(Hlîr i. m. Util lûtbrara îîorth (Earolina ^tate lîmoeraity Spécial Collections SF523 Dk v.l /- d ^ THIS BOOK MUST NOT BE TAKEN FROM THE LIBRARY BUILDING. Digitized by the Internet Archive in 2009 with funding from NCSU Libraries http://www.archive.org/details/traitcompletsu01dell TRAITE COMPLET SUR LES A BEI LLES, AVEC Une Méthode nouvelle de les gouverner , telle qu'elle se pratique à Syra, île de l'Archipel ; Précédé d'un Précis historique et économique de cette île. DEDIE A MADAME. Par M. l'abbé Della Rocca, Vicaire-Général de Syra. Admiranda tibi Itvium spectacula rerum: Magnanimosqve duces , totiusquï ex ordine gentis , Mores et studla , et populos , et praelia dicam. In tenui labor , at tenuis non gloria f^i a c,i' Georg. 4. TOME PREMIER \- DE L'IMPRIMERIE DE MONSIEUR. A PARIS, Chez Bleuet père, Libraire , pont Saint-Michel, 1 7 9 O, -»fSê«BW- A MADAME. J'AI dâ à P intérêt que MADAME daigne prendre à tous les détails de Péconomie rurale y principalement à P entretien des abeilles y P or- dre qui nPa été donné de construire un rucher y à la niaîiière des Orientaux y dans ses pittores- ques jardins de Montreuil. Aujourd'hui y j'ose espérer des bontés de M A D A M E y la permission de faire paroitre sous ses auspices un ouvrage dans lequel j'ai développé mes principes sur le régime des abeilles. Convaincu du vice de la méthode adoptée par les cultivateurs Jrançois y je n'ai pu résister à Penvie de leur faire connoître les avantages des procédés suivis da?is le Levant f?ia patrie y ou cet objet fait une branche de commerce consi- dérable, 148037 «y Des observations exactes et des expéfietices TnuUipliées m'ont mis en état de composer C9 Traité élémentaire y que j*ai tâché de rendre aussi complet qu'il m*a été possible. Heureux si mon travail est un jour de quelque utilité y et si Je puis ainsi payer à la Nation française la dette que mon attachement et ma reconnois- sance jn'ont imposée envers elle ! Honoré de la protection de MADAME, quel succès n'ai- je pas lieu d'attendre pour mon livre ! Le public ^ en le voyant décoré d'un nom qui lui est si cher y en sera sans doute plus disposé à m' accorder son suffrage. Je suis avec le plus profond respect: ^ MADAME^ Votre très -humble et très- obéissant serviteur , L'abbé Della Rocca, Vicaire -général de l'île de Sjra ckus l'Archipel, AVANT-PROPOS. y\u titre seul d'un Traité sur les abeilles, composé par uu Levantin, il se trouvera sû- rement quelqu'un ([iii ne manquera pas d'objecter , 1°. Qu'il a déjà paru un si grand nom- bre d'ouvrages sur cette matière , qu'il est fastidieux d'en présenter de nouveaux ; 2°. Qu'il n'est guère possible que dans l'Arcbipel , où règne Tignorauce sur tout ce qui est relatif aux arts , il puisse exister des pratiques agricoles capables d'ins- truire l'E urope ( sur- tout la France ) , et as- sez parfaitespourlui en faire adopter de nou- velles dans cette brandie d'économie rurale. Quant à la première objection , je ré- pondrai que la multiplicité des ouvrages sur cette matière , n'est pas une preuve que le sujet soit épuisé. Ce que les esprits su- perficiels regardent comme une grande a iij VJ AVANT-PROPOS. opulence , n'est souvent (jue la preuve d'une disette réelle. Ce raisonnement est con- firmé par ce grand nombre de traités sur les abeilles , dont la littérature est inondée. Ils ont presque tous répété les mêmes er- reurs , les mêmes préjugés. J'observerai, quant à la seconde, qu'eu cliercliant chez les écrivains de l'antiquité , plutôt des connoissances utiles que cu- rieuses, on a vu combien les Grecs avoient excellé dans l'agricullure et dans l'écono- mie domestique. En vain prétendroit - on. que leurs lumières sont absolument perdues pour nous , et queleurs pratiques sont tom- bées en désuétude. Des conquérans peuvent clianger la face des empires ; mais les arts de première nécessité sont immuables , et les peuples conquis continuent de les cidti- ver d'après les mêmes principes. Cet attache- ment pour les anciens usages est cons- tant dans les îles , à cause du peu de relation de leurs habitans avec les peuples du conti- nent. Celles de l'Archipel, habitées parles AVANT-PROPOS. Tij Grecs qui se rendirent si célèbres dans tous les arts à l'époque du règne d'Alexandre , furent subjuguées par les Romains ; mais le peuple conquis conserva ses anciennes pratiques. Il en fut de même lors de l'in- vasion par les Turcs ; ce qui paroît dé- montrer que nos principes en économie ru- rale sont encore , en grande partie , le ré- sultat des réflexions et de l'expérience des plus grands hommes de l'antiquité. Pénétré de ces vérités , et jaloux de bien mériter de la Nation francoise et de toute l'Europe, j'ai cn.i devoir m'élever contre des erreurs préjudiciables à l'agriculture , et in- diquer les moyens de s'en garantir àFavenir^ en présentant une manière nouvelle de soi- gner les abeilles d'après la méthode pratiquée dans l'île de Sjra , une des Cyclades. Levantin, né à Constantinople , j'ai fait un très-long séjour dans cette même ile , oi» j'ai toujours eu un goût singulier pour tout ce qui concerne les travaux de la campagne, et snrrtoutpour l'éducatiorr des a IV viij A V A N T-P R O P O S. abeilles. Je me suis livré à l'étude de ces précieux insectes avec toute la constance imaginable. Je n'ai épargné ni dépenses , ni peines, ni fatigues ; j'j avôis rassemblé un nombre suffisant de ruclies , pour me procurer toutes les conuoissances dont je faisois la recliercbe ; je voulois savoir éle- ver les abeilles , et les préserver de tous leurs ennemis. Privé de livres dont la lec- ture auroit pu m'instruire dans cette partie de l'économie rurale , j'ai consulté les vieil- lards : leur expérience et mes travaux m'ont mis à portée de perfectionner à Sjra l'édu- cation des abeilles. J'étois livré à ces occu- pations , lorsque j'ai entrepris mon voyage en France. J'ai passé une seconde fois par l'Italie (i) ; et ce voyage m'a fourni l'occa- sion d'acquérir de plus grandes lumières. A mon arrivée en France , j'ai lu tous les auteurs qui ont traité cette matière ; tels (i) Dans ma jeunesse, j'avois déjà séjourné à Rome, les huit ou neuf années employées à mes études de collège. A V A N T-P R O P O S. ix que MM. de Réaumur, Bonnet de Genève , Ducarnede Blangis , La Grenéc , Pingeron , Ducliet, Wildman avec les notes de Con- tardi , rEncjclopédie ancienne etmoderne, et quelques autres auteurs francois et ita- liens. J'ai lu aussi quel([ues fragniens de M. de BufFou , qui regardent nos insectes. Après toutes ces lectures , je me suis confirmé dans la persuasion où j'étois déjà, que nous avions à Syra , pour la culture des abeilles , une niétliode préférable à celles qui sont indiquées par ces difFé- rcns auteurs. En effet , de tous les amateurs à qui j'ai lait part de ma façon de penser à ce sujet, et à qui j'ai communiqué quelques-uns de nos principes , il n'en est pas un qui ne soit de mon sentiment , et qui ne m'ait, en quelque sorte , engagé à faire un traité sur les abeilles. Ils m'ont tous assuré qu'il se- roit favorablement accueilli et fort utile en France , où l'éducation des abeilles est si négligée , et où la cire est si rare. J'ai X AVANT- PROPOS. saisi avec empressement cette ocasioii de témoiguer à la France Tattacliement que je lui ai vouée clans tous les momens de ma vie. Mon intention d'abord n'avoit été que de faire un petit traité , pour exposer ce qui se pratique dans File de Sjra , sur l'édu- cation des abeilles ; et pour mieux remplir mon projet, j'avois lu avec la plus grande attention tout ce qu'on avoit déjà écrit sur cette matière. Le résultat de cette lecture fut qu'il j avoit une infinité de particulari- tés concernant riiistoire économique et l'his- toire naturelle des abeilles à vérifier, et que toutes ces particularités étoient ou mal entendues ou mal appliquées par les au- teurs. Insensiblement mon goût pour l'édu- cation des abeilles , mon amour pour la vé- rité et mon zèle pour le bien public, m'ont entraîné plus loi]i que je ne me l'étois pro- posé. Je me suis trouvé avoir fait un Traité complet sur les abeilles. M. Pingeronécrivoit , il v a quelquesan- AVANT-PROPOS. xj nées , Cju après les diverses questions (jni ont clé proposées dans les ouvrages pério- diques , ([u après les réponses et les mé- moires auxquels ces questions ont donné lieu , on dcvoit espérer c[ue fous ces maté- riaux exciteroient le zèle de ({uelque ama- teur, et FcngagcroientàcomposerunTraité complet sur cet im])orlant sujet. L'ouvrage que je présente aujourd'hui est donc néces- saire àla société entière, et d'autant plus né- cessaire , qu'il n'en existe aucun de complet sur cette matière, quoique nous ayons déjà plusieurs productions qui portent le titre de Traités complets : d'ailleurs, ces traités sont imparfaits et défectueux dans tout ce qui regarde la pratique. Mais pour ne point être accusé de vouloir trop les déprimer, je vais rapporter à ce sujet le sentiment des auteurs les plus modernes. M. Palteau , cité par M. Ducarne , dans la prélace de son Traité sur les abeilles, parle ainsi de tous ceux qui ont écrit avant lui : «f L'histoire des abeilles , dit-il , Xij A V A N T - P R O P O s. « et la manière de les gouverner, ont exercé « une infinité d'Ecrivains de toutes les clas- « ses et de tous les siècles. Les uns se sont « principalement appliqués à étudier leur * police, à observer leur manœuvre, àsuivre « leurs procédés ; et parmi ceux-là, on peut « compter des anciens , et même quelques « modernes qui ont mêlé beaucoup de fa- « blcs avec un assez petit nombre de vé- « rites. D'autres n'ont presque parlé des « abeilles que relativement à la manière « de les élever et d'en tirer un bon parti. « Si leurs ouvrages renferment quelques « traits de l'histoire de ces insectes , ce sont « des anecdotes romanesques, des prodiges, « des merveilles dont ils ne donnent au- * cune preuve , et qui n'ont Jamais existé « €|uc dans les Géorgiques de Virgile , ou *f dans l'imagination séduite de quelques '< anciens , dont ces compilateurs ne sont c que les fidèles échos. Ceux-là sont les au- » Quelque estimable , ajoute M. Ducarne , et quelque bien écrit que soit l'ouvrage de M. Palteau , intitulé , Nouvelle conslructioii de ruches de bois ^ on n'en est guère plus avancé. « Nous en avons d'autres encore ; mais " ce sont, la plupart , des mémoires déta- A V A N T - P R O P O s. XV « elles qui ne traitent guère que de quel- «t que objet particulier. M. de Massac « pourtant , et M. du Houx , ont donné « chacun un traité qui embrasse toute l'éco- « nomie de cette instruction ; mais ils sont « si abrégés l'un et l'autre , qu'on ne peut « les regarder que comme des espèces de « manuels journaliers. D'ailleurs , l'un et « l'autre n'ajant fait cju'abréger M. Pâl- ît teau , qu'ils ont cru pouvoir suivre , et « leur dessein n'étant guère que de faire « part au public , chacun , d'une nouvelle « construction de ruches , entées sur celles « de M. Palteau , ces ouvrages ne peuvent « satisfaire un homme qui veut des preuves « et du détail , et qui cherche à s'instruire ; « sans compter que, dans bien des circons- « tances , leurs instructions ne se trouvent « point toujours d'accord avec l'expérience. « Enfin , pour ce qui regarde l'ouvra tre de « M. Pingeron sur l'éducation des abeilles , « ajoute M. Ducarne , l'auteur de cet ou- « vrage y a rassemblé ce qu'on avoit dit de XVJ ATANT-PROPOS. « mieux jusqu'ici sur les abeilles ; mais « n'étant pas , coimne l'on dit , du métier , «c il n'a pu faire mieux , et savoir par lui- « même ce qu'il eût fallu prendre ou re- « jeter. Cet ouvrage , quelque abrégé qu il «t soit , m'a paru pourtant le meilleur de « beaucoup de tous ceux qui ont été écrits « jusqu'aujourd'hui. On est donc encore, « conclut M. Ducarne , réduit à demander K un bon ouvrage sur l'éducation des •c abeilles. ^> Voilà le sentiment de M. Ducarne sur les auteurs qui l'ont précédé , et qui ont traité cette matière. M. La Grenée , qui a écrit en 1788 , re- proche aussi à presque tous les auteurs mo- dernes d'avoir tellement charfî^é leurs ou- vrages de préceptes , ou dispendieux , ou difficiles , ou même impossibles dans la pratique , qu'ils ne sont propres qu'à faire perdre toute envie d'élever des abeilles , à ceux qui en avoient déjà formé le projet. Parlant ensuite de l'ouvrage de M. Du- carne , AVANT-PROPOS. Xvij carne, il dit : « 11 sVji laut de beaucoup que « tous les paysans à (jui ou voudroit con- te seillcr d'avoir des abeilles , soient aussi « pénétraus que le personnage auquel M. « Ducarne adresse ses leçons. » Quelques auteurs Italiens n'en jugent pas différemment , et voici ce qu'en pense M. Contardi. « L'Italie , dit-il , n'a pas eu « jusqu'à nos jours , sur cette partie d'éco- tt nomie , un ouv rage qui puisse être re- « gardé comme élémentaire. Je ne compte «pas ce qu'ont écrit Crescentio, Galio , « Falconi , Tanara , et autres semblables « auteurs , qui tous n'ont traité des abeilles «c qu'en passant et accidentellement ; car il K est d'un usage constant que ceux qui «« écrivent sur l'agriculture , ne manquent •c pas de faire un long chapitre sur l'é- " ducation des abeilles. Nous avons vu « deux seuls petits ouvrages sur cette ma- « tiëre; l'un est de Joseph Falchini, Flo- « rentin , intitulé : Nouvelle et agréable in s-' «i truction sur les abeilles j imprimé à -Flo* Tome I, h XViij AVANT-PROPOS. « reuce en 1747 ; 1''^^^^^^^ ^^^ *^^^ Jérôme ce Maroni , de Vérone , in-4.". imprimé à ce Vérone en 1761 : maisTun et l'antre sont « de panvres onvrages ; on n y tronve an- « cuns raisonnemens jnstes; ils nesontrem- « plis que des fables des anciens qni adop- « toient aveuglément tous les préjugés du . « temps , etneprésentoientdansleursécriLs « qu'un faux merveilleux qui séduisoit les « lecteurs, quoicpe rien ne fût plus opposé ce auxfaits et à l'expérience, >^ Je n'en dirai pas autant des notes de M. Contardi sur l'ou- vrage de Wildman ; elles sont judicieuses , et prouvent qu'il avoit en efi'et de gran- des connoissances, fruit de l'étude et de l'expérience sur l'éducation des abeilles. Après les éloges que.j'avois entendu faire de Wildman , ( c'est-à-dire homme sauva- ge), je pensois que sonouvrcige étoit un chef- d'œuvre ; mais celui que j'ai lu , traduit en italien par Contardi , m'a bien détrompé. * LaFrance,ritalie et l'Angleterre n'ayant produit aucun bon ouvrage sur l'éducation AVANT-PROPOS. xix (les abeilles, on ne doit f»,uèie rattendre des autres parues dumonde. Au surpins, s'il exis- toit en Europe cpielcjne bon traité sur les abeilles, en quelcjne langue que ce lût, il auroit indubitablement été traduit aussitôt en Iraucois. Ainsi , je puis répéter avec M. Ducarne : « On est donc encore réduit à demander « un bon ouvrage sur l'éducation des abeil- « les , tant pour la France que pour le reste « de l'Europe. » Quant à celui que je présente au public, ce n'est pas à moi d'en faire l'éloge. Les connoisseurs , après l'avoir lu avec atten- tion , décideront s'il est de nature à remplir l'objet que je me suis proposé , et s'il peut être profitable à la Nation Françoise. Les auteurs dont j'ai d'abord fait le plus grand usage , sont MM. Ducarne, La Gre- née , Coutardi , de Bomare , Piugeron et Ducliet.Dës que j'ai eu connoissance de l'ou- vrage de ce dernier, j'en ai tiré le meilleur parti possible, ainsi que de l'article abeiîlesàQ b ij XX A V A N T - P R O P O s. M. i'abbé Teissier daiisTEficjclopédie mé- lliodiijue.J'ailucet eirticlc avec le plus grand plaisir , et il m'a beaucoup servi, cpioiquil lût le dernier écrit que j'eusse découvert sur les abeilles. Puisque la manière d'élever les abeilles , que je présente au public , est d'après la méthode qui se pratique à Sjra , île de l'Archipel , ou ne trouvera sans doute pas déplacé qu'avant tout je donne un précis de cette même île , et que je fasse connoître plusieurs autres pratiques économiques et rurales qui j ont lieu. Je commencerai ce précis par un tableau rapide de tontes les îles de l'Archipel. Dans ce tableau , je parlerai , cntr'autres objets , de la manière dont se formèrent au temps de la conquête de Constantinople par les Francs , le duché de l'Archipel ou de Naxie , ainsi que plusieurs autres petites souverainetés qui furent possédée:^' par des seigneurs François ; et je dirai comment ce même duché de Naxie passa sous la domi- jV V X N T - P R O P O s. XXJ nation des Turcs, avec un très-court dé- tail sur les ducs de Naxie ; ensuite je par- lerai de rétat ancien et moderne de Svra, et d'un monument astronomicjue qui marquoît les conversions du soleil dès le temps d'Homère. J'exposerai la manière dont cette île est gouvfH-née , tant pour ce qui iTo^arde le temporel que le spirituel. On verra après la protection que le Roi de France acorde à tous les catho- liques de la domination des Turcs , et sur-tout aux Syriotes , et la reconnois- sance de ceux-ci envers les sujets du Roi. En parlant du caractère et du génie des# Syriotes , je ferai voir que les Grecs ont toutes les dispositions de leurs ancêtres pour les arts et pour les sciences ; de sorte que s'ils étoient en état de s j appliquer sé- rieusement , ils pourroient devenir ce que les anciens Grecs étoient, malgré tout ce It que M. Paw dit sur la dégradation des Grecs modernes, dans ses recherches philo- sophiques sur les Grecs anciens. Je passe b iij Xxij AVANT-PROPOS. ensuite à la langue des Syriotes et des Grecs modernes. Je lais voir qu'elle est une vraie langue grecque , qui nous a été transmise par nos ancêtres ; de plus, je fais connoître que la vraie prononciation c!e cette langue doit être celle qui est en usage chez les Grecs modernes. Après ces détails , je viens à pailer de plusieiu'S pra- tiques économiques et rurales, qui peuvent être très-intéressantes pour le public, telles que la manière de conserver les bleds , de semer le coton , etc. Je m'étends sur-lout sur la caprification des figuiers , qui est un point qui peut intéresser beaucoup l'iiistoire iiaturellc et la botanique. Linné et quelques autres auteurs ont traité cette matière; mais, n'étant pas sur les lieux où cette méthode de caprifier les figuiers est' eu usage , plusieurs circons- tances très-intéressantes ont été i^^uorées par eux ; ce qui rendoit cette partie d'his- toire naturelle moins développée et moins ijaire. Etant né dans le pavs oii la Avant-propos. xxiij caprification est uiiivcrscllemenl prati([U(?e, el Ta vaut inoi-iucnic exécutée plusieurs fois , et observée avec afteution , j'ai fait des découvertes c[ui répandront un grand jour sur tout ce que ces auteurs ont dit à ce sujet. Enfin j'expose au public un nioveii simple, mais très-sûr, que nous pratiquons dans le Levant , pour guérir la jaunisse la plus invétérée. J ai fait encore à ce sujet quelques rccbercKes pour voir si ce pro- cédé, ainsi que celui de M. d'Or dans la formation de sou eau ( appelée de sou nom XeaiL d'Or^ et qui a beaucoup d'ana- logie avec notre procédé pour la guérison de la jaunisse ), étoit fondé dans les prin- cipes de la cliimie et de la médecine ; et je soumets au jugement du public , sur- tout à celui des personnes qui par état sont à portée d'eu faire une juiîte apprécia- tion, les découvertes que je crois avoir faites à cet égard. J'entre ensuite dans mon Traité sur Icé» abeilles , divisé en 7 livres. Le premier, qui b iv XXiv AVANT-PROPOS. comprend la culture des abeilles eu géné- ral , avec le précis liistorif|ue de Syra , formera le premier volume. Le second sera composé du livre deux , qui traite des ru- ches ; du troisième , qui traite des diffé- rentes espèces de mouches qui les peuplent; et du quatrième, consacré entièrement aux essaims. Le troisième volume sera composé des trois derniers livres ; l'un , sur les travaux intérieurs de nos insectes , et sur les diffé- rentes matières qu'ils rapportent dans leur ruche ; l'autre, sur leurs ennemis, sur leurs maladies et les remèdes qui leur convieunenî; et le dernier, suçla manière de dégraisser les ruches et de tirefle mieletlaciredesrajons. J'avois presque achevé ce Traité sur les abeilles, et je ne connoissois nilesdécou- vertes , ni les expériences des sociétés des abeilles , établies en Lusacc , dans le Pa- laiiuat ,à Francfort, et dans d'autres villes d'Allemagne. J'ignorois sur-tout la fa- meuse découverte de M. Schirach , dont A V A N T - P R O P O s. XXV je n'avois d'autre counoissance que ce que M. Ducanie nous a dit à ce sujet , et que je rapporte vers la fin du quatrième livre. Je ne connoissois pas non plus les expé- riences intéressantes de M. Riems , celles de M. Ilattorf , et d'autres auteurs dont je n'avois aucune idée : je savois seule- ment, d'après Contardi , que ces amateurs avoient travaillé sur l'histoire naturelle des abeilles. Il m'est enfin tombé dans les mains la Contemplation de la Nature , ouvrage de M. Bonnet , oti se trouvent détaillées, dans cinq mémoires , les recherches de tous ces savans sur les abeilles ; ainsi que celui de M. Schirach, qui contient sa fameuse dé- - couverte sur la production de la reine- abeille. Malheureusement on en peut dire pres- que autant de toutes ces découvertes , que de celle de M. Schirach , qui n'a pas été mieux connue de son auteur que deM. Bon- net. La plupart des Naturalistes leur ont XXVJ A V A N T-P R O P O S. doijiié des explications forcées , qui contra- rient et révoltent la saine raison , en bou- leversant toutes les connoissances consa- crées par la main du temps et de l'expé- rience. Voilà pourquoi je me suis déterminé à donner un quatrième volume , où j'ai in- séré la dissertation que M. Scliiracli a lue dans la société économique de Klein-Baut- zen , les cinq mémoires de M. Bonnet sur la découverte de M. Scliiracli , et sur celles des autres sociétés économiques d'Al- lemagne, avec des explications. J'j ai pa- reillement ajouté la dissertation de M. Hattorf , qui contient des reclierclics phy- siques pour savoir si la reine - abeille doit être fécondée par les faux - bourdons. J'ai accompagné tout cela d'un grand nombre d'observations, tendantes à réfuter les différentes opinions de ces savans. Des ex- plications claires et simples mettronl l'Iiis- toire naturelle desabeilles danslejourleplus lumineux, et tel que peut-être l'iiistoire des AV ANT-PROPOS. XXvij autres insectes en foui ni L peu d'exemples. Dans une des observations de M. Bonnet , qui sont à la suite de ses mémoires , on trouve une nouvelle opinion sur Toriginc de la cire , entièrement opposée à celle de M. de Rëaumur. M. Duché t, chapelain deRemau- fens, canton de Fribourg eu Suisse , a parlé dJfFusément de cette nouvelle opinion dans sou Traité siu' les abeilles. Je me suis em- pressé de me procurer l'ouvrage de M. Duchet ; et j'ai fait des notes qui détrui- sent tout sou svstême. Je dois cependant convenir que sa dissertation contient des recherches très-curieuses sur les abeilles : il combat avec beaucoup de force l'opinion de M. de Réaumur qui soutient que la cire provient delà poussière des étamincs, digé- rée dans l'estomac des abeilles : sentiment que nous réfutons aussi au cinquième livre. Après les peines que je me suis données pour rendre ces matières évidentes et les appuver des raisoiuiemens les plus solides, et les plus propres à persuader et à couvain- xxviij A V À N T-P R O P o s. cre , j'ai quelque lieu de me flatter que le public recevra favorablemcut cet ouvrage, cFautant plusqu il pourra j rencontrer quel- ques idées nouvelles , et capables de piquer sa curiosité ; ainsi que plusieurs anecdotes inconnues. J'ose espérer qu'il aura assez d'indulgence pourme passer quelques fautes de style. J'ai écrit dans une langue qui m'est étrangère, et par conséquent je me suis vu forcé de me servir de trnciieman (i). Mal- heureusement il n'est pas aussi facile qu'on le pense de s'en procurer de la nature de ceux qui m'auroient été nécessaires. La France abonde en gens Jiabiles sans doute; mais il en est peu c|ui voulussent consacrer leurs momens à revoir avec soin unouvra^^e o d'aussi longue lialerne,et qui demande autant de patience. D'ailleurs , il en est beaucoup (t) Les Tergimans, ( expression turque ) , d'où les François ont formé leur mot Tnicheman , sont des inter- prètes des FraHçois dans les Etats du Grand -Seigneur. 11 est bien naturel qu'à sort tour un sujet turc ait besoin de trucbeman en France. A V A N T-P R O P O S. xxix pour qui des ouvrages de laiiaturc de celui-ci out peu de charmes : on est donc souvent obligé de faire usage des personnes que le hasard présente ; et ces choix ne sont pas toujours également heureux. On s'apper- cevra aisément que mon ouvrage a passé par différentes mains ; et qu'il est écrit plus ou ^loins mal , selon que j'ai été bien ou mal secondé. Une pareille gêne a dû uccessai- rement produire des répétitions , des re- dites ; je les ai fait disparoître autant que je l'ai pu : mais, malgré tous mes soins, je n'ai pas toujours été le maître de les éviter. Je prie donc le lecteur de vouloir bien me les pardonner , et je me flatte qu'il s'y prê- tera d'autant plus volontiers, que j'ai moins eu en vue son amusement que son ins- truction et son intérêt. Voilà pourquoi je me suis particulière- ment attaché à être clair , persuadé que , sans le mérite de la clarté , les meilleures productions perdent infinimentde leur prix. Pour moi , j'ai été d'autant plus sur la dé- XXX À y A TS! T -V R ov o s. fensive à cet égard , que je seiilois à mer- veille cjue c'aiiroit été manquer lolalemeut mou but, que de ne pas me mettre à por- tée d'être entendu par toutes sortes de per- sonnes. Eu conséquence j'ai clierché , au- tant que je Tai pu , à racheter par là mes autres défauts. C'est au public à juger si le succès a couronné mes efforts. On pourra me reprocher d'avoir fait un .ouvrage trop volumin eux, et peut-être diffus. Je répondrai à cela, que je donne une mé- thode de "ouvcrner les abeilles, entièrement nouvelle, llfallolt combattre les anciennes pratiques, faire voir plusieurs de leurs in- convéniens , lesmettre souventcncomparai- sou avec nos procédés , et démontrer l'a- vantaiie de ceux-ci sur les ancioines : outre que dan s l'histoire naturelle des abeilles, j'ai lait des corrections et des additions impor- tantes qui jettent un jour tout nouveau sur cette partie intéressante, l'out cela exige beaucoup d.c mots , et les mots forment des volumes. A V A T - P R O P O s. XXxij Mais, dira- t-ou peut-être encore, de sem- Llables ouvrages ne doivent se faire que pour les gens de la campagne ; par conséquent , ils doivent être courts et d'un prix modi- que Je ne crois pas que la plupart de ceux qu'on appelle paysans (i) , s'instrui- sent avec des livres. I^ins tous les pays ci- (i) •< Le paysan François, qu'il s'agît d'instruire des nouvelles découvertes en agriculture ^ ne lit point ou presque point : on doit donc le compter pour rien dans l'usage qu'on peut faire des mémoires des compagnies savantes. Accoutumé, dès l'enfance, à une pratique qu'il lient de ses pères, il n'en connoît et n'en veut pas connoître une autre , à moins que sous ses yeux , il n'en voie les bons effets ; c'est le langage de l'expé- rience qu'il faut lui parler. Que le hasard place dans chaque province , dans chaque canton , un homme in- telligent, ami de l'agriculture, patient, et capable d'inspirer de la confiance à tout ce qui l'environne, qu'il y fasse des expériences en s'associant pour cela des laboureurs, et qu'il les mette en état de juger eux-mêmes des résultats 5 sans efforts pour les convaincre, sans Jivres , sans encouragemens même, il les verra lente- ment à la vérité, adopter les paéthodes nouvelles qui auront eu des succès, et dont ils se croiront les inven- teurs , parce qu'ils auront coopéré aux essais qu'on aura XXxij AVANT-PROPOS, vilisés , ce sont les curés , les fermiers ,' et autres citoyens instruits , qui peuvent communiquer leurs idées et leurs connois- sances à leurs paroissiens et à leurs voisins. faits. C'est ainsi , et non autrement, que les connoissan- ces dissiperont peu-à-peu ^||es ténèbres de l'ignorance et des préjugés répandus sur l'agriculture. ■• Encyclopédie méthodique. Agriculture. Discours préliminaire, par M. l'abbé Tessier, pag. 36. AVIS. 1_n moins de huit ans de grands orangers , dont les fruits étoicnt les plus délicieux du monde, et la tige de l'ar- bre si haute, qu'il faîloil une longue échelle pour 3'^ monter. On peut juger si les vins y sont exquis , et si les anciens eurent raison d'aj)peler JSfaxiel'îie de Bacchus. Les raisins y sont mons- trueux , et il arrive souvent que dans wn repas, on n'en sert qu'un seul pour le fruit ; niaisaussi couvre-t-il touie la profondeur (Xww grand bas- sin : les grains en sont gros comme nos damas SUR l'Ile de S y r a. Chap.I. j noirs. H y a dans les îles des raisins de plus de vingt sortes : les muscats de Ténédos et de Samos l'emportent sur tous les autres ; ceux de Ténédos sont plus ambrés ; ceux de Samos, plus délicats. Les Sentorinois , pour donner une saveur plus exquise à leurs raisins , leur tordent la queue lorsqu'ils commencent à mû- rir ; après quelques jours d'un soleil ardent , les raisins deviennent à demi flétris, ce qui fait un vin dont ceux de la Cicutat et de Saint-Laurent n'approchent pas. Les autres sortes de raisins sont Xdidlioniy petit raisin blanc qu'on mange vers la mi-juillet ; le aarnia , gros raisin blanc qu'on fait sécher ; le suiqui , ainsi nommé parce qu'il a le goût de la cerise y Xœtonychl ^ qui a la figure de l'ongle, d'un aigle, et qui est tres- sa voureux ; le malvoisie , le muscat violet , le corinthe,et plusieurs autres dont les nomsms sont échappés. L'Archipel est le pays des excelientes figues de toutes les sortes ; plusieurs espèces de celles que nous cultivons en France , ne servent qu'à nourrir les pourceaux. Naxieet Andrcs sont re- nommées pour la gioï-seur et la bonté de leurs grcnades(t),de leurslimoiKSct de leurs cédrats; ^^i) J'ai été plusieurs fois à Naxie ; je n'y ai jamais vu \ îV B Précis Hi sTORiQUE ces derniers que les Grecs appellent hitra , et qui sont une espèce de gros citrons doux (i) , croissent sur un arbre à-peu-prës de la figure des grands buissons de nos potagers : le fruit en est gros comme la tête ; son écorce , que l'on confit au miel , et qui est souveraine contre les maux d'estomac , est rude et fort inégale ; le dedans en est d'un goût merveilleux , sur-tout quand les premiers froids du pays ont passé dessus. Les melons et les melons d'eau se sè- ment par-tout en plein champ comme le blé. Les oliviers viennent d'une grosseur prodi- |g;ieuse presque dans toutes les îles; et à Naxie, ils y sont par forêts. La récolte en est si abon- dante, que cette île seule fournit des huiles à toutes les autres ; il n'y en a peut-être point de meilleures dans tout le Levant , ni de plus blan- ches , ni de plus transparentes. de ces grenades, ni décolles d'Andros : jesaîsqueSnayrne est renommée pour en avoir de belles. C'est à Naxie que se trouvent les beaux cédrats ; j'y en ai vu de deux fois plus gros que la tête, et qui pèsent 8à lo livres (i) Je ne sais pas pourquoi notre auteur dit que les cédralssont doux i leur jus au contraire est aussi acide que celui des citrons ordinaires. SUR l'Ile d Syra. Chap. I. 9 Le climat des îles est admirable pour le gi- bier ; on ne sauroit croire en quelle abondance il s'y multiplie. A Naxie , où j'en ai vu plus qu'ail- leurs, les bois fourmillent de lapins auxquels le serpoletet le thvm donnent un fumet très-agréa- ble : on voit courir ies lièvres par bandes. En au- tonne les bec-figues, qui sont très-gros et d'un goût délicieux, voltigent par-tout autour des figuiers et desraisins.Lesperdrixysont très-com- munes , ainsi que les bécasses. Sur les cotes il y a des quantités prodigieuses de pigeons sau- vages , auxquels les aigles ( qui sont si puis- sans qu'ils enlèvent quelquefois de petits veaux dans les pâturages ) , les milans , les faucons et les autres oiseaux de proie font une guerre continuelle, sans que pour cela ils paroissent di- minuer. Dans certains temps de l'année , il ar- rive dans les îles, sur -tout à Sentorin et à Tine,une surprenante quantité de cailles et de tourterelles très-grasses, dont toutes les campa- gnes sont remj)lies , sur -tout des jiremières. Les habitans en font leur provision pour une grande partie de l'année. Presque toutes les îiei ont quelque chose de particulier. Outre ce que j'en ai dit, Sjra est fameuse pour ses toiles de coton ; Zéa pour 10 Précis historique son gland , dont les teinturiers de Venise font un grand trafic ; Sichino pour son froment, le plus beau de la contrée. Antiparos a des pierres d'aimant : on a trouvé depuis peu à Milo , des émeraudes brutes ; ce qui fait juger qu'il y en a un fonds quelque part. Dans Sipbanto on a dé- couvert aussi, depuis quelques années, des mines d'argent et decuivre, qui enricbiroient un prince qai voudroit y faire travailler. On tient qu'il y a aussi des mines d'or à Naxie, du coté du midi ; je sais au moins qu'il y a d'excellent émeril , qu'on vient enlever pour Marseille et pour Venise. Tous les peuples de l'Arcbipel sont chré- tiens; mais tous ne sont pas catholiques. Les Latins n'en font tout au plus que la huitième partie, encore sont-ils répandus en dilFércntes îles, où dans quelques-unes il n'y a qu'un vicaire entretenu par le Saint-Siège; d'autres, comme Naxie , Syra , Tine , Santorin , ont leurs évêques latins qui les gouvernent. L'archevêque de Naxie est le métropolitain, et cetto église est la seule qui ait j-etenu son ancien chapitre. (Communément parlant , tous les Grecs ont un excellent fonds d'esprit , la conception sub- tile , les pensées vives , et je n'en ai presque SUR l'Ile DE s YR A. Ch A p. I. n point vu qui ne fussent naturellement éloquens : quand ils le veulent, ils sont plaisans, bouffons et comédiens; ils excellent sur-tout dans la pan- tomime. La règle établie , que la foi du Grec est nulle , n'est pourtant pas universelle pour tous les GrcCb ; j'en ai connu plusieurs dans l'Archipel , d'une probité , d'une bonne-foi et d'une sagesse rares , et qui , avec toutes les qua- lités de leur nation, n'en avoient point les dé- fauts. Je dois même ce témoignage aux. Grecs des îles, qu'en général ils sont plus gens de bien et pljis sincères que ceux de terre-ferme (i). Tous les Grecs des lies, et sur-tout les fem- mes, ont une passion excessive pour la danise. La veille des fêtes un peu solennel les, ou d'un patron de quelque église de lîîe, on les voit tous arriver par bandes des lieux les plus éloi - gués, et danser toute la nuit sur la grande place de l'église, et dans !c jour à l'ombre de quel- (i) Je crois que cela peut arriver de ce que les Grecs des îles ne fréquentent guère d'autres nations qui ha- bitent le continent: ils oni au contraire beaucoup d'oc- casions de cominuniquer avec les nations civiiistes de l'Europe , qui fréquentent leur mer 5 et ils viennent eux-mêmes faire tous les ans des voyages à A enibC , à An- cône , à Livourne , à Tricstc et ailleurs. 12. Précis HiSTOR iQUE ques arbres. Les dames pins importantes , qui peuvent sortir ces jours- là , y viennent à cheval , précédées de musettes et de tambours, qui annoncent de loin leur arrivée. De tout ce qui a été dit jusqu'à présent , on peut conclure qu il y a peu de pays au monde qui fournissent avec plus de profusion que les îles de TArchipel , tout ce qu'il faut pour les besoins et les a^rémens de la vie. Et si l'on s'ap- pliquoit à y cultiver le sucre , le café , l'indigo et autres productions de l'Amérique , ce seroit une seconde terre promise. Après les essais qui ont été laits par le feu comte de Carbury à Cépbalonie, île qui est plus au nord que la plupart de celles de l'Archipel, et qui ont eu le plus grand succès, ces plantes du nouveau con- tinent y réussiroient admirablement. Presque toutes ces îles, grandes ou petites, eurent anciennement leurs rois ou tyrans, comme le disent Homère et d'autres auteurs. Dans le temps ensuite des républiques de la Grèce, la plupart de ces îles , seules, ou plusieurs ensem- ble, formèrent autant depetites républiques, qui subirent le sort de toutes celles qu'Alexandre le Grand fit passer sous sa domination. Subju- guées par les Romains, soumises à Constan- SUR l*Ile d e s yr a. C h a p. I. i3 tinople ou au bas-Empire, après la prise de cette ville par les François et les Vénitiens, il s'en forma, et de pres([ue toute la Grèce, plusieurs petites souverainetés que les seigneurs iVançois et vénitiens se partagèrent. C'est ce que l'on voit dans Tournef'ort , qui n'en parle que d'après plusieurs auteurs qu'il ne manque pas de citer. Voici comment l'auteur de l'histoire des Ducs de l'Archipel nous expose ce fait. La conquête que les François firent de l'Empire Grec, l'an mil deux cent quati'e , a donné lieu à l'établis- sement de la souveraineté des ducs de l'Archipel. Après la prise de Constantinopîe, Baudouin , comte de Flandre, avant été élu Empereur avec l'applaudissement de l'armée victorieuse, plu- sieurs seigneurs grecs voulant profiter de la confusion où se trouvoit alors tout cet empire, s'érigèrent en souverains, sans que Baudouin, encore trop foible dans sa nouvelle conquête, pût s'opposer à ces invasions. Quelques-uns se jetèrent sur les côtes de la mer Egée, où ils se fortifièrent ; et quelques autres dans lesiles de l'Archipel , d*où ils faisoient des courses con- tinuelles sur les Latins, dont ils ne pouvoient supporter la domination. 14 Pr É C I s m ST O RI Q U E Ce désordre dura autant que Je règne de Bau- douin : mais Henri son frère ne lui eut pas plu- tôt succédé, que ce nouvel empereur forma le dessein de détruire tous ces petits souverains. Le moyen dont il se servit pour y réussir, fut de permettre aux principaux seigneurs de sa cour, qu'il vouloit d'ailleurs récompenser pour les grands services qu'il en avoit reçus , d'armer contre ces rebelles , et de leur} abandonner toutes les conquêtes qu'ils pourroient faire. Le comte de Blois s'empara d'une partie de la Bithjnie; le seigneur de Champlit conquit le Péloponèse; Othon de la Roche, gentilhomme bourguignon, jeta ses vues sur Athènes, dont il se rendit maître, de même que de la ville de Thèbes ; Jacques d'Avènes et Ravin Carcerio prirent Négrepont. Et c'est ainsi que les François formèrent divers petits états dans la Grèce, où ils se maintinrent long-temps sous la protection de l'empereur. Les Vénitiens, qui avoient assisté les François à la prise de Constantinople, et qui avoient eu en partage la ThessaHe avec une partie de la Macédoine, ne s'apperçurent pas plutôt des grandes conquêtes que les seigneurs François faisoieiit chaque jour dans la Grèce , qu'ils SUR l'Ile de Syra. Chap. T. iS voulurent aussi étendre plus loin les bornes de leurs états. Ils permirent donc aux plus consi- dérables d'entre eux d'équiper des vaisseaux ; et à l'exemple de l'empereur, ils leur donnèrent aussi toutes les conquêtes qu'ils pourroient faire. Plusieurs mirent en mer : Marc Dandolo, surprit Gallipoli ; André Gizi se rendit maître des îles de Tines , de Micone , de Skiro et de Scopelo. Marc Sanudo, l'un des capitaines les plus accomplis qu'eût alors la république , ne fut pas moins heureux que les autres : c'est celui-là même qui engagea Boniface , Marquis de Mont- ferrat , à faire échange de Tilc de Candie qu'il avoit eu en partage , avec le royaume de Thes- salie, qui étoit soumis aux Vénitiens. Ce brave Sanudo tourna ses armes contre l'île de Naxie, et s'en rendit maître avec beaucoup de facilité, ainsi que de Paros , Antiparos, Milo, i'iiLrgen- tière , Sifanto , Policandro , NanfiQ^ Nio, et Santorin. L'empereur Henri érigea Naxie en duché, et donna à Sanudo le titre de duc de l'Archipel et de prince de l'Empire. Toutes ces îles soumises à la domination des ducs de Naxie, s'appelioient en Grec D hue anis a y ow les appelle encore aujourd'hui par corruption Dho' dhecanisa ^ les douze îles. l6 PRÉC IS H I STOR IQ UE Les ducs régnèrent dans l'Archipel pendant plus de 3oo ans. Il y en eut vingt -un , la moitié presque de la maison de Sanudo , et l'autre moitié de la maison Crispo. En voici les noms. Marc Sanudo , premier duc. Ce prince avoit d'excellentes qualités, parmi d'autres qui ne l'étoient guère. Il étoit prudent , courageux ; mais il se laissa trop emporter à son ambition et à la passion de s'agrandir. Au reste il étoit d'un tempéramment robuste , d'une taille ma- jestueuse , d'un esprit vif et pénétrant, magni- fique, bienfaisant , libéral envers ses sujets. Il mourut à l'âge de soixante-sept ans , après avoir gouverné son état fort heureusement près de douzs ans. Ange Sanudo , second duc, étoit un prince courageux , entreprenant , et qui ne cherchoit que les occasions de se signaler. Ce prince eut toutes les grandes qualités du duc son père, sans en avoir les défauts. Il cessa de vivre à qua- rante-sept ans. Marc Sanudo, second du nom , troisième duc. La plupart des historiens confondent ce duc *\'ec Marc Sanudo premier duc , sans faire mention d'Ange Sanudo, dont nous venons de parler. C'est SUR l'Île DE Syra. Chap. I. 17 C'est ce qui fait qu'un des plus illustres histo- riens de ces temps , au lieu de six ducs de cette fiiînille, n'en tnet que quatre dans son histoire bizantine. Ce duc mourut à Mi!o. Les Lntins perdirent infiniment à la mort de ce prince, dans les circonstances faclicuses où la prise de Cons- tantinople sur les François par Michel Pa- léolo^ue , empereur des Grecs, les avoit mis tous. 11 étoit leur conseil et leur appui. La dou- leur publique fit son éloge, et si l'on en croit les mémoires de ces temps-là, il s'est vu peu de sou» verains plus aimés , plus î espectés et plus regret- tés que lui. Guillaume , quatrième diic , succéda à son père à l'âge de vingt ans. C'étoit un prince plein d'honneur et de probité, à qui la perHdie faî- soit horreur: il combattoit en brave, et il se fit toujours un point dliunneur de hasarder tout pour ses amis malheureux. Nicolas Sanudo, cinquième duc, fut élevé dès son bas-âge , à tous les exercices militaires. Aucun duc de Naxie n'a voit encore eu une si haute réputation de valeur. Il étoit ambitieux de gloire, et avec cela, d'une dioiîure et d'une bonne foi généralement reconnues de tout TouiG 1. B i8 Précishistorique le monde , boa ami , allié Hdële jusqu'au péril de sa vie. Jean Sanudo , sixième duc. Sa vie n'a été il- lustrée par aucun exploit de gaene considéra- ble ; c'étoit un bon prince, extrêmement doux, et d'une humeur fort paisible. . JcanCarcerio ou DaUe Carceri, septième duc , du chef de sa femme Sanudo , fille unique du dernier duc, descendoit d'une ancienne ftimille on'o-inaire de Vérone. Ce duc, après sa mort, ne laissa qu'un fils nommé Nicolas , qui n'étoit bas en âge de Ini succéder. Sa femme Florence Sanudo, qui étoit encore assez jeune, épousa en secondes noces le brave Nicolas Sanudo, surnommé Spczza banda. Nicolas Siuiudo, second du nom, huitième duc, étoit petit-fils de Marc Sanudo, frère puîné de Guillaume, quatrième duc de Naxie. C'est de ce di.ic,dont Marin Sanudo, noble Vé- nitien, parle dans ses lettres, où il en donne l'idée d'un des plus grands hommes de son temps. Son courage et son intrépidité le firent surnom- mer S'/^e^^^^ hauda^ comme qui diroit, celui qui met tout en pièces. Il étoit la terreur des enne- mis du nom chrétien ,1e héros de la Grèce, et im des plus zélés délèuseurs de la religion. SUR l'Ile de Syra. Chap. I. 19 Nicolas Carccrio, fils de Jean Carcerio , suc- céda aux états de l'Archipel, qui lui appartcnoient de droit. Ce fut le neuvième duc, d'une pru- dence et d'une valeur au-dessus peut-être d'au- cun de ses prédécesseurs. Il fut assassiné par P'rancois Crispo , qui lui succéda. François Crispo , dixième duc , descendoit d'une maison fort ancienne et ibrt illustre, puis- qu'il comptoit des empereurs grecs parnu se6 ancêtres; mais ses crimes , et sur tout sa per- fidie à l'égard du duc Carcerio , font dégradé })our jamais dans l'esprit des gens de bien, et sa haute naissance , n'a servi qu'à le rendre lia illustre scélérat. Jacques Crispo , onzième duc : ce prince avoit de la valeur et de la prudence ; Jean sou frère lui succéda. Jean Crispo , douzième duc, fut d'une com- plexion délicate , et il ne manquoit ni de valeur, ni d'expérience , ni même de probité et de bonne- foi, vertus , dit l'auteur de l'histoire de tous ces ducs , dont on se piquoit assez peu dans sa famille. Jacques Crispo, second du nom, treizième duc. Ce fut sous ce piince que Constanlinople fut pris par les Turcs. Il mourut de phthisie la Bij 20 P R l: CI S H I S T O R I Q U E preniiëre année de son mariage , laissant la Du- chesse sa femme , grosse. Jean-Jacques Crispo, quatorzième duc, mourut à treize mois, et par sa mort, laissa IV-tat dans le dernier désordre. Guillaume Cripso , quinzième duc , frère de Jean Crispo , douzième duc. Le duc Guillaume , n'ajant point d'enfans , nomma à sa mort , le seigneur de Santorin , son neveu , pour succes- seur au duché, selon leur ancien accord. François Crispo, seizième duc. Il avoit tou- jours fait la guerre pour la république de Venise ; il ne manquoit pas de mérite; mais toutes ses actions furent confondues avec celles des ,<>énéraux Vénitiens. Jacques Crispo, troisième du nom, dix-sep- tième duc, eut pour femme une lilie de David Comnène, empereur de Trébizonde Il n'eut que deux filles , dont la premièie fut mariée à Dominique Pisani , de la noble famille vénitienne de ce nom. Jean Crispo, dix-huitième ckic , frère du pré- cédent, qui l'avoit nommé son successeur au préjudice de sa propre fille marjée à Pisani, ira eu qu'un fils cpii lui succéda. , François Crispo , dix-ticuvicmc duc. Ce prince. s U R L' I L E D E s Y R A. C H A p. I. 2.I Uni avec les ^ énitiens , fit de grandes actions militaires dans les i;uerres contre les Tiucs. il laissa un fils héritier de ses états. Jean (]rispo , vingtième duc. Sous ce prince^ le fameux Barherousse fit une descente dans l'île de Naxie , qu'il saccagea. Le duc laissa le duché à son fils Jacques Cnspo , vingt- unième et dernier duc de l'Archipel , qui ("ut ensuite subjugué par les Turcs. La manière dont ces évcnemens se sont passés, n'étant pas assezconnue du public, je CFois lui faire plaisir de lui en donner une courte exposition. Le Duché de Naxie se îrouvoit alors, (sous Jacques son dernier Duc ) , dans un dé|ilorable état. Depuis la descente de Barherousse, qaiavoit dévasté l'île de Naxie sous le duc précédent, et qui avoit rendu tributaire du grand-seigneur le même duc , de 6000 écus d'or par an ; depuis ce temps-là , dis-jc , les Grecs ne voulurent plus ni obéij-, ni contribuer auxdépenses publiques. Le Duc, étoit sans argent , sans vaisseaux, et selon la destinée ordinaire des malheureux , sans appui. Mais quand il auroit eu tout cela, on peut dire que de l'humeur dont il étoit, il nVn auioit pas moins avancé sa ruine et celle de toute sa maison. Le danger, qui réveille et qui iiiqnicte B iij 22 PRÉCISHISTORIQUE les antres, sembloit comme l'avoir assoupi : il ne songooit uniquement qu'à ses plaisirs , et pour avoir de quoi y fournir, il n'y eut point de violences auxquelles il ne se porlât. Les no- bles, qui composoient sa pclite cour, n'étoient pas en cela plus saines (jue lui; on eût dit qu'ils vouloient tous insulter à sa mauvaise fortune; et que se sentant sur le bord du précipice, ils se hâtoient démettre à profit pour leurs plaisirs le peu de temps qui leur restoit. Ce n'étoit dans tpute l'île de Naxie , que débauches et dissolu lions confinuclles. Ces scandales avoient même passé jusqu'aux i^ens d'église : le Duc souiTroit qu'ils vécussent dans un désordre qui fait horreur ( i): aussi la-colère de Dieu ne tarda- t-elle pas à éclater sui^ l'indii>ne souverain qui donnoit lieu à ces abominations. Les Grecs, ravis de trouver dans les vexations de leur duc , et dans les désordres des Latins, (i) On voiî parla qu'il est toujours vrai que la cor- ruption générale des mœurs , est l'avant-coureur de la perte des étals. On ne peut la prévenir et les en sauver , qu'en vappelaot les bonnes-iiicHTirs , et en récompensant ]a vertw. SUR l'Ile de S y r a. Chat. I. ^3^ (le quoi autoriser la liaîiic furieuse cjTn" les exci- toit toujours contre eux , formèrent sourde- ment le pi'ojel de eliauii^er de maître ; et les y choses allèrent si loin , qu'enfin , après plusieurs délibérations secrètes, ils envoyèrent (\çx\\ dé- putés à la porte, pour se plaindre des violences de Jacques Cri^po , et demander au i^rand-sei- i^neur un duc (jui lût plus di^ne de les com- mander. Le dé['rai t des dép/Mtés et leurs des- seins ne purent être si secrets, que Cn'spo n'en eût coijnoissance : il crut devt)ir aller Ir.i- mème après eux à Constantinople ; et comme il n'ii>noroit pas qu'à la Porte tout se faisoità force d'argent, il eut soin de porter avec l'.ji douze milleécus, surlesquelsiî comptoitextrêînement. Mais les déj)utés de Naxie étoientdéja écoutés, et sa perte étoit résolue. A peine fut-il arrivé, que sans avoir égard à la dignité de sa personne, il fut dépouillé de tous ses biens, et jeté en pri- son. Il y demeura cinq on six mois, et n'en put sortir qu'à la sollicitation de ses sujets, cpii avoient appris queSélim II , successeur de Soli- man, vouloit leur donner un Juif pour maitre. Ils mirent tout en usage pour ]'cm])êchei- et ol)tenir le rétablissement de Ciispo ; mais il n'y avoit })]us d'eispoir: Jt- Sultan venoit de i > h) 1 » fi 4 PRÉCISHISTORIQUE donner le ducîié à ce même Juif , nommé Jean Miches , dont il avoit reçu de grands services, et qu'il (ut bien aise de récompenser. Le duc prétendu n'osa pourtant jamais venir lui-même dans l'Archipel ; il se contenta d'y envoyer un gentilhomme chrétien , Espagnol de naissance , nommé François Coronello , qui gouverna sous son nom. Coroneilo étoit un homme de qualité , dont le père avoit été gouverneur de Ségovie sous le règne de Fer- dinand et d'Isîbelle : sa probité et sa droiture lui ayant attiré de grand chagrins dans son pays , il résolut de le quitter, et de faire le voj'age de Grèce, dans le dessein de sj établir. C'est là qu'il fit coonoissance avec Miches. Ja- mais duc n'a voit encore été plus chéri ni plus respecté que le fut Coronello durant tout le temps de son administration , qui ne finit qu'avec sa vie : il maria Coursin son fils à une des nièces de Jacques Crispo, Sa famille s'est peipétuée jus- qu'à nos jours, et a produit des sujets d'un grand mérite. Après la nomination de Jean Miches , Crispo et scsenfansse réfugièrent à Venise. La république les reçut avec de grandes marques de compas- sion et de tendresse; et comme ils étoient dénués SUR l'Ilf de Syra. Chap- IT. :25 de tout , on leur a^si.^na des fonds suffisans pour les faire subsister d'une manière conforme à leur naissance, et au rani^ illustre qu'ils avoient tenu. Le malheureux duc n'eut pas la consolatioQ d'en jouir lon^-lenips; il mouiut dans peu, ac- cablé d'ennuis et de rei^^rcts ; et cette i'amiiie, autrefois si considérable en Orient, est entière- remcnt éteinte (i). Ainsi finit la souveraineté de l'Archipel , fan i566, après avoir été plus de 3oo ans entre les mains des princes latins. Le Juif Miches ne la garda que peu d'années; et depuis lui , elle a toujours relevé immédiatement du grand-sei- gneur. La Porte ne tient dans ces îles ni officiers ni gouverneurs , pour y présider en son nom ; c'étoit d'abord les premiers des- seins du divan , et chaque île considérable avoit son bcy ou son cadi qui la gouvernoit, mais les armateilrschréliensquicourentcesmers, et qui s'y sont rendus terribles , leur faisoient tous les jours tiint d'insultes , et en ont enlevé un si grand nombre, qu'ils alloicnt vendre ensuite (i) L'archevêque actuel de Naxie est un Crispo. Sa £;unllle prétend descendre des dwcs de ce nom. ^6 Précis HISTORIQUE ou à Malthe ou à Livourrie , qu'enfin les Turcs ont pris le parti de ne plus gouverner que de loin. Depuis ce temps-là chaque île crée ses ma- gistrats tous les ans , et fait comme une petite république à part. Ces magistrats se nomment EpMtropes : ils ont une autorité fort étendue, et à la mort près, qu'ils ne peuvent ordonner , ils sont les maîtres d'infliger presque toutes les autres peines. Outre cela , ils ont soin de lever le tribut qu'on doit payer au grand-sei- gneur. Dès que le capi tan-pacha paroît avec sa flotte à Dr/o , port situé au sud-est de l'île de Paros , ils vont le trouver , et lui portent le tribut de leurs îles respectives. Avant de finir le tableau de l'Archipel , nous ds'vons observer que les îles dépendantes du duché de Naxie , en se soumettant à la Porte , ne négligèrent point de se réserver , par cette espèce de capitalation, dite en turc ahd-name y (<7/z^/veut dire traité ou serment, ncunc, recueil), le libre exercice de la religion chrétienne ; aussi jouit-elle dans ces îles d'une publicité de culte, qui est généralement interdite dans les états du grand - seigneur , si l'on en excepte les deux prin- t'ipautésde Valachie et de Moldavie. Parmi les 4ivers privilèges assurés aux chrétiens insulaires SUR l'Il E OE Syra. Ch AP. T. sy par ces capitulations , on doit remarquer la liberté d'avoir des clochers, de .sonner les cloches, de réparer les éi^lises toutes les fois qu'elles en ont besoin, et de les réédifier s'il est nécessaire. Personne n'ignore les gênes et les contradic- tions que les chrétiens, sujets de l'empire Ot- toman , éprouvent par-tout ailleurs sur l'article des réparations de leurs églises; la politique mahomciane , qui en a épargné quelques- unes, lors de la conquête, tend insensiblement à les laisser tomber en vétusté, et se rend ex- trêmement difficile à toutes les demandes qui paroissent contrarier ce principe. Quant aux clochers, il n'en existe aucun dans toute l'étendue de la Turquie; et pour inviter le peuple au servi(»e divin, les chrétiens n'ont que des crieurs publics, qui vont dans les quar- tiers habités par eux, annoncer les heures de l'office ; et dans les villages , ils se servent, pour le même efïét, d'une planche sur laquelle ils frapj:)ent avec un marteau de bois. Enfin, il faut ajouter ici que tous leshabitans des îles de l'Archipel , sont appelés par les Turcs Taouchan , qui veut dire Heures. Cette déno- mination , dit-on ,a commencé à Sjra. Lors des anciennes incursions des Turcs sur la mer Blan-' i8 PrÉCISHIS TORIQUE clie, ceux-ci firent une descente à Syra, les habitans n'étant pas en état de leur résister , gai^nërent le haut des montai^-nes. Les Turcs se mirent à leur poursuite, mais inutilement; alors ils les comparèrent à des }iëvres,s'écriant : Taoïi- chan guihi cauhajeur ^ Ils Furent comme des lièvres ; et le nom leur en est resté. SUR l'Ile de Syra. Chaf. IL 29 CHAPITRE IL De Vétat ancien de Vile de Sj^ra. OYRA OU Syros (1} , comme l'appeloient les anciens, est une île de la mer Et^ée on Archi- pel , située presque au centre des Cjclades (2.), vers le S?*" de^^ré 22 minutes de latitude, et le 42' degré 14 minutes de longitude. Sa longueur du N. O. au S. E. est d'environ 14 milles , et sa Lugeur de TO. à l'E. de 6 à 7 milles ; ce qui lui donne au moins 40 milles de côtes , quoi- qu'on ne les estime communément qu'à 36 dans (1) Homère lui donne encore le nom de HveU ; mais j'observerai qu'on ne doit jamais écrire Sciros ^ ni confondre cette île avec une autre qui est au N. E. de l'île de Négi"epont , et qu'on doit appeler Skiros ^ comme font les Grecs modernes. J'observerai encore avec Tour- nefort,que le nom de Syros ayant été de temps im- mémorial celui de l'ile , c'est se tromper lourdement que de dériver son nom actuel du grec vulgaire, x.'j^û ou *yç/» Ce que dit Homère de la fertilité de Syra , et de la salubrité de l'air qu'on y respire, exempt de toute influence maligne , prouve que ce poète étoit parfaitement instruit de la nature decetteîle,et de l'origine du nom qu'elle porte encore; car, comme Bocliart le fait voir, ce- toient les Phéniciens quid'avoient ainsi nommée , du mot Sj^ra y pour z/.y/Vvz, qui signifie m/ze ^- ou plutôt du mot Siira pour iisura , qui veut dire lieureiise : ces deux mots marquent également la bonté de son terroir. Je dis qu'Homère a connu la véritable origine du mot Syros : la preuv(î la plus incontestable qu'on en puisse apporter , c'est ce qu'il ajoute du séjour des Phéniciens dans l'île. Quant aux conversions du soleil dont parle le poète, nous expliquerons dans le chapiti^e suivant ce qu'il» faut entendre par-là. L'île produit encore aujourd'hui assez de grain , de vin , et d'autres denrées ; mais il s'en faut de beaucoup qu'elle ait conservé la fertilité «Jçs premiers temps. Outre que les principes de 3a P R É C I s II I s T O R I Q U E vég-ctation vont toujouis en diminuant d'acti- vité par la succession des siècles, il y a lieu de croire que les ni on tajines et les collines qui oc- cupent plus de la mo lié de l'île, étoient autre- fois couvertes de tei re végétale , et qu'en aug- mentant scsculturcs, elles augmentoient aussi ses productions et ses richesses. Mais cette terre aura été entraînée , peu-à-peu ou subitement , par l'eau des pluies, et les montagnes restées nues seront devenues stériles. Quelques vallons mêmes des plus fertiles et des plus unis , ont éprouvé cette révolution , et les pluies tom- bées au commencement du siècle les ont tclic- ment sillonnés, que les torrensy roulcntaujour- d'iuii comme dans leur lit. Au surj)lus la salubrité de l'air y est la même que du temps d'Homère. Les vieillaids de 80 , 90 jusqu'à 100 ans y sont assez communs ; il n'y a pas long-temps qu'il y en avoit un de 1 15 ; et un fait qui passe pour constant dans le pays , c'est qu'une personne qui v a passé 46 ans, est pres- que assurée de parvenir à 70 , 80 et au-delà : enfin les S_yriotes ont une ancienne tradition qui vient à l'appui de cette opinion , et de ce qu'Ho- mère raconte de la longue durée de leur vie et de leur genre de mort ; c'est qu'autrefois , quand les SUR l'Il E DE Syra. Ch AP. ir. 33 les vieillards étoient arrivés à la décrépitude , leurs parens les menoieiit sur une haute mou- taone , d'où ils les précipitoient pour les faire enfin mourir. Cette monîai^ne s'appeiie encore Jeriisi , montagne des vieillards. Le partage du territoire de \\\q en deux villes , dontparle le poète ,est peut-être représenté par ce qu'on appelle aujourd'hui la partie du dedans de l'île y\ MicTiX /uLéptd , et la partie du dehors >f o^o /^e|:/a,etparunmurc]ui , selon la tradition, prenoit d'une meràrautré,etdivisoitrîleen deux portions. Outre ces deux villes, ilyavoitplusieurs villages, comme l'indiquent les ruines que l'on voit en plusieurs endroits différens : les plus remarqua- bles sont auprèsdu port; on j distingue une assez grande villesur uneéminence qui étoit au bord (le la mer dans la plus belle position , mais trop exposée aux incursions des pirates; c'est }>our cela que ses habilans l'ont abandonnée , et ont été bâtir la nouvelle ville sur une montagne voi- sine. Une inscription tirée de^ces ruines, et encas- trée dans un coin de leglise de Saint,George, la cathédrale actuelle , nous apprend que l'anrienne ville s'appeloit Sjros. A gauche de la partie de l'évêché, sur un bas-relief de marbre , est rej)ré- senté le sistre des anciens, avec quelques autres Tome I. C 34 Précishistorique instrumens. C'est encore un monument tiré des mêmes ruines. On en a mis à profit beaucoup d'autres , telles que des blocs de marbre , des tronçons de colonne qui soutiennent la cathé- drale , et d'autres qui sont devant l'église des ca- pucins, et qu'on n'a point encore employés. Il reste encore sur le lieu un pan de muraille, bâti avec de gros quartiers de marbre bâtard taillé à facettes , qu'on ci oit avoir servi à un temple dédié au dieu Pan , d'après des médailles sur lesquelles on voit la tête de ce Dieu d'un côté, avec une chèvre au revers. Enfin il n'y a pas long-temps qu'en labourant près de là, on a trouvé un beau buste antique, que l'on croyoit. être du ])hilosophe Phérécyde : c'étoit ])endant que la flotte russe croisoit dans l'Archipel. M. Janulachi Salacha , alors épitropos de Syra, qui étoit possesseur de ce buste , en fit présent au commandant Russe. Il faut conjecturer d'après ce que nous venons de dire ^ que si on se dunnoit la peine de fouiller , on pourroit encore trouver de belles aatiquités ; mais pour le faire avec sû- reté , et n'être point exposés aux insultes des Turcs , qui croient toujours qu'on cherche des trésors , il faudroit travailler sous le nom d'un SUR l'Île de Syra. Chap. III. 35 consul- français ou des PP. capucins , qui jouis- sent des mêmes franchises. Nous terminerons cet article par une tradi- tion qui se conserve parmi ses habitans. Quand les gros temps ou les vents contraires empê' choient les pèlerins d'entrer dans le port de Délos, et les obligeoient de relâcher dans celui de S^rajqui est vis-à-vis, s'il vojoient que ces mauvais temps durassent trop, ou que leuis af- faires ne leur permissent pas d'attendre , aj)rès s'être purifiés dans l'eau de fontaine, que l'on entretenoit pour cela tout près du port , ils se rendoient au sommet d'une petite montaj^ne, voisine qui regardoit Délos, et de là ils adres- soientà Apollon leurs adorations , leurs olïian- des et leurs sacrifices. Cette montagne s'atj- peloit pour cette raison montagne de Délos , et nous l'appelons encore A)îA/. Cij 36 P R É C I s H i s T O R 1 (^ U CHAPITRE III. De Vancien monument astrouomlcjiie de Sj-ra , et du philosophe Phérccydc. L.E monument qui indiquoit les solstices et les équinoxes, et la naissance du philosophe Phé- récyde , l'un des plus fameux philosophes de son temps, étant les deux points de l'histoire de Syra qui la distinguent le plus, il me semble qu'ils doivent trouver naturellement leur place ici , d'autant plus qu'ils sont en général peu connus. Par rapport au monument astionomique , nous examinerons la note de madame Dacier sur ce mot d'Homère : c est-là cpie sç soient les conver- sions du Soleil. « Voici , dit cette savante Dame, « un passage très-important. M. Despréaux , dans « ses réflexions sur Longin , a fort bien réfuté « la ridicule critique que l'auteur du parallèle, « homme très-ignorant en grec et en latin, et « sur-tout en géographie, avoit faite contre Ho- « mère., c'est-à-dire contre le père de la géo- « graphie , en l'accusant d'être tombé dans la « plus énorme bévue qu'un poète ait jamais SUR l'Ile de Syra. Ciiap. III. Zj « faite ; C'est, dit-il, d'avoir mis Sjros et la mer « Méditerranée sous le tropique; bévue, ajoute- « t-il, que les interprèles d'Homère ont tâché en « vain de sauver, en expliquant ce passage par se couclier, M. Despréaux « devoit voir que cette explication étoit in- « soutenable, car il ejt absolument faux que « l'île de Syros soit au couchant de l'île de Dé- « los : aucun géographe ne l'a jamais dit ; «: et comment Homère auroit-il pu le dire dans « le même vers où il ?i dit Opluyii^ç xci%'Wif^yiv , % (. 11) 38 Précis historique « au-dessus de l'île d'Ortyii^ie? ce qui est au delà « ou au dessus de cette île, pour Eumée qui est « à Ithaque , ne peut jamais être au cou- « chant. « Voici comment parle le savant Bochart , dans sa géographie intitulée Chanaan , lib. i , cap. 14 : «■ Eustathe se trompe quand il veut que « par>iA/ê^ rp'nycLçon entende le couchant, comme « si l'île de Syros , étoit au couchant de Délos 5 « car au contraire elle est au levant, et non au « couchant de cette île. C'est la situation que lui « donnent les géographes, et il ne faut que ce « vers d'Homère pour prouver que c'est la ve- rt ritable position, puisque Eumée qui est à Itha- « que, assure que Syros est au dessus, au delà « d'Ôrtygie ; ce qui seroit très-faux , si elle étoit <( au couchant de Délos. Eumée auroit plutôt « dû dire en deçà, il ialioit donc s'en tenir à la *< seconde explication qu'Eustathe a ajoutée dans « la même remarque. J3 autres , dit-il , expli- « quent ce passage, en disant que dans l'île de « Sji'os il y avoit un antre qui niarquoit les « conversions du soleil , c'est-à-dire les solstices , « et qu'on appeloit Cautre du soleil pour cette u raicon. Et voilà ce qu'entend Homère par ces « mots: Où sont les conversions du soleil ; "» Voilà SUR l'Île de Syra. Chap. III. 39 « la seule véritable explication ; elle mérite « d'être éclaircie. » « Nous voyons , par ce passage même , que les « Phéniciens avoient fait un long séjour dans « l'île de Syros ; nous verrons plus basque les Phé- « niciens lui ont eux-mêmes donné son nom , et « nous savons qu'ils étoient très-savans en astro- « nomie : c'est de là qu'il faut tirer l'explication « de rfowoLiYiéXhïo^ et il est aisé de voir q:^? c'est « vfXidlp6--îinoy , l'héliotrope , c'est-à-dire, le ca- « dran ; et par là Homère nous apprend que les « Phéniciens avoient fait dans cette île un ca- « dran, dont le style aii aiguille, par le moyen « de son ombre, indicjuoit les solstices; et comme « c'étoit une chose fort rare et merveilleuse dans *< ce tcmp--là, Homère, fort curieux et bien ins- « truit de tous ces points d'antiquité, la marque « comme une rareté qui distinguoit cette île. « Bientôt après, les cadrans devinrent plus com- « mnns. Environ six-vingts ans après Homère, « récriture-sainte fait mention, reg. iv , cap. 20, « V. 1 1 , d'un cadran qui étoit à Jérusalem , et « (ju'on appeloit le cadran d'Achaz , sur lequel « Dieu Ht, en faveur d'Ezéchias, que l'ombre *< rétrograda de dix degrés. Ce cadran mirquoit « les heures et les solstices. « ( Nous allons prou- G iv 40 Précis" HISTORIQUE ver le contraire). « Il y avoit donc des cadrans « avant celui de Phérécjde, qui ne fit le sien « a Syros que 200 ans après celui d'Acliaz , etSoo «f ans après celui des Phéniciens ; et par consé- « quent, pour expliquer ce passage d'Homère , « on n'a eu recours qu'à ce cadran des Phéni- « ciens, et nullement à celui de Phérécyde, que « le poète n'a pu connokre. Il me semble que « cela est prouvé; mais il J a plus encore , c'est « qu'il y a bien de l'apparence que ce cadran « que Phérécyde Ht à Sjros , ne fut fait que sur « les découvertes des Phéniciens ; car Hésychius « de Milet, dans le livre qu'il a fait de ceux qui « ont été célèbres par leur érudition , nous assure « que Phérécyde , qui étoit de Syros même , n'eut «point de maître, et ([u'il se rendit habile en <^ étudiant quelques livres secrets des Phéni- '.< ciens qu'il aura recouvrés. Je me' flatte , conclut « Madame Dacier , que ce passage d'Homère « est assez bien éclairé. » Quelque respect que j'aie pour l'érudition de cette savante Dame , l'amour de la vérité ne me permettra cependant pas d'être de son avis , parce que, tant elle que Bochart, et tous les géo- graphes qui placent Syra à l'orient de Délos, se trompent. Ptolomée, dans sa carte de la Grèce SUR l'Ile de Syra. Chap. III. 41 et de l'Archipel , tombe dans la même erreur. Mais pour s'assurer de la vérité , M'^^ D'acier et Bochart n'avoient qu'à écrire en Provence , où le premier marin qui avoit visité l'Archipel lui auroit appris que Syros est vers le couchant de Délos. Pour moi, je puis assurer que ma maison à Svra regardoit Délos, de manière que quand le matin, au mois d'octobre et au mois de fé- vrier , je me mcttois à ma fenêtre ou à ma porte , le soleil en se levant derrière cette île, m.e don- noit précisément en face. Le soleil , par rapport à Syra, monte Tété jusqu'au petit canal c|ui sé- pare l'île de Mycon€ de celle de Tine ; et l'hi- ver, il descend jusqu'aux montagne^ de Naxie. Or, les deux Délos, hi grande et lapetite, se trou- vent, pan apporta Syra, entre Mycone , etNaxie, et plus même du côté de Mycone ; de sorte qu'une partie de cette dernière est cachée par la grande Délos. Aussi M. de Tournefort , dans son vojage du Levant , et tous les géogra})hes modernes d Câ- pres lui , placent Mycone à l'E. de Syra ; la grande Délos entre VE. et le S. E. : d'où l'on voit qu'Eustathe ne se tromjjoit |)as, lorsqu'il disoit qu'on pourroit entendre les ])aroIe8 du j^oète , comme s'il disoit que Syra est au couchant de Dé- los, et que sou ODinion n'est }>:\3 insoutenable, 42. P R Ê C I s n I s T O R I Q U E comme elle le seroit eirectivement si Syra étoit à l'orient de Délos. Cependant cela n'emj)cche nullement d'expliquer le texte d'Homère, comme on l'explicpie communément, et comme Eusta- the le fait en second lieu , par un monument quelconque qui existoit à Syra , et qui rendoit cette île célèbre depuis quekjue temps; et la difficulté qu'apporte M^^ Dacier de cette expres- sion , 'Oplvyîy^çxxfù-ûrcp^-iv, au dessus de l'ile d'Or- tyi);ie , ne s'oppose en aucune manière à cetta explication. Voici comment. Naturellement par- lant, la partie du i^lobe la plus élevée , c'sst l'é- quateur , et les deux pôles forment ses parîies latérales ;fl'où il résulte que tout pays plus voi- sin de i'équateurqu'un autre , est aussi plusélevé, et j)ar conséquent au dessus. Or Syra, quoique placée au couchant de 13élos, est en même temps plus méridionale ou plus rapprochée de l'équa- teur que cette île et It'.iaque, que nous ap- pelons aujourd'hui Thialvi. Paiconséquent , tant par rapport à Ortyoie 6\i ]^éh)s , que par rap- port à Ithaque, Homère a pn dire que Syra est au dessus d'Orty^ie. Je n'oseroispas dire qu'Ho- mère, dans la chaleur de la composition ,préoc^ cupé et faisant plus d'attention à l'endroit d'où il écrivoit ( l'île de Chio , selon la plus commune SUR l'Île de S y r a. C h a p. III. 43 opinion) qna celui où il plaçoit son interlocu- teur, a écrit (jue Syra étoit au delà crOrtji^ie. Mais passons à Phérécjde , dont l'histoire extraite des Mémoires de l'académie de Berlin , nous instruira mieux de la nature de ce monumerit astronomique. Pliérécyde de Syra commença à fleui'ir dans un temps où la philosophie étoit encore dans son enfance ; car les annaks por- tent que ce fut la réputation de Thaïes de Mi- Ict enl(,;n!e, fondateur de la secte ivjuique, qui lui inspira le désir de se distinguer dans la même carrière. Or Thaïes étoit déjà célèbre dans la 4 9^ olympiade , puisqu'il avoit prédit une éclipse de soleil; et l'auteur des Olvmpiades re- marque que Phérécyde naquit dans la j^d" olym- piade, dont la [.'remière année répond à l'an 5^8 avant Jésus-Christ, et i5| de la ibndatiou de Rome. Nous pouvons donc placer sans difficulté l'à^e de notre philosophe dans le ô'' siècle avant Jesus-Ch.rist, et Pline , hist. nat. 7. 56 , a eu rai* son de dire que Phérécyde de Syra Ilorissoit du temiîs de Cvrus. Plîérécyde prit le surnom de Syrien de l'île où il étoit né; Grotius le fait venir de Syrie, sans en alléguer aucune preuve. Cependant il y a beaucoup plus de raison de donner, avec la 44 PRÉCISHISTORIQUE grande partie des anciens, pour patrie à ce phi- losophe , l'île de Sj^'os dont nous parlons. C'est ce que dit expressément Strabon. « Sjros (l'île) «a la première syllabe longue. C'est delàqu'étoit «originaire Phérécyde, fils de Babis , qui est plus «ancien que Phérécjde l'Athénien; or, Syros , «ajoute-t-il, est l'une des Cjclades. Homère vante « beaucoup sa fertilité et son air salubre. » Quant au nom de cette île, Homère dit Xupta; Suidas , Syra j Strabon et les autres , Syros. On peut donc appeler Phérécjde indifféremment Sj- rius ou Syrus. On écrit actuellement Syra,lenom de l'île , et Syriotes celui des habitans ; et dans le style de Rome , l'éveque de Syra est appelé eplscopus Sjrrensis y pour le distinguer d'un évê- que de la province de Syrie , que l'on désigne par episcopus Syriis. Les écrivains ne s'accordent guère sur l'édu- cation et sur les maîtres de Phérécyde. Diogène Laërce tombe dans une erreur qui n'est pres- que pas pardonnable , en faisant Phérécyde disci- ple de Pittacus, dont la naissance répond à l'an de Rome ici. Il parvint au souverain comman- dement dans^sa république à l'âge de 46 ans. Peut-on imaginer qu'un prince, qu'un législateur, «e soit occupé, à 70 ans au moins, à donner des SUR' l'Ile de Syra. Chap, IIT. 45 leçons à la jeunesse : car Phcrécyde ne vint au monde que Fan de Rome i56, c'est-à-dire, dix ans après que Piltacus eut commencé à réi>ner sur lesLesbicns. 11 faut donc rejeter ce que Vos- sius avance aussi , qu'il fut le maître de Phéré- cyde. Tzetze a une autre ojiinion ; il fait Thaïes disciple de notre philosophe. Si nous croyons Apollodore , cité par Diogëne , Thaïes naquit Tan de Rome 1 14; ainsi il avoit déjà 40 ans lorsque Phérécyde vint au monde. J'admettrai donc bien plus volontiers ce que dit Suidas , que la i^loire de Thaïes excita l'émulation de Phérécvde. Hé- sychius,dans un petit ouvrai^e qu'il a écrit sur Jes personnages illustres par leur Sci.voir , met Phérécyde au nombre de ceux que les Grecs appeloient AuloStSaxIi^ç , c'est-à-dire , rf//i se sont instruis eux-mêmes. « On assure , ciit-il , i< que Phérécyde de Syrie n'eut aucun maître , i< mais quil se poussa lui-même dans les scien- « ces, après avoir trouvé quelques ouvrages ca- « chés , ou commentaii^es secrets des Phéniciens. « Suidas et Eustathe disent la même chose. Le principal point de controverse des criti- ques regarde ces livres des Phéniciens. Ho- mère a dit formellement que les vaisseaux Phé- niciens abordoient à l'île de Syros, et Bochart 46 Précis historique prend de là occiision de prouver plus au loni^ que les Phéniciens frécjiientoient l'île de Syros dès les temps héroïques , et y passoieut sou- vent une année entière pour leur commerce. Il n'y a donc pas lieu de s'étoiUiCr qu'un homme avide d'appienthe , en s'entretenant fréquem- ment avec les étrangers et les néi^ocians , ait ouï parler de livres pleins d'une connoissance profonde et sublime, et se seroit enflammé du désir de les posséder. Mais la question est tou- jours de savoir quels sont ces livres, qui tom- bèrent entre les mains de Phérécyde. L'illustre évéque d'Avranches , M. Huet (_ Demonstr. évang. prop. iv , §• 7 , ) nous a heureusement tirés de lout embarras. « Phéré- « cjde , dit-il , Fut disciple dos EiiTptiens et « des Chaldéens , mais sur-tout des Phéniciens, 4< des livres secrets desquels ont dit qii'i! tira «une grande connoissance des clioses divines, « n'ayant point eu d'ailleurs d'autres maîtres. « J'entends par ceu, livres secrets des Phéai- « ciens , ceux de Moyse , auxquels Juvénal « donne le nom d'Arcanum. On les attiibue aux « Phéniciens , qui , comme je l'ai déjà remar- ia que plus d'une fois , sont souvent pris dans <' les auteurs profanes pour les Juii's leurs SUR l'Île de Syra. Chap. III. 47 u voisins ; ou bien on peut entendre pai- là l'é- « crit de Sanchoniaton , qui avoit été tiré des li- « vres de Moyse. » Il est donc très- probable que Pfiérécyde s'est instruit avec les livres de Mojse, ou de quelques autres faits sur jes li- vres de Moyse. Ceux de nos lecteurs qui seront curieux de connoîtrela vie, les écrits et les opinions de notre philosophe , pourront consulter les Mémoires de l'académie de Berlin, année 1747. Nous ne don- nerons place ici qu'à ce que ces Mémoires noiis apprennent sur X litliolwpe , qu'il a élevé dans sa patrie , et sur sa mort. Phérécyde donc , suivant îe témoignai^e de Diogène Laérce , enrichit sa patrie de Thélio- tiope, comme Anaximandre Ht à Liicédémone le premier gnomon qu'on ait vu en Grèce , et comme Méton, après Anaximandre, en contrui- sit un dans le Ovj^ , l'une des places publiques d'Athènes. Or l'héliotrope est une espèce de ca- dran sciatérique (decrxjà, ombre), un instrumei:t dont on se sert pour mesurer l'ombre, sur-tout aux solstices, et déterminer par sa longueur les solstices mêmes , qui sont ce que nous entendons par rpo-^aï' }îA/« , conversions du soleil } ce qui étoit d'autant plus aisé, que, cc;mme tout le 48 P R ÉC I s H I ST O R IQ UE monde le sait , tous les peuples ])lacés comme nous entre la ligne équinoxiale et le pôle aic- tique , ont leur ombre la plus courte au sols- tice crété , et la plus longue au. solstice criiiver. Mais Pline parle (Fun autre moyen dont on se servoit encore pour connoître les solstices. On « rapporte dit-il , qu'à Syene qui est à 5ooo stades « au-dessus d'Alexandrie , le jour du solstice , « à midi , il n'y a point d'ombre ; et qu'un puits « cju'on a creusé pour cette expérience , se trouve « éclairé dans toute sa profondeur ; ce qui lait « voir que le soleil est vertical dans ce lieu. « Il y avoit donc à Syene une espèce d'héliotrope naturel , qui prouvoit que ccUe ville étoit placée précisément sous le tropique du Cancer. Tel étoit à peu-])rcs celui de Svros , dont Homère Fait mention, sur quoi leScholiaste remarque fort bien. « On dit quil y a une caverne du soleil « par le moyen de laquelle on remarque les con- « versions de cet astre. » Le père Hardouin débite des choses tout-à- « fiu'l déraisonnables, en disant, que « le porcher « d'Ulysse qui étoit à Ithaque, ne vouloit expri- « mer autre chose par ces paroles , si non que « l'île de Syros étoit au-delà d'Ortygie , et que « quand le soleil se lève à Syra , il se montre , ou SUR l'Île de Syra. Chap. III. 4^ où est sur le point de se montrer aux habitons d'Ithacjue. Sjros est àV orient du Pëloponèse , et Ithaque est à l'occident. On ne sauroit attribuer des idées plus profondes à un porcher. Il est vrai (ju'Euméc étoit porcher dans le temps r , que Mercure et deux muses présentent à Phérécyde, pour en recevoir les premiers élémens des sciences. Dans la suite, Pythagore a tellement surpassé son maître par ses connoissances et par sa célébrité , qu'il a entièrement éclipsé sa renommée et ses écrits , et peu s'en faut que Phérécyde ne soit entièrement oublié. Mais un point sur lequel les auteurs sont parta- gés , c'est le lieu où mourut Phérécyde , et la ma- nière dont'il mourut. Quelques-uns, au rapport de Diogène Laërce, croient qu'étant allé à Delphes, il se précipita du haut du mont Corycius ; mais Aristoxène, qui parle de Pytbagore et de ses amis, rapporte que Phérécyde mourut de mala- die , et fut enseveli par Pj^thagore dans Tile de D iij 54 Précis HISTORIQUE Dclos. Or, Aristoxëne est qualifié dans Anîo- Gelle d'écrivain très -exact sur les faits de l'antiquité , i>ir litteraniin diligentissimus } .et nous allons voir ce récit confirmé et développé dans Elien , var. bist. lib. iv. 28. « Phérécyde « de Sjyros j dit cet historien y mourut de la ma- « nière la plus misérable du monde. Tout son M. corps fut rongé par les pous , et son idsage « tellement déjiguré , fju'il ji'osoit plus se uion- M trer à ses amis , et qu'il les évitoit avec soiiu « Cependant un d'eux s' étant un jour présenté « à sa porte ^ et lui ayant demandé comment il « se portait^ Phérécjde lui fit voir par un trou , i< son doigt tout décharné y et lui dit que tout « le reste de son corps était de même. ■» Elien décrit un peu plus bas (lib. v., 2.) toute l'hor- reur de ce mal en ces termes : « Phérécjrde , juai- *< tre de Pythagore y étant tombé malade y trans- it piroit d'abord une sueur chaude , et semblable *< à des mucosités , qui le jeta ensuite dans la « phlhiriase. Toutes ses chairs se réduisirent en « pous j la corruption s'j mit y et il finit ainsi M ses jours. » Mais Pythagore , bon juge des ver- tus et des devoirs , crut qu'il étoit d'un disciple reconnoissant de ne pas abandonner un maître affligé d'une si triste maladie , et qu'il devoit au SUR l'île DE s YR A. Chat. IV. 55 contraire en prendre soin jusqu'au dernier sou- pir , et même au-delà du trépas. Diodore de Si- cile nous apprend comment il s'acquitta de ce pieux devoir. « ^^j'^z/z/ appris y dit-il, que Phé- « recycle était dangereusement malade dans Vile « de De'los j Pj'lhagore quitta aussitôt l'Italie , « pour se rendre auprès de lui y et le servit que' « que temps , en faisant tout ce que l'art et sa « tendresse lui indiquoient pour lui procurer la « santé. Mais Vâge et la force du mal ajanl « rendu tous ses soins inutiles , il lui donna « une sépulture honnête y et après avoir ainsi « tenu en tout la conduite dcunfils à l'égard dé « son père y il repassa en Italie. Diud. Sic. ia cscerpt. Jacques Gronovius , qui a dirigé le Trésor des antiquités greccpes, donne, d'après les ta- bleaux de Béger dont nous avons parlé, un portrait de Phérécjde, qu'il avfait parfaitement graver. Voyez les antiquités grecques, tome 2 , fig. "ij -^ Jl y a joint un éloge de ce philosophe, par lequel nous terminerons ce paragraphe. « La Provi- « dence divine y dit -il, ayant fait concourir « plusieurs choses à la gloire de ces temps -là y « ( il parle du siècle de Phérécyde ) aucune % particularité ne doit être négligée y quelque lé- Div 56 Précis historique « gère (jumelle nous paroisse , et de quelque i< manière qu'elle nous soit parvenue. Puis donc « qu^il nous reste un monument ^ non pas à la « "vérité de la plus haute antiquité y qui nous « représente avec uneplvysionomie belle et remar- « quahle ce philosophe de Vile de Sj^ros , si « illustre par ses actions et par ses écrits y et « qui tient le premier rang parmi les sages de « son temps y j'ai cru devoir placer ici ce mor- i< ce au. » En effet , le buste qui a été trouvé il y a quel- ques années à Syra, parmi les ruinesde l'ancienne ville , représentoitun philosophe d'une très-belle fip-ure , ajant l'air majestueux ; et ce passage de Gronovius me confirme encore dans la per- suation où nous étions alors que ce monument rcprésentoi Phérécyde. SUR l'Île de S y r a. Chap. IV. 67 CHAPITRE IV. État actuel de Vile de Sjra. 1 ouRNEFORT , (lans SCS Voyages clu Levan(, S ex- prime ainsi sur l'état actuel de cette ile : « Syra est l'île la jdIus catholique cle tout l'Arcliipel. Pour sept à huit familles du rite grec, on y compte plus de six mille âmes du rite latin; et lorsque les Latins s'allient avec les Grecs, tous les enfan.s sont catholiques romains; au lieu qu'à Naxie, les garçons suivent le rite du père, et les filles celui de la mère. On est redevable de tous ces biens aux pères capucins françois , missionnaires apostoliques, fort aimés dans cette île, et fort appliques à instruire un peuple porté au bien, honnête, ennemi déclaié des voleurs, plein de bons sentimcns , et si laborieux , qu'on ne sauroit reposer dans cette ile la nuit, à cause du bruit universel des moulins à bras que chacun exerce pour moudre son blé; et le jour, à cause des rouets servant à filer le coton. » « La maison et l'église des capucins sont assez bien bâties : la bannière de France arborée au coin de leur terrasse nous réjouit; et le père 58 PRÉCISHISTORIQUE Jacinthe crAmieiis , homme d'esprit, substitut du consul de France à Tine, nous reçut avec tous les agrémens possibles. Ces pères dirigent vingt -cinq religieuses du tiers -ordre de Saint François , filles d'une vertu exemplaire , quoique non-cloitrécs. Les Grecs n'ont que deux églises dans Syra , desservies par un papas. Il n'y a de Turcs qu'an cadi, encore vient-il se réFugier chez les capucins, lorsqu^il paroît quelque cor- saire autour de l'île. On 3^ élit tous les ans deux administrateurs. En 1700, la capitation et la tai^lle réelle montoient à 4000 écus. » « Syra n'est qu'environ à 3o milles de Mj- cone, si Ton compte d'un cap à l'autre; mais il y en a 40 du port de MyTone à celui de Syra. Son port est bon pour les plus gros vaisseaux , et son entrée est à l'est. L'île, qui n'a que 2,5 milles de tour ( S'/ros qiiam ci ici 1er palere vigintl inillia passauni pwdideie "vetcres y Miitianus centum, sexaginta), est des mieux cultivées, et produit d'excellent froment, quoiqu'on petite quantité, beaucoup d'orge, beaucoup de vin et de figues, assez de coton, et des olives que les habitans salent pour leur usage. Quoique: Syra soit un île montagneuse, elle manque de bois, €t l'on n'y brûle que des broussailles ; mais elle SUR l'Île De Svra. Cha?. IV. 69 est plus fraîche et plus humide que Ja pUi- part des îles de l'Archipel. Le bour^- est à un mille du port, tout autour d'une colh'ne assez escarpée, sur la pointe de laquelle sont situées la maison de révêc|ue et l'éi^lise^épiscopale, dé- diée à Saint-Georire. -» « La principale fontaine de i'ile est fort an- cienne coule au fond d'une vallée , assez près de la ville : les gens hÏu pa\ s croient , je ne sais par qu'elle tradition ( vojez ce que j'en ai dit au chapitre 2. ), qu'on venoit autrefois s'y purifier avant que d'aller à Délos. On nous avertit trop tard qu'il y avoit une inscription à cette fontaine; il fallut profiter du vent, sans pouvoir aller l'examiner. « Je n'ai aucune connoissance de cette inscription, ainsi je ne peux rien dire là- dessus. » Il est constant dans tout l'Archipel, que l'île de Syra a 36 milles de circonférence , et peut - être même 40. Son port est effective- ment bon, et très-commode pour les fréga- tes et des navires marchands ; mais à cause de sa petitesse , il ne peut guère contenir plus de deux ou trois vaisseaux de ligne. C'est dans la rade ibrmée par une île ( éloignée du port d'un mille environ) et le continent de Syra, 6o Précis HISTORIQUE -que plusieurs gros vaisseaux , frégates et autres bâtimens, peuvent mouiller en sûreté. Le port de S3 ra est entre deux passages trës-^ importans pour les principales échelles du Le- vant. Situé d'un coté entre les îles de Nègre- pont et d'Andros, et de l'autre entre Tine et Mycone, il est si commode et si favorable aux vaisseaux qui éprouvent des vents contraires dans ces parages, qu'il est peu de semaines où l'on n'y voie aborder des bâtimens, et ,sur-tout des F'rancois. On y en a compté quelquefois i5 et 18 de cette seule nation. La commodité d'un tel port pour la sûreté de la navigation fran- çoise, et l'extrême attachement des Syriotespour cette nation , qui ne s'est jamais démenti , sembleroit mériter l'attention du gouvernement pour y établir un vice-consulat. La présence d'un consul du roi v seroit souvent très-néces- saire aux bâtimens françois , et dans beaucoup de circonstances elle ne seroit pas moins avan- tageuse aux habitans de Syra. Le pays est frais et humide plus que la plu- part des îles de l'Archipel , comme l'a remarqué Tournefort : il v ^ plusieurs sources d'eau, et il est couvert de puits dans tonte son étendue: on pourroit y en faire un plus grand nombre, SUR l'île de Syra. Chap. IV. 6i l'eau n étant presque par-tout qu'à cinq à six j)iccls deproFondeur. Les eaux y sont excellentes, et tie la plus «grande salubrité, sur-tout celles (le la fontaine qui fournit toute la ville, et d'une autre fontaine C|ui est à trois ou quatre milles de la vdle, au sommet d'une montagne qu'on appelle cûpiyycct;, Siringas. Le bois ny est pas si rare que Tournefort le dit, et il l'étoit bien moins avant les anciennes guerres des Turcs et des Vénitiens. Ceux-ci détruisirent les forets de la partie des monta- gnes qui regardent l'île de Délos : elles étoient couvertes (Varejlies ow fidhes , que Tournefort appelle cèdres à feuilles de cyprès. Ces arbres donnent beaucoup de graines semblables au ge- nièvre, et leur bois fait un feu très-vif et très-bril- lant ; on croit cependant que sa flamme ronge le cuivrc. Plusieurs collines vers le milieu de l'île ,et vers le couchant , sont encore couvertes de ces arbres. Ceux-ci ont une propriété particu- lière , qui est que lorsqu'on leii coupe à quelques pieds de terre, pour ne pas les faire périr, il fait leur laisser quelques branches ou rejetons ; parce que le tronc ne pousse jamais. On trouve encore à Syra , une quantité d'autres arbris- eeaux, (\cschi?iOj àeligharia, d'iiagnus castus. 62. Précis HISTORIQUE d'oliviers sauvages et autres, qui tous fournis- sent assez de bois pour la consomrhation des liabitans. Ou ne s'y sert des broussailles que pour cbaufler les fours. Presque toutes les maisons en ont un particulier : on n'y fait le pain qu'une fois par semaine, le samedi. C'est alors un plaisir de sentir l'odeur de la sauge , dulbym, des brandies de scbino et autres plan- tes aromatiques qu'on y brûle. Toutes les maisons de ménage ont un moulin à bras, et ordinairement chaque famille moud son blé chez elle : le pain qu'on en fait est infiniment meilleur que cekii qu'on fait avec la farine des moulins à vent. Il y en a sept à huit aiq:>rès de la ville; ils sont construits en forme de tour ronde ; 11 n'y a que le dôme qui tourne , le reste est immobile. Ils ont huit voiles : du milieu de l'axe qui les contient, il sort une pièce de bois de 12 pieds de long • les ailes des voiles y sont assujetties par une corde qui part de leur sommet, et vase termi- ner à l'extrémité de l'axe, qui , entouré de toutes CCS cordes , présente au vent une.espèce de pointe. Le haut de la colline sur laquelle est bâtie a ville , est occupé par l'évêché et la cathédrale, ainsi que le dit très-bien Tournefort, et non. sua l'île de iiYRA. Cil A P. IV. 63 comme le prétenfljM. Kléement dans sesvojages, par la maison du gouverneur turc, cependant M. Kléement qui a été àSjra, pouvoit très-aisément le savoir : cela doit nous tenir en garde sur les relations de pareils voyageurs. Outre la cathédrale, il y a dans la ville sept à huit autres églises, dont deux sont desservies par les papas grecs ; cependant l'une des deux appartient en propriété à une famille catholique. Il y a en outre, tant autour de la ville que danstoutle reste de l'île, plus de cinquante autres petites églises ou chapelles. Chacune à son mar- guillier et son chapelain , élus au sort tous les ans. Il doit , la veille et le jour de la fête du patron de la chapelle , chanter vêpres, et célé- brer l'office divin. Les paysans qui ont leurs granges dans le quartier , s'y rassemolent avec d'autres familles de la ville , pour assister à la fête , qui se termine ordinairement par des ré- jouissances et des danses. On appelle ces fêtes Panighiria j^Wes fontleplus grand amusement du peuple de la campagne dans la belle saison. Toutcsles productions de Syra sont excellentes: son froment est de la première qualité ; l'orgey est le meilleur de l'Archipel : aussi on mange à Syra le plus beau pain des îles, Cela provient aussi du 64 PRÉCISHISTORIQUE levain dont on se sert : nous en parlerons ailleurs. Les pois chiclîcs de Sjra sont recherchés de toutes les îles , et son coton quoique un peu rougeâtre, est employé à d'excellentes fabrications. Dans l'immense quantité de figues que le pays produit , on en distingue de deux espèces ; l'une , appelée ghlico - niarona y marronia doux ; et l'autre xino - marcma , marronia aigres. Les premières, quand elles sont fraîches, ne valent pas grand'chose, mais sechées au soleil, et pas- sées au four, elles sont très-bonnes. Les autres sont d'un goût exquis. Quoique Tournefort trouve nos figues sèches inférieures à celles de Provence , d'Espagne et d'Italie , les glilico- marona de Syra , et ]esmi/i/i/ïeca de Scio mé- ritent certainement la préférence. Les figuiers y sont énormes ; on en voit un en- tre autres dans le quartier appelé Caviri, qui a quatre-vingt-dix pas de circonférence: il don- noit, dans le temps de sa vigueur, de quinze à dix-huit charges de figues sèches : la charge pèse environ cent cinquante livres. Les raisins n'y sont pas moins abondans ; oa en cultive une espèce qu'on nomme xilo- macherudha blanche et noire , pour former des treillages ou des berceaux. La blanche sur- tout SUR l'île DE s YR A. Ch A p. IV. 65 tout est très-délicate, et la noire donne des grap, pes qui pèsent Jusqu'à douze livres. On a compté pendant trois ans consécntiFs,cent trente-quatre graj^pes de raisin sur une souche; et sur un autie cep de vigne planté dans un terrain très- gras , on a compté jusqu'à quatre cent quatre- vingts grappes ; et l'intendant de l'éveché de notre île m'a plus d'une t'ois assuré qu'on avoit fait soixante-quinze bouteilles de vin , avec le raisin d'un seul cep. Le sol de Syra est très-favorable à la pro- duction des fèves. Cette île autrefois en pro- duisoit une quantité incroyable; mais depuis plusieurs années qu'il s j' est introduit une plante pernicieuse, qu'on nomme licos j, loup , à peine peut-on en manger de fraîches. Cette plante, qui , semblable à l'asperge, s'élève à dix ou douze pou- ces de terre, pousse un grand nombre de rejetons dans la racine; vers la floraison des fèves, elle dévore leur substance , et finit par les faire périr. Nous avons à Svra deux espèces de safran. Tune domestique , et fautre sauvage. La première est la seule que nous estimons; elle vient natu- rellement sur nos montagnes, sur-tout dans la partie du nord de l'île. J'ai comparé à Paris notre safran avec celui d'Angleterre , et Tome I. E 66 PrÉCISHIS TORIQUE celui que M. l'abbé Tessier a fait cultiver à Rambouillet; j ai reconnu que le safran des îles du Levant donneroit cinq fois plus de teinture que ceux de France et d'Angleterre, qui, à ce que je crois , ne valent pas mieux que notre safran sauvage. Il j a à Syra une plante très -nuisible aux produits de la terre ; elle est vivace , herbacée , épineuse, portant de petites fleurs qui tirent sur le blanc et le rouge, ayant des racines fortes et profondes : nous l'appelons alonidha. Klle se mêle tellement dans les blés, et dans les orges, qu'il est très- difficile de les moissonner : les autres terrains qui ne sont pas semés en blé, en sont tellement couverts, que presque aucun lé- gume ne peut y venir. Elle a déjà gagné la belle plaine qui est auprès du port ; le reste de l'île en est menacé. On croit généralement dans le pays, que le germe en a été apporté de l'île d'Andros, dans les excrémens des bœufs venus de cette île à Syra. Quoi qu'il en soit , celui qui indi- queroit un moyen pour la destruction du licosy cet ennemi des fèves , et pourcelle de V alonidha , seroit le bienfaiteur de l'île et de ses habitans. Cette plante qui fait verser des larmes aux Syriotes , et sortir du sang de leurs mains , lors SUA l'île DE Syr A. Chah. IV. G^j de la moisson, fit grand plaisir à Tournefort, lorsqu'il l'a découvrit. Je crois en effet que no- tre alonidha n'est autre chose que Valhagi ijiau- roru^i , dont il nous donne une longue descrip- tion dans une lettre sur l'Ile de S\ ra, etqui produit la fameuse manne de Perse. Cela m'a déterminé à rapporter ici ce qu'il nous dit dans sa lettre , sur la nature et l'utilité de cette plante. Eh î qui sait si les Syriotes, et autres insulaires, ex- cités et instruits par cette relation, ne s'appli- queront pas à tirer quelque avantage d'une plante qui, jusqu'à présent , leur a été funeste. Voici corame s'exprime Tournefort. « Les îles que l'on voit autour de Syra , ne sont pas assurément ces Anticvres si_ fameuses par leur ellébore : celles-ci sont dans le golfe de Zéiton, au-delà de Négrepont, vis-à-vis le mont Oëta, sur lequel on prétend que mourut Hercule. Au lieu d'ellébore, nous trouvâmes dans Syra, au bord de la mer , une plante qui nous fit beaucoup déplaisir; c'est celle qui produit la manne de Perse. Rauvolf, médecin de Hambourg, qui la découvrit dans son voyage du Levant, en lôSy, en a parlé sous le nom d'alhagimauwrumj mais il l'a décrite si succinctement, suivant la coutume de ces temps-là, que j'ai cru en devoir E ij 68 Précis HISTORIQUE faire une description exacte sur les lieux , d^ peur qu'elle ne nous échappât clans le reste de notre route. Il me parut même fort extraor dinaire qu'une plante , qui fait une partie des beautés des plaines d'Arménie, de Géeorgie et de Perse , se trouvât comme retranchée dan- les îles de Sjra et de Tine. Wheeler l'observa dans Tine, et la prit pour une plante non décrite. J'en ai fait un genre particulier, sous le nom d'alhagi ■». « Ses racines sontligncuses, épaisses de quatre ou cinq'lignes , brunes, garnies de fibres ondoyan- tes , peu chevelues ; les tiges ont près de trois pieds de haut,-sont épaisses d'environ deux lignes , vert - pâle , lisses, dures, pliantes, blanches, accompagnées de feuilles assez semblables à celles de la renouée (^poljgonium la/ijoliimi , c. B. PIN. ) ; les plus grandes ont sept ou huit ligries de long , sur environ trois lignes de large , vert-pâle aussi, lissées, assez pointues à leur naissance , attachées par un pédieule fort court, arrondies à l'autre bout, ou elles sons quelquefois légèrement cchancrées, etterminéet souvent par une pointe fort déliée; cette pointe vi'est autre chose que l'extrémité de la côte , hw][uells traverse les feuilles sans former de SUR l'Île de S y h a. C h a p. IV. 69 nervure sensible: à coté des feuilles se trouve toujours un piquant dur et ferme, louiç depuis cinq lignes jusqu.i un pouce, épais quelquefois d'une lii^neàsa naissance,rayédanssa Ioni^ueur,et roussâtre à son extrémité ; les piquants des bran- ches sont plus petits, et naissent des aisselles des feuilles; ceux par où finissent les branches et les tiges, ont im pouce et demi de loni^-, sont plus déliés que les autres , et chart^és chacun de deux ou troisfieurs légumineuses , longues d'en- viron demi-pouce, dont l'étendant est relevé, purpurin vers le milieu, rouge effacé sur les bords, arrondi, légèrement échancré ; les ailes sont plus courtes et plus étroites, rouge-lavé, purpurines en dedans , de même que la feuille inférieure , qui est obtuse et plus large : cette feuille enveloppe une graine bknche , frangée, chargée desommets jaunâtres, et couvre un pis- til long de quatre lignes , terminé par un filet; lecalice est un ,^odet lon£r d'une lit^ne et demie vert-pâle, lisse , légèrement cannelé; lorsque la fleurest passée , le pistil devientunegousse longue d'environun pouce, courbée le plus souven4;en fau- cille articulée, roussâtre, épaisse de deux lignes ^ dans les endroits où les graines sont renfermées; car les articulations sont fort étranglées etsecas- E iij 70 Précishistorique sent facilement : ces graines sont brunes, hautes d'une ligne , un peu plus larges, et de figure d'une petite rein : c'est la structure de la gousse qui distingue cette plante des espèces de genêt et dé ganista spartiiun. » « Je ne sais pas si Ihdhagl donne de la manne dans les îles de S3 ra et de Tine , mais je sais bien que les gens du pays ignoroient que cette plante fournît une drogue qui purge si utile- ment. C'est principalement autour de Tauris» ville de Perse, que l'on en fait la récolte, sous le nom de trwigibin , ou terenjabln , rapporté dans Avicenne et dans Sérapion. Ces auteurs ont cru qu'elle tomboit sur des arbrisseaux épi- neux, quoiqu'il soit très-certain que c'est le suc nourricier de la plante que l'on vient de décrire. >> « Dans les grandes chaleurs, on s'apperçoit de petites gouttes de miel répandues sur les feuil- les et sur les branches de cet arbrisseau ; ces gouttes s'épaississent et ie durcissent par graines^ dont les plus grosses sont du volume des graines de coriandre. On recueille celles de /V/////?^/ , çt on en forme des pains roussâtres tirant sur le brun, pleins de poussière et de feuilles qui eji altèrent la couleur, et en diminuent peut-être la vertu : il s'en faut bien que cette manne soit SUR l'Île DE Syra. Chap. IV. 71 si belle que celle d'Italie. On en vend de deux sortes en Perse. La plus belle , et la plus chère » est par petites graines; l'autre est comme en pâte» et contient plus de feuilles que de manne. » Finissons cet article par tracer le portrait des habitans de Syra. Sous le ciel le plus beau , sous le climat le plus pur et le plus sain, au milieu de toutes les richesses de la nature , l'espèce humaine ne doit pas être la moins parfaite de ses productions. Aussi voit-on à Syra des hommes généralement bien faits, robustes, agiles et cou- rageux. Les femmes que les travaux de la cam- pagne n'ont ni déformées, ni épuisées; celles à qui une fortune aisée permis de mener une vie douce et tranquille, ou même d'habiter quelque temps à Constantinople ou à Smyrne ; celles-là sont belles , comme toutes les femmes du Levant, et c'est en faire un assez grand éloge. E iv yS Précishistoriquue CHAPITRE V. Du gouvernement temporel et spirituel de Sjra. Parlons maintenant du gouvernement de Syia. Cette île , comme le resîe des Cycla- des , est soumise aux Turcs. Je n'ai pas besoin de dire que , dans des temps reculés, elle a changé plusieurs fois de maître; toutes les par- ties du globe habité ont éprouvé le même sort. S3'ra , après avoir obéi successivement aux Grecs , aux Romains , aux empereurs de l'O- rient , reconnoissoit , lors de l'invasion des Otto- mans , les ducsdeNaxie, dont l'origine monte aux tenjps des croisades , comme nous l'apprend Flavius Blondus, comp. rer. Veuet, , et comme nous l'avons rapporté ci-dessus , à l'article pre- mier. Quoique dans la liste , que nous y avons don- née des îles sujettes aux ducs de Naxie , on n'en compte que dix , et que le nom de Sjra n'y SUR l'Île DE Syr A. Chap. V. 73 soit pas compiis, c'est cependant une tradition constantequ'elle leur a appartenu , au moins dans la suite avec onze autres; et que c'est pour cela que ces îles, désignées d'abord toutes ensemble par Je nom de VhiLcanlsa , lies du Duc , furent appelées depuis par corruption Dhod]iecanlsa,les douze îles. On cite même deux anecdotes , qui pourroient servir à appuyer cette opinion , mais que je me dis])ense de rapporter ici , pour ne pas parojtre vouloir fonder mes assertions sur des bnn'ts populaires. Depuis la conquête des Ottomans, tantôt Syra releva immédiatement des Grands-Seigneurs , et alors Xéjnlropos de Syra étoit obligé de porter, avec les épitropes des autres îles , son tribut au ca])itan ])aclia à Drio\ tantôt elle dépendit (les seigneurs particuliers, auxquels les grands- seigneurs avoient abandt)nné la propriété. Sul- tan Abdul-Amid , le dernier empereur, ayant fait couper la tête, il y a douze à treize ans, au Sei- gneur de Syia, a donné en apanage cette île ainsi que celle d'Andros,"à une Sultajie sa nièce, sœur du sultan Sélim régnant. Cette princesse a pris à cœur sa nouvelle possession ; elle s'est montrée protectrice zélée de ses sujets. Il faut pourtant observer qu'elle ne touche que la moi- 74 Précis HISTORIQUE tié du produit du tribut de l'île. L'autre partie est affectée à l'entretien de la garnison de la for- teresse de Chothim où de Bender. Les droits annuels perçus sur l'île de Syra , y compris les dépenses ordinaires de la commu- nauté , sont de 7 à 8000 piastres. Ces droits sont assis, partie sur les terres , partie en capitation, et partie en taxe arbitraire. Les droits sur les terres , dès le commence- cément que Syra subit le joug des Ottomans , ont été taxés à 5oo piastres. Voici comment cela c'est exécuté ; des commissaires envoyés par la Porte parcoururent toute l'île avec des experts , et à mesure ils taxoient les propriétés de chaque particulier de deux liards, de cinq , de dix , de quinze , etc. c'est-à-dire , une aspre , deux aspres , etc. ( comme les Grecs les appel- lent },à raison de leur étendue, de leur qualité, et de leur proximité de la ville. Tous ces liards ou aspres ensemble , forment 5oo piastres. Il faut savoir que , dans le cours ordinaire du commerce , une piastre vaut 120 arpres ; mais dans le payement du tribut, la piastre ne vaut que 100 aspres , ou, ce qui revient au même, pour 100 aspres , on paye une piastre. Ce droit se SL R l'Î LE DE s Y R A. ChAP. V. 76 nomme en grec dhosimo ; on l'appelle encore charatzi , qui est un mot turc. Dans les commencemens, Sjra ne payoit que ces ôoo piastres; ainsi les terres en particulier ne payoient que ce qu'elles étoient taxées. A mesure ensuite que les tributs doubloient ou triploient , les taxes des terres doubloient et triploient aussi. Actuellement que le tribut de l'île monte à i5 ou i6 bourses, c'est-à-dire à 8000 piastres, ces taxes sont montées à neuf; de sorte qu'un terrain , par exemple, qui paj'oit originairement une aspres , en paye neuf au- jourd'hui ; ce qui forme 4S00 piastres, ou neuf bourses, la l3ourse faisant 5oo piastres. Le restant du tribut pour monter à la somme totale, est assis, comme nous l'avons dit, sur la capitation et la taxe arbitraire. Tous les mâles âgés de treize ans environ, sont sujets à cette capitation. Les chefs de famille , c'est-à-dire , tous les hommes mariés , payent quatre piastres (on fait grâce de quelque chose aux jeunes ma- riés); les garçons et les ecclésiastiques , moi- tié. Quand un cheF de famille meurt, son fils , s'il en laisse , de quelque âge qu'il soit , est censé le chef, et paye capitation entière. Outre cet impùt , il y a encore une petite imposition yô Précts historique d'environ quinze sols, à laquelle sont soumis les seuls chefs de famille. Les Turcs l'appel- lent spendja , du mot italien Spesa , dépense. Ces deux articles réunis montent à 2600 pias- tres. Enfin, par la taxe arbitraire, on remplit la somme totale. A cette taxe sont soumises toutes les personnes tenant ménage , ou faisant quel- que profci-sion : les ecclésiastiques en sont exempts , excepté lorsqu'il y a quelque somme extraordinaire à payer par la communauté, et alors ils contribuent librement. La taxe arbi- traire est ordonnée et répartie par une com- mission nommée par la communauté : elle est ordinairement composée de vieillards , et de peisonnes de différentes professions, ayant tou- jours à leur tête Xépitrope. Les cahiers de toutes ces impositions étant foits , c'est à I'épitro])c de les faire lever , et d'en faire passer l'argent à Constantinople , au procureur de l'île de Syia , qui le remet sur-le-champ au trésorier de la Sultane. A en juger par la forme du gouvernement établi à Syra , et dans presque toutes les autres îles , on croiroit que ce sont autant de petites républiques tributaires. Toute l'autorité exécu- SURl'ÎLEDeSyRA.ChAP. V. 'J^ trice réside dans les mains de l'épitropos. C'est un mai^istrat annuel , qui garde quelquefois sa place deux, trois ans, et même davantage s'il en est digne, ou s'il est assez intrigant pour savoir s'j maintenir. Il a pour conseil les proesius , qui sont les anciens épitropes. \Jépitropos ne peut rien innover ; il est obligé de s'en tenir aux coutumes du pays consignées dans les capi- tulaires, ou le code de lois par lequel la commu- nauté est régie depuis un temps immémorial. Nous citerons , un de ces capitulaires qui concerne la vente des biens. Un particulier quel- conque , qui a résolu de se défaire du sien , n'est pas toujours libre de le vendre à qui il lui plaît. Les plus proches parens, d'où ce bien descend , ensuite les voisins qui touchent à ce même bien , ont de droit la préférence : le vendeur fait dabord estimer son bien par les experts; ensuite il en fait annoncer la vente dans toute la ville, par un crieur public ; et si , dans l'espace de i5 jours pour ceux qui se trouvent dans l'île, et d'un an pour ceux qui sont en pays étran- ger, personne de ceux qui ont des droits ne se présente à la chancellerie , alors le propriétaire rst le maître de le donner à qui il lui plaît , et au prix qu'il veut. Je dis au prix qu'il veut, car 78 Précishistorique quand ce sont les parens , il n'en peut exiger que le taux de l'estimation. Cette loi, au premier coupd'œil , semble injuste ; mais ce qu'on peut y trouver de dérai- sonnable disparoîtra , si on fait attention qu'à Syra , les terres sont partagées à-peu-prës éga- lement entre toutes les familles ; cette éiia- lité dans les propriétés contribue aussi à en- tretenir celle des fortunes entre les citoyens. Cette loi a été établie pour arrêter ou gêner les atteintes qu'on pourroit porter à un équi- libre si précieux. Il y a une clause que l'on insèie ordinaire- ment dans les contrats de mariage ; c'est qu'en casque lescontractans viendroient à mourir sans enfans , leurs biens immeubles patrimoniaux retourneront à leurs parens ; mais avec la liberté au testateur d'avantager un ou plusieurs d'entre eux , et sous la condition de laisser quelque chose aux autres héritiers. Par cette clause per- sonne ne peut donner ses biens patrimoniaux aux main-mortables. Il y a cependant une loi qui porte , que si le testateur a fait des acquisi- tions,il pourra en disposer en faveur de qui il voudra ; et qu'à défaut de biens acquis , il lui sera libre de disposer encore du dixième des biens SUR l'ÎL E DE s YR A. Ch AP. V. 79 qu'il a apporté en se mariant , pour faire prier pour le repos de son ame. Au reste, quoique nous ayons dit que l'épi- tropos , assisté des ' j:?roesti , juge les différends entre les particuliers, cependant, quand il sur- vient quelque contestation au sujet des testamens et des contrats de mariage , c'est ordinairement à 1 evêque que la connoissance en est réservée , tant parce que de pareilles discussions exigent plus de capacité, que pour tâcher de les termi- ner à l'amiable et sans frais , et empêcher que la chose ne soit portée devant le cadi , qui exige 10 pour 100 pour ses honoraires de tou- tes les affaires qu'il juge. Il faut observer ici que chez les Turcs, celui qui gagne son procès pave les frais: cela se pratique ainsi avec tous les juges, depuis les cadiaschers, jusqu'aux sim- ples cadis. Ce n'est qu'au tribunal suprême de la porte , qu'on nomme en turc pacha-capichi , qui répond ici à conseil , que les procès se ju- gent sans frais. Par cet arrangement du gou- vernement turc on voit que , si d'un cûté le malheureux qui a été condamné à perdre son procès n'est pas ruiné par le payement des frais , il reste cependant continuellement une porte ouverte aux méchans , pour chercher 8o Précishistorique chicane aux riches, ce qui procure une source intarrissable de revenu aux juges. Ces frais , comme nous venons de le dire , sont les dix pour cent de toute la valeur en question ; de sorte que si l'on plaide devant un cadis , sur la validité d"un testament de la valeur de trente mille livres , celui qui gagne son ])rocès , est obligé d'en payer trois mille. Quoique les cadis ayent le droit de s'attribuer le jugement de tous les différends des particuliers , cependant les or- dres du Grand-Seigneur portent , qu'ils ne peu- vent juger que de concert avec Vcpifrupos et \c8proestl y qui doivent signer leur nom au bas de toutes les sentences , et selon les usages et les capitulaires du pays ; mais comme on voit à Syra peu de procès, grâce aux bons réglemens dont nous avons parlé, le cadi reste communé- ment à Andros ^ où il trouve mieux son compte ; et quand il vient à Syra , ce qui est très-rare, la communauté s'en délivre ordinairement en lui payant trente piastres. Quant à l'avantage d'être soumis plutôt aux sultanes qu'au Grand-Seigneur , ou au capitan- pacha, il y en a infiniment de l'être aux sul- tanes , et sur-tout lorsqu'elles ont de l'énergie ou du caractère. Les vexations sont plus rares et SUR l'Île de Syra. Chap. V. 8i et moins accablantes. Leur protection a beau- coup d'influence clans plusieurs circonstances. Les Syrioles s'en ressentent à Constantinople et ailleurs ; ils sont exempts de capitation moyen- nant une déclaration qu'on appelle tescheré yÇt qui leur est fournie par l'Intendant de la Sul- tane ; c'est une espèce de quittance de la capi- tation payée à cette Princesse. Tout habitant de Sjraqui s'expatrie,doit avoir une de ces tescheréSy pour l'exhiber à ceux qui perçoivent la capi- tation sur les sujets du Grand-Seigneur. LTn au- tre avantage , c'est que Syra , soumise à la Sul- tane , est libre d'accepter ou non un Voivoda pour lever ses impôts. Ces Voivodas sont des espèces de fermiers qui payent à Constantinople, et d'avance au Capitan-Pacha, au moins la moi- tié des tributs de l'année d'une île entière. Au moyen de ce payement , ils sont autorisés à faire la levée de l'impôt, et les îles soumises au Ca- pilan - Pacha sont ordinairement forcées de recevoir ces exacteurs qui désolent les ha- bitans de la campagne, et exercent sur les peu- ples toutes sortes de vexations. Syra n'estpoint obligée encore de faire despré- sens , ni au Capitan-Pacha , ni à son Dragoman , ni aux autres subalternes, comme cela se pra Tome I. F 82 PrÉCISHIS TORIQUE tique clans les autres îles qui sont encore assujetties à des oppressions d'un autre ^enre. Le Capitan- Pacha a le droit •d'expédier par mer des courriers aj^pelés en turc mensil , pour des commissions particulières , à la chari>e des îles par où ils passent. Ces mensils sont souvent des aventuriers , ou des escrocs, qui, moj^ennant quelque somme , se font autori- ser par des Officiers subalternes , sous diffe- rens prétextes , et qui vont d'île en île pour extorquer quelque argent. D'abord on est obligé de les nourrir pendant quelques jours ; et mal- heur à leurs hôtes si le temps devient mauvais; il faut alors les nourrir pendant des semai- nes entières eux et leurs équipages , leur payer le trajet jusqu'à une autre île , et leur faire encore présent de quelques piastres par dessus le marché. Quant au gouvernement spirituel de l'île, TournefcM't, qui a été cité dans l'article précédent, a raison de dire qu'il n'y en a pas de plus catho- lique dans tout l'Archipel. En eiîèt, pour une poignée de Grecs , on y compte près de quatie mille catholiques du rit latin. Si l'on est curieux de savoir comment il est arrivé qu'au milieu de tant d'iles habitées par des peuples de religion SUR l'Île de S y r a. Chat. V. 83 grecque, Syra s'est trouvée d'un rit différent, on n'a qu'à jeter les yeux sur les familles eu- ropéennes qui étoient sur le conthuent, lorsque les Seii^îieurs François et Vénitiens v ayoient de petites souverainetés. Les Turcs les ayant forcés de les abandonner, plusieurs d'entre elles se se- ront réfugiées à Syra. Enefîét , les trois quarts au moins des noms de famille de Syra sont euro- péens , tels que les Damiragîia , les Roussaux , les liossi , les Cappello , Cappella , Damofli , Délia Rocca , Dapola, de la Croix , la Pierre, Man'neîli, Brindesi,Dalegio, Durazzo , Privile- gio, Vacondio, et plusieurs autres. Oa ne peut attribuer à ces noms, ni un caractère gicc , ni une origine grecque. On prétend qu'une ])este des plus meurtrières ayant eniporté à Syra presque tous les habitans , et que plusieurs filles ayant été épargnées, les officiers et autres personnes de la flotte vénitienne s'y établirent, s'y marièrent, et apportèrent dans l'île la reli- gion et le rit romain , qui s'y est depuis tou- jours conservé et propagé. Un EvCque préside au gouvernement spiri- tuel de Syra ; il est toujours nommé par Rome, et sous la protection du Roi de France , sans la- quelle il ne pourroit peut-être pas subsister. Fij 84 Précishistorique Outre la nominatioii de Rome , nos Evêques, pour prendre possession de leur diocèse , et pou- voir exercer librement leurs fonctions , ont be- soin d'être autorisés par un barat de la Porte : ce barat donné auxÉvêques , n'est autre chose , qu'une espèce de pouvoir que les Papes ou les Patriarches de Constantinople accordent dans leurs bulles, ou dans \euY?>pandachus, auxEvê- ques de leur communion. Lorsque les Ottomans soumirent l'Empiredes Grecs , et s'emparèrent de Constantinople , ils eurent la bonne politique de vouloir retenir les Grecs dans les pays conquis, et de les empêcher de s'expatrier. Le moyen le plus propre dont se servirent les Empereurs ottomans pour y par- venir, fut de leur accorder la liberté de reli- o-ion, de recouuoître leurs pasteurs , et de leur laisser presque tous les privilèges dont ils jouis- soient avant la conquête. C'est par une suite de cette faveur que la Porte a imité les bulles ou pandachus ( où sont contenus les pouvoirs spi- rituels des Évêques ), et même quelques ordon- nances des Empereurs grecs , sans lesquelles ces Évêques ne pouvoient aller prendre posses- sion de leurs sièges. Ces barats sont orduian^e- ment adressés aux Gouverneurs des Provinces SUR l'i L E DE s YRA. Cil AP. V. 85 OU des villes. Les objets principaux qu'ils con- tiennent, sont , i"". de gouverner tous les sujets chrétiens de leur nation , demeurant dans le district de leur diocèse , pour tout ce qui a rap- port à la religion; 2,°. de percevoir les dîmes et autres droits qui sont en usage parmi les chrétiens; 3^. de juger les afîaires civiles de leur Clergé. En vertu de ce privilège , un Cadi, par exemple , à S^'ra , ne ponrroit appeler en justice un Ecclésiastique quelconque , ni une Religieuse, sans la permission derÉvêque. Il y a d'autres barats que la Porte est en usage d'accorder aux Ambassadeurs des Cours européennes qui résident à Constan- tinople -, en faveur de dilïérens sujets de l'Empire Ottoman. Par le moyen deceux-ci , les sujets du Grand-Seigneur qui les ont obtenus, sont regardés comme faisant corps avec la na- tion de l'Ambassadeur, à la demande duquel ils ont été accordés, et ils jouissent des mêmes privilèges et des mêmes franchises. On doit s'attendre que M. le chevalier de Mou- radgea , dans son excellent Tableau de l'Empire Ottoman , nousexpliquera dans le plus grand dé- tail, l'avantage de ces Barats, qui n'est pas le même pour tous les Evêques ; car il y a des F iij 86' P K È C I s H I s T O R I Q U E Sièges parmi les Grecs, à qui la Porte a ac- corde un plus grand nombre de privilèges et de i)ouvoirs qu'aux autres. C'est TAmlxissadeur de France à Constan- tinople , qui demande à la Porte le barat pour rÉvêque de Syra. Ce barat coûte 40 piastres pour chaque nouvel Evèque , et pareille somme à l'aYt-^nemcnt au trône de chaque nouveau Sultan , pour le renouveler. L'Ambas- sadeur de France, ou la nation , en fait pré- sent ordinairement aux Evèques de Syra : il est encore d'nsage , lorsque ces Evéqucs sont sacrés a Constantinople, dans la (>hapcllc de cet l'Ambassadeur , que celui - ci , et la nation , lui font présent , ou d'une croix , ou d'une bague , ou de quelque antre ornement ép^is- copal. Les revenus de l'Evêque de S\ra sont très- bornés ; à peine montent-ils à 400 piastres, en y comptant cent piastres qui lui sont données par la caisse de la marine de France, et pareille somme , par la cour de Rome. C'est le plus pauvre de tous les Evèques de l'Archipel, quoi- que les revenus de ceux-ci n'aillent pas à mille piastres. Le nom de l'Evcquc actuel de Syra , cet Tlio- SUR l'Île de S y r a. Chat. A' . 8t mas Foiiton. Ce Prélat est d'une fatniiJe dis- (ini^uée; de])nis plusieurs générations, ses pa- rons sont àConstantinople , au service de France , en qualité d'interprètes du Koi à la Porte. Son Aïeul, iji'entil homme de Valence en Dauphiné , fut le premier qui s'y établit sous l'ambassade de M. de Gérardin , sur la fin du dernier siè- cJe. 11 y a encore à Syra quatre Prêtres, espèce de Chapelains, qui, sous l'inspection de l'Evè- quc, desservent la Paroisse, chacun à leur tour, toutes les semaines. Le casuel de ces bons Ecclé- siastiques est si modique , qu'il ne va pas à dix piastres par an ; cependant rien n'est si res- pectable que l'attention qu'ils apportent au ser- vice spirituel de leurs paroissiens. Mais ce qui devroit servir d'exemple à beaucoup de Prêtres en Europe , c'est l'assistance et les soins infa- tigables qu'ils donnent aux mourans. Dès qu'un malade a été administré, ils ne fabandonnent ni le jour, ni la nuit : on les a vus souvent le garder pendant huit jours , et ne prendre quel- que repos que sur des })!anches.ASyrales Prêtres ne gardent pas les morts ; ils sont persuadés que rien ne les troublera désormais, et qu'ils n'ont pas besoin de compagnie; d'ailleurs Dieu entend F iv 88 Précis historique les prières de loin comme de près. Ce n'est qn'au moment de sa mort, qu'ils croient qu'un Chrétien a besoin d'assistance , de conseil et de secours spirituels. Le clergé de Sjra est assez nombreux : on y compte de 40 à 5o ecclésiastiques , qui sont tous ordonnés ad titulum paLrimonii. Il j en a parmi eux qui ont fait leurs études à Rome , ou en d'autres parties de la chrétienté. Plusieurs d'entre eux sont employés à l'éducation de la jeunesse; ils lui apprennent la lecture , l'écri- ture et les premiers élémens de la reh'gion. Dans presque toutes les échelles du Levant, où il ja un consul de France , on trouve un prêtre deSj'ra pour aumônier. Outre les vingt-cinq Re- ligieuses Capucines, du tiers-ordre de St. Fran- çois, dont parle Tournefort, dirigées par les Ca- pucins , il y a à Syra à-peu-près le même nombre de Jacobines, sous l'inspection immédiate de l'or- dinaire. Deux Religieuses Ursuliness'y occupent de l'éducation des filles. Ces Religieuses, qui ne sont pas cloîtrées, mènent une vie très-exem- plaire dans les maisons de leurs père et mère, ou d'autres très-proches parens. Placée au milieu d'un chaos d'erreurs , Syra ne le cède pas aux pays placés au centre SUR l'Île de Syra. Chap. V. 89 de la Chrétienté , pour tout ce qui est rela- tif au spirituel. C'est une agréable surprise pour ceux qui ne connoissent le Levant qu'im- parfaitement , de voir, quand ils abordent à Syra, la liberté avec laquelle on excerce pu- bliquement la religion catholique, et sur-tout dans la procession de la Fête-Dieu. Le jour de cette auguste cérémonie , les vaisseaux de tou- tes les puissances chrétiennes qui se trou- vent dans le port, font flotter leur pavillon, et saluent la procession de plusieurs coups de canon. Cette douce liberté dont Sjra jouit, est le fruit de la protection du Roi de France auprès de la Porte. 90 Précis HISTORIQUE CHAPITRE VI. Protection du Roi de France , envers les habl- tans de l'île de S^ra y relativement à leur religion^ etreconnolssance de ceux-ci envers les François. 1 ous les catholiques répandus dans l'Empire Ottoman, reconnoissent le Roi de France ponr leur protecteur ; et cette protection s'étend particulièrement sur ceux qui suivent le rit iatin ; les habitans de l'île de Sj'ra en paiticii- licr en ont de tout temps ressenti les heu i eux effets. On évalue communément le nombre de ceuc qui , dans les états du Grand- Seigneur , suivent la rehgion catholique , à troismillions, sous df- férens rits , dont j)artie a adopté le rit grec ; mais les Syriotcs suivent le rit latin , et c'est la conformité de culte qui les tient plus parlcu- lièrement attachés à la France. C'est sans chute cet attachement qui leur a mérité de la pat de SUR l/ÎLE D F. SyRA. ChaT. VI. 91 cette nation une protection toute particulière, ai moyen de laquelle ils jouissent clans leur île d'une a.-sez grande liberté pour l'exercice de leur reliirion. o Nous avons déjà remarqué au chapitre pré- cédent, que nos Eveques, sous les auspices des Rois de France , jouissoient d'une paisible tranquillité dans l'exercice de leur ministère. Louis XIII a le premier fondé dans l'île de Syra une mission de Capucins. Louis XV a protéine celle des Jésuites. Les Prêtres de Saint- Lazare ont succédé à ces derniers dans presque toutes les missions dont ils étoient chargés. Le zèle infatigable avec lequel ils remplissent les fonctions de l'apostolat, sembloit faire espérer aux Syriotes cju'ils viendroient affermir par leurs instructions , des peuples environnés d'in- fidèles , dans le chemin de la foi , et les édifier par leurs exemples. Sans doute que des cir- constances particulières ont retardé jusqu'à ce moment un ouvrage aussi bien commencé , et dont les Lazaristes doivent se promettre les plus grands succès. La rcconnoissance des Syriotes envers le Roi de France se manifeste à Syra de la manière la plus éclatante ;on pourroitmémedire la plus 92. PRÉCISHISTORIQUE incroyable (i). Quoi de plus singulier en effet ' que d'entendre au milieu des peuples livrés à l'erreur , et d'autres ennemis capitaux du nom chrétien , dans les Églises et les Chapelles parti- culières , retentir au loin le chant mélodieux du Domine sahiunfac regeni? Et pour qu'on ne puisse se méprendre sur le nom de celui qui est l'objet de cette prière, on y ajoute ces mots iiostruni Ludovicum. Quel hommage que celui d'un peuple soumis à une domination étrangère , qui , par amour , choisit pour ob- jet de son affection particulière, un Koi que son attachement au seul culte catholique a fait nommer universellement très-chrétien ! Un étranger qui arriveroit à Syra dans ces instans, ne pourroit douter que la religion dominante du pays ne soit la catholique. La publicité de ces prières et l'éclat de ces preuves de reconnoissance , ont attiré aux Sy- riotes , auprès de la Porte , de la part des schis- matiques, le reproche de reconnoître le Roi de France pour leur Souverain, maispar égard (i) Je puis avancer, sans crainte d'être démenti , que cet attachement des Syriotcs à Sa Majesté très-chré- tienne , est si profond , qu'aucun d'eux n'hésiteroit de mourir pour sa gloire et pour son service. SUR l'Île de Syra. Chap. VI. 98 pour la France , le gouvernement a rejeté celte accusation ; d'ailleurs le mépris que les Mu- sulmans ont pour touteautre religion que la leur, et le peu de mérite qu'ils attachent aux priè- res qui ne sont pas adressées à Dieu par eux-mêoi mes , semble motiver cette indifférence (i). (i) Une anecdote assez'singulière peut prouver le mé- pris que les Turcs ont pour les prières des chrétiens. 11 y a quelques années, que dans une province de l'A- sie mineure voisine de Smyrne,on éprouva une séche- resse affreuse. Les moissons périssoient sur pied , et tout annoncoit une disette extrême. Les Turcs se ren- doient en foule aux mosquées, pour obtenir de la clé- mence de Dieu la pluie qui leur étoit si nécessaire. Mais la sécheresse augmentant de plus en plus , il fut ordonné aux chrétiens de joindre leurs prières à celles des Turcs. Les chrétiens firent des prières publitjues ; bientôt une pluie abondante fit reverdir les campagnes, et dissipa les alarmes. Aux cris de Talégresse uni- verselle , succédèrent des murmures contre les chrétiens, dont on présumoit que les prières avoient obtenu le sou- lagement si désiré , et on étoit surpris qu'après tant de prières faites par les Turcs inutilement , celles des chré- tiens eussent fléchi la colère de Dieu. Voici de quelle manière l'Imam trouva moyen de calmer les esprits. Vos prières , dit-il , aux Musulmans, sont auprès de Dieu comme un parfum délicieux : elleslui sontsi agréables , 94 Précis HISTORIQUE Les Syriotes se sont empressés dans toutes les occasions de donner aux François tous les se- cours qui étoient en leur pouvoir : nous ne pou- vons en donner une preuve plus authentique , qu'en rapportant cJ-après les certificats de plu- sieurs Négocians de Marseille , qui ont résidé dans le Levant , et des Capitaines des Navires qui fréquentent ces mers. Les originaux de ces certificats envoyés au Ministre de la marine du Roi, ont été déposés dans les bureaux de ce dépar- tement. Lorsqu'un navire fVançois est attaqué de la peste, et qu'il se trouve à portée de Syra , il ne manque pas tVy aborder de préférence , étant sûr dy trouver tous les secours possi- bles. On dresse des tentes dans une petite que pour en respirer plus long-leinps la vapeur, 11 ne veut pas s'empresser de les exaucer. Au contraire, les prières des clirétiens sont pour lui conime un cadavre infect ; c'est pour cela cpje dès qu'ils lui demandent quelque grâce , il se dépécîie delà leur accorder , pour se délivrer d'une odeur qui lui est infiniment désagréable. On ne sait de quoi s étonner le plus, ou de l'adresse de l'Imam qui donne une pareille réponse, ou de la stupidité du peuple qui s'en contente. SUR l'Île de Syra. Chap. VI. g5 île , éloii^iiée du port d'environ un mille ; on fait descendre tout ré(|uipai>e , et on sépare les malades de ceux qui ne le sont pas. Ceux des Syriofes qui ont eu la peste à Constan- tinople ou ailleurs, et qui ne la craiguient plus, se vouent au service des malades. D'autres vont nettoyer le vaisseau, mettre à l'air les mar- chandises , et dissiper le levain pestilentiel. Les Ecclésiastiques s'empressent à prodiguer tous les secours spirituels à ceux dont la vie est en danger; et après un séjour de quarante à cin- quante jours , l'équipage remet à la voile , en bé- nissan»tDieu ds lui avoir procuré un si précieux hospice sous un ciel étranger, et vouant à des hôtes si humains , une reconnoissance éternelle. Si à la vue de Syra, un vaisseau François est poursuivi par quelques corsaires ou pirates , les habitans volent à son seconrs,Tiinsi que l'attes- tent les certificats que nous rapporterons. MM. deV ergennes et de Saiut-Priest , Ambassadeurs de France k îa Porte, ne l'ont pas ignoré. La dé- fense que lesSyriotes prirent en 1770, d'un vais- seau François, lorsque la flotte russe occupoit l'Archipel, leur fut très-funeste : à l'instant où il entroit dans le port de Syra , deux petits, corsaires remplis de Srakiotes , sous pavillon ç6 Précis HISTORIQUE russe y abordèrent aussi. Le Capitaine François, accompagné du sienr Perretier, négociant, qui alloient à Smyrne, montèrent à la ville. Les Sfakiotes résolurent de s'emparer du vaisseau; mais pour y parvenir plus sûrement, ils formè- rent le dessein d'arrêter le Capitaine et son com- pagnon, à l'instant où ils descendroient de la ville. Un S^^riote informé de ce complot, avertit sur-le-champ le Capitaine et l'Epitropos qui se tinrent sur leurs gardes. On sonna le tocsin, et au même instant plus de soixante jeunes gens pri- rent les armes et environnèrent les deux Fran- çois. Ils les conduisirent jusqu'à bord de leur vaisseau , sur lequel ils passèrent toute la nuit , de peur d'attaque ou de surprise. Les François ajant mis à la voile le lendemain, les Sjriotes voulurent les accompagner jusqu'au détioit qui est entre Tine et Mycone, et ne se jetèrent dans leurs barques pour regagner le port , que quand le vaisseau François eut assez pris le large pour être à l'abri de la poursuite des corsaires. Piqués de se voir ainsi arracher une proie sur laquelle ils avoient compté, les pirates re_ vinrent quelques jours après au nombre de quatre à cinq cents, pour faire une descente dans l'île et piller la ville ; ils se répandirent dans les diffère ns SUR L*ÎLE DE SyrA. ChaP; VI. 97 difïërens quartiers, et}' passèrent la nuit. Les Sy- riotes se doutant de leur dessein, prirent les ar- mes aux nombre de viui^t-cinq à trente, ayant à leur tête George KxanthaKi , renommé par sa valeur. La plupart des habitans étoientà la cam- pagne ; mais malgré l'inégalité de Forces, les Syriotes firent de tels efïbrls de courage, com- binèrent si bien leurs attaques, que les Sfakiotes et les Albanois , saisis de peur , et ne pouvant juger du nombre, quittèrent bientôt la j)artie» et regagnèrent leurs vaisseaux à toutes jambes* Une poignée de Syriotes , dont paitie n'avoit pas même d'armes à feu, osa les attaquer en pleine campagne; et quoiqu'ils se battissent retranchés derrière des murs peu élevés, plusieius d'en- tre eux furent tués ou blessés , et aucun des Sy- riotes ne reçut la moindre blessure. Des officiers russes qui avoient été témoins de ce combat , du vaisseau qu'ils montoient, rendirent compte au général Orlof de cet acte de bravoure et de patriotisme , en lui protestant qu'ils préféreroient commander une compagnie de braves Syriotes, à des régimens entiers d'Albanois* Quoique les Sfakiotes et les Albanois aient été repoussés plusieurs fois avec perte, ils n'en sont Tome I, G pB Précis historique pas muins acharnés à la vengeance: ils attaquent sans cesse les habitant de Syra. Ce sont, de temps en temps, de iiouvelles incursions ,de nouvelles descentes dans des endroits écartés , où ils met- tent tout au pillage, ravageant les campagnes, brûlant les vignes et les arbres Fruitiers, empor- tant les troupeaux répandus dans leschamps, et se vengeant ainsi par des traits de barbarie , de la défense courageuse et légitime que les Sjriotes ont opposée à leur brigandage , et des secours qu'ils ont donnés au pavillon François. C'est sur-tout dans le cas où les vaisseaux François font nauFiage à la vue de l'île Je Syra, que les Syriotes Font éclater le zèle le plus ar- dent. Un des plus ailreux nauFrages qu'ils aient essuyés est celui de 1778. La nuit de Noël, par un Froid excessiF, un ouragan fit périr dans le viort même , un vaisseau François du port de Marseille, commandé par le capitaine Girard, qui y étoit à l'ancre. A l'entrée de la nuit , la mer étoit parFaitement calme et le ciel étoîj. couvert. Le capitaine ordonna au Pilote de gou- verner sur Fancre, c'est-à-dire, de se mettre À pic 3 dans le dessein d'appareiller dans la nuit dès que le vent seroit Favorable. Tout l'équipage était livré au sommeil. Le vaisseau, après avoir SUR l'Île de Syra. Chap. VI, 9^ fait plusieurs révolutions autour de l'ancre (ce qu'en terme de marine on appelle jouer sur son ancre), le cable en accrocha une des pointes et lui fit quitter terre. Au point du jour, il s'é- Jeva un vent violent de nord-est, qui obligea le Capitaine de Faire lâcher le cable , sans prendre garde si le vaisseau étoit amarré , ou jonoit sur son ancre: le vent augmentant de plusen plus, le vaisseau dériva sans qu on s'en appcrcût , et fut jeté sur des rochers à quinze pas tout au plus du ri- vage. Le Capitaine, averti trop tard du danger qu'il couroit,et pour empêcher que les gens de l'é- quipage ne se jetassent dans la chaloupe, et n'abandonnassent le vaisseau , coupa lui-même la corde, et fut , sans le vouloir, cause de sa perte et de celle d'une grande partie de l'équipage. Au point du jour , à l'inslant où tout le monde étoit rassemblé dans l'église pour entendre la Messe, un Missionnaire (c'étoit le Père Roxa , ex- Jésuite Napolitain, et originaire Espagnol ) , alloit commencer son sermon de mission ail peuple, lorsqu'on vint l'avertir qu'un vaisseau françois et tout son équipage étoient près de périr. Ce Missionnaire adresse sur-le- champ au peuple ces paroles :« Mes enfans, « des François , nos frères, se trouvent en ce G ii loo Précis HISTORIQUE « moment dans le plus grand danger : nous ne « pouvons célébrer cette solennité d'une ma- <^ n l'ère qui soit plus agréable à Dieu, qu'en « volant k leur secours. » A peine eut- il dit ces mots , que chacun , animé du même zèle, court au rivage. En un instant, l'Eglise fut dé- serte. C'étoit un spectacle vraiment attendris- sant , de voir l'empressement avec lequel '^s hommes, les femmes , les enfans,les vieillards même, couroient au rivage. Les uns portoient du bouillon , d'autres des liqueurs, cei3x-ci des vêtemens , ceux-là des médicamens ; et ce cjui rendoit cette scène encore plus touchante, c'étoit la rigueur de la saison. La grêle, la neige , le vent et le froid étoient excessifs; à peine pouvoit-on se soutenir, J'étois moi-même témoin oculaire de tout ce que la charité ins- piroit aux Sjriotes en faveur de ces malheureux. L'empressement de chacun à imaginer pour les sauver , des moyens que la fureur de la mer pouvoit faire regarder comme inutiles , rendoit encore plus aflicux le silence qui régnoit dans ce moment. On eût dit qu'un chef habile ccm- mandoit cette troupe , tant leur concert étoit unanime. Monté suruue éminence , les consola- tions que j'adrcssois à ces malheureux, redou- SUR l'Île de Syra. Chap. VI. loi bloient le zèle des uns et le courage des autres : moi-même je sanglottois , et je perdofs à chaque instant le courage que je tâchois d'inspirer. Le vaisseau aj^ant rencontré sur le rivage des rochers aplatis, y étoit tombé sur le côté, et le poids des mâts le faisoit pencher vers la mer; de manière qu'on vôyoit de terre toute la quille , et qu'ainsi il n'étoitpas possible d'établir de com- munication pour aller porter du secours à ceux qui étoient dans le vaisseau. On tenta d'établir un pont pour aller à bord. Pour y réussir, plus de deux cents personnes transportèrent un mât qui étoit resté sur l'île, des débris d'un autre vaisseau François , qui , quelques mois avant, avoit péri sur le même rivage , et dont l'équipage avoit dû son salut au secours des Syriotes. On fit les plus grands ef- forts pour le pousser à bras jusque sur le vaisseau ; mais ce fut inutilement. Quoique ce bâtiment ne fût pas à plus de quinze pas du ri- vage, les vagues étoient si fortes, qu'elles cou- vroient le vaisseau , et dérangeoient tout ce qu'on tentoit d'établir. A chaque instant on étoit contraint de quitter le travail, et à se retirera plus de dix pas sur la terre. Le mât qu'on avoit apporté, fut mis en pièces contre les. rochers» G iij 102 P R É C I S H IST O RIQU E On chercha, par le moyen d'une fronde , à faire parvenir sur le vasseau une Hcelle, qui, une fois saisie par ceux qui étoient dedans, auroit servi à tirer à eux une forte corde , par le secours de laquelle on espéroit qu'ils auroient pu se sauver ; mais la force du vent rendit encore cette tentative inutile. On peut juger par toifs ces détails , de la violence de l'ouragan. Desespérés de voir tous leurs efforts inutiles, les Syriotes poussèrent le courage jusqu'à pro- poser de se jeter à la nage, pour aller saisir le bout d'un cordage , le ramener à terre , et sauver ainsi tous ceux qui auroientassez de force pour s'en servir. Cette ressource étoit , comme on voit,infiniment périlleuse ; mais, malgré le danger extrême, un habitant se jette à la mer» arrive avec des peines incroyables près du vais- seau , et crie a^x matelots de lui jeter le bout d'un cable. Ceux-ci , soit que fhorreur d'une mo) t ceriaiue leur eût fait peidre la tête, ou que ie bruit d'un vent violent les empêchât d'en- tendre , né jetèi ent point la corde qu'il demandoit Il niedé toutes ses forces une seconde et une troi- sième foife. Enfin un matelot luienfait parvenir une ; il la saisit entre ses dents , et cherche à re- gagner le rivage : un cri universel et des acclama- SUR L*ÎLE DE SyRA. C H A P. VI. Io3 lions de joie se font eiitendrc de tous lesSyriotes; tous se flattoient de sauver jusqu'au dernier de tout rét|uipage ; mais, à moitié chemin, on s'aper- çut que la corde étoit trop courte, et cet acci- dent les reploni>;ea dans la i)lus vive douleur. On crie au nageur de retourner au vaisseau , et de demander une autre corde. Cet homme intrépide, quoique exténué de lassitude , transi de froid, couvert à chaque instant par les va- gues , sent renaître son courage , et reprend la route du vaisseau ; mais enfin , forcé de cé- der à la fatigue et à la violence des flots, il est jeté sur les rochers, couvert de sung et de bles- sures. On tâche de le sauver du naui'rage, et de ^ l'arracher à la mort. Les S^riotes ne furent point encore découra- gés ; ils transportèrent sur leurs épaules un bateau qu'ils mirent à flot , pour essayer d'a- boider le vaisseau ; mais il fut en un instant fracassé contre les rochers. Une vingtaine de personnes se jetèrent dans une forte barque, et tâchoient , à force de rames , d'aborder le vaisseau du côté de la mer , pour tenter de sauver ceux qui étoient dedans : leurs efforts furent encore inutiles; ils manquèrent de périr , et eurent toutes les peines imaginables à re- G iv 104 P R É C I s HISTORIQ UE gagner le port. Si le capitaine n'eût pas coupé la corde de laciialoupe, tout l'équipage se seroit sauvé. Ce capitaine, témoin de tous les effbrtsdes Syriotes,et forcé d'en reconnoître l'inefficacité, prit le parti de se jeter à la mer ; mais le re- flux des vagues l'ayant entraîné sous la carène? on ne le revit plus que le lendemain , la mer le jeta mort sur le rivage. Le désespoir des Sjriotes de ne pouvoir porter des secours aux malheureux qui étoieilt dans le vaisseau , ne peut s'exprimer. La mort du capitaine et d'un autre qui l'avoit suivi , augmentoit encore leur dou- leur. On avoit vu périr trois personnes de celles qui étoient montées sur la quille du vaisseau, du froid excessif qu'il faisoit. Ce désespoir inspira une dernière tentative, qui réussit à arracher à la mort quatorze per- sonnes de l'équipage. Quatre bons nageurs se lièrent à des cordes par le milieu du corps , et se tenoient tout près du rivage : aussitôt que la mer cnlevoit quelqu'un de dessus la quille, ou que quelques autres se jetoient à la mer , tous quatre s'y jetoient aussi , et si la mer ne les engloutissoit pas , ou ne les entraînoit pas sous le vaisseau , ils les saisissoient, et de terre, ça tirant la corde , on les y ramenoit , en leur SUR l'Île de Syra. Chap. VI. io5 faisant vaincre l'effort des vagues. Quand les uns et les autres étoient sur le rivage , on ne pouvoit pas distinguer lequel étoit en plus grand danger , ni à qui porter plus promptement des secours. Ils étoient jetés contre des rochers , et couverts de blessures : on les transportoit à mesure dans une caverne voisine , où un méde- cin du pays leur donnoit les secours convenables; il y avoit du feu , des alimens chauds , des ha- bits et tout ce qui étoit nécessaire. Aussitôt que le naufragé étoit un peu revenu à lui , on le portoit sur les épaules dans une cliambre où on avoit placé des matelas , et là, entre de bon- nes couvertures, on achevoit, à force de soins, de le rendre à la vie. Pendant cju'on étoit occujié à soigner un ma- telot qu'on avoit retiré de l'eau , ainsi que les Syriotes qui l'avoient secouru , les vagues avoient entraîné de dessus la quille , un mallie u- reux qui, du même coup, avoit été poussé jus- qu'au rivage. Aucun des assistans ne s'en étoit ap- percu. J'en étois plus près que personne et je fus frappé de voir remuer la jambe d'un homme. Je me précipitai dans l'eau , je le saisis par la jambe , et les efforts que je fis pour l'en tirer me firent glisser. J'ai lois être entraîné io6 Précis historique avec lui , lorsque quelques Syriotes me saisirent jjarle milieu du corps,et nous retirèrent ensemble. A peine fut-il sur le rivage, qu'on reconnut que cetoit un pauvre Turc , et je puis attester que j'éprouvai dans ce moment une satisfaction égale à celle d'avoir sauvé les jours demesparens les plus proches. Quand on crut avoir sauvé tous ceux qui vi voient encore, on entendit les cris d'un mousse de neuf à dix ans, qui demandoit du secours d'une voix si plaintive et si lamentable , que tous les coeurs en étoient déchirés. On ne pouvoit savoir où il étoit , ni d'où partoient ses cris. Emu jusqu'aux larmes, et oubliant mon insuf- fisance, j'allois me jeter à la mer, sans réflé- chir à l'inutilité de mon entreprise , et à la cer- titude du péril auquel je m'exposois. Je ne pus me soustraire à la douleur que ces cris me fai- soient éprouver, Cju'en fuyant vers la ville. Le zèle des Syriotes, dans cette circonstance, ne s'est pas borné envers ceux qu'ils ont pu sau- ver, il s'est encore étendu sur les morts: à me- sure que la mer les jetoit sin^ le rivage , on les portoit dans une chapelle près de la mer ; en- suite févéque , à la tête de son clergé , descen- doit en procession , suivi d'une grande foule de SUR l"'île de Syra. Chap. VI. T07 peuple , et on les portoità la Cathédrale pour leur donner une honorable sépulture. Par-tout sur leur passai^e , une douleur vraie donnoit à leur mort des larmes sincères. Les femmes mê- loientleursaccens aux chantsde l'Eglise, et chan- toient , suivant l'usage des Grecs , des hymnes lugubres etrimées , (|ui airachoient des pleurs à tous les spectateurs. J'en ai retenu les paroles. « Ah «pauvre père, pauvre mère ! quand vous rece- « vrez la funeste nouvelle de la mort de votre « enfant! Ah! malheureuse épouse! où êtes- vous? « Vous êtes loin de croire que votre malheureux « époux soit dans ce cercueil ! Enfans, venez em- « brasser vos pères , avant qu'ils soient enfermés « dans un éternel tombeau ! etc. Tous ces détails justifient pleinement les at- testations que les Négocia ns de Marseille et les Capitaines des vaisseux marchands , ont données de la charité et de l'hospitalité des S^- riotes (que nous rapporterons ci-après), «etque « parmi toutes les îles de l'Archipel , celle de « Syra a un droit particulier à la confiance et à « l'affection des François; sentimensqueces peu- « pies méritent par l'attachement sincère qu'ils « ont toujours témoigné à ceux de notre nation , « comme s'ils ne formoient avec nous qu'un seul « peuple. » io8 Précis historique Lorsqu'on picsenta au capitaine Marticliou ce certificat pour le signer ( c'est un de ceux qui se sont acquis le plus de célébrité par leurs courses ) , il le lut les larmes aux yeux , et dit: •Oui , je le signerai de tout mon cœur, parce que c'est le plus exact de tous ceux qui ont été donnés. CERTIFICATS DES CAPITAINES, Concernant les services rendus par les habi- tans de Vite deSyra j aux Navigateurs Fran- çois. a Nous soussignés , Capitaines de vaisseaux marcLauds , poussés par les sentinicns de reconnuissance qnc nous ont inspirés les habitans de l'ile de Sjra, par les bons et con- tinuels services que nous en avons reçus , déclarons et certi- fions à qui il appartiendra, que parmi les îles de l'Ar- chipel que nous sommes dans le cas de fréquenter pour les affaires du commerce , celle de Syra a un droit parti- culier à la confiance et à l'affection des François; senti- Uîcns que ces peuples méritent par la confiance, le /èle particulier et l'attachement sincère qu'il ont toujours témoignés à ceux de notre nation, comme s'ils ne fi^munent avec nous qu'un seul peuple; «'empressant de nous donner fous les secours qui ont été en leur pouvoir , soit dans le SUR l'Île de Syra. Chap. VL 109 naiiFrages que nous avions essiijés sur les côtes, soifc dans es attarpies des cursaircs ennemis, soit dans celles que nous avons souffertes de la part des pirates qui infestoient les mers du Ijevaiit, lors de la dernière guerre que les Turcs ont souteuue , et dont plusieurs de nos vaissseaux eussent été la proie , si ces insulaires n'avoicut pas pris ' les armes pour mms défendre 5 soit encore dans les atteintes de la contagion, dont 110s équipages eussent été la victime sans les secours abondans qu'ils nous ont donnés dans ces tristes conjonctures C'est pourquoi nous déclarons volontiers, que tous les Taisseaux François trouveront dans cette île , des avantajies qu'ils ne trouveront nulle antre part dans l'Arcliipcl , et qu'ils peuvent y mouiller avec une entière assurance. En ^oi de q'uoi , nous avons délivre le présent. A Marseille, le 2 Mars 1781. Signés yV. A. Martichof, Rivière, J. J'^^Coste P. Blanc, J. Couchier , B. Pérou , Broutin , II. DODMERGUE, BeAUSSTER, ReIBAUD , AnTOINK Catelin, Bone , A. Guirard, H. F. Guirard, David, G. d'Allest , B. Murât, Boze, Coreil, Fournier. ^ O U s y Lazare de Gerin-Rlcard y Conseiller du Roij Lieutenant-Civil et Criminel au siège 110 Précis HISTORIQUE de V Amirauté de cette ville , eu empêchement ^ certifious à tous qu'il appartiendra , que les signatures ci -dessus apposées au bas du certificat ijui les précède, sont réellement celles des personnes j énoncées , lesquelles sont véritablement Capitaines , ainsi quelles se qualifient j ayant toutes signé en notre présence } en témoin de quoi nous avons si- gné. Donné à Marseille , le \6 Mars 1781. Signé Geriim -Ricard. Scellé à Marseille , le 26 Mars 1 78 1 . Signé Tessier . Pour copie couronne à l'uriginal gardé au bniean des Cuusnlats. Signé Laneu VILLE. C E R T I F I C AT S des Négocians François , en faveur des mêmes liabitans , sur le même sujet. Nous soussignés, Négocians François, (jui avons ré- sidé dans diverses éclielles du Levant , déclarons que les Labitans de l'île de Syra ont foujoiu's été piatés à rendre de bons et fidèles services à la nation francuise; quils se sont constamment prêtés, avec tout le zèle et la prédilec- tion possibles 5 à donner, dans leur pays, toute sorte de SUR l'Île de Syra. Chap. Vf. m secours aux Ijâtiraens ^;ancois qui ont ét-ê dans la uéccssité de recourir à leiiis bous oBBces, soit dans les cas de nau- frage jd'accidcus, de peste, attaques des pirates et ennemi» de l'état, qui les ont poursuivis jusque dans le port mêmes de Sjra ; qu'en pareille circonstance, on a vu les habitaus abandormer leurs foyers pour venir , à main armée , secourir et défendre, au p?ril de leur vie, les sujets du roi , leurs biens, et Thonueur du pavillon françois, et les délivrer toujours des dangers auxquels ils étoieut exposés. En foi de quoi , et à la réquisition de ces fidèles amis , nous ne pouvons refuser ce témoignage à la vérité. Fait à Marseille, le lO Mars 1781. »S"/\g-/ze, HrACTNTHE Re.musat , Gfys , P. Delisle, Lafleche, Henry , Lasalle, Merle, Jacques Arnaud , Hancy , J". Truiller , Esttu , Rous- TAiN, J. B. Magy , Bourguignon, Louis Ro- land, J E A N-li ouïs Roland, Justin lEN G R E L I N G. JV O us Echevin et Députés du Coimncrce de cet le ville de Marseille , certifions et attestons cjue ceux qui ont signés ci-dessus y sont tels (ju^ils se qualifient j en foi de quoi nous avons signé ces présentes y et à icelles fait apposer le sceau des armes de ladite rillç ÏI2 PrÉCI S HI STOR IQUE de Marseille et commerce accoutumé , pour servir et valoir en cas de besoin. Signé Hermite, Echevia. T. Clary, George Audibert, Ferrari, L^ J. MiLLOT , P. Nicolas Testar, Bardon, D o L I e R l'aîné. Pour copie conforme à roriginal , gardé au bureau des Consulats. Siffné Laneu VILLE. CHAPITRE SUR L*ÎLE DE S Y R A. C H A P. VII. ii3 CHAPITRE VIL Du caractère et du génie des Sjriotes. Un ne peut réfléchir sur le caractère et sur le génie des peuples modernes de la Grèce, sans se représenter les beaux jours où cette heureuse contrée a produit tant de grands hom- mes dans tous les genres. Il n'y a personne qui ne regarde les anciens Grecs , comme une nation privilégiée de la nature , des arts et des grâces, et M. Gillies Anglois, dans ce qu'il a publié sur l'ancienne Grèce , n'a fait que ré- péter le témoignage qu'en ont rendu les peu- ples de tous les temps et de tous \eè pays. « C'est « de cette contrée, dit -il, qu'est venu tout ce « qui est en possession d'enchanter les hommes « depuis plus de vingt siècles accumulés ; cette « brillante muhologie qui conserve des droits « indestructibles sur l'imagination , ces grandes «inventions poétiques qui n'ont jamais pu être « égalées, l'idée du beau dacs tous les arts^ Tome J. H ii4 Précishistorique «c les grâces, la pureté du goût. Quand on parle « de modèles, on est obligé d'en revenir aux « anciens Grecs. Les Romains s'étoient formés « sur eux ; et dès qu'on s'éc-ute de leurs traces , i< on devient ridicule et on retombe dans la bar- « barie Si on examine la cause à latjuelle » on doit attribuer la prééminence que les Grecs « eurent sur les autres nations, on trouvera que « les Grecs eux-mêmes étoient dans la plus « forte persuasion que la contrée dans laquelle « ils vivoient , étoit spécialement favorable norance grossière ; mais ils s'en prennent à l'état d'oppression et d'humiliation dans lequel ces peuples sont main- tenus par les Turcs , au défaut absolu de tout moyen de s'instruire, enfin à l'esprit même du gouvernement sous lequel ils vivent; mais ces auteurs ajoutent qu'au milieu même de ces ténèbres de l'ignorance, ils ont encore reconnu des traces de cette fécondité d'esprit , de ce génie qui a caractérisé cette nation , et qui lui a assuré pour toujours une supériorité décidée sur toutes les autres. « Le germe du génie et des « a) ts, dit M. de Pejssonel , ibid. pag. 29Ô , n'est <* point entièrement étouiTé chez les Grecs : il « n'est pas nécessaire de leur rendre les riches *< scènes tle la nature; ils les ont sous les veux h SUR l'île DE s YRA. ChâP. VII, T19 >> dans le plus beau pays, et sous le plus beau «climat de la teire, où la nature se montre « dans toute sa pompe et tout son éclat. II * n'est pas nécessaire de leur rendre les riches « scènes de l'état social; ils en sont tous les jours « témoins dans une des plus nombreuses sociétés « qui existent. Il ne faut que leur rendre les <* modèles dans tous les genres, que leurs an- « cétres ont fournis aux siècles passés , jjr.ésens « et à venir; et bientôt ils les imiteront. » Si après de telles auto»ités, il m'étoit en- core permis de donner mon opinion sur ce qui concerne ma nation , ( car ma famille , quoi- que originaire d'Italie, étant établie en Grèce depuis plus de deux siècles, doit être réputée grecque ; ) si , dis-je, mes assertions j^ouvoient n'être pas suspectes , il me seroit aisé d'avancer et de prouver par des faits, qu'il n'y a pas de na- tion qui, réduite au même état d'humiliation, d'avilissement et de détresse, ne fût incompa- rablement })lus abrutie. Opprimés imj)itoyable- ment par les Turcs qui sont devenus leurs maîtres depuis leur conquête, ils s'estimeroient encore heureux , si les autres Européens ne se joi- p-noient souvent à eux; et si en encl;éjissaiUsur jes o])probres qu'ils leur font souj lir, ils n'a- Hiv \ I20 Précis HISTORIQUE chevoient de rendre le joug tout -à -fait insup- portable. S'élëve-t-il , par exemple , un différend entre unGrecet un Européen? celui-ci parvient presque toujours, à force d'argent ou de crédit, quelques torts qu'il ait, à écraser son adver- saire , et souvent à le faire condamner à la prison ou au moins à la bastonnade. Je le demande; quel peuple pourroit soutenir une pareille épreuve , et ne tomberoit bientôt dans un état d'engourdissement et de barbarie , pire que celui où se trouvent les Grecs, et tel que celui où quelques auteurs voudroient persuader qu'ils sont en effet tombés? Mais venons aux Sjriotes : placés à-peu- près au centre des Cjclades et au milieu des ^à deux Grèces , ils doivent , sans contredit , ^^ participer aux prérogatives morales des Grecs, d'autant plus qu'on sait que l'on trouve com- munément chez les insulaires, je ne sais quoi tie plus libre et de plus saillant dans le génie, que chez les habitans du continent ; et en effet, parmi les grands hommes dont les talens ont illustré la Grèce, on remarque que, propor- tion gardée , il en est plus sorti des îles que | de la terre ferme, Homère étoit de Chio, sui- vant la plus commune opinion ; Salaniine , SUR l'Île de Syra. Chap. VIT. 121 Rhodes et plusieurs autres îles, ont revendiqué l'honneur de lui avoir donné le jour : l'histo- rien Théopompe ctoit aussi de Chio ; Euripide étoit né à Salamine; Alcée, Terpandre , Pitta- cus, SaphoetThéophraste,à Lesbos;Théocrite, selon quelques-uns , Apèle et Hippocrate à Cos ; Pjthagore et l'astronome Aristarque , à Samos; Phérécjde, à Sjros; Simonidele jeune, à Céos, aujourd'hui Zéa ; enfin plusieurs autres qu'il seroit trop long de nommer , et qui sont nés dans d'autres îles. Comme les Syriotes se sont toujours tenus renfermés dans leur île , occupés à la culture de leurs terres, et qu'ils n'ont commencé que depuis peu à communiquer avec leurs voisins et avec les étrangers, ils ont encore eu moins d'occasion qiie les autres insulaires de déve- lopper leur génie et de se Faire connoître; aussi passoient-ils dans l'Archipel, pour des gens extrêmement simples. Mais depuis qu'ils s'adon- nent à la navigation , et qii'ils vont faire le com- merce , soit à Constantinople , soit à Smirne , soit à Salonique, ou dans d'autres ports de la Tur- quie , ils ont guéri les esprits des préjugés que l'on avoit pris sur leur compte : leur génie s'est développé , et ils ont prouvé qu'un 122 Précis HISTORIQUE Syriote vaut au nioiut; le plus spirituel et le plus éclairé des lial)it ins des autres îles ; et en général on ne saMroit leur refuser plus de vivacité , avantage qui résulte sans doute des instructions assidues de leurs pasteurs en ma- tière de religion; car on peut assurer que, eu égard au nombre des Syriotes , il n'y a peut-être pas de peuple, même dans toute la chrétienté, qui reçoive plus de secours spirituels, et Tour- nelbrt lui- même atteste que leur clergé est le plus instruit de tout rArcbij)eI. A'^ifs , pénétrans, mes compatriotes ont tou- jours montré les dispositions les plus heureuses pour les arts , et ils ont réussi dans tous. Ils sont renommés dans le Levant par leur goût pour la danse et la musique ; le luth , et la lyre , espèce de violon à trois cordes , sont les insfrumens sur tout , qu'ils connoissent le mieux. Quelqnes exemples vont prouver (pi'ils sont capables de réussir également dans les sciences. 11 n'y a pas long-temps que quelqu'un apporta à Syra une de ces horloges de bois q l'on Tait en Alle- magne : plusieurs jeunes-gens de l'île se mirent k la contrefaire et réussiient si bien , qu'ils en vendirent Jusqu'à 4 ou 5 écus la pièce. J'ai connu un tailleur qui a dessiné à la plume une SUR L'ÎL E DE SyR A. ChAP. VII. ln'S frelate Françoise (jui mouilloit clans le port. Le Capitaine , à qui il offrit son dessin fut si content de l'exécution , qu'il lui fit un présent honnête , et l'assura qu'il conservcroit avec îi;Tand soin cette production , pour faire voir ea France ce qu'un Grec , qui n'a pas reçu les premiers élémens du dessin , est capable de faire. De mon temps encore , un jeune Ecclésiasti- que , Chancelier de l'Evêque , apprit seul à peindre à l'huile, et fit plusieurs tableaux que l'on voit dans les Eglises de Svra et dans d'autres parties de l'Archipel. On conçoit bien que ces tai^leaux ne sont pas du dernier fini , mais ils ne laissent pas de faire honneur à leur auteur. Je pourrois citer encore bien des Syriotes qui ont appris des métiers sans maîtres. Quant à la sagacité dans les affaires , les habitans de Syra ne le cèdent à aucun de ceux qui vivent comme eux sous le ciel de la Grèce. J'ai vu un homme de la campagne qui avoit demeuré quelque temps à Constantinople: per- sonne ne discutoit une affaire mieux que lui ; il avoit la tête la mieux organisée, l'esprit le plus juste , lalogiquela plus saine; cet homme, d'ar- gument en argument, pressoit son adversaire avec tant de vigueur, qu'il le réduisoit bientôt r24 Précis historique au silence. Dans le temps que la flotte Russe croi- soit dans l'Archipel , il s'éleva entre le peuple de Syra et ses Primats , une dispute concernant quelques affaires d'intérêt de la communauté. Plusieurs Officiers Suédois, Danois et Livoniens- au service de la Russie ,que l'on avoit mis à terre dans l'île pour y rétablir leur santé, témoins des intrigues multipliées, des cabales , des attaques, des répliques, enfin des moyens pressans em- ployés de part et d'autre pour faire réussir une cause, avouèrent avec surprise que, dans aucun pays de l'Europe où ils avoient vojagé , ils n'avoient trouvé autant d'énergie et de cha- leur à soutenir des prétentions , ni la même sub- tilité pour se procurer des raisons victorieu- ses ou au moins favorables. J'ajouterai encore un trait qui , s'il ne prouve pas la solidité du ju- gement de l'un des acteurs, est au moins un échantillon de l'adresse des Syriotes à faire valoir leurs causes bonnes ou mauvaises. Deux paysans disputoient sur l'âge de la lune; chacun d'eux, à l'aide des épactes et dequelcjues autres calculs ( car on n'a pas même dans l'île la com- modité des almanachs ); chacun d'eux , dis-je , appuyoit son opinion des raisons qu'il croy oit les meilleures ; quand celui qui soutenoit que la SUR l'île DE s YRA. ChAP. VII. i siS Iiine étoit déjà nouvelle, levant les yeux, l'aper- çut au ciel : Tiens , dit-il en triomphant à son adversaire , la roilà nouvelle. L'autre regarde: lié bien , dit-il , elle ne doit pas l'être j et , sans sedéconcerter , il continuoit à prouverpar ses rai- sonnemens que la lune ne devoit commencer qu'à telle époque : l'ardeur de la dispute qui l'em- portoit étoit telle , que s'en ra})porlant plus à son calcul qu'aux faits, il croyoit pouvoir met- tre la nature en défaut. Que faiit-il conclure de tout cela? que les Grecs modernes sont encore les mêmes, quant aux dispositions physiques pour les sciences et pour les arts; que ce que cer- tains auteurs ont avancé sur leur incapacité et sur leur abrutissement , est absolument faux; que si le gouvernement sous lequel ils vivent, moins oppresseur à leur égard, leur permettoif de remettre en vigueur dans leur pays, la culture des arts et des sciences dont le goût est né avec eux, s'il entreprcnoit d'j exciter l'émulation si né- cessaire pour leurs progrès, on verroit sans doute naître , en peu de temps , une foule de génies créateurs, qui ne le céderoient en rien à ceux dont la Grèce a été autrefois si féconde. On ver- roit les enfans de ces mêmes Grecs, qui seuls et 126 Précis HISTORIQUE sans guide, ont osé, par la seule impulsion de leur génie , s'élever d'un vol rapide au dessus de l'atmosphère ténébreux de l'ignorance, dans lequel le reste de la terre demeuroit plongé , laisser bien loin au-dessous d'eux , ceux qu] ont entrepris de les suivre ; on vcrioit , dib-je, dans un siècle éclairé comme le nôtre , où les moyens sont si multipliés , et les connoissances si aisées à acquérir , leurs enfans inventer , per- fectionner, et mériter par la sublimité de leurs productions , les applaudissemcns et l'admira- tion des autres peuples. Quoi ! me dira-t-on , vous regardez donc les Grecs comme supérieurs aux autres hommes, comme des hommes surnaturels? Non ; je sais que presque tous les pays ont fourni de grands sujets , des génies rares et sublimes ; mais personne ne contestera que la Grèce n'en ait produit plus qu'aucun autre pays , et pour juger par analogie, et parla connoissance que j'aide de cette contrée , je suis persuadé qu'elle n'a rien perdu de sa fécondité, et quelle n'attend que des circonstances favorables pour la développer. J'ai toujours entendu dire à Rome qu'on avoit observé que de loo jeunes Levantins, à peine SUR l'Île de Syra. Chap.VII. 127 en tronvoit-onaooii So sans aj)titiide , et ou'au contraire ï>ur 100 italiens, à peine y en avoit-il 2.0 011 'Ao qni annonçassent des taJens ; et je nie i appelle cjii'iin Professeur de Théologie qui Vcniit donner des leçons dans notre collège, où il ny avoit i»uères que des Levantins , nous disoit : Mes enjans y vous ne sauriez imaginer fj II elle sa lisj action je trouve a vous donner des leçons y mais avec (juelle peine je vais dans nos écoles j et combien je soujfre de me voir obligé de répéter si souvent a nies écoliers les réponses aux argumens que je leur propose ) tandis cptavec vous au contraire , je suis quelque^ Jois contraint d'être sur mesgardes en argu- mentant. Je ne nierai pas pour cela que les Italiens ne l'emjioi tent b\ir les (jrecs par la finesse du jugement. Ce seroit démentir une opinion queM.Rollin établit dans le parallèle qu'il fait de Démostliène et de Cicéron , d'Homère et de Virgile. Homère et Démosthène mettent dans leurs ouvrages plus de l'eu et plus d'invention ; Vir- gile et Cicéron, plus d'ordre et plus d'agrément, ce qui est l'efTet de la délicatesse du jugement. 1^8 Précis HISTORIQUE Rollin le prouve encore par l'esprit du gou- vernement d'Athènes, et de celui de Rome. La politique de celui-ci est infiniment supérieure à celle des républiques grecques. On voit , par exemple, Athènes aliéner contre elle l'esprit de 800 familles , en privant du titre de citoyen ceux qui n'étoient pas nés de père et de mère Athéniens. Rome au contraire, les multiplia tant qu'elle pût, et par là, les soutiens de la répu- blique, puisqu'elle accorda aux liabitans de plu- sieurs villes, le titre et les droits de citoyens ro- mains. Entrons encore dans quelques détails particu- liers sur les Syriotes: extrêmement hospitaliers, sur-tout envers les François , ils sont inexora- bles sur l'article du vol. On s'y rappelle d'un jeune homme , qui avoit volé des choux , et dont toute sa famille sollicita la punition : il fut comdamné à l'exil. Cette qualité des Sy- riotes est si connue, que dans les maisons des négocians françois ou autres , on les préfère tou- jours , pour servir, à ceux des autres pays. Ils sont agiles, robustes et très-courageux: dans tous les temps ils ont montré de la bra- voure. Dans fîle déserte de Jura, qui en est une dépendance, un certain George Xanthaki , renommé SUR l'Île de Syra. Chap. VII. 129 renoinmc cUiiis tout rArchipel pour son cou- rage, avec un autre compagnon , surprit et dé-^ sarma dix-huit Zantiotes. Ce même George à donné plusieurs traits de valeur contre des bri- gands, pendant la guerre , et le séjour des Russes dans les îles de l'Archipel. Nous en avons rap* porté quelques faits dans le chapitre précédent Un des neveux de Xanthaki, nommé Antonio Rossi , s'opposa seul au fameux Mitromara , sans peur, quii^vec trente deux Albanois, avoit fait une descente à Syra, pour la ravager ; ce jeune homme, car il n'avoit pas plus de vingt à vin^t- deux ans , s'étant emparé d'un poste par lequel la troupe des brigands devoit passer , se coucha parterre, et appuyant son fusil sur la pointe de son pied, à la manière des Albanois , il ajusta si bien, que Mitromara fut blessé aux épaules, avec deux autres des siens, et qu'il fut oblit'-é de se rembarquer.Les Syriotes, pendant ce même séjour des Russes dans la mer blanche, s'étoient tellement acquis de la réputation dans plusieurs rencontres qu'ils eurent avec beaucoup de ces brigands, qu'ils ne les craignoient plus, quelque fût le nombre de leurs ennemis. Ceux-ci au con- traire en conçurent une telle frayeur, qu'ils n'o- soicnt plus descendre à Sjra. Tome I. 1 i3o Précis historique Par beaucoup d'autres exemples que nous pourrions encore citer, on doit en conclure, que si les Syriotes étoient plies à la discipline mili- taire , ils furmeroient de très-bonnes troupes, et il s'élëveroit parmi eux d'excellens Officiers. Si un fait particulier pouvoir décider de l'intel" lig-ence de tout un peuple , on pourroit dire nue les Syriotes réussi roient parfaitement dans la discipline militaire; on sait que les Grecs ont été fameux dans l'art de la guerrie. (Kn Syriote, de la famille Stéphane, surnommé Cagnazzo, étant passé au service de la maison d'Autriche, sy étoit comporté avec tant d'intelligence et de bravoure, que Marie Thérèse l'honora de la plus grande protection, et l'éleva à des places distinguées parmi ses officiers. Cette princesse l'ayant mis d'abord au rang des nobles , il auroit pu prétendre par ses talens militaires, aux ])re- miers rangs de l'armée , s'il n'eût été tué à la prise de Prague ; monté le premier à la brèche , i i y arbora son drapeau : cette action héroïque ayant ajouté à la jalousie qu'on lui portoitdcja il reçirj- par derrière un coup de lèu dont il expira sur le champ. Sa qualité d'étranger n'avoit pas peu contribué à lui susciter un grand nombre d'en- nemis. L'Impératrice avoit l'ait venir aussi un SUR l'Île de Syra. Chap. VTI. t3i de ses frères nommé David, qu'elle Ht mettre au collèij^e. Ce jeune Sjriote y fit de ij;-rands progrès; mais s étant applique à Tétude avec trop d'ardeur, il en perdit la lête : on fut obligé de le renvoyer à Syra , où je l'ai connu. Il étoit un grand nageur, et Ton raconte qu'il avoit passé la mer à la nage, de Tine à Syra, ce qui fait un trajet d'environ dix-huit milles. Les Sjriotes sont doués aussi d'une grande subtilité dans les organes optiques. Dans un temps serein ils voyent de Syra, les paysans mar- cher et labourer sur les montagnes de Tine, c'est-à-dire, à la distance de plus de six lieues Ils voient aussi très-aisément les cailles qui se tiennent cachées , et qui reposent sous l'ombre des petites broussailles de thym , sauge, et autres plantes ; c'est alors qu'ils les couvrent aussitôt d'un filet, et qu'ils attrapent ainsi quantité de ces petits oiseaux. « On sait, dit M.Paw, que la grande perfec- tion des organes optiques étoit un caractère national qui distinguo! t les Grecs de tous les autres peuples; et quoique nous counoissions aujourd'hui les différentes races d'hommes ré^ pandues sur cette planète, depuis le pays des Esquimaux jusqu'à la terre de Feu, et depuis les i3a Précis HISTORIQUE côtes d'Afrique jusqu'aux îles de la mer dti sud, on n'a pas découvert, parmi tant de variétés et tant d'espèces, une seule nation en qui le globe de l'œil fut si considérable, et l'orbite si évasée, qu'elle étoit souvent dans les Grecs. Ce n'est pas sans raison , dit M. Winckelman , qu'ils attachèrent, dès le temps d'Homère, à cette laveur de la nature, le caractère de la plus su- blime beauté, car une grande lumière est sans comparaison plus agréable qu'une foible lueur.» Or, tout le monde sait qu'une grande quantité d'individus des contrées de la Grèce moderne , sont doués d'une orbite bien évasée, et d'un i^lobe considérable. « Quoi qu'il en soit ( c'est toujours M. Paw qui parle) de l'influence des causes particulières aucun sens n'étoit plus perfectionné dans les Grecs en général , que celui de la vue ; c'est à cet avantage qu'on doit en partie attribuer les éton- nans progrès qu'ils firent dans tous les arts qui dépendent du dessin, tandis que les Egyptiens qui avoient les yeux foibles, n'y purent même atteindre à la médiocrité , et couroient sans cesse dans une carrière où ils n'avancoient point : il leur étoit impossible de saisir exactement le contour d'un corps animé, et les belles formes SUR ï/ î LE D E S Y R A. C H A P. Vif. I 33 s''écliappoient , pour-am^i tôt réunis parla Reli- i)4orVef' par i:les al'fiances ^ "^ formèrent plus qi'une nat?on ,■ et îcAite^ Jés 'distinctions entre les ^^'nqne\^rs et les Vïvili'ctis'dispanirent. Les Tuics au contraii^ , après Avoir soumis les Grecs , leur laissèrent , à la vérité, leur religion ; mais ils ne'ïbrmèrent avec eux aucune alliance î ils rejetèrent loule union, ils établirent enfin un mur de .'éparation si impolitique entre le peuple conquérant et le peuple conquis, qu€ 140 Précis historique celui-ci fut regardé comme proscrit et qu'il gé- mit encore dans l'esclavage et l'avilissement. Elle n'existe que trop sans doute , cette cruelle dépendance, cette humiliation profonde de la nation Grecque ! quel peuple accablé d'un despotisme rigoureux , cjui pèse sur lui depuis près de 400 ans, ne seroit pas encore plus avili ? Mais comment ne pas admirer l'énergie de ce caractère, qui les a soutenus pendant des siè- cles d'oppression ? Plaignons-les de n'être pas libres, c'est le dernier terme du malheur ;, mais ne désespérons pas de ce qu'ils peuvent deve- nir un jour dans la. carrière des. ^rt^ et des sciences. '*- -^ ^r Avant cl'ètre injustes envers eux , et dq leur^ reprocher d'avoir, dégénéré , il faudroit^réflérr, cliiir sur leur situation, se bien pénétrer de la constitution , de l'esprit et du gouvernement Turc , et voir si les Grecs sont les maîtres de s'adonner à la perfection des arts et à l'étudei des sciences. Ce n'est point le fanatisme qui perpétue leurs maux ; ce n'est point lui qui les tient dans cette nuit épaisse , où on les suppose entièrement plongés. Par- tout les gouveiinemcns font les SUR l'île DE s VR A. Ch AP. VIII. 141 hommes. Dans quelles horreurs les guerres reli- gieuses n'ont - elles pas précipité la France , l'Angleterre, l'Allemagne, l'Europe entière ? Aujourd'hui que leurs traces sont effacées , ne voit-on pas les sciences et les arts fleurir chez les nations éclairées ? mais à qui est-elle due cette grande et heureuse révolution ? aux états qui ont accueilli les grands hommes dans tous les genres ; aux Princes qui les ont appelés où encouragés ; à François premier, à Corne de Médicis, à Léon X, à Louis XIV, à Pierre-Ie- Grand, à Frédéric II , à Catherine II ; chez les Grecs au contraire , le despotisme , ce monstre né de l'ignorance et de la Barbarie , s'est appe- santi sur eux ; il a étouffe leurs dispositions , arrêté leurs progrès, enchaîné le génie dont ils ont hérité de leurs ancêtres ; en rédoutant leur instruction , il l'a gênée de tant d'entraves , qu'elle ne sauroit franchir le terme qu'il lui a assigné. « En lisant des légendes , dit M. Paw , et en « disputant sur des chimères, ils ont oublié les « élèmens des sciences et des métiers. » C'est aux lecteurs des légendes, et à ceux qui disputoient sur les cathégories d'Aristote, que nous devons en Europe , la conservation des i^a Précis historique sciences; ce n'est que par eux que plusieurs con- noissances économiques et des manufactures se sont établies ou conservées en Europe. Sur cet article qui a été traité avec tant de légèreté par nos philosophes, je renvoie M. Paw , à l'his- toire de Danina , sur les révolutions de l'Italie. C'est vers la fin de leur Empire , lorsque leurs controverses avec l'Eglise Romaine se Turent élevées à leur comble , que les Grecs Furent le plus agités de cet esprit de dispute; c'est même alors que très-instruits pour le temps, pendant que toutes les nations étoient presque plongées dans l'ignorance , ils se retirèrent en Italie et en France, et qu'ils y apportèrent le germe des sciences et des arts. Si M. Paw se donnoit la peine de lire Poii- vra^e de Flachat , sur le génie et l'industrie des Orientaux , il V verroit une longue énumération des machines ingénieuses qu'ils ont iuvcntées , et il n« ponrroit refuser son admiration aux ha- hitansde l'île de Chio. Quant à ce qu'il ajoute, «que ce pcu])le est « rentré en enfance ; qu'il est dévenu le plus vil « fardeau de la terre, et l'oppiobre de ses aïeux «dont il foule aux pieds les tombenux , sans «même les connoître , » nous lui demanderons SUR l'Île DE Syra. Chap. VIII. 148 si les lumières de la philosophie, qu'il ne cesse de réclamer , l'ont bien sei-vi dans cette dure in- culpation , que nous n'aurons pas d'ailleurs beau- coup de peine à réfuter. A Smyrne , à Salonique, à Scalla-Nova, à la Morée , à Candie, à Volo , dans toutes les échel- les du Levant , une Cjuantité immense de bâ- timens de differens ports de l'Europe , font des chargemens en tout genre; des blés, des huiles, des vins, des soies, des lames, du co- ton, du miel , de la cire et autres denrées de première nécessité , se transportent de la mer Blanche jusque dans la Baltique ; elles sont le fruit des travaux et de l'industrie des Grecs, qui en font jouir tous les peuples de l'Europe, et les Grecs sont encore, aux yeux de M. Paw, îe fardeau de la terre. « M. Gujs , dit-il , ose mettre en fait que les « Athéniens modernes , plongés dans une nuit « aussi profonde , ont l'oreille si subtile, qu'ils « ont retenu par tradition la bonne prononcia- « tion de la langue grecque; c-e qui supposeront, « selon lui , que leurs organes ont aussi con- « serve leur flexibilité, par l'influence du cli- « mat ; mais pour démontrer la fausseté absor « lue d'une assertion si absurde et si ridicule , 144 Précis historique « il suffit d'observer que de .70 jargons qu'on « parle maintenant dans la Grèce , celui des « Athéniens fut, dès l'an i58i , jugé le pluscor- « rompu et le plus horrible de tous , de l'aveu « même des Grecs; ce qui n'est pas surprenant, « quand on sait que déjà vers l'an i3oo , on par- « loit vulgairement à Athènes un dialecte fran- «çois, qui se répandit jusqu'en Asie après la «f prise de Constantinoplc par les Francs, ainsi « que le rapporte Ducange , etc. » On se jetteroit dans de trop longues discus- sions, si l'on vouloit approfondir la question de l'influence du climat sur la flexibilité des orga- nes ; mais sans connoître les 70 jargons qui se parlent maintenant dans la Grèce , s'il faut en croire M.Paw,nous pouvons avancer qu'un Grec, de quelque contrée cju'il soit, est parfaitement entendu, et se fait pareillement très-bien en- tendre de tous ses compatriotes. Dans aucune des langues modernes , on ne trouveroit peut- être cet avantage. Au surplus, il ne seroit pas étonnant qu'aux époques citées par M. Paw, les Athéniens, soumis aux Européens, eussent parlé un mauvais grec , puisqu'une quantité de fa- milles Françoises et Italiennes s'étoient établies dans ces contrées. II paroît , par le témoignage de su R L'iL E DE SyR A. Ch AP. VIH. 146 âe plusieurs voyageurs , qu'on parle maintenant à Athènes ua assez bon grec. M. Pr;imenter plusieurs, et ils furent étonnés de la facilité avec laquelle ils apprirent leurs évolutions.Les Officiers pensoient qu'il falloit beaucoup moinsde temps,pouren for- mer de bons soldats, que pour d'autres nations,des Russes mêmes. Le P.Sauger,dans son histoire des (i) Cela est si vrai, que les TuiTs d'Europe peuvent pas- ser pour des Grecs. Depuis près de 4003113, qu'ils habi- tent ces contrées, qui ont produit tant de héros, ils doivent avoir hérité de leurs dispositions pour la guerre. Aussi les autres Souverains de l'Orient , sur-tout ceux de l'Inde, regardent le Graud-Seigneur , comme Em- pereur des Romains, c'est-à-dire, des Grecs. Ceux-ci , depuis la translation de PEmpire Romain à Constan- tinople , s'appcllèrent en grec , Voftam Roinaii ; en turc > ouriuns , qui veut dire romains, K n\ 100 Pr ÉCIS Hl STO R IQ UE Ducs de TArchipel , rapporte des prodi^-es de valeur que ces Princes ont fait avec despoignées de Grecs. Enfin, M. Paw est si acharné contre les Maï- notes , qu'il voudroit les faire passer pour an- tropophages , et mettreen doute ce qui est connu de toute la Grèce, je veux dire, la générosité que ce peuple libre exerça envers tous les Prin- ces qui se réfugiëfent à Maïna , après la des- truction de l'empire d'Orient. Les Paléologues, les Lascaris, les Pliocas ,lesGantacuzénes, trou- vèrent chez ce peuple un asyle aussi sûr que désintéressé, et les descendans de plusieurs de ces princes y existent encore. Le dernier qui arriva à Maïna fut Nicéphore Comnène , fils de David , dernier Empereur de Trébisonde. Ge Nicéphore y fut non-seulement accueilli par les Maïnotes , mais encore proclamé par eux Pro lo- geras y ou. premier Sénateur. Quoique M. Paw ne puisse pas douter lui-même de l'existence de Nicéphore, ni de son arrivée à Maïna, il vou- droit néanmoins, environ 400 ans après , le faire passer pour un, aventux'ier. Gette accusation est démentie par ime foule de titres qu'on ne peut pas révoquer en doute; et d'ailleurs cet auteur ii'auroît-il pas dû voir l'invraisemblance de son SUR lM L E DE S Y R A. C H AP. VIII. 1 5 1 assertion dans ce seul fait ? c'est que tons ces Princes réfugiés, dont nons venons de parler, étoient les oncles , les cousins, les parens, plus ou moins proches de Nicéphore;et s'ils ne l'eus- sent pas connu pour être le fils de David, n'est- il pas hors de toute probabilité, qu'ils se fussent joints aux Maïnotes pour lui acorder la préé- minence sur eux , en le proclamant unanime- ment Profogeros i dig;nité qui a été depuis hé- réditaire dans sa famille et que ses descendans ont conservée jusqu'à nos jours? D'après ces faits incontestables, rien n'est plus naturel que l'existence des titres, qui constatent la fih'ation de Nicéphore, et en falloit-il d'an- tres que les actes d^ mariages et de baptêmes , trouvés à Maïna et sans aucunes lacunes, 'da^ris un si grand laps de temps? Oia est donc cette quan- tité prodigieuse de titres que M. Paw reproche aux Calovers de Vitulo, et aux autres Moines de la Grèce, d'avoir forgés, et qu'à peine la vie d'un homme suffiroit'pour les lire? Il avoit oublié qu'il avoit dit plus haut dans le même ouvrage qu'on ne tiouv'oit pas un seul ma- nuscrit en Grèce, et que les Grecs modernes sont si ignorans, qu'ils ne se doutent seulement pas de ce qu'ils ont été.' Avouons , cependant K iy iSa Précis HISTORIQUE que pour forger certains tih es, il faut avoir une certaine éducation ; car comment paivienclroit- on àcombineM',à lier une quantité de dates, de l'aitt;, etc. ? M. Paw a-t-ii pu imai^'iner que les Grecs aient jamais songé à ffi briquer de faux litres et défausses généalogies, sous un gouver- nement qni a j)oursusvi , conmie crimineib , ceux qui portoieut un grand nom -^ Celte persécution a réduit ou contraint icb Grecb illubtres à cacher leur naissance et leurs tities, et à changer de nom ; ce qin* a occasionné la perte des titres de tant de familles qui ont' jadis hguré en Gièce et qui existent aujourd'hui, en plus g'iande partie sous des noms inconnus. D'après cela s^ul, ceux qui ont lu M. Paw, jugeront facilement com- bien il est en contradiction avec lui-même, et seront moins surpris qu'il acccuse les Mamotes d'être des brigands, et Nicéphore un aventurier, puisqu'il accuse également les Spartiates de cruauté et de brigandage, et L^'Curgue d'être un législateur supposé. Enfin, d'après l'assertion de M. Paw contre le précis historique des Comnènes, il semble qu'il ignore qu'une branche cadette de ces mêmes Comnènes de Ti ébisonde, est établie , depuis plus de deux siècles , à Chantbéry , et que les Ducs de SLR l'Île de Syra. Chap. VIIT. i53 Savoie ont toujours reconnu l'illustre origine de ces Comnènes, dont plusieurs princes de ce nom et de cette branche ont été accueillis dans tous les temps , par dilférens Souverains , tels (jvic les Empereuis d'Allemagne, les Rois de France , Henri ili et Henri IV. 1^4 Précis historique C H A P I T R E I X. De la langue des Sjriotes et des autres Grecs modetnes. L A langue des Syriotes, celle de tous les habitans des îles de l'Archipel , et des Grecs du continent , est la véritable langue grectpe. Sa prononciation est la plus conforme à celle des anciens ; ce n'est pas celle de quelques savans de Paris, qui portent la prétention jusqu'à vou- loir nous l'apprendre. Les langues ont varié plus ou moins chez tous les peuples; de vieilles expressions ont dis- paru , de nouvelles ont pris leur place ; la pro- nonciation a éprouvé même des changemens ; mais il faut avouer que s'il reste encore des traces d'une langue ancienne , c'est dans les contrées ou elle a jette le plus d'éclat, qu'il faut aller les chercher , et non chez les étran- gers. SUR l'îli: de Syra. Chap. IX. i55 Un savant Elléniste de Paris , à qui je faisois part nn jour de ces réflexions, me dit que cela étoit vrai en i>énéral ; mais qu'à l'ci^ard de la prononciation de la langue grecque, la multi- tude des Barbares , qui avoient inondé la Grèce , avoient aussi corrompu sa langue. Je lui deman- dai quels étoJent ces Barbares ? les Gaulois , me répondit-il , qui , sousBrennus, ravagèrent l'Attique , brûlèrent le temple de Delphes , passèrent en Asie , et y fondèrent le petit em- pire appelle la Galatie\ mais si , répliquai-je, une poignée de Gaulois , en traversant la Grèce , a pu corrompre sa langue , comment se pour- roit-il qu'en passant dans les Gaules elle ne s'y fût pas altérée ? Ni l'invasion de ces Barbares, ni celle des Perses ne corrompirent la langue Grecque ; elle fut au contraire plus florissante que ja- mais sous la domination d'Athènes, et sous l'Em- pire d'Alexandre , elle l'étoit même sous la Puissance des Romains. Les Chrisostômes , les Baziles , les Grégoircs de Nazianze , et une foule d'autres écrivains , aussi sublimes qu'élo- quens, attestent cette vérité. Les Turcs, dira-t-on peut-être, en subjugant tout l'Empire (hec , ont aussi corrompu sa i56 Précis HISTORIQUE langue ; mais je répondrai que s'ils sont par- venus a faire adojiter quelques mots aux vain- cus, que s'ils en ont Givcisé quelques autres , il n'ont pu faire changer la prononciation. II auroit fallu pour cela que les conquérans se fussent alliés ou mêlés avec eux; qu^ils eussent appris et parlé leur langue y ce qu'ils n'ont ja- mais fait. Après leur conquête , ils ont élevé entre eux et les Grecs un mur de séparation , qui dure encore. Habifans des mômes contrées «•t des mêmes villes , les Grecs et les Turcs ne sont pas plus liés ensemble, que les Peuples flu nouveau et de l'ancien continent. Ce qui me fait croire encore que la prononcia- tion de la langue grecque n'a point dégénéré, comme les Ellénistes François le prétendent , c'est que tous les Grecs modernes n'ont (ju'un sentiment sur ce point. De])uis les bords du îs^il jusqu'à Trébisonde, et du Golfe Adriati- que jusqu'à la Crimée , les Grecs qui babitent, ou les côtes, ou l'intérieur du paj's, parlent grec, et ils prononcent tous de même: cela pourroit- il. être ainii , si la prononciation de la langue grecque avoit été corrompue , et si elle n'étoit plus ce qu'elle étoit autrefois ? LesMelcbites de la Palestine , qui n'ont aucune communicatiofè su R l'Î LE D E s YR A. Ch AP. IX. iS/ avec les Grecs du Levant, et qui parlent une langue si dilierente de la leur, ont la liturij-ie L^recque, et le bréviaire grec ; et depuis Saint-Ba- sile et Saint-Chrvsostùme , ils récitent et pro- noncent comme les véritables Grecs. Enfin les descendaiis de ce peuple , émule et rival des Grecs, n'auroient-ils pas reproché à ceux-ci, à quelqueépoque la corruption de leur langue? On ne trouve cependant nulle trace qu'ils leur aient jamais fait ce reproche : il y a au contraire entre eux une parfaite harmonie à cet égard. La langue grecque a toujours été très-douce et très-harmonieuse , mais les Ellénistes de Paris la prononcent d'une manière si monstrueuse,qu'iI n'est pas possible de l'entendre : veulent-ils pro- noncer, par exemple, les liomnies et les fem^ mes y ils diront : ai a/itrnpo'i hdi ai guiKî'ilies ; nous dirons nous, i antJiropi h'e ghinekes : lessavans jugeront lequel desdeux a plus d'iiar- monie. Personne n'étoit plus attaché à la manière de prononcer la langue grecque comme l'uni- versité de Paris, que M. de Villoisonde l'académie des inscriptions et belles-lettres ; cependant après avoir vtn'agé en Grèce , après avoir vécu et conversé avec les Grecs , il a été obligôde con- IÔ8 Précis historique venir que l'université de Paris étoit dans l'er- reur sur cette prononciation : son oreille s'étoit accoutumée à la douceur, à riiarmonie de celle des Levantins : il ne pouvoit plus l'entendre parler en France : il en a été de même de tous ceux , qui , sans prétention et de bonne foi , ont parcouru nos contrées , et n'ont clierché qu'à s'ins- truire. Quand ils ont comparé notre pronon- ciation à celle de l'université, ils n'ont pas hé- sité de préférer la première et de l'adopter comme la seule vraie et conforme à celle des anciens. Mais de quoi s'ai;it-il? c'est de savoir s'il faut prononcer certaines consonnes et certaines voyel- les comme les Grecs modernes, ou comme les Eî- lenistes deFrance. Ceux-ci prononcent le J/jcTjÔjX, g j, d ., t yC comme dans leur langue ; les Ita- liens aussi, faute de dispositions dans les or- ganes , les prononcent de même ; mais nous les prononçons au contraire , comme gh y dh , th y cJi. Les Italiens conviennent cependant qu'il y a plus de douceur et de mollesse dans notre manière , et pour cela ils avouent que notre prononciation à cet égard , est celle des anciens. Les Savans de France , à ce que je me suis ap- perçu, ne font pas de difficulté de nous accor- SUR l'Île de Syra. Chap. IX. iSp der cette grâce pour ces mêmes consonnes , mais non pour les vojelles.Dans celles-ci, par exemple, atf€j,oij >), y ^ ils prétendent qu'il faut pronon- cer les trois premières, comme si elles étoient deux lettres a ïj e ïj o V .* à l'égard des deux autres, la première comme e^ la seconde comme /^ j nous prononçons au contraire la première comme e, les quatre autres comme i , et c'est ainsi que les anciens Grecs les prononçoient. Dans un petit ouvrage intitulé , Hadrimii Re- landl disse rtationcs miscellanœ y imprimé à Utreclit en 1708 , on en trouve des preuves dé- cisives. C'est à la page 167 de la troisième par- tie : il faut cependant être prévenu que l'au- teur avoit adopté la prononciation des Ellénistes de France, et qu'il sembloit ignorer que les Grecs modernes ne prononçoient pas comme lui. L'ê des Grecs ne se prononçoit pas ancienne- ment comme aujourd'hui , puisque, selon le té- moignage du sophiste Théon, àuÀ>îrpi^ 'TicLiç ûœcl avoit le même son qu'a'jÀ»7p;V 'TiiŒ^Ta. et ilixïpoç , élepoç ,'4,ouvo(pa)v(c(. , Zcvo(pœvici^ se confondoient mu- tuellement , et on prenoit un mot pour l'autre : Vtt et l'/avoient anciennement la même significa- tion ; aussi P. Nigidius prétend que le mot latin i6o Précis HISTORIQUE €unicl s'écrivoit amicel au nominatif pluriel , pour le distinguer (Samicl au génitif, quoiqu'il se prononçât toujours de même. Cicéron ( lib, 9, epist. 16. ) nous dit que le mot grec ^ivii con- vient avec le bini ; aussi les Latins ont-ils Formé leur Niliis et Idoliuriy du N>?Ao^, eidWo;^. Pour ce qui est de 1'», Eustathe a écrit que Ng/Àei/V et N»AéW se prononçoient de la même manière, mais qu'ils s'écrivoient difleremment, L'o; avoit aussi une autre prononciation chez les anciens que chez les modernes. En efïët , Thucydide nous apprend que Xoi/ncç et à//aoV se pronon- çoient de même , en nous rapportant cet oracle , liv. 2 : "Hréi AciOfiazoç 'TioKi.jxoç za) XoifJLoç cljjC cLuIm, IL y aura une guerre avec les D o riens ^ et la peste viendra après. Le mot Xauoç peste , est équivoque , et pourroit se prendre pour Xi'^oç y qui veut (Xwq famine , et q li se prononce de même. Sidonius Apollinaris aussi prononçoit le mot juLoïpcLç miras. Terdeiias tropico prope currere ciimate miras. Voici le texte la tin '.Ègrœcorum oportet aliter oUni fuisse pronunciatuni , ac nunc : quuni OLvKYilpiç '7recrS(7a sonabai ut j duXvjypïç 'Ttcû'ç î«7cc. Teste SUR l'Île de Syra. Chap. IX. j6t Teste Theonc sophista ( i ) , et. 'iripç érotïfoç _, xtvo'piùvix x.:Lnî.'^CàvicL inter se corj undebantur } « ciim e.1 (fiiondam coiweniehat ^ (juuni P. Nigi- diiis (2)^ teste Gellio (3)^ i3, 14 annotabat aliter scribi ^imici in nominatiço pluralij sci- licet amici, aliter in geniti^'O s ingii la ri ■eii-n\c\', qitum Cicero (lib. 9, cpi»t. 16.) ^ivzi convenire cinii bini scribebat : qiium ex NéiXoç Niliis ^ îii^càXov idoluniy etc. ortuin traxere. Aliter quo- que rirXj ac niinc proniinciatuni fuit quando Eustathius (4) scripsit Ne/Aéi/V convenire svno ( I ) Cet auteur est avantageusement connn dans le monde littéraire par un traité de rhétorique. (2) Publius-Nigidius , boa humaniste, habile plijlo- sophe et grand astrologue, passa pour le plus savant des Romains après Varron. Il mourut l'an 46 avant J. C. Ciceron fait de lui le plus g»and éloge. Il ne nous reste de ses écrits que àç?, fragmens. (3) Aulu-Gelle, Aulus-Gellius ^ grammairien la- tin , florissoit à Rome , sa patrie, vers l'an i3o de J. C. Il publia un ouvrage en vingt livres , intitulé ,* Les Nuits Attiijues ^ qu'il nomma ainsi , parce qu'il l'avoit composé à Athènes pendant les longues soirées de l'hi- ver. C'est un recueil de beaucoup de matières difFé- rentes. 11 peut servir à éclaircir les monumens et les écrivains de l'antiquité : on y trouve quantité de frag- mens des anciens auteurs. (41 Eustathc , Evtque de Tbessalonique , dans le Tome T, L i6a Précis HISTORIQUE cuni NviKéuÇj non i^ero scripdone. Diçerso etiam modo 01 extiderant y c/uum inter XoifJLoç et XtjuLcç 'vicc ulla differenda audiebatur^ quod Thilcy- didis notât y oraculuni hoc narrans y Ub. s , >j?g/ Aa>p/ajcoV 'TtoK^fJioç yXOLi Xoifxôç kfJL aivlcù. Quant grœcuni jXQi^cf.^ Sidomus Apollirtaris miras pro- nunciabat c. i5. Ter denas tropico currere cU- maie miras. A tout ce que nous venons de dire, on peut ajouter ici pour dernière preuve , qu'on ren- contre chez les anciens auteurs et dans les dic- tionnaires grecs , quantité de mots qui ont les diphthongues a/, 6/ , oi, oy, etc. surmontées de deux points, comme ai'cTpw^-go^^ ignorant\<£î^où- vEtjç-ioç, rossignol^cLÙ'ûTvidy insomnie\ cwry\-Ty\i^ com- bat ; T^ii^ÏQ^-û , capable d'être pillé \èj^içloç , bien rasé\ èuçfjtpç i bien enraciné '^ oiç-oioç , brebis \ èlçlexifJLcL-rQÇjJlèche: -îrpouzïrctpxvi-v;?, origine de (juel- (jue chose \ "îtpu^&^ycLu'Ky. , prépuration y et plu- sieurs autres. Dans tous ces (exemples , ai y au iiy Qi'y ou y ï\Q sout pas sensés diphthongues , ils XÏI* siècle , étoit un habile grammairien ; il laissa des commentaires sur Homère , et sur Denys le géo- <2;vaphe. Son travail sur la poésie grecque est fort étendu et très-estimable. SUR l'Île de Syra. Chap. IX. i63 doivent être prononcés séparément comme deux voyelles. Si donc il est vrai , d'après cet axiome , que l'exception confirme la rëij;le, on doit croire que toutes les fois que ces voyelles ne sont pas marquées ainsi , il Faut les prononcer comme nous l'avons dit ci-dessus, c'est-à-dire, comme diphthongues; excepté que Volu et l'éy ^ dans les derniers cas , on doit les prononcer en re, c'est-à- dire, comme un v consonne; aussi nous disons dv^(xvci)jauxa/i0jet non aiixano^ixt'KQyoù^evlogho, et non ezz7o^/zo ;, comme les Hellénistes François le disent. Avant d'aller plus loin, je veux répondre à quelques difficultés que nos adversaires oppo- sent quelqueFois. Ils disent que l'^jTa est toujours traduit, par les anciens écrivains romains, en e. Cela est yrai ; mais il est vrai aussi que les anciens traduisoient toujours l'a; par une diph- thongue «? ou e^ g/ par un i , oi par un œ^ etc. et jamais ils nelesséparoient, comme lessayans de Paris le prétendent. Aj outez à cela, qu'il semble que les anciens prenoient, au moins dans quel- ques circonstances, l'e pour i\; ainsi nous trou- vons écrit domines pour dominis au dati Fplurier. En secoçd lieu , un ancien écrivain , Denjs Lij 1(54 Précis H is ToRi Q UE d'Halicarnasse , assure que les Grecs pronon- çoient Vu-^tXov en arrondissant la bouche. Je puis arrondir la bouche en prononçant Vi j et si l'on n'en convient pas, je dis que , strictement parlant , on n'arrondit la bouche qu'en pro- nonçant Vo. Il Falloit donc , d'après cette auto- rité, prononcer l'y comme o. Avouons donc que de semblables raisons ne sont pas décisives, et ne peuvent affbiblir celles que nous ayons rap- portées en faveur de notre opinion. On nous oppose encore la fameuse autorité de CiYi/ùuLf, qui dit que les Grecs imitoient le bêlement des moutons , en prononçant le /S. Il faut , disent-ils , le prononcer ùé/a _, et non 'yita^ comme les Levantins. Une Dame de Cons- tantinople , établie à Paris , disputoit un jour sur la prononciation de la langtie grecque, avec un savant Helléniste de cette capitale, qui cita l'autorité de ce cri des moutons; la Dame quitta aussitôt la conversation, en s'excusant de ne pas entendre le langage des bètes. Quaiitàmoi, j'ai fait plusieurs fois attention au cri des mou tons, et j'ai observé qu'il étoit im- possible de distinguer s'ils exprimoient èeh^ ^eh ou meh. Les Levantins turcs et grecs rendent ce cri par le meh j aussi les Turcs suu l'île de Syra. Chap. IX. i65 J'appcilent-ilswewc/^'Z'. Nos antagonistes ne peu- vent donc rien gagner àcette autorité. 11 faut mi'i Is s'en remettent entièrement au jugement des Grecs modernes , sur la prononciation de leur langue , comme les autres nations doi- vent s'en rap[)orter aux François, sur la pronon- ciation de la leur. Enfin, si les Grecs modernes ont cliangé la lettre béta en rita , cela n'a pu avoir lieu que par la communication qu'ils ont eue avec les peuples qui la prononçoient ainsi , faute d'avoir la lettre /3 ; et comme ceux que les Grecs ont le plus fréquentés, sont les Italiens et les Turcs, qui tous ont la lettre Z», car les premiers pronon- cent encore dans leur langue Basilio y et non Vasilio , Barca , et non Varca y comme les Grecs , il n'est pas vraisemblable que la lettre /3 ait éprouvé la moindre altération par la com- munication des Grecs avec les nations étran- gères. Venons à l'autre proposition , et voyons si la langue que l'on parie à Syra , et dans le reste des îles et du continent de la Grèce , est une langue grecque. S'il faut en croire plusieurs voyageurs et quelques savans , le grec d'au- jourd'hui n'est qu'un produit monstrueux du L iij i66 Précis HISTORIQUE beau grec ancien, auquel même il ne ressemble presque plus. J^voue que la langue des Grecs modernes n'a pas la richesse de celle des anciens , qu'elle est infiniment moins élégante , et beaucoup plus facile; mais elle n'est pas moins une véritable lan- gue grecque , qui nous a été transmise par les anciens Grecs; et voici à cet égard ce que nous avons à dire. La langue d'Homère , de Démosthëne et d'au- tres Grecs célèbres , telle que nous la voyons dans leurs écrits , étoit infiniment riche en sy- nonymes : la culture des sciences et des belles- lettres étant malheureusement tombée , sur-tout après la chute de l'empire , parmi les Grecs mo- dernes, ils en ont conservé quelques-uns, dont on fait usage communément , mais ils ont pres- que entièrement oublié le reste. Il ne faut pour- tant pas s'imaginer que notre langue moderne soit entièrement dépourvue de synonymes; pour exprimer seulement l'action de voir, nous avons quatre verbes, /SAeWa , Qéœpœ, xtld^oi) , ^avolyo), je l'ois ; et un Grec quelconque , pour peu qu'il s'adonne aux lettres , son langage s'épure , et devient plus riche et plus fécond. Les anciens se servoient avec beaucoup de SUR l'Île DE Syra. Châp. IX. 167 grâce des participes , des adverbes , des parti- cules et des prépositions. Les Grecs modernes n'ont plus ces tournures heureuses ^ ces trans- positions hardies , qui changeoient quelquefois le sens des phrases. Cette élégance suppose la culture des lettres. Dans les anciens Grecs , on voit une quantité de temps, d'aoristes, de parfaits , de plus que parfaits dans tous les modes. De plus , outre le singulier et le pluriel , on voyoit aussi le cliieL Les modernes ne connoissent point cette mul- titude de temps ni ces duels; ils n'emploient dans leurs discours que le présent, l'iaiparfait et l'aoriste second qui est le parfait. Quand ils veu- lent former le plus que parfait , ils se servent du verbe auxiliaire è~(cL, façoîsy comme les Fran- çois et les Italiens'; "pour j'avois aimé , ils di- sent , ir/a, à-yoL-ûù-AdCà. Dans presque toutes les langues , on peut énoncer de deux manières » l'infinitif et le futur. En latin , par exemple, vola ut niandaces y et i;olo te inanducare y ne veulent dire autre chose que , je veux que tu, viauges) yolo manducare^X. manducaho veulent dire , je mangerai, La même chose étoit obser-. vée par les Grecs anciens. Les Grecs modernes ne se servent point des infinitifs simples,, mais L iv i68 Précis historique pour énoncer un temps infini , ils emploient la particule vd. Nous disons pour (pciyeiv , vci(pciyù)y manger. Notre vè. est le même que le ivâ. des anciens ; \ut des Latins est le que des François. Pour former le futur, nous nous servons tou- jours du verbe 9iA)À/a^û!>, >ÎÀ/a- ^owa; , 'Ttmcû , c^/^j/ûî', (pdycù^ "Ttivco , et beaucoup d'autres. J'aime y j^ écoute , j'ouvre y j'expose, je m expose nu soleil y j'ai fai?n , j'ai soif, je 771 ange ■, je bois. TlviiiG'iç , T^^vloyA , y.ap^oç , %apa , rxoB:); , izB-td'j/uList, , signifioient chez les an- ciens , ce qu'ils signifient chez les modernes : B.espiratio7i , fronde , fruit j joie ; les deux der- niers mots , désir. Ils emploient aussi presque toutes les prépositions et les particules des an- ciens, comme \ d^o ^ iiii^ xxld , TTajca , JW, vzirip, iv , hx , càç , etc. Il y a encore chez les modernes plusieurs mots qui , avec l'apparence d'être grecs , ne se trouvent cependant nulle part chez les an- ^ ciens ; par exemple , dicijxèKx, veut dire se co7i- c/ier sur le dos ; 'Ttfc/jLYilct, , coucher avec le visage par terre ; ■TiXdytx^ de côtéj fjia^érco ou jua^ôvo) ^ je ramasse j TtficKo/JLcu , je ui' enfle ; "XçiTuivc; ^ 170 Précis historique enjlé'j "Ttpi^v/jLo, enjlûre» On ne trouve pas ces mots , dans les Dictionnaires, cependant ils ont tous le caractère grec. Il y en a d'autres qui , quoiqu'on les y ren- contre , ont une signification différente. Par exemple , TTero/Aa/ , pour les anciens , je 'voie} pour les modernes, il veut dire , je me fie. II? disent : tcîxqjj.cli è'ç rd ^TtXhTYijULU , é'ç rauç J'uvol- jLiéç/iy,je mejie à mes richesses y à mes forces > Les anciens se servoient du verbe çleyvoM , pour couçrir ou restreindre y et nous pour sécher y et même proprement pour Vascititare des Italiens. mdroç chez les anciens , veut dire , un chemin battu : nous le prenons nous pour le fondement de l'homme , des animaux, et de toute autre chose. "Nôçlt/uLôç^ y), ov , exprimoit, pour les anciens, une chose qui pou voit revenir ; pour les modernes, une chose qui a de la grâce et du goût. Nous disons aussi d'une personne, qu'elle est vôçlt/JLyi, c'est-à-dire, qu'elle a de la grâce ; d'un mets qui a bon goût, nous disons qu'il est vôçlifJLo-y de là vient noçlifLii^ûi, grâce ou bon goût. YliçlcùfÂO. , chez les an- ciens, signi fioit argument ^preiwe ; nous entendons par là^ au contraire , une position avec le visage par terre. YlLçfJLd^ pour les anciens , étoit la cou" fiance d'entreprendre quelque chose j pour nous sua. l'île DE s yrA. Chap. IX. 171 c'est obstination. Ces différentes acceptions ne doivent pas diminuer le prix de la langue mo- derne, ni la faire passer pour une langue cor- rompue. Voici comment il convient de raisonnerlà-des- sus : la langue Françoise n'est pas'si riche en syno- nymes et en expressions que la langue grec- que : nous avons dix mille fois plus d'ouvrages écrits en françois , que nous n'en avons en grec ancien ; cependant il est à présumer que plusieurs mots françois en usage dans le dis- cours familier , et plusieurs sens qu'on donne communément à tous les mots françois , ne se trouvent pas dans toute cette immense quantité d'ouvrages ; on peut dire la même chose de toutes les autres langues. Aussi vo3"ons-nous que toutes les fois que l'on fait une nouvelle édition de quelque Dictionnaire, on est obligé d'y ajouter certains mots nouveaux ou un nou- veau sens à quelques mots qui y étoient déjà. La langue grecque des anciens étoitlaplus va- riée de toutes celles qui ont existé. Elle se parta- geoiten quatre ou cinq dialectes principaux (i). J^i) Parmi les cinq princijoaux dialectes de la langue grecque,il y en avoit un qui s'appeloit le dialecte commun 1^2 Précis historique Chacun de ceux-ci se subdivisoit en plusiciTrs autres particuliers, Cette langue en général éloit infiniment riche en expressions et en synonymes; elie leur donnoit difïérens sens , quelquefois soit parce qu'il étoit composé, et qu'il confenoit les propriétés des quatre autres, soit parce qu'il éfoit d'un usage général , ou parce qu'il étoit enfin la base et la règle de tous les autres. Les quatre autres sont le Dorien , l'Eolien , l'Ionien etl'Attique; voici l'origine qu'on leur donne. Hellen, sur- nommé Deucalion , fils de Jupiter, ayant occupé les pays de la Grèce, ces peuples s'appelèrent Helienio- tes , et leur langue JLelleniucjue : il en sortit bientôt cependant d'autres dénominations. Les fils d'Hellen s'étant dispersés en plusieurs contrées , les langues chan- gèrent, et il se forma plusieurs dialectes. Le Dorien tire sa dénomination de Doro ]i\ s'établît dans les environs du Parnasse et d'Airope, et les ha- bitans de ces contrées s'appelèrent Doriens. Ce même dialecte étoit en usage chez les'Rhodiens , les peuples de Cnebe, du Péloponèse , les Siciliens, les Libyens et ceux qui habitoicnt l'ancienne Epire. C'est dans cette langue qu'Archite de Tarente a écrit, ainsi qne Théocrite. JE.o\ , fils d'Hellen et de Pyna, donna son nom à \n\ dialecte qui s'appela Molien , et qui s'établit dans les dix villes, et la province qu'il ayoit fondées. Alcce a écrit dans ce dialecte. SUR l'Île de Syra. Chap. IX. 178 disparates aux mots. Outre cette richessegénérale et cette variété, chaque dialecte en particulier avoit des phrases et des expressions à lui ; et l'un donnoit souvent uifférens sens aux mots de Ton , fils d'Apollon et de Creuse , fille d'Enacîio- the , fonda les treize villes le long des Côt^s de l'Asie mineure , et qui composent la province Ionienne : leur dialecte en po'.toit le nom, et cetoit celui qui s'ap- prochoit le plus de celui des Athéniens. Ces treize vil- les étoient Clazomèues , Lebedos , Phocaia , Priène , Milet , Mycale, Eritlira , Tios , Samos , Colophon , Ephésus , Chio , Smyrne. C'est dans ce dialecte qu'Hip- pocrate l'Ionien , Hérodote Halicarnassien , et Ho- mère, ont écrit. Ce divin Poète n'étoit pas cependant tellement attaché au dialecte Ionien , qu'il ne fit usage de tous les autres , et sur-tout de celui d'Athènes. On peut voir Plutarque à ce sujet : il cite diftéiens passa- ges d'Homère, où ce Poète s'est servi de tous les dia- lectes. Le dialecte Attique étoît général à Athènes, et dans tent le district del'Attique. Il s appeloit ainsi , ou d'At- thide, fille de Crarai , Roi d'Athènes , ou parce que le pays étoit au bord de la mer , c'est-à-dire , litioral. En ^rec on dit Tratfàxrio? , d'où on a pu former, en retran- chant le V«ç , étrriMç. Thucydide , et Aristophane ont écrit dans le dialecte attique. 174 Précis historique Tautre. Au milieu d'une richesse immense d'ex* pressions , avec une variété sans exemple de dia- lectes , après une différence aussi multipliée de sens ne seroit-il pas possible que tout ne fût pas consigné dans le petit nombre d'écrits qui nous restent des anciens? Je conviens que plusieurs de ces expressions et de leurs sens même se sont per- dus et oubliés, mais il faut avouer aussi que plu- sieurs autres auront pu se conserver parmi la nation grecque. J'en suis d'autant plus persuadé , que si l'on vouloit y réfléchir sérieusement ,on trou- veroit que tous les mots et les sens que les Grecs modernes donnent à ceux qu'on ne trouve pas dans les écrits des anciens, en ont ce- pendant les racines , et qu'ils ont entre eux quelque analogie. Deux exemples nous le prou- veront. Pour dire ensemble , nous disons />ta^t : ce mot ne se voit nulle part dans les dictionnai- res; mais on y trouve à/-ta , qui veut dire en- ^emZ'/e .* on trouve aussi ^êÎV , ^vivre : or d'à/Ac^,, en retranchant par une aphéraJaise l'a^etdu ^rii», vient notre ^ta^i .* tous ceux qui sont ensemble, respirent et vivent ensemble. Pour dire à bonne heure ^ entre autres exprès- SUR l'île de Syra. Chap. IX. 17Ô sions , nous nous servons du vafiç j ce mot , ne se trouve pas dans les écrits des anciens; cependant on y trouve h et àpa , d'où , par une des figures de la cuvaKoKpvi , sjiialœphe y dont nous parlerons ci-après , se {forme notre voù^\ç ; comme si l'on vouloit dire eV ^pcc, dans la mi- nute. On se tromperoit si Ton crojoit que les Grecs modernes donnent à tous les mots une signifi- cation différente. Par exemple , les modernes disent '/m'Pqvcûj je rends sourd \ ^^(pÔTyjç, la sur~ dite} et x,y{poç f sourd. Les anciens se servoient de ce même verbe , de ce substantif et de cet adjectif, pour exprimer , alléger y légèreté , léger. Cependant notre "XM^j^ovcà , etc. vient du xo:pQVû) 3 ou x.o(p6ct) xiw^ott)^, et XûxpSç des anciens, qui signifioient rendre sourd , la surdité et sourd, en changeant , par une figure gramma- ticale, Xcà en H. Pour lex.i^(pôaf xi^(p6m<; et xS(pGç , alléger y légèreté , léger des anciens, les mo- dernes ne les connoissent pas , et ils se servent à leur place de iXa^pfévct), iK(i(ppcû(Tiç et iXa,(ppoç , qui sont des mots aussi dont les anciens Grecs faisoient usage. Il en est de même du verbe (ppâJ^co , que les modernes emploient pour dire , /'e ferme ou ijG Précis historique renferme; ce n'est pas le (Pf a^Jc^>] oriic ■, on a fait le nôtre ^iv.iyS'a. , d'abord, en changeant I'ji final en et; ensuite, par une anadhiplose , nous ajoutons le xv) , xw^>î£ra. Enfin , par une troisième figure, pros- thëse , nous disons cizyix.moa. Les modernes changent quelquefois les let- tres aspirées enienues, ou celles-ci en aspirées, comme les Ioniens. Ceux-ci disoîent iv9tul£v pour ivlèvBëv d'ici j, etx,t9cû}> pour yjlcàv tunique. Nous disons a^' oXcl pour d.'J) oÀa de tous, /u.tQctupiov pour fJL£la.ûpiQv après demain, i(péloç pour iniloç cette année, et ^clSpcizoç , ainsi que les Ioniens , pour jèclIpcLXoç grenouille) les Ioniens pronon- çoient aussi (Siolpaxoç. Ils changent aussi souvent les aspirées en d'autres aspirées , par exemple , (pwap; pour ^rfAcipt Jburreau, C'est ainsi que les Eoliens ou SUR l'Île de S y r a. Chap. IX. 179 Doriens disoient (pvip pour ô>ip ùéte sauvasse (d'où les Latins ont Fait \q\\v ftra^ , et les Athéniens (pActj' pour ÔÀccv briser. De même ils emploient les lettres mouil- lées les unes pour les autres. Les habilans de Chio d'aujourd'hui disent ^kiirtïniç pour <^iKi-7t- furviç (c'est-à-dire , ^ÎKi'Xtsroç Philippe ), comme autrefois les Athéniens Xé^paKapyia. pour zê{pa- Kcû^yicf. 77îal de lête , dpyoLkiav pour aXyaXiov chose pénible y douloureiLse. Les Grecs modernes di- sent également ntX?.}JÀvi ^ comme les Athéniens prononçoient7rÀgi;yM,â!jr pour itxiujxcùv pounion. Les Latins ont retenu le changement dey en A dans le mot pulnio. Ils suppriment la'premiëre syllabe des mots, comme les anciens , par une figure appelée aphérèse. Par exemple , ffoVr/cc pour Q^ôvncf. les dents, XcL'^pç pour iXcc^poç léger; /JLoLVfoç pour Â/xcLvfiç noir. C'est ainsi qu'Eschyle dit fJLoLvfbipLévyi pour dfjiciUfbipLévy]. Les Ioniens aussi d'iso'ient 6 plyi pour éoplri Jeté j XéïvGç pour incVvoç celui. Les Latins ont imité les Grecs , en retranchant Vo dans les mots dentés d'oSovltç , nonien d'o>'o//a. Par la même figure , les Grecs modernes retranchent aussi les aug- mentations des prétérits, des participes; ils di- Mij ï8o Précis HISTORIQUE sent ypoLpLjuévoç , ^Xct/uLjjLivoÇy etc. pour yeypA/jijuivQÇ , l^iCXctjiifJLivoç , comme de même Homère a dit , Sey/JLevoç pour Se^eyf^ivoç. Ils retranchent une ou plusieurs lettres au lYiilieu dies mots; dans Je premier.cas, le retran- chement s'appelle ellipse ^ comme à-^ai pour l'ancien aZ-Nla ^'Ite^ sur- le -champ; ils disent a'jssi d'câ'Tta. pour crtaTCa, taise. Pindare a dit, arè^a^TiOL/uLEvoç pour CTéO'icû'Ttcc/ijLivoç. Quand le re- tranchement a lieu dans plus d'une lettre , ou dans une sjllabe , il s'appelle sjncope ; c'est ainsi qu'on trouve dans Hérodote oyS'cù'Aovla. pour oyJ'oYjKovloi quatre-vingts y d'où les modernes ont formé leur oyS'œvla,. Les nombres rpiclvla, ^em^ la, i^Yivla , i^S'of.tïwlct , ivmvlci , sont également formés par syncope de rftâxovlcL, ^évlwovlci (en supprimant aussi le premier r") , i^movla, , i^S'Qr- f/.wovlct,, ev€^yj)Loylei. A l'égard de rroLfoLvlcf,, ce mot , formé de reifdpcixovlct , a essujé , outre la sj'-n- copC) ce que nous avons appelé plus haut aphé- rèse, ou retranchement de la sjllabe initiale. Une figure contraire à la sjncope , c'est ce qu'on appelle épactèse , qui consiste à ajouter une lettre ou une syllable au milieu des mots. Les anciens Tarentins disoient clta pour cùrdt. les oreilles j ils auroient dit, par la même ana- SUR l'Île de Syra. Chap, IX. i8i logie, otr/ût pour ûîr/a, d'où les Grecs modernes ont formé, par épactcse, leur ûtv7/a. On trouve dans les anciens poètes ^Àvoù pour ^n7âa) , et dXivojxan pour dKioixai, Quand le retranchement se fait i\ la fin des mots , il j'appelle apocope. C'est ainsi cpie les modernes forment une grande partie de leurs noms neutres, en disant c^u7/pour dliov oreille j 'Ti^oJ'cifi pour 'Tioé^âriov, çldfjLvi pour çl&fJLviov , crtlâfi pour crilctfiov ùléj clxiupi pour aCKi.ûç>iov farine , etc. comme Komère a dit ^at pour (^cûfJLa. maison ou terrasse} Hésiode /Sp'i' pour (^iQi) i Empédocle à\(pi pour kX'^ilùv farine d'orge^ etc. La figure contraire à \ apocope , s'appelle paragoge ou proschématisme ■, c'est-à-dire, pro- iongement ; elle consiste à allonger les mots , en y ajoutant une syllabe à la fin. C'est ainsi que plusieurs Grecs modernes disent '7tpo(7Cà7toilci, j)our -TTpVcM-'rèrac i et quelques-uns, dXôyctJci pour cL?.oytev pour €(pa- yo/uL&v y iixofjf-èvj les mêmes aoristes ou imparfaits doriens ont encore lieu chez les modernes; ils disent iXcL^u/uLev , iypai(poL/ii£v pour éKclBofJLé-i' , èypd- (pofJLEv y et éXaQctv y ïypcKpccv pour 'éXc(,j2ov, 'iypci(pov. Il yen a aujourd'hui qui prononcent acrxji/xciv pour à?7K//.oç'jCommele,s Doriens disoient Séx.oy.ai pour é'txpiJ.ciLi , etc. A la suitedetoutes ces différentes manières fi- SUR l'Île de Syra. Chap. IX. î83 guratives de prononcer les mots , sont les change- mens qu'on voit clans phisîeurs des mots anciens et modernes, comme >î yéfpvfcL , nous ditons to yîp-jfi j yi X^'P 5 nous disons ro %gp , >j fÂclx^'f^i T3^ fjLdXcf.ip On ne doit pas s'étonner non plus de ce que lesmoderneschaugent aussi les genres des mots ; cela s'est pratiqué souvent chez les an- ciens. Dans un dialecte , un mot se pronon- çoit comme masculin, et dans un autre comme féminin : le mot AgAcpjv ivoç, étoit masculin chez les uns, et féminin chez les autres. Enfin, dans tous les verbes des anciens, ter- minés en o'û;, nous y ajoutons , par une de ces figures, un r ; hôio^ i\6vc>) nni'rj çleyvôco, çliyivvcû lécher; Çcvèfoct} , ÇxyifQrd) décoiurir _, dévoiler } v.7siSioi^ xXesSovcû serrer j et autres. Si l'on est curieux de savoir comment du beau grec de l'antiquité, s'est formé le grec moderne, qui , nous en convenons , n'a pas la richesse , la grâce et l'éloquence du premier, voici ce que nous en pensons. Outre les cinq dialectes principaux, comme l'Ionien, rEolien,IeDoricn,rAttique et le Com- mun , il y en avoit dans les différentes au- tres petites contrées de la Grèce, une infinité d'autres qui en formoient comme autant de M.? ï84 Précis historique subdivisions ; ce qui constituoit une si grande variété dans la langue grecque , qu'on n'en a jatnais vu de semblable dans aucune langue de l'univers, Il est encore très-probable que , dans les temps même où l'éloquence brilloit avec plus d'éclat parmi les Grecs , il y avoit , même à Athènes , un langage pour le peuple, qui n'étoit pas celui d'Homère ni de Démostbène. Les ouvriers, les gens de la campagne ne connoissoient certaine- ment, et n'emplojoient pas dans leurs discours, pi les dilïérens temps de tous les' modes, ni les duels , ni les tournures élégantes qui font un des plus grands mérites de la langue grecque. Cela est si vrai , que St. Jean-Chrysostôme, dans sa jeunesse , prêchant à Antioche , comme il descendoit un jour de la chaire , une pauvre femme le tira par l'extrémité de son habit , en lui demandant quand est-ce qu'il prêcheroit pour elle ; c'est-à-dire , quand est-ce qu'il se feroit mieux entendre du peuple. Je tiens d'une personne très - versée dans les langues orien- tales , que les Arabes ont aussi dans leurs écrits les duels , mais qu'ils ne s'en servent jamais dans leurs discours, et que , quand elle vouloit les employer en parlant avec les habitans du pays, on ne lui répondoit qu'au plunel, SUR l'Île de Syra. Chap. IX. i85 Je crois donc que tout ce qui regarde l'omis- sion de la plus grande partie des temps des anciens , la manière constante d'énoncer nos futurs et nos infinitifs , et l'abandon que nous avons fait de toutes les manières élégantes de construire les phrases , etc. nous viennent de ce langage du peuple , qui , comme nous l'a- vons dit, a du exister dans tous les temps. En- suite les différences qui se rencontrent entre piu^ sieurs de nos mots et ceux des anciens peuvent dériver de ces dialectes inconnus , qui , avec io temps, sur - tout sous les empereurs de Coi^s- tantinople, lorsque tous les Grecs ctoient sou- mis à cet empire, auront prévalu , et qui s'étant mêlés avec le langage commun , se seront éta- blis chez les différens peuples de la Grèce. En tïïet, si on vouloit faire une recherche exacte, on trouveroit que la langue actuelle des Giccs n'est en partie qu'un mélange presque de tous les dialectes connus; par exemple, noub dirons fji&7yi,uJpy] rnidl pour fjLi7y\fJLÎç>cL ; mais nous trou- vons que les Ioniens disoient >î/iip>i pour yyJfoL, Au lieu de l'accusatif pluriel, nous nous scivoiis du datiF pluriel, etda génitifsingulier , au li\.u du datif singulier; mais cela se praliquoii aus^i chez les Eolicns, qui disoient ;<:aAc.r; datif p!u- i86 Précis historique rjel » an lieu de y.. (2") ïd. 1. I , c. 143. (3) Héiodot. 1. 2 , c. 53. SUR l'Île de Syra. Chap. IX. 191 langue si riche , si variée et si élégante, que celle d'Homère. Je crois cjn'il a toujours existé parmi les Grecs un langage vulgaire , qui étoit moins noble que celui des Philosophes et des Orateurs, mais je ne pense pas que celui d'Homère fût de cette dernière classe. Tous les peuples , dans leur idiome ordi- naire , peuvent se servir de plusieurs synonymes pour énoncer le même objet ; mais générale- ment ils ne les expriment, et ils ne les écrivent que de la même manière. Nous voyons ^u contraire que dans les dialectes grecs, outre qu'il y avoit plusieurs sjnonymes difFérens , il y avoit aussi quantité de mots diffé- remment écrits et prononcés. L'ensemble de tons ces dialectes n'étoit donc pas un langage de quelque peuple en particulier, c'étoit l'idiôm.e de plusieurs peuplades, qui s'en- tendoient entre elles , à cause de leur grande communication , par la situation et la disposition des difî'érenspays Cjui composoient la Grèce; on peut dire qu'il n'en existe pas dans l'univers de plus heureux pour la communication des habi- tans. La Grèce entière étoit remplie de côtes et d'îles infiniment rapprochées. Les cérémo- nies religieuses des Grecs, et leurs institutions iça PRÉCI. s HISTORIQUE civiles et politiques rendoient la communication indispensable : leur étroite union leur facilitoit l'intelligence des difî'érens idiomes qui étoient en usage parmi eux. Cette circonstance a pu rendre Homère moins scrupuleux à se détermi- ner à écrire dans tous les dialectes grecs. Cela est si vrai, que Plutarque , dans ses ob- servations sur les dialectes dont Homère a fait usage , nous dit : « Que ce poète s'étant servi >? d'une manière de parler très -variée, a mêlé « ensemble tous les caractères des dialectes grecs; « d'où Ton doit conclure, dit-il, qu'il a dû pour . *< cela parcourir toute la Grèce et toutes les na- ttions. » Un écrivain qui fait usage d'un style bigarré (tto/jc/'àîi), qui mêle ensemble les difîérens idiomes de plusieurs peuples , qui par- court enfin toute la Grèce , pour en connoitre tous les dialectes, ne peut pas avoir employé la langue vulgaire de son temps. Quoi qu'il en soit, celui qui mêleroit le jar- gon languedocien à d'autres jargons, mériteroit beaucoup de ridicule. Plutarque a confirmé qu'Homère s'est elTèctivement servi dans ses écrils d'un langage très-bigarré. Il assure encore »> que ce poète , de même qu'il a ramassé les ex- if pressions de tous les Grecs , en formant une « manière SUR l'Île DE Syra. Chat. IX. 193 «f manière variée de parler ; de même il se sert « quelquefois des expressions étrangères, tantôt •< des anciennes , et tantôt des communes , et K de Celles qui étoient en usage. C'est une chose , « conclut Plutarque , digne d'admiration , que « dans Homère, les expressions les plus vulgaires « conservent une élégante gravité. » Malgré cela , loin que ses ouvrages , par cette variété , aien^ jamais révolté personne , ils ont fait au contraire , dans tous les temps, l'admiration et les délices de tous les connoisseurs et des gens de goût. Si l'on me demande pour quelle raison Ho- mère a écrit ainsi , je répondrai , que pour un génie aussi vaste que le sien , pour une imagi- nation aussi féconde, il falloit , pour suivre la rapidité de ses pensées , des expressions abon- dantes et hardies: il les prenoit dans diHerens dialectes, quand elles s'accordoient à la mesure de ses vers. Son enthousiasme ne pouvoit souf- frir aucun retard; et quand il lui falloit de nou- veaux moyens pour s'exprimer , il employoit tous les dialectes usités parmi les Grecs. Sans vouloir attaquer le système de M. l'Abbé Barthélémy , sur l'origine et la formation des dif- férens dialectes de la Grèce, je dirai seulement en considérant la cjuantitéet la variété de ceux Tome I. N 194 Précis H I sTo RI Q u E qui existoient chez les Grecs, et dont on ne voit d'exemple chez aucun autre peuple , qu'ils tenoient à leur caractère et à leur génie. Vifs et ardens à saisir les objets , portés plutôt à l'in- vention qu'à l'imitation , ils changeoient ou ajoutoient à tout ce qu'ils avoient appris : leur mythologie en est une preuve sans réplique» SUR l'île DE Syra. Chap. X. 195 CHAPITRE X. De (juehjues procédés particuliers relatifs à V agriculture et à Véconomie domestique. jO^ 1 o UT ES les terres labourables de notre île sont divisées en deux parties , que l'on ense- mence alternativement , de manière que tan- dis que l'une est en rapport , on laisse reposer l'autre. Celle-ci ne reste pas tout-à-fait inutile, mais on n'y sème que des légumes et des plantes qui tirent peu de nourriture. Cette partie non semée, s'appelle dXox^pastra^çX. Vautre, engheria. 2,". A Syra et dans tout TArchipel ,onse sert de l'araire pour labourer la terre. Le terrain de ces îles étant en général très-fort , quelquefois peu profond , souvent pierreux et raboteux , il seroit impossible de labourer avec la charrue: ce sont toujours des bœufs que l'on y attële,et jamais d'autres animaux. Voici ce que dit le Journal de Paris , n°. 35o, sur la différence de la charrue et de l'araire. Nij 196 Précishistoriqub « L'araire est l'instrument des montagnes et « des bois , et la charrue est l'instrnment des « plaines et des pays ras. L'araire peut toujours « remplacer la charrue , et la charrue ne peut « pas toujours remplacer l'araire. La principale « différence entre ces deux instrumens , c'est « que l'un a des roues , et l'autre n'en a pas. «L^araire est de toute antiquité; la charrue ne « date que de dix-sept siècles. Le P. Monfaucon « s'est trompé , quand il a dit que les anciens ne « connoissoient pas la charrue , elle est anté- ^ Heure à Pline , mais je la crois postérieure à «Virgile. » 3°. Pour disposer une terre à recevoir du bled ou de l'orge, on lui fait subir à-peu-près la même préparation qu'aux jachères en France. C'est cette préparation que l'on appelle pastrciy net- teté , et qui a fait donner le même nom à une terre en cet état : elle consiste à lui donner trois labours ; le premier , vers la fin de février ; le second, d^ns le mois de mars, et le dernier, vers le milieu d'avril ; de sorte qu'on laisse une vingtaine de jours environ d'intervalle entre, cha- cun. Dans les deux derniers, on a soin de tirer les sillons., de manière qu'ils coupent transver- salement ou obliquement ceux des labours pré- SUR l'Île de Syra. Chap. X. 197 céclens. Les labours faits, on sème les légumes deté et le coton. On Jette encore entre autres quelques graines de sézame , de melons et de melons d'eau , qui y viennent très-bien , quoi- qu'il ne pleuve pas quelquefois de cinq mois. Dès que ces plantes ont commencé à pousser > on sarcle la terre, et on la nettoie de toutes les mauvaises herbes : ce travail se répète sou- vent jusqu'à trois fois avant la maturité des lé- gumes et des cotons. L'automne étant venue, l'on sème le bled ou l'oree. Il est aisé de con- cevoir qu'avec de tels soins , on doit se procurer des grains et- des légumes de la première qua- lité; aussi préfere-t-on communément ceux de S3 ra à ceux des autres îles. 4". Avant de semer leur coton , les Syriotes donnent une préparation à la graine. On sait que celle du cotonnier, après avoir été séparée delà bourre par le moulinet , conserve toujours une espèce de duvet, qui la tient liée par pa- quets , et la rend difficile à semer. Pour remé- dier à cet inconvénient , on la môle avec du sable des torrens ; on verse de l'eau par dessus ; on la remue bien , en la frottant avec les mains sur une pierre plate , jusqu'à ce que tout le duvet soit détaché; ensuite on la relave pour la dé- Niij 198 Précis HISTORIQUE barrasser du sable , et on la sème alors avec fa- cilité. Le coton se sème très-clair. Quand il a acquis une certaine hauteur , on l'ëlête pour lui faire pousser une grande quantité de rameaux , et plus de fruits. Il arrive de là que nos coton- niers s'élèvent rarement à plus d'un pied : ils demandent un terrain sec ; ceux qui sont dans des terrains bien humides,s'élèvent trop, et ne produi- sent que peu de coques : c'est pour cette raisoq que les années pluvieuses leur sont contraires... Quoique les coques des cotonniers de Syra ne soient pas de la grosse espèce, le coton en es* cependant d'une très-bonne qualité ; il est un peu rougeâtre , comme le terrain ; mais lés toiles que Ton en fait acquièrent , après quelques les- sives un assez beau deg'ré de blancheur. 5^. Les insulaires de f Archipel ont plusieurs manières de conserver leurs graines : ils font dans les champs un trou proportionné à la qnan. tité de bled qu'ils y veulent serrer ; il est ordi- nairement de cinq pieds de diamètre, sur deux ou trois de profondeur. On en tapisse l'inté- rieur d'environ un demi-pied de paille brisée sous les pieds des bœufs; on y serre ensuite le prain , de manière qu'il s'élève par dessus la SUR l'Île de Syra. Chap. X. 199 terre , aune hauteur à-peu-prës égale à la pro- fondeur du trou : on le couvre avec un demi- pied de paille, sur laquelle on met trois ou quatre pouces de terre. A Syrà, on a renoncé à cette pratique, à cause de plusieurs incon- véniens. Aux premières pluies d'octobre ou de novembre , on étoit obligé de retirer le grain de la fosse, que l'humidité auroit fait gâter. On préfère actuellement de le mettre dans des gran- ges, où l'on conserve en même temps toute la paille pour les bestiaux. Ces granges , appelées en grec St/xavict, ont communément une ving- taine de pieds de long, sur huit à dix de hau- teur et de largeur. On les remplit jusqu'à la moitié de leur hauteur ,de paille bien foulée: on pratique un espace de trois ou quatre pieds, que l'on remplit de grain. A côté on en ferme un autre , que Ton remplit de même , et ainsi de suite , selon l'étendue de la grange, et la quan. tité de grain que l'on a; cela fait, par des ou- vertures pratiquées dans la couverture , on recouvre de paille tout le bled, jusqu'à ce que la grange soit exactement remplie. Quand on veut en faire usage , on comrhence par le tas le plus voisin de la porte; on enlève d'abord la paille avec beaucoup de précaution: plus on ap- î> iv 200 Précis historique proche, plus cette précaution augmente; enfin, pour ôter les derniers brins de paille , on se sert d'un balai de millepertuis , ou d'autres plantes que l'on fait sécber ; et si malgré tous ces soins , la surface du monceau de grain n'est pas bien nette, on achève d'en enlever toutes les menues pailles en la vannant avec un chapeau, car les paysans de nos îles portent , comme ici , dans les champs,des chapeaux ronds de feutre; ils en portent aussi de paille , que l'on travaille avec beaucoup de délicatesse à Sifanto. [Ceux enfin qui veulent porter leurs grains à la ville , les mettent dans des vases de terre cuite, qu'ils rem- plissent à deux ou trois pouces près ; ensuite ils étendent pardessus quelques feuillesde figuier sauvage, appelé o/vz/, et en latin, capr'ificus } enfin ils achèvent de remplir les vases avec de la cen- dre , et les couvrent d'une espèce d'ardoise , mais plus forte et plus épaisse que celle dont on se sert en France pour couvrir les maisons. Quelle que soit au reste la méthode que l'on emploie pour conserver le grain , il ny a point à craindre qu'il soit endommagé par les in- sectes , puisque le défaut d'air empêche d'é- clore les œufs qui pourroient y avoir été dé- posés. SUR l'Î LE DE s YRA. Ch AP. X. 2.01 6^. Les Sjriotes et les autres Iiabitans des îles de l'Archipel , ont aussi une manière par- ticulière de couvrir leurs habitations. Le.^ mai- sons sont en pierre , liées avec un mortier de terre vierge; elles n'ont jamais qu'un étage, diâyir et le rez-de-chaussée, xciTcoyi , sans aucun orne- ment extérieur ; on les blanchit seulement quelquefois avec de la chaux , ou on les recré- pit, du côté du nord , avec un très-bon ciment , composé de chaux et de sable des torrens. Quand les murs sont élevés , on met les solives, ou si l'édifice est trop large, on place une pou- tre à sept ou huit pieds de distance du mur, ou bien on construit une arcade en pierre an lieu de la poutre. Sur ces solives, qui sont à la dis- tance d'environ un pied les unes des autres , on pose de la manière suivante de gros ro- seaux , qui croissent en abondance dans l'Ar- chipel. D'abord entre chaque solive , on place un roseau des plus gros^ dont on assujettit l'un desbouts sur le mur, et l'autre sur la poutre, ensuite l'on met par dessus un rang d'autres roseaux , qui croisent les premiers, et auxquels on les attache avec une corde de jonc ; après quoi on étend un lit d'une espèce de joncs appelés en grec vurla , sur lesquels on met une ioa Précis HISTORIQUE grande quantité d'alo^nes , que l'on ramasse 1 au bord de la mer. Après avoir bien foulé les uns et les autres, de manière qu'ils ne fassent qu'un même coijds de 5 à 6 pouces d'épaisseur , on recouvre le tout de terre vierge, ou d'une terre tirée des décombres pulvérisées. Cette terre, bien foulée avec un rouleau de maibre, achève de remplir un vide de lo à 12 pouces' d'élévation , qu'on donne au mur au dessus des solives îors de la construction , et qu'on des- tine à contenir les roseaux , les joncs , les algues et la terre. En bâtissant, on a la précaution de laisser sur un des quatre murs , un ou plusieurs trons pour servir de gouttières. On les place ordinairement du côté du midi , à cause des vents du nord : on a soin de diriger l'écovi- lement de toutes les eaux par ces gouttières , en donnant une pente à toute la terrasse , vers ce même côté* Tels sont les nioyens sitnples et peu dispen- dieux qu'on emploie dans notre île pour cons- truire des maisons qui durent quelquefois jus- qu'à cent ans, sur-tout si l'on a soin de crépir les murs en dehors, à chaux et à sable. Il n'y entre ni fer, ni autre métal. La toiture est pres- que aussi durable, et n'exige guère d'au te vi'» SUR l'Île de Syra. Chap. X. 2o3 entretien , que de détruire l'herbe et la mousse qui peuvent y croître , de renouveler de temps en temps la terre des bords , qui est plus su- jette à se dégrader, et d'y passer le rouleau de marbre, pour comprimer et rafi'ermir la ter- rasse. 7°- J'ai dit qu'à Syra , on donnoit le plus grand soin à la culture de la vigne. On plante les ceps à trois ou quatre pieds les uns des autres ; on les tient couchés sur la terre, à cause des vents du nord qui soufflent une bonne partie de l'été, et qui les casseroientsans cette précaution ; mais on laisse les nouvelles branches s'étendre tant qu'el- les veulent, de sorte que la terre en est presque entièrement couverte. Il n'y a point à crain- dre que les grappes se pourrissent ; au contraire , la chaleur de la terre ajoutant à l'action du so- leil, contribue à accélérer la maturité. Au reste , dans les plaines , et les vallons , où la terre est plus humide, et où le raisin pourroit se gâter, on soutient le sarment tout près de la grappe, avec de petites fourches de bois, que l'on en- l'once dans la terre ; mais presque toutes nos vignes sont situées sur le penchant des monta- gnes, ou dans des lieux secs. Il y a deux espèces de raisins dont on fait du vin , le noir et le blanc ' 204 PRiS.CIS HISTORIQUE mais on en cultive pour la table, d'autres qui sont d'une très-bonne qualité. Le raisin noir est très-serré. On coupe la vigne qui le pro- duit, au dessus du quatrième ou du cinquième bourgeon , tandis que ce n'est qu'au dessus du dixième , et quelquefois même du quinzième, qu on taille les autres : une longue expérience a appris que ces différentes espèces de vignes vouloient être taillées différemment, pour se conserver plus long-temps , et produire plus de fruits. 8°. A Syit'Si on laboure les vignes avec l'a- raire , et on y est persuadé que cette manière est la plus utile; en effet l'araire , en détrui- sant les racines les plus profondes des mau- vaises herbes , détruit aussi celles des ceps qui sont à la superficie de la terre , et les obli- ge d'en pousser de plus profondes , qui tirent plus de suc de la terre , et sont moins expo'- sées à souffi ir des ardeurs du soleil. Le labour de la houe , au contraire ( car de toutes les îles de l'Archipel, je ne connois que Chio , oii l'on se serve de la bêche ) , la houe, dis-je, ne détruisant pas ces racines superficielles avec la même efficacité , elles s'étendent et semul- tiphent extraordinairement, ce qui nuit beaucoup SUR l'Île de Syra. Chap. X. 2o5 à la tige. On objectera que les bœufs , en passant dans les vigneSjdoivent briser des branches qui au- roientpu donner du raisin; mais nos vignerons regardent cette perte comme amplement com- pensée par la vigueur que doit procurer à la tige une terre mieux labourée, et par ïa qua- lité des grappes et ïa grosseur des raisins qu'elle doit produire. D'ailleurs , pouréviter trop de dé- gâts, ily a toujours quelqu'un qui marche devant les bœufs, pour relever les branches. On supplée avec la houe , à ce qui n'a pas été labouré au tour des tiges par l'araire. 9". Le provignement est une partie de l'a- griculture, qui avoit été bien négligée à SjTa, et qu'on a remise en vigueur. Voici la méthode que j'ai suivie. Pour remplir une vigne, qui étoit à moitié dégarnie , la première année j'ai arrêté tous les ceps; c'est-à-dire, que je leur ai ôté beaucoup de bois , en ne leur laissant que quelques branches. Ces ceps , ainsi arrêtés, ont pris de la force , et m'ont donné presque tous, dès l'année suivante , des branches bonnes à être provignées. S'il y en avoit de trop courtes pour parvenir à l'endroit où je les voulois con- duire, je les provignois dans la longueur qu'elles pouvoient s'étendre , pour les reprovigner plus 2o6 Précis HISTORIQUE loin la seconde année ; ou je les àlongeois en les greffant avec d'autres branches. Le dernier moyen , que j'ai appris d'un de mes parens, qui a été 24 ans Vicaire Apostolique à Sifanto, m'a été d'une très - grande utilité pour regarnir plustôt mes vignes , pour multiplier quelques espèces de raisins qui y manquoient , pour rendre mes vignes plus fertiles, parce que pour greffer snr les provins trop courts, je choisis- sois des branches des tiges les plus fécondes et de la meilleure espèce. Avant d'aller plus loin, je vais rendre compte de ma manière degreflèila vigne dans cette cir- constance. Jecoupe immédiatement à côté d'un nœud, chacune des deux branches que je veux greffer, de manière que ce nœud soit abattu. Je fends l'une de ces deux branche? jusqu'à l'au- tre nœud, c'est-à-dire, en forme de rainure de deux ou trois pouces de long ; j'amenuise l'au- tre branche jusqu'à la moelle, en forme de lan- guette, d'une pareille longueur, et je f insère dans la première; je les serre étroitement avec du jonc , et je les couvre de terre. Dès la deuxième année,chacun des provins jette trois ou quatre pousses, capables d'être elles- mêmes provignées; je les enfonce toutes, je pro- SUR l'Ile DE Syra. Chap. X. 207 gne les plus longues, et je redresse la plus courte pour occuper la même place. Tel est le moyen que j'ai employé , et qui m*a si bien réussi , qu'en trois ou quatre ans , une petite vigne s'est trouvée regarnie,et que d'un fagot de sarment,et d'une outre de vin qu'elle rendoitpar année, elle ne tarda pas à m'en donner douze à quatorze, devin blanc dequalitésupérieure, et dix à douze fagots de sarment. Au reste, ce même moyen m'a servi encore à renouveler peu-à-peu et en- tièrement mes vignes , parce que j'avois l'atten- tion , au bout de trois ou quatre ans , de déta- cher les provins de la vieille souche , et d'ar- racher celle-ci. Si cependant cette souche étoit encore saine et vigoureuse, je la laissois subsis- ter ; j'en détachois seulement les provins en coupant ceux-ci d'abord à l'endroit où ils te- noient immédiatement à la tige-ftière , puisa un pied environ au dessous au pli qu'on leur avoit fait pour les prolonger sous terre. Cette manière de provigner et de renouveler les vignes, est préférable à celle qu'on employoit autrefois à Syra , et qu'on emploie encore à Naxie , qui consiste à enterrer tout-à-fait chaque année les plus'^vieilles tiges, et à provigner leurs branches. Il arrive de là que la vieille souche. 2o8 Précis historique toujours malade Janguissante et pourrie, ou cri- blée des insectes qui y déposent leurs œufs , com- muniqiie aux provins les vices qu'elle a con- tractés , et qui les minent insensiblement. Au contraire , datîs ma méthode de provigner de jeunes branches , en séparant , après quelques années , mes provins , je les ai toujours vus , sains et vigoureux , acquérir de plus en plus des forces nouvelles. Pour multiplier la vigne de treille , j'ai ima- giné un autre procédé. Quand je voyois quel- ques parties d'une treille ou d'un berceau décou- vertes, je prenois un jet de l'année, le plus éloi- gné du maître brin , et le plus voisin de l'en- droit dégarni ; je le recourbois, et j'en rabaissois l'extrémité, que je plantois en la couchant dans la terre à l'a profondeur d'un pied et demi. Quand le jet de l'année n'étoitpas assez long pour venir à mon but , je pliois un peu leVieux bois ; ensuite j'abattois tous les bour- geons, à un seul près, que jedesdnoisà fournir la principale branche qui devoit rècouvrirla place vide. Il ne faut pas confondre cette manière dé multiplier une vigne, avec Fusage où l'on est de les marcotter. La marcotte n'est qu'une branche que l'on replonge en terre pour lui faire SUR l'Île de S y r a. Chat. X. nooi faire prenth-e racine , et dont le bout sort de la teri'e, de maiiiôrc qu'elle croit toujours dans son sens iiatui'cl , au lieu que suivant ma méthode , quand l'extrémité de la branche re- ])longée entièrement dans la terre a pris ra^ cine , la sève remonte danscette branche , contre son sens ordinaire. J'ai répété plusieurs fois cette opération à Versailles , dans le jardin de M. Ruffin , Secrétaire , Interprète du îloi, jv.uir le^ langues orientales, où elle a parfaitement icussî* Aussi existe-t-il une tradition dans le Levant, que le fameux Platane de file de C03 dai:3 l'Archipel, qui cstsoutenu par dix-huit colonnes es de pierre carrées ,plus ou moins grandes, bâties hors de terre, et bien cimentées en dehors et en dedans : en les construisant, on a soin de leur donner de la pente, pour facili- ter l'écoulement de la liqueur, vers une dé- charge pratiquée à l'un des côtés , et qui répond à un petit bassin construit immédiatement au- près du grand, mais enfoncé dans la terre et destiné à recevoir le vin. Lorsque le temps de la vendange est venu , et que le raisin est bien mûr, on le coupe, et on le laisse exposé au soleil pendant cinq à six jours : on le porte ensuite dans le foviloir^ où on le laisse encore reposer cinq à six jours ou même davantage, jusqu'à ce qu'il ait bien fermenté, ce qui facilite la sé- paration de la liqueur. Alors on le foule avec les pieds , puis on le jette j.eu-à-peu , dans une claie qui s'ouvre plus ou moins à volonté, et semblable , à peu de chose près , à ces paniers , où l'on tient rassemblés dans les marchés , les jeu- nes pigeons et les canards. Ces claies sont faites de laurierrose , qui croît abondamment dans les vallons de l'ile. A mesure que l'on y met SUR l'Île de Syra. Chap. X. 211 le raisin , un homme monté dedans, le Foule et on continue ainsi tant que la claie en peut con. tenir. Quand elle est pleine , s'il y a encore du raisin à presser, on délait la claie, on la retire , et on la place dans une autre partie du fouloir, en répétant la même opération trois et quatre fois , s'il est nécessaire , selon la quan- tité de raisin : quelquefois même on se sert de plusieurs claies à la fois , et on augmente à pro- portion le nombre des ouvriers. Après la pression et la claie enlevée, le marc reste en pains plus ou moins é{)ais, et d'un dia- mètre plus ou moins considérable. On les écrase^ on les éparpille dans le fouloir; on verse par dessus une certaine quantité d'eau ; cest or- dinairement une ou deux mesures sur dix de vin , que l'on a pressurées. Sans cette pré- caution , il seroit impossible d'extraire toute la liqueur , qui a été presque calcinée dans les grains ; et il y a des quartiers où les terres sont si fortes , et le vin si violent , que si l'on ne met- toit de l'eau et du moûten quantité égale, le vin ne manqueroitpas de s'épaissir et de s'aigrir. On recommence à fouler , en arrosant à plusieurs re- prises , le marc avec du vin du petit bassin, puis on emploie une seconde fois la claie ; on O ij 2,12. Précis HISTORIQUE entortille les pains de raisin ; ils en sortent, cha- cun avec un ou plusieurs brins désarment gar- nis de leurs petites branches et de leurs feuilles. Ce sont toujours des pousses de l'année , que l'on prend , et quelques-unes ont plus de quinze pieds de long; si une seule ne suffit pas , on l'allonge avec une seconde et une troisième que l'on y noue. On fait entrer un des bouts de ces liens dans le bas du pain, autour duquel on lui fait faire plusieurs tours en le serrant bien. On ramène l'autre sur le sommet , de ce même pain où on le fait aussi entrer , et on met par c^essus de grosses pierres , dont le poids achève d'exprimer la liqueur. On lave l'intérieur du fouloir et tous les instrumens qui ont servi à l'opération , avec de l'eau qui retombe dans le petit bassin, où elle se mêle avec le vin , ou bien on la met dans le vase où le vin a déjà été retiré, car rarement le petit bassin peut - il contenir tout celui qu'on a pressé. Quand le marc ne donne plus de liqueur , on le jette dans le petit bassin; on le foule encore , on le charge avec de grosses pierres ; on le laisse bouillir pendant quelques jours , pi«s on remplit les interstices des pierres avec s U R l'ÎL E DE s YR A. Ch AP. X. 2l3 des feuilles de viij;ne ; on couvre le tout avec de la terre; on le foule bien, et on le laisse dans cet état jusqu'à ce qu'on le retire pour en faire de l'eau de vie. C'est ordinairement vers le mois d'octobre , le matin à la rosée, que les paysans récoltent le coton; et dans la jour- née en l'épluchant , ils soignent leur alembic. Il y en a qui , au lieu de laisser leur marc de raisin dans le petit bassin, le mettent dans de grands pots de terre cuite ; et quand ils veulent hâter la fermentation, et faire tout de suite leur eau de vie , ils le détrempent avec de l'eau : sinon , quand le marc bien foulé a bouilli , ils ferment hermétiquement avec de la terre franche le couvercle des pots , et conservent ainsi ce marc pendant quatre et cinq mois. L'eau dévie qu'on en retire est excellente et d'un goût parfiu't, sur-tout si on la fabrique avec soin , et si en la distillant, on y jette quelques grai- nes d'anisou de fenouil. Ce goût de fenouil , au reste, ne peut mahquerdese communiquerplus ou moins à l'eau de vie; parce que pour empêcher le marc de s'attadier au fonds del'alerhbic , on a soin de le couvrir de quelques branches de fe- nouil qui le soutiennent : je n'ai pas besoin d'ajouter j_cc semble, qu'on le détrempe premiè- O iij 214 Précis HISTORIQUE ment avec moitié d'eau. Ce (jui reste au fond de l'alembir après la distillation , n'est point encore inutile, on en sépare les pépins dont on nourrit les pigeons et les porcs. Nous croyons qu'on ne pouiToit pas tirer le même parti de ces pépins s'ils n'avoient point passé à l'alembic ; ils four- niroient sans cela un aliment trop âpre. II". Nous n'avons pas dans nos îles les mê- mes moyens qu'en France , pour transporter le vin et pour le conserver : nous le voiturons dans des outres faites de peaux de boucs ou de petits veaux , que nous savons préparer de ma- nière à ne donner aucun goût à la li(|ueur Nous le conservons dans des vases de terre non ver- nis, mais enduits avec de la cire, et nous le déposons, non dans des caves souterraines, la plupart des maisons étant bâties sur des rochers, où il seroittrès difficile d'en creuser , mais dans des celliers bâtis aurez-dcrchaussée. Cet enduit s'applique de deux manières ,ou en frottant avec im morceau de cire l'intérieur du vase , immédiatement après qu'il est sorti tiu four du potier , ou en le faisant chauf- fer avant , et après l'avoir i'rotté , afin que la cire s'imbibe bien dans tous les pores'. Cet enduit dure au^si lon^ - temps que le vase ; SUR l'île de Syra.Chap. X. 2,l5 il résiste à toutes les liqueurs , soit à l'eau de vie , au vin , au vinaigre , à l'huile , etc. il em- pêche le vin de prendre un mauvais goût , et en prévient l'évaporation. M. Duhamel a proposé de se servir de ci- ternes , ponr conserver le vin au défaut de vais- seaux de bois, qui, dans certaines années , et dans plusieurs provinces , sont trës-difficiles à se procurer; mais il se plaint, et du mauvais goût que le mortier donne au vin , et de la dé- perdition qui se fait par les pores de la citeine. Je suis persuadé que le moyen que je viens d'indiquer , rcmédieroit à ces inconvéniens. Pour cela on pourroit allumer dans la citerne un feu capable de TéchautTer en entier : dès qu'elle aiiroit acquis le degré de chaleur désiré, plu- sieurs personnes y descendroient à-la-fois , et se mettroient à en frotter les parois avec de la cire. Si , après cette opération , il restoit quel- que place qu'on eût oubliée , ou qui se fût re- froidie , on pourroit la chauffer h l'aide d'une plaque de fer d'un pouce d'épaisseur , sur un pied en carré, que l'on auroit fait rougir au feu. On pourroit aussi se servir à peu près du même moven pour communiquer une chaleur moin- dre aux parties où la cire ne se seroit pas assez 0:v st6 Précis historique imbibée ; par exemple , en faisant moins eliauf- fer la plaque, ou en ne l'ap-pliqiiant pas immé- diatement au mnr, Au reste, des personnes in- telligentes et ceiairées , pourront profiter des idées que je n'ai qu'ébauchées, et imaginer les moj^ens les plus propres pour exécuter cette opération. On m'objectera qu'en échaufifant la citerne avec delà Iraise, ou de quelque autre ma- tière, il y a à craindre que la vapeur n'incom.- mode ceux qui descendroient pour l'enduire; uiais ne peut-on pas remédier à cet inconvénient ])ar une foule de moyens anti-méphitiques , qui unit assez connus ? 1 2.\ Noiisavonsaussi à Svra des pratiques trés- rurieuses et très-utiies sur fincuhation des pou- les, Nous commençons par examiner , avec la plus grande attention, tous les œufs que nous destinons à être couvés. Ceux dans lesquels nous «nercevuns de petits globules clairs et faits eu Ibrnio d'ctoi'es , sont toujours stériles. Parmi ceux qui restent , nous examinoiis quels sont ceux qui doivent donner des cochets , et ceux qui produiront des poulettes: on les distingue à lu pobition de la couronne, ou calote intérieure, m>Q i'op apperçoit au gros bout, Si cette cou^ Vpnno ett iiîacée presque horieontaîeîr^ent , il SUR l'Ile DE Syra. Chap. X. 217 naîtra un coq ; si au contraire elle est placée obliquement, ce sera une poule: on est ainsi le maître de se procurer le nombre précis de poussins que l'on veut dans lun ou dans l'autre sexe : aussi voit-on rarement chez nous plus de deux ou trois mâles, sur une couvée de quinze à vingt , tandis qu'en France , le nombre des mâles est au moins égal àcelui des femelles (i). Cinq à six jours après que nous avons mis les œufs sous la poule, nous les mirons au soleil, et ceux dans lesquels nous n'apercevons pas des filets de sang , nous les retirons : ceux-là (i) Voici une particularité qui regarde l'objet que nous tvaiions, et que je trcuve dans une lettre de Aladame Vicat , qu'elle écrit au sujet de la fameuse question sur l'àistoire naturelle de la mère - abeille. Cette lettre est rapportée par M. Blaîssière , dans sa traduction de l'ouvrage de Scliiracli sur les Abeilles, j» On assmc , dit-elle, qu'on peut connoître par la forme d'un reuf le poulet qu'il renferme, s'il est poulette, ou coihet, et par la forme d'un cocon , celui d'où doit sortir un papillon mâle ou femelle. 3> Tout le monde connoît cc'tîe particularité , à 1 égard des papillons des vers à soie, mais celle de connoître le sexe du poulet par la forme d'un œuf, nous l'ignorons dans le i^tvar.t, Si8 Précishistorique ne sont point fécondés. Nous trouvons un dou* ble avantage dans cette pratique ; d'abord ce sont toujours autant d'œufs auxquels la poule est dispensée de donner ses soins; en second lieu , ces œufs sont , à la rigueur encore bons à manger : le moindre usage qu'on en fasse, c'est de les conserver pour servir de première nour- riture aux petits qui doivent éclore. Voici en- core une attention que nous avons , et qu'on néglige chez les peuples occidentaux. Les pous- sins, en naissant, ont sur le bout du bec une corne très-dure , que la nature prévoyante leur a donnée pour casser la coque de l'œuf; mais cette corne devenue inutile dès qu'ils en sont dehors , les gêne pour ramasser le grain, spé- cialement sur les planches , la pierre , et tous les corps durs. Il est donc de l'intérêt du pro- priétaire , quand cette corne ne tombe pas d'elle- même , dès le premier jour, de la détacher avec l'ongle , et c'est ce que nous faisons à Syra. i3'\ J'ai eu occasion de faire ,soit dans notre île, soit en France, quelques observations sur les pigeons. J'ai remarqué que chez nous , les deux œufs que produit chaque ménage , sont toujours de sexe différent, tandis qu'en France suK l'Île de Syra. Chap. X. 219 ils sont souvent de même sexe. Ja'y remarqué encore cpie c'ebt toujours le premier poi.jLi qui porte un i>erme mâle. Or, il anue iïé- quemment, et sur-tout dans les temps froids, que l'un des deux périt dans la coque , c'est presque toujours le nule. J'en ai , ie pense, trouvé la raison : les pigeons mettent deux jours d'intervalle entre la ponte de ces deux œufs; pendant ce temps-là, ni le père, ni la mère ne couvent l'œuf : ils se tiennent seulement de bout sur leur nid , comme pour le garder ; mais il arrive quelquefois , et sur-tout pendant la nuit, que l'un ou Pautre se trouvant fatigué , et la mère sur-tout, se repose sur l'œuf, et quela chaleur de fincubation commence le développe- ment du germe; mais bientôt ils se relèvent et le laissât refroidir. Alors le développement s'arrête pour toujours, et l'œuf se gâte ; c'est donc le mâle qui doit périr le plus souvent , et le mo^'en de s'assurer que c'est pour cette raison , et non pas parce que l'œuf n'a pas été fécondé , qu'il a manqué d'éclore, c'est d'exami- ner s'il est corrompu ou non dès le dixième jour. C'est une preuve que le commencement de développement a eu lieu , sinon il reste clair , 220 Précishistorique presq[lie jusqu'à la fin. Il arrive souvent la même ckose aux œufs de serins. Aussi y a-t-il des personnes qui retirent les premiers , et qui ne les remettent que quand tout est pondu , et rare- ment il leur arrive d'avoir moins de petits que d'œufs. L'auteur de la Maison Rustique prétend que les pigeons ne s'accouplent qu'à l'âge de six mois. J'en ai vu s'accoupler dès le commence- ment du quatrième mois ; à la vérité, ils étoient cl une très-bonne espèce. Les jeunes pigeons qni muent, tardent à s'ac- coupler , au lieu que ceux qui ne muent pas , s'accouplent plutôt. Dans le Levant , j'ai remarqué que les deux pigeons d'une même couvée s'accouplent tou- jours ensemble : ici j e vois que la cjjiose est as- sez rare , et que les deux époux se choisissent le plus communément dans deux familles dif- férentes. Quand on a de belles espèces de pi- geons, et qu'on veuf éviter qu'elles ne s'abâ- tardissent, on doit avoir une petite volière pour les enfermer dans le temps des amours, qui est toujours indiqué par les roucoulemensdu mâle, et ses emprcsseraens auprès de la femelle. Il est encore essentiel d'avoir un endroit particulier SUR L*ÎLE DE SyRA. ChaP. X. 221 pour y renfermer ceux qui veulent s'accoupler, parce que si on les laisse en liberté, leur union se fait bien plus tard , tandis qu'elle a lieu dès le premier jour , ou tout au plus au troisième, Cjuand on les resserre ; mais il ne faut pas les te- nir dans cette gêne pendant quinze jours , comme ' le dit l'auteur de la Maison Rustique; ils au- roient déjà fait leur ponte. J'ai eu à Versailles un pigeon «lâle , d'une très-belle espèce , à bec court, huppé, lesj^eux entourés d'un rouge vif: je l'ai marié avec une femelle blanche ordi- naire; il m'a donné des pigeonneaux huppés, fprt beaux , mais qui n'étoient pas de l'espèce du père. Accouplé avec un de ses enfans, il a pro- duit des petits qui lui ressembloient davantage; enfin , avec un de ces derniers il a donné une troisième génération qui lui ressembloit par- faitement. Avant de finir cet article , yy ajouterai quel- ques remarques que j'ai faites en France sur les pigeons. J'ai observé que dans certains tems de l'année, les mâles suivoient continuellement les femelles. J'ai reconnu que c'étoit ordinai- ment dans le temps où la femelle étoit prête à pondre son œuf. Cette poursuite du mâle se fait avec tant d'acharnement , qu'il ne donne £^2 Précis historique pas le temps à sa compagne de manger ou de boire ; il la becqueté continuellement , jusqu'à ce qu'il l'ait obligée à rentrer dans leur nid; alors le maie transporte des brins de paille , ou des branches de quelques plantes, pour en former et construire un autie : on seroit tenté de croire niie la nature auroit donné cet instinct aux mâ- les, dans la crainte (pie les femelles ne choi- sissent pas un endroit favorable pour pondre leurs œufs. J'ai vu plusieurs fois des femelles, dont les mâles , par maladie ou quelque autre canse , ne les poursuivoient pas , laisser tomber leurs œufs hors de leur nid. Ceux qui veuleut donner à ces animaux tous les soins possibles , doivent tâcher de recon- noître les petits , qui tombent souvent de leurs nids: alors il faut connoître leurs mères pour les leur rendre; sans cela ils ne manqueroient pas de périr, si on les mettoit dans un autre. 14°. Nous avons dans l'Archipel une manière particulière de chasser la perdrix :1e chabSeur prend un morceau de toile de diverses couleurs, dont il fait une espèce de bannière, d'environ trois pieds de large sur six de haut. Il pratique une fente au. milieu pour lui servir de visière et pour passer l,e bout du fusil. Muni de ces SUR l'ÎL E DE SyRA. Ch AP. X. 2.2^ înstrumens,il part de bon matin, et dès qu'il en- tend chanter la perdrix , il arme son fusil, l'a- juste à sa bannière qu'il porte de la main gau- che; et en se tenant toujours exactement cathé derrière, il s'avance lentement du côté du gibier. Les perdrix frappées et étonnées des différentes nuances de couleurs qu'elles aperçoivent sur la bannière , se rassemblent sur une pierre ou sur un mur, elles caquctent , et semblent s'in- terroger sur ce qu'elles voient : cependant le chasseur' arrive , s'arrête , tire son coup , et communément en jette à bas huit , dix et davantage. Cette manière de chasser la per- drix est sur-tout très-avantageuse , lorsqu'une mère conduit à sa suite une compagnie de per- dreaux , ou quand en hiver ces animaux s'attrou- pent. Puisque nous en sommes sur l'article des perdrix, je remarquerai qu'à Sjra on en ¥oit quelquefois de blanches ; ce qui est extrême- ment rare , puisqu'en effet on n'en trouve de cette couleur que dans le nord de l'Europe, dans le Groenland, et dans les montagnes gla- cées des Alpes. Les Turcs en font très-grand cas ; et quand nous en prenons en vie, nous les conservons ordinairement pouren faiie pré- sent au Capitan Pacha ^ lorsqu'il paroît avec sa S24 Précis HISTORIQUE flotte dans l'Archipel. Quand les pajsans aper- çoivent nn perdreau blanc, ils s'assemblent, le poursuivent sans relâche, et l'ont bientôt lassé. Il s'enfonce alors dans les broussailles , où , à l'aide d'un chien , on s'en empare. L'expé- rience apprend que si on tarde à le ch^isscr, on ne le retrouve plus , les éperviers Tat- trappant très-aisément. En voici la raison : Cet oiseau, vise bien sa proie, avant de fondre sur elle ; mais dès qu'il s'est élancé , il ne peut plus changer de but : c'est pour cela qu'il ne se jette jamais sur une compagnie de pigeons ou de perdrix de plumage uniforme ^ parce que, mai- gré la finesse de sa vue , le moindre mouvement entre eux opère une confusion qui l'embrouille , et lui fait manquer le but , sur-tout, s'ils sont bien serrés les uns contre les autres : aussi l'ins- tinct porte-t-il ces oiseaux , qi^and ils voient un oiseau de rapine à se rapprocher , soit en volant , soit môme parterre, le plus étroitement possible ; et si celui-ci les attaque dans cet état, ce n'est que pour les épouvanter, et parvenir à en dé- tacher quelqu'un de la bgnde , dont il fait sa proie. J'ai été plusieurs fois témoinxle cette ruse de la part des milans. Mais s'il y a dans la bande un pigeon ou une perdrix de couleur différente des SUR l'Île de Syra. Chap. X. 228 des autres, l'oiseau chasseur n'est plus embar- rassé et ne craint plus de perdre de vue sa proie ; il fond sur elle sans chercher à la séparer du reste. C'est pour cela que les perdrix blanches , où les pigeons blancs, parmi les ramiers , dis- paroissent en peu de temps. i6°. Nous avons à Syra un mjDyen infailli- ble pour connoître et remettre les luxations des membres des enfans. Quand aux cris et aux pleurs extraordinaires d^ui enfant , on soup- çonne qu'il a quelque os de déboîté , ou , comme on s'exprime en grec , XtyiçfJiivo , qu'il est plié , on l'étend sur un lit, le visage en dessous ; on lui prend la main gauche et le pied droit, la main droite et le pied gauche, que l'on rapproche l'un de l'autre; s'ils se touchent aisément, et sans que l'enfant donne do plus grandes mar- ques de souffrance, c'est une preuve qn'il n'a rien de dérangé; si , au contraire , il res- sent de fortes douleurs , il n'est plus question que de chercher l'endroit où la luxation a lieu. Pour cela on prend un jaune d^œuf que l'on pose très-doucement sur le dos de l'enfant , en le soulevant tantôt d'un coté, tantôt de l'autre. On fait couler l'œuf sur tout son corps , depuis les reins jusqu'aux . épaules. Tome I. P 220 Précis historique La place, oh la pellicule qui enveloppe le jaune d'œuf se crève , est celle de la luxation. On procède à y remédier, et toutes les sages- femmes, beaucoup de mères de familles même, ont ce talent. Je ne sais comment, dans unpajs aussi éclairé que la France, et chez ses voisins , on n'a rien fait pour étendre une connoissance si simple et si utile ; ce seroit le mojen de di- minuer infiniment le nombre des personnes bossues, boiteuses , estropiées de dillérentes façons par suite de luxation. Aussi n'ai-je connu , dans toutel'île de'Sjra , qu'une demoiselle con- trefaite, et ce fut par la faute de sa nourrice, qui l'ajant laissée tomber dansson enfance , n'en avertit passa mère, et fenfant infortuné resta boiteux. Nous avons dit ailleurs cju'on faitàSyra de très belles toiles de coton croisées, dont tout le peuple ek habillé. Dans cette île , ainsi que dans toutes les autres de l'Archipel , on a une manière particulière de les préparer , avant de les mettre à la teinture. Pour les teindre en noir on les fait bouillir dans des écorces de grenade. Les femmes s'occupent de cette opé- ration dans leur ménage , et en habillent assez ordinairement leurs maris et leurs enPans. Je SUR l'Île de Syra. Chap. X. ^l'j présumé que les écorces de grenade pourroicnt remplacer eu teinture la noix de galle. On pour- roit en Faire des chargemens considérables dans tout le Levant , sur-tout du côté de Smirne , ou les grenades sont en, grande quantité, et du côté d'Alexandrette , où il vient , de l'intérieul;- du pays , une grande quantité rie pépins de grenades aigres: les liabitans de ces contrées s'en servent à la place du citron et du vinaigre. On a encore dans le Levant une manière par- ticulière de guérir les érésipëles : on applique quelques pièces dor sur la partie malade ; au bout de trois ou quatre heures on les retire, et on les essuie; on les remet encore sur la môme partie, et en vingt-quatre heures, l'or a attiré l'humeur , et l'érésipèle a disparu. Avant d'appliquer les pièces d'or sur l'érési- ])èle , on ne doit y employer aucL7ne espèce d'onguent. On dit (jue la graisse, en bouchant les porcs de la peau, empêche la vertu attrac- tive de l'or. i^"". Nous nous servons à Syra d'un levain particulier pour faire le pain. La veille du jour qu'on veut le pétrir, on prend environ une ou deux poignées de pois chiches, que l'on écrase : ensuite on les met dans l'eau cbaude , mais' Pi) siîS Précis historique non-bouillante, et dans nn pot déterre, que l'on couvre avec du coton pour le tenir chaudement pendant toute la nuit. On le laisse ainsi jus- qu'au lendemain ; on passe cette infusion dans ses doigts; le suc et sur -tout l'écume s'écoi - lent et les pois chiches que l'on presse un peu restent. Avec cette infusion, et en y ajoutant une certaine quantité d'eau tiède , on mouille un peu de farine , et l'on forme une pâte un peu molle qu'on laisse pendant quelque temps (et ce temps est connu de tous les boulangers^ bien couverte pour la tenir chaudement afin de la faire lever. Cette pâte étant parvenue à la perfection du levain, on la mêle avec la fa- rine qu'on veut pétrir. Ce levain a beaucoup plus de ressort-_que le levain ordinaire. Il est plus sain et donne un goût excellent au pain, soit d'orge, soit de fro- ment. Aussi le pain qu'on mange à Syra est- il meilleur que dans les autres îles. Les bis- cuits, sur tout, sont délicieux, et fondans, lors- qu'ils sont iaits avec attention : ce levain se multiplie , en conservant toujours une pe- tite quantité de la même pâte de la veille pour le lendemain ; cependant, pour lui con- server un meilleur goût, il faut renouveler SUR l'Île de Syra. Chap. X. 229 cîe temps en lemps le levain, comme nous l'a- vons dit. "• Je crois ce levain très - propre pour le })ain de mais, de pommes de terre, de châ- taignes, etc.; l'essai en a été fait. Il est cer- tain, que le pain d'orge fait avec le levain ordi- naire, n'est pas mangeable; il est lourd et mat; celui, au contraire, qui est fait avec le levain des pois chiclîcsest très-léger et bien levé. Je terminerai ce chapitre par une anecdote singulière , qui peut faire quelque plaisir à nos lecteurs. Un ex -Jésuite Napolitain , appelé le Père Roxas , avoit élevé un "aiglon qu'il avoit pris dans son nid ; il l'avoit tellement apprivoisé , qu'il lui laissoit la pins grande liberté pour faire ses voj'ages aériens; aussi l'oiseau n'en abusoit-il jamais , et revenoit-il fort exactement , après avoir fait les plus lon- gues promenades. Il avoit pris un si grand attachement pour son maître , que toutes les fois que le père sortoit , il le suivoit en volant sur sa tête , pour savoir de quel côté il dirigeait ses pas; et qu'aussitôt que le Père Roxas s'ar- rêtoit pour s'asseoir, il descendoit des airs pour se mettre à côté de lui. Ce Père avoit une mai- son de campagne, où il alloit souvent. L'aigle Piij 2,3o Précis historique ne manqiToit jamais de le suivre; il n'entroît et ne sortoit qu'avec lui ; si son maître étoit allé à la promenade pendant son absence , il prenoit l'essor et voloit à sa poursuite. Le Père Roxas u'avoitqifà faire flotter un moiceau de drap rouL;e , et l'oiseau se précipitoit du haut des airs à cùlé de lui , et avec une si i^raude impétuosité ;, qu'il étoit oblis^é de se mettre à couvert sous un arbre , ou sous quelque autre abri , pour ne pas être terrassé ; enfin ce sin^jyulier animal disparut un jour, et on n'en a plus en- tendu parler; il est vraisemblable qu'il fut tué. II commencoit à faire de grands ravages dans l'île ; il fondoit sur les troupeaux de moutons, et les dispersoit : la maison des Jésuites étoit continuellement assiégée de ceux qui venoient se plaindre des vois de cet aigle , et le Père lioxas les restituoit , ou en ])ayoit la valeur. s\) R l'Île de Syra. Chap. XI. sSi CHAPITRE XL Méthode de caprifier le Jjgider, usitée à Sjra et dans toute la Grèce y depuis les temps les plus reculés. JL A méthode de caprifier le figuier paroit re- monter à des époques très -reculées. Tbéo- phraste (i) , Pline (2) , Valerius Coi dus en ont parl^. Amasias , prêtre de Béthel (3) , ayant re- pris Amos de ce qu'il prophétisoit des choses fâcheuses contre Israël , celui-ci lui répondit Je ne suis ni Prophète , ni fils de Prophète; mon occupation est de conduire mes troupeaux , et de piquer des figues sauvages. (i) Lib. I , de causis plant, cap. 12. (2) Hist. nat. 1. i3, cap. 19, lib. 16, c. 27. (3) Amos Proph. cap. vu , v. ix. Non sum prophcta , et non sum -fîlius prophetœ , sed armentarius ego suru vellicans sycomores. P iv a32 Précis historique Les écrits des anciens sur cet objet, ne pré- sentent à Fesprit que des doutes et des conjec- tures purement idéales. Tournefort est le pre- mier des modernes qui en a donné une idée claire et précise. Ce Savant est d'autant plus cligne de foi, qu'il a parcouru toutes les îles de l'Archipel , et qu'il n'a rien avancé dont il n'ait été témoin oculaire. Le procédé de la caprification mérite toute l'attention des Naturalistes. S'^ivi dans ses plus petits détails , il peut les conduire à des décou- vertes lumineuses sur la fécondation des plan- tes. Sjra est aujourd'hui le pays de la Grèce, et peut-être de l'univers, où , à proportion de son étendue et de sa population , on cultive une plus grande quantité de figuiers. C'est dans cette lie qu'on pratique la caprification avec le plus d'attention , d'intelligence et de méthode. J'y ai observé , pendant plusieurs années consécu- tives, la marche de cette opération ; je crois donc me rendre agréable au public, et sur-tout aux amateurs , en rassemblant ici ce Cju'en ont dit Tournefort , Linné et autres modernes. J'y ajouterai quelques particularités qui ont échap- pé à leurs observations , et je me flatte que ce SUR l' î L E DE S Y R A. C H AP. XI. ^33 recueil renCci mera tout ce qu'on peut désirer de certain et de probable sur cette matière. « Pour bien comprendre cette manufacture « de figuiers ( la capri fi cation ) , dit Tournefort « ( Voyage au Levant, t. i , p. 338) , il faut re- « martjucr que l'on cultive dans la plupart des « îles de l'Archipel , deux sortes de figuiers ; la « première s'appelle ornos , du grec littéral eri- « «0.9(1) , figuier sauvage , ou le caprijicus des « Latins ; la seconde espèce est le h'guierdomes- «r tique. Le sauvage porte trois sortes de fruits, ^'■JbnutèSj cratitirès yOrni y absolument néces- « saires pour faire mûrir ceux des figuiers do- « mestiques. « Ceux qu'on appelleyb/7zzVè5-,paroissent dans « le mois d'août, et durent jusqu'en novembre « sans mûrir; il s'y engendre de petits vers, « d'où sortent certains moucherons qu'on ne voit « voltiger qu'autour de ces arbres. Dans les mois « d'octobre et de noveml)re , ces moucherons pi- « quent eux-mêmes les seconds fruits des me- (i) Les anciens prononçoient eriiios. L'usage à con- sacré le mot onios par syncope; cependant plusieurs disent ernos et ruéme erinos. On sait d'ailleurs que les Grecs subslltuoieiit s ouvenf une lettre à la place d'une autre. 284 Précis historique « mes pieds de fii^ui.ers. Ces fruits qu'on appelle « cralLtirès , ne se montrent qu'à la ttn de sep- « tembre , et iQ^fornitès tombent peu après la « sortie de leurs moucherons. Les cratitirès ^aw « contraire , restent sur l'arbre jusqu'au mois de « mai , et renferment les œufs que les mouche- « rons des fornitës y ont déposés en les piquant : « dans le mois de mai , la troisième espèce de fî- « gués , com licence à pousser sur les mêmes pieds « des figuiers sauvages qui ont produit les deux « autres ; ce fruit est beaucoup plus gros , et « se nomme ornos. Lorsqu'il est parvenu à une « certaine grosseur, et que son œil commence « à s'entr'ouvrir, il est piqué dans cette partie « parles moucherons des cratitirès , qui se trou- » vent en état de passer d'un fruit à l'autre , « pour y déposer leurs œufs. fruits clés figuiers domestiques. Voici l'usag^e « qu'on en fait : pendant les mois de juin et de « juillet, les paysans prennent les orni dans le « temps que leurs moucherons sont prêts à sor- « tir j et les vont porter tout enfilés dans des fé- « tus sur les figuiers domestiques ; si l'on « manque ce temps favorable, les orni tombent , «et le fruit du figuier domesticjue , ne mûris- « sant pas , tombe aussi dans peu de temps. Les « paysans connoissetit si bien ces précieux mo- mens, que tous les matins en faisant leur revue , « ils ne transportent sur les figuiers domesti- « ques que les orni bien conditionnés, autre- « ment ils perdroient leur récolte. Je suis *< forcé de dire qu'on n'a jamais vu emploj'er à « Sjra , Vaxcoliinbros , pour eaprifier le figuier. « D'ailleurs , cette méthode seroit absolument « inutile, puisque, comme je le prouverai, d'a- « près Linné, il nesufht pas de piquer la figue, i< mais de la féconder. Il est vrai qu'ils ont en- « coie une ressource quoique légère , c'est de » répandre sur les figuiers domestiques , Vax- « colimhros , plante très-commune dans les îles , « et dans les fruits desquels il se trouve des « moucheions propres à piquer; peut-être que SUR l'île DE s YR A. ChAP. XI. 23/ « ce sont les moucherons des orni , qui vont ♦< picorer sûr les fleurs de cette plante. Enfin, « les paysans ménagent si bien les orni , que « leurs moucherons fbnt mûrir les fruits du fî- « guier domestique , dans l'espace de quarante « jours. « Je ne pouvois assez admirer la patience des « Grecs, occupés pendant plus de deux mois « à porter ces piqueurs d'un figuier à l'autre, «r J'en appris bientôt la raison : un de leurs ar- « bres rapporte ordinairement jusqu'à 280 livres « de figues, au lieu que les nôtres n'en rappor- « tent pas 25. « Les piqûres , dit ailleurs Tournefort, con- « tribueront peut-être à la maturité des fruits « du figuier domestique , en faisant extravaser ii le suc nourricier, dont ils déchirent les ca- « naux en déposant leurs œufs. Peut-être aussi , « qu'outre leurs œufs , ils laissent échapper « quelque figuier, propre à fermenter douce- « ment avec le lait de la figue et à en attendrir » la chair (1). Nos figues en province, et à Paris (f) On pourroit peut-être dire, que les moucherons éclos , ne peuvent subsister sans nourriture, et elle ne peut être autre que les poussières des étamines des orni; 23S Précis HisTORt^jyè- « même, mûrissent bien plus tôt. Si on plqtie « leurs yeux avec une paille graissée d'huile « d'olive , les prunes et les poires piquées par « quelque insecte, mûrissent plus tôt aussi , et « la chair d'autour de la piqûre est de meilleur « goût que le reste (i). Il est hors de doute, » qu'il arïive un changement considérable dans « le tissu des fruits piques , de même qu'il ar- << rive aux parties des animaux , percées avec « quelque instrument. Il tieseroit guère possible de bien entendre les anciens Auteurs qui ont parlé de la caprilica- tion , si l'on n'étoiL jkls convaincu des circons- tances qui servent à la Faire réussir. Non - seu- lement ce détail nous à été confirmé à Zéa, à Tine , à Scio, à Mycone, mais dans la plupart des autres îles de l'Aichipel. ces poussiènes sortant ensuite en excrément du corps de ceinc qui sont entrés dans les figues femelles , ont la vertu de les féconder. (i) La partie d'une prune piquée par un insecte, ne reçoit pas toute la sève qui lui est destinée. Celte surabo^ulauce , refluant sur tout le fruit , doit né- cessairement hâter sa maturité, et lui donner un goûl plus agréable. SUR l'île deSyra. Chap. XI, 189 On ne peut rien désirer de plus satisfaisant que cet extrait de l'ouvrage de Tournefort; il est à remarquer qu'il soupçonnoit seulemeiit avec Valerius Cordus,que les figues avoient des fleurs ; mais ni lui , ni d'autres n'a voient encore connu les vraies parties de ces fleurs, jusqu'à l'année 171 2 , que M. de la Hirea décou- vert et démontré publiquement leurs étamines', et leurs sommets couverts dune poussière très-fine. Je joindrai ici quelques particularités, fruits de mes observations ; elles contribueront à rendre plus intelligible le procédé des Le- vantins pour la caprivication. Les paysans ne sont pas les seuls à Svra qui s'appliquent à la caprification ; elle est pour bien des personnes, un objet d'amusement. J'ai enfilé moi-même dans du jonc des figues mâles des orni , que j'ai déposées sur des figuiers domestiques. Quelquefois ouvrant ces orn- ouérini , j'ai reconnu que tous les grains étoient comme autant d'œufs, qui renfermoicnt un petit moucberon ; je m'en suis assuré en écrasan,. plusieurs de ces grains , lorsque la fi'gue mâle commençoit à s'entr'ouvrir, et constamment jai trouvé un moucberon dans cbaque grain ; lors que l'essaim de ces petits moucherons n'étoit 240 Précishistorique point entièrement éclos. J'en ai observé plu- sieurs couvertes d'une poussière fine. ( L'usage de* secouer ces sortes de figues , avant de le^ manger , pour en faire sortir la poussière , ne laisse aucun doute sur ce fait). J'ai répété la même expérience sur des orni , après leur en- tière maturité ; tous les grains étoient percés , les moucherons en étoient sortis , l'enveloppe seule des grains restoit. Cette découverte auroit présenté aux anciens Naturalistes , une question intéressante à ré- soudre ; savoir, si les végétaux peuvent produire des insectes quelconques. Quoi qu'il en soit, je pense Cjue le fait précédent doit être expliqué de la manière suivante : les petits moucherons sortent des cratitirès pour entrer dans les orni , lorsque les grains en sont encore tendres ; ils les percent et y déposent leurs œufs; de ces ceufs, éclosent bientôt de petits vers, qui de- venus moucherons , sortent vraisemblablement , par les mêmes petits trous, qui avoient servi à leurs mères pour y déposer leurs œufs. ILenest de même des moucherons des for- nilès,qui déposent leurs œufs dans les graines des cratitirès. Les premiers ont été nécessai- rement produits par d'autres moucherons. Quelle est SUR l'Île de Syra. Chap. XI. 241 est leur origine ? quelle en est la cause ? je l'ignore; tenons-nous-en toujours au grand prin- cipe , omne "vivum ex ovo. J'invite les amateurs et les curieux à consta- ter ce fait par le secours des instrumens , et d'analyser , pour ainsi dire, les grains des orni , après leur caprification , et même à diverses époques jusqu'à celle de leur maturité. Je ne doute pas qu'ils n'y trouvent d'abord des œufs, puis de petits vers , et bientôt des moucherons. Les sociétés des savans ne povirroient-elles pas confier le soin de cette expérience à nos voyageurs au Levant, ou à des personnes éclai- rées , résidantes à Constantinople , Smirne , et dans les îles de l'Archipel , qui leur adresse- roient les résultats de leurs observations ? En voici quelques-unes que j'ai faites moi- même , et qui pourront donner des lumières sur la caprification. J'ai cueilli quelquefois des orni dans un mouchoir blanc, dans le dessein de les placer sur des figuiers dom.estiques. Quand je les en retirois , le mouchoir restoit cou- vert de petits moucherons : je l'étendois sur les branches d'un figuier ; un instant après iléi^voient disparu. Ordinairement il n'entre qu'un^seul de ces Tome I. ^ Q £4^ Précis historique moucherons dans chaque fruit , ce dont je me suis assuré plus d'une fois , en approchant un de ces insectes d'une figue déjà occupée par un autre; il ne s'y arrètoit point , et voltigeoit de branche en branche. Je le posois ensuite à l'œil d'uiie figue qui n'étoit point encore habitée ; alors il en soulevoit les écailles avec son mu- seau , et se frajoit une route , par laquelle il s'y introduisoit en laissant ses ailes en deliors , sui- vant l'usage de ces insectes; car j'ai observé, sur plusieurs figues, les ailes de ces petits ani- maux, çerrées entre les écailles. Quelquefois, mais rarement , j'ai vu , à l'œil d'une même figue, plusde deux ailes;ce qui me porteroit à croire que plusieurs moucherons y avoient pénétré ; ce nue la petitesse et l'extrême mobilité de l'in- secte m'ont empêché de vérifier. Les écail- les de la figue sont très -serrées jusqu'au mo- ment de la fleuraison ; alors elles s'entr'o u vrent et se soulèvent (: dès que le temps de la fleur est passé , elles se resserrent , de sorte qu'il est impossible aux petits moucherons d'y pénétrer ; c'est pour cela que l'on guette cet ins- tant sî'j^récieux pour la caprification ; car au- trement la figue sèche , et se détache de Tarbre avant sa maturité. SUR l'Île de Syra. Chap. XL 248 D'après tout ce que nous venons de dire , on voit que Tournefort^est dans l'erreur lorsqu'il avance que la caprification s'opère par les pi- qûres des moucherons. Une fois que le petit moucheron est parvenu à soulever les écailles, il trouve un passage libre pour pénétrer dans la cavité de la figue , sans piqûre et sans bles- sure. Cette observation nous servira par la suite pour répondre à quelques difficultés. Les cultivateurs ont remarqué que lorsqu'ils opéroient à propos la caprification des premières figues, celles qui fleurissoient après , étoîent fa- cilement caprifiées ; ils éprouvoient le contraire lorsque, par négligence ou autre cause, ils man- quoientle temps convenable pour les premières. D'après les observations qui précèdent , il est aisé de connoître le moment propre à la capri- fication , celui où elle devient impossible, enfin celui où elle est opérée. Dans le premier cas, les écailles sont un peu soulevées et entr'ou- vertes ; dansle second elles sont bien resserrées, de manière que l'œil de la petite figuese trouve un peu enfoncé, et dans le troisième, elles ])aroissent comme avant le temps de la fleurai- son;mais l'œil est saillant, quoique plus rétréci. J'ai déjà dit que ce temps est le seul propre Qi) 244 Précis historique à la caprificatioii. Les Grecs l'appellent enthi- mùis tis sikiaa j le souvenjr du figuier : ce der- nier mot est le terme générique dont ils se ser- vent pour exprimer le moment de la fécondation de tous les êtres animés, et ils y ajoutent la signification particulière de chacun ; ainsi ils disent : lagheladha entliimale ^ iforadlia en- thimate , Loprovalo enthimate _, pour dire qu'une vache , une jument , une hrebis est disposée à être fécondée. Ces expressions , tirées de leur langue , prouvent qu'ils avoient une idée de la fécondation des plantes : peut-être sommes-nous plus ignorans que ce peuple sur cette matière; et même il paroît que quelques anciens Philo- sophes Grecs avoient connu que cette féconda- tion s'opéroit par le moyen des poussières des étamines des fleurs mâles qui pénètrent dans les pistils des femelles, ainsi que nos Naturalistes croient! avoir découvert. En effet Pline , cap vu hist. nat. lib. 2, , rapporte le sentiment de Mé- nécrate , quicroyoit qu'elles étoient un indice de la prochaine récolte des fruits. Mcneciales y dit-il jjlorem (c'est-à-dire , la poussière des éta- mines } esse clicit jjiitiirœ messis iiidiciiiui j sed jiemo prœter euni : mais il ajoute que c'étoit une opinion particulière de Ménécrate ; que qersonne après lui ne Ta su i voit. SUR l'Île de Syra. Chap. XI. 245 Lorsque la figue sauvage est à l'instant de sa maturité , son œil s'ouvre entièrement , ses mou- cherons sortent librement , et ils s'envolent sur les figues domestiques. Il y a à Syra quelques espèces de figuiers qui se caprifient plus aisément : quelle en est la cause ? c'est que leurs figues restent plus long- temps en flein-s , tandis que la fleuraison des au- trcsne dure , pour ainsi dire, qu'un seul instant, Si les Cultivateurs le manquent , la caprifica- tion ne peut avoir lieu , et les fruits tombent avant leur maturité. Plusieurs espèces n'ont pas besoin de la ca- prifîcation; telle est celle qu'on nomme stour- nailia y dont les fruits mûrissent dans le mois d'octobre et de novembre ; et même pendant l'été ; il fautnécessairementregarder ces figuiers comme des hermaphrodites. On les appelle sau- vages, parce qu'ils viennent sans culture sur les montagnes et au milieu des rochers , de grains transportés .par le vent ou par des ani maux ; et leurs fruits sont bien difïerens de ceux que l'on cultive communément dans l'île. Quelques autres espèces d'orni offrent des particularités intéressantes , mais que je ne rap- portepoint ici , faute d'instruction et d'une étude Qiij 2.^6 Précis historique assez suivie. Un Grec , natif de l'île de Pat" mos , et qni se trouve actuellement à Paris , m'a dit avoir dans son jardin deux figuiers sauvai^es» qui ne produisoicnt que des cratitires. Enfin, on trouve à Syra un seul arbre d'une espèce de figues , qu'on appelle /2rZ>zcQ///7e.s'; cette espèce a été apportée de l'Italie à Tinc , et de Tine à Sjra : elle est cultivée dans tous les jar- dins potagers que j'ai vus à Rome ; elle porte du fruit deux fois l'année , dans le mois de mai et le mois d'août. Les premières figues sont plus grosses, et d'un meilleur goût. Les unes et les autres n'ont pas besoin de caprification pour parvenir à leur maturité ; peut - être même pounoit-on croire que les secondes sont capri- fiées par les premières. Les curieux demanderont sans doute ce que devient le moucheron qui pénètre dans la figue domestique, et qui semble la féconder et hâter sa maturité ? J'avoue que je n'ai fait , sur ce point aucune recherche particulière; mais, ne pour- roit-on pas, avec un microscope , parvenir à cette découverte intéressante, en observant plusieurs figues à diverses époques, jusqu'à celle de leur maturité ? Ce que je puis avancer avec certitude, c'est que , lorsqu'on les ouvre pour les mapger, SUR l'Île de Syra. Chap. XL 247 on n'y découvre ni moucheron , ni œuf, ni ver. Mais, lorsqu'elles sont sèches , et qu'on les en- tasse dans des vases, sans les faire passer par le four , on observe dans chaque figue un seul ver^ lequel est nécessairement engendré par l'œuf que le moucheron de l'ornos y a déposé en y pénétrant. J'ai aperçu quelquefois une espèce de tissu soyeux dans ces figues sèches ; ce qui me fait présumer que mon moucheron est im ichneumon , comme l'a soupçonné Linné ; car les ichneumons ont cela de commun avec les tetraptères à ailes farineuses, qu'ils se filent une espèce de coque , et sur-tout les ichneumons à coton. J'ai eu occasion, de remarquer d'ailleurs que la larve étoit mollasse , blanchâtre , sans pattes, seulement avec une tête brune et écail- leuse : l'iilèecte parfait , beaucoup plus petit , s'est refusé à mes observations. Co'mment ce moucheron a-t-il pu être fé- condé et produire cet œuf? Je pense que cet insecte est déjà fécondé lorsqu'il sort de la figue sauvage ; car j'ai remarqué qu'il reste dans cha cune plusieurs moucherons morts, qui sans doute sont les mâles qui ont opéré la fécondation ; parce que jesuppose que ces moucherons meurent après avoir fécondé les femelles, ainsi qu'il arrive à Q W ^4^ Précis historique plusieurs autres insectes , sur-tout aux faux bourdons ( qui sont les mâles dans la répu- blique des abeilles) , comme nous le verrons dans notre traité sur ces insectes. Les figues que l'on n'expose point à la cha- leur du feu, renferment toutes un ver: aussi dans l'Archipel a-t-on soin d'user de cette pré- caution, non pour les faire sécher, comme dit Tournefort , mais pour étouffer le i>crme du ver qui ne tarderoit pas à éclore. Quelques personnes se contentent de la pres- ser dans des pots de terre, que l'on couvre avec soin hermétiquement, pour interrompre l'action de l'air extérieur, et ce prt)cédé produit le même effet. Avant de passer à l'opinion de Linné , il est à propos de remarquer qu'il a admis des fleurs hermaphrodites dans le figuier, aussi bien que des fleurs seulement mâles ou seulement fe- melles, puisqu'il classe les figuiers dans \3. po- lygamie ; ainsi nous avons des figuiers herma- phrodites , tels que les stoumailia , et autres, étrangers par conséquent à la caprification , et des figuiers mâles et des figuiers femelles. Je repporte d'autant plus volontiers l'opinion de ce grand Naturaliste , qu'elle est entièrement SUR l'Île de S yr a. Chap. XL 249 conforme à la mienne , et que l'une peut servir de preuve à l'autre. Voici comment il s'exprime : Vol. I. Amsenit. Acad.p. 2:27. « Il est certaines espèces de figuiers, dont les « Fruits étant seulement remplis de pistils , ne « sont que des réceptacles. Ces figuiers sont « conséquemment femelles; et Pontedera leur « donne proprement le nom de ficus : on les « trouve dans nos jardins , et ils donnent une « grande quantité de fruits ; d'autres au con- « traire renferment le germe du fruit ; ils en « sont le réceptacle , et produisent de petites « figues. Ce sont les figuiers mâles auxquels « Pontedera, et les anciens ont donné le nom de « caprificus. Ceux-ci ne sont pas cultivés dans « nos jardins, parce que, dès que leurs petites « figues ont atteint la moitié de la grosseur or- « dinaire des figues , et que les vents ont em- « porté leur poussière , elles tombent avec « leurs réceptacles , avant de parvenir à leur « maturité. « D'autres figuiers produisent au printemps, « comme le caprificus , des petites figues qui don- « nent leur poussière , et tombent avant leur «maturité: à l'automne suivante ils en produi- « sent de nouvelles avec des pistils; celles-ci 25o Précis historique » mûrissent aa printemps suivant. Pontedera i« appelle cette dernière espèce de figues , sri- «c nasjces , et elles ne sont réellement autre « chose que des androgjnes ou hermaphro- « dites. » Ce que dit ici Linné, paroîtroit fort obscur , si ce que j'ai rapporté de Tournefort , et mes observations particulières qui l'accompagnent, ne nous en donnoient une explication satisfai- sante : au reste , toute cette exposition de Linné , on doit l'entendre conformément à ce que j'ai exposé ci-dessus. Je remarque seulement que 3es figues mâles , les orni , par exemple , ne tombent que parce qu'elles n'ont pas été capri- iiées par les cratitirès : celles qui l'ont été, mû- rissent , et ne se détachent de l'arbre qu'après avoir donné leurs moucherons et leurs poussiè- res. Il y a , entre ces figues mâles ou orni , quelques espèces qui sont bonnes à manger ; leur goût est agréable : presque toutes les autres espèces ont un degré de douceur, et les cochons en sont fert friands. Linnée prétend que l'on cultive en Hollande et en Suède des figuiers femelles qui produisent une grande quantité de fruits ; cela est éton- nant, puisque ceux que l'on voit à Paris, quoi- SUR l'Île de Syra. Chap. XI. 2,5i que situés clans une .latitude plus favorable , sont des figuiers sauvages qui produisent très- rarement, et l'ort peu de fruits. « Peut-être , poursuit Linné , tronve-t-on « d'autres espèces de figuiers ,dont les fruits, « dans un seul et même réceptacle, renferment «des fleurs mâles et femelles, dont les unes « sont placées dans leurs cavités , et les autres « entre leurs écailles , si toutefois l'on doit s'en « rapporter à la description et aux figures de «M. delaHire (i). « Ce qui me feroit croire cependant que ces «espèces sont très-rares, c'est qu'aucun Natu- « raliste, jusqu'à nos jours, n'en a donné une « description exacte , qu'on ne les cultive pas « dans nos jardins , et qu'aucun de nous, même (i) Liane pose en assertion dans son gênera -plan- larum , j). r-^6 ^ ce (|u'il vient de ne poser ici que d'une manière douteuse. >■ I^e calice des fleurs , ( dit-il ) , est «commun ou plutôt c'est la figue elle-même. Sa sur- <' face interne est couverte de petites fleurs , dont les ex- ■< térieures , ou les plus proches des écailles qui la fer « ment à sa surface supérieure, sont les fleurs mâles qui « sont en petit nombre, et au-dessous de celles-là, les «■ fleurs femelles en très-grand nombre." 252 Précis HISTORIQUE « l'illustre Président de cette Académie, n'en « ont jamais vu. Si leur existence est réelle , on « doit les apjDeler liermaphrodites. » D'après ce sentiment , on doit penser que les figuiers qui , dans l'Archipel , n'ont pas besoin de la caprification , sont hermaphrodites , tels que ceux dont parle Linné, d'après M. de la Hire ; par la même raison , ceux qui donnent du fruit deux fois dans la même année , au mois de mai et au mois d'août , sont de vrais her- maphrodites , ou parce qu'ils portent deux es- pèces de figues, les mâles qui sont celles du mois de mai , etles femelles, celles du mois d'août. En ce cas il faut, ou que les premières fécondent les secondes , ou qiîe les mêmes figues renfer- ment dans leur réceptacle, des fleurs femelles et mâles.Tels sont peut-être les figuiers que l'on voit en Italie et dans les provinces méridionales de la France. Cependant cela s'opposeroit à ce que nous rapporterons ci-dessous, ^d'après le même Linné , qui atteste que les grains de figue des pays où la caprification n'a pas lieu , semés , ne poussent aucune plante, parce qu'ils ne sont pas fécondés : or , si ces figues étoient hermaphro- , dites, leurs grains dévoient être aussi bien fé- condés que ceux, des figues caprifiées. SUR l'Île de Syra. Chap. XI. 2Ô3 « La caprification est un procédé que les « anciens depuis les temps les plus reculés, ont « constamment pratiqué dans la culture du « figuier, et qui se pratique encore régulière. « ment chaque année dans les îles de l'Archipel « et dans les autres îles de Ja Grèce. Pline , « Théophraste , Suidas, Plu tarque , et autres au- « teurs célèbres en font mention ; le premier . « sur-tout, nous en a laissé une idée précise, « lib. 10. « Le caprificus, dit - il , est un figuier sau- a examine epicreseos siegesbackiancs élit, ult, « p. 16. « J'ai appris de Linné que tous les ans , er> « Hollande , on se procure des plantes de « figuier en jetant à terre de la semence, et « même le fruit divisé en plusieurs parties , mais « qu'à la vérité, ce fruit étoit apporté d'Italie; * car la semence des figues produites en France , « en Allemagne , en Angleterre , et même en « Suède , où le caprifiguier n'est pas connu , est « stérile; au contraire , celle des figues qui ont tt subi la caprification en Italie et dans l'Archi- « pel, germe avec succès, et les feuilles des jeu-^ « nés plantes sont dès les premiers jours sem- « blablesàcelles de la mouche. « Cette expérience a été répétée cçXie an- « née au jardin de l'Académie. On a semé « dans des pots de terre des figues du Levant SUR l'Île de Syra. Chap. XI. 263 « on les a abritées dans la serre, et on a vu pa- « roître diverses plantes. Ceque dit Camérarius, » S'il est vrai que cet acide est le seul prin- cipe qui fait subsister tous les végétaux, ne seroit - il pas possible que M. d'Or eût trouvé le moj'en de le fixer, et de le rendre utile au genre huma^in ? On seroit d'autant plus tenté de le croire , que l'eau pure de M. d'Or porte avec elle une espèce d'acidité. « On a observé , poursuit M. le Clerc, que cet SUR l'Île de Syra. Chap. XII. 279 acide abonde dans l'air, lorsque les vents d'O- rient et du Nord soufflent , et que le temps est serein. Ceux qui travaillent aux mines remar- quent que c'est particulièrement lorsque ces vents régnent que leur terre alkaline s'imprè- gne d'un acide. L'acide nitreux n'est point diffé- rent de celui de l'air qui cause les éclairs; car la terre alkaline, qui est la base du nitre , est neutralisée par l'acide de l'air, toujours présent» il est si fortement attiré par les sels d'alkali de toute espèce qu'on j expose, qu'à Force d'en être imprégné, il devient tout-à-fait neutre. Alors l'acide aérien déguisé etcaché sous lesel alkaliet l'huile avec lesquels il est uni, produit un dis- solvant qu'on a nommé admirable, d'après ses eHèts dans l'obstruction. » En lisant tout ce que M. le Clerc rapporte de ce sel neutre , on seroit presque tenté de croire qi''il a voulu nous donner le procédé de M d'Or ; en efièt , ce dernier assure que les sels aériens se fixent abondamment, lorsque le temps est serein , et que les vents sont au Nord ou au Levant. Nous avons déjà fait remarquer qu'il avoit plusieurs fois observé qu'une espèce d'huile sumageoit dans ses vases; que les sels qui se déposoient au fond de ces mêmes vases étoient Silj 2fio P ?. F. C I S H I S T O R I Q l E d'une nature diilcrente de tous ceux que I on connoît , et qu'ils paroissoient être neutres > enfin, si toutes les maladies, eonime le préten- dent diflerens auteurs, j)roviennent des obstruc- tions qui se forment dans plusieurs parties du corps , et si le sel neutre , dont parle M. le Clerc , Cbt efficace pour ces espèces de maux , pour- quoi ces sels ne seroient-ils pas du ])lus grand secours dans les autres maladies? L'eau d'or, étant composée avec des sels très- analogues à ceux de M. le Clerc , do't être infiniment utile dans beaucoup de circonstances; et le procédé de son auteur, ainsi que celui que nous pra- tiquons au Levant , bien loin de s'opposer aux ])nncipes de la médecine, lui est au contraiie c on (or me. Mais il l'aut examiner si Ton trouve ailleurs des autorités qui puissent confirmer ce que nous avons avancé. D'abord le docteur Sancassani nous en a fourni un grand nombre, et j'avoue que j'ai été étonné de la clarté qu'elles répandent sur le pro- cédé de M. d'Or. C'est dans un petit ouvrage que ce médecin célèbre a publié sur l'anatomie de l'eau, (pie l'on trouve véritablement des vues profondes sur notre théorie. Les différentes opi' SUR l'Île de Syra. Chap. XII. 281 nions des anciens, sur la substance de l'eau , excitèrent l'auteur à s'appliquer sérieusement à cette analyse, et pour le i'aire avec succès, il n'épargna ni son temps ni son argent : il s'étoit associé plusieurs personnes de l'art pour assister à ses expériences ; leur résultat fut toujours , que l'eau renfermée hermétiquement dans des vases da verre , poussée à l'extérieur par un feu mo- déré qui excitoit celui qui étoit caché au centre de l'eau, produisoitdeux vapeurs. Tune blanche et l'autre rouge, qui s'attachoientavec le temps et par parties aux parois des vases. Ces vapeurs se convertissant !)ientutencau , il en sortoit un es- prit subtil et invisible, qui avoit bcauroup ré- chaullé lesvcîses( 1 ), et que je pourrois appeler, dit (r) Partout ce qu? Sarcassanî dit Ici , et par ce que nous rapporterons cîe lui pi us bas, oo dc'couvre unegrajide analogie entre les opérations de ce chimiste sur la nature de l'eau , et celles de I\I. Lavoisier sur la substance del'air» Les résultats des unes et des autres se rapprochent ; et on peut conclure que dans l'eau , de même que dans l'air , est contenu l'aliment secret do la vie , ou celte substance universelle qui vivifie tous les végétaux. Effectivement cet esprit subtil et invisible, qui réchauSe les vases, et qui s'agite avec impétuosité , ne paroît être autre chose que ce même principe y découvert dans l'air car Siv s82 Précis historique notre auteur, de l'air agité, on du vent , à cause de son impétuosité. Ensuite , les parties gros- sières de ces vapeurs se précipitoient au Fond du vase sous différentes formes , tantôt en terre cristalline , tantôt en forme d'écailles de poisson , et quelquefois en espèce de talc. Enfin, l'eau se clarifioit quand elle étoit dé- gagée de ces vapeurs et de cette terre. Les sels seproduisoient , ctl'on vovoit surnager de petites gouttes semblables à des grains de millet : ces gouttes avoient l'app^arcnce de Vhuile (i), brû- loicnt, et donnoient de la flamme comme les autres matières oléagineuses. Mais c'est dans l'ouvrage de ce savant médecin qu'il faut voir tous les moyens dont il s'est servi, pour parvenir à de si grande.*; découvertes. Pour ce fiui nous regarde, nous devons nous en tenir à ce qu'il a dit des substances spiritueuses, terreu- ses et sali-nes que l'on extrait de son eau : les bons M. Lavoisier , qui calorem per corpora diffundit. Cetle substance, qui se fait voir ensuite sous la figure d'écailles ou de talc , n'est peut-être autre chose que l'essence de l'humidité de l'eau même. (i) M. d'Or m'a plusieurs fois assuré avoir souvent observé de petites gouttes , comme d'iiuile, surnager dans lesvases d'eau qu'il exposait à l'air, selon son procédé. SUR l'Île de Syra. Chap. XII. ^83 efTcts qu'elles produisent sur l'homme malade j sont uniquement de notre sujet. « Venons, dit l'auteur , aux remèdes qu'on a découverts dans l'eau , dont jusqu'à présent on a fait différentes épreuves dans la médecine. En premier lieu, il 3' a l'esprit, qu'on retire de l'eau de pluie et de nei^e ,et qui , comme je l'ai remar- qué , échauflé les vases. Cet esprit rectilié , étant très-simple et trcs-suhtil , a par lui-même une grande énergie: lorsqu'on l'applique aiix fièvres continues, intermittcntes,ardcnles,il coupe lele- vain fébrile , dissout les présures sans violence, ra- fraîchit, et peut être employé en tout tempsetà tout âge, sans danger. Il provoque les urines et la sueur , selon les dispositions des malades; il dégage les obstructions, et parvient jusqu'à la quatrième digestion , fortifiant avec efficacité les esprits animaux j30ur expulser la cause des ma- ladies; et si l'eau naturelle commune , qui est pleine d'impuretés, guérit tontes les plaies d'a- près la méthode de Filippo Palazio ( 1 ), avec com- bien plus depromptitude et de facilité ne doivent- elle.s pas se guérir, avec cet esprit d'eau , qui (1) Je connois une personne qui, s'étant donné un grand coup de hache au pied en fendant du bois, a été guérie avec la seule eau d'or. 284 Précis historique résiste à la corruption et qui anime davantage les esprits pour se joindre et se glutiner? Si ensuite on dissout dans cet esprit d'eau , les substances balsamiques , et propres à la guérison des plaies, ilserl pour les ulcères : nous en avons vu des effets admirables dans un très-grand nombre de cures opérées par ce mojen. » « Avec ce même esprit on prépare des extraits, des sels, des magistères, des essences, des bau- mes ; et en y faisant dissoudre des gommes , on en retire des teintures vulnéraires , et on en fait plusieurs autres préparations. Un grand avantage sur-tout , c'est qu'il est très simple qu'il n'altère point les choses, et ne change point leur vertu naturelle. Ajoutez encore que toutes ces compositions, ou mélanges , peu- vent se faire sans feu , (i) comme la gomme de tartre qui se ]:réi:'are en la broyant à la molette et en la dissolvant daiis cet esprit ; on rexjjot-e ensuite au soleil pour évaporer son humidité, jusqu'à réduction en consistance du miel. » « De plus, on peut tirer de l'eau une terre de plusieurs espèces. La meilleure est la plus luisante; elle ressemble aux écailles de pois- son, ou bien à du talc. Cette terre est appelée (a) I/eau de M. d'Or se fait sans feu. Sun l'île de s y r a. Ch Ar. XII. 280 par les philosophes, terre philosophique, terre vierii,e. Elle sert à plusieurs cures, particnlitre- ment pour les maux de poitrine , parce qu'el le ab- sorbe lesacides corrosifs. Par la même raison, elle guérit delà djssenterie , des tranchées, etc. ; elle est bonne pour les ^ÀalesphûgcdéniçHes et corro- sivcs, et jîoni' certains ulcères regardés comme in- curables; elle adoucit le sang , et produit enfin les plus admirables efi'els : sa force et sa vertu pour la guérison des maladies les plus graves, pourroient bien s'attribuer à la qualité qu'elle a de contenir une teinture de couleur d'or vo- latile. » « Quoi qu'il en soit, on retire de l'eau une espèce de sel qui d'abord ressemble au sel com- mun , mai^qui à la longue devient âpre et amer; il finit cependant par être très-doux et très-froid , quand on l'applique sur la langue(i). Ces qualités le rendent très-utile dans des fièvres ardentes et malignes: comme il est pénétrant et réfrigé- rant, il résiste aux miasmes empoisonneurs et aux levains fébriles; il provoque les sueurs , et les urines, et il calme les grandes ardeurs et la (i) Les sels de M. d'Or, ou son élixir pur, appli- qués sur la langue , semblent avoir toutes les qualités d^ ce sel tiré de l'eau. 2,86 Précis historique sécheresse qui accompagnent toujours Ips fièvres violentes. Avec ce sel Oliverius de Oliveriis ai- guise son mens truc pour dissoudre l'or, et pour le rendre potable. Cet or étant préparé avec ce sel, comme l'auteur nous l'apprend, produit les efîbts les plus merveilleux. » « Ce qui doit sur-tout étonner, c'est de voir combien ilse multiplie, lorsqu'on l'expose à l'air. J'ai souvent observé que, lorsqu'il étoit dans un vase fendu, il s'échappoit par toutes les fentes; subtil et actif, il s'y attacboit, il s'y inrrustoit (i). En été, au milieu des plus grandes chaleurs, il lui faut toujours de l'ombre (2) , pour se (1) J'ai observé moi-même, autour de^ l'orifice des flacons qui contenoient l'essence d'eau d'or, ( j'appelle ainsi celte première matière d'un goût^acicle, dont on met dans une pinte d'eau de rivière, la quantité de deux ou trois dés à coudre ) ; j'ai vu , dis-je , cet orifice couvert d'une espèce de sel , ayant le même goût que l'essence. En observant ces sels au micros- cope, ils ont une forme ronde ou tubeuse. On ignore s'ils sont produits par un suintement de la matière au- tour du boulon du flacon, ou s'ils sont des sels aé- riens que la vertu attractive de la matière contenue dans le flacon , y attire et y fixe. (2) Nous avons observé que le procédé de guérir la jaunisse, et celui de M. d'Or , s'opèrent dans l'ombre , et dans les belles journées. SUR l'Île de Syra. Chaf. XIÏ. 287 former en j)Uis grande quantité. Enfin, les sels contiennent des vertus admirables , ce qui a fait dire à certains philosophes , in sole saîeqne otii- nia } et à d'autres , in solo sale omnia. » « Mais rien n'est comparable à la seconde terre qui se produit après la dissolution de la première, en sa coaij;ulant une seconde fois. La première terre, qui d'elle-même se chani^e en une eau grasse , est celle que Sendevogius appelle mercure philosophique. La seconde ressemble à une gomme pendante , tirant sur la couleur de chair; elle se dissout dans l'eau qu'elle fait venir comme du lait : employée dans les maladies et dans toute espèce de fièvres , elle opère des prodiges- » «Quant à l'esprit qu'on retire de l'eau, on peut dire qu'il surpasse tous les autres avantages; par son moyen on dissout l'or , et on le rend potable; on dissout le fer , et l'on en retire une teinture souveraine pour les dyssenteries ; du crayon, on en fait une qui guérit le flux desang ; de l'étain, qui anéantit les eflfèts utérins ; et de l'ar- gent, qui délivre d'un grand nombre de maux: enfin, on obtient avec cet esprit toutes sortes de remèdes, par le moyen des minéraux et de métaux'; et je suis d'avis que c'est l'esprit du £88" Précis historique mercure que Basileo Valenlino vante haute- ment dans son traité de rebiLi naturallbus y et sans lequel il affirme qu'on ne peut iaire rie.i de bon et de grand. C'est avec cet esprit qu'on prépare des re- mèdes bien plus efficaces qu'avec Valkaest : sa qualité dissolvante ôte non-seulement la cor- poréité aux choses; mais, comme ils est très- actif, il s'unit inséparablement avec celles qu'il a dissoutes, et il donne à leiu^ vertu un degré de perfection qu'elles n'avoient pas. » «Par tout ce que nous avons dit, conclut San- cassani, ilparoît certain , d'après l'anatomie de l'eau , que si cette substance étoit purifiée et parfaitement réduite, et qu'elle ne pût rece- voir ni changement, ni altération quelconque, elle pourroit passer à juste titre pour ce que les philosophes ont appelé la médecine univer- selle. » M. d'Or prétend que son élixir, ou la subs- tance qu'il verse dans une pinte d'eau, est tel- lement purifiée et réduite , qu'elle ne peut recevoir ni changement ni altération quelcon- que; de sorte qu'elle conserve toujours sa vertu médicinale, même après l'avoir fait passer par le feu. SUR l'Île de Syra. Chap. XII. ^89 Conclusion. Ou M. d'Or travaille effective- ment, comme il le dit à qui veut l'entendre , avec de l'eau et de l'air, et il en tire véritablement les principes vitaux qu'ils contiennent , ou tout ce qu'il dit sur son travail , n'est autre chose que quelque procédé semblable à ceux de San- cassani , pour tirer de l'eau son esprit , ou le sel et la terre qu'elle contient, Quoi qu'il en soit, qu'il manipule l'eau par les moyens exposés ci-dessus , ou d'une autre manière , il n'est pas moins vrai que son procédé est fondé sur des principes connus dans la chimie, et avoués par l'art de la médecine, et que le notre s'appuie sur des bases semblables , quand nous guérissons la jaunisse avec de l'eau , exposéeau serein, dans laquelle on a mis seulement une pièce d'or. Il est de fait, et je le répète, qu'il n'y a pas un seul exemple à Syra d'une personne qui n'ait été guérie en trois ou quatre jours par ce remède aussi simple que facile. II est de fait aussi, qu'avec l'eau de M. d'Or, on peut attaquer victorieuse- ment les maladies les plus opiniâtres, et sur- tout la puImonie,à laquelle rien n'a pu être aussi efficacement opposé jusqu'ici. Les épreuves qui en ont été faites à Montpellier, à Nîmes , à Rochefort et ailleurs, et sur-tout dans la ca- 290 Précis historique. pitale, en sont des preuves incontestables. On peut tous les jours, et à tous les moniens, les vérifier. Ajoutons enfin , que quantité de personnes reirardent l'eau d'or comme un remède de char- o latan, sous le seul prétexte que son auteur lui donne un air de remède universel. Cela ne fait rien contre mon opinion, et Je suis persuadé que jusqu'à présent on n'a point trouvé une médecine, que l'on puisse appeler effectivement Ticîverselle ; mais prétendre qu'elle n'existe point dans toute la nature, c'est ce que je suis très-loin de croire. Nous avons observé déjà que la nature , ayant une marche uniforme et constante dans la l'ormatibn et la destruction des êtres, devoit en avoir aussi une constante et uniforme dans leur réparation. Or, d'après les principes cons- titutifs que l'on suppose aussi à l'eau , il suit que l'idée d^un remède universel ne lui est pas contraire. TRAITE twâ^iawiiM I iMiM MniiM rrrtTTfnmigiiTrMrBrrïï"'-"-"^- TRAITÉ COMPLET SUR LES ABEILLES. LIVRE I, Contenant toutce qui regarde la culture des abeilles en général. CHAPITRE I. Des pnjs les plus propres à élever des abeil- les j de la quantité de ruches que chaque pays peut nourrir y et de la situation la plus avantageuse qu'il convient de leurdoîiner. En géjiéral, tous les pays de l'univers , qui pro- duisent des fleurs, sont propres à la culture des abeilles; mais les contrées les plus méridionales, ou celles d'un climat tempéré , leur sont bien Tome I. T apo Traité complet plus favorables que les pays froids et septen- trionaux. A l'égard de la quantité, et sur-tout de la qualité du miel et de la cire , ce n'est qu'au midi qu'on peut espérer de réunir ces deux avantages. Aussi , dans tous les temps, les pays méridio- naux, sur-tout la Grèce et l'Italie , ont été célé- brés par tous les agriculteurs , pour la bonté et l'abondance de leur miel et de leur cire. En général , les pays montueux produisent de meilleurs fruits que les pays plats, parce qu'ils sont plus secs ; et c'est ce qui y rend aussi le miel et la cire d'une meilleure qualité. Quoique Pline prétende que le miel de l'île de Corsesoitamer et d'un goût désagréable, il n'en résulte rien contre ce que nous venons d'avancer en faveur des pays méridionaux. Nous pensons comme Diodore de Sicile et autres , que cette qua- lité défectueuse n'a d'autre cause que le voisi- nage du buis et de l'if, dont les fleurs sont très- préjudiciables au miel. On lit , dans Virgile , •que Licidas ne vouloit pas que ses abeilles se nourrissent avec le suc de Pif de Corse. Sic tua cyrnseas fugiant examina taxos. Eclug. IX , V. 3o. ïî arrive également dans l'Archipel , qu'après SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. I. Zgi la récolte et la vendange des ruches , les abeil- les tirent d'une certaine plante ( dont la fleur s'appelle dans l'île de Syra lurca/d , petit Turc, et l'oignon , qui est un des plus gros qui exis- tent, askellay scille enfrançois), une espèce de miel qui a un goût amer. Nous le laissons or- dinairement en entier pour la provision des abeilles, ou si nous en retirons quelque petite partie , elle sert à soutenir les plus foibles pen- dant l'hiver. Malgré cela, le miel des îles de l'Archipel, celui de l'île de Syra surtout, ne laisse pas d'être un des meilleurs du Levant , et il n'en est aucun qui lui soit supérieur pour le parfum. De même la Corse produit assez généralement d'excellent miel , quoiqu'il .soit possible que , dans quelques cantons de cette île, où le buis et l'if abondent , leurs fleurs lui donnent un goût désagréable. Quant à ce que nous avons dit des pays méri- dionaux , pour la quantité et la qualité de leur miel et de leur cire, il suffit, pour s'en con- vaincre, de lire ce que rapporte M. Mentelle sur la prodigieuse multiplication des abeil- les qui furent apportées , il j a peu d'an- nées , dans l'île de Cuba , l'une des principales des Antilles , située sous la zone torride. Cet T ij ig2 Traitécomplet auteur (dont je ferai mention dans le troisième chapitre) parle de la quantitéincrojable decire qui sort de cette île, et que produisent les ruches, en quatre récoltes cju'elles donnent à leurs propriétaires, chaque année. On ne voit certainement pas une semblable fertilité dans aucun des pays septentrionaux. A l'égard de la quantité de ruches que peut entretenir un pajs , nous ne sommes point du tout de l'avis de M. Lagrenée (que nous regardons comme un des hommes les plus instruits sur l'é- conomie des abeilles ), quand il ditquechaque canton peut en entretenir une quantité quelcon- que, sans qu'il en arrive aucun inconvénient. Pour faire mieux comprendre l'idée de fau- teur que nous venons de citer, et notre opinion particulière, nous rapporterons ses propres pa- roles , en y joignant quelques réflexions. Il com- mence ainsi le premier chapitrede son Traité sur lesAbeilles, imprimé à Paris en 1788. «Je ne suis *r pas du nombre de ceux qui pensent pouvoir cal- « culer la quantité de ruches que peut nourrir •r un pays ; qui n'en donnent que cent à l'un , «pendant qu'ils en accordent cinq cents à un « autre de pareille étendue. » Nous pensons , comme l'auteur, qu'il n'est ^'R LES ABEILLES. LiV. I. ChaP. I. 2g3 pas possible de déterminer d'une manière cer- taine, la quantité de ruches que tel ou tel pajs peut ou ne peut pas entretenir : au moins ne le pourroit - on pas avec la même précision qu'on établiroit celle d'un terrain qui suffiroit ou ne sufEroit pas à nourrir un certain nombre d'bommes. Cependant, comme il y a des terrains qui , étant infiniment plus fertiles les uns que les autres, peuvent par cgnséquent nourrir un plus ou moins grand nombre d'hommes , il y a aussi des pays et des cantons qui , quoique situés sous un même climat, sont infiniment plus fertiles en miel et en cire, soit par l'abondance, soit par la qualité des fleurs qui y naissent ; d'où il suit v|ue ces cantons sont plus ou moins favorables à la multiplication des abeilles, et que les uns peuvent fournir aisément à quantité de ruches, pendant que les autres peuvent à peine en nour- rir la moitié, et quelquefois moins encore. «Quelque quantité qu'il y en ait, continue M. « Lagrenée , dans un pays, comme elle est « certainement proportionnée au nombre de « gens qui l'habitent , et à la culture qu'ils en « font , elles y trouvent suffisamment de miel « et de matière à cire à récolter. » Tilj 294 Traité complet A l'égard de cette assertion, nous ne sau-^ rions l'approuver , parce qu'elle est contraire à rexpérience. La nature est limitée dans tou- tes ses productions , et chaqvie chose a un terme ; par conséquent , si , dans une île qui ne peut nourrir , par exemple , que dix mille personnes , vous y en mettez quinze mille, la disette s'y fera bientôt sentir; et si vous y en mettez vingt mille , il en résultera la mort et la destruction de tous les liabitans, en supposant que, dans ces trois hypothèses , la fertilité soit la même. De même , si clans une étendue de terrain qui ne produit qu'une quantité donnée de miel et d'autres provisions nécessaires pour l'entretien des abeilles ( car il fau t certainement en supposer tine quantité déterminée ; et comme nous l'a- vons déjà dit , la nature est limitée en tout} ; si donc vous y mettez un nombre de ruches proportionné à une telle fertilité, de cent, par exemple;elles pourront facilement se pourvoir du nécessaire, et fournir une bonne q antitéde miel et de cire à leurs propriétaires ; mais si vous doublez ce nombre, elles auront à peine de quoi gp nourrir , et par conséquent elles ne fourni- ront presque rien à leur maître. Ajoutez que si SUR LES ABEILLES. LlV. I. ChAP. I. 290 l'année est tant soit peu mauvaise , ces ruches ne sauroient se conserver. Enfin si vous mettez, dans un espace de terrain, plus dudouble d'abeil- les qu'il n'est en état d'en nourrir , alors ne pou- vant, comme nous l'avons dit, se pourvoir de ce qu'il leur faut pour la quantité excédente , elles périront nécessairement , à l'exception peut- être de quelques ruches , dont les abeilles par leur nombre et leur activité supérieure , auront pourvu mieux que les foibles , à leur subsis- tance. Rèi>;le certaine : quand il y a peu de ruches dans un pays , ou qu'il n'y a que celles qu'il peut entretenir commodément , les abeilles trouvent leur nourriture , sans se donner beau- coup de peine, parce qu'elles peuvent faire dans la journée , jusqu'à vini^t ou trente voyages. Mais quand les ruches sont en. trop grand nom- bre , et qu'elles excèdent la fertilité ordinaire et naturelle d'un pays, les abeilles ont alors beaucoup de difficulté à se pourvoir du né- cessaire : elles sont obligées d'entreprendre des courses plus longues , et par conséquent elles font moins de voyages, et rapportent moins de provisions dans leurs ruches. M. Lagrenée suppose quc,« dans les pays qui T iv ^^6 Tb. AITK C OMPLET « ne leur sont pas (raiHcnrs des plus favora* «blés, et qui néanmoins sont bien garnis d'a- « beiJIes, il reste encore beaucoup de miel et « de matière de cire qui se perdent chaque an- « née sur les feuilles et les fleurs , faute d'être « enlevés. » Cela peut être, maïs c'est par la négligence de quelquesabeilles^ qui , rebutées par les diffi- cultés qu'elles éprouvent à se pourvoir de leur nécessaire, ne se donnent pas la peine d'aller chercher plus loin leur nourriture , ou faute de commodité et de beau temps , ou enfin parce que ce miel et cette cire ont échappé à leurs recherches. On ne pourra jamais en con- clure que tout pays peut nourrir un nombre il- limité de ruches , et qu'une trop grande quan- tité ne puisse nuire au succès de celte culture. M. Lagrenée ajoute encore , pour venir à l'appui de son assertion , que dans les pays où les ruches se sont beaucoup multipliées, on n'a observé aucune diminution dans leur j)ro- duit. Je réponds que cela n'a pu arriver que parce que la quantité de ruches qui existoit auparavant dans le pays , n'étoit point propor- tionnée à son étendue et à sa fertilité naturelle en miel et en cire ; car si le nombre des ruches SUR LtS ABEILLr:5. LlY. î. ChAP. I. 297 excède la juste proportion qui doit exister, comme nous le répétons encore, il est clair que cette quantité excessive de ruches doit nuire né- cessairement H la prospérité des abeilles. On éprouve journellement dans l'Archipel , que lorsqu'il y a trop de ruches dans un même lieu, cllcsne réussissent pas aussi bien quecelles qui sont ailleurs en plus petit nombre : ces ru- elles ne produisent pas autant de miel et decire. Nous rci2:ardons ceci comme une chose très- cert.iine. En effet, c'est un fait avéré et cons- tant dans l'île de Syra, que les ruches qui se trouvent à l'extrémité de l'île , sont celles qui donnent une plus grande quantité de miel et de cire, parce que ces parties sont toujours les moins ])euplées en abeilles. Au contraire celles de l'intérieur de l'île où ces abeilles abondent , ne sont ]^as aussi riches en provisions de miel et de cire , quoiqu'elles produisent plus souvent des essaims, et qu'elles vivent plus long-temps , comme nous îe -dirons au neuvième chapitre du cinquième livre. M. Lagrenée conclut enfin « que quoique, «sans contredit , il y ait des pays plus })ropres « les uns que les autres ^à nouriir les abeilles, « on peut néanmoins en avoir dans toutes sortes 298 Traité complet « de lieux. , et que personne ne doit faire dif- « fîculté de s'en procurer , quels que soient le «terrain et les productions du lieu qu'on ha- « bite. » Nous sommes entièrement de cet avis ; nous ajouterons seulement que lorsque l'onveut en- treprendre la culture des abeilles, on doit tou- jours préférer , pour établir ces rucbes , l'en- droit aux environs duquel il y en a le moins. Venons actuellement aux positions les plus avantageuses pour cette culture. M. Palteau, cité par M. Ducarne , dans son quatrième entret. , p. 68, distingue trois sortes déposi- tions dans l'économie des abeilles, l'une médio" cre, l'autre bonne, et la troisième excellente. « Je pense, dit cet auteur , qu'on peut distin- «guer trois positions différentes , qui donne- « ront trois differens produits. Les plaines de «bled, les prairies, les petits ruisseaux, for- « ment ce que j'appelle la moyenne ou la mé- « diocre position. L'abondance de bled et des «prés, la proximité des bois, des grandes fri- « ches et des ruisseaux, forment la bonne po- « sition. Le voisinage des prairies, du sarrasin , « des bois , de grandes friches, et des montagnes « couvertes d'herbes odoriférantes , l'éloigné- SUR LES ABEILLES. LlV. I. ChAP. I. S99 « ment des étangs et des rivières d'une certaine « largeur , font l'excellente position : celle-ci « vous rapportera deux fois plus que la pre- « mière , et doublera sur la seconde. « Quoique ces positions soient les meilleures , « il n'est pourtant guère d'endroits où on ne « puisse placer des abeilles avec avantage, mais « non en telle quantité qu'on le voudra.» Voilà encore M. Palteau qui s'oppose au sentiment de M. Lagrenée que j'ai combattu. « Il faut « examiner la qualité du pays dans lequel on se « trouve , proportionner le nombre çles habi- « tans à la quantité de nourriture que peut four- « nir ce canton , et ne pas placer cent ruches « dans un lieu qui n'en peut contenir que cin- « quante. » On voit par là que M. Palteau pense absolument comme nous , que puisque la nature est limitée , il doit y avoir toujours une juste proportion entre les consommateurs et le produit du pays. Nous verrons plus bas ce que dit à ce sujet M. Ducarne, « Les vastes et fécondes plaines de la Beauce, « de rile- de -France et du Soissonnois , conti- u nue M. Palteau , qui sont des greniers à bled « pour la France , mais qui ont peu de p,rai- i< ries arrosées par des ruisseaux , cessent , dans 3oo Traité CGiMPLET « bien des années , de fournir aux abeilles de « quoi faire des récoltes , long-temps avant que « les saisons qui les retiennent renfermées dans « leurs ruches , soient proches. « On arrache dans ces provinces, ainsi que » dans ime bonne partie de la Picardie, tout le « chaume des champs, et en même temps toutes « les herbes qui s'y trouvent. Dans ces pays , « lorsque l'été est sec , après que les foins ont été « coupés , ou au moins lorsque les bleds sont «■ mûrs, tout est aride dans les campagnes; les « abeilles ont beau les parcourir, elles ny trou- « vent point, on si peu de fleurs, qu'à peine « celles qui sont les plus heureuses , trouvent- « elles de quoi se nourrir, hors de leur ruche. « Enfin dès le 21 juillet , ces provinces sont , « par rapport aux abeilles, comme le sont les *< autres dans le mois de septembre. Il faut donc « se régler sur la connoîssance qu'on a du canton « qu'on habite. » « M.. Ducarne se plaint que M. Palteau est « trop général sur ce sujet , qu'il auroit dû en- « trer davantage d4ns le particulier , et donner « quelques exemples pour y suppléer : je vous «dirai, ajoute- t- il, ce que mon expérience «< ma appris à ce sujet. Je dis donc que je crois SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. I. 3oi « qu'on peut placer cent ruches au moins dans « un canton d'une position médiocre ; deux « cents dans une position bonne, et quatre ou « cinq cents dans une position excellente. Au « reste , quoique dans les provinces , telles que « celles que nous venons de nommer, la récolte « du miel , et> môme quelquefois celle de la « cire, cesse dès le 2.5 ou 3o juillet; elles peu- « vent néanmoins être encore propres à y éie- « ver des abeilles, et on peut y faire encore un « bénéfice honnête , quelquefois même consi- *< dérable , si la campagne est favorable ; et « même , dans les meilleures positions, la ré- « coite du miel ne va guère au delà du 5 ou 6 « d'août , et quelquefois elle finit dès le 2.0 « et même le 12, ou le i5 de juillet. « Ces positions n'ont donc pas alors beaucoup « d'avantage sur les médiocres par rapport à Va- « bondance des fleurs ; car il n'y a guère de « position', à moins qu'elle ne soit très-mauvaise, « où les fleurs manquent depuis les lô ou 20 « juillet , et jusqu'alors les abeilles en trou- « vent toujours assez. Je ne parle point ici des « endroits où indépendamment des autres avan- « tages d'une excellente position, on auroit ce- « lui d'y trouver encore des sarrasins ou blés 3oi Traité complet « noirs , parce que cette plante ne donne ordi" « nairement sa fleur, qu'en a©ût et en septem- « bre , et que quoique dans cette saison , les au- « très fleurs aient communément peu de saveur, « ou qu'aumoinsellescontiennent peu de miel, « celle du bled noir est mieux fournie ; mais >NousreYiendrons^ailleurssurccs observations. < CHAPITHS SUR LES ABEILLES. LlV. I. ChAP. I. 3o5 CHAPITRE II. Des arbres et des plantes dont les fleurs servent à la nourriture des abeilles. Quelques personnes regarderont peut-être comme inutile le détail que nous nous proposons de donner de plusieurs arbres , plantes et fleurs qui fournissent plus de miel et de poussière , et qui paroissent être d'une grande utilité pour lacultare des abeilles ;maisnous avons cru qu'il ne scroit pas désagréable aux amateurs, et qu'il exciteroit la curiosité et l'attention de beaucoup de personnes industrieuses , qui, zélées pour le bien commun, pourroient procurer à leurpriys toutes les plantes propres à la nourriture de ces insectes , ou au moins celles qui sont de nature à y réussir. Au reste , nous ne proposons rien que nous ne soyons déterminés à exécuter nous mêmes en en partant pour le Levant. Nous comptonaL emporter des graines de certaines plantes qui n'y viennent pas, pour les propager dans les Tome T. V 3o6 Traité complet îles de l'Archipel ; aiin d'enrichir le domaine de nos abeilles , et de faire ensorte qu'elles de- viennent plus utiles à leurs propriétaires. Si les plantes qui sont utiles aux abeilles dans les pays froids , pouvoient réussir dans les ch'mats tempérés , nous ne doutons pas qu'elles ne leur fussent du phis grand avantage ; car on sait que les mêmes fleurs qui viennent égale- ment et dans les pays froids et dans les pays tempérés, produisent ordinairement dans ceux- ci , une plus grande quantité de miel que dans les premiers. Il y a de plus une autre utilité dans la con- Doissance des arbres et des plantes les plus propres aux abeilles ; c'est que lorsqu'on est maître de l'emplacement des ruches , il faut toujours préférer celui où ces plantes régnent avec le plus d'abondance, jusqu'à une lieue à la ronde. Nous avons tiré la liste de tous ces arbres , des notes deM.Contardi sur le Traité de M. Wild- man , concernant la manière de gouverner les abeilles. Nous y avons ajouté la manière abré- gée de cultiver chacune de ces plantes , d'a- res leDictionnali'e d'Agriculture de M.Ranconi, Florentin, que nous avons entremêlée de quel- SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. II. 807 ques-iines de nos observations. Par ce catalo- gue alii'égé , notre but est d'exciter la curio- sité des amateurs. Les auteurs, (qui Dieu merci ne manquent pas en Europe), pourront faire une étude plus approfondie de la propriété des Heurs , relativement au temps en particu- lier , et suivant le climat de chaque pays où elles se trouvent : ce sera le mojen d'avoir uoe siic- cession continuelle de fleurs, propres à nourrir les abeilles depuis le mois de mars jusqu'au mois de novembre ; et dans les lieux où la na- ture ne produiroit pas une pareille succes- sion , l'art et l'industrie de l'homme pourront aisément y suppléer. M. Contardi devoit parler dans un nouvel ouvrage de cette succession ar- tificielle de fleurs. Nous ignorons s'il a été pu- bh'é ; mais nous pensons qu'il seroit très avan- tageux à la prospérité des abeilles, que quelque personne instruite s'appliquât à donner la no- menclature des fleurs les plus utiles à ces in- sectes , ayant égard, cqmme de raison , aux différens climats : il faudroit aussi qu'on y ajoutât la méthode de cultiver depuis le mois de mars jusqu'au mois de novembre , dans le^ campagnes et dans les jardins, toutes les plantes qui pourront leur fournir un aliment con* . Vij 3o8 Traité complet tinuel. M. Contardi fait précéder soa cataïo- i>ue des plantes qu'il'croit les plus intéressantes pour la nourriture de nos insectes , par des obser- vations, sur lesquelles nous nous permettrons quelques réflexions. « Avant , dit-il , de parler des fleurs, on me « permettra de faire observer que nos abeilles « doivent avoir un goût plus grossier que les « autres, (M. Contardi parle, comme Italien, «des abeilles d'Italie, ) qu'il ne m'est jamais « arrivé de voir s'arrêter sur les fleurs de la « mélisse ou citronelle, de la sauge, de la la- « vande , du serpolet , de la sarriette , ou d'au- « très herbes agréables du même genre. On sait « en outre qu'en France et en Suisse , les fleurs « du sarrasin , de la verge d'or , de la serpen- « taire qui naissent spontanément, même dans « nos jardins^ plaisent assez aux abeilles ; etce- « pendant j'ai appris par l'expérience , que le» « nôtres n'aiment pas trop ces plantes. A peine « les herbes aromatiques, comme le thim, la « lavande , la sauge , sont-elles fréquentées par «de certaines petites abeilles dont parle Vallis- « niery. On pourroît dire que cela provient de « ce qu'on ne trouve pas chez nous (en Italie), « de cette espèce d'abeilles appelées Petites SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. IL Sop « HoUandoises ^ les plus petites et les meilleures «de toutes; et que les nôtres ont par consé- « quent un goût plus grossier , et qu'elles ne « eherchent pas une nourriture aussi agréable. « Mais ce n'est pas ici ni le lieu , ni le temps » d'entrer dans de semblabes reclierches. Ce «■ qu'il y a de certain , c'est que nos abeilles ne « s'arrêtent pas sur les fleurs de ces herbes , tant « recommandées par les anciens , et que les « modernes copient d'eux ; quiconque y fera at- « tention , en conviendra avec moi. » Nous pouvons certifier à M. Contardi, qu'après avoir porté toute notre attention sur les abeilles pendant plus de 1 4 ans , nous avons lieu d être sur- pris C|u'il assure qu'elles daignent à peine s'ar- rêter sur le thim et sur la sauge. Nous ne craindrons point de dire que dans l'île de Sjra , dans tout l'Archipel, dans les îles de Candie, de Négrepont , et en général dans toute la Grèce , ces deux plantes aromatiques forment la base de leur nourriture. On pourroitaussi dire qu'en Italie le thim, la sauge et autres plantes dont parle Contardi , ne produisent pas autant de miel que dans nos îleS, ou du moins en donnent une très -petite quantité; sans doute cesplantes ont cela decom»- V iij Sio Traité complet mun avec ]cs arbres qui , transportés clans dilîé- rens pays , ne cessent pas de porter des fruits , ou en portentbeaucoup moins que dans leur climat ., ou dans leur terrain natal : en effet , chez nous la sauge produit une espèce de fruit excellent , que nous appelons en ^YeQJascomilon ^ qui veut dire pomme de sauge: ce fruit, dépouillé de sonécorce un peu âpre, outre qu'il est bon à manger dans sa fraîcheur , sert encore avec le sucre ou le miel , à faire une confiture très-esîimée. Quand le fruit est passé , fécorce devient li- gneuse et spongieuse; ni en France, ni ailleurs où j'ai vu de la sauge , cette plante ne produit des fruits semblables (i). Onpeutdonccroireque ( I ) Voici comment M. de Tournefort nous décrit l'origine de ce même fruit de la sauge. " Les jets , dit-iî , f< de cette plante piqués par des insectes , s'élèvent en ff tumeurs dures, charnues, de Luit à neuf lignes de « diamètre, presque sphériques , gris cendré , coton- «' neuses , d'un goût agréable, garnies assez souvent de " quelques feuilles , en manière de fraise. Leur chair est « dure et transparente , quelquefois comme de la gelée. « Les tumeurs se forment par le suc nourricier extra- ie vase à l'occasion des vaisseaux déchirés pa-r la pi- « qûre. » Quoi qu'en dise M. de Tournefort , je suis persuadé SUR LES ABEILLES. LiV. I. Chap. II. 3ll cette plante, ainsi que bien d'autres enltalie, ne produit pas la même quantité demie! et de cire, que chez nous. Il est même possible qu'il y ait en Italie des espèces de fleurs qui produisent plus de miel que le thym , la sauge , et toutes celles dont parle M. Contardi ; ce qui peut dé- terminer les al^eilles à néi^liger et à mépriser ces plantes, pour courir après celles qu'ellc-s leur préfèrent. Ajoutons encore ici une remarque que nous avons faite surladifîérencc du tlijm de la Grèce et de celui de la France : ces deux plantesne s'y res- semblent que parleurodeur. La feuille, la fleur et le bois de l'une et de l'autre diiFerent sen- siblement. Notre thym, quoique le climat chez nous soit plus chaud , ne commence à fleurir que vers le milieu de juin , et s'y conserve , sur- que ces pommes de sauge sont les fruits natnels de cette plante, et que les piqûres des insectes n'entrent poirr rien da'us leur formation. L'organisation uniforme de ces fruits , tant intérieure qu'extérieure ,et la fréquence de cephénomène, s'accordeoint de fruit, cjnoiqu'elles soient entière^ ment semblables à celles qui en portent ^ V ir 3ii Traité complet tout clans les parties les pins fraîclies de l'île , jusqu'au mois de septembre , et même d'octo- bre ; au lieu qu'aux enviions de Paris, on le voit en fleur dès le commencement de mai , pour finir avant la fin de juin. On doit en conclure que toutes les fleurs en général , dequelque arbre ou plante qu'elles pro- viennent, peuvent servir de nourriture aux abeil- les , mais non pas toutes également. Ily en a qui produisent plus de miel que de cire; d'autres, plus de cire que de miel ; enfin quelques-unes ne donnent ni l'un ni l'autre, mais fournissent une autre espèce de nourriture qu'on appelle en italien il pane délie api y en François la matière en cire y et chez nous en grec moderne fJLoXi^^iS'a. ou fJLoXiBiSay moUvidhe (i)j, expression dont (i) Ce mot ^<)A//?ic^ût , É^&f, n^ dérive de f/.o\vf,yi ro^ qui signifie le plomb. Les anciens, au lieu de le nom- iner ^cXvfiyi , dîsoient ftô>,i/î>eUç ^ ou ^o'au^wî, h , d'où us déduisoient le /^toM/B^iç ^ /t^a?,^, qui veut dire un globe, une boule , ou li.me de plomb ; d'où nous avons ioruie no- tre fAoXvjSlê'ci, parce que la matière que les abeilles por- tent dans leurs pattes , et que nous appelons ainsi , est de forme presque ovale , et de couleur souvent grise ou de plomb. SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. II. 3l3 nous nous servirons dans tout ce traité, toutes les fois qu'il nous arrivera d'en parler (i). Cette différence nous est en général peu con- nue, mais elle l'est beaucoup par les abeilles ; aussi a-t-on observé que de deux plantes éga- lement fleuries, elles courent toutes à une seule et abandonnent l'autre. C'est ici le moment de rapporter une observa- tion que nous avons faite également à Syra et en France. Nous y avonssuivi plusieurs fois les abeil- les pendant qu'elles voltigeoient sur les fleurs. (i) Parla raison que les François ayant pris (moyen- nant la langue latine ) du grec les mots cire, miel , et propolis, c'est -a- dire , des mots grecs, x/çof , /kÉaj, 5rp fruitiers de toute espèce , et sur-tout de pruniers, comme les plus favo- rables aux abeilles. Cet arbre est fertile, et son fruit excellent. On pourroit encore se procurer d'autres arbres qui nous manquent, et qui sont préférés par nos insectes, comme l'érable du Ca- nada, le chêne verd , l'aibousier , etc. Ne ponrroit- on pas fournir aussi un plus grand nombre de haies vives, clans lesquelles on feroit dominer les plants les plus agréables aux abeilles? Que de plantes SUR LES ABEILLES. LlV. I. CaP. II. Sip Utiles ne poiirroit-on pas cultiver? Je ne fais qu'effleurer une matière qui présente le plus vaste champ aux observations des personnes zé- lées pour le bien public. « Le rai. onnement de M. Duchet est juste et très-exact : on n'a besoin que d'entrer dans quelques jardins particuliers, jK)ur s'en convaincre. J'ai observé , sur-tout dans celui de M. Le Monnier , premier médecin du Roi, une infinité d'arbres et de belles plantes étrangères, qui, en formant une superbe dé- coration , viennent parfaitement dans ces cli- mats , et sans beeucoup de soin. Ils pourroient être d'un grand avantage pour nourrir nos in- sectes ; ce qui devroit exciter le zèle des bons ci- toyens , pour les multiplier. On en trouveroit la plus grande facilité avec M. Le Monnier , qui , rempli du plus grand zèle pour le bien public, se feroif un plaisir de fournir les graines de tout ce qu'il possède , pour en multiplier les espèces dans tout le royaume. 3so Traité complet CHAPITRE II I. Liste des principaux arbres , arbustes et fleurs y qui servent à la nourriture des abeilles. JL 'amandier. Ses fleurs viennent de bonne heure , et il semble qu'elles aient une odeur de miel. Les abeilles y font une copieuse ré- colte. Le cerisier. C'est un des arbres qui plaisent le plus aux abeilles; ses fleurs donnent beaucoup de miel , et une seule en contient aï>sez pour remplir la vessie d'une abeille (i). (i) Cette abondance de miel que M. Contardi attri- bue au cerisier, me semble extraordinaire ; au reste, n'ayant fait aucune observation particulière sur cet ar- bre , je laisse aux gens instruits , et qui ont de l'expé- rience à en juger , en remarquant d'ailleurs que quoique \ç. cerisier n'ait pas cette fécondité en miel dans tous les pays , il pourroit l'avoir dans le pays de l'auteur. L'abricotier. SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. III. 321 L'abricotier. Sa fleur est fréquentée par les abeilles. Le noisetier. Ses fleurs mâles ou chatons contiennent beaucoup de miel. Elles sont les pre- mières de toutes les fleurs, qui , par un tems doux, quoique la terre soit encore couverte de neige, fournissent dès les premiers jours de février de la nourriture aux abeilles. Cependant la fleur de cesarbresdoit donner peude miel, puisqu'elles ne la recherchent que faute d'autre aliment. Le pommier. Il donne une fleur sur laquelle les abeilles s'arrêtent volontiers. La manière de cultiver cet arbre est assez connue ; ainsi je n'en parlerai pas. Le PEUPLIER. Il est extrêmement recherché des abeilles; il 'supplée au tilleul dont nous manquons. Le peuplier abonde par-tout ; mais on prétend qu'il rend la cire onctueuse et ré- sineuse. Il y en a de plusieurs espèces. Le tremble. Les abeilles font de bonnes pro- visions sur les chatons de cet arbre ; c'est de là peut - être qu'elles tirent à Syra leur pro- pohs. Cette résine ou gomme est tenace et de couleur brune. Les abeilles en bouchent les fentes de leur ruche. Le tremble se plaît dans une terre fine et grasse, dans. les. lieux humi- Tome I. X 322 Traité complet des et frais ; c'est pourquoi on le plante dans les vallées profondes , et le long des rivières et des torrens. On peut multiplier cet arbre de graine , ou de rejetons; cependant la manière la plus courte et la meilleure est déplanter ses bran- ches dans des fosses de trois pieds de profo- deur, creusées avec un hoyau, ou faites simple- ment avec un pieu ou un bâton , qu'on enfonce dans la terre. Mais au lieu de cette méthode, il seroit plus utile de faire ces fosses comme pour les autres petits plants , et quand le trou est fait , Oïl y met la branche , et on remplit de bonne terre le vide qui est autour , en observant que cette terre la touche de tous les côtés, et on l'arrose souvent: par ce moyen, le plant pousse facilement des racines. Le saule. Les abeilles font sur les chatons de ses fleurs une abondante récolte. Cet arbre est d'une grosseur médiocre , d'un bois léger, flexible et difficile à rompre. Il se plait dans l'eau , et devient plus gros dans les endroits humides; malgré cela il n'est pas ennemi des lieux secs , sur-tout des terres fortes et grasses. Il ne croît pas bien, s'il a les racines dans l'eau; mais il réussit dans une terre humide , comme dans les fossés ^ les digues , les prés et dans les endroits qui sont SUR LES ABEILLES. LiV.Ï. ChAP. IIÏ. 323 tempérés et frais. La manière la plus avanta- geuse de multiplier le saule, est de planter les branches , comme nous l'avons dit pour le peu- plier. Le sureau. Nous n'avons jamais vu d'abeilles sur ses fleurs ; cependant quelques personnes di- sent qu'elles en retirent beaucoupde miel , et peu de cire. Il y en a une espèce qui fleurit en juin. Le sureau est un arbuste d'une grandeur médio- cre. On en voit de deux espèces , l'une qui donne des fleurs très-blanches, tellement disposées en grappes^ qu'elles forment un globe. 11 s'appelle en italien sam/^uco-roseo, en François, sureau-rose. L'autre produit une grande quantité de fleui^ blanches qui ont un peu d'odeur et disposées en ombelles , larges d'environ une palme : elles pro- duisent des bayes noires , remplies d'uii suc rouge foncé. Ces deux espèces de sureau se multiplient en plantant des branches avec ou sans racines. La bruyère. Elle fleurit dans les mois de juin et juillet, et donne beaucoup de miel aux abeilles. Le buis, l'arbousier, le cornouiller, l'orme, le pêcher, le tilleul , l'olivier, le chamero- dhendron sont tous décrédités par les an- Xij 324 Traité complet ciens,qii! ont voulu donner à entendre que leurs fleurs rendoient malades les abeilles. Cha- cun croit ce qu'il lui plaît. Pour moi, je suis persuadé, au contraire, que les fleurs du tilleul particulièrement plaisent beaucoup aux abeil- les, et qu'elles j recueillent beaucoup de miel. M. Duchct a observé que dans les endroits où cet arbre abonde, les abeilles se conservent très- bien, et ont toujours une bonne provision de miel. Le tilleul est un erand arbre assez com- o mun ; il se renverse facilement et ne dure pas. Il vient bien dans une terre grasse et un peu humide. Les meilleurs sont ceux qu'on a multi- pliés de graines. Lorsqu'on veut faire reprendre des plantes sans racincs,il faut choisir les plus jeu- nes , et les laisser pendant quelque temps dans la même position. Au surplus, pour ce qui est des plantes dont les fleurs sont nuisiblesau miel, voj. lech. 5 ci-après. L' A R B o u SI E R. C'est un arbuste qui s'élève peu , qui conserve ses feuilles, et qui produit un fruit un peu ovale, d'un jaune tirant sur le rouge, de la grosseur d'une cerise. Les Pay- sans l'appellent en italien Valhatro. Le cormier est un petit arbre; mais qui jette beaucoup de branches : il croît facilement dans SUR LES ABEILLES. LiV. L ChAP. IIÎ. 32.3- toutes sortes de terrains; on le prend dans les bois, parce qu'alors il vient plus vite. L'orme est un arbre de haute futaye et droit ; la meilleure méthode de le multiplier, est de mettre en février les branches dans la pépinière, cjui doit être d'une terre forte et bien fumée : de cette manière, elles poussent des racines la- térales, et l'écorce devient lisse et unie, si oa laboure la terre deux fois par an. M. Contardi dit encore, en parlant des fleurs» que les polipétalcs ou les monopétales en gé- néral plaisent aux abeilles. On j distingue faci- lement la liqueur miellée : il suffit de les arm- cher de leur calice et de leur sucre ; alors on sent la douceur du miel. Mais les plus agréables aux abeilles, sont les campaniformes , les cruci- fères, et les ombeilifères. De la classe des fleurs en cloches , sont la bruyère , le liseron , la mauve, la citronelle, le houblon, et quelques autres semblables. Elles fournissent une grande nourriture aux abeilles , peut - être parce que la liqueur douce, contenue dans ces fleurs , est mieux renfermée , et qu'elle s'évapore moins. Le chou, la roquette, la rave, et d'autres sembla- bles sont de la classe des crucifères. Le persil , le panais , le feno.uil , sont de la clric^^e des om-^ X iii 320 Tra ité complet belliteres : les plus j)etites de ces fleurs contien* nent, selon le sentiment d'Odierna, une grande quantité de miel. Nous nommerons encore ici quelques autres herbes et arbustes, dont les fleurs sont les plus fréquentées par les abeilles. L'ai.théa donne des fleurs en mai et les porte pendant trois mois. Les Botanistes Tappellent (îhheafnitex y pour la mieux distinguer des au- tres. La bétoine. Sa Xà^»^ est haute d'un pied et plus : elle est d'un goût aigre et amer, et Gallola re- garde comme la plus parfaite de toutes les herbes. La bourrache , herbe de jardin très-connue, dont les feuilles sont vertes, larges, longues et couvertes d'un poil très-rude. Elle produit beaucoup de fleurs , et les conserve pendant plusieurs mois. Ses fleurs contiennent beau- coup de miel , et les abeilles les fréquentent vo- lontiers, (i). Le CHOU, comme aussi le choufleur, le bro- (i) J'ai observe l'année derrière dans un jardin à Ver- sailles , que celte plante grandissoit et s'étendoit beau- coup ; et que, pendant plusieurs mois, les abeilles qui viennent s'y nourrir, y forment une espèce d'essaim con- tinuel , du matin au soir. SUR. LES ABEILLES. LîV. I. ChAP. III. 32J colis, et les fleurs de toutes ces espèces plaisent beaucoup aux abeilles. Cérinthée. C'est le mélinet des François, donne beaucoup de cire aux abeilles. ÉcHYUM, la vipérine. Herbe très- agréable aux abeilles» Le lierre. Elles en tirent beaucoup de mieL La dent de lion, les fèves, pois et autres plantes de cette espèce ; produisent des fleur»» que les abeilles aiment beaucoup* Tournesol ou hélyotrope. J ai souvent obseiTe cette fleur; je n'y ai jamais vu aucune abeille, mais bien une quantité de mouches d'une autre espèce ; cependant je ne doute pas que les abeilles ne pussent trouver de la nourriture sur ses fleurs ; car elles ont quelque chose de résineux , qui donne une odeur agréable , et qui doit leur four- nir beaucoup de propolis. Le framboisier. Les abeilles sont très-avides de sa fleur. C'est une plante épineuse qui se multiplie de rejetons qui viennent, et se trans- plantent au printemps à deux pieds de distance les uns des autres. Le lin. Au printemps, lorsqu'il est en fleur, les abeilles jf abondent, et en tirent beaucoup de miel. Xiv SiS Traité complet La mauve, et la rose d'oiUremer {^malvaro- sca). Ses fleurs sont très-utiles aux abeilles ; il ne faut pas qu'elles soient dans le voisinage des ru- ches, paicequ'elles attirent ces petits papillons qui produisent les vers dans les rajons. Dans l'Archipel , on fait beaucoup de cas de la mauve , et l'on croit qu'elle produit beaucoup de cire. La luzerne. C'est une espèce de treille dont •Ja fleur est très-agrcable aux abeilles : elle se sème à la mi-mars très-profondément dans une terre plutôt légère que forte , et exposée au midi. Dans les lieux très - humides, on sème trois quarts de vesce avec un quart de luzerne. Ce mélange la garantit de l'ardeur du soleil qui lui fait beaucoup de tort. Cresson, (^elui qu'on appelle cresson de fon- taine , fleurit en juillet et en août ; il donne une bonne nourriture aux abeilles. L'origan. Plante sauvage qui croît dans les lieux montueux, d'où il vaut mieux la trans- planter que delà semer. Ses feuilles sont un peu velues, et plus grandes que celles de la mar- jolaine. Ses fleurs, qui viennent en touITes,sont rouges et quelquefois blanches : les abeilles eq tirent une bonne nourriture. Le r a V o t simple , comme aussi une espèce SUR LES ABEILLES. LlV. I. ChAP. IÏI. 3^9 fie renoncule simple et sauvage, qui croit chez nous sur les montagnes et par-tout , produit beaucoup de molividhe pour les abeilles; la re- noncule au commencement du printemps^ et le pavot vers la fin. Le panais est une plante dont la racine est d'un goût acre. Il y en a de plusieurs espèces: elle fleurit en juillet et août. PouLioT. Plante très-basse et dont les fletirs sont rouges et rondes. Elle croît, dans la cam- pagne , dans les lieux incultes et acjuaticjues. Elle fleurit en été, La rave , ainsi que toutes les plantes qui lui ressemblent par les feuilles et les fleurs sont très-bonnes pour les abeilles. La roquette estime herbe d'un goût acre. On la sème dans le printemps; elle ne craint pas le froid. La sauvage a les feuilles plus étroites, plus découpées et d'un goût plus piquant. Le romarin. On le multiplie, en coupant, vers la fin de mars ou au commencement d'avril, les jeunes hanches avec un peu de racine, s'il est possible , et en les transplantant dans une terre grasse, peu humi de, et exposée à la chaleur '; elle périt facilement au froid. On plante le ro- marin dans les jardins, près des ruches, parce Z3o Traité complet que les abeilles en aiment beaucoup la fleur. Elle les entretient saines, à ce que l'on croit, et donne une bonne odeur au miel. Elle fleurit deux fois l'an dans le printemps et dans l'automne. Le sénevé. Ses fleurs durent long -temj^s: le plus recherché des abeilles , est le sauvage , qu'on appelle en liaVien erucagéi; if w , et qui croît en grande abondance dans les champs. On le cul- tive dans les jardins ; on le sème fort clair. Dans le printemps , il lui faut de la poussière au pied, et l'été de l'eau. Le TRÈFLE. Celui qui a la fleur rouge, contient du miel. Cela est connu des enfans , cpii le cueil- lent pour le sucer.Ils sucent aussi les fleursde chè- vre-feuille. Le trèfle à fleurs blanches convient le mieux aux abeilles, parce qu'ayant le calice plus court, leur trompe s'y ajuste mieux. Dans le Levant , la fleur du tréfile est jaune , et après elles le ihim et la sauge; c'est une des meilleures nourritures, lorsqu'il vient bien, et en abondance. L'aubépine fleurit de bonne heure. Ses fleurs plaisent beaucoup aux abeilles. C'est une plante épineuse qui produit des fruits semblables au raisin. On la multiplie par des branches détachées qui ont un peu de racine. Il faut remuer la terre tous les ans autour du pied, et n'y laisser SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. III. 33l croître aucune herbe qui puisse lui ôter la nour- riture, et la dépouiller de toutes les branches vieilles et sèches. La vesce donne une fleur qui produit beau- coup de miel. Souvent on voit les abeilles sur les cosses de la vesce , sans toucher aux fleurs. On croit qu'ellesy recueillent une grande quan- tité de miel. ( Dans le chapitre qui traite du miel, on parlera de celui que les abeilles re- cueillent sur les feuilles ). Le bouillon blanc produit en juin et juillet beaucoup de fleurs qui contiennent une grande quantité de miel. Les enPans les cueillent pour les sucer. Les fleurs de la citronnelle, du melon et d'au- tres semblables fournissent une abondante ré- colte aux abeilles,particuliérement en molividhe. Avant de finir ce chapitre , nous rapporterons une pensée très-juste de Contardi sur les herbes qui viennent dans les champs , et qui sont contrai- res au goût des abeilles. Si on vouloitdétruire,dit- il , de pareilles herbes , on auroit tort de suivre en cela le sentiment des anciens qui proposoient de le faire ; puisque les abeilles (comme tous les autres animaux ) , ne courent pas aux herbes qui leur sont pernicieuses , ou qui leur dé- plaisent. 332, Traité complet CHAPITRE IV. Catalogue des autres plantes et arbrisseaux étrangers _, dont les Jleurs sont utiles aux abeilles. Cj'est dans Jes jdrdins de M. Le Monnier, pre- mier médecin du Roi , au granti Montreuil près de Versailles , que j'ai découvert un jj^rand nom- bre d'arbres, et de plantes étrangères, dont les fleurs étoient fort recherchées des abeilles. Ce savant médecin , dont toutes les vues sont uni- quement dirigées vers ce qui peut servir à l'hu- manité et à l'utilité publique , se feroit un plai- sir d'offrir à tous les amateurs et aux curieux, des graines de toutes les plantes qu'il cultive, et dont voici la liste. L'ancholie, l'aiglantine, la colombine, la ga- lantine, ou gants de N. D., est une plante dont ]a tige s'élève à la hauteur de deux ou trois pieds; les botanistes l'appellent aquilegia Jloro simplice y aquilegia nectariis incurvis. Cette plante, qui croit Daturelleraent en France dans SUR LES ABEILLES. LiV. I. CnAP. IV. 333 les bois, fleurit au mois de juin et de juillet: elle se multiplie facilement de graines; on en voit, dans les parterres à fleurs bleues, violettes, rouges, couleur de chair, blanches etc. Andromada. Il yen a plusieurs espèces; les plus fréquentées par les abeilles sont: i^Aârace- inosa ou à grappes, qui croît communément dans les jardins, à la hauteur d'environ qiiatre pieds; ses fleuis sont petites, blanches, globuleuses, pi- lullifbrmes , tournées d'un même côté, et vers la terre, ce qui empêche leur miel d'être altéré par la pluie. Cet arbrisseau fleurit en mai et en juin. 2°. La masiana, qui est une des plus belles dans ce genre, et peut-être celle qui porte les fleurs les plus grandes, s'élève ordinairement à la hauteur de deux pieds. Ses fleurs sont blan- châtres, grandes, pédonculées; elles se forment de quatre ou huit ensemble par petits bouquets, et paroissent dans les mois de mai et de juin. Cette plante croît naturellement dans le Marj- land et dans la Virginie. Elle se multiplie de graines. ?)°. La panicula lata; c'est vm arbrisseau qui s'élève à la hauteur de quatre ou cinq pieds. Ses fleurs sont d'un blanc un peu pâle, et nais- 334 Traité complet sent sur de petits rameaux nuds et disposés en épis; ses fleurs paroissent dans les mois de juin et juillet. Toutes ces espèces se multiplient de i>:raines. Agripaume; cette plante bien cultivée s'élève quelquefois jus(^u'à quatre pieds. Ses fleurs sont petites, blanchâtres, ou légèrement purpurines. On la trouve dans les haies, et elle fleurit dans le mois d'août. Apocin-gobe-mouches; cette plante, quand elle est en fleur, est très-jolie; sa tii^;e d'environ un pied et demi, est herbacée et rougeâtre; ses fleurs naissent par bouquets prcsqu'ombelli for- mes. Elle croît naturellement dans le Canada et dans la Virginie; elle fleurit dans les mois de juin et juillet, et se multiplie de graines, et de racines : ses fleurs sont assez fréquen- tées par nos insectes. On lui a donné le nom de gobe-mouches, parce que les mouches avides du suc mielleux qui se trouve dans le calice de ses fleurs, insinuent leur trompe par le passage étroit qui se trouve entre les corpuscules qui entourent les ovaires, et lorsqu'elles veulent la retirer, elle s'y engage davantage; l'insectealors s'y trouve pris comme dans un piège, et y périt. Il n'en est pas de même de rabcillc;sa trompe ÎUR LES ABEILLES. LiV. I. CttAP. IV. 335 «tant plus lisse ne s'élargit pas à son extrémité comme celle des mouches communes, et elle retire le miel de cette fleur sans aucun danger. Apocin à feuilles dandrosemum ; c'est une plante dont la racine est vivace : ses gr-aines mû- rissent rarement dans ce climat ; mais elle se propage par les jets des racines. Cette plante fleurit en été 5 elle aime une terre légère et se- > Il ajoute ensuite les mêmes ♦< choses que Dioscoride , dont il semble qu'il ait « traduit les paroles. » «r Mais, outre le nom diœgholcthron, qui ne se trouve pas dans cet auteur, voici une excel- lente remarque qui appartient uniquement à Pline. «On trouve ,continuc-t-il , sur les mêmes « côtes du Pont , une autre sorte de miel qui est « uovcwné Tnœnonie?io?iy parce qu'il rend insensés « ceux qui en mangent. On croit que les abeilles « l'amassent sur les fleurs du Rododendron , qui « se trouve communément parmi les Forêts. Les « peuples de ce quartier-là , quoiqu'ils paient aux « Romains une partie de leur tribut en cire, se « srardent bien de leur donner de leur miel. >» o i* Il semble qu'on peut, d'après ces passages, dé- SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. V. 3ot terminer les noms des deux espèces de cliamœro- dendron que nous connoissons. La première , sui- vant les apparences, est l'aegliolethron de cet auteur; car la seconde qviî lait des fleurs pur- purines , approche beaucoup plus du rododen- dron ; et l'on peut la nommer rododendron Pontica , pour la distinguer du rododendron ordinaire , qui est notre laurier-rose , connu par Pline sous le nom de rododaphne et ?ieri- ciim. » « Il est certain que le laurier-rose ne croît pas sur les côtes du Pont-Euxin. Cette plante aime les pays chauds. On n'en voit guère après avoir passé les Dardanelles ; mais elle est fort commune le long- des ruisseaux dans les îles de l'Archipel ; ainsi ce rododendron du Pont ne sauroit être notre laurier-rose. Il est donc très- vraisemblable que le chamœrododendron à Heurs purpurines , est le rododendron de Pline. » Je suis d'autant plus persuadé que le laurier- rose des îles de l'Archipel n'est pas la plante dont les fleurs produisent le mauvais miel de Trébisonde, que ces fleurs ne donnent jamais de miel : nous en avons fait plusieurs expériences à Syra , et j'ai toujours trouvé le fond de ces ■fleurs sec , sans la moindre apparence de quel- 353 Traité complet cjue substance mielleuse ; d'ailleurs le tube cîe ces fleurs est si loiii^ , que dans le cas même où ily auroit du miel, l'abeille ne pourroit jamais le sucer avec sa petite trompe. « Quand l'armée des dix mille approcha de Trébisonde, il lui arriva un accident fort étraniçe, et qui causa une grande consternation parmi les troupes, suivant le rapport de Xénopbon^, qui en étoit un des principaux chefs. » « Commeiljavoit plusieurs ruches d'abeilles, dit cet auteur , les soldats n'en épargnèrent pas le miel : il leur prit un dévoiement par haut et par bas , suivi de vertiges ; de sorte que les moins malades ressembloient à des ivrognes , et les autres à des personnes furieuses et moribondes. On vojoit la terre jonchée de corps comme après une bataille ; personne néanmoins n'en mourut , et le mal cessa le lendemain, environ kla même heure qu'il avoit commencé ; de sorte que les soldats se levèrent le troisième jour, dans l'état d'aiïôiblissement où l'on est après avoir pris une forte médecine. » « Diodore de Sicile rapporte le même l'ait dans les mêmes circonstances. Il y a toute ap- parence cjue ce miel avoit été sucé sur les fleurs de quelqu'une de nos espèces de chamœro- dendron. SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChaP. V. 353 flendron. Tous les environs de Trébisonde en sont pleins; et le P. Lambert , Missionnaire Théatin , convient que le miel que les abeilles sucent sur un certain arbrisseau de la Colchide ou Mingrélie, est dangereux et fait vomir. Il appelle cet arbrisseau oie andro gi allô , c'est-à- dire, laurier-rose jaune , lequel sans contredit est notre chamœrododendron Pontica jnaxi- jnaymipili folio , flore luteo. La fleur, dit ce Père , tient le milieu entre lodeur du musc et celle de la cire jaune. Cette odeur paroît ap- procher de celle du chevre-feuille, mais est in- comparablement plus forte. « Dans le jardin de M. Le Monnier , premier Médecin du Roi , à Versailles , on cultive deux espèces d'arbrisseaux , qu'on appelle c/z^wce/o- dodendron j cependant leurs fleurs ne donnent presque aucune espèce d'odeur. Cela prouve , ou que ces deux arbrisseaux ne sont pas les mêmes dont parlent tous les auteurs cités ci- dessus , et dont les fleurs sentent très-fort , ou que ce défaut d'odeur provient du terrain et du climat de la France. D'ailleurs j'ai souvent examiné ces deux arbres , et je n'ai jamais vu aucune abeille sur leurs fleurs , quoique j'y aie , Tome /. Z 354 Traité complet observé plusieurs autres espèces d'insectes qui j picoroient. P. S. M. l'Abbé de Lille , dans une de ses Notes sur les Géorgiques de Virgile , dit , en parlant de notre chamœrododendron , que c'est un nom bien barbare. Cependant il est dérivé de trois mots grecs bien connus , Xcl^/^cù qui signifie hiimi ., par terre ; p^ov , rose , et ^ivtS'pv , arbre , c'est-à-dire , arbre de ro^e nain , pour la distinguer du laurier-rose- qui s'élève quelquefois à plus de 12 pieds. Si l'on devoit en croire M. l'Abbé de Lille, il faudroit donc €n dire autant d'une infinité de mots compo- sés de la langue grecque, dont un des princi- paux et des plus beaux caractères étoit de se prêter plus qu'aucune autre , à ces sortes de mariages. Le mot Encyclopédie, par exemple, n'est-il pas également composé des trois mots grecs , è.v , en ; xvxXoç, cercle ; et Tfa/JV^t , institution , c'est- à-dire , instruction en cercle, instruction univer- selle qui embrasse la totalité des sciences? Tant de savans qui ont mis la main à ce livre si vanté , n auroient-ils donc travaillé que d'après une da- nomination barbare ? SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. VI. 355 CHAPITRE VI. Des avantages quiin Etat peut retirer de la culture des abeilles. «Les abeilles, dit M. La Grenée, sont d'un si « ^raiid produit , qu'il est étonnant que les gens « de la campagne s'en occupent si peu , et que « de tous les sag^es gouvernemens qui sont en « Europe , à peine en est-il quelqu'un qui pense « à exciter ses sujets à cette culture. Ily abeau- « coup de villages où l'on n'en voit point. Ce- » pendant , il est certain qu'elles font la richesse « de plusieurs pays, et qu'anciennement la France « en retiroit de grands avantages. Rien ne sou- « lageroit plus les gens de la campagne , qui « la plupart sont si souvent pressés , que de s'a- « donner à cette occupation cjui est fort lucra- « tive, et qui exige peu de soins. » En effet , pour décider combien le sentiment de M. La Grenéeest juste, il suffit d'observer à quel haut prix se vend le produit des abeilles; Zij 356 Traité complet je parle du miel et encore plus de la cire ; eli 1 combien ne sont-ils pas nécessaires à l'homme, tant pour le culte relii^ieux, que pour le luxe et les besoins de la vie? Il suffit de Faire atten- tion à la quantité de miel et de cire que des ru- ches soiLçnées donnent chaque année l'une portant l'autre. Il est arrivé chez nous dans une bonne année qu'une seule ruche, a produit un quintal et plus , de miel , c'est-à-dire 1 20 à 1 40 livres , et six à sept de cire. Ordinairement elles donnent danslesannées médiocres trenteàquarantelivres, et même plus , de miel , et deux ou trois de cire ; dans les bonnes années cinjjuante à soixante , et de la cire à proportion, en comptant pour quinze à vins^t livres de miel une livre de cire. Ajoutez à cela le peu de temps que le pro- priétaire employé à ses ruches , et le peu de peine que demande leur culture , relativement au gain qu'il en retire. Tout cela suffit pour qu'unjusteappréciateur des choses n'hésite point de donner à cette culture une préférence raison- nable sur les autres occupations de la carapai^ne , d'autant plus qu'il n'a pas besoin de consacrer en particulier ni des terrains ni des arbres pour leur nourriture. Dans ces mêmes champs destinés À tburnir le pain aux hommes, et le fourrag® SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP.YL 3oy , aux animaux domestiques, la diligente abeille trouve à se nourrir, sans rien diminuer de la ré- colte destinée aux uns ou aux autres. Ces mêmes arbres que le Créateur à faits pour fournir des fruits savoureux et du bois à l'usage de l'homme, donnent à l'industrieuse abeille de quoi former ses rayons délicieux qui retournent encore au pro" fit de l'homme. De là vient que nos ancêtres en faisoient un cas si particulier , comme l'attes- tent leurs écrits, et qu^ils donnoient tous leurs soins à cette culture. Par ce que 'l'histoire nous en apprend, on voit que les abeilles n'étoient pas ingrates envers leurs maîtres. M. Daniel Wild- man , auteur Anglois dont j'ai sous les yeux l'ou- vrage sur les abeilles, traduit en Italien avec des notes par Contârdi , cite au quatrième chapitre de ce traité, un auteur moderne qu'il ne nomme point, et qui atteste que lorsque les Romains furent les maîtres de l'île de Corse, ils imposè- rent sur ses habitans un tribut en cire, qui se montoit jusquesà deux cent mille livres par an. Supposons que l'île conservât encore au moins 2,00 mille livres de cette matière, voilà donc 400,000 livres de cire effectives. L'on sait que la proportion de la cire au miel est environ d'un à i5, ou 20 ; au moins c'est ainsi quelle existe Z iij 358 Traité COMPLET à Syra. Or en multipliant ces 400,000 livres par i5ou 2,0, on trouve plus de6 ou 8 millions pesant de miel , indépendamment des 400,000 livres de cire. Quelle richesse ne seroit - ce point pour la Corse, si la culture des abeilles étoit sur le même pied qu'elle étoit alors, sur-tout aujourd'hui que le prix de la cire et du miel est sans comparaison plus haut c|u'il ne l'étoit autrefois ? Puisque j'ai cité l'exemple de la Corse , je dois rapporter ici une observation très-juste sur les avantages que la France peut retirer de la cul- ture des abeille^ dans cette île. Elle se trouve dans une brochure anonyme qui a paru il y a quelques années, et qui commence par ces mots : « Quelle Nation! elle va toute seule. » « L'île de «c Corse, dit l'auteur, peut nourrir des millions « de ruches, d'autant plus précieuses que le cli- « mat de l'île rendant les fleurs, et les arbustes «( parfaitement aromatiques , il en résulte que le « produit de ces mouches , seroit d'une qualité «f très-supérieure à celle des ruches de Pologne « et de Kussie.'Le miel de Narbonne et celui «< de Bretagne suffisent à tiès-peu de chose près « pour la consommation du royaume ; mais in- « dépendamment de ce que l'on pourroit vendre SUR LES ABEILLFS. LiV. I. ChAP. VI. 869 «k l'étranger le miel de Corse, l'on tireroit « encore de cette île plusieurs millions de cire « brute de la plus belle qualité, que l'on manu *< factureroit dans le royaume , tant pour notre « usage, que pour servir à nos exportations chez « l'étranger. L'on peut se faire un idée de l'é- t< norme quantité de cire que peut nous fournir « la Corse, quand on saura que dans les temps « 01^ cette île étoit fendataire de la cour de *< Rome, elle payoit aux Papes son tribut en « cire , et que la quantité en étoit t-elle, qu'elle « suffisoit à la consommation des Eglises de « Rome, et de tout l'état ecclésiastique, con- « sommation que tous ceux qui ont vu l'Italie « et qui connoissent le luxe des Eglises en lu- «r minaires savent être immense. »L^auteur con- clut : « Voilà donc encore pour cet article) plu- if sieurs millions versés annuellement en France ; « au lieu d'être portés chez l'étranger » Il ajoute en note : « Le millier de cire, prix moyen, re- * vient à peu près à deux mille francs : il s'en « consomme environ deux millions tournois; je « veux croire que moitié seulement se tire de « Pétranger , mais il faut observer que nous « tirons aussi pour des sommes très-considéra- « bîes, des suifs du Nord, ou de ri\méric|ue. Z iv 36û Traitécomplet «Or, le bas prix des cires, nous mcUroit à « portée de nous passer de ces suifs; et l'on « peut dire qu'il résulteroit de la multiplication K des injclies en Corse, une économie totale «de (juatre millions, et que nous pourrions «vendre aux étrangers en cire brûle, la con- « sommation de nos manufactures déduite ». A supposer q'.ie ce calcul parût un peu exa- géré, ce qire je ne crois pas, l'opinion de l'au- teur est juste quant au fond. Or, je conclus que si une culture sage et éclairée des abeilles, ad- mise dans la seule île de Corse^ peut procurer une si grande utilité à l'Etat, on pourroit en attendre une bien plus grande, si on établissoit cette culture dans tout le royaume , ou du moins dans ses provinces méridionales (i). L'introduc- tion de cette culture n'est rien moins qu'impos- sible, si l'on en ju^e d'après ce que M. la Grenéc (i) J'ai lu dans la gazette de France du 21 scplcnjbre J787 , cet article d'Hanovre, en date du 3o août. L'é- ducation des mouches à miel est un des objets de l'in- dustrie des habîtans de cette proviftce ; le produit de 3a cire s'est élevé cette année 1787, à 3oo,ooo livres pesant. 11 est certain que l'Hanovre ne vaut pas une pro- vince de France , pour la température. Qu'on voie par- la , ce cjue pourroit espérer la France dp cette culture. SLR LES ABEILLES. LiV. I. Cha. YJ. 36t rapporte dans la préface de son traité page 38 : « La France, dit -il , possédoit anciennement, i< trois lois autant de propriétaires d'abeilles « qu'elle en a actuellement, qui tous faisoient « de bons profits , malgré leur grand nombre. » (i) Si cela est vrai pour 1^ France, combien plus pour l'Espagne et les autres pays méridio- naux? Pour confirmer ce que j'ai déjà dit, je veux rapporter une observation que j'ai souvent faite sur la Turquie. Il semble que le système politique de cet empire ait été conçu dans la vue de rendre ses habitans les plus misérables et les plus pauvres qu'il soit possible. L'agricul- turey est négligée et les cultivateurs opprimés, (i) On élevoit jadis, beaucoup plus d'abeilles en France , dit M. Pingeron , qu'il n'y en a aujourd'hui ; c'est ce qui donne lieu à di{Féren^es lois et à différens droits seigneuriaux , sur-tout à celui d'aboilage ou abeil- lage , qui est un droit que les Seigneurs châtelains ont en plusieurs lieux, de prendre seuls les abeilles qui se trouvent dans les foréis de leurs st*igneuries. Aboilage se prend aussi pour un droit établi dans plusieurs cou- tumes , en yeriu duquel les Seigneurs peuvent pren- dre une certaine quantité d'abeilles, de cire ou de u.ieî iur lee ruches de leurs vassaux. 362 Traité COMPLET sans qu'en aucun temps et en aucun lieu , on ait pensé à leur donner ia moindre émulation et à y perfectionner cet art utile. D'un autre côté le comraeice est si peu encouragé , si vexé parmi les sujets du Grand-Seigneur , que tous les étran- gers le font plus avantageusement , presque de dixpourcent, que les gens du pays qui payent une douane beaucoupplus forte que les étrangers (i). De plus il exibte très-peu de manufactures en ()) Voici ce que dit M. Volnay , vol 2 , p. 890, à ce sujet. « Presque tout le commerce de Syrie est entre les mains des Francs , des Grecs et des Arméniens : ci devant il ctoit en celles des Juifs : les Musulmans s'en mêlent peu, non qu'ils en soient détournés par esprit de reli- gion j ou par nonchalance , comme l'ont cru quelques po- litiques , mais parce qu'ils y trouvent des obstacles par le gouvernement. Fidèle à son esprit, la Porte au lieu de donnera ses sujets une préférence marquée , a trouvé plus lucratif de vendre à des étrangers leurs droits et leur industrie. Quelques Etats d'Europe , en traitant avec elle, ont obtenu que leurs marchandises ne paieroient de douane que trois pour cent, tandis que celles des sujets Turcs, paient de rigueur dix, ou de grâce sept pour cent. En outre, la douane, une fois ac- quittée dans un port , ji'cst ])lus exigible dans un aulrc pour des Francs. Avec tant de désavantages , est-il éton- SUR LES ABHILLES. LiV. I. ChâP. VI. 363 Turquie; et le peu qu'il y en a, à peine a l-ll cours dans le pays. Il est permis de faire en- trer tout ce que l'on veut dans ces états , et les étrangers ne payent qvie trois par cent ou en- viron. Il faut ajouter à cela que le Grand-Seigneur ne pouvant pas mettre des impositions sur le peuple dans des circonstances urgentes, il faut qu'il s'accumule des trésors en temps de paix, pour être prêt en temps de guerre ; de sorte que nant que les Musulmans cèdent le commerce à leurs, rivaux ? " A cette note de M. Volnay , il faut donner quelque explication. D'abord il se trompe en confondant les su- jets du Grand-Seigneur avec les Turcs soi-disant Mu- sulmans , c'est-à-dire , ortliodobies. Toutes les Nations soumises à l'empire Ottoman, sont des r^jas , ce qui veut dire proprement cultivateurs. Au commencement de l'empire des Turcs, les seuls Chrétiens exerçoient ce métier, et les Turcs s'appliquoient à la guerre. Par le mot raja j le Turc entend encore ce que nous ex- primons par le mot sujet- Ainsi les Turcs ne sont point censés sujets du Grand-Seigneur, mais les sectateurs de jManomet , et le peuple choisi de Dieu, dont le Grand- Seigneur n'est que le chef. Ainsi on voit pourquoi ceux qui connoissent à fond le gouvernement des Turcs , disent que le Grand-Seigneur ne peut exercer aucun despotisme sur les sectateurs de Mahomet ou du corau S67 Traité complet le plus fort numéraire de l'état est ordinaire- ment renfermé dans son trésor. Les grands de l'empire imitent le souverain, et tiennent leurs trésorssicachés,(|u'ilresteà peine quelque numé" raire pour l'usage public. Malgré cela , quoique les habitans de l'empire Ottoman ne soient pas les peuples les plus riches de l'Europe , ils pour- roient cependant aller de niveau avec les peuple» de la plus grande partie des autres états. Cela M. de Volnay se trompe encore, lorsqu'il dit que les Turcs paient entre sept pour cent par grâce, et dix de rigueur 5 ce sont les rayas qui paient ainsi ; le? Turcs, au moins ceux de Constantinople , de Smirne et de Sa- lonique, c'est-à dire, ceux de l'Europe et de l'Asie Mi- neure , ne paient que trois pour cent. Je crois même que ceux-ci ne paient qu'une seule douane , ainsi que les Francs. Enfin , quoique la loi de Mahomet ne défende pas aux Turcs toute coninumication sociale et commerçante avec les chrétiens , comme la loi deMoïseladéfendoitaux Juifs avec les étrangers , il n'en est pas moins vrai que l'esprit de la loi de Mahomet , et le fanatisme de la mul- titude, empêchent les Turcs de faire un commerce plus étendu avec les sujets chrétiens des puissance* étrangères. Les Turcs en général méprisent ceux de leur nation qui sVxpatrient, et qui séjournent dans les pays «hrélieiis : ils les regardent sous une forme d'inlidélité SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. Vf, 368 ne peut s'attribuer qu'à la bonté , et la fertilité du sol, qui pour peu qu'il soit cultivé, suffit pour maintenir le peuple dans une sorte d'ai- sance, et sur-tout à la culture des abeilles, dont on s'occupe dans presque toutes les provinces de l'empire , au moins dans les maritimCvS. On sait l'immense quantité de cire , que les Euro- péens en tirent chaque année de Smjrne, de Salo- nique, delà Morée,etdes autres pays de la mer et d'apostasie. En outre, la loi du coran ordonne plu- sieurs cérémonies aux Turcs , comme des prières , des ablutions et des sacrifices , qu'ils ne pourroient observer dans les pays chi'étîens où il n'y a ni Imams, ni mos- quées. D'ailleurs , pour faire un commerce solide et suivi avec les nations européennes, il faudroit qu'ils s'établissent chez elles avec leurs femmes et leurs en- fans ; ce qui exposeroit les unes aux yeux de tout le monde , et les autres à la perversion , deux choses capi- tales que leur loi défend. On voit donc que M. Volnay a tort de critiquer les politiques qui ont prétendu , que c'étoit par esprit de religion, et par nonchalance , que les Turcs abandonnoient aux chrétiens le commerce. Une des raisons qui s'y oppose encore plus , c'est la crainte qu'ils ont des corsaires Maltois ; ils n'osent se hasarder de se mettre en mer sous leur propre pavil- lon 5 et quand ils sont forcés de faire un long voyage, ils sont obligés de le faire sous le pavillon d'une puis- sance chrétienne. 466 Traité complet blanche; à l'égard de la mer noire, il suffit de lire l'ouvrage que M. Peyssonnel , ancien Consul du Roi , vient de publier sur le commerce des provinces Turques de la mer noir , pour se con- vaincre de ce que j'avance , il dit à la page i25. « La cire est l'article le plus important'du com- « merce de la Moldavie ( et de la Valachie ); » elle estde très-belle qualité, plus belle encore « que celle de Valachie. On la vend au même prix. » Il dit, page i6a , sur le commerce de la Bulgarie. « Il sort de la Bulgarie une quantité « immense de cire, elle est jaune et d'excel- « lente qualité. On la vend pure. Son prix est » de 38 à 42 paras l'ocque , suivant les années. » Le para vaut i sol 6 deniers, l'occa pèse trois livres de Marseille. Tout cela fait voir la justesse du sentiment de M. La Grenée, rapporté au commencement de ce. chapitre, que «rien ne soulageroit plus « les gens de lii campagne, dans les besoinsdont « la plupart sont si souvent pressés , que de « s'adonner à la culture des abeilles. » Dans les îles de l'Archipel, quand un pauvre paysan peut parvenir à se former un capital de vingt à trente ruches , il assuré d'avoir trouvé le moyen de soulager et de soutenir commo- SUR LES ABEILLES. LiV. L ChAP.VI. 2G'J dément sa famille, en y joignant le peu qu'il peut retirer de ses travaux de la campagne. Je crois ne pouvoir mieux finir ce chapitre qu'en rapportant ce que M. Mentelle pense à ce sujet , en parlant de l'île de Cuba en Amé- rique , dans son livre intitulé , Choix de, lectures géographiques et historiques. Tome 5, part. 2. « Lorsque, dit cet auteur, la Floridefut cédée «.en 1763, par la cour d'Espagne, à celle de « Londres, les cinq ou six cents misérables qui « végétoient dans cette région , se réfugièrent « à Cuba, et y portèrent quelques abeilles. Cet « insecteutile se jetta dans les forêts, s'y établit « dans le creux des vieux arbres, et se mul- « tiplia avec une célérité qui ne paroît pas croya- << ble. Bientôt la Colonie qui achetoit beaucoup « de cire pour ses solennités religieuses, en re- « cueillit assez pour ce pieux usage et pour « d'autres consommations ; elle eut un peu de «superflu en 1770, et sept ans après on en « exporta sept mille cent cinquante quintaux « et demi pour l'Europe ou pour l'Amérique. « Cette production augmentera nécessairement « sous un ciel , et sur un sol qui lui sont éga- « lement favorables: dans une île où les ruches ♦: donnent quatre récoltes chaque année et où o68 Traité complet « les essaims se succèdent sans interruption. ^ A l'appui de ce que M. Mentellc dit de ïile de Cuba , voila ce que je viens de lire dans l'ou- vrage de Dom UUoa intitulé, Mémoires phi/o- sophiqnes y hisLoriques concernant la décou- 'verle de V Amérique , traduit de rEpai>nol. Je ne dois point passer sous silence que les essaims d'abeilles domestiques, se sont beaucoup mul- tipliés à l'île de Cuba , dans le voisina£>;e de la Havane , pendant le court espace de temps qui s'est écoulé depuis 1764. après que la paix eut été conclue avec l'Angleterre. 11 n'y en avoit pas auparavant; car celles qu'on y voyoit étoient sauvaiçes et d'une espèce différente. Les familles qui jusques alors avoient demeuré à St. Augus- tin de laFloride, s'étant rendues dansl'île de Cuba, aorès qu'on eut évacué ces lieux, apportèrent avec elles quelques ruches qu'elles placèrent à Guanavacoa et en d'autres endroits, par pure curiosité. Ces mouches se multiplièrent au point qu'il s'en répandit dans les montagnes; et l'on commença à s'appercevoir qu'elles devenoient nuisibles aux cannes à sucre, dont elles se nour- rissoient. Leur fécondité fut si grande , qu'une ruche donnoit un essaim, et quelquefois deux par mois : l'un ordinaire, l'autre momdre en les châtrant SUR LES ABEILLES. LlV. I. ChAP. VI. 36q châtrant tous les mois : on ne les soignoit même pas avec toute l'attention qu'on y porte en Eu- rope. Elles rendoient autant de miel et de cire, que dans les endroits où Ton n'a soin de les châ- trer q\i'une ou deux fois par an. La cire est des plus blanches , et le miel aussi clair et d'aussi bon goût qu'on en puisse trouver. D'après ces faits, il est évident que la cire et le miel pour- roient devenir une des branches les plus avanta- geuses pour le commerce de cette île , sans même s'occuper très-soigneusement des mouches , ni négliger la canne à sucre, qui seroit toujours l'objet principal. » D'après ce récit, je ne puis assez m'étonner de ce que dans les îles adjacentes de PAmérique, et spécialement dans les îles Françoises , on n'ait pas encore admis et propagé la culture des abeil- les. Si l'on a cru q'i'elles n'y réussiroient pas, il me semble que ce qu'on a raconté de leur prodigieux succès dans l'île de Cuba devroit nous rassurer sur ce point. Si le gouvernement a eu des motifs politiques pour empêcher cette culture dans les colonies de l'Amérique, je dois respecter sa prudence de sacrifier au plus grand bien de la mère-patrie , le profit des colonies ; mais je pense au moins, qu'il est du devoir de Tome I, A a 370 Traité complet radministration de s'appliquer sérieusement à encourager dans toute la France la culture des abeilles pour j procurer une plus grande abon- dance de cire. Mais si cette faute d'économie ru- rale vient de la négligence des habitans des îles , je ne puis comprendre comment des hommes qui se sont expatriés pour faire fortune, peuvent négliger un moyen si propre à les enrichir , sur-tout n'ajant presque aucun besoin, pour cette exploitation , de ces malheureux nègres , sans lesquels on ne sait faire venir le sucre ni le café. J'ai demandé à une personne respectable de St. Domingue , pourquoi ony négligeoit la cul- ture des abeilles : elle m'a répondu que c'étoit parce que ces insectes ravageoient les cannes à sucre, et parce que la nudité des Nègres les expo- soit à en être incommodés. Dom Ulloa cité ci-des- sus, est à la vérité du même sentiment , quant au dégât des cannes à sucre ; mais j'iivoue ingénu- ment, que j'ignore comment il peut avoir lieu, si les abeilles dérobent le suc mielleux qui peut couler à travers les fentes des cannes à su- cre : il me semble que ce n'est pas une perte réelle; ce suc se perd en vapeur, ou il devient la proie d'autres insectes; il seroit donc bien plus avantageux que les abeilles en profitassent. SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. VI. S71 En supposant qu'une trop grande quantité de ruches occasionnât quelque diminution dans Je produit des cannes à sucre, ne retrouveroit-on pas à s'indemniser de cette perte avec usure par la quantité de miel que les abeilles donne- roient,et sur-tout par la riche récolte de cire qu'elles fourniroient ? ^ Quant atix nègres qui seroient exposés à la piqûre des abeilles, à cause de leur nudité , )e réponds qu elles n'attaquent personne en pleine campagne , à moins qu'on ne veuille les prendre ou les chasser, quand elles voltigent sur les fleurs. Pourquoi d'ailleurs ne s'habiUeroient-iIs pas pour soigner les ruches? l'utilité que les colons en retireroient en vaudroit bien la peine. ^Au reste les nègres de presque toutes les côtes d'Afrique, où se fait la traite de ces mal- heureux, savent très-bien cultiver les abeilles; et la quantiié de cire que les Européens en tirent en est la preuve; lei^r nudité n'empêche donc pas qu'ils ne les approchent, et qu'ils ne les soignent. li en est qui craignent qu'en multipliant les abeilles dans les îles à sucre, les personnes em- ployées aux rafineries n'en soient inquiétées. Mais quand ces insectes trouvent de quoi se A a ij S72 Traité complet nourrir dans les campagnes, ils ne vont point dans Jes maisons pour en tourmenter les habi- lans. Aussi voyons-nous à Syra, qu'on peut ma- nipuler le miel dans les maisons sans aucun dan- ger,'lorsque la campagne est couverte tle Heurs. Or, St.Domlngue doit, comme l'île de Cuba, fournir aux abeilles , dans toutes les saisons, de quoi les nourrir amplement; il ne seroit donc pas à craindre que les ouvriers des rafi- neries en fussent inquiétés. Au surplus , rien de si facile que de l'enipè- clier : file de St. Domingue est assez étendue , pour que l'on pût disposer les choses de ma- nière que les ruches fussent éloignées de quel- ques lieues, et alors les abeilles n'en approche- raient sûrement pas. Avant de quitter cette matière , il n'est pas iiui- tilc'dc résoudre une difficulté, ou, pourmieux dire , un ancien préjugé. Des gens de la cam- pagne condamnent la culture des abeilles , parce qu'ils sont persuadés que ces insectes nui- sent atix fruits des arbres. En suçant le miel des fleurs , disent-ils , les abeilles dérangent la fécondation, ce qui occasionne la chute d'une grande quantité de fruits. Voici ce que le fameux Linné dit à ce sujet : SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChaP. VI. 3/3 « Il n'est pas encore décidé, si les abeilles et « autres insectes qui se nourrissent de miel, en « suçant le nectar des fleurs , occasionnent quel- « que inconvénient aux petits embryons, ou s'ils « dérangent la génération. Ainsi, on ne ])eut « pas expliquer même actuellement, selon les « loixde la nature, ce queQuintilienet Sénèque « rapportent de ce richard qui infectoit avec le « poison les fleurs de ses arbres , pour tuer toutes « les abeilles d'un pauvre pajsan, qui venoient « en voler le îniel(i}. » Malgré le doute de M. Linné sur ce point, je suis très-convaincu , que la succion du miel que les abeilles, ainsi que d'autres insectes , font sur les fleurs des arbres, ne leur porte aucun préjudice , et ne dérange en aucune manière la fécondation; et voici sur quoi se fonde ma conviction. Dans l'île de Syra il y a peu de pom- miers, d'abricotiers, de pêchers et de poiriers : f^aj Ulrum vero iiisecta aliacjue mellisuga animalcules sorhendo nectarium è flovibus , damnnm inférant ienellia embrionibus , nondiim esncium est; ideoque iste locus Quintiliani ^ et Senecœ de divite i n fie iente flores su os ve- nefio j ut pauperis apes mel ejusfurantes périrent, vix ac ne vix qiiidem seciindum naturœ legem etiamnùm eoc'^ j)licari potest, Amsen. acad. t. 6 , d^s. ii>5,p. 260. * A a iij 374 Traité complet à peine en trouveroil-on cinquante de chaque espèce ; d'un autre côté, il y a quantité de ruches : malgré cela , ces arbres sont ordinairement si chargés de fruits, qu'on j en compte! oit autant que de feuilles. J'ai encore observé à Versailles dans le jardin de M. Ruffin, sur quelques plantes de bourjache , une grande quantité d'abeilles qui y picoroient depuis le matin jusqu'au suir» et ayant examiné avec attention les calices de ces plantes, je lésai trouvés remplis de graines sans en découvrir un seul vide : d'où je conclus, que si les abeilles en suçant le nectar des fleurs apportoicnt Cjuelque atteinte à la conservation des l'ruits , les arbres fruitiers à Syra n'auroient produit aucun fruit, et nos plantes de bourra- che ne seroient pas montées en graines. C'est donc sans fondement que certaines personnes pensent, quç les abeilles nuisent aux fruits des arbres. P. S. Je viens de lire dans l'Encyclopédie mé- thodique quelques particularités qui confirment ce que nous venons de dire sur les avantages de la culture des abeilles. « Les ruches, dit M. « l'abbé Tessier , sont , en général , d'un bon pro- « duit. Dans certaines années à la vérité, elles « ont peu de miel et de cire, ou donnent peu SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. VT. Sy5 « d'essaims, maisellesdédommagentamplemenl « le propriétaire dans d'autres années. On cs- <* time , toute compensation faite , le produit « annuel d'une ruche à six francs ; souvent « il monte à dix. » ( On m'a assuré, que M. le curé de Bonneuil, dans les environs de Paris, retire jusqu'à un louis de chacune de ses ruches. Cela dépend de la manière de les gouverner. ) « Quelquefois les fleurs des plantes sont si c-liar- *r gées de miel et de cire, que les abeilles, qui" « en ramassent autant qu'elles en trouvent ( c'est- « à-dire qu'elle en peuvent emporter ) en font « des récoltes étonnantes. J'ai rapporté plus haut « d'après M. Duhamel, que le curé de Tilîaj « le Pelieux en Bauce , aj ant placé une ruche « sur un cuvier renversé , auquel il avoit fait «un trou, en retira cinq à aïx livres de cire, iuëre le temps de lesattaquer; 596 Traité doMPLET de l'aveu de tous les auteurs, ce qui n'empê- che pourtant pas qu'ils ne causent un grand dom- mai^e dans les ruches. Un malheur , plus fâcheux encore que les au- tres , et qui dégoûte de cette culture , c'est la destruction quelquefois subite et générale des ruches. Des propriétaires qui , à la fin de l'au- tomne , se trouvoient avec trente ou quarante ruches , se sont vus au commencement du prin- temps avec deux ou trois. Une pauvre femme du village de Viroflay, à qui nous en avons va jusqu'à quinze , nous a assuré que, dans le cou- rant d'un seul hiver, elles les avoit toutes per- dues. M. Varpj nous a certifié que dans un hi- ver il en avoit perdu trente, et qu'il ne lui en étoit resté qu'une seule; M. Ducarne, que dans un hiver, il avoit perdu la moitié des siennes, et que d'autres particuliers en avoient perdu les trois quarts : il cite un jeune homme dont le plaisir consistoit à élever des abeilles , et qui , après avoir rassemblé jusqu'à vingt-neuf ruches, ne s'en étoit trouvé que deux à la fin d'un hiver rigoureux. La cause de ces grandes mortalités mérile- roit d'être recherchée, et il ne seroit peut-être pas difficile de la trouver, et d'y apporter re- mède. SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. IX. Z<^J Les gens de la campagne sont persuadés que le froid et les grandes gelées produisent la perte de leurs ruches. Je ne déciderai pas seul cette question , n'iijant aucune expérience sur les pays septentrionaux. Je m'en rapporterai pour cela à ce que disent les auteurs d'après leur propre expérience. Mais ce que M. La Grenée dit à cet égard , me paroît d'une telle évidence, que je ne puis croire que le froid seul puisse faire tant de ravage. Voici ses pro- pres termes , cliap. lo , §.8. « J'ai d'abord cru , comme bien d'autres, que le froid pouvoit causer du dommrige à une ruche ; mais les froids excessifs qui régnent en Pologne et en Russie (pays si féconds en abeilles, que des forêts entières en sont remplies ) , sont une preuve sans réplique du contraire; ainsi il est certain que quoiqu'une abeille seule ne puisse supporter un très-petit degré de froid, réunie à un nombre suffisant de ses compagnes, elle échappe aux effets du froid le plus aigu. J'ai eu efi^ectivement des ruches ouvertes par le bas , qui ont passé , sans en souffrir , l'hiver de 1767, qui a presque égalé celui de 1709.» Cependant nous conviendrons que le froid, et les gelées , lorsqu'elles sont excessives , peu- 898 Traité com plet vent quelquefois faire périr une ruclie , par la négligence de quelques propriétaires. Les abeil- les , clans des ruches mal couvertes , doivent perdre leur chaleur naturelle; mais ce qui est difficile à croire, quoique cependant trës-vrai, c'est que la chaleur en fait peut-être périr plus que le froid. Nous avons lu quelque part , notam- ment dans l'ouvrage de M. Ducarne, qu'il a perdu , dans une année , plusieurs ruches par la grande chaleur. Et M. Contardi rapporte que dans la province d'Artois ( dont le climat néanmoins n'est pas des plus chauds ) , la chaleur y fit périr une fois vingt-quatre ruches. Cela doitd'autant plus nous étonner , que quoiqu'elle soit certainement beaucoup plusforte à S^^a que dans ce pays-ci , nous n'avons jamais entendu dire qu'elle j ait produit cet effet. Nous avons su seulement qu'un cultivateur, après avoir mis dans un sac un essaim qu'il avoit trouvé , l'avoit perdu pour l'avoir attaché et suspendu à un ar- bre; mais le soleil qui dardoit sur l'essaim , en lit crever toutes les abeilles. Il n'y a pas long- temps que nous avons vu périr aussi , par la cha- leur , plus des trois quarts des abeilles d'un es- saim qu'on avoit renfermé dans une boîte d'aca- jou, faite en Angleterre, d'après la méthode de SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. IX. 099 M. Wildman , en les transportant du grand Montreuil à Versailles. II peut arriver encore que la clialeur fasse périr une ruche , parce que les rayons trop ra- mollis peuvent tomber et écraser la reine ; et alors cette perte doit entraîner celle de toute Ja ruche , comme nous le verrons ailleurs. Mais revenons aux causes de la mortalité. Quelques auteurs prétendent que le défaut ou la corruption de l'air, et le manque de nour- riture, sont les principales causes qui font périr tant de ruches en hiver. M. La Grenée dit à ce sujet , « que la di- sette de vivres, et le défaut d'un air pur , sont les deux fléaux les plus funestes aux abeilles. La méthode de ne construire que de foibles ruches, et de ne leur laisser que de petites entrées , en fait périr tous les ans un grand nombre.» C'est aussi le sentiment de M. Ducarne, et de tous ceux qui ont des connoissances dans cette partie. Il ne reste donc qu'à examiner celle qui con tribue le plus à ces deux causes, ou le défaut d'air , c'est-à-dire l'infection , ou la disette des vivres. Pour y parvenir , il n'y a qu'à observer dans quel état se trouvent les ruches après la «nort totale des abeilles ; car si on v trouve de* 400 Traité complet rayons avec des provisions de miel ou de mo- ]ividhe , on ne peut plus douter que ce ne soit ou une infection pestilentielle, ou un froid extrême, faute d'avoir couvert les ruches , ou enfin quel- que autre cause semblable qui les ait fait périr. Mais si , après la perte des abeilles , on ne trouve dans les rayons ni miel , ni molividhe , c'est une preuve que les abeilles sont moites de faim. Il est encore certain que lorsqu'on les trouve mortes dans les cellules des rayons, c'est qu'elles s'y sont introduites pour chercher leur nourriture, et que n'y en trouvant pas, elles ont péri. Ayant demandé en effet à plusieurs personnes qui se plaignoient d'avoir perdu beaucoup de ruches pendant l'hiver, en quel état étoient ces ruches après la perte des abeilles; elles m'ont répondu qu'elles n'y avoient rien trouvé qui pût servir à leur nourriture , et que ces insec- tes , en grande partie , avoient péri dans leurs cel- lules ou sur les tablettes : d'où l'on peut conclure que la faim seule avoit occasionné cette perte, et que la disette en étoit la principale cause : c'est ce qui doit arriver fréquemment aux environs de Paris , et dans les pays sous la même tem- pérature , où l'on élève les abeilles de la même manière. J'ai SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. IX. 40 1 J'ai dit que la disette de vivres causoit la grande perte des ruches aux environs de Paris , et dansles autres provinces septentrionales; car au midi de la France , je suis persuadé qu'il n'y a guère que les vers qui les détruisent. Nous en avons l'expérience à Sjra , où , malgré toutes les attentions que nos cultivateurs ont de nettoyer leurs ruches , pour les préserver de ce fléau , ils ne peuvent les empêcher quelquefois d'y succomber. Eh! quel avantage n'ont pas ces cruels ennemis, lorsque les ruches ne sont que de paille ou d'osier, qu'on n'en peut voir l'intérieur, et qu'on ne les nettoie qu'une fois par an ? Cette différence entre la cause de la morta- lité des ruches dans les pays chauds et dans les pays froids, provient de ce que, dans les pre- miers, les abeilles produisent en général plus de miel que dans les autres. Les hivers y sont plus courts , et par conséquent leur nourriture plus abondante et plus sûre. Dans le nord au contraire, les fleurs four- nissent moins de miel aux abeilles : les hivers étant plus longs , il en résulte que les ruches n'y sont pas aussi bien garnies de provisions que dans les pays méridionaux ; que les abeilles en consomment beaucoup plus dans un long Tome I. Q Q 402 Traité complet espace de temps , et qu'elles sont par conséquent plus exposées à en manquer. On dira peut-être que dans les pays chauds, les abeilles consomment plus de miel que dans les autres où elles restent assoupies pendant une l}onne partie de l'hiver. Cela est vrai pgur la llassie , la Suède, le Danemark et autres pays du nord ; mais aux environs de Paris, et dans les parties septen- trionales de la France , où il y a tant de belles journées pendant l'hiver, les abeilles s'agitent, sortent , et rentrent continuellement aux rayons d'un beau soleil , et elles doivent consommer sans doute alors une plus grande quantité de miel. 11 faut que nous remarquions ici que les abeilles au commencement du printemps, périssent quel- quefois de disette au milieu de leurs provi- sions : alors elles consomment ce qu'elles ont, pour former leur première couvée , et pour la nourrir; s'il survient ensuite du mauvais temps, et qu'il dure quelques jours, elles ne peuvent plus sortir pour s'approvisionner , et elles périssent avec leur couvain , au milieu de l'abondance qui les environne. Mais si le dcfliut de vivres est la première cause de la mortalité des abeilles en hiver , SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. X. 408 pourquoi MM. La Grenée , Ducarne et de Blangis , avancent-ils que de soulever les ru- ches dans le froid, et de leur donner une cir- culation d'air libre, c'est un moyen efficace de les en préserver ? C'est ce que nous expliquerons dans les chapitres suivans. Il y a d'autres causes qui occasionnent sou- vent la perte des abeilles , comme le butin que les fortes enlèvent aux foibles ; la mort de la reine , etc. ; mais nous en parlerons ailleurs. CHAPITRE X. Manière d* éviter les mortalilés dont on vient de parler. Ayant exposé, dans le chapitre précédent , les principales causes de la mortalité des abeil- les , il convient de parler des moyens à employer pour les éviter; mais comme, dans le cours du présent ouvrage , nous devons traiter des diffé- rentes manières de les secourir avec facilité dans leurs divers besoins; nous nous bornerons C c ij 404 Traité complet ici à indiquer les moyens les plus sûrs de re- médier à ce qui occasionne leur mort ou leur destruction. Quant à la mortalité qui provient des mauvai- ses années , lorsqu'il en arrive plusieurs de suite , comme elle dépend d'une cause supérieure aux forces humaines , il n'y a d'autre remède que la patience et la constance. Tout cultivateur doit, autant que le lui permettront ses facultés, soutenir avec du miel le plus de ruches qu'il pourra; il sera un jour bien dédommagé de cette dépense. A l'égard des dégâts occasionnés par les vers , qui exercent particulièrement leurs ravages sur lesruches de paille et de roseau, je ne vois pas de moyen plus efficace et plus simple , que l'usage des ruches dont je donnerai la description dans le livre suivant : leur forme et leur disposition fa- ciliteront les moyens de les nettoyer sans nuire aux abeilles. Les essaims les plus foibles pourront se ga- rantir des vers dans cette nouvelle espèce de ruches , bien plus facilement que dans les au- tres ; et les fausses teignes ne pouvant pas s'y cacher , seront trop exposées k la poursuite des abeilles, pour pouvoir s'y multiplier. SUR LES ABEflLEft LlV. I. ChAP. X, ^oS Ces nouvelles ruches doivent l'emporter sur toutes celles qui ont été inventées par les au- teurs modernes , puisqu'on pourra en visiter l'intérieur , pour connoître les besoins des abeilles, et savoir si elles sont attaquées des vers : on en fera connoître tous les détails , lorsqu'on par- lera des moyens de les secourir, et de l'instru- ment qu'il faut employer. Pour se convaincre que la construction et la forme de nos ruches ont un grand avantage sur celles dont on se sert communément pour les garantir de leurs enne- mis , il suffit d'observer qu'elles durent à Svra quinze, vingt ans, et même davantage, an h'eu qu'en France trois ans suffisent quelque- fois pour les voir entièrement détruites. Il a pu arriver que des amateurs curieux et très-expérimentés, comme M.Ducarne et autres, soient parvenus à les conserver quelques années de plus ; mais ce n'a été qu'en leur donnant les plus grands soins , soutenus par une certaine aisance , qu'on trouve rarement chez les gens de la campagne. On pourra placer et disposer nos ruches avec autant de facilité que les autres; et même en les construisant dans des murailles, comme nous l'expliquerons ailleurs , nous ferons voir qu'elles C c iij 40(5 Traité q|p É^ l e t seront plus en état de supporter la rigueur du froid en hiver , et l'ardeur du soleil en été , que toutes celles- qu'on a employées en France jusqu'à ce jour. Voyez sur cela le chapitre sui- vant , et les chapitres i , 6, 7 et 8 du deuxième Traité. Quant au défaut d'air ou à l'infection, aux- quels plusieurs personnes attribuent la perte des ruches en hiver , j'aurois beaucoup de peine à y croire. S'ils pouvoient contribuera leur destruc- tion , ce devroit être plutôt dans une autre sai- son : car en été , il y a sans comparaison plus d'a- beilles dans les ruches quen hiver, et alors tous les corps, et même les abeilles exhalent davan- tage. Il se trouve d'ailleurs en été plus de ma- tières hétérogènes propres à la fermentation et 4 l'exhalaison , comme le miel et la molividhe. il est de fait encore que si une épidémie est oc- casionnée par un air infect, elle est plus dan- gereuse dans Tes grandes chaleurs , et qu'elle cesse même à l'arrivée des froids. On objectera peut-être qu'en été les abeilles sortent souvent, prennent l'air, et sont moins sujettes.à l'infection. Mais plusieurs d'entre elles ne sortent pas tous les jours , et bien des per- sonnes croient que la reine ne sort jamais ; ainsi , SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. X. 407 s'il est vrai que l'infection s'introduiee dans les ruches en hiver , la sortie des abeilles pendant l'été ne doit pas les empêcher d'y succomber, et leur perte doit être égale dans les deux sai- sons. Quoi qu'il en soit , il est certain que la dis- position horizontale de nos ruches garantira les abeilles de l'infection d'un air corrompu; et on ne peut avoir cet avantage dans celles qui sont faites en cloche ou de toute autre forme, qui étant fermées de tous les côtés, n'ont qu'une petite ouverture dans leur partie inférieure. La raison en est simple ; l'air corrompu, ou toute autre vapeur particulière monte toujours , et lorsqu'il ne trouve point d'ouverture dans la par- tie supérieure des ruches pour s'échapper , il doit Y croupir, et détruire .les abeilles» Nos ruches au contraire, au moyen des trous que nous disposons autour du couvercle, et de ceux que nous ménageons dans sa partie supé- rieure , sont à l'abri de cet inconvénient : l'air entre , sort et se renouvelle par ces ouvertu- res ; le mouvement des abeilles, le moindre battement de leurs ailes, produit encore dan» la ruche une circulation d'air , qui en chasse celui qui est corrompu, et y en introduit un Ce iv 4o8 Traité complet plus salubre. Eh ! qui sait si la nature n'a pas donné aux abeilles, pour leur conservation , cet instinct qui les porte de concert à exercer ce battement? Au reste on sentira que les ruches , dans toute autre disposition, ne peuvent pré- senter le même avantage. Et qu'on ne dise pas qu'on pourroit pratiquer les mêmes ouvertures dans des ruches d'une autre forme ! Ces trous devant être nécessairement très-petits , pour évi- ter beaucoup d'inconvéniens , les abeilles les fermeroient bientôt avec de la propolis. Il nousreste à parler maintenant du défautde nourriture qui fait périr ordinairement tant d'abeilles en hiver. Pour éviter cette perte dans le Levant, nous observons de temps en temps si les ruches , sur-tout les plus foibles , sont bien pourvues ; quand elles ne le sont pas , nous leur donnons du miel mêlé avec un peu d'eau , ou d'autre matière. Quant au moyen que nous em- ployons pour connoître si une ruche manque de vivres , on verra qu'il est très-simple, ainsi que la manière de fournir aux abeilles leur néces- saire , et sans qu'elles soient exposées à aucun pillaj>e. SUR LES ABEILLES. LlV. I. ChAP. XL 409 CHAPITRE XI. De la manière de gouverner les abeilles pendajib VJiiver ^ de les empêcher de consonuner leur provision y et d'éviter ainsi leur destruction. JoiN Mésopotamie , et clans plusieurs autres provinces de l'Empire Ottoman, les propriétaires qui élèvent des abeilles, ont soin de les tenir tout riiiver dans des lieux obscurs , et éloignés de tout bruit ; ils ne laissent pénétrer aucune lumière dans l'endroit où elles sont renfermées. On les conserve, par ce moven, dans le meil- leur état, «^ et les rucïies se trouvent bien four- nies au printemps de tout ce qu'il leur faut pour commencer leurs premières pontes , et pour nourrir leurs premiers couvains. Sans avoir eu dessein de suivre cette pra- tique , voici ce qui m'est arrivé dans l'Archi- pel , et ce qui confirme l'excellence de la mé- thode dont nous venons de parler. Nous avions mis deux essaims d'abeilles dans deux diHérens endroits. Nous en avions placé un près de la 4IO Traité complet ville, et l'autre à deux lieues de distance. Dans lacraintedesgnèpes fort abondantes cette année- là, nous les bouchâmes tout autour, et pour don- ner de l'air aux abeilles, nous ne laissâmes qu'un ou deux petits trous dans la partie supérieure , mais par lesquels elles ne pouvoient pas sortir : nous couvrîmes ensuite le devant de la ruche avec de grandes pierres , pour qu'il n'y entrât pas le moindre rayon de lumière. Nous oubliâmes totalement cet essaim jusqu'au milieu de février , c'est-à-dire , pendant quatre mois. Nous le rappelant alors , nous le crû- mes péri ; nous courûmes le visiter; mais nous le trouvâmes en très - bon état , bien fourni de miel et d'abeilles , et beaucoup mieux enfin que celui que nous avions tenu près de la ville, qui étoit cependant d'é<>ale force , et auquel nous avions fourni du miel à deux reprises. Nous croyons n'avoir trouvé que douze à quinze abeil- les de mortes. Cette ruclîc prospéra davantage, et bien plus rapidement (jue l'autre. MM. Ducarne et La Grenée , très-instruits l'un et l'antre, et versés dans l'art de gouverner les abeilles, après avoir souffert de grandes pertes dans des hivers longs et rigoureux , et sur-tout M. Ducarne , invitent les cultivateurs à don- SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. XI. 41I ner aux ruches, dans les grands froids, le plus d'air qu'on pourra. M. Ducarne , après avoir ra- conté , dans son vingt-huitième entretien du deuxième volume , les grandes pertes qu'il a faites pendant les derniers hivers; après avoir ditquedans un de ces hivers, de quatre-vingt ru- ches qu'il possédoit, il ne lui enétoit resté qu'en- viron cinquante, et que, dans ce nombre, il j en avoit même le quart de mauvaises, assure positivement, que dans les trente ou quarante perdues au contraire , il J en avoit au moins les trois quarts et demi de fortes , et sans con- tredit les meilleures de toutes. Après ce récit , il déclare que l'unique mojen qu'il a imaginé pour prévenir une destruction pareille, c'est de leur donner beaucoup d'air pendant l'hiver. « Diriez-vous , continue-t-il , que le moyen dont je me sers pour cela, est précisément le contraire de ce que vous crojez qu'on devroit faire? Au lieu de les sceller exactement, comme vous le feriez pour les garantir du grand froid, je les J expose tout- à -fait, en élevant les ru- ches de 4 ou 5 lignes tout autour au dessus de la planche sur laquelle on les pose , c'est-à-dire au dessus du siège. « 41S Traité complet M. Lagrenée dit aussi , page 38 de son petit ouvrage sur les abeilles : « Une seconde pra- tique (i) , qui pourra encore n'être pas du goût de quelques-uhs de ceux dont nous examinons ici les sentimens , c'est celle de laisser les ruches ouvertes tout autour parle bas, l'hiver comme l'été. Voici les raisons de la pratique que nous adoptons , 'de laisser les ruches ouvertes tout autour par le bas Elle empêche la trop prompte consommation des provisions d'une ruche, par le froid que ces ouvertures y laissent entrer; car il est prouvé que plus la chaleur in- térieure d'une ruche est considérable , plus la consommation des provisions est grande. « Tous ces faits, ainsi que la pratique des peu- ples de la Mésopotamie et des autres peuples du Levant , prouvent qu'il n'y a qu'une ma- nière de gouverner les abeilles pendant les temps les plus rigoureux. Elle consiste à les fixer dans une obscurité parfaite , et à l'abri du bruit (i) Il avoit déjà parlé d'une première qu'il adop- loit , savoir , de faire périr, tous les ans , un certain nombre de ruches , pour s'approprier les prorisions des abeilles , comme nous le verrons dans- les chapitres suivans. SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. XI. 4î3 le plus léger , en faisant passer dans les niches une certaine quantité d'air, qui conserve autant qu'il sera possible , un degré de fraîcheur pres- que égal pendant tout le temps de l'hiver. Il est hors de doute que les ruches ainsi tenues dans Je mauvais temps , se trouveront , au commen- cement du printemps , saines et sauves , bien fournies de provisions , et en état de commencer leur travail. La raison en est sensible; c'est que les abeilles , au milieu de cette obscurité et de cette tranquillité, étant engourdies par le froid, se plongent dans un assoupissement qui les met dans le cas de n'avoir besoin de rien ; et alors, plus elles restent dans cet état, moins elles con- somment de provisions. Nous ne craignons point d'avancer qu'une ruche forte et bien peuplée , qui pourroit à peine vivre avec douze ou quinze livres de miel , d'a- près la méthode ordinaire qui laisse aux abeilles la liberté de sortir et de rentrer dans les belles journées d'hiver , n'en consommeroit certaine- ment pas plus de cinq ou six livres, si elle étoit gouvernée comme nous venons de l'expliquer. Tout cela se trouve confirmé par M. Du- carne , qui assure avoir eu des ruches très- 414 Traitécomplet foi tes , qui , dans un hiver très-rigoureux , avoient à peine dépense deux livres de miel. L'utilité de notre méthode de gouverner les abeilles pendant l'hiver , est constatée par l'ex- périence de tous les pays du nord , tels que la Suède , laKussie , la Pologne, etc. où elles résis- tent très- bien aux froids les pins excessifs. Les sauvages mêmes qui vivent dans le creux des arbres , au milieu des forêts, n'v succo:iiî)ent pas , s'il en faut croire des personnes dignes de foi. On ne voit point dans ces pays septen- trionaux la destruction des ruches qui désolent les cultivateurs en France , et qui n'y provient ordinairement que du défaut de nourriture. Dans le nord , le degré violent du -froid et sa continuité tiennent les abeilles dans l'engour- dissement , et les empêchent d'achever leur pro- vision pendant l'hiver , quelque long qu'il soit ; de sorte que celle qu'elles ne consomment pas dans les mauvais temps, elles la retrouvent au commencement de la belle saison, et échappent ainsi au lléau de la disette. En France au contraire où le climat est variable et moins' rigide, et où les belles journées sont plus fréquentes, les mou- ches ne restent pas si long temps assoupies ; elles SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. XL 416 consomment leurs provisions sans mesure et sans économie; elles en manquent bientôt, et elles périssent. Voilà ce qui constitue la différence de la cul- ture des abeilles des pays septentrionaux , avec celle des p^js du midi , et même de ceux qui sont situés entre eux, tels que la plupart des pro- vinces de France. Dans le nord , cette méthode n'est donc pas né- cessaire pour ménager aux abeilles leur nour- riture ; elles n'ont besoin que d'être renfermées, pour éviter la rigueur extrême des hivers. Dans les pays du midi , comme ils ne sont pas de longue durée ,et que les campagnes peuvent fournir long-temps de la pâture aux abeilles, la disette .s'y fait sentir rarement, et elles n'y sont pas si fréquemment exposées; mais elles éprouvent d'autres accidens qui ne leur sont guère moins funestes , lorsqu'elles sont libres de sortir pendant l'hiver. Le tort que leur fait cette liberté est inconcevable. Le froid et les vents en font périr un si grand nombre, qu'il n'en reste pas quelquefois le tiers au printems. La méthode de les renfermer pendant quelques mois d'hiver, telle que je la prescris , ne peut donc être que très- utile. Je ne parle pas des pays de la zone torride, 4i6 Traité complet et de ceux où l'hiver ne se fait jamais sentir aux abeilles qui y travaillent toute l'année , ainsi que nous l'avons dit ailleurs , en parlant de celles de Cuba. Dans les contrées où la campagne leur re- fuse toute espèce de nourriture pendant cinq , six et sept mois, mais où les froids ne sont pas assez constamment rigoureux pour les tenir pendant ce temps dans l'assoupissement , ma méthode doit être employée. Il n'est pas possible d'expliquer autrement son utilité , que par l'assoupissement où elles doi- vent tomber quand le froid les saisit. Dans cet assoupissement qu'on ne peut pas con- tester, l'inaction et le repos des abeilles doivent les mettre dans le cas de n'avoir besoin d'aucun aliment ; ou si elles en prennent , ce ne peut être que très-rarement et en petite quantité. On ne doit pas s'étonner que dans leur inaction, elles consomment très-peu de vivres , puisque telle est la nature el^la constitution de tout animal , et même de l'homme. Mais que cet engourdissement jouisse se sup- poser chez les abeilles, on le prouve par l'exem- ple de plusieurs autres insectes qui passent tout l'hiver dans cette léthargie , sans rien prendre et sans SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. XI. 417 les fourmis , au rapport de Géer , clans ses Mé- moires sur les insectes , dise. 3 , p. 64, t. s. « Les fourmis , dit-il, qui vivent , de même que les abeilles, en compagnie , ont été dans la réputation de faire des provisions de vivres pour l'hiver , mais c'est une erreur ; elles ne mangent point pendant l'hiver; elles n'ont pas même alors besoin de prendre de la nourriture, parce que le froid les tient comme engourdies. C'est en été que les fourmis travaillent à cher- cher des alimens , tant pour elles-mêmes que pour leurs larves , incapables de s'en pourvoie elles-mêmes : les fourmis sont donc toujours des insectes très-laborieux de plus d'une façon , quoiqu'elles ne se fassent point de provisions de vivres pour l'hiver, et le sage a toujours raison de renvoyer le paresseux à la fourmi. » L'opinion de M. Géer est d'autant plus pro- bable , que les provisions des fourmis ne peu- vent pas se conserver pendant l'hiver. Nous avons observé Iplusieurs fois dans le Levant, qu'elles exposoient leurs grains à l'air , à la suite d'une grosse pluie d'été , pour les sécher et les préserver de la pourriture ; ce que ne pouvant faire l'hiver , on doit en conclure cjue pendant cette saison elles ne prennent aucune nourriture, et restent dans l'engourdissement. Tome I. D d 4i8 Traitécomplet M. Ducarne ne reconnoît d'autre avantage à soulever les ruches , et à leur donner de l'air pendant l'iiiver, que celui d'empêcher l'infec- tion d'en gagner l'intérieur : cela est d'autant plus vrai , qu'il n'att^nbue en général la morta- lité des abeilles, pendant les longs hivers, qu'à l'humidité et à l'infection qui les attaque. Ce- pendant j'ai fait voir dans le chapitre où nous avons traité de la cause qui en fait périr un si grand nombre en France , que cela n'avoit pas lieu; que l'infection, sur-tout pendant les froids de l'hiver, étoit ce qui entroit le moins dans les causes de leur perte , et que la disette de vivres en étoit la principale et presque la seule. On demandera sans doute pourquoi les ru- ches les plus fortes et les plus })euplées , sont, quelquefois les plus exposées à périr , puisqu'une ruche forte et bien peuplée est ordinairement mieux fournie en provisions, qu'une ruche foible en population : c'est qu'une provision de miel, si forte qu'elle soit , devient insuffisante eu égard à cette population. D'ailleurs , l'air d'une forte ruche , libre et exposée à recevoir toutes les im- pressions d'un air froid et les chaleurs d'un beau soleil , étant plus tempéré , à cause de la grande quantité d'abeilles qu'elle renferme , ces abeilles SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. XL 419 sont plus souvent en mouvement, moins sujettes à l'assoupissement , et consomment une plus grande quantité de provisions. Les ruches moins peuplées et plusfoibles, se trouvant au contraire dans un air plus froid, qui les oblige à se res- serrer et à faire moins d'exercice , consomment inoins. Leur foiblesse les rend plus timides , les empêche de sortir de leur ruche à la moindre ap- ^ parencede beau temps; au lieu que les ruches for- tes sont plus vigoureuses , plus alertes et plus hardies, à proportion de leur population. Elles bravent tous les dangers ; elles sortent et ren- trent aux premiers rayons du soleil ; elles doivent donc consommer davantage : aussi cette popula- tion , qui sembloit devoir produire le meilleur effet pour le bien - être des essaims , et pour l'avantage des propriétaires , se trouve souvent opérer la ruine des uns et des autres, et cela par la liberté pernicieuse accordée aux abeilles pendant les mauvais temps d'hiver. C'est ce que nous avons pii prcjDoser de mieux aux cultivateurs de ces insectes , pour arrêter le ravage qui met si souvent la désolation dans leurs ruches, et qui leur occasionne tant de per- tes et de chagrins. S'ils font usage de cette pra- tique, ils en retireront de grands avantages. D d ij 420 Traité complet Nous devrions expliquer ici la manière la plus propre cPexécuter tout ce que nous venons de dire sur la méthode de renfermer les ruches; mais, pour que les lecteurs puissent mieux saisir ce que nous proposerons à ce sujet , nous n'en parlerons qu'après avoir traité de ce qui re- garde nos ruches , et de l'usage qu'on peut en faire en France. Nous nous sommes suffisamment étendus sur la mortalité accidentelle des abeilles, c'est-à- dire , sur celle que des causes indépendantes de notre volonté peuvent leur occasionner, et sur la manière d'y remédier. A l'égard de celle que plusieurs propriétaires , guidés par de faux rai- sonnemens , leur procurentsouvent par une avi- dité mal-entendue, et en s'appropriant leurs provi - fiions , nous eu parlerons dans le chapitre suivant. Une particularité que nous venons de lire dans l'encyclopédie méthodique, confirme ce que l'on a ava.ncé au commencement de ce chapitre; c'est d'éviter toute sorte de bruit autour des ruchers où les abeilles sont renfermées pendant l'hiver. « Les bords des chemins fréquentés ne conviennent pas poury placer un rucher, parce que les mouches éprouveroient un ébranlement qui les révcilleroit trop tôt de l'engourdisbe- SUR LES ABEILLES. LiV. î. CHy\P. XII. 42Î ment où elles doivent être pendant cette saison.» Ce réveil en effet seroit funeste aux abeilles, puisqu'il leur feiK)itcûnsomnier une plus grande quantité de vivres. " ' ■ ' - ■ - - ■• • CHAPITRE XI 1. Est-il plus avantageux de faire périr les abeilles^ pour retirer des ruches le miel et la cire _, ou de se servir y pour y parvenir , de tout autre jnoj-en? Détail de ce fpi'oii a fait Jusfju'à présent. J_i A question la plus importante et la plus sé- rieuse de toutes celles qui sont relatives au gou- vernement des abeilles, celle qui mérite le plus ^attention des amateurs, c'est de savoir ce qui vaut mieux , ou de faire périr tous les ans les abeilles d'une certaine quantité de ruches pour en- tirer le miel ou la cire, ou d'en faire la ré- colte sans les détruire. Tous les modernes, suivantM.La Grenée , sont de ce dernier sentiment ; ils fulminent contre l'usage contraire, qui , selon eux , a mis la cherté et la disette dans tous les pays où on l'a suivi : ils le traitent de cruel et de barbare ; ils regar- D d iij 422 Traité complet dent comme des assassins publics ceux qui le sui- vent. La manière dont M. -Ducarne attaque ceux qui sont dans l'usage de les faire périr , est remar- Cjuable et mérite d'être rapportée.Voici ses ter- mes, page 29 de la seconde partie. « On a déjà « fait, avec raison, les portraits les plus affreux « de ces destructeurs ; on implore contre eux « le secours et la rigueur des lois ; on les cite « dans tous les tribunaux ; on rappelle même « avec complaisance une loi d'un grand-duc de «Toscane, qui défend , sous des peines très- « rigoureuses, de faire périr violemment les « abeilles ; on forme des vœux pour que cette « ordonnance soit renouvellée de nos jours , et «maintenue par- tout avec rigueur. » On ne pourroit parler avec plus d'énergie contre des tjrans, contre les oppresseurs de l'humanité. La manière dont se sont conduits à cet égard les anciens et les modernes jusqu'à présent , est détaillée par M. La Grenée qui en donne un extrait si instructif que je ne puis m'empêcher de le rapporter. « Caton le censeur, dit-il, qui « a écrit sur les matières rurales, et qui est mort « 148 ans avant Jesus-Christ , ne })arle point des 4* abeilles; ainsi il paroît que de son temps « elles n'étoient pas mises au rang des profit;» SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. XII. 42-3 « champêtres, ou que la modicité de leur pio- « duit les lui a fait passer sous silence. » « Le savant Varron , qui écrivoit sur les mêmes « matières i23 ans après Caton , est le premier «dont les écrits parlent d'abeilles, et, ce qui «nous intéresse davantage pour le moment, « sur la manière qui étoit en usage de son temps « de récolter le miel. Il dit qu'il y avoit deux i» façons de procéder; la première, enchangeant « les mouches de paniers ; et la seconde, en les « dégraissant. Varr. lib. cap. i6. » '< A l'égard du détail de ces opérations, il « n'en donne aucun : il parle seulement de « quelv|ues précautions qu'il est nécessaire de « prendre dans ces occasions, savoir; pour les «abeilles qu'on transvase, de frotter la nou- « velle ruche avec de la mélisse, parce qu'elle « les attire , et de mettre en dedans , près de « l'entrée , quelques rayons de miel , de peur « que si elles venoicnt à s'appercevoir qu'il n'y ♦» en eût point, elles ne regrettassent leur an- « cienne demeure. » «Et pour celles que l'on dégraisse, que le « sentiment de plusieurs est qu'on doit leur re- « tirer les neuf dixièmes de leur miel , parce que «si on le leur retiroit en entier, elles aban- Ddiv 424 Trait f: complet « donneroient leurs luches; qu'il est d'autres « personcs qui estiment qu'ori leur en doit laisser « davanta^^e. » « Ces méthodes au reste ne rapportoient pas « vraisemblablement beaucoup de fruit, car de « son temps le miel étoit fort rare, puisque l'on « n'en faisoit usa^e que dans les sacrifices, « et que l'on n'en servoit que sur les tables des « ricbes au premier et au second services. » « Columelle , qui vivoit l'an de Jésus-Christ *< 43, ne parle point de changement des abeilles «en paniers, mais seulement du déi^raissage- n sur lequel il s'étend plus que Varron. Mais « il faut avouer, de bonne foi, que ce qu'il en » dit est fort obscur, pour un lecteur qui « réfléchit sur les difficultés et les inconvéniens << considérables qui résultent des opérations qu'il » propose. » «: Au reste ces deux auteurs ne parlent point « de la méthode de faire })érir les abeilles pour « avoir leur miel ; c'est une preuve qu'elle n'étoit « point encore en usage de leur temps, autre- « ment ils l'auroient fait en bien ou en mal. » *< La méthode de transvaser les abeilles , pa- « roît donc avoir été la première inventée pour « récolter le mielj car pour la cire, on la re- SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChaP. Xlf. 4.I0 « gardoit anciennement comme un objet de peu « de valeur, qui n'étoit cependant pas à négli- *< i^er. . . .f rue tus cjuamvis œris exigui , non la- « jjien emitttndus est. Colum. 1. 9. cap. 16. Mais « les grand inccînvéniens auxquels cette manière « de récolter est sujette , et .principalement celui if dont parle Varron , d'être une occasion aux « abeilles d'abandonner la nouvelle ruche si, ce «qui n'y remédie guère, on n'y apporte les « précautions dont nous avons parlé plus haut ; « ces inconvéniens , disons-nous , nous firent subs- «r tituer, avec le temps , la méthode des les dé- « graisser. Pour j parvenir on inventa les ruches «dont parle Columelle, qui s'ouvroient par « derrière et par dessus. » « Enfin cette seconde méthode ne répondant *: point encore à l'aitente de certains proprié- i< taires, par le peu de fruit qu'elle rapportoit, « on imagina, pour dernière ressource, de faire « périr les ruches dont on vouloit s'approprier « les provisions. « « Commeles usages bons ou mauvais , une fois « reçus, ont toujours des partisans qui les per- « pétuent de génération en génération , ces trois n manières de récolter ont toujours subsisté « jusqu'à présent. Ceux qui s'en tiennent aux > 4^,6 Traité complet « deux premières, ne le font vraisemblablement « que par commisération pour ces chainians «insectes, auxquels ils croient devoir sacrifier « leurs intérêts; mais ceux qui adoptent la der- « nière, ne la tiennent certain|||ient, que parce « qu'ils la regardent comme un mojen sûr d'en « tirer plus de profit tant en miel qu'en cire.» Si ceux qui sont d'avis de conserver les abeilles n'avoient d'autres motifs pour appuyer leurs raisonnemens que leur compassion pour ces in- secte§j il est certain qu'ils se rendroient ridi- cules aux yeux des personnes raisonnables; car si cette com])assion avoit lieu pour les abeilles, si elle suffisoit pour condamner la coutume de les faire périr , comment justifieroit-on celle de tuer les bœufs, les moutons , et les autres ani- maux domestiques, qui , après avoir rendu les plus grands services, sont sacrifiés pour nous servir d'aliment, ou pour notre profit? Le Maître Suprême de l'univers a créé tout ce (jui est sur la terre pour les besoins de l'homme; il a sou- mis tous les animaux à son domaine : ainsi il faut céder à l'ordre établi, et croire que ceux qui insistent pour la conservation des abeilles, se fondent sur d'autres motifs plus solides que cette compassion. SUR LES ABEILLES. LiV. I. ClL\r. XII. 427 La manière de récolter le miel des abeilles en les détruisant, est encore en usage dans plu- sieurs parties de la France, en Italie et ailleurs. Ranconi , dans son dictionnaire sur l'agriculture italienne, dit que cet usage est abusif, en ce qu'il tend à détruire l'espèce de ces animaux si intéressans par leur ingénieuse industrie. Contardi , dans sa ,82^ note , dit aussi que cet usage de tuer les abeilles tous les deux ou trois ans , vient de ce que les ruches de son pays sont trop petites : on les fait ainsi , parce qu'on est dans l'intention au bout de quelques années de les détruire pour s'approprier leurs provisions. Malgré l'autorité de tous leS auteurs , M. La Grenée qui le dernier a écrit en France sur cette matière , se déclare avec beaucoup de force pour la méthode de faire périr tous les ans une partie des ruche»: Les raisons sur lesquelles il fonde son opi- nion se réduisent à deux chefs; l'un , le plus grand profit des propriétaires; l'autre, le plus grand avantage pour la prospérité de l'espèce. Je rap- porterai les propres termes de l'auteur , ce qui occupera deux chapitres ; mais j'espère que le lecteur me le [^ardonnera^ en faveur d'une dis- cussion qui (orme la base de l'économie des 4^8 Traité complet abeilles, et d'oii dcpend leur bon i^oiïvernement. Je (lois citer dautant plus volontiers tout ce que dit M. La Grenée à cette occasion, que ses raisonnemens même démontreront la néces- sité d'adopter notre forme de rucbes : on verra que notre manière de les disposer doit nous fournir des moyens faciles pour en tirer leurs provisions; nous serons convaincus aussi de la nécessité de faire hiverner toutes les rucbes , et sur-tout celles que l'on déi>raisse , pour les pré- server de la disette. Je préviens que l'examen des motifs des deux parties, et particulièrement de ceux de M. La Grenée , est plus important à discuter qu'on ne Tecroiroit peut-être au premier apperçu. CHAPITRE XIIL Motifs en faveur du système défaire périr les abeilles pouf tirer leurs pro\nsio'is , fondés sur ce que cette pratique est de la plus grande utilité aux Propriétaires. ** Je m'attens bien, c'est ainsi que M. La Grenée enUe en question, que plusieurs pratiques que SUR LES ABEILLES. LlV. I. ChAP. IV". 42.9 j'adopte dans cet ouvrage, ne seront pas du goût des auteurs dont je parle , et particuliè- rement celle de faire périr tous les ans une certaine quantité de paniers, pour en retirer le miel et la cire. » « Mais que ces personnes ne s'imaginent pas que si j'ai adopté cette manière de récolter, ce soit parce que je suis prévenu contre les raisons qui pourroient me la faire rejetter. Non , j'ai lu scrupuleusement tous les écrits que j'ai pu avoir qui en traitent; je lésai pesés avec attention; j'ai pu en outre essayer de mettre en pratique la plupart des conseils qu^ l'on y donne; mais ni livres, ni expérience n'ont pu me persuader que les manières d'opérer que l'on y expose, fussent préférables à celles pour lesquelles je me déclare. « Voici les raisons sur lesquelles je me fonde. De quoi est-il finalement question entre ceux qui agitent cette matière? c'est de procurer au ro3 aume une abondance de cire et de miel qui n'y est pas; et au propriétaire d'abeilles, un bénéfice actuel ©insuffisant pour l'engager à faire les avances et à se donner les peines né- cessaires pour se pourvoir d'abeilJes et les gou- verner. » 43o Traité complet « Pour parvenir à ces deux fins , on s'est ima- giné qu'il ne s'agissoit que de persuader à ceux; qui ont des abeilles, de n'en jamais faire périr, et de se contenter, ou de les changer de panier, ou de partager avec elles leurs provisions; ce qu'on appelle châtrer ou dégraisser. » « Mais comme on a éprouvé qu'il n'est ni aisé, ni utile de mettre ces deux méthodes en usage, il n'est pas croyable quels efforts on a faits de- puis quelques années , pour trouver des moyens propres à récolter le miel et la cire, sans faire périr les mouches. » « Je vais donc montrer, le plus brièvement q\\'ï\ me sera possible, que ces auteurs se trom- pent beaucoup, s'ils espèrent, par les pratiques qu'ils ont inventées , satisfaire également le public par l'abondance, et le particulier par un profit raisonnable. » « Séduit par l'attrait de la nouveauté, qui que ce soit n'a pensé à prendre en main la cause que je défens : c'est pourquoi, sans cesser detre court, comme je viens de le promettre, je le ferai valoir de mon mieux. J'entre en matière. » « Pour changer les mouches de panier, il faut s'y prendre deux ou trois jours au plus après la sortie du premier essaim, afin Cj[u'elles aient SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChAP. XIII. 481 le temps de s'approvisionner dans leur nouvelle demeure. Or quelle quantité de miel trouvera- t-on alors , même dans les plus fortes ruches? dix ou douze livres, peut-être moins. Peut-on la comparer à ce qu'on y eût trouvé^ à la fin d'août, lorsque la provision est faite pour l'hiver , laquelle monte à trente , quarante , cinquante livres , et quelquefois plus ? » « Si vous me répondez qu'au moins vous avez conservé les mouches ; je veux bien en con- venir, au cas que l'opération ait réussi, ( car il ne faut pas se dissimuler qu'elle manque souvent, et qu'il est très-ordinaire, sur dix ru- ches ainsi transvasées, d'en voir périr huit ou neuf) mais il faut aussi que vous avouiez que vous avez fait périr un second essaim prêt à partir, et peut-être le couvain d'un troisième, et que ces deux essaims réunis auroient fait ime ruche sûrement meilleure, c|ue celle que vont composer vos abeilles de ménage. Mais calculons le produit de cette méthode , et com- parons-le avec celui de celle que j'adopte. Posons pour cela qu'un propriétaire ait dix ruches. Selon votre système, elles lui fourniront douze livres de miel chacune , ce qui fait cent vingt livres ; et il lui restera vini> t ruches , dix vieilles et dix 432 Traité complet jeunes: c'est-à-dire , qTi'il aura recneilll pour6o francs de miel , en l'évaluant à dix sols la livre, et qu'il aura pour 200 francs de ruches à lo i francs pièce, ce qui fait en total 2,00 francs. « Selon ma méthode, dix ruches lui donneront trente livres dç miel chacune, ce qui fait 3oo livres; et il aura douze jeunes ruches , savoir, dix composées des premiers essain^s, et deux des seconds et troisièmes: c'est-à-dire, qu'il aura recueilli pour 100 francs de miel , et qu'il lui res- tera pour 1^0 francs de ruches; ce qui. fait en to- tal 270 francs. On s'apperçoit sans doute que c'est pour faciliter le calcul , que je sup].x)se que les ruches donnent tous les ans chacune un essaim. » « Quoique ces deux sortes de profit, tant en miel qu'en ruches, évalué ainsi en arij,ent , sem- blent revenir , poiu' les deux propriétaires , à peu de chose près à la même somme , il faut y remarquer une différence considérable ; cardans la première supposition , le public ne profite que de 120 livres de miel pour sa consomma- tion, et le propriétaire n'a touché que 60 francs d'argent; au lieu que dans la seconde , le public a eu 3oo livres de miel, et le propriétaire à emboursé i5o francs. » « Et qu'on ne vienne pas dire que dans les années SUR LES ABEILLES. LiV. L ChAP. XIII. 488 années suivantes , le bénéfice du premier pro- priétaire, par la grande multiplication de ses ruches, passera de beaucoup celui du second; ce seroit dissimuler volontairement et en pure perte, les mortalités fréquentes et presque gé- nérales qu'occasionne cette méthode de changer les abeilles de paniers, lesquelles réduiront in- dubitablement tous les ans le grand nombre de ruches du premier propriétaire à une quantité au dessous de celle demeurée à son confrère ; de sorte que l'on peut être assuré que les béné- fices annuels du premier , loin d'être plus con- sidérables que ceux du second, seront toujours beaucoup inférieurs. » « Cette méthode de changer les niches dé pa- niers, après la sortie du premier essaim , n'est donc d'aucun avantage ni pour le public, ni pour le propriétaire. Nous allons voir maintenant si ceux qui se contentent de les châtrer ou dé- graisser ont mieux rencontré. » « Il y a deux manières de le faire : l'une , pour les ruches qui sont construites en forme de cloches, telles que celles dont on se sert aux environs de Paris et ailleurs; l'autre, pour les abeilles qui habitent des ruches de bois ou de paille. Ces ruches de nouvelle invention , sont Tome I, Ee 484 Traité complet composées de plusieurs étages ou hausses , sans fond, ou avec des fonds percés, pour qu'il y ait communication de fun à l'autre. Il est de fait que les mouches commencent toujours par remplir l'étage ou hausse de dessus, où on les a d'abord mises, etqu'ensuite elles descendent dans celui de dessous pour continuer leur travail. Quand ou veut récolter, on leur ôte un ou deux étages supérieurs, lorsqu'ils sont pleins, en coupant les communications avec un laiton , comme on le fait pour couper le beurre en motte; puis on couvre l'ouverture de la hausse restante, en sorte qu'on ôte facilement aux mouches leurs provisions, sans, dit -on, en quelque sorte, qu'elles s'en apperçoivent. » « Quant aux ruches faites en forme de cloches, tout le monde sait que le magazin à miel étant situé principalement dans le fond de la ruche > les trois traverses , absolument nécessaires pour soutenir l'ouvrage des mouches , sont un obs- tacle insurmontable à l'extraction des rayons qni le contiennent. » « Proposera -t-on d'oter ces traverses? ce ne peut être qu'avec des tenailles; et pour cela, il faut manier la ruche à son aise, et la tourner en diiîérens sens. Que fera-t-on si les bouts de SLR LES ABEILLES. LiV. I. ChAF. XIII. 435 ces traverses ne donnent pas de prise ? Ensuite il faut les remettre dans leur place. Or, qui ne sent que cette opération ne peut se faire sans agiter horriblement les abeilles, au point qu'il n'en réchapperoit pas une? la moitié périroit par les piqûres qu'elles n'épargneroient pas à celui qui les tourmenteroit ainsi, en dépit de toutes les fumigations, et le reste par le miel qui les englueroit. Je me souviendrai toujours d'avoir eu une peine extrême à retirer les rayons chargés de miel d'une ruche, dont les abeilles avoient été étouffées , par la seule raison que les traverses n'en avoient pu être retirées. Que seroit-ce donc si l'on étoit troublé dans son opé- ration par quinze ou vingt mille mouches qui toutes portent l'épée , et se défendent en déses- pérées ? Enfin pour peu qu'on ait d'habitude avec les abeilles, il est aisé de voir que cette manière de récolter est impraticable et infructueuse. » «Pour ce qui est des abeilles qui habitent des ruches de bois ou de paille à divers étages ou hausses amovibles , comme plusieurs auteurs conseillent d'en avoir, j'accorde volontiers que la récolte s'y fait plus facilement que dans les autres. Mais le propriétaire est-il maître de ne retirer de ces ruches que la quantité de provi- E e ij 43(5 Traité complet sions cjii'il juge convenable pour son avantage et celui (le ses mouches? non assurément. Car si les hausses sont minces, et si , dans la crainte de préjudicier aux abeilles, il ne leur retire que peu de provisions, sera-ce son bénéfice? Si les hausses sont épaisses , et que la supérieure contienne tout ou presque tout le miel, en la supprimant, il ne laissera que peu ou point de provisions aux mouches, et elles périront in- failliblement riijver suivant. » « Si , pour éviter ce malheur, il entreprend de les nourrir, il sera donc dans la nécessité de leur rendre le miel qu'il leur a pris , et dont il crovoit faire son profit. S'il ne leur en remet pas à temps , ou en suffisante quantité ; si les abeilles, qui ne vivent pas seulement de miel, mais encore de matière à cire, comme cela est plus probable , il se trouve dans l'impuissance de leur en donner; ou enfin si ces ruches ainsi nourries, échappées à la faim, périssent j)ar les pillages qu'occasionnent fréquemment ces nour- ritures artificielles, ou en sera logé le pauvre propriétaire ? » «Je sais que nos auteurs, prétendant donner des remèdes à tous ces maux, accumulent rè- gles sur règles, soit pour le temps de tailler SLR LES ABEILLES. LiV.I. ChAP. XIII. 487 les fortes niches ( sur quoi il n'y a encore rien de certain, les sentimens étant partagés) soit sur la manière de nourrir les foibles, et qu'enfin ils recommandent de mettre force bar- ricades à l'entrée de ces dernières , pour en éviter les pillages. Mais comment faire entrer dans l'esprit d'un paysan, la plupart du temps gros- sier, tout ce code de lois, qui forme à peine quelque cliose de net pour une personnne at- tentive et réfléchissante?» « Voilà en peu de mots le détail de ce qui a été imaginé , pour, dit-on , ôter facilement aux mouches leurs provisions sans les faire périr. Il est visible C[ue ces différentes méthodes ne parent pas aux deux principaux inconvéniens qu'il est question d'éviter : l'un, d'occasionner la perte entière des ruches pendant Fhiver, si on leur retire beaucoup de provision ; l'autre , de ne procurer aucune abondance au public, et presque point de profit au propriétaire, si on leur en retire peu. » r. e iJj 438 Traité complet C H A P ï 7^ R E XIV. \A litres motifs en faveur dinnêmesjslême ,'j on- des sur ce que ce sj-slêrne est le plus avan- tageux pour la prospérité des abeilles. « Cl OMME je crois avoir suffisamment prouvé , et dans la préf^ice de cet ouvra<^e , et dans l'addition (i) qui précède ces réflexions, que ]a méthode de ceux-ci est efléctivement Ja plus avantageuse pour la récolte du miel et de la cire, je vais maintenant faire voir qu'elle est de même beaucoup plus favorable à la multi- plication des abeilles. Cette assertion j)aroîtra sans doute au premier abord un paradoxe; mais j'espère que la preuve que j'en vais donner , ne la fera pas toujours regarder comme telle. » « On ne peut disconvenir que la multiplication des ruches ne dépende absolument de leur lorce , et de leur embonpoint : que lorqu'elles sont privées de cet avantage, ou elles n'essaiment i (i) C'est ce que j'ai rapporté dans le clinpitre précé- dent. J SUR LES ACLILLES. LîV. I. ChAP. XIV. 48^ point, ou elles donnent des essaims très-foi blés, c|ui sont plusieurs années à prendre leur crois- sance , s'ils ne périssent en chemin. » «f Or il est certain que le dégraissage des ru- ches ne peut se faire sans altéi'er considérable- ment leur santé , et qu'il les réduit à un état de foiblesse qui leur fait retenir à la maison les essaims qu'elles enverroient dehors, si elles éîoient suffisamment fortes. Tout cet ouvrage prouve , en effet, que ce que Columelle et ceux qui l'ont pris pour guide attribuent aux ma- ladies , auxquelles ils disent que les abeilles sont souvent sujettes, ne doit l'être qu'à ces dégraissages, et aux nourritures qu'ils mettent dans l'obligation de leur fournir pendant l'hiver, lesquelles n'étant pas de leur goût, ne peuvent leur tenir lieu de celles qu'elles amassent elles- mêmes. » * Donc l'usage de dégraisser les ruches étant visiblement un principe certain et perpétuel de foiblesse pour elles, doit, par une consé- quence nécessaire , être regardé comme un très- grand obstacle à leur multiplication. Je crois cpi'on auroit de la peine à répondre à ce syl- logisme. » « Les spéculateurs d'aujourd'hui , qui s'é- E e iv 440 Traité co^î^LET puisent à chercher de nouvelles constructions rie luchespropresà châtrer plus facilement les abeil- les , semblent donc vouloir nous ramènera la mé^ thode des anciens. Mais si leurs nouvelles in- ventions , loin de parer aux inconvéniens des anciennes, les augmentent, par la t'acililé qu'elles donnent de pouvoir alïbiblir à son aise les mouches, et avec moins de danger d'en être vexé, elles sont plus préjudiciables qu'utiles, et il est à désirer que les gens de campagne ne les adoptent pas. Heureusement leur cherté est seule capable de les en détourner. » « Les inconvéniens qui naissentdu dégraissage des ruches, ne se trouvent point dans celles que Ton exempte de cette opération. Parmi ces der- nières, celles que l'on dépouille rpii sont toujours les plus anciennes, sont pourvues d*une quantité de miel capable do contenter une personne raisonnable. On y recueille toute la cire qu'il est possible de tirer des ruches que l'on garde dix ans : ce n'est qu'après en avoir eu nombre d'essaims ])lus que suffisans, j)our les remjjlaccr, qu'on les sacrifie à l'intérêt particulier, et à la consommation publique. C'est ainsi que l'on tue un bœuf, après en avoir tiré pendant un temps les services qu'il étoit envahie de rendre. » SUR LES ABEILLES. LiV. I. ChaP. XIV. 441 « Quant aux jeunes ruches destinées à consti- tuer les fonds des propriétaires, si l'on a eu soin de les gouverner comme nous l'avons en- scigné , loin de &'aiTbiblir , elles se fortifient dans le court espace de quatorze à quinze mois , au point de pouvoir être elles-mêmes récoltées au bajit de ce temps , après avoir pourvu à leur prospérité. Elles ne souBient pas de la rigueur de l'hiver qu'elles ont à passer, à cause du grand nombre de mouclies dont elles sont composées, de la santé parfaite dont elles jouissent, et de l'abondance de provisions dont elles sont pour- vues pour cette saison. Elle sont hors des atteintes de l'espèce de chenilles dont nous avons parlé , laquelle leur est si préjudicia- ble, qu'elle seule est capable de leur faire dé- tester leur habitation, et est cause, comme dit Columeîle, qu'une ruche, quelque soin qu'on en ait, ne dure guères plus de dix ans. On ne les voit guères en proye aux maladies qui affligent celles qu'on dégraisse, lesquelles, je le répète, ne sont autre cîiose qu'un état de langueur et d'infirmité auquel ce dégraissage les réduit. Enfin les essaims qu'elles laissent pour leur succéder , sont d'une force et d'une vigueur proportionnées aux" leurs, » 44^ Traité complet L'augmentation du fond des ruches d'un jiro- priétaire ne dépciid donc ((ue de lui. (hi'il ' détruise chaque année deux ou trois anciennes ruches de moins qu'il n'aura recueilli de forts essaims, son Tond se trouvera augmenté tous les ans d'un jDareil nombre de vassaux. Cette méthode partiquée par un grand nombre de propriétaires par-tout le rojaume, formera en peu d'années une augmentation considérable de ruches. »