TABLEAU GÉOGRAPHIQUE DE LA. W J> VEGETATION PRIMITIVE DANS LA PROVINCE DE MINAS GERAES , PAR M. AUGUSTE DE SAINT-HILAIRE . MF.M1ÎRE DE L* INSTITUT. Seconde édition, revue et corrigée. UBRARY natoau du Croafc ^C A. PIHAN DE LA FOREST , IMPRIMEUR DE LA COUR DE CASSATION, Rue des Noyers, 37. 1857. V • A Pïhax np r \ FokEST, Imprimeur de la Cour de Cassation , vue des Noyers, n. 3y, EXTRAIT DES NOUVELLES ANNALES DES VOYAGES TABLEAU GÉOGRAPHIQUE DE LA. VÉGÉTATION PRIMITIVE DANS LA PROVINCE DE MINAS GERAES , PAR M. AUGUSTE DE SAINT-HILAIRE , MEMBRE DE l'i>tSTITUT (i). PREMIERE PARTIE. Coïncidence de la constitution physique avec les diverses sortes de végétation. A l'exception de quelques sommets élevés, il n'est peut-être pas en Allemagne, en Angleterre, (1) Des fragmens de ce tableau sont tirés des doux rela- tions de voyage publiées par l'auteur et intitulées : Voyage dans les province de Rio de Janeiro et Minas Geraes — Voyage - dans le District des Diamans et sur le littoral du Brésil (à Paris, cher Gide); ainsi que de la troisième relation déjà en par- tie rédigée, qui comprendra le côté occidental ou la pro- vince de Minas Geraes , celles de Goyaz, de St. -Paul et Ste. -Catherine. CD l — 2 — en France , un seul coin de terre qui n'ait été boule- versé mille et mille fois , et partout la végétation primitive (i) a disparu. Les sombres forêts où le druide célébrait ses mystères ont fait place à de fertiles moissons; les coteaux sur lesquels crois- saient sans doute des buissons épineux, se sont revêtus de vignes taillées avec soin , et des marais fangeux où naissaient en liberté les Nénuphars, d'obscures Nayades, des Scirpes et des Joncs offrent aujourd'hui des carrés de légumes symétriquement rangés. Nos bois mêmes, coupés à des intervalles réglés, sont devenus notre ouvrage, et nos prairies, sans cesse retournées par la main de l'homme, sont aussi artificielles que les pâturages auxquels il nous a plu de donner plus particulièrement ce nom. Au milieu de tant de changemens , combien d'espèces ont disparu! combien d'autres se sont introduites avec nos plantes potagères ou avec nos céréales, et, étrangères comme elles , passent aujourd'hui pour indigènes! Cependant si Ton excepte quelques faits de détail, l'histoire des changemens de la végéta- tion européenne restera toujours inconnue, parce qu'on n'a point observé les faits dont la série com- poserait cette histoire (*j). (1) Par végétation primitive, j'entends celle qui n a été modifiée par aucun des travaux de l'homme. (2) Il est clair que les événcmens qui ont dû occasion©!' les modifications les plus notables dans la végétation de la 5 — Une vaste portion de F Amérique brésilienne a déjà changé de face; une grande fougère ( Pteris caudala), la Graminée appelée Sapé (Saccharum Sapé , Aug. S. Hil.), remplacent des forets gigan- tesques, et, dans des espaces immenses, tous les végétaux semblent fuir devant le Capim godura (Melinis minutiflorà). Des plantes de l'Europe, de l'Afrique (i) et de l'Amérique du nord semblent France sont : i° la fondation de Marseille par les Phocéens ; 2° la conquête de Juies-César ; 3° les grands encourage- mens donnés à la culture de la vigne par l'empereur Pro- bus; 4° la création de certains ordres religieux, et les im- menses défrichemens qui en ont été la suite ; 5° les croisades; 6° la découverte de l'Amérique ; 70 les encouragemens don- nés à l'agriculture par Henri TV et Sully ; 8° enfin la révo- lution, qui a conduit une foule d'hommes éclairés à s'oc- cuper de la culture des terres, et qui, par le partage des biens communaux et la division des grandes propriétés ,a amené de nouveaux défrichemens. (1) JJHcrva de S. Caelano. Cette plante, dit l'abbé Ma- noel Ayresde Cazal [Corog. Braz., T, io3), a été transplan- tée de la côte de Guinée au Brésil. Dans son pays natal, elle porte le nom Nhezikem ; mais, comme les premiers Brési- liens qui la reçurent, la plantèrent auprès d'une chapelle consacrée à S. Gaétan, elle prit de là le nom ftHerva de S. Coetano. On l'emploie, dit le même écrivain, dans divers remèdes domestiques , et on assure qu'elle aug- mente l'effet ordinaire du savon. J'ai comparé YHeri'a de S. Caelano avec le Momordica Sencgalcnsis Lam. , rapporté du Sénégal par M. Perrottet , et je me suis convaincu de la parfaite identité des denx plantes. T/ès- — 4 — . suivre les pas de l'homme et se répandre avec lui; d'autres s'introduiront probablement encore, et, à mesure que notre race s'étendra sur la terre des Indiens ,1a végétation primitive disparaîtra comme • pèce d'Afrique , aujourd'hui devenue également bré- silienne, a été bien décrite par l'illustre Lamarck ( /}*«/. IV, 239); cependant les échantillons que j'ai sous les yeux ne sont pas plus velus que ceux du Momordica charancias ; leurs feuilles ne me paraissent pas plus petites que celles de cette espèce, et enfin leur bractée n'est pas pointue. Dans les échantillons de M. Perrottet, ni dans les miens, les feuilles ne eont pas non plus rudes au toucher en dessus et en dessous, comme M. Sprcngel le dit (Sysl. III, i5) du Mom. Sencgalensis. Ce ne serait pas ici le lieu de donner de cette plante une description détaillée; mais je tâcherai de la distinguer par une phrase plus ca- ractéristique que celles des auteurs qui m'ont précédé : Momordica Scnegaleniss ; foliis profundè palmatis , 5-7-lobis, subpedatis, grosse remotèque serratis; bracteâ integerrimâ paulô supra basira pcdunculi ; pctaîis caducis; fructibus ovato-nrucronatis, tuberculalis. Momordica Senegalensis Lam., Dict. IV, ï?3g. — Scr. in DC, Prod, III, 01 1. — Spreng., Syst., III, jo. Nliezikem apud Guinerc incolas; lusitanicè, Hcrva de S. Caelano. # In Senegala, Guineâ sponlè nascitur ; mine in Brasilia intermedià apud domos vulgatissima. Obs. Il paraît que le mot Nliezikem est, dans certaines parties de l'Afrique une sorte de nom générique; car dans l'herbier de Burmann, que le Banks français, M. Ben- jamin Delessert, communique aux botanistes avec tant de générosité, ce nom se trouve attaché, avec un léger chan- gement [Nezxkm\ à une autre espèce de Momordica. o eux. Il est important de constater ce qu'est cette vé- gétation si brillante et si variée, avant qu'elle soit détruite; aussi, dans mes divers ouvrages, ai-je souvent donné sur ce sujet des détails qui, s'ils ne sont pas aujourd'hui sans intérêt, deviendront bien plus intéressans encore, lorsqu'il faudra les consi- dérer comme appartenant uniquement à l'histoire de notre globe et à celle de la géographie bo- tanique. Les différences de la végétation primitive sont tellement sensibles dans la province des Mines qu'elles ont frappé les hommes les plus rustiques , et qu'ils les ont désignées par des noms particuliers. Je ferai bientôt connaître ces différences avec détail ; mais auparavant j'en présenterai , dans un seul cadre, le tableau succinct, etje suivrai la classifica- tion même quien a été faite par les habitans du pays. Toute la contrée se distingue en matos , bois, et campos, pays découverts. Ou les bois appartiennent à la végétation primitive, ou ils sont le résultat du travail des hommes. Les premiers sont les forêts vierges ( matos virgens) ; les catingas dont la végé- tation est moins vigoureuse que celle de ces der- nières, et qui perdent leurs feuilles tous les ans; les carrascos, espèce de forêts naines , composées d'arbrisseaux de trois ou quatre pieds rapprochés les uns des autres ; enfin les carrasquenos (i) qui, plus (i) Le mot de carresqueno a souvent une autre signifiea- — e — élevés que les carrascos^ forment une sorte transition entre eux et les catingas. C'est encore à la végétation primitive qu'il faut rapporter les ca- poes, bois qui s'élèvent dans les fonds entourés de tous les cotés par des campos. Quant aux bois dus, au moins d'une manière médiate, aux travaux des hommes, ce sont les capoeiras qui succèdent aux plantations faites dans des forêts vierges, et les ca- poeiroës qui peu à peu remplacent les capoeiras , lorsqu'on est un certain temps sans couper ces der- nières. Le mot campo indique un terrain couvert, d'her- bes, ou si l'on veut , tout ce qui n'appartient à au- cune des espèces de bois que j'ai fait connaître tout à l'heure. Le campo est naturel {campo nalural), quand il n'a jamais offert de forêts; il est au con- traire artificiel (artifîcial), lorsque des herbes ont succédé aux bois détruits par les hommes. Souvent on voit, dans les campos naturels, des arbres tor- tueux, rabougris , épars ça et là; mais cette modi- fication n'empêche pas les terrains qui la présentent de conserver leur nom de campos. On sent , au reste , que toutes ces expressions ne sauraient être parfaitement rigoureuses, puisque les différences qu'elles indiquent se nuancent entre elles tion, et désigne, dans les pays de bois, les arbrisseaux qui succèdent aux foi nature inférieure. succèdent aux forêts vierges nées dans un terrain d'une _ 7 — par des dégradations insensibles. Il est des bois que personne n'hésitera à appeler mato virgem ou ca- tinga; mais il n'existe point de limites bien fixes entre les bois vierges et les catingas , celles-ci et les carrascos, et enfin entre ces derniers et les vérita- bles campos. Pour faire voir quelles sont les coïncidences de ces diverses sortes de végétation avec la constitution physique de la province des Mines, il sera bon , je crois, de jeter sur l'ensemble de cette constitution un coup (Fœil rapide. La province de Minas Geraes, située entre les i3° et 23° $17' lat. sud, et entre les 328° et 336° long., est partagée, dans sa longueur, en deux portions très inégales, par une immense chaîne de montagnes (Serra do Espinhaço Eschw. ) qui s'étend du sud au nord, donne naissance à une foule de rivières, divise les eaux du Rio Doce et du S. Francisco, et dont les pics les plus élevés atteignent environ 6000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Entre celte chaîne et celle qui, comme l'on sait, se prolonge parallèlement à l'océan, dans une grande partie du Brésil, s'étendent d'autres montagnes. Celles-ci laissent au milieu d'elles de profondes vallées , et elles forment, si je puis m'exprimer ainsi, une sorte de réseau. Par ce qui précède, on voit que tout le côté oriental de la province des Mines est en général ex- * reniement montagneux; mais il n'en est pas de îïiême du côté occidental. Là des collines, ou même de simples ondulations succèdent aux montagnes, et ta terrain s'abaisse peu à peu jusqu'au Rio de S. Fran» cisco. À l'ouest de celui-ci , le sol s'élève pour la seconde fois (i), et l'on arrive à une nouvelle chaîne que je crois beaucoup moins haute que la première et que j'appelle Serra do S. Francisco e da Para- nahyha, parce qu'elle divise les eaux de ces deux rivières. La Serra da Canastra ou le S. Francisco prend naissance, les Serras do Urubu, da Marcella,d'Indaiâ, d'Abaité font partie de la Serra do S. Francisco e da Paranahyba. Cette chaîne ne s'arrête point où com- mencent les premiers affluens du Paranahyba ; après avoir rencontré une autre chaîne qui va transversa- lement de l'ouest à l'est, la Serra da Paranahyba e dos Tucantins, elle se prolonge bien davantage vers le nord pour diviser les eaux du S. Francisco de celles du Riodos Tucantins, et là, pour cette raison, elle doit porter le nom de Serra do S. Francisco e dos Tucantins (2). (1) Voyez mon introduction à {'Histoire des plantes les plus remarquables du Brésil et du Paraguay ; à Paris, chez Belin; et l'ouvrage de M. d'Eschwegc, intitulé : Brasilien die Neuc TVelt, I, 164. (2) Je donnerai des détails sur les Serras do S. Francisco s da Paranahyba, do S. Francisco e dos Tucantins, da Para- nahyba e dos Tucantins et sur futilité de ces noms, dans ma troisième relation encore inédite , et probablement dans les Nouvelles Annales des Voyages. - 0 - Des pics très remarquables par leur hauteur existent dans toute l'étendue de la grande chaîne ou Serra do Espinhaço; mais je crois que, considérée dans son ensemble, la comarca (i) du Rio das Mortes, la plus méridionale des cinq qui composent la province des Mines, en est aussi la plus élevée. En effet , c'est dans cette comarca que le Rio de S. Francisco prend naissance, et que commencent à couler ses premiers affluens; c'est là que sout les sources du Rio Preto, affluent du Parahybuna, et le Jaguarhy qui se jette dans le Tietc ; là enfin nais- sent les affluens du fameux Rio Grande, et ce der- nier fleuve lui-même qui, uni au Paranahyba, au Pa- raguay et à l'Uruguay, finit par devenir le Rio de la Plata. En partageant la province des Mines en deux parties, l'une très montagneuse, et l'autre sim- plement ondulée, la Serra do Espinhaço la divise aussi en deux zones ou régions végétales également très distinctes; à l'orient celle des forêts, et à l'occi- dent celle des pâturages ou campos ; régions qui , parallèles à la chaîne , s'étendent comme elle, dans le sens des méridiens. Il y a plus : cette même cor- dillère sépare la province des Mines en deux régions zoologiques presque aussi distinctes que les régions végétales. Les plantes des campos, n'étant pas les (i)Les comarcas sont au Brésil les divisions premières des provinces. — 10 — mêmes que celles des bois , ne sauraient nourrir les animaux qu'on a coutume de voir au milieu des forêts, et d'ailleurs il y a trop de fixité dans les habitudes et les mœurs des animaux pour que les mêmes espèces puissent vivre également dans des pays qui, quoique contigus , présentent de si gran- des différences. Le versant oriental de la cordillère elle-même est, je crois, dans la plus grande partie de son étendue, couvert de forêts, comme le pays voisin. Mais il est à observer qu'au nord de la chaîne , les campos s'étendent jusque sur ce versant, tandis qu'au midi au contraire ce sont les forêts qui dé- bordent sur le versant occidental , comme j'ai pu m'en convaincre, en me rendant de Sabarà à la capitale de la province des Mines, et en parcourant la comarca de S. Joào d'El Rey : espèce de croise- ment qui s'explique, ce me semble, par l'humidité qui règne au midi du versant. Quant aux points culminansde la chaîne, tels que les Serras do Papagaio, da Ibitipoca , do Caraça (i), d'Itamhé, da Lapa, da S. Antonio, près Congonhas da Serra, do Serro do Frio et de Curmatahy, ils présentent généralement de petits plateaux couverts de pâturages herbeux. C'est là que l'on trouve la végétation la plus curieuse et la plus variée qu'offre (i) C'est par erreur qu'il a été imprimé Serra da Caraco dans ma première relation de voyage. - il - le Brésil méridional; c'est là que croissent , entre autres, ces charmantes Mélastomées à petites feuilles dont j'ai fait le premier connaître les formes élégan- tes dans la dernière livraison de la magnifique Mo- nographie de l'illustre Humboldt(i). Ce ne sont pas seulement les deux grandes régions végétales des bois et des campos qui sont ren- fermées dans des limites à peu près certaines; les nuances que présentent ces régions n'en ont pas de beaucoup moins précises. J'ai dit plus haut que l'on observait dans la pro- vince des Mines trois sortes de bois, les forets pro- prement dites, les catingas qui, moins rigoureuses, perdent leurs feuilles chaque année, et enfin les carrascos , espèce de forets naines. Depuis les limites de la province de Rio de Janeiro par le ii° lat. sud, jusqu'au termo de Minas Novas, ou, si l'on aime mieux, jusqu'aux sources de l'Arassuahy par le i8°, s'étendent des bois vierges proprement dits. Plus loin, le pays fort élevé, mais en même temps peu montagneux, ne donne plus naissance qu'à des carrascos. Enfin vers le 170 3o', en tirant du côté de l'est , ou , si l'on veut , vers les villages de Sucuriû et de S. Domingos, le sol s'abaisse, la température devient très chaude , la terre grisâtre et légère (1) Monographie des Mélastomées et autres genres du même ordre, par Humboldt et Bonpland , continuée par Kuntk. Chez Gide. — 12 • - offre un mélange d'humus et d'un peu de sable, et l'on voit paraître des catingas. Du côté du sud-est, ces deux sous-régions sont encadrées, un peu en-deçà des limites de la pro- vince, par une ligne de forêts qui servent d'asile aux Botocudos et qui s'étendent, dans les provinces d'EspiritoSanto et dosllheos, jusqu'au bord de la mer. Quant aux limites septentrionales du pays des car- rascos et de celui des catingas , les diverses direc- tions que j'ai suivies dans mes voyages, ne m'ont pas permis de les observer ; mais la relation de l'excursion si pénible que M. le prince Maximilien de Neuwied fît de la ville dos Ilheospar le i3° \ lat. sud, jusqu'aux frontières de la province des Mines, prouve que les deux régions continuent a s'étendre hors de cette dernière province, dans le sens des méridiens (1). De tout ceci il résulte que, si, partant du petit port de Belmonte par le i5° 3o' environ, on se dirigeait verslesud-ouest , on traverserait les quatre régions ou sous régions végétales qui s'observent dans la province des Mines. L'on passerait successif veinent des forets aux catingas, de celles-ci aux cairascos, des carrascos aux campos ; et il est à observer que ces régions forment ainsi, dans le sens de l'équateur, une sorte d'échelle où l'ensemble des végétaux diminue graduellement de hauteur, peut— (1) Voyage Brés., trad. Eyr., III, p. i et suiv. — 15 — être parce que l'humidité du sol et de l'atmosphère éprouve également une diminution graduelle. Quand M. le prince deNeuwied, suivant aussi à peu près la direction du sud-ouest, quitta la côte à environ un degré nord de Belmonte, pour gagner le Désert du S. Francisco , il trouva également des forets vierges, des calingas , des carrascos et des campos, et il serait curieux de savoir sous combien de de- grés de latitude on rencontrerait la même échelle de régions végétales. Comme la zone des forêts se divise en plusieurs sous-régions, de même aussi l'on en observe deux bien distinctes dans la zone des campos , qui tantôt ne présente, ainsi qu'on l'a déjà vu, que des herbes et des sous-arbrisseaux (taboleiros descobertos), et offre tantôt ça et là, au milieu des pâturages, des arbres tortueux et rabougris {taboleiros cobertos.) Les deux sous régions dans lesquelles se parta- gent les campos n'ont peut-être pas des limites aussi précises que celles des trois sous-régions dont l'en- semble compose la zone des forets. Cependant on peut établir que les parties les plus élevées de la zone des campos sont uniquement couvertes de pa- cages herbeux, et que, dans les parties les plus basses, les pâturages sont parsemés d'arbres. Ainsi je n'ai trouvé que des campos formés d'herbes et de sous-arbrisseaux dans une immense portion de la comarca de S. Joao d'El Rey, la plus haute de toutes, et ce sont encore des pâturages de même — 14 — nature que j'ai revus partout, en traversant presque au pied de la grande chaîne, le pays fort élevé qui, à l'ouest de la même chaîne, s'étend de Caeté ou Villa Nova da Rainha aux limites du territoire de S. Joâo d'El Rey. Au contraire, j'ai trouvé beaucoup de pâturages parsemés d'arbres rabougris sur le territoire de la camarca deParacatii; c'est le genre de végétation que j'ai constamment observé dans les i5o lieues portugaises que j'ai parcourues au milieu du Sertâo ou Désert , à peu près entre les \l\ et 18 degrés de latitude sud, dans une espace où le S. Francisco est déjà for! éloigné de sa source; et , dans cet espace, les pâturages parsemés d'arbres tortueux s'étendent jusqu'au pied de la chaîne, du moins, si j'en puis juger par ce que j'ai observé sur deux points différens. De tout ceci, il résulte que la sous-région , plus méridionale, des campos simple- ment herbeux ou taboleiros descobertos , correspond particulièrement à celle des forêts proprement dites, ou, si l'on aime mieux, que ces sous-régions sont plus particulièrement comprises entre les mêmes parallèles, et que la sous-région plus septentrionale des campos parsemés d'arbres rabougris ( taboleiros cobertos ) correspond davantage à celle des car- rascos et des catingas. D'après ce qui précède, il ne faudrait pas croire que, dans la région des campos, il n'existe point de boi?. Si au milieu des terrains découverts et simplement ondulés de cette immense région, il se trouve une — 16 — vallée humide et profonde , s'il existe quelque enfon- cement sur le penchant d'un morne, on peut être assuré d'y trouver une réunion d'arbres. Ces petites forêts qui forment comme autant d'oasis au milieu des campas s'appellent, comme je l'ai dit ailleurs, capoës du mot caapoam, qui, dans la langue signifi- cative des Indiens, veut dire une île, et c'est uni- quement là que les Mineiros forment leurs planta- tions, fidèles à ce défectueux système d'agriculture qui ne leur permet pas de rien semer ailleurs qu'au milieu de la cendre des arbres (1). Si la constitution physique de la province des Mines a une si grande influence sur la nature de sa végétation primitive , on doit croire quelle en a également sur celle qui résulté des travaux de l'homme, et que l'on peut appeler artificielle. La partie de la province située a l'orient de la grande chaîne n'est plus, comme autrefois, entièrement couverte de forêts. Là se trouvaient des terrains aurifères d'une étonnanle richesse; une population nombreuse s'y précipita, et l'on incendia les bois, soit uniquement pour éclaircir le pays, soit pour y faire des plantations. Lorsque dans cette contrée , on coupe une forêt vierge ('2) et qu'on y met le feu, (1) Voyez mon Mémoire sur le système d'agriculture adopté par les Brésiliens, et les résultats qu'il a eus dans la province de Minas Geraes, clans les Mém. du Muséum, vol. XIV, p. 85. (2) Voyez mon Introduction à V Histoire des Plantes les plus remarquables du Brésil et du Paraguay. A Paris, chez Bel in. _ m ._ Il succède aux végétaux gigantesques qui la compo» saient, un bois formé d'espèces entièrement diffé- rentes , et beaucoup moins vigoureuses; si l'on brûle plusieurs fois ces bois nouveaux pour faire quelques plantations au milieu de leurs cendres , bientôt on y voit naître une très grande fougère ( Fteris cau- data); enfin au bout de très peu de temps f les arbres et les arbrisseaux ont disparu, et le terrain se trouve entièrement occupé par une Graminée visqueuse , grisâtre et fétide qui souffre à peine quelques plantes communes au milieu de ses tiges serrées , et qu'on appelle Capim gordura (l'herbe à la graisse, Melinis minutiflora ou Tristegis glutinosa des botanistes). Dans les environs de la capitale des Mines , et entre cette dernière et Villa do Principe, le voyageur ne découvre plus que des campagnes de Capim gor- dura , où s'élevaient naguère des arbres majestueux entrelacés de lianes élégantes. La région des forêts embrasse donc aujourd'hui de vastes pâturages; mais ceux-ci, par la nature même de leur végétation , in- diquent d'une manière certaine la place des forêts détruites. Au milieu des campos des environs de la ville de Paracatii, et peut-être dans ceux de quel- ques autres parties de la province des Mines égale- ment situées à l'ouest du Rio de S. Francisco , le Capim gordura s'empare des terrains autrefois boi- sés, lorsqu'on ne les laisse pas reposer assez long- temps ou que le feu y prend par hasard ; mais là cette Graminée peut être facilement détruite, et — 17 — comme elle ne paraît qu'où il y avait des bois, et que ceux-ci ne sont que des capoës de peu d'étendue elle ne forme jamais d'immenses pâturages. D'ail- leurs entre la grande chaîne et le Rio de S. Fran- cisco, on ne voit ni la grande fougère [Pteris cau- daûa), ni le Capim gordura se rendre maître des terres défrichées, et par conséquent l'on peut dire que la chaîne est la limite de ces plantes, comme elle est celle des bois qu'elles ont remplacés. Du côté du nord , je n'ai point trouvé le Capim gordura au-delà du 17° l\o' latitude sud ou environ. Cette plante ambitieuse n'est pas naturelle à la province des Mines; elle s'y est répandue sur les traces de l'homme, et il sera curieux de rechercher dans quelques années, si elle a fait des progrès vers le nord, ou si elle s'est définitivement arrêtée au point que j'ai reconnu pour être sa limite actuelle. Je crois cependant qu'à cet égard on peut déjà for- mer quelques conjectures assez plausibles. Il est à observer que la limite boréale du Capim gordura est en même temps celle des forets proprement dites; que, plus au septentrion, le pays, quoique fort élevé, ne présente plus, comme dans la sous- région des forêts, de hautes montagnes séparées par des vallées étroites et profondes, et que là enfin com- mence la sous-région des carrascos.Ov, du coté de l'ouest, la Graminée dont il s'agit s'arrête avec les montagnes, et, comme on ne la trouve point au nord dans un pays qui n'est pas non plus montagneux , 2 — 18 — il est à croire qu'elle ne s'étendra pas davantage du coté du septentrion , et que ses véritables limites sont à jamais celles de la sous-région des forets. Autrefois le Saccharum appelé Sapé {Saccharum Sapé, Aug. S. Hil.)(i), formait l'ensemble des pâtu- rages dans les pays de bois vierges , et , en certains cantons, on le trouve encore avec abondance. C'est seulement depuis 45 à 5o ans que cette Graminée a cédé la place au Capim gordura qui fut apporté dans la province des Mines par un hasard singulier ou introduit comme fourrage (2). On a vu avec (1) J'ai longuement décrit celte plante dans mon Voyage dans le district des Diamans et sur le littoral dit Brésil, vol.I, p. 368. (2) Yoici ce que je dis ailleurs sur l'indigenat de celte plante, ce Dans un livre indispensable à ceux qui veulent 17. — 45 — de petite plaine. Dans le pays, on donne à ces som- mets singuliers le nom de taboleiros, qui signifie pla- teau, et on les appelle chapadas, quand ils ont une plus grande étendue. Des espèces de forêts naines couronnent ces plateaux, et sont composées d'ar- brisseaux à tiges et à rameaux grêles, hauts de 3 à 5 pieds, en général rapprochés les uns des autres. Tels sont les carrascos. Certaines plantes les caractéri- sent d'une manière spéciale; telles sont la Composée à feuilles de bruyère qu'on appelé Alecrim do campo, le Pavonia que ses fleurs charmantes ont fait surnom- mer la Rose des champs [Pavonia Rosa campestris, A S. AJ. C); deux Hyptis, le petit Palmier à feuilles sessiles appelé vulgairement Sandaia ou Sandaiba; en- fin surtout une Mimose dont les tiges sont légèrement épineuses, les feuilles d'une délicatesse extrême et les fleurs disposées en épis [Mimosa dumetorum, Aug. S. Hil.) La nature ne met point ordinairement entre ses diverses productions, une distance aussi considéra- ble que celle que j'ai signalée entre les véritables car- rascos et les catingas; aussi existe- t-il une sorte de végétation , qui forme le passage des carrascos proprement dits aux catingas ; ce sont les carras- quenos. Ceux-ci présentent des arbrisseaux d'environ 6 à 1 5 pieds, dont les tiges droites et menues sont fort rapprochées les unes des autres, et qui, parleur ensemble, donnent l'idée de nos taillis. C'est encore dans les Minas ISovas que se trouvent les carrasque- — 46 — nos ; et tandis que les carrascos croissent sur les plateaux, les carrasquenos se montrent sur leur pen- te ; ce qui achève de prouver que la végétation s'é- lève à mesure que le terrain devient plus abrité. En ne consultant que la hauteur,on peut, je crois, rapprocher des carrasquenos une végétation qui, du moins dans la province des Mines, ne s'observe que sur les bords du Rio de S. Francisco. Chaque année ce beau fleuve sort de son lit , et , sur les terrains qu'il inonde (alagadiços), s'élèvent des buissons im- pénétrables, formés principalement par deux plan- tes épineuses, X Acacia Farnesiana et le Bauhinia mandata, Aug. S. Ilil. [Periebia Bauhinioïdes^Mart.) J'ai tâché jusqu'ici de donner une idée de la phy- sionomie des diverses sortes de forêts naines ou gigantesques qu'on observe dans la province de Minas Geraes. A présent je dirai quelques mots de ses campos. Ceux qui sont simplement herbeux ont assez l'aspect de nos prairies; mais les plantes ne s'y pres- sent pas autant, et, dans aucune saison, ils ne sont émaillés d'un aussi grand nombre de fleurs. Des Graminées entremêlées d'autres herbes, de sous- arbrisseaux et quelquefois d'arbrisseaux peu élevés forment ces pâturages ; on y trouve en abondance des Composées et surtout des Vernoniesj les Myr- tées, les Mélastomées à fruits capsulaires y sont fort communes ; mais on n'y revoit plus d'Acanthées, — 47 — famille si nombreuse dans les bois vierges (i). Dans le Sertào ou Désert, des arbres sont épars, comme je l'ai dit, au milieu des pâturages ; mais loin de s'élever avec cette majesté qui caractérise ceux des forêts primitives, il n'approchent pas même, a beaucoup près, de la hauteur ordinaire de nos Chê- nes, de nos Bouleaux ou de nos Hêtres. Ils sont tor- tueux et rabougris; une écorce fendillée et souvent subéreuse revêt leur tronc, et leurs feuilles, assez ordinairement dures et cassantes, ont pour la plu- part la forme de celles de nos Poiriers. Ces arbres ont généralement le même aspect que les Pommiers d'Europe, et lorsque l'on parcourt les campos du Désert, on se croirait transporté au milieu de ces vergers que les habitans de certaines provinces de France plantent dans leurs prairies. Mais, si les ar- bres du Sertâo n'ont rien dans leur port qui ex- cite l'admiration, ils charment le voyageur par la beauté et l'étonnante variété de leurs fleurs. Tantôt cesont des Légumineuses aux grappes pendantes et une Bignonée à cinq feuilles, qui étale des fleurs d'un jaune doré; tantôt des Ochna, des Ternstromiacées, des Malpighiées à^longs épis, de nombreux Quaka, des Fochisia, enfin le Salvertia à odeur de muguet qui redresse ses thyrses plus beaux peut-être que ceux de Y Hippocastanum. (i) Voyez mon Introduction h Y Histoire des Plantes remar- quables du Brésil et du Paraguay. — 48 — Le passage des campos aux forêts ne se fait pas toujours d'une manière brusque, comme il ne s'o- père pas toujours non plus par des transitions plus ou moins insensibles. Lorsque je me rendais de Rio de Janeiro à Barbacena, ville de la province des Mi- nes située par le 1 1 ° 1 1/ latitude sud (1 ) , un Milleper- tuis, que je n'avais pas coutume de voir dans les bois, se montra, vers Mantiqueira, comme l'avant-cou- reur d'une végétation nouvelle; sur l'un des côtés du chemin, les arbres commencèrent à ne plus étaler la même vigueur, et me semblèrent moins rapprochés les uns des autres ; bientôt j'aperçus des pâturages, mais ils étaient encore parsemés de bouquets de bois; peu à peu ceux-ci devinrent plus rares, et ils fini- rent par disparaître. Il n'en fut pas ainsi, lorsque, deux années plus tard, je me dirigeai, par une rou- te différente, de la capitale du Brésil à S. Joâo d'El Rcy, autre ville de Minas Geraes située par le 1 1 ° 10' iS'1 '. Je venais de traverser des forêts épaisses où souvent j'aurais pu toucher avec la main les arbres ma- jestueux dont j'étais entouré ; tout à coup l'aspect du pays changea avec la même rapidité qu'une déco- ration de théâtre ; une étendue presque incom- mensurable de mornes arrondis, couverts seule- ment d'une herbe rare et grisâtre se déroula sous mes yeu*, et je pus contempler une image de l'immensité, (i) J'ai fait connaître cette ville clans mon p'oyage dans les Provinces de Rio de Janeiro, etc., vol. I, p. 17. — 49 — moins imparfaite peut-être que celle qui est offerte par la mer, lorsqu'on y jette les regards sur un ri- vage peu élevé. Je n'étendrai pas ce tableau davantage. De plus longs détails rentreraient dans le domaine des Flo- res et des ouvrages de botanique spéciale; et je n'ai pas eu d'autre but que de faire connaître dans son ensemble la végétation de Minas Geraes, telle qu'elle est aujourd'hui. Mais, si l'intelligence et la sagesse des habitans de cette province peuvent la préserver des dan- gers qui la menacent, comme tout le reste du Brésil, sa population augmentera avec rapidité ; où l'on voit d'humbles hameaux, s'élèveront des ci- tés florissantes •, de nouveaux défriehemens dimi- nueront encore l'étendue des forêts ; enfin les campos eux-mêmes seront creusés par la bêche et sillonnés par la charrue. Alors il ne restera plus rien de la vé- gétation primitive; une foule d'espèces auront dis- paru pour jamais, et les travaux sur lesquels le sa- vant Martius, mon ami feu le docteur Pohl et moi, nous avons consacé notre existence , ne seront plut en grande partie que des monumens historiques. New York Botanical Garder) Librarv QK 268 .S23 1837 Saint-Hilaire, Augu/Tableau géographique 3 5 gen 85 00035 4348