du vinai- gre.T. I, p. 520. Legendre. — Lettre sur une statue a elevera Colbert. T. i, p. 54. A. Lejeune. — Coup-d'oeil sur les poesies de M. Th. ear- lier. T. I, p. 559. Leroxjx. —Note sur la chaussce romaine de Corbeny. T. j^ p. 281. — 303 — LoisoN. — M6moire sur la question d'^couomie politique. T. II, p. 2-29. Louis-Lucas. — Sur les fouilles archeologiques de I'ancien cinietierc Saint-IS'icaise. T. i, i). 165. Mailiet. — Essai[sur Tart d'ameliorcr les torres. T. i,p. 203. De MAizifcRE. — Considerations sur I'avenir de Tindustrie. T. I, p. 84. Explication de I'lncendie de la flotle lo- maine par Archim^de, sous les nuirs de Sy- cuse.T.i.p. 291. — Peinture dune roue en mouvenient. T.i, p. 553. — Essai sur la iheorie de la peinture du mouvenient du fuseau d'une fileuse. T. i, p. 5(i0. J. -J. Maquart. — Pro( ede nouveau pour dessiner a la plombagine. T. i,p. 415. — Note sur une sepulture decouverle a Saint-Renii de Reims. T.i, p. 212. MoNNOT DES Ancles. — Essai sur Colbert. T. i, p. 145. MopiNOT. — Note sur la variole. T.i, p. 159. Nanquette. — Rapport sur la Tlieolofjic a I'usagc des gens du inonde, par 3LSainte-Foi. T. i, p. 71. A. Perin. — Notice sur L. Perin, peintre remois, son p6re. T.I, p. 201. Pernot. — Nomenclature des dessins, drapeaux, etc., ex- poses a 1' Academic. T. i, p. 508 et 535. J.Perreau. — Traduction en vers de Vlhunlct de Shak- speare. T. i, p. 117, 167, 504; t. ii, p. 87, 177. PiiiLLippE. — Rapport sur un menioirede M. Charlicr, re- latif a laniorve. T. ii, p. 41. PiNON. — L'Egliso de village. T. i, p. 226. — Le Nid et le Berceau. T. i, p. 228. — La Fauvette. T. i, p. 557. — 304 — — De la chanson en France. T. i, p. 367, 423 et458. RoBiLLARD. — Allocution alarentree de I'Acad^mie. T. i, p. 180. N. RoNDOT. — LettresurrEspagne.T.i, p. 26. — Letlre dateedela Chine. T. i, p. 331. DeSaint-Marceaux. — Lellre ausujetd'uue statue a elever a Colbert. T. i, p. 33. Saubinet. — Note sur les p^pinieres de M. Herbe flls. T. I , p. 156. Max. Sltaine. — Biographic de Robert Nanteuil. T. l,p.-4. — Biographic de Deperthes. T. i, p. 447. — Rapport sur la machine a doser et a remplirlesbouteilles, de M. Canneaux.T.i, p. 274. V. TouR>'ErR. — Etude sur I'Ariosle , traduction de Gio- berti. T. i, p. 313. H. deVroil. — Quelques modifications au code civil de- mandees dans I'interet de Tagriculture. T. I, p. 240. Wagner. — Eloge funebre de M. Maillefer-Coquebert. T. I, p. 182. Walcuer. — Lettre au sujet de I'ereclion d'une statue a Colbert. T. i, p. 88. TABLE DES MATlfeRES. PREMIER VOLUME. Pages. Nomination des commissairos charges de rendre compte des travaux de I'luslilut, 4 Biographic de R. Nanleuil, par M. Max. Sutainc, 4 Destiut'c deShakspeare en France, par M. E. Courmeaux, U Lettre de M. N. Rondot sur I'Espagne, 28 Lettre de M. le ma'tre de Reims au sujet de I'erectioii d'une statue a Colljert, 33 Lettre de M. Legendre, sculpteur, meme sujet, cotnmuniquOe parM. Paris, 34 N" 2. Essaisur Madame de Sevigne, par M. E. Genizez, 38 Rapport de M. Nanquctte sur la Theologie a lusage des gens du monde, par M. Sainte-Foi, 71 Sur I'avenir de I'lnduslrie, par M. de Maizihre, 84 Extrait de deux lettres de M. Watcher, au sujet de lerectinn d'une statue a Colbert , 88 N» 5. De I'eiiseignement historique considere comme moyen d'cdu- cation, parM. GmUcmin, 94 Extrait d'une lettre d'un oflicier de marine , communique par M. E. Derodd, 104 — 306 — Preface de la traduction d'Hamlet en vers, de M. Perreau, par M. E. Coitrmeaiix, 110 Hamlet, tragedie de Shakspeare, Iraduite en vers francais par M. Perreau (les trols premieres scenes du premier acte), 1 17 Le Papillon ct la Fleur, apologue, par M. F. Clicquot, 137 La Tartine de beurre et la Tasse de lait, par le mime, 1 38 Notesur la variole, parM. Mopinot, 139 N° 4. Reflexions sur la restauration de Tare de triomphe de la porte Mars, par M. Diiquenclle, 143 Remarques de M. Paris sur ce sujet, 143 Rcmarques deMM. Diclron elMaquart sur la meme question, 144 Essaisur Colbert, par M. Monnot des Angles, 145 Remarques de M. Paris sur la lecture preccdente, 154 Note sur les pepinicres de M. Hcrbe tils, par iM. Saiihinet, 156 Sur le besoin d'etendre et de propager la numismatique, par M. Ducliesnc, 159 Remarques de Monseigneur I'arcJwveque ct de M. Didron sur ce sujet, 104 Communication de M. Louis- Lucas , au sujet des decouvertes archeologiquesqu'ont amenees les fouilles derauciencime- tiere Saint-Nicaise, 105 Observations de AIM. Paris et Bonneville, sur ce sujet, 105 Hamlet, traduction par M. Perreau, suite (scenes IV et Y du premier acte), 167 N» 3. Allocution de M. Robillard, vice-president, a la reprise des travaux academiques , 180 Lettre de M. Lejeune, annoncant qu'il travaille a la traduction deFlodoard, 182 Elogede M. Mr.illefer-Coquebert, par M. Wagner, 182 Rapport de ftl. le vieomte de I5riraont, sur un meraoire de M. Maillel, relatif a I'art d'ameliorer les terres, 187 Tableau comparatif des meillcurs engrais, par M. le vicorate de Briinout, 189 Notice biograpbique et historique surM. Houzeau-Muiron, par },l.Diiqiicnelle, 192 — 307 — Exlrait de I'Essai siir I'art d'ameliorerles tcrres, par M. Mail- let, 205 Notice sur line sepulture decouverle a Saint-Rerai de Reims, parM. Maquart, 212 La Cipale et I'Abeille, fable, par M. F. Clicquot, 222 Nomination d'une commission chargee de reviser le reglement intcricur de TAcademie , 223 DiscoursprononccparM. lflwc7o^ Essai d'une tlieorie sur la peinture du mouvement du fuseau d'une fileuse, parM. de Maizicre, 360 De la chanson en France (l*^' article), par M. F. Pinvn, 307 Rapport de M. Henriot-Delaniotte sur les Essais de statistiquo deM. boiirdonni, 387 Destruction de la pyrale, par M. Raclet, communiquee par M. Donnei-iUc, 391 Compte-rendudu premier volume des Annales del'Acaderaie , par M. Courmeaiix, 394 N» 10. Nomination d'une commission chargecd'examincr si I'Acade- mie est constitute legalemenl, de maniere a pouvoir posse- der et recevoir des legs , 414 Precede nouveau pour dessiner a la plombagiue, par M. Ma- qnart, 415 De la chanson en France (2"" article;, par M. F. pinon, 423 Noticesur,l.-B. Deperthes, peintre remois, ])ar M. M . Sit/ninc, 447 N" II. Dp Ifl ctiansoii en France (.'>""• et dernier article", par .M. F. PiliriH, 458 — 300 — SECOND VOLUME. N" 12. Nomiiiation des coiumissions chargecs d'cxatniiier les rae- moircs eiivoyes au concours, S Rapports de M. Z,oi((i'-£«c«i isur Ics modifications a apporter aux statuts organiques, el sur iin projet de reglement inte- ricur, 4 Nomination de la commission chargee de determiner les lec- tures qui devront composer la seaiice pul)li(iuo, ft De la repression des recidives dans les principales legislations elrangeres conlemporaines (fragment) , par M. Honmville, & Tlapport sur un livre intitule : Richeri Hlstoriarum Itbri lY. par M. Bandcville, ti Tobie, chant tire de I'Ecriture sainte, par M. F. Clicquot, 11 N" 15. Nomenclature d'objets d'antiquite recemment decouvcrts a Reims, par M. Duquenelle, 35- Rapport deM. Phillippe sur un memoire relatif a la morve, presente par M. Charlicr, 41 Voltaire et Leves(iue dc Pouilly, par M. Ernest Arnould, G9 Communication de M. Landouzy : grossesse extra-ulerime, an nomde M. Hanncquoi, 8» Autre communication au nom de M. Charlier : Extirpation des o\ aires chez les vaches, 8i> Hamlet , traduction de M. Perreau , suite (acte deuxiemo , scene II}, 8& N° 14. Stance publique anmtelle , 8 Mai 1845. Tableau des membres presents a la seance, 99 Ordre dii jour, lOO Discours d'oiiverturo , prononce par Monscigneur Gousset , president, 10? — 310 — Compte-rcndu des travaux de TAcademie pendant I'ann^e 1844 — 1845, par M. Landouztj, secretaire, 1 12 Rapport de M. Geoff rorj de Villenenve sur la question dagri- culture, 128 Rapport de M. Guillemin sur la question d'cconomie politique, 139 Fcnelon ct le due de Bourgogne, par M. E. Gdruzez , lu par M.Paris, 157 Quelques mots sur la traduction d'Hamlet, de M. Perreau, par M. Courmeaux, 1 72 Hamlet, traduction de M. Perreau, suite (fin du deuxieme acte), 1 77 Bteuioire de M. Edmond Arnould sur la question d'agricul- ture (couronne par I'Acadeniie), 184 Proclamation des prix et des medailles d'encouragement, 222 Programme desconcours pour I'annee 1845, 224 N« 15. Memoire de M. Loison sur la question deconomie politique (couronne par I'Academie), 229 Rapport de M. Con/anf&ur le memoire de M. Hubert, relalif a renseignemeut primaire, 270 Memoire de M. JoUbois sur quelques monuaies de Cham- pagne, 274 Liste des societcs correspondantcs, 284 Tableau des membresde I'Arademie, au 8 Mai 1845, 287 Table d'auteurs pour les deux volumes, 300 Table des matieres pour les deux volumes, 305 FIN DE LA TABLE. Reims. — L. Jacql'et , Imprimeur de I'Academie. SEANCES ET TRAVAEX DK L'ACADEMIE DE REIMS. SEANCES ET TRAVAUX DE L'AGADEMIE DE REIMS. 23 MAI 1845. — 16 JANVIER. 1846. REIMS. L. JACQtET, £dITEUR, IMPRIMEUR DE l'aCAD^MIE. BRISSART-BINET, LIBRAIRE DE l'aCAD^,MIE. MDCCCXLVI. 6^f (i^ ^'^^ SEANCES ET TUAVALX DE L'A(:ADf:MIE DE IlEIMS. Soanci's tlen ^?S S9ai v-t 4> JteSsi 1)^45. wmm m reix seaace?. Corrcspomlnnco. — Ajourncmeiit dp I'elcclioii clu l)ureau au 15 septomhrc prochain. — Elections d'un membre associe rcsidant , de deux membres honorairos, (run membre du eoiiscil d'admi- nistration , de quatorzo mciii!)re.s correspondants. — Lecture de M. Guillomln : Influence de la raaison de Lorraine au xvr sieclc. — Lecture deM. Sutaine : Notice historique surla culture de la vigne dans le pays de Reims. Skncc exiraordiiiairc dii 23 Mai \Ud. En rabsence de MM. le president et le vice-presi- dent, la seance est ouvcrle sous la presidence de M. I'abbe Bandeville. Aux termes dn rej^lement, I'Academie se reuuit en seance extraordinaire, pour proceder aux elections du premiersemestre, etaurenouvellement desonbureau. L'Academie decide a I'unanimite, sur la proposi- tion d'un membre, que le renouvellemenl du bureau — 2 — n'aurii lieu qu'apres la session du Congres scieniifi- que. En consequence, M^"^ Gol'SSET reste president, et MM. RoBiLLAiiD, Landouzy, Contam et Sacbinet conservent les fonctions de vice-president, de secre- taire, de vice-secretaire et de tresorier. L'yicademie recoit la demission de M. de Belly, membre titulaire, qui quitte la residence de Reims. M.GoNEL, avocat, le plus ancien des membres asso- cies residants, est proclame membre titulaire. Le scrutin s'ouvre pour la nomination d'un membre associe residant, en remplacement de M. Gonel: M. Horiot-Delamotte, membre correspondant de I'Academie, reunit la majorite des suffrages, et est proclame membre associe, residant. MM. Bara, cure de Noire-Dame de Reims , et de Belly, anciens membres titulaires, sont nommes mem- bres honoraires de TAcademie. M. Maqlart est nomme membre du Conseil d'admi- nistration de TAcademie, pour deux ans, en rempla- cement de M. DE Belly, dont les fonclions sont ex- pirees. Sont nommes membres correspondants de I'Aca- demie : MM. Mauvais , 'i' , membre de Tlnstilut, a rObservatoire de Paris. L'abbe Blanc , a Paris. Chevallier , '5 , proFesseur a TEcole de pliarmacie de Paris. Grosselin, avocat, rue du Paon-Saint-An- dre-des-Arls, 1, a Paris. JoBAUT, '^, directeur duMusee de I'indus- trie, a Bruxelles. ViLLEMiNOTjingeuieurmecanicienaReims. — 3 — LoisoN, rue du Marche-d-Agucsseau, a Paris. Melgy , docteur-medecin. a Ret.'iel. Fakoc!io.\, sculpteur , rue de i'Est , 17 a Paris. ' ' Roiir, profcsseurderhetoriqueau college loyal de Reims. Ed.m. AuNoiLD, proprietaire a Toussi- court, auteur du meiiioire couronue sui la quest ion d'agriculture. J. DE Vroil, avocat a Reims. Castillon de SAixr-Vu,Tu« , i-omme de lettres a Avraiicljes. CociiART, ehimiste a Reims. sea.\(;e d! 6 m \m. La seance est ouverte sous la presidence de Ms' I'ar- cheveque. Les proces-verbaux de la seance du 16 Mai el de la seance extraordinaire du 23 31ai sont lus et atopies. La correspondancc imprimee comprend ■ 1" Un tssai sur le courage civil , par M. C. Bertrand , iu-e au tribunal civil de Troves, secretaire adjoint de la J societe academique tie I'Aiibe; — 2"^ Une notice sur la peinture sur vene , par le meme ; — 3° Une bro- clmre sur ravancement iiierarchique dans I'ordre ju- diciaire , par le menie ; — 4" Un planiypliere en un seal cercle , par SI. Chemiu, insUluteur communal a PonlaverL A I'occasion de cet hommage, M. darcet rappelle que Fannee dcrniere , sur le rapport de M. Tarbe de Saint-Oardouin , I'Academie a refuse son approbation a ce travail. LECTURE DE M. GriLLFMIN. Influence de la niaisoii de Lorraine aii WT sioclc I.E CARDlNAt DE LORRAINE. — SA JEUNKSSE , — SON I'REMIp-.R VOYAGE A ROME. Ymwm wm mmm bu amm m mum. II y a , a quelqucs licues d'ici, sur les bords de la Marne, darss lo site Ic plus riant peut-etre de noire modeste et |)rosaique Cliampagne, une petite villequi fut jadisune prisicipaute. Elleesl. domiuee a I'ouestpar uneliaulecolline, dont les flancs, couveitsde riclies vi- gnobles, laisseiit apercevoir encore quelqucs debris de murailles, <]ui vonf bicntot cesser d'exisler. Ces mu- railles rormaienl aulrelbis renceinte d'un chateau leo- dal, que levandalisme revolulionnaire a detruit, il y a — 5 — cinquante ans. CcUe potile vii!e, c'esl JoinTilte, ct ee manoir feotlal ful le berceaii d'unc fiynaslie tie princos qui remplirent loulle xvr siecle du bruiUle leur nom.. Je veux parler des princes Lorrains. J'oseaffirracr, Messieurs, qii'il n'a ete donne a au- cune familie de produire dans un si court espace de temps aulanl d'horamcs illuslrcs. La maison de Lor- raine a eu le privilege do fournir pendant un siecle a la France des poliliquesde premier ordreel !es plus vail- lants capitaines du temps. Pendant trois generations successives, elle fait monter en nieaie temps sur la scene un homraed'epeeetun iionimed'eglise, unguor- rier et un pretre. Sous Francois I", sous Henri II ct sous Francois II, sous Charles IX ct sous Henri III, "vous voyez un capilaine a cote d'un cardinal : I'un donne a son nom la popularite qui s'accpiiert sur les champs debataille ; TaiUre en rehausse I'eclat par ['eminence durangqu'il occupedans I'Eglise. Sous Francois !«'", c'esl Claude de Lorraine ct Jean de Lorraine, son frere, qui jeilent. Tun par sa bra- voure, I'autre par sa capacite dipiomaticjuo, les fonde- menlsde celte iiiustre maison. Au commencement du regne de Henri [ J, Francois, fils de Claude, continne, en les surpassanl, les glorieux exploits de son pere. C'est Ini qui sera pl'.is tard le vaiiiqueur de Cltarles- Quiiitet le conqueranf de Calais. A cole de liti, je vois Charles de Lorraine, son jeurie frere, qui sera lour a tour ambassadeur, rainistre, chef de parii ; e\st !e grand cardinal. Apies eux viennent Henri le BalatVe, lechef de la Ligue, el le cardinal de Guise, son Irere, qui doivenl expicr a lllois trop de grandeur et troj) d'ambilion. Ces hommes, qui nagueie elaicnl de sim- ples cadets de Lorraine, aspirenl et an i vent success!- — 6 — vement aux suprernes honneursde I'Egliseet del'Etal. Les positions ies plus hautes n'ont rien d'ellVayant pour leur ambilion et leur genie. Les pretrcs voiulront placer sur leur lete la tiare ponlilicale , les guerriers feront Irembler les rois sur leur trone... Cerles, Mes- sieurs, quelquc pari que vous fassiez au talent, a I'am- bition, aux circonstances, il faudra chercher ailleurs encore la cause decetle subile et merveilleuse fortune. Les honimes n'exercent unc si grande action sur les choses humaines qu'a la condition de representer puis- samment les idees, les croyances, les besoins de leur temps. C'est par la que les princes Lorrains furent si puissanlsau xvi'^siecle. Jetes avec d'eminentes facultes au milieu d'ur.c societe religieuse et guerriere, ardente el passionnee, ils vinrent donner une large satisfaction aux instincts, aux interets qui la dominaient. II n'y a pas dans la vie d'uii peuple d'emotious plus grandes que celles de la religion et de la guerre ; les princes Lorrains excilerent energiquement les unes et les aulres au coeur de la France, et c'est ce qui explique I'en- thousiasme , renlrainenienl avec lequel la France, a cette epoque , s'est attachee a cetle heroique faraille. Pour bien comprendrc le role qu'elle a joue au xvi' siecle, il faut savoir quelle etait alors la situation de la societe francaise. Quand les princes Lorrains parurent, la France su- bissailune doublecrise, et se voyail menacee tout a la fois dans son avenir politique el dans sa nationalite re- ligieuse. D'un cote, elle soutcnait contre TEspagne, depuis le commencement du siecle, une lutte terrible, qui ne devait Gnir qu'au traile de Westphalie; elle combat (ait en meme temps pour I'independance natio- ualeetpour I'equilibre europeen. D'un autre cole, la — 7 — vieille religion de la monarchie, le clirislian'sme elait ebranlf! par la relorine pi otestante ; I'unitc religieuse du pays etail eii peril, il fallait la s:iuver a toutpiix, parce qii'elle efail la plus lorte garanlie de I'unite politique. La royaute francaise I'avait tres-bien conipris, et des le regne de Fiancois I", en meme temps qu'elle se consfi- luait la plus inlrepide adversaire de la suprematie Espagnole, elle enibrassait ouverleincot la defense du ca- tholicisrae menace. Dans la premiere parliedecelte dou- ble lutte, les princes l.orrains soulinrenJ la royaute de foute!'energiedeleurdevoiiement, tietoute la puissance de leurs convictions. Ilss'associerenl bravemenla la po- litique anli-espagnole sous Francois 1" et sous Henri II; et tandis que le vieil esprit d'opposition au pouvoir royal entrainait une grande pariie de la noblesse dans le niouvcraent reiormateur, ilssenlirent qu'ils dcvaient rester fideles a la vieille foi de la France, etils n'liesi- terenl pas a se jeler daus cetle ardente melee, oil il s'agissiiit de det'entire les plus grands, les plus chers interels du pays. Dans ces temps mallieureux de notre histoire, oil, sous des rois enfants, la royaute et le ca- tholicisme elaient ebranlcs, lis idcnllGerent les desli- nees de leur maison avec celles du calholicisme et de la royaute, et comme ils se moiitrerent plus grands que les rois eux-memes, il vint un jour dans la pensee de I'un d'eiix de vonioir [)lacer sur sa tete la couronne de France. Henri le Balafre voulut substituer Tambition de famille aux grandes et nationalcs inspirations qui avaient anime ses predecesseurs ; mais la royaute abaissee se releva par un crime, et le chef de la Ligue expia par sa mort ce mouvement seditieux et egoisle. A quelle epoque I'ambilion de famille s'introduisit-elle dans celte solidarile qui s'elablil entre la maison de — 8 — Lorraine cl le calholicisnje au xw" siecle, c'est ce que je n'ai pas le ioisir d'examirier en ce moment ; qn'il me sufTisc de dire que les princes Lorrains ne furent si grands que parce que, d'un cote, ils furent les inslru- raenls liclifsel souvent lieureux d'une politique erai- nemment nationale, et que , de I'autre, ils donnerent pour soulien h leurs qualiles si briliantes le mobile si energique de la foi populaire. Maintenant que le role de celle raaison est bien connu, ses moyens d'action indiques, je vais cherclier a retracer les premieres annees du plus illuslre de ses membres, de celui sans IcqucI la maison de Lorraine ne serait jamais arrivee a celte hauleur oil elle est par- venue. Get Iiomme^ c'est le cardinal, celui de tons les Lorrains qui a etc le plus mal apprecie, et qui, par consequent^ est le moins connu, quoiqu'on en ait beau- coup parle. Le cardinal de Lorraine fut I'liomrae politique de sa maison. Son pere, Claude de Lorraine , son frere , Francois de Guise, son neveu, Henri, sont avant tout d'habiles capitaines et de braves guerriers. Quoique la capacite administrative soit grande cliez ccux-ci , ils sont tous inferieursau cardinal dans I'art si difficilH de manicr les aflaires et de gouverner les honimes. C'est lui qui dirige le bras de son frere, le grand due de Guise ; c'est lui qui, suivantle cardinal d'Ossat, fait I'educalion politique de son neveu ; c'est lui qui pre- pare dans !e cabinet les projets que Francois va execu- tersnries champs de balaille. Le roledu due fut })lus brillant, celui du cardinal plus diflicile. Aussi Fran- cois de Lorraine n'apparaissant guere a la multitude que sons son arnuire de chevalier, a-t-il laisse la re- pulalion d'un hcros, tandis que le cardinal, gouver- — 9 — nant la France dii fond du cabiiiel du roi, n'a ijuere recneilli que I'injuslice, la haine et la caloranie. Charles de Lorraine naquit an clialeau de Joinville, le J7 Fevrier 1525. C'etail prccisemcnt I'epoque oii I'anabaplisme faisait une premiere explosion dans les provinces voisines du Uhin, etdonnait a la reforme les allures formidables d'urie guerre contre la societe. Celte circonslance ne nianqiia pas dVire reniarquee par ses panegyrisles, qui direntqu'il etait vonu au monde quand I'lieresie naissait, « aim qu'iloppugnast les lie- retiques (1). » Ce fut, du reste, le sort detousces hom- ines iilustres de passer aux yeux du peuple pour les appele's de Dim (2). — Ouand Charles-Quint vint avec loules ses forces assieger Saint-Dizier, les habitants furent d'abord ejiouvantes; mais ils reprirentconfiance quand ils virent le Koi sc promener dans les rut's de la ville avec monseigneur Claude de Lorraine (3). Bien plus grande encore etail la confiance qu'inspirait son fils Francois, Apres la desastreuse balaille de S.iint-Qucn- tin , qui amena les Espagnois jusqu'a 30 lieues de Paris, les soldats criaient dans la deioute que si mon- sieur de Guise « cut ete la, ce malheur ne fut point advenu (4). » On sail que lorsque son Gls Henri, le chef de la Ligue, entrait dans Paris, le peuple criait : Hosannah (5J ! Charles de Lorraine passa ses premieres annexes a (1) ConjonctUm des lellics et (trmes des princes Lirrains, par Ni- colas Boucher, doctcur en tlieologie. — Reims , 1579. (2) Mdin. de Castelnau, colleclion Peli/ol, t. xxxiii, liv. l", cli. 3, page 25. (:i) Brantoine, t. ii, 312. (4) M(^in. dcTavmwcs, collection Pcti/o/,X.\\i\\ p. 2o2. (5) Voir les luemuires du temps. — 10 — JoinYille, sous la garde vigilante de sa pieuse mere, Antoinelte de Bourbon, vrai sacraire de bonte etdlion- neur, a dit un des plus ardents ennemis de son fds (1). C'est la que celte illustre princesse consacrait des jours obscurs a Teducalion de ses nobles enfants. An- toinelte de Bourbon avail pourlant tout ce qu'il fallait pour briller a la cour, un grand nom, un esprit distin- gue, une beaute reraarquable; mais le luxe bruyant de celle cour et la vie licencieuse qu'on y menait alors n'allaieut pas a cetle femme simple et vertueuse (2). Elle n'y paraissait guere qu'a de rares intervalles, pour salisfaire aux convenances rigoureuses que lui im- posaient sa naissance et son rang. La place de cette noble duchesse, de celte austere mere de famille n'etait pas a la cour de Francois P% de Henry II, oil les raai- tresses des rois eclipsaient les reines de France. Elle aimait mieux cultiver dans Tame de ses enfants ces belles qualile's qui plus lard eleverent si haul quelques- uris d'enfre eux. Elle en cut douze qu'elle eleva pres- que seule. Ll'est sans doule au sein de cette education tendre et forte a la fois, que les princes Lorrains pui- serent ce puissant esprit de famille, cette admirable union qui regna toujours entre eux (3), et qui fut un des principaux moyens de leur grandeur. Parmi ses nombreux enfants, Antoinette de Bourbon parait avoir particuiierement aime Charles, le second de ses 61s, et Ton voit souvenl Icurs noms reunis dans quelques- unes des pieuses fondations dout ils ont dole la ville (1) Le Grand et loyal devoir de Messieurs de Paris , par le sieur Regnier dela Plauche. — Paris, 1565, p. 30. (2) Varillas, liv. ii, 15'j. (:!) 3fet)uiires de Castelnaa , coUeclioii Pctitot, — 33, page 5. - 11 — de Joinville. Elle leconseiva aupres d'cile jusqu'a I'Age de dix ans, jusqu'au iiiomenl ou le jeune Charles en- tra au college de Navarre, le plus celebre alors de I'Universite de Paris. Le college de Navarre etait alors le college des prin- ces : Francois P"^ y avail ele eleve; cjuelquc lemps apres, les deux princes qui allaiont personnifler les deux croyan- cesopposees del'epoque, etqui devaient bieotot se rcn- contrer sur des champs de bataille opposes, Henri de Guise, le chef fulur de la Ligue, et llenride Beam, qui devait etre Henri IV, y passerent ensemble leurs premieres annees. Charles de Lorraine ne tarda pas a y reveler les qualiles d'csprit qu'il de'ploya plus tard dans sa vie publique. 11 etait, dit un de ses biographes, « capable de toules sciences, vif, aigu, subtil, prompt )) a louleschoseSjCupidedeveoir, etd'oiiyr etdecognoi- » Ire de tout et de tous ; medilant toujours quelque )) chose en soy-mesme, n'eslant jamais oysif (1). » On retrouve la dans leur germe, celle prodigieuse aclivite, eel te aptitude universellequienlirentpUis tard riiomme lo plus remarquable pent-elre tie son lemps. Le chancelier Olivier qui I'avail connudessa plus ten- dre enfance, Tappelait un prodige de nature et d'es- prit, a cause des raves lalenls qiCil avoit regus comme par ill fusion de la nature (2). Sa renommee d'ecolier francliit bientot I'enceinle du college et appela sur lui ratlenUon du roi. Le jenne Charles avail d'ailleurs a la cour un puissant protecteur : c'elait le cardinal Joan de Lorraine son oncle, qui jouissait de loute Tarailie (1) Conjonction des lel/res el amies des princes Lorrnins, etc., pages 0, 10. (2) Ililarion do Costc, Hist.catli., 27;->. — Dallier, Tl/ewoires innir servird I'/usloire dc Helms. — 12 — du roi Francois \". Jean de Lorraine lai presenta son neveu. Le Roi,prenant plamr aiix eslmles et vivacite du jeune prince, soncjca a le donner a son fds le Dau- phin pour consedlcr et gouverneur (1). Qiioique plus jeune de quelques annees que le Dau- phin, Charles de Lorraine ne tarda pas a s'emparer de loule sa confiance, et 11 sut lui inspirer des lors un assez vif atlachement, pour que, devenu roi, il I'ap- pelat, raalgre ses vingt-lrois ans, dans le conseil, dont il devint bientot un des membres les plus influents. Les ennemis du cardinal (et jamais personne n'en eut de plus arclents), pour expliquer celte profonde inti- mite qui s'ctablit enlre lui et le jeune heritier de la couronne , nous le represenlent flallant ses vices et servant de rainistre a de honteuses passions (2). Mais il n'est pas necessaire de recourir a de telles suppo- sitions pour rendre compte de rascentlant qu'exerce naturellemcnt une intelligence superieure sur un esprit mediocre, un caractere energique et cnlreprenant sur une ame faible et indecise. D'aillours, un tel metier decele encore plus de bassesse el de corruption que de souplesse et d'habilete dans celui qui s'y livre ; la jeunesse aussi bien que I'education de Charles de Lorraine repousse cetle infarae accusation. Que dans une cour assez genlillement corrompue, suivant ['expres- sion de Brantome, renlrainemenl de I'exemple et I'ar- deur de I'age I'ayent expose a des seductions, a des faibiesses, a des faulcs, c'est ce qu'ii est plus facile de coniprendre que d'excuser. Qu'ilait cherchea plaire a (1) Legende du Cardinal , pages 5 et G, —Conjonction des let- tres et ai-mcs,elc., pages 11 el 12. (2) Mhnoires de Condi' , Legende du Cardinal, t. vi, pages 12 el 13. — Du grand e( loyal devoir, fidilite, pages 36 el suivaulcs. — Paris, liijj. — 13 — la duchesse de Valontinois, loute puissante sur I'esprit du Dauphin, et qu'ii ail etc pen scrnpuleiix a recher- cher sa faveur et ?a proleclion , c'est ce qui parait iriconlcslable (!J. « Four da tout s'asseurer, ils se jel- » tereiil du commencement au party de celtc femme, » specialement Je cardinal, qui cstoil des plus parl'ails )) en I'art de courliser (2). » Du reste, les annees qu'i! passa a la cour, avant d'entrer tinx alTaires, ne furenl jxiiat du temps perdu pour la science. « !! ne suivoit teUemcnt le roy,qiie ee- 1) pendant, a certainesheures, il retournasl a ses eludes. » Retire qu'il fust des esclioles, et comme n'ayaiil plus » peisonne pour regarder aprc-siuy, il ne prenoit point » plaisir a avoir de heaux ehcvaux (oomme il advient), « ny a nnurrir des cliiens, nyaller courir le cert" ou le » sanglier ; mais le temps que les uns employenl aux » jeux, les aulres a la paulnie et autres passe-temps, le » loisir qui Iu\ restoit apres avoir fait son devoir en » cour, s'eslant retire a son logis, il I'empioyoit a re- 1) memorer sesestudes, a ouyr les plus escellenis doc- >i teurs en [)hiiosophie, en ioix, en theologie, Icsquels il » accostoil, etdesquels suivoit volontiers lacompagnie, » el souvent assistoit a leurs disputes ou publiques es )) esclioles, ou particulieres au lugis. II ii'esloit point » honleux d'appeler a disner ou soupper les g leurs p(;riodiques invasions, ajouter au lerritoire et » a la population du royaume i>ar la conquele deCalai« (1) Ribicr, 1. 11, p. 30, 63. — Dom MarUt, liv. iv, p. 785 Th(iu,liv. Ill, p- 237. — 21 — » el des Irois eveches, rencire (ies garanUcs a I'inde- » pendancc de la France en memo lemps qu'a celle » de I'Europe enliere , voila ce que Gt Henri II , Irop » peu connu ct trop ma! juge (1). n Si ces resultals apercus par un judicicux historien furenl en effet le fruit du gouvernement de Henri II, Ies princes Lorrains peuvent revendiquer Tlionneur d'y avoir contribi e pour la meilleure part , et c'est d'eux qu'il faudrait dire surtout qu'ils sont trop peu con- nuset trop mal jugos. De I'aveu de tous Ies contempo- rains, Henri II ful un prince assez luediocre d'esprit et de caraclere, a qui ne vuyoit ni ne jugeoit que par » Ies yeux, oreilles et avis de ceux qui le possedoient (2); » qui paroissoit ne pour etre gouverne et non pour » gouverner (3). » Le Gls de Frangois I' n'eut done ni le coup-d'oeil intelligent, ni le courage chevalercsque de son pere. Ce n'etait pas le connetable de Montmorency, dont Francois ler lui-meme avail condamne la politique inepte, qui pouvait suppleor a la faiblesse de son mai- tre. « On tient pour assure , dit I'ambassadeur veni- » lien Gapello a son gouvernement, que tant que le » connetable sera a la letede I'armee, it n'y aura jamais >) une grande bataille, d'abord parce qu'd est tiraide, » puis parce qu'il est plus porte a la paix qu'a la » guerre (4). » Les succes dela France, sous Henri II, t'urent done le resullat d'inspirations presque toujours (1) Poirson, ffist.de France dans les temps modenies, it partie, p. 148, (2) Th. (IcBczc, liv. ii,p.07. • (.}) Bolcarius.liv. \\v, p 793. (4) llclatioii (Irs innhassddciirs rnii/icns, t. i", p. ;)79. — 22 — ^Irangeres au monarque et a son premier minislre, et ce furent les princes Lorrains qui represenlerent alors dans le conseil I'cspril belliqueux ctles tendances vrai- ment nationales du regne precedent. Pour appliquer avec autant de succes les tradilions que lui avail le- guees Francois I", Henri II eiit besoin d'lm grand capitaine, tel que Francois de Guise, el d'un habile politique, comnie le cardinal de Lorraine. L'un mil sa vaillante epee au service de celte tradition, qui se perpetua jusqu'a Richelieu ( t Louis XIV, qui en furent les plus grands rcpresentanls, el il en assura plus d'une fois la vicloiresur les champs de balaille; I'autre, par son habilete, par son esprit de decision, la fil triomplier dans le sein du cabinet et dans les conseils de la diplomatic. La politique interieure ne fut ni moins ferme, ni moins arretee ; el Ic cardinal de Lorraine, nous le verrons, en fut avec le conneta- ble le plus energique soulien. Enfin, si le mouvemenl lilleraire dont Francois I" avail donne le signal ne s'est point ralenti a sa mort, c'est encore au cardinal de Lorraine que I'honneur en revient en grande partie. Suivant Et. Pasquier, il fut a celte dpoque la seule ressource des bonnes lettres el discipline (1 ). Ses adversaires nous ont laisse a ce sujct d'inleressanls temoignages, et nos purilains du xvi^ siecle ont cru lui dire une grosse injure en rappelant que « Rousard, Jodelle , Baif et autres vilains » poelesj commencercnt alors a entrer en credit, que » toules sortes devilaines chansons el lascive musique » vinrent en avant par I'entremise principale du car- (1) Recherchcs de Ja France . t. ii , in-fol., pag. 29. — 23 — » dinal, Mccenas de ces vilains broiiillons (1), » Ce n'etail pas le conne'table de Monlmorency qui pouvait encourir un pared reproche, « car il avoil opi- » nion queles leltres amollissoient les gentilshoiuiDes, » et les faisoient degenerer de leurs raajeurs, et mesme » esloit persuade que les Icttrcs avoient engendre les >» heresies et accreu les lulheriens qui estoient au » royaume, en sorle qu'il avoit en peu d'estime les gens » scavants el leurs livres (2). » Mais n'anlicipons pas sur les fails, et reprenons la suite des evenementspoliliques. Au moment oii Francois P"" raourul, la France avait deux cnnemis redoulablcs, I'Anglelerre et I'Espagne. Pendant touleladureedeson regne,cesdeus puissances s'elaient presque conslamment unies contre nous , et leur alliance avait plus d'une fois coraprorais Tinde- pendance du lerritoire et I'existence meme de la na- tion. La mort de Henri VIII, et les embarras insepa- rables d'une minorite , laissaient la France assez Iranquillu du cote de I'Anglelerre; mais I'Espagne la raenacait du meme danger, et depuis que son rival etait descendu dans la tombe, depuis que les protestanls- avaient ete battus a Muhlberg, Charles-Quint se Irou- vait plus puissant que jamais. Henri II, a son aveneraent, se trouvait done dans la meme situation que son pere, et les memes perils pour la France et pour I'Europe lui commandaient une poli- tique serablable a celle de Francois I". Aussi les pre- mieres anne'es de son regne furent-elles marquees par 6 — sorle que cetle grande assemblee n'eut servi entre ses mains qii'a opprimer le Pontifical (1). Paul III, devinanl ses intentions, avait voulu sous- traire le concile a I'influence de I'Empereur, en le Iransferant dans one ville de I'llalie. Les peres rccu- rcot I'ordre de quitter Treute, sous prelexte qu'une raaladie contagieuse rendail le sejour dc cette ville dan- gereux, cl ils se rendircnl a Bologne (2). Mais Char- les-Quint protesla conlre cetle translation el chargea son ambassadeur a Rome de signilier au Pape sa pro- testation. Si Paul III ne se rendail a ses volonles, il se cbargeroit lui-meme de pourvoir a la pacification des troubles religieux. Dans de lellescirconslances, unesage politique con- seillait a Henri II de soutenir le Pape dans son oppo- sition conlre I'Empereur, etde profiler de ses bonnes dispositions pour relever I'influence frangaise au-dela des monts. C'elail pour leRoi de France une belle oc- casion d'illuslrer le commencement de son regne par une glorieuse application des principes poliliques de Francois 1". II songea a negocier une alliance avec Paul III conlre I'Empereur, el il coufia au jeune arclie- ■veque de Reims cette delicate mission. Comme il fal- lait derober a la curiosile publique le veritable mo- tif de ce voyage en Italic, Charles de Lorraine parut n'aller a Rome que comme charge de Tambassade d'obedience, et afin d'y recevoir des mains du Pape le chapeau de cardinal (3). Charles de Lorraine parlit done pour I'ltalie vers (1) Paolo, liv. 1", II, pages 70, 240. (1) De Thou, liv. iii, p. 343. — Paolo, liv. ii, p. 248, 249. (3) Paolo, liv. Ill, p. 258. — Matthieu, liv. in, p. 78. — 27 — le mois de Seplerabrc do la meme annee. L'ariivee du jeune ambassadeur y produisit une vivc sensation, el ranima dans toulcs les villes qui se trouvaient sur son passat^e les esperances du parli national. C'est que, a eelle epoque comme aujourd'hui, les peuples opprimes avaient conslamraent les ycux tournes vers la France. Au xvi" siecle comme de nos jours, les Ilaliens aiuiaient a placer dans le genie sympalliique de notre nation le patriotiqueespoir de leurdelivrance (I). A Florence, a Sicnne, Charles de Lorraine put remar- quer combien la domination imperiale elait deleslee. Dans cetlc derniere ville, Tambassadeur de Cbarles- Quint, qui I'y avoil precede d'une dcmi-heure avec cent bommes d'armes , emiiecha foute communica- tion avec lui (2); a Rome , il excila encore a un plus haul degre I'altcntion publique. Le lendcmain de son arrivee , il Gt son entree chez le Saint-Pere enloure du plus nombreux cortege qu'on eut jamais vu autour d'un cardinal. Le Pope le recut avec une distinction extraordinaire; il le logea dans son palais, et lui donna un appartemcnt qui louchait au sien. Quclqucs jours apres, au moment oil il sorlit pour aller faire visite aux cardinaux es-pagnols, qualre cents genlilshommes vinrent se ranger autour de lui et voulurcnt I'accom- pagner partoutoii il alloit; partout il rencontra sur son passage les plus vives sympathies pour la France. Le peuple Romain, ecrit-ila Henri II, parleau moins au- tant francais qu'ilalien, ou pour le moins salt bien dire : Vive la France (3). (2) Ribier, I.ettres et mdmoircs d'etat, t. ii, p. 73. (3) Ibid., Lettre du cardinal de Guise mi roi. (1) Ihid., Lettre ducardinril, du 20 Octobre 1547. — '28 — Tout ce qu'on voyail, du reste, dans ce jeune repre- sentant de la France, jusliflailparfailement la reputa- tion qui I'avait precede au-dela des monls. Ses eminen- tes qualiles etnierit decorees de I'exlcrieur le plus bril- lant. Son biograplie a trace ainsi son portrait .((Afin que je ne touclie point ici la beaule de sa forme, la f^racieu- sele de son front ouvert el lart^e, les douces ceillades de ses yeux azures, la dignite de sa face, en quoy re- luisoit raerveilleubement la f^randeur el excellence de son esprit singulier, il etoit haul de stature, telle qu'on voit communeinenl es illustres princes Lorrains, sur- passant presque tous de toulela teste; la face un peu longuctie, le regard droit, mais baisse en terre, quand il prioit ou qu'i! niediloil queique chose : le visage joyeux et riant, gay et allegre en compagnie; mais es- tant seul, portant I'air d'uu hoinme pciisif etqui dis- court en son esprit de liautes entreprises el cogitations de consequence; la coulcur brune et un peu rougeatre au-dessus des joues, quelquefois aussi jauuatre, quand il etoit trisle; le devant de la teste esleve ample et eminent, ce qu'on dit appartenir a ceux qui sont de vif et subtil esprit a inventer et excogiter d'eux inemes quelques liautes choses, sans elre enseignozd'ailleurs : de complexion corporelle autant forte et fcrme qu'elle etoit necessaire pour soutenir les Iravaux qu'il luy etoit besoin d'endurerau maniementdos affaiies de si grand poids qu'il avoit journellement en main (1). » Pendant son sejour a Rome, il charma, etonna tout le moude par son elegance et sa liberalile. Branloine ra- conle qu'il se faisait liahituellemcnt suivre par un do- (1) Conjonction des Ipllres et anncs des dcnx frercs, jwiiices Lorraiiis, piigc 8. — Reims, l.")79. — 29 — nicsliquc fjui portail un sac d'argent pour faire scsolia- riles, ft qu'un aveugle, rccovant un jour son jiumone, s'ecria : 0 tu sei veramenle il Clirislo; o il cardinal di Lorrenna! Mais ce qu'on adrniroit snrtout dans un si joune lionime, c'elait ce doti mtTveilleiix de la parole que nul n'a surpasse dans son siecle. Cellte eloquence qui lui elail nalureUe brilla detout son eclat dans le consistoire qui se lint le 14 Decem- bre, oil il devait rccevoir le cliapeau. La plupart des f ordinaux y assistaient avcc les ambassadeurs des prin- ces Chretiens. Le repre'senlant de Sa Majeste inipcriale proflta de celte occasion pour faire connailre les volon- les de son mailre, el il vinl declarer solennellement au Pape, que si le concile n'elait pas relabli a Trente, il prolesterait conlre !es decisions de PauldeBolo- gne (1). Le langage de Charles de Lorraine fat bien different : quand son tour de parler fut venu, il rappela eloquem- ment(2) les services que les rois de France avaient ren- dusa I'Eglise et a son chef, il insista parliculierenient sur I'eloge du feu roi et sur les efforls qu'il avait faits pour as- surer Tindependancede tons les autres princes; puis il declaraqueleRoi son successeurvoulaitresterGdeleaux exeraplcsquelui avaient laisses son pere etsesancetres, cl qu'il elait Ires decide a soutenir la papaule dans un temps oil elleetait si vivement atlaquee. « Le Saint-Pere n'ignore pas, ajouta-t-il, en qnelles extremitesunetrop grande securilcjela les papos Jean XIII, Gregoire VII, Pascal II el Alexandre HI, jusqu'a ce que leurs suc- cesseurs eussent recouvre, avcc le sccours des rois de (2) i»c 7/;o?<, liv. IV, pages 3'iOet suiv. Paolo, liv. iii, 9.58. (3) De TlioK , ilndem. — 30 — Fiance, leiir ancicnne autorite , que les empereiirs avoienl usurpee. » De Thou ajoule : << La politique du cardinal mil en usage ce dernier trait pour rouvrir la plaie que la mort duduc deParmeavoit faile dansle coeur du souverain ponlife, el pour tourner au proBl de la France loules It'S conteslations qui naissoieni cbaquc jour enlre le Pape et I'Empereur (1), au sujet du concile. » Charles de Lorraine loulefois, avail evile de rien dire qui put reveler le but secret de sa mission, ou qui piit fournir a I'Empereur un juste motif de se plaindre. II reserva pour les audiences particulieres les communi- cations qu'il avail a faire au Pape, au nom du Roi de France. Des le Ituderaain on examina les chances, on discula les conditions el on jcta les bases d'une ligue dans laquelle devaienl entrer le roi Henri II, le pape, la republique de Venise et les cantons suisses, pour la conservation et la defense de la liberie ila- lienne (2). Paul III accueillit avec empresscment les ouvcrlures du jeune ambassadeur, el se montra tout dispose a conclure avec Henri II une alliance contra I'Empereur. II ne rcculailmeme pas devanl la pensee d'appelcr les Turcs en Italic el d'envoyer des secours aux proleslanls d'Alleraagne. Pour fortiGer ses dispo- sitions, le cardinal elalailaux yeux du Pape toutes les forces de la France, les troupes de cavalerie et d'in- fauleric, lant nationales qu'etrangeres, que le Roi avail alors sur pied, les galcres qu'il entretenait sur I'Ocean et sur la Mediterranee, celles auxquelles on Iravaillail et qui seraienl en elal de tenir la mer au printempssui- (1) Liv. IV, 350. (2) Ribier, Lctlres ctm^molres d'Etat, torn, ii , page 74. — 31 — vant, Its snmmes auxquelles niontaient les revenus ordiiiaires du Koi el les secours exlraordinaires qn'il avail droit d'altciidre de raffeclion des Francais, des que la guerre serait declaree. « Tout cela est a vous, J) Tres Saint Pere, ct j'ai Tordre de vous roflVir pour- » vu que, resseiilant, cosnme vous devez, I'injure qui )i vous a eletaile, vous soyez dans la fcrme resolution » d'on tirer raison. » Celle ardeur belliqueuse du jeune cardinal, celle eloquence vive seduisait le vieux Pape qui s'enlretenait avecluiet disculait dosheurcscniieressur les relations du Saint-Siege avec la France. « J'ai lu^ disait-il,dans )) de vieux livres, j'ai cnlendu dire par des gens eclai- )' res pendant raon cardinalat, et j'en ai fait raoi-nietne » I'experiencc depuis queje suis pape, que jamais le » Saint-Siege n'avoit ele puissant etdans laprosperile » que quand il eloit allie avec les Francois. Dans les » instants de refroidissement, de rupture, aucontraire, » il n'avoit eprouve que des revcrs; qu'il ne pouvoit » pardunner a Leon X, ni a CiemenI, ni surlouta lui- )) meme, d'avoir favorise Terapereur. Mais, s'ecrioit-il, » quelques annees me reslenl peut-elre a vivre , et je » m'cn servirai si bien, que jc laisserai lesie'ge romain » devoue au roidc Franco ; ma propre lamille s'.iUa- » chera a lui par des liens indissolublcs , et cnfin, je » ferai de lui le premier prince de la Icrrc (1). » Bienlot les bases u'une ligue defensive furenl arre- td( s , et un premier traife conclu. Une armce de 20,000 hommes devait veiller a la surcte de I'ltalie ; le roi paierait les deux tiers de la depense et le pape (t) Leilre du cardinal de Guise au my , 31 Oclobre 1647; dans Ribier, torn, ii, "i. — 32 — I'aulre tiers. Horace Farnese, geruiro duRoi^devail re- cevoir Finvcslilure du duchede Pariue,et le Roi s'obli- geail a y cnlrelcnir une garnison de 10,000 homraes. Le cardinal, cependant, n'etait pas encore satisfait, et bicntot il enlreliul le souverain Pontife du projet d'une ligue offensive. Des celte epoque , il agita memo la tjuesliou d'une cnln'prise sur Naples ; tout semblait promellre un heiireiix succcs. II n'y avait en edet ni troupes, iii munitions, ni artillerie dans tout leroyoume, et lout le pouple elait irrile. La tentative faito par Pierre de Tolede pour y etablir le tribunal de I'inqui- sition, avait excite un soulevemeul formidable, et quoi- que le tumulle eiit die apaise , il regnait encore une grande fermentation dans les esprils (i). Chaque jour Ic cardinal voyait arriver chez lui dcs nobles Napoli- tains qui s'elaicrit refugies aRome, et qui venaientim- plorer sa protection. lis ne sollicitaient que quclques secours pecuniuires et un chef digiie de les commander. Si Henri II ne voulait pas accepter la couronne de Na- ples, ils demanduienl qu'i! leur fut au moins permis de Toffrir au due d'Aumale , frere aine du cardinal. lis ajoutaicnt que si la France voulait le declarer, avant la findu raois, Naples, Capoue^ Nole, Aversa, etc., seraierit entreles mains des Frangais. Le cardinal de Lorraine pressait vivement le Roi d'accepter ces propositions, et lui representail avee raison que jamais I'occasion ne scrait plus favorable. II faut , lui ecrivait-il , que le Papc en ait nouvellcs avant le 12Decembie, aGn qu'il poursuive ou qii'il declare et moi aussi a ces pauvres Xapolilains, de ne se plus abuser (2). ^2) Ribier, Leitre du Cardmal , du mois d'Octohre 1547, p. 74, 78. (IjLcUrrdu 11 N'ovfmhre 1547, — 33 — En meme temps qu'il poussaita la guerre, Charles dc Lorraine incliquail Ics moyens cl'en assurer le succes. Iletait impossible qu'on format sur les cotes de fltalie meridionale un ctablissement solide el durable, aune si grande distanrede la France, sil'on ctait maitre de la mer. Or les forces marilimes du roi de France ct du pape n'elaient pas on et;.l de contrebalancer cellos de Charles-0»inl , seconde | ar I'amiral genois Andrei Do- ria.Les Venitiens, on accedarit a la ligue , pouvaient souls relablir i'equilibre : on resolut de solliciler leur adhesion , et le pape chargoa son nonce a Venise de nogocier aupres de la soignourie cette importante aO'aire (1). On rencontra de ce cole plus d'obslacles qu'on ne s'y etait attendu. Le senatde Venise, instruit par les revers de la France pendant le regno precedent, refusaitde sor- tir de la neutralilo. La longueur des negociations qui s'eng.igerenl a ce sujet, les lenteurs des Venitiens ne permirentpas au cardinal de Lorraine d'altendre en Italic le resullal do sa mission, el il roparlit pour la France vers la fin de Deoombre , laissanl au cardinal Dubellay le soin de poursuivre I'ceuvre qu'il avail si heureusement commence'e (2). (l)Ribier, tom.ii, pago 8,i. (2) Ribier, torn, ii, page loo. LECTCRR DE M. MAX. SCTAINE. Essai sur Fhisloire dcs Vins de la Cbampagne (1). CHAPITRE PREMIER. But de I'ouvrage. — Profession defoi au sujet des stadstiques. En rasseniblant tous les documents que j'ai pu me procurer sur les vins de la Champagne, en reunissant et coordonnant les notes, les anecdotes, que j'ai pui- sees aux sources les plus authentiques, remontant tou- jours, autantque possible, a leur origine, je n'ai nulle- ment pretendu faire un cours d'enseignement vinicole ou commercial, ui dresser une statistique complete de celte branche d'induslrie de notre antique province. Je n'ai pas aborde la question de la culture de la vigne par deux motifs bien simples. Le premier, et le meilleur, c'est que je ne me reconnais pas la science pratique necessaire pour trailer ex professo un sujet aussi special ; le second , c'est qu'eusse-je possede les connaissances recpiises, si j'avais voulu en faire profl- ter les vinicoles, ma voix aurait couru grand risque de se perdre dans le desert. Cliacun sail que de tous les (1) Leschajiitres de cet essai, que M. Max. Sutaine a lus clans les seances du 21 Fevrier et du 7 Mars, parailront successivement dans les numciossuivants des Sea«ces e( iravaux. — oo — agricultcurs conniis, MM. Ics vignerons (soit dit avec lout le respect que je leur porte) nc sont peut-etre ni les moins iiidiOeronls ni Ics nioiiis rebelles a toute aiijelioratioii. Exemple : Un Ileau destructenr, la pyralc , mcnacait de ses ravages nos pins ricfics cotcaiix. A i'exception d'un Ires pelil nouibre dc locaiiles, qui out ose tenter qiiel- (jnes maigres cssais (S) pour se debarrasserde cct bote dangcreux , on s'est en Cbampagne fort pen emu de son apparition, ct on a laisse Tinsecte rongeur se pre- hjsser grassement et devorer sa prole. La pyr.de a ele sensible a ce procede delicat, ct seujble avoir d'eile ineme a peu pres abandonne nos vignobles. La Providence est done venue tres a propos en aide a nos vignerons, qui nesongeaientguere a s'aider eux- menies. 11 y a a parier que, sur cent proprieiairesde vignes, un ou deux a peine eonnaissenf, a i'heure qu'il esl, la recelte de M. ilaelet, de Lyon, contre la i>yrale, et que, pour Tacquit de nia conscience, je transcris ici (2). Jen'ai pas Youlu nou plus dresser une slalisliquc (1) AVerzenay, par cxcmple, on a allume pendant quelqucs nuits «n petit nombrc de lampions, dont la flamme dovait altirer et Lrulcr la pyrale. Ccl essai n'a produil aucun resullat ucricux. (2) DESTRUCTION DE LA PYP.ALE. M. Sauzey acominuniquu a la societc royale d'agriculture, scien- ces et arts utiles dc Lyon, pciulnnt sa dcrnierc seance, divers ren- seigncnicnts sur recliaudoge de la vignc pour la destruction de la pyrale. Voici le resume de cette communication : ■ Le cornice vinicole de Beaujeu a constate d'une manlere authen- tique rcflicacite de cette melhode. Vingt-cincj chaudieres de ruivre — 3G — d(^taillee, numdrolee, luarchant par colonnes , de nos vignobles et du coniiiicrce de la Cliaiupagne, altcndu, il faut bien Tavouer, que j'ai le niallieur d'etre , en general, assez pen partisan des slatistiques. Je ne eoiinais rien de si lyrannique que ces cliiffres qui, sous prelexle qu'ils sont des cliiffres, afficlient la pre- tention de vousimposcr des[)Oliquenient leurvolonte, et souvent de faire passer des erreurs pour veriles in- conteslables. ont ele conimaiulces pour etre distribuecs commc recompenses aux vigneroiis qui pratiqucnt rechauilage avec le plus d'ardeur. " Deux vigncionnages conligus et d'egale dimension, dont I'un a ele abandonno a la pyralc el I'autre lave a I'eau bouiilante, out presente les dill'ercnces suivanles : le premier n'a rapporte que huit pieces de vin pendant que le second en produisait quarante. » Ces fails parlent jilus haut quetous lesraisonnenients. Aussi , sur lademandcdu comitede Beaujeu, le gouvernemenl a decernc lacroix d'lionneur a I'auteur d'une si utile decouverte, M. Raclet. Malbeureu- sement clle n'a en quelquc sorle que pare son cercueil. M. Raclel est mort tres-pcu de temps aprcs avoir obtenu cette recompense si bien meri lee. » Ceproces scientiliquc agricole est done juge et gagne. Aussi les vignerons, si lenls a croire aux nouveaux et bons procedes, n'ont j)lus besoin que d'etre regies dans leur ardeur ; cUe est telle, qu'ils stimulei\t et torrent au besoin les proprietaires a se procurer les us- tensiles de I'ecluuulage sous peine de les abandonncr. >. On avait essaye de reraplacer I'eau bouiilante par des jets de va. jieur, niais celle-ri perd Irop vile sa chaleur. C'esl par trois affusions succcssives que le cep est bien purge des pyrales. La premiere eleve la temperature du bois, la deuxieme penetre laseconde ecorce et dis- sout la gomme, la troisicme tue I'insecte. 11 faut que I'eau soil bouii- lante avanl tout; des temperalures inferieures se reconnaissent aux ellels relativemenl incompletsremarques a la rccolte du raisin. • La dimension des cliaudieresne depasse pas la capacite de vingl- huit litres d'oau. Quoique iietites, ellesdebilent quatre litres d'eau Louillante a la minute. L'eau froide ajoutee en remplacemcntde I'eau bouiilante cmpUiyee , n'arrele que tres-raomenlanement I'cbullilion. La depense en charbon de tcrre de Uive-de-Gier n'est que de 80 cent, par jour. » ~ 37 — Ceci, bien entendu, ne s'adressenulleraent aux sla- listiquos oHicielles ; je ne veux paiierque des statisti- ciens amatetirs. Ces derniers savent que, le plus souvent , lenrs calciils sonl acccptes sans controle, et ils coraplent bien !a-dessus. II n'y en a pent etie pas unsur dix qui se risquerait s'il avail la conviction que ses chifl'res, seront verifles. En cela ils ressemblent a bon nombre de voyageurs. On connait I'histoire de ce derviche auquet unroide Perse, fatigue d'cntendre continuelleraent vanter son savoir, ordonna un jour de lui indiqner le milieu de la terre. Tout autre qu'un derviche eut trouve la question quelque peu erabarrassante ; le notre ne sedeconcerla pas. — Hien de plus simple, repondit-il, viens avec nioi. Arrive dans la cauipagne, il sc dirige vers une petite eminence, et la, planfant resolument son baton dans le so! : — Puissant Ills du soleil, dit-il au sul- tan, void precisemcnt ie milieu de la terre ; si tu ne me crois pas, prouve-moi le contraire, Cette histoire n'est-elle pas un peu celle de bien des stalistiques? II existc, au surplus, deux sortos de stalistiques d-amateurs biendislinctes. D'abord celle a laquelle des chitlres d'apparence plus on nioinsofficielleprelcntleur concours magistral itsolennel; puis celle dont rimagination fait a peu prcs scule tons les frais, et (jui prend pour regie le caprice et souvent le hasard. La premiere, si el!c ii'est pas toujours exacte, porte au moins avec elle un cer- tain vernis de verite qui ne laisse pas que d'avoir bou air; quant a I'aulre , j'ai rencontre un jour sa persounilicatioii dans un de mes compagiions de — 38 — voyage, dont je clemaiiderai la permission de dire, deux niols. En 1833, je parcourais I'Alleraagne et fis route, pendant (juelques jours, avec un Anglais d'luimeur assez traitable, bon compagnon, audenieurant,surfout quand, d'aventure, !e gite et la table lui rappelaient les conforlables habitudes de son pays. Ilavait assigne a son voyage un but assez original. II voulait, disait-il, dresser une statistique de I'Al- lemagne, divisee, non plus par provinces ou par cer- eles, comme le fait le comniun des geograplies, mais bien par colonnes hygieniqucs et gastronomiques, de- signant les contrees et les villes que les nombnux emigrants des bords de la Tamise i)ouvaient, sans de^ roger, venir liabiter. C'etait, au point de vue econo- mique et culinaire,une idee eminemment utile et plii- lanthropique. Or, pendant une nuit du niois de Mars, vers une lieuredu matin, nous tra versions la jolie villede W.. .... II faisait un froid piquant ; une bise inhospitaliere nous fouetlait au visage une neige fine et glaciale; les ruesetaient sonibres ct silencieuses, et sous le chartil de la poste, un mendiant en guenilles vint en grelot- lant implorer nofre pitie. Mon compagnon de voyage, la figure enfouie dans les plis profonds d'un ample foulard, maugreait de tout son cceur, en jelantautour de lui un regard deeourage, pendant qu'on cliangeait les clievaux. Le lendemain il ecrivait sur ses tablettes : << W , » ville SQUibre, i'roide, presque loujours couverle de » neige, a peu pres deserte. Le petit nombre d'habi- » tants uu'on y rencontre a un aspect miserable et )i dtilabre ; se bien garder d'y s«^journer. » — 30 — Qui pourrait apprecier le nombre dcs guinees doiit, peut-etre, cette esquisse pen flalteuse a prive la ville de W ? La statislique, cepeadant, a cu parfois ses bonnes fortunes d'esprit qui sufliraient pour la rcconcilier avec les plus difficiles et les plus sceptiques. On sait que Napoleon , qui avait peu de temps a. perdre, exigeait de ses ministros des rapports fre- quents, precis et detail les; On connaissait la predilec- tion du maitre pour ce genre de travail ; anssi, la statisticomanie prit-ello sous son regne un developpe- menlprodigieux. L'usage aiuena I'abus. Pendant une de ces rapides excursions qui le transportiiient soudai- nement du nord au niidi de la France, chaque prefet, en lui t'aisant les honneurs du c!;ef-!ieu, nemanquait pas de lui donner sur le departeinent les renseigne- nienfs les plus circonstancies. A son exeuiple, tons les chefs de service voulaient aussi donner a leur tour leur petite slatistique a I'Empereur, qui sur les manufactu- res, <]ui sur le nombre de criniineis dont jcuissait le departement ; celui-ci sur les ecoles, celui-la sur la quaiitile d'anes et de ehevaux victimes de la raorve ou du farcin ; si bien que Napoleon eut bientot assez de ces volumineux dossiers qui encombraienties voitures de ses aides-de-camp. Au reboursde ses confrere;^, le prefet d'un departe- ment du midi ne lui remit aucune de ces paperasses oflicielles, doiit les aulres avaient ele si prodigues. L'Empereur liii en temoigna sa surprise. — J'aurais cru, repondit le prefet , manijuer a romniscience de Votre Majesle, qui, j'en suis certain, connait aussi bien que moi le departement dontj, elle a ilaigne me confier raduiinisiration. — Aussi bien quevous, monsieur le — 40 — prefet? Maiseles-vous bien siir vous-nieme de savoir parraiteinent tout cequi s'y passe? Et, par exemple, ajoiita Napoleon avec un sourire fin et naiqnois, eclaire de ce regard percant qui intiraidait les plus forts, pourriez-vous me dire combien d'oiseaux de pas- sage ont, cet hiver, traverse voire departenient? — Oui, Sire : un,seul.— Ah ! et lequel ?— Un aigle, Sire. Cette breve statistique du spirituel prefet le placa sans doute plus haul dans les bonnes graces du niaitre que les volumineuses colonnes de ses confreres. Mais comme il n'est pas donne a tout le monde d'en faire d'aussi heureuses, il vaut souvent mieux s'abs- tenir. Je n'ai done pas voulu faire de statistique. Cepen- dant, a I'appui de certaines opinions et corame preuve de certaines assertions qui ne devaient pas laisser de prise au doute, j'ai du quelquefois recourir aux chif- fres. Dans ces cas speciaux, des documents officiels et irrecusables ont servi de base a mes calculs et a mes appreciations, et je pense etre reste toujours dans les bornes de la verite. Le but que je me suis propose a ele simplement de faire. sinon Fhistoire complete, du moins uue partie de riiistoire anecdolique et episodique des vins de la province de Champagne, depuis leur origine presuma- ble jusqu'a nos jours. 11 m'a semble que ce travail pou- vait oflVir quelque interet, car il sortait de la ligne un peu seche que se tracent habituelleraent les nomencla- tures et classilicationsde vignobles. Dans Vllistuire de Reims de Dom Geruzez, on pourra retrouver quelques-unes des anecdotes que je raconte jci; raais, d'apres les citations, queje n'ai pas epargnees, on pourra se convaincre que je ne m'en suis pas rap- — 41 — porte au t^moignage de cet aulcur, qui , dans la i)artie de son travail concernant les vins de Champagne , a laisse se niuUiplicr Icserreurs. J'ai voulu remonter aux sources veritables, j'ai consulte nos vieux ecrivains re- mois, le riclie cartulairc de la \illc, et divers commen- tateurs, qui ra'cnl I'ourni de precieux renseigneuients et d'intt^ressants details. Quelques amis obligeants, en memettant sur la trace de documents rares et utiles, en me faisanlpartde leurs connaissances personnelles, out bien voulu me facililer le travail ; je les en re- mercie sincerement. J'ai consacre un chapilre special aux vins mous- seux, ces nouveaux venus, centre lesquels les anciens vins de la province ont vu echouer leur gloire et leur faveur, et dont la popuiarite a eveille la fraude ett'ait surgir tant de Iristes contrefacons. En resume, je suis loin de croire que j'ai ecrit I'liis- toire complete des vins de Champagne ; cette histoire, qui peut etresi interessanie, resle, je le sais, encore a faire ; mais je pense que le travail que j'oQVe aulecteur est peul-etre un pen moins incomplet que tout cequi a ete dit jusqu'ici sur le meme sujet. Dans tous les cas, je m'eslimerai heureux si mes recherches n'ont pas ete lout-a-1'ait infructueuscs, et si d'autres plus habiles parviennent un jour a achever Tffiuvre que j'ebauche aujourd'hui. DOCUM ENTS. CONGRES SCIENTIFIQUE DE FRANCE. la Ireizike session se lieudra a Reims, le 1" Scplembre iUl, Dans la graude galerie historique du palais archiepiscopal. QUESTIONS PROPOSEES POUR CHACUNE DES SECTIONS. Pve-miivc SecVvon. SCIENCES NATUUELLES. GEOLOGIE. i . Dans quelle serie peut-on classer le calcaire traver- tin kphijsa cj'ujantca, de Rilly el de Sezanne? Cette for- mation est-elle contemporaine des niarnes blanchatres a ■phijsa columnaris , du Mont-de-Bernon? Comment expli- quer la presence des moUusques terrestres el lacuslres dans ces calcaires ? 2. Quel rang occupent dans rechelle terliaire les argiles a lignites du versant de la niontagne, entreFismes et Mont- chenot ? 5. A quoi attribuer les accidents geologiques qui singu- larisent i'argile plastique que Ton rencontre a Mailly, ou cliaque coup de pic detaclie par clivage des feuillets d'une glaise rongeritre qui a conserve I'empreinte de feuilles, de fleurs el de groines de vegetaux? i. Les sables a gros grains quartzeux et a teredina pcrsoiutta, de Cuis (arrondissementd'Epernay), recouvrant les argiles a lignites , appartiennent-ils ;i Tetage inferieur du calcaire grossier; ou constituenl-ils une formation in- lermediaire, independanle; ou bien encore ce siiljle doit-il — 43 — (?tre maintenu dans I'ai'gile plasiiqiie , caiacteiise par Vtm'io truncatom el la tcrcdina pe)S0)t(ita, an Tisolaul lou- tefois de la pailie superieure de ee sysleme? 5. Comment expliqiier la presence, au milieu des cli- quarts d'Hermonville, des veines d'argile a lignites, dont t'haque feuillet est convei't decorbules et dc paludinos? G. Quelle serail la slratificalion theoriquc de la monla- gne de Ludes, qui offre un melange de coquilles marines et lacustres ? 7. Quelle utilite Tagriculture peut-elle relirer de I'etude de la geologic ? , BOTANIQUE. i. De'.erminer la nature des vegetaux employes dans rornementation de la calhedralede Reims ; en un mot, es- quisser la llore rurale de cet edifice. 2. Presenter les catalogues des plantes qui croissent dans les prairies de diverses conlrees, en tenant compte des proportions relatives de ciiaque espece dans la com- position des fourrages; faire mention de la nature geolo- gique du sol sur lequel croissent ces vegelaux. 5. Y a-t-il une difference bien constatee enlre le poids moyen des cereales recoltees dans les diflerenles contiees du departement? Appiecier le plus exactement possible la nature du sol arable et du sous-sol dans les contrees on le poids est le plus considerable ; indiquer les causes diverses qui peu- venl influer sur ces differences. (Onprendra I'hectolitrepouretablirle rapport des poids.) 4. Faire le catalogue raisonne de toutes les especes v6- geiales qui croissent spontanement sur le sol du departe- ment de la Marne. 5. Indiquer les noms scientifiques et \ulgaires des plantes qui, etant semees ou plantees dans une piece d'eau stagnanle ou dans un fosse dont I'eau se renouvelie rare- numt, doivent assainir Teau et la rendre potable. — w — 6. fitabliriinc noiiKMiclatiire simple et precise des difTe- reiits plants de vignes culUves dans le departenient de la Marne. 7. Quels seraient les nieillenrs moyens d'ani^liorer les plants de vignes enCliampagne? ZOOLOGIE. i. Dans l.\ premiere deses lemons, Cnvier etablit pour conclusion qu'iln'existe pas de corps organise qui n'aitfait autrefois partie d'un corps semblablc a lui, dont il s'est d6tache. Examiner cette opinion ; rechercher si elle pent etre fondee. 2. Quelles influences relatives pourraient avoir sur les progrfes de la zoologie les deux niethodes de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire, lesembranchcments typiques on I'u- nite de composition ? 3. Quels progres a fails en France la zoologie descrip- tive sous I'empire des donnees d'anatomie speculative? 4. Quelle a ete Tinfluence de Cuvier etde Buffonsurl'^- tude de la zoologie? Caracteriser leurs ccoles, ainsi que celles de Geoffroy Saint-Hilaire et de Blainville. 5. Detainer les services rendus aux sciences naturelles par les Hollandais, les Allemands et les Anglais. 6. Quelles bornes niettre a I'anarchie qui envahit au- jourd'hui la nomenclature dans les sciences naturelles? 7. Esl-ildemonlrcqu'il soit impossible aun seul homme de rediger unsysteme de zoologie? 8. A-t-on aujourd'hui une bonne delinition de Pespece? 9. Les lois de la geographic des etres pourraient-elles etre formuk'cs d'apres une base certaiiie? 10. Les metamorphoses des acaleithes aux divers ages de leur vie sont-elles bien demontrees? 11. Quelles sont les cspeces de chenilles les plus nui- sibles aux arbres? — AS — Indiqiif r les cpoqnos de leiirs differentes metamorphoses jiisfju'a i'elat de ponillon. Qiit'lssoiit les moyeiis qu'on pourrait employer pour les dctriiire, soil a I'etat de chenille, de chrysalide ou de pa- pilioti? A quelles epoques devrait-on operer la destriiclion de cos irisecles pour i)!"(*venir leurs d<'*g:Us? N'y aurail-ilpas d'imporlaiUes modilioalions a appoitcr a la loi snv leche- nillage? i^. Presenter un sysleme des classifications des animal- cules microscopiqucs. AGRICULTURE, INDUSTRIE, LEGISLATION, ECONOMIE. AGRlCtLTt'RE. i . Quel est en Champagne I'ctat de rap;riculture? — Quels sont les progres operes depuis vingl ans? — Tracer le ta- bleau stalislique de la production agricole dans les prin- cipales regions agronomiques de la Champagne. (Une medaille d'argent, olTerte pai* M. de Caumont, sera remise a I'auleur de la meilleure notice surce sujet.) 2. Quelles institutions pomraient le plus puissamment conlribucr au developpement et au perfcctionnement de {'agriculture dans le departement de la Marne, et en par- ticulier dans Tarrondissement de Reims? (Ecoies pi'imai- res d'agriculture , lermes modeles, etc., etc.) 5. Quels seraient, dans I'interet de ragriculture, les eta- blissements commerciaux. les plus utiles a fonder dans le departement de la Marne, et notamment dans Tarrondis- sement de Reims? (Banque agricole, depot d'instruments aratoires, fabrications d'engrais, etc., etc.) Indiquer : i" les conditions a remplir par chacun de ces ^tablissements ; 2" Le capital necessaire a sa foiidatlon, son developpe- ment successif et sa marche r^guliere. — 46 — 4. Quels seraient, sans gener la liberie individiielle, les nioyens les plus efficaces a employer poiirretenir dans les canipagnes la popiilalion ouvriere, qui lend loujours a af- fiuer dans les villes nianufacturieres? Quelles seraient aussi les institutions capables de neutraliser les effets de cette tendance en appliquant aux travanx agricoles les enfants el les adultes non employes aux travanx induslriels? (Colonies agricoies , hospices pour les enfants trou- ves, etc.) 3. Quelle est, dans le departenient de la Marne, I'ex- ploitalion rurale la niieux tenue sous le rapport de la cul- ture, de ramenagement des fumiers, de I'importance du betail, etc., etc.? (Une medaille d'argent pourra etre decernee par le Con- gres a I'auteur du meilleur memoire.) 6. Serait-il avantageux pour ragricnlture de multiplier les clotures dans les environs de Reims et partout ou eiles sont rares ? 7. Indiquer toutes lesapplications utiles de la craie, soil a I'agriculture, soil a Tinduslrie. 8. Recherclier quelle est la situation , I'etendue et la profondeur des gisenients tourbeux a Reims. — Quelles sont la nature et les proprieles chimiqnes de cette tourbe? Exposer les proprieles et les emplois de la tourbe consi- (leree comme combustible. Indiquer les nioyens d'utiliser plus largement an profit de rindustrie remoise les tour- bieres elablies dans la vallee de la Vesle. 9. Quels sont les nioyens pratiques d'amener rapide- ment a I'etat de culture ordinaire du pays les terres con- uues en France sous lenom de pdl'is, landes et bntijeres, et particulierement celles qui existent dans la Champagne sous 1(! nom vulgaire de icrres usucjcrcs, trius ou savarts (terres incultes ou en friches) ? 10. Determiner la necessite d'une loi sur le cadastre parcellaire et en indiquer les principales dispositions. — 17 — 1 i . Quols sont les niovens de rendro plus rapide, et sur- toiit plus reelle, ramelioration des clieniiiis vicinaux ordi- iiaires par la seule application do la lui du 21 Mai 1856? 12. Quels sont les nioyens pratiques d'etendre davan- lage I'inslilution des caisses d'epargnes, et surtout d'en faii'e profiterle plus possible les habitants do lacampagne? •15. Indiquer le nieilleur mode de coiistater paitout et d'une nianiere reguliere la condition hygiomelricpie des matieres precieuses employees dans les fabiiques de tissus, et qui se vendenl au poids, commela laine, lasoie,etc., etc. Denionlrer combicu retablissement de ro!)f/i//o»s piibUques operant uniforniemenl sur toutes les graudes places de connnerce serait favorable a la moralite et a la securite des transactions. INDUSTRIE, i. Quellcs formalites pourraient (la liberte du com- merce etant rospectee) elre imposees aux manufacturiers pour constator la nature et respecc des matieres em- ployees dans les tissus, et prevenir ainsi les fraudes envers les consommateurs et la depreciation de nos produits a I'e- tranger ? 2. Quellcs ont ete les revolutions de I'industrie remoise depuis le moyen-agejusqu'a nosjours? 3. Rechercherl'origine et le developpement du com- merce du vin de Champagne. LEGISLATION. 1. Quelles seraient les mesures legislatives qui pour- raient tendre a amener la diminution des procfes civils ou de commerce ? 2. Le jury, tel qu'il est constitue aujourd'hui en France, protege-t-il suflisamment les interets de la society, et, particulierement, le pouvoir de declarer des circon- stances attenuantes dolt-il lui etre enleve pour etre con- fie a la magistrature ? — 48 — 5. Exposer succinctement Torganisation des tribiinanx civils en Angleterre , et determiner le caractere des cours d'eqnite. 4. La repression penale en ce moment usitee en France envers les incuipes mineurs satisl'ait-elle a toutes les conditions qu'exige le triple interet de la justice, de riiumanite, de la nioralisation sociale ? — Pourrait-on, sans porter atteinte a la securite publique, y appoiler quelques modifications ? 5. Quelles seraient, poor les communes ou 11 n'existe pas d'officine de pharmacien, les consequences del'appli- cation rigoureuse de la loi du 21 Germinal an XI ? 6. Lors de la celebration de leur mariage, les futurs epoux ne devraient-ils pas etre tenus de declarer a I'ofti- cier de I'etat civil a quelle date et devanl quel noiaire ils ont passe les conventions civiles de leur union ? Ne devrait-on pas, a I'egard des tiers, reputer maries sous le regime de la communaute legale, tons epoux qui auraient neglige de faire cette declaration? 7. Devrait-on abrogerla dispense de I'inscription pour les bypoiheques legales des femmes, des mineurs et des interdits ? Du moins, ne devrait-on pas eonferer aux crean- ciers du man et du tuteur la faculte que I'article 2195 du code civil confere aux acquereurs , de purger les bypo- theques legales existant independamment de Tinscription ? 8. Devrait-on abolir le principe de la speciabte des hypotbeques conventionnelles ; en d'autres termes, atlri- buer aux notaires le pouvoir de eonferer une bypotbfeqne gen^rale sur les biens presents et a venir du debiteur ? 9. La societc est-elle tenue en droit rigonreux de reparer le dommage cause aux incuipes ou accuses re- connus innocents ? — En cas d'albrmative , comment cette reparation sociale pourrait-elle etre pratiquec sans incon- venient? — i9 — iO. Quelle est rinfluencc des peines purenieiU iiif'a- nianles, Icllos que I'exposiliou publique el la degradation civique au double point de vue de la nioialisatiou des condamnes et de la repression ? U. Quels seraient, en dehors de Taction repressive ordinaire et du regime penitentiaire a inslituer, les nicil- leurs nioyens de diminuer le nomhre des reoidives? 12. Quels soul les nioyens de rendre efiicace la surveil- lance des libercs, sans que cette surveillance soit un ob- stacle a leur reclasse:nent dans la societe ? 15. Le patronage pratique envers les libercs mincurs peut-il etre applique avec le nienie succes aux libt^^res adulles ? Dans cecas, quclles seraient les conditions indispen- sables pour que ce patronage ne degenerat pas en abus et en encouragemenl pour le crime ? iCONOMIti POLITIQUE. i . Examiner quels sont les etablissements philanthro- piques existant dans la ville de Reims en faveur de la classe ouvri^re. Examiner leurs avantages, leurs inconvenients, el les moyeiis de les ameliorer, notamment dans le but d'y faire participer les femmeset les enfants. 2. Quel est a Reims le genre d'etablissement le plus convenable pour obvier a la meudicile? A quelles occupa- tions convient-il le mieux dcusployer les meudiants? Presenter (en prenant pour base 100 imligeiils, soil 50 de chaque sexe) le plan de retablissement juge le plus convenable. Indiquer : \° les depenses nf^cessaires ;\ sa cr<^alion ; 2" les moyens d'y suHire sans recourir a Timpot. 5. Appreciant la question ci-dessus d'un point devue plus g6n6ral et plus eleve, indiquer quel serait dans nos grandes villes de France, ct notamment a Reims, le sys- teme des moyens les plus pi'opres a diminuer les souf- 4 — 50 — francos morales ct matcrielles du paupt'risme, par Vom- ploi le plus intelligent des secours de la charite publique et privee. (Une medaille d'or pourra etre decernee par le Congres a Tanleur du meilleur niemoire sur Tune des trois ques- tions ci-dessus.) 4. Quelle sera rinfluenee probable des chemins dc fer sur la position actuclle des agriculteurs et de leurs ou- vriers? 5. La statislique montrant que le departement de la Marne est I'un de ccux oii le suicide est le plus frequent, reclierclier les causes de celtc frequence et indiquer Ics moyens de la prevenii-. TvoWicwc SmWotv. SCIENCES MEDICALES. i . Les observations niedicales sont-elles habiluellement redig^es d'une nianiere assez precise ? Peut-on considerer les faits enregistres cliaque jour dans la science comme propres a servir de base solide a la niedecine? Montrer par une 6tude sur quclques-uns des plus ce- lebres pathologistes quel pen de rapport ij existe souvent entre les conclusions des observateurs et I'analyse de leurs observations ? 2. Quelles donnees positives la pliysiologie experinien- talea-t-elle fourniesa la science depuisBichat jusqu'a nos jours? 3. Quelles donnees les Etudes microscopiques ont-elles fournies jusqu'ici a I'anatomie , a la physiologic , a la pathologic et a I'anatoniie pathologique ? 4. Quelles donnees I'anatomie pathologique peut-elle fournir a I'etude des nevroses ? 5. L'elude, apres la mort, des lesions observees ou diagnostiquees pendant la vie , etant la meilleure base de — 51 — tons progres v^rilablos ea m(''(leciiie, comment pourrail-on inlroduiro dans nos mauirs I'lisage des necropsies? 0. Poss6de-t-on aujourd'Iiui dcs documents suflisants pour jugor la methode des saignees coup sur coup ? En cas d'allirmalive , indiquer ct appuyer sur des preuves oliniques une formulc applicable aux affections franche- ment innammatoires. 7. Do toules les discussions soulevees depuis plusieurs annees sur la nature et sur la llicrapeutique des fievres typhoides, peut-on tirer quelque conclusion rigoureuse sur le meilleur mode do traitement a opposer a cette af- fection ? 8. Existe-t-il des signes sp^cifiques a I'aide desquels on puisse diff(^rentierlcs acccs complexes d'hysterie des accc's d'epilepsie? 9. Que! est Tetat actuel dc la science relativement aux fractures etaux luxations de roxticmitc inierieure du ra- dius et du cubitus ? 10. Faire connaitre par dcs donnees statistiques exai tes la mortalite comparative des enfants nouriis au sein ou allait<''s arliliciellement. i\. Peut-on, dans le langagc medical, attacher un sens precis aux mots force el fuiblcsse ? Uonner de ces deux etats une definition rigoureuse. 12. Jusqu'a quel point doit-on admettre la croyance aux envies de femnies grosses, et quel est le pouvoir des (''motions maternelles sur Ic produit de la conception ? 15. Faire la topographie niedicale du deparlement de la Marne, en insistant particulierement sur les modifica- lions imprimees a Teconomie huniaine, taut dans I'etat de saute que dans I'etat de maladie, par les differences de sol, d'induslrie, etc. i'l. Pourquoi les epidemics de variole sont-elles plus frequentes dans le departement de la Maine que dans la plupart des autresdepartemcnts? — 52 — 15. Le service vaccinal, tel qu'il est organise g^ncrale- ment en France, et specialemenl dans Ic departement dc la Marne , repond-il siifllsaniment a tons les besoins des communes rurales? Quclles sont les modifications dont il serait susceptible ? 16. Quel est I'etat acluel du magnetisme en France? 17. Les systenies phrenologiques de Galletde Spurzeim s'accordent-ils avec les r^sultats fournis par I'observation anatomique et par la physiologic , la pathologie et I'ana- tomie paihologique ? 18. Faire un petit traite d'hygiene populaire degage de toute consideration purement theorique, et appropri6 aux habitudes des classes populaires du pays de Reims. 19. Rediger un projet de reglement pour une soci^te de medecine d'arrondissement, dont le but principal serait de travailler au developpement des sciences et institutions medicales, de reprinier le charlatanisme, et de faire obser- ver les regies qui doivent assurer la dignite de la profession. 20. Rediger un projet semblable pour une association des medecins d'an memo canton. PHARMACIE, Indiquer et discuter les ameliorations que reclame la legislation et les institutions m^dico-pharniaceutiques en France ? ART VET]£rINAIRE. 1 . Sous quelle influence et dans quelles conditions se developpe le tournis (coenure c^r^brale, coenums cere^ bmlis) ? 2. Quelles sont les affections qui peuvent etre confon- dues avec le pielin du mouton ? Quels sont les meillcurs moyens prophylactiques etcu- ratifs de celie maladie ? o. Indiquer les causes de I'hydroemie et les phenomfenes physiologiques qui raccompagnent, — 53 — 4. Poss6de-t-on dos inoyens aussi cfflcacos que la cau- terisation pour guei'ir les hydarthroses (les niolelles ct ves- sigous), sans laisscr do traces de la medication employee? 5. Dans le vertigo abdominal (gaslro-cerebrite), les ac- cidents cerebraux s'aggravent-ils sous Tinfluence de la saigncc ? 6. Etablirles caraclt-res distinctifs de la pousse pendant la vie. Decrire les lesions organiques propros a cetto af- fection, etnoter avec precision tout ce qui peut eclairer le velerinaire dans les fonclions d'expert. 7. La pneumonic des vaches laitieres peut-elle otro pre- veuue par des modifications parliculii^res dans ralimenia- tion? 8. La legislation actuolle offre-t-elle uno garantie suf- fisante au commerce des animaux domesiiques? 9. Quelles seraiont les mesures legislatives capables de detruiro , ou du moins do combatire rempirisme d'une nianiere efiicace ? QuaWime, SecVvou. ARCHEOLOGIE. — HISTOIRE. i . Signaler dans la province de Champagne les monu- ments gaulois anterieurs a Tinvasion romaine ; rapporter les traditions. — Indiquer les principales decouvertes de medailles ou de vestiges gaulois, — et les colleciions ar- cheologiques les plus digues d'etre signalees a Tattention descurieux. 2. Discutcr la veritable position de I'ancienne Bibrax. 3. Quelle etait I'etenduo de la viilede Ueims sous la do- mination romaine? — Signaler remplacement des monu- ments, de ses etablissements jtublics, rues, places, aquc- ducs, etc. — Donner aulant que possible le plan de la ville gallo-romaine et de ses abords. 4. La ville de Reims eut-elle des proconsuls? — Quels scut les monuments qui tt^moignent de cciie magislrature? — 54 — — Kn qiioi rcxistence de la juridiclion immicipale dos qualre preiriiers siecles de Thistoire de Reims est-elle in- leressce a ('ollc des proconsuls? o. Quelle ctail au\ ii" iii° et iv" siecles de notre fere Te- lat de rindustrie mauufacfurifere de la Gaule? — Quels etaient les debouches pour les produits de cette province de I'enipire? (MedalHe promise.) 6. Deierminer les voies, postes militaires, camps, forts, aqucducs, sepultures et constructions de tout genre qui renionlent a Toccupation romaine dans toute Fetendue de la province de Cluunpagne ; faire connaitre les objels d'antiquite decouverts depuis le commencement du xix« siede. 7. Quel elait I'^tat social des peuples de la Champagne, et en particulier du pays des Ardennes, anlerieurement a la conquete des Francs? 8. Qnelles mesures rautorif6 competente a-t-clle pri- ses depuis que les Eludes historiques sont remises en hon- neur, pour conserver les monuments antiques , recueil- lir les debris, sauver les fragments epars sur le sol? .9. Quelles nouvelles lumieres les medailles antiques d^'couverlcs en Champagne ont-elles jetees sur I'histoire de cette province? 40. En quoi consiste le litre de defenseurs des villes donne aux eveques au moyen-age, et, particuliferement dans cette province, a saint Eloi de Noyon, a saint Rigo- bert de Reims? II. Les comtes de Champagne ont-ils battu monnaie a Reims ? — Que penser du nom d'hotel des comtes de Cham- pnfjne donne a la maison dite encore des musiciens de la rue de Tambour? 13. Quelles furent dans !a province de Champagne les maisons de I'ordre du Temple et quelle en etait IMmpor- tance? 45. Quelle a et6 en Champagne, el dans le pays de Reims — 55 — en partioiilier, la missiun ct rinfluence de rordre nionas- tique de Sainl-Bcnoil? J4. Indiquer et, aiitant que possible, cstamper Ics in- sci ipiions du inoyen-age qui se trouvent dans les eglises, edifices publics, ou niaisons parliculieres du dioct^se de Reims. (Medaille promise.) 15. Quel est le style dominant dans les principales 6glises qui existent actuellement en Champagne? i6. Lesanciennes eglises, aujourd'hui environn^es d'ha- bitations, ont-elles ete isoli^es dans le principe? Serail- il a desirer qu'ellos le fnssent? — Get isolementserait-il plus favorable a Texercicc du culte? 17. Quelle influence la cathcdrale de Reims a-t-el!e cxercee, comme type architectural, sur les monuments re- ligieux construits dans le pays? 18. Decrini les figures qui decorcnt la grande facade, lesportailslaleraux, les niches des contre-forls, rinlcrieur du grand |»ortail de la calhedrale de Reims. Indiquer le caractere symbolique ou hislorique de certaines figures. — Signaler le nom des statuaires ct autres artistes. 49. A quelle epocpie remontent les vitraux de la cathc- drale? — En donner la description et Texplication ; s'at- lacher principalement a la grande rose du portail. — Si- gnaler le nom des artistes et le lieu oil ces vitraux ont ct6 executes. 20. Quelles etaient au xin'' siecle les dilTerenles formes des autels, des vetemenls sacerdotanx, et autres objets n(5ces- saires au culte? La Champagne avait-elle adopte quelque forme parliculiere? 21. En quoi rinfluence de repoqueditcde la rcnahsnnce a-t-elle ete funeste aux edifices de Tart calholique et no- tamment a la cathcdrale de Reims? 22. Indiquer les moyens de reprimer les actes de van- dalisme qui se commettcnt journcllement dans les eglises, sous le specieux prelexte de restauration? — 56 — 25, Quelles out 6i6 dans le pays de Reims la marche, les progres et rinduence de la reforme? 24. Apprecier rinfluence de la maison de Lorraine dans les affaires de France au xvi^ siecle ; a-t-elle eu une politi- que nationale? Quelles ont 6t6 ses tenlatives de conciliation et de rapprochement entre les partis religieux et politiques qui divisaient le pays? 25. Indiquer un point du departement traverse par une route frequent^e, auquel se ratiache quolque fait hislori- quc qui puisse etre rappelc par un monument. C'vTV(\^vv\ti(\u SecVvon. LITTERATURE. — REAUX-ARTS. i . Quelle a ete la pari de la Champagne, el speciale- meni du pays de Reims, dans le mouvement intellecluel qui s'est opere en France duxiv« au xvi'= siecle? 2. Quelle influence ce mouvement a-t-il exercee sur les lotlres el sur les arts ? 5. Quel est I'elal acluel de la popidalion de Reims par rapport au sentiment des arts ? La sculptm-e, la peinture et la musique y sont-elles cultivees avec succes? 4. Esquisser I'histoire de Tarchiteclure religieuse en Champagne el determiner, s'il y a lieu, les caracleres par- licidiers de cette architecture. 5. Faire I'histoire de la musique a Reims avanl et apr^s rinlroduclion de I'harmonie dans I'arl musical. S'aiiacher spck'ialement a rechercher si Tecole gallo-belge a eu quelque influence sur les productions des artistes remois. 6. Rechercher el determiner, s'il y a lieu, le synchro- nisme des revolutions et des transformations de la musi- que avec celles des autres arts, pendant la p^riode chre- tienne. 7. Examiner pourquoi rinlervalle de quinte et celui de quarie, se succedant a eux-memes, ont 6le admis autre- fois dans la musique , de preference aux tierces et aux — 57 — sixtes ; pourquoi cela ne nous parait pas loleialjle aiijour- d'hui ; pourquoi enfiu, malgrecetteiepugnanco, nouslrou- voHs ces successions fori belles, dans cerlaius cas. 8. Faire rhistoire de riniprinierie dans la Champagne, et dans Ic pays de Reims en particulier, depuis le xv^ si^cle jusqu'a la r.a da xviir. 9. L'cnseignementprimaire en France et les 6coles nor- niales primaires repondeut-i!s a leur objel? Quelles ame- liorations ou quelles modifications pourraient-ils recevoir? JO. Esquisseri'histoiredu neologisme en France depuis 1 T.jO jusqu'i. nos jours. 11 . Uueiles sout les causes qui ont amcne la decadence du theatre en France? 12. Quels seraient les moyens de rendre, en France, le theatre national ? 13. Le sysler.'.e des univcrsites allemandes est-il pr^f«^- rable an systen^e .francais, et serait-ilpralicable en France? A quelles conditions etavec quelles chances de succes? 14. Qiieh moyens pourrait-on employer pour donner plus de publicile aux ouvrages edites en piovince? 1 5. Quelle est la reformc a introduire dans la musique religieuse en France? lt<. Faire Fhistoire de la po6sie a Reims. 17. De I'etat de la litteraturedansle pays de Reims de- puis la revolution de 1789. 18. Quelle a etc la part des artistes reniois dans I'exe- cution des monuments anciens et modernes de la ville de Reims ? 19. Quelle part le catholicisme a-t-il eue a la formation de la nationalite francaise ? 20. Delermiiierrinfluence des doctrines morales sur les beaux-arts. 21. Quel rapport existe-t-il entre lalangue d'une nation et son etat social ? - 58 — Svi'vcmt SecWou. SCIENCES PHYSIQUES ET MATIlfiMATlQUES. 4. La difference des vitesses rotalivesdes molc'culcs d'air dans le inouvement qui les porta du pole a requatenr et de I'equateur an pole , est-elle assez considerable poor qu'on puisse lui aftribuer relenient est des vents alizes '? 2. En se reportant h la naissance de riiypothfese de remission luniineuse, n'aurait-il pas sufii d'appliquer a notre atmosphere I'impulsion solaire matinale pour pro- duire dans chaque atouie d'air la vitesse de I'element est des vents alizds ? 3. Peut-on etablir la pond^rabilite et Taltraction du caloriqne , et expliquer de cette maniere les phenomenes de la dilatation et de {'elasticity des corps ? A. Les densit^s des vapeurs se formant dans le vide ou a I'air libre , varient-elles avec la temperature ? Au moyen de quelles experiences pourrait-on determiner ces densites a diverses temperatures ? u. Quelles precautions faut-il prendre dans les observa" lions meteorologiques pour les rendre comparables ? Avantages des appareils qui enrcgistrent eux-memes les observations, et ulilite des representations graphiques de ces observations au moyen des courbes. Quels points de la France faudrait-il surtout choisir pour y etablir des observatoires meteorologiques ? (■). Peut-on, au moyen des phenomenes d'induction, ex- pliquer, dans reiat actuel de la science, tons les fails de reiectricite sJatique? 7. Du developpement d'electricite dans les jets de va- peur des chaudieres a vapeur. A quelle cause doit-on lajiportor ce developpement? H. Des decouvertes les plus recontes sur reiectricite voltaique, el des diverses modifications apportees a la construction des piles. Examiner et discuter les diverses theories qu'on a proposees depuis Volta, dans le but d'ex- — 59 — pliquor roriginc de relectricil6 voltaiqiic Pt le mode d'ac'tion des piles. 9. Examiner si line lli^orie du timbre est possible, et quels elements seraient n^cessaires pour la formulei'. dO. Les effels de relaslic'il6 et de la pressiou dc Fair oiit-ils ('le suffisammcnt (^'todies et exaclement calcules? i 1 . Tli6oriquemenl cst-il probable que I'essai des bou- tcilles diminue leur resistance? Les experiences directes prouvent-elles que cette dimi- uulion de resistance soit reelle ? En adnieltant que les bouteilles qui ont d^ja servi soient g6neralement moins bonnes que celies qui sorlent de la verrerie , en peut-on conclure que celies qui ont ^t6 essayees doivent aussi etre moins bonnes que celies qui ne I'ont pas etc? la. hidiquer un nioyen simple et posilif d'appr6eier la tension interieure dans les bouteilles contenant des liquides charges de gaz. 13. Indiquer rinfluence de la forme des vases sur le degagement a I'air libre de Tacide carbonique contenu dans le vin de Chami)agne. 1-i. Quels sont les services deja rendus a la fabrication du vin dc Champagne par I'application des machines? Quels sont ceux que cette Industrie pent en attendre encore ? 13. L'experience a-t-elle suftisanunenl prononcesur les resultals de Tacupuncture employee conuue moyen de diminuer la casse? CHIMIE. i . Indiquer la composiiion chimi(|i!e et les qualiles hygi^niques des eaux de la Marne, de la Vesle, du canal lateral a la Marne , du canal de I'Aisne a la Marne , des principales sources du dcpartement de la Marne el prin- cipalcniont de rarrondissement dc Reims. — 60 — 2. Quelles donnees fouriiit la cliiniie relalivenieiit a rengraissement des bestiaux ? A la secretion du lail cliez Ics dllTerents mammiferes ? A lengrais el i; ramendemeul des terres ? 3. Expliquer theoriquement les differentes phases de la fermenlalion alcoolique. 4. Les vins de Champagne susceptibles de devenir mousseux presenient des proportions variables quant aux sels, au Sucre, aux matieres albumineuses et aux prin- cipes colorants qu'ils renfernient. Quelle est rinfluence qu'on doit attribuer a ces variations ? 5. A quelle cause doit-on attribuer , et comment pour- rait-on prevenir la nebuloske qui survient souvent dans les vins mousseux el qui les fait designer sous le nom de vins blcus ? 6. Quelle est la cause de Talturation ou maladie des vins rouges , connue sous les noms d'abshuhe, ayner- tiime , etc. ? Par quel moyen pourrait-on la prevenir sans nuire aux qualites des vins? Pourrait-on, au moyen d'un rdactif, reconnaitre sitel vinpeut ubsinlhcr plutot que tel autre? 7. Dans quelles conditions doit etre le vin de Champagne lors de la mise en bouteilles, pour que la mousse soit assureo et pour que la cassc et la graisse soient en meme temps evilees ? Cctte question devra etre etudiee specialenienl sous le rapport de la composition chimique du vin. Outre les questions inscrites au pi-ogramme , on metfra a I'ordre du jour toules celles qui seront deposees sur le bureau par les membres presents, ou envoijees par les membres adherents qui n'auraient pu se rendre au Congres. Reims. — I.. Jacqukt , Irapriiueur de I'Academie. STANCES ET TRAVAUX DE L'AGADEMIE DE REIMS. SOMMAlltE DE LA SEANCE. Corrcspondance. — Lecture de M. Ernest Arnould : Note sur la nou- velle loi des irrigations. — Lecture deM. Alluard : Comiuunication relative a des experiences faites en Angleterre au sujet du develop- penient d'clectricitc nianifoste dans le jet dc vapeur d'une chau- diere. — Lecture de M. Max. Sutaine : Essai sur I'liistoire des vins de la Champagne (suite). —Lecture de M. Paris : Meuioire sur quelques monnaies de Champagne , par M. ,lolibois(l). — Lecture de M. Nanqueltc : Note sur la restauralion d'une statue golhique de la sainte Vierge , destinee a Teglise Saint-Maurice. — Lecture de M. Monnot des Angles: Le Rcnard et les I'Ocheurs, fable. — M. Tarbe de StHardouin communique a I'Acadomie le traite nou- veau passe par le conseil d'administration avec M. Jacquet , im- primeur de la compagiiie, pour la publication des Seances et Tracaux. Ell I'abscnce de MM. le president et le vice-president, laseanciiestouverte sous lapresidence de M. le vicomte de Brimonl. (1) Ce memoire qui devait etre lu a I'une des seances de Mai , a et^ imprime dans le \\° 15 , et terraine le second volume des Seances f.l TravmiT. 6 — 62 — La lecture du proces-verbal de la derniere seance est, en raison de I'absence de M. le secretaire , ren- voyee a la seance prochaine. M. le vice-feecrelaire donne communication de la correspondance manuscrite , qui comprend : 1° Des letlrcs de MM. Faroclion , Chevallier , Mauvais et Meugy, qui acceptcnt avec reconnaissance le litre de membre correspondant ; 2" Une lettre de M. de Cau- mont, indiquant les personnes qui pourraient , dans ies principales \illesde France, seconder rorganisalion du congres ; 3° line lettre de M. de Chanlaire, qui adresse son adhesion au congres; 4° Un meraoire de M. J.-B. Gelis (de Carcassonne), chirurgien sous-aide- major a Thopital railitaire de Sedan , intitule : Essai sur Ies passions considc'rees comme causes de maladies ; ce memoire est renvoye a I'examen d'une commission composeede MM. Landouzy, Phillippe et Monnotdes- An^les ; 5° Une question proposce au congres par M. Monnot-des-Angles , ainsi concue : Rechercher, dans Ies plaines de la Champagne , Ies traces de la de- faile d'Atlila , et determiner dans quelle partie de celte province a eu lieu celte ce'lebre bataille ; 6" Une autre questiun de M. I'abbe Nanquette , ainsi concue : Re- chercher Vexplication d'un tableau allegoriqiie du xvi"^ siecle, place dans I'c'glise Sainl-Maurice. La correspondance imprimee comprend : I" Une notice sur M"* Deligny , superieure de I'Hotel-Dieu de Reims, parM. I'abbe Bandeville ; 2" Le bulletin de la Societe des antiquaires de Picardie, 1845, n" I"'; 3« Le bulletin de quatre seances de la Societe royale d'agriculture et de commerce de Caen ; 4° Apologie desecolesnormales primaires, on reponse de M. Hen- necart,.direcleiir de I'ecole normale de Charleville, au — G3 — meraoire sur renscignement primaire , public par un profcsseur> odieier dc I'Universit^ ; 5° Unc forniule d'adhesion au congres des vignerons francaisot etran- gers, qui aura lieu a Dijon , le 20 Aoiit 1845 • 6" line brochure de M. Dupuit, ingenieuren chef des ponls et chaussees , correspondant de TAcademie , intitulee ; De la mesure de I'ulilile des iravaux publics. LECTURE DE M. ERNEST ARNOULD. ^'olc relative a la iiouvelle loi siir les inigalious- Messieurs, J'ai pense qu'il ne serai t pas sans quelque interet d'appelor I'attention de i'Academie de Reims sur une loi promuiguee le 29 Avril dernier, sous le litre un peu ciJjphatique, peul-etre, de Loi sur les irrigations. Les diflerenls niolifs qui ni'ont engage a rediger sur ce su- jet une note Ires-substanlielie et rapide, doivent etreau prealable soumis a votre appreciation. Les questions agricoles ont lellement grandi de nos jours, qu'elles onl penelredans toules les enceintes oil sont assis pour discuter ou pour apprendre, les hora- jTies serieux, les hommes desireux du bien en toutes choses; ces questions ont envahi le domaine de la science et des lellres; elles ne s'agitent plus uniquement au milieu des cornices et dans les socieles oh les econo- - 64 — mistt's piopreiueiit dils sont jneles aux cultivaleurs. Tous les regards sont lournes en ce moment vers les travailleurs de nos canipagnes; les ameliorations el les progres dont Tagricullure est susceptible, sont sans cesse mis a I'ordie du jour et sans ccsse approfondis; tout le nionde contprend que c'est la une des branches les plus importantes de la felicite publiqne, et tons les lioromesqui rcQecliisseiit repetent a I'envices paroles si vraiesdu grand rainistre de Henri IV, que pdluragc et labourage sont les deux mamelles de la France. L' Academic de Reims, depuis sa fondation, a con- stamraent prouve sa soUicitude en faveur des inlerets agricoles. La question si importanle des irrigations n'a point ete oubliee par elle : chacun de nous se rappelle que c'est I'objetduprochain concours d'economie agri- cole ; et que le prix oQ'ert pur un ancien cullivatcur doit etre decerneaumeraoirequi indiqueraavec le plus de justesse les raoyens de resoudre, au point de \ue des besoins de I'agriculture, la question des irrigations, pour les diverses communes de I'arrondissement de Keims. EiiGn, je crois utile d'esaininor fa nouvelle loi du 29 Avril sur les irrigations, en raison des modilications prol'ondes qu'elle a apporlees a divers principes poses l-Kir notre code civil, et en matiere de servitudes, et en raaliere de propriete. Depuis la promulgation de la loi dont je me propose d'exarainerles dispositions, ditlerentstravaux ontpaiu sons turraedecommentaires; parmi cesouvrages, il v.u est deux principalement quiont allire noire attention, et qui sont dignes d'etre recommandes aux meditations des proprietaires, des cultivaleurs el des jurisconsul- tes. Je veux, a cet egard, m'expliqucr sans reserve, pour - 65 — evitcr les quorellcs, les surprises; j'ai lu :it(enliveiiienl les rapporlsdes commissions legislatives, j'ai snivi dans tonles ses phases la discussion au sein des deux cliam- bres, raais j'ai beaucoup eniprunle a ces travaux an- ferieurs que je vais voiis signaler. II est loujours bon d'indiquer les sources oil Ton puise, meme en inaliere d'irrigalion. Tousceuxqui, par necessile, par gout, par vocation ou par dial, sc sont occupes de la legislation el de la jurisprudence en matiere de cours d'eau, savent que le plus habile et le raieux ecoute des commentateurs est M. Daviel, lebalonnierdesavocats a la cour de Rouen, II a dei.uis long-temps public un iraite fort complet eo trois Ires-gros volumes, el successivemeni il analyse, en le developpant, tout ce qui a frail aux rivieres du doniaine public, aux canaux de navigation, aux cours d'eau non navigables ni flollables, aux usines, aux peages, aux droits de peche; les digues et plantations, Jes servitudes legales, les droits de |)ropriete absolue des sources, les lacs, les clangs, les canaux particuliers, les egouts, les aqueducs, les eaux souterraines, lout est passe en revue, lout est approiondi, C'est un livre excellent, car il estecrit sous la dictee d'un esprit plein de sagacite, de savoir el d'experience. Le commen- laire de la loi du 29 Avril sur les irrigations n'est qu'un appendice du traite de M. Daviel ; c'est une ana- lyse (idele et peu etendue des elements qui onl prepare la loi nouvelle, et rarement rinlerprelalion doclrinale se met-elle en quete des difficulles uombreuses soule- vees par la loi du 29 Avril. II ne faul pas le me- connailre cependanl, et nous aurons occasion de le re- marquer plus loin, le legislateur s'esl repose avec une complaisance inusilee sur la magistralure ; c'est a la — 66 — jurisprudence qu'il apparliendra principalemenl de de- terminer les caracleres esseotiels de cette loi siir les irrigations. Je ne pretends pas dire, comine I'ont avance quelques esprils chagrins, que e'est un veritable nid a proces : de nombreuses didicultes seront a cbaque instant soulevces dans la pratique ; voila qui est con- stant pour nous; niais si les auteui's de la loi, au mi- lieu des opinions contradictoircs qui se font produites pendant la discussion, eussent donne la regie a suivre, eclairci tons les doules, aplani ccs graves difficultes d'execulion qui surgiront par la force meme des choses; si le legislateur eut ose feconder ce priucipe, ce droit de conduire les eaux a Iravers la propriete d'autrui , en y ajoutant quelques-nns des developpenients recla- mes a juste titre, par ragriculture, la loi devenait mcilleure, en etant plus complete; I'execution apparais- sait journaliere et facile; lout le rnonde y eiil gagne, les cultivateurs en premiere ligne, et aussi les magistrals charges d'en appliquer les dispositions. -Aucun de nous ne I'iguore : " La loi nouvelle sur les irrigations est le resultat d'une proposition d'nn mem- bre dela chambre des deputes, presentee dans la ses- sion de 1843. Prise en consideration par la chambre, la proposition de M. le comte d'Angeville a ete sou- mise par le gouvernement aux conseils generaux des departements et a une commission speciale composee de membres des deux chambres et de personnes qui, par leur position et leurs etudes, pouvaient apporter un concours utile dans I'examen d'une mesure impor- tanle pour I'agricullure. » Dans cette commission, on distinguait MM. de Gasparin, Passy, Dalloz, de Tracy, d'Eslerno, Hericart de Thury , Nadault de BuQon, Diltmer, de Mornay, de Lagarde, tous grands proprie- — 67 — tarres ou publicisteseleconomistes distingues; la voix de Ions et de eliacun d'eux avail deja reteiiti dans les cornices, dans les tongres; ellc avail reclame au noni dti pays, au noni dcs grands inlerels de I'agiicullure, les reformes les plus serieuses el d'importantes ame- liorations. « Dans ces eludes preliminaires auxquelles elle fat soumise, la proposilion de M. d'Angeville a change de base : d'abord clic se ratlachait, par une extension manifeste, au principe de I'exproprialion pour cause d'utilile publiquc, el elle etail congue en ces termes : n Les travaux d'irrigation de proprietes rurales en- I) Irepris, soil collectivement, soil individuellement, » pourronl elre declares d'utilile publique. — Cetle ») ulilite sera declaree dans les formes voulues par la » Ioidu3Mail841. » » En definitive, cetle proposilion est devenue la consecralion d'une nouvelle servitude legale, el c'esta ce tilre qu'elle a ele soumise aux chambres : a la chambre dcs deputes, par un rapport de M. Dalloz, depute du Jura, el a la chambre des pairs, [)ar un rap- porl de M. Passy (1). » Avant de rappeler a "vos souvenirs le texte de la loi sur les irrigations, loi qui est fort courte, — elle ne contient que cinq arlicles, — il est bon que nous fas- sions immediatcmenl connaissance avec le second com- menlaire auquel je faisais allusion lout-a-1'heure. — M. Henri Pellaull, docleur en droil de la faculle dc Paris, a fait acte de modeslie en intilulant son livre Essai ou Commentaires , c'est un verilablelraite, ecrit (1) M. Daviel , Cvnmontmre de la loi sur les irruja lions. — 68 — avec une grande connaissance des legislations anlerieu- res et des legislations etrangeres ; le style est profond sans etre dogmatique, biillant et clair sans phrases, sans negligences. Lorsque nous avons connu M. Pel- laull sur les bancs de I'Ecole de droit, il y a Irois ans, tous deja, ses camarades, ses condisoiples du meme age, nous distinguions dans les conferences et dans les luttes preparatoires, la sagacite de son intelligence, son amour du travail, sa facilite si pleine d'eclal et de reserve tout a la fois. Ces qualites de sa premiere jeu- nesse, il les a conservees toutes et reproduites dans son premier ouvrage. Ne craignez pas, Messieurs, que je sois entraine par des souvenirs enipreiiits de bienveil- lance, et aussi empreints de quelque emotion puisqu'ils se rapporlent a un passe qui s'est envole si vile, et que tous nous regrettons : ce qui etablit , lorsque Ton est jeune, la superiorite reelle, la bonne renommee, cenesontpas les liens du coeur, et point la camaraderie, cV'st le travail, le travail ardent et opiniatre, le tra- vail qui, avec rintelligence, est aujourd'hui le levier du monde et le maitre de I'avenir. Le commentaire de la loi sur les irrigations public par M. Henri Pellault, est accompagned'une introduc- tion instructive el pleine d'interet. — Apres avoir ex- pose la legislation des anciens peuples sur le regime des eaux, chez les Chaldeens et les Egyptiens, chez les Romains, qui s'assimilaient avec un art merveilleux toutes les pratiques utiles des peuples ranges sous leur domination, le commentateur analyse les dispositions principales de la legislation chez les nations modernes ; il nous montre par les fails hisloriques que I'ltalie avail, au raoyen-age, continue de metlre en pratique les anciennes coutumcs, infeodees en quelque sorle a — m — son lerriloire; les grands cariaux deiives du Tessin et de I'Adda, dans lePiemont et la Lombardie, remontent en effet aux xii" et xiii'' siecles. Les Arabes, qui, a cetteepoque, dominaientcn Es- pagrie , y introduisirent, y perfectionnerent rapide- ment les methodes d'irrigalions qui ont cnricbi les royaumes de Valence, de Grenade el de la Basse-Cata- logne. Quelques contrees du midi de la France imite- renl I'ltalic el I'Espagne. Dans le rcste de I'Europe, le travail agricole fut longteraps prive des irrigations. Dans ces derniers temps, toutefois, elles soni devenues necessaires presque partout, a cause des nouveaux be- soins qui se sent reveles,et la legislation a dii y pour- voir. Ainsi la Hesse, le Wurlemberg, la Prusse, I'An- gleterre ont fait , depuis pcu d'annees, des lois sur celte matiere. Mais c'est surtout en Italic, dans le Pieraont et la Lombardie, qu'il faut aller eludier la pratique des irrigations, el le systeme adminislratif qui preside a la distribution des eaux. La legislation sarde et lom- barde est a la fois la plus simjjle el la plus complete detoutes; et soil que nous exaniinions ks principes poses et developpcs par le code sarde pronuilgue en 1837, soil que nous nous allachions au systeme de' penalite qui sancliontie en Sardaigne et en Lombardie les lois sur les eaux, nous serous necessaireraenl ame- nesareconnaitre une veritable snperiorite sur les dispo- sitions incompletes de noire code civil, nonobstant la loi nouvelle et ses bienfails inconlcstables. Les principes du code civil sur le regime des eaux sont enonces aux diflerenls til res de la dislmction des biens, et des scniludcs qui derivent de la siluaiion des Iteux. II elait cgalemenl indispensable d'amdyser a\ec — 70 — soin ces articles du code civil, en raison meme des modifications introduites par la loi du29Avril, et dela servitude nouveile qu'elle etablil. — Apres avoir ter- ruine ces preliminaires, M. Henri Pellault arrive a la division de son ouvrage. Notre legislation francaise embrasse trois especes d'eaiix : Les eaux des fleuves et rivieres navigables, qui de- pendent du domaine public et dont I'elat pent conce- der r usage ; Les eaux des cours d'eau non naviu;ables ni floltables, sur lesquels les riverains ont des droits qu'ils doivent exercer suivant les regies Iracees dans le code civil; Les eaux privees, qui sont la propriele exclusive de celiii dans le fonds duquel elles naissent ou sont ame- nees. « Le premier chapilre du commentaire a pour ob- jet d'examiner comment et dans quels cas la loi nou- veile est applicable aux eaux publiques. » Le second determine si cette loi peut regir les cours d'cau non navigables ni flottables. » Le troisieme cliapitre est consacre a I'examen des cas oil les proprielaires des eaux privees reclameront I'usage de la servitude. » La quatrieme parlie determine I'etendue et la limite des droits du proprietaire de I'aqueduc. » Lacinquieme a pour butd'exposer suivant quelles regies les proprietaires traverses ou infeiieurs seront soumis aux inconvenients des infiltrations; comment et dans quelles circonstances ils pourront reclamer des indemnites ; — de quelle maniere, en un mot. aura lieu Tecoulement des eaux des terrains arroses. » Enfin, la sixieme parlie comprendra la faculte du — 71 - passage accorde pour recouleuierit des eaux uuisibles, c'est-a-dire, la servilude d'aqueduc. » Toulefois, il ne sudit pas do dire comment la loi doit elre entendue; il faut encore (aire connailre les moyens d'en leclamer et d'en fairc I'application. Le legislateur, dans un but d' economic, a cru devoir pres- crire une procedure sommaire pour lout ce qui se rat- iachera a Tapplication de la loi : de la, par consequent, la necessite d'esposcr la marclie a suivre par le deman- deur en elablissement do la servitude de conduile d'eau ; et, en second lieu, de determiner le mode de pro- ceder de ceux qui auront a soufl'i ir des consequences qu'entrainera I'elablissement de I'aqueduc, principale- ment des infiltrations. » lei, Messieurs, je ferme, pour ne plus le rouvrir, le livre de M. Henri Pellault. Vous en connaissez main- tenant les principales dispositions et I'economie sage- nient entendue. Apres Tavoir etudic dans son ensemble et dans ses diverses parties, je crois pouvoir affir- mer que c'est un nianuel utile, non-seulement entre les mains des jurisconsultes, niais encore de tous ceux qui sont appeles a s'occuper des lois sur les eaux etdes irrigations, a quelque point de yue que ce puisse etre. De notre cote, nous avons essaye de commenter et d'eludier la loi du 29 Avril sur les irrigations. Assure- ment, ce ne fut point de noire part lantaisieou espe- rance de faire mieux que n'avaient fait nos devanciers; plusieurs fuis, il est \rai, nous avons ete en desaccord aveceux sur quclques points de doctrine el d'inlerpre- talion ; niais ce qui, avanl loutes ehoses, nous deler- mina aebaucher ce travail, ce fut noire desir de meltre en luuiiere la conslalalion faile par le gouvernement lui-meme, des plus inagniliques resullats oblenus au moyen des irrigations. — 72 — « En Lombarclie, disait un ministre a la chambre cles pairs, en Lombardie, dans la plains du P6, pau- vre par la nature du sol, niais riche par le genie de ses habitants, I'lrrigation est arrivee, depuis des siecles, u faire produire a I'hectare de prairie un revenu brut annuel de 1,098 francs. — Aussi la population de ce pays est-elle de 176 habitants par kilometre carre . tandis qu'elle n'est en Belgique que de 143, et en France que de 64 habitants. » Si nous prenons des exemples chez nous, nous voyons qu'en Provence, dans un desert pave de galets, I'hectare arrose se vend 4,000 francs; que, dans les Vos- ges, des gravicrs sans vegetation, sur les bords de la Moselle, on t acquis une valeur de 5,000 francs ; qu'a Au- lun, des terres irriguees qui valaient naguere 900 francs a peine, pourraient se vendre 5,000 francs; c[ue dans la Brelagne, enfin, I'hectare de landc, qu'on aurait paye trop cher a 300 francs, s'acheterait aiijourd'hui 2,500 francs. » Quels magnifiques resuMats n^obtiendrait-on pas en France, en imitant la Lombardie? Comme elle, en eiTet, ne possedons-nous pas des fleuves et des rivieres qui enlratnent a la mer des limons pleins de richesse et de ferlilile?... » Si la loi nouvelle sur les irrigations ne doit pas en- core etre pour notre pays de France le coup de ba- guette qui, sous la main du prophete, faitjaillir I'eau du rocher, au moins pouvons-nous affirmer qu'eile est de nature a conlribuer pui?s:iniment aux developpe- ments de noire richesse nalionale. Pour s'en convain- cre, ii suffit de parcourir les pays oil les Iravaux d'ar- rosement out ete executes avec !e plus de succcs et de perseverance. .T'ai traverse a pied, il y a quelques — 13- inois, une grande i)artie tie I'ltalie seplenlrionale, et principalemcnt la Lombardiej de Vicence a Verone, de Verone a Brescia, a Gorgonzola et a Milan. Nous devancions constararaerit les voituricTs indolents ; c'e- tait aux derniers jonrs d'un liiver d'llalie, sous I'in- lluenced'un soleil plus tiede el plus caressant que le printernps capricieux de noire France : successive- nient descendaient des liautes Alpes neigeuscs qui bordaienl Thorizon , et I'Adige, et le Mincio, ct i'Oglio et I'Adda; plus loin etincelaient dans les plai- nes les grands lacs de Garde, d'lseo, de Come, lais- sant ecliapper de leurs rives tons ces mille ruisseaux qui couraient argentes; les routes eiaient bordees tour a lour de marronniers, de peupliers et de sycouiorcs ; les champs d'oliviers nains succcdaient aux prairies; des plantalions de toute nature se dessinaient sur les nonibreux accidents du terrain, el, suspendus aux brandies, entrelaces aux Ironcs des saides et des ar- bres de la route, les parapres des vignes inimcnses se conlournaienl dijlormes et capricieux, en altendaiit que la vegetation rapide vint bientot les couvrir el do iruits et d'ombrages. Ce que nous admirions surtoiit dans ces grandes plaines de I'llalie, alors descries et pieines de repos, e'etait la pensee crealrice qui avail preside a ces tra- vaux iminenses des irrigations intelligentes ; qui avail feconde le sol et faisail courir a Iravers ces plantations iniinies I'abondance el la ferlilite, en dirigeanl lis lilels d'eau limpide jnsqu'au pied des grands arbres. A droite et a gauche de la route, tout ce long espace que nous avons lentement parcouru avail comnic nn air de tele a nos yeux ; de profonds canaux soul creuses en tous sens; tanlot les eaux soul arrelees par dos barra- — 74 — ges mobiles, tatitot par des digues infranchissables qui detournent le cours des ruisseaux dans les prairies yoisines. Nous avions la veille traverse le village de Montebello, nous etions a quelqucs lieues de Bassano, de Casliglione, non loin des bastions de la citadelle de Peschiera , au milieu des magiques souvenirs de ces grandes batailles du consulalj et, en verite, Messieurs, nous avions en ce moment I'ame fort calme, peu en- thousiasle, encore moins belliqucuse. — Nous nous iaissions entrainer sur la penle des reveries et des eglogues, et nous avons, je crois, recite les Bucoliques, en coloyant les bords du Mincio, deja converts de liau- les herbes : Claudite jam rivos, pueri, sal prata hibenml. Si nous rentrons en FrancCj et si nous nous arr^tons quelques lieures en cette saison de I'annee dans les raontagncs des Vosges, autour de Plombieres ou d'Epi* nal, ici encore notre imagination et notre intelligence seront merveilleusement surprises et salisfaites : nous n'admirerons pas les grands resultats obtcnus en Lom- bardie et en Sardaigne, car eviderament les ressources ne sont pas les memeSj et la vallee de la Moselle ne pent etre comparee aux plaines de TAdige et aux grands lacs oil les Alpes se mirent; mais au milieu de lous ces sentiers degravierset de pierres, surceslarges debris de rocliers concasses et accumules, la main de Thorame sut amcner le ruisseau qui fertilise : la oil quel- ques annees auparavant les mousses se dessccLaient, oil les bruyeres s'echappaient des fentes de la pierre, steriles et languissanles, aujourd'hui les herbes et les fleurs s'epanouissent pleincs de parfums et d'abon- dance. Voyez : cliaque brin d'herbe a sa perle^ sa goutte d'eau qui se renouvelleincessamment, et sur les parois — 75 — des raurs d'appui qui soutiennent ces pniries improvi- sees, coulent et ruissellent des gouttes d'eau, des casca- des, qui s'eparpillent pour aller grossir les fonlaines qui murmurent et les canaux sans nombre. II est lout-a-fait surperflu, a mon sens, d'insister sur les avanlages que doivent naturelleraent procurer aux cultivateurs et a la richesse publique les canaux d'ar- rosage et les irrigations; nous demontrerons plus lard que si la France parait au premier abord peu suscep- tible de recueiilir les resultals de ce bienfait, en raison du raorcellement excessifdes proprietes, il est possible de faire disparailre ces obstacles apparents a force de perseverance, etsurtouten appliquant aux cours d'eau le priucipe si utile do rassocialion entre les proprie- taires. La loi sur les irrigations promulguee le 29 Avril 1845, est con(;ue dans les lermes suivants : Art. 1 . Tout proprietaire qui voudra se servir pour I'irrigation de ses proprietes, des eaux naturelles ou artiGcielles dont il a le droit de disposer, pourra ob- tenir le passage de ces eaux sur les fonds interrne- diaires, a la charge d'une juste et prealable indemoite. Sont exceples de cetle servitude les maisons, cours, jardins, pares el enclos altenanl aux habitations. Art. 2. Les proprietaires des fonds inferieurs de- vront recevoir les eaux qui s'ecouleront des terrains ainsi arroses, sauf rindeninile qui pourra leur etre due. Seront egaleraent exceple's de cette servitude Ics maisons, cours, jardins, pares et enclos attenant aux habitations. Art. 3. La menie faculte de passage sur les fonds intermediaires pourra etre accordee au proprietaire d'un terrain submerge en lout ou en partie, a Tenet - 76 - de procurer aux eaux nuisibles leur ecoulement. Art. 4. Les conteslalions auxquelles pourront don- ner lieu I'elablisseraent de la servitude, la fixation du parcours de la conduile d'eau, de ses dimensions et de sa forme, et les indemnites dues, soit au proprie- taire du fonds traverse, soit a cclui du i'ondsqui recevra recoulemcnt des eaux, seronl portees devant les tri- bunaux, qui, en prononcant, devront concilier Tinte- retdel'operalion avec le respect dii a lapropriete. II sera precede devant les tribunaux conime en ma- liere soramaire, et, s'il y a lieu a expertise, 11 pourra n'etre nomme qu'un seul expert. An. 5. II n'esl aucunement deroge par les presen- tes dispositions aux loisqui reglent la police des eaux. Dans un prochain numero , rauteur de cette note, M. Ernest Arnould , discutera les difli-reutes applications de la loi nouvelle , et comparera le nouveau principe etabli par le legislateur, avec les articles du code civil , au titre des Servitudes ou services fonciers. LECTURE DE M. ALLCARD. DeveloppenienI d'eleclricile dans le jel de vapeur d'une cliaudike, PAR M. ARMSTRONG. A sept rallies, nord-est, de Nevvcastle-sur-Tyne, dans la paroisse de Seghill, il y a une machine a vapeur a haute pression , de la force de 28 chevaux, pour le service de la houillere Cramlington. Chaque — 77 — chaiidiere a une soupape de surety, placec aii-dessus d'un court cyliudre, terraine a chaque extremite paf un anneau plat ; Tanneau inferieur est boulonne suf la chaudiere, et pour en rendre le contact etanche, on y a interpose un enduit etoupe, forme de litharge et d'huiledegraines delin. Sur I'anneausuperieur repose la soupape de surete, qui pese351ivres par pouce carre. Vers la fin du mois de Septembre 18i0, il se fit une fissure dans I'epaisseur de I'enduit, au travers de laquelle la vapeur s'echappa. Le 29 du nieme raois, le mecanicien \V. Patterson touchait d'une main lelevier de la soupape , au moment oil la vapeur projetee atteignaitl'autre main. 11 senlit des picotenientstout parliculit'rs dont il ne se rendit pas compte. Le 2 et le 3 Oclobre suivant , le meme eflet s'etant reproduit avec plus de force, il y porta son attention et voulut €n connaitre la cause. Observant tout ce qui se passait a cliacun de ses mouveraents , il vit que lorsqu'il approcliait doucement le doigt du levier de la soupape, pendant que Tautre main recevait le jet de vapeur, il en sorlail une etincelle. Cette observation etant faite, elle fut constatee vingt fois de suite, et elle le fut par tons les temoins qui voulurent tirer I'etincelle eux-memes. Get efiet se reproduisait, quel que fut le point de la chaudiere qu'on louchat du doigt, si, en meme temps, on recevait le jet de vapeur sur une autre partie du corps. La nouvelle de ce fait fut bientot repandue , et plusieurs personnes s'empresserent de repeter I'experience primitive d'abord , puis d''en faire de nouvelles avec des instruments propres a manifester la tension electrique. Parmi les exp^rimentateurs qui s'occuperent de celte question, il fautciter au premier — 78 — rang M. Ariuslroiig, dont les recherches ingenieuses ont abouli ii des resuUats fort curieux et tres-impor- lanls. Ce sont ces recherches que je vais presenter d'une maniere succincle et rapide , en resumant les travaux inseres dans le Philosophical magazine^ annees 1840, 1811, 18V2, 1843. Apres avoir experimenlc snr les trois chaudieres de la machine a vapeur de Cranailington, M. Armslrong pensa que le di'veloppenient d'electricite provenail sans doute de la nature de I'eau qu'on employait, car, avecde I'eau de pluie, il n'avait obtenu aucun signe d'electricite. Alors il visila un grand nonibre de machines alimeidees par des eaux tres-difiercntes, et oil la vapeur se produisait a des pressions tres-variees. En s'isolantet tenant une tige de metal dans la vapeur qui s'echappait par la soupape de siirele, il reussit toujours a oblenir des etincelles de 1/4 de pouce a 1/2 pouce (0'",007 a 0",013) de longueur. II entreprit ensuite une serie d'experiences sur une des locomotives du chemin de fer de Newcastle et Nord-Shiels. Quelle quan'.ife d'electricite se trouve degagee dans un jet de vapeur, et quelle est la cause de ce developpement d'electricite ? C'est ce qu'il chercha d'abord a eclaircir. En se placant sur un tabouret isole et tenant d'une main une petite tige defer au dessus de la soupape de surete, quand la vapeur s'echappait librement, et qu'on avancait I'autre main vers un corps bon conducteur, on obtenait des etinceUcs d'un pouce de longueur. On remarqua bientot qu'en elevant la verge metallique dans la vapeur, I'electricite augmentait , et que refTet maximum ne se produisait qu'a la distance de 5 ou — 79 — G pieds (l^'jS ou l-,9) de la soupape; alors les elin- celles avaient 2 ponces (O-^jOS) de longueur. On obtint raeme de pelites elincelles en tenant la tige a la dis- tance de 2 ou 3 pieds (0"',633) ou 0",95) du jet de vapeur, etreleclricitd retiree ainsi de I'air fut positive conime celle de la vapeur. On attacha ensuite a la tige de fer un faisceau de fils (ermines en pointesde differentes longueurs, qu'on placa dans le jet de vapeur. La verge metallique se terminait en un boulon rond, qui se frouvait pres de la main, et Ton en lira des etincelles de A pouces (0"',10) de longueur, aussi rapidement qu'on put les compter. Ou obtint encore des etincelles tres visibles en mettant les poinles dans une almosphero fres claire, a la distance de 8 pieds (2'",530) de la parfie l;i plusproche du jet. Danstoutescesexperiences, Teffetpiirutproportionne a la quantite de v.ipeur s'echappant de la soupape, toutes les autres circonstances restant les memes ; et toute trace d'electri.'Jte disparut , quand le jet de vapeur fut ties-faible. En cnlevant rapidement la soupape dans I'obscurit^, les boida du Jevier et de Tanneau en cuivre qui entourait la soupape parurent lumineux ; mais cette iumiere devint tres-faible an boutd'uiie seconde. Quelle esl la cause de ce developpement d'eleclricite? La vapeur est-e!le electriquedans la chaudiere, ou bien le devient-elle en passant a travers Toriflce , ou seulement lorsqu'elle arrive dans l'air?M. Armstrong, afindedecider la question, employa I'appareilsuivant. Un tube de verre, que je designerai par A, penetre dans le generateur a travers un premier robinet B, visse sur le sommet de la chaudiere, et garni de bourre — 80 — destinee a enipecher Tissue de la vapeur entre le tube et le robinet . Un second robinet C est adapte a la partie superieure du tube de verre , et sur ce robinet est visse un autre tube de verre D, termine Idi-meme parun troisieine robinet E. On comprend tout de suite Tusnge de cet appareil. Si la vapeur ne change pas d'etat eloctrique en sortant de la chaudiere et en arrivant dans I'air, eile commn- niquera necessaircnient de I'electncile positive an ro- binet isole C , en traversant le tube. Si la vapeur se charge d'electricite par le frottement ou par toufe autre cause, dans le conduit oh elle se degage , elle ne pourra le faire qn'aux depens du robinet C , qui, etant isole, se chargera d'eleclricite negative. Enhn, si I'electricite se developpe par condensation ou ex- pansion, ou par toute autre action s'exercant au mo- ment ou la vapeur s'echappe dans I'air, le robinet C ne se chargera ni d'electricite positive ni d'electricite negative. Avant de fixer le tube de verre A , on laissa echapper la vapeur par le large robinet B, etle jet ne fut pas du tout electrique. Ce resultat causa quelque surprise et fit penser que si Ton n'avaft pas obtenu d'electricite en mctlant de Teau de pluie dans la chaudiere, Ton ne pouvait pas Tattribuer a la purete de I'eau. Le tube de verre iuferieur fut d'abord adapte seul sans le tube D, et on obtint un jet tres-electrique qui coramuniqua de I'electricite positive au robinet C,d"ou s'echappait la vapeur. On brisu le tube D en le vissanf, de sorle qu'il en resta une longueur de 3 pouces (()"', 075) audessus du robinet C. Dans ces circon- stances, ce robinet continua a elre tres-fortement — 81 — charge d'i^lectricite positive, et une lueur paie appartil a de courts intervalles dans Tinlerieur dii tube, au- tre le robinet et la cli;iudiere. Qiiand on eul rciriplace le tube brise par un autre, U n'y eut plus aucuiie (race d'electricite sur le robinet C, tandis que le robinet E fut electrise posilivement d'une maniere tres-intense ; et lorsqu'on ferma un peu le robinet C, relectricite du robinet E augnif-nta beaucoup. En fin , on ne put constater dans aucune partie deTappareil la presence del'electricite negative. Comment I'eleclricite positive eiit-elle ete produite par I'expunsion de la vapeur dans I'air ? 11 f'allut renoncer a cetle liypotiiese. En cherchant a accumuler de relectricite positive sur le robinet superieur, on vit des limes de luniiere vacillante Yoltic;er autour de la surface exterieure du tube, tandis que des rayons tres intenses de lu- miere electrique s'echappaient des angles du robinet, et les lames lumineuses c|ui enveloppa ent le tube etaient accompagnees d'un bruit qu'on entendait dis- tinctement au milieu du bruit de la vapeur, en appro- cliant Toreille a une petite distance du tulje. Afin de constater qu'il n'y avaitpas de Felectricitd libre dans la cliaudiere, on enleva le tube D, et on plongea dans la vapeur, a travers le robinet C et le tube A, un fll de metal termine en pointe, ( t on Tadapta de maniere que la vapeur ne trouva plus aucune issue par le robinet C. Le fil de metal etant isole par le tube de verre et communiquant avec le robinet is )le C, devait rendrece robinet electrique, si la vapeur etait ekctrisee dans la cliaudiere; raais il fut impossible de decouvrir la moindre trace d'electricite sur ce robinet. On mitensuite a la place du tube 1) iin autre tube — 82 — d'une section dix fois plus grande , de sor(e que la vapeur se trouvait a une basse pression avant de s'echapper dans I'air. Le jet se monlra tout aussi fortement charge d'electricite qu'auparavani, ce qui in - dique que ledeveloppementderelectricite ne depend pas de la force avec laquelle la vapeur se pn'cipite dans ratmosjthere. L'absence complete d'electricite negative ne permettait plus d'altribuer le phenomene a I'expansion de la vapeur. II ne restait plus qu'a supposer que la condensation qui se faisait dans le jet mettait en liberte relectricite que la vapeur avait absorbee pendant I'evaporalion de I'eau. Ge qui rendait celte hypothese probable, c'est qu'on avait observe que la partie opaque du jet abandonnait le plus d"'electricite, et on Tattribuait a ce que Thumidiie de la vapeur donnait a cette portion du jet un ponvoir conducteur plus considerable, ce qui la rendait propre a abandonner plus prompleraent son electricite. Alors on entreprii des experiences dans le but d'isoler la chaudiereet de condenser entierenienl la vapeur. Pour isoler la chaudiere, on eleva la machine a 6 pouces (0"',15) au-dessus des rails, et ses roues fu- rent placees sur quatre isolateurs. Chaque isolateur consistait en trois pieces de bois dislinctes, couverles de poix, et st^parees entre elles par des couches de poix et de papier gris. La piece du milieu etait plus large que les deux autres. La chaudiere etant remplie d'eau et chauffee, Ton n'oblint aucune trace d'electricite sur la machine, tant qu'on ne donna pas une issue a la vapeur. Mais le moindre jet de vapeur suffit pour charger la chaudiere d'une quantite sensible d'electricite negative, et cette quantite devintconsiderablelorsqu'on laissa echappcr - 83 — libreincnt la vapeur. Les elincelles ne depasseicnt jamais un ponce (0'",025)en longueur, mais elles fu- rent tres-grandes et Ires-brillaiifes, et produisircnt les niemes ellefs qu^une batterie e!eclrique. Aiiisi , lorsqu'elles n'avaient qu'un demi-pouce de longueur, elles pouvaient facileinent meltre le feu a une piece de colon garnie de resine en poudre. On prit le plus grand soin de s'assurer si la quanlite d'eleclricite degagee dependait de la densiie de la vapeur dans la cliaudiere ; on Iroiiva que releclricile negative de la cliaudiere augmentait un peu avec la pression , tandis que I'electricite positive retiree da conducleur plonge dms le jet de vapeur augmen- tait enormement , lorsque la densite de la vapeur s'accroissait. A la tin des experiences, quand le feu fut eteint et qu'il n'y eut plus qu'une presssion de 6 a 8 iivres par pouce carre , on cessa de pouvoir tirer des elincelles du conducleur lenu dans la vapeur, tandis que la cliaudiere en donna jusqu'a ce que toute la vapeur fiit degagee. II seinble resulter de la qu'un jet de vapeur n'est reellement pas plus electrique, quand la vapeur est sous une forte pression , que lorsqu'elle est sous une faible pression , mais que releclricile est plus condensee dans un jet a haute pression. L'isolement de la cliaudiere avail diminue la quanlite d'eleclricite positive dela vapeur, maisnioins qu'on s'y elait attendu. M. Armstrong a beaucoup varie ses experiences; nous ne citons que les principales et les plus importantes. Nous laissons aussi de cot^ toules les hypotheses auxquelles il s'est livre, hypotheses qui acqu^raienl plus ou moins de probabilile par les — 84 — resultals qu'il Irouvait. On verra plus tardque presque toutes les circonslances de ces experiences peuvent s'expliquer facileraent en rapportant le developpeiuent de relectricite au frolteiuent , dont il a parfaileraent demontre rinfluence. II fut nalurellement conduit a rechercher si un jet d'aircompriraepresenterait lesmemes effets electriques qu'un jet de vapeur. II condensa de Fair sous la pression de hui I atmospheres dansun tres-fortreservoir de la capacite de six quarts. II isola ensuite ce reservoir et laissa echapper Tair par un tube deverre qu'il avail prealablemeiit fixe a cet appareil. Les premieres experiences, qui furentfaites par un temps tres-froid, donnerenl des resultats tres-variables et peu concordants. Le reservoir se trouva charg^ d'eleciricite, quelquefois en qtiantite si considerable, qu'on en put tirer des etincelles d'un quart de pouce de longueur, landis que, d'autres fois, il presenia a peine des traces d'electricite, et que meme souvent il fut impossible d'en constater la presence. L'electricile du jel d'air fut positive chaquefois qu'on en determina la nature, mais celle du reservoir fut, en general, ne- gative, et, accidentellement , positive. II s'en pro- duisit plus abondaniment avec le reservoir froid et un peu humide qu'avec le reservoir chaud et sec. D'autres experiences, faites par un temps doux et luimide , furent plus uniformes dans leurs resultats. Alors relectricite du reservoir fut constamraent negative , et son intensite varia tres-ptu. Tant qu'il reposa sur le sol , le jet d'air se montra toujours positif ; mais lorsqu'il fut place sur un support isolmt, il arriva souvent , surtout s'il ^tait humide, que les lames d'or d'un electroscope , communiquant avec le — 85 — jet d'air par un concluctcur iiiiHaliiquo, s'ecarterent. parelecf ricite positive, puis s'abais-erent ct divergerenl de nouveau, mais parclectricite negative. Quelquefois, ce rie fut queqiiand I'air s'etait presque completement ecliappe, que les balle> de sureau suspend ues au re- servoir ct les feuillesd'orde releclroscope divergerent brusquement, et Ton entendit un son particulier qui indiqua que desgoultes d'eau efaient projelees du tube qui Iraversait I'air en s'ecliappant. Souvent ce son ne se produisit qiVapres le degagement de Telectricite, mais ordinairement il iiidiqudt le niomenl oil les feuiMes de I'eleciroscope divergeaient, dans les cas oil I'electrieite ne s'elait pas encore diiveloppee. Un jet d'air sec sortant du reservoir isole donna des effels presque aussi intenses; il avait eledesseche par de la potasse causlique , qu'on avait laissee d.ins Tappareil pendant douze lieures. Du reste, que I'air fut liurnide ou sec, il ctait necessaire que le jet fut rapide. Les efl'ets les plus intenses ont ete produits en raaintenantle robinet completement ouvert. On saitque Li vapciir est plus electrique qnand elle est soumise a uiie haute pression qu'a une basse pression, et que la partie du jet qui renferme la plus grande quantite d'electricite est celle oil la vapeur est le moins resserree. Ces fails tendant a faire altribuer le developpement de Telectricite a la dilalation de la vapeur, M. Armstrong lenta une tiouvelle experience, afin de lever tous les doutes , et cette experience demontra queVexpansion n'etait pas non plus la cause du developpement de Telectricite. M. Armstrong rcmarqua que la tendance de la vapeur a se charger d'electricite negative au lieu d'electricite positive augmenta a mesure qu'il continua - 86 - a se servir de son apparcil , jusqu'a ce qu'enfin I'electricile positive n'nppa rut plus que rarement clans lejet, meme quand les circonstancesles plus favorables a sa production se trouvaient remplies. Altribuant d'abord cet effetaToxidation progressive du metal en contact avec I'eau, il examina Tintcrieur delachaudiere, etn'apercutaucun cliangeraent. Apres I'avoir lavee a I'ean, la vapeur fut encore negative. Ensuile il la lava avec une faible dissolution de potasse, et lejet de vapeur fut alorspositif. II y a plus : la quantite d'electricite produite s'elait tel'.eraent accrue, qu'on pouvait lirer de Tappareil au moins 30 etincelles d'un demi-pouce de longueur par minute. II essaya alors Teffet de diverses substances, et oblinl les resultats suivants. La soude , comme la potasse, rendit la vapeur positive , mais pas ;ivec autant d'intensite. La cliaux produisit un effet semhlable, mais faible. Une petite quantite d'acide nilrique et de nitrate de cuivre chargea la vapeur d'electricite negative. L'acide muriatique et I'acide sulfurique furent sans effet. Avec un exces de potasse, de sonde ou de chanx, il y eut projection d'eau dans la vapeur ; aussi presque toute trace d'electricite disparut-elle. Jusqu'ici , M. Armstrong n'etait pas parvenu a demeler dans toutes ses experiences la cause du developpement de Teleclricile. Mais en reflechissant aux divers procedes qu'il y avait successivement employes, il vint a penser que peut-etre les precautions qu'il avait prises pour iso'er de la chaudiere le robinet de I'orifice n'avaientpasele assez grandes. En rendant I'isolement plus complet, il arriva, en effet, a constater que Teleclricite est developpeea Vcndroit oil la vapeur eprouve du froUement. Son appareil fut ainsi modifie: - 87 — On adaptaaunechaudiereisoleerunedesexireiiiiles d'un tube de verre A, qui fiit place horizonlalement ; a son autre extreraile fut fixe un robinet C , d'une ouverture bien plus petite quclediamelre interieurdu tube ; et pour eviter toute communication d'electricitd entre la cliaudiere et le robinet par le depot d'liumidite sur la surface interieure du verre , on entoura une partie du tube d'un cylindre de fer qu'on chaufla au rouge. Nous I'indiquerons par B. On alfaclia au robinet un second lube de verre D, par lequel s'echappail la vapcur. En ouvrant le robinet , le jet de vapeur se monira, comme a Tordinaire , electrise positivement ; niais la chaudiere, qui, dans toutesles experiences precedentes, s'elait chargee d'electricite contraire a celle de la vapeur, resta neutre ; et le robinet fut, a la place de la chaudiere, electrise negativement. Quand on dit que la chaudiere resta neutre, il faut entendre qu'elle le fut autant que le permeltait la ditficulte d'arreter corapletement le passage de releclricite entre elle et le robinet, Un pen d'electricite se montra dans la chaudiere, mais il n'y a aucun donfe sur son origine; car, en touchant le robinet avec un Dl de metal, Telectricite de la chaudiere disparaissait tout-a-fait, tandis qu'e.-i touchant la chaudiere , I'electricite du robinet diminuait a peine ; et en etablissant une communication entre la chaudiere et le robinet, la chaudiere s'^lectrisait negativement , aussi fortement qu'a Tordinaire. 11 elait clair alors que Telectricite se produisait a I'endroit du robinet, oil s'exercait surtout la force du courant, a cause du retrecissement du conduit. On enleva ensuite le second lube de verre D , de - 88 — maniere a ce que la vapeur s'echappatdirectement du robinet. Celui-ci continua a s'eleclriser negativemeni, precisement comme auparavant. La clialeur ducylindre defer occasionna quelquefois la rupture du tube qui le traversait, et il en resulta plusieurs explosions ; mais on peut les eviter, car on obtient des resultats assez decisifs , en enveloppaat seulement une partie du tube , pres de la chaudiere, dans un cylindre de 3 pouces (0°',075) de diametre, qu'on remplit de laine ou de toute autre matiere sem- blable. Voiciquelques resultats tres-remarquables, relative mentaux changements qui, sous eerlaines conditions, s'opererjt dans les etats electriques de la vapeur et du vase. Quand la chaudiere de bronze ou le generateur etaitneuf, et que sa surface interieure etait rugueuse et oxidee , Telectricit^ de la vapeur etait toujours positive, pourvu qu'aucune substance corrosive ne fiit melee a I'eau ; mais quand le generateur fut travaille, de maniere a rendre sa surface polie , la vapeur s'electrisa negativement, bien qu'il n'y eiit rien dans I'eau pour produire cet effet. En couvrant d'etain I'inlerieur du generateur , la vapeur resta toujours electrisee negativement. Avec une chaudiere de fer, I'electricite de la vapeur qui s'en echappe est restee invariablement positive. La potasse et la sonde, qui, dans le generateur de bronze, lendaient aaugmenter si fartement I'electricite positive de la vapeur , paraissent n'avoir que peu d'iiifluence quand on les inlroduitdans la chaudiere de fer. M. Armstrong, comme nous I'avons dit, avail propose Temploi d'une chaudiere a vapeur comme machine i^lectrique. 11 chercha a rcaliser ce projet, cl — 89 — reussit bientot a conslruireun apparcilquid'Ona bieit plus d'electricite qu'une excellente machine dont le plateau a 3 pieds de diametre. En comparant , au moyen d'un electromelre , les quantites d'electricites fournies par son appareil et par cette machine, dontle plateau faisait 70 tours en une minute, il trouva que la chaudiere en donnait au moins sept fois plus que la machine. Voici la construction de son appareil. La chaudiere est un cylindre en fer forge, dont les extremites sont arrondies , d'une longueur de 3 pieds 6 ponces, et d'un diametre de 6 pouces. EUe repose sur un chassis en fer, oil se trouve le feu, et tout I'appareil est soulenu par des pieds de verre qui Tisolent. Cette maniere de chaufler est tres-incommode et ne suffitpas a donner un jet continu de vapeur ; il fautattendrede temps en temps. On tire relectricile de la chaudiere, en ayant soin de faire communiquer la Tapeur avec le sol par des conducteurs metalliques. iVlalgre la perte considerable d'electricite qui so faisait a cause de sa grande tension , par les cendres ct le courant du foyer et par les parties angulaires, on tira des etincelles de 12 pouces de longueur, qui se succedaientavecunetres-grande rapidite Pourobtenir ainsi beaucoup d'electricite, il est necessaire que la vapeur, en s'echappant , soil melee d'un pen d'eau. Le conduit qui donne issue a la vapeur est dispose dela maniere suivante. Le canal de sortie est pratique dans une piece debois tres-dur, comme de Tebene, et pour la fixer facilement, on lui donne la forme d'un bouchon. A sa parlie inferieureest adaptee une petite piece decuivre, percee d'un trou circulaire de 1/lOde poucede diametre. La vapeur, avant de passer parce trou, rencontre un petit appendice place au-devantdu — 90 — trou, de manierea former une fenie lateraledc 1/30 do, pouce. La vapeur esl obligee de passer par cette fente pour arriver a I'ouverture tres-etroite elle-nieme de I'anneau de cuivre. Le canal de la piece de bois est cylintlriqiie et d'un plus grand diametre que le Iron de Tanneau. Plusieurs robinets munis de semblables boutons de bois sont \isses sur un reservoir de fer communiquant avec la chaudiere, et oil se depose par condensation une quantite convenable d'humidite qui doit etre transporlee avec la vapeur. On ne depasse pas la pression de 70 livres par ponce carre , ct la vapeui s'echappe en jets divcrgents et horizontaux. Chaquc jet donne autant d'electricite qu^uie bonne raachinf e'ectrique de dimensions ordinaires. Quelle sourc( d'electricile aurait-on avec une machine eur a haute pression, la balle reste suspendue dans la vapeur, etsi I'oncherche a Tatliror d'un cote par un cordon , il faut exercer un effort sensible pour la retirer du jet. On peut rendre roxperience plus curieuse, en dirigeant le jet obliqiiemenl ; alors la boule reste a une plus grande distance de I'orifu e, el se maintient dans le courant. — 91 — bien que la gravite agisse obliquemeut par rapporl au jet. L'experience reussit bien avee un globe creux en cuivre mince de 2 a 3 pouces de diaraetre , lorsque Torifice d'oii s'echappe la vapeur est de 1/20 de pouce car re. Ainsi , Messieurs , voici une decouverte importante, qui permet de produire des quantites enormes d'eieclricite , et qui lire son origine des donnees les plus simples , les plus vulgaires en apparence. Assurement, plus d'un raecanicien , avant M. W. Patterson , avail ressenli ces picolements qui al- tirerent si vivement son attention, et dont il \oulut se rendre compte. Lui, il eutle merile de bien eludier les circonstances d'une sensation aussi elrange, et de bien constater qu'il pouvait tirer une etincelle en approchant doucement le doigt du levier de la soupape d'une chaudiere a vapeur, pendant que I'autre recevait lejetde vapeur. D'autres, plus heureux, out su tirer decette observation des resultafscurieux et importants pour roleclricite ; mais I'liistoire des sciences doit enregistrer avec soin les noms de ces observateurs qui savent degagerelisoler un plienomene, tout en laissant aux savants le soin d'exploifer les mines qu'ils leur ont signalees. Lecture de m. max. sltaine. Essai sur Thisloire des Tins de la Champagne. (Suite.) (1) CHAPITRE 11. Origine de la vigne en Champagne. — Histoire des vins de la province. L'origine de la culture de la vigne dans nos conlrees se perd dans la tmit des temps , et malgre les tenta- tives de quekjues clironiqueurs , il a ete impossibli? jusqu'ici de la degager entierement des tcnebres qui Tenvironnenl ; toai porte a croire seulement qu'elle est fort ancienne. Des auteurs, amateurs du merveilleux, veulent la faire remonter au-dela de Fere chretienne, pretention qui me parait , da reste, tres-contestable, Jules Cesar, dans ses Commenlaires , ne dit rien des Tignes du pays de Reims, ce qui permet au moins de supposer qu'il n'y en avait aucune a cette epoque , et que leur importation est un bienfait de la conquete. EUes out du penetrer dans la Gaule septentrionale en raeme temps que la civilisation apportee par les le- gions roraaines. Au surplus , nos peres apprecierent rapidemeiitce present de I'ltalie, etbienlot les vignes couvrirent les coleaux des deux rives de la Marne. EUes se multipliereut si promptement, que Domitien, M) Voir lo 11° (lu e Juin. — 93 — Cfaignaiit que les soins qu'elles exigeaient ne dolour- hassent les habitants de la culture des lerres , les fit arracher (1). Pour fixer une dale certaine, il faut descendre jus- qu'au regne de Probus, Fan 280 de noire ere. Si nous nous en rapportons aux biographes, c''est a cet erape- reur que nous devons, sinou I'introduction , du moins la restauration de la >igne dans nos conlrees (2). << II occupa , dit M. de Chateaubriand, les troupes » oisives i» planter des \ignes dans la Pannonie, la •) Mcesie et les Gaules, et, selon Vopiscus, jusque » dans la Grande Bretagne ; on croitque la Bourgogne » lui doit ses premieres richesses (3). » Parmi les auteurs qui se sont occupes de I'histoire de nos aneiens monuments, plusieurs ont raeme pre- tendu que Tare de triomphe de la porte de Mars avail ete eleve par les Remois reconnaissanis en I'honneur de Probus, pacificateur et introducleur de la vigne dans les Gaules (4). Probus, au reste, n'avait pas seme Sur Un sol ingrat; nos peres le scconderent avec zele et intelligence , et donnerent bienlot une preuve de leur esprit invenlif. Si nous en croyons la tradition, ce sont lesGaulois qui, les premiers, imaginerent de renfermer dans des -vais- seaux de bois levin, qui auparavant dtait recueilli (1) Vers I'an 90. Pluche, Spectaclcde lanature, (ome ii, page 336. Bidet, Histoire manuscrite de Reims. Addilion aux memoires. (2) Biographie universelle. (3) Vicomte de Chateaubriand , Etudes historiques. — Biographie universelle. (4) Geru/.ez, dans son Histoire de Reims, partage cette opinion et eite a I'appui I'abbe Courte-Epee (Histoire abr^gde du dncM de Bourgogne), ot Uiurent Echard (Histoire rov\aine, livre iv, chap. 6). — 94 — tlans clcs auiphores oil dans cles outres de peaii. Cetfe invention, en rendant le fruit de la vigne plus facile a transporter, donna un nouvel essor au commerce (1). Le document le plus ancien qui fasse mention d'une maiiiere positive des vignes de la Champagne , est le testament de saint Remy, qui mourut en 51^0 , apres avoir occupe le siege de Reims pendant 74 ans. Ce prelat distribue a divers legataires un asse/. grand nombre (ie pieces de vignes , et laisse entrc autres aux diacres et aux pretresde Teglise de Reims tine vUjiie nouvellement planiee , siiue'e au-dessus de telle qiCil possedeau faubourg de la ville, et avec elle le serf Melanius, qui la ciiltive(2). Suivant I'exemi'le de leurs pieiix predecesseurs , d'autres archeveques de Reims leguent egalemcnt plusieurs pieces de vignes aux eglises et aux commu- nauies (3). Flodoard rapporte que Pardulle , eveque de Laon , dans une lettre adressee a Hiiicmar, vers 880, re- commande a Pillustre prelat les vinsd'Epernay, Merfy et Corniicy, comme les raeilleurspour la sante (4). Toutefois, malgre les soins qu'on apporta a la cul- ture des vignobles, et le zele qu'on rait a les propager, bien des siecles s'ecoulerent avant qu'ils pussent suffire a la consommation. Pendant delongues annees, le vin ne fut qu'un objet de luxe que les personnes riches et puissantes pouvaient seiiles se procurer (5) ; et d'apresun denorabrement donne, en 1383, aChar- (1) Pluche, Spectacle de lanahtrc, lomeii, page 33f>. I").) Dora Marlot. (3) Nous citerons d'apres Flodoard les archeveques Roniulfect Soii- iiace. (4) Bitlel, d'apres Flodoard. (5) Bidet, Histoire manuscritc de Heiiii.^. Addition aia memoires. - 95 — les VI par Richard Picque, nous voyons que la hiere ou cervoise etait alors la boisson ordinaire des habi- lants. 11 est probable, et c'est I'opinion de quelques histo Hens , que la plantation de la vigne sur une grande echelle ne date que de la fin du xiv" siecle (1), C'est aussi vers cette epoque que, dans une solem- nite reniarquable, oil il nejoua certes pas le moindre lole, le vin de Champagne conquitune eclatante oele- brite. Venceslas Vl, dil r!vrogne,roi de Boheme et empereur d'AUemagnc , se rendit en France pour s'entendre avec Charles VI, au sujet du schisme qui desolait alors I'Eglise. Les deux princes se donnerent rendezvous a Reims ; mais a peine arrive dans nos murs, I'imperial buveurvoulut, toute alVaire cessante, s'assurer d'abord si nos vius vaiaienl bien la renom- mee qu'ilss'etaient acquise deja. En connaisseur erne- rile . il fit les choses consciencieusement , et deiiusta tant et si bien, qu'il finit par s'enivrer completement . « Les dues de Berry et de Bourbon, elant alles le pren^ » dre ( hez lui , dit Dallier , pour le niener diner chez ') le roi, ils le Irouverentdeja ivre et cuvant sou vin , » dispositions , ajoute I'historien , peu convenables » pour traiter d'affaires d'etat, et surlout de celles de » I'Eglise (2). » On comprend qu'un pareil negocia- leur devail etrede composition facile. En effet, dans (1) « Ledit archeveque y declare, article 7, precisement que : lo '■ brasseuient de la cervoise netoit lors, ne depuis trois ans ne fiit » d'aucun proiit, pource que on ne faisoit, nenebrassoitrien pour la » grande plnnloede vin qui etoitau pays. » C'est done al'annee 1382, ou a quelques annees anterieures, qu'on doit absolument fixer Tepoque de la grande plantation de vignes en Champagne. — Bidet. (2) DalOer, flistoire mann.icrite de Reiyiis, page 'iJ8. — 56 — Tin magnifique repasque le roi donna a Venceslas, les (^chansons, qui peut-etre avaient le mot , remplirent si souvent et si prestenient sa coupe , que bientot la discussion s'eteignit au milieu des furaees de I'ivresse ; I'empereur consentit a tout ce qu'on Im demanda. Cetle victoire du vin de Champagne sur la diplo- matic se remportait au mois de Mars de Van de grace 1398(1). II est facheux rpie les historiens qui nons ont con- serve une partie du menu des fournitures faifes jour- nellementpourla maison de Venceslas, qui logeaitau monastere de Saint-Reray, ne nous aient pas laiss^ en meme temps la note des Tins qui lui furent livfes. Les officiers de I'empereur etaient tres-nombreux , et s'ils marchaient sur les traces de leur maitre , le sejour de cet bote illustre dut donner aux tonneliers de la ville un effrayant surcroit de besogne. A cette epoque, I'excellence de nos vins elait done dejh parfaitement connue, et I'eclatant suffrage du plus remarquable connaisseur du xiv'' siecle venait sanctionner leur reputation. Lorsque Philippe, tils de Jean de Bonrgogne , as- (I) t)allier, Hisfoiremanuscrite de Reims — Soivant DomMarlot, I'entrevue des deux prmces eut lieu en 1397. — Dans I'Histoire de Charles VI, roi de France, Paris, chez Leuis Biliaine, 1G63, on traite asscz rudement Venceslas au sujet de sou ivrognerie et de cette meme entrevue. « Les dues de Berry et de Bourbon , dit I'auteur, » furent pourle prendre chez lui et pour I'amener avee plus d'hon- • neur ; mais ils eurent la honte el le deplaisir de venir dire au roy que • le gros vilain esloit deja ivre et qu'il dormoit pour cuver son vin. • Co n'estoit pas une nouvelled'apprendreque c'estoit un yvrogue et • un goulu , qui passoit tout le jour a boire et a manger, et Ton nc » s'estoit que trop appercu de la rudesse de ses moeurs et du pcu d« - poliless^- qu'il montroit parniy tontesles civililes du roy. » — 97 — sassint^ le 10 Septembre 1419, sur le pout de Monte- reaii, passa par Reims pour allera Troves vender la mort de son pere, la ville lui offrit onze poincons de vin clairet (1). Deja, sous leregne prdcedent, lespotjles les avaient celebres dans leurs vers. Dans une delicieuse ballade sur le saede la \ille de Verlus et sur la ruine de son domaine, pille et briile par les Anglais, notre corapa- triote Eustache Deschamps parle des bons vins de sa patrie. Nous ne pouvous resisterau desir de citer en entier cette petite piece d'une naivete charmante , et i'une des nicilleures, sans contredit, du volumineux recueil qu'a laisse I'auteur (2). Je fu jadiz de terre vertueuse, Nezde Vertus, le paiz renomme, Oil il avoit ville tres-gracieuse , Dontli bon ihi sont en mains Ueux nomme, Jusques a cy avoit raon noin nomme. Eustace fus appele des eiifans ; Or, sui tout ars, s'est men nom remue, J'aray des or a nom : BriiU des champs. Dehors Vertus ay maison gracieusc, Oil j'avoyepar longtems demoure, Oiiplusieurs ont mene viejoyeuse , Maison des champs Tont plusieurs appel«. Mais,Dieu merci! toute plainedeble, Ont les Angles le feu boutc dedans : (1) Dom Ghatelain, Notes manuscrites sur I'histoirede Reims. (2) Eustache Deschamps, dit Morel, ne a Vertus , en Champagne, fut huissier d'armes de Charles V, gouverneur de la chatellenie de Fismes, etc., etc... II fit un norabre considerable de poesies, et a laisse entre autres de tres-jolies fables, dont s'inspira plus tard le bon La- fontaine, qui savait, comme Moliere, prendre son bien oil il le trou- vait. — 98 — Deux millc fraiis (I) ai'a Icui' guerre coiite, J'aray des or a noiii : Brul'' des champs. Las raa terre est dcstruitte et rayneuse, Je suis desert, de4riiit et desole, Fuir me fault, lua demeure est doubteuse, Je ne sui d'aucun reconforte. Ainsi serai dc raon lieu rcboute, Couame essilliez, doloreux etmcschant. Se messeigneurs n'ont de mon fait pitie, J'aray des or a noiu : Br did des champs. Un siecle environ plus tard, nous "voyons les vins du pays de Reims, qui jusqu'alors avaient lutte avec peine contre la renoramee des vins de Bourgogne, pren- dre decideraenl faveur, et les prix s'elever rapide- nient. En 1559, au sacre de Francois II , on offiit au roi du Bourgogne a 20 liv. la queue (les deux pieces), rendu a Reim"^, et du vin de Reims a 14, 17 et 19 liv. Ce dernier etait done plus cher (jue son rival, puis- qu'il coutait prcsque le memeprix sans avoir eu les frais de transport a supporter ('i). En 1561, au sacre de Charles IX, il valait 28 et 34 liv., et, ce qui paraitra bien extraordinaire aujour- d'hui, on servit sur l;i table du roi du vin de Laon, qui etait d'un prix plus elcve. Pauvre vin de Laon , qu'est devenue depuis sa reputation? Elle a passe comme les gloires de ce monde. Le premier sacre oil Ion ne presenta au roi que du vin du pays reinois, fut celui de Henri III (1575). Use payait alors de 54 a 75 liv. la queue (3). (1) Environ 40,000 fr. de notre monnaie actuelle (note de I'editeur d'Eustaciie Deschamps). (2) Doin Chatelain, Remarques tirevs du curtitluirc dc la ville. — Pluclie, Spectacle de la nature, tome ii. (3) Ces details sonl tires du carlulaire de la ville, et reproduils i)ar Pluche, Dom Chatelain, etc , eir. . . 99 - Coiniiic oil le voit, les prix s'elevaieiit rapidemeiil. C'est (ju'aussi,a oelle epoque , le vin cle Cliainingne etait devenu Fobjet d'liiie eclatanle faveiir. La iradi- tion rapporte , et tons les aulcurs qui out liaik; de riiisloirede nos vignobles sont d'accord a cesujet, que nos \ins etaient alors teliemeuL a la mode , que quatrc souverains, el ce n'etaient pas les moiiidres , Fran- cois I"', Charles V, IJenii VIII dAnglelerre et Leon X, voulurenl posseder des vignes a Ay. Si on en croit Saint-Evremont, (qjarmiles plus grandes aflaires » du monde qu'eurent ces grands princes a deint'ler, » avoir des vinsd'Ay ne fut pas un des nioindres de » leurs soins (t). » En effet, ayant en suspicion deshonnefe la bonne foi de MM. les vignerons d'Ay, et pour s'assurer de I'integrile dela recolle, ils entretenaient un commis- saire ou agent , charge specialenient de veiller a la confection deleur \in. Precaution nialseante et super- flue sans doute ! Je suis caution que Messieurs d'Ay, que j'ai toujours eu, Dieu merci! en grand honncur et respect, etaient incapables de jouer , nienie a des princes, de ces tours sournois que le bon gout desap- prouve et condanine. 11 existe encore une conlree appclt'C le Leon, proba- blement du noiu de son ancien proprietaire Leon X. C'est la partie du tcrritoire qui s'clend le long ct a droile de la route de Dizy a Ay. On a ])retendu que le plus popuiaiie de nos rois, Henri IV, prenait le litre de sire d'Ay (2). Je serais, (1) Saint-Evreniont , Lcl/rc ccriU' do l.ondns de gout, et a peine conservent ils un resle de reputa- » tion cliez les marcli.inds. 11 n'y a point de province » qui fournisse d'excellents vins pour toutes les sai- » sons que la Champagne. Elle nous fournit le vin » d'Ay , d'Avenet , d'Auvile , jusqu'au prinlemps ; » Tc'ssy, Sillery, Versenai pour le reste de I'annee. » Si vous me demandez lequel je preferede to us ces » vins, sans me laisser aller a des modes de gout qu'in- )• troduisent les faux delicals, je vous dirai que le » bon vin d'Ay < st le plus naturel de lous les vins, le » plus sain, le plus epure de toule senteur de terroir, » d'un agrement le plus exquis, par le goiit de peche » qui lui est particulier, et le premier, a moii avis, de » tous les gouts (1). » « M. de Fourille, abbe de cette abbaye, lu'a faict faire eu I'annee 1694, et cette lueine annee a vendu son vin mille livres la queue, sans acci- dent elranger. • if'/^rr rfe J/. . . (iM. . . SUV la flihe soutemia en 1700, page 12. (I) Saint-Evremont, lettre precitee auconile d'Olonne, disgracie en ItiT'i. Sninl-Kvrcmont niounil ;i Londres, le 20 Septenibie l7i)J, ol ful cntcrrc a NN'eslminsler. — 103 — Si je suis eiili6i'eiuent de ravisdeSaint-Evrciiioiileu ce qui concerne les vins de Champagne, je trouve en meme temps qu'il se monlre bieii injuste envers ceux de la Bourgogne , et je dois declarer que je ne partage nullement son opinion a leur egard. Ausurplus, les renseignemcnts que nous ont laisses bon nonibre des conlemporains de Saint Evremont viennent confirmer son jugement. La suite a un p rue ha in nutne'ro. — 10'. -^ LECTl'RE DE M. MO.»OT DES ANGLES. IE RENARD ET LES PECHEURS. FABLE. Certain jour, par la faiin presse, (Or c'etait en careme, ou du moins je le pense) , N'ayant rien pour remplir sa panse , Le ventre creux , I'air triste , I'oeil baiss(^ , Maitre Ronard errait a I'aventure, Lorsqu'il aper^ut uu etang : a Suis-je bon de chercher si loin ma nourriture , S'ecria-t-il en souriant , Tandis que ces poissons, quoique mels de careme , Ne laissent pas d'etre un des mets que j'ainie ! Une anguille d'ailleurs est un morceau friand ! » Sur ses fesses , ne vous deplaise ! Le fin matois alors se met tout a son aise , Et dans nn coin , lapis sur I'herbe t§paisse , Flairant du nez, I'oreille au guet, Du coin de I'oeil il observait Les jeux de la gent poissonniere , Qui conrait et saulait dans I'onde mensongere , Qui, curieuse enfm de prendre I'air, Se montrair et soudain fuyait comnie I'eclair. Quel doux spectacle ! Un austere chanoine , Meme un Vendredi-Saint , s'\ serait vu lente : Aussi niaitre Renard , non moins content qu'nn moiue ^ 105 — A I'aspecl d'uu vaste jambon , D6jik se gobergeait et croyait lout de bom Les faire entrer en poche. Plein de joie , il descend sur le bord du ruisseau : Un gros brochet se inontre ; il ouvre le museau ; II fait la palte croche ; Mais le ruse brochet, qui ne I'altendait pas, S'esquive et disparait. Le pecheur a croyance Qu'un autre y sera pris, et, dans cette esp6rance,. Sur la pointe du pied dans Tetang il s'avance ; 11 fait encore quelques pas, 11 recommence le manege, II leur tend meme plus d'un piege , Mais, vains efforts! tout s'enfuit sous les eaux. Alors , se tapissaut an milieu des roseaux , Maitre Ftenard se met en embuscade. Un barbeau tend le nez : — « Halte-la! camarade, » Dit tout bas le renard qui soui'it de plaisir ; Mais tout d'un coup il apergoit venir De pecheurs haletants une effroyable bande , Qui devant eux conduisaient des mulcts Charges de carpes , de brochets. Le rivage etait loin , la traverse etait grande : Que faire? Cependant le peril augmentait , Et le pauvre sire tremblait. Alors il eut recours a son ruse genie ; II 6tait temps au moins : on I'avait deja vu. Soudain , la tete raide et le corps 6tendu , II flotte sur les eaux , feignant d'etre sans vie^ Alors vous eussiez vu courir de toute part Les p^cheurs vers le renard ; Chacun voudrait avoir la malheureuse bete : L'uu la prend par la patte et I'autre par la tete ; Pen s'en fallut , les inhumains ! Que le pauvre animal expirat dans leurs mains. — lOG — L'un d'eux, c'etait sans dome le plus forf , Se I'adjuge a Itii seiil, et !e croyant bien mort, II se frolte les mains. « Oh ! la bonne trouvaille ! Se dit-il , nous veudrons sa peau ! » A ces mots, de sa bete il accroit le fardeau. Le voila done aupres de la gent a I'ecaille , Dans un billon , sur le mulet , i Et justement voila ce qu'il voulait. Ce qu'il y fit , cbacun le devine sans doute, \ Le pecheur cependant continuait sa route; ] Plus gai qu'auparavant, il riait, il chantait, Et deja meme il comptait avec joie i L'argent qu'il esp^rait retirer de sa pioie. Chemin faisant, il entend quelque bruit; 11 regarde : 6 prodige ! il change de visage ! Le renard cense mort ressuscite et s'enfuit. , Tons ses compagnons de voyage , Depuis le gros bi'ochet jusqu'au petit goujon , Tout 6tait descendu dans son ventre glouton. Qui fit alors triste figure? Le rustaud , du renard regrettant la fourrure , Et le dindon de I'aventure. Le renard , a son tour, aux depens du pecheur, | Apprit que quelquefois I'adversite procure ' Ce qu'en vain nous avions cherche dans le bonheur- Reims. — L. J \rQi;Er, linprimeur ile I'Acailemie. SKANCKS ET TRAVAUX 1)E L'ACADEMIK OR REIMS. H^anee: du 4 anlllet 1A4£»« SOMMAIRE f)E LA SEANCE. Corlrespondancc. — Lecture do M. Duquenelle : Note sur uii denier incdit de Manasses ler, archevequc de Reims. — Lecture de M. M.-iquart : Rapport sur un travail relatif a I'ej^lise de St-Menoux (Aliier), preseiUc par M. H.Durand.— Communication dcM. A. Du- cliesne : Nole relative a un projet de reslauration de Nolre-Dame de Reims ; leltre de M. Didron. — Lecture de M. Fanart : Rapport sur I'appareil de lecture musicalc de M. Gaze, a I'usage des aveuglcs. Bulletin retrospectif : Comment , au xvii* siecJe, I'originalite s'est alliee a rimitationP par M. Guillemin. La stance est ouverte sous la ^residence de M. Ro- hiliard, vice-president. Le proces- vei hal de la derniere seance est lu et adopts. La correspondance iinprimee comprend : I-" Les Comptes-rendus des seances de I'Acadeniie des scien- ces , I. XX, n"' 24 et 25 ; — 2" Les Annates scientifl- ques, litleraires el industrielles do I'Auvergne, t. xviii, Mars et Avril 1845 ; — Le Journal de la Societe d'a- griculture du departement des Ardennes, n"' S et 6? 8 - 110 — 2* an nee ; — 4° Le Rapport sur I'Ecole sup^rieure de Paris, par la commission de surveillance, composee de MM. Boutron , Pellassy de TOusle, el Horace Say^ rapporteur, 6 Mars 1845. La correspondance manuscrite comprend : 1" Des lettres de MM. Jobard, Edmond Arnould et Loison, qui acceplent avec reconnaissance le titre de membre correspondant ; — 2" Des lettres de MM. Derede- Geruzez, Duchesne, Gobet, Marmod , Monnot des Angles, qui adressent des questions nouvelles pour le Congres scientifique ;— 3° Des lettres de M. Le BlanCy Tice-secre'laire de la societe geologique de France, informant I'Academie que cette Societe tiendra sa session annuelle a Avallon (Yonne), le 14 Septembre prochain. M. le secretaire annonce que 178 personnes ont jusqu'a cejour envoye leur adhesion au Congres scien- tifique. M. le president annonce que M. Caslillon de St- Victor , nomme recemmenl membre correspondant de J'Acadeniie , vient de mourir a Avranches. LECTCRE DE M. DUQUENELLE, Sole sur ua denier inWil de Manassk I", areheveque de Reims. Les fouilles que I'on execute cbaque jour sur le sol remois amenent souvent la decouverte d'un grand nom- brede m^dailles etde monnaies ; niais ce sont pour la — Ill — plupar t des pieces communes, et qui pr^sentenl peu d'in- leret. Cependanl, de loin en loin apparaissent des ra- retes nuraismatiques, qui viennenl. amplement dedom- mager I'anliquairede toutes ses recherches, et, enrichir sa collection, en comblant une lacune dans une sdrie in- teressante ; c'est une bonne fortune que la decouverte d'une piece inedite, surlout quand elle vient augmen- ter la belle et nombreuse suite des raonnaies de Reims. On vient delrouver a Reims un denier de billon d'une bonne conservation ; il presente au droit le nom de Manasses en monogramme et en deux lignes, dans le champ ; auiour on lit : akchipkesvl; au revers, une croix dans un quatre-feuilles ; auiour celle legende : VITA XRIANA pOUr XniSTlANA. Deux archeveques du nom de Manasses out occupe le siege de Reims, et deja on a publie la decouverte d'une monnaie portant ce nom. Dans un memoire sur les monnaies de Reims (Re- vue numismatique, ann^e 18i0), M. A. De Longper- rier croil pouvoir attribuer a Manasses P"' un denier dela riche collection de M. Bourgeois deSuippes. Je possede cette piece, dont voici la description : au droit M ASSES AKCiiiEPc, croix cautonfiee d'un quatre-feuil- les et d'un annelet; au revers le monogramme de Ger- vais; autour on lit : sce marie remens. Certes, en I'abscnce d'autres pieces a comparer, I'at- tribution qu'a faite de ce denier le savant numismatiste etait fondee, el adoptant son opinion, je Tavais classe sous le nom de Manasses I"; mais la decouverte d'une seconde piece est venue moditier cette attribution. Je dirai d'abord que la difl'erence que Ton remarque en- tre ces deux pieces ne peut permettre de les attri- buer au raeme prelat, et que, puisqu'elles presentent — tl2 — toutes deux lenoni de Manasses, elles doivent etre das- sees separ^raent. Voici en peu de mots le motif de celle classification. Les seigneurs auxquels avail ele concede le droit de mounayage faisaientsur leurs monnaies suivre leur nom de leur litre seigneurial. En &e conformant a I'u- sage etabli , les archeveques de Reims y placerent d'abord le mot ARcnipr.ESVL, qui est le nom plus an- ciennement adopte pour designer ces puissanls digni- taiies; plus tard, ee mot fut remplace par ctlui de Au CHiEPiscopvs, conserve jusqu'a noire epoque. La piece de Manasses deja publiee porte le mot arciiiepiscopus; c'est la premiere piece sur laquelle I'ancienne deno- mination a disparu; sur toutes les monnaies des ar- cheveques qui ont succede a Manasses el dont on possede une serie assez nombreuse, on lit le mot archi- EPiscopis ; il convient done de reporter a une epoque anterieure a ce prelat toute monnaie qui presenlerait une qualification qu'il a abandonnee a son avenemenl au siege arcliiepiscopal. 11 est vrai que sur des cliarles et des leltres manu- scrites d'une epoque posterieure a Manasses II, on re- trouve le mot archipresul ; mais ce litre , usite dans les manuscrils, avail disparu sur la monnaie, et sa suppression a ele irrevocable. La legende du revers presente un caractere rtli- gieux que Ton Irouve sur les monnaies de celle epo- que ; VITA XRiSTiANA csl la Icgeudc de la monnaie de GuydeCliatillon (10^3-1055); Gervais, son successeur, mil sur ses deniers, mmmus remensis, el les arche- veques successeurs de Manasses II remplacerent ces diverses logendes par les mots civitas remis ou ke- MENSis. Ainsi done, par le type et les legendes, le — 113 — denier de Manassesque je publie me parait anterieur a celui qu'a publie la Revue nusmismatique. Je pro- pose de donnor a Manasses !"■ le denier portant ma- NASSES ARCMiPRESVLetaManasses II celui surlequel on lit : ARCHiEPiscopvs; ce qui porterait a 14 le nombre d'archeveques de Reims dont nous possodons les mon- naies. Peu de localiles prcsentent autant de varieles. J'ai remarque, et d'autres le remarqueront comrae nioi, que ce denier ne porte pas le nom de la cite oil il a ele frappe ; raais j'ai recherclie sur des tables cliro- nologiques exactes s'il y avait eu en d'autres locali- les des archeveques du nom de Manasses; je n'en ai trouve aucun : il ne peutdonc y avoir aucun doute a elever sur ce denier remois. Je profiterai de I'occasion que me fournit cette note pour donner la description d'un denier de Guy Pare. Cette piece quoique connue, n'a pas encore ete publiee. Elle presente au droit : gvidonis en deux lignes dans le champ. Autour : archiepiscopi. Au revers, une croix cantonnee de deux croissants et de deux fleurs- de-lis; autour REMis civitas. Les diverses collections de notre ville comprennent deja 12 varietes de mon- naies d'archeveques de Reims, ce qui donne lieu d"es- perer que de nouvelles decouverles faites sur lesol remois viendront remplir le vide que Ton voit a re- gret dans la seric des monnaies de nos anciens pre- lats. — 114 — LECTURE DE M. MAQUART. Rnpport sur un travail de M. Durand , relalif a I'Eglise de Sl-Mciioiix. Messieurs , Une commission a ete nommee pour I'exameu du travail dont M. Hippolyte Durand a fait horamage a I'Academie. Elle est composee de MM. Gosset, Bru- nette et Maquart. L'examen de la restitution de Te- glise de Saint-Menoux, dont les etudes ligurent dans les plans de M. Durand, a eie fait par la commission, et je suis charge d'en rendre corapte. J'aurais desire, Messieurs, que I'un de noscoUegues de la commission eAt bien voulu se charger de faire le rapport. Moins verse qu'eux dans la connaissance de I'art architectural, je puis omettre, involontairemenf, quelques remarques importantes. C'est plutot sous le point de vue archeologique que j'ai envisage I'ouvrage de M. Hippolyte Durand, que sous le rapport graphi- que etartistique. Le travail oflert n'est pas (ainsi I'a pens6 la commis- sion) une ceuvre nouvelle de I'arliste-architecte, II porte un numero d'exposilion au Louvre, et, apres avoir consultc les derniers livrets du salon, nous n'a- vons rien trouve qui rappelat la date de son execution. Quoi qu'il en soit, c'est un beau et serieux travail qui est digneen tons points de I'attention de TAcademie. C'est sans doute dans une de ses courses artistiques. — 115 - coinme en font tous ceux qui sont avides d'apprendre et de connaitre, que I'auteur, donl nous avons admire les plans, a rencontre un but digne de I'arreter. En ef- fet, c'est en pareourant I'ancienne province du Bour- bonnais, si riche en monuments de I'epoque romane, que M. H. Durand s'est trouve en presence de I'eglise de Saint-Menoux, placee aujourd'hui sur la frontiere du departement de TAUier. Ce qui Taura anime du desir de s'occuper de cette eglise, c'est , a n'en pas douter, et sa belle structure et son etat menacant de mine. Restituer cette vieille basilique, dont le style est si beau , qu'il offre un type curieux des monuments de I'epoque du ix* siecle , fut une pensee arretee chez M. H. Durand. II I'a niise a execution, nous nous em- pressons de le proclamer devant vous, avec savoir et talent. Nous ne vous dirons rien, Messieurs, de saint Me- noux, d'abord Menulphe et Menoulphe. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il etait en grande veneration dans ce pays, oil les Archambault et leurs successeurs ont de puis r^pandu leurs largesses ; c'est qu'avec I'eglise existait un couvent considerable, freqiienle et visite par les pelerins, et successivementenrichi par les bienfaifs des dues de Bourbon ; el que, de toutes les depeu- dances de cette grande abbaye, il n'est reste de saint Menoux que le souvenir de la splendeur antique du monastere, et le monument dont M. Durand a entre- pris la restitution |irimilive , et que menace le temps, qui tous les jours renverse quelque vieil edifice eleve par nos ancetres. Voici, au surplus, sur I'dglise de Saint-Menoux, ce qu'en dit un de nos archeologues les plus distingues, M. L. Batissier : - 116 - « De tons les batiments de I'abbaye, il ne resle que cette eglise, et encore celle ci menace-t-elle ruine. Si die tombe, ce sera une grande perte pour noire pays et pour Tart ; car elle est d'un haut interet archeolo- gique. Elle appartient a trois ages bieu caracterises : la partie la plus ancienne est la plus anterieure; elle se divise en une nef et deux collateraux. Le genre de construction de cette portion de Teglise se rencontre rarement : des oolonnes lourdes et sans piedestal sup- portent des cintres ecrases. Les chapitaux, entoures d'un cordon debillettes renversees, et presentant des figures d'une monstrueuse barbarie sur toutes les fa- ces, rappellent tout-a-fait rarchitecture des hypogees de I'Egypte et de I'lndc. Je serais bieu tentedefaire remotiter cette portion de Teglise a la fin du x^ siecle. C'etait sansdoute un narthex. Le luilieu de I'edifice estdu xiifet du xv" siecles, mais ne se recommande par aucun de ces ornements si varies de la p^riode ogivale. 11 n'en est pas de meme du choeur, qui est un des plus beaux morceaux d'architecture byzantine du centre de la France ; les bas-cotes tournent autour de I'abside ; la voule du sanctuaire est soutenue par des colonnes de tres-lieureuses proportions, ornees descha- pilaux les plus artistement sculptes qu'on puisse voir, et recevant des cintres tres-surhausses. L'abside offre cinq cliapelles : quatre sont voutees en cul de four, et celle du milieu est a pans; les fenetres sont decorc'es de colonneltes et d'archivoltes a boudins. Les arcs dou bleaux des voiitcs des bas-cotes reposent sur des pi- lastres canneles qui sont de bon gout, et rappellent ceux des eglises de la Bourgogne. Au-dessus des arca- des du sanctuaire circule un bandeau d'une grecque parfaitement dessinee , d'un grand style, comme dans les edifices byzantiDs dumidide la France, oii s'etaient si bien conservees les traditions de Tart antique. » Le sanctuaire esttres-eleve au-dessusdu sol des nefs. Le maitre-autel, en albatre et en marbre noir, qui date du xvii- siecle, est fait sur le ra^rae plan que ceux des egliscs d'Anvers, de Gand et de Bruges ; il se compose de quatre colon nes surmontees d'un fronton epais; dans les entre-colonnes sont disposees des sta- tues sculptees avec talent. II est d'ailleurs dans un etat de parfaife conservation. » La partie exterieurc de I'l glise n'offre pas un grand interet, excepte cependant I'abside, qui estd'un style aussi beau qu'a Finterieur. Les chapelles sont rangees autour du sanctu^iire ; on y voit, pour loufe decoration , des pilastres canneles et des colonnes demi-cylindriques, aux cliapitaux ronges par le temps. Le clocher n'est pas d'un style bien pur, mais il a de belles dimensions ; il etait autrefois surmonte d'une fleehe en pierres, tres-clevee, qui a etefrappee a plu- sieurs reprises de la foudre, et remplacee par un toil en charpente. )) L'eglise de Saint- Menoux est dans I'etat le plus deplorable : les nefs s'affaissent , et les voiites, lezar- dees, menacent de s'ecrouler ; les arcs doubleaux des arcades sont replies &ur eux-memes, et les piliers bou- tanls n'opposent plus qu'une faible resistance a Tef- fort des voiites. II est bien a craindreque ce monument n'offre bienlot plus qu'un monceau de mines. •> Ainsi que le dit la citation que nous venous d'em- prunter, partie de Teglise estdu x'= siecle, le milieu du XI n", et portion du xv'. En eflet, I'l-xameu des plans I'indique, et c'est particuliercment dans la coui)e d'e- levalion, dans le sens de la longueui', ([ue Tun leniar- — 118 — que ces trois «5poques de construction : ainsi , i'abside et une portion du chceur, pour la premiere epoque ; le centre de la nef, pour la deuxieme ; et portion de la nef et des fenetres exterieures, pour la troisieme. Les changements que I'arcliitecte opere dans la restitution de I'edifice sont considerables, et il a paru a la commis- sion que I'auteur des plans redressait meme la con- struction primitive : car les fenetres liautes de la grande nef vers Tabside sont divisees en trois arcades dans la restauration, tandis que, dans Tetat actuel et primilif , deux fenetres sont reuiiies audessus d'une meme arcade. Cequ'a d'irregulier I'etat actuel estcor- rige, et nous pourrions dire augmente dans le plan de M. Durand; etpourtanl. il faut s'empresser de le dire et d'en feliciler Tauteur , il n'a rien ajoute qui ne soil dans leslyle du monument, il a respecte les lignes et fait coordonner son travjiil avecl'oeuvre du premier ar- chitecte. Une singularite qui se relrouve parfois dans les eglises romancs, oii I'absencede tours a la facadeprin- cipaie oblige de placer les clochers sur le comble, c'est la presence dans I'edifice d'un escalier en limacon, qui monte du sol de I'eglise et du milieu de la nef jusqu'au sommet de la voule , la depasse meme, et vient s'ac- crocher an clocher ; c'est la seule voie possible pour y parvenir. M. II. Durand a conserve cet escalier, dont la forme circulaire, semblable a tons les escaliers de clocher, doit necessaireraent faire obstacle dans le plan symetrique quMl a trace de I'eglise. Quanta I'exterieur , M. II. Durand Fa complete. Retablissant contre les murs la decoration simple du style, relevant le murd'enceinte, abatlu depuis long- temps , decoranl le portail d''une croix romane, les — 119 — porles d'aicadessupeiposees et ornt^es, complelanl la decoration interieurecomme celle du dehors, il ornede fresques a fond d'azur les voutes cintrees de reditice ; uiie legende apparente poiie en letlres geantes des paroles consacrees. Tout, en un mot, est coordonne, senti et explique. Sur ce travail remarquable, la com- mission s'est longtemps appliqu^e ; elle a retroiive la, comme toujours, un travail elegant, d'uiie execution irreprocliable, oil le rendu, pour me servir d'une ex- pression du metier, est vrai et saisissable, ce qui, dans un travail de cette importance, est un meritereconnu. La commission a pense que M. Hippolyte Durand, en faisant a I'Academie hommagede ce travail, lui avait offert une oeuvre importanle, qui lui avait donne, a lui architecle, I'occasion de developper des connaissances archeologiques, et aussi celle d'indiquer le moyen de sauver de la destruction un monument de pres de dix siecles. COMMUNICATION DE M. AUG. DUCHESNE. \jtV\vc At M. T)u\vou, toTvcsYonianV i\c VA.caAcmVt. Vous n'ignorez pas, Messieurs, que plusieurs de rios compalriotes out le desir de voir elever des Heches sur les tours deNotrc-Dame de Reims. Tant qu'il m'a ete permis de croire que ce projet devait rencontrer des diflicultes insurmontables, je ne m'en suis pas bcau- coup inquiete; mais depuis quelque temps, unesourdc rumeur circule : on pretend, a tort ou a raison, A M.Auf], Ducliesne, membie correspondanl de I'Acd- de'mie de lieims (1 ). . Paris . 3 Juillet 1845. » Monsieur, )) La lettre que vous m'avez fait Thonneur de ru'e- crire m'a paru inipoiiante, et j'en aidonne communi-^ catiori au comile historique des arts el monuments, dafts la stance du 23 Juin. )) Des explications ont ete deraandees a M. Grillon, raembre du comile, inspecteur general du conseil des baliments civils, sur le projet de placer des fleches sur les tours de Nolre-Dame de Reims. M, Grillon a af- firme qu'il etait question tout au plus d'empeclier la pluie de tomber par la loiture d'aujourd'lmi , et de trouver un moyen de terminer les tours par une calotte quelconque. » J'ai proteste, et tout le comile a ete de mon avis, conire un autre sysleme de loiture. On pent, en con- servant la forme actuelle , qui est ancienne et consa- cree par un grand nombre de gravures etde dessins, empecher la pluiede tomber dans les tours. M. Grillon, qui ne connait pas suffisammt'nt rarcliiteclure gothi- que, avail engage M. Arveuf a faire une plate-forme defendue par une balustrade. J'ai souteuu que les tours de Reims n'avaient pas ete faite> pour porter une plate-forme , ni recevoir une balustrade. Le comit^ nra approuve et a prolesle energiquement contre Vachevement de la calhedrale de Reims. » Voila oil en sont les choses. Celle discussion acri- dentelle sera consignee dans les proces-verbaux el-le (1) L'Academie , en publiant cetle lettre, nViitend pas donner son approbation aux expressions un pen vives quelle renfenne. — 122 ^ bulletin de noire coniile ; mais il faudra etablir une dis- cussion en regie sur ce point au Congresde Reims, oii je me propose de purler longuement de la calhedrale et de donner la description des sculptures et des fi- gures peintes sur verre qui la decorent. » M. Arveuf est tres-aventureux, et par consequent fort dangereux ; il faut absolumenl qu'on le surveille de pres, et qu'on Terapeche de nuire davantage a la ca- lhedrale deReims. » Grace a Dieu,avecle concours des Rdmois, nous se- rous assez forts pour paralyser toutes les idees trans- cendantes de cetarchitecte, qui Iraite la calhedrale de Reims comme on trailerait a peine Nolre-Dame-de-Lo- rette. » Si vous croyez que cesquelques mots puissentetre utiles a notre glorieux monument, vous pouvez, les faire inserer dans les journaux de la localile, sous mon nom; je \ous aulorise a dire tout ce que vous voudrez et ou vous voudrez, pourprevenirretablissementdes fleches. » 11 devra y avoir un supplement au programme des questions posees pour le Congres ; il faut y faire ajou- ler les votres : » 1" Les tours de la calhedrale de Reims ont-elles ete construiles pour eire surmontees de fleches? » 2" Examiner si, dans I'etat actuel de ces tours, et apres quatre a cinq cents ans d'existence sans porter de fleches, une addition de fleches nouvelles ne com- promcttrait pas le monument. La solution de cette question est du plus pressant interet pour Reims, car ilexiste un projet dont diverges personnes reclamenl I'execution. » 3" Est-il necessaire, pour preserver les lours de la pluie, de faire une toilure d'lme forme differente de — 123 — la toiture actuelle, qui est ancienne, qui est consacree par le temps, et qui donne a Reims une physionomie distincte ? » 4° Les lours de Reims ont-elles du porter une plate -forme defendue par une balustrade, commecelles de la calhedrale de Paris? N'est-ce pas Saint-Nicaise de Reims, et noii la catliedralede Paris, qu'il faudrait eludier pourreparerNotre-Dame de Reims? » Parlez, ecrivez, faites parler, faites ecrire, agissez et faites agir pour qu'on ne denature pas notre su- blime edifice. Je serai tout a vous et a la cathedrale de Reims en loute circonstance. » Agreez, etc. » Didron. » LECTURE DE M. FANART. Rapport de la commission cliargee d'examiuer I'apparcil de led lire musicale de M. CAZE, a I'usage des aveiigles. Commissaires : MM. de Belly, Banoevii.le ; L. Fanaht, Rapporteur. Messieurs , La cdcite de naissance doit elre indabilableraenl placee au premier rang des miseres de I'humanite. Ne connaitre le monde exterieur que par oni-dire etd'a- pres de vagues descriptions, etre prive a jamais de cet organe si vigilant, de ce sens si subtil, qui nous ap- prend instantaneraent tout ce qu'il nous imporle le plus de savoir, qui donne a I'intelligence la notion pre- — 124 — rise el coinplele de la forme et du mouvt'mcnl ties ob- jels qui nous environneiil , quelle Irisle el nii*erable condilion ! Honneur done et reconnaissance aux honi- raes genereux qui essaienl de soulager celte grande jnforlune, et qui, a force de patience, de mcthodes lon- gueinent mediiees el de procedes ingenieux, parvien- nenta rappelcr a la ^ie intellectuelle et a conquerir a la civilisation oes esprits qui semblaienl fatalement voues al'ignorance et a raneantisseinent! En cela, la posterile ne raeseinble pas elre plus juste envers Valentin Haiiy que ne i'ont ele ses conlempo- raiiis. Elle laisse Irop dans I'ombre la memoire vene- rable de I'instiluleur si raodesle , si devout des jeuncs avoug'es. Get hoiume charitable devrail avoir une part ^gale dans la reconnaissance publique a celle qui est si justement attribuee a I'abbe de I'Epce et a I'abbe Si- card. Les Iravaux de ces liommes sent analogues , et leursaines sonl soeur>. Mais Val;;iitin avail pour frerc le celebre Rene-Just Haiiy, et la gloiredii inineralogiste a eclipse la madesle aureole de rinsliluteur. II ne devrail pas enetreainsi, el Valentin devrail marcher au moins I'egal de Rene. L'on pent affirmer, ce me semble, sans contcsler en rien le meritc des Iravaux du cristallographe, que I'e- ducation des aveugles «'st une des decouvertcs qui ho- norent le plus riiumanitt', et qui doit placer son auteur au premier rang dans I'eslime des peuples. II est a remarquer que les aveugles n'avaient pas at- tendu leur inslituteur pour manifesler une merveil- leuse aptitude musicale. Ce fut menie en assistant aun concert en [)lein vent donne par des musiciens prives de la vue, que Valentin Haiiy se prit a reflechir aux moyensd'alleger leur inforlune et de suppleer autunt — 125 — que possible a I'absenee d'un organe aiissi essentiel que I'oeil. Bicnlot urie idee simple , niais feconde, se pre- serila a son esprit : il avail imagine I'irapression en re- lief; le problcine etait resolu. C'esl a Taide deceproocde inge'nieux que la lecture, la langue francaise, le latin, I'iiisfoire, la geographic, lesraalhcniatiques et les sciences nalureiles sonl en- seignes avec succes aux jeuncs gens prives de la vue. Ilenelait denieme de la niusique dansl'origine de I'instilulion des jeuncs aveugles. Cel art y etait ensei- gnc au moyen de livrcs en relief, mais on crut bientot devoir renoncer a ce moyen, au moins pour la musique inslrumentale. Une main de relevedevant necessaire- ment elreoccupee a suivre la notation, ceile qui reslait libre ne pouvait suffire pour toucher un instrument. On trouva plus simple, plusexpeditif etmoinsdispen- dieux de s'en rapporterala memoirede I'cleve, et I'ex- pericncc sanctionna jusqu'a un ccrlain point cctte determination. C'est, en cflct, une chose qui tient du prodige que la facilite etia promptitude avec Icsquelles les aveugles apprcnnent et repelent, sans rien omelire ni rien changer, les passages les plus compliques d'une fugue ou d'un concerto. Cependant on ne peut sc dissimnler que de notab'es inconveiiients sont inhercnts a ce sysleme. Le plus grave est de nccessiler presde I'avengle, execiitanl ou compositeur, la presence, a point nomrae, d'un niusi- cien clairvoyant qui lui apprenne par coeur ou qui ecrive sous sa diclee. A I'inslitulion de Paris, oil des clairvoyants instruils sont attaches au service des eleves et ne les quitieiil ja - mais, ce vice de la mdlhode est a la verite peu sensi- ble ; mais lorsque les jeunes aveugles retournent dans — 12G — leurs families, pen fortunecs pour la pluparl, lorsqu'ils sont a peupresprives de lout sccours eirangerpour conlinuer leuis eludes, ils eprouvent un vide immense en ce qui concerne la musique. Ce n'csl qu'avec de grandes difficultes et a de rares interval les qu'ils peu- vent se procurer des repelileurs qui leur enseignent de nouveauxmorceaux, ou qui leur rcmellerit cii meaioire ceux qu'ils ont deja appris. Plus difficilement encore, s'ils sont coraposileurs, peuvent-ils se procurer dos copistes assez habiles pour ecrire sous leur diclee. Et cependant, cesont encore la lespriyilegies! Selon M. Dufau, directeur actuel de I'inslitution de Paris, il n'y a pas en France moins de 36 a 40,000 aveugies. Sur ce nombre considerable, a peine quelques centai- nes peuvent profiler de I'enseignenienl special. V\m- mensemajoriledes aveugies rcslenl dans leurs families, oil, lorsqu'on peut s'occuper de leur education, ce n'est pasun mediocre embarras de Irouver, en ce qui concerne la musique, un mail re assez habile, assez patient, surtout, pour leur cnseigner de memoire les principes etla pratique decel art coniplique. Ces diflicultes {)araissent avoir frappe I'esprit de M. Gaze, arlisle remois, atissi modesle qu'inlelligent. Pour les resoudre, il s'est attache a ramenor rccriture de la musique au grand principe de I'ecrilure en relief de Valentin llaiiy, mais dc telle facon que, sans frais , sans copiste, sanspresse, sans papier meme, I'aveugle put lire lui-meme la lecon ecrite par le premier prol'es- seur venu, I'apprendre a loisir, puis ecrire a son tour de la musique dans un systeme qui se rapproche telle- ment de la semeiographie usuelle , que tout musicien piit lirefacilement et copier, si besoin est, ce que I'a- veugle a trace . Enfin, pour completer ces avanlages, il — 127 — fallait que le precede fut si simple et U'lin maniement si facile, que I'eleve et le mail re pussent changer dix fois, viiigt fois par jour la lecon proposee. La demon- stralion ecrite d'une Iheorie est, on le sait, d'un inap- preciable avanlagc, en ce qu'on peut varier, scion Ics progres el les dispositions de I'eleve, les excmples qu'on lui donne. En musique, I'etude du solfege clcelle du contrepoint ont tout a gagner a I'emploi de de- monstrations nondjreuses etaussi varices que les com- binaisons multiplides qui peuvent se presenter dans la pratique. II elait evident que si M. Caze parvenait a donner cette mobilite a I'ecrilure musicale , son pro- cede prenait imniediatemcnt une grande supdriorite sur la musique iniprimee en relief, oil rien ne peut etre change sans une nouvelle composition et un nouYcau tirage. M. Caze est-il arrive a resoudre le problerae d'une maniere compleleet salisfaisantc ? Telle est la question que voire commission avail a examiner, et qu'apres de soigneuses investigations, elle vous propose de resou- dre aftirmativement. Mais avanl dc decrire I'appareil deM. Caze, je dois vous exposer la Gliationdescs idees sur cette maliere. II y a toiijours, si je ne m'abuse, un certain inlereta suivre chez les invenlcurs les diverses phases que par- court le germe d'une decouverte pour arriver a son en- tier developpemcnl. M. Caze avail d'abord essaye de se servir, pour la no- tation musicale, de Ve'criture en points, invenlee par M. Charles Barbier, et mise en usage avec succes a rinstitution de Paris pour recriture ordinaire el pour celle du plain-chant. Mais , outre que celle mefhode elait asscz compliquee, Taveugle ne pouvail enlrer en — 128 — coininunicalion qu'avec un luusicien qui eut pr^alable- menl etudie ce systeme graijhique, el rien n'est plus rare que cle trouver un professeur ciispose a abandon- ner, meme pour un instant, les precedes en usage, que presque tous les artistes se soiit habitues de longue main aconsiderer comme [)arfails el imniuables. Celte Venture n'etaitpas assez generale el ne pouvait quedif- ficilemerit s'elablir , au nioiiis [lOur les niusiciens. M. Gaze cliercha mieux et plus simple. Bientot il se trouva sur la voie de I'invention qu'il presenle aujourd'hui a I'Academie, et dans \otre seance du 7 Mars dernier , il produisit devant \ous un appa- reil sur lequel un avcugle, son eleve , lisait couram- menl la musique. Ce procode excita voire iuteret , et vous nominates immediateracnt pour Texaminer la commission qui a riioniiciir de vous faire aujourd'hui son rapport. L'attention que vous vouliez bien donner a Tapparcil neralentit paslezele del'inventeur. D'apres les avis que lui donna le rapporteur de voire commission , M. Cazd fit depuis lors a son systeme de notation d'utilcs ame- liorations. Eraployant, au lieu de signes en cuivre, des signes fondus avec I'alliage dil metal d'iniprimerie (i), qui a la propriele d'etre tres-resistant et de rendre les aretes saillantes et tres-propres a etre senties au tact, I'inventeur est parvenu a rcndre ses figures de notation beaucoup plus petites, et par consequent son tableau capable de contenir plus de raalicie. II n'y a plus d'objcctions afaire,selon nous, surl'idee generale du systeme de M. Gaze, lei qu'il le presente aujour- (1) Get alllageest compose do 8o parties de plomb et de 20 parties d'autimoine. — 129 — cniui, el il n'y en a que fort peu a formuler sur I'exd- culion el les details. Vous allez en juger , Messieurs, par la description de I'apparci!. Sur une ftlanchc longue de 40 centimetres, et large de 66, se Irouvenl fixe'es de pelites regloltes de bois saillanl de 3 millimetres, et figuraiil six porlees. Au- dcssus, au-dessoiis, sur les lignes, el dans les interli- gnes de cliaque portoe, sonl pratique's en ligne droile el a des espaccs Ires-rapproches de pelils trous au nombre de plus de 7,800. Ges trous sonl destines a re- cevoir des queues en fer, qui supportenl des signes musiraiix mobiles. En general, los notes ct autres si- gnesdel'appareiS conservenl la forme qu'ils presentent dans la notation ordinaire. Cependant queiqucs figures de notes onl ele modi Gees pour rend re la lecture plus facile a Taveugle. C'est ainsique la noire, la croche et la double croclie, qui, dans la notation a noire usage, onllamemclelc, maisdifl'erentpar la forme dela queue, onl etc debarrassf'es de eel appendice par M. Gaze ; qui les a distinguees par differenles forme? de tete. Au moyen deceleger et ingenieuxchangement, le travail de Taveugle esldiminue de moilie, quant a ces notes; car, si elles eussenl conserve leur Ggure ordinaire, apres s'elre assure de la position de la tele, le lectcur eutdii s'assurer encore de la forme de lu queue de la note ; en outre, si I'on avail reurii plusieurs croclies ou doubles crot:lies par des barres horizonlales, comme Gela a liea d'habilude, il eiit ete assez difficile dedis- tingi'.er au lad ces barres de croches des lignes de la porlee. Selon M. Gaze, la noire a done pris une forme ronde el pleine, ce qui la distingue de la ronde, qui est evidee ; la croche est carree, la double croclie est una — 130 — losange, el la triple un Uiangle. CeslcgeresmodiOca- tions, avec lesquelles un musicien se familiarise en un instant, sont les seuls points en quoi M. Cazc se soil quelque peu ecarle du syslemc usuel de notation; mais, je le repele, elles sont importantcs, en ce qu'elles sim- pliflent considerablement et rendent plus cerlaine la lecture faite au moyen du tact. La commission a voulu s'assurer de la facility avec laquelle un aveugle pouvait lire un morceau de musique avec les changemenls necessites par des corrccUons ou par toute autre cause. M. Caze nous avail prcsenle son tableau de maniere a represcnter le n° 40 du solfege de Rodolphe, chant el basse. Nous fimes, a I'insu de I'eleve de M. Caze, quelques cliangeinenls au morceau, et I'a- veugle solfia sans hesitation les notes nouvelles comme nous k's avions disposees. Nous nous demandames ensuite comment il se faisail qu'un procede si simple n'eut pas encore cte mis en usage. Un de nous en ecrivit a M. de laBrelesche, aveugle et musicien tres-dislingue, eleve de I'inslilu- tion de Paris. La reponse que nous reciimesde lui nous confirma dans I'idea que rien de semblablc n'avait en- core ete tente, et que I'appareilqui vous est soumisap- partient bienlegitimement a M. Caze. Ce n'est pas a dire cepcndanl qu'on n'uit pas propose a diverses reprises des syslemes plus ou moins inge- nieux pour noler la musique a I'usage des aveugles, mais ces melhodes pechenttoujours par le cote prati- que ou par les etudes speciales qu'elles exigent. Je Tous demanderai la permission de vous en citer une, enlre autres, qui vous egaiera sans doule par sa bizar- rerie et temperera un peu ce qu'ont pu avoir d'aride les developpements techniques dans lesquels j'ai ele force d'enlrer. - 131 — Guille, dans son ouvrage intitule : fssat sur Tm- struclloa des aveugles , parle d'un aveugle , fort habile violoniste, qui avait imagine pour son usage le systeme de notation musicalo le plus singulier assuremenl qu'on ait jamais invenle, « Get aveuglCj dit-il, representait les mesures par des monies de boutons , la valeur des notes par des morceaux de liege plus on moins epais, une ronde par un anneau , une noire par une piece de monnaie, les silences par des lanieresde cuir denleiees, etc. Nous ne nous rappelons pas la serie con- fuse de tons les signes, qu'il rcconnaissait pourtant as- sez bien ; mais nous ne pumes relenir nos rires , lorsque, nous ay;inl parlii du deuxieme concerto dc Jar- nowiek, qu'il jouait alors , il alia chercher dans une armoire une espece de chapelet, long de sept ou huit toises, forme des objets dont nous avons parle, qu'il nous dit etre ce concerto, et sur lequel il nous lit distinguer les passages les plus difllciles. II y avait plusieurs ar- moires reraplies de eetle singuliere musique. » Pour en revenir a M. Gaze, nous ne pensons pas qu'il ait dit son dernier mot. II pent encore ameliorer certains details de son appareil, el surtout en rendre le prix plus accessible aux aveugles pauvres. Ne pour- rait-on pas, par exemple , forer d'un seul coup, au moycn d'une machine, ces milliers de Irons, qu'il est si dispendieux et si long de percer un a un ? Ne serait-il pas possible encore, au lieu de fondre chaque signe, de le forer et d'y river une queue, de ne faire qu'une seule operation en se servant d'un metal plus dur, du cuivre, par exemple? Sans donte , les premieres dispositions necessitees par ces ameliorations enlraineraient quel- ques depenses, mais nous sommes persuades que I'in- venteur en serait bientot dedomtnage par le grand uombre d'appareils qui lui seraicnt deniandcs. — 132 — En somme, tel qu'il est, I'appareil de M. Caz^ nous a semble d'urie utilite pratique inconleslable, et, pour dire toute notre pensee en un seul mot, il nous a paru etre exacteineut a raveugle ce que le tableau noir est au clairvoyant. La musique , Messieurs, est la seule compensation que Dieu ait accordee a I'aveugle en place des mille jouissancesdonlilest prive, c'estleseul dos beaux-arls qu'il lui soit donne de culliver et qui jelte quelque poe.sie dans celte existence decoloree. Vous pensercz sans doute comme nous que M. Caze, en rendynt plus acccssiblel'ctudederart musical aux raalheureuxprives de la vue , et en soulageant ainsi une des grandes mi- seres qui afiligent I'liumaiiile, n'a pas seulemenl montre une inlelligente habilete , raais encore a fait preuve de nobles sentiments. C'est dans la confiance que vous partagcrez notre opinion que nous vous prions de re- commander hautement I'invcntion de M. Caze a I'at- tenlion de ccux de nos confreres qui seront cliarges de distribuer les medailles d'eucouran;emenl. — 133 — BULLETIN RETROSPECTIL LECTCRE DE M. G U 1 L L E M I N, QUESTION : Comment, au XVH"" sikle , Fominalilc s'esl alliee a Fimilalion? Lalitteraturcest I'expression de la socicte. M"" DE Stael. Si Ton recherche dans les temps modernes une epoque oil retudederantiquile ait ete niise eu honneur, un peuple qui ait fait des chefs-d'oeuvre de Rome et de la Grece roI)jet d'un veritable culte, la pensee s'arrete naturelle- ment sur le xvn'' siecle et sur les producliosis de Tesprit fraiiQais a cette epoque. Tous les grands ecrivains que la France a vus naitre dans ce siecle memorable auquel Louis XIV a attache son nom, se sont formes a I'ecole de I'antiquite ; ils en ont consacre les traditions dans d'im- mortels ouvrages ; ils en ont applique les formes si nobles et si elegantes aux productions les plus varices, et, par une savante imitation, ils leur ont communique cette beante severe et cette inimitable perfection qui en font tout a la foisles monuments les plus acheves de la raison et du gOIJt. Les Ecrivains du xvfi" si6cle, plus sages et plus heureux, que ceux du siecle precedent, ont su se preserver de cc fol engouement qui porta ces derniers a une imitation par- fois si maladroite de I'antiquite; ils ont su 6chapper acetto — 134 — ardeur mleniperante de f/ reciter (1) et de rmnaniser, qui egara pendant quelque temps le gout fran(>ais, et qui fail- lit coniproniettre la destinee de cette langue nationale sur laquelle Corneille et Racine, Pascal etBoileau, Bossuetet FeneloTidevaieut repandre un jour taut de grandeur etd'e- (iat. Par une heureuse alliance de la forme antique et de I'esprit nioderne, ils onl su fondre harmonieusenient le style grec et romain avec les inspirations d'une civilisation plus haute et plus avanc^e, et par oet intelligent melange de deux epoques si diverses, ils out imprime a tontes leurs o^uvres ce cachet d'originalite puissante que ni le temps ni les attaques des hommes n'effaceront jamais. Le xvii^ siecle a derobe a I'antiquite tout cc qui ponvait donner a ses productions celte grace naturelle, cette elegante sim- plicite, cette noblesse de forme qui distingue les contem- porains d'Auguste et de Pericles ; mais il lui a laisse son esprit et ses moeurs, dont il ne ponvait sMnspirer sans briser son essor, sans couper, pour ainsi dire, les ailes a son genie, en abdiquant les pensees , les sentiments et tontes les tendances de Tepoque moderne. Certes, pourreconnaitrehumblement cette pauvrele de nosidiomeseuropeens, cette misere litteraire d'une civili- sation qui portait en soi tant de germes de grandeur ; pour proclamer la superiorite de I'antiquite sous ce rapport, et s'en faire les disciples dociles, sans cependant sacrifier les avanlages de leur position, il a fallu a tons ces hommes illustres autant de modestie dans le coeur que d' elevation dans I'esprit, autant de desintcressement que de bon sens et de raison . Quand on considere la situation morale de la France au xvii« siecle, quand on examine ses institutions, son esprit et ses moeurs, ses instincts et ses besoins, et qu'ensuite on eiudie la litterature dans ses rapports avec la societe, oa ^l) Rousard cl son ecorc. — 135 — reconnail facilcnient qu'cllo en est la vivaiite image etia veritable expression ; a travers les formes de rimitation, on voit se dessiner, au fond du tableau, des traits indivi- duels et particuliers a la France , on decouvre enfin un portrait o>7(yiHaZ. Ce qui caracterise essontiellenient le xvii*^ sifecle, ce qui constitue sa grandeur et son nr'itjhialiu'', c'est ineontesta- blemenl cet esprit monareliiquc et rcligieux qui se forma au moyen-age, et qui, passagerement ebranle par la r^- forme protestante, regna en souverain surla society fran- faise, pendant le long rtgne de Louis XIV, etse reflecliit, sous des formes diverses, dans les institutions, dans les manu's et dans la litteratiu-e de cette grande epoque. De meme que le polytheisme avail inspire les philoso- phes, les poetes, les artistes de I'antiquite, de meme aussi la religion ehretienne, aulremcnt puissaiite que cello de I'ancien monde, a domine, meme a leur insu, rintelligcnce el rimagination des ecrivains niodernes. La po6sie se nourrit encore de ces sentiments sublimes el de cette inef- fable melancolie qu'elle a repandne dans Tame humaine ; les arts lui doivent leurs plus belles inspirations et leurs monuments les plus durables; la philosopliie , si dedai- gneuse qu'elle soil, luiaemprunte ses notions les plus pa- res, ses lumieres les plus vives sur Dieu , I'liomme et le nionde. Si le temps me le permettail, je demontrerais sans peine que le christianisme a preside a tousles developpe- nients de la civilisation moderne ; il me sullira d'ajouter que I'esprit nouveau qu'il a apporte dans le monde con- stitue la difference fondamentale qui regno entre les so- ci6tes europi^ennes et les peuples anciens. Or, ilfautbienlereconnaiire aussi , jamais cette influence de lapensee ehretienne n'a ele plus puissante qu'au xvu^ sifecle ; elle eclate dans toutes les auvres du genie francais a cette epoque. La philosopliie "est spiritualiste avec Des- cartes el Malebranche , croyante avec Pascal. L'hisloire^ — 13H — sous Ta plume de Bossuet, devientla manifestation sensible de raction de la Providence sur les evenenients de ce monde. Quoi deplus chretieii et de plus orthodoxe que Po- lyeucte et Athaiie ? Un sifecle plus tard, tout aura change : la pliilosophie sera incredule etsensualiste sous I'influence de Voltaire et des encyclopedisles; I'liistoire deviendra un pamphlet (i) et une negation perpeluelle de la Providence ; le drame (2) se transformera en satire. II est vrai que, sous certains rapports , le xvii" sifecle rompt presque ouvertement avec le moyen-age dans lalit- terature et les beaux-arts; mais, en nieme temps, il se garde bien de repudier ce noble heritage de moeurs et de croyances que lui avait legue cette grande epoque d'oii il etait sorti. Et ce siecle qui, jusqu'a un certain point, pour- rait paraitre revolutionnaire et retrograde tout a la fois> puisque, d'une part, il rejette presque entierement (3) le passe lilteraire de la France,^ et que, de I'autre, il revient a I'imitation de Tantiquite, ce siecle, dis-je, s'est montre le fidele continuateur des habitudes sociales et des traditions religieusesde I'epoque feodale. Quelle est, en effet, la source commune oii vont puiser les poetes, les philosophes, les litterateurs contemporains du grand roi? N'est-ce pas le respect des croyances qui reglentetgouvernent la societe? Quel est le principal mo- (1) Cela est parliculierement vrai de I'Essai sur les mceiirs et I'es- pritdes nations, par Voltaire. (2) Depuis rCErf;;)e de Voltaire, qui pariit en 1719, jusqu'au 3/a- riage rfef;^«ro, par Beaumarchais , qui futjoue en 1784, si notre meiiioire ne nous trompe pas, le tbe;itre francais est une cspece de tribune, du haul de laquclle les poetes , les dramaturges declaraent sans cesse coulre les institutions existanles; aussi 89 n'est pas loin. (3) Dans la littcrature duxvii' siecle, on ne trouve presque aucune trace de cette vieille lilleraturedu moyen-age, si varee, et parfois si piquante et si originale. L'arl au -xvii' siecle , el parliculierement rarchilecture, suit uao autre direction. — 137 — bile de leurs pens^es et de leurs sentiments ordinaires? N'est-ce pas I'observation constante des lois et des piiii- cipes sur lesquels reposait le vieil edifice du nioyen-age? Parnii les nonibreux ecrivains auxquels pourrait s'appli- quer ce qui vient d'etre dit, nous choisirons ceux qui re- presentent le mieux cette alliance de la forme antique et de I'csprit moderne dont nous pailions tout-a-rheure; ceux qui aux traditions paiennes ont ussocie avec le plus d'habilete I'elenient feodal et Chretien, et qui, dans uii ca- dre emprunte a Rome ou a la Grece , ont jete les idees , les sentiments et les moeurs de I'epoque contemporaine. filudions les deux grands poetes tragiques du xvii" siecle, Corneille et Racine. Sans vouloir, apr^s tant d'aulres, etablir un parallels entre ces deux hommes, nous dirons que ce qui nous a frappc d'abord dans la lecture de leurs ouvrages , c'cst la predilection de Tun (!) pour les sujels remains, cti'amour de I'autre (2) pour les traditions de la Grece. La grande ame de Corneille sympathise davantage avec Tile-Live, Seneque et Lucain. L'esprit delicat, le cceur sensible de Racine se complait surtout dans le commerce de Sophocle et d'Euripide. Les nobles pensers et les sentiments heroi- ques, les agitations et les interets de la vie politique et ex- terieure sont les aliments ordinaires de la muse de Cor- neille. Le developpement ct la peinture des passions intimes, celles surtout qui naissent de Famour, ce qu'on appeile habituellement les faiblesses du canir humain, voila le domaine du sensible Racine. Ce n'est pas qu'il se soit borne exclusivement au genre passionne : Britannkiis et Milhridat-e sont la pour attester la puissance et la souplesse de son talent, aussi bien que sa merveilleuse intelligence de I'histoire politique ; mais cos brillantes exceptions n'in- (1) Les Horaces, Cinna, la Mort de Pompee, Sertorius, etc., etc., etc. (a) Iphig^nie, Andromaqve, PhMre, etc., etc., etc. — 138 — firmciU point cc que nous avons dit de son aptitude spc- cialc a ti'ouver les secrets du coeur, a peindre les mouve- nients etlesretours de la passion, a deccire les orages de la vie interieure. On ne pent pas dire nonplus queCor- neille ne soil descendu, des hauteurs ideales ou plane son genie, au niveau ordinaire de la vie reelle; car, ainsi que Ta remarque le judicieux Labruyere, quelle plus grande lendresse que celle qu'il a repandue dans le Cid, dans Po- hjeucte et les Horaces ? Mais il n'en est pas nioins vrai que, dans la plupart de sesouvrages, il vise surtout au grand, au sublime. Toutefois, nialgre la difference de leur genie et de la direction qu'ils lui out iniprimee, nos deux grands poetes se rencontrent dans le champ commun des idees re- ligieuses et des sentiments chevalercsques, ausein desquels resident I'unite et la nationalite de notre litterature drama- tique, L'influence de la Grece et de Rome n'a pas com- pletement altere leur physionomie primitive, ettous deux conservent un air de famille qui les rattache, par la com- munaute de la pensee , a cetle generation chretienne et monarchique du xvii'= siecle. Tous deux aussi fa^onnent a leur propre caraclere les personnages de leur choix, et tous deux, en s'eloignant plus ou nioins de la verite histo- rique et locale, deviennent originaux etcreateurs. Le Cid de Pierre Corneille resume, pour ainsi dire, le moyen-age. Le famcux Qu'il mouri'it! de la tragedie des//or«f assemble plutot encore le cri d'honneur de I'antique chevalerie que Fexpression du patriolisme roniain. Enfin, le pofete donne Pohjeucte comme un magnifique gage de sa foi religieuse. Si Ton se domande ensuite quels sont les sentiments que Racine deploie d'ordiuaire sur la scene fran^aise, et quel- les sont les passions qu'il met en jeu dans ses tragedies , ce que nous avons avance tout-a-l'heure du caracti^re ge- neral de ses ouvrages se trouve de nouveau confirme. Le sentiment qui domine, dans ses premieres pieces surtout, est evidemment ce sentiment chevaleresque auquel le — 139 — nioyen-agp av;iit donno iiaissaiico, ct qui, on passant par la cour dc Louis XIV, avail rcvt'Ui la funne de la pins ox- qnise politesse. II seinble, en effet, que rAchille dcVIplii- genic en Aulklc ressemble pinlut a un chevalier fianeais qu'au hh'oa deVIiiade d'Honiere. Des vers, tels que cehii- ci, prononc(is par le fils de Pelee, dans son desir eniporle d'acquerir de la gloire : L'honneur parle, il siiffit, cesont la racs oracles; JHStifient sufllsanimenl celte opinion. Les noms, les rostu- nies que portent, ses personnages soul antiques, il est vrai ; niais quelle est I'idee, le sentiment qu'ils exprinient dans leur harinonieux langage? Certainenient, c'est unc pen- s6e,un sentiment inconnu a Eschyle et a Sopliocle. Et ou a-t-il puise cette connaissance profonde du eann- humaiu, si ce n'est dans ces nu'dilalions severes, dans cos habitu- des de reflexion que riiommc moderne a contractees sous I'influence de la religion chretienne? Oii a-t-il trouve ces passions tragiques, si ce n'est dans Tobsei'vation attentive de ce qui se passe naturellement dans une societe oii la femmejoue un si grand role, ou Tamour, cet autre senti- ment dont ranliquile n'a connu que la partie la plus sen- suelle et la plus grossiere, tient une si grande place dansia vie? Assurement, jamais femme grecque n'a eprouve les agitations et les remords de la Pliedre de llacine : c'est que la pudeur est fiUe du christianisme, et qu'Athenes ne connut qu'iniparfaitement ce sentiment vertueux etdelicat donil'oubli cause tousles malheurs de I'infidele epouse de Thesee. Puis, quand le poete, commc efTraye de ses propres sne- ers, et fatigue de cette gloire de theatre, revient aux pen- sees religieuses qu'il avait un instant negligees, ou va-t-il cherchcr de nouvelles inspirations? Dans la Bible, qu'il avait apprise parcocur quand il et-ait petit enfant; et alors il compose pour M"""' de Maintenon ces deux chefs-d'ocu- — 140 - vre qu'on appelle Esther el Aihalie. Dans la premiere de ces deux pieces, toute pleine d'une si douce trislesse, je ne saisquel delicieux parfiim de TOrient se mele auxplus pu- res, aux plus suaves emanations du beau ciel de la Grece. Toutefois, ici encore, Racine , en imitant, appartient si bien a son siecle , que les critiques du temps crurent re- connaitre M"" de Maintenon (1) dans Esther, Louvois dans (1) On connaitles passages celebres auxquels nous faisons allusion; qu'on nous permette dc les rappeler ici, ce sera le plus bel orncment de noire travail. II ctait impossible de ne pas appliquer les vers suivauls a Madame de Maintenon et aux pcnsionnaircs de Snint-Cyr, que prolegcail la veuve de Scarron, devcuue la femme de Louis XIV. ESTHER A ELISE : Cependant mon amour pour notre nation A rempli ce palais de filles de Sion. Dans un lieu scpare de profanes lemoins, Je mets a les former mon etude et mes soins ; Et c'est la que, fuyant I'orgueil du diademe, Lassc de vains honncurs, et me chorchant moi-meme , Aux pieds dc rEtcrnel je vicns m'humilier Et goiiler le plaisir de me faire oublicr. Le genie du xvii« siecle respire tout entier dans cetle delicieuse poe- sie. Racine a tres-bien exprime la nature des rapports el de Taffeclion qui rcgnaienl entre LouisXlV et Madame de Maintenon. II faut sc rap- peler qu'a I'epoque de I'apparition d'Esthcr, c'cst-a-dirc en 1G89 , I'astre de Louis XIV avail jele son plus vif eclat; le grand roi com- mencaitaeprouvercettesatiete qui suit ordinairement les surc(?scon- tjnus, et peut-etre aussi, ce degout qui nait de I'abus de la grandeur et desplaisirs. Sans doule il lint plus d'une foisa sa nouvelie com- pagne ce douxlangage, que le poete prele au roi de Perse : Croyez-moi, chere Esther, ce sceptre, cet empire, Et ces profonds respects que la lerreur inspire , A leur porapeux eclat melent peu de douceur El fatiguent souvenl leur triste possesseur. — 141 — Aman, el Louis XIV dansAssii^rus. Dans Aihalic , cc som- bre ot i^nergique tableau des desordres et des revolutions d'lsrael, ne senible-t-il pas inspire plutot par les pompcs eatholiques de Versailles que par les souvenirs du temple (le Jerusalem, dans ces admirables vers que prononce le jeune Joas : J'entcnds chanter de Dieu les grandeurs infinies, Je vois I'ordre pompcux de ses ceremonies, etc. Ainsi, Racine resume Tantiquite grecque et jnive, et il est en meme temps le representant fidele de son epoque. La forme de ses tragedies est, si Ton veut, oelle de Sopho- cle ; le fond, c'est-a-dire I'idee et le sentiment, les person- nages et les moeurs, est nioderne. Comme penseur, Racine est un ^l^ve de Port-Royal ; comme ecrivain, c'estpresque un contemporain d'Euripide; comme poete dramatique, e'est un Fran^ais de Paris. C'est ce triple caractere qui constitue, suivant nous , .son originalUe. Et ce caractere d'originalite n'appartient pas seulement a Racine et a ses illustres contemporains; il forme, en quelque sorte, le trait distinclif de tous les homnies sup6- rieurs qui, dans les temps modernes , ont possede, avec I'amour du beau etie sentiment profond del'art antique, la .le ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grace Qui me charme toujours ct jamais ne me lasse. De I'aimable vertu doux et puissants attraits ! Tout respire en Esther I'innocence et la paix. Du chagrin le plus noir elle ecarte les ombres Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres; etc. Nous ne pensons pas que jamais les descendants de Cambyse aient parle ainsi dans leur courde Suse et de Persepolis. Les beaux vers de Ra- cine et les sentiments qu'ils exprlmenl, apparticnnentessentiellement au XVII'" siecle; et s'il y a de Toriginaiite quelque part, assurement e'est dans les passages que nous venons de citer. 10 — 142 — ronscienee du piogios social et de la grandeur de la civili- sation chrelienne. C'est la ce qui communique aux chefs- d'oeuvre des grands peintres et des grands sculpteurs cette purete de lignes, cette perfection de la forme jointe a I'expression des attitudes el de la physionomie. C'estcequi donne aux conceptions de Michel-Ange cg sens profond, ce mouvenient qui manque peut-etre a la beaute calme et reguliere de la statuaire antique. II y a encore dans le xvii" siecle un homme qui a imite les anciens et meme les modernes, mais qui, en les imi- tant, les a surpasses les uns et les autres. Dans cette lon- gue galerie d'ecrivains celebres, cet homme, par le con- traste de son caractere et de ses ceuvres , offre une physionomie a part et qu'il faut etudier, parcequ'elle porte la plus profonde empreinte du genie national, et qu il ne semble avoir imite les autres que pour faire ressortir da- vantage sa propre originalke. Ici, remarquons comment une ^poque continue toujours, jusqu'a un certain point, I'^poque qui I'a precedee; com- ment I'esprit et le caractere d'un peuple se perpetuent a travers les ages, et survivent a toutes les revolutions que subissent ses institutions et ses moeurs. Nous avons vu Corneille et Racine faire passer dans leurs Merits ces sentiments delicats et cette courtoisie che- valeresque qui, des cours feodales, s'^taient refugies a la cour des rois de France, comme dans un dernier asile. Ces deux illustres poetes ont accompli cette mission de leur genie avec une habilete incomparable, un art infini. Toutefois, ils n'ont offert a nos regards que le cote le plus brillant de I'etat social, et ils ne representent qu'une por- tion de la litterature fran^aiseauxvii-'sifecle. lis font mou- voir a nos yeux de grands personnages dont le langage est noble, Elegant, le caractere heroique, les moeurs es- sentiellement aristocratiques. Ils savenl nous interesser a de touchantes infortunes, nous affrayer par le spectacle — 143 — (I'lmposanles catastrophes, nous altcndiir par la peinture d'uHe passion malheureuse; niais, en fin de compte, ils ne nous ont montre qu'une face de la vie humaine, et ils ont laisse dans I'ombre le revers de la medaiUe. On retrouve dans riiistoire politique, aussi bien que dans riiisloire litteraire de tons les peuples, un autre element qui, i toutes les epoques, a jou6 un bien grand role : e'est r^lement populaire qui, dans la litterature, se tradult ordinairenient par I'epop^e et la comedie. Get element si vivace au nioyen-age, et qui, depuis le commencement de cette singulif;re epoque jusqu'a la fin du xvi" sie- cle , a fait explosion dans la societe frangaise, par une foule de fabliaux, de chansons et de satires, c'est Molifere qui I'a recueilli, ou plutot, il I'a partage avec un autre homme qui, dans ses imitations, est resto lout aussi ori- (j'lnal que lui : Jean La Fontaine. Molicre a herile de nos bons aieux cette verve comique, cette humeur caustique et joviale, cette plaisanterie vive et ingenieuse, si familifere a I'esprit frangais ; il y a joint cet admirable bon sens qui n'est qu'a hii, celte observation profoiide et ce coup-d'oeil philosophique qui n'appartiennent qu'aux ages avances ; et c'est ainsi qu'il a pu tracer le tableau le plus piquant des ridicules et des travers de ses contemporains, en meme temps qu'il a devoile quelques-uns des vices eternels de I'humanite, et appele sur eu\ le mepris et la risee publique. II faut le dire en effet, a I'eternel houneui' du xvu'^ sie- cle : les ecrivains qu'il a produits ne se sont pas renfer- mes dans le cercle etroit de la peinture individuelle ; ils ne se sont pas bornes a reproduire les accidents sociaux , les formes mobiles et passageres d'une (jpoque determi- nee. Leur haute et luniineuse raison a depasse les limiles du si^cle, et embrasse, dans ses vastes etudes, Ihumanite elle-meme. Dans leurs immortels ecrits, ils nous ont laiss6, avec I'image des honimes et des chosos de ieui- tcnifis, la revelation la plus complete du coeur de I'liomme. — 144 — Toules les meres, qui sunt v^ritablenient digues de ce noni, senlirout toiijours et parleront conimerAudroniaque de Racine; toutesles femmes jalouses seronten proie aux fiireurs et au desespoir d'Hermione; et toutes celles que tourniente uiie passion coupable et qui n'ont pas encore perdu tout sentiment de pudeur, eprouveront toutes les terreurs et toutesles angoisses de Phedre.Onpeutendire autant de Molifere : quelques-uns de ses caracteres sont des copies dont les originaux se rencontrent a toutes les epo- ques et dans tous les pays. Les avares de tons les temps retrouveront leur propre image dans le personnage d'Har- pagon; il y aura toujours des homnies chagrins comme le Misanthrope, et toujours les hypocrites paliront devanl le portrait de Tartufe. Comme la manie du bel esprit est ega- lement de toutes les epoques, nous conseillerions volon- liers aux femmes quiseraient alteintesdecette maladie, de lire souvent les Femmes savantcs deuotre celebrecomique. Ce caractfere de generalite est assurement un des traits les plus saillanls de la lilterature fran^aise au xvii^ siecle; c'etait pour le genie de nos grands ecrivains la plus noble maniere d'etre original et la voie la plus sure pour arri- ver a Timmortalite ! Nous n'avons pas parle d'un autre genre que le xvn« sie- cle a aussi cullive avec le plus brillant succes, et qui sera toujours un de ses plus beaux titres de gloire : nous n'a- vons rien dit du genre religieux qui eut, a cette epoque, ses plus illustres representants. C'estque le catholicisme, qui ne releve que de lui-meme, n'a presque rien emprunt6 a l'antiquil6. Son antiquile, a lui, ce sont les temps pri- mitifs du chrisliauisme ; ses modeles, ce sont les Peres de I'Eglise. Cependant, ces illustres predicateurs du siecle de Louis-le-Grand avaient trop de bon sens pour ne pas com- prendre quel parti on pouvait tirer de I'etude des ecrivains anciens pour la demonstration de la verite chretienne. On connait I'aniour et le respect de quelques-uns pour cette — 145 — Y^n^rable anliquitd giecque et roniaiiie ! On coiiuail Tad-, miration du grand Bossuot pour Homere, dont il repro- duit parfois la grandeur, la simplicite et la naivete ! Quel respect ne professait-il pas pour Tacite , qu'il appelait le plus grand peintre de Tanliquite? Sa male et austere Elo- quence sembie nourrie de la substance meme du sublime historien des premiers temps de Tempire. Et pourtant, quelle plus forte originalite que celle del'eveque de Meaux? II est vrai qu'au milieu des solennelles emotions de la reli- gion, en presence des grands spectacles qu'il savait si bien (aire ressortir de I'instabilite des choses humaines, il u'etait pas difficile a son genie de rester om/inrtZ etde faire dispa- raitrerimitalion dans ses oeuvres, a force de spontaneite et d' inspiration. Nous pourrions retrouver encore toute la douceur et loute la correction v'mjHicnnes dans ces charmants ouvra- ges de Fenelon, ou la simplicity antique s'allie si bien au calme du Chretien, a I'aimable politesse du grand sei- gneur. C'esl surtoul dans le Tclemnquc qu'apparait, de- guisee sous les fleurs de I'antiquite, I'inspiration des temps niodernes. On sail les hardiesses politiques dont ce livre parut entache aux yeux de Louis XIV. Nous avons encore a mentionner un homme qui exer^a sur ses contemporains une sorte de dictature litleraire : Boileau semblait, par la nature meme de son sujet, con- damne au role d'imitateur , et meme de plagiaire; et cependant, il a trouv6 le secret d'etre cr^ateur dans cet Art pocdque qui est devenu le niodtMe du gotit et le code de la raisou appliquee a la culture des lettres. C'est que, independamment de cette solidite de raison qui distinguait tons ces honunesillustres, ils etaient encore doues d'une autre faculte sans laquelle I'imitalion restera loujours sterile et impuissante : ils possedaienl au su- preme degre la puissance du travail et de la rellexion. Tous ou pi'csque lous oni etc des hbmmes d'etudes soli- — UG — taires et concentr6es ; lous ont f6conde, par de longue* ann^es de meditations et de labeurs, le travail de leur pensee, siir les chefs-d'oeuvre de I'antiquite grecque et romaine. De plus, tous etaient animes par des convictions religieuses, par des principes nioraux et litteraires forte- ment 6tablis dans leur anie; avantage immense qui double le genie et dont la generation actuelle parait d6sheritee. C'est ainsi qu'en joignant les richesses litteraires de I'an- cien nionde au tresor d'idees et de sentiments enfantespar la civilisation moderne, ils ont cree le plus parfait ensem- ble d'ouvrages serieux qui puisse se rencontrer dans I'histoire des lettres. aaaCff^B. Hciiiis — Impriinoric do L. J.uk^i i-.r. SEANCES ET TRAVAUX DE L'ACADEMIE DE REIMS. ANNEF, 1845-1810. Pi° i. SOiniAlllE DE LA SE;l\fi. Correspondaiict'. —Lecture de M. Ponsiiict : Essai sur la noblesse des environs dc Saiutc-.Menchould , avec cettc epigraphe : ,Yo/;/eA-5e oblige. — Leclure de M. Gastebois : Observaliotis sur le vagabon- dage el la mendifito. — Gommunicalion dc W. Landouzy , relative k rexisteiice des (joils sur la laiigue (1). — Lecture de M. Max- Sutaine: Essai surl'histoire des vius de la Champagne (»uile). En Fabsence de MM. Ic president et le vice-presi- dent , la seance est ouverle sous la presideuce de M. Tabhe BAMHiViLLE. Le proces- verbal de la derniere seance est lu et adopte. La correspondance raanuscritc comprend : 1° des Leitres de MM. le comle de Mellet, Souiny , preire habitue, Berlier , cultivateur a Rovillc, Gaslebois , lieutenant-colonel relraile, et de MM. les procureurs du roi de Chalons, de Troyes et d'Epernay, qui (1) Cettc communication parailra dans la prochainc livraison. 11 — 150 — adresscnt leur adhesion an Congrcs scicntifiquc ; — 2' line LtUrc de M. Ic maire de Reims, annoncmt qu'il iui est impossible de mcltre le grand salon de la mairie a la disposition des membres du Congres ; — ■ 3" line Lettre de M. Benoit, qui deraande la nomina- tion d'nnc commission chargee d'examiner la limpi- dile et la qualitc de la biere gazense qn'il fabiiqne; I^IM. Lecomle, DnqucncHe, Derode , Gonel et Lan- doiizy coraposent celte commission; — 4" une Lettre de M. Boucho, qui prosenle a rAcadcmic, au nom de M. Millet, un Traile siir le homage ; — ^''de noiivelles questions pour le Congres ; — 6" un Essai sur la no- blesse des environs de Sainle Menehould, avec cettc pigraplic : ISobicsse oblige, par M. Ponsinet. La correspoudance irnprimee comprend : t' les ComptesRendns de TAcademie des sciences, t. \x, n" 26; — 2" Ic Journal cles savants, Juin 18''i5; — 3" un Traite du bornage el de la eompe'ience des actions quicnde'rivent, purM. Millet, licencie en droit, jiigc de paix a Sissonnc (Aisne); — 4" un Memoire stir les ir- rigations, parM. Gasiebois, lieutenant colonel rotraile, membre du Cornice agricole, a Lachy, pres Sezanne ; 5' un Memoire siif V organisation des gardes chavrpe- tres en brigades canlonnates , par le meme ; — 6" un Memoire sur Vaholilion du droit de pareours , par le meuic. 0 — lot — LKCTl'RE I)E M. GASTEIiOIS. Observations sur le Vagabondage et la Mendicili Une circiilaire fie M. !e ministro de I'interieur du 31 Juillct 185-0, aclressona MM. les prefets, prescriTait (ies n.esiires pour qiril fiit eiabli dans cliaque com- mune un t'lat dcs mendianls et indiycnls. Ces etals devaient etre recenses par canton, puis par arron- dissenient et deparlemcnt, et sans donte il devait en resulter une statistique generate du royaume. D'apres ces dispositions, nous esperions que legoii- Yernement, saisi de ce tableau, prendrait des mosiires efficaces pour la repression du vagabond.ige et rextinc- lion de la mendicite , fleaux dangereux qui infeslent la France et pesent si lourderaent sur ks cultivaleurs et les feriniers des carapagnes. Cependantnotreattentc a ele trorape'e ; nousn'avons vu aucun resultal de ces sages prescriptions. Dans nos environs, plusieurs des commissions canlonnalescreees pour faire les recensemenls des elats communaus n'ont pas raeme etc reunies une seule fois. Done il a ele' impossible qu'il fiit etabli une statistique departe- mentale, n'y ayant point eu de recensemenls canlon- naux. Je crois pouvoir expliquer la principale cause de cette non-execution. — 152 — Dans I'ctat que cliaque commune devait dlablir, ily avait uiie division oil Ton devait porter nomiiialive- ment Ics uieiidianls elrangers a la commune qui vien- nent y mendier. Celte mesurCj ayanl ele consideree par les autoriles muuicipa!es d'une execution a peu pies impossible, les arrela, el beaucoup nefournirentaucun renseigneraent. II est certain que celte prescription e'tait non-scule- menlinexecutable, mais encore inutile et fautive. 1° Inexe'cutahle : Parce que, dans nos campagnes, communes ouvertes, couiposees dc hameaux, de mai- sons eparses, il serait impossible a un homme , nienie cluirge specialemeut dc ccMe besogne, de dresser un etat exact di'S mi-ndi ants etrangers qui s'y prcsentent, ces mendiants n'elant pas toujours les mcMncs, ne te- nant pas a jour 6xe eln'exploitant pas toutcs les mai- sons, toules les rues el tons les hameaux dans leurs lournees. 2° Jnulile : Parce que chaque commune donnanl , comme elle pent le (aire, un etat exact de ses mendiants domicilies, celte seule categoric comprendiait tousles mendiants possibles, puisquc ceux qui n'ont point de domicile sontalors en etat de vagabondage, doat les commissions derccensementn'avaient pointas'occuper. 3" Fautive: Dans une commune, on inscrirait un mendiant elranger souslenom de Pierre, dans une au- tre, sous celui de Paul ; dans un autre canton, sous ce- lui de Philippe ; enfiii, dans un autre departement, sous lous ses prenoms. Au recensement general , il se Irouverait trois ou qualre mendiants pour un , sans qu'il soit possible de s'apercevoirdererreur. Les inslruclions miuisteriolles et le travail demande aux communes ayant fait presumer qu'il s'agissait du - 153 - sotiljiqenienl desindiMntsct de rextinclion de la men- dicilt", ['ai eu occasion do m''assurer que, dans beau- conp de coiiinmnos , on otait dispose a exagerer le nombro des indigents et leuis besoins , dans I'espoir que le gouvernement viendrait au secours des commu- nes qui paraitraient surchargees. Pour prevenir cet abus, il eat fallu faire presscnlir, ou meme declarer que chaque commune serait appelee a enlrelenir el se- courir ses indigents. Alors on n'aurait porte sur les etats que les vrais ne'cessileux , dont le nombro se se- rail trouve bien raoindre que celui porle aux slalisli- quespartielles et aux recensemenls qui ont ele elablis cl qui ont dii eflVayer. Quciles que soient les mesnres que le gouverncment veuille prendre relalivement a la mendieitc et aux se- cours aaccorder aux indigents, il est, scion moi, indis- pensable que le recensemeni piescrit par la circulairo rainislerielledu 31 Juiliet loW ait lieu, en supprimant toiilefois, sur les elats a fouruir par les communes, la calegorie des niendianls el rangers ou non domicilies, pour k'S raisonsque j^en ai donnecs plus liaut, et en y ajoulant, par observation, les moyens que chacunc d'elles pent avoir deja, et ceux quelle pourrait se cieer pour assurer la snbsistance et, rentrclien de ses neees- siteux. Les conseils municipaux et les membres des bu- reaux de bienfaisance reunis ftraient ce travail , qui serait divise par categories, suivant le degrc d'lwdi- gence,rage, les inDrmites de chacun, qui les metlenl plus ou moins dans rimpossibllite de se suffire par le travail. Les rocensements deces elats faits p;ir cantofi, arroiidissi'ment el depjutiMncntj reunis au minielero, et la slalisli(j;ue generale elablie , il serait I'aciie au gou- - 154 — verneinenl cle juger des mesures a prendre conlre le fleau en question. Pour ariivei' a uti bon et prompt resnltul, il n'yau- rait rien de mieuxa faire que dempecher la meudicite etd'arreter en principe que chaque commune nourri- rait et entreliendrait ses indigents a domicile. Je ne pretends pascependant que cette mesure soit absolue et sans recours ; il peut se faire qii'il y ait en France quelques communes assez mai parlagees en ressources pour qu'elles ne puissent suffire a cette ta- che; mais alorson connaitrait par leurs statistiques, controlees par les conseils d'arrondissement el de de- parlement, quels seraient les secours a leur accorder. Pour ce cas, le gouvernement aviserait a quellesource on aurait recours. Comme les communes conlribuent toutes aujourd'hui paries aumdnes(forcees en quelque sorte) a nourrir les mendiants du pays, quelle que soit la commune d'oii lis sortent, il serait juste et ration- nel, je pense^ de les rendre solidaires entre elles, par canton, pour assurer I'existence des indigents de ce meme canton, et au besoin remonter du canton a I'ar- rondissement , de Tarrondissement au departement. Le gouvernement lui meme viendrait au secours du pays trop surcharge, cas qui tres-cerlainement sepre- senterait rarement : car, corame je I'ai dit, le nouibre des vrais indigents est bien moins eleve qu'on I'a tou- jours cru et qu'on le pense encore generalement , et les ressources pour subvenir a leurs besoins reels beaucoup plus grandes qu'on ne 1^, pense egalement. On s'en est trop rapporte aux statistiques erronees et mensongeres qui ont jusqu'ici ele faites. Ne savons-nous pas aussi que beaucoup d'individus qui so liTrent a la mendicite, qui perdent ainsi leur — 15a — temps a celte imnioialc iiuliistrie, peuvcnt encore s'occuper a qiielque travail et gagner le quart, la moilie ct plus do lenr nourrilurc?... Elles secours qii'ilsdoi- ■vent recevoir el qu'lls recoivcnt de leurs families , qii'il convient de slimuier, n'est-ce pas deia les pre- mieres ressources, la premiere economie ?... D'aiileurs, les communes, obligees d'enlreienir leurs indigents ^ sauraient bien , dans leur sollicitude , trouver les moyens d'y siibvenir. J'ai vu el lu beaucoup d'oavrageSj de projels sur rexlinction de la mendicite^ j'y ai cerles remarque de belles, de savantes et fastueuses theories, niais tons plus ou moins inexeculabies par leurs grandes eompli- calions et les depenses enormes oil ils entraineraienl, soil les communes, soil le gouvernemenl. Telies sent lesgrandes maisons de depot pour y recevoir les va- gabonds el les raendiants. L'etablissemcnl de ces mai- sons, Icur entretien annuel, le salaire des employes, pelils el grands, absorberaient seals cequ'il en coute- rait pour nourrir a domicile les mendiants pendant nombre d'annees. Moil projet est certainementd' una execution prompte, facile, economique el beaucoup plus morale que ceux qui proposent la reunion en depots. Je dis plus moral, et j'insiste sur cette expresH^ion parcequ'etleclivemenf, en leur procurant du travail et les entretenanl a duiui- cile, la morale y gagnerait beaucoup, en ce sens , d'a- bord, que la charite qu'on se doit entre membres d'une meme famille, d\uie meme communaulc , pourrair, s'entretenir encore; que, d'un autre cote, les indi- gents reslant sous les yeux et parmi ceux qui les aident, qui les soulagcnt dans leur misere, en conser- veraienlquclques scutimenls d'arailie etde recounais- — loG — sance qui les porteraient a bion faire, a se rcnrlre di- gnes de cetle charile qu'on pralique enverseux. Tout le conlraire arriverail dans les dc'pols, que les mallieu- reux eux-memes ne voient qu'avec degoiit et horreur merae. Pour I'execution de raon projet , il serait cree dans chaque commune un bureau de bienfaisancequi admi- nislrerait et repartirait le travail^ les rcssources el les secours. Les ressources qu'ont les communes, cellesqu'elles peuvent se creer, etcelles que le gouvcrnement pourrait raeltre a leur disposition, sont : 1° Ce que pos?edent aujourd'hui les bureaux de charite et de bicnfaisance. 2" Cequc les oomuiunespourraient verserala caisse de bicnfaisance sur leurs revenus communaux ou cen- times additionnels. 3" Le produil des queles faites a I'eglise ou a do- micile. 4" Le produit do souscriptions volonlaires; et on en Irouverait, tant le fleau de la mendicite est a charge, dans les campagnes surlout. 5" Les retributions que Ton pourrait exiger des raai- sons de danse et do bals publics (1), des marcliands ambulants, des menetriers qui viennent s'installer sur les places. les jours de foires, marches et fetes patro- nales. (1) Dans nos campagnes, la jeunesse ne danse plus sous I'orme scculairc, les dimanches et fetes, en presence des vicux parents qui s'en arausaicnt ; les cabaret iers-cafeticrs, dansl'interet de Jeur debit, Jivrent des salles de bal oil Ton danse unc partie des nulls, au grand (K'lriment de rordrcct de la morale. II y aur-tit done double motif |)our imposer ces raaisons-li'i. — Ifi" — 6" Lc proflilit i commentateurs se tourmenteront fort pour expliquer ») cc profh dans Pordre des Coteaux, et qu'on pourra » bien le corriger en lisant : Profes dans Vordrede Cis- V teaux, par la raison que I'ordre des Coteaux ne^se >> trouvera pas dans riiistoire ecclesiastique , et que » les gens de ce temps-la ne sauront point que cet » ordre iieloil (ju^uue sociele de fins de'bauchez, qui vou- >) loient que le vin quils buvoient ful d'un certain co- » tcau, el quon appeloil pour cela les Coteaux. » 31aintenanl que nous scavons ce qu'etait I'ordre des — 161 — Coleaitx, clierchons un peu quels elaient les veritables pwjes de cette societe gastronomique. Des Maizeaux nous en dit quclfjue chose dans sa vie de Saint-Evre- niont. Apres avoir parle de quelques grands seigneurs qui tenaient table ouverle et faisaient assaul de bonne cliere, il ajoute : « M. de Lavardin, evetjue du Mans , » et cordon bleu , s'eloit mis aussi sur les rangs. Un » jour que M. de Saint -Evremont nKingeoit cliez lui , » eeteveque se prit a le railler sur sa dolicafesseet sur » cclle du comle d'Oionne et du marquis de Bois !)au- » phin. Ges messieurs, dit ceprelat,outrenttoiil a force » devouloir raffiner sur tout, llsne sauroieiit uianger » quedu veau de riviere, il fautque leurs perdrixvieu- » nentd'Auvergne, que leurs lapinssoienl delaKoche- » Guyon ou de Versin, ils ne sont pas moins difticiles » sur le fruit, et, pour le vin, ils nen sauroient boire »> que des iroiscoleaux d\iy, d' Haute i Hers et d\ivenay, » M. de Saint-Evrenioiit ne manqua pas de faire part » a ses aujis de cette conversalion , et ils repeterent si )) souvent ce qu'il avoit dit des coteaux , et en piaisan- » terent en tantd'occasions qu'ou les appela : lis Iruis » coleaux (1). » Ainsi done, ce fameux ordre se composait de Saint- Evremont, du comte d'Olouneet du marquis de Bois- Dauphin, c'est-a-diredes troisplus tins gourmets du xvii'^ siecle, etcesillustresbuveurs n'admeltaient sur ieur table que les vins d'Ay, d'Hautvillers et d'Ave- nay. C'est-la, certes, un bel hommage rendu a la Cliam- (1) Voyezla grande edition des ttuvres de Boileau, avec cornmen- taircs {Amsterdam , 17 20, chez Franrou Chamjmjon) . Le nom des commentateurs n'est pas iadiquc; mais ce sont Brosselteet du Mon- tcil. — 162 — pagne, un titre de noblesse , dont la tradition doit se conserve!', et qui esplique la vogue dont nos vins jouis- saient alors, et le haut prix qu'on les payait. La FacuUe, d'accord avee les connaisseurs les plus distingues du grand sieele, vint encore con firmer par son suffrage la faveur dont ils etaient rohjel. Elle de- clara solennelleraent que le Champagne etait , non- seulement le meilleur, mais encore le plus salutaire de tons les vins. Je parlerai un pen plus loin de ces theses qui firent un certain bruit clans le l( mps. En verite, quand on sereporte a ce concert unanime d'eloges, a cette entenle cordiale des docteurs de !a science et des mailres en I'art de bien vivre, on n'est plus etoniie que I'abbe d'Hautvillers, Louis de Chau- mejan de Fouriile , ait vendu son vin 1,000 liv. la queue, en 1G94. C'est qu'aussi 1 abbaye d'Hautvillers possedait a cette epoque un de ces hommes remarquables qui per- feclionnent tout ce qu'ils touchent, et pour lesquels la science n'a pas de but si eloigne , qu'ils ne finissent par atteindre. Get homme etait Dom Perignon , ne a Sainte-Menehould, vers Tan 16i0, et mort le 14 Sep- tembre 1715, a I'abbaye dont il avait etc longtemps le procureur. Charge, en cette qualite , du soin des vignes du monastere, il fit de la viniDcation un art ve- ritable. Des etudes serieuses et un palais d'une delicatesse desensitive I'avaient amene adistinguer les plus l^geres nuances dans la saveur des raisins, et lui permirent d'assortir avec succes les fruits de vignes diffe- rentes. De nombreux essais le conduisirent a une me- thode certaine a I'aide de laquelle il sut donner aux vins dela communaute ce bouquet et cette richesse de — 163 — gout qui leur \alurent I'irumensc ri^piitation dont ils joiiironl loiigteraps. C'est pendant qii'il avaitla direc- tion des pressoir^ de I'abbayc qu'il olslinl ceprix pres- que fabidciix , dont nous paiiions lont-a-riieurc , ct qui, probablement, n'a jamais ete atteint depuis. Doni Perignon fit faire d'immenses progresa la cul- ture de la vigne, donna un nouvel essor an commerce de la Champagne, et raerila bien de ses liabilants. Les liommes qui n'ont eu d'auirc merile ipie cclui d'etre simplement ulilesaleurs scmb!ab!es, ct que des acUons brillantcs, des succes retentissanis ne signa- lent pas a la poslerite, sont bien vite oublies. l\ien a Hautvillers ne rappelle Dom Perignon, et si, dans la Biographie nnivcnelle, une main pieuse nelnieuteon- sacre quelques lignes, lout souvenir de lui aurail dis- paru. Je me trompe cepcndant, il en cxiste un autre en- core. Le vin fail par I'illustre benedictin etait si ex- quis, et lui valut une telle renommee , que son nom devint bicnlot europeen et inseparable de celui de la eommunaule dont il etail le regisseur. Les aclieicurs qui sefournissaient a I'abbayc recommandaient sur- tout qu''on leur envoyat du \in de Perignon , et la vogue qu'il obtint donna lieu a une erreur singuliere de la part des commentateurs de Boileau , que nous avons cites itreccdeniment. Ces honneles litterateurs, qui ne se piquaieni pas, sans doute , d'une exactitude geographique irreprodiable , en donnant, toujours a propos de la satire du I'estin , une liste des meilleurs criis de la Cliampagne, signalent surtont aux amateurs ceux de Sillery, Hautvillers, Ay, Perignon , Taissy, Verzenay etSainl-Tliierry. Ainsi Dom Perignon, grace a ces braves gens, cut riionueur de passer pour uu vignoble ! — 16i — En 1743, la rt^colte ful abondante et paifaite, e( , dil a ce sujet Dom Ghatelaia , a lorsqiie Louis XV » passa par Reims pour se rendre a Metz , on en but » considerablement et avec la plus grande joie du » monde, pendant trois jours que le loi resta dans )) noire ville. II iie fut plus question d'en faire veuir » de Bourgogne, iii dc Laon, ni uienie de Beauvais , » quoique les MM. de Beauvais se glorifient d'avoir » livre de leurs \ins a Reims dans differentes circon- »> stances , comnie il est ecrit dans leur carlulaire. » C'etait saus doule dans des annees manquees en » Champagne (1). » Nous voyons, d'apres ce qui precede, qu'une lulte laborieusej paliente, exista , pendant de longues an- nees, entre les vins des provinces de Bourgogne et de Champagne. Celui-ci , humble ct modeste d'abord , apres avoir cede timidement le pas a son redoutable rivaly se perfectionne avec le temps, prend son ratig, etvoitse prolonger jusqu'a nos jours la vogue qu'il a su conquerir il y a deja plusieurs siecles. Mais la guerre sourde que se faisaient les deux concurrents linit par eclater, ct de nombreuses lances se rompi- reut en Thonneurdes nobles champions. L'histoirede nos vins ne serait pas complete si nous ne disions quel- ques mots de ces combats, oil sejouait la question de preseance entre les deux rivaux. lis ne sont pas , du reste, un des trails les moins caracteristiques de cette epoque, oil nos peresdepensaient en disputes sorbon- niennes et litteraires ce besoin de polemique , cette (1) Dom Chatelain, qui avail un certain penchant pour le jeu de mols, et n'titait pas loujours difficile sur le choix, ajoute : « Car, de diic qu'un Rcmois ait bu de preference du vin de Beauvais a celui de son pays, ce serait rcentir au saint esprit (de vin). [Texluel.] — i6S — ardeiir tie discussion que nous usons, nous, aus apres et irritauls debats de la politique. Vers le milieu du XVII'' siecle, en 1652, inquietee de la faveur dont jouissait le Champagne , la Bourgogne s'emol et fit soulcnir f>ar un nomme Daniel Arbinet , dans les ecoles de Paris , et en faveur du vin de Beaune , une these dont la conclusion fut : Erfjo vi- num helnense potaum est suavissimus ; ita et salubern- vnis. La Champagne riposta hardiment, et fit, a son (our, decider absolumont le contraire, le 8 Avril I677j par M. de Revelois, qui demontraque de tons les vins, les notres sont incontestablemeut les plus salutaires (1). Puis, se drapant fierementdans ces Iriomphantes con- clusions, la Champagne attendit. Apres un silence sournois d'unevingtained'annees, la Bourgogne, qui avail mis le temps a profit pour i-e- construire ses batteries demantelees , recommence les hoslilites , et en 1G9G , se presente au combat armee d'lme tliese d'un sieur Matthieu Fournier, qui declare, entre aulres enormites, que les vins de Reims engen- drent les flusions d'humeurs el la gouttc. Le coup etait d'autant plus rude qu'il elait inat- tendu ; mais les Champenois , au lieu de courbcr la tete, soutinrent bravement le choc , et leur courage grandit avec le peril; la reponse ne se fit pas long- temps altendre. Aux bottes sourdes qu'on lui JDortait, Reims riposta par un coup droit qui atteignit I'adver- saire au coeur. Le 5 Mai 1700, M. Gilles Culotteau de- cidait affirmativement cette question, agitee dans nos (1) An vhium rcmcnse sit omnium saluherrimum? Atrnm. Autore de Revelois, anno 1677. 8 Avril. Bibliotheque de Reims. — 16G — ecoles de raedecine : « Le vin de Reims est-il plus » agreable et plus salutaire que le vin de Bour- » gogne ? » En Ire autres arguments irrefutables qu''on jetait a latete des adversaircs, on invoquait, a I'appui de la (hese, la longevite d'un nomme Prerre Pieton , \igne- ron dllaulvillers, qui, apres s'ef re marie a 110 ans, avail atteint sans inQrmite I'age de 1 18 ans, et on por- tait a nos rivaux le deQ de citer un fait semblable en leur faveur. Oh ! pour le coup, Messieurs de Bcaune se facberent lout deboii. lis Irouverent fori mauvais que la Cham- pagne, traiireusement attaquee dans ce qu'elle avail de plus cher , se defendit si vigoureusemenl. Un M. Salins I'aine (docteur de la faculte de Beaune , ma foi!) se devoua eourageusement el redigea coiilre la these deM. Culolteau un terrible faclumdevingt-trois pages , danslequel il prodigua , si nous en croyons ses adversaires, plus de inauvaise humeur que de bonnes raisons. De courtoises qu'elles avaient ele jusqu'alors, les armes deviurent acerees et Iranchantes, et la dh- cussion s'envenim 1. Un medecin de Reims, M. Le Pes- chcur (1), ropondit a M. Salins I'aine , qui riposta a son lour par une troisieme edition de sa fameuse lettre. Si bons qu'on les dise, les Champenois sont entetes parfois. M. Salins n'eut pas le dernier : sa troisieme edition fitsurgir un nouveau champion remois, dont la valeur s'exhala dans une energique et triomphante diatribe dirigee conlre I'imprudent Beaunois (2), (1) Lettre deM. . . a M. . , auleur de la these qui condutque le vin de Reims est plus agteable et plus sain que le vin deBourgogne, datee de Paris, l"Fevrier 1706. — A Reims, chcz Pottler. (2) Ueponse a la troisieme edition de la lettre de M. Salins a'ne, Reims, l" Avril, 1706. Reims, chez N. Potlicr, 1706. — Toutes ces pieces tres-rares sont conservees a la bibliotheque de Reims. — 167 — Aiiisi, attaqiie, defense, riposte , rien ne rnanqua a celte guerre, qu'un episode assez bizarre vint encore egayer. Salins de Beaiine avait a Dijon im frereauquel il envoya , pour !e revoir, son victoricux niemoire oontre Ic \\n de Champagne. Le Dijon;iis,s'appliquant I'ancien sic vos non vohis, troiiva piquant de s'appro- prier le travail de son aine, et le fit puhlier sous son nom. Grande futla colere du docteur heannois, qui, dans son indignation, revela a lous la Irahison i\(} ce IVere impie ct plus me'chant qiCun cnnemi declare; frater im- piiis, pejor hoslibus , et revendiqua I'lionncur de son ecrit. Celte petite the'ba'ide , selon leur expression meme, etaitpour leslleraois une trop bonne fortune pour qu'ils la laissassent ecliapper. Aussi les plaisauteries ne ta- rirent pas sur les fiires ennemis, el on leur appliqua cette parodie de I'epigranjme de Racine, contre Le- clerc et son ami Coras (1) : Faites cesser ledebat ties Salins Sur le propos de leur leltre impriraee Plus d'une fois contre le vinde Reims, Uont ils voudpaient ternir la renomraee. Certes, dit I'un, I'ouvrage est de mon crii ; Non pas, dit Taiitre, il est mien ct non V(Jlre ; Mais aussitot qu'on leur cut repnndn. Plus nevouluiravoir fiutl'ini ui I'autre. Les borncs que nous avons assignees a noire tra- vail ne nous permetlent pas de rapporter tous les ar- guments qui on I ete invoques pour ou contre le vin de (I) Entre Leclerc et son ami Coras, tous deux autcurs rimantde compagnie. . . — 1C8 — Reims. 11 en est un cependant qui nous a paru si cu- rieux, que nous n'avons pu iV'sister au desir dele con- signer ici. Le traducieurde la these de M. Gilles Cu- lolleau, en pnbliaiit son ffiuvre, ^la fit precedcr d'un aveilissenient, oil lui-uienie cnlre en lice et combat pour I'honneur de nos vignobles. Apres avoir signale quelques-unesdc leurs qualites, 11 ajoule : « Au reste, )) il faut compter pour quelque chose ce qu'un lanieux » maitrede musique et savant dans les belles-lettres , » a rcrit a un de ses amis snr ce sujet : il dit que le » vin de Reims otant constamment celui de tous Ics » vins qui inspire la meilleure musique et qui la fail )) mieux exe'culer, on ne devait pas oublier une si » bonne chose dans son eloge. Je le crois sur parole » et sur les preuves physiques qu'il enadonnees. l)u >) reste, je ni'en rapporte tres-volontiers aux favora- » bles experiences que les musiciens ont failesde cette » liqueur pour leurs usages particuliers ; cela vaut » mieux que des raisonnements physiques (1). » Certes, nous ne nous allendions guere a cet argu- ment, et nous regrettons foBt queTauteur, inconnu du reste, de cette preface, ne nous ait pas laisse le nom de son fameux maitre de musique. La Champagne , qui avail conserve de la rancune contre la Boiirgogne, ne laissa pas son adversaire en repos , et revint plus d'une fois a la charge dans les ecoles de Reims ou de Paris. JVousciterons encore , pour memoire seulement , les qiielques theses qui ont ete soutenues en faveur de nos vins. (1) Lettrc (le M. *" a vn mMec'm de ses amis. — Reims, 27 Oc- fobre 1700. En tele de la traduction de la question agitde le 5 Mai 1 700 aux ecoles de mMecinc de Reims. — 1(19 — IVaburd nil M. Jean -Francois, renvoyant a MM. les Boiiiguignonsle reproclie qu'ils avaient fait en 1652, a nos vins, fait souteniren 1739, a Paris, que levin de Bourgogne donnait la gonlle. Plus tard, Robert Linguet declare de nouveau que le vin de Ueims est anssi .sa/d/a/re qu'agreable. Ensuitenons voyons M.Xavier aflirmer , en 1777, que le vin de Champagne guerit les tievres putrides. Puis enfin , M. Clianq)agoe-Dufresnay prouve, en 1783, a Reims, que nos vins I'emportent sur tous les autres vins, soit indigenes, soit etrangers (1). Apies ces modesles conclusions , nous ne savons. (rop ce qu'on aurait pu ajouter encore, et nous croyous que ct tte these est la derniere oil Ton ait agite la question depreseance du Champagne. Du rcste, on le voit , la Faculte ne nous a pas faitdefaut ; elle a sou- tenu dignement Thonneur de nos vignobles, el les nie- decins patriotes ne nous out pas manque. Dans celte lulte nationale , les Muses ne pouvaient rester silencieuses : elles prirenl part a la melee ; les deux camps compterentdes poeles, qui , pareils aux anciens trouveres, excitaient par leurs chants le cou- rage et I'ardeur des anciens combatfants. Le premier, pour la Bourgogne (car la Bourgogne jalouse, nous harcelait toujours), Benigne Grenan (2), emboucha la trorapette guerriere. On connait son ode au vin de Bourgogne, ilont nous ne citerons que cette strophe : (1) Aniam cxoiicis, turn mdigenis vhiin prcccellat campanum?' Affirm. Bibliotheque de Reims. (2) lienisne Grenan. nc a Noyers, en Bourgogne, i.rofesscur au col- lege trilareourt. Son ode est do 1 7 1 1 . Kile a ole ecritc en latin. La tra- duction quo nous en donnons est de M. de Bellcchaume. — 170 — Vante, Champagne ambitieusc, L'odcur et I'tJclat de ton vin , Donl la sevc pernicieuse Dans CO hrillant cache un venin. Tu dois toute ta gloire en France, A cette agreable apparence Qui nous attire et nous seduit ; Qu'aBeaune ta liqueur soumise Dans Ics repas ne soil admise Que sageraont avec le fruit. Le gant fut releve par Charles Coffin (1) , qui re- pondit par sa Champagne venge'e (2). En voici egale- ment une stance, qui prouve que I'apparition du Cliam- pagne produisail sur nos aieiix riiupressiou qu'elle produit encore de nos jours. Sitot que sur de riches tables, De ce nectar, avec le fruit. On sert les coupes delectables, De joie il s'eleve un doux bruit ; On voit meme sur le visage Du plus severe et du plus sage Un air joyeux et plus serein; Le ris, I'entretien se reveille II n'est plus de liqueur pareille A cet elixir souverain. On sait que la ville de Reims, reconnaissante , en- voya a I'auteur qualre douzaines de bouteilles de vin rouge et gris (3), qui inspirerenl a Coffin le quatrain suivant : (1) Ne en 1676, a Busancy, diocese de Reims. (2) Campania vindica/a, sire lans vini remensis apoetd hiirgundo eleganter qiiidemsed immerito c!/Z;jo?(. Traduction dede Bellechaume. (3) Le vin gris, ainsi nomme parce que sa couleur est tres-legere, est, pour ainsi dire, incounu maintenant. 11 en existait de deux sortes : f elui qui se f.iisait en melangeant des raisins noirs et blancs par parties a peu pres cgales; puis celui qu'on obtenait avec des raisins noirs sculemcnt, mais qu'on laissait alors fermenter peu de temps dans les — 171 — Par un si beau present on vide la querelle : Wcllez les amies bas, Bourguignons envieux, Et confessezquerodcla plus belle Est celle qu'on paye le mieux. LeBourguignoii, cependant , ne setint pas pour baltu; il revinta la cliarge, et dans une epitie en vers adressde a Fagon, medecin dc Louis XIV, s'eleve con- Ire les pretentions champenoises(l). Aussitot la Champagne de riposler par cette epi- gram lue : A ce que jc me persuade Sur la qualite des bons vins, Grenan, ta cause est bien malade : Tu consultes les medecins. Cette petite guerre devait finir par des plaisante- ries , ainsi qu il arrive souvent pour des debats plusserieux. Un loustic, s'adressanta Grenan, lui de- coclja quelques rimes , oil , apres Ini avoir dit qu'ils feraicnt bien mieux de se batlre le verre en main qu'a coups de plume, il ajoutc : Ainsi, puisqu'a nous huraecler Ce jour seinble nous inviter, Ne diflerons pas davantage. Ou de Beaune ou de I'llermitage Vous nous fournirez le plus fin, Puis, nous en boirons de Coffin, Si mieux n'aimez, par complaisance, Fournir vous scul a ladcpense : cuves.afin quil pritmoinsdecouleurctconservalplusde finesse. Cette derniere sorle etait incontestablcment superieure a la premiere. (1) Adclafissimum vintm Cunloncm Crescentium F(ioon,ii( smm bimjundo vim prwstantiam advcraw cumpomm vinum afferat. Traduit pardc Bellecbaumc. — 172 — Mais avcc nous [loiiit de Norniands ; Surcefait, ilssont ij^norants. Un franc Bourguigiion se fail gloire D'etre avec uu Remois a Loire ; lis sent lous deux bons connaisseurs, Et nesontiias moins bons buveurs (1). Ainsise termina cetle liitte memorable , oil les ad- versaires combattirent avec une egale valeur, et qui fit dire a un de nos liistoriens que « tous ces debals ne prouvaient qu'une chose, a savoir : que les vins de Champagne et de Bourgogne elaient excellents tous deux; car s'ils n'eussent pas ete aussi bons, on ne s'en scrait pas autant ocoupe. » Mon impartialite d'historien m'oblige de declarer que j'admire la profonde justesse de cette reniarque, el que j'adopte sans restriction ses conclusions. (I) Ces diflerentes pieces , avec deux ou trois autres encore, out ete reuniesenune petite brochure tres-rare. Paris, chez la veuve de Claude Thibout et Pierre Esclassan, 1712. Les biographes font parfois de singulieres erreurs. Ainsi oatrouve dans cerecueilque nousvenons deciter un dicret (en vers) rendu par la facidli de Cos sur la re- quete adressee au 7nMeci7i Fayon. Cette piece, cntierement bourgui- gnonne, n'a pu etre composee que par Grcnan, ou un de ses amis; or, la Biographie universelle I'attribue a Coflin, ce qui est complete- teinent impossible. — 173 — CUAPITRE III. DCS charges que stipportnient les v'ms du pays de Reims, el des privileges donl ilsjouissaienl aulre/ois. Avant de terminer I'liistoire des vinsde la province de Champagne en general, etde comraencer celle des ■vins mousseux, qui exigent une notice particuliere et speciale, j'ai pense qu'il ne serait pas hors de propos de rappeler ici certaines charges qui pesaient sur nos vins, et les privileges dont ils jouirent sous rancienne monarchie ; puis je consacrerai quelques pages a I'an- tique et utile institution des courtiers. Dos leur aytparilion, nos vins eurent a supporter des droits considerables, et Tadmirable habitude de leur faire payer une bonne part des iuipots s'est religieu- sementconservee jusqu'a nos jours. En 1294, Philippe le Bel fait entourer Reims de fortifications, et , pour les payer , greve les vins d'uu droit eleve (1). En 1418(le ITNovembre), Charles VI abandonne au conseil de la ville le droit de 2 sous parisis (2) par queue de vin, vendue en gros, etcelui de 2 sous pour (1) Dom Chatelain. (2) On sail que la nioiinaie/)r//-/.vi- valait un quart on sus de la niou- Wd'ictournois. 4 deniers parisis I'aisaient .> tlcniers tournois; ainsi, ? sous parisis faisaient 2 sous 1 12 ou 30 deniers tournois. — 174 — livre sur la vente en detail, et ce, pour Taider a repa- rer les fortifications el reniparts(l). En 1430 (7 Septembre), et toujours pour reccvoir la meme application, le droit est eleve a 2 sous 6 de- nicrssur cliaque poincon de vin qui entrera a Reims, sans exemption pour les nobles. Le 3 Octobre 1437, Charles VII, qui faisait le siege de Montereau, concede a la ville de Reims, par leltres patentes datees de son camp, permission de lever sur cliaque queue de vin 2 sous parisis , outre les 2 sous qu'on percevait deja depiiis 1429, et de plus de 4 sous sur cliaque queue de vin de Beaune , et autres pays etrangers (2) , le lout pour aider la ville a rembour- ser I'emprunt conlracte par elle pour les provisions de guerre : canonniers, pionniers, etc., etc., envoyesaudit siege. En 1543, Reims avait ete imposee d'une sommede 14,000 liv. pour solde de quaire mois de 50,000 fan- tassins deinandesparle roi Francois I". Nouveau droit sur les vins pour faire face a cette depense (3). En 1575 (19 Fevrier), Henri III fait percevoir un droit de transit de2 sous 6 deniers sur chaque queue de vin qui traverse Reims. Ce droit est aboli le 24 Mars 1614, par Henri IV. Le 12 Aout 1603, ce prince avait aulorise la ville a lever, outre les 2 sous 6 deniers payes precedem- ment, un nouveau droit de 7 sous 6 deniers (soit en (1) Ces rcnsoignementset ceux qui suivent sont tires du cartulaire (le la ville. (2) On salt que la queue de vin faisait deux pieces , environ 4 hec- tolitres. (3) F^ellrcs patenlesdc Henri II, de Saint-Germain-cn-Laye, 18 Dc- ccmltre 1348. — 175 — tout 10 sous), pour Taider a payer une soinme de 1 ,400 liv., montanl de sa contribution pour la gendar- merie. Outre ces droits, les archeveques , en leur quality de seigneurs de la vicomte de Reims, prelevaient sur chaque piece vendue en gros 2 deniers parisis, a prendre sur le vendeiir, et quand le vin etait raene hors de la ville, le char devait h deniers parisis (1). Aujourd'hui I'octroi de Paris percoit le droit enorme de 40 fr, par piece de deux hectolitres (2). Les foires qui se tenaient a Reims donnerent lieu a quelques privileges auxquels participerent aussi les Tins. Ainsi, pendant la foire de Saint-Remi , la plus an- cienne de toutes, celle de Paques, instituee en 1 170, par Henri de France, notre 50'' arclieveque, celles des rois el de la Magdeleine, accordees au mois d'Avril 1521 a la ville, par Francois I", pour I'indemniser des depenses faites a son sacre , toutes les marchandises dtaient exemptes du sol pour livre. (1) Ordonnances des droits de la vicomte de Reims, emologudes par la coin- du parlementde Paris, en 1523. — Reims, chez S. de Foigny, 1634. (2) Voici unelistedes droits que lesvins mousseux ont a supporter daus les divers etats actuellemeiil de I'Europe : par bouteille. a Paris , 28 cent. a Berlin et dans tout le Zollverein, environ 1 fr. a Vienne, environ 1 fr. 30 cent. h Saint-Petersbourg, environ 3 fr. 60 cent. a Londres (12 penceset 2d. par douzaine), environ 1 fr. 25 cent. a Varsovie, environ 1 fr. 25 cent. a Madrid, environ 37 c. 1/2 a Hamljoiirg, environ 02 cent. — 176 — Par leltres patentes du mois d'Aoiit 1547, Henri II coiifirme cetle exemption des 12 deniers pour livre, et de plus, accorde un delai de quinze jours , durant lesquels on pent enlever hors de la ville , francs et exempts du meme droit, tous les vins vendus pendant lesdites foires (1). CHAPITRE IV. Hcc Courliers. Nos peres, qui savaient si bien apprecier leurs ex - eellents vins et qui coraprenaient toute I'importance de cette branche d'industrie si riche et si fecoude, ne Toulurent pas que son exploitation appartint au pre- mier venu et fat livree a des mains Improbes ou inha- biles. lis reglementerent la vente des produits de leurs vignobles, regularisercnt les operations , firent en sorte que les droits du vendeur et de I'achetenr re- cussent une garantie olTicielle, et I'institution des courtiers prit naissance. Elle dcpendait de la justice de I'^chevinage, dite juridiction du Buffet (2), dont la police s'exercait en- (1) BiuET, Supplement a ses nieinoires manuscrits sur Reims. (2) La justice do I'echevinage so divisait en deu^ juridictions : celle du Buffet, dont nous parlous, et celle dite de la Pierre-au-Change, qui avail dans ses attributions la police de la ville en general , etc. . . Elle se tenaiten I'auditoire du baillage, dit de la Pierre-au-Change, si- tae rue de Tambour, en la premiere maison faisant le coin adroite ■vers les marches. (Bioet, tome iv.) — 177 — core sur lesbrasseurs, les auneurs tretoffes, les mesu- reurs de cliarbon, sur la visile et la venle du poissoii de luor, etc., etc. Le corps des courtiers compteparmi les plus ancicns dela cite; nous trouvons, au commencement du xiv* siecle, un document qui serable indiquer que sa crea- tion remonte a une date beaucoup plus reculce encore. En 1323(1), le parleraent liomologuait une transaction passec enire les echevins et rarclieve(iue Robert de Courtenay, dont le pre\6t Tliomas Louvet conlestait aux premiers le droit de nommer les courtiers de vins. Depuis cetteepoque, etmalgreles pretentions qu'on essaya parfois de faire yaloir contre eux, les eciievins furentconslammcnt maiiitenus d;ins ce droit, ainsique le lemoignentplusieurs lettres patentes et arrets con- serves au cartulairede la ville (2). lis fixaient le nom- bre des courtiers , s'assuraient de leur capacile, en exigeaient caution et recevaient kur serment. En mcnie lempsaussi ils sauvegardaienl les interels de ceux ci, qui n'curcnt jamais de plus zeles defenseurs de leurs privileges. Quand des intermediairesillegitimes et non reconnus cherchaient a se glisser dons les transactions, les echevins intervenaicnt immediate- raent, poursuivaient la fraude etprovoquaient contre elle la severite des lois (3). A une certaine epoque ccpcndant, la discipline se relaclia, des abus s'introduisirent, et rechevinagedut songer a reduire le nombre des courtiers, qu'on avail laisse irapruderament s'accroitre outre mesure. Deux (1) 20 Decembre 1323 (sous Charles IV). (•2) Ordonnancesdu 18 Novembre l3;-)7, 8 Fevrier 1379, dc 1631 , etc., etc. . . (.J) Ordonnancc du 20 Mars 1561. — 178 — ordonnances des 3 Juin et 4 Seplembre 1 654 fixent definiliveinent ce nombre a dix-huit, qui furent iniine- diateiiient choisis parmi ceux qui exeicaient alors. Les menies ordonnances remettent en vigueur les anciens reglemenls, enjoignent aux courtiers de se renfermer dans le cercle de leurs attributions et de leurs devoirs, et leur defendent surtout , sous peine de 500 iivres d'ariiende el de decheance, de s'associer, soit avec des commissionnaires non reconnus et agissant sans pro- visions, soit avec les marcliands de vins ; ou de se li- vrer eux-niemes et pour leur propre compte a des operations commerciales. En meme temps, leurs honoraires sont tarifes ; il leur est accorde 5 sols tournois par queue de vin vendue sur TEtape (1) , et 20 sols pour chaciine queue qu'ils feroient venclre aux habitants de la vilJe, et non aiitres, avec prohibition expresse de reccvoirdavanlage, quoiquea eux volontairement oJJ'ert, sur peine de concus- sion (2). En definissant ainsi les devoirs et les droits des courtiers , les echevins n'oublierent pas de veiller a la conservation de leurs privileges ; tout intermediaire illegal etait puni par une amende de 30 Iivres et par la prison. On avait compris de quelle importance 11 etait de ne confier ces charges qu'a des personnes d'une capacile et d'une moralite reconnues. Reims, dont les fortifications exigeaient de frequen- tes et coiiteuses reparations qui epuisaient ses finan- ces, obtint de Charles VI I'autorisation d'affermer le (1) On sail que la queue faisait deux pieces. (2) Bidet. — Cartulaire de Reims. — 179 — courtage des vins el d'einployer le prix de la ferine a I'enlrelien des remparts. Les loftres patentes du roi fureiit donnees de son camp devant Bourges, le 14 Juilkt14l2. Les courtiers recevaient alors 2 sous parisis, el non plus, par piece. Seiilinelles vigilantes placees sur le seuil de nos li- bertes, les eclievins repoussaient tout empiclemcnt sur les droits de la cite. Au commencement dii xvii" siecle, quatre courtiers voulurent exercer a Reims, en vertu de letlres patentes eraaneesdu roi. Les eclievins prolesterent energiquenient et revendiquercnt le pri- vilege dont ils avaienl toujours joui de nommer seuls lesdits courtiers. Le conscil d'elat fit droit a leur re- quete, et les quatre titulaires dui ent renoncer a leurs charges, malgre rinvestiture qui leur avail ele royale- menl octroyee. Soulement la ville fut tenue de leur rembourser leurs offices a raison de 600 livres. En 1692, les echevins demanderent a racheter les charges de courtiers et fireut a eel elTet une ofirc de 136,304 livres, plus les 2 sous pour livre, qui fat ac- ceplee. Des lors ils entrerenl en possession des dioits el privileges altribues auxdiles charges, qui, proba- blement, a parlir de cette epoque, fnrent exercces sous I'inspeolion de rechevinage, au profit de la com- mune. La ville fut autoiiseeen memetempsa contrac- tor un emprunl a constitution de rentes pour realiser la soranie qu'elle avail ofTerte (1). Le 28 Ventose an ix de la republi(iue francaise, une bourse de commerce futcreee a Reims, et on lui affecta pour local la grande salle de rarcheveche. (1) Arret du conscil trelal, 1092. — 180 — L'eniplacement trouve, il fallut songer au personnel, et un certain nombre de courtiers fut appele a desser- Yirce nouveau temple de I'industrie. Mais, soit que, pendant ces temps de guerres et de troubles, les transactions ne presentassent pas une importance sulfi- sante, soitaussi, pcut-etre, parce que la position des in- termediaires non reconnusparla loi, etquiexploitaient alors la place, leurparut inexpugnable, pendant long- temps les courtiers semblerent considerer leur charge comme une sinecure et leur litre comme un vain nom. Ce ne fut guere que vers Tannee 1825 qu'ils se re- veillerent de ce long sommeil etprirentleurs fonctions auserieux. Ilsen comprirent, aureste, rapiclement touteTimportance, et cette utile institution, dignement representee par les titulaires actuels, rend de verita- bles services au commerce. Reims compte en ce moment trois courtiers de vins seulement, qui peuvent exercer dans le pays vignoble tout entier, et dont les droits se percoivent de la ma- niere suivante : 2 fr. par piece de 120 francs ou au-dessous ; 3 fr. par piece au-dessus de 120 francs ; 5 centimes par bouteille jusque 500 bouteilles ; 4 >, 1000: 2 » au-dessus de 1,000 (1). (1) Tarifgdn^ral dcs droits de courtage, pour la place de Beims , delibere par le tribunal de commerce, en sa seancedu 7 Octobre 1826. — (Reims, chez Gu^lon-Moreau, imprimeur de la Bourse, 1820). Reims. — L. Jacquet, Imprimeur de I'Acaderaie. SEANCES ET TRAVAUX DE L'ACADEMIE DE REIMS. ANNEE 1845-1 8 i6. N° 5. 8eance elu B*' Aodlt 1945. SOMMAIRE DE LA SEANCE. Corrcspondance. — Lecture dcM. Aubriot : Catalogue dcsmollusqufs vivanls du departement de la Marne. — Lecture de M. Bonneville : Fragment d'unouvrage intitule : Traitd des moyens privcntifs de la recidive. — Lecture de M. Baudeville : Fragment de I'Hlstoire des Binedictins en Chamjxigne. La seance est ouverte sous la pr(5sidence de M. Ro- BiLLARD , vice-president. Le proces-verbal de la derniere reunion est lu et adople. M. le secretaire fait le depouillement de la corrcs- pondance manuscrite , qui comprend : 1" une Lettre de M. Gelle, expriinant son adhesion au Congres, et renfermant trois nouvelles questions a ajouler au pro" gramme, ainsi que les solutions indiquees de quelques- unes desqueslions de jurisprudence qui y sont posees; — 2" une Lettre de M. Frignez , sollici*ant de I'Aca- 13 — 182 — demie la permission de la representer au Congres qui se reunira a Naples au mois de Septerabre procliain ; — 3° line Lellre de M. Lienard, adressant , avec son adhesion au Congres, une Disserlalion sur les monnaies des anciens Re'/nois, et une serie de questions deslinees au Congres qui concernent la numismatique et I'ar- cheologie du pays de Reims ; — 4" une Leltre de M. I'abbe Blanc , remerciant I'Academie du titre de menibre correspondant qu'elle lui a decerne; — 5° une Leltre de M. Amedee Gayot, secretaire de la Societe des sciences ctarts clu departemeut de I'Aube, trans- lueitant au nom de cette societe une serie de questions destinees au Congres ; — G" une Lettre dcM. Dubroca, veterinaire au 8^ regiment de dragons , faisant lioni- mage a TAcaderaie d'un Cours d/hippologie dont ii est I'auteur , et sollicitant le titre de membre correspon- dant; — 7" line Leltre de M. le sous-prefet , invitant FAcademie a assister a la pose de la derniere pierre du palais dejustice ; — 8° une Lettre de M. le maire, demandant a I'Academie qu'un exemplaire de ses je- lons de presence soil place sous le monument avec rinscription que la derniere pierre doit rccouvrir; — 9° une Lettre de M. Cheri Pauflln, faisant liommagea I'Academie de cinq exemplaires d''un ouvrage intitule Bethel et Gerson; — 10° une Lettre deM. Jobard de Bruxelles , qui envoie son adhesion au Congres ; — 11" une Lellre de M. de Bressy, faisant hommage a I'Academie d\xn-Mcmoire sur les inhumations conside- rees aupoint de vue de I'hygiene, de la morale et de la religion ; — 12" une Lettre de M. Pagnon, demandant iin rapport a la commission chargee d'examiner le precede qu'il emploie pour la desinfection des fosses d'aisanccs. — 183 - La corrospondance imprimee comprend : 1" Ge'ome- trie da compas, par L. Mascheroni , traiiuite dc ritalieu par A.-M. CareUc, 2e edition. Paris, 1828, in-8"; — 2" Coursd'hippologie, par M. Dul)roca ; Sedan, 1844, in-8", avec .itlas; — > Paiiegyrique de Sl-Vinccnl de P aide , par Tabbe Bandeville; — 4'^ Conipfc-Rendu des travaux du Coraice agricole , pendant Tannoc 1844; — 5° Comptes-Rendus des seances de I'Acade- mie des Sciences, t. xx ; — 6° Recherches sur Ics mon- naies des e'veques de Tout, par C. Robert; excmplaire olTert a I'Academie par M. Ernest Arnould, au nom de I'auteur. (1 vol. in-4' avec planches.) Get ouvrage est renvoye a I'examen d'une commission composee de MM. Paris et Lucas. LECTURE DE M. AUBKIOT. L'Acaclemie a recu plusieurs fois en hommage , des fossilesd'autant plus interessants , que IrouYes dans les montagnes qui nous avoisinent, ils altestent les grands calaclysmes qui ont bouleverse nos conlre'es et accusent des evenemcnis qui seront loujours I'objet des plus serieuses eludes. Si , a I'aide deces medailles sublcrranneoSj Thistoiredes temps anterieurs a la crea- tion, ou merae a la periode diluvienne , a conduit aux decouvertes les plus utiles par rapport a la geologie , iliiefaut pas neanmoins detourner notre attention des faits qui s'atlacheni a I'histoire naturelie des tem[)s modei'nes. C'esl ce motif qui me fait esperer que I'Aca- demievoudra bien accueiUir, aTec quelque inferet, le caialogue des raollusques vivants du deparlement de la Marne. Dresse sur les notes de M. Arnould, amateur eelaire de Chalons, le nombred'especes qu'il designe s'eleve a 88. Pour donner a ce travail une application, j'y ai joint tout ce que j'ai pu reunir, pour le moment , soit en co- quilles terrestres, soit encoquilles fluviatiles du pays. L'avenir mcltra pcnt-etre en ma possession les genres etles especesqui manquentdanscette petite collection, et avec de la perseverance, le Musee de la ville posse- dera , par I'intermediaire de I'Academie, les objets indiques dans la nomenclature de M. Arnould. L'interet tout local qui s'y attache , c'est qu'il faut altribuer I'existence de certains moUusques dans un iieu plutot que dans un autre, a la qualite des eaux ou — 185 — a la temperature da la contree. Tel qui vit dans une terre aride , s'eloigne des terrains marecageux ; I'lm s'acclimate'dans les eaux saumalres , I'autre dans les eaux donees ; celui ci recherche dcs eaux lirapides et celui-la dcs eaux bourbeuscs. L'hisloire des mollus- fliiesd'un pays a done des rapports certains avec sa tenipeialurc non moins qu'avec la nature de ses eaux ot deson sol. Aux coquilles du pays , j'ai joint dcs coquilles ma- rines. En lesotfranta la viile , I'Academie sera encore loin de remplir les casiers, si tristement deserts , du Musee municipal; mais, de meme que pour la construc- tion d'un monument Ton pose une premiere pierrc , de meme , le don qu'elle pourra en faire ser\ira, des a present, de premiere assise au Musee d'histoire nalu- relle. Quelques allocations, jointes au zele et a la gene- rosile des ciloyens, acheveront, avec le temps , cetle creation, objet de mes voeux comma de raes efforts les plus incessants. — 186 ~ lalogue des Mollusques vJTanls du dfparlcmenl de laSIame, DRESSY SDR LES NOTES DE M. ARMOULD. ORDRE I" 28. Clausiiia bidens. GASTKROrODES. 29. — ventricosa. 1. Vitrina pellucida, Avenay. 30. — plicatuia. 2. — ~ subglobosa. 31. 32. — rugosa. — parvula, Chalons. ORDRE 1I« 33. Pupa marginata, do TRACHELIPODES. 34. — doliolum, Molin. TERRESTRES. 35. — secale, Ambonnay. XixRACfeRES. 36. — tridens, do 3. Helix fulva. 37. — fragilis, Chalons. 4. — fruticum , Chalons. 38. — goodalii, Avenay. 5. — pomalia, do 39. — umbilicata. 6. — arbustorum, do 40. — frumentum, Ambonnay 7. — aspersa, do DICiRES. 6. — nemoralis d" 9. — hortensis, d° 41. Vertigo muscorum. 10. — incarnata, Avenay. 42. — pygmfea, Chalons. 11. — hispida, Chalons. 42. — pusilla. 12. candidula, d" 44. Parychium minimum. 13. cricetorum, d" 45. — lineatum. 14. — lapicida, Verzy. 46. Cyclostoma elegans, Chalons. 15. 16. — obvoluta, Avenay. pulchclla, Ambonnay. FLUVIATILES. 17. — rolundata, Avenay. NAGECRS. 18. — lucida. 47. Planorbis contortus. 19. — nitida, Chalons. 48. — corneus, Chalons. 20. — cristallina, d" 49. — hispidus. 21. — carthusianella, do 50. — vortex. 22. Succinea amphibia, d" 51. — leucostoma, Chalons 23. - - oblonga. 52. — marginatus, d" 24. Bulimus montanus, Avenay. 53, — cariuatus, d" 25. - — obscurus. 54. — nitidus. 26. Agathina lubrica, Molins. 55. — complanatus. ?7. - acicula, Ch41ons. 56. — compressus, d" — 187 Champi gneul. ORDRE III' 57. Physa hypnorura, 58. — fonlinalis, Chalons. ACEPIIAL^S. 59. Limmea auricularia L, do 60. — ovata, d" 74. Anodonta cycnea, Chalons. CI. — glutinosa, do 75. — anatina, do 62. — stagiialis, d" 70. Unio rostrata, Chalons. 63. — palustris d" 77. — pictorum, d" 64. — niinuta. d" 78. — halava, do 65. Ancylus lacustris, do 79. — litloralis, do 66. — fluviatilis, do 80. — margarilifera. 81. Cyclas cornea. MARCHEURS. 82. — rivalis, Chalons. 07. Paludina vivipara, Chalons. 83. — lacustris, do Mare lil-sur-Ay. 84. — fontinalis, d" 68. — achatina, 85. — calyculala, do 69. — impura. Chalons. 80. — paluslris, d" 70. Valvata piscinalis, do Sommevesle 71. — planorbis, du 87. Melania helvetica, 72. — niinuta. 88. Cypr is species inedita. 73. Neritina fluvialilis Chalons. Calalogue des Coqiiillcs uiariues , lerreslrcs el fluvialilcs offerles ^ rAcadeniie, dans sa seance du l" Aoul 184o, PAR M. AUBRIOT, MEMBRE RKSIDANT. C\assi\\av\vou d'ai^xes \a wettxoAe Ae Chwv. , II1« CLASSE. Helix cricetorum, Reims. LES GASTEROrODES. Ill" ORDRE. Lapicida, CarlhusiaucU Obvoluta, Verzy. i,Ludes. Reims. LES TKCTIBRANCHES. Cellaria. LES ACi;RES. Arbustorum, Reims. Bulla. Aspersa, Hermonville IV. ORDRE. Hispida, Ludes. LES PL'LMONES. Rolundala, Avenay. PULMONfo TERRESTRES. Nitidula, Puisiculx. Helix algira, Drap, Toulon. Apicina, Grasse. nemoralis Uermonviilc. Incaruata, Avenay. — 188 — Helix ruaritima, Candiilula, Striata, Olivetorutn, Limbata, Elegans, Conica, Candidissiraa, Pyrenacea, Lactea, Pulchella, Rupeslris, Labrella, Irregularis, Rhodostoma, Serpentina, Bulimus rosaceus. Obscurus, Decollatus, Acutus, Piadialiis, Agathina perdrix. Lubrica. Pupa umbilicata, iMarginata, Avena, Cinerea, Mogachylos, Quadridens, Clausilia vantricosa Bidens, Rugosa, Parvula, Oran. Verzy. Lyon. Audi, do do Aries. Oran. Perpignan. d" Ambonnay. H*"-Pyren. Madagascar. Egypte. Roussillon. Toulon. Chalons. Auch. Oran. H<"-Alpes. Reims. Trigny. Chenay. Metz. Lyon. Hles-Pyr. d" , Merfy. do Ville-en-Selve. Sermiers. PCLMONES AQCATIQUES. Planorbis corneus, la Vesle. Carinatus, do Physa hypnorum, la Marne. Acuta, Lymnaea ])alustris, Ovata, Stagnalis Melania amarula, Madagascar. Buccinoides, Oran. V« ORDRE. LES PECTIMBRANCHES. LES TROCHOIDES. Turbo pica. Littoreus. Retusus. Trochus magus. Conuloides. Cinerarius. Monodonta. Lineolatus. Cvclostoma maculatum, Auch. d" la Vesle. do la Marno. I Elegans, Paludina vivipara, Achatina, Unicolor, Impura, Acuta, Aigues-Mortes Littorina littorea. Monodonta Reims, la Marne. do le Nil. la Vesle. Natica marmorata. Cruentata. Nerita versicolor. Neritina viridis. Fluviatilis, la Vesle. FluviatilisVar., la Marne. LES BCCClNOiOES. Conus marmoreus. Textile. — 189 — Cypraea argus. Cornutus. Tigris. Triton pileare. Arabica. Erosa. Vespaceura. Ranella gigantea. Fasciolaria — — Vitelius. Scalaria communis. Helvola. Slrombus auris Diana;. Coccinella. Pugillus. Moneta. Ovula gibbosa. Volvaria iniliacea. Pterocera pes pclicani. Oliva nana. C1RR0BRA^•CUES, Columbella mercatoria. Dentalium ctUalis. Nitida. Oursin. Lrevigata. Mltra Saevignyi. V^ ORDRE. Buccinum rcticulaUim. LES SCUTIBRANCUES. Undulatum. Haliotis lubcrculata. VIIc ORDRE. Purpura lapillus. LES CYCLOBRANCHES. id. Var. Patella vulgata. • Tubcrculala. Haustum. . Aiitiqua. Etberia phimbata, Senegal Mouoceros imbricata. Pccten varius. Rissoa costata. id. Var. Ventricosa. Parva. Nassa Laccpcdi. Anomia Neritoidcs. Modiola Dolium perdrix. Pentadina Cassis crumena. Anondonta anatina. Uuio rostralus. Tuberculata. Piclormn. Cerithium Lalrellii. Roqiiicnii. Murex crassispinis. Moquiiiianus. Deprcssus. Gharaa 190 — Cardium spinosuni. Eclule. RusUcuni. Sulcatum. Donax anatinum. Fabagolla. Cyclas rivalis. Cornea. Tellina nigosa. Tenuis. Tenuis, Var. Solida. Oudardij. Tellina pulchella. Sol orieus. Luciua carnaria. Venus aurata. Cytherea Petricola ochroleuca. Mactra solida. Pandora Psamobia vespertiaalis. Soleu LECTURE DE M. BONNEVILLE. DROIT CRIMINEL. Des mesures tendanl I completer Iffiprc de la justice distributive el Fefficacile du regime expiatoire (1). Je suppose que, par la juste determination et de la nature et du taux de la peine, le juge se soil ellorce de mesurer aussi exactement que possible le chatiment au degre de perversite du coupable , pro mensurd pec- cati; je suppose egalement que , par r^tablissement d'un regime penitentiaire parfaitement organise, on ait imprime iil'expiation son maximum d'efficacite correc- tive; la consequence logique de cet etat normal et regu- (1) Ce fragment fait partie d'un volume que doit bientot publier I'auteur, sous ce litre : Traild des moyens prevcntifs de la ricidive. — 191 — lier des choses sera, qu'en these geiierale , toule peine iniligee devra, au jour precis de son expiration ^ avoir opere ramendemeiit reel du condamne. Malheureusement, quelle que puisseetre jamais I'ex- cellencedela justice penale el du regime penilenliaire, on doit supposcr, \u I'imperfeclion inlierente aux in- stitiilions humaines, que, le plus souvent, I'experience viendra dejouer ce calcul essentiellemcnt theorique; il faul done admellre que I'amendement sera plus ou luoins prompt, plus ou moins certain , selon la gravile dumefait,la determination de la peine, I'efficacite du regime expiatoire ct le caractere des condamne's. Ainsi, arrivera-t-il , suivant les circonslances , que I'amendement pourra se manifesler, ou tres-longtemps avant I'expiration de la peine, ou quelques mois seule- menl avant ce ternie, ou juste a son expiration; ou qu'enfin cet amendement ne sera nuUement opere , au jour de la liberation definitive. La ruison veut que, pour des liypotheses aussi diverses,on suive une mar- elie diflereute; caretablir, en face de ces dilTerenles eventualiles, une regie inflexible ct uniforme, ce serait faire complete negation des principes lumineux de jus- tice distributive qui ont diipresider au jugement, et qui doivent , a bien plus forte raison, diriger les ell'orts derexpiatiou. C'est dans cette diversite raeme des resultats de la peine, que nous allons puiser I'indication des moyens qui nous paraissent le plus propres a completer I'oeu- vrede lajuslice repressive, ct refficacile du regime expiatoire. Ces moyens additionnels nous semblent etre^ entre autres :1° la reparatioHj par le condamne, dudommage cause a la parlie lesee; 2" rusagejudicieux el eclaire - 192 — till droit tie grace; 3" les liberations prdparatoires; 4" les titilenlions supplementaircs; 5" enfin , un mode meilleur demise eii liberte definitive. I. De Vusiujcjudicieux et mesure'des graces. — Sa ne'ces- sile au double point de vue de la justice distributive et de la discipline pe'nitentiaire. « A cotedu pouvoir qui piinit , la societc a dii placer le pouvoir qui pardouue. » La SEGLif:RE (1). J'ai etabli precedemment que le droit de grace est un des dleinenls csscrilicis de loute bonne justice , en ce qu'il peat seul reparer les irrevocables (2) erreurs de la iaillibilite humaine. Envisageant desormais ce droit sous un aspect nou- veau, j'ai hale de prouver que son usage, alors qu'il se ionde I'.niquement sur I'amendement des condamntis, alors surtout qu'il est faitavec niesureet discernement, doit etre compte au premier rang ties garanties indis- pensablos a I'equilable distribution de la peine eta I'cfficacile du regime penitontiaire. De meme que le repentir est devant la justice re- pressive uue cause legale (3) d'altenuation du delit et de la peine, de meme l\imendemcnt que ce repentir pro- (1) Avocat general a Bordeaux. (2) J'enleiids par cc mot les decisions souvcraincs ([u'aucun pou- voir legal lie peal reformer. (3) La plupart des codes pcnaux de I'Kurope meltent le repentir au norabrc des circonstances legalcs altenuanles. — 193 — (luit doit etre aufisi, aus yeux liu prince, de qui la justice eiiiane, un molil' legal d'alieger la nature ou la duree dc i'cxpialion. En eCfet , dans lout syslenie penal , oil le repenlir du coupable est pris on sericuse consideration , il ne doit pointy avoir d'expiations {ncommuables. Celte in- flcxibilile continue, inexorable du chatinient inflige , etouflierait dans sa naissarice le germe du reneritir ; il faul toujours fairc en sorle que le condanine ait un in- lereL e\iderit et personnel a s'aniender. L'un des pre- miers crijuiiialisles aliemands , Hegel, pretend que la peine est le droit du coupable , en ee sesis qu'elle doit le rauiener au bien ; ne pourrait-on pas dire avec plus de raison que raliegeinent de la peine est le droit de tout condanine amende, paree que le repenlir I'a en eflet ramenc dans la \oie dubicnPEn parlant ainsi, loin d'attenler a la royale prerogative du souve- rain , je nefais quo I'ennoblir et la fortifier , car je I'e- leve a la digiiite, a la saintetc d'un devoir sociaL Oui , desoimais, ce qu'onappelle le droit de grace, considere d'une nianiere absolue, est un devoir ue raison el tie justice envers le condamne amende. Et ce devoir, je Tin- fere forceinent de la loi nieme, qui a cunleie aux iribu- naux le droit d'allenuation, droit qui n'esl autre chose qu'une delegation, qu'un demenibreuient du droit de grace. Du moment que vous I'aites au juge nn devoir d'alleger la peine dans le cas de cireonslances atte- nuantcs, el par consequent dans le cas si emineninieDt altenuant du repenlir smceremeninianifeste, vous devez, pour etre logiqucs et jusles , egalenienl imposer au prince, clief du pouvoir executif, le devoir d'attenuer la peine, dans le cas bien plus favorable de famende- ment re'ellemcntope're. Dans le premier cas, vous n'avcz — 194 — eu, pour determiner I' indulgence dujuge, qu'uneappa- rcnce , qu'un symplome d'anaendement probable ; ici, vousavez, pour determiner la clemence du prince, mh fait conslate par I'experience de I'expiation. S'il en etait autrement, le repenlirj qui n'est, vous I'avouez, qu'un simple indiceprecurseur de I'amende- mentj serait plus favorablement Iraile que Tamende- ment lui merae, qui est le but et le triomphe de la jus- tice penale. Riendoncde plus ralionnel, deplus respectable, de plus moral, que I'usage du droit de grace considere , non plus comme prerogative extra-legale , non plus comme pouYoir reparaleur des injustices juridiques; mais bien comme un devoir etroit et raisonne de mi- sericorde , comme une recompense specialement as- suree, sinon a tons, au moins a V elite des condamne's regeneres par Texpiation. — Dans ce cas, la grace revet un caraclere d' utility publique et de haute mo- ralite sociaie; elle devient le complement oblige, et en quelque sorte I'appoint sacre de la justice dislri- bulivc. Cela etant , Ton conviendra qoe si la peine n'avait d'autre but que Tamendement , il serait aussi juste qu'humain de gi'acier lout condamne, des que, par I'effet de circonstances ou de causes quelconques , sa reforme morale serait jugee complete. Mais la peine ayant aussi pour but non moins important Y intimidation et la securilc publique, il convient de restreindre I'appli- cation du bienlait de la grace , aux seuls condamnes qui se sont fait remarquer , entre tons , par une con- duitcet un repentir exemplaires. Rcnferme dans ces justes limites, I'usage du droit de grace n'a plus aucun des inconveaicnts qu'on s'est plu a lui altribuer. — 195 — Et d'abord, en quoi la grace parlielle (1) , accordec au condamnti amende, pourrait-elle nuirea Vintimida- tion ? L'exemplaiite repressive, si neccssaire pour eloi- gner du crime, peut se prodiiire aussi bien par le re- penlir public el profond des coupables, que par I'inlegraie execution du cluilimcnt (2). Que dis-je , le repenlir avere du maifaiteur, en face de I'espiation , n'est-il pas mille fois plus propre a prevenir le crime, que I'aspect de rirapcnitence et de Tincorrigibilite , bravant les vaines rigueurs du chatiment subi? .... La grace qui suit le repentir a done, aussi bien que le chaliraent, son influence exemplaire et reformatrice! Etc'estparce qu'il en est ainsi , que nous voyons chaquejour le juri et les tribunaux, en vertu de Icur propre omnipotence, ccarter des circonstances aggra- "vantes avoue'cs, supposer des circonstances alteuuanles imaginaireSy ou racnie acqnitter des inculpes legale- mentet noloirement coiipables, par ce!a seul, qu'arai- son des bons antecedents, et specialement du repentir manifcste , il existe pour eux un espoir fonde d'araen- dement. Demandez a ces jures , a ces juges , tous horamcs honorables et conciencieux , ce qui les deter- mine a agir de la sorle? c'est , vous diront-ils, la pro- fonde conviction oil nous sommes qu'un vrai repenlir dquivaut presque a I'cxpialion; c'est parce qu'a nos yeux, ce vrai repentir assure la securite publique et frappe I'esprit de la multitude d'une facon non raoins (1) La grace enliorc. ne doit generalement avoir lieu que comme reparation d'une erreur juridique. (2) « Le repentir n'est pas moins utile pour I'exemplc que la peine elle-mSme. « (Ord. duRoidu 6 Fevr. 1818.) — 196 — cfficace, non ruoins exemplairc que la vue du chatiment expie. Ce n'esl pas quej'approuve, en general, etd'une raa- niere absolue, ces gracieuses decisions, par lesquelles lejugeusurpe la prerogative royale ; mais, prenant acte de la frequence du fait^ je dis que si ces series de graces sent, ainsi journellement accordees par la justice i}\\G- meme ,avant toule expialion, sans qu'il en resulte d'alieinte majeure aux principes tutclaires de V inti- midation repressive , a plus forte raison en devra-t-il etre ainsi , lorsque ces graces , accordees avec ma- turiteet discernemcnt, enianeront directement du pou- \oir royal , el lorsqu'elles n'interviendrout surlout , qu'apres que le coupaV)le, frappe par la condamna- tion, aura dii deja courber la lete sous Telreinte afflic- tive de la peine. Maintenant, si I'usage juste el raisonne du droit de grace ne saurait nuire gravement au principe de I'inli- iiiidalion, ne pourrait-il pas au raoins comproraettre, jusqu'a un certain point, la se'curile publique? Lescraintes a cet egard ne seraient, ce me semble, pas mieux fondees. Tons les criminalistes s'accordenta reconnaitre que la regie severe de I'expialion peut, par exception el sans inconvenient pourlasecurile publique, flcchir « lorsque n Vusage de la grace , loin d'enhaniir Ic criminel, doit » I'encourager a rcdevenir ban et lionnete {'\) . n Done, a bien plus forte raison la grace peut-elle interveiiir sans danger , lorsqu elle n'esl accordce qu'apres un certain teraps d'expiation , el qu'a raison meme , non pasdu repenlir manifeste [iar le coupable, mais, ce qui (1) Filangieri. — 197 — est bien (.lifferenljdeson amendement ope're! A coupstir) dans ce dernier cas, la securite piiblique est , sans comparaison , mieux sauvegardee par la grace faite au malfaiteur re'/brwe, qu'elle ne pourrailTelre par I'inte- grale piinition du raalfaileur impenitent. Car alors, elle est, aux yeux de tous, le gage assure de I'amendement el la meilleure garanlie possible de la bonne conduite ullerieure du condanine (1). Concluons doiicd'.ibord que le droit de grSce, exerce dans une s;ige raesure, et seulement, envers les condam- ne's re'forine's, ajoule uti nouveau degred'exactitude a la juslice repressive, sans porter aucune alteinte serieuse, soit a I'intimidalion^ soil a la securite publique. Mais, je dois aller plus loin ; et je dis que Ic droit de grace, ainsi sageraent restreinl , est iin des mobiles les plus fecondsen bons resultals penilenliaires. Les amesd'elile onl scales assoz, de force et de droi- ture naturelles pour lesler honiietcs par le pur aniour du bien. Le rcsle dcs Iiommcs n'cst generalemenl re- tenu que par la crainte du clialimeiit^ou par I'appat de la consideration et des recompenses. Aussi voyons- nous qu'a toules les epoques, les goiivernements mora- lisaleurs ont, a cote des lois penales , cree de nom- breuses series de recompenses pour le merite et la verlu. Loin de blaraer cette pratique universelle , les plus rigorisles consentent a la considerer connne une seconde garantie de repos public (2). Or, si rinfirniile huniaine est telle que les lioinmes/ioune/es aieiit besuin, (1) « Le repentir est la nioilleure garantie de la conduite future du rondaranc. >■ (Ord. du Roi du eFevr. 1818.) {•2) ^nth^m. — Des peine.% ef del rt'compen.fes. U — 198 — pour pers^v<5rcr dans la voie du bien, de Tenergique stimulant des recompenses , o forliori doit-il en etre ainsi des coupa6/ps, creatures faibles et degradees qui deja ont succorabe aux fatalos inspirations du crime. Je maintiens done, qu'oulre les divers adnucisse- ments qui peuvent re«uller du regime de la prison , il est essentiel que chaque condamne repenti puisse tou- jourscntrevoir, comme une lucur bienfaisante,respoir loinlain de la misericorde ro\a!e (1). Gardons-nous d'cnlever aux condamncs ce supremeespoir de pardon: c'est le seul point par lequel notro justice humaine res- semble quelque pen a celle de Dieu ! (1) Ces ide€S , profotidement vraies, sont au nombre de celles qui, dans la pratique judiciaire , allegent de temps a autre le severe far- deau du ministcre publie. Je ciferai pour exemple ces paroles dun jeune et eloquent avocat general : " La cnur, disait-il au jury , saura dans sa genereuse rigueur, tenir coniple a I'accuse de son rcpentir. Cfovez-meme , messieurs, qu'une plus liaule soliicitude le suivra dans le lieu oil il va subir sa peine , et la, sll continue a donner des preuves non equivoques d'amcndement, si sa vie est laborieuse et exemplaire, rinepuisable clemonce du Roi saura alleger sa peine, et achever ainsi, par eel acte d'augusle misericorde, la regeneration salutaire que vous aurez commencoe par voire justice. • {Gilardin, Qvocat g^niral ii Lyon). — 199 — LteCTCRE PE M. MAX. SUTAINE. Fssai siir Fhisloire des Vins de la Champagne. (Siiile.) (1) chapiTre v. Des vins mottssctix. — Des contrefa^ons . — lU'flexmis genirales. Ce que j'ai dit des vins dela provincedeChampafrne, en general , siiffit pour demontier qu'ils sonl d'an- cienne et noble souclie. Apres avoir lutte avee avaii- tage centre de redoutables rivaux, lis ont attendu la justice etla consecration du temps, etontsu conquerir un rang eleve dont iis n'ont pas dechu depuis. Les vins mousseux proprement ditssontlesderniers rejetons de cetle illustre faniille. Mais, pareils a ces cadets de bonne maison qui font un cliemin brillant et rapide, ils ont audacieuseinent usurpe la place de leurs aines, dont I'illustre race s'e- teinttous les jours. Lesdelicieux vins rouges, les excellents viusblancs non mousseux d'Ay, d'Avenay, d'llautviliers , que sa- vaient si bien apprecier nos aieux , ont a peu pres en- tieremenl disparu. Ceux non moins parfails de la montagne de Reims , Bouzy , Sillery , Ver/,enay , (1) Voir les iiiimerosdes 6 pt •>!) .luin, et du 18 .luillel. — 200 - Mailly, Verzy devicnnent plus rares de jour en jour. Les vins mousseux ont lout envahi ; le bruit et le fra- cas des nouveaux venus ont remplace le calme et la dlgnite des anciens. C'est qu'ils sont si brillants, si elegants, si parfunies et si jolis, ces audaeieux parve- nus, qu"'il faut bien leur pardonner leur usurpation I Elle est si innocente, celle-la! lis ont su se faire tanl d'amis, tant de partisans , ils \ivent en si bon accord avec toutes les puissances de ce monde, qu''en verite, je ne me sens nila force de les combattre, ni le cou- rage de les metlre en jngcment! Quelle est Torigine de ces pacifiques conquerants ? A quelle epoque TAy a-t-il pour la premiere fois pe- tille sur la table de nos peres? Voila, je I'avoue avec la profonde liumilile convenable , en pareille circon- stance, a tout his^torien, ce que les recherches les plus minutieuses, les plus consciencieuses n'ont pu m'ap- prendre. N'est-ce pas ici le cas de deplorer amerement un malheur qui nous a prives peut-etre de nombreux do- cuments , dont la perte est irreparable aujourd'hui ? Je veux parler de la destruction de I'abbaye d'Haut- villers, incendiee et pillee en 1 562, pendant les guerres de religion , sous Charles Delbene , son cinquante- neuvieme abbe (I). Une partie des archives a ete sauvee, il est vrai, et transporlee, soit a Reims, soit a Chalons, soil aEper- nay ; mais le feu a dii se faire aussi une large part et devora sans doute de precieux renseignements. Ce riche monastere , dont la fondation reinonte a I'annee 660 , possedait les principaux vignobles qui (I) Gallia Christiana. — 201 — s'^tendaieiit enlre Ay et Hautvillers, et son cartulaire devail reiifermer ni)e quantite considerable de tilres, de noles, qui peul-elrc serviraient aujourd'hui d'auto- rite a I'liistoiie du vin de Champagne; precieux jalons que la fureur des guerres de religion a sans doute aneantis, et dont la perte nous rejette dans I'incerli- tude des conjectures el des suppositions. Puisque nous nous trouvons reduits a ccs derniercs, je me permettrai d'en hasarder uue qui ne me parait pas trop entacliee d'heresie, a savoir : que les vins mousseux peuvent Ires-bien devoir leur origine a I'ab- baye d'llaulvillers. Parmi les bons peres qui peuple- rent le convent et qui nous out laisse de si utiles , de si patients travaux, out du se rencontrer aussi de sa- vants sommeliers. L'imagination de I'un de ces hom- mes de genie, fecondee par le fumet des riches celliers du convent, aura cherche quelque sublime creation, el I'idee premiere du vin mousseux aura jailli de son cerveau fertilise. Nous savons dt\)a les progres que I'un d'eux, doni Perignon , lit faire a la culture de la vigne et a I'.irt de la vinification. lletail digne de com- prendre cette admirable invention. Peut-etre aussi est elle due au hasard ; au hasard, quia fait tant de precieuses decouvertes, dont I'or- gueil des hommes S'est approprie la gloire et le merile. II est inconteslablc , et nos peres ont du , dcpuis longtemps, en faire la remarque, que nos vins blancs ont, par excellence, une predisposition naturelle a la mousse. II y a plus : il esttres-diflicile de vaincre en- tierement cette disposition et de les oblenir parfaile- nient tranquilles , et c'est precisement cette difficulte qui, jointed'ailleurs a rexcellencede la qualite, fait le haut prix des vins de Sillery noit mousseux. — 202 — Quoi qu'il en soit, il est probable que les premiers vins de ce genre qui sont sortis des caves de la Cham- pagne, n'avaient qu'une mousse faible, et, pour em- ployer uri terme du metier, ils onl dii seulement cre- mer. L'imperfection des verreries a bouteilles, aux siecles anterieurs, ne permet pas de supposer que nos peres eussent ose laisser prendre a leurs vins le degre de mousse qu'ou exige geueralement aujourd'hui. Le Champagne aurait trop facilemenl brise sa prison fra- gile , et la casse aurait cruellement detruit les espe- rances du speculateur imprudent. Les premiers essais reussirent. En ortVant unnouvel et piquant attrait aux degustateurs intelligents, ils ont reveille Icspalais endormis et emousses par lesvinsca- piteux de la Bourgogne et du Midi , et leur succes a ete complet. lis ont ete le prelude de la revolution tenologique, qui depuis a fait le tour dumonde. II est certain que c'est d'Ay ou d'Epernay que par- tirent les premiers flacons de ce nectar ecumant, qui vinl apporter une gaite nouvelle aux joyeux festins de nos aieux, Quaud les poetes veulent chanter le Champagne , c'est presque toujours le petillant Ay qu'ils celebrent dans leurs vers. Ay! nom glorieux qui assure a la petite ville qui le porte une imperissableimmortalite! Le temps a souffle sur de vastes et opulentes cites qui ont disparu de la surface du globe, sans laisser trace de leur passage, tandis que tu vivras toujours dans la memoire des gourmets reconnaissants ! Nous avons vu que Francois I", Charles-Quint, Henri VIII, Leon X possedaient des vignes a Ay; nous connaissons la predilection d'Henri IV pour ce — 203 — vin, qu'il proclaiuait le lueilleur de tous ; on dit aussi que Louis XIV, qui se connaissait en bonnes choses, le prefL-rait a beaucoup d'aulres ; niais rien ne seiuble prouver que le \in d'Ay que buvaient ces princes fut mousseux. Je suis meme Ires-dispose a croire qu'il etail parfaitement non mousseux et tranquille, et cela par la simple raison que voici : e'est que sMl eiit (5t6 autreraent, Tliistoire en aurait sans doute fait mention. Du vin mousseux devait paraitre a cetle epoque chose assez curieuse pour qu'on en gardat le souvenir. On salt, au surplus, que dans les bonnes annees, les vins d'Ay non mousseux onl un bouquet et un parfum dont I'exquise delicatesse juslifie suffisamment la haute preference dont ils etaienl Tobjet. Les documents les plus anciens que j'aie pu trouver etdanslesquels il soit question d'une maniere positive du Champagne mousseux, sont les odes de Grenan et de Goffiu, imprimees en 1711 et 1712, etquej'aideja citees. Bien certainement les vins mousseux remonlentau- dela de cette epoque, mais je crois qu'il est a peupres impossible de fixer celle de leur origine. Je sais bien que dans certains vignobles de la Marne on pretend qu'ils ontexiste de temps immemorial, mais cetle opi- nion ne se repose sur aucune preuve ; on ne trouve dans les archives des communes rien qui la justifie, rien qui vienne dissipcr les lenebres dont cette dccou- verte s'environne. 11 est tres-presumable , comraeje le disais tout a Theure, que le hasard doit en avoir tous les honneurs. J'ai sous les yeux une letlre autographe de I'abbt^ Bignou (1), adressee au president Berlin duRocheret, (I) De I'AcadcmiB francuise. — 204 — qui faisait ;i Epernay un commerce de vin assez eteu- du, et qui a laiss^ sur cette ville un recueil de notes manuscriles. Cette lettre(dateede Paris, 20 Decembre 1736) contient des renseignemonts curieux sur les soins qu'on apportait alors aux envois ; nous n'avons depuis rien invenle de mieux. « Je n'ai goiite qu'hier , dit I'abbe Bignon , le vin » cachete dhm chiffre en cire rouge; il m'a paru fort » delicat, mais ayant encore de la liqueur, dont avec » le temps il pour rait se defaire ; mais apres quoi je )) craindrais aussi qu'il ne lui restat pas beaucoup de » foice. Un autre, aussi cachete de cire rouge, mais » avec les amies, m'a paru avoir plus de qualite et de » fond de vin, quoiqu'il soit aussi tres- deiicat et tres- » leger ; Tun et I'autre sahlant parfaitement , mais ne » pouvant s''appeler mousseux (1). )) Pour ce qui est de celui qui est c.ichete de noir, » les gens qui font cas de la mousse lui donneraient » les plus magniflques eloges. 11 serait mal aise d'en » trouver qui porfat plus loin cette belle perfection. >» La valeur de trois cuillerees au I'ond du verre est » surmontee de la plus forte mousse jusqu'au bord; en » recompense je lui ai trouve un furieux vert et sans 1 beaucoup de fond de vin. » Si J comme cette leltre en faitfoi, le vin deM. Ber- lin du Rocheret moussait tres-fort , la maniore dont on Iravaillait les vins mousseux a cette epoque nous fait comprendre que I'abbe Bignon Fait trouve fu- rieusemenl verl. (1) Cette espece de vin, qui nc mousse qua deiui , et dont I'abbe B'^gnonccnlquil sable pa rf a i (em en t, est connue maintenant sous le nom de vhicrciiuint. Cette qualite , quand pile a bien reussi , est tres-estiinee. — 205 — La vogue doul le Champagne jouissail au xvi' sie- cle n'avait pas dechii au xviii% et les soupers de la regence durent mettre a leur tour le vin mousseux a la mode. En effet, ce vin brillant et leger, qui petille dans le verre et dans la tete, qui fait etinceler I'esprit et reveille le occur, devait etre raccorapagnement oblige de cos fetes tant soitpeu decolletees, oil la cour et la ville se dedomniageaient amplement de vingtan - nees de Iristesse el d'ennui. (( Quand mon fdssegrise, ecrivait le 13 Aoiit 1716 » la princesse Charlotte-Elisabeth deBaviere, ce n'est » point en buvant dcs boissons firtes, des liqueurs .) spiritueuses , mais en pur vin de Champagne (1). » Aussitot son apparition , le Champagne mousseux Irouva des poetes qui celebrerent ses louanges et ehantereiit ses vertus. 11 n'est pas de vin qui ait fait commeltre plus de vers, jaillir plus de couplets du cerveau des buveurs ; aussi serais-je fort embarrasse, si je voulais me jeter dans les citations, de faire un choix parmi ces nombreuses elucubrations plus epicu- riennes souvent que pot^tiques. Je demanderai la permission neanmoins d'en faire une seule, qui renlre doublemenl dans notre sujet : d'abord parce que la piece dont el!e est extraite est une dcs plus anciennes de celles oil il est question dcs vins mousseux, et ensuite parce que I'auleur et letra ducteur etaient, Tun el I'autre, attaches a I'universite de Reims.— Voici la traduction de deux strophes d'une ode latine, que Charles Lebalteux, professcur de rhe- (i) Fragments de lellrcs originalesde madamc Charlolle-Elisabeth de Baviero (more da regent). — Hambourrj cl I'nris, chez Maradon, J788. — 206 — torique au college de Reims, coniposa en 1739, tra- duction due elle-meme a Desaulx, clianoine de la ca- thedrale et chancelier de Tunivei'site remoise : Ce n'pst point sur les nionts dc Rhodo[ie et de Thrace Que j'irait'invoquer, ces monts couverlsde glace Sont-ils (iropresa tes faveurs? Noil ! Reims te voit regncr bien plus sur ses collines. La je t'ofTre mes vceux ; de nos cotes voisines, Enibrases-moi de tes ardeurs. (Textuel). Soil que d'un lait mousseus I'ecurae petiliante, Soil qu'un rouge vermeil, par sa couleur brillante T'annonce a mes regards surpris, Yiens, anime mes vers ; ma muse impatiente Veut devoir en ce jour les accords qu'elle enfante A la force de les csprits (1). A Tappel poelique de Coffin, plus d'un champion vint se ranger sous sa bannjere et combalire a ses cotes. En 1712 parut une imitation en quatorze stro- phes de son ode de la Champagne venge'e ; cette imi- tation , assez mediocre du reste , etait I'ceuvre de L. Degrigny et A.-R. Richard, tons deux enfants de la cite et eleves de rhetorique au college des Bons- Enfants de Reims (2). Malgre le succes qu'obtinrent les vins mousseux, on ne se livra d'abord a leur fabrication qu'avec beau- coup de prudence et de circonspection. Quoique la mousse fut en general plus faible que celle qu'on exige 3ujourd'hui, cependant, comme son plus ou moins d'inlensite dependait du hasard, et qu'on ne connais- (1) In civitatem remensem (ode sur la ville de Reims) , par Cli. Lebatteux, professeur de rhetorique au college de Reims. (Bibliothe- jque de Reims.) (1) fieims, dies. B. MiiUeau, rue des Elm, 171 'J. "\ — 207 — sait alors aucun moyen de rt^gulariser sa marche, elle acquerait parfois une violence qui venait dejouer tous les calculs des speculateuis. La casse ravageait alors les caves, et nos peres, voyant leurs esperances de forliine s'eiivoler avec les eclats de leurs flaconsmuti- les, ne recooimencaient qu'avec timidite, et pour ainsi dire en tremblant, de nouvelles operations. De la , sans doute, le peu d'extension que prit d'a- bord le commerce du Champagne mousseux, qui, jus- qu'a la fin du siecle dernier, ceda lepas aux \ius rouges et blancs en cercles. En 1780, un negociant d'Epernay lira cinq a six mille bouteilles, et I'impoiiance de ce tirage fut re- marquoe. En 1787 , une des premieres maisons de la raeme ville et de toute la Champagne osa risquer une ope- ration de cinquante mille bouteilles; cela parut pro- digieux et Ton ne comprenait pas qu'il fiit possible de trouverdes debouches pour une quantite aussi consi- derable. Aujourd'ljui , la meme maison compte ses bouteilles par millions. On elait loin de prevoir alors que le Champagne de- viondrait, quelques annees plus tard, le plus populaire, le plus connu de tons les vins de luxe. D'apres ce que nous venons de dire, nous sommes fondes a croire que le vin reellement et franchement mousseux ne remonte guere au-dela du xviii" siecle , et que vers le milieu de ce meme siecle il n'etait en- core qu'une exception, connue seulement de quelques amateurs riches et privilegies. Nous parlions tout a I'heure de la casse, dont les ra- vages duront souvent eftrayer nos aieux. On cite, a Epernay , I'annee 1776, comme ayanl ete des i)lus — 208 — desaslivuses sous ce rapport. Malgre les eftbrts teutes depuis quelque lemps pour regulariser les operations, sommes- nous plus heureux aujourd'liui ? Nousn'osons, en verife, nous prononcer pour raflirmalive. On a bien fait des essais sur les causes et la niarclie de la fermentation ; des liommes studieux, au nonabre desquels nous devons citer M. Francois, de Chalons- surMarne, ont cherclie a determiner les proportions dans lesquelles les principes constilutifs du vin de- vaient etre combines pour oblenir une belle mousse, sans exces de casse ; les verreries a bouteilles ont fait des progres inconlestables ; nous sommes, en un mot, plus avances sans doute qu'il y a un siecle, et cepen- dant pouvons-nous compter d'une maniere certaine, positive, sur la reussite de nos tirages? La niarchc mysierieuse dela nature nevient elle pas souvent en- core dejouer les formules de la science, renverser les ealculs de I'experience et de la theorie? Parmi les annees qui donnerent un dementi cruel a toutes ces combin;iisons , nous nous contenlerons de rappeler ici la plus recenfe : celle de 1842. Long- temps les speculuteurs garderont le souvenir de la casse , qui, cetle annee, a decime leurs caves. Esperons qu'enfin la science sera plus lieureuse un jour, et qu'elle fniira par decouvrir des regulateurs , j)ar indiqucr des donnees plus precises, qui permet- tront de laisser au hasard une raoins large part dans les tirages de vins mousseux. Dejades esprits inveiitifs se sont emus a la vue des sinistres que nous venous de signaler, des appareils ingenieux ont ete imagines pour prevenir ces desas- tres; mais ils attendent encore de rexperience la consecration qui leur manque encore, et quele temps, — 2()9 — qui tot oil tard signale leschoses utiles, peut seul leur donner (1). Longtemps on a cru qu'avec les vins des coteaux d'Ay et des deux rives de la Marne seulement on pouvait faire des vins mousseux. Ce prejuge etait tel- lement enracine, celte erreur avail si bien passe a I'etat de verite , qu'en 1806, M. J.-B.-A. Mennesson ecrivait a propos de I'Ay mousseux, chante par Vol- taire, dont il cite quelques vers : « Tout le monde connait ces vins precieux pleins .) d'agrements tt de delicatesse , appeh's vins de ri- » viere, celebres si souvent pat les muses, et que Vol- » taire a chantes. 11 n'y a seules que les coles d'Ay , » Cumieres, liaulvillers, Epernay, Avize el Pierry » qui les produisenl(2).» DomGeruzez dit a peu pres la meme chose dans sou Histoire de Reims, imprimee dix ans plus tard. C'est qu'en eflet, a cette epoque encore , a I'excep- tion des excellents vins blancs non mousseux auxquels les vignobles renommes des marquis de Sillery (3) (1) Un homme emincmment Inborioux, M. de Maizieres, ancien pro- fesseur de malhemaliques speciales, a invcnliv uii appareil auquel il a doniie Ic nom de Paracasse. Une premiere experience, faile il y a deux ou trois ans , a laisse peut-elrc quelquc chose a desirer. -M. de Maiziercs, qui veut tenter un nouvel cssai plus complcl , fait aujour- d'hui au commerce un appel, que dans tous les cas, ce me semble, il serait bon de ne pas negliger. (2) L'Observaleur rural de la Murne, par J.-B.-A. Mennesson. — Epernay, che::, Warin-Thierry, 1800, page?. (3) Les vins de Sillery, non mouiscux, connus egalcment sous le nom de Sillery sees, dnreni Icur renommee, non-sculeraenlalabonne qualile du sol, mais encore aux soins minutieux qui presidaient a leur confection. La marechale d'Eslree, par exemple , surveillait scs pres- soirs avecla plus scrupuleuse attention. Chaque grappe etait oxami- — 210 — donnerent, il y a longtemps d^ja, uue reputation eu- ropeenne qui s'esttoujourssoutenue depuis, les grands criis de la montagne de Reims, Bouzy, Verzenay, Mailly, Verzy, Rilly, ne produisaient a peu pres que des vins rouges. 11 n'y a guere que trente a quarante ans qu'on imagina de faire avec les produils de ces vi- gnobles des vins mousseux qui reussirent parfaite- ment. En effet, si les vins d'Ay se distinguent peut-etre par un bouquet plus fin, un parfum plus delicat, ceux de Verzenay, Verzy, Sillery, Bouzy, ont bien plusde corps et de richesse el viennent heureusement en aide aux coteaux de la Marne, dont la legerete a souvent besoin de soutien (1). Nous n'ajouterons qu'un mot a ce parallele : les vins de la montagne de Reims que nous venous de citer s^achelent et se vendent a des prix beaucoup plus eleves que ceux de la riviere. Des lors, Tanrienne division vinicole de la Champa- gne n'exista plus. La chaine de collines qui separe le pays remois des contrees arrosees par la Marne ne futplus une barriere (pour ainsi dire infranchissable autrefois) derriere laquelle les diflereuts vignobles s'abritaient dans leur specialite reciproque. Jadis et au temps meme encore ou Geruzez ecrivait son His- nee au soleil, et tons les grains qui n'avaient pas attoiiit leur com- plete maturite, ou qui laissaient quelque chose a desirer, etaient eli' mines impitoyablemcnt. Aussi ses vins elaient-ils parfaits. (l)Tous ceux qui ont lu YHistoire de Reims de Dom Geruzez , et qui connaissent tant soil peu nos vignobles, ont dii remarquer avec un profond elonnement I'opinion qu'ii emet ace sujet. Selonlui, les vins de la montagne auraient raoins de corps que ceux de la riviere, tandis que c'est, au su de tous les connaisseurs, le contraire qui a lieu. II fallait que la matiere que traitait Geruzez lui fiit bien peu familiere, pour qu'il professat une semblable here^ie. — 211 — toire de Reims (en 1817), les grands crus de la raon- lagne, Sillery, Verzy, Vcrzenay, Bouzy, Ambonnay, Rilly, etc., un pen plus loin an nord-ouest de la ville, le clos de Saint-Thierry, etaicnt, a de bien rares exceptions pres , exclusivement affectes aux vins rouges (i). Ceux de la riviere, an contraire , Ay, Hautvillers , Mareuil , Epernay , CramanI , Avize , Pierry, etc., ne produisaient a peu pres que des yins blancs (2). Cette grande division a pour ainsi direentierement disparu; on fait des vins blancs parlout, Una heureuse fusion s'estopere'epariuiiesdiversvignoblesqueje viens deciter, et, pour la plus grande jouissance des amateurs ct des gourmets, ilsse pretent mutuellcraent leur con- cours aujourd'hui. Des ce moment aussi , !e commerce de la Champa- gne subitune transformation complete. Les excellents yins rouges des grands criis, si prises de nos aieux , n'obtenaient plus toujours, malgre leur juste reputa- tion, la faveur qu'ils meritaient. Le nord de la France, la Belgique, la Hollandc, qui jadis s'approvisionnaient dans nos vignobles, s'habituerent peu a peu aux vins de Bordeaux , plus faciies peut-etre a conserver dans (1) Nousne parlons ici, bien entciidu, que ties vins fails aver, les raisins noirs. '— On ne connaissait alors, en fait ilc vins blancs , clans ces vignobles, que ceux provenanl de raisins blancs, et tout le mondc sail que ceux-la sont legers, maigrcs, et de mediocre valeur. (2) Les vignes d'Ay, de Mareuil, d'llautvillcrs et de Pierry ne pro- duisent, a peu d'exception pres, que des raisins noirs ; celles de Cra- raant, Avize, Oger, Le Mesnil, au contraire , sont a peu pres enticre- ment plantees en blancs , et ne posscdent giiere maintenant qu'un sixieme de raisins noirs. Aussi les vins de ces derniers vignobles sont- ils fins, agreables , mais aussi beaucoup plus legers que ceux des autres eriSs. — 212 — les caves peu profondesdeces contr^es humides. Alors sa consommalion, restreinte dans un cercle etroit, ne suffit plus a la production ; les acheteui s manquaient souvent, les prix ne recompensaient quefaiblement le labeur du \igneron, et la valeur des vignes elait raena- cee d'une depreciation sensible. Du jour, au contraire, oil les produits des coteaux remois furent employes €n vins mousseux , I'aisance rentra dans les villages de la montagne, les recoltes s'enleverent a des con- ditions avanlageuses pour le producteur, et danscer- taines localiles le prix des vignes a plus que triple. C'est qu'aussi depuis trente ans le commerce du vin de Champagne mousseux a pris un essor conside- rable ; il a rendu le raonde enlier tributaire de notre province, et Ton citerait a peine un coin du globe oil ce joyeux voyageur n'ail penelre. La faveiir meme avec laquelle il a ete accueilli par- tout a donne naissance a uneerreur qui, dans quelques pays etrangers surtout , oblient encore un certain credit. Nous avons entendu dire souvent quM etait impos- sible que les vignes de la Champagne satisGssentaux besoins da la consomination, et qu'en consequence une bonne partie du Champagne exporte devait etre le produit d'une fabrication artificielle. C'est la un prejuge grave et qu'il importe de de- truire ; le plus simple rapprochement de chiflVes suf- fira pour en faire justice. Dans les grandes annees comme 1834 et 1842, la Champagne produit de 13 a 14,000,000 (l)de bouteilles (1) Dans les deux annees que je viens de citer, les produits de loutes les verreries du iiord et de la Lorraine , qui alimentent la — ^213 — devin blanc, quelacasse et la manutenlion reduisent a 1 1 ou 12,000,000. On pent ^valuer la production nioyonne a 7,000,000 de bouteilles environ. Or, veut- onsavoir maintenant quel chiffre atleignent les expe- ditions? La Champagne, du l""^ Avril t8W au t" Avril 18A4, a exporle 5,806,987 bouteilles, et 7,377,070 du ]'' Avril 1842 au 1«^ Avril 18W. Or, comme dans ce dernier chiffre sont comprises les quanlites que les negociants s'expedient entre eux et qui ne sortenl pas du departement de la Marne, il en resulte que les exportations de 1842 a 1843 ont atleinl a peu pres 6,000,000 de bouteilles seule- ment (1). C'est aussi a ce nombre environ qu'il est permis d'estimer la consoramation annuelle. On voitdonc que la Champagne pent largcraent suffire a ses besoins , dont on a singulierement exagere le chilTre , et que les amateurs peuvent se rassurer ; quelque nombreux qu'ils soient, lis n'absorbent pas encore toutes les ri- chesses de ses cotcaux. Le vin de Champagne a subi le sort de toutes les Champagne, ont etc absorl)ts entierement , ct il est reste encore dans Ips celliers une quantite notable de vins en cercles. Or , la fabri- cation des dilTerentes verreries pent s'evaluer de 8 ;i 9,000,000 de bouteilles de premier choix, |)uis vienl le deuxienie choix, dont quel- ques speculateurs font usage. (I) Cos chiilVcs sont oflicielset extraits des registres de radmini- stration des contributions indirectes. Danslemouvementde 7.377,070 bouteilles, de 1845;i l843,rarron- disscmenl de Reims figure pour 3.619,807 Cclui d'Epernay. pour 1,725,370 ' Celuide Chalons, pour 2,031,827 7,377,070 Ay fail part-irde rarrondissement de Reims. — 214 — j^randes decouvertes quele succ^s couronne. Une foule d'iraitateurs s'est precipitee a sa suite, et la lepre de la contref.icon s'est allachee a sa Yogue. lis out cm, !es sacrileges, qu'il suffisnit qu'un vin moussat pour devenir vin de Champagne! Us n'ont tenu aucun comptedece terrain crayeux, leger, subtil, pour ainsi dire, comme levin qu"il produit, etils out demande du Champagne aux co'.eaux brules du midi , au sol glace du nord ! La Bourgogne , si riclic en delicieux vins rouges , auxquels nous nous plaisons a rendre homiuage , est descendue elle-meniL' dans Tarene, et, Tune des pre- mieres, a entame cetle lutte inegale qui ful un triom- phe de plus pour la Champagne. Ensuite sont venus les vins d'Arbois, de Saumur, de Vouvray , de Saint-Peray mousseux; puis, a son tour, la Suisse pretendit avoir decouvert dans ses mon- taones deneige un filon dela mine champenoise. Les rives de la Moselle et les bords du Rhin ne se sont plus contentes de produire d'excellents vins blancs, justement renommes; ils ont voulu se passer aussi la fanlaisie du vin mousseux , et le grave et capiteux Ru- desheiraer, delaissant le Romer national , a essaye de petiller dans leverre elegant de la Champagne. Le Wurtemberg, la Saxe, la Silesie elle-merae n'ont pas vou'u rester en arriere, et nous avons vu paraitre les vins mousseux d'Esslingen, de Dresde et deGrun- berg! Jusque-la , rieii de mieux; chacun etait d;ins son droit. — Le veritable Champagne s'est tenu de- bout et ferme au milieu de toutes ces imitations plus ou moins infriictueuses, et qui n'ont servi qu'a consla- ter sa superiorite. Aussi n'aurions-nous nul motif se- rieux de nous en emouvoir et de nous en preoctuper, — 215 — si elles s'etaient toujours renfermees dans les limitcs d'line concurrence honorable. Malheurouseraent il n'cn est pas ainsi parton!. Dans plusieurs eontrees, cer- tains conlrefaclcursse iivrent audaoieusement el pres- que publiquement ii de honteuses manoeuvres, dont on ne saurait Irop energiquement flelrir la deloyaute. Coniprenant que leurs produils ne peuvent, pour la plupart, obtenir par eux-raemes qu'un mediocre cre- dit prt's des aclieteurs, ils ont reconrs a la fraude la plus scanclaleuse. Non contents de les decorer trai- trouscmcnt du nom de Champagne^ ils s'emparenl des marques les plus en vogue et, a Taide decs faux etdu plus criant abus de confiance, vendent a de credulcs consommateurs un tristebreuvage auquel les Etiquettes champenoises servent de passe-port et de manteau. Trompant ainsi la bonne foi des uns , volant aux au- tres une reputation loyalement conquise par de longs et couteux etTorls , ils iletrissent, et c'est la le plus desastreux resultat de cette deplorable concurrence, ils Iletrissent, dis-je, la renommee des jnarques les plus estimees, en les nndant ainsi et, tout a la fois, complices el victimes de leur fraude. Les maisous champenoises ont inslitue rdceniment une commission a laquelle elies ont eonfie la defense de leur bon droit et le soin de veilter aux interets com- muns. Puissenl ses eflbrts etre couronnes de succes, et les etats qui tolerent une si scandaleuse violation du droil des gens, entendre eniin la voix de la justice ! J'aidit, encommencant ce travail, que je n'entendais nullement faire un coins d'eiiseignenienl vinicole ou commercial, et je tiendrai parole. J'ai voulu (^crirc I'histoire de nos vius el non celle de leur manulentiou. — 216 — Cette derniere pourrait presque fouruir, c^ elle seule, la maliere de deux volumes, dont I'un serait destine a refuter les erreuis qui ont ete accreditees sur ce sujet(I). Mais ce que je puis dire, le voici : c'est qu'on se fait generalement une idee tres-inexacte du commerce des vins de Cljampagne, qui certainement est un des moins connus (2). (1) Au moment oii j'ccris ceslignes, un journal de Reims {I'lndus- tricl) public la traduclion d'un article du Eraser's Magazme, signe O.N. Corame je n'ai pas I'original sous les yeux , je ne puis verifier I'exactitude de la traduction; mais si nous devons nous en rapporter h cette derniere, I'auteurde Tarticle n'a pas recu toujours des rensei- gnements bien precis sur le sujct qu'il traite. Aprcs avoir consacre quelques lignes a une notice historiquc tres-abregee , mais assez exacte cependant, de nos vius, il enlretient scs lecteurs de la raaniere de les faire, et tombe alors dans de nondjreuses erreurs. Je n'en cite- rai qu'une seule : « Si les dommagcs qui rcsulteul de I'eclateraent des . bouteilles vont au-dcla do 16 0?0, dit M. 0. N., on transporte le . vin dans un caveau plus frais , ou bien oh le cUhouche pour un . temps doiun' ;puis on/erme les bouteilles lorsquon estime que la » surabondanee du gaz n'exislepbis. >• Si iM. 0. N. avail tant soit peu frequenlela Champagne, il n'aurait certes pas ecrit ces lignes. En suivant la marche du vin , il se serait convaincu que si on debouchait,7)OMr untemps donne, du Champagne mousseux au moment de sa plus violente fermentation, et quand la casse a deja atteint lo o;o, ce n'est pas seulement du gaz ([ui s'echap- perait, mais bien aussi le vin lui-meme ; la bouleille serait bien tot en- tieremcnt vide, on n'aurait plus besoin dcla re/enner. M.O. N. semble doutcr que les meilleurs \ins de Champagne, meme les non mousseux, puissentse garder au-dela de 15 a 20 ans. Je m"erapresse de le rassurer a cet egard. Je ne parlerai pas des ex- cellents Sillery et Ay non mousseux de 1 825, admirables encore par leur vigueur et lour parfura , mais je dirai que dcrnierement j'ai ele a memededegusterdel'Ay secde 1794 ! qui elait parfait. Or, ce vin avail 50 ans! (2) Combien de personnes, par excmple, croient encore qu'on ne peut faire des vins Wanes qu'avec des raisins Wanes, et sont tentee — 217 - II en est peu qui presentent plus tie diflicull^s, qui soiententoures cle plus d'ecueils etde perils, qui exi' gent des connaissances plus variees. Lefabricant d'e- tofl'es qui emploie toujours les memes laines, qui se sert constamment des memes moyens d'action, pent, en procedant par analogic, operer cliaque annee d'une maniereapeu pres mathematique ; ilconnait d''avance la qualite du tissu qui sortira de ses ateliers. II en est tout autremeut des vins mousseux : rexperience des annees precedentes n'est pas une garanlie suffi- sante pour les annees a venir , car la manutention ifa pas de regies iuvariables. Les plus habiles voient frequemnient leurs combi- naisons, leurs calculs dejoues par le liasard ; souvent la cuvee sur laqucUe reposaient leurs esperances, en apparence les mieux fondees, est cruelleraent decimee par la casse ou ne mousse pas du tout. La science , nous Tesperons bien , n'a pas dit son dernier mot ; niais enfin , jusqu'ici , elle n'a pu nous initier aux mysleres de la fermentation et nous don- ner de formules positives; aussi, je le repete, le ha- sard a encore une trop large part dans les operations de la Champagne. Et puis ensuite il ne suffit pas toujours de fail e du de regarder comme de niauvais plaisaiUs ccux qui Icur donnnit I'as- surance que les nieillcurs , procisonieiit, sonl le produit de raisins noirs. II eii est un grand nombre que vous aurez inliniment de peine a detroiuper.Je pourrais citer, a ce propos, ladeconvenue d'un celebre chimiste qui, dans une discussion sur ce sujel , fut batlu par uue dame ciiampenoise, ma parentc. Aprcs de longs dciiats, cctte dame, pressant un grain de raisin noir, fit remarquer que le jus qui en sor- lait etait d'un blanc a i)eine nuance d'une (einte rose, el le savanl, desappointe, dut so rendre Jilevidencc. — 218 — bou vin ; il faut encore et surtout qu'il repoude a I'i- dee que s'en font lesconsomraaleurs , et bien peu de ces derniers savent combien de soins et de soUicitude exige ce vin delicat , depuis le jour oil le raisin se cueille, jusqu'a celui oil, brillant comme le cristal, il ecume et petille sur leur table. Aussi, je le repele, le commerce des vins de Cham- pagne est-il I'un des plus minutieux , Tun des plus difllciles qui existent. Je ne terminerai pas la tache que je me suis impo- see sans signaler un fait qui a bien quelque gravite et qui me parait de nature a eveiller les preoccupations des esprits serieux. Je veux parler du deplacement plus ou moins pro- chain del'industriedes vins mousseux en Champagne. La regrettable, mais malheureuseraent trop reeile in- difference des Francais pour TeluiJe des langues vi- vantes, a necessite autrefois, de la pai t des negociants, I'appel en Champagne dequelques jeunes Allemands, auxquels fut confie lesoin de la correspondance etran- gere. Plusieursde ces jeunes gens, qui se trouverenl ainsi inities aux secrets d'une manutention impor- tante , surent mettre a profit avec une inlelligence que nous sommes les premiers a reconnaitre, la po- sition exceptionnelle qui leur etait faite, el formerent des etablissements a leur tour. Malgre cette Iccon el malgre I'augmentation de nos rapports avec I'exterieur, I'etude des langues h'est guercs plus en faveur aujourd'hui. Aussi le nombre des maisons etrangercs at il pris un accroissement remarquable. Sous Thabile direction des hommes re- commandables qui sont a leur tete, elles out pris rang parmi les plus considerables de la Champagne. Mais ^ — 2i9 — quclque honorables que soient ces maisons sons tous les rapports, nous ne pouvons nous empecher d'expii- mer un regret : celui cle voir une industrie du sol , une industrie si franclieraent nationale, nous echapper presque lout entiere par notrefaute. Or, je le repete, ce deplaceraent dont Taccomplis- semenlest plus ou moins procliain, a pour cause pre- miere notre facheuse insouciance pour I'etude des lan- gues Yivantes; car, dans rinipossibilile a peu pres complete de rencontrer des eruployes francais en etat de tenir la correspondance anglaise et allemande, les chefs de maisons sont bien forces toujoursd'appeler les etrangers a leur aide. Ne serail-ce pas ici le cas d'emettre le voeu que ces deux langues fussent enseh^nees se'rieusement, non-seu- lement dans les colleges royaux et communaux , raais aussi dans les ecoles primaires supericures ; on donne- rait ainsi , d'ailleurs , aux enfants une chance de plus de se placer avantageusenient plus tard. Puissenl mes paroles n'etre pas perdues pour lous! puissent mes jeunes compatriotes comprendre enfin la necessite rigoureuse de donner a leurs etudes une direction plus en harmonie avec les besoins de I'e- poque ! Si ma voix est entendue de quelques uns, je ru'esti- merai heureux et je croirai n'avoir pas ete entiere- ment inutile a mon pays. Reims. — I-. Jacqi ft, Imprimeur do rAcademic. f SEANCES ET Tn.WAUX DE L'ACADfiMIK DE REIMS. V 6. Seance du %% Ao&i B^J5. SOMJIAIRE DE lA SEAACE. Correspondatipo. — Lecture ile M. Bonncvillo : Fragment (run on- vmge sur Ic droit tie grace. — Lecture (!e M Eiig. Courmeaux : Fragment d'un comple-renilu iles Etudes svr I'Angleterre , \y,\r M. Leon Faucher. — Leltre de !\L E. Faroclioii : Projet de statue A Colbert. — Lecture deM. Rohillard : L'Hotcl de Rambouillet. La seance est ouverte sous la presidence do Mon- seia;iieur rarcheveque. — M. le secrefaire donr.e lec- ture du proces-Ncrijal de la dorniere reunion. La correspondance iniprimee comprend : 1" La llevue magoi'tiquc, nuniero de Juillel 1815 ; — 2" IJullclin de !a Societedes aiili(piaires de Picar- die, annee 1 S'lS, n" 2 ; — o" Un extrait du huUctiii de la Snciete des anJiquaircs de TOuesl , deu^iieme Iri- mestrede 18^i3 ; — 4° Annales scionlifiqucs lilteraires et industrielles de rAuvcrgno, Mai, Juin , Juiiiet et Aoiit 1843 ; — 5" Plus d'e'chatas , nouvelle maniere de soutenir la vigne, par Andre Micliaux , Paris, 18i3 ; — G" Vocabidaire du has lang.ige remois , j).ir E. Saubinet alne, Keinjs, 18''i5; — 7"Dclai!ecessi!cd'un ministere special pour Tagricullure, par M. A. Puvis, Bourg, 1842; ■ — 8" Le J^Ionaulopole ou code comple- roenlaire d'econouiie sociale, par M. Jol>ard, Bruxel- les, 1843; — D" Inslitutde France : Rapport snr im appareil a fa ire de la glace, presente jiar M. Ville- neuve; — 10" Exposition critique des principes de Hi — 222 — recole societaire, par A.-G. Bellin, Lyon, 1841 ; — 1 1" Exposition dos principes de rlielorique contenus dans le Gorgias de Platon, par le rneme, Lyon, 18i1 ; — 12" Exposition des idees de Platon et d'Arislote sur la nature et I'origine dii langage, par le merne , Stras- bourg, 1842 ; — 13'' La Bataille electorate ou les Ma- rionnettes politiques, comedie en cinrjacteset en \ers, parM. A. R. (conipte-rcudu par G. Bellin) , Lyon , 1842 ; — 14° Societe royale d'agricuUure et de com- merce de Caen, seance du 16 Mai 1845 ; — 15° Jour- nal deVervins du 3 Aoiit184o; — 1G° Journal de la Societe d'agriculturedu departementdes Ardennes, 25 Juillet 1845; — 17° Ilistoiredes sciences de I'or- ganisationet deleurs progrescommebase de la philo- sophic, par M. de Blainville rcdigee d'apres ses noleset seslecons, fades a laSorbonnede 1839a 1841, par M. Maupied, pretre doct. ur es-siiences de la Fa- culte deParis (M. Tarbe deSaint-IIardouin est charge de faire un rapport sur cet ouvrage) ; — 18"Essai sur le systeme moderne de fortification adopte pour la defense de la fronlicre rhenane , traduit de I'an- glais par Napoleon F. . . ., Paris, Correard, l84o , in- folio. (Cet ouvrage estrenvoyearexamen d'line com- mission composce deMM. Garcet et Tarbe de Saint- Hardouin.) La correspondance raanuscrife comprend des ler- tres : 1° De M. Farochon (voyi z ci apres, pages 264 et suivantes) ; 2" De M. Picard d'Evrcux, envoyant un inemoire sur Torganisalion dc la charile publique , pour I'extinction de la mendicite ; 3" De M. Lacurie , chanoine honoraire a Saintes, avec un memoire sur les monuments celtiques ; 4° De M. RobillarJ, rclalive ii I'application du jury aux affaires civiles conime aux affaires criminelles; 5" Une note de M. Jobard, sur la conservation des bois , d'apres le precede de M. Payne. A la fin de la seance, M. le president proclame que I'Academie entre en vacances, pour ne reprendre ^■cs travaux que le premier vendredi de Novembre. ~ 223 — LECTDRE DE M. BONNEVILLE. DROIT CRIMINEL. Dl DROIT DE GRACE. (Suile A fm.) II. Sagesse des conditions actuellement impose'es a Voclroi des graces. J'aborde avec cVautant plus de complaisance les considerations qui Aonlsui'vre, qu'en les exposant, je vais ine trouver place au milieu des vivantes realites de I'application. En general , Toctroi des graces n'est plus , de nos jours, pour la royaute, une simple prerogative de fa- veur et de bon plaisir ; mais raccomplissement d'un auguste devoir, que le prince lui-mtme a voulu en- tourer de toutes les garanties qui peuvent Uii impri- mer le caraclere d'un acte de sagesse et de justice. C'est dans ce but que Tadminist ration des graces forme, depuislonglemps, au ministeredc la justice, une direction speciale, qu'on a reunie a celle des affaires criminelles ; comme pour manifester I'etroit lien qui unit dcsormais le druit de grace a la bonne adminis- tration de la justice criminelle. Des les premieres annees de son regne , le roj Louis XVIII, comprcnaut la haute importance du droit de grace, comme complement de la justice distributive etdu systerae penitentiaire, voulut lui-memeimposer a Son exercice une serie de principes reglementaires qui , 224 pussent, d'line pari, prevenir Itsabus, et dc I'autre, assurer a la misericorde royale loute son eflicacile re- formairice. Son ordonnance dn GFevrier 1818 est, dans Tordre des idees de ce chapitre, un monument trop remar- quable pour que je la passe sous silence. « Sijdit le preandiule , la punition des crimes et delils est le premier bcsoin de la societe , le repentir, quandil esl sincere et bien constate, a d'aulantplus de droits a noire clemence royale, que souvent/7 n'est pas moins utile pour Vexcmple que la peine menie , et qu^il offre la meilleure garanlie de la conduile future ducou- jiahle. — Deja nous avons pourvu par diverses ordon- nances(!) au regime des prisons; nous avons voulu que ce regime, sans cesser d'etre severe , dans I'inle- rel de la siirefe publique , fut en tout conforme aux principes de Thumanild, aux regies des bonnes moeurs et aux distinctions elabliespar la loi entre ceux qu'elle condamne ; que les detenus fussent environn^s de I'ap- pui et des consolations de la religion ; qu'on eiit soin de leur procurer un travail qui, en meme temps qu'il adoucit leur sort actucl , leur menage des ressources pour Tavenir, et leur fait contracter des habitudes morales. » Apies avoir, par ces mesures, rendu la resignation ^/H5/ac(7e aux condamnes, nous voulons encore leur tenir comptcf/p leur retour a des sentiments honnetes, et EXCITER PLUS VIVEMENT LEL'R EMILATION , PAU I'XE PERSPECTIVE PLUS ENC0UI5AGEANTE, en faisant connaitre la resolution oil noussommes, d'user de notre prero- gative royale en faveur de ceux qui , par une bonne (1) Entre aulres celle du 2C Juillet 1817. - 225 — coNDUiTE souTENUE, se soHl reudus digncsde la remise enliercou de la comnmUUiondc la peine qn'il leurrcste- rait a subir. A ces causes, etc. » Cetle ordoiinance poric en substance, que tous les ans, avant le I*"' Mai , les preleis adresseront au mi- nistre de I'inferieur la liste de ceux des condanine's detenus dans les prisons de leurs depai lemcnls respec- tifs, qui se seront fait reiuarqucrpar leur bonne conduite et leur assiduitc au travail, et qui , a ce litre, seronl juges dignes de participer aux effets de la clcmence royale; — que le ministre de I'interieur transmellra ces listesau garde-des-sceaux, a\ec les observations et propositions uu'il aura jiige convenable d'y joindre ; — que le garde-dcs sceaux. apres avoir recueilli tons les renseignements necesstiires (1) aupres des procureurs generauxetordinaires, dans le ressort desquelsauront ete condamnes et se trouveront detenus les individus portes sur ces listes, prendra a leur egard les ordres (1) Outre les circoiistaiices du crime ou dclit, et i'avisdu ministcre public, voioi les principaux rciisoignemenls que la repouse doit con- tenir : l" Les norus et prcnoms de chaque coiularane ; 2° Son age ; 3o ^aprqfe.'ision el scs autres luoijens d'crhtence ; 4" S"il e.^t marie, s'il a des cufants, .si safamillepeutoffrir quel- ques garantles; 5» Sa conduite et sa reputation avant le fait qui a motive sa con- damnation ; 6° La date de I'arret ou du jugement de condamnation ; 7" La nature et la durec de la peine prononcee ; 8" Encasde condamnation inramanle, si Tarret a ete execute, et quel jour, en quel lieu le condamne suliit sa peine ; 9" En cas de simple cmprisonncracnt corrcctionncl, si le condamne subit sa peine, depuis (jucl jour et dans quelle prison ; 10» Enfin quelle conduite il a tenue depuis son arreslation. ^ 226 — du Roi, de maniere que la decision de Sa Majesty puisse etre rendiie le 25 Aoiit (1) de chaque annee , epoque fixee « en memoire du sainl roi , dont son amour pour la justice a rendu le nom a j;imais memo- rable (2). » C'est au sujet de cette ordonnance , que M, le mi- nistre de la justice ecrivait, le 14 Mars suivant, a lous chefs de parquet : « L'altribution dont \ous etes investis est une nou- velle marque de confiance que vous recevez du Roi , et elle formera en queique sorte le complesiekt des honorables fonctions de votre ministere. Apres avoir poursuivi le crime aunom de la loi, avec rinflexibilite qu'elle prescrit, vous ne pouvez que yous applaudir d'etre appeles les premiers a reconnaitre le repenlir des condamnesy el a lefaire parvenirauxpieds du trone. » Point de regie a vous prescrire pour Taccomplisse- ment de ce devoir. 11 est trop precieux pour que vous vous en acquittiez avec indifference. Mais vous n"ou- blierez pas non plus que, dans I'interet de Fordrc pu- blic, Tindulgence elle-meme doit-^tre appreciee au poids de ceile justice^ dont la balance est remise entre Tos mains. Ce n'est done qu'avec une sage reserve et d'apres des notions exr.ctes, que vous vous determine- rez a me proposer des mesures de clemence et a etayer de votre assistance les propositions qui vous seront faites (3). (1) Les graces goncrales, autrefois accordecs a I'epoquc de la Saint- Louis, sont aujoiird'hui publiees le 7 Aout, jour anniversaire de I'avenemeiit de Sa Mnjesteau trone. (2) Ord. du Roi due Fcvrier 1818, (3) Circ.du 14Mai-s 1818. 227 » Dans voire travail, ajoiite M. le garde-des sceaux, Tous donnerez une altention parliculiere a la bonne conduite dts individiis condamnes pour fails relalifs aiix circonstances politiciues. >♦ Sidansles niomenls d'agilation, il est indispensa- ble de reprimer les delilsde cetfe nature avec la plus grandevigueur, cette agitation pent cUe-menieetre con- sideree conime une circonslance aiie'nucuile, lorsque les temps sonl devenus plus cahnes, et rpie la force du gouvrrnenient a retabli Fordre. C'est dans de tclles conjoni tures que le coeur paternel du Roi se plait a user de la plenitude de sa clemence envers I'erreur et le repent ir (1). » Ces instructions, a la fois si sages et si genereuses, semblaicnt devoir prevenir toute possibilite d'abus. Et pourtanl leur premiere mise en pratique, tant cette matiere est perillease ! revela de tels abus d'indul- gence, qu'il y eut necessitc d'adresser a tous les fonc- tionnaires administralifs et judiciaires de nouvelles recommandalions. « Lors du dernier travail des grjlces, ecrivait le 5 Janvier 1819 M. le ministre de la justice, presque tous les prefets et queUiues procureurs generaux ou ordinaires du Roi, ont donn(5 une trop grande er^ten- sion a leurs listes de presentation. Je vous ai deja fait observer, par ma circulaire du 14 Mars dernier, que, dans Vinleret de I'ordre public (2), Temploi de I'indul- (U Circ. (lu minislre do la justice du 14 Mars 18(8. — Ces remar- quablcs instructions sont s\guC'Ci~Pasquier, ct coiitresignccs Lcrjra- verend. (2) C'cst-a-dire pour no pas porter dattciiite Irop grave aux sa- Uilaircs garanlics dc riufimidalioii el de la seeuriU'pnblique. __ 228 — gence ne devait avoir lieu qu'iivec une saije re'seroe. II s'agil, eu ellet, d'encoiirager les prisonniers a se bien coiiduire, a se monUcr dociles et laborieux, elde re- compenaer ceiix qtii se distinf>uenl sons ces rapports; mais, comine ii faut eviter de relarher, par une ex- cessive indulgence, raclion neoessaire des tribunaux de repressio:'., les graces de Sa Majeste ne devaient s'elendrequ'a un petil nombre de sujels ; et il est aussi extraordinaire que conlraire au but de I'ordonnance, de voir figurer sur les listes de presentation, aiiisi que cela a eu lieu generalement en 1818, des indi- vidus condamnes a des peines graves et de longue duree, qui ne sont delenus que depuis quelques mois (1 ). (1) La Irop grande facilitc avec laquello se font aujourd'hui encore les jiroposilions de grace, est un abus centre lequel on no saurait prendre trop de precautions. II provicnt, en grande part ie , seloii moi, de ce que les directeurs des prisons, les commissions de surveil- lance et les chefs administratifs, ignorant presque toujoursto circoti- stances diifalt qui a donnc lieu k la condamnation, se preoccupent uniquement du repentir manifeste et de la bonne conduite actucUe du condanine. 11 en serait autrcmcat;. si le parquet du lieu do la con- damnalion etnit tenu d'adresser au directeur de la prison, non un simple extrait de condamnation, mais un expose succinct des cir- constances du fait puni, des motifs qui onl determine I'indulgence ou la scverilc dos jugcs, et de la conduite tenue par le coupable, avant ou depuis sa condamnation. Cette mcsure aurait un autre avantage precieuxqiiejedois signaler. Aujourd'hui, c'est aujour de la proposi- tion des graces qu'un rapport est demandc au procureur du roidu lieu de la condamnalion, sur les circonstances duftut et sur la convc- uance etTopportunitedela grace sollicitee. Or ces rapports, bits long- temps apres la condamnation et sur le vu seulement du dossier, par des magistrats qui, presque loujours, no sont pas ceux qui ont pour- suivi la repression du debt, sont necessairement inexacts, en ce qu'ils ue peuvcnt reproduire les faits et les circonstances raoditics par le debat. Ce grave inconvenient serait evite, si les circonslaiues^/M/ai^ etaientexposees, inunediulcmcnt apres chaque condamnation, par le magislrat meme qui a soulenul'aflaire a I'audicnce. — no — D'uu autre cote, j'ai eii roecasion de remarquer que Toil avail mis pen de discretion dans la confection des tableaux; de nonibrcuses reclanialions de lu part de detenus qui s'y trouvaient porfes, m'ont donne celte certiludc ; et vous scntez qu'en publiant a Tavance la designation faite de lei ou de tel individu, il en re- sulle d'abord Tinconvenient de lui donner un espoir qui peut etre tronipe, et qu'ensuite, si la decision du Roi doit etre favorable, les diets de la cleiuence de Sa Majeste sont a peine apercus (i). » line derniere instruction du 9 Aout 1818 vint com- pleter Tensemble des precaulions jngees necessaires pour que I'ordonnanceduGFevrier 1818 fut exe'cutee demaniere a exercer une influence salutaircsur la re- formation morale des condanines, sans adaiblir Taction de la justice re[)r('ssive. Dans ce double but, M. le garde-des-sceauxPorfalis arrela leu dispositions suivantes, pour lesquclles il re- elama vivement le concours du zele et des lumieres des officiers du ministere public : « Jusqu'ici, dit M. le ministre, les listes n'outof- fert aucun moyen de proportionner le nombre des graces a la population de cliaque i)rison , el de les dislribuer eijalemenl aux dilTerenlos classes de prisoa- niers. II est cependant tres-utile de garder cetie juste MESCRE. Trap noinbreuses, les graces rendraient ea quelque sorte les peines iliusoires ; Irop rares, elles decourageraient les detenus au lieu d'cxciter parmi eux celte emulation saluiaire que s'est proposce I'or- donnance. » AOn d'eviter ces deux exces, j'ai place en tcte des (I) Circ. du garde-iles-srcaux, du j Janvier 1319. - 230 — listes un tableau de situation indiquant exactement la population de chatjue prison, avec toutes ses divi- sions. Un autre tableau m'a paru indispensable : pour qu'un detenu puisse etre admis au benefice de la grace, I'ordonnance exige surtout qu'il ait montre de Vassiduile au travail-^ c'est en etlet la meilleure preuve qu'il puisse donner, dans sa situation, d'un retour sincere a des senliinents honnetes; et il est evident que, toutes choses egales d'ailleurs, le condamne qui aura le plus tra^aille durant sa detention, qui sera devenu Touvrier le plus habile, et qui aura economise la plus forte somme sur le produit de son travail, o[- frira plus de garanties que celui qui n'aurait d'autres litres a la clemence du roi qu'une soumission apalhi- que aux reglements de la prison, et qui rentrerait dans la societe sans aucune ressource certainc (1). (1) Nous avonsvu en effet, qu'au iiombre des renseigncnieuls de- raandcs an procureur du roi se trouve cclui-ci ; Quels son ties moyem d'existcncedu condamne? Cette verilication prenlable des moyeus de subsislance du condamne est de la plus haute importance. Avant de le gracier, il faut s'ctre assure qu'a sa reiitree dans la societe, il Irouvera des moyens certains de travail et de subsislance. Autrc- ment, la misere le ramenerait forcement aux dangereuses excita- tions qui ont cause son premier delit. C'est a cclte cause prin- cipale qu'il faut attribucr Ic grand nombre de condamnos gmcids qui reparaissent devant les tribunaus, en etat de rdcidive. En pre- sence de ces rechulcs deplorablcs , on so prend a douter do la clairvoyance qui a preside a I'octroi de la grace, quand il ne fau- drait accuser que I'imprevoyance de ceux qui ont soUicite la cle- mence royale en faveur d'un condamne, sans r.voir prdalablement pouvu a ses moyens de subsislance. Or, s'il y a deja imprudence a li- berer a I'expiralion nalurelle de la peine un condamne, sans lui ga- rantir I'appui d'une especede patronage, celte imprudence est sans excuse, alorsque, devaneantle ternic du chatiment, la grace faitreu- trer uu condamne au sein de la societe. Dans ce dernier cas, la grace — 231 — » II est doncde la plus haule iraporlance de bien con- staler ce fait essenliel de rassiduite au iravail. La 16^ colonne des listes marquera desorinais le montant de la masse ou dii pecule de cliaciui des detenus pre'sente pour des graces ou des corn mutations de peine; neanmoins, comme les salaires varienL non- seulement selon le temps, et les lieux, raais encore suivant Tage, le sexc, ct la profession des individus, cerenseignement ne peut eire bien apprecie qu'autant qu'on connait ce que gagnent les detenus dans clia- que prison, eu egard aux dilVorenles circonstances dont je viens de parler. C'est Fobjet du 2*' tableau place en tete des listes; je vous prie de le remplir avec soin. » Outre Tassiduite au travail, I'ordonnance exige des condamnesj pour qu'ils puisscnt etre portes sur les listes, un repentir bien constale ci une bonne conduile soulenue. Ces expressions supposent neccssaircment qu'un temps d'e'preuve plus ou woins long doit pre- ce'der la grace, et garantir qu'elle peut etre accordee sans danger ; mais ni I'ordonnance, ni les instructions qui I'ont suivie n'en ont determine la dure'e. II m''a paru tres-important d'etablir sur ce point une regie fixe, afin que les prisonniers sachenl positivement a quelles epoques et a quelles couditions ils pourront espe'rer voir adoucir leur sort. — La moitik de la peine m'a semble le terme le plus convenable pour les condamnes a temps. Quant aux condamnes a perpetuite, ce n'est pas se montrer trop severe que n'est plus pour le condamne qu'une favour funcste. Micux cut valu pour lui la simple mosure de miseen liberie prcparatoirc dont nous, exposerons bicntot lo systeme. de les assirniler, sous ce rapporl, a ceux qui out encouru la plus longue peine lemporaire. Je vous prie, en consequence, de ne porter a Faveuir sur vos listes : » l" Les condamnc's a temps, que lorsqu'ils auront subi la moilie au moins de leur peine ; » 2" Les conJanines a perpetuite, que lorsqu'ils auront subi dix ans au moins de leur peine; » 3"Lts condamnesa perpetuite qui auront deja ob- tenu une commutation, qu'apres qu'ils auront subi la moilie au moins de la peine subslituee. » Les propositions qui ne se renfermeraient pas dans ces limitcs seroiit considerecs comme nox avenues, a moins qiCelJes ne soient motivc'es sur quelques circonstanccs GRAVES ET EXTRAORDINAIKES. » Vous n'eprouvercz du reste aucune difficulfe a vous procurer ces renseignements, ni ceiix qui doivent enfrer dans vos listes. L'article I'''' de I'ordonnance dut 6 Fevrier 1818 vent que les procureurs generarx et ordinairesdu Iloi setassenl rendre, tous les trois mois, des comptes detailles de la conduite des detenus en verlu d'arrets ou de jugements, par les directeurs, inspectenrs, aumoniers, conseils de surveillance, et tous autres charges de I'administralion, inspection ou surveillance des niaisons de force, de reclusion, de- tention, correction, et prisons quelconques. C'est a vous qu'il apparlient de fixer les points sur lesquels doivent porter ces comples detailles, dans tout ce qui pent servir a apprecier la conduite des prisonniers et leurs droits respectifs a la clemence du roi. Si, comme j'ai lieu de le craindre, cet article etait tombe en desuelnde dans quelques ressorts, vous aurex soin d'cn reclamer la stricte execution, alin que vous — 233 — puissiez vous conformer aux aulres dispositions de I'ordonnance. » La ciiculiiire dii 14 Mars 1818 vous rccomman- dait en oulre, ainsi qu'a yos subslituis, de faire de fre'giientes visiles dans les prisons, soil pour oblenir les renseigncmenls (!ont vous auriez bosoin. soitpour verifier ceux qui vous seraicnf adrcsses et les denian- des qui vous seraicnl faites, Vous avez sins doute renipli ce devoir sacre; mais il est a desirer que !es resultats de cette precieuse mission soienf niieux conslates. Je vous prie de vouloir bion desormais joiiidre a vos listes de presentation un rapport de- taille sur I'elat des prisons, oil seront consignees les principales observations que vous et vos substituts aurez pu faire dans le cours de vos visites, notamnient sur les points suivants : — si les prisons sont adnjinis- trees de la nianiere la plus propre a reformer les raauvaiscs inclinalionsct les habitudes (riminelhs dcs detenus ; — si quelque viceou quelqueprincipe de de- sordre domine , et quelles niesures on a prises pour en arreter les progres ; — si les prisonnierssontdistri- bues dans des quartiers separes, et quelles sont les bases decelle classification; — s'ils recoivent re'ulie- rement des instructions morales et religieuses, et a quelles epoques ; — si le regime des prisons laissequel- que chose a dcsirer sous ce point de vue, et quels se- raient les moyens d'y remedier ; — si les detenus sont generalement sounds, on s'ils ne peuvent etre corite- nusque par des ehatiraents severes, etc. Ces donnees generales seront tres-uliles pour apprecier la conduite et les droits de chaque prisonnier porte sur les listes. » Jen'ai pas besoin devous rappelerqu'au milieu de toules ces investigations, vous devez eviter avec le — 234 — plus grand soin de vous iramiscer dans les attributions quiappartiennent exclusivement a Taulorite adminis- trative. Tous vos droits se borneront le plus souvent a signaler les inconvenients et les abus que vous au- rez remarques; mais je veillerai a ce que vos ob- servations ne restent point sans efTet. ))Lesrenseignements cont j'ai besoin pour apprecier les droits des condamnes a la clemence du Roi sont de deux sortes : les uns sont relatifs a leur conduite dans la prison oil ils subissent leur peine ; les autres doivent faire connaitre avec toute I'exactitude possible la nature et les circonstances du crime ou du debt qui les afait condamner, etla situation dans laqnelle ils se trouvaient avant leur condamnation. Quand vous n'au- rez a porter sur vos listes que des prisonniers condam- nes dans voire ressort, il vous sera facile de me satis- faire sur ces deux points; mais lorsque vous croirez devoir reconimander des individusjuges hors de votre ressort, ce qui arrivera souvent dans les maisons cen- trales, vous ne pourrez guere vous expliquer, en pleineconnaissance de cause, que sur la conduite des condamnes depuis qu'ils subissent leur peine. Je de- vrais, dans ce cas, communiquer vos bsles a ceux de vos coUegues, dans le ressort desquels auront ete prononcees lescondamnalions [Art. 4 de V ordonnance); mais, pour abreger les delais, je vous prie de vouloir bien leur faire vous-memes cette communication, en leur adressant les extraits de vos listes, des que vous les aurezarretees. Ces extraits enonceront seulement les noms, prenoms et domiciles des condamnes, la datede la condamnation, la cour ou le tribunal qui I'a prononcee, la nature du crime et celle de la peine. Les prefets vous enverront de semblables ex I raits — 23S — pour tous les condamnes de voire ressort qu'ils porte- ront sur leurs lisles. Les magistrals qui recevront ces extrails, soil de leurs collegues, soit des prefels, vou- dront bien m'adresser direcleuient et sans delai des renseignemenls precis sur chaque condamne et sur les fails de la condamnalion, etc. » Telles sont, monsieur le procureur general, les regies qui m'ont paru propres a assurer I'exd- culion pleineet enticre de rordonnance du 6 Fevrier 1818. Je vous prie de vouloir bien vous y confer- mer. » Ces regies, encore pleintment en vigueur aujour- d'hui, sonl, on le voit, concues dans une pensee de sagesse, d'liumanile et de nioralisation, qui doit as- surer a Tusage du droit de grace une puissante effi- cacilerdformatrice. Cependant un honorable magistral (JVI. le conseiller Aylies) voudrait, « pour prevenir tout abus, que le droit de grace fill regie a I'avance par des conditions limitatives, dont on ne put se de- parlir dans aucun cas el sous aucun pretexle (1). » Je ne puis parlagcr cet avis. — Le droit de grace est un pouvoir extra-legal, que rien ne doit enchainer d'une facon absolue. — Des regies ont ete elablies pour le ccurs ordinaire des choscs, et les propositions de grace coiilraires a ces regies sont considerees comme non avenues, a moins, ajoute avec raison M. le garde-des- scoaux, qu^elles ne soient moiive'es sur des circonstances graves el exlraordinaires. Et en eflet, ce qui fait prin- cipalement rinfiuence regeneralrice de la grace, c'est qu'a Texemple de la misericorde divine, elle est une voie supreme toujours ouverte au repentir. — I\tetlez (1) Aylies, Du systeme phidenlMln', p. 148, — 23G — rinfranchissable barriere d'une roc[le inflexible entre les condamnes el la grace, voiis creez le desespoir, et apres lui, rimpeni fence et rendiircissoiijent. Je recoanais avec M. Aylics que le droit de grace a elecoiiQe an Roi par la charte, dans un iuteret es- sentieileraent public et social, et nullenjenl pour des satisfactions personnelles, si louables, si pures, si di- gnes de respect qu'elles puissenf etrc; j'avone egale- ment que, sons ce rapport, son exercice pent e!re souvent pres de rahus ; inais qu'on rae cite un seul droit parmi nous qui n'ait pas pres de lui Tabus? Tout ce qu"on pent raisonnablenient exiger de la sa- gesse du luonarque, c'est Teiablissemenl de regies generates qui puissent, pour tons les cas ordinaires, pernietlrel'usage du droit de grace, sans compromet- tre Tinteret de la justice repressive. Or^ I'inlerelde la justice repressive est sauvegarde, d'uue part, par la condition generalement imposee a tout impetrant, d'avoirsubi au nioins la moitie'de sa peine; de Tauti^e, par Pavis esige du procureur du roi, qui a rcquis rap- plication decelte peine. Les avis egalenient di mmdes au pretet, a !a commission de surveillance et a I'au- raonier, sont autant de garanties serieuses contre les abus de la faiblesse ou du favoritisme (1). On pent done aflirmer, sans crainte de dementi, qu'cn CO moment, le droit de grace est re'glemente en France, mieux quil ne Ta jamais ete; et que ces re- (1) Ou Irouvcrait une nouvelle garanlie contre les abusdansl'in- serlion dun c-tal detaille des graces, dans le comptc annuel de la justice crimlnclle ; ce comptc se borne, quant a present, a donner le chiffre des individus gracies. — 237 — gles concilient parfaitemenl les severes exigences de la repression, avec les interets de I'liuinanile et ceux de la nioralisalion des coupables. Or, en [U'esence d'un tel etat de choscs, n'ai-jc pas eu raison de dire que le droit de grace, ainsi exerce', • {Journ. de lasocielc de morale chrelienne.) — 240 — possible, des concb nines, !a reparation due a la pariie ie'se'e. La raisonqne j'en ai donnee est que la repara- tion du mal cause par le crime , ou la reslilutiou du benelice illegitinie qu'ila procure, sont la plus serieuse preuve d'un \rai repentir. — En consequence , j'ai exprinie le voeu , qu'a Tavenir, aucune grace ne fut accordee, qu'apres constalalion de cetle reparation , ou du nioins des elVorts tenles, dans ce but, par le cou- pable (1). — Sans reproduireici les considerations deja deduiles, je me borncrai a dire, que du moment que Ic lloi declare lui-meme vouloir faire du repenlir des eondamnes la condition tondamentale de sa cle- mence (2), ie simple respect de cette haute pensee du souverain exige que toul demandeur en grace soit tenu de prouver la reparation prealabte du dommage par lui cause ; sinon la preuve de son impuissance person- nelle, et , scion les circonstances , de celle de sa fa- mille (3). Le remhoursemcnt (les frais de justice etant aussi una (1) Aujourd'hui, les Icttrcs dc grace se bornent a cette enonciation : Sans que notre decision puisse ni nuirc iii prvjudicier aux droits de la partie civile, s'il en eiiste une, lesqtiels demcurent eapres- sement reserves. Cette clause est une inutile vuigarite. II est par u-op evident que leroi ne pcutdi-pouiiler la partie civile dcses droits; elle estdeplu* une sorte (Imimoialitc, cir la grace ne doit jamais Ctre que la consecration du repentir, et partant de la reparation. (2) Preamb. de lord. roy. du 6 Fev. 1818. (3) Je lie dcraande pas que le paiement des dommages et des frais par la famille soit exig6 d'une maniere absolue. Je dis seulement qu"il est au moins convenable qu'une famille aisee, qui reclame de la misericorde du Roi la grace d'un de ses membrrs, s'efforce prealable- mentde reparer le dommage pul)lic ou privc resultant du dclit; et j'ajoute que je n'ai jamais, dans ma longue pratique, signalc a une famille aisee la convenanee de ce sacrilice prealable , sans qu'il ait cte accompli avec cmpressement. l — 2At — veritable reparation cioile envers I'dtat , je voudrais, par les meiiie motifs, qiravant de donner suite a unu deinande en grace, I'oii se fdt assure que le coudaiiine est dans i'iaipossibilite de les acquitter, soit par lui- iiieiiie, soit, suivant les circmstances^ par sa famille (I ). Je dis : Saivanl les circonstances , par sa famille ! Voici pourquoi : il est sans doule loin de ma pensee de vouloir impaser arl)itrairement et forcemcnt aux families solvables de condamnes , une responsabilite civile que la loi ne leur impose pas , pour le paie- menldu dommage et des frais qui incombent a leurs parents condamnes; mais considerant que ces fa- milies out un veritable iuteret d'allection et d'lion- neur a la grace de leur parent ; et qu'aussi le plus sou- vent (2) , cette grace est sollicitee par elles , et en grande partie accordee a leurs instances ; je me de- mandc pourquoi, dans ce cas, lesouveraia ne meltrait pas une condition de haute moralite et de justice u roclroi de la faveur reclamee ; ou du moins, pourquoi Ton ne ferailpas, de la salisfaclionprealableycXoniim^- ment consentie par la famille, un prcce'Jenl favorable a I'obleniion de la grace, de meme que cette satisfac- tion prealable est, jiour les accuses, devant la justice , une consideration toujours allenuante, etdu debt , et de la peine ? Cette satisfaction volonlairement faite par la famille ou meme par les amis, outre qu'elle ejfacerait le mal (1) Voir la note prcct'dente. (2) Cc qui le prouve, c'est que presque tous les dossiers de graces coutieiinenl dcs rccommandutioiis de pairs ou de deputds. Or, eviilcm- n-jent, ces messieurs ne sollieitciil ain-^i pour descoiulamius disseraincs dans lesdiverses prisons du royaumc, i\\in I'insligalion de la famille ou des amis de ces condamnes. — 242 — du de'lit, serait pour la societe une puissanle garautie contre le danger de la re'cldive. Car, celiii qui paye en I'acquit du condamne, celui doni la generosile brise ainsi en sa faveur les liens de la peine, acquiert sur lui un droit irrecusable de surveillance et de repri- mande ; d'oh celti! precieuse consequence, qu'une fois libere, le condamne trouvera dans chacun de ceux qui auront genereusenient coopere, pour lui, a la sa- tisfaction legale, des appuis, des surveillantset, ati be- soin, de justes et severcs ccnseurs, tons moraleinent, et en quelque sorto pe'c.uniairement interesses a sa bonne conduite u'tericure. • — Et alors je nocrains pas de le dire, si la seule reconnaissance ne sulTisait pas pour le retenir dans la voie du bien, cette irapo«ante surveillance de ses bicnfaiteurs aurait evidemment sur lui la plus salutaire influence!... Ainsi done, ces reparations prealables, d'ailleurs si justes au fond, ne pourraieut, qu'elles emanassent du condamne, de sa faniille ou de ses amis, qu'accroitre encore Vefficacite pe'nilenliaire du droit de gnlce. Mais, de plus, elles auraient surtout pour resultat de prevenir un grave abus, que je ne puis uulle part signaler plus a propos. Voici en quoi cet abus consistc. Le Hoi, sur le rapport de son garde-dos-sceaux, daigne gracier un condamne du restant de sa peine. Le ministere public, charge de Vexcculion immediate de la decision de Sa Majeste, s'empresse de donner I'ordre de mise en liberie; mais voici, qu'a cet in- stant, intervient un fonctionnaire i)ublic(l), Icquel re- quierl le procureur du roi de suspcndre sou ordre de (1) Lc rcceveurde renrpgislremeul. — 243 — mise en liberie, et ioul au conlraire de vouloir recom- inander (1) ce rueine condamne gracie, comme debi- teur envers I'etat dos frais de sa procedure! ... Le croira t on ? le procurear du roi est force par la loi (2) de deferer aveuglenictil (3) a celte elrange requele; en sorle qu'on le voit, d'une main, presenter au di- recleur dela prison la grace de Sa Majeste, avec ordre de mise en liberie du condamne ; et de Taulre, la re- quele du recevcur, ave<; ordre de conserver en prison ledit condamne, nonobslant la grace du souverain !.. U n'y a, me dira-t-on, dans celte marche, rieri que de Ires-simple et de tres-regu!ier. — Sous I'ancien droit, comme aujourd'hui, la grace a loujours ete ac- cordee sans prejudice des droits de la partie civile. Et vous \enez de faire remarquer vous-meme, avecrai- son, que, pour le remboursement de ses frais de jus- tice, I'etat est une parlie civile, au respect de tout condamne. — C'est preeisement conlre Texistence le- gale (Tun lei fait que ma raison se souleve ! Et c'cst a quoi jedemandeinslammentqu'on remedie, en faisant AVANT I'octroi de la grace, ce que Ton est force de faire si m.dencontieusement ai'ues! Le public comprend a merveille que malgre la grace royale, la parlie lesee, si elle n'a pas ete desin- teressee, puisse, elle, recommander un condamne pour le paiement des condamnalions resultant du crime ou delil commis; car leKoi, premier servileurde la loi, (1) C'est-a-dire le faire mainlenir en prison, en verlu du droit de eontrainlc par corps, conferearclat envers tons Ics debiteurs de frais de justice. (•J!) Art. 197,G.insl. crim. (3} Lcttre du procureur general de Paris, du Ti Decerabre 184 4. — 244 — ne peut, dans son omnipolence gracieuse, portor at- teinte a I'interet privd du dernier de ses sujels ; mais ce que le public ne coinprend pas, c'est qu'un rcce- veurde Penregistrement, noiunieparle Roi, puisse ve- nir opposer une sorte de veton I'lxecution de la grace accordee par le Roil Ce qii'il ne comprendra jamais, c/est que le nieme jour, le niinistere public soil charge de I'execution de par le Boi de ces deux ordres, dont I'un est une veritable deception, si I'autre n'est une odieuse absurdite! II y a la, pour le bon sens pu- blic ,'"une de ces flagrantes contradictions qu'aucun sopliisme legal ne fera disparaitre. De deux clioses I'une : si le condarane a de quoi payer les frais, faites de ce paieraent une condilion de la grace qu'il soUi- cite. Celte reparation prealable du prejudice pecu- niaire cause a I'etat par le crime, sera un nouveau gage de la verite de son repentir. Mais, s'il est sans ressource; si les faibles gains de son travail en prison ont a peine suffi a nourrir sa famille ; il y a, je le re- pels, une odieuse absurdite, non moins une incroya- ble inconvenance, a rerommander ainsi, au moment precis de sa liberation, le condamne gracie par le Roi! Vous tous done, agents financiers du gouverne- ment, respeclez cet ordre du chef de Tetat ; laissez les portes de la prison s'ouvrir pour oe malheureux que vient d'affranchir I'auguste misericorde du prince; allendez que rendu a la liberie, a sa famille, a ses moyens habituels de travail, il ait pu gagner de quoi sa- tisfaire aux justes reclamations du Use Alors il sera temps, s'il ne veut ou ne peut payer, de recourir a la voie rigoureuse de la contrainte! L'etatn'aura perdu aucun de ses droits ; et vous, au moins, fonclionnaires du gouvernement du Roi, vous n'aurez pas paru pu- — 245 — bikjuemont niecoiinailre riiiviolable respect que Ton doil a riiuinanite, a la raison, et avanl loul, a la su- preme decision dela misericorde royale!... Maisj'entendsalli'guer Tinteret puissant dutresor pu- blic ! II arrive frequeniment, me dit-on, qu'en presence de telles recommandations, faites au moment meine de la liberation, la faniille et les amis du condamne se cotisent, ou plutot sc saiijnenl, comnie disent les usu- riers, pour acquitler cettecreance de I'etat. — Je n'ai rien a objecler centre ce precede; dans le cas oil le condamne vient d'expier completement sa peine, sou usaiie est alors laisse a la raison et a Tliuraanite de Fagont des finances publiques. Je ne I'altaque ici que dans cc cas unique d'une liberation en vertu de la grace royale; et je ne crains pas de soutenir que, nicme au point de vue purenient financier, Ton fait en- core un miserable ct faux calcul ; car le condamne ou sa lamille seront, sans comparaison, plus empresses a payer les frais, comme condilion prealabU de la grace, que pour sc soustraire a la contrainte par corps ; et cela, par la raison que la detention pe'nale , avec son cortege oblige de malfaiteurs, avec son caractere ri- goureux et quelque pen infamant, est mille fois plus redoutee que la simple incarceration pour deltes, me- sure dont taut de debiteurs se rient, ct qui pent at- teindre le plus lionncte homme du monde ; par la rai- son encore que la grace, comme consecration du re- pentir et de la bonne conduitt-, cmporte avec soi je ne sais quoi de consolant et dlionorable, qui relevc le coupable et le re'habilile en quelque sorte aux yeux de I'opiiiion. Je voudrais done (jue le gouvernement ajoutat a la serie des conditions prealables inq)Osefs aux demau- — 246 — des en grace, non-seiileinent /a reparation du dommage cause a la parlie le'se'e, raais encore le paiement des frais de justice, toules les fois que le condamne, et, dans certains cas , sa faraille, seraient reconnus solvables. Et remarquez que cetfe exigence ne serail nullement line nouvcaute incompatible avec les usages admiuis- tratifs et judiciaires. Chacun sait que la cour de cas- sation ne recoit et n'exaniine les pourvois des parties civiles et des condamnes correctionnels et de police, qu'a la condition prealable, tan tot d'une consignation d'amende (1), tantot de I'incarceration des reque- rants (2). Or, si Ton a Irouve bon d'exiger ces garan- ties d'amende et de prison de ciloyens qui , se prd- tendant illegalement condamnes, s'adressent a la jus- tice reformatrice , pourquoi n'exigerait-t-on pas la reparation prealable du dommage et le simple rem- boursement des frais effectuds par I'etat, de la part de ceux qui , jusfement et ■irretocablement condamnes par la justice, ont recours a la supreme misericorde du souverain? La condition est, dans ce dernier cas, sans comparaison plus logique el plus juste que dans le premier; puisqu'au lieu d'etre une sorte d'amende de fol proce'der, elle n'esi, apres lout, qu'une nouvelle garanlie du repentir qui doit motiver la grace. § III. Des peines de detention commue'es en amendes. J'ai annonce une seconde precaution qui pourrait rendre plus salutaire I'exercice du droit de grace. (1) An. 420. (2) A moins qu'ils lie justificul de la inise en liberie sous caulton. (Art. 421.) — 247 — Celle precaution, la voici : je voudrais, qu'en gene- ral, aucune grace ne fiit accordee h des condanines 5o/raWes (1), pour peines dede'tenlion (2), qu'a la charge d'unc cominulalion en peine iV amende ^ soil au pro- fit du tresor puLlic, soil an profit du bureau de bien- faisance du lieu de I'infraction. Je m'cxplique : Le droit de grace im[)liquant legalement celui de cOMMUhR LEs PEirvES (3), le Roi a la faculte de substi- luer aux peines du degre le plus eleve celle d'un dcgre nioindre ; par consequent de substiluer aux peines privalives de la liberte UMi simple amende. Cela pose, il arrive assez, frequemnient que des con- daranes appartenant a des faniil!es riches ou aisees, obtiennenl la remise pure et simple de tout ou par- lie des peines de detention qu'ils onl encourues, Ces sortesdegraces,fail'.'spurenicnt ctsinq)lement,ontceci de regrettable, que contrairemenl a Tanlique regie de justice : non ulira pelt a, legle egalenient applicable au droit de grace, elles vont, la pluparl du temps, au- dela des propres desirs de I'impelrant; et en ellet, ce quedemande avanl tout le riche, qui recourl en grace, e'est d'etre releve de la peine d'incarceralion. Que lui iniporterait une amende? il la paierait de grand cceur. Aussi, combien n'en ai-je pas vus implorer comme favour insigne la seule coninuifation de leur detention en peine d'amende ! Or, je dis que ne pas iraposer au moins au riche, qu'on gracie de la peine d'incarceration, iDie simple amende, comme recon- (1) Toujours ou par cux-mC-iucs ou par leur famille. (2) Jo preiuls ici co mot dans sou acccplion generalc. (3) • Le Roi a le droit de faire graced de commxier Ics peines. (Art. 58. Charte const.) — 248 — naissance de son inefait, corame acte d'honiraage a la loi vio'ee , enlin comrae une preuve raaleiieHe de repenlir, c est nUer idt) a petita ; c'est meconnaitre gra- liiiteiuent les priiicipes essentiels sur lesquels re- pose eette justice repressive, qa'on proclame le pre- mier besoin des peuptes. IMe dira-t-on que ces commutations en amen- des pourraient paraitre une sortede rachatde I'incar- cerMion, et que, stipulees au profit du tresor public, elles pourraient degenerer en abus , en un veritable itnput leve sur le crime solvable?... ^ — La reponse est fa- cile. Aujourd'liui meme, nos lois penales ne eonferent- elles pas aux juges, en cas de circonstanees attenuan- tes, le droit absolu de mbsiiluer Pamende a femprison- neinenl ?... Chaqne jour ne les voyez-vous pas user, selon les circonstanees, de ce droit gracienx de com- mutation, qui n'est autre, apres (out, qu'nn impot levy sur les riches criminels, au profit du tresor public? Pourquoi done le Roi ne pourrait-il pas faire directe- raeiit, en \ertu de son droit supremo de grace, ce que chaque jour !e juge fait lui-menie, sans inconvenient, en vertu du droit d'omnipotenee que la loi lui confie au nom du Roi ?... § IV. Des peines de detention commue'es en aitmones. Au surplus, ce scrupule cessorait a I'egard des gra- ces accordees sous la condition d'une ouwonc au pro- fit des bureaux debienfaimnce ou des hospices. LeRoi a evideniment le droit d'imposera Texercice de sa clemence telles conditions qu'il Ini plait. Or quelle condition plus lationnelle, plus eminemment moralisantc, que d'imposerauriihe, en expiation de son — 249 — dt^lit, ct pour tenir lieu de la peine encouriie..., une bonne oenvre! Le riclte, qui participea tons les benefi- ces (le la vie sociale, p.e doit-il pas aux pauvres I'exeni- ple , non-seulemeiit des vertus publiques et privees, mais avant tout la raoralite legale? Or, lorsque, par son mefait, il a scandalise, loi^squ'il a demoralise celle foule demalheureux ipie riniluence de sa bonne con- duile devait niaintenir dans I'etroit senlief de I'o- beissance aux lois penales, n'est-il pas convenable qu'en reparation du sc:indale et de I'exeiuple si con- tagieus de Fin fraction aux lois, ee riche condamne, qui aspire a la grace royale, soit convie, sinon force, d'ap- porter prc'alablemenl son aunione ejcpialoire a la caisse dcs pauvres du lieu du debt .* II y a dans ces aiiraones indigees en faveur des pau- vres, quelque chose de si prolondement juste, que no- tre ancienne legislation les avait mises au noinbre de ees peines suhsidiairos nu'on laissait a la sagesse du juge (1). Les coupables so!vab!es qui, par des raisons quelconques de mansuetude, echappaient a riniluence des peines corporclles ou d'inc.irceration, avaient tou- jours a subir faumone au profit des clablisseiuents de cliarite. Ces pieuses amendes etaient imposees meme en ma- tiere civile, lorsque les fails de la cause avaient pro- duitsur le public un certain scandale (2). (1) Art. 29 du tit. XIII, de lord, de le'O. (2) 11 ii'etait pas rare que les parlemcnts condamtiassent a Vau- »i<5nc, metue eu raaliere dvilc. Tel est I'arrel du 16 Fevrier 1673, par IcquclJosepli Eugaigne, appelant d'une sentence de roflicialite de La llocliclle, qui avait declare son mariagc nul ct clandcstin, fut condamne auneaumonede cent livrcs, ct a lui ciijoint de se rclirer — 250 — En attendant que nos lois penale^ rendent aux tri- biinaux ces nobles attributions de morale disciplinaire en faveur despa«tt?'f5 de Dieu, il serait beau de voir la couronne, dans la sphere ele\ ee de son droit de grace, retablir, a titre de commutation et comrae condition pre'alabk de la grace, pour tons les condamnes solva- bles, ee vieil et palriarchal usage des aumones au profit des pauvres (1) ! Ces commutations de peine d'incarceration, soil en amende pour le tresor, soit en aumdne pour les indi- gents, ne pourraientquesanclifier encore Texercicedu droit de grace, en le rendant plus profitable a la jus- tice, au pays, a la morale piiblique , a I'humanite. Oui, il y aurait profit pour la justice ; puisque dans ce cas, I'expiation serait au moins satisfaite par I'a- mende ; Profit pour Tetat et les departements; puisqu'iisse- raient degre\ es de toute la depense qu'eiit occasionnee I'exccution de ces pcines de detention ; Profit pour la jnorale ; car la morale aurait a se fe- par-devant I'eveque de La Rochelle pour etre de nouvcau precede a son mariage avec Marie Fouasseau, selon les formes canoniques. (Guyot). (1) Cctte condition semblerait avoir ete quelqucfois imposce par le gouverncmcnt, si Ton en juge par le passage de Lcgravercnd, an- cien chef de la division des graces au departement de la justice. « On a demande, dit-il, si un individu dont la peine corporellc a etc comimice en une \')c\nc pecitniaire au profit des hospices ou des pauvres, pent oblenir sa raise en libcite, en produisaut un ccrlificat (V indigence ; mais la negative est evidcnle. Le condamne ne pcut re- claraer le benefice de la decision du Roi, puisque cclte decision est conditionnelle, et que la condition n'a pas etc rcmplie. (Legrav., t. I., p. 7j5}. — 251 — liciter (le ces aumonos expialoires aiiisi volonlairement versees par les condamnes ; EnGn profit de I'humanite ; car cliaque acte de la grace royale envers un condamne solvablt dcviendrail un acte de bienfaisance pour le pauvre. Ainsi, les deux plus saintes dioses d'ici bas se pre- leraient un muluel appui ; la grace viendrait en aide a la cliarite, et celle-ci faciliterait Toctroi de la grace!.. D'ailleurs, ce paiement d'une amende par les grades de peines d'incarceration, pourrait avoir, couuue le paiement prealable des frais , la plus lieureuse in- fluence sur la diminution des delits. Ce double sacrifice pecuniaire, impose au condaran^ gracie,maintiendrait refficacile de la sanction penale; et si, comme il arriverail le plus souvent, sa famille et ses amis avaient etc forces de se cotiser pour oflVir le paiemint de Tamende, le gracie, s'il avail un reste d'hoiincur, trouverait dans la surveillance de (ous ceux qui se trouveraicnt interesses a lui et dans sa gratitude pour cux^ des motifs t^erieux de ne plus re- tombera Tavenirdans la meme infraction. En resumant ces longues observations, concluons que le droit de grace, cxerce avec sagesse et mesure, est le complement oblige de la justice dislribulive; Qu'il est aussi un des elements essentiels de I'expia- tion penitentiaire ; Qu'a ce dernier titre, il peut, soit comme mobile dnergique d'emulation , soit comme temoignage de ramendement des condamnes , produire les plus heurcux resullals ; Que dans I'etat present des choses , ce droit absolu du trone, a ^te par la royaule meme, contenu dans des — 252 — principes de justice el d'huinanite tels que son usage, sans pouvoir entrainer d'abus graves, ni atlaiblir la repression, exerce sur la masse entiere des condara- nes une puissanle influence refonuatrice ; Qu'enfin, peut-etre, pourrail-on, par les deux con- ditions nouvelles que j'ai indiquees , completer ces preeieuses garanties, d'une part, en imprimant dans certains cas, a Tacliou de la misericorde royale quel- que chose de plus moral encore et de plus preveutif ; de I'autre, en faisanl sortir de loute grace accordee aux condamnes solvables, ou une notable ressource pour I'etatou une dime precieuse au profit des classes indi- gentes. I LECTURE DE M. EUG. CODUMEAUX. Etudes sur FAiiglelerre, par M. Leon Faucher. Fragment d'un compte-rendu de cet ouvrage. A peine si quelqucs lieues separent la France de I'An- gleterre; depuis luiit cenls ans I'liistoire des deux pays a etc inlimement niOl^e; le duel des deilx nations a souvent et profondementbouleverse I'Europe. Au xviii" siccle, les pontes, les savants, les publicistes et les diplomatos des deux peuples entrelenaientdes relations elroites: Vollairc I'tait rami de Bolingbroke, et Montesquieu ( orrospondait avec lord Chesterfield ; les luttes terribles de la republiqueet Tempireont, pendant vingt-cinq ans, pousse les deux races — 253 — en facel'miede I'autre; trente anuses depaix,ouplul6t de tr6ve, ont facilile et niuUipIi6 les rapports detoute esp6ce; la prosse des deux (^tats debat tons les jours, dans une polemique iucessantc, les problcmcs qui contiennent leur destinee.qulestcelledumonde; enlre les deux puissances riveraines, il s'opfere en industrie , en modes , en usages, en liilerature, un mouvement continue! ct toujours croissant d'echanges, d'enipruntset d'imitalions ; et nialgre tout cela, malgrc tant de sang repandu depuis Guillaume le Conque- rant jusqu'a Napoleon, nialgre tant de rencontres, de voyages, de polemique et de dissertations, malgr^ tant de n^gociations diplomatiques, tant d'allianccs rompuesetre- platrees, cnfin.malgre rentenle cordiale, malgresirRobert Peel etM.Guizot, TAngleterre ne nous est guere nioins in- connue, a nous autres Fran^ais, que la Siberie oule pays des IMantchoux. Les idces les plus fausses circulent en France, nieme parmi les classes lettr(^es, sur la situation politique, administrative, morale, induslrielle, financierc et commer- ciale du royaume-uni. II est vrai que les grands 6crivains anglais, les auteurs classiques, sontmaintenant connus et admires en France; queSliakspeare, Milton, Pope, Addisson, Sterne, Swift, Fielding, Richardson, Goldsmith, Sheridan, Walter Scott, Byron , Cooper et Thomas Moore, rcpan- dus sur le continent par le mouvement litteraire qui se produisit avec tant d'intensit6 sons la restauration , ont conquis chez nous une popularite et une renomm6e du- rables : c'est que le genie litteraire obtient partout droit de cit^, tant ii porte un caraclere eminemment civilisa- teur; c'est une monnaie qui, bien que frappee au coinde la terre natale, a cours dans tout I'univcrs. Mais la propa- gation deces <^crivainsen France ne nous a r^velel'Angle- terre que sous un seul point de vue. Institutions, rouages interieurs, organisation municipale, mocurs politiques, au- jourd'hui comme en 1 789, nous ignorons encore tout cela. Lorsque, sous influence du beau livre de Montesquieu, se 18 — 254 — -forma, au sein de la constituanle, cette fameuse ecole an- glaise, debord^e bientot par le g6nie r^volutionnaire , et ^ux doctrines de laquelle nous revinmes en 1815, apr^s tin circuit sangiant de \ingl-cinq annees, autun des hommes 6niinents qui la composaient , deux ou Irois exceptes , n' avail etudie a fond le niecanisme de la con- stitution britannique.Tous ces hommes d'etat, penseurs et philosophes, se preoccupaient beaucoup plus du dogme, de I'idee, du cote speculatif, que du milieu politique •dans lequel fonctionnait la iheorie importee par I'auteur ■de V Esprit des lots. En 1815, quand la charte octroy^e 6tabiit en France une royaute hereditaire, une chambre des pairs et une chambre elective, beaucoup d'esprils posscdes d'anglomanio s'imaginerentque cette forme po- litique 6tait rigourcusement niodelee sur le patron de la constitution anglaise, et que le systeme financier, admi- nistratif et commercial de la France, sauf quelqucs diffe- rences de detail, allait etre le caique a peu prtjs exact du systeme anglais. Cette erreur n'a point cesse de prevaloir. Les travaux de MM. Villemain et Guizot, toutremarquables et tout lumineux qu'ils sont, u'ont desabuse qu'uii petit nombre de personnes ; etles etudes sericuses, recemnient inserees dans un recueil eminent (la /?t'i;HCf/f5rft'/<.rmo)jf/c'.v), n'ont pas obtonu une publicite assez graude pour delruire un prejug6 si generalement ac;redite. L'immense majoriie des lecteurs francais, trompee par I'analogie apparenle de Torganisation politique des deux pays, ne tient pas compte des differences radicales qui les separent : a leurs yeux, les trois pouvoirs s'equilibrenl en Angleterre comme en France; la vieille machine gouver- nementale, proclamce par Montesquieu comme le beau ideal du genre, comme le type le plus parfait de constitu- tion qu'on puisse proposer a rimilation des societes mo- dcrnes, fonctionne avec une justesse, une precision, une ponderatiou sans ^gales. Fa<^onnant I'histoirealeur guise, et torturant les fails pour les assortir an cadre d'un sys- lenic prt'con^u, ils iie voient dans la foriiK; britaniiiqiie que iuriginal dont noire consliUilion est la copk. Une Ibis plac6s a ce point de vue, Tillusion d'oplique dont ils ne peuvent se defendre, lenr fait voir dans la chanibre des lords noire cliambre des pairs avec TiK-redite de plus ; dans dans la cliambre des communes, la cbambre des deputes; M. Guizot dans sir Robert Peel ; M. Odilon-Barrot dans lord John Russell, M. Dupin dans lord Brougliam, le marechal Soult dans lord Wellington, M. Thiers dans lord Palmers- ion; les conservaleurs dans les torys, les radicaux dans les whigs, et les communisies dans les chai'lisles. Pariant de celte donnee, ils franciscut tout ce qui se passe dans le rovaume-uni, proeedent par voie d'induclions temeraires, denaturent la physionomie des homnies et le sens des eve- ncmenls, meconnaissent I'csprit de la population, des moeurs, des Iradilions, el en defiuilive aboulissent aux plus elranges comme aux plus enormes contre-sens. C'est ainsi qu'on suppose eommunementchoz nos voisins I'cxis- tence d'uae conslitulion assise sur des bases democra- liques. Eh biea ! il u'y a pas, a pronrement parler, de constitutio:i en Anglelerre, point decode, point de charte, point de lui ecrilc; le palladium du gouvernement rr^pre- sentalif, c'est le faisceau de traditions auquel tout Anglais porte jusqne dans les refornies un culle snperslitieux; le principe feodal, que nous croyons eteint, est encore vivace et lout-puissant de I'autre cole du dclroit. L'oligarchie fail le fond uu gouvernement : Ic bill de reforme, qui pa- raissait devoir nienacer raristocratie, ne I'a pas meme ebranlee un inslaal ; eile triomplK! aujourd'hni dansle par- lenient, elle s'enracine au pouvoir de plus en plus, el reste encore, pour ainsi dire , propiiclnire des eleclions, ce qui failqu'un (^ciivain judicieux a pu dire que, incntc apres le reform- bill , I'Anglelcrrc demenrnit uuc monarchic sous la doniinaliuu d'nue arisKxTatic divisce en deux chanibrcs. — 25G — yuant i I'unit^ politique, il n'y en a pas I'ombre : I'Angle- lerre a un repr6seniant pour 28,000 ames, I'lrlande n'en a iqu'un pour 76,000 ; I'lrlande est gouvernee par un vice- roi ; I'Ecosse conserve ses loisetsa magistrature; I'lnde, cet empire de plus de 100 millions d'liommes, est admi- nistr^e par une compagnie dont le pouvoir s'^tend jusqu'i rappeler le gouverneur-g^neral malgre les ministres ou le parlement! — cliaque comte est place sous Tautorite d'un lord-lieulenant qui possfede quelquefois en pleine propriety ledixieme des terresqu'iladministre. — La forme politique d'une societe est toujours et necessairement I'expression de sa forme civile : or, le droit d'ainesse et les substitu- tions sont encore en Angleterre universellement admis et volontairement pratiques dans toutes les classes britan- niques ; la propriete du sol est concentree entre treiite-deux mille chefs de famille, tandis que chez nous I'egalite dans les partages, Pabolition des substitutions, la division de la propri<^t^, la destruction de tons les privileges, enfin I'e- galil6 devant la loi en fait de droits civils et politiques, donnent a la constitution uu caractere democraliqiie qui va se pronoHQant chaque jour davantage. Cette seule dif- ference radicale creuseun abime entre les deux formes de gouvernement. Un examen meme superficiel en revelera mille autres aussi decisives. — Etsur I'organisaiion muni- cipale des cites anglaises, sur leur commerce, surleur ad- ministration, sur Tassiette de leurs impots, sur leur police, sur I'avenir probable de I'industrie brilanuique, que sa- vons-nous? Rien ou presque rien : quelques notions fausses, incoherentes, contradictoires, acceptees, dchangees et colport^es sans reflexion, sans etude, sans autorite, com- posent le bagage des plus savants. Combien de Frangais seraient frappes de surprise en apprenant, par excmple, que pour la ville de Londres il n'exisle aucune centralisa- tion de revenus ni de depenses, que cette cit6 de deux millions d'ames est administr^e par plus de deux cents — 257 — auton(('s diff^rentes, sans lien ni rapports entre elles ; que le pavage, Teclairago, la salubrity de la ville, etc , occu- pent plus de cent commissions diverses qui ne rendent pas de cDwpies; que dans la cite proprement dile il y a boaii- coup plus d'electeurs parlementaires que d'electeurs mu- nicipaux, cc qui ne s'expUque que lorsqu'on sait que la cite a reteiui tons ses privileges du nioyen-age. ! ! — Chose dtrange en veiite ! nous admirons, nous detestons, nous envions, nous caricaturons I'Angleterre, etnousne lacon- naissons pas! Et pourtant, quel plus vaste et plus favorable champ a choisir pourl'etude de tons ces formidables pro- blemes que nous out legues les fondatours de la soci6t6 nonvelle, tons ces grands esprits morts a la tache, dcvo- res par le Sphinx dela civilisation moderue! L'amelioration des classes pauvres et laborieuses , le d^veloppement du credit, la reforme des impots, la prostitution, le mouve- nient de la population sont des questions qui ne reQoivent jamais que des solutions provisoires, et que les penseurs de tous les ages sont condamnes a creuser, a retourner sans cesse. L'Angleterre, qui ne pent pas, qui ne doit pas etre un modele pour la France, peut tonjours lui etre un enseignement. — Quel puissant attrait d'ailleurs ne rencon- tre-t-on pas dans I'etude des peuples qui fraient avec nous le chemin de rhumanilc ! Londres, Paris et Berlin sontau- jourd'hui les ateliers de la civilisation : rAlleniagne, I'An- glelerre et la Fiance conduisent et entrainent le monde ; chacun des trois peuples parait avoir re^u de Dieu une mission dislincte, pour concouiir a un seul etmeuie but : FAllemagne cherche et begaie Yidcc, la France la fagonne etla formule, rAngleterrel'applique. Mais les trois nations sont solidaires du progres ; marchant du meme pas a I'a- vant-garde de I'Furope, elles ne peuvent plus s'ignorer : c'est ce qu'ont merveillcusemcnt compris les philosophes t'l les historiens de notro siecle. Pour ne parlor que de nos CQDipatrioles , MM. Villemain, Guizol, Chateaubriand et — 258 — Aiigiistin Thierry, en nous devoilanl, dans leurs admirables pages, qut'lques cotes du genie anglais , nous ont conve- nablement prepares a des revelations plus inlimos , a des recherclies plus pratiques, plus speciales. Les liistoriens et les liuerateurs ont accompli Icur tachc, c'est niainte- nant le tour des economistes. MM. deTocqueville, de Beau- mont, de Carne, Louis Blanc, Eug. Buret ont eclaire deja d'une vive luniiere quclqucs-unos des questions qui s'ap- pliquent a TAngleten e. Voici quo connne eux, el avec non moins de science et de talent, un ecrivain de nierite, un ^conomiste distingue publie un livrc qui nous parait des- tine a renverser bon nombre d'erreurs capilales, a rectifier beauconp d'idees fausses qui ont cours de ce c6l6 du de- troit sur le compte de nos voisins d'oulre Manchc. Les deux volumes que vient de faire paraitre M. Leon Faucher, sous le litre 6.' Etudes sur VAurjlctcrre, sont un tableau anime dcla situation oconomiquo, industrielle et financiere de la Grando-Bretagne ; cet ouvrage , compos6 en Angle- terre, d'apres les documents les plus surs et les enqucles ofiicielles, porte un cachet irrecusable d'exactitudeet d'au- thenticite. — Joignez a ce premier merite unc critique 61evee et impartiale, un grand talent d'exposition, des aperq^us nouveaux, des vues larges, et par-dcssus tout un sincere amour do rhumanite et du progres.Dansce livre si neuf, si renipli de fails etd'idees, M. Faucher s'est montro tout a la fois ecrivain plein de nerf et dc precision, econo- miste eminent, stalisticienexercc. Consultant plulot noire desir que noire force , nous essaierons d'apprecier cet important ouvrage, et nous lui consacrerons rexamen detains qu'il merite. Dans une introduction largement esquissee et qui r^vele un auleur maitrc de son sujct , M. L6on Faucher a trace d'une main ferme clsure leslrails generaux qui dislinguent la race anglaise. C'est un tableau d'ensemble donl la vue nous I'acilite rintelligence des details , et nous permet 1 ~ 259 — de saisir plus sArement les points principaux qui serventde jalons :i Tauleur. A ceux qui dcniandeiaienl lout d'abord si le livre est un panegyriquc ou une satire de I'Anglelerre, s'il prophotise la ruine prochaine ou 1' etornelle grandeur da notre implacable i-ivale, nous repondrions que M. Faueher observe bicn 5>lus qu'il nc disserle : sonproc6de consiste a prendre les fails, a les exposcr avec une parfaite lucidite, i Icur laisser leur eloquence naturelie, a ne formuler que des conclusions toujours concises el subslanlielles, parce qu'elles naisscnt, pour aiusi dire, spontanenieni. du sujet. Naturellemcnt ennenii des exagerations, il porlc dans toutes les questions qu'il iraite la lumiere d'un espiit vif et net, sans preventions injurieuses ni coniplaisantes ; il a etudi6 TAngielerre sous la plupart de ses faces, brillantes ou sombres, et il reproduit cliacune d'elles avec la haute iniparlialite d'un philosophe et d'un ^conomiste. Ab- juranl a dessein loute susceptibility nationale, s'il applau- dit souvent a loules les creations giganlesques du g(§nie britannique, jamais il ne recule a sonder la profondeur des plaies inveterees qui rongcnt celtc nation envabis- sante. C'esl ainsi, qu'apres avoir parcouru et admire toutes les admirables conqueles industrielles qui font des Anglais les meiileurs niecaniciens et les premiers nego- ciants du monde, les docks, les canaux, les chemins de fer, etc., etc., il mesure, dans leurs eflrayanles propor- tions, la prostitution de Loudres et des grands centres manufacturiers, les sialistiques criminelles qui denotent une d'pouvantablc corruption, une precocile de vice qu'on scrait tenle de croire fabulcuse, si d'imposanls leuioi- gnages ne ratiestaient hautcment ; la misere toujours croissante des classes laborieuses, etc., etc. S'il lend plein hommage a ce sincere respect de la loi qui distingue les Anglais, a leur palriolisme toujours fecond en res- sources nouvelles au moment des crises imminenles, a teur pcrsevt^rance, a toutes les qualiles d'ordre, de preci- — 260 — sion, d'energie inlierenles an caracl^re britannique, il met a nu, il fletril cette inflexible insociabilite, ce mepris de I'elranger, ce culte superslitieux de la Iraditioii, cette devotion enipelrec, doublee de niercantilisnie, cette soif inextinguible de domination exclusive, cet orgueil de casle et cette cruaute impie et sacrilege d'une aristocratie qui, lion contente de monopoliser le sol, tente encore de mo- nopoliser Fair, le soleil, la lumiere, la vie. Toutefois, s'il nous fallait rcsumer I'idee-mere du livre, nous dirions que I'auteur, tout en dispeiisant avee niesure le blame et Te- loge, parait conciure en ce sons, que si, a diverses epoques de notre liistoire, dcs publicistes eniinents, des ecrivains distingues ont pu precher en France une anglo- manie de propagande, nous devons aujourd'hui nous ga- ranlir soigneusement du fleau de Timitation, repousser les emprunts que nous a longtemps conseiiles une ecole politique, qui, dans scs theories erronees, faisait bon marclie de la nationalite fran^aise et de notre passe liistorique; en d'autres termes, le systeme politique et social d'un peuple civilise n'a d'avenir qu'autant qu'il 6mane de sa situation geographique, qu'il rcssort de son individualite, qu'il s'harmonise avec ses mtrurs, qu'il se rattaclie au passe, et qu'il repond a la mission que ce peuple a re?ue de Dieu. a Apres huit siecles de lutte, dit D M. Faucher, I'antagonismede la France etdc TAngleterre » serait un non-sens, s'il devait aboutir a une assimilation » et par consequent a une absorption. » — Le secret de la force de FAngleterre est dans son individualite ; conser- vons done la notre ! Des le debut de son livre, apres un court ct pittoresque tableau de Londres, I'auteur nous introduit dans les plus pauvres quartiers de cette viile immense, pour y etudicr la miserc anglaise dans son horrible nudite. En penetrant dans While-Chapel, Spitalfield ct Belhna-Green, trois pa- roisses qui renferment ensemble environ 130,000 habi- — 261 — tanls, nous expforoiis les bas fonds de cette soci6t6 si or- gueilleiisc etsi ficre de ses mervfiillcs iiiduslrielles : c'est la qu'habitent des colonies d'Irkmdais, de Juifs etde Tran- Qais chasses de la patrie par la revocation de I'edil de Nantes; c'est la qu'a cote de la celebre foire aux chiffons, se tient encore aujourd'hui, en plein xix'^ siecle, un niar- chf^d'enfants, ou viennent s'approvisionner les tisserands : espece d'exposition cent fois plus horrible qn'nn bazar d'esclaves ; c'est la que Tinsalubrite des rues infestees de fifevres seculaires attesle Tinsuffisance des mesures adnii- nistratives. Larapacite des proprietaires neutralise les ten- tatives de Tautorile. Ces taudis. ces doaques, ces antres fangeux ou s'etiolent et pourrissent desniilliers d'hommes,^ ces receptacles d'inimondices, oii ne penetre point le so- leil, oil le typhus sevit constamnient, rapportent 20 p. iOO a leurs maitres. — II est vrai qu'un arrete de date recente impose aux locations des conditions si impraticables, qu'elles equivalent a decreter purement et simplenient I'evacuation de la plupart des niaisons de ce quartier et rcmigralion en masse. Mais cette niesui'e, bonne en prin- cipe, porte avec elle un grand danger : elle provoque uii depiaccment brusque qui ne pent s'operor avant qu'on ait construit de nouvelies et plus salubres habitations. Cette immense population, en refluant dans les quartiers voisins, y produira une concentration excessive, et y propagera les fleaux qui la deciment. En attendant, et malgre I'ef- froyable niortalite qui regno dans ces paroisses, le mou- vement de la population va toujours croissant d'annee en annee. II est vrai que par compensation, et d'annee en an- nee, la duree moyenne de la vie diminue sensiblement; elle est aujourd'hui de vingt-et-un ans ! Si White-Chapel, Spiiallield et Bethna-Grecn sont Ie& asiles des ouvriers pauvres, Sainl-Gdes est le repaire des. vagabonds, des voleui's et des prostituces. La populalioii nomade de cette paroisse, beaucoup accrue depuis que^ — 262 — Loiulres est devenu, comme Paris, une ville de fabriqae, se compose presque exclusivement de logeurs, de rece- leiirs, de filoux et de liuands. Les pauvresy pulliilent de- ptiis que rach^vement recent des rails-ways, ensupprimant beaucoup de bras, a coiUribue a I'extension de celle piaie formidable. Paris ne compte qu'un pauvre sur 13 ; Lon- dres en presente 11 sur 100. Les associations dirigces contre le pauperisme n'ont encore produit aucun resultal decisif. La croisade philanthropique prechce parl'evcque de Londres a tristement avorte; mais on augure mieux d'une nouvelle sociele qui s'est fait del(^guer le pouvoir d'arreter les vagabonds et de secourir les mendiants. — Quant a la prostitution, elle a acquis a Londres un deve- loppement hors de toute proportion avec la population; pres de 18,000 proslituecs sont inscrites. Les causes que I'auteur assigne a cetle muUiplicite effrayante sont I'exi- guile tout-a-fait cruelle du salaire des jeuues fiUcs, dont la besogne est, en Angleterre, en partie faite par des hommes, et qui n'ont bientot plus qu'a choisir eutre le vice ou le suicide; la concurrence que font au travail des femmes les maisons de charite et de detention, enfin I'in- tervention des courtiers qui rangonnent les ouvrieres. Non- sculement la prostitution est plus r^pandue a Londres qu'a Paiis, mais I'intensile, la precocite et la barbaric qui la dislinguent, la rendent mille fois plus hideuse, landis que I'absence de tout controle sanitaire, ct raffinite des prostituces avec les voleurs et les assassins, la rendent miile fois plus dangereuse. Dans le quarlier de Saint-Giles, la debauche et la filoulerie sont organis^es sur une vast& 6chelle, entretiennent des relations etroites et se pretent un mutuel secours. Les stalistiques crimiuelles ne deroulent pas un moins iriste tableau. Ici encore la France a quelque avantage sur le Royaume-Uni. En 1842, 76,54o arreslations furent ope- I 2(; o r^es dans Loudres, ce qui doniie line arreslalion par 25 habilanls ; niais en exceptant les arreslations oper6cs pour certains delils qui ne sont pas recherches a Paris, il en reste une par iO haijitants; I'aiis n'en fournit qu'une par 70 habitants. A Lundres, les femnies figurent dans les dclits dans la proportion de 28 pour 100; a Paris, seulcnient dans la proportion de 75 pour 100. A Paris, les enfants fournisscnt t prevenu sur 400; a Londres, i sur JOO. Saiiil-GiIes,avoiis-nonsdit, est h; repaire desvoleurs: il s'y eutretient de verilables ecoles de filous, d'escrocs et de debauclie- L'excitation prccoce de la passion sexuelle est un des nioyens le plus puissamment employes ; aussi, le nombre des delinqnants va-t-il croissant; nul ne peut prevoir ou s'arretera ce mouvenient. Si PAnglcterre, qui u'a point de colonies penilentiaires qu'elle puisse compa- rer aux notres, niais qui possede une admirable police, ne Irouvc pas bientot qiielque secret preservateur, la jeu- nesse des classes pauvrcs, exp'oitee et fagonnee au vice ct au crime par d'habiles professeurs, sera bientot cor- ronipue en masse, enrolde contre la societe, et consUtuera une geaeration de\oleurs et d'assassms. .... — 264 Leitre de 11. E. Farocbon. Monsieur le Phesident, Penetre de gratitude pour riioiineur qu'a bicn voulu me conferer rAcademie de Reims par le litre de merabre correspondant , je viens la prier d'en rece- voir mes biens vifs remerciments. Puissent mes ef- forts, aides de sa bienveillante assistance, contribuer en quelque peu que ce soil a I'eclat que cette s.ivante assemblee rcpand dans le deparlemenl de la Marne, et particuliereiiient dans la ville de Reims. Selon rengagement que j'ai contracte et en meme temps pour repondre a I'appel fait aux artistes, au nora de Tune des plus grandcs gloires de la France, je me suis occupe de Tetude d'un projet pour le mo- nument a Colbert, que la ville de Reims se propose de faire clever dans son sein. J'en ai fait executer une gravure dans le formal des Seances de I'Acade'- mie, afin d'y pouvoir prendre [)lace, si die en est ju- gee digne. Cette gravure donne deja une idee appro- ximative de mon projet, j'essayerais d'achever de le faire comprendre par quelques eclaircisseraents. Du resfe, je vais envoycr a I'exposition de la Socie'le de$ amis des arts le modele meme que j'en ai fait. Lemon ley, qui m'a paru le raeilleur biograplie de Colbert, en a fort habilement rassemble les traits le» plus caracleristiques dans le portrait ^nergique et co- lore qu'il en a tracd. II dit : « Colbert etait un homme » sec etde petite taille, avcc des maniercs communes, » des sourcils noirs et epais, des ycux caves, durs et )) percants. Sa tete chau\e s'abrilail sous une large » calotte. L'liabifude des refus avait forme sur son » front un pli sinistre dont le mouvemenf glacait d'ef- » froi les solliciteurs. II etait dans ses audiences tel- » lement impassible, qu'un poetc I'avait bien designe » vir marmoreus. Insensible a la satire, sourd a la >} menace, incapable de peur ni dc pitie, il cacliait » sous le flogme le plus imperturbable un naturel co- » lere et impatient. Sa conception etait iente, niais les » idees en sortaient neltes et bien exprime'es. Si avant » de resoudre il consultait avec soin el bonne foi, il » executait ensuitedespotiquement et brisaitles oppo- » sitions avec outrage et brutalile. Trois qualites le » soutenaient : un jugement parfait, une volonte defer » et un travail infaligable. Ces trois ressortsrecevaient » le mouvement d'une ambilion elTrenee et le jeu en » etait protege par une dissimulation que les plus » vioux courtisans eussent enviee et dont son propre » confident, Charles Perrault, demeurait confondu. » Pour ce qui est de son genie, le temps Ta consacre pour la poslerite, en eprouvant ses nombreuses et utiles institutions sur lesquelles nous vivcns et vivrons longtemps encore. Son influence fut telle sur les clioses humaines, en general, qu'elles furent rarement frap- pees d'un mouvement plus decisif, et sur la France en parliculier, que la pauvre France des chatelains et des ligueurs, epuisee par la guerre de trente ans, les trou- bles de la Fronde et le gouvernement de Mazarin, de- vint tout-a-coup la France dlegante et immortelle des — 266 — arts, (les sciences, des lois, de I'indnstrie et des chefs- d'oeuvre. J'en viens done a expliquer mon projet lei que je Tai concu et execute. La statue represente Colbert dans I'attilude grave et metlitativc qui convient a son caraclere. La main droite est appuyee sur des feuilles deroulees oil seront indiquees les prjncipales fonda- dations qui lui sont dues, plans, trailes, ordonnan- ces, etc. Le bas-relief resume a pen pres I'heureuse influence que le grand niinistre eut sur la France. 11 represente au centre, assise sur un trone, la France couronnee de iauriers (les lauriers de Concle), et pourtant elle est abattue, epuisee. Colbert la releve en lui presentant les sciences, los arts, le commerce, la marine, la le- gislature, etc. Aux qnatre angles, sur les pans cou- pes du piedestaS, sont figurees quatre des Vcrfus qui principalement lui lirent accomplir sa glorieuse car- riere : Justice, Force, Vigilance, Fide'litc. Placees en soubassemtnt, e'les le souticnuint et I'elevent. Pour I'execul ion de cc projet, la placode PHotel-de- Ville ayant ele judicieuserucnt designee, la hauteur totaie pourrait etre de sept metres, pour s'arranger le plus convenablement possible, tant avec la place, qu'avec le monument en avant duquel la statue sera placee et qu'elle devra decorer. Cette statue serait en bronze et porterail, seu!e, trois metres de hauteur; le piodestal serait (u marbre on en pierre^ et du sol a la plinthe s'eleverait de quatre metres. Le bas-relief serait execute en bronze et place sur le devant du piedcstal, les trois autres faces reservees aux inscriptions. Les qualie figures allegoriques de vertus rerapla- — 267 — cant les angles, occuperaient les pans coupes et se- raient exdcutees en pierre, ou en marbre, ou raeme en bronr>e, avec plus ou moins de relief, selon, enlin, ce que perraettra le resultat des sonscripUons. Ce projet ofiVe Tavantage de pouvoir s'etendre ou se reslreiiidre. Execute avec la s!atue seule, il pent n'elever la depensequ'a 23,000 francs ; avec la stalue et le bas-relief, a environ 30,000 francs; avec la sta- tue, le bas-relief et les qualrc lignres cxecutees soit en pierre, soit en marbre, soit en bronze, avec plus ou moins de relief, de 35 a 50,000 francs. Tel est le projet que j'ai riionneur de soumeltre au jugement de I'Academic, en la priant de m'eclairer de ses conseils. Je joins a ma lettrc une eprenve de la gravureque mes eclaircissements ont clierclie a completer. Dans le but de provoquer des retlexions d'oii pour- ront naitre de bons avis, je I'ai fait tirer a un nombre d'exemplaires plus que snflisant pour en joindre a toutes les cpreuves du procliain nuniero des Seances, si toutcfois I'Academie juge a propos de le faire. Avec I'espoir que mon travail sera accueilli et en- courage, j'ai I'honneur d'etre de I'Academie et de vous, Monsieur le president, le tres-liumble et tres devoue servileur, E. Farocuon, Membre correspondcmt de I'Academie de Rc'imSf grand prix dc I'lnslUnt, etc. 17, rue de I'Est, a Paris. Reims. — L. JACQUET , Imprirucur de lAcaderoie. SEANCES ET TRAVAIIX l)E L'ACADEMIE DE REIMS, ANiSKF. 1845-1840. ^' 7. ^oanei'S — 5° Musee d'antiquites d'Araiens. — Rapport sur son accioissement depuis le 6 Juillet 1839 jusqu'au 2 Juillet 1843, par M. Ch. Dufour. Amiens. 18i0-43, trois plaq. in-S" ; — 6' Description de la pierre tumu- laire du chevalier Robert de BDuberch, par le meme. Amiens, 1842, in-8°; — 7° Pouille des manuscrits coraposant la collection de Dom Greniersur la Picar- die, a la bibliotheque du roi, pat Ch. Dufour. Amiens, 1 839, in 8' ; — 8" Societe royale d'agriculture et de commerce de Caen , seance du 16 Mai 1 845 , in-8" ; — 9" Journal de la Societe d'agriculture des Ardennes, Oct. 1845, in-8°; 10" Memoires de TAcademied'Ar- ras. Arras, Aoiit 1844, in-8" ; — 11° Essai sur Ti- diolie, par le docteur Belhomme. Paris, in-S" ; — 12° Suite des recherches sur la localisation de la folic, par le meme. Paris, 1836, in -8"; — 13'' Nouvelles recherches d'anatomie pathologique sur le cerveau des alicnes , par le meme. Paris , in-8" ; — 14" Troisieme m^moire sur la localisation des fonctions cdrebrales - 27! - el de la folie , par le tueme. Paris, 1839, in-8"; — 15" Quatrieme memoire sur la localisation des fonc- tions cerebrales ct de la folie , par le nieme. Paris , 1845; — 16'^ Sociele royale dliorticulture de Paris. — Corupte- rendu des Iravaux de la Societe depuis I'exposition de 184'i-, par M. C. Bailly de Merlieux. Paris, 1843, in-S"; — 17'' Somnologie raagnetique, par Loisson de Guinauinonl. Paris, in -8' ; — 18° Dis- cours sur riiiduence morale de la musique , par L. S. Fanart. Reims, 1845, iu-S" ; — I'J' Souvenirs de voyages par le comte du Coetlosquet. Paris , VVaille , 1843, iu-l!2 ; — ^O^'Vade mecurn du cliretien, par le meme. Paris, Debecourt , 184!, in- 12 ; — 21 ' Vie de SteMonique,par le meme. Paris, Waille, 18i^5, in-12, 96 p. ; — 22" Reflexions sur ia maniere de trailer les matieres reiigieuses , par le meme. Paris, Waille, 1845, in-12. 68 p. ; — 23' Eloge de M. !e comte de Cessac, par le meme, in 8% 13 p. ; — 24' Notice bio- giaphique sur J. G. Du Coctlosquct , evtque de Li- moges, par le meme. Paris, Waille, 1845, in 12, 67 p.; — 23° Considerations sur Tetude des sciences dans ses rapports avec la religion, par le meme. Metz, 1839, in-8', 36 p.; — 50" Reflexions sur la proposition de M. Ravoux , tendant au retablissement du divorce, par le meme. Melz, 1833, in-8°, 19 p.; — 27" Sociele de prc^voyance et de secours mutuels. — Discours prononce par le meme a la seance generale du 5 mai 184'«, in-8", 7 p. ; — 28" Sur le doule en maliere de religion, par le meme. Metz, 1838, in-8', 36 p. ; — 29" Albert, ou le Duel, par le meme. Paris, Waille, 1844, in-12, 2 v.; —30" De la legislation on maliere de duel , par le meme. Nancy, in 8°, 14 p. — 2/^ — La correspondance iiianuscritecoiuprend desletties: 1" De M. le Maire de la ville de Reims, remerciant i'Academie de la collection de mineraux , de fossiles et de coquilles vivanles dont elie a fait hommage au musee do la ville; — 2' De M. Qucntin Dailly, li- braire, offrant a TAcademie un exeraplairede la col- lection de gravures qu'il vient de publier d'apr^s les planches du cariulaire, ainsi qu'un exeniplaire du plan de Collin , 1665, et du plan de Legendre, 1769 ; — 3" De M. Guerard, president de la Societe des an- tiquaircs de Picardie , exprimant le desir d'entrer en correspondance avec I'Academie de Reims ; — \° De M. Tailliar, vice-president de la Societe royale et cen- trale d'agriculture , sciences et arts du departement du Nord , informant TAcaderaie de Reims que cette Societe accepte Toffre d'etablir des rapports de con fraternite etd'echanger ses publications,^ — ^M. Tailliar accepte reception des memoires envoyes de Reims ; — 5" De M. Belhomme , docleur-medecin a Paris. II fait hommage a TAcademie de plusieurs ouvrages dont il est I'auteur, et soUicite le titre de raembre cor- respondant ; — 6° De M. Clerc, professeur de rhelo- rique a Luxeuil, qui annonce la decouverte de seize pierres tumulaires gallo-romaines, dans lesquelles sont incrustees des statues d'un fort bon style; — 7" De M. Gastebois, qui adresse a TAcademie un memoire traitant de Timpot sur les cliiens ; — 8" De M. Miche- lin, adressant a I'Academie entr'autres opuscules un extrait de I'lconographie zoopliytologique, en ce qui concerne le bassin de Paris; une notice sur M. Huor, continuateur de Malic Brun ; un compte rendu de la session tie la Societe geologique de France, I8i4, etc.; — 9" De M. Warin d'Epernay : il appclle I'atlen- — 273 -- lion de I'Aoad^inie sur uii appareil m^canique invenle par M. Pescheloche, horloger a Epernay. Apres Ic dcpouillement de la correspondance, M. Pescheloche, present a la seance, soiimet a fexanien de rAcademie I'appareil dont il est Tinventeur, et presente quehpies explications techniques. Le passage suivantque, soustoutes reserves, nous cxtrayous de la kltre de M. Warin , fera connaitre soniniairement le but que s'est propose M. Pescheloche, et le procede a Taide duquel il croit I'avoir atteint. . M. Pescheloche a invente en 1843 un appareil niccaniqiie qui •> regie d'une maniere ccrtaine et absolue la force de tension des " ressorts luoteurs de peiidule et autres chronometres de niemc » genre. Par son procudii il a transforiiic la force excessivennent " variable des ressorts en une force continue, constante de poids. » 11 est inutile de demontrcr ([uelie dilTerence existe entre les per- » mutations continuelles d'un ressort agissant quinze jours au • moins de suite, en se dehaudant inccssamnient , etlaction inva- ■ riablc d'un poids. L'invenlion de JI. Pescheloche est done tres- " importante sous ce rapport et fera epoque dans I'horlogcrie ; car - depuis longtenips les niaitres dans cet art, les Berthoud , les » Breguct et tant d'autres artistes distingues ont applique leur >■ talent a balancer par les inventions les plus ingeuieuses I'inegalite '■ de la force niotrice donnee par les ressorts. Tant d'eiTorts n'ont " pu corriger celle inegalitc que par une perfection incroyable » qui ne s'achcle qua prix exhorbitant. M. Pescheloche, lui, par " un moyen fort simple, par une application fort ingcnieuse de la » reaction du ressort sur lui-UKiiie , a ohlonu sans frais un resultat • bien plus certain , puisqu'il est mathemalique ! Mais ce >■ u'est pas tout encore : M. Pescheloche a tire de son invention » premiere une deuxieme invention non raoins utile pour d'autres » effets; c'cst-a-dire qu'il a imagine un nouveau levicr du premier » genre , mais a detente, et qui produit des elfets niecaniqucs incon- • nus jusqu'a ce jour. Ce levier a dans certain cas une puissance » triple du levier ordinaire du premier genre. Ainsi , I'ayant appli- »■ que a la levee des marteaux des horlogcs declocher, il a cxpcri- " mente (ju'avcc le racme poids et le meme rayon de roue , il cnie- ■■■ vait a la meme hauteur un niartcau Irois fois plus pesant ipie par — 274 — » Ics bascules ordinaires. De la la possibility de produiro avcc des » horloges d'un volume ordinaire les memes etTcts qu'avec les plus • grandes, et par consequent d'en fournir a nioitie prix des aulres; « de la aussi moins de dilatation dans les rouages pendant les cha- » leurs, moins d'aprele dans les metaux pendant les gelees , el par » consequent une marche plus reguliere et pluscertaine • L'appareil de M. Poscheloche est reiivoye a I'exa- men d'une commission que composent MM. Contant, Tarbe de St Hardouin et Garcet. M. Livernoy presente a rAcademie une piece d'ar- tillerie d'un nouveau modelc. Ce canon, monle sur six roues qui en facilitent le maniement dans toules les directions , est muni d'une caisse ou chambre destinde a faire sauler la piece en cas d'urgence. Get appareil est reiivoye a I'examen d'une commission , dont nous publierons le rapport. MM. Tarbo de St-Hardouin , Garcet et Gosset composent cette com- mission . SEANCE EXTRAORDIHIRE DU 28 ^OVEMBRE 1843. PvtsVdtwte, cU M. Robillard, mct-i^YtsvAtnl. L'Academie procede au renouvellement de son bu- bureau. Sont elus : President, M. Wagner. Vice-President, M. H. Landouzy. Secretaire, M. Tii. Contant. Yice-Secretaire, M. L. Paris. Tresorier, M. Saubinet. — 275 — Soul proclaims Membres correspondants. MM. Ic cointe de Mkrode , ministre d'etat de Belgique. Leon Faucher. Mgr Gros , eveque dc Versailles. MM. Gil. RoiiKRT , sous-inleiidant militaire a Metz. RiCHELET (duMans), bibliothecaire. Le vicorate De Cusny , president de TAcademie de Caen. Lecomte Ap.rivabene, de Bruxelles. L'abbe Barthelemy , a Paris. Boi'LLiAN , professeur de rhetorique au college royal de Reims. E. Bertranu, avocat aTroyes. Paul Hoot, sous-bibliolhecaire a Versailles. Le baron de Roisin , a Bonn. EuNoux, journalisle a Angers. GoGUEL , chef d'inslitution a Strasbourg. Le conite du Coetlosql'et , de rAcaderaie de Metz. Millet, juge de paix a Liesse. Belhomme, docteur en medecine a Paris. Ch. Dl'four , conservateur du Musee d'Ainiens. L'abbe Caton , a Trelou. Gerente, dessinateur. Fosse-d'Arcosse, president duCotnitc d'archeologie a Soissons. Glerc, de Luxeuil, professeur de rhetorique. KoziEROwsKi , architecte a Reims. Ernest iJE Thierry, ancien officier de eavalerie, a Paris. GoiLOT, de Reims, raembre du Gomice agricole. Millet, attache a I'Administration des eaux et forets. DuBROCA , veterinaire a Sedan. Feuillet, jugede paix a Lyon. De Pinteville-Cernon , president du Gomice agricole de la Marne. Gastebois, lieutenant-colonel en retraite. LicouRT , docteur-medecin a Chatillon-sur-Marne. Devismes, ancien prefet , a Sezannes. JuLLiEN , de Paris , fondateur dc la Revue encyclopMique. Duval, docteur-medecin a Epernay. Denys, de Commercy, membre de I'luslitut das provinces. — 27G — COMMUNICATION DE M, BANDEVILLE. Rappori sur les cabiiicls (Faiiliquiles dc MM. Louis-Lucas, Duqueuelle et Ducliene, Put M. ch. hufobr iVA.muus (\). Messiedhs, Vous m'avez charge dans une de vos dernieres seances de visiter le cabinet de M, Louis-Lucas et de vous presenter le compte- rendu des richesses ar- cheologiques qu'il renferme. Tout en vous remi^rciant de I'honneur que vous avez bien voulu me faire en me confiant une tache au-dessus de mes forces , je regrette que votre choix ne soit point tombe sur ua amateur plus (iclaire et plus digne de vous faire ap- precier tout I'interet que presente pour Thisloire lo- cale cette precieuse collection. Vous le savez , Messieurs , les objets celtiques ont en archeologie une valeur d'autant plus grande que leur etude embrasse Thistoire de ces temps re- cules qui precederent la fusion des races gallique et romaine. Aussi commencerai-je d''abord par signaler a votre attention les baches en silex que possede le cabinet de M. Louis-Lucas , et dont Tune porte en (1) Ce rapport devait etre ki a ime des seances de la section d'ar- cheologie du Gongrcs. Le temps a manque. — 277 — relief line figure liumaiiie , dessinee avec cette gros- sierete de forme qui revele I'enfanco de I'art. Celte particularite rend cet objet extremenient remarquable; point de doute qu'il ne soit un produit de I'art cel- tique dans ces contrees , car le musee de Douai, plus Jieureux en cela que celui d'Amiens , renforrae quel- ques casse-tetes gaulois , egaleraent ornes de scul- ptures, et dont I'anciennete est completenient jiistifiee par le fait meme de leur decouverte au milieu detom- belles et de medailles ce'tiques. La fleche en silex que possede M. Louis-Lucas n'est pas non plus sans interet. 11 est generalement admis que ces amies de guerre furent en usage bien avant que lesCcltes aient puise dans leurs rapports avec les peuples plus civilises de Rome et d'AMienes , los con- naissances necessaires pour travailler les metaux ; mais quels instruments leur permirent clone de donner au silex ces formes trancliantes , acerees , et ce poll parfait quo Ton rcmarque sur les monuments de cette epoque? C'est la un point que la science n'a encore pu eclaircir, et sur lequel, cFailleurs , Tliistoire ne nous a transmis aucun document ecrit. J'arrive maintenant a I'epoque gallo-romaine, qui forme la partic la plus imporlante du cabinet dont j'ai riionneur de vous entretenir. Parmi les precieux ob- jets en bronze qui s'y trouvent reunis , je citerai d\a- bord une belle variete de fibules , dont I'une en or, dessinant un medallion , est encore ornee d''emaux ; un vase en bronze d'une fort belle conservation , el qui porle la trace de la pioche qui le fit heureusement jaillir de terre avec les quatorze mille pieces romaincs en argent (pi'il renfermait. II a etc Irouve en 1821 a Trigny, a trois lieues de Reims. Sur le couvcrcle on — 278 - remar(|ue uii carlel , doiil rinscriplion est aujoiiicrijui complelement. effacee. Aupres fie ce beau vase , qui suffirail a lui seul pour faire h bonne fortune d'un collecteur d'antiquites, j'en ai remarque un autre de la forme actuelle de nos marmites. Plusieurs objels de cette nature, qui deja ont ele decouverts en PicardiCj sur reraplacenieiit d'anciens eamps remains , permet- tent de penser qu'ils faisaient partie de Tequipage des legions de C^sar. Une coupe dont le contour est orne de phallus, et un vase en forme d'aiguiere , a orifice circulaire et a deux anses posees sur un masque d'un tres-bon travail, donnent a la collection de M. Louis- Lucas d'autant plus d'interet que tous les objets qui la composent out 616 exhumes du sol de Tantique Durocort. Parnii ses Qgurines, toutes fort interessantes, les unes au point de vue de Tart , les autres comme sou- venir de la religion qui a precede Tetablissement du christianisme dans les Gaules, j'ai distingue tout parti- L DiicIumic , ("oninic Ic — 282 — temoigne la collection dc lampes fiincraires en terre cuite et de medailles gauloises et roruaines , qui ont a mes yeux le double nierite de presenter une belle Tariete d'especes et d'avoir ete trouvees sur le sol de cette antique cite. Mais la numisraatique n'occupe pas seule les loisirs de M. Duchene; il s'attache egalement a reunir tons les principauxouvrages concernant riiistoire deReims. La bibliographic est une source de jouissances reelles pour Taraateur ; c'est elle qui , apres avoir recueilli ces ouvrages qui deviennent cliaque jour plus rares , nous en fait apprecier le meritc caclie sous une date , sous un nom d'impriineur, sous une variante avec un autre texte connu , et sous mille particularitt's qui souvent ne presentent qu'un interet purement local , mais qui toutefois excitent avec raison I'attention du bibliophile. La ville de Reims, sous ce rapport, n'a rien aenvier aux premieres villes de France. Sa bibliotheque est Tune des plus belles qu'il soit donne aux ])rovinces de former avec les faibles ressources qu'elles peuvent consacrer a ce genre delablissement, sans nuire aux autres services de Tadministration municipale. Vous vous rappelez , Messieurs, avec quel empressement notre honorable secretaire, M. Louis Paris, s'esl charge de nous comniuniquer ks richesses manuscrites on imprimees confiees a ses soins. Je craindrai d'alTaiblir I'iriteret des explications (ju'il a bien voulu nous don- ner en vous reparlant des magnitiques rcliures de Groslier, des precieux niannscrits provenant de la bibliotheque du cardinal Charles de Lorraine, de ces tableltcs de cire si rares raaintenant , c( doat le cii- ricux specimen conserve a la iMbliolhcqiic dc Reims — 283 — relate les ddpenses faites par Philippe le Bel lors d'uti voyage a Loclies. Le nianuscrit qui a yppartenu a I'infortune'e Marie Stuart , le nianuscrit slave , dit Texle du Sucre, et le livre de GeolTroy Vallee ne pou- vaient trouvcr de meilleur inlerprete de Pinteret qu'ils piesentenl que M. le bibliothecaire lui-meme. Quant a la collection d'antiquiles forraee a I'liotel de ville, biea qu'elle renferme deja quelques produits interessants de I'art antique , elle est destinee sans doute a recevoir par la suite unc plus grande exten- sion. Aussi dirai-je aujourd'hui a ceux qui veulent ap- precier ce que fut autrefois la premiere cite de la Gaule Belgique, visilez le cabinet de M. Louis-Lucas, et vous y trouverez reunis les monuments figures les plus precieux de Thistoire de Reims. 28 'I. Bapparl siir Ic Tiailt' ilos lloniiaies de ill. P. F. Bonuevilk', P(vtM. maille-leblanc. Messieurs, C'est au travail diiige ct feconde par Tindustrie que la societe doit toutes ses jouissances et son bien- etre. Toulefois Tbonime isole ne saurait seul suffire et salisfaire par lui-meiiie a la multiplicite de ses be- spins. Ce n'est qu'eii se renfermant dans le cercle d'une profession speciale, qiiel'artisan parvient a don- ncr a ses oiivrages un certain degre d'elegance et de solidite ; et meuie a mesure que la civilisation intro- duit le desir et la recherche de ce qui est utile, com- mode ou a^reable, la division du travail vient encore ajouler a la perfection de ses produits. L'homme est done oblige de recourir a Tbomme, pour en obtenir, par voie d'echange, ce qu'il ne saurait seul se procu- rer. Mais bientot la difficulte des echanges en nature, pra- ticables seulement dans les peuplades a demi-sauva- ges, a fait sentir aux nations civilisees le besoin, disons mieux , I'indispensable necessite d'une marchan- dise inlermediaire qui, sans sc consomnier jamais, servll a oblenir parloul, cu tout temps, en lout poids — -285 — *ou cii luiite niesuic, tons les objels tk'stiiies a la euii- sommation. Cette marcharulise est la monnaie. Destinee a elre rinterruediaire ol)lige de tous les eclianges, la monnaie devait avoir par elle-meme line valeiir inlrinseque, uniforme, inalterable; elle devait se diviser exactement en fractions assez laibles pour etre mise faeileinent et conslamment en rapport avec tous les produits. Des la plus haute antiquile , les nietaux precieux ont paru reunir au plus liaut degre ces diverses pro- prieles. Leur solidite et leur eclat ont partoutet en tout temps fail rechercher vivement leur possession ; leur qualile, uniforme par toute !a terre, les rend partout egalement appreciables; enfin, inalferables, pour ainsi dire, ils bravent les injures du temps, de I'air, de I'humidite, et leur durete naturelle, augmenteepar les alliages divers auxquels on Ics soumet, leur fait sup- porter sans deperdiliou sensible les frottemenls mul- fiplies qu'entrainent une circulation rapide et un ma- niement de tous les instants. Malgre tous ces avantages, il restait encore a vain- cre une difliculte capitate. La frequence et la celerite des eclianges exigeaient que I'usage des monnaies fut aussi prompt que facile, et les operations du commerce auraient ete entravees a cliaque pas, s'il eiU fallu constamment verifier le poids et eprouver la purete du metal ollert ou recu en paiement. Cette derniere operation surlout, demande des connaissances chimi- ques a la portce d'un bien petit nombre. Pour ob- vier a cet inconvenient, Part du monnayeui est venu reduire les metaux a des titres et a des poids connus et constates par une empreinte. 20 Cette enipieinlo, ique nous ameiie au i^raiul ou- vrage public en 180G par M. Pier re-Frederic Bonne- ville, ouvrage qui a ete I'objet particulier de iiotre examen. Pour vous faire mieux apprecier son merite et son utilite, nous vous en indiquerons sommaire- ment ie plan et les details. Nous devons dire d'abord, cpfayant specialement en vue le commerce avec I'e- tranger, commerce qui exclut totalement deses tran- sactions les monnaies de cuivre et de billon, M. Bon- neville ne s'occupe que des e^peces d'or et d'argent. Les premieres monnaies de France dont il donne rempreinte sont celles de Louis XIII, depuis 1640. Les aulres monnaies commencenl au x\iW siecle. Quelques-unes cependant sont anierieures, parce qu'elles etaient encore dans la circulation a cette epoque. Le traite de M. Bonneville contient : i" La table des puissances dans l'ordre suivi par fauteur ; 2" Pour la France seulement deux tables de divi- sions et de subdivisions des poids anciens, leur rap- port avec les nouveaux poids et la conversion du poids decimal en grains, gros, onces et marcs ; Une table de correspondance du titre ancien avec le uouveau ; Le rapport des milliemes d'or contenus dans les lingots de Dore avec les grains de fin, poids deraarc; Enfin, un tableau contenant plusieurs observations pour servir a connaitre : La quuntite d'or el d'argtnl contenue dans une nion- naie ; La valeur de cette piece suivant letarit', et dontie prix est fixe en kilogrammes ; - 289 — Sa valciir, en la comparaiit a noire inonnaie ; 3" Une instruction sur Ics monnaies de conipte et reelles, conimencanl I'articlo de diaqiie puissance. La coniparaison ' coup de courage pour Vcntreprendre, une grande con- » stance pour le conlinuer et une forte resolution pour le » terminer. Vauteur n'a pu etre soutenu dans cetle )) longue ct laborieuse entreprise que par le louable dc'sir » d'etre utile a ses concitoyens. » La base fondaraentale d'un pareil travail etait la determination precise du titre des diverses monnaies. Pour I'elablir, M. Bonneville a fait lui-meme i'essai des pieces emises dans les differents pays et a diverses epoques. Outre les pieces principales, il en a veriDe scrupuleusemeni les subdivisions, precaution neces- saire, ces subdivisions n'etant pas toujours au raeme titre que leurs multiples. Ses essais ont ele repetes plusieurs fois sur les especes de meme denomination, mais frappees a des epoques differentes ; il s'est pro- cure des pieces de chaque regne et a suivi par ordre de date la serie des diverses fabrications. Lorsqu'il a trouve des pieces de meme denomina- tion a des litres differents, il a porle dans ses tableaux le tilre le plus bas ; mais il a indique dans des notes les autres litres, en designanl le miliesime des pieces. Le commerce pent done regarder comrae exacts les litres annonces dans cet ouvrage. Sous ce rapport, M. Bonneviile devait lui inspirer la plus grande con- fiance. Attache des sa premiere jennesse au labora- — 291 — loirede Tholel des monnaics, oiiil s'est fait connaitrc par de longs el utiles travaux, il nierila en I'an IV d'occiiper niomentanement la place d'essayeur des monnaics, loisque M. Anfrye fat porte a la direction dc !a monnaie de Paris; son zele, son inlcUigence re- marquable dans les fonotions d'essayeur du commerce, ont encore soutenu et agrandi sa reputation. Mais ce qui doit surlout rassurer completemcnl sur Ti xacti- tude de ses essais, c'est le soin qu'il a pris de ne pas s'en rapporter uniquement a ses lumiercs. Toutes les fois que ses experiences lui ont presente des diffe- rences sensibles entre le titre des especes quM! es- sayait et le litre indique an tarif pour les memes es- peces, il s'est adresse a Tad ministration des monnaies pour provoquer une nouvelle epreuve. Dans tous ces cas, le rapport de I'inspecteur general delegne par radministration a confirme la justesse des resultats trouves par M. Bonneville. Le commerce et la direction generale des monnaies auront done desormais un guide stir et eclaire pour apprecier le titre des pieces d'or ct d'argent actuelle- ment repandues sur la face du globe. Quant aux poids des especes, M. Bonneville I'a elabli d'apres le poids legal. Le frai occasionne par une plus ou moinslongue circulation ne lui permettait pas de I'indiquer d'apres ses propres experiences. Mais comme la verification est facile, et que cliacun pent la faire avec une ba- lance de precision, elle est bien moins necessairc que celle du titre impossible a tons autres qu'aux prati- ciens experimentes. De plus, les especes etrangeres etant considerees comme metal non monnaye, le com- merce les recoit, non d'apres le poids legal, mais pom Iriir ])oids reel. riCtte partie du travail est iieanmoins — 292 — fort utile aux negociants qui s'occupent du change des especes aussi bien qu'aux expediteurs qui recoivent en retour des monnaies etrangeres ; et bien qu'elle n'ait pu. par la nature des choses, eire traitee avec la meme precision que celle qui concerne le litre, I'auteur n'a pas dii la passer sous silence. La aurait pu se borner I'oeuvre de M. Bonneville. Le litre etle poids des monnaies unefois determines, le reste n'etait plus qu'une operation arithmetique a la port^e de chacun. M. Bonneville a voulu encore epargner aux commercants le soin de se livrer aux calculs longs et arides que necessite Tapplication. Ces calculs, il les a fails lui meme sans se laissi'r rebuter par I'immensile et le degoiit d'un pareil travail. II a de plus indique la tlieorie et donne la formule de ses cal- culs. Erifin, il determine d'une maniere nette et pre- cise la quantiled'or et d'argent contenue dans chaquo espece, et comme il indique aussi le prix de chaque litre, il est facile d'en fixer la valeur. Mais cequi distingue surtout I'ouvrage de M. Bon- neville de tons ceux qui ont dte publics jusqu'ici sur le meme sujet, ce sont les plancbes gravces accompa- gnant le texte, et reproduisant rempreinte de loutes les monnaies dont il Iraile. Ces planches, au nombre de 190, sontaelles seules une oeuvre veritablement ar- tistiquc. II est impossible de ne pas admirer la fidelite et la correction de leurs empreintes, qui font Toffice d'un medaillier complet, et comme la descriplion la plus exacte ue saurail suppleer en cette matiere la representation de Tobjet, on conviendra sans peine que la purete du trait, la nettete du dessin n"elaient pas ici une simple affaire de luxe ou d'agremenl, mais une oeuvre d'ulilite reelle, concourant cflicacement au but - 203 — serieux que sc proposait raiileur. Le inoyeii simple et ingenieux qu'il a imagine pnur obtenir ces empreintes, est un siir garant de leiir lidelite. Nous les avons com- parees nous-memes avec les uionnaies diverses que nous avons pu nous procurer, et nous nous sonimes assures que chacune d'elles etait le facsimile exact de la piece reelle. Le traite de M. Bonneville est, quant a la partie francaise, la suite et le supplement du grand traite de Leblanc. Si Ton joint a ces deux ouvrages les recher- ches de Bouteroue et le traite des monnaies des barons par Duby, on aura la serie* complete des etudes faites sur cette matiere pour cequi regarde I'histoire de notre pays. Parmi les pieces asiatiques, vous remarquerez la belle collection des monnaies zodiacales, ainsi nom- mees parce qu'elles representent chacune I'un des signes du zodiaque. Ces pieces, tres-rares meme dans I'Inde, se trouvent ici toutes reunies et gravees avec une rare peifectioii. Messieurs Sylvestre de Sacy et Gentil ont donue sur ces monnaies fles renseienements Ires-precieux qui se trouvent ici consignes. Toutes les legendes des monnaies de I'lnde ont ete traduites par MM. de Sacy, Langles, Akerblad et Alexandre Ha- milton , savants dislingues dont la reputation garantit suffisamnient Texactilude. Nous devons direaussi que le livre de M. Bonneville, outre son merite intrinseque, est encore remarquable sous le rapport lypograpliirjue. La nettete et la cor- rection du texte sont en pan ille malierc d'uii prix inestimable ; on les Irouve ici reunies an plus liaut degre, et I'ordre lumineux qui a regie la distribu- tion des matieres, facilite les reclierchcs ct previeiit tout danger d'erreur. — 29^ — En resume, el pour terniiuer ici ce rapport deja Iroi) long, M. Bonneville a seul medite, entrepris, pour- suivi et aclieve une opuvre immense de talent, de pa- tience et de travail. Erainemment utile a I'artiste, au savant, a Tadministrateur, au commercant, a tons les horames enfin qui s'occupent de finances et d'econo- mie politique, son livre deviendra d'une utilite plus journaliere encore, aujourd'hui que des voies incon- nuesjusqu'ici ouvrent une plus large carriere au com- merce, et que la navigation, aidee par une force nou- velle, semble appelee a multiplier plus que jamais les relations utiles et pacifiquesenlre les peuples les plus eloignes. Favorablement accueilli a sa naissance, le Traite des monnaies a constamment grandi dans la consideration ptiblique, et tout rccemraent encore, un monarque, protecteur eclaire des arts et de I'indus- trie, n'a pas dedaigne de donuer a M. Bonneville une preuve eclatanle et precieuse de son estime. Aussi, nous le pensons, TAcademie de Reims, qui se glorifie de le compter parmi ses membres correspoudants, en accordant a Touvragf une place honorable dans sa bibliotheque (1), s'empressera de temoigner a Tauteur sa reconnaissance et sa satisfaction. (1) Ce volume, grand in-folio, sur velin, magnifiquement relie el dore sur tranche, a ete depose par TAcademie a la bibliolheque de ville. — 29o — COMMDNICATIOX DE M. I.ANDOUZV. DeveloppefflenI de productions pilifornies a la surface de la langue . dans cerlaines allwlions. Malgre foute la discretion que je veux nieltre dans mes communications medicales a rAtademie, je dels cependant lui signaler un exemple de productions pi- liformes, qui a peu d'analogues dans la science et qui me parait digne de fixer ratlention des observaleurs. Voici le fait en deux mots : M. X. de Reims, affecte dans le mois d'Aout 1 844 d'une plcuresie grave du cote gauche , etait depuis peu de temps en ronvalescence, lorsqu'un refroidisse- ment amena unercchuteavecepanchement aussi consi- derable que le premier. Malgre la diminution graduelle du liquide, malgre la dispariliun presque totale de !a fievre, la faiblesse generate etait aussi marquee, Tjinorexie aussi com- plete, et la langue, surtout, aussi noire qu'a la periode la plus grave de la raaladie. Cette couleur noire de la langue, si foncee et si per- sistante, en Tabsence de fievre et de tout symptome notable du cole des appareils res[)iraloire on digestif^ — 290 — nous etounait an plus haul degre, lorsqu'un examen aftentif nous fit reconnaitre qu'elle etail due a une fo- ret de poils qui recouvraient toute la surface de la langue, excepte a sa poiute et sur ses bords. Messieurs les docteurs de S:ivigny et Provin consla- tereut corame nous, nombre de fois, la nature de ces appendices piliformes, qu'on pouvait, du reste, en- lever avec facilite, soit en les saisissant avec des pin- ces, soit en raclant la langue avec un couteau. Cliaque matin le malade arrachait lui-merae ceux qui le genaient d'avantage, et qui se trouvaient sur- tout a la base de la langue. Nous en avons ainsi recueilli un assez grand nombre que nous presentons a 1' Academic sur le linge meme oil nous les deposions, afin de leur conserver I'aspect qu'ils presentaient au moment oil ils etaient enleves de la surface de la langue. A I'exception d'un bruit de frottement (vers le 0"^ espace intercostal), tellement intense qu'il suffisait, pour le percevoir, d'approcher I'oreille a quelques centimetres de la poitrine, et que le malade lui-merae le sentait et Tentendait parfaitement, les autres cir- constances n'offrirent rien de i)articulier. Les poils diminuerent a mesure des progres de la convales- cence, et bientot la langue presenlait Taspect normal. Malgre Tattention avec laquelle j'ai depuis examine la langue dans toutes les maladies graves, je n'ai ren- contre qu'une seule fois ces productions piliformes. Cetait chez une femme de 65 ans, atteinte d'un ery- tlieme noueux, avec symptomes adynaraiques pro- nonces, et qui cut egalement une convalescence tres- iongue. Dans ce deuxieme cas , les poils etaient beaucoup plus courts ; la malade se pretant diflicile- I — 297 — frit III, da reste, a inon oxanicn sous ce r.'ii)[)ort, jc n'ai pii en eiilever qu'uiie tres pelite quantite, en laclant I'exlremile de la langue avec une carte. Apres de norabreuses recherclies dans les auteurs, je n'ai trouve que deux exemples analogues, et encore sont-jls siraplement enonces sans le raoindre develop- penieiit. Le premier, cile par Meckel, dans sa monograpliie sur les polls et les dents qui se developpent acciden- tellement dans le corps, est emprunte a Lusitanus- Amatus, qui declare (1) « avoir vu un homme dont i> la langue etait cliargee de poils qui repoussaient » apres qu'on les avait arraclies. » Portal rapporte un deuxieme exemple en ces ter- mcs : 0 J'ai vu dans une fenime la langue couverte de » pcils qui avaient 5 a G lignes de hauteur ; ils etaient » assez rudes et reparaissaient peu de temps apres » qu''on les avait coupes ; I'usage des antiscorbutiques » longtemps continues guerit cette singuliere mala- .. die (2). .. Mainlenant, quel nom donncr a ces productions anormales? Sonl-ce des poils identiques aux poils cuta- nes? Je ne le pense pas; el sans me prononcer sur une question qui exigerait une plus grande habitude des observations microscopiques pour efre positive- ment resolue, je dirai cependant que ces productions piliformes me semblent etre a la membrane mu- queuse ce que les poils sont a la peau ; sans doute elles doivent etre atlribuees a une alteration de secretion de repitliellium et comparees aux concretions cpidernii- ques. (1) Curat. racd.Cpnt. vi, obs. 05. (2) Anal. /««//., torn. IV, p. 527. — 298 — Je ne pousscrai pas plus loin riiypoUii-'sc; j'ai voulu seuleraent, par la publication de ccs fails, appeler Tat- tention des cliniciens sur une circonstance patliologi- que passeejusqu'ici sous silence par lous Its auleurs, et qui pourra , apres des observations plus nom- breuses , jeter quelque lumiere nouvelle , soit sur les donnees du diagnostic, soit sur les indications curatives. Hcinis. — L. jACQi'i/r, Imprimpiiidc I'Acadeniif. Sl^ANCES ET TRAYAUX DE L'AGADfiMIE DE REIMS. ANN^E 1845-1840. r H. S0113IAIKE DE L.\ SEi^CE. Correspoiulance. — Coiumunicalions de MM. Louis-Lucas, Querry, Nanquetle et Courmeaux. — Election de meiubrescorrespondanls. — Lecture dc M. A. Maizikre : Orkjine et dc'reloppemcnt du com- merce des viiis de Chaiitpagne. — Lecture dc M. Qlehry : Notice sur la decouverle d'aiicienms s<^pultures a Suint-Masmes. — Communication de M. Aubriot : Lcttrcs ecritcs par M. N. Ronuot. — Lecture de M. BANnKviLi.n sur 1 edition des OEuvrcs completes de Flodoard , texte et traduction. — Lecture de M. Eug. Cour- meaux : Memoirc de M. Kozieuowski sur cettc question : Est-il vrai que les archltectes de I'aiiliquitc et du moijcit-di/c I'enrpor- tcnt de tous points sur les artistes contemporains , ct r/tielles sont les viesures les plus propres a assurer le progrds de I'ar' chiiecltire? — Lecture dc M. Ci.icquoi' : Les deux chicns d' An- nette , i'al)lc. La seance est ouverte sous la presidence de M. Wagner. M. ie secretaire donne lecture du proces-verbal de la del niere reunion. Ce proces-verbal est lu et adopte. 21 — 302 — La correspondance imprioiee comprcnd : 1°Nouveaux cssais d'histoire litteraire par M. E. Geruzez, professeur suppleant d'eloquence francaise a la Faculte des leltres de Paris. M. Louis Paris est char- ge de reiidrc eomple de cet ouvrage ; — 2° Grammaire raisonnee de la langiic latine, par M. R. Prempsault, aumonier de la maison royale des Quinze-Vingts, avec notice de M, C. Maillefer. M. le president de I'Acade- mie designe M. Guillemin pour rendre conipte de cet ouvrage ; — 3" Liste des nonis populaires dcsplantes dudepartement de I'Aube et des environs deProvins, par Des Elangs, archiviste de la Societe d'agriculture de TAube; et une notice du inetne auteur sur la de- couverte d'une ancienne charpente en cliataignier, faite a Courcharaps pres Provins ; — 4' Eloge du nia- reclial Fabert, par M. x\liinayer, cuUivateur a Saint- Avoid ; — 5" Du defrichement des forets, et du re- boisement des parties incultes du sol, par le merae; — 6 " Journal de la Societe d'agriculture des Ardennes, Novembre 1845 ; — 7' Proces-verbal de la seance ge- nerale du Cercle pliarmaceutique de la Marne, tenue a Epernay le 25 Aoiii 1 845 ; — 8" Circulaire de M M. For- tin et Masson, libraires a Paris, charges par le raini- stere de I'instruction publiqued'editer TAnnuaire des societes scientiliques et litteraires de la France, pres- ent par Tordonnance royale du 27 Juillet 1845. Cette circulaire est renvoyee au couseil d'adminislration avec le prospectus qui y est joint ; — 9^ Une legende du XT' siecle, suivie de six nouvelles, par le comle du Coetlosqucl. La correspondance nianuscrlte comprend : 1^ Une leltre de M. IL Ponsinet, avec suite a son — rm — Fssai sur la noblesse Une note de M. Nata- lis Rondot, deleguc du commerce en Chine, membre correspundant de rAcademie, et une letlre dans la- quclle il presenle plusieurs candidats an tilre dc membres corrcspondanls. Lecture de ces pieces sera donnee par M. Aubriot, qui les a presentees. M. Louis-Lucas presenle a la conqingnic un sup- port delanqie antique Irouve dans des fouilles faites a lleims. Sur la proposition de M. Tabbe Nanquelte, I'Aca- demie decide ({u'une commission sera nomniee pour resamen des memoires sur ragriciilture, donl lejuge- meiil lui a e!e renvoye par le Congres scientiiique. Sont nommes membres de cette commission, qui devra faire son rapport dans le plus bref delai possible, M. de Bri- niont, M. Saubinet, M. Lecomte avec M. E. Derode cl M. Maillet. !\L Eug. Courmeaux annonce a I'Academie que M. Ernest de Thierry, I'un des membres corrcspon- danls nouvellemenl elus, I'a charge d'offrir en hom- mage a TAcademie: 1' une staluelle d'Adrienne Le- couvreur. Cette staluelle, donl M. de Thierry est I'auleur, a ele executee d\'ipres la gravure assez rare aujourd'liui qui represente la celebre tragedienne dans le role de Cornelie de la Mart dc Poiiipe'e. La staluelle d'Adrienne Lecoiivreur est deposee au musee de — 304 ~ rhotel de ville ; 2° Une collection de coquillages re- cueillis dans le canton de Fismes. Sur la proposition de quelques membres, I'Aca- demie precede a Telection des candidats presente's par M. N. Rondot. Sont elus et proclames membres correspondants : M. le docteur Yvan, naturaliste medecin, attache a la mission de France en Chine; M. J. Balestier, consul des Etats-Unis d'Ame- rique a Singapore; Don Inigo Gonzales de Azaola, ancien gouver neur dela province de Tondo a Manille (ile Lncon); Perrottet, directeur du jardin du roi et des etablis- sements serigenes du gouvernement a Pondichery (Inde francaise). >»■»»«< — 305 — LECTUUE DE M. A. MAIZl^RE. Origiiie cl developpeiueiil k coiimierce du I'iii dc Champagne. II s'agit ici du vin mousseux , qui maintenant est Fobjet d'une exportation de 25 millions de fr. ; qui a tant de titles a Tadmiration, a la preference, a la supreniatie dans les classes superieures des etats civilises , et qui est appele par la nature a entrer dans la premiere ligne de nos ricliesses nationales, des que la cliiraie, Tart et I'administralion eclairee et forte du concours de I'experience et des houimes aiiimes du bien public, viendront proteger le cultivateur , le lonnelier , le n^gociant, contre les habitudes et les prejuges de I'ignorance , et contre les tentatives criminelles de la mauvaise foi. Car quoique les vins rouges el les vins blancs non mousseux de la Clianipagne aient du , etdoivent en- core au plant, au sol, au climat et a des soins habiles, des qualites qu'il est impossible de renconlrer en des climats plus cliauds ; et quoique ces vins aient ete vantes a juste titre dans le pays , dans les contrees septenlrionales voisines , a la cour et sur la table du riclje, il faut avouer que, d'un cote, la concurrence des vins du midi , plus genereux, plus oolor^s, plus — 306 — durables, et qui soiit devenus moins chers ; que, d'uu autre cole, le peu de duree de nos viiis rouges , dans les annees ordinaires, et dans les mauvaisos caves, la rarete de leurs bonnes annees, la difliculte croissante de les placer a\ec avantage , et enfin I'etonnante for- tune, pourtant merilee, du vin mousseux, ne peuvent qu'acliever de faire disparaitre les derniers restes des antiques vins champenois non mousseux. Et au fond, nous n'avons pas a regretter un ancien ordre de clioses, qui conduisait, a I'opulence, quatre maisons de commerce ; a I'aisance , une cinquantaiue de foils et Labiles proprietaires ; a la mendicile, le reste des gros proprietaires de vignes , et qui reduisait quelquefois a la misere la classe des petits vigne- rons. Nous n'avons pas a regretter un elat de choses qui allait en declinant par une pente fatale; qui ne pouvait plus se soulenir, depuis que les anciens de- bouches etaient refuses auxvins du midi, el que des voies de communication plus iutelligentes offraient , sur nos marches , des vins m^ridionaux a des prix moins eleves que les notres, tandis que les vins mous- seux, mieux etudies, mieux connus el raieux conduits, independamment de leurs proprietes exclusives , of- frent deja souvenl , et bientol ollViront toujours toules les qualiles des auciens vins non mousseux, avec plus de solidite en general , avec une plus grande duree , et qu'ils ont conquis la palme des vins les plus dis- tingues de la terre ; tandis que les vins mousseux mainliennent dans I'opulence vingt negociants, qu'ils assurent une fortune honnete a cent maisons de com- merce , et qu'ils procurenl a toules les classes de proprietaires de vignes le placement prompt et profi- table de leurs recoltes; tandis enfin que le commerce — 307 — aetuel, deja dix fois plus productif que Tancien, n'est qu'a son berceau , etqu'il peut , en quelques genera- tions, decupler encore. C'cst done du commerce des vins raousseux qu'il s'agit de decrire le long enfanleraent et les phases veritableraont admirables. Des il y a aii raoins cinq siecles, a pen pres aussitot que de simples ouyriers purent posseder en propre quelques ares de vigne pour leur boisson , on a connu dans la Champagne, ainsi que dans beaucoup de vi- gnobles de I'Esl et du centre , la propriete fondamen- tale du vin blanc nouveau d'acquerir la mousse , au printeraps qui suit la vendange ; eflet que le vulgaire ne manqua pas d'attribuer a la seve de la vigne. Au- jourd'hui, on sail que la memo temperature qui met en mouvement la seve , fait eiitrer le vin en fermentation et lui fait produire du gaz. Cela ne manque jamais d'arriver quand on s'avise de lirer au tonneau, p;irfois Irop loiigtemps, et par- fois trop bien ferme , du vin blanc nouveau en Mars , au lieu de s'assujetir aux soins de tons temps prescrils pour un bon vin non mousseux , qui sont : de lui Inis- ser passer en repos le prinlemps et Pete au raoins , sans fermer le tonneau trop hermetiquement ; en ou- vrant de temps en temps la bonde, et en pratiquant de frequents remplissages. Le faitnc fut d'abord observe quede loin en loin, et chez de simples vigiierons , (jui ne pouvant attendre, selon la maxime d'une bonne hygiene , que le vin de leur boisson ait une annee d'age , sont souvent forces de Tentamer avant la demi-annee. L'elonnement, le plaisir de la vue , de I'odoral et de I'ouie out du faire , maintes fois au printemps et en et^ , reileier I'expe- — 308 — rience d'une tasse tiree sans donner d'air a la piece , jusqu'alors bien boucliee , et chaque fois la liqueur a ^te trouvee petillante et ecuraeuse. C'est qu'alors il s'est produit du gaz en assez grande abondance, sans elever la tension au point d'arreler la fermentation , et Tabsorption continuee a mis le vin a Tetat de mousse croissante. Ces effets ne peuvent avoir lieu quand !e fut esttrop plein, mal bouche, et frequemment ouvert. La fermentation ayanl lieu , le gaz se dissipe en un cas ; dans Tautre , il arrete la formation de nouveau gaz. Une fois par hasard, le vin recu et conserve en une bouteille fit sauter son bouchon , et Ton se fit un di- vertissement de repeter cette experience curieuse. Ce fut une bien mauvaise recommandulion pour la mousse , que de se produire pour la premiere fois en un vin de la derniere qualite, et de ne servir qu'a amuser un moment la jeunesse , au detriment d'une denree toujours chere pour le pauvre. Et bientot on vit que cette propriete de la mousse , qui ne duroit qu'un moment dans la tasse, que quel- ques minutes dans la bouteille ouverte, n'existait que pen de semaines dans le tonneau avance en vidange ; qu'elle se perdait spontanement pour faire place a une boisson apre , plate , comparativement au meme vin , conduit de maniere a eviter le prestige de la mousse; c'est -a-dire coUe , soutire, souvent debon- donne, souvent rempli et bu au plus tot apres un an. Bien plus , la mousse devint un evenement grave et redoutable : quand on vit se briser les bouteilles bien bouchees , et quand, pour avoir laisse le vin es- saye trop en repos dans le fiit liermetiquement ferme, on vit, par I'eflet d'une force incomprehensible , bien - 309 — qu'enseignee deja par le saut ilii bouchoii el par la fraclurc dii veire, Ic liquRle siiintcr et s'ecouler cntre les douves, ou lo tonneaii s'entr''ouvrir par un fond , oil par la rupture dcs cerceaux, et occasionner la perte d'un vin quelquefois precieux , alors , on se trouva de- courage et convaincu que la mousse n'aboulissait qu'a la perte de toute qualite et a une cataslroplie efl'royable. On mit a evilcr la mousse aulant de soins que de nos jours , oil Ton s'^est familiarise avee le raonslre de la force expansive, on emploie d'efibrls pour oblenir el accroitrc le gaz. Les soins , les speculations se concentrerent dans famelioralion du vin non mousseux. Et Ton se mit en reclierchcs de moyens specialemeid propres a faire acquerir a nos vins calmes du Nord-Est , mais obte- nus de plants clioisis, desqualitesnouvelles, qui leur perrairent de hitter contre ceux des vins du Midi, que Ton consideroit autrefois comme les meilleurs. Nous savons maintenant que les qualites des vins du Midi proviennent de causes, les unes communes a nos vins sees , savoir : Le plant distingue , le sol, Texposition , le triage et les bons soins ; Et les autres causes, particulieres aux vins meridio- naux , savoir : Le cliiiiat, la maturite du fruit, une liqueur sucree, onclueuse et corsee, une temperature encore assezele- vee a la vendange, pour determiner promptement une ferractitation puissanle , qui emploie le peu de ferment qui subsiste a decomposer seulcment une partie du Sucre naturel, qui laisse I'alcool en abondance, et qui procuie une riclie couleur. Une autre cause de la preference accordce aux vins du midi est une grande — 310 — iongevitt^, qui peiuiet le concours de plusieurs ann^es et de voyages transatlanliques, pour detruire dansces vins, avec un peu do leur alcool, Taprete qu'ils tiennent de la rafle , et un esces de matiere colorante due a la decomposition chimique dans la cuve de la peau azuree du grain. Et nous Savons que , pour nos vins non mousseux rouges et blancs, les causes speciales dequalile sont : Notre sol crayeux , une culture intelligente , une niaturite imparfaite (ce qui au premier abord semble paradoxal), un triage soigne des grappes gatees et non mures, une imitation, la plus fidele possible, des pratiques de I'ltalie et de la Grece , sur I'arl de faire les vins rouges et blancs , puis une fermentation ne- cessairement incomplete sur I'arriere-saison , soit de plusieurs jours a la cuve, soitde cinq mois dans le tonneau, qui laisse dans notre vin , comparativement a Palcool et au sucre, un exces de ferment qui rend in- dispensable et si mcrveilleuse la fermentation prolon- gi^e dans le tonneau, a peu pres plein, clos avec re- serve; qui transforme le sucre naturel restant en assez d'alcool, pour fortifier, enrichir, adoucir et parfumer nos vins, et en assez peu de gaz acide carbonique, pour qu'il soit use en grande partie dans la longue l»recipitation du ferment, ce qui, avec le secours de I'alcool , entraine la precipitation du tartrate acide de potasse, le dissolvanl naturel du ferment. Et alors levin non mousseux de Champagne, provenu d'ail- leurs de bons plants, qui lui donnent du corps et de la richesse, est mis naturellement dans les meilleures conditions de saveur, de robe , de limpidite, d'arome, et souvent de longevite, qui, des avant la renaissance, out fait recherclier et le vin sec des coteaux de la mon- — 31 1 — tagnede Reims, etceux t'es coteaux de la riviere de Marne. Et pour arriver a cet etat de perfection, et pour depouiller un vin non niousseux du pea d'aprete qu'i! doit a la ralle, par I'ellet de la preuiiere fermentation dans la cuve, il sullit de deux anuees bien employees , au lieu des cinq et sept annees qu'il faut pour nuirir les vins du midi. Si , comnie en ces temps recules , on avail pu se borner a I'art des vins non mousseux, qui eurent plu- sieurs sieclcs d'eclat et de prosperity, on verrait, comme de nos jours, celte source de notre ancienne gloire se soutenir a peine , languir et approcher de son declin : tristes et inevitables effets de la rarete de nos bonnes annees , de la perte de nos consommateurs riches et eclaires , de la difficulte croissante de nos placements, du decouragement des cultivateurs, de la deterioration progressive de nos plants, de I'inferiorite eflecfive et frequente de nos vins de seconde ligne, par rapport aux vins de TEst et du Midi , parvenus a leur age de maturite. Mais rindustrie decluie des vins non mousseux ne serait pas , comme elle Test aujourd'liui , remplacee par une industrie plus vivace, appartenant exdusive- ment, et par droit d'invention, et par droit de nature, a riieureuse Champagne, et plus proQtable au depar- tement et a la France; sans rien faire perdre aux consommateurs regnicoles des qualiles si admirees dans I'ancien vin non mousseux ; en leur en ollVaiit de nouvelles et en repandant ses bienfaits sur toute la surface du globe. Cc futsans doulc par une faveur du ciel que, dans le xvii^ siecle, oil regnait avcc le plus d'eclat le vin non mousseux, il se Irouva des proprielaires des coteaux — 312 — qui bordent la Manic aux environs d'Epernay, plus vivement frappes que Ics cuUivateurs des autres vi- gnobles, des fails surprenanls qui, suivant la tradi- tion, avaient jadis excite une curiositesi vive et si ge- nerale , imaginerent de r( faire et de varier les an- ciennes experiences ; et ils reconnurent : 1° Que la perte de toute qualite n'etait inevitable que dans les vins longtemps laisses en vidange, etque cette perte pouvait etre retardee beaucoup d'annees en un vaisseau presque plein , et d'une enveloppe assez resistante. 2" Que la rupture des cercles pouvait etre con juree au moyen d'un bondon peu serre, ou d'un simple Iron de foret convert d'un tuileau. Alors on put donner carriere a de nouvelles tenta- tives desormais inoffensives. Ces essais informes et sans suite , entre les mains d'une jeunesse ignorante , laisserent longtemps dans I'enfance I'art du vin mous- seux, qui, pour arriver a I'etat oil nous le voyons , demandait, pour un merae vin, des annees d'etudes, de soins, de manipulalionsdelicates ; et pour les dif- terents vins des divers vignobles, et de differentes recoltes, exigeait des generations de paix, des annees de tentiitivcs aventurcuses, de desastres inevitables, tl'eraploi prolonge de capilaux , et de meditations compliquces et suivies, fondees sur les connaissances, qui u'existaient pas encore , des gaz, de la loi de Ma- riotte, de Tabsorption physique , de Tanalyse du vin , de ceile du sucre , de Tabsorption cliimique, et de di- vcrses theories et instruments raecaniqucs. Tout cela etait loin de nos habitudes, cl moralement iuqiossible, en des siecles d'oppression , d'ignorance, de desunioii et de troubles civils. — 313 — Mais on eut I'idee lucitle de n'exposer chaquo annt^e qii'un petit lot de viii nouveau tire mousseux en bou- teilles, parce que Ton avail vu que souvent le verre soutenait une force expansive superieure a celle que Ton obtenaitdansle tonneau, dont la rupture, toujours redoutce, aurait cause une perte bien plus domnia- geable que celle de quelques bouteilles, et que Ton avail vu dans le verre , une fois qu^il avail rcsiste a une grande fermentation , se conserver le vin les an- nees suivantes, sans danger nouveau. Ce fut une circonslance heureuse que le concours desinteresse et sincere de plusieurs proprietaires cam- pagnards el riches , qui , sans aucune pensee de spe- culation , mirent , a Tenvi , leur amour-propre a produire cheremenl quelques l)Outeilles d'un vin eminemmenl propre a faire nailre la gaite dans les feslins, et a se concilier ramilie de personnages puis- sants. Je puis ciler les premiers proprietaires dcs riches vignobles qui avoisinenl la Marne dans le bassin d'Epernay ; entre autres, mon grand-pere a Grauves etPierry, et ses amis MM. Moiit d'Epernay , Taicul et le pere du celebre promoteur de Tindustrie el du commerce des vins mousseux. En eflet , longtenips les resultats obtenus se con- sommerent en famille , ou s'envoyerent en cadeaux , d'abord dans le voisinage , et ensuite de plus en plus loin. Quelques-unes deces bouteilles furent oubliees , et Ton fut emerveille de leur trouver, apres beaucoup d'annees , outre le prestige conserve de la mousse , des qualites que n'avaient pas les memes vins , bus dans leur jeunessc , el meme les qualiles (pii etaient - 314 — Tapanage des vins non moiisseux, d'annt^es plus favo- rables , ou de crus superieurs. On ne reussit pas alors, ni depiiis, a procurer a son gre a un vin donne les memes avantages. Souvent au contraire, on \it en une nieme petite cuvec, outre une perte moyenne de 30 p. 0/0, une inegalite bizarre dans les resultals echappcs a la casse. Certaiue bouleille etait grande mousseuse, une autre avait manque la mousse ; plusieurs elaient recouleuses et de qualiles fort inegales. Dans les vins de plusieurs cuvees et de plusieurs annees on trouvait toules les nuances du bon au mauvais , sans nulle regularile , et en trompant souvent toules Its previsions. Du moins les rares pro- duits qui parvenaient a la mousse et a la qualiteetaient toujours recherches par les connaisseurs , et la repu- tation du vin mousseux s'etendit au loin. En desespoir de cause de penetrer le secret de la nature , quand il lui arrivait de nous accorder la mousse, la grande mousse ; el, apres quelques annees d'un travail raysterieux , de doner une partie seule- ment de ce vin des qualites eminenles du vin non mousseux, on se resigna a multiplier les lirages, a mettre tous ses soins a prevenir dans le liquide la nebulosite, la graisse et un mauvais depot, et a se communiquer les resultals bons ou mauvais. C'est alors que le vin mousseux commenca a briller sur la table des rois. Au commencement duxviii" siecle, on connutconfu- senient les accidents les plus frequents et les princi- pales anomalies du vin mousseux : grande casss dans une cuvee et, la meme annee, petite casse dans une cu- vee voisine : des annees rares de grande casse gdnerale ; des annees rares de casse benigne; toujours des recou- — 315 - louses , des vins sans mousse , des bouteilles cassees avee un cri aigu , des fractures explosives; des bou- clions defectueux par la nature du liege, d'aulres par un trop petit diametre ; des vins malades de la nebu- losite , de la graisse, de ramerturae, de I'acidite. En cerlaines annees, on voyait casser tons les vins des coteaux d'Avize , et les coteaux voisins d'Ay n'e- prouver que pen de casse. En d'aulres annees les vins du cote d'Avize etaient bons niousseux, et ceux du cote d'Ay manquaient la mousse. On ne savaitpas que deux vins de plants differents n'ont pas la meme constitution elenientaire ; que la marche de Ja fermentation difl'ere dans le menie cel- lier, et a plus forte raison en des celliers differents ; que la recolte de la menie vignt; ne se rcssemble pas deux ans de suite ; que la marche de la fermentation diflere par I'annee, par le mois, par la nature du vin, par le cellier. On ne savait pas que les vins du coleau d'Avize ont souvent un exces de ferment qui en retarde la fer- mentation, de telle sorte que lorsqu'elle vient a s'eta- blir, la casse est necessairemenl violente ; que les vins du coteau d'Ay ont plus de maturite , plus de sucre ; que leur fermentation est plus hative en cerlaines annees, au point que , lorsque le tirage s'opere, il y reste quelque fois trop peu de ferment pour determiner la mousse. Cependant le bon sens a suffi pour allier les deux sortes de vins , ce qui opera le double effet de dimi- nuer la casse et d'assurer generalemenf la mousse. De ce moment, vers 1780, on osa envisager face a face le monstre de la casse. On fit la part au fleau , et on porta la perte au compte du consommateur. Cest - 316 ^ a cette epoque que Ton doit lappoiter Torigine du commerce des vins mousseux, qui, jusque-la , n'avait eu qu'une existence occulte, epheraere et irreguliere. C'est depuis ce temps que chaque annee vit naitre de nouvelles observations instructives sur le degrede maturitedu raisin, sur I'epoque du tirage, sur I'usage des caves de plus en plus profondes, sur la marchedu depot ; que Ton vit naitre de nouvelles manipulations et de nouveaux precedes pour obtenir la limpidite du vin , la qualite , la mousse , I'economie , la guerison des maladies ; et que chaque annee vit le commerce prendre une extension rapide. Citons 5 avec quelques reflexions utiles : L'emploi des lattes, pour former les treilles cham- penoises, ces murailles inebranlables et regulieres de bouteilles, oil chacune est comme en une boile , d'oii on pent la lirer et oil on pent la replacer. La construction des glacis pour conduire et recueil- lir les vins des bouteilles cassees et recouleuses. Si Ton n'en obtint pas tout le profit que Ton s'en promet- tait, du moins on atteiguit le but plus reel d'assainir et de secher les caves. On diminua lacassepar un meilleur clioix de bou- teilles. La regie qui les fait acheter au poids est ne- cessairement defectueuse, d'apres le procede du souf- flage du verre. La regie infaillible, encore inedite , ne pouvait etre trouvee qu'apres la connaissauce recente de la resistance du verre , et par un sage emploi de deux instruments encore inulilises : le compas d'epais- seur et le casseur. On combattit la graisse , d'abord par un exces de tannin quekonque ; ce qui entraina de graves incon- - 317 — venients ; puis, avec plus de reserve et de sik-ocs, par un lannin choisi. On dosa le sucre candi ; d'abord erapiriquement et egalemenl pour tous les vins, ensuite par une gradua- tion judicieuse, mais encore defectueuse, parce que, faute de connaitre cliaque fois la proportion precise du ferment, de I'acide tartricjue et du tannin nature], on est toujours expose a voir allaiblir la mousse et la qualile, par la perle considerable de gaz et d'alcool, employes, d'abord activcment pendant cinq mois du premier ete, puis d'une maniere insensible pendant deux ans, a precipiter I'un le ferment, Tautre , son associe, le tartrate acidc de potasse. La balte , d'abord employee a enfoncer le bouchon ancienncment maclie entrc les denls, qui a fait place a la belle machine a bouchonner avec proprete , puis- sance et economie. Le tirages indiv -duels ^ d'abord d- quelque cents bou- teilles, se sont eleves avec benefice a millebouteilles, a dix mille, el progressivement jusqu'a un million. Et quoique les ateliers aient etti muUiplies, le fait de la duree prolongee du tirage a donne plusieurs enseigne- ments sur la faussete du prejugc, qui , ancienncment , avait Dxe les mois de Fevrier et de Mars comme les seuls propres au tirage des vins mousseux; sur la faussele des prejuges nlatifs a la lune , ou a un temps serein. Les divers paniersel caisses propres aux expeditions du commerce. Le masque pour garanlir la figure des eclats des bouleilles explosives. La inarque des bouclwiis au fer rouge. Les diverses tentatives pour la medleure composi- lion d'une cuve'e. Des alliages doubles, triples et au- 22 — 318 — dela , a des doses lixees , furent cit^s conirae ayant reussi, les uns en des essais en petit, pratiques des le mois de Janvier, les autres en des essais en grand , et avant procure la mousse, la qualite, et preserve de grande casse. Je me souviens de Tengouement produit par le recit du succes de cliacune de ces tentatives , pourfant unique. On crut pour celte fois avoir pris la nature sur !e fait. Apres douze ans d'ecliecs multi- plies, on cliercliait encore une formule de melange, propre a resoudrc generalement le probleme de la mousse, unie a I'economie. On niait ridontile des vins ; on acctisait d'infidelite les indications du tlier- mometre ; el quand il ne fut [)lus permis d'admellre un doute, on se dechaina en invectives contre la na- ture ; elle fut convaincue de dereglement , de caprice, d'arbitrairc ; on deelara le probleme absolument im- possible a resoudre ; tandis que si Ton avail mieux connu les elements essenliels a un vin , la variability de leurs proportions, durant les intervalles ou de trois mois, ou d'une annee a Pautre, ainsi que la diftcrenoe de la marche de la temperature en deux epoques eloi- gnees , on eut su que c'etail seulement par cas fortuits que les bons resultats avaient ele obtenus , etque c'e- tait la nature elle-merae qui avait place la solution complete du probleme de la mousse ailleurs que dans un simple alliage de vins. Un evenement considerable a ete le tirage a la mousse des fins vins de la montagne de Reims, il y a quarante ans. On a pleinement reussi , en se confor- mant aux pratiques de la riviere , en vendangeant sur le vert, et en alliant aux vins fins des recoltes oij abonde le ferment. De ce moment, les vins mousseux de qualite furent multiplies au point d'absorber non- — 319 — seuleinont toutes les r(5coUes des plants de preniii'Te ligne , mais encore celles de beaucoup de vignobles de seconde ligne. Le commerce des vins mousseux prit un accroissement rapide, surtout a I'elranger. Et, sur la montagne de Reims et dans les meilleurs vi- gnobles de la riviere, on cessa de deplorer la chute du commerce des bons vins non mousseux. Depuis lors aussi, la nouvelle Industrie acquit de nouveaux per- fectionneraents. Un autre evericment notable du xix" siecle a ete rexteiisiou en 1820 de I'inclustrie du vin mousseux en Bourgogne et dans une dixaine dc departements de I'Esl ct du centre, excites par deux causes puissantes : le rctenlissenKMit du nouveau commerce champenois, et la difficulte du placement des vins non mousseux. Les premiers speculaleurs ne s'enrichirenl pas , sans doule fauie de debouclies ot de connaissances suffi- sanles dans un art coniplique. Neanmoins, dans ces douze deparlemenls la production s'eleve au chiiTie de celle de la Champ;igne ; elle se consomme dans I'inle- lieur, et la palme do la qualite et du commerce au- dehors est demeuree au departiMncnt de la Marne. L'inleret de la veriti' ne me permet pas de passer sous silence un fait coulraire au prejuge qui atlribue a notre seule Champagne la confection du vin mous seux avant le xix'' siecle. II est d'abord difiicile de ne pas admeltre que le fait fondamontal de la mousse , dans le petit vin du vigne- ron, ait ete egalemeiit counu , et aussi stdrilemcnt que chez nous , dans une multitude de coteaux francais, vers le xm*' siecle. M.ii> il y a plus : Arbois est cite et renomme des avant la grande revolution, pour son bon vin, declare semblablc a noire vin mousseux. — 320 — A Strasbourg, on jc' me trouvais en 1792, on a servi au dessert du vin d'Arbois, :\n meme prix que le vin de Champagne, qui a ete juge de bonne qualiteen tout point. Ce vin n'en etait pus a son entree dans le monde; il (5lait connu dans riiotel depuis plus de vingt ans. Au reste , nous pouvons affirmer qu'Arbois ne dis- pute pas a ia Champagne la palme de Tinvention. Ce vignoble se contente d'une renoinmee deja ancienne, et d'une qualile qui parfois approcbe de la notre. Reprenons le cours des citations induslrielles. Le precede du degorgeage est une operation difficile et delicate, qui, en ajoutant a la limpidite du via niousseux , en a eleve le prix marchand. Les pupilres onl facilite la bonne preparation au dc- eorf^eao^e , et ce n'est i>as la encore le dernier mot de cetle preparation. Les caves profondes sont utiles pour retarder avec economic la fermentation active , soil lorsque le tirage n'est pas encore prochain, soit quand on veut temperer une casse Irop violente. {La suite a un prochain numero.} — 321 — LECTURE UE M. QUERKY. Notice sur la decouvcrle d'aucicunes S('pulliires i Sainl-Masnies. All raois d'Aout 1844, dans une carriere de sable pres du village de Saint-Masmes. canton de Beine, on decouvrit beaucoup d'ossements humains jeles pele- mele et transvcrsalcmeni les uns sur Ics autres. Cinq teles bien conservces, dont les dents elaienl intactes et au complet, furent uiises au jour. An boiil de quelques heures, le conctact de I'air les avait decomposees, et au simple toucher elles tombaient en poussiere. Des tron- cons d'ossements, paraissant sur ie bord des tranchees, laissent presumer que d'autres sepultures y existent encore. Cetle decouverto eut ete consideree simplenient comrae Pindice d'un ancien cimctiere, si deux pierres tranchantes, incrusteesdans des ga?nes de nature os- seuse en lorme de Isaclies, n''cussent attire I'attention speciale de M. T.ibbe Marquant, cure de la paroisse. II prit soin de les lecueillir, et consigna ce fait dans la statislique qu'il redigeait alors, d'apres les ordres de Monseigneur I'arcbeveque. Ce fut seulement au niois de Scpteud)re dernier, apres la cloture du Congres, qu'il apporta une de ses haclies pour etretlcposee dans la collection de curiosites destinee aux serninaires. — 322 — J'attachai tout d'abord un grand prix au present de M. I'abbe Marquant, car j'y trou\ais resolu un pro- bleme que je croyais insoluble, j'ignorais que des de- couvertes semblables eussent ele dejk faites. M. Lu- cas, notre honorable collegue et tres-expert en fait d'autiquites, me tira de mon illusion en me faisant lire dans une notice sur les nouvelles ricliesses acquises par le rausee d'Amiens, I'indication de plusieurs ba- ches gauloises pourvues de gaines ou de manches; le musee de Poitiers est cite aussi comme en possedant. N'etant pas decrites, je ne puis dire si elles ont une forme identique a celles-ci. C'est a cette meme notice que je dois d'avoir su discerner la matiere de cette gaine, qui, ayant par suite d'un long sejour dans In terre perdu sa couleur naturellc, est devenue aussi blanche que les ossements parmi iesquels elle a ete trouYee, et avec Iesquels il etait tres-facile de la con- londre. Elle est en bois de cerf, tres-reconnaissable, dans la plus grosse, aux stries et aux excroissances granuleuses qui courent le long du tronc, el dans I'au - tre, a la coronule de sa base. Ces bois de cerfs ont ete perfores. Du cote de la tete I'ouverture est fermee par deux chevilles ou coins de la meme matiere, incrustes I'un dans I'autre. Elle ac- querait ainsi une tres-grande solidite, qu'il est facile d'apprecier par son etat parfait de conservation, au milieu des causes d'alterations auxquelles elle a ete exposee. A I'autre extremite, est enchassee la pierre tranchante jusqu'aux deux tiers de sa longueur; elley etait probablement assujetie au moyen de coins ou de chevilles, car 11 reste un espace vide de chaque cote en tre la pierre el le bord de la game : ces coins onr. disparu. Enfln, a cette game s'adaplait, vers le milieu — 323 — de sa longueur, uri tnanche en bois Iraversanl d'out.re en outre, pour frapper de taille comiue avec nos lia- clies en fer. Cetle denomination de haclies gauloiscs, sous laquelle sonl connues les pierrcs tranchantes, vienl, a n'en pas douter, d'une tradition populaiie sur la inaniere de s'en servir. Ces deux instruments doivent-ils etre attribues a une epoque anterieure a la decouverte des metaux? Avant que d'exposer mon opinion sur leur usage, je dirai qu'il me parait bien difficile, sinon impossible, d'expliquer comment on aurail pu, sans un instrument de la trerape de I'acier, percer ce bois de cerf en tous sens, tant pour y insercr les coins de la tete et la plerre tranchanle, que pour y introduire le manclie transversal. Je sais que les peuj^ladcs sauvages de i'Amerique se servaient pour amies oft'ensivcs de bouts de Heches et de casse-tcle en pieirc, tres-artis- tement travailles, quoique I'usage du fer leur fut in- connu ; mais je doute que Ton ait jamais trouve entre leur mains un objet d'un travail aussi perfectionne quo 'e sont nos liaclies de Saint-Masmes. Les deux pierrcs sont en silex; Tune d'elles est iri- see : serait-ce un reste de coloration artificielle, ou la devrait-elle a son sejour dans la terre? Je ne I'ai pas examine. Les pierrcs tranchantes se trouvent frequerament, dans les piovinces meridionales surtout. Un seul anti- quairede Perigueux, M. de Mouricn, conseillerde pre- fecture, en possede jusqu^a 300 dans son riclie cabinet, bien intactes et bien polies et de toutes dimen- sions ; il a egalement beaucoup de pointes do dards et de bouts de lances ; tous objets rccueillis dans lo pays memo. El pour faire son choix, il a rejote une immense ~ 324 — quantite de pierres fracturees oil siiuplenient ebau- cliees. Les musees de Perigueiix et de Bordeaux en sont aiissi assez bien pourvus. Le plus grand nombre de ces instruments est en silex ; on en trouve aussi, mais rarement, en jade ou pierre verte, en basalle, en porphyre et meme en cristal de roclie. Elles sont assez frequentes en gres. Cos pierres, assez nombreuses pour laisser croire que prioiitivement elles servaient aux usages donies- tiques, ont toujours ete trouvees denuees de lout ap- pendice propre a faire connaitre la nianiei e dont on les employait, et M. de Mourien lui-meme assure n'a- voir, a cet egard, que des conjectures a exprimer. Par celte seule cause de !a rarete des baches gau- loises completes, la decouverte de M. le cure de Saint- Masmes aurait deja, aux yeux des antiquaires, une tres-grande importance. Elle en acquierl encore par les inductions que Ton pent tirer de leur enfouissement avec des debris humains. Vous savez quel interet la science a pris a la decou- verte recente d'un aulel drnidique, sur la coUine de Meudon, prcs Paris. Des fouilles ayant ete pratiquees dans les alentours, on y a trouve une grande quantite d'ossements humains, parmi Icsquels etaient des ba- ches gauloises en silex. Ces debris ont ete confies a d'habiles anatomistes, qui les ont rassembles et en ont forme des squelettes. Les tetes ont ete livrees aux na- luralistes, qui les ont assignees h. deux races distinctes. Ayec ces indications, on a pu, avec plus ou moins de probabilite, assiguer une epoque aux faits qui s'etaien I passes en ce lieu ; et I'on a acquis une espece de certi- tude sur le genre de mort qu'avaient subie lous les elres inhumes dans ce lieu. C'etaient les yictimes d'uii — 325 — abominable sacrifice, c'etait siir cet autel qu'elles avaient ete immolees , et les pierres Iranchantes avaient ete les instruments niemes de leur supplice. A Sainl-Masmes, nous sommcs loin cFavoir les niemes elements pour fontler un jugcnient analogue a celui que Ton a portesur la decouverte de Meudon. Ici nous n"'ayons pas d'autel druidique, et les ossements de- couyerts n'ontefesourais a aucun examen.Neanmoins, sans que Ton siit ce que le sol recouvrait, ce lieu est de temps immemorial consacre par un monument re- ligieux. Une croix y est plantee, et si elle tombe de veluste, elle est immediatement remplacee par une nouvelle, sans autre cause que ce respect filial que les populations clireliennes conservenl pour les pieux eta- blissements de leurs peres. Cette croix porte le noni de saint Martin, qui est du reste le patron de la paroisse. Mais aucune ruine, au- cun souvenir, aucune tradition ne donne lieu de pre- sumer qu'un cimctiere chretien y ait exisle. Nc pourrait-on pas conjecturer que les premiers predicateurs de rEv;ingile out voulu, en arborant une croix dans ce lieu profane par un culte impie, repa- rer I'insulte faite a la bonte de Dieu, et detourner le peuple a demi sauvage de ces conti'ees de rendre des Iionneurs sacrileges a quelque divinite qui y avait eu des autels? Les Druides n'avaient pas de temples : c'etait au fond des forets, loin des villes et des centres d'liabita- tion qu'ils tenaient leurs assemblees religieuses, et qu'ils oflraient leurs sacrifices, dont les victimes etaient choisii's parmi les prisonniers de guerre. Or, le pays occupc actuellemeiit par le village de Sainf-Masmes ^tait autrefois une foret; la tradition s'en est conser- — 32G — vee parmi les habitants, et un bois de cerf trouve re- cerainent, presque a la superficie du sol, dans un jar- din du village, semble la confirmer (ce bois de cerf a ele df'pose par le proprietaire au nmsee de la ville). Les victimes Irouvees sons la eroix de saint Martin etaieut encore dans la fleur de la jeunesse ; I'inspec- lion de leurs tetes, pourvups de loutes leurs dents, en est une preuve certaine. Pourquoi, du reste, ces deux baches au milieu de cinq cadavres? Si I'usage avait ele d'ensevelir les morts avec leurs armes de guerre, on aurait dii en trouver cinq au lieu de deux ; puis Ton aurait trouve ces corps ranges avec quelque espece d'ordre et de symefrie. Ces raisons me portent a suspendre mofi jugement sur la nature de cette decouverte, qui n'est pas com- plete, puisque Ton apercoit encore des ossements dans les sables qui n'onl pas ete fouilles. II est d'autant plus important de se preoccuper de cequi a ele trouve a Saint-Masmes, que les monuments druidiques ontdisparu, sans raeme laisser de vestiges, de toutes nos contrees septentrionales. Je propose a I'Academie, si elle le trouve opportun, d'appeler par une recommandation officielle, I'altention de Tautoritd administrative sur cet endroit (I). (1) L'Academie aj decide que I'interessant travail de M. Querry ierait adrcsse a M. le president du Coinited'archeologie. — 327 — LtWvi! \i M. RONDOT i\ M. "*" At VAcnAemrt it Rdrn* Nolo a Foccasioii k deux U\m cocliinchiuoi 5"- ,S. POOoc-» Je siiis armd le 31 Mai dans la bale de Tourannc, et I'ai quitlee Ic 12 Juin. Caete pour nioi une relache sans inteuH commercial et industriel, car Touranne ou Stann est un village habile par de pauvres pe- cheurs ; les cases sont de miseiables chaumines,con- struites en bambou, en feuilles de palmier, et cou- vertes de chaunie de riz, basses, sorabres, nues ; le costume est, pour les femmes, une longue robe flot- tante, de toile de colon {vai (6), file et tisse dans les environs ; pour les hommes, il se borne quekjuefois au langoutd , ordinairement a un ample pantalon et a unejaquetle, aussi en grosse cotonnade blanche, bleue ou noire. Pour meubles, un hamac tresse en corde ; pour luxe, un plateau, une boite pour la feuille de betel et la noix d'arec, qu'ils machent avec un peu de chaux decoquilles. De besoins, aucuns; le ciel est se- rein, la temperature ds28' a 34" cenligrades, le riz a bon marche, la bale poissonneuse, les ananas, les ba- nanes, les patates, les haricots abondants, la monnaie fractionnee a I'infini. De soucis, point d'autres que la peur|du mandarin etde ses estafiers, autrement ditque la preoccupation du paiement de ces quelques impots qui frappent le peuple sous toutes les latitudes. Labaie de Touranne est enceinte a I'E. et a TO. par une chaine de montagnes, dont les cimes se pro- lilent a aretes vives, dont les versants accusent des escarpements abruples. Conime on ne sait rien encore, — 328 — que je saclie, de la geologie cochinchinoise, \ous ex- c'usere/ le peu qui s'echappe de mes souvenirs. — La formation dominante est un gneiss granitoide, dontles accidents niineralogiques me font presumer I'origine nietamorphique. II me sembie, et c'esl, je pense, aussi I'opinion de M. Itier, mon compaguon de courses, geo- loguc de merite, que la roche primordiale du pays est un gres rouge de la periode carabrienne, modifie par le feu qui en a determine la cristallisation granilique, tout en raaintenant empatesintacts les quartz preexis- tant dans le gres. A huit milles du mouillage, sont six montagnes demarbre,celebrespar Fadmirable pagode soulerraine de la plus voisine de la mer. Ce raarbre est saccharoide, trcs beau, tantot blanc pur, tantot veinule de noir grisatre de proloxyde de fer, ou colo- re en rose ; il parait renferraer quelques fossiles spa- thiques, en diverses places est dolomitise, et est en contact en certains points avec un calcaire concretionne a grain fin et empreintes organiques, dont la date me parait beaucoup plus moderne. EnOn, au pied des montagnes, on trouve une molasse en strates horizon - taux, sediment de bassins tertiaires; et sur la plage de la baie, parmi les greves des ponces et des trapps rou- les assez rares, traces de Texistence plus ou moins lointaine du terrain volcanique. — Je ne voiis puis parlor de la flore de la presqu'ile de Tienn-Tcha, que j'ai parcourue en tous sens, de ses coquilles ter- restres et lacustres, de Tetrangete du paysage qui se peut cependant esquisser en quatre coups de crayon. Ce sera mon dernier mot, car une vue malade re- clame des menagemeiits. — Une chaine de monts gri- sailles par un voile de brume, elances en pics escir- pes, qui s'enfuit, se perd bleuatre a Thorizon ; une .f - '^'^' — 329 — plage de sable, que sans cesse full et poursuit le flut en nappe effilee ; un ruban de verdure, ca et la massee de bosquets, ca et la dominee par les cocotiers et les arecbiers, et oil j'ai cueilli de delicieux jasmins et de fraiches convolvulacees ; un fort oil flotte le pavilion jaune de Sa Majeste Teiou-Trel; une pagode aux angles de toiturc releves, ornes de fantastiques dragons, a laquelle on n'arrive que par une double haie de sol- dats, a jaquette de serge de laine ecarlate, bordee de bleu, aux lances de trois metres fichees en terre, a I'equipement fort minable, que nous avons eu le bon- heur de culbuter trois ou quatre fois pour forcer Ten- tree du pays ; et un village silue sur les deux rives de la riviere deFay-Fo, aux masures pauvres, sales, ser- rees, a la population denude, vermineuse, laide de race, oublieusede rintelligence chinoise originelle, oil une jolie iilleest une anomalie, et une denture de jais, une beaute. Faites voguer sur les eaux calmcs de la baiedes Sampans pecheurs, mettez a I'ancre devant Tarsenal trois mats cocbincliinois avec leurs mille ara- besques a I'arriere et leur aigle jaune a la guibre, qui chaque annee partent avec le mousson de N.-E. pour echanger a Singapore et a Batavia leur riz et leurs sucres contre les articles de I'Europe et de I'archipel malais, et vous aurez une idee de Touranne. J'en re- viens a mes dungs. Ci-joint je vous envoie deux(en attendant plus) mon- naies cochinchinoises, appelees dungs. Le dung est le frere du cash ou tsien de Chine ; celui-la est en zinc pur, celui-ci est en alliage, fixe dans la cinquienie annee du regne de Kien-Cong a 50 parties cuivre rouge, 41 1/2 zinc, 6 1/2 plomb el 2 etain. — Sui- vant Monseigneur Taberd {Diclionan'uvi latino-ana- — 330 — miticum, 1838), les dongs pesent ordinairement 2 grammes 68. 60 dongs enfile's, serr^s les uns contre les aulres, font une masse appelee mot-tie'iin, et on reiinit 10 tie'nns pour former une ligature ou qudnn, qui pese un peu plus de 1 kilo Ifi el se compose de 600 dongs. Sur le sapeck n° 1", on lit de haut en bas Minnh- Mdnng : c'est le nom du dernier roi de Cochinchine, qui est mort le 20 Janvier 1841, dans la vingt-unieme anneedeson regne. De droite a gauche, on lit tung- pau (monnaie courante). Ces deux caractex'es se trouvent avec la meme signiflcation sur les cashs chinois. Sur le sapeck n° 2, on lit de haut en bas Ghia-Long. Ce roi envoya en 1787 en France I'eveque d'Adran, vi- caire apostolique de Cochinchine avec son fils aine, pour demander a Louis XVI des secours qui I'aidassent a reconquerir sesetats. Un traite fut propose, par le- quel Ghia-Long cedait leportetle territoire de Tou- ranne et garantissait des avantages importants; mais les embarras du ministere, les dangers qui le mena- caient firent negliger une si interessante negociation. Ghia-Long est un des plus grands rois de la Cochin- chine : c'est a lui qu'elle doit I'essor qu'elle avait com- mence a prendre, et sesplus utiles fondations. — De droite a gauclie, on trouve encore tong-pau, monnaie courante, et par-derriere, les deux caracteres fd^-Zan, sept parties ou le septieme du dongponderal, egal a 3 grammes 905. La valeur des qudnns n'est pas fixe, elle varie sui- vant le cours de I'argent. Au temps de Monseigneur Taberd, un clou d'argent (dinnh-bac ou luong-bac, — 331 - once d'argent), au litre de 95, d'une valeur r^ellc d'environ f. 8 a 16, valait de 3 a G quanns, selon la plus oil moins grande quantite d'argent et d'acheteiirs. La piastre espagnole a colonnes, qui est la monnaie courante dans toute rindo-Chine, est plus legere que le luong-bac ; il pcse 39 grammes, et celle-la 27 gram- mes. Lors de notre arrivee, on ne nous donnait que deux ligatures ou quanns pour un piastre; vers la Da du sejour, nous en avions 3, c'est a dire 1,800 dongs, et Wonseigneur Lefevre, eveqiie de Cochinchinc, pri- sonnierdepuis six moisa/Zoue, quela corvette estvenu reclaraer, m'a dit que le cours actuel est de 4 quanns, et meme qu'a Sai-Gong, dans la basse Cochinchinc, on echange 3 quanns contre la piastre a colonnes. Natalis Rondot. En mer, 16 Juin 1845. P. S. La corvette rAlcmene est maintenant en route pourManillc; nous y sejournerons une dixaine dejours; mais comme nous nous y trouverons dans la saison des pluies, il est peu probable que nous puissions visiter le pays. Nous retournerons de la a Macao, et dans les premiers jours d'Aout, apparcillerons sans doute pour Shang-Hai, nous gagnerons ensuite pent etre Fou- tchou-Fou, et ensuite Hingpo, Chusan et Eraoy. Le retour est probleniatique ; nous ignorons, et I'epoque, et la direction. II s'ett'ectuera ou par I'lnde, Suez et Alexandrie, ou par TAuslralie, la Nouvcllc Zelande, Valparaiso, ^Buenos-Ayres et Sainte-llelene. Le roi actuel Teiou-Trei a frappe fort peu de dongs ; aussi sont-ils tres-rares, et je n'ai pu ra'en pro- curer que deux. — 332 — LECTCRE DE M. BANDEVILLE. Des (Euvrcs in^diles de Flodoard. Messieurs, Lorsque, pour r6pondre aux desirs de M. le minisire dc I'instruction publique, vous avez pris la resolulion de don- nerune nouvelle Edition de Flodoard, votre pensee, sans doiite, n'etait pas sculcment de reunir en un on plusicurs volumes la parlie deja connue de ses onvrages, niais plii- tot de realise!' un vocu souvent exprime par les savants, c'est-a-dire, de donner une edition aussi complete que pos- sible des oeuvres de notre illustre compatriote. Vous le savez, Messieurs, le public ne possede que deux ouvrages du savant chanoine : I'un, son Histoire de I'eglise dc Rebus, a e(e publie par Sirniond etpar Colvenere, et Iraduit plus ou nioins fidelement par Chesneau et M. Guizot; I'autre, sa Chromqiie, a el6 insere dans les collections de Pithou, de Du Chene, de D. Bouquet, et Iraduit aussi sous le nom de M. Guizot. Mais toutes les notices, tous les articles bio- graphiques annoncenl de plus des travaux poetiques rcstes jusqu'a present a I'^tat de manuscrit. J'ai cru cnlrer dans vos vues, en me mettant a la recherche de ces oeuvres ine- dites, pour en enrichir votre future publication. Suivant Marlot, les poesies de Floard avaient ete vues — 333 — i Laon, par un religieux de I'ordre des Cannes d^chaus- s6s. Siiivant Feller, il s'en troiivait un exemplaire annote et comment^ par le P. Honorc de Sainte-Marle, dans la bi- bliolheque des Carnics dechansses a Lille. Mais ces deux auleurs n'ont pas vu les livrcs dont ils parlent, ils repfetent ce qu'ils ont entendu dire. Un savant plus exact, puisqu'il avait consulte liii-niemc les niannscrits, ct y avail fait de larges cmprunts, MabiUon assure qu'il exislait deux exeni_ plaires de cospo6sies, I'un, complet, a Treves; I'aulrc, in- coniplct, chcz les Carnies decliausscs de Paiis. Dupiii, Ceillier, el les auleurs de Tllisloire lilleraire de la France ne font que reproduire les indications du savant Benedlc- tin. C'est done vers Treves que devaient se porter mes d-- marches. Monseigncur I'archeveque voulut bien ni'aulori- sci' a ecrire ea son nom a revcclie de Treves, pour oblenir des rcnseignenients. Monseigneur I'eveque nous repondit lui-meme que ce nianuscriln'elait plus dans les bibliolhfe- qucs de la ville, qu'il avait ele envoye avec beaucoup d'au- tros a Anvers, avanl la revolution, pour servir aux travaux des Bollandislcs, et qu'il devait elro reste en Belgique. J'6- crivis aussitot dans ce pays; niais apparemnient nion litre de vicaire n'etait pas assez 6blouissant pour oblenir pleine confiance : nia lettre est demeuree sans reponse. Cepcndant, jc no perdis pas courage. Ueslait encore le manuscrit des Carnies decliausses; mais qu'elait-il de- venu? S'il avait ecliapp6 an trisle sort d'envelopper les gargonsscs republicaines, dans quelle bibliotlieque (^'taitil alle s'ensevelir? Dans un voyage qneje fis a Paris, je m'a- dressai direclement a la bibliolhequc royale, eel innnense repertoire de iresors inedils. Le manuscrit n'y 6lait point; mais on sa place, jc trouvai un liommc qui, au meritc de I'c^'rudiliou, joint celui de I'obligeance ; M. P. Paris, a qui sans doute Ariane a prete son fd pour se retrouver au milieu du d6dale de nos arsenaux litt^'aires, m'apprit (pie, — 834 — sous le n" 2004 , I'objet dc mes recherches dormait pa!- siblement a la bibliothoque Mazarine. Le lendemain , grace encore a M. P. Paris, malgre les vacances de ladile bibliotheque , le volume desire etait enlre mes mains. Grand in-i", ecriture du xvii" siecle, copie un pen faulive ; mais, ce qui est precicux, rien n'y manque. Touvrage est complet. La joie que j'cprouvai pril la place de toute re- flexion; et dans mon imagination, I'hisloire du manuscril ful bientot faite : cette copie, contemporaine de Marlot, etait unique en France ; elle avait et^ faite sur Texemplairc de Treves ; conscrvee d'abord a Laon , elle avait 6ic em- portee a Paris par un carme , qui I'avait deposec dans la bibliotheque de sa maison , on elle etait demeurcc jusqu'a la suppression des convents. Mabillon n'avait pas vu cette copie : car autrement il n'eiit pas declare incomplet un ouvrage auqucl il ne manque pas une page , pas un vers. Quel bonbeur de pouvoir relever une erreur du savant re- ligieux ! Mais, le lendemain, je compris qu'un peu de reflexion n' est jamais inutile ; je sus que Texemplaire dont j'etais si fler, n'avait d'autre merite que celui de renfermer les ffiuvres inedites de Flodoard; qu'il nY'lait nullement le nianuscrit indique dans les notices, le inanusciit des Carmes dechauss^s, par la raison que ce dernier se trouvait a la bibliotheque de I'Arsenal. M. Varin, qui, par ces rensei- gnemeuts, derangeait toutes mes idecs, rcnversait mon bistoire, et me privail du bonheur de donncr une legon a Mabillon, M. Varin, dis-jo, cut la bont6 de me consoler en me donnant communication de son trosor , superbe nia- nuscrit sur velin, peut-etre autographe, du nioins conleni- porain de Flodoard, cnrichi de notes explicatives ecrites entre les lignes vers le xui'^ ou le xiv'' siecle ; exemplaire qui porte I'inscription des Carmes dochausses; incomplet, comme I'avait dit Mabillon ; lo meme dont il s'6lait servi poiu" les extraits qu'il a publics dans les Acta sanctorum ord. S. Bcticd. Et aujourd'hui, une grande partie de cct — 335 — ouvrage se trouve copiee pour la publication que vous vous proposez dc fairc. Pour ne rien oniettre dans cctte communication, je dois ajouter que M. P. Paris a bicn voulu faire des demarches auprfes de I'ambassadeur de Belgique, pour obtenir le ma- nuscrit d'Anvcrs, qui me servirait a collationner les deux autres. Mais jusqu'ici j'ignore s'il a etc plus heureux que moi. Parlous maintenant de rouvrage nicme. Je ne pretends pas vous presenter Flodoard comme un pofete du premier ordre : sous le rapport de la po6sic, il laisse beaucoup a desirer. Pourtanl je crois pouvoir dire que Flodoard, livr^ a son inspiration, a des moments heureux; ses vers sont faciles, parfois elegants, et meme d'une haute poesie; mais quand il s'aslreint a reproduire en lignes hexametres ou iambiques le recit d'autres auleurs, sa marche est embar- rassee, sa construction est forcee, cnchevetree, et presque toujours tres -difficile i\ saisir. Mais ce n'est pas le poete qu'il faut chercher dans cet ouvrage, c'est Phistorien, c'est le legcndaire; et sous ce rapport , Ic livre dont je parle est du plus grand interet. Cet ouvrage n'est autre chose qu'une histoire ecclcsias- tique en vers. 11 comprend trois poemes, dont chacun, precede d'une invocation ou d'un prologue, est divis6 en plnsieurs livres et subdivise en chapitres. Le premier de ces poemes, sous le titre Dc trinmphis Christi sanclorumqnc PalcstuKc, rcnferme trois livres, et rappclle successivement les lieux consacres par la pre- sence du Sauveur, les miracles de Marie , I'histoire des aputres, des premiers martyrs, des principaux saints de la Palestine, et des premiers eveques dc Jerusalem; puis le massacre des Innocents , le siege et la destruction de la ville deicide, les vains efforts de Julien pour relever le temple abattu, etc. Le second donne, en deux livres, le catalogue des mar- tyrs, des saints, des patriarchcs dc I'^glise d'Antioche. -- 336 — Le troisifeme, le plus important, le plus considerable de lous, puisqu'il conlicnt quatorze livres, dent plusieurs comptent jusqu'a trente chapitres, est consacre a I'Eglise romaine. L'autour y deroule le tableau des dilTerentes persecutions, des souffranccs des principaux martyrs, des vertus des saints les plus illustres, de plusieurs meme as- sez peu connus; il donne, par ordre chronologique, This- toire des souverains pontifes. la vie des grands fondateurs d'ordres monastiques, saint Benoit et saint Colomban, etc. II s'arrete avec complaisance sur tout ce qui pent concer- ner I'Eglise de Reims. Sous le rapport historJque, on ne tronve peut-etre rien d'absolument ncuf dans cet ouvrage ; et pourlant, Mabillon I'a juge assez interessant pour lui emprunter une parlie de son histoire des papes, qu'il a inseree dans les Ada sancto- rum ord. S. Bened. Sousle rapport agiographique, on peut considerer ces pofemes conime un recueil precieux de le- gendes dont plusieurs sont perdues , les autres sont diss6- minees, etne se trouvent reunies nulle part aiileurs, pas meme dans la vaste compilation des BoUandistes. L'annonce de I'edition complete des oeuvres de Flodoard a ete regue avec applaudissements dans le monde erudit: tous les hommes letlres qui en ont entendu parlor ont re- pete d'une maniere plus ou moins cxplicite ce qu' avail deji dit le ministre de I'instruction publique, que, par de telles publications , I'Academie de Reims , malgre son jeune age, merite de prendre place au premier rangparmi les societ6s savantes (1). (1) L'Acaderaie , en prcparantune edition complete des oeuvres de Flodoard, a confic a M. Lejeunc la traduction de V Histoire de I'eglise de Reims, ct a M. I'abbc Bandeville cello de la Chronique et des poe- sies incdilcs. — 337 — COMMUNICATION DE M. EUG. COURMKAIJX. Bkoire de M. kOiJIEROUSKl sur la queslioQ suivaule : Esl-U vrai que les architectes de I'ancienne Grece, que oeux de Rome et ccux dii moijcn-ucje, aient ete plus experi- mentes ou mieux inspires que nous; et quelles sont les mesu- res a prendre pour assurer le progres del' architecture? Messieurs, Des philosophes anini6s d'une foi sincere I'ont dit et r^p6t6 souvent : la toute-puissaiice et la v6rit6 n'appar- tiennent qu'a Dieu et ne peuveiit d^couler que de lui. L'homnie n'est, pour ainsi dire, que le miroir dans lequel la divinile se r6fl^cliit d'une maniere plus ou moins ardente. L'humanit^ se developpe sans cesse, se perfectlonne de plus en plus, a mesure qu'elle se rapproche de son module ^ternel, Dieu ! L'homme individuel, entrain^ par ce mou- vement, doit n^cessairement suivre les progrt'S de I'huma- ni((j. Telle est la loi que le cr^aleur a impos^e a I'esp^ce humaine. Dire que les artistes du pass(^ out eu plus de nitrite que ceux. de notre age et que n'en auront ceux qui viendront apr^s nous, e'est dire que I'hunianit^ retrograde, que Dieu a cess6 d'etre son point de miro; e'est, pour ainsi dire, blas- phemer et meconuaitre la volonle de I'Eire supreme. Et - 338 — pourtant, nous rcpelons ce blasph^nne tous Ics jours. Ou disait, il n'^y a pas long-tonips, aux artistes: suivez I'excm- ple dcs Grecs et des Romains ! On leur recommande au- jourd'hui d'admirer les niaitres du nioyen-age; jamais on ne leur a dit : produisez vous-memes, consultez vos pro- pres inspirations et les regies ^lernclles de la nature. II n'appartient qu'a un eselave de suivre avec aveuglement la volont6 et les caprices d'un niaitre. L'homme libra par excellence, I'artiste doit etudier d'abord, mais ensuite don- ner Tessor a son inspiration. On croit pouvoir former des artistes en nous imposant I'architecture romainc et celle du moyen-age, tandis qu'on ne fait que des imitateurs mala- droits. L'architecte doit etre artiste, et comme tel, il ne doit poursuivre que les idees qui le rapprocheut de soa createur, de cette perfection accomplie. Sans doute les artistes doiveni etre justes cnvers leurs devanciers. lis leur doivent de la reconnaissance. Je dirai plus, ils doivent etudier le passe pour rendre Tavenir plus beau, plus brillant, plus parfait; mais il n'est pas permis de devenir idolatre des ceuvres du temps passe, car I'idolatrie avec le culte du \Tai Dieu, la stagnation avec le progres^ rimmobilit6 avec le mouveraent ne peuvcnt jamais sc con- cilier. Rendez a Cesar ce qui appartient a Cesar et marchex en avant, telle est la loi que chaque artiste doit suivre dans sa carriere. — On dit que les Grecs sont nos maitres pour les proportions dans les rapports des differentes parties do I'architecture. Je vous demande. Messieurs, oil trouvez-vous ces proportions? Est-ce dans les plates-bandes, ou archi - traves disposees horizontalement et soutenues dans quel- quts points par des colonnes? Vous admirez ces plates- bandes surchargees de frontons et toules pretes a toinber;. ces plates-bandes, qu'il faut niainlenir par des banes de fer, ou par des assemblages artificiellement caches dans les clavcaux; et poiutant c'est ime architecture monotone I — 339 — Vous avoz vu une colonne et vous avcz tout vu. C'est une arcliiieclure d'esdaves; sans doute ello est deja plus belle, plus a jour, plus svelte que celle d'Egyptc, mais I'esclavage y est encore trop visible, et ccrlcs ellc no vaut pas celle de Rome on du nioyen-age. L'introduclion de rarcliivolte substitute a rarchitrave est un grand progrtjs dans rarchitectnre. Celte amelioration convenait parfailement au pciiple gucrrier qui a subjugue la Grfece, qui a envahi la Germanie et conquis la Gaulc, qui est resle maitre de I'Espagne, qui a souniis TAngleterre, domine en Afrique, et qui parlout a impost; ses lois, ses moeurs, ses babitudes. La superiorite de I'arcbitecture roniaine sur celle des Grecsest reelle; mais il faut avouer avcc M. Lassus (I), que I'art antique n'a pas egard a la dimension reelle; que le monument y soit grand ou petit, c'est toujours la propor- tion relative qui determine les rapports de dilTerentes par- ties, de sorte que le petit monument n'est qu'une reduction du grand, qui lui-meme pent c'tr(» considere comme une exageralion du petit; qu'en architecture cc principe est radicalcmcnt faux et sidtversif, et que ce defaut est plus sensible dans I'arcbitecture roniaine, qui, du reste, a con- serve lui peu de la monotonie grecquo. Je passe sous silence rarchilecture du bas-empire, pour arriver pins vite a I'arcbilecture gotbique. Les cbangc- ments survenus dans les institutions, dans les moeurs, dans la religion, out diji nccessairement amener une revolution dans les arts. — II convient avant d'aller plus loin, de rt- soudre cette question : sur quoi reposail Taichitecture du moyen-age? Je crois qu'on pent y repoiuire en deux, mots • Sur la niiscre dupcuple el sur I'espcrance, mais I'espdrance d'onlrc-lumhc. Voila surtout et principalenient les deux ordres d'idees qu'expiimenl les monuments du moyen-age. (1) Aunalcs arc/icoloijiqucs , lorn, u, p;igt" 201-. — 340 — Le christianisme a sauve le nionde tout entier; mais sous le rapport materiel, a parlir d'une ceitaine 6poquo, il n'a que peu donn^^ au peuple, il hii a r6pet6 seulemenl: « Benis sont ceux qui souffrent '. » Le peuple a soufferl, mais il a cs- pere. Le principe de rarchilecture gotliique eslVcsperancc. Plus la niiserc fut grande, plus le desir fut vif; d'aulant plus ardent fut I'espoir, et d'autant plus belle, plus spiriluelle devint rarchitecture. A la fin du xv^ siecle, le peuple conimenca :\ se lasser de souffrir en esp^rani. Les nouvelles decouvertes des sciences ouvrirent une nouvelle voie a rarcliileclure. De tons coles on commeuQa a cliercher a cssayer, sans s'arreter positivenient a aucun systenie, conmie il arrive dans toutes les revolutions. Deja I'architecture ancienne, rarchitecture d'esclavage elait sur le point de couvrir I'Europe tout cnliere, quaud soudain la rcvolulion (Van- ^aise vint remuer tous les csprits. Elle fut arrelee par Tom- pire. Mais comment un art nouveau aurait-il pu se produiie au milieu de ces courses guerrieres a travers I'Europe? Les victoires et les conquetes francaises semblaienl d'ail- leurs nous indiquer conime modele rarchitecture roniaine. Mais I'empire a bientot c6de sa place a la royaute, el celle derniere, a son lour, a subi un grand changemcnt en 1830. Depuis on a commence de nouvelles recherches, de nou- velles etudes, qui nous ramenent a unc voie i)lus convena- ble, « I' arch'ilcclure oc/ivctlc, Yoici en peu de mots I'histoire des differents styles d'ar- chitecture en Europe. Cherchons a present le merite des anciens sous le rapport de la construction, el nous verrons que nous les avons tellement devances, qu'ils no peuvcnt nullement se mesurcr avcc nous. Quelquefois la forme an- tique peut plaire a certains esprits, bieu que noire siecle ne ressemble en rien au temps passe; je ne chercherai done pas a comballre d'avantage les adoraleui's de lout ce cpii est classique. Lc proverbe dit : « Dc tjustibus nihil dispulan- — 341 — dum. » Mais quant i\ la partie niatlieniaiiqiie tie I'archilec- lure, c'est tout autre those! Iti tliaque suptiiioiite peut ^ti'e demonlree comme les iheoremes de la geonietiie. En exaniinant les nioyens qui ont ete employes par les auciens dans leurs constructions, on est i'oice de dii'c avec M. Totirneur , ingenieur en chef de ponls-el-cliaussees : a Si on ne pent d'abord refuser un sentiment d'admira- B tion a ces prodigieux tra\au\, la rellexion ne tardera » pas a les deplorer, souvent meniea s'indigner, soit qu'elle » envisage le motif vain et pueril qui les a fait entrepren- » dre, soit qu'elle sc represente le nonibre do tribus sa- » crifiees et devorees {)ar la plnpart de ces criniinelles n folies. » Nous trouvons dans les auleurs aneiens renumti- ralion de la tpiantite d'hommes employes dans diflerentes entr.'prises. Ramses, pour conslruirc un soul obelisque, occupa pendant longtemps viiigt mille houimes. Les Pha- raons perseculerent tellement les juifs avec leurs construc- tions, qu'ils forcferent ce pcuple a quitter I'Egypte. Cheops lit travailler dix niille ouvriers pendant trente ans pour edi- fier sa tombe. Si la Fiance etait forcee de faii'c autant d'ef- forts que les aneiens, pourrait-elle jamais se lancer dans la voie des travaux giganlcsques qu'elle entreprend, tels que les chemins de fer, les canaux, les ports, etc. Cette habilcte avec latpielle nous rempla^ons la force trhomme par la force niccanique, ne prouve-t-elle pas noire superiorite dans la coimaissance des moyens dynamiques? Cette eco- nomic que nous mettons dans nos constructions n'esl-elle pas anssi une preuve de notre savoir? Quel architecte du moyen-age ainait pu construire une eglise gothiqnc avec 200,000 francs, etant oblige de payer les artistes, les ou- vriers et tons les materiaux, et de relribuer des salaires qui souvent n'existaient pas an moyen-age ? D'oii peut done venir cette fausse opinion qui a donne aux aneiens artistes la superiorite sur nous? Je crois que beaucoup de personncs, voyaut plusieurs aneiens monu- — 342 — iwenls conserves jiisqu'a nos jours, et d'un autre cote ren- contraut plusiours constructions modernes tonibees en mines avant d'etre achevees, ont con^u une tres-haute idee de savoir des anciens. H est vrai qu'aujourd'hui beau- coup de nioude se niele d'archilecture; Hiais les trois quarts de ces pretendus architectes n'ont ni les connais- sances necessaires de leur ctat, ni une pratique assez longue, ni un gout assez pi'ononce pour former de veri- lables artistes. Les architectes d'aujourd'hui sont niarchands de pierres, ou marchands de vins; demain,plus tard, ils se fontfilateurs ou acheteurs a commission, suivant les circonstances du jour et le benefice que cliaque speculation pent offrir i\ I'exploilant. Les anciens eux-memes ne furent pas exempts du defaat d'etre nierccnaires, il yeut aussi parmieux des industiiels qui ont etelefleaudu temps pass6, comme its le sont aujourd'hui. Vitruve dit : « Mais quand jc vois au- » jourd'lusi qu'une science si noble et si importante est » iraitee par des gens si pen entendus, qu'ils ignorent, » non-seulement les regies de I'architecture, mais encore » celles de la maeonnerie, je trouve que c'est avec beau- » coup de raison que ceux qui font batir prennent le soin » de conduire eux-memes leurs ouvrages, et qu'ils aiment » mieux, s'il faut qu'ils soient conduits par des ignorants, » que du moius ils le soient selon leur fantaisie, puisque » ce sont eux qui en font les depenses. » Vitruve signale I'incapacite des artistes de son siecle, a tel point qn'i! de- sespere que son travail puisse elre compris et cstime a sa valcur par ses contemporains. Le meme auteur nous fait connaitre qu'en Italic, ou la temperature n'est pas aussi variable qu'en France, la duree moyenne des maisons par- ticulieres ctait de dix ans. Est-il si rare en France de trouver des maisons qui durenl meme plus longtemps, pour donner la sup6riorile aux anciens? II est certain qn'a co- te dcla maison carree de Nismes, ou de Tare de Iriomi'he de — 343 — Reims, il exista des niilliers de niaisons qui periretil promp- tcment, sans nous laisser aucune trace, aucun souvenir de leur existence. Mais, nous dira-t-on : examine?, le mortierdes anciens. En pourra-t-on jamais confectionner aujourd'liui de pa- reil? — N'oublions point que celte durete n'est pas I'ouvrage dcrhomme, mais VeSet du temps. La pierre calcaire, qui contient prineipalemenl la chaux et I'acide carbonique, perd a la cliaieur du four ce dernier element, so laisse p6- Irir dans I'eau, devient molle, maniable et propre a remplir tous les vides de la ma^onnerio; mais elant en contact avcc I'air, elle s'oxyde de nouveaa et devient de plus en plus dure pour ne former avec !a ma^onnerie qu'un seul corps. Voila le secret qui a rendu I'ancien mortier si dur, etqui, au boutd'un certain laps de temps ne tardera pas non plus a cndurcir Ic mJtre. Sous ce rapport, les ex- periences faites par M. Vicat ont rendu de grands services- a I'architecture, et elles ont d^montre jusqu'a I'evidence que nous sommes plus avances dans celte partie que les anciens. Examinonsles progres qu'ont fails recemmenl la cliimie, la physique, la mecanique, la gcomelrie. Est-ce que nos architectes instruiis u'ont pas cberchc a utiliser touies ces sciences dans leurs constructions? Les resultats obtenus n'ont-ils pas cle salisfaisants et meme quelquefois eton- uanls?De quel bienfait immense est pour la construction le dessin lineaire? Son perfectionnement pcrmel aujour- d'hui de determiner d'avance touies les figures. Les corps k poser peuvent elre mesures, apprecies et estim^s avec une exactitude rigoureuse, de sorle qu'un bon architecte ou un bon ingenieur peut repondre de son estimalion a tres-peu de chose pres. II exislait jadis a Ephese uncloi qui permettait aux architectes de se tromper d'un ([uart dans leurs estimations, c'est-a-dii'e 23 pour 100. Aujourd'liui, euvertu de la ciiridaire deM. le ininislrc de I'inlcricur, — 344 — en date du dO Fevrier 1840, les architectes ne peuvent porter que le vingti^me du niontant des travau\ pour depenses impr^vues , c'est-i-dire 5 pour 100. Quelle difference entre nous el les Grecs ! et elle est encore plus grande entre nous et les Romains , car leurs architectes n'etaient pas nicme obliges de repondre de 25 pour 100. On doit reelleuienl s'etonner de ce qu'avec si peu de moyens scieniifiques les anciens soient parvenus a faire taut de grandes constructions. On ont-ils puis6 leurs res- sources? Je repoudrai a celte question avec M. Tourneur, que les ressources des anciens consistaient dans le dcspo- tisme civil, dans la tijranuie militaire, enfin dans I'esduvage social. Les constructions que nous adniirons avec tant d'exaltation out presque toujours cause la mine de pro- vinces tout entieres, tandis que de notre temps, toutes les constructions remarquables sont uu veritable bienfait pour le pays. On doit considerer comme certain que Tarchitecture, ainsi que toutes les sciences et tous les arts, est sur la voie du progres. C'est a nous, jeunos artistes, de ne pas nous arre- ter en cliemin, et de cherchcr a reculer toujours les liniites de Tart. Mais pour ccla il convient que nous soyons debar- rasses des architectes speculateurs, de ces gens precieux qui se connaissent trop aux affaires. Leur systenie est que, pour faire beaucoup d'affaires, il faut construire a tous prix. II laut done elablir tres-bas les devis; aussi, pour ne pasdepasser le chiffre, ils rapinent les ouvriers, ils dimi- nuent les dimensions des materiaux, a un tel point que leurs constructions menacent d'cnsevelir les locataires sous lesdecombres. Quelquefois, malgre toutes les econo- mies possibles, on est force de depasser le chiffre du de- vis nial etabli, et I'archilecte entrepreneur eprouve des pertes relies: alors, qu'un proprietaire riche et plein de confiancc dans la probitc de I'architecte connaisseur en affaires, soil sur ses gardes, car il sera oblig6 de payer — 345 — son batiment, plus les pertes, que I'architecte a siipportees anlerieurenient. Notre vie depend souvent d'un ni6decin, notre vie et notre honneur de I'liabiletc de I'avocat, notre fortune de la capacite de I'avoue et de la probit6 du notaire, et le gouvernement, avecbeaucoup de raison, protege sous ces rapports les citoyens, en exigeant des medecins, des avo- cats, des avou6s, des notaires, des garanties qui rassurent la societe. Personne ne pout exercer ces professions sans posseder un diplome en forme on sans elre adniis par des chambres. L'architecte tient entre ses mains la fortune du proprietaire, la vie de plusieurs ouvriers et celle des lo- cataires, et cependant, pouretre architccte, il suflit defaire distribuer en ville des lettres d'annonce. Ne serait-il pas urgent d'imposer aux architectes I'obligation d'obtenir un diplume avant d'exercer leur etal? Cettc mesure ne de- pend pas de nous, e'est an legislateur a la decreter, et au public a n'accorder sa confiance qu'aux artistes capables et experimentes. Je vous ai dit en conimen^ant que I'artiste doit etudier le pass6 pour former son goiit et son jugement, mais qu'il ne doit pas elre esciave de ses devanciers. II doit prendre pour base un style d'arcliitecture, etle developper constam- ment en lui appliquant un goiit et des inventions appro- priees a notre civilisation. En examinant les differents styles d'architccture, il est aise d'apercevoir que le style qui exprime I'esperance chrelienne, c'cst-a-dire le style ogi- val, applique a notre climat et a nos materiaux, est celui qui nous convient le mieux, et que cctte architecture doit ^tre generalement adoptee en France. Cotte architecture, meme sous le rapport de la construction, posscde une superiorite enorme sur I'architecture payenne. Le systeme de ncrvures savamment combinces permet d'alleger les voutes, et en m^me temps de diminuer I'importance des parties r^sistantes, d'ou il resulte une grande ('•conomie dans la construction. — 346 — Examinons s'il serait utile d'introduire dc certaincs in- novations dans celte architecture, qui, par son style etpar sa construction, doit nous servir de modele. Je vous ferai observer que Ics constructions peuvent etre des construc- tions neuves ou des rcedifications. Quant a ces dernieres, I'architecte ne doit rien changer au style primitif du mo- nument. II doit reproduire fidelement ses beautes et ses defauts, il doit nieme respecter religieusement les degra- dations occasionnces par quelques fails historicpies. Une breche pratiquec par un boulet de canon, une statue bri- see par une revolution, doit restcr mutilee pour attester les fails accomplis. Faisons juste autant de travaux de construction qu'il est strictenient necessaire pour cmpe- cher la chute du monument; mais rien de plus. Je crois qu'on ne doit pas considerer celui qui dirigo la construc- tion d'un ancien monument conime architecte, mais plu- tot conime le commentatcnr d'un ancien livre, et sa pre- mit're qualite doit etre rerudition. II n'en est pas de nieme dans les constructions nouvelles. Ici I'architecte devient artiste, poetc : Poctce omnia licet. L'architecte, tout en adoptant la forme ogivale, pent, doit meme y introduire de certaines innovations conformes a nos moeurs et aux progrc'S de la science, si son genie lui permet de le faire d'une maniere convenable. Veuillez m'excuser, Messieurs, si je prends la liberty de vous indiquer une reforme que je voudrais voir operer dans les momiments rccemment eleves. Vous savez que trois sortes de cintrcs peuvont etre em- ployes dans rarchilccture , savoir : le cintre surbaisse , le plein-cintre et le cintre surhausse. L'experience et la me- canique nous out demontre que le dernier est le plus avan- tageux, car la pousscc y est moindre. Sous ce point de vue, I'architeclure ogivale oJTrebeaucoupd'avantages, d'au- tant plus que, conime je viens de vous dire, on a su, au moyeu de nervures savauimcnt dirigees, dimiuuer encore — 347 — fl'avantago cette poussee. Conservons done pour nos con- slructions neiives les voutcs surliaussees el Ics iicrvurcs , deux choses qui font la base de rarchitocture ogivalc ; mais cxaminons si r6ellenient les deux arcs brisc's dc la voi!ite du moyen-age sont le precede le plus cfficace pour dimiuucr la poussce dc la voiite. La m6caiiique nous indique une lignc plus avantagcuso : In chahietfc; son effet lient presque du prodige. Un arc conqjosc suivant celte ligne en billes de billard, sans morlior, etant legerement soutenu a la naissance, peut so maintenir en eqnilibre. Pourquoi ne pas employer dans nos constructions ncuves celte figure, a la place de Tare brise du moyen-age"? Une autre reformcque je desire voir accomplir dans I'ar- chiteclure ogivale consislerait a parlcr au peuple d'une maniere facile a comprendre et degagec d'un savoir au- dessus de la porlee des masses populaires. Pourquoi se- rious nous forces de reproduire des feuilles de palmetles, d'acanthes, ou d'autres plantes etrangeres a la France? Pourquoi des animaux qui ne soul pas acclimates cliez nous? Pourquoi ces formes bizarres de monstres fanlasti- qucs qui ne sont plus d'accord avcc nos moeurs et nos croyanccs. Esl-ce que uos regions zoologiques, botani- ques, est-ce que notre imagination poeliquc ne nous prd- sentent pas asscz dc sources pour y puiser rornementa- tion dc nos monuments? On me dira que, puisquej'adople pour base rarchileclurc ogivale, jc dois la reproduire pure et sans auouu melange, de menie qu'en parlant francais on scrait blamablc si on voulait y meler des mots allc- mands ou d'une autre langue. II me sera facile de repon- dro queje ne desire pas meler rarcliiteclure ogivale avec rarchitecturegrecque ouegyptienne : je prrleudsseulement que le xix^ siecle ne doil pas elre esclave du xni'^ siecle. M. Viollet-Leduc (I) a compare rarcliiteclure el la (1) Annales arcliMogiques. — 348 — langue frangaise, consid^rdes h differentes dpoques, et il a observe qu'il y aiirait folic h vouloir meler las ex- pressions dii style de noire siecle avcc cellcs du temps de Rabelais. La rellexion pent etre juste, niais je dirai qu'il serait aussi ridicule de vouloir au xix" siecle parler la lan- giie du xm'^ ou xiv" siecle, qu'il serait imprudent et coupa- ble do ne pas profiter des nouvelles decouvertes dues au progres des sciences, et de ne pas appliquer ce progrfes aux arts. Je vous demande a quoi serviraient toutes les pei- nes, toutes les conquetes des savants, si les arts, I'indus- trie, la nation enfin, ne voulait pas en tirer partie ? Veuillez, Messieurs, m'accorder encore la permission de combattre une erreur propagee parmi nous par des hom- mes savants, dont la parole exerce d'ailleurs une auto- rite fort legitime a beaucoup d'egards. Cette erreur pourrait elro trop funeste aux arts et elle est trop injuste envers noire siecle, pour que je ne cherche pas :i la d6- truire. Je demande pardon aux homnies distingues dont je repousse les opinions :je n'attaque personne, je ne com. bats que les principes. On nous a dit au Congres que , pour conslruire une eglise neuve, il fallait la concevoir dans le style du xm" sie- cle. Et cela, nous a-t-on dit encore, parce que la plus forte croyance exista dans ce meme xin^ siecle, et que les sen - ihnents relnjicux se sont eleints dc nos jours. — Je crois que, pour edifior une eglise neuve, il faut d'abord etre artiste, cnsnile il faut eludier le pass6, et puis enfin conslruire de maniere a pouvoir etre compris par le xix^ siecle, car le XIII* ne ressuscilera pas pour nous admirer. Le reproche qu'on nous fait de inanquer de croyanccs est ddpourvu de sens. Pardonnez-moi, Messieurs, mais une accusation si grave doit faire excuser un peu d'animalion au jeune artiste. Le sentiment rclicjieux s'eteint ! nous r6pfele-t-on; mais otez a I'homme sa partie morale, le sentiment religieux enfin, et — 349 — voiis n'aurez plus qu'un cadavrc ! Cepondant nos ca?urs baltent encore et noire conscience se revoke au reproche qu'on vient nous faire, car nous croyons a Dieu et a I'avenir et nous espdrons niieux qu'on espera au nioyen-age. Est-ce que notre croyance n'ost pas plus pure? n'est-elle pas de- gagee d'une foule de prejuges. Happelez-vous, Messieurs, toutesles institutions du moyen-age, les epreuves pai' I'eau et par le fer, les jugenients de Dieu, la foi aux revenants, aux sorciers, aux exorcismes; rappelez-vous les cruau- t6s accomplies dans ccs siecles dont on nous fait admirer la foi. Metapliysiquenient parlant , qu'<^tait la croyance au moyen-age? Rien autre chose souvent que la peur ici-bas ell'espoir d'outre-tombe. Une pierre posee pour I'erec- tion d'une eglise effac^aii tons les crimes. Ainsi , apr^s bien des souillures, pour purger son passe, pour acheter sa redemption , un baron du moyen-age construisail une eglise, laquelle ne lui coutait rien ou fort pen de chose : ses domaines lui fouinissaient des pierres et du bois ; les serfs donnaienl leurs bras. On payait les artisans en fro- mages ou en autres denrees arrachees sous le nom de dime auxmanants du pays. — Nous ne construisonspas tantd'^- glises, e'est vrai; mais nous commeltons moins de crimes. Si nous elevens un monument religieux , nous le payons en argent, et nous ne pressurons pas le pauvre peuple. Nous nous prosternons moins aux pieds du preti-e , nous le redoutons moins, mais nous I'aimons mieux : nous vou- lons etre ses fieres; mieux que nos peres du xiii'^ siecle , nous comprenons tout ce qu'il y a de noble et de grand dans la mission du sacerdoce. On accuse notie siecle de sccpti- cisme, d'indifference. —Ah ! certes, Messieurs, si le douie pouvait elre permis, <;e serait a nous, pauvres exiles, tout meurtris encore des coups d'un despofe ! Et cependant comment dou'er du sentiment leligienx et de la charite qui vous animent ! Disperses sans eglise et sans patrie , 24 — 350 — nous avons et6 rcQus en France a bras ouverts , comme des freres en croyances et en palriolisnie. Yous nous avez donne une place dans vos foyers ; vous partagez avec nous votre pain et voire gloire. En nous soutenant, en nous admeltant au sein de vos congres et de vos academies , vous nous avez donne droit de cite parmi vous. Quelle nation , auxiii<= si^cle, eut doune une seniblable hospita- lite ? Quelle nation eut prononc6 aux temps feodaux ces paroles evangeliques : « Tuus les hommes sunt freres , toutes Ics nations sont sanirsln Pour cela il fallait la society, et la societe fran^ aise du xix** siecle. Soyez done tranquilles , Messieurs du xiii" siecle, sur I'avenir du sentiment religieux, et montrez plus de con- fiance en vos artistes. Nous vous promettoiis d'etre vos disciples chaque fois qu'il s'agira de restaurer un ancien monument, mais faites-nous grace de vos ornementalious fantastiqucs dans nos egiises du xix- siecle. Aucun artiste ne voudra, n'osera menie , dans les constructions d'au- jourd'hui, reproduire vos excentricites du moyen-age, el je vous dirai, Messieurs, comme Saint Bernard a dil a Guil- laume, abbe de Saint-Thierry : a A quoi servenl dans les » cloitres , sous les yeux des freres et pendant leurs » pieuses lectures, ces ridicules nionslruosiles , ces pro- » diges de beautes difformes on de belies difformites ? » Pourquoi ces singes immondes , ces lions lurieux , ces » cenlaures, ces animaux demi-hommes , ces ligres ta- « cheles, ces soldats qui combaltent, ces chasseurs qui n sonnent de la irompe? lei une seule tele s'adapte » a plusieurs corps ; la sur un seul corps se dressenl » plusieurs letes. Tanlut un quadrupcde poite une queue )> de serpent; tautotune tete de ({uadrupede figure sur le » corps d'un poisson. Quelquefois, c'est un monstre avec » le poitrail d'un cheval et I'arriere-lraiii d'une chevre. f> Ailleurs un animal cornu se termine en cioupe de che- ;> val. 11 se mouire parlout enhu une variete de formes — 351 — » etranges, si feconde et si bizarre, que les fr^res s'oc- » cupent plutot a dechiffrer les marbres que les livres , » et passent des jours entiers a contempler toutes ces fi- » gures, bieu uiieux qu'u niediler sur la loi divine.... D Giaud Dieu ! si vous n'avez lionte de semblables inuti- » liles, commeut au moins ne pas legrelter renoimite de » la depense?» {Annaks archculutjlques, lom. in, pag. 13.) Messieurs , qu'il me soil perinis en lerniinant de vous ofTrir Texpi-essiou de nia profonde gratitude : il est doux et touehant, aux lieures de fortune et de prosperite, de trouver un I'rere ou un ami qui i)artage notre bonheur ; niais il est cent fois plus doux de trouver a I'licure de riuiorlune un coeur liospitalier qui nous accueille! La joie et la reconnaissance sontalors si vives, que les exiles etles bannis peuvent seuis les com prendre ! — Force de quitter notre patrie , j'ai rencontre la France sur nion cliemin ; c'est au seiu de sa genereuse hospitality que j'ai deve- loppe mes idees ; c'est a vous, Messieurs, que je dedie mes premiers travaux. Dieu vcuille qu'un jour nous puissions reporter a nos freres de la patrie I'expression de la recon- naissance qui nous anime pour vous ! Dieu nous donne la joie de leur diie combien de detles nous avons contract^es avec vous, et combien la France nous fut douce et lios- pilalierc ! Reims. — L. Jacoli-T, liiijirimcui'ilerAcadeiuit'. SEANCES ET TRAVAUX DE L'AGADfiMIE DE REIMS. V I • Sieanro tin SO I&ecesisSis'e ES-£S« SO'ilMAlRE DE Lil SliAXCE. Correspoiidance. — LecUire de M. Guii,i,emin : Negnciat'ions dU tralU de Calemc-Canibresis, en 1559. — Rapport de M. Lrconte sur (les experiences do divers engrais faites a Courcy. — Leclure de M. Landouzy : Considerations sur les nevroses. — Lecture de M. L. Paris : Rccherches historiqucs siir le clocher a I'Ange el sur les reparations faites (i la catliedrale dans le x\' et le xvi" sibcle (1). — Lecture de M. Nakquette : Observations sur le mtimoire de M. Kozierowski , lu a la seance precedentc. La seance est ouverte sous la piesidence de M. Wagner. M. Coutant , secretaire , donne lecture du proces- verbal de la derniere reunion. Ce proces-verbal est adopte. (I) Ge noorceau fait partie d'un ouvrage que M. L. Paris va bientot publier sous le litre de : Histoire de la Chapelle du Saint-Laict. 25 La correspondance imprimee romprend : 1° Annalcs scientifujues do rAuvcrgne, Septembre et Octobre 1845; — 2' Essai sur la vie Hiteraire de M. Victor lingo, par le comte DesoiT) ; — 3" Disser- tation Jiistoiique sur Jean 1", roi de France et de Navarre , par M. Monmerque. Paris, 18A5. — M. Guil- lemin est prie de vouloir bien rendre conipte de cet ouvrage a TAcadeinie. La correspondance manuscrile coniprend : 1° Lettres de M. Talibe Bariiielemy de Besancon et de M. Duval, docteur en medecine a Epernay , qui reraercient TAcademie du tiire de correspondant qu'elle leur a recemment confere ; — 2° Letlre de M. le Sous-Prefet de rarrondissement de Reims , qui reclame, au num de M. le Prcfet de la Marne , pour etre insere dans I'Annuairedu deparlement, une ana- lyse dcs travaux de TAcademie et des truvaux du Congres pendant sa derniere session.' M. le picsident signaie a la compagnie une omis- sion involontaire dans les dernieres elections acade- miqucs. On n'avait point presente au scrulin , pour le titro de correspondauls : MM. Lambron de LiGNiM , membre delegue de la Sociele arclieologique de Tours ; Vincent de Metz , inspecteurde TUniversite; Teste d'Olest , correspondant du Ministere de rinstrnction publique; Le comte Desoffy, homme de lettres a CLa- lijns, Tous membies actifs du Congres de Reims, et qui ont sollicite le litre de membre correspondant. Bien que le regleraenl d'interieur ait autremenl statue sur — .X)0 le mode d'cleclion, M. le Presidcnl pense qii'en raison des circonslanccs , I'Acadcniie peul, deroger a scs precedents. La coiwpagnie consuUee, apres avoir enfendu sur la question MM. Bonneville, L. Paris, Landouzy, Tarbe, vote par assis et leve I'admission des candi- dals. En conseiinence, MM. Lambron , VncKNT, Teste et Desofev sont proclanidi membres corres- pondanls. iii'» ffji '■' fii 'im — 356 — LECTURE DE M. GUILLEMm. Traits de Caleau-CambiTsis : — Role du cardiRal dc Lorraine dans k'S n('gocialions reialivcs ci ce Iraili Nous sommes en 1557, c'esl-a-dire, a une 6poque ou la France et I'Espagne se disputaient sur tons les champs de bataille la preponderance poliliqiie en Europe. La lulte comniencee sous Francois I"' et Charles-Quint conthiuait sousleurs successeurs Henri II et Philippe, et I'ltalie elait toujours le theatre ou se debaltait cette grandc question qui allait bientot se resoudre an profit de I'Espagne. Vous savez, Messieurs, que le roi de France, appele par le pape Paul IV en Italie, venait, a I'epoque ou nous sommes places, de faire un dernier et infructueux effort pour d^truire la domination espagnole dans la Peninsule. Le due de Guise, charge de I'expedition, n'en avait rap- porle que le mediocre avanlage d'avoir force le due d'Albe a evacuer les terres du Saint-Si6ge. Tandis que I'incurie ou la trahison des Caraffa exposait sa gloire a un miserable echec, sous les murs de Civitella, la guerre re- tonibait de tout son poids sur la France ; le general des arniees de Philippe II, Philibert, due de Savoie, executait sur les fronlieres de la Picardie une formidable diversion, et remportait sur le connctable de Montmorency la grande victoire de Saint-Quentin, qui mit le pays a deux doigts de sa perle. Heureusement, le duo de Guise accourut d'ltalie, et vint — 357 — relever la fortune de la France par un coup d'etat. La con- quete de Calais, qui aneantissait les derniers restes de la domination anglaise sur le continent, rendit Francois de Guise riiomnic le plus populairo de la France. La prise de Thionville, qui suivit ce brillant fait d'armes, aclieva d'eflacer le souvenir de la defaitc de Saint-Quenlin, et tout seniblait pronietlre a cette guerre une heureuse issue , lorsque I'echec eprouve a Gravelines par le niarcchal de Thcnnes, et de malheureuses intrigues de cour, vinrent precipiter la conclusion de la paix. Le trait^ de Caleau-Cambresis , Messieurs , excita les murmures et I'indignation de la France, que cette guerre avait epuisee. Les etrangers s'en moquaient, ditBrantome, el ceux qui aimaient le plus la France en pleuraient (1). Pasquier compare cette paix a celle que Fempereur Jo- vien conclut avec le roi de Perse, et qui fut tant decriee par toute I'anciennete (2). Pour appr^cier la legitimit6 de de ces plaintes et de ces reclamations presque unanimes, il faut savoir que le traite de Cateau-Cambresis enlevait, d'un seul trait de plume, a la France, les conquetes de l>lu«ieurs annees, et une 6lendue de pays qui egalait le tiers du royaume (3). « Les allies y furcnt trahis, les capitaines abandonn^s » a I'ennemi, la vie de tant de Frangois negligee, 150 for- » teresses rendues a I'ennemi, pour tirer de prison un » vieillard conncHable, et se descharger de deux fdles de » France, qui fut une pauvre couverlure de laschete. Paix » blamable, donl les flambeaux furent les torches fun6- » bres du roi Ilcnry II (4). » II importe, Messieurs, pour I'honneur des ministrcs qui (1) Femmes iUustrcs, torn, v, pag. 232. (2) Tom. II, Lettrcs, liv. xv, pag. 22 1. (3) Montluc, Mimoires , liv. iv, pag. 78'J. (4) M^moires de Tavannes, Collect. Petilot , torn, nmv , pag. 242. — 358 — dirigeaientalors les destin(^es de la France, de constater la part dc responsabilile qui leiir revieiit dans les negotiations dont le traite de Caleau-Canibresis fut le resultat. Or, voiis n'ignorez pas que Tun de ceux qui jouerent le principal role dans ces n^gociations, fut le cardinal de Lorraine. Aussi celle paix a-l-elle ete pour lui le sujet des accusations les plus graves qui puissent peser sur la niemoire d'un homme d'etat. Tous les historiens ont place a cette epoque I'origine des relations de la maison de Lorraine avec I'Es- pagne, et ils ont aflirme que le cardinal de Lorraine acheta alors la protection de Philippe II pour sa maison, an prix des plus laches concessions et des sacrifices les plus one- reux pour la France. Comme je ne veux point aitenuer la gravite de I'accusation , qu'il me soit permis de faire connaitre I'opinion de nos plus modernes et de nos plus renommes historiens sur ce sujet. « Le cardinal de Lorraine avail change de vue et d'ac- » tion, dit I'un d'eux, dopuis une conference qui avaiteu » lieu a Peronne, au mois de Mai, entre lui et le cardinal a Granvelle. L'eveque d'Arras persuada au cardinal de » Lorraine qu'il n'y avail plus que deux partis en Eu- » rope; que les Guises devaient etre les chefs du parti » orlhodoxe en France, et les allies de I'Espagne. — Des » lors, la foi de Philippe II fut engagee a la maison de » Lorraine contre tous ses adversaires; niais il fallait des » gages en echange; il fallait sacrifier a cette alliance » toute la grandeur el la dignite de la France, immoler B I'ctat a la faction. Le due de Guise hcsita; le cardinal de » Lorraine n'hesita pas; le pacte fut accep\^, et cette liaison » des princes Lorrains avec I'Espagne, source de tanl de » calamites, ne fut plus interrompue... Le cardinal de Lor- » raine, qui avail vendu la France, ne demanda pas mieu\ » que de voir Montmorency se charger de la livrer (1). » (\) Uisto'ne (le France par H. Martin , torn. i\, pag. 610-611. — 359 — Le savant Sisniondi expriine la meme opinion etle mdnie jiigoinenl. « Les Gnises, dit-il, pretendant tonjours s'elever a I'aide » dii fanaiisme catliolique, ne niettaiont plus un grand zelo » a cette guerre contre I'Espagne. lis conimengaient a » comprendre que Philippe II etait I'allie qui leur con- 1) venait le niieux. Dans une conference que le cardinal de t Lorraine et le cardinal Granvelle eurent ensemble, ils » convinrent que la guerre n'avait plus d'objet, et que » rien n'etaitplus desirable que la paix. Les deux prelats, » completement d'accord, se lierent d'aniilie inlime, et » jeterent des lors les fondenients de I'alliance des Guises » avec la maison d'Espagne (1). » Voila, Messieurs, le cardinal de Lorraine transform(5 en criminel d'etat, qui vend son pays pour devenir I'ami du roi d'Espagne. Heureusenient, nous ne sonimos pas tenus de croire a ces mensonges ni de souscrire a ccs calomnies. Pour retrouvcr la source d'erreurs aussi graves, il faut que je niette en cause ici un lionune qui est en possession d'une reputation d'exactitude et d'inipartialite que per- sonne n'a jamais songe a contester. Et cependant je dois le dire, c'est I'illustre de Thou qui, sans Ic savoir peut- elre, sefaisantl'interprete des raucunes du parlement et des calomnies du protestanlisme contre la maison de Lorraine, a donne cours a ces impostures qui sont devenucs des axio- mes historiques. C'est lui qui le premier a prete la clarte et le charme de sa narration au recit de cette memorable entrevue, on le cardinal de Lorraine aurait ete tout a la fois la dupe du cardinal Granvelle, et traitre envers la France. Qu'on me pcrnielte de citcr ce curicux lecit. « La duchesse Christine, mere de Charles, due de Lor- raine, s'etoit avanceejusqu'a Peronnc, avec Tagremcntdu roi, pour y conferer avec son (ils. Le cardinal de Lorraine (i) Sismondi, Histohed''s I'ranrais, torn, win, png. 74, 75. — 360 — oblint du roi la permission de se rendre au nieme endroit, avec le due son fr^re. On paria des moyens de faire la paix, et il paroit qu'Anloine Perrenot, evoque d'Arras, qui ac- conipagnoit Christine par I'ordre du roi d'Espagne, eut avec le cardinal des conferences secretes, dans lesquelles il lui repr^senta que le roi d'Espagne etoit Ires-fache que des guerres allumees par des motifs d'ambition entretinssent imo desunion fatale au vainqueur meme ; que I'inimitie, augmeutant de jour en jour, epuisoit peu a pen les forces des deux nations; qu'elles devoient plutot s'unir contra leurs ennemis communs et cclui de toute la chreliente; qu'au reste, les deux nations avoient un ennemi beaucoup plus dangereux ; qu'elles nourrissoient dans leur sein Ther^sie qui, a la faveur de la desunion des princes, repandoit son poison partoul ; qu'on ne pouvoit y remedier tant que la guerre durcroit etc., etc., etc. » Que le cardinal meriteroit la reconnoissance etla vene- ration de tons les gens de bien, s'il engageoit le roi a con- sentir a la paix, et s'il unissoit, par ce moyen, deux prin- ces puissants, pour joindre toutes leurs forces en faveur de la religion, B Perrenot, homme penetrant, decouvrit facilemcntTef' fet de ce discours sur I'esprit du cardinal de Lorraine. » 11 ajoutp que le genie tutelaire de la France avoit con- serve, au milieu des malheurs qui I'avoient accablee, le cardinal et le due de Guise, son frere, pour ex6cuter un projet si salutaire a leur roi, et qui int(^ressoit la gloire de Dieu menie, si utile au royaume, dontles disputes de religion altcroient la tranquillite , et qui combleroit de gloire la maison de Guise, en lui attirant la veneration des peuples, doiit ils avoient inteiet de manager I'affection , pour prevenir des revolutions inopinees. » L'evoque d'Arras, voyant que la ruse reussissoit etque I'ambitieux cardinal ne pouvoit entierement dissimuler la joie secrete qu'un discours si flatteur lui causoit, ajouta 'amoya ; — SGI — » Dans les clrconstaiices presentes, je ne crois pas qu'il y ait un plus puissant moyen de renicdici" a tous cesniaux, qu'iine paix assuiee ontrc deux princes qui ont aulant de puissance que de zele pour la religion. » Mon maitre ne desespere pas de reussir dans celte grande affaire, si vous voule/ y concourir avec lui et I'aider de vos conseils ; il vous demande voire aniitic conime il vous olTre la sienne par nion ministere, en vous engageant sa foi qu'il sera toujours votre protecleur et celui de votre illuslre maison. Coinme une entreprise de celte imporiance demande un grand secret, je prendrai dans la suite de sijuslesmesures, que, sans donner lieu a des soupcons et sans liasarder votre reputation, nous pour- rons agir de concert, en coniniuniquant ensemble par le moyen de certaines personnes qui paroilront n'avoir de commerce qu'enlre elles. » Le cardinal rc^ut avec joie des propositions si hono- rables et en meme temps si avanlageuse a ses Irei-es et a toute sa maison, deja tres-puissante en France ; il remercia Pcrrenot, en lui disantque son merite justilioit le choix quo le roi d'Espagne avoit fait de lui, pour clre I'arbitre el le mediateur d'une affaire de celte importance. II lui promit de faire pour les intcrels de son mailre tout ce qui depen- droit de lui et de ses fr^res; telle fut la base de Tamitie, et tel fut le motif des complots des princes Lorrains avec I'Espagne. Si les circonstances les ont quclquefois obli- ges d'abandonner la suite du premier projel, ils y sont bientot apres revenus. Ainsi, Ton se relira de part et d'aulre de Peronne (1). » Voila, Messieurs, I'acte d'accusation : maintenant voici la defense. II s'agit de prouver, 1° que renlrevne du car- dinal de Lorraine ct du cardinal Granvelle fut loin d'etre aussi courtoise, aussi alfeclueuse que le pretend de (i) Vr Thou, liv. xx, pag. 235-20. — 362 — Thou, et que les deux niinistres, repr^senlants de deux puissances rivales, se retirerent fort niecontents Tun de I'autre; 2° que le cardinal de Lorraine n'avait nullement change de direction, ainsi que laihrment les deux hislo- rieus modernes quej'ai cites tout-a-l'heure, elqu'il voulut la continuation de la guerre jusqu'a ce que la paix put se faire honorablement; 5° qu'il est radicalement faux que les relations interessees de la niaison de Lorraine avec I'Es- page ayent commence a celte epoque, et que le cardi- nal ait recherche par des moyens indignes la protection de Philippe IL Si, sur ces trois points, nous pouvons par- venir a une demonstration complete, nous aurons eclairci un fait important de I'histoire de France, et en meme temps nous aurons detrnit une des plus outrageuses ac- cusations qui puissent elre dirigees centre un homme d'etat, celle d'avoir trahi son pays. Nous emprunlons nos preuves a des documents diplomaiiques dont les uns ont 6le trop pen consultes, et dont les autres, entierement nou- veaux, n'ontpu elre connus des historiens. Plusieurs motifs sollicitaient Henri II a conclure la paix avec LEspagne. La France s'etait epuisee pour soutenir cette guerre, et il fallait lui donner du repos. D'un autre cote, I'heresie, a la faveur de la guerre, faisait de rapides progres, envahissait larmee, la magistrature, se mon- trait presque aussi menacante pour I'autorit^ royale que pour la religion catholique. Ce n'est pas tout : Henri II desirait ardemment revoir son premier niinistre, le con- netable de Montmorency, son coriipa(jnon de la table et du lit, qui, depuis la bataille de Saint-Uuentin, etait enlre les mains des Espagnols. La duchesse de Valentinois, dont les princes Lorrains connncncaicnt a s'eloigncr, soupirait aussi apres le retour de son ami, qui pouvait seul contreba- lancer a la cour le credit du cardinal et de son frere. Le roi, sous la double influence des conseils de sa maitresse et de son attachement au connetable, engageait fortement — 3H3 — ceUii-ci dans uiie correspondance secrete, I'l se racheter 6 queique prix quo ce fut; le faible monarque poussait la condosceiidance jiisciu'a rinformer de tout ce qui se pas- sait a la cour. Les ininistres d'Espagne, qui visilaient sou- vent le connetable dans sa prison, ne purent longtemps ignorer son intimite avec le roi, et ils ne tarderent pas a avoir le secret des divisions qui re^;naient a la cour de France. Us con(;urent I'esperance d'en profiter pour ame- ner Henri II a uuc paix avanfageuse a I'Espagne. Le cardinal de Lorraine en fut cgaicmcnt informe par ses emissaires dans les Pays-Bas , et par le mareclial de Saint-Andre qui lui etait devoue, et comme il voulait sa- voir ce qui en etait, i! provoijua cetle entrevue de Pe- ronnc dont nous avons park'-. La proposition en fut faite h la duchesse de Lorraine qui amena avec elle a Canibrai le comte d'Eguiont, I'eveque d'Arras, et le president Vi- glius. Jusque la, le roi d'Espagne complait si peu sur les inteulionspacifiquesdu cardinal de Lorraine, qu'i! eci'ivait a I'eveque d'Arras, partant pour Cambrai , « que la de- » monstration que ledit cardinal faisoit de desirer la paix » cstoit chose feinte a la fran^oise pour I'abuser, qu'il n'y » avoil espoir que les Frau(;'ois fissent rien par vertu uy a qu'ils vinssent a raisonnables condilious de paix (I). » Cclte entrevne,nonsallons le voir, ne niodilia nullement les dispositions du ministre franc-ais. On se niontra d'abord tres-froid et ires-reserve de part et d'autre. Les ambassa- dcurs d'l"]spagne, persuades que les Guises ne voulaient point suicerement la paix , affectaient de les regarder comme des liommes prives, sans mission ct sans pouvoir. Le cardinal de Lorraine, de son cote, ne voulait faire aucune avance, et il ne s'ouvrit sur le veritable motif de I'enlrevue que sur les instances de la duchesse de Lor- (1) Papiers d'('iat du cardinal Granvelle , torn, v, pag. 168 a pag. . Collection des documents inedits sur I'ltisloirc de France. — 364 — raiiie. II dii alors que lui aussi, il 6talt sans caracifere ofll- ciel; niais que comma lioninie, comme niinistre des autels, il devait, autant qu'il etait en lui, s'efforcer de faire regner partout I'uuion et la concorde ; que , dans cet esprit , il allait, comnie archeveque de Reims, s'adresser 6 Monsei- gneur d'Arras , son suffragant. II ajouta que le roi son mailre elait dispose a faire quelques sacrifices a la paix, et que si le roi d'Espagne etait dans les memes disposi- tions , on pourrait immediatement convenir d'une treve qui donncrait ouverlure a des conferences reguli^res. II exposa ensuite les preliminaires d'apres lesquels on pour- rait etablir une paix definitive. Le roi occupait un certain nombre de places dans le Luxembourg et le Hainaut ; le roi d'Espagne en tenait d'autres en Picardie; rien n'etait si simple que de proceder a un ^change et de le cimenter, si on voulait , par un manage. Le plus grand embarras provenait des allies, et surtout du duo de Savoie, dont les etats avaienl et^ conquis par la France. II serait injuste, disait le cardinal de Lorraine , que Ton exigeat la restitu- tion de Ja Savoie et du Piemont, si Ton ne consentait a rendre le ducho de Milan et la Navarre. Apres qu'il eut propose les differents moyens qui pou- vaient concilier les interets des divcrses puissances , le cardinal Granvelle confera un moment avec ses collegues, et repondit d'une maniere assez hautaine que Ton s'atten- dait a quelque chose de nouveau, et non a des propositions dix fois mises en avant et dix fois rejetees; que sans en- trer plus avant dans la discussion , il se contentait de faire reinarquer que les derniers traites avaient regie definiti- \ement ce qui concernait le duch6 de Milan et de Navarre , et que ranimer ces vieilles querelles c'etait vouloir eter- niser la guerre; que Ton ne pouvait esperer de paix qu'ea prenant pour base le dernier trait^, qu'en se restituant mutuellement toutes les places conquises pendant le cours de cette guerre; que la France, en recouvrant les places — 363 — qui hii avaient ^le enlevees dans la Picardie , devait rendre au roi son niaitre celles quelle tcnait dans le Luxembourg et le Ilainaut; aux Anglais, Calais, Guines; aux Allcmands, Metz, Toul et Verdun ; au due de Savoie, ses 6lats h^redi- taires, sauf ce qui pouvait revenir au roi de la succession de son aieule ; au due de Mantoue, le Montforrat; aux Cenois, Tile de Corse; au due de Florence, les places dela Toscane. Ces restitutions, ajoutait-il , peuvent paraitre dures , niais elles n'en sont pas moins justes ni nioins utiles a la France. D'ailleurs, n'avait-elle pas a conibaltre dans son sein un nouvel enncnii , I'lieresie . qui gran- dissait de jour en jour et qui deja avail gagne la letc de la societe ? En meme temps , il lui revela I'existence d'un pretendu complot forme par les calvinistes, ce qui, du resle, n'emut pas beaucoup le cardinal, qui ne vit la qu'un cpouvantail dont se servait I'Espagne pour faire acheler la paix a plus haul prix. Granvelle termina en di- sant que les propositions de la France etaient si deraison- nables, qu'il ne croyait pas meme devoir les conimuni- quer a son inailre (I). Le caidinal de Lorraine n'etait guere satisfait de ce qu'il avail entendu , ainsi que le prouve la lettre qu'il 6cri- vail au marechal de Saint-Andr6. a Quanl a la negociation, je la treuve en fort maulvais » elat, et si indignes reponses que M. d'Arras a faites » dont n'esperoye pas moins; car ils ont une fa^^on de » faire quand on les recherche, et cuydenl que nous som- » nies en telle necessite que devons les rechercher a B maintes jointes. Qui m'en croiroit , ils parleroient dor- » resnavant les premiers ('2). » (1) Gamier est le seul hislorien qui paraisse avoir eu connnissance des relations manuscrites du cardinal de Lorraine et du cardinal Granvelle. Cette derniere, dit-il, est uu pamphlet tres-mordant contrc la maison de Lorraine. Hist, de France, torn, xxvii, pag. 486 et suiv. (2) Pajriers d'etat de Granvelle. — Lettre du cardinal de Lorraine dalce du camp pres d'Amiens, du 1 5 St?ptembre 1558. — 366 — L'entrevue avail eu lieu vers la fin de Mai, etcette lettrc est du mois de Seplenibre. Oa voit que le cardinal pen- sait loujours de la nieme nianiere. Tel fut le resultal de cette demarche , qui a donne lieu aux reproches graves que nous connaissons. Ceux qui prelendent faire remonler a celte epoque les relations in- K^ressees de la maison de Lorraine avec I'Espagne, n'ont certainement puise celte decouverle ni dans les relations du cardinal de Lorraine, ni dans celles de I'eveque d' Ar- ras , les seuls documents qui soient vraimenl dignes de foi(l). Walgre le peu de succfes de celte enlrevue , le cardinal de Lorraine ne se repenlit pas de s'y etre engage, parce qu'il en avail tir^ les 6c!aircissemenls qu'il desirait. En pensant a la fierte des minislres espagnols el sur la durete des conditions qu'ils venaient de proposer, il conclut que quelque envie qu'eul le roi de lirer de leiirs mains le con- nelable, il ne consenlirail point a le racheter a un si haul prix (2). Les hostilites continuerent, et au mois de Septembre, les deux armees se trouvferent en presence sur les fron- lieres de la Picardie. On s'aitendaita une baiaille, quand les negociations furenl reprises. Le roi d'Espagne n'etait pas moins fatigue de la lulte que Ic roi de France, et il desirait la paix par les memes motifs. 11 savail bien qu'il ne pouvait I'oblenirpar I'entre- Jiiise des princes Lorrains, carle sentiment national qui ne leur pcrmeltait pas d'accepter des conditions desavanta- gouses a la Fi-ance , s'accordait avec leur interet particu- lier, qui leur couseiilait une guerre oil Ton avail besoin du •alent militaire de I'uu, ou I'autre, en I'absence du con- (1) Voir dans Gaenikr I'aiialyse de ces deux pieces, t. xxvii, p.485. (2) Ibid., pag. 486. — M^moires de Rabuitn, Collect. Petitol, toni. XXMI, pag. 16.1. — 367 — notable, restait matlre du pouvoir. Lepliis sur^tait de n^- goeicr avec le connelable solidcnicnt, verilablcment, rcsulu- incut (I). Philippe 1! toiirna done loiitcs ses esperances du (;6t6 de Montmorency : la faiblesse du roi pour son premier minislre , et I'envie qu'avail celui-ci de recouvrcr sa li- berie, Ini ouvraient de ce cole les phis belles chances de terminer la guerre d'uue nianiere confornie a ses inleiels. Aussi les minislres recurent I'ordre d'engager Montmo- rency a sorlir de prison (2). Le prince d'Orange kii fit les premieres avances, et le connelable y repondil par de belles promesses, qui ne furenl pas ratifiees pour le mo- ment par le roi de France. Henri II, dans sa reponse, an- non<;ait laferme intention de conserver Calais, et ne parlait nullement de la restitution du Piemont. Le due de Savoie <^lait meconlent : « Toutcela, ecrivait-il aux plenipoten- » tiaires espagnols , ne repond gnere a ce qu'on avail » promis au prince d'Orange; mais tel a toujours ele le » caracl^re des Francois (5). » Le connelable, de son cote, etail desole de rinsuccts de ses demarches. II changea de coulour quand on liii dit que les negociations allaient etre inlerrompues (i). Files furent reprises cependant vers la nii-Octobre de la menie annee , el les plenipotenliaires des deux puissances se rendirent a I'abbaye de Camp, ou de nouvclles confe- rences s'ouvrircnt sous la mediation de la duchesse de Lorraine. Les representants de la France (itaient le cardinal de Lorraine, le connelable de Montmorency, qu'on avail re- mis en liberie sur sa parole, le marechal de Saini-Andr6, (1) Mcmoires de fiimon Renard an roi Philippe II. — Papiers d'dlatde Granvelle, torn, v, Septembro laiS. (2) Ibid. — Lcnrc. des picnipot. au roi d'Esp. du 18 Sept. 1558. (3) Ibid. — Le due de Savoie aux plenipot. Lettre du 1 1 Sept. 1558. (4) /&irf.,pag. 188. — 368 — Jean de Morvillers, eveque d'Oileans, el le oonseiller d'e- tat L'Aubespiue. Le roi d'Espagne y avail envoye le due d'Albe, Guillaume de Nassau, prince d'Orange , I'dveque d'Arras, el le docteur Ulric Viglius. La reine d'Anglelerre y eul aussi ses representanls , malgre les observalions du cardinal de Lorraine , qui voulait que les negocialeurs an- glais fussenl exclus de la conference (I). Les deux partis reslerenl quelque temps sur la defensive, chacun voulanl conserver Tavanlage de n'avoir pas ei6 le premier a demander la paix. On aborda enfin la question des reslilutions, el le cardinal de Lorraine, pour en facili- ter la solution, proposa deux manages , cclui de la fiUe ainee du roi de France avec le prince des Asluries, et celui de madame Marguerite, sa sceur, avec le duo de Savoie. Du resle, quel que fut le succes de celte proposition , il assuraitque la France n'abandonnerait jamais le Piemont, donl la conquete avail coute si cher a la France, el qui ser- vait a defendre sa froniiere du cote de I'ltalie. Le due de Savoie, d'ailleurs, pouvail s'en rapporlcr an roi pour I'in- demnile qu'il convenailde lui accorder. Dans le cas ou le manage aurait lieu, le roi rendrail le duche de Savoie , la Bresse, le Beaiijolais, el en Piemont, Carignan el Savi- giiano, demanteles avec leurs districts. Le due de Savoie ne voulail point consentir an manage, s'il ne recouvrail son duche tout entier, el puis il aurait mieux aime la flUe du roi de France , qui avail qualorze ans, que sa soeur, qui en avail trente-cinq. LesEspagnols appuyaient ses pretentions, et disaient que puisque le Piemcnl avail coiile si cher a la France, il devait lui elre moins penible de I'abandonner; qu'il servail moins a la defendre qu'a lui donner un pied en IlaUe et a lui ouvrir Penlree du duche de Milan (2). (l)Lesplenipot. csp. au roi.— 18 Octobre 1558. (a) Jbid., 15, 17 Octobre 1558. — :m — Comme on ne paiiait ni de la restitution dela Corse, ui dii Montferrat, ni duSionnois, etc., etc., qu'on mainteuait ^nergiquenient ses pr6tentions sur le Pieinont, il n'y avail gu^re d'espoir d'arriver a uu arrangement. Lc cardinal de Lorraine le pensait ainsi , et il ecrivait a un de ses confi- dents a que bien qu'il se parlat de paix , il ne s'en feroit » rien. » La restitution de Calais donna lieu a la plus vive discussion, etfut trailee avec une extreme clialeur de part etd'autre. Les plenipotentiaires anglais ne voulaient point consentir a perdrecette place, et I'eveque d'Ely, qui etait a leurtete, disait que si cette ville demeurait aux Frangais, ni lui ni ses colltgues n'oseraient retourner en Angleterre , que le peuple les lapiderait. Quanta lui, plutot que de subirune pareille humiliation, il aimcrait mieux qu'on le reportat de I'autrc cole du detroit dans un linceul (1). Les Espa- gnols soutenaient les Anglais dans leur resistance, sous pretexte qu'ils etaicnt intervetius dans cette guerre comme allies de TEspagne ; mais comme on le verra bientot, I'ap- pui qu'ils pretaient a TAnglcterre etait pen desinteresse. Le cardinal de Lorraine, on le pense bien, etait pen dis- pose a abandonner la conquete de son frere. Il repondit aux Anglais que le roi de France abandonnerait sa cou- ronne plutot que de ceder Calais, a II n'y a aucun de vos » serviteurs, ecrivait-il au roi, qui ne mist plustot sa vie » en hazard que de vous conseiller de la laisser, ny sujet » qui ne baillat tout ce qu'il a vaillant que d'y consen- » tir (2). » Tout le monde s'attendait de voir encore une fois les negociations iuterrompues, carles Frangais refusaient de (1) Pajiiers d'etat de Granvelle et des pUnipot, espagnols, 107.— 20 Octobre 1558. (2) hcllre du2ZOclohtp. — Addition aux memoires de Cnstclnnu, torn. 11, liv V, p;ig. 259. 20 — :m — passer outre , si on ne leur donnait satisfaction sur ce point (4). Dans rinipossibilile d'accorder les interets des deux nations, les Espagnols propostVent de niettre Calais en sequeslre entre les mains d'une puissance neutre, jusqu'a ce que six electeurs de I'empire, les Venitiens, les rois de Pologne et de Danemarck se pronon^assent sur la pro- priete de la place. Mais il s'agissait maintenant de savoir quel serait le prince a qui on la confierait en attendant le jugenient. Le due d'Albe nomma le roi d'Espagne son niaitre , et promit que , pour gage de sa bonne foi , il re- niettrait entre les mains du roi de France une de ses places aussi importanles queCalais, par exemple Mariembourg (2). Le cardinal de Lorraine s'attendait bien a cette proposi- tion. II ne donna pas le temps au due d'Albe de I'appuyer davantage, et se borna de lui demander s'il <^tait raison- nable que le roi de France conimen(:at par se deposseder d'une ville sur laquelle il avail des droits imprescriptibles, qui lui appartenait par droit de conquete, et qu'il mit ainsi -en compromis une partie de son domaine. Get homme fin et penetrant conclut de cette proposition que les Espagnols n'auraient pas et6 faches d'avoir Calais. La correspondance des ambassadeurs espagnols prouve qu'il ne s'etait pas trompe (3). Le due d'Albe , ne pouvant attirer le cardinal dans le piege qu'il lui avait tendu, feignit d'etre surpris qu'on n'adherat pas a ce qu'il proposait pour la tranquillity com- mune. La colere des Espagnols etait au comble; I'eveque d' Arras ecrivait au roi d'Espagne que « la conduite des (1) L'eveque d'Arras au roy d'Espagne, 2 Novembre 1558. (2) Addit. aux mem. de Caslelnau. — Lellre ducard. de Lorraine iauroi.du loFevrier 1559. Tom. ii, p. 260. (3) Lettrede Icvequc d'Arras, 22 Oclobre 1558. — 371 — » Francois estoil d('M'aisoniiabIe au-dela de toule idee , » et qu'ils ne font jamais rien par suite d'un mouvement n gt^nereu\ (I). » Le couuetable de Montmorency n'^lait pas moins fach6 de voir les choses en cet etat. Lcs Espagnols, qui savaient quel parti ils pouvaient en tirer, songerent a liAter sa ran- ^on « pour le renvoyer en France, oij, regagnant son cr6- 1) dit, 11 se pourroit opposer a ces jeunes gens d^sirant le » li'ouble , ct par ses prudentes raisons persuader son » maitre (^). » La faiblesse de Montmorency ne favorisait que trop les vues ambitieuses de Philippe II. 11 semblait lui-meme aller au-devant de leurs intentions, en disant confidontiellement au due d'Albe que s'il etaiten autre lieu, il diraitau roi ce qu'il lui semblait (3). Les ndigociations en etaient la , quand la reine d'Angle- terre mourut. Les conferences furent ajournees, et re- prises sculenienl au mois de Fevrier de I'annee suivante. Cettc fois les plenipotentiaires se reunirenl a Cateau-Cam- bresis. Le connetable de 3Iontmorency avail, dans I'inter- valle , reparu a la cour, et il avait ete accueilli par le roi avec une joie excessive. 11 avait arrete secr^teraent avec lui les conditions de la paix, et apportait a Cateau-Cam- bresis les instructions les plus accommodantes, surtout a regard du due de Savoie (4). Mais restait toujours I'article de Calais , sur lequel les ambassadeurs d'Elisabeth , la nouvello reine d'Anglelerre, insistaient aussi ^neigique- ment que ceux de la reine Marie dans les premieres conferences. Comme cet article 6tait desormais le seul obstacle qui s'opposat a la conclusion de la paix, le conne. (1) L'eveqiie d'Arras au roi d'Espagne, 2 \oVembrc liiS. (2) Les plenipol. csp., au roi, le 27 Octobre 1558, p. 323. (3) Ibidem. (4) Mcmoires dc du Villars , CoWecA. Pctilot , loin. \\\. pag. 225. — 372 — table 6tait fort embarrass^; c'etait par la que le cardinal de Lorraine le tenait en echec. Le connetable n'osait se relachcr snr ce point, soitqu'il s'imac;inat, en retonant Calais, effacer la honte qu'il y aurait a abandonner tant d'autres places, ou qu'il pr6tendit seu- lenicnt faire durer la n6gociation (1). a II se montroit meme » parfois assez dur, afin que ceux de Guise ne le pussent » charger de en cecy qui est de leur conquete, avoir voulu » flechir ("2). » Le cardinal de Lorraine continua a debaitre cet article avec sa vivacite ordinaire et lutta d'obstination avec I'An- gleterre, de finesse avec I'Espagne. C'^taient toujours le due et la duchesse do Lorraine qui faisaient I'ofiice de me- diateurs , et ils accomplissaient maintenant ce role avec d'aulant plus de facilite, que sur toutes les autres questions les parties etaient deja d'accord (3). La duchesse essaya de les concilier aussi au sujet de Calais. Les ministres espagnols lui suggererent de faire encore une tentative ct de sonder les ambassadeurs fran- gais sur un expedient qu'elle feignit d'avoir imagine. En conferant avec eux, elle proposa, comnie une reflexion qui hii venait en ce moment, qu'on rninat les fortifications de Calais, et que le domaine utile en rcstat au roi deFrance^ jusqu'a ce que les mediateurs pronon^assent sur le fonds. Les Espagnols trouvaient dans cette mesure une excel- Icntc garantie contre les deux couronnes , car elle enlevait a la France un de ses principaux boulevards , et elle otait aux Anglais la facnltc dc faire facilement une descente sur leurs fronticres des Pays-Bas, en temps de guerre. Le cardinal de Lorraine demasqua encore une fois la ruse des Espagnols, et fitrejeter cette proposition. La du- (1) Varillns, Histoire de Henri II, liv. vu, pag. 245-46. (2) Lesplenipot. espagnols auroi, 4 Mars 1559, (3) Varillas, liv. VII, pag. 245, — 3T3 — chesse de Lorraine ne se d6coiiragea pas : elle pria encore line fois les deputes de se r^unir cliez elle , et leur tenioi- gua le regret qu'elle eprouvait de ne pouvoir retablir la bonne intelligence entre les diverses puissances. Puis, se ravisant tout-a-coup , elle leur proposa encore un moyen qui, dans I'instant nienie, se pr6scnlait a son esprit. Calais, selon ses vues, devrait etre mis en depot entre les mains du roi , qui s'engagerait a le rendre aux Anglais an bout de dix ans ou de tout autre tenne dont on conviendrait, et il donnerait des suretes suffisantes pour la restitution de cette place. Le cardinal de Lorraine repondit que cette proposition etait encore loin de repondre aux intentions du roi son maitre ; que, dans ce projet, il perdait la propriete de Ca- lais, et qu'on en laissait simplenient la garde an roi de France ; que , au reste , les deputes ne pouvaient rien con- clure sans de nouvelles instructions , et qu'avant d'aller plus loin, il fallait savoir comment les Espagnols et les An- glais accueilleraient cet accommodement. Les Espagnols, qui avaient inspire ce moyen a la du- chesse, jou^rent parfaitement leur rule, adresst'rent leurs remerciments a madame de Lorraine, et demandferentque les ministres frangais s'expliquassent de bonne foi surcet arrrangement. Les deputes fran(^ais declar(^rentqu'i!s s'en rapportaienl au roi, et que le vendredi suivant ils donneraient uue re- ponse (1). Le cardinal de Lorraine, sachant que tout etait couclu et arret6 entre le roi et le due de Savoie pour ce qui les con- cernait, pensa qu'il fallait en fmir, et engagea le roi a accepter les conditions et a lui envoyer des pouvoirs pour trailer d6fmitivement. En y consentaut, le roi de France, qui, d'ailleurs, 6tait dispos6 a tout, s'assuraitsix ou (i; Addit. aux Mimoires de Castelnau. Lettres des ambassadeurs franrais au roi, du 8 Mars 1559. hiiit ans de paix; il conservait lous les droils, loules ses pretentions sur Calais, et il comptaitbien les faire revivre a r^poque de la restitution. Les articles furent accordes. lis portaient que le roi res- teraitpaisible possesseur de Calais pendant huit ans, et de tout cequ'il avait conquis en-dega du delroit; que ce temps expire, il rendrait cetleville alacouronne d'Angleterre, el que, en cas de non-restitution, il lui paierait 500,000 ecus. Le cardinal de Lorraine fit inserer dans le traite une clause d'une haute importance qui portait que, si durant cet in- tervalle, I'Angleterre faisait quelque chose au prejudice de la France, le roi etait pleinement d6gage de ses engage- ments. La paix fut conclue sur ces bases le 1" Avril 1359. La suite des temps montra I'habilete avec laquelle le cardinal de Lorraine avait agi dans celte importante nego- ciation. La reine d'Angleterre accorda sa protection aux calvinistes, esp^rant, a la faveur deguerres civiles, recon- qu^rir la Normandie. EUe viola la premiere le trait6 de paix enjetant des troupes dans le Havre-de-Grace, et par la, elle fournit au roi de France Toccasion qu'attendait sans doute le cardinal, de rester definitivement le maltre de Calais et du pays reconquis. La France ne fut pas aussi heureuse du cote de I'Es- pagne et de la Savoie. Henri H ne recula devant aucun sacrifice, pour avoir la paix. En vain les plus braves capi- taines, les plus devoues serviteurs le conjurereut de jon- tinuer la guerre plutot que d'accepter de honteuses con- ditions; en vain le mar^chal de Brissac lui olTrit sa fortune et sa vie avec celle de tant d'autres ofliciers de I'armee d'l- talie (i); en vain le due de Guise lui representa qu'un trait (1) « Quand Boivin du Villars, secretaire de Brissac, arriva de Pie. mont pres du roi , il n'y trouva que MM. de Guise et Bourdin , secre- taire d'etat. Le due de Guise lui dit a loreille que le roi avait deja cou- vertement arrete la paix avec M. le connetable, a la retention seule- ment de Turin . de Chivas , de Quiers , de Pignerol , de Savigliano , avec leurs finages. » Du Villars, Collect. Petitol, torn, xxx, pag. 263. — 37^ — de plume allait lui enlever ce que Ireiite amines d'une guerre nialheureuse n'auraient pu lui oter ; en vain il lui dit que son frere avail deja enlanie cent n^gocialions avec un certain nombre de banquiers pour lui procurer ies nioyens de faire la loi a rennemi. Henri, apr6s avoir 6le un instant 6branlt', apr^s avoir, suivant du Villars, change plusieurs fois de couleur pendant celte chaleureuse reniontrance du due, adressa une nouvelle depecbe a Montmorency et I'exhorta a hater le plus qu'il serait possible la conclusion du traite « ouvertement concert^ entre lui et le conne-- lable (1). » II fut signe le 3 Aviil. Les rois de France et d'Espagne se rendaient mutuelle- nient leurs conquetes dans les Pays-Bas et la Picardie ; Henri II restitua an due de Savoie tons ses 6tats , sauf Turin, Pignerol , Chivas , Qulers et Villeneuve-d'Asti. Au due de Mantoue, Casal et le Montferrat; au due de Florence, les places du Siennois; a la r^publique de Genes, Tile de Corse. Enfin, il abandonna la possession de 199 places ou chateaux. Deux manages, celui de madame Mar- guerite avec le due de Savoie, et celui de la princesse Eli- sabeth avec le roi Philippe II servirent a voiler la honte de ces restitutions aux yeux de la France et de I'Europe. Le connetable de Montmorency, qui avait prepare cette paix, entraina facilement les aulres plenipotentiaires dela France, excepte le cardinal de Lorraine qui, seul de sou, avis, fut oblige de ceder (2). Une seule chose, Messieurs, peut justilier le conn6table- de Montmorency d'avoir conseille cette paix a son maitre: la lassitude de la France, et la difliculte ,ou, pour mieux dire, rimpossibilit6 de conserver, au-dela des Alpes, les provinces lointaines et isolees du royaunie. Mais qui pourrait blamer le cardinal de Lorraine d'avoir jusqu'a la fm defendu les. (I) Memoires de du Villara, Collect. Tctilol, liv. \\x, p. 2?d. [1) Varillas, His/oirr de Ucvri J/ , )iv. vii, pag. Q-'ifi. — 37G — conqii^tes qui avaieutporl6 si haul la gloire iniiilaiic ile la France en Europe, qui niaintenaient son influence dans la Peninsule italienne et dans la Mediterranee, qui etaient enfin comme aulant de postes avances d'ou nos rois te- naient en echec rambilieuse maison d'Autriche, prote- geaient I'independance des petits etals de I'ltalie, et veil- laient a la conservation de I'equilibre europ6en. La conclu- sion de tout ceci est facile A tirer, c'est que la menioire du cardinal a 6te singuli6rement calonmiee, son role dans toute cette affaire odieusement travesti; c'est que cet homnieillustrefutdanslesn^gociations du iraite de Ca- teau-Cambr6sis un diplomate habile, redout6 de I'Espagne et de r Angleterre, etqu'il s'y niontra le plus ferme, le plus infatigable defenseur de I'honneur national. 377 LECTURE DE M. LECOME. Messieurs, M. le vicomte Uuinarl de Briinont, loujours infati- gable a recliercher tout ce qui peut interesscr et ame- liorer I'agriculture, vousa donne communication, dans votre seance du 6 Decembre 1844, des essais qu'il a faits sur une de ses terres. Ces essais avaient pour but de s'assurer de I'action comparative de plusieurs nia- tieres employees comrae engrais, et de faire connaitre la valeur reelle dechacunde ces produils. Vous nous avez charges, M. Saubinet et moi, d'ensuivre les effets avec M. de Brimontet de vous rendre compte des re- sultafs. C'estdu proces verbal qui a ete dresseparles soins de M. de Brimontj en presence de vos commis- saires, que jc vais avoir I'honneur de vous donner lec- ture.... Can proces-verbal du \ Octobre 1844, drcsse par MM. Lecoute, pharmacien en clicfde I'Holel Dieu de Reims ; Taillet , adjoint au maire et cuUivateur a Bri- mont ; Laurent, regisseur de la ferme de M. le vicomle Ruinart de Brimontj a Brimont, constatant les divers amendcments el engrais faits sur une piece de terre api)artcnant a M. le vicomte Ruinart de Brimont, siluee au terroir de la commune de Courcy, liendit a I'Arclie, pres les bois Soulains , et royec la roule de Reims a Ncufchalel, il resulte que celte piece de Icire, — 378 — conlenant dix-sept ares vingt-deux centiares , a ele divisee en seize parties egales, de n" 1" a n" 16, les- quelles ont ele reparties en deux categories corapre- nanl chacunelmitnunieros, la preniierede n°l"an''8, et la deuxieme de n" 9 a n" 16. Cette deuxierae cate- goric coraporte, outre les memes engrais et amende- menls que la premiere , une addition de deux kilo- grammes d'acide sulfurique etendu de liuit hectolitres d'eau ; chaque numero a une conienance de un are sept centiares. Cette piece de terre a ete ensemencee en seigle? et la recolte, faite le 31 Juillet 1845, a donne pour resultat : 3 3 • Jjos DESIGNATION DES ENGRAIS ET AMENDEMENTS. PRODDSTS en grains kil. gr. kd. 1 Point d'engrais. 11 » 30 2 2 hectolitres el derai matiercs fecales melangees de 2 metres dc sable. 2G 500 60 3 1 metre cube de fumier ordinaire. 19 » 44 1 4 3 hectolitres noir animalise 15 >• 37 1 |re 5 500 grammes acide azolique etendu d'un hectolitre d'eau. 14 500 31 C 2 kilos 500 gr. sel ammouiac pulve- rise, seme le 3 Mai. 16 500 32 " 500 gram, acide sulfurique etendu d'un hectolitre d'eau. 15 . 30 8 9 7 kilos 500 gr. dc sanguine. 500 gram, acide azotique dans un 21 500 53 hectolitre d'eau. 6 • 15 10 2 hectolitres dissolution de sel am- moniac a 2 • 6 • 17 u 500 gram, acide sulfurique dans un 2® hectolitre d'eau. 4 • 11 12 7 kilos 500 gram, sanguine. 5 » 15 13 Point d'engrais. 3 500 11 14 2 hectolitres et dcmi matieres fecales melangees dc 2 metres de sable. 22 500 52 15 1 metre cube de fumier. 13 « 32 16 3 hectolitres dc noir animalise. It ..ro 20 i — 379 — La vegetation du seigle a presenle ces resiiUals : 1" La premiere calegorie, situde le long du fosse cle la route , a ete plus forte et plus abondantc que la deuxierae situee a I'oppose , ce qu'il faut altribuer a la terre relevee du fosse que les cantonniers rejettenl sur les champs, et qui n''a pu atteindre la largeur de toute la piece, et par consequent n'y pouvoir donner un produit proportionne plus egalise. 2" Les deux numeros G et 10, sur lesquels on a seme et rejiandu le sel et la dissolulion de sel ammoniac, ont toujours monlre une vegetation plus verte que le reste de la piece. 11 a pousse plus d'herhe dans ces deux numeros que dans les autres. 3° La deuxierae categoric, sur laquelle on a rcpandu une dissolution d'acide sulfurique en sus des autres engrais et amendements , a donne une recolte beau- coup moindre que la premiere, par suite de Famende- ment des terres relevees du fosse de la route lepan- dues sur celte derniere, et peut-etri' aussi a cause de Taction trop receute de Tacide sulfurique. Si on etablit par ordre de renclement ce que chaque numero a produit, on aura le resultat suivant : f3 O n o 1 -3 » DETAILS. pi\or»uiTs en grains O -3 1 2 Matieros ftcales. kil gr. 2G 500 kil. 60 2 2 14 do 22 600 52 3 8 Sanguine ( sang dcsseche ). 21 » 53 4 3 Funiior. 19 - 44 o 0 Sel ammoniac pulvcriso. 10 iOO 32 1 n 4 Noir animalise. 1 .) .. 37 I / / ' Acide sulfurique. 15 . 30 ' — 380 — — 25 5-z ^3 2_ S E i" DETAILS. PRODurrs en grains 11 VI ?d' kil. kil. gr. 8 1 5 Acide azotique. 14 500 31 9 2 15 Fumicr. 13 . 32 10 2 16 Noir aiiiiualise. 11 500 30 11 1 1 Point d'ongrais. 11 " 30 12 2 10 Dissolution de sel d'ammoniac. 6 » 17 i 13 11 2 9 Acide azotique. C » t'5 2 12 Sanguine. 5 . 15 15 2 11 Acide sulfurique. 4 • 11 16 2 13 Point d'engrais. 3 500 11 De tout cc qui precede , on peut conclure : 1" Que de tous les engrais employes, ce sont les matieres fecalcs qui ont donne le meilleur lesultat. Puis le fuuiier. II sera toutefois necessaire de con- stater la duree d'action qu'auront les matieres fecales ; on pense qu'elles pourront produire leurs efl'ets au moJns pendant trois annees sur les recoltes sncces- sives, tandis que le funiier depassera ce terme. 2" Qu'ensuite le noir animalisedoit etre admis pour son resultat. On ne pent encore en conslater la duree. 3" Que le sel ammoniac n'a pas produit I'effet qu'on en attendait. M. le vicomte Ruinart de Brimont I'a employe avec plus de succes sur les prairies de la ri- viere d'Aisne et de la petite riviere de Retonrne. 4° Que Tacide azotique et I'acide sulfurique n'ont donne qu'un tresfaible resultat, et qu'il paraitrait de- montre qu'on ne peut les employer utilement sur les ocreales. Brimont, le 14 Aout 1845. E. Sai'Binet aine. Leconte aine. — 381 — En presence do ces resiiltats, qui ne sont pas aussi satisfaisants, pent 6tre, qu'on I'aurait desire, surtonta regard de reiuploi des acides, voire coramissioii est convaincue que si, en suivant le bon example donne par M. de Briniont, plusieurs cultivateurs zeles vou- laient sedonner la peine de se rendre ainsi conipte de raction de toiites les niatieres qu'ils emploient et. qu'ils ponrraient encore employer comnie engrais, Tagri- cullure locale aurait beaucoup a y gagner. A cot effet, il faudrait jeter les yeux sur ce qui a ete fait avant nous, el que ces experiences fussent faites, 1 ° sur plusieurs natures de terrain et sur differcntes especes de plantes ; S*" sur des cultures d'automne et des cidtures du printemps ; 3" sur tons les produits qui doivent se succedcr sur le meme sol pend;int toute la duree de la rotation a laquelle les terrains voisins se- raient soumis, sans ajouter d'autres engrais; et enfin, il faudrait se rendre un compte exact du prix coiitant de la quantite d'engrais employes. 2 S DfiSIGNATION Oiiaiititi's Ouantile produilc a- 3 DES ENGRAIS. eniployt'cs Grains I'aille F. C. K. 11. K. 11. 1 Maliores fecalcs. 5 heel. J n 49 '> 112 - ■?. Fumier ordin.iiic. 2 met. 10 » 32 .. 70 » .i Sanguine (sung desscchii). 15 kilo. 3 » 20 SO 08 . 4 Noir aniuialiso (engrais Veily). 6 heet. 4 80 26 00 57 » i) Sel ammoniac. 5 ivilo. a » 22 50 49 » 0 Acidc azotiquc. 1 kilo. 1 2J 20 50 40 - 7 Acide sulfLiriquc. 3 kilo. » 90 19 - 41 • » Point d'engrais. B • » » 14 50 41 .. ■ Voici un tableau comparalif de la valeur commer- — 382 — dale de la quantity d'engrais employee par M. de Bri- mont. C'est pour corabler une lacune de notre proces- verbal que j'ai cru devoir vous presenter ce tableau a cote des produits de chaque engrais. Les deux cate- gories etaut reunies , nous avons trouve le resultat ci-dessus mentionne dans I'ordre de Tactiou des engrais. On volt par ce tableau : 1° que le fumier , pour le- quel on a une preference marquee dans nos campa- gnes, coute !e double des autres engrais et n'est pas le plus produclif , ct que sa dureo, fiit-elle double de celle des matieres fecales , il serait encore bien loin d'egaler ces matieres \ 2" que les acides, quoique bien en arriere des engrais animaux, ont cependant donne des produits avanlageux, si on compare leur valeur avec ce!le des autres engrais. 11 ne faut done pas les abandonner ; il faut, au contraire , en poursuivre de nouveaux essais sur differentcs sortes de plantes , la nature de nos terrains crayeux ne pouvant en eprouver qu'une grande amelioration, sans pretend re pourtant qu'ils peuvent etre prives entierement des engrais azotes. En efl'et, ces acides, par leur contact avec la craie qui domine dans nos terres, produisent des combinai- sons chimiques favorables a la vegetation. L'acide sul- furique, par exemple, donne naissance a du sulfate de chaux, si recherche dans les pays qui ne le possedent pas a Tetat naturcl. Ce sulfate de chaux, vous le savez, Messieurs, n'est autre chose que le platre, que Ton pourrait ainsi produire en quantites incouimensurables sur les terrains calcaires de nos contrees. On ne se rend pas toujours nn conipte exact de la nianiere donl le platre agit dans la vegetation. — 38.3 — Suivant le celebre Liebig, rinfluence si favorable du platre sur la vegetation des prairies provient tout siniplement de ce que cc corps fixe I'anurioniac do ratmosphere, en empecliant I'evaporation de celle qui s'est condensee avec les vapeurs d'eau. Le plaire dis- parait done pen a peu du sol, mais son action continue taut qu'il en reste encore une trace. D'apres ce raenie auteur, 1 kilogramme de platre fixe autant d'ammoniac dans le sol, que 6,250 kilo- litres d'urine de cheval pourraient lui en fournir. Mais Teau est la condition la plus indispensable pour la decomjjosition du platre; ce qui fait que sur les prairies et les champs sees, I'influence du platre n'est pas sensible. Ainsi, niie condition premiere de I'influence de I'a- cide sulfurique est I'eau ou un sol humide. Or, le sol qui a servi a rexperimenlalion, etant plutot un sol sec qu'un sol humide, voila un premier motif de la faible influence de cet acide et de son peu de produit. II existe encore une autre cause : I'experience a ete faite sur unecereale, et, suivant M. Boussingauli, Tin- fluence du platre est douleu>e pour la betterave, nulle sur le froment et sur le seigle , tandis qu'elle double et triple la recolte du trofle etde la luzerne. C'est done sur les prairies artificielles que nous recommanf!erons de fairede nouveaux essais avec les acides, et particu- lierement avec Tacide sulfurique. Enfin, Messieurs, \n commission est d'avis que I'Aca- demie doit remercier M. le vicomte Ruinart de Bri- mont de son devouement auxchoscs utiles a Tagricul- ture, et de la promesse qu'il a dcja faite a vos commis- saires de continuer ces essais sur le meme terrain et de vous en rendre compte tons lesans. — 384 Messieurs , La routine preside encore trop souvent au clioix que Ton fait des cngrais ; par habitude, on cmploie telle matiere dont on ne connait pas au juste la -valeur fer- tilisante , et on neglige des produits qui pourraient donner des resultats tres-avantageux. Cest ainsi que nous voyons tous les jours dans nos campagnes et raenie dans notre ville s'ecouler dans les ruisseaux le purin des fumiers et d'autres liquides non moins fer- tilisants et pourrir dans les coins, sans utilite , et je peux dire nierae avec chance de nuire a la salubrite, une masse considerable d'iinmondices; tandis que, d'un autre cote, ou ramasse a grands frais des decora - bres de craie, dont on connait peu la valeur, mais qui out I'avantage de donner du poids et du volume pour peii d'argent, sans compter les transports dont on ne se rend jamais compte. Cest pour attirer Tattention sur cette question et suivre I'exemple qui nous est donne par le savant et consomme praticien dont je viens d'avoir I'honneurde vous presenter les Iravaux, que j'ai aussi tente quel- ques essais. Le terrain sur lequel j'ai opere est situe pres de la porte Dieu-Lumiere, sur le chemin du Moulin-Huon , au lieu dit la Groix-Lepagnoi. 11 a ete cultive en avoine Tannee derniere. Le 13 Mai, apres un labour fait au printemps, j'ai divise en dix parties egales une portion de ce terrain de la contenauce de douze ares, et ai fait repandre sur ch;*cune d'elles, representant un are vingt centiares. ^^ 385 — les matieres consignees sur ce tableau dans Tordre suivant : ~ o NATURE PES KNGR\1S. 8 9 10 P( int d'cngmis. Fumier de clicval. Cli.iux des savoiiniers. Malieres fecales melees de lerre. Noir nnimalisc (ensrais Velly^ Malieres fecales et lerre. Point d'engrais. Deciicts de laiiie. Malieres fecales et terre. Urine. I\I . c. » I 50 » 7.') „ "s " 7f) 1> » ., 80 » 75 L 50 F. C. f) » 3 " 6 » 0 >• 8 .. G » ?. 50 OlIANTITES PRODUITES Grains. I Paille. FOLDS UESDBB K. 0. I, C. l.i » 22 u 17 500 30 » 15 600 20 ft 25 700 43 80 23 100 38 40 23 . 39 80 15 400 20 50 22 150 38 10 21 300 37 10 17 900 29 80 POIDS K. (i. 13 500 19 100 15 600 18 800 22 100 14 too 20 500 21 " 18 200 J'ai fait ensuilc s 'in?r de rorgeqiii a ete recouvcrte par iin labour, puis hersee etcoraprimee avecle rou- leau ordinaire. La vegetation n'a prescnle de remarquable qu'une couleur beaucoup plus verte sur les feuilles dans les numeros 4, 5, 6, 8 et9. Vers la maturite , ces niemes numeros n'ont ete bons a couper que dix jours au moins apres Tepoque on Ton aurait pu faiie la raoisson des aulres numeros Le 15 Septembre, j'ai fait couper a la faucille chaque lot dont les produits out ^te lies et places sd- parenient. Apres avoir fait separer le grain de la paille, j'ai pese et mesure avec soin chaque produit , et ai obtenu les resultats consignes au tableau. Ces fails viennent en partie coiilirmer ceux deja obtenus par M. le viconite Uuinart de Briiuonl. Ainsi, 27 - :]86 " on voit que ce sont encore Ii'S matieres fecales qui I'em- portent sur les autres engrais. Dans I'ordre de leur propriele fertilisante , on pent les classer ainsi : N" 1. Matieres fecales. N" 2. Noir animalise (engrais Velly). N° 3. Matieres fecales. N" 4. Dechels de laine. N° 5. Matieres fecales. N» 6. Urine. N" 7. Funiier de clieval. N° 8. ChHUX de savonniers. N° 9. Point d'engrais. N" 10. Point d'engrais. Apres la nooisson , la terre a presente sur les nu- meros les plus fertiles une quanlite d'herbes assez considerable , formee en grande partie par le pollgo- num arvkukre (Renouee). J'ai fait retourner cette terre avec la charrue. et le 7 Novembre , sans ajoutcr aucun engrais, j'y ai fait seaier du froment chaule a la chaux seulement. Ce froment a efe enfoui a la charrue, puis herse , et niaintenant il presente une vegetation encore faible, a cause de I'epoque un peu tardive de I'enseraencement. L'annee prochaine, j'aurai Thon- neur de vous rendre compte des produits qu'il m'aura donnes, et je serais tres-flatte si vous vouliez, des au- jourd'hui, designer quelqties membres qui pourraient les constater avec moi. — :387 — LECICRE DE M. LANDOUZY. CoDsideralions sur les affections nerveuses (1). Messieurs, L'usage academique veut que cliaque membre donne a la corapagnie les premices de ses travaux ; si done je n'ai pas dit un seul mot jusqu'ici d'une oeuvre terminee, il y a plus d'un an , sur les affec- tions nerveuses , c'estqu"elle elait destince au concours de rAeadeniie royale de medecine , et que tout au- teur qui s'est fait connaitre, meiue indirectemcnt, est raye du nombre des concurrents. A la veille de publier cet ouvrage , je crois devoir en indiquer I'idee somraaire, en donnant lecture de quelques-unes des considerations preliminaires qui lui servcnt de preface. Si les aflections organiques du systeme nerveux n'ont jamais ete le sujet de meditations aussi nom- breuses et aussi fecondes qu'aujourd'hui , il n'en est (i) Ce travail forme la preface d'un ouvrage que va bientot pu- blier M. Landouzy , el qui lui a valu la medaille d'or au concours de j'Academie de medecine. — 388 — pasde ujeniedcs nevioses que les leudances Iropex- clusives peut-elre de la nouvelle ere medicaleavaient fait depnis longteinps laisser dans Touhli. II sendilait, en elTet, qu'au milieu de cette voie si siire ouverle a la medecine organique , on n'osat se basarder dans les senliers inconnns de la medecine iramalerielle, si Ton pent ainsi dire; il semblaitqirau milieu de ces mines de syslemes de loute nature qui sont venus tomber depuis (rente ans devant I'analyse appuyee sur I'anatomie pathologique et la pliysiologie experimentale , on n'osat interroger ces aflcclions si complexes, dans lesquelles interviennent en raeme temps les troubles physiques et moraux , sans altera- tions que le scalpel ait pu jusqu'alors apprecier. Et cependant, Petude des nevroses ne forme telle pas le complement de la doctrinedu medecin, amend de la pliysiologie a la psychologic, de la pathologic or- ganique a la pathologic men tale, du malade physique au malade moral? Et n'est-ce pas le veritable point d'uDion de la medecine et de la philosophic que I'iu- terpretation de ces affections a la fois organiques, mo- rales et intellectuelles, pour lesquelles le flambeau de I'anatomie pathologique nous eclaiie d'une si iaible Incur, mais oil nous avons pour guide cette loi pri- mordiale de toute science naturelle, I'observaiion, dans ce qu'elle a de plus ardu , de plus severe et de plus eleve? Que si nous atlribuons a I'anatomie pathologique une faible part dans les secours qu'elle fournitjus- qu'alors a Tetude des nevroses , nous sommes loin ce- pendant de meconnaitre les services importants qu'elle doit rendre a ces maladies comme a toutes les autres. Autant, en effet, ces mots anatomie pallwlogique — 389 — cles necroses eussenl paru autrefois iiiipliquer un non- sens, et meme line idee formee d'elements contradic- loires, autanl ils devront paraiire nalurels et logiques, aujourd'hui qu'on a vu disparailre deja, par Teliide rigoureuse des elats organiques , bon n ombre d'a (lec- tions donl I'essentialite etait regardee auparavant comme un principe. C'esl, du reste, pUitol au defaut de recherches suflT- santes qu'a I'absence de maleriauxqu''il faut atlribuer ce silence ftresque completdes auteurs sur Tanalomie pathologique des nevroses, et pour I'hysterie en par- ticulier, aftcclion par laquelle nous commencons nos etudes sur les nevroses de la feranie. Nous esperons prouver qu'elle recoit des investigations anatomiques des lumieres que nnl autre mode d'exa men ne saurait remplacer. Nous avons obtenu, d'aillcurs, pour la plupartdes autres parties de la question, lesmemes resultatsque pour Tanatomie pathologique , et nous avons etc sou- vent elonnes, dans le cours dece travail , de trouver dans les observations, soit des documents tres-precis sur des points restes en litige, soit des donnees com- pletementopposees a celles auxquelles lesobservateurs arrivaientdans leurs deductions. L'histoire symptomalologique elle meme, qui de- vrait elre identique dans tous les livres, puisqu'elle consiste dans la dosciiption de plienonienes exterieurs et facilement perceptibles, se ressentait trop dans chaque ouvrage de rinfluence des doctrines du temps ou de rinfluence des traites precedents, pour qu'il fut possible de tracer avec ces seules ressources un tableau exact d'aucune aflfection nerveuse. Quant a mes observations personnelles, je me serais' — 390 — bien garde de fonder sur elles seules , a I'exemple de certains auteurs, les bases d'un ouvrage serieux. Outre qu'il s'agil d'une raaladie si Tariee dans son expres- sion exterieure, qu'aucun raedecin ne pent en avoir observe par lui-merae toutes les formes , je voyais trop, par les erreurs oil sont tombes les observateurs les plus eminents, le danger deces meditations exelu- sives, pour ne pas I'eviter. Quelqu'independant que soil , en effet , Tesprit en matiere scientiGque, il est difficile dese soustraireen- tierement, meme dans la consfatation et la narration pure et simple des fails , a certaines idees preconcues qui vous font, a votre insu, fortement insister sur cer- tains points et passer trop rapidement sur d'autres. Frappe, d'ailleurs, de I'enorme difference qui exisle entre les assertions des observateurs et les resultats fournis par la lecture de leurs observations, j'ai pense que le seul moyen d'avoir le resume exact de la science sur Tun des points les plus complexes et les pluscoa- troverses de la pathologic, consistait a reunir eta ana- lyser tons les faits qu'il comporte. C'etait la, sans contredit , un travail immense sous tons les rapports ; mais je Tai juge indispensable pour eonnaitre I'etat veritable de la question ; et nul doute qu'apres I'analyse attentive de 358 observations re- cueilliespar 147 auteurs , dans tous les temps el dans tousles lieux, on n'ait fait Tinventaire complel des donnees experiraentales qui pouvaient etre reunies sur rhysterie. Mais s'il suffil a un auteur connu de conclure d'a- pres des observations qu'il ne donne pas et qu'il as- sure seulement avoir medilees, il n'en saurait etre ainsi de celui dont le nom, devant rester ignore , ne — 391 - peul garaiilir la science ou la bonne foi ; il doit sounieltre a ses juges les principaux documents sur lesquels son ou\ra<^e est base. Aussi avoiis-nous las- semble en un \olunie, sous le noni de parlie experi- meiitale, toutes ces observations, en les faisant pre- ceder d'un somniaireanaljtique qui remplace !e litre souvent errone des auteurs. Faisant abstraction complete des opinions pour ne tenir compte que des fails categoriques , nous avons done uniquement base sur I'analyse de toutes les ob- servations que nous avons pu rassembler, depuis Hip- pocrate jusqu'ii nos jours , les principes de nos dis- cussions et de nos convictions. L'interpretation que nous avons donnee a cetle lon- gue serie de fails ponrra etre ei ronee dans la solution des divers problemes que comporte la question , mais il est impossible de puiser ailleurs les elements de cette solution. Sans contredit, beaucoup deces observations man- quent de valeur par I'insuffisance des details ou par I'absence des autres conditions; mais est-il besoin de dire que nous avons distingue soigneusement entre les simples fails qui peuvent servir seulemenl comnie do- cuments stalisti(jues, et les observations rigoureuses dont I'ensemble constilue la science proprenieni dite, et que jamais, dans la discussion, nous nc noussoramcs appesantis sur les premieres ? Ainsi , ne consullons-nous pas an meme litre les recits abreges doni certains palhologistes composaient si facileraent leurs centuries et les observations si exacles de Forestus et de Morgagni. Ainsi, n'avons-nous pas confondu les observations de Zacutus I.usitanus et de Willis avec cellesde Bonet — 392 — et de Riviere; celles de MM. Cerise et Favrot avec celles de Pomnie el deM. H. Girard ; celles de Brodie avec celles deWiltson; celles de MM. Dance et Du- Ternoy avec celles de Schmidius et de Diemerbroek. On comprend faeileraent qnelle ditlerence on doit etablir entre des fails reputes dn meme ordre, quand on voil d'un cote douze observations suffire a peine a reraplir unepage, et d'un autre, douze et meme trente pages suiTire a peine a une seule observation. Nous nous somraes egaleraent bien gardes de croire aux observations d'apres leur titre ; et ce n'est rju'apres les avoir lues tout entieres et serieusement meditees , que nous en tirons des conclusions. Corabien , en etlet, n'avons-nous pas rejete d'observations intitulees hys- teries, et dont tons les syraptomes se rapportaient ex- clusiveraenta I'eclampsie, a I'epilepsie, a lacalalepsie, a la gastralgie, a I'angine de poitrine , etc., etc.! Et comment accepter des faits sur la seule foi des noms meme les plus eminents , quand on voit F. Hoffmann , dont I'autorite est si souvent invoquee par ceux qui ont ecrit sur les nevroses, donner, comme observations d'hypochondrie et d'epilepsie, des observations d'liys- terie ; comme observations d"hys(erie, des faits evi- dents demetrorrhagie et de meningite puerperale? Celte confiance dans les observateurs ct ce defaut de recours aux observations expliquent comment les plus graves erreurs se sont accreditees sur la seule foi d'un nom celebre. C'est ainsi, par exemple, qu'aujourd'liui encore, on trouve dans tons les auteurs , et en parti- culier dans Louyer-Villermay etdans Esquirol, I'hy- pocondrie donnee comme complication frequente de riiysterie, tandis que non-seulement cette complication n'a jamais ^te constatee, car nous n'avons pu en ren- — 393 — contrer un seul cxeniple prohaiil clans aiiciin auteiir , mais que I'idee d''une de ces deux affections exclut presque necessairenieiit I'idee de I'autre. On coraprend par ces qiielqiies mots sur rouvragc d'HofTinann, qui passe encore aujourd'lmi pour le meil- leur traile sur Tliysterie , on conqirend quelle diffe- rence enorme il pent y avoir enire dcs travaux dont les uns ont pour base les idees des observateurs , et les autres Tanalyse des observations. Si le savant secretaire de I'Acadeniie de medecine, M. Dubois d'Amiens , a pris le premier mode plulot que le deuxiemc dans son traite de I'liyslerie et de riiypocondrie , cela doit tenir uniquement a ce (jue cette raarche lui etail rigoureusement imposee [)arles ternies memes du piograuime de Bordeaux , qui pres- crivait d'examiner conqiarativemenl les opinions des auteurs, comme s"il n'eut pas ete infinimciit plus ra- tionnel de presorire I'examen des fails. « Opiniouuin covwienla delel dies , naturoi judicia confirwal. » Sans aucun doute , les idees systematiques des au- teurs et les doctrines predoniinantcs de I'epoque se font jour aussi dans les fails , et surlout dans les fails les plus eloignes de nous ; mais I'hisloire reste au mi- lieu des divagalions (pii raccompagnent , et dans ces observations, meme les plus anciennes, il y a , en somme, bien plus a examiner qu'a rejeter Dans la paitie critique, nous avons comballu, nori ce qui I'avait deja ete avant nous, mais seulemeni les erreurs qui subsislaient encore, et adoplani sous ce rapport la devise de Newlon : « Nullius in verba, » nous ne nous sommes jamais laisse arreter par Taulo- rite desnoms, quand elle lombait evidemmeni devant Taulorite des fails. — 39i — Du resle, rAcadeiiiie ne pouvant \ouloir qu'on ex- posal devant elle les lambeaux dechires de toutes les anciemies opinions, les mines eparsesde tons les an- cicns systeines, je me serais bien garde d'arreter a chaque pas la niarche du sujet par des discussions qui pourraient etre necessaires dans I'histoire des varia- tions medicales, mais qui entraveraient sans inlerel un expose didactique. La science doit etre prise, en effet, dans son elat actuel, sans que cliacun se croie oblige de faire con- naitre les solutions deja connues, et je tiens qu'un I>oint, et surtout un point d'erudilion une fois traite avec toule la superiorite qu'il comporte, il est plus simple de renvoyer a I'auteur que de s'exposer a faire moins bien, ou de le copier, ce qui n'est que trop fre- quent. Combien de volumes se retreciraient! combien de livres entiers disparaitraieni, au grand profit de la science etde la probite medicales! combien de noms anciensseraient restes, qui onl disparu sous une en- veloppe nouvelle, si un jury scientifique pouvait faire rendre a Hippocrale ce qui est a Hippocrate, et a Galien ce qui est a Galien. Loin de moi, du reste, d'avoir donne dans une exa- ggeration conlraire, et d'avoir fait table rase des ceuvres du passe ; « Tcit twv Tia/ajojv avcJ'p&jv cutlviaxi yoocfj.- fixcji. » Un travail academique ne saurait ressembler a un manuel d'examen, et lors meme que mes predi- lections ne m'eussent souvent entrame, suivant le conseil de Galien, vers les anciens, j'aurais regarde comme un contre-sens d'oflVir a I'Academie un travail €xclusivement didactique. Mais la vraie erudition doit etre prise ;iux sources meraes, et non point aux citations anciennes prises — 395 - dans les moderfies, el acconiiiiodces a touUs li'soir- constanct'S. On aurait pu, en se bornant ;i ce proced^ si facile et si souvent employe, Irouver dans un seul ouvrage, celui de M. Dubois, dc (juoi defrayer pki- sieurs Irailes sur la surcscilation nerveuse ; mais on ne reconnaitra cheznous auciine citation qui se Irouvc chez d'autres, aucun texte qui ne precede deTori- ginal, et on verra de plus que nous avons fail en sorte d'eviter a ceux qui viendront apres nous tons lesembarras bibliograpliiques qui nous onl souvent relardes nous-meiues, el qui naissentdu defautd'in- dicalions ou des indicalions Yicieu>es. 11 est plusieurs points sur lesqucls nous avons fait surloul peser nos meditations, el sur lesquels nous nous permeltons d'appeler rattenlion des jugcs du concours ; ce soul : Texamen des principaux symp- tonies, pris chacun en particulier; Telude negligee jusqu'alors de plusieurs epi-phenomenes d'une haute gravite, tels que les douleurs locales, la paralysie ge- nerale ou partielle, I'aniaurosc, riscliurie; I'interpre- talion des causes; les complications; le diagnostic dilTerentiel ; la discussion de tons les points relalifs a riiystcrie clioz I'liomme, el surloul le chapitre des lesions organiques, examinees pendant la vie et apres la morf, partie d'autant plus importatde, qu'elle a ele lotalement passee sous silence dans les trailes It s plus complets et les plus niodtTnes. Quanlau Iraiteinenl, je n'ai pas besoin de diri' que, malgre ses dillicuUes, ou plulot en raison meme d(! ses difficultes, il a etc di- ma pari rohjet de la plus se- rieuse attention ; tout (mi saclianl qu'on ne peutappli- quer en medecine le de Tiiiuiniis cural prceior, j'ai cru neanmoins comprendre le veritable sens des pro- — 39G - grammes de I'Academie, en irailacliant (rimporlance qu'anx Glioses imporlantes, et en omeltant pour le fraitement , comme, d'ailleurs , pour les autres parties dcce travail, tons les details qui se trouvent dans les trailes s, eciaux. « Ce licsl pas assez de compier les experiences, il les ») faut peser el assortir, il les faut avoir dige'rees et )) alambique'es pour en lirer les raisons et les conclu- » sions. » Aucun effort ne nous a eoiitd pour appliquer dans toule sa rigueur ce precepte de Montaigne, si appli- cable a toutes les oeuvres de la raedecine, raai? surlout aux nevroses, et le suffrage de TAcademie serait pour nous la plus glorieuse recompense de tous les Iravaux que nous nous sorames imposes pour r^pondre digne- ment a son appel. — 397 — I.ECrUKE DE SI. NANQUETTK. Observalioiis sur le Mi-iiioiro d,^ ]\. KOZIEROWSKI , lu a la scaDce pre'ii'eule. Messiei'rs, Nous avons tons applaudi a la dialeur d'ame et a la generosile de sentiiiienls qui dislinj^ueuL le niemoirc que M. Kozierowski vous a lu daus la derniere seance. I)cs synipalliies unanimes ont accueilli son enlhou- siasme pour Fart, son indignation conlie les profana- leurs qui voudiaient en fairc metier et marcliandise, ses regrets et ses voeux pour la patrie absente, sa re- connaissance si loucliante pour la noble liospilalite de la France. Toulefois, quehiues parties de son travail ayant paru tres-contestables , la compagnie emit le vceu qu'une discussion s'ouvrit a ce sujet, et M. Lu- cas vous a promis de relever les erreurs ecliappees a M. Kozierowski sur les monumenls egyptiens. Je viens vous demander la permission de dire a mon lour quelques mols en faveur du moyen-age, qui a ete, sous cei tains rapports, quelque pcu maliraile, et trcs- injustement, a mon avis du moins. L'auleur se fait d'abord celle question : Sur quoi reposait rarcliilcclure du moyen-age? Et il y repond — 398 — en deux mots : « Sur la misere dii peuple et sur ') I'esperance, mais Tesperance (/'oM> mages ou en autres denrees arracbees, sous le nom » de dime, aux manants du pays Nous ne con- » struisons pas tant d'egliscs, c'est vrai ; mais nous » comraettons moins de crimes. Si nous elevons un » monument religieux, nous le payons en argent, et » nous ne pressurons pas le pauvre peuple. » Que, de notre temps, les constructions monumen- tales, les grands travaux publics soient un bienfait pour le pays, surtout au point de vue du bien-etre ma- teriel, nous I'accordons bien volontiers; les artistes y trouvent des gains assures, les artisans des salalres reguliers, le commerce un debouche actif ; la consom- mation augmente en raison des benefices, et il en re- sulte, non seulement pour les personnes employees a ces travaux, mais encore pour la population en gene- ral , une plus grande aisance. Mais ce que nous con- testons, c'est qu'il en ait ete autrement au moyen-age, et que ces grands travaux, au lieu d'etre alors une source de prosperity pour le pays, soient devenus au ~ 399 — coTilraire une calaniile, iinc cause de niine pour des provinces entuTes. Sans doute, Messieurs, si les elioses s'etaient pas- sees comme nous le dit M. Kozierowski, si les eglises f!u moyen-age avaient ete const ruites au prix dcs sueurs du pauvre peuple, ce serait un sentiment de regret, et non d'admiralion. (pie nous devrions aux monuments de cetle epoque : mais heureusement, ce tableau d'eglises elevees sans salaire n'existe que dans I'imagination de M. Kozierowski; on ne voit rien de semblaWe dans I'liistoire ; quelques travaux ont pii el re executes au moyen de corvees, soit volonlaires, soit obligatoires, comme les prestetions en nature ac- luellcment en usage ; mais en dehors de ces corvees, il y avail, au njo\ en-age comme de nos jours, des sa- laires pour les ouvriers qui fournissaient leurs bras, et des marches pour le commerce qui livrait les male- riaux de construction. Aussi IM. Kozierowski se garde bi* n de ciler des fails, el de nous tiommer ces eglises balies par les barons du moycii-age, au prix de quel- ques fromagcs ou aulres deniees dont les n:auanls du pays auraierit fait tons les frais. Essayons de suj)pleer a son silence, en prenant lout pres de nous quelques exemples qu'il sera facile de verifier. Noire- Dame de Reims a etc balie au xiii'" sie- cle par nos arfhevequcs el nos chanoines, qui etaient, a cetle epoque, d'assez grands seigneurs, ayant serfs el vassaux, et de vastes proprieles territoriales : eh bien ! ils payaient en especes metalliques les mate- riaux et la niain-d'anivre, et nous nvons encore dans nos archives des etats de marche qui en font foi. Doni Thatelain donnedans ses nianuscrils, et d'apres des pieces aulhentiques, le clnlTrede la depeus' de Saint- — iOO — Nicaise. Voici ses paroles : « Depnis Kan 1231 jusqu'a Tau 1 382 (excepte dix annees clont on n'a point Irouve de memoires), 1(S religieux de Sainl- Nicaise ont de- pense, pour la construction de leur eglise, la somme de 50,941 livres 6 sols parisis , ou 63,676 livres 12 sols 6 deniers tournois ; ce qui fait de la monnaye d'aujourd'hui (1777) la somme de 1,298,055 livres 17 sols 6 deniers. » II faut remarquer qu'en 1282 , date a laquelle s'ar- rete D. Chutelaiii , Saint-Nicaise n'etaif pas termine , et que la somme evaluee en 1778 un million deux cent quatre vingt dix liuit livros, vaudrait aujourd'liui le double, peut-etre le triple , c'esta-dire trois a quatre millions, somme avee laquelle nos architectes du xix" siecle ne desespereraient pas de faire reedilier Saint- Nicaise. Les eglises du moyen-age coiitaient done de I'ar- gent, beaucoup d'argent; et a quoi pouvait-il etre employe, sinon a payer les materiaux et la main- d'oeuvre ? II est bien vrai que, quand les richesses de Peglisc ne suflisaient pas a ccs depenses, on y suppleait par desquetes, et des pretres, chanoines ou religieux, porlant au loin les reliques les plus vcnerees , allaient solliciter les auraonesdes Gdeles ; mais ces aumones, apres lout, etaient des dons volonfaires, desoffrandes aussi libres et aussi spontanees que les souscriptions du xix" siecle, et loin de pressurer le pauvre people , elles devenaicnt au contraire pour lui une ressource precieuse ; c'etait fargent du riche qui se repaudait ensuite dans le sein du peuple, sous le litre de salaire et de prix de journee. Ainsij au raoyenage comme de nos jours, les con- — 401 — siruclions monuineiitales devaient apporter I'aisance et la prosperite dans Ic pays , et si Ton faisail sous ce rapport iine coraparaison entre Ics deux epoques, elle ne serait pcut-etre pas a Tavantage du temps present. On pourra s'en faire une idee d'apres ce document que chacun de tous pourra consuUer dans la brochure que M. Jobard de Bruxelles a I'ait distribuer aux mcmbres du Congres. « Voici , nous dit il , d'apres les prix autlienliques V) (jui nous sont resles du xiv*" siecle , ce que pouvait » se procurer un manoeuvre de derniere classe, avec » le prix de sa journee, qui n'etait que de 2 sols ou » 24 deniers. 3 Livres de pain a 1 denier la livre. . 8 deniers. 1 Livre de viande 3 1/2 Douzaiji.e d'onifs a 3 sols le cent. . . 2 1/2 Livre de fromage a 2 deniers la livre 1 1/2 Livre de sel a 2 deniers la livre. . . 1 4 Onces de beurre a 8 deniers la livre 2 1 Douzaine de pommes a 1 sol le cent. 1 i Pinte de vin rouge 3 1 Poulet 8 Total 24 deniers. » Nous voyons que le dernier des manoeuvres pou- » vait encore bien vivre, lui et sa familie, en reservant » la poule au pot pour le dimanclic, ce qui lui doii- » nait une economic de 3 sols 6 deniers par semainc , )) ou 5 livres 4 sols par an pour se volir et se loger, >< alors qu'une livre de laine ne coufait que 4 sols, — 402 — » une aiinc de tlrap 40, unc chemise de liu 10, el » qu'il ne payail pas d'inipots personnels. » Voici ce que couterait. la merac nourrilurc , la » rneme somme de bien-filre, a nos ouvriers d'au- » jourd'hui. 3 Livres de pain a 14 cent, lalivre 42 centimes. 1 Livre de viande en moyenne. . . 60 1/2 Douzaine d'oeufs a 4 fr. le cent. 25 1/2 Livre de fromage 30 1/2 Livre de sel a 16 cent, la livre. 08 i Onces de beurrea 1 fr. la livre. 25 1 Douz. de pommes a 1 fr. le cent. 12 1 Pinte de vin rouge If. 1 Poulet 2 50 Total 5 f. 52 centimes. » Ainsi , continue M. Jobard, un manoeuvre du xix« » siecle a 2 francs par jour, qui voudrait vivre comme » un manoeuvre du xiv" a 2 sols , devrait s'endetter » de 24 fr. 50 c. par semaine, et de l,274fr. par an, » a moins qu'il ne comblat le deficit par le vol. On a beau dire que son habillement et son mobilier sont a bon marche aujourd'hui , il ne les renouvelle pas plus d'une fois par an , et doit manger tous les » jours (1). » H) Le Monautopole, pages 22 ct 23. II y a dans les calculs de M. Jo- bard quclqucs errcurs dc detail que nous croyons devoir indiqucr, en faisant remarqucr qu'cUcs ne nuisent en rien a scs conclusions. L'ouvrier du xi\' siecle pouvait, d'aprcs M. Jobard , fairc une cco- nomie de 5 livres 4 sols par an ; or, celte economic devait porter sur le dernier article dc la depensc, puisqu'on lui fait reserver la poule — 403 — II y aurait encore a signaler dans le memoire de M. Kozierowski plusieurs errcurs historiqucs au sujet de la comparaison qu'il etablit cntre le moyen-age et le temps present ; mais , comme ces erreurs touchent au\ croyances, je m'arrele devant la sage disposition du reglement, qui nous inlerdit toute discussion re- ligieuse. au pot pour Ic dimanchc. Lo prix dc la jonrncc 6tant de 2 sols, Ics six jours de travail donnent 12 sols par scmaine. La depcnse du di- manchcost de 24 denicrs ou 2 sols; la nourriturc des six autrcs jours, a raison de 10 denicrs, coiite 8 sols; il y a done par scmaine une (Jcononiic, non pas dc 3 sols G denicrs, mais de 2 sols , qui, multiplies par 52, nombre de scmaincs dc I'annee, donnent 5 livres 4 sols, chilfrc indique par M. Jobard. Pour ctablir une paritc complete cnlrc Ics deux cpoqucs, il faut aussi, pour I'ouvricrdu xix": siccle , faire une dilfcrence entre la depense du dinianche et celle des autrcs jours de la scmaine, qui ne dovra plus etrc que de 3 francs, en retran- chant le dernier article. Alorsle deficit sera de 1 1 fr. 50 par seraaine et de 509 fr par au. ERRATUM. Dans la livraison preccdcute, Memoire de M. Kozierowski, page 342, Iigne32, — 10 ans, lisez ; 80 cms. Reims. — L. Jacqurt, IraprimcurdcrAcadcmie. SEANCES ET TRAVAUX DE L'ACADfiMIE DE REIMS. ANNEE 1845-1810. r 10. S»oance du IC *lanTler 1940 SOMMAIRE DE U mUL ■Corrcspondance. — Lecture do M. de Belly : Observations n-itiqnes snr qiidques pluntes rares trouvies dans Ics environs dc Reims. — Lecture deM. de Maizi4:re: Si- Hisloire d' Alls-mafjw,, — T29 — Mais riionorable M. I'abbe Nanquelle nous a faft coniiaitre la grande valeur relative clii minieiairc an xiv*^ siecle, et 11 faiit croire que cede valeur a ele encore plus consitlerable au \W siecle. En eiret, I'ar- gent au xiii' siecle avait unc valeur sextuple de celui de nos jours , c'est a-dire qu'avec une meme somme on pouvait se procurer six fois plus d'aisance qu'au- jourd'hui. Cela est vrai, et j'cn conviens avec tout le nionde; niai? je vous dis a raon tour : cet argent, ce m^tal si cher olait cxcessivement rare au xii" siecle , et n'avez-vous pas remarque que partout et dans tons les temps oii le numeraire est rare, quelle que soil d'ailleurs sa valeur relative , la condition du travail- leur s''en ressent? Jetons nos regards sur I'Europe, et nous ne tarderons pas a reconnaiire que dans les pays oa la monnaie est rare, comme cela se voit en Uussie, le travail n'est pas suffisarament relribue , la situation des ouvriors est miserable el leur developpement moral arriere ; tandis que dans les pajs oil le numeraire est plus abondant, Gomme en France, le travail est mieux retribue , la situation du travailleur s'adoucil ot sa moralite est moins reprochable. L'liabitude de payer les travailleurs en fromagcs et autres denreesexista, non seulcmeut en France, mais. dans TEurope tout entiere. Elle fut une des conse- quences de la feodalite et de la rarete du metal. Dans la society du xii'' siecle, les barons et le clerge sculs, ou presque seuls pouvaient ctre proprietaires de biens- fonds, uneparlie du travail des serfs leur apparlenail, et seuls, ils avaient droit aux dimes. 11 on resultaifc que toutes les productions de la terrc et les denrees leur revenaienl a ires-bas [nix, que les seigneurs ac- — 'r30 — eaparaient de Targent et cherchaient a se d^l'aire des denrees qui pourrissaienl dans leurs greniers. En resume, voici les nioyens qui onl servi aux ba- rons et aux clercs du moyen-age, pour elever leurs^ monuments : 1" la corvee, dont personne ne pent con- tester I'existenee ; 2" la modicite des salaires payables aux ouvriers libres ; 3" les somtnes enormes prove- nant des quetes, aumones, dons, etc. 11 n'imporle que ces quetes et ces aumones aient ete volontaires ou for- cees. II n'en estpasmoins vrai qu'il fallait aux arclii- tectes du moyen-age beaucoup de ressourccs pour ele- ver leurs constructions , et que, proportion gardee, nous pouvons aujourd'hui construire les raemes monu- ments avec inGniment moins de sacriGces. Au reste, elesvous bien surs que ces dons, ces au- mones aient toujoursete volontair*^s? Je serai sobrc de citations; je n'invoquerai qu'un seul fait. II parait que pour rachevement de la calhe'drale de Bologne, chaque famille foiirnissail annuellemenl une piece d'orou vingl schellingues, et le nombre de ces families, en y complanl peut-eirela hanlicue, s'elevail a 34,000. Cc n'est pas qu'il rCy eutdes retardalaires. voire meme des reoalcilranls ou des esprils forts qui insultaient les travailleurs ; mais Us furent, du consentement du podestal, mis en inlerdil par rarchevequc {\). En vous parlant du moyen age, je n'ai nullenient pretendu me borner a la France et aux pays voisins. J'ai embrasse TEurope tout entiere. Les chevaliers teuloniques, pour executer leurs travaux gigantesques a Marienbourg, out employe jusqu'a 70,000 serfs, provenant de la Lithuanie paienue ou de la Pologne, (i) Lcbas. — Ilisloirc d'Allemaync , t. i , pag. 418i — m — etcependant pas une seule reclamalion ne relenlit en Europe, pas une seule remonlrance ne fut adressee au Grand-Mailre de Tordre leutonique. Va til, je le demande , la moindre analogie entre ces faits et les prestations actuellenient en usage, que M-Pabbe Nan- quette assiniile a la corvee du xiii" siecle? Je pourrais vous ciler d'autres exemples qui vous. prouveraient que ces dons, ces corvees n'avaient pas loujours leur source dans la libre oflVande et le bon plaisir du peuple. M. Louis Paris nous a presenle le marclie pass6 entre MM. les chanoines et lesouvriers, pour Tache- venient de la catlicdrale de Reims. Qui trouvons- nous sur la liste des salaires? Les macons, les charpen- tiers; mais y a-t-on compris les manoeuvres, les serfs?' Je I'ignore. On nous a seulement cite les charreliers, car, probablement, los serfs n'ayanl pour la culture des vignes que des anes et des mulcts, MM. les chanoines out ete forces de s'adresser aux bourgeois de la ville de Reims, aux gens libres et aiscs pour avoir des die- vaux et des voitures. Dans lout les cas, le marclie dont veut parler M. Paris ne date, si je ne me trompe, que de la fin du xV siecle; c'esl precisement Tepoque oil I'ai t ogival commence a s'eteindre avec les institu- tions du moyen age. Loin de moi Vid^e de fletrlr devant vous la me- moire de nos devanciers, de ces grands artistes du moyen-age, dont nous ne sommes, a certains egards, que les humbles disciples! Je n'ai aucune pretention, de les blamer, mais je dis seulement, que dans la vio- de I'homme, il y a des maladies inseparables de I'age- el du developpeinent dc ses forces ; que des maladies, analogues se manifestentde temps a autre dans le de- — 4-32 — Teloppenient de rimmanile, et qu'une de ces maladies ful le serv;ige aux temps feodaux. Le xix^ siecle a biea aussi scs maladies, ses infirmites et ses exces : nous les sjgnalerons peiit-etre iin jour. En vous rappelant Tune des plaies du raoyen-age, je ne crois pas avoir manque de respect aux Roljert de Coucy, aux Liber- gier, a tanl d'autres maitres fameux; personne, a la vue de la calhedi al€ et de Sa4nt-Remi de Reims, n'eprcuve plus que moi d'estime et d'admiration pour le genie de ces grands arlistes. Je vous dirai plus, je ne suis pas Ic detracteur de la feodalite. Je vols dans les cceurs de nos ancetres, sous cettc enveloppe si rude de la vas- salite, je vois germer et surgir des vertus sublimes et de grandes inspirations, qui nous ont pousses dans la voie du progres. EUes sont ecloses au xV siecle, se sent developpees parmi nous et muriront parmi nos descendants. Dans I'histoire de I'liuraanite, rien ne se fait au lia- sard. Chaque fait a la cause de son existence, et sert de base a notre developpement progressif. En vous disant que nous avons surpasse le xiii" siecle dans les arts, dans les sciences, dans la moralile, je n'ai nul- lement altaque les temps ecoules. Serait ce insulter a la.memoire d'un pere, de dire que son tils est devenu plus savant que lui et qu'il Pa surpasse? Un artisle ne profanerait-il pas la dignite de I'art, s'il eprouvait de la jalousie en pensant qu'un jour un de ses eieves^ perfectionnera cet art? Tout en adrairant les inspirations poetiques du uioyen-age, je vous dirai avcc M. de Caumont, dout- nous avons recemment apprecie le vrai savoir : « A » Diou neplaise. Messieurs, que je veuille ici proner )> le sysleme fcodal ; cc sysleme est incompatible avec- — 43n — ^) nos mopurs fvoliiellos, el il sorait uno calaiiiiU' ponr » lo temps oil nous vivons (I). » Messieurs, je dois, avant de quitter celte tribune, vnusfaire nies excuses. 11 parail (j'ai peine a le croire), qu'en paiiant de notre croyance d Dicu et a Vavenir, j'ai vide les regloments qui obligent cliaqnc membre de rAcademie. M. TabbeNanquctte vous I'a bien dit: le plus jeune parmi vous, j'ignorais vos usages. J'a- jouterai encore, que n'etaiit nullemcnt habitue aux discussions academiques, j'ai ete oblige, pour ainsi dire, de prendre exemple sur les personnes que j'ainie a considerer com me mes maitres cl nies jirecopleurs. Or, il est de voire connaissance que mes mailres, au Congres scientilique, oil les discussions religieuses etaient egalement interdiles, onl souleve une ques- tion grave, une question solennelle. Us nous ont dit que les senaiile la condition des trayailleurs au xiii^ siecle. M. I'abbe Nanquette, apres avoir compare le sahiire des ouvriers de nos jours avic le salaire des travailleurs au moyen age, nous a paru conclure avec Pauteur du Monautopok (1) que I'existence materielle (1) JoBARu «lc Bruxclles. — 435 — clcs classes lahoriousos an xiiT sicicle elaif infiriinicnl plus riche, par consequent plus facile, par consequent plus heurense qu'au xix^ siecle. Permettez , Messieurs , a I'un de vos plus inexperi- nienles, mais aussi I'un de vos plus devoues confreres, de rechercher la valeur de ces assertions qui , nous I'avouons avec tout le respect que nous devons a nos maitres, chagrinent un peu nos croyances. — Exami- nons rapidement la condition des travailleurs au nioyen-age, tant dans les villes que dans les campa- gncs (I). Reprenons niainttnant Tasserlion de riionorable M. Tabbe Nan»iuelte. D'apres Us calculs deM. Jobard, I'auleur du Monanlopok, dont il nous a cite un passage, il a paru conclure, avons-nous dit, que la situation raalerielle des classes laborieuses etait meilleure et plus lieureuse au xiu'' siecle qu'elle ne Test de nos jours. Cette proposition nierite un examen, Et, d'a- bord, permettez nous unecourte reflexion, L'honorable M. Nanquette a bien fjit de n'appliquer son assertion qu'aux classes ouvrieres, et voici pourquoi : il est par- failenieiit etabli que I'argent monnaye du xiir siecle avail un pouvoir a peu pres sextuple du notre, c'est-a- dire, que pour se procurer une nieine somme d'aisance, il faut aujourd'liui six fois plus de ressources ; mais cette proposition n'est vraie que relativement aux (I) Le travail dc M. Louis Paris n'ayant pas tile iinpriine daus la collection des Seances et Tmvaux de I'Academie de Reims , nous croyons devoir relraiiclicr de la lecture tie M. Courtncaux toute la partie dans laquelle il s'altaclic a comhattre les idecs de M. L. Paris. denrees de premiere neeessite ; ellti est complelenierlt fausse a I'^gard de lous ies mille objets de coiisoninia- tion doiit la civilisation a fait des besoins imptjrieux. <( Leprix du ble, dit M. Leber (1), et celui des dcii- >s rees de premiere neeessite sont des donnees insuf- » lisantes pour une appreciation exacfe de la fortune » privee au moyen-age, et le jirix relalif de Pargent )) pose comme base d'evalualions de son poinoir, doit ») etre considere dans son double rapport avee I'epo- » queetavec la nature des valeurs d'echange qu'il » representait Au xiii" siecle, il n'y avait dc boa » marclie que la terre et ses fruits ; Ies produits de » I'industrie coiitaient enormement clier, par rappoit » a leur prix actuel...,. La richesse doit done bicn )) moins se peser au poids de Targenl qui la consti- » luait, que se mesurer a I'usage qu'on en faisait et » qu'on en devait faire 11 est evident qu'a fortune » egale, mesuree au poids et au pouvoir de I'argent, » le sire du xiv" siecle etait beaucoup nioius riclic » que le riche actuel. » En effet, si Ies objets de premiere consommation etaient beaucoup au dessous du cours actuel, la soie, le velours, le drap, le co- ton, la toile, tousles tissus , Ies brocleries, Ies pas- sementeries, le feutre, Ies perles, Ies bijoux, Ies pel- leteries, Ies fourrures, Ies epieeries, Ies parfums, Ies drogues, Ies medicaments, le suere, Ies denrees de I'Afrique et de I'lnde, le poivre , la cannelle , le girofle, Ies armures, Ies missels, etc., s'elevaient a des prix exhorbitanls, decuples et centuples de ceux que nous payons aujourd'liui; « d'oii il resulte qu'au » raoyen-age, I'argent du pauvre valait beaucoup {\) Mi'moires sur I'npprcciation de la fortune prin-e cm moyen- d/jc. — 1842 , /«-4". — 437 — )) plus que celui du riche. II est done n^cessaire de » distinguer I'un de I'autre dans I'appreciation des » existences qu'ils represenlent (1). » Mais, dira-t-on, dans notre siecle si fier de sa civi- lisation, c'est precisenicnt le contraire qui arrive. — C'est precisement le pauvre, Partisan , le petit cam- pagnard, qui a le plus a souffrir de Torganisation eco- nomique de la sociele ; aujourd'hui, I'argent du pauvre vaut moins que celui du riche, la difference est tout entiere a I'avantage du moyen-age. — Nous pour- rions peut-etre repondre avec quelques ecrivains que « Targent etant une marchandise qui represente )) toutes les autres , sa valeur, comrae celle de toutes » marcliandises , est susceptible de diminution ou » d'augmentation , selon que le metal est plus abon- » dant ou plus rare;.... que I'exploitation des mines »» du nouveau monde araena la plus active pertur- » bation des rapports anterieurs du prix du marc » d'argcnt avec le prix des marcliandises de toute » nature;... » que le pouvoir de I'argent qui etait deja diminue de pros de moitie, depuis Charlemagne jusqu'au xv^ siecle, continua des lors de baisser jus- qu'a nos jours (2) ; ... « que la decroissance de valeur }) implique I'accroissement de la masse; que I'accrois- (1) M. Leber , ibid. (2) Sous Charlemagne, la livre d'argent se cotnposait de 20 sols (d'argent) ; le sol de 12 deniers; le denier correspondait a 30 denos centimes ; le sol valait done 3 f. 00 c. et la livre 72 f. Au Mir siecle, I'argent avail deja perdu la moitie de sa valeur. Au xive, la livre ne represente plus que 11 f. de notre monuaie actuelie. La decou- verte des mines d'Amerique au xv, imprime au pouvoir de I'argent une progression decroissante continue, Des Henri IV , le pouvoir de I'argent ctait au rapport de 2 . 31 » sement desbesoins est une consequence n.iliireirecle » I'expansion du luxe et des coniniodiles de la vie jus- » que dans les classes infimes de la sociele; en d'aulres » lermes, que le piogres des btsoins n'est que la con- » sequence du progres des ressources(l).» Maiscette arguraentafion, excellente €n soi pour expliquer les conditions econoniiques actuelles, nous parail a peu pres inipuissante a les justiGer. Nons aimons mieux avouer ingenuuient que cette combinaison sociale qui rend la condition des travailleurs si precaire, si diffi- cile au point de vue materiel - si dure souvent au point de vue moral., est la honle et le danger de notre civilisation. Oui , sans doute. il y a encore bien des larmes a seclier, bien des plaies a fermer, et la taclie est immense ! Dans une sociote bien organisee, au- cun homme ne doit manquer de pain nide travail; la mort d'un seul malheureux est le crime de la so- ciete tout entiere, et Taccuse energiquement. Nous sommes ici d'accord avec les advcrsaires du xix''siecle; mai-s s'ensuit-il , qu'a cause de cette seule inferiorite relative (a cause de Toxtremc cherte des vivres), la condition des travailleurs solt pire aujourd'hui qu'au xiii" siecle? Ah! Messieurs, si cela est vrai, s'il est ■vrai que la civilisation ne se soit developpee qu'au pro- flt d'une ou deux castes, si lant de larmes et de s;ing ont ele verses sans benefice pour la cause de I'hunia- nite, quel funeste aveuglement est le noire! La con- science des nations n'est qu'un mensonge, et cette croyance si vrve au progres, cette foi au mouvemeut, ce quid divinum, qui liabite au fond de ITime de tous, et de nos adversaires eux-memes, ne serait qu'une illu- (.1) M. Uhcr, ibid. — 4:vj — sion fatale, un rantonie decevant ! Cela n'esl pas, celk ae peul pas etie, el nous allons essayer ile le deutoiilrer. Nous diroMs en preuner lieu qu'il est a pen pies impossible de determiner d'une maniere exacle le sa* laire des ouvriers urbainsou agrieoles au moyen-age, par suite de rimmense niultiplicite des rnonnaics eJ de la discordance des valeurs entre elles (1). — Pour etablir d'une maniere certaine le pouvoir de la raon- naie du xiii*^ siecle compare au pouvoir de la monnaie de nos jours, il faudrait trouver un terme de coin- paraison fixe, invariable, un metre de la valeur, un type d'unile inalterable entre I'argent et les objels centre lesquels on I'echange. Ce type, cette niesure commune, des economisles ont cru la rencontrer dans leble; c'est une erreur aujourd'liui deraontree. Les perfectionnements introduits dans les procedes de culture, de mouture et de preparation, en oblenanl dans une meme mesurc une plUs grande (juantite de suh- stance nutritive et des grains plus pesanis parce quails sont mieux remplis (2), ont profondcment altere Tan- cien rapport. — Et d'ailleurs, dans cette question des salaires, il taut se gardcr de conclurc d'un fait isole a un fait general ; dans de pareiis piol)l('mes, Tinductiou par voied'analogie ne pent etre (ju'un guide perlide ; on ne doit pas generaliser sesdecouvertes. Tel comple, tcl marclie exhume du fond des ;ircliives ne doit ob- lenir qu'une autorile limilee, circonserite, purement (1) Unc cause d'crroiirs fro(iucntcs rommuncmcnt nugligec d;ins j'aiiprociaUon du rapport dos monuaies cV.st, dit M. Lclxr, « lo nu'U- soiige des anciens noms eoiiserve a de ii(ni\ elles especcs , de valeur dilTereiitc. » —II y avail, d'ailleurs, an \in" sicclc,, pres de (rente uiiMiiiaies (iilTerenlcs ayaiil cours en I'raiice. (2) 11, Gcraud. La kulle kvcc sar lea luihilnnls dr t'nv'n, en 1202, — 440 — locale, et n'exprinie souvenl qu'un etat Iransitoire, epheniere. Les travailleurs etaient fort inegalement retribues, au moyen-agc, et ii I'encontre des faits alle- gues par M. Jobard, je dirai, avec M. Blanqui, que les cornples conserves a la cathedrale de Strasbourg eta- blissent queles salaires des macons employes datis le XII' siecle a la construction de ce monument, etaient de un ou deux pfennigs par jour, environ trois a qualre centimes de notre monnaie. Nous voila bien loin des vingt-quatre deniers de M. Jobard , lesquels corres- pondent a peu pres a cinq francs de noire monnaie.. De plus , mille causes exterieures imprimaient au sa- laire des oscillations perpeluelles. L'ouvrier retribue adeux sols aujourd'hui, n'en recevait qu'un seul le lendemain, tant les perturbations de toute espece exercaient d'influence surla condition des proletaires. — Une ^notable erreur est d'ailleurs echappee a M. Jobard. II pretend que les artisans n'etaient pas, frappes d'une contribution personnelle; celte as- sertion nous parait completement erronee. II y avait des tallies re'clles et des tallies pcrsonnelles : les pre- mieres portaient sur les biens des taillables , les se- condes etaient sur le chef et la personne (1). Dans la taille de 1292, » veritable impot, irapot monstrueux que le besoin n avail sauctionne au profit de Tabondance ; et » cette rancon decuplde par les prelevements du » privilege et du fisc, les dunes, les peages, les droits » d'entree et de sortie, les extorsions du plus fort re- » toinbaient de tout leur poids sui' le marcliand, ou » plutot sur la marchandise, et en definitive sur le n consommateur (3) //» Ajoutez a ces elements de bon- ' (1) Voyez Ducange, aux mots Auxiliuin et Tallia. Voycz aussi Froissart , cile, dit M. Geraud, au tome xvi du Recueil des ordon- nances, dans la preface. (2) Les nobles el les ecclesiastiques ech;ippaient a la taille , mais. non aux aides. Cc dernier impot etait limite aux cinq cas que nous avons cnumercs. (3) M.. Leber , ibid. — 4i2 — lieur les giierres ci^iles, les invasions etrangeres, la devaslalion des campagnes, la tyrannic des maitiises, les excursions des rouliers, des pasloureanx et des n»alandrins, les fievres seculaires , lalepre, les epi- demics, dix fois plus ineurtricres qu'aujourd'hui, engendrees, alimentees par une destruction conli- nuelle(l), et vous concluerez probablement que loin de pou^oir le dimanche mettre la poule au pot, le di- manclie le travailleiir etait le plus souvenl reduit au morccau de pain noir delrempe dans une pinte de cervoise ! En terminant nos observations, est-il necessaire, Messieurs, que nous nous defendions de toute amer- lume , de toute pensee de recrimination centre le passe? Et nous aussi, Messieurs, nous airaons le passe d'un amour filial, nous venerons nos aieux, nous ne vou- lons rien repudier de leur succession, nous I'accep- tons, nous la revendiquons tout entiere, meme sans benefice d'inventaire. Nous senlons qu'un lien vivant nous attache aux raorts, et a Dieu ne plaise que nous voulions le rompre ! Dans ces ossements sacres , d;ins cette poussiere liumaine qui doruient sous nos pas ^ tl y a quelque cliose de notre cceur , quelijue cliose de notreame! Si notre intelligence penelre dans I'ave- nir, nos pieds touchent a nos ancetres et nous rap- pellent au culte du passe. Mais si profond que soit notre respect pour les generations eteintes, nous ne pouvons nous prosterner sans cesse devant leur tombeau, et refaire iutenipestivenient ce qu'elles out fait , elles , avec opporlunite , avec le sens de leui- (I) VoyczFroissiiiU'l les au'ireschroniqucurs du Iciups. — 4A3 ^ (•poque. — Sans t-lrc precisemcnf do ces niais dont parlaif tout recemincnl avoc dedain iin eerivain ano- nyine fort scepliqiie, de ces niais qui rhent rinde'finie perfectibilite, nous croyons fermcment que riionirae n'est pas un clieval de manege, dcslind a se inou- Toir toujouis dans le meme cercle, mais que Dieu, en faisani a riiomme le sublime present de Tame et de I'inlelligenee, loin de I'eniprisonner dans un cercle sans issue, lui a trace une voie niagnifique, souvent epineuse et escarpt-e, souvent Apre el tortueuse qu'il doit parcourir jusqu'au bout, pour atteindre un but que le Createur lui a permis de discerner et d'espe- rer. — Comrae le voyageur egare qui s'arrete indocis, s'apercevant qu'il fait fausse route, rcgirde derriere lui, et retourne sur scs pas pour reprcndre son cheniin un instant meconnu, riiumanile pcul bien hesiter et se tronipcr, durant le coursde son voyage; niais coinme le voyageur intelligent qui lit sa route ecrite dans le ciel ait milieu des etoiles, elle rentre dans sa voie et la poursuit, sans jamais repasser par les sentiers qu'ont parcourus ses peres. — Oui, nous aimons a le dire avec une conviction encore juvenile, ctqui, s'il plait a J)icu, rie s'entamera de sitot, nous croyons de toule notre anic au progrcs, non pas seulement au progres accompli par le xix'' siecle sur les Ages precedents, mais bien plus encore au progres que nos descendants accompliront sur nous, apres nous, en elargissmt et en aplanissant de plus en plus la voie que nos peres out ouverle a riiumanitc. Dicu, en nous livrant a la douleur, a permis du moins que la sueur et les larmes, et le sang des peres fecondassent riieritage des enfants. El cetfe opinion, Messieurs, c'etait et c'esl encore la votre ; cetle croyancc c'etait la voire. — 444 — celle qui 'vit au cceur de chacun tie vous , cclle que vous avcz genereusemeol proclamec en adoptant pour devise servare el augere : nobles paroles qui contien- nent tout un engagement ! I PIN DU TOME PREMIER. Reims. — L. Jacqi'ET, Imprimeur del 'Academic. "i^f>:.!-^