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THEATRE
MEILHAC ET HALEVY
II
COULOMMIERS Imprimerie Paul BRODARD.
THEATRE
DE
MEILHAG ET HALEVY
1) E L A C A D E .\r I E F R A N T. A I S E
II
LA PETITE MARQUISE
LA VEUVE
LA GRANDE DUCIIESSE DE GEROLSTEIN
- L'INGENUE
LES SONNETTES
PARIS
CALMAXX LEVY, EDITEUR
3, RL"E ALBER, 3
Droits de tradnclion, de reproduction et de representation reserves pour tons les pays, y compris la Suede, la Norrege et la Uollande.
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LA PETITE MARQUISE
COMEDIE EN TROIS ACTES
Representee pour la premiere fois, a Paris, sur le Theatre des Variktes le 13 fevrior 1874.
PERSONNAGES
LE VICOMTE MAX DE BOISGOMMEUX. . MM. Dupuis.
LE MARQUIS DE KERGAZON Barok.
LE CHEVALIER Blondelet.
MOUCHE BoBDiER.
JOSEPH, doracstiquc Coste.
URBAIN, id Lebrun.
TURQUET ViDEx.
HENRIETTE, MARQUISE DE KERGAZOX. M""^' Celine Chaumont.
JULIETTE Berthal.
MARTINE Granville.
GEORGETTE • • . . . Bode.
U.NE FEMME DE CHAMBRE.
Le premier ct le troisifemo acto a Paris ; le deuxicmc a la campagno, dans le Poitou. — De nos jours.
LA
PETITE MARQUISE
ACTE PREMIER
Chez la Marquise.
Un salon. — A gauche, an premier plan, une cheminee; au Jcuxieme, line porte; au troisicme. une console. — A droitc, au premier plan, un bonheur du jour: au deuxicme, une parte: au troisiomc, une console. — I)es lamjies allumces et des statuettes sur Ics consoles. L'nc pendule et deux canddlabrcs allumes sur la cheminee; a cote de I'un de ces can- delalires, un petit bougeoir non allunie. — A gauche, devant la che- minee, une table, et. sur cette table, du papier, deux ou trois gro.s livres tout ouvcrts : prcs do cette table, un lauteuil et deux chaises. — A droite, une chaise longue : derriere la cliaise longue. une table. Sur cette table, une lanipc allumee, un plateau jjortant des tasses a cafe et un sucrier: un petit necessaire dc fcmmc uvcc de a coudre, ciseaux, lil, aiguilles, etc. ; une broderie. et un numero dc la Revue des Deux Mondes. — Chaises et fauteuils au fond.
SCENE PREMIERE
JOSEPH, URBAIX, puis IIKXRIETTE, BOISGOMMEUX et KERGAZOX.
Au lever du ridcau, Joseph dispose les tasses pour le cafe. Entrc Urbain.
r U IS A I N .
Unc lettre pour monsieur le marquis.
II remct la Icttrc a Joseph.
4 LA PETITE MARnUlSE.
JOSKPII.
Donaez. Jc la liii remettrai tout a Iheure.
Urbain sort. Par la portc do g-anclic, qui ouvre sur la salle k manger, Ilenriettc entro au liras de Boisgommeux.
H E N U I I;TT K, cxasport-e.
Oh! oh! oh!... Oh! oh! oh! oh!...
r. (»IS(;()MMKr.\, cssnvant de la calmer.
Voyons. marquise, voyons...
IIKNRIETTE.
C'est a n'y pas tenir... etre liee pour la vie a un pareil homme !
Kergazon est entre a temps pour entendre cctte phrase : il regarde sa femme avcc une compassion dedaigncuse. Henriettc fait un mou- venicnt conimc si ellc allait s'dlanccr sur lui ; Boisgommeux la retient.
B O 1 S G O M M E U X .
Voyons, marquise, voyons!
KERGAZON, a Joseph.
Est-ce que Ton n"a pas apporte une lettre pour moi?
JOSEPH, romcttant la lettre.
Si fait, monsieur.
K E R G A z o \ . •' A la bonne heure!
HENRIETTE, ;\ part.
Oh! cette voi\', surtout, cette voix!...
KERGAZON, a qui .Joseph vient de donncr la lettre.
C'est bien cela, c'est la reponse de M'^ Canivet...
Joseph sort. — Kergazon lit tout has. HENRIETTE. a Boisgommeux.
Un homme qui est riche, qui est marquis... marquis de Kerg-azon... et qui, au lieu de mener la vie d'un gentilhomme, menc celle d'un rat de bibliotheque; un homme qui m'a, moi, pour femme... et qui, au lieu de s'occuper de moi, passe son temps a ecrire une histoire
ACTE PREMIER. 5
des troubadours au quinzienie siecle... (Avec fuieur.) Troubadour!...
I5()ISG().MMEUX.
Voyons, marquise, voyons!...
HENRIETTE.
Troubadour 1 1 !
Rentre Joseph apportant lacafetiere. llenriottc verse le cafe, en offro unc tasse a Bois^ommeux, etc., etc.
KERGAZoN, rclisant la lettrc.
I Si vous etes vraiment decide a mettre tous les torts de votre cote, rien n'est plus facile que d'obtenir la separation que vous desirez : le meilleur moyen serait alors de rouer de coups madame la marquise, devant temoins, bien entendu... » (ii sanete et rogarde
sa lommc qui vient justoment u lui, une tasse do catc ;"i, la main) Hum I... (Ilenrietto depose la tasse de cafe sur la table de gauche; echange de petits saluts c^remonieu.x entre le marquis ct la marquise. Kergazon reprend :) « Ou bieil VOUS pourricz illtroduirC
une maitresse dans le domicile conjugal... » Une maitresse dans le domicile conjugal?... Oui, cela se pent... il suffira de trouver une personne qui consente a faire semblant... (a Boisgoaimaux.) Deux mots, mon cligr, je vous en prie...
R(ll.S(a)MMEr.\, allanl au marquis.
A vos ordres, marquis, a vos ordres...
Kergazon a pris sur la table la tasse apportee par la marquise. Bois- gommeux a toujours sa tasse a la main. Ilenrietto s'ostjetee sur la chaise longue et parcourt fievrcusomcnt la Rcviie des Deux Mondes.
K E R G A Z O N , a Boisgommcux.
Vous devez, vous, connaitre des inq^ures?...
BOISGO.MMEU.X.
Plait-il?...
K E R G A Z O N .
Des cocottes, si vous aimez mieux!
6 LA PETITE MAROUISE.
UOISC.DMMKL'X.
Peuli ! ce n'cst guere mon affaire, a moi, les cocottes... Vous savez que j'ai toujours prcfere les femmes mariees.
K i: R G A Z ( ) N . Et je vous en estime... (Il Uu sen-e chaleui-cusement la
main.) Mais cnfin, lance comme vous Fetes, il me parait impossible que vous nc connaissiez pas...
BolSCOMMKUX, riant.
Dame! oui, j'en connais...
KERGAZON.
Ayez la bonte de m"ea indiquer unel
r. ( 1 1 S G I ) M M K V \ , stupufuit.
He?...
KKRGAZON.
Celle que vous voudrez, ga m'est egal... Dites-moi seulemcnt un nom... et luieadresse.
i',()is(;(iM Mi;rx. Pourquoi faire?
K K R G A Z I > N .
Pour y aller, done!
B01SGl).MMEUX,
Pour y aller, vous !...
kkr(;azi)N. Etlout de suite, encore!
i!()is(;(iMMi:rx. Oh! mais... c'est etrange, ce que vous me demandez la, comme ca, en sortant de table!... c'est etrange I...
(Se tournant vers Henrictte.) ImagiuCZ-VOUS, madame, qUC
ce cher marcjuis...
K i: U G A Z ( ) .N .
Xe le dites pas a mafemme... (Avec fcrmete.i Xe le lui ditespas. Je me reserve de le lui dire moi-meme...
ACTE PREMIER. 7
BOISGOMMEUX.
C'est etrange, positivcment !
Ki: RGAZOX.
Vous croyez que j'ai eiivic de faire la noce?...
I? O I S G () M M E U X .
Dame!...
KERGAZON.
Vous n'y etes pas, mon ami. Jo suis un homme de science, moi, et non un homme de dissipation... J'ai des motifs serieux, onne pent plus serieux, et je vous assure que vous me rendrez un veritable service en m'indiquant...
Hcnrictte prcnJ sa guipure, ct, toujours dtonduc sur la chaise longue, a droite, se mot a travailler.
BOISGOMMEUX.
Eh bien, voyons... Bebe Patapouf... Elle est blonde, Bebe Patapouf... ca vous va-t-il, une blonde?
K E R G A Z 0 X .
Qa m'est egal, je vous ai dit!...
BOISGOMMEUX.
Aimez-vous mieux une brune? Marguerite Lamber- thier... Tiens, au fait, ce serait drole!
K E R G A Z 0 X .
Pourquoi ce serait-il drole?
BOISGOMMEUX.
Pour rien... (En riant.) Moi, a voire place, je prendrais Marguerite Lamberthier... C'est une bonne fille.
K E R G A z 0 X .
Va pour Marguerite Lamberthier!... L'adresse?
BOISGOMMEUX.
117, rue de I'Arcade...
8 LA PETITE MARQUISE.
K E R G A Z 0 N .
ficrivcz-moi cela sur une de vos cartes...
nOISGOMMEUX, donnant sa tasse a Kergazon. Pardon!... (II prend line carte dans son portefeuille.) VOUS
avez un crayon?...
KERGAZON, repassant les deux tasses a, Boisgommeux.
Pardon!...
II prend un crayon ct Toffre a, Boisgommeux. Celui-ci no pouvant saisir le crayon avec los mains, le saisit delicatement avec les levres, puis il repasse les deux tasses a Kergazon.
B 0 I S G () M M E U X .
Pardon!... (ii ecrit.) Marguerite Lamberthier... Arcade, 117.
K E R G A Z 0 N .
Ajoutez un petit mot de recommandation... ca ne pent pas faire de mal.
B 0 I S G () M M E U X , e-crivant.
« Le marquis de Kergazon... homme d'un merite reel... mon ami... Comme pour moi-meme. — Vicomte Max de Boisgommeux. »
KERGAZON, prenant la carte. Merci. (ll sonne:entre Joseph.) Mon cliapcau, lllCS gauts.
Ah! Joseph, vous ferez preparer I'appartement du second etage... II est possible que, d"un moment a I'autrc, une personne vienne s'y installer... (iienriette
regarde son marl avec etonnement. — Joseph sort.) AlleZVOUS, Ce
soir, chcz la baronne, madame?
IIENRIETTE.
Non, monsieur, jc ne sortirai pas.
K E R G A Z O N .
Je vous prierai, alors, de vouloir bien m'attendre... j'aurai a vous parler tout a riieure.
ACTE PREMIER. 9
H E N R I E T T E .
A moi?...
K E R C A Z () N . Oui, madamc, a VOUS. (Ilcntre Josepli apiioitant le chapeau, les gants et une vaste pelisse ornee do fourrures. Kei-gazon endosse
la pelisse.) Si notre oncle le chevalier vient pour me voir, VOUS aurez la bonte de m'excuser...
HENRIETTE.
Ah I ah!... notre oncle le chevalier I En voilii un, en- core, dont la conversation est agreable!... 11 est sourd commc un pot, notre oncle le chevalier... sourd comme un pot I
KERGAZON, a Boisgoinmcux.
Merci encore une fois. On vous verra demain?
p. tilStloMMKUX.
Non, pas demain. Je pars ce soir meme pour ma terre de la Serpolette et je compte y rester un bon mois.
Ilcnrietto se rcdrcsse brusquemcnt et regarde Boisgommcux. KERdAZO.N, scn-ant la main de Boisgommcux.
Dans un mois alors. (A demi-voix.i 17. rue de TArcade.
B () I S G 0 M M E U X .
Xon, 117.
KERGAZOX, sort en repetant a. voix basse
117, rue de TArcade, Marguerite Lamberthier.
SCENE II
HENRIETTE, BOISGOMMEUX.
HENRIETTE, se levant.
Ou'est-ce que vous venez de dire?... Vous partez ce soir pour la Serpolette?
I.
10 LA PETITE MARQUISE.
MOISGoMMEUX.
Oui, par le train do dix heures vingt-cinq.
IIKXUIKTTE.
C'est serieux?
HoiSGOMMEfX,
Tres serieux.
IIEXRIKTTE.
Et vous y resterez uu mois ?
IWUSGO.MMKUX.
Un mois, six semaines... je ne sais pas au juste.
HEXRIETTE.
Vraimeat? VOUS ne savez pas au juste... Ce que je sais fort bien, moi, c'est que vous ne partirez pas.
I5 0ISG0MMEUX.
Je vous assure que vous vous trompez et quo je par- ti rai.
HEXRIETTE.
Max!!!
B U 1 S G O .\i M E U X .
Madame?
HEXRIETTE.
Je vois ce que c'est... vous m'cn voulez...
I! ( 1 1 S G ( ) M M E U X . ironi(|\ie.
Par cxemple!...
HEXRIETTE.
Si fait, vous m'en voulez!... ^'ous m'en voulez parce qu'hier, apres six mois de resistance, je vous avals enfm promis d'aller passer une heure rue Saint-Hya- cinthe-Saint-Honore , et parce que je n'y suis pas allee...
R OISGOMMEUX, dc plus en plus ironiquo.
Pourquoi vous en voudrais-je a cause de cela? Vous m'aviez, en cffet, autorise a I'aire capitonner un appar-
ACTE PREMIER. H
teinent, dans la rue que vous venez de dire... au troi- sieme, sur la cour... et vous m'aviez promis d'y venir. « J"y serai a trois lieures », m'aviez-vous dit... II est vrai qu'apres avoir dit cela, vous n'etes venue ni a trois heures, ni a quatre, ni a cinq, ni a six, ni a sept, ni a huit... Je nai renonce qu'a huit trente-cinq... Mais qu'est-ce que cela fait? N'ai-je pas, en rentrant chez moi, trouve une lettre de vous, dans laquelle vous me disiez de venir diner aujourd'hui, et que vous m'expli- queriez tout?... C'est bien de la bonte, vraiment, et j'aurais, apres cela, le plus grand tort de vous en vouloir.
IIENRIETTE.
J"y suis allee, a ce rendez-vous...
13 O 1 S G U M M E U X .
Oh!...
HENRIETTE.
Vous ne me croyez pas?
15 () 1 S G () M M E U X .
Non, certes, je ne vous crois pas, puisque je vous dis que je vous ai attendue jusqu'a...
HENRIETTE, prenant tievreuscinent trois petits papicrs dans un tiroir, — trois numeros do fiacre, — et les tendant a Boispommcux.
Tenez!...
BOISGOMMEUX.
Qu'est-ce que c'est que Qa?...
HENRIETTE, lui remettant les trois petits papiers.
Ce sont les trois numeros des trois fiacres que j'ai pris : il vous sera facile de retrouver les trois cochers... ^'ous leur demanderez si, hier, ils n'ont pas conduit une femme... (Mouvement de Boisgommeux.) Ell bien, oui, moi, Henriette de Kergazon, je suis sortie de chez moi comme une voleuse, jetant pour excuse a ma femme de chambre je ne sais quelle phrase sur le plaisir que
12 LA PETITE MARQUISE.
j'aurais a faire un tour a pied... Ma feninie de chambre m'a regardee d'une drole de maniere ; dans la rue, les passants s'arretaient, se parlaient a I'oreille et avaient I'air de se dire : « La voici, c'est elle, la petite marquise... qui court a un rendez-vous d'amour... rue Saint-IIya- cinthe-Saint-Honore... i Mes yeux se sont voiles, il m'a semble que la terre se derobait sous moi, j'ai fait signe a un cocher qui passait, et j'ai pris mon premier fiacre...
BOISGOM.MEUX. regardant un des numeros.
Numero 8 226.
HENRIETTE.
Peut-etre bien... Jemesuis faitconduire au Pantheon, pour depister... Au Pantheon, j'ai pris mon second fiacre...
B 0 I S G 0 M M E U X , meme jeu.
Numero 4il.
HENRIETTE.
Je ne dis pas non... Et je me suis fait conduire a la Bastille, toujours pour depister... A la Bastille, j'ai pris mon troisieme fiacre...
B 0 I S G 0 M M E U X , meme jeu.
iXumero 3 723.
HENRIETTE.
Je ne sais pas...
BOISGOMMEUX.
II n'ya plus que celui-la...
HENRIETTE.
Et j'ai enfin donne au cocher la veritable adresse : rue Saint-Hyacinthe-Saint-IIonore... numero .. J'y suis arrivee... j"ai passe devant le concierge sans rien demander ; j'ai reconnu le cordon de sonnette dont nous avions parle ensemble.
ACTE PREMIER. 13
liOlSGOMMEUX, avec expression
Bleu deciel!...
HENRIETTE.
Mais, au moment de sonuer, je me suis arretee...
ROISGOMMEUX.
Pourquoi, puisque le plus fort etait fait?
HENRIETTE.
Vous trouvez ^a, vous?... Je suis restee la, appuyee contre le mur... me demandant ou j'etais et pourquoi j"}' etais... (Mouvemont du vieomtc). En ce moment... j'ai entendu dire que pareille chose arrivait aux gens qui sont en train de se noyer... en ce moment, ma vie entiere s'est deroulee devant mes yeux!... Mon cnfance heureuse et libre dans les grandes allocs du pare, le convent, mon entree dans Ic monde, mes premiers triomphes de jeune iillc... tant d'esperanccs, tant de reves, tant d"aspirations !... Tout cela pour arriver a quoi? A me trouver la, au troisieme etage d'une maison obscure... J'ai entendu du bruit... GY'tait un marmiton qui montait I'escalier... il portait un volau- vent sur sa tele... il m'a demande : « C'est-y pas ici madame INIargotin?... » J'ai repondu : « Je ne sais pas! » Le marmiton a continue de monter, il a passe pres de nioi... il m'a regardee, il a regarde le cordon de son- nette... Alors, je n'y ai plus tenu, je me suis enfuie, j'ai saute dans mon fiacre et je suis rentree chez moi, jurant bien que de ma vie je ne recommencerais pareille aventure et que, puisque c'etait la cc qui s'ap- pelle avoir un amant... jamais je n'aurais d'amant!
B 0 I S G () M M E U X .
Comment, jamais !...
HENRIETTE.
Oh! non, jamais, jamais, jamais!
li LA PETITK MARQUISE.
BOISGOMMEUX.
Eh bien, a la bonne heure!... mais il fallait me dire cela plus tot!
HENIUKTTE.
Par exemple!...
Kiitrc Josepli.
J (» S K I' II, luinunnant.
Monsieur le chevalier.
HENRIETTE.
Ah! le chevalier, maintenant!...
SCENE III
Les Memes, le chevalier.
le chevalier. Mon aimable niece!... Get excellent vicomtel...
BOISGO.MMEUX.
Bonsoir, le sourd, bonsoir, le sourd ! (Hemiette apporto au
milieu de la scene uiie chaise pour le chevalier. Le chevalier sourit et s'assied; Boisgommeux, saus plus s'occuper do lui, se tournc vers Hcn-
rietto.) Ainsi, j'aurai perdu six mois a vous faire la cour, et, au lioul de ces six mois, vous en serez quitte pour venir me dire que vous ne voulez plus avoir d'amant, parce que vous avez rencontre un marmiton dans I'escalier !...
lis sent assis tons les trois.
LE CHEVALIER, cpii n"a ccsso de regarder Boisgommeux en souriant.
Je vous reniercie, ca ne va pas trop mal...
li 0 ISGOMMEUX , tunjuurs a Ilcnriette, sans mC-me regarder lo chevalier.
C'etait il y a six mois qu'il fallait me dire cela, au
ACTE PREMIER. 15
lieu de faire la coquette et de me donner des encoura- gements!...
HENRIETTE.
Je vous ai donnc dcs encouragements, moi?
I50ISG0MMEUX.
Certainement, vous m"en avez donnel
LE CHEVALIER, qui, apros chaque phrase, a tendu Toreille du Cote de la personno qui pai-lait. et qui a toujours approuvii de la tetc, Ic souriro aux levres.
Et ce cher Ivergazon, je ne le vois pas?
HENRIETTE.
II est sorti...
LE CHEVALIER.
He?
li () I S G O M M E U X , ciiant.
II est sorti, on vous dit!... (A Hem-iette.) Certainement, vous m'en avez donne!...
HENRIETTE.
Quand cela, s"il vous plait?
D 0 I .S ('. O M M E U X , bondissant.
Quand cela???
II so leve. — Lo clicvalier parait surpris. HENRIETTE.
Ne faites pas de gestes : il est sourd. mais il n'est pas aveugle.
r. OISGOMMEUX, essay ant d'etre calme.
Quand cela?...
II so ra.ssicd. — Lc chevalier se rcmet a sourire et a teudre roreille, tantot d"un cotd, tantot dc I'autrc, paraissant charme de co qui so dit.
HENRIETTE.
Oui...
C 0 I S G 0 M M E U X .
Toutes les fois que nous nous sommes rencontres... chez la haute banque... a I'ambassade... partoutl...
16 LA PETITI-: MARQUISE.
IIKNRIKTTE.
Oh!...
HOISGOMMEUX.
Vous nc vous rappelez pas, mais moi, je mc rappelle... Un petit coup d'aMl, un eclat de rire a propos de rien, quelqiies mots insignifiants derriere I'eventail, et puis, quand vous me quittiez, un regard bien d'aplomb... J'en appelle a tous ceux qui ont Thabitude des femmes du monde... Est-ce que ^a ne veut pas dire : « Vous pouvez marcher »?...
LE CHEVALIER, interrompant.
II est malade?... Ca n'est pas grave, au moins?
HEN'RIETTE, sans s'occupor de rintei-ruption.
Est-ce mafaute, a moi, si I'amour que vous m'offrez ressemble si peu a celui que j'avais reve?
BOISGOMMEUX.
Des phrases, tout cela, des phrases!...
LE CHEVALIER.
Tout le monde a eteenrhume. Moi-memeje Tai ete...
HENRIETTE.
Ah! si j'etais libre!... si les liens qui m'attachent a monsieur de Kergazon etaient brisesl... niais ils nc le sont pas... Singulier amour (Kilo so Il'vc.) qui consenti- rait a partager avec un maril...
BOISdiiMMErX.
Puisque c'est I'usage!...
II sc love. Lc clicvalicr. a son tour, sc love. HENRIETTE.
Moi, si j'ainiais, jc ne voudrais pas de partage... je voudrais etre toute a celui que j'aimerais et n'etre qu'a lui...
15 O I S G O M M E I" X .
Puisque Qa ne se pcut pas I...
ACTE PREMIER. 17
HENRIKTTE.
Eh bien. puisque ca ne se pent pas, ga ne sera pas, voila tout!
BOISGOMMEUX.
Decidement?
HENRIETTE.
Decidement.
BOISGOMMEUX.
Ell bien, c'est bonl...
I.E CHEVALIER.
Desole de vous quitter si vite... mais je vais ce soir chcz la duchesse. et. comme on doit faire de la musique, je ne voudrais pas manquer.
BOISGOMMEUX.
Eh bien, c'est bon !... Eh bien, c"est bon!
I.E CHEVALIER, lucnant conge.
Mon aimable niece!... Get excellent vicomte!.. Dites a ce cher Kergazon que je viendrai prendre de ses nouvelles...
II sort.
SCENE IV
HENRIETTE, BOISGOMMEUX.
B 0 I S G (J M M E U X .
Moi aussi, je vais etre oblige de vous quitter...
HENRIETTE, incredulc, railleuse.
Oh!...
BOISGOMMEUX.
Le train, je vous lai dit, part a dix heures vingt- cinq... Le temps de passer chez moi pour changer de costume...
18 L.V PETITE MARQUISE.
lIK.VHIKTTi;.
Laisscz-moi done traiuiuillel vous savez bien que vous ne partirez pas...
Elle pose sa main sur lo liossior d'une chaise placeo au milieu tlu theatre.
li ( 1 1 S ( ; ( ) M M K r X ,
Je serai a Poitiers a quatre heures du matin; a quatre heures et demie, je serai cliez moi, a la Serpo- lette.
II pose dgalement sa main sur le dossier dc la chaise. irENRIETTE.
A quatre heures et demic, vous serez chez vous, a Paris... (Caiine.) et vous reverez de moi...
1! O I SGO M M EUX , prenunt la main dc la maiipiise.
Henriette?...
IIENUIETTK.
Eh iiien?...
BiilSdIt.MMEUX.
Si vous vouliez, pourtant!...
lis doscendcnt en scene. HENRIETTE.
Si je voulais quoi?...
r. () 1 s c. < ) M M E r X . Oue je ne parte pas...
HENHIETTE.
^'ous resteriez"?
15(I1S<'>()MMEI'X, tres tondrc
Henriette?..,
HENHIETTE, ties timue.
Eh bien?...
liOlSC.o.MMEIX.
Je resterais, certainement, si vous, de voire cote ..
HENHIETTE.
Si nioi, de mon cote?...
ACTE PREMIER. 19
ROISGOMMEUX, jnenant Hcnrietto par la taille.
Hcnriettel...
HKNRIKTTE.
Eh bien?...
n t) I s 0 () M M E r X . II n'y a pas de marmilon, ici!...
HENRIETTE.
^'ous me faites peur...
I'-UISOOMMEUX.
Henricttel...
HENRIETTE.
Eli bien?...
I! (1 1 S G ( > M M E U X , avcc passion .
II n'y en a pas ici, de marmiton!!!
Elle tomhc assise, — Boisgommcux a. ses pieds. la tenant toujours entre ses bras.
HENRIETTE, d'uno vuix mouranto.
Ca, c"est vrai... il n'y a pas de marmiton... (Sechap-
pant pre.'^tement et cuurant a la sonnette, a. gauche, pres de la chc-
minec) mais il y a des domestiques!
EUc Sonne a tour de Lras : cntre Josei)li. 15 ( ) i S G () M M E U X , furieux.
Eh bien, c'cst bon!...
HENRIETTE, montranl Ic plateau sur lequcl sont les tasses.
Emportez cela, Joseph.
Joseph sort aprcs avoir jete sur Boisgommcux un long regard. ROISGOMMEUX.
C'est entendu, alors, vous ne m"aimez pas?
HENRIETTE, agressivo, mechante.
Non, je ne vous aime pas!... (Marchant vers Boisgommcux
autant que le lui permet la longueur du cordon do sonnette qu"elle n'a
pas quitte.) Non, je nC VOUS aime pas!... (Le vicomte fait un
mouvement : clle rccule precipitammcnt.) Non, jC nC VOUS aime
pas!...
20. LA PETITE MARQUISE.
I! () 1 S G (> M M E U X .
Eh bien, c'est bon!...
II prend son chapcau, — un cliapoau mccaniquc: — il rouvre en Ic faisant claquor avcc I'orcc ct il sort.
IIENUIKTTE.
Max!... Est-ce qu'il serait parti vraiment?... (Eiie va
sur la pointe du pied jusqu'a la portc du fond ct rentr'ouvrc : Boisgom- meux, qui etait cache derrierc cette porte, rcntre brusqucmcnt ct court aprcs ellc. Elle fait en courant, poursuivie par lui, tout le tour du salon, lui jette une chaise entre les janibes, so precipite sur lo cordon de la sonncttc, et, une fois qu'cllc Ic tient, so retourne triouiphante.)
C'est manque, nion ami!
BOISCOMMEUX.
Eh bien, c'est bon!... je m'en vais, et pour tout de
bon, cette fois... (Il so hcui-te a la cliaisc rcstce au milieu du
theatre.) Mais si, a cause de vous, je me trouve avoir manque I'express, vous pouvez etre sure que je ne vous le pardonnerai de ma vie... Bousoir, marquise, bonsoir!
II sort.
SCENE V
HENRI ETTE, scuic.
Max!!! Max!!! Max!!! (Com-ant a la purto du fond ct I'ou-
vrant toute grande.) II cst parti !... Insensee que je suis, je I'ai laisse partir. (Eiie sassicd.) et je Tadore!... II etait la. pres de moi, il me parlait d'amour... a sa manierel.. et j'ai refuse de I'ecouler, et je I'ai repousse... et je lui ai dit que je ne I'aimais pas!... Ce n'etait pas vrai, au moins... Oh! non, ce n'etait pas vrai... (Knvovant un baiter dans Ic vide) Je vousaime, monsieur... Max... je t'aime... (Avec exaltation.) Je puis bien le dire maintenant que tu n'es plus la pour rontendre, je puis Ijicn le crier: Je t'aime!... je t'aime! !... je faime! ! !...
Entre Joseph.
ACTE PREMIER. 21
JOSEPH.
Madame a appcle?...
IlENRIETTE, :1 part.
J'ai failli me traliir... (iiant.) Non, Joseph, non... c'est
tres bien, laissez-moi... (Joseph sort; llenriette continuo, mor- dant son mouchoir pour etouffer ses cris.) Je t aimc! je t aime !... (Se relevant brnsruiement.) YoVOnS, c'est impossible... II Il'est
pas parti serieusement... ce serait une betise, et il n'est pas bete, le brigand!... II va revcnir... (Pretant loreiiie.) Oui... je ne me trompe pas... on ouvre la porte, on marche... quelqu'un vient, c'est lui!... (La purto souvre
at llenriette recule epouvantee.l Non ! c'est Ic marquis!...
SCENE YI
HENRIETTE, KERGAZON.
KERG.VZOX.
A'ous m'avez altcndu, je vous en remercie.
HENRIETTE, a part.
Oh ! cette voix !...
K I". R G A Z () N .
Asseyez-vous, madame.
HENRIETTE.
Ce sera long?...
K !•: R G A Z ( 1 N .
Je serai aussi bref que possible... D'ailleurs, ce que j'ai a vous dire vous fera sans doute assez de plaisir pour que vous ne regreltiez pas...
HENRIETTE.
Allons done!...
KERGAZON.
Vous allez voir, (ii sassied.) Je ne crois pas me trom-
22 LA PETITE MARQUISE.
pel" en affirmant que je vous suis absolument insup- portable.
}ii:nkiette. Xon, monsieur, vous ne vous trompez pas.
KKRG \Z(tN.
.Je vous en ol'fre autant. Je ne pcux pas vous souf- frir...
iik.nrii:tte. Ah!...
KERGAZOX.
Je sais que vous avez de vous-meme une tres haute idee, et que cette illusion est entretenue chez vous par une demi-douzaine de freluquets qui se pament a vos mines et mangent mes diners... Mais mon avis, a moi...
(ici. il pren.l nn air tout ;'i fait gracieux.i je puis bicn VOUS
Tavouer, puisque nous sommes entrc nous... mon avis, a moi, c'est que vous etes la plus impertinente petite pecore...
HEN'RIETTE, non moins gracieuse.
Serieuscment, monsieur, est-ce qu'il nc vous serait pas possible de me dire cela avec une autre voix?
K E R G A Z () N .
Non, madame, cela ne me serait pas possible... Etant donnee cette opinion que nous avons Fun de I'autre, il m'a paru demontre que nous serious parlaitement lieurcux si nous pouvions nous se[)arer...
IIEXRIETTE.
A quoi bon parler de (;a?... Vous savcz bien que nous avons cssaye deja...
KERGAZON.
En effet!... nous avons, a trois reprises dilTerentes, essaye de nous separer a ramiable... Des amis com- muns, des parents out, a toute force, tcnu a nous reconcilier... Nous avons bien etc oblii^^es de nous
ACTE PREMIER. 23
laisser faire : quel pretexte donner? Nous n'avions ni run ni I'autre de torts reels... Mais si I'un de nous consentait a avoir des torts reels?...
HENRIETTE.
Si Tun de nous consentait?...
KERGAZON.
Moi, bien entendu, ce serait moi... Nous pourrions alors arriver a une separation serieuse...
HENRIETTE.
Vraiment, monsieur, vous auriez un moyen?...
EUe so rapproclie. KERGAZON.
On m'en a propose deux : le premier serait dc vous rouer de coups devant temoins.
HENRIETTE.
Je voudrais voirga!...
KERGAZON.
Le second serait dMntroduire une maitresse dans le domicile conjugal. C'est a ce second moyen que je me suis arrete.
HENRIETTE.
Vous auriez une maitresse, vous?
KERGAZON.
11 n'est pas indispensable que j'aie une maitresse... [1 suffit que j'introduise dans le domicile conjugal une personne qui aura J"air d'etre ma maitresse... Voici 3onc ce que j'ai imagine. Vous allez passer vingt- ijuatre lieures en Normandie, chez votre tante. Au jout de ces vingt-quatre heures, vous revenez, vous ionstatez, vous faites constater par qui de droit la Dresence de la personne... et il vous est facile, alors, I'obtenir une separation que ni amis ni parents ne aarviendront a empecher.
. 24 LA PETITE iMARQUISE.
HENRIETTE, avec enthousiasme.
Tout de bon! vous feriez cela?
KERGAZON.
^a vous va-t-il?
HENRIETTE.
Si ga me va!... (Eiie se leve.) II me demande si ga me va!... je crois bien, que ga me va!
Ellc Sonne. KERGAZON,
Vous partez, alors... (ii se ieve.)Quand partez-vous?
HENRIETTE.
Je vais vous le dire... (Entre Joseph.) Vite, un indicateur des chemins de fer! .. vite! vite!...
JOSEPH.
J'en ai un, madame.
II sort. HENRIETTE.
Ce n'est pas pour rire?... Nous cessons tous les deux d'etre mari et fcmme, vous me rendez ma liberty, ma liberte tout enticre?...
KERGAZON.
Oui, je vous la rends, et je reprends la mienne...
HENRIETTE. Ah!... (Rentre Joseph : Henriettc saute sur I'indicateur.) Atten-
dez... voyons, voyons... Poitiers... dix heures vingt- cinq... (Regardant la penduie.) II est trop tard... mais il y a un autre train... a trois heures dix... Vite, Joseph, dites h ma femme de chambre de m'apporter un chapeau, un manteau... ma petite malle de voyage... et puis une voiture, vite, une voiture... (Joseph sort.) Je pars tout de suite, monsieur.
KERGAZON.
Je m'y attendais.
ACTE PREMIER. 23
PIENUIETTi:.
Ah!...
KERCAZON.
El la preuve, c'est que j"ai, a tout liasard, invite la personne a venir souper ici ce soir meme...
IIENRIKTTE.
Et vous souperez?
EUe passe. K E R C. A Z o X .
II n'est pas indispensable que je soupe. II suffira que j'aie Fair d'avoir soupe.
Entrent Vrbain avec la petite malle, la femmc de chambre avec un chapeau ct un mauteau ; llenrictte met fidvreusemcnt le cliapeau et Ic nianteau.
HENRI ETTE, a la fenime de chambre ct a Urbain.
C'est bien, merci... je n"ai plus besoin de vous.
La femme de chambre et Urbain sortent. Ilenriette jctte dans la malla unc foule de petits objets. sa guipure, la Revue des Deux Mondes, un petit paquct de lettres qu'clle va prendre dans le bonhcur du jour; puis elle fcrme la serruro.
KERGAZOX.
^'ous n'eniportez pas autre chose?
HENRI ETTE, avec exaltation.
Non, rien, rien... (Kntre JoseidiJ La voiture est la?
JOSEPH.
Madame la marquise scmblait si pressee que je n'ai pas cru devoir donner Tordrc d'attelcr : j'ai fait venir un fiacre.
HENRI ETTE, a part.
Men quatrieme!... (Haut.) Prenez cette malle, Joseph. (Joseph prend la malle et sort.) Et maintcnant, mon ami...
KERGAZOX.
Ma chere?...
HEXRIETTE, lui tendant les bras.
Puisque c"est pour la derniere I'ois... H. 2
26 LA PETITE MARQUISE.
K E R G A Z () N , remljiassant.
Avec plaisir!...
lIKNRIETTi:, cMTiuo.
C'est bien, ce que vous I'aites lii, c'est tivs bien... Ca efface un las de petites choses.
K E R G A Z () N .
Dans vingt-qiiatre houres... Et amenez le commis- saire!... n'oubliez pas d'amener le commissaire !
HENRIETTE.
Dans vingt-quatre heures, c'est convemi!... Enfin!
Ellc sort rapidement par Ic fond.
SCENE YII
KERGAZOX, puis JOSEPH.
KKRGAZON.
Enfin !... Et niaintenant, travaillons !... (ii sassieii. prend
sur sa table uii ciiorme eahicr. et, apros avoir consultc trois ou quatrc
in-foiios, so mot a ccriio.) « Lc mot troubadour vient du verbe trohar — inventer... et non du substantif trou- badc, ainsi que se le figurent les ignorants. Ce mot n'avait point du tout au quinzieme siccle le sens badin que lui donnent aujourd'hui les personnes qui aiment a s'amuser. Aussi pouvons-nous affirmer, sans craindre d'etre dementi, que la celebre chanson : Cest le trou... c'est lc Iron... c'est le trouhadour, nest pas une chanson du quinzieme siecle... »
Kiitrc Joseph. JOSEI'II.
Monsieur...
KERGAZON, la plume A roreille.
Ell bien, qu'est-ce?
AGTE PREMIER. 27
josEPir. II y a la line femme de chambre.
K !•; R ( ; A z o N . Une Temme de chambre"?...
JOSKPII.
Oui, monsieur... ellc vient tie la part de mademoi- selle Lamberthicr.
KKRC. AZO.N. FaiteS-la Cntrer. (.luseph sort. — Korg-azun reiircnd sa plume et achovc (Ic'Ciiie sa phiasc.) « ... n'est paS 11116 cliailSOn du
quinzieme siccle. »
Entre Juliette.
SCENE YIII KERGAZON, JULIETTE.
Jl'Lll-TTK.
BonjoLir, monsieur.
K !• R G A Z t» N .
Bonjour, mon enfant.
JULIETTE.
C'est vous, monsieur, qui (ites venu tout a I'heure cliez madame?
KF.RCAZON.
Oui, c'est moi.
jn.lETTE.
Pour rinviter a souper?
K !•: i{ ( ; A z () N . Oui, mon enfant.
jn.lETTE.
Eh bien, monsieur, madame ne pent pas.
K i: R ( ; A z ( ) \ . Ah!
28 LA PETITE MARQUISE.
JlMKTTi:.
Et clle m'envoie vous le dire... Elle regrette... mais elle nc pcut pas, parce qu'elle s'en va, pour deux jours, a Fontainebleau, cliez sa marraine.
11 sc leve.
Fausse sortie.
KKIU; AZON.
Ah I c'est conlrariant.
J r 1. 1 K T T i: . Adieu, monsieur.
K !■: R c; A Z ( I N . \'ous vous en allez?
JULIETTE.
Oui, monsieur.
K E R ( ; A Z ( ) N .
Attendez done un pen!... II I'aut que je Irouve un moyen... Ainsi, votre maitresse ne pent pas?
jn.IETTE, icdcscenclant.
Non, monsieur.
K E R C. A Z O N .
C'est conlrariant.
jri.lETTE.
Dame! monsieur...
KKRCAZON, hi regardant.
Mais... mais vous!...
jn.IETTE, rofiilant.
Moi, monsieur I...
K E R ( ; A Z ( I N .
Puisque votre maitresse va pour deux jours a Fon- tainebleau, vous etes libre, vous, pendant ces deux jours ?
JII.IETTE.
Oui, monsieur.
ACTE PREMIER. 29
KEUGAZON.
Vous etes trcs gentille, par-dessus le marche!...Et puis, vous ne le seriez pas... (U sonnc : cntie Joseph.) Dites que Ton mette deux couverts sur une petite table avec ce qu"il faut pour souper, pour bien souper : du foie gras, du via de Champagne... .
JULIETTE.
Oh!
JOSEPH, suffoquo.
Oh!
KEROAZOX.
Vous n"avez pas entendu?
JOSEPH, trcs truulile.
Si fait, monsieur.
II sort. JTM.IETTE, gaie.
Vous allez souper. monsieur?
KERO AZdX.
Qui, mon enfant, je vais souper avec vous.
JULIETTE.
Oh! non, monsieur.
K E R 0 A Z (> X .
Non?
JULIETTE, avee conviction.
Je suis une honnete fille, moi, monsieur : j"ai un amant.
K E R (". \ Z (1 X .
Ah!
JULIETTE.
J'aimc Eugene ct, pour rien au monde, je ne le tromperais.
K E R G A Z ( > X .
IMais si je vous assurais que vous ne serez [)as du tout obligee de tromper Eugene?...
30 I. A I'KTITi: MAHOUISE.
jri.i KTTK, (I'lin air do douto.
Oh! oil!
K F. R C. A Z () N .
Si jc vous en donnais uia parole?...
J r 1. 1 1: T T V. . \o\.ve vraie parole?
KKIUIAZON. Ma vraie parole. tJuliottc Ic regardc ct so mot :\ riro. Kci- ga/.un prend un ))illct dc iiiille francs dans Ic tiroir do sa table. ^^ OUS
savez ce que c'est que ga?...
JlI.IKTTi:.
Oui, monsieui".
K E lUi A Z () N .
Qu'est-ce que c'est?
JI'Lil-TTK, eblouie.
C'est un billet de mille francs, monsieur.
K i: R G A Z ( » N .
Eh bien?...
JUI.IETTi:.
Et vous me jurez que je ne serai pas obligee de tromper Eugene?
Kile prcnd Ic billet. KERGAZON.
Je vous le jure. II iaudra seulemcnt passer vingt- quatre heures iei et faire semblant de m'aimer.
JULIETTE.
Oh I non, par exemple!...
Kile vout rcndro Ic billet.
K i; R ( ; A z (t N , Faire semblant. j<; vons disl
JULIETTE.
Ma maltressc aussi fait semblant... elle ne fail pas autre chose... et qi\ ne I'enqxjche pas dc... Non... non I
ACTE PREMIER. 31
KKRGAZON, la rassurant.
Mais non, niais non... Faire semblant, rien que faire semblant, qiiand il y aura du monde... Ainsi, tenez, je vais sonner : le domestique eutrera...
jri.iETTi:. Bon!...
K E R G A Z 0 N .
A'ous aurcz la bonte de vous asseoir sur mes genoux, et, quand le domestique sera la, vous ferez semblant... vous me donnerez des petites tapes, vous me passerez la main dans les cheveux.
JUI.IETTK, sc tunlant do rire.
C'est serieux?
K !■; R G A Z () N .
C'est tres serieux... Vous voulez bien?
JULIETTE.
Je veux bien. monsieur.
Kile utc son eliapeau.
KERGAZON, apres avuir sonne. \ enez, alors. (Juliette s'as.sierl sur Ics genuux dc Kergazon.
Entre Joseph.) Le souper est pret?...
JOSEPH, stupetait.
Oui. monsieur.
KERGAZON.
Alors, apportez la table.
Joseph sort. JULIETTE, vuulant sc lover.
Je peux m'en alter?
KERGAZON, la retenant. Non, restez : il va revenir... (Entrent Urbaln et un autre domestique, appurtant la table.) Ils SOnt deux, c"est parfait...
mais I'aites semjjlant de m"aimer... Vous ne faites pas assez semblant... Ohe I ohe!
32 LA PKTITK MARQUISE.
jri.ir.TTi:. Olu', monsieur! ohe ! ohcl
KKUCAZUN.
A la bonne heure!... A table, maintenant. (ii conduit
Juliette a la table, la fait asscoir, s'assicd, lui doniie du via de C'liam- pagne, boit lui-memc et love son vcnc en cliantant.) C CS^ /(.' tl'OU...
c^est le trou... c'cst le troubadour!... (\nx domesiicines.) Lais- sez-nous tous deux, nous n'avons plus besoin de
VOUS... ^^es domcstiques sortcnt on levant les bras au ciel.) Ils
sont partis...
Jri.li-TTE.
Oui.
KKUCi AZttX, [ironant sun caliier ct son in-fulio.
Je VOUS souhaite le bonsoir.
JULIETTE, stupefaite.
Ah bien!...(Eiic so leve.) j'en ai vu chez ma maitresse, des hommes! et qui 6taicnt drdles... mais la, vrai... jc n'en ai jamais vu comme vous !
KERGAZU.N. 11 allume son bougooir, s'cn va, ct, arrive a la portc de sa cliamlire, se retoiirne pour saluer.
Je vous souhaite le bonsoir. (ii sort.;
JULIETTE, courant a la porte.
Monsieur, monsieur, en ne vous ferait-y rien que j'ecrive a Eugene?... Monsieur, monsieur!...
ACTE DEUXIEME
A la Serpolette.
Une salle de vicux chateau : lambris en bois Jcchene; murs tendus de vieilles tapisscrics. — Ce salon donne sur Ic pare du chateau : la campag-ne, en liiver. par un beau jour. — Porte au fond, portes a droitc ct a gauclic: deux grandes fenetres, au fond, une de chaque cote do la porte. — Deux butfcts avcc etagcrcs entre la portc et les fenetres. — A gauche, centre Ic mur, un grand cartel ; a droite, une haute che- niinee dans laquello flanibe un grand feu. — A gauche, une grande table en vieux clu'ne ; pros de cette table, un grand fauteuil ; un tabouret dcvant le fauteuil. — Canape, a droite. pres do la cheminee, et. pros du canape, un petit gueridon : a cote, deux chaises. — Chaises au fond.
SCENE PREMIERE
BOISGOMMEUX, en costume do chasse, MARTIXE
MOUCHE.
Boisgommeux dans le grand fauteuil, la jambe sur un tabouret, prenant son cafe. — Martine, a genoux, la figure tournec vers le public, acheve de boutonner les guctres du vicomte. — Au fond du theatre, Mouche preparant le fusil, les cartouches, etc.
liUlSGOMMEUX.
A la bonne licurel on e.st bien, ici.
.MARTINE.
Pas vrai. m'sieir?
EUe se leve.
B 0 I S G O M M i: r X . De bonnes grosses chaussures... des habits qui ne vous genent pas... de Tespace, de lair...
3i LA I'ETITt: MARQUISI::
martini:. Et du Ijoii caft' !
nOISCOMMKUX.
C"est toi qui las fait, le cafe?
MARTINE, so relevant.
Jc crois bien, que c'est moi!...
I! () I S G () M M E U X .
Viens m'embrasser, Marline.
MART INK, rcnitji-assant ;i la paysanne.
Je crois Ijicn, que j"y vas!...
HUISGOMMETX.
A la bonne heurel c'est Qa de I'aniour... ui prcna sa pipe.) Tandis que cette mijauree d"hier soir... (Avec fuieur.) Ouand on soni^e que, pendant six mois, j'ai etc son esclave, son chien... une chose a elle!... voila ce que j'ai ete pendant six mois... et au bout de ces six
niOlS... ah!... (Maitinc. q)n .s'elait eloignee pendant les dernieres jiarolcs do Boi;,'ommeu\-. revicnt et lui pr^sente un bout de papier enflamme avec lequel il alhime sa pipe.) A la bonne llCUre !
c"est qa de I'amour!... Viens m'embrasser, Marline...
MARTINE.
Tant que vous voudrezl
Kile I'cmbrasse. I'.Dl.SGOMMEl'X.
Bonne fille !... (Tom en lumani.uVli ca, et Tautrc?... ui so leve>... et Georgette?...
MAHTINIC, pen conlcnte.
Georgette?...
ROISOOM MEU.X, allant s'adosser ii la chominee.
Oui, nous la vcrrons bientot, j'aime a croire...
MARTINE, furieuse.
Elle est a la ferine. Georgette... Sa place n'est pas
ACTE DEUXIEME. 35
au chateau, a Georgette, sa place est a la ferme... et elle I'era bien d'y raster, car si cllc avait riniprudence do vciiir ici, je la...
MorCHK, toiijuui'.s au I'uml. sans sc rctourncr.
La via !
M AUTINE.
Oirest-ce cjue tu dis?
Mot'ClI K.
.le dis quo v'la Georgette (;[u"arrivc... (Montrant hi fcnetici et elle court, elle court!... uioguenaniant.) Mais, coaime elle sait que c^a vous d<''plairait, p't'etre ben qu'elle n'entrera pas... (Entro Ocoigctte.) Si! elle a entre tout de meme... J' vas lacher Diane, pas vrai? ni'sicu.
1!(1ISG{»MMEU\.
Oui, va lacher Diane.
Muuche sort. — Georgette est rcstee sur le scuil de la porto.
SCENE II
BOISGOMMEUX, MARTINE, GEORGETTE.
I!()1S(;()MMEUX.
Donjour, Georgette.
G K () R G E T T !■ .
Bonjour, m'sieu.
I!i)IS(;oMM VA'X.
Tu as quitte la ferme, il parait?
G i: (I R G E T T I- .
Je suis venue des rjue j'ai su que monsieur le vicomte etait arrive... et si je I'avais su plus tO)t, je serais venue plus tot...
1', () 1 S G () M M K V X .
Bonne petite!.. Viens m'endjrasser, Georgette.
36 LA I'F.TITE MARQUISE.
GKURGETTE.
Oh ! m'sieu...
liOlSGOMMEUX.
Eh bieu?...
GEORCKTTE.
J'ose pas...
RdlSGOMMEUX.
Puisque je te le permets !...
II pose sa pipe sur unc chaise, prcs de la cheminde. GE(JRGETTE.
Tout de bon"?...
I!(MSG()MMEl'.\.
Tout de bon.
GEORGETTE.
Oh! alors...
Ello viont a lui ct rembrassc. MARTIN E. bondissant dans son coin ct nicnacant Georgette.
Toi. tout a I'heure... je ne te dis que cal...
liuiSGiiMMEUX.
AUons, la jalouse, allons... Viens aussi, toi...
M AUTINE.
Non, par exemplel...
ROISGOMMEUX, marchant vers Marline sans (jniltcr Georgette.
Non?...
M A R TINE.
Non !
ROISGOMMEI'X, tout pres de Martine.
Bien vrai, tu ne voux pas?...
Apres un instant de resistance, Martine sc laissc tombcr dans les bras de Boisgommcux.
MARTINE.
Ah!...
ACTE DEUXIEME. 37
BOlSGUMMF.rX, los cmbrassant toutos les deux. — II coniincncc par Martinc.
A la bonne heure! c'est (^a de I'amour... pas dc sima-
greeS, pas de manieres... (Les deux lemmes sans le quitter, essaient dc s'envoyer des coups dc pied.) Ell bicn?... CJu'cst-CC
que e'est?... voulez-vous bien vous tenir tranquilles?...
(I.cs deux fi'iumes s"arretont : il les cmbrasse ; cllcs rocommenccnt) Eh ]jien?... (Les deux fenimes s'arretont da nouvoau : il les embrasse.) C'cst ^a dc... (Les ecavtant bi-tisipiemont.) Ell bien,
non! ce n'est pasca du tout!... L'amour, c'est une petite femme, pas pkis haute que qq, qui vous fait poser et qui se moque de vous, qui vous donne des rendez-vous et qui n'y va pas, qui se barricade derriere an cordon de sonnette et qui. de la, avec des petites mines de roquet en colere, vous crie : « Non, je ne vous aime
pas... (imitant les intonations do la manjuiso.) Non, jc ne VOUS
aime pas! non, je ne vous aime pas!... » C'est ca qui est Tamour, et ce n'est pas autre chose !..
De chaque coto dc la scene, les deux femmes le regardent avec stupefaction.
M .\ U T 1 N 1-: , a Georgette.
Que quMl a?...
Georgette rcpond par gcstes qu'cllc n'en sait ricn. IU» I SCO MM LUX.
Vous n'etes pas comme ca,vous deux... he? (Les deux
femmes se rapprucliont dc lui avec une certainc imjuiutude. ) Ce
n'est pas vous c{ui, si Ton vous parlait d'amour, iriez- vous pendre a la sonnette?...
.\L\11T1N'E, ne cumprenant pas.
Nous pendre?...
GFORGETTE.
A la sonnette, il a dit?...
M.UITINL.
A la sonnette!...
Apres avoir essaye pendant quelque temps de ne pas rire, Ics dcu.x femmes linis-scnt par eclatcr.
II. 3
38 LA PETITE MARQUISE.
I?(^lSGoMMKU.\. Ell Ijieill... (Ec rirc ilcs fommcs .s'arvetc court.) ElleS SOnt
betes commc des oies... (ii ics quitte.) Allons, vous etes trcs gentillcs, toutes les deux, tres gentilles, tres gen-
tilles... (II rcmontc ct prond ilcs cartouches.) Adorez-moi. je Il'v
vois pas do mal, niais ne vous donaez plus de coups de poing ni de coups de pieil, je vous le defends...
MAUTINF, :i part.
Oh! quant a cal...
Udl.sCd.MMEr.X.
Je vous le defends, vous entendezl (A Mouchc, qui parait an fon.i.) Ell bien. Mouche. y sommes-nous?
More hi:. Qui, m'sieu.
r, 1 1 1 .^ ( ; (I M M r. u .\ . Allons, alors... iii prcnd son fusil.) A tout a riieure, vous deux I... Ill surt.) Tout beau, Diane!... Eh la I eh la!... tout beau !...
On cntcnd encore sa voi.\ pendant quelquc temps.
SCENE III
MARTINE, GEORGETTE.
GEORGETTE, qui Cst rcmontoo pour voir Boisgommcux plus long-temps.
11 n'a pas d"espi'it du tout, not' maitre... niais, mon Dieu, qu'il est beau !
M .\ R T 1 N E .
Tu trouves?...
GEORGETTE.
Oh! oui.
ACTE DEUXIEME. 39
M A U TINE.
Georgette!...
OEOROETTi:.
Apres?...
M A U T 1 N E .
Onelle heure est-il?... Reg-arde bien la...
Georgette passe. GEORGETTE, regardant le cartel.
Xeuf heures et demie moins quelques minutes... Tu ne le vols pas?
M A R T 1 N E .
Si fait, je le vols...
G E 0 R 0 E T T E .
Eh ben, alors?...
M A R T I N I- .
Cest pour t'avertir que, lorsque la demie sonnera, je te sauterai dessus.
GEORGETTE.
Ah! bon!...
MARTINE.
A moins que tu ne t'engages a ne pas sortir de la ferme pendant tout le tenqDS que m'sieu le vicomte restera au chateau...
GEORGETTE.
Ou"est-ce que tu y gagnernis? Si je restais a la ferme, m"sieu le vicomte y viendrait, a la ferme, etv"la tout!...
MARTINE.
Ca me regarde, ga... Promets-moi seulement de ne pas venir flaner par ici, et je ferai, moi,ce qu'il faudra pour qu'il n'aille pas flaner par la... Promets-tu?...
GEORGETTE.
Je ne promets rien du tout.
40 LA PETITE MARQUISE.
martini:. Decidement?...
GICnUGETTE.
Decidement I...
MARTINE, retroussant ses manches.
Alors, tu sais, quand la demie sonnera...
GEORGETTE, ineine jeu.
C'est entendu!...
■Moment de silence. La demie sonne : Marline et Georgette s'elancent I'une sur Tautre, la main levee. Au moment oii elles vont frappcr, elles s'arretent, tendent I'oreille : on cntcnd les grelots dun chcval, le claquement d'un fouet.
TOUTES DEUX, ensemble.
Ou'est-ce que c'cst que (;a?
Elles font dcmi-tour ct rcmontent. GEORGETTE, regardant par la gauche.
La voiture du pere Turquet...
MARTINE.
Une femme!...
I, a marquise parait au fond, sans ontrer; die tient a la main son indicateur des clieniiiis de for.
SCENE IV
Les Memes, IIEXRIETTE, puis TL'RQUET, puis MOUCIIE.
HENRIETTE.
3Ionsieur le viconite Max de Boisgommeux"?
GEORGETTE.
Vous eles cliez lui, madamc.
Martinc passo.
ACTE DEUXIEME. 41
}I1:nU1I:TTE, entrant.
Chez Uli !... (Se laissant tomber sur le I'auteuil qui est pres de la talilc. — Au cocher qui s'arrcte au fond, portant la petite malle.) Entrez, mon ami. (Montrant le gueiidon a droite). MettCZ CCla
ici... iLui donnant de laigont.) Tencz... voici ce que je vous ai promis.
TURQUET.
Merci, madame... Mais vous me permettrez bien de laisser soulHcr moii cheval?...
HEXRIETTE.
Certaincment... Restez ici autant qu"il vous plaira, et demandez ce dont vous aurez besoin.
GEURGETTE, a part.
Elle est sans srene !
MARTI NE.
Adieu, pcre Turquct.
Le cocher sort.
HENRIETTE, regardant autour d'clle. Chez lull... cheZ moi!... (Deux coups de fusil assez loin.)
Qu'est-ce que c'esl que ^a?
MARTINE. HENRIETTE.
Oui...
MARTINE.
C'est monsieur le vicomte qui chasse.
HENRIETTE.
Ah!... et dans conibien de temps va-t-il revenir?
MARTINE.
Dans combien de temps?...
HENRIETTE.
Oui... dans combien de temps sera-t-il ici?
42 LA PETITE MARQUISE.
M A It T I N E .
Jo ne sais pas, nioi... dans une licure...
CI-ORGKTTE.
Ou Lou dans doux.
IIENRIETTE.
Je raltcndrai.
Ellc se l('vc, rcgardc encore unc fois autour d'cUe, se dtibarrassc de son nianteau, va sc cliauffcr les picds a la grande cliemince, etc., etc. — Martine ct Georgette descendcnt en scene a gauche.
MARTIXE, ;i Georgette.
Regarde-moi celte toilette... I'egai-dc-moi done q,a\... cette robe, ces jupons, ces has!...
GEORGETTE.
Et CCS soui'ers!... T'as vii les sou'iors?...
MARTIN E .
C"est quequ' coqnine de Paris qui court apros mon- sieur.
GEtiRGETTE.
Et nous qui allions nous Ijattre!...
M A R TINE.
Ah bien, par exemple!...
GEORGETTE.
Dis done, Martine?
MARTINE.
He?...
GEORGETTE.
Au lieu de nous battre, si nous Fempoignions, toutes les deux, he?... et si nous la fichions dans la mare?...
M A R T I N K .
C'est une idee!...
Mouclie accourt tout essoufdc.
ACTE DEUXIEME. «
MOUCHE.
La pipe! donnez-moi la pipe!
HENRIETTE, 4iiiit;uU la chcminee ot venant pres do la table.
Ou'est-cc qu'il y a, mon gargon?
MOUCllE, cffare.
Ah!...
HENRIETTE.
Ell bien"?...
More HE. C'est m"sieu le vicomte qu'a oublic sa pipe.
HENUIETTE.
Sa pipe!...
MdUCHE.
Oui, niadame... sa pipe...
Ilcnriclto voit la pipe sur la chaise, la prcnd en souriant, la rcgarde ct la donne clle-memc u Mouche.
HENRIETTE.
Tiens, mon gar(;on, porte-lui sa pipe, et dis-lui en meme temps... qirune personne... i.Mouvement de Martine
ct de Georgette.) Noil, lie lui dis Hen... (Elle s'assied. dechire une fcuillc de son carnet et ucrit quelques mots.) Doniie-lui cela,
tout simplement... va vite...
MARTINE et GEORGETTE, so precipitant .sur Muuclie.
Ou"est-ce qu'elle a ecrit? lais voir... qu'cst-ce qu'elle a ecint sur le papier?
EUcs sortent avcc Mouclie.
SCENE V
HENRIETTE, .scuic.
J'ai eu raison d'ecrire en anglais... Enfin j'y suis, la chose est faite, il n"y a pas moyen de retourner en arriere... Maintenant, rellechissons. J ai essaye d«3Ja.. ,
44 LA PETITE MARQl'I^E.
mais, pendant la routC; c'etait impossible... L"cmotion,
10 tapage du chemin de fer... pan pan... et puis, apres le chemin de fer, cette carriole qui versaitii moitic, et sc rclevait pour retomber encore... II n"y avait pas moyen... Ici, au moins, je suis tranquille... je puis fixer mes idces, ici... Voyons... Eli bien, non... j"ai beau faire... tout ^a. danse, danse... (Eiie essaic encore et se
pren<l la teto a deux mains ) Vovons, pOUftant, je veux... je
veux... (En riant.) Ah! all bien.ouil... prrr!...a quoi bon reflechir, d"ailleurs I... Je ne sais quiine chose... c"est qu'hier j'etais la-bas... et qu'aujourdhui je suis ici... C'est qu'hier encore je me croyais. j'avais toute raison de mecroire condamnee aux troubadours a perpetuite, et qu'aujourdluii je suis libre... ils ne viendront pas me chcrcher ici, les troubadours !J'en ai fini avec eux... Une existence nouvelle va commencer pour nioi, exis- tence toute remplie d'amour, de passion, de delire!...
11 est a moi, je suis a lui!... C'est ca que je lui ai ecrit tout a rheure, en anglais... sur le petit papier... Et maintenant, sans doute, il a lu le petit papier... 11 sait que je I'attends... il s'elance... il accourt. il est la I... C'est lui!
Entrc Boisgommcux.
SCENE YI
llEXRIETTE, BOISGOM.MEUX.
HF.NRlKTTi:.
Max!...
llenriettc!...
Ah!
EUe tombc dans ses bras. — Eml.rassemcnts, transports. — Martino et Georgette paraissent au fond et levcnt Ics bras avec indignation.
BulSG(tMMEUX. IIKNRIKTTE.
ACTE DEUXIEME. 45
13 () I S G U M M E U X .
Henriette!
MARTI NE et GEORGETTE, avcc un grand cri.
Ohl...
B U 1 S G 0 M M E r X .
Voulez-voLis bien filer, toules les deux, voulez-vous
bieil"?... lElles sc sauvcnt precipitaniment ; Boisgommeux forme la porte dufond et rcdescend.) Henriette!...
HENRIETTE.
Max!...
B U I S G U M M E U X .
Ce n'cst pas un reve, c'est bien vous qui etes la, c'est bien vous que je serre dans mes bras...
HENRIETTE, criant parcc qu'il la icrre un pou trop.
Aie!... Oui, c'est bien moi.
BOISGOMMEUX.
Vous qui, hicr soir...
HENRIETTE.
Ne parlous plus de ga.
BOISGOMMEUX.
Tandis que maintenant...
HENRIETTE.
Ah!...
BOISGOMMEUX
A moi! maintenant, a moi!...
HENRIETTE. Oui... a vous... ai lembrasse.) A toi... BOISGOMMEUX.
A toi!... tu Fas dit?...
HENRIETTE.
Oui, jc I'ai dit...
46 LA PETITE MARQUISE.
I$01SG0MMi:r.\, (loutant encore.
Tu Tas dit, niais la ne le dirais pas Line seconde fois?
lIKNRIETTi:, lesoliic.
Si, jc Ic (lirais...
B 0 I S G 0 M M K U X .
Dis-l<v alors...
IIKNRIETTi:.
A toi... a toil...
i; 0 I .■< G 0 M M E U -K .
Ell bicn, ecoutc.
HENRIETTE.
J'ecoute.
BOISGOMM EUX , au conible do rentliousiasmc.
Tout ce qu'une poitrine humaine peut renfermcr de
IjOnheur... (ll tire un perdrcau do la poche de sa veste et le pose siu- la taljlc.) Tu eiltends, n'estce pas? (Il tire de sa pochc un
second perdreau.) Tout cc qu'uiic poitriiie humaino peut renfermer de bonheur...
HENllIETTE, c-perdue.
Eh bicn?...
liOISGOMMEUX, avec calme.
Ma poitrine, a moi, le renlerme en ce moment.
HENRIETTE.
All 1
liOLSGO MMEUX, la conduisant vers le canape.
Ilenriette!...
HE.NRIETTE, se laissant tonihcr sur le canape.
Max!...
ROISGOM MEUX. tombant aux pieds d'llcnrielle.
Mij little marchioness...
HENRIETTE.
Darlinfj! darlinij!
ACTE DEUXIEME. 47
HOISGOMMEUX.
For ever, n"est-ce pas, for cccr?...
IIENRIETTE.
Oh! yes... yours, yours for cccr... and nothiiuj can prevent me being yours...
BOISGdMMEUX, avec force.
I love you! I love you!...
HENRIETTE.
Et moi done!
Ij 0 1 SGO M MEUX se love et s'assied stir lo canape a cote d'llcnrictte.
Extase... longue, longue extasc...
HENRIETTE. apres quehpies secondes d'oxtasc.
Vous avez dejeune, mon ami?
B U I S G O M M E UX , simplement.
Non, j'ai seulement pris un pen de cafe,ce matin; je dejeuncrai a onze houres, comme d'habitude.
HENRIETTE, inquieto.
A onze heures?
B U 1 S G 0 M M E U X .
Oui.
HENRIETTE.
C"est que. je ne sais comment vous dire... Vous allez mo trouver bien materielle...
BOISGOMMEUX, se relevant.
Insense que je suis !
II Sonne : les deu.x portes de cote s'ouvrcnt en int'mo temps: Martino parait a Jroite, Georgette parait a gauche.
i LA PETITE MARQUISE.
SCENE YII
Les Memes, MARTIXE, GEORGETTE.
BOISGOMMEUX.
Le dejeuner, tout do suite!
MARTI NE, stnpolaitc.
Tout do suite?
r, o I s; G o M M E t: x . Oui, tout de suite.
GEORGETTE, ironiqne.
Combien de converts?
R () I S G 1 1 M M E T' X .
Deux couverts.
MARTIN E et GEORGETTE, fivec le memo grand cri.
Oh!
BOISGOMMEUX, severcmcnt.
Eh bien?...
Les deux portes sc referment violemmcnt et d'un seul coup juste en mcme temps les deux femmes ont disparu.
SCENE YIII
HENRIETTE, .MAX.
IIEXRIETTE.
Vous nc vous allendicz pas a me donner a dejeuner?...
ROISGOMMEUX, venant s'asscoir pres dTIenriettc.
Oh! pour qa non, par exemple!.., et meme, si je ne craignais pas d'etre iiidiscret...
HENRIETTE.
Ne craigncz pas.
ACTE DEUXIEME. 49
I5 0ISGOMMEUX.
Je vous demanderais comment vous avcz pu vous y prendre...
IlENRIETTK.
J"ai dit que je m'en allais en Normandie, chez ma tante.
BOISGOMMEUX.
Chez votre respectable tante...
IIENRIETTE.
Oui.
HOISOOMMEUX, emu.
Et... pour combien de jours avez-vous dit que vous vous en alliez?...
IIENRIETTE.
Pour deux ou trois jours.
15 ( • I S G 0 M M E U X . Pour deux ou trois?... ^IIenl■iotto incline la tetc). Mais,
alors, dites done?...
IIENRIETTE.
Ouoi?...
p. ( ) I S G 0 M M E U X .
Mais, alors, dites done?... Vous ne serez pas obligee de partir tout de suite apres le dejeuner?... (Homiettc
sourit.) He?...
IIENRIETTE.
Non, je ne serai pas obligee...
BOISGOMMEUX, so mcttant a courir dans la chambre commc s'il a\ait poi'ihi la toto.
Mais alors, dites done?... mais alors, dites done?...
Ileurietto so love. H E N R I E T T E .
Qu'est-ce que vous avez?...
50 LA PETITE MARQUISE.
p,()isg»)mmi:l'.\. C'est le bouhcur!...
HKNUIETTE.
Vraimcnl, vous etcs heureux?...
IMMSGOMMEU.X.
Tout ce qu'une poitrinc humaine...
11 E X R I E T T E , li iilcrioinpant.
Oiii. je sais. Qirest-cc que cc sera done, quaad je vous aurai dit ce que j'ai encore a vous dire ?
lUHSGOMMEr.X.
II y a encore quelque chose?...
IIENIUETTE.
Venez la, pres dc moi...
B () I S G U M M E U X .
II y a encore quelque chose. Ah!... c'est trop!... c'est troi)!... Ah !
IIEXIUETTE.
Calmez-vous, voyons...
P.OISGOMMEUX.
Je ne \)eux pas...
HENRIETTE. AsseyeZ-VOUS la... la... (Boisgommcux s'assied caupres dcllo.)
Vous rappelez-vous ceque vous me disiez quand vous me faisiez la cour?
BOISGoMMEt'X.
Et que vous vous nioquiez de moi...
IIKXIUETTE, rcinpechant de continuer.
Oh!... oh!... Votrc amour etait immense, profond com me le grondement loinlaiu du tonnerre, suave comme la palpitation dcs etoiles... II devait durer loute la vie, voire amour, toutc la vie!...
ACTE DEUXIEME. 51
BOISGOMMEUX.
Et I'eternite done!... a quoi devais-je I'eniployer, reternite?...
II i:\lUETTE.
A voiis souvenir que vous m"aviez ainiee...
r, 0 1 s G o M M i: r .\ . Kt elle no dcvait pas nie paraitrc trop longue... vous vous I'appclez... j'a joutais qu'elle ne me paraitrait pas trop longue.
HEXRIETTE.
« Si vous etiez libre, me disiez-vous, si rien ne nous separait Fun de I'autre, si nous pouvions vivre tons les deux, tout seuls, enlermes dans notre amour... »
B U I S G O M M E r X .
Oui!... Malheureusement, e'est un revc...
HEXRIETTE.
I'n r>!"ve?...
liUISGoMMEUX.
Dame!...
HEXRIETTE.
Kli bien, mon ami, ce reve... va maintenant devenir une realite...
IJUISGOMMET'X.
Pas possible?
HEXRIETTE.
Par suite d'arrangements intcrvenus entre mon mari et moi, jc suis libre, maintenant.
ROISGO.M.MEUX.
Libre!...
HEXRIETTE.
Et noil seulement je ne partirai pas dici lout de suite apres le dejeuner, mais jamais jc n'en partirai, d'ici, jamais, jamais!
52 LA PirriTI'] MARQUISE.
I'.olSCOMMKUX.
Vous badinez!...
IIKMUETTE.
Pas Ic moins du nionde... c'esttivs serieux. (Le vicomtc sc levo.) Jc serai bicu obligee de faire iiii pelit voyage a Paris, pour la regularisation de ces arrangements dont je vous ai parle... Mais je reviendrai tout de suite... (Eiie so leve) et je ne m'en irai plus!...
nolSOOMMKUX.
Ah! ah!...
III'NRIETTE.
Ou'est-ce que vous en dites?
r.OlSGUMMEUX.
C'est un nouveau point de vue, voilii ce que j"en dis, c'est un nouveau point de vue.
IIENRIETTE, oiivi-;int sa niallo do voyage ot en tirant divers objels.
Vous voyez. (Eiie passe.) J'ai apporte toutes nies petites affaires... ma guipure, pour travailler au coin du feu...
r.OISC.OMMEUX.
La Revue des Deux Mondcs...
IIEXr, lETTE.
Vous me la lirez...
r. ( ) 1 s o ( ) M M 1-: u X . Toulela vie!...
IIENRIETTE.
Oui, toute la vie, Max, toute la vie!... Ah ! jepeux bien le dire, maintenant... jamais, s'il avait fallu etre a la foisa monmarieta vous, jamais je n'aurais consenti...
(cachant sa tete sur la poitrine du vicomte.) Je n"aurais paS
pu!... (Relevant la teto.) Mais maintenant (pril n'y a plus (pie vous... maintenant que c'est vous, en quelque sorte, qui ctes mon mari...
ACTE DEUXIE.ME. 53
UOISGdMMEUX.
Ah!...
HENRIETTE.
A vous, maintenant, a vous! a vousll.
ROISGOMMErX, cssayant d'etre convaincu.
Oui, a moi!! a moi!!
HENRIETTE.
Ou'avez-vous, Max?... on dirait... Est-ce que, par hasard, vous ne seriez pas ravi?...
R 0 1 S G U M M E U X .
Pas ravi!... quand vous faites pour moi... beaucoup plus que je n'aurais demande... pas ravi!... Si fait, Henriette, je suis ravi. transporte... Seulenient...
HENRIETTE.
Seulenient?...
B 0 I S G O -M M E i; X .
C'est un nouveau point de vue, voila tout, c'est un nouveau point de vue... (ii se promene). II y a du bon, certainement, il y a du bon...
HENRIETTE.
La, me voila installee, vous voyez.
1! 1 1 : S G ( ) M M E U X .
Oui, je vols!
Entrent Georgette ct '.Martine apportant ce qu'il faut pour mettrc lo couvert.
oi LA PETITE MARQUISE.
SCENE IX
Li:s Memi:s. MARTIXE, GEORGETTE.
Ilcnrictlc a pris sa guipure ct travaille. — Boisgonimeux sc promenc de long en large, va regarder an fond par la fenetre. — Georgette ct Martine, tout en mcttant le couvcrt, devorent des yeux la marquise. — Boisgomnieux, en se pronienant, tire macliinalement de sa pochc sa pi])c ct se met a la bourrcr, Ilcnrictte s'en apereolt.
HKNRlETTi:.
Max!...
Boisgonimeux s"arrcte; du regard Ilcnrictte lui indii|uc sa pipe.
r. 0 1 s c ( ) M M i: u x .
Ah! Oui... (En rcniettant s:i pipe dans sa poche.) C'est un
nouveau i)oinl: de vue...
II rcprend sa promenade. MARTl.NE, ;i GcorgcttCj tout en mcttant !c couvcrt.
T'as vu?
GEORGETTE. J'ai VU.
M A R T 1 X E .
11 u'a pas Fair content, tout de meme!
ge()R(;ette. Jour de ma vie! si j'etais homnie... el si une femmc voulait nfempcchcr de I'unier ma pipe!...
M;irtinc rcmontc.
llliNRlETTE, toujour.s assise. Max!... venez un peu ici... (Il vient dcrrierc Ic canape.) plus
pres... Ou'est-ce que c'est que ces deux personnes?... oui, CCS deux personnes qui sent la, en train de mettre Ic couvei't...
ACTE DEUXIEME. 55
BoiSGOMMErX.
Mais... il y en a une qui... il y en a line qui est de la maison...
HENUIETTK.
Et lautre vient pour raider?
r.UlSGOMMEUX.
Kile vient de la ferme, Tautre...
IIENRIETTK.
Eh bien, la, vrai... elles ont toutes les deux une sin- guliere fagon de me regai'der.
I? ( ) I s c. ( • M M E r X . Ah!... bien!...
HEMUETTE.
Comment?...
p. ( 1 1 S G 0 M M E r X .
Bien, bien, cela sulTit... Vous aurez soin de sortir le moins possible de la lingerie, Marline. Et vous. Geor- gette, il faudra retournera la ferme... mon enfant.
MARTINE.
Ell bien, a la bonne lieurelll
GEORGETTE.
A la bonne lieure!... mais cela n"est pas juste, enten- dez-vous, madame... Puisque vous I'avez a Paris, vous devriez au moins nous le laisser a la campagne!
HOIS G 1 1 M M E r X , luiicnx.
Voulez-vous bien filer!...
II chassc violcmmcnt los deux femmcs. GEORGETTE.
Oh!
Ello sort, procc'dee do Martiac. — Sur la plirasc de Georgette, la mar([uise sest levee brusfiueinent : Boisgommeux et ello se trouvcnt debout, I'lm en face dc I'autre.
50 LA PKTITE MARQUISE.
SCENE X
HE.XRIETTE, BOISGOMMEUX.
liUISGO.MMEUX.
Elle paitira, die partira... ,
HE NRlKTTi;.
J'y compte bien !
BOISGOMMEUX.
Co n'est pas au moment ou vous me faites tant de sacrifices que j'liesiterais... Car vous m"en faites, de ces sacrifices!... m'en faitcs-vous, men Dieu, m'en iaites-vous!... voire situation dans le monde... voire reputation...
ilENUlETTE.
Tout, tout...
BOISGOMMEUX.
C'est beaucoup, peut-etre?
IIENRIETTE.
Xon, mon ami, non...
BOISGOMMEUX.
\'ous ditcs Qa parce que vous n'avez pas fait le compte... mais, si vous aviez I'ait le compte...
}(ENRIETTE.
Jc Tai fait...
BOISGOMMEUX.
Et ^a ne vous a pas empechee?...
IIENRIETTE.
J'aurais voulu qu'il y en cut davantage...
BOISGOMMEUX.
All!... i.Muuvoinent.) Commc ^a, nous allons vivre tons
ACTE DEUXIEME. 57
les deux?... (Ilcmicttc fait slgno que oui.) Ou'est-CC qUC llOUS
ferons?
IIKNRIKTTE.
Nous voyagerons! nous irons en Suisse...
1! (1 1 S ( ; () .\! M K r x .
Oh! la Suisse en hiver...
IIKNRIKTTE.
Nous irons en Italic... a Yenise...
I'. (»ISC. IIMMKU X, :l part.
J'attendais Yenisei...
IIKNRIKTTE.
Et puis nous reviendrons ici...
ROISGOMMEUX.
Toujours tous les deux, tout seuls?...
IIKNUIKTTK.
Dans les premiers temps, il I'audra bien... Yous ne voudriez pas m'exposer... Mais, vous savez, le temps arrange bien des choses... plus tard, dans deux ou trois ans, nouspourrons commencer avoir du nionde...
r. ()is(;(iM M Ki'x. Ah!...
IIEXRIETTE, avcc un pcu irinquiclude.
Ah?...
liOlSGOMMETX.
Je suis ravi...
IIEXRIETTE.
Bien sur?...
lioisCOM MEUX, sans conviction.
Ma parole!...
IIEXRIETTE.
Je voudrais vous croire, mais, malgre moi, en vous regardant...
58 LA I'KTITE MARQUISE.
r.Ol SCO MMEUX.
Mais si, je tous assure, je suis ravi... Cc qui me donnc Fair, commc ra, un peu... c'est que, dans cc que vous m'avez dit tout a I'heure, 11 y a quelque chose que je ne comprends pas...
IIKNUIKTTE.
Quoi done?...
P.OISGOMMEl'X.
Ces arrangements intervenus entre votre mari et vous...
IIENRIKTTI- .
lis sont les plus simples du monde... Mon mari m'a redeniande sa liberie et m'a rendu la miennc.
BOISC. ilMMi:i'.\.
II vous a rendu?...
lIKNTvIHTTK.
Ma liberie, ma liberie lout enliere !
I! (I I S G { » M M i: r X , 6i-latant.
INIais il n"a pas le droit!... Certainement non. il n"a pas le droit I... Ah bien! ce serait joli, si, le jour on il a enviede se debarrasser do safemme, un mari n'avait qu'a lui dire : « Vous etes libre!... » et si la femme, apres cela, n'avait qu'a s"en alter toniber chez un pauvre jeune hommc I...
HENHIKTTK.
Oh ! ! !
p. II I SCO MM KfX.
Mais le lei;islateur n"a pas voulu de Qa, il n'a pas voulu de (^a, le sage legislateur...
HI- NIlIKTTi:.
Vraiment?..
i!i)isc.(»MMi:rx. Votre mari vous a tromjjee, ma ch("iv,ou bien il s'est
ACTE DEUXIEME. S9
trompe lui-meme; vous n'ctcs pas librc, pas libre du tout... Votre position estfansse, vous nc vous eu doutez pas, mais elle est on nc pent plus fausse, votre posi- tion!... et si j"avais un conscil a vous donner...
HKNRIKTTE, so cuntcnant.
Ce serai t de m'en retourner?
BOISGOMMEUX, liesitant ilevant sa pcnsoc.
Oh!...
IIEXRIKTTI: .
N'cst-ce pas?...
BOISGOMMEI'X, p.jli.
Certainement, sije ne consultais que mon amour...
HENRIETTE, c-clatant.
Son amour! il ose parler dc son amour!...
I? 0 I s G 0 M M E r X . Madame...
IIEXRIETTE.
Un homme qui se trainait a mes pieds pour obtenir une lieure dema vie!... je lui apportc ma vie tout entiere, et il n'en veut pas !...
r.OISC.O.MMET'X.
Parce qu'il y a de ces responsabilites devant les- quelles un gentleman...
HEXUIETTE.
Des phrases, tout cela, des phrases!...
liOISGOMMEUX, sec.
Comme vous voudrez!...
HEXKIETTE.
Jamais, je le vois bien maintenant. jamais vous no m'avez aimee.
I! (I I S G () M M E r X .
Jcvous ai aimee en homme du monde...
60 LA PETITE MAUQL'ISE.
n i: N u 1 1; T T r. . Et il invoquait reternitc!... II prenait a tomoin le grondement da tonnerre et la palpitation des ctoilcs...
I! ( H S G () M M K U X .
Justement!... J'cn appelle a toutes celles qui ont I'habitude des homines du monde... le tonnerre, les etoiles, Icternite... est-ce que cela ne veut pas dire?...
IIENRIETTE.
Rue Saint-Hyacinthe-Saint-Honore... n'est-ce pas, c'est gaque ca veut dire?... Rue Saint-Hyacinthc-Saint- Honore... au troisieme, sur la cour...
P.OlSGdMMEUX. 11 HNISIKTTE.
i$uis(;(iMMi;rx.
Madame! ! Miserable ! Eh la!...
IIENRIETTE.
Oui, miserable! miserable! grand miserable!...
BOISGOMMEUX.
Eh bien, c'est bon !
II passe. IIENRIETTE.
vSoyez done franc, au moins, et dites que, si vous me conseillez de partir, c'est parce que deja vous avez assezdemoi, parce que je vousassommerais enrestant
plus longtenips.
li o I j; G ( t M M E r X .
Oh!
IIENRIETTE.
Dites-le, voyons...
ROISGOMMEIX.
yon, je ne le dirai pas... Je suis trop bien eleve...
ACTE DEUXIEME. 61
HENRIETTE, fiappuo an ccpur.
Oh!
Elle commence a reniettre dans sa malic dc voyage tons les objets qu'cllo en avail retires.
BOISGOMMEUX, tres cnui, cheieliant a lattrapcr sa phrase.
Voyons, Henriette... j'ai etc trop loin... cc n'est pas tout k faitga que je voulais dire... Henriette, voyons...
Henriette, implacable, terminc son demenagcment ct ferme sa malle. Puis cllo consulto fidvrcusement son indicateur et jcttc un coup d"oeil sur la pendule.
HENRIETTE.
J'aurni le temps... (Au vicomte, d'uno voix giaciaie.) Une voiture, monsieur, pouvez-vous me fairc avoir une voiture?...
noiSGOMMEUX, de plus en plu'; emu.
Henriette, voyons... Je retire ma phrase... ct je vous en demande pardon... Henriette!
Entre Mouclie, apportant Ic premier plat dn dejenner. HENRIETTE, :i Mouche.
Pouvez-vous me dire ou je trouverai une voiture, mon ami?...
M () U C II E .
II y a celle qui vous a amenee...
HENRIETTE.
Elle est encore la!...
M or CHE.
Oui, le pere Turquet monte sur son siege et va retourner a la gare.
HENRIETTE.
A la gare!... (a Mouche.) Vite, mon ami, prenez cette malic et portez-la dans la voiture du pere Turquet.
More HE.
Bien, madame. II. 4
62 LA PETITE MARQUISE.
I'. (J I S C (J M M E U X .
Voyons, Hcnrirtte...
Mouclie prend la malic et sort. — Ilenriettc rcmet son manteaii, son chapcau, etc.
I! O I S G 0 M M E U X .
Piiisquejevousdemando pardon, voyons... Ilenrietle, je vous en supplie...
Ilcnriette fait un pas pour sortir : Boisgommeux veut la retenir ; ellc so degaije avoc un mouvcraent d'horreur.
IIENRIETTE.
All!... no me touchez pas I...
BOISGOMMEUX.
Eh bien. an diable !...
Arrivee a la porte, Ilcnriette so retournc et revient brusiucnient sur le devant dc la scene.
HENT.IETTE.
Et VOUS, femmes, qui seriez tentees de m'imiter, femmes qui avez, ainsi que moi, reve I'amour venant, sur un nuage de pourpre et d'or, vous consoler des deboiresdu mariage!... que n"etes-vous la, messreurs! Je ne vous donnerais pas de conseils, je ne vous ferais pas de tirades, je vous dirais tout simplement : < Ecou-
tez... (Montrant Boisgommeux.) regardez... et SOUVenez-VOUS,
mes scRurs, souvenez-vous!... »
EUe remontc : Boisgommeux se jette encore uno fois au-devant d'clle, mais elle I'evite, en faisant un crochet, et sort en lui jetant un dernier rcs-ard de colore.
ACTE DEUXIEME. 63
SCENE XI
BOISGOMMEUX, puisMARTINE et GEORGETTE.
I? ( ) I s G () M M i: r X . Eh bien, au diable!... (ii buuno sa piiic] Certaincment, j"ai ete flatte de ce qu'elle a fait pour moi, tres llatte, tres flatte...
Eufrcnt Martinc et Georgette, Tunc par la droite, Fautre par la gauclie; cllcs s"avancent sur la pointc du pied et arrivcat saus faire de bruit ju!>qu"a Boisgommcux.
martini:. Et le dejeuner!...
15 O I S G O M M E U X .
Le dejeuner?...
GEi>RGETTE.
II est la, le dejeuner.
lUHSGOMMEUX.
II est la... Ell bien, s'il est la, il faut le manger : c'est bien simple.
G E ( ) R G E T T E , empressee.
Nous allons vous servir toules les deux.
Boisgomnieiix so met a taljle. M A R T 1 N E .
A moins que vous ne vouliez toujours que je reste a la lingerie...
GEORGETTE.
Et que, moi, je retourne a la lerme...
ROISGOMMEUX,
Jeveux que vous ne bougiez d'ici ni I'une ni Fautre... Vous entendez, voila ce que je veux... Sont-elles gen-
6i LA I'ETITE MARQUISE.
tllles!... (II commence :i dejeuner. — Marline, ;V sa Jruite, tient une assictte; Georgette, a sa gauche, lui verse a boire.) A IS IJOIine
hcure! c'est qo. qui est de I'ainour!... (ii embrasse Martina,
il embrasse Georgette.) C'est Qa qui est de... (Se levant brus-
quement.) Eh bien, non... j'ai beau dire et beau faire... ga n'est pas ga du tout, I'amour... II galope dans la carriole du pere Turquet, I'amour!... Mais, en montant h cheval tout de suite, j'aurai peut-etre le temps de le rattraper... vite! vite!...
11 va prendre son cliapeau. GEORGETTE.
Vous partez, m'sieu?
BOISGOMMEU.X, d6ja arrive a la porte.
Oui, je pars...
M.VUTIXE.
Et le dejeuner?
liDlSGU.MMEUX.
Mangez-le toutes les deux!
II sort. GEORGETTE et M.VRTINE, stupclaites. les bras au cicl.
Ah!...
BOISGOMMEUX, dans la coulisse, pendant que le rideau tonibe.
Vite, un cheval! unc voiture! Vite! vite!
ACTE TROISIEME
Chez la Marquise.
Decor du premier acte. — I>es lampes et les candelabres ne sont pas allumes.
SCENE PREMIERE
KERGAZON, JULIETTE.
Kergazon, assis a sa table, travaillo. — Juliette, assise au milieu de la scene, no fait rien du tout. — Moment de silence, apres le rideau leve.
KERGAZON.
Vous avez passe une bonne nuit, mon enfant?
JULIETTE.
Oui, monsieur.
KERGAZON,
Vous etes contente, alors?
JULIETTE.
Oh! oui, monsieur, je suis bien contente. (Kergazon Sonne.) Vous sonnez, monsieur?
KERGAZON.
Oui, mon enfant, je sonne.
JULIETTE.
Est-ce qu"il faudra faire semblant de vous aimer, quand on entrera?
4.
66 LA PETITE .MARQUISE.
K E R G A Z 0 N .
Cest inutile... les domesliqiies sont maintenant suf- fisamment edifies. (Entic Joscpii.) Rien encore"?
JOSEPH.
Non, monsieur.
KERGAZUN, regardant sa montre.
Quatre heures vingt-cinq... elle devrait etre arrivec. Enfin!... (A Joseph.) Vous faitcs bien attention, n'est-ce pas?
JOSEI'lI.
Oui, monsieur.
KERGAZON.
Des que vous apercevrez madame, vous viendrez vite me prevenir.
JOSEPH.
N'ayez pas peur, monsieur!
II sort.
KERGAZON.
Mon enfant?
JULIETTE.
Monsieur?
KERGAZON.
Voulez-vous mc faire un plaisir?.
jri.IETTE.
Oui, monsieur, jc veux bien.
Ellc se leve.
KERGAZON.
Prenez ce livrc qui est la, sur cctte console.
11 montre la console au fond a gauclie. JULIETTE.
Ce gros livrc-la?
KERGAZON.
Oui, mon enfant.
ACTE TROISIEME. 67
JUI-IKTTE. prcnant Ic livrc. qui est lourJ.
Aie !
EUe rcvient s'asscoir.
K K R G A Z ( I N .
Cherchez page 411.
JULIETTE.
414?...
KERGAZON.
Oui, moil enfant... y etes-vous?
JULIETTE.
Oui, monsieur.
K E R ( i A Z ( ) N .
Ayez la bonte de lire...
JULIETTE, lisant.
« Taillefer... »
KERGAZUX.
« Taillefer », c"est bien cela... continuez.
JULIETTE, lisant.
« Taillefer qui moul... moul... »
KERGAZO.N, avcc bonte.
Moult, mon enfant, inoultl... c'est du vieux francais... Ne vous troublez pas... lisez comme c"est ecrit.
JULIETTE, lisant. Taillefer qui moult bien cantout Sur un cheval qui tost...
K E R G A Z 0 N , linten-ompant.
I Sur un cheval », n'est-ce pas?... il y a bien : « sur un cheval »?...
JULIETTE.
Oui, monsieur, « sur un cheval... »
(Rcprenant.)
Sur un cheval qui tost alout, Dcvant li dus alout cantant De Kariemaine el de Rollanl.
68 LA P1::TITE MARQUISE.
K E R 0 A Z 0 N .
Merci, mon enfant.
(Se mettant a declamer, avec clialeur.) Taillefer qui tres-bien chantait, Sur un cheval qui vite allait, Uevanl le due allait chanlanl De Charlemagne et de Roland.
Taillefer chantait, et il chantait sur un cheval. C'est la justement le point que je tenais a eclaircir... Merci, mon enfant... vous pouvez remettre le volume. (Juliette
va remettre le vulumc sur la console , Kergazon ecrit.) « De
meme qu'il y a aujourd'hui des gendarmes a cheval et des gendarmes a pied, il y avait autrefois, — nous en donnons la preuve aux pieces justificalives, — il y avait autrefois des troubadours a [nrd et des troubadours a cheval. »
JOSEPH, entrant.
Monsieur!... monsieur!...
C"est madame"? Oui, monsieur.
KEIlCAZdN. JOSEPH.
11 sort.
KERG AZOX, se levant et posant une chaise au milieu de la scene.
Vite, mon enfant... vite, sur mes genoux... et faites semblanl do m'aimer, vite! vite!
11 la fait asseoir sur scs genoux. JFLIETTE.
Oui, monsieur.
K E U G A Z O N .
Ohe ! ohe!... Criez « ohe! » vous aussi.
JULIETTE, sur les genoux de Kergazon.
Oui, monsieur... ohe! ohe!...
TOL'S LES DEUX, ensemble, avec des gestes gaudies
Ohe! ohe! ohe!
Entre Ilenriette.
ACTE TROISIEME. 69
SCENE II
Les Memes, HEXRIETTE, sume dURBAIX
qui portc la petite malle. K E R G A Z ( » \ .
Eh bien, et le commissaire!... vous n'avez pas ameiie le commissaire"?
JULIETTE, se levant brusquement.
Le commissaire!...
HENRIETTE, a Uibain. Mettez la Cette malle... (a Urbain qui depose la petite malle sur la table a droite.) et laissez llOUS... laisSeZ-tlOLlS...
(a Keigazon.) Eloignez cette jeune personne, moii ami.
KERGAZON.
Mais, madame, je croyais... II avail ete coiivenu... Ohe ! ohe !
HENRIETTE.
Eloignez-la, je vous en prie...
KERGAZU.N, bas.
Ah!... c"est bien!... (a Juliette.) Remonte chez toi, alors, remonte chez toi, ma cherie...
JULIETTE, etonnee.
Eh!
KERGAZON, bas.
Repondez-moi quelque chose, et tutoyez-moi en me repondant.
JULIETTE, bas. II fa lit?
KERGAZON, bas.
Oui, tutoyez-moi. (Haut.) Remonte chez toi, dans ton
70 LA PETITE MARQUISE.
petit appartement... (ii la fait passer.) et attends-moi... j'irai fy retrouver tout a I'heiire.
JULIETTE, dune voix douce.
Vicns quand tu voudi^as... je ne suis pas press6e.
Elle sort par le fond,
SCENE III
HEXRIETTE, KERGAZON.
K E R G A Z (J .\ .
Et maintenant, madame...
HEXRIETTE.
Ah! man ami, mon ami!...
Elle se laisse tomber dans les bras de son niari ct delate en sanglots convulsifs. — Stupt^faction dc Kcrgazon.
XERGAZ(».N.
II avail ete convenu que vous ameneriez le commis- saire... Enfin, nous pouvons, a la rigueur, nous passer de lui... Vous avez, vous, constate la presence de ma maitresse.
HEXRIETTE.
La jeune personne?...
KERGAZUX.
Oui... ^'ous Tavez meme surprise sur mes genoux, c'est-a-dire dans une situation qui seinblait ne laisser aucun doute.
HEXRIETTE.
Oh!
KERGAZOX.
Vous n'avez plus qu'a vous en aller racontcr la chose au premier avoue que vous rencontrerez.
ACTE TUOISIEME. 71
}II:NRIKTT1:, avoc force.
Jamais!... quant a cela... jamais!
KERGAZON.
Ou'est-ce que voiis dites?
IIEXRIETTE, emue.
Ce que jedis?...
K E R ( ; A Z (1 N .
Oui!
IIENRIETTE.
Je dis qu'il n"y a pas au monde d'homme meilleur que vous... Je dis que je ne veux plus entendre parler de separation et que je reviens ici pour n'en plus sortir.
KERGAZUX.
Par exemple! I !...
HEXRIETTE, ouvrant sa malic.
Vous voyez, j'ai rapporte toutes mes petites affaires.
KERGAZoX, so precipitant et rcmottant les olijcts dans la nialle a mesure qu'IIenriettc Ics pose siir la table.
Mais pas dn tout, pas du tout!... Ce n'est pas du tout ga qui a ete convenu... II a ete convenu que j'introdui- rais, moi, une maitresse dans le domicile conjugal, et que vous partiriez de la, vous, pour obtenir une sepa- ration... J'ai fait ma part... J"ai introduit une mai- tresse, j'ai soupe avec elle, je I'ai tutoyee, je I'ai prise sur mes genoux...
IIEXRIETTE.
Eh bien ! je vous pardonne, voila tout.
K E R G A Z ( » X .
Plait-il?
HEXRIETTE.
On a toujours le droit de pardonner... Je vous par- donne. mon ami.
72 LA PETITE MARQUISE.
KERGAZON.
Ah!
HENRIKTTE, avec transport.
Mais vous ne comprenoz done rien? Vous ne voyez done pas qu'une revolution s'est faite en moi, et que je ne suis plus la menie femme?
KERGAZON.
Absolument la meme, au contraire : ne pensant jamais qua m'etre desagreable.
HENRIETTE, froissee.
Ah!
KERGAZON, avec mauvaise liumeur.
Ah ben!...
HENRIETTE.
C'esl mal, ce que vous venez dc dire la, c'est mal.
K E R G A Z O N .
Mettez-vous a ma place!...
HENRIETTE.
Vous y tenez done bien, a cette separation?
KERGAZON.
J'avais deja arrange ma vie dans ma tcte... Elle ctait charmante, ma vie, telle que je I'avais arrangec...
HENRIETTE.
Eh bien, soil! nous nous separerons. (i;iic sc leve.) Mais ne me demandez pas de vous accuser... je ne pour- rais pas... Un homme comme vous!... Ah!... non... je ne vous accuserai pas... La separation ne sera pas prononcee contre vous, ma is, si vous voulez, je vous donnerai un moyen de la faire prononcer contre moi. En vous quittant hier, je vous ai laisse croire que j'nllais chez ma tante. Ce n'est pas chez elle que je suis allce... J'ai passe ma nuit en chemin de fer, et, ce matin, sur les neuf heures, je suis arrivee chez...
ACTE TROISIEME. 73
KERGAZUN.
Chez?... Chez un ami. Un ami a vous ? A tous les deux. Son nom?
HENRIETTE.
K E R G A Z 0 \ ,
IlKXRIETTE.
KERGAZON,
HENRIETTE.
Je ne peux pas le dire.
K E R G A Z 0 X .
Mais vous me direz, au moins, ce que vous etes allee faire...
HENRIETTE.
Je suis allee chez lui pour lui demander conseil.
KERGAZON.
Et qu'est-ce qu'il vous a conseille, cet ami?
HENRIETTE.
De reprendre au plus vite le chemin de fer... de revenir ici... de m'agenouillcr devant vous et de vous demander pardon.
KERGAZON.
^'^aiment, il vous a dit?...
HENRIETTE.
En d'autres termes peut-etre... Mais c'etait Ik le sens... il n'y avait pas a s'y tromper.
KERGAZON.
Eh bien, c'est un honnete homme.
HENRIETTE.
Un honnete homme!
II. 5
74 LA PETITE MARQUISE.
K K R ( ; A Z ( ) N .
Sans doute!
HKNRIETTE.
Soit!... Mais la demarche que j'ai faite, en allant chez cot honnete homme, n'en est pas moins fort inconsi- d^ree. II vous serait done facile, si vous vouliez, de vous en servir contre nioi.
KERG AZdX.
A Dieu ne plaise que je vous fasse un crime du pre- mier bon mouvement que jaie remarque en vous!
IIENUIETTE.
vVh! si vous vouliez!...
KER(; \Z(tX.
Si je voulais"?...
IIENRIETTE.
J"en aurais bien d'autres, des bons mouvements, j'en aurais bien d'autres...
KERGAZOX.
Hum!...
HEXRIETTE, lui montrant une place li cote d'clle sur la chaise longuc.
Venez la, pres de moi... iKeigazon parait iiesiter.) S'enez, je vous en prie.
KERGAZOX, a part.
Moi qui avais si bien arrange...
HEXRIETTE, robligcant a sasscoir a cote d'clle
Pourquoi la desiriez-vous, celte separation?
KERGAZOX.
Mais parce que...
HEXRIETTE.
Parce que j'etais insupportable, vous me Tavez dit... Si je promettais de ne plus roirc ?...
ACTE TROISIEME. 73
Ki;iU; AZdN, incic'diile.
Oh!
lIKNUlKTTi: .
Si je promettais d'etre douce, reservee, alTeclueuse sans iinportuiiite... Si jc promettais de prendre ma part de vos travaux... (Avoc ctfuit.) dc m"intcresser aux troubadours?
K K II ( ; A Z O N .
J"ai fait tout a Tlieure une decouverte importaute... j"ai decouvert qu'il y en avait a cheval.
IIK.NRIKTTK.
A cheval!... C"est prodigicux!... A'ous voycz, je m'in- tci'esse deja.
KKRCAZO.N.
Pourquoi ne m'avez-vous pas toujours paric ainsi?
IIKNUII-TTK.
Pourquoi v.. .
KERGAZUX.
Oui.
1I1:NRIETTE, jucc tcndresso.
Farce que je ne vous connaissais pas, alors.
K E R ( ; A Z (I N , Onm.
Henriette!
IIE.NRIETTE.
Parce que je ne savais pas... parce que je n'avais
pas compare... ah! IKlle oiiilinissc son m.iii deux on trois fois.)
A'ous ne pouvez pas vous ligurer commc vous gagnez
a h\ COmparaison... (Kerga/.on ohorcho ;l !,c dcgiigcr.) Ou
allez-vous?
KERGAZON.
La-haut... Je vais cougedier la jeune personne...
HENRIETTE, calmc.
Elle a dit qu'elle n'etait pas pressee.
76 LA PETITE MARQUISE.
KI-nOAZON.
Ca ne fait rien... je vais la congcdier. (ii so leve). Mais je garderai son adresse.
Hp:NRir;TTE. Pourquoi faire?
Ki: RGAZON.
Pour lui ecrire de revenir... si jamais vous manquiez aux engagements que vous venez de prendre.
IltNRlETTE.
Je n"y mnnquerai pas, mon ami... je tiendrai ma parole...
Elle echanp:c des signcs do tote avec Kcrgazon. KERGAZON.
Bien vrai?... bien vrai"?...
Tl sort.
SCENE IV
HENRIETTE, scuic.
Oui, je la tiendrai... homme estimable!... et je te res- pecteraije t'admirerai, jet'aimerai... Je ferai,dumoins,
tout mon possible... (Apres avoir retire truis ou quatre objcts de la petite malic, olio trouve lo paquet do lottres qu'ello a cmportc au
premier actc.) Ou'est-ce que c'est que Qa? Des lettres!... Les lettres de I'autre que j'avais emportees... Le tor- rent!... les etoiles!... Teternite!... Ah! ah!... Au feu
les etoiles!... au feu!... au feu!... lEllojette Ics lettres dans la cheminee.) La! la!...
La portc du fond s'ouvrc ; entre Boisgommcux.
J'y suis!
Oh!
Ilenriette!.
Sorlez!
Henriette!
ACTE TROISIEME. 77
SCENE V
HENRIETTE, BOISGOMMEUX.
15 0 I S G 0 M M E U X .
HENRIETTE, se rctournant.
B 0 I S G 0 M M E U X .
HENRIETTE.
B C) I S 0 0 M M E U X .
H E N R I E T T E .
Sortez, Yous dis-je!...
BOISGOMMEUX.
Non... jc ne sortirai pas. (lis iicscGndcnt.) Sonnez, si vous voulez : je ne sortirai pas... On me trouvera la, a vos picds.
HENRIETTE.
Que vcnez-vous faire ici?
BOISGOMMEUX, \
^'ous dire que je vous aime!
HENRIETTE.
Hein?... repetez un peu...
BOISGOMMEUX.
Vous dire que je vous aime!
IIENIUETTE, stupolaite.
Ah bien!...
Elle passe devant Boisgommeux et se met a marcher avec agitation. Boisgommeux la suit.
78 LA PETITE MARQUISE.
iu>is(;i)M M K.rx. Henriette!
IlKMtlKTTK.
Ah l)ieii!... jen ai eiilendu, tlans nia vie. des choses violentcs! mais celle-la, par excmplel... Apres m"avoir chassee de chez vous!...
I'^llo so renict a marcher. BOI.SGOMMEUX, tout en suivant Ilcniiette.
Eh bien! oui, apres vous avoh" chassee de chez moi, j"ai couru apres vous pour vous dire que je vous aime... que je vous aime plus que jamais... Ca vous ])arait extraordinaire?
IIKNRIETTK, tomUant sur la chaise longiic.
Ah I oui. ca me parait...
i?()is(;(»MMi:rx. C'est pourtant bien naturel... J'en appelle a tous ceux et a toutes celles qui ont un peu Ihabitude de Tamour!
HKNRIKTTE.
Ainsi, vous avez couru apres moi?
noisGDMM i:rx. Oui... Malheureusement, quand je suis arrive a hi gare, le train que vous aviez pris venait de partir... j'ai pris le train suivant, et me voici.
llKMUI-TTi:.
Et vous voila!...
r. nisc. oMM i;rx. Me voici... me voila... ci^mnie vous voudrez.
IIKNUIKTTK.
Ef vous mainiez toujours?
r.olSC.oMMKI-X.
Et je vous aime toujours.
ACTE TROISIEME. 79
HENRIETTE.
Et vous venez me demander de vous aimer?
B 0 1 S G 0 M M E U X .
Juste!...
HENRIETTE, suffoquant.
Ah bien! (euc se leve.) ah! bien!... ah bieii, nonl... il n"v a pas a se facher... il vaut mieux en rire.
Elle passe et va s'asscoir a gauche, pres de la table. BOISGOMMEUX.
Henriette!
HENRIETTE, luint.
Bien, bien... allez!...
BOISGOMMEUX, s'asseyant de Tautre cdte de la table.
Henriette!... mon Henriette!
HENRIETTE, riant.
Dites ce que vous voudrez, maintenant!...
BOISGOMMEUX.
Nous n"avons pas de temps a perdre.
HENRIETTE.
Bien... bien...
B. O I S ( V O M M E U X .
n est six heures dix... le train part a sept heures quinze.
HENRIETTE.
Le train 1... quel train?
Elle se leve. BOISGOMMEUX, se levant.
Le train de Poitiers... Nous y serous a une heure vingt-sept.
HENRIETTE.
En cliemin de fer, encore!... All bien, non ! par cxemple!... ah bien, non!
80 LA PETITE MARQUISE.
B 0 I S G 0 M M E U X .
Mais si!., niais si!...
IIENRIETTE.
Comment! en moins de vingt-quatre heures, je serai allee de Paris a Poitiers, revenue de Poitiers a Paris, et vous Youlez encore que je?...
BOISGOMMEUX.
Henriette!
HENRIETTE.
II faudrait prendre un abonnement, alors!
BOISGOMMEUX.
Vous rappelez-vous ceque vous me disiez,ce matin?... que je m'etais traine a vos pieds pour obtenir une heure de votre existence... que vous m'apportiez votre existence tout entiere...
HENRIETTE, linterronipant.
Et que vous n'en vouliez pas!
BOISGOMMEUX.
Maintenant, j'cn veux bien.
HENRIETTE.
Ah ! ah !
BOISGOMMEUX, avec cncrgie.
C'est une betise, mais je la ferai!.. Partons en- semble.... d'abord pour la Serpolette... le temps de vous reposer... et puis nous voyagerons... nous irons en Suisse.
HENRIETTE.
Oh! la Suisse, en hiverl...
n () I S G O M M E U X .
Nous irons a \enise...
HENRIETTE.
Ah! ah! Venise!...
ACTE TROISIEME. 81
BOISGOMMEUX.
Partons, partons, tout de suite... (ii remonte.) Ou sont toutes vos petites affaires?... ah ! les voila !
II commence a rcmcttrc dans la petite malic la guipure, la Revue des I>fux Mondes, etc.
IIENUIETTE.
Mais pas du tout!... mais pas du tout!
Ellc retire Ics objcts que Boisgommeux a reniis dans la petite malic; lui, au fur et a, mesure, s'obstine k les \ remctlre.
l!()lS(;()M.\lEr.\.
Mais si!... mais si!...
HENRIETTE.
Voulez-vous bien laisser tout Qa?...
Ellc fcrmc violcrament la petite malic. BOISGOMMEUX, le doigt pince.
Aie !
HENRIETTE.
Tout est fiui entre nous.
B 0 1 S ( ; O M M E U X .
Je vous aime, Henriclte! je vous aime, et vous m'ainiez!
HENRIETTE.
Miserable !...
BOISGOMMEUX.
Ca n'cmpeche pas.
HENRIETTE.
Tout est fini, jc vous le r(§pete... (lis descondcnt.) Je viens de bruler vos Icttres.
B(JISGOMMEUX.
Estil possible!
HENRIETTE.
La... dans cette cheminee.
5.
82 LA PETITH MARQUISE.
lioISdOMMI-rX.
Ileureusemenl, j'ai garde Ics brouillons.
llKNUIKTTi:.
Je viens de bruler vos lettros ct je me suis rc'conciliee avL'c moil mari.
lU)l.SG(>M.Mi:U\.
Deja!...
Ill- NKIKTTE.
II a etc pai'fait, mon mari... il lira pardonne.
U()is(i(»MMi:r.\. Eh bien! faites commc lui. pardonncz-moi...
HKNHIKTTE.
Vous pardonner?... il ne vous laut que cela?... vous ne demandez pas autre chose?...
BOISC.OM.MKIX.
Non, je ne suis pas assez maladroit pour vous demander autre chose aujourdhui... Mon pardon, mon pardon seulement...
iii:.niui:tti;. Jamais!
1! O I S 0 < ) M M !■: r X , avcc eclat.
Tout ce qu'une poiti'ine liumaine peut renfermer de remords !...
HKNRIKTTi;.
Ah!
BOISGO.MM KUX, prcnant los deux ni.-'.ins irilcnrictte et tombant a irenoux.
Ilenrieltc!... mon Henrielte!
IIKNUIKTTK.
Taisez-vous... Eh bien! que faites-vous?
15 0 1 S G 0 M .M E 1 ■ X .
Je ne me relevcrai pas avant que vous m'ayez par- donne.
ACTE TROISIEME. 83
HENRIETTK, cherchant use degager.
C'est indigne!...
BOISGUMMEUX, toujours a genoux ct tenant toujours les mains d'Henriettc.
Me pardonnez-vous?
HENRIETTE.
Max... vous etes fou!... J'entends... on vieiit... Vous allez me perdre...
B () 1 S G O M .M E U X .
Me pardonnez-vous?
HENRIETTE.
Oui, je vous pardonne... mais relevez-vous... (Parait
le chcvaliei'.) All !
LE CIIEV.VLIER, indigne.
Oh!
Boisyommeux se rclcve. HENRIETTE.
Qu'est-ce que je vous disais?... Me voila perdue!...
Ello tombo assise a droite.
SCENE VI
Les Memes, LE CHEVALIER.
I.E CHEVALIER.
Comment, madame!... vous profitez du moment oii ce cher marquis est malade... Moi qui venais prendre de ses nouvelles !
HENRIETTE.
Ah!...
LE CHEVALIER.
Et vous, son ami, vous, son nieilleur ami!...
84 LA PETITE MARQUISE.
BOISGOMMEUX, a Henriettc, suns s'occuper du chevalier.
C'est de peu dimportance... si vous consentez a me suivre... Y consentez-voiis?...
HENRIETTE.
Non !
n 0 I S G 0 M M E U \ .
Une fois, deux fois, trois ibis!...
HENRIETTE.
Non! non! non!... maintenant que je suisrentree dans le droit cheniin. jc n'en veux plus sortir.
BOI.SGoMMErX.
C'est bien, alors... rs'ayez pas peur, je vous sau- verai !
LE CHEVALIER.
Allons!
II remonte. n<U!>GOMMEUX, ramenant le chevalier et criant.
Eh bien! chevalier, eh bien!... Ou courez-vous comme qal...
LE CHEVALIER, n'entendant pas.
He?...
HENRIETTE et DOISGOMMEUX, criant.
Oii allez-vous ?
LE CHEVALIER.
Faire mon devoir... avertir mon pauvre neveu que, pendant qu'il est la, etendu sur son lit de douleur...
BOISGOMMEUX, criant toujours.
Vous vous tronipez!
HENRIETTE, criant aussi.
Vous VOUS trompez!... (A Boisgommeux.) Je ne peux pas, moi, je ne peux pas.
BOISCOMMEUX, criant fie plus en plus fort.
Vous vous trompez !
ACTE TROISIEME. 8,5
LE CHEVALIER.
Comment, je me trompe?...
I! ( » I S 0(1 M M E U X , lunlant.
En me voyant aux genoux de madame...
IIENRIETTE, se rcmettant a crier.
En le voyant a mes genoux... (A Boisgommeux.) Ah ! j y renonce.
nOISGOMMEUX, toujours hurlant.
En me voyant aux genoux de madame, vous avez cru que je lui parlais d'amour...
LE CHEVALIER, qui a enfin entendu.
Certainement, je Tai cru.
HENRIETTE, a Boisgonimeux.
Tres bien... allez toujours... il vous cntend...
B O I S G O M M E I' X .
Eh bien, pas du tout!... je ne lui parlais pas d'amour...
LE CHEVALIER.
De quoi done lui parliez-vous?
BOISGOMMEUX. Je VaisvOUS le dire...{Il fait .signc (juil a bcsoin dun pen de repos. — Puis se rcmettant a crier.) VouS Savez que le mar-
quis et la marquise n'ont pas toujours vecu en ires bonne intelligence?
LE CHEVALIER.
Chut! parlez has... ce sont la des choses intimes, des secrets de famille...
BOISGiiMMEI'X, criant de plus en plus fort.
Vous savez qu'a plusieurs reprises ils ont ete sur le point de se scparer?
LE CHEVALIER.
G'est Qa, ne parlez pas plus haut que ^a...
86 LA I'ETITK MARUUISE.
P.olSGtJMMEUX.
Vous le savcz?
1,1:: CHHVAI.lEll.
Oui. jc le sais...
liUISC.OMMEUX.
Eh bien, je venais d'apprendre qu'a la suite dune discussion violenle... iiiaussant la voix.) qu'a la suite d'une discussion violente, la marquise etait, celte fois-ci, absolument decidee a quitter son mari.
LE CHEVALIER.
Oh I... marquise!...
B()IS(i(»M.\n;i\\, criant tuujours.
Je la suppliais a genoux de n'en rien iaire.
SCENE VII
Les Memes, KERGAZON, puis JOSEPH et JULIETTE.
KERGAZON.
J'ai tout entendu... (ii vient a, Boisgommeux.) Get ami dont ma lemnie refusait de me faire connaitre le nom, cot ami a qui elle est allee demander conseil et de chez (jui elle est revenue meilleure, c'etait vous?
HOIS ( ; () M M E i: X , embarrasse.
Mais, cher marquis...
K E R O A Z O N .
G'etait vous, n'essayez pas de le nier !... C"est bien, de lui avoir dit cc que vous lui avez dit... c'est bien, surtout, d'etre revenu a Paris tout expres pour insister !
ACTE TROISIEME. 87
LK CUKVAL lER, A la maniui.so, montrant Korgazon.
II va mieux.
Entront Joseph et Juliette: — Juliette s'arrete a la porto du fond. K 1-; H ('. A Z () N .
Ou"y a-t-il?
J (I si: I'll. Mademoiselle deniande uii petit cliale qu'elle a laisse dans cette chambre.
J r 1. 1 KTTK, montrant lo clialo sur nnc chaise.
II est la, tenez...
LK CHEVALIER.
Mais... c'est Juliette, la iemnie dc chambre de Mar- guerite Lamberthierl...
JULIETTE, rceonnai.ssant Ic chevalier.
Monsieur le chevalier !... oh!...
IIEMUETTK.
Comment?...
Joseph so:t. LE CI1KV.\LIER, ;1 Korgazon ct Uoisgonimcux.
Marguerite Laniberthier... unc femme charmante. Elle ne pent pas se passer de moi...elle m'cnvoie clier- cher... Vous permettez, ma chi-re niece?... (a Juliette.) Je pars avec vous, mon enfant...
II reniontc. JULIETTE, criant.
]\Iais... mais, monsieur, madame n'est pas chez elle I
LE CHEVALIER.
Elle m'attend chez elle!
II a pris lo bras de Juliette ct s'cn va avec elle. JULIETTE, criant a tuc-teto.
Madame est sortie ! madame est sortie !
lis sortent.
88 LA I'ETITE MARQUISE.
SCENE YIII
HENRIETTE, KERGAZON, BOISGOMM EUX.
KKKCAZON, riant.
II paraltrait que notre cher oncle?...
liOlSCOMMErX.
II paraitrait...
K E R G A Z U N .
Je coniprends, maintenant. pourquoi vous mc disiez que ce serait drole si je m"adressais a cetle Margue- rite Lamberthier.
HOlSGOM.MErX.
Eu effet, cetait pour qa... Mais dites-moi done... puisque vous eu parlez tout liaut, je crois pouvoir vous demander... Que diable vouliez-vous done en faire, de Marguerite Lamberthier?...
KERGAZON, a HenricUe.
Vous ne lui avez pas dit .'...
II E N R I E T T E .
Xon, je ne lui ai pas dit.
KER(;aZUN, riant, :i Boisgoinmcux.
Je voulais lui faire passer ici Ics vingt-quatre heures que la marquise irait passer... chez sa tante.
ROISGOMMEfX.
Ici... chez vous I
KERGAZON.
Ici... chez moi...
r. o I s G O M M E u X . Mais ga ne se fait pas, cher marquis... ca ne se fait pas!... Le legislateur n'a certaincnicnt pas intcrditaux
ACTE TROISIEME. 89
gens maries de faire des bctises, il ne leur a pas inter- dit ga, le sage legislateur ; mais il a decide qu'en pareil cas le mari doit aller en ville!...
HENRIETTE.
Tandis que la femme doit rester chez elle?
BOISGOMMEUX.
Hein?
KERGAZON.
C'est un coup de patte... Elle vous en veut a cause de la morale que vous lui avez faite... ^a s'arrangera, nayez pas peur... qa s'arrangera.
JOSEPH, entrant.
Madame la marquise est servie.
Moment d'liesitation. KERGAZON, a, Boisgommcux.
Eh bien I... qu"est-ce que vous attendez?... Offrez votre bras a la marquise... vous dinez avec nous.
11 pousse douceineiit Henriette vers Boisgommeux. BOISGOMMEUX, s'excusant.
Mais, clier marquis... je ne sais pas...
KERGAZON, avec auturite.
^'ous dinez avec nous.
HENRIETTE, prenant Ic bras du viconite. ct regardant son mari avec une exasperation contenue.
Troubadour I ! !
lis se dirigent vers la salle a manger. — Henriette au bras do Boisgommeux; Kergazon marclic derriere eux.
LA VEUVE
CO.MEDIE EN TROIS ACTES
Ropr^sentec pour la preiuRTO fois, a Paris, sur Ic thkatre nu Gvmnase, le 5 noveinbre 1871.
PERSONNAGES
LEONEINS MM. F. Achard.
NORANCEY Landrol.
BAGIMEL Pradeac,
GAETAN Andhif.u.
GEORGES Lenormant.
JOSEPH Fraxces.
KERNOA Dalbert.
LA COMTESSE M""' Blanche Pierson.
MADAME PALMER Angelo.
MADAME DE CIIATEAl'-LANSAC Persoons.
ALBERTLNE PiKRSKi.
MADEMOISELLE DE CHARENTONNAY . . TIelmoxt.
MADAME ROBERT Prioleau.
VICTORINE Juliette.
AMELIE ScHULER.
A Paris, dc nos jours.
LA VEUVE
ACTE PREMIER
Un salon. — L"arrangement de co salon doit etro aussi sombre et aussi severe que possible. — Au milieu, entoure d'un divan circulaire, le busto en marbre du raari. — Chcminec a gauclie; pros de cetto I'hcminee, unc chaise longue et unc table ; sur ccttc table, uno collection de petitcs photographies encadrdes ; toujours des portraits du mari. — Piano a droite; divan adosse au piano. — Au fond, face au public, porte conduisant a la sallo a manger. — En pan coupe, au fond, deux portos. — Deux autres portes, a droite et a gauche, au second plan.
SCENE PREMIERE
JOSEPH, VICTORIXE, Autres domestiques , puis MADAME ROBERT.
Pendant les premieres repliques, alleos et venues des domestiques preparant tout dans le salon. — Tons sent en grand deuil. — Entre Joseph par le fond : il sort do la sallo a manger.
^' 1 C T ( ) R 1 X E .
C'est fini, le diner?
JOSEPH.
Oui.
V I C T 0 R I N E .
Et Q'a et6 gai?
f)i LA VEUVE.
JOSEPH.
Aussi gai que les autres jours... On vcnait de servir du macaroni: niadame la corntcsse, alors, s'est rappele que feu monsieur le comtc adorail le macaroni... elle a fondu en larmes... Scs deux amies, madame de Cha- teau-Lansac et madame Palmer, se sont jetees sur elle et ont essaye de la consoler...
\' I C T O R I N !■: .
Et mademoiselle de Charentonnay?
JUSEIMI.
Mademoiselle de Charentonnay, la cousine pauvre qu'on a fait venir de province pour jouer des Dc Pro- fundus sur le piano?... Elle a jjrofite du desordre pour redemander du pate de foie gras... Quant a mon- sieur de Kcrnoa, Tofficier de marine, et a ces deux petits jeunes gens qui sV'taient laisse inviter, ils buvaient coup sur coup de grands verres dc vin de Bordeaux, avec lair de gens qui voudraient bicn boire du vin de Bordeaux dans un endroit plus amusant.
^' 1 C T ( ) R I N E .
Et vous, monsieur Josepli?
JOSEPH.
Moi, mademoiselle Victorinc?je regardais, et, tout en regardant, je prenais une resolution.
V 1 C T O R I N E .
Oh! oh!
JOSEPH.
Je prenais la resolution de vous empoigner solide- ment, par les deux bras, la premiere fois que je vous attraperais, et de vous appliquer ensuite un des plus i'ameux baisers que j'aie appliques de ma vie.
II rcmbrasse. — Kiitro luadainc Robert. MADAME ROBERT.
Eh bien, Joseph?
ACTE PREMIER. 93
JOSEPH.
Eh bien, quoi?... Voyons, puisque j'ai promis a mademoiselle Victorine de I'epouser...
MAD AMI-: ROBERT.
Ce nest pas une raison. Et puis ce que je vous reproche, ce n"est pas tantd'avoir embrasse mademoi- selle... c'est d'avoir fait du bruit eii Tembrassant.
JOSEPH.
Ah!
M A D A M E R ( ) P. E R T .
On fait trop de bruit dans Thotcl... madame la com- tesse s'en plaint... Hier soir encore on a marche au- dessus de sa tete... elle a entendu comme une espece
de bataille... (.loseiih et victorine se jettent un coup d'«;il et reprennent aussitot lair seiieux.) Elle ne veut paS que pareille
chose se renouvelle... et elle m'a cliargee d'y veiller. Ce tapage trouble sa douleur... et vous devriez com- prendre que ce n'est pas au moment oii elle vient de ])erdre un mari qu'elle adorait...
VICTORINE.
Oh! quelle adorait!...
JOSEPH. II y a dix mois qu'il est mort monsieur le comte, ce n'est pas hier!...
MADAME ROBERT.
Madame le pleure comme si c'etait hier... Elle est triste, etelle entend que tout soit triste autour d'elle... De Tobscurite, du silence... Marchez doucement, ne faites pas claquer les portes, et quand vous annoncez les rares personnes que madame la comtessc consent a recevoir, ne braillez pas comme vous Tavez fait hier.
JOSEPH.
J'ai braille, moi?...
96 LA VEUVE.
MADAME RDliF.RT.
Parfaitenient. Mndamc en a eu une crise qui lui a dure une bonne demi-heure... Pas de bruit. Pas trop de lumiere, non plus... baissez les lampes... on sort de
table... Est-Ce fait? (Les domcstiques sortent apres avoir baisse les lampes, mis des abat-jour, etc.] Marchez doucenieilt, nc
faites pas de bruit.
Elle sort la derniere, aprcs une reverence discrete. — Les personnages de la scene suivaatc sont entrcs pendant la sortie des domestiques.
SCENE II
MADAME DE CH ATE AU-LAXSAC au bras de GAETAN, MADAME PALMER au bras de GEOR- GES; puis LA COMTESSE au bras de KERXOA; MADEMOISELLE DE CH AREXTONNAY ferme
la marche.
Entree silencieuse ct lente. Salutations ceremonieuses, apres lesquellcs mesdames Palmer et de Chateau-Lansac se trouvcnt d'un cote de la scene, Georges et Gaetan de I'autrc. Les deux jeunes gens commen- cent a regarder leur niontre.
M A 1) A M E PALMER.
Cela devient de rexageration, a la fin... Elle est trop triste!
MADAME DE C II ATE AU-L \N S AC.
Xous devrions le lui dire, decidement.
MADAME PALMER.
Voulez-vous que nous Ic lui disions tout a I'heure... des que nous serons seules avec elle?
MADAME DE C II ATE AU-LAN S A C.
Je vcux bien... quand ce ne scrait que pour rendre
ACTE PREMIER. 91
service h monsieur de Leoneins, qui est un homme charmant et qui Tadore!...
MADAME PALMEU, montrant la comtesse qui entrc.
C'est a elle surtout que nous rendrons service... Regardez-la... cela est-il croyuble?... line veuve de dix mois!
MADAME DE C 11 ATE AU-LAN S AC .
C'est prodigieux!
La comtesse est entree. — Ello est en dcuil de lainc. — Ello s'arreto dovant le buste et le montre a Kernoa. Celui-ci, no sachant que dire, so contente de s"incliner. La comtesse quitte brusquement son bras et se laisse tomber sur un divan. Elle plcure. — Moment d'ombarras : on se regarde. Mademoiselle do Charentonnay, qui est entree la derniere, s'approclic do la comtesse et lui presente un flacon.
LA CO.MTESSE, en gemissant.
He?...
MADEMOISELLE DE CHARENTONNAY.
Vous I'aviez oublie... sur la table...
LA COMTESSE.
Mon flacon... Ah! oui... merci, ma bonne Charen- tonnay, merci. Est-ce que vous voulez bien vous mettre au piano?
MADEMOISELLE DE CHARENTONNAY.
Certainement, ma chere.
Elle commence a jouer la marche funcbre do Chopin. Un moment do silence.
0 ALT AN, bas, a Georges.
A quelle heure est-ce que Qa commence, la-bas?... Tu as vu Taffiche?
GEORGES.
A neuf heures.
GAETAN.
Et il est?
GEORGES.
Neuf heures moins trois minutes, n. 6
98 LA VKl-VK.
( ■. A l': T A N .
Moi, j"ai ueiif licurcs passees.
GEORGES.
Nous no pouvons pourtaiit i)as nous en allor comnie ca, tout (Ic suite... Ah! Ton m'y reprcndra, a diner en ville un jour dc premiere I
I'll silcni'c. KEUN'OA, bas. :\ maihuuc Palmer ot a madainc ilc Cliatcau-Lansac.
Je croyais que niadame de >soi'ancey ne quittait pas plus cetle pauvre comtesse que vous ne la quittiez vous-nieme... Comment se fait-il qu'ellc ne soit pas ici?
MAIiAMi: OE Cll A'l'K AT'-I.ANSAC.
C'est qu'elle n"est pas a Paris... Son mari Ta subi- tement obligee a partir pour la Touraine.
K EI! NO A.
Ce brave Norancey !... Est-ce qu"il a toujours la mcme manie?
MAIIAME I'AI.MEU.
Toujours. A cliaque instant il se figure qu"Alber- tine est sur le point de se mettre a aimer quelqu'un... Alors, pour combatlre cet amour, il se donne un mal I... Cettc fois-ci, il a emmene sa femme en Touraine pour la souslraire a rinlluence de je ne sais quel I'^spagnol.
KEUNOA.
Et madame de Norancey, qu'est-ce quelh^ dit de ^a?
M \1) AM E I'AI.MEH.
Elle ne dil ricMi ct elle continue a n'aiiner que son mari...
Un silence. — Mademoiselle dc Cliarentonnay, qui avait jouc tres dou- ccmcnt jus(iuo-la, joiic nn iicu plus fort.
K i: 11 N (» A .
All ! bravo... tres bieii !
A GTE PUKMIKU. 99
MADAME DK C II ATK AI'-L A N S A C, a Koinoa.
Vous nous avez dit, monsieur, que vous alliez bientot reprendre la mer...
K K U N ( > A .
En effet, madame, je partirai demain.
MADAME PALMER.
Et ou allez-vous?
K E It N ( t \ .
A la -Martinique.
LA COMTESSE, avcc uckit.
A la Martinique! !!
Tout Ic monJe boinlit. KERN II A, effrayo.
Oui, madame.
LA COM'IESSE.
II est ne a la Martinique, monsieur!... Amelie, Valen- tine... messieurs... est-ce que vous saviez?...
MADAME PALMER.
Non. je ne savais pas, moil
MADAME ])E C H ATE AU-L AN S AC.
Moi non plus!
G AETAN.
Nous ignorions completement...
LA COMTESSE.
A la Martinique!...
K E R N ( » A .
Croyez bien, madame, que je suis desole...
LA CDMTESSE.
Ce n'cst pas voire faute. (Avec intorot.) Qu'est-ce que vous allez laire, a la Martinique?
K E R N 0 A .
J'y transporte une compagnic d'iulanterie de ma-
400 LA VEUVE.
rine... ct j'en ramenerai unc autre qui a fait ses trois ans de sejour...
I.A CUMTESSE,
Ah!
K E R N ( I A .
J'irai d'abord a Fort-de-France et j'y prendrai les malades... de la j'irai a Saint-Pierre.
I. V CUMTESSE, nouvcl eclat.
A Saint-Pierre! ! !
K E 11 N o A .
Oui, madanie...
MADAME DE C H ATE AU-I. A N S AC.
Qu'est-ce qu"il y a encore"? J'ai beau avoir I'habi- tude... elle me fait des peurs!...
LA COMTESSE.
Les sept premieres annees de sa vie, c'est a Saint- Pierre quit les a passees!... Monsieur de Kernoa?...
KERNOA.
Madame...
LA COMTESSE.
Dans une des cliambres de la maison oi'i il est nc... cctte maison appartenait et appartient toujours a un oncle a lui, monsieur de Scnermont... dans une des chambres de cette maison, il y avait, il doit y avoir encore un portrait do mon pauvre mari...
K E R N (I A .
Un portrait...
LA COMTESSE.
II avait six ans, quand ce portrait a ete fait... II se le rappelait trrs bien... et sonvent, tres souvent, il m'en pariait : « J'etais, me disait-ii, un des plus jolis enfants... »
ACTE PREMIER. iOl
MADAME PALMER.
Tous les hommes disent ^a...
LA COMTESSE.
11 est represente a cheval, sui- un cheval de bois; de la main droite il tient un petit sabre, sa main gauche laisse echapper une trompette.
MADAME DE C H ATE AU-LANS AC .
Une petite trompette...
LA COMTESSE.
Oui... Des que vous serez arrive a Saint-Pierre, jc vous en prie, allez trouvcr monsieur de Senermont et demandez-lui ce portrait... demand ez-le-lui pour moi ; il ne refusera pas, il ne pent pas refuser.
KERXOA.
Non, madame, non, j'en suis sur, il ne refusera pas... Un enfant, nous disons, un enfant de six ans...
MADAME I'ALMER.
Sur un cheval de bois.
MADAME DE C II AT E AU-L AN S A C.
Avcc une petite trompette.
MADEMOISELLE D E C H A R E X T 0 X X A Y , dune voix douce.
Et un petit sabre.
KERXOA,
C'est tres bien... je me ferai donner ce portrait... vous Faurez k mon retour.
LA COMTESSE.
Et... vous reviendrez?
K E R X 0 A .
Dans trois mois...
LA COMTESSE.
Bien sur, je puis compter?...
10-2 L.V VKL'Vt:.
K i: U N (J A .
Oui, niadnnic. je vous le promets.
I.A COMTI-SSE.
Merci.
Moment de silence. — Toutc petite reprise du piano. GEORGES, bas.
Ncuf lieurcs douzel
(1 \ETAN.
Neuf heuros et quart 1 !
LA CO.MTESSE.
Ces pauvrcs enfants! vous ne vous amusez pas?
GAKTAN ct GKURGES.
Oh!
LA CO.MTESSE.
Je VOUS cn prie, ne vous croycz pas obliges, si vous avez quelque chose a faire ce soir...
G E O R G E S .
Mon Dieu, madame...
LA CUMTESSE.
Oui, n'est-ce pas?
(lEORGES.
II y a, cn effet...
G A E T A N .
Aux Folies-Dramatiqucs...
LA CO.MTESSE.
Une premiere.*
G A E TAN.
Oui, madame.
LA COMTESSE.
Plus jamais pour moi, plus jamais I... Mais je ne veux pas vous relenir... allez, je vous en prie, allez...
ACTE PREMIER. 103
C. A K T A N .
Puisque vous I'exigez...
Us se prciciiiitent sur lours cliapoaux ct sc trouvent pros de mesdames Palmer ot de Chateau-Lansac.
MADAM K PAI.MKR, bas. <■
Elle est impoi'tantc. cette premiere?
(1 Alii AN.
Trois actes, quatre lalileaux. A'oulez-vous venir?
M A 1) A M K I> A L M E R .
Pas nioyen. (Montram la coiutossc.) Nous avons quelque chose a I'aire ici. nous.
Sortent Georges ct (Jaetan.
LA COMTKSSE, a Kcrnoa. — Kilo a cause avec lui pendant les dei-niercs repliques.
Dans trois niois?...
KERN O A .
Oui, madame... et j'espere Lien alors vous trouver un pen moins... J'espere que le temps, qui apaise toutes les douleurs...
LA COMTESSE, scveremont.
II y a des douleurs que le temps n'apaise pas, mon- sieur. Vous me trouverez dans trois mois telle que je suis aujoui'd'hui.
KERN II A. s'inclinant.
]\Iadame...
LA COMTESSE.
Vous en aurez bien soin, n'est-ce pas, pendant la traversee?
.Sortie do Kernoa. — La conitossc va avec lui jusqu'au fond do la scone.
lOi LA VEUVE,
SCENE III
LACOMTESSE, MADAME PALMER, MADAME DE CHATEAU-LAXSAC, MADEMOISELLE DE CHARENTON.XAY.
MADAME PALMi:it,;i nuidame de Chateau-Lansac.
C'est entendu. a"cst-ce pas? nous kii parlons.
MADAME DE C II ATE AU-LAN S AC, montrant mademoiselle dc Charentorinay
Tout a riieure.
La comtessc redesccnd et va sc rasseoir. MADEMOISELLE DE C II ARENT U N N A V.
Joucrai-jc encore, nia chere?
LA COMTESSE.
Xon, ma bonne Cliarentonnay, non,je vous remercie.
(.Madame Palmer et madame de Chateau-Lansac echangent un regard.)
J'abuse de vous, en verite! La-bas, en Bretagne, vous n'aviez pas I'habitude de veiller si tard.
Mademoiselle de Cliarentonnay quitto Ic piano ct traverse la scene pour aller embrasser la comtcsse.
MADEMOISELLE DE CII ARENTO N N A Y.
Bonsoir, ma cousine.
LA COMTESSE.
Bonsoir, ma bonne Cliarentonnay... a demain.
MADEMOISELLE DE C II A RE N TO N N A Y.
Mesdames...
MESDAMES PALMER et DE CHATEAU-LANSAC.
Bonsoir, ma bonne Charenlonnay, bonsoir.
Mademoiselle dc Cliarentonnay sort.
ACTE PREMIER. 105
SCENE IV
LA COMTESSE, MADAME PALMER, MADAME DE CH ATEAU-LANSAC.
Moment Jc silence, jcu Jc scene. MADAME PALMER, bas, a madamc do Chateau-Lansac.
Maintenant, n'est-ce pas?...
MADAME DE CHATEAU-LANSAC.
Oui.
Au moment oil madame Paimer va parlor, cntrc .Tosojili apportant lo the : madame Palmer s'arrcte. Joscjili depose le plateau sur la table dii I'ond ct s'on va sans faire Ic moindi-c bruit.
MADAME DE CHATEAU-LANSAC, bas.
Ah! maintenant, par excmple!...
LA COMTESSE, etonnee ilu niouvcnient de scs deux amies qui so sont rapprocliecs d'clle avcc une certaine inipetuosite.
Ou"est-ce quil y a?...
MADAME DE CHATEAU-LANSAC.
II y a, ma chcre Louise, que nous avons resolu de vous parler toutes les deux...
LA C(JMTESSE.
C'est grave, il parait...
MADAME PALMER.
C'est tres grave... et nous nianquerions a notre devoir d'amies si nous liesitions plus longtenips a vous declarer... (senhardissant.) ix VOUS declarer que ce noir, dans lequel vous vous obstinez a vivrc, finit deci- dement par devenir un peu trop noir.
LA COMTESSE.
Ah! VOUS trouvez, vous?
106 LA VEUVK.
MADAMK 1)1-: CIIATEAI'-I.A.NSAC.
Certainement jc comprends que Ton regrette un mari... mais enlin il nie semble quau bout dedix mois de veuvage on a bicn le droit de...
MADAMK TAI-MER, has.
La robe...
MADAMK nr. CHATEAU-LANSAC, a madiuiie Palmor.
Vous dites?...
MADAMK I'ALMKR, consultant un carnct.
J'ai fait mi i)etit resume de ce que nous avons a lui dire, ^a sera plus facile... parlez (Tabord de la robe...
MADAMK DK C II ATK A T-I, A N S A C .
Ah! oui... (A la conitosse.) Aiusi, teuez, cetle meclianle petite robe noire, vous nc I'avez i)as quiltee depuis di.x mois.
LA COMTKSSE.
Kt jamais je ne la quitterai.
MADAMK DE C II ATK AU-I. A N S AC.
Jamais?
.MADAME PALMER.
Eh bien, voila justenient... c'est de I'exageration... II me semble a moi qu'une robe de sole... iiuunvoment de la comtesse) noire, noire et toute unie... (a maaame do chatcau- Lansac.) N'est-ce pas, ma chere?
.MADAMK DK Cll ATE AU-I. A N .S A C .
Oui, toute unie... ou bicn avec dcs ornements tres simples...
LA COMTKSSE.
Je nc vous en venx pas... vous nc pouvez pas me comprendrc. On ne sail pas ce que c'est que dcperdre un mari I
ACTE PREMIER. 107
MADAME I)£ C II ATE AL'-LAN S AC.
Mais si!.
I. A COMTESSE.
Non, on ne le sail pas.
MADAME PALMER, avcc elan.
Mais si I... heureusenieut !
LA COMTESSE, sutfoqiico.
He!
MADAME I'ALMEIi.
Non... ce n'est pas cela (juc je voulais dire... Moi- meine, si je perdais monsieur Palmer, je serais alTectee, prniblement arfectee, mais je n'exagererais pas.
MADAME DE C II ATE AI'-L A \ S A C .
Et voiis auriez raison... (Bas, a madamc Palmer.) Ou'est-cc qu'il y a apres la robe?...
MADAME I'ALMER, bas.
Les dettes...
MADAME DE C II ATE AU-LA N S A C.
Oh! oh! c'est sericux, cela...
LA COMTESSE.
Ou"est-ce qui est serieux?
MADAME DE C II ATE AU-L.\ \ S A C.
Les dettes... II en a laisse pas mal, dc dettes, votre mari... vousavez promis de les payer... vous avez bien fait... mais vous avez ajoute que vous les paieriez sans meme examiner les comptes...
MADAME PALMER.
C'est de Texageration... il faut verifier, au contraire, et plutot deux Ibis qu'une. Cela en vaut la peine. On in'a parle d"un memoire de bijou tier qui arrive a un chilTre!...
108 LA VEUVK.
LA COMTESSE, avec enthousiasmc ct montrant lo buste.
II eut paye sans regarder, liii!...
M A n A M E P A I. M E R .
Assurement, mais ce n'est pas unc raison...
L A COMTESSE.
Je pense que la meilleure fac^on d'honorer sa memoire est de payer comme il eut paye lui-meme.
MADAME PALMER, deconragee.
Ah bien ! si c'est la le resultat!...
Ellc se love ct commence a s"cmmitouflcr pour parlir. MADAME DE C II ATE AU-L AN S A C, has, ;l madame Palmer.
II n'y a plus rien?
MADAME PALMER.
Eh si!... il y a encore quelque chose... le dernier point, le plus delicat...
MADAME DE C II ATE AU-L AN S A C.
Monsieur de Leoneins?
Madame Palmer incline la tote. LA COMTESSE.
\'ous avez dit?...
MADAME DE C II ATE AU-LAN S A C.
J'ai dit : monsieur de Leoneins... 11 vous aime et je crois l)ion que vous, de voire cote...
LA COMTESSE.
Je vous arrete la, par exemple! et je vous supplie...
(Repondant a un niouvement de madame do Chateau-Lansac.) tres
serieusement, je vous supplie de ne pas ajouter un mot... Monsieur de Leoneins a essaye de tons les moyens pour se rapprocher de moi... II m'a ecrit, je n"ai pas ouvert sos lettres... il s'est presente ici, je ne I'ai pas rcQU ct j'ai fait serment de ne jamais le rece- voir...
ACTE PREMIER. 109
MADAME I'ALMER.
ToLijours de rexageratioii!... II a Tail quelqiic chose d'etonnant, monsieur de Leoneins... II vous a aimee quand votre mari etait la... ce n'est pas ga que jc trouve etonnant... mais plus tard, quand votre mari n'a plus ete la, il a continue de vous aimer. C'est tres rare par le temps qui court, et je declare, moi, que riiomme capable d'une action pareille meritait d'etre traite moins durement.
LA COMTESSE.
Yous ne pouvez pas me comprendre.
Entre Joseph.
SCENE V
Les Memes, JOSEPH.
JOSEI'II.
Monsieur de Norancey demande si madame la com- tesse peut le recevoir.
LA CDMTESSE.
Monsieur de Norancey?
JOSEPH.
Oui, madame la comtesse.
LA COMTESSE. Mais Certainement, je peux... (Penaant que Joseph sort.)
Est-ce que vous saviez qu'il etait de retour?
M A n A M E P A L M E W. .
Non... nous no le savions pas...
Kntre Norancey. — II a une figure tragique.
II. 7
no LA VEUVE,
SCENE YI
xMADAME DE CHATE AU-LANSAC, MADAME PALMER, LA COMTESSE. NORANCEY.
MAOAMK I'Al.MKR.
All! nion Dieu ! quelle figure!
N O R V N C E Y .
Mesdames...
LA COMTESSI:.
Depuis quand etes-vous revenu?
N (> R A N C E Y .
Depuis liier.
I. A CnMTESSE.
Albeiiinc est a Paris ilepuis hier, et elle n'esl pas venue lue voir I
N () R A N C E V .
Alberline... nia remmc?
I. A c 1 1 M r E s s E . Sans cloule!
N ORANGEY.
Ma fcmmel... elleviendra tout a Theure, ma femme!
II roinontc et va se vorser un grand verre d'eau. MAHAME palmer, ba.s, :i la cointesso.
Ou'est-ce qu'il y a encore?... de qui est-il jaloux. maintenant?
LA COMTESSE.
Ah! ^a, par exemple, je n'en sais rieni
MAbA.ME DE C MAT E A T'-L A N S A G .
II va vous le dire... et vous nous le direz... Bonsoir, Louise.
ACTE PREMIER. HI
LA COMTESSE.
A demain, n'est-ce pas? Vous viendrez?
MAO AME PALMER, on regardant Xorancoy.
Je crois bieu, que nous viendrons!...
MADAME I)E C II ATE AU-L A N S A C .
Et de bonne heure, encore!... (a Norancey.) Bonsoir, monsieur de Norancey.
Xt)RANCEV.
Bonsoir, mesdames.
11 redoscoml : los trois fcinmes romontont. — Adieux. ombrassades. — Sorteut incsdaines Palmer et de Chatcau-Lansac.
SCENE VII
NORANCEY, LA COMTESSE.
NORANCEY, regardant lo buste.
Vieil ami!... il est frappant.
LA COMTl'lSSE, rodoscondant.
Qu'est-ce cju'il y a? Voyons.
NORANCEY.
La chose la plus simple du monde. Je voudrais saYoir s'il est vrai... mais, la... bien Yrai, que yous ayez cesse de prendre le moindre interet a monsieur de Leoneins?
LA COMTESSE.
Monsieur de Leoneins... encore!... Tout le monde aujourd'liui me parlera done de monsieur de Leoneins!
NOR A N C E Y .
Je ne yous demande qu'un mot : est-il vrai, oui ou non, qu'il yous soit aujourd'hui tout a fait indifferent?
H2 LA VEUVE.
LA CUMTKSSK, exasperee.
Oui, oui, cent fois oui !... monsieur deLeoncins m'est indifferent... tout a fait indifferent. Le plus irrand plaisir que Ton puisse me faire est de ne jamais me parler delui... cela suffit-il?
N ( ) RANG E Y .
Cela suffit... je le tuerai demain matin...
LA COMTESSE.
Vous dites?...
NORAN'CEY, commc s'il regrettait ce quil vient do dire.
Une chose que je ne voulais pas dire assurement... mais, ma foi, puisque c'est parti!...
LA COMTESSE.
Voyons, voyons, je n'y suis plus, moi... vous voulez tuer monsieur de Leoneins?
X ORANGEY.
Maintenant que je sais que ga vous est egall...
LA GOMTESSE.
Et pourquoi voulez-vous?...
N () R A N G E Y .
Parce qu"il aime Albertine et que, si je ne le tue pas demain matin, Albertine Taimera dans liuit jours.
LA COMTESSE.
Allons, bien!... mais c'est absurde, mon ami, ce que vous dites la !
N O R A N C E V . Oh!
LA COMTESSE.
D'abord, rien n"est ridicule comme celte manie que VOUS avez maintenant de toujours vous imaginer que votre femmc... Et puis, comment pouvez-vous croire...
ACTE PREMIER. 113
cest cela surtout qui est absurde... comment pouvcz- Yous croire que monsieur de Leoneins aime Alber- tine'?... Monsieur de Leoneins ne pent pas aimer Alber- tine, puisque...
N O R A N C E Y .
Puisque?...
LA COMTESSE, impatientee.
Eh!...
X ORANGEY.
Puisque c'esl yous qu'il aime... n'est-ce pas?... Oui, il y a un mois, lorsqiril est Yenu nous retrouYer ea Touraine, c'etait yous qu'il ainiait.
LA COMTESSE.
II est alle yous retrouYer en Touraine?
NORANCEY,
Vous ne le saYiez pas?
LA COMTESSE.
Albertine ne m"en a pas dit un mot dans ses lettres.
N 0 R A X c E ^' . Vous Yoyez bien I... Je dois couYenir que, le jour oil il est arriYe chez nous, il etait desespere... 11 parlait de vous, encore de vous, toujours de vous, et il etait desespere... Mais, au bout de huit jours, ce grand dcsespoir n'etait plus que de la tristesse... Au bout de quinze jours, cette tristesse elle-meme se changeait en une douce melancolie, et, au bout de trois semaines...
LA COMTESSE.
Au bout de trois semaines?...
XORAXCEY.
Eh bien, je vous I'ai dit... il adorait Albertine...
LA COMTESSE.
Encore une t'ois, c'est impossible.
114 LA vi:rvE.
NORANCi: Y.
Et pourquoi cola, sil vous plait?... pourquoi n'ado- reraitil pas Albertiue?... Est-ce qu'Albertine n'a pas tout ce qu'il faut pour etre adoree?... (Momement de la comtcssc.) Vous doutez encore?... vous ne doutericz plus, si vous Ics aviez vus tout a Theurc a TOpora...
LA COMTESSE.
A rOpera!... ils sout a TOperal...
N ( t R A N C E V .
Oui... tous les deux...
LA COMTESSE. Ah!
N t ) R A N C E V .
Vous voyez bienl... II y a une heure, j"y etais aussi. Albertiue et moi, nous <Hions sur le devant de la loge... II etait, lui, derriere Albertiue, comme ecci, tenez... 11 lui parlait tout bas... et elle rayonnait en Tecoutant... Pendant ce temps-la, sur la scene, il y avait mademoi- selle chose... vous savez, une grande brune tres belle,
qui Chantait... (Il iVedonnc nnc plirase dii Troiirh-c.) Mais ni
lui. ni elle ne I'ecoutaient... lui, continuait a parler bas... elle, continuait a rayonncr. Alors, n"y tenant plus, je suis sorti de la loge... mon parti etait pris... Alber- tine vicndra ici tout a Iheure. II I'accompagnera, natu- rellement; mais, comme il sait que vous ne consentiriez pas a le recevoir, il reslera en bas.
LA COMTESSE.
En bas?...
NORANCEV.
Oui, dans la voiture. Je vous laisserai Alltortine. J'irai retrouver monsieur de Leoneins, nous ii'ons ensemble au cercle, jamenerai lout doucement la con-
ACTK PUKMIER. 115
vcrsation sur L'l politique, nous nous qucrellerons et dcmain ..
I.A COMTESSK, Ic roganlant avoc stuiicur.
Mais... c'e&t que, vrainient, il serait capable!...
La portc du fond s'ouvrc brusqucment : Albcrtine, en grandc toilette, ciitrc comme un tourbillon et se jctte dans les bras do la comtcsse.
SCENE VIII
Les Memes, ALBERTINE.
albertine. Ah! Louise... enfin!... Laisse-moi t'embrasser... Tu dois m"en vouloir parce que je ne suis pas venue... mais jc te dirai, tu comprendras...
La comtesse sc laisse embrasscr sans quitter dcs yeux, uii seul instant, Xoranccy.
N (> R A X C E V .
Je vous laisse toutes les deux... (a Aibeitine.) Je vous renverrai la voiture.
ALBERTIXK.
Vous allez au cercle?
N (J R A X C E Y .
Oui.
I.A COMTESSE.
Avec monsieur de Leoneins?...
Albcrtine se rctournc et rcgardc la comtesse d'un air dtonnc. XORANCEY.
Oui.
LA COMTESSE, bas.
Et tout a riieure vous amenerez la conversation?...
116 LA VEUYE.
NORANCEY.
Sur la polilique.
LA COMTESSE, has.
Et demain?... (Noranccy fait signe que oui.) Mais jc ne veux pas, moi, je vous defends!... Je ne crois pas un mot de ce que vous m'avez dit. Mais, lors meme que tout cela serait vrai, est-ce que ce serait una raison?... est-ce qu'il n'y aurait pas mille autres moyens?...
NOR A N C E Y .
Lesquels?
LA COMTESSE.
Par exemple, on pourrait... Non!... dites a monsieur de Leoneins qu'il a eu tort de penser que je ne le rece- vrais pas... dites-lui qu'il vienne, que je I'attends...
N 0 RANG E Y .
Mais...
LA COMTESSE.
Faites ce que je vous dis... amenez-le.
NURANCEY.
Oui, maisje garde toujours mon moyen.
11 s'incline ct sort.
SCENE IX
LA COMTESSE, ALBERTINE.
ALRERTINE.
Mon mari fa dit que monsieur de Leoneins etait la?
LA COMTESSE.
Tu ne me Taurais pas dit, loi!
ALBERTINE.
Non, sans doutcl
ACTE PREMIER. 117
LA COMTESSE.
Pas plus que tu ne m'as ecrit qu'il etait alle vous retrouvei en Touraine.
ALBERTl.NE.
Tu m'avais, une fois pour toutes, priee de ne jamais te parler de lui... sans cela, je t'aurais certainement raconte son arrivee chez nous. II etait desespere, ce jour-la...
LA COMTESSE.
Oui, je sais... mais, au bout de huit jours, ce grand desespoir commencait a se calmer.
A L 15 E R T I N E .
Oui, uu peu.
LA COMTESSE.
Au bout de quinze jours, il etait calme tout a fait...
ALBERTINE.
Oh!
LA COMTESSE.
Et au bout de trois semaines!...
Norancey ouvre la porte lui-meme et fait entrer monsieur de Leoneins. lis font un pas ou deux, puis s'arrctent.
SCENE X
Les Memes, LEOXEINS.
LEONEINS, bas, a Norancey.
EUe va me chasser!...
NORANCEY, bas.
Mais non, elle ne vous chassera pas... puisque c'est elle qui vous cnvoie chercher...
Un silence. — Norancc\' et Leoneins sont au fond.
7.
118 LA VKUVE.
LA CctMTESSE.
Eh bien... entrez, monsieur de Leoneins...
I.EONEINS.
Vi'ainient, vous voulez bien?...
LA COMTESSE.
Oui. Kntrez et asseyez-vousl...
Salutations cmljarrassces. — Moment dc silence. — On s'assied, a I'cxception dc Norancey qui sc promenc en jetant sur sa fcmmc ctsur
Leoneins dcs regards furieux.
NORANCEY, bas. :i Albeitine.
Je favais dit qu'ii onze heures, il serait ici : onze heures nioins cinq... il y est!
ACTE DEUXIEME
Meme decor, mais Jcjii, par toiUc une scric do le^'ors cliangemeiits, I'aspcct du salon est Ijoaucoup moins sombre. — Sur le divan, dcs coussins gris, mauves, et sur la table, siir le piano, sur la cheminoe, de pctits vases, des bibelots donnent une imjircssioii de clarte, de vie nouvelle. — Rien detrop brillant ccpenJant.
SCENE PREMIERE LACOMTESSE, LEONEINS.
La comtessc est en dcmi-dcuil, pas trop severe. LA COMTESSE.
Non, vraiment, c'est impossible...
LEONELNS.
Poiirquoi?...
I. A COMTESSE.
II y a si longtenips que jc ne suis entree dans une salle de spectacle!...
LEOXEINS.
Raison de plus [)Our y aller ce soir!
LA CUMTESSE.
Au thratre, moi!... figurez-vous done! moi, j'irais au theatre!...
LEOXEINS.
Je vous en prie...
120 LA VEUVE.
LA CUMTESSE.
Je sais Ijicn que cela ferait beaucoup de plaisir a mademoiselle de Charentonnay...
LEONEINS.
Ah! nous irions avee elle?
LA CdMTESSE.
Assurement !... vous n"avez pas pense que nous irions tons les deux...
LEONEINS.
Non, non... nous irions avec mademoiselle de Cha- rentonnay, et ca I'amuserait beaucoup, ga I'amuserait enormement, mademoiselle de Charentonnay.
LA COMTESSE.
Alors on pourrait... en m'enveloppant bien... et en prenant des places ou je ne serais pas vue.
LEONEINS.
Une baignoire?
LA COMTESSE.
Une baignoire dans lefond...
LEONEINS.
Tout a fait dans le fond...
LA CUMTESSE.
Mais h quel theatre irions-nous"?...
LEONEINS.
Ah!... quant a cela...
JOSEPH.
Madame de Xorancey...
LEONEINS.
Madame?...
Entre Joseph.
ACTE DEUXIEME. 121
LA CUMTESSE.
Cela vous cnnuio de la voir?
I. E ( ) N E INS.
Cela ne m"ennuie pas precisemont, mais...
LA COMTESSE.
Mais vous aimeriez mieux ne pas... Eh bien, sauvez- vouspar le petit salon... Attendez un instant, Joseph...
(a Leoneins.) Sauvez-vous vite...
LEONEINS.
Je vais chercher la baignoire.
LA CUMTESSE. C'est cela. (Leoneins sort par la gauche; sur un signe de la comtesse, Joseph sort par le fond.) Apres tout, il y a deux OU
trois theatres auxquels je puis aller... et jc suis bien sure que monsieur de Leoneins aura assez de tact ..
Albertinc cntre.
SCENE II
LA COMTESSE. ALBERTINE.
ALBERT I NE, du fond de la scene
Bonjour...
LA COMTESSE.
Bonjour...
ALBERTI.NE.
Je viens te remercier.
LA COMTESSE.
De quoi me remercier"?.,.
ALBERTINE.
De m'avoir sauvee, done!...
122 LA VEUVE.
LA COMTESSE.
Moi, jc fai sauvec"?...
ALBERTINE.
Ell! oui... (DesconJant.) Xous somiiies bicii seules, au moins".'...
I.A COMTESSE.
Ccrtainement, nous sommes seules.
ALBERTINE.
C'est que je no voudrais pas que quclqu"un... (Eiie sassied.) Ma chere Louise, nion niari t'a coiile de singu- lieres choses, pas vrai"?... II y a un niois, le soir que je suis venue ici en sortant de I'Opera... tu ne dois pas avoir oublie...
LA COMTESSE.
Xon. jo ii"ai pas oublie...
ALBERTINE.
Mon mari etait venu avant moi, il fa parle?...
LA COMTESSE.
En elfet!...
ALBERTINE.
Ou'ost-cc qu'il t'a dit?
LA COMTESSE, cssayant d'eludcr.
Mais...
ALBERTI.NE.
11 fa dit quil etait jaloux?... Si ^a fennuiede repou- dre. ne reponds pas... mets-toi la seulement, bien en face de moi... jc te regarderai, ct je saurai l)icn voir sur ton visage...
LA COMTESSE.
All !... tu crois que tu pourras voir sur mon visaere?...
ACTE DEUXIEME. 123
AI.F.ERTINi:.
Mais oui!...
LA COMTESSE, se placant commc Ic lui a dit Albertine.
Je veux bien, moi, alors...
ALBERTINE. II t'a (lit qu"il etait jaloux?... ILa comtcsse ne bouge pas.)
jaloux dc monsieur de Leoneins?... C'est bien cela, n'est-ce pas?... Oui, si ce n"ctait pas eela, lu ne te donnerais pas tant de mal pour essayer dc roster inipe- netral)le... II t'a raconte que monsieur de Leoneins m'aimait, que j'aimais monsieur de Leoneins... Heu- reusement, tu connais trop mon mari pour attacher la nioindre importance... et je suis bien sure que tu ne m'as pas crue capable... (Mouvement dc la comtessc.j Tiens, si! il parait que tu m'en as crue capable. Oh! (Riant.) Ell bien, cntre nous, tu n"as pas eu tout a fait tort....
LA COMTESSE.
Comment! tu avoues"?
ALT, ERTINE.
II etait si tristel... Ah! ma cliere, s'il t'arrive jamais de rencontrer uu jtauvre diable d'amoureux que les rigueurs d'une de tes amies aient reduit au desespoir, ne t'avise pas de vouloir le consoler : on va vite, sur ce chemin-Ia... J"ai manque y etre prise. (.Avec terreur.) Brrr... !Mais c'est fini, grace au ciel, c'est bien fini. Le danger est passe. Tu dois comprendre... maintenant que je sais que tu vas cpouser monsieur de Leoneins...
LA COMTESSE, avec un sursaut.
Moi ! je vais !...
ALBERTINE, simplcment.
C'est de cela que je viens le remercier.
124 LA YEUVi:.
I, A CI ) M T E S S E .
Moi, je vais cpouser!... Tu oses, devant liii...
AI.HERTINE, cffrayee.
Lui !... qui, lui '!...
I. A CO.MTESSE, monlrant lo bu.stc dc son mari.
Lui!...
A L B E R T I N E .
Ah!... lu m'as fait unc peurl... J'ai cru que quclqu'un nous ecoutait...
LA C O M T E S S E .
Tu OSes dire que je vais epouser?...
AI.IiERTINE.
Monsieur de Leoneins... On le dit })artoul.
I.A COMTESSE.
Partout?...
ALI3ERTI.NE.
Partout, partout...
LA COMTESSE, avcc indignation.
Oh!...
ALBERTINE.
Je te demande i)ardon... je ne croyais pas, en t"an- nongant une chose qui me paraissait, a moi, toutenatu- relle...
LA COMTESSE.
Toute naturelle!...
A L B E R T I N E .
Bien... bien... n"en parlous plus. Pauvre monsieur dc Leoneins!... il y comptait, hii, sur ce mai'iagc...
LA COMTESSE.
Par exempU"!...
ALBERTINE.
Lvidemnienl, il y comptait!... et quand il va savoir...
ACTE DEUXIEME. 12j
ah! moil Dieu! il est capaljle d'avoir encore bcsoin
de consolations... Ct alors, moi... (Commo si elle se defen-
dait.) Xon. non!... il faut que tu repouses... il Ic faut, ct tu I'cpouseras...
LA COMTESSE.
Albertinel
.\LI5ERTINE.
Je ne veux pas te mettre en colere, je me sauve...
(.\u moment do sortir.) mais tu I'epouseras.
LA COMTESSE.
Non, c'est impossible... je no suis pas tombee assez bas dans I'opinion... C'est impossible... on ne dit pas une chose pareille... On ne dit pas que, moi... (Montrant le buste.) sa veuve... je songe a me remarier!...
A L r, E R T I N E .
Mais si, je t'assure, on lo dit pnrtout...
LA COMTESSE.
Partout?...
ALBERTINE, de I'autro cute de la porte, passant la teto pour repondro.
Partout, partout I...
Elle sort.
SCENE III
LA COMTESSE, seuic.
Partout, partout I... voila de quelle facon je suis recompensee... Car enfin, si j'ai consent! a le recevoir... c'etait pour rendre service... c'etait pour empocher monsieur de Norancey... (Paiiant au buste.) tu le sais bien, toil... il etait si jaloux, si desespert^!... je me suis
126 LA VKLVE.
souvenuc qu'il avail 6te ton ami, ton meilleur ami... il m'a seniblc qu(* si tu avais ete la, tu m'aurais toi- m6mc ordonnr... j'ai obci, je me suis devouee... Et voila comment Ton rend justice!... Ah bien! c'est fini, par exemple!... (S"as.seyant dcvant la table.) Monsieur de Norancey s'en tirera comme il pourra... (Eiic prend une carte et eciit.) « Mon ami, venez me voir sur-le-champ...
il i'aut que je VOUS parle. » (Elle sonne : entrc Joseph.)
Faites porter ceci chez monsieur de Xorancey, tout de suite... (.Joseph sort.i On le dit partout!... Eh bien, soil! ce qui est sur, c'est que demain on ne le dira plus.
Rcntree de Leoneins.
SCExXE IV
LA COMTESSE, LEOXEIXS
I.EiiNEINS.
Me voila, moi.
I. A COMTESSE.
Vous voila, VOUS...
l.EDNEl.NS.
Et j'ai la loge.
I. A C()MTE<SE.
.Vli I VOUS avcz?...
I.EIINEINS.
La voici !
LA COMTESSE, pvcnant lo billet.
Thraire des Bouffes-Parisiens...
I.EONEINS.
11 y a des baignoin-s dans le I'ond.
ACTE DEUXIEME. ii't
LA COMTESSE.
Et qirest-cc que Ton joue, aux Bouifes-Parisiens?
LEUNEINS.
La Tiinhale dWr'jcnt.
LA Ct)MTESSE.
La Timhalc d'Ar... II me semble, d"abord, que vous auriez pu choisir une piece un peu moins... Mais il ue s'agit pas... Repondez-moi, mon ami, et faites atten- tion a votre reponsc... Est-il vrai?... (A part.) La Tt in- hale d'argent!... cnfinl... (iiaut.^ Est-il vrai que vous ayez suppose un instant qui' je jiourrais consentir a vous epouser?
LEONEINS, stupefuit.
Mais... darnel... oui.
LA COMTESSE, lui len.lant Ic billet.
C'cst tres bienl... reprenez cette loge.
LEONEINS.
Comment?
LA C(IMTE.SSE.
Nous ne nous reverrons plus, mon ami.
LEONEINS.
Nous ne"?...
LA COMTESSE.
Nous ne nous reverrons plus... et comme, apres I'aveu que vous venez de me I'aire, il me parait de- montre que toute explication serait inutile, je peuse qu'il vaut mieux nous separer tout de suite. Adieu, mon ami !
LEONEINS, abasourdi.
Adieu?...
LA COMTESSE.
Oui, adieu!
128 LA VEUVE.
I.ICD.NEINS.
Et vous croyoz que jo nic laisscrai renvoyer ainsi?
I. A COMTESSE.
Non?... (Faisant un pas ) Alors, c'ost moi qui...
LEOXEIXS, I'arretant.
Je nc vous laissorai pas sortir, non, jo ne vous lais- scrai pas!... Ah! j'ai eu assez de mal a arriver pres de vous... mais j'y suis, niaintenant, et rien nepourra m'en arracher... rien nc m'cmpechera de tomber a vos pieds (II y tombe.) ct d'y roster pour vous dire que je vous aime, que je vous adore...
I.A COMTESSE.
Oh!...
Ellc sc jottc sur lo bustc ct Tcntourc do ses bras commc pour lui demander protection. — Ldoneins est a. ses genoux. — Entre made- moiselle de Charcntonnay, cllc s'arretc an fond, stnpofaite.
SCENE Y
Les Memes, mademoiselle DE CHARE XTON NAY.
MADEMOISELLE I) E C H AR ENT O X X A V. Ce cri doit fairc echo au cri do la comtesse.
Oh!
L E 0 X E I X S , a la comtesse.
Madame...
LA COMTESSE. RelevCZ-VOUS, monsieur... (Leoneins se relevc, I'air assez penaud.) et laisSCZ-nOUS... (Mouvement suppliant do Leoneins.)
Laissez-nous!
II sort.
ACTE DEUXIEME. 129
SCENE VI
LA COMTESSE, MADEMOISELLE DE CHAREXTONNAY.
La comtcsse se laissc tonibcr snr unc chaise et caclic sa tctc dans scs mains. — Petite exiilosioii do larmes.
MADEMOISELLE DE C II ARENT 0 N N A Y, cunsteinee.
Alors, comme ^a, nous n'allons pas au theatre ce soir?...
LA COMTESSE. He?... (Mademoiselle dc Cliarentonnay baisse precipitamment le
nez. — Silence.) Quelle legoii, ma pauvre Cliarentonnay, quelle legon!... mais elle ne sera pas perdue, oh! non, elle ne le sera pas!...
MADEMOISELLE DE C II AREN T ON X A Y .
Je suis allee chez le bijoutier...
LA COMTESSE.
Ah!...
MADEMOISELLE DE C II AREN TONX A Y.
II va venir et il apportera ses livres.
LA CUMTESSE.
Qu'ai-je besoin de ses livres?... J'ai dit quejepaierais tout, que je paierais tout sans regarder : c'est ce que je vais faire, et je me reproche de ne pas avoir encore termine cette pieuse liquidation... Ah! quelle lecon!...
Elle restc immobile, Ic menton dans ses mains, — Entrent madame Palmer et madame dc Chatcau-Lansac. Elles intcrrogent du regard mademoiselle de Cliarentonnay : cellc-ci hausse legerement les opaules et s'en va.
130 LA VEUVE.
SCENE VII
MADAME PALMER. LA COMTESSE, MADAME DE CH ATEAU-LANSAC.
MADAME DE C !l ATE A I'-I. A N > AC.
Est-ce que nous vous derangeons, Louise?... Si nous vous derangeons, ne vous genez pas. meltez-nous a la porte.
MADAME PAI-MER.
Javais, il est vrai, dit a la gouvernante de venir me rejoindre ici avec ma fdle... niais la gouvernante en sera quitte pour ramener ma fille chez moi...
I. A C()MTE.SSE.
Xon, vous ne me derangez pas... Je serai enchantee de voir cette chere petite Amelie... (D'un ton serieux.) Et je suis enchantee de vous voir, vous, pour vous remer- cier des excellents conseils (pie vous m'avez donnes...
MADAME I'AI.MER.
Quels conseils?
LA COMTESSE.
Vous m'avez reproche Texageration de ma douleur et le fracas de mes larmes... Vous m'avez fait entendre que ma rojjc n'en serait pas moins une robe de deuil si, au lieu d'etre en laine, elle etait en soie, et que je ne ferais pas mal, pas mal du tout, d'adoucir ce noir, un pen trop noir, au milieu duquel je m'obstinais a vivrc .. Ce sont la vos paroles... et moi, je vous ai ecoutees... j'ai eu la faiblesse!... Eh bien, savez-vous quel a etc Ic resultat?... savez-vous ce que cela a fait dire?...
MADAME PALMER.
Non... qu"cst-ce qu'on a dit?
ACTE DEL'XIKME. 131
LA COMTESSE.
Que j'etais sur le point de me remarier !
M\1V\ME PALMER.
Oh!...
LA COMTESSE.
Oui, ma chere !
MADAME PALMER.
Ce n"est pas possible! on n"a pas dit cal...
MADAME DE C II ATE AT'-L A N S A C, navice.
Si lait, si I'nit. on Ta dit... je Tai entendu.
MADAME PALMER, d'unc voix in.lignee.
Vous remarier!... C'est affreux... vous rema... rierl!!
(Dun ton tres tranquillc.) Et avec qui?...
MADAME DE C H ATE AU-L AN S A C.
Avec monsieur de Leoneins.
MADAME PALMER. Oh!... (Elle regarde la comtosse qui fait signe que oui, d'un air
desespere.) C'cst epouvantablc...
LA COMTESSE.
Vous comprendrez que je ne desire pas pousser I'experience plus loin... Ma porte va de nouveau etre fermee, je reprendrai ma robe de laine noire, et ma maison redeviendra cc qu'elle etait avant ces quinze derniers jours... je vous en previens. (Dune voix umue.) C'est a vous maintenant de voir si vous voulez vous condamner a unc pareille existence, ou si vous aimez mieux me laisser seule, m'abandonner...
MADAME DE CIl ATE AU-LA N S AG .
Nous nc VOUS abandonnerons pas...
Entre Joseph.
132 LA VEUVE.
JOSEIMI.
Madame, cest monsieur Bagimel, le bijoutier...
I. A COMTKSSE, avoc un air de triomplie.
All I... diles-lui d'entrer!...
Madame do Chatcau-Lansac et madanie Palmer cchangcnt un regard Entre Bagimel portant un livrc enorme, — un livre de commerce, — et suivi d'un domostiqno qui porta deux autres livres non moins dnormcs.
SCENE VIII
BAGIMEL, LA COMTESSE, >LVDAME PALMER, MADAME DE CH ATEAU-LANSAC.
BAGIMEL, saluant.
Madame la comtesse, mcsdamcs... Madame la com- tesse m'a I'ait dire d'apporter mes livres.
LA COMTESSE.
Je regrette de vous avoir donne cette i)einc... J'ai besoin seulcment de savoir au juste ce que vous devait mon mari.
BAGIMEL.
327 280 francs, madame la comtesse...
LA COMTESSE, abasourdie. 327 000-?...
I! A G 1 M E L .
... 280 francs.
LA COMTESSE.
Cest bien, ccla suflit...
Kilo va prendre une plume ct unc fcuillc dc papier.
MADAME PALMICR, airetant la comte^^^c au moment ou elle va ecrire.
Ell bien, mais... puisque les livres sont la, pourt[uoi
ACTE DEUXIEME. 133
ne pas examiner un pen?... (Mouvement do la comtosse.) Monsieur Bagimel a pu se tromper dans son addition...
I5AGIMEL.
Oh! madame!...
MADAME PALMER.
Cela arrive, monsieur Bagimel, cela arrive : ma cou- turiere m"avait bien compte dix mille francs de trop, a moi, sur une facture de dix-neuf mille...
BAGIMEL.
Les couturieres. je ne dis pas, mais les bijoutiers...
MADAME PALMER.
II vaut mieux verifier, je vous assure!... (a la comtosse.)
Si vous VOuleZ, je m'en charge... (Prenant la plume ct le papier dont la comtesse a ete sur Ic point de se servir.) Monsieur
Bagimel aura la bontc d'appelcr chaque article... avec le prix, a mesure... (a Bagimel.) Et c'est au total que je vous attends!... (a la comtesse.) Je vous en prie, laissez- moi faire...
la COMTESSE.
Si cela vous amuse...
BAGIMEL.
Alors, madame la comtesse, il faut?...
LA COMTESSE.
Oui, monsieur Bagimel.
Lc domestique depose sur la table les deux registres qu'il portait, puis il s"en va; Bagimel fait un pas et s'arri'te devant le buste.
BAGIMEL, avec emotion.
Oh!...
MADAME DE C H ATE AU-LAN S A C.
Qu'est-ce que vous avez?...
BAGIMEL.
Mille pardons, je n'avais pas rcconnu encore... En ir. 8
13 i LA VEL'VH.
rcconnaissant, je n'ai pas cte luaitn-... un si bon client !...
MADAME I'AI.MER, montiant Ics livres.
Vous avez bicn tout?...
HAOIMEL.
Qui. madaiiie, jiii apporte mes livres pour les trois annces...
LA COMTESSE, ties emue.
Mes trois aniiees de bonheur!...
MADAME I'AI.MER.
Allons I monsieur Baginiel, commenQons...
BAGIMEL. II regarde la comtcsse : ce!le-ci, d'un air languissant, lui fait signc dc commcncer.
Du 28 Janvier 1866, une baguc, perlc et brillants : 2 liOO francs.
LA COMTESSE.
C'est lo premier bijou qu'il m'ait donne.
MADAME PALMER, ecrivant.
2 '600 francs.
15 A CI MEL.
Du 4 mars...
LA COMTESSE, tres omue.
Du 4 mars... Nous nous sommes maries le 0...
B A ( ; I M E L . Du 4 mars... deux alliances et une medaille dc ma- riage, inscription emaillec sur or mat : 100 francs...
LA COMTESSE, avcc un regard dc reconnaissance au bustc.
Ah!...
r. A CI MEL.
Un bracelet, pcrles et brillants : 10 000 francs.
AGTE DEUXIEME. J35
LA COMTESSE. All!!...
I! A C. 1 M E I, .
Une broche joailleric brillaiits : 45 000 francs.
MADAME 1>ALMER.
Voiis avez dit"?...
BAGIMEE.
45 000 francs.
MADAME DE C II ATE AI'-L AN S AC.
Mazctte!...
LA COMTESSE, avec enthousiasme.
Et voila riiomme que vous soup^onniezl... Car je ne suis pas voire dupe et j'ai bien compris ce que vous vouliez dire... Continuez, monsieur Bagimel.
HAC.IMEL, gagne par renthousiasmc dc la comtesse.
Toujours du 4 mars... Une paire de boucles d'oreilles, — deux brillants, deux perles noires : — 10 000 francs. Une chatelaine, — chiffre et couroime, diamants et sapliirs : — 4 000 francs... En tout, pour le 4 mars : 71 000 francs.
LA COMTESSE, a ses deux amies.
Hein!...
liAGIMEL.
En JLiin, une parure Campana, — collier, boucles d'oreilles et bracelets : — 2 200 francs. En septembre, une bague saphir et brillants : 4 000 francs. En decem- bre, fourni et serti un brillant : 75 francs; remis a neuf diverses pieces joaillerie : 30 francs ; reenfile cinq rangs de perles : 50 francs... et c'est tout, je crois, pour 18GG... Non!... encore en decembre, une aigrette en brillants : 3 000 francs... et c'est tout!
136 LA VEUVE.
MADAME PALMER, tres vitc.
80 953 francs...
B VGIMEL, etonne.
Madame?...
M A D A M E P A L M E R .
Ca fait 80 95o francs pour la premiere annee. Pas- sons aux suivantes...
LA CUMTESSE.
Je ne demande pas mieux, passons aux suivantes.
BAGIMEL, feuilletant le second livre.
1867. En mars 1867... un bracelet Souvenir, diamanls sur or mat : 2 500 francs.
LA COMTESSE.
En mars... Souvenir!... souvenir du 9 mars...
BAGIMEL.
En juin, un monogramme, pierrcs varices : 800 francs. En septembre, un oiseau pour la coiffure...
LA COMTESSE. chcrchant ct no so souvcnant pas.
Un oiseau?... Un oiseau?...
BAGIMEL.
Oui, madame, un oiseau pour la coiffure : 4 000 Irancs.
LA COMTESSE.
Vous devez vous trompcr, monsieur Bagimel.
MADAME PALMER, s'arretant, posant la plume.
Qu'est-ce que je vous disais? Monsieur Bagimel s'est trompe... J'aurais parie, moi, que monsieur Ba- gimel s'etait trompe !
BAGIMEL, montrant son livre.
Cepcndant. madame...
ACTE DEUXIEME. 137
LA COMTESSE.
Je suis sure de ne pas avoir... (En somiant.) II y a, du
reste, Une facon bien simple... (a Joseph, qui vient dentier.)
Priez madame Robert d'apporter ici men coffret k bijoux. (Joseph sort.) Coiitinucz, monsieur Bagimel.
MADAME PALMER.
Alors, je n'ecris pas I'oiseau?...
LA COMTESSE.
Non, sans doute!
BAGIMEL.
Hum !... Deux boutons, solitaires, brillants : 20 000 fr.
LA COMTESSE.
Je les ai... jeles ai!... Vous voyez bien que, pour I'oi- seau, c'etait une erreur... les deux boutons, je les ai... Continuez, je vous en prie...
BAGIMEL.
Un medaillon en brillants sur onyx : 3 000 francs.
LA COMTESSE.
Oui...
MADAME PALMER, ecrivant.
0 000 francs.
BAGIMEL.
En octobre, une paire de boucles d'oreilles, oiseaux...
LA COMTESSE, de nouveau tres surprise.
Encore!
BAGIMEL, trouble.
Oui... madame... une paire de boucles d'oreilles, oiseaux, pierres varices : 3 oOO francs...
LA COMTESSE, sechement.
Pour le coup, vous vous trompez !
138 LA VEUVE.
BAOIMEL.
Cependant, madame la comtesse, il y a la...
LA CdMTESSE.
11 y a la une erreiir.
Madame Robert vient d'entrer; cllc pose le cofFret a bijoux sur la table, devant la comtesse, et elle sort.
LA COMTESSE, ouvrant le coffret.
Regardez... je n'ai pas, moi, d'oiseaux, pierres varices...
BAGIMEL, de plus en plus trouble.
Madame la comtesse doit comprendre combien ma situation est delicate...
Jeu de scene : la comtesse regarde Bagimcl;clle rcgarde mesdames Palmer et de Chateau-Lansac, qui, toutes les deux, detournent la tctc.
LA COMTESSE, avec effort, a Bagimel.
Continuez...
M A n A M E P A L M E R .
Un instant... comment vais-je fairc, moi?... Je vais etre obligee d'ouvrir un nouveau compte.
MADAME DE C II ATE AU-LAN S A C.
Passez-moi une feuille de papier...
MADAME PALMER, passant une feuille de papier et une plume a madame dc Chateau-Lansac.
C'est ^a. nous risquerons moins de nousembrouiller... Boucles d'oreilles, oiseaux : 3 oUO francs...
MADAME DE CHATEAU-LANSAC, ecrivant.
3 500 francs.
MADAME PALMER.
Et Tautre oiseau?... celui de tout a riieure... celui de 4 000 francs?... Est-ce que vous ne trouvez pas qu"en bonne justice nous devrions?... Oui, n"est-cc
pas?... (A madame de Chateau-Lansac.) Ajoutcz 4 OUO fraUCS
au nouveau compte... Y etes-vous?...
ACTE DEUXIEME. 139
MADAME DE C H ATE AU-L AN S A C.
J'y suis.
MADAME I'AI.MER, ;i Bagimcl.
AUez, mainteaant.
B A G I M E L .
Ell novembre, un pendant de cou , brillauts : KiOOO francs.
L A C O M T E S S E , d'une voix breve.
Je ne I'ai pas.
MADAME I'AI.MER, :i mailamo de Cliuteau-Lansac.
A vous, alors.
Madame de Cliatcau-Lansac ecrit. B A G 1 M E 1. .
En decembre... deux bracelets tour de bras, bril- lants. (Avec cmpiesscment.) J'ai cu I'lionneur de les apporter moi-meme a madame la comtesse... Madame la comtesse doit se rappcler...
LA CdMTE.^SE.
Oui. je me rappelle...
BAGIMEE.
2'2 000 francs, les deux bracelets tour de liras : 22 000 francs.
MADAME DE C H AT E AU-L AN .'^ AC, a madame Palmer.
Ca, c'est pour vous.
MADAME PALMER.
Qa, c'est pour moi.
Avant d'annoncer l"articlc suivant, Bagimel cherche a. voir dans le coffret a bijoux : la comtesse s'apcrgoit du manege et place le colfret do i'acon que Bagimel ne puissc pas voir ce qu'il y a dedans.
BAGIMEL.
Un bandeau cinq etoiles, brillants...
LA COMTESSE, ironiqiie.
Cinq etoiles?...
140 LA VEUVE.
BAC.IMi:!..
Oui. madanie la comtesse.
LA COMTESSE, de plus en plus ironique.
Conibien?...
p. A G 1 M E I. .
3o000 francs.
LA COMTESSE, eclatant.
3o 000 francs 1 !
BAGIMEL, eperdu.
Madame la comtesse doit coniprendre combien ma situation...
MADAME PALMER, a madame de Cluiteau-Lansac. A YOUS.
MADAME DE C H ATE AU-L AN S A C .
II commence a prendre tournure, le nouveau compte !
LA COMTESSE, a Bagimel.
Apres, voyons...
R A G I M E L .
C'est tout, madame, e'est tout pour la seconde annee.
MADAME PALMER.
J'ai 50 300 francs pour la seconde annee. (a madame
de Chateau-Lansac.) Et VOUS?.,.
MADAME DE C H ATE AU-LAN S A C.
52 500 francs, moi.
MADAME PALMER.
Cinquante... cinquante-deux...
LA COMTESSE.
Qa se balance... Voyons la troisienie annee... jc suis curieuse vraiment...
BAGIMEL, s'essuyant le front.
En Janvier... une glace or mat, chiffres enlaces, bril-
ACTE DEUXIE.ME. 141
lants : 3 500 francs. (La comtesse fait de la tete signe qu'elle n'a pas cela et niaJame dc Chateau-Lansac ccrit Ic chiffrc. — Quant a madarao Palmer, ellc pose sa plume et s'appuie. les bras croiscs, sur Ic dossier de sa chaise, comme si elle savait parfaitement qu"elle n'aura
plus rien a ecrire.) Ell fevricr, uii oiscau... o 000 francs.
(Denegation muette do la comtesse.) Madame la COmteSSC
doit coniprendre combien ma situation est delicate... En mars, une boucle de ceinture or avec brillants :
10 000 francs... (Toujours la meme denegation.) Quand mon-
sieur le comte commandait quelque chose, je ne pou- vais pas savoir, moi... En avril, quatre porle-bonheur : 20 000 francs... (Memo jeu.) En mai, un peigne bandeau, argent, brillants : 30 000 francs... (Meme jeu. Bagimei, bou- leverse, s'essuie encore le front.) Je vous demande pardon... est-ce que vous ne trouvez pas qu'il fait ici une cha- leur?... En juin, un collier, cinq rangs de perles et un fermoir saphir et diamants : 75 000 francs... (.\rretant un
mouvement furieux de la comtesse.) Ah! par exemple, voici
quelque chose pour madamc la comtesse : le nom de madamc la comtesse est en marge...
LA COMTESSE. Eh bien?... (Bagimei a regarde et, suffoque, n'ose dire ce qu'il
a vu.) Eh bien! voyons... pour moi?
MAD.XME P.\LMER, lisant ce que Bagimei n'a pas ose lire.
Un lot de bijoux remis aneuf... 25 francs!
LA COMTESSE.
Oh!
RAGIMEL, accable.
Madame la comtesse doit comprendre combien ma situation...
LA COMTESSE.
Qu'y a-t-il encore?
I5AGIMEL, epuise.
Plus rien... c"est fini : monsieur le comte est tombe
Ii2 LA VEUVH.
maladc en juin... ct nous n'avons pas cu le plaisir de le voir en juillet.
MADAME PALMEU.
Cost fini"?... alors, j"ai, moi, 25 francs a ajouter. (Eiie
les ajoute.) Ct VOUS... VOyonS Un pen. (Elle parcourt le compte de madame de Chateau-Lansac.) 143 500 franCS, en dix mois,
c'est gentil!... 143 500 francs et 25 francs font 143 525, ce qui, avec les 102 800 de la seconde et les 80 955 de la premiere, nous donne 327 280 francs... Cest bien le chiffre que vous aviez dit, monsieur Bagimel!... Je VOUS demande pardon... votre addition etait parfaite- ment exacte...
MADAME DE CHATEAU-LANSAC.
Mais, j"y pense, monsieur Bagimel... vous eles le bijoutier de mon mari...
BAGIMEL.
En effet, madame la marquise, monsieur le marquis me fait I'lionneur...
M A D A M E P A L M E K .
Et c'est chez vous aussi que mon mari, a moi..
P, A G 1 M E L .
Oui, madame.
MADAME DE CHATEAU-LANSAC.
Les comptes, alors, sont sur ces livres?
BAGIMEL, tres inquiet.
Sans doute, madame!...
MADAME DE CHATEAU-LANSAC, voulant ouvrir un des livres.
Eh bien, la, vrai, puisque I'occasion se presente...
p. AGIMEL, defendant ses livres.
Mesdames, je vous en prie, mesdanies...
MADAME PALMER.
Si fait, nous voulons voir...
ACTE DEUXIEME. 143
n A G I M E I. .
Mesdames, je vous en supplie... le secret profes- sionnel...
LA COMTESSE.
Emportez vos livres, monsieur Bagimel... (Avec hau- teur.) Je vous ai dit que vous auriez votre argent, vous I'auroz... Vous pouvez vous retirer...
BAGIMEL, suppliant.
Madame...
Sur un signc dc la comtcsse, il rctourno a ses livres. MADAME I)E CH ATE AU-L AN S AC.
Laissez-aous seulement voir un peu...
I5AGIMEL, se ilebattant ot cmportant sos livres.
Mesdames, mesdames... le secret professionnel, mesdames, le secret professionnel!...
II sort. LA COMTESSE.
143 000 francs en six mois!... II etait temps que Qa finit !
SCENE IX
LA COMTESSE, MADAME PALMER, MADAM E DE CHATEAU-LANSAC, puis MADEMOI- SELLE DE CHARE N TON NAY et la petite AMELIE.
Silence. — Colcrc muottc dc la comtcsse, regards furieu.^ adrcsses au buste, mots entrecoupes : « Cent quarante-trois mille francs!... vingt- cinq pour moi ! » — Sourircs d'intelligence echanges entre madamc Palmer et madame do Chatcau-Lansac. — Mademoiselle do Cliarcn- tonnay entr'ouvre la porto.
MADEMOISELLE DE C H AREiNTU N" N A V , ti madamc Palmer.
C'est votre fille, madame...
144 LA VEUVE .
LA COMTESSE, i madame Palmer.
Votre petite Amelie... Amenez-Ia, ma boanc Charen- tonnay, amenez-la...
MADAME PALMER, se levant; — madame do Chatcau-Lansac se leve aussL
Mais non... il est tout a fait inutile... Nous vous laissons, ma chere.
LA COMTESSE.
Pas du tout! je tiens absolument a voir... (Mademoiselle
de Charontonnay amene .\melie ; celle-ci s'approche de la comtesse.) Cette chere petite I (a madame Palmer, en embrassant.\melie avec
une sorts de fureur.) Etes-vous heureusc d'avoii'!... Si moi, au moins, j'avais!... maisnon... (Regard au buste.) Yingt- cinq francs!... (a Amelie.) Ou'elle est gentille!... Mets- toi la, parle-moi... Toi, du moins, tu ne me diras rien qui puisse me faire dc la peine...
AMELIE.
Oh! non, madame...
LA COMTESSE.
Cher ange!... Tu viens de ton cours?
AMELIE.
Oui, madame.
LA COMTESSE.
Et tu travailles bien?
AMELIE.
Oh! oui!... j"ai etc premiere en recitation classique...
LA COMTESSE.
Vraimenl!... et qu'esl-ce que tu as recite?
A M E L I E .
Une fable de La Fontaine... une belle fable...
LA COMTESSE.
Eh bien! recite-la-moi, veux-tu?
ACTE DEUXIEME. 14o
AMELIE.
Je veux bien! La perte d'un epoux ne va pas sans soiipirs; On fait beaucoup de bruit et puis on se console. Sur les ailes du temps la tristesse s'envole;
Le temps ramene les plaisirs.
Entre la veuve d'une annee
Et la veuve d'une journee La difference est grande...
MADAME PALMER, interrompant sa fille et remmenant.
C'est bien... en voila assez!... Viens, Amelie...
MADAME DE C II AT E AU-LAN S A C, embrassant la comtesse.
A domain, ma chere !
AMELIE, emmenee par sa mere.
Pourquoi ne me laisse-t-on pas finir ma fable?... Je la sais tres bien...
Entre la veuve d'une annee Et la veuve d'une journee La difference est grande...
MADAME PALMER. Mais tais-toi done!... (A la comtesse qui n"a pas bouge.) A
demain, ma chere, a demain!
Sortent madame Palmer, madame de Cliateau-Lansac et Amdlie.
SCENE X
LA COMTESSE, MADEMOISELLE DE CHARENTONNAY, puis NORANXEY.
LA COMTESSE.
Comment s'appelle cctte proprietc que j'ai la-bas. au bord de la mer, tout au fond de la Bretagne?...
MADEMOISELLE DE CHARENTONNAY.
EUe s'appelle le Kerzu...
n. 9
146 LA VEUVE.
LA COMTESSE.
Qu'est-ce que ra veut dire, le Kerzu?...
MADEMOISELLE UE C H ARENTO N \ A Y.
C.a veut dire la maison de I'ennui, la maison de la tristesse, la maison de la desolation... Et, de fait, il est impossible d'imaginer un sejour plus insuppor- table...
LA GOMTESSE, avec elan.
Nous allons partir pour le Kerzu, ma bonne Charen- tonnay !
M .\ D E M ( M S E L L E I) E C H .\ R E N T () N N A Y .
Ah:
LA COMTES.se.
C'est la que nous irons nous enfermer... et nous y vivrons, toutes Ics deux, sans voir personne... seules, toules seules... Vous voulez bien?...
MADEMtMSELLE DE C II A REN TO N N A Y .
Je veux bien, ma cousine.
Eiitre Norancey, Tair furibond : — a peu pres la meme entree qu'au premier acte; — il serre, sans parler, la main de la comtcsse et sc jette sur une chaise.
SCENE XI
Les Memes, norancey.
LA COMTESSE.
Eh bien! qu'esl-ce qu'il y a encore?... (Dun coup doeii,
Norancey montre mademoiselle de Charcntonnay.) OuOl, VOyons . (Norancey explique, par un geste, qu'il ne peut parler devant made- moiselle de charentonnay). Ma bonne Charentounav, voulez-
ACTE DEUXIEME. 147
vous avoir la bonte de prendre ce coffret... vous le donnerez a madanie Robert, qui le reniettra a sa place.
MADEMOISELLE I) E C H AR ENTU N N A Y.
Jc veux bien, ma cousine.
Elle sort emportant le cotlret a Vjijoux.
SCENE XII
LA COMTESSE, NORANCEY.
LA COMTESSE,
Eh bien"?...
NOR A N C E Y .
Eh bien, il est revenu!... il est chez moi mainte- nant... il est chez moi, pres d'Albertine.
LA COMTESSE.
Deja!...
NORANCEY.
Tout a rheure, au moment oii jo m"y attendais le moins, je Tai vu arriver, tenant a la main une loge pour la Timbale... 11 a demande a Albertine si elle vou- lait y venir; Albertine a repondu qu'elle voulait bien... Voila oil en sont les choses : nous allons ce soir a la Timbale... tons les trois! !! Et ce qui s'est passe, il y a un mois, a TOpera, va, derechef, se passer aux Rouffes... avec cette difference qu"au lieu d'entendre... (ii fredonne
tres legeremeni quelques notes du Miserere du Trouvere.) j'enten-
drai : « Encore un qui n' I'aura pas, la timbale, la timbale!... » (Avec luieur.) Mais mon parti est pris! Pen- dant Tentr'acte. je propose a monsieur de Leoneins de venir faire un tour dans le passage Choiseul ; j'amene tout doucement la conversation...
148 LA VEUVE.
I.A COMTKSSE.
Sur la politique?...
N 0 R A N C E Y .
On nous separe, et demain matin...
LA COMTESSE.
Vous y revenez?...
NORANCEY.
II faut bien que j"y revienne, puisque votre moyen, a vous, n'a pas reussi ! (Mouvcment de la cumtesse.) Je ne vous le reproche pas : je m'y attendais... J'etais bien sur qu'un jour ou I'autre il se remeUrait a adorer Albertine, et que, cc jour-la, vous auriez beau faire, il vous serait impossible de le retenir...
LA COMTESSE.
Qu'est-ce que vous dites?...
NORANCEY.
Ce qui est arrive, n'est-ce pas?... Vous avez voulu le retenir, mais il n'y a pas eu moyen...
LA COMTESSE.
Mais pas du tout I... S'il n'est plus ici, c'est que je Tai chass6...
N O R A N C E Y . Oh!
LA COMTESSE.
Sans cela, il y serait encore....
NORANCEY.
C'est vous qui Tavez chassc?
LA COMTESSE.
Oui.
N O R A N C E Y .
Vous etcs bien sure?...
ACTE DEUXIKMK. 149
LA COMTESSE.
Comment, si je suis bien sure!...
N ORANGEY.
Mais alors... vous pourriezme d6barrasser de la Tim- bale... en lui declarant tout a Theure que vous regrettez de I'avoir chasse?...
LA COMTESSE.
Tout a riieure?...
X O R A X C E Y .
Oui... il va revenir...
LA COMTESSE.
Ell non, il ne reviendra pas!... apres la faQon dont je lui ai parle...
XORAXCEY.
Qa. ne fait rien : il a regu votre billet et il va revenir...
LA COMTESSE.
Mon billet?... quel billet?...
XORAXCEY.
Celui que vous lui avez ecrit...
LA COMTESSE.
J"ai ecrit a monsieur de Leoneins? moi?...
X () R A X C E Y .
Deux lignes seulement : « Mou ami, venez me voir sur-le-cliamp... »
LA COMTESSE.
Hein?
X O R A X C E Y .
I Venez me voir sur-Ie-champ; il Taut que je vous parle... »
LA COMTESSE.
Mais c'est ci vous que j'ai ecrit cela!...
loO LA VEUVE.
NUR.V.NCEY. Oui... a nioi. d'abord... Mais comnie, api'es avoir lu, j'ai soigneusement reuiis votre petit mot sous cnve- loppe, et comme je Tai envoye de votre part a mon- sieur de Leoneins...
LA COMTESSE.
Vous vous etc3 permisl...
Entre Joseph. N 0 R .\ .N C E V .
C'est monsieur de Leoneins?...
JOSEPH.
Oui, monsieur.
N 0 R A N C E V . Faites entrer. (A la comtesse, has ct duno voix tragique.)
Mais, cette fois, par exemple, si vous le laissez encore echapper!...
.Josepli sort.
LA COMTESSE, ne sachant si clle a envie de rire ou do so facher.
Ah Qa! mais....
N O R A N C E V .
Ne VOUS occupez pas de moi... louviant la pone de gauche.) je passerai par le petit salon.
LA COMTESSE.
Mais je ne veux pas que vous me laissiez...
NORANCEV. Adieu. (II sort, ferme la porte ct la rouvre [u-esque aussitot.)
Ah! tenez, j'oubliais...
11 donne un j apicr a la comtesse. LA COMTESSE.
Ou"est-ce que c'est que ga"?...
ACTE DEUXIEME. lol
N 0 R A N C E Y .
G'est le coupon... pour la Timbalel.. Je vous I'ai rap- porte....
II refcrme la porte de gauche et disparalt. — Au meme instant, la porte du fond s'cst ouvcrtc : Leoncins cntre, tenant une carte a la main. — La comtessc ticnt toujours le coupon que lui a remis Norancoy. — lis se regardent, un moment, sans rien dire.
SCENE XIII
LEONEINS, LA COMTESSE.
L E 0 N E I N S .
Madame...
La comtessc regarde Leoneins; clle regarde le bustc, hesite. puis a la tin, ello part d'un eclat do rire un peu ncrvcux, auquel, naturcllemcnt. LSoncius ne comprend pas grand'cliosc.
LEONEINS.
Je viens de recevoir cette carte, (ii montic le billet de
la comtessc qui lui a ele cnvoyo par monsieur de Norancey.) L.\ COMTESSE.
Cette carte?... (kiic jetto le coupon sur la tabic. ) Doimcz-
la-moi, cette carte... (Kile la prend et. riant toujours par soubre- sauts, la decliirc en petits niorceaux. — Leuncins la regarde d'un air
etonne.) Ne cherchez pas a comprendre... vous ne pouvez pas... Vous etes venu... je suis contente que vous soyez venu.
LEU NE INS, transporte.
Ah!
LA CO.MTESSE.
Asseyez-vous...
LEONEINS.
C'est bien vrai, vous me pardonnez?
lo2 LA VEUVE.
LA COMTESSE, apres un regard au bustc.
Oui... jc vous pardonne...
L E (> N E I N S .
Et je pourrai vcnir... comme je venais... tous les jours? Et je vous verrai?,..
LA COMTESSE.
Vous me verrez tant qu'il vous plaira... Je n'y mets qu'une condition...
L E 0 N E I N S .
Je I'accepte d'avance.
LA COMTESSE.
Bien, mais asseyez-vous...
LEONE INS, s'asseyant sous le buste.
Oui, oui... tout ce que vous voudrez.
LA COMTESSE.
Cette condition...
L E 0 N E I N S .
Je I'accepte, vous dis-je; a quoi bon en parler, puisque je I'accepte?...
LA COMTESSE, souriant.
II faut en parler tout de memo... Je vous recevrai, je vous le repete, et vous me verrez... tous les jours, si vous voulez... mais a la condition que jamais il ne sera (Question de mariage entre nous...
L E 0 N E 1 N S .
C'est entendu, jamais il ne sera question de... (s'arru- tant.) Oh! mais, la... qu'est-cc que vous me faites diro?...
LA COMTESSE.
Jamais je ne me remarierai... Vous avez vu comme j'etais en colere, il ya une hcurc.iMouvement dc Looncins.)
ACTE DEUXIEME. 153
Rassurez-vous, je ne suis plus en colere maintenant... centre vous, du moins, parce que, depuis, il s'est passe
deS Choses... (a part, en regardant le buste.) Yillgt-ciliq
francs!... iv Ldoneins.) Mais si je ne dois rien aux autres, je me dois a moi-meme... afin de repondre a ces bruits qui ont couru... Et c'est justement pour concilier ce que je me dois a moi-meme avec... avec les sentiments d'estime, d'affection... c'est pour ccla que je vous recevrai et que j'avouerai que j'ai du plaisir a vous recevoir... si vous me promettez, vous, de ne jamais me parler...
De mariage?. Oui.
LEONE INS,
LA CO.MTESSE.
LEONE INS.
De quoi vous parlerai-je, alors?
LA COMTESSE.
De tout ce que vous voudrez. Eh bien, promettez- vous?...
LEONEINS, inilecis.
Voyons!...
LA COMTESSE,
Promettez-vous?... II iaut promettre ou cesser de me voir...
LEONEINS, vivcmcnt.
Je promets, alors, je promets...
LA COMTESSE.
A la bonne heure!...
LEONEINS.
Mais il faut bien que ce soit vous qui me le deman- diez!
9.
151 LA VEUVE.
LA COMTESSE.
Voyoz comme maintenant je m'approche de vous avec confiance...
LEONEINS.
Mais... jc vous aime, moi...
LA COMTESSE, se fachant.
Eh bien?...
L E u N E I N s .
Je ne vous paiie pas de mariaire!... Vous m'avez dit que je pourrais parler de tout ce que je voudrais, excepte...
LA COMTESSE, riant.
Oh! oul, mais...
LEONEINS.
Et il y a longtemps que je vous aime!.. Vous le savez bien, qu'il y a longtemps, car autrefois vous nie permettiez de vous le dire...
LA COMTESSE.
Oui, mais alors mon mari etait la, et vous dcvcz bien comprendre que ce qui, alors, etait permis...
LEONEINS.
Ah!...
LA COMTESSE.
Nous devons maintenant nous en lenir a Tamitie...
L E O N E I N S .
L'amitic?...
LA COMTESSE, en souriant.
C'est cela que je voulais dire... Ouand je vous disais qu'il ne fallait pas me parler de mariage, il ^tait bien entendu qu'il ne lallait pas me parler non plus... L'amitie, voila tout, la bonne et franche amitie!...
ACTE DEUXIEME. 15o
L E 0 N E I N S .
La bonne et franche?...
LA C O M T E S S E .
C'esttou jours Qal...
L E 0 N E I N S .
Sans doute...
LA C O M T E S S E .
Et c'est vraimeut la tout ce que je peux vous donner...
L E 0 N E 1 N S .
Tout?
LA C U M T E S S E .
Si vous n'en voulez pas?...
L E O N E 1 N S .
Si fait, si fait, j'en veux bien, mais...
LA COMTESSE.
Ah! pas de mais... C'est un engagement qu'il faut prendre, et vous ferez bien de ne pas y manquer...
L E 0 N E 1 N s .
Pourquoi?
LA COMTESSE.
Si vous y manquiez...
L E 0 N E I N S .
Si j'y manquais?...
LA COMTESSE, d'unc voix qui n'est pas clii tout d'accori avcc Ics paroles.
Je vous renverrais... et ce serait pour tout de bon, celte fois...
L E U N E 1 N S .
Je n'y manquerai pas!...
156 LA VEUVE.
LA COMTESSE, tic.s tendienient.
Je veux vous croire... C'est si bon de ne rien avoir a craindre!...
L E 0 N E I N S .
Non, ne craignez rien, rien...
LA COMTESSE.
De Tamitie"?...
L E 0 N E I N S .
Qui, de I'amitie...
LA COMTESSE.
De Tamitie, pas autre chose...
LEOxNEINS.
Pas autre chose, je vous le jure... Vous entendez, je vous jure...
L.\ COMTESSE, fcrmant presquc les ycux.
J'entends.
Pendant ces dix dernicrcs rcpliques, les deux personnages se sont rap- proch^s I'un de I'autre. Les voix sont devcnues tremblantes. — Cela doit etre joue avec une grande delicatesse. — Sur le mot : « J'entends », les Icvres de Lconcins effleurent Ic front de la comtesse. Elle se Icvc tirusquement.
LA COMTESSE.
Ah!
LEONEINS, eperdu.
Louise !...
En se levant, la comtesse a apcr^u le buste. — C'est justement sous cc malhcureux buste qu'ellc s'ost laisse embrasser. — Elle pousse un cri et sc sauve chez elle en cacliant son visage dans ses mains. Leoneins rcste seul en tote a tete avec le buste ct lui adresso un geste violen d'impatience et dc colerc.
AGTE TROISIEME
Toujours iiKhnc decor, mais tres eclairtj, tres brillant. — Des fleurs, beaucoup dc fleurs. Le buste a disparu; il est remplac6 par unc voliere dorcc, dans laquellc il y a des oiseaux des lies.
SCENE PREMIERE
MADAME ROBERT, VICTORINE, Autres
DOMESTIQUES, puis JOSEPH.
Les domcstiques portent des livrees eclatantos ; madame Robert ct Victorine ont des robes claires : tout doit donncr une impression de vie et de gaicte.
MADAME ROBERT, entrant.
Vifel vite!... on va sortir de table... Allumez le lustre! les flambeaux, les candelabi^es!... Allumez tout ce qui peut etre allume!...
UX DOMESTigUE, tres gaicmont.
Illumination generate !
MADAME ROBERT.
Justement!... c'est cela que demande madame la comtesse... de la lumiere, de la lumiere partout! Allumez, allumez!
On entend de grands eclats de rire. VICTORINE.
lis sont gais, dans la salle a manger!... (Nouveaux eclats de rire.) All! mais... ils sont tres gais, decidement!
Entre Joseph.
158 LA VEUVE.
JOSEPH , sc tonlant.
J'ai cte oblige de sortir... je n'y tenais plus!
MADAME ROBERT.
Qu'est-ce qui se passe done?
JOSEPH.
Cast monsieur Gaetan... II n'y en a pas deux comme monsieur Gaetan!... II s'est altrape avec mademoiselle de Charentonnay... Et toutes les fois que monsieur Gaetan s'attrape avec mademoiselle de Charentonnay. on pent s'attendre a rire... 11 lui a demande quelle diC- ference il y a... attendez, que je me rappelle... quelle difference il y a entre une toque et la belle-mere d'un conseiller referendaire a la Gourdes Comptes... Mademoiselle de Charentonnay a repondu qu'elle ne savait pas.
VIGTORINE.
Quelle difference il y a entre une toque?...
JOSEPH.
Oui, une toque de juge... une toque d'avocat...
MADAME ROOERT.
Entre une toque et la belle-mere d'un conseiller...
LE DOMESTIQI'E.
Referendaire...
VIGTORINE.
A la Cour des Comptes...
JOSEPH.
Je parie que vous ne trouvez pas!...
VIGTORINE.
Eh bien, voyons...
JOSEPH.
Cost que la belle-mere d'un conseiller referendaire
ACTE TROISIEME. lott
a la Cour des Comptes peut tres bien etre toe, tandis qu'une toque ne peut jamais etre la belle-mere d'un conseiller...
TOUT LE MONDE.
Oh!
MADAME ROBERT, dedaigneuse.
^'est ga qui les a tant fait rire? JOSEPH.
Oui... (Kclats de rire dans la salle a manger.) Et teUCZ, il
est probable que monsieur Gaetan vient de leur en dire une autre de la meme force...
^• 1 C T 0 K I N E .
Est-il possible que des ma i tres?...
JOSEPH.
Les maitres"?,.. lis adorent les grosses betises, les maitres !
LE DOMESTIQUE.
J"aurais cru, moi, qu'une repartie ingenieuse, une pensee delicate, delicatement cxprim(5e...
JOSEPH.
D'oii sort-il, celui-la?... Les pensees delicates... ah! bien, ouichel... Tenez, je me souviens qu'a un grand diner... c'etait du temps de monsieur le comte, il y a plus d'un an... on nous avait amene ici un homme eminent, membre de I'lnstitut, etc., etc., et tout... un homme du i)remier merite... et on nousavaitdit : « Vous allez voir cet homme-la... quand il parle, c'est prodi- gieux! » Nous voila prevenus!... On passe dans la salle a manger, on se place... L'homme eminent est a droite demadamelacomtesse... c'est tres bien !... II commence a parler : personne ne bronche... (Avec coiere.) II n'a pas ctrenne, I'homme eminent! il a parle pendant deux
160 LA VEUVE.
heures sans s'arreter, et il n'a pas etrenne une pauvre petite fois !!!... A la fin, moi, j'en avals pitie, et, de temps a autre, pour essayer de le remonter un peu, je souriais!... II s'en est apercu, et, pendant la seconde moitie du diner, toutes les fois qu"il prenait la parole, c'etait a moi qu'il s'adressait... Yoila les maitres!... Un homme eminent les laisse froids... (Rires dans la saiie a manger.) tandis que monsieur Gaetan, avec ses betises ..
V I C T O R I N E ,
Eh bien! moi, pour me faire rire, il mc faudrait d'autres betises que celles de monsieur Gaetan.
JOSEPH. Je sais bien, moi, quelles betises il vous faudrait!...
II rcmlirassc. M.VDAME ROBERT.
Eh bien, Joseph I...
JOSEPH.
Allons, madame Robert, allons... vous nallez pas etre plus mechante que madame la comtesse... Elle m'a parTaitement vu, hier, madame la comtesse. Elle m'a parfaitement vu embrasser mademoiselle Victo- rine, dans le petit salon, et elle est d'abord restee comme ga!... Mais quand je lui ai eu dit que j'avais promis k mademoiselle Victorine de I'epouser, madame la comtesse s'est mise a rire et elle nous a dit : « C'est tres bien, alors, c'est tres bien... »
E.xplosion de rires plus forte que Ics precedentcs ; la portc de la salle a manger s'ouvre avec fracas et tous les convives, avec dc grands eclats de rire, entreat dans le salon.
ACTE TROISIEME. 161
SCENE II
LA COMTESSE, LEONEINS, ALBERTINE, NO- RANGEY, MADAME PALMER, MADAME DE CHATEAU-LANSAC, GAETAN, GEORGES, MADEMOISELLE DE CH AREN TONN A Y.
Toutos Ics femmes dans les toilettes les plus claires et les plus tapa- geuses. — Entro Gaetan, tournant Ic dos au public, riant tres fort, par- lant a madanio de Chateau-Lansac et a madamo Palmer qui arrivent ensemble.
G A E T A X .
Rein? elle est bonne, pas vrai?... Ecoutez encore celle-la... Quelle difference y a-t-il...
MADAME DE C II A TE AU -L AN S A C .
Oh! assez, Gaetan, assez!
G A E T A N .
Quelle difference y a-t-il entre une bille de billard...
MADAME PALMER.
Assez, on vous ditl...
G A E T A N .
Vous ne voulez pas? (■a m'est egal, je m'en vas le
dire a... (ll abandonne madame do Chateau-Lansac et madame Palmer, qui traversent la scone, et va a la comtesse, qui vient d'entrer
au bras do Norancoy.) Ecoutcz un peu!... Quelle difference y a-t-il...
LA COMTESSE.
Si vous continuez, nous allons vous battre!...
G A E T A N .
Vous ne voulez pas non plus?... Eh bien, entre nous, vous avez tort. Ellc ctait d'un sale, celle-lti, elle etait d'un sale!...
162 LA VEUVE.
L.V CUMTESSE.
Vous dites toujours ga, et puis...
Gaetan va retrouver madamc de Chatcau-Lansac et madame Palmer. — La comtessc arrive jusciu'aii milieu de la scene, aupres de la voliere qui a remplac(5 le bustc ; elh- s'arrete, met un cenou sur le pouf, regards les oiseaux et s'amuse a Icur faire becqueter des grains de raisin. Norancey I'obscrve en riant. — Pendant ce temps-la entre mademoiselle de Charentonnay au bras de Georges.
M.\ DEMOISELLE DE C II ARE N TO .\N A Y , bas.
Certainement, macousineest bonne pourmoi,mais...
GEORGES.
Vous n'etes pas heureuse ?
MADEMOISELLE DE CHARENTONNAY.
Non.
GEORGES.
Moi non plus, je ne suis pas heureux...
MADEMOISELLE DE CHARENTONNAY.
Que peut-il vous manquer?
GEORGES.
Je ne sais pas. Voulez-vous vous mettre au piano et nous jouer quelquf chose?... Quand vous nous jouez quelquc chose, il mc semble que je suis moins Iriste... Voulez-vous?
MADEMOISELLE DE CHARENTONNAY.
Je vcux bien.
Elle se met au piano : Gaetan s'elance, traverse toute la scene et vient pres d"ellc.
G A E T A N .
C'est ga, mademoiselle de Charentonnay!... mais quelque chose de gai!... la maison est gaie mainte- nant, il faut joucr quelque chose de gai.
Mademoiselle de Charentonnay joue sans s'arroter plusieurs airs de la Belle Helenc, de la Grande Diicliesse, etc.
ACTE TROISIEME. 163
LEONEINS, a Albertine, bas.
A chaque instant, j'ai envie de tomber a ses pieds.
ALBERTINE.
Gardez-vous-en bien!...
L E O N E I N S .
Ah!...
ALBERTINE.
Elle vous a defend u de lui parler d'amour, de mariage... Eh bien, il nc faut pas lui en parler!...
LEONEINS.
Mais... c'est que, si je ne lui en parte pas...
ALBERTINE.
Elle finira par vous en parler elle-meme... Et c'est ce que nous voulons.
LA CO.MTESSE, a, Noiancey qui legarde Albertine et Ldoneins, et qui t'ronce Ic sourcil en Ics regardant.
Eh bien, quoi?... Vous n'etes pas encore rassure?
NOR A N C E Y .
Si fait... il y a des moments... mais il y en a d'autres ou je suis plus inquiet que je ne I'ai jamais ete...
LA CUMTESSE.
Oh!
N 0 R A N C E Y .
Ileureusement, d'ici a une heure, j'espere etre fix6, et alors, selon que je serai fix6 dans un sens ou dans I'autre... Qu'est-ce que vous avez a rire?...
LA C0.\ITESSE.
Rien... je ris parce que je suis gaie... voila tout!...
GEORGES, a mademoiselle de Charentonnay.
Tenez... la... I'air des Conspirateurs, dans ta Fille de Madame Angot... jouez-nous Qa.
Entrc Joseph. II apporto la cafeticre et sort apres I'avoir posec stir un
164 LA VEUVE.
plateau ou sont deji les tasses, Ic sucre, plateau qui a et^ prepare par madamc Robert au commencemeut do Tacte. La comtesse verse le caf(5. — AUees ct venues de divers pcrsonnages, avec des fusees de I'air, fredoniie a nii-voix.
GEORGES, suivant I'air joue au piano et chantant sans y faire attention. Quand on conspire, Quand, sans frayeur,
GAETAN, entraine par Georges. On peut se dire Conspirateur,
ALDERTINE. Pour tout le monde II faut avoir
MADAME PALMER ct MADAME DE C H A TE AU-L AN S A C. Perruque blonde Et collet noir.
GAETAN, GEORGES, ALBERTINE, MADAME DE CHATEAU-LANSAC et MADAME PALMER.
Quand on conspire, Quand, sans frayeur, On peut se dire Conspirateur,
N ORANGEY, sombre. Pour tout le monde II faut avoir
LA COMTESSE. tres gaio. Perruque blonde Et collet noir.
TOUS.
Bravo! bravo!
LA CO.MTESSE, avec exaltation, la teto prescjuo perdue.
Comme je suis contente, moii Dieu, comme je suis contentel... Jamais jc n'ai ete contente comme je le suisaujourJ'hui... Ah! je ne saispas... je voudrais rire,
ACTE TROISIEME. 163
je voudrais chanter, je voudrais... Plus fort done, Charentonnay, plus fort!... Vous n'allez pas! vous
n'allez pas!... (Elle fait lever mademoiselle de Charentonnay, jirend sa place au piano, ct, aprcs avoir plaque deux ou trois accords, rcprend a sa facon I'air des Conspirateufs.) Chantez doiie,
monsieur de Leoneins!... si vous ne chantez pas, nous ne serons pas bons amis.
TOUT LE MONDE.
Pour tout le monde II faut avoir Perruque blonde Kt collet noir!
LA COMTESSE.
Et voilai... quand on tape, c'est comme Qa qu'il faut
taper!... (Continuant a jouer, mais autre chose que la Fille de Madame AiKjot-^ elle joue doucement une phrase nuisicale un peu Icnte. une phrase qui accompagne les repliques suivantcs.) A la
bonne heure, monsieur de Leoneins, vous avez chante!...
LEONEINS, a voix basse, pendant que les autres personnages vont et vienncnt autour de la table sur laquelle on a servi le cafe.
Vous m'aviez dit que, si je ne chantais pas, nous ne resterions pas bons amis.
LA COMTESSE.
Et vous tenez a cc que nous restions bons amis?
LEONEINS.
Je crois bicn, que j'y tiens!...
LA COMTESSE.
Avouez que j'avais raison ct qu'il n'ya rien de meil- leur que Tamitic.
LEONEINS, encourage par les signes que madame Palmer et madamc de Chateau-Lansac lui font de loin.
Certainement, certaincment!...
iW, LA VEUVE.
LA COMTESSE.
Avouez qu'il faudrait etre fou pour ne pas s'en tenir \h.
LEONE INS, meme jeu.
Certainement, certaineinent ! . . .
LA COMTESSE, tin peu nervouse; — cela doit se voir a la facon dont cllc jouo la plimse qu'ellc avait commenceo doucoment.
Bien vrai? men amitie vous suffit?
LEONE INS.
Parfaitemeat, parf...
LA COMTESSE, dc plus en plus neiveuse.
Vous vous trouvez heureux comme celaV vous ne d^sirez pas autre chose?... (Looneins no repond pas.)Parlez, voyons.
LEONE INS, changeant do ton et se rajiprochant de la comtesse.
Oui, je parlcrai... dut cela me perdre aupres de vous... mais je n'y tiens plus, je suis a bout, et il taut absolument que je vous disc...
(lAETAN, avec clan ct interronipant bru>;iiucmGnt raj)arte de la comtesse ct de Ijconeins.
Ou'est-ce que nous allons faire maintenant, he?... il faut jouer a quelque chose.
TOUT LE MONDE.
Oui... oui... c'est cela! jouonsl...
MADAME PALMER.
A quoi?
GEORGES.
Aux petits papiers, voulez-vous?...
LA COMTESSE, sc retournant vivemcnt, mais sans quitter lo piano.
Oh I non, par exemplc, pas aux petits papiers!... Vous
ACTE TROISIEME. 167
en etes arrives a 6crire de lelles choses sur vos petits papiers qu'on est oblige de les bruler tout de suite... tant on a peur que les domestiques ne les lisent le lendemain !...
GAETAN.
Le fait est que, I'autre jour, chez madame Palmer, j'en ai 6crit une qui etaitd'un sale,d'un sale!...
MADAME PALMER.
Vous ne devriez pas vous en vanter.
GAETAN.
La demande 6tait pourtant bien simple.-,. On deman- dait quelle difference il y a entre une caleche et un ballon captif... C'etait bien simple, n'est-ce pas? eh bien, j'ai trouve moyen, dans la reponse... Je vais vous dire ce que j'ai repondu...
MADAME PALMER.
Gaetan... je vous defends...
GAETAN.
J'ai repondu...
MADAME PALMER.
Je vous defends, tres sericusement...
GAETAN.
C'est bon, je me tais... Mais qu'est ce qui y perd?... ce n'est pas vous, qui la connaissez, la reponse... ce sont ces dames et ces messieurs, qui ne la connaissent pas.
GEORGES.
Enfln, vous ne voulez pas des petits papiers. Voulez- vous que Gaetan et moi nous vous jouions une cha- rade ?
168 LA VEUVE.
NFADAME DE C H ATE A U - L A N SA C.
Va pour line charade!
GEORGES.
Seulement, nous vous demanderons la permission d'aller nous recueillir dans le petit salon.
LA COMTESSE.
Allez vous recueillir.
Ellc se remet au piano, regarJe Ldoneins et laisse courir scs doigts sans jouer positivemcnt : quelques modulations ; quelques accords. — Gactau et Georges sortent par le fond a gauche.
SCENE III
LeS MeMES, moins Georges et Gaetan. N ORANGEY, a. mademoiselle de Gharentonnay.
Venez faire un besigue avec moi... cela vaudra mieux... vous savez le besigue?...
MADEMOISELLE DE CII ARE N T 0 N N A V.
Oh! oui... monsieur Georges a bien voulu...
N ORANGEY.
Savez-vous le besigue chinois?
MADEMOISELLE DE GHARENTONNAY.
Oh! oui... monsieur Gaetan a eu la bont^...
lis s'installent etcommencent a jouer. — Albertine, niadaraede Ch&teau- Lansac et madamo Palmer bavardent tout en observant. — Lconcins s'est rapproch6 de la comtesse.
LA CO.MTESSE, bas, a Leoneins.
Eh bien, voyons!... qu'alliez-vous me dire, tout a I'heure?
LEONEINS, pendant que la comtesse continue a jouer du piano en parcourant unc partition do Gounod, Mireille.
J'allais vous dire... Cest, sans aucun doute, une
ACTE TROISIEME. 169
grande maladresse que je commets la... mais qu'est-ce que vous voulez? c'est plus fort que moi, j'ai absolu- ment besoin d'etre maladroit... J"allais vous dire que j'ai ete coupable envers vous et que je m"en accuse. J"ai souffert que Ton jouat une comedie pour vous tromper... je n'aurais pas du le souffrir.
LA COMTESSE.
Une comedie?...
LEONE INS.
Oui, Ton vous a dit un tas de choses. n'est-ce pas? On vous a dit que j'etais amoureux de madame de Norancey... ce n'etait pas vrai. Je n'aime, je n'ai jamais aime que vous; je vous ai aimee le jour oii je vous ai vue pour la premiere fois, et, depuis ce jour-la, vous avez ete le but unique et la constante occupation de ma vie!... II nx a pas eu un battement de mon coeur qui ne fut a vous... Je vous aime enfin. je vous aime... je vous adore... Je sais bien qu"en vous disant ces choses-la, je vous irrite... et que je me perds... Mais c'est plus fort que moi, je vous le repete, et je ne puis pas ne pas vous les dire...
LA COMTESSE.
Et... pourquoi cette comedie?...
LEONEINS.
Vous ne vouliez pas me recevoir... alors, on avail imagine... Mon Dicu ! il est bien clair, apres cela, C{ue vous ne me pardonnerez jamais... On avail imagine... on avail suppose...
LA COMTESSE.
One, le jour ou je vous croirais amoureux d'une autre, je m'empresserais...
LEONEINS.
Je ne voulais pas d'un tel moyen, moi... et, chaque II. 10
no LA VEUVE.
jour, j'arrivais ici avec rintention bien arretee de tout vous avouer; si je n'en ai ricn fait, c'cst que...
LA COMTESSE.
C'est que?...
LEONE INS.
C'est que...
LA CO.MTESSE.
C"est que vous avez vu que le moyen en question reussissait assez bien?...
LEONEINS.
Oui... c"est-a-dire, non... enfin, oui, le moyen avait I'air de reussir... je pouvais vous voir... L^-dessus est arriv^e I'histoire de la Timbalel... vous m'avez mis a la porte... et puis vous m'avez permis de revenir k la condition que je nc vous parlerais ni de mariage, ni d'amour.
LA COMTESSE,
Et vous avez promis...
LEONEINS.
Oui, j'ai promis, et je crois, Dieu me pardonne, que j'ai ri, que j'ai plaisante... j'avais si peur de vous de- plairc!... Mais je n'ai pas la force de mentirplus long- temps; Tamour n'est pas plaisant de sa nature, il est serieux, au contraire, tout ce qu'ily a deplus serieux... et c'est de Tamour que j'ai pour vous, et c'est de I'amour que je vous demande. Je ne veux pas que vous soyez mon amie; je veux que vous soyez ma femme... ma femme, vous entendez!... ma femme et ma femme adoree... On m'avait bien defendu de vous le dire, mais qa. m'est egal, je vous le dis... et quoi qu'il puisse arriver, je suis content de vousl'avoir dit. Maintenant, c'est k vous de repondre.
ACTE TROISIEME. {![
SCENE IV
Les Memes, GAETAN, GEORGES.
GAETAN, paraissant a la poite Jii petit salon.
Une petite ouverture, s'il vous plait... (A la comtesse.) Madame, je vous en prie, une petite ouverture I... (La com- tesse joue I'air de la Belle Helene : « Pars pour la Crele ». — Tout en jouant, elle regarde Leoneins de I'air le plus railleur. — Georges
reprend :) C'est tres bien, je vous remercie...
Gaetan rentre avec Georges : la comtesse quitte le piano : tout le monde regarde la charade. — Gaetan est arrivd apportant une petite table ; Georges un bougeoir et un jeu de cartes. Gaetan pose la petite table sur le devant de la scene, Georges place le bougeoir sur la table, et tous deu.x se mettent a joucr au baccara.
GEORGES.
« II y a cent louis, monsieur.
GAETAN.
» Je les tiens, monsieur...
GEORGES.
» Au baccara, monsieur?
GAETAN.
» Oui, monsieur, au baccara.
GEORGES, apres avoir donne les cartes
» En voulez-vous une, monsieur?
GAETAN.
» Oui, monsieur, j'en veux une.
GEORGES.
» Moi, monsieur, j'ai un.
GAETAN.
I Et moi, monsieur, j'ai trois figures.
172 LA VEUVE.
GEORGES.
» Alors, monsieur, vous avez pata !
GAETAX.
» Oui, monsieur, j'ai pata; qu'y trouvcz-vous u dire?
GEORGES.
» Rien du lout, monsieur : passez-moi vos cent louis.
GAETAN.
I Jamais de la vie, monsieur!... » (Saiuant,) Fin du
premier tableau. (Grands eclats de rire. applaudissements; on
feiicite Gaetan et Georges.) Notre charade en aura deux; mais, pour le second, il nous faudrait quelques acces- soires...
LA COMTESSE.
Demandez a Joseph : il vous donnera tout ce dont vous aurez besoin...
GAETAX.
Mesdames et messieurs, nous avons i'honneur...
lis retourncut dans le petit salon en emportant Icur table, leur bougeoir ct leurs cartes.
SCENE V
LeS MeMES, moins Gaetan et Georges. MADAME DE C H A TE A U- L A X S A G.
Le premier tableau, c'cst bac... ils vont faire semblant de franchir unc haie, et le mot sera baquet.
MADAME PALMER.
Moi, je crois que c' est pata, le premier tableau; ils vont arriver avec une caisse, et le mot sera initaques.
ALUEKTIXE.
Moi, jc crois que c'est abat-jour.
ACTE TROISIEME. lliJ
LA COMTESSE, lepondant a un regard suppliant de Loonoins.
Comme cela, alors, ils vous avaient dit que le meil- leur moyen de reussir etait de ne pas me parlei' de mariage?
LEONEINS.
Oui, ils m'avaient meme assure que, si je tenaisbon, que si je ne vous demandais pas votre main...
LA COMTESSE.
Ce serait moi, peut-etre, qui vous demanderais la
votre? (Leoneins incline la tete d'un air confus.) Eh bien, ma
foi... au risque d'etre plus maladroite encore que vous n'avez ete maladroit, je vous avouerai qu'ils n'avaient pas tout a fait tort... •
LEONEINS, (ipeidu.
Louise!...
LA CU.MTESSE.
Que voulez-vous?... il eut bien fallu en venir \h, si vous ne vous etiez pas decide; mais je vous remercie de m'avoir epargn6 la peine d'en venir 1^.
LEONEINS.
Ah!...
II tombe aux pie'ls de la comtesse et lui baise les mains avec transport.
TOUT LE MONDE.
Enfin !
LA COMTESSE.
Eh bien, oui!... II est a mes picds pour me renier- cier... (A Noranccy.) et VOUS aussl, vous devriez y etre, pour me demander pardon... car je sais tout... il m'a tout dit.
N O RANG EY, s'agenouillant.
N'est-ce que cela? m'y voici...
10.
174 LA VEUVE.
A L 13 E R T I N E .
Et nous aussi... car, nous aussi, nous sonimes cou- pables.
Albertine, madame Palmer ct madame de Chateau-Lansac, sans s'age- nouiller, tcndent les mains vers la comtesse. — Entrant Ga^tan et Georges, habill6s en Chinois de fantaisie; ils tombent a gcnoux au milieu du salon.
SCENE VI
Les Memes, GAETAN et GEORGES.
GAETAN.
Et nous done!... et nous!!!
Tableau : tout Ic monde suppliant autour de la comtesse. LA COMTESSE, souriant.
C'etait une eonspiration generale, il parait!...
N ORANGEY.
Et vous savez...
Quand on conspire.
TOUT LE .MONDE.
II reprend I'air.
Quand on conspire, Quand, sans frayeur, On pent se dire...
LA COMTESSE, les interrompant.
II n'y a vraimcnt pas moyen de resister... et puis, je n'ai guere le droit de me facher, car... au moins dans les derniers temps, j'en ^tais bien un peu, moi aussi, de la conspiration!
Elle tend la main k Ld'oneins. Tout le monde se rcleve. GEORGES.
A quand la noce, maintenant, u quaud la noceV
ACTE TROISIEME. 175
MADAME DE C H ATE AU- LA N S A C.
Dans un mois.
LA CO MT ESSE, se recriant.
Oh!
ALBERTINE.
Dans quinze jours, si tu dis un mot!...
LA COMTESSE.
Eh bien, soit, dans un mois... mais pas k Paris, par exemplc!
NORANCEY.
Non! a la campagne... Nous organiserons une petite fete... une fete champetre.
MADAME PALMER.
Avec des divertissements varies.
GEORGES.
Et, le soir, feu d'artifice!
LA COMTESSE.
Un feu d'artifice?... cst-ce que cela ne vous parait pas un peu?...
ALBERTINE.
Non, non... un feu d'artifice, et, apres le feu d'artifice, un petit bal.
GAETAN, voulant prendre la comtesse par la taille.
Etje I'ouvrirai avec vous, le petit bal...
LA COMTESSE.
Gaetan, tenez-vous tranquille!
GAETAN.
Avec vous, je vous dis... Jouez-nous quelque chose, mademoiselle de Charentonnay, joueznous quelque chose.
Mademoiselle de Cliarentoiaiay sc remct au piano et joue une valse.
170 LA VEUVE.
I,.\ COMTESSE.
Charentonnay, je vous defends... voyons, Gaetan, voyons...
Aprcs une resistance 16g6re, la comtesse finit par so laisser entrainer et par faire un tour de valse avec Gaetan. — Entrent deu.x domestiques portant unc caisse grande et plate.
SCENE VII
Les Memes, puis KERNOA, JOSEPH, Domestiques.
norancey. Qivest-ce qu'ils apportent la"?
M A DAME P A L M E B .
C'est le second tableau de la charade... une caisse... je vous avals bien d'll... putaquesl... (a Gaetan.) N'estce pas que votre mot, c'est patac/ues'l
GAETAN,
Non, c'etait Patagomjl... nous attendions que Joseph nous eut trouve un gong...
LA COMTESSE.
Mais qu*est-ce que c'est que ga, alors?...
GEORGES.
Je ne sais pas.
Los domestiques out pose la caisse devant le pouf. — Entre Kornoa en costume d'officier de marine.
C A E T A N .
Kernoa !
KERNOA , a la comtesse.
Madame, J'arrive de Brest... Et, vous voyez, je n'ai pas voulu perdre une minute...
Les domestiques cnlevcnt d'un soul coup un des panneaux do la caisse; on apergoit le portrait d'onfant qui .a ete decrit au premier acte.
ACTE TROISIEME. 173
NORANCEY.
Patatras!
Georges et Gaetan comprimcnt un violent eclat de rire. MADAME DE C H ATE AU-L A N S A C, bas.
C'est le portrait!...
MADAME PALMER, bas
Avec le petit sabre!...
MADEMOISELLE CM A RE NTO N N A Y, d'une voix douce.
Et la petite trompette...
KERNKA, d'une vuix qui devient de plus on plus erabarrassce a mesuro qu'il s'apcrroit du singulier etfct dc son discours.
Le voici, madame... Monsieur de Senermont, d'abord, ne voulait pas s'en separer... c'etait le seul souvenir qui lui rcstat d'un neveu qu'il avait tendre- ment aime... mais, quand jelui ens parle de votre dou- leur, a vous, de vos regrets, de vos larmes, monsieur de Senermont n'a pas pu resister; il m'a permis de le prendre... et moi, alors, comme je vous I'avais promis...
LA COMTESSE, tres digne, tres grand air.
Je vous remercie, monsieur.
KERNOA, bas, a Xorancoy.
Ah Qa, mais que se passe-til done?
NORANCEY, bas.
Elle se remarie dans huit jours.
KERNOA.
Ah!... bien!
LA COMTESSE. a Kernoa, tout en examinant lo tableau
Je vous remercie... Je constate avec satisfaction qu'il sulTit d'exprinier un desir devant vous pour que vous vous empressiez, en depit des obstacles... Je vous suis reconnaissante... (Bas, i\ Norancey.) 11 ne pent pas rester la, ce tableau!
f78 LA VEUVE.
NMJRANCEY, a Joseph.
Emportez ce tableau... Vous le mettrez dans la chambre de mademoiselle de Charentonnay.
MADEMOISELLE DE CHARENTONNAY, bas, a Norancey.
J'ai d6ja le buste.
NORANCEY, bas.
^a vous fera un petit musee.
Les domestiques emportent le portrait. On se refrarde. Kernoa, dans un coin, cause avec Gaetan et Georges. Madame Palmer, madame de Cha- teau-Lansac et Alberline ont beaucoiip de peine a no pas rire. La comtesse a pris un air sdrieux, presque sombre; Leoneins, inquiet, s'approche d'elle.
LEONEINS, bas.
Louise, qu'avez-vous?
LA COMTESSE.
Cast un avertissement du ciel. mon ami. Ce portrait arrivant juste au moment ou je viens de consentir...
LEONEINS, effraye.
Oh!...
LA COMTESSE.
C'est un avertissement du ciel, vous dis-je, et cet avertissement me confirme dans une idee que j'avais d6ja : le feu d'artifice etait de trop, decid^ment. (.A.vec fermete.) II n'y aura pas de feu d'artifice,
NOR A N C E Y .
Mais il y aura toujours un petit bal...
La comtesse sourit; mademoiselle de Charentonna_v s'est remise au piano et reprend la valse qu'elle jouait A I'entree de Kernoa. Gaetan se remet t valser avec Albertine. Le rideau tombc sur un tableau tres animc, tres joyeux.
LA
GRANDE DUGHESSE DE GEROLSTEIN
OPERA-BOUFFE EN QUATRE ACTES
Reprdsente pour la premiere fois. a Paris, sur le Theatre des VARiEras, le U avril 1867.
McsiouE DE Jacques Offenbach.
PERSONNAGES
LA GRANDE-DUCHESSE M"' Schneide
FRITZ MM. Dupuis.
LE PRINCE PAUL Grenier.
LE BARON PUCK Kopf .
LE GENERAL BOUM Coudeh.
LE BARON GROG Baron.
NEPOMUC, aide de camp Gardel.
WANDA, paysanue M"" Garait.
IZA \ Legrand
AMELIE f demoiselles d'honneur de la Veron.
OLGA I grandc-duchesse. Morosin
CHARLOTTE ... J Maucoui Seigneurs et Dames de la cour, Demoiselles d'honneur, deux Page
DEU.K HUISSIERS, SOLDATS DE LA GraNDE-DuCHESSE , ViVANDIERE
Paysans et Paysannes.
La scene en 17-20, ou a peu pr6s. Costumes allcmands, avec autant de fantaisie que Ton voudra.
LA GRANDE-DUGHESSE
DE GEROLSTEIN
AGTE PREMIER
Campemont de soldats. — Tentes au milieu de la campap-ne.
L droite, au deuxieme plan, I'entree de la tcnte du general Bourn. - A gauche, au premier plan, la cantine. — Au fond, un praticable, epresentant une colline, au milieu de la scfene, monte d'abord de droite
gauche, puis de gauche k droite. — Fusils, au fond, ranges sur des ateliers.
SCENE PREMIERE
Soldats, Paysannes, ^'iVA^"DlEREs, puis FRITZ et WANDA.
c n cc u B .
En attendant que I'heure sonne, L'heure heroique du combat, Ciiantons et buvons! Courte et bonne, C'esl la devise du soldat!
Chantons,
Buvons,
Jouons,
Dansons!
11
182 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIX .
En attendant que Theure sonne,
L'heure heroique du combat I etc. Pendant cc choeur, quclqucs soldats valscnt avec des paysaniies; d'autres jouent aux cartes ct aux des sur des tambours; d'autrcs Ijoivent, etc. Les vivandicres vent de I'un a I'autre. — Tableau anime. — Entrcnt Fritz et Wanda, par le fond a gauche; ils dcscen- dent au milieu.
W A N I) A .
0 mon Fritz, que tii m'affliges En m'apprenant ton depart!
K R 1 T z . Va, je ferai des prodiges, Pour revenir sans retard!
COUPLETS.
I
Allez, jeunes filles,
Dansez et tournez :
Vous, dans vos families,
Vous, vous resterez;
Mais nous, pauvres hommes,
Bientot notis irons,
Pour de faibles sommes,
Braver les canons!...
Si le sort funeste
Ne pent s'eviter,
Du temps qui nous reste
Sachons profiler.
Vidons notre verre
En brave guerrier,
Et tant pis, ma chere.
Si c'est le dernier! ...
0 filles jolies,
0 braves gar^ons,
Tournons et valsons
Valsons et tournons,
Comme des loupies,
Comme des tontons;
Tournons et valsons,
Valsons ct tournons!
ACTE PREMIER. 183
T 0 U S .
0 filles jolies, etc.
II
(Valsc sur le refrain.
Quand, prenant les amies, Nous nous en irons, Que de cris, de larmes Et de pamoisons! N'ayez peur, mes belles. Nous vous ecrirons, Et de nos nouvelles Nous vous donnerons. Votre coeur, je pense, Restcra constant, Malgre notre absence... Mais, en attendant, Vidons notre verre, Prenons un baiser, Et tant pis, ma chere, Si c'est Ic dernier! ... 0 filles jolies, 0 braves garcons, Tournons et valsons, Valsons cl tournons, Comme des toupies, Comme des ton Ions; Tournons et valsons, Valsons et tournons!
Tors. 0 filles jolies, etc., etc. Reprise de la valsc. - Au moment ou la valse est tres anim6c, parait le general Bourn, arrivant de la droite, par la colline. — II s'arreto, indign6, et leve les bras au ciel : — il a un 6norme panache sur son chapeau.
I8i LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN.
SCENE II Les Memes, LE general BOUM.
I5(!)UM, descendant en scene.
Des femmes dans le camp, elTroyable licence!...
(Toutes Ics femmes s'enfuient avec un grand cri, par la droito et par la gauche).
FRITZ, sur Ic dcvant de la scene, a part. Bon I voila le geneur!...
I50U.M, faisant un pas en avant. Avez-vous done, soldats, perdu toute prudence"?
FRITZ. Pour etre militaire, en a-t-on moins un cojur?
BOUM, vcnant a, Fritz. Vous encor, vous parlez!
FRITZ,
Mais, general...
I? O U M .
Quand je me fache, Ton se lait! Car ma rigueur, on la connait.
C1I(£UR. Quand il se fache. Ton se tail! Car sa rigueur, on la connait.
BOUM.
COUPLETS.
I
A cheval sur la discipline,
Par les vallons Je vais devant moi, j'extermine
Les bataillons!
Silence!
ACTE PREMIER. 183
Le plus fier ennemi se cache,
Treniblant, penaud, Quand il aper^oil le panache
Que j'ai la-haut!
Pif paf pouf, tara papapoum! Je suis le general Bourn! Boum !
TOUS. Pif paf pouf, tara papapoum! 11 est le general Boum! Boum!
BOUM.
II
Dans DOS salons, apres la guerre,
Je reparais; Et la plus belle, pour me plairc,
Se met en frais; Elle caresse ma moustache,
En souriant... En ce moment-lii, mon panache
Est fort genant.
(Avec eclat.) Paf pouf, tara papapoum! Je suis le general Boum! Boum!
T 0 U S .
Pif, paf pouf, tara papapoum! 11 est, le general Boum! Boum!
TOUS.
Vive le general Boum !
B () r M . A la bonne heure! je retrouve mes enfants, les vail- lants soldats dela Grande-Duchesse, notre souveraine.
Tors. Vive la Grande-Duchesse !
B o i: M . Vous n'eles pas mechants, mais il y a cc Fritz qui vous gate.
180 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN. FRITZ, :i part.
Bon! j'etais siir que ga allait tomber sur moi!...
noUM. Fusilier Fritz, venez ici.
FRITZ, .s'appiochant.
General?...
[? O U M .
Mauvais soldat!...
FRITZ.
Je sais bien d'ou qn vient, tout Qa...
BOUM, frontant Ic sourcil.
Qu'est-ce que vous diles?
FRITZ.
Je dis que jc sais bien d'oii ^a vient, tout Qa... c'est des histoires de femmes.
nouM. Comment?...
FRITZ.
C'est parce que vous avez fait la cour a la petite Wanda...
15 0 U M .
Pas du tout!
FRITZ.
Je vous demande bien pardon... Vous lui avcz fait la cour... et elle n'a pas voulu de vous, parce qu'eile est amoureuse de moi... Et voila!...
HO I'M, ;\ part.
0 fureur !
FRITZ,
EUes ont mauvais gout, les femmes : ellcs aimcut micux le jeune soldat que le vieux chef.
ACTE PREMIER. 187
15 O U M .
Je vous mettrai a la salle de police, moi !
FRITZ.
Qa n'y fera rien.
B ( ) I' M .
Je vous I'erai fusilier!
FRITZ.
Comme ga sera malin !
B 0 U M .
Mauvais soldat!...
FRITZ.
^a vous scrait bien egal que je soye ua mauvais soldat... mais je suis un joli soldat... c'est ga qui est vcxant...
B u U M .
Taisez-vous !...
FRITZ.
Je me tais... mais qa n"empeche pas!...
R 0 U M ,
Jamais je ne me suis occupe de cette petite.
FRITZ.
Je vous demaudebien pardon derechef... vous vous en etes occupe.
Entre Nepomuc par lo fond a Jroito.
SCENE III
Les Memes, nepomuc.
NEPOMUC, :l Bourn.
General!
BOUM, avec energie.
Dites-moi que vous m'annoncez Tapproche de Tcn- nemi, monsieur; dites-le-moi, je vous en prie!
188 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN. N E P O M U C .
Non, general... Je viens vous prevenir que la Grandc- Duchesse va venir passer son regiment en revue.
B U U M .
Vous entendez, soldats!...
N E P 0 M u c . Elle desire qu'une tente soil drcssee pour elle... ici... au milieu meme du campement de ses soldats.
II sort par Ic fond, & droitc. liOUM.
Vite... un homme en faction!... Fusilier Fritz!...
FRITZ, a part.
Toujours moi!... (Haut.) General?...
BOUM.
Vous allez vous mettre en faction ici...
FRITZ.
En plein soleil... naturellement !
BOUM.
Ne repliquez pas !
FRITZ.
Pourquoi faire, d'abord, me mettre en faction?
B 0 U M .
Pour garder la tente de la Grande-Duchesse.
FRITZ.
Puisqu'elle n'est pas dress^e!...
BOUM.
Vous garderez Tendroit ou elle sera...
FRITZ.
Alors, c'est pour empecher qu'on ne vienne emporter
ACTE PREMIER. 189
le terrain?... Je voiis demaiide un peu si ^a a le sens commun !
I? 0 u M . Toujours, alors?...
FRITZ.
Bon!... bon!... je sais d'oii ca vienl... Les femmes, voila!... les femmes!...
B 0 u M .
Ah ! comme je te ferais fusilier, toi, si, a la veille d'une bataille, je n'avais pas peur de diminner mon effectif!
FRITZ.
Mais voila!... vous avez peur de diminuer voire effectif...
B U U M .
Je n'aurai pas le dernier, alors?...
FRITZ.
Non, par exemple!...
BOUM.
Alors, je serais bien bete de m'obstiner... Soldats, i^i
VOS rangs!... (Roulement de tambours : les soldats vent prendre leurs fusils et se placcnt sur deux rangs, au fond. — Quand ils sont
places.) Portez... amies I...
Fritz, qui a pris son fusil dans le coin, a gauche, \>vcs de la cantiue, regarde tout cela d'un air detach^.
FRITZ, au general Bourn, quand les soldats sont ranges.
Ell bien, oii allez-vous comme ga?
BOUM, terrible.
C'est trop fort, ga, par exemple !... ga ne vous regarde pas!... Est-ce qu'il va falloirque je vous rende compte demes mouvements?... Soldats... par leflanc gauche!... en avant... marche!
11.
lUO LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN.
REPRISE ij u c net; i: R .
Pif paf pouf, lara papapounil Suivonri le general Bourn! Bourn I
Lds soldats sortent par le fond a droite : Fritz rcste en faction. — Apr6s le d(5lil6, Ic general Bourn s'approche do Fritz.
nOUM, :i Fritz.
Hon! le vilain soldat!...
II sort en courant, pour rattraper son armJe.
SCENE IV
FRITZ, soul, montant sa faction.
Comme c'est encore malin, qa, de venir faire la gri- mace a un pauvre jeune soldat qui ne peut pas repondre a son general!... C'est une chose qu'on ne veut pas comprendre! 11 y a comme Qa des generaux qui ont des grades, des honneurs... Eh bien, ils croient que qa suffit aupres des femmes... Pas du toutl... il arrive que les femmes prelerent le jeune soldat qui n'a pas de grades... mais qui est aimable... Alors, le vieux general asticote le jeune soldat... Et c'est tou- jours comme Qa...et tant que le monde durera, qa. sera comme qa... et voila!... Tout ca... c'est des histoires de femmes... et pas autre chose!... ixournant la tete a gauche.) Ah! la voici, la petite Wanda!... Elle croit quo je vais aller la retrouver... ah! si je pouvais!... voyant que je n'y vais pas, elle vient... elle vient... (Entre Wanda
par la gauche; cllc resto, un moment, au fond.) Comiue U enra-
gerait, le vieux general, s"il voyait cela!...
II restc immobile, Tarnic au bras.
ACTE PREMIER. 101
SCENE V
WANDA, FRITZ.
WANDA, loin de Fritz. Me voici, Fritz!... j'ai tant couru Que j'en suis, ma foi, hors d'haleine!
(Se rapprochant un peu.)
Mais, pour te voir cet air bourru, Ce n'etait vraiment pas la peine... Dis-moi Poiirquoi? Fritz !ui montre son fusil, puis, un doigt sur la bouche, il indiqae qu'on no pout pas parlor sous Ics armes. — Wanda se rapproche encore ot reprend :
I
Que veut dire cette grimace?... J'accours, el le voila de glace!... Es-tu muet, beau grenadier? Ne sais-tu m'aimer que par signe?
FRITZ, immobile a son poste. II le faut bien, car la consigne, Helas! me defend de parler.
I II passe a gauche.)
WANDA, se rapprochant toujours de Fritz,
II
Finis cette plaisanterie... Lorsque Ton voit sa bonne amie, Monsieur, Ton doit tout oublier... Vite, unjnot, ou bien j'egratignc!
FRITZ, toujours immobile. Je ne peux pas, car la consigne, Helas! me defend de bouger.
192 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN
E .N S E M D L E . FRITZ.
Je ne peux pas, car la consigne, etc.
WANDA.
11 me (lit non, car la consigne, HelasI lui defend de bouger.
(Fritz repasse i droite.)
Ill
Et si, pour lui perdant la tete, Je te disais : « Viens, grosse bete, Viens vite la prendre un baiser », Me ferais-tu I'injure insigne?...
FRITZ, allant vivement a elle, apres avoir pose son fusil a droite. Ah! ma foi, non! car la consigne Ne me defend pas d'embrasser.
WANDA, gaiement. Je savais bien que la consigne Ne defendait pas d'embrasser I
ENSEMBLE. FRITZ.
Non, ma Wanda, non, la consigne Ne me defend pas d'embrasser!
WANDA.
Je savais bien que la consigne Ne defendait pas d'embrasser!
(Fritz rombrassc.)
ENSE.VBLE.
All diable la consigne! Et vive I'amour! Tant pis! en cejour Bravons la consigne, Obeissons a I'amour!
Fritz embrassc do nouveau Wanda. — A cc moment, le general Bourn cntrc par le fond k droite, en bondissant.
ACTE PREMIER. 193
SCENE VI
\YANDA, FRITZ, BOUM.
nOUM, qui a vu le baiser.
Ah I ah ! je t'y preiids !
FRITZ, bas, a Wanda.
Nous sommes pinces!...
II reprend vivement son fusil et se rcmet en faction. \V.\NI).\. tremblante.
Mon Fritz!...
BOUM, a Fritz.
Cette faction que je t'ai ordonne de nionter, ce mou- vement que j"ai I'ait faire k mon armee... tout cela a ete fait pour te surprendre... et je te surprends...
FRITZ.
Eh bien, tenez! ga doit vous faire plaisir... car c'est la premiere fois que je vois reussir un de vos mouve- ments!...
B U U -M .
Malheureux I
Uu coup do fusil au dehors. \'\'.\ND.\, tombant dans les bras de Fritz.
Ah!
FRITZ.
Ma Wanda !
Elle s'est evanouio dans ses bras, il la soutient. B 0 r M .
Qu'est-ce que c'est que qal.. quest-ce que c'est?
194 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN.
FRITZ. Une attaque peut-etre... Pcrnicttezmoi de la reporter chez sa mere...
Second coup dc fusil. noUM.
Oui... va... et veille bien sur elle.
FRITZ.
Ah! vous voyez bien, general... vous voyez bien que vous Tainiez!...
B 0 u M . Va!... va!...
FRITZ, u Wanda qu'il soutient toujours.
Viens prendre im verre de schnaps...
II entre avec elle dans la cautine. — Nouveaux coups de fusil au dehors. — Entre par le fond, a droite, le baron Puck : il court effare, courbe en deux.
SCENE VII
BOUM. PUCK, puis NEPOMUC.
PUCK,
Ah! nion cher Bourn!...
BOUM.
Qu'est-il done arrive?
PUCK,
On ni'a demande le mot dordre... absorbe comme je I'etais par les hautes combinaisons de la politique, j'ai neglige de repondre, et, alors...
p. 0 u M , Pan, pan, ratapanl...
ACTE PREMIER. 195
ITCK.
Pan, pan, ratapan!... lis ont tire...
u 0 u M . C'etait leur devoir...
I'fCK.
Ileureusement, ils m'ont manque...
i; () u M . lis seront punis pour cela...
1 ' u c K . Ou"est-ce que vous dites?
B GUM.
Je dis qu"ils n'auraient pas dii vous nianquer.
I'UCK.
Alors, vous auriez voulu?...
I! U U .M .
Comme general, certainement !... mais j"en aurais ete desole comme ami...
PUCK, lui serrant la main.
A la bonne heure I...
B 0 u M . Et qu'est-ce qui me procure Tavantage?...
prcK. C'est une chose tres delicate... V^ous savez que notre habitude, a la veille d'une campagiie, est de no rien negliger de ce qui peut animer le soldat et faire de lertet sur les troupes...
B u u M . Sans doutel...
I'UCK.
Cette t'ois-ci, nous avons imagine quelque chose qui,
190 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEUOLSTEIX.
je crois.est assez ing6iiieux... La Grande-Duchcsse va vcnir...
B 0 u M . Jc le sais.
PUCK.
Elle restera au milieu des soldats. Quand elle sera la, vous lui offrirez de chanter devant elle la chanson du regiment.
0 0 U M .
Bon!...
PUCK.
Son Altesse vous repondra : « Mais cetle chanson, je la sais... » et elle la chantera.
15 0 U .M .
EUe-meme?
PUCK.
EUe-meme... Et c"est avec vous, Rudolph, qu'elle la chantera !
B U U M .
Avec moi!... quel honncur!... mais la sait-elle vrai- ment?...
PUCK.
Elle la salt parfaitement... nous avons etudie ga pendant deux heures, ce malin.
B 0 U M .
C'est une affaire entendue.
PUCK.
Bien!... maintenant, parlons un peu de nos propres
affaires... (ll lui offic une prise de tabac.) En USez-VOUS?...
BiiUM. Non, pas de cela... (Il prend a sa ceinturc un pistolct a deu.\ coups, Ic dccliargoen I'air, puis portc, I'un aprOs I'autre, les canons fumants sous cliacunc do sos narinos on respirant avec force rodcur do
la poudie.) Voila ma civette, ci moi !
ACTE PREMIER. 197
PUCK, liumant sa prise.
Vous savez pourquoi nous faisons la guerre...
B 0 u M . Moi?... pas du lout!
PUCK.
Je vais vous le dire... La Grande-Duchesse, notre souveraine et mon 61eve... car j'ai ete son precepteur...
(U 6tc rcspectueuscment son chapeau, ct, en Ic regardant, dit avcc
frayeur.) Ah ! mon ami !...
Li U U .\I .
Qu'est-ce que c'est?
PUCK. — • II s'cvanouit prosquo en montrant un grand trou dans Ic chapeau.
Regardez... la balle!...
BOUM, satisfait.
Aliens! lis n'ont pas trop mal vise...
PUCK.
Qa me fait un effet!... Comme c'est heureux que j'aie ou mon chapeau!... Sans cela, j"etais mort.
B (I u M . Remettez-le vite.
I'T'CK, remettant son chapeau.
Ah! oui!... lis n'auraient qu'a tirer encore... La Grande-Duchesse done, notre souveraine et mon eleve, a vingt ans... Jusqu'a present, elle nous a laiss6 le pou- voir; mais j"ai remarquc que, depuis quelque temps, clle etait inqui^te, preoccupee... Je me suis dit : « Voila une femme qui s'ennuie... il faut que je lui trouve une distraction... » Alors, j'ai fait declarer la guerre... et voila!...
B o u M . Tres ingenieux!...
19S LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN.
PUCK. N'est-ce pas?... Distraire mon elfevc!... c'est commc cela que je I'ai toujours tenue... Par des joujoux .. quancl elle etait petite... niais n'anticipons pas sur le passe... Plus tard, il a fallu autre chose... et c'est pour la distraire que jelui ai cherche un niari.
n o u M . Le prince Paul?...
PUCK.
Oui... mais ce malheureux prince, que j'avais eu soin dc choisir, du reste, parfaitement nul, n'a produit aucun effet : la Grandc-Duchesse ne peut pas se decider a r^pouser... Elle le traine depuis six mois... II y a huit jours, le pere du jeune homme, I'electeurde Steis- steinsteis-Laper-Dobottmoll-Schorstenburg, I'electeur, dis-je, a envoye ici un de ses plus fins diploniates, le baron Grog, avec mission de decider notre aimable maitresse a prononcer le oui sacramentel. Notreaimable maitresse a formellement refuse de recevoir le baron Grog et continue a s'ennuyer... Esperons que la guerre la ilistraira un j)eu.
li o u M . Coniptez sur moi.
PUCK.
Malheureusement, cette distraction ne pourra durer que quelque temps. La princesse a vingt ans... Elle ne tardera pas a s"apercevoir qu'il y a d'autres plaisirs... Son cceur n'a pas parte encore... il parlera bientOt... et, ce jour-la, malheura nous, si nous n'avons pas pris nos precautions!
r. ( ) u M .
Vous me faites peur...
PI'CK.
Avez-vous jamais pense a ce que nous pourrions devenir, si la princesse s'avisait d'avoir un favori?
ACTE PREMIER. 199
BorM. Nous serions rases!... 11 ne faut pas qu'elle en ait!
PUCK.
11 ne le faut pas!
B o u M .
11 ne le faut pas!... (Roulement do tambours a une ccrtaine distance. — Entrc par Ic fonJ. a droite, Nepomuc. — Boum remontc au devant de lui ; avcc energie, :i Nepomuc.) L'ennemi !... c'cst
rennenii !...
N E P () .M r c .
Mais non, general... c'est Son Altesse qui arrive.
B () u M .
C'est bien, monsieur... faitesmeltre les troupes sous les arnies.
NEPOMUC.
Oui, general.
II sort par Ic fond, a droite. PUCK.
Done, c'est entendu : tout a I'henre la chanson mili- taire... dans huit jours, la victoire!...
B u u M . Apres Qa, le retour dans nos foyers!...
PUCK.
Et a nous deux le pouvoir!
ENSEMBLE.
A nous deux le pouvoir!...
I.'armee arrive par le fond, a droite, tambours ct clairons en t6te, et forme une ligne oblique depuis I'avant-sccne de gauche jusqu'au fond, J. droite. — Les paysannes, Wanda parmi elles, entrent dps deux cotes, et restent au foad, sur le praticable, derricrc Ics solJats. — Fritz est dans les rangs. — Puck a passe i droite.
200 LA GRANDE-DUGHESSE DE GEROLSTEIN,
SCENE YIII
Les Memes, l'Armee, FRITZ, WANDA, Paysannes, puis LA GRAXDE-DUCHESSE, IZA, OLGA, AMELIE et CHARLOTTE, NEPOMUC, etat-
MAJOR UE la GRANDE-DUCHESSE. C H OE f R .
Porlons amies! presentons armes! Fixes, droits, I'ceii a quinze pas!
Que son Altesse a de cliarmes!
Que son Altesse a d'appas! Portons armes! Presentons armes! Fixes, droits, I'oeil a quinze pas!
Au son d'une musiquc militaire, entre par le fond, a droite, la Grande- Duchesse : — tenue de cheval, cravache k la main ; die porte le cos- tume de son regiment. — Derriere elle viennent ses demoiselles d'honneur, egalement en amazoncs ot dans le costume du regiment ; puis, un briliant 6tat-major de jeunes officiers en uniformcs eclatants. — Les soldats presentent les amies. — La Grande-Duchesse passe dcvant le front des troupes en commeni;ant par le fond, a droite ; arrivee sur le dovant, a gauche, elle parait frappee de la beaute de Fritz, qui est a ravant-sccne entre deux tout pctits soldats. — Scene muctte : Fritz est trcs trouble par les regards de la Grande-Duchesse ; celle-ci se remet assez difticilemont et vient au milieu.
LA GRANDE-DUCHESSE.
H 0 .N II E A L' .
Ah! quo j'aime les miiitaires,
Leur uniforme coquet,
Leur moustache et leur pluniet! Ah! que j'aime les militairos!
Leur air vainqueur, leurs manieres, En eux tout me plait!
Quand je vois la mes soldats Prets a partir pour la guerre.
ACTE PREMIER. 201
Fixes, droits, roeil a quinze pas, Vrai Dieu! je suis toute fiere! Seront-ils vainqueurs ou defaits?... Je n'en sais rien... ce que je sals...
LE CHOEUR. Ce qu'elle sait...
LA GUANDE-DUCHESSE.
Ce que je sais... C'est que j'aime les militaires, Leur uniforme coquet, etc.
Je sais ce que je voudrais... Je voudrais etre cantiniere!
Pres d'eux toujours je serais EL je les griserais!... Avec eux, vaillante et legere, Au combat je m'elancerais ! Cela me plairait-ii, la guerre?... Je n'en sais ricn... ce que je sais...
LE CHOSUR.
Ce qu'elle sait...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Ce que je sais... C'csl que j'aime les militaires, Leur uniforme coquet, etc.
TOUTE L'ARMEE.
Vive la Grande-Diichesse !
Sur uii coinmandemont, les soldats se rcmettent au port d'armcs. LA GRANDE-DUCHESSE, a Bourn.
Je suis contente, general... tres contente... (eiio fait
quclqucs pas et s'arroto en regardant Fritz.) General?... BOUM, avec empressement.
Altesse?...
LA GRAXDE-DUCHESSE.
Faites avancer ce soldat...
202 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN BOl'M, appelant la soMat (|ui est a la droite de Fritz
Schwartz !
LA GRANDE-DUCHESSE.
Non, pas celui-la, pas Schwartz.
BOUM; appelant cclui qui est a la gauche de Fritz.
Schumacher!
LA GRANDE-DUCHESSE.
Non, pas Schumacher... I'autrc... (Boum designc Fntz.) Vous y etesl...
BOUM, soui-dement inite.
Fusilier Fritz, trois pas en avant!...
Fritz fait trois pas en avant, pruscntant Ics armcs. LA GRANDE-DUCHESSE, a Fritz.
Ton nom?
FRITZ.
Fritz.
L A G R .\ N D E - D U C H E S S E .
Combien de campagnes?... combien de blessures?
FRITZ.
Aucune campagne... aucune blessure... Pourtant. une fois, en grimpant sur un mur, pour aller chij^er des pommes, je me suis un peu... niais je ne sais pas si ca peut compter... Aucune blessure, decidement, aucune blessure.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Simple soldat?
!• R I T Z .
Simple soldat.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Je te fais caporal.
FRITZ.
Ah!...
II fait quelques pas pour aller a Wanda, qui est au fond, au premier rang des paysannes.
ACTE PREMIER. -21)3
BOL'M, I'arretant.
Mille millions!...
FRITZ.
Ell bicn, c'est boa !...
II sc rcaiet en position. I.A GRANnE-DUCHES>E.
Ou allais-tu done?...
FRITZ.
J'allais dire a ma bonne amie que je suis caporal.
LA GRANI)E-DUCHES.SE.
Ah !... Eh jjiea...
B 0 u M . Eh bien?...
LA GRANDE-DL'CHESSE. a Fritz.
Til diras a ta bonne amie que tu es sergent.. (a Bourn. j Faites rompre les rangs, general.
BOUM, commandant. Rompez les rangs!... (Les soldats executent ce mouvement )
et eloignez-vous...
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Pourquoi s"eloigneraient-ils"?... Ne sont-ils pas mes soldats, mes enfants?...
PUCK, bas. a la Giande-Duchesse.
Tres bien, Altesse, tres bien!
LA GRANDE-DUCHESSE, aux soldats.
Rcstez, mes amis, restez, et bavardons un peu ensemble.
Les soldats se rapprochent un peu, au milieu; les paysannes descen- dent en scene, moitie a gauche, moitie a droite. — La Grande- Duchesso s'assied sur un tambour qu'apporte une cantiniere. — Les demoiselles d'honneur so placcnt a ses cotes, sur des pliants que leur donnent des soldats. — Dans cc mouvement, Puck a pass(5 pres de Bourn, et Fritz, aprcs avoir depos(5 son fusil au fond, est rodescendu a droiic.
i>Oi LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN. PUCK, bas, a Bouni.
Est-ce que vous avez remarque robstination avec laquelle Son Allesse regardait ce sold at?
BOUM, bas.
Oui... mais on ne pcut pas supposer...
PUCK, bas.
II faut tout supposer... J'ai ete precepteur de la Grande-Duchesse et je I'ai haljituee a faire tout ce qui lui plait.
BOUM, bas.
All diable!... observons, alors.
PUCK, bas.
Observons.
11 passo a la gauche dc Boum.
LA GRANDE-DUCHESSE, se letournant vers Fritz qui est k droitc.
Approebe un pen, toi.
FRITZ, s'approchant.
Altesse?...
PUCK, bas, a Boum.
Encore!... vous voyez...
BOUM, bas. Oui, je VOis... (a part, en regardant Fritz.) Toi, jC tc rat-
traperai !
LA GRANDE-DUCHESSE, a Fritz.
Eh bien, est-elle contento, ta bonne amie?
FRITZ.
Tres contente.
LA CRANDE-DUCHESSE.
Et toi... et tcs camaradcs... etes-vous contents?
ACTE PREMIER. 205
FRITZ.
Mais, dame!... vous savez, Altesse... On est content, et on ne I'estpas... C'est dans la nature!...
LA GRA.NUE-DUCHESSE.
Bien nourri?
FRITZ.
Oui... bien nourri... pas mal nourri... beaucoup de ponames de terre... pas mal nourri tout de meme.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Et les ofliciers, bons pour le soldat?
FRITZ.
Tres bons, les officiers... bons et pas bons... il y a Ic general qui est severe...
LA GRAXDE-DUGHESSE.
En v6rite"?...
BOU.M,
Mais, Altesse...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Laissez-le parler!
FRITZ.
Tr6s severe, le general... mais je sais d'oii ga vient... des histoires de fenimes... pas autre chose... des his- toires de femmes...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Comment?...
B 0 u M . Ah! j'empecherai...
LA GRANDE-DUCHESSE.
G6n6ral Boum, je vous ordonne de laisser parler cet honime. Tu disais?...
II. 12
20C LA GRAXDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN. FRITZ.
Tres severe, le general... parce qiril a fail la cour a ma bonne amie, et qu'elle Va envoye proniener.
LA C.RANUE-DUCIIESSE.
Ah Qa! mais tout le monde est done amoureux de la bonne amie?... Elle est done bien joliel...
P'lUTZ, dtisignant Wanda.
Tenez, c'est cetle petite, la-bas...
LA GRANI)E-DUCHE.SSE.
Fais-la venir.
FRITZ.
Ell! Wanda !... Elle n'ose pas... Allons, viens done... C'est timide... ce n'est pas comme nous autres* jeunes soldals...
Wanda s'est avancee ct est vonuc se placer devant la Grande-Duchcssc. LA GRAN DE-nUCH ESSE.
II t'aime, ce grand gai'Qon-la ?...
WANDA, timidcment.
Je le crois, madame.
LA GRANDE-DUCIIESSE.
El loi, tu I'aimes?
V^ANDA.
Oh! pour cela, j'en suis sure!
LA GRANDE-DUCHESSE.
En verite?... (A pan.) Ah qi\\ qu'est-ce que j'eprouve done, moi?... (a Fritz.) T'ai-jc dit que tu etais lieutenant?
Kilo so leve ainsi quo les domoisollcs d'honncur. — Waiida rcgagne sa place.
F R I T Z .
Non, Altesse.
ACTE PREMIER. 207
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Eh bien, je te Icdis.
Etonnement gdm'ral. FRITZ.
Eh bion, je vous remercie.
PUCK, Ijas. a Boum.
Gomnie elle va! comme elle va!
BUUM, bas.
Soyez tranquille! voila un lieutenant que demain je placerai a lavant-garde.
LA GRANDE-DUCHESSE. II lait Chaud ici. (A ses demoiselles d'honneur.) VoUS u'avez
pas soil", mesdames?
IZA.
Mais si fait, Altesse!
LA C.RANDE-Dl'CHESSE.
Moi aussi.
PUCK, avcc emprossement.
On va chercher des sorbets.
LA C.RANDE-DUCHESSE.
Que parlez-vous do sorbets? Je veux boire ce que boivent mes soldats.
B o u M . Mais ils boivent...
LA C.RANDE-DUCHKSSE.
Ce que la vivandiere leur verse, sans doute!... (a la. vivandiere qui est a gauche.) Eh bicn, approchez, vivandiere,
Ct donnez-moi un verre... (La vivandiere approche et verso un petit \-OTvo a la Grando-Duchesse). Jusqu'au bord... Je bois
h vos victoires, soldats, je bois a votre retour...
Kile vide son verro. — L'autre vivandi6re verse aux demoiselles d'Lonnour.
208 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN
Tors. Vive la Grande-Duchcsse !
PUCK, bas, a Bouni.
La Yoyez-vous, mon elevel... comme clle va!
BOUM, bas, ■:<. Puck.
Voici le moment, je crois, pour la chanson.
PUCK, bas.
Cast mon avis.
BOUM, allant a la Grande-Duchesse.
Vous plairait-il, Altcsse, puisque vous avez fait k vos soldats riionneur de venir passer quelques ins- tants aupres d'eux, vous plairait-il d'entendrc la chanson de leur regiment?
LA GRANDE-DUCHESSE, a part. Ah I tres bien... (EUe reg-arde Puck. — Haul.) Mais Cette
chanson, general, je la connais.
BOUM, fcignant la surprise.
Est-il possible, Altesse?
LA GRANOE-DUCIIESSE.
Et, si vous le voulez bien, je la chanterai inoi-m^me.
BOUM.
Oh! Altesse!...
LA GRANDE-DUCIIESSE.
CommenQons !
BOUM. se preparant a chanter.
Hum! hum!
LA GRAN DE-nUC HESSE.
Est-ce que vous allez chanter avcc moi?
B 0 u M . Si Votre Altesse daigne permettrc...
ACTE PREMIER. 209
LA (".RANDE-DUCIIESSE.
Un general en chef!... Oh! non! Ne compromettons pas YOtre dignite... (a Fritz.) Yiens, toi, tu chanteras avec moi.
B 0 u M .
Oh ! vous n'y pensez pas !
LA GRANDE-DUCHESSE, se tournant vers lui.
Ou*est-ce que c"est?...
BOUM.
Un simple lieutenant chanter avec...
LA GRANDE DUCHESSE.
Un lieutenant, est-ce trop peu?... Jo le fais capi- taine... Cela suffit-il?
WanJa. toute jo^veuse, romonte et passe a. droite, pres dc Fritz qu'cllc semble feliciter.
BOUNL s'inclinant dun air contraint.
Altesse...
II passe k gauche. — L'aide de camp Xcpomuc est sorti, par le fond, i droite, depuis uq instant.
LA GRANDE-DUCHESSE, a Fritz.
Venez, monsieur le capitaine, et chantez avec moi!
Les demoiselles d'houneur desccndcnt, — Iza et Charlotte a gauche, Olga et Amd'lie k droite. — Fritz se rapproclic de la Grande-Duchesse.
CHANSON DU REGIMENT LA GRAXDE-DUCHESSE. I
Ah! c'est un fameux regiment, Le regiment de la Grande-Duchesse!
FRITZ.
Quand I'enn'mi fait I'impertinent, A tomber d'ssus faul voir comme il s'empresse!
LA GRANDE-DUCHESSE.
On dit qu'les housards ont du bon, Et qu' c'est un aimable escadron...
12.
210 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN.
F U 1 T Z .
Avec sa crinierc dans I'dos, L'dragon a Fair tres comme il faul...
LA GRANDE-Ul'CHESSE.
On sail qu' dans I'corps des artilleurs
On n'prend qu' des homm's qu'ont d' la valcur...
FRITZ. Mais rien ne vaul, malgre cela, Le beau regiment que voila!
ENSEMBLE .
Ah! ce sont de Tiers soldats!
Au sein des combats, Tout comme au sein des amours, Les premiers toujours! Trompettes, sonnez done, et Italtez, les tambours. En I'honneur de la guerre, en I'honneur des amours!
c H OE u u .
Trompetles, sonnez done, etc.
LA GRANDE-DUCIIESSE. II
Ah! c'est un fameux regiment, Le regiment de la Grande-Duchesse!
FRITZ. II a I'honneur pour sentiment; El la victoire, il la z'a pour maitresse!
LA GRANDE-DUCHESSE. Avec son superbe etendard, Quantl il arrive quelque part...
Les fenim's, elles sont enchantees, Mais c'est les homm's qui font un nez !
LA GRANDE-DUCHESSE, Quand il s'en va, le regiment, Les chos's, ell's se pass'nl aulrement...
ACTE PREMIER. n\
FRITZ. C'cst les homm's qui sonl cnchantes, Mais c'est les femm's qui fonl un noz!
ENSEMBLE.
Ah! ce sont de iiers soldats!
Au sein des combats, Tout comme au scin des amours, Les premiers toujours! Trompettcs, sonnez done, et battez, les tambours. En I'honneur de la guerre, en I'honneur des amours!
C II OK u R .
Trompettcs, sonnez done, etc...
NEPOMUC, revenant par lo I'ond, a Jroite..
Madame!... madame!...
LA CRANDE-nUCHESSE.
Eh bien, qu'est-ce qu'il y a?
B O U M .
Cette fois, monsieur, j'esperc que vous m'annoacez rennemi !
NEPOMUC, impalientc.
>lais VOUS me dites toujours la meme chose!... (a la (irande-Dnchc.sso.j Madame, c'est le prince Paul... il est arrete aux avant-posles avec le baron Grog... et il fait demander le mot d'ordre afin de pouvoir passer.
LA (;RAM)E-DUCI1ESSE, contianoe.
Le prince Paul I... encore!...
NEPOMUC.
Que faut-il repondrc?
LA GRANDE-DUCHESSE.
Enfin... allez chercher le prince Paul ct amenez-le- moi... Quant au baron Grog, qu'on ne m'en parte plus!... j'ai refuse de le recevoir et ne le recevrai
■212 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN. pas I... (Xeponiuc sort par le fond, a droite. — A Fritz.) Allcz
niettre votre unifornie, monsieur le capitaine... et, des que vous Taurez mis. revenez... je liens a voir comment il vous va.
FRITZ.
Ca ni"ira tres bien.
II sort par le premier plan, k droite. L.V GR.VNDE-DUCHESSE, aux soldats.
Allez, mes amis... allez... tout a Theure, je vous reverrai une derniere fois, avant votre depart pour la bataille!...
Sortent par le fond, k droite, les soldats. en reprenant Ic refrain de la chanson du regiment. — Bourn fait entrcr les demoiselles d'honneur dans sa tente. — Deux soldats restent en faction au fond du theatre. — Les paysannes s'eloignent par la colline, a gauche et k droite. — Wanda sort par la gauche.
SCENE IX
LA GRANDE-DUCHESSE, PUCK, BOUM.
L.\ GR.\XI)E-DUCHESSE, a Puck.
Ne vous eloignez pas, mon cher maitre... (a Boum.) Vous non plus, general... tout a I'heure, nous exami- nerons votre plan de campagne.
r.dUM.
Altesse, il est excellent.
L.\ GR.\NDE-DUCHESSE.
Je veux le croire... Allez, je vous ferai appeler. (Boum
et Puck entrent dans la tente. — La Grande-Duchessc rcsto seule.)
Le prince Paul!... ah I maintenant il m"est plus insu[)- portable que jamais !
Entrc par le fond, a droite, le prince Paul. — II est en marid, avcc un gros bouquet de fleurs d'orangers. — Nepomuc, qui le prdci-de, lui montre la Grando-Duchesse et sc retire.
ACTE PREMIER. 213
SCENE X
LA GRAXDE-DUCHESSE, LE PRINCE PAUL.
LE PRINCE PAUL, s'avancant d iin air piteux vers la Grande-Duchesse.
Eh bien, Altesse, ce n"est done pas encore pour aujourd'hui?
LA GRANDE -DUCHESSE, le regardant.
Mais, prinee... qu'est-ce que c'est que ce costume?
LE PRINCE PAUL, satisfait.
Ah! vous Tavez remarque... C'est un costume de marie... je I'ai mis parce que j'esperais vous decider...
LA GRANDE-DUCHESSE.
A VOUS 6pouser aujourd'hui?... Cela est impossible, mon cher prince... Trop de choses a faire... un plan de campagne a examiner... mon armee qui part... song-ezdonc!... je n'aurai jamais Ic temps deme marier!
LE PRINCE PAUL.
Vous me donnez toujours des I'aisons...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Ne sont-elles pas excellentes?
LE PRINCE PAUL.
Mais c'est que voila six mois que vous me donnez des raisons excellentes!... Ce matiia encore, le baron Grog, ce messager d'amour, que vous n'avez pas voulu admettre en voire presence... il a regu une lettre de papa, le baron Grog...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Et que dit votrc... papa, dans cette lettre?
211 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN. LK PRINCE PAT' I,.
11 (lit que tout ga finit par I'ennuyer... Voila six mois que j'ai quitt6 sa cour afin de venir ici vous epouser... il me fait une grosse pension, pour que je puisse soutcnir mon rang de fiance... je mange la pension... et je ne vous epouse pas... ga I'ennuie, cet homme... 11 voudrait savoir a quoi s'en tenir.
L.V GR.\.NDE-l)rCHES.SE.
En verite?...
LE PRINCE P.\UL.
Dame!... oui... parce que, si je ne dois pas vous epouser, papa prendrait un parti et me dirigerait sur une autre grand e-duchesse.
L.V GR.VNDE-DUCHESSE.
Rassurez Telecteur voire pere... ce mariage se fera un jour ou I'autre.
LE PRINCE PAUL.
Vous me dites toujours ^a--- ^^on mariage a ete annonce a toutes les cours de Tunivers... II a les yeux sur moi, Tunivers... et il doit commencer a trouver que je fais une drole de figure...
LA GRANI)E-nUCIIE.SSE, qui le regarde en riant.
Le fait est que si I'univers vous voyait en (•-• moment!...
LE PRINCE PAPL.
Et puis, il y a encore quelque chose qui m"est plus sensible que tout...
LA GRANDE-nUCIIESSE.
Et quoi done, mon Dieu?...
LE PRINCE PAUL, tirant do sa iiocho un journal dc trcs petit formal.
.Voyez, Altesse...
ACTE PREMIER. 2Ui
LA GUANDE-DUCHESSE.
Qu'est-ce que c'est que ga?
LE PRINCE PAUL.
C'est une gazette imprimee en Hollande... on parle de moi, la dedans.
LA G R A N n E - n U C H E S S E .
Allons done!...
LE PRINCE PAUL.
Mon Dieu, oui... on ose parlcr de moi... II a paru depuis quelque temps une race d'hommes qui s'est donnc pour mission de parler de tout, d'ecrire sur tout, afin d'amuser le public... On les appelle des gazetiers... lis osent entrer dans la vie privce, ce qui monstrueux, et ce qui est plus monstrueux encore, c'est qu'ils osent entrer dans ma vie privee, a moi! Ecoutez un pen.
II lit la Gazette dc Hollande C 0 f r L E T s .
I
« Pour epouser une princesse,
Le prince Paul s'en est alle ;
Mairi il parail que rieu ne presse :
Le mariage est recule !
Tous les jours, quand parait raurore,
Le prince Paul met des gants blancs :
Esl-ce aujourd'hui ?... non, pas encore...
Alors le prince ote ses gants...
Le prince Paul a I'ame grande :
11 souffrc, mais il se lient coi... »
( .\vec eclut.) Voila ce que Ton dit de moi Dans la Gazelle de Hollnndel...
LA GRANDE-DUCHESSE.
11 faut loujours ajouter foi A la Gazelle de Hollande I
(La grandc-duclicsse passe a, droitc, ca riant.)
/
2ir, LA GIIANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN. LE PRINCE PAUL (parle).
Mais ce n'est pas tout, Altesse... Ecoutez la suite.
I^isant encore. 11
•• Le prince etail tout feu, tout flamme,
En arrivant a cetle cour;
Le prince elait brulant d'amour,
En arrivant pres de sa dame.
11 a tant briilc qu'on suppose,
Apres six mois de ce jeu-Ia,
Qu'il ne doit pas rester grand'chose
De tout ce feu dont il brula...
Dans ta poche mets la demande,
Prince Paul, et rentre cliez toi... »
Voila ce que Ton dit de moi Dans la Gazette de IloHandel...
LA GR AN DE-IU'C HESSE. 11 faut toujours ajouter foi A la Gazette de Ilollande !
(La Grande-Duchesse rit do plus bollo.)
Mechante!..
LE PRINCE PAUL,
SCENE XI Lr:s Memes, FRITZ.
FRITZ, on capitaino, entrant par lo premier plan, 4, Jroite.
Eh bien, voila!...
LA GRANDE-nUCHESSE.
Ah! il est encore mieux comme cela!... (Au prince Paul.) Regardez, prince, et dites-moi ce que vous en pensez.
LE PRINCE PAUL.
C'cst un beau crars...
ACTE PRExMIER. 217
LA GRANDE-DUCHESSE.
N'est-ce pas qu'on est fi6re de commander h de pareils hommes?... (A Fritz.) Monsieur le capitaine?...
FRITZ.
Altesse?...
LA GRAXDE-DUCHESSE, montrant la tente.
Entrez la, et dites au general Boum et au baron Puck que nous les attendons.
FRITZ.
Eh bien, je veux bien leur dire!...
II entrc Jans la tente. LE PRINCE PAUL.
Altesse?...
LA GRANDE-DUCHESSE, avec impatience.
Ouoi encore"?...
LE PRINCE PAUL.
Vous ne m'avez pas repondu...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Que voulez-vous que je reponde, prince!... La pre- miere fois que les soucis du gouvernement me lais- seront une minute pour m'occuper de mon bonheur particulier, je profiterai de cette minute pour vous epouser... Jusque-la, il faut attendre.
LE PRINCE PAUL, avec desespoir.
Toujours des fins de non-recevoir !
Le general Boum, le baron Puck et le capitaine Fritz sortent de la tente. — Des soldats, venant de la cantine, apportent une table et quatre sieges ; Us placent la table au milieu du theatre, un peu a gauche, ct disposent les sieges de la maniSre suivanto : deux a gauche de la table, un a droite et le quatriemc an milieu. — Sur la table, une carte g^ographique. — Cela fait, les soldats so retirent.
II. 13
218 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN.
SCENE XII
LE PRINCE PAUL, LA GRANDE-DUCHESSE, PUCK, ROUM, FRITZ.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Nous aliens examiner le plan de campagne du general Roum... (Au prince Paul.) Je pense, prince, que vous voudrez bien nous aider de vos lumieres...
LE PRINCE PAUL, d'un ton boudeur.
Comme il vous plaira!
LA GRANDE-DUCHESSE.
Oh! le vilain, qui est fache!...
LE PRINCE PAUL, du meme ton.
C'est vrai, ga... vous me faites toujours assister au conseil...
LA GRANDE-DUCHESSE.
N'est-ce pas tout naturel?... Et, puisque vous devez el re mon mari, ne devez-vous pas avoir les privi- leges?...
LE PRINCE PAUL.
C'est vrai... vous ne me rel'usez aucun des privi- leges de la politique... mais il y en a d'autres...
LA GRANDE-DUCHESSE, avec fierte.
Ou'est-ce que c'est?...
LE PRINCE PAUL, a part.
Falale timidity!
II s"eIoignc un peu vers la gauche. — La Grande-Duchcsse va s'asseoir sur lo premier siege k gauche de la table.
LA GRANDE-DUCHESSE, quand elle est assise. Asseyez-VOUS, messieurs. (Boum s'assied devant la table, et
ACTE PREMIER. 219
Puck sur le siege de droite. — A Fritz.) VOUS, Capitaine... (Bourn
lui fait signe de se retirer.) VOUS veillerez sur notre per- sonne.
FRITZ.
N'ayez pas peur!
II tire son sabre ct se promenc, a droite, de long en large. — Depit de Bourn et de Puck, qui echangent un regard.
BOUM, rcgardnnt Fritz.
Mais je ne sais. alors, si je dois developper mes plans...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Ne VOUS inquietez pas de cela, general... et parlez.
BOUM.
Rien de plus simple... Voyez-vous, Altesse, I'art de la guerre pent so resumer en deux mots : couper et envelopper.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Comme la galette, alors?...
B 0 U M .
Absolument, Altesse... Done, pour arriver a couper et a envelopper, voici ce que je fais... Je partage mon armee en trois corps...
rucK.
Tres bien !
BOUM, indiquant dcs points sur la carte.
11 y en aura un qui ira a droite...
LE PRINCE PAUL.
Tres bien!
BOUM.
Un autre qui ira a gauche...
PUCK.
Tres bien !
220 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN. BOUM.
Et ua autre qui ira au milieu.
LE PRINCE PAUL.
Tr6s bien !
BOUM.
Mon armee ainsi disposee se rendra par trois che- mins differents vers le point unique ou j'ai resolu de me concentrer... Ou est-il, ce point unique?... Je n'en sais rien... mais ce que je sais bien, c'est que je battrai I'ennemi!... (Avec loicc.) Je le battrai!...
LA GRAXDE-DUGHESSE.
Contcnez-vous.
PUCK, a Bourn.
Je vous en prie...
BOU.M, avec plus de force.
Je vous dis que je le battrai !
LA GRANDE-DUCHESSE.
Je ne vous dis pas le contraire... mais vous allez vous faire du mal.
BOUM, avec e.xaltation. Cast pour mon pays!... (Se levant et tirant son sabre.)
L'ennemi!... ou est I'ennemi ? Ou'on me conduise a Tcnncmi !...
Puck le calmc et Tobligo k se rasseoir. FRITZ, qui s'cst arrotc dopuis un instant, ricanant.
Mais vous ircz lout a I'heure par vos trois chemins!
I'UCK, se levant, ii Frit/ avec sevcrite.
Taisez-vous, monsieur!
FRITZ, ricanant toujours.
Ses trois chemins!... Elle est trop forte, celle-la!... Ses trois chemins!...
ACTE PREMIER. 221
BOUM, furieux.
Qu'est-ce qu"il dit"?
FRITZ.
C"est bete conime tout, vos trois chemins!...
LE PRINCE PAUL.
Par exemple!...
BOUM, se levant.
Je vous ferai fusilier, moi!
PUCK.
Parlor ainsi au general!...
II passe cntrc Bourn et la Grande-Duchesse. LA GRANDE-DUCHESSE.
Un peu de silence, messieurs!... (A Fritz.) Yous dites done, monsieur le capitaine... qu'il n'y a rien de bete comme les trois chemins du general Poum.
FRITZ, se rapprochant de la table.
Sans doute, je le dis!... et je le prouve!...
PUCK, a, la Grande-Duchesse.
Je ferai respectueusement observer a Votre Altesse que cet homme n'a pas le droit de prendre la parole...
11 passe pres du prince Paul. B O U M .
Non, il n"a pas le droit!...
PUCK.
II faut etre officier superieur!...
LE PRINCE PAUL, se levant.
II faut etre noble!...
B 0 u M . II n'a pas le droit!...
PUCK.
II n'a pas le droit...
222 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN.
LA GRANnE-DUCHESSE, se levant.
Silence, messieurs!... ou, par ma vertu! jc I'erai tomber la tete du premier qui ne se taira pas!... Vous dites done que, pour avoir le droit de parler, il faut qu'il soit officier superieur?... je le fais general (a Boum), comme vous... II faut qu"il soit noble?... je le fais baron de Vermout-von-bock-bier , comte d"Avall-vintt-katt- schopp-Vergissmeinnicht!... Cela sufflt-il, messieurs?... A-t-il le droit de parler, maintenant?...
Puck a passe a la droitc du prince Paul. B 0 U M .
Altesse...
LE PRINCE PAUL, bas, a Puck.
Ah Qa! mais, dites done... ah c^a! mais, dites done...
PUCK, bas.
Silence!... nous causerons.
II remonte; Boum passe a droite. LA GRAXDE-DUC HESSE, a Fritz, en se rasscyant.
Asseyez-vous, general... et dites ce que vous avez a dire.
Puck s'empresse d'indiquer a Fritz le siege qu'occupait le general Boum et se rassied, ainsi que le prince Paul. — Boum reste seul debout, dans le coin, a droite.
FRITZ, sassevant.
Au lieu d'aller a I'ennemi par trois chemins...
LA GRANDE-DUCHESSE, regardant son habit.
Voyez-vous, general, le collet est un pcu trop eleve... il faudrait six bonnes lignes de moins... pour degager le cou... Continuez, mou ami... (a part.) Dieu! qu'il est bien!
FRITZ.
Je disais done qu'il faut aller tout droit a Tennenii, par un scul chemin... On le rencontre... et puis, dame!
ACTE PREMIER. 223
la, avec les camarades... on cogne... tant qu'on peut cogner... on cogne, et voilk!...
^ 11 se leve.
LA GRANDE-DUCHESSE, se levant, ainsi que Puck et le prince Paul.
C'est tres bien... et voila le plan que vous devrez suivre, general Bourn!
BOUM, passant pies de Fritz.
Je ne le suivrai pas!
LA GRANDE-DUCHESSE.
Comment"?...
BOUM.
Je suis responsable envers Votre Altesse du sang de ses soldats... Avec mon plan , j'etais sur de mon affaire... il n'y avait pas de bataille possible... avec le sien, je ne reponds de rien...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Ainsi, vous refusez?
BOUM.
Je refuse... Que monsieur le baron de... comment a dit Votre Altesse?...
FRITZ.
Baron de Vermout-von-bock-bier et comte d'Avall- vintt-katt-schopp-Vergissmeinnicht!... (a la Giande- Duchesse.) II a bien entendu... c'est des manieres, tout ga...
BOUM.
Que monsieur le baron execute son plan, s'il le veut!...
II repasse a. droite. FRITZ.
Mais certainementl...
224 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN. LA GRANDE-DUCHESSE.
Vraiment?... et vous gagneriez la bataille?...
FRITZ.
Ou je la perdrais... tout comme un autre.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Baron de Vermout-von-bock-bier?...
FRITZ.
Altesse?...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Cue le Ciel favorise le succes de vos armes!... A partir de ce moment, vous eles le general en chef de mes armees !
FRITZ, a Bouni.
A moi le panache, monsieur!
BOUM.
Mille millions...!
Puck le calme, lui enleve le panache et Ic met au cbapeau de Fritz. — Bourn desesp^re met a son chapeau le simple plumet qui surmomait le chapeau de Fritz.
FRITZ, a Bourn.
Hou! le mauvais soldat!...
BOUM, voulant s'elancer. Oh!...
PUCK, passant a la gauche de Boum, has.
Contenez-vous... Nous sommes trois qui avons a nous venger... et nous nous vengerons...
LA GRANDE-DUCHESSE, regardant Fritz.
Ah! qu"il est bicn!... qu'il est bien!... General Fritz... je veu.x a linstant vous faire reconnaitre par larm^e... Faites mettre sous les armes Tarmce enti^re, general Boum...
ACTE PREMIER 225
B 0 U M ,
Moi!... sous les ordres!...
Les ni6mes soldats qui ont apportc la talilc et les chaises reutrcnt et les remportent.
PUCK, bas, a Boum.
Obeissez... Son coeiir a parle... voila ce que je crai- gnais!..
Boum remonte au fond, fait un si^ne au dehors et rcdescend a droite; puis de la, furieux, Boum hurlc un commandement militaire, avec des mots precipitds et inarticules. Des officiers, au loin, repetent ces cris. — Les soldats rcntrcnt par le fond, a droite, sur un roulemcnt de tambour, reprennent leurs fusils et se mettent sur deux rangs au fond, face au public : les tambours se placent en tcte, a la gauche; Nepomuc les precede et se met au deuxicme plan, un peu en arrierc do la Grande-Duchessc. — Les demoiselles d'honncur sortcnt de la tente et vont se placer a Favant-sceue de gauche. — Les paysannes arrivent du fond, a droite et a gauche; une partio so range a droite ct a gauche du thdatre, les autres restent sur la colline. — Wanda, qui est entree par la gauche, se place de ce cote devant les paysannes, un peu en arrierc de Fritz. — Pendant ce mouvement, le prince Paul est alio rejoindre Boum ct Puck a Tcxtreme droite. — Les vivandiores sent en toto do leurs pelotons respectifs.
SCENE XIII
Les Memes, WANDA, NEPOMUC, IZA, OLGA, AMELIE, CHARLOTTE, i/Armee, Pays.vnnes.
CHCEUR DES SOLDATS.
^'ous allons partir pour la guerre,
Tambour ballanl! Encore un regard en arriere,
Puis en avant ! Nous allons parlir pour la guerre,
Tambour baltant!
13.
226 LA GRANDE-DUGIIESSE DE GEROLSTEIN.
LA GRANDE-DUCHESSE, aux soldats.
Ecoulez tous la voix de voire souvcraine...
(Montrant Fritz.) Voici le nouveau general!
C H (F. U R . Lui, notre general I
LA GRANDE-DUCHESSE. Oiii, soldats, et je suis cerlaine Qu'il ne s'en tirera pas mal. (Elle presente Fritz aux soldats, puis a scs demoiselles d'honneur, qui Ic saluent.)
LE PRINCE PAUL, BOUM, PUCK, a part, dans le coin, a droite. Unissons-nous pour la vengeance...
Soyons adroits! II est seul... et nous, quelle chancel
Nous sommes troisl
WANDA, a Fritz, en descendant pres de lui. Toi, general en chef!...
FRITZ. Eh! men Dieu, tu vois bien! WANDA.
Ah! tu vas m'oublier...
FRITZ.
Mignonne, ne crains rien. ^^■ A N D A . Tu m'aimeras toujours?...
FRITZ.
Toujours! n'en doute pas.
WANDA.
Dis encore une fois!...
FRITZ. Autant que tu voudras!
LA GRANDE-DUCHESSE, a Fritz ct Wanda, avec impatience aprcs avoir cntendu leur conversation. Quand vous aurez fini de vous parler, la-bas, Vous vous rappellerez que j'attends, n'est-ce pas"?
ACTE PREMIER. 2-J7
CHCEUR, a voix basse. EUe jette sur eux Des regards furieux!
LA GRANDE-DITCHESSE, apart, so contenant. Mais je suis reine, el mon devoir, Pour garder moii prestige,
M'oblige A ne rien laisser voir.
Haut, a Nepomuc, qui est descendu a sa gauche. Allez, monsieur, et me donnez A I'inslanl ce que vous savez. (Ndp'omuc sort par la droite. — La Graude-Duchcsse fait signe a Fritz de vcDir pres d'ello.)
TO US, les uns apres les autres.
(Parle.) Qu'est-ce que ga pent etre?
(Nopomuc ontro, apportant un sabro qu'il porte haut et avec respect.) T U U S .
(Parle.) Un sabre !
LA GRANI)E-n UCHES.se, a Fritz, montrant le sabre.
COUPLETS. I Voici le sabre de mou pere! Tu vas le meltre a ton cole! Ton bras est fort, ton ame est fiere, Ce glaive sera bien porte!... Quand papa s'en allait en guerre, Du moins on me I'a raconte, Des mains de mon auguste mere 11 prenait ce fer redoute... Voici le sabre de mon pere ! Tu vas le mettre a son cole!
CHCEUR. Voici le sabre de son pere! II va le mettre a ton cote!
LA GRAN DE-DUC HESSE, prenant Ic sabre. II Voici le sabre de mon pere! Tu vas le mellre a ton cole! Apres la victoire, j'espere, Te revoir en bonne sanle;
228 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTELN.
Car, si lu mourais a la guerre, J'aurairi trop pour, en verite, De n'avoir plus jamais sur lerre Un moment de felicite!
(Sc rcmettant et avec noblesse.) Voici le sabre de mon pere! Tu vas le meltre a son c6te !
(Elle donne le sabre k Fritz.)
CIICEUR. Voici le sabre de son pere! II va le mettre a ton cote!
FRITZ.
Yous pouvezsans terreur confier a mon bras
Le sabre venere de monsieur votre pere...
Je reviendrai vainqueur, ou ne rcviendrai pas !
LA GRANDE-DUCHESSE. Tu reviendras vainqueur!
BOUM, PUCK et LE PRINCE PAUL, a part. II ne reviendra pas.
CHCEUR.
II reviendra vainqueur!
BOU.M, PUCK et LE PRINCE PAUL, apart. II ne reviendra pas!
CIKJEUR, avec energie. Reviendra!
BOUM, PUCK et LE PRINCE PAUL, avec encore plus denergic Reviendra pas!
(Fritz donuc Ic sabre a AVanda, qui Ic contemple avec admiration.)
C H CE U R FRITZ. B0U.M, PUCK et LE PRINCK P A f L .
Je serai vainqueur, II sera vaincu,
Grace a ma valeur! II sera battu!
Mon artillerie, Son artillerie,
Ma cavalerie, Sa cavalerie,
Mon infanterie. Son infanterie,
ACTE PREMIER.
2-29
On
Tout cela sera,
Je le vois deja,
Sera triomphanl!
Et, tambour baltant,
Le long des chemins,
Au fond des ravins,
On se repandra,
On envahira;
L'ennemi fuira,
On le traquera,
Le dispersera
Et I'enfonceral
Gaiment nous irons,
Nous L'iancerons;
Nous Ijrulerons tout,
Pillerons partout...
Ce sera parfait!
Du choix qu'elle a fait
Ce sera I'eirel!
Ce sera parfait!
Pour nous quand viendra,
Apres tout cela,
Le temps du rcpos,
nous recevra conime
[des heros!
Tout cela sera, Je le vois deja, Ecrase, brosse, Brise, disperse... Et dans les chemins, Et dans les ravins, 11 en laissera, II en oubliera; On le poursuivra, On le traquera, Et les cnncmis De notre pays Gaiment entreront Et se repandront; lis bruleront lout, Pillcront partout... Ce sera bien fail ! Du choix qu'elle a fait Ce sera I'eflet! Ce sera bien fait! El nous, rejouis, Voyant ce gachis, Nous, n'en pouvant plus, Nous rirons lous Irois comme [des bossus!
LES AUTRES.
II sera vainqueur, Grace a sa valeur! Son artillerie, Sa cavalerie. Son infanterie. Tout cela sera, Je le vois deja, Sera triomphanl! etc.
Gaiment
nous irons, ils ironl, Nous elancerons; lis s'elanceront; Nous brulerons tout, lis briileronl lout, Pillerons partout... Pilleront partout...
230 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN.
Ce sera parfait!
„ 1 • ( qu'elle a fait Uu clioix I ^ .,..., ( que J ai fait
Ce sera reffet!
Ce sera parfait!
Pour nous ) j • i
„ [ quand viendra,
Pour eux ) ^
Apres tout cela,
Le temps du repos,
On nous ) ,i u ■ >
r. , i recevra comme des heros!
On les )
Pendant le choeur suivant, Tarmee se met en marche et, partant de la
gauche, vient defiler devant la Grande-Duchessc, qui s"est plac(5e a
droite. — Fritz est en teto.
C H CE U R G E N E R A L .
Partons. partons, > . ... •
n , . ' > musique en tete!
Partez, partez, ) ^
Musique en tete, en avant!
Partons, partons. pour nous ) , ^ <••. i
,-, . ^ . ' > c est une fete!
Partez, partez, pour vons )
Partons. partons, ) i . n
Partez, partez, ' j en chantant!
En avant!
L.\ GRANDE-DUCHESSE, voyant le sabre dans les mains
de Wanda, a Fritz. Vous oubliez le sabre de mon pere!
c n a: u R . Vous oubliez le sabre de son pere! Fritz accourt reprenJre Ic sabre et, le brandissant, se remet en tete de son armee. — Le detile continue sur la reprise du choeur. — Les paysannes qui etaient sur la coUinc sont venues rejoindre les autres a droite et a gauche.
CHCEUR.
REPRISE. Partons, partons, ) . ... . ,
Partez, partez, \ musique en tele ! etc., etc,
L'armee gravit la colline, tambour battant. — La Grande-Duchesse et Wanda envoicnt des baisers k Fritz; celui-ci en envoie a Wanda. — Tableau. — Le rideau tombe.
AGTE DEUXIEME
Une salle dans le palais. — A droitc, au premier plan, porte conduisant aux appartements de la Grande-Duchesse. — A droite, au deuxicme plan, une porte secrete dissimulee par un tableau qui represento un cheva- lier arme de pied en cap. — Autre tableau a gauche, en face de celui- ci. — Porte au premier plan, a gauche. — Au fond, grande baie don- nant sur une galcrie et fermee par des draperies. — Metier a tapisserie, tabourets, plianis.
SCENE PREMIERE
IZA, CHARLOTTE, AMELIE, OLGA, Autres
Demoiselles D'HOXNEUR, assises et travalllant, puis NEPOMUC. — Un HuISSIER se tient devant les apparte- ments de la Grande-Duchesse, k droite.
C H CE U R .
Enfin la guerre esl lerniinee, La campagne vienl de linir; Dans le courant de la journee, Nos amoureux vonl revenir.
IZA, regardant a gauche et so levant, ainsi quo les autres
demoiselles d'honneur. Le courrierl le coiirrier! vite, mesdemoiselles! Nous alions avoir des nouvelles!
(On jiorte les pliants au fond.)
NEPOMUC, entrant par la gauche. — II tient des lettres et vient au milieu. Qui veut des lettres?... En voici! (Un autre huissier entre par la gauche et emporte le metier a tapisserie.)
232 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN.
T 0 U T E S . Par ici, monsieur, par ici!
NEPOMUC, flistribuant Ics Icttics. En Yoici!
TOUTES. En voici!
NEPOMUC, allant ii la porte de droitc, u riuiissier. Laissez-moi passer, le temps presse... Service personnel de la Grancle-Duchesse!
(II entre a droite, I'liuissicr Ic suit.)
TOUTES LES DEMOISELLES d'HOKNEUR, chacune sa lettrc a la main.
Quel trouble avant de vous ouvrir, Lettres de ceUii qu'on adore I Apres avoir lu, quel plaisir De vous lire et rclirc encore!
OLG.\, ouvrant et lisant sa lettre.
I
« Je t'ai sur men coeur placee en peinture,
Quand je suis parti. 11 m"a preserve de toute lalessure,
Ce portrait cheril El si je reviens sans egratignure,
G'est bien grace a lui!
Ah! Icltre adoree, Toute la journee, Je te relirai Et te baiserai!
.\ ME LIE, de momc. II «' II parait qu'on va terminer la guerre :
Je reviens demain; Etant tres presse, je compte, ma chore,
Des apres-demain. Sans me debotter, aller a ta mere, Demander ta main! »
Ah! lettrc adoree, etc.
(Baisant la lotti-c.)
ACTE DEUXIEME. 233
CHARLOTTE, de meme.
Ill
« Comme je tremblais en allant combattre! En allant au feu, je mourais de peur!... Je me suis pourtant battu comme qiiatre, Mon amour pour loi m'a donne du coeur! »
Ah ! lettre adoree, etc.
IZA, de meme.
IV
« Nous avons, liier, gagne la bataille...
Du moins, je le croi; Je m'en moque autanlque d'un brin de paille.
Car, vois-lu, pour moi, Iza, mon amour, il n'est rien qui vaille
Un baiser de loi! »
Ah ! lettre adoree, etc.
TOUTES. Ah! lettre adoree, Toute la journee, Je te relirai El te baiserai!
IZA, allant k Olga.
Ou'est-ce qu'il y a dans ta lettre?
OLGA.
Beaucoup de choses... Et dans la tienne?
Iza lui montre sa lettre. AMELIE, a Charlotte.
Oh! si tu savais !...
CHARLOTTE.
Montre-moi...
AMELIE.
Tres volontiers... mais tu me montrcras aussi?...
23i LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN. CHARLOTTE.
Je vcux bien...
EUes sc montrent leurs lettres. OLGA, qui a lu la lettrc de Charlotte.
Oh! il t'ecrit des clioses comme ga?...
IZA.
Oui... et le tien... non?...
(JLGA, montrant sa lettre.
Le mien aussi... Tiens ! regarde... la... ce qui est souligne!...
Les autres demoiselles d'honneur ont fait de memo au deuxieme plan. — Entrent, par la gauche, le prince Paul et le baron Grog; les de- moiselles d'honneur remontcnt un peu.
SCENE II
Les Memes, LE PRINCE PAUL, LE BAROX GROG; puis XEPOMUC, puis BOUM et PUCK.
LE PRINCE PAUL.
Venez, baron, venez... je vous assure que vous serez regu aujourd"hui...
GROG.
Je veux le croire, men prince.
LE PRINCE I>AUL.
Vous avez voire lettrc d'audience?
GROG, la monti-ant.
La voici, mon prince.
LE PRINCE PAUL.
Alors, Qa va allcr tout seul... Bonjour, mesdemoi- selles...
II les salue.
ACTE DEUXIEME. 235
AMELIE, riant.
BonjoLir, prince Paul !
CHARLOTTE, de mimo.
Pauvre prince !...
IZA, de meme.
Prince infortune!...
LE PRINCE PAUL, ii Grog.
Elles se nioquent de moi.
GROG.
J'entends bien!
LE PRINCE PAUL.
Je ne leur en veux pas... Mesdemoiselles, j'ai I'hon- neur de vous presenter le baron Grog, I'envoye de papa...
LES DEMOISELLES, saluant.
Monsieur le baron!...
GROG, de meme.
Mesdemoiselles!...
LE PRINCE PAUL.
II a une lettre d'audience pour aujourd'hui.
IZA.
Pour aujourd"liui?...
LE PRINCE PAUL.
Mais sans doute! pour aujourd'hui... Voulez-vous me faire le plaisir d'allcr annoncer a Son Altesse que le baron Grog est arrive?
OLGA.
Mais, cher prince, cela ne nous regarde pas.
CHARLOTTE.
11 faut vous adresser a un aide de camp.
Entre, par la droite, Nepomuc.
236 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN.
A M E L I E .
En voici un.
NEPOMUC.
Grande nouvelle!... le general Fritz sera regu ici dans une heure, en grande ceremonie... II est vain- queur; il revient... Son Altesse est dans une joie!...
(Faisant quatre pas et repetant.) danS UnC joic I... (Faisant encore
quatre pas.) dans une joie!...
II a traverse le thdatre et sort viveraent par la gauche. IZA, toute joyeuse.
lis reviennentl nous allons les revoir!
Entrent, par la gauche, Boum et Puck. — L'huissier les suit et reste
a la porte.
PUCK.
Allons, vite, mesdemoiselles les demoiselles d'hon- neur, depechez-vous!... la Grande -Duchesse vous attend !
BOUM.
Hatez-vous, mesdemoiselles!
CHCEUR DES DEMOISELLES d'iIONNEUR. Ah ! lettre adoree, etc. Elles entrent par la droite. — Boum et Puck salucnt le prince Paul
LE PRINCE PAUL.
Eh bien?... et mon Groc:!
Rassurez-vous... Ouoi?
PUCK.
GROG.
BOUM.
On va recevoir monsieur le baron... Huissier, inlro- duisez monsieur le baron, et faites ce qui vous a ete
dit... (A Grog, lui montrant la porte de droite.) Monsieur le
baron...
ACTE DEUXIEME, 23T
GROG, sahiant.
Tout de suite, general...
II se dirige vers la porte. LE PRINCE PAUL, lo suivant.
Allez, Grog, et soyez chaud!
Grog, precede de Thuissior, sort par la droite.
SCENE III
PUCK, LE PRINCE PAUL, BOUM.
LE PRINCE PAUL, revonant au milieu. — Avoc transport.
Enfin!... ah! messieurs!...
PUCK.
Voyons, Monseigneur...
LK PRINCE PAUL.
Vous ne pouvez pas vous figurer comme je suis emu!... Elle consent a recevoir le baron Grog!... je le vols... il traverse le couloir et entre dans le petit salon de reception...
B 0 U M .
Qui...
LE PRINCE PAUL.
11 traverse le petit salon de reception...
PUCK.
Oui...
LE PRINCE PAUL. II tourne a gauche... (Denegation enorgique do Bourn ct do
Puck.) On souleve la portiere, on I'annonce... il se trouve en face...
238 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN.
BOUM. Oh I mais... vous allez, vous allezl... ca n'est pas ra du tout... le baron n'a pas tournea gauche: il a tourne a droite... toujours precede de Thuissier... et il s'est trouve en face d un escalier... au moment oil nous par- Ions, il doit etre en train de monter... quand il aura fini, il traversera una demi-douzaine de salles et se trouvera en face d'un autre escalier... qu'il descendra... il retraversera, remontera, redescendra. reretraver- sera...
PUCK.
Reremontera...
LE PRINCE PAUL.
Reredescendra...
PUCK.
Et ca?tera, et csetera... jusqu'a ce qu'il soit arrive devant une petite porte... toute grande ouverte... Votre Grog trouvera la sa voiture... I'huissier Tinvitera poli- ment a y monter et lui dira que son audience est remise a un autre jour...
LE PRINCE PAUL.
Voila I'ordre et la marche?...
BOUM.
Comme vous dites!...
LE PRINCE PAUL.
Et la grande-duchesse a ose?...
PUCK.
EUe a ose... Mais aussi, prince, il faut que vous soyez fou... (se reprenant.) Hvec tout Ic respect que je vous dois, il faut que vous soyez fou pour avoir sup- pose que le jour oii le general Fritz revient, et revient vainqueur, la Grandc-Duchesse s'occuperait d'autre chose que de se preparer a le recevoir...
ACTE DEUXIEME. 239
I.E PRINCE PAUL, avec colore.
Fritz!... encore!... Ah! cet homme! cet hommel...
BOUM, avec intention.
II sera ici tout a Theure... et il triomphera.
LE PRINCE PAUL, sinistre.
Eh bien!... qu'il triomphe!... Mais apres...
BOUM et PUCK.
Apres?...
LE PRINCE PAUL, dissimulant.
Rien... rien... Je n'ai rien dit, messieurs... je n'ai rien voulu dire.
II rcmonte. PUCK, langant un coup d'ceil a Bourn, de loin et bas.
Ca ne prend pas...
BOUM, bas. Disons tout, alors... (Coups do canon au dehors. — Avec
energie.) L'eiiiiemi !... c'est Tennemi!...
II tire son sabre et vcut se precipiter. PUCK.
Mais non, ce n'est pas Tennemi!... (Avec intention.) C'est notre ennemil...
LE PRINCE PAUL, redesccndant.
C'est le general Fritz!
BOUM,
Pardon!... c'est qu'il y a quinze jours que je ne fais rien... j'ai la nostalgic de la guerre!...
Les draperies du fond s'ouvrent. — Entro toutc la cour, prec^d^e de deux huissiers.
240 LA GRANDE-DUGHESSE DE GEROLSTEIN.
SCENE IV
Les Memes, NEPOMUC, La Cour,Deux Huissiers, puis LA GRANDE-DUCHESSE, IZA, OLGA. CHARLOTTE, Les autres Demoiselles d'hon- neur, Pages, FRITZ et son etat-major.
CHCEUR.
Apres la vicloire, Void revenir nos soldats;
Celebrons leur gloire, Rendons grace au Dieu des combats ! Pendant ce choeur, la Grande-Duchesse ontre par la droite, prdcedee de deux pages et suivie de ses demoiselles d'honneur, qui restent a droite; deux petits negres portent la queue de son manteau de cour.
— A sa vue, le prince Paul, Bourn ct Puck se pr6cipitent vers ello et la saluent humblement.
LA GRAXUE-DUCHESSE, a part. Done je vais le revoir! voici Tinstant supreme! Pourrai-je, en le voyant, lui cacher que je I'aime? Les deux hnissiers apportent de la droite un grand fauteuil ducal ct un petit tabouret de pied, qu'ils placent un peu a droite, puis ils se reti- rent au fond et se ticnnent de chaque cote dc la porte.
REPRISE DU CHCEUR.
Apres la victoire, etc.
Pendant cette reprise, la Grande-Duchesse s'est plac6e sur lo fauteuil,
entour(5e de ses demoiselles d'honneur. — Fritz entre par le fond,
suivi d'un briUant etat-major. II s'approche dc la Grande-Duchesse,
et flechit le genou devant elle; elle contient difficilement son Amotion.
— Le cliccur tini, Fritz so relevc.
FRITZ, a la Grande-Duchesse. Madame, en quatre jours j'ai termine la guerre! Vos soldats sont vainqueurs, les ennemis ont fui!
Et je vous rapporte aujourd'hui Le sabre venere de monsieur voire pere!
(II le prend des mains d'un de ses officiers.)
ACTE DEUXIEME. 241
LA GRANDE-DUCHESSE, avec transport, se lovant, prcnant lo sabre et I'embrassant.
Voici le sabre cle mon pere !
TOUS, Voici le sabre de son pere!
LA GRANDE-DUCHESSE, avec dignite, donnant le sabre a Xepomuc, qui s'est approch6 d'elle ct se tient a sa droite.
Qiron le remette en mon musee, D'arlillerie!...
(N(;pomuc sort en emportaiit le sabre. — S'adrcssant a Fritz.)
Et vous, soldat victorieux, Devant ma cour eieclrisee, Parlez, el racontez vos exploits glorieux!
TOUS. Parlez et racontez vos exploits glorieux!
FRITZ.
Done je m'en vais vous dire, Altesse,
Le resultat
De ce combat, Et comment, grace a mon adresse,
Les ennemis
Parent surpris.
RONDEAU. En tres bon ordre nous parlimes; Notre drapeau flottait au vent, Et, quatre jours apres, nous vimes Cent vingt mille hommes manneuvrant. J'ordonne alors que I'on s'arrcte...
J'avais mon plan,
Et, jugez-en ! Ce plan-la n'etait pas li'op bete...
On a du flair,
Sans avoir I'air !... J'avais trois cent mille bouteilles, Moitie vin et moitie liqueurs : Je me fais — ouvrez vos oreilles! — Tout rafler par leurs maraudeurs.
II. 14
242 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEIIOLSTEIN
Voila tout leur camp dans la joiel
« Du vin! buvons,
Et nous grisons! • Dans le vin leur raison se noie...
Moi, j'attendais,
Et j'esperais. Le lendemain, bonheur insigne! lis accepterent le combat! Je les vis se ranger en ligne, Mais, seigneur Dieu! dans quel etat! lis se repandent dans la plaine,
Butant, roulant,
Deboulinant; C'etait comme un grand champ d'aveine,
Au gre du vent,
Se balangant! Devant son armee en goguette, Leur general, I'oiil allume, Gambadait, gris comme un trompelte, Etme criait : « Ohe! ohel » Je lui reponds : « Yiens-y, mavieille! •
Tout aussitot,
Le pauvre sot Se fache. brantlit sa bouleille,
Et, trebuchant,
Marche en avantl... Non ! c'etait a mourir de rire! Sous ce general folichon, Une armee entiere, en delire, Chantait la mere Godichon... Ah! la bataille fut boufTonne!
On en poussait
Un, tout tombait. Du reste, on n'a tue personne :
C'eut ete mal!...
Mais c'est egal, Vos soldats onl fait des merveilles, Et le soir, c'est flatteur pour eux, Le soir, sur le champ de bouleilles lis ont couche victorieuxl
T 0 U S . Vive le general Fritz!
ACTE DEUXIEME. 243
LA GRANDE-DUCHESSE, so levant.
Mes compliments, general!... Vous parlez comme voLis combattez... (a sa com-.) Mesdames et messieurs, cette imposantc ceremonie est terniinee... L'interet de notre grand-duche de Gerolstein cxigeant que nous disions au general Fritz des choses qui ne peuvent etre entendues que de lui, nous vous permettons de vous retirer... Allez-vous-en!
LE PRINCE PAUL, bas, a Puck.
Seule avec lui!...
BOUM, bas.
Comme elle va!... comme elle va!...
PUCK, bas.
Et vous soufi'ririez cela, prince?
LE PRINCE PAUL, do memo.
Ah! s'il y avait un moyen!...
15 GUM, do memo.
II y en a un, peut-etre...
Cos quelques repliques doivont etre (5changecs trcs rapidement. LA GRANDE-DUCHESSE, a la com-.
Allez-vous-en, gens de la... gens de la cour, allez- vous-en !
REPRISE DU CHCEUR.
Apres la victoire, Voici revenir nos soklats! etc. Touto la cour s'eloigne par lo fond. — Lc prince Paul, Bourn et Puck suivent en se tenant bras dessus, bras dessous. — Lcs huissiers sor- tent les dernicrs en fermant les draperies du fond. — Les demoiselles d'honncur, les nogres et les pages se retirent par la droitc. — La Grande-Duchosso ct Fritz rostcnt seuls.
244 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIX.
SCENE V
FRITZ, LA GRANDE-DUCHESSE.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Plus personnel
FRITZ.
Eh non! plus personnel
LA GRANDE-DUCHESSE.
General!...
FRITZ.
Altesse?...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Je suis contente de vous voir.
FRITZ.
Et moi de meme.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Merci.
FRITZ.
II n'y a pas de quoi, vraiment, il n"y a pns de quoi.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Je me felicite de ce que j'ai fait... Quand j'ai laisse tomber mon regard sur vous. vous n'etiez qu"un soldat...
FRITZ.
Un pauvre jeuue soldat...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Jc VOUS ai fait general en chef: vous avez l)atlu Ten- nemi.
FRITZ.
Eh! b6dame!...
ACTE DEUXIEME. 245
LA GHANDE-DUCIIESSE.
Voulez-vous que nous parlions des recompenses qui vous sont dues?...
FRITZ.
Je le veux bien, Altesse, mais a quoi bon?
LA GRAXDE-DUCHESSE.
Comment!...
FRITZ.
Puisque je suis general en chef... voyons, raisonnez un peu... puisque je suis general en chef, je ne peux pas monter en grade.
LA GRAXDE-DUCHESSE.
Yous croyez Qa, vous?
FRITZ.
Dame ! il me semble... puisque j'ai le panache... je ne peux rien avoir de plus...
LA GRAXDE-DUCHESSE.
Dans le militaire, c"est possible; mais...
FRITZ.
Mais?...
LA GRAXDE-DUCHESSE.
I\Iais dans le civil...
FRITZ.
Ah ! ah !... (a part.) Je ne comprends pas du tout, mais ca ne fait rien... puisqu'on veut me donner quclque chose, n'est-ce pas?...
LA GRAXDE-DUCHESSE.
D'abord, vous serez loge dans le palais : cela a ete decide, ce matin, sur la proposition du general Boum.
FRITZ, ctonne.
Sur la proposition du general Boum?
14.
246 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN. LA GRANDE-DUCHESSE.
Oiii, c'cst line idee qui lui est venue, par mon ordre.
FRITZ, riant.
A-t-il du ragerl...
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Voulez-vous que je Fexile?
FRITZ.
Oh non! Ce n'estpas un mediant liomme, au fond I... (Riant ) Tout qn. c'est des histoires de femmes, voila tout... des histoires de femmes.
LA GRANDE-DUCHESSE.
De femmes?
FRITZ.
Pas autre chose!
LA GRANDE-DUCHESSE.
Comme elles sont heureuses, les femmes de la cam- pagnel... Ouand une femme de la canipagne aime un homme de la campagne... elie va a lui, tout bonnement, et lui dit...
FRITZ.
« Mon garf^on, je t'aime. »
L.V GRANDE-DUCIIESSE.
Avec une bonne bourrade!... Mais dans nos spheres, c"est autre chose... et nous, quand nous aimons, nous somnics obligees de prendre des detours, de nous faire entendre a demi-mot... Ainsi, tenez, ici m^me, dans ma cour. il y a une femme qui est foUe de vous.
FRITZ.
Dans votre cour"?... allons done!...
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Eh bien... au lieu d'aller tout bonnement a vous et de vous dire...
ACTE DEUXIEME. 247
FRITZ.
Avec line bonne bourrade !...
LA GRANDE-DUCIIESSE.
EUe me I'a dit, a moi.
FRITZ.
A vous?
LA GRANDE-DUCIIESSE.
A moi.
FRITZ.
Oh! mais, alors, dites done, c"est line intrigue!
LA GRA.NDE-DUGHESSE.
Cost unc intrigue.
FRITZ, riant.
11 faut en rire, voila tout... il taut en rire.
LA GRANDE-DUCIIESSE, mecontcnte.
Comment, il laut?...
FRITZ, a part.
Ah diablel non... il parait qu'il ne faut pas... Soyons serieux. (Haut.) Eh bien! mais, dites-moi, d'abord... cette dame... est-elle bien de sa personne?
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Mes courtisans affirment qu'il n'y en a pas de plus belle... Quant a sa position, nous n"en parlerons pas.
FRITZ.
Pourquoi ca?
LA GRANDE-DUCIIESSE.
N'en disons qu'un mot : ces grades, ces honneurs. dont il m'a plu de vous combler, vous desirez les garder, sans doute ?
FRITZ.
Mettez-vous a ma place!..
2iS LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN. LA GRANDE-DUCHESSE.
Eh! mon gaillard, pendant que vous y etes, vous ne seriez pas fache d'attraper quelque chose d"inamo- vible?
FRITZ, ne comprenant pas.
D"inamovible?... (a part.) C'est un nouveau grade.
LA GRAXDE-DUCIIESSE.
Eh bien! sachez que la personne de qui je vous parle... est assez puissante pour vous faire obtenir tout ce que vous voudrez...
FRITZ.
Ah diablel... ah fichtrel...
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Votre avenir est dans ses mains... Maintenant. j'en suis sure, vous savez de qui je veux parlor?
Elle passe a gauche. FRITZ.
Un mot encore... un seul, et je le saurai.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Quel mot?
FRITZ.
Le nom de cette femme.
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Le nom?
FRITZ.
Oui.
LA GRANDE-DUCHESSE.
II n'est pas defendu de le deviner, ce nom... mais on ne pent pas le dire.
FRITZ, a part.
Diable!... c'est gcnant ga... pour savoir... (Haut.) Vrai- ment, on ne pent pas le dire?
ACTE DEUXIEME. 249
LA GRAXDE-DUC HESSE, souriant.
Puisque c'esl une intrigue!...
FRITZ.
Une intrigue amoureuse?
LA GRANDE-DUCHESSE.
Vous Tavcz dit, une intrigue amoureuse...
FRITZ.
Comme ga, alors, votre amie vous a dit de me dire quelque chose?...
DUO. LA GRAXDE-DUCHESSE.
Void ce qu'a dit mon amie : Quand vous le verrez, Je vous prie. Dites-lui ce que vous savez...
RONDO.
Diteslui qu'on I'a remarque,
Distingue; Dites-lui qu'on le trouve aimable, Dites-lui que, s'il le voulait,
On ne salt De quoi Ton ne serait capable!... Ah! s'il lui plaisait d'ajouter Des fleurs aux palmes de la gloire, Qu'il pourrait vite remporter, Ce vainqueur, une autre victoire!... Dites-lui qu'a peine entrevu,
II m'a plu! Dites-lui que j'en perds la tete! Dites-lui qu'il m'occupe tant,
Le brigand! Tant et tant que j'en deviens bete!... Helas! ce fut instanlane : Des qu'il a paru, tout mon etre, A lui tout mon coeur s'est donne; J'ai senti que j'avais un mailre! Dites-lui que, s'il ne vent pas
Mon trepas,
2oO LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN.
Dites-lui (je parle pour elle), Dites-lui qu'il repondra : Oui!
Dites-lui Que je I'aime et que je suis belle!...
Eh bien, reponds-moi maintenant.
FRITZ, a part. Ma fortune en depend : Soyons intelligent.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Reponds, — deux mots doivent suffire, — A la dame que dois-je dire?
FRITZ.
Dites-lui que je suis sensible...
LA GRANDE-DUCHESSE. Je le lui dirai.
FRITZ.
Son discours n'a rien de penible...
LA GRANDE-DUCHESSE. Je le lui dirai.
FRITZ.
Et de tout mon cceur je m'empresse...
LA GRANDE-DUCHESSE, Je le lui dirai.
FRITZ.
De lui rendre sa polilesse.
LA GRANDE-DUCHESSE, Je le lui dirai.
FRITZ, -i part. Je dis tout Qa... niais, la, sur ma parole, Je n'y comprends rien, Mais, la, rien de rien ! Et que le diable ici me patafiole, Si je connais cette personnel
LA GRANDE-DUCHESSE.
Ell bien"?...
ACTE DEUXIE.ME. 231
FRITZ. Eh bien... Eh bien... Dites-lui... que je suis sensible.
LA GRANDE-DUCHESSE. Je le lui dirai.
FRITZ.
Son discours n'a rien de penible...
LA GRANDE DUCilESSE. Je le lui dirai.
FRITZ.
Et de tout mon cijcur je m'empresse...
LA GRANDE-DUCHESSE. Je le lui dirai.
FRITZ.
De lui rendre sa politesse.
LA GRANDE-DUCHESSE. Je le lui dirai.
E iN S E JI B L E .
LA GRANDE DUCHESSE, ;l part. II a conipris en un moment, Gar le coeur est intelligent.
FRITZ, a part. J' n'y comprends rien absolument! Pourtantje suis intelligent.
Fritz remonte; la Grande-Duchesso passe a droite ct va se rasscoir.
FRITZ, a part, rodcsccndant et reflochissant.
Eh bien, voil^!... ces grades, ces honneurs... le panache... il est bien evident que je tiens a garder tout Qa... et alors, cette grande dame... qui m'aime... cc serait le meilleur moyen, n'est-ce pas?...
LA GRANDE-DUCHESSE, qui lobservait.
General?...
252 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN.
FRITZ, toujours ii part.
Mais Wanda... il y a Wanda aussi... c'cst tres embarrassant!
LA GRANDE-DUCHESSE, plus haut.
General?...
FRITZ, so ictoui-nant.
Altesse?...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Venez ici, pres de moi.
P'RITZ, traversant la scene, a part.
C'est tres embarrassant!
II va pour s'agcnoiiiller sur le petit tabouret, aus picJs de la Grande-Duchesse.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Non, non... asseyez-vous... la... (Fritz s'assied sur lo
tabouret. — Designant les decorations qu"il a sur la poitrine.)
Comme ces insignes vous vont bien!... si vous n'en avez pas assez, demandez-moi autre chose... Mais je ra'egare... ou en etions-nous?... Cette femme, de qui je viens de vous parlor... vous n'avez pas repondu, en somme... Vous etes reste dans les generalites...
FRITZ, riant.
Eh! bedame!... puisque je suis general...
LA GRAXDE-DUC HESSE, avoc un riro force.
Ah! charmant!... charmant!... mais laissons les jeux de mots... il faut ropondrc.
FRITZ.
Ah bien!... cette dame ne vous a pas seulcment priee de fairs la commission, il parait... Elle vous a price aussi de rapporter la reponse?...
LA GRAXDE-DUCHESSE.
Justementl... Eh bien?...
Kllc jouo d'une main un peu nerveuso avoc lo collier Jo I'ordro que Fritz porto au cou.
ACTE DEUXIEME. 253
FRITZ, faisant une grimace.
Ah!...
LA GRANDE-DUGHESSE.
Qu'est-ce que c'est?
FRITZ.
Rien... en jouant avec ce collier, vous m'avez un peu...
LA GRANDE-DUGHESSE.
Pardonnez-moi... ''
FRITZ.
Eh bien, je vous pardonnel...
LA GRANDE-DUGHESSE.
Mais voyons... parlez... cette reponse... si vous etiez pres de cette femme, comme vous etes la, pres de moi... vous lui diriez...
FRITZ.
Eh! bedame!...
LA GRANDE-DUGHESSE.
Pas mal, cela!... cest un mot que vous dites un peu souvent peut-etre... mais vous le dites si bien!... et apres lui avoir dit : « Eh! bedame... »?
FRITZ.
Apres?... Voulez-vous que je vous le declare?... je serais fort embarrassel...
Nepomuc entre par le fond, ua message a la main.
II.
254 LA GRANDE-DUGHESSE DE GEROLSTEIN.
SCENE VI
Les Memes, XEPOMUC.
NEPOMUC, du fond.
Altcsse...
Fritz se Icve et passe a gauclic. LA GP.ANDE-DUCHESSE, se levant tres vivement.
Qui vient?... ai-je appele"?...
NEPOMUC, descendant.
Le chef dc votre police particuliere... II attend Voire Altesse.
LA GRAXDE-DUC HESSE, avec impatience.
Ah! j'ai bien le temps de songer!...
NEPOMUC.
Jc demande pardon a Votre Altesse... il parait que c'est tres important.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Donnez.
EUc prend le message. — Nepomuc se retire au fond, attendant les ordres de la Grandc-Duchesse.
FRITZ, a part.
Ah! s'il n'y avait pas Wanda I... mais il y a Wanda !... c'est tres cmbarrassant!...
LA GRANUE-DUCHESSE, qui, pendant cc temps a ouvert la lettrc, la lisant a part.
« Scandale public... mauvaise tenue du general Fritz... jeune fille nommee Wanda amenee par lui a
la villc... » (Sinterrompant et a elle-meme.) Oh! oh!.., il faut
savoir... (naut, a Xepomnc.) Vous dites qu'il est la, le chef dc ma police particuliere?...
ACTE DEUXIEME. 2ob
XEPOMTC, rcdcscendant un peu.
Oui, Altesse.
LA GRANDE-DUCHESSE, a part.
Wanda!... c'est impossible!... (Haut^ a Fritz.i Dans un instant, general, je suis a vous... Vous permettez?...
FRITZ.
Eh bien, je per mats!...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Eh bien, attendez-moi!... (a Nepomuc.) Suivez-nous, capitaine.
Ellc sort par Ic fond, suivie do Nepomuc.
SCENE YII
FRITZ, seuL
Eh bien, voila!... c"est tres embarrassant, n'est-ce pas?... car. si je dis a cette dame : « Je ne peux pas vous aimer... j'en aime une autre... », cette dame se facliera... Et elle aura tort, apres tout... car, tons les jours, on regoit une invitation a diner... on repond : '( Je ne peux pas... a cause d'une invitation ante- rieure... » Est-ce que Qa veut dire C{u"on a peur que le diner ne soit pas bon?... non... ga veut dire tout bon- nement qu"on a regu une invitation anterieure... Done, si cette dame se fache. elle aura tort... Je vais, sans l)lus de raanieres, faire savoir a la Grande-Duchesse que je suis invite... Elle en fera part a son amie... et voila!
Musique a Torchestre. — Entrent mystcrieuscment, par le fond, Ic prince Paul, Boum et Puck.
25G LA GRANDE-DUGHESSE DE GEROLSTEIN
SCENE VIII
PUCK, LE PRINCE PAUL, BOUM, FRITZ, puis NEPOMUC.
FRITZ, a part, en les voyant.
Ah! voil^ ces trois messieurs!
PUCK, Ijas, aux deux autres, en apercevant Fritz.
Le voici!...
BOUM, bas, au prince Paul.
II va nous gfiner pour ce que nous avons a vous dire.
NEPOMUC, entrant par le fond, a Fritz.
General?...
FRITZ.
Eh bien, capilaine?...
NEPOMUC.
Les affaires de I'Etat retiennent Son Altesse... Elle m'a ordonne de vous conduire a votre appartement, dans le pavilion de I'aile droite.
II renionte ct reste au fond. PUCK, bas, au prince Paul.
Dans le pavilion de I'aile droite!
Le prince Paul ne comprend pas. FRITZ, a Nepomuc.
Eh bien, allons... [X part.) Je vais lui fairc dire que, toutos reflexions faites, je veux epouser W^anda, ct I'epouser le plus vite possible... (iiaut.) Et maintenant, dans le pavilion de I'aile droite!.. isaiuant ic prince Paul. Bourn et Puck.) Mcssicurs !...
ACTE DEUXIEME. 237
LE PRINCE PAUL, BOUM et PUCK, saluant.
Monsieur!...
FRITZ, a Bourn, en le narguant.
Eh bien, il a fait son chemin, le pauvre jeune soldat !
BOUM, allant a lui.
Qu'est-ce que c'est?...
FRITZ.
Hou!... le mauvais general!...
Gcste do fureur de Bourn: Puck Ic contient. — Fritz sort par le fond, suivi de Ne])omuc.
SCENE IX
PUCK, LE PRINCE PAUL, BOUM.
PUCK, au prince Paul, avec intention.
Elle a ordonne quon preparat pour lui le pavilion de I'aile droitei... vous avez entendu?... de Faile droite!...
B 0 U M , memo jeu.
Qa ne m"etonne pas de sa part.
PUCK.
Moi non plus!... (au prince Paul.) Je suis sur que vous ne nous comprenez pas.
LE PRINCE PAUL.
Pas du tout.
PUCK. Vous allez COmprendre... (Indiquant le portrait qui est a
gauche. 1 Vous voyez ce portrait qui est la?...
LE PRINCE PAUL.
Oui... je vois...
2oS LA GRANDE-DUGIIESSE DE GEROLSTEIN.
PUCK. Allez... et appuyez vigoureusenient sur la botte gauche de ce noble seigneur...
LE PRINCE PAUL.
Ou'est-ce que vous dites?...
B 0 u .M . On vous dit d'appuyer...
LE PRINCE PAUL, allant an portrait, puis s'arretant avcc inquietude.
Vous allez me faire une farce!...
PUCK,
Mais non... je vous assure...
LE PRINCE PAUL.
Je vols ce que c"est... il y a un ressort... et il va m'arriver quelque chose dans le nez.
I! 0 U M .
Mais non... allez done!...
Le prince Paul pousse Ic bouton, le portrait remonte et le panneau s'ouvre lentement : une boutfce d'air glace repousse le prince Paul. — Des bruits etranges s'echappent du couloir. — Une clariuetto iniitc dans la coulisse le cri de la chouette.
LE PRINCE PAUL.
TiensI un aveugle!..
BoU.M, ramcnant gravemcnt le prince Paul sur Ic dcvant de la scene.
Non!... ce n'est pas un aveugle!...
LE PRINCE PAUL.
Qu'est-ce que c'est?
PUCK.
C'est le cri de la chouette... 11 y a longtemps que
Ton n'avait OUVCrt CCtte porte... [Un ton dun homme qui
commence un recit.) 11 y a plus de dcux ccnts ans...
ACTE DEUXIEME. 259
LE PRINCE PAUL, allant a Puck.
Vous semblez avoir une histoire k me raconter...
B 0 U M .
Une lugubre histoire!...
LE I'RINCE PAUL, a Puck.
Racontez-moi.
PUCK.
Tres volontiers... II a deux issues, ce couloir...
LE PRINCE PAUL.
Conime la plupart des couloirs.
PUCK, continuant.
L'une qui donne dans cette chambre, I'autre qui donne dans le pavilion de Faile droite, ce pavilion ou sera loge le general...
LE PRINCE PAUL.
Aie!...
PUCK.
Ici, il y a un portrait d'homme; a I'autre bout, il y a un portrait de I'emme... Ici, pour ouvrir, on n'a qu'a toucher la botte de rhomme; la-bas, on n'a qu'a tou- cher le genou de la femme.
LE PRINCE PAUL.
Le genou?...
B 0 U M .
C'est un caprice du peintre... Dc son vivant, Fhomme qui est peint ici s'appelait Max, il etait comte de Sedlitz-Calembourg... La femme qui est peinte la-bas s'appelait la Grande-Duchesse Victorine, Taieule de notre Grande-Duchesse...
LE PRINCE PAUL.
Achevez.
260 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN,
TRIO . IJOUM.
>'e devinez-vous pas?... c'est une sombre histoire !
PUCK, Les murs de ce palais en gardent la memoire!
BALLADE.
BOUM.
I
Max elail soldal de fortune;
Mais il avait L'oeil vif et la moustache brune...
On I'adorait! La duchesse, en personne adroite,
A ce galant Donna son coeur... et I'aile droile,
Pour logement. Et, dans son amoureuse ivresse,
Max, chaque soir, Ecoutait venir sa maitresse
Par ce couloir!
LE PRINCE PAUL, DOUM et PUCK, avec eclat. Ecoutez, race future. Ecoutez, ecoutez la sinistre aventure Et I'histoire d'amour Du comte Max de Sedlitz-Calembourg!
PUCK.
II
Un soir, Max, avec epouvante,
N'etant point sourd, Trouva le pas de son amanle
Quelque peu lourd : Ca lui mil la puce a I'oreille...
Trop lard, helas! Que ne se sauvail-il la veille"?...
Ce pas... ce pas... C'etail le pas d'une douzaine
D'assassins, qui Trouerent gaiment la bedaine
Du favori!
ACTE DEUXIEME. 261
LE PRINCE PAUL. Douze assassins!...
R 0 U M . •
All masque noir!
TOUS I.ES TROIS. Par ce couloir!
REPRISE DE l'eNSEMBLE.
Ecoutez, race future, etc.
(Boum va fermer la portc du couloir ct revient pres du prince Paul.)
BOUM, au prince Paul. Maintenant, me comprenez-vous?
LE PRINCE PAUL. Je vous comprends... mais c'est horrible!
PUCK. 11 faut qu'il tombe sous nos coups!
LE PRINCE PAUL. Le croyez-vous"?... C'est bien possible...
PUCK et BOUM. II faut qu'il tombe sous nos coups!
B O U M . Logeons-le done, et des ce soir, Dans la chambre au bout du couloir! Logeons-le done, ce mirliflor, La-bas, au fond du corridor!
EN.SEMBLE, tres gaiement. Logeons-le done, et des ce soir, etc.
LE PRINCE PAUL.
Ce soir, quand il se fera tard, Ecoute, dans ta foUe ivresse. Si tu n'entends pas, par hasard, Le pas leger de ta maitresse !
15
202 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN.
BOUM.
Ce pas,
Ce pas, Cc joli pas,
Ce pas,
Ce pas, Ce pelil pas!
TOUS LES TROIS. Tu n' Tentendras pas, Nicolas! Non, non, tu ne Tentendras pas! Ce pas, Ce pas, Ce joli pas, Ce pas, Ce pas, Ce petit pas! Plus gaiement encore ct avec un l^ger mouvement de dansc. Logeons-le done, et des cc soir, etc., etc.
BOUM.
Quand, faisant des reves de gloire, Tu te dis : « Je serai Grand-Due! » Voici venir, dans la nuit noire. Voici venir Paul, Boum el Puck!
LE PRINCE PAUL. Voici venir Paul!
B 0 U M . Voici venir Bourn!
I'UCK. Voici venir Puck!
THUS LES TROIS. Oui, Paul, Boum, Puck!
ENSEMBLE, avec une gaiete folic, dansc tres animjc. Logeons-ie done, et des ce soir, Dans la chambre au bout du couloir; Logeons-le done, ce mirliflor. La-bas, au fond du corridor! La rausiquc continue a I'orchestre. — La Grandc-Duchesso cntro par lo fond et, voyant le prince Paul, Boum et Puck, reste i I'dcart ot ocouto.
ACTE DEUXIEME. 263
SCENE X Les Memes, la GRANDE-DUCHESSE, au fond.
LE PRINCE PAUL.
C'est entendu... alors, nous conspirons?
BOUM et PUCK.
Nous conspirons!
LE PRINCE PAUL.
Dans une heure, chcz moi... ga vous va-t-il?... nous posei'ons les bases.
PUCK.
II y aura des rafraichissements?
LE PRINCE PAUL.
II y en aura.
U O U M .
Pas de femmes?
LE PRINCE PAUL, sc rccriant.
Oh! Bourn!... une conspiration!...
LA GRANDE-DUCHESSE, descendant entre le prince Paul ct Bourn.
Si fait, general, il y aura une femme!
T(JUS LES TROIS, inquiets.
Son Altesse!...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Oui, moi!...
PUCK.
Nous sommesperdus!
LE PRINCE PAUL,
Sauve qui pent!...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Ne craignez rien... vous etes en train de conspirer contrc le general Fritz... eh bien, je suis des vOtres!
2Ci LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN. BOUM.
Ah bah !
PUCK, a part.
C'est comme ga?
LE PRINCE PAUL, a part.
J'aime mieux qh.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Savez-vous ce qiril vient de faire, le general Fritz?.., Ilvient de m'envoyerdemander la permission d'epouser Wanda!... Cette permission, je Fai accordee... Mainte- nant; le general est a la chapelle... et de la, il ira...
LE PRINCE PAUL. BUUM et PUCK.
II ira?...
LA GRANDE-DUCHESSE.
La oil vous serez pour I'attendrel... dans le pavilion de I'aile droite!
LE PRINCE PAUL, BOUM et PUCK, avec joie.
Dans le pavilion de I'aile droite I
LA GRANDE-DUCHESSE. REPRISE DU DERNIER .MOTIF DU TRIO.
Logeons-le done, et des ce soir, Dans la chambre au bout du couloir; Logeons-le done, ce mirliflor, La-bas, au fond du corridor!
ENSEMBLE, en dansant follement. Logeons-le done, et des ce soir, etc., etc.
Le rideau tombe.
ACTE TROISIEME
La chambre rouge, vieille salle gothiquc. — Porte a droite, au pre- mier plan; autre portc au dcuxifemo plan, a gauche; du meme cote, au troisifeme plan, une porta secrete dissimulee par un tableau representant la grandc-duchcsse Victorino en pied. — Au fond, a gauche, uno fenotre : au fond, k. droite, un lit cache par des rideaux. — Entre la fenetre et le lit. une console. — Sieges. — Des draperies recouvrent les portes du premier plan.
SCENE PREMIERE
LA GRANDE-DUCHESSE, puis BOUM.
Au lever du rideau, la scene est vide ct sombre. — Entre, par la droite, la Grande-Duchesse pr6ccdee d'un page qui porte un cande- labre. — La chambre s'eclaire. — Le page se retire apres avoir pose le candelabre sur la console. — Alors la Grande-Duchesse, se voyant seule, pousse un petit cri. — .-Vussitot un cri bizarre repond de la coulisse et le gdn^ral Boum entre par la premiere porte de gauche. — Pendant cette scene muette, on entend la musique de la fete, qui continue au loin.
BOUM, saluunt.
Altesse!...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Eh bien, general, que fait-il?
I5 0UM.
II danse. Quand j'ai quitte le bal, il etait en train d'ex^cuter un cavalier seul...
LA GRANDE-DUCHESSE.
II danse!... Et tout a I'heure, cet homme, qui main- tenant se tremousse... Mais aurez-vous le temps de tout preparer pour la... catastrophe?... S'il allait venir?...
260 LA GRANDE-DUGHESSE DE GEROLSTEIN.
I50UM.
Pas de danger !...jeluiai fait savoir que Voire Altesse lui defendait de quitter le bal avant la fin du cotillon.
LA GRANDE-nUCHESSE.
Comment a-t-il veQU cet ordre?
BOUM.
Avec une mauvaise humeur evidente... « Comme c'est amusant, a-t-il dit, un jour de noces!... »
LA GRANDE-DUCIIESSE.
II a dit cela?
BOUM.
Ill'adit.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Ah! il I'aime bien, cette petite!... mais patience!., patience!...
EUo rcstc immobile, regardant lo plaucher. BOUM.
Que regardez-vous, Altesse?
LA GRANDE-DUCHESSE.
La, sur ce parquet, il y a une grande tache rouge... Ouand les etrangers visitentce palais, on leur montre cette tache, en leur disant : « C'est la que le comte .Max est tombe!... » Est-ce vraiment la? je n'en sais rien... En tout cas, les concierges du palais racontent cette hisloire et s'en font un bon petit revenu.
COUPLETS.
I
LA GRANDE-DUCHESSE, gravement. 0 grandes lemons du passe!
BOUM, lie meme. Grave enseignemenl de I'hisloire!
ACTE TROISIEME. 267
LA GRANDE-UUCHESSE. Ici le drame s'est glisse!
li () u M . Eclair sombre dans la niiit noire!
LA GRANDE-DUCHESSE, tres gaiement. Tout QSL pour que. cent ans apres, Racontant la scene emouvante, Le concierge de ce palais S'en fasse une petite rente!...
ENSEMBLE. Le concierge de ce palais S'en fasse une petite rente!...
LA GRANDE-DUCHESSE.
II
Ce qu'on a fait, on le refail...
BOUM.
L'hisloire est comme un cerclc immense!
LA GRANDE-DUCHESSE.
L'aieule a commis son forfait...
B 0 u M . L'enfant vient et le recommence !
LA GRANDE-DUCHESSE.
Tout Qa pour que, dans deux cents ans, Exploilant cos scenes navranles, Du porlier les pelils-enfants Aienl aussi leurs petilcs rentes!...
ENSEMBLE.
Du portier les pelits-enfanls Aient aussi leurs pelites rentes!...
B (J U M .
A partir de demain, alors, il y aura deux histoires h raconler, deux laches a montrer... et deux boas petits revenus pour messieurs les concierges!...
2C8 LA GRANDE-DL'CIIESSE DE GEROLSTEIN. LA GRANDE-DUCHESSE.
Probablemeiit... Mais vos complices?...
B U U M .
lis m'attendent dans ce corridor myst^rieux...
II montre la portc secrete. LA GRANDE-DUCHESSE.
Ouvrez-leur la porte; je vais, moi, me cacher der- riere cette draperie...
EUo ddsigae la porte par laquelle elle est entree. BOU.M.
Jen suis bien aise.
LA GRA.NDE-DUCHESSE.
Pourquoi ^a?
B (J r M . Si vous n'aviez pas ete la, derriere cette draperie, noire conspiration... Qa aurait manque de femmes!...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Gardez-vous cepcndant de reveler ma presence... au dernier moment, si je le juge convenable. je me mon- tre rai...
BOU.M, saluant,
Allesse!...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Maintenant, faites entrer vos amis... et tachcz de me mener ga rondement !...
Ellc disparait par la droite.
SCENE II
BOUM, puis PUCK, LE PRINCE PAUL,
GROG, NEPOMUC, tons armes de poignards. BOU.M, seal, allant au portrait.
Le portrait, le voila... c'est le genou qu'il faut tou- cher. ^11 louche le genou, la porte secrete s'ouvre. — Entreat
ACTE TROISIEME. 269
Puck, le prince Paul. Neporauc et le baron Grog.) Un, deUX,
trois, quatre... oii sont les autres?
La porto secrete se referme. PUCK.
lis viendront quand il en sera temps... Si nous etions venus tons ensemble, cette fugue generale cut inspire des soupQons...
B u u .M . Vous avez raison.
LE PRINCE PAUL.
D"abord, il faut prendre nos mesures...
BOUM, ;i Xepomuc.
Vous etes des notres, monsieur?
N E P 0 M U C .
Des que j'ai su que cela etait agreable a la Grande- Duchesse...
LE PRINCE PAUL.
Vous etes un malin.
NEPOMUC.
Je suis pauvre, monsieur, mais je suis ambitieux.
BUUM, lui tendant la main.
Donnez-moi votre main, monsieur.
NEPOMUC.
La Yoici, general.
lis so scrrent la main.
BOUM. J"aime les gens de COeur!... (.A.u prince Paul, en montrant
le baron Grog.) Monsieur aussiest avee nous, prince?
LE PRINCE PAUL.
Oui, general.
TOUT LE MONDE, saluant.
Baron!...
270 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN.
GROG, de meme.
Messieurs !...
PUCK, passant pies do Bourn.
3Ionsieur le baron salt de quoi il s'agit?
GROG, d'un ton degage.
Parfaitement!... il nc s'agit que de tuer un homme...
LE PRINCE PAUL.
C'est ici la chambre?...
PUCK.
Oui ; c'est ici que nous le frapperons...
BOUM.
Et maintenant, ecoutez-moi tous...
II tire son sabre. PUCK.
Qu'est-ce que c'est que ga encore?
LE PRINCE PAUL, etfraye.
Rengainez ca !
TOUS.
Oui, oui, rengainez!...
BOUM, avec energie.
Ouand on se fourre dans ces choses-la, il faut y rester jusqu'au bout!... Je coupe en quatre celui qui aurait envie de renacler.
PUCK.
Mais personne n'a cnvic...
BOUM, mena^ant le prince Paul.
Si vous avez envie de renacler, dites-le, je vous coupe en quatre !
LE PRINCE PAUL.
Rengainez done !
AGTE TROISIEME. 271
PUCK. Mais, encore une fois, personne n'a envie... II n'y a pas moyen de discuter raisonnablement avec un homme comme vous.
I5 0UM, lemettant son sabre au fuurreau.
J'ai dit CO que j'ai ditl...
LE PRINCE PAUL.
En voila assez!...
La Grande-Duchesse rcntrc jiar la droito et vient se placer entrc Bourn ct Puck.
SCENE III
Les Memes, la GRANDE-DUCIIESSE.
la grande-duchesse. Sont-elles bonnes, au moins, les lames de vos poi- gnai'ds, messieurs?
LES CONJURES, saluant.
Son Altesse!...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Oui, messieurs... j'etais la... decidee a paraitre au dernier moment, pour exxiter votre courage, s'il en etaitbesoin; mais je vols que cela n"etait pas neces- saire...
NEPOMUC.
Non, certes...
PUCK.
Qu'il vienne, et vous verrez!...
B U U M .
Je le couperai en quatre!
272 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTELN. LA GRANDE-UUGHESSE.
Ah!... une priere, messieurs...
PUCK,
Dites : un ordre!
LA GRAXDE-UUCIIESSE.
Ce que je vous recommande, avant tout, c"est, en le Irappant, de ne pas le frapper au visage...
GROG, dans le coin ;i gauche et masque par lo prince Paul ironiquement.
Ah! ce serait dommage!...
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Qui a dit cela?
GROG, so montrant.
Moi.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Qui Qa, vous?... je connais tous les conjures qui sont ici; mais vous, je ue vous connais pas.
LE PRINCE PAUL.
C'est mon Grog.
LA GRANUE-DUCHESSE.
^'otre Grog?...
LE PRINCE PAUL.
Eh!... le baron Grog... I'envoye de papa... celui que vous n'avez pas voulu recevoir...
LA GRANDE-DUCHESSE, regardant Grog avec interet, cl passant pros du prince Paul.
Ah! j'ai eu tort...
B 0 V M . Vous dites?...
LA GRANDE-DUCHESSE, au prince Paul, a Bouiu eta Puck.
Rien... rien... Allez placer vos hommes, messieurs,
ACTE TROISIEME 273
et, quand vous les aurez places, revenez tons les trois... vous, baron Grog, restez.
GROG, etonne.
Altesse!...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Eh bien, quoi?... ne m'aviez-vous pas demande une audience?... cette audience, je vous la donne mainte- nant... (aux conjures.) Allez, messieurs, allez.
LE PRINCE PAUL, bas, :l Grog.
Grog, soyez brulant!
Roum , Puck et lo prince Paul sortont par la premiere porte a gauche ; la Grande-Duchesse les accompagne un peu. — Grog passe a droite. — Pendant cc mouvement, melodramc a rorchestrc.
SCENE IV LA GRANDE-DUCHESSE, GROG.
LA GRANDE-DUCHESSE, revenant :i Grog.
Ce qui m'a tout de suite frappee, en vous, c'est que vous avez I'air bon.
GROG.
Altesse I...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Tout a fait l)on.
GROG.
11 vous plait, alors, que nous parlions de mon prince?
LA GRANDE-DUCHESSE.
Tout a riieure... Laissez-moi, d'abord, me feliciter d'avoir pour ami un homme tel que vous.
GROG.
Comment?
27i LA GRANDE-DUGHESSE DE GEROLSTEIN. LA GRANDE-DUCHESSE.
Sans doute!... Puisque je vons trouve au nombre de ccux qui doivent me venger!
GROG.
Oh ! quant a cela, j'avoue que ce n'est pas precise- ment par amitie... Votre Altesse s'obstinait a ne pas me recevoir : Qa m'ennuyait de ne rien faire; j'ai cons- pire un brin pour me distrairc.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Pour vous distraire?
G R ( t G .
Pas pour autre chose.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Comme j'aime votre genre de conversation!... Vous dites des choses a faire sauter!... et votre figure ne bronche pas.
GROG.
C'est le resultat de I'education.
LA GRANDE-DUCHESSE. Ah!...
GROG.
Des mes plus jeunes annees, ma famille m'a destine a la diplomatic... Alors, on m'a appris a avoir Fair froid... Quand j'etais tout petit...
LA GRANDE-DUCHESSE, souriant.
II y a longtenqis...
GROG.
Oui, il y a longtemps... Quand j'etais tout petit, toutes les fois que Ton m'attrapait a ne pas avoir I'air IVoid, on me flanquait des coups.
ACTE TROISIEME. 275
LA GRANDE-DUCHESSE.
Pauvre enfant!... Voulez-vous me permettre de vous donnei" un conseil?
GROG.
Avec plaisir.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Tout a riieure, quand le moment sera venu, quand il faudra taper sur le general Fritz, ne vous mettez pas en avant... vous seriez capable d'attraper une balal're qui vous defigurerait.
GROG.
Ah!... bien!
LA GRANDE-DUCHESSE.
Tenez-vous derriere les autres... Ouand le coup sera fait et qu"il n"y aura plus qu'a recevoir les recom penses, je ferai passer les autres derriere vous... (Grog
fait un petit mouvement des levres.) Qu'est-Ce que VOUS avez?...
Vos levres viennent de faire un petit mouvement... comme ca. (Eiie limite.) Chez un autre, Qa ne serait rien... mais chez vous, ca doit etre un eclat de rire.
GROG.
Juste!
LA GRANDE-DUCHESSE.
Comme je vous connais deja!... Qu'est-ce qui vous fait rire autant que ca, dites-moi"?
GROG.
Je ne peux pas.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Pas mon ami, alors?
GROG.
Si fait.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Eh bien?
276 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN. GROG.
II y a line heure, vous Irembliez pour la figure du general Fritz... maintenant, vous tremblez pour ma figure, a moi...
LA GRANDE-DUCHESSE, sonriant, a part.
C'est vrai, pourtant!...
GROG.
Si Ton otait avantageux, si Ton voulait tirer des consequences...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Chut!... faut pas!...
GROG.
Non.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Ne parlons pas de ca!
GROG.
Si nous parlions de mon prince?...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Tout a I'heure... Qu'est-ce que vous etes Ik-bas... la-bas, a la cour de votre niaitre?... Chambellan?
GROG.
J'ai aussi le grade de colonel, au palais seulement.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Vous aurlez mieux que cela a ma cour, si vous vou- liez quitter le service de I'filecteur...
GROG.
Malheurcusement pour moi, c'est impossible.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Impossible?...
GROG.
Sans doutel... a moinsque Votre Altcsse neconsente a cpouser mon prince...
ACTE TROISIEME. 277
LA GRANDE-DUCHESSE, a part.
Are ! ai'e ! ai'e I
c; R 0 G . II serait tout simple, alors...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Epoiiser votre prince... nous y voila revenus!...
GROG.
Je pensais que nous n'avions pas parle d'autre chose.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Mes compliments, baron... vous etes un fameux diplomate!
GROG.
Je vous en supplie, Altesse, prenez mon prince... je vous assure que c'est un bon petit jeune liomme...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Un fameux diplomate... il n'y pas a dire!...
GRUG.
Eh bien, que decidez-vous?
LA GRANDE-DUCHESSE.
Voulez-vous que je vous dise?... je n'en sais rien.
GROG.
Ah!
LA GRANDE-DUCHESSE.
Tout Qa, voyez-vous, tout ga danse dans ma tete... Qa tourne! tja tourne!... Fritz, vous, le prince... et Puck et Boum dans le fond... Ferai-je tuer, ne ferai-je pas tuer? Et si je fais tuer quelqu"un, qui ce sera-t-il?... Ce sera-t-il Fritz?... ce sera-t-il vous?
GROG.
Moi?
LA GRANDE-DUCHESSE.
Je n'en sais rien... voila ou j'en suis... je n'en sais rien... absolument rien...
Le prince Paul, Boum et Puck rentrent par la premiere porte a gauche^ II. 16
278 LA GHANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIX.
SCENE V
Le? Memes, LE prince PAUL, BOUM, PUCK.
LE PRINCE PAUL, BOUM et PUCK, saluant.
Altesse!...
Le prince Paul va a Grog, avec cniprcsscment. LA GRANDE-DUCHESSE.
Qu'y a-t-il"?... Ah! c'est vous, messieurs...
LE PRINCE PAUL, bas, a Grog.
Eh bien?...
GROG, bas.
Ca marche.
LE PRINCE PAUL, bas, avec elTusion.
Ah I mon ami I...
LA GRANDE-DUCHESSE, a Boum.
Vous avez place vos hommes?
B 0 U M .
Oui, Altesse.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Eh bien. allez les trouver derechcf ct dites-leur qu"ils peuvent rentrcr chez eux.
PUCK, etonne.
Comment?...
LA GRANDE-DUCHESSE, regardant Grog, avec intention.
On ne frappera pas.
BOUM, stupefait, avec eclat.
Ah bien, par excmple!...
LA GRANDE-DUCHESSE, avec severite.
Vous dites?...
ACTE TUOISIEME. 279
1? 0 U M .
Je ne dis rien... parcc que Voire Altesse est la... mais, si Voire Altesse n'etait pas la... je dirais que c"est insupportable, a la fin!...
LA GRANnK-nrCIIESSE.
Vous vous oubliez, ce me seiublc!... 15 o r M .
Non, mais... enfin... tout ctait bicn conveau, bien arrange... el puis, au dernier moment, vous venez nous dire...
LE PRINCE PAUL.
C'est tres desagreable... on se donne du mal pour monler une petite partie...
PUCK.
Toute la peine etait prise... il ne restait plus que le plaisir...
LA GRANDE-DUCHESSE.
.J'ai dil que Ton ne frapperait pas...
liUUM.
Mais pourquoi?
LA GRANDE-nUCHESSE.
Frapper un homme le jour oil je me marie, cela ne serait pas convenal:)le.
Etouncment g6n6ra.l. PUCK.
Le jour oii vous vous mariez!...
LE PRINCE PAUL, avec joio.
Vous Tavez dil, ma cherc, vous I'avez dit!
LA GRANDE-DUCHESSE.
Oui, je Tai dil.
LE PRINCE PAUL.
Vraiment, vous consenlcz enfin?...
280 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN.
LA GRANDE-DUCllESSE.
Eh Ijien, oui, je consens. Remerciez le baron, vous lui devez beaucoup : je n'ai pu resister a son elo- quence.
LE PRINCE PAUL, transporte, au baron Grog.
Ah! baron!... Tous les ans, au jour de I'an, papa me donne le droit de faire un margrave. II aime mieux qa que de me donner de Fargent... Eh bien, je ne vous dis que qa...
LA GRAN 1)E-DUC HESSE, a Roum ct a Puck qui causent avec animation.
Eh bien, general Boum?... Eh bien, baron Puck"?
p r c K . Eh bien, mais, Altesse, il est bien evident que le jour ou Votre Altesse consent a couronner les feux dont Son Altesse briUait pour Votre Altesse... il serait malseant de...
15 0 r M . Je ne dis pas le contraire, mais c'est bien desa- greable!... II m'en a fait de toutes les couleurs, ce Fritz!... il m"a enleve ce panache qui faisait mon orgueill... il m'a enleve une femme qui eut fait mon bonheur!... et je ne me vcngerais pas!... (.\vec force.) L'ennemi!... oil est?...
LA GRANDE-DUCIIESSE. rinterrompant.
N'est-ce que cela? Vengez-vous tout a votre aise... pourvu, bien entendu, que vous n'alliez pas jusqu"a...
ROUM.
Pourvu que nous ne sortions pas des limites de la fantaisie...
LA GRAN DE-UUC II ESSE.
Justement!
ACTE TROISIEME. 281
PUCK. Alors, si nous trouvons quelque bon tour a lui jouer, vous nous permettez...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Non seulementje vous le permets... mais, voulez-vous que je vous disc?... cela me fera plaisir...
BOUM.
Oh! alors...
Musiquo a rorcliestrc. LA GRANDE-nUCHESSE.
On vous Taniene... Trouvez quelque chose, cela vous regarde... Prince Paul?...
LE PRINCE PAUL, avec empressement.
Ma cherie?...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Dans deux heures. a la chapelle... soyez exact... Je vais, moi, faire un choix parmi les quarante toilettes de mariage que j'ai etc sur le point de mettre pour vous
epOUSer... (EIIc se dlrlge vers la droite, le prince Paul va pour lui baiser la main, elle la retire en disant : ) Oh! paS enCOrc!... (Puis, arrivee pres de la purte elle se rctourne et dit :) DieU VOUS
garde, messieurs!
Elle sort. PUCK, tendant rurcillo vers la gauche. ;l Bourn.
Le voici... qu"est-ce que nous allons lui faire?
BOUM.
Je tiens ma fantaisiel... Nous allons lui arranger une petite nuit de noces...
Bourn et le prince Paul se rangent pres de Grog. — Entrent, par la premiere porte a gauche, Fritz et AVanda en mariee ; ils sent accom- pagnes de tous les seigneurs ct dames de la cour. — Tous, hommes ct femmes, portent des lantcrncs dordcs
16.
282 LA GRANDE-DUCHESSE DE GEROLSTEIN.
SCENE VI
Les Memes, ^YANDA, fritz, La cour.
Nous amenons la jeune femme Dans la chambrc de son mari; Maintenanl nous allons, madame, Yous laisser seule avecque lui... Nous amenons la jeune femme, Dans la chambre de son mari I
Musique k Torchestre.
FRITZ.
Bien oblige, messieurs, mesdames... bien oblig6 de
VOtre bonne COnduite!... (Au prince Paul, a Grog, ix. Bourn et k
Puck.) Vous etiez ici, messieurs?...
PUCK.
Oui, pour vous faire honneur.
FRITZ.
Bien oblige aussi!... mais si, apres m'avoirfait beau- coup d'honneur, vous vouliez me faire beaucoup de plaisir...
PUCK.
Nous nous en irions?
FRITZ.
Eh! bedame!... Allons, messieurs, bonsoir, bonsoir!
PUCK, a, Fritz. Bonne null, monsieur, bonne nuit!
LES AUTRES. Bonne nuil!
PUCK. Ce simple mot doit vous suffire ; Vous coniprenez ce qu'on veut dire, Heureux coquin, lors(iu'on vous dil : Bonne nuit!
ACTE TUOISIEME. 283
T C) U S . Bonne nuil!
liOUM, :i Wanda.
Bonsoir, madame, bonne nuit!
Tors. Bonne nuit!
ROUM. Ce compliment vous fait sourire, Bien qu'ignorant ce qu'on vent dire, Jeune epouse. quand on vous dit : Bonne nuit !
T 0 U S . Quand on vous dit : bonne nuit! Bonne nuit! Tous, exccpte Fritz ct AVanda, sortcnt a gauche. — Grog, Bourn, Puck ct lo prince Paul sortent Ics derniers, aprcs avoir saluo trcs profon- demcnt les nouveaux epoux.
SCENE VII FRITZ, \YANDA.
FRITZ, sautant do joie.
Enfin, nous voiKi seals !
W.VND.V.
Oui... et je n'en suis pas fachee.
FRITZ.
Moi non plus, par exemple, moi non plus !
w .\ X I) .V .
Maisce n'est pas cela... je vcux dire que, maintenant que tout le monde vous a lelicite, je puis enfin, moi aussi, vous dire mon compliment...
284 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEl.N
FRITZ.
Naive enfant!
WANDA, faisant une reverence.
Monsieur le general!...
FRITZ.
^a fait une difference, n'est-ce pas, quand on s'atten- dait a epouser un pauvre jeune soldat, et quon se trouve, par le fait, epouser un general en chef cou- ronne par la victoire ?
^^" A N D A . II est clair que dans le premier moment...
FRITZ.
Tu es eblouie... avoue-le, naive enfant.
WAX DA.
Non... mais...
FRITZ.
Mais... tu es eblouie... et pourquoi ca?... C'est parce que tu vols mon panache, et mes insignes, et toute ma passementerie... mais je ne me serai pas plus t6t debarrasse...
II 6te son chapeau, sa pelisse et sa sabretache qu'il pose sur la console du fond.
WANDA.
Eh bien, mais... qu'est-ce que tu fais?
FRITZ.
Je te rassure, naive enfant, je te rassure.
WANDA.
Oh! mais... tu as une faQon de rassurer les gens, toi...
FRITZ.
Eh bien... n'est-ce pas? quand on est mari et femme... car nous sommes mari et femme, n'est-il pas vrai?
AGTE TROISIEME. l>8o
WAX DA.
Sans doute... sans doute...
FRITZ, revenant pres d'elle.
Eh bien, alors... fais conime moi...
WANDA.
Tu dis?...
FTxITZ.
J'ai ote mon panache... ote ton panache aussi.
WANDA.
Tout a rheure...
FRITZ.
Pourquoi tout a Theure?... Toujours cette timidite!... A cause de mon grade... n"est-ce pas?... Je suis bien sur que si, au lieu d'etre tous les deux... ici... dans un appartement richement decore, nous etions dans ta simple cabane, tu n"hesiterais pas tant... Mais voila!... c'est une chose a remarqucr que, plus on s"enfonce dans les classes elevees, plus on iait des manieres... Eh bien, il ne faut pas... il n"y a pas a dire : « ma belle aniie... », il faut te rassurer, a la fin... 0 ma Wanda!...
11 la prend par la taille. WANDA, so degageant.
C"est pourtant vrai que j'ai un pen peur...
COUPLETS. 1
Faul-il, mon Dieu. queje sois bete! C'est pourtant vrai qn'ii m'interdit, Avec cet or sur son habit Et son panache sur la tele!... !Mon Dieu, faut-il queje sois bete! Pourquoi, diable, avoir pcur de lui?... C'est mon niari! (A CO moment, on entend un violent roulcment de tambours.)
Qu'est-ce que c'est que ga"?
286 LA GRA.NDE-DUGIIESSE DE GEROLSTEIN. FRITZ.
Jc ne sais pas, moi.
Nouveau roulement de tambours. CRIS, sous la fenetre.
Vive le general Fritz !
WANUA, remontant pres do la fenutre.
On t'appelle...
FRITZ.
C'est une aubade... II n'y a pas h dire : « mon bel ami... », c'est une aubade... Apres ma victoire, c'est bien nature!.. . maisilsauraicnt pu choisirun autre moment.
NOUVEAUX CRIS.
Vive le general !
WANDA.
Mais ils ne s'en vont pas!...
FRITZ.
Non... ils attendent que j'aille leur parler... C'est le seul moyen de les faire partir...
WANDA.
Parle-leur done... Mais tu m'avoueras que c'est bien desagreable...
Fritz va k la fenotre el Touvre. — Nouvcau roulement do tambours. NOUVEAUX CRIS.
Vive le general !
FRITZ, a la fenetre.
Messieurs les tambours... je n'ai pas besoin de vous declarer que jc suis sensible... mais je vais vous dire... Vous ne savez peut-etre pas... jc me suis marie aujour- dhui... alors, vous devcz comprendre... Bonsoir, mes- sieurs les tambours... allons, bonsoir, bonsoir!...
II leur jette do I'argeut. NOUVEAUX CRIS.
Vive le general Fritz !
I.cs tambours s'61oi"nent.
ACTE TROISIEME. 287
FRITZ, revonant u Wanda, apres avoir ferme la fenetre.
Tu vois, c'cst fini... 0 ma Wanda!...
II
On pent etre aimable et terrible! Je siiis un grand chef, j'en convien... ]\Iais sous le grand chef, vois-tu liien, Tu trouveras Thomme sensible, A la fois aimable el terrible! Pourquoi, diable, avoir peur de lui?...
C'est ton marl! II cmbrasse Wanda. — Musiquo militairc sous la fenetre.
^^' A X D A . Encore!...
FRITZ, passant a droite.
Maintenant, c'cst la musique. Nous aurions du nous y attendre... apr6s les tambours, il y a toujours la musique.
Suite do la musique. CRIS, sous la fenetre.
Vive le general Fritz!
WAXDA.
Ah! tu m'avoucras...
FRITZ.
Qu'est-ce que tu veux?... Je vais leur parler...
(ll retourne a la fenetre.) McSsieurs IcS musiciens...
La musique s'arrote. XOUVEAUX CRIS.
Vive le general !
On bonibarde Fritz de bouquets. FRITZ, il Wanda. Tu vois!... ils SOnt aimables!... (Recevant un bouquet on pleine figure.) trcs aimablcs!... (Wanda ramasse les bouquets, los met sur la table. — Fritz se penche a la fenetre pour parler
aux musiciens.) McssicuFS les musicicns... je suis fach6 qu'en venant vous n'ayez pas rencontre messieurs les
288 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN.
tambours... lis auraient pu voiis dire que je me suis marie aujourd'hui... alors, vous devez comprendre... Bonsoir. messieurs les musiciens... bonsoir, bonsoir!...
11 Icur jettc de I'argent. NOUVE.vrX CRIS.
Vive le general I
FRITZ, lis SOnt partis, je t'assure... (Formant la fenetro et reve-
nant a Avanda.) 0 ma Wanda!... Ou en etais-je reste?... (se souvenant.) Ah! reprenons...
II va pour I'embrasser. — Au meme instant, on frappe violemment
a toutes les portes, excepte a la porte secrete.
WANDA, effrayee.
Ou"est-ce que c'est encore?...
SCENE YIII
Les Memes, puis BOUM, PUCK, LE PRINCE PAUL, GROG, LES Demoiselles d'honneur, Seigneurs et Dames de la Cour, Pages, puis NEPOMUC.
CHCEUR, au dehors. Ouvrez, ouvrez, depechezvous, Ou nous irons chercher main-forte; Ouvrez, ouvrez, jeunes epoux, Ou biennous enfongons la porte I
"WANDA.
Mon ami, n'ouvre pas I
FRITZ.
As pas peur! WANDA. 0 ciel! la porte cede! ah! je meurs de frayeur! Les portes s'ouvrent. — Entrent par cello do gauche Ic prince Paul. Puck, Grog et les seigneurs et dames do la cour; par celle de droite, les demoiselles d'honneur et les pajos.
ACTE TROISIEME. 289
LE PRINCE PAUL, PUCK, BUUM et GROG. Que le ciel soil beiii!... nous arrivons a temps!
FRITZ ct WANDA, ;i part. Mais que nous veulent tous cesgens!
PUCK, venant se placer entre Fritz et Wanda. A cheval ! a cheval ! Vile, monsieur le general!
(Wanda revient pres de Fritz.)
CHtF.UR.
A cheval! a cheval! Vite, monsieur le general!
LE PRINCE PAUL, venant a son tour entre Fritz el Wanda. Au combat volez tout de suite! II s'agit d'etre expedilif !... L'ennemi, qu'on cr(Jyait en fuite, A fait un retour olTensif.
(Wanda rcpassc pros de son mari.)
CHCEUR. Au combat volez tout de suile! etc., etc.
BOU.M, meme jeu quo Puck et le prince Paul. Notre maitresse vous invite A ne point faire le poussif ; On ne vous en tiendra pas quitte, A moins d'un succes decisif.
(Wanda revient encore pres de Fritz.)
cnffiUR. Noire maitresse vous invite, etc.. etc.
(Pendant ce clioour, Puck remonte vers la gauclie.)
FRITZ, allant a Bourn, Mes bons amis, vous oubliez Que depuis un instant nous sommes maries.
p. 0 1: M . Que nous importo!... il faut parlir! 11 faut aller vaincre ou mourir!
FRITZ.
Alors, je vous laisse ma femme.
;II I'ait passer Wanda pres de Boum.)
II. 17
2'JO LA (iRAM)K-DUCHESSE DE (lEROLSTEIN.
liOL'XI, prenant la main de M'anila. C'est tres bien... nous ganlons madame. II la fait passer pres du prince Paul, (lui chorche a la calmer.) Mais depechez Et voLis halez.
FRITZ, pcrdant la tetc, Qn"ai-je fail tie mon ccinturon?
C IK El" IS. Qu"a-t-il fait de son ceinturon? (A niosnre que Fritz nommc un objet d'cquipement, un seigneur le pass- a. Puck, qui le donnc a Fritz ct I'aide a le mettro. — Ccs mouvemeut doivcnt ("'trc tres rapides, sans confusion.) FRITZ. Puis(iu'il faut que je me harnache. J'ai besoin de mon ceinturon.
CHOvUR, pendant que Puck le lui donne. Le Yoici, votre ceinturon.
FRITZ. Mais je n"ai pas la sabretache...
CIKEUR. La sal)retaclie !
fPuck la lui doiinc.)
FRITZ. Et mon panaclie?... Mon panache !... Apportez-le-moi, s'il vous plait!
(Puck lui met son cliapcau sur la ti^te.) La!... je suis complet!
c H (*: i: u . II a son pliuupt I NEri>MUtJ, entrant par la droite et apportant Ic salue. — .\ Fritz Arretez, monsieur, arretezi J'apporte ce ipie voussavez!
FRITZ.
(Pari6. 1 Encore le salire!...
(Le prcnant ct avec rago.) Si III savais, sabr' de son pere. Comine ton aspect m'exaspere !
AGTE TROISIEME. 291
CHCFA'R. II faiit parlirl II faul aller vaincre ou mourirl
A cheval! a cheval! Vite, monsieur le general ! All combat volez tout do suite!
A cheval ! a cheval I Prenez le sabre et partez vite! A cheval ! a cheval !
(Pendant ce choeur, Puck cherclic a entraincr Fritz vers la porte de gauche; Bourn retient Wanda, qui parvient a s'eeliapper et va se jeter dans les bras do Fritz; Boum Ics separe do nouveau, ct, lorsquc Fritz va sortir, entraine par Puck, le rideau tombc.)
AGTE QUATRIEME
Au camp. — Mcmc decoration qu'au premier actc. — Trois tables scr- vies parmi les tentcs : unc au troisieme plan, face au public; les deux autres a droite et a gauche, un pou obliquemcnt.
SCENE PREMIERE
NEPOMUC, GROG, LE PRINCE PAUL, BOUM, PUCK, Seigneurs, Dames de la Cour, les deux
liUISSIERS, SOLDATS, PaYSANNES.
La fin d'un grand dejeuner. — Nepomuc, Bourn, le prince Paul, Puck ct Grog sent assis a la table du milieu. — Les dames do la cour sont au.K deux tables de cote, les seigneurs sont debout dcrri(>ro clles. — Dos soldats et des paysannes garnissent le fond. — Les huissicrs vcrsent a boire.
CIIOELR. Au rcpas comme a la bataillc, Tapons ferme el grisons-nous tons; Chantons, buvons, faisons ripaille, En riionneur des nouveaitx epoux! (Apres ce clioeur, le prince Paul, Puck, Bourn, Grog et Ncpomuc so Idvent et vienncnt sur le dcvant de la scene. — Les dames se levent aussi, mais restent dcrricre leurs tables. — Tous ont le verrc a la main.)
BOUM, au prince Paul.
Notre aimable mailressc
A vos desirs se rend enfin!...
Kl nous buvons, AUesse,
En voire honneur le vin
Hu llhinl
ACTE QUATRIHME. 293
C H (T. U R . Oui, nous buvons, Altesse, En votre honneur le vin Du Rhin!
LE PRIXCE PAUL. Cost vraimenl chose singuliere, Ne tronvez-Yous pas, mesaniis? Hier soir on ne m'aimait giierc, Et CO matin meme je suis Marie!...
CIICEUR. Marie !
LE PRIXCE PAUL. De eel hymen si tot bade Je suis encor epouslourie!
CIKF.UR. Epoustoufle!
REPRLSE DU CHCEUR. Au repas comme a la bataille, Tapons ferme et grisons-nous tons; Chantons, buvons, faisons ripaille, En I'honneur dcs nouveaux epoux!... (La Grandc-Duchcsse entre par le fond a droite ; ello dcsocnd la collino, suivic do SOS domoisellos d'lionncur ct do scs pages.)
SCENE II
Les Memes, la GRANDE-DUCHESSE,
Demolselles d'iionneur, Pages.
Los dcmoiscllos d'honnour ct les pages so placont dcvaiit la tabic du milieu.
LA GRANnE-DUCIIESSE, descendant la scone. Messieurs, je vous salue.
PUCK. Ah! la Grande-Duchesse!
2'Ji LA GRANDE-DUCIIESSE UE GEROLSTEIN.
I. E PUl.NCE PAUL, donnant un vcrre a la Grande-Duchesse. Yite, un vcrre pour Son Altesse!
B U U M .
Nous buvonri au bonheur des augusles epoux!
LA GRAN I) L"-I)UC HESSE, le verre a la main. Ell bien. nies cliors amis, je vais boire avec vous!
BALLADE A BiHRE, I
II elait un de mes aieux Lequel, si j'ai bonne niemoire, Se vantait d'etre un des fameux Parmi les gens qui savaient boire...
CIltEUR. Sc vantait d'clre un des fameux Parmi les gens qui savaient boire!
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Le verre qu'il avait tenait
Un peu i)lus qu'une tonne entiere;
Et son echanson lui versait,
Nuit et jour, du vin dans ce verre...
CHfF.UR. Et son echanson lui versait, Nuit et jour, du vin dans ce verre!
LA GRANDE-UUGHESSE. Ah! mon aieul, comme il buvait!... Et quel grand verre il vous avail!
ClIOEUR. Ah! comme autrefois I'on buvait! Et quel grand verre on vous avait!
LA GRANDE-DUCIIESSE. H Un jour, on ne sail |ias commenl, 11 le laissa loniber par lerre : « Ah! fit-il douloureuscmenl, Voila que j'ai casse mon verre! •
ACTE QUATRIEiME. 295
CHCEUR.
•■ Ah! fit-il douloiireusemeiit, Voila que j'ai casse mon verre! »
I. A CUANDE-DUCHESSE. (^Uiand on Ic voiihit remplacer : "• Non, dit-il. ce n'cst plus le noire... » El mieux il ainia trepasser Que boire jamais dans un autre!
ciii*:L'R. El mieux il aima Irepasser Que boire jamais dans un autre!
LA GRANOK-DUCHESSE. All! mon a'leul, comme il buvait!... Et quel grand verre il vous avail!
C II (f:uu. Ah! comme autrefois Ton buvait! Et quel grand verre on vous avail! (Le priuce Paul reprond a la Graade-Ducliesse sou verre et le met sur la table de gauclie. — Tous posent Ics verres qu'ils avaient gardes a la main pcnJaut la chanson.!
l.E PRINCE PAUL.
Ah! ma chere remmei...
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Eh bien, mon cher mari?...
LE PRINCE PAUL.
Enfin, nous sommes done unis!... nous sommes done Tun k Fautre!...
LA GRANDE-DUCHESSE, legerement.
Sans doute... sans doute...
LE PRINCE PAUL.
Et e"est au baron Grog que jc dois... Dites done, ma eherie, il faudra trouver un moycn de nous aequitter envcrs lui.
LA GRANDE-UUCMESSE.
C'est voire avis?...
29G LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEIN.
I.E PRINCE PAUL.
C'est moil avis.
LA GRANDE-DUCHESSE, regardant Grog.
Je n'ai rien a vous refuser... mais que puis-jc faire maintenant?... Toutes les faveurs dont je pouvais dis- poser, ne les ai-jc pas amoncelees sur une autre tete?... Baron Puck... general Bourn...
PUCK ct BUUM.
Altesse"?...
LA GRANDK-DUCIIESSE.
Ou'est devenu le general Fritz?... Vous m"aviez assure que je le trouverais au camp.
PUCK.
Le general ne pent tarder a venir... Pour ne pas sortir du programme trace par Votre Altesse, pour rester dans la fantaisie... nous lui avons, le general et moi, fait une petite farce.
LA GRANDE-DUCHESSE.
Quelle farce?...
P.OT-M.
Je vais vous dire... J'avais, depuis dix ans, I'liabi- tude d'aller tons les mardis soir chcz la dame dc Roc- a-Pic...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Oh!...
P. OUM.
Cluit!... hier, mardi, cettc dame m'a ecrit : « Ne venez pas ce soir... II se doute enfin de quclque chose... il vous attend avec sa canne ct quelques amis... » Cela m'a donne une idee... J'ai dit au general Fritz : « Rendez-vous immediatement au chateau dc Roc-a-Pic; vous y trouverez la 43'^ du oi" et la oi"^ du 4.3^.. »
ACTE QUATRIEME. 297
LA GRAN I)E-I)UCH ESSE.
Et il est allc an chateau?...
PUCK.
II y est alle... et, an lieu de la 43'" du 52'' et de la '62^ du 43'^, il aura trouvc le mari...
GROG,
Et sa canne.
r,(»r.\i.
Une heure pour alter cliez la dame, uiie demi-heure pour causer avec le mari, et deux heures pour revenir au camp... le general Fritz ne doit pas etre loin.
CRIS. au deliors.
Le general!... le general!...
BOUM, il la Grande-Duchesse.
Ouand je vous le disais!...
A ce moment, AVanda accourt par lo I'ond agaucho et descend en scene.
SCENE III
Les Memes, WANDA, puis FRITZ.
WANDA.
Voici revenir mon pauvre hommo! Dans quel etat!... ah! voyez comme. En courant apres les hauls fails, II a dechire ses efTels!
CHOEUR.
II a dechire ses effets! (Fritz entre tout eflfare par le fond a gauche ; il est dans un etat pitoj'able : plus d'epaulettes, le panache tout deplume, le sabre tordu a la main.)
FRITZ, ii la Grande-Duchesse.
GOIPLETS.
Eh bien, Altesse. me voiia! Ho la la!
17.
298 LA GRANDH-DUGllKSSE DE GEIIOLSTEIN,
El ce qui m'cst arrive la,
Ho la la! Peul iiic compter pour uii combat,
Car on m'a Mis dans un pitoyable etatl... De votre fameux saljre on a Fait Ic tir'-bouchon que voila!
llu la la! Eh! bedam', voila le grief De votre general en chef!
CilCKUR, se mociuant de lui.
Eh! bedam', voila le grief Du general en chef!
FRITZ.
II
J'arrive etje trouve un mari,
Sapristi! Qui me dit : « Venez par ici,
Mon ami. » Jc lui reponds d"un Ion poll :
« Me voici! ■> Aussitot, a bras raccourci, Le traitre lombe sur Bibi!... J'en suis encor tout etourdi,
Sapristi! Eh! bedam'! voila le grief De voire general en chef!
CHCEUR. Eh! bedam', voila le grief Du general en chef!
l.A liUANDK-UUCIIESSE, a, Fritz.
Vous n'avcz pas d'autre explication a me donner de voire conduite?
FRITZ.
Comment?... II me semble pourtant...
LA GRANUE-DUCHESSE
Ainsi, au lieu de venir vous niettre ci la tdte de mon
ACTE QUATRIEME. 299
armee, comme je vous en avals donne I'ordre... vous Yous ^tes amuse a porter le trouble dans un menage!...
FRITZ.
Ell bien, par c.xemplc!...
LA GRANDE-DUCIIESSE.
Cost haute trahison, monsieur... et dans quelle tcnue osez-vous paraitre a mes yeux?...
FRITZ.
Puisque je vous dis...
I.A GRANDE-DUCHESSE.
Et Ic sabre de nion pere!... dans quel etat ravcz-vous mis?
FRITZ.
C'est Tautre, avec sa canne!...
ROU.M. a, Fritz.
Mauvais soldat!
FRITZ.
Ou'est-ce qu'il dit. celui-la?... qu"est-ce qu'il dit?...
PUCK, a la Grande-Duchesse.
11 me semble quMl n'y a qu'une chose a faire, Altesse... c'est de reunir un petit conseil de guerre... et de le juger la... seance tenante.
FRITZ.
Un conseil de guerre?
LA GRANDE-DUCHESSE, limitant.
Eh ! bedamel...
FRITZ.
Si vous vous figurez que je repondrai!... On ne pent m"intcrroger qu'en presence de toute la noblesse du duche... je suis comte d'Avall-vintt-katt-schop-Vergiss- meinnicht !
300 LA GRANDE-DUCIIESSE DE GEROLSTEI.N. I. A GRANDE-DUCIIESSE.
En verite?.., on ne pent pas vous juger, parce que vous etes comte d'Avall-vintt-katt-schop-Vergismein- niclit?... Eh bien, vous ne Fetes plus...
FRITZ.
Eh l)ien, a la bonne heure!...
LA GR.VNDE-DUCHESSE.
Ou'en dites-vous, colonel?
FRITZ.
Je croyais etre general.
LA GRANDE-DUCIIESSE.
J'ai dit : colonel.
FRITZ.
Eh bien, a la bonne heure I... capitaine, si vous voulez?...
LA GRAN DE-DUC HESSE.
Capitaine... je le veux bien.
FRITZ.
Pourquoi pas lieutenant?
LA GRANDE-DUCHESSE.
Lieutenant... soit!
FRITZ.
Et puis sergent, n'est-ce pas?
LA GRANDE-DUCHESSE.
Sergent... c'cst entendu.
FRITZ.
Oh bien! par exemple!... Oh bien! par exeniple !...
LA GRANDE-DUCHESSE.
Pourquoi farretes-tu?... il y a caporal encore.
FRITZ.
Oui, caporal... et puis, simple soldat.
ACTE QUATRIEME. 301
LA GRANDE-DUCHESSE.
Simple soldat... tu I'as dit!
FHITZ.
Simple soldat?
LA GUAN1)E-1U:CIIES:?E.
Pas autre chose.
1! 11 I'M, ;V Fritz.
Je te I'avais promis, que je te rattraperais, mauvais soldat... liou! hou!...
FRITZ.
Ah! simple soldat!... Eh bien, puisque c'est comme ^a, je doune ma demission.
L A G R A X n E - 1 ) r f : 1 1 E s s E . Eh bien! je I'accepte.
FRITZ.
Eh bienlje vous remercie... Bonsoir, alors!... Viens, ma Wanda...
LA GRANDE-nUClIESSE,
Enfin ces grades... ces honncurs... je puis en dis- poser !...
r. OU.M, a part.
Quel espoir!...
LA GRANDE-DUCHESSE, an prince Paul.
Prince, je puis suivre Ic conscil que vous me don- nicz tout a I'heure... Baron Grog, approchez.
Le prince Paul remonte un pen, on regardant co qui so passe dun air satisfait.
GROG, s"approcliant.
Altesse!...
LA GRANDE-DUCHESSE, enlevantle panache du chapeau de Fritz ct lo dounant a Grog.
A vous le panache!... prenez le panache!...
302 LA GRANDE-DUCllESSE UE GEROLSTEIN.
r.iir.M, ii part.
O rage
LA GRANDE-DUCIIESSE, prenant le sabre et le remettant k Grog.
A voLis le sabre do mon pei'c!... preiiez le sabre de mon pere !...
liOU.M, a iiurt.
0 fureur!
LA GllANDE-DUCHESSE.
A vous, baron, a vous tous les pouvoirs civils et militaires !
GROG.
Merci, Altesse... ma lenime vous benira.
LA GUANDE-DUCllESSE, stupefaite.
Vous avez dit"?...
GROG.
J'ai dit que ma femme vous benirait.
LA GRANDE-DUCHESSE, au prince PauL
II a une femme!...
LE PRINCE PAUL, d'lin air radieux.
Mais, oui, ma cherie, le baron a une femme et trois enfants.
GROG.
Quatre, monseigneur... pendanl mon scjour ici, il m'en est survenu un quatrieme.
LA GRAXDE-DrCIIESSE.
Une femme et quatre enfants!... Baron Grog...
GROG.
Altesse?...
LA GRANDE-DUCHESSE, avec energie.
Rendez le panache!... rendez le sabre I... (Eiie les lui
ACTE QUATRIEME. 303
reprend: puis, s'aJicssant a Bourn.) Roprciiez Ic paiiaclie,
general Boum !
Lo general s'approclic avoc empresscmcnt do la Grandc-Dui_hcssc. ([ui lui rend Ic panache.
BoU.M, a part, i'Cto\irnant ;l sa place.
Cctte fois-ci, je ie ferai visser.
I.A GRAXDE-DUCIIESSE, a Puck. Baron Puck... (Puck sapproche ; elle lui donne le sabre)
Prenez ce tire-bouchon... nous vous nommons conser- vateur du sabre de mon p6re !
PUCK, a part, regagnant sa place et regardant le sabre.
Jc vais en faire faire un autre.
FRITZ.
Eh! qa. va bion 1... ils oat tous quelque chose... ct moi, je n'ai rien... que mes coups de baton...
L\ GRAXDE-DUCUESSE.
Voyons, je suis bonne... qu'est-ce que tu veux?...
^ FRITZ.
Etrc maitre d'ecole dans nion village.
LA GRAXDE-DUCHESSE.
Tu sais lire?...
FRITZ.
Non... c'est pour apprendre.
LA GRAXDE-DUCIIESSE, riant.
Eh bien, tu es nomme!
1" HI T Z .
Ell bien, je vous remercie !
LA GRAXDE-DUCIIESSE, se tournant vers Grog.
Ouant a vous, baron Grog...
GROG.
Altesse?...
301 LA (JUA.XDK-DUCIIESSE DE GKROLSTEIN .
LA GRANDE-DUCHESSE.
Gc soir memc, voiis rctournerez a la cour de TElec- teur, notre beau-pere.
GROG.
Comment"?...
LA GRAXDE-DUCHESSE.
Vous y annoncerez notre bonheur... car jc suis heu- reuse d'avoir epouse Ic prince... bien heureuse!...
EUe scrre le bras du prince PauL LE PRINCE PAUL, jetant un petit cri.
Aie!...
LA GRANDE-DUCHESSE. Ou'est-CC que vous VOUleZ y faire?... (a part, regardant
Fritz et Grog.) Quand OH n'a pas ce que I'on aime, il fau t aimer ce que Ton a.
FINALE.
BOUM, a part. Enfin, j'ai repris le panache!
PUCK, a part. Enfin, j'ai repris le poiivoir!...
LE PRINCE PAUL, a la Gramle-Duchesse. Enfin, I'hymen a vous m'attaclie! GROG.
Enfin, chers enfanls, jc vais vous revoir!
WANDA, a Fritz. Uclournons dans notre chaumiere.
E R I T Z .
Oui, rentrons chez nous... el voila! LA GRANDE-DUCIIESSE, a part, regardant le prince Paul. A la guerre comme a la guerre! Le bonheur est peul-etre la!
FRITZ, sur Pair do la ballade a boire. Eh bien I je renonce aux combats, Mais, pour defendre la patrie,
ACTE QUATRIEME. 305
Jc promets des petits soldatsl...
A Wanda.) Yiens-tu nous-en, ma I)onne amie?
Cii(*:ru. 11 promet dcs petils soklats, Qui defendront notre palrie!
LA GRANI)E-Dl-CHE.SSE. Apres avoir, tan I bien que mal, Joue son role, on se marie. C'esl imprevu, mais c'esl moral I Ainsi finit la comedie.
cn(*:rR. C'est imprevu, mais c'est moral! Ainsi finit la comedie.
LA GRANOE-DUCIIESSE. Ah I mon aieul, s'il me voyait, Ah! quel plaisir qa lui ferait!
CIKF.UR. Ah! son aieul, s'il la voyait, Ah! quel plaisir en lui ferait!
L'INGENUE
COMliDIE EN UN ACTE
Representee pour la premiere i'ois. a, Paris, sur le THEAxnE des Varietes, le -li septembrc 181 1.
PERSONNAGES
TURQL'ET MM. Dupuis.
DAUBERTHIER Bahon.
OCTAVE Cooper.
ADELE M""' Celine Chaumoxt.
LEONTINE Magnier.
En province, dc nos jours.
L'INGENUE
Un salon, a la campagnc. — Au fond, grande porte donnant sur un jardin. — Portes a droite ct a gauche. — Table a droite. — Sur cette table, du papier, des plumes, des livres. — Canap6 et console a gauche : cru(^'ridon au fond.
SCENE PREMIERE LEONTINE, puis TURQUET.
LEON TINE, una lettre a la main.
Une leltro d'amour... a moi!... Et envoyee par qui, cette lettre d'amour?... par un pr^cepteur... par le pre- ceptcur do men cousin Octave!...
Kntro Turquet. vcnant du fund. TURQUET.
Vous m'avez fait dire, madame, que vous desiriez me parler?
LEONTINE.
En effet, monsieur, en effet... Cest bien vous qui avez ecrit cette lettre?
TURQUET.
Oui, madame.
310 L'INGENUE.
LEiiNTINE.
Et c'est bit'ii a moi quo cctte lettrc etait adressee?
TI'Rnl'F.T.
Oui, inadame.
LEIINTINE.
On me Fa romiso au niomont memcoii je montaison voiture avec mon mari i-t Octave...
TURQUET.
Pour aller a la gare chercher mademoiselle Adele, la sceur de monsieur Octave, charmante jeunc per- sonne qui sort aujourd'hui du couvent, apres y avoir termine son t-ducation...
LEONTINE.
J'ai lu les premieres lignes. (Eiie se love.; Et tout aus- sitot j'ai dit a mon mari de partir sans moi... Je suis restee parce que je tenais a avoir avec vous une expli- cation, et a Tavoir tout de suite. Ecoutez moi. mon- sieur...
TUROIET.
Je vous ecoute, madame.
I.EliNTINK.
Mon cousin avait un precepteur ipiil ne ponvait pas souffrir. J'ai ecrit a Paris pour que Ion m'en envoyat un autre. C'est vous que Ton a envoye!... II y a quinze jours que vous etes ici, et je voas rends bien volontiers cette justice que vous ne ressemblez nulle- ment k votrc predecesseur. II etait vieux, maussade, bourru, et nullement homme du monde. Vous, au contraire, vous etes jeune, vous ne manquez pas d'un certain air... vous valsez a ravir, vous domptez les chevaux les plus rebelles. vous faites, a ce quJI [larait, des amies dans la perlection, et vous semez lor avec
SCENE PREMIERE. 311
line prodii^alitc veritablenient extraordinaire chez un hommc qui ne gagne que deux cent cinquante francs par mois...
TURQUET.
Avec de lordre...
LEUN'TINE.
Votre eleve vous adore... Autrefois il n'y avait pas moyen de le faire travailler; maintenant les le(;ons nc lui paraissent jamais assez tongues... men mari me le faisait encore remarquer it y a deux jours, et je m'ap- plaudissais, moi, d'avoir mis ta main sur te plienix des preccptcurs. Je m'en serais moins apptaudie, si j'avais pu pr<Jvoir que ce singutier prccepteur pous- serait la singularite jusqu'ii m'adresser une declara- tion.
Tl'RyrET.
Une declaration, madanie?...
LEON TINE.
Oui, monsieur, une declaration. (Lisant.) « Je vous aime, madame... » C'est unc^ declaration ccla, ou je ne m'y connais pas. « Je vous aime, mes regards ont du vous le dire... Dans le cas ou its ne vous I'auraient pas dit d'une facon suflisamment claire, je vous Tecris. Je vous assure que si vous vouliez, vous, m'aimer un pen. ga me ferait beaucoup de plaisir. » Signe : « Turquct. » Eh bien, monsieur?...
TUIIQUET.
Eh bien, madame...
LEO N T I N 1-: .
()s(>rez-vous pretendre que ce n'est pas la une decla- ration?
TURQUET.
Je suis oblige de convenir...
312 L'INGENUE.
LEON TINE.
Si je n'ecoutais que moii indignation, je dirais lout c\ mon niari, je vous ferais chasser...
TUIIQI'ET.
Oh! madame...
LEON TINE.
Mais je ne veux pas priver mon cousin Octave d'un precepteur tel que vous, je ne dirai rien...
TURQUET, a part.
A la bonne heure!...
LEON TINE.
Je ne dirai rien puree que je veux csperer... parce que j'espere que vous trouverez moyen de vous jus- tifier...
TURQUET.
Rien ne me sera plus facile, madame... Depuis que je suis ici, j'ai observe ce qui se passait autour de moi, et il m'a semble que vous n'rtiez pas aussi heu- reuse que vous meritez de I'etre...
LEONTINE.
Ah! cela, c'est bien vrai...
TURQUET.
11 m'a semble que monsieur votre mari perdait, cha- que semaine, a essayer de deviner les r^bus de VIllus- tration, un temps qu'il eut mieux fait d'employer a dechiffrer cette charade eternelle qui s'appelle la fern me.
LEONTINE avcc un soupir.
Ah!
TT'RQUET.
J'ai reniarque lout cela, madame, et alors, comme rOducalion de mon eleve me laissait des loisirs...
SCENE DEUXIEME. 313
I.EONTINE, avec force.
Sortez, monsieur!...
TURQUET.
Madame!...
LE O N T I N E , remontant.
J"entends la voiture . On va venlr, je ne veux pas que Ton nous surprenne ensemble... Sortez et reprenez cette lettre... Je no Tai pas regue, vous entendez,je ne veux pas Tavoir regue.
TURQUET.
Alors, je serai oblige de vous la renvoyer...
LEOXTIXE.
Je vous le defends bien, par exemple!...
Mouvemcnt dc Turquet vers L^ontine. Ellc I'arrete du geste et lui fait signe de sortir.
TURQUET.
Ayez la bonte, madame, de dire a mon eleve que je compte lui donner tout a Iheure une bonne leQon d'histoire de France... Je vais en preparer les mate- riaux, madame...
LEUNTINE.
Monsieur...
Turquet sort par la portc dc droite,. premier plan.
SCENE II
LEOXTINE, seule.
Je crains de n'avoir pas ete aussi s6vere qu'il eut I'allu... C'est que vraiment ce precepteur a en lui quel- que chose qui n'est pas ordinaire... II y a des instants ou je me demande si c'est reellemeut un precepteur...
Enlre Octave.
II. 18
31i L'lNGENUE.
SCENE III
LEONTIXK, OCTAVE, puis ADELE et DAUBERTHIEH.
OCTAVK, venant du fund ;i gauche.
La voici... EUc a remportc lous les premiers prix...
(ll saute au cou de Leontine ct Teinltrasse comine un fou.) ToUS,
tons!...
LEON TINE.
A la boiiiK? heuro!... mais ce n'est pas uae raison pour m'embrasser ainsi...
o c T A V !•: . Cost que je vous aime tant, ma cousine!...
Adidc paraii au fond suivie do Dauberlhier. EUe a tjus ses prix,
toutes ses oouronnes.
L I' O N T 1 N E .
Adelc!...
Elle passe. A DELE, s'clancant pour enibrasser Leontine.
Ah! ma cousine... ma cousine...
LEONTINE, sasseyant.
^'railnt'nt, c'cst a toi, loules ces couronnes?
ADELE.
Oni, c'est a moi... Histoire et Geographic, premier prix...
OCTAVE, s'etant place derricre la chaise de Leontine ot I'cnibrassant.
Ah!...
A Die I.E.
Jo suis jolimoiit Ibrte, ^ en geographic!... Litlera- raUirc Iramjaisc, premier prix...
SCENE TROISIEME. 315
UCTAVK, cmbrassant Leontinc.
All!...
ADELE.
Anglais, prcniier prix...
OCTAA'i:, cmbrassant I.oontinc.
Ah!...
ADELE.
Piano, premier prix...
(•CT A'N'i:, cmbrassant Lcontine.
Ah!...
I.EONTINE, so levant.
■Nlais tenez-vous done tranquille. Octave!
Adelc depose ses livrcs sur unc chaise a jrauclic. () C T A ^' E .
C'est que je vous aime tant, ma cousine, c'esl que jc vous aime tant!...
ADELE.
Oh! oui, va, nous t'aimons bien!
EUc embrasse sa cousine sur les deux jouos. — Octave, lui. n'ayant pu attrapcr que la main, baise cctte main avcc fuicur.
D A U B E R T II 1 1- R , descendant.
Et moi aussi, j'ai merite dcs couronnes... (Muntrant nn
journal a Adele.) Rcgarde...
ADIlLE.
Ou'est-ce que c'cst que ca?
DAUBERTIIIER.
C'est VlUmtration de cette scmaine... regarde... la... liens!...
Lcontine s'assied, Octave aussi. ADELE, lisant.
« Oni envoye rexplication du dernier rt}bus : 'SI. Mi- gnard, de Carcassonne, les habitues du Cab' du Com-
310 L'INGENUE.
merco, a Angouleme... M. Dauberthicr... ah I ah!... (Eiic
rcgardo Daul)erihier qui sourit avec orgiieil.) M. Dauberthicr, au
chateau d'Azay, par ChatcllerauU. Vioiinc.
DAUIJERTIIIEn.
Tu vois, c"est bien moi.
A DELE, riant.
All! ah!
DAUBERTHIER.
El, la semaine prochaine, j'y serai encore... Cclui-Ia, pourtant, est difllcile. II y a d'abord un 1... le chiffre 1... d"une main ce chiffre 1 fait I'aumone a un mendiant, de I'autre main il tient, et a I'air de tenir solidement, un boeuf encore jeune, comme dit le dessinateur... Ensuite il y a un 2... le chiffre -2... ce 2 semble se lamenter parce qu'il a laisse echapper un autre boeuf du meme age que le precedent... Puis le chef-lieu de la Correzc... Et enfin un rat : ce rat a cela de particu- lier qu'il est pour ainsi dire perche sur des pattes d'une longueur demesuree... j'appelle toute ton attention sur ce detail, car enfin ce n'est pas pour rien que le dessi- nateur a allonge les pattes de ce rat... Je n"ai pas le commencement, mais jc tiens la fin... Pdris gueux, commc un grand rat. Tu vois, une ville (Lisant.) chef-lieu de la Correzo... (s'interrompant.) Perigucux !
A n E I. E .
Mais non, mon cousin. Le chef-licni de la Correze... ce n'cst pas Perigueux... c'est Tulle...
UAUHERTlllEU.
Tu crois?
AltEl.E.
J'en suis sure... Pi-cmicr prix de geographic!... et si vous savirz, je suis d"une force!...
SCENE QUATRIEME. 317
DAUIii: RTHIKU.
x\h! c'est fAcheux... j'avais troave avec Perigueux... nvec Tullo, ^a n'ira plus... Tulle comme un grand rat... (ja ne va plus, je m'y attendais... Eh bien,je vais chor- cher, voila tout... je vais chercher...
Adele portc scs livres sur la console a gauche, LK ON TINE, haussant les epaulos.
Ah ! mon Dieu !...
Ellc sc leve, Octave aussi. D \UBERT1IIER.
Vous dites, chere amie!...
LEON TINE. ]Moi, monsieur? riea du tout... (Avec le domiormepris.) Je
ne vous dis rien, je n'ai rlen a vous dire...
OCTAVE, a cJemi-voix.
Oil ! ma cousine...
D A U 15 E R T H I E R , sortant tout en parlant.
Tulle comme un grand rat... ca n'a point de sens... Si la bete qui est dessinee la elait un chat, qa. irait tres bien, mais ce n'est pas un chat... Le dessinateur a ecrit au-dessus : « Boeuf encore jeune... »
II sort i gauche, premier [ilan.
SCENE IV
LKONTINE, OCTAVE, ADELE.
LE UN TINE, s'asseyant a gauche sur le canape.
Ah ! parlous de toi maintenant... Tu es contente?
ADELE. Si je Suis contente !... (Elle se met h. genoux devaut Lcontine.)
Je crois bien, que je suis contente! Enfin c'est fini... je
18.
318 L'lNGENUE.
lie suis plus line enrant. (avcc transport.) Je suis uiie jeune fiUe et j'entre dans la vie !...
LE 0 N T I N 1-: , avcc melancolic.
Adelc!...
A U E I K .
Ah! laisse-moi... laisse-moi... 5a doit etre si bon, la vie!... qa. doit etre si beau!... et je vais en connaitre toutes les joies, toutes les fetes... tons les enivrc- ments!...
LEONTIXE, tristcmcnt.
Ah!...
OCTAVE passant derrirrc ct s"appuyant sur Ic canapi-.
Oh ! ma cousine.
LEO MINE, bas.
Taisez-vous, Octave... • *
OCTAVE, bas.
Je les devine, vos souffrances. .
EEONTINE, bas.
Je vous ai dit de vous taire...
OCTAVE, t'Icvant lavoix.
C'est que je vous aimc lant, ma cousine!...
ADELE, s'asscyant sur les genoux de L6outine.
Et il a bien raison de t'aimer! Que serions-nous devenus tous les deux, que serions-nous devenus, si tu n'avais pas ete la"? Sans parents, seuls au monde...
LEONTIXE, souriant.
Avec une grossc fortune... un million chacun...
AHELE.
A quoi cela sert-il, la fortune? (Eiie sc levc.) Si tu n'avais pas consenti a nous prendre avec toi, son mil- lion, a lui, Taurait-il emixxhc d'aller mourir dcnnui
SCENE QUATRIKME. 319
dans un college? et moa million, a moi, m'auiailil empcchee de rester au convent jnsqn'a je ne sais quel age?... Oh!le convent! je n'y relournerai pins, an con- vent, n'est-ce pas?
LEONTINE.
CertaincnienL non, tu n'y retourncras plus.
A DELE.
Jamais, jamais ?...
L 1-: I > N T 1 N E . Jamais, jamais !
ADELE.
Plus de lec^ons de mnsiqne!... oh! les lemons de mnsique ! oh ! le cours de madame de la Pivardiere ! oh ! la mnsiqne classiqne... Glnckl Alcestc! Armidc! (Eiie
I'rcdonuc uu air d'Armiile :)
Que la douceur d'uii triuuiiihc est exlremo, Quand on n'en doit tout riioancur qu"ii soi-iin'mc I
EEONTINE, se lovaut.
Mais c'est tres beau, cela!...
ADEI.E.
Jenedispas le contraii'e... mais, en fait dc mnsiqne, j'aime mienx I'autre... (Momraut son frcrc.) celle qne.jc Ini ai entendn chanter, a Ini...
Kile frcdonnc lo galoj) A'Orplire anx L'nfcrs. Entraiue par rexciiiplo, Octave le fredonnc a. son tour, en arcouipagnant lair de quelques pas qu'Adele est sur Ic point d'imitcr. — Cela doit etro fait trds Icgere- mcnt, tres delicatcnient.
I. E (I. \ TINE.
Eh bien, Adrle!...
Elle descend un peu a droite. A I) E L E .
Plus de lemons de danse!... pins de prolessenr qui. Yous disc : « IMadcmoisclle, ayez la bontc de tourner la
320 L'lNGENUE.
tete et de me fairc dcs oppositions... » Plus de logons, mais de la danse pour de vrai... avec uuc jolie toilette, (Eiic i)asse.) un vrai orchestrc... ct de vrais danseurs.
(Ellc danse tout cu jiarlant ot iiiiitc !a vuix <le son Janseur.) « ^'ouS
aimez le bal, mademoiselle? — Oh ! oui, monsieur. — Et vous avez beaucoup danse, cet Iiiver? — Oh ! non, monsieur, car je sors da couvent et je parais aujour- d'hui dans le monde pour la premiere fois. — Pour la premiere i'ois? — Oui, monsieur. — A la bonne hcure! car si j'avais eu deja le plaisir de vous voir, j'aurais certainement remarque... — Oh ! iiionsieur, vous dites cela. — Mais si fait, mademoiselle, si fait! — Ayez la bonte, monsieur, de me conduire pres de ma cousine... cette dame-la... qui est si jolie... » II me conduit, 11 te salue, il me salue, et il s'en va... Alors, toi, tu m'em- brasses, tu essuies mon front, tu arranges mes che- veux, ct tu me demandes si j'en ai assez et si je veux m'en alter... Ah ! que non, je ne veux pas m'en alter. C'est si amusant le bal ! c'est si amusant ! si amu- sant ! !...
I.EdXTINE, allant a ellc.
Mais prends done garde... tu taninies trop, tu te feras du mat... *
AUELE,
II n'y a pas de danger, va, il n'y a pas de danger... je suis contente, je suisheureuse... Et toujours je serai heureuse... J'ai une telle envie de I'etre que je suis bien sure que je le serai toujours.
Kutro un domcstiquc par Ic fond. I.E DOMESTIQUE.
On apporte Ics bagages de mademoiselle.
II sort. LEON TINE, remontant.
Cost bien... (a Adeie.) Je vais faire.meltre tout cela dans la chambre.
Lc domestique sort par le fond.
SCENE CINQUIEME. 321
OCTAVE, vivement.
Je vais avec vous, ma cousine.
LEONTINK.
Pas du tout!... restez avec votre soeur, je vous prie.
OCTAVE.
C"est que...
LEON TINE.
Restez avec votre soeur. Vous devez avoir un tas de petites choses a vous dire tous les deux, un tas de petits secrets a vous connerl...
Elle sort par la droite, second plan.
SCENE Y
ADELE, OCTAVE.
OCTAVE, il s'assiod.
Des secrets ! certainement, j'en aurais un a te confier et un joli... &i tu n'etais pas une gamine.
A DELE, inditrn6e.
I_^ne gamine !...
OCTAVE, en rian*.
Darnel...
A D E L E .
Je ne suis pas une gamine, entends-tu?... et c'est toi, au contraire, qui cs un gamin a cote de moi...
OCTAVE.
J'ai dix-neuf ans, moi!
ADELE.
Justementl... Comme si un garcon de dix-neuf ans
322 L'INGENUE.
n'etait pas un gamin, a cote <riinc jeuiie lillc dc di\- sept !...
OCTAVi:.
Tu n'as pas encore dix-sei»t ans...
A I) E L E .
Si fait, je les ai... je suis une grande pcrsonne... ct la preuve, c'cst que, moi aussi, j'ai un secret... un secret aupres duquel je suis bien sure que ton secret, a toi, n'est rien du tout.
OCTAVE.
Oh! quant a cela...
ADELE.
Dis-le un pen, le ticn, pour voir!...
OCTAVE, sc levant.
Tu veux ?
ADELE.
Oui.
OCTAVE.
Eh bien...
ADELE.
Eh bien ?... voyons...
OCTAVE.
Eh bien, je suis amourcux...
ADELE.
To\, aussi ! ! !
OCTAVE.
Comment, moi aussi?...
ADELE.
Ainsi, tu es amourcux... ah !... Et de qui cs-tu amou- rcux ?
SCENE CINQUIEME. 323
OCTAVE.
Je ne peux pas le dire... nion amour est un amour coupable...
A n E I. K .
Oh!
(I C T A V E .
Qui, coupaljle, mais il n"en est que plus ardent.
ADEI.E.
Cela est-il possible? toi, moii frere. un amour!... et un amour coupable!
OCTAVE.
C'est comnie ca.
A n E I. E . Oh!
o C T A A' i: .
A ton tour, maintenant. voyons...
ADEEE.
Oh! moi, c'est encore jjIus grave...
n C T A V E .
Par exemple !...
A 1) E L E .
J'ai uae intrigue, moi.
OCTAVE.
line intrigue!
A DELE.
Oui.
OCTAVE.
Une intrigue d'amour?...
A D E I. E .
Naturellement.
OCTAVE.
Cela est-il possible, toi, ma sceur, une intrigue, une intrisrue damour!
32i L'lNGENUE.
ADELE.
Ne sois pas mediant, je te dirai tout.
OCTAVE.
J'y comptc, mademoiselle.
A U E L E .
Xe sois pas mechaiit... (Eiic le prcnd par le bras.) C'etait il y a sixsemaincs... au couvent... ma cousine etait venue me voir. En face de nous, dans le parloir, il y avail un jeune homme, qui, liii, etait venu voir une de mes amies, Caroline... Caroline de la Roche-Bardiere. J'etais bien tranquille, moi, je bavardais avec ma cousine, et je devorais les tartcs qu'elle m'avait apportees. Tout en dovorant, je crus m"apercevoir que ce jeune homme regardait fort souventde notrecote... moiaussi, alors, je m'amusai a le regarder... Ah! mon frere, qu'il etait beau! Ce n'etait pas un gringalet comme toi...
OCTAVE.
Gringalet!...
AUELE.
Oh!... tu es bien gentil tout de meme... mais enlin, il n"y a pas a dire, tu es un peu gringalet; lui, au con- ti'aire, c'etait un bel homme... grand, fort, solide... il etait superbe!... A la recreation suivante, je demandai a Caroline qui etait ce monsieur qui etait venu la voir... elle me repondit que c'etait son frere, le baron ller- cule de la Roche-Bardiere.
OCTAVE.
All! ah! ah! c'est ^a, ton intrigue?...
A DELE passe ct va s'asscoir. Octave s"assicd a cote d'ellc.
Attends done. Huit jours apres,jele revis... toujours au parloir : il y etait avec Caroline, j'y etais avec ma cousine, et, cettc fois encore, il se mit ci regarder de
SCENE CINQUIEME. 323
uotre cote. 11 ii'y avail pas a s'y tromper, c"etait bien a I'une de nous deux qu'il en voulait. II se retournait sur sa chaise et il faisait comme ceci. (Eiie Cait lo gcbte de
frisor sa moustache.) Et il faisait COmmC Cela. (Geste d'arranger
ics t heveux.) Toujours toui'ne vers nous et ne nous quit- tantpas des yeux!... Pour qui se donnait-il tout ce mal? A qui adressait-il tous ces regards"?... a ma cousine?... on a moi?... Ce ne pouvait pas etre a ma cousine, puis-
quelle est mariee. (Surcettc ddclaration, Octave donnc les signes duuc violcnte gaicte.) Ou'est-CC que tu as?
() C T AY t: . Rien, rien, va toujours...
A 1) E I, E .
Ce ne pouvait pas etre a ma cousine : done, c'etait a moi. Cette idee m"entra tout de suite dans I'esprit; quand elle y fut entree, je ne sais pas ce qui se passa en moi... je devins rouge, je devins pale, je crus que i'allais m'evanouir; ma cousine me demanda ce que j'avais,je lui repondis que je n'avais rien... J'essayaide me remettre. (Kiic se icve.) Mais j'eus beau faire... ce jour-la, pour la premiere fois, je ne mangeai pas jus- qu'au bout la tarte que j'avais commenc^e.
OCTAVE, se levant. C'etait si grave que ca?...
A DELE.
A la recreation suivante, je demandai h .Caroline si son frere etait marie; si elle m'avait repondu qu'il r6tait, je sais bien ce que j'aurais fait...
OCTAVE.
Qu'est-ce que tu aurais fail?
ADEI.E.
Je serais morte.
II. 19
326 L'INGENUE.
( 1 C T A \' i: . Uh! oh!
A D E 1. 1-; . Oiii, je serais morte. Mais il n'etait pas marie... il n( pouvait pas I't-lre... c'ost avec moi qu"il se mariera.. il m'aime... et maintenant il sail que je siits sortie di convent... que je suis ici... et tres certainement il doii etre en route pour venir demander ma main.
OCTAVK, riant.
(^omme ca, tout de suite?...
A D E L E .
En tout cas, ra ne pent tarder.
OCTAVE.
Tu en es sure?...
ADELE.
Qui, j'en suis sure... a ce point que si, en ce moment menie, je le voyais entrer, je nen serais pas... oh! mais la, pas du tout surprise!
SCENE VI
ADELE, OCTAVE, TURQUET, entrant avec un gros paquct do livrcs sous Ic bras.
ADELE, a la vue dc Turquct. Ah!... (Turquet, surpris, laissc tombcr scs livrcs; nouvcau cri d'Adelc.) Ah!
Ellc s'evanouit dans Ics bras d'Octavc.
OCTAVE.
Eh bien... eli bien, Adelel... Monsieur Turquet, je vous en prie, ayez la bontr de sonner.
SCENE SEPTIEME. 327
TURljUKT, couraiit comine uii foil.
La sonnetle"?oii est la sonnetle?... je ne trouve pas la sonnette...
(I C T A \ E .
La... la, je vous dis.
TURQT'ET, couraiit toiijours.
Oil ga, la?... oil Qa, la?...
OCTAVK.
Tenez... voulez-vous, pendant un instant?...
II met Allele dans Ics Ijras do Turquot, court a la sonrictto et sonno it tour do bras.
TURQUET, pendant qu'Octave sonno.
C'est nn flacon qu'il faudrait... ou bien un verre d'eau... Ou'est-ce qu'elle a, cette petite? qu'est-ce qu'elle a?
Kntront deux ou trois doniestiques par lo fond, L6ontine par la droite, tout ce monde effaie criani : « Qu'cst-CC qu"il y a?... qu'cst-Ce
que c'est?... »
SCENE VII Li:s Memes, LEONTINE, DAUBERTHIER.
OCTAVE.
Ma socur qui vient de s'cvanouir...
.\dele revient a olio et, so voyant dans les bras do Turquet, clle le quitte brusquement ct court a Leontino qui vicnt d'entrcr.
LEONTINE.
Comment, de s'evanouir?... et a quel propos?
lOntro Dauberthier par la gauche, premier plan. A I) E I. E .
A propos de rien... ga m'est venu comme Qa... mais c'est fini... n'ayez pas peur.
328 L'INGEXUE.
DAUBERTHIER.
Adele! inon- enfant...
ADELE.
Ce n"est rien, je vous assure. (Regardant Turquet.) (^a va tres bien, ga va mieux qu'avant...
LEONTINE.
Je favais bien dit que tu te ferais du mall... tu t'ani- mais trop...
AUELE.
C'est cela, ma cousine, c'est, justement cela... je me suis trop animee.
DAUBERTHIER.
AUons, viens, le grand air te remettra.
ADELE.
Oui, je crois, en effet, que le grand air... (Eiic faitquei-
ques pas, soutenue par Daubertliicr ct Leontinc.) Qucl CSt donC CC
monsieur?
DAUBERTHIER.
Cest monsieur Turquet, le precepteur de ton frere.
ADELE.
Monsieur Turquet?...
DAUBERTHIER.
Oui.
ADELE.
Le precepteur?...
DAUBERTHIER.
Oui.
ADELE.
All! c'est le precepteur...
DAUBERTHIER. AUons, viens... (Octavc descend a gauche.) Es-tu bicil Sl'irc
que c'est Tulle, Ic chel-lieu de la Corrcze?... Je Irouve
SCENE HUITIEME. 329
avec Castelnaudary; il n"y a qiravec Tulle que je ne peux pas trouver.
A DELE, regardant toujours Turqiiot.
Le precepteur!...
EUe sort par le fond a droite avec Haubcrthier et Ldontine.
SCENE VIII
OCTAVE, TURQUET.
OCTAVE, au fond do la scrne, regardant sa soeur s'cloigner.
Decidement, ce n'etait rien. Elle rit maintenant, elle est tres ij;aie...
TURQUET.
Nous pouvons prendre notre legon alors... notre bonne legon d'histoire de France.
Octave passe et s'assied a la table, a droite. ainsi que Turqnet. OCTAVE.
Mais certainement...
11 est assis en face do Turquct. Celui-ci lui tend un etui plein de cigares : Octave en prend un, rallume ; Turquct en fait autant et ils se mettent a fumer tons Ics deux. Moment de silence.
OCTAVE, avec admiration.
Voila un precepteur!...
TURQUET, s'asseyant.
Eh bien, voyons, de quoi parlerons-nous aujour- d'hui?
OCTAVE.
Avant-hier nous avons parle de chasse, hier nous avons parlc de chevaux... Si nous parlions de femmes aujourd'hui?...
TURQUET.
De femmes?...
330 L'INGENUE.
OCTAVE. Oui...
TURQUET.
Je nc demandc pas mieux! parlous tie rciiimcs.
tiCTAYE, avec ciitliousiasmo.
Ah!... Et quand je me rappellc que vous me faisiez peur, et qiravant votre arrivce je clierchais deja les moyens de me debarrasscr de vous!...
TURQUET.
Oh!...
OCTAVE.
.Moil Dieu, oui I... Ma cousine m'avait montre une lettre ecrite par la pcrsonne qui vous avail recom- mande a elle... On ne parlait que de votre erudition dans cette lettre, de votre immense erudition et de votre ardeur pour le travail. « M. Turquet, disait-on, est un jeune homme consciencieux et modeste. Sa vie cntiere a cte consacree a Tctude. II sait tout, littera- ture, philosophic, histoire, langues mortes, langues vivantes, etc., etc... » Et moi, voyant que vous saviez lant de choscs, jc me disais...
TURQUET.
En voila encore un qui va m'assonimer!...
OCTAVE.
Mais vous etes venu, nous avons fait connaissance...
TURQUET.
Et vous avcz vu que, malgre mon immense erudi- tion...
OCTAVE,
J'ai vu que vous eliez le plus charmant des hommes...
Jl lui scrrc la niaiu ; ils sc levcut.
SCENE HUITIEME. 331
Tl'RQrET.
Je suis tout bonnement iin precepteur qui connait son metier... Vous devez plus tarcl etre un jeune homme riche, un jeune homme a la mode : je tache de vous enseigner ce que doit savoir un jeune homme riche, un jeune homme a la mode... Voyons, est-ce des femmes en general que vous dcsirez parler, ou bicn d'une femme en particulier?...
0 C T A V E .
C'est d'une femme en particulier.
TURQUET.
Ah!
OCTAVE.
Oui... je voudrais savoir comment il I'aut s'y prendre pour ecrire, a une femme qu'on adore, une lettre dans laquelle on lui dit qu'on I'adore...
TURQUET.
All! ah! nous sommes amoureux...
(ICTAVE.
Oui.
TURQUET.
Et quelle est cette personne?
OCTAVE.
C'est une amie de ma cousine... vous ne connaissez pas... une voisine de campagne.
TURQUET.
Qui s'appellc"?...
( I C T A V E .
Oh! je ne peux pas dire.
TURQUET.
Bien. jeune homme!... de la discretion... qa vous pas- sera, mais c"est tres bien!... Vous pouvez me dire, au
332 L' INGE N UK.
moins, si celte voisinc de campagne est une jeunc fiUe ou si die est mariee?
OCTAVE.
Elle est mariee.
TURQUET.
Bien, jeune liomme. ires bien!
II va prendre une allumetto sur la talile. OCTAVE, «n peu otonnc'.
Ah!
TI'RorET.
Ce n'ost pas qu'il soit desagreable d'etre aime par une jeune fille... (n sassicd.) Oh! non,bien au contraire... adorables, les jeunes filles. Elles ont surtout une fran- chise, une cranerie... Elles se jettent dans I'amour comme les terre-neuve se jettent dans I'eau... d'un sen) coup... pouf!... mais il taut prendre garde, parcequ'avec elles ces choses-la se terminent generalement par un mariage!... ou bien alors jl faudrait etre tout a fail canaille...
OCTAVE.
Et il ne fautpas Tetre tout a fait?
TrRQI'ET.
Non !
OCTAVE.
Meme avec les femmes niariees?
TfRQl'ET.
Qa, c'est une autre alTairc!...
OCTAVE, a part.
Voila un precepteur!...
TFRQUET.
Nous disious done que vous voudriez lui ecrire...
SCENE IIUITIEME. 333
OCTAVE.
Oui, i'ai essaye tout seul, je n'ai rien trouve...
TURyUKT.
C'est une dictee, alors!... jc vois ce qu'il vous faut, c'est line dictee... vous desirez que je vous dicte...
OCTAVE.
Oui...
TURQUET, so levant.
C'est bon ! . . . prenez une feuille de papier. . . (Octave va a la
table.) et^Crivez... (Tirant de sa poclio la lettre que Leontine lui a
rendue.) J"ai justement la...
OCTAVE.
Comment! vous avez dans votre poche...
TURQUET.
Je me doutais bien qu'un jour ou I'autre la legon roulerait Ih-dessus... et j'avais prepare un modele... Y etes-vous"?
OCTAVE.
J'y suis.
TURQUET, dictant.
« Je vous aime. Madame, je vous aime... »
OCTAVE.
J'avais trouve qa... mais je n'avais pas pu aller plus loin. « Je vous aime... »
TURQUET.
« Mes regards ont du vous le dire... »
OCTAVE.
Oh! que oui, its le lui ont ditl... mais, tant que Ton s'en tient aux regards, on n'est jamais sur.
TURQUET.
« Mes regards ont du vous le dire. Dans le cas oii
19.
334 L' INGENUE.
ils ne vous rauraieiit ])as dit dune I'agoii sullisammcnt claire, jc vous rccris. »
OCTAVE.
Ah! que c'est biea!
T r R o u 1-: T . Je le crois, que c'est bien!... c'est d'un bon auteur. « Jc vous assure... »
OCTAVE.
J'ai envic de mettrc encore : « Je vous aime... »
TURQUET.
Si vous voulez... « Jevous aime etjcvous assure que si vous voulicz, vous, m'aimcr un peu, qa. me ferait beaucoup de plaisir. »
OCTAVE.
C'est tout?
TURQUET.
Oui.
OCTAVE, iin peu desappoint6.
Ah!
TURQUET.
Que voulez-vous dire de plus? C'est net, c'est clair, Qa dit ce que ^a veut dire...
OCTAVE.
Oh! oui, quant a cela... mais je croyais qu'il fallait mettre la dedans un peu de flammc, un peu de pas- sion.
TURQUET.
Autrerois, c'est possible... mais nous avons chang6 tout cela.
OCTAVE, mcttant sa lettrc dans unc cnvcloppe.
.\hl alors... je vais faire porter ma lettre, jc vais la I'aire porter tout dc suite...
II sc Icvc.
SCENE NEUVIEME. 335
TURQUET.
Et vous me direz comment ellc aura ete regue... Seu- Icment... pour plus tard, un conseil. II vaut mieux, en general, sadresser a deux femmes qu'a une seule...
OCTAVE.
Oh!
TURQUET.
Oui, vous vous adressez en meme temps a deux femmes et vous vous arrangez de maniere qu'elles s'en doutent... La premiere, alors, vous prend pour que la seconde ne vous ait pas ; la seconde, apres cela, se donne, pour avoir le plaisir de vous enlever a la pre- miere.
OCTAVE.
Et on les garde toutes les deux?
TURQUET.
Ou bien Ton en prend une troisieme...
OCTAVE, a part.
Voila un precepteur!! !
TURQUET.
Nous en resterons la pour aujourd'hui.
Entre Ad^le.
SCENE IX
Les Memes. ADELE.
A DELE. Octave rcmonte derriere la table.
Pardon, monsieur, je vous derange... Vous donniez a mon irerc une bonne leQon"?...
TURQUET.
En elfet, mademoiselle, je donnais a monsieur votre frere une bonne lecon.
336 L'INGENUE.
A DELE, regardant Ics livres.
D'liistoirc de France?
^ TI'RQUET, posant son cigarc sur un gudridon.
Oui.
A DELE, toussant.
Cost que... tout a Iheurc... cet evanouissenient ridi- cule... vous m'avez secourue avec tant d'empressp- ment... J'ai demande a mon cousin ot a ma cousine la permission de venir vous remercier... lis me Tout accordec et je suis venue, mais si j'avais su que je vous dorangeais...
OCTAVE.
Tu nc nous deranges pas du tout : la IcQon etait finie. Merci, mon cher precepteur, merci... (Has, aTurquet.) Je vais faire porter ma lettre.
11 sort par la portc de Jroitc, second plan.
SCENE X
ADELE, TURQUET.
ADELE, a part.
Nous allons bien voir si c'est un precepteur!...
Jcu de scene. Adelc regarde Turquet avec una telle flxite, que celui-ci finit par croirc qu'il a sur la figure quelque chose d"extraordinaire.
TURQUET, a part.
J'ai quelque chose, bien sur! (ii va a lagiacc.) Non, pourtant! (ii rcvient a Aduie.) Mais qu'est-cc qu'elle a, cette petite, qu"est-ce qu'elle a?
11 prend scs livres. — Adcle continue a le rcgardcr et sourit.
Mademoiselle...
11 s'incline dcvant ollc ct so dirigc vers la porte.
SCENE DIXIEME. 337
ADEI.F.
Monsieur, je vous ai dit que jVHais venuo pour m'excuser aupres de vous, pour vous remercier, et c'est bien vrai, niais il y a autre chose.
TTRQUET.
Ouoi done?
A DELE.
Jai une prierc a vous adresser.
TURQUET.
Une priere?...
A 1) E I. E .
Oui, monsieur... je vlens vous prier de vouloir bien me donner, k moi aussi, quelques leeons.
TURQUET.
A VOUS, mademoiselle?
A DELE.
A moi.
TURQUET.
Mais vous n'en avez pas besoin, il me semble, et toutes ces couronnes...
ADELE.
Oh ! cest peu de chose, ce qu'on apprend au cou- vent... et vous me rendriez vraiment service en vou- lant bien vous charger de completer mon education.
TURQUET.
Hein?... Ah! ah!...
II recule un pen. AOELE.
Oh ! vous ne pouvez pas refuser...
TURQUET.
Aussi je ne refuse pas, mademoiselle, je ne refuse pas, et, un de ces jours, nous pourrons...
338 L'lNGENUE.
ADKI-K, s'assojaiit.
Si Yous voulez, nous cominenceroiis tout de suite.
TUiiyrKT. Comment, tout de suite I...
II pose ses livres sur la table.
A n i: L E . Oui... il y a la tout CC quil faut. (Ucgardant un livre qui est
tout ouwert sur la table.) Httiloire de France... C'est ma pas- sion, Ihistoire de France, et, puisque vous etiez jus- tement occupe, avec mon frere... Ou en etiez-vous? Louis XII... Eh bien, prenons ou vous en etiez; dites- moi le regne de Louis XII.
TTROI'I-T, a part.
Ahga! mais... elle m"ennuie, cette petite!
ADIlI.E, a part.
Nous allons bien voir si c'est un precepteur!
TURQUET, a part.
D'un autre cote, si je ne fais pas re qu"elle veut, on va decouvrir... et, alors, je serai oblige de renoncer a la jolie madame Dauberthier... et je I'adore, moi, la jolie madame Dauberthier!
A I) E L E .
Eh bien, monsieur?
TURQUET.
Eh bien, mademoiselle, puisque vous me faites I'honneur d'insister...
11 s'assicd. A DELE.
Oui, monsieur, j'insistc. (Apart.) Nous aHons bien
voir, nous allons bien voir!... (Turquct s'assied en face d".\dc'ic : nouvcaux regards, nouvelles mines do cclle-ci. Apres un silence, ellc prcnd un air gracicux, ct, du ton d'une personne qui attend :) Louis XII ?...
SCENE DlXlliME. 339
TURyUET, a. part.
Le diable m'emporte, si je sais un mot...
ADE 1,E.
Louis Xir?...
T U U u U E T .
Cost que... uous avious fini Louis XH... uous venions justement de finir...
ADEI.E.
Coiitinuons, alors ; passons a sou successeur...
T U R O U E T , cmbarrasse .
Sou successeur?...
ADEI.E.
Oui.
TURQUET, a part.
Ball! elle n'en sail peut-etre })as plus que uioi, apres
tout!... (Haul ct rdsolumeut.) Louis XII eut pOUr SUCCeSSCUF
Louis XIII.
A DELE, d'line voix. douce.
Non... Francois P''.
TTRorET.
C'est ce que je voulais dire... Louis XII eut pour successeur FraiiQois L^ son fits.
A DELE.
Non... son cousin.
TURQUET.
C'est cc que je voulais dire... Son cousin Francois P"" monta sur le tr6ne en iilO.
A D i; L E . >\)n... en lol5.
TURyUET.
1515... C'est ce que je voulais dire. 11 eut pour femme Ac-nes Sorel... non... la celebre Diane de Poitiers...
340 L'INGENUE.
ADE Li:.
Oh ! lion, ce n'^tait pas sa femme, Diane de Poitiers...
TURQL'ET.
Vous vous moquez de moi?...
ADELE, avec transiiort, sc levant.
Oh ! non... je ne me moque pas de vous, je vous admire, au contraire, je vous... Mais je sais mainte- nant ce que je voulais savoir. Vous n'etes pas un pre- cepteur.
TURQUET, so levant.
Aie !
A I) E I. K .
Un precepteur saurait au moins quelques petites choses... vous ne savez rien, vous, vous ne savez rien du tout! vous etes un homme du monde!...
TURQT-ET.
Mademoiselle...
ADELE.
Vous etes le baron Hercule de la Roche-Bardiere...
TURQUET.
Mademoiselle, je vous prie...
AUELE.
Ah ! je vous ai bien reconnu, tout i\ I'heure, quand vous etes entre... Vous etes Ic baron Hercule de la Roche-Bardiere... et je sais dans quelle intention vous etes venu ici...
TURQUET.
Par exemple!...
A I) E I, E .
Mais pourquoi avez-vous pris un deguisemont?pour- quoi tons ccs detours?... Vous avez eu peur de ren- contrer des difficultes?... II n'y en aura pas, je vous assure; ma cousine ne demandera pas mieux...
SCENE ONZIEME. 341
TURQUET.
Ah !
A DELE.
Quant a son mari, ra lui fera plaisir...
TURQUET, a part.
Mais qu"est-ce qu'elledit"? mais qu'est-ce qu'elledit?
A D E I. E .
Et moi... quoique je sache fort bien qu'il ne m'ap- partient pas d'avoir une opinion sur un pareil sujet, je puis vous assurer... Voici ma cousine... n'ayez pas peur... dites-lui hardiment cc que vous avez a lui dire... Qa ira tout seul...
Entro Leontinc.
SCENE XI Les Memes, LEONTINE.
I, E n \ T I N 1- .
Laisse-nous, Adfele...
ADEl.E.
Ah ! il faut que je ?...
I.EONTINE.
Oui, laisse-nous.
ADEI.E, a part.
C'est juste... II va deniander ma main... je nc peux pas etre la... ce ne serait pas convenable... J'aurais bien voulu, pourtant!...
I.lioNTINE.
Eh bien ?...
A 1) E I. E .
Je m'en vais, ma cousine, je m'en vais... (a part.) Au
3'.2 L'INGENUE.
lait, puisque c'est de moi qu'il s'agil, j'ai bien le droit... je ne verrai pas, mais j'entendrai... (sur un regard de Ltontiiio.) Je m'en vais, ma cousine, je m'en vais !
Kile sort par la pjorte de gauche, jircniior idan,apres avoir fait un signc d'encouragenicnt a Turcjuct.
SCENE XII TURQUET, LEONTINE.
LEoXTINK, ticvrcuse.
Mon cousin Octave vient de me faire remettre cette lettre ; ayez la bonte d'y Jeter les yeux.
Ellc lui doiine la Icttrc. TX'WnVET.
Comment! c'etait pour vous... Tiens, tiens, tiens, ce petit bonhomme !... Votre cousin m'a tronipe, madame... il m'a dit qu'il etait amoureux d'une de vos amies... une voisine de campagne... alors, moi... croyez bien que si j'avais su que c'etait vous qu'il aimait, que . c'etait a vous qu'il voiilait ccrire...
LEUNTINE.
Ainsi, monsieur, voila les lemons que vous donnez k votre eleve... c'est ainsi que vous remplissez vos devoirs de pr^cepteur!
T u u g I" 1- T .
Eh! madame, je ne suis pas un precepteur!...
I.EONTINi:.
Ah! vous en convenez a la fin!...
TriigiKT, il part.
II Taut bien que jen convienne, puisque cette petite... (iiaut.) Je suis le baron de la Uoche-Bardiere, madame...
SCENE DOUZIEME. 343
Si j'ai fait scmblant d'etre un i)receptcur, si j"ai coii- senti a recevoir deux cent cinquante francs d'avance, c'est que je vous aimais, cest que je vous adorais, c'est que je vous adore...
On cntend a gauche uii soupir laiuentable. LEONTINE.
INIonsieur... u"avez-vuus pas cnti'udu ?...
TURQUET, la tt-tc perdue.
Non, madame, je n'ai rien entendu... les deux cent cinquante francs, je les rendrai, mais quant a mon amour...
LEO.NTINK.
Prenez garde!... si Ton venait...
TURQUET.
N'avez pas peur, j'ai i'habitude... Quant a mon
amour...
LEONTINE.
Laisscz-moi sortir...
Elle veut sortir. II la rotieut. TrUyrET.
Non.je ne vous laisserai pas... Quant a mon amour, rien au monde ne m'empecliera de vous en parler. C'est au convent que je vous ai apergue pour la pre- miere fois, au parloir... Vous veniez y voir voire cou- sine, et je venais, moi, y voir ma sceur; c'est la que j'ai commence a vous aimer...
LEONTINE.
Laissez-raoi...
TLRyT'ET.
Non, vous dis-je... Depuis, je n"ai pense qua une chose... trouver un moyen de me rapproclier de vous! Aussi quand un do mes camarades de college,
344 L'INGENUE.
iin pnuvre diable nomm6 Turquet, est venu m'annon- cer qu'ii allait etre precepteur au chateau dAzay, chez vous, je n'ai pas hesite, je lai supplie de me ceder sa place ot je suis venu...
I.lioNTINE.
Laissez-moi, je vous en prie...
TURQT'ET.
Non, c'est inutile, je ne vous laisserai pas sortir avant que vous ni'ayez rcpondu.
LEONTINE.
Ici!... c'est impossiI)le... J'ai trop peur. (Nouvcau pomissement au iiehors.) II me seuible encore que je viens d'entendre...
TURQUET.
Vous dites cela pour que je vous laisse...
LEONTINE.
Je vous en prie. Tout a I'lieure, si vous voulez, je vous repondrai... mais pas ici.
TURQUET.
Eh bien, dans le kiosque, au bout du jardin.
LEONTINE.
Dans le kiosque!
TURQUET.
Oui.
LEONTINE.
Eh bien! soil, dans le kiosque.
TURQUET.
Vous y viendrez?
LEONTINE.
Oui, mais laissez-moi.
J'ai confiance Ah!...
SCENE QUATORZIEME. 34o
TURQUET.
LEONTINE.
Elle sort par la portc do ilroitc. second plan.
SCENE XIII
T U R Q U K T , alluniant un cigaro.
Tout a riicure... dans le kiosque... au loud du jar din...C'('st tres bien... mais apres?... Cette petite qui a devine que j'etais un homnie du monde... et qui sait mon vrai noml... Si elle allait parler!... Que le diable I'enqjorte, cette petite!..
La porte de gauclie s'est ouvertc ; Adcle entre. Elle a entendu les dernieres paroles de Turquet ; elle pousse un troisieme soupir.
SCENE XIV
ADELE, TURQUET.
A D E L E . Ah!...
TURQUET, so rctournant au moment oii il allait .sorlir.
Eh bien... qu'est-ce que c'est encore?... (Courant a Adiie.) Mademoiselle!... eh bien, mademoiselle!...
ADELE, s'dchappant avec indignation.
Ne mc touchez pas! ne ni'approchez pas!
TURQUET.
Qu'est-ce qu'elle a?...
346 L'INGENUE.
A U E 1. 1- .
Alliv. rch'ouver ma cousine... EUc vous attend ... dans Ic kiosque!...
TURQl'ET.
Comment! vous avez entendu?...
ADELE.
Oui... j'ai entendu... j'etais Ik...
TURQI'ET, ii part.
All! mais... elle est insupportable...
ADELE.
Allez-y dans le kiosque I...
TURQUET, faisant un pas et s'arrL-tant furieiix.
.Tc ne peux plus y aller, maintcnant!... je ne pcux plus!... c'est une affaire manquee!
ADELE, allant a lui.
Quanta moi, jc pars d'ici... je retourne au convent... et j'y resterai toute ma vie, au convent... toute ma vie, vous entendez? toute ma vie, toute ma vie!
TURQUET, ii part.
Ellcest folle!...
ADELE.
Mais, avant de partir, je tiens a vous remercier... u vous remercier de Texcellente legon que vous m'avez donnee... Oh! je ne parle pas de I'histoirc de France... vous n'en savez pas un mot...
TURQUET.
.J"rn ai su un i)eu autrefois...
A D E 1. E .
Cedontje vous remercie, c'est de m'avoir appris ce que c'est que la vie !... (KUc passe, Turquot desocniL) Moi qui
SCENE QUATORZIEME. 3i7
ctais si hourcuso d'y entrcr!... « Ce doit etre si bon, me disais-je, ce doit etre si beau!... » (Kiio tombc assise.) I'lt voila ce que c'(>stl... 0 mes illusions, mes pauvres illusions de jeuae fdle!...
TURQUET, indinuant du gostc qu"il continue a la croirc folle, a part.
Ou'est-ce que je vous disais?... (Eiie se leve.) On a tort de la laisser aller et venir conime cela...
ADELE.
Je me figurais, moi, que lorsqu'un jeune homme se deguisait en precepteur... que lorsqu'il s'introduisait dans une maison oil il y a une jeune fdle et une I'emme mariee...
TURQUET.
Qu'est-cc qu'elle dit"?...
A DELE.
Ce devait necessairement etre pour la jeune fille...
TURQUET.
Eh la!...
A HE I.E.
Vous m'avez prouve le contraire, et je vous en re- mercie... Je regrelte seulement que vous ne me I'ayez
pas prouve plus t6t... {Haletantc, mots entrecoupd's.) Car,
bien certainement, si j'avais su plus tot que ce netait pas moi que vous aimiez... moi non plus, je ne vous aurais pas...
TI'UnUET.
Vous ne m'auricz pas?...
A D E L E .
Je ne Tai pas dit, je ne veux pas le dire! Dailleurs, c'cst liui maintenanti c'est bien fini! je ne vous aime plus...
TURQUET.
Oh!
348 L'lNGENUli.
ADELE.
All contraiiv, jc vous deteste, je vous detestel
TURQUET, a part.
Ah bien!... ilnenousmanquaitplus que Qa...(naut, avcc bontc.) Voyons, ma chore petite, voyons...
ADELE.
Je ne veux pas que vous m'appeliez votre chere petite, et jc vous defends do vous moquer de moi...
TriiQUET.
Je lie me moquc pas...
ADELE.
Si fait, je vois bien!
TURQUET.
Je ne me moque pas... je suis touche, au contraire, je vous assure que je suis veritablement touche... mais enfin, voyons...
ADELE.
Nous n'avons rien a voir... Et je vous ai dit ce que j'avais a vous dire, et vous pouvez y aller inaintenant, dans le kiosque...
TURQUET.
Dans le kiosque?...
ADELE.
Oui, dans le kiosque, oil ma cousine...
TURQUET.
No parlous plus do (;a... c'est une affaire manquee...
A D i: L E . Vraimcnt! vous n'irez i)as?...
TURQUET.
Kh lion !...
ADELE.
Vous n'irez pas dans le kiosque?
SCENE QUATORZIEME. 349
TURQUET, riant.
Je n'irai pas dans le kiosque.
ADELE, avec elan.
Ah! c'est bien, c'est tres bien!... Ce n'est pas pour moi que je vous disga... ga m'est bien egal, a moi, que vous alliez dans le kiosque ou que vous n'y alliez pas... mais mon cousin... un si bon, un si excellent honimel... lui faire de la peine I... je vous disais tout a I'heure que ga lui lerait plaisir, qu'il ne demanderait pas mieux... mais ce n'est pas de Qa que je voulais parler...
TURQUET, a part, gardant dans ses mains la main qu'Adele lui a tendue au commencement de la replique prec6dente.
Ces petites fdles !... (Haut et i attirant a lui.) C'est au par- loir que vous m'avez vu pour la premiere fois?...
ADELE.
Oui.
TURQUET.
C'est ma soeur qui vous a dit qui j'etais?...
ADELE.
Oui.
TURQUET, souriant.
Et vous vous etes mise a m'aimer comme ga, tout de suite?...
ADELE.
Tout de suite, tout de suite...
TURQUET,
Et de toutes vos forces?...
ADELE.
Eperdument.
TURQUET, a part.
Ces petites filles! eh!... quelle franchise, quelle cru- /lerie!... ga fait quelque chose, tout de mcme!... II. 20
350 L'INGENUE.
ADELK, lo quittant.
Mais c'cst fini. n'ayez pas peur, c'est bion fini. (Eiio
rcmontc chercher sos prix, puis die descend avec scs livres et va
s'asseoir sur ic canape.) Je retourne au couvcnt, mainte- nant, j'y retourne pour n'en plus soiiii* : jai trop souflVrt, je suis lassc du monde.
TURQUET.
Ah!
A D E I. E .
Mensonge, fourberic, trahisou ! voila ce que j'ai vu pour mon premier jour... Et il n'est pas quatre heures... quVst-ce que je verrais done, mon Dieu, si j'attendais jusqu'au diner?...
TUUyUET, s'asseyant.
Tout cela parce que tout a I'heure vous avez cru entendre...
ADELE.
Je n'ai pas cru entendre... j'ai entendu... jetais la, derriere cett(* porte, et j'ai parfaiteinent entendu.
Kilo continue ses preparatifs. TURQUET, a part.
(lomme ce serait facile de lui i)rouvcr qu'elle s'est tronipee!... il n"y aurait pas besoin de lui donner de rai- son... je suis bien sur qu'elle trouverait elle-meme!...
A0i:i.E, se levant, mcttant ses livres sous son liras et passant.
Allons!...
TURQUET, so levant.
Ainsi, vous etiezla, derriere cette porte?
ADELE.
Oui... la... la... j'etais la... et je vous ai entendu dire ti ma CO u sine...
TURQUET, se levant.
Que c'ctait elle que j'aimais...
SCENE QUATOUZIEME. 351
ADELE.
Oui, et que vous iricz la rctrouver dans le kiosque.
Ellc rcmontc. TrUQT'ET.
Vous m'avez cntcmlu hii dire cela, et vous n'avez pas devine"?...
ADEl.E, s'arrctant.
^'ous difes?...
TURQrET.
Vous n'avez pas devine?... (a part.) Je parie qu'elle va deviner quelque chose I...
ADELE, avcc un grand ori ot laissant tomljcr tout cc qu'elle ticnt ii la main.
Ah!
TUllQUET, ii part.
Qu'est-ce que je vous disais!...
ADELE.
Vous saviez que j'etais la?...
TIIKJUET.
Juste!...
ADELE.
Et c'est pour me punir d'ecouter aux porles?...
TUUgUET.
Certainement!
A D E L E .
A cliaqne mot, Tur(iuct fait signe que c'cst bicn ccla.
Sans cela, au lieu dc lui dire que... vous lui auriez dit... tandis que, moi etant la... vous, alors, naturel- lement... et elle aussi, par consequent... c'est bien simple... il faut qUe j'aie ete folle pour ne pas avoir
devine tout de suite... (Tombant dans les bras dc Turquet.) Ah !
je savais bien que je nc pouvais pas ne pas etre heu- reuse... je savais bicn que c'etait moi... que c'etait pour moi!...
352 L'INGENUE.
TURQ^'ET, la tenant embrassee.
Ces pelites (illes!...
Entre Dau>)erthier, suivi de Ldontine et d"Octave. Adelo s'eloigno brus- quonipnt de Turquct ; celui-ci, effare, se met k genoux pour ramasser les livres d'Adcle.
SCENE XY
Les Memes, DAUBERTIIIER, OCTAVE, LEONTINE.
D.VUBERTHIER, a la cantonade.
C'est bien, j'y vais... (a Turquct.) Voici deux cent cinquantc francs, monsieur, que je vous prie d'ac- cepter...
TURQUET, sc relevant.
Encore!... mais j'ai deja requ un mois d'avance!... et je ne suis ici que depuis quinze jours...
D AUBERTHIER.
Cela ne fait rien, je vous prie de recevoir ces deux cent cinquante francs a titre d'indemnite... Ma femme m'ayant declare (Leontine descend.) que, pour des raisons qu'elle n'a pas voulu me dire, il nous etait impossible de vous garder plus longtemps...
TT-RQTET.
Ah! madame vous a declare?...
LEONTINE.
Oui, monsieur, jai ete obligee, a mon grand regret...
A DELE, a Turquct."
Je vois re f[ue c'est... elle n'aura pas compris et vousl'aurez fAchee... (a Leontine.) H savait que j't^taisla, derriere la porte : c'est pour cela qu'ill'a dit tout ce qu'il t'a dit. Tu n'as pas compris...
SCENE QUINZIEME. 353
DAUHERTHIER.
Moi non plus, je ne comprends pas...
A DELE.
Cc n'est pas deux cent clnquante francs qu'il faut lui donner, c'cst un million...
DAUBERTHIER.
Un million?
A 1) E L E .
Ma dot n'est-clle pas d'un million?... Eh bien, il faut lui donner ma dot, puisqu'il m'epouse...
TURQUET.
Un million do dot!!!... Ah bien! par exemple, je ne savais pas... je vous donne ma parole d'honncur que je ne savais pas... mais Qa ne fait rien, ce ne sera pas un obstacle...
DAURERTHIER.
Comment! il t'epouse?... Le prccepteur de ton frere !... jamais de la vie!...
ADELE.
Monsieur n'est pas un precepteur... ma cousine sail bien que ce n'est pas un precepteur...
EUe passe. DAUBERTHIER, a Leontine.
Vous savez... ?
ADELE,
Monsieur est le baron Hercule de la Roche-Bardiere.
OCTAVE.
Le baron!...
ADELE.
Demandez a mon frere, je lui ai tout conte.
O C T A \'' E .
^a, c'est vrai, elle m'a tout conte... (a L^omino.) Elle
20.
2ni L'INGENUE.
I'a vu au convent... (Kn riant.) Et c'llc cst lollc dc lui, absolumcnt folic!...
LKONTINE.
All! c'est different, alors, c'est different...
DAUBEIITFIIER.
« C'est different, c'est different... » Cela ne m'explique pas comment il se fait que depuis quinze jours mon- sieur le baron... Ah! -j'y suis!... (Avec eclat.) j'y suis!... Comma c'est drdle que ce soit juste au moment on Ton y pense le moins que les choses vous entrent dans I'esprit : Un ton tlens vaitt rnieitx que deux tu Vaiivas!...
(Prenant le journal dans sa poche ) Un bon... il est bon Ce 1"
puisqu'il fait I'aumdne... Un bon liens vaut... il en tient un... Un bon liens vaut mieu.v que deux lu Vauras!...
(Turquet et Adelc s'cloigncnt; Turqiiet s'asseoit sur Ic canap<5, Adcic sur la chaise. Leontine ot Octave reniontent et passcnt derricre la table ; Dauberthicrrestc dcbout.) All! CClui-la, par CXemplel...
11 se precipite sur une feuillo dc pajtier et sc met a ccrire.
OCTAVE las, a Leontine.
0 ma cousine!...
LEONTINE.
Taisez-vous, Octave...
ADELE, a Turquet.
Je vous aime tant, si vous saviez, je vous aime taut!...
TURQUET, presquc sorieux.
Eh bien, je suis touche... je vous assure que jc suis vcritablement louche...
OAUIU: nTIIIEU, ecrivant.
« A monsieur... monsieur le dirccteur de I'/Z/i/s^rfl/tou, Paris... »
Le rideau tombo.
LES SONNETTES
COMEDIE EN UN ACTE
Representee pour la premiere fois, a Paris, sur Ic Theatre des Varietes le 15 novcmbrc 18"2.
PERSONNAGES
JOSEPH M. Dupuis
AUGUSTINE M"^* Celine Chaumost
LA Mi« DE CHATEAU-LAN SAC, personnage
mud X...
A Paris, de nos jours.
LES SONNETTES
Lo theatre en doux parties. — Deux cliambres Je domostiques tres gentiment mcublees. — A droite, la chambro do Joseph; a gauche, la chambre d'Augustine. — Une porte do communicatioQ cntre ces deux charabres; cctto porte est fermec. — Au fond, deux fon6tres avec balcon praticable. — Dans chaque <-hambre une porte, Tune k droite, I'autro a gauche, qui donnent sur deux petits escaliers do service conduisant a I'etage interietir, Tuna I'appartement du marquis, I'autre i I'appartement de la marquise. — Dans la chambre d"Augustine, une alcove pres de la fenetre ; une table a droite ; une armoire, de forme basse, pres de la porte du petit cscalior; au milieu, un gueridon avec lanipe et corbeillo a ouvrage. — Dans la chambre do Joseph, un lit garni de rideaux pres de la fenetre; a droite, une table avec ustcnsilcs de toilette; une malle au pied du lit; a gauche, pres de la porte de communication, uno petite armoire basse et pateres centre le mur. — Des chaises. — Le timbre d"uno sonnerie electrique dans chaque chambre.
SCENE PREMIERE
AUGUSTINE, scuio.
Ello coud pr6s du gueridon; — la lampe est allumee: — quelques ins- tants de travail siloncieux. — Ellc remonte la petite manivelle de sa lampe. — On cntend uno voiture : ellc se Icve, va au fond, ouvre sa fenetre et regarde.
Voici madame la marquise qui rentrc... II est sur le siege, le mist^rable!... Le miserable, e'est moii mari!... 11 descend... il ouvre la portiere... Tiens, monsieur le marquis est avec madame... Les voila rentres... (Eiie ferme la fenetre.) II faut que je desccnde pour coucher
358 LES SONNETTES.
niadanie... (EUc allume sun bougcoir qui est sur rarnioirc.)
II I'aut que je descende... mais avaut... (Eiie va a la pone
de communication et la ("erme a iloulile tour.^ II sera la tout
a riieure, le miserable!... il sera la, a cote, dans sa chanibre a lui... et il y restera, dans sa chambre a
lui... tout seul!... tout seal! !... (A chaque « tout soul », elle met un verrou; puis elle se penclie vers la porte et ccoute.) Jc
I'entends... il monte par son petit escalier, le miserable, il monte!...
Elle prcnd son bougeoir et descend par I'escalier de gauche. Entre Joseph, arrivant par rescalier de droite.
SCENE II
JUSLFII, en livrce ; long pardessus gris, presquc blanc, palatine ct manchettes de fourrurc. — II a un bougcoir a la main : il pose co bougeoir sur rarmoirc, apres avoir allume un flambeau qui est sur la table. — Puis il fait un ou deux tours dans la chamlirc, regarde la porte de communication, et so met a frcdonner :
II etait un ' fois quatre tiommes Conduits par un caporal...
Je chante, c'est pourexpriraer rindifference...
II s'approche de la porte ct regarde par la serrurc, tout en continuant a fredonncr :
Jl ctail un ■ fois quatre hommes...
Elle n'est pas \k... alors, ce n'est pas la peine d'cx-
primer I'indifference. (Il accroche son chapeau a run des pateres do la porte de communication, puis met ses manchettes sur I'ar- moire et sa palatine sur une chaise a gauche, au fond. Chcrchant ;l ouvrir la porte de communication qui resiste.) Toujours
I'ermee!... (Avec fureur.) II y a quinze jours que cette porte est ferniec!... Et pourquoi ra?... c'est a vous que je le demande, pourquoi c^a?... La berline!... Taventure dela berline!... (En poutfant de rire.) avec I'Anglai.^e!... Eh,
SCENE TROISIEME. 339
bien, quoi? voj'ons... puisque j'ai reconnu que j'avais tort!... II me semble, a moi, que lorsqu'un mari a reconnu qu'il avail tort... lorsqu'il I'a reconnu complc- tcnient, lorsqu'il a dit : « C'est bon, n'en parlous plus, en voila assez sur ce sujet!... » il me semble, a moi, qu'une femme ne devrait pas s'obstiner... (ii 6te son
parilessus, qu'il accrocho :i gauche, ct i)arait alor.s en habit do
potito livree.) Mais wo'ilk ce que ni la marquise de Cha- teau-Lansac, ni Augustine Pidoux ne veulent com- prendre... Madame la marquise de Chateau-Lansac, c'est la femme de mon maitre... Augustine Pidoux, c'est ma femme a moi... ma cruelle petite femme!
Rentro Augustine. Joseph commence a deljoutonncr ses guctres.
SCENE III
AUGUSTINE, JOSEPH.
AUGUSTINE, posant son bougeoir sur I'armoire.
Oh! oh! oh! oh! ga ne va pas en has, ga ne va pas du tout!...Ouandjesuis arrivee, madamela marquise etait en train de dire a monsieur le marquis : « Je vous dis que si I » et monsieur etait en train de rcpondre a madame : « Je vous dis que non! » Je n'ai pas entendu la suite, parce cjue madame la marquise m'a renvoyce... oh! mais, la... renvoyee!... « Allez-vous-en!... vousvien- drez quand je sonnerai... » Et voila!... en bas et en haul, les hommes se valent... et ne valent pas cher I... Enfin... attendons qu'on nous sonne...
Kilo s'assied prfes du gu^ridon et, en s'asseyant, remue sa cliaiso. — Joseph, qui a acheve doter ses guetres, entend le Ijruit de la chaise et se tourno vers la chamhre d'Augustine.
360 LES SONNETTES.
JOSEPH. Ah! voilii nia femme...
11 s"approchc dc la porte de communication. II frappc d'abord douce- meut, puis plus fort : Augustine, qui a recommence a travailler, liausse les epaules sans repondre. A la fin, Joseph secoue violcmment la porte.
AUGUSTINE.
Ca ne va pas finir, ra, bientOt?
JOSEPH, quittant la porte et riant.
La berlinc!... je sais bien... la berline!...
AUGUSTINE, a voi.x basse, tout en coiisant.
Jamais de la vie, entends-tu, miserable, jamais de la vie!
Ellc coud avcc furcur. JOSEPH, regardant par la serrure.
Elle rage... la voyez-vous, comme elle rage!... comma ses petits doigts voiit vite... tzing!... tzingl...
AUGUSTINE, qui vicnt de se piqucr le doigt.
Aie!...
Elle se leve. JOSEPH.
C'est bien fait!
AUGUSTINE , se tournant vers la porte.
Qu'est-ce que c'est?...
JOSEPH, se redressant.
L'indifference, maintenant, I'indifference... m ivedonne une tyroiienne.) Tra la la la la la ou la !...
AUGUSTINE .
II chante... au moment oil, a cause dc lui, jc viens...
Ellc cntortille son doigt avcc I'ureur. JOSEPH.
Au fond,jc ne suis pas indiffeivnt du tout : je I'aime lout plcin... au fond... ma cruclle petite icmine...
SCENE QUATRIEME. 361
mais ^a ne fait rien, il Taut avoir I'air pour la
(lompler... in rci-uinmoncc a cluvntor en allant et venant dans sa
chambrc.) Tra la la la la la la ou la!...
AUGUSTINE.
Ah I tu chantes!... atteiiLls... attends... (Kilo se mot a
clumtor la memo tyrolicnno.) Tra la la la la la la OU la!... JOSEPH.
II faut la dompter... Ui chanto plus fort.) Tra la la la la !...
A U ( '■ U S T I N K , memo jeu .
Tra la la la la!...
JOSEPH.
Je la dompterai.
II chanto a pleinc voix; Augustine egalonient. Tons doux so precipitcnt en memo temps vers la porta de commuuication, et la, do chaquc cote do cette porte fermeo, se menaoant Tun Tautro par des gestes furieux, ils continueut a chanter leur tyrolicnne et arrivcnt a faire tons les doux un tol vacarme qu'Augustine n'cntend pas, d'abord, lasonnotte de la marquise. EUc linit ])ar I'cntendro, et alors olio so precipitc.
A U 0 r S T 1 N E .
Voila. madame, VOila!... (A Joseph qui chanto toujours.)
Va... va... nous rcprendrons (^a quand je reviendrai... Voila, madame. voila!...
Kilo sort en omportant son bougooir.
SCENE IV
J 0 S L P H , cossant do chanter.
Tiens, on sonne... C'est la sonnelte de madame la marquise de Chateau-Lansac... Brrr... brrr... (imitant la
sonnctto electriquo qui va toujours.) ElltendeZ-VOUS COmmc
ellc rage, madame la marquise do Chateau-Lansac?... (La sunnette sarrete.) Elle rage quasi autant (ju'Augustine
Pidoux!... Ill rogarde par la sorrurc.l Elle GSt descenduc... H. 21
3G2 LES SOxNNETTES.
Si je profitais du moment on clle n'est pas \k pour
CSSayer?... (Il clieiche a enfoncer la poite ; la porte resiste.) PaS moj'en, pas moyen! (Il prend sur la table sa brosse a cheveux.)
II faudrait (aire une pesee. (ii essaye.) Oui... mais je casserais le manche de ma brosse. (ii la remet sm- la table.) 11 y a bien un autre chemin pour alter chez ma femme... (En montiant le fond.) par la fenetre... en enjam- bant d'un balcon a I'autre... mais c'est dangereux...
(ll prend deux chaises qui representent les deux balcons, et les place a une certaine distance Tune de I'autre.) 11 faudrait d'abofd
poser le pied sur un tout petit rebord, et puis, en se tenant a la balustrade, faire comme ga, comme ^a...
(ll dessine le mouvement en so fondant lo plus possible, glisse et manque de toniber a la seconde experience. Se rattrapant :) Ce
n'est pas dangereux ici, parce qu'il y a le plancher.., mais la-bas, entre les deux balcons, il n'y a rien... le vide, le neant, et, au bout du neant, le pav6 de la cour. Et cependant, malgre le danger, j'y ai pense bien souvent, et, en ce moment meme... (ii va au fond et ouvre la fenetre.) Ma foi, oui ! cc quc c'cst quc d'etre amou-
reux!... on serai t capable de tout... (Fermant la fenetre.) si
on ne se retenait pas... mais on se retient... (ii rodcs- cend.) Va falloir se coucher, alors... se coucher comme tons les soirs... depuis quinze jours, (ii retire los faux moiiets qu'il a sous ses bas.) Trouvez-en beaucoup, qui aient
des moUets comme Qa! dl met les mollets sur I'armoire.) Qd.
m'apprendra a me laisser pincer... La voila, ma faute !... c'est de m'^tre laisse pincer... Ainsi, voyez... Monsieur le marquis... il en a fait tout autant que moi...dans sa sphere... mais il n"a pas ete pince. Qa lui donne un avantage... Et a cause de qui n'a-t-il pas ete pince, je vous le demande? a cause de qui?... a cause de moi, fidele et malheureux serviteur... J'etais sur le siege, k c6te d'Edouard, le cocher... et monsieur le marquis ctait dans le coupe... A chacun sa place, n'est-cepas?...
SCENE QUATRIEME. 363
Moi, quand je suis sur Ic siege, ^a m'amuse de regarder autour de moi... on est tres bien, on domine... J'aime surtout a regarder dans les fiacres, parce que dans les fiacres on voit quelquefois des choses... Ainsi, une fois, je me rappelle avoir vu un petit bossu... mais ^a nous mcnerait trop loin... J'etais done sur le siege a cote du cocher, monsieur le marquis etait dans le coupe... et nous nous en allions, tons les trois, chez mademoiselle Heloise Tourniquet, avenue de Fried- land... Depuis quelque temps, moi, je remarquais un fiacre qui essayailde nous suivre : le cocher fouettait son cheval, fouettait, fouettait... c'etait une pitie. Enfin, dans un embarras, ce fiacre parvient a se rap- procher... Je regarde, selon mon habitude, et qu"est-ce que je vois dans ce fiacre"? Madame la marquise!... madame la marquise de Chateau-Lansac,qui designait notre voiture, en ayant Fair de dire a son cocher : « C'est celle-la, c'est bien celle-Ia... » Alors, moi, sans faire semblant de rien, je me mets a cogner comme ga : toe, toe... contre la glace du coupe... D'abord, monsieur le marquis ne comprenait pas et croyait que je perdais le respect... A la fin, pourtant, il a baisse la glace, jc me suis penche et je lui ai dit respectueusement : « Je crois devoir prevenir mon- sieur le marquis que nous sommes files par madame la marquise. — C'est bien, m'a-t-il repondu, dites a Edouartl de ne pas arreter avenue de Friedland. » Et nous sommes alles au Tattersall, et monsieur le mar- quis n'a pas ete pince!... Moi, je I'ai et6!... voila la difference... je I'ai ete en plein!... la berlinc!... C'est la faute de ce maudit chien qui s'est mis a aboyer... un petit chien, pas plus gros que ^a... mauvaise bete!... mauvaise bete !...
II ferine les riJoaiix du lit et passe dcrriorc pour achcver de se deshabiUci-. — Kntre Aufrustine.
30i LES SOxNNETTES.
SCENE V
AUGUSTINE, JOSEPH, deirie.c Ics ri.leaux. AT ftl'STIN E. son liougcuir :i la main.
Oh! oh I oh I oh I Qa continue a ne pas aller du tout en has... 11 y a je ne sais quelle histoire de Tatter- sall... Monsieur est rentre chez lui et madarae est dans un etat!... 0(i est Teau dc melisse? ou est-elle,
I'eaU de melisse?... (Klle la trouvc snr la chcmineo, la [ircnrl
ct sort en disant :] Ca ne va pas, ca ne va pas!... SCENE Yl
JOSEPH, cuuclu- ot cnfuncc sons sa couverturc. oiivro los rideaux dos qu".\iigustinn a disparu.
Mauvaise bete!... et tout a Thoure il sera ici, ce maudit chien, et il me mordra les jambes... c'est comme ca toutes les nuits... des que je m"endors, j'ai le cauchemar... c"est le remords... ca viont de I'es- tomac... J'essaye de la chasser, la mauvaise bete,mais elle revient toujours... alors, je me reveille et je ne pcux plus me rendormir... rinsomniel... la lacheuse insomniel... Je vous demande si c'est la une position pour un mari, pour un mari qui a une I'emme!... Enfin, qa m'apprendra a me laisser pincer .. Monsieur le marquis, lui, an moins... (Sc mettant sm- son seantJ Apres Qa, Qa ne lui a guerc servi dc ne pas avoir cte pince, a monsieur le marquis : il a eu son galop tout de menie... j'ai bien vu ca, tout a Tlieure, a la sortie de rOpera... J"ai vu arriver monsieur le marquis et
SCENE SEPTIEME. 365
niadanie la marquise... ils iie sc disaient rien et ils avaient un air!... lis sont monies dans la voiturc, toujours sans rien dire... Moi, j"attendais a la portiere, pour les ordres... Le municipal a clieval s'est mis k crier : iPienant line grosse voix.) a Avanccz douc, qu'cst-ce que vous faites la?... avancez done!... » Moi, j'atten- dais toujours... Monsieur le marquis a fini par dire
(imitant le marquis.) : « A I'liotcl!... » (Imitant la marquise.)
« Comme ga, a dit alors madame la marquise, vous n'allez pas au Tattersall, ce soir?... » C'etait de I'ironie!... j'ai failli pouffer... c'etait de I'ironie!...
Koitre Augustine.
SCENE VII
AUGUSTINE, JOSEPH, cou.he.
AUGUSTINE, etcignant son I)ougeoir el le mcttant sur le gueridon.
Allons... allons... je ne crois pas que madame dorme beaucoup celtc nuit, mais cnfin elle s'est coucliec et je vais pouvoir en faire autant...
Elle va a Talcnvc, ilelait le couvrc-picils, taniponnc rorcillcr, etc., etc. JOSEI'H, sc tournant ct sc retuurnant dans son lit
Qu'est-ce que je disais?... I'insomnie, la faclieuse insomnie!... C'est dans ces moments-la que je pense a la fenelrc... pour aller clicz ma femme par les deux balcons... Ah! s'il n'y avait pas de danger!... mais il y en a, il y en a...
A U G U S T I N E .
llparait qu'ellca joliment traite monsicur,madanie!... Elle craint meme d'etre allee un peu loin... Et elle n'a que des soupcons!... qu'est-ce qu'elle aurait done fait
3G6 LES SONNETTES.
si clle avail, comme moi, trouvc son mari?... C.a c'est riiistoii'e dc la berline!...
J us El' II. parlant comnie iin homme qui s'eiiilort.
Pourvu que cc maudit chien ne viennc pas... Ah! s'il n'y avail pas de danger, mais 11 y en a, il y en a...
La voix s"6teint; .Joseph s'cnilort, le visage coiitro la nuiiaille. AUGUSTINE, ajjres avoir regarde [lar la scnuie.
Rien!... II dorl, le miserable!... II dort... ou il fait
Seniblanl... (Klle continue, tout on allant ct vcnant dans la chamljie ot en faisant ses prcparatifs pour sc couclier.) Je les
avais deja pinces ime fois... avec I'Anglaise... made- moiselle Sarah... une bonne qu'on avail prise pour faire leducation des enfants... quand il y en aurait... el comme il n'y en avail pas encore, elle s'etait... en atlendanl, charg6e de Tcducalion de mon mari... (Se
tournant vers la chambre de son mari.) GrOS bebe, Va!... Je
les avais pinces pres de la lingerie, dans le corridor... en m apercevanl, ils s'elaienl separes brusquement el mon imbecile de mari s'elait mis h baragouiner comme un perdu : « One, tico, three... » en complanl, comme ga, sur ses grandes mains... « One, two, three, four, five... » hisloire de me I'aire croire que I'Anglaise etait la seu- lemenl pour lui monlrer sa langue... mais je n'ai pas donne la dedans... J'ai dit a Joseph de passer devanl... il ne se I'esl pas fait r^peter... el il a bien fail !... Quanl a mademoiselle Sarah, je I'ai averlie qu'a la prochaine IcQon d'anglais, je me chargeais, moi, de lui admi- nislrer une triijotee... en frangais. Pendant les huil jours qui out suivi. il ne s'est rien passe... j'ai eu beau guetter, jen'ai rien vu... mais, an bout deces huil jours, ah! ah!... an bout de ces huil jours... nous y voila, i\ la berline !... Je traversais la cour des ecuries, je lenais a la main un joui-nal, la Vie 2)f"is/e»/ie, que j'allais porter a madame. 15ob, le petit terrier etait la... c'est
SCENE SEPTIEME. 367
un tout jeune chicn, tres gai, tres joueur... il vient a moi en aboyant, et il se met a sauter pour attraper le journal... Moi, ga m'amusait; je levais le bras, conime ga, et je riais... « Tu ne Tauras pas, Bob, tu ne I'auras pas!... » Mais Bob a si bien saute qu'il a fini par Favoir, et il est parti avec... Moi, pour rattraper la Vie pari- slennc de madame, j'ai couru apres Bob... la porte de la remise etait ouverte. Bob y est entre... et moi, j'y suis entree apres Bob, ecarquillant les yeux, car on n'y voyait guere, et relevant mes jupes pour me faufiler au milieu des roues... Elle est tres grande, cette remise... Oh! c'est enorme! il y a la dedans trois rangees de voitures, les vieilles dans le fond, natu- rellement, celles dont on ne se sert plus... et parmi ces vieilles voitures... la berline! la berline! la fameuse berline!... la berline jaune... un souvenir de famille... c'est dans cette berline que le pere de monsieur alia it a la Cliambre des pairs... autrefois, sous Louis-Phi- lippe... et c'est pres de cette berline que je finis par
retrouver Bob ! (Elle se laisse tomber sur une chaise a droite.)
11 avait lache le journal, il etait la, immobile, dressant ses deux petits bouts d"oreilles, en arret sur la berline, et tout d'un coup... vlan!... il bondit, il se jeta sur la portiere en aboyant... ouah! ouah!... et cinq ou six fois de suite il sauta et rcssauta... en aboyant tou- jours... ouah! ouah! ouah!
JOSEPH, s'agitant dans son lit.
Le voila, ce maudit chien, le voilal...
AUGUSTINE.
Et alors, du fond de la berline sortit une voix... celle qui m'avait jure fidelite au pied des autcls... et cette voix disait : « Tu ne vas pas te taire, mauvaise bete, tu ne vas pas te taire! »
368 LES SONNETTES.
JOSEPH, tourmente p;u- son cancliemar.
La voila, la mauvaise bete!...
AUGUSTINE.
Et comme la mauvaise bete ne se taisait pas, comme elle ne cessait pas d'aboyer, la mauvaise bete, une des glaces de la portiere tomba et dans Tencadrement une figure parut, la sienne, au miserable, la sienne! 11 m'aperc^ut et, pour essayer de me donner Ic change, passa ses deux grandes mains et se remit a compter, comme dans le corridor : « One, tivo, three... » mais avant qu'il eut compte jusqu"a three, moi aussi, je m'etais 61ancee sur la portiere, je I'avais ouverte... (Eiie se leve.) et le terrier et moi nous ctions dans la berline !... Alors il se passa dans cette berline... ce qui probablement ne s'etait passe dans aucune berline au monde!... J'y allais de tout cceur, moi!... Je gillais a tort et a tra- vers... L'Anglaise, terrifiee, piaillait dans son idiome... Bob, ravi, aboyait dans le sien, et mon imbecile de mari, la tete completoment perdue, continuait a compter : « One, tuo, three... » Et voila pourquoi il est de ce c6t6-la, lui, pourquoi je suis, moi, de ce c6te-ci, et pourquoi il y a des verroux a la porte de communica- tion... Ce n'est pas que qa m'amuse, au moins!...
JOSEPH, se roveillant tout ;'i fait.
Eh!... eh bien! la, me voila reveille, maintenant... et il me sera impossible, tout a fait impossible, de me rendormir. Linsomnie... la facheuse insomnie!...
II rcfernie ses ridcaux. A U G I' S T 1 N E .
Non, qa. ne m'amuse pas... mais je me dis que qa Tennuie encore plus que moi, et cette idee-la me sou- tient...
Joscpli rcparait, sortant de dcrricrc los ridcaux. II a passe un jiantalon et un gilet a manclics
SCENE SEPTIEME. 369
JOSEPH. Non... qa. n'est plus possible!... (Il fait deux ou trois tours dans sa chambrc, va rcgardcr par la serruro ct aper^oit sa femmc qui est en train d'oter son corsage.) Ell la!... eh la!... (11 replace deux chaises comme il les a placecs a la scene iv, recommence I'expc- ricnce en se fendant deux ou trois fois, va ouvrir la fcnetre du fond, regarde, revient, se remet a la serrure, se consultc ct flnit par prendre
son parti.) N'y a pas... n'y a pas... cette fois-ci, j'en- jambe, il n'y a pas a dire... j'enjambe, cette fois-ci !...
II court a son liaUon, enjambe la balustrade ct disparait. — Musique k I'orchestre. — Au liout d'un instant, bruit do vitre briscc, grands cris derricrc la fenctre.
JCSEPII.
Eh la!... eh la!...
.\ U G U S T I .N E , e tfray ee.
Moil Dieu! qu"est-ce que c'est?
JOSEPH.
Eh la!... a moi!.
.V U G U S T I N E .
Joseph!
lOlIe court a la fenetre ; on aper^oit Joseph faisant inutilcment des efforts desesperis pour so hisser sur Ic balcon.
J 0 S E P II .
Eh la!... eh la!
.\ r G U S T 1 N E , cmpoignant Joseph.
Tiens boa, je suis la!... (iens bon, iie laclie pas!
EUe tinit, aprcs une lutte qui doit durer quclque temps, par faire fran- chir a Joseph la balustrade, puis elle le pousse sur le dcvant de la scene ct le fait asscoir, tremblant, offare, grotesque. — Fin du mOlo- drame a I'orchestre.
JOSEPH, assis pres du gueridon.
Oil est mon bras?... Ma janibe, ou est-elle?... Et moii autre jambe? et mon autre bras?... ou est-il, mon autre bras?..,
De sa main gauche il s'est cramponne a la chaise.
21,
370 LES SONNETTES.
AUGUSTINE, a gcnoux ct docrocliant avcc ort'uit lo liras de Joseph.
Le voila, mon ami...
JOSEPH .
Ah!... le voila!... c'est bicn...
II promone aiitour dc Iiii dos regards epcrdus. AUGUSTINE.
Allons, voyoiis... remets-toi, le danger est passe.
(EUc lui donne ua vcrrc d'oau qu'ello avait prepare pour elle sur I'ar- moirc.) Bois... bois... (Joscpli Ijoit. — Elle lui parle comme a un petit enfant :) Boil lianail, (;a... (Lui donnant le reste du Sucre dans la petite cuiller.) Boil SUSUCre... tieilS... (Jusopli, avalant de travers, sc met a tousser : elle lui tape dans le dos.) Cc
n'est rien... la, c'est passe.
Joseph se tato, regarde autour de lui, reste silencicux cacorc pendant un moment, puis eclate.
JOSEPH, avec violence, se levant.
Eh bien!... eh bien!... La voilii satisfaite, n'est-ce pas, ta coquetterie feminine? la voila satisfaite!... Tu aurais ete bien aise si jc m'etais casse le cou a cause de toi, mauvais petit bout de femme!
AUGUSTINE, posant le verre sur le gueriduii.
Mauvais petit?... Qu'est-cc que tu dis, grand cheval de berline, qu'est-ce que tu dis?...
JOSEPH.
Mauvais petit Ijout de femme, je dis I...
AUGUSTINE, surt'oquce.
Ah bien!... Elle est forte, cclle-la!... moi qui ctais la k le soigner, a m'attendrir... Et pourquoi?... Parce qu'il essaye de franchir un espace grand comme qa...
Elle niontrc la moitic ile son bras. JOSEPH, I'uricux.
Grand comme ga!...
SCENE SEPTIEME. 371
AUGUSTINE.
Et il n'en est pas meme venu a bout, le maladroit!... il degringolait, si je n'avais pas ete la pour le...
Elle remet son corsage. JOSEPH.
Grand comme Qal... Ah bien, par exemple!... Apres un pareil acte d'intrepidite, etre re^n... Ah bien!... ah bien!... (sonnerie eiectriquo.) Et voila qu'on souue a pre- sent, voila qu'on sonne... et c'est monsieur le marquis. (Criant.) Voila, mousieur le marquis, voila!... (comant dans la chambre comme un fou.) Par Oil est-ce que je vais passer?
AUGUSTINE.
Passe par la fenetre.
JOSEPH.
Par la fe...? c'est de I'ironiel... tout comme madame
la marquise de Chftteau-Lansac... c'est de I'ironiei...
(Sonnerie.) Voila, mousieur, voila!... Non, je ne passerai
pas par la fenetre. je passerai par la porte... (ii 6te les
veiTOUx de la porte de communication.) J'y paSSCrai pOUr m'en
alter, mais jamais... entends-tu bien?... jamais... et ne prends pas tes airs... ne les prends pas, tes airs!... jamais je n'y passerai pour revenir...
II rentro chez lui. A U G U S T I N E .
Et tu feras bien!... (sonneric.) Madame aussi!... Mais qu'est-ce qui leur arrive done, en bas,a lous les deux?...
(Aiiumant sun bougeoir.) Voila, madame, voila!
JOSEPH, revenant chez sa lemmo.
C'est pour le coup que c'est fini entre nous, et c'est moi qui le dis, cette ibis, c'est moi qui le dis!... (Ren- trant dans sa chambre.) Et I'Anglaise... tu sais bien, I'An - glaise?...
3-;2 ' LES SONNETTES.
AT'GUSTINE, s'airetant brusqnement au moment ou cllc allait desccndre par son cscalicr.
L'Anglaisc!...(sonnerie.) Voilii, madame, voila! (Eiie va
Chez son mari.) L'Anglaise !...
JOSEPH.
Elle m'avait envoye sa nouvelle adresse... etje n"y etais point alle, mais maintenant... (sonneiie.) Voila,
monsieur, voila! (II va s"en aller. Augustine conit ajues lui et
I'arretc.) J'irai, maintenant, j'irai...
A U G U S T I N E .
Eh bien, vas-y!... etje sais bien ce que je ferai, moi...
Elle s'en va dans sa chambre, il court aprcs elle. JOSEPH.
Qu'est-ce que tu feras?
AUGUSTl.NE.
Tu verras bien I...
JOSEPH.
Eh bien,ga m'estegal, ceque tu feras, Qa m'estegal!...
11 s"en va, elle court apres lui. AUGUSTINE.
Qa. fest egal!...
JOSEPH.
Parfaitement egal!...
AUGUSTINE, rentrant ohez elle.
Fallait done le dire plus tot!...
Elle sort par son escalier. JOSEPH.
Et puis ne m'agace pas, tu sais, ne m'agace pas!...
11 sort par son escalier. A peine a-t-il disparu qu'Augustine rentre brusquement.
AUGUSTINE. II me menace!... (EUe traverse la scene commc une flcchc, va
SCENE SEPTIE.ME. 373
jusqu'A, I'escalier de Joseph ct retraversc la scene en disant :) II a
bien lait de s'en aller, il a bien fail!... (sonneiie.) ^'oiIa, madame, voila!
EUo sort. Des qu'elle a disparu, Joseph revient, traverse la scene a son tour et va jusqu'a I'escalier d" Augustine.
JOSEPH, criant dans I'escalier.
Ne m'agace pas!... J'ai eule dernier, tout de nieme. (ii
rentre chez lui et va regarder par la fenetre.) Grand COniniC
c:a!... C'est enornie, I'espace qu'il y a entre ces deux balcons... c'est enorme, je vous assure... Vous ne pouvezpas vous rendre compte, c'est facheux...si vous pouviez vous rendre compte, vous verriez... Et elle n'aurait pas demande mieux que de me faire reconi- mencer... La coquetterie!... reternelle coquetterie lemininel... Qa me rappelle... (sonnerie.) Voila, monsieur le marquis, voila I... ^a me rappelle Faventure d"une dame d'autrefois, d'une dame du siecle de Louis XIV, qui etait allee se promener au Jardin des Plantes de ce temps-la, avecunjeune seigneur de la cour de Fran- cois I"'... C'est historique!... Elle avail laisse lomber son mouchoir dans la fosse a I'ours, et puis elle s'etail mise a crier : « Ah ! mon mouchoir I Ah ! mon joli mou- choir brode!... » en regardant le jeune seigneur de cote, comma ga... pour Tinviter a aller chercher le mou- choir... (Sonnerie. 1 Voila, monsieur le marquis, voila I.. Eh bien, qu'esl-ce qu"il a fail, le jeune seigneur? II n'a fait ni une ni deux, il a empoigne la dame el il Ta fichue dans la fosse a Tours... C'est historique!... II I'a fichue dans la fosse a Tours, en lui disant : « Allez le chercher vous-meme. votre joli mouchoir brode!... » Apres,il en a eu du regret... parce qu'elle etail parenle de la reine... Mais qu'esl-ce que vous voulez?... a ces epoques-la, on n'y allait pas par quatre chemins. (Sonnerie furieuse.) Voila, mousicur Ic marquis, voila!... Eh bien, voila!
II sort. — Rentre .4ucusiine.
374 LES SONNKTTES.
SCENE VIII
AUGUSTINE, puisJOSEPH.
AUGUSTINE, allant dans la chambre de son mari.
Ou est-il, le miserable, ou est-il?... II n'est pas la... taut pis! (EUe revient chez eiie.) J'aurais eu dii plaisir a lui dire que je le quitte, que je m'en vais d'ici... avec madame... Qa nc va pas en has, ga ne va pas du tout!... madame s'est relevee... elle a eu avec monsieur une nouvelle entrevue... et le resullat de cette cntrevue, c'est que nous partons toutes les deux... nous nous retirons chez la mere de madame... et elle ne demeure pas au coin de la rue, la mere de madame... elle demeure
dans le Langucdoc. (Elleprend une malle qui est sous la table et la trainc sur lo devant de la scene.) Voilu la situation... Au
point du jour, nous partons pour le Languedoc.
Elle ouvrc la malle. — Entrc Joseph. JOSEPH.
En voila bien d'unc autre!... Nous partons pour I'An- gleterre, a c't'heure!... Avant I'aurore, moi et monsieur le marquis, nous cinglerons vers I'Angleterre... Ma
malle!... (Il la prend au pied do son lit et la place sur deux chai- ses. — Dans ces allees et venues, Joseph et Augustine se trouvent I'un en face do I'autro : lis se rcgardcnt pendant un instant, puis ils se tournent brusquemcnt lo dos ; ils se mottcnt k fredonner tous les deux d'un air indiifdrent. — Augustine commence a faire sa malic; Joseph veut faire la sienne, mais ne trouve pas la clef.) AUonS, bon —
allons, bon!... voila que je n'ai pas la clef de ma malle, k present!
Apres quelques moments d'hdsitation, il sc decide a cntrer dans la chambre do sa femme, qui so romot a fredonner.
SCENE IIUITIEME. 37o
JO si: I'll. Desole de deranger madame, mais commc, du temps que madame etait ma femme,c'etait madame qui avail toutes les clefs, je suis oblige de prier madame de vouloir bien me donner la clef de ma malle.
AUGUSTINE, agonouillue par tcrrc pros do sa nialle.
La clef de voire malle?...
JOSEPH.
Devant partir en voyage... Eh ! mais, Dieu me par- donne. on dirail que madame fail ses preparalifs pour partir en voyage, elle aussi.
AUGUSTINE, continuant a t'airc sa malic.
Comme vous diles, je pars.
JOSEI'H.
Vous partez, c'est fori bien... El, sans incriminer aucunement, ni vouloir revenir sur le passe, peul-on vous demander ou vous allez comme Qa?
AUU'.USTINE.
Je vais dans le Languedoc, avec madame.
JOSEPH.
Dans le Languedoc, c'esl fort bien... V'ous allez dans le Languedoc avec madame ; je vais, moi, en Angle- terre avec monsieur.
AUGUSTINE, sc levant ct sur Ic point d'liclater.
En Angle...
JOSEPH.
En Anglelerrc.
A U G U S T I N E , froidenient .
C'esl bon, voici la clef do voire malle.
Ellc la lui donne.
370 LES SONNETTES.
JilSKl'H. Ell bien, alors!... (ll leste un instant indecis, jmis, il rentic dans sa chambre, ouvrc sa inalle, etc., etc., et tous deux se rcmettcnt a
fiedonner.) Ca la chilTonne que j'aille en Angletcrre... a cause des Anglaises... Moi aussi, du reste, ga me chif- lonne... a cause de la traversee. (Enveioppant avee soin
ses faux mollets et les muntrant au public.) A LoudPCS I ! !... (II range lesl:iii.\ mollets dans .sa malle.) Et puis, J)OUrquoi est-CC qUC
je nc I'avouerais pas, voyons?... qa. me cliilfonne en- core a cause d'autre chose. (ll revient dans la chambre de sa femme et la regarde sans rieii dire. — .\ugustine affecte de ne pas faire
attention u lui.) Et comme c^a... est-ce que vous y resterez longtemps, dans le Languedoc?
.VUGUSTINE, il gcnou.x devant sa malic qu'ellc continue do rcmplir.
Le plus longtemps possible.
JdSEI'H, s'assied a droits
Ost fort bien... Et, toujours sans incrimineraucu- nement, peut-on vous demander de quelle facon vous comptez passer vos soirees la-bas"?
.\t:gu<tine. Qu"est-ce que ca pent vous faire?
JOSEPH. Ca me fait... ga me fait... ^a me fait que vous portez mon nom, apres tout... Je voudrais savoir ce que vous comptez en faire, de mon nom... J'aime ;i croire que vous nallez pas le galvauder dans le Lan- guedoc.
AUGUSTINE, ferniant sa malle et s'asscvant sur nn coin de la maile.
Vous pretendiez tout a Iheureque ca vousetaitpar- faitement egal...
SCENE llUrriEME. 377
JiiSEI'H.
Egal, a moi, de voir Ic nom dc Pidoux!...
AUGUSTINE.
Voiis avez change d'avis, a ce qu'il parait. Si vous avez change d'avis... il Taut h'dirc... ditcsde... voyons... ditcs-le done !
Kile se Icve. JOSEPH, sc levant anssi et pa.s.sant a gauche.
Hum !... hum !...
AUGUSTINE.
Dis-le done, imbecile, dis-le done, que ga te creve le coeur de te separer de moi... Dis-le done, que tu mourrais de colere, si je m'avisais de galvauder le nom de Pidoux dans le... Dis-le done, que tu es jaloux et cjue tu m"aimes... Est-ce cjue, si tu ne m'aimais pas, tu aurais risque de te casser le cou tout a Fheure pour venir dans ma chambre?... Dis-le done, que lu Tadores, ton mauvais petit bout de femmel... dis-le done, voyons, dis-le done!...
J<)SEPH, a[ii-L's un temiis.
Et si je dis ga, qu"est-ce que tu diras, toi?
A U G U S T 1 N E .
Ce que je dirai?...
J U S E I' H .
Oui.
AT'GUSTINE.
Assieds-toi... tu es trop grand, comme qa.
JOSEI'fl, s'asseyant sur la malle.
Eh bien, alors?...
.\UC>USTINE, se laissant tomber snr les genoux de Joseph.
Ce que je dirai... tu le sais bien, ce que je dirai... je
378 LES SONNETTES.
dirai que, moi aussi, je t'aime, grande bete!... Voyons, rappelle-toi... Quand je t'ai epouse, tu sais bien que lu n'etais pas scul a demander ma main... II y avait M. Capuron, le grand cpicier de la rue Saint-Domini- que; il y avait Jean, le cocher du due de Montesinos... quatorze chevaux dans I'ecurie!... ga vaut une place dans un ministere, ga, ct une bonne!... II y avait le nevou de madame...
JOSEPH, souriant.
II voulait t'epouser, le neveu de madame?
AUGUSTINE.
A peu de chose pres... II yen avait d'autres encore... Eh bien ! pourquoi est-ce que je t'aurais choisi, toi, qui n'avais que soixante francs de gages... et pas de casuel?... pourquoi est-ce que je t'aurais choisi, si je ne t'avais pas aime?...Et maintenant, pourquoi est-ce que je serais comme qa. autour de toi, a te tapoter, k t'embrasser... malgre la berline?...
JOSEPH.
Allons... voyons, voyons...
-V U G U .S T I N E .
Pourquoi est-ce que j oublierais que c"est toi qui as tous les torts?... (Se levant.) Justice du ciel! c'est pour- tant vrai que c'est lui qui a tous les torts!... (eiio se ras- sied sur ses genoux.) et que cest moi qui ai I'air de demander pardon... (Commencant a pieurer.) Pourquoi est- ce que je serais bete et lache comme ga, dis, si je n'etais pas amoureuse?...
JOSEPH.
Amoureuse?...
SCENE IIUITIEME. 379
AUGUSTINE, oclatant on sunglots.
Oh! ouil...
EUe jotto ses bras au cou de son mari et appuic sa tete sur Tepaulc gauche dc Joseph.
JOSKI'H.
Faut pas rougir pour ra... quand I'amour est bien place, n'y a pas a en rougir.
AUGUSTINE, se levant.
Mon Joseph I...
JOSEPH, se levant aussi ; avoc tcndresse.
Mon Augustine !... (changeant de ton.) Et tu en conviens, n'est-cc pas, lu en conviens, que c'est enorme, Tespace ({u'il y a cntrc les deux balcons?...
A U G U S T 1 N E .
Qui, oui, j'en conviens...
JOSEI'H.
Grand comme ca, tu disais...
AUGUSTINE. J'avais tort. IKtendant les bras le plus (pi'elle peut.) C'ctait
comnic ca...
JOSEI'II.
A \a bonn«> heure!... Et je I'ai Iranchi... C'est histori- quc!... Mon Augustine!...
11 prend Augustine dans ses bras. AUGUSTINE.
Mon Joseph!...
Sonnorie. JOSEPH, occupe a emlirasser longuemcnt Augustine.
Et voila qu'on sonne!...
AUGUSTINE.
C"esl madame... Ellc est pressec de s'en alter, ma- dame. (Sunnorie.) Ellc cst mcmc trcs pressee...
380 LES SONNETTES.
JosKI>H. Mais qu"est-cc qui a pu se passer, en has, je vous le demande?... Ou'est-ce qui a pu se passer?
ArcrsTiNK. Je n"en sais rien, niais madame est comnio une lionne...
J (1 S K P H .
Et monsieur done I... II est conimo un coq d"Inde, monsieur!... et pour quun homme aussi distingue que monsieur soit coninie un coq d'Inde. il faut...
Sonnerie. A U C. U S T I N i: .
On sonno toujours.
JOSEPH.
Ell l)ien I alors...
Arr.T'STlNE.
^'oila. madame, voila!... Mon Joseph I...
Ello plcurc. Joseph, se mettant aus>i u lileurer.
Mon Augustine I. .. Voila que nous pleurons a c" t" heui'e et que nous melons nos larmes...
AUCiUSTINE, (I'lino voix brisiie par les sanglots.
Et jamais peut-ctre, depuis que le monde est monde, il n'y a eu dans la nature un spectacle aussi tou- cliant.
JOSEPH.
Mon Augustine !...
AlcrSTINE.
M(jn Josei)h!... isonnerie.) \'oila, madame, voilii!
Kile sort.
SCENE DIXIEME. 381
SCENE IX
JOSEPH, soul.
II renire dans sa cliamliro et continue a lairo sa niallo,
Sommes-nous betes de nous etre raccommodes nii moment meme on nous allions nous separcr!... Si nous etions restes faches, Qa nous aurait fait moins de peine... Et meme, ea nous aurait peut-etre fait
plaisir... (Il fcimc sa malle et la purte an luml.) Mou AugUS-
tinel... Enlln, tout qa. ne serait rien si j'etais sur de no pas avoir le mal de mer pendant la traversee !...
SCENE X
JOSEPH, AUGUSTINE.
AUGUSTINK, dans lescalier.
Josepl) I Joseph I...
JOSEPH.
n est encore arrive quelque chose... Eh bien, quoi, voyons"?... Eh bien, quoi?
AT'til'STIN K, so profipitant tout cssouffleo dans la cliambrc de Joseph.
Ah I Joseph, nous ne p;irtons plus!
.1 IKK I'll.
Eh lal... eh la I...
ATM.TSTI.Ni;.
Je sais maintenant pourquoi madame avail peur
382 LES SONNKTTES.
d'etre alloc iiii pen loin... EUc est vive, madaine... rile est du Midi... Et il paralt (\n'ii la suite de rexplicalion sur le Tattersall...
JOSEPH, riant.
Lc Tattersall!...
Aror.^TiNE. Tu connais ga, toi, Taffaire du Tattersall?
JOSEPH, riant.
Si je connais ca?--- Jl' te crois!...
A I' O l" S T I N E .
II parait qua la suite de fexplication sur lc Tatter- sall, madame s'est oubliee jusqu'a administrer a mon- sieur le marquis...
EUe fait lo ireste dc donncr unc citto.
Allons done ! Et une bonne!.
J (1 s E P H .
AUGUSTINE.
JOSEPH.
Un liommer i<i distingue !...
AUGUSTINE.
II a ete ve.xe, monsieur le marquis, et il s'est retire dans ses appartements, en jurant que tout etaitrompu cntre madame et lui... Un quart d'heure apres, madame s'est repentie. et s'en est allee gentiment frapper h la porte de monsieur le marquis... Mais monsieur le marquis s"etait barricade et a refuse douvrir... il continuait a etre vcxe.
JOSEP)I.
Un coq dTnde, jc I'ai dit, un coq dTnde!...
SCENE DIXIEME. 383
AUGUSTIXE.
Furieuse,a son tour, de cette reception, madame est rentree chez elle... et c'est alors qu'elle ni'a sonnee pour me dire que nous nous en allions.
Dans le Languedoc...
AUGUSTINE.
Dans le Languedoc... Mais, depuis, elle a encore reflechi. Elle etait amoureuse, elle aussi! et, a toutc force, elle voulait aller demander pardon a son mari... mais comment, puisque toutes les portes etaient fer- mees?... C'est alors que moi. je m'en suis melee... j'ai fait j'ai insinue qu'en montant par mon escalier, en traversant ma chambre, et puis la tienne, et en redescendant par ton escalier, madame la marquise pourrait tres bien... Brave petite femme! elle a tout de suite saute sur cette idee... Mais toi... pouvait elle devant toi?
J 0 S EP H. enchante, ravi, mais ne comprenant lien du tout a cc que lui raconte Augustine.
Vadoncl... va done!
AUGUSTINE
Attends... attends! Je I'ai rassuree, en lui disant que tu dormais conime une souche... Te voila au courant. Madame la marquise va passer par ici pour aller se raccommoder avec son mari... Et toi...
JOSEPH, qui dans sa joie. continue ii ne rien comprendre.
Moi?...
AUGUSTINE, avec un ]ie>i dimpatience.
Tu vas te coucher. toi, et tu feras semblant de dormir...
JOSEPH, comprenant enfin. Ah! j"y suis! (Augustine le regarde.) J'y Suis, je te dis! je
ne suis pas une bete !
384 LES SONNETTES.
AfCrsTINK.
Une betel... Ah I grand Dieu!...
JOSEPH, riant aux eclats.
Va falloir que je feigne...
.vrorsTiNE. Comnic til dis... couche-toi vite... il me semble que j'entends... C'est madame la marquise... oui... couche- loi vite et fais semblant de dormir.
JOSEPH, se couchant tout habillo ct d'lin seul coup.
Ya falloir que je feigne I...
Musiquc jusqu'au baisser Ju riileau. — Kntrc la marquise dans la chanihre d'Augustinc : Augustine va au- levant dc la marquise.
SCENE XI
AUGUSTIXE, JOSEPH, couch-, LA MARQUISE.
.VUGUSTINE, a la marquise.
Par ici, madame, venez par ici. (a peine la marquise
est-elle entree que la force lui manque : clle so laisso tpniber sur une chaise.) N'ayeZ pas peur, madame... (La marquise so releve et fait quelques pas, mais clle s'arrete, trcs emuc, au moment d'cntrer dans la chambre de Joseph, .\ngustine reprend :) Mon man?
Soyez sans inquietude... il dort... Si vous voulez, je
Vais allez voir... (.Vugustinc entre dans la chambre de Joseph. Cclui-ci, en Tapercevant, est pris d'un acces de gaiete, ct sc met a fairc dcs cabrioles sur son lit : Augustine sc precipite; petite lutte. Joseph embrasse Augustine, qui I'oblige a se rcnfoncer dans son lit. Rovenant i la marquise, avec le plus grand calms :) II dort profonde-
ment, madame.
La marquise sc decide alors a entrcr dans la chambre do Joseph.
SCENK DOUZIEME. 385
JUSKl'll, ent"onc(i ilans scs cuuvertures jusqu'au mcnton. a voix liasso.
Maiiame la marquise... madame la marquise de Chateau-Laiisac...
La niarriuise clfrayf;c rccule. AUOrSTINE, ;i part.
Imbecile!... (iiam, a la marquise. i II revc, madame, il reve... Et, en revant, il pense... il est si devoue a madame la marquise!...
I.a marquise roprcml sa marche ot arrive jusqu"a Tescalicr qui mcne cliez Ic marquis.
A r ( ; r s T 1 m: . La. madame... vous n'avez plus qu'a descendre ..
(La marquise passe prcs de Joseph. — Celui-ci, au moment oii elle passe, so met a ronflcr d'une t'acon formidable : epouvaiito do la manjuisc qui se sauve. Augustine la ramCMic. i La, madame, la... CH VOUS
i'ait peur, a vous... mais moi, je suis liabituee... allons, madame, du courage... au bas de cet escalier... vous trouverez uue porte, et cette porte ne sera pas fermee...
La marqtiiso sort; Augustine sort avce clle. .Joseph se prccipitc hors do son lit et se mot a danscr au milieu do la cliamljre.
SCENE XII
JOSEPH, AUGUSTINE.
AUC'T'STIN p;, rentrant prcs(iuc aussitut. Qa y est!... (Xous les deux se regardent en riant, i
JOSKI'H. Ell ])ien, alorsl... (ll va donner deux tours do clot a la porto de resealier.l Et mailltenaut... (Il rcvicnt il sa lemme.t
II. 22
386 LES SONNETTES.
AUGUSTINE, en riant. Et niaintenant... (Gravementetavco line petite reverence.) boil-
soir.
Ello se sauve dans sa chambre ct fcrme la jjorto do communication.
JOSEl'H, courant apres Augustine.
Voyons, ma femme!... ma cruelle petite femme!...
.\UGUSTINE; en riant.
Bonsoir, mon gentil petit mari, boiisoirl
Joseph pousse la portc faiblement defendue par .Vurrustinc. AUGUSTl.NE, riant.
Grande bete... va!
Le rideau tombe au moment oii la porte cede et ou Joseph entre dans la chambre d'Augustine.
FIN DU DEIXIEME V O H M E .
TABLE
LA PETITE MARQUISE I
L A V E r V E 91
LA (IKA.NDE DUCHESSE DE GLKOLSTEIN 1"9
l"kngenue 307'
LES sonnettes 355
Coulommicrs. - Innj. Pall BKODARD. — 1350-1-2-99.
^
1
PQ 2359 M3 t.2 |
Meilhac, Henri Theatre de Meilhac et Hale'vy |
cop. 2 |
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