' à ie. el 4 1% EE DT ee RS RTS J 7, Le 1. 146.4 M A A 4 pr” . Fay NU ? pr L ‘+ LME 4 Æ ” » pol : 1e Ya sd net 1? Fée ve # l Apr ts A, AP AR WA à AN Te FRA Fo 4 a, ” Las # RE, ae \ RL à | NT V2 +, MER ado. TAN ” ÿ \ e ] es L a , ’ . VC f mi: AL du 2 £ w Lé 7) f 4: 27" 2 | Les, PES PATES " ae" 4 À 3 ton 4 2 ” 12 2%, , KA h,* A , Ta # Cd Le rÀ 1 7 " % MIE Éou ef VASTES LAPS 4% ve: 482 NT par y | LRU AT A3 RM LS SES QU 7 OS à Ms CERTA EE, 327 AT set Acte pe ” V7 2 À * e + €. : LR "à w é 4” Ke 3 mr Ed 2 rh 7 } \ 'of 4e A , . DA tt: dé. Î P + VE L 4 < C : L L : » $ + A 5 ; . ‘ + 1 Là ! \ < Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa Es | F4 Li # < ter http Jhwww.archive.org/details/thtredagricu0t serr IL . NE t L à. L4 ! ‘ re 1h p- <. LEE. * O1 TV à NN: THÉATRE D'AGRICULTURE. AVIS. Je place cet ouvrage sous la sauve- garde des lois et de la probité des citoyens, et je poursuivrai devant les tribunaux tout contrefacteur et tout distributeur qui, au inépris des lois existantes, mettroit au jour cette édition contrefaite ; en conséquence , Je préviens le public que la seule reconnue des Jours profpères ; Le Laboureur en paix coule H cultive le champ que cuktivoie rit l'État, fes enfans , {es troupeaux, de fes heureux travaux: mt es peres Ce champ nour Et fes bœufs compagnons Monrcat 02 : An10 » THÉATRE D'AGRICULTURE | ET MÉNAGE DES CHAMPS, D'OLIVIER pe SERRES. Où Von voit avec clarté et précision l’art de bien employer et cultiver la terre, en tout ce qui la concerne, Suivant ses différentes qualités et cli- mats divers, tant d’après la doctrine des Anciens , que par l’expérience. REMIS EN FRANCOIS, NRA R À CM. GISORS. TOME PREMIER. A PARIS, Cnez MEU RANT, libraire pour | l'Agriculture, rue des Grands-Augustins, n°. 24, 130 2. a 1 . er s SA € Fu. ie AE 2 A2: S3% RP à > re es LS Ex rat F : oo tm \ ' AVIS D'E L'ÉDITEUR. La paix générale vient de dissiper les orages politiques de nos contrées; tous les François commencent a respirer dans le calme; chacun revoit avec attendrissement et sans , frayeur ses foyers, et semble répéter ces vers d’Horace, sous Auguste : Beatus ille qui procul negotiis, U£ prisca gens mortalium , Paterna rura bobus exercet sus, Solutus omni fœnore. En effet, beaucoup de particuliers, de pro- priétaires, règardent maintenant, avec rai- son, la campagne comme le séjour de la paix; le plus grand nombre s’occupe à faire valoir ses terres et à les améliorer : des sociétés d'agriculture établies dans presque tous les départemens , font part journellement au pu- bhe des découvertes utiles, et la sagesse du Gouvernement protège et encourage toutes a 3 v Avis les innovations qui peuvent tendre aux progrès ; de l’économie rurale. _ Virgile, à peine échappé aux fureurs de la guerre civile , alla porter ses vers sur d’au- tel de Cérès. Les Romains, après avoir sub- jugué les nations étrangères, alloient expier les torts de la victoire au pied des divinités champètres; les François doivent aujourd’hui imiter les Romains, en honorant l’art répa- rateur de l’agricullure , et en rendant hom- mage aux hommes qui en donnèrent parmi nous les préceptes; et lequel: mérita mieux cet honneur qu'OLivirR DE SERRES , qui rendit à la fécondité une terre ravagée par la guerre civile, et qui, dans un siècle de barbarie, ne fut pas moins recommandable par ses vertus que par ses profondes con- noissances ? On doitéleverun monument à sa mémoire ! Cultivateurs, apportez un souvenir respec- tueux devant le père de l’agriculture; il fut le premier François qui vous enseigna Part de bien planter et recueillir les fruits de la terre. Habitans des villes, faites éclater votre re- connoissance et toute votre vénéralion; c'est PTE DE L'ÉDrrEur vij # ce patriarche agronome à qui vous devez * Vabondañiéé ‘qui fait fleurir Vos cités. 5 OLIVIER DE SERRES vint : au monde à Villeneuve dé - “Bérg, ‘département de l’Ar- dèché, en 1959. [el ste valoir par lui- même! di terre du Pradel, dans le tems des guerres civiles et de la ligue, et il y mourut le juillet 1619. On n’a point d’autres renseignemens sur cet agriculteur célébre , ni sur sa famille ; ce- Penidänt on sait que son portrait fut peint sur carton par M: de Leyris, son fils, en 1590. Tous les papiérs de la terre du Pradel ont été brülés par les habitans de A. irabel, après la nuit dn quatre août... I] y en avoit plu- sieurs qui, sans donner des renseignémens bien intéressans , apprenoient au moins par les réclamations ét les plaintes d'Olivier, tout ce qu'il avoit eu à souffrir de là BAL des guerres civiles ; que le château du Pradel avoit été entièrement rasé, quand Louis XIII vint en personne à Villeneuve - de - Berg, et que M. de Montmorenci fit, par les ordres de ce monarque, le siège de Mirabel. | Depuis cette époque, on rebâlit le château, mais il fut encore totalement détruit par un incendie, | vi) Avrs Il semble que tout ait conspiré jusqu’ics pour faire oublier ce grand homme, avec autant de soin qu’on en met maintenant à réhabiliter sa mémoire. Les bienfaiteurs du monde se perdent dans la nuit des tems, tandis que ceux qui le ravagent sont immor-— tels. En 1600, il fit paroître la première édition de son Théâtre d’ Agriculture et Ménage des Champs, ouvrage qui, aujourd'hui même, peut encore être regardé comme neuf, par les bons principes qu’il renferme, et qui doit être en grande vénération parmi les agriculteurs. Orivrer ne parle que d’après l’expérience- pratique : Il cite souvent des passages des Caton, Columelle, Palladius, Varron, Pline, Virgile et autres; mais quand ces auteurs s’égarent dans quelques superstitions, ou au- trement, il a soin de le faire remarquer. Jamais il n’affirme ce dont il n’a point fait l'épreuve. Il révoque en doute tout ce qui nest pas fondé sur la raison; et s’il rap- porte quelques coutumes superstitieuses, ce n’est que pour en faire appercevoir le ridi- cule et le danger. | es Que cet agriculteur avoit bien étudié le o De ne cri DE L'ÉDITEUR. ix caractère des fermiers, des domestiques et desouvriers de son tems ! Un cultivateur de nos jours pourroit faire les mêmes obser- vations, mais il n’en donnerait point les dé- tails avec la même précision, avec cette aima- ble simplicité qui caractérise les bons écri- vains des siècles reculés. Olivier de Serres est le Michel Montaigne de Vagriculture. On doit observer ici que la France se re- trouve à-peu-près dans la même circonstance où elle fut, vers la fin du XVI. siècle, quand la ligue fut détruite. La déloyauté régnoit alors parmi les mercenaires, parce que la plupart s'étoient corrompus dans les guerres civiles de ce tems : il est de même reconnu aujourd'hui, qu'il y a une grande altération dans les mœurs de la majeure partie des journaliers , des domestiques et autres, ce qui paroït être toujours la suite des guerres longues et désastreuses. Henri IV victorieux, donna la paix à la France, et y rétablit l’ordre ; de même Bona- parte déjouant toutes les factions, et couvert de lauriers, vient d’assurer notre bonheur, en la procurant à l’Europe ; protecteur de l'agriculture, du commerce et des arts, il * Avis s'occupe sans relâche de les rémeéttre dans la plus grande activité. -Oxrrvier fit hommage de son T'hédtre d'Agriculture au grand Henri, qui l’accueillit comme un chef-d'œuvre de théorie-pratique en se genre ; ce Prince le chargea de planter dés müriers dans le jardin des Tuileries, et d'exécuter différentes choses qui ayoient rap- ‘port à l’agriculture. ? x Le Ménage des champs, divisé en huit livres, est au-dessus de tout éloge, et sa pré- cision prouve la capacité de son auteur. Cet ouvrage eut dix-neuf éditions, dans l’espace de soixante - quinze ans ; la première est de 31600. Il semble , pour ainsi dire, qu'il soit résté dans loubli depuis cette époque, puisqu'il n "y a que quelques amis de l’agri- culture , pendant cet intervalle, qui aient su apprécier son utilité ; mais ce qui paroïtra plus extraordinaire, c’est que presque tous ont gardé le silence jusqu'à ce jour sur les ouvrages du Triptolème françois. | ‘Il ne fälloit pas moins que l'issue d'une secousse aussi violente que celle que nous venons d’éprouver, pour nous tirer de notre #pathié. Il en est quelquefois des révolutions * Dei, 2 PR RS OT ee Te Se nn Tee ES = Li OS 7 tr Po ri | DE L'ÉDITEUR. «i2x) comme des secousses de la terre, qui englou- tissent en un instant des villes, des trésors immenses ét les découvertes de plusieurs gé- nérations , Ou, par un eflet contraire, qui rejettent sur la surface du globe. cés matières précieuses, ces monumens antiques, qui se _déroboient aux regards des hommes, dans de profonds abimes ; les ouvrages d'Ocrvier DE SERRES reparoissent enfin au milieu de nos décombres amoncelés, et notre étonne- ment redouble, en nous pénétrant des leçons d'agriculture qu’il donna il y a deux siècles: qu'on juge combien le génie de cet homme étoit alors supérieur à celui de son tems, Puisqu’aujourd’hui nous l’ädmirons encore ! Est - il un agriculteur qui puisse se flatter d’avoir l’étendue des connoissances qu'il pos- sédoit généralement sur l’économie rurale ? Impartiale postérité ! tu juges les hommes sans appel, mais ton jugement est toujours fondé sur la vérité, ( Il est vrai que le style dont on se servoit il ÿ a deux cents ans, a Cprouvé des chan- Semens , ce qui donne à ceux qui ne sont Pas versés dans ce langage, quelques difii- cultés dans la version et l'interprétation du Théâtre d'Agriculture ; il y a en outre Xi} | Avis, etc. une grande quantité de vieux mots, qui sont aujourd hui inusités par nous. Voilà sans doute le motif qui a empêché les cultivateurs de profiter de ses leçons ; ne pouvant le comprendre qu'imparfaitement, et lui donnant quelquefois une fausse inter- prétation , ils ont été forcés de renoncer à ses principes, et de s’en tenir à leur routine. Pour la facilité des habitans des campa- gnes , Je viens de mettre cet ouvrage en françois, d’un style simple et concis, pour ne point altérer celui de l’auteur ; j’ai porté toute mon attention à rendre littéralement le texte de ce qu'OLIVIER DFE SERRES a écrit, et je me suis eforcé de répondre à l'inten- tion du public, tant pour la précision que pour la traduction. ï pe pourvu qu'elle soit entendue par ses principes, ap- pliquée avec raison, conduite par expérience, et’ pratiquée avec diligence; car la descrip- tion abrégée de son usage est : science , expé- rience , diligence , dont le fondement est la bénédiction de Dieu, que nous devons re- garder comme la quintessence et l'ame de notre ménage , et prendre pour la pricipale devise de notre maison, cette belle maxime: Sans Dieu, rien ne peut profiter. Là dessus nous formerons notre agriculture, dont nous représenterons ainsi l'usage : Le ménager doit savoir ce qu’il a à faire - entendre l’ordre et la coutume des lieux OU il vit, et mettre la main à la besogne dans la saison bonne et avantageuse de chaque labeur champêtre. I y en a qui se moquent de tous les livres b 4 xx PRÉFACE. d'agriculture, et nous renvoient aux paysans qui ne savent pas lire, qu'ils disent être les seuls juges compétens sur cette matière, comme étant fondés sur l’expérience, seule et sûre règle de cultiver les champs. J’avoue avec eux que de discourir du ménage cham- pètre, par les livres seulement, sans savoir l’usage particulier des lieux, c’est bâtir en l'air, et se morfondre par de vaines et inu- tiles imaginations. J'entends assez qu'on ap- prend des bons et experts laboureurs, le moyen de bien cultiver la terre ; mais ceux qui nous renvoient à eux seuls, ne m'avoue- ront-ils pas que parmi les plus expérimen- tés, il y a différens jugemens ? et que leur experience ne peut être bonne sans raison? Aura-t-on plutôt recherché tous les cerveaux des paysans, et accordé leurs opinions, non- seulement différentes, mais bien souvent con- traires, que de lire dans un livre, la raison jointe avec la pratique, pour l’appliquer avec jugement , selon le sujet, par le secours et l’adresse de la science et de l’usage recueillis en un ? Cette même raison ne sert-elle pas de livre au paysan ? Certainement, pour bien faire quelque chose, il faut la bien entendre auparavant. Il en coûte trop de refaire un ouvrage mal fait, sur-tout en agriculture, dans laquelle on ne peut perdre les saisons sans un grand dommage : ainsi, celui qui se fie à une expérience générale, au seul rap- port des laboureurs , sans savoir pourquoi, est en danger de faire des fautes irrépara- Re +. | > LS PRÉFAGEr. XX} bles, eh de s’égarer souvent à travers champs, _sous le crédit de ces incertaines expériences, comme font les empiriques, qui, alléguant de même l'expérience, prennent très-souvent le talon pour le cerveau, et se servent du même emplètre pour toutes sortes de mala- dies. Et celui qui ne voit que l’expérience des laboureurs non lettrés, est extrémement aidé avec la raison des savans écrivains en agriculture, | | Mais à quoi sert, dira quelqu'un, de re- courir aux livres, ce que vous pouvez trou- ver chez vous, par votre sens Commun, ou chez votre métayer, par la même adresse naturelle ? On pourroit faire une pareille conclusion de toutes lés sciences qu'on ap- pelle libérales ; car les semences et principes de toutes choses sont dans l’ame de l'homme \ qui ne peut apprendre dans les livres de phi- losophie que ce qu’il sait dès le ventre de sa mére ; mais d’une science confuse et enve- loppée, qui a besoin d’être produite ayant par quelqu'artifice. Les livres de physique enseignent les causes et effets de la nature ; la morale, le moyen ds bien et heureuse- ment vivre ; l’économie, la manière de bien conduire la famille; la politique , l’état. L'homme nait bien avec les principes néces- ‘saires à la connoiïissance de ces sciences ; mais qui niera sans vanité que ces belles choses ne soient mieux cultivées dans l’ame de l’homme, par la lecture des doctes écrits, que de s’en remettre au seul discours de Xx1ÿ BR É RAGE bouche, comme à une cabale ? L'art, est un recueil de Fexpérience, et l’expérience est le jugement et l’usage de la raison. Les écrits des savans servent à ce que ce qui est infini et incertain par la recherche de diffé- res jugemens, soit fimi et certam, par les règles de l’art, lesquelles sont facontiées par la longue observation et l'expérience des choses nécessaires à cetie vie. Si nous pri- sons les arts sous tous les rapports, com- bien cette science doit nous être plus re- commandable, comme la plus nécessaire au genre humain, et sans laquelle l’homme ne peut vivre ? Et combien sa démonstration doit être solide et claire, puisqu’eile parle si naivement au livre de la nature, par des effets si manifestes, que la raison s’y fait voir à l'œil et toucher à la main ? Il est donc constant que la science de Vagriculture est comme l’ame de l’expérience; elle ne peut être oïsive, parce qu’elle est vraiment reconnue science ; car à quoi ser- virait de lire et écrire les livres d’agriculture, sans les mettre en usage ? La science ici sans pratique ne sert à rien, et l'usage ne peut étre assuré sans science ; comme l'usage est le but de toute louable entreprise, de même, la science est l'adresse du véritable usage, la règle et le compas de bien faire; c'est la liaison de la science et de l'expérience ; je leur ajoute pour compagne la diligence, afin que notre ménager ne perse pas devenir riche par des discours, et remplir son nid PRÉ MAÎGCE. XXI) ayant les bras croisés ; car nous demandons du bled au grenier, non en peinture. Nul bien sans peine ; c'est de l’ordonnance an- ciènne, représentée par Columelle, et véri- fée par les effets, que pour faire un bon ménage, 1l est nécéssaire de joindre ensemble le savoir, le pouvoir, le vouloir. Dans cette haison consiste l'usage de notre agriculture, dont le fruit étant commun à toutes sortes de personnes, cette belle science doit être entendue de tous les hommes ; et de fait , cest à. l’agriculture où visent tous les états ; car pourquoi s’adonne-t-on aux armes, aux lettres, aux finances, au commerce, avec un iravail affectionné, si ce n’est pour avoir de l'argent, et de cet argent, après s’en être entretenu, en acheter des terres? Et ces terres, à quelles fins, si ce n’est pour en recueillir les fruits pour vivre ? Et comment les en retirer ? par culture. Ainsi, il appert par degrés que quelque chemin qu’on tienne en ce monde, on vient finalement à l’agri- culture, la plus commune occupation d’entre les hommes, la plus sainte et la plus natu- relle ; comme étant seule commandée de la bouche de Dieu, à nos premiers pères. Ce nest donc pas aux habitans des champs que notre agriculture est particulière, ceux des villes y ont leur part; car quoique pour ce- jourd’hui beaucoup de gens se trouvent re- culés du ménage des champs, ils y tendent néanmoins , pour eux, ou pour les leurs. Plusieurs même se promettent, après avoir XXIV PRÉFACE. donné trève à leurs fatigues, d'aller finir leur vie dans la douce solitude de la cam- pagne, pour se reposer paisiblement en ce monde, si toutefois on peut y trouver quelque repos, en attendant la jouissance de la par- faite et bienheureuse tranquillité au Ciel. Ces choses ayant été brièvement représen- tées , il nous reste à dessiner le plan général de tout ce grand discours, pour traiter chaque matière en son propre lieu, suivant cet ordre: Dans le premier livre, je veux instruire notre pére de famille à bien connoître le terroir qu'il desire cultiver ; à se bien loger, et à bien conduire sa famille, but de tout le travail de l’homme en cette vie. Au second, puisque le pain est le prin- cipal aliment pour la nourriture de l’homme, je lui montrerai le moyen de bien cultiver sa térre, pour avoir toutes sortes de bleds propres à cet usage, même des légumes, qui servent beaucoup à l'entretien du mé- nage champêtre. | Dans le troisième , vu que l’homme ne vit pas seulement de manger, mais qu'il faut aussi boire pour vivre, et que le vin est le plus commun et le plus salutaire breuvage, je lui enseignerai la façon de bien planter et cultiver sa vigne, pour avoir du vin, le faire et garder, et tirer des raisins d’autres com- modités ; aussi le moyen d’avoir d’autres boissons , pour ceux qui sont sous un air impropre à la vigne. | Au quatrième, comme le bétail donne un LA PRÉFACE. XXV très-grand profit au ménage, pour le nourrir, vétir, Servir, et lui apporter de l'argent, je lui donnerai l’ordre de ses prés et autres pà- quis, afin dy entretenir force bétail, et je montrerai la manière d’éléver et conduire toutes sortes de bêtes à quatre pieds, avec un profit louable et avantageux. Dans le cinquième, pour fournir encore de la nourriture au ménager, je lui accom- moderai le poulailler, le colombier, la ga— renne , le parc, l'étang, le rucher; et pour lui faire plus éprouver la libéralité de la na- ture, je le vétirai et meublerai pompeuse- ment, en lui donnant le moyen d’avoir de la soie en abondance, dont il tirera aussi beaucoup d'argent, par la nourriture des vers qui la font et la vomissent toute filée, avec admiration. * Au sixième, pour lui procurer, avec la commodité nécessaire, l’honnête plaisir , je lui dresserai des jardins, dont il tirera., comme d’une source vive, des herbes, des fleurs, des fruits et des simples, on herbes médicinales ;-ensüite , je lui édifierai an ver- ger, je planterai et enterai ses arbres, pour les rendre capables de porter une abondance de bons et précieux fruits. Il y aura aussi des lieux destinés au saffran, au lin , au chanvre, et à d’autres matières propres au ménage, même pour les meubles et habits. © Au septième, attendu que l'eau et le bois sont entièrement nécessaires au ménage, j'en traïterai soigneusement , afin que notre père = » XXV) PRÉFACE. de famille entende d’une façon plus exquise, le moyen de s’accommoder.de, l’un et de l'autre, et par conséquent ait abondamment chez lui tont ce qui est nécessaire pour vivre abondamment avec sa famille, Dans le Auitième et dernier livre, je mon- trerai l'usage des alimens, pour que le père et la mère de famille puissent commodément et honorablement se servir des biens qu'ils ont chez eux. j'instruirai la ménagère a tenir sa maison fournie de toutes Les neéces- saires , fant pour la nourriture, ordinaire , que pour les provisions quiservent pendant l'année. Je lui erseignerai la vraie façon des confitures, a contre toutes sortes de fruits, toutes raeines, fleurs, herbes; écorces aa liquide, au sec, au sucre, au miel, au moüût, au vin cuit, au sel, au vinaigre. Je donnerai aussi quelques moyens pour se pourvoir par ménage de lumière, meubles, habits, afin que rien ne manque à la famille, Je Jui ferai faire des distillations et autres préparatifs, et lui donnerai des remèdes bien éprouvés, pour se secourir, lui et les. siens, en, Ças de maladies, ce dus est aux champs mfuni- ment incommode et dangereux, de.ne. pas avoir un prompt soulagement : à tant d’incon- véniens , qui très-souvent surviennent inopis nément, en attendant les plus amples remèdes du docte médecin , la nécessité. ÿ arrivant; et comme il faut que le ménager ait soin dé ses bêtes, ayant parlé des remèdes des per- sonnes, je traiterai ensuite des médicamens nn ne | Ï | 4 | RÉF A C E. XXVI} pour le bétail. Je dirai pareillement quelque chose Me la chasse et des autres exercices du gentilhomme, afin que notre vertueux père de famille se récrée honnêtement, en faisant ses affaires, ce qui lui servira aussi à la conservation de sa sante. _ C'est, en un mot, le dessein de ce que j'ai à ttéiter dans ce Théätre Agriculture _@Ë Ménage des Champs. Ainsi il reste main- tenant à détailler ce qui est propre à chaque dieu, dans ce que j'ai représenté en gros. Le jugement en soit aux doctes ménagers; le profit à tous ceux qui desirent honnèête- ment vivre des fruits de leur terre ; et l’hon- neur entier à Dieu, que j'invoque en. ce commenñçant, à meilleur titre, que #’arro, ses dieux rustiques et contrefaits. ces parties. EVER. On trouvera chez le méme Labraire un ee assortiment complet de livres qui'ont rap- port.à l’ Agriculture , l’Économie Rurale; le Jardinage et l'Art Vétérinaire. ÎT distribue un catalogue général sur | { "a DS ar pa ACTE bu CRT RS. PR . | THÉATRE D’'AGRICULTURE. LIVRE PREMIER, CHAPITRE PREMIER. De la connoïssance des terres. ET EE er Le fondement de l’agriculture est la connois- sance du naturel des terroirs que nous voulons cultiver , soit que nous les possédions de nos ancêtres, soit que nous les ayons acquis, afin que par cette sagacité nous puissions bien tra- vailler la terre selon l'art requis , et qu’em- ployant à propos notre argent et notre peine ; nous recueillions le fruit du bon ménage qui fait notre sollicitude, c’est-à-dire, le contente- nent avec un honnête plaisir, et un profit modéré. Tome I. | EM ii 2 LH É A TAUE . Il suffit donc que nous commencions netre ménage, et que nous disions, qu'on remarque plusieurs diverses sortes de terres qui varient entr'elles par les qualités : ces terres peuvent difficilement se représenter. Pour éviter la con- fusion , on doit les distinguer en deux classes principales : savoir , terres argilleuses et sablon- neuses, parce que ces deux qualités sont ordi- nairement les plus apparentes dans tous les terroirs , et que de toute nécessité elles doivent y participer. C'est de-là d'où procédent la fer- tilité et la stérilité des terreins, au profit ou au détriment du laboureur, selon que la composi- tion de l’argille ou du sablon se trouve bien ou mal faite: de même que le sel assaisonne les viandes , ainsi l’argille et le sablon étant distri- bués dans les terroirs avec une juste propor- tion , natureHement ou artificiellement , les ren- dent faciles à labourer , à retenir et rejetter con- venablement l'humidité; par ce moyen -domp- tés, apprivoisés et engraissés , ils rapportent abondamment toutes sortes de fruits. S'ils sont au contraire trop surchargés par l'une ou l’autre de ces deux qualités, ils ne peuvent être d'au- eune valeur, et sont convertis en terres trop pesantes où trop légères; trop dures ou trop molles; trop fortes ou trop foibles ; top ku- DA 6 R HC!ULLTUU R E. 3 mides Qu trop sèches; bourbeuses , crayeuses , glaireuses , difficiles à travailler en tout tems; ces terroirs craignant d'humidité en hiver, et la sécheresse en été , de sorte qu'ils sont pres- quü'infertiles. La couleur ne suffit pas à cette instruction ; quoique Ja noire soit la plus prisée de toutes, pourvu que la terre ne soit pomt marécageuse ni trop humide, car étant abreuvée , elle sera plutôt de celle-ci que de l’autre. La cendrée, la tannée , la æousse viennent après ; ensuite la blanche , la jaune, la rouge, qui ne valent pres- que rien, non plus que celles qui ne produi- sent aucune herbe mangeable, celle qui sent mauvais et est désagréable à la vue , ou de bonne odeur , comme dans quelques endroits du Lan- guedoc et de la Provence , où il y a du serpolet, du ihym , de l'aspic et de la lavande : aussi le bon ménager dit : | Tu n’emploieras ton labeur En terre de bonne senteur. Les terres trop pierreuses et pleines de ro- chers, sont mises au rang de celles qui, produi- santravec abondance de la fougère et du jonc, manifestent qu'elles né sont bonnes à rien. Les terroirs laissés en jachère ou en friche, A ij VA THÉATRE .. parmi lesquels on trouve des restes d'édifices antiques, sont, sans doute, les meilleurs. La raison en est, qu'étant cuits et recuits à la longue ; avec le mélange des sables et de la chaux des bâtimens démolis, soit par le feu, soit par la vieillesse, ils se sont rendus plus friables, et de- viennent ensuite plus faciles à cultiver , ayant par ce moyen de la graisse et de la douceur ;, qualités nécessaires pour la production de toutes sortes de fruits. | Virgile, Columelle, Palladius et autres an- ciens, nous ont enseigné des preuves pour con= noître la portée des terroirs. La terre la meil- leure ne pourra rentrer entièrement dans la fosse d’où elle aura été fraîchement tirée , quelque effort que l’on fasse, parce qu’elle s’enfle à l'air comme la pâte par le levain. La mauvaise et trop légère , par son dépérissement éventée , di- minuera tellement qu’elle ne pourra occuper autant de place qu'elle en prenoït avant d’être tirée de la fosse. La moyenne seulement la rem- plira ni plus ni moins. Celle qüi tient aux mains comme de la glw, étant mouillée et trempée dans l'eau , est grasse et fertile. Ces auteurs ont aussi commandé d'en dissoudre dans l’eau, pour juger par la douceur de l’eau qui en coulera à travers d’un linge, de la douceur de la terre, DrA GR IMCAUNCUT OÙ R FE: 5 rejettant comme inutile, celle dont l'eau sortira puanie , salée, ou avec quelqu'autre mauvaise odeur. Ouvrir et creuser la terre , est le moyen assuré de connoitre sa portée ; c'est une chose recon- nue de tous, que la meilleure est à sa superficie : ainsi , plus en creusant , on en trouvera de sem- blable à celle de dessus, plus le terroir sera fer- le; mais on rencontre en peu d’endroits que sa bonté pénètre bien avant (encore est-ce par un bienfait de la nature }, et il y aura de quoi se contenter , si elle descend un bon pied dans terre ( même cette mesure , ou peu davantage, suffira pour les arbres fruitiers ), le reste étant presque stérile, à cause de son amertüme et de sa crudité. Ce sont bien des indices de la portée des ter- roirs , Mais non pas des preuves aussi assurées que l'expérience. A la vérité les couleurs de la terre trompent quelquefois, puisqu'il s'en trouve presque de toutes , de passable revenu : comme on dit des chevaux et des chiens , on en trouve de bons et de mauvais de tous poils. Ainsi si vous ne pouvez savoir au vrai le rapport, par année commune, de la terre que vous desirez acquérir , recourez à cet indubitable artificé x À üj 6 T'HIÉVANTIRE c'est d'examiner toutes les espèces d'arbres , sauvages et francs, leur grandeur ou petitesse, beauté ou laideur, abondance ou rareté, alors vous pourrez juger sainement de la fertilité ou stérilité de la contrée. Dans le nombre de ces arbres , les poiriers, pommiers et pruniers sau- vages qui croissent d'eux-mêmes , démontrent que le terroir est propre pour tous bleds. On reconnoit cette particularité, que la terre: de froment est celle où les poiriers abondent , et celle de seigle où sont les pommiers; en gé- néral les pruniers sont de facile venue presque par toute bonne terre, soit argilleuse ou sablon- neuse. Les chardons qui marquent les poiriers, peuvent aussi servir à cêtte adresse , de même que la fougère pour les pommiers : ces plantes- ci supportant l'argille, et celles-là le sablon , se- lon le divers naturel de ces bleds. L'air même aide à cette recherche; il nous fait vow que le chaud favorise le froment plus que le froid, et que le froid vaut mieux que le chaud pour le seigle. 4 Les bons et menus herbages qui croissent na- turellement dans les champs, vous aideront beau- coup pour ceci; car jamaïs les bonnes et franches herbes, que les bêtes mangent avec appétit, ne | | D'AERUEIGCUE TURF. 7 fiennent abondamment dans les terres de peu de valeur. Instruction particulière pour les terres découvertes qui n’ont point d'arbres. Il reste maintenant à parler de l'assiette des terroirs, chose très-importante pour en aug- menter ou diminuer la valeur. Ils ne peuvent être que de Fune de ces trois, où en plaine, ou en côteau, ou en montagne. La plaine et la montagne , à cause de leurs extrémités cédent au côteau , pa raison, qui participant de Fune ét de l'autre assiette, tient par-là le milieu si de- siré, et qui par conséquent est plus propre à iout produire , principalement si le ciel de la contrée est tempéré , et son fond de bonne vo- lonté; alors il n'y a aucun fruit en terre que le côteau ne porte abondamment: c'est aussi la plus agréable et la plus saine assiette de toutes les autres, parce que les vents et les fanges n'y sont point aussi incommodes que sur les mon- tagnes et dans les plaines où ces deux choses nui- sent beaucoup. La montagne ne peut coñvena- blement être utile qu'en bois et pâturages pour le bétail ; c'est-là son propre : mais pour en faire du labourage , pour y planter des vignes et des arbres qui ont besoin de culture, cela est bien difficile , coûte beaucoup, et est de petite durée, par l'écoulement de la graisse de la terre avec A iv .8 THÉATERE les pluies, par l'humidité qui se retire trop vite; sur-tout plus le fonds se trouve cultivé ; ce qui à fait dire aux bonnes gens : En terroir pendant Ne mets ton argent. Par l'effet contraire, la rase campagne étant trop plate, retient trop long-tems les eaux au détriment du labourage, vu qu'on ne peut bien ‘travailler ni avancer par trop d'humidité, perte qui se reconnoit à la qualité et à la quantité des fruits; aussi voit-on que le côteau résistant mieux aux intempéries que la plaine et la montagne, est à préférer à toute autre assiette : c’est pour- quoi on estime beaucoup le pays de Brie; et le grand nombre de belles maisons de gentil- hommes qu'on y voit, comparé au petit nom- bre de la Beauce , fait voir que les côteaux ont toujours été préférés aux plaines. Telles sont les instructions générales pour la connoissance des terres. | | D AGRICULTURE. 9 CRPAPET RE TE De la mañière de choïsir et acquérir Les terres: M auixTENaNT il faut montrer au père de famille l'ordre qu'il a à tenir pour bien choisir la terre et s’en bien servir , comprenant lui- même ce qu'il achète, sans s'en rapporter du tout au jugement d'autrui. Ce sont les deux points que nous allons traiter, avant que de dresser son logis , et lui ordonner la façon de son ménage. Notre intention n'est pas d'imaginer ici des champs-élysées ou des îles fortunées, mais de montrer simplement le moyen de distinguer le plus avantageux du fond qu'on peut avoir, pour se J'acquérir et le cultiver après avec le profit qu'on doit raisonnablement en espérer : au choix des térres et dans leur culture , nous chercherons ce qu'on peut trouver et faire. Mais comme en établissant une république , il faut au préalable en représenter une idée et un patron parfait, où nous rapportions l'état sous lequel nous pré- tendons heureusement vivre : de même en dé- crivant notre communauté champêtre, qui nous LL 10 TH É À TR F ! empêchera de montrer en commençant, ce qu'on peut souhaiter avec raison , et d'autant plus espérer , que nous saurons ce que nous pouvons et devons, pour, approcher, par ce moyen, le plus près qu'il sera possible de la perfection que nous promet notre agriculture ? Ce n'est donc pas pour entreprendre quelque chose d'impossible , par une vaine curiosité, ou ramener à notre siècle strictement tout ce qu'ont écrit les anciens, mais bien pour mettre devant les yeux cette belle ordonnance qui doit nous servir autant que notre terre nous le permet. Voici donc le dessin du terroir que peut sou- haiter notre ménager. | Que le domaine soit posé en air salutaire, en terroir agréable et fécond, pourvu d'eaux douces et saines, tout uni ét d'une seule pièce, de fi- gure quarrée où ronde : noble , avec toute ju- ridiction, dont les habitans les plus proches dé- pendent; près de bons voisins et d'un grand chemin profitable, divisé en montagne ; côteau et plaine. La montagne ayant derrière: elle: la bise , regardant le midi, revétue d'herbages pour la nourriture du bétail, et de: bois de toutes sortes, pour le chauffage et les bâtimens. Le cô- eau en-aspect semblable , au-dessous de la montagne, qui lui sert d'abri : en fond propre D AG HECUL TU R E. HE à umwignoble, jardin, verger , et semblables agrémens. La plaine, pas trop plaie, mais un peu pendante , pour vuider les. eaux de la pluie ; large, de terroir gras et fertile, doux et facile à labourer : arrosée d’eau douce et fructifante , venant de haut, pour être répartie par tous les endroits du domaine , afin d'y accommoder des prairies, viviers , étangs , arbres aquatiques : la plaine séparée en deux, l’une à ces usages-c1, et l’autre à la culture de la terre à grains ; qu'il y ait des earrières et pierrières en quelqu'en- droit du domaine , y tirer de la pierre pour bâtir : qu'il s’y trouve aussi de la terre propre à faire des tuiles pour les couvertures des mai- sons, pour qu'on ne soit point en peine d'aller chercher au loin ces. matières de première né- cessité. Que ce fond ne soit pas éloigné de la mer où d'une rivière navigable, mais sans ra- vage , ni d'une bonne ville, pour y vendre les denrées , pour construire des moulins , et tirer d'autres commodités : en général qu'il soit d'aisé charroï, et le pays non trop pierreux. On pourroit remarquer plusieurs autres sin- gularités , pour la eommodié et Le plaisir; mais pour que ce discours ne passe pas les limites de la raison , en montrant plutôt des souhaits que des effets , nous restraignons toutes les commo- 12 THÉATRE dités que nous recherchons en notre domaine, *# cinq , comme étant principales, nécessaires et suffisantes pour le soutien de cette vie: à l'air, à l’eau, à la terre, au voisin et au chemin, c’est- à-dire , dans la salubrité de l'air, la bonté de l'eau , la passable et moyenne fertilité de la terre , au bon voisin et au chemin avantageux : que pour en recueillir les fruits on ne soit pas contraint de bailler le domaine à ferme, sur- tout quand on pourra commodément le tenir sous sa main, en le faisant cultiver par ses do- mestiques : qu'il ne soit point aussi totalement dénué de bois, et qu'au moins il y en ait de quelqu'espèce , pour aider au chaufage, en at- tendant qu’on y en ait planté abondamment. Ce sont les commodités nécessaires pour le ménage champêtre, plus ou moins; mais si elles manquent ensemble, le séjour des champs ne peut être qu'une prison, au lieu d'une demeure agréable que nous demandons. Ce seroit aussi un témoignage de peu de jugement, d'acheter des incommodités et pertes aussi notoires , ou de s'opiniätrer dans une peine pernicieuse. La connoissance de l'air et de l’eau, quoique des plus importans articles, est plus facile que tous les autres. A la vérité il ne pourroit y avoir une chose plus grande que celle, qui, selon les x | | DAGREEUL TU RE. 13 eauses secondes, augmente ou diminue la vie de l'homme , et le bon sens nous fait voir que cette faculté appartient à ces deux élémens. Il n'y à rien de plus aisé pour les reconnoître, d'autant plus qu'il ne faut que fréquenter le lieu où vous desirez vous loger , seulement trois jours par chaque saison, pour vous convaincre de la portée de l'air et de l'eau : ainsi dans une année , vous yiendrez facilement à bout d'une chose si im- portante. Nul lieu ne peut être appelé sain, s'il ne l'est continuellement, y en ayant quelques- uns de salutaires en hiver, qui ne le sont pas en été; d'autres qui le sont au printems, et point en automne : on peut même lire souvent læ portée de ces deux élémens sur le visage des habitans. Ceux qui se nourrissent dans les en- droits où l'air et l'eau sont mauvais, n'y sont pas généralement bien habitués , ni de bonne cou- Jeur, ni de franche voix , car l'expérience com- bat l'opinion de Pline, qui dit que la faculté de l'air ne se reconnoit pas à la disposition des hcmmes qui se trouvent toujours bien , sous quelque air qu'ils soient , quoique pestilentiel , y étant accoutumés. Pour l'aspect de l'assiette et la qualité des terroirs , la raison veut que le côteau manquant, l'on s'arrête plutôt à la plaine qu'à la montagne, 14 THÉ ATRE Au défaut de la terre de première qualité, qu'on choisisse la pesante plutôt que la légère , la dure plutôt que la molle, la forte plutôt que la foi- ble , l'humide plutôt que la sèche, la cendrée, tannée, rousse plutôt que la blanche, jaune, rouge, la graveleuse plutôt que la pierreuse , l'argilleuse plutôt que la sablonneuse, par le choix qu'il y a du froment au seigle; (ce gram-ci souffrant de l’argille, et celui-là du sablon. ) S'il arrive que vous ayez l'eau grasse à discrétion pour arroser ce terron, prisez-le par-dessus tout autre, parce qu'avec ce bénéfice vous suppléerez aux défauts et imperfections naturelles du fond, et avec le secours de la bonne eau, vous ferez des praïries etterres labourables à volonté , met- tant en pré et défrichant les unes et les autres alternativement, par année , afin d'avoir tou- jours des terres et prés nouveaux : par cette éco- nomie , chaque année rapporte en abondance des bleds et des fois. De plus, l'assiette et la qualité de terre, si rébelles qu'elles soient, sera réparée à la faveur de l'eau fertile, et ses àpre- tés naturelles de beaucoup diminuées, avec d'au- tant plus d'efficacité que le ciel de la contrée sera plus chaud par rapport aux arrosemens. Il n'est pas à propos de poser ici les termes et les limites du domaine, puisqu'il re peut se D'ÂAGRICULTURE. 15 mesurer à d'autre toise, qu'au moyen de notre père de famille , qui, pour restreindre ou am plifier, selon eux, les bornes de la terre, tien dra néanmoins pour maximé ce conseil de Virgile, Âu grand terroir louange donne, À semer le petit t'adonne. plutôt que de mettre sa fantaisie en une trop grande quantité de labourage pour s'en sur- charger. Ainsien se mesurant, il s'acquerra un lieu de moyenne étendue, plutôt petit que grand; qui satisfera à sa raisonnable intention , étant gaiement cultivé et réparé avec science, diligence et à frais modérés , il en retirera plus de profit que s'il embrassoit trop pour le mal soigner. D'après ces avis, il sera bien convaincu quand il considérera combien il est dangereux de ren- conirer l'air et l'eau mal sains, desquels étant contraint de se servir par l'assiette de la mai- ‘Son, on est continuellement tourmenté de plu- sieurs maladies, comme si l'on étoit toujours à combattre contre la mort: de labourer une terre désagréable et presque stérile, dont le rapport ne répond pas à la dépense de la culture ; d’être forcé de vivre dans un perpétuel souci, à cause d'un mauvais voisinage , pour se metire en garde 16 UATHÉEUTAHE contre les outrages et les violences d’un méchant homme , et de se voir réduit à l'extrémité de recourir à la sûreté: des armes particulières ; d'être souvent et inopinément incommodé par l'approche d'un grand chemin , dont on ne peut tirer aucun revenu des fruits, parce qu'il est d'un charroi trop difficile, et qu'il ne conduit à aucune ville de commerce. On peut souvent adoucir ces deux derniers articles par adresse , même les révolutions du tems , par morts ou autres événemens, peuvent y apporter du remède ; mais de telles attentes étant une chose par trop périlleuse, j'estime que celui qui acheteroit à deniers comptans de si pernicieuses incommodités ne pourroit étre regardé comme un homme prudent ; il mépri- sera d'autant plus ces acquisitions , qu'il pourra contempler le plaisir qu'on éprouve dans les lieux bien qualifiés , dont s'approche le bon voisin, qui en fait l'ornement , à cause des . avantages infinis que l'on tire de sa douce et vertueuse conversation, ainsi que Hésiode le décrit, Le bon voisin en ta nécessité Accourt pieds nuds secourir ta famille ; Mais le parent tout à loisir s’habille Pour v’aller voir en ton adversité, Ne nt + — me TS Jet Mrs | en à DT Vote ne on PS ls eu bd - nm” DAME ICGUÉ TU R E. 1” de crains donc point que ton bétail périsse Par fraude , ayant ton cher voisin propice. Ainsi l'homme entendu, en se servant de ces instructions , les regardera comme des ordres, afin de ne pas aller contr'elles en aucune ma- nière, s’il desire être bien logé et accommodé aux Champs , s'assurant qu'à la rencontre de ces cinq seules qualités avec leur suite , iltrouvera de quoi se contenter raisonnablement. Je ne parle pas ici de l'ordre que vous avez à tenir pour l'assurance de ces acquéts, si ce sera par achats, échanges, donations ou autres ütres ordinaires et légitimes ; je suppose bien que vous n'y procéderez qu'avec bon conseil et avis. Il ne pourroit aussi vous être donné sur de telles matières d’autres instructions que la générale; c’est de bien vous garder d'être trompé en contractant inconsidérément avec un mau- vais vendeur , d'être retenu; et s'il est possible, par autorité justice , qui est la voie la plus sûre dans l'acquisition d'un bien du roi, d'un bien d'église, d'un bien sujet à substitution ou res- titution ; de celui d'une femme mariée, d'un mineur , d'un endetté et hypothèqué; d'un fu- rieux, d'un prodigue , pour que vous le ré- pariez et fassiez valoir d'autant plus tranquil- Tome L B 18 L'HÉATEAT Jement que vous aurez moins à craindre, ni dé l'envie, de l'avenir, ni de pouvoir jamais être évincé de ce bien par qui que ce soit; vous obser- vant aussi que celui qui acquiert bien, jouit bien, et que s'il y a des vendeurs fols, il y a aussi des acheteurs qui le sont. Pesant donc ces circons- tances, sans vous échauffer ni refroidir qu'avec raison , vous hâtant lentement , vous négocierez en cet endroit avec une retenue diligente, afin que l'occasion passée , vous n'ayez pas matière à vous repentir pour avoir excédé dans l'une ou dans l'autre. DAME EU LÉ U R E. 19 RE ——— RMI IR EE, LA'L. De la manière de mesurer les terres. À PRÈS la connoissance des terres, suit leur mesure, ce dont il ne faut pas que notre ménager soit ignorant ; car quoique ce soit un métier de police publique , dont nous ne voulons pas qu'il se mêle, il est pourtant nécessaire qu'il entende ce qu'il achète , et sache ce qu'il a, pour semer ses terres tous les ans avec jugement, et leur donner plus ou moins de semence, selon qu'elles sont fortes ou foibles, afin de n'être pas contraint de s'en rapporter à la foi de ses serviteurs. Laissant donc aux arpenteurs l'intelligence la plus par- faite pour bien mesurer , nous en traiterons comme en passant, autant qu'il suffira pour l'usage du bon ménager. On mesure la terre par portions; les portions ont différens noms selon les lieux qui ont été diversifiés par les tems , dont les plus communs sont aujourd'hui entre nous, arpens , saumnées , asnées , Journaux , sesterces, acres, couples de bœufs, qui néanmoins ont diverses mesures selon | les différens pays; il n'est pas besoin d'en parler Bi 20 THÉATRE plus clairement, non plus que des diverses fa- çons de procéder à l'arpentage, suivant les cou- tumes des provinces. Seulement pour notre des- sein, servant d'exemple , nous employerons en cet endroit l’arpent de l'Ile-de-France , et la saumée de certains endroits du Languedoc , pour, sur ces mesures, prendre avis , afin de se servir de toutes les autres en quelque pays qu'on soit, chose aisée à tout homme d'esprit. Or, comme il y a de la différence dans les mesures des terres, qui varient d'une province à l'autre. les mesures des grains sont différentes aussi. Le muid de bled, mesure de Paris, contient douze septiers ; le septier deux mines, la mine deux mni- nots ; le minof trois borsseaux ; le borsseau quatre quarts ; le quart quatre ltrons ; le litron deux demis Ltrons ; le demi Zfren dix-huit pouleçons. La saumée de certains endroits du Languedoc, qui est celle dont nous entendons nous servir en cet endroit, commune pour le bled et pour la terre qui le produit, est de quatre seprrers ; le septier de deux émines ; lémine de deux quar- terons; le quarteron de quatre cisadiers dits aussi borsseaux , divisés par demis; cêtte sau- née est la juste charge d'un mulet, se rappor- tant au sepfier de Paris, qui, étant de bon fro- ment, pèse trois cent soixante livres poids de ROACOR'D EC UL/T U R E. 35 ladite ville. Ailleurs, en Languedoc, la saumée ou charge de mulet, n'est que de trois sepiers et un quarteron ; en d'autres pays, deux septiers ÿ suffisent ; mais par toute cette province le sep- er se divise en deux émntnes, l'émine en deux quarterons comme dessus. Dans d'autres quar- tiers de ce royaume l'on parle par asnées, bi- chefs, sacs, raz et autrement : je laisse la re- cherche de ces noms qui est plus curieuse et pénible qu'utile et profitable : seulement pour montrer comme le monde se gouverne, j'ai voulu toucher ce mot'sur cette matière. L'arpent n'est pas généralement de la même mesure par toute la France, à cause de l'iné- galité des perches dontil est composé , non pas pour le nombre , car les cents quarrées font toujours l'arpent. Plus ou moins de pieds sont employés dans la perche , selon les lieux, cou- tumes et ouvrages qu'on mesure, comme dix- huit, dix-neuf, vingt et vingt- deux. Le pied demeure toujours de douze pouces , et le pouce de douze lignes, ce qui le fait par tout recon- noître ; mais pour régler ces choses, nous fe rons la perche selon la*coutume la plus générale et la plus adoptée , savoir, de dix-huit pieds ou de trois toises, à six pieds de roi chacune. Quant à la saumée de terre , elle est de seize Bu 22 THÉ ATIREr cents canes quarrées, mesure de Montpellier ; chaque cane de huit pars, qu'on divise par demi - tiers et quarts : ainsi ayant à la saumée quatre sesterces , chacune contiendra quatre cents canes quarrées. Cette curiosité servira en cet endroit, quoiqu'elle ne soit pas nécessaire , car en rapportant la toise à la cane, après vérif- cation exacte, la toise se trouve avoir huit pams, cent quatre - vingt - sixièmes ; il reste à diviser quatre -vingt-sixièmes, et le pam, contient huit pouces neuf ligues. Il appert par cette supputa- tion que l'arpent fait la troisième partie de la saumée, peu plus ou moins, sur quoi l’on pourra faire son compte. Selon le naturel de tous les corps, l'erpent et la saumée se divisent en autant de portions qu'on veut ; la moitié de cet arpent contient cin- quante perches quarrées , le quart, vingt-cinq , l'octave, douze et demi, etc., la saumeée de même, dont la moitié est de huit cents canes quarrées; le quart, savoir , la ses/erce de quatre cents, l'oc- Lave de deux cents, etc. Avec cette même mé- thode on prend de autre côté le tiers de cent perches et de seize cents canes pour faire des tiers d'erpent et de saurmée , et ensuite des sixièmes, douzièmes , vingt - quatrièmes et autres parti-. cules. p' A GRICULTUR E. 23 Paraceci on voit que l'arpent et la saumée sont un certain espace de terre mesurée qui ne peut justement se limiter, ni par le labourage , ni par la semence , comme je l'ai dit : toutes les places et aires sont mesurées indifféremment avec ces mesures et d'autres, suivant les pays et les coutumes; tels que les terres à grains, vigno- bles, prairies, bois , pâturages et autres pro- priétés de quelqu'assiette qu'elles soient, plate, enfoncée, relevée, comme l'on fait dans les boutiques des marchands, par l'aure, la care, le bras et autres mesures semblables, et générale- ment de toutes sortes de marchandises de dif- férens prix, sans distinction de leurs valeurs. Les premiers Romains se sont servi du mob arpent ( dont ils représentoient les mesures des terroirs }, qui étoit la terre que deux bœufs ac- couplés labouroient en un jour. Il étoit large de cent vingt pieds et long de deux cents quarante, ui étant multipliés les uns par les autres , font vingt-huit mille huit cens pieds quarrés que la superficie de leur arpent contenoit. L'arpenit françois est composé de cent perches quarrées , chacune de dix-huit pieds, comme il a été dit, qui rendent par la multiplication trente- deux mille quatre cents pieds quarrés ; il excède donc l'arpent romain de trois mille six cens B iv 14 THéaATer < pieds, ce qui est la neuvième partie de l'arpent français. Par ces variétés, on remarque claire- ment quon ne peut mettre aucun fondement assuré pour le labourage des terres et leur en- semencement, ni sur l'arpent, ni sur la sau- mée; mais que ce sont des inventions politiques pour prendre, à-peu-près, avis sur cette éco- nomie; ainsi l'ont voulu nos ancêtres. En Lan- guedoc et dans le voisinage , le nom de saumée est retenu pour mesurer le bled et la terre, comme J'ai dit, ce qui n'est pas de même de l'arpent et du muid ; l’un servant pour la terre, et l'autre pour le bled. Tr Quant au contenu des fonds ; pour mettre en évidence leur valeur, on y procède de la manière suivante. L'arpentage public arrivant (source du particulier }, des experts sont dé- putés pour faire l'évaluation des propriétés , qui, accompagnant l'arpenteur , lui montrent premièrement les limites, tenans et aboutis- sans des fonds dont il est question , dont il font quatre ou cinq prix ( plus ou moins, selon l'usage des pays), appellés , estimés, mettant les plus fertiles et les plus gras à la première esti- mation ; ceux d'après à la seconde , et ainsi par degrés jusqu'à la dernière , qui est le terroir de moindre valeur ou désert , ce qu'au préalable DR RAI CUIL TU R E. 235 larpeateur notera dans son livre ; ensuite il me- surera la pièce par deux côtés, longueur et iar- geur, qu'il multipliera l'une par l'autre, d'où iltirera le nombre des perches et canes quar- rées qu'elle contiendra, dont cent perches font l'arpent , et seize cents canes la saumée, ainsi qu'il a été représenté. Malgré les diverses figures des terres , elles ne veulent point néanmoins être mesurées difié- remment, car 1l convient de les arpenter ou me- surer de la même manière , savoir , en les re- duisant en quarrés , seul moyen d'en venir jus- tement à bout , ce qui se fait aisément, quelques inégales qu'en soient les superficies , les faces étant en droite ligne , néanmoins elles revien- nent obliques en quarré , quoiqu'avec difficulté, _ comme on le verra. Nous commencerons notre démonstration par la figure parfaitement quarrée , comme la plus facile, celle-ci portant dans chacune de ses faces vingt perches, en contiendra superficiel- lement quatre çents quarrées , d'autant que vingt, multiphiés par vingt, rendent quatre cents, qui feront quatre arpens à cent perches cha- cun. Si ce sont des canes , les quatre cents fe- ront la sesterce, qui est le quart de la saumée à seize cents chacune. : 26 THÉATRE On trouvera la même facilité Pour mesurer la pièce barlongue » C'est-à-dire, plus longue que large, ou en quarré long , laquelle conte- nant en sa longueur trente-quatre perches, et en sa largeur dix-huit ; nous dirons dix-huit fois trente-quatre, rendent six cents douze perches quarrées , faisant un arpent, un octave et un vingt-cinquième. | La pièce ayant la figure trapèze ou inégale en. sa largeur , d'un côté ürant vingt perches, et de l'autre trente ; NOUS assemblerons ces deux nom- bres qui rendront Cinquante, dont la moitié, de vingt - cinq, mulüpliée sur soixante - dix , qui se trouvent dans la longueur , produiront mille sept cent Cinquante perches quarrées , qui sont dix-sept arpens et demi. La terre sera me- surée de même sur ses quatre faces , pourvu qu'elles soient en ligne droite , dont prenant les moitiés de la longueur et de la largeur, et les multipliant l'une par l'autre, elles produiront les perches quarrées comme Ci-dessus. Pour bien mesurer le champ triangulaire équi- latéral, il convient de le réduire en quarré par- fait; on ÿ parvient justement par une seule ligne perpendiculaire, en divisant le triangle en deux parties égales. On tire une ligne d'un angle, jusqu'à la face opposée qui joindra celle de sa DA A GREC U LT U R E. 27 moitiéÿ après que celle-ci est mesurée , et les per- ches qui en proviendront , multipliées par celles qui sont contenues dans la ligne procédant de l'angle , rapporteront le nombre des perches quarrées, dont le champ triangulaire sera com- posé. Quoique le rond ait beaucoup occupé jus- qu'ici tous les géomètres anciens et modernes, je dirai ( en avouant que j'y ai employé quelques heures ) mon avis en passant à cet égard, comme un dans la foule, non que j'estime que ma pro- position soit à préférer aux écrits de ceux qui ont traité de cette matière, mais afin de ne pas cacher aux curieux de cette science la nouvelle mé- thode que j'ai pour y parvenir, promettant d'en recevoir une autre quand elle me sera démon- trée être plus assurée. Je confesse que cette opé- ration etcette preuve sont méchaniques et mcon- nues à la géométrie , n'en recevant poini ses dé- monsirations ; mais elle est aussi éloignée d'er- reur qu'elle peut être comprise facilement dans le sens. naturel. Dans le rond proposé pour être réduit en figure quarrée , qu'il soit tracé un triangle équilatéral, touchant de ses angles la circonférence du cercle; l’une de ces faces du triangle est la face d'un quarré équilatéral , égal en sa capacité et superfcie-à la figure ronde tin 28 THÉATRE proposée , par conséquent on aura la grandeur de cette figure en multipliant par soi-même lune desdites faces du triangle , c’est-à-dire, si la face du triangle a vingt perches , le quarré en aura quatre cents qui font quatre arpens que contiendra cette figure ronde. Quant à la preuve que Je vous en donne, j'ai eu recours ailleurs qu'à la géométrie, savoir , au poids, qui vous donnera par cet usage la connoissance de la ca- pacité de toute superficie ronde. Soit que vous ayez choisi quelque matière égale et bien unie, comme du papier, parchemin , bois ou cire, sur laquelle vous tracez etcoupez le rond et le quarré, d'après la précédente méthode , ensuite vous les mettrez sur le trébuchet ou la balance; le rond dans un côté et le quarré dans l'autre; vous trouverez que leur pesanteur est égale, ou du moins si peu différente, qu'elle demeure in- sensible, ayant précisément observé toute Jus- tesse dans la matière en la traçant et la coupant au trébuchet et à la table. Si donc en petit vo- lume cette proposition se trouve véritable , qui est celui de si petite conception, qui ne puisse s'assurer de cette même règle exercée sur une grande pièce de terre ? De deviner particulièrement les raisons de ces gures et d'autres qui peuvent se présenter , RC EECGE L'T'U 8 E 29 comme ovales, pentagones, hexagones , hepta- gones, bctogones et semblables, des obliques, mixtes et entre-mélées, ce seroit convertir le ménager en géomètre, contre mon intention. Ce qui me fera finir mon discours , pour revenir d'où je suis parti, c'est que sans entrer dans de plus grandes spéculations , il suffit de rendre en quarré parfait ou barlong toutes les aires et places , soit les terres labourables, vignes, prés , bois et au- tres, en les prenant des côtés qui conviendront le mieux , et les divisant en une ou plusieurs por- tions , ainsi que la chose le requerra, dont les rognures se joindront les unes aux autres, pour les réduire en quarré , tant petites soient-elles ; par ce moyen vous viendrez aisément à bout de votre dessein , et cette recherche sera aussi utile au ménager , dont le domaine est sujet aux charges publiques , pour ne point se laisser tromper par les commis des impositions, quand ils ramassent les deniers; cause principale de l'invention de l'arpentage. — 30 THÉ ATHE CHAFIFAS 17. De la manière de disposer la terre, suivant ses propriétés. Pour bien connoîitre la propriété de la terre , la recherche des températures du ciel sous lequel vous habitez, est entièrement nécessaire. Sans cette instruction on laboureroit en vain; car quel fruit la terre peut-elle rapporter sans le bienfait du ciel ? Ce sont les climats qui, par les influences célestes, font la loi à la terre, et,on ne doit s'attacher à lui faire porter autre chose, que ce que ces climats lui permettent, si on veut en retirer du profit ; car on renverse en s'amusant, pour ainsi dire , l'ordre de la nature. Mais il appartient particulièrement aux rois, princes et grands seigneurs de contraindre la terre, pla- cée sous une température froide, à porter des cannes de sucre , des oranges , des limons, des ponciles , poivres, olives et autres végétaux pro- pres aux climats méridionaux. On voit avec sur- prise en plusieurs endroits de la France, dans différentes grandes maisons , ces beautés magni- fiques. Notre père de famille ne cherche point AURA RECGT ME U R kr: JL. tant de délicatesse pour le principal &e son mé- nage, mâis seulement les fruits que sa terre lui produit volontairement, par une culture raison- nable et sans une excessive dépense : cependant je montrerai les moyens de rendre la terre obéis- sante pour lui faire porter extraordinairement ces choses précieuses pour le service des grands. Dans certaines contrées , la terre ne produit que des herbages ; dans d'autres que des bleds, et ailleurs que des raisins; de sorte qu'il est raisonnable de distinguer la terre en trois par- es, donnant la première , comme aussi la plus antique, au bétail, qui se nourrit d'herbages ; la seconde au pain qui se fait avec les bleds ; et la troisième au vin venant des raisins ; ce sont les. principaux alimens dont nous nous nourris- sons. Pour que le bon ménager fasse là-dessus. son compte, et s'étudie à savoir ce qui doit lui rapporter le plus de son bien , afin de se rendre savant dans son administration, selon les pro- priétés de son domaine ; me servant donc de ce moyen , je dirai que s'il est en pays d'herbages, les prairies, les eaux pour les arroser, les bois pâtis , la connoissance du bétail, de sa nourri- ture et de son débit, feront toute son étude. S'il est en pays de grains, le labourage des terres, le bon bétail pour y travailler , les outils, les 32 THÉATERE. semences , leurs saisons, la facon et l'ordre pour couper les bleds, les battre et serrer, en retirer les pailles , occuperont le plus son esprit. Si c'est dans un lieu où la vigne croit seule , il ne pen- sera qu'à choisir les bonnes races de raisins, planter les marcottes et les crossettes, les pro- vigner , tailler, marrer , et traiter sa vigne de différentes manières, suivant son mérite et la propriété du climat, à loger et conserver les vins. Mais dans le pays ou, par la faveur du ciel, la température du climat et la douceur du fonds, la terre se trouve propre et facile à porter des foins, bleds et vins, et par conséquent des bois et des arbres de toutes espèces, à faire des jar- dinages, des garennes, des étangs, des colom- biers et autres commodités ; notre père de fa- mille sera parfaitement bien pourvu , ayant chez lui presque tout ce qui est nécessaire à l'entretien de cette vie, jusqu'aux habits pour lui et sa fa- mille; aussi aura-t-il beaucoup plus d'occupa- üon , vu qu'il faudra qu'il ait l'esprit tendu vers toutes les négociations rustiques, qui, si elles ne sont pas contraires , diffèrent pour le moins entr'elles, n'y ayant aucune sympathie entre le berger, le laboureur et le vigneron ( discordans au reste par leurs exercices séparés ), autre que de tendye tous ensemble au but de nous admi- nistrer se ot RTE MER DŒU:L TU RE, 33 nistrer les difiérens fruits dont nous sommes nourris. Harmonie semblable à celle du luth et autres instrumens de musique , qui provient de leurs cordes. - Il faudra donc que ce père de famille, comme commandant généralement sur toutes les parties de son terroir, sache l'ordre qu'il a à observer dans chacune d'elles, pour.en retirer le digne rapport ; il se représentera le général d'armée , qui, pour obtenir la victoire, commande plu- sieurs hommes différens en mœurs , en langues, habits et exercices, se fournit de différentes armes et munitions, et s'emploie à diverses expé- ditions, tant pour l'offensive que pour la défen- sive. À son exemple, notre ménager cultivera vigoureusement sa terre , ainsi qu'il appartient, en se roidissant contre les difficultés , Suivant . que chacune de ses parties requiert le travail et l'industrie , qu'il avouera étre éonvenablement appliqués , puisqu'il est question de Ja jouis- , sance de tant de différens biens que Dieu nous donne par l'agriculture, ce qui est le but de notre ménage. Nos premiers pères ont ainsi ordonné de la terre ; ils préféroient les herbages à tout autre rapport, se contentant, par leur simplicité, de vi- vre presque du seul revenu du bétail, Mais les Tome L ra ns 34 THÉATRE hommes d'après, ne s'arrétant pas À cette so- briété , ont préféré les bleds et les vins au bétail, le mettant au troisième degré de la ménagerie. Suivant cette règle, je tâcherai de conduire le père de famille à l'usage direct de cette indus- trie champêtre, en commençant par le labou- rage des terres à grains; il sera suivi de la cul- ture des vignes, ensuite de la nourriture du bé- tail. Cependant , après avoir préparé la terre à souflrir ces divers traitemens , selon ses capa- cités distinctes; notre ménager considérera, avant tort, que quoique son climat. parsajempérature, favorise toutes sortes de fruits, c est néanmoins avec quelque inégalité qui procède ‘de la faculté de la terre ; afin de s'arrêter là où le naturel du fond ineline le plus. Par exemple, si la terre se plait plus à porter du foin que du bled, son principal doit avoir le foin en vue; si elle se plait plus à produire du bled que de la vigne , son pr incipalh oit tendre au bled, et ainsi de suite. Par ce moyen, il en tirera meilleur parti qu'en employant d'autres détours. Ici, il esf à souhaiter que la majeure partie du domaine soit employé ée en herbages, ne pouvant trop y en avoir pour le profit de son ménage, vu que toute l'agriculture s'appuie là-dessus comme sur un ferme fondement : aussi yoit-on qu'avec le MAL RICUL TU RE. 33 bétail, tout abende dans un ménage , tant pour Je denier liquide qui en provient sans aitente, que par les fumiers qui procurent l'abondance de toutes sortes de fruits. C'est pourquoi si, ayant carte blanche . c'est - à - dire, un terroir neuf, assez fertile, sans sujétion, favorisé du ciel, il peut ordonner de sa terre à volonté, pour rapporter toutes ces commodités ; il la dé- taillera et l'emploiera, en assujettisant ses des- seins à ces maximes. Que les deux tiers du domaine soient donnés à la forêt, aux prairies, aux pâturages, et le reste aux autres parties en général, selon les qualités distinctes de chacune, qui s’'accorde- ront le mieux. Que notre père de famille con- serve précieusement ses bois ; qu'il soit tellement retenu à la coupe, que ce soit pour la seule né- cessité qu'il en prenne , ou à cause de l'incom- modité destructive ; que dans les lieux au-des- sous se trouvent les étangs, saussayes, peu- pliers , trembles , aunées , oseraies et semblables bois aquatiques , et ensuite les prairies ; aux plus élevés , les forêts et bois sauvages , secs, de toutes espèces, avec les pâtis pour le bétail, les taillis pour les buissons et garennes; aux lieux moyens ou côteaux, tempérés par l'humidité et la sécheresse, les terres à grains , vignobles , jar- Ci LR 36 THÉATRE dinage ; vergers d'arbres fruitiers; cependant avec cette distribution particulière , qu'aux lieux les plus relevés et les plus maigres, les vignes ayent un quartier, et qu'aux plus bas et gras. les bleds y soient placés. Que dans les terres plus argilleuses que sablonneuses , dont l'air est plus chaud que froid, il sème plutôt du fro- ment que du seigle ; dans les plus sablonneuses qu'argilleuses , dont l'air est plus froid que chaud , du seigle que du froment. Que pour la décoration de son domaine, il dresse les ave- nuës de sa maison, d'aussi loin qu'il pourra, par de longues et de larges allées, bien ali- gnées et bien unies à leur surface , qu'il fera passer au milieu de ses forêts, s'il est possible, sans grande perte, ou il bordera ses allées d’ar- bres dont la crue est la plus facile et de plus grand profit et agrément. Là maison de notre ménager aura, par Ce Moyen, un abord plaisant et agréable, et son domaine ainsi détaillé et bien ménagé par cette Juste proportion, avec une étendue raisonnable, et la faveur d'en haut, se rendra capable d'entretenir une grande et ho- norable famille. | DOG É ÉOUSLITIU RE. 37 où Er AENEPERIRRENTIREREELEs TEREERENERS GRA PT'ER ET V Dessin du bâtiment champétre. C6 MME ce discours est général pour montrer en gros ce quil faut faire de chaque: terroir ; selon sa grandeur : la disposition des logis pour les hommeset pour les bêtes, sera traitée géné- ralement en cet endroit : réservant en son lieu pour donner des détails particuliers sur la cul- ture de la terre et la diversité des bâtimens, afin d'instruire le père de famille du moyen dont il doit se servir pour préparer l’un et l'autre, en se ménageant, sans faire une dépense ex- cessive, ni trainer en longueur. On exige deux choses pour les bâtimens ; savoir, la bonté et la beauté, afin d'en retirer un service agréable; c'est pourquoi , en joignant ensemble ces deux qualités , nous placerons notre maison des champs dans un lieu sain, et nous la composerons de bons matériaux, avec l'art convenable, pour éviter le repentir tardit qui suit toujours l'avis inconsidéré de ceux qu bâtissent. Avant donc que d'entrer en dépense , supposé C üj L4 38. THÉATERE d'abord que votre pays soit sain, encore faudra- t-il en choisir la partie la plus salutaire , la plus agréable poar votre habitation, et la plus éco- nomique , selon l'étendue de votre bien, et peser ces trois considérations le mieux qu'il sera pos- sible , d'après l'avis de plusieurs gens d'esprit instruits sur ces matièrès, que vous aurez réunis auparavant, comme en consultation. Les anciens ont ordonné lé bâtiment cham- pêtre à mi-côte, regardant le midi, estimant que cette assiette ést la plus salubre, parce quelle est à Fabri de la bise ; éloignée de la rivière qui êst souvent mal sairie ; ayant la vue assez haute et longue, et n'étant pas trop hu- mide ni trop dénuée d'eau. C'est bien, à la vé- rité, l'assiette préférable ätoute autre : néanmoins comme les choses de cé monde ne sont pas par- faitement accomplies , chaque commodité étant suivie de son contraire, on rencontré ce mal dans cette position, parce que la maïson est comt mandée par la partié relevée de la montagne ; aimsi ce point manque , vu qu'elle ne peut étre aussi bien assise , comme plusieurs lé désirent, le tems nous ayant fait prendre garde à éet articlé essentiel. ASE LUEUR) Les montagnes sont trop sèches et trop ven- teuses ; les plaines sont trop hümides et trop D'AGRICULTURE. 3g fangeusesæSi , des montagnes on a une belle vue, les yeux S'y promenant à l'aise, leur diff- cile acéès dôrine beaucoup de peine aux pieds ; come aüsst l'incommodité des fanges ôte le plaisir des longues promenades de la plame. Ces choses considérées , il faudra se tenir à la première résolution ; qui est de se servir du heu qu'on a, dont on prendra la meilleure et la plus salutaire partie , pour bâtir comme il a été dt, afin d'y pouvoir séjourner commodément pour la santé, la sûreté, les profits et l'agré- ment ; fie pouvant préscriré de loi certaine, de quelle manière , avec duels fatériaux . eéten quel lieu on doit édifier l'habitation champêtre, cha- cun s'accommodant selon ses moyens et le Hieü où il est assis, qui le plus souvent, par néces- sité, conträint de dreséer lé bâtiment autrement qu'on lé souhaiteroit. Aïnsi, soit montagne, côteau où plaine , on $e logera très - bien avec l'adresse et l4 dépense nécessaire : comme on voit plusieurs bonnies maisons qui ont dé grandes _ commodités dans différentes sortes de positions; c'est pourquoi, en yregardant de près; ontrouvera que quelque bisarré ét rebours que soit le lieu, on peut néanmoins le mettre en bon ordre. La maison sera proportionnée aux terres d'aléntour ; parce qu'il faut que les dépenses da C iv mm tt ” Pa 40 PH Éy ASE RE bâtiment et de son entretien sortent de Jà. C'est l'avis de Caton et d'autres anciens qui ont com- mandé de commencer la maison par la cuisine, c'est-à-dire, de regarder d'abord au revenu. On prendra garde aussi aux fautes (pour les pré- venir ) que firent à celte occasion ces deux grands ménagers romains, Quintus Scévola et Lucius Lucullus , dont l'un bâtit un trop petit logis, et l'autre un trop grand, tous deux avee incommodité ; car c'est une perte de n'avoir pas un endroit assez vaste pour vous loger à l'aise avec votre famille, pour recevoir vos amis, pour serrer les fruits que votre terre rapporte, et le bétail que vous y nourrissez ; comme c'est jetter son argent dans la rivière, se voir ruiner et se détruire soi-même, que de‘bâtir trop amplement et sans nécessité : 1l faut à la longue que la va- nité d'une telle entreprise soit la fable du peu- ple . lorsqu'ayant bâti une grande et superbe maison, elle reste vuide faute de revenu; qu'il faille employer plus de tems à la balayer qu'à en labourer les terres; et'qu'enfin on soit con- traint, pour en payer les serrures, de vendre la maison , le domaine, et de faire acheter ses folies à autrui. Puisque la proportion du logis se mesure par le fond , il ne seroit pas à propos d'en faire l'or- | | DA & R LC U L T'U R E. 41 donnancegn cetendroit, laissant àchacunla liberté de se loger à l'aise, selon ses moyens. Comme par- mi tous les hommes de la terre il n'y a point deux visages qui se ressemblent entièrement; il en est de même des maisons qui varient les unes des au tres, autant que les situations,revenus, matériaux, ouvriers qu'on rencontre , et les fantaisies des seigneurs en sont différentes. Par ces raisons , On ne peut s'arrêter à une seule façon de bâur ; d'ail- leurs elle n'est pas nécessaire. Il sufhra au père de famille d'observer le mieux qu'il pourra les règles générales de l'art, selon celles de ces points généraux. S'il se trouve en pays froid , ses principales vues et ouvertures regarderont le midi : s'il est en pays chaud , le nord; s'il est en pays tempéré, le levant ou le couchant, afin que le logis soit exempt des injures du pays, qui proviennent des froidures , chaleurs et vents: au moins en faisant ceci, ces intempéries sont adoucies et modérées. Par ce moyen sa maison deviendra belle, et se rapprochera de ce qu'il desire ; et comme on ne peut jamais allér si jus- tement qu'en laissant le milieu , on ne tombe dans quelqu'extrémité, il vaut mieux que notre ménager tombe du côté de faire sa maison un peu trop grande que trop petite , parce que, avec la bénédiction de Dieu, sa famille s'accroît de 42 THÉATRE jour à autre, et la quantité des fruits de sa terre s'augmente, en bien se ménageant. Il fera faire sa maison plus forte que foible , pour résister aux incursions des ennemis du repos publie ; il construira les murailles plus épaisses que minces ; pour pouvoir résister aux vents, pluies, neiges, chaleurs et autres violences des iems qui offen- sent les édifices, sur-tout ceux de la campagne, plutôt que ceux dés villes qui sont près les uns des autres, au lieu que les premiers résistent d'eux-mêmes aux injures des tems, par leur solitude. | Etant donc question de ménage , il faut né- cessairement lui assujettir l'édifice et le rendre propre à l'objet auquel il est destiné, suivant l'observation commune de toutes sortes de per- sonnes, qualités et états. Les bêtes mêmes nous enseignent à nous loger. Chacune, selon son es- pèce , dispose sa retraite et son petit logis avec admiration , et il n'arrive Jamais qu'elles se trom- pent dans leurs desseins, proportionnant leurs bâtimens à leur üsage. Entre un million debêtes, représentons-nous la seule abeille , ellé nous ap- prendra avec quoi, dans quel tems , et de quelle manière nous bâtirons : nous verrons que nous devons le faire , quand nous en avons besoin, avec art et diligence, et quoique les bätimens 2 D'AëRICULTUR E. 43 coûtent beaucoup, il faut pourtant que nous en ayons pour notre usage , puisque nous ne pouvons pas nous en passer , quelque chierté qu'ils soient ; de même que le bled étant à un prix excessif , hous nous en pourvoimions seulement pour la né- cessité. Ainsi n'entréprenant rien au-dessus de nos forces et de nos besoins , nous tàcherons d'épargner autant qü'il sera possible, dans no- tré bätiment ; sans nous plonger dans l'abime de - Ja richesse de la taille, sur la pierre ou sur Île bois, laissant ces superbes ornemens aux grands seigneurs. Mais quelque petit que nous l'entreprenions ; pour éviter la dépense , il faut qu'il soit assez grand pour lé rendre capable de notre inten- tion: car avant que le quartier soit donné aux Sens, aux bêtes et aux fruits, c'est une chose surprénante que le grand espace qu'il convient d'avoir ; aussi est-ce le portrait d'une république que la seulé maison de ménage bien disposée , où on voit en petit volume , comme sur un modèle, toutes les parties d'une ville : autrement elle de- meuréroit mañquée ét impar ‘faite , et celui qui, äyant à commencer une maison en rase Cam- pagne, sans sujétion, ni servitude aucune ( comme il arrive ordinairement dans les villes }, pouvant Jétter ses fondemens, faire sés vués, et enlever AA THÉ AT RE les immondices à volonté, disposeroit mal sa mais son dès le commencement, et ne seroit pas re- gardé comme un homme de ban sens. Je dis même que les bâtimens mal projetiés sont com- munément de plus grande dépense dans leur consiruction. que les autres, parce qu'il faut très-souvent refaire plusieurs choses aux édifices faute de bonne ordonnance. Vous serez donc bien logé , suivant les pré- cédentes règles de la situation , et celles qui sont générales à l'architecture , sur la proportion, si votre maison a une belle et agréable entrée , porche, basse-cour, eau au milieu, par fon- taine , puits ou citerne; galeries couvertes à arceaux ; cellier pour les cuves, tinettes et pres- soirs, grand bücher; d'autres lieux distincts et se joignant ensemble pour serrer les huiles , fro- mages , cuirs et semblables provisions de réserve qui demandent cette basse situation : deux ou trois caves pour les vins, dont la descente fa- cile invite le père et la mère de famille à aller souvent les yisiter, comme en se promenant, pour le bien de leur ménage ; montée facile aux étages du logis, par un escalier à repos, à vis ou autrement : Cuisine accompagnée de tous ses offices ; savoir, charnier , boulangerie, fournil serre-pain , serre-linge, buanderie, serre-vais- DMAGRICULTURPF. 45 selle, garde-manger literie à faire les fromages, et autres lieux pour les tenir : une ou deux salles, sept ou huit chambres pour toutes les saisons , pour vous, vos enfans , petits et grands, nour- rices, chambrières , maître d'école, amis sur- venans de difiérentes qualités , chaque chambre entourée de garde-robes , privés, et cabinets, dont quelques-uns des derniers serveni à garder les titres, papiers, linges et meubles de réserve ; si dans les galletas du côté du nord, des privés communs sont dressés pour les serviteurs , et d'autres pour les servantes, avec leurs montées. séparées , pour l'honnêteté : si la chambre des serviteurs , grande et spacieuse, est au faite et sous les couvertures du logis, directement sur la porte principale, pour être là comme en senti- nelle , ayant l'oreille et l'œil sur la grande cour et les écuries. Si près de là sont les greniers à serrer les bleds, les légumes, les fruits des ar- bres , les chanvres, les lins et autres matières de garde. Si à l'endroit le plus élevé du logis, sur Ja montée ou ailleurs , est bâtie une belle terrasse pour y sécher des fruits, et s'y récréer, en voyant l'air à découvert (commodité essentielle des maisons situées dans un lieu bas), où sera jointe la vigie , pour avoir l’aisance d'y étendre la lessive à couvert dans les tems de pluie, qui / 46 FETE À TRS servira encore à voir de loin , et à d'autres usages , on jouira de toutes sortes de com- modités dans la maison : étant ainsi disposée , avec deux étages habitables l'un sur l’autre , elle pourra monter de six à sept loises, en la me- surant depuis le rez-de-chaussée et le plan de la basse-cour, jusqu'à l'entablement et sous les couvertures, sans y comprendre les caves qui sont sous terre, l'emplacement le requérant, les tours , terrasses et vigies excédans le logis, qui en dehors sera entièrement flanqué par des tours rondes ou quarrées , ou d'autres recoins et avan- cemens, comme il paraîtra le plus convenable, afin d'être plus fort ; et par cette même cause, le logis sera environné d'un large et profond Lpssé empli d'eau, ou bien la maison sera assise s. le penchant d'un rocher qu'on ne puisse gra- vir, selon toutefois la situation des lieux qui don- nent la loi à tous les édifices. | | Il faudra percer des deux côtés les principaux membres de la maison, tant pour leur donner du jour suffisamment, que pour la santé, qui devient meilleure par le libre passage de Fair ; vous aurez soin de donner néanmoins le levant à votre salle et à votre chambre , afin d'y avoir le séjour agréable du matn, le soleil y entrant ; le reste des membres, comme indifférens, seront D'AGRICULTURE. 47 posés le plus convenablement possible , ex- cepté les EL caves et les lieux destinés à conserver les papiers et les meubles, qui au- ront quelqu'ouyerture vers le nord, parce que cet aspect est moins sujet à la corruption que tout autre. 1 a grange, les écuries , bergeries et les autres logemens des bestiaux , ainsi que les greniers pour serrer leurs fourrages, foins, pailles, feuilles, pour leur nourriture pendant l'année, seront “placés du côté du couchant de votre maison, s'il est possible , à quinze ou vingt toises loin d'elle , formant entre-deux une grande cour où ily aura tant de legemens par étables séparées, petites et grandes, qui puissent suffire pour con- tenir à l'aise tout votre bétail, selon leur espèce et vos moyens : dans cette cour et à l'un des bouts, près de la principale entrée, la maison du métayer ou fermier sera bâtie, pour qu'il lui soit facile de sa fenêtre de voir son bétail à toute heure ; et cette maison ne laissera pas d'être utile à votre ménage, quand même vous n'auriez point de fermier , en faisant cultiver votre terre par vos serviteurs : une grande couverture sem- blable à une halle de marché, y sera dressée, pour y meître les charrettes , tombereaux , charrues, socs, et pareilles choses de ménage, #5 JT 'H'É'ATTARE à l'ombre et à l'abri du mauvais tems: mais il “ que cela soit dans un endroit où 1 char- rettes puissent librement entrer et sortir, à l'un des côtés de la cour, s'il est possible , afin d'oc- cuper moins de place. Cet hangard servira aussi de boucherie , y tuant les bêtes pour la provi- sion de la maison; et en tems pluvieux , net- geux, venteux et froid, à y charpenter , tailler des pierres , ajuster des perches , lattes et osiers pour les vignes, et à y faire plusieurs autres ouvrages pendant le mauvais tems, plus commo- dément qu'à découvert. Les fumiers seront placés dehors et près des étableries, dans deux ou trois grands lieux un peu creusés au milieu et pavés au fond , pour y retenir la graisse , dans lesquels , si la commo- dité le permet , l'eau sera mise et retirée quand on voudra ; ces lieux seront placés en tête des prairies , afin que les engrais s'y vuident par les pluies pour les fortifñier , l'égoût des pluies en venant de la cour et des chemins voisins, y dé- coulera. On jettera là les fumiers à mesure qu'on les sortira des étables pour achever d'y pourrir; | on y portera aussi les balayures de la maison, cossats , troncs de choux , et autres débris du jardin , dont les fumiers seront encore aug- mentés , d'où on les retirera à mesure que l’on en D'AGRICULTUR E. 49 en aura besoin; selon qu'on voudra les employer. Si ces fumiers sont posés à l'abri de la bise , ce sera un grand avantage pour la volaille , parce ‘que quelque froid qu'il fasse, elle y trouvera quelque vermine à manger, ce à quoi il faut bien penser, pour ne pas perdre cet avantage. Vosjardinages et vos vignobles unis ensemble, enfermés dans un grand parc , seront placés près de votre maison, du côté du levant ou du midi, non-seulement pour jouir de la vue de ces beautés { plus agréable que du côté du nord , même dans les pays tempérés), mais encore afin qu'ils soient parés par le bâtiment, de la violence de la bise. Vous détournerez la balle et les bour- riers des bleds battus dans ‘aire , des jardins'et des vignes , de peur que les herbes et fruits n'en souffrent , en y étant portés par les vents: obser- vation particulière pour les endroits méridionaux, où l'on bat les bleds dans la campagne. Vous en- trerez dans ces jardinages par une poterne faite derrière votre maison , pour vous y aller prome- ner facilement sans traverser dans votre grande cour : commodité agréable et profitable selon le cours des affaires. Ces avis suffiront pour la disposition générale d'une maison champêtre d’un revenu passable, sans m'arrêter à la somptuosité et à la magni- Tome I D bo TR 'É.AUF R-B ficence des grands seigneurs, afin de ne pas passer , ou aller au-delà de mon intention. Toutefois, ceci est selon le climat des provinces, chacune ayant presque sa façon particulière de bâtir , même pour le respect du ménage, et il sera nécéssaire de s'y conformer le mieux que lon pourra ; car on dresse d'une manière la maison champêtre dans les lieux où les bleds sont battus à couvert, et d'une autre manière, où l'on fait ce ménage en campagne , comme cela se remarque en voyageant dans ce royaume. J'ajouterai ici seulement la considération requise pour la situation de la cuisine, partie principale de la maison, pour l’asseoir si bien que l'issue en soit petite, c'est-à-dire, que le bien ne s'y consomme pas trop vite, ou plus qu'il n'est . raisonnable ; mais qu'étant ménagé, comme on le doit, et avec une honnête frugalité , il puisse plutôt y en avoir de reste que de manque, au bout de l'année. La cuisine donc, par cette raison , sera placée au premier étage de la maison, sur le plan et près de votre salle, d'où vous entrerez dans votre chambre : de cette manière ceux qui sont dans la cuisine , par l'approche de la salle et de la chambre où vous êtes souvent , s'en trouvent surveillés , et la paresse , les cris, les blasphêmes DÀ G-RI1C UXLTUR E. Bt et les larcins des serviteurs et servantes réprimés. La nuit même, quand les servantes.,, sous prétexte -de laver leur vaisselle , faire leur lessive , leurs mé- nageries et autres choses ordinaires , demeurent bien tard dans la cuisine ; en vous sentant près d'elles , elles n'auront pas le moyen de passer la nuit avec les serviteurs à l'aise et sans crainte, comme cela est facile et commun dans la cuisine basse, le maître et la maitresse étant retirés dans leur chambre en haut , loin d'elles et laissées comme en pleine liberté. \ _ Cet avis ne s'accorde pas avec celui de plu- sieurs, qui, plutôt conduits par l'habitude in- vétérée que par la raison , mettent la cuisine sur le plan de la basse-cour , en ne prenant pas garde que c'est la pire assiette de la maison, pour être contraire à la santé, la sûreté et l'économie. La cuisine basse ne peut être entièrement saine à cause de l'humidité dont elle abonde et de l'air qui lui manque : donc cette position se trouve la plus mal saine de la maison , et la cuisine étant d'elle-même assez baignée-par la ménagerie continuelle, la raison voudroit, pour guérir ce mal , employer plutôt à cet effet le plus sec et le plus éventé, que le lieu le plus humide et le plus étouffé du logis. Elle n'est pas sûre non - plus, le bas de ses fenêtres donnant un facile Di 52 THÉATRE accès au boudin diabolique ( artifice de guerre ou d'abordage }, et à d'autres maudites inven- tions , que notre misérable siècle a produites. Les passans ont aussi le moyen d'entre-ouïr et d'entre-voir ce qu'on y dit et ce qu'on y fait, ou il faudroit que les fenêtres répondissent sur la basse-cour, ou autrement, que le lieu les re- haussât de lui-même. En heurtant à la porte prin- cipale de la maison , elle est le plus souvent in- considérément ouverte par ceux qui sont dans la cuisine basse , par paresse ou par l'incommo- dité d'aller en haut pour reconnoitre si c'est ami ou ennemi : donc la maison est en danger; quant à l'épargne , elle ne peut être telle dans la cuisine basse que dans la haute, tant par les raisons déja dites, que parce qu'il n'est pas possible d'y avoir l'œil, ainsi qu'il le faut, sur les exactions qui se commettent par plusieurs petits voleurs, qui, sous l'ombre de pauvreté, ou quelqu'autre prétexte , tournent autour d'une bonne maison, y étant attirés par l'entrée facile de la cuisine basse, ce qu'ils n'entreprennent pas si hardiment, quand ils sont contraints de s'adresser à la cuisine haute , par la difficulté de l'accès. Il ne suffit pas de dire que la cuisine basse est à préférer à la haute , à cause de son entrée et D'AGRICULTUR E. 53 de sa sortie faciles, de la commodité d'agir à souhait dans toutes les fonctions du ménage, et d'être près de l'eau, puisque l'on peut aussi bien se pourvoir de tout cela au premier étage qu'au rez-de-chaussée et sur le plan de la basse- cour ; la montée y sera même aussi facile qu'on voudra par un escalier à repos , à vis ou autre- ment, ne manquant autre chose que la fontaine qui n'y pourra monter par la nature du lieu : quant au puits et à la citerne , vous en jouirez, comme il vous plaira, n'étant pas raisonnable (par ce seul défaut de la fontaine, qui toute- fois ne sera pas trop éloignée , en coulant dans la basse-cour }) de vous priver de ces commodités les plus importantes du ménage. En vain vous ferez labourer vos terres , et serrer curieusement les fruits dans les greniers, si de-là, transportés comme dans un sac percé, ils se dissipent dans le désordre , comme cela arrive plus souvent dans la cuisine basse que dans la haute. Ainsi ceux qui ne détruisent pas leurs vieilles cuisines basses plutôt que d'en édifier de nouvelles ; sont dans l'erreur ; la cuisine basse n'ayant autre chose pour elle, si ce n'est qu'on y trouve plus de fraicheur en été, et que les vents y sont moins forts en hiver que dans la haute. Notre père de famille contre-pèsera ces deux avantages avec les autres, D 1 54 THÉATRE pour prendre cette résolution , qu'en vivant à son aise, sans incommodité de froidure et de cha- leur , selon son climat, il peut très-bien ména- ger, sans s'éloigner de ses gens, que le moins qu'il pourra, puisque sa présence est toujours nécessaire. Autrement ce seroit imiter les grands seigneurs qui, non-seulement se servent de Cui- sines basses , mais encore ont des logemens séparés pour leurs offices ; comme leurs moyens ne sont pas communiqués à tous, on ne peut aussi les imiter. Ce que dit messire Anne de Montmorency, connétable de France, est remarquable : c'est que le gentilhomme ayant atteint jusqu'à cinq cents livres de revenu , ne sait plus ce que c'est que de faire bonne chère, parce qu'en voulant trancher du grand , il mange dans la salle , à l'appétit de son cuisinier, au lieu qu'auparavant en prenant ses repas à la cuisine, il se faisoit servir à sa fan- taisie. Pour compenser ces choses, notre mé- nager aura une anti-Cuisine , qui lui servira de petite salle, où il mangera ordinairement , à tra- vers de laquelle il faudra nécessairement passer en allant à la cuisine : par ce moyen, ‘étant no- blement servi pour sa nourriture , sans se méler avec ses domestiques , il tiendra dans le devoir ‘tous les siens, qui deviendront plus obéissans et WiN 6 À ÉCU*LITEU R r. 55 mieux circqnspects par cette proximité , que s'ils étoient plus éloignés de sa présence. Par la même raison , ceux qui ont le plus éloigné de leurs maisons les granges , étableries et logis du bétail, se sont le plus trompés, quoi- qu'ils se soient principalement fondés sur ce qu'ils vouloient vivre de leur revenu à l'aise et sans bruit , sans avoir auprès d'eux l'embarras du mé- nage ; mais l'expérience fait voir que cette ména- gerie étant ainsi reculée , le seigneur est privé de la liberté de pouvoir avantageusement tenir son bien sous sa main , ou l'ayant , d'être contraint de laisser son bétail à l'abandon, et ses gens aussi: ce bétail , loin de sa présence , est mal servi, et il dépense moitié plus , qu'en faisant manger ses serviteurs dans sa cuisine : quand même il seroit résolu de donner toujours son domaine à ferme , cet éloignement lui ôte la faculté de contrôler son fermier , de se servir de lui en différentes occasions , et d'empêcher le dégât des bois , des fruits et autres @hoses, ce qui lui arrive à toute heure par son fermier , par ses enfans , ses servi teurs; et ce, avec d'autant plus de dommage qu'ils se trouvent plus éloignés de sa présence , et croyent être en pleine liberté. D'ailleurs le bien étant affermé ou non, cet éloignement rend la maison plus solitaire et moins fréquentée que ne D iv 5G L'H:ÉYANT R E /# le veut la maison des champs, et elle doit étre ornée de la ménagerie pour quelquefois domp- ter sa solitude naturelle. Par ces causes très- importantes, notre père de famille ayant à bâtir à neuf, sera averti de ne pas s'égarer en si beau chemin, mais de placer le logement de son fer- mier et de ses bêtes pas plus loin de sa maison, que d'après la mesure susdite, s'il n'y a point d'excuse légitime qui l'en détourne ; comme aussi de ramener plutôt près de lui ses vieilles étableries , que de dépenser de l'argent à les réparer. L'eau et le bois suivent nécessairement le logis; car comment peut-on vivre sans ces deux ali- mens ? Je n'en parle pas toutefois ici, en com- mençant , pour ne pas fatiguer le lecteur du ré- cit de cette longue matière , me réservant pour le donner ailleurs , dans lequel on représentera soigneusement le moyen de se pourvoir de ces deux commodités. AU AS R LCUL TU RE. 97 Es IRARITRE VL Du devoir du père de famille envers ses domes- tiques ét Ses VOISINS. C£s choses seroient vaines sans une bonne manière de gouverner , rien ne pouvant sub- sister dans ce monde sans police. C'est en quoi la Providence divine brille d'autant plus, qu'on voit l'ordre qu'elle a établi dans la nature, mar- cher continuellement son train sans interruption, ayant donné aux uns la faculté de commander, et aux autres, celle d'obéir. Par ce moyen cha- cun est retenu dans le devoir pour la conser- vation du genre humain. Avant toutes choses , notre père de famille sera averti de s'étudier à se rendre digne de sa charge, afin que sachant bien commander ceux qu'il a sous lui , il en puisse tirer l'obéissance néces- saire (ce qui est l'abrégé du ménage }, tâchant, pour y parvenir , de changer , ou du moins, d'a- doucir Humeur qu'il pourroit avoir contraire à un Si louable exercice, en n'y étant pas né. Moyen- nant la faveur du ciel et cela, il viendra facile- lement à bout de ses desseins, quoique , pour 58 T'HÉVAITRE les mettre en exécution , il soit forcé de se servir — Des hommes de nul prix, Dont les corps sont de fer ,et de plomb les esprits. Imitant en cela le général d'armée , qui employe aux fortifications, des pionniers quin'ont, comme les bœufs, d'autre mérite que dans leur force, sans esprit ni jugement. À ce sujet le poëte dit: Que son vers chante l’heur du bien aisé rustique , Dont l’honnète maison semble une république. Ainsi je m'adresse au gentilhomme et à tout autre vertueux personnage capable de raison, qui, étant décidé à faire valoir le bien que Dieu lui a donné , soit par ses ancêtres , soit par ses honnêtes acquisitions, se résout à prendre de bon cœur la peine de le faire cultiver par des serviteurs, ou par des fermiers , pour lui donner sur cette matière des avis d'autant plus néces- saires, qu'il amplifiera lui-même, par son bon sens et ses expériences. I] lui sera d'un grand secours d'être bien ma- rié, et accompagné d'une épouse vertueuse et sage, pour faire leurs affaires commuñes dans une amitié parfaite et une bonne intelligence. Et s'il en a recu une de Dieu semblable à celle que Salomon a décrite, il pourra se dire heureux, RAC RECU LT U RE. 59 ét se vanter avoir rencontré un trésor, la femme étant un des ressorts les plus importans du mé- nage, dont la conduite est à préférer à toute autre science de la culture dés champs; car lhomme se morfondra en vain à les faire cultiver avec tout l'art et la diligence possibles, si les fruits qui en proviennent, étant serrés dans les greniers, ne sont gouvernés par la femme avec une sage économie ; au lieu que s'ils sont entre les mains d'une bonne et pru- dente ménagère , ils seront convenablement distribués avec une honorable libéralité et une épargne louable, de manière que les vieux se joindront aux nouveaux avec abondance pour votre profit commun et à votre louange. Aussi On dit bien vrai qu’en chacune saison, La femme fait ou défait la maison. Par cette correspondance, la paix et la concorde régnant dans votre maison, vos enfans en seront bien mieux instruits, et serontplus humbles et plus obéissans, en vous voyant vivre vertucuse- ment d'accord. * C'est même aussi ce qui vous fera aimer , ho- norer , craindre , obéir, de vos amis, voisins, vassaux, serviteurs ; et sous ce rapport votre maison étant reconnue pour celle de Dieu, Dicu Go LH É ATUUE y habitera ; en y mettant sa crainte, et en la com- blant de toutes sortes de bénédictions, ilvous fera prospérer dans ce monde, ainsi qu'il est promis dans l'écriture , Si à ton souverain tu rends obéissance , En là ville et aux champs tu auras abondance D'huile, de bled , de vin, de bétail à jamais. Hésiode , Caton, Varron, Columelle et autres anciens auteurs champêtres, quoique payens, ne peuvent se lasser de nous recommander d'implorer l'assistance de Dieu dans toutes nos affaires , comme un article fondamental du mé- nage: ainsi puisque dans notre agriculture nous recherchons leurs leçons pour notre utilité , nous devons à plus forte raison profiter de leurs saints avertissemens , conformes à la piété et à la re- ligion chrétienne. Nous apprendrons par-là à. policer notre maison , spécialement à instruire nos enfans dans la crainte de Dieu, ainsi que nos serviteurs , afin qu'avec le respect qu'ils nous doivent, chacun remplisse sa charge , sans bruit, en vivant honnétement et religieusement , et en se comportant sagement avec les voisins. Nous apprendrons pareillement à aimer les pauvres en exerçant la charité envers eux, en leur faisant part de nos biens, selon nos moyens et leurs n'A/CRICULTUR E. Gt nécessités, dont nous nous informerons , sur-tout dans les tems de famine et de cherté; et de plus, à secourir soigneusement dans tous les tems les pauvres malades, nécessiteux et désolés , en vi- vres, en habits, en deniers, et en consolations, ayant à cœur, Que Dieu accroïit et bénit la maison Qui a pitié du pauvre misérable. Le père de famille aimera aussi ses vassaux ; s'il en a, en les chérissant comme ses enfans; il les soulagera dans leurs besoins, de son crédit et de sa faveur; en les préservant même de foules et surcharges , d'exactions non dues et sembla- bles violences , en cas de nécessité pour le pas- sage des gens de guerre et autres rencontres, que les tems amènent diversement. Il leur fera rendre justice pleine par ses officiers , et s’infor- mera souvent de leur conduite , ne devant ja- mais souffrir que sous l'ombre de la justice, ni pour autre occasion , sa réputation et son nom soient souillés en aucune manière. Il punira sé- vèrement le vice, afin que chassé de sa terre, Dieu seul y soit servi et honoré. Il ajoutera à ces œuvres pies et charitables, celle de s'employer à pacifier les différens et les querelles qui pourroient s'élever entre ses vas- 62 PH É AT RE saux et ses voisins, en les empêchant d'entrer en procès , et en les en faisant sortir, s'ils y sont, afin que la paix régnant au milieu d'eux, il par- ticipe lui-même au contentement et au repos qu'elle aura produit , imitant, par son entremise, plusieurs grands seigneurs et gentilhommes de ce royaume , qui, avec beaucoup d'honneur, ont cette partie essentielle en recommandation. Il n'exigera rien de ses vassaux qui ne lui soit légitimement dû, ni ne leur laissera arriérer au- cune chose , si petite qu'elle soit , qui lui revienne de ses fiefs ou rentes , tels que bled, vin, ar- gent, chataignes, poules, chapon, cire, huile, épices , corvées , servitudes , hommages et autres droits et devoirs seigneuriaux ; il se fera rendre compte de tout exactement , sans en rien ra- battre, ni ne laissera accumuler terme sur terme, à moins que la pauvreté de l'année ou quel- qu'autre calamité publique ou particulière ne lui fournisse matière de faire l'aumône à quelqu'un de ses débiteurs ; dans ce cas, il rangeroit ce der- nier au nombre des pauvres. | Il sera honnête envers tous, même envers ses parens, amis et voisins , en les flattant par toutes sortes d'amitiés et de bons offices ; 1l leur fera faire bonne chère quand ils le visiteront; sera libéral avec eux , de bon visage, et courtois; \ D'AGRICULTUR E. 63 ce quil fera toujours avec facilité, en le tirant de son ménage, car Le débonnaire donne et prète, Par raison ses affaires traite, Et il reconnoitra avec vérité, Que bien keureuse est la maison Qui d'amis reçoit à foison. | Il arrangera ses affaires de manière qu'il soit plutôt en état de prêter à ses voisins, que dans la nécessité de leur emprunter ; et si par hasard il emprunte, que ce ne soit que peu de chose, afin qu'il puisse le rendre plutôt ; en songeant que qui rend facilement , emprunte deux fois. Il réus- sira dans tout ceci, s'il voit toujours sous ses yeux trois récoltes de son bien, l'une dans sa bourse , l’autre dans ses greniers et caves, et l'autre dans la campagne; et s'il ajoute à son ménage quelque honnête négoce qui soit com- patible avec la culture de ses terres, il fortifiera la récolte de ses fruits, d'où naïîtront des moyens suffisans » pour exercer honnêtement tous les actes de charité, de libéralité, d'acquisitions , de réparations ; en un mot, il se rendra par-là tel que Caton desire le père de famille , savoir, plus vendeur qu'acheteur. Quoiquil soit louable de savoir seulement 64 THÉATRE bien cultiver la terre , pour tirer le produit or- dinaire , notre père de famille surpassant le vulgaire , ne s'arrêtera pas en si beau chemin, mais il tâchera d'augmenter son revenu par de- nouvelles fondations et réparations bien choisies, sans cependant s'abandonner au desir immodéré d'acquérir et réparer. Que ses affections soient toujours bridées par la raison, qu'il rejette toutes les autres inventions , quoique ingénieuses , dont plusieurs se servent, et qu'il s'en tienne à l'af- fection propre du bon ménager , qui est de con- server et évaluer son bien ; ce qui ne pouvant se faire sans dépense , il se moquera de ceux qui abhorrent sans distinction toutes sortes d'amé- liorations , qui manifestent que leur jugement est attaqué d'avarice, retenant cette maxime: que celui qui n'aime pas les réparations , n'a que faire de terres. On exige de tout bon ménager qu'il soit ha- sardeux à vendre, hätif à planter , tardif à bäur, néanmoins diligent pour construire , mais après avoir planté et non auparavant, à moins que la nécessité ne le presse, ou que quelque bonne occasion ne l'y invite. Il n'entrera jamais en querelle, avec qui que ce soit, s'il est possible , par le péril de l'issue , semblable aux excès des guerres civiles , qui causent PAS BR LEULTU R E. 65 causent la ruine du vainqueur et du vaincu ; au contraire ilera humain et courtois envers tout le monde , jamais colère ni vindicatif, raison- nable en tout , d'accord facile , et de loyal compte dans ses affaires , payeur exact de ses dettes ; prompt à satisfaire le salaire de ses serviteurs et de ses manœuvres : il sera vrai, continent , so- bre, patient, prudent, pieux , économe, géné- reux, industrieux et diligent , qualités essen- telles à l'homme qui desire vivre honnétement dans ce monde , snr-tout au ménager ;les con- traires étant ennemies formelles de notre profit et de notre bonheur: Dieu maudissant le travail des vicieux et fainéans , et les hommes les ayant en exécration. Ces vertus principales seront à notre père de famille des guides assurés pour parvenir à la vraie science de l’agriculture , avec lesquelles il augmentera noblement son bien , dont il retirera d'autant plus de profit et d'honneur, qu'il se gou- vernera dans ses affaires avec plus de diligence et d'industrie ; et comme oracle de ses voisins N il en sera imité ; en voyant son labeur pros- pérer, en rendant bonnes les mauvaises terres, et les bonnes , meilleures ; en tirant un revenu de rien ( sans mettre en compte les bleds, vins et autres denrées communes) par des acqueducs, Tome L. E C2 66 THÉATRE dés moulins , des prairies , des mines, des soies ; des herbes, des racines pour divers usages, et d'autres choses perdues que l'homme de juge- ment met en évidence pour son profit particulier et pour l'utilité publique. En un mot, d'un désert et misérable lieu laissé en friche pendant plusieurs siècles (il s'en trouve beaucoup dans ce royaume x la honte de leurs possesseurs et de l'intérêt public }, il fera une demeure très-agréa- ble , très-riche et très-commode. Que le père de famille soit orné de ces qua- lités, et savant dans tous les termes du ménage; il commandera hardiment ses gens, qui lui obéi- ront d'autant plus volontiers, qu'ils connoîtront par expérience que ses ordres sont raisonnables et profitables ; et par la bonne opinion qu'ils auront conçue de sa suffisance , ils travailleront de bon cœur et sans murmure , CE qui n'arrive pas communément , quand les mercénaires sont sous, la charge d'un chef qui n'entend pas ce qu'il veut faire , et s’en rapporte à autrui , caï ils sont accoutumés à se mocquer de lui. C'est un article principal du ménage de dis- tinguer l'ouvrier d'avec l'ouvrage pour s'en servir convenablement ; par ce moyen les ouvrages les plus fatigans seront donnés aux plus ‘robustes de nos serviteurs ; Ceux ; OÙ l'adresse est plus RUA SR r CU LATIU R E. 67 nécessaire que la force, aux plus intelligens ; ceux. qui tiennent le milieu de ces deux qua- lités, aux ouvriers qui ont de l'intelligence et de la force. Il est aussi bien efficace pour se faire servir. de savoir discerner les humeurs des mer- cénaires , pour d'après elles , commander les uns doucement, et les autres avec fermeté , en nom- mant toujours par le nom celui ou ceux aux- quels on s'adresse ; car si l'on commande confu- sément à toute la troupe de faire ceci ou cela, ils se regardent l'un et l'autre avant de mettre la main à l'œuvre, au détriment de l'ouvrage qui reste en arrière , ou se fait mal. Avec tout cela , sans activité pour leurs devoirs , il règne presque parmi tous les mercénaires une bruta- lité générale qui les rend sots, négligens , sans conscience , sans honte , sans amitié, ne prenant d'autre soin que de faire bonne chère, et d'ob- server le tems pour toucher leur argent. Par ces motifs , le père de famille est forcé de prendre l'habitude de se lever ordinairement de grand matin ,en se montrant à ses domestiques à cette heure , et étant sur cet article, l'exemple de la diligence, chacun dès-lors se rangera à son tra- vail ; pour jouir de l'effet de cette maxime ; que la matmée avance la journée ; que le lever du matin enrichit ; et que se lever tard appauvrit, E i 68 T'HIÉIAT RE Pour exécuter tout ceci , il se couchera de bonne heure. Sur ce propos le sage ménager dit : Si tu te couches tard, tard tu te leveras ; Tard te mettras en œuvre , aussi tard disneras. Celui qui ne pourra se résoudre à conduire lui-même ses domestiques et manœuvres, comme le capitaine ses soldats , ne se mêle donc point de ménage, car en croyant épargner sa peine, il tombe dans une honteuse confusion. Non-seule- ment cette grande sollicnude et vigilance sont nécessaires au ménage , mais encore dans toutes les actions du monde; les rois n'étant pas même exempts de s'employer en personne dans leurs affaires ; qu'ils terminent d'autant mieux, que plus soigneusement ils les examinent et les compren- nent. C'est ainsi que cette maxime se trouve uti- lement vérifiée au rétablissement de ce royaume, par la conduite vertueuse de notre roi Henri IV, heureusement régnant. Mais comme le capitaine a des lieutenans pour le seconder, notre père de famille, pour son soulagement aussi, se pourvoira de quelqu'un d'intelligent , homme de bien, de moyen âge, comme de trente à cinquante ans (un plus jeune ou un plus vieux, ne lui est pas” propre , le sens manquant à l'un, à l’autre la force ), sur lequel il se reposera quelquefois, MAT GTRAI IC ULIT Ù R E. 6q non pas egtièremcnt, de toutes ses affaires , re- tenant pour lui la principale administration; mais il lui confiera les choses qu'il ne pourroit exécu- ter lui-même, sans trop de travail , se fera ren- dre souvent compte, et conférera tous les jours avec lui de ses travaux, pour que rien ne de- meure en arrière faute de prévoyance ; ainsi, conservant , sen autorité sur tous les siens, il par- lera souvent avec ses mercénaires, plus familiè- rement toutefois aux journaliers qu'aux domes- tiques , louant ceux qui auront bien fait, et blà- mant les autres. Il discernera les occasions de se réjouir avec eux , ou de se courroucer, afin de faire revenir à son profit l'un et l'autre ; il mé- lera la rigueur avec la douceur en les reprenant à propos, et non pas continuellement , ayant au- tant de raison à appréhender de paroitre triste devant eux , quà les accoutumer à ne pas le craindre. H sera diflcile à contenter , ne trou- vant pas tout bon , tout bien fait dans son ser- vice ; maïs il y remarquera quelque chose à redire, prenant par la occasion : de les exhorter à mieux faire , afin qu'ils en soient plus obéissans, et se dé- fiant de leur capacité, moins glorieux , et qu'ils tàâchent de se rendre meil'eurs serviteurs. Il ne se mettra jamais plus en colère , que de renvoyer et donner congé à quelqu'un de ses serviteurs, E 1} 70 THÉATRE # pour désobéissance , ou quelqu'autre légère oc- casion, même à ceux qui sont les plus altiérs, à cause des tems plus nécessaires où l'on trouve difficilement des gens pour faire les travaux. II prendra garde aussi, autant qu'il pourra, de les injurier et menacer, et d'en venir jamais jus- qu'aux coups, sur-tout avec ses grands serviteurs, qu'il congédiera après les avoir payés, plutôt que de les faire travailler pour lui; mais aux petits, il ne laissera rien passer de travers, en les châ- tant , suivant leurs fautes, pour leur fare en- tendre par force, ce que la raison ne peut leur persuader. On reconnoit deux différens tems dans l'année , où il est nécessaire de flatter les serviteurs , pour abattre leur humeur perverse , ce qui excède alors au détriment des affaires ; c'est en entrant au service , et quand la récolte des bleds approche. Dans le premier, peu de chose les fait dédire par le changement d'habi- tation et par la nouvelle habitude; et qu'à la moindre occasion qui se présente, ils se reti- rent impudemment , avec, ou sans congé, et que cela arrive sans aucune perte pour eux, malgré le peu de tems qu'ils vous ont servi: dans le second, à cause de la débauche géné- rale de toutes sortes de pauvres gens employés dans les moissons, où avec la bonne chère, par MAS BTCULTU RE. 71 Ja nature de l'ouvrage, quelquefois les gages de journées soht grands, ce qui les fait repentir de vous avoir servi, et de s'être loués à un prix qu'ils croyent petit, et ils recherchent l'occa- sion de vous quitter, ce qu'ils feroient volon- tiers, s'ils ne craignoient pas de perdre ce que vous leur devez de leurs salaires. Vous les re- tiendrez donc dans le devoir avec des paroles douces , à votre avantage , en les corrigeant de ces folles fantaisies , et par-là, vous leur ferez passer ces pas glissans. Le ménager ordonnera tous les soirs les tra- vaux du lendemain , pour que chacun sache à quel endroit, et de quelle manière il doit être employé à la prochaine journée, et que dès le point da jour il se rende à l'ouvrage qui lui aura été commandé. Il conférera souvent avec ses serviteurs de ce qui est nécessaire à ses affaires, soit pour la culture ordinaire du fond , soit pour quelque nouvelle réparation; en faisant semblant d'adopter leurs avis alors qu'ils sont conformes à son intention. Par cette ruse ils travailleront de meilleure volonté , s'imaginant que cela est de leur invention. C’est aussi un article de pré- voyance que de se résoudre le samedi au soir, pour savoir ce qu'on aura à faire la semaine suivante , même pour les nouvelles réparations ; E iv 72 VLHÉR AUTRE parce que le dimanche on se pourvoit d'ou- vriers et d'autres choses nécessaires , ce jour-là donnant plus de moyen de communiquer avec le personnes , qu'aucun autre Jour de la se- maine. | Le père de famille exhortera ses domesti- ques , selon la portée de leur esprit, à suivre la vertu et à fuir le vice, afin que leurs mœurs étant bien formées, ils vivent honnêtement , sans faire de tort à personne ; il leur défendra les blasphèmes , les débauches , les larcins et autres vices, ne voulant point qu'ils pullulent dans sa maison, pour qu'elle reste toujours maison d'hon- neur. Il leur représentera aussi combien la di- ligence est profitable dans toutes les actions, spécialement dans le ménage , ce qui a fait la for- tune de plusieurs maisons pauvres ; et au con- iraire, un nombre infini de familles riches se sont trouvées ruinées par la négligence: c'est pourquoi en toutes sortes d'affaires, la paresse coûte plus de travail que la diligence, les fai- néans ÿ étant trompés par les travaux rus- tiques. Il leur rapportera à ce sujet les beaux dis- cours des sages, même de Salomon, que la main du diligent l'enrichit ; qu'il ne sera point confus en tems de nécessité, ayant amassé des DA GRLCGUL TU R E. 75 biens suffisamment pour lui et pour autrui; que tout son Pen est comme une forte cité: que l'homme habile dans son travail sera au service des rois; que celui qui labourera sa terre, sera rassasié. Au contraire, que le paresseux ne vou- lant pas travailler à cause de l'hiver, mendiera en été; que celui qui craint toutes.sortes de dan- gers, pour prendre excuse de rester dans le lit, se figure des lions dans son chemin; que celui qui aime mieux dormir , que de veiller, se crot- ser les bras, plutôt que de les étendre +. vail, qui est lâche à l'ouvrage et sans cœur ; qui, par orgueil, prend des excuses, et a honte quand il faut travailler, est moqué, comparé ‘au fumier, à la pierre souillée d'ordures, et exposé à l'igno- minié , lorsqu'on voit ses champs et ses vignes couverts d'orties et d'épines, leurs cloisons dé- molies , la pauvreté et la famine viennent le sai- sir , il ne lui reste autre chose que de vains sou- haïts, folle espérance, avec une sotte présomp- tion de lui-même, s'estimant plus sage que plu- sieurs de ses voisins. Salomon renvoye ces pa- resseux aux fourmis pour devenir diligens, afin qu'ils apprennent à travailler l'été pour l'hiver. Ce que tu peux maintenant , ne différe : Au lendemain , comme le paresseux : 74 THÉATRE Et garde bien que tu ne sois de ceux Qui par autrui font ce qu’ils pourroient faire. Car comme dit Hésiode : Qui son labeur va délaiant, Son profit aussi va fuyant. Cicéron dit, qu'en ne faisant rien, lon ap- prend à mal faire. Les anciens ajoutoient à ces salutaires avis , que la diligence est la mandra- goréf, que le sot vulgaire estime être entre les mains de ceux qui font bien leurs affaires; que ce sont aussi les charmes dont se sert le bon cul- tivateur ponr faire produire abondamment ses terres; que c'est la paresse du fainéant qui donne un lustre à la diligence de son voisin , homme inquiet , et qui met en évidence les limites de son héritage , à la honte et confusion du pares- seux, qui par des remises et des longueurs, ne trouve jamais le loisir de mettre la main à l'œu- vre, ce qui lui fait arriver l'effet de ces me- naces , fée Qui le tems par trop attendra, A la fin le tems lui faudra. Parce qu'à la longue , les bonnes saisons étant écoulées , il se ruinera et se rendra lui et les siens D'À GxR«I-C U L'T Ü R E. 75 totalementmisérables , en dissipant son héritage pour vivre (si chèrement assemblé par ses pré- décesseurs ) et en le mangeant pièce par pièce, Fun après l’autre. Voilà les discours ordinaires du sage et pru- dent père de famille à ses gens, dont lui- même il prendra l'instruction , pour être le pre- mier à suivre la vertueuse diligence ; que jamais de sa bouche il ne sorte aucune parole blasphé- matoire , impure, sotte , ni médisante, afin d'être le miroir de toute modestie. Et à l'exemple de Caton, imitant Manif Curius , il réformera sa maison, en ordonnant de nouveau les choses mal faites, chassant tous les vagabons , bouf- fons , et autres gens de rien , pour que ceux qui sont inutiles, et de mauvaise vie, n'y mangent point le pam. Il apprendra aussi à mesurer le tems , une des sciences principales pour la con- duite des affaires du monde ; pour expédier ses ouvrages par rang et saison, Ce qui préviendra etévitera la confusion , qui est la ruine de tout négoce. Il fera bien nourrir ses domestiques et ses manœuvres , selon leur état, et continuera ainsi régulièrement : quand il se fera dans la maison quelqu'extraordinaire honnête, il les fera parti- Ciper à la bonne chère : il pourvoira à ce que 6 THÉATIRIE leurs vivres , quoique grossiers , soient bons ; francs, et distribués en bon ordre , pour qu'au- cune partie ne se dissipe. Îl laissera ses gens prendre ieur repas, à repos, et ne les détour nera que le moins qu'il pourra, à moins que ce soit pour quelqu'affaire d'importance. Il ne pren- dra pas la coutume de les regarder manger, comme s'il vouloit compter leurs morceaux , de même qu'il les laissera dans la cuisine à ces heures , pour se délasser de leurs travaux, se chaufler et se réjouir ensemble; et afin qu'il n'y ait point d'excès dans cet liberté, le père de famille les tiendra dans le devoir et la sujétion, les empêchant de crier et de folâtrer dans son anti-cuisine, où il sera souvent , sur-tout à l'henre du repas, y faisant son ordinaire : et de-là ik aura soin de les faire retourner à leur besogne: après leur diner. Ils mangeront devant le jour; au tems des plus longues nuits ; pendant quatre mois continuels, qui sont depuis la mi-octobre jusqu'a la mi-février ,‘afin‘que dès l'aube du jour, chacun se range à son ouvrage, la matinée étant l'avancement detout travail ; parlcemoyén, gagnant autant detems, on s'épargnera la peine de leur porter des'vivres dehors; et: leurs tra- vaux continueront, au lieu de:‘revenir:diner à la maison. Après leur souper, ceux qui auront | è | D'AYGRICULTURE 77 la charge des bêtes iront les panser , et le père de famille, en se promenant , descendra trés- souvent aux étables, pour y veiller , y ayant l'œil afin que le-bétail soit traité comme il faut, et qu'il reçoive son ordinaire , par le profit qui en revient ; suivant le proverbe , que l'œil du maitre engraisse le cheval. Tous, jusqu'aux plus petits, employeront la veillée des longues nuits, à faire des paniers, des Corbeilles, des mannes, des vans et autres meubles semblables du mé- nage, selon Je pays et les matières qu'on a, dont il se pourvoira en ces tems et heures pour le reste de l'année , étant honteux pour un ména- ger de débourser de l'argent pour l'achat de ces meubles , et d'employer le tems à en faire hors de ladite saison , suivant cette maxime, qu'il ne faut jamais faire de jour ce qu'on peut faire de nuit , ni dans un beau tems, ce qui peut se faire en mauvais. Les anciens ont ajouté à cette dé- fense cet avis, que celui qui travaille a la mai- son en tems clair et serein, plutôt qu'aux champs, n'entend rien au ménage. Ayant donc ses gens occupés dans les jours pluvieux , neigeux et autres mauvais tems, le père de famille aura soin de leur faire faire une grande provision de toutes sortes d'outils et ins- trumens de labourage ; et afin d'en être pourvu 18 THÉATRE 4 suffissamment, il en aura moitié plus qu'il ne faut , tels que socs , charrues , houes, bêches, pelles, haches, et autres meubles des champs, pour en avoir de rechange, en envoyant au ma- réchal forger les outils de fer, et en apprêtant à la maison ceux de bois, de sorte que le tout appareillé comme il faut (et en tems presque perdu, parce qu'on ne peut travailler à la terre, en quoi il y a de l'épargne ) , il se trouve prêt au besoin, sans être contraint de les refaire , quand il s'en rompt sur la besogne, ni d'en em- prunter; par cette réserve, il s'évite outre la honte et le danger d'être refusé , la perte du tems de les aller chercher et rendre. Ces meubles et ces outils seront soigneusement conservés dans un cabinet destiné pour cela, où on ira les prendre au besoin, et où on les remettra après le service. Mais ce sera distinctement , selon leurs espèces, manières et usagés, en séparant les grands d'avec les petits, ceux de fer d’un côté , et ceux de bois de l’autre; par cet ordre, il s'épargne la perte et l'égarement, ce qui cause toujours un grand embarras , la peine de les chercher étant estimée demi-perte. Dans le mauvais tems le ménager fera aussi nettoyer ses étables et tra- vailler à d'autres œuvres pareilles, qui ne doivent pas être faites dans lé beau tems, gardant à » D'AGRICULTUR E. 79 dessein dé telles besognes pour y employer les gens ; comme après les pluies, de faire couper les buissons des prairies sèches, les épierrer, charrier les matériaux pour bâtir , en attendant la vraie disposition de la terre pour la conti- nuation de son labourage. Il payera bien et gaiement ses serviteurs, afin que de même , il soit servi par eux, soit en ar- gent, soit en habits, et autres choses convenues pour leur salaire ; tout cela leur sera donné au terme arrêté, sans en rabattre, ni délai. Il ne leur avancera rien non plus, que par nécessité de maladie , ou autre cause légitime , de* peur d'y perdre, à cause du naturel sauvage et per- vers des mercénaires ( ou de la plupart), qui, pleins d'insconstance et sans honneur , se sen- tant payés , quitteroient votre service à la moim- dre occasion de mécontentement , ce qui les arrête le plus souvent malgré eux, de peur de perdre leurs gages ; la meilleure coutume étant de ne les payer qu'après le service et non avant, par-là il les tiendra bridés ; autrement il s'en trouvera peu qui s'enfonceront bien avant dans vos affaires: en cas de maladie ou de blessure, il fera charitablement secourir ses serviteurs par des remèdes et un bon traitement ; les faisant retirer à part dans une chambre à ce destinée. 80 THÉATERE Il y a de la cruauté de les renvoyer alors , ou de ne les pas assister, sur-tout s'ils sont pauvres, à qui on doit des secours sans autre obliga- tion. Comme c'est une grande peine que d'être toujours après les mercénaires pour les faire travailler; afin d'être soulagé quelquelois , le moyen est de ne point se charger par trep de serviteurs loués à l'année , mais justement de ce qu'il faut pour l'ordinaire culture du domaine ; il convient plutôt d'en avoir moins que plus, parce qu'avec de l'argent on trouve des gens à la journée pour avancer les affaires , et les ser- viteurs ne se voyant pas en irop grand nombre, en travailleront mieux, ou ils n'attendront que bien peu du travail d'autrui, ce qui épargne aussi la confusion et la dépense excessive qui provient d'une trop grande multitude. D'ail- leurs , les charges de vos serviteurs ordinaires, sont presque comme des tâches, ils savent ce qu'ils ont à faire pour toute l'année ; il faudroit qu'ils fussent en tout déloyaux et déhontés, sils n'y travailloient pas passablement, et en vous promenant , vous aurez facilement l'œil sur eux, en les sollicitant à leur devoir par. votre présence et des remontrances à propos. Vous réservant au bout de l'année à récompenser et châtier “ie. D'AÂAGRICULTUR E. 81 châtier ceux qui auront bien ou mal servi, don- nant à ceux-ci quelque chose outre leur salaire, bannissant ceux-là de votre maison » Pour n'y plus revenir. Quant aux fondations et réparations nouvelles et extraordinaires, il convient aussi d'y travailler extraordinairement, en tenant un autre ordre qu'à la simple culture de la terre, savoir, de choisir les longs jours et beaux tems , et de faire pour lors terminer votre ouvrage avec un bon nombre. d'hommes loués à la Journée ; car puisque les fondations et nouvelles réparations (excepté de planter, et de quelques autres qui ont leur saison particulière ) ne sont pas res- treintes à certain terme, ce seroit une très-mau- vaise économie que de préférer les petits jours aux grands, le mauvais tems au beau , et dépenser par-là volontairement un tiers davantage. Comme il résulte par l'inégalité des Jours des mois de novembre et décembre, à ceux d'avril et de mai, et par la différence de l'automne et de l'hiver s au printems et à l'été. Notre ménager discernera la qualité de ses Ouvrages pour les mettre à exécution , Chacun selon son rang. Les nécessaires, les premiers ; ensuite les utiles : après les agréables. Une ruine par le feu, une ravine d'eau, et d'autres incon- Tome L. F ro 82 THÉATRE véniens qui quelquefois surviennent, contraignent d'en réparer les pertes en quelque tems que ce soit. On doit de même, avec la plus grande di- ligence, mettre la main à la construction, ou au redressement d'un moulin, d'un canal de prai- rie, et à de semblables pièces de remarque, dont le retardement, compté même par heure, est préjudiciable ; par l'importance de leurs revenus. Cette remarque suit de près le tems de planter les vignes et les arbres, parce que en les apprétant de bonne heure ; ils rapporte- ront d'autant plutôt du bien, qu'on les y aura préparés. Quant à ce qui concerne les choses de seul agrément , elles seront dressées les der- aières ; et le père de famille en attendant, ne sera pas sans joie, en voyant ses revenus $ ac- croître par sa diligence employée aux ouvrages susdits, le plaisir suivant toujours le profit. La distinction des saisons est aussi tès-néces- saire dans ces choses, afin de ne les entrepren- dre que dans une moyenne année de fertilité, pour qu'elles ne soient pas d'un trop grand coût; car dans le tems où les vivres sont à un prix excessif, le bon ménager doit s'abstenir de ré- parer ‘et d'entreprendre rien de nouveau ; il doit s'occuper de vendre ses denrées et d'en serrer Jes deniers, pour les employer én réparations , EE" = D'AGRLGULITUR E. 83 la saison revenue meilleure , ou bien il y seroit contraint gar la nécessité , ou bien encore il en- treprendroit charitablement quelqu'ouvrage pour donner à vivre aux pauvres, en tems de fa- mine et de cherté. Mais, lorsque les fruits de la terre sont à bas prix ( ce qui arrive quelquefois, n'étant d'aucune vente ), c'est alors la vrai sai- son de les dépenser en réparations, et pourvu qu'elles soient raisonnablement inventées, il ne pourra pas mieux débiter son revenu; il ordon- nera aussi ses réparations , de manière qu'elles soient distribuées sur plusieurs points , et que la dépense nécessaire en soit faite d'autant plus gaiement , qu'il espère plus d'utilité de leur fin. Ces sortes d'ouvrages sont comme un fossé qui entourant le champ, l'épuise des eaux nuisibles; les fossés souterreins , appellés pied de géline , faits pour dessécher les terres marécageuses, où des pierres sont enterrées , qui servent à se dé- barrasser des eaux et des pierres tout ensemble ; de planter la saussaye près de la rivière , qui sert à donner du bois, et garantit la terre voi- sine de l’eau; de bâtir la muraille du clos; de fermer le jardmage et vignoble ; de réparer la forteresse et la maison; d'édifier le colombier; d’avoir des pigeons , et de le pourvoir de bons fumiers ; de dresser la müreraie, de recouvrer Fi 84 THÉATRE la soie ; de s'approvisionner de bois pour le chauf- fage , et de faire des cercles pour les tonneaux, de dresser la garenne, la peupler de lapins , et faire du fagotage pour le feu, ainsi des autres. D'après ces observations, en pressant vos ou- vriers par votre présence, vous trouverez dans vos ouvrages ce que chacun espère à cet égard, pourvu qu'ils soient entrepris avec prudence , comme il a été dit, sans vous adonner à de vaines inventions de peu de profit, au cas que vous ne veuillez pas vous en tenir aux néces- saires. Ainsi vous ne devez espérer toutes ces choses que par votre présence , à moins que vous n'ayez un homme sur lequel vous puissiez vous reposer en pareil cas. Espérez encore moins que les serviteurs loués à l’année vous satisfassent en cette occasion, parce que la majeure partie des mercénaires est sans loyauté , ils ne servent qu'à l'œil, spécialement ceux-ci; il faut les tenirdeprès, tant à cause de l’ennuyeuse peine que la longueur de l'ouvrage vous donneroit , que, vu leur petit nombre, vous ne pouvez avec eux seuls avoir fini assez tôt (on ne peut ni on ne doit en louer suffisamment pour hâter la besogne par les rai- sons dites), et encore parce que les domes- tiques ne travaillent jamais aussi vigoureusement dans les nouvelles réparations que les journaliers, DA G K I'C:U LIT U R E. 85 d'autant plus que gâtés par votre bon traitement, sans s'informer d'où vient le bien, ils vivent sans penser à rien, comme des enfans sans souci, et croyent vous servir à trop bon marché, quand ils comptent leurs journées moindres que celles des journaliers ; c'est pourquoi ils se rendent négligens pour vos affaires. Ils ne veulent point considérer que leur condition est beaucoup meilleure que celle des pauvres journaliers qui ne touchent d'autre argent que par les journées de travail qu'ils font dans le beau tems, et n’ont que trop de loisir pour le dépenser sans rien faire par la suite, à cause de l’injure des sai- sons , au lieu que les premiers épargnant et met- tant en bourse à la fois leurs gages de toute l’an- née , sans perte d’un seul jour , ils gagnent au- tant les jours pluvieux que les secs. Ainsi donc, il y a plus d'avantage à se servir d'hommes loués à la journée pour les répara- tions extraordinaires , que de ceux qui le sont à l’année : quand les journaliers entrent à votre service , comme ils sont mal nourris dans leurs pauvres maisons , ils travaillent très - bien en commençant, ce qui se reconnoit le plus évidemment le lundi, qu'aucun autre jour de la semaine, en ce qu'ils sortent nouvellement de leur ordinaire ; mais aussi cette première F ii 86 T'AHJÉTAITERE ardeur s'évente bientôt après, quaud ils se sen- tent avoir gagné une pièce d'argent à votre ser- vice ; remplis de bonne chère, ils se rallentissent petit à petit, et finalement ils deviennent insup- portables par leur lâcheté ; ensuite poussés par l'humeur perverse des domestiques , ils se fa- chent même de la longueur de l'ouvrage , et quoiqu'ils gagnent toujours , ils se plaignent que la fin en soit si longue à venir, ne se souciant plus de leur devoir, ni de vous contenter. Ne vous imaginez pas non plus qu'ils vous portent tant d'amitié et de respect, que cela suffise pour vous préférer à un autre, eu égard à leurs services, comme ils devroient le faire (si quelqu'obligation particulière ne les y con- traint ); au contraire , extrêmement avares , ils ne vous serviront pas , s'ils trouvent à gagner un denier de plus ailleurs que chez vous. C’est en- core une chose éprouvée , que si vous traitez ces mêmes gens aussi bien dans le mauvais tems que dans le bon , ils ne viendront chez vous que lorsque le tems sera à la pluie , et jamais quand la matinée sera claire et sereine. D'après ces observations, et d’autres légères ou vicieuses, 118 _ne reviendront pas chez vous ( suivant l'expé- rience } le lundi, s'ils ont été entièrement payés le samedi précédent, au moins il y en a peu D'ÀÂAGRICULTUR E. 87 d'exceptés ; ce qui a fait inventer ce trait d'éco- nomie, de les tenir engagés par quelque peu d'argent, dont expressément vous leur resterez débiteur ; et afin de le recouvrer plus aisément, ils reviendront comme vous le desirez. Par - là vous concluerez avec le proverbe, que Celui qui paye le premier Se trouve servi le dernier. Je ne doute pourtant pas qu'il ne se trouve quelques-uns de ces pauvres gens qui ne soient de bonne conscience , qui d'après votre inté- grité , ne se laissent mener comme vous voudrez; mais le nombre en est si petit, que par leur seul service , vous ne pourriez beaucoup avancer. À ceux-là néanmoins, vous donnerez plus à ga- gner qu'aux autres, selon vos affaires. Mais s'il est question d'une grande et importante be- sogne , eux et plusieurs autres, mieux choisis, seront employés pour (comme il a été dit} tà- cher de finir vos entrepiises avec grande dili- gence dans le beau tems , en congédiant sur l'ouvrage même, ceux qui par un mauvais choix, se trouveront ou lâches ou trop ignorans , sans souffrir qu'aucun mange inutilement votre pain, alors les autres profiteront de ce châtiment. Fina- lement, vous contenierez tous vos mercénaires F iv 68 TiHlÉ A°TRLE et manœuvres, en faisant leur payement, sans leur rien retenir. Il est écrit à ce sujet: Tv ne frauderas point le loyer du paurre mercénaire, afin qu'il ne crie contre oi au seigneur , et qu'il Y ait péché en toi. Le isbotiss du payen s'ac- corde à cet oracle, Tu payeras promptement le salaire, Qu’auras promis au pauvre mercénaire. Ft vous cs renverrez ainsi dans leurs pauvres familles jusqu'à une autre fois , que les rap- pellans , vous les trouverez souples et disposés à revenir, ayant goûté la douceur de votre ta- ble et de votre bourse. Ayant suffisamment discouru des imperfec- üons des gens de service , domestiques et ma- nœuvres , il est nécessaire aussi de parler des défauts des maîtres envers eux , afin que nous soyons instruits du moyen équitable que nous avons à tenir en cet article important, pour être bien servi dans notre ménage. Le pouvoir absolu de vie et de mort que les maîtres avoient sur leurs serfs dans le tems passé , étoit si injuste, que les maîtres étoient regardés comme des tyrans insupportables, par toutes sortes de cruautés qu'ils exerçoient sur eux. Ces pauvres gens étoient battus et mas- D'AGRICULTUR E. (oje sacrés, non-seulement par haine, dédain, ou autre mauvaise humeur ; mais encore on les ex- posoit aux lions, aux ours et aux autres bêtes furieuses, le plus souvent par passe-tems , et quelquefois ils étoient contraints de s'entretuer eux-mêmes. Les plus humains se contentoient seulement du travail de ces misérables, qui toutefois étoient gouvernés comme des bêtes. Attachés tout le jour au joug , enchaînés après le travail, et contraints de travailler à force de coups , la nuit on les renfermoit dans des pri- sons ou des cachots. Mal nourris , vendus ; achetés, échangés dans les foires et marchés, on en faisoit un trafic comme des haras, ainsi qu'on fait des poulains pour en avoir de leur race. De cette barbare inhumanité , il est sorti ce proverbe antique , autant de serfs, autant d'ennernis. Vous les vieux auteurs rustiques en- seignent le gouvernement des serfs , selon l'usage de leur tems, pour en tirer profit , avec autant de douceur que le naturel de la chose le de- mandoit , en quoi toutefois une trop grande rigueur est reconnue : Mais On peut remarquer la trop grande sévérité et l’avarice cruelle de Caton, qu'on place au-dessus de tous les hommes raisonnables , qui lorsque ses serfs et esclaves étoient devenus presqu'inutiles par la vieillesse, Q0 L'HUÉMASTÉRER il les chassoit de sa maison , en les vendant à bas prix, de crainte de perdre quelque peu d'ar- gent, tel que l'on fait des vieux chevaux et mu- lets, sans vouloir leur permettre d'achever leur misérable carrière , là où ils avoient sacrifié leur jeunesse , en s'épuisant à travailler pour son ser- vice. Par ce traitement imique, les esclaves sup- portant impatiemment le joug de la servitude, sans reconnoitre que Dieu les y avoit assujettis, étoient dans une sollicitude continuelle pour trouver les moyens de leur délivrance, qui quel- quefois s'offroient , suivant leur desir , à la honte et à la ruine de leurs maitres, qui recevoient avec violence par différens événemens, la puni- tion de leurs cruautés ; ainsi se roidissant les uns et les autres , à la rigueur : tout respect d'hon- neur mis en arrière, il n'étoit question que de la force et de la contrainte. Quoique cette rigoureuse loi n'ait dla lieu dans cette terre de franchise, n'y ayant plus ni serf ni esclave, 1l reste cependant à plusieurs maitres une manière trop sévère de comman- der, qui approche de la brutalité ; car outre un dédain continuel qu ‘ils ont, en he trouvant au- cun service bien fait, ils ne montrent jamais leur bon visage à leurs serviteurs ; et suivant D'À GRICULT OUR E. Q1 qu'ils sont #poussés d'avarice , sans avoir égard à leurs promesses, ils ne payent leurs mercé- naires que le’plus tard qu'ils peuvent , Jamais comme ils doivent , et quelquefois ils tàchent de ‘les contenter par des bastonnades , au lieu d'ar- gent, ou par quelqu'autre invention, pour leur faire perdre leurs salaires, sans avoir égard à ces défenses sacrées : Ne sors point dans ta mat- son comme un lion, molestant tes serviteurs dans tes fantaisies, et oppressant tes sujets. C'est en quoi ces maitres se trompent , contrariant directement les devoirs de la charité, de l'hon- nêteté, de la société; car puisque devant Dieu, il n'y a exception de personne , tous étant en- fans d'un même père, ce n'est pas les traiter en frères que d'user de ces violences. Ainsi s'il étoit non-seulement défendu à l'ancien peuple de Dieu de se servir de ses esclaves avec trop de sé- vérité, mais encore commandé d'affranchir ce- lui qui auroit bien servi ; à plus forte raison, à présent , que les serviteurs sont de franche et libre condition , et par cette raison volontaires , quoique mercénaires , toute rigueur sévère et excessive devroit être bannie de l'entendement du ménager, comme une chose contraire au bon service , vu que la véritable obéissance ne pro- cède que de l'amitié. 92 T'H'ÉAMTINTE Que le mercénaire promette de vous servir moyennant un salaire convenu ; le salaire man- quant, il refusera avec raison le service; alors il n'a pas tort de le faire; car outre que c'est une grande folie que de croire s'enrichir par ces moyens honteux et avec des gens de cette étolle ; ce n'est pas le fait d’un homme sage de prétendre faire faire ses affaires pour rien. On se moque avec justice de ceux qui volontaire- ment ne font pas droit à chacun, sur-tout à ceux dont on aura tiré avantageusement les sueurs et la peine , et on n'aura pas lieu d'être étonné de voir leurs affaires aller de travers, par la perte du tems, les vols fréquens de den- rées et d'autres objets que les serviteurs mal payés font à la ruine de la maison. Ainsi la longueur du tems, le changement de la servitude en liberté, n'ont pu éteindre entiè- rement l’ancienne rébellion et désobéissance des gens de service, qu'il n’en reste beaucoup au- jourd'hui à nos mercénaires, qui ne veulent point reconnoître la grace que Dieu leur a faite d’être nés libres, et que la pauvreté ne doit pas leur ôter la franchise , seul bien qu'ils ont dé com- mun avec les plus riches. Nul n'entre à notre service qu'avec humilité et de bonnes paroles d'obéissance et de diligence. Mais peu de tems DABHICULITURE. 93 après , ils tiennent peu compte de leurs pro- messes , et se ressouviennent moins de leurs conventions , que de faire bonne chère, et du terme pour toucher leur argent. Enfin, par leur paresse, ils se rendroient destructeurs et déser- teurs de la maison, sans une pressante sollici- tation , dont on est contraint d'user envers eux avec beaucoup de souci et de peine. Et les armes civiles ( où plusieurs de ce calibre ont été em- ployés ) les ont rendus d'autant plus insdlens et arrogans , qu'ils ont eu plus de loisir de prendre l'habitude de tous les vices, désordres , par la longueur des guerres , se souciant peu de leur honneur , au préjudice du public, de l'agricul- ture même, au très-saint exercice de laquelle , nulles personnes que pures ne devroient être employées , à limitation de nos premiers pères. La terre alors se réjouiroit à nous prodiguer ses biens en abondance, quand elle se verroit cul- tivée par des personnes innocentes et dili- gentes; mais puisque la nécessité contraint de nous servir de ces sortes de gens, nous choi- sirons les moins vicieux pour nos aflaires ; et buvant ce calice , nous dirons avec le vulgaire , Qu’avec putains et larrons Convient faire nos moissons. Il est humain et très-facile à un homme dé- 04 M'HÉ AT RTE bonnaire, de ne point se mettre en courroux; de bien payer, de traiter doucement, et de faire bon visage à ses serviteurs ; mais il faut employer à propos ces qualités, sans quoi elles deviennent très-préjudiciables à son service, par le mauvais naturel de ses gens. Le père de famille est con- traint de méler beaucoup de rigueur à la dou- ceur dans ses commandemens , en feignant quel- quefois, pour le bien de ses affaires, d’être en colère contre ses serviteurs ; c’est un bon moyen pour les retenir dans le devoir, pourvu qu'ils n'ayent pas occasion de se plaindre du payement. Comme la trop grande bonté d'une personne passe pour fadaise , de même les mércénaires se moquent des commandemens qui, par trop de douceur ressemblent aux prières; on a reconnu par expérience que ceux qui supportent moins les fautes, viennent mieux à bout de leurs ser- viteurs et manœuvres, et que le bas peuple obéit mieux par force que par douceur; ce qui a fait dire à plusieurs, Oignez vilain, il vous poindra ; Poignez vilain , il vous oindra. Tant la nature de l'ignorance est contraire à la vertu; d'où il arrive souvent que les paysans sont mieux servis dans leurs labourages que MM OTNTEF C'UILIT U R E. Y5 d'hôfiorsblés ménagers, les mercénaires aimant toujours mieux les paysans leurs semblables, que tout autre, quoique mal nourris et mal entre- tenus ; mais c’est de l'ordinaire de leurs maitres et à leur table qu'ils vivent. Pour se bien faire servir, il faut avoir une in- telligence particulière , dans cette partie du mé- nage , ce que je considère comme le plus désa- gréable de la vie honnête. Sans cette difficulté, la culture des champs seroit la chose la plus agréable du monde, et pour ainsi dire , cette vie approcheroit de celle des anges, si on pou- voit rencontrer des gens propres à cela, et af- fectionnés comme ils devroient l'être. Voilà pourquoi le bon et fidèle serviteur est si louable : en effet, celui qui en possède de tels, doit les aimer, par les avantages qu'il tire de leur service loyal; mais aussi qu'il fasse bien at- tention à la parole de Salomon : Qui mignarde son serviteur dans sa jeunesse, le traitera à la * fin comme son fils ; et il ajoute que c'est non- seulement une chose dangereuse , mais encore _monstrueuse , que la présomption du serviteur et de la chambrière ; disant en propres termes, que la terre se trouble, quand le serviteur règne, et quand la servante hérite à la maïtresse. Ces avertissemens nous serviront pour que nous ne 96 T'H:É AT RE "I gàtions pas nos serviteurs par trop de douceur , et pour ne les flatter qu'à propos ; car ces gens ne sont guères susceptibles de raison; il leur semble qu'en se familiarisant avec eux, et en leur montrant continuellement bon visage , ils méri- tent encore plus ; de sorte qu'à la longue, ils se rendent insolents et abusent de votre bonté, jusqu'à croire même, par mépris, que vous ne pouvez vous passer d'eux. Vous vous servirez des bons serviteurs , au- tant que cette bonne humeur leur durera , et non davantage , leur donnant leur congé , quand ils manqueront à leur devoir par orgueil, ou que vous ne les aurez pu mettre à la raison ; sup- portant cependant charitablement toutes les im- perfections qui accompagnent communément toutessortes d'hommes. S'ils demeurent long-tems à votre service en faisant bien , vous leur ferez sentir votre libéralité par vos faveurs, en fermes, en mariages, en prêt d'argent , de denréeset autres négoces, en dons d'habits et autrement. Ainsi, en vous acquittant de votre devoir, avec l'hon- neur qui vous sera accordé d'être estimé équi- table, vous donnerez l'exemple à d’autres de s'aflectionner à votre service; et en outre ceux qui seront ainsi récompensés pour leur bon ser- vice, avouant vous devoir leur avancement, par obligation 4 DAC ÉOULIT'U RE. 97 obligation , demeureront vos serviteurs toute leur vie. % D'après ce qui est dit ci-dessus , vous con- noîtrez le tems que vous devez vous servir des mêmes valets , savoir, aussi long-tems qu'ils se maintiendront dans leur devoir. Vous changerez le plus rarement que vous pourrez de labou- reurs, pour le profit de vos terres à grains; car de même qu'aux enfans, le changement de nour- rices est toujours préjudiciable. Le vieux labou- reur étant à estimer, qui, par l'habitude s'est rendu savant dans la portée de vos terres, pour les cultiver et les semer, comme il convient. Il est dit , au contraire , du jeune laboureur, en patois du Languedoc, Que Bouvié sans barbe Fai aire sans garbe. Vous ne serez pas si scrupuleux pour les au- tres valets ; mais ce sera tous les ans, ou de deux en deux, comme vos affaires l'exigeront; que vous en prendrez de nouveaux ; parce que dans si peu de tems , vous serez toujours assez bien servi, vu quils sont accoutumés pour se faire valoir, de donner en commençant leurs plus grands coups de prouesse. : Vous choisirez vos serviteurs dans la fleur dé Tome I. G 98 THÉATRE l'âge, pour la dextérité et la force, qui sera de vingt à quarante-cinq ans. Les hommes grands sont bons pour le labourage , y contraignant le bétail par la force et par la voix, pour porter des fardeaux. Les petits, pour le vignoble ; pour planter et enter des arbres, gouverner les jar- dins, les mouches à miel, garder le bétail, et _ pour faire plusieurs autres minuties , où il n'y a pas grand travail ; et les moyens, comme te- nant des deux autres classes, sont presque tou- Jours propres à toutes sortes d'ouvrages ; c'est pourquoi , préférez cette taille-c1 à toute autre, choisissant parmi elle, les hommes les plus grands et les plus forts pour les laboureurs ; et les autres pour les travaux où ils se trouveront les plus propres, selon leurs inclinations particulières. Quant aux chambrières et servantes, domes- tiques et autres , il y a encore un choix parti- culier à faire , leur sexe faisant la distinction des ouvrages auxquels elles doivent être employées. On ne peut dire autre chose touchant le sa- laire des serviteurs, que de tàcher de les rendre le plus petit que l'on pourra, par la consé- quence que le haut salaire est toujours préju- diciable au ménager. Vous ne devez jamais non plus changer l'usage ; il faut payer vos gens se- Jon la coutume du pays, en argent, habits et é D'A GR: IIC/UËLIT Ù R E. 99 autrement. Vous ne changerez pas non plus le terme de leunservice , soit pour sa longueur, ou pour la saison de l'entrée en charge, choses diflé- rentes selon les lieux. Dans la plupart des en- droits, on loue les serviteurs pour l'année en- tière, y ayant peu de ménagers champêtres qui se contentent du quart, du tiers, de la moitié ou autre portion, ceci regardant les citoyens des villes qui Jlouent au mois les serviteurs des champs, pour leurs vignes et jardins. Dans quel- ques provinces , les serviteurs commencent leur année avant la moisson; dans d’autres après la récolte ; ailleurs au tems des semences ; et pres- que généralement par-tout, par l’un de ces jours remarquables : la Saint-Jean , la Saint-Michel, la Saint-Martin, la Toussaints, Noël, Pâques et autres termes de l’année, où il convient de s'arrêter pour la police (suivant laquelle il existe dans les provinces des foires et dés marchés des- tinés au louage des gens de service }), autrement il y auroit confusion dans le ménage ; d'autant plus que laissant passer le moment pour vous pourvoir de serviteurs, en vain vous l’attendriez après, ne s'en trouvant le reste de l'année que par rencontre. Vous ne donnerezpas un prix égal à tous vos serviteurs ; mais vous le varierez shi- vant leurs qualités, la raison le voulant ainsi; ce Gi ee 100. | THÉATRE qui donnera occasion aux ignorans de s’instruire ; dans l'intention d'avancer en gain , à mesure de leur savoir. Vous aurez généralement soin, de ne point prendre pour serviteurs, homme et femme , de personnes étrangères, passagères, gueux,; man- dians , sans aveux ni connoissances , par les dan- gers qui s'en suivent : mais vous les prendrez le plus près de vous que vous pourrez. Sur -tout donnez-vous bien de garde de ne jamais mettre chez vous aucun diffamé de _ vice notable , comme de blasphêmes , de débauches , de meurtres, de larcins, de brigandages , d'ivro- gneries, ni sujet: à des maladies contagieuses ; car vous ne pourriez être frappé par une peste plus dangereuse , les histoires anciennes étant accompagnées de plusieurs nouveaux et tra- giques exemples , ce que tout homme de bon sens préviendra par sa pradenee, Pour terminer ;‘il est à propos de faire men- üon pourquoi Caton vouloit que ses serviteurs dormissent, faute d'ouvrage , et qu'il y eût tou- jours de la division entr'eux, en l'y introduisant par artifice , regardant comme suspects l'eveil et la concorde de ses domestiques. Caton avoit affaire, de son-tems, à des esclaves, forçats, gens désespérés par des mauvais traitemens ; NN ET ET RE CS ER Ce — — — D'AGRICULTUR E. 101 ainsi il n'éjoit pas sans raison de se méfer d'eux. Mais aujourd'hui que nous sommes ser- vis par des personnes de libre condition , et chrétiennes , l'avis de Caton ne peut avoir lieu; d'abord presque le service des gens vigilans est toujours meilleur que celui des personnes en- dormies ; ceux qui aiment trop le sommeil et le repos , n'étant que des masses de chair sans rai- sonnement, contre lesquels Salomon s'élève tant, en disant que de tels gens ne peuvent enrichir. Et quant à l’autre point, qu'y a-t-il de plus af- freux au monde, que la dissention et la hame, sur-tout parmi ceux qui mangent le même pain, et habitent sous le même toit, comme enfans d'un même père ? Mais rien n'est-il plus beau que lamitié et la concorde , que notre Sau- veur Jésus-Christ nous a recommandé si étroi- tement ? Et quoiqu'il arrive souvent que la mé- sintelligence entre les serviteurs d'un même maître , fasse découvrir quelques pillages et au- tres crimes, avec utilité, il ne faut pourtant pas tirer cela à conséquence ; car ce mal ne pro- vient jamais que parce que les personnes assem- blées chez vous , n'étant pas amies entr'elles , vous servent mal, en employant quelquefois plus de tems à se quereller, qu'à s'occuper de leur travail ; mais vous tirerez toujours un bon G iïj — a 102 THÉAOTR E service de vos domestiques , s'ils vivent d'un commun accord , et s'ils n’ont d'autre occasion de se quereller que par émulation de bien faire votre service ; chose à souhaiter, mais irès-rare. Et comme il ne faut jamais faire de mal pour que le bien en arrive, quelqu'apparence de rai- son que Caton ait, le père de famille ne laissera pas d'entretenir tous les siens dans une union fraternelle, pour qu'ensemble ils s'employent à ses affaires. C'est l'acte d’un chrétien que de procurer la paix envers tous, dont il jouira plus facilement lui-même, quand elle habitera chez lui ; il en recevra plus de bénédiction par la peine qu'il prendra d'accorder les querelles et les différens des siens. Les fautes de ses servi- teurs seront réprimées selon sa prudence, par des moyens Justes, sans se fatiguer beaucoup pour en inventer d'indirects et réprouvés. Con- sidérant comme de très-grands vices, contraires au bonheur et au repos de sa maison , les dé- bauches et les vols, il tranche le cours de ces crimes par un châtiment sévère, dicté par la justice ; car en les dissimulant , ou les répri- mant avec douceur, il attireroit la pauvreté et la confusion dans la famille. ARS NT CUILIT'U R E. 103 mm CHAPITRE VIlL Des saisons de l'année et termes de la lune pour les affaires du ménage. Po UR qu'il ne manque à notre père de famille aucune partie nécessaire à tout bon économe, il s'instruira autant qu'il lui sera possible sur les propriétés particulières des tems , des saisons de l'année , et des influences des astres par l’ob- servation " afin que par-là , présumant les chan- gemens de tems , il dispose ses affaires de telle manière , que rien ne soit fait dans son mé- nage qu'avec intelligence et raison; qu'aucune chose ne soit commencée , si les vents et la pluie la surprenant, peuvent la détourner ou la gâter. Mais comme sur ce point presque tous les hommes se sont trompés, en attribuant confu- sément tout à la vertu du soleil, de la lune, des autres planettes et étoiles, y ayant indifférem- ment assujetti tous les ouvrages humains, la plu- part sans apparence de raison , il est besoin de démontrer jusqu'où on doit s'étendre sur ces matières , et même de manifester l'abus qui se commet à cet égard , afin qu'étant détruit, G iv 104 THÉ: AYEËR CE on en vienne au légitime usage du tems, en tant par ce moyen la confusion invétérée que ces observations scrupuleuses et fantasques cau- sent au cours du ménage , y apportant de grands dommages, de manière qu'on laisse quelquefois bien souvent écouler les bonnes saisons pour attendre les termes et points superstitieusement remarqués. Les anciens Grecs et Romains étoient si fort attachés à cette superstition , qu'ils n'entrepre- noient et ne faisoient rien , en particulier, ni en public, que sous les signes à ce dédiés, et il ne leur arrivoit jamais rien , pour peu que ce fût, dont il ne tirässent des augures et des conclu- sions bonnes ou mauvaises, selon que la supers- tition leur en suggeroit la matière. Leurs armées avançÇoient ou reculoient par l'avis de leurs arus- pices, fondé sur le vol des oiseaux, sur le be- queter des poulets, sur le cri des grues , sur le croassement des grenouilles , et autres choses frivoles. Il n'étoit rien fait non plus, sans con- seil, dans leur police civile, et dans le gouver- ment des champs, de manière que par ces in- certitudes ils n’étoient jamais assurés dans leurs desseins ; erreur qui de longue main s'est glissée dans l'imagination de plusieurs d'aujourd'huï, comme on le voit par diflérens exemples parmi | ER tite — _ctistion dite xt. nl ds 4 DAS RECU:LTU RE. 103 les nations, dans les villes et jusques dans les maisons particulières . non-seulement les livres des pauvres payens sont remplis de ces foibles doctrines, et sont composés comme une salade de plusieurs herbes, de tout ce qui leur est venu à l'aventure dans l'idée; mais des chrétiens en ont aussi écrit, si ce n'est pas avec scandale, au moins par risée et raillerie , n'y ayant point d'action au monde qui, selon eux, n'ait son ap- plication particulière. Ils ont même remarqué des jours heureux et malheureux , auxquels s'at- tachent religieusement , ceux qui veulent se tromper volontairement , non -seulement pour semer , planter et travailler autrement la terre, à quoi il y a quelqu'apparence de raison; mais encore à tout faire , jusqu'à se marier. Hésiode , Virgile , Columelle, Pline, Cons- tantin César et autres anciens ont observé soi- gneusement et ‘scrupuleusement ces choses ; qu'en examinant de près, on reconnoitra par- tout quelque reste de superstition payenne , couverte du manteau du christianisme, obser- vée de père en fils jusqu'à nos jours ; et ces va- nités ont tellement gagné sur la terre, que par leur fourberie ( comme interrogeant l'oracle d'Apollon) on s'informe de l'état futur , non- seulement si la récolte sera bonne ou mauvaise , 106 THÉ ATRE hâtive ou tardive, et antres semblables matières de ménage , propre qui convient au père de fa- mille ; mais encore de toutes les affaires de haute importance qui surpassent l'intelligence; de la vie et de la mort des rois et des princes de l'Etat ; des séditions populaires; de la discorde des ec- clésiastiques ; des mariages des grands; de la pax; de la guerre, et autres choses semblables. Et tout ceci, parce qu'un enfant a jetté sur le, foyer chaud et balayé , le premier jour de l'an, ou la veille des rois, des grains de bled et des feuilles de buis, croyant recevoir une réponse d'autant meilleure que cés grains et feuilles feront de tours et retours en pétillans à cause de la cha- leur. On tire différentes conclusions des jours de la semaine, quand arrive à leur tour la fête de Noël, donnant au dimanche ; lundi , mardi, etc. à chacun sa propriété; comme on présage de méme ce qui arrivera dans chaque mois, par les douze jours après Noël , appellés féries ; et selon le tems qu'il fera le jour de Saint-Paul , Saint-Vincent, la Chandeleur , on se fonde pour le reste de l'année. On prévoit aussi vai- nement la fertilité de la saison prochaine par une mouche engendrée dansla noix de Galle , que le chéne produit, et la stérilité par une araignée; que c'est un malheur de rencontrer en marchant + D'A G R L'CULTUR E. 107 une beletté traversant le chemin , et une pie vous tournant le dos en sautillant ; que de se trouver assis à table au nombre de treize précisément, dont un meurt dans l'année; de répandre du se] sur la table; de prendre par mégarde ses ha- bits à la renverse. , le matin en sortant du lit; de chausser la jambe gauche la première et les souliers d'un pied dans l'autre : cette dernière superstition est directement de l'invention dé l'empereur Auguste, qui (selon Pline, dont il se moque } a laissé par écrit; le jour qu'il fut presqu'opprimé par la sédition de ses soldats, on lui avoit chaussé le matin , le soulier gauche au lieu du droit. Hésiode et Virgile’, en particulier , ont recher- ché le bonheur et le malheur que chaque jour du mois cause aux travaux humains , sans appa- rence de raison, en voulant assurer l'événement des choses aussi incertaines que celles de ce monde. Ils disent que les premier et dernier jours du mois sont bons pour tout entreprendre , même pour faire un festin et rendre justice : le quatrième et le septième sont de Dieu; cepen- dant le septième est regardé comme plus saint par la naïssance de Latone et son fils Apollon. Les huitième et neuvième sont bons pour tra- vailler ; le neuvième ayant en outre là faculté de none 108 THÉATRE favoriser le fuyard, de contrarier les larrons ; ils sont bons aussi pour engendrer fille ou garçon. Les onzième et douzième sont bons pour tondre les brebis et bâtir, particulièrement le premier pour châtrer les mulets, tirer la laine et la filer. Le onzième pour nettoyer et arroser les arbres, mais non pas pour les semer et planter, comme le seizième leur est contraire ; mais celui-ci est bon pour engendrer un garçon et non une fille, ni pour se marier. Le quatrième a une chose en propre, particulière ; dans ce jour il fait bon se marier et mener sa femme chez soi, pour en- gendrer un garçon, pour rire, pour apprendre des secrets, pour châtrer des boucs et des mou- tons, pour nettoyer les étables, pour couper les bois à ouvrages , et pour battre le bled dans Faire. Le dix-septième jour du mois est bon, et le suivant, pour châtrer le bœuf et aussi le bouc. Les dixième et seizième sont bons pour engendrer des mâles. Le vingt-unième est très- bon pour engendrer un homme savant et pru- dent, qu'on appelle le grand jour heureux, qui néanmoins n'est pas si bon le soir que le matin. Il faut fuir le vingt-sixième , comme malheureux, et aussi les quintes par les querelles qu'elles cau- sent; c'est par elles que les furies créèrent l’en- fer pour se venger des hommes, en punissant D'AGRICULTURE, 109 les hommes parjures. Le matin du dix-neuvième est bon et le soir est mauvais; les quatorzième et wingt-unième sont bons pour percer les ton- neaux de vins et dompter les chevaux , ânes et bœufs ; et ils ordonnent que la femme obser- vera quand l'araignée travaille diligemment, pour envoyer alors son fl au tisseran ;, afin de le mettre en œuvre, comme en étant la saison directe. On a tiré des pronostics de ces deux anciens personnages et d’autres , par laps de tems; et à leur imitation , comme ils se sont servis des jours des mois, on a employé ceux de la lune, ou, en changeant quelques points, on s'est efforcé, mais en vain, dé donner un autre lustre que celui du payen, en y ajoutant les naissances de: quelques grands hommes du passé et autres évé- nemens anciens et remarquables ; voulant par ce moyen rendre célèbres leurs présages, malgré des conclusions aussi foibles ,; données comme à l'aventure et sans témoignage ; ils assurent les choses qu'ils écrivent. En effet quelle raison y at-il de conclure sur la naissance de Jacob, qu'ils disent:avoir été le seizième jour de la lune , que par ce motif, il fait bon acheter et dompter les chevaux et les bœufs; que le ma- lade; sera en danger de mort, s'il ne change bash dam 110 FH ÉXA MT IRAE d'air ; et que l'enfant né audit jour vivra long- tems? D'assurér que si quelqu'un tombe ma- lade le premier jour de la lune , ilen relèvera à la longue, d'autant que c’est le jour de la créa- tion d'Adam , comme ils disent ( quoiqu'en la Genèse il se trouve étre le troisième }) ; et par la même raison que l'enfant qui naîtra dans ce jour vivra long-tems ; que les songes que l'on fera alors se tourneront en joie. Que le second, parce qu'ils le donnent à la création d'Eve, est bon pour accroître la lignée, pour supplier auprès des princes et des grands seigneurs ; pour entre- prendre des voyages sur mer et par terre; pour bâtir; pour faire des jardins ; pour labourer et semer les terres ; ils ont parlé ainsi de tous les autres jours de la lune en donnant à chacun quelque propriété remarquable , que j'omets sciemment , pour ne point entrer dans un plus long détail. | Il y en a plusieurs autres qui ont écrit con- cernant les affaires des champs , avec risée , et leurs préceptes sont dénués de raison : parmi ceux-ci Constantin-César est remarquable, ce que notre ménager écoutera, plutôt pour contenter sa curiosité que pour s'arrêter à de telles folies. Pour faire profiter les semencesdans le champ, ils ordonnent avant que de les y jetter, qu'elles DA GRTCANL:IT D R E. III soient trempées dans du jus de joubarbe , ou dans du vin, ou dans la lie d'huile d'olive, ou dans l'eau nitrée , ou dans du jus de concombre sauvage : ou bien, il faut passer la semence par un crible fait de la peau d'un loup , où il n'y a que trente trous, chacun capable d'y passer le doigt. De peur que le soleil ne brûle la se- mence, il est défendu aux semeurs de toucher la corne des bœufs, en la jettant à terre. Que la semence repose quelque tems dans le vaisseau où vous serez accoutumé de la mesurer, couvert : d'une peau d'hyène , afin que par l'odeur d'icelle aucune bête ne s'attache à la semence pour la gâter dans la terre. Pour empécher les oiseaux de toucher aux semences quand elles sont faites , ils sèment à l’entour du champ, du vé- raire , avec un peu de froment parmi, pour faire mourir ceux qui en mangent ; et afin que le re- mède opère généralement , ils font pendre par les pieds quelques-uns de ces oiseaux morts , à des cannes fichées directement dans le champ, et cet exemple fera fuir les oiseaux vivans. Pour empêcher le dégât des oiseaux, ils disent qu'il est bon d’arroser les semences déja faites avec de l’eau où auront trempé des écrévisses, ou de la corne de cerf, ou de l'ivoire , en y mélant des feuilles de cyprès sèches et mises en poudre ee 2 <…- 4 a 112 T H ÉtA TIRIE! Ils croyent qu'il est profitable aux semences, si, à la charrue , avec laquelle on couvre, le mot Raphaël est écrit en divers lieux ; si avant d'être mises en terre on les fait toucher à l'épaule d'une taupe ; si l'on enterre de nuit au milieu du champ nouvellement semé un crapaud en- fermé dans un vase de terre , l'ayant auparavant porté à l'entour de la terre et fait faire la ronde, pourvu aussi qu'avant de moissonner le bled qui en proviendra , de peur de l'amertume , le cra- paud soit retiré du lieu où on laura mis, que, par cette raison, on remarque soigneusement : que pour que les rats ne rongent point les se- mences qui sont dans terre , ni les bleds qui sont dehors en herbe, on mêle parmi lasemence, en la remuant bien, des cendres de belette et de fouine, ce remède étant toutefois à craindre, parce qu'il peut donner aux bleds l'odeur de ces animaux. Que la nielle ne fera aucun dom- mage aux bleds , si parmi le champ semé on plante plusieurs branches de laurier, sur les- quelles seules la nielle s’arrétera en tombant. Que le bled se conservera bien dans le grenier , si on y pend àla porte par un pied de derrière une grenouille verte. Que la vigne se rendra fertile, si la serpe, avec quoi on la taille, est frottée de graisse d'ours ou d'ail, et que le vigneron soit couronné D! À GREIC UL TU RE. 113 couronné de lierre. Que le vin ne se gâtera pas, si auttonneag sont écrites ces paroles : Gustate ebvidete , quod bonus est Dorminus ; ou si à me- sure qu'on décharge la vendange dans la cuve, en tirant le vin et le mettant dans le ton- neau , l'on dit toujours, Saint-Martin bon vin ; à la charge de planter un couteau tout en fer, entre le bois et le premier cercle de la cuve, pour demeurer tant que le vin y séjournera, et remuer de même le couteau sur les tonneaux lun après l’autre , avec le vin, à mesure qu'on l'y entonnera , et que le couteau reste planté au dernier tonneau rempli , jusqu'à la fête de Saint- Martin d'hiver, sans le sortir de la cave avant ce jour. Que le-vin tournera l'année où l’on trouvera un serpent entortillé autour de la vigne dans le tems des vendanges. Que les herbes des jardins mourront par l'approche de la femme, ayant l'écoulement périodique , et que par cela même les chenilles seront tuées. Que les chenil- les mourront de même à la vue des ossemens de la tête d'une jument , mise à cet effet dans le jardin sur un lieu élevé. * Par cet échantillon, l’on jugera de toute la pièce, et combien il y a peu d'assurance au mé- nage de ceux qui se fondent sur ces incertitudes ridicules; notre père de famille, délaissant toutes Tome I. H 114 JT H É A TR:E ces inutilités, quoiqu'antiques, s'arrêtera, par une raison expérimentée et une longue pratique à ce qu'il verra être propre à ses affaires et à ses ouvrages, dont il pourra aussi prudemment se dispenser selon les rencontres. Ïl est certain que les astres du ciel, le soleil, la lune et autres planettes, ont de très-grandes influences et propriétés, n'y ayant même au- cune étoile qui n'ait une commission expresse de Dieu de régir quelque chose en ce monde; il a donné à toutes ensemble la conduite de ses créa- tures, ayant vie sensitive et végétative. Les vents même , les pluies, le tonnerre, les sécheresses, les neiges, les grèles, les foudres , les tempêtes et les orages, n'arrivent que par leurs influences, selon l'ordre que Dieu a établi dans, la nature; ce qui se reconnoît notoirement au flux et re- flux de la mer, devenant forte, à mesure que la lune le devient ; aux moëlles de bœufs, mou- tons et autres bêtes, et aussi à la chair des poissons à écailles, qui croissent et décroissent en méme-tems que la lune ; aux fourmis qui, cessent de travailler quand la lune est en con- jonction avec le soleil, ce qui arrive. lorsqu'elle est cachée pour nous. Plusieurs herbes nous font. voir à l'œil les vertus du soleil et de la lune, entr'autres cette espèce d'héliotrope, dite com- — a _——— _ DA CRIE UE T ŸÜ R E. F1 muüunément par celte cause, herbe au soleil, la chicorée ; les lupms, se tournant ordinairement avée le soleil, toujours le regardant, si bien qu'à cela on peut reconnoître les heures du jour ; c'est pourquoi il seroit à souhaiter que notre père de famille fût bien instruit de l'in- fluence des astres, des signes célestes et du na- turel des choses , sur lesquelles ils ont du pou- voir, afin que les arrangeant ensemble , il n'y eût pour les affaires des champs qu'une bonne harmonie , telle que nous la voyons être sur notre hémisphère. Je dis à souhaiter , plutôt qu'à espérer ; car il n'est pas possible qué l'homme des champs puisse atteindre à cette profondeur d'astrologie , science au suprême dégré , à laquelle un seul Salomon est parvenu par un bienfait particulier de Dieu, ce qui. lui a donné la connoissance parfaite des noms, des propriétés et des influences des es. planettes, étoiles et images célestes; de même que de tous les animaux , plantes, racines, semences, fleurs, fruits , herbes , gommes, pierres, bois, et autres matières qu sont dans la mer et sur terre. Quelques autres excellens philosophes ; mais en petit nombre, ont aussi surpassé le reste dés hommes dans là science des choses, commé nous lisons de Œhalès , de Déimétrius et de H Gr » THÉATRE Sextius , qui, en différens tems, prouvèrent de loin par le lever de la poussinière ; la cherté de l'huile, à cause de la mortalité future des oli- viers. Or, quand il arrive que les grains ren- dent vingt-cinq, trente ou quarante pour un, il faut nécessairement conclure que le ciel, par une heureuse rencontre, et la terre qui s'est trouvée bien préparée, ont entièrement favorisé les semences, d'elles-mêmes très-bien qualifiées; mais , comme cette abondance se voit très-rare- ment, nous l'appellerons à juste titre rencontre, et non science qui réside dans l'entendement humain, Dieu n'ayant voulu lui donner l'intelli- gence des choses célestes et terrestres (de peur qu'il en abusât par sa légère curiosité) , seule- ment que par sa nécessité et son usage légitime , afin que s’arrétant au créateur, il en contemplât les créatures. | Ces sciences n'étant donc pas entièrement communiquées à tous les hommes, sans nous y enfoncer trop avant, ni même nous arrêter au grand nombre d'étoiles , dont Virgile et Co- lumelle observent le lever et le coucher pour les affaires des champs , nous nous contenterons de la connoiïissance modérée qu'il aura plu à Dieu de nous en donner ; et il nous suffira de savoir en quelle saison et entquel point de la D'AG RIFCULTUR E. 117 lune ( qui est l’astre dont nous nous servons le plus , par sà proximité , sa faculté nous étant plus apparente que celle de tout autre }, il convient -d'expédier nos principaux ouvrages , comme il sera démontré particulièrement ci-après, le pro- pos s'en présentant. Sur quoi il est à remarquer que l'on ne se trouve pas par-tout généralement d'accord sur cètte matière , par la différence des opinions qu'on remarque parmi les hommes. En France on fait plusieurs choses de ménage dans la nouvelle lune , qu'en Languedoc on n'oseroit entreprendre que dans la vieille. Par exemple , les aulx, en France , sont semés dans la nouvelle lune pour les faire grossir , et par la même cause en Lan- guedoc et en Provence, dans la vieillé: Et si là-dessus l'on veut dire que la variété des cli- mats ; distans entre ces provinces de trois à quatre dégrés, cause cette diflérence ; lon ne sait que répondre à ceci: que les jardiniers d'Avignon et ceux de Nimes, quoique dans le même climat , ne sont point d'accord ensemble sur tout ; les uns faisant heureusement dans une lune, ce que les autres font aussi avantageuse- ment dans une autre. En France, les sarmens à planter la vigne sont cueillis dans la nouvélle H ‘118 THÉMTRE June , et presque par-tout ailleurs, dans la vieille. Plusieurs tuent les bêtes dans le croissant pour Ja réserve des viandes salées , et un nombre in- fini d'autres, dans le décours. Les uns pensent que la nouvelle lune est propre à tailler la vi- gne nouvelle , et les autres, la vieille. Jusqu'à présent tous les enteurs d'arbres , ont soutenu, comme par cabale , que les grefles devoient être cueillies dans le décours de la lune , s'imagimant qu'elles ne tardoient à porter du fruit, qu'au- tant d'années quil restoit de jours dans la lune, lorsqu'on les cueilloit ; mais l'expérience a dé- montré que cela est toujours bon, Te ka le beau tems. En un mot, di est bien d'autres ire de ménage , auxquelles le prudent agricole pour- voira par son bon sens , selon les circonstances ; car à quoi bon aussi, se tourmeuter l'esprit, pour se précipiter dans un abime de curiosité, puisqu'en se laissant aller seulement au courant des habitudes, on fait ses affaires ? I s'arrêtera donc là, comme il a été dit, plutôt qu'à d’au- tres moyens, ayant une apparence de raison, qui se trouvant souvent démentie dans. les ac- tions humaines par l'expérience. C'est en quoi se manifeste l'ignorance de l'homme, qui depuis DAGRICUÜLTUR E. 119 sa création , n'a pà apprendre en particulier pour son usage, ce dont en général il triomphe en parlant. C'est aussi le dire vulgaire, Que l’homme étant par trop lunier, De fruits ne remplit son panier. Il est vrai qu'il y a des choses sur quoi il semble qu'on ait mis arrêt par un commun consentement ; quant à l'observation du point de la lune ; ce que je ne voudrois pas enfrein- dre. La coupé du bois pour les bâtimens et les meubles ; doit étre faite dans le décours de la lune , de peur de vermoulure ;, mal qu'on ne craint pas pour celui qui est destiné à tremper continuellement dans l'eau, comme en mou- lins ; ponts et semblables ouvrages , dont on ne regarde pas à la lune pour couper les bois. Puisque nos ancêtres l'ont ainsi voulu et que nous le pratiquons heureusement, nous ne de- vons pas, pär singularité, mettre au hasard la durée de nos édifices. De même, lorsqu'on moud les bleds pour la garde des farines, elle est de meilleure (comme aussi le pain qui en provient , moins sujet à moisir ) provision, quand elle est faite dans le décours , plutôt que dans le croissant. Les vignes languissantes sont secou- rues par la taille de la nouvelle lune , et l'orgueil LT iv 120 Te fs À TR € de celles qui se jettent trop en bois, est rabattu en les taillant dans la vieille. Il n'est pas non plus facile de remarquer les changemens de tems , pour les prévenir , leurs marques étant très-incertaines, même ( selon le dire des vieilles gens de ce siècle ) les signes changés. Columelle remarque aussi que ces mu- tations viennent de tems à autre. Ici, le recoin d'une montagne arrête le brouillard; là, il le donne : ici, le bruit d'un torrent présage que la pluie approche; là, le sifflement des vents. On remarque que dans les quartiers de Toulouse , le vent du midi dessèche le terroir, et que ce- lui du nord leur donne de la pluie; au contraire, depuis Narbonne jusqu'à Lyon , par toute la Provence et le Dauphiné, le nord donne de la sécheresse, et le midi de l'humidité. En Bour- gogne les pluies les plus fréquentes viennent du couchant, et en Guyenne du levant. Il est donc constant par-là que peu de lieux s'accor- dent ensemble en toutes choses , et que chacun a ses signes particuliers, Mais comme dans certains points il y a une correspondance d'avis sur les facultés de la June, il en est de même des signés , par la pré- voyance de qualités du tems. On: croit par- tout la pluie très-proche quand les canards et TE “ff: — A — RE EE ne tt tn. ne te Lab = - D RE OS — “1 x ‘ . 4 AG RE Q Ù Bb TU R E. 127 les cannes privés se plongent et se lavent ex- traordinaîtement dans l’eau; quand le sol de- vient humide ; quand les murailles de la mai- son suent; quand la suie des cheminées tombe d'elle-même en abondance ; quand les mouches, les puces , les punaises piquent plus fort que de coutume ; quand les privés et cloaques sen- tent plus mauvais qu'à l'ordinaire ; quand la vermine sort de terre, en la rejettant en haut par des trous ; quand les scorpions paroissent à l'air grimpant les murailles ;, quand le feu ar- dent dans l'huile, ne brûle le coton qu'en pé- tüllant ;.quand le soleil à son lever est de cou- leur bléme ou jaunâtre, ayant ses rayons courts et chauds, le corps tacheté, et même s'il est vu au travers de la nue , et à son coucher aussi ta- cheté, couvert d'un nuage obscur, laissant la soirée courte , ce qui plus ou moins présage de la pluie avec de la tempête pour le lendemain , que plus ou moins elle aura été enveloppée d'une nuée bleuâtre. Nous avons pour marque à ces choses, plusieurs semblables signes, dont les contraires promettent des effets contraires ; aussi tire-t-on de la lune des pronostics géné- raux de tems , universellement, reçus, et con- servés jusqu'à nous , dans la doctrine des anciens. Au quatrième jour après sa conjonction avec le tt - Te sine 122 THÉATAE soleil, elle donne des indices de la température du reste de cette lune, c'est-à-dire , le tems qu'il aura fait le matin, à midi ou le soir; le tems qu'il fera le restant du mois, ou au pre- mier quartier, ou en pleine lune , ou au second quartier. Si au croissant la corne d'en haut se montre plus obscure que l'autre, c’est signe qu'il y aura de la pluie vers lé premier quartier ; si c'est la corne d'en bas, au dernier quartier , et au milieu , quand elle sera dans son plein. Cha- que soir, par l'aspect de la lune , on peut re- connoître quel tems il fera le lendemain , dans quel degré qu'elle se trouve, au croissant, ou décroissant. Donc si la corne qui regarde enhaut, est droite et aiguë plus que l'autre , le vent de bise ou du septentrion souffléra le lendemain, ou sila corne d'en bas est plus droite et plus aiguë, ce sera le vent du midi. Cet indice est remar- quable dans la couronne de la lune, appelée par les latins Æa/o, qui se fait, quand il appa- roit un cercle petit ou grand autour du corps de la lune , lequel signifie indifféremment bon ou mauvais tems: bon, s'il s'évanouit de tous côtés; mauvais , s'il sé rompt , le vent commen- cant à souffler du éôté où il se rompra. S'il y a plusieurs de ces cercles autour de la lune, et qu'ils se rompent en différens endroits , on peut MAR TCU ET U R Et. 123 étre presqu'assuré d'une prochaine tempête. La pâleur de 1 lune promet la pluie, la rougeur , le vent , et sa clarté le beau tems. Sur quoi on dit communément, Le rouge soir et blanc matin, Font réjouir le pélerin. Il me semble qu'il n'est pas à propos d'or- donner à notre père de famille les ouvrages qu'il doit faire faire à ses gens , par chaque maïs de l’année , et les auteurs rustiques Re ront , si je ne les imite pas en cela, par les fa- cultés différentes des climats , hâtives ou tardives, qui font le même effet à la maturité des fruits, but de notre agriculture. En France et dans les provinces voisines, la coupe des bleds est en août. Dans la Provence , le Languedoc et le voisinage, en juin et juillet, même en mai pour certains bleds. Ce n’est pas seulement d’un cli- mat à un autre, où ces différences se voient, mais encore d'horison à horison, deux terroirs contigus ne s'accordant pas même entr'eux dans toutes choses, Comment avec ces difficultés, seroit -il possible de prescrire sans confusion les vraies saisons de mettre la main à l'œuvre? D'ailleurs peut-on aller si justement dans les choses du ménage , qu'un mois ne marche sur -- 124 THÉATRE l'autre? c'est-à-dire, que ce qui n'aura pu être achevé en février , ne se finisse en mars. Il n'yaau- cun ménager qui n ayant éprouvé une pluie, une sécheresse, une froidure , une chaleur , un vent, une maladie, un procès, un voyage ou autre semblable événement, n'ait changé ses desseins; de sorte que ce qu'il croyoit fire en octobre, il ne l'ait renvoyé en novembre :; et comme il arrive que le charpentier se trouve étonné, quand bois se fend contre son intention, malgré & il ne laisse pas d’en faire de bon ouvrage ; de même notre père de famille trouve bien sou- vent, avec profit, que la fin de ses entreprises ne répond pas au commencement. Chacun sait la générale ordonnance de. Dieu , sur l'ordre qu'il a établi dans la nature ; ila-commandé à la terre de recevoir les semences dans trois sai- sons de l’année, l'automne, l'hiver et le prin- tems , et de les rendre à cet usage dans l'été. L'automne fait voir les causes qui font cultiver les vignes dans les autres saisons ; de même, des prairies , des jardinages , de la récolte des fruits des arbres; de la nourriture du bétail , et autres choses de ménage, qu'il n'est pas besoin de re- marquer si scrupuleusement, s Le bon ménager , sans s'amuser par trop ; à atiendre les lunes, les signes , les mois et les or D'AGRICULTUR E. 125! jours, expédiera ses aflaires , lorsque par une bonne température , le ciel et la terre , s’accor- dant ensemble , saisissant l'occasion qui vient des bonnes saisons, qui, quoiqu'elles ne soient pas de longue durée , vous donnant toujours le loisir de terminer à l'aise vos affaires; à cette fin, il faut se munir de diligence , comme de l'ins- trument le plus secourable dont l'homme se puisse servir dans toutes ses actions. Si par avan- ture , le point de la lune s'accorde au tems, se- lon vos expériences, tant mieux ; ce que toute- fois vous ne considérerez que comme acces- soires. Et ne soyez pas si mal avisé de mettre du retard dans vos ouvrages, parce que quel- quefois les avancés trompent ; car il est encore bien rare d'avoir une bonne récolte des reculées, _ même des semences tardives, si réjettées des bons ménagers, qu'ils regardent les_bleds qui en proviennent, quoiqu'en abondance , comme devant être brülés, de peur que l'exemple de leur fertilité ne nous rende paresseux avec perte et honte. 126 FHÉATRE CHAPITRE : V' FIE Des façons du ménage. Av ANT que de particulariser la culture de la terre, il est nécessaire de détailler les différentes manières dont les ménages doivent être con- duits, pour s'arrêter là, où l’on trouvera plus de profitet d'agrément. Ces deux principales ma- nières sont depuis long-tems en usage : savoir, de faire cultiver les terres par des serviteurs et par des fermiers, qui sont les seules restées de la simplicité de nos ancêtres ; car que le père de famille y employe ses mains, læ saison où les plus riches et meilleurs ménagers étoient la- boureurs , en est déja passée. Et en vain repré- senterions-nous pour exemple un Manius Cu- 7rius, un Attilius Regulus Serranus, un Marcus Cato, un Quintius Cincinnatus, un Caius Fa- bricius, un Curius Dentatus , et autres notables de l'antiquité, qui, prenant à grand honneur les travaux rustiques, montoient de la char- rue à Ja dignité d'empereur, conduisoient des armées ; et après leurs batailles et victoires , laissoient ces dignités de meilleure volonté qu'ils D'AGRICULTURE 127 ne les avoient acceptées , pour retourner à leurs labourages vivre de raves, du pain et du vin de leurs valets ; ceci s'adrese aux paysans, qui devroïent imiter ces bons pères ; mais nous sommes gâtés par la paresse et les délices. On trouve beaucoup de difficultés , selon le naturel de toutes choses , dans chacune de ces deux ma- nières. La peine de conduire un ménage n'est pas petite , par les humeurs acariätres de la plu- part des gens de service : c'est pendant l'ab- sence du maitre , que les domestiques causent ce travail frauduleux , dont on se plaint si fort. Ceci aggrave le mal ; car tandis que la depense des vivres et du payement des serviteurs court, en augmentant toujours , il en résulte la ruime d'une bonne maison , au lieu du profit espéré ; ce qui a fait dire, Si le bœuf a rempli ta grange, C’est aussi le bœuf qui la mange. Le même poëte chante, Veux-tu savoir quelle voie L'homme à pauvreté convoie ! Elever trop de palés, Et nourrir trop de Valès. Ces difficultés ont déja été représentées , de 126 HR UÉ CA CTIRIE même que le moyen de les surmonter ; et tom- bant de fièvre en chaud-mal : voici celles des fermiers , Celui son bien ruinera Qui par autrui le manira. C'est la préface de ce discours , afin qu'au préalable l’on fasse son compte , le bien se dé- tériorant entre les mains des fermiers. Ainsi vous choisirez votre fermier riche, comme de néces- sité; 1} faut quil soit aisé, pour fournir votre domaine , de bétail, d'outils, de semences, de meubles, de vivres, d'argent et d'autres choses re- quises ; il voudra avoir votre bien à trop bon mar- ché, et il n'y entrera qu'avec assurance de grand profit, sous des conditions pénibles et peu avan- tageuses pour vous ; et y étant, son ignorance ; son orgueil, son irrévérence et ses autres inCi-" vilités , vous importuneront. S'il est pauvre, supposez que vous en joulrez , comme vous voudrez , vous en promettant bon prix, non- seulement d'attendre ce qui aura été convenu entre vous, mais aussi de lui fournir des de- niers, du bled, des meubles, du bétail pour avancer vos aflaires ; autrement elles démeure- roient en arrière avec le danger d'être mal rem. boursées , à cause de sa pauvreté qui lui ôte le moyen Ms . D'AQGRMCAU LIT Ù RE. 129 moyen d'attendre la vente de ses fruits, dont bien souvent. il n'en peut tirer la raison. Or, si d'un côté, le trop grand profit que le pre- mier fait sur votre bien, est odieux; de l'autre; la perte du dernier ,vous est désagréable, et quel que soit votre fermier , au lieu d'augmenter votre bien, il vous le diminuera , comme vous le reconnoitrez à la longue, quand au bout de leurs termes , ils vous rendront vos terres lasses et harassées comme des chevaux de louage , et vos maisons en mauvais état. Etant tous, ou la plupart, jettés dans ce moule, par avarice, pa- resse et ignorance ; C'est l'avarice principale- ment qui règne sur ces gens, qui, pour épar- gner un clou ou une tuile, laisseront dissiper une partie de la couverture du logis, en danger par celte ruine particulière , de causer la géné- rale de l'édifice, ou faute de tenir un fossé ou- vert, l'eau vous dégradera une terre , ou de mettre un pieu à une cloison, ou de relever un pas de muraille, une vigne se dissipera. Quant à laisser brouter les arbres par le bétail, et en dérober les fruits , cela leur est si fréquent , que, même en ceci , les plus modestes fermiers sont insupportables , en ce qu'ils se fournissent indi- rectement de femmes, d'enfans et autres do- mestiques. Ils fraudent la culture des champs et Tome I. I 130 THÉATERE des vignobles par avarice et par négligence, en ne leur donnant pas les travaux nécessaires, et en les chargeant plus que de raison ; les prairies mêmes, quoique faciles à gouverner, se ressen- tent de leur mauvais ménage. Si votre fermier a du bien près du vôtre , soyez sûr que son domaine se labourera et s'engraissera , à votre détriment, l'allant cultiver et fumer , le bétail se nourrissant dans vos fourrages et pâtis, quel- ques conventions que vous ayez faites ensemble. Jamais une seule réparation n'est faite par les fermiers sar votre fond, quoiqu’elle leur soit nécessaire, et de si petit prix, qu'ils n'en fus- sent eux-mêmes largement remboursés durant leur terme, aussi après lui, elle vous reste à faire. Vous devez encore moins espérer qu'ils fassent rien de beau dans les jardinages et ail- leurs, pour votre agrément , pas même une seule ente ; car outre que leur esprit est gros- sier , ils se fâchent si vous faites faire quelque chose de joli dans votre domaine , de peur que ces moyens vous y attirant, ne vous donnent l'entière connoissance de vos affaires , en voyant Jeur mauvais ménage , et le grand profit qu'ils font souvent, et qu'enfin vous ne les en: retiriez ; en un mot, tout leur ménage se fait par fraude, en grondant, n'ayant égard qu'au seul gain, MARI CULTURE. 131 sans penser à l'honneur. Ils décrient votre bien, publient ses défauts et laissent ses avantages. Jamais ils ne confessent y avoir gagné , mais ils affirment toujours y avoir perdu, tant pour dégoûter d'autres de courir sur leur marché, que pour vous ôter la fantaisie de le tenir par vous-même , faisant paroître tout impossible ou du moins très-difhcile à gouverner. Ils seroient contens de ne vous voir Jamais sur votre bien, n'en pouvant dissimuler leur inquiétude , prin- cipalement au tems de la récolte , de peur d'être par vous contrôlés , en observant la quantité de fruits qu'ils récoltent en votre terre. C’est pourquoi les domaines, quoique beaux de na- ture , ayant demeurés quelques tems entre les mains de tels gens, deviennent laids, hideux, comme sils portoient le deuil de l'absence de leurs maitres, attendu qu'il ne s'y fait autre chose durant ce tems , que pour en empêcher la ruine totale, sans penser ni à la manière d'ar- ranger, ni aux nouvelles fondations et répara- tions pour l'augmentation du revenu; ou ce se- roit, parce que vous donneriez vos réparations à tache ou à prix fait, à la mode des grands . seigneurs et des grandes villes , ce qui cepen- dant n'est pas l'habitude des ménages cham- pètres, qui les font avec économie, mieux et I i D ge — SE Pepe © € 132 LEA TE D \ avec plus de profit, étant sur les lieux, que beau- coup d'autres avec de grosses sommes de de- niers comptans, par les avantäges qu'ils retirent de la terre par eux travaillée, en vivres, en corvées de serviteurs et bêtes du labourage em- ployées en tems perdu , lorsqu'on ne peut tra- vailler aux champs , dans les mauvais tems, et tout cela se perd pour vous entre les mains des fermiers. Columelle détaille au long ces difficultés déja en usage de son tems, par la grandeur de Rome, dont la richesse avoit efféminé la plu- part de ses habitans , et par-là , leur avoit fait abandonner les héritages entre les mains des fermiers , de sorte que tout ce qu'il en dit, n'est que plaintes et regrets de son tems. Nous avons aujourd'hui encore plus de raison de nous plain- dre sur cetie matière, que Columelle n'avoit alors, le mal empirant selon le cours de ce monde , ce qui provient de la longueur des. guerres de notre siècle, qui ont corrompu toutes sortes de personnes par la paresse et la déloyauté. Cette maxime se trouve vérifiée , qu'en travaillant Je bien s'acquiert, et avec longueur se possède ; et, qu'il coûte plus de le garder que de l'acheter. Malgré ces incommodités , l'homme entendu ne jettera cependant pas le manche après la coi- gnée , en laissant ses terres en friche; mais se RRORICULTUR Er. 133 roidissant œntre les difficultés des serviteurs et des fermiers , 1l discernera prudemment les tems, les lieux et les personnes pour tirer une solu- tion utile de la culture de la terre. Si le tems est troublé par les guerres ou au- tres sinistres occasions ; si l'assiette de votre do- maine est mal saine, ou de terre peu fertile, ou divisée en pièces séparées, éloignées les unes des autres. Si vous n'êtes pas affectionné au ménage; que voire femme n'y soit pas propre , pré- voyante, ni économe, que vous ne soyez pas sains et bien disposés, vous ne devez pas vous charger d'un grand ménage ; car, par ces obs- tacles, vous trouveriez plutôt à y perdre qu'à gagner. Si, en outre, vous êtes au service des rois et princes ; si dans les villes, vous êtes pour- vus d'offices de justice, de finances , ou d'autres grandes charges : si vous y avez des négociations et trafics d'importance , où vous trouviez beau- coup plus à gagner qu'à la culture de vos terres; vous n'abandonnerez pas ces moyens pour aller vous confiner aux champs (le plaisir suivant tou- jours le profit}, ou ce seroit , que poussé par la Divinité , vous abandonneriez les vanités de ce monde , pour aller servir Dieu en repos, éloignés des sociétés , préférant le contentement de l'esprit à toutes considérations humaines; maïs I ii 184 CS RAR RS 1: l'état paisible de la patrie vous favorisant , l'as- siette de votre terre étant bonne , fertile et unie, l'humeur , la santé de votre femme et de vous s’accommoderont au ménage, tous deux y pre- nant plaisir; et si vous n'avez pas une meilleure occupation que le gouvernement de votre héri- ritage , vous ne devez pas mettre de difficulté à le faire valoir par vous-même, choisissant à cette Bin des serviteurs les mieux qualifiés et les moins vicieux que vous pourrez. Cela s'entend , sans vous surcharger d’affaires, par la grande quan- tité de terres que vous aurez à cultiver . Mais seulement d'en prendre en proportion de vos rai- sonnables desseins , sans vous ennuyer. Vous pourrez affermer le reste de voire bien, suivant * cette maxime ancienne et notre précédent avis, De votre bien baiïllerez au fermier Ce que par vous ne pourrez manier. Les anciens voulant dire par-là, que celui qui, après avoir beaucoup travaillé à s’acquérir une terre, soit au service des grands, au port des armes, à la suite des lettres et finances , dans le commerce , ou par d'autres moyens ordinaires et légitimes , même l'ayant reçu en don par les bienfaits de pareus ou amis ( ainsi que la femme veuve ou enfant orphelin), manquant de cœur, D'AGRICULTUR E. 135 l'abandonne sans réflexion à un fermier , pour tirer des mains de celui-ci, un maigre revenu, comme de son tuteur, n'est pas sage, il verra devant ses yeux son domaine se détériorer, dans ses bois et toutes ses autres parties, pendant qu'au contraire son fermier s'enrichira devant lui. | Mais l'homme est digne de louange , qui se voyant possesseur légitime d'un beau domaine , allant plus avant , s'évertue , non-seulement à lui faire produire des fruits ordinaires , mais encore par une ingénieuse dextérilé , contraint pour ainsi dire sa terre , obéissante d'elle - même au travail et aux soins des hommes , à lui rapporter plus que l'ordinaire , en quoi il y a de l'honneur: en effet, quelle honte est-ce pour nous , comme dit Caton , que d'être contraint d'acheter , par fainéantise , ce que notre terre pourroit nous rapporter, rejettant avec mépris les libéralités de Dieu, sans chercher à recueillir les biens qu'il nous offre, faute d'y vouloir penser, et de ne pas employer nos bras et nos jambes avec sueur et péine , mais seulement notre esprit et notre entendement , comme par récréation ? Cette réprimande a été faite à cette occasion : Pourquoi achètes-tu du vin, Ta terte ven pouvant produire , Liv 136 THE AVR E Vu que tu apprètes à rire À celui qui est ton voisin! LA Caton veut nous amener là, quand il menace du crime de lèze-majesté ceux qui n'augmentent pas leur patrimoine de cette manière, que l'ac- cessoire surmonte le principal; disant aussi que c'est une grande honte de ne pas laisser à ses successeurs son héritage plus grand qu'on ne l'a reçu de ses prédécesseurs. Comment cela se fera-t-1l ? jamais entre les mains des fermiers, mais bien entre les nôtres, si nous voulons pré- ter à notre terre notre esprit et noire argent : c'est le moyen noble d'augmenter le bien, si célébré des anciens, dont le dire se vérifie tous les jours. Quoique sans art le maître avecques peu d’esprit, Conduira beaucoup mieux pour soi son héritage - Qu’aucun fermier qui soit , lequel pour tout ménage, N'a dans l’entendement que son propre profit. Si ces oracles du tems passé étoient suivis , nous ne verrions pas tant de disette de toutes choses, comme nous faisons, mais une grande abondance ; car chacun pensant à ses affaires feroit labourer sa terre avec scienceet diligence, D'AGRICULTURE. 197 contrôlant goi-même|et sollicitant ses ouvriers , ce qui seroit aussi utile au public que le con- traire lui cause de dommage , arrivant quelque- fois des séditions et des maladies contagieuses faute de vivres; pourquoi l'on peut dire avec raison, que comme l'agriculture est le moyen dont Dieu se sert pour le soutien de cette vie, il tire aussi la punition des hommes de son interruption négligée , ces trois notables verges, famine, querre , peste ; il est encore écrit, que l'abondance de la terre est au-dessus de tout. Or, comme les anciens nous ont permis de donner notre bien à ferme, ce que nous ne pour vons avoir sous notre main, il s'ensuit qu'ils nous commandent d'en faire cultiver par: des serviteurs , Ce qui est en notre pouvoir. D'après cet ordre , nous ferons une soigneuse recherche de la qualité de notre bien, dont la partie la plus éloignée , la plus écartée, la plus difficile à cul- tiver sera donnée à ferme; la plus proche de nous , la plus unie et la plus facile sera retenue. Cette proximité s'entend, si le père de famille ÿa sa maison pour habiter et y faire sa demeure ordinaire ; sans quoi tout ira mal dans son mé- nage, et ni l'expérience des laboureurs , ni le pouvoir d'y dépenser ce qu'il appartient , ne profitent autant que la seule présence du sei- 138 T'H É AITUNE gneur , pour tenir chacun dans le devoir. C'est de-là que cette sentence est sortie, Le maître dès son réveil Au ménage est un soleil. C'est la présence du maître qui rend les pares- seux dihigens ; qui rend sobres, les gourmands et les ivrognes ; paisibles, les turbulens et que- relleurs. C'est encore ce que dit Pline , que la principale fertilité des terres consiste dans l'œil du maître, et non dans le talon. Cette présence du maitre dans son ménage est tellement recom- mandée des anciens, que Magode Carthage, excellent homme des champs, et l'un des pre- miers auteurs rustiques, de peur d'oublier une chose aussi importante, commence son livre par un commandement fait à celui qui veut acheter une métairie ; de vendre premièrement sa maison de ville , ou s'il ne veut pas le faire, il lui défend d'acquérir aucune terre aux champs, par l'incompatibilité de ces deux façons. de vi- vre. Nous ne sommes pas aujourd'hui si aus- tères pour nous priver de la liberté d'avoir des maisons dans les villes, où la demeure st quel- quelois salutaire par plusieurs bonnes causes » quand même ce ne seroit que pour s'y aller re- créer avec ses amis, comme toujours, où le mm D'AG B L'COU L{TIU RE 139 plus souvent, les changemens volontaires font plaisir, mais c'est manquer au ménage que de s'y arrêter par trop. Nous voyons quel bien nous pouvons affer- mer, ou mettre en rente , et celui que nous de- vons conserver sous notre main. En cas d'afferme, que le seigneur s'accorde ayec son fermier pour prix du revenu de son bien , en deniers, fruits ou autres choses , comme il croira meilleur , lui en passant contrat pardevant notaire, avec autant de sûreté qu'il pourra prévoir, y opposant des réserves, corvées et autres conditions , selon la portée de son domaine, et conservation de sa bberté, ce qui ne peut se particulariser par les difiérentes coutumes des pays; mais qu'il y pense bien avant de clore son marché, afin que pour son avantage , il n'oublie aucun article, vu qu'il est sans espoir après, d'avoir par honnêteté, plus que ce qui aura été convenu et écrit, à cause de l'avarice et le peu de loyauté de la plupart de ces gens. Or, comme la voie la plus sûre de tirer sans dépense ni souci, le revenu de votre terre , est celle-ci , elle est de même la manière la plus ruineuse du ménage, comme il a été démontré , vu que par elle , votre domaine, abandonné à l'avarice de votre fermier , qui en arrache durant son terme tout ce quil peut, 140 THÉATRE diminuera en valeur , et se ruinera à la fin, si au contraire , il n'y est pourvu en termes exprès. Quant à tenir son bien sous sa main, en voici le plus difficile ; ce sont la continuelle sol- hcitation au travail, et l'ordinaire distribution des vivres pour la nourriture des serviteurs et manœuvres. Comme ces charges sont distinctes, elles sont aussi divisées distinctement , suivant l'ordonnance antique , les affaires des champs demeurant au mari, et celles de la maison , à la femme, toutefois avec communication de con- seil, tant pour faire mieux aller le ménage, que parce qu'on reçoit plus d'avantage des choses prévues , que de celles commencées au hasard : dans ce commerce rustique l'avantage est au père de famille ; car en se promenant par recréa- tion , il fait sa charge , ses affaires étant où son plaisir le mène; mais il n'en est pas ainsi de la mère de famille, qui ne peut, sans une très- grande peine, pourvoir à la nourriture des siens, encore moins les contenter tous, tant par les diverses humeurs des gens de service , la plu- part mal élevés , que par l'extrême souci d'avoir continuellement en tête tout ce qui appartient à la nourriture d'une grande famille , sans lut donner une heure de relâche , ce qui la tour- mente comme une fièvre continuelle. | DA GR ICULTUR E. 141 On à inventé de né pas nourrir les serviteurs pour lesoulagement de la mère de famille. Au lieu de dépense de bouche des serviteurs et mercénaires , on leur donne du bled , de la fà- rine ou du pain, du lard, du fromage, de l'huile , du sel, des légumes, du vin, ou d'au- tres alimens, pour leur nourriture de toute l'an- née, dont on convient, de la quantité des paye- mens, selon les circonstances et les lieux. On leur donne aussi un jardin pour avoir des herbes ; un quartier de logis séparé pour leur retraite et pour faire leur ordinaire , ou plutôt la maison du métayer, bâtie dans la grande cour, avec une servante pour apprêter leurs vivres. Par cet ordre vos gens se nourrissent à leur idée, man- geant librement à leurs heures , sans aucune- ment vous importuner dans votre habitation, de manière qu'il ne vous reste d'autre soin que de leur faire bien employer le tems; et quand vient le terme, de les payer de leurs gages. Cette façon de ménage approche de celle dont plusieurs se servent en Languedoc, pour la cul- ture des domaines écartés. Ccs domainés sont donnés en charge à un maitre serviteur ( en lan- gage du pays, appellé Païré, c'est-à-dire, le père), qui a d’autres serviteurs sous lui, autant qu'il suffit, Le seigneur lui fournit tout le bétail, 142 THÉATERE outils et semences, s'accorde avec lui des gages de tous les serviteurs, en deniers, habits, et pour la nourriture de tout le ménage durant l'année, en bled , lard, huile, sel, légumes, vin et autres denrées, et avec de l'argent aussi ; moyennant ces conventions il se charge de tous Jes travaux , et de rendre tous les fruits qui en proviennent. Il faut que ce père soit marié par le besoin que tout ménage à de la conduite d'une femme. Le seigneur donne des gages à la femme aussi bien qu'au mari, qui sont limités par le nombre de leurs enfans, les gages étant moin- dres plus il y a d'enfans ; ceux qui sont grands et capables de servir, étant retenus à gages selon leurs capacités. Quant aux journaliers et manœuvres néces- saires pour la culture des vignes et semblables travaux , même pour les réparations extraordi- naires : Celui qui ne voudra pas se charger de la fatigue de les nourrir, les payera en argent seul, à tant la journée, parce qu'alors ils por. tent leur nourriture pouf vivre quand ils tra- vaillent chez vous. Cette façon de ménage étant une grande consommation de demiérs, vient très-souvent mal-à-propos au père de famille, même lorsque ses denrées sont à bas prix et de petite vente, dont il ne peut commodément se D'AGRICULTUR E. 14 servir en cet endroit ; car c'est aux champs où Hl est le plus convenable qu'il les fasse manger après ses ouvrages, plutôt que de les envoyer au loin pour les vendre, afin d'en retirer le payement de ses ouvriers. C'est plutôt à lavan- tage de l'homme de la ville que cet ordre est établi, pour la culture des jardins, vignes et autres semblables propriétés, en ce qu'il lui est plus commode de payer les ouvriers , argent sec, que d'y ajouter la nourriture. Aussi sur ce mé- nage, les femmes de la ville sont fort peu en- tendues , et elles souscriront volontiers à cet avis. Voici encore du soulagement. Il est certain que la plus grande fatigue du ménage est dans les moissons , tant par la difficulté d'avoir des ouvriers pour scier les bleds, que par la peine et la dépense de les nourrir , vu le grand nombre nécessaire à cette œuvre. On se décharge en- tièrement de cette fatigue en donnant à scier et lier les bleds à tâche ou à prix fait, c'est-à-dire, de donner en bloc pour faire cet ouvrage; ou bien en les faisant battre ou fouler , selon le pays, et rendre nets; de payer la peine en grain ou emargent ; ou encore sans tant hasarder , de s’acecorder à tant pour cent; ou à compte, un pour tant , à la meilleure condition qu'on peut. 144 THÉATRE Ainsi ces différentes façons de ménage peuvent être appellées parties d'afferme , s'en appro- chant plus ou moins les unes que les autres, qui reviennent au seul soulagement de la mère de famille , la charge du père de famille demeu- rant entière et nécessaire pour la conduite de ses affaires. Mais si sa femme et lui veulent com- munément se décharger de la peine importune et du souci du ménage, ils pourront le faire ainsi, sans cependant abandonner leur bien à la merci du fermier : à cet effet ils le donne- ront à cultiver à demi-fruits , au tiers, au quart ou à d'autres conditions acceptables , selon les pays: par ce moyen, le bien se maintient en assez s bon état. Depuis long-tems, cette manière de cultiver la terre est en usage dans les provinces de ce royaume , et étrangères ; mais non pas géné- ralement pratiquée de la même sorte, par la différence des mœurs et des coutumes; d'où il arrive que c'est en gerbe ou en grains, par égales ou inégales portions, que le seigneur par- tagera avec son métayer , avec l'apposition de plusieurs conditions diversement reçues ou re- jettées, non-seulement de province à une au- ire, mais presque de voisinage à voisinage, tant les hommes sont particuliers. Si le métayer fait toui > hs a ns à DAGRICULTURE. 149 tout le ménage desbledsäses dépens, c'est-à-dire, “l laboure et ensemence les terres, qu'il sar- cle les bleds , les moissonne, qu'il en charie les bleds dans la grange ou dans l'aire, selon le climat , les y entasse, les bat ou foule jusqu'à en rendre le grain net, la moitié du bétail et des outils du labourage lui étant fournie par le sei- gneur , ainsi que la moitié des semences et toutes les pailles délaissées, avec quelques jour- nées de pré et autres pâtis , sans débourser d'ar- gent pour son bétail de labour , la moitié des fruits des arbres , si le métayer ne paye que la moitié des tailles, cens et autres charges ordi- naires y arrivant. J'estime la condition raison- . nable , si les gerbes ou les grains sont partagés par moitié entre le seigneur et le métayer, dans la récolte, n'y ayant dans cet accord aucun , ou un bien petit hasard pour les parties. Mais d'opérer suivant la mode de plusieurs du Languedoc , du Dauphiné et de la Provence, c'est Hit plus chère que de raison la façon du labourage et de la conduite des bleds. Outre qu'ils donnent au métayer tout le bétail, les ins- trumens de labour et la moitié des semences , ils lui aident à semer , sarcler, moissonner, en s’ac- : cordant d’une certaine somme d' argent pour la valeur de ces choses, Ils payent les gages d'un Tome L, K 146 L'HÉ ARE homme qui sème tous les grains (servant au seigneur de contrôleur ), donnent de l'ar ‘gent ou du bled pour sacler et moissonner, ils contribuent de tant de sel pour les bêtes de labour , de fer pour les socs. Un tiers vient après avec des che- Vaux, mulets ou jumens , fouler les bleds dans l'aire s EE il en retire pour ses peines la vingtième partie ou telle autre qu'ils conviennent entre- eux , outre la grande dépense que ces animaux font dans l'aire. Enfin le reste est partagé par la moitié, entre le seigneur et le métayer qui re- tient toutes les pailles du surplus pour la nour- riture du bétail de labour, et jouit aussi sans payer, des herbages voisins. Ils ménagent en- core plus particulièrement , dans certains en- droits du Dauphiné , au détriment du seigneur, parce que le granger ou métayer , quand la moisson est venue , donne à scier et battre les bleds à un homme, prix conyenu , qui pour son salaire, dépens compris ‘prend sur le monceau de bled, la septième ou huitième partie , ou telle autre portion convenue ensemble ; et le restant est comme ci-clessus, partagé par moitié entre le seigneur et le métayer. Par ces deux façons de ménage , il est constant que la con- dition de ce dernier est meilleure , EN CE Cas, que celle de son maitre , vu que pour lbourer D'AGRICULTUR E. 147 seulement et charrier les gerbes dans l'aire, il tire moitiéMfranche , de tous les biens qui en proviennent; salaire excédent les limites du bon ménage. Quant aux vignes , celui qui ne les afferme pas en deniers , il est assez raisonnable qu'il les donne par moitié ; mais c'est à la charge, ce dont le seigneur doit bien prendre garde, qu'elles ne soient pas taillées trop longuement , par la tromperie que les vignerons font dans ce cas, qui, pour recolkter du vin en abondance , laissent aux vignes trop de bois, ce qui les fait suc- comber en peu de tems. Il pourvoira aussi à ce qu'elles soient marrées autant de fois et aussi bien qu'il convient , autrement elles ne dure- _ roient pas long-tems, quoiqu'elles fussent bien taillées; que les vignes perchées et appuyées soient fourmies de bois, selon le besoin, liées et pliées avec art ; les maigres fumées, et toutes ensemble soigneusement gouvernées en bon ménager, autrement elles ne seroient pas de lon- gue durée , la vigne étant la partie du domaine la moins propre à souffrir la négligence du la- boureur. Les arbres fruitiers et jardinages ayant du rapport avec la vigne, demandent aussi un traitement complet ; en les négligeant , leur re-. venu et leur beauté diminueront bientôt. Quant K i 148 THÉATRE aux prairies, il n'y a rien de plus susceptible à affermer qu'elles, par le peu de soin qu'elles exigent : cependant si, en abusant de leur fa- cilité, on les abandonnoit en tout à la négli- gence, elles finiroient par ne plus rien rap- porter. Pour prévenir ces ruines, le père de fa- mille apposera dans ses contrats tant de pactes et de conditions, qu'ils suffiront à retenir l'ava- rice et la paresse de ses métayers. Quant à ce qui concerne les bois , pâturages et gouvernement du bétail, ils s'afferment en tant de manières, et si différentes , qu'il est im- possible de représenter précisément le moyen dont on doit se servir en cette circonstance, pour pouvoir discerner quelle façon est la plus profitable et la moins nuisible; de même que les étangs, garennes, colombiers et autres agré- mens du ménage. Ce sera au prudent père de famille de penser deux fois, avant de les con- fier à la miséricorde des fermiers, de peur d'en voir bientôt la fin. Il sera aussi averti qu'à me- sure quil veut s'éloigner du souci, son bien touche à sa ruine, comme cela est clairement représenté par les précédens discours. Ainsi, puisqu'il y à du désagrément à tirer raison de: la terre, par la négligence , l'ignorance , la fraude, la dépense, et autres incommodités Pt : “sr un D'AV6 R 1 CU L'TU RE. 149 qu'on y trouve en la faisant cultiver, soit par des serviteur®, soit par des fermiers , le meil- leur sera de ne pas vous attacher à une seule façon de ménage. Ainsi changeant quelquefois, vous tiendrez votre domainé certain tems vous- même , et ensuite vous l'aflermerez pour un petit nombre d'années, non pas trop longue- ment. Par ces changemens, en vous délassant , vous passerez sur les difficultés du ménage , et de tems à autre vous prendrez un nouvel avis, selon les rencontres, en conservant par ce moyen toujours votre liberté. Ceci s'entend pour les biens qu'on peut avantageusement tenir sous sa main , et non pas pour les autres, que la difficulté du travail rend pour jamais affermables. - Comme nous avons distingué les différentes sortes de fermes, il est aussi besoin d'en dis- tinguer les fermiers , ce que nous ferons sous ces deux noms, fermier et métayer, pour ne nous pas confondre. Le fermier est celui qui prend le bien à certain prix, dont il se charge à ses périls et fortune , comme on le voit pratiqué aux fermes du roi, des princes ;, ‘des grands seigneurs , des commu- nautés ; des pupilles et autres. Le métayer ne se hasarde pas aussi avant, mais seulement K ii 150 THÉ ASTRA TE il soblige de cultiver le bien à la portion , selon les pactes convenus. Il est aussi appellé en France , de métairie; et en Dauphiné, granger, de grange. L'un et l'autre édifice au dit pays, signifiant une même chose , quoi- qu'en France la grange ne soit qu'une partie de la métairie ; et comme le fermier et le mé- tayer sont de l'art de la terre, nous les exa- minerons de même en cette qualité. Pour cette élection donc, notre père de famille donnera tous ses soins, et par ce moyen il choisira l'un et l’autre, leurs charges ayant du rapport entr'elles, comme il a été dit. Tel sera le fer- mier , de méme le métayer ; homme de bien, loyal, de parole et de bon compte ; sain, âgé de vingt-cinq à soixante ans, marié avec une sage et bonne ménagère ; industrieux , la- borieux, diligent , économe, sobre , point ama- ieur de bonne chère, point ivrogne , ni ba- billard, ni plaideur, n'aimant point la ville, n'ayant aucun bien de terre au soleil, mais des moyens en bourse. Ainsi qualifié et ren- contré , il sera celui qu'il vous faut, avec le- quel vous n'entrerez pas en pique pour peu de chose ; mais vous supporterez doucement ses petites imperfections, cependant jusqu'à un cer- tain point, gardant votre autorité, afin de ne DM T CU L TU R E. 151 oint l'accoutumer à désobéir et à ne pas craïn- dre. Vous éompterez souvent avec lui, dé peur lui terme sur térme , ni aucuné autre chose sur laquelle il vous soit redevable , si petité qu'elle soit; et par la même raison, vous n'exigerez pas de lui, outre de son dû, rien qui lui soit préjudiciable. Vous lui montrerez au reste l'amitié que vous. lui portez ,. en louant son in- dustrie , sa diligence , et vous réjouissant de son profit trouvant bon qu'il gagne hon- nêtement avec vous, pour l'attacher toujours mieux à votre service. Vous ne changerez point de fermier , ni de métayer , Si vous les trouvez passables , que le plus rarement que vous pourrez; et au contraire, vous n'en souflrirez aucun qui n'ait la plupart des qua- lités susdites. Quelque soit votre fermier ou métayer , n'abandonnez pas tellement votre terre , qu'en toules saisons vous ne la visitiez ( le plus souvent étant le meilleur) pour re- médier à tems aux dégâts survenants; prin- cipalement, pendant la récolte des fruits, te- nez-vous-en de si près, que vous en tiriez raison , en ne souffrant au reste, dans votre do- maine , affermé , ou non, aucune introduction de nouveauté qui vous préjudicie, soit des K iv 152 LT LÉ, À TRE chemins , des pâturages , abreuvoirs, coupes de bois , et autres servitudes. Vous ne lais- serez pas non plus perdre aucune partie des autorités, prééminences , franchises , priviléges et bonnes coutumes , que vous avez sur vos sujets et sur vos voisins. Fin du premier Lwre. DUR EC.U L TU R E. 133 a POLE AT RE PORC L'COU"L TU R'E: LIVRE DEUXIÈME. CHAPITRE PREMIER. De préparer la terre pour le lalwurage. RL Lonso UE la qualité des terres est bien recon- nue , elles doivent étre cultivées avec art et diligence , pour en tirer parti; mais avant que d'en venir-là, il faut les préparer , afin que souffrant le travail avec facilité, elles puissent être utilement gouvernées. Tout terroir porte en lui de la difficulté, que , si on ne peut l'ôter ou la dompter, le tems et le travail y seront em- ployés pour rien ; c'est pourquoi il y a tant de 194 T'H'É AT RE terroirs estimés inutiles, faute de connoître ce qui en détourne le rapport, ou qu'on n'a Pr la science d' y remédier. Trois causes principales nuisent évidemment à la culture des terres, au détriment des grains; savoir ; les arbres, les pierres et les eaux, ren- dant le terroir de peu de rapport, quand ils S'y rencontrent en trop grande abondance , quoi- que de lui-même il soit bon. Les racines et les rameaux de plusieurs grands arbres assemblés, ñe permettent ni à la terre, ni au soleil de faire leur devoir. L'incommodité des pierres, perd une partie de la térre, et empêche l’autre d'être labourée , ainsi qu'il appartient ; mais la pire maladie viextt des eaux surabondantes ; elles dé- trempent trop la terre , qui ne peut jamais bien se labourer, nr recevoir les semences à propos, qui s'y voyent presque toujours à la première venue des pluies. Puisqu'à ces maux l’on peut pourvoir, même à frais modérés ; ce séroit trop grossièrement manquer en ménage que de n'y pas apporter les remèdes nécessaires Avant tout, il faut soigneusement léver ces embarras fächeux ; une fois ôtés, vous resterez snrpris du changement subit de ces terroirs, qui, d'inutiles, difformes: et incommodes, de- viendront fertiles , agréables et facilés à cultiver de — Ro or AEGTRIrTIC'U LIT U R Er. 152 dès la première année, et par conséquent pro- pres à produire toutes sortes de grains , moyen< nant la faveur du ciel. Ce ménage ne peut être appellé culture or dinaire , mais réparation extra- ordinaire et perpétuelle, parce que la dépense que vous y faites, est pour une seule fois, et 1l n'est pas nécessaire d'y revenir, si elle est bien et profitablement faite au commencement ; con- sidération qui doit vous exciter à mettre vigou- reusement la main à cet excellent préparatif. Chacun ést assez instruit de l'ordre requis pour se défaire des arbres nuisibles, n'ÿ ayant pour cela d'autre mystère que de les couper, et d'en arracher profondément et soigneuse- ment les racines. Si le bois que vous en ôterez n'est pas propre aux bâtimens, ou que vous ne vouliez pas l'employer au chauffage , vous le brûlerez sur les lieux méme , après l'y avoir fait sécher , en observant que ce soit à la veille de la pluie. Par ce moyen, le feu cuira une partie de la superficie de la terre, et l'eau fera péné- trer les cendres dans le fond, qui serviront à lengraisser , ayant soin d'éviter les vents qui emporteroient les cendres où ést contenue la graisse de cette brülure ; vous évitérez de même le mal que les flammes du feu pourroient causer, étant portées dans les arbres et maisons voisines, 156 THÉ AT'RE comme on à vu plusieurs fois de ces dange- reux exemples, qui décèlent une grande impru- dence. Ce seroit aussi une mauvaisé économie , que de défricher inconsidérément les bonnes forêts, et de laisser entières celles de peu de valeur ; c'est pourquoi ; vous distinguerez ces choses en en pésant les circonstances. Si vous êtes dans un pays peu fertile en bois et herbages, qu'il ne vous vienne jamais à la pensée d'en couper aucun , quel qu'il soit: au contraire, vo- tre domaine étant sur-abondant en foréts, ne sera que bien ménagé, ou en rompant quelques parties des moins peuplées d'arbres , et des plus plattes en leur fond , parce que le labourage y est plus propre qu'en pente , et vu aussi que les lieux bas se couvrent plus facilement en her- bes, que ceux qui sont élevés ; ce qu'il faut pré- voir pour ne pas se priver de la liberté de les remettre en leur premier état, en changeant d'avis. Les bois étant utiles à quelques ouvrages en seront retirés ; les autres, ou brülés sur les lieux, comme ci-dessus, ou envoyés au four pour cuire le pain, ou à la cuisine. Il est quel- quefois aussi à propos de se défaire des arbres fruitiers, et très - souvent des moyens, à cause de leur ombrage incommode. Vous pourvoirez à cela en mesurant le profit par la perte, vous ‘4 p''APCGR LCUIL!IT EUR EF. 197 avrétant au plus raisonnable. Si vous laissez quelques abres dans votre labourage, faites que ce soit ceux qui le méritent le mieux par leur valeur, et en petit nombre, que, sil est ible , vous ferez rencontrer aux bords et lisières de vos champs. Par ce moyen votre: la- bourage deviendra tel que vous le desirez; car il n'y a pas de doute que chaque espèce de fruits ne demande sa part du ciel, du soleil, de la terre, avec un entretien séparé. On peut aussi facilement épierrer les terres. Si elles sont occupées de pierres et d'eaux tout ensemble , on les débarrassera de même à la fois de ces deux incommodités, comme il sera | démontré en son lieu ; mais sil n'y a que des pierres , on les enlevera , et on les transportera, dans des vallons ou fondrières prochaines ; à leur défaut, on les enfouira dans terre sur le bien méme , dans des grands trous qu'on y creusera. Ces trous et fosses seront faits en nombre et grandeur , selon l'étendue du champ et l'abondance des pierres , laissant leur forme, à la liberté de chacun. On appelle ces, récep- tacles, caisses , comme cnfermant les pierres, qu'on y met pour reposer : pour jes creuser , la main d'hommes forts et robustes est nécessaire , mais toutes sortes de gens travaillent à les rem- 158 T'H:É A TIRE plir, jusqu'aux femmes et aux enfans , y portant et charriant les pierres par corbeilles, paniers, mannes, brouettes , et avec d’autres ustensiles propres à cela. Les caisses ne seront pas en- tièrement remplies de pierres, mais seulement jusqu'à deux pieds près du bord, et le restant sera comblé de la terre qui en aura été tirée la première, comme de la meilleure , dont la superficie du champ sera réaplanie. Sur ces pierres ainsi enfermées , couvertes, moyennant ladite quantité de terre , le coutre jouera à l'aise pour toutes sortes de grains, même les arbres, vignes et autres choses qu'on y voudra planter ne pourront manquer de bien s'y porter ; le res- tant de la terre sera uniment écarté par le champ qui se rendra d'autant meilleur , que plus il y en aura de bonne et fertile. Par ce moyen tout votre champ sera bien épierré et nettoyé, et on pourra facilement le labourer sans peine. Quelques-uns ramassent les pierres nuisibles: en certains endroits du champ de moindre va- leur, en y faisant des monceaux ; et là, ils les confinent , aimant mieux perdre. une partie de: la terre , que si elle étoit toute occupée à Fl'in- iérêt du labourage ; ce que: je n'approuve pas; ou ce seroit dans un lieu où l'on ne pourroit D'AG RH C U L TUU R E. 159 creuser profondément par la rencontre des ro- chers; mais @ù il y a du terrein bon ou mau- vais , il ne faut pas s'en priver sciemment d'au- cune partie, si petite qu'elle soit; d'un côté cela rend le champ diflorme ; et de l'autre, c'est une perte , vu que la terre, quoique maigre et légère , par culture et amélioration ; devient de fertilité passable. Il ne faut pas ôter les pierres sans distinc- tion , indifféremment sur toutes les terres, d'au- tant plus que quelques-unes sont utiles dans certains lieux. Les terres argilleuses devien- nent faciles à labourer , par les pierres menues ; c'est pourquoi il ne faut en enlever que les grosses et y laisser celles de la grandeur d'une noix et au-dessous , qui, ressemblant au gra- vois, aident à l’agriculture, en empéchant la terre de sentre-presser par trop , ce qui la rend plus déliée et plus facile à remuer. Sur quoi l'exemple de la Sicile est remarquable, son ter- roir étant devenu stérile par un trop soigneux épierrement , fut restauré, quand par un décret publie, on y eut remis des pierres menues, au- tant qu'il en falloit pour le bien du labourage , suivant le rapport de Pline. Pour débarrasser les terres des eaux nui- sibles, le remède le plus commun est, de les 160 LÉ RPRMRTE vuider par des fossés ouverts, principalement dans les plaines et les lieux bas; ces fossés servant aussi à clore les possessions. On fos- soyera les terres à l'entour, en donnant telle largeur et profondeur aux fossés qu'ils soient propres à ces deux usages. On les net- ioyera une fois, de deux en deux ans, peu de tems avant l'ensemencemeut des terres, sur lesquelles on jettera la graisse qu'on prendra au fond des fossés pour servir d'autant à améliorer. Mais s'il arrive que le champ soit par le de- dans occupé de fontames et sources souter- raines, croupissantes , les seuls fossés aux bords des terres ne sufhront pas; ainsi il sera besoin d'un autre remède plus particulier, comme il sera démontré, pour dégager le milieu de la terre de ces incommodités , et d'autant plus que le vice de trop d'eau excède en malignité ce- lui des ombrages et celui des pierres , comme il a été dit; il faut aussi employer plus de tra- vail pour y remédier qu'à ceux-ci, ét pour ré- compense le profit en sort plus grand, ue de toute autre réparation qu'on puisse fairétà la terre , tant celle qui la débarrasse des eaux mal- faisantes est fructueuse ; non-seulémeént par-là, les terres trop humides sont améliorées , mais les marécages et palus sont convertis en labou- rages D'À. 6 R k GU E T:U,R Ë 161 rages parfaits. Les exemples nous servent de bons maîtres, pour faire nos ouvrages. Quel est le ménage , voyant les beaux bleds que pro- duisent les étangs desséchés, qui ne desire, par émulation , imiter ce profitable ménage? La cause en provient de l'eau, qui a empéché la terre étant sous elle, de travailler en aucune manière pendant plusieurs années , au bout desquelles, elle se trouve reposée ; et par cette oisiveté ayant fait amas de fertilité , elle rapporte avec admi- ration et profit ; par, cette découverte vous aurez bien plus d'espérance de celle-ci, qui par l'antique importunité des sources, n'a jamais pu rien produire, que vous trouverez toute neuve et remplie de graisse. Outre ce revenu, vous pourrez encore ramasser Ces eaux nuisibles, éparses çà et là dans votre terre, et les attirer dans un endroit où l'on fera une source de fon- taine , selon les lieux, tellement grande et abon- dante en eau, qu'elle suffira pour l'arrosement des prairies, que vous ferez à cette occasion, au-dessous des quartiers desséchés, et pour y dresser des moulins , si l'assiette et autres qua- Lités requises , sont favorables. Il est nécessaire que le fond que vous voulez dessécher ait une pente petite ou grande , sans quoi les eaux ne pourroient s'en vuider ; çela Tome L, | | Lo 162 THÉATRE mis pour fondement, on fera un grand fossé depuis un bout du lieu jusqu'à l’autre, de long en long , en commençant toujours par le plus bas endroit , et par où vous remarquerez des sources ou humidités ; dans ce fossé plusieurs autres, mais petits, pendans én plume, se joindront des deux côtés, pour y décharger leurs,eaux , qu'ils ramasseront de toutes les parties du terroir : par ce moyen chaque portion aboutissant au grand fossé qui les recueille toutes , il les rap- portera assemblées à son issue ; le grand fossé, par cette cause est appellé mère , et tous en- semble , pied de géline, par la conformité qu'ils ont, ainsi disposés , à la figure du pied de cet animal , dont les griffes tendent au tronc de la jambe : la contenue et l'assiette du lieu, don- hent la forme aux fossés ; il faut les faire plus longs et plus larges, que plus la terre que vous voulez dessécher est grande et plate ; et au con- traire , il estnécessaire , qu'ils soient plus courts et plus étroits, plus elle estpetite et pendante, vu que dans un petit lieu, il ne se ramasse pas com- munément autant d'eau que dans un grand, et qu'un fossé étroit, bien en pente est plutôt vuide, qu'un large ayant une pente douce. Il n'en est pas ainsi de la profondeur des fossés, païcé qu'en quelque lieu qu'on les creuse, il pD'AGRIC#ULT OUR E. 163 faut y aller jusqu'à quatre pieds ou eñviron ; pour bien céuper la racine des sources , but de cé travail. Aussi il convient que la distribution des fossés soit suivant lé naturel du lieu. S'il est dans ün vallon enfoncé , et que le terrein soit élevé des deux trôtés, la mère se fera dans le milieu ét le plus creux du champ, de long en long, comme il a été dit, dans laquelle tembe- ront les autres fossés des deux côtés, dressés en plume. Mais n'ayant à déssécher qu'une penté de eôteau seulernent ; il y aura en ce quartier- là des petits fossés $e rendant à la mère, dis- posés sélon qu'on croira le mieux , l'ouvrage guidant l'ouvtier; comme aussi la longueur de tous les füssés dépend de l'œuvre, qui en fait l'ordonnance , selon l'assietté et le plan du lieu. Le plin ayant uüne pente raisonnable et éten- due, les petits fossés seront aussi raisonnablement larges, dé trois pieds, et la mère de cinq, moyennant tette mesure ; is satisferont à votré intention ; et pour qu'on ne se trompe päs, il faut faire autant de fossés dans autant d'endroits longs et amples ; sans craindre de trop faire en ce cas, äfin que ni source ni petite fontaine ne soient oubliées d'aucune manière, pour parfaite- meñt bien dessécher le terroir, par le ramas général de ses eaux. Ces fossés grands et petits | L ij _ 164 THÉATRE seront à demi remplis de petites pierres ; et le reste achevé de combler de la terre qui en aura été tirée auparavant , qu'on applanira par le. dessus avec le plan, si bien, que la trace même : n'y paroisse pas, pour la commodité du labou- : rage, qui s'y fera très-bien , le soc y trouvant : de la terre en suffisance , avant de toucher aux pierres , au travers desquelles, l'eau ayant son libre passage , s'écoulera dans le lieu que vous Jui aurez destiné, laissant la superficie de la : terre vuide de toute humidité nuisible , pour devenir propre à porter abondamment toutes : sortes de bleds : économie communicable à toutes possessions , vignobles, prairies , vergers, et autres qui ne rapportent aucun fruit, et hais- sent le trop d'humidité. Si vous n'avez sur les lieux que de grandes pierres plates pour la four- niture de vos fossés, avant que de les y mettre vous les ferez briser pour les rendre plus propres à ce service, en les posant au fossé de bout et non de plat, ou autrement, enles arrangeant, si adrot- tement, qu'elles n'empéchent pas le chemin de l'eau, en ne s'entre -touchant pas : pour que la besogne s'achève bien , il faut la bien com- mencer, c'est-à-dire , artistement, et par règle, alors vous en viendrez facilement à bout , à l'aise et sans confusion. La trace de. tous vos ‘fossés D'AGRICULTUR E. 165 sera faite par la première main , qui marquera soigneuseméht les endroits où ils doivent passer, ensuite vous commencerez à les faire creuser par les plus bas endroits et issues, en jettant la terre qui en sortira, d'un côté, et au - dessous du fossé , laissant l'autre côté libre pour y pouvoir aisément porter les pierres qui y seront jettées aussitôt , de peur qu'en retardant, le fossé ne se recomble de lui-même, par les, vents, par le passage des bêtes et autres événemens. Ainsi votre entreprise s’achèvera par l'un des bouts, à mesure qu'on la commencera , en la conti- nuant jusqu'au plus haut du lieu. Cependant l'eau prendra son cours, même aussitôt que l'ou- verture de son chemin en aura été faite, ce qui n'arriveroit pas en commençant l'ouvrage par l'endroit le plus élevé, vu que l’eau n'auroit pas d'issue , et-détourneroit même l'ouvrage , en s'y déchargeant. Vous aurez soin aussi, que les issues de l'eau soient si bien arrangées , qu'elles ne puissent se boucher par le tems, de peur qu'à défaut de passage , l'eau rétrogradant ren- dit inutile votre peine. Il sera pourvu à cela par de bonnes pierres maçonnées solidement et à profit, pour durer long-tems , principalement dans l'endroit, où la mère ou le grand fossé. réceptacle des autres, rend les eaux pour y L ü} 166 THÉATERE servir , où empécher de nuire. Finalement, vous serez averti que les extrémités et bouts de vos petits fossés , dans les parties les plus hautes, ne doivent pas nécessairement étre si larges que les basses, parce qu'elles n'ont pas Rà tant d'eau à recueillir qu'en bas, cela demeurant néan- moins à votre discrétion ; comme ils ne pour- toient être trop larges en certains endroits pour recevoir non -seulement les eaux naissantes au | fond, mais celles survenant des pluies, ee qu'il faut Ur Cette réparation a plusieurs usages, puisqu'à la fois, les eaux et les pierres impor- tunes d'un terroir sont ôtées, et ces eaux, de nuisibles, deviennent utiles pour le$ prairies, . moulins, même pour les fontaines, leur naturel le voulant; par ces avantages, elle se rend re- commandable ; aussi ces réparations sont recher- chées de tous ménagers : d’ailleurs en ce mé- nage, rien ne se perd; car les fossés étant remplis de terre en leur superficie , toute leur terre se met en évidence, pour servir au labourage, jusqu'à un pouce, ce qu'on ne peut dire des. fossés demeurant ouverts, qui occupent beaucoup de place ; et pour les poser après ceux-là, ils sont sujets à être réparés de tems à autre, comme il a été dit. | S'il arrive que pour le remplage des fossés, La D'À GR 1 C U ET U R E. 167 pierre manque , ne vous mettez pas en peine d'en faire äpporter de loin avec de grands frais; à son défaut, servez-vous de paille. Pour la force, on choisira plutôt la paille de seigle que d'autre espèce, et si l'on n’en a pas, on emploiera celle de froment. On en fera un plancher dans le fossé, qui, suspendu , cause un vuide en bas, pour le passage de l'eau; et au-dessus de ce plancher, on y mettra deux pieds de terre ; le vuide sera d'un pied de haut , l'épaisseur du plancher sera d'un autre pied , et les deux autres de terre, feront les quatre donnés à la profondeur des fossés ; leur largeur sera de deux pieds et demi, plus étroits de demi pied que les précédents, par la sujetion de la paille , de peur de boucher le vuide en bas, à cause de la pésanteur de la terre , mise au-dessus, qui peut s’affaisser. La mère , réceptacle des eaux n’excédera pas cette mesure eu égard à la paille; mais pour pourvoir à ce dont il est question, au lieu d'une mère, deux seront faites, ou une seule si profonde, qu'elle suffise à recueillir toutes les eaux , qu'on lui adressera. La paille s’accommodera en faisceaux, longs de deux pieds et demi, épais d'un pied, hés de la même matière , en trois divers endroits d'égale distance. Pour les faire tenir dans. le lieu, et comme i appartient, il faudra assujettir L iv 165 LHYÉ AL TAONE le fossé, en le façonnant plus étroit par le bas que par le haut, non en pente ni en talus, mais d’aplomb et en droite ligne , se retrécissant en quarré dans l'endroit que vous poserez le plan- cher, pour demeurer ferme et assuré comme sur des murailles. Le retrécissement de chaque cÔtE sera de demi pied ; parce moyenil restera en bas, et dans le lieu le plus étroit du fossé, un pied ct demi , et en haüt au plus large, les deux et demi susdits. Si vous doutez de la petitesse de vos fossés et vuidanges, le remède est, non d'en augmenter la largeur , attendu la sujetion de la paille , mais le nombre; et comme j'ai dit, vous ne pouvez excéder en cet article, parce que l’eau d'un terroir marécageux et inondé ne peut pas trop bien se vuider ; c'est pourquoi vous aviserez d'en faire suffisamment, et sibien, qu'ilsse déchar- gent les dans sur les autres par branches , s’entre- tenant ensemble pour rendre toute l'eau du terroir à la mère, afin de la vuider au lieu destiné. La paille ainsi employée servira long-tems ; car on dit, par tradition, qu'enfermée dans terre, sans sentir l'air , elle demeure saine plus de cent ans. Je suis témoin oculaire de certame paille trou- vée saine et entière, au milieu d'une vicillemasure; la muraille cependant marquoit être l'ouvrage de plusieurs siècles ; c'est pourquoi servez-vous MAUR LOU L TU RE. 169 en sans serupule , à la charge qu'étant pourrie , au bout d¢ ans, ceux qui viendront après, la renouvelleront, si bon leur semble. Corriger les vices de l'argille et du sablon des terroirs, est un très-bon préparatif au labourage; tout bon ménager se servira de ce remède. Les terres trop argilleuses seront améliorées par le sablon , et les trop sablonneuses par l'argille. On chariera ces matières en si grande quantité où il faudra , qu'elles dompteront chacune l'imper- fection de son contraire. Cette réparation s'en- treprendra, si la proximité de quelque rivière ou fondrière , donne moyen de recouvrer du sa- blon et de largille à frais modérés, non autre- ment ; car d'aller chercher ces choses au loin, et à grand prix, on ne doit pas y penser. L'ar- gille est plus difficile à recouvrer que le sablon, parce que toute argille propre à cet usage, n'est pas comme du sablon , mais seulement celle qui avec elle porte de la graisse; car on ne peut se servir de la pure argille qui est mfertile.. Par ce moyen , le terroir de difhicile culture et pres- qu'infructueux , devient aisé à labourer, à con-. server et rejetter convenablement les humidités, | par conséquent de fertilité raisonnable ; ces re- mèdes étant perpétuels ( vu que ces amende- mens-ci ne se consomment point }, le père de 170 THÉ A TRE famille ne se mettra pas en peine de lesréitérer; comme il est obligé de faire de toutes sortes de fumiers qui se dissolvent bientôt dans terre. C'est le moyen décrit par Columelle , dont se ser- voit Marc Columelle son oncle, savant agri- cole , pour rendre fertiles ses terres à grains et ses vignes. Le tems pour faire ces réparations n'est pas limité à certaines saisons de l’année , étant tou- jours le tems d'y travailler, excepté quand la terre est trop mouillée, cela s'entend aussi, sans détourner les cultures ordinaires de la terre , ni la récolte des fruits ; mais ces choses allant leur train , l’on ne fera pas difficulté de mettre la main à ce qui est dit ci-dessus , soit en hiver ou en été. Îl est vrai que cela se fera à meilleur mar- ché dans les grands jours, que dans les petits, en quoi 1l y a une économie reconnue et un grand profit , ce qu'on doit observer dans toutes sortes de réparations volontaires. : Voilà les lieux ombrageux , pierreux , aqua- tiques, argilleux et sablonneux mis en état de bien servir au labourage. En outre si vous avez dansvotre domaine desterres laisséeslong-temsen jachère ou en friche, des landes, halliers et lieux presque déserts couverts d’arbustes de nulle va- leur , comme buis, bruse, genets et plantes D'AGRICULTUR EF. 171 semblables, ne rapportant ni fruits ni feuilles de prix , empêchant même la terre de produire l'herbe à suffisance pour le päturage , et le fond n'étant pas propre à faire une garenne ; pour plus deeommodité, vous ne manquerez pas de les convertir à d'autres usages. Si le lieu est plat et peu en pente, il s'appropriera facilement en labourage, pourvu qu'il ne soit pas par trop chargé de pierres et de rochers, ne pouvant se transporter ; en ce cas les arbrisseaux seront cou- pés, séchés, et finalement brülés sur le lieu à la manière susdite. Par ce moyen la terre s'appré- tera de telle sorte , que cuite par le feu, elle produira de beaux bleds, quoique le fond soit une terre légère, elle changera de nature et rapportera du profit, car le plus souvent ces essais rencontrent bien. Ainsi on tire quelquefois du revenu d'un lieu estimé inutile, suivant cette maxime , que beaucoup de choses se perdent par ignorance et négligence. Les vieilles prairies se soumettent très - bien au labourage , étant préparées pour eela. Si elles sont aquatiques , il convient avant tout de les dessécher , ensuite de les rompre , après cepen- dant un salutaire avis; car de défricher incon- sidérément toutes sortes de prés, ce n'est pas le fait d'un bon ménager , par le grand besoin 172 THÉATRE d'herbages qu'il a pour nourrir ses bêtes. Mais en étant suffisamment pourvu, il ne mettra pas de difficulté à rompre une partie de ses moins valeureuses prairies , s'assurant , ainsi remuées , d'en tirer plus de profit d'un an, en bled , que de six en foin, l'écu étant toujours plus à priser que le tesion, il y auroit peu de jugement de préférer l'un à l'autre ; outre que ceci augmente le ménage, c'est que la prairie, par sa vieillesse, devenue presqu'inutile, donnera de beaux bleds huit ou dix ans de suite, plus ou moins, selon la faculté du fond , et reproduira après des foins, si vous voulez la remettre à cet usage, six fois plus qu'elle ne faisoit auparavant, parce que le fond aura acquis de nouvelles forces , moyen- nant la culture, et sera accoutumé à n'avoir que de jeunes et franches semences. Quoique cette grande fertilité ne soit pas de perpétuelle durée, sa bonté se consommant avec le travail, le plus de durée consistant dans la motte ou superficie du pré, il est cependant reconnu que le labourage qui provient des défrichemens , est toujours des meilleurs, pourvu qu'il soit gou- verné en bon père de famille , qui, après en avoir tiré quelques récoltes de suite, sans ce- pendant en épuiser toute la graisse, malgré la bonne volonté de la terre, la mettra en rang D'AGRICULTUR E. 173 avec ses autres terres, pour reposer un an, après le travail dan autre, ainsi qu'il convient raison- nablement de faire d'un champ passable en bonté. Parmi les différentes façons de défricher les prairies, deux principales sont en usage, très- contraires néanmoins en elles-mêmes , puisque l'eau et le feu sont opposés l'un à l’autre , quoi- qu'ils effectuent la même chose; c'est-à-dire ; qu'ils améliorent la terre pour la rendre propre à recevoir les semences. Je vous représentera seulement ces deux manières , comme les plus utiles et reçues. Le plus commun défrichement se fait au soc , tiré par des bêtes de labour; en- suite vient celui de brûler la motte ou le gason, par le feu qu'on y met après l'avoir enlevée et préparée pour cela. Le tems gouverne entière- ment ces ouvrages , qu'il faut de nécessité avoir favorable ; froid et humide pour l’un, et chaud-et sec pour l'autre. Pour défricher au soc, c'est l'hiver qu'il faut employer, et au feu, choisir le cœur de l'été. L'ouvrage aussi préparé dans son tems , la chose se fera à souhait à frais modérés : quand on commence par le dé- frichement au soc, je dirai qu'après les pluies d'automne, l'hiver etant arrivé, ce sera le vrai point de mettre la main à l'œuvre, parce qu'alors, 194 THÉATRE on aura bon marché de rompre les prairies par la commune foiblesse de l'herbe et de la terre, l'une assoupie , et l'autre humectée , par l'ar- rivée des froidures et de l'humidité, ce dont vous ne pourriez venir à bout dans aucune au- tre saison , qui toutes ehsemble donnent de la vigueur aux herbes, et par conséquent, pour peu que la térre füt sèche ; on ne pourtoit les arracher. Le soc qu'on employera à €e défri- chement, n'aurd qu'une oreille, appellée en France , l'écu, añn que par elle seule, Les ga- sons ou mottes puissént se renverser toutes d'un côté , l'hérbe directement jettée contre terre pour y être étouffée. Géla sera fait ainsi, moyen: nant qué le laboureur monte d'un côté du sil- lon, et descende par l'autre , faisant coñtinuel- lement toucher l'écu de son soc à la terre déja läbourée , ce qui fera que la motte se renversera en morceaux sans dessus-dessous, de manière que peu ou point d'herbes paroîtra dessus, mais seulement les racines avec la terre ; ce que vous he pourriez faire avec le soc à deux oreilles, ni par le labourage ordinaire ; celui-ci n'ayant d'au- tre pouvoir que de fendre la motte ; sans la renverser que bien peu. À la charrué ; il faut fermement ajouter un grand coutéau, dont la pointe tendant en bas, fendra la motte D'AGRICULTUR E. 199 pour préparer là voie au soc, afin de faciliter l'ouvrage. Peur gagner du tems et soulager le bétail, cette première fois, il ne faut prendre de la motte que déux ou trois doigts d'épais- seur; si la terre a été gelée auparavant et ensuite baignée par quelque pluie, cela séra très-avan- tageux , car le fond pris mol est facile à rom- pre. Par cette causé ; au défaut de pluie on l'ar- rosera , $i l'on en a la faculté; et prenant la terre ainsi mouillée, l'on pourra dire qu'elle se défri- che presque pour rien , vü que vos éerviteurs et votre bétail chommeroient faute d'autre be- sogne , le téms se trouvant utilement employé dans cet ouvrage. Il est nécessaire d'être pourvu de bons et puissants bœufs ou de forts chevaux, mulets ou mules de grosse taille et robustes, de bien les nourrit pour résistér à ce travail, qui n'est pas petit, sur-tout si le fond est argilleux ; car lé sablonneux est d'un travail plus facile. HL faut aussi être fourni de plusieurs coutres ou socs proprement accommodés ; leur fer bien forgé et acéré, leur bois neuf, dur et solide, et én avoir de réservé pour substituer à la place de ceux qui se rompent. Les gelées survenant après te premier défrichement ÿ serviront beau- coup , tant pour achévér de tuer les racines de Ja motte que pour en cuire la terre, qu'elles 170 L'H:É ARE transperceront «le toutes parts; mais pour quil | ne puisse rien rebourgeonner des racines, qui prendroient une nouvelle vie ; avant l'arrivée de la prime-vère, vers la fin du mois de février , on y donnèra une seconde œuvre avec le soc à | deux oreilles et le coutre ordinaire , pour com- | mencer à améliorer les mottes déja demi-cuites ; par les gelées et les froidures ; ensuite quand on en aura le loisir, il conviendra de labourer le lieu fort souvent , réitérant le labourage en tra- vers et en long, en tout tems, froid et chaud ( cependant pas trop humide ) , jusqu'à ce que finalement , la terre se réduise en poudre, la motte étant consommée entièrement. De quelque manière qu'on puisse labourer , cela ne peut parfaitement bien se fare avec le seul travail des bêtes, qu'il ne reste des mottes de terre endurcies , comme de la pierre ; d’ailleurs le soc, en passant près des mottes, au lieu de les briser, les renverse seulement , ou les change d'un lieu à un autre, comme les pierres. Pour remédier à cela, il est besoin à chaque.œuvre, excepté à la première , que le labour soit suivi de quelques hommes avec des bêches et mas- sues, pour casser les mottes qui resteront du soc et labourage ; et pourvu que la terre soit tempérée, elle serendra assez déliée par ce moyen pour D’ À GR FOULITIURE. 177 recevoir les semences , et deviendra plus subtile que plus soigneusement on y travaillera. Les journées des hommes employés à cet ouvrage, causent de la dépense par la longueur de l'ouvrage: pour l'épargner, on a inventé un ins- trument de si bon service, qu'avec son secours, un seul homme aidé d'une ou deux bétes, en le promenant par le champ ; brise plus de mottes que ne feroient dix hommes à coup de massues et de bèches ; c’est une grande herse roulante , composée de deux cylindres ou rouleaux , cha- cun de la grosseur de l’ensouple du tisseran , et couvert de fortes chevilles de fer, qui par le mouvement des rouleaux , montent sur les mottes et les brisent entièrement. La pesanteur de la herse sera mesurée par l'effet, d'où pro- cède son service , à laquelle on donnera tant de poids, qu'il suffira pour mettre les mottes en poudre., Le tirage en est aussi fort aisé avec peu de travail, une ou deux bêtes le’‘faisant, puis- que c'est en roulant , comme une charrette, et non en rampant, comme la herse commune, Ce défrichement ainsi fait, mettra la terre en tel point, qu'au commencement d'octobre, vous la pourrez ensemencer de froment, seigle ou fné- . teil, en ne cherchant cependant pas à en tirer grand profit la première année, sur-tout en Tome I. M 3 178 THÉ ATRE bleds d'hiver, par la crudité de la terre , qui ne peut pas être entièrement bien assaisonnée en si peu de tems. C'est pourquoi plusieurs n'y met- tent la première année que de l'orge ou de l'avoine , afin qu'ayant tout l'hiver encore à se préparer , elle puisse bien nourrir ses grains, et l'année d'après recevoir tous ceux qu'on voudra lui confier , et les suivantes , gouvernant ainsi vo- tre nouvelle terre , à la manière-des autres bons labourages. Labourer la terre f'est autre chose que de la rendre plus déliée et la réduire au point de re- cevoir, nourrir et mürir les semences; de cette manière , l'industrie est plus louable que tout autre moyen , vu qu'elle remédie mieux et plu- tôt à cela. La cuisson ou la brülure de la motte ou gason, emporte l'honneur de ce ménage, par-dessus tous les labourages; par son moyen la terre se prépare parfaitement bien , elle se décharge de toutes duretés , racines et herbes, se rend déliée, comme de la cendrée ; et ensuite fructifiante pour toutes sortes de semences. La terre ainsi renouvellée par le feu, ne produira d'elle-même aucune chose de plusieurs années (n'ayant point de semences dans ses entrailles), mais abondamment tout €e que vous lui con- ferez , et vos bleds en sortiront nets, la semence BAR AICIULT U R E. 179 en étant belle. Les jardinages, les arbres frui- tiers , les vignobles profitent dans la terre pré- parée par le feu , mieux qu'en toute autre; les prairies y deviennent très - belles, même plus fécondes qu'en quelque lieu que ce soit. Eñ un mot, ce ménage par son excellence, peut-être appellé la quintessence de l'agriculture , bien digne d'admiration , l'homme ayant trouvé moyeri par ce ménage de faire en dix jours , ce que Je soleil fait en plusieurs années; de pré- parer en si peu de tems, et si bien la terre, avec le feu, de manière qu'elle se rend souple et obéissante pour tout produire. Cette inven- tion est venue des bois défrichés et brûlés sur les lieux, dont dans plusieurs endioits le peuple tire une grande abondance de bleds. On s’est depuis long-tems servi de cette culture pour les montagnes froides, en remplaçant par le feu, cc qui leur manque du soleil. On a dit avec raison que ces deux défriche- mens discordoient entr'éux, nôn pas dans leur résultat, mais en leur tems et façon ; car comme pour Fun, il est requis de choisir le point où la motte est endormie , afin de la rompre plus fa- cilement , par cette raïson , de choisir Fhiver; il est au contraire nécessaire pour l'autre que Therbe soit dans sa plus grande force, afin que M ij 180 LE É,A TRUE le gason tenant ferme, puisse être travaillé et enlevé, comme il faut, ce qu'on ne pourroit faire dans une autre saison qu'en été. Le vrai tems donc de mettre la main à ces brûlemens, commencera à l'issue du mois de mai, ou au commencement de juin , après que votre pré aura été fauché , ou, si c'est un autre herbage que vous défrichez, que vous l'aurez fait man- ger au bétail; ce brülement se continuera Jjus- qu'à la fin du mois d'août. Vous ferez défri- cher le dessus de votre pré à bras d'hommes forts, dont ils enleveront les gasons , aussi grands et larges qu'il sera possible, sans crainte d'excé- der ni de manquer en figure, n'étant pas né- cessaire de s'assujettir à aucune; car de telle manière qu'elle soit, c'est tout un, n'étant pour cette occasion , nullement à propos de tracer le pré en alignement , comme quelques-uns veu- lent, mais seulement de le distribuer à l'œil, se- lon que cela paroïitra le plus à propos. L'épais- seur des gasons sera de deux ou trois doigts; de plus grande, ils seroient trop difficiles à ar- racher , et de plus petite’, ils ne pourroient bien supporter le travail. Les piocheurs les enleve- ront sans les briser avec patience et un travail modéré, pourvu quils les prennent, de. tous côtés, en se contournant selon le guide de la DACCR F CAUSLET U R E. 181 besogne. Leg outils dont on se sert pour ce dé- frichement , sont des bêches ou des pioches de quatre doigts de large par le tranchant , qui sera acéré et entrant comme la häche : elles seront proprement forgées pour être maniées facilement , légères plutôt que pesantes. À mesure quon féra des gasons , on les préparera à sècher sans interruption, de peur que par les rosées dé la nüit ou pluies survenantes, l'herbe ne reprit une _ nouvelle force , en se réattachant au fond; à cet égard , ils seront dressés de bout l’un contre l'autre, deux à deux, à la mode des tuiliers , ) joignant les deux it en dedans, montrant la terre ‘en dehors, à travers desquels le vent et le soleil passant, les pénétreront en neuf ou dix jours ; et ils seront au point que vous les de- sirez pourrecevoir le feu, à la charge cependant de relever aussitôt ceux qui tombent d'eux- mêmes, où par une autre (cause. On fera faire par économie ce redressement de gasons par des femmes et des enfans, en suivant pas à pas les travailleurs , ‘qui ne s'amusant qu'à rompre et défricher favanceront plus l'ouvrage, que moins on les en détournera: Quand les mottes ou les gasons sont secs, il ne faut pas tarder à les faire brûler ;"cette opération ne pouvant souffrir de délai , et les mottes se sèchent difficilement pour M ijj 182 | THÉATERE la seconde fois, ayant ‘été mouillées ;à la sur* venue des pluies, contre notre desir ; et quoi- que cette difficulté n'y füt pas , c'est toujours de la dépense que de les redresser , comme de né- cessité il faut y retourner, quand elles tombent : étant même surprises par la pluie, il n'y aura aucune pièce qu'il ne faille remuer, une à une, pour tâcher de les remettre dans leur premier état; c'est pourquoi prévenant ces péines et cés inconvéniens, le meilleur, sera , le tems pres. sant, de. ne retarder nullement à leur dénner le feu quand elles seront une fois prêtes. Pour cuire et brûler les mottes , on les amon- celle en petits fourneaux ronds, qui étant faits, ressemblent en dehors ; à des monceaux de foin sur le pré nouvellement fauché, ou la moitié d'un globe coupé par le milieu , et ils doivent çconte- nir quatre ou cmq pieds de diamètre , autant en hauteur, peu plus ou moins. On les pose d'égale distance à quatre.ou cinq pieds l'un de l'autre , et on les arrange en ligne droite. de deux côtés, comme des arbres plantés en quinconce ; pour répartir également la terre préparée par tout le champ : l'adresse consiste en formant les fourneaux ; si l'on y manque, la terre manquera aussi à prendre feu, qui s'y étouffera incontinent après étre allumé ; car c'est le vent enclos donné F : À | À 3 | | L L 1 D'AGRICULTUR E. 183 à propos qui fait prendre et arrêter le feu. On commence ées fourneaux, comme si on vouloit construire une petite tour; l'on bâtit une mu- raille courbe pour fondement avec ces mottes sèches, sans autres matières, selon la circonfé- rence du fourneau, en faisant en dedans un vuide de deux pieds de diamètre, on environ; la muraille est de l'épaisseur de la largeur de la motte, onemploye les gasons et mottes à la ren- verse , l'herbe contre terre sens dessus-dessous, et la muraille se compose perpendiculairement sans nulle pente , de la hauteur d'un pied, peu davantage, y entrant quatre ou cinq mottes l'une sur l'autre. On laisse une porte d'un pied d'ou- verture. près de terre, en faisant la muraille, du côté où le vent souffle, quel qu'il soit, pour faire prendre feu. Sans plus attendre , on met le bois nécessaire, autant que l'intérieur peut en contenir. C'est tout fagotage et menu bois, excepté une demi-grosse pièce de traverse pour le soutenir, qui, comme poutre est misé sur les murailles. La porte en est aussi occupée avec de la paille, pour l'aisance de donner et de faire prendre, feu au fourneau. Le bâtiment se continue après , non en guraille, ‘mais en Jettant motte su motte toujours à la renverse ; par le dehors, suivant la rondeur du fourneau. Li: bois M iv 184 THE À MURVEN 4 én est coüvert, mais c’est doucement , sans le presser, de peur que s'aflaisant le feu n'en soit étouflé. Les mottes à cette occasion se suppor- tent l'une à l'autre , en les faisant avancer petit “à petit, à la manière des maçons qui font des saillies pour porter des avancemens, de telle manière que sans presser le bois, tout se trouve couvert comme une voute; cela fait, sans at- tendre que le fourneau soit achevé, le feu y est mis par la porte, qu'on bouche aussitôt avec des mottes, et ensuite on met promptement les autres mottes pour la perfection de l'œuvre ; on les jette toujours sur les endroits où la fumée sort, tâchant. en fermant ses issues, de contrain- dre le feu àse resserrer dans le centre du fourneau, autrement en laissant à la fumée quelque libre passage , le feu s'évaporant par-là, rendroit inu- tüle , l'ouvrage; comme la même chose 5e voit pratiquée dans les charbonnières , ainsi à mesure que vos fourneaux brüleront, ils grôssiront et hausseront aussi par les mottes qu'on y ajou- tera, pour finalement venir jusqu'à leur pro- portion , en observant toujours de poser les mottes à la renverse , l'herbe contré terre , cornme il a ‘été dit. Le vuidé qui se trouve entre les mottes qui ne peuvent se joindre en- semble à cause de leur épaisseur, donné une D'AGRICULTURE. 185 fespiration suffisante au feu pour y faire son devoir : cês fourneaux ont quelque conformité avec ceux à vent , avec lesquels on fond lar- tillerie, où , sans rien souffler, la matière se pré- pare comme on le desire, + Autour des fourneaux, il y aura toujours des hommes pour redresser les mottes , que la vio- lence du feu fera avaler , et qui pourroiïent être tombées par d'autres circonstances , pour rallu- mer aussi le feu qui, par accident seroit éteint. À ces fins les fourneaux ne seront abandonnés ni nuit ni jour, jusqu'à la perfection de l'œuvre, ce qui pourra durer vingt-cinq ou trente heures, que le feu: y demeurera. La terre étant allumée par sa couleur rouge, ressemble proprement au métal fondu dans une fournaise, ou au verre ardent au milieu d'une verrerie. Cette terre ayant une fois pris feu , ne s'éteindra pas par au- cune pluie survenante , mais elle brûülera plus vio- lemment , en se sentant arrosée, à limitation des fournaises des maréchaux , qu'ils mouillent d'eau à dessein, pour donner davantage de force au feu. Le feu s'étemdra de lui-mêmé au boë' du terme susdit, quandgl aura réduit en poudre la terre des mottes , excepté celles qui auront servi de, couvertures aux fourneaux, lesquelles n'étant pas resserrées des autres, n'auront pu 186 THÉATRE être pénétrées par le feu ; ainsi elles demeureront erues et presqu'entières. En un mot, le feu y de- meurera autant comme il y trouvera de matière ; ce qui fournira le tems susdit, les fourneaux étant de la mesure projettée. Ils pourroient bien étre faits plus grands ou plus petits, et toutes lesmottes d'un grand pré se brüleroient dans un seul four- neau. Plus les fourneaux sont petits, plus: ils dé- pensent de bois, et plus il reste de mottes à cuire de celles des couvertures ; plus les fourneaux pré- parent de terre, de celle, dis-je, qu'ils occupent dans leur assiette , et moins de peine ona pour as: sembler les mottes dans les fourneaux. Au con- traire , plus ils sont grands , moins ils consument de bois, et moins ils restent de mottes des cou- vertures à cuire ; mais les mottes donnent plus de peine à les porter, et ils améliorent moins de terre par leurs siéges ou bases ; en outre, il arrive ce mal, que par leur grandeur ; le feu y demeure plus long-tems que les vingt-cinq ou trente heures susdites, par la consommation de toute la matière, parce que la terre première- men atteinte du feu, se rend de peu de subs- tance étant trop recuite.gÂinsi , puisqu'à l'ex- périence la mesure susdite se trouve profitable, sans changer. de dessein , nous nous y arrête- rons, comme à la façon de ce ménage la plus D'A GRICULTURE. 167 simple et facile , nonobstant les imaginations de plusieurs, fhêmes de ceux qui ajoutent de l'ar- gille, comme en Piémont , sans être besoin de se donner d'autre peine, que ce que j'en ai dit, l'ayant ainsi plusieurs fois heureusement pra- tiqué chez moi, Quand le feu est éteint , la terre se refroidira d'elle-même en peu de tems ; elle demeurera amoncelée jusqu'à la venue d'une forte pluie, ce que prévoyant, la terre sera écartée par le champ également, uniment et universellement , afin quil n'y ait point d'endroit qui ne s'en ressente , excepté les lieux sur lesquels les four- neaux auront été faits qu'il faut entièrement dé- barrasser, ayant été suffisamment cuitset préparés durant le séjour des fourneaux sur eux , ce qu'on reconnoitra évidemment en son tems, par le bled qui, là, sera plus grand qu'ailleurs, comme si dans ces endroits seuls on y avoit mis de bons fumiers en abondance. Après avoir raclé des- dits lieux toute la terre ,. on l'échangera avec les mottes crues qui seront restées des couver- tures de fourneaux, que le feu n'aura pu péné- trer, et que là , on brisera avec la hoïüe. Le; champ sera labouré après ; avec le soc ordinaire, mais fort légèrement , en ne prenant que _deux-ou’trois doigts de terre , afin de peu 188 T'H É A TIR "FT à peu incorporer la cuite avec la crue du fond ; et que les deux ensemble se préparent bien. Aux autres œuvres on creusera davantage , plus cependant aux dernières qu'aux premières, fina- lement, jusqu'à ce qu'on soit venu à la juste mesure qu'on desire labourer ; et si le brüle- ment ayant été expédié dans le mois de juin; il survient une bonne pluie, on ÿ pourra semer du millet, des raves, des navets , mélangés ou séparés ; ensuite au mois d'octobre suivant, du seigle, du froment, du méteil, toutefois sépa- rément ; et consécutivement les trois ou quatre années suivantes , charger ce terroir de toutes sortes de bleds d'hiver , qu'on voudra. Sile téms est sec ou venteux, n'écartez pas votre terre cuite, mais laissez-là amoncelée , sans y toucher , de peur que par sa subtilité, elle ne s'envole: en poussière ; attendez patiemment le tems hu- mide qui viendra dans sa saison ; outre qu'il n'est nullement nécessaire de se hâter en:cet endroit , ni même d'ensemencer trop tôt le champ , de peur que les bleds étant trop prime- rains, leur grande vigueur, provenant du bien- - fait de cette excellente culture , les fasse verser ; mais retardez un peu en attendant l'approche des froidures de l'hiver, pour tempérer la cha- leur de la terre procédée du feu. Quelques-uns im SAT ÈS il LÉ Éd rs avi tn À md di à D D'A GRICULTURE 189 n'écartent leur terre cuite que sur le point des semences, quelque tard qu'ils les fassent, quoi- qu'elle ait été préparée long -tems auparavant ; C'est pourquoi attendant aux mois d'août et de septembre après la pluie , ils labourent le champ, c'est-à-dire, l'entre-deux des monceaux, sans toucher à la terre cuite , en donnant au fond une couple d'œuvres avec le soc, en travers et en long, sans prendre plus de deux doigts de terre, afin de la préparer à s'unir avec la cuite. Pour faciliter ce labourage , par prévoyance , on aura rangé les fourneaux en les dressant sur une ligne droite de tous sens ; car confusément posés cette culture ne pourroit se faire bien à propos. Les froments craignent plus le versement que les seigles. Par cette cause, plusieurs aiment mieux mettre sur leur terre cuite du seigle que du fro- ment , pour la première année, après quoi, la terre , ayant un peu rabaissé de sa chaleur, de- viendra entièrement propre à recevoir les fro- ments et toute autre sorte de bled qu'on lui voudra confier. Cette considération n'a pourtant pas lieu indifféremment par-tout, mais seulement dans les terroirs qui d'eux-mêmes sont forts fer- tiles ; car dans les légers , les froments profitent très-bien dès la première année. En un mot on chargera cette terre autant d'années que sa faculté 190 | THÉATRE Je permettra, cessant alors de la faire travailler; dès qu'on appercevra que sa fécondité tombe, qui dure plus dans un lieu que dans un autre, selon le fond et le climat. Il sera tems alors dé remettre le champ en prairie, si vous l'avez dé- libéré ainsi, sans attendre que par un trop long travail la substance en soit entièrement épuisée. Par cette raison vous ferez cesser le labourage pour le redresser en pré, selon l'art. Si vous voulez le continuer en labourage , vous pourrez le faire en le gouvernant à la façon de vos au- tres terroirs à grains, dont vous tirerez satisfac- tion par sa culture facile, et un bon rapport; qualités qui lui sont acquises par l'ordre susdit. Non-seulement cette terre cuite, ainsi préparée, enrichira son fond, mais aussi elle améliorera de beaucoup quelque partie des champs voisins, si on y en fait porter comme de fumier, ce qu'on fera sans perte de fond, en y allant modéré- ment. Le meilleur toutefois seroit, la commo- dité du charroi le pérmettant, de faire brûler les mottes sur la terre même qu'on desire amender, et là les porter crués, afin que le fond se res- sentit de la faveur du feu. Toutes sortes d'arbres fruitiers seront réjouis de cette terre subtile, comme si c'étoit d'excellents fumiers , si on leur en met au pied ;elle servira de beaucoup aux _ NN 0 2 00 CN OÙ à ee ie A — nv D'ASG'R 1 C Ü TU RE. 191 artichauds, asperges, basilles , capres ; et à toutes autres plantes précieuses de jardin. L'ignorance de certains a fait rejetter cette manière de défricher par la cherté de l'ouvrage, attendu que c'est à bras d'hommes qu'il se fait, sans aide d'aucune bête ; par la quantité de bois qui s'y brûle , et par le doute que ce terroir ainsi travaillé, puisse demeurer long-tems en bon état, croyant que sa vertu se consume par le feu tout- à-la-fois. Il y a vraiment de la dépense; mais voici d'où elle sort. Les fonds et autres herbages ne se ménagent qu'autant qu'ils sont serrés avant qu'on rompe le fond. Les foins fauchés ou les autres herbages mangés dans le mois de mai que ce défrichement commence, ce qui paye une bonne partie des frais, et l’autre se prend bien largement sur le revenu de la première ré- colte qu'elle rend bon dès le commencement sans se faire attendre ; ainsi la dépense du défriche- ment et du bois se rembourse bien, et promp- tement , ce qu'on ne peut dire, des frais, quoi- que petits, qu'il convient de faire par la manière de défricher. Quant à la crainte de courte du- rée, ceux qui n'en ont pas fait l'expérience ont seuls cette opinion , doutant envain d'une chose assurée ; Car tout labourage ainsi préparé de- meure assez fort et vigoureux, pour servir aussi » 192 THÉATRE long-tems qu'on sauroit le désirer , pourvu que suivant l'oracle ancien: Ne #rre toute la graisse du champ, 1 soit mis au rang des bonnes terres; pour selon son mérite, que celle-ci soit gouver- née à la manière portée par les lois du labou- rage, à la culture et au repos. Ces choses bien pesées , notre père de famille préférera le défri- chement du feu , à l'autre manière, si la trop grande cherté du bois ne l'en détourne ; seule excuse qu'il puisse avoir: et enfin quelqu'opinion qu'il doive concevoir de cette ménagerie , il la re- cueillera du rapport de ceux qui la pratique le plus, en disant dans leur patois, que Qui non créme, ou non féme, Quan lous autrés missounon , el gléne, CHAPITRE Un nv, Te DES CT NE I US ET D'AGRICULTURE. 193 a UE A CRE ETES " CHAPITRE IT Du labourage des terres à graïns. Comme la nature nous donne des espèces infinies de fruits : c'est aussi par différentes sortes de cultures que nous les tions de la terre; et quoique les bleds soient toujours sem- blables à eux-mêmes , en quelque pays qu'ils croissent, il y a cependant de grandes diffé- rences pour le Jlabourage des terres à grains et pour la récolte des bleds , non-seulement de ré- gion à région , mais encore de climat à climat ; et même les habitans de deux terroirs contigus ne s'accordent pas entièrement dans ce ménage , où l'on ne s'apperçoive de quelque diflérence , soit au bétail du labourage , soit aux outils, soit aux semences , soit à la manière de serrer les bleds. Ici on laboure la terre avec des bœuf : là avec des chevaux; ici avec des mulets ; là avec des mules, et ailleurs avec des ânes. Ici la char- rue avec des roues portant le soc est tirée par quatre , cmq ou six bêtes; là joue le coutre sans roues , trainé par deux seules bêtes. Ici Tome I, N 194 THÉ AJT RE les bœufs ayant le joug attaché aux cornes, ti- rent de la tête, là du col. Dans la Beausse et ailleurs , les terres sont divisées par de grands sillons de cinq à six pas de large, enfermés au milieu de deux lignes paralleles ; la terre.entre- deux amoncelée en voussure ou rond, pour vui- der l'eau des pluies dans les côtés et parties basses. Aux environs de Montargis, par petits sillons de quatre à cinq rayes ; et il y à tant de diversité au labourage en ces quartiers-là, qu'en regardant de près, on trouvera qu il y a beau- coup de différence depuisladite ville} jusqu ‘à Paris. La terre donc étant remuée en cinq ou six façons dans ce pou espace de pays ; que peut-on dire d'une mer à l'autre ? En l'Ile-de-France et en plu- sieurs autres endroits, les terres sont ensemencées à la herse, et par conséquent le plan en est rendu uni en perfection , comme une prairie, sans crainte des pluies, quoique le pays soit plat. Par toute la France, Beausse, Picardie, Nor- mandie, Bourgogne, Champagne, Berry, So- logne, Poitou, et généralement dans les pro+ vinces approchant plus du froid que du chaud, les bleds étant moissonnés sont incontinent por- tés en gerbe dans les granges, et la battus à l'aise pendant l'hiver; au ‘contraire, à décou- vert'dans l'aire, avec promptitude, durant les L D" À GR: MCUULET U R EF. 199 chaleurs!; »dans les quartiers, tendants; au, midi; corème en Provenee ; Languedoc , ‘une partle du Dauphiné, principauté d'Orange, comté de Venaissin et voisinage , encore tous ne-s'accor< dent point-pour la manière de moissonner , ni poux celle de, battre,, qu'on n'y réconnoisse de l-différence dans les faucilles, fléaux; vansret autres-outils désignés à ces usages , non plus qu'à da:manière.de s'en; servir ; même;touchant la séparation du grain d'avec la paille; quelle conformité, ya-t-il dé battre avec le féau ou de fouler avec les bêtes , quoique par cés déux che- mins contraires on parvienne au but que. l'on desire ? Par ces diversités, il n'est nullement pos- sible, ni nécessaire de prescrire certaines: or- dounances et lois sur le labourage et la conduite des bleds, pour s'y. assujettir ; de quelle espèce de bétail, de quelle façon de charrue, -soc::où coutre, lon doit exactement se servir : mais il est besoin de laisser aux usages, leurs habitudes, vu que depuis long-tems de père en fils , l'on s’en est bien trouvé , par le danger que toute mutation porte avec elle, ce qui avec raison a faitproférer cet oracle à Caton: Ne changepoint de.soc, ayant pour suspecte toute nouvelleté. Ex de fait ceux qui ont inventé de nouveaux socs; ont été plutôt admirés qu'imités, tant l'antique Ni 196 R'VHÉ AITIRE façon de travailler la terre a de majesté, dont on ne se doit détourner que le moins que l'on peut, et avec de grandes considérations. Il est vrai que comme les esprits des hommes se raf- Finent tous les jours , et que pour le présent nous pouvons savoir ce que nos pères ont sù au tems passé, nous y pourrons ajouter avec Jugement quelque cas de nos inventions expérimentées, pour servir à la conduite de nos affaires, ce qu'on ne doit pas opiniàtrement rejetter; mais c’est cependant avec un jusques-où ; pour ne pas s'abandonner à toutes sortes de nouvelles inventions, de peur que rencontrant mal, on ne s'attire la risée ; ceci étant toujours la récom- pense d’une curiosité par trop grande. Les bœufs, chevaux , mulets, mules ét ânes; sont les bêtes employées dans tous pays au la- bourage des terres à grains (les seuls hommes à bras les cultivent en certains endroits ; mais elles sont en petite quantité ) dont on se sert, selon l'avantage des espèces particulières de ce bétail , le naturel des fonds et le moyen des peu- ples. Les premiers labourages ont été faits avec des bœufs, après, avec des chevaux , ensuite avec des mulets, et finalement avec des ânes, en employant aussi par nécessité , les femelles de ces animaux, quoiqu'à ce les moins propres; D'AGRICULTURE 197 excepté.les mules, qui en ce service surpassent les mulets? Le bœuf remue plus profitablement la terre argilleuse et pesante qué nulle autre bête, par la force qu'il a plus grande que le cheval, le mulet., la mule et l'âne ; il. est de facile entre- tien , dépense peu dans sa manière de vivre or- dinaire , simple: en ses harnois , ni fer, ni cuir ; ni bourre ne lui étant nécessaires. Il est peu sujet à la maladie, et, malade. de. guérison facile; ‘il est d'assez longue vie, et l'ayant usé à notre service, il est engraissé , et ensuite tué pour læ provision de la maison, la fournissant de chair ; de graisses et de cuirs, ou est vendu pour en tirer de l'argent; même, par hasard , s'épaulant , se rompant, une jambe , où mourant par acci- dent, il peut être toujours employé à ces usages, de manière que vous ne pouvez jamais perdre sur ces bêtes. Le. cheval est la is se Jabourage la plus difficile à entretenir , de plus grande dépense que nulle autre pour vivre ; il lui faut des harnois, des fers ; elle est sujette aux maladies, et de longue guérison, n'ayant d'autre espérance que sur.son travail, vu que sa chair et sa peau ne sont d'aucun service au ménage ; vous perdez tout net votre cheval, s'il s'épaule , s'il se rompt, N 198: SITRHÉAMNE ou se ‘{6rd une jambe ; ou s'il meürt par acei+ dent ou par vieillesse, de même des mulets et des'ânes. Ainsi en dette qualité, le cheval cède at bœuf; mais par son labeur il le dévance ban: coup par la vitesse de'son pas, ét il rémtüé plus dé terre‘en'un jour que lé bœufne füten quatre. Par cette cause il est : prisé pour : ce service par déssus ‘tout autre animal ;les bons ménagers préférant se mettre ‘en dépense et risquér, plu tôt que de: faire traiñer en longuëur tout:léur: la= bôurage ;en quoi” ‘éohéisté toute FACE de PT « de DE Le Deei 619306. . 38 LV kus négoce. . “Les muüléts et mules “égälent e près les che= faux -én éctté action par ‘leur diligente : ‘et rie goureusé force, les surpassant seulemient , en ce qi ils Sont plus faéiles à noürrh ét moins sujets à" prendre mal. Les chévau< : ‘mulèts ét miles sont aussi employés à x la selle, au bât ét'à Ja charrette pour plusieurs différens’ services, où les bœufs ne peuvent attéinidre ; qui rie ‘sont propres , après le labour de la terre’, ‘qu'à tirer la charrette ‘et traîner dé grands fardeaux ‘en quoi les chevaux ne cèdent nullement. De'fait aux plus grands labourages’, le service du bœuf n'est guèré en üsage ; mäïs! celui de cheval et “x ka mule’est'piis usité. © La commodité que la France et les so phpfiées | D’ À GR MCAU LIT Ü R E. 109 voisines ont d'avoir et de nourrir des chevaux; fait qu'elles se servent plus d'eux en leurs labour rages que d'autre espèce de: bétes. Outre que leur pays: étant pour la plupart en terre grasse , les pieds larges des chevaux n'y enfoncent pas si fort que ceux des mulets et des mules , qui les ont étroits-et pointus. D'un autre côté l'Au- vergne; nourrissant des mulets et mules en abondance, en fournit ses voisins du Langue- doc, Dauphiné et Provence : dans ces pro- vinces ; tant par la propriété de la terre qui n'est pas généralement des plus grasses ;'que par la disette d'avoine. les mulets et mules sont re- tenus pour leurs labourages; les bœufs aussi en plusiéurs endroits y sont employés. Quant aux ànes , en quelque pays qu'on soit, on en recouvre facilement , et on les entretient de même ; ils dépensent moins qu'aucune autre bête de service , et ils sont propres aux pauvres gens. Il. faut encore que la terre qu'ils Tabou- rent soit légère et sablonneuse. En plusiéurs en- droits de l'Auvergne, du Poitou, de la Gas- cogne ; du Languedoc et voisinage , Jon se sert RE de toutes bétes de labour; seloi les-affections ; moyens et coutumes des lieux, dont chacun fait ses affaires le mieux qu'il peut. C'est pourquoi sans s'arrêter plus sur N iv 200 * THÉATRE une espèce de bétail que sur l'autre, non plus que sur les façons des charrues , socs et coutres, nous nous servirons de celle que l'usage com- mun recommande le plus, et qui n'est pas con- traire à la raison , principalement parce qu'avec plus de facilité nous trouvons des laboureurs propres à conduire la sorte de bêtes qu'ils ont pratiquées , que nous ne ferions pour en gou- verner d'autres contre leur coutume ; par la grossièreté de l'esprit de ces gens, qui difficile- ment se plient à faire une nouvelle chose, quoi- que facile-et de grande utilité. Le ménager se pourvoira seulement de bon et puissant bétail, plutôt grand que petit, jeune que vieux , et en telle quantité que la faculté de son terroir l'exigera. Les plus grandes bêtes ne sont pas toujours bonnes au travail ; mais bien souvent celle de moyenne taille et ramassées sont vigoureuses. Et comme les plus petites par leur foiblesse sont rejettées du labourage , de même les trop jeunes n'y sont pas propres, quoique grandes, parce que la besogne ne s'en fait ja- mais bien, et qu'ils se gâtent entièrement en travaillant plus jeunes que de quatre ou cinq ans. C'est pourquoi il convient d'avoir de la patience pour ne pas les abandonner au grand la- bour , avant qu'elles ayent atteint cet âge. Quand \ D AGRICULTURE. 261 il se trouve qu'avec la grandeur et grosseur du corps , elles ont le courage de même; c'est tout ce que vous pouvez desirer , et étant une fois pourvu de ce bétail, en étalons, jumens, tau- reaux, vaches , ânes et ânesses, ainsi quali- lifiés , avec la provision nécessaire d'herbages pour leur entretien, soyez assez prudent pour les conserver chèrement , en substituant toujours des jeunes aux vieilles bêtes, dont vous tirerez un plus grand et un plus long service , étant nées chez vous, que si vous les recouvriez au lom, et qu'elles se trouvent mieux dans leur pays na- tal qu'ailleurs. Quant aux bœufs, outre le ser- vice du labourage, vous aurez plus de profit de leurs dépouilles, qu'ils se trouveront plus grands et plus corpulents. | Les bétes du labourage seront bien logées dans des étables propres , chacune suivant sa nature; là, bien nourries, pansées , étrillées et caressées de la main et de la voix, très-peu bat- tues, de peur de les rebuter ; mais on employera convenablement les coups. On leur façconnera aussi la charrue, le soc et le coutre selon leurs espèces, à quoi le laboureur se plaira, comme à ses principaux outils, pour les tenir toujours en bon train ; leur fer bien forgé et acéré pour trancher et arracher avec profit la terre et les 102 (AT R É A TRUE \ à racines. Îl y aura une bonne provision ; pour suppléer au défaut de ceux qui peuvent s'égarér ou rompre sur l'ouvrage, afin de n'être pas con- traint , de les refaire en beau tems, lorsqu'il con- vient de les employer à la terre. Le laboureur ne fera pas travailler ses bêtes en tems plu- vieux , neigeux , trop froid'ou trop chaud; mais il les employera bien dans la bonne ‘saison, sans en rien perdre. Il se gardera de les morfondre en aucune manière, ne leur permettant même pas de manger ni de boire avant d'être refroi- dies de leur sueur. Il préviendra les blessures et déferrures ; il les visitera souvent, méme tous les soirs partout le corps , jusqu'aux pieds, pour les nettoyer, leur ôter les pierres et épines qui s'y attachent souvent , sur-tout à ceux des bœufs qui y sont sujets. Il donnera l'avoine tous les soirs, aux chevaux, mulets et mules , la mesure ordinaire , plus cependant aux chevaux qu'aux autres; aux bœufs, quelques poignées de sel durant l'été, dont on leur frottera la langue un jour de la semaine , en observant que le lende- main ils doivent se reposer ; c'est pourquoi le vulgaire dans les jours de la semaine ;, dit su- perstitieusement que le samedi est bon à ceci. il leur frottera quelquefois la langue avec du vin et du vinaigre, pour leur donner de l'appétit; PR ee a ss. p' À GR&-LNCU:LATIU R E. 203% pour. ‘empêcher que le joug ne les blesse, äl mettra nous vers la tête et le col, des pièces de drap ou de feutre. Quand au tirage des bœuf, soit par la tête, soit par le col, il y a dispute pour discerner la meïllèeure des deux rhanières , venue jusqu'à nous, dès le tems des anciens, dont Columelle fait mention ; il rejette: comme inutile le-tirage’ de dla charrue par læ tête, et seulement [ait:cas de celui du col et dé la poitrine ; en disant, que le bœuf a là plus de force qu'aux-cornes. Son avis estreçu de la plupart des ‘bouviers d'aujourd' hui, mais non pas approuvé-par- ceux qui font, servir leurs bœufs à ‘double usage , au labour des terres et au.tirage dela charrette , vu qu'on ne peut at- tacher lxcharrette bien:et à propos qu'aux cor- ues, pour pouvoir être retenue dans les ces céntes et vallées , et que son poids l'emporte- roit'sur le pouvoir des bœufs , si elle étoit tirée au col. Les Savoyards ont mis fin à cette dis- pute, en faisant-tirer leurs bœufs par le col et par la tête tout-à-la-fois ; en leur accommodant deux jougs en ces deux endroits ‘du corps ; ainsi ilssont'entièrement le service de ces bêtes avec lapplaudissement d'un chacun. Or, soit à la tête, où au cob, ou à tous les deux ensem- ble , que les hœufs tirent , le plus doucement 204 THÉATERE qu'on peut les mener est toujours lé meilleur Toutes sortes de bêtes de labourage doivent: être choisies selon leurs espèces, comme leur mangeaille : on doit faire pareillement le choix de leurs logis et étables, ainsi que de la manière. de les gouverner pour entirer leur service; c'est ce dont il sera parlé sur le propos de la nour- riture du bétail, Ici je dirai que comme la mar- greur du bétail de labourage dénote la noncha- Hance du Jaboureur à ne pas le. traiter comme il le doit, de méme leur trop de graisse ma- nifeste sa paresse à le faire travailler , que le bé- tail acquiert par le séjour. Ces deux choses sont au détriment du père de famille ;ilne peut avec du bétail trop maigre ou trop gras faire à propos son labourage ; mais seulement comme il faut, avec celui qui est rendu dispos au travail, et non trop sujet à se confondre et prendre mal; n'étant ni trop gras mi trop maigre. La nature de la chevaline et de la muletaille est, qu'étant bien traitées au soir, et repaissant à la dinée, d'employer le reste du jour au labourage ; comme en voyageant : celle du bœuf n'est pas de même , ne souflrant pas un si long travail, ce qui, outre son pas lent, le fait placer après les bêtes susdites. Mais pour faire avancer l'ouvrage aux bœufs, on en entretient deux couples sur D'À &R FC U LITIU RE, 20) une de chevaux ou mules, sans se constituer en plus grande dépense ; car il est à remarquer que deux bœufs ne mangent pas plus qu'un mu- let , et deux mulets qu'un cheval. Ainsi par degrés on peut mesurer la dépense du bétail de labourage pour en ordonner selon ses provi- sions. Si vous ne voulez pas mettre deux paires de bœufs à chaque charrue, mais seulement une , un seul homme ne laissera pourtant pas de mener deux couples de bœuis séparées ( ainsi que cela se pratique avantageusement dans plusieurs lieux ); savoir , une depuis le ma- tin jusqu'à onze heures; et l'autre depuis midi Jusqu'au soir , excepté dans les grandes cha- leurs qu'il faut entièrement éviter, à cause du profit commun des ouvriers et de l'ouvrage , mais seulement labourer les matinées et soirées ; il faut aussi que le laboureur ait un garçon pour lui amener et ramener ses bœufs auxdites heures, afin que lui et les bœufs ayent assez de loisir pour se reposer ; et la besogne s'avancera très- bien , toute la journée s’employant à souhait, sans aucune perte de tems ; chose à remarquer pour le bien du labourage , que tout bon mé- nager doit pratiquer; car il n'est pas ici seulement question de bien labourer , maisil faut y ajouter beaucoup, si on veut avoir honneur et profit de LÉ À 206 THÉ AT EE $ ce négôce, ce qu'il fera encore mieux , s'il est pourvu d'une bonne quantité de pâturages, pour pouvoir entretenir un grand nombre de bêtes de labour , selon la pratique de la Camargue, comme il sera ci-après démontré. Quant au la- bourage des vaches , cela dépend encore de la nourriture, Car il faut en nourrir un grand trou- peau , afin que dans le nombre on puisse en trouver de brehaignes , et d'autres plus dispo- sées, pour les faire travailler quelques heures du jour ; ainsi ayant des vaches de relais ( comme des chevaux de poste }, le coutre ne séjournera jamais, et en les faisant travailler avec douceur, on s'en servira utilement, sans grande perte de leurs portées et laitages. A la provision du bétail et des outils du le- bourage , nous ajouterons /a saison , pour la prendre telle qu'il appartient, sans la Haisser écouler : le danger étant évident, lorsque faute de n'avoir pas saisi à point nommé le vrai mo- ment de labourer nos terres, dans la bonne sai- son , nous ne pouvons la recouvrer que diffici- lement , une fois passée, au détriment de notre labourage. Et comme on n'avance pas aussi vite en courant, qu'en partant de bonne heure, il en est ainsi du labourage , qu'il faut néces- sairement commencer promptement pour n'être DA CR } 6 U BiT'U R E. 207% pas contraint de le finir tard. Mais pour le faire à tems et àpropos , il est nécessaire d'y mettre la main de bonne heure. Le trop tarder en fait de labourage, Est la ruine entière du ménage. Donques n’atten d'avancer ton labeur, Si de grands biens tu veux avoir faveur. À ce commandement ancien, nous jomdrons cette maxime , qui commencera notre labou- rage. | De ne jamais cultiver la terre étant trop sè- che, ou trop humide, parce que dans ces deux points , elle nous ravit le plus important de no- tre agriculture, qui est le milieu ; si desiré, pour tous ouvrages. De peur de tomber dans l'un de ces deux -extrêmes , nous nous garderons de mettre le coutre dans notre terroir au tems de grande sécheresse , de peur de le détériorer , ce qui le gâteroit pour long-tems 3; car l'ouvrant alors , c'est lui ôter le peu d'humidité qui lui reste pour son entretien, et il demeure trop aride après, impropre , et comme inutile pour recevoir les bonnes semences , mais à leur place les méchantes et nuisibles s'y forment : entre- autres l'ivraie prend sa naissance de la séche- “resse , et sa crue de l'humidité de l'hiver suivant, 208 THÉATRE Il en arrive aussi ce mal, que l'humidité néces- saire manquant, la terre par sa dureté, ne peut se labourer à propos, empéchant le coutre d'y pénétrer avant , et de jouer en ligne droite, mais le fait aller inégalement par le fond et par les côtés, contre les préceptes de l'art ; de sorte que la terre ne peut se briser, et il en reste beau- coup d'entière et ferme, sans étre atteinte ni aucunement touchée du soc; en outre, le bétail du labourage s'y consomme par un travail trop incommode , n'y pouvant faire un pas que for- cément et avec contrainte , ce qui est une perte réelle : les charrues, coutres et socs s’y rompent fort facilement aussi , et pour surcroît d'incom- modité, l'ouvrage ne peut beaucoup avancer. On voit par expérience une couple de bêtes faire plus en un jour, en trouvant la terre bien dis- posée, qu'en trois et en quatre, si elle n'est pas ainsi qu'il convient. Notre ménager obéira donc à cette défense, | Qu’au fond qui est sans bumeur, Ne touche le laboureur. Sur-tout plus les terres sont sablonneuses , car en les prenant dans le tems qu'elles ne sont pas ‘arrosées de pluies ou fortes rosées , le déssèche- ment qui provient du labour , empire beaucoup leur première qualité, , Nous p° À © ÆR 4 C6 Ü L TU R E. 209 Nous ne labourerons pas non plus nos terres étant trop#humectées; car par la trop grande humidité, devenant fangeuses , elles Li cissent par la sécheresse suivante, comme un mortier sec; de sorte qu'autant vaudroit jetter la semence sur des pierres quegur ces terres, qui craignent plus ce mal, que plus elles sont argilleuses ( au contraire des sablonneuses , comme il a été dit): Par cette imprudence et ignorance le terroir se corrompt pour plusieurs années, ne pouvant être amendé qu'à la longue, avec un grand travail, et par le secours des saisons meilleures. Aussi tous les bons mé- nagers anciens et modernes ont en horreur ce travail, s' accordant à cette maxime, - Qu'il vaudroit mieux faire le fol, Que de labourer en tems mol. Nous ajouterons encore , pour éviter les pluies de l'hiver, aussi soigneusement que les séche- resses et humidités précédentes , que le savant laboureur , pendant que sa terre est affermie par les glaces, n'y touche aucunement, mais avec patience il laisse passer leur colère. Aussi bien il n'y gagneroit rien, non-seulement à cause de la dureté du fonds, le soc n'y pouvant entrer, mais encore qu'en s'efforçant , il seroït en dan- Tome I. O 210 THÉATAMRE ger de gâter son bétail, et de rompre ses outils. Les bonnes gens de village appellent, saigner la terre, quand on la remue hors le tems, re- gardant comme un des plus déplacés , celui des gelées, qui, quoique détournant pour quelque tems le labou#, elles récompensent bien après ce retard , en le laissant facile à travailler, sou- ple et cuit, déchargé de plusieurs semences et racines malfaisantes que les glaces auront tuées par leur äpreté. _ Pendant les glaces de l'hiver, Ne faut la terre cultiver. Ainsi l'ont ordonné nos ancêtres ;.et pourvu qu'elles viennent en droite saison; ce qui peut être en janvier, il y a grande espérance d’a- voir une bonne récolte. Les glaces et gelées man- quant dans ce mois , les suivantes en seront char- gées avec grande perte pour le labourage ; parce que d'après l'ordre que Dieu à établi dans la nature , il faut qué l'hiver se décharge en quel- que tems, qui vient toujours plus à propos, plutôt que tard; d'où l'on dit, Que si janvier est bouvier, N'est pas ne mars, ne fevrier. ? Or, puisque la température des tems sur la D’ AGRICULTURE. 211 terre, cause au fonds , cette facilité il en résulte qu'il est nécessaire d'épier soigneusement ce point , pour l'employer avec diligence, et s'as« surer, comme dit le vulgaire, Que vaut mieux saison , \ Que labouraison. On remarquera , que les terres sablonneuses et sèches veulent être labourées plutôt dans l'humidité que dans la sécheresse ; au contraire les argilleuses. et humides, plutôt dans la sé- cheresse que dans l'humidité. Plus un terroir est gras, fort et fertile , plus il desire être cultivé en iout tems, de bonne heure , micux et plus long- items, pour le décharger de l'incommodité des herbes dont il abonde. Le maigre et léger ne demande pas tant de façons ; on doit peu le remuer en été, de peur que la chaleur n'en épuise toute. la, substance; mais bien dans les autres saisons, spécialement en automne et en hiver , il veut être labouré par le grand secours de leur humidité en terre légère , à laquelle s'incorporant de longue-main , elle la prépare à recevoir toutes sortes de grains avec profit. En un mot, toutes terres grasses ou maigres, sè= ches où humides demandent une culture di- ligente , selon leurs différentes qualités, surtout O ï 212 THÉATRE celles qui proviennent de la bonne saison , dont | une seule œuvre donnée à propos, profite plus que plusieurs autres; la terre s'aidant alors à re- cevoir le bon traitement, quand elle est bien disposée avec le contentement du laboureur, qui, par la faveur céleste , pour prix de son in- dustrieuse diligence , recoit les fruits de ses champs à mesure de son labeur. Le père de famille doit avoir la même con- sidération à rechercher la faculté et la portée de ses terres, que leur culture , pour que chacune de ses parties soit non-seulement employée à ce qu'elle se trouve propre , et chargée de ce qu'elle peut justement porter, sans plus, de peur que succombant sous le fardeau, comme les bétes de somme , par trop de poids , elles soient inutiles. Et pour tenir toujours les terres en bonne volonté , il est nécessaire de les charger moins que trop ; par ce moyen n'en épuisant pas toute la graisse , on les trouvera toujours disposées au travail. La grande fertilité dont Pline fait mention ; à estétonnante ;il célèbre plusieurs terres par leur extraordinaire fécondité. À Bizatum en Bar- barie , la terre produit cent cinquante pour un, quoiqu'elle soit très-difficile à labourér , étant sèche; mais humide, si aisée, qu'un méchant PAR CR L-COU'LET Ù R Er. 213 âne conduit par une pauvre vieille, la cultive * facilement; qu on considère ce gr and rapport par une plante de froment , qui portoit près de quatre cents rejettons et épis sortis d'un grain, tous attachés à une seule tige, envoyée à l'em- pereur Auguste par le procureur-général d'Afri- que. Pline dit aussi qu'il y a des terres en Egypte, en Sicile et en Grenade , qui rendent ordinairement cent pour un. Vers Babylone, les terres sont si fertiles en grains, qu'après avoir tondu les bleds deux fois en herbes, et ensuite fait paitre les moutons par dessus, elles rapportent encore cinquante pour un, produi- sant jusqu'à cent cinquante , lorsqu'on les mé- nage bien ; mais par dessus tous ces admirables terroirs , il fait cas de celui de Tapace , Cité près de Tripoli en Barbarie , et de la merveille d'un olivier fort grand et fort large , sous lequel étoit planté un palmier; sous le palmier un fi- guier ; sous le figuier , un grenadier ; sous le grenadier, une vigne, sous laquelle on semoit du froment , ensuite des légumes, et finale- ment des herbes potagères dans la même année : disant que cette prodigieuse fertilité provient, tant dela bonté du fond, de la salubrité de l'air, que de l'arrosement d'une excellente fontaine, et que ce terroir ne pouvoit jamais succomber O a14 THÉATRE sous le travail et la charge , de quelque manière qu'on le fit rapporter , tant il étoit facile. Les vignes en ces quartiers-à produisoient des rai- sins deux fois l’année : aussi la terre s'y vendoit si chère que quatre coudées, mesurées encore le poing fermé, coûtoient quatre deniers, valant alors chacun dix livres d'argent. L'Evangile dans la comparaison dessemences, nous montre que les grains de bled en Orient, pro- duisent , l'un cent, Fautre soixante, et un autre trente. Isaac, étranger au pays des Philistins , sème dans la terre de Gerar , d'où il retire cent pour-un. Aujourd'hui, il est un terroir en Pro- vence, situé dons la mer Méditerranée, aux îles d'Ières ( que pour leur bonté, on appelle îles d'Or), si fertile, qu'il rapporte cinquante pour ‘un ; mais souvent les pirates et écumeurs de mer, enlèvent les bleds tout prêts à être serrés au grenier, ce qui rabat cette abondance par la grande perte du laboureur. Columelle ne fait pas si fertile son terroir d'ftalie, quoiqu'il ait toujours été en grande réputation , affirmant ne lui avoir jamais vu rendre en grain, plus du quart ; ce qui se voit en France, qui ne cède. pas en cet endroit à Fltalie. El n'est pas néanmoins pos- sible de représenter au juste Île rapport des terres, par les grandes différences de leurs fa- DAUAMOUR:-IICAUËLET Ù R E. 21% cultés; mais seulement selon les communes ex- périences , nous pouvons dire , que le ménager a de quoi se contenter, quand son domaine gé- néralement , le fort portant le foible, lui rend cinq à six pour un, n'estimant pas qu'il y ait beaucoup de contrées en ce royaume , où d'er- dinaire lesterres reviennent davantage , et même peu le rapporte. Il est bien vrai, que comme l'homme sage et prudent par son industrie, renverse , pour ainsi dire , ordre de la nature ; aussi le savant et diligent ménager, par l'art, fait changer de forme et de pouvoir à sa terre. Or, sans nous arrêter plus qu'il ne convient à ces discours, en examinant l'état de nos terres, nous trouverons presque dans toutes contrées qu'il y en a de trois espèces ; savoir, de grasses, de moyennes et de maïgres , toutefois plus des unes que des autres, selon la situation générale du fond ét de la température du ciel. Ce qui se trouvera de terre entièrement grasse dans notre héritage ( comme quelques recoins en rappor- tent par fois dix, douze ou plus, pour un}, sera chargé tous les ans, l’un de froment , seigle ou méteil , Fautre d'orge , d'avoine , de légumes et d'autres bleds de mars; et nous ferons tra- vailler de deux ans l'un, les terres moyennes et légères, d'après le conseil de Virgile, en les di- O iv 316 Tu É A TE visant en deux portions égales. Par ce moyen travaillant et se reposant par années alternati- vement, elles se maintiendront en très-bon état ; le tems donnant le loisir de les cultiver, ainsi qu'il appartient, d'où procède leur rapport. Il y a d'autres endroits où les terres sont si lé- gères, que le repos d'un an seul, après le tra- | vail d'un autre, ne suffit pas pour les faire raï- sonnablement fructifier ; c'est pourquoi on leur en donne davantage; savoir, deux ou trois, se- lon leur portée , les laissant pendant ce tems en repos, et les labourant cependant , pour que les herbes qui y croissent n'en sucent pas la substance ; il y a d’autres terres qui se trouvent constituées dans un tel point de fertilité, qu'elles ne veulent séjourner qu'un an, après en avoir travaillé trois ou quatre de suite ou davantage. Il convient de se plier au naturel de ces terres, pour tirer adroitement profit du labourage. C'est ainsi que le pratiquent , presque par-tout , les meilleurs ménagers et les plus experts en agri- culture. | Suivant ces instructions et ces usages, d'après l'ordre ci-après montré ; nous labourerons celles de nos terres que nous desirons laisser reposer | une année, pour les faire travailler après. La première œuvre que nous leur donnerons ( ap- DO A GRIICLUMELNT Ù R E 21ÿ pelée en Exance, Esgerer et Jacherer , en Nor- mandie, Froisser la jachère , et en Languedoc, Mouvoir } sera, qu'elles soient moissonnées le plutôt possible , et que le bled en soit de suite enlevé, toutefois après une forte pluie, qui ayant tempéré l'excessive chaleur de l'été, et bten rafraichi le champ altéré par son rap- port et travail précédent, le réveillera, en lui faisant reprendre une nouvelle force , et facili- tera le premier labeur, qui ne doit pas s'entre- prendre sans eau. Moyennant cette œuvre , la paille des chaumes et éteules restant des bleds, se mélera avec la terre pour lui servir d'autant d'engrais. Plusieurs ménagent encore mieux l'é- teule , en la brûlant sur la terre même , de sorte que le fond se prépare par le feu à recevoir le coutre , et se décharge de racines infinies, de plantes et insectes nuisibles, nourris avec les bleds , moyennant que la pluie survienne sur ce champ brûlé, que nécessairement il convient d'attendre , en évitant les vents par la raison des défrichemens. Quoique ce ne soit qu'un feu de paille, ne doutez pourtant pas qu'il ne soit fort profitable, plus cependant pour les grasses et terres fertiles que pour les maigres et foibles, parce que les pailles abondent plus dans les pre- mières que dans les autres, ce qui augmente la 210 TH É A TIRE raison de ce ménage. Virgile approuve ce brû- lement , et la pratique des bons ménagers l'a autorisé depuis long-tems, de sorte qu'il ne faut pas douter de sa valeur, qu'on reconnoîtra par l'usage. Pour aisément donner cette première œuvre, le laboureur n'enfoncera pas le soc bien avant dans la terre, mais seulement il y entrera à environ quatre doigts; et par la même cause, il fera ses rayes fort près Ffune de fautre, et droites , de manière qu'il n'y ait aucune partie sur la superficie de la terre qui ne soit attemte du soc, et le bétail marchant ainsi sans s’effor- cer, par le peu de terre que prend le coutre , travaillera de bon cœur. St c'est en plaine, le -laboureur prendra le champ du eôté qu'il vou- dra ; toutefois le meilleur sera pour la première œuvre, en croisant le précédent labour, dont il fût ensemencé au soc, pour commencer à en bien rompre la terre. Mais en côteau rude ou montagne , il ne doit venir que de l'endroit le plus aisé qui est à travers champ; et comme de niveau, afin que lui et ses bêtes y travaillent avec moins de peine. Il marchera aussi toujours dans la raye du labour, y tenant les deux pieds, tant pour que le guéret ne soit pas foulé en le trépignant , que pour mieux aligner l'ouvrage, et en bon maitre faire les lignes droites en per= RAR LCOU LIT U R E. 219 fection, ce dont il ne pourroït venir à bout , sil se tenoit de côté, comme font plusieurs igno- rants. Il est aussi nécessaire que le laboureur porte avec lur une hache péndue à sa ceinture, ou attachée à sa charrue , pour raccommoder ce qui se défait de là charrue , et pour couper les - branches des arbres qui empêchent son libre passage et celui de ses bêtes, et les racines trop fermes auxquelles son soc s'attache , sans s'ef- forcer de les rompre par la violence de ses bêtes, de peur de les troubler et de briser la charrue ; le laboureur épargnera les arbres autant qu'il pourra, en prenant garde de les heurter avec ses bêtes et avec le soc , en les approchant &e trop près , de peur qu'avec le tranchant du soc, ik n'en coupe les racines principales. Cette cul- ture avancée paroîtra à plusieurs plus profitable, qu'agréable , quoiqu'elle leur ôte deux com- modités ; la première, de la nourriture du bétail à laine, qui se nourrit long-tems sur les esteules, en mangeant les herbes crues avec les bleds ; l'autre, qu'en différents endroits de la France, on recoupe avec des faucilles où grands eou- teaux enmanchés à des bâtons, les chanmes qui restent des bleds, pour servir de couvertures aux maisons, pourchauffer le four et fournir la litière aux bêtes, faisant faire ce ménage à l'aise, 220 EH É A TIME pendant l'hiver, à peu de frais, par des femmes et des enfans ; d'ailleurs, ils croient n'avoir pas alors le loisir de travaïller à cette culture, et qu'il est plutôt nécessaire d'employer le tems à achever ce qui reste de la préparation des terres qu'on apprête, pour ensemencer, la saison talonnant de près, que de commencer une nou- velle besogne. Cette dernière raison pourroit avoir lieu, le tems manquant ; mais le prudent ménager empêchera que cela arrive, si, étant pourvu d'herbages suffisamment, il se fournit de bêtes à proportion, pour pouvoir satisfaire à tout. En la Camargue, près d'Arles, contre la rivière du Rhône, du côté du Languedoc , à l'embou- chure de la mer Méditerranée, l'on entretient un nombre infini de bouvines, à cause de l'abon- dance des bons herbages , d'où il arrive qu'on ne l'épargne pas au labourage des terres à grains, en donnant à chacun quatre grands bœufs. Non pas, qu'ils tirent tous à la fois, car c'est seule- ment par couples qu'on les fait travailler , y. étant mis par intervalle, ôtés et remis au joug, de manière que chaque couple ne travaille que la moitié de la journée, et l'œuvre s'en avance très-bien ; car ayant souvent des bœufs frais, le laboureur ne cesse jamais d'aller le grand pas. Aussi les gens du pays appellent araiyrecourant, DA @H EC U LIT U RE. 221 le soc ainsi garni de plusieurs bêtes de relais. Par ce moyen, les ménagers expédient leur labourage comme ils veulent , en choisissant les bonnes saisons, n'employant jamais les mau- vaises que par nécessité , de sorte que la culture ordinaire se fait aisément, et que les semences se jettent en terre au tems que le laboureur l'ordonne ; il prévient par-là les difficultés que toujours éprouvent ceux qui retardent en cette occasion. Quant aux deux autres prétendues raï- sons, je ne trouve pas quil soit de ménage, que , pour un peu d'herbe et de paille qu'on peut profiter sur les éteules, l'on se doive priver de cette grande quantité de bleds, que cette primeraine et culture avancée promet avec raison; d'ailleurs , c'est une chose assurée que la terre étant ainsi travaillée depuis long-tems, donne lieu aux gelées, froidures, pluies et vents de l'hiver, qui la disposent au parfait labourage , en en bannissant aussi de bonne heure , les herbes et les plantes malfaisantes ; alors la terre devient facile à la culture. Après cette première œuvre, le père de fa- mille ne pensera plus à rien qu'à faire ses se- mences sur les terres dèjà préparées , remettant ioutes autres affaires après cet ouvrage im- portant ; quand il l'aura expédié , il reprendra 222 LH ÉTA TURN 2 son (rain, il retournera à son labourage, de telle manière que, devant Noël , la seconde façon soit donnée à ses terres de relais ; afin que remuées de frais, les froidures de la saison y pénètrent à propos, pour les bien préparer , et il arrivera de-là qu'elles ne pourront ensuite être mal labou- rées, ceci facilitant les œuvres suivantes. Le nombre des œuvres nécessaires aux labourages ne peut se désigner, parce que toutes les terres ne sont pas généralement de même nature. C'est une chose bien reconnue de tous , que, comme il a été dit, les terres sont meilleures, plus elles coûtent à labourer; et ainsi de peur de les abuser, ou plutôt de nous tromper nous-mêmes , nous les labourerons selon leur naturel, les unes plus, les autres moins de fois , néanmoins toutes assez bien, pour qu'aucune motte , ni partie de terre affermie n'y restent : réitérant le labourage à mesure qu'on verra rébourgeonner les herbes sur le guéret , afin quil en soit entièrement dé- chargé , alors net en perfection , il sera propre à recevoir les semences. L'assiette des terres gouverne aussi le nombre des années et Ja façon de chacune d'elles. En terroir pendant , on ne peut pas tant donner d'œuvres , par l'incommo- dité des pluies qui en font descendre la terre remuée de nouveau, ni labourer aussi librement, D'À :GéRu € HU &K À U R E. 223 qu'en pays plat, à cause de sa pente qui ne soufre pasJl'entrecroisement des rayes par an- gles droits, comme cela se fait en plaine à vo- lonté, vu que le bétail ne peut pas monter à contre-mont. C'est pourquoi il faudra un peu biaiser , dans cette circonstance, de manière que le laboureur, marchant à travers le côteau, ne le prenne pas entièrement de niveau, mais en montant un peu d'un côté , et en descendant de l’autre. Ensuite, on donnera les autres œuvres, ce qui fera croiser le labourage , non en angles droits, mais en obtus et aigus ou en tenaille, comme l'on dit ; par ce moyen la terre, quoique d'un plan assez bisarre, se labourera assez bien. En Beausse et ailleurs , où les terres sont labourées par sillons voûtés, ainsi qu'il a été représenté, on est contraint de les prendre toujours d'une manière, savoir de long en long, et le labourage ne peut s'entrecroiser, ce à quoi _3l faut s'assujeitir , puisque sans confondre l'or- donnance de ce labeur , le bétail ne peut tra- verser les sillons en travaillant. L'observation des bonnes saisons est bien nécessaire , et elles veulent être attendues patiemment et dili- gemment employées; il sera discouru sur ce sujet plus avant. Seulement pour que le père de famille n'oublie pas cet article essentiel, äl 224 THÉATRE mettra dans ses tablettes ce beau passage de Virgile , Non,non, ce n'est pas la culture, ( Par n’estre toujours chose seure } Qui remplit de fruicts la maison; Mais c’est bien plustot la saison. par lequel il nous invite à marier la diligence avec la bonne saison, qui est de saisir u vrai point de prendre la terre pour en avoir profit. Or, comme les semences des bleds d'hiver, suivent de près la première façon de nos terres de relais, de même celles des mars viennent après la seconde ; ces bleds étant mis en terre dans leur saison , la troisième œuvre séra donnée à notre labourage ,;' ce qui pourra être vers le mois de mars. Et ainsi de suite, pendant le prin- items et l'été, on y retournera autant de fois, que le loisir le permettra, et que les herbes croissant dans les guérets , le contraindront , excepté dans les mois de juillet et d'août, qu “il est défendu de toucher au labourage, sans le secours des pluies ; car de remuer la terre, pen- dant les extrêmes chaleurs et sécheresses , nulle- ment ou peu arrosée, C'est la corrompre, à cause du peu d'humidité qu'elle a , qui s'en va en exhalaisons , dont elle manque après pour son D'AGCGRICULTUR E. 225 son entretien , et restant foible, elle ne peut sa= tisfaire à sn devoir, comme il a été dit. De fait, il faut bien avouer qu'il y a quelque grand déchet au labourage de la plupart des bons fonds , vu que leur rapport ne répond, ni à leur qualité , ni à la peine qu'on prend à les labourer; car communément ils ne rendent pas plus de bled, ni quelquefois tant, que plusieurs de moindre valeur , même légèrement labourés. Ce déchet paroïit procéder de ces œuvres, don- nées hôrs tems, remarqüées et défendues par : les anciens. L'exemple de beaucoup d'endroits nous confirme sur cela; spécialement on le prouve par les grasses terres d'Orange, et par les maigres de leur voisinage du Vivarais ; les premières'étant labourées pendant tout l'été sans interruption , et les autres jamais dans les ex- irêmes chaleurs, sans la faveur de la pluie. Ainsi, pour bien conduire notre labourage , il me faut pas tenir compte des petites pluies des mois de juillet et d'août, qui ne font que mouiller la superficie de la terre, mais seulement de celles qui la pénètrent avant , l'abreuvant en abondance ; alors il faut profiter de cet avan- tage pour les labourer avec diligence. Dans lés provinces où l'on met quatre, cinq qu six bêtes à la charrue à roues, qui font de Tome I. 26 TH É A FRAME profondes rayes en labourant , semblables à des petits fossés, on se contente de. donner aux 15 ierres deux ou trois œuvres avant l'ensemence- ment, et elles sont mises en bon état, en re- muant un bon pied de terre de cette manière ; mais où l'on n'employe qu'une couple de bêtes au soc, il faut passer cinq, six ou sept fois et davantage , selon la portée du fonds, afin de faire à la longue, et sans un travail mcommoce, ce que les autres font en deux ou trois venues. Cette pluralité d'œuvres données aux terroirs pour les rendre fertiles n'est pas une chose nou- velle. Pline rapporte que de son tems, dans la Toscane, on en donnoit aux terres.de labourage quelquefois jusqu'à neuf, ce qui s'accorde avec la façon des bons labourages de Ja ;Pro- vence, du Languedoc, du comté de Venaissin, de la principauté d'Orange, qui, en certains endroits, viennent jusquà ce nombre. Pour labourer plus commodément le Champ, il sera besoin de le diviser en plusieurs espaces et por- tions, que quelques-uns appellent versanes et vallées , sans cependänt y faire d'autre séparation que par imagination , que l'on fera dela lon- gueur de deux cents pas, plus ou ‘moins: le: bétail ayant ainsi son ouvr age limité , travaillera de meilleure volonté que si, faute de cet ordre » n' À GRHRACUL TO R FE. 59 il étoit contraint de tirer tout d'une traite d'un bout du champ à l'autre, se réjouissant lorsqu'il se voit près du bout de la raye par le repos qu'il y prend, pendant que le laboureur décharge son soc ide la terre qui s'y attache. Ces divisions au champ ne sont pas perpétuelles, mais elles s'y font alternativement , en diflérents lieux, par années , l'une dans un endroit , et la suivante dans un autre, à cause que la terre portée par le soc s'amoncelle au bout de la ligne, où le la- boureur se retourne ; de sorte qu'à la longue la terre s'y éleveroit trop, qui étant écartée par le champ , il en demeure plus uni, et se ressent souvent de la bonté de cette terre, qui toujours est la meilleure , la mauvaise ne s'attachant pas communément au soc. Les terres ainsi travaillées à la longue seront mises au point requis, et s'il arrive que , par le bienfait des pluies, elles puissent avoir leur dernière façon sur la fin du mois d'août , ce sera le comble de leur bon trai- tement ; delà , en attendant le tems des semences, il ne faut pas se donner d'autre peine; car elle seroit aussi plus nuisible qu'utile, en détournant la parfaite cuisson de la terre. Ce point de culture est remarquable , que les œuvres du labour des terres, doivent quelque peu se différencier entr'elles, en faisant plus P i 228 T'4 à A rime sommairement les premières, que les secondes ; celles-ci, que les troisièmes , ainsi des autres ; c'est-à-dire, qu'il faut prendre moins de terre du fonds et des côtés au commencement , qu'à la fin, selon l'ordre des œuvres. Cependant il n'y a pas de limites certaines sur cela, ou ce se- roit que par expérience on eût reconnu que la terre est au fonds infertile, par sa crudité, par son amertume, où par une autre cause ; dans ce cas , il ne faudroit pas y entrer trop profondé- ment, mais seulement autant qu'il seroit néces- saire pour le bien du labourage. Ceci se pratique en Languedoc depuis Beaucaire jusqu'à la mer, et dans toute la Camargue , où la terre étant salée au fonds, le laboureur n’en prend que trois ou quatre doigts de superficie , étant sur cela telle- ment retenu, qu'il est assuré de gâter ses gué- rets, au point de n'en tirer aucun bled de plu- sieurs années, s'il s'oublie Jusqu'à y creuser plus avant, de peur que la terre du fonds, qui est salée , venant au-dessus, se réduise en sensouïre, mot dont on se sert pour exprimer le vice de ladite terre , qui s'augmente à mesure qu'elle sent la chaleur du soleil. Et la sensouïre se reconnoit notoirement à certaine humidité que la terre rend en petites et différentes places, qui est d’au- tant plus malfaisante , que le lieu où elle est D'ANG R 1GU MTURE 229 formée ne produit ni bled , ni herbe, et devient infertile. La sensouïre se forme naturellement , quand les eaux des étangs se répandent sur les terres voisines, y laissant un limon infecté de la malice du sel: dont elles sont incommodées pour long-tems. Âu contraire , elle en est na- turellement guérie par l'eau de la rivière du hône , qui, en inondant les lieux en question, y charrie de la graisse si fertile, que le fonds s'en améliore beaucoup. Mais l'attente de ce bienfait naturel étant incertaine , fait qu'on re- médie au mal par l'art ; c'est en couvrant la terre avec de la paille blanche, de la hauteur de neuf pouces , en la laissant consumer sans aucun la- bourage. Et ce sera encore avec beaucoup plus de succès, si le parc à mouton et à brebis couche dessus la paille, parce que le fumier procédant de ce bétail pourrira la palle au grand profit du champ. Le terroir sujet à la sersouire ne craint nullement la mauvaise saison: car il est utilement labouré en tems sec et humide ; chaud et froid, se compensant ainsi les commo- dités avec les incommodités. Au contraire, dans les lieux où la bonté de la terre pénètre beaucoup, on ne pourroit la creuser trop; mais le laboureur sera bien mé- nagé , de la fouiller avant; afin que , mélée avec P iij 530 "FH ASE celle de Ja superficie , elles communiquent er- semble leurs facultés, pour le profit des bleds qui y sont semés ; comme ce labourage se pra- üque heureusement au pays de Clèves, par cer- tains vertueux personnages, qui, avec une in- dustrieuse dextérité, font passer deux charrues dans un même rayon, l'une suivant Fautre, pas à pas; mais le soc de la dernière prend la terre la plus basse , et la porte en haut avec grande utilité ; œuvre qui se fait à frais modérés, parce qu'elle n'est guères moins efficace, que si c'étoit à mains d'homme avec beaucoup de dépense. Îl faudra aussi prendre garde de ne pas précipiter les œuvres du labourage, aux- quelles il est nécessaire d'un intervalle pour le moins de trois semaines , afin de faire saisonner le guéret, donnant par ce délai, tems aux herbes et racines de mourir et de pourrir. Il faut ob- server en outre le tems - tendant plutôt au vent qu'à la pluie, de peur que le guéret ne s'évente, et que les herbes et racines se sèchent aisément, ce qu'on ne pourroit espérer la pluie survenant sur le nouveau labour. A la veille de l’ensemen- cement, en certains lieux de la Provence et voisinage , on repasse la terre par une œuvre appelée, {TOUSSET €t TeÉrousser , tant pour casser le restant des mottes du précédent labourage , D'AGC@RECULTUR E. 231 que pour ramollir la terre, afin de la rendre en tout propre à recevoir les semences; on donne’ cette œuvre légèrement et avec peu de peine, la terre étant très-déliée à cause de sa bonne culture. C'est le vrai gouvernement des terres de nouvelis, de relais, de repos , de guéret-vieux , différemment appellées selon les contrées , dont le père de famille tirera satis- faction ; car la fréquente culture dans les bonnes saisons , le repos avantageux , les engrais par fumiers , les rendent de bon et long service. Quant à celles qui, par leur grande fertilité ; veulent être chargées tous les ans , il ne leur faut d'autre façon que la susdite , en règlant le nombre des œuvres de leur culture , suivant le loisir que le tems nous en donnera, auquel il faudra se conformer et se contenter. Celles destinées pour les orges, avoines et légumes, seront labourées pendant l'hiver, le plus souvent et le mieux qu'il sera possible, épiant les bonnes saisons, afin qu'elles soient prêtes à ensemencer aux mois de Janvier ou de février. Outre ces œuvres, plusieurs bons ménagers en donnent une extraordinaire à leur labourage, par le moyen de laquelle , les terres se remettent en vigueur ; quant ayant travaillé dix ou douze années, elles se trouvent lasses et comme ha- P iv 232 THÉATERE rassées. Par la culture ordinaire, on ne creuse pas assez la terre, pour en ôter entièrement la race de toutes sortes d'herbes malfaisantes , qui , pour le peu de place qu'elles trouvent, se sau- vant du soc, multiplient et grossissent extraor- dinairement dans le champ, à son grand préju- dice , qui en étant chargé et assailli,; ne,peut produire que des bleds chétifs et maigres. Pour y remédier , on a inventé cette œuvre surnumé- raire, qu'on donne au labourage , de dix en dix, ou de douze en douze ans: re terre se remue presque autant que si l'on plantoit la vigne; en mélant ensemble les terres de la superficie et du fonds ; on retire en méme tems du fonds toutes les racines, herbes et pierres nuisibles ,.et le champ se trouve nettoyé en perfection. C'est à bras d'hommes, et non par le travail des bêtes que cela se fait, en se servant de pelles de bois, garnies de fer par le bout , avec lesquelles la‘terre une fois ouverte d'un côté, est taillée de la pro- fondeur requise et renversée en lopins, qui, cuits par les tems, se brisent à plaisir, et le fonds reste après très-aisé à labourer, fort fertile , même par la raison du mélange des terres vieille et nouvelle, ce qui lui donne une nouvelle vi- gueur, pourvu cependant qu'on ne creuse pas jusqu'à en sortir la terre amère, à quoi il faut L4 D'AA GR E CULTURE. 253 prendre gade , selon la propriété du terroir. En lieuvpierreux , cela ne peut pas se faire avec la pelle ferrée, qu'on appelle en France bêche, et en Languedoc louchet ; mais au lieu d'elle on employe la houe , avec utilité, la rencontre des pierres ne l'empéchant pas d'entrer sufhsam- ment. Et soit avec le louchet , ou avec la howe, il ne faut pas prendre la peine de sortir la terre du fonds à l'air, avec la pelle commune; on doit se contenter de rompre le terroir, en le mélangeant comme il a été dit, et pour que commodément on puisse faire ce mélange , qui n'est pas de petite dépense , le général du terroir est réparti en dix ou douze portions égales, pour en préparer ainsi une par chaque année, afin que. finalement , tout le domaine demeure au suprême degré de bonté, selon sa naturelle suf- fisance. Par ce moyen, toute la force du terroir étant mise en évidence , 1l n'en reste aucune portion en arrière comme auparavant , et le fonds en fructifie abondamment. Si cette répa- ration paroît trop pénible au père de famille, en se contentant du quart des fruits äe la pre- muère année , il la fera faire par autrui, sans se mêler de rien , comme l'on fait à Loriol en Dauphiné, et dans d’autres endroits de cette pro- vince. Condition, tout bien compté , trouvée 234 T''R'ÉTYAYTÉERVE raisonnable, par l'abondance du bled qui pro- vient de cette industrie, excédant de beaucoup le précédent rapport du terroir ; en étant ac- commodé pour plusieurs années , il demeure nettoyé de ses immondices et incommodités , comme il a été dit. De cette manière pour rien et sans frais, 1l se trouvera l'avoir mis en bon état. BUOASES DOIUE TU R Er. 235 Era CHAPITRE TIIE Des fumiers. L £ famiér des terres est une partie très-esser- tielle du ménage, étant reconnu à tous ceux qui font profession de cultiver la terre, que c'est lui qui égaye, réchauffe, engraisse , amollit , adoucit , dompte, et rend faciles les terres fà- chées et lasses par trop de travail , celles qui de nature sont froides, maigres, dures, amères , rebelles et difficiles à cultiver, tant il a de vertu. C'est du fumier d'où procède cette grande fer- tilité recherchée par tous les ménagers, en fai- sant produire à la terre toute abondance de biens ; car les bleds, les vins, les foins, les fruits des jardins et des arbres, viennent richement, à l'aide du fumier assaisonné par l’eau , et con- venablement employé. La distinction des fu- miers , les lieux , les tems de leur emploi et ap- plication , en sont les observations nécessaires. La valeur du fumier consistant en la chaleur, fait qu'il est plus estimé, plus il abonde en cette qualité ; comme le moins à rechercher, est le plus froid, Les terres humides dissolvent mieux ty 36 TH É À TRUE et plutôt le fumier, que les sèches ; par cette cause, nous donnerons aux premières le fumier plus chaud, qu'aux autres, parce que celles-ci à cause de leur siccité ne peuvent en faire pé- nétrer la vertu bien avant : nous regarderons en- core , nous attendrons même le secours des pluies prochaines ; s'il manque, on ne doit pas entreprendre de fumer les terres maigres et légères. Or, puisqu'il est nécessaire d'ajouter . Fhumidité au fumier, pour le faire valoir , on prélère avec raison l'hiver dans ce ménage au printems , ei le printems à l'été. Les terres qu'on ensemence de bleds d'hiver , seront fumées dès l'automne ; et dès l'hiver, celles où on desire mettre des bleds printanniers. Par ce moyen, Fhumidité des saisons dissolvant les fumiers , en fait pénétrer la substance dans la terre, au grand profit du fonds , qui rend abondance de fruits. Aussi , par la même raison, nons donnerons plus de fumier à la terre humide qu’à la sèche. La sèche sera fumée souvent et peu à la fois; afin qu'à la longue elle puisse s’engraisser, et par conséquent humecter. Ainsi les terres au- ront la quantité de fumier requise pour la crue des fruits ; etnon pour les étoufler, cômme cela arriveroit, si sans discrétion on leur en donnoit par trop à la fois. a UE D'AGCRICULTURE. 237 Le premier et le meilleur de tous les famiers, dont on puisse faire état , est celui du colombier, par sa chaleur, qu'il a plus grande que nul autre ; il est propre "à tout usage d'agriculture , de telle manière que peu profite beaucoup. Mais c'est à condition que l'eau intervienne promptement après pour corriger sa force , au- trement il nuiroit plutôt qu'il ne profiteroit, car seul, sans être tempéré d'humidité , il brûle ce qu'il touche ; c'est pourquoi il n’y a pas d'autre saison pour son application que l'automne et l'hiver, le printems étant suspect par la proximité de l'été. Le fien de toutes sortes de volaille vient après, excepté de l'aquatique , comme canards, oies, cignes et autres, qui, par leur grande froi- deur, ne sont d'aucune ou bien petite utilité : ensuite celui des moutons et brebis, chèvres, chevaux , mulets, bœufs , ânes, pourceaux, qu'on augmente avec des pailles et feuilles ser- vant de litière au bétail. Les anciens faisoient grand cas du fien de l'âne , même Palladius, qui le met au premier rang pour les jardins, à cause que cette bête mange fort lentement, et par ce moyen digérant bien la nourriture, en rend le fumier qualifié en perfection. Plusieurs con- seillent de ne pas mêler les fumiers, de les ranger à part par espèces séparées, et de les employer 230 Et ÉoA TIRE après selon leurs propriétés. Cela se fait aisément de ceux du colombier, du poulailler et de la bergerie ; mais des autres, la chose ne peut s'accommoder , par la difficulté de cette distinc- tion, parce que tout l'autre bétail étant presque logé ensemble en étables contigues, leurs fumiers se mélent dans les lieux où ils sont portés reposer. Aussi ce pénible soin n’est nullement nécessaire, mais plutôt nuisible, car les fumiers de dii- férentes sortes de bêtes, ne peuvent manquer d'être bons, unis et saisonnés en un corps, les uns faisant valoir les autres , ce qu'on ne peut pas dire des séparés, parmi lesquels il s'en trouve de peu de valeur. Les plus pourris et menus seront employés aux prairies déjà faites, et aux jardins ; les moyens aux terres à grains et vignes, et les plus grossiers aux prairies que vous faites de nouveau pour être incorporés avec la terre, afin de produire , par leur crudité, abondance d'herbes. Vos fumiers seront chartiés dans les terres à grains dès le commencement de sep- tembre , après que les grandes chaleurs seront passées , évitant par ce moyen le häle du soleil. qui les dessécheroit par trop; j'entends, tou- chant les terres de repos , qu'on prétend ense- mencer les premières. Le fien du colombier sera distribué avec discrétion, de peur que L SR D'A GRU CUÎLIT D R K 239 par la trop grande quantité la semence en soit brûlée ; c'est pourquoi on les sème sur terre à la façon du bled, et presque aussi rare- ment. On fait de même de celui du pouläiller, d'autant qu'ils symbolisent ensemble en vertu et en chaleur , tous deux produisant une grande abondance de grains , non seulement aux terres labourables et aux prairies, sur-tout à celles d'abreuvage , où les fumiers de cette volaille sont d'une grande ‘utilité ; mais encore aux vignobles , à qui spécialement celui du pigeon , fait produire du vin en abondance ; ce qui n'ar- rive par aucun autre fumier ,: qui ne sert que par la quantité , le vm demeurant petit, de goût désagréable et sujet à se corrompre. Le fien du bétail à laine s'employe un peu différemment des autres; sans frais de charroi, il se trouve tout porté sur les terres de relais, par le moyen du parc où ce bétail et le caprin couche durant la nuit, la plupart de l'année , qui, s'y promenant à plaisir, engraisse fortbien les terres. De même sans dépense ; celui du gros bétail est employé quand il couche en campagne dans le parc ; mais le fumier que toutes ces bêtes font dans leurs étables durant Fhiver, à la manière des autres ; est charrié où‘leur service est destiné. Il a plusieurs autres sortes de fumiers pour 240 T,H.É:ASraRdE l'amendement des terres, qui cependant ne sont pas en usage par tout, tant par l'ignorance que la paresse des ménagers. | La chaux neuve est de grand succès pour les terres, mêlée avec quelques terriers , balayures, ou autres fumiers, et Jettée au champ au com- mencement de l'hiver, elle les engraisse très. bien ; par sa nature chaude , elle tue les insectes et les racines des herbes nuisibles. Et la cherté n'en est pas si considérable , quoique la chaux coûte de l'argent, que le profit.en revenant est assuré ; Ce ménage est depuis long-tems pra- tiqué aux pays de Gueldres et de Juliers. Les fèves engraissent les terres où elles auront été semées et recueillies ; elles y laissent quelque vertu agréable aux fromens qu'on y fait après : mais cette vertu leur sera plus grande et plus profitable , si, sans espoir d'autre avantage que de la graisse, on laboure les fèves déjà grandes et en fleur, environ vers la fin d'avril, ou au commencement de mai, en renversant avec le soc toute l'herbe, et la mélant avec la terre y pour, là se pourrissant , servir d'engrais, selon l'ancienne façon des Macédoniens et Thessa- liens ; et s'il plait au père de famille de gâter ainsi les fèves presque prêtes ;. qu'il considère que c'est toujours tout un , où il met son argent, pourvu ———— — DA R MOAUELIT U R E. 241 pourvu que ce soit pour son utilité, étant assuré que deuxécus employés en fèves à cette seule intention, lui porteront plus de profit que six en fumiers. Cette manière de fumer les champs par les fèves s'observe heureusement en Dau- phiné vers le Diois, cependant un peu différem- ment. Ils attendent que les fèves ayent grainé, et après avoir exposé les gousses des fèves aux pauvres, les leur donnant par aumône, ils la- bourent le champ avec l'herbe. Ceux qui se servent des. fèves à la manière des lupins ci-après montrée, font encore ce ménage plus avanta- geusement, parce qu'ils ont le loisir de bien labourer le champ durant le printems, et la commodité de semer des fèves cueillies la même année , y employant les menues et chétives , séparées des autres avec le crible. Quelques-uns avec raison gouvernent autrement la graine des fèves. En terre de relais , bien labourée et fumée, s'il est possible , ils sèment de l'orge ; après avoir cueilli l'orge , des fèves d'hiver ; lesquelles étant recueillies , l’année d'après, ils sèment du fro- ment ; après avoir moissonné et enlevé ce der- mer , on laboure la terre dans sa saison, et on la laisse reposer un an pour recommencer ce ménage ; par ce moyen elle porte gaiement trois années de suite, et une seulement s’en repose, Tome I. Q ad: THÉATRE se maintenant ainsi très-bien au labourage. Les pois , la vesse, les orobes ou ers et autres lé- gumes engraissent aussi la terre, excepté les chiches, qui visiblement l'amaigrissent. Le ris aussi sort en cet endroit, mais l’on ne peut pas en faire un état certain , parce qu'on ne peut l'élever dans un autre fonds , qu'accommodé d'eau pour l'arroser à toute heure. À Les lupins ne sont pas à négliger pour l'en- grais des terres, pourvu cependant que le cli- mat le permette. Les anciens à cette occasion les semoient au mois de septembre , et en ren- versoient l'herbe dans terre, lorsqu'elle avoit jetté sa seconde , ou troisième fleur ; ils en se- moient même parmi les vignes pour les en- graisser ; mais la pratique de ce temps, en Tos- cane , en Piémont et ailleurs, où cet engrais est en usage, montre que la droite saison de semer les lupins est sur la fin du mois de juin ou au commencement de juillet, sur les terres de ce guéret-vieux, qu'on prépare pour les bleds d'hiver, lorsque leur labour est fort avancé, cette tardive semence donnant le loisir de bien cultiver le champ, ce qu'on pourroït faire par l'ordre ancien. En ce tems donc avec un labour fait au soc, nous jetterons la semence des lupins énierre, qui aussitôt après couverte et ombragée D'AGBECULNMIURE 2/3 par l'herbe en provenant, sera conservée en quelque’ humidité , €t par son amertume , toutes sortes d'insectes seront chassés et les herbes malfaisantes détruites , de sorte que le guéret déchargé de ces dommages , et engraissé par l'herbe mélée avec la terre, par un labour donné sur le commencement de septembre, sans at- tendre ni fleur, ni fruit, deviendra propre à recevoir et élever les semences des bleds avec grand'profit. Par elle-même l'herbe des lupins se conserve en campagne ouverte, son amer- tume lui étant un rempart assuré contre toutes sortes de bêtes ; aucune n'en osant approcher ; elle meurt et pourrit facilement, n'étant né- cessaire pour cela que le seul toucher du soc. C'est aux terres maigres où les lupins se plai- sent , et c'est à elles aussi que proprement ap- partient l'amélioration. De cette manière l'on se prive de la semence des lupins ; mais pour s'en fournir , il ne faut semer et traiter de la manière des autres légumes , comme il sera montré en son propre lieu. La Marne ne doit pas être oubliée par la grande vertu engraissante qu'elle a, à bon droit appellée de quelques-uns , Manne. Pline en fait beaucoup de cas , étant de son tems en réputation, affirmant que sa vertu dure trente Qi 244 ÉUHIE ANTIRUE ans en terre . sans y en remettre de nouvelle: Elle est fort connue dans l'Isle de France , dans la Beauce, Picardie, Normandie, Bretagne et autres provinces de ces contrées. Ce n’est autre chose qu'une mine de terre, endurcie presque comme pierre, qu'on creuse quelquefois fort profondément dans terre. Elle est colorée selon les lieux ; dans quelques-uns , elle est blanche £ dans d'autres, elle est grise ou rousse. Etant sortie de la fosse, on la met sur-le-champ en petits monceaux séparés, comme du fumier , pour y être préparée comme la chaux , par le soleil, la pluie, le froid ; et elle se dissout et réduit en poudre dans quelques jours, ensuite éparse et incorporée en quantité modérée avec la terre; elle l'échauffe très-fort, et de telle manière, que la première année, les bleds n'y profitent guères par le trop de chaleur et de graisse , les faisant verser à terre ; mais l’année d'après et les suivantes , même dix ou douze plus ou moins, selon la valeur de la Marne, sans y en ajouter d'autres, le fonds s’en ressent merveilleusement , avec un grand avancement pour les bleds. Les cendres de lessive, celles des fournaises à tuiles, à chaux, à charbon ; les poussières | des chemins, les restes de bâtimens n'y ayant pas trop de pierres ; les sciüres des arbres, les D'AGRICULTURE. 245 immondices des privés, éviers , égouts et cloa- ques , les balayures de la maison et basse-cour , toutes sortes de dépouilles de jardins, comme troncs de choux , feuilles sèches des melons ; concombres , courges , cossats et pailles de fèves ; pois, moutardes et semblables choses ; comme aussi le marc des raisins, après en avoir exprimé le vin et le trempé: en un mot, tout ce quon peut ramasser de nul prix dedans et autour de la maison , sert à augmenter le fu- mier , étant mis avec eux et mêlé ensemble. Les cimes et tendres rejettons du buis, servent de bon fumier à la vigne, aux oliviers et à tous autres arbres fruitiers. Le foin à demi pourri engraisse aussi la vigne , étant là utilement em- ployé, quand, par inconvénient , il ne s'apprête pas bien sur le pré, ou que le bétail ne veut pas le manger , étant trop grossier , comme celui des palus et marécages; dans un autre endroit, il sert de même, étant mélé avec les susdites matières , pourri et saisonné avec elles, ainsi qu'il appartient. | Quant au point de la lune, où les fumiers doivent étre mis en terre pour s'en servir, ou quels fumiers récents ou rances sont les plus estimés, on ne peut en faire un grand discerne- fent ; n'estimant pas meilleur pour ce ménage Q 246 THÉATERÉE le croissant que le décours de la lune, ni géné- ralement les vieux que les nouveaux fumiers, comme certains veulent. Cette distinction ne peut aussi commodément se pratiquer dans ce commerce rustique , parce que le père de fa- mille a tant d'occupation au cours deé*ses affai- res, qu'il ne se trompéra nullement dans ce cas, én distribuant ses fumiers comme ci-devant il est montré, ét en s'assujettissant au tems de leur application, qui est devant ou dans l'hiver, afin que l'umidité de la saison en fasse péné- trer la substance dans la terré, pour garantir lés fruits des chaleurs et sécheresses importunes, si par hasard le printems se rencontre avec peu de pluie, d'où il arrive souvent qu'à l'arrivée de Fété, les orges, avoines et légumes sont suflo- qués et brülés, quoique les bleds marsés et trémés ne soient semés qu'après l'hiver; le savant agricole n'attendra pas tant pour fumer les terres où il les voudra mettre ; mais à leur seconde œuvre, qui pourra être vers Noël, il y étendra les fumiers qui auront été faits dans ses étables, dépuis les semences d'hiver jusqu'alors, pour de bonne heure incorporer léur substance dans terre à l'utilité susdite, s'assurant qu'en ména- geant ainsi les fumiérs , il né manquera guères 5 à bien rencontrer dans ces semences, qui bien »“ D'AGRIGULTURE 247 souvent trompent le laboureur faute de cette prévoyañce. Les fumiers qui se feront de Noël au-delà : seront serrés pour les bleds d'hiver, qui en seront d'autant mieux accommodés, que la provision en aura été faite plus grande. Tou- chant le fumier des jardins , il n'y a pas grande sujétion, par la variété des plantes qui y crois- sent, lesquelles desirent être semées , plantées diversement , et par conséquent de même fu- mées. C'est l'eau qui fait valoir le fumier en cet endroit , dont le jardinier se sert tout l'été, selon son climat, ainst que du fumier, non cependant en même quantité, que pendant l'hiver et les autres saisons de l'année. Lu GH' APATRETEN Des semences. # é k: E choix des bonnes semences est un des plus importants articles du gouvernement des bonnes terres à grains, sans quoi vous ne pouvez espérer qu'une mauvaise récolte de bleds , mal qualifiés, semés dans vos terres, quoique bien labourées, ce qui donne un coup à notre ménage. Nous y regardons donc soigneusement, afin que : choisissant de bonnes semences, nous puissions tirer profit et honneur de notre labourage. Le père de famille considérera avant toutes choses, quels sont les grains qui fructifñient le mieux dans son terroir, pour les préférer à tous autres ; et suivant les précédents renseignements, il en- semencera toujours sa terre de grains qu'elle rapporte de meilleur cœur , jamais de ceux qu'elle refuse ; et quoique ses grains soient beaux , bien nets et bien nourris , il ne faut pas néanmoins qu'il s'en serve toujours pour semer; mais 1l doit quelquefois s'en fournir d'ailleurs, à cause du profit que le changement a accoutumé et Lau fait DA GRH CULTURE 249 de rapporter. Selon le commun desir de toutes choses quise plaisent par la variété, ce qui se reconnoît évidemment dans cette action ; car la terre se réjouit quelquefois d'étre ensemencée d'autre bled que du sien propre ; et au contraire elle s'ennuye de la continuation des semences nées en elle-même, qui s'y abâtardissent à la longue , quelque bonté qu'ait le fonds, d'autant plutôt, que le terroir se trouve plus humide. De trois en trois, ou de quatre en quatre ans, De remuer la semence il est temps : Et si poursuis le bien de ce minage, Sur tes voisins gaesgneras l'avantage. Dans ce cas, nous remarquerons pour bon ménage , la mutation d'une espèce de bled à un autre ; de froment en seigle, de seigle en froment, et ainsi des autres. Quand notre terre aura porté pendant quelques années du froment ; il faut lui donner après du seigle et ensuite de l'orge, de l'avoine, des légumes , dont vous ti- rerez profit, pourvu que le fonds s'en accom- mode. Dans quelques endroits il s'en rencontre, qui tempérés d'argille et de sablon, soufirent le rapport alternatif de ces diverses espèces de grains. On retiendra donc ce point avec bonne raison comme une maxime nécessaire , de 250 THÉATRE changer de semence de trois ans en trois ans; ou de quatre en quatre. Prendre du bled de votre voisin pour semer, n'est pas le change- ment que j'entends; ce seroit toujours en re- venir à la même chose , comme si vous semiez du vôtre propre. Mais il faut l'envoyer chercher loin de vous, à une ou deux journées de dis- tance , afin que la différence de l'air remplisse votre objet. Chaque province a ses observations particulières là dessus, ayant par de longues expériences remarqué les endroits d'où les se- mences sont les plus à profit, à quoi il faudra s'arrêter: par exemple, depuis Lyon jusqu'à la mer Méditerranée, qui comprend trente ou quarante lieues de traverse, les semences qui montent étant les meilleures ; c'est-à-dire , prise du midi pour être por tée au septentr ion. Dans les environs de Paris, le changement des se- mences est aussi trouvé profitable par la pra- tique des meilleurs ménagers, avec la même observation de monter comme il a été dit ; mais cette montée, se prend au regard des rivières qui, en ce pays-là, descendent vers la Nor- mandie et aux environs. Ainsi des autres, chaque pays en cet important article de ménage , tenant pour loi mviolable scs coutumes profitables ; ;: et de quelqu'endroit qu'on ture les semences, 1 AIG L'OUMLÈIIT U R E. 251 faut toyours regarder que ce soit de terre maigre , pour les loger en terre grasse: ou au moins en terre de même suffisance ; car de les mettre dans une plus foible, le profit en seroit douteux. On voit tous les jours des plantes ar- rachées d'un lieu maigre croître très-bien dans un terrein gras, ét au contraire, ne faire que languir transplantées de fort en foible terroir. En outre, quelqu'espèce de bleds que ce sûit , pour semence, vous en choisirez le grain bien mür , fort pesant, de belle couleur , ni languis- sant, ni ridé ; car étant ainsi bien qualifié, il ne pourra faire qu'une bonne fin. Ce choix soigneux ne peut exactement sc faire , qu'en tirant la semence ailleurs, que de chez vous, aussi vous n'y êtes pas contraint chaque année ; c'est pourquoi, lorsqu'il arrivera d'en venir au change, il faudra recevoir la semence telle que vous la trouverez ; cependant de l'endroit qu'il appar- tient , il faut la choisir, la plus rapprochée de votre intention qu'il vous sera possible ; mais pour les autres années, il sera à votre liberté d'y pourvoir à souhait. Vous destinerez alors les bleds paroïissant dans vos terres les plus mai- gres, peu ou point fumées , qui n'auront pas élé tondus , ni mangés par le bétail, en herbe, vous les laisserez mürir en perfection. Etant 292 WIR A TIRE moissonnés , ils seront battus tout aussitôt dans la grange ou dans l'aire, et ce fort légè- rement, sans violence, afin d'en tirer le bled le plus mür, qui est celui qui le plus facilement se développe de la paille, comme le premier né, se trouvant au bout de l'épi. Cela se fait comme l'on desire , si avec le fléau on bat les gerbes par le bout sans les délier, en frappant tout doucement la sommité des épis. Quelques- uns y vont plus singulièrement, ils arrachent les plus beaux épis des gerbes, et les portent dans la grange ou dans l'aire, et ces bleds choisis sont serrés à part, et ensuite battus comme dessus. Ainsi , la plus franche et plus fertile se- mence se retire pour être employée en saison. Nous discernerons encore cette semence par le van et par le crible , le bon d'avec le mauvais qui pourroit y être, pour rejetter l'un et retenir l'autre , afin que nulle autre semence que fer- tile, ne soit mise en terre. On dit que le fro- ment vert, moisi, ridé et léger, produit l'ivraie, dégénérant en cette plante malfaisante , quand ainsi mal qualifié , il est semé en terre aquatique , ou que l'hiver est extraordinairement pluvieux. J'ai moi-même égrené un épi de froment, dans lequel se trouvèrent quelques grains d'ivraie , ce qui me fait ne pas révoquer en doute, que NMUA Se KR EOUIATIU RE, 233 le froment dégénère en cette graine malfaisante ; c'est aussi une chose crue de plusieurs, que livraie née du froment, semée en bonne saison, produit quelquefois du froment de belle appa- rence ; mais tenant du naturel de l'ivraie, il rapporte sa malignité au pain qui en est fait, donnant des maux de tête à ceux qui en man- gent ; en outre , ce froment semé produit de l'ivraie, et non du froment. À la recherche de la bonne semence sera ajoutée l'eau, dans laquelle, pour la perfection d'épreuve, le bled prêt à être mis en terre, sera jetté et trempé : la plus saine partie, comme la plus pesante , tombera au fonds, l'autre infer- tile, par sa légèreté, nagera au-dessus , d'où elle sera dès aussitôt recueillie avec une cuillier per- cée : pour être donnée à manger à la volaille, ou envoyée moudre pour le pain du ménage. La bonne étant un peu sechée jusqu'à ce qu'elle ne tienne plus aux mains, ce qui se fait en la remuant et éventant , ainsi humide , sera semée, et sortira de terre hâtivement , évitant par la le danger d'être rongée aux champs par les insectes, souterrains , et de s’y étouffer en attendant le temps propre à la faire naître, qui souvent tarde beaucoup. Que ceci ne vous semble ni trop soïgneux , ni trop pénible, pour vous dé- 204 THÉATRE tourner d'un ménage si profitable. Vous aurez deux cuvettes de pareille grandeur, chacune accommodée d'un robinet en bas, pour vuider l'eau après en avoir ôté le bled léger nageant dessus, en l'écumant , l'une sera toujours pleine et l'autre vuide ; l'eau de la première sera mise sur la dernière , et le bon bled étant à sec sera mis éventer sur des toiles, et delà porté dans des sacs au champ : ces deux cuvettes servant ainsi alternativement avec beaucoup de facilité. Cette opération se fait dans la matinée sans perte de tems, lorsque les laboureurs et le bétail dinent et s'apprêtent pour leur ouvrage. On doit observer qu'il faut nécessairement semer plutôt le bled nouveau que le vieux, parce que le plus récent est toujous le plus fertile, et le rance au contraire est impropre à fructifier; il ne faut faire nul cas, non plus, pour semence , du bled de deux ans, peu de celui d'un ; mais il convient de préférer à tout autre, le cueilli de la même année qu'on le sème. Voici un autre moyen pour faire profiter plus que d'ordinaire la se- mence jettée en terre, dont l'invention est d'autant plus subtile, que la preuve l’a auto- risée. Le bled destiné pour semence, soit fro- ment , seigle ou orge , sera mis trempé durant vingt-quatre heures dans l'eau engraissée avec DAGRATCU Ê TU RE. 255 le meilleur fumier que vous pourrez trouver; voici la fâcon de l'engraisser : ayez un grand cuvier , et remplissez-le environ aux deux tiers de ce fumier-là ; après achevez de remplir votre cuvier, d'eau de rivière, que vous y laisserez séjourner environ deux jours , et ensuite vous en sortirez le fumier , qui par ce moyen aura laissé toute sa force, et pour communiquer la vertu de cette eau ainsi engraissée , à la semence, vous la mettrez tremper dans icelle ; mais il faut ob- server qu'en sortant de cette eau la semence qui y aura été mise, il faut la faire secher à l'ombre, et dès qu'elle sera sèche la semer , Sans attendre qu'elle perde sa vertu nouvellement reçue, en trop se dessèchant. Par ce moyen, la semence ainsi préparée , rendra avec étonne- ment dix-huit ou vingt pour un. Si dans l'année suivante vous desirez avoir sur le méme bled une pareille multiplication , il faudra pratiquer le même remède ; car cette vertu du fumier ne s'étend pas plus lon que d'une année. Les mesures des terres n'étant pas par-touf semblables, ni les propriétés des terroirs géné- ralement d'une sorte, font qu'on ne peut juste- ment ordonner, ni de la semence, ni du tems qu'on à à employer au remplage et à la culture de chaque arpent de terre. Le laboureur sera 256 THÉATRE seulement averti de ne pas donner tant de se- mence à la terre maigre, qu'à la grasse , par la foiblesse de la première qui ne peut souffrir tant de charge, que la force de la dernière. Cepen- dant contre l'opinion de quelques-uns qui veu- lent le contraire, fondés sur ce que la terre grasse par sa fertilité , fait abondamment mul- tiplier les grains , c'est-à-dire qu'un grain y fait plusieurs épis, et que le bled doit cependant y être semé clairement; au contraise de la maigre, dans laquelle le bled ne fait autre chose que naître sans multiplier, et que n'étant pas chargée de beaucoup de bled , elle se trouveroit trop claire sémée, parce que, dans quelque lieu que ce soit, quelque portion de semence se perd toujours dans la terre. Ces deux avis contraires ont été anciennement soutenus par Columelle et Pline , leur décision appartenant à tout mé- nager, fera que la patience d'une couple d'an- nées , le guérira de ce doute pour savoir à quoi s'en tenir , selon la nature de son air et de sa terre. On est par-tout d'accord, qu'il convient de donner plus de bled à la terre, plus elle est chargée d'arbres, et plus elle est aquatique; alors plus tard doivent se faire les semences, parce que les ombrages, les eaux et les prochaines froidures de l'hiver , en font toujours perdre quelque D'A GRUMCULTURE 559 quelque peu ; les semences étant fortifiées par le calme ge l'automne , résistent quelquefois à ces désastres , à quoi il est nécessaire de prendre garde. Quant à la longueur du tems, ce sera le moins qu'on pourra y en mettre, en s'em- ployant à ce travail (la plus remarquable du labourage ) avec une extrême diligence , tant pour la nature de l'œuvre , toujours plus profi- table, avancée que retardée, que pour donner le tems à nos laboureurs, de continuer leurs charges pour les champs qui restent à cultiver. Après avoir montré la vraie manière de pré- parer la térre pour y mettre toute sorte de bleds, il est maintenant à propos de traiter particuliè- rement de leur nature , de leurs espèces et diflé- rences. Sur quoi il est à noter que ce mot 4/ed est plutôt barbare , corrompu de l'italien , que tiré d'autre langue , et il est pris généralement pour tous grains, jusqu'aux légumes bons à manger ; celui de froment, venu directement du latin, et des anciens Romains jusqu'à nous, est un peu plus particulier , comprenant néan- moins toutes sortes de grains à faire du pain pour la nourriture des hommes, qui sont ceux quenous appellons aujourd'hui froments, épeau- tres, seigles, orges, millets et avoines. Dans plusieurs endroits de ce royaume, on entend Tome I. R 258 THÉATRE par le bled , le pur froment, comme ancienne ment par le mot semence, l'épeautre. Du fro- ment reçu par nous à la longue, se sont faites des subdivisions, en étant reconnues de six à sept espèces , qu'on remarque aujourd'hui, dont les uns sont barbus, c'est-à-dire , ayant des ar- rêtes en leurs épis, et les autres raz, n’en ayant aucune. Quant à leurs noms, les anciens et les modernes leur en ont tant donnés, que celui qui voudroit s'y arrêter, n'y trouveroit que confusion , étant autant diversifiés les uns des autres, comme il y a de terres qui les produisent. Tr4cum est le mot latin par lequel les anciens ont exprimé toutes sortes de froments, dont généralement ils se servoient, qui peuvent se rapporter aux nôtres de ce tems, qu'ils ont particularisé en plusieurs espèces, comme s///g0, qui est un fro- ment fort blanc et bon. Trajos, olyra et autres diversement nommés, qui sont tous froments dissemblables en quelques parties les uns des autres, et quelques-uns comme batards dégéné- rant quelquefois des légitimes. Columelle fait mention de six espèces de froment , deux de raz et quaire de barbus, qu'il nomme: #/ancé ; rougeäire, pouilé, et le barbu marsé, autre- ment escourgeon. Sur toutes ces espèces des an- ciens ont fait plus de cas du rougeètre que de D'ÂAGRICULTUR E. 25% nul autre, qu'ils ont appellé froment rouge , et par honneur far adoreum ; cax de çe mot fur, est venu la farine, comme voulant dire, que celle-ci est la seule espèce de bled produisant une chose si précieuse et nécessaire, bien qu'elle se tire de tout autre bled, même des légumes, tous grains indifféremment faisant farine. Tou- chant l'épithete adoreum , il est vraisemblable qu'elle lui a été donnée, ou par excellence , comme méritant d'être adorée par sa valeur, ou parce que les anciens Payens présentoient de ce bled à leurs dieux en les acdorant. Ce sont la couleur et la figure des froments qui, aujour- d'hui , nous les font discerner , et non pas les noms, différents selon les lieux où l'on est. Et l'on peut dire avec raison, que le froment rouge est celui, dont presque partout ce royaume , l'on se sert le plus , appellé en plusieurs endroits le rousset, à cause de la couleur de sa barbe qui est rousse ; cette semence a té chèrement _ conservée de père en fls jusqu'à nous, tant à cause de la bonté de son grain, que par la fa- cilté de sa conduite, venant aisément en ter- roir de moyenne bonté, sans trop craindre les brouines etles injures du tems. À celui-ci nous accouplerons une autre sorte de froment par la conformité de leur nature, dans la manière de R ji; 262 THÉATRE les gouverner et leur rapport, en nulle autre chose dissemblable qu'en couleur, et n'étant pas aussi haute, l'azfèque, ainsi appellé par plu- sieurs , et par d'autres la serssette. Le silig0 ou &lancé de Columelle peut se rapporter au gros bled blanc, qui a l'épi quarré , fort estimé par son bon rapport, semé en bonne et grasse terre. Il y a une espèce de froment discordanie des autres pour le tems de le semer, car il se met en terre au printems comme les orges. C'est le barbu marsé de Columelle, dit l'escourgeon , des Savoisiens primaso, et des Piémontois, marzol. Les Italiens, Piémontois, ceux du Languedoc et de la Provence , s'accordent à ce mot, /ozelle , qui est un froment raz, prisé par-dessus tout autre, par sa délicatesse à faire du pain , et aussi par sa crue facile ; mis en terre de moyenne bonté , ne craignant pas trop le mauvais tems. Columelle fait deux espèces de froment raz, préférant le plus gros , ayant l'épi quarré , à l'autre. On peut facilement remarquer le bouchard par sa couleur brune, et par son épi gros. Il fait une bonne fin , fructifiant au- tant que tout autre, mis en terre grasse et bien cultivée. Or, comme nous ne connoissons pas en ce tems-ci les autres noms des anciens, de même les nôtres d'aujourd'hui ne peuvent être DU ANG R EC/B'LITÉÈU'R E. 261 reçus par-tœut. C'est pourquoi notre ménager se souciera fort peu de cela, conservant cette curiosité pour la recherche de la nature de ses semences et de ses terres, selon leurs différences, afin de les assortir ensemble, pour que, par cette correspondance , le bled et le fonds fassent leur devoir, en remplissant ses greniers par leur abondance. L'épeautre dite des Grecs zezæ, et des Latins zea ou semen , est une espèce de froment ; son grain, ébouré et dépouillé de ses pellicules, de- vient après, un des plus délicats froments, très- propre à faire du pain blanc et friand ; mais comme en cela il n'y a pas de profit, ne ren- dant que fort peu de farine et beaucoup de son étant moulu ou pelé, cela fait que maintenant cette sorte de bled n’est pas beaucoup prisée en ce royaume. Au contraire , en Îtalie au tems passé * l'épeautre étoit mise au rang des premiers bleds par les anciens Romains, l'appellant par singu- larité, semence , comme j'ai dit. Hésiode même a donné le titre principal à la terre produisant l'épeautre , en la nommant zeidoros aroure , que quelques-uns ont interprété, £erre donnant la vze, comme si de ce seul grain , les premiers . hommes faisoient le pain pour vivre, quoique ce titre représenté à la lettre signifie, zerre R ii 262 THÉATRE portant épeautre. Elle est encore en réputation . dans certains endroits de l'Italie, de l'ANemagne et par toute la Suisse. Il ÿ en à de différentes espèces , ainsi nommées anciennement 27ÿñea , typha et autrement. Nous en reconnoissons au- jourd'hui deux principales, dont l'une plus pri= sée , est beaucoup plus grosse que l'autre ; au- cune n'est pourtant délicate, les deux souffrant qu'on les mette en terre légère et argilleuse , dans laquelle le froment et le seigle ne peuvent profiter, ce qui est cause que les ménagers se servent de l’épeautre, pour employer leurs pauvres terres où ce grain profite assez bien, moyennant qu'on le sème de bonne heure, ce bled étant le plus hâtif à semer, et le plus tardif à moissonner, demeurant en terre plus que tout autre. Sa paille n'est pas une bonne nourriture pour le bétail, elle est dure et-de petite substance, T,épeautre a cela de commun avèc le froment , qui est de dégénérer en une autre éspèce ; mais c'est en avoine en quoi elle se change à la lon- gue, quand la semence mal qualifiée par trop de vieillesse ou autre vice, se trouve mise en ierre aquatique , maigre et mal labourée. Quant au seigle, appellé en latin secale ou Jfarrago ; on en reconnoit de deux espèces, dont l'une est dhiver, et l'autre de printems DABE TO UËUBTURE 263 cette dernière est appellée par quelques -uns tremèse. Œous ces fromens et seigles veulent étre semés avant l'hiver, excepté les deux re- marqués , au printems ; mais sous cette obser- vation particulière, comme il a été touché, qui est de mettre les fromens dans une terre plus argilleuse que sablonneuse, plus humide que sèche , et sous un air plus chaud que froid. Ainsi, pour semer convenablement les fromens, il est nécessaire d'attendre la venue des pluies, et qu'elles soient passées pour adoucir et hu- mecter la terre ; mais il n'est pas besoin d'y regarder de si près pour des seigles : c'est sui- vant l'ancien commandement. Les fromens semeras en la terre boueuse, Les seigles logeras dans la terre poudreuse. Le méteil est une composition de froment et de seigle, ainsi appellée en France , soit à cause - que les métayers en font leur pain de ménage, soit que ce mot est dérivé du latin rnetellum. Dans plusieurs endroits du Languedoc et de la Provence , il est nommé 77escle ou cousseqail. On sème le méteil en même tems et en même lieu que es fromiens et seigles ; et la terre abonde plus en l'une de ces deux espèces de bled, que plus particulièrement le fond s'y approprie, KR iv | 264 | THÉATRE Il y'a des orges d'automne et de printerms: Celles d'automne se sèment en terre grasse , bien fumée et bien labourée. Ce sont celles qu'on appelle chevalines, parce que leur herbe est très-bonne pour purger ct engraisser les chevaux à la prime-vère. Elles sont d'un grand secours aux pauvres gens, quand on moissonne les premières müres, dans l'arrière saison de l'année , quoique de nourriture grossière ; et comme ce bled est hâtif à semer et à mois- sonner , 1l l'est aussi à manger, ne pouvant se conserver long-tems, par cette raison, l'on n’en garde que pour semence. La vraie saison des autres orges pour être mises en terre È est après les froidures de l'hiver. Quelques-uns néanmoins en font en automne; mais elles courent le hasard de périr par le froid prochain, outre qu'à ce mauvais ménage, on ne met pas communément ces grains en terre de relais (comme il convien- droit de faire en les semant sitôt ) , mais dans celle qui, ayant porté du froment ou du seigle, reçoit encore cette année de l'orge au printems à cause de sa bonté. Ces orges sont communé- ment appellées paurnès où paumoules. Il y en a de différentes espèces, dont les uns ont plus de deux rangées de grains dans leurs épis. Les orges profitent bien, ayant le fonds et le tems DR PT 0 ne PE DA GR 1 CU L TU R E. 265 propres à leur naturel , qui est une terre plus légère que pesante, plus sèche qu'aquatique, grasse, bien fumée, facile à labourer, et qui soit arrosée par de fréquentes pluies dans la prime-vère ; ces choses manquant, il ñe faut pas beaucoup espérer des orges. Si elles ne gâtent pas la terre, au moins elles la dessèchent tant , que ce qui y est mis ensuite s'en ressent beaucoup , ne pouvant y profiter après, même par leur grande siccité, elles nuisent à toutes sortes d'arbres, quand sur leur maturité , elles rendent un air incommode par trop de chaleur , spécialement aux jeunes plantes qui en sont suffoquées. C'est de-là que les anciens ont or- donné que les orges fussent mises dans une terre si grasse, qu'elles ne pussent trop impor- tuner, Ou si maigre, qu'elles ne pussent en être empirée. Les orges sont de bon service pour les hommes et pour les bétes: le père de fa- mille doit en faire cas pour le pain de commun, tant pour rendre beaucoup de farine, que par la vertu qu'elles ont d'éteindre là malignité de livraie. Car l'orge, mélée avec d'autres bleds chargés de ce grain vicieux, empêche d'avoir des maux de tête ; par cet avantage, on emploie toute sorte de bleds, pour le pain du ménage, quoique chargés et peu nets. Autrement, et au 266 THÉATRE défaut des orges, on seroit contraint de donner ces bleds sales aux volailles et autre bétail. D'un autre côté , les orges sont très-profitables et saines, mangées en potage pelées et émondées ; et encore à différents usages de médecine, qui les rendent recommandables. Les millets suivent les orges ; savoir, en uti- lité, ils servent comme elles aux vivres des hommes, non pas quant au tems des semences, vu qu'entre deux , il convient de faire les avoines. Les millets sont fort propres à la ménagerie , tant pour être mangés en pain fait de ce seul grain , cuit, ou au four , ou dans l’eau bouillante, en potages pelés et émondés comme les orges, que mélés avec de l'autré bled ordinaire ; en tems de famine ou de cherté, ils sont de grand secours au pauvre peuple , et toujours néces- saires pour la nourriture de la volaille. Ayant le fonds et la saison à commandement , comme * des terres bonnes, bien labourées et fumées , et très-souvent arrosées par les pluies d'été, ils multiplient prodigieusement, ce qui leur a fait donner le nom de 7777 ou mrllet , voulant dire que d'un ilen procède mille. Aussi, voit-on irès-souvent , que de quelques poignées de se- mence de millet, il en sort plusieurs charges. Il y a diverses sortes de millet, nommées aussi 'D'A Ë À FE ULTUR E. 267 différemment .. selon les éontités où l'on "ést. Les principales et les plus estimées sont celles, qui ont le grain rond et jaune, qu'on appelle seulement, mil et panil. L'épi du mil ressemble à un panache branchu : celui du panil, à la queue du renard, étant au reste de semblable couleur de grain et de paille , qui est jaune. Il ÿ a de ces deux sortes de millet, de diverses hau- teurs , les tiges des uns atteignant jusqu'à la bauteur d'un grand homme ; les mil et panil en cette qualité surpassant une autre espèce de millet ; car sa tige monte de dix à douze pieds, étant, au reste, son grain semblable aux autres. EH rend admirablement étant mis en bonne terre, un peu humide et arrosée. Sa tige a le bois ferme comme des roseaux, aussi nouée, mais remplie de moëlle. On s'en sert par sa fermeté ét sa légèreté à faire des canisses ou tables pour nourrir des vers à soie, et secher des fruits, à quoi elle se trouve fort propre. Le millet sarrasin est une autre espèce, cependant très-différente des précédentes en toutes ses parties. C'est celui qu'en France l'on appelle le bucail. I à la paille rouge , est enjambé , la tige branchue, le grain noir , fait à angles, la farine en dedans fort blanche. Son principal service est d’être mêlé avec l’autre bled du ménage pour le pain du 268 THÉATRE commun ; séparé, il n'est pas à rejetter. Il est propre à engraisser les pourceaux, en leur en aonnant en farine avec leur boisson. La volaille, les pigeons et les poules , refusent de le manger à cause de sa couleur noire ; mais l'ayant goûté, ils s'en nourrissent très-bien. Il profite en toute terre, même en maigre, où communément aussi on le met , et qu'il améliore. Quant au gros grain de Turquie, sa grosseur, sa couleur et la figure de son épi, rendent incertain dans quel rang de bleds on doit le placer, n'ayant autre chose de commun avec les autres millets que le nom et la saison de le semer; Pline l'appelle 7727/et d'Inde. En Italie, il est différemment nommé selon les lieux; savoir. melega, melyca, saggyna, sorgo. Son tuyau ou chalumeau est gros comme un petit roseau ou canne, peu élevé sur terre. Ses grains ressemblent à des petits pois en figure et grandeur. Il yena de différentes cou- leurs, de blancs , de rouges, de jaunes, de tan- 0 nées et autres , l'épi renfermant les grains .est couvert d'une grosse gousse, semblable à celle de l'herbe que les apothicaires appellent 7arrus. I! rend beaucoup de farine, veut être semé ra- rement, un grain loin de l'autre, et pourvu qu'il soit en bonne terre , il fructifie abondam- ment. Les millets communs desirent étre aussi Re D'A GR TCULTUR E. 269 en bonne terre, bien cultivée, bien famée. C'est pourquoi plusieurs les font sur les terres de nouvelis ou de gueret-vieux , qu'on prépare pour les fromens ou seigles, afin de les y semer après avoir moissonné les millets. Mais d'autres, avec plus d'avantage pour le fonds, les sèment après avoir enlevé les fromens et les seigles , comme il sera montré ci-après. Nous avons plusieurs sortes d’avoines, de figures peu différentes entr’elles. C'est seule- ment de couleur, de grandeur et de poids, qu'elles varient selon les lieux où elles croissent, et le tems de leurs semences. Les meilleures sont les plus noires, les plus grosses et les plus pesantes ; elles abondent plus dans ces qualités, que plus le terroir leur plait , et que plutôt elles sont mises en terre, dans le tems près de la pleine lune, en sa descente. Comme au con- traire , elles demeurent blanches, petites ct légères, si on les sème dans une terre qui ne leur convient pas, tard et en lune nouvelle. Pour de bonne semence, l'avoine sera choisie qualifiée comme dessus, qui ait été moissonnée bien mûre , et parfaitement bien sechée en gerbe avant de la serrer, de peur de lé- chauffaison , qu'elle craint par dessus tous au- tres grains, jusqu'à en devenir stérile, n'étant 270 THÉATERRZ pas possible de faire naitre et sorur de terre l'avoine qui aura été échauflée. Quant aux légumes , ce sont les bleds dont il ya le plus d'espèces, différentes en toutes qualités. Les principales, et plus généralement connues, sont les fèves, pois, fazeols, geisses , pois chiches, poisillons , vesces, lupins, orobe ou ers , cumin ; fenugrec. Ils sont appellés lé- gumes, du mot latin /egere. Dans les endroits où la terre n'est pas du tout propre aux légu- mages, on se contente d'en faire quelque peu dans les jardins, des espèces les plus faciles à venir , selon le lieu, comme pois et fèves, qui fructifient presque par-tout. Mais dans les lieux où entièrement le climat et le fonds leur agréent, les légumes sont exposés en pleine campagne, comme les autres grains , à cause du profit re- venant de ce ménage, heureusement pratiqué au Puy en Velay et aux environs , d'où il sort abondance de légumes pour la provision des provinces voisines. [ls se sèment dans les deux saisons de l'automne et du printems, excepté les chiches, qui ne pouvant souflrir les froi- dures , ne veulent êire mis en terre qu'après l'hiver. Ceux qui sont faits dans l'automne fruc- tifent bien, si le ciel n'est pas trop froid, ni da terre trop forte, cependant vigoureuse ; sur-tout 1 D'AGRICULTU R E. 22 les fèves menues qui sortent mieux de lhiver que les grosses. On doit avoir la même consi- dération du choix des semences des légumes , que pour celles des autres bleds. Savoir, de les prendre en lieu maigre , pour les mettre en lieu gras, et aussi de les tremper dans l'eau pendant _ vingt-quatre heures, avant que de les jeiter en terre , tant pour discerner par cette épreuve le bon d'avec le mauvais, que pour recueillir la semence , afin qu’elle germe et lève plus facile- ment. Comme les qualités des légumes son dif- férentes , ils demandent aussi différentes sortes de terroirs, fructifiant plus néanmoins en bonne qu'en mauvaise terre ; même les chiches, qui ne prospèrent jamais bien qu'en terre neuve, et autrement fort fertile; au contraire des lupins, qui se plaisent mieux en fonds maigre qu'en gras , les autres légumes. demeurants indif- férents. Nous commencerons à labourer à bled, nos terres, comme on dit en France, dès l'entrée de septembre, quand nous serons assurés de nos semences ; c'est-à-dire, à jetter la semence en terre, sans d'autre attente que le beau items. Dans le mois d'août mous semerons les seigles, si le paysest froid , afin que les semences soient en mpttes, avant l'arrivée de l'hwer , pour pou- pi LH 'É A TM voir résister aux froidures excessives , qui tuent quelquefois les bleds ; le seigle étant la sorte de bled, qui, sous tous climats, veut être la pre- mière semée. Les orges, chevalines et d'hiver, viennent après, ensuite les froments, meteils et avoines d'hiver. Si, dans le gouvernement de la ménagerie , il y a du hasard (comme nulle chose de ce monde n'en est exempte), c'est en ce point des semences que l'on y en remarque le plus ; car quelque peine qu'on ait prise du- rant toute l'année à labourer et préparer la terre , de toutes les manières dont on aura pu s'aviser, ce sera compté pour rien , si la bonne saison naide à l'ensemencement ; le tout provenant de la température de sécheresse et d'humidité , selon la nature particulière des grains, qui demandent le sec ou l'humide plus ou moins les uns que les autres, comme il a été montré. Moyennant quoi, le fonds se trouve humecté par les précedentes pluies , éventé par le beau tems présent, sec et serein, et se rend propre à recevoir les semences , pour facilement germer , lever pr'omptement et sortir de terre ) sans être exposées à la merci des fourmis, ver- mines et autres insectes qui les y rongent avec d'autant plus de perte, qu'elles demeurent plus long-tems à naître, et elles ne seront pas suffoquées DA CGRÉGU LIT U RE, 275 suffoquées des mauvaises herbes, qui, arra- chées de terre par le labour, n'y pourront re- prendre faute d'humidité. Rien autre chose ne peut nous faire jouir de cette occasion , que la diligence, pour saisir exactement le vrai point de la bonne saison des semences , en les expé- diant de tous labours, de peur que les pluies de l'automne survenant sur l'ouvrage, ne nous renvoyent trop avant dans l'hiver, et nous fassent tomber dans une perte réelle. | L'antiquité dit là dessus : Si tu veux bien moissonner, Ne crain de trop tôt semer. c'est pourquoi nous sommes poussés à avancer nos semences par l'espoir du profit. Les meil- leurs ménagers, instruits par de longues ex- périences , méprisent les semences tardives ; quoique fructueuses, souhaitant que leur rap- port soit brûlé pour l'exemple, comme ci-devant il a été touché, afin que leur fertilité ne rende pas le laboureur nonchalant; car il est aussi rare d'en avoir une bonne issue, que d'en avoir une mauvaise, des hâtives, faites en saison , et favo- risées du tems suivant. C'est néanmoins selon la faculté des terroirs et climats, qui veulent être plutôt où plus tard ensemencés les uns que Tome I, S / 2796 THÉATRE les autres, l'expérience fait voir que la majeure partie du terroir d'Orange ne veut pas être semée aussitôt que celui de son voisinage. Avis dont ceux du pays feront leur profit, et on re- cevra généralement celui-ci, qu'il vaut mieux s'avancer que de reculer à. jetter les semences en lerre. Les premières feuilles des arbres tombant d'elles-mème en automne, nous annoncent l'ar- rivée de la saison des semences; les araignées terrestres aussi par leurs ouvrages , nous solli- citent à jetter nos bleds en terre; car jamais elles ne filent en automne, que le ciel ne soit bien disposé à faire germer les bleds nouvelle- ment semés. Ce qui aisément se connoît à la lueur du soleil, qui. fait voir les filets et toiles de ces insectes traverser les terres , en rampant sur les guérets. Instructions générales qui peuvent servir et être communiquées à toutes les nations, pro- pres à chaque climat, chaud, froid, tempéré, ce qui provient directement du bienfait de la nature, qui par ces choses abjectes et mépri- sables, sollicite les paresseux à. mettre la der- nière main à leur ouvrage, sans user d'aucunes remises ni longueurs. Il y a six semaines de bon items pour les semences, pas davantage ; | on commence dans les lieux tempérés , environ D'AGRICULTURE 27% au quinze de septémbre ; mais les meilleurs Jours sont les dixgde la fin de septembre, et les dix du commencement d'octobre, qui, ou la plu- part, $e rencontrant au décours de la lune , de- viendront entièrement propres à cette opération, selon Fopinion commune des bons laboureurs, qui, par excellence appéllént ce terme de l'année, la bonne lune: Plusieurs bons ménagers ne se soucient point de cette observation , soit à cause de la presse de cette fatigue, qui ne leur donne pas le loisir de s'informér du point de la une ; ou que suivant leurs coutumes, il n'est pas besoin d'en distinguer les termes pour semer les bleds, à quoi je les renvoye ; même à ce dont ils se sont bien trouvés de père en fils; ceci étant une chose assurée , qu'à la culture de la terre, sa nature et sa situation sont de grande réussité. Palladius dit que les ouvrages des champs ne sont. pas trop avancés ni reculés, faits quinze jours pluiôt , ou: quinzé jours plus tard, que de leur vrai point ; ce sera à l'avis d'Hésiode où nous nous arréterons : il commande au laboureur de cultiver sa terre, la semer , en moissonner le bled étant nud ;. c'est-à-dire, qu'il convient en beau tems de se dépécher sans être chargé d'habillement, Aiñsi , nous er dr nOS se Pr ij 270 THÉATRE | mences, sans laisser écouler les bonnes saisons et avant l'embarras de l'hiver. La semence sera répandue le plus également qu'on pourra, et couverte de terre seulement de deux à trois doigts, afin de la faire naître et croître avec profit , plus ou moins de terre Jai étant nuisible. Le bled inégalement semé ne peut naître qu'inégalement ; c'est-à-dire , épais d'un côté et clair de l'autre ; d'où il arrive qué trop pressé dans un endroit, il ne peut avancer qu'en longueur ; dans l’autre, les mauvaises her- bes croissant parmi le vuide qu'elles y trouvent, le suffoquent ; et celui. qui est trop chargé de terre s'échaufte à cause de la pesanteur d'icelle , n'en pouvant Sortir; ainsi on voit ces inégalités préjudicier beaucoup à ce ménage. Presque tous les ménagers se trompent en cet endroit; mais ceux qui couvrent les bleds avec la herse ont la vrai méthode de bien semer, parce que la herse les répand également en les fourrant dans terre à la proportion de ses chevilles , selon la longueur ! que vous leur aurez donnée, et est l'instrument propre, reconnu par l'expérience. Il est raison- nable de confesser que la plupart des semences se perdent dans terre , ou qu’elles ne font com- munément , même dans les bonnes terres, que pt A7@ R 1 C!USL: TU R E. 25q rapporter eimiq ou six, comme il a été dit ci- devant ; au! héu-que si toutes les semences ve- noïent là bien , il faudroit qu'elles rendissent cinquante ou soixante pour un, ét même davan- tage , parce ‘que d'un grain il sort plusieurs épis, et que chaque épi produit plus de vingt grains, comme cela se remarque oculairement. Les fourmis , les vermines, les oiseaux et autres insectes en gâtent bien une bonne partie, mais non pas tant que nous n'en ayons de reste, la plupart de cette perte provenant de la manière de semér:et couvrir ; ensuite ajoutant le mau- vais choix de la semence , il n’est pas étonnant si nos terres ne répondent pas à notre attente. Prenant la peine d'aller après le laboureur, vous le remarquerez facilement, lor$qu'avec le soc il couvre Jatsemence. Le semeur, quelque bonne main qulait, jette la plupart du bled dans le fond de lignes ; où en roulant il s'amoncellé £commé dans des vallons , sans pouvoir s'arrêter sur la crête de rayes par leur rehaussement , et il'se trouve plus de semence dans un endroit que dans l'autre. Il ne reste pas un seul grain de ‘bled où la pointe du soc passe ; mais aux côtés tous:s'assemblent vers les oreilles ou les écus du soc, qui en confusion les y entassent les uns sur des autres, ce qui est cause que la moindre partie Siïj 280 T'H:É VAT HE de la semence vient à bien, étant celle qui se trouve commodément couverte de terre ; qu’on voit pousser Ja première, paroissant ! à la crête et dans les côtés du rayon, selon le chemm du soc ; et s'il se trouve beaucoup de bled qui pousse au fond du rayon, c'est par la bonté de la température des tems et de la fertilité de la terre ; faisant germer et multiplier à: la longue ce peu de grains qui s'y trouvent nés , de reste se dissipant, comme si on le jettoit à la rivière, à noire perte et au déshonneur de nos terres. Quand on couvre les semences avec la herse on remédie à ce défaut , tant l'art a de pouvoir, parce que les bleds sont également répandus dans terre, comme 1l a été montré, laissant les évènemens à Dieu qui donne la naissance et l'accroissement de toutes choses. L'on peut se pourvoir par-tout de bonnes semences , mais non pas se servir de herse en tous lieux } par les différentes qualités et situations des terroirs. Là, où le fond n'est pas pierreux, nitrop pen- dant, la herse jouera facilement, c'est pourquoi servez-vous en, sans mettre en considération les coutumes , vu que vous ne sauriez les rompre pour une meilleure occasion ; mais si le heu ne s'y accommode pas, vous serez forcé de faire vos semences au soc ; et pour qu'il y ait moms DA CHITULTE RE. 281 de perte , yous adoucirez le naturel du soc aux deux dernières œuvres que vous donnerez à votre terre, l'une un peu devant, et l'autre aussitôt après avoir semé , en observant que les lignes soient tout-contre l'une de l'autre, pour applanir autant qu'on pourra le plan général de la terre, et imiter l'ouvrage de la herse , afin de répandre uniment la semence dessus; ce qui - pourra se faire assez bien, s'il n'y a pas beau- coup d'enfoncement ni de rehaussement sur la terre ainsi labourée. Quant à couvrir la semence, ce sera au laboureur de l'imiter en cela, en don- nant à son soc autant de terre qu'il voudra, peu ou beaucoup, selon la mesure dont il veut charger sa semence ; mais il n'y a aucun remède pour réformer le vice du soc, en ce qui est d'amonceler la semencé sur les côtés. Par cette cause, la herse demeure pour cette opération le plus propre de tous les instrumens, elle fait naître et lever la semence également, la fait sortir de terre comme les herbes des jardins et des prairies, ce qui est très-agréable à la vue, comme on le remarque avec plaisir dans l'Isle- de-France, vers Saint-Denis et ailleurs ; c'est Pourquoi on à raison de s'étonner de voir la herse rejetiéé dans beaucoup d'endroits, où elle pour- roit avantageusement servir, et dont on ne se S iv 282 eg TL CAGE É TE sert que dans peu de contrées : erreur des plus apparentes dans l'agriculture. La herse ne lais- sera pourlant pas de jouer , quoique le-fond soit chargé de toutes sortes de pierres , j'entends la roulante , qui facilement passera par-dessus les petiles pierres qui n'excèdent pas la: grosseur d'une noix, ce que la rampante ne pourrait faire, parce que son cours est en trainant et en arra— chant ; mais n'importe laquelle des deux herses que ce soit, outre l'utilité susdite , elle est d'au- tant plus nécessaire, qu'elle mène six fois plus de terre que le soc; chose très-avantageuse dans la saison pressée de semences, où l'on compte les heures et les momens pour expédier la be- sogne avec prompttude ; et, quoiqu'il faille en- core , pour couvrir la semence , que la herse passe deux fois dessus, l'une en long et l'autre en iravers, au lieu que le soc fait cela en une seule venue, elle ne laisse pourtant pas d'être de plus grande commodité que le soc, ainsi que la pratique le manifeste. Plusieurs, au contraire, regardent les bleds semés comme il faut, quand toutes les rayes laissées ouvertes, paroïissent évi- demment, avec un grand rehaussement: et en- foncement. À cet effet; ils font les lignes de l'ensemencement fort éloignées l'une’ de l'autre; fondés sur ce que les grains ainsi couverts ne D’ À G R:1-C U LT U R E. 253 craignent, pas tant les eaux de l'hiver, qu'autre- ment logés ; ces eaux s'écoulant au fond du rayon , les bleds demeurent en assurance sur les crêtes et les côtés; mais cela n'est qué crépir la muraille, qui tombe de vieillesse , au lieu de la rebâtir : ces sommaires vuidanges ne guérissant pas le mal que les bleds endurent, par les eaux, par leur petitesse, incapables de. les recevoir, ni écouler. C'est seulement par des fossés creusés profondément , tenus ouverts ,. ou comblés en partie de pierres, comme il,a été ci-devant en- seigné, qu'on épuise les eaux nuisibles souter- raines ; par des rayons faits sur la superficie du champ, celles de la pluie, à l'aide aussi desdits fossés, et cette perte provient toujours de l'as- semblage confus et incommode des grains semés au. soc, où il. y-a d'autant plus de perte, que la distance est, plus. grande d'une ligne à l'autre. La -crainte,des,eaux fait que dans beaucoup d'endroits on dispose le labourage: par sillons youtés et rehaussés.en rondeur, enfermés entre deux lignes paralleles, larges et profondes, sem- blables à de petits fossés, selon la: pratique de la, Beauce , et. d'ailleurs, aimant mieux courir le. hasard de mal labourer la terre, que d'ex- poser leurs bleds à:la merci des, humidités ex- irêmes ;, sur. quoi. sans crainte ,d'enfreindre les 284 bé, TH É A TIRE privilèges des coutumes , je dirai qu'on manque ; lorsque , contre les préceptes de l'art, la terre mest pas enire-croisée par la culture pour la briser, ainsi qu'il appartient. La fertilité du ferroir de la Beauce ( reconnue grande par abondance des grains qu'il rapporte ) suppléant au défaut du faboureur. Aussi quelques-uns disent, que de répartir la terre en sillons, lors- que l'on ensemence , est un avantage pour mois- sonner, ce qui se fait à moindre frais, quand les moissonneurs ont leur besogne taillée égale- ment ; alors chacun est contraint d'employer sa journée sans fraude, comme si à leur discrétion ils se la donnoient, ainsi qu'ils font ayant la carte blanche par la campagné, sans limite de leur ouvrage : en quoi il y a vraiment de la raison pour brider la déloyauté des mercenaires ; mais cette facilité peut cependant s'ajouter à Fensemencement à la herse, par marques, à Fimitation des sillons , et ce n'est pas une éco- nomie que de se priver des commodités ci-dessus représentées. Or, couvrant la semence par l'un de ces deux moyens, ce sera sous les observa- tions susdites, et celle-ci, que peu avant de semer , on étendra les fumiers par le champ, qui après sera applañi avec la herse , si vous vous servez d'elle, ou vous lui donnerez une œuvre D'ASGR PCU LIT U R E. 2835 au soc pour ramollir le guéret ; et ce sera cette œuvre dont nous avons parlé, que quelques- uns appellent , reéreusser, “qui servira utilement à rendre laterre propre à recevoir les semences. Ces choses expédiées, il est nécessaire de faire écouler de la terre , les eaux qui surviennent des pluies, pour qu'aucune partie ne s'y arrête et ne éroupisse dessus, de peur de pourrir les bleds ; on pourvoira à cela par des petits fossés, ou de grosses rayes faites au soc lors de l'ensemen- éement, que vous ferez tirer en plusieurs en- droits du champ , du plus haut au plus bas, par Où l'eau superficielle en sortira, de sorte que les bleds resteront libres sans humidité imcom- mode. IH sera ajouté à cela, que les endroits où la Charrue se retourne, ne pouvant pénétrer Jus- qu'au bout et aux autres extrémités du champ occupées par des murailles, hayes, palissades , fossés, bätimens, arbres et chosés semblables , où la herse, nî'le soc né peuvent librement jouer, seront cultivés à la main, pour qu'aucune partie” c de terre ne demeure inutile, et pour que se semence couverte par tout Jusqu'au sommet des fossés et pieds des arbres ( les dé- barrassant aussi de toutes impor tunités ) puisse fructifier. Les fossés , environnants ou traver-- sants le champ, Séront nettoyés avant de faire 286 a TM É AMTIREEY À les semences , comme il a été dit;:tant-pour la vuidange des eaux, que pour en faire profiter. la graisse ; et afin aussi d'enfermer le fonds , :l faudra en relever les murailles, hayes, palis- sades et autres cloisons, pour rendre l'accès de réouverture. difficile, chose très-nécessaire , afin que le champ soit le mieux fermé qu'il sera possible , et qu'il ne puisse être imcommodé par les hommes ni parles bêtes; autrement si on laisse par négligence ces clôtures à réparer k dans peu d'années, elles deviendront à à rien, à votre perte et à votre honte. ,,,,.1 | Le tems des semences d'hiver a: été saciemeht remarqué ;: et pour qu'il ne s'écoule pas avant que d'avoir mis: fn à ce travail ;: le père de fa- mille donnera ordre de se pourvoir de quantité suffhisante de. bétail de labour , pour, expédier promptement son ouvrage; mas sil arrivoit , que faute de paquis et de fourrages!, 1l.-füt contraint, suivant la facon commune des.mé- nagers, de n'entretenir du bétail de labour que justement pour.son ordinaire , . qua 1l soit assuré ) qu'ave@lui, seul, il ne pourra. pas,-mettre une heureuse fin àses semences, pour le peu d'em- barras ‘qui ‘lui surviennent. C'est. pourquoi il n'épargnera pas l'argent au, louage du bétail quil jugera lui être nécessaire ,-pour, achever t P'ACOR RE CURE TU RE. 287 promptement ses semences (ne pouvant être mieux employé à nulle autre action du ménage), n y mettant du retard, par l’arrivée M le commun et inévitable em- de peur qu'e de l'hiver, q bärras , il ne souffre de cette incommodité, ou de ne pouvoir achever à tems ses semences , ou de les fäire si mal, qu'elles ne soient pas de grande valeur. Aïnsi ménageant , il employera les meilleurs quinze ou vingt jours de la saison, pris dans la fin de septembre et commencement d'octobre, ci-devant remarqués , afin de re- prendre après le train de son labourage ordi- naire , les terres de nouvelis, et celles destinées à mettre les bleds du printems, ce qui lui sera d’un grand avantage, pour qu'à l’aide des gelées et glaces de l'hiver, ses terres puissent bien sé préparer. Et comme le commencement de la bonne saison des sémailles nous est indiqué par la première chute des feuilles des arbres, ainsi par les dernières tombantes, nommément des poiriers et des pommiers, nous sommes instruits de leur fin, et que le terme est venu de quitter les semences d'hiver, par le danger ou d'être tuées par les froïdures , ou de péu profiter ; et comme cet avancement d'œuvre dépend du suf fisant nombre de bétes de labour, comme il a été dit, et qu'il peut arriver qu'il y aura autant 288 LH É A TAC de difficulté d'en trouver à louer , comme d'en entretenir beaucoup le long de l'année , vu que le tems des semailles est fort pressé, chacun voulant les faire en cette saison#On a inventé un moyen pour satisfaire à cette nécessité, qui n'est pas toutefois communicable à tous les la- boureurs, mais seulement propre à ceux qui cultivent la terre avec d'autres bêtes que les bœufs , comme chevaux, mules et autres ; çar quoiqu'au cours du labourage deux de ces:bêtes ou davantage , soient mises au coutre , une seule y suffit pour les semences , tirant aisément le soc ou la herse , avec une sorte d’araire, que les Provençaux , Dauphinois , et ceux du Lan- guedoc appellent fousquat ; si bien construit, qu'avec lui vous faites ce que vous desirez, pourvu que , COrmME de raison, la terre par une bonne préparation, soit devenue souple et déliée, travail que non seulement un bon cheval, mulet ou mule pourra faire facilement , mais encore le plus méchant âne quon voudra y employer ; vu qu'en cette Occasion , il n'est pas besoin de rompre, ni de creuser la terre avec force , mais seulement de l'écarter comrne en. se jouant, pour en couvrir la semence par ce. moyen. On: aura chez soi tout ce qu'on pourroit desirer en cet endrpit, en doublant ou triplant par cette D'AGRAÇCULTURE 2$% adresse , les bêtes du labourage avec grande économie, | D'après Fordre qu'il convient de tenir pour bien semer les bleds d'hiver , et les façons qui raisonnablement peuvent leur être données ; suivant lequel aussi, les printanniers veulent être gouvernés.; car ils ne demandent d'autre culture que la précédente, excepté le tems de leur en- semencement, ayant leur saison particuhière pour être mis en terre , selon leurs espèces : omettant à dessein d'autres vains ornemens, manières d'arranger, et gentillesses que quelques- uns y font, ou pour le moins écrivent, comme choses superflues , le ménager ayant assez de besogne sans cela à la conduite de ses terres, sans se soucier digutre curiosité, que de suivre les avis ci-dessus écrits, comme de passer la terre par un crible de fer d'archal, pour la rendre déliée , la rateler de sillon en sillon avec des rateaux ferrés, afin de la rendre plus menue et plus. souple. Et pour faire fructifñier les se- mences, de les tremper, dans le jus de-joubarbe, dans de l'eau nitrée, ou autres liqueurs , selon la leçon de quelques-uns; on doit laisser ces sub- tilités pour les agrémens des jardinages qui ne servent que pour le plaisir et le passe-tems. Si cependant cgs choses sont jugées. raisonnables 290. THÉATRE pour être employées dans quelqu'endroit. On se donnera sur-tout bien de garde d'excéder en dépense superflue au labourage de la terre , de peur que le trop préjudicie au laboureur , en se trouvant au bout du compte, plus de mise que de recette ; il faut y aller retenu, afin qu'avec la dépense nécessaire et l'économie rai- sonnable, on travaille en cet endroit, et que finalement on puisse moissonner avec gaïîté , en voyant les bleds rembourser largement les frais de ce ménage. Puisque de ton labour tu veux et gain et los, Dépendre à ton terroir convient bien à propos. La qualité de chaque espèce de bled, sa pro- priété particulière et quel foffa elle desire , ont ainsi été représentés , de même que la manière dont ils doivent être mis en terre, les printan- niers ayant, comme il est dit, cela de commun avec les hyvernaux, qu'ils doivent être gou- vernés de même qu'eux ; c'est pourquoi, pour éviter redite , il sera ici seulement parlé. du tems qu'on doit faire les semences de la prime-vère, appellées les #74rs, et en plusieurs endroits transatlles ‘et arrérarlles. Ce mot #ransaïlles, tiré du verbe latin #ran- serere, signifie resemer et replanter , pris en cet endroit L à D’ À G'R:IC/UL T UR É. 28q endroit pour toutes sortes de bleds mis en terre au printems . qui est la seconde saison de l’année pour les semences, dans laquelle, les terres, qui, la précédente récolte et dans la même année ‘ ont porté des bleds d'hiver, sont communément reseméés ; les transailles. sont faites sur ces terres par leur fertilité, ou bien sur celles qui ayant été semées en l'automne, dont le bled aura été tué par l'hiver; alors on est contraint pour en ürer rapport, d'y resemer de nouveau , non des bleds hyvernaux comme auparavant , la saison en étant passée, mais des printanniers, dont il est présentement question. Quant aux mots marsés et éremés, Vun procède du mois de mars , dans lequel, pour tous délais, ces se- mences se font ; et l’autre, de ce que dans trois mois elles sont moissonnées , ne demeurant en terre que pendant ce tems. Columelle, Palladius et autres anciens, regardent comme une erreur, d'estimer qu'il y a des semences particulières de bleds marsés et tremés, assurant que tous bleds profitent plus semés en automne qu'au puntems , et que la nécessité provenant de ce qu'on. n a pu faire avantageusement les semailles d'automne , ou qu'elles ont tuées par les froi- dures.de l'hiver, on les fait au printems; ce en quoi ils se trompent eux-mêmes, Car c'est une Tome L. L . 200 TH É ATIRAE chose assurée qu'il y a eu de tout tems.du bled. de trois mois, même de deux, et de quarante jours ; selon le témoignage de Pline, cette se- mence étoit appellée par les Grecs #2menos : l'expérience ordinaire démontre qu'à peine les orges peuvent souffrir les froidures ; c'est pour-. quoi, avec raison et selon la pratique immémo- riale, on laisse passer le mauvais tems de l'hiver, avant que de mettre les transarlles en ierre:: : Il est donc nécessaire de distinguer:le tems! de faire les transailles, parce que si votre heu est: chaud , le froment appellé prmavo ou mazol;,: le seigle tremèze , et l'orge paumé seront semés: vers la fin de décembre ; ou au commencement de janvier ; sil est tempéré, à la fin de janvier ;: ou au commencement de février ; sil est froid, dans tout le mois de mars ; ces bleds seront in continent suivis des avoines. Quant aux légumes, ceux qui n'auront pas été semés en autorne ,: le seront aussitôt après Noël ,: la générale--et: susdite distinction faite avant toutes choses; pour: toutes sortes de bleds, parmi lesquelstles fèves veulent marcher les premières, “ensuite. les: pois , et conséquemment les autres légumes ;:éomme: lentilles , fazeols, geisses, vesces, orobes ou'ers,’ chiches, lupins de figures et noms différents bons à manger pour les hommes et pour les bêtes, et les plus tardifs sont les chiches: et les. D’ À GIR{I CU LT UR E. 291 lupins pour engrais. Quant aux millets, il n'y en à aucunegspèce qui veuille être semée avant que l'hiver ne se soit écoulé, le printèems même leur étant fort suspect, par les froidures , qui souvent l'accompagnent bien avant : d'autant plus qu'à leur naissance , et pendant le cours dé leur vie , spécialement les communs, les milléts haïssent les froidures ; mais sur la fin, ils aiment les fraicheurs et les -rosées de la nüit du mois de septembre , sans quoi ils ne Pourroient faire une bonne fin. Par cette raison, on sème lés millets communs à la fin d'avril , Où dans tout le mois de mai, sur les terres de guéret-vieux ou de relais, comme il a été dit; non cependant sans préjudice pour les bons bleds qui y sont semés après, ainsi qu il sera démontré. Quelques- uns , bien louables, retardent encore davantage, en mettant ces, mullets en terre, vers lé com- mencement de juillet, sur l'éteule des fromens ou seigles récemment coupés ; ou par les bien faits de la pluie, avec un. seul: labour , ils le mettent très-souvent en terre , avec un heureux succès ; mais cela ne s'accorde pas généralement Par-tout ; c'est seulement dans leslieux favorisés par la fécondité du fonds , et: par lé‘bienfait du climat que cela arrive, sans quoi ce seroit peine perdue que«de les semer en saison si tardive | x Ti 292 THÉ A TRUE Par ce moyen les terres n'en sont nullement in< commodées , d'autant plus qu'après la récolte des millets elles se reposent un an; pendant lequel on les laboure et prépare pour servir comme dessus. Aussi a-t-on l'expérience que ces millets dans l'ensemencement se plaisent à l'humidité ; c'est pourquoi on épie pour les semer la pluie prochaine, qui tombant aussitôt dessus, les fait promptement lever et croître. La pluie manquant ou retardant , on sème ces millets sur le soir, sans les couvrir jusqu'au len- demain , afin que la rosée de la nuit les hu- mecte ; et le matin, après les avoir couverts avec la herse ou avec le soc, on passe dessus une claye pesante, pour affermir la terre; quelques- uns croyent que la terre ainsi tapie et endurcie, est plus propre pour les millets, que celle qui est élevée à sa superficie , pourvu qu'auparavant elle ait été très-bien labourée , pour commo- dément recevoir les millets dans son intérieur. Nous ajouterons aux ransailles le riz, en latin oriza ; afin qu'en le faisant produire chez nous, nous puissions en retirer du profit. Chose à desirer, étant la sorte de bled qui rapporte beaucoup , même plus que toute autre ; des plus exquis à manger en potages, et bon à faire du pain , mélé avec d'autres grains ; et quoiqu'en D'AGRICULTURE 2093 ce royaume sgn usage soit plus fréquent que sa culture , nous ne devons pourtant pas en refuser l'essai, à l'exemple des Piémontais, qui, ayant tiré des Indes (d'où encore aujourd'hui, on en apporte abondamment en Flandres, en Angle- terre et en France } la semence et la manière de gouverner le riz, en sont si bien pourvus qu'outre leur usage , ils en fournissent plusieurs provinces de ce royaume. Les anciens n'ont pas placé le riz parmi les mars, nel'ayant point connu. Pline seul en parle assez confusément. En Pié- mont l'arpent de terre employé en riz par an- née commune, rapporte vingt à trente charges ; chose, qui, par sa merveille, mérite de faire ouvrir les yeux à notre ménager , afin de s'en _ prévaloir; et quoique sa terre ne fasse pas tant que cela, il aura toujours de quoi se contenter, quand ce ne seroit que du seul tiers ou quart de ce revenu. Ainsi, si notre père de famille . veut comprendre quelque chose à ce ménage, qu'il regarde principalement au ciel, à la terre et à l'eau. Au ciel, afin de le choisir tempéré, toutefois approchant plus du chaud que du froid ; à la terre , en la choisissant totalement en plaine ; et à l'eau , pour qu'elle soit fertile, et tellement obéissante qu'elle découle facilement au lieu destiné. Avec tout cela, il y a grande apparence T 5} 294 THÉATRE qu'il ne perdra pas toutes ses peines ; car cé sont dans de semblables endroits que les Pié- montois mettent le riz. La terre de fertilité pas- sable est bonne pour le riz. Elle sera bien la- bourée , fumée , après répartie en plusieurs es- paces , comme par quarreaux divisés de jardi- nages , chacune entourée d'une petite levée ou chaussée de:terre , relevée sur son plan d'un pied trois pouces, et épaisse de deux, pour suffire à retenir l'eau, et à porter un homme passant et repassant dessus pour l'arrosement » le tout si bien préparé, que l'eau y vienne ai- sement et séjourne uniquement par tout le par- terre, sans verser en aucun endroit, et pour pouvoir y être retenue comme dans un petit étang ; c'est pourquoi il est nécessaire que le fond ne penche nullement , ét soit en parfaite plaine. L'eau entrera d'un quarreau à l'autre par de petites ouvertures faites en rigoles , fort proprement , pour que, fermées par un ais, cou- lant dans la cavure faite dans la-pierre, ou dans le bois, elle soit mise et ôtée à volonté. Le riz sera semé sur cette terre ainsi pré parée , au commencement du mois d'avril , après les froidures passées, aussi dru que le froment, soit à la herse ou au soc, comme on voudra. La semence sera trempée dans l'eau’, avant de D' A:G-RA CULTURE 299 la mettre en terre, pendant l'espace d'un jour ou deux ; ôn la semera toute humide, et com- menceant à germer, pour la faire plus vite pousser , ensuite elle sera couverte , et sans sé- journer , l'eau mise par dessus de la hauteur de deux doigts, l'y tenant continuellement de cette mesure , et même plus grande, selon le besoin. En peu de tems le riz sortira dessus l'eau, en poussant gaillardement , quelquefois avec le danger de se perdre en versant. Alors, il con- viendra de lui ôter l'eau pour quelques jours, et jusqu'à ce que par faute d'humidité il se remétte en bon état; car comme l'eau est la nourriture de ce bled, en la lui retirant on lut ôte la vie. Ainsi quand on le verra quelque peu -souffrir par Fardeur du soleil, l'eau y sera remise en plus grande quantité que devant ; savoir, de la hauteur de quatre ou cinq doigts pour ac- compagner toujours le riz, et en l’augmentant au moment où l'ons'appercevra que le riz fleurit, et par conséquent va -grainer ( comme les autres fromens , celui-ci faisant les deux à la fois. }, pour n'en être ôtée qu'à l'approche de la mois- son.;; tant pour l'accroissement du riz, que pour le préserver de la niclle} qui, sans l'eau en seroit plein. Il y a un grand soin à prendre dans cette culture, étant nécessaire d'aller tous T' iv 296 THÉATRE les jours visiter tous les endroits du champ, les chaussées , les aqueducs, les rigoles, pour que l'eau n'y manque pas, et y séjourne continuelle- ment de la mesure susdite, y en remettant à cet effet tous les jours de nouvelle, en place de celle que la terre consume. Ce bled sera couppé étant mûr, ce qui sera dans le mois d'août , en ayant quelques jours auparavant retiré l’eau pour la dernière fois, afin de le faire en tout secher. Le moyen de moissonner le riz, et de le recueillir étant commun avec la récolte géné- rale des grains, on n'en parlera pas ici plus avant, vous renvoyant au serrement de vos autres bleds, pour , à leur façon, retirer celui- ci dans vos greniers. Pour terminer ce ménage, je dirai que la vertu du riz est d'engraisser la terre, qui en ayant porté deux ou trois ans de suite , devient après propre à porter des bleds d'hiver ou prin- tanniers ; le fond par ce traitement se trouve bien disposé , ayant repris une nouvelle vigueur. Cette fertilité lui arrive principalement du bien- fait de l’eau, dont le naturel est d’engraisser le lieu de son séjour , tant par certaine vertu en- graissante qui la suit, que parce qu'elle étoufle à la longue les insectes, racines et herbes nui- sibles, et le fond se trouvant déchargé, au bout | | | | ATCATOUD TU R Er. 207 de cinq mois, où l'eau a croupi continuellement, demeure vigoureux pour tout service d'agricul- ture. Culture bien à noter , qui tient à celle des étangs desséchés, dont le prudent père de fa- mille fera son profit. L'eau donnant si long-tems en ces endroits, sur-tout dans la saison de l'été, cause un air mauvais et désagréable, qui pro- vient non seulement de sa qualité, mais aussi de celle du riz, ce qui est cause que plusieurs condamnant ce bled , n'en veulent point élever ; mais à cela, ce sera de faire les riz si loin de la maison, qu'il ne puisse incommoder les habitans par son voisinage. Pour la conclusion de ce discours général des semences, on y joindra cette remarque prise -de Constantin César, pour connoître si la se- mence est éparse en terre avec juste proportion. Il ordonne d'imprimer sur la terre semée , non encore couverte de terre, la main les doigts ouverts, et après l'avoir levée, de compter les grains -qui se trouveront dans sa figure calquée sur le terren; regardant le froment, comme étant bien semé, s’il s'y en trouve au moins cinq grains, ou au plus sept, l'orge, en ayant de sept à neuf, et les fèves de quatre à six; estimant néanmoins le plus desirable , le moyen d'entre ces deux nombres, selon les espèces des bleds. 299 THÉATRE L'essai montrera la faculté de cette épreuve ; que l'on pourra pratiquer avec peu de peine. Toutes sortes de bleds fatiguent la terre À cause de la nourriture qu'ils en tirent ; mais beaucoup plus ou moins, les uns que les autres, par leurs divers naturels. Il y en a méme de si malfaisants, qu'ils en retirent la graisse pour plu- sieurs années ; et au contraire de si bienfaisants, qu'ils l'engraissent sans moyens : les premiers sont les orges, pois chiches et millets; et les derniers les fèves, pois communs , lupins et riz, les autres demeurants indifférents. L'incommo- dité des orges s'adoucit quelquefois par le fu- micer qu'on leur donne dans l'ensemencement, dont la graisse restante aide aux froments qu’on ÿ fait ensuite. Quant aux chiches, s'ils ne vien- nent pas facilement dans votre lieu , ne vous fatiguez pas à en semer en abondance par le peu de profit qu'ils rendent en terre qui ne leur plait pas , qui, toute fertile qu'elle soit, en est toute harassée ; c'est pourquoi ce légume sera mis en fonds gras, ou plutôt en terre défrichée de nou- veau, sur les crêtes des fossés fraichement creu- sés, ou en semblables endroits, dont la fécon- dité lui fournira une nourriture suffisante, Quañt aux millets communs, c'est une chose reconnue de tous, qu'ils incommodent beaucoup DA GR # QUURITIU R E. 299 les terresg@ù on les met, de quelque manière qu'on les prépare ; car soit qu'on les fasse dans les guérets destinés et préparés pour les bleds d'hiver , soit sur les éteules des fromens et sei- gles coupés, c'est toujours au détriment du fonds, par la grandeur de leurs racines qui tirent une grande nourriture , par leur malignité contraire aux bonnes semences qui viendront en suite ; et ce qui augménte le mal est, que toutes sortes de mauvaises herbes s'avoisinent volontiers du millet: ce qui est cause que le fonds reçoit moins d'intérêt , que plus le millet y croit touftu, cest qu'en naissant sans perte, sa terre s'en trouve toute couverte, et les méchantes herbes n'y pouvant avoir place sont bannies ; elles se fourrent au contraire parmi le millet clair , et le fonds est encore plus assailli par tout ce mélange, que par le seul millet, quoique de maligne na- ture, comme il a été*dit, attendu la peine plus grande de dégager le fonds de cet embarras, que sil n'étoit question que d'une seule sorte d'herbage. | Si le ciel et la terre souffrent de faire les mullets sur les éteules des bleds fraichement coupés, choisissez cette seule façon de les loger; car le repos d'un an après les avoir moissonñés, avec une fréquente et bonne culture, déchar- 300 (NE À à | gent quelquefois les terres du vénin provenant du millet : guérison qu'on ne peut espérer qu'au bout de plusieurs années ; car malgré un labou- rage parfait, au fonds , si l'on y sème, après le millet, de bons bleds d'hiver , ils y viennent, mais au grand préjudice pour le père de fa- mille. Le proverbe de Languedoc dit la dessus, Qui mange lou meillas, Mange lou segealas. voulant dire que celui qui par économie se sert du millet, ne prend pas garde qu'il employe le seigle pour sa nourriture. Ainsi le ménager prendra garde prudemment de ne pas troubler son labourage par cette semence ; mais le millet étant nécessaire à la maison, comme il a été représenté , il lui donnera un quartier à part, en destinant pour lui quelque recoin de terre grasse, dont il fera sa perpétuelle milleraye ; par ce moyen, sans perte pour les bons bleds, il aura toujours des millets en abondance, qu'il gouvernera au semer, sarcler et moissonner , sans contrainte ni sujétion , selon leur nature et pour son utilité. Mais si par nécessité on ne fait pas le millet dans les guérets des terres de nou- velis, qu'après l'avoir moissonné; sur son éteule, l'on sème le froment et le seigle, avec une seule ee tt S DA GRTIC/UALIT U R E. 3o1 œuvre au soc, sans autre précédent labourage, pour qu'on ne mêle pas avec la terre , les pailles et les racines de millet , comme l'on feroit si l'on réiteroit le labour, vu que le premier met à l'air les racines du millet , et que le second les réen- terre, ce qui est autant à craindre en cet en- droit, comme à désirer que ces racines soient soigneusement sorties du«champ , afin que leur amertume n'offense pas les bonnes semences. Par toutes ces incommodités, même par la con- trainte d’ensemencer tard les fromens et seigles ; le père de famille s'accommodant à la maturité et à la coupe des millets , fera bien de ne pas s'amuser à faire beaucoup de ces bleds, à moins que quelque bonne occasion ne l'y pousse , comme cela pourroit être par les fréquentes pluies de l'été et la rareté de la récolte générale de la saison, à défaut de laquelle quelquefois très-avantageusement les millets suppléent ; et s'il lui est possible de ne faire des millets autre- ment, ni ailleurs, que de la manière susdite. Au contraire , il ne pourra trop faire de la sorte de bleds qui engraissent le fonds, par la double utilité de ce ménage; sur-tout s'ils rencontrent bien dans son terroir , et si leur débit est facile. C H APTE NS De la manière de Sarcler les bleds, et de les condurre jusqu ‘à leur maturité. | C'Esr une partie très-essentielle dans la ma- niére de gouverner les bleds, que de les sarcler ou ès-herber; si on l'omet, ou la néglige , la moisson montrera évidemment la paresse du laboureur , à sa honte, le bled enveloppé de mauvaises herbes ne pouvant jamais faire bonne fin, ni étrè moissonné à. propos, les chardons et semblables plantes, piquant les mains des moissonneurs. La: terre bien cultivée épargne beaucoup. de peine à la sarclure des bleds, d'autant qu'elle pousse et avance fort les bonnes semences, qui ayant gâgné terre dès leur nais- sance, ne donnent pas tant de place aux mau- vaises herbes, que, si étant mal labourée , elle entretenoit les bleds en langueur ; maïs aussi quelque bien cultivée qu'elle soit ; toujours parmi les bons blads croissent quelques herbes nuisibles, et d'autant plus, que le printems aura été pluvieux. Il faut nécessairement ôter ces D'ACGRNEFCU LTU RE. 303 herbes avec autant de soigneuse diligence , qu'on desire ‘en awoir de satisfaction ; et qu'on ne se flatte pas en cet endroit , car par ce trou l'eau se’perd, avec un très-grand dommage de se mocquer de la terre et de sa culture, et ce seroit broncher en trop beau chemin. On épiera donc soigneusement le items de ce ménage, afin de ne pas le laisser inutilement écouler. Quand on appercevra que les mauvaises herbes sont déjà crues avec les bleds; ce sera alors le point de les sarcler ; car de les prendre trop jeunes, on ne pourroit toutes aisément les dis- cerner d'avec les bonnes plantes , et il-y auroit le danger d'arracher du bled avec elles; comme aussi en attendant qu'elles soient en tout gran- dies ,‘le bled pourroit en être étouffé, ou du moins renversé par terre, en allant les ‘séparer d'avec lui: d'ailleurs par ce retard , les mauvaises plantes vénant en graïné , ‘ce seroit assaillir le champ pour l'année d'après. Le tems de ce mé- nage ne ‘peut justement ’se‘restr eindre à aucun : terme , cela procédant -du climat et du fonds, quiavancent et reculent cette œuvre. Les an- ciens ont eu diverses ‘opinions sur la sarchure : les”uns: disant que les ‘bleds ne peuvent être nullement sarclés, attendu que leurs racines èn sont ‘découvertes ou coupées, et les autres ‘ne 13 € 304 THÉATRE peuvent se passer de cette œuvre pour parvenir au point requis. Cette variété d'avis a produit différentes façons de sarcler les bleds, et en divers tems ; quelques-uns pour faire cette œuvre , remuoient la terre, et après en recou- vroient les racines des bleds , en deux fois diffé- rentes, l'une devant et l’autre après l'hiver. D'autres, sans toucher à la terre, l'hiver étant passé, se contentoient d'en arracher les mau- vaises herbes, comme nous faisons aujourd'hui. Il est toujours nécessaire que la terre soit hu- mectée par quelque précédente pluie , avant que d'y aller pour sarcler, afin d'en sortir les pernicieuses racines ; Ce qui ne peut se faire commodément , la terre étant sèche, vu que les racines des herbes malfaisantes se coupent dans terre lorsqu'on croit les en tirer, et rejet- tent à foison , d'une plante en sortant plusieurs à la venue de la pluie. C'est l'ouvrage du menu peuple de sarcler , à quoi les femmes et les en- fans travaillent utilement , n’y ayant autre chose à faire, qu'à arracher les herbes avec la main seule, ou à l'aide de quelques petites four-. chettes ; si on ne peut entièrement débarrasser les bleds de ces herbes en une fois, on y retour nera une seconde et une troisième ; en ‘un mot, autant qu'il le faudra , pour que les bleds. restants D'À 6e BR GE M TU R É: 305 restants seuls au champ , puissent , sans em- barras, achever de croître et mürir, et le profit qui en reviendra récompensera largement et promptement le soin. que vous ÿ mettrez. Par ces raisons , toutes sortes de bleds demandent l'exacte .sarclure ; mais par-dessus tout au- tre, les mils et panils, qui ne peuvent beau- coup avancer parmi les mauvaises herbes, leur nature les attirant, comme il a été dit, mais à leur perte. Ainsi, desirant avoir de bons mils, de nécessité il faut sarcler plusieurs fois, une seule n'y pouvant suffire, en commençant à y mettre la main aussitôt qu'on voit paroiître le millet; car avec lui naissent les malignes herbes, et il se discerne apparemment parmi elles, ce qui facilite cette œuvre. Il convient d'avoir le méme souci des légumes, parmi. lesquels il ne faut pas souffrir aucune herbe malfaisante, s'il'est possible, les Jupins seuls exceptés , qui nendurent pas la sarclure, mourant aussitôt qu'ils, se sentent blessés. Les pois, chiches aussi dessèchent sur terre, si on les touche lorsqu ils sont en fleurs ou couverts de rosée ; par cette cause il fautles sarcler avant qu'ils fleurissent À ÉE après que les rosées auront été consumées par la vertu du soleil. Les Piémontais ajoutoient anciennement à Tome TI. | V 306 THÉATARE leurs bleds une étrange façon de labourage ; c'étoit de les provigner quand ils étoïent pres- qu'à moitié grands, et commençoiïent à monter en tuyau, en les rénversant dans térre avec la charrue ; alors ils se rechaussoient de nouvelle terre, se multipliant en tiges, et quoique Ja charrue en arrachàt quelques plantes, celles qui restoient en remplaçoiént bién largement la perte. Cette invention vint en usage par accident. Les Salussiens et Verséillois étoient en guerre contre les habitans du Val-d'Oste. Ceux-ci cou- rant sur les terres de léurs ennemis, faute de ne pouvoir brüler leurs mils et panils, parce qu'ils étoient encore en herbes et verts, les la- bourèrent avec un grand nombre de bœufs , en les renversant dans terre pour les gâter , et par- là crurent affamer leurs ennemis ; mais l’évène- ment en fut toute autre; car, contre leur intén- tion, ces bleds au lieu de mourir, réprirent une nouvelle vie, et devinrént meilleurs qu'aupara- vant, s'y provignant par ce renversement de terre, et par Conséquent s'augmentant én tiges : d'une il en sortit plusieurs avec profit, ce qui tiré à conséquence, pour toutes sortes de bled, fut cause que cet accident fut rédigé en art, et pratiqué quatre ou cinq cents ans après. Si par la fertilité du fonds et le bienfait du D'A GRWI1ICULT U R E. 307 ciel vos bleds grandissent par trop, et sont en danger, en véêrsant , de ne pouvoir grainer; il y a deux moyens pour leur abattre cet orgueil, c’est de les tondre, et faire paitre au bétail, se servant au besoin de l'un ou de l'autre. Ce re- mède doit toujours s'employer en tems sec, jamais en humide , afin que par le trépignement des hommes et des bêtes, on n'enfonce pas la terre molle au détriment des bleds. Aussi le _ plutôt est le meilleur, afin que prenant les bleds encore endormis , on ne détourne leur course , comme l'on feroit en retardant par trop. Ce sera donc devant Noël, ou pour plus long délai, dans tout le mois’ de janvier. S'il arrivoit de faire manger les bleds au bétail ; que ce soit plutôt au menu qu'au gros, pourvu que ce ne soit pas aux pourceaux, à qui raisonnablement l'entrée en est pour toujours défendue , par le dé: gat qu'ils y font avec leur groin , fouillant indiffé- remment toute terre. Depuis les semences jus- qu'alors, il n’est pas nécessaire de faire une autre dépense à vos bleds, que la susdite, ni de-là jusqu'a leur maturité, si ce n’est d'avoir soin que les eaux des ps n'y croupissent jamais, et de les faire écouler par les vuidanges , qu'à cet éffet l'on visitera souvent , ayant soin en. curant et nettoyant que ces issues et égouts né Vi 30 THÉATRE se bouchent : de ne pas laisser entrer dans les terroirs pendant qu'ils sont chargés de bled , aucun bétail qu'alors, et pour les causes dites. Finalement, de garantir les bleds autant que l'entendement humain pourra s'étendre , de la tempête des bruines, qui souvent les perdent. Les bruines ou fortes rosées du printems en- dommagent extraordinairement les bleds, quand sur la fin du mois de mai, et au commencement de celui de juin , elles tombent dès une heure avant le jour sur les bleds déjà avancés, appro- chant de leur maturité, où cette eau arrêtée, s'échaufle de telle sorté par le soleil frappant dessus, que l'épi du bled s'en noircit de pour- riture, dont peu de grains sortent après et encore mal qualifié, de sorte qu'il ne faut presque en espérer que de la paille ; à ce mal le seul remède est d'en abattre la rosée, avant que le soleil ait le loisir de l'échauffer ; à l'exemple des fruitiers, dont les fruits sont garantis de cette malignité en secouant et ébranlant les arbres ; mais en ceci existe la difhiculté, que ce moyen semble ne pouvoir être employé en cet endroit , par la diversité du sujet; mais cette difficulté vaincue par l'adresse, rend la chose facile. Deux hommes ébranlent les cimes des bleds avec un _cordeau que chacun tient de bout, roidement tendu au- D'AGRÉICUEÉT U RE. 30) “dessous des épis, marchant à pas mesurés, l'un en decà et l’autre en delà du champ, en y repas- sant autant de fois qu'il faudra ; en champ de grandeétendue , les hommes seront montés à che- val; au col des chevaux on atta@hera le cordeau à la hauteur du bled , et ainsi avec bien moins de peine . ils satisferont à cette entreprise, pourvu aussi que ce soit en rase Campagne, où il n'y ait aucuns arbres ; car où la terre est occupée , cela ne peut se faire que suivant les portions qui distribueront le champ , en autant de par- ties que les arbres le permettront, pour que librement le cordeau puisse jouer par tout le contenu de la terre. L'arrosement des bléds n'est pas si commun ni nécessaire ; comme il est quelquefois utile ; ce ménage n'est pas beaucoup à rechercher par la disette des eaux, avec l'opinion que la plu- part des laboureurs ont , que les bleds étant murs avant les grandes sécheresses , nont pas besoin d'être arrosés. Mais on voit plus souvent qu'il ne seroit à desirer les bleds périr de sé- cheresse , non seulement pour n'avoir pas eu les pluies en saison convenable , mais encore _par les extrémes vents du mois de mai. Par le bienfait de l'eau il est quelquefois pourvu à ces défauts ; et le ménager pourra se dire heureux, V ii 310 T-HÈ A TA S s'il est accommodé d'eaux fertiles, pour , dans la nécessité, les faire couler par ses champs. Ne méprisant donc pas l'excellence d'une telle manne , il disposera ses terres de manière à la recevoir , afin que l'eau allant par tous les en- droits d'icelle, les rende d'autant plus fertiles, que les prairies abreuvées surpassent les sèches en rapports. Il a été ci-devant fait mention de la prodigieuse fertilité de la terre de Tapace, venant en partie de l'arrosement d'une excel- lente fontaine. En outre, Pline dit ailleurs, qu'au terroir de Sulmone et Fabiano, en la Bruzze, les vignes et terres à grains sont arrosées avec grand fruit, non cependant aussi favorablement pour le vin, qui, à cette occasion , y croit rude, quoiqu'en abondance , que pour les bleds qui y profitent prodigieusement par la grande nour- riture qu'ils tirent de l'eau, qui, tuant les mau- vaises herbes, en décharge la terre , dont la substance reste toute pour les bleds. Dans la terre de Babylone les bleds étoient aussi ancien- nement arrosés, avec un grand rapport. Les avoines, millets, fèves et pois sont les grains qui desirent le plus d'eau ; aux autres, il n'en sera donné qu'en grande sécheresse, et il faut | aller avec retenue dans la distribution. On accommodera pour cela les aqueducs par petits RG RLI OUT VU R E. 371 fosses , selon, le lieu , afin que l'eau puisse y dé- couler doucement , sans courir, que bien peu, de peur d'écorcher le bled, pour qu'elle ne le pourrisse pas en y croupissant, et qu'elle puisse se vuider, comme l'on voudra. Ainsi le - père de famille garantira ses bleds de la séche- resse , nonobstant la rigueur de la saison, moyennant aussi la faveur du ciel. En ces arro- semens la présence continuelle d'un homme esi nécessaire, pour toujours accompagner l'eau, l'ôtant des bleds , autant de fois qu'il se retirera _ du champ, de peur qu'en son absence il n'y arrive du mal; ou ce seroit que par la planure du fonds , elle pourroit y être laissée pour quel- ques heures seulement, sans pouvoir sortir de ses limites. 312 THÉATAZX CHAPITRE VL Des moissons et de la récolte des bleds et pailles selon Les diverses façons des provinces. La fin de la culture des terres à graims est la moisson : récompense attendue et digne du tra- vail du laboureur. Le père de famille mettra donc l4 dernière main à sa terre , pour en tirer le rapport selon la bénédiction de Dieu, en faisant moissonner ses bleds avec diligence , qui est d'autant plus nécessaire que le danger de perte est plus apparent, par la négligence, quand inopinément les vents impétueux , pluies vio- lentes et autres orages violents, surviennent sur la maturité des bleds, dont souvent ils sont jettés et renversés par terre avec un, très-grand dégât. Il aura de longue main fait ses provisions pour cette fatigue, en deniers, en vivres , en ouvriers, en outils ; il aura aussi raccommodé ses granges , ses greniers, afin que rien ne manque, faute de prévoyance. Les outils seront des fau- cilles bien tranchantes , et autres instrumens reçus dans les endroits où l'on est, sans s'amuser PORMER TOUL TU R Fr. 313 à en rechercher curieusement ni de l'antiquité , ni d'invention nouvelle , d'aucune manière inu- sitée. La maturité des bleds, se connoîït aisément à la couleur, qui est jaune ou blonde, quand les grains sont affermis, et pas encore totalement endurcis. C'est alors le vrai point de les couper ; les anciens et les modernes s'accordent sur ce point avec cette commune raison , que les pre- nant un peu verdelets et pas extrêmement murs, ils s'achèvent de mürir et préparer en gerbe : et on n'est pas en danger d'en perdre beaucoup en moissonnant et chariant, comme l’on feroit en les prenant par trop murs et dessechés, dont une grande quantité de grains s'écoulant , sortent de l'épi, allant à terre, sans en pouvoir étre re- cueillis. Par cette raison , il vaut beaucoup mieux s’avancer de deux ou trois jours que de retarder , outre que le bled n'en change pourtant point de couleur, qu'il acquiert bonne et belle, se murissant un peu en gerbe. Le bled que vous aurez destiné pour semence ne sera coupé qu'en parfaite maturité, étant nécessaire pour bien le faire fructifer , de le laisser mürir en perfection, sans avoir égard au déchet qu'il pourra y à voir, en attendant cela. Il est impossible de choisir le point de la lune et les heures du jour pour la coupe des bleds, comme quelques-uns l'ont 314 T'UR É A TRE commandé , quoique cela fût à desirer (la vicille lune et les matinées et soirées, pour cette action , étant à préférer à tout autre tems }; car les bleds ne vous donnent pas le loisir d'attendre | ni de retarder en aucune manière, par s’avancer d'heure à autre, depuis qu'ils ont pris le vol de se mürir , et il se brülént presque de moment à autre par la violente chaleur ; c'est pourquoi on employera à moissonner toutes les minutes du jour, en montrant par notre diligence combien nous chérissons cette précieuse manne, que le bled, que Dieu nous donne pour notre nourri- | ture si libéralement. Aussi, par excellence, cette saison est appellée par le vulgaire le £ems des besognes, comme voulant dire que toutes les autres œuvres de la terre, ne sont que des pré- paratifs pour celle-ci, et ses accessoires ; de peur qu'il ne tombe trop de grain par terre en le transportant, comme toujours quelque portion s'en perd , si doucement qu'on le touche ; le bled coupé et lié sera laissé sur terre jusqu'au lendemain grand matin, pour, avant que le soleil frappe fort, que les gerbes en soient en- levées et accumulées en petits monceaux, chacun d'une ou de deux charrettes, ou de sept à huit charges de mulets ; ces gerbes , ayant été un peu humectées des rosées et fraicheurs de la - \ t i 1 DRÉAUEUETUR EE 315 nuit, on pourra les transporter sans crainte d'en faire couler ou glisser le bled , cette humidité l'accompagnant toute la journée, par cette raison il sera charroyé commodément dans la grange ou dans l'aire, selon l'usage du pays. S'il arrive qu'on soit contraint de couper une partie de bled qui ne soit pas encore mur (comme cela arrive quelquefois à l'égard de celui qui se trouve aux ombrages, sous les arbres, près des murailles ou ailleurs ; ou bien que la commodité d'ouvriers presse , craignant d'en manquer après) le moyen de faire cela avec utilité est , que ce bled étant coupé et lié, on entassera tout aussitôt dix ou douze gerbes toutes vertes l'une sur l’autre, pour demeurer ainsi tout le jour, qui étant passé , elles seront écartées et mises debout , en éparpillant les épis, afin de leur faire recevoir les rosées de la nuit. Le matin revenu. elles seront réamoncelées comme devant, de peur que le soleil ne les pénètre , et on continuera ainsi deux ou trois jours de suite, au bout desquels, pér l'humidité ainsi renfermée , les gerbes s'échaufferont ; ce qui les fera müûrir , pourvu que l'on les expose au soleil, afin de les y faire secher en per- fection. | Il convient d'avoir un nombre suffisant de 316 THÉXTRS coupeurs , pour la nécessité et prompte expédi- tion des moissons ; autrement les bleds se retar- deroient avec grand déchet, comme il a été dit ; mais comme dans les quartiers où il y a abon- dance de bleds, les seuls habitans des lieux ne pourroient en venir à bout. Dieu, souverain ménager , par sa providence a pourvu à ce dé- faut, en faisant descendre des montagnes et des lieux froids, dans les plaines et pays chauds, un nombre infini de peuple pour moissonner les bleds, qui, à point nommé, sans autre avis que celui du tems, comme par une inspiration di- vine, se rendent avantageusement dans les lieux où leur service est nécessaire ; qui, après les moissons , en s'en retournant en leurs maisons, partout où ils repassent trouvent de la besogne ; vu que marchant de pays chaud en froid, les bleds se mürissent de jour à autre, à mesure que la saison s'échauffe. Par ce moyen, avec de l'argent on trouve des bras extraordinaires et à volonté, dans tous les endroits où Dieu a or- donné l'abondance du bled, et ces pauvres gens, hommes, femmes et enfants déjà grands, gà- #nent leur vie et de l'argent, pour leur nourri- ture en hiver, n'ayant pas alors chez eux de l'ouvrage en suffsance pour les entretenir. Aïnst Dieu, père commun du genre humain, pourvoit D'À GR HC,;U;L,TIU RE 819 à la nourriture de tous ses enfans., selon les di- verses vogations qu'il leur a données. En prenant la culture de la terre, depuis le premier défrichement, jusqu'à ce qu'on serre les bleds dans le grenier, on ne voit que difié- rence d'avis, comme il a été dit, ses laboureurs étant seulement d'accord sur ce point, qui est d’en tirer les bleds pour notre nourriture. Prin- cipalement , c'est à la récolte, où l'on remarque le plus de contraricté entre les ménagers ; cette dernière division pr ovient , non pas tant du di- vers naturel des hommes , que de la propriété des climats, qui impose la nécessité à cette ac- tion. En pays froids, les fruits ne,sont pas aussi- tôt mûrs, qu'en chaud , d'où il arrive que dans les parties septentrionales , plus froides que chaudes, les bleds ne sont coupés qu'en août, duquel , à cette cause , la récolte en porte le nom , en ces endroits dite Z'aott. Comme les semences du printems sont appellées les rnars, de ce mois où, pour tous délais , elles sont jettées en terre, ainsi qu'il a été dit. Cette lenteur a aussi causé l'invention de serrer les bleds à cou- vert, pour là, sans craindre ni les pluies ni les froidures , les battre à loisir et à l'aise. Ainsi les bleds coupés sont aussitôt transportés dans la grange, où pendant l'année ils sont battus petit 5 318. THÉATRE à petit, selon la nécessité et la volonté, pour envoyer au moulin ou pour vendre. Au contraire en pays oriental et méridional, plus chaud que froid, au cœur de l'été, l'on moissonne ; et en- suite , le bled est séparé d'avec la paille, dans l'aire à découvert , et l'un et l’autre sérrés avec grandes diligences dans leurs propres greniers. Ces variétés causent les différens moyens dont l'on se sert pour retirer les bleds ; car, en pays ” froid, c'est à force de les battre au fléau, et en pays chaud, par le trépignement des grosses bêtes à la mode ancienne de l'Orient, comme il est prouvé par l'écriture sainte , dans la défense de lier la gueule du bœuf qui foule le grain, ces bêtes marchant hâtivement en rond, pendant qu'un homme qui demeure fixe, comme pour centre, les tirent attachées avec des cordes, et les fait aller par-dessus les gerbes arrangées dans l'aire , l'épi contre-mont, tant et si long-tems qu'il suffise ; cette façon-ci est la même de l'Espagne et du Portugal, de l'Italie, de la Sicile et autres contrées chaudes , pratiquée en Languedoc, Provence et dans leur voisinage (où cependant le fléau est connu, mais rarement employé), et celle-là dans les autres provinces de ce royaume, imitant l'Angleterre, l'Ecosse, la Flandre , l'Allemagne, pays froids. Il n'est DOASS I CUILIT'U R E. 319 pas possible de représenter particulièrement , comment d'on sert les gerbes dans la grange, la manière de les y accommoder à l'entour des murailles pour les conserver long-tems, même contre les rats; comment, pour les mêmes causes et pour les parer des pluies, elles sont entassées en gerbiers de figure pyramidale ou en ger- bières industrieusement arrangées, ainsi que des pierres de bâtiment, dont on compose comme une maison massive. Quels sont les fléaux, fourches , vans, ventoires, cribles, me- sures et autres outils ; quelles bêtes sont em- ployées au fouler (qu'en Languedoc et Provence on appelle cauca, des anciens latins appéllés triturire, sice sont des chevaux, mulets, bœufs, ânes ou leurs femelles ; lesquelles à ce, sont les plus babiles ; chaque province ayant ses pro- priétés par la différence de ces choses. On ne peut pas assurer non plus laquelle des deux fa- çons est la meilleure , pour retirer le bled ; car on fait très-bien ce ménage en le battant et le foulant, si bien que peu de grains restent dans la paille quand l’on se sert du Héau et des bêtes ‘ainsi qu'il appartient. Je dirai seulement de l'aire à recueillir le bled, que soit à couvert ou à dé- couvert , il est nécessaire d'en aflérmir si bien le plan , que la violence en battant ou en foulant, { 320 THÉ A T RE nen puisse enlever la terre pour empoudrer le bled, afin qu'on l'en retire pur et net. Pour ce faire, il convient de remuer un demi- pied de terre avec la houe du lieu, dont il est question, afin d'en ôter tout ce qui gêne, d'y méler après de l'argile pure en assez bonne quantité, incorporant bien ensemble les deux terres ; d'en applanir la superficie justement sans aucune pente, en l'arrosant petit à petit avec de l'eau, dans laquelle l'on aura mfusé du fien de bœuf pour la garder de crevasser et fendre, et lorsqu'elle sera un peu endurcie, de la battre avec un battoir de paveur, large par bas, pour en affermir le fond. Ainsi l'aire sera trois ou quatre fois arrosée et battue, et elle se rendra solide et unie pour très-bien servir. Les anciens ont bien ordonné d'autres mystères pour la façon de l'aire, comme d'y mettre de la lie d'huile d'olive, du sang de bœuf et autres drogues, dont cependant les ménagers d’aujour- d'hui ne se soucient pas, se contentant de la sus- dite simplicité pour faire une bonne aire. Cette préparation d’aire est commune pour les couvertes et découvertes, toutefois, celle-ci n'est pas si durable que celle-là, se conservant mieux et plus long-tems dans la grange ;, qu'ex- posée à l'air à la campagne ; c'est pourquoi chaque D'À GR: RCLULLIT U R E. 321 chaque année à la veille de la récolte, l'aire qui est à la merci du tems sera de nouveau arrosée, avec de l'eau ci-dessus mentionnée, et battue, en ajoutant de l'argile où il y en aura besoin, pour en réparer les ruines, et en même tems en ôtant les herbes et autres embarras qui s'y trou- veront ; mais si on veut s'exempter de cette peine , et se faire l'aire de perpétuelle durée , il faudra en convertir le parterre en pré commun, dont l'herbe coupée fort près de terre. quand l'on y veut reposer les gerbes, les reçoit com- modément pour y être battues et foulées , où sans déchet se ramasse le bled aussi nettement qu'il est possible, sans être nullement empoudré, yu que la motte tenant ferme ne souffre pas la terre s'élever. L'aire de la campagne sera sise près des éta- bleries et greniers à fourrages, par la commo- dité de serrer les pailles, et de ne pas les trans- porter au loin. On la fait grande et spacieuse pour y travailler à l'aise; on la ferme de quelques légères palissades, afin de ne pas empêcher le passage des vents, qui est très-nécessaire ; et à cette gause , il doit être libre pour vanner .ou venter le bled, la cloison servant à empêcher qu'aucun bétail y entre , car toujours il y fait du dommage et est fort nuisible , quoique le bled Tome I. X 322 THÉATERE n'y soit pas, sur-tout les pourceaux qui en tems pluvieux et humide yÿ fouillent le fond avec le groin. On fera deux portes à l'aire, opposées l'une à l’autre , pour commodément y charrier les bleds des deux côtés, qu'on fermera et ou- vrira selon le besoin. On bâtira une loge à l'un des bouts, pour y mettre à couvert les outils, les vivres des ouvriers et eux-mêmes, s'y retirer a l'ombre quand ils voudront. Si le lieu le per- met, l'aire sera relevée sur un terrein, comme en plate forme , environnée d'une muraille , n'excédant pas le plan, pour empêcher la terre de verser en dehors. Ainsi l'aire sera bien éven- tée, bien fermée sans autre cloison , et même sèche en vuidant l'eau de la pluie, de telle manière qu'aucune humidité nuisible ne s'y ar- rêtera. Observation nécessaire. Par l'ordonnance des nations , fondée sur la raison, l'usage de ces différens moyens pour re- cueillir les bleds, est usité par toute la terre habitable, diversement toutes fois , selon les situations, comme il a été dit. À quoi nous ar rêtant, nous tâcherons de nous en servir en cette circonstance avec adresse et diligence; sans al- térer nos habitudes, pour que nous puissions atteindre au but du bon ménage. Et comme il n'y a pas de commodité aux choses de ce | D À GR IICAU LIT U R E. 323 monde , qui ne soit suivie de son contraire, on remarque aiñsi dans chacune de ces deux façons de ménage, du bien et du mal , plus pour sa- voir comme le monde se gouverne , que pour espérer dy apporter, quelque mioane, Ceux qui battent le bled sous les couvertures, sont fort soulagés au tems de la moisson ; quand les deux fatigues de couper et de battre ne se rassemblent pas en une, dont la seule donne du travail suffisamment ; ainsi, couper et serrer les gerbes dans la grange pouvant être divisés , c'est seulement ce à quoi ils sont contraints de s'em- ployer alors; opération qui se fait à l'aise et à peu de frais. On doit compter aussi pour une grande commodité, quand les bleds et les pailles ne sont pas en danger d'être mouillés en cam- pagne par les pluies, ce qui débarrasséra le mé- nager d'une grande inquiétude ; puisqu'à loisir, en tout tems, chaud, froid, humide , aux jours longs et courts, à toute heure de jour et de nuit,on peut travailler à préparer les grains, en y employant les serviteurs, quand ils ne peuvent être occupés aux champs. Mais on peut dire que de cette commodité nait cette incommodité , quand par cette lon- gueur le père de rh ne peut serrer sous la. clef ses bleds tout à la fois , et quil est contraint X ij 324 T 3H É UAJTIRUE de les laisser dans la grange presque durant toute l'année , exposés à la merci des fermiers et de toute autre sorte de mercenaires qui ne sont pas toujours loyaux, ce qui fait que quelque partie s'en perd de jour à autre , soït parcé qu'on en dérobe de fait, ou parce qu'on en donne des gerbes au bétail mal à propos ; par l'aisance qu'apporte cette lenteur. À quoi il faut ajouter, qu'en battant le bled, peu à la fois, à mesure du besoin, il ne peut savoir que bien tard, même au bout de l’année, combien ses terres lui auront rapporté 2 ET cela encore avec un grand cassement de tête, à cause de la difficulté d'en tenir compte en petites parties, du hasard d’er- reur de calcul, et que cela même lui ête le moyen de commodément partager ses grains avec son fermier, et d'en faire la vente en gros, que presque sur la fin de l’année. Ceux qui habitent plus près du Midi conver- tissent ces défauts en avantage, qu'ils trouvent d'autant plus grands, que plutôt ils mettent fin à leur récolte ; ce travail s'expédie promptement par le fouler ; car pour mettre dans le grenier cent ou cent vingt charges de bon bled, il ne faut que trente-deux bêtes durant un jour , soit chevaux , jumens , mulets ou mules, qui font. parlant en termes de l'art, deux rodes, chacune MARGES TU RE. 32) de huit liens, et chaque lien de deux bêtes, avec vingt hommes pour les conduire et pour manier la fourche , avec laquelle ils tournent et revirent plusieurs fois la paille et le grain; et les deux jours suivants, seulement, six hommes pour achevér.. Car moyennant que le tems se trouve propre , échauflé le premier jour et les deux autres éventés, eomme cela s'accorde sou- vent, On ne manquera pas à cela. Sur quoi notre ménager faisant son sotnpte, trouvera quil serre cette quantité de bled à bon marché , puisque trente-deux journées d'hommes et autant de bêtes y satisfont , et s'il ÿ a bien de la dépense dans ce négoce hâtif, comme il faut confesser qu'elle y est grande, tant au payement des ou- vriers qui gàgnent plus alors qu'en autre saison, et auxquels il convient de faire faire bonne chère pour la nature de l'ouvrage, elle n'excède toutefois pas celle de battre à loisir, qui , tout bien compté n'est pas moindre. Outre que par cette promptitude le père de famille a ce con- itentement, que n'étant pas long-tems attaché après ses gens dans la récolte , il serre promp- tement ses grains en lieu assuré, pour , sans rien laisser en arrière de ce travail, vaquer en- suite après à ses autres affaires. Quant à à la qua- X : ii} tante _— ES. nm dèet dd les à... 1e mn top md 326 THÉATRE lié du bled ; quoique dans les pays méridionaux par la faveur du climat, la terre le produise bon et bien cuit; il devient meilleur en le gardant quelques mois en gerbes , achevant là de se préparer en perfection, en beauté et en subs- tance ; ce que, par accident, quelques proches de ma connaissance m'ont appris , qui contraints par perte de laisser leurs bleds en gerbe jus- qu'au mois de mars, ayant été alors foulés et recueillis, 1l les trouvèrent très-bien nourris, même grOSSIS , et par conséquent sans déchet : nonobstant la longueur de la garde , et qu'ils eussent demeuré tout l'hiver en campagne , ex- posés aux pluies, vents et glaces de la saison , entassés en gerbiers ; ce qui avec raison me fait dire, que si l'usage de serrer les bleds en gerbe sans couvertures, pour là, à la longue les battre ou fouler, étoit commun à toutes les provinces de ce royaume, que les méridionales gâgneroient sur les septentrionales , par l'avantage de leur ciel. Ainsi, l'adresse de conserver le bled en gerbe suppléant au défaut du soleil, donne au bled du pays froid , autant de bonté qu'il est nécessaire pour atteindre à celle des meilleurs bleds qui se recueillent dans les endroits chauds, comme.on le voit évidemment par le pain qu'on DHUALE RE GULIR TU R E. 327 mange dans l'Ile-de-France , méme par celui de Gonesse, que de là l'on porte à Paris, qui ne cède en rien au plus exquis du Languedoc, En un mot, c'est dans la paille où les septen- trionaux le gagnent , étant là battue à couvert, hors du danger de la pluie, petit à petit, à mesure qu'on veut s'en servir, meilleure que la foulée, l'une paroissant toute nouvelle par ie fléau , lui ôte la mauvaise odeur d'humidité et de rats, qu'elle pourroit avoir acquise, durant le long séjour à la grange; et l’autre pour de- venir en terre au bout de quelques tems, étant trop rompue par le trépignement des bêtes. Néanmoins il y a plusieurs ménagers dans les lieux où le seul battre est en usage, qui ne donnent à manger à leur bétail aucune paille battue , que premièrement ils ne l'ayent froissée entre les mains, ou à coups de bâton sur un banc, une poignée après l'autre , l'estimant par trop roide et dure demeurant entière. On conserve aussi différemment la paille dans les provinces ; l'on ne se donne pas en France, grande peme pour cela, la paille y étant em- ployée toute fraiche sortant du fléau; mais. Si l'on en conserve quelque quantité; c'est à cou- vert hors du danger des pluies, et non ailleurs; X me 328 THÉ A TITE dans le Languedoc et voisinage , à couvert et à découvert. Ceux qui n'y sont pas accommodés de greniers à fourrages (qu'ils appellent grange ) à limitation des gerbiers, entassent leurs pailles en paillers, ronds, bar-longs , et d'autre figure de fantaisie , qui ainsi serrées, exposées à l'air, s'y conservent aussi long-tems qu'on desire , et plus sainement que dans les bâtiments, at- tendu que l'air et les vents préservent des rats, et qu'il ne s'y acquiert aucune mauvaise odeur, au profit du bétail qui s'en nourrit, la trouvant meilleure que celle qui est gardée dans les granges ; celle-ci étant tourmentée des rats, et sentant l'humide , lorsqu'elle touche aux mu- railles. Mais aussi en campagne , il s'en pourrit quelque partie, de quelque manière qu'on l'accommode (ce qui cependant n’est pas compté à perte dans les endroits abondants en bleds, d'autant plus que c'est toujours du fumier }) la paille qui est à l'extrémité des pailliers, servant de couverture, ne pouvant résister au tems ; toutefois ce sera avec moins de déchet, si les couvertures des paillers ont une grande pente, étant droites comme celles des maisons de France , et que par-dessus , il y soit ajouté une incrustation de bonne argile, bien pétrie avec D'AGRICULTURE ‘329 de l'eau où aura été infusée de la fiente de bœuf, pour l'empêcher de crevasser, de quatre doigts d'épaisseur ; cette incrustation résistant à la pluie, presqu'autant que des tuiles, préservera la paille assez bien. La peine que ces paillers donnent à dresser chaque année et la crainte de la surprise des pluies sur l'œusre avant sa perfection , font que l'on ne s'en sert que dans la nécessité , faute de logis à cela convenable. CH" ÆTEPECEPR ET TE Des greniers à bled. De la garde des bleds, et de leur débit. Ox n'est pas non plus généralement d'accord sur la manière de serrer et de conserver les bleds. Quelques-uns font leurs greniers à bled au plus bas de la maison, et rez de chaussée, d'autres : au plus haut, près des couvertures. Quelques- uns gardent leurs bleds enfermés dans de grandes caisses; d'autres ne se servent nullement de ces meubles, chacun ayant des raisons particulières pour fortifier ses usages , tant les hommes sont différents en opinion. Tenir le bled en bas lui conserve beaucoup d'humidité , il en reste plus pesant, et ensuite plus vendable que celui qui est logé en haut, ou s'éventant par trop , il se dessèche au détriment de sa vente ; mais aussi ici , il est en danger de se corrompre par l'hu- midité, non là , où par sécheresse sain et entier, il se garde tant qu'on desire ; on trouve ainsi ces deux assiettes défectueuses. Aucune de ces pertes n'est à craindre au bled séjournant en DLAGARIEULTUR Fr: 331 grenier assis au milieu de la maison , parce que s'éloignant des deux extrêmes, il s'y maintient qualifié ainsi qu'il appartient ; en cet endroit donc nous dresserons le grenier, la disposition du logis le permettant. Cela ne pouvant s'ac- corder qu'avec désavantage, nous nous accom- moderons de grenier partout ailleurs de la mai- son, où il sera le plus à propos, bas ou haut, sous ces observations. Si c'est en bas, que le plan du grenier soit relevé de terre de deux bons pieds, pour que l’eau n'y puisse séjourner ; pavé , non en pierre ni en brique, mais de bois, de bon ais bien joints et unis, ayant enfermé par-dessous auparavant du charbon, ou de l'écume de maréchal, pour, par cette drogue, en bannir toute humidité nuisible ; qu'il y ait deux fenêtres opposites l'une à l'autre du sep- tentrion au midi, et du levant au couchant, pour les tenir ouvertes ou fermées , selon le tems et les rencontres ; donnant autant d'air au bled quil suffira pour sa conservation ; si c'est en haut, que le plancher soit quarrelé de briques, afin que par sa fraicheur , là chaleur du bois soit corrigée , au profit du bled séjournant au- dessus. Ce grenier-ci aura les mêmes ouvertures et le même aspect que l’autre ; mais un peu plus petites, qu'on tiendra fermées la plupart du tems, 332 THÉLTAE pour tempérer le trop d'exhalaisons du lieu. fl m'est pas grand besôin de parler de la capacité des greniers, puisque cela dépend des terres de Ja maison qui en font Fordonnance ; c'est pour- quoi , il vaut toujours mieux le faire grand que petit , afin d'y travailler à l'aise pour nettoyer et mêler les grains à volonté , sans le confondre : et par la même cause , il y aura au gremer bas ou haut des séparations d'ais, ou de plâtre, formant des réceptacles divisés , où les bleds se logeront par espèces distinctes. Quant aux caisses où quelques-uns tiennent les bleds, elles sont louables , en ce que le bled s'y garde fort net- tement , à l'abri de la poussière, et du dégat des rats, chats et oiseaux, si elles sont bien faites. D'ailleurs, posées ou en bas ou en haut, elles sont toujours fort utiles à la conservation da bled , tempérant et l'humidité du bas et la sé- cheresse du haut. Mais on ne se sert pas commu nément de ces meubles dans les pays abondants en grains; c'est seulement dans les endroits 6ù par leur petite moisson , les bleds peuvent y être enfermés , et pour eux inventés: on tire en outre du profit par le service de ces caisses , si on vient à faire la vente du bled qui est dedans; car le bled puisé avec un cabas, et mis sur la mesure tout doucement, il s’en trouve plus qu'ea VA CMALEULS ÔÜ RE. EE = - le prenant directement du monceau, étant sur le pavé, soit-à la main ou à la pelle, vu que de bled mesuré ne s'entasse pas tant d'une facon que d'une autre. Quant à la corruption du bled. elle est à craindre dans quelque lieu qu'on le tienne, si on l'enferme mal qualifié , méme si n'est pas bien sec, s'y engendrant des hanne- ions, coussons, bequerus et autres insectes à sa ruine totale. C'est pourquoi il convient d'y prendre garde , avant que de le loger dans ie grenier , et encore plus devant que de l'encaisser. parce que cela est plus dangereux dans la caisse, faute d'air, que dans un grenier exposé au jour. C'est aussi une chose dangereuse de méler les bleds qui proviennent de divers endroits, qu'on loge ensemble sans distinction, comme de cens, rentes , à fermes, moulins, dettes et autres, sans au préalable les avoir fait séjourner pour quelque tems dans des lieux séparés ; car comme par contagion ;, il ne faut qu'un peu de bled mal qualifié, pour en infecter beaucoup. Mais le mal étant déjà arrivé à votre bled : pour le guérir, il faut tout doucement en enlever un bon pied au-dessus du-monceau, en l'écumant universel- lement , porter cela en campagne , exposé au soleil deux outrois jours, pour là l'éventer avec la pelle tant-et si bien , que finalement on re- msn sit 334 Pi É A TRE connoisse à l'œil, que les bêtes sont mortes ot absentes, ensuite le rapporter dans le grenier , non directement sur le monceau, d'où vous l'aurez tiré, mais de le reposer à part quelques jours, afin d'avoir le loisir de voir si le mal s'en est entièrement allé. Ceux qui croyent remédier à ces accidents en l'éventant seulement à la pelle, se trompent; car, contre leur intention, cela cause l'entière perte du bled , vu que ces insectes malfaisants ne se mettent qu'à la superficie , et non au milieu, ni au fonds du monceau ; c’est pourquoi, en le remuant ainsi, on incorpore cette vermine avec le bled, qui en est entièrement infecté. Ceux qui voyant leurs bleds ainsi cou- verts de ces insectes, font mettre des poules dans leurs greniers, pour manger ces animaux jusqu'au dernier, sans toucher au bled tant qu'ils durent, ont meilleure raison, même si ce sont des hannetons ou coussons, qui par leur grosseur se laissent voir, ce qu'elles ne peuvent faire fa- cilement sur les bequerus à cause de leur pe- tütesse, ces petites bêtes étant forts menues et noires. Il y a un autre moyen pour prévenir ce mal, selon la pratique de quelques-uns, c'est de méler parmi le bon bled du millet en grande quantité, qui par sa froidure naturelle le con- serve très-bien , d'où après on le retire fort fa- pb: À GMIICUILIT U R EF. 335 cilement avec un crible ayant les trous ronds , à travers duguel le seul millet passe, laissant l'autre bled dans le crible ; d'y mettre pour la même cause de la brique ou craye brisée, comme certains anciens l'ont commandé , pour le préserver de la chaleur par la froïidure de ces matières , ne me paroit pas raisonnable, cela portant plus de dommage au bled que de profit, en l'empoudrant de cette poussière. Il reste à parler d'une autre sorte de grenier , aussi étrange à celui qui ne l'a pas vu, comme il semble contrarier la raison à l'expérience de bonté qu'on y trouve : c'est en Gascogne et en Guyenne, où l'on se sert le plus de cette espèce de greniers , qu'en toute autre province de ceroyaume. Ce sont des fosses profondes creusées dans terre, qu'on appelle cros , dans lesquelles on descend avec des échelles, pour y porter et rapporter le bled. Pline dit que ces fosses sont la manière la plus assurée de conserver les bleds, comme de son tems, cela se pratiquoit en Thrace, en Capadoce, en Barbarie et en Espagne. Varro est aussi de son opinion, assurant que le froment peut s'y garder sain et entier cinquante ans , et le millet cent: disant, pour fortifier son avis, que du tems que Pompée le grand nettoyoit la mer des | t : | | À | 336 lHÉATRE pirates, il fut trouvé à Ambratia une grande quantité de fèves, bonnes êt sans corruption , dans une caverne , où elles avoient demeuré serrées depuis le tems que le roi Pyrrhus faisoit la guerre en Italie, et néanmoins l'on comptoit qu'il yÿ avoit alors , près de cent vingt ans. La na- ture des bleds aide beaucoup à leur conservation. Etcomme on les voit ne pas s’accorder générale- ment ensemble en qualités, aussi leur durée n'est pas universellement semblable, cela pro- venant de la dureté ou mollesse de leur peau et couverture , qui résiste mieux aux injures des items l'une que l’autre. C'est pourquoi les lé- gumes , d'eux-mêmes , sans moyen, se Conser- vent plus long-tems que les autres grains ; et nos fromens , moins qu'une autre espèce de bled ; comme au contraire les millets se défendent mieux contre les tems, et sont de plus longue garde, que nul autre , par leur dureté et leur fraicheur naturelle. . Pour fin de ce négoce, but de notre labourage, nous dirons que l’usage des bleds est double pour le père de famille, étant dans un pays abondant en grains; savoir, pour la provision et pour la vente, qu'il tirera de ses greniers à mesure de ses besoins et de ses volontés. Quant x a .D'AGRICULTURE. 337 à la manière de moudre, pour le pain de la dé- pense ordinaire de sa maison, cet article tient le premier rang , au discours de l'usage des ali- mens ci-après, comme étant le pain, le principal aliment pour l'entretien de cette vie, c'est pour- quoi dans cet endroit il n'en sera rien touché. Ce sera à l'ordre du débit des bleds, où je m'ar- rêterai présentement, qui, bien entendu, satis- fera à toutes les nécessités de la maison. De-là les paysans du Languedoc chantent en leur patois, Fasse que voudra la meynade, Mas que lou bouvié sio en l’arade. voulant dire , que pourvu que le laboureur marche continuellement son train, quelque dé- bauche qu'il y ait dans la famille, néanmoins elle s'entretiendra par le moyen du labourage de la terre. Proverbe qui se trouve vérifié plus naïvement qu'il ne seroit à souhaiter, par les guerres civiles de notre siècle, dont les furieux ravages, ayant interrompu le cours du labou- rage, ont produit toutes sortes de misères et ruines. Par excellence, ce mot de /zhourage, a été donné à la culture des bleds, quoiqu'il soit communiqué à tout autre travail, et le la- boureur estimé le principal officier de la maison, Torne I. Y 338 à: THÉATRE eomme administrant le pain. Parmi les bons mots de Caton, à ce sujet, l'on tire ceux-ci. Le labourer et l’épargner, Est ce qui rempiit le grenier. ‘Afin donc que notre père de famille tire la saison de ses bleds, ït s'étudiera à rechercher le vrai point de leur vente pour le profit ou perte de ce ménage , étant bien ou mal conduit. Il n’en souhaitera pas tant le haussement du prix pour remplir sa bourse , qu'il désirera d'en secourir avantageusement toutes sortes de personnes en ayant besoin, même par charité, les pauvres dans leurs nécessités, par reconnoissance des biens que Dieu leur distribue , en lui donnant abondance de bleds pour lui et pour auirui ; mais aussi c'est Dieu qui dirige l'homme pru- dent pour faire ses travaux, qu'il ordonnera toujours avec raison, étant conduit par son esprit. Oril débitera ses bleds, comme il appartient , au profit du public et à son utilité privée, si, à Noël et non avant, il ouvre ses greniers pour vendre un tiers de ses grains, à qui lui en de- mandera aux prix Courants, conservant le reste pour débiter petit à petit jusqu'à la récolte, et. pendant ce tems il fermera ses greniers , lorsque le prix du bled se ravalera, pour les rouvrir, D' A GR:I:C U LT Ü R E, 339 quand il sera à prix raisonnable, bien que plu» sieurs par impatience pratiquent le contraire, Selon cette adresse , il fera ses affaires au con- tentement d'un chacun; car de vendre son bled aussitôt après l'avoir recueilli, n'est pas le fait d'un bon ménager, ni d'un bon politique , aimant les pauvres ( ou il seroïit pressé par quelque évè- nement extraordinaire) d'autant plus que depuis la récolte jusqu'à Noël, pour de l'argent chacun en trouve assez, ÿ ayant plusieurs personnes nécessiteuses , qui pour s'accommoder en ven- dent dans ce tems, et pendant cela le bon mé- nagér ayant le sien de réserve, le fera servir de provision à toutes sortes de gens en ayant besoin : qui en trouveront dans ses greniers jusqu'aux nouveaux. Ce faisant, le père de famille se trou vera à la fin de l'année avoir vendu son bled , sous différents prix, selon qu'ils seront haussés ou baissés, chèrement ou à bon marché, ce qui lui reviendra à profit et honneur , et le gardera . dela perte ou tombent ceux qui, par avarice, en attendent l'extrême cherté, en quoi très: souvent ils se trompent, étant contraint après avoir long- tems gardé leurs bleds de les laisser à meilleur marché qu'à la récolte. Il est besoin d'un bon avis pour en faire la vente en gros, et les trans- porter en grande quantité hors de la province \ Yi 340 THÉATRE en distinguant les tems. Si la saison a été fertile et abondante, c'est sans scrupule qu'on peut s'en défaire de la bonne moitié de ce qui seroit dans les greniers ; par ce moyen, une bonne somme de deniers tombera à la fois dans votre bourse ; et cela sans faire tort au public , en étant d’ail- leurs bien accommodé. Par le contraire, la ré- colte ayant été stérile ou de moyenne fertilité ; il n'est pas raisonnable d'en dégarnir le pays, vu même que dans votre maison , vous ne pouvez ! manquer de bien vendre votre bled sans vous mettre en autre peine. Ce n'est pas une chose agréable ni profitable de le faire charroyer par les marchés et villes d’alentour pour le débiter, parce qu'il y a en cela trop de souci, d'embarras et peu de gain, par l'inégalité des mesures et l'infidélité des serviteurs et autres gens, dont vous vous servez de nécessité en ce cas, et toujours quelque chose demeure à votre perte , n'étant si bonne vente que celle qui se fait dans votre grenier en votre présence , et Comme par vous- méme. Cet article sera commun pour le débit de toutes sortes de fruits et de denrées, dont le père de famille desire de l'argent ; savoir , -qu'il ne les doit jamais faire transporter à ses. dépens hors de sa maison, que par contrainte , et non de gaîté de cœur , la vente étant toujours DACRIGULTIURE . 34: meilleure chez soi qu'ailleurs, quoiqu'à moindre prix. C'est aussi le dire des marchands, qu'ils uennent pour Maxime ; Achète tant loin que voudras, Mais vends tant près que tu pourras. pour parvenir à cela , il est nécessaire au père de famille de mettre ses affaires en cet état ; qu'il puisse gaîment attendre le point de la vente de ses fruits, et n'être pas contraint de le rechercher impatiemment. Il tirera ainsi la raison du rapport de sa terre, selon les différentes qualités de ses biens, en leurs saisons. Il est quelquefois fort profitable au public, et en par- ticulier d'amonceler et assembler bled sur bled à année sur année ; au publie , quand en tems de famine ou de cherté, on trouve amas de bled dans les greniers d'un homme vertueux , Qui, à l'exemple de Joseph en Egypte, en distribue à ‘prix commun à toutes sortes de gens, en leur épargnant la peine d’en aller chercher au loin à et empêchant ainsi quelquefois de mourir de faim le pauvre peuple; en particulier, c'est sans doute que cela arrivant à propos, le ménager en tire beaucoup d'argent à son avantage ; mais. ces attentes étant une chose hasardeuse , que Dieu maudit, quand le but tend à l'avarice, le Y ii 342 THÉATRE père de famille fera bien d'essayer de se défaire de ses bleds chaque année, sans toutefois s’y donner de la peine, si ses affaires ne le pressent. Et selon que le tems lui en fournira des avis, il avancera et reculera en cet endroit, en ne re- fusant pas de secourir de bled, ceux qui en au- ront besoin , en ce cas, tenant ses greniers ou- verts en tout tems. Il observera de garder ses bleds nettement et sûrement, ayant l'œil qu'aucun grain ne s'en dissipe, quoique le prix en soit petit, et qu'il n'ait aucun débit ; ne faisant pas comme plusieurs mal-avisés qui ne tiennent pas compte du bled, non plus que du sable, qu'alors qu'il se vend seulement bien. On remuera, éven- téra , et revisitera avec la pelle les bleds du gre- nier , trois ou quatre fois l'an, pour en ôter la. poussière et toute la mauvaise odeur qui pour- roient y être. On raccommodera en même tems les fentes et nouvelles ouvertures du grenier, pour en bannir les rats, et ensuite les bleds seront remesurés, pour que là-dessus le père . de famille fasse son compte. Le cas arrivant … d’en faire la vente en gros, il n'oubliera pas au … préalable cet éventement, qui lui pr ofitera pour le moins de deux ou trois pour cent, qu'il pers droit, en mesurant le bled du monceau qui auroit demeuré pressé durant toute l'année. Au D'AGRICULTUR E. 34/3 contraire, par cette adrresse , le bled s'enfle dès lorsqu'il señt l'air, dont il occupe la place après, et s'arrétant à l'avis des anciens pour vendre son bled , ilattendra le plein de:la lune , parce que le bled croit et décroït en même tems et avec cette plante. C'est une chose bien éprouvée que les bleds dimmuent d'eux-mêmes en séjournant au grenier, quelques bien qualifiés qu'on les y mette ,'et ce, depuis la récolte jusqu'à Neël, de quatre ou cinq pour cent , plus ou moins, selon que le grenier se rencontre sec ou humide. Ainsi accouplant en cet endroit la capacité du bled , avec son poids, dont nous avons ci-devant parlé, ce sera pour ne rien laisser en arrière de ce qui appartient à cette espèce de ménage. Fin du second Lire: Y iv THÉATRE SE) +. Es THÉATRE D’ A GR I CU LAURE. LIVRE TROISIÈME. CHAPITRE PREMIER. Qualités du vin: lieux célébrés par sa crois- sance et par le profit de la vigne. À près le pain, vient le vin, second aliment donné par le créateur à l'entretien de cette vie, et le premier célébré par son excellence. Il est employé, non seulement à la nourriture des hommes, mais aussi à la guérison de plusieurs maladies, avec étonnement , par la diversité de ses effets ; car il échauffe le corps, pris intérieu- rement , et le refroidit appliqué par dehors en D'ABGRLOQUE TU R EF. 3435 cataplasme. Bu en petite quantité , il éveille et fait revivre"celui qui, par défaillance de cœur, se meurt; et en grande quantité, il endort et tue l'igrogne , devenant l'instrument de toute intempérance , pour ceux qui en abusent immo- dérément ; et au contraire, il aiguise l'esprit, pris selon son légitime usage. Ces choses s'ac- cordent au dire d'Anacharsis , que la vigne pro- duit trois grappes, la première de plaisir , la seconde d'ivresse , la troisième de tristesse et de pleurs. Le vin a été de tout tems en grande ré- putation, comme on le prouve par divers témoi- gnages, même par le discours des trois jeunes hommes de la cour du roi Cyrus, qui mirent le vin en rang avec les deux autres plus grandes choses du monde; savoir , le roi et les femmes. Ce fut la force du vin qui attira les armes des Gaulois en Italie, quand Arion Clusien , irrité contre Lucumo, qui lui avoit violé et ravi sa femme, les appella dans la Toscane , pour y faire la guerre , en vengeance d'un tel outrage, en se servant, comme pour amorce du vin, qu'il leur porta, duquel ayant goûté, ils furent aussitôt délibérés de partir de leurs pays, où cette li- queur n'étoit pas connue alors, pour aller con- quérir la terre produisant une si précieuse boisson. Mezentius, roi de Toscane, donna du secours 346 T:HÉ'ATRE aux Rutulois, contre les autres habätans de 12 campagne de Rome, dans l'intention de piller les bons vins qu'on y récoltoit. Qu'ant à l'inven- teur du vin, nous nous arréterons. à celui que la SA Ré nous marque , c'est-à-dire à Noé, laissant les imaginations des Payens, dont l'ignorance les a tant fait égarer, que confuse- ment ils ont donné cet excellent titre, les uns à Denis, fils de Jupiter, nonimé aussi Bacchus et pater Liber, pour la liberté du vin ; les autres à Icarius, père d'Erigone; à Saturne; à Eumolpe et à d'autres, que je laisse avec raison. On conserve le vin long-tems en son entier ; s'il est bien qualifié et mis dans un lieu ainsi qu'il appartient. Pline dit que le poëte Pom- ponius secundus donna un banquet au prince Caïus-César , fils de Germanicus, où il ne fut bu d'autre vin que de deux cents ans, qui , par sa rareté, coûtoit cent deniers l'once. Thevet dans sa cosmographie affirme avoir vu dans l'ile de Lemnos, un vase de terre contenant un demi muid , trouvé dans des vieilles masures, rempli de bon vin, qui y avoit demeuré plus de six cents ans , comme ccla paroïssoit par certains mots écrits au vase. L'an 1557, en fouillant les ruines du vieux château de Loudun en Lan- gucdoc , afin d’en tirer des pierres pour bâtir D'AGRICULTURE 347 ailleurs ; og découvrit un caveau , où l'on trouva un tonneau entier, dont le bois ayant senti l'air, tomba en poudre , laissant la lie affermie de la forme du tonneau, qui, ayant été percée fut trouvée remplie de très-excellent vin, au juge- ment des honorables voisins, à qui le baron du lieu en envoya pour merveille. La viellesse de la démolition du château montroit évidemment que ce vin-là y avoit demeuré un grand nombre d'années. Chanter les louanges du vin, et prêcher ses vertus , n'est pas le sujet de ce discours; c'est pourquoi nous contentant de ce qui en a été touché , nous viendrons au moyen pour le faire produire en toute abondance et perfection de bonté. Dieu pourvoyant à la nécessité et à la volupté de l'homme, lui a donné tant de sortes de raisins différens en figure , couleur et saveur, que la contemplation -en est admirable, et le récit impossible , tant la variation de ce fruit est grande; et les pays et terroirs où les vins les plus exquis croissent , ont été du tems des an- _ciens et le sont encore , plus remarqués à cette occasion , que sous tout autre rapport, soit du bled , soit de la chair, etc. à l'égard des bons vins, les anciens Romains faisoient grand cas des iles de Scio, de Cos, de Sicile, de Mételin, “ 4,7 34 L'HÉ AT A de Falerne , de Clamozène , de Linternum (lieu aussi renommé à cause de la dernière demeure de Scipion-l'Africain }, et d’autres parties loin- taines dedans et dehors de la mer, d'où les excellents vins étoient portés pour leurs banquets. Jules César revenant victorieux d'Espagne, et aussi en son troisième consulat, fêta le peuple romain par toute la largesse des vins précieux et singuliers apportés de loin. L'Italie au tems de sa grande prospérité, se fournit du plant des espèces de raisins les plus remarquables, prises des meilleures contrées de la terre; c'est pour- quoi, sur plusieurs nations, l'Italie emporta an- ciennemeni le bruit de produire de bons vins. Ces délicatesses ne se sont seulement pas arrêtées en Grèce et en Italie : les mers, ni les Alpes, n'ayant pu empêcher qu'elles n'ayent passé Jusques en ce royaume, ou dans plusieurs endroits à présent, le vin de Grèce et la Mal- voisie de Candie ne sont pas inconnus , non seulement s’en trouvant dans les boutiques des apothicaires pour remède , mais des vignes toutes entières, complantées des plus exquises espèces de raisins, prises directement ‘en ces régions étrangères. Témoin , entr'autres la vigne, du clos du roi à Couci, façonnée du plant de Grèce; ce qui fait que ce royaume ne cède pas D'ACBEICULTU RE. 349 à l'Italie en ces singularités ; en quoi l'on s'est si bien dressé , que rien autre chose que la cu- riosité n'en fait aller chercher ailleurs le bon vin , tant il y croît précieux et délicat en difié- rents endroïts. On en voit la preuve par les excellents vins blancs d'Orléans, de Couci, de Loudun en Languedoc, d'Anjou, de Beaune, de Joyeuse, de Cornas , de l'Argentièrce, de Lambras dans notre Vivarais; de Gaillac, de Rabastenc , de Nérac, d'Aunis, de Grave. Les friands vins clairets de Cante-Perdrix, du terroir de Beaucaire, de Castel-Nau, de Moussen-Giraud, de Baignols, de Montelimard, de Vl/eneuve- de-Berg , ma patrie ; de Tournon , de Ris, d'Ay, d'Arbois, de Bordeaux, de la Rochelle, et autres de différentes sortes, qui croissent dans les provinces de Bourgogne , d'Anjou, du Maine , de Guienne , de Gascogne, du Lan- guedoc, du Dauphiné, de la Provence. Au- dessus de tous les vins paroiïssent les muscats et blanquettes de Frontignan et Miravaux en Languedoc, dont le valeur les fait transporter par tous les recoins de ce royaume. Les passe- rilles ne doivent pas en cet endroit être oubliées, que l'on fait dans les lieux susdits, et aux en- virons de Montpellier de raisins à ce propres, 350 LTH.É.A TRE très-bonnes et en si grande quantité que toute la France s’en ressent. L'abondance des bons vins qué ta vigne pro- duit, la rend très-recommandable. Outre ce rapport, elle donnc du vin de dépense pour le ménage, qu'on fait avec de l'eau sur le marc des raisins : des sarmens pour brüler.en la tail- lant ; et dans certains endroits des chevelues et des marcottes, dont on tire de l'argent par chaque année. Ces choses servent, en déchar- geant les façons de la vigne , à lui faire rendre plus nettement son revenu. Elle excelle en cette qualité sur les herbages et les terres à grains, selon le témoignage de Columelle, qui dit, qu'en Italie, de son tems, l'arpént de terre con- verti en forêt, pâtis ou prairies, ne profitoit par an pas plus de cent petits sesterces, chacun de dix deniers oboles, valant ensemble un écu, vingt-sept sols six deniers de notre monnoye , et les terres à grains ne faisoient pas plus du quart, comme il a été dit ailleurs. Mais que la vigne rendoit sans comparaison plus de profit qu'au- cune de ces parties de terre , même que la vigne a cela de commun avec les herbages, que sans aucune mise de semence , par chaque an, elle produit son fruit, si le tems ne lui est pas con- traire , ce qu'on ne peut espérer des terres mon er - ee Le ee Pit ) HA CGPRIICUILIT U R E. 351 labourables , qui ne seroient d'aucune ütilité sans mise de semences, ni séjour de quelques années. Pline, à la louange de la vigne , fait un grand rôle des hommes qui, le tems passé , l'ont heureusement cultivée ; le récit qu'il fait de sa fertilité étant admirable ; de même que, c'est une chose étrange ce que Columelle écrit des vignes de Caton , de Varro, de Sénèque et autres de son tems, qu'il fait si fertiles, que l'arpent produisoit vingt, trente, quarante muids de vin et d'avantage. Aussi, il dit avoir vu des seuls ceps porter deux mille grappes de raisins, de quoi on pourroit s'étonner ( même jusqu'à dou- ter de la continuelle suffisance de la terre, en vieillissant, dont parle Columelle ), sans ce que nous voyons de quelques coins de vigne , qui rapportent prodigieusement, quoique très-rares. C'est véritablement une chose assurée , qu’une bonne vigne rend grand profit à son maitre, quand elle est placée en bon lieu, peuplée de bonne espèce de raisins, artistement et diligem- ment cultivée, comme on le remarque en plu- sieurs provinces de ce royaume ; et il n'y a point d'autre chose qui ait tant fait décrier la vigne (comme on le voit en divers lieux, dont on n'en tient pas grand compte), que la paresse gros- sière , qui fait rejetter la vigne, parce qu'on 352 THÉATRE n'en a pas voulu connoître les causes; l'ignorance de beaucoup de gens faisant aussi craindre cette sorte de labourage ,en y économisant par avarice, et c'est la dépense qui fait le plus honorer et priser la vigne. Ce n'est pas ici l'application de l'humeur de Caton, en ce qu'il n’estimoit ni les hommes, ni les terres de grande dépense, quoi- que de grand rapport ; d'autant plus que c'est folie de penser que la vigne rapporte beaucoup, si au préalable on n'y employe le travail néces- saire, qui ne peut se faire sans frais, d'autant plus grands, que plus on desire avoir des raisins en grande quantité, qui ne peuvent provenir que de la précédente dépense. Ne seroit-ce donc pas la preuve d'un mauvais jugement , que de ne pas vouloir moissonner par l'économie du semer. En un mot, c'est autant qu'on veut que la vigne porte. Sur cette maxime , Columelle dit, que Palladius- Vétéreuse ayant deux filles à marier , et pour tous moyens une seule vigne, en donna un tiers en dot à chacune de ses filles; employa après autant de labour à la partie qu'il s'étoit reservée, qu'il desiroit faire au total; et par l'abondance du fruit qui en sortoit, quoique d'un tiers de la vigne entière, il trouva avoir marié ses filles sans diminuer son revenu. À la recommandation de la vigne tend aussi 4 le DA GR mCMLIT UÙ R E. 353 le testament at celui qui, partageant son bien entre ses deux fils, en donna à l'ainé, bon mé- nager et diligent, la partie la plus facile à con- duiré , comme rentes, prairies, pâturages ; et à l'autre, jeune homme débauché et paresseux , celle où étoit nécessaire le plus de labour, qui étoit une belle et grande vigne ; dont celui-ci se plaignant , supplie son père, réformant sa dispo- sition, dé l'approprier à l'humeur de ses enfans. Mais aussitôt il cessa sa poursuite , quand le père lui eut dit, que dans la vigne il ÿ avoit un trésor caché, qu'infailliblement , avec un patient labeur , il trouveroit à son grand profit. Le père décédé , le jeune homme se mit incontinent à la recherche de son trésor, et fouilla tant sa vigne par des béchemens profonds et réitérés, ainsi qu'avec la hoûüe , que dans quelques an- _ nées elle se rendit très-fertile, en rapportant des vins en grande abondance , ce qui étoit le trésor entendu par le père ; et le fils devenu riche, par double bien, se rendit diligent au travail, par habitude, oubliant sa précédente faiméantise et débauche. Tome I. | | Z s 354 THÉATRE CHAPITRE IT ‘Election du lieu et du complant de la vigne. L'an, la terre et le complant sont le fonde- ment du vignoble. De leur assemblage provient l'abondance de bon vin, de longue garde, qui n'est pas sujet à se corrompre et Chariable pour le débit ; sans cette concordance le vin cloche en quelque qualité. Pour n'y pas manquer, on prendra garde soigneusement à ces choses, avant que de se mettre en dépense pour édifier la vigne; de même que pour dresser un moulin avec la commodité de l’eau, la tombée du bled est nécessaire pour moudre, but de son revenu. Le climat et le terroir donnent le goût et la force au vin, selon leurs propriétés, de telle façon, qu'il n'est nullement possible de réduire, en certaines espèces, les différences des vins, ou qu'un même plant de vigne, mis en divers lieux, produira autant de différentes sortes de vins, que différemment ils seront logés. Cela se voyant ordinairement, que où le ciel et la terre favorisent entièrement le vignoble, là in- | | D'AGRICULTURE,. 355 différemment toutes sortes d& raisins produisent du bôn vin toutefois meilleur, qué mieux la race en est choisie. Au contraire nul raisin, quoique bon de lui-même, ne rend qu'un pauvre et foible vin en pays forcé, et qui n'est pas du tout propice à la vigne, surpassant néan- moins là, plus en bonté, le commun , que l'es: pèce en sera meilleure. Réformer l'air pour l'ap- proprier à la vigne , n’est pas l'ouvrage d'homme. C'est pourquoi où les froidurés règnent trop long-tems et trop violemment, il ne faut pas s'attacher à planter la vigne, qui ne pourroit y venir; ou si elle y poussoit , elle ne produiroïit aucun fruit, et encore qu'elle le produisit, il né pourroit parvenir en maturité. Îl en est de méme des chaleurs ardentes, sous lesquelles , ni le bois de la vigne ne peut être de longue durée , par cette mtempérie, se desséchant trop , au danger de sa vie ; ni les raisins y fructifier , asi qu'il appartient , Sy brülant trop pendant les jours caniculaires. Nul endroit de ce royaume n'est ex< posé à ces chaleurs incommodes , parce qu'étant posé sous l'une des deux zones tempérées ; il est parconséquent en cette qualité tout tempéré, cest pourquoi nous ne serons pas détournés d'y faire des vignes ; mais nous le serons bien par les froidures en plusieurs endroits, ou à causé Zi \ 356 T H É A TIRE des pays bossus qui y forment de hautes mon- tagnes et profondes vallées, où l'air est tellement refroidi, que la vigne n'y peut croître. Et en outre , les provinces septentrionales sont d'au- tant plus froides , quoique sises en campagnes plattes, qu'elles ont le pôle artique élevé sur elles, ce qui leur ôte la faculté de laisser croître Ja vigne ; par cette raison, on voit la Normandie, la Picardie, la Bretagne et d’autres refuser la production du vin ; à son défaut, ces provinces sont contraintes pour boisson de s'accommoder de fruits et de grains. Ne pouvant atteindre le vrai milieu, comme en toute action humaine, presque jamais cela n'arrive que par rencontre , le meilleur sera de planter la vigne plutôt en pays chaud, que froid, à cause que le naturel des raisins est d'aimer mieux la chaleur que la froidure, comme cela est reconnu dans les forts et excellents vins procédants des contrées chau- des, pourvu qu'elles soient hors des extrémités méridionales ci-dessus remarquées. Si votre cli- mat souffrant l'accroit de la vigne est plus froid que chaud, plantez à l'aspect du midi; s'il est plus chaud que froid, à celui du septentrion. S'il est tempéré, sans autre observation que de votre commodité, vous logerez votre vigne au levant et au couchant, préférant le levant à tout DOMGBTDCULTUERE Ss autre aspect , sous toutefois la distinction de certaines espèces ci-après notées. Quant à la terre, la vigne la desire vigoureuse et de bonne volonté , légère , m lâche, mi pe“ sante, plus sablonneuse ; qu'argilleuse , plus me- nue et subtile, que grosse et épaisse ; plus maigre que grasse , plus sèche qu'humide, mêlée plutôt de petites pierres et gravois, que de n'en avoir aucunes, ou d'être importunée de rochers ; vuide de tous arbres , plutôt que d'avoir quelqu'om- brage , si petit qu'il soit ; venant de pâturages ou terres novales et en friche, plutôt que de labourages : ; et de labourages, plutôt que de vieilles vignes , le lieu pour mettre la vigne se choisissant ainsi par degrés. À la qualité de la terre il convient de joindre la situation, le ecoteau l'emporte sur la plane et la montagne par la commodité du relevement, ailleurs représenté , et si utile en cet endroit, que toute autre assiette délaissée , celle-ci est mise au premier rang. Par cette cause on rejet- tera pour la vigne les fonds des vallées et be sommet des montagnes, étant autant ou plus à craindre les bruines des premieres, que les froi- dures des dernières, à quoi on ajoutera la con- sidération de la maison , dont la vigne veut être fort près, pour le profit et l'agrément. Z ii} 398 THÉATRE Il ya du remède au défaut de la terre; mais ce n'est qu'avec de la dépense qu'on l'amendera. Les fumiers, le sablon et les cendres engrais- seront la terre trop maigre, amaigriront la trop » grasse , allégeront et rendront menue la trop pesante et grosse; en un mot, ils prépareront la terre pour la vigne ; si, sans regarder aux : frais, on y fait charrier de ces matières-là, en : si grande abondance, qu'elles suffisent pour | surmonter les imperfections naturelles. Si la terre à vigne est aquatique , l'eau en sera épuisée par des tranchées ouvertes ou fermées , avee des pierres dedans, comme il a été enseigné , et en même tems, il sera aussi remédié à la planure, celle de la montagne ou pente trep droite, sera * adoucie par des murailles traversantes, appel- : lées bancs et colles , qu'on bâtira à pierre sèche, | par économie en plusieurs endroits , tout contre | l'une de l'autre , les alignant comme au niveau, | pour retenir la terre , afin que les pluies et fré- … quents labeurs, ne la ravalent en bas, pourvu que la commodité de la pierre étant sur le lieu ” ou près de lui, favorise l'œuvre. La pierre man- quant, ces traverses seront faites de hayes vives, . qu'on composera de grenadiers , coudriers , coignassiers et semblables plantes de rejet, qui. serviront assez bien à cela, leurs fruits payant se RE Lie Er / D a is D'ALGRICULTURE. :359 en outre la jerre , qui par ces plantes pourroït étre occupée. On ne peut corriger le vice du vallon , quand il est par trop enfoncé, qui ne supportant pas l'épuisement, rend le remède im- possible ; même par l'injure des bruines fré- quentes, contre lesquelles il n’y a aucun moyen de résister. Quant au lieu trop pierreux, le seul moyen est d'en ôter tout le superflu et nuisible; en le transportant dehors, ou en l'enfouissant sur la place même, comme il a été dit ailleurs. Le fonds étant chargé d'arbres ou occupé de vieux ceps de vigne, on sera débarrassé en ôtant soigneusement ces choses, pour l'utilité de la vigne, qui se plait d'être seule, et au contraire, se fâche jusqu'à mourir, du voisinage d’un autre que de son espèce. La vigne étant loin de la maison , il ne faut que la bien clorre pour ôter l'espérance aux larrons d'y entrer, en faisant ensorte que personne n'y ait accès que par votre permission. Toutes ces choses peuvent se faire avec de. l'argent, moyen assuré pour faciliter plusieurs difficultés, Dieu ayant donné à l'homme la liberté de cultiver la terre à son plaisir. Si en outre, nous sommes contraints de planter la vigne dans un endroit, ne produisant de lui- même qu'un vin petit, nous y mettrons les es- pèces de raisins qui rapportent abondamment, Z 1 360 T-n.É#,A1:TIROE afin de récompenser par la quantité, ce qui pourroit y manquer sur la qualité. Le lieu étant plus froid et plus plat que nous ne désirerions; nous y placerons les sortes de raisins qui ont peu de moëlle, qui, à cause de leur naturel, résistent mieux que nulle autre, aux bruines et frimais qui sont plus fréquents dans les lieux bas qu'aux relevés, et aussi celles qui ont les grains rares, clairs, durs, et faciles à mürir promptement ; parce que n'étant pas d'eux-mêmes trop sujets à la pourriture , par leur prompte maturité , ils y profitent raisonnablement. Ainsi, compensant ces choses par la lenteur du fonds et hâtiveté du raisin, la vigne se rendra de passable revenu. Le contraire néanmoins ne doit pas être observé dans l'assiette opposée à la susdite ; car dans les lHeux chauds, secs, sablonneux et élevés, ies raisins faciles à mürir fructifient toujours mieux que les difficiles ; mais aussi la qualité de eette assiette avançant d'elle-même la maturité des raisins tardifs, fait que les meilleurs pour ces endroits, sont ceux qui tiennent l'entre-deux de cette qualité ; et en outre, dont les grappes ont les grains tout contre l'un de l'autre, subtils et délicats , et qui perdant vite leur fleur, ne craignent pas trop les brouées, gelées, ni les fortes chaleurs ; ils ne se pourrissent pas non PAAMRORU CUILETEU R E. 361 plus, ni ne flétrissent pas extraordinairement par les pluies et les sécheresses ; mais résistant vigoureusement à l’une et à l'autre intempérie, outre la faveur de l'assiette, ils rapportent cette qualité et quantité de vins si recherchées. L'article du complant est tout à la disposition du ménager, pouvant le choisir tel qu'il le desire ; c'est pourquoi ce sera preuve de son ignorance , et à sa honteuse perte, s'il fournit son vignoble de plants, de raisins infertiles, ou de peu de valeur ; mais moyennant un bon choix de com- plant , ayant l'air et la terre propres , il rendra sa vigne excellente pour produire abondance de vins précieux. Ce point consiste tout dans l'expé- rience , science sûre pour cette culture. L'avis de Columelle , qu'il tire de Caton et de Celsus est, de ne planter aucune sorte de vignes, que le bruit commun n'autorise pas : comme de ne pas garder long-tems le complant, s'il n'est pas trouvé bon par expérience. Suivant ce conseil salutaire , nous nous résoudrons à fournir nos vignes des espèces de raisins, qui chez nous, ou près, rapportent une grande abondance de bons vins et de longue garde, afin qu'avec plus d'as- surance de profit, et moins de hasard, nous puissions dresser notre vignoble, que plus in- génieusement nous nous serons employés en cet 562 THÉ ANTIRLE endroit. Ce n'est pas toutefois un commande- ment si strict, qu'on ne puisse se dispenser de se fournir de complant de vigne, d'ailleurs que des voisins ; et qu'il ne soit raisonnable, les bonnes races manquant près de nous, d'en aller prendre au loin; car, ce seroit toujours en venir à n'avoir pas d'autre vin que d'ordinaire, chose à quoi les gens d'esprit ne s'arrétent pas, mais ils tâchent non seulement de corriger les défauts qui peuvent être dans leur ménage , maïs encore à exceller par-dessus le bon et le beau qui y est, sur-tout en matière de vins, où chacun desire de n'être second à aucun, par la gloire d'avoir chez soi le meilleur vin de la contrée. A cela néanmoins, il convient d'aller fort retenu, afin que trop de curiosité ne rende pas vains nos projets. Le moyen de ne pas glisser en ce pas, n'est pas impossible , mi trop difficile, pourvu que vous vous y employiez vous-même, sans croire que beaucoup de gens y puissent vous satisfaire. Sans vous arrêter donc aux discours et promesses d'autrui, en voyageant près et loin de votre maison en tems de vendanges, vous contemplerez soigneusement les espèces de raisins que vous y verrez, pour vous instruire , afin d'en tirer dans la saison des races, s'il y en a qui vous plaisent, n'oubliant pas alors de D'A GRICULTURE, 363 prendre des renseignemens aux gens du pays, de l'ordre qu'ils tiennent pour planter et gouverner leurs vignes, et pour faire et conserver leurs vins ; afin que comparant ces choses aux vôtres, en semblable action , vous puissiez en espérer plus d'utilité, que les qualités s'en trouveront moins discordantes , et quoique vous y remarquiez quelque différence, vous ne vous arrêterez pas pour si peu. Si vous voyez même à l'œil ces espèces surpasser les vôtres , en délicatesse de raisins et rapports, en vous assurant que le changement d'air et de terre ne les fera pas tant décheoir, qu'il n'y reste encore un peu de vertu , afin qu'elles fructifient chez vous ; non pas aussi bien que du lieu d'où vous les aurez tirées ( en ne rendant pas le vin aussi bon, que sur leur propre mère) ; mais ils feront bien mieux sans doute que vos communes. Ainsi lont pratiqué heureusement plusieurs dans ce royaume, en diflérents endroits , qui ont élevé des vignes grecques , italiennes et d'au- tres tirées de loin. Comme le sieur de Mont- basenc en a planté une de Grèce, et le sieur de Saint-Dezeri une de Malvoisie, dont les crocettes ont été apportées directement de Candie. Toutes sortes de plantes ont ceci de commun 364 ŒHE À TRE avec les semences , qui est de désirer la mu- tation de bon en meilleur terroir, ou pour le moins, de ne perdre rien au change, par la crainte de la perte, en le mettant de bon en mauvais endroit, Sur cette maxime on ne s'ar- rête pas entièrement en fait de vignes, parce que desirant en avoir d'excellentes , il faut de nécessité s'en pourvoir des lieux où on les trouve, qui communément sont méridionaux à notre aspect , plus chauds et plus fertiles pour la vigne que les nôtres. Dans ce cas, biaisant nous sur- monterons ces difficutés, en les plaçant si bien chez nous dans une terre soigneusement pré- parée, qu'elles se ressentent du changement le moins qu'il nous sera possible. On doit remar- quer qu'il ne faut pas se fournir de crocettes de vignes arbustives pour en faire des basses, ni de basses pour les arbustives ; le gain étant plus assuré, en les prenant chacune de son espèce, pour continuer leur cours sans altéra- tion. Néanmoins on se dispense quelquefois sur cet article selon les rencontres, c'est pourquoi il faut tout observer avec prudence. Que la fer- lité des raisins en année abondantemne vous trompe pas ; car en riche saison de vendange , toutes sortes de vignes, jusqu'aux moins prisées, DIN TC U L T U RE: 365 fructifient largement. En voyant un ou deux raisins à an serment , ne l'estimez pourtant pas des meilleures races ; mais faites plutôt cas des espèces qui, en tems presque stérile, produisent à foison , et de celles dont chaque sarment jette trois ou quatre raisins ou davantage. Prenez-garde aussi d'être trompé aux noms des raisins , à la recherche desquels git plus de curiosité que d'avantage ; même une confusion telle, que s'y arrétant, on n'en pourroit retirer aucun agrément. La révolution des siècles et la distance des lieux, ont tellement diversifié les noms des raisins, qu'à peine s'entend-on aujour- d'hui d'un terroir à un autre ; je ne dirai pas de province à province; car ici l'on nomme telle sorte de raisin qui est blanche et hâtive, qui là se trouve noire et tardive, la différence étant tellement grande en cet endroit, qu'aucun fon- dement ne peut y être assis. La connoissance du seul raisin muscat nous reste, parmi le nom- bre infini des autres, à ce nom reconnu par toutes les nations. Les anciens le nommoient apian des mouches à miel, dites en latin apes ; quoique ce nom puisse étre communiqué à une autre sorte de raisins , où les abeilles s'attachent comme au muscat ; appellée à cette occasion 366 VHÉATRE,E par quelques-uns aberllane , étant de couleur blanche. Quant aux autres espèces , ce sont des lettres closes pour nous, que ce que les anciens agricoles , Hésiode, Mago , Cato, Varro, Vir- gile, Palladius, Columelle , Pline, Constantin- César , et autres écrivent de leurs vignes, 4m1- nées , venuncules, cerauntes , de Rodes, de Nu- midie , maronnées, vésuviennes, nomentanes , sisules, Eugénres ou de bonne nature, héluoles , arqules , cocolubes , basiliques où royales ; per- gualanes , frégellanes, murgentines , albuelis , Re d'AbT, hélueuques, Duracins, Dracon- tion, Ammethyslon , Berruieres, Archelaques , Scipiones. On ne reconnoït pas non plus aujourd’hui, par toutes les provinces, les noms des raisins, dont on use le plus en divers endroits de ce royaume , qui sont, Z22gr1er, pivot, pique-poule, meurlon , fotrard , brumestres , piquardant À ugNes , CAURES , Samoyran, Ribrer, Beccane, Pounhete, Rochelois, Bourdelois, Beaunors, Maiorisie, Meslier, Marroquin, Bourboulenc , Colitor, Voltoline, Corinthien ou marine-norre, grecs, sulers, ÆEspaignols, augibi, clerete, prunelat, gouest , aberllane, pulceau, tresseau, lombard , morillon , sarminien , chatus, la be D'AGCRICGULTURE 367 melle, et autres infinis, qu'il seroit impossible de donner æn détail. Virgile en dennant ce témoignage , dit que La vigne est différente En autant de surnoms, Comme on voit abondante La Lybie en sab:ons. Par cette confusion de noms, il n'est pas pos- sible d'assigner à chaque espèce de raisins sa place et son gouvernement particulier , quoique cela fût à desirer pour l'avantage de la vigne. Car’, comment pourrions-nous ordonner exac- tement de ces choses, vu que nous ne recon- noissons pas du tout les noms dont il est ques- tion ? Or, n'importe quelques noms qu'ayent nos vignes, pourvu qu'elles soient de la bonté requise. Et afin qu'elles répondent à notre in- tention , il est nécessaire dans la recherche du complant, que le père de famille ait cette grande connoissance , qui consiste dans son œil et son jugement , dont nous avons parlé , faute d'elle, il manquera aussi à son vignoble ce qu'il desire le plus : ou ce seroït qu'il fut pourvu de quelque vigneron entendu, dont le savoir et la fidélité ne lui fussent pas suspects, qu'il payera largement, et non pas au prix de ceux qui communément 368 TH É A TRS cultivent la terre. Nous i insistons beaucoup avec raison sur cet article , parce que la mauvaise plante coûte autant à élever et entretenir que la bonne ; et que la terre n'est pas plus occupée à la nourriture de l’une que de l'autre. Cependant celui qui ne voit pas la différence de l'une à l'autre , qui préfère l'infertilité à la fertilité, ou seulement par une paresse déplacée , les égale ensemble, ne montre-t-il pas qu'il manque de bon sens? D'autant plus que c'est une chôse qu'on ne refait pas tous les ans, que la vigne (comme les semences des jardins et terres à grains ) qui étant mal choisie dans son principe, ne peut s'attirer que du dédain , en voyant perdre la dépense employée à l’élever. On doit donc prendre garde soigneusement à ne pas se tromper en plantant la vigne, puisqu'il y a tant de diff- culté à en corriger les défauts, et qu'elle est destinée à dent long-tems, même en certains pays ; quelques générations. Par raison et par expérience , on ne doit pas retenir pour bons d'autres maillots, mailletons , crocettes ( différemment appellés selon les con- trées, et ainsi dits, par la ressemblance qu'ils ont avec les crosses ét maillets, à cause du vieux bois qu'on leur laisse au bout ) et chapons , que ceux qu'on tire d'un cep fertile, et encore de sa partie FRERE PR Po D'AGRICULTUR E. 369 partie la plus assurée en fécondité, en quoi il y a du choix, d'autant que tout ce qui vient d'un bon cep, n'est cependant pas bon à fructifier, mais seulement ce qu'il jette sur le bois tendre de l'année précédente , qu'on appelle tête de rapport, ou pourtoirs, parce quil apporte le fruit ; mais non des rejettons sortans du bois dur du cep en bas, qui sont de faux bourgeons, ni aussi des parties plus élevées , maïs seulement ce qui nait au milieu du cep. Le reste, quoique gros et épais, n'ayant aucun fruit, montre seu- lement l'image de la fertilité, sans nul effet : et en vous en pourvoyant , ce sera plutôt cultiver la vigne pour l'ombrage , que pour la vendange ; par l'ignorance de ne pas savoir bien choisir les crocettes ou maillots, ce qui est la cause pre- mière que nos vignes sont peu fertiles ; et après, par un mauvais gouvernement , elles deviennent entièrement stériles. Les tronçons des raisins restants sur les sarmens font preuve de la ferti- lité requise des crocettes, sur quoi il sera facile de prendre avis, rejettant, comme infructueux, ceux où ces signes ne paroissent pas , par le doute de perdre peine et dépense. Aussi est-ce un témoignage de fertilitéquand elle a lesnœuds tout contre l’un de l’autre ; étant toujours peu fructi- fantes les vignes dont les sarmens sont noués Tome L. À a LL. Léo 370 THÉ AT R.E au large. Il faut aussi se donner de garde, comme. d'un passage dangereux de cueillir, des maillots d'une vigne , ayant souffert par la tempête l'été précédent , par le peu d'espérance qu'il y a qu'elle fasse une bonne fin, attendu que le bois de rejet étant contraint de naître après la tem- pête, ne peut devenir bien qualifié par trop de jeunesse pour cette année-là , et il devient in- habile à être converti en vigne nouvelle. Et contre l'opinion de ceux qui disent que les vins extraordinaires procèdent des raisins qui ne sont as bons à manger; préférez à toute autre race, ceux de meilleur goût, et vous ne pourrez man- quer d'en tirer satisfaction. N'étant pas toutefois incompatible que des raisins rudes au goût, ne puissent donner de bons vins ; mais cela arrive par la longueur du tems, qui donne le loisir aux vins de cette race d'achever de se faire dans le tonneau, et là, par vieillesse, d'acquérir sa bonté ; comme les pommes sauvages , se laissent manger faute d'autres, quand, à Ja longue , le tems les a rendues entièrement mûres. D'AGRICULTIURE. 391 : RAA EETRE LIT . Disposition de la vigne. C'ssr une chose très-hasardeuse de peupler la vigne d'une seule espèce de raisins, quoique des meilleures et plus assurées en bonté, d’au- tant qu'on seroit en danger de n'avoir aucune vendange , si le tems était contraire à cette seule espèce de fruit, dont votre vigne seroit composée ; comme il arrive toutes les années, que chaque race de raisins est tourmentée de son contraire. Celle qui aime le chaud, se perd par le froid ; celle qui se plait à l'humidité, se brüle en la sécheresse , et celle qui s'accroît par la seule force du soleil, se pourrit à la survenue des pluies, ainsi des autres. Pour avoir la vigne dans l'état qu'avec raison on peut la désirer, il faudra la fournir de cinq à six espèces de rai- sins, des plus parfaits en bonté que vous pourrez choisir , afin que le naturel de quelques-unes, par la rencontre des saisons à elles propres, rendent chaque année une quantité raisonnable de vendange, Ces espèces seront séparément À a:i 372 THÉ ATRE plantées et distinguées par de longs quarreaux, traversant la vigne en se renfermant à la nature de chaque espèce, à la qualité de la terre et du soleil, selon les différences qu'on remarque en tout lieu, afin que plus elles profitent, et plus facilement elles soient gouvernées, que mieux on les aura appropriées : même au tailler , ou le dommage est très-grand , s'il n’est fait comme il appartient, vu que l'une demande à être cou- pée promptement , l'autre tard ; celle-ci court, celle-là long ; chose difficile à faire, quand la vigne est confusément plantée par l'ignorance des vignerons , qui, sans voir la feuille des vignes, n'en peuvent bien discerner les espèces par ces divisions ; 1l est aussi plus facile de les marrer ou travailler à la houe , surtout, si étant égales , les ouvriers y peuvent trouver leur besogne taillée comme des tâches ; cela revenant à lutilité du seigneur , qui , par ces petites portions, avec jugement et moins de crainte d'être trompé , peut faire travailler ses gens, plutôt que si les espèces des raisins y étoient indistinctement amoncelées. On doit remarquer pour le raisin Per, qu'en pays plus chaud que froid , la vigne veut | être plantée au nord , parce que, cette partie du ciel étant plus aérée que nulle autre, les bruines D'AGRICULTURE 373 soient Ôtéesede dessus les raisins , leur plus dangereuse maladie , car elles leur causent des picotures noires , dont ils périssent ; cette sorte de raisins par sa délicatesse, étant à ce mal plus sujette qu'aucune autre. Aussi cet aspect leur profite par sa fraicheur , pour tempérer la maturité du raisin, qui de nature étant fort avancéé , par trop de chaleur , le précipite à sa ruine et le dessèche , ne pouvant faire bonne fin. On le pratique ainsi aujourd'hui vers Fron- tignan, lieu célébré pour les bons muscats, l'ex- périence y ayant fait connoître, que le nord est plus profitable aux raisins muscats que le midi. Columelle ayant pris garde dans son tems à cette primeur, l'a rédigé en avis, qu'ayant suivi chez moi, par un heureux hasard j'ai reconnu que la preuve se joint à la raison. En pays plus froid que chaud, toutes sortes de vignes indiffé- remment seront placées à l'abri, éloignées des froidures , tant que l'on pourra, ainsi qu'il a été dit, et touchant la taille, particulièrement le muscat sera taillé long , par les raisons ci-après représentées. La plus importante utilité de la distinction -susdite , est que la vigne étant ainsi disposée, on ne sera pas contraint d'en cueillir le fruit verd avec le mur, mi en danger de perdre la ven- À a ü} 374 THÉATREÉ dange hâtive, en attendant la maturité de [a tardive. Comme cela arrive à la longue par le tems, les larrons , le bétail et autres inconvénients qui proviennent du retard ; maïs on vendangera les raisins en leur droit point , par journées séparées, selon leurs espèces, plaçant ainsi sé- parément les vins dans les caves, pour après les mélanger en moût ou autrement, afin de leur donner le goût et la couleur que l'on voudra; alors les vins se rendront nobles, de bon goût, de couleur agréable et de longue gargle ; ce qu'on ne pourroit espérer, en mélangeant sans dis- tinction les raisins verds avec les mürs; les aigres avec les doux ; les rudes avec les délicats ; il ne vous est pas défendu toutefois de vendanger le tout ensemble , si vous en avez l'envie ; ce que vous pourrez faire en prenant la vigne par le travers des espèces de raisins, afin de les mêler également. Les raisins noirs par leur dureté sont estimés mâles, et les blancs par leur délicatesse, femelles. C'est pourquoi, les trois quarts dé la vigne seront plantés des premièrs , et’ le quart restant des derniers. Par ce moyen, la couleur noire surabondant , la conservation des vins en sera plus assurée, que si c'étoit la blanche, et la délicatesse des raisins blancs leur donnera ce précieux goût que chacun desire. Amsi, votre DA 6 me rœutTriu RE 975 vignoble deviendra proportionnément composé de tout ce que vous y cherchez. * Vous n'aurez pas moins de plaisir que de re- venu profitable de votre vignoble, ainsi disposé, qui sera en outre agréable à toutes sortes de gens de jugement, en voyant votre labeur ; quand, par ces distinctions, on se promenera aisément par toute la vigne , dans les allées faites à l'entre-deux des espèces de raisins, ce qui vous excitera à la visiter souvent, et ensuite à lui fournir les choses nécessaires pour l'augmen- tation de son revenu, comme par cette occasion de jour en jour vous prendrez avis ; à défaut de quoi beaucoup de nécessités et enjolivemens manqueront à la vigne , d'autant plus qu'on se soucie peu de ce que l'on ne voit point. Aussi le proverbe dit : Le cœur ne veut douloir Ce que l’œil ne peut voir. L'on s'abstiendra de planter dans la vigne aucun arbre , afin que sans embarras elle jouisse de la lumière et de la chaleur du soleil. Cet axiome se trouve suffisamment vérifié, que * L'ombre du maître . Fait la vigne croître. À a 376 T'R'ÉLAIDN E toute autre lui étant pernicieuse et préjudiciable. Que la vigne soit aussi éloignée du voisinage des racinés de toute autre plante, et que toute la substance de la terre soit donnée aux siennes seules, étant bien assuré que toujours la vigne souffre par l'approche de tout arbre quel qu'il soit. Mais, si cependant on en veut, les plus supportables sont ceux qui portent le moins de dommage ; comme les oliviers qui, d'eux- mêmes , ne nuisent pas beaucoup à la vigne, par quelque sympathie qu'on remarque entre ces deux plantes, avec la petitesse de ces arbres. Les péchers, aubergers , abricotiers , pruniers, amandiers, sont les arbres qui, par leur peu de branchages (excepté les abricotiers qui en ont beaucoup dans le lieu qui leur plaît ) nuisent le moins à la vigne. Le figuier et la vigne s'entre- aiment aussi ; mais le figuier étant fort touffu en branchage, opprime la vigne , il faudra être fort sobre à y planter ; quoique ce soit l'usage de plusieurs, mais à leur perte , comme en ven- dangeant la vigne, cela se reconnoît. Et de quel- qu'espèce d'arbres que ce soit , le moins qu'on \ en pourra mettre, sera le moins nuisible ; jamais au milieu de la vigne , ni dans un autre endroit, afin que la vertu du soleil ne puisse être entiè- rement ôtée au raisin ; mais plutôt à l'entour BA SR MCDDE ER Er. 77 de la vigne , même du côté du nord, parce que lesarbres sont là moins nuisibles qu'ailleurs , où ce seroit qu'il y auroit des larges allées traver- sant la vigne, alors on pourroit y en mettre. On voit de grandes variétés dans la manière de gouverner la vigne, où, depuis le plant, jusqu à la façon des vins, leur garde et débit, ilny a que contrariétés d'avis ; ne se trouvant point dans aucun endroit trois hommes qui s'accordent en- semble sur cette culture, si ce n'est dans le desir commun que chacun a d'avoir en toutes saisons abondance de bons vins ; ce qui me gardera d'en vouloir particulariser toutes les façons ; ce qui est une chose impossible et non néces- saire, mais qui me fera arrêter à ce que j'estime être le plus urgent pour avoir promptement un profitable vignoble. | Les anciens ont divisé leurs vignes en cinq sortes ; savoir, l'une traïînante et rampante à terre.-sans aucune élévation ; une autre soutenue d'elle-même sur la tige et son pied, un peu rehaussée, sans autre appui que son propre bois, une autre élevée et soutenue par des paisseaux et échalats ; une autre en treillage, hautemeni ; et la cinquième, jettée sur les arbres, s'aggraf- fant aux branches. La révolution des tems a ôté de cenombre la première, cette vigne rampante LR 2 378 2 2 THÉ AUTIRIE n'étant pas aujourd'hui en usage ; les autres quatre restant, que nous mettrons en trois or- dres , pour ne pas se confondre; savoir en basse, moyenne et haute , dont on se sert par-tout ce royaume , cependant différemment, selon les propriétés des climats, froidures et chaleurs qui règnent particulièrement dans les provinces. Nous accouplerions la basse avec l'échalassée , par la sympathie qu'on remarque entr'elles, ne dis- cordant pas beaucoup en qualités, si la pre- mière ne laissoit la qualité de l'autre, en mon- tant sur ses paisseaux. Comme aussi par la même correspondance , nous joindrions ensemble tou- tes les espèces des vignes , appuyées en quelque sorte, sans la différence notoire qu'il y a entre les échalassées et quelques perchées , à celles qui sont portées par les arbres. Ainsi pour l'ordre, nous les distinguerons comme dessus, en don- nant le nom de basse , à celle, qui sans aide se porte elle-même sur son bois; de moyenne , à l'échalassée , et à peu de perchées, comme celles à lignolot; et de haute , aux arbustives ou bran- chées , à celles qui sont soutenues des arbres, et d'autres élevées hautement en treillages. La plus prisée de toutes les vignes est la basse, même selon le jugement de Columelle; aussi c'est dans les endroits , où les vins les plus exquis croissent, D'A'G À CULTURE. _ 379 que la seulevigne basse est en réputation. Comme au contraire, l'arbustive ne produit le vin que petit, foible et verd; ce que remarqua Cynéas , agent du roi Pyrrhus, en passant par Rizza, qui proféra ce mot de risée, depuis si célèbre : qu'on avoit fait justice d’avoir si haute- ment pendu la mère quiavoit produitunsi méchant vin, que celui qu'on lui avoit donné à boire dans cet endroit. Tous les anciens n'ont pas été géné- ralement de cet avis. Quelques-uns ayant estimé les vins meilleurs, où les vignes étoient les plus élevées , et plus abondants , aux plus basses, chose contraire à ce que nous voyons aujour- d'hui, pour le goût et la quantité de raisins, qui est beaucoup plus grande aux vignes hautes qu'aux basses , et que le vin est beaucoup meil- leur aux dernières qu'aux premières. Le Lan- guedoc, la Provence, la Gascogne , une partie du Dauphiné, de la Guienne, de l'Anjou et ailleurs, ont presque tous des vignes basses, à cause de la chaleur de leurs situations. L'Isle- de-France, la Brie, la Champagne, la Bour- gogne , le Bourbonnois. le Berri et autres pro- vinces, n'ont que des échalassées et perchées, tant à cause de la nature de leur ciel, que pour continuer Jeurs coutumes. Dans le haut Dau- phiné, près de Grenoble et en Savoie, la plus 380 THÉ AT R Et grande partie est arbustive et haute, grimpant extrêmement haut sur les arbres, où l'on est contraint de les loger à cause des froidures des montagnes voisines. En Piémont et dans plu- sieurs endroits de l'Italie, les vignes fructifient abondamment sur les arbres, ce qui cependant nest pas par la contrainte du ciel, qui, là est assez chaud pour les meilleures vignes , mais par une coutume invétérée , tirée de l'antiquité. Parmi les vignes hautes, comme J'ai dit, sont les perchées et treillées, dont on se sert presque par-tout ; elles sont dans certains endroits plus par plaisir que par nécessité ; car on les façonne sur différentes sortes d'appui et rehaussemens (comme il sera montré) selon la commodité du bois qu'on a, d'où procèdent les inventions de ce ménage. ds Les anciens avoient le même soin pour gou- verner les vins, que les bleds, suivant la pro- priété des climats, à laquelle ils s'étoient entiè- rement pliés. D'après cet ordre, nous disposerons notre vignoble; c'est-à-dire que, sans rien altérer des coutumes , suivant le pays où nous serons, nous continuerons à planter nos vignes basses, moyennes Ou hautes, à cause du danger où nous nous exposerions d'encourir quelque perte par le changement, vu que trop de curiosité est DA GR EFCU LT U R EF. 35€ 1 toujours suspecte ; et nous tàcherons deles rendre parfaites en bonté par une culture industrieuse et diligente , autant que notre air et notre terre le permettront ; mais comme nous nous dispen- sons sur la matière , en cherchant au loin les bonnes races de raisins, quand il n'y en a pas près de nous , nous nous licencierons de même sur la forme, en empruntant, non seulement des pays voisins, mais encore des éloignés , quelques façons nouvelles pour nous, d'élever et cultiver la vigne, si nous y trouvons de l'avan- tage. Cependant jusqu'à un certain point , afin que les inventions n'ayant lieu que sous des rai- sons apparentes, sans beaucoup hasarder , nous ne puissious pas être trop éloignés de nos espé- rances. Dans la disposition de la vigne, il y a une contenue considérable pour la proportionner à nos usages. Si dans notre pays le vin croît bon, de bonne garde , et s'y vend raisonnablement, il ne faut pas craindre d'excéder en grandeur de vignoble, parce que les deniers que vous en retirerez, vous donneront un ample moyen de les bien entretenir ; ainsi qu’on le voit , étant près des grosses villes, des grandes rivières, comme de la Loire, de l'Allier, de la Seine, de l'Yonne, qui prennent les vins en Auvergne, 382 HE AB en Bourgogne , dans l'Auxerrois et ailleurs, et les portent à Paris et en d’autres endroits ; de même encore , quand on est près de la mer, du côté de Bordeaux et de la Rochelle, où l'on embarque les vins en grande quantité pour l'Angleterre, l'Ecosse, la Flandre, la Bretagne, la Normandie et autres pays. On le voit aussi près des montagnes froides , en différents quar- üers de ce royaume. Dieu pourvoyant à la né- cessité de tous ces pays, et d'autres qui man- quent de vin, a ordonné pour vignoble les terres ou voisines , ou bien éloignées, qui abondent en cet aliment. Mais si au contraire votre terroir ne produit que du petit vin, facile à se cor- rompre, Ou si vous n'êtes pas en pays pour le vendre , que feriez-vous d'un grand vignoble ? Ne seroit-ce pas sciemment vous surcharger de peine sans profit? c'est pourquoi contentez-vous d'élever des vignes, seulement pour votre grande provision, sans espoir de profit, en épargnant votre vin. Ce sera donc la règle de notre vignoble : que /e débit, comme l'article de revenu. Au débit, nous ajouterons que la vigne sera plus fructueuse, qu’elle sera plus primeraine , par le hasard qu'il y a à la longue garde du vin; car, quoiqu'il ne soit pas sujet à se corrompre, il n'est pas exempt de s'épancher ; outre que l'ar- D'À GR. 1.C U;LT U R E. 209 . gent venant toujours de bonne heure, il est plus prisé que celui qui se fait long-tems attendre. Les vins musêats ont cela de particuliers, qu'ils peuvent être en vente, presqu'aussitôt qu'on les a exprimés des raisins, par cette précocité , ils évitent toute crainte de les perdre. Les blan- quetes et vins de Piquardant qui croissent à Frontignan , Miravaux , et autres Jieux près de Montpellier , sont de même. Il ÿ a dans différents endroits de ce royaume, plusieurs -autres vins hâtifs, blancs et clairets, où il faudra premiè- rement viser pour s'en fournir, et ensuite des autres qui, par leur facile garde, se maintien- nent long-tems en bonté, sans altération, à la louange et à la commodité du père de famille. En prenant garde de près à ces observations, et à tems, votre vigne ne pourra manquer de répondre à vos espérances. Te Nous avons parlé des allées qui distinguent les espèces de raisins. Quotque notre vigne ne soit pas ainsi disposée par des séparations par- ticulières, vous.ne..laisserez cependant pas d'y faire des allées grandes, ou des chemins larges, autour , en travers et en long , suivant la gran- deur de la vigne, où il conviendra le mieux, non pas tant pour le plaisir de la promenade, quoique grand , que pour le service de la vigne, L 2 384. T'H É AVTCRS la commodité d'en tirer facilement la dépouille, et d'y apporter les engrais , et pour que les bêtes de voiture , avec où sans charrette , puis- sent aisément passer, sans rien y gâtér. Quant à la cloison, il est nécessaire qu'elle soit si bonne et si bien faite, que la vigne étant fermée à clef, les fruits puissent en être a l'abri des larrons et du bétail ; quoique dans les en- droits où il y a de grands vignobles , l'on n'y regarde pas si finement, où plusieurs vignes de différents particuliers se conservent d'elles- mêmes les unes aux autres. Mais, s'il est ques- tion de drésser le vignoble particulier d'une maison des champs, il sera toujours plus profi- table et plus agréable de le tenir clos, qu'ouvert et abandonné à tous venans. On ne parlera pas ici davantage de la matière , ni de la façon des” cloisons, en étant ailleurs amplement discouru. CHAPITRE D'AgRIGULTURE 9385 EEE, GHAPITRE LV. > Du tems et de l'ordre pour planter lu vigne , et de son entretien, selon la difference de ses espèces. | Less anciens et les modernes sont tous d'acord, que dans les pays chauds et secs, le meilleur - tems pour planter la vigne, est le plutôt qu'on peut après les vendanges, la feuille étant tombée des sarmens, comme depuis le commencement = d'octobre jusqu'à la mi-novembre; dans les pays froids et humides, le plus tard qu'il sera possible, | qui est depuis la fin de février jusqu'au com- mencement de mai; dans les tempérés , en l'une et l’autre saison, même entre les deux, les in- jures du tems ne la gènant pas. Cette même considération a lieu pour les complants ; car les raisins, dont les sarmens ont la moëlle petite, peuvent être plantés en tout tems; mais ceux qui l'ont grande , ne peuvent l'être que dans la primevère , par la crainte de les perdre , le froid pénétrant facilement dedans. | . On plante différemment, non pas tant à cause 2 2 T Tome. Bb 386 THÉATRE des diverses sortes de vignes, que par les hu- meurs variées des hommes qui, comne il a été dit, sont moins d'accord sur la manière de gou- verner la vigne, que sur tout autre objet de la ménagerie. Les vignes basses et échalassées pourroient être avantageusement plantées d'une façon, par la simpathie de leurs qualités, ne s'éloignant pas beaucoup davantage de terre l'une que l'autre. Cependant la manière de la planter et de l'entretenir en est différente, plus -par coutume que par nécessité, dans les provinces où ces deux ordres de vigne ont le plus de cours, comme dans l'Isle-de-France, dans les environs d'Orléans, en Bourgogne, Berri, Guienne, Gascogne , Provence et Languedoc. En beau- coup d'endroits, on plante la vigne basse, à mesure qu'on en rompt la terre ; dans d'autres, on attend pour y mettre la crocette ou la che- velure , qu'on ait entièrement rompu le fond. L'échalassée se plante dans la plupart de ces endroits , long-tems après en avoir creusé les fossés, ce qui donne le loisir au fond de se cuire pour bien recevoir la vigne ; cependant la terre des fossés séjournant sur le terrein d' entre-deux, ne tsar par cette cause 8e rompre entièrement, ce qui se retarde jusqu'à ce que quelques an- nées après on provigne universellement, selon D'A GR E&GUï:LITIU RE. 98ÿ sa façon particulière. Quant à la vigne haute, en treille ou rhustive, c'est à la liberté du vigneron d'en tenir autant qu'il voudra les fosses ouvertes pour la planter , afin qu'étant par ran- gées , loin les unes des autres , elles ne s'entre- prennent en aucune manière. - Pour particulariser les façons de planter le vignoble, nous commencerons par la vigne basse, l'honneuf de marcher la première lui apparte- nant , puisque, par un jugement universel, les meilleuré vins sortent d'elle. On la plante com- munémént de deux manières ; par croceites qu maillots, et par chevelues ou sautelles, au fossé ouvert et à la tarayelle, appellée par quelques- uns, /a Fiché, eten Anjou /e Godeau. C'est par crocettes ou maillets qu'on plante la vigne basse, le plan enraciné manquant : et au fossé, ou rayon ouvert, quand le pays ne sauffre pas la taravelle ; car les chevelues ou sautelles, dites aussi marcottes, profitent plus que les maillots ‘ ou crocettes, par l'avantage des racines qu'elles ont étant employées. La vigne aussi se dresse plus commodément et plus utilement par la taravelle, que par le fossé ou rayon ouvert, moyennant que la terre de la vigne ait été rompue universellement, comme il sera montré; B b à 388 | THÉATRE c'est pourquoi l'usage de la taravelle a été décrié;: quand, par avarice, sans rien remuer, on se contente de fourrer la crocette dans le trou fait ! avec l'instrument de la taravelle, en terre ferme, qui, par sa dureté, refuse de recevoir les racines du nouveau plan. Ainsi , si vous ne trouvez au- cune sujétion au dressement de votre vigne, : choisissez pour plant les chevelues, et dans leur . emploi servez-vous de la taravelle , alors votre . vigne se disposera profitablement et agréable- . ment, paroissant alignée sur tous sens et d'une belle vue. Mais il.se présente une petite diffi- culté en cet endroit. Les racines des sautelles ne peuvent entrer dans le trou que fait la taravelle, qu'on est à cette occasion contraint de couper, : en les fourant dans terre: si elles sont chevelues d'un ou de deux ans, n'importe: vous: ôterez seulement les plus longues et les plus hautes. et vous laisserez les courtes et basses. Ainsi vous les employerez sans craindre que les nouvelles racines ne ressortent trop vite de la souchette de la sautelle ; au lieu de celles que vous aurez coupées. Les plus vieilles étant chevelues,comme de trois à quatre ans, le meïlleur sera de les planter avec toutes leurs racines , sans rien leur rogner ; dans ce cas on sera forcé.de les planter » | us L D'AËëAIGUITURE 389 À fossé ourert, et de loger les racmes au long du rayon, à mure qu'on le creusera , comme il sera miontré. 1 Ce seroit un grand avancement d'ouvrage, que de trouver des sautelles ou chevelues déjà faites des espèces que vous desirez ; mais le péril seroït trop grand, d'avoir des vignes de valeur ; en s’exposant à l'ignorance et à l'avarice des revendeurs. C'est pourquoi n'espérez rien de bon de ce côté-là, mais tout de vos soins, -comme du seul moyen de vous fournir de bonnes races de raisins. Etant donc assuré des endroits d'où vous desirez vous pourvoir de crocettes’, maillots ou ehapons, vous les ferez cueillir dans la partie du eep, et au tems remarqué ci- devant : en y laissant du vieil bois; environ deux doigts, qui est celui de Fannée précédente ( dont ils tirent leur nom, ressemblant à des crosses et maillets ), et en les tenant de la lon- -gueur du rameau ou sarment , sans en rien rogner, ayant soin de les couper de la mesure nécessaire quand vous les employerez. Dans le -décours de la lune, vous cueillerez les crocettes en beau jour, ni pluvieux, neigeux, brumeux , trop froid , venteux , pour être gardées pendant -quelques jours , ou plantées: aussitôt, où bien Bb üj 300 THÉATRE mises barber ôu cheveler pour en faire des saw telles , comme il sera montré, si vous le desirez ainsi. S'il arrive que vous tiriez vos rraïllots dans votre voisinage , ou que ce ne soit pa beaucoup éloigné , sans autre mÿstère , vous les ferez porter liés en faisseaux à dos de bêtes ou par chärrettes, à l'asage du pays, en beau tems, si vous le pouvez choisir ; mais si le tes est venteux , vous les envelopperez dans des linges, pour empécher qu'ils ne se dessèchent ; car, par ce moyen, ils se conserveront trois ou quatre jours. I faudra em- ployer plus de façon pour leur conservation , si vous les faites venir de région lointaine, eomme de Grèce, de Candie et autres éndroits; car par la longueur du chemin, ils ne peuvent parvenir jusqu'à vous que lentement , en danger de s'é- venter, s'il n’y est pourvu par l'art. Dans ce cas, vous aurez de longs barils , éomme ceux à ha- rengs , dans lesquels vous eñférmerez vos mail- lots, entre-mélés avec de la terre déliée et ar- rosés de fois à autre par un trou qui, à cet effet, sera laissé à l'un des bouts de chaque baril. Ainsi les maillots se maintiendront toujours sains et entiers , depuis le mois d'octobre jusqu'au mois de mars. Vos maillots étant arrivés éhez vous, on les mettra aussitôt trempés dans l'eau dor- A 1 4 } | L 1 4 , anni D'AGRICULTURE. 3gr mante, pendant trois ou quatre jours , afin de les remettre en forcé et én vigueur , et ensuite vous les planterez selon votre désir. S'il est question de convertir vos maillots en sautelles eu chevelues , pour, enracinés , en composer des vignes dé toutes espèces, il faudra y procéder de cette manière. Vous destinerez un recoin de terre à vigne, légère et vigoureuse, que vous ferez décharger soigneusément de tous embarras, jusqu'à la rendre déliéé comme de la poussière. Elle sera placée en lieu facile à arroser , si faire se pêut , pour humecter au be- soin le jeune plant, et par ce moyen l'empêcher de déssécher, sur-tout si vous êtes en Lan- guedoc , Provence ét autres éndroits chauds de ce royaume, ce qui n'est pas à craindre en France et dans les provinces circonvéisines. C'est en cet endroit que vous planteréz vos maillots, dans des rayons , d'un pièd et demi de profon- deur, tirés en ligne droite, et également distants d'un pied. Mais ce sera sans les récourber nulle- ment ; vous les ÿ poserez droits, loin l'un de l'autre, de trois à quatre doigts, en les faisant ressortir hors de terre trois pouces. Ils seront tous rognés de la même mesure avant que de les mêttre en terre, d'un pied troïs quarts, plus ou moins, ét il sera ôté du vieil bois, tout ce B b iv 392 THÉATRE que vous croirez pouvoir empécher l'entrée dans le trou de la taravelle , en les replantant. On | rompra la terre entièrement , en creusant les rayons, de manière qu'il ne reste aucune partie eudurcie entre-deux, et les maillots s'enracine- ront sans embarras, moyennant la bonne cul- ture, sans quoi ce seroit travailler en vain dans cet endroit. La culture sera de houer ce nouveau plan trois ou quatre fois pendant l'été, et une en hiver, sans souffrir que jamais aucune herbe croisse dessus, en l'arrosant dans les grandes chaleurs ; le lieu le requérant. Il ne faut pas vous soucier de fumer ces chevelues,, de peur qu'étant contraint de les transplanter en lieu maigre, elles ne dépérissent, ce qui seroit risquer de les perdre. On ne doit pas douter de la conséquence de l'arrosement , parce que quand .il pleut , c'est universellement sur toutes sortes de plantes, ainsi elles s'arrosent et saccoutument à cela. Mais celles qui le moins endurent la soif, crois- sent avec plus d'avancement, comme ces che- velues qui n'en sont jamais tourmentées , l'arti- fice étant joint au naturel. Par cette culture, les chevelues seront capables d'être replantées dans une année, ayant acquis pendant ce peu de tems des racines en sufhsance : et si vous: voulez les laisser davantage en terre ; n'étant pas en DA RECU Ê TU R EF. . 303 commodité ou volonté de les transplanter dans ce tems ; vôus pourrez le faire ainsi jusqu'à quatre années, pourvu qu'à chacune les sautelles où chevelues soient taillées comme une vigne déjà faite, et toujours labourées à profit, afin que le fond ne produise aucune herbe , qui ne pourroit être que nuisible au nouveau plant. Le meilleur sera cependant de les replanter à la seconde année, en ne les laissant pas en terre plus long-tems , si ce n'est par contrainte. Vous ferez enraciner des maillots en abondance, et en beaucoup plus grand nombre qu'il ne vous faudra de sautelles, pour que venant à les choï- sir, vous n'en employiez que des mieux qua- lifiées , sans être forcé de vous servir d'aucune languissante , ni d'autre que de bonne espérance, wu l'utilité de la bonne élection du plant, la perte de le mal choisir et la facilité de ce ménage. Dece plant , ainsienraciné et choisi, vous ferez des vi- gnes fructifiantes dans peu de tems, à quoi cette vole vousauraacheminé: etlecomplantauramême avancé, en ce lieu, autant, ou peu s'en faudra, que s'il eût été planté en crocettes pour la der- mère fois en sa vigne: En quoi , il y a de l'éco- nome, vu que le peu de terre où les chevelues auront séjourné n'aura pas tant coûlé à cultiver pendant ce tems là, que toute la vigne auroit 394 THÉATRE fait; outre que le rapport du fonds destiné en vigne , aüra pendañt ce terms servi à quelqu'autre usage , avec plus de profit, qu'il sera de nature plus valeureuse. À la reprise assurée des cheve- lues, et a leur avancement pour s’accroître , se joint cette utilité notable : la considération de replantér , qui, par eertainé faculté de la nature, apporte uñ très-grand profit et affranchisserent à toutes sortes de plantés, qui se plaisent beau- coup de cette industrie. Les jardiniers le prati- quent aiñsi heureusemént, replantant presque toutes leurs herbes, les autres, ou la plupart qui ne sont pas traitées de même, restant sau- vages. Vous trouverez que la vigne, composée de plañt enraciné, deviendra plutôt fructueuse, que par maillots, et durera long-tems en service. On tient une autre méthode pour se pourvoir de chevelués dans les énvirons de Paris et autres lieux ; c'est que sans couper les sarmèns du cep, on les enracine, en les recoutbant dans terre où ils tiennent déux ou trois ans, jusqu'à ce que sevrés de leur mère, ils soient trañsportés ailleurs pour être convertis en nouvelle vigne. Le cep dont où desire tirer de la race, est marcotté en tout ou en partie ; c'est-à-dire, préparé à donner des marcottes où des chevelues. Si c'est en tout il est universellement couché dans terre, et là D'AGRIGULTURE 399 provigné , en faisant servir toutes ses branches, et en les faisant ressortir à l'air. Si e’est en partie on se contente d'en préndfe une ou plusieurs des mièus nourries, qu'on plie et enfonce dans terre ; aüssi avant qu'on peut, la mère de- méurant à découvert. Du bout dés sarmens ainsi ebuchés , sortent sur terre deux où trois yeux, qui sont là justement coupés. On laisse ces marcottes, appellées autrement provins, ainsi accommodées jusqu'à trois ans , plus où moins, comme Ôôn le veut : alors on les coupe de leut | mère souche, et sans séjourher, ôn les porte planter dans la nouvelle vigne. Quand on les tire dé terre, on fait une fosse en déchaussant les ceps ; dont les marcottes étant coupées, les tronçons qui restent, produisent après des rai- sins en abondante , si n laisse la plus grande partie de la fosse découverte en rond, en figuré d'une écuelle plate, pour donner de l'air aux nouvéaux bourgeons, qui ressortènt des troncs des vieux cèps. Par cét ordre, vous étes privé d'avoir des vignes étrangèrès, èt vous nè pouvez vous servir d'autrès espèces dé raisins, que de celles de ‘chez vous et de votre voisinage. C'est pourquoi ne vous arrêtez pas à cetie façon de marcottes; outre que c'est sé donner beaucoup de peine sans nécessité, vu qu'avec bien moins 396 THÉ AT BE de travail, les crocettes et maillots s'enraeinent ; comme il a été montré. La vigne se plante plus fructueusement dans un endroit que dans l’autre , selon l'ordre de la division susdite, dont le premier lieu est donné à la terre novale, qui n'a jamais été défrichée ; le second, à celle à grains ; ét le dernier à la vigne vieille, laquelle, si par nécessité, il faut la replanter, on en arrachera profondément et totalement les racines des vieux ceps ; pour que le vin qui provient du défaut de vieillesse s’en aille avec elles : et manquer en ceci, ce seroit trop évidemment se tromper, attendu que la nouvelle vigne ; par l'incommodité du restant de la vieille, ne pourroit reprendre, ou du moins vivroit en langueur, sans nulle crue profitable. Ne vous arrêtez pas à l'avis de ceux; qui pour renouveller les vieilles vignes ,:se contentent , après en avoir coupé les ceps-entre deux terres, d'en labourer le champ et y faire le bled pour quelques années ; car ils se trompent, les racines de la vigne ne pouvant, par ce seul moyen , se perdre de fort long-tems , etil y en restera, quelque bled qu'on y sème, plus dé-vingt-cinq ans après. Or, quelque soit la terre , pour la préparer dignement à recevoir la vigne, elle à edf diciia tt lt in ete à h''AfG & ECŒUELETU R E. 397 sera rompue entièrement à un pied et demi de profondeur #et de telle manière , qu'en la ren- versant sens-dessus-dessous , la bonne et cuite de la superficie soit mise au fond ; et la mau- vaise et crue du fond à la superficie. Par cet échange , les tems cuisent la crue à la longue, pour que finalement les deux terres se rendent entièrement propres, pendant que la bonne nourrira au fond les racines de la nouvelle vigne. En faisant cela , toutes les ordures et tous “les embarras des racines et des pierres sorti- ront du dedans de la terre, qui restera libre à l'entretien de la vigne. Pour travailler en cet endroit , comme il con- vient et avec économie, on commencera à rom- pre la terre par l'endroit le plus bas et le plus enfoncé ; car les ouvriers y travailleront avec plus d'aisance , qu'en la prenant en sens con- traire, en jettant la terre de bas en haut ,ce qui rend l'ouvrage plus long , et par conséquent l'ouvrage plus cher que de raison , sans en être meilleur ; maïs il n'en est pas ainsi de la culture ordinaire de la vigne après l'avoir plantée : car pour bien la maintenir , il convient de ne pas toujours la prendre d'un même côté, mais di- versement selon les œuvres quon lui donne ; une fois dans cet endroit, une autre fois dans 398 T'HÉATRE un autre, afin de bien méler et renverser la terre. Et pour que la terre ne s’avale pas par trop ( à quoi la vigne est d'autant plus sujette , que plus la situation en est pendante }, il faudra trois œuvres de labourage nécessaires pour son entretien chaque année, l'une qui soit prise à l'endroit le plus haut et le plus élevé de la vigne, pour que les travailleurs tirent la terre en mon- tant avec leurs instruments, et la remettent par ce moyen au lieu d'où les eaux de la pluie l'au- roient avalée , afin de maintenir la vigne en bon état. Avis pour toutes sortes de vignes, tant pour les planter que pour les entretenir. Pour que cette préparation se fasse sans con- fusion , on tracera d'un des côtés avec le cor- deau , la terre premièrement épierrée à sa super- ficie , en lignes droites et parallèles, également distantes d'un pied et demi, dont les ouvriers auront chacun leur portion égale, et leur part taillée de l'ouvrage , qui, avec la houe seule, ou à l’aide de la pelle, mettront la terre au point que vous la desirerez, en l'applanissant par- dessus à mesure qu'ils la rompront. Par ce moyen, votre terre sera prête à recevoir le nou- veau plant , soit en crocettes ou en chevelues, qu'on employera après d'autre manière. Pre- mièrement, on se résoudra sur le moyen dont Car Dh Mons ds D'AGRICULTURE 39 en cultivera la vigne à l'avenir pour ordonner de l'entre-cep. $i on a à labourer la vigne avec des bêtes , selon la pratique de certains endroits du Languedoc, comme vers Narbonne, il faudra la planter plus au large, que si c'est à main d'hommes. Pour la première, la distance de trois pieds en tout sens, suffira d'un cep à l'autre ; mais pour la seconde, nous y ajouterons trois quarts de pied davantage, ou peu de chose en plus, pour que les bêtes de labourage y puissent commodément travailler sans rompre les ceps: Nous planterons notre vigne d'après ces mesures, ou nous ne nous permettrons que pour amplifier, si l'on veut, mais non pour la restreindre, ce qu'on ne peut faire sans une perte notable pour la vigne qui s'en trouveroit trop pressée. Quand la terre sera applanie par-dessus, elle sera re- tracée d’un côté avec le cordeau par des lignes d'égales distances, suivant lesdites mesures aussi paralleles et droites. Le cordeau sera posé de . l'autre endroit, en croisant en travers par angles droits , les lignes tracées ; et là où le çordeau croisera la ligne tracée , là sera plantée la cro- cette ou la chevelue, en la fourrapt toute droite dans le trou , qu'on y fera avec la taravelle ou fiche , où on l’affermira avec un long bâton pointu par l’un des bouts, en remplissant peu à 400 Tin É A TRS peu le-trou avec de la terre même. Par ce moyen, non seulement aucun vent ny entrera, mais aussi le nouveau plant, soit crocette ou chevelue , y sera si bien affermi, qu'il ne pour- roit en être arraché que difficilement, en le tirant avec la main. Pour faciliter l'entrée dans ce trou à la crocette et à la chevelue, il faudra leur . rogner de la tête, tout ce qui apparemment la pourroit gêner, afin qu'elles puissent atteindre jusqu'au fond du trou, appropriant aussi la ta- _ravelle à la qualité du complant, qu'il faut plus grosse pour la chevelue, que pour la crocette , ayant plus de grosseur l'une que l'autre. Cet ins- trument ressemble aux grandes tarières de char- pentiers. Îl est composé d'une barre de fer longue de trois pieds, et grosse comme le manche d'une houe , le bout entrant en terre, étant arronci en pointe , bien forgé et acéré. L'autre regar- dant en haut , est attaché à une pièce de bois traversanté, faisant le tout la figure d'un T, pour le tenir avec les mains ; et pour que la taravelle ne creuse pas trop dans terre, mais quelle y entre justement selon la résolution que vous aurez prise dy enfoncer le complant, on mettra un arrêt à la pièce de fer entrant dans terre, dans l'endroit remarqué à cette cause ; lequel arrêt étant aussi de fer , servira en outre à mettre | aussi D'AGRIGULTURE. 4oi aussi le pied dessus , pour, pressant en bas ; aider aux mains à faire entrer la taravelle dans terre, le cas arrivant qu'on la rencontre dure ou forte. | Votre nouvelle vigne étant dressée de cette manière, se trouvera proprement préparée , droitement alignée en tous sens et de tous côtés, le complant en étant posé d'égale distance ; alors, outre la beauté, elle sera facile à cultiver. Quoi- | qu'en plantant à la taravelle , presque toutes les racines des chevelues se coupent ,'ne doutez cependant pas de leur reprise ; car de leur sou- chette , il en sort autant de nouvelles, qu'il est nécessaire. Cependant avec un peu plus d’avan- cement pour l'intérêt de la fructification , la vigne se plante par sautelles entières , en ne leur rognant aucune racine, sur-tout si ce sont des _chevelues vieilles , comme de trois à quatre ans, et je conseille, ayant de ce plant en main, de d'employer, non à la taravelle, mais au rayon au fossé ouvert , en le logeant en terre, comme les arbres fruitiers, avec toutes ses racines, à mesure qu'on creusera les fossés, sans avoir égard au soigneux alignement , ni à bien rompre la terre, dont il faudra se dispenser. Ne craignez pas que la mesure susdite de planter la vigne ne . soit pas de profondeur suffisante , en observant Tome LI. CRT 402 THÉATRE toutefois les distinctions des terres sablonneuses ; argilléuses, plates et pendantes, pour creuser plus dans un endroit que dans un autre, comme il a été dit ; sans vous arrêter aux coutumesinvétérées de plusieurs qui font leurs plantages trop pro- fonds , avec beaucoup de dépense, aussi super- flue que nuisible , par l'amertume de la terre , que le complant rencontre à sa perte ; et cette amertume est d'autant plus grande, que plus on la creuse avant. Quelques-uns plantent leurs crocettes et leurs chevelues, en méme tems que le défrichement , sans se servir de la taravelle , par la mauvaise opinion qu'ils ont de cet instru- ment ; sur quoi ils se trompent, parce que la vigne ne se dresse ni si artistement , ni si profi- tablement par nulle autre manière que par la taravelle, moyennant la précédente rupture de la terre. comme il a été dit, attendu la con- fasion qui s'y met, en faisant à la fois ces deux œuvres, de rompre la terre et d'y loger le com: plant ; et que la terre ne se rompt ni ne se remue pas si bien, ni si universellement qu'il est à de- sirer, que quand on la cultive seule, par l'em- barras du complant qui empêche la houe de librement jouer, ce qui fait quil reste certains endroits durs au détriment du complant; ou il faudroit qu'on posât le complant derrière. le RE Rene à, — DER DA GRIP C/EELNT U 8 E. Loè talon du travailleur contre la terre remuée, selon la pratique de quelques-uns qui se sont gardés de cette curiosité. Mais par ce moyen la vigne ne peut s'aligner en perfection, parce qu'en travaillant ainsi, les traces des mesures s’effacent : et pour double incommodité , la dépense , tout bien compté , en est plus grande qu'à la taravelle. Les racines du nouveau plant entrent très-bien dans le fond également remué, où gagnant terre, sans embarras d'aucune dureté , ni d'autre mau- _ vaise rencontre, elles se fortifient dans peu dé tems par la bonne nourriture qu'elles y trouvent. Les pluies aident beaucoup à cela, qui, péné- trant facilement la terre remuée de nouveau, les arrosent avantageusement ; et la vigne, comme en s'égayant, croit avec beaucoup de vigueur à vue d'œil. Mais si par la contrainte des ro- chers, ou quelqu'autre grand embarras, il n'est pas permis à la taravelle de jouer , on plante à fossé ouvert , c'est-à-dire à mesure qu'on défriche, on rompt la terre, ce sera en plaçant les crocettes toutes droites dans le fossé, sans nullement les recourber, comme font quelques-uns ( car les Chevelues ne peuvent se planter que droites), qui, par cette ignorance , se privent du plus fertile de leurs crocettes, en les contraignant par là à faire leurs rejettons par les bouts, qui Ceci) 404 THÉATRE sont toujours ou infertiles , ou les moins fructi+ fants endroits du sarment. C'est une erreur in: vétérée, que ce recourbement , si blâmé des anciens, suivant le témoignage de Columelle et de Pline, que par mépris le bout du sarment a été par eux appellé Aêche , comme ne servant qu'à être jetté au loin, aussi l’ont-ils nommé en. latin fagellum, à cause du vent qui le bat par sa foiblesse , dont ils ont défendu de:se servir, par la crainte d'en faire des vignes infructueuses ; et de fait puisque les crocettes et maillots ne doivent pas être élevés qu ‘ils n'ayent porté du fruit, afin de planter la vigne avec moins de hasard ; par quelle raison voudrions-nous nous servir en cet endroit de ces bouts de sarmenis qui n'ont fait aucune preuve de leur, valeur ? Là ne croissent jamais de raisins, ou sil y en croît, ce sont des avortons de nulle estime. Des yeux les plus approchants du vieux bois sort l'abondance des raisins, dont le nombre et Îla valeur se restreignent à mesure que les yeux se reculent de cet endroit ; et c'est se tromper sciemment, que de se priver tant soit peu de ces parties recommandables; ce qu'on fait en recourbant la crocette dans terre; car, autant qu'on y enterre de bons yeux, dont nous nous privons, autant nous sommes contraints de nous | D'AGRICULTURE 65 servir de mauvais après, qui sont ceux qui res- sortant à l'air font le fondement de notre vigne. Les anciens ont commandé qu'en eueillant les erocettes ou maillots, il leur fût laissé de vieux bois , non pas que cela servit à la fertilité, mais afin que par-là l'on fût bridé de ne planter que des yeux'les plus profitables , qui comme il aété dit, sont toujours les’ plus voisins du tronc ; de sorte que ce vieux bois y demeurant , l'on ne peut être trompé en cela : autrement il seroit facile d'une longue crocette, d'en faire par trom- perie deux ou trois, contre l'intention de tout bon vigneron. Par cette même raison , Fente des ceps est fort estimée ; car puisque des yeux de sarment , il ne s'en perd en les entant, que trois ou quatre , il s'ensuit qu'au quatrième ou cin- quième la vigne commence à jetter ses fonde- mens. Par cette cause elle ne peut être que très- fructueuse : ei si l'on veut bien dire que plusieurs bonnes vignes ont été faites, les crocettes recour- * bées; la réponse est que, comme il y a du bon et du meilleur, les crocettes ayant été logées droitement se trouveroient meilleures. L'expé- rience prouvant ces raisons. De même aussi c'est l'expérience qui montre tous les jours, que la partie recourbée se pourrit dans terre, ou du moins y fait un très-petit accroît, quand en Ceux 406 THEATRE provignant les vieux ceps (ayant été plantés recourbés ), ou par une autre occasion , les dé- couvrant jusqu'au fond , on remarque qu'il y manque ce qui à été recourbé du maillot en plantant, ou on le trouve si languissant et si lâche , quil reste presque sans vie, n'ayant produit aucunes racines, mails que toutes se sont logées en haut au défaut de la recourbure. Finalement , nous dirons que de quelque ma- nière qu'on travaille en cet endroit , soit pour planter à la taravelle, ou au rayon ouvert, le lieu étant pierreux , les pierres sortant du fond seront jettées hors de l'ouvrage ; afin de n'en pas charger le guéret, sur lequel on ne les reposera nullement ; mais sur la terre ferme , à mesure qu'on les tiréra, pour delà les trans- planter de même à l'entour de la vigne, afin d'y servir de cloison, et aux traverses pour des bancs ou appuis , la pente de la pièce le de- mandant: et après en avoir fait soigneusement applanir le parterre, si cela n'a pas été fait avant que de planter ; le nouveau plant, chevelu ou maillot , sera taillésur terre à environ quatre ou cinq doigts , contenant deux yeux ou bourgeons qu'on y laissera pour fondement des rejettons à : venir. J'omettrai à dessein beaucoup de mys- tères mes et ridicules qu'on trouve par écrit, employés aux vignes nouv elles, comme de D'À GRRCUÆLTURE 407 tremper dans la poix fondue les deux bouts du complant, pour l'empêcher de s'éventer: et pour lui faire prendre racine , mêler parmi la terre des pepins de raisins rôtis, des fèves, de l'avoine, de la vesce et autres drogues. J'ajouterai ici seulement, que les fumiers bien pourris, ou plutôt quelques bons terriers serviront beaucouy}» à la reprise et à l'accroissement de la nouvelle vigne , dont cependant il ne faut pas se servir , mais s'abstenir de tous engrais en ce com- mencement ; à moins que ne soit une terre fort maigre ét légère. C'est beaucoup fait que d'avoir planté la vigne; mais ce n'est pas tout. Car, sans un bon entre- en, la peine qu'on y aura prise sera comptée pour rien. La vigne par son infirmité , ne pou- vant souffrir la négligence du vigneron. Il faut sur-tout de nécessité, dans son commencement, bien la-gouverner , dépérissant à vue d'œil, si, pendant qu’elle croit, elle n'a pas-toute la cul- iure nécéssaire, même jusquà ne pouvoir se relever après par aucune diligence. On aura donc soin de ne jamais lui épargner le labour, afin de.ne point être frustré sur lespérance de ce ménage. Vous ne toucherez plus à votre nou- velle vigne , dès que vous l'aurez plantée, jus- qu'au tems qu'il faudra la houer ou marrer pour | € c iv 408 THÉATERE la première fois, qui sera différent, selon que diversement, elle aura été plantée. Si elle est d'automne la première façon que vous lui don- nerez , sera dans le mois de mars; si elle est du printems, dans tout le mois de mai, après une bonne pluie, sans laquelle on ne doit pas en- treprendre d'ouvrir la terre à l'entrée des cha- leurs, de peur qu'elles ne dessèchent le nou- veau plant. Cette œuvre se fera aussi pro- fondément que si la vigne étoit vieille , afin de contraindre les nouvelles plantes à s'enraciner bien avant dans terre, ce qu'on ne pourroit es- pérer en la marrant sommairement , comme font quelques ignorants, croyant bien travailler ; et à la ruine de la jeune vigne, ses racines se logeroïent à la superficie de la terre , exposées à la merci des chaleurs, et dessecheroiïent en peu d'années. La seconde , la troisième et autres œuvres n'ont aucun terme limité. Elles se don- neront quand vous verrez la nouvelle vigne en avoir besoin, ce qui sera quand les heïbes y recroitront tant soit peu, ou que le fonds s’affer- mira de lui-même, ou par de fortes pluies ; car jamais il ne faut souffrir dans votre vigne aucune herbe, ni que sa superficie s'endurcisse par trop par les grands maux que la vigne endure de ces incommodités, qui très-souvent la font mourir. D'AGRICULTURE 409 Vous veéillerez à cet effet, la commodité de la pluie , por la prendre quand elle se présen- tera ; c'est à savoir, en houant et marrant votre vigne pendant son premier été, toutes les fois qu'il aura plu abondamment , s'il est possible , ét ce sera la limite des œuvres que vous lui donnerez dans son commencement. Conduite qui la sollicitera à croître avec beaucoup de vi- gueur :: parmi ces béchemens, celui du mois d'août est d'une grande efficacité , avançant la vigne par un nouvel eflort : comme on le recon- noit par ses rejettons qui allongent jusqu'aux froidures qui les empêchent de s'accroître.- La vigne demeurera en cet état, jusqu'au mois d'octobre ou de novembre , qu'elle sera remuée une seconde fois avec la houe , de la sorte de. labourage , dite hiverner , à cause de la saison ; afin que par la faveur des gelées et des glaces, sa terre se cuise ‘et se prépare, en ayant d'elle- même bon besoin ., étant encore crue, comme nouvellement tirée da fond de la fosse, en la creusant lors du plantage de la vigne. * Cela expédié , il ne faudra employer d'autre dépense à la nouvelle vigne (que de la tenir bien close ) jusqu'au temps de la tailler, ce qui sera l'hiver; et alors on y mettra la serpe, le jour étant beau et serin, ni froid , ni pluvieux, 410 THÉATR:E ni neigeux, ni trop venteux. Elle sera préala- biement toute déchaussée par une petite fossette qu'on fera à l’entour de chaque cep, assez pro- fondément pour avoir le moyen d'en curer le pied, en coupant toutes les racines poussées en la pariie découverte , afin de faire .mieux affermir les autres qui sont au fond. On s’évitera ce dé- chaussement, si avant que de tailler la vigne, on la houe à chevalier, par lequel toutes les rangées des ceps se trouvant découvertes, on les nétoye et débarrasse aisément des racines incommodes. Il n'y a pas grande peine à cette première taille ; deux coups de serpe à chaque cep, en faisant raison ; savoir, en coupant entièrement le plus haut rejetton , sorti de l’un des yeux que vous y aurez laissés en plantant (j'entends vieux et nouveau , comme en tranchant le tronc d'un arbre ), et l'autre venant de l'œil en bas, sera justement rogné près du tronc, en y laissant seulement un œil ou bourgeon pour produire le bois requis. Les béchements et labourages sus- dits se feront aussi uniment qu'on pourra ; c'est- à-dire qu'on applanira la terre sans y baisser aucun relèvement , pour la première année, mais non pas les suivantes ; car pendant cinq ou six ans de suite au printems, et pour la première lois de l'année, la jeune vigne sera labourée de: net een ÉtE. D'AGRICULTUR E. Re cette sorte d'œuvre, appellée houer ou fousser à chevalie®, dont je viens de parler, très-profi- table aux nouvelles vignes , vu que par elle , les racines s'arrêtent profondément , comme on-doit le desirer pour le bien et la durée de la vigne. Car la terre étant ainsi labourée , on fait entre deux rayons une crête élevée en d'os-d'âne, par laquelle les pieds de la vigne étant découverts, ellé se cultive commodément, comme il appar- tient. Ce mot de chevalier, vient de ce que le travailleur assemble la terre entre ses jambes, qu'à cette cause il tient élargies , en la tirant avec son instrument des deux côtés, dont il déchausse les ceps, en se faisant par ce moyen un relèvement sur lequel il se trouve comme à cheval. Cette façon de gouverner la terre vous fait voir les rangs de votre nouvelle vigne tous découverts d'un côté, ce qui est très-agréable et encore plus profitable ; car la vigne, sans être trop chargée de terre, produit ses rameaux à volonté. Le double chevalier est un ouvrage plus beau et plus utile, qui se fait de cette ma- nière , qu'entre quatre ceps, il y a un reléve- ment, pointu comme une pyramide, que le manœuvre fait. y amoncelant la terre de tous côtés , de la manière qu'on cultive les chave- nières en Berri: ainsi vous voyez les rangs de 412 ‘UETH:É: A TRE votre vigne ouverts dans tous les endroits. Par cette adresse , outre le bien de faire profondé- ment enraciner la vigne, but de tout bon vi- gneron , la terre s'apprête parfaitement bien ; car par ces crêtes et monticules, les gelées pas- sant à travers, en préparent si bien la terre, qu'elle en demeure après si souple et si déliée, que pour la biner, qui est la seconde œuvre, il ne faut que trainer le hoyau pour en abattre ces rehaussemens,, afin d'en rehausser la vigne pour la garantir des sécheresses de l'été. Par cet ordre, la terre se remue et se renverse diffé- rentes fois, toujours à l’extirpation des herbes, racines , épines , ronces , pour qu'elles ne trou- vent aucune place dans ia vigne, qui, jouissant par ce moyen de toute la vertu du fonds, croit prodigieusement. . Prenez cependant garde que vos nouveaux plants soient toujours tenus, sans être ren- versés par aucun accident, soit par la chûte de la terre, des pierres, ou par la violence des vents ; c'est pourquoi il est à desirer d’avoir la commodité des bois, pour fournir des petits paisseaux suffisamment , afin d'en mettre un à chaque cep, pour là, fermement attaché, être préservé de tout ébranlement nuisible , et qu'ai- dant par ce moyen à la jeunesse de la vigne, DAC EG OET U R & ‘413 elle s'avance et croisse d'autant plus , que moins elle en ser* détournée. Ne vous mettez pas en peine de l'épamprer ou ébourgeonner en aucune manière, pendant ses deux ou trois premières années ; c’est-à-dire d'en ôter les rejettons superflus, de peur que les vents rompant les bons drageons (comme cela arrive très-souvent aux mois de mai et juin), vous n'ayez pas après le moyen de la remettre par bas, ainsi qu'on le fait commodément par ces rejettons, estimés auparavant inutiles ; et la vigne d'elle-même s’en répare très-bien, moyen- nant le bon et le fréquent labourage, qui la pousse à cela avec grande vigueur. Vous donnerez aussi ordre qu'en place des ceps morts, il en soit substitué de vifs, que vous ferez placer tous enracinés , et ce dans la pre- mière ou seconde année, car ce seroit peine perdue que d'attendre plus long-tems , vu que les racines des premiers ceps auroient tellement occupé le terroir, qu'elles ne pourroient en souffrx d'autres près d'elles ; il faudra encore que ce plant enraciné soit de l’âge de votre vigne , afin qu'elle reprenne d'autant mieux parmi l'autre déjà grande, qu'il y aura moins d'antipathie entre ces plantes. Par ce moyen, Li4 THÉATAREÆ votre nouvelle vigne se remplira de bonne heure sans qu'il y reste aucun vuide. La nouvelle vigne sera taillée dans la vieille lune, ou en décours, quatre ans de suite, à compter, de son commencement, pour lui faire grossir le pied, afin que, comme sur un ferme fondement, les têtes de rapport puissent s’édi- fier. C'est le propre de ce point de la lune que de faire produire des racines ; comme au con- traire celui de la nouvelle , des rameaux. Par cette observation , votre vigne se fortiñiera pen- dant ce tems , ce qui sera autant de gagné, puisque dans cette jeunesse, vous ne pouvez en espérer de vendange de grande valeur; autre- ment en la taillant dans le croissant , elle mon- teroit irop vite, et le pied du cep demeureroit foible et branlant, incapable de pouvoir porter plus d'une ou deux têtes, au lieu de quatre ou cinq, qu'il faut qu'un cep ordinaire ait, pour le moins. Get avis de tailler la nouvelle vigne , nest pas indifféremment reçu par-tout, y en ayant plusieurs , comme j'ai dit, qui n'emploÿent en cet endroit, que la montée de la lune ; fondés sur leurs coutumes auxquelles je renvoye. La vigne sera taillée à la façon de la, première an- née, la suivante , sayoir fort courte , et si jus- ri. nd. démes à 2 D ne à SR Se Sr D RD © > nest D ÉtOP Sc D AÀ.6 RNCUXL TU R E. 415 tement , qu'en chaque tête, il n'en reste qu'un œil le plus proche du tronc. On donnera au jeune cep à la troisième, un bourgeon davantage : et chacune de ses têtes sera chargée de deux, en y comprenant celui attenant au bois dur, nommé par quelques-uns 4 gassin. Le nombre des têtes ne peut se prescrire, cela dépendant de la suffisance du pied ; on y en ajoute ordinairement une a chacun des premiers ans, ét il arrive qu'au bout de quatre ou cinq ans, le cep se trouve chargé d'autant de têtes; ce qui se fait facile- ment , à l'aide du bon labourage qui en fournit le pouvoir. Vous donnerez ordre , autant que vous pourrez, que les têtes viennent du pied de la tige, afin que profondément fondées, eîles demeurent fermes contre les vents, pour mieux supporter leur charge; et alors votre vigne com- mençant à se façonner , elle commencera aussi à vous rembourser de la dépense, et payera le maniement de la serpe, par les premiers fruits qu'elle vous produit, ce qui arrive ordinairement à la troisième année de son âge. Ceux qui pré- _ fèrent l'économie à l'avancement de leurs vignes, sé trompent en cet endroit, comme s'ils vou- loient asseoir leur plus certain revenu, en les eutretenamt avec avarice. Tout au contraire ; celui qui desire avoir profit de son vignoble ; 416 T H-É A TiRYE) doit l'entretenir plutôt avec prodigalité, qu'avec. libéralité, sans crainte d'excéder en culture; le fruit, comme j'ai dit, procédant de la précé- dente dépense. Il faut bien se donner de garde de conduire la jeunesse de la vigne avec avarice ; mais on doit comparer cette espèce de ménage , avec la nourriture de toute sorte de jeune bé- tail, et la nouvelle vigne avancera par le bon traitement , tant qu'il sera possible. Uue fois les quatre ou cinq premières années passées, et la vigne étant déjà assez bien forti- fiée, la saison sera venue de la préparer à la production des raisins, en accommodant sa taille à cet usage , comme gouvernant le fruit , puisque jusqu'alors elle n’a été employée qu'à fortifier le cep. Les raisins sortent des yeux où bourgeons, d'où il résulte que plus: il y a d'yeux à un cep, plus il produit de fruit. Il faut être retenu à cela, de peur de perdre la vigne en la surchargeant , qui très-souvent se ruine par un trop grand rapport et une trop grande fer- tilité; car il ne faut l'abandonner à sa bonne volonté , pas plus qu'un jeune et vigoureux cheval. Il est assez ordinaire que le dernier œil, placé au bout de la tête, se trouve: celui quiest | le plus chargé de fruit, comme au contraire , le premier attenant: au tronc du cep, le moins. Ainsi, - | 4 4 | k 1 | LL a dé D'AGRICULTURE £17 Ainsi, en compensant ces facultés, on donne trois yeux four charge à chaque tête de rapport; de sorte que puisque ‘le premier, dit Açassin ; ne sert presquà rien, que rarement ; il faut que les deux qui le suivent, satisfassent à notre inten- tion. Il ne convient pas de tailler indifféremment ainsi toutes sortes de vignes basses, il ya quelques espèces qui desirent la taille plus longue , comme le muscat et le piquardant , qui ne veulent pres- que rien produire étant taillés courts, et d'autres races de raisins, que chacun particulièrement remarque dans les provinces, où il est nécessaire de s'arrêter, comme à l'article du vin. Ainsi, avec le raisonnable rapport, on tient la vigne en devoir, sans s'exposer à l'extrémité du tra- vail, et elle se maintient long-tems bonne et fructiñante. Il a été dit que le nombre des têtes de rapport se limite par la sufñisance du fond et de l'entretien. On voit cependant que dans un bon terroir bien cultivé, le moins qu'on en puisse loger sur un bon cep, est quatre ou cinq, si on desire avoir un raisonnable revenu de la vigne ; comme aussi, dix ou douze sont tout ce que la vigne peut porter ; le milieu de ces deux nombres étant le plus à désirer. Vous ne pouvez pas vous tromper sur cela; car si vous voyez votre cep jetter des rameaux par les côtés de la Tome LI. D d 418 THÉATRE tige , et que ces rameaux sortent d'uné partie duré de son tronc, cela fait voir qu'il ne se contente pas des issues que vous lui avez don- nées par ses têtes, et Ce cep abondant en hu- midité , est contraint dé la vider èn crevant, ainsi que la fontaine fait de son eau, quand elle fa pas les canaux prôportionnés à son àbon- dance. Au contraire, s'il fait par ses têtes les rejettons petits, leur bois demeurant court et Janguissant il se plaint de sa trop grande charge. Îl sera pourvu à ces choses, par la prudence du vigneron, ên augmentant ou en diminuant le nombre des têtes, selon les circonstances, et la vigné se réjouirà à mesure qu'elle se sentira chargée ou déchargée. Avant de tailler la vigne, on la déchaussera, comme il a été enseigné : mais tellement à profit, que la fosse autour du pied soit profondément creusée, afin de dé: couvrir les raëines naïssantes près de la super- ficie de la terre , et de les couper , contraïgnant | par-R les autres et principales à se nourrir en bas. La taille se fera avec des serpes bien tran- chantes , légères et subtiles, pour ne pas éclater Ze bois, en éloïgnant autant qu'on pourra là tranche du dérnier œil, de peur que quelque peu de bois mourant, comme cela arrive sou- vent par les froidures, l'œil ne soit enveloppé D'AGRIGULTURE £Zt9 dans ce danger. On fera la taille en biais et pens dante derriège l'œil, pour faire vider les eaux de da pluie de ce côté, et celle que la vigne jette d'elle-méme en pleurant, sans mcommoder le bourgeon , ôtant au reste tous les autres re jettons supérflus, en les cotpant près du tronc. Et si vous voyez que vous n'y puissiez accom- . moder le nombre des ceps nécessaires, selon la portée du cép, et que celui-ci rejette par en bas abondamment , vous ne ferez point de diffi- culté, eu égard à ces rejettons bas, d'en laisser là quelques brins, pour sur eux, l'année d'après, façonner des têtes, qui pourront devenir telle- ment bonnés, que dans quelques tems le prin- cipal du cep se formera dans cet endroit, en coupant le plus haut; par ce moyen vous rajeu- nirez votre vigne. On voit aussi très-souvent dans les vieilles vignes , que ce sarment venant du bas du cep , pendant de lui même vers terre, coupé long d'un pied ou davantage , recourbé en ‘ are contre la tige, et là attaché avec un ozier ; rapporte du fruit en abondance la même an- née , et recoupé plus bas la suivante , il fait 1 une bonne téte. En gouvernant à la serpe votre vigne de cette sorte, vous la tiendrez toujours basse , sans la laïsser monter plus que de raison, et elle durera Jong-tems ; ce qu’elle ne feroit Das 20 THÉATRE pas, Si, la laissant vaguer à l'aise, on lui don- noit les longes à sa ruine ; vu que cette sorte de vigne, n'étant appuyée que sur sa propre tige, doit fermement se supporter elle-même : autrement les vents, par leur agitation, l'ébran- lent tellement, que les raisins en périssent ; l'espérance de leur revenu s'en allant ainsi en fumée. Le point de la lune pour la taille de la vigne, accrue et étant en port, sera une année dans le croissant, et l’autre dans le décours, afin de l'en- tretenir en bon état, à cause des différentes propriétés observées en cette planète. Car, puis- que par l'influence céleste, toute coupe de bois faite alors que la lune croît, produit plus de bois, et au contraire , quand elle décroit, pro- duit plus de racines; la vigne par ce moyen est entretenue suivant qu'elle le desire, en compen- sation de ces différentes facultés , elle se fortife du pied dans une année, et se fournit de ra- meaux dans une autre ; ce. qui la rend capable de fructifier abondamment et long-tems. Quant au tems, il sera limité par le fond de la vigne et les espèces de ses complants, selon l'adresse du plantage. Si la vigne est assise en côteau chaud, de terre maigre et sèche , et composée. de race à petite moëlle, elle sera coupée le plutôt Ld D'À GR I CULTURE /2r qu'on pourra, après que ses feuilles seront tom- bées ; et au contraire , le plus tard, celle qui est située en plate campagne , en terre grasse , humide et froide, fournie de complant de grosse moëlle ; et nimporte en quel lieu qu'elle soit assise ;, m de quelqu'espèce elle soit complantée, on choïsira toujours un beau jour pour la tailler, qui n'ait ni froidures, ni humidités, comme il a été remarqué; c'est pourquoi il faudra mettre la serpe avant l'hiver dans un endroit, et dans l'autre, après. Le plutôt est limité au mois d’oc- tobre , et le plus tard, au mois de mars. L’entre- deux de ces deux époques sera bon pour les vignes qui sont dans les lieux tempérés , dont le meilleur tems est le mois de janvier, pourvu qu lil souffre qu'on travaille. On est certam que la taille primeraine faite dans le croissant de la lune, cause abondance de bois aux vignes; et au contraire , la tardive dans son décours n'en fait produire que bien peu. L'observation de ces deux contrartétés est entièrement nécessaire ; car, par le premier moyen, on remédie aux vignes : languissantes, et par le second aux trop abon- .dantes en bois. Ainsi, les unes et les autres se perdent quoique ce soit par des chemins con- traires , mais, par là elles sont remises en état de bien fructifier. La taille avancée, donne à D d ïïj 422 THÉATRE la première vertu et force, pour lui faire pro- duire du bois, dont elle manque, et la retarde à l'autre, en lui abattant son trop d'orgueil , qui la surcharge en rameaux , qui tirent toute sa substance, en l'empéchant de fructifier ; et ce, en lui faisant vider en larmes cette surabon- dante humeur quon lui voit distiller au prin- tems en grande quantité. Vous ne craindrez donc pas d user de ces remèdes, aussi long-tems que vos vignes le requerront : c'est-à-dire, deux, trais et quatre ans de suite; en un mot, jusqu'à ce que vous voyiez qu'il y ait de l'amendement. Vous remarquerez aussi cette maxime générale: que plutôi la vigne est taillée, plus elle jette de bots ; et plus elle l'est tard, plus elle donne de fruits. Ce qui s'accorde avec la plupart des ter- roirs, mais non pas aussi généralement à toutes les espèces de vignes. Or, le fruit ne pouvant renir sans bois, il est donc nécessaire d'en avoir ni peu, ni trop ; pour être accommodé de ven- dange, but de la culture de la vigne. Les es- pèces de complant ayant peu de moëlle, seront taillées en toutes saisons , le fonds n'y étant pas contraire; mais celles qui ont beaucoup de moëlle, là où elles sont plantées , toujours après l'hi- . ver, de peur des froidures qui pénètrent par leur grande entrée. Après que la vigne aura | p'AGRICU LT U R.E. 423 abondamment fructifié, pour la délasser un peu, il faudra la tailler court, en lui donnant peu à nourrir. Et au contraire , Si elle n’a pas satisfait à son devoir, en lui donnera une grande charge , en la tenant longue en sa coupe ; €ar, par cette diversité; elle rapportera satisfaction. Ce que cependant il convient particulièrement d'enten- dre , afin de ne pas en altérer l'ordre. Quand la vigne est taillée, les sarmens en seront promptement liés en faisseaux, petits ou grands, selon l'usage des lieux , et aussitôt trans- portés hors de la vigne, à couvert, et là con- servés pour le chauffage, afin d'en labourer le fond incontinent après. Cette première œuvre appellée Fousser, se donne par des hommes robustes, avec des bèches et des houes, en creusant tant qu'on peut pour mettre la terre en bon guéret, et en même tems en tirer toutes les incommodités de pierres et de racines. S£ On veut la faire à chevalier simple ou double , cela vaudra mieux, quoique cette sorte de culture soit particulière pour les nouvelles vignes, em s'en abstenant à l'égard des autres par économie. C'est aussi l'économie qui a trouvé l'invention de labourer la vigne pour la première fois de l'année , avec le soc trainé par une ou deux bêtes. Cinq ou six lignes en sont faites dans l’entre-rang ; D d w 422 THÉATRF —+ en un mot, autant que l'approche du soc et les pieds des bêtes le permettent , sans offenser les ceps. On ajoute un homme à ce travail. qui prend garde qu'il ne leur arrive de mal , et en même tems avec la houe, il achève de cultiver les pieds des ceps, où le soc ne peut mordre. Et moyen- nant que la vigne soit disposée à cela. dés le commencement , comme j'ai montré, et que le fond ne soit pas beaucoup pendant, ni pierreux, il y a de l'économie: car on fera deux ou trois passades à la vigne , qui s'entre-croiseront avec autant d'avantage que de le labourer avec la houe, et avec moins de dépense. Ceite pre- mière façon à la main, ou au soc, semploye dans le mois de mars, Ou au commencement de celui d'avril, avant que les vignes bourgeonnent. La seconde, dite Diner, quand elles auront pro- duit leurs rameaux avec les raisins. non cepen- dant avant la mi-mai, après avoir plu, car alors les herbes mourront entièrement. Ce travaïl-ci ne se fait pas par les bétes, à cause de lem- barras des branches, mais par des hommes avec la houe, les raisins n'étant pas en fleur de peur de les faire couler par l'ébranlement , et par-là se priver de la vendange ; mais à cette cause ,1l faudra s'avancer ou reculer. En même tems il sera bon de biner la vigne, quon appelle en D'AL6 NF OAUILÉTU RE 455 certains endroits du Languedoc, 7eclorre, de la faivé épampter et ébourgeonner ; c'est-à-dire, d'en faire Ôter les pampres et rejettons super- flus, qui croissent ailleurs que sur les portoirs ou têtes de rapports, dont lés ceps déchargés nourriront leurs raisins , plus facilement que s'ils étoient enveloppés de ces imcommodités. Cela se fera à bon marché par des femmes et des enfants, qui, marchant devant les bineurs ; ar- racheront avec les mains ces chôses nuisibles: J'ai dit pourquoi il est défendu d'ôter les pam- pres aux vignes les plus nouvelles, et combien l'usage en est dommageable pendant les deux ou trois premières années, à quoi il faudra s'arrêter. Maïs ce terme étant passé, on le trou- vera très-utile , et pour le fruit, comme j'ai dit, et pour le cep, qui par ce soin se rend facile à être taillé, au soulagement du vigneron. Cela toutefois n'est pas de nécessité, y ayant des bons ménagers qui ne s'en soucient pas. La raison s'accorde avec l'expérience, que les raisins gros- sissent, quand à la fin de mai, ou au commen- cement de juin, on coupe le bout et la cime des sarmens où ils sont nés, parce qu'ils attirent à eux, et font profit de la substance du cep,, que ces exirémiiés consomment inutilement , qui, avec tous les autres tendrons de pampres ' 426 THÉATRE même ceux Ôôlés de devant les bineurs (si on ne les a déja enfouis dans terre pour y servie d'autant d'amendement }, serviront à donner à manger aux pourceaux avantageusement , faute d'autre nourriture ; ce tems étant l'arrière saison de ce bétail, Dans cette rognure , l'on sera re- tenu jusqu'à n’en pas couper trop, afin que du restant l'on en puisse tirer des crocettes en saison. Pendant l'été, il ne faut faire autre chose à votre vigne, que de la visiter souvent, pour pré- venir le dommage qu'elle pourroit recevoir des ‘ larrons , du bétail, des vents, du trainement des raisins par terre, et autres évènemens , en la secourant selon les occasions jusqu'à la ven- dange, que l'on attendra avec patience et la bénédiction de Dieu, Ne vous souciez pas d'ar- roser votre vigne , quoique vous ayiez Feau à discrétion, parce que le raism hait l'eau, plus quil ne la desire, la chaleur du soleil étant ce dont il a le plus de besoin ; ou il faudroit que par une sécheresse extraordinaire, vous vissiez dépérir les raisins devant vos yeux, la chaleur les brûlant. Dans ce cas, quelque peu d'eau donnée à propos, les garantiroit de ruine ; selon la pratique de certains endroits de la Bresse en Piémont , et la façon ancienne de la Bruze en Barbarie. | <> È Le. PES D'AGRICULTUR E. 427 La troisième et dernière œuvre de la vigne se donne après les vendanges , très-nécessaire à l'avancement de la vigne, et à l'augmentation de son rapport, La saison lui donne le nom d'Ayverner , quoiqu'elle s'employe avantageuse- ‘ment en automne. $i on ne veut pas attendre la chute des feuilles, on pourra, dès que les raisins seront enlevés, mettre les manœuvres à la vigne, devant lesquels les femmes et les en- fants marchant (comme nous avons dit au biner ), arrachent les feuilles des ceps, qui seront mêélées avec la terre pour fumier. On pourra aussi re- tarder jusqu'à ce que les feuilles soient tombées d'elle-mêmes; mais étant sèches, elles ne servent pas autant au fond que vertes ; outre que par le raccourcissement des jours, il y a plus d'économie à s'avancer qu'à réculer. Toutefois le tems gou- verne le plus souvent , et il faut le prendre comme il se présente ; si vous avez le loisir en cet endroit de travailler dans votre vigne depuis la vendange jusqu'à Noël, vous choisirez le plus beau, selon vos commodités. C'est alors la vraie saison de fumer la vigne, s on veut le faire, pour, par les humidités du tems, faire descendre la vertu du fumier dans terre, ce qui n'est pas aussi profitable au printéems, comme j'ai dit à l'article des bleds. Le fumier n'est pas univer- 428 THÉÈATRE sellement nécessaire à la vigne : seulement celle qui estenterre trop maigre, a besoin d'amende- ment ; car en fond passable, elle ne desire que Ja bonne culture. Ce n’est pas bien entendre cêtte sorte de ménage, que d'employer aussi mdifféremment toutes sortes de fumiers à la vigne. Les fumiers des pigeons et volailles sont les meilleurs, pour la qualité et la quantité du vin: presque tous les autres ne font que l'augmenter , en empirant son goût, sur-tout les puants et trop pourris, dont vous vous abstien- drez en cet endroit. Cette considération a ew tant d'effet à Gaillac, dans le Haut-Languedoc, que par un décret publie, il y est défendu de fumer la vigne , n'étant pas permis, même au particulier, de fumer sa propre vigne, de peur de ravaler la réputation de leurs vins blancs, dont ils fournissent leurs voisins de Toulouse, de Montauban ; de Castres et autres; et par ce moyen de se privér des bons deniers qu'ils en tirent, où consiste le plus sûr de leurs revenus, après les fumiers du colombier et du poulailler, faites cas des cimes et tronçons du buis, du gros foin de marais que les bétes ne peuvent manger, des débris des bâtimens, comme sables et chaux mélangés, des terres nouvelles et vi- goureuses ( car toute terre-de meilleure nature D ABRICULTOUR E. 429 que celle de la vigne, lui est un fumier agréable), :des balayures de la maison, basse-cour et sem- blables drogues, que vous incorporerez dans le fond de la vigne au tems susdit. La terre de la vigne remuée ainsi , et en cette saison, se cuira par les froidures et glaces de l'hiver, de telle manière, que souple et déliée , les racines de Ja vigne la pénétreront facilement , et elle main- tiendra sa vertu et sa force pour produire abon- dance de fruit, en se préparant de longue-main à se charger de raisins. Et quoique cette œuvre coûte plus que à Abe , tant par la pe- ütesse des jours, que par l'embarras des ra- meaux de la vigne , il est nécessaire que le bon vigneron ne l'omette pas pour le bien de sa vigne , l'heureuse pratique l'ayant déjà au- torisée. | Les anciens disent qu'il y a dans toutes les plantes , trois différents mouvements ; savoir, bouter , fleurir et mürir, et qu'aidant à la na- ture ils doivent être excités par le labourage : à quoi, au rapport de la vigne , les trois houemens et œuvres susdites peuvent se rapporter; et en les appropriant à leurs usages , nous trouverons que chacune d'elles fait son office particulier, au profit de la vigne , et que toutes ensemble ‘engent à la faire abondamment fructifier. Ces 430 Tu É A TRS facultés semblent étre spécifiées par ce proverbe au patois du Languedoc : qui fouoï, buoï ; qui bine , vine ; qui terce, verse : montrant par dé- grés, ce quon doit espérer de la vigne , bien où mal cultivée. Il est certain qu'on me peut trop cultiver le fond de la vigne, pourvu que le tems favorise ; mais afin d'avoir quelque limite en son travail, on à reconnu par expérience , que la vigne se contente d'être déchaussée et taillée une seule fois, et labourée ou marrée , trois ; et même la troisième n'est pas de néces- sité, vu qu'avec deux ht : , plusieurs bons vignerons entretiennent leurs vignes. Mais le bon ménager ne s'arrêtera pas entièrement à ces exemples, et il dressera l'ordinaire de sa vigne , suivant l'ordonnance susdite ; par ce moyen , il la maintiendra en bonne volonté pour long-tems fructifier. Il reconnoîtra aussi par €x- périence , en lui continuant ce train sans inter- ruption , ni diminution, que sa vigne sentre- tiendra avec grand rapport, sans une dépensé excessive ;: même les trois œuvres dont il est ici question, ne lui coûteront pas plus que deux, cela provenant de la facilité de la culture, Ja terre de la vigne étant une fois mise en bon guéret. Ce qu'on recherche de cette manière : à une vigne de vingt journées, qui peuvent être D'A 6 À PEU L TU RE. 43: environ deux arpens, peu de cho$es moins , il faut employef à la houer ou fousser pour la pre- mière fois de l'année, vingt hommes pendant un jour , où un seul durant vingt jours ; quinze à la biner , et vingt autres à l'hiverner, à cause de la petitesse des jours et de l'embarras des sarmens. Cela s'entend pour la première année qu'on commencera à mettre la vigne sur ce pied ; car les suivantes, pourvu qu'elle soit taillée et vendangée en tems, non trop humide, de peur d'en endurcir le fond, en le trépignant. Qua- rante Cinq ou cinquante journées satisferont lar= sement pour les troïs œuvres, vu que le fond par ce traitement devenu maniable , se laissera facilement labourer : moyennant cette culture, vous ne serez pas contraint de fumer votre vigne. Car sans autre engrais, elle produira abondam- ment des vins d'autant meilleurs, que la vigne aura moins senti de fumier. | Le provignement dans la vigne basse , ne peut se dire un travail ordinaire, maïs une réparation ; car il n'en faut user que par vieillesse ou acci- dent, quand les ceps manquent, vu qu'il est nécessaire que la vigne demeure toujours four- nie , si On veut en tirer uh revenu suffisant : car il en coûte autant à cultiver la vigne rarement complantée , que celle qui est toute couvefte de 432 THÉATRE ceps, et cependant le rapport est bien différent de l'uñe à l'autre ; c'est pourquoi le bon ménager ne souflrira jamais aucun vide dans sa vigne, mais il la tiendra toujours remplie de ceps, autant que le lieu le permettra. L'âge de la vigne change l'ordre d'en réparer ses défauts. D'abord au lieu des ceps morts, on en substitue des vifs enracinés , ainsi qu'il a été montré : mais par- venus en accroissement, cela est hors d'usage, par l'impossibilité de faire reprendre les nou- velles plantes parmi les vieilles, à cause du plan- iage précédent des premières, qui oppriment les dernières ; il faut recourir de nécessité au provignement , seul et moyen assuré de remé- dier à ces défectuosités. Le tems de provigner est celui même de planter , avec la remarque des circonstances représentées des lieux chauds et froids, secs et humides ; des complants ayant une grande ou petite moëlle, pour les employer selon leurs propriétés ; la plupart des vignerons couchent dans terre les meilleurs ceps, s’accor- dant à la nécessité des lieux , afin de tenir tou- jours la vigne fournie de bonnes races. Mais d'autres, plus clairvoyants pratiquent le contraire; ils choisissent à cette occasion les souches infer- tiles qui ont beaucoup de branches; comme on voit le plus souvent que les moins fructueuses abondent D’ À G RIC ULT U R E£. 433 abondent le plus en bois , en les couchant dans terre , ils eptrent tout d'un coup au bout de chaque sarment , à la manière enséignée ci= après. Ainsi, en y mettant de bonnes srefles ; on se peuple des meilleures races de raisins qu'on puisse choisir, et en même tems , on se défait des mauvaises, ce qui s'appelle faire deux bonnes œuvres à la fois ; car il est aussi néces- saire de se décharger des plantes stériles , qu'il est utile d'en acquérir de fructueuses. S'il man- que de ramure Pour provigner la vigné dans les lieux vides, il faudra laisser À tailler les ceps voisins, pour une année, pendant laquelle ils jetteront du bois suffisamment pour satisfaire à votre desir. | : En donnant du fumier au provin , ceci le fait aisément reprendre : non pas que cela soit de nécessité. Car moyennant la bonne culture, sans engrais, elle ne laissera pas de bien profiter ; mais pour le faire promptement croître, afin de pouvoir atteindre les ceps ses voisins, qui sont de plus grand àge , il sera bon de leur distri- buer quelque peu de fumier, du mieux qualifié. Quelques-uns en provignant , ne remplissent pas entièrement la fosse la première anñée , mais ils la tiennent pour quelque tems à demi comblée de terre, afin que le provin soit contraint de Tome L E e 434 THÉATRE ; s'enraciner profondément, pour remplix-après ; à la longue, la fosse, en l'unissant au plant de la vigne. Ceci n'est pas bon en tous lieux indiffé- remment, et convient seulement aux endroits secs, légers et en pente ; car dans les humides, pesants et plats, il y auroit à craindre les eaux croupissantes dans la fosse, qui pourriroient en- tièrement les racines ; ce que prudemment l'on discernera , afin de ne pas se tromper. Pour fin de cette culture, il reste à montrer le moyen de reméttre en vigueur une vigne lan- guissante, qui se perd par un mauvais entretien ou par vieillesse, afin qu'on puisse encore en tirer service. Cela se fera en l'hyvernant extraor- | dinairement ; c'est-à-dire, en la béchant plus profondément qu'on est accoutumé de le faire . et ce en hiver, tellement à profit, que comme un replant nouveau, la terre se renverse sans- dessus-dessous en prenant la vigne presque à son fondement , et en même tems en coupant toutes les racines qui se découvrent par ce tra- vail, afin que les ceps déchargés de ces super- fluités, puissent après reprendre uné nouvelle force, ce qu'ils pourront faire par le moyen de la bonne terre de dessus, mise au fond , parmi laquelle on mêélera les feuilles vertes de la vigne, qu'on arrachera devant les travailleurs, s'il ar- } D' AGRICULTURE. 435 rivoit qu'elles ne fussent pas encore tombées ; des pailles de la balle de bled, et autres engrais pour lui donner plus de vigueur. Cela ne satis- faisant pas à votre intention, regardez comme dé- sespéré le renouvellement de votre vigrie, et la fin de son service assuré, ne pouvant être relevée, À cause de son trop grand dommage, pour que sans vous attendre à un autre remède, celui-ci étant l'extrême, vous preniez la résolution de la replanter , si vous en avez le désir ; ce que vous ferez facilement avec un peu plus de dépense, et même vous la replanterez de ses propres espèces ; si elles vous plaisent, par des crocettes que vous ferez cueillir, avant que de l'arracher. D'après les meilleurs vignerons , voilà ce que l'on peut dire sur l'entretien de la vigne basse, pratiqué en Languedoc, Provence, Dauphiné et ailleurs , où elle est en service, qui est celle dite des Grecsorthampelos, parce qu'elle se soutient d'elle- même ; appellant dactylidos, celle, qui en bois, n'excède pas la grosseur du doigt, et qui de nécessité est appuyée ; on peut rapporter cette espèce à la française. La seconde et moyenne sorte de vigne en comprend plusieurs , comme l'échalassée , la perchée à lignolot , en treillages , et autres dif- férentes façons, comme il sera montré. La prin= E e 1j 436 TH. ÉUADTIREE cipale est celle qui paroït toujours nouvelle ; parce qu'on la provigne souvent , et qu'on n'en laisse pas beaucoup grossir les ceps par vieillesse. Telles sont celles de l'Isle-de-France, d'Orléans, de la Brie, de la Bourgogne, de la Sologne , du Berry, et d'autres, quartiers de ces climats, que l'on supporte par des paisseaux, des écha- lats, des charniers, différemment nommés selon les lieux, un seul étant mis à chaque pied de vigne. La qualité de cette vigne échalassée est d'autant plus à priser par la bonté de son vin, qu'elle approche plus des basses, dont elle ne diffère pas beaucoup, parce qu'elle n’est que bien peu relevée sur terre, et le voisinage, en saison aide à la maturité des raisins. Ce petit relèvement les préserve de pourriture , et la ferme attache de ses rameaux aux échalats, de la vio- lence des vents. Quant à la quantité, elle est d'autant plus grande , que plus il y a de bour- geons,ou d'yeux logés sur le nouveau bois ducep, et en ce point cette vigne surpasse toutes les autres, vu que par le fréquent provignement, les ceps couchés dans terre augmentent en nom- bre, et par conséquent en rameaux, qui étant taillés en long, se chargent ensuite de beaucoup d'yeux ou bourgeons, d'où provient cette abon- dance de vin, si admirée dans cete sorte de EE nn us D A GR CU LT U RE 457 vigne. On peut planter très-utilement la vigne française o@ échalassée, à la mode de la basse, mais suivant l'ordre le plus reçu ; on s'y conduira de cette manière. La terre qu'on destine à la vigne sera de longue main profondément labourée et déchargée de toutes choses nuisibles, ensuite unie par le dessus, et après universellement rayonnée en travers, par des fossés tirés en droite ligne ;, larges d'un pied et demi, de profondeur pa- reille, et de trois pieds de distance l'un de lau- tre, qui demeureront ouverts aussi long-tems qu'on pourra , afin de donner plus de loisir à la terre des côtés et du fond de se préparer en se cuisant, pour le bien du complant. Cepen- dant sur l'entre-deux des fossés ( qu'en certains endroits l'on appelle chevaliers et condots ) la térre qui en aura été tirée séjournera, avec cette distinction, que la première prise à la superficie sera posée d'un côté, et celle du fond de l'autre , pour les employer séparément et sans confusion , ainsi qu'il sera montré. Comme les humeurs des hommes sont différentes ; on travaille aussi diffé- remment dans ce ménage, y en ayant quelques- uns qui, sans se soucier de la préparation de la terre faite par le tems, plantent la vigne en même tems qu'ils creusent les fossés. Il en arrive de \ Ee 438 NH É AT même du complant ; car la crocette et la mar- cotte ou chevelue, sont employées séparément , toutefois selon la fantaisie du ménager ; mais le cep reprend plus facilement en terre cuite qu’en crue, par l'attente du plantage, ce qu'on ne doit pas mépriser (avantage qui n'existe pas au plan- iage de la vigne basse , parce qu'il n’y a pas de lieu où la terre des fossés puisse séjourner , vu que tout le fond se rompt en plantant } ; car la vigne s'avance plus par marcottés, que par cro- cettes , selon le jugement de tous les bons vigne- rons et les expériences. D'après les distinctions des tems, lieux et complants ci-dessus remar- qués , la vigne sera plantée ; cet avis servant aussi, en son tems au provignement. On mettra le complant , crocette ou chevelue au bord du rayon ou fossé, la terre dure joignant des deux côtés, qu'on chaussera, premièrement de la meilleure terre séjournée sur le chevalier , avec celle du bord du fossé qu'on rompra alors, et après on achevera de remplir le fossé de celle moins valeureuse, qui, se trouvant exposée à l'air au-dessus , se préparera à la longue par le tems et la culture. La distance d'une crocette ou marcoite, à l’autre n’est pas limitée à une certame mesure , n'en étant pas bésom , attendu qu'on la confond au futur provignement. Quel- DAS RMC UNLUTiU R E. 439 ques-uns ne leur donnant qu'un pied; d'autres les planteht encore plus étroitement ou large- ment , selon leurs coutumes, qui par-tout ne sont pas semblables ; la différence dans la ma- nière de planter et d'entretenir les vignes, se reconnoissant clairement , entre celles de Paris, : Orléans et de leur voisinage , quoique toutes échalassées ; l'ayant ainsi remarqué, comme j'ai dit ci-devant, qu'il y a de même différentes manières de labourer pour les bleds, entre Paris et Montargis. On fera ressortir deux yeux du complant sur la terre réaplanie, en le coupant justement dans l'endroit où l'on veut fonder ses rejettons , pour que , près de la chaussée, le cep se fortifie ; delà jusqu'au provignement , cette vigne échalassée se gouverne comme la basse , en l’excitant à croître et se fortifier par des bé- chemens réitérés , qui comprendront les cheva- liers et condots , afin qu'aucune partie du fond de la vigne ne demeure inculte. La vigne sera chaque année taillée fort justement, les deux ou trois premières, à la viciile lune, et la troi- sième ou quatrième à la nouvelle, pour Ja faire Jetter en bois, afin de pouvoir souffrir le pro- vignement. Moyennant ce traitement , au bout de trois ans où de quatre, la vigne deviendra propre à E e iv # , 440 THÉATRE provigner , et alors vous prendrez avis sur Îa qualité du fruit (la vigne commencant en ce tems à produire des raisins }, pour d'un côté vous défaire des races qui ne vous plaisent pas ; et de l'autre, par le provignement , augmenter le nombre de celles que vous trouverez dignes d'être retenues, afin de rendre votre vigne en- tièrement fructueuse. On couchera les ceps sur les chevaliers ou condots, en y ouvrant la terre en travers , aussi profondément que’la vigne est planiée, pour de même loger les provins; et alors la terre desdits endroits, qui étoit .-de- meurée affermie, depuis le plantage , Se rompra toute de rang , sans qu'il y reste rien de dur, et par ce moyen, la terre se trouvera entiè- rement remuée. En provignant , on place les sarmens , sans distinction d'ordre, ni de rang ; on asseoit lcs sarmens où ils se rencontrent le mieux, près ou loin les uns des autres ; comme aussi un; deux ou trois ceps sortiront de chaque souche , selon qu'il conviendra le mieux ; car l'on travaille en cet endroit, sans nulle sujétion. de lignes ni de distances. Par cette méthode la vigne échalassée perd son alignement et sa me- sure, vu que les rangs et l'os sous lesquels elle aura été plantée se confondent totalement, au lieu que la vigne basse les conserve jusqu à RE | — J | | D'AGRICULTUR E. 44 ‘sa fin. Aussi de droite et large qu'elle étoit dans son commen&ement , elle devient tortue et étroite par le provignement , même tellement pressée de ceps, que l'accès entr'eux étant toujours difheile et quelquefois nuisible , on n'y passé que par nécessité. Par cette cause , on épargne au travers de la vigne dés sentiers ou petites allées, comme dans les jardins, qu'on y aligne directement de dix en dix pas, plus où moins, qui outre le service qu'elles font à la vigne, pour en retirer la dépouille et y apporter les amen- demens , y causent ce profit si nécessaire, que le maître s'y promenant facilement par cette ai- sance , et par ces petites divisions, le vignoble devient de vue agréable. Voici la vigne formée et parvenue en âge d'être traitée, comme étant crue. On la taillera après l'hiver, quand les grandes froidures seront passées , par un jour sans pluie , ni brouillard, mais beau et serein, si on peut le choisir tel, une année dans la nouvelle lune, et la suivante dans la vieille (cela s'entend, si son port a été presqu'égal par l'entre-suite des saisons) , afin que par les diverses facultés de cette Lame la vigne soit maintenue en état modéré de fructifier, et pour durer long-tems ; la vigne pé- rissant par trop de force , ou par trop de foiblesse ; +? CSS T:H: À ARE d'après les avis représentés, il sera remédié à ces défauts, par la taille donnée à propos. C'est le propre de cette sorte de vigne, d'être souvent provignée , cela est pratiqué cependant plus ou moins fréquemment dans un endroit que dans un autre, tant par coutume que par nécessité. Le provignement est inventé, pour maintenir la vigne en jeunesse , et la guérir de ses mala- dies ; ce sont les raisons qui limitent cette action dans la vigne. C'est pourquoi, lorsqu'il vous plaira de rajeunir votre vigne, ou que vous la verrez malade, servez-vous de ce remède en tout ou en partie, selon le besoin, sans vous assujettir à un autre tems. À chaque provigne- ment il est nécessaire de sortir du fond de la vigne une grande quantité de racines des vieux ceps, et d'autant plus grande, que plus la vigne sera avancée en âge, afin de la débarrasser de ces incommodités ; faute de le faire, elle de- viendroit à la longue entièrement infertile, vu que les racines vieilles dans terre, occuperoient tellement le fond, qu'il ne resteroit pas, ou que bien peu, de sa substance pour l'entretien de la vigne. Non seulement le provignement est salutaire pour les choses susdites , mais 1l donne … une grande vigueur au fond, étant très-souvent remué , et la terre se ramollissant, en devient | A te, de CE à c s à D'AGRICULTUR E. 443 toujours plus fertile, au grand avantage de la vigne, qui rapporte du fruit abondamment , comme si elle reprenoit une nouvelle force. Aussi le provignement est-il estimé demi-plan- tage. Les sarmens provignés, dont les ceps se formeront , sortiront de terre, de deux pieds plus eu moins, en les coupant là justement, et y laissant autant d'yeux ou de bourgeons, que la nature y en aura mis. On mettra un appui près et joignant chacun des ceps, qu'on nomme diffe- remment, selon les lieux (charnier, échalat, pars- seau ), façonné du plus droit et plus solide bois qu'on pourra choisir. Il sera de la longueur de six à sept pieds, dont deux seront fichés dans terre par l'un dés bouts, qui, à cette cause ; sera épointé , et le reste sortira.directement en haut, pour fermement attacher le cep en cet endroit avec une ou deux ligatures d'ozier, sans être trop serré, de peur de l'offenser. On prendra, garde de mettre l'échalat du côté de la bise, pour garantir le cep et pour le maintenir, qui poussera plutôt ses rejetions , que s'il étoit à dé- couvert exposé au fond. Il est nécessaire d'em- ployer l'échalat aussitôt après avoir _provigné la vigne ; il sufñit que ce soit peu de tems après qu'elle aura bourgeonné, pour commencer alors son service , et vu que l'échalat de lui-même, FATA T H É A TIRE ainsi directement posé, ne peut servir qu'à tenir le cep ferme , sans en soutenir les rameaux, comme cela est très-nécessaire, pour préserver - les raisins de la pourriture, en trainant à terre; le bon vigneron, vers la fin du mois de mai, ou plutôt selon la saison , relève le premier jet de la vigne, en remontant le long du charnier, et en l’attachant RÀ avec de la paille longue mouillée , qu'on appelle à Paris du pleïon, ou bien avec du jonc, ou quelqu'autre matière douce , afin de ne pas blesser les tendrons, où les raisins croissent, sans être gênés par les vents et la pourriture ; étant ainsi accommodés et ex- posés au soleil, ils en mürissent plus facilement. Une seule fois ne suffit pas de lier ainsi la vigne, il y faut retourner plusieurs fois pendant l'été, en y ajoutant ce qui croît des rameaux de jour à autre, et en rattachant ce qui, par défaut de liens , verse par terre. Il ne faut pas manquer sur-tout d'y revenir entièrement au moïs d'août, pour lier de nouveau au haut du paisseau, le dernier rejeiton de la vigne ; sans oublier à chaque fois, principalement à la première, d'ar- racher les rejets superflus qui eroissent ailleurs que dans les bons endroits, pour débarrasser les ceps d'autant , afin que les raisins ayent plus de. substance. Pour les faire grossir, 1l sera très- DA GR OMQQU L TU RT. 445 utile de rogner les cimes de leurs rameaux, comme il a été dit ailleurs. Or, comme cette vigne échalassée rend plus du fruit que la basse, plus aussi elle desire de culture. On lui donne ordinairement trois œuvres, depuis la taille jusqu'à la vendange ; on la laboure, on houe au mois de mars; on la bine à la mi-mai, et on la berce à la Saint-Jean. En outre, au commen- cement d'avril, après y avoir planté les échalats, on Ôte les pierres, mottes et herbes qui pour- roient empêcher le bourgeon. On retourne à cela de rechef en juin, ce qu’on appelle £:gnotter. Quelques-uns ne se contentent pas de cette cul- ture, quoique grande, en l'amplifiant selon le besoin ; et l'affection qu'ils ont à cette sorte de ménage. Si la vigne est assise en plaine, elle sera prise de tous les côtés qu'on voudra pour la cul- tiver. Mais pour le mieux, ce sera une fois d'un côté , et la suivante d'un autre , à la manière des terres à grains: en entre-croisant ainsi le labour, le fond se maintiendra en bon état. Cela ne peut se faire aussi bien en pente. Le vulgaire com- menceà cultiver ses vignes par l'endroit le plus facile. Les mieux entendus à ce ménage, ne s’ar- rêtant point à l'économie, font mettre les pio- _ cheurs au plus haut endroit de la vigne, qui en tirant la terre en remontant, prévoyent par cette 446 ARRETE ACTUS adresse le mal qui arrive à la vigne par les pluies et par le naturel de la terre, qui est avalée en bas; de manière que si elle n'étoit pas par-là retenue , les ceps d'en haut se trouveroïent à la longue dénués de terre, et ceux d'en bas trop couverts à la ruine de toute la vigne, comme il a été dit ci-devant. La vendange vientraprès , dans son rang, laquelle étant passée, et l'ap- proche des froraNtu arrivant, la vigne sera hi- vernée. Of£uvre entièrement nécessaire et fruc- tueuse. En certains endroits, comme en Berry , en faisant ceci, l'on enfouit les ceps, en les couvrant entièrement de terre, pour les garantir de la rigueur de l'hiver, qui demeurent ainsi cachés pendant tout ce tems, de sorte qu'on diroit, les échalats étant enlevés et retirés ailleurs, qu'il n'y auroit alors en ces quartiers-là aucunes vignes, Mais le prmtems revenu , comme sortant d'un sépulcre, les ceps sont déterrés et remis dans leur premier état. Il est très -nécessaire d'avoir soin des échalats, charniers ou paisseaux, afin de les faire durer long-tems par économie, et l'entretien de la vigne en sera plus facile, sans se donner la peine d'en mettre de nouveau chaque année. Il y'a de l'adresse dans leur ap- plication , moyennant laquelle ils sont de service, pourvu aussi que leur matière soit d'elle-même —.— | 7 1 D' AGRICULTURE. 447 profitable. La meilleure est le bois de cha- taignier ; celles d'après, de chêne droit et de refente ; enSuite viennent les ormes, frênes, fouteaux , érables et autres arbres, jusqu'aux aquatiques qui fournissent à ce service , lesquels servent mieux et plus long-tems, que plus droit et plus durable en est le bois : comme en cette qualité , les saules, peupliers et aulnes cèdent à tous les autres arbres, leur pourriture facile ne leur permettant pas de durer à la vigne plus d'un an. Ainsi pour entretenir en bonté ces ap- puis , aussi long-tems que leur nature le permet; on les arrache de la vigne dès l'entrée de l'hiver, pour être portés reposer sous les prochaines cou- vertures pendant le tems des froidures , afin de n'être pas exposés aux injures de la saison, les pluies et les gelées leur hâtant la pourriture. L'hiver passé, on les rapportera dans leurs lieux ; ils seront épointés de nouveau par le bout entrant dans terre , et remis près des ceps', pour y continuer leur service. À défaut de logis, on amoncelle les échalats dans la même vigne, en différents endroits, dont on en fait des faisceaux liés, en deux ou trois lieux, qu'on laisse par terre, non couchés de plat ( de peur que l'hu- midité du fond n'en pourrisse une grande partie) mais relevés d'un côté par deux paisseaux qui se ds 445 T'H É A TE traversent l'un l’autre, en croix bourguignonne, et ne touchant la terre que de l’un des bouts, als se conservent assez bien. Quant à fumer , s'il y a quelque vigne qui le desire, c'est celle-ci pour pouvoir satisfaire à son port excédant tout autre. On lui donne communément du fumier, la troisième ou la quatrième année de son âge , qui est lorsqu'elle commence à montrer son fruit , en continuant après par années , selon le besoin et les com- modités. On applique le fumier par rayons ( méme pour la première fois , avant que la vigne soit provignée ) qu'on creuse entre-deux rangs de ceps, et remplis de fumiers , ils sont recou- verts de terre qui enferme ainsi sa. vertu avec utilité. Nous avons parlé du tems de ce ménage, et aussi des qualités et diflérences des fumiers : j'ajouterai ici que le fumier de cheval est bon pour les vignes de pays froid ; et celui de vache pour les vignes de pays chaud, ce dont vous vous souviendrez, avec la distinction raisonnable pour l'honneur du vin, dont la bonté, comme j'ai dit, est toujours empirée par le fumier, quel qu'il soit, excepté par celui: du colombier et des : cimes des rameaux de buis. Il convient donc d'être fort retenu à cet égard , par l'assurance : qu'il vaudroit mieux manquer de fumer que de … labourer ; D'AGRICULTURE 49 labourer ; comme on en voitl'expérience au vigno- ble de Paris, qui, plus fumé que de raison , et non pas entièrement si bien cultivé qu'il appar- tiendroit (ayant plus de commodité de fumiers sortant de cette grande ville et de ses faubourgs , que de vignerons y venant des villages des en- virons }, rend le vin moins bon, plus verd et plus petit, que suivant la portée de son climat, ce dont il paroit déshonoré. Cette vigne est vraiment de grande dépense ; mais aussi de grand rapport : par cette cause , sans avoir égard aux frais de l'entretien , élle est irès-prisée, étant placée au prémier rang de fertilité, et au second, pour la bonté du vin; et en cette qualité, elle ne céderoit guère à la vigne basse , si, de même qu'en Languedoc et autres semblables endroits, le climat la favori- sant, l'on s'abstenoit de la fumer. Il est rai- sonnable de conclure, que le défaut des bois pour le soutien des vignes, ou l'ignorance des vignerons ; est cause dans les pays méridionaux, que l’on se sert plutôt des vignes basses que des échalassées ; et il est vraisemblable, que si dans le Languedoc et les environs , la vigne étoit façonnée à la française, la quantité du vin s'y augmenteroit prodigieusement, à cause du grand nombre de ceps dont la vigne échalassée est Tome Z. FE £f 450 THÉATRE composée , et de sa conduite, sans que la bonté du vin en fût de beaucoup empirée, les raisins croissant assez près de terre. Il y auroit aussi cette utilité notable , que les ceps étant ferme- ment attachés aux échalats , les rejettons de la vigne et les raisins demeureroient assurés contre la violence des vents (désastre fréquent de ce pays, qui ravage la plupart des fruits) et la pourriture , en ne trainant pas par terre. Quant aux autres vignes appuyées, aucune d'elles ne requiert d'être généralement provignée, mais seulement à la manière des basses, avec lesquelles elles ont de commun cette œuvre ; aussi, elles maintiennent leur rang, comme elles, jusqu'à leur fin, sans s'y confondre. Elles desi- rent pour leur appui une grande quantité de bois , vu qu'il faut y employer des poteaux, des fourches, des perches et osiers ; moins toutefois | à celles à lignolot qu'aux autres, vu qu'elles se contentent d'une barrière en droite ligne , dont elles tirent le nom, posée sur des petits poteaux fichés droitement en terre ; ces barrières ne sont - guère relevées que de deux à trois pieds, ce qui est cause que le vin provenant de cette sorte de vignes, est regardé comme un des moyens en bonté. De chaque cep sortent deux sarmens , ] contenant chacun huit ou neuf yeux; on attache D'À & R'WCAUÏL'T U R €. 451 ces sarmens des deux côtés de la perche, en les y recourbgnt en arc; et de méme le pied de la vigne y est fermement lié, où sans tr op craindre les vents, elle reproduit ses rejettons avec les raisins. L'adresse consiste à pher les sarmens. C'est qu'entre le troisième et quatrième œil, le vigneron recourbe le sarment avec vio- lence , afin d'arrêter en cet endroit la principale sève du cep, pour là, le contraindre à jetter le plus de sa force, et pour le fruit et le bois À venir, afin que sur ce bois, l’année suivante , les têtes de rapport puissent être façonnées comme dessus. Par ce moyen , la vigne se conservera en bon état, pour y durer long-tems, ce qu'on ne pourroit espérer en la laissant rejetter à volonté, ce qui seroit toujours au bout des sarmeris, loin du tronc , à sa ruine , en montant trop vite; chose qu'il convient d'éviter en toutes sortes de vignes perchées. Les osiers sont communément employés pour Ja ligature des vignes, comme la matière la plus usitée et la meilleure. I est vrai qu’elle ne pour- roït être aussi trop bonne ; car il ÿ a des osiers si forts, qui, non seulement ne lächent jamais prise, mais au contraire , qui prennent davan- tage de force, à mesure qu'ils se dessèchent, au «Ém: de la vigne, qui craint fort d'être - Ffu 452 THÉATRE serrée trop étroitement, jusqu'à même en être quelquefois coupée. C'est pourquoi il faudra soigneusement distinguer ces ligatures , en don- nant les plus fortes à l'attache du bois mort, comme poteaux et perches, et les souples et déliées pour les liens de la vigne. La même considération est nécessaire à l'en- tretien de la vigne treillée, de quelque forme et figure qu'elle soit, plate, pendante, en ber- ceaux , tonnelles, voussures ou autrement dis- posée : excepté quon les relève sur terre plus hautement que celles à lignolot, et on les charge de têtes aussi plus qu'elles, sans restriction de nombre, ce qui dépend de la faculté de la vigne. Le vigneron notera pour maxime, sur la manière de lier la vigne, qu'il faut faire appuyer les drageons sur les perches, pour être soutenus d'elles, et non du lien; de peur que le lien rompant À la vigne ne verse par terre, ou fenant fermement, elle n'en soit offensée , sa propre pe- santeur faisant entrer l’osier dans son bois comme un fer tranchant, dont finalement elle en seroit coupée. La vigne qu'on fait grimper contre les murailles des jardins, veut le même traitement que les précédentes , excepté que sa tige vient de plus bas, pour mieux s'étendre sur la muraille, qui s'en couvre entièrement ( à l'aide du treillis D'ART U R Er 0 de bois posé au-devant d’elle qui soutient la vigne }), en y étendant ses rameaux , Comme une tapisserie , les rejettons s'y attachant à plaisir. Elle est agréable à la vue, de grand profit par l'abondance des bons raisins qui en proviennent, et qui, par la chaleur de la reverbération que cause la proximité de la muraille , se cuisent en perfection, ménageant ainsi la chaleur du soleil; par cette adresse elle en est de beaucoup aug- mentée. Aussi cette sorte de treillage est de l'invention des pays froids, n'étant guères en usage en pays chaud. Ces vignes se façonnent en treillis dans les jardins, par allées avec or- nement et économie, mais ne donnent pas les raisins aussi mürs que celles qui joignent aux parois. Le plantage de toutes sortes de vignes ap- puyées, ne diffère en rien de celui des basses ; excepté des plus relevées, qui ne peuvent être édifiées que par chevelues. On plante et on élève ces vignes sur leur appui tout à la fois, pourvu qu'on ait des chevelues assez longues pour atteindre la hauteur des treillages. Les chevelues et les poteaux ou fourches pour les supporter, sont mis ensemble dans la fosse, deux chevelues à chaque poteau , qui lembras- sant de deux côtés, et là attachées, elles de- F Fi 454 THÉ2ATARE meuréront toujours droites, sans tortuosité , comme celles qui s'élèvent par années. C'est bien là le plus beau, mais non le plus profitable, parce que le cep ne peut aussi bien se renforcer du pied, quil seroit à desirer, ayant à nourrir trop de bois dans sa première jeunesse, dont la vigne s'en rend moins fertile pour l'avenir. C'est pourquoi il sera plus profitable d'attendre que le tems ait grossi les ceps, que si par impatience on gâtoit la vigne dans son commencement. Trois ans en feront la raison , au bout desquels la vigne aura atteint la hauteur du treillage , en s'allongeant chaque an, de ce qu'on verra être nécessaire pour y parvenir ; et alors on ajoutera aux ceps les poteaux, fourches, colonnes et au- ires soutiens des treilles : ce terme donnant le loisir de les dresser bien à propos sans se préci- piter ; et la vigne moyennant une aussi bonne culture deviendra très-fructueuse. | Ces vignes , treillées appellées dans lesCévènes du Vivarais, hautaiques, ainsi dites, à cause de leur hauteur, ont quelque conformité avec les hautins qu'on voit le long de la Loire , au pays d'Anjou, en Piémont, en Italie et ailléurs, excepté quil n'y a aucuns arbres pour aider à les supporter, mais seulement du bois mort. Ce n'est pas le défaut du climat qui contraint pi As é RLITCAUALIT,U R E. 4595 au pays du Vivar ais, à façonner les vignes de cette manière , mais comme j'ai dit de l'Italie et du Piémont, l'habitude invétérée en est la cause, à quoi on peut ajouter, que ce quartier des Cévennes étant étroit en terroir, et assez fertile, en menageant la faveur de la température du ciel, le peuple le fait heureusement servir à porter des bleds, vins et fruits des arbres: et vers Âley dans l'Usège près du Vivarais, et en quelques parties du Languedoc, au lieu de bled, ils y récoltent du foin, plantant leurs vignes treillées dans les prairies, de.sorte qu'avec mer- veille on ÿ voit croître ensemble ces divers fruits, même l'olivier et le châtaignier, quoique diffé- rens et presque de naturel contraire. Les hau- taignes sont arrangées par des intervalles pro- portionnés , comme en lignes parallèles, pour donner lieu au bled ou au foin, et aux arbres de croître entr'elles. La distance de l’une à l’autre n'est pas limitée à certaine mesure, tout bon ménager étant néanmoins d'accord, que plus elle est grande, mieux ces trois espèces de fruits y croissent à leur aise et plus abondamment. Ainsi la largeur de dix à douze toises, de l'une à l’autre treille, sera raisonnable pour satisfaire en cet endroit à l'entretien de ceux qui ainsi de- sirent disposer une partie de leur terroir; ce à FE Fiv 456 THÉATRE quoi on ne doit nullement s'attacher , si, sur les lieux ou près delà, l'on n’a une bonne pro- vision de bois de coupe pour le soutien de ces vignes, qui en consomment plus qu'aucune autre; - car il ne seroit ni agréable, ni d'économie pro- fitable d'en aller chercher au loin avec de l'ar- gent. Le bois après avoir servi à la vigne le ierme de durée que la nature lui aura accordé, selon son espèce , ci-devant représentée, est envoyé au feu , quand ôté de la vigne, il en est substitué à sa place de nouveau. On appelle à bonne raison, haute, la vigne arbustive et branchue, jettée sur les arbres , puisqu'elle est plus élevée que les autres; et quoique l'on communique ce nom à quelques treillées, il y a pourtant de la différence d'elles aux basses, échalassées et à lignolot. Cette vigne est inventée pour la maturité des raisins, s’accom- modant au pays; car dans les pays les plus froids de la vigne , les raisins ne veulent pas müûrir près de terre à cause de sa grande humidité, méme dans l'arrière saison de l'automne , devant la- quelle ordinairement on ne vendange pas dans ces quartiers-là, à cause de la tardiveté du cli- mat; c'est pourquoi on est contraint de les en éloigner , en les élevant : au contraire des pays chauds ou par le bien de leurs vendanges, ils D'ABRICULTURE YZ57 approchent les raisins le plus près de terre qu'ils peuvent avec grande utilité, et se servent de la reverbération du soleil contre le fond. Cette vigne arbustive se plante de sautelles ou chevelues , non de crocettes ou maillots, par l'impossibilité de les faire reprendre près des arbres déjà plantés. Cela étant encore assez dif- ficile, quoique de plant enraciné. Pour ce faire on creuse une fosse longue de quatre à cinq pieds, large et profonde de deux et demi, joi- gnant l'arbre de l'un des bouts : à l’autre bout sont plantées deux chevelues, toutes droites sans recourbure , éloignées l’une de l'autre autant que la fosse est large. Là, par un bon traitement, elles sont sollicitées à croître, afin de pouvoir atteindre l'arbre en s’allongeant , ce qui pourra être dans une couple d'années, si elles sont sup- portées avec des poteaux et dés perches. Alors la fosse étant rouverte jusqu'au pied de l'arbre, et toutes ses racines paroissant coupées , les re- jettons des chevelues seront couchés le long de cette fosse jusqu’au pied de l'arbre, attachés au tronc , et grimpant à mesure qu'ils croîtront, s'entrelaceront aux branches. On plante deux chevelues jumelles, afin qu'une mourant l'autre satisfasse à votre intention , et si elles reprennent tous deux , ce n'est que mieux pour l'endroit. Si 458 THÉATRE à cause de la grandeur de l'arbre , deux cheve- lues ne suflisent pas à le revêtir comme il faut, on y en ajoutera deux autres, par une seconde fosse qu'on fera de l’autre côté de l'arbre, dans laquelle on les plantera et provignera comme dessus. On creusera les deux fosses plus ten- dantes du côté du midi que du nord, pour que les chevelues étant plantées dans cet aspect, soient tenues en abri, autant qu'il sera possible, et ce par le tronc de l'arbre. Ainsi vous marierez la nouvelle vigne au vieil arbre, moyennant aussi qu'on lui ête plusieurs branches pour inviter les rejettons du cep à se loger dessus sans ombrage incommode. d Les vignes arbustives s'édifient beaucoup mieux avec plus de profit , en plantant les jeunes arbres avec les chevelues tout ensemble, que par la susdite manière : les arbres et les ceps de même àge se reprenant très-bien de compagnie, et par cette égalité ils s'entretiennent ensemble pour durer long-tems, vu que chaque plante reçoit sa portion de la substance de la: terre pour sa nourriture particulière, ce que ne pour- roit faire la vigne plantée après l'arbre, qui , comme plus robuste, attireroit à lui‘le meilleur du fond au détriment de la vigne. Ainsi , il vaut mieux se disposer à cela tout d'un coup , en D'Ags 2 TOM ITU R E. 459 plantant arbres et vignes ensemble, pour: avoir de meilleures vignes de cette manière , cyue de se contenter des moins fructueuses en les fa- connant par intervalles. Ainsi, pour dresser sans sujétion une bonne vigne arbustive, on y travaillera ainsi. Que le lieu avant tout soit choisi, comme il appartient, selon les renseignemens généraux , entièrement débarrassé d'arbres de toutes espèces , de racines et pierres importunes. Après on prendra la ré- solution , .si parmi la vigne on veut semer du bled, ou non, pour, dès le commencement, dis- poser le lieu à ces deux usages, selon qu'on trouve du ménage en chacun d'eux. Ceux qui font du bled dans la vigne, disent que toute la . dépense de l'entretien de la vigne, sort des bleds qui en proviennent ; de sorte que le vin et les sarmens qu'on en tire, restent de liquide re- venu. Les autres ne croient point que le vin sorte en aussi grande quantité de la vigne mélangée, qu'étant seule , la terre ne pouvant que langou- reusement satisfaire à la nourriture de différents fruits, et de plus, ils estiment que c'est seule- ment une apparence de bon ménage, que de tirer la dépense de la culture du bled qui croit parmi elle, et qu'il vaudroit mieux la sortir du vin même ; attendu que le restant tout bien 460 THÉATRE compté, forme un raisonnable revenu ; outre que le vin en est PENE meilleur que celui qui croit avec les bleds , à quoi , il est nécessaire d'avoir égard , tant pour le choix qu'il y a de vin à vin, que pour l'honneur du climat; et même qu'il est d'usage de n’employer à aucun autre rapport qu'à celui des raisins, les meilleurs terroirs à vigne. Il faudra planter plus au large les arbres et la vigne, au lieu où l’on prétend semer du bled, que dans celui destiné au seul vignoble. Pour le premier, les arbres seront plantés loin l’un de l'autre de cinq à six toises, en rangées d'égale distance de huit à dix; et pour l’autre , la me- sure de trois toises, en tous sens , suffira pour les arbres et pour les rangées, se trouvant par ce moyen disposés en quinconce. Dans chacune de ces ordonnances, les arbres seront plantés par rangées droites, parfaitemeut alignées, pour que la charrue y passe librement sans rien gâter. Ces arbres seront plantés , non par trous séparés, mais dans des fosses longues et ouvertes, qui traverseront le fond; afin que leurs racines et celles des ceps, puissent librement courir le long du fossé dans la terre fraîchement remuée, sans qaucune dureté les en détourne, et ces nouvelles plantes prendront un grand et prompt d 4 ER DA GE OU L'T U R 46: accroissement. Ces fosses seront larges de quatre à cinq pieds et profondes de deux, si c'est dins une terre forte et argilleuse ; mais dans une foible et sablonneuse , il conviendra de leur donner une moindre largeur et une plus grande pro- fondeur. On fera ces fosses dans le mois d'oc- tobre et dans celui de nombre , ou plutôt, si le loisir le permet, qui demeureront ouvertes jus- qu'à la fin de février, ou au commencement de mars qu'on y logera les plantes , et pendant ce tems, les gelées de l'hiver en auront bien préparé la terre pour les bien recevoir. Le printems est meilleur pour ces plantes que l'automne, quelque sèche que soit la saison ou la terre, vu que c’est toujours en lieu froid qu'on les édifie. L'arbre sera choisi de la grosseur du bras, pour brem servir en cet endroit ; car étant plus petit, il ne seroit pas d'une grande utilité pour l'accroisse- ment hâtif de la vigne, qui trouvant l'arbre foible , l'opprimeroiïit dans peu d'années. Quant à la vigne elle sera toujours propre à planter, pourvu qu'elle ait une belle chevelure , moyen- nant quoi, elle reprendra et grandira très-bien, en joignant l'arbre, ce qu'elle ne pourroit faire, n'ayant pas des racines suffisamment, pour tenir rang de compagnie avec l'arbre. L'arbre et les ceps seront plantés tout à la fois, quatre ceps 46: THÉ À TR à à c haque arbre, dont il sera environné: tous ces cepos joindront le pied de l'arbre, seulement par le ‘bout du sarment ; car les racines de la sautelle ou chevelue s'en reculeront tant qu'on pourra, én le5 couchant à cette cause le long de la fosse ; et ce sera pour donner à chacune de ces diverses plantes sa portion du terroir. On mettra par- élessus . et contre les racinés des arbres et des ceps la plus cuite et meilleure terre tirée la pre- mière de la fosse, et l’autre ensuite, par les raisons déjà dites. La fosse ne sera pas entière- inentrecomblée de terre pour la première année, (ou ce seroit que le fond fût par trop humide), mais seulement à demi-remplie, pour con- traindre les racines du nouveau plant à se creuser profondément ; l'année d'après, on achevera de remplir cette fosse en la réunissant au plant du lieu. En plantant l'arbre , on l'étêtera sur terre à sept ou huit pieds, sans lui laisser aucunes branches, mais seulement de longs chicots dans l'endroit où il sera le plus convenable. Par économie, on édifie ainsi la vigne arbustive ; mais pour le mieux, le champ est rayonné ou fossoyé des deux côtés en lieu plein; et les fossés s'entrecroisant l'un l'autre , font, par ce moyen, de grands quarrés ou champ. L'arbre est posé à l'entre-croisure , et ensuite les quatre sautelles D'AGRICUILIT U R E. 463 chevelues , chacune à part dans un fossé, environ- nant toutes ensemble l'arbre de tous côtés , au grand avantement de l'œuvre, tant pour le bran- chage des plantes , que pour leur racines, qui s'égayent presque par tout le champ , moyennant que la terre des fossés soit remuée , ce qui ne peut se faire si bien par l’autre manière , y manquant la moitié des fossés nécessaires à l’accroit de la vigne, comme l'ouvrage le démontre. Celle-ci sortira de terre en la plantant, de méme que les vignes précédentes, c'est-à-dire, environ quatre doigts , pas plus, en coupant là juste- ment le bout de la chevelue au pied du tronc de l'arbre , afin que sa tige grossis: «de bonne heure pour prendre un bon fondement. A Îa troisième ou quatrième année, on jettera la vigne sur la fourchure de l'arbre , l'ayant à cela préparé auparavant , en la remontant le long du tronc de l'arbre chaque année petit à petit, jus- qu'à ce point. Pendant ce tems, l'arbre produira ses rejettons , qui, à mesure de leur accroît, se- ront disposés pour servir au support des ra- meaux de la vigne ; en coupant tous les rejets superflus, rognant et accommodant les autres : à propos, guidé par l'ouvrage même. Quelques- uns façconnent l'arbre à deux et à trois étages, pour en autant de lieux, former comme des 464 TURÉ A T HE treilles rondes et plates sur lesquelles les rejettons se reposent et croissent avec lés raisins. Mais cette ordonnance n'est pas la meilleure , parcé que seulement les raisins qui croissent à l'étage supérieur sont exposés au soleil, au lieu que les autres trop ombragés ne peuvent entièrement bien profiter. C'est pourquoi il vaudra mieux s'arrêter à un seul étage, qu'on façonnera grand et suffisamment large pour contenir tous les ra- meaux de la vigne, que l’on accommodera aussi à la serpe, en la débarrassant de tout le superflu. Il est quelquefois à propos de laisser écarter quelques rejettons de l'arbre remontant plus haut que des autres, si cela s'accorde avec la vigueur de l'arbre, pour faire grimper sur eux quelques rameaux de la vigne. Cette vigne sera taillée dans sa saison aussi soigneusement que les autres espèces, qui est après l'hiver , suivant les raisins du plantage; au- trement, sion la laissoit sans la façonner à la serpe, comme font quelques mauvais ménagers , elle deviendroit sauvage par son importune charge è au lieu de franche. que vous la desirez; et elle ne produiroit que des lambruches. La manière de la tailler est celle des autres vignes ; savoir, d'ôter tout le bois qui a porté fruit l'année pré- cédente, excepté quelques sarmens de nouveau bois pt Le D'A.-6G RH OQOUXLUT U R E. 465 bois, ldñigs, qu'on y laisse pour la production du fruit, ôtantg au reste, tous les rejets superflus. On délie la vigne en faisant cela , et comme par rafraichissement elle se délasse , quand elle est nettoyée de toutes incommodlités : après, on la relie avec des osiers doux et flexibles, afin quelle en soit moins blessée; c'est pourquoi on observera qu'il ne faut pas mettre le lien deux ans de suite dans le même endroit , de peur d'of- fenser le cep , mais par années, alternativement, remuer la ligature plus haut ou plus bas. L'arbre en même tems sera émondé chaque année, on lui ôtera ce qui visiblement empêche la crue de la vigne, auquel on laissera seulement le néces- saire pour le support des rameaux des ceps. La vigne , par sa grande fertilité, produit quelquefois une telle abondance de drageons, que les bran- ches de l'arbre ne sont pas capables de les con- tenir ; et de quelque manière qu’on les dis- pose, ils versent en dehors, en se précipitant en bas, à la perte des raisins, dont il s'en perd beau- coup , ainsi suspendus , par l'ébranlement des venis. Le seul remède à cela, est de rogner les cimes des rejettons que vous verrez jeiter en dehors, contraignant , par ce moyen, la vigne de se maintenir dans ses limites. Remède qui ser- vira aussi au profit des raisins restants sur leur Tome LI. G g 466 T'H'É ACTE appui, pour grossir par la raison ci-devant notée. Si par hasard vous pensez à tondre ces drageons, à cause de l'abondance des raisins que vous y verrez, afin de ne pas les perdre , vous vous en abstiendrez jusqu'à la fin des vendanges, et älors sans attendre la coupe générale de la vigne, on lui fera cette réparation ; par ce moyen , elle sera débarrassée de la violence des vents de l'hiver, qui l'ncommoderoient beaucoup. Or, comme cette espèce de vignoble (ainsi que toute autre ) est estimée à cause de l'abondance de son fruit , ce qui ne peut être qu'avec un nombre suffisant de ceps, et d'arbres nécessaires pour les supporter, on doit aussi prendre la peine que les arbres en soient bien nourris et bien proportionnés , vu que la laideur de cette vigne paroit plus que celle de toute autre, quand les branches de ses arbres se trouvent manquées ou défectueuses. Pour l'honneur du ménage et pour le bien du revenu, il est nécessaire de la main- tenir par une bonne culture dans l'état qu'il convient , et d'en réparer les défauts qui arrivent par vieillesse ou par accident. C'est l'ordre observé à l'entretien de toutes sortes de vignes que de les provigner. On usera donc de ce remède envers le vignoble, princi- palement à l'égard des ceps, qui non seulement D'AGRICULTURE £67 supportent, mais encore se réjouissent de cette culture. Il en est pas ainsi des arbres , à cause de la difficulté de les renouveller par provigne- mens, qui se trouve plus grande en terroir de vignes, qu'en toutautre; par la qualité plus sèche, qu'humide qu'il demande, ce qui est contraire à tout provignement d'arbres, qui ne peut se faire sans beaucoup d'humidité; et encore il convient de choisir les espèces d'arbres particulièrement propres à cela, qui ne sont pas de celles qu'on employe à l'appui des vignes. Sans donc s'amuser au provignement des arbres par les raisons dites, ni d'y en replanter de nouveaux, ne pouvant sy édifier, par l'embarras des racines de la vigne qui en occupent tout le fonds; nous remé- dirons à ces défauts avec des poteaux et des perches, dont nous supporteronsles ceps qui en auront besoin , en les accommodant en treillages, comme il conviendra le mieux : par ce moyen, façonnant des vignes batardes qui participent des arbustives et treillées , elles ne pourront manquer de devenir bonnes et belles, parce que la variété est ordinairement agréable. La hauteur du tronc ou fourchure des arbres, n'est pas tellement limitée à huit pieds, qu'elle ne puisse aller au-delà. Ce sera le naturel du fonds qui imposera la loi à ceci. Si la vigne est Ggi 468 THÉATRE assise dans un lieu où elle se plaise, comme sont les côteaux et terroirs maigres et secs, la mesure susdite suffira ; mais en basse campagne et ter- roir gras et humide , il sera besoin de la hausser jusqu'à onze ou douze pieds , et même davan- tage , selon la fécondité du fonds, et si on sème du bled auprès d'elle ; dans ce cas, la hauteur des arbres ne sera pas restrainte à certaine me- sure ; car les bleds ayant besoin d’être favorisés du soleil et des vents , il est nécessaire que le branchage des arbres s'éloigne beaucoup de terre, à cause de leur nourriture. On voit avec merveille en certains endroits de la Savoie, les arbres porter la vigne fort haut. Ces vignes hautes s'entretiennent à peu de frais, économi- sant le bois pour les supporter, et les journées des ouvriers pour en cultiver le fonds; les arbres satisfaisant à l’un; et à l’autre, la charrue, puisque le labourage se fait avec elle, excepté où elle ne peut jouer, comme près des arbres, ce qu'on achève à la main. Cette commodité y fera réi- térer le labourage , tellement, que la terre se réduira en poudre, sans souffrir y laisser croître aucune herbe , quoique le fond ne soit pas des- tiné à porter du bled; car sans autre considéra - tion de profit, que des raisins , la chose en vaut bien la peine. Outre que la disposition de la 2 D'ÂAGRICGULTURE 469 vigne facilité l'œuvre, tant que la charrue passe sous les afbres sans rien gâter. Les pieds des arbres et des ceps, où le soc ne peut passer sans danger apparent d'en rompre quelque partie ; seront (comme il a été dit) cultivés à la main, d'où on ôtera tous les embarras pour laisser les bonnes plantes en liberté; et comme c'est une chose assurée que ceux qui donnent plus de fa- cons à leur vignoble, recueillent le meilleur vin, notre ménager se résoudra en cet endroit de ne par épargner le travail à ces vignes , sur-tout à celles-ci pour adoucir la sauvagine de leur na- turel , qui provient principalement de la qualité de son climat, pour qu'il en tire abondance de vin; selon sa capacité. Il a été ci-devant pourvu aux choix du com- plant de la vigne et des espèces de raisins, dont on doit se servir en cet endroit. Quant aux arbres pour supporter cette vigne, il faut les choisir avec le même soin. Nous retiendrons seulement ceux dont les racines et les rameaux ne sont pas de nature malfaisante , contraires à Ja vigne, ni trop abondans en ces qualités , et cependant qui ayent une force sufhisante pour soutenir la vigne , sans s'accabler ‘eux-mêmes. Il est donc requis que les arbres ayent peu de douces racines, et médiocrement de rameaux G gi 470 THÉATRE pour inviter toute la vigne à croître, et ses ra- cines et ses rameaux , mêlés avec les arbres, se communiqueront leurs facultés. De même les racines de la vigne ne profiteroient pas près des racines amères des arbres, ni les rameaux de la vigne, sous les grands ombrages des arbres trop touffus et mal sains, tant elle est délicate , ne pouvant souffrir aucunes vicieuses qualités , soit dedans, soit dehors la terre. Ces choses sem- blent difficiles à rencontrer dans un même ar- bre ; cependant , par une soigneuse recherche, on en approche de bien près, Dieu ayant pourvu à toutes nos nécessités. Les anciens se sont servis en cet endroit des ormes, chênes, frênes, char- mes, aubiers, cornouillers , érables : des saules et trembles en lieux humides. Aujourd'hui on y employe le cerisier, qui s'approprie comme on le desire , par la facilité de sa coupe , et il est des meilleurs pour ce service, parce qu'il n’a point les racines désagréables pour la vigne ; comme on le pratique heuréusement dans le Haut-Dauphiné, aux environs de Grenoble, où pour le support de la vigne, le cerisier est en réputation. Les Italiens ont une espèce d'ar- bre, appellé opio , qu'ils estiment être meilleur que tous les autres pour le support de la vigne; après lui, ils font plus de cas du frêne ; ils disent D'AGRICULTUR E. 472 que ces deux arbres sont les plus propres à ce service, ayant pris garde qu'à la longue, lès ormes , quoique les premiers en quartier, sont incommodes à la vigne par leur trop grande quantité de racines et de branchages. 472 THÉATRE CHAPITRE VV. De la manière d'enter la vigne, de la varier ; de la préserver des intempéries et de la quérir de ses maladies. Lexre de la vigne est la partie de ce ménage la moins nécessaire, toutefois utile ; mais beau- coup plus curieuse. On ne peut pas dire qu'elle soit nécessaire, puisque les sarmens de la vigne, sans autre moyen, prennent promptement ra- cine, en les fichant dans: terre : au défaut de cette facilité, lente est inventée, et on s'en sert seulement pour les plantes dont les branches, par leur petite moëlle, sont incapables de pren- dre racine; car, si indifféremment tous les ar- bres prenoient de branche, qui est celui qui voudroit se donner la peine d'enter? Les arbres ayant beaucoup de moëlle , poussent aisément , sans autre mystère, que de les fourer dans terre, comme cela se pratique pour les coudriers , f- guiers , cognassiers et autres semblables. De même que la vigne surpasse en grandeur de moëlle tous ces arbres, aussi les surpasse-t-elle DA GCÉTCULT u Rn réa en facilité et promptitude à reprendre. C'est là d'où procède l'abondance des vignobles qui se voyent presque par tous les lieux favorisés du ciel , et elle ne seroit pas ainsi , si l'on étoit con- traint d'édifier la vigne par le seul moyen de lente. # L'utilité d'enterla vigne est, que par ce moyen, les ceps de mauvaise nature ou de peu de rap- port, deviennent dans peu de tems de bonne et fertile race , sans se donner la peine de se servir du changement de plantes, en quoi il y a de la longueur et de l'incertitude , non seulement dans la reprise, mais aussi dans la durée. La curiosité est, en ce que , par l’ente, les ceps sont mélangés pour produire des raisins de différentes couleurs et saveurs, en contrefaisant à merveille les effets de la nature. Les anciens n'ont point ignoré cette manière d'arranger la vigne , l'ayant pratiquée de deux manières ; sa- voir, en perçant le tronc du cep et en le fen- dant. Voici cette manière : le tronc de la vigne qu'on desire enter est percé en travers, un peu en biais, dans un endroit uni et solide, par- dessus terre , aussi haut qu'on veut : le trou est fait en montant de bas en haut, et par-là, on fourre dedans, le sarment, pour greffe, si avant, qu'il joigne parfaitement au trou. On accom- 474 ŒH.É A TRE mode pour cela le sarment , on le nettoye de tout ce qui peut l'embarrasser , sans toutefois ôter l'écorce ni les bourgeons : on rogne après la grefle à la sortie de quatre doigts de long, ou seulement deux yeux des bourgeons peuvent contenir, et quelque peu davantage, pour ac- compagner le dernier œil. La plaie du trou est. fermée des deux côtés à d'entrée et à la sortie, avec de la cire ou de l'argile , ensuite couverte de linge on d'écorces, si soigneusement, que ni l'humidité , ni le vent n'y puissent entrer. Le tronc ou cep enté est aussi coupé un pied, ou environ, au-dessus de l’enture, afin que toute sa substance parvienne à la nouvelle ente, qu'on soutiendra par quelques petits paisseaux qui ser- viront, en outre, à supporter les nouveaux re- jettons qui en proviendront, pour que les vents ne le rompent pas. On prend le sarment pour greffe, d'un cep planté près de celui qu'on ente: non pas en le coupant, mais en le laissant vivre de la substance de sa mère, pour une couple d'années, et jusqu'à ce que, par une nouvelle nourriture tirée du cep sauvage , il croisse sur lui ; et alors, il sera séparé de sa première sou- che, comme étant sevré, en le rognant justement au raz du tronc sur lequel il est inséré, à l'en- droit de son entrée. Ainsi se fait sans hasard, DUAL CRM ICMLLLT, U RE 14475 cette ente , très-estimée des anciens ; mais rare- ment on peu y arriver, par la difficulté de ren- contrer le sujet et la greffe, car il convient de nécessité que l'un soit gros et uni , et que l'autre s'y joigne, afin de croitre ensemble. Ne pouvant pas avantageusement jouir du voisinage de ces deux plantes pour ce service, vous pourrez le faire autrement , NON pas cependant avec autant d'assurance pour la reprise, que dans la manière susdite. On perce à demi le tronc de la vigne, que vous voulez enter , seulement jusqu'à la moëlle sans la toucher ; là on fourre un sarment pour greffe, pris d'où il vous aura plu: ce sera par le gros bout , aiguisé auparavant et accom- modé avec un couteau bien tranchant, sans toucher à la moëlle ; vous le ferez entrer dans le trou par force et à l’aide d'un petit marteau, assez avant pour que Ce que vous aurez épointé se cache dedans ; et là, bien affermi avec de la cire ou de l'argille il sera couvert, afin qu'il ne se mouille et ne s'évente en aucune manière. Le trou ira de haut en bas, afin que la grefle là insérée , regarde en haut pour la commodité de ses nouveaux rejettons. L'instrument pour faire le trou de cetie manière d’enter, et de la précé- dente , sera un bon gros villebrequin de me- nuisier , qui est beaucoup meilleur qu'une ta- « 476 THÉAMTME rière, parce qu'il cave par retaillures, sans faire de poussière ni de rebavure comme la tarière ; cest une chose que hait la vigne, que d'être mal unie en sa coupe. Telle est la façon an- tique. On ente maintenant la vigne avec moins de mystère, à la manière des arbres fruitiers, en fente ou au coin, différant seulement des arbres en ce point, qu'elle ne reprend, entée sur terre, qu'avec une très-grande difficulté. On fend le cep déchaussé dans terre de demi-pied , ou neuf pouces , rondement coupé au travers, en épar- gnant la moëlle ; ensuite on met deux crocettes dans la fente, pour greffes, qui joignent l'é- corce du tronc des deux côtés ; on les lie dou- cement après, sans beaucoup les presser avec des osiers mols et flexibles ; enfin, le tout cou- vert d'argile et d'écorces de saule , ou de chif- fons, pour l'empêcher de s'éventer, est re- chaussé, en laissant sortir sur terre seulement deux yeux ou bourgeons des greffes. La reprise de cette enture est plus facile que durable , les greffes ne pouvant recouvrir la plaie de linci- sion du tronc, vu qu'il en sort une si grande abondance d'humeur, que suffoquant les greffes cela les détourne de grossir, de sorte que lan- guissantes , elles périssent en peu de tems. On DA GR ANCUMLUT U RE. 497 remédie à cela en détournant cette humeur sura- bondante pæ une incision faite au pied de la vigne , plus bas que l'ente , d'où, comme d'une petite fontaine, cette malignité découle utile- ment ; mais le soin de cette particularité , et la peine qu'elle donne , rendent vain le remède, ce qui a donné l'invention d'enter les ceps au bout des sarmens , en les provignant, comme il a été dit , autorisée par l'expérience, dont l'heu- reux succès montre que la vigne ainsi affranchie dure long-tems ; attendu que sans incommodité d'humeur, le sauvage et le franc étant du même âge, se maintiennent ensemble de compagnie. On fera autour du cep que vous voulez enter une large et profonde fosse, dans laquelle vous renverserez le cep, en écaftant ses rameaux sur les côtés , les faisant recourber en haut par le bout. On coupera les sarmens en rond, quatre doigts sur la recourbure , un pied dans terre, ensuite avec un couteau bien tranchant , en en fendra trois doigts, et on appliquera dans la fente, pour greffe, le sarment fait en coin, et si bien taillé, que ces deux écorces se joignent des deux côtés à celles du sauvageon, l'un et l’autre étant choisis de pareille grosseur, à cet effet, comme il a été dit. La plaie couverte d'un peu de cire ou d'argille, sera liée avec du chanvre ou 478 AH É L'UPE avec un osier mol et doux, et enfin le tout sera enterré, excepté deux yeux ou bourgeons de lente, qui ressortiront hors de terre, comme dessus. Toutes ces entes veulent être faites au com- mencement du printems ; sans autre égard pour la lune, que des jours de sa plus grande foi- blesse, en montant ou en descendant, qui peu- vent être au nombre de six, lesquels il faut éviter en cette action ; comme aussi il ne faut pas entre- prendre d'enter la vigne dans les jours froids, venteux , pluvieux ; mais pour ce faire, choisir le beau tems. Quant au choix des greffes et des scions pour enter, il n'y a pas d'autre manière de bien les connoître, que celle plushaut dite, pour le choix des maillots ou crocettes, à quoi il faudra s'arrêter ; en observant qu'il faut prendre garde de tronçonner une crocette en plusieurs pièces, pour en faire différentes entes ( faute trop forte et sans remède }), mais seulement enter les yeux les plus prochains du vieux bois d'icelle , comme étant les plus fertiles; c'est ce qui fait qu'on estime tant l'ente de la vigne, vu quon ne se sert en cet endroit, que des bourgeons fertiles. Quant à enter la vigne sur les arbres, c'est du tems perdu, car sauf la correction de certains | | | D'À GR D CU LT U RE. ‘479 anciens , elle ne peut reprendre que très-difh- cilement sur une autre espèce que la sienne ; n'ayant jamais vu qu'on fit sortir de l'huile des raisins d'une vigne entée sur un noyer, ni mürir des raisins au printems, sur celle qui est insérée sur le cerisier ou guinier ; ét ceux qui, par cu- riosité , l'ont expérimenté ( d’après les documens antiques ) pourront en rendre témoignage. Il est bien vrai que par curiosité on pourra faire pro- duire à un cep différentes sortes de raisins, de figure, de couleur, de saveur , selon que diffé- remment les espéces seront appliquées ; mais beaucoup plus naïvement la nature fait cela d'elle-même , que l'artifice de l'homme, bigar- rant les raisins, sans moyen ; non pas toujours, mais quelquefois, comme par un jeu, tachete de blanc les raisins noirs, et de noir les blancs. J'ai moi-même cueilli un tel raisin sur un cep dans ma vigne de muscat , dont la moitié de la grappe étoit de grains noirs , selon la nature du cep, et l'autre de blancs; tous les deux par- faitement mûrs; et ce qui augmentoit la mer- veille , étoit que sur les grains noirs , il y avoit des taches blanches , et sur les blancs, des taches noires figurées en jaspe. On peut comparer ces raisins avec les capniens de Pline, qui croissent dans la Calabre, qu'il dit être ainsi qualifiés 480 ŒUR É À TRE naturellement , pendant quelques années ; et non pas toutes de suite. Or, si l’on veut, pour la satisfaction des curieux, à l'exemple de la nature, bigarrer la vigne, on pourra le faire de cette manière. Qu'on choisisse deux crocettes droites et unies, de deux différentes races et couleurs de raisins, comme noirs et blancs, ensuite fendues de leur longueur, non pas entièrement au milieu, mais jusqu'à la moëlle, sans cependant y toucher ; qu'elles soient ensuite jointes ensemble par les deux plaies, aussi uniment qu'on pourra . la P q Ù commissure fermée avec de l'argille et délicate- ment couverte avec du linge , non pas tout le long des crocettes, mais en épargnant les veux = P ÿ et certains autres NA pour bouter hors de terre , et prendre racine dedans: et après avoir lié le tout assez serré avec des osiers, ou du chan- vre, on le plantera droit dans terre, deux yeux en ressortant, Comme nous avons dit pour le plant de la vigne ; moyennant une bonne culture et un arrosement avantageux , elles produiront leurs re- jetions, et à lalongue dans leur saison, du fruit mé- | langé; c'est-à-dire, des raisins blancs et noirs : de la première couleur , de l'endroit où la crocette est blanche , et de l'autre, où elle est noire. Mais sil est question d'avoir des raisins encore plus mélangés | D'AGRIGULYTURE. ZB1 mélangés, et qu'on ne se contente pas qu'un cep produise des raisins de diverses et distinctes couleurs ; qu'on desire enfin , comme j'ai dit ci-dessus, que ces variétés paroissent dans une même grappe, il conviendra d'aller plus avant. Au mois de mai, deux des nouveaux rejettons de demi-pied de long, plus ou moins, croissants des deux côtés de la crocette susdite, sans les arracher , seront liés ensemble, qui, à cause de leur tendreté , sans nullement les fendre, se joindront de telle manière , que des deux ainsi mariés , il ne s'en fera qu'un seul, qu'on pro- vignera dans terre , au mois de mars suivant, et dont il se formera des raisins, qui, en son tems, portera des raisins tels que vous les demandez. On pourra tenir un plus court chemin pour par- venir à ce point , c'est en se servant de deux nouveaux tendrons pris des deux ceps voisins, différents en couleur , unis , incorporés et gou- vernés comme dessus. Par la même industrie, on variera les saveurs et formes des raisins, comme on voudra, en assemblant plusieurs jeu- nes rejettons de ceps de différentes sortes, même jusqu'au nombre de quatre ou cinq. Ce n'est point une science assez solide , ni sur laquelle on puisse se fonder, quoique Pline et Constantin César s'efforcent de l’enseigner, que Tome L H h 482 P'H É A FT HUE UE de mettre dans le vide de la fente des ceps qu'on ente, ou en place de la moëlle que l'on aura Ôtée exprès, des liqueurs ou des poudres douces et aromatiques , comme sucre, miel , canelle, gingembre , girofle , muscade, pour donner un bon goût aux raisins et les parfumer ; des cou- leurs de peintures pour les tendre ét colorer; de la rhubarbe, aloës, succotrin et autres laxa- üfs, restrictifs, dormitifs, pour donner aux rai- sins ces vertus: de la thériaque , pour servir contre le venin et semblables matières, non plus que de faire venir des raisins sans pepin, en ôtant la moëlle des crocettes qu'on plante, disant que cela peut se faire avec un cure-aureille, en les fendant de leur longueur, et aimsi vidées, en leslogeant dans terre, après les avoir rejointes. Il est bien certain que le vin tire quelquefois l'odeur des herbes qui croïssent auprès des ceps, comme cela se remarque à Tournon et ailleurs, où le vin de quelques terroirs sent Z'aristolo- chia rotunda où fausterne ; mais cela est si peu de chose qu'il ne pourroit servir en médecine. Contre l'avis de Caton qui, pour remède en maladie, conseille de faire des vins, des ceps où l'on plante de l'ellébore et de la $cammonée c et Pline y veut de l'alvine et de l'hysôpe, prou- vant ce qu'il avance par les vins qui croissent D'AGRICULTURE 483 dans lés marais de Padoue, qui sentent le saule. Ce seront leswins médicmaux qui serviront en cet endroit, si on le desire ainsi ; “qu'en tems de vendange on dressera à volonté, comme il sera démontré en son lieu, et alors sans nous donner la peine de faire des vignes droguées, nous composerons le moût pour différens usages avec beaucoup de facilité. Quant aux maladies des vignes, il y a quel- ques petits remèdes bons et expérimentés pour les guérir, que le prudent vigneron n'ignorera pas. La plupart de ces maladies viennent acci- dentellement , ou du tems, ou d'imprudence: Il n’est pas au pouvoir de l'homme de les ga- rantir du tems qui leur est contraire, seulement, par certaine prévoyance , il en adoucit quelque- fois le coup, et après en consolide la plaie ; Dieu lui ayant donné cette faculté. Aussi c'est une grande faute, que de ne pas bien traiter la vigne, dont très-souvent elle se perd , comme de ne pas la tailler à tems et ainsi qu'il appar- tient , où quand par une trop rude approche d'hommes ou de bêtes, elle est rompue, rongée et autrement mal gouvernée ; c'est pourquoi _ dans ces évènemens et autres nécessités , la vigne | sera secourue de cette manière. _- Les gelées sont quelquefois détournées de ]a Le H h i | 484 THÉATRE vigne , si en les prévenant, on fait en plusieurs lieux des grosses et épaisses fumées- avec des pailles humides et fumiers pourris; ces fumiers rompant l'air empêchent ces dommages. Et même , après que les gelées sont tombées, ces fumées sont fort utiles, pourvu qu'on les em- ploye avant que le soleil frappe dessus, pour ne pas lui donner le loisir d'échauffer les gelées étant encore sur la vigne; ce qu'il feroit à son détriment, sans ce remède que, par prévoyance, l'on préparera de bonne heure , en faisant en divers endroits de la vigne des petits monceaux | des matières susdites, auxquelles on mettra le feu au besoin sans délai. En taillant tard la vigne sujette aux brouillards, par sa-situation ou par son espèce , et en labourant tard le fond, cela la garantit quelquefois des gelées, vu qu'elle ne bourgeonnera pas, que le tems ne se soit en- tièrement déchargé des importunités restantes de l'hiver ; et les gelées n'auront pas tant de. prises sur les jeunes bourgeons de la vigne que | l'on aura labouré tard, que sur celle dont la terre aura été fraîchement ouverte. Car non seu- lement les gelées tombent du ciel, mais elles sont fortifiées par la vapeur de la terre, qui‘en. donne d'autant plus, qu'elles trouvent une issue plus facile ; cette 1ssue leur étant presqu'nter- D! À @R:EAUMLETED RE 65 dite par la dureté de la terre non labourée et affermie par leftrépignement, en taillant la vigne; en la liant et en enlevant les sarmens , il ne peut arriver un grand mal au nouveau bourgeon, par les gelées, et il demeurera assuré, jusqu'à ce que la chaleur de la saison faisant cesser ces incommodités , l'on en puisse labourer le fond sans crainte. La vigne attendra patiemment cette tardiveté, ayant été traitée comme j'ai dit, c'est- a-dire, hivernée ; qui est l'œuvre donnée en hiver, la plus forte de toutes les autres. La vigne frappée de le grêle et de la gelée, sera mise en bon état, si aussitôt après le coup, on la retaille, en lui coupant tous ses rejettons bons et mauvais : car comme elle ne peut de- meurer oisive, en s'en voyant déchargée, elle reproduira de nouveau dans peu de tems, même des raisins cette même saison , si par hasard cette recoupe se trouve faite dans le mois de mai. Ces raisins pourront servir à faire du vin, le ‘items les favorisant , ou pour le moins. du verjus. Cela n'arrivant pas sitôt, ce remède ne laissera pourtant pas de profiter à la vigne, pour la ré- parer, en la disposant à porter du fruit l'année suivante ; autrement, si vous ne voulez pas vous en servir, vous ne pouvez en attendre une ven- dange de valeur, de trois ou quatre ans, que la H h üj 486 THÉATRE nature la rémettra à la longue en son premier état. Il'y a certains insectes de différentes espèces; qui tourmentent la vigne dans le nouveau tems, principalement ceux qu'on appelle COINIAUX , de couleur verte et luisante , qui coupent les tendrons avec les raisins , ét GLiatvens s’enfer- ment dans des feuillés dé vigne qu'ils roulent comme du parchémin (à cet effet dits znsru- mentiers à tournon } én y faisant leurs œufs. Le remède à cela, est dé les ôter avec lés mains : :on fait assez facilement cela au lever du soleil , et encore mieux en ébranlant le pied du cep, ce qui les fait tomber dans l'eau qu'on portera dans un seau , où ces bêtes se ramasseront et se noyeront. Et pour en perdre la race , il faudra prendre et fouler aux pieds les œufs qu'on trou- ; vera dans les feuilles roulées, suspendues au cep. Quant aux autres bêtes, comme fourmis ; chenilles et autres, pour les faire mourir, il ne faut que cultiver souvent le fond dé la vigne ; our, en rompant leur nid, les détourner de se * P peupler; à quoi il est bon aussi de méler quel- quelois au guéret, des cendres de lessive, des ; sciures de bois, de la suie de cheminée, des : sablons, des fumiers propres à la vigne et autres D! À &G R 1 CULATIU R E. 487 engrais ; car tout cela est contraire à toutes ces races de vermine. Pour chasser les lapins qui font dépérir la vigne ,en broutant les premiers de ses rameaux , il faut les parfamer avec du soufre , et ils s'en- fayent aussitôt qu'ils le sentent. Le moyen en est facile : on enduira d'un bout avec du soufre fondu dés petits paisseaux de bois sec comme des allumettes , et de l'autre, fichés droits dans terre. Le feu mis au soufre fera ce que vous desirez; et afin que ce bétail ne retourne plus à Ja vigne, tant que ses rejettons par leur tendreté en craimdront la morsure ; il sera besoin de réi- térer le remède de quatre en quatre jours , Jus- qu'à ce que les rameaux du cep soïent fertilisés et cndurcis ; ear après les lapins n'y toucheront nullement, mais se paitront de matières tendres, | qu'ils trouvent en abondance alors dans la cam- pagne , ne s’attachant jamais aux dures que quand ils sont pressés de famine. La plaie du cep blessé avec la houe, éclaté ou fendu par quelqu'évènement, sera consolidée, en y appliquant un emplâtre fait de fien de brebis ou de bœuf, avec de la terre grasse, en- veloppés dans un linge , en l'y faisant tenir aussi icng-tems qu'on pourra, le mal étant ou dehors ou dans la terre. Par ce même remède le venin H h iv 488 NT Hm'É A TBE qui provient de la morsure des chèvres et autres. bétes , après en avoir retaillé ses branches au- dessous de l'endroit brouté sera guéri, les plaies étant grandes ; mais si elles sont petites , la seule retaille sufñra , en laissant au surplus agir la nature, qui sans autre mystère les re- mettra en bon état. Quant à la stérilité de la vigne , le plus assuré remède est de la provigner et l'enter, comme il a été montré ci-dessus, en changeant par-là les infertiles en fructueuses , sans s'amuser à les droguer , ni médiciner autrement ; ni croire non plus qu'on secourera par d'extravagants remèdes les vignes languissantes , tombantes et pleu- rantes ; celles qui sont tourmentées de poux ; de chenilles et autres vermines ; celles qui pour- rissent leurs fruits ou qui le brülent ; comme ; par arrosemens d'urimes; par frottement de lie de vin; avec des onguents faits de bitume ; des cendres avec du vinaigre ; de la farine d'orge, avec du pourpier; en frottant aussi le tronc de la vigne, et la serpe dont on la coupe avec de la graisse d'ours, de lion, et des os pilés, quoi- que ce soient des renseignemens tirés de l’anti- quité. Ces choses sont trop pénibles au vigneron, et si peu accompagnées de raison , qu'il vaut mieux les laisser aux curieux, que de s'y arrêter, D'AGRICULTURE, 48 pour bien et fidèlement cultiver la vigne dans toutes ses parties, selon que ses espèces le de- mandent particulièrement ; moyennant quoi, les vignes rapporteront autant de fruits, qu'avec la faveur du ciel, le père de famille manquera plutôt de logement que de vendange. 490 n “TH É A TRE CHAPITRE -De la Préparation aux vendanges. S: la vigne dans le cours de sa culture demande beaucoup de science et de diligence, c'est sur le point des vendanges où tout cela est néces- saire , pour tirer en perfection de bonté et d'a- bondance le fruit que Dieu par-là nous distribue. Les récoltes de tous les fruits que la terre produit peuvent se faire faire par un autre, où il ne peut y avoir de perte que dans la quantité, la qualité demeurant toujours semblable à elle-même. On peut, en ce cas, être trompé dans l’une et dans l'autre; et même c'est une chose , non seulement très-difhcile de ne pas l'être, mais encore pres- qu'impossible , le père de famille n'étant jamais satisfait de la qualité de ses vins, si de l'œil il abandonne ses celliers et ses caves, tant. que ses vendanges dureront, en en laissant le gouverne- ment souverain à ses gens. Cet ouvrage n'étant pas celui qu'on doive confier à personne, dont le goût est semblable à la rudesse du jugement. Aussi, ce n'est pas dans la cave du paysan gros- mes cr mm Gr és “we he ms ns , on Te RS mm me 0 S oies eg NÉ Se EU n°’ A GRA4CU LT U R Ë. 49t sier ; quoique sis en pays de bon vignoble , que communément l'on trouve les vins les plus pré- cieux ; mais chez les gens de bon esprit, à qui on donne cette louange, que celui qui a de bon vin, est estimé homme de bien. D'où est tiré cette maxime qu'une seule fois l'année l'on doit s'appréter à borre. On voit en tems de vendange sortir des grosses villes les présidens , conseillers, bourgeois et autres notables, pour aller aux champs, à leurs fermes, pourvoir aux vins ; aimant mieux prendre cette peine, pour boire de bons vins, que d'en récolter de mauvais, en épargnant le peu de souci qu'il y a dans ce mé- nage. C'est pourquoi les vacances de septembre jusqu'à la Saint-Martin, sont ordonnées dans tous les parlemens de France , qui donnent le loisir à messieurs de la justice, pendant ces deux mois, de faire faire leurs vins à leur plaisir : n'allant pas si finement aux moissons , dont les féries finissent aussitôt qu'elles commencent. Notre ménager donc, s'égayant dans ses ven- danges, pourvoira ‘avant leur arrivée et à tems, à tout ce qui est nécessaire pour cette fatigue , et à loisir se fournira de tines, cuves , cu- vettes, baignoires , fouloires, pressoirs, cornues, tonneaux, cercles, osiers, corbeilles , mandes, paniers et d'autres meubles servants à ces usages. 492 WALAATH'É AT ENS Il revisitera de même ses celliers et caves, pour les faire raccommoder , et nettoyer si soigneu- sement qu'il en fasse ôter toute la saleté, qui en y séjournant, pourroit causer de la mauvaise odeur au vin; ce qui lui est si préjudiciable , que toute petite qu'elle soit, ilen devient mauvais et de peu de valeur, comme au contraire la bonne odeur augmente de son prix. Par cette raison , les celliers et caves seront situés dans l'endroit de la maison le plus net, éloigné des privés, cloaques, étables , poulaillers , bains, fours et autres lieux fétides. D'ailleurs, nulle odeur n'y sera apportée, de peur de la commu- niquer au vin, comme lard, huiles, lames, oignons, panais , raves, choux-cabus, chataignes, pain chaud , cocons de vers à soie et autres choses, que plusieurs imprudents et peu scrupu- leux ménagers reposent dans leurs caves, au dé- triment de leurs vins ; mais il laissera les caves libres , pour que les vins y séjournant nettement, puissent se conserver. On a parlé ailleurs particulièrement de la si- tuation et de l'aspect des celliers et caves à tenir le vin, avec les autres commodités du logis. Néanmoins, de peur d'oublier une chose aussi nécessaire , sans craindre une redite ennuyeuse, je vous en représenterai de rechef ces obser- D'AGRICULTURE 493 vations. Que l'accès des celliers et caves soit agréable et libre, afin d'exciter le père et la mère de famille à y aller souvent, quand ce ne seroit qu'en se promenant, par le bien qu'y apporte leur présence. Que dans l'assiette des celliers et lieux à tenir les cuves et pressoirs, il n'y ait aucune sujetion; car dans quelque pays qu'on soit, tous aspects leur sont bons, par le peu de séjour que le vin y fait. Il n'est pas ainsi des caves , qui, de nécessité doivent être frai- ches, puisque la fraicheur est la conservation du vin. Les caves donc regarderont le septen- trion, si vous êtes en pays chaud ; si vous êtes en pays froid , ce sera en tout autre aspect qui vous conviendra le mieux, par la fraicheur na- turelle du climat qui favorise la conservation des vins. Que les caves soient enfoncées dans terre, s'il est possible, pourvu que les eaux en vident ; qu'elles soient étroites et longues, plus obscures que claires, voutées bassement par le dessus et pavées par bas, pour pouvoir les tenir nettes et sèches. Qu'aucune herbe, ni racines d'arbres ne soient souffertes yÿ croître, comme cela arrive quelquefois par négligence, et afin qu'aucune saleté n'y séjourne , les caves seront souvent ba- Jayées. Vos caves étant bâties et tenues telles, elles conserveront très-bien les vins ; car la 494 PHÉATRE sécheresse et la netteté du lieu où ils séjournént, en sont les principales causes de la longue durée des tonneaux et des cercles, qui se consomment promptement en lieu humide. ‘Ilest vrai que l’eau de fontaine ou de ruis- seau, claire et coulante, sert beaucoup à la con- servation des vins, quand en été, on la fait passer sous les rangées des tonneaux , sans ce- pendant les toucher, qu'on l'ôte et remet à vo- lonté ; et il arrive que les vins en sont si bien rafraichis, toute chaleur incommode en étant bannie , qu'ils demeurent sains et entiers ; c'est pourquoi le ménager sera très-bien avisé ayant l'eau à discrétion , de l'employer à un usage aussi excellent que profitable. Ce rafraichisse- ment approche de la coutume de certains alle- mands , qui, dans les jours chauds d'été, lavent par le dehors leurs tonneaux de vins avec de l'eau claire, pour communiquer sa fraîcheur aux vins, comme un préservatif contre les cha- leurs de la saison, D'autres composent ce lavage avec des lessives à ce propres ; et tous ensemble tiennent leur caves fort nettes, en les balayant avec autant de soin que leurs salles et chambres. Or, soit ce remède, ou l'obscurité de leurs caves, où on ne peut aller sans lumière , n'y ayant qué des petits soupiraux pour rafraîchissement , ou D’ À G:R&IMCIU L.T U RE où le soufre dont ils parfument leurs tonneaux , um peu avant que d'y loger le vin, ou bien encore que leurs chmats soient plus froids que chauds; iltest indubitable que les vins y durent jusqu'à trente ans et plus ; mais ordinairement, ils les gardent douze ou quinze ans. Cette coutume est même observée en plusieurs lieux d'Alle- magne , que, par honneur , celui qui marie sa fille, fait boire à ses nôces du vin del'année dé la naissance de l'épousée , elle et le vin étant du même âge. On remarque une contrariété-natu- relle au fruit de la vigne, que le raism près d'être mûr sur le cep, ne demande que de la chaleur ; et réduit en vin, que fraicheur pour sa conservation. Dans les pays méridionaux et septentrionaux , on voit clairement cette pri- meur. Dans le Midi les vins se préparent mieux ; et dans le Nordils se gardent plus long-tems. : Les premiers receptacles des raisms et des vins, selon qu'ils'se trouvent bien ou mal qua- lifiés, donnent aussi les premières bonnes ou mauvaises odeurs ou saveurs aux vins: qu'ils reçoivent très-facilement, même delx ils-pren- nent très-souvent le commencement de leur ruine ; Car par un mauvais entretien ces usten- ciles sont puañts ou moisis. On préviendra cette perte dès les précédentes vendanges, en net< 496 THÉATRE toyant soigneusement les cornues ; fouloires ; tines, cuves et meubles semblables, après s'en être servis, pour demeurer nettement en lieu sec le reste de l'année , en attendant le nouveau besoin , sans lés employer à d'autres usages , de peur de les gâter par l'attouchement et attraction de mauvaise odeur. On en défendra sur-tout l'approche aux pourceaux et autre bé- tail à quatre pieds , aussi aux poules ; oies, et généralement à toutes sortes de volailles, à cause de leur fiente, qui toujours porte un grand dom- mage au vin. Et comme il est très-difficile de bannir les rats des lieux où les cuves sont dres- sées ; il y a un moyen de prévenir l'infection qui provient de la charogne de ce bétail , quand par mégarde étant sauté dans la cuve, il est contraint d'y mourir de faim, ne pouvant plus en ressortir. C'est en lui faisant une issue par une longue perche qu'on mettra dans la cuve, qui atteigne du fond à la cime , posée en ligne diagonale ; les rats gravissants par son pendant en sortiront facilement. Non seulement il est nécessaire de bannir des cuves toutes mauvaises odeurs, mais il faut les parfumer avec des bon- nes, pour y apporter les vins qui y sont CUvÉS ; ce qui n'est pas impossible. ni trop difhcile : voici comment. Après avoir vidé, seché et | soigneusement D'LA 6 R ICAUY ENT U RE: 407 soigneusement nettoÿé vos cuves, vous y mettrez dedans une, bonne quantité d'herbes et d'ar- bustes odoriférants (qu'on trouve assez dans tous pays, mais plus dans les chauds que dans les froids) comme du thym, du serpolet , de la lavande, de l'aspic et semblables. Par le séjour de ces végétaux pendant un an dans les cuves, ils y laisseront les odeurs de leurs qualités, au profit des vins qui après y sont cuvés. Il est à propos, en cet endroit, de parler de la matière des meubles de la cave ; quant aux tinnes ou aux cuves , on les compose de bois ou de pierres, selon la variété des humeurs des personnes : pour les tonneaux, le seul usage du bois est maintenant reçu parmi nous, et non la terre cuite, à la manière des anciens, comme il sera démontré en ce même livre. On se sert donc différemment de la pierre et du bois pour faire des cuves, utilement cependant de lune et de l’autre matière , néanmoins plus de celle- ci que de celle-là, l'usage l'ayant emporté dépuis long-tems. De toutes sortes de bâtimens, soit de pierres de hais, de taille, ou des moëllons on façonne de bonnes cuves , pourvu qu'on ait soin d'en faire les murailles de raisonnable épais- -seur, maçonnées à chaux et à sable, bien à “profit et cimentées dans l'intérieur comme des Tome L 1: 498 THÉATRE citernes. Ainsi dressées , elles contiendront très= bien le vin, et il s'y préparera aussi de même. Elles ne sont pas sujettes comme celles de bois à recevoir de mauvaises odeurs , sont de grande durée , de peu de dépense pour leur entretien, faciles à nettoyer quand on veut s'en servir, faciles à faire dans tous les lieux qu'on desire, sans aucune sujétion de forme. Voilà les com- modités des cuves de pierre ; en voici les incom- modités, si toutefois on peut dire incommodité : que le vin n'y bout pas sitôt, que dans celles de bois, par la nature de la matière ; mais la patience de l'attente satisfait au père de famille, méme cette tardiveté lui vient à profit, quand n'étant pas pressé de ses vins, tout à loisir et sans se précipiter , il pourvoit au fait de ses ven- danges. C'est tout ce qu'on a à dire contre les cuves de pierre ; car on n'a pas raison de les condamner pour épancher le vin, puisque celles de bois en font bien autant, étant mal faites ; mais ce mal ne sera pas à craindre, si dès le commencement , elles sont dressées par une bonne main et sans épargne ; et si elles sont bien gouvernées, elles demeureront entière es pour plu- sieurs générations. Quant aux cuves de bois, on en fait de bonnes avec toutes sortes d'arbres propres à la char: PT ne ne rte D'AGRICULTUR E. 499 pente, principalement de châtaignier et de chêne, aussi des tonneaux. Le vin qui séjourne dans le ehâtaignier n'y acquiert aucune mauvaise odeur, au lieu que celui qui est logé en tinnes et tonneaux de chêne , tire une odeur singulière de ces matériaux dans les premières années, désagréable à quelques -uns, agréable à d'au- ires, qui, pour la conserver, ajoutent tous les ans à leurs vieux tonneaux quelques nouvelles douves de chênes, dont ils la renouvellent , _ tant le goût de chacun est différent. Il n'est pas besoin que je parlé des façons, figures, capa- cités des cuves, tonneaux , pressoirs et autres ustensiles servant à faire et garder les vins, à cause de l'impossibilité de pouvoir satisfaire à un chacun, laissant cela, comme une chose in- différente, à l'usage ordinaire de chaque pro- vince. Il y a aussi divers avis sur l'entretien des ton- neaux étant vides, l'un des principaux articles de la garde des vins. Plusieurs font défoncer les tonneaux aussitôt que le vin est tiré, en les nettoyant bien, en leur Gtant toute la lie molle; et les faisant secher au soleil, ils les mettent reposer dans un lieu où il n'y a aucune hu- midité, pour le reste de l'année, en attendant les pouvelles vendanges, lesquelles étant arrivées, li boo . THÉATRE on relie et refait les tonneaux entiérement à neuf , ou sans les laver avec aucune liqueur (ne souffrant même pas qu'une seule goutte d’eau les touche) on met le nouveau vin. D'autres au con- traire ne touchent pas à leurs tonneaux, après les avoir assis dans la cave, jusqu'à une autre saison , sans souffrir qu'on les soulève en aucune manière par derrière, pour en faire en tout écouler le reste du vin, dont ils laissent quelque peu au fond, pour tenir le tonneau en humidité toute l'année. Quand il est question d'y remettre de nouveau vin, ilsne se mettent point en peine de faire défoncer les tonneaux , mais seulement de les laver soigneusement avec de l'eau claire, après cependant en avoir retiré le restant qui étoit au fond du tonneau, pour servir au vinaigre, et jetté dehors le grossier de la lie molle. On racle cette lie à l’aide d'un tronçon de quelque grosse chaine de fer, ou d'autre chose pesante qui peut entrer par le bondon dans le tonneau attachée avec une corde pour l'en retirer; la lie étant ainsi remuée, l’eau la fera facilement sortir par le tonneau , et après il demeurera net en perfection et propre à recevoir le nouveau vin. Par cet ordre on épargne de l'argent , afin que tous les ans les tonneaux n'aillent pas dans les mains des tonneliers, mais seulement lorsque, par D AD RICE LIT Ù R Er. box vieillesse ou accident, quelque chose leur man- que. Quelques-uns attribuant l'une des princi- pales causes de la garde du vin à la bonne lie, endurcie dans le tonneau. y en font tenir autant qu'ils peuvent de cette manière : après avoir entièrement écoulé le vin, ils referment le ton- neau , le roulent de tous ses côtés , afin que la lie molle qui reste dedans, occupe tout l'inté- rieur , et s'y affermisse en incrustation. Ensuite; le tonneau est remis en son lieu , pour y de- meurer le reste de l'année, non posé comme au- paravant, mais sans-dessus-dessous , c'est-à-dire ; le bondon regardant en bas et joignant le siège, afin que la lie qui repose sur lui, s'y endurcisse, comme elle fait à la longue ; de manière que lorsqu'on défonce ces tonneaux, ce qui arrive au retour des vendanges pour les racler et relier; on les trouve tellement incrustés de lie, qu'on ne voit paroître au-dedans aucune partie de bois. + Celui qui ne voudra point défoncer ses tonneaux vides, sera assujetti à les tenir toujours très-bien bouchés , sans y laisser aucun évent, autrement il courroit le risque de les perdre en moisissant, et les rendroit incapables de ne plus recevoir de vin. Perte qui souvent arrive par la négligence déloyale des domestiques, que le père et la mère de famille sont contraints de contrôler li ii oz THÉATERPF par la nécessité de ce ménage ; c'est pourquot je leur ordonne une facile descente dans leurs caves. Ceux des quartiers de Bordeaux, la Ro- chelle et ailleurs, où l'on vend le bois avec le _vin pour le transporter au loin, sont exempts de ce souci (excepté ceux qui pour leurs provisions > ne changent pas de bois chaque année }etne pren- nent la peine d’affranchir leurs tonneaux neufs que pour une seule fois, afin que le vin qu'ils y mettent, n'acquière pas une mauvaise odeur: On parvient à cet affranchissement par différens : moyens, tels que ceux qui suivent. Généralement toutes semences, racines, her- bes, fleurs, fruits, gommes, minéraux de bonne odeur, la rapportent au bois des tonneaux ; étant parfumés et imbibés de leurs décoctions. Vous les ferez long-tems bouillir en eau claire pour attirer la substance des matières qu'à ce vous aurez choisi les plus propres, et vous jet- terez dans le tonneau cette eau toute bouillante ; en retenant dans un panier le mare desdites matières, ensuite le bondon en étant bien bou- ché , afin que le parfum ne s'exhale pas, vous roulerez le tonneau de tous côtés , et si bien que tout l'intérieur se ressente de cette liqueur, qui y séjournera, jusqu'à ce qu'elle soit refroidie , d'où étant tirée aussitôt après, l'odeur que vous D'AGRICGULTURE 5od desirez pour votre vin , demeurera au tonneau; qu'à cet effêt vous mettrez aussitôt dedans, sans attendre que le tonneau se sèche , c'est-à-dire, quelques seaux pleins de moùût pour y attendre les vins clairets et rouges, afin de leur donner une pointe piquante, si vous y voulez mettre de ces vins, et si c'est pour des vins blancs, les en remplir entièrement à la fois. Le romarin, le fenouil, le glaïeul, le souchet, lache, la toute- bonne , les feuilles de laurier , les bayes de ge- nièvre et autres semblables pourront satisfaire à votre intention. L'expérience a autorisé qu'on jettât le seul vin bouillant dans le tonneau. La décoction de raisin faite avec de l'eau nette, est bien efficace aussi pour l'affranchissement des tonneaux neufs, et pour la conservation des vieux , et n'étant point étrangère à la nature du vin, elle le conserve très-bien. En ajoutant à cette décoction du sel d'alun de roche pulvérisé, de la chaux neuve en pierre , la quantité con- venable à la capacité du tonneau que vous aurez, non seulement elle le préparera, comme vous desirerez, à recevoir le vin étant neuf; mais vieux , et étant moisi et fétide, elle le remettra en bon état , tellement, que faute d’autres bons tonneaux ( comme cela arrive dans les grandes vendanges, où quelquefois on est forcé de mettre Ti iv bo4 THÉATERE les vins où l'on peut), vous y pourrez mettre tout bon vin , sans scrupule , le tonneau étant bon ét affranchi de là bien loin, à la charge cependant d'être contraint à renouveller le re- mède par un mauvais entretien. On peut user en cet endroit de parfums secs ; mais ils ne tendent qu'à un but, c'est-àdire, à donner une bonne odeur au tonneau, mais non pas à l'enduire et le fairé enfler, comme à ces deux effets, parviénnent les précédents, on doit plus se servir des humides que des secs. Les allemands se servent du souffre pour par- fumer les tonneaux , ils font brüler du soufre sur un réchaud, dont la fumée entre dans le tonneau, par un entonnoir mis au trou du bon- don, le tout proprement accommodé pour cela, fait dans le tonneau une incrustation, comme la suie de cheminée, sur laquelle le vin étant entonné, se maintient long-tems en bonté ; il y en a d'autres qui font de même brüler avec le soufire des petits copeaux de bois de fouteau, faits avec un rabot de charpentier, entortillés comme des anneaux, et enfilés avec un fl d'ar- chal, ce qui forme une chaine, qui, trempée dans le souffre fondu, est allumée et fourrée dans le tonneau par le bondon : on la laisse pendre jusqu'au milieu du tonneau par un bout M pre: .D'AGRICULTUR E. 509 de fil, et elle y demeure tant que le soufre y brüle , on la retire ensuite en charbons avec Île fil d'archat , et le vin est aussitôt jetté dessus. Ainsi quelque bonté qu'ayent nos tonneaux, vieux ou neufs, on fera toujours très-bien de les parfumer chaque année , avant que de les employer ; car, quoiqu'il y ait de la peine à cela, elle se trouvera néanmoins très-petite, eu égard à celle qu'on endure dans la perte du vin, qui le plus souvent se gâte, faute d'être bien logé. Et puisque le bon logis est le secret de ce mé- nage , ne craignons point d'excéder en propreté dans ce cas. Si la mauvaise qualité du terroir est contraire à cette science, comme on voit par tant de vins singuliers , qui ne peuvent supporter d'être long-tems gardés, charriés ou déplacés en aucune manière, de quelle façon qu'on les gouverne : ou nous ferons promptement boire ces vins , pour en éviter la perte, ou nous nous déferons des vignes qui les produisent, vu qu'elles ne valent pas la peine d’être cultivées. Les tinnes et cuves conservées proprement durant l'année (comme il est dit}, seront avant tout revisitées par des gens experts, afin de les relier et rar- ranger selon le besoin, et trois jours avant les vendanges on les lavera et raclera très-bien, pour que rien n'y reste de sale , en y laissant de 5oG N'LLÉ A'UrURE l'eau jusqu'à la venue des vendanges, pour les enduire et empêcher d’épancher, mais à la charge de changer souvent d'eau, de peur qu'elle n'y croupisse, en la vidant à cet effet tous les jours une couple de fois. Cela s'entend pour les cuves de bois, car celles de pierres sont toujours prêtes à recevoir la vendange, moyen- nant qu'elles soient bien lavées , alors seulement qu'elles en ont besoin. Si toutefois il n'est sur- venu quelque rume dans leur bâtisse par incon- vénient, qu'on aura dans ce cas raccommodée auparavant. Quand on sera sur le point de ven- danger , les cuves (de bois ou de pierre} étant sans eau, seront parfumées et lavées avec la dé- coction susdite, comme les tonneaux , de ma- nière que tout leur intérieur s'en ressente ; et pour que la fumée du parfum, en quoi consiste sa principale vertu, ne s'exhale pas, s'il est pos- sible. À mesure qu'on jettera la décoction dans les cuves , elles seront bouchées avec des ais et des couvertures dessus (s'il n'y a point de cou- vercles), si justement, qu'aucune vapeur n'en puisse sortir. Le parfum ou la décoction étant refroidis, vous ne retarderez pas de les tirer des cuves jusqu'à la dernière goutte, alors ces cuves renfermées, demeureront très-propres à recevoir la vendange. Par dessus le fond de chaque p'AGRICULTURE bo7 cuve , l'on sème sept à huit poignées de sel, plus ou moins. selon la capacité de la cuve, pour servir à fortifier le vin et à le rendte de bonne garde , par l'heureuse expérience réitérée plu- sieurs fois de ceux qui ont autorisé ce moyen. Il sera toujours bon de laver de la décoction susdite, les cuvettes, fouloires, pressoirs et autres meubles où reposent les raisins et les vins, afin que ces derniers restent d'autant plus francs que toute mauvaise odeur en sera bannie. boë THÉATRE CH APTTRE" VIT Les vendanges. C ‘EST un reste de l’ancienne censure romaine ; que la police des vendanges, observée dans plu- sieurs endroits de ce royaume, où par délibéra- üon publique, le tems pour couper les raisins est ordonné : n'étant pas permis au particulier d'anticiper sur cet ordre, quoique ce soit une chose à lui en propre, par rapport à l'intérét du général. Cette servitude vient aussi que les vas- saux ne peuvent vendanger leurs vignes qu'après celles de leur seigneur , ou sans sa permission ; cet ordre visant à ce seul but, d'avoir abondance de bons vins, ce qu'on ne peut espérer de rai- sins verds, et qui ne sont pas encore parvenus en maturité parfaite. Plusieurs du commun peuple, en différents quartiers ne s'assujétissent que forcément à cette police , par l'erreur invé- térée dont ils sont entichés, en se précipitant dans leurs vendangés, aussitôt qu'ils découvrent des raisins bons à manger, sans considérer le profit ni la perte du retard ou de l'avancement LA D'AGRICULTUR E. 50g de cette action qui gouverne ce ménage. Les raisins n or promptement dans 1 pays orientaux et méridionaux ; au contraire tard occidentaux et septentrionaux, les gelées sur ces derniers l'effet que font les chaleurs sur les premiers ; c'est-à-dire prépar ent la vendange pour le vin. C'est pourquoi de nécessité , il es laisser gouverner le tems, qui, P aux Faisant ar des moyens contraires et différents, agit en cet endroit à notre utilité. L'homme d'esprit considérera ces choses, afin que distinguant le lieu où il est placé, d'avec les autres. il travaille sa vendange selon la nature de sa situation particulière sans se confondre ; autrement il conduira ses vins à l'aventure , sans assurance de les avoir , ni bons, ni en abondance ; car, comment PRICE possible de tirer des vins biens bons et en grande quantité ; d'une vendange imparfaite ? Peut-il arriver qu'il sorte du bon vin des lambruches ? Tous les raisins sont à comparer aux lambruches même les plus excellentes races , avant leur ma- turité , ne pouvant rendre alors d'autres vins que sauvages ; et au contraire , des raisins b4- tards parvenus en pleine maturité, il en sort du vin de passable bonté qui se laisse boire. A la vue et au goût des raisins, on reconnoit la matu- rité ; mais celui qui ne trouvera pas cette adresse b10 THÉ A TRE suffisante, pour en juger solidement , y ajoutera les suivantes : les raisins seront parvenus au point qu'on les desire , quand leur pellicule sera devenue mince, subtile et transparente ; quand la couleur de leurs grains s'obscurcira, de blan- che, devenant grise ; de rouge, violette ; de noire encore plus chargée , comme jais reluisant ; quand les pepins des grains en sortent noirs, nuds et vides de substance glutineuse , aucune ne S'Y attachant. Constantin-César y ajoute cette ingénieuse épreuve , il ordonne de choisir une grappe de raisins fort pressée par l'abondance de ses grains et des plus mures de la vigne : sans la couper du cep, mais de l'y laisser sus- pendue, vu qu'on en arrache un grain ; on ob- serve le lendemain le trou fait à la grappe, à l'occasion du grain ôté, pour par-là juger de l'état des raisins. Vous vous assurerez qu'il est parvenu au point que vous le desirez, si le trou est aggrandi , vu qu'alors et non avant, les raisins ayant cessé de croître, se flétrissent ; et par l'effet contraire , en trouvant le trou retréci, et les raisins proche du trou, croissants encore , on reconnoitra que la vigne n'est pas encore parvenue au point d'être vendangée. Mais par- dessus toute autre adresse, celle des rateliers ou échelettes , ou draches, différemment nom- HAE RUE U L TU R E Brit mées , auxquelles les grains des raisins s'atta- chent, est la meilleure. Car quand elles com- mencent à mourir dans l'endroit qui tient au rameau de la vigne, c'est signe que les raisins approchent d'être mûrs ; et quand elles sont entièrement sèches , c'est qu'ils ont atteint le dernier terme à leur maturité. En les prenant à ce point, vous ferez des vins les plus exquis, selon la qualité des raisins et la portée des cli- mats. On fait la malvoisie de Candie , le vin de Coz , et autres très-excellents vins dé l'Orient, presque naturellement de raisins cuits et passe- rillés, dont les draches converties en bois de- meurent sans nulle substance. Dans d'autres endroits, en imitant la nature par l'art, on fait faner les raisins sur la vigne , en leur tordant le pied sur le cep , où, suspendus, ils les laissent trois ou quatre jours, pour faire diminuer leur humidité accoutumée ; les draches ainsi se des- séchant, les raisins viennent en perfection pour rendre de très-bons vins. C’est ainsi qu'on le pratique dans certains endroits du Vivarais ; vers Joyeuse , l'Argentière et voisinage, où il croit des vins blancs qui tiennent leur rang parmi les meilleurs de ce royaume. On doit bien concevoir la raison de cette primeur. En ven- dangeant les raisins qui ont la drache encore biz QU É À TE verte et pleine d'humeur ; c'est ce qu'on appelle faire des vins de raisins et de draches tout ert- semble, par la communication de la substance qui bout dans la cuve, dont le mélange rabaisse la réputation des reisins qui ne peuvent rendre un vin de bonne valeur , que lorsque déchargés : de l'importunité des draches, leur pure et simple liqueur est employée. Chose à désirer pour le goût et pour la durée des vins. Par cette cause, il seroit à souhaiter que les draches fussent sépa- rées d'avec les grains des raisins, pour exprimer le vin de ces derniers; mais ne pouvant pas le faire indifféremment pour tous les vins, nous tâcherons de rendre les draches de substance à ne pouvoir nuire , à quoi l'on parvient par Ja manière susdite, et en laisssant faner les raisins, après les avoir coupés du cep, exposés à l'air sur des rochers plats, si on les a à commodité, sur la terre sèche ou sur des claies : ou bien, lé tems n'étant pas beau, ils seront serrés dans les greniers étendus sur des planches, jus- qu'à ce que cela réponde à votre intention. La longue garde des vins d'Allemagne, et d'autres endroits plus froids que chauds, fait croire à plusieurs, que les vins les plus mürs ne se conservent pas si bien que les verdelets. Une infinité de vins sont contraires à ce jugement, comme M: | D'AëGR A GUÛÙ EL TU RE !br2 “omme les Malvoisies et autres vins étrangers précieux , qui nous sont apportés de la Grèce, et d'autres pays chauds, cueillis non seulement mûrs, mais presque:rôtis, par la propriété du climat; qui, néanmoins se conservent én bonté ua grand nombre d'années ; et ainsi, quoiqu'il -se trouve des vins verds, qui, par la propriété du climat ou du terroir, se gardent long- iems, même achèvent de-se faire. dans les ton- neaux par vieillesse ; ilgne faut pas tirer: à con- séquence la garde. de toutes les espèces de vins faits avant la maturité ‘de leur vendange ; ni sciemment vendanger les raisins avant le tems , -dans, l'espoir de mieux garder le vin; mais il faut attendre leur parfaite maturité avec: tant de patience: -que rienne leur manque pour être au point desiré. Et quoique nous voyons notoi- rement- dépérir quelque portion de nos raisins h -par-wols: par le bétail , par le tems, ou par une autre Occasion , nous ne laisserons pas pour cela de persiste dans cette résolution , par l'assu- rance que d'un plein panier de: raisins qui se perd, deux.eorbeillés-en viennent dans la cuve par le-bienfait des roséés de la nuit, qui d'heure à autre font grossir les grappes des raisins , pa: Jesquelles, la substance des draches et des: pelle cules des, grains se convertit:en moût ; comme Tome I. K k b14 THÉATRE cela se reconnoit à l'œil; ensuite quand ayant tiré le. vin de la cuve, il ne reste que bien peu de marc, jugeant ainsi par la quantité du marc, du point où les raisins auront été coupés. Le tems profitable aux raisins, est de ne sentir ni pluie ni gelée en leur naissance, maïs seulement une chaleur tempérée par l'humidité: dans leur crue, et de la chaleur, dela pluie et de la gelée, dans leur maturité, suivant toutefois la distinc- tion des lieux, comme 4l a été ei-devant dit. Si par hasard l'été a été fort sec , les vins de- viendront exceHents en force et délicatesse, mais aussi très-dangereux à se pousser , le pays s'y adonnant, par l'excessive chaleur dont ils auront été nourris ; c'est pourquoi ilest à désirer pour la conservation de nos vins, et pour la quantité, qui, en grande sécheresse n'est pas la même qu'en tems tempéré ; que cette sécheresse soit corrigée par quelque bonne pluie survenante huit ou dix jours devant les vendanges, moyen- nant laquelle, et les rayons du soleil refrappant après sur les raisins, les raisins en provenant se trouveront tels que vous le desirez dans toutes leurs parties. Le père de famille attendra donc ce secours du ciel, qui ordinairement ne man= que pas de venir avantageusement par la provi- dence du souverain ménager , à la honte , très- p'A canne Ur tn E£E 66 souvent, et regret de ceux qui par impatience se précipitent#en cette action, sans espérer rien de bon; ainsi par la perte d’un peu de raisins ils concluent à la ruine totale de la vendange. Quelquefois aussi le contraire arrive : c'est que les pluies nuisent fort aux vendanges avec perte de vin, qui ne se trouve pas tel qu'on le desire, ni pour la bonté, ni pour la garde, quand il est mélangé avec de l'eau. Pour remédier à cela ; cette constante résolution dont j'ai parlé est né- cessaire , pour attendre que les premières pluies ayent passé leur colère, afin de vendanger à loisir. Mais vu qu'il y a plusieurs races de raisins qui ne peuvent souffrir aucunes injures du tems, les uns se brülant par la sécheresse , les autres . se pourrissant par l'humidité, cela fait qu'on. ne doit pas en faire un grand cas avec raison , mais seulement il faut priser de ceux qui sont capables de résister aux principales intempéries. Cela s'entend seulement pour les vignes que notre père de famille fait planter et dresser à son plairir , Où ces observations ont lieu , comme aussi j'ai sur cela suffisamment insisté : car de celles qu'il tient toutes faites de ses ancêires, ou autrement , qu'il ne veut pas faire arracher, il en disposera comme il pourra. Le point de la lune pour vendanger, sera K k ïj 516 + ET H ÉVAOTI RATE toujours meilleur dans son décours qu'en sa croissance, pour la garde du vin ; par l'expé- rience de plusieurs. Néanmoins, comme à la manière de serrer les autres fruits, nous ne de- vons pas nous arrêter entièrement ‘à la lune, mais seulement au ‘beau tems et auloisir, les raisins étant prêts. On ne doit faire aucune dis- tinction pour les heures du jour; car: on peut les employer toutes à cet ouvrage qui est des plus pressés du ménage, et où l'on est accou- tumé d'agir en toute diligence. Cependant, si on n'y est pas contraint , le meïlleur seroit d'at- tendre que le soleil eût frappé une-heure sur les raisins, avant de les couper , pour en abattre la rosée , afin que par ce moyen nulle humidité étrangère ne se mélât avec celle du vin: En ven- dangeant l'on aura soin de ne pas mélér parmi les gs ma * les verds, les pourris’, ‘Jes secs , ni aussi de fedillés de vigne , de peur d'en faire aigrir le vin, mais on commandera aux vendan- geurs que les raisins seuls et bien qualifiés soient nettement mis dans les paniers et les corbeilles . portés delà dans les cornues, et finalement charriés au cellier: {l est louable d'en Sébarer les espèces pour les serréf® à part Let d'en faire des vins selon la nature dechacuüne"