ST BQTRR ET D2T é mb + me memque TON & ROUNDS CO. TANICAL Books VIDENCE, R, I. tv NS! OH EX >, RÉ, » R M: tie ER WCibson-lnve û , r © > TRAITÉE D £ LA CH ATAIGNE, pre Par M. CPARMENTIER, Penfionnaire de l'Hôtel des Invalides ‘Cent Roule Membre " du Collège de Pharmacie de Paris, des Aca- démies des Sciences de Rouen & de Lyon, Honoraire de la Société Economique de Berne, Démonftrateur d'Hifoire Naturelle, & Apo- thicaire-Major de l’Armée du Roi. CA 2 LIBRARY NEW YORK A. BAS DI.AS BÔTAN:CAL G: A Ë RDEN, Et fe trouve A-PARIS; 1224 Moxory , Libraire de S. A. S. Ms le Prince De CONDÉ, rue & vis-à-vis l'ancienne Comédie Françoife, { , ’ Mr "D'E Ci :L'X XX, 1 1 “ ‘a Ha EURE b dv NA LAS 10 | 1On£ MAR 5 AVERTISSEMENT. Lioisous j'ai indiqué la manière de faire du pain dé Pommes de terre, j'offrois aux Habitans des campagnes une forme de. plus pour rendre l'aliment que ces ra- cines contiennent, plus fubftantiel & plus commode ; pour en prolonger la durée d’une récolte à l’autre, & les approprier encore à Ja nourriture ; foit qu’elles euffent été furprifes par la gelée ou par la ger- mination, foit qu’elles péchaffent du côté de la maturité. Avec ces intentions, je me croyois à l'abri d’une cenfure amère. Quelque inappréciablés que foient ces avantages dans un temps de difette, je n'ai pas été furpris de voir M. Linguet ridiculifer ma propofston! , puifque le meilleur des pains n'avoit-pu trouver grace auprès de lui, & qu’en général il s’étoit déclaré l’ennemi des farineux fermentés; mais je ne pouvois imaginer qu'en pré- fentant une arme redoutable contre le a 1] iy AVERTISSEMENT. monopole, & le moyen le plus affuré d’é- carter la famine de nos foyers, je dufle être taxé par ce célèbre Ecrivain de crime de léfe-humanité. | Cependant, li les détails qui précèdent ceux de la manipulation du pain de Pom- mes de terre, n'ont pas fufh pour me dif- culper d'une femblable accufation; fi les Annales politiques ont pu donner des im- preflions défavorables à l'égard du motif . de mon travail & de fes effets; on pourra confulter la Lettre de M. Tiflot, adreflée à M. Hirzel, Confeiller d'Etat de Zurich. L’Auteur y prouve que tous les maux que M. Linguet accumule fur l’exiftence du blé, ne font dus abfolument qu’à la na- ture des terrains, à leur mauvaife prépa- ration, à la manière peu économique de les enfemencer, & à l’inégale diftribution tant des récoltes, que de l’étendue de= champs exploités par le même agriculteu il démontre que les reproches faits a pan n'ont -aucun fondement ; qu'il ny pas d'aliment plus falubre, plus digeftible ; qu'enfin le blé & le pain ne font perni- AVERTISSEMENT. vw cieux ni du côté de la politique, ni du côté moral & phyfique. En effet, les louanges données de toutes parts au pain, le font resarder comme un bienfait accordé à la focicté. Le goût pour cet aliment eft celui que nous per- dons le dernier, & fon retour eft le figne le moins équivoque de la convalefcence ; il convient à tout âge & à toutes fortes de tempéramens; 1l corrige lesautres nourritu- res, & influe fur nos bonnes ou nos mauvai- fes digeftions ; il accompagne les mets de- puis le commencement jufqu’à la fin du re- pas ou frugal du pauvre , ou fomptueux du riche; enfin, il eft tellement propre à notre conflüitution, qu'a peine nous-ref- pirons , nous montrons déja pour lui une forte de prédile&tion, & qu’enfuite, dans le cours de la vie, nous ne nous en laflons jamais. : Ce font ces excellentes qualités recon- nues depuis tant de fiècles, & avouées par tous ceux auxquels le pain fert de nourri- ture fondamentale, qui m’avoient engagé à en développer tôus les avantages dans a 11} AVERTISSEMENT. un Mémoire deftiné d’abord à concourit pour le prix d'une de nos Académies , dont le fujet étoit d'indiquer l'aliment le plus analogue à l’efpèce humaine, Je ne doute plus maintenant que cet aliment n’exifte parmi les farineux, & que la pa- nification ne foit précifément le fecours que la'nature demandoit à l’art pour per- fettionner & accomplir fon ouvrage, de- puis, fur-tout, que M. Tiflot a ajouté fes lumières à mon idée, L'opinion d’un Savant qui a donné une multitude de preu- ves de fon attachement pour la conferva- tion, la fanté & le bonheur des Peuples; doit être du plus grand poids. Combien fe font trompés ceux qui ont cru que le grain , pour arriver à l’état de pain , avoit êté dénaturé dans fes proprié- tés alimentaires! Les Changemens fuccefffs qu'il a éprouvés depuis fon état naturel, ju{qu’à fa fermentation & fa cuiflon, font autant de pas faits vers la perfe@ion ; & s’il étoit poffible que le luxe eût influé fur cet objet, on pourroit dire que pour la premiere fois l'homme & la plante n'ont AVERTISSEMENT. vi rien perdu aux foins de cet ennemi de l’aifance. Il eft même démontré incontef- tablement que ia farine qui a acquis fous la forme panaire, du volume & du poids, a augmenté aufh d'un tiers, au moins, du côté de l'effet nutritif; ce qui doit fervir à compenfer les foins que demande le pain. L’art de le préparer eut des commence- mens fort groflers , ainfi que toutes les inventions humaines : jetons un coup d'œil fur ces nuances. | L'opinion la plus généralement adoptée, c’eft qu'on commença à manger les grains entiers & cruds, à l’inftar des autres vé- gétaux : on les ramollit enfuite dans l'eau par la cuiffon, & on en fit ufage comme nous faifons du riz; mais leur vifcofité & leur fadeur dans cet état, engagèrent à les foumettre à une torréfa&tion préäla- ble, qui les rendit plus légers & plus fa- pides. C’étoit déja quelque chofe : le broie- ment des dents, le mélange de la falive, n’en furent pas moins néceflaires On a penfé aux pilons & aux meules. Lesgrains perdirent alors l'écorce dont ils font re+ a iv vij AVERTISSEMENT, vètus ; plus purs & plus divifés, ils fervi- rent à former les gruaux, les bouillies, les pates , les galettes, toutes formes qui fou- Jlagèrent les inftrumens de la maftication. Mais l’induftrie fe perfeétionnant à mefure que la frugalité des premiers peuples dif- paroïloit, on entreprit quelques recher- ches pour améliorer ces diverfes prépa- rations du blé, qui, quoique déformé, combine avec l’eau, & cuit, n'offroit pas encore un aliment ni aflez commode, ni. aflez durable, ni affez ragoütant pour rem- plir toutes ces vues. Peut-être un morceau de pâte oublié, ou égaré, qu’une bonne ménagère n'aura pas voulu perdre, ayant préfenté, après la cuiflon , une galette plus fapide & plus légère que la bouillie, a con- _ duit naturellement à l’idée du levain. Que nous foyions redevables de la dé- couverte importante du levain au ha fard, ou que nous y ayions été amenés ü fenfiblement par le raifonnement & l’e' fervation , peu importe; c'eft toujours à l’époque de cette découverte qu'il faut faire remonter l'ancienneté du pain : jufr AVERTISSEMENT, 5% ques-là les grains ne fournifloient qu’un compofeé groflier , fans apparence & fans goût. Les Egyptiens, frappés des bonnes qualités du pain , femblent être les pre- miers qui érigerent fa fabrication en art; il fut cultivé avec fuccès dans la Grèce, & perfe&ionné par les Romans qui aban- donnèrent l’ufage de manger les farineux fous la forme de bouillie , dont ils étoient amateurs paffionnés, pour ne fe plus nourrir que de pain. La réputation de cet aliment fe répandit, & eft devenu le goût domi- nant, non-feulement de l’Europe entière, mais de beaucoup de contrées des autres parties du monde : on lui rend hommage dans tous les pays où les grains qui en tiennent lieu ne fauroient prendre fa forme, foit en le fervant fur les tables comme un mets délicat &°de fenfualité, foit en rap- prochant ces grains de la nature de notre “nent. Enfin, le pain, anfi que le blé, : connus de tous les Peuples induftrieux tivateurs. Voilà néanmoins que dans le dix-hui- tième fiécle, un feul homme emploie fon x AVERTISSEMENT, génie, fon favoir & fon éloquence, pour effayer de nous perfuader que le blé, dont les premiers cultivateurs ont été déifés, eff un préfent fait par la nature dans fa colère ; & que le pain, regardé par les Romains comme une de leur plus belle conquête, dont les fuccès fe foutiennent conftamment depuis une longue fuite d’an- nées , ne doit plus être confidéré que comme un poifon, une drogue meurtrière, auquel il faudra préférer ces galettes pla- tes, vifqueufes , lourdes & infipides, ou bien cette colle fatigante, indigefte & défagréable. Le pain, un poifonlent! Cette idée , à laquelle on a de la peine à fe fa- miliarifer, rappelle le bon mot de l’ingé- mieux Fontenelle , à qui on difoit que le café étoit auffi un sb lent : Oui, bien lent, répliqua - t-il, car il y a ie de quatre-vingts ans que j'en bois; il ne m'a pas encore tué. _ En exagérant les travaux, les gènes & la dépendance auxquels la culture du blé & la fabrication du pain nous aflujettiflent, M. Linguet félicite les Peuplesde fe nourrir AVERTISSEMENT. vwxj de préférence d'une bouillie mangeable fans apprét; comme fi cette préparation n’en exigeoit pas autant, pour le moins, que le pain, fans en réunir les avantages. Empruntons le pinceau délicat de M. Lin- guet pour les peindre. Quand le grain, deftiné à faire de la bouillie , eft rentre dans la grange, il faut le foumettre au fleau, &, par des-efforts violens, l’arracher de l’afle où la nature l’a renfermé ; employer le van & le crible pour le nettoyer, le porter au moulin , fe fervir du fecret fatal de le mou- dre, de le fafier, de le bluter. Enfin, la farine eff faite : vous croyez qu’il ne s’agit plus que de s’en nourrir; elle eft bien loin encore d'offrir un aliment : il faut la délayer. dans une marmite avec de l’eau ; y ajouter des affaifonnemens ; la placer fur le feu, & remuer fans difcontinuer pendant une heure : la plus légère inattention la gru- nelle ; trop de flamme lui communique an goût de fumée ; la chaleur trop vive du charbon la brûle, & lui donne une épaiffeur indigefte. Je fuppofe que ces accidens foient prévus &évités , la bouillie paroît fur xj AVERTISSEMENT. la table : ce n’eft pas une fubftance dorée à fa fuperficie, œilletée, blanche & flexible dans fon intérieur, qui affeéte agréablement tous les organes; c’eft une mañfe gluante, recouverte d’une pellicule ténace, d’un _blancterne, & exhalant l'odeur de la colle, qu'il ne faut pas différer d’avaler ; refroidie, elle eft trop épaife ; elle s’aigrit d’un repas à l'autre, & ne tarde pas même à pourrir. Telle eft la nourriture préférée par l’Auteur au pain, à cet aliment qu’un feul ouvrier peut préparer en deux heures pour les be- foins journaliers de quatre cents perfonnes ; qu'il eft poffible de porter par-tout & de con- fondre avec tout, fans courirles rifques d’en être jamais incommodé. On demande férieu- fement quel eft l'aliment aufli commode qu'on puifle fabriquer avec autant de facili- té, & qui foit moins coùteux que le pain ? Maintenant ; s'il s'agifloit de comparer les travaux qu’exige la culture du riz lui- même, cette plante prefque aquatique, avec ceux du blé, on verra que l'air & humidité fangeufe , au milieu defquels il germe, croit & mürit, ne refpecte pas AVERTISSEMENT. xij davantage fon organifation : il faut difpo- fer également la terre par les labours à recevoir le riz; à peine eft-il dépofé dans la cavité qui doit lui fervir de berceau , qu'il eft déja menacé par les animaux ; échappe-t-il à la rapine, les accidens & les maladies laffiègent de toutes parts; une furabondance de fuc nourricier le rouille ; une poufhère contagieufe le nielle; un coup de vent fait ployer la tige; les pluies accompagnées d’orages pendant la florai- fon , délayent & entraînent les pouffères fécondantes ; la grêle hache le pannicule , les plantes parafites l’énervent; enfin, pour abréger, l'attente du cultivateur de riz n’eff- elle pas auffi fouvent trompée que celle du laboureur , indépendamment des dangers réels auxquels le premier eft expofé? Mais revenons au pain. Si M. Linguet eut bien voulu entrer dans une boulangerie , pour voir & examiner le levain , il ne lui auroit pas donné les épi- thètes les plus extraordinaires ; il n’auroit certainement pas dit que c’eft une mzatière infeile ; que le pain eft une drogue dont la L xivy AVERTISSEMENT. corruption eft le premier élément que nous fommes obligés d'aliérer par un poi/on pour la rendre moins mal-faine; & en confultant quel- ques chimiftes, 1l n’auroït pas confondu le premier degré de la fermentation fpiri- tueufe, avec le dernier qui eff la putréfac- tion ; car on ne doit pas préfumer que fon animofité contre les farineux fermentés, s’étende jufques fur nos liqueurs vineufes, qui font précifément dans le même état que le levain, & qu'après avoir engage fes femblables à renoncer au pan , il leur con- feille enfuite de boire de préférence le moût , le jus de pomme , la décoétion d'orge. Il feroit injufte de prêter une pa- reille idée à un homme aufli éclairé. Tous les Médecins feront aufli obfervet à M. Linguet, que fans doute il a voulu par- ler des effets dangereux de la bouillie, & non du pain, lorfqu'il a dit que de toutes les ma- sières que l’eflomac de l’homme peut digérer fans fe détruire tout d'un coup , tln'y en a peut- étre point qui foit plus nuifible, d'une di- geftion plus laborieufe & plus accablante ; elle fait un fang épais qui circule avec peine, que AVERTISSEMENT. xv fe corrompt aifément. Ce font ces inconvé- niens que la bouillie occafonne réellement, qui ont donné lieu à tant de recherches pour en prévenir les fuites; mais, après bien des effais infru&tueux, on a fini par en profcrire l’ufage , aux enfans fur-tout, en le remplaçant par le pain fous la forme de panade , qui réufflit merveilleufement bien au premier âge & à la décrépitude. Les excès pour ou contre, ne devroient is fervir, dans aucun cas, pour pro- noncer fur les propriètés d’une fubftance quelconque. Il eft étonnant que M. Linguet s'en appuie pour inculper la falubrité du pain prisimmodérément, en citant, comme tant d’autres, cet aphorifme fi connu, fans rapporter un exemple, une obferva- tion, un fait qui atteftentque fi l'indigeftion du pain eft arrivée, elle ait produit-des effets auffi funeftes ; perfonne n’a même in- diqué l’Auteur d’où cette fentence a été tirée. M. Malouin, qui a fait beaucoup de recherches à ce fujet, convient même qu'elle ne fe rencontré dans aucun ou- vrage grec, latin & françois. Cet Acade- xvj AVERTISSEMENT. micien prétend que celui qui y adonné lieu, c'eft Avicennes, qui en parlant des pré- cautions que tout aliment exige pour en faire ufage fans danger , rapporte quelque chofe à peu près femblable. Suivant toute apparence, la confeétion du pain du temps: où vivoit ce Médecin Arabe, n’étoit pas au point de perfeétion ere a atteint de nos jours. D'ailleurs , le pain, au fortir du four, a encore quelques-uns des ca- ra@tères de la bouillie ; 1l eft collant & vifqueux; mangé chaud, il gonfle & fe di- gère moins aifément que quelque temps après la cuiffon. Mais M. Linguet n’a certainement pas été égaré fur la foi d'autrui, lorfqu'il a avancé que a multitude d’autres alimens dont les gens aifés fe gorgent parmi nous, eff une efpèce de contre-poifon qui afjoiblit les effets pernicieux du pain. Aucun ouvrage de Médecine n’a pu l'induire en erreur dans cette occafon : tous difent & prouvent le contraire. L’acide doux que les. farineux portent dans nos humeurs, empêche leur difpofition à la putréfation. Auxham & tant d’autres: - QE | \; y PSS L #2 1 * CEE PO ra > ñ à TR É UN | + CN : | | : AVERTISSEMENT. xvi d'autres Médecins de la même réputation affurent que c’eft au pain que nous avons Jobligation, fi l’'ufage de la viande n’occa- fionne pas de défordres dans l’économie animale: Enfin , comment eft:il permis de croire que M. Linguet ne met pas de fanatifme dans fon fyftème , & qu'il na pas pris à tâche de rendre le blé le plus mépri= fable des végétaux, lorfqu'il la qualifié de malheureufe petite produélion feptentrionale, qui femble appeler la faim au lieu de la chaffer, : . :.. dont l'épi contient plus de malheurs peut - être encore que de grains ? En Europe même, ajoute l’Auteur des Annales, dans une note, /a récolte du foin 6 la vendange font fignalées par des réjouif fances ; la moiffon ne left que par une morné 6 trifle pefanteur : dans les deux autres le manouvrier [ent qu’il amaffe. des richeffes & dans celle-ci ; qu'il fabrique des fers. Quelques reflexions fuffiront pour faire appercevoir que ces différens états dé- pendent de la nature des objets qu’on recueille , & non de l’idée qu’on s’en forme, b xvij AVERTISSEMENT. La trifteffle du manouvrier n’eft qu’ap- parente ; elle vient fouvent de la chaleur durant laquelle il fait la moiflon , du refpett qu'il porte à fa nourriture princi- pale, de fon attention à ne rien perdre, foit en fciant & en faufant la gerbe, foit en la mettant dans la voiture, car il fait que Je meilleur grain eft celui qui tombe fans ef- fort. Le faucheur eft plus difirait ; il court d'une extrémité à l’autre du pré, foule aux pieds l'herbe coupée, la retourne , la jette fans précaution dans la voiture, faute def- fus pour lentaffer , & n'a pas les mêmes craintes. Le vendangeur moins aifé, a l'air plus gai, la faifon de fon travail eft moins chaude , 1l n’a rien à redouter de la pluie & du brouillard: fi le raifin qu’il rapporte au prefloir, s’écrafe en chemin par les fecouffes de la hotte, c’eft autant de fait pour la cuve. Ainf, quand lutile eft à l'abri , on voit le moiflonneur fe livrer | également à l’agréable, annoncer par des bouquets , par des danfes , par des chants, {on alégrefle , & les préfens de Bacchus arrofer les dons de Cérés. Mais je n’a AVERTISSEMENT. xix pas envie de difcuter 1c1 les affertions que M. Linguet a répandues dans fa diatribe fur le bié & le pain; toutes les fois qu'on fuppofe de bonnes intentions à un Écri- vain de l’ordre de celui que je cite, on doit l’avertir, & non le critiquer. Les prés & les vignes que M. Linguet voudroit qu'on fubftituät aux champs de blé & de feigle , ne conviennent pas à tous les terrains , à toutes les ex- pofitions , à tous les climats; leurs ré- coltes font en outre expofées à plus d’ac- cidens que les grains ; & , comme l’obferve très-bien M. Tiflot , en fuppofant que le riz mérite les éloges que lAuteur des Annales lui prodigue, ileft très-effentiel d’en interdire la culture dans le Royaume, puifqu’il n’exifte pas de genre de produc- tions plus préjudiciable à la fanté & à la po- pulation. Un particulier avoit établi dans le Bugey des rizières ; elles occafionnerent tant de mortalités , qu'il fut obligé de s'évader pour fe fouftraire à la vengeance publique. On ne fauroit donc trop applau- dir à la fagefle éclairée du Confeil fou= bij xx AVERTISSEMENT, verain du Rouffllon, qui a défendu cette culture. | Tout le monde convient que le riz eff digne de notre admiration & de notre reconnoiflance, à caufe de la facilité qu’il a de fe conferver fans frais, de fupporter les plus longs trajets, & d'exiger peu d’apprèt: mais 1l s’en faut que l’expérience & lanalyfe ladmettent comme le plus fubflantiel des grains. Décompoté , il ne fournit pas autant de produits huileux & falins que le blé. L'’amidon ne s'y trouve pas plus abondant. Il ne possède point de matière glutineufe, & ne donne pas autant d'efprit ardent dans la chaudière du Bouilleur ; circonftances qui font la preuve la plus complette que le riz, fous le même poids & le même volume, ne renferme pas autant de matière nutritive que le blé, Il paroït même que fi les Peuples chez lefquels le riz tient lieu de pan, ne le rapprochoient pas de la na- ture de cet aliment, en le faifant feule- ment crever, ce grain fi intéreflant ne procureroit que les effets d’une bouillie , AVERTISSEMENT. xx qui raflafie beaucoup & nourrit peu ; deux effets qu'il faut bien diftinguer. Maäloré la certitude où je fuis que le blé eft le plus précieux des grains, & le pain qui en réfulte le meilleur de nos alimens, je ne me fuis jamais aveuglé au point de prétendre que ce foit la feule nourriture convenable à l’homme , & qu'il périroit fi une fois il en étoit privé. J’ai indiqué les grains qu'il falloit manger fous la forme de bouillie : tel eft par exemple le farrafin, que M. Linguet préfère encore au froment, quoique ce foit, après le millet, le moins riche en farine. Le projet de M. de Sully avoit été d'en profcrire la culture ; 1] l'eût exécuté , fi de fon temps la pornme de terre, qui vienttrés-bien dans les terres à blé noir , avoit été connue dans le royaume. Mais je ne plains ni ne félicite les Peuples qui peuvent ou ne peuvent pas fe nourrir de pain ; je déplore feulement les pays dont les Habitans font forcés de chercher leur fubfftance journa- lière dans une racine comme le magnoc ;, où l'aliment eft placé à à côté d’un poifon qui n'éft pas chimé érique, xxÿ AVERTISSEMENT. Je fuis donc bien éloigné de propofer aux Habitans des pays qui vivent de riz, de muillet, de châtaigne, &c. d’en pré- parer du pain; & à ceux qui ont beaucoup de pommes de terre, de renoncer à manger ces racines en nature. Qu'il me foit per- mis de rappeler le langage que j'ai tou- jours tenu aux Cultivateurs : Dix deorés de chaud & de froid ont [uffi fouvens pour anéantir votre provifion de lhiver en pommes de terre. Quand cet accident arrive, au lieu de vous abandonner à la douleur & au défefpoir , ou bien de courir les rifques de vous alimenter d'une fubflance nuif1ble 6 de mauvais goût, retirez de vos racines altérées la farine qu’elles renferment ; elle eft auffi faine & auffi nourriffante qu'avant la gelée 6 la germination. L'ufage des pommes de terre n’exclut pas celui d’un pain quel- conque , foit d'avoine, d’orge ou de far- rafin : ce pain efl toujours coûteux 6 mau- vais, Affociez-y la pulpe de pommes de terre pour un tiers OU POur u quart , VOUS vous procurerez aijément une nourriture plus abondante , plus agréable & plus économi- que, Enfin , n’avez-vous que des pommes de AVERTISSEMENT. xiÿ terre, confacrez-en une partie à la panifica- tion ; & l'autre, faites-la cuire dans l’eau & fous la cendre, ce fera le moyen de trouver dans le même végétal la bonne chère, du pain , & peut-être un jour la boiffon. Je nai jamais varié dans mon opinion à ce fujet. M. Linguet pourroit s’en aflurer en pre- nant la peine de parcourir mes Mémoires fur les alimens ; nulle part il ne verra l'emploi de mon temps & de mes foibles connoiffances fe diriger vers les recher- ches de rafinemens : le luxe de nos tables n’a rien gagné à mes expériences, & je ne crois pas qu'on y apprenne à perfec- tionner les bifcuits, les gâteaux & les crèmes. La nourriture principale du Peu- ple eft ma follicitude ; mon vœu, c’eft d'en améliorer la qualité & d’en diminuer le prix. Je ne puis , avant de finir, me difpenfer de raflurer ceux qui, s'étant laïflé fabjuguer par l'autorité de M. Linguet, pourroient craindre que la panification de la pomme de terre n’entrainàt les mêmes abus que le commerce des grains mal gouverné: ? xxiv AVERTISSEMENT. le volume de ces racines, leur mollefle, la trés-grande quantité d’eau qui en conftitue un des principes, empêcheront toujours qu'on en fafle de grands maga- fins. Les différentes vicifitudes de chaud & de froid les déteriorant en, peu de temps, il ne fera pas pofhble de les tranfporter au loin; il faudra donc les confommer fur les lieux comme les me- nus grains. Ainfi, pour nous fervir des exprefhons de M. Tiflot, la paruification de la pomme de terre ef fans danger ; elle ne rendra point ces racines inutiles; elle n'enfantera nt magafin , ni monopole , ni famine... Si, dans la grande abondance des pommes de terre, le Laboureur en prenoit du dépoût ; fr fes domefliques Je PACE qu'il ne leur donne rien autre, cl pourroit quelquefois faire du. pain, pour avoir cette diverfité qui plait à tous les ordres. Quelle autorité plus refpeétable pourrois-je citer en faveur de ma propofition ? Je ne me permettrai plus qu’une feule obfervation. Tout en formant des vœux pour que jamais mon travail ne devint un beloin , AVERTISSEMENT. xxy befoin, puifque alors je fuppofois difette de grains ou un malheur inopiné , je ne m'étois pas flatté, en le publiant, d’ac- créditer ces racines au point d'étendre leur culture en une année, plus que n’a- voient fait une foule d'avis patriotiques depuis vingt ans. On l’a adopté dans des cantons d'où les préjugés fembloient lavoir ban pour toujours ) enforte que le prix de cette denrée qui a baiflé de moitié all moins , a procuré au “Peuple _ pendant l'hiver, la faculté de fe nourrir abondamment & à peu de frais. : Puifle le travail que je foumets aujour- d'hui au jugement du Public , procurer le même avantage, & réveiller fur le compte du Chätaignier les Habitans des cantons où cet arbre peut offrir les plus grandes reflources. N'ayant aucun fyftême à éta- blir ou à défendre, je dis qu'il eft inutile de chercher à dénaturer la Châtaigne pour en faire du pain, avec la même franchife & la même modération que j'en ai mis lorf- qu'il a été queftion d'établir le contraire 4 l'égard de la pomme de terre: ma pré- c “x AVERTISSEMENT. tention unique eft d’être utile; & f quel- qu'un plus inftruit que moi fur les objets que j'ai traités, eft conduit à de nouvelles recherches, je defire qu’elles foient plus heureufes, TAB IE DES ARTICLES. | ÂAnricie PREMIER. Du Chétaignier, page 8 ARTICLE II. De la Chataigne, 21 ARTICLE TI. De 4 confervarion de La Châtai- £72e 3 29 ARTICLE IV. Analyfe de la Chétaigne, 29 ARTICLE V. Mérhode pratiquée dans les Cévennes pour fècher la Chätaigne, 47 ARTICLE VI. De la Farine de Chätaigne, 58 ARTICLE VII D mélange de la Chataigne avec la Farine des différens grains , 66 ARTICLE VII De La Chätaigne [anis mélange, 74 ARTICLE IX. Procédé ufité en Corfe pour faire du Pain de Chätaigne , [ans mélange d'aucune autre fubflance, 82 ARTICLE X, Préparation ufitée dans le Limoufin pour cuire la Chétaigne, 9: BRTICLE XI, Des avantages de la Chétaigne pré. parte a L Limoufine , ÿ 103 TABLE DES ARTICLES. ARTICLE XII Détails des Quefions EG des Réz ponfes faites fur le Châtaignier & la Ché- taigne , 115 Lettre A M. Chr) | 116 Réponfe de M. Cabaris , 122% Lettre a MES 150 Extrait de la Réponfe, | 156 Fin de la Table. ” Faute à corriger. Page 2, ligne x, arbre à Pin, Jiféx arbre à pain. TRAITÉ il Jp Ali Long SUR \LuH Îl ji AN A LLDCONCOTE LEE ON VENT ANNTCEELETLIT EE TTETEE 1] Rep D E LA CHATAIGNE. CALE TES DE 27 De — — —_—_—— mm, — | " | {ubftances farineufes forment la bafe de la nourriture des différens peuples de la terre; mais elles n’appartiennent pas toujours à des plantes frêles & délicates, vouées à la mort, dès qu’elles ont porté des graines à maturité, Les arbres , les plus grands végétaux que la na- ture ait produits , & dont la durée de la vie eft beaucoup plus confidérable, fourniffent auffs an aliment à peu près analogue , également fain & abondant, Tels font le Palmier-Sagoutier, le À + 2 RAI TE Coton-Fromager, l’arbre à Pin, enfin le Chätai- gnier, fur lequel croît le fruit, ou plutôt la fe- mence objet du travail que nous publions. . M. d’Aine, Intendant de Limoges, defirant procurer aux habitans de fa Généralité , une reflource capable de fuppléer aux difettes de grains malheureufement très - fréquentes dans cette Province, 11 a penfé que la Châtaigne, ré- duite fous la forme panaire , pourroit remplir fes vues patriotiques, d’autant mieux qu'il avoit appris que c’étoit ainfi que les habitans de l'ile de Corfe fe nourrifloient de ce fruit. Dans la vue de Saflurer plus poftivement du fait, M. d’Aine prit le parti d'écrire à M. de Boucheporn, Intendant de Ffle de Corfe, pour le prier de lui envoyer le procédé par le- quel on parvenoit à la fabrication du pain de pure Chitaigne;, aufhtôt qu’il l’eut reçu , il s’em- prefla de le faire imprimer & répandre dans les Provinces foumifes à fon adminiftration, en man- dant à M. le Directeur général, qu'il feroit à fou- haîter que j’entreprifle une fuite d'expériences à l'effet de perfectionner, s’il étoit pofhble, la ma- nipulation des Corfes. Chargé de ce travail par M. de Montaran, Intendant du Commerce, je me fais un devoir d’en préfenter le réfultat; trop flatté fi, en donnant de l’extenfion à mes recherches, je puis feconder DE LA CHATAIGNE. 5 ‘plus complétement les intentions du Gouvernes ment, &t démontrer en même temps les diffé. rentes reflources que la Châtaigne & fon arbre, font en état de procurer au Royaume, On fait fuffifamment de quel fecours la Ch4- taigne eft en tout temps dans plufeurs de nos provinces méridionales , & combien leurs habi- tans fondent d’efpérance fur ce fruit pour leur fubfftance journalière : la grande confommation qui s’en fait, a donné lieu à l’erreur affez géné rale à Paris, que les Limoufins en préparent du pain, & que c’eft leur principal comeftible, Quoique cette affertion de toute faufleté foit contredite dans le Mémoire concernant la Géné- ralité de Limoges, envoyé à Louis XIV par M. de Bernage, & que l’on trouve inféré dans le Recueil de Boulainvilliers; quoique depuis long temps j'aie avancé dans mon Aralyfe des Blés, que même dans les années malheureufes , les Li moufins n’avoient pas fongé à faire du pain de Châtaignes; plufieurs Auteurs d'ouvrages fort mo- dernes , dont la manie eft de copier pour pu- blier des livres, & non pour inftruire, n’ont pas moins continué de le donner pour certain. Non- feulement les Limoufins n’ont jamais fait du pain de Châtaignes, mais on trouve encore dans tout le-pays, & même chez les habitans les plus verfés dans l’agriculture , la preuve de l'opinion où À ï À TRAIT É l’on eft à l'égard de l’impofhbilité d'en venir 3 bout. | Toutes ces circonftances bien connues, & ap- profondies par M. d’Aine , n’empêchèrent pas ce Magiftrat éclairé d’efpérer qu’il obtiendroit de mes effais un réfultat fatisfaifant & avantageux pour fa Généralité, & que, puifqu’on étoit par- venu à convertir en un véritable pain la Pomme de terre qui, en fa qualité de racine aqueufe; fembloit être éloignée de la panification, la Châ- taigne, comme femence sèche & plus farineufe, pourroit être infiniment plus fufceptible de ce changement. J’avoue que je me complaifois tant dans cette idée, qu'il a fallu du temps & beau- coup d'expériences pour me détromper moi- même. Heureufes les Provinces adminiftrées par des hommes qui en ont étudié les reflourcés ÿ & qui s'occupent des moyens de les faire tour ner au profit de leurs habitans! Examiner la forme extérieure de la Châtaignes pénétrer dans fa texture organique fans opérer de dérangement fenfible ; rompre fon agrégation à la faveur du moyen le plus fimple; foumettre les différens principes qui le conftituent à quel- ques expériences propres à en déterminer la na ture; les réunir enfuite par la voie sèche & par la voie humide, pour connoître quels font les changemens que le feu &t la fermentation pro DE LA CHATAICGNE. 5 duifent fur la mañle générale : tel a été le pre- mier objet de recherches auquel j'ai cru nécef. faire de me livrer, dans l’efpoir d’approfondir davantage la nature & les propriétés de la Chä- taigne. Comme il n’étoit guères poflble de faire au- cunes tentatives de boulangerie avec 1a Châtaigne fans la réduire auparavant en farine , & que cette préparation exigeoit une deflication & une divi- fion préalables, je rapporte la méthode ufitée dans les Cévennes pour faire fécher ce fruit, telle qu’elle a été décrite & inférée dans le Jour= nal de Phyfique, Vol, I, pag. 437, par M. Defmareft. L’exactitude & les lumières de cet eftimable Académicien font trop bien connues pour laiffer rien defirer, après ce qu’il en a dit: je me borne feulement à ajouter quelques obfer- vations pour faire fentir les avantages de cette méthode, & combien il feroit important qu’elle füt adoptée & pratiquée dans tous les cantons où la Châtaigne eft abondante. Quand verrons- nous la routine céder à l’expérience & à fes réfultats ? Après ces détails, en quelque forte prélimi- naires, je pale aux moyens que j'ai employés pour développer dans la Châtaigne la fermenta- tion panaire, foit en la mélangeant avec diffé- sens farineux , foit en la traitant feule , & fans À üf 6 te AT UR IANTIT € laflociation d’aucun autre levain que celui connu fous le nom de levure de bière, foit enfin en me fervant d’un levain compofé uniquement de Châtaignes. Je communique à la fin de ces épreu- ves, le procédé des Corfes pour en préparer du pain, publié & diftribué par ordre de M. d’Aine, en y ajoutant quelques obfervations pour l’appré- cier à fa jufte valeur. La préparation que les Limoufns mettent en ufage pour dépouiller la Châtaigne de fa peau intérieure , fervant de fuite & de complément à la méthode des Cévennes, je larapporteencore toujours d’après M. Defmareft, parce que c’eftun témoin oculaire qui parle, & que d’ailleurs l’ou- vrage choifi pour la faire connoîïître, quoique ré- pandu, ne l’eft pas autant qu’il mérite de l’être. Quelques réflexions relatives aux diverfes manièe res de cuire la Châtaigne , fuffifent pour établir la préférence qu’on doit donner à celle des Limou- fins, la feule qui réunifle tous les avantages qu’on peut fe promettre de trouver dans la Châtaigne, & pour manifefter enfuite de plus en plus mes vrais fentimens au fujet des farineux qu’on veut foumèttre abfolument à la panification, Je termine par l’expofé de quelques queftions que j'ai faites à des amateurs diftingués d’agri- culture & d’hiftoire naturelle, qui habitent les cantons à Châtaignes. Leurs réponfes très-inté- DE LA CHATAIGNE. 7 reffantes font une efpèce de réfumé des diféa rentes propofitions contenues dans cet ouvrage, Tel eft l’ordre qui m’a paru le plus naturel à obferver pour faciliter l'intelligence du travail que j'ai entrepris fur la Châtaigne. Je fupprime le récit des expériences que j'ai faites avec les différens agens chimiques , à l’aétion defquéls a été foumife la fubftance que j’examine, pour n’expofer que les phénomènes propres à indiquer plus fimplement l’état phyfique & les propriétés économiques de la Châtaigne; mon intention étant moins de parler à des chimiftes , qu’à ceux de mes concitoyens que leur pofition & leurs lumières mettent dans le cas de recueillir quel- ques fruits de mes recherches. Mais comme, dans un Traité fur la Châtaigne, il feroit ridicule de n’y point rencontrer un mot relatif à l’arbre qui la produit, j’ai cru ne pou voir me difpenfer de débuter par cet article, d'autant mieux que la qualité du fruit dont il s’agit, dépend beaucoup des foins particuliers qu’on a pris du Chätaignier : au refte, le peu que nous nous propofons d’en dire , ne fe trouve inféré dans aucun de ces ouvrages volumineux, compofés à deflein de tenir lieu de bibliothèque; nous le devons en partie à M. d’Efpagnac de Puimarets, membre de la Société d'Agriculture de Limoges, qui a fait imprimer à Brive, il y a À 1v F 8 DROITE déja’très long-temps, un Mémoire fort intéref- fant fur cet objet ; & nous ne craignons pas d'ajouter ici qu'il eüt été impofññble de prier dans une meilleure fource. L_] ACRI T C'L'E | P'RQE MI ai Du Châtaignier. LE Chätaignier, cet arbre précieux que le Créateur offre aux hommes de certaines contrées comme une efpèce de dédommagenent de Pa- ridité du fol qu’ils habitent, vient naturellement dans les climats tempérés de l’Europe; on le cultive avec fuccès parmi nous, & fon produit. récompenfe amplement des foins qu’on a pris pour le planter, le greffer & le furveiller, Les terres légères , les lieux fecs & flériles, les ro- ches, les pierrailles, les fables, tout lui eft pro- pre, excepté cependant un fol argilleux ou trop gras, ce qui fait que le Chätaignier ne peut réuflir dans quelques plaines fertiles du Bas- Limoufn, Il paroît que le Chätaignier eft indigène au Limoufin; car, de quelque côté que l’on tourneles regards 0 dans cette Province, on apperçoit des fo- rêts entières de cet arbre que la nature y a ré- ‘pandu avec une profufion & une variété admi« table; mais quoiqu'il vienne par-tout, cependant L H À DE LA CHATAIGNE. 9 il fe plaît de préférence fur le penchant des cô- teaux, où, par fa pofition naturelle, 1l a la fa- culté d'étendre fes branches, de s’arrondir & de prendre la forme d'Oranger, fi agréable aux yeux des amateurs. On compte différentes efpèces de Châtaigniers qui ne fruétifient pas également dans toutes les expofitions : les uns ne profpèrent qu’autant qu’ils font au nord ; les autres s’accommodent plus volontiers des afpeëts du midi & du couchant: quelques-uns ne le cèdent point au Chêne en hauteur & en beauté , mais ce font ceux qui n'ont pas été élevés pour rapporter du fruit; plufieurs ne s'élèvent que très-peu ; enfin, il y a des Chä- taigniers hâtifs & des Châtaigniers tardifs; mais pour que le cultivateur puiffe obtenir de cet arbre utile une récolte abondante & aflurée, il faut qu’il le plante, le façonne , & furveille à fon entretien. Telle eft la loi générale que la nature impofe à tous ceux qui veulent retirer des végétaux la produétion qu’ils defirent; de libérale qu’elle eft, elle devient reconnoiflante. Les terrains couverts de Châtaigniers greflés, fe nomment ordinairement Chataigneraie ; mais pour pouvoir en obtenir un bon revenu, il faut avoir égard à trois chofes eflentielles. 1°. Eta- blir dans fon domaine des pépinières de Chätai- gniers; 2°, expofer les Châtaigniers relativement 10 TRCAET À à la qualité du fol & du climat; 3°. enfin, leur donner une culture méthodique : nous allons en donner une idée très-fuccinte, fans nous arrêter à décrire les parties de la fru&tification de cet arbre, ainfi que les accidens auxquels il eft affu- jetti pendant qu’il fe développe, & jufqu’à ce qu'il foit parvenu à la plus grande vigueur. Pour former des pépinières de Châtaigniers, on difpofe la terre à cet effet par des labours fufifans, & on l’amende avec du terreau : on choifit enfuite les plus groffes Châtaignes qu’on a eu foin de conferver dans du fable, pour les femer à un pied de diftance fur une feule ran- gée, dans un fillon efpacé d’un pied & demi, deux pieds : les diftances qui féparent les Chä- taignes femées &t les fillons, permettent aux jeu- nes plants d’étendre leurs racines fans fe confon= dre, & facilitent les labours. Les Chätaignes enfemencées germent dès la première sève, &c on dit alors en Limoufin que les Châtaigners font en porettes : on les laïfle à elles-mêmes durant la première année, après quoi on donne un léger labour, & l’on profite d’un jour de pluie, au mois de juin, pour arracher Pherbe qui ne manqueroit point de les étouffer : on continue ainfi les labours , en obfervant de les donner toujours plus profonds, à mefure qu’on approche du temps de leur tranfplantation : aus DE LA CHATAIÏGNE. x mois de mars de la troifième année , on coupe les branches latérales des plants, & même les tiges fi elles viennent mal, afin de fortifier l’ar- bre & de lui donner une belle venue. Tels font les foins principaux que demandent les plants pendant leur féjour dans les pépinières. Dès que les plants en pépinière ont acquis cinq ou fix pouces de circonférence à un pied xt demi de racines, 1l faut fonger à les placer à demeure dans les Châtaigneraies. Aux mois d’oétobre &tc de novembre, on fait des tranchées d’une toife en quarré d’ouverture fur un pied de profondeur; elles font diftribuées par alignement à la diftance de cinq à fix toifes pour les terres légères, & même pour celles qui font plus fortes ,en donnant toujours aux arbres, autant qu’onle peut , la même expofition qu’ils avoient étant en pépinière. Cette dernière attention eft de la plus grande impor- tance , & il n’eft pas de cultivateurs qui n’en connoïflent les fuites. Il ne fuffit pas d’avoir mis en place les jeunes Châtaigniers ; il faut les garantir du froid, de l'air brülant, & de l’infulte des animaux. C’eft dans cette vue qu’on garnit de paille les tiges, & qu’on motte leurs pieds : le mois de mars fuivant on ébarbe les jets foibles & mutilés, ce qu'on répète d’année en année : par le moyen de CR TONER A UTCT cette réforme , les branches, réfervées pour les entes font vigoureufes, car il faut comparer la force des ra Châtaigniers avec l’efpèce de fruit dont on veut les affranchir, afin de ne pas fe méprendre fur le temps auquel il convient de les oreffer. On greffe Les Chétsieniers en flûte au mois de mai, lorfqu’il fait beau, & que le vent du midi ne fouffle point : le méchanifme de cette opé- ration a été développé par M. Cabanis, Avocat au Parlement & de la Société d'Agriculture de Limoges, dans fon Effai fur les Principes de la Greffe ; ouvrage plein de vues nouvelles & inté: reflantes, que l’Académie de Bordeaux a cou- ronné en 1764. L’Auteur, qui continue avec le même fuccès fes recherches fur cette partie im- portante de l’agriculture, va bientôt publier une feconde édition; & il feroit à defirer qu’un ou- vrage aufh utile fût très-répandu. Lorfque les bourgeons font fortis de la greffe ; ils fe forment en rameaux , & on en retarderoit les progrès, fi par hafard on s’avifoit d’en retrancher la plus petite feuille : on les protège feulement au- près du fauvageon, afin de mettre lesentes à l’abri des coups du vent, en ébarbant les jets qui pa- roiflent fur la tige de l’arbre au-deflus de la greffe : trois ans après on emploie quelques foins _ t DE LA CHATAIGNE. 13 _ pour former la tête de l’arbre, fuivant l’endroit où il eft place. Ces foins font partie du détail de la culture d’une Châtaigneraie, Le Châtaignier porte fon fruit à l’extrémité des branches , & n’eft en bon rapport qu’autant qu’il eft frappé de l’air & du foleil. D’après cette ob- fervation, les arbres dans les Châtaigneraies bien ordonnées, font plantés par alignement fur une diftance raifonnable pour permettre qu’on les façonne. Les Chätaigniers dans les lieux bas, font pointe, & cherchent à refpirer ; 1l faut en éla- guer les branches, afin de leur procurer une tige & une tête élevées : les branches inférieures qu’on laïfferoit fubfifter , affameroient l’arbre fans rapporter de fruit. On agit un peu différemment dans les lieux élevés ; comme le Châtaignier eft expofé en plein air, l’économie exige qu’on réforme les branches tortues, & celles qui dans leur accroifflement fe trouveront mal placées. La tête de cet arbre doit reflembler à celle d’un Oranger : on ne conferve donc qu’un petit nombre des maîtrefles branches, qui laiffent le Châtaignier évidé , & fourniffent un nombre de branches moyennes fubdivifées en un grand nombre de petites. Les expériences journalières nous apprennent que pour faire profiter les Châtaigneraies, il faut leur donner des labours : un Châtaignier planté 4 RE Tran © 6 : dans wË terre à grain, rapporte trois fois plus de fruit que le même planté dans une terre en riche , à volume égal; rien n’eft donc plus utile . que les labours dans les Châtaigneraies : cet arbre, dans un terrain cultivé, languit à mefure qu’on s'éloigne de l’année où l’on a ceflé de le labourer. Perfonne ne difconvient de Putitité dont font les labours dans les Châtaigneraies; mais, foit parefle , foit opiniâtreté, foit économie mal entendue, on fe borne à remuer la terre de temps en temps dans le contour du pied des jeunes Châtaigniers, & voilà tout; il exifte cependant quelques moyens pour prévenir cetinconvénient. Ne feroit-il pas poffible d’obliger un Métayer à donner chaque année des labours à une portion de Châtaigneraie ? Lorfqu’on a pour voifins des : payfans, dont la feule richefle confifte dans un nombre d’enfans qu’ils ont à nourrir, 1l fufiroit de leur abandonner le grain qu'ils pourroient faire venir dans les Châtaigneraies : ces bonnes gens recevroient la propofition avec plaifir, & ceferoit un nouveau moyen de faire fubfifter le pauvre &c fruttifier les Châtaigneraies fans frais. C’eft ainfi que s’exprime M. d’Efpagnac dé Puimarets en terminant fon Mémoire ; j’aurois defiré qu'il me füt pofhble de l’inférer ici en entier : tout y eft intéreflant , & j’ofe avancer que DE LA CHATATGNE. 15 c’eft un chef-d'œuvre de clarté & de précifion, Nous devoris encore à cet illuftre Citoyen d’au- tres Mémoires relatifs à l’économie champêtre, qui ont le même mérite; la culture de la pomme de terre, celle du lin, la manière de préparer le beurre, font autant d’objets qui ont fucceffi- vement rempli fes loifirs. Son amour pour le bien public nous auroit fans doute enrichis d’autres produétions auffi utiles, fi fa fanté ne l’eût rappelé dans fa patrie auprès d’une fœur refpeétable, qui fait fa plus douce occupation de contribuer à fon rétabliflement. Je prie qu’on me pardonne ce court éloge de M. d’Efpagnac de Puimarets; je ne puis prononcer ce nom fans me laifler entraîner au mouvement de la plus vive reconnoiflance. Obférvations. Les détails dans lefquels je viens d’entrer concernant la culture du Châtaignier, prouvent fufhfamment que le fruit dont les Habitans de plu- fieurs de nos provinces méridionales font leur nourriture principale pendantune partie de l’année, n appartient nullement à un fauvageon, ainfi que l'ont avancé tant d’Ecrivains compilateurs dont la Capitale abonde ; & que f le Marron en diffère, ce n’eft point parce qu’il croît fur un arbre greffé, mais bien à caufe que c’eft une variété qu'on FN 16 AVRATTÉ | ne peut fe procurer que par la greffe prife d’un, vrai Marronnier; car toutes les greffes qu’on pourroit faire du Châtaignier fur lui-même, ne donneroient jamais de marrons. Il eft donc faux que la Châtaigne du Limou- fin & des autres provinces foit le produit d’un : fauvageon, que le Châtaignier greffé prenne le nom de Marronnier, &t que ce dernier foit une variété opérée par la greffe : je ne faurois trop engager les Auteurs de cefler de croire qu'aucun Châtaignier puifle être transformé en Marronnier, à moins que la greffe ne provienne ou d’un marronnier franc de racine, ou affranchi par des greffes marronnes , fuivant l’Obfervation de M. Cabanis, dans fon Æffai fur la Greffe; autrement ils croiroient une grande abfurdité. Le Marron foi-difant de Lyon, fouvent pris dans le Bas-Limoufin, dans le Quércy ou dans le Périgord, non plus que le Marron de Mon- tauban ou celui des Cévennes, dont la qualité diffère un peu, ne font & ne peuvent être que des variétés de Châtaigniers fauvageons, dus au jeu de la nature , & non à l’expofñtion , au terroir ou à la greffe : ces moyens peuvent bien améliorer un fruit quelconque, mais jamais le dénaturer immédiatement : la greffe & la fécondation par les fleurs voifines, apportent, 1l eft vrai, des variétés dans les germes, relativement au. femis DE LA CHATAIGNE. 17 femis futur; mais le fruit d’un arbre quel qu'il foit, oreflé, regreffé fur lui-même, fera toujours le même fruit ,un peu plus grosi,cin peu plus mince, plus ou moins agréable à la vue & au goût, felon les années , les terrains, les afpeéts, &cc. Les Châtaigniers qui n’ont pas été greffés, s'élèvent à la hauteur des plus grands arbres : on en voit beaucoup de haute futaie ; leur boïs eft excellent pour la charpente &t la menuiferie : lorf. qu ils croifient dans des vallées un peu étroites ou de profondes ravines, ils s’élèvent encore plus haut, & forment de très-beaux arbres ; mais leur fruit, comme nous l’obfervons, n’eft ni anffi abondant, n1 aufh gros, ni aufli fucré que celui qui provient de Chätaigniers greffés. Dans beaucoup de cantons du Limoufn, on ne prend pas la peine d'élever le Chätaignier en pépinière, &t de le tranfplanter enfuite dans les lieux qui lui conviennent le mieux: quelques fauvageons venus en abondance de fruits égarés ou oubliésy fufñfent pour remplacer ceux que l’âge, ou‘des accidens particuliers peuvent faire périr ; mais on ne fauroit trop foigner la première éducation de cet arbre ; elle contribue a fa vigueur & à la bonté defon fruit. Lorfqu’il eft planté avec ordre & fymétrie, 1l embellit les campagnes qui en font couvertes. | Quelques perfonnes prétendent que, pour for- B 4 18 AR 'ANTIT É mer des pépinières de Châtaigniers, il eft indiffé- rent de choifir les plus groffes Châtaignes & les meilleures au goût, parce que les fruits de cet ar- bre fauvageon , qui font ordinairement fort petits, donnent des fujets beaucoup plus forts lorfqu’ils font reftés plufieurs années en pépinière , & qu’a- près avoir acquis la groffeur d’un pouce & demi de diamètre, on les tranfplante. Nous ignorons fi l’expérience a juflifié cette remarque ; mais nous nous permettrons une comparaifon. Un homme fain, vigoureux & bien conftitué, n’eft pas, en général , auf fufceptible des vicifitudes de latmofphère, que celui qui eft né foible & délicat : il doit en être de même des végétaux. La Châtaigne la plus groffe, & de la meilleure qualité , produira un germe plus fort & mieux nourri, qui réfiftera davantage aux in- tempéries, & donnera une première fouche plus robufte. D'ailleurs ce font toujours les grains les plus parfaits qu’on deftine pour les femences. À quoi ferviroient ici les Obfervations de Mfi//er & de Bradley au fujet du Châtaignier, puifque ces Auteurs qui prétendent qu'il ne faut pas le tranfplanter , mais le laiffer croître en futaies, à caufe de fon pivot plus gros & plus long qu’au- cun autre arbre, n’ont en vue que les coupes de bois , & non la récolte du fruit ? D’ailleurs, nous n’avons fait mention du Châtaignier greffé qu’en DE LA CHATAIGNE. 19 pañlant , afin d’éviter toutes les objeétions, On a droit d’être étonné que le Châtaignier, qui fe plait fingulièrement en France, n’y foit pas cultivé davantage : il eft à préfumer qu’il a été autrefois beaucoup plus commun ; car on trouve dans des endroits fort éloignés des pays à Châtaignes, des poutres & des folives faites avec ce bois tiré, fans doute, des forêts voifi- nes ; & quand on remonte à l’époque où ces mo- numens ont été élevés, on eft tout furpris d’ap- percevoir que ce bois n’a éprouvé aucune alté- ration. On verra à la fin de cet ouvrage fi ce font les intempéries feules qui ont concouru à la dépopulation du Chätaignier. Il faut efpérer que l'utilité du Châtaignier, mieux fentie , réveillera fur fa culture , & qu’on le rétablira dans tous les cantons qui conviennent à fa végétation. On ne peut fe diflimuler que les terrains les plus arides fe changeroient en une fource inépuifable de richefle toujours renaif- fante, & rapporteroient prefque autant de reve- nus que les plus excellens fonds, fi on fe déter- minoit à les planter en Châtaigniers. Cet arbre, je le répète, réufñit par-tout en France; il eft très-propre à faire du bois taillis ; indépendam- ment ‘de fa bonté pour la charpente & la me- nuiferie , on en fait encore de bon merrain, des B ï 20 | Me MATE pallifades, des treillages & des échalas pour les vignes. AVE Châtaignier eft d’autant plus précieux pour les pays où on le cultive avec intelligence, que fon ombrage n’eft pas nuifible aux grains : on peut les enfemencer , comme M. d’Efpagnac de Puimarets le recommande, dans les Châtaigne- raies, & fe procurer, par ce moyen, une double récolte ; enforte que l’une venant à manquer , ce qui n'arrive que trop fouvent par des’ acci- dens imprévus , Les cultivateurs puiflent trouver au moins dans l’autre un dédommagement , fans lequel ils auroient une peine infinie à fubfifter. En fuppofant que les terrains plantés en Chä- taigniers , foient aflez ES pour rapporter à peine dn grains la femence qu’on y auroit jetée, pourquoi ne préféreroit-on point la Pomme de terre, dont la fécondité tient du prodige, &t à qui tous les fols conviennent ? M. le Baron de S. Hiiaire, l’un des premiers qui ait cherché à en- courager la culture de cette plante dans le Li- moufin, avoit déterminé les habitans de fes ter- res à cuire enfemble la Châtaigne & les Pommes de terre. Ce mélange a tellement pris faveur, qu’on voit les enfans épier le moment où on le retire de la marmite, pour dérober la Pomme de terre dont la fadeur eft relevée par la fapi- DE LA CHATAIGNE. 21 dité de la Châtaigne ; & <’eft encore un moyen de fuppléer au défaut de cette dernière. Il me femble que rien n’eft plus dangereux que de confier fa fubfiftance fondamentale à une feule efpèce de plantes fujettes à une foule d’ac- cidens, qui en rendent les-:moiffons fi équivo- ques & fi inégales. Attachons-nous à choïfir parmi nos produétions celles qui fontreconnuespourêtre les plus nourriffantes, les plus faines, les plus fé- condes , les moins aflujetties aux caprices des fai- {ons , dont les frais de récolte & de culture foient peu difpendieux ; & fur-tout faifons enforte de les varier davantage, puifque l’accident qui nuit à l’une , concourt à la végétation de l’autre : c’eftle moyen le plus affuré d’écarter pour PE de nos foyers les difettes. où LES CADET d Les De la Chätaigne. LA Châtaigne ef Je fruit, ou plutôt 1 u ra snence de l’arbre dont nous venons de parler. C’eft après la quatrième & la cinquième années que lé Chätaignier commence à rapporter; & fon produit augmente chaque année, jufqu’à ce que ; parvenu à fon dernier degré d’accroifie- ment , 1l fatisfait avec: péaffion les defirs du cultivateur. | B fi En | AR AUrT € | Nous avons déja dit que la Châtaigne feroit fauvage , quoique provenant d’une femence de bonne qualité, fans la greffe & la culture, qui, en adouciffant & en perfeétionnant les végétaux, ont tant multiplié nos produétions. C’eft donc de cette manière que la Châtaigne acquiert le goût & la groffeur qu’elle n’auroit point, aban- donnée à la nature. La récolte de la Châtaigne fe fait aux mois d'o&tobre & de novembre : quelques Auteurs ont prétendu qu’elle obfervoit, comme d’autres produétions, des périodes conftans, & qu’elle n’étoit abondante que de deux années l’une; mais cette aflertion eft dénuée de tout fondement, puifque M. Cabanis, entr’autres , a remarqué une fuite non interrompue de quinze années d’abon- dance dans quelques efpèces. _ Au refte, larécolte de la Châraigne manque ra- rement ; il eft des années où , quoique les fruits {ont moins nombreux fur les arbres, ils font très- gros, à ce font les bonnes années ; mais il y en a d’autres où le fruit eft plus multiplié, plus-perit & moins parfait , ce font les années médiocres; enfin, lorfque le fruit eft petit & peu nombreux, ce font les années difetteufes. L’abondance de la Châtaigne dépend bien plus des variétés de température, de terrains & d’ex- pofition, que de la propre nature du Châtaignier, DE LA CHATAIGNE. 23 En général le haut Limoufin, plus froid, plus coupé d’étangs & de ruifleaux, &t moins pourvu d’ef- pèces affranchies par la greffe que le bas de la Pro- vince , n’eft pas auffi riche en fruits ; deux ou trois jours de pluie froide, ou de häle du midi, établif- fent des différenceces marquées d’une Paroiffe à l’autre dans tout le pays. Quoique les fignes extérieurs qui peuvent fer- vir à diftinguer le Marron de la Châtaigne, ne foient pas fouvent affez fenfibles pour fe faire re- connoître au premier coup d’œil , néanmoins les perfonnes exercées ne s’y méprennent jamais : d’ailleurs ces fignes qui les caraétérifent, ne conf- tituent pas de nouveaux genres, les principes en font abfolument les mêmes , ils s’y trouvent feu- lement dans des proportions différentes. J’obfer- verai encore que le Marron d’Inde lui-même ne diffère de la Châtaigne que par la nature de fa matière extra@ive , qui , au lieu d’être muqueufe & fucrée, eft réfino-gommeufe & amère. La Châtaigne varie infiniment , & il en eft de ce fruit comme des pommes , qui, quoiqu’elles foient toutes généralement des pommes, différent cependant beaucoup entr’elles. On compte au moins une douzaine de variétés dans la Chà- taigne, & le Marron peut être envifagé comme la Reinette du Châtaignier. Chaque variété a fon caraétère diftinétif ; celui B iv 24. TAR ALT É du Marron eft d’avoir la couleur de fon écorce plus vive &t plus foncée, d’être généralement plus gros que la Châtaigne, d’avoir le germe plus volumineux &t plus alongé , des finuofités moins profondes à la fuperficie ; d'être moins pénétré par la pellicule, & d’avoir fur-tout un goût & un parfum délicieux qu’on ne rencontre dans aucune efpèce de Châtaigne. | Il ya une variété dece fruit , qu’onappelle dans le bas Limoufin es Exhalades , qui font origi- naires du Périgord ; elles deviennent aufli groffes que les plus gros Marrons ; mais leur couleur &c leur. goût les font bientôt diftinguer. On en con: noït encore une efpèce précoce qu’on nomme printanières ; elles font müres près de trois femai- nes avant les autres, & font très-recherchées; mais elles ont peu de faveur, font très-petites | & ne peuvent guères fe conferver au-delà d’un mois. Une troifième efpèce diftinguée parmi les com- munes, eft appelée vulgairement /auvage de Cars, du nom d’un petit village près Brive , d’où elle provient, le fruit en eft un peu moins gros que celui des deux efpèces précédentes, mais il n’eft fujet n1à la corruption n1 aux vers, & fe conferve long - temps frais fans prefqu’aucune précaution, Cette propriété , jointe à la bonté reconnue de ce fruit, fait rechercher aujourd’hui par-tout la pro pagation de cette efpèce ; elle eft d’ailleurs , fui- DE LA CHATAIGNE. yant l’obfervation de M. Cabanis , très-propre à former de belles têtes , & à donner des arbres fains & vigoureux, Mais je n’ai pas deffein de dé- crire toutes les efpèces de Chätaignes, donton pourroit faire un long catalogue ; je paîle à l’exa- men de leur forme extérieure. Les Châtaignes font renfermées plufeurs en- femble dans un feul pericarpe ou brou ,: qui, comme on fait, eft hériflé à fa furface d’une quan- tité d’épines aiguës , fe fépare de lui-même par la maturité en deux ou trois panneaux , & laiffe aller le fruit. La forme ordinaire de ce fruit ef arrondie de deux côtés ; mais ,. lorfqu’il fe trouve contenu au nombre de trois dans la capfule, celui du milieu eft applati par les points de contaét. L’extrémité fupérieure de la Châtaigne eft tou- jours terminée en une pointe compofée de petits filets blancs qui forment une efpèce de pinceau: c’eft du milieu de ces filets qu’on voit le germe, & qui fe développe bientôt, fi on n’a pas l’at- tention de mettre la Chätaigne à l’abri de cet ac- cident. | La Chätaigne qui réfulte d’un arbre nongrefté, eft, comme nous l’avons fait obferver, non-feu- lement plus petite & moins délicate que celle qui appartient à un Châtaignier eñté, mais la pellicule rougeätre eft encore plus épaïfle , & s’infinue plus profondément dans la fubftance interne; cepen- 26 TRAITTÉ dant elle n’en eft pas moins faine, &elle n’a, comme les autres fruits fauvageons, ni âpreté, ni amertume, & aucun mauvais goût. C’eft cette efpèce qui annonce à Paris le re- tour de la Châtaigne, & qu’on vend crues ou cuites dans nos marchés pendant le mois de no- vembre , en attendant l’arrivée de celles du Li- moufin, de l’Auvergne , du Vivarais, &c. Mais, puifque le Châtaignier fe plaît finguliérementbien dans les environs de la Capitale, pourquoi ne point l’affranchir par de bonnes greffes marronnes? On n’entendroit plus crier à vendre au coindes rues de petits fruits peu fapides fous le nom de Marrons, Obfervations. L A récolte de la Châtaigne eft plus ou moins abondante , mais elle ne fuit dans fon produit au- cune révolution périodique; rarement on l’a vue manquer tout-à-fait, & il arrive peu de difette de çe fruit ; auf un prétendu ami de l’humanité, après avoir rêvé bien long-temps fur les moyens de pa- : cifier les habitans de l’Ifle de Corfe , propofa, à la fin de fon rêve, de faire couper tous les Chätai- oniers, parce qu’ils leur procuroient de quoi vivre fans peine , & que la culture des grains au con- traire les obligeant à des travaux continuels pour {e procurer une fubfiftance incertaine, on ne les verroit plus occupés de complots féditieux ; mais DE LA CHATAIGNE. 27 le Gouvernement a trouvé le projet trop beau pour l’adopter. L'auteur de cette propofition auroit dû naître lors de la conquête du Nouveau Monde, fans doute il eût fait fortune. Pour prouver combien fon idée étoit ridicule , il fufffoit de lui objeéter que les endroits en Corfe où viennent les Chà- taigniers , ne font pas propres à la culture des grains. Il eft bien déplorable qu’il n’y ait pas de principes aflez abfurdes en politique & en admi- niftration, qu’on ne vienne à bout d’appuyer par des raifonnemens encore plus abfurdes. L’obfervation qui nous paroït la plus impor- tante à faire ici , c’eft que le germe étant toujours apparent dans la Châtaigne , il le devient beau- coup plus lorfque le fruit a éprouvé laétion du feu, à peu près comme certaines femences cor- nées , telles que le café , dont l’ébullition inftan- tanée dans l’eau permet au germe de s’alonger; c’eft ce qui a fait croire qu’on laifloit prendre àla Châtaigne un mouvement de fermentation avant de la porter au féchoir , dans la vue d'augmenter fa faveur fucrée , ainfi qu’il arrive aux grains ame- nés à l’état de malt. Mais la germination, loin de concourir à l’amé- lioration de la Châtaigne, la rend coriace & de difficile cuiflon, parce que cette opération de Îa nature augmentant la proportion de la matière F 28 TRAITÉ fibreufe , diminue d’autant la faveur fucrée : il faut donc éviter bien foigneufement de tenir la Chä- taigne amoncelée long-temps dans un endroit hu- mide & chaud, puifque non-feulement elle per- droit de fon goût favoureux, mais on auroit en- core plus de peine à la fécher & à la conferver en bon état. La Châtaigne germée a donc réellement perdu _de fon goût & de fa qualité; les animaux répu- gnent à la manger, êc les rats, qui paflent pour en être très-voraces, ne les emporterit pas dans leur garde-manger fouterrain. Son ufage en cet état ne femble pas préjudicier à la fanté. Combien de Châtaignes répandues dans le commerce, aux- quelles lés Marchands ont arraché le germe que leurs défauts de foin avoient laiflé pouffer! Le defir de jouir de quelques primeurs n’at- tend pas toujours la maturité de la Châtaigne+ ‘on la gaule ; mais cette opération ne peut être que très-préjudiciable aux arbres , auffi eft - elle inconnue dans le Limoufin , parce qu’elle enlève néceffairement des petites branches, fur lefquelles fe trouvent des bourgeons précieux, qui donne- roient du fruit dans les années fuivantes, & qui, s'ils font remplacés , ne fauroient jamais l'être qu'imparfaitement. En abattant le fruit avant qu’il foit parfai- tement mûr, il eft impoñhble qu'il ait acquis ce DE LA CHATAIGNE. 29 degré de perfeétion & de bonté que lui donne la nature De: aufh le fruit qu’on a gaulé n’a jamais ‘qu’une qualité inférieure à celui qui a müri autant qu'il convient. . Mais, quand bien même cette méthode feroit meilleure qu’elle n’eft en effet , quand l’expé- rience auroit prononcé en faveur de la conferva- tion de la Châtaigne dans fon brou , elle n’eft. guère praticable en grand , par rapport aux frais qu’elle entraïneroit , foit pour abattre , foit pour tranfporter le fruit avec le pelou. Si quelquefois elle eft pratiquée , c’eft pour fatisfaire les befoins preflans , le luxe de nos tables , ou la fantaifie. ARTICLE: TILL De la confervation de la Châtaigne. TouTEes les années ne fourniflent pas des Châtaignes également fufceptibles de fe conferver pendant un certain temps. Il y en a dont on bien de la peine à venir à bout, même en les foignant & en employant les moyens dont nous parlerons bientôt ; il y en a d’autres au contraire pour lef- quelles il faut faire peu de chofe. Les différentes époques de la végétätion leur ont été tellement favorables , que de ce concours de circonftances avantagcufes réfulte une perfeétion dans les prin« pes, qui rend le fruit préfque inaltérable, 30 TRAITÉ Mais ne foyons pas ingrats envers la nature # rarement elle nous livre en mauvais état les préfens qu’elle accorde à nos travaux & à notre induftrie : s'ils fe détériorent entre nos mains, fi leur ufage occafionne des effets fâcheux, n’en accufons que notre inattention, & l'ignorance dans laquelle nous fommes à l’égard du parti utile qu’on peut en tirer, & de l'application heureufe qu’il eft pofhble d’en faire, Avant de fonger aux précautions que l’on doit employer pour conferver la Châtaigne en verd, il eft important de faire attention aux circonftances particulières qui ont accompagné fa croifflance & fa récolte; car c’eft l’état où fe trouve le fruit après qu’il eft tombé de l’arbre, qui doit régler les efpèces de foins & de moyens qu’il faut mettre en ufage pour en prolonger la durée. L’inftant de ramafñfer la Châtaigne étant venu; on fe rend au bois, & on en remplit des facs qu’on va vider dans une cour ou dans un Jardin près de la maiïfon, & c’eft de-là qu’on les tire pour la confommation journalière : elles reftent ainfi expofées à toutes les intempéries, jufqu’à larrivée des fortes gelées, ou jufqu’a ce qu’on apperçoive, en introduifant la main dans le tas, une chaleur qui annonce un commencement de fermentation; alors on les rentre dans le grenier, DE LA CHATAIGNE. 31 après en avoir féparé celles qui ont déja éprouvé de l’altération : ces dernières fervent encore À engraifler la volaille & les autres animaux de bafle-cour. Telle eft la méthode la plus géné- ralement adoptée. On devine aifément que les Châtaignes expo fées ainfi à toutes les vicifitudes de chaud & de froid, de nuit & de jour, d’air tranquille ou agité fec ou humide, ne pénvent manquer de s ’altérer un peu ; de-là vient qu’il s’en gate beau- coup à chaque récolte , ce qui n’arriveroit point fi on imitoit ces cultivateurs prévoyans qui met- tent leurs Châtaignes à couvert au fortir du bois, & n’attendent point, pour les rentrer au grenier, l’arrivée des gelées, ou que la main introduite dans le tas éprouve de la chaleur. Mais il ne fuffhit point d’avoir ferré la Cha- taigne en bon état; & trois femaines après la récolte, ce fruit, malgré fa fécherefle apparente, renferme encore afflez d'humidité pour accélérer fon dépériflement. Il faut donc empêcher la réaction de cette humidité, en la combinant ou en l’évaporant. Les différens moyens employés pour opérer ce double effet, font l’intermède de l'air & du feu. Arrêtons-nous au premier, qui conferve pendant long-temps à la Châtaigne fa fraicheur, & cet agrément qu’on défigne aflez communément fous le nom de goût de fruir, 32 ÉORLAR D'TAËT TP Autant que l'expoñition & l’efpace du local je permettent , il ne faut dépofer la Châtaigné que dans un endroit fec & au nord; éviteride donner une aufh grande épaifleur au. tas, dans: la crainte que l'humidité, n’ayant pas la faculté de s’échappér au dehors, n’acquière vers le cen- tre de l’intenfité ; &t qu'il ne s’établifle un mouvement de fermentation qui, fe communi- quant de proche en proche à toute la mafle, ne fafle contracter à la Châtaigne une difpofition. à s’altérer d’autant plus redoutable, que le fruit feroit plus humide & qu'il feroit plus chaud. Pour prévenir cet inconvénient, on pourroit de temps en temps remuer la Châtaigne à la pelle, & faire pañler fucceflivement par cette opération le fruit d’un lieu dans un autre, en le rafraichiffant par de l’air nouveau : 1l feroit pofñble encore de donner plus d’aétivité à cet air par le jeu d’un foufflet, qui renouvelleroit celui interpofé dans les couches de la Chätai- gne répandue fur le plancher. Toutes les fois que la Châtaigne menace d’une altération prochaine , on la renferme dans des caifles ou des tonneaux; mais s’il fait chaud, &t que ces tonneaux fotent placés dans un lieu peu fec, quelque bien fermés qu’ils foient , la pré- caution eft inutile; il vaudroit mieux préférer des facs ou des paniers de paiile, ifolés de toutes DE LA CHATAIGNE. 33 fuites parts; ce feroit le moyen le plus efficace “pour conferver long-temps la Châtaigne en bon “Ætat. LE Œn vain la Châtaigne & le Marron fe trouve- toient de bonne qualité dans l’endroit où ils ont été recueillis & d’où ils nous font apportés : s'ils ont été ballotés , meurtris & fatigués fur la route, s’ils ont reçu la pluie pendant leur trajet, faut-il s'étonner qu’une pärtie de ces fruits foient gâtés avant d'arriver à leur deftination; & fi dès le mois de Janvier les Marrons, par exemple, ne valent plus rien à Paris ? J'ai déja imploré, au nom de l’humanité, la bienfaifance & les lumières des Magiftrats, chargés de veiller au bonheur des Peuples & à la falubrité des fubfftances de première nécef- fité , pour ordonner que les bateaux & les voi- tures deftinés au tranfport des grains, fuffent couverts exactement , afin que l’humidité y péz nétrât difhcilement. La Châtaigne, il eft vrai, n’eft pas d’une utilité auf générale, mais enfin c’eft un comefüble qui fait une branche de commerce pour quelques Provinces; cette cir- conftancerne mérite-t-elle pas des confidérations 2 Comme ïl n’eft pas indifférent de manger la Châtaigne verte & le Marron aufli long-temps qu’on le peut, je ne faurois trop recommander aux Epiciers , aux Fruitiers & à tous ceux qui ven= C 34 TARN ATTÉ dent ce fruit, de le furveiller davantage, pouf leurs intérêts & pour.e nôtre. Qu'ils foient donc bien convaincus que le lieu de leurs magafns le plus humide & le plus chaud, eff contraire à cette marchandife ; qu’en la renfermant dans des tonneaux, dans des facs pofés fur le fol, près des murs, entaflés les uns fur les autres, dans le voifinage de matières végétales & animales en putréfaétion , ils font précifément tout ce qu'il faut pour hâter le dépériffement de ce qu'ils ont intention de conferver. On obviera à ces inconvéniens en mettant læ Châtaigne & le Marron préalablement triés, & effuyés avec un linge , dans des facs de toile , ot des paniers de paille, fufpendus êt iolés de toutes parts, dans un endroit fec, afin que l'air circu= : lant librement entré les vides que la forme du fruit occafionne , il puiffe diffoudre & entrainer avec lui l'humidité qui tranfude perpétuellement de l'intérieur , 8c entretenir dans la mafle une fécherefle & un froid qui tiennent les. parties conftituantes de la Châtaigne dans une inertie abfoluess : :22n: to Vrrroû É Les Châtaignes & les Marrons, ramaflés au grand foleil, expofés enfuite’à l'aétion de cet aftre pendant fept..ou huit jours, fur des claies que l’on retire tous les foirs, & que l’on pofe les unes fur les autres dans l'endroit de lamaiïlon le DE LA CHATAIGNE. 35 pluschaud, acquièrent la propriété de fe conferver très long-temps, & même de fupporter les plus longs trajets, fans rien perdre de leur faveur agréable & de leur faculté reproduëtive ; mais, cette méthode dont la bonté eft connue, ne peut être pratiquée par nos marchands, parce :que les fruits anfi féchés au foleil ont perdu unpeu de leur volume, &c leur furface extérieure, au lieu d’être hiffe, eft ridée ; ce qui feroit un obf- tacle au débit d’une denrée qui a befoin, comme beaucoup d’autres, du‘ coup d’œil. Il exifte encore d’autres moyens de conferver la Châtaigne, dont la plüpart font défe&tueux , & les autres ne fauroient être pratiqués que par des particuliers qui, s’occupant davantage de la qualité intrinsèqué de leur provifion, ne faeri- fient point l’apparencé: à la qualité : fous allons les rapporter dans les obfervations fuivantes. -Obfervations. ON ne peut: pas dire que la Providence, en nous accordant la Châtaigne, femble y avoir mis un prix en multipliant les obftacles qui rendent fa conférvation difficile. Nous pourrions jouir plus lông-temps de ce bienfait, fi les moyens employés à fà confervation. étoient toujours fon- dés dur de bons principes, Ci 56 TIRATTE Dans le nombre des moyens ufités pour cor ferver la Châtaigne verte, nous en citerons quel- ques-uns qui font, pour aïnfi dire , impraticables , ou dont l'effet ne répond nullement au but qu’on fe propofe. Tel eft celui, par exemple, qui con- fifte à gauler ce fruit & à le conferver dans fon brou. Nous favons, il eft vrai, que le Blé, gardé pendant quelque temps en épi, grofht & s’amé- liore, parce que l’humidité végétative contenue encore dans le tuyau, s’élève jufqu’au grain, de même que certains fruits augmentent en per- fe&ion, en leur confervant un peu de la tige & laquelle ils appartiennent. L’enveloppe, où le brou de la Châtaigne ; a également une humi- dité féveufe qui concourroit à la perfeétion du fruit, fi, déns l’opération du gaulage ; on n’empé- choit le dernier degré de maturité, ce qui nuit à fa qualité ; or, on s’eft bien trompé en croyant que pour conferver plus long-temps la Châtai- gne, il falloit l’abattre avant qu'elle tombät d'elle-même : fa chûte doit être naturelle & fans ! effort. On fe fert de plufeurs intermèdes pour:em= pêcher que la Châtaigne amoncelée ne s’échauffe & ne fe gâte : le fon, la fougère , les feuilles de Châtaignier féchées, le fable, la cendre, la chaux , le fel, font autant de matières qu’on à DE LA CHATAIGXNE. 37 A crues capables de remplir cette vue ; mais il s’en faut qu’elles foient aufh infaillibles que quelques Auteurs l’ont annoncé. Le fon le plus fec fe charge bientôt de l’hu- midité qui tranfude de la Châtaigne , & alors il pañle à la putréfaétion : les cendres attirent l'humidité de l’air, & retiennent celle de la Châtaigne : la chaux & le fel ont le même incon- vénient, qui eft moindre de la part des feuilles; enforte que, loin d’être dans un milieu fec & con- fervateur, ce fruit fe trouve environné de ma- tières qui ne font que précipiter fa détérioration. Quoique le fable réuniffe le double avantage de fe tenir frais & de ne point s’humecter à l’air,il ne peut pas toujours cependant remplir entièrement le but qu’on fe propofe, par la raifon qu’il devient un obflacle à la difipation de l’humidité propre de la Châtaigne. La petite paille, cette matière sèche & liffe qui renvoie les rayons du foleil plutôt que de les abforber, pourfoit , étant mêlée avec la Chätaigne, en interpofer avantageufement les couches , 8C tenir ce fruit dans un état fec & frais, L'expérience & le raifonnement font d’accord pour la bonté, pour l'efficacité, de ce dernier moyen; il devroit être fubftitué à tous _Jes autres, Je pañle fous filence d’autres ufages pratiqués dans de femblables vues, tels que le féjour de C 1 358 ST TUR AIT É° la Châtaigne dans l’eau ou dans la terre pour lé manger fraiche : on penfe bien que cet avantage eft de courte durée. Je vais indiquer aux amateurs de la Châtaigne une recette pour la manger verte pendant toute l’année : elle conffte à faire bouillir ce fruit environ quinze à vingt minutes dans l’eau, &c à l’expofer enfuite à la chaleur d’un four ordi- naire, une heure après que le pain en a été tiré: par cette double opération, la Châtaigne aëquiert un degré de cuiflon & de deflication propre à la conferver très long-temps, pourvu qu’on la tienne dans un lieu extrèémement fec; on peut s’en fervir enfuite en la mettant réchauffer au baïin-marie ou de vapeur , c’eft ce que les Limou- fins nomment /as fournffat : ceux qui préfèrent de la manger froide, n’ont befoin que de la laiffer renfler à l'humidité l’efpace d’un jour ou deux. Mais toutes ces méthodes de confervation ne font applicables que pour une certaine quantité de Châtaignes ou de Marrons. Il faut avoir re- cours, pour conferver de grandes provifions, à un autre moyen, qui, dans l’efpace de quelques jours, met ce fruit, quelque humide qu’on le fup- pofe, enétat de fe garder des fiècles fans appré- ender qu'il fubiffle d’avaries. On y parvient par le moyen du féchoir à fumée, que nous décrirons bientôt, DE LA CHATAIGNE. 49 A BR TIC LUE, Vs Analyfe de la Châtaigne. JusQU’A préfent nous n’avons confidéré la Châtaigne qu’à fon extérieur : les différens prin- cipes qui la conflituent ne font pas moins dignes de notre examen; & leur connoiffance plus ppprofondie, peut donner lieu à des recherches & à des obfervations qui ferviront à éclairer fur les bornes des reffources qu’il eft poffible d’ima- giner avec ce fruit. L'écorce & la pellicule dont la fubftance de la Châtaigne eft revêtue , n’ont pas été deftinées par la nature pour entrer dans la mafle de nos alimens : elles fervent, comme dans toutes les autres femences, à mettre à l’abri des influences de l’atmofphère la partie effentielle qu’elles renferment ; leur tiflu & leur confiftance font différens. L'une & l’autre de ces écorces étant bouillies un moment dans l’eau, donnent une couleur très-foncée ; & leur déco&tion effayée avec une diflolution martiale , agit à peu près de la même manière que les fubftances acerbes ; elle la pré cipite fous une couleur noire. La Châtaigne dépouillée de fes deux envelop- pes, offre à fa fuperficie un blanc jaunâtre, à C1 40 AR A IT É caufe de l’application immédiate de la pellicule qui la colore; car le centre eft d’un beau blanc: elle agit auffi à la manière de matières aftrin- gentes fur les diflolutions martiales, moins, il eft vrai, quand elle a été féchée, & prefque plus après fa cuiffon : auffi la Châtaigne, dans ces dif- férens états, eft-elle plus ou moins acerbe, . Expofée à l'air, la fubftance blanche de la Châtaigne fe ternit bientôt, fe colore & s’amollit à peu près comme les fruits & les racines aux- quels on a enlevé la première enveloppe; mais on a peine à concevoir que la Châtaigne renferme autant,d’eau dans fa compofition : cette eau, qui en eft une des parties conftituantes la plus abon- dante , s’y trouve confondue & diftribuée de manière à faire foupçonner qu’elle eft combinée, Qui croiroit, en voyant la fécherefle apparente d’une Pomme de terre, que cette racine cons tienne près de douze onces d’eau par livre à La Châtaigne privée de toute enveloppe, dis vifée par le moyen d’une rape, & réduite fous la forme d’une pâte molle , à la faveur de l’eau, fans employer le feu, ayant été renfermée dans un fac de toile ferrée , & foumife enfuite à l’ac- tion d’une prefle, a fourni une liqueur brune, épaifle, mucilagineufe & trouble, dépofant un fédiment qui, lavé & féché, a pris une três- grande blancheur. j DE LA CHATAIGNE. 4H Le marc reftant dans le fac, ayant été frotté entre les mains à diverfes reprifes , &t expofé de nouveau à la prefle après que l’eau qui le fur- nageoit ne laifloit plus rien précipiter , fut féché , ainfi que la totalité du dépôt formé : les expériences néceflaires pour parvenir à la con- noiflance de ces deux produits, ont prouvé que l’un étoit une matière fibreufe, & l’autre, de l’amidon comparable à celui des grains. La liqueur provenant des Châtaignes expri- mées, les différentes eaux colorées décantées de deflus la matière fibreufe & l’amidon, ayant été réunies enfemble, filtrées & diftribuées fur plufeurs affettes, afin de pouvoir les évaporer promptement , fans cependant employer trop de chaleur , on a placé ces afliettes au-deflus d’un four : à peine le feu fe fit-1l fentir, que le li- quide perdit de fa tranfparence, & l’on vit une matière grife venir fe raflembler par flocons à la furface. L’évaporation ne fut pas moins con- tinuée jufqu’à ce que la liqueur eut acquis la con- fiftance d’un extrait folide. | Cet extrait muqueux , très-fufceptible d’attirer l’humidité de Pair, fut mis auflitôt à digérer dans l'efprit-de-vin; il s’y diffolvit en partie; & la diflolution ayant été mife à évaporer, j’obtins une liqueur firupeufe, qui, expofée pendant un certain temps dans un endroit chaud, préfenta 42 PAT ON 10) LU. OÙ ME M: une infinité de criftaux aflez réguliers pour juger que c’étoit un vrai fucre : j'en acquis la certi- tude en le foumettant aux opérations du raf- finage. Cette analyfe de la Châtaigne ne pouvant opérer aucune décompofition dans les parties conftituantes , je fuis autorifé à conclure que ce fruit contient, indépendamment de fes deux écor- ces, du germe & de l’eau de végétation , quatre fubftances eflentielles & bien difinétes, ayant des caraëtères particuliers, favoir : 1°. De lamidon. 20. Un véritable fucre. 3°. Une matière extraétive, 4°. Une fubftance fibreufe. Nous ne nousarrèterons point fur les propriétés principales de ces différentes parties | parce qu’elles font faites pour demeurer liées enfemble, & que d’ailleurs le but effertiel de ce travail eft de ne confidérer la Châtaigne que dans fon’em- ploi pour la nourriture : ainfi 1l ne fera plus quef- tion que de la totalité du fruit que nous conti- nuons d'examiner. | La matière muqueufe fucrée fe trouvant au nombre des parties qui conftituent la Châtaigne, je n'ai fait aucun doute que ce fruit ne dût pañfer à la fermentation fpiritueufe , & fournir de Pef- prit ardent par la difüllation, Pour m’en aflurers DELA CHATAIGNE. 4% plus pofitivement , j'ai donné à la Châtaigne une forte de fluidité , en la mêlant avec une certaine quantité d’eau , & l’y réduifant fous diverfes for- mes , tantôt crue & rapée , d’autres fois féchée & pulvérifée , fouvent enfin cuite & en pâte. Dans tous ces états, le mélange placé dans un endroit chaud a contraété au bout de quelque temps une odeur vineufe agréable , puis aigrelette ; alors j'ai procédé à la difüllation , & jen ai retiré de l’eau-de-vie. Il ne nous refte plus, pour terminer l’analyfe de la Châtaigne , que d’expofer très - fuccinte- ment les différens changemens qui s’opèrent dans les parties conftituantes de ce fruit durant fa def- fication & fa cuiflon; mais ces deux opérations exigent quelques détails qui méritent d’être trai- tés à part ; & nous croyons devoir même ajouter à chacune d’elles les obfervations relatives à la fanté &c à économie ; mais, avant de les rappor- ter, il eft eflentiel encore de nous arrêter un moment fur ce qui précède , afin de mieux dé- velopper les avantages qu’on peut trouver dans la Chätaigne, Ob fervations. LES deux enveloppes de la Châtaigne ayant quelque rapport avec les fubftances aftringentes, ou pourroit, au lieu de les brûler, les faire fervix nn TRAITÉE aux teintures & dans nos tanneries. M. Defmareft m’a afluré que la première coloroit en marron léger les linges dans lefquels ce fruit étoit enve- loppé , au point que la fermentation qu’éprouve le chiffon dans le pourrifloir , & tous les lavages de la trituration dans les piles des moulins à pa- pier, ne pouvoient parvenir à enlever cette cou- leur, & que ce chiffon étoit deftiné en confé- quence à la fabrication du papier gris, appelé Lombard ; d’où l’on peut conclure que l’écorce de la Châtaigne feroit en état de donner une cou- leur très-folide , fans qu’il fût néceflaire d’em- ployer aucun mordant, Si par hafard on foupçonnoit que l’opération employée pour décompofer la Châtaigne , fût capable d’influer fur la nature de fes parties conftituantes , on pourroit s’aflurer encore de leur exiftence , fans rompre l'agrégation de ce fruit : il fufhroit d’expofer au microfcope une tranche de Châtaigne , pour appercevoir des points brillans, qui font l’amidon ; de jeter en- ‘fuite cette même tranche fur les charbons ardens, pour être afluré de la préfence de la matière fibreufe, qui , réunie avec l’amidon, répand conf- tamment une odeur de pain que l’on grille : la faveur fucrée de la Châtaigne décèle aflez la #ubftance faline à laquelle on la doit; enfin l’alkali volatil que ce fruit donne à la dernière violence L DE LA CHATAIGNE, 45 du feu, manifefte qu’il renferme de lextrait, Voilà donc encore une nouvelle démonftra- tion des quatre parties conftituantes dé la Châ- taigne , fans qu’il foit néceflaire d’en changer la nature refpeétive , & de foumettre ce frujt non feulément à l’aétion de la rape , de la preffe , des lotions & des évaporations , mais encore à ces moyens deftruéteurs, comme l’ébullition & l’ana- lyfe à feu nud, qui, au lieu de féparer des corps leurs parties conftituantes , & de les préfen= ter dans l’état de pureté telles qu’elles y exiftent, ne fourniflent que des produits formés par leurs opérations. Je n’ai pas déterminé les proportions des par= ties conflituantes de la Châtaigne, parce que ce fruit, comme toutes les produétions de la nature, varie à caufe du fol, de l’année, du climat, de l’expofition & de l’efpèce : mais une HbtetriSen aflez conftante, c’eft que le fucre & l’amidon font d’autant plus abondans, que la faifon a été _ plus favorable aux Châtaignes, aufi font-elles alors plus favoureufes & plus nourriffantes; les Marrons n’en diffèrent que par la quantité de ces deux dernières fubftances qui s’y trouvent plus confidérable, ainfi que j’ai eu occafion de m’en aflurer plufieurs fois, en ru fur le Marron les mêmes be ro ge que j'ai 1, faites fur là Chitaigne, 16 /MRATTÉ Il m’a paru également inutile de calèuler ce qu'on pouvoir retirer d’efprit ardent d’une quantité déterminée de Châtaigne, par rapport aux circonftances énoncées ci-deffus : d’ailleurs il ne fufñit pas pour établir la fermentation vi- neufe dans les matières farineufes, de les aban- donner à elles-mêmes comme le fuc de nos fruits ; il faut, pour en retirer la totalité de. liqueur fpiritueufe qu’elles font en état de four- nir, des procédés & des combinaifons ; un levain approprié; des proportions juftes dans les mélan< ges; la dofe d’eau néceflaire ; un degré de feu convenable ; des foins pour établir la fermenta- tion, l’accélérer, l’arrêter & diftiller à propos: telles font les conditions principales fans lef= quelles les grains, quels qu’ils foient, ne en nent que des atômes fpiritueux. Jar Si les Habitans des pays montagneux, qui n’ont ni raïfins ni grains, mais beaucoup de Châ- taignes, & qui ne font pas à porfée , comme les Cévennes & le Rouergue, de fe procurer du vin à peu de frais, vouloient tirer parti de cette propriété de leurs Châtaignes, ils pourroient appliquer à ce fruit le travail du bouilleur &t:du braffeur , pour obtenir des boïffons analogues à la bierre & à l’eau-de-vie; tout ce que je puis leur certifier, c’eft qu'ils pourroient en rt ung très-srande quantité, vu labondance de: IR DE LA CHATAIGNE. 47 matière fuccrée , & la préfence de l’amidon que je foupçonne avoir grande part à la formation de l’efprit ardent : peut-être feul eft-1il en état de jouer le rôle du fucre dans la fermentation; c’eft un problême dont j’efpère donner inceffam- ment la folution. Si l’on m'objeétoit ici qu’il importe fort peu que l’on fache de combien de parties la Chà- taigne eft compofée, quelle eft celle où réfide fpécialement la faculté nutritive , puifqu’elles font toutes plus ou moins alimentaires; je répondrai qu'il fera toujours avantageux de fa- voir qu'avec des Châtaignes feules, on possède du fucre & de l’amidon, deux fubftances les plus importantes de la végétation, puifque, réunies ou féparément , elles procurent abondamment à homme de quoi fatisfaire fes plus preffans be- foins, la faim & la foif, À RTC EE VL _ Méthode pratiquée dans les Cévennes pour +: Jécher la’ Chätaigne, LA Claie des Cévennes eft un bâtiment qui a quatre faces, & dont les deux oppofées font parallèles. Pour conftruire une claie , on choifit wn angle de bâtiment, afin d'éviter en partie la >, 48 TRAITÉ dépenfe des murs ou des cloifons; on établit” à la hauteur de fix pieds neuf pouces du rez- de-chauflée, un plancher compofé de fix fortes poutres à des diftances égales & bien mifes de niveau ; on attache deflus ces poutres des mor- ceaux de bois d’égale longueur, applatis par- deflus & aux deux bouts: le deffous eft un dos d'âne, afin qu’ils reçoivent mieux la fumée ; ces morceaux de bois font cloués à chacune de leur extrémité , fur le milieu des poutres & à la diftance d’un tuyau de groffe plume. Cet afleim- blage forme ce qu’on appelle claie /éronnade. On donne à cette claie ordinairement deux toifes & demie en quarré hors d’œuvre : l’on peut placer fur cette claie , jufqu’a trois pans de Châtaignes fraîches, & le pan de Châtaignes féchées doit rendre environ cent vingt-huit fep- tiers, pefant cent vingt-quatre livres le feptier. Le bâtiment qui renferme la claie eft ordinai- rement de. trois toiles de hauteur. On Ia place, autant qu'il eft poffible, à couvert du mauvais temps. Vis-à-vis la porte d’entrée , on pratique au rez-de-chauflée une ouverture d’une demi- pied de large & d’un pied de hauteur; elle fert à éclairer & à donner au feu l’aétivité néceffaire, On fait outre cela une porte au-deffus de Ia claie, & dans le milieu d’une des faces du quarré, & de chaque côté de la porte, une ouverture DE LA CHATAIGNE. 49 ouverture d'environ huit pouces de large fur quinze pouces de haut : dans la face oppofée , à environ trois pieds au-deffus de la grille, on pratique trois ouvertures, favoir , deux qui cor- refpondent à celle de la face où eft la porte, & une troifième vis-à-vis la porte, deux pieds plus haut que les autres : dans les deux autres côtés, on ne fait qu’une ouverture de même grandeur que les autres, &t à trois pieds au-deflus de la grille ou claie; enfin, on fait près du toît, & dans chacune des quatre faces , une ouverture d’un demi-pied en quarré , pour donner iflue à la fumée qui perce le lit de Châtaignes étendu fur la claie, & qui les sèche. Ces ouvertures doivent être pratiquées vis-à-vis les unes des au tres, dans les faces oppolées. Le toit ne doit pas être de-planches jointes : toute planche peut fer= vir à cette deftination : on y pratique deux lu- carnes d’une grandeur médiocre de chaque côté, On voit bien que toute les différentes ouvertu= res pratiquées dans la pattie fupérieure de la claie, font deftinées à donner un libre cours à la fumée à mefure qu’elle s'élève, fans cela, elle fe ra- battroit fur les Chätaignes, & par fon féjour les roufliroit & leur donneroit un goût de fumée : on place toutes les autres ouvertures en oppoñtion, afin que le vent trouve une iffue qui foit dans fa direétion , & qu'il entraine &chañle, fans eb£ D ‘50 ÉMREA DT É tacle, la fumée. Si l’on plaçoit la claie dans une cage de murs, qui ne pourroit pas avoir des ou- vertures aux quatre faces, 1l ne faudroit en pra- tiquer que fur les faces libres & oppofées, & en augmenter le nombre. Lorfqu’on veut fe fervir de la claie conftruite avec toutes ces précautions, on a foin que les, felons ou bâtons de grille foient bien nets, tant par deflus que par deffous, avant qu’on y place les Châtaignes ; & dès qu’elles y font, l’homme ptépofé à la conduite du féchoir, doit avoir la plus grande attention de balayer chaque jour le deflous des poutres du plancher, afin d'enlever la fuie & la pouffière qui prendroient feu. L'on place les Châtaignes par lit fur la claie; & dès qu’on a mis trois ou quatre facs, on allume ke feu par deflous, de la manière que nous l’ex- pliquerons : on les fait fuer d’abord , & dés qu’elles ont fué , on fufpend le feu pendant une demi-journée, pour laiffèr refroidir les Châtai- ones ; alors on les met de côté, & l’on couvre les parties dégarnies des Châtaignes qui ont fué, de nouvelles Châtaignes fraîches, en obfervant de mettre les Châtaignes qui ont fué, deflus les Châtaignes fraiches : on continue le feu pour faire fuer de nouvelles Châtaignes. Lorfque la claie eft toute garnie de Chäâtaignes qui ont fué également , on entretient un feu doux pendant DE LA CHATAIGNE. 81 deux à trois jours, & on l’augmente enfuite par degrés. Cet inftant eft le plus critique pour le fuccès de l’opération :. la ;graduation du feu eft une chofe effentielle. Après neuf ou dix jours de feu continuel, qu’on a augmenté par desrés, on retourne les Châtaignes avec une pelle : l’on continue enfuite à gouvérnér le feu de la, même manière qu'auparavant , jufqu’à ce qu’on foit - afluré que les Châtaignes font fufifamment sè- ches: on le reconnoïten. faifant battre un boif- feau ; fielles font aflez sèches, elles fe dépouille- ront de leur peau intérieure. On fait le feu avec de groffes Hole de Châtaignier, couvertes tout autour de pouflier de Châtaignes, &, au défaut de ce pouflier, de {ciure de bois : on évite par cet arrangement, que le feu ne faffe. de la flamme, parce qu’on veut qu'il'produife beaucoup de fumée. On ne lui donne qu’une petite ouverture au milieu, pour lui procurer de l’air. On obferve, outre cela, de placer toujours le, feu fous une des pou- tres de la claie , & de le changer de place de temps en temps, afin de faire fécher également par-tout les Chätaignes, fi la claie en eft cou- verte entièrement. Lorfque les Chätaignes font bien sèches, on les tire de deflus la claie, & on les bat pour les dépouiller de leur peau : pour cette opération, Di 52 T RAÏ T É qui s'exécute tout de fuite après que les Châtaï- gnes ont été enlevées de deflus la claie, il eft néceflaire d’avoir un banc très- fort , dont la furface fupérieure foit unie, & dont la largeur foit proportionnée à la quantité de Châtaignes' qu’on fe propofe de battre. On bat otdinaire- ment vingt fetiers de Châtaignes à-la-fois, &e ce travail occupe deux hommes. Pour renfermer ces vingt fetiers, on forme un fac d’une bonne toile grife, qui eft ouvert par les deux bouts : avant que d’y mettre les Châtaignés sèches, on fait tremper ce fac dans de l’eau où l’on a fait bouillir du fon, afin de donner à à la toile plus -dé foupleffe. L'un des deux hommes tient le fac par le bouts pendant qué l’autre Le remplit de Châtaignes sè- ches avec une mefure connue : on le lie par les deux extrémités ; &, après l'avoir placé fur le banc, ils frappent tous deux avec des bätons, cinquante ou foixante coups; ils brifent ainfi l’é- corce extérieure , & détachent en mème temps la peau intérieure , ce qui met à couvert la fubf- tance farineufe de la Châtaigne. Un des homimes ouvre. le fac, tire les Châtaignes battues, & les met dans un van que l’autre préfente ; il les agite &t les vanne ; & par cette opération, il fépare celles qui ne font pas encore dépouillées de leur peau , d'avec celles qui en ont le plus retenu ; “à DE LA CHATAIGNE. 86% on remet les premières dans le fac, pour être battues de nouveau. Il eft néceffaire de tremper quelquefois le fac dans l’eau, fans quoi il feroit déchiré par les battages. On laïfle quelques jours en tas les Châtaignes, après qu’elles ont été dépouillées de leur peau; après quoi, on les remet dans le fac ; on les bat , en retournant de temps en temps le fac; enfin, on les vanne, on les trie, & on met à part celles qui font marchandes. * Comme il tombe une certaine quantité de Chä- taignes dans la pouflière formée des débris de l’é- corce extérieure & de la pellicule, on a foin de les en retirer. Cette pouflière fe nomme bri- fat. Ce brifat fert à engraiffer les beftiaux, parce qu'outre la pellicule, il contient des morceaux de la fubftance des Châtaignes. Une claie ou batille, telle qu’on l’a décrite, ef très-propre à l’éducation des vers à foie, qu’on place fur la grille , lorfqu’ils font fortis de la troifième mue, ou même de la feconde : en fai- fant un feu convenable par deflus, on parvient à donner à tout l’intérieur du bâtiment une cha- leur qui va jufqu’au dix-huitième & vingtième degrés du thermomètre de Réaumur. Obfervations. D ANS les Provinces où la Châtaigne fert à la Di 54 o AN MAIMT'T É nourriture du peuple, on a le plus grand intérêt de la conferver , pour n'être pas obligé à con- fommer dans la faifon de la récolte ce qui doit faire la principale provifion de l’année, & fup- pléer, s’il eft poflible, à la récolte fuivante ; mais malheureufement le Limoufn eft peut-être le pays où cette opération eft la moins foignée ê&x la plus défectueufe, On s’eft trompé en penfant que la préparation qui réduit la Châtaigne à l’état de caffagnous , car c’eft ainfi qu’on nomme ce fruit féché dans les Cévennes & dans quelques pays voifns, que cette préparation, dis-je , ne fafle que fouftraire Thumidité furabondante; la chaleur que l’on y emploie, la manière dont elle eft adminiftrée & fa ‘durée, fuffifent pour combiner les principes entre eux , au point de ne pouvoir plus être féparés avec Ja même facilité & la même pureté qu'auparavant. Si les chofes n’étoient pas ainfi, files parties conftituantes des Châtaignes féchées continuoïent d’être ifolées comme dans l’état naturel , elles ne manqueroient pas de jouir de toutes leurs pro- priétés ; elles attireroient l’humidité de l’air , s’a- molliroient , perdroient de leur blancheur &c de leur goût , enfin elles fe détérioreroient promp- tement. La manipulation des Cévennes , mettant à l’abri de tous ces accidens, on ne fauroit trop généralement la répandre dans plufieurs de nos DE LA CHATAÏGNE. 55 Provinces , où fa pratique pourroit devenir de la : plus grande utilité. Quoiqu’on ait l’habitude de faire fécher une certaine quantité de Châtaignes dans les princi- paux domaines du Limoufin , cependant il man- que à cette pratique tant de circonftances effen- tielles , qu’on eft bien éloigné d’en tirer tout ce _ qu’il feroit pofhble d’en attendre, fi l’opération étoit conduite avec plus d'intelligence. La prati-_ que des Limoufns, fuivant les obfervations de M. Definareft, fe réduit à étendre fur une claie fort groffière des Chäâtaignes , à les expofer à l’aétion de la fumée, & à les garder , lorfqu’elles font sèches, avec leur écorce & leut pellicule. Les Châtaignes ainfi gardées acquièrent une couleur noirâtre, & deviennent mollaffes lorf- qu’on les fait cuire ; la plupart ont un goût d’em- pyreume très-marqué , au lieu que ce fruit, pré- paré fuivant les procédés ufités dans les Cé- vennes, eft d’un blanc-jaunâtre , fe conferve très-ferme ; &, après la cuiflon , il a un petir goût fucré aflez agréable , & prefque aufli bon que celui dont on vient de faire la récolte, La raifon de cette différence dans les réfultats du féchoir eft fenfible, pour peu qu’on réfléchiffe à l’imperfeétion de la pratique des Limoufns, &t qu’on la compare enfuite avec celle ufitée dans les Cévennes. D iv B6. cv TIMANTT É _ Lorfque les Châtaignes ont féché par lac tion de la fumée , elles ont reçu dans leurs écor- ces les principes que cette fumée entraîne; ce font des matières huileufes &t falines échap- pées à la flamme, &t qui réduites en vapeurs, pénètrent infenfiblement jufques dans la fub{- tance farineufe , laquelle s’humeéte à Pair , devient mollafle , & contraëte une faveur empy- reumatique très-défagréable; aufh une grande partie des Châtaignes féchées dans le Limoufin fe gâte fort aifément, & on ne peut jamais en pré- parer de farine. Par la méthode plus réfléchie des Cévennes , on évite tous ces inconvéniens : en dépouillant la Châtaigne de fon écorce & de fa pellicule, incontinent après qu’elle eft tirée du féchoir , on prévient la communication des principes de la fumée qui fe font ättachés à la furface interne des écorces ; ils ne peuvent plus s’infinuer dans la fubftance farineufe, ni exercer leur action fur elle à la manière des diflolvans, aufhi ce fruit conferve-t-il fa couleur blanc-jaunâtre , & une fermeté inaltérable, Une des circonftances favorables à la mé- thode des Cévennes , qui femble négligée aïl- leurs , c’eft la graduation du feu, & l’attention qu’on a de faire fuer les Châtaignes par une cha- leur modérée dans les premiers inftans de l’opéra- A7 vi DE LA CHATAIGNE 57 + tion du féchoir. Il y a tout lieu de croire.qu’en Lis moufin , où l’on ne ménage point le degré du feu, VPécorce , frappée vivement , fe durcit trop vite , & n’eft plus en état de laiffer tranfpirer au-de- hors l'humidité , qui , refoulée: dans l’intérieur, réagit fur les principes de ce fruit , & n’opère point la combinaifon néceffaire, d’où réfultent les défauts énoncés. Pour rendre plus fenfible la méthode des Cé- vennes , réfumons ce qui fe pañle au féchoir. La Châtaigne, à peine échauffée , augmente d’abord de volume, ce qui difpofe déja l’écorce & la pellicule à s’en d’étacher plus aifément ; l’humi- dité de végétation fe raréfie bientôt & s’évapore, tandis que l’autre qui appartient à chacune des parties conftituantes, ne pouvant quitter prife aufli aifément à caufe de fon adhérence , exige un feu plus confidérable pour s’évaporer ; mais alors ce degré de feu agit infenfiblement fut la totalité des principes de la Châtaigne, qui, fe trouvant dans une forte de molleffe & de flexi- bilité , fe réuniffent en partie; ce qui produit, après le refroidiflement , la diminution de vo- lume , la fefmeté & la deffication defirées. On fait donc ici, par la voie sèche , à-peu- près ce que le Confifeur produit par la voie hu- aide , dans l’opération qu’il appelle blanchir le fruit; il combine les parties conftituantes par le EL] 58 LA ZT É mouvement de l’ébullition , enforte que le corps , qu'on y foumet devient plus ferme , plus fa- pide , & moins difpofé à perdre la forme qu’on a intention de conferver. La Châtaigne , dans l’état de parfaite deffica- tion où la méthode des Cévennes l’a amenée , peut fe conferver non-feulement tout l’hiver, mais encore d’une année à l’autre, fans rien per- dre de fa bonté. Nous ne faurions donc trop inviter les Cultivateurs intelligens à adopter cette méthode ; leur exemple fera plus d’impreffion fur lefprit des Payfans , que les meilleurs Traités, Pourroient-ils être indifférens à une pratique fimple , peu difpendieufe & de facile exécution, qui procurera fans frais les moyens de mettre en réferve le fuperflu des bonnes années, pour fub- venir aux befoins preffans que les mauvaifes oc- cafñonnent ? C’eft fur-tout dans les temps d’abon- dance qu’il faut fe ménager des reflources contre les fuites de la ftérilité & les malheurs de la di- fette ; car l’homme affamé n’eft capable d’aucunes recherches heureufes, HEC LE VIE De la Farine de Châtaipne. LA petitefle & la forme des grains, l’applis cation immédiate de l’enveloppe qui les revêt, DE LA CHATAIGNE. s9 ne permettent pas aux inftrumens deftinés à les moudre, d’obtenir une farine entièrement purgée de fon &t de la fubftance qui adhère à fa fur- face interne ; mais il n’en eft pas ainfi de la Châtaigne , dans l’état de divifion où le pilon l’a réduite. La poudre qu’on en obtient ne diffère pas du fruit lui-même dépouillé de toute écorce. En revanche , les femences des graminés n’ont _ pas befoin de pañler à l’étuve pour fe broyer aifément , à moins que l’année trop humide n’ait diminué leur fécherefle naturelle ; mais la Chä- taigne , dans tous les temps , exige cette opéra- tion préalable. Or, ne pouvant me procurer pour le moment des Châtaignes des Cévennes, vou- lant d’ailleurs vérifier par moi-même de quelie manière la deffication s’exécutoit, comment la divifion s’en opéroit, & n’employer enfin que la farine préparée fous mes yeux , Je me fuis oc- cupé particulièrement de cet objet. J'ai expofé des Châtaignes entières au deflus des fours de la boulangerie de l'Hôtel Royal des Invalides , dont la chaleur eft affez ordinairement depuis trente jufqu’à quarante degrés, fuivant le thermomètre de M. de Reaumur ; elles y ref- tèrent plus de douze jours fans pouvoir fécher , elles s’amollifloient & diminuoient de volume; mais, en lesouvrant, elles exhalèrent une odeur défagréable, La 60 DORE LT E Pour favorifer la deffication des Châtaignes ; je les dépouillai de toute écorce; elles perdirent alors leur humidité plus aifément; mais elles prirent à mefure une couleur noire : je les coupai par la moitié, & j'éprouvai les mêmes difficul- tés ; enfin, je les divifai par tranches plus min- ces, & je leur donnai beaucoup de furface en les étendant fur plufeurs tamis : ce ne fut qu’en cet état qu’elles fe defféchèrent très - bien en vingt-quatre heures, fans perdre de leur couleur; & qu’au moyen du pilon, du mortier &c du ta- mis de foie, elles donnèrent une farine d’un blanc-jaunâtre, fans odeur , douce au toucher, & répandant dans la bouche une faveur fucrée un peu aftrictive. La farine de Chäâtaigne s’approprie une plus ou moins grande quantité d’eau, fuivant fa divi- fion & la bonté du fruit d’où elle réfulte ; mais elle n’a jamais le degré de fécherefle des au- tres farines ; cependant rien n’eft plus aifé de la lui procurer, en l’expofant à la chaleur d’une étuve ; & alors 1l y a lieu de croire qu’elle FES roit fe conferver des temps infinis , & même fupporter le trajet des mers fans s’altérer, fur- tout fi elle étoit à l’abri de l’air extérieur, 8e renfermée dans des barils, comme les farines . qu’on tranfporte dans nos Colonies. Difpofé, comme je l’étois, à foumettre la fa DE LA CHATAIGNE. 61 rine de Châtaigne : à toutes les opérations de la boulangerie , je voulus favoir préalablement f elle contenoit la fubftance glutineufe que Beccari a découverte dans le froment ; fubftance qui joue le rôle le plus intéreffant dans la fabrication du pain, &c à l’excellence duquel elie concourt da- vantage qu’à fes propriétés alimentaires, Je fis donc les expériences fuivantes. Je formai avec la farine de Chîtaigne, une pâte d’une confiftance folide , avec fufffante quantité d’eau froide, qui, maniée long-temps, ne put acquérir de liant & de ténacité entre fes parties; je la traitai dans l’eau à l’inftar de la pâte de froment , fans rien rencontrer de glu- tineux & d’élaftique. Au lieu de me fervir de farine de Châtaigne, je préférai le fruit lui-même , que je fis cuire & réduire en pulpe, pour effayer fi, par le moyen d’un rouleau, je ne parviendrois pas à produire artificiellement une efpèce de matière glutineufe femblable à celle qu’on obtient avec la Pomme de terre cuite & écrafée fur le champ ; mais certe pulpe ne devint ni plus ténace ni plus fpon- gieufe. Enfin , dans la crainte que l’exfccation ou la cuiffon n’euffent combiné ou détruit la matière _glutineufe » au cas qu’elle s’y trouvät , J'ai pris la Châtaigne fraiche, que j’ai rapée dans l’eau 62 TRAITÉ pure; celle-ci s’eft d’abord colorée , parce que le fuc de ce fruit eft, ainfi que nous l’avons dit, très-foncé : l’amidon s'étant féparé du paren- chyme fibreux, je n’ai apperçu aucuns veftiges de fubftance glutineufe. Mais je reviens à mon objet , quelque important que foit celui dont je viens de parler. Les habitans des montagnes du côté de Lu- ques en Tofcane , font fécher les Châtaignes de la même manière que dans les Cévennes; &, pour les conferver plus long-temps, ils les ré- duifent en farine, l’entaflent dans des pots dé térre bien bouchés, où elle fe conferve plufeurs années , pour s’en fervir comme nourriture; ils en préparent des efpèces de galettes qu'ils font cuire , ou, pour mieux dire, fécher entre deux plaques de fer | femblables à-peu-près à celles fur lefquelles on fait les crepes de farrafin. Ces galettes , quoiqu’elles aient la forme de celles que les Américains préparent avec la farine du Magnoc , font infiniment meilleures que la caf- fave, | Une autre préparation qui n’eft pas moins en vogue en Îtalie & chez les Corfes , c’eft celle qui confifte à faire cuire la farine de Chätaigne avec de l’eau dans un chaudron fur le feu, à. remuer fortement le mélange jufqu’à ce qu'il ait acquis une confiftance ténace qui ne s'attache DE LA CHATAIGNE. 63 pas aux doigts. Cette préparation eft connue fous fe nom de polenta; ailleurs on fait cette bouillie plus claire, & on fe fert du lait à la place de l’eau : mais ces différentes manières d’accommo- der la Châtaigne , ne font imaginées que pour varier quelquefois l’ufage où l’on eft par-tout de la manger en nature. Objfervations. LES difficultés que nous avons rencontrées pour faire fécher complétement la Chätaigne au deflus des fours , dépendent de la forte adhéfion de l'humidité avec la matière muqueufe extrac- tive , dont la préfence dans certaines racines, telles que les bettes , les carottes, rend leur en- tier defléchement impofhble , à moins d’une com- binaifon ultérieure. | Ces mêmes difficultés prouvent encore que, pour deflécher parfaitement la Châtaigne , une étuve la mieux conditionnée eft infuffifante, qu’il faut employer le feu immédiat , que la fumée qui en réfulte foit ténue & sèche, fi j’ofe m’expri- mer ainfi, afin qu’elle pénètre plus aifément & plus efficacement le fruit, & que, confondue avec l’humidité qui s’exhale du fruit , elle ne tempère ‘pas trop la chaleur dont on a béta & ne fe refoule point fur le corps à fécher, La 64 TVA AIT É On doit faire enforte auffi de multiplier les fur faces de la Châtaigne au féchoir, de diriger le feu de manière que la claie éprouve par - tout une chaleur uniforme , de brufquer , autant qu’il eft pofhble , l’évaporation fur la fin, de favori- {er la fortie des vapeurs, de dépouiller les Châ- taignes de leurs écorces & pellicules au fortir | du féchoir , enfin, de ne les pas ferrer qu’elles ne foient entièrement refroidies. Mais je ne puis fonger à la bouillie épaiffe ou claire que l’on prépare avec la farme de Chä- taigne & différens fluides , fans faire en même temps quelques réflexions que je me fuis empreflé déja de communiquer aux mères qui allaitent leurs enfans. Elles favent que la bouillie de fro- ment fur-tout eft un maftic qui engorge les pre- mières voies, donne un chyle groflier, fatigue les organes délicats des nourriflons , occafionne des maux d’eftomac , des tranchées, des dévoie- mens, des vers, toutes les Mie enfin qui les | font fuccomber dans le premier âge : auf ont- elles fubftitué à cet aliment lourd & indigefte, le pain fermenté fous la forme de panade. La fatine de Châtaigne donne , il eft vrai, une bouillie moins collante & moins vifqueufe que celle du blé; mais on auroit tort de la com- parer à la purée, de Châtaigne qu’on prépareroit avec la Châraigne cuite, écrafée & délayée dans un DE LA CHATAIGNE. 6 an fluide quelconque. Il n’y a peut-être point d’a- liment médicamenteux meilleur que celui-là ; je doute même que le Sagou & le Salep produi- fent plus d’effet. Les auteurs qui prétendent que là matière glutineufe renfermée dans le froment , eft la par= tie principalement nutritive des farineux , qu’elle fe trouve également dans le feigle , l'orge, l’a= voine , &tc. quoiqu'ils ne foient jamais venus à bout de le démontrer , ne manqueront pas d’ob: jeéter ici que cette fubftance exifte également dans la Châtaigne, puifque ce fruit donne , par l’analyfe à la cornue, de lalkali volatil; & que le fuc qu'on en exprime , fe trouble à la feule imprefhon de la chaleur, en laiffant précipiter une matière Qui, fuivant leur opinion , a quel- dues-uns des caraétères de la fubftance glutinetfe: En vain tiendroit-on encore ce langage, ilne prévaudra jamais contre l’expérience & l’obfer- vation. Je ferai d’abord remarquer que le pré- cipité en queftion eft muqueux & non glutineuxz que le fuc des plantes, de celles mêmes qui font acidules, en fourmiflent aufli; que les mu- cilages les plus purs, comme la gomme arabi- que , donnent de Palkali volatit à la dernière violence du feu, ainfi que les corps les plus éloi- gnés de la propriété alimenteufe. Vobferverai enfuite que cette fubftance gluti. E 66: Ta AVAAICT É neufe conftituant le corps de la pâte qui lève, & la charpente du pain qui cuit, ne fe rencontre comme telle, que dans le blé & lépeautre; qu'ailleurs il n’exifte tout au plus que les maté- riaux propres à la former; mais ces difcuffions font étrangères ici. Nous avons fait fécher des Chätaignes en quan- tité, à deflein d'obtenir la farine néceflaire aux expériences dont nous avions befoin pour con- noître fi, en fuppofant que ce fruit püt fe con- vertir en pain, 1l n’étoit pas pofhble d’en per- fe&ionner la fabrication : ce font ces expériences que je dois maintenant préfenter. A:R C'E.e ee MEET Du mélange de la Chätaigne avec la farine des différens grains. EN ne confultant que l’opinion reçue des Chi- miftes fur la fermentation , &t les règles généra- les qu’ils ont établies à ce fujet , la fermentation panaire'eft vineufe, & on ne peut l’établir que dans des fubftances qui contiennent une matière fucrée. D’après ces principes fi fouvent allégués comme des axiomes , la Pomme de terre, par exemple, n’a pas reçu de la nature la faculté de pouvoir fe transformer en pain, puifque jamais DE LA CHATAIGNE, 67 l’analyfe n’a fait rencontrer de fucre dans ces tua bércules , tandis que la Châtaigne, où ce fel effen. tiel abonde , réunit tout ce qu'il eft poffible de defirer pour la panification. Mais combien 1l faut rabattre de ces explications forcées fur la manière dont la fermentation ‘s'établit, s'exécute & s’a+ . chève, de ces théories brillantes pompeufement étalées dans les ouvrages les plus modernes, & qui, fubjuguant l’efprit de recherches, font un des principaux obftacles aux progrès de Part! Oubliant mes premières tentatives faites in- fruétueufement fur la Châtaigne, afin d’éviter toutes préventions à l’égard des difficultés que j'avois déja rencontrées pour faire du pain avec ce fruit , je commençait mon travail ‘avec le même intérêt que fi la fubftance qui en étoit l'objet, ne m’eût pas encore occupé, J’effayai ‘d’abord fi la farine de Châtaigne , mêlée avec celle des différens grains ; difparoîtroit-au four, & dans ce cas, quelle féroit la qualité du-pain qui en réfulteroit, & jufqu’à quel point ce fup= plément pourroit économifer de grains dans ‘une circonftance où 1} ÿ auroit difette & cherté.: La farine de Châtaigne a été employée &imés langée pour cet effet avec celle du froment dans des proportions différentes, favoir; depuis un feizième jufqu'’aux deux tiers : les pairs :qüi’ en provenoient n’étoient ni laufh légers, ni ‘auf E jj A ET 68 TIRFAUTÉ blancs que ceux du mème grain, fans aucune ad- dition ; ilsavoient tous une couleur lie de vin d’au- tant plus foncée que la Châtaigne s’y trouvoit en plus grande quantité; au point qu’au mélange dans lequel :l n’entroit qu’une once de ce fruit par livre de pâte, fa préfence s’y faifoit déja re- marquer fenfiblement par l’afpeét & le goût. Si une très-petite quantité de farine de Chä- taigne eft capable d’altérer la blancheur & la légéreté du pain de froment, à plus forte rai- fon le feigle, l’orge, le mais &t le blé farrafin fe reflentent de cet inconvénient, eux dont la pâte ne lève pas déja fort aïfément, & qui ont encore en outre une couleur qui leur eft propre; auf, mélangés & traités de la même manière, les réfultats fe font trouvés être défeftueux, en raifon de Ja plus ou moins grande difficulté qu’a la farine de chacun de ces grains, à lever & fe colorer par la fermentation & par la cuiflon. Commè ces différens grains font infiniment plus communs dans Îes pays à Châtaigne que le blé, j'ai varié & multiplié davantage les mé- Janges & les procédés : il n’eft pas même de manipulation pratiquée en boulangerie que je naie mife en; œuvre pour parvenir a quel- que fuccès. L’eau deftinée au pétriflage étoit chauffée à différens degrés; j’augmentaï la dofe ardinaire du levain; jy ajoutai même un peu DE LA CHATAIGNE. 69 de levure de bière pour le rendre plus a@if; je travaillai long-temps la pâte; elle demeura tantôt plus, tantôt moins fur couche , dans un lieu plus ou moins chaud , fans rien obtenir, pas même l’efpoir d’en venir jamais à bout. Comme les réfultats en pain , du mélange de la Châtaigne avec le Sarrafin , devoiëent être ceux dont le fuccès pouvoit intéreffer davantage le Limoufin , & que c’étoit M. d’Aine qui don- noit lieu à mon travail, je cherchai à multiplier les tentatives à cet égard, mais infruétueufe- ment. Dans la vue de diminuer l’état mat & la cou leur foncée que la Chätaigne communique aux pains de tous les grains indiftinétement, je n’a- vois plus qu’une reflource, c’étoit de mêler la farine de ce fruit avec la pomme de terre ; végé- tal qui croit aifément par-tout, même à l’ombre du Châtaignier. Je fis cuire & réduire ces racines en pulpe , j’en formai enfuite différens mélanges avec la farine de nos graminés & celle de la Châ- taigne ; mais les pains compofés ainfi de trois fubftances , étoient gras, lourds & de couleur foncée. à Au lieu d'employer la Châtaigne en farine, je divifai ce fruit fans être fec, à l’aide de la rape ; je pris enfuite d’autres Châtaignes égale- ment fraîches, que je fis cuire & réduire en pâte ;: E 1 7o MAT € croyant que, dans ces différens états, elles de viendroient plus propres à la panification : mon attente fut encore trompée , & les pains ne pré- fentèrent pas une apparence plus agréable, Tant de tentatives infruétueufes ne me laif- foient guère l’efpoir d’être plus heureux en trai- tant la Châtaigne feule & fans le concours d’au- cune fubftance étrangère. Plus j’éprouvois d’en- traves , plus ma furprife augmentoit ; car ce fruit , fuivant moi, fembloit réunir toutes les qualités dont il avoit befoin pour fe métamor- phofer en pain : il possède, me difois-je, la fa- rine, lelevain & la pâte ; 1l contient de l’ami- don, du fucre & une matière extraétive ; il ne s’agit donc que de chercher le moyen de faire fervir ces différens principes au même but. Ainfi, m’abufant toujours fur la pofhbilité de la réuñite, je ceflai de mettre à contribution la farine de nos grains ainfi que la pulpe de Pommes de‘terre , cfpérant toujours que , dans le nouvel ordre d'expériences que je projetois de fuivre , je par- viendroiïs à faire du pain de pure Chätaigne, OZ férvations. LA couleur particulière que la fimple ation de l’eau chaude communique à la farine de Chà- taigne,.que la fermentation & la cuiflon déve- DE LA CHATAIGNE. WI foppent encore plus, eft inhérente à ce fruit. Au- cun procédé ne pourra affoiblir fon effet ; elle dépend principalement de la matière extraétive qui s’y trouve en grande abondance, & qui eft prefque toujours la caufe de la coloration des pains dont on fe nourrit dans le Royaume : le pain de feigle eft prefque toujours bis ; celui d’orge , rougeûtre ; la couleur du pain de blé de Turquie eft jaune ; celle du pain de Sarrafin eft d’un gris noir. C’eft encore cette matière extraétive qui nuit à la légéreté des pains réfultans des grains que nous venons de nommer , & dont la proportion établit la différence d’afpeét qui exifte entre eux. Cet extrait eft combiné dans la Châtaigne avec beaucoup de fucre; ce qui produit, par le . moyen de l’eau , un état firupeux , qui diminue la propriété qu’a la farine de froment de fe gonfler pendant la fermentation, en rendant la pâte grafle & lourde, enforte que, ne pouvant plus acquérir fon volume accoutumé , elle ne donne après la cuiflon que du pain maffif & pefant. On doit confidérer une pate quelconque, pro- pre à fe changer en pain, comme un compofé de membranes fpongieufes & flexibles qui s’é- tendent & obéiffent à l’impulfion d’un fluide élaftique que la fermentation développe, lequel E iv r72 Ti À L T'É parcourant les interflices de ces membranes, fol: Jicite fa fortie en rompant les capfules vifqueufes -où il fe trouve comme emprifonné ; mais la cha- leur du feu faifit la pâte .ainfi affinée & tumé- fiée, d’où réfultent les yeux & la légéreté du pain. La pâte de Chäraigne, par fon cara@tère collant & firupeux, n’a pas aflez de molleffe, de ténacité & de flexibilité pour obéir fans fe rompre au mouve- ment doux qui s’opère intérieurement; elle réunit les membranes de la pâte & les mêle; elle les en- chaine au point que l’air ne pouvant circuler libre- ment dans l’intérieur, & fe nicher dans des enve- loppes vifqueufes, 1l s’échappe à-la-fois fans fou- lever la mañle, ni:donner le volume que l’on cherche à établir par la fermentation & à con- ferver par la cuiflon, ce qui produit toujours un pain gras & pateux, Pour donner la preuve que c’eft la quantité de matière muqueufe fucrée qui alourdit la pâte, pour parler le langage de la boulangerie, & l’em- pêche de lever, j'ai ajouté une once de miel à une livre de pâte de froment, prête à être mife fur couche : la fermentation, loin de s’y établir plutôt, a employé le double de temps des au- tres pâtes fans mélange , encore n’a-t-elle pu prendre le volume ordinaire, & le pain qui en 6f réfulté étoit compaéte & lourd : cet effet a ù DE LA CHATAIGNE. #3: sêté d’autant plus fenfible, que j'ai employé davan- tage de miel. Maïs, fans avoir recours à d’autres expériences &t à d’ autres phénomènes, pour dé- montrer combien eft fondée la caufe à laquelle nous attribuons l’obftacie principal de la panifi- cation de la Châtaigne, jetons un regard fur le pain d'épice, & fur fa fabrication; elle confifte, comme on fait, à mêler de la farine de feigle avec du miel liquéfié, pour former du tout une pâte ferme fans addition d’eau; à divifer enfuite cette pâte fous des formes & dés volumes variés, puis à la laiffer ainfi expofée fur le four l’efpace de deux jours; & enfin à la cuire dans un four doux : le miel pendant ce temps, fe combine plus intimement avec la farine , & l’on n’obferve point qu’il s’y établifle aucun mouvement de fer- mentation, La pâte dont il s’agit préfente , il eft vrai, après la cuiflon, de grofles bulles qui ont fait croire à la première infpe@tion qu’elles étoient la preuve d’une fermentation antérieure ; mais en les confidérant de près, on voit qu’elles ne font autre chofe que de l'air qu’on a introduit par le pétriflage , & qui s’eft dégagé au feu, à caufe de la propriété qu’a le miel de fe bour- {ouMer, La fermentation qui améliore la pâte de nos “grains, ne pourroit que préjudicier beaucoup au 74 TRAITÉ pain d'épice , parce que fon effet s’exerçant para ticulièrement fur la vifcofité’ & fur la fubftance fucrée , on diminueroit beaucoup de fa faveur y ainfi que l’état ferré , compacte & mollet qu’on cherche à conferver au pain d’épice ; mais je m'arrête, car quelques mots de plus fufroient pour décrire complétement l’art du Pain-d’Epicier. La farine de Châtaigne reffemble donc beaucoup a celle d’un de nos graminés, à laquelle on au- roit ajouté un peu de miel ; & comme telle, dépourvue encore de matière glutineufe ou d’une fubftance qui en faffe les fonétions , elle ne paroît guères propre à la fermentation panaire : nous allons raconter avec la même franchife quels ont éténos fuccès, quand nous l’avons employée pure & fans mélange. A RURAL C0 Et, Lx De la Châtaigne [ans mélange. Nous n’avons encore indiqué que la nature de la Châtaigne , fes effets au féchoir , & com- ment elle fe comporte, crue, cuite, ou fous la À forme de farine , étant mêlée avec les différens grains dans des proportions variées ; ïl faut confidérer à préfent ce fruit abandonné à lui- même &c fans aucun mélange. Comme on ne fauroit transformer les farineux « k DE LA CHATAIGNE. 7$ en pain bien levé , qu’au préalable ils ne foient affociés avec une fubftance déja en fermentation, défignée fous le nonr générique de levain , & que c’eft de cette fubftance que dépend en par- tie la bonne qualité de l’aliment qu’on en pré- pare : je me fuis occupé tout entier de cet objet important. Avant de procéder cependant à la formation d'un levain de pure Châtaigne, J'eflayai la le- vure de bière , dont l’effet plus prompt & plus éfficace me donnoit lieu d’efpérer un changement heureux dans les expériences qui m'occupoient : ce fut toujours fans fuccès ; d’après cela Je pré- voyois bien que mon levain , quelque parfait qu'il fñt , ne produiroit rien de plus. Il eft vrai qu’étant plus analogue à la pâte dans laquelle je me pro- pofois de l’introduire , je me flattois encore d’ob- tenir ce que je cherchois, Pour préparer le levain de Chäâtaigne , j'ai mêlé fa farine avec de l’eau chaude , afin d’en former. une pâte molle , qui a été expofée fur le champ à une température de vingt-cinq degrés, Le mélange exhaloit déja , au bout de quarante- huit heures , l'odeur aigre ; j'y ajoutai une nou velle quantité de farine & d’eau chaude, queje plaçai dans le même endroit, & pendant autant de temps, ce qui fut répété encore deux fois. Le gonfiement que cette pâte, amf fermentée 76 ETIRATTÉ & renouvelée , avoit acquis, les crevafles qu’on appercevoit à divers points de fa fuperficie , l’o- deur vineufe qu’elle répandoit en l’entr’ouvrant , tout m’annonçoit que , malgré mes conjeétures défavorables , j’allois être témoin d’effets inat- tendus. | J'ai donc employé ce levain , tantôt pour moi- tié, tantôt pour les deux tiers , dans la mañle totale, & quand tout a été confondu par le pé- triflage , je l’ai foumis aux différentes opérations qui pouvoient augmenter fa légéreté & fa vif cofité , en la foulevant , la raflemblant & la bat- tant. La pâte une fois pétrie avec foin, fut di- vifée & façonnée en pains de poids & de forme différens ; & après être reftée plus ou moins de temps à apprèter, on la porta au four, & les pains qui en réfultèrent ne furent ni plus le- vés, ni moins hauts en couleur. L'expérience a appris aux Boulangers que tout levain préparé de lui-même , fans le fecours d’une matière en fermentation, n’acquiert le caraétère de bon levain, qu’à mefure qu'il s'éloigne de fa première formation ; que même celui de fro- ment, compofé de la même manière , ne don- noit qu’un pain mat & lourd, dans le commen- cement de fon emploi. Je crus avoir trouvé en- core des raïfons de difculper l’infufhfance de mes moyens ; or, au lieu d'abandonner la Chà= DE LA CHATAIGNE. "y taigne à elle-même pour s’aigrir , J'ai introduit dans la pâte une petite quantité de levain de froment , &c je renouvelai ce mélange encore deux fois avec la farine de Chätaigne & l’eau chaude ; mais fon ufage ne devint pas meilleur - dans la continuité des fournées. Je n’avois plus qu’une feule expérience à ten- ter ; il s’agifloit d’appliquer à la Châtaigne le pro- cédé qui m’a réufi pour faire pafler la Pomme de terre à l’état panaire. Je fis donc cuire des Châtaignes, &, par le moyen d’un rouleau de bois , je les écrafai fur une table lorfqu’elles étoient encore chaudes & humides ; mais ce fruit , en perdant fa forme, n’a pas contracté d’adhéfion entre fes parties : ainfi, malgré mes efforts & l’eau bouillante dont j’arrofois les Chä- taignes , elles n’ont pu prendre la confiftance d’une pâte tenace, fpongieufe & élaftique. Je voulus cependant m’aflurer fi, cette pâte mélangée , telle qu’elleétoit, avec partie égale de farine de Châtaigne & de fon levain, j’obtien- drois un produit plus fatisfaifant ; mais au con- traire le pain étoit encore plus gras, plus com patte & plus coloré. Dans la vue de favoir fi les défauts de fuccès de mes expériences ne tenoient point à l’efpèce de Châtaigne dont je m’étois fervi, je m’adref- fa à M, d’Aine, pour le prier de n’en proçurer ve, D BOPT A ir € de fa Généralité, les meilleures & des mieu confervées, ce qu’il fit avec le plus grand em- preffement. Ces Châtaignes furent féchées &t pulvérifées avec les précautions obfervées ; je fis enfuite fubir à leur farine tous les effais mentionnés: précédemment , mais les réfultats n’offrirent que des mafles encore plus ferrées, plus grafles & d’une faveur plus douceâtre; enforte qu’on pour= roit établir que le pain de Châtaigne eft d’autant plus défeêtueux , que le fruit d’où 1l provient eft fupérieur en qualité. Souvent l’inefficacité d’un moyen imaginé pour produire tel ou tel effet, ne dépendipas toujours du moyen lui - même; elle eft quelquefois due à plufeurs circonftances fecondaires, & particu- hérement à l’induftrie de celui qui lPemploies Cela pofé , j'ai remis à M. Brocq le Journal de mes expériences, en le priant de les répéter , & même d’en augmenter le nombre comme 1l le jugeroit à propos ; c’étoit en effet invoquer toutes les reffources de la boulangerie la plus éclairée & la mieux dirigée. Je lui remis des Châtaignes fous diverfes formes , & il fe chargea volontiers de leur faire éprouver toutes les tor- tures de l’art ; mais fes recherches eurent le même fort, & ne furent pas fuivies d’un fuccès plus heureux : c’eft alors que j’ai abandonné tout efpoir de réufhr, LR = 7 EE TPS DE LA ICHATAIGNE. 79 _ Objervations. | JEne rappellerai pas 1c1 les raifons phyfiques qui s’oppofent a ce que la Chätaigne puifle fe changer en un véritable pain bien levé, je crois _ les avoir fuffifamment détaillées dans les obfer= _vations précédentes ; Je ferai feulement remar- quer , en paflant , que la difficulté de ce change- ment eft encore une preuve de l’infuffifance de nos règles générales établies par les Chimiftes , &t que , dans les travaux de ce genre, il ef inf- niment plus avantageux d’imvoquer les fecours s A . } _ de la fcience elle-même, parce que ceux qui pré- tendent avoir acquis le droit d’être fon inter- pète, circonfcrivent le pouvoir qu’elle a , au point de la rendre inutile dans la circonftance ou elle peut Jouer le rôle le plus intéreffant. L’habitude de faire des expériences doit ap« prendre à être circonfpeét ; aufhi, quelque infruc- tueux qu’aient été mes efforts, je n’ai garde de prononcer afhirmativement qu’on ne parvienne un jour à faire du pain de Châtaigne; mais , quel qu'il foit , j’ofe avancer , fans crainte d’être jamais démenti, que ce pain aura toujours une couleur défagréable , un état mat & une faveur douceätre. Ces effets dépendent de deux matiè- tes inhérentes à ce fruit qu’on ne s’avifera point fans doute d'en extraire; pour avoir l’avantage CAN 1 80 TK AXTÉ \ d'en préparer, au moyen de manipulations dif pendieufes & pénibles, un pain blanc & léger, car ce feroit le comble de la folie. Toutes les fois qu’une pâte d’une nature fem blable à celle de la Châtaigne pañle à la fermen- tation, une partie de la matière fucrée qu’elle contient, devient acide ; une portion de l’autre fe brûle & pafle au caramel , tandis que le reftant qui s’eft dérobé à l’action de la fermentation & du feu, conferve toutes fes propriétés : d’où il ré- fulte que la faveur d’un pareil pain eft femblable à celle du raifiné aigre-doux, faveur à laquelle il feroit difficile de s’accoutumer. J'ignore fi on a tenté jufqu’à préfent de faire du pain de Châtaigne mélangé ou non ; mais il eft aifé d’entrevoir, par la manière vague & obf- cure avec laquelle les Auteurs s’expliquent à cet égard, qu'ils n’ont jamais fait une attention bien férieufe à la nature du fruit qui nous occupe. Tel eft le fort des végétaux placés fous nos yeux, x dont l’ufage eft continuellement indifpenfable ; ils font un temps infini le partage de lindif- férence, tandis que ceux qui naïflent loin de nous , & que l'expérience relègue bientôt parmi les inutilités , font examinés & approfondis avec le plus grand intérêt. Les Auteurs qui prétendent qu’on fait fécher la Châtaigne pour en retirer de la farine , & qu'avec € pr k f N) - DE LA CHATAIGNE. St qu'avec cette farine on compofe du pain dont on fe nourrit dans les contrées où le fruit eft abon- dant , ne font fondés que fur des ouï-dire : comme le vulgaire, ils qualifient .du nom de pain des petits gâteaux de Chätaigne, imaginés par le luxe de nos tables , &t qui perdroient l’agrément que leur donnent les différens aromates qu’on y fait entrer, fi on les foumettoit à la fermentation : ce font ces gâteaux préfentés.au deflert, qui font dire à tant de perfonnes qu’elles ont vu & mangé du pain de Châtaigne. Quelque agréables qu’ils foient, ce n’eft jamais qu’une fubftance brune, compacte & vifqueufe, dont on ne pourrait ja> mais faire fon aliment Journalier &t principal. .+ La pâte de Châtaigne, uniquement formée de farine 8t d’eau ; cuite enfuite au foür, eft cent fois préférable à celle qui auroit fermenté; mais il eft eflentiel de ne pas confondre la galette avec du pain, puifque ces deux alimens, quoi- que compolés des mêmes fubftances, font entiè- rement différens dans leur afpe&, dans leur goût & dans leurs propriétés, . Mais , dia-t-on , les Corfes font réellé ina du pain de Châtaigné; &, en fuppofant que ce pain ne foit qu’une galette, ce n’eft pas moins pour eux une nourriture agréable dont ils s’ali- mentent une partie de l’ännée. Je fuis bien éloigné de révoquer cela.en doute ; & comme F + 82 A PETE je n’ai aucun intérêt de déguifer la vérité, je vais rapporter le procédé que ces Infulaires em- ploient pour faire du pain de ce fruit, fans au- cun fecours étranger. A 'R:ToIC: Bret Xe: Procédé ufité en Corfe pour faire du pain de Châtaigne , fans mélange d'aucune autre fubftance. LA Châtaigne commence à fe recueillir en Corfe vers le 20 du mois d'O&tobre ; à mefure qu’on la ramañle, on la porte fur la gracella , qui eft un grenier ou plutôt un entre-fol formé en claie, conftruit dans une des pièces de la maï- fon que l’on deftine à la cuifine, & qui eft ordi- nairement fous le toit : cet entre-fol eft élevé en- viron de fept pieds du plancher, & eft formé d’une poutre & de plufieurs foliveaux qui la tra- verfent; c’eft fur ces foliveaux qu’eft conftruite la claie , ou gratella ; elle eft faite de lattes épaif- fes d’un pouce & larges de deux, & pofées de manière qu'il refte entre chacune d’elles un in- tervalle de trois lignes, pour laiïffer un libre cours à la fumée; c’eft fur cette claie qu’on en- tafle les Châtaignes à mefure qu’on les ramañle; On les met fur un pied & demi de hauteur, & [us DE LA CHATAIGNE. 83 fuffitôt qu’il y en a de la largeur de trois ou qua tre pieds, on fait du feu deffous, On a, pour cet effet, un fourneau en bois de deux pieds &t demi de large en quarré , fur dix pouces de haut; le foyer garni en briques ou en pierres eft élevé d’environ fix pouces de terre : on doit avoir l’attention de ne plus met- tre de Châtaignes fur celles où on a commencé à mettre le feu, mais de fuite, jufqu’à ce que la claie foit remplie, à un coin près, que l’on réferve pour placer les Chäâtaignes à mefure qu’elles ont jeté leur feu , ou plutôt leur humi- dité. Cette précaution n’eft néceffaire qu’autant que l’on aurait d’autres Châtaignes à faire fé- cher , autrement on couvre entièrement la claie fur la même hauteur que l’on a commencé : mais 1l faut avoir l’attention d’avoir un fecond fourneau pareil au premier; la grandeur importe peu, on doit faire ufage de celui-ci pour faire du feu fous les dernières Châtaignes qui ont été emmagafinées, Cette manière de mettre le feu fous les Chä- taignes eft abfolument indifpenfable , fi l’on veut les conferver sèches , & les préferver des vers & de tous autres infeftes qui pourroient les attas quer. Le feu que l’on fait fous les Châtaignes doit ètre fort vif & continu, même une partie de la nuit ; il les fait fuinter , & fait périr les vers Fi} 84 PEBTAUT É qu'il peut y avoir. Auflitôt qu’on s’apperçoït que la Châtaigne ne fuinte plus, ce qu’il eft aïfé de connoître à l'écorce qui ne doit plus être humide , on tranfporte le foyer dans une autre partie de la pièce où fe fait le feu , mais toujours de fuite, & où l’on a reconnu que les Chä- taignes n’ont pas encore fermenté ; on a foin auffitôt de lever avec une pelle les Châtaignes qui ont pañlé au feu, ou plutôt à la fumée, &t de les amafler dans le coin que l’on a laïflé vide , fi, commeileft dit plus haut, il a été reconnu néceflaire ; autrement on les laifle fur les lieux , & l’on continue toujours le feu, & ainfi de fuite tout autour de la pièce au deffous, qui eft ordinairement le lieu où toute la famille fe chauffe , & où elle fat fa cuifine. IL eff à propos qu’il y ait des fenêtres pratiquées dans le toit au deflus de la claie, pour les ouvrir lorf- qu’il fait de grands vents, à l’effet de fécher la Châtaigne que la fumée a féchée en partie; alors le feu ne devient plus néceffaire que pour faire fuinter les Châtaignes qui ne le font pas encore, & en tirer toute l’humidité qui peut leur préjudicier. La Châtaigne une fois féchée, ce qui de- mande un feu continuel, de dix ou douze jours au moins, fous les différentes parties de la claie, en la laïffe fur cette claie, & on ne la lève Lér DE LA CHATAIGNE 85 _u’autant qu’on en auroit d’autres à placer. Trois mefures quelconques de Châtaigne fraiche, n’en rendent qu’une mefure de sèche, de forte qu’en- tre l'écorce, la peau &t l’humidité qu’elle con- tenoit , elle perd deux tiers de fon volume. Lorf- qu’on veut l’employer, on en met une certaine quantité dans un fac, environ à la moitié de fa continence ; & deux femmes , tenant chacune ce fac par les extrémités, le frappent avec force, & plufeurs fois fur un bloc de bois, & cela jufqu’à ce qu’elles voient que l’écorce: & la peau de la Châtaigne font entièrement levées, Il y a encore une autre manière de la battre, & moins difpendieufe, en ce qu’elle n’occupe qu'une feule perfonne ; c’eft d’avoir un fac de toile, fait en cône, dont la bouche doit être la partie la plus étroite; ce fac doit conte- nir un boifleau , plus ou moins, fuivant la force de celui ou de celle qui doit le manier; & pour détacher la Châtaigne de fon écorce, on frappe de droite & de gauche fur le bloc, en tenant le fac par l’extrémité du cône, & cela jufqu’à ce que la Chätaigne foit nette. Cette opération finie, lorfque l’on veut porter les Châtaignes au moulin, on les met auparavant dans le four, mais long-temps après en avoir retiré le pain, pour les fécher entièrement : il faut prendre garde qu’elles ne rôtiflent, mais cependant il eft né« Fu} 86 LNR AIT NT ceffaire qu’elles foient extrêmement féchées ÿ _elles fe portent enfuite au moulin, & on les moud comme le grain, à la différence près, qu’elles ne donnent point de fon, & que tout s'emploie à la fabrication du pain. Après les premiers vents, 1l faut avoir foin de faire ramañfer les feuilles de Châtaignier les plus larges, & les entafler les unes fur les au- tres en paquets plus ou moins confidérables : on les lie & on les conferve ainfi, pour en faire ufage lorfqu’on veut fabriquer le pain, La farine une fois faite, on la prépare comme celle de grain; on y met le levain la veille, & l’on pétrit dans une may qui doit fervir pour tranfporter la pâte au four; cette pâte doit être bien pétrie & claire; elle s’'épaifht en levant, mais elle ne doit jamais être ferme comme la pâte de grain. La farine prend plus ou moins d’eau , fuivant la fécherefle de l’année; mais la règle ordinaire eft que fur $4 livres de farine, il y entre environ 20 livres d’eau : cela dépend beaucoup auffi du foin que l’on a pris pour bien {fécher les Chätaignes. Lorfque la pâte eft levée, & le four chaud, on porte la may au four, avec fufhfamment de. feuilles pour enfourner le pain. La pelle , ordi- nairement de fer, eft ronde: il faut avoir lat- sention de tenir dans un coin du four, du bois hat de J DE LA CHATAIGNE. 87 clair allumé pour éclairer celle qui enfourne & défourne , & entretenir en même temps le même degré de chaleur. Lorfqu’il eft queftion de mettre 1e pain de Châtaigne au four, il eft néceffaire qu'il y ait trois perfonnes : la première tient la pelle; la feconde , à fa droite , pofe fur la pelle trois feuilles de Chäâtaignier, placées l’une fur l’autre, mais fur la largeur , à peu de chofe près, de la pelle; la troifième prend de fa main gau- che une poignée de pâte, la pofe fur les feuilles de Châtaignier placées fur la pelle , & l’aplatit de fa main droite qu’elle a trempée auparavant dans un vafe d’eau qu’elle a placé auprès de la may pour cet effet : alors la première enfourne à fur & a mefure qu’elle eft fervie ; elle doit avoir l’atten- tion de regarder lorfque le pain commence à de- venir roux, pour le retirer alors du four, afin de faire place à d’autres, & prendre foin de re- ürer ainfi chaque pain à mefure qu’elle s’apper- çoit qu'il eft cuit. Ce pain tiré du four, s’entafle l’un fur l’au- tre dans une corbeille : il n’a jamais la fermeté du pain de grain; il eft doucereux & agréable à manger; il fe digère facilement, eft fain & d’un grand fecours pour les gens de la campa- gne , qui n’en mangent pas d’autre ; il fe conferve quinze jours & plus; mais pour l’ordinaire, en Corfe , on le fait toutes les femaines. Fiv 88 | TRAITÉ Obfervaiions. IL eft aïfé de juger, d’après ce qu’on vient de lire, que la méthode employée par les Corfes pour faire fécher la Châtaigne, étant la même que celle pratiquée dans les Cévennes, à quel- ques différences près qui tiennent au pays &à l'habitude, les réfultats doivent être abfolument femblables ; néanmoins'je voulus encore m'en aflurer en les comparant entr’eux : pour cela j’eus recours de nouveau à M, d’Aine, qui voulut bien me procurer non-feulement des Châtaignes de l’Ifle de Corfe, mais encore de la farine & un échantillon du pain qu’on en prépare. Ce dernier objet d'expériences fembloit devoir com- pléter mon travail, La Châtaigne de Corfe eft féchée on ne peut mieux ; elle a une couleur jaunâtre à l'extérieur, & blanche intérieurement ; elle eft d’un goût fucré, & a beaucoup de fermeté ; en un mot, élle eft tout-à-fait femblable à celle des Céven- nes. La farine n’eft pas non Ain différente de celle que j'ai préparée moi-même avec des Cha- taignes dépouillées de leurs écorces, coupées par tranches & fèchées fur un four, cette farine foumife aux mêmes eflais, a RS les mêmes phénomenes, . DE LA CHATAIGNE. 89 Quant à l'aliment que les Corfes appellent du pain de Châtaigne , c’eft une efpèce de bifcuit mince , ou plutôt une pâte defféchée & mollaffe, d’un brun roux, d’une faveur fucrée, qui pa- roitroit avoir fermenté ; car on apperçoit dans l'intérieur des cellules, & 11 ne mitonne pas mal; ce qui m’a fait foupçonner d’abord que le levain que ces Peuples y emploient, eft compolé avec la farine de quelques grains, 8 que même ils en font entrer dans la pâte. | J'ai répété fouvent le procédé des Corfes, qui n’a rien de particulier que le foin de tenir la pâte d’une confiftance très-molle, de l’applatir lorfqu’on la met au four, de la laïffer peu cuire; mais il ne m'a jamais été poffible d’obtenir autre chofe que de petites galettes plates , &c non du pain levé. Comme la nature du levain , & la quantité que les Corfes en emploient, ne fe trouvent pas fpécifié dans leur procédé publié par ordre de M. l’Intendant de Limoges, & que jai inféré ict, jeus beloin encore de m'en inftruire ; j’écrivis à M. Caflagnoux, Apothicaire Aide-Major des Hôpitaux militaires de Baftia & de Corte, per- fuadé que, vu fes connoiffances en chimie , dont il a donné des preuves dans l’analyfe de quel- ques eaux minérales du pays, il m'enverroit les éclairçiflemens qui m'étoient néceffaires, N’étant f 90 AR AT T € pas à portée de vérifier fur les lieux les points qui m’embarrafloient, il s’adreffla à un Gen- tilhomme de fa connoïffance , fort intelligent ,- qui habitoit un canton à Chäâtaigne : fa réponfe lui parvint en italien; 1l la traduifit, & m’en en- voya le précis fuivant. La farine de Châtaigne vaut environ neuf de- niers la livre : les Corfes en préparent des petits pains qu’ils nomment pifficcini, Cette préparation confifte à mêler enfemble de l’eau chaude avec la farine, à en former une pâte qu’ils font cuire tout de fuite. Par cette méthode ils obtiennent un pain, ou plutôt une pâte folide , lourde & matte , qui ne peut guère fe conferver plus d’un jour. Ils en préparent aufli un autre pain, en laïf- fant fermenter cette première pâte, & en lPin- troduifant dans une nouvelle mafle. Cette feconde méthode leur fournit un pain à peu près de la même qualité que le précédent, mais il fe garde plufieurs jours. Enfin, ils en font encore une bouillie très-épaifle, qui leur tient lieu de pain; & c’eft ce qu'ils nomment polenta. Si ces détails, que j’abrège, ne juftifient point mes foupçons, ils prouvent au moins que le pain des Corfes n’eft qu’une galette, & que la méthode pour la préparer , n’eft pas différente des moyens que nous avons mis en ufage pour en faire du pain; mais 1l eft temps de renoncer dE DE LA CHATAIGNE. O1 à parler de la décompofition de la Châtaigne : confidérons-la maintenant en nature, & ne nous occupons plus que de la préparation qui la con- vertit en un aliment falutaire & économique, ART I:CL ELYE Préparation ufitée dans le Limoufin pour cuire La Châtaigne. ON commence par peler les Châtaignes, en Ôtant la peau extérieure : cette opération fe fait dès la veille du jour où l’on fe propofe de faire cuire les Chätaignes. Les Domeftiques , dans les maifons des Particuliers, & les Ouvriers, dans les métairies , s'occupent de ce foin pendant la veillée. Ils détachent aflez facilement & avec un cou- teau la peau extérieure par parties ; mais 1l n’en eft pas de même de la pellicule intérieure qui eft adhérente à la fubflance de la Châtaigne , & qui eft comme collée par deflus, parce qu’elle s'infinue dans les finus profonds de ce fruit , & en revêt les parois, Voici le procédé qu’on em= ploie pour dépouiiler la Châtaigne de cette pel» licule, qu’on appelle se dans le Limoufin. On met pour cela de l’eau dans un pot de fonte . . © ou , de fer, ( Il n’y a pas de ménage, dans cette pro- 02 TRAITÉ vince , qui n'ait ce meuble de cuifine fi nécef- faire. ) On emplit ce pot à peu près à la moitié; & , lorfque l’eau eft bouillante , on y met avec une écumoire des Châtaignes pelées de la veille. On ménage l’eau , comme nous l’avons chfervé, parce que , fi-elle excédoit la furface des Châtaignes , elle gêneroit dans l’opération du deboiradour. On laïffe le pot fur le feu, & on remue les Châtaignes avec une écumoire , juf- qu’à ce que l’eau chaude ait pénétré la fubftance du san, & ait produit un gonflement qui détruit fon adhérence au corps de la Châtaigne. On s’aflure de ce point précis , en tirant du pot quelques Châtaignes , & en les comprimant fous les doigts : lorfqu’elles s’échappent par la com- preffion , en fe dépouillant de tout leur za fans aucun effort, on retire bien vite le pot du feu, & lon procède à l’opération du dehoiradour. Cet inftrument eft compofé de deux barrès de bois attachées, en forme de croix de Saint- André, au milieu de leur longueur , par une che ville autour de laquelle les bras des barres mobiles peuvent s'ouvrir en s’éloignant , ou fe fermer en fe rapprochant. On a pratiqué le long des deux bras qui font deftinés à entrer dans le pot, plufieurs coches entamées fur leurs quatre arrêtes : car 1ls ont une forme quarrée. On enfonce ces deux bras de barres un peu DE LA CHATAIGNE. 93 écartées dans le pot, au milieu des Châtaignes, & avec les deux autres bras on tourne en ou- vrant & fermant : par cette aétion réitérée , les Châtaignes s’en échappent , gliffent entre les parois du pot & les deux bras des leviers ; alors , elles fe dépouillent du 42 qui les cou- vroit, & qui obéit au moindre frottement , au moyen de l’état de ramolliffement qu’il a éprou- vé dans l’eau à mefure qu’on. a tourné le deboi- radour : on fuit des yeux le progrès du dépouil- lement de la pellicule, & lon voit le ram s’é- lever à la furface des Châtaignes , s’accumu- ler le long des parois intérieures du pot & tout autour des bords ; enfin , les Châtaignes paroif- fent toutes blanchies : c’eft le terme dont on fe fert pour exprimer le réfultat du dépouillement de la pellicule. On les retire en cet état du pot avec l’écu- moire , & on en met une certaine quantité fur un grelou ou greloir : c’eft une efpèce de crible à large voie, dont le tiflu eft formé par deux rangées de lattes fort minces de bois de Chä- taignier ; elles font entrelacées les unes dans les autres à angle droit, en forme de natte, & pla cées à une diftance de quatre à cinq lignes , qui eft la largeur des trous qu’on y a ménagés. A chaque fois qu’on met des Châtaignes fur le _ grelou , on les agite en tournant, pour ache- 94 ŒARMITÈÎTLÉ ver de les dépouiller du rar, qui les abañs donne , ou en s’attachant aux inégalités du grelou , ou en pañlant à travers les vides : on verfe les Châtaignes dans un plat; on fecoue le grelou pour emporter le san qui s’eft engagé dans les inégalités; on y remet d’autres Châ- taignes , & l’on réitère les mêmes opérations, jufqu’à ce que toutes les Châtaignes aient pañlé fucceflivement fur le grelou. Après toutes ces mampulations, les Chätai« gnes font blanchies, mais elles ne font pas cui’ tes; on a eu la plus grande attention de mé- nager la chaleur de l’eau, pour que le sam füt feulement ramolli : car l’aétion du deboiradour & celle du grelou fur les Châtaignes qui au- toient éprouvé un commencement de cuiflon, les réduiroit en petits grumeaux , qui s’échap= peroient par les trous du grelou; ce qui pro+ duiroit , fur la totalité, un déchet fort confidé- rable. On procède enfuite à la cuiflon des Châtai- gnes, pour cela on jette l’eau qui eft dans le pot, & qui, dans le peu de temps que les Châtai- gnes y ont féjourné, s’eft chargée d’une partie extraétive dont l’amertume eft infupportable. On verfe de l’eau froide fur les Châtaignes blan- chies ; on les lave pour emporter le refte du san , & peut-être ceux de l’eau amère qu’elles DE LA CHATAIGNE. 9$ pourroient avoir confervée : enfin ,; On les remet dans le pot defer qu’on a bien lavé , & où on a mis de l’eau dans laquelle on a fait fondre un peu de fel. Quelques perfonnes emploient l’eau chaude , d’autres fe contentent de l’eau froide : on varie aufh beaucoup fur la quantité de l’eau; mais je penfe , fi je puis avoir un avis fur cette matière , qu'il vaut mieux employer l’eau chaude pour cette feconde opération, & en ménager la quantité. Lorique le pot a été rempli de Châtaignes avec toutes ces attentions, on le place fur le feu , & on le fait bouillir pendant quelques minu- tes : cela fuffit pour donner aux Châtaignes le degré de cuiflon convenable, & achever d’ex- traire la partie amère dont elles font impré- gnées ; pour-lors , on verfe l’eau par inclinaïfon, en retenant les Châtaignes avec le couvercle du pot. Cette eau eft fort colorée & très - amère ; cependant , comme elle eft falée, certaines per- fonnes la mettent à part par économie, pour fervir , avec une petite addition de fel, à l’o- pération du lendemain. On achève la cuiflon des Châtaignes en pla- Gant fur un feu doux le pot où il n’eft refté que des Châtaignes fans eau ; on facilite cet effet én garniffant le couvercle avec un gros linge qui concentre la chaleur; on retourne le pot, afin qu’il #.% 96 T'LRCAUET 'E préfente fes différens côtés à l’a@tion du feu, pottf que là chaleur fe diftribue fucceffivement dans toute la mafle des Chäâtaignes. Par ces attentions, les Châtaignes perdent l’eau extractive & furabondante qui les pénétroit; &, à mefure qu’elles s’efluient & fe cuifenr, elles acquièrent alors un goût, une faveur que n’ont point celles qui ont été cuites à l’eau avec toute leur peau, & même celles qu'on a fait cuire fous la cendre. . On les retire du pot après un certain ternps, &c on a foin d’éviter qu’elles ne contraétent un goût de brûlé , en s’attachant trop aux parois intérieures du pot. Celles qui touchent à ces parois , font les plus recherchées par les friands, parce qu’elles font plus riflolées & privées de leur eau extrac- tive; &t, par une faifon contraire, celles qu font au centre du pot font moins bonnes , fe grumèlent, parce qu’elles n'ont pas acquis une certaine confiftance : on met les unes &r les au= tres fur un petit panier plat; on les couvre d’un linge plié en trois où quatre doubles, &t on laifle d’un côté une légère ouverture pour qwon puifle.en prendre à mefure qu’on les mange. Ce mets eft deftmé pour le déjeüner ; & c’eft un fpeétacle fort agréable de voir les Ou- vriers d’une métairie raflemblés autour du panier. çouvert de linge : le filence qui règne parmi eux DE LA CHATAIGNE. 97 &x l’attention avec laquelle chacun tire les Ch42 taignes de deflous le linge , en choïfiffant tous jours les plus rondes, parce qu'ils les regardent comme les meilleures ; forment un tableau amu- fant. | Cette opération a deux avantages, outre ce- lui de développer la faveur fucrée des Châtai- gnes. Le premier confifte à préfenter les Châtai- gnes dégagées de leur peau, & dans un état où il eft beaucoup plus aifé de les manger. Le dé- jeûner dont ona parlé, fervi en Châtaignes cuites & couvertes de leurs peaux, dureroit une heure & demie ou deux , au lieu qu’il eft terminé en un quart d'heure. En fecond lieu, fi l’on mangeoit les Châtaignes cuites avec leurs peaux, on auroit beaucoup de déchet; car la partie de la Châtaigne qui tient à la peau, feroit une perte, On conçoit à préfent les raifons qui ont fait adop- ter généralement cette méthode dans un pays où là confommation des Châtaignes eft fi con- fidérable. Quoique l’eau dans laquelle on a préparé les Châtaignes foit amère , cependant on la réferve avec le tan, & quelques petits débris dé la fub{- tance farineufe de la Châtaigne, qui s’en déta- chent lors des opérations du deboiradour & du grelou, & on la donne aux cochons qu’on engraifle ; ils en fant fort friands, & l’on pré- G 98 TRAITÉ tend que le lard des cochons auxquels on en donne régulièrement pendant quelques moiïs, acquiert un très-bon goût, fur-tout lorfqu’on y ajoute une petite quantité de Chätaignes. Obfervations. LA Châtaigne au féchoir ne perd pas feule- ment fon humidité furabondante , les différens principes qui la conftituent fe combinent en- core entr’eux; mais cette combinaifon eft inf- niment plus intime dans la préparation qui vient d’être décrite. L’eau que ce fruit renferme étant aidée par la chaleur , elle agit à la mamière des diffolvans fur la totalité de la Châtaigne , d’où réfultent la molleffe &t la flexibilité opérées par la cuiflon. Le goût fucré de la Châtaigne paroît plus fenfble quand elle eft crue & féchée, qu'après {a cuiflon ; dans le premier cas , les différens principes de ce fruit agiflent fur nos organes in- dépendamment les uns des autres, & d’une ma- nière plus forte quand ces principes ont été plus rapprochés par la deffication ; dans le fecond cas, au contraire , l’amidon qui eft fade, fe combine par la cuiflon avec le fucre, d’où réfulte une faveur moins marquée. Il exifte dans nos cuifines.différentes manières DE LA CHATAIGNE. 09 de cuire la Châtaigne, oppolfées à celle des Lik moufns, qui influent chacune fur le goût &c les effets de ce fruit. La plus généralement adoptée n’eft pas la moins défeétueufe ; elle confifte à mettre la Chätaigne dans un vafe à découvert, êt à la faire bouillir à grande eau : l’écorce & la pellicule fourniflent bientôt une matière Âcre & très-foncée en couleur , à l’eau, qui , devenue plus intenfe au moÿen de l’acquifition d’un pas teil extrait, augmente d’aétivité ; elle pénètre 1a fubftance farineufe, en combinant avec elle une portion des principes dont elle ef chargée, enforte que la Châtaigne qui a féjourné ainf pendant une heure environ dans un milieu com- pofé, laifle , en la mangeant , unie faveur ftyp- tique très-marquée, & , au lieu d'opérer l’effet d’une nourriture émolliente & adouciffante , elle produit la vertu tonique &t aftringente, La feconde manière de cuire les Châtaignes, pratiquée également dans nos marchés par les femmes qui en font le commerce, n’eft pas non plus exempte d’imperfeétion; il s’agit de les ex- pofer à la flamme du bois qui brûle dans une poële de fer percée de trous. Le feu agit immé- diatement fur l’écorce, qui ne tarde pas à fe griller ‘& à laiffer évaporer un peu d'humidité ; imais la chaleur devenue plus vive , attaque, durcit 8 brûle -la fubftance farineufe extérieure G ij 100 TARAANLIT de la Châtaigne, ce qui lui fait contraétér unë odeur défagréable de fumée , & un goût amer d’empyreume , dont l’ufage ne peut que beau- coup échauffer , comme celui de toutes les fub- ftances qui font torréfiées. Enfin la troifième méthode de cuire la Chà- taigne , quoique moins pratiquée que les deux autres, à caufe qu’elle n’eft pas aufli expéditive, doit être regardée comme la plus ancienne. On met ce fruit dans l’âtre de la cheminée, on le recouvre de cendres bien chaudes ; par ce moyen l’évaporation de l’humidité furabondante fe fait ientement, & fans que la fubftance muqueufe foit brufquée par la chaleur , enforte que cette hu- midité réduite en vapeurs s'échappe difhcilement, pénètre , développe &t combine les parties conf- tituantes, d’où 1l fuit que la Châtaigne a infi- niment plus de goût que par les deux autres méthodes : peut-être auf les cendres contribuent- elles à la bonté des mêts cuits fous cet appareil. D'après ces réflexions fondées fur les chan- gemens que fubit la Châtaigne dans les diffé- rentes méthodes employées pour la cuire , nous ne faurions trop engager ceux qui font dans l’ha- bitude de manger PEAuCoUp de ce fruit, dene le préparer qu’à la manière Limoufne. Cette préparation confifte , ainfi qu’on vient de le voir, à dépouiller la Chätaigne de fon écorce avec un DE LA CHATAIGNE. YoT touteau , à dérober la pellicule, à laiïffer le fruit un moment dans l’eau bouillante pour qu’il augmente de volume, à mettre enfuite la Chà- taigne à fec dans un vafe bien bouché , fans nulle addition d’eau. La Châtaigne cuite fui- vant cette manière, eft un aliment digeflible , favoureux & très-nourriffant. Quant aux perfonnes qui ne font ufage de la Châtaigne qu’en petite quantité , & comme un objet de deffert, elles pourroient continuer de la cuire fous la cendre , parce que ce fruit ne perd rien de fon agrément; mais on doit prof- crire la méthode de le faire bouillir à grande eau avec les écorces, ou de le rôtir à la flamme, pour les raifons expofées ci-deffus. Une obfervation que nous avons oublié de placer à la fuite de celles qui concernent le féchoir, c’eft que, parmi les Châtaignes, il y en a qui femblent avoir été deftinées à être man- gées vertes, & d’autres au contraire pour fubir la deflication : par exemple | l’efpèce ‘appelée Bori, qui eft la moins fucrée de toutes en vert, eft la meilleure étant fécheé ; tandis que le Mar- ron , ainfi que la Châtaigne qu’on appelle en Li- moufin les Exhaludes, valent bien mieux féchées au foleil. Les Châtaignes réduites à l’état de Cet pe l'opération ordinaire de féchoir ,n “ayant plus G ü 102 ŒiR A: HT É fuffifamment d'humidité pour être cuites comme les Châtaignes vertes par la voie sèche , il faut y fuppléer en ajoutant de l’eau, qui ne manque pas d'extraire quelque principe , & de diminuer. d’autant leur faveur fucrée ; il eft néceffaire en outre qu’elles fubiflent quelquefois jufqu’a deux heures d’ébullition, fur-tout fi elles ont été for- tement féchées, avant de pouvoir être cuites, Dès que les Châtaignes féchées font cuites on en fépare l’eau, que l’on donne aux animaux, de baffe-cour; on remet le pot fur le feu une ou deux minutes , afin que l’humidité qui refte à la furface du fruit, foit repompée en partie ; carla Châtaigne mouillée n’eft pas aufi agréable au palais : au refte, fi elle ne reprend pas tout-à-fait le volume &t le goùt délicat qu’elle auroit eu verte, elle n’en eft pas moins faine & très-nourriflante, Je ne puis que défapprouver Phabitude où font plufieurs perfonnes de faler la Châtaigne ; elles fe trouveroïent fort embarraffées d’en dire la raïifon, fi on la leur demandoit : elles ne s’avis feroient point fans doute de répondre que leur intention eft de relever la fadeur de la Châtaigne, de la rendre plus favoureufe, & d'augmenter fa vertu nutritive ; car il feroit facile de les con- vaincre qu’elles font précifément tout le con traire : & en effet, la nature n’a-t-elle pas placé dans la Châtaigne l’affaifonnement par excel». DE LA CHATAIGNE. 103 lence , le fucre, qu'il faut y conferver , & non le détruire par la fermentation ou par l’addition du {el ? | Qui pourra difconvenir que la faveur naturelle de la Châtaigne ne foit infiniment préférable à celle du fel , qui la mafque ou la détruit ? Dans le Limoufin, où le fel eft fort commun, on fe garde bien d’ajouter à la Châtaigne un pareil af- faifonnement. On a d’ailleurs remarqué que ceux qui font ufage du fel dans leur aliment princi- pal & journalier , font fujets aux maladies de la peau; cette dépenfe eft donc pour le moins inu- tile, & on ne doit la faire que pour les Chä- taignes fauvages , ou pour celles qui recueillies dans des années humides, péchent par le défaut de fapidité. À :R TITI IC DE XX: Des avantages de la Châtaigne préparée a la Limoufine. L A Châtaigne, fous quelque forme & en quel- que dofe qu’elle ait été employée , ne pouvant fe transformer en pain bien levé, je penfe qu'il faut continuer de la manger dans fon état de glan- dée , puifqu’en appliquant à ce fruit les procé- dés du Meüñnier & du Boulanger , on ne peut pro- | G iv ON. \ TAN AIT IT É duire qu’un aliment bien inférieur à celui qui ré« fulte de la préparation à la Limoufne. Dans cet état, la Châtaigne eft fous la vraie forme qui convient à fes parties ; elle réunit les avantages du meilleur pain, foit du côté de l’ef: fet nutritif, foit par rapport à l’agrément du goût, à la facilité de fe le procurer & à l’écono- mie; enfin le farineux dont il s’agit doit être con- fidéré comme une forte de pain que la Provi- dence offre tout fait aux hommes , qui porte fon affaifonnement avec lui, & n’a befoin que dela feule cuiffon dans fon humidité propre , pour de- venir un aliment fubftantiel, digeftible & bien- faifant. : Je dois prévenir que, dans la fuppoñtion où mes expériences auroient eu le fuccès qu’on pou- voit defirer, &t que la Châtaigne, fous la forme de pain , eût put offrir un aliment pañfable , je ne me ferois jamais déterminé, en les publiant, d’aflurer qu’il falloit s’en fervir : ainfi le fruit dont il eft queftion, n’a nullement befoin des fecours de la panification pour acquérir de la fa- pidité & une confiftance fubftantielle ; la nature y a fufffamment pourvu ; il renferme les diffé- rentes fubftances effentielles au méchanifme de l'aliment, la matière nutritive, l’affaifonnement & le lefte : 1l ne faut donc en rien fouftraire ni tien y ajouter, "$ ; " DE LA CHATAIGNE. 105 On fait que les grains dans leur verdeur , mangés immédiatement après qu’ils font recueil lis , préjudicient à la fanté des pauvres habitans de la campagne qui foupirent après la récolte ; mais la Châtaigne n’a pas le même inconvénient. A peine eft-elle tombée de l'arbre , qu’on la fubftitue au pain ; &, loin de fentir aucune indif polition de ce changement, les cultivateurs ne font jamais plus fains , plus joyeux & plus ro= buftes : fouvent même ie befoin leur fait pré- maturer ce fruit par le gaulage , & ils ne s'en trouvent nullement incommodés. La Châtaigne préfente de grands avantages aux Limoufins ; leur fol froid & ftérile ne pour- roit fournir fuffifamment de grains pour leur fub- fiflance annuelle ; ce fruit y fupplée. C’eft un befoin pour eux , &t les habitans des campagnes attendent avec impatience le moment où ils vont : jouir de ce bienfait. Ils préfèrent cet aliment à tous les autres ; il eft fouvent le feul qu'ils peu- vent fe procurer pendant fix mois de l’année : ils le recueillent fans frais, fans peine ; &, moyen- nant quelques précautions fimples, ils mettent leur petite provifion à l’abri de tous les accidens. La privation de la Chitaigne feroit donc un véritable fléau pour le Limoufin ; dans les an- nées où ce fruit manque , où il eft même moins abondant , les payfans font réduits à La plus dés 106 TRAITÉ plorable misère , ils trempent de leurs larmes le peu de pain qu’ils peuvent fe procurer avec peine; mais l’abondance de la Châtaigne ramène chez eux la joie, & cette volupté pure inconnue des riches oififs & ennuyés des grandes villes, &t qui dédommage en quelque forte cette partie précieufe de l’humanité , des travaux & des fatis gues auxquels la nature femble l'avoir con- damnée, | Si on prend une idée générale des attentions multipliées que le grain exige depuis l’inftant que la nature l’a livré aux cultivateurs , juf- qu'a celui où l’art s’en empare pour le nettoyer & le conferver, pour l’écrafer fous des meules & le bluter, enfin, pour le foumettre à la fer- mentation & à la cuiflon, on eft prefque tenté de donner la préférence à la Châtaigne, d’au- tant mieux que les parties de la fruétification de fon arbre, ne font pas frappées des maladies for- midables qui anéantiflent en un moment le pro- duit de nos moiflons, que la culture exige peu de travail, & qu’il faut bien moins de temps & d’eflorts pour en retirer le produit alimentaire. La Châtaigne, parvenue au point dé maturité defirée , eft beaucoup plutôt au pouvoir de l’homme : il ne faut pas employer les coups re- doublés du fleau pour l’arracher de la prifon où la nature l’a renfermée. Les pluies qui arrivent DE LA CHATAIGNE. 107 œrdinairement fur la fin de l’automne, font gone fler le fruit dans fon enveloppe : alors cette enveloppe fe fend , & laifle aufhitôt échapper la Châtaigne qui, confondue avec les feuilles, peut en être féparée fans l’attirail du van & du crible. | Quelque temps qu’il fafle , la moiffon de la Châtaigne a lieu ; on va la ramafler tous les jours #ous les arbres, pendant le mois de novembre, & chacun rapporte fa récolte à la maifon, que Von laïffe entas dans un endroit bien aéré, afin que le mouvement végétatif achève & perfettionne fa maturité. Il n’eft pas non plus néceffaire d’at- tendre que la Châtaigne fe foit refluyée &c ait jeté fon feu pour s’en nourrir ; on peut la man- ger en tombant de l’arbre, & il n’en coûte rien pour fa préparation. Une marmite, de l’eau & du feu, voilà tout l'appareil. Pour cuire la Chätaigne , les Habitans des campagnes dépouillent le fruit de fon enveloppe, le mettent dans une marmite de fer, remplie d’eau bouillante ; après un quart d'heure , ils rejettent cette eau, féparent fa pellicule, & ré"! mettent Le fruit dans le pot, qu’ils couvrent avec un linge pour intercepter la communication de l'air; ils remettent le pot fur le feu, à une dif- tance affez confidérable pour cuire la Châtaigne fans la brûler ni la rôtir; environ une heure & 108 TRALTÉ demie après, ils verfent ce fruit fur une table; autour de laquelle ils fe rangent, & font un repas d’autant plus délicieux, qu’il eft prefque toujours aflaifonné du bon appétit & de la gaieté. La méthode dont on fe fert pour fécher la Châtaigne , n’eft pas plus compliquée que celle ufitée pour en fare un aliment. Il y a dans tou- tes les maifons de campagne un petit bâtiment quarré, d'environ cinq à fix pieds, & haut de fept à huit : l’intérieur eft partage dans fon élévation en deux pièces par des lattes placées à la diftance de quatre ou cinq lignes, en forme de claies qui tiennent lieu de plancher : c’eft là-deflus qu’on entafle la Châtaigne; deffous on allume un feu de bois vert, dont la chaleur continuée pendant une quinzaine de jours, &t la fumée qui pañle à travers les Châtaignes, parviennent à leur don- ner la deffication defirée : bientôt les écorces s’en détachent aïfément | fuivant la pratique ufitée dans les Cévennes & en Corfe, Ce fruit ainfi féché, gardé avec précaution, & cuit à refure dans l’eau, eft une richefle qui aide les Montagnards à vivre toute l’année, | L'opération de cuire la Châtaigne en vert, : fe répète prefque tous les jours dans toutes lés maï- . fons des Limoufins, tant des villes que des cam- pagnes, tant chez les riches que chez les pauvres, DE LA CHATAIGNE. 109 depuis la fin du mois d’oétobre jufques vers les der niers jours de mai, & fouvent le terme eft encore plus reculé pour le peuple & pour les pauvres, qui font la partie la plus nombreufe & non la moins eftimable du Limoufin. Ce repas eft un dîner qui les foutient toute la journée , & on le réitère le foir avec la même fenfualité, Avec une fi fimple manière d’apprêter la Chà- taigne ;, comment les Limoufins auroient-ils fongé a en faire du pain ? Ileft inoui que perfonne en ait jamais mangé; qu’on en ait même vu, excepté’ quelques effais. Les Auteurs qui fe co- pient fi fervilement les uns les autres, n’ont dit à ce fujet que des menfonges, imaginés fans doute, par quelque enthoufafte qui aura voulu peindre fortement la pauvreté de cette Province, D'ailleurs , 1l feroit impofhble de faire du pain de Châtaigne, fans la foumettre préalablement à différentes opérations , qui, aufhi peu coûteufes qu’elles puiffent être, le feront toujours trop pour le peuple , qui n’a jamais le moyen de faire le plus léger facrifice. _ Comment, en un mot, les Limoufins pout- roient-1ls renoncer à leur manière accoutumée de préparer la Châtaigne ? Non-feulement elle ne leur coûte rien , mais elle leur procure encore la nourriture la plus faine , la plus agréable, la plus . économique , & la plus capable de les fuftanter 110 tANE AA Z © É dans leufs travaux. Ils feroient bien fous de rif+ quer la moindre dépenfe pour donner à ce fruit une préparation qui, en le dénaturant , ne four- niroit qu'un aliment peu agréable , & peut-être moins falutaire. Or, puifqu'ils aiment mieux la Châtaigne cuite felon Pufage ; que le pain qu'ils peuvent fouvent avoir en même temps & qu'ils laiffent de côté, ils ne donneront certainement pas Ja préférence au pain que l’on pourroit faire avec la Châtaigne, füt-ilauffi bon que le pain de feigle. Les Limoufns, en général, font fains, forts &c robuftes. La Châtaigne, qui eft très-nourriflante, ne contribue pas peu à les entretenir dans cet état de fanté , & à les foutenir dans les exercices de leurs pénibles travaux : loin d’être expolés à des maladies inconnues ailleurs , rien n’eft plus com- mun que de voir des centénaires dans cette pro- vince ; la Châtaigne eft un aliment auffi fain qu’excellent pour eux. S’il s’agifloit de difculper la Châtaigne des ac- cufations qu’ont formées contre elle quelques dé- traéteurs , qui ont prétendu qu’elle nuifoit aux facultés intelleétuelles, & qu’en général fon ufage rendoit les Limoufins lourds & mal-adroits, je citerois une foule de noms diftingués qu’a fournis cette province dans tous les genres ; je renver- rois à M. l’Abbé Vitrat qui, dans fes feuilles hebdomadaires de Limoges, donne , par ordre | DE LA CHATAIGNE. TIT alphabétique , la lifte des hommes célèbres qui ont illuftré & qui illuftrent encore fa patrie. Le commun du peuple des cantons à Châtaignes peut bien, à caufe de fon embonpoint, avoir l’air épais ; mai sil n’eft pas moins robufte & induftrieux que les habitans des pays à grains. Que veut-on davantage ? On peut manger la Châtaigne même crue : ileft vrai qu’alors, fuivant l’obfervation de Sper- lingius , elle caufe beaucoup de vents; 1l vaut donc toujours mieux la faire cuire : mais comme il n’exifte pas d’aliment pour lequel il ne faille employer quelques précautions , 1l conviendroit de ne pas faire ufage de la Chäâtaigne trop chaude, & de boire auffitôt par deffus très-froid : car ce font ces deux extrêmes qui perdent les dents de bonne heure. L’indigeftion de ce fruit n’eft con- nue que des gloutons; & , pourvu qu’on la mâche bien , on n’entend pas dire que l’excès nuife. Si l’on parcourt les ouvrages de Médecine les plus recommandables, on voit que la Châtaigne y eft indiquée comme très-propre à rétablir les convalefcens des maladies d'automne, & fur- tout les enfans qui , après ces maladies, reftent , bouffis , päles , maigres, le ventre gros, & peu d’appétit : dans les pays à Châtaignes, on voit fouvent le peuple fe rétablir promptement après la récolte, On {eur attribue beaucoup d’autres pro- 112 TanRsa UT É priétés médicinales, mais il n’y a que celle. qu’elles ont de nourrir qui puifle nous intérefler. Ce feroit ;, fans doute, ici le lieu de m’étendre fur toutes les métamorphofes auxquelles fe prête la Châtaigne fous la main habile du Cuifinier & de l’Officier de maïfon ; mais on fe fera trompé , en croyant trouver dans mon ouvrage des détails concernant le chocolat, les potages, la pâte, les compotes de Marrons & de Châtaignes, les Mar- rons glacés, confits, & accommodés au cara- mel; les bifcuits & les gâteaux , &c. Aflez d’au- tres, fans moi, s'occupent de ces objets de luxe; & , quoique ce foit toujours la perfeétion des ali- mens qui fixe l'emploi de mes recherches, je ne confidère jamais que ceux auxquels les moyens du peuple lui permettent d’atteindre , &t qui peu- vent devenir la bafe de la nourriture des hom- mes de tous les états. Obfervations. L'ARTICLE précédent pourroit faire croire que je chante aujourd’hui la palinodie, & que tout ce qu’il renferme concernant les avantages de la Châtaigne én nature, eft diamétralement oppofé à la propofition de convertir la Pomme de terre en pain » fi je n’ajoutois quelques obfer- vations pour préveñir cette erreur, Lorf que R . DE LA CHATAIGNE. 113 Lorfque j'ai propofé de faire du pain de Pom- mes de terre , j'en ai établi les raifons: j’ai dit que ces racines contenoient, pouf le moins , les deux tiers de leur poids d’eau; qu’il falloit en manger beaucoup & fouvent pour être nourri ; qu’on étoit obligé de les cuire à mefure qu’on en avoit befoin ; que la panification concentroit non- feulement leurs propriétés nutritives, mais fournif- foit une occafion d’en tirer encore parti dans les différens états où elles fe trouvoient , foit qu’elles fuflent furprifes par la gelée ou par la germina- tion, foit qu’elles euflent quelques défauts de maturité ; qu’enfin c’étoit l’unique moyen de pro- curer aux habitans des campagnes, où il ne vient que des Pommes de terre, l’avantage de s’en fuftanter toute l’année, fans donner exclufon néanmoins aux autres formes fous lefquelles on les mange ordinairement. Mais la Châtaigne en nature n’a pas les mêmes inconvéniens, elle eft dans un cas tout-à-fait dif- férent ; les parties qui conftituent ce fruit ne font pas aufh éloignées les unes des autres , elles n’ont pas befoin d’être rapprochées par la panification : elle ne gèle n1 ne germe avec autant de facilité que la Pomme de terre , encore peut-on la man- ger dans l’un &t l’autre état fans courir aucuns rifques ; elle eft douée de la fapidité , & ne de= mande aucun aflaifonnement étranger pour plaire ÉES LH OMN NAN ITIR au palais &t convenir à l’eflomac. En un mot, & c’eft l’objeétion la plus forte qu’il foit poffible de faire, quand bien même la Châtaigne auroit be- foin des fecours de la fermentation panaire pour acquérir les avantages qu’elle a , il faudroit y re- noncer , puifque, de tous les farineux , elle eft la moins propre à cette opération. Un autre avantage qui rapproche encore les Châtaignes de la nature du pain, c’eft de pouvoir être mangées froides & plufieurs jours après leur cuiflon ; tandis que la Pomme de terre n’eft bonne qu’au fortir du feu, & prefque bouillante. Cet avantage doit être compté pour beaucoup dans l'opinion des Médecins , qui penfent que la plu- part de nos maux de dents & d’eftomac viennent de l’ufage d’alimens pris dans l’état trop chaud. Maïs il feroit fuperflu d’accumuler ici les preuves pour démontrer que la Pomme de terre, fous la forme panaire, peut, dans bien des cas, devenir une reflource précieufe pour s’alimenter , & que la Châtaigne en glandée eft infiniment préférable à toutes les.préparations pofhbles. Il y a long-temps que je cherche à oppofer une barrière contre cette fureur de propoñfer jour- nellement une foule de végétaux , qui ne font pas farineux, ni même mucilagineux, pour faire du: pain, ou pour augmenter fa maîle , fans faire at- tention qu’on diminue &t qu’on altère la bonne DE LA CHÂTAIGNE. 115 qualité de cet aliment, Pourroit-on, en voyant - le pain de Chäâtaigne , c’eft-à-dire | une fub{- ‘tance d’un brun foncé , compaéte & d’une faveur aigre-douce , imaginer que c’eft-là le réfultat d’un fruit blanc , agréable & favoureux ? Mais la ma- nie du jour eft de vouloir tout mettre en pain; on croit même que c’eft le feul aliment digne de nos foins. C’eft donc contre le vœu de la nature , je ne faurois trop le répéter , que l’on s’obftine à vou- loir faire fübir à tous les. farineux indiftinéte- ment la même préparation ; choififfons celle qui leur convient ; tächons , s’il fe peut, enfuite, de les perfetionner , & fi nous nousdéterminons à ré- duire fous la forme de pain les fubftances qui en font les plus éloignées, que ce ne foit que dans les cas de difette, puifque fouvent il eft indifpenfa= ble que l'aliment ait fa figure accoutumée ; mais, fans cette détrefle , jouiflons des bienfaits de la Châtaigne , &tne la dénaturons pas à grands frais, pour n’en faire qu’une mauvaife nourriture, ARR: 16: LE XL E Détail des Queflions & des Réponfes faites fur le Châtaignier 6 la Châtaigne. IL me reftoit quelques doutes, tant fur le Chätaignier que fur la Châtaigne , que je ne H ï 116 D ARR ET É pouvois faire éclaircir que par quelques bons Obfervateurs , habitant les pays où cet arbre eft en confidération. Plufieurs perfonnes diftinguées, qui connoifloient mon embarras & mes vœux, m’engagèrent à les communiquer à M. Cabanis, connu fi avantageufement du Public , & qui, retiré à la campagne , remplifloit tous fes mo- mens par l’étude fi intéreffante de la végétarion. Je m’adreffai donc à ce citoyen recommandable à plus d’un titre, pour le prier de feconder mes vues, ce qu'il fit de la manière la plus obligeante. On me faura gré fans doute de terminer mon Ouvrage par l’expofé des réponfes que M. Ca- banis a bien voulu faire à mes queftions : voici d’abord la Lettre que j'ai eu l’honneur de lui écrire. | Lettre à M. CABANIS. Permettez-moi, MONSIEUR, de foumettre à vos lumières & à votre examen les queftions ci- jointes. Chargé d’un travail concermant Îa Châtaigne, j’ai befoin , pour le compléter , de quelques renfeignemens qui ne fe trouvent dans aucun des Auteurs dont j'ai confulté les Ou= vrages ; il m’a paru même, en les parcourant, qu'ils s’étoient comme donné le mot pour obf- curcir tout ce qui a rapport à ce fruit & à l’ars sn» SÈR brh à DE LA CHATAIGNE. 117 bre qui le produit. Or, fi vous n’avez la bonté d’éclaircir les doutes que leur lecture m’a laifés, je préférerai de n’en faire aucune mention, plutôt que d’induire en erreur le Public trop long- temps trompé fur cet objet. Vos recherches , vos expériences & vos fuc- cès fur la greffe, doivent vous avoir mis à portée, MONSIEUR , de connoîïtre jufqu’où s’étend le pou- voir de cette opération merveilleufe ; feroit-elle en état d’Ôter radicalement aux Marrons d’Inde, par exemple , leur amertume ordinaire, & de faire porter à l’arbre même, fans changer fon efpèce, des fruits d’un auf bon goût que les Marrons de Lyon ? M. de Francheville vient de propofer à l’Académie de Berlin , de faire, de cette queftion intéreflante , le fujet d’un prix. Ce favant prétend que la métamorphofe eft pof- fible ; qu’il s’agit de deux conditions effentielles à obferver pour l’accomplir ; la première , de choifir des Marronniers d’Inde de cinq à fix ans, de les tranfplanter dans une terre fertile & grafle; la feconde, de les greffer d’eux-mêmes &c fur eux-mêmes, Jufqu’à trois fois, fuivant Les mé= thodes ufitées. Vous favez très-bien, MONSIEUR, que d’ex- cellens Patriotes fe font exercés depuis long- temps fur le Marron d’Inde , pour tâcher , s’il étoit pofhble, de le rendre auf utile qu'il ef H 1} 118 TRAITÉ agréable aux yeux ; ils ont vu à regret ce fruit, dont la récolte eft conftlamment sûre & abon- dante , relégué dans la claffe des chofes inutiles , à caufe de fon infupportable amertume. Que d’effais tentés pour l’en dépouiller ! Je crois avoir été un des premiers qui en foit venu à bout , en appliquant à ce fruit le procédé qu’emploient les " Américains , pour retirer du Magnoc une nour- riture falubre , appelée Caffave ; j'en ai donc fé- paré , à la faveur de a rape &t des lotions, une fécule douce, un véritable amidon, qui, in- corporé avec la pulpe de Pommes de terre , a donné de très-bon pain. S. A. R. M. le Prince Ferdinand de Prufle m'a fait l’honneur de m’a- dreffer la recette d’un gâteau de cetamidon, qui avoit été préparé fous fes yeux, & qu’on avoit trouvé fort délicat. ( | Mais je conviens que cette découverte , en fuppofarit que c’en foit une , eft bien peu de chofe à côté de celle de M. de Francheville, püifque , fi elle pouvoit fe réalifer , la totalité du Marron d'Inde ferviroit à la nourriture, fans qu'il fût néceflaire, pour l’y approprier , d’in- voquer les fecours de l’Art , toujours embarraf- fans & très-coûteux, pour devenir une reflource dans ce cas. Si l’on parvient jamais à enrichir le règne végetal & nos tables de ce nouveau fruit, d’autant plus précieux , qu'il s’accommode de D DE LA CHATAIGNE. ‘7119 prefque tous les climats , ce feroit encore un nouveau fervice que les Sciences auroient rendu à l’humanité. Quand je réfléchis, MONSIEUR, à cette opé- ration f importante de l’agriculture , par laquelle on parvient à rendre alimentaires & agréables tant de fruits agreftes, dont nos organes n’auroient jamais pu vaincre Ja faveur rebutante & peut- être les qualités nuifibles , je fuis toujours étonné que, fi ce n’eft pas le hafard qui a déterminé l’homme à greffer un fauvageon fur un Autre fau- vageon , le nom de celui qui s’en eft avifé le premier , n’ait pas été tranfmus à la poftérité ; on auroit dû lui ériger une flatue , avec cette inf- cription : À celui qui a faift un des plus beaux fecrets de la nature; ou , comme vous l’obfervez très-bien |, MONSIEUR , on pourroit appelerle premier Greffeur , le Père de la nouvelle alliance dans le règne végetal. | En attendant que l'expérience & le temps nous inftruifent fur la poflibilité de la méta- morphofe qu’annonce M. de Francheville , je crois devoir vous communiquer une obferva- tion à ce fujet. L’amertume me paroit aufh effentielle au Marron d'Inde , que la faveur fu- crée l’eft à la Châtaigne; elles dépendent l’une & l’autre de la matière extraétive, qui, dans le premier de ces deux fruits , eft réfino-gommeufe , H iv 138 A to a TARA TT. K & dans le fecond , fimplement muqueufe. La greffe chez celui-ci ne fait que développer & augmenter le principe déja préexiftant dans le fau- vageon, fi cela étoit ainfi, cette opération, loin d’adoucir le Marron d’Inde, ne feroit qu’accroître encore fon amertume, Que mon raifonnement foit fondé ou non, les tentatives de l’efpèce de celles que propofe M. de Francheville , ne font pas moins dignes d’être eflayées. Pourquoi ne forceroit- on pas quelques-uns de nos arbres foreftiers à rapporter du fruit propre à nourrir ? Ce ne feroit pas un fi grand malheur que la chair des bêtes fauves n’eüût plus le goût fauvageon. Ne vaut-il pas mieux s’occuper des moyens de multiplier nos produc- tions, que d’en tarir la fource ? Il y a quelque temps qu’un particulier avoit pro- pofé d'empêcher que le Marronnier d'Inde , l'or: nement de nos allées &t de nos jardins, à caufe de l’épaiffeur & de l’agrément de fon ombrage , n’in. commodât par la chute de fes fruits : fon moyen confiftoit à déterminer cet arbre à porter desfleurs doubles; mais les expériences faites au Luxem- bourg & aux Tuileries ont été fans fuccès. Vous connoiïffez cependant, MONSIEUR, les prodiges de l’Art en ce genre ; mais vous favez en même temps que fi, d’une fleur blanche, unie &c fimple, le Jardinier parvient à en faire une fleur double , DE LA CHATAIGNE. 12# touge & panachée , la plante qui offre ce phénoi mène n’acquiert l'avantage de récréer ainfi nos yeux & de flatter notre odorat ,. qu'aux dépens de fes organes reproduétifs ; femblable à ces malheureufes viétimes d’une coutume barbare & meurtrière , qu’un Pontife philofophe a abolié pour l’honneur de l’humanité. Je reviens à la Chä- taigne. S’il faut encore s’en rapporter aux Auteurs, rien n’eft plus aifé que de faire du pain de Chä- taigne ; &c ce comeftible , fuivant leur opinion, eft la nourriture fondamentale de la plupart des habitans de votre Province. Je prévois votre ré- ponfe , & vous êtes bien capable de me confir- mer dans l’opinion où je fuis depuis long-temps , que cette aflertion eft une faufleté ; je vous avouerai même que, quand mes expériences au= roient eu tout le fuccès que je pouvois defirer, je n’en aurois pas moins conclu, en les palliant, qu'il falloit préférer au pain de Châtaigne le fruit lui-même en fubflance , puifque dans fon état naturel, il n’a aucun befoin des fecours de la fer= mentation pour acquérir de la fapidité , &c que la fimple cuiffon fuffit pour en faire un aliment di- geftible &t nourriflant. . Jai beaucoup l’honneur de connoître M. votre fils de réputation ; la manière diflinguée & flats teufe avec laquelle nos Ouvrages périodiques En 122 TRAITÉ s'expriment fur fon compte , annonce les plus grands talens, &t fait defirer au Public que fa fanté lui permette de continuer les travaux in- téreffans auxquels il confacre fa jeuneffe. J’ai l’honneur d’être, &c. Réponfe de M. CABANTS. Votre Lettre, votre confiance & vos quef- tions, m’honorent infiniment; je voudrois fort, MONSIEUR, pouvoir répondre à ces dernières d’une manière fatisfaifante pour vous & pour moi: ce qui fuppoferoit, ou exigeroit , 1°. de mon côté, plus de connoïffances , de talens & d’ex- périence qe je n’en puis avoir; 2°. plus de fanté, ou moins d’entraves domeftiques ; & enfin de votre part, un plus long délai que vous ne me l’affignez dans votre Lettre, où vous marquez une forte d’impatience. Voici cependant ma ré- ponfe fommaire à la plupart de vos queftions , concernant l’arbre précieux qui, bien régi, peut, fauf accident majeur , écarter la famine de toutes les Provinces auxquelles il eft approprié, & cela fans dénaturer fon fruit pour en faire un pain éco- nomique ou prétendu tel. Je vais entrer dans quelques détails Drhddilts &t de manipulation, fur lefquels vous defirez d’être inftruit, & qui vous çonfirmeront dans Es js. DE LA CHATAIGNE. 123 ie où vous êtes qu’il faut laiffer à la Châtaigne on état de glandée , en cherchant à lui donner les préparations les plus avantageufes & les plus fimples, tant pour la cuiflon, que pour le tranfport & pour la confervation. Il faudroit peut-être com- mencer par le Chapitre des femis, des planta- tions & de la greffe ; mais il eft bien plus court & plus commode de vous renvoyer à mon £ffai fur la Greffe en général, couronné en 1764 par l'Académie des Sciences de Bordeaux, dont un exemplaire imprimé & quelques additions ma- _ mufcrites font entre les mains de mon fils, à qui je marque par l’inclufe de vous en donner communication, D'après cette leéture vous jugerez, MONSIEUR, que M. de Francheville a fait un beau rêve fur J’affociation ou mariage des arbres d’efpèce dif- férente , ou fur la tranfmutation de la même efpèce. Ce rêve prétendu fcientifique, que vous honorez, MONSIEUR, du nom de découverte, ne m'en impofe point , malgré le ton d’aflu- rance avec lequel on l’annonce. Le Marronier d’Inde greffé fur lui-même dix fois l’une après l’autre, ne donnera que des Marrons d’Inde ; &t le Marron de Lyon, greffé fur le Marronier d'Inde, ou n’y reprendra point, ou fera de courte durée. Les greffes bizarres & fantafques dont Virgile 124 TR AA LT a égayé & orné fes Géorgiques, ne fe font ja= mais téalifées. L’imagination va loin , mais la réuflite n’eft pas toujoi à fa bienféance. L’opé- ration de la greffe ne fait des miracles que dans l’ordre de la nature ; & celle-ci a des bornes in- violables, fi je puis m’exprimer ainfi. Les ten- tatives économiques & agronomiques font tou- jours louables, mais il ne l’eft pas moins de s’en défifter fur de bons motifs, &t fur les preu- ves qu’on appelle négatives. Je nomme toutes les greffes, où la difcordance des sèves &t le défaut d’analogie empêchent le fuccès, ou le reftreignent à une très-courte durée, des unions ou mariages par mefalliances , ou par défalliances. C’eft encore un beau rêve que celui de faire un pain écohomique avec la farine de Châtaigne, ou avec la Châtaigne décompofée. Ce fruit in- téreffant perd toujours à être dénaturé ; j'entends quant à l’économie domeftique, fans préjudicier aux reflourcés que la Médecine & la Chimie peuvent y trouver. Nous n’envoyons guère au moulin que les Châtaignes gâtées au féchoir, & que nous nommons recuires, ou celles qui ont des taches de moififlure ; encore trouvons-nous mieux notre compte à en engraifler les dindes & les autres volailles , en les leur donnant écra- fées fous la mañlue, ou à les faire houillir poux = las DE LA CHATAIGNE. 125 lPengrais des bœufs & des cochons. Quel pain que celui que donneroit cette forte de Châtaigne! Ceux qui en ont effayé, n’y font pas revenus à deux fois, fi ce n’eft pour des fantaifies de fem- mes grofles. Il y a encore plus de perte & de déchet à faire du pain avec la Châtaigne bien conditionnée, & dont le plus fimple apprêt fait un régal qu’on peut appeler incomparable. J’en. ai voulu faire de plufieurs manières , aucune ne m'a réufh. Le fucre qui domine dans la Châtai- gne , ne va jamais au pain quotidien. Eh ! pour- quoi déshonorer ainfi ce bon fruit en le martyri- fant? J’ai cherché encore à me procurer des crêmes fans aucune addition de fucre , par la feule décoétion & mixtion de la farine de Châtaigne dans du lait de vache, & cet eflai m’a plus fa- tisfait que tous les autres; mais le peuple ne s’alimente point avec des crêmes ; & c’eft encore un article de pure curiofité & de fenfualité , ajouté à tant d’autres. Je fuis au fond très-perfuadé que la manipula- tion du pain de Châtaigne a été tentée & aban- donnée dans d’autres temps , & qu’on a très-bien vu & fenti qu’on fe conftitueroit en travaux & en dépenfes à pure perte , pour dégrader le goût exquis d’un fruit qui, dans fon état naturel, & au moyen du plus fimple de tous les apprêts, pré- vaut à tous les pains qu’on pourroit en faire, 126 TR:A I T'É Revenons un peu à l'arbre même qui nous donne ce fruit admirable, avant de pañler aux moyens de le récolter, de le conferver , de le tranfporter & de l’employer. Le Châtaignier ÿ . ainfi que tous les autres arbres quelconques , eft fauvageon dans fon origine ; mais fauvageon avec des variétés illimitées, dues fans doute à des mo- difications particulières & accidentelles de fé- condation de fleurs, d’explofons de racines, d’afpe& , &c. dont chacun demanderoit une dif- fertation particulière, differtation même à peu près inutile , & qui expliqueroit incomplètement ces jeux de la nature, en nous laïffant toujours le doute fur la caufe, & l’admiration fur les réfultats. 7 Le Marron de Lyon & celui du Limoufn, dont les différences font peu:fenfñbles , émanent d’un fauvageon privilégié , fi je puis‘parler ainfi, duquel l’efpèce préférée à bon droit ; a été plus q Prent Ù ? foigneufement multipliée par l'opération de la B P P P greffe : opération dont l'inventeur , comme vous le dites très-bien , MONSIEUR , mériteroit des Autels, fi leshommes n’aimoient mieux en élever à leurs corrupteurs .qu’à leurs bienfaiteurs. Jar. fuivi d’aflez près la marche des variétés dans les femis des Châtaignes, des Noix, des Pêches, des Abricots, des Cerifes, &tc. pour pouvoir vous certifier qu'avec des femences bien choiïfes, on peut tout naturellement & fans aucun fecours de DE LA CHATAIGNE. 127 la greffe fe procurer des Marrons , des Pêches très-fucculentes, des Abricots mufqués, ayant lamande douce, des Cerifes précoces, aigres, douces , &c. J’ai à préfent des Pruniers de l’Ifle- Vert & de Sainte-Catherine , des Cerifiers préco- ces , &c. très-francs de racines, & dont chaque individu ne poufle du tronc ou des racines que des rejets de la même efpèce , propres à multi- plier à l’indéfini, finon à l’infini , par de nou- veaux rejets ultérieurs pris fur les premiers & fur leur poftérité. ( Voyez l’acception de ce mot franc de racine dans mon Effai fur la Greffe.) Jai trouvé le moyen, inconnu jufqu’à moi que je fa- che, de marcoter le pêcher; mon fils ou mon Effai fur la Greffe vous donneront là-deflus des renfeignemens, que la briéveté du temps & les bornes d’une lettre ne me permettent pas de dé- tailler ici. À travers la confufion de ce que je vous écris , pour preuve de ma bonne volonté, vous verrez, MONSIEUR, que plufeurs de vos quef- tions & mes réponfes démanderoiïent des inf- truétions circonftanciées , dont il ne m'’eft pas permis de m'occuper , & que peut-être vous n’a= vez pas le temps d’attendre. Mon fils vous com- muniquera la-deffus mon Effai fur la Greffe, dont Je me propofe de faire paroître une nouvelle édi- tion l’hiver prochain, Vous ne vous confoleriez 210 DE RARANTEÉ pas à ma place, MONSIEUR, des contre-temps ; des contradiétions & humiliationsqu’à entraînées la diftintion & le petit triomphe accordés à cet opufcule ; mais j’ai appris à me confoler de tout, &c à préférer une vie tranquille & obfcure à tout le refte, fi ce n’eft dans les occafions où le devoir & l’honnèteté me forcent à reprendre une plume furannée : nous nous hâterons , mon fils & moi, de vous montrer dans toutes les conjonétures , le zèle & les fentimens diftingués avec lef- quels j'ai l’honneur d’être, &c. Lee QU: ES Ti 1100 _ IL paroît que M. de Puimarets a traité la cul- ture du Châtaignier avec autant de clarté .que de connoiflance ; qu’il a indiqué tous les moyens de tirer de cet arbre & de fon fruit l’utilité que Pun & l’autre peuvent procurer, & qu’il a eu l’avan- tage de réveiller fes compatriotes fur la culture du Châtaignier, à laquelle 1ls donnent des foins mieux étudiés. Mais on ne peut pas avancer qu’il ait puifé dans les Auteurs qui l’ont précédé la plus grande partie de fes obfervations ; car il n’en eft aucun qui foit d'accord avec l’ineftimable citoyen dont il eft queftion. Depuis fon Mémoire publié à Brive, n’exifte-t-il pas d'ouvrages ex profeflo à ce fujet ? A-t-on ajouté quelque chofe à ce qu'il DE LA CHATAIGNE. #29 enadit?enfin, MONSIEUR, que penfez-vous de ce que Miller a écrit fur cet objet ? RÉPOoNSs=z, AUCUN Auteur, ou Ecrivain Limoufin que je connoiffe , n’a traité ex profeffo de la Châtai- gne avant la publication du Mémoire de M, de Puimarets. Mon Eflai fur les principes de la greffe , venu long-temps après, n’en parle qu’en paflant, non plus que ma Lettre fur les arbres Voyers, rendue publique , avec bien des fautes d’imprefhon, par le Journal Economique & par le Mercure de France de 1766 & 1767. Je ne con- nois Miller que par des lambeaux dans le Dic- tionnaire Agronomique , &t dans quelques Jour- naux d'Agriculture qui m'ont pañlé fous les yeux. Pluche dans fon Speétacle de la Nature, M, Duhamel dans fon Traité des femis & des plan- tations,,. & dans fa Phyfique des arbres, ont parlé fommairement & fuperficiellement du Ch4- taignier : pour en traiter complétement , il fau- droit avoir connu les pays à Châtaigneraie, ou y avoir de bonnes correfpondances, ce qui n’eft pas fi aifé a rencontrer. Mon zèle pour les vérités de fait m'ont obligé de contredire dans nos Feuil- les les Auteurs qui m’ont paru de fimples Bota- niftes de cabinet, ou égarés fur la foi d’autrui : I 130 TRAITÉ foyons en garde toujours contre les Ecrivains les plus renommés ; un grand nom peut accréditer une grande erreur : jai fouvent pris en défaut les Diétionnaires Encyclopédique , Economique , Qc. LI NOUE 8 TDR ON a droit d’être furpris, formalifé même, que le Châtaignier réuniffant autant d’avantages qu’on lui en connoïît, cet arbre foit tombé dans une forte de difcrédit , lui dont la croiffance eft prompte & facile, qui fournit un bois de la meilleure qualité, & des feuilles que les infeêtes n’attaquent point. Les Auteurs qui ont eflayé d’en donner les raïfons, en convenant bien que le Châtaignier doit tenir le premier rang parmi nos arbres foreftiers, & que ce n’eft qu’au Chêne feul qu’il doit céder, préfument que ce font les hivers longs &t rigoureux, les chaleurs vives, accompagnées de grandes fécherefles : croyez- vous que ce foient là les feules caufes de la dé- population du Châtaignier dans le Royaume ? L'amour des défrichemens, qui a rendu le bois fi rare, &t par conféquent fort cher, n’y auroit- il pas la plus grande part ? On fait que le Lt- moufn étoit autrefois fi couvert de bois, qu’on en faifoit fort peu de cas; maintenant il eft de- venu plus rare, DE LA CHATAICGNE. 15# RÉPONSE Vous me demandez d’où peut venir l’ef- pèce de difcrédit où femble tombé un arbre auf précieux que l’eft en eflet Le Chätaignier , & dont l'éloge feroit peut-être plus digne de l’attention de nos Académies ; que celui de certains hommes proclamés à programme. Ce difcrédit eft dû , felon moi , à plufieurs cau- fes & à plufeurs étés. Voici ma façon de les AS 1°. La dévaftation occafionnée par les puerres civiles, où, chaque parti, chaque Seigneur Chà- telain, chaque particulier » faifoient le plus de mal poffible à tout ce qui leur étoit ou paroiffoit spas _ 2°. L'effet des grands Has de 120$ > 1729 & 1767. 3°. L’extenfion & lPampliation de notre com- merce maritime depuis la découverte du Nouveau Monde ; extenfion qui a ouvert un grand débou- ché au débit des douves, des merrains, cerceaux pour les minots, barriques & barils de toute ef- pèce, qui a fait abattre bien des Châtaigneraies à fruit, dont les rejets fur fouche ont été laiflés enfuite en taillis ou en feullard pour du charbon, des échalas &t des cerceaux : le prompt débit de ces trois articles dans les forges devenues I à 332 TRAITÉ plus nombreufes pour le fervice des Colonies, ou dans les ateliers des tonneliers, ou pour écha- laffer les nouvelles vignes, a fi bien fixé l’atten- tion des propriétaires » qu'un feul gentilhomé du Périgord, M. le Marquis de S. Alvère-Lof- tanges , s’étoit afluré d’une coupe annuelle de 10000 liv. de produit en bois feuillards &r cer= ceaux, dès l’année 1760, à ce que m'a afluré Madame la Marquife de Cofnac, l’ainée defes filles. Tout le monde à couru à l’argent, comme plus facile à ramañler que la Châtaigne. 4°. La préférence donnée par goût, par ma- nie, ou par erreur, à des fruits & à des comef- tibles, foit natienaux ou étrangers, plus agréa- bles, plus beaux, &, fi j'ofe dire , plus faftueux pour le deffert, quoique moins bons, & peut- être moins fains que la Châtaigne. s°. Le goût, ou plutôt l’enthoufiafme pour les parcs, les avenues, les labyrinthes, &c. en ormeaux, frênes, tilleuls, marroniers d’Inde & autres arbres de petit ou de nul rapport, fou- vent tirés de loin &cà grands frais, au mépris du précieux Châtaignier qu’on eût trouvé fous fa mam, à grand marché, & dont le bois, les feuilles & le fruit, font d’une reflource inépui- fable pour ceux qui le favent, le peuvent & le veulent mettre à profit. M. Finet, fupérieur du Séminaire de Limoges, n’avoit pas craint de DE LA CHATAIGNE.: 133 donner la préférence aux plants de Châtaignier pour la grande avenue de la maifon de campagne du même Séminaire. Quelques petites maîtrefles, ou quelques élégans, peuvent être offufqués d'y rencontrer plufieurs pelous épineux fous les pieds, vers la fin de l’automne;, mais ce n’eft pas fur de telles perfonnes, n1 fur leur cenfure, que M. Finet Dortoit fon attention. 6°. La routine de greffer fans principes, fans méthode, hors de faifon, fans expérience, fans fpéculation fur les analogies , &tc.je pourrois en- core ajouter, 7°. Quelques abus qui obligent des coimimu- nautés de prêtres féculiers ou réguliers, à ne point étêter ni grefler leurs Châtaigneraies char- gées de fauvageons, fous le prétexte frivole de la confervation des bois. k HP QUO RETRO, L'OMBRAGE des Châtaigneraies trop épaifles , n’étouffe point les produétions ; , lorfqu’elles font plantées à une diftance aflez confidérable, & telle que le prefcrit M. de Puimarets , pour que le terrain puifle recevoir les influences de Pair libre & les impreffions du foleil : mais les grains qu’on y enfemence font-ils, je ne dis pas auffi abondans que dans un champ découvert, toute lu 154 TRAITÉ proportion gardée , mais auf gros? ou bien n'eft- on dédommagé des frais de culture que par une plus grande récolte de Châtaigne , réfultante des labours qui donnent à l’arbre une force qu'il n’acquiert pas dans une terre en friche ? ROEURIOON SE. LE feigle croît & mürit très - bien dans des terrains même médiocres, à l'ombre du Châtai- gnier , foit fauvageon ou greffé, & fur-tout à l’ombre ‘de plufieurs arbres, par le bienfait des feuilles, des fleurs & des pelous, qui, pourris pendant une longue fuite d’années, ont formé une efpèce de terreau fertilifant. Il y a un Chitaignier de marque dans notre pa- roifle de Cofnac près de Brive, dont le corps a vingt-deux pieds de contour, c’eft-à-dire, fqpt pieds quatre pouces de diamètre, nommé Je Chätaignier de Martignac, du nom de fon der- nier propriétaire. L’ancien colon m’a dit avoir femé , & être dans l’ufage de femer tous les deux ans, ( car les terres à feigle ne font enfemen- cées que de deux années l’une ) un demi-boiffeau de feigle pefant 16 liv. à l’ombre des branches de ce Châtaignier, & que ce femis ainfi ombragé donnoit la plus belle &t la meilleure gerbée de fon petit champ, & qu’il n’en avoit pas moins DE LA CHATAIGNE. 135 famañié plus d’une année fous ce même arbre olé 40 boiffeaux, c’eft-ä-dire, dix facs, ou cinq charges de cheval, de bonnes Châtaignes, J'ai aétuellement deux petites Châtaigneraies femées en feigle en bonne efpérance pour la prochaine récolte. La paille du feigle venu à l’ombre de Châtaignier , a la qualité, ou le dé- faut de jaunir en müriffant, & de garder fa cou- leur de vert päle, ce qui la fait préférer par les tourneurs , tifleurs de chaïfles, qui la mêlent avec le jonc vert des étangs. Enfin, les Chi- taigneraies enfemencées de grains , rendent à peu près un tiers en fus de plus belles Châtaignes, plus aifées à ramafñler , & toujours meilleures fans compter la récolte en feigle qu’on y fait tous les deux ans. IV}. QUESTION. ON fait que le Châtaignier fauvageon fournit de plus beau bois pour l’ouvrage , que celui qui eft greffé;, que fon fruit n’eft jamais auf abon- dant , parce qu'il fe trouve au milieu de deux avortons , & que par la cuiflon, il devient mou, rouffâtre & fade, au lieu que la Châtaigne pro- duite par la greffe au nombre de trois dansle même pelou , eft plus groffe, plus favoureufe & plus noyrriflante; mais les différentes efpèces de Chà- Liv 136 THAUTÉ taignier admettent-elles des différences notables dans les parties de leur fruétification ? Les fleurs de l’arbre qui donne le Marron de Lyon reflem- blent-elles à celles du Châtaignier ordinaire, greffé ou fauvageon? REP ONS.E: Nous connoiïffons dans ce pays au moins dix à douze bonnes efpèces de Châtaignes fubordon- nées au Marron, & dont quelques-unes ne lui font guère inférieures, entr’autres l’efpèce appe- lée l’Exhalade , & l’efpèce nommée Verte, Cette dernière eft d’autant plus précieufe , que fes feuilles toujours vertes tiennent bon contre Île hâle & le vent du midi, qui dépouillent affez fouvent les autres Châtaigniers, en exténuent ou en font avorter le fruit, Depuis environ quinze ans que j'ai fait cette découverte, je n’al pas vu manquer une feule récolte; je me vois avec plaifir envié, imité, quelquefois volé, dans l'intérêt d’une plus prompte propagation par le moyen de la greffe; mais les parties de la fruétification fous les Châtaigniers font les mêmes, à cette différence près, que le Marron mürit beaucoup plus tard. NAME ST T'ON) OX fait que la Châtaigne n'eft pas comme, le ET PRE en DE LA CHATAIGNE. 137 Pommier, qui ordinairement ne produit que tous les deux ans, & que fa récolte feroit toujours abondante, fi le printemps & l’automne n’étoient pas accompagnés de froid, & qu’il ne régnit pas dans le courant du mois d’août, des vents très-pernicieux au Châtaignier; mais eft-il né- ceffaire de laïffer refluer la Châtaigne ? RÉPONSE IL faut éviter le refluage des 1 au- tant qu’il eft poflible , en les tenant dans les en- droits les plus frais, après les avoir ramaffées à la rofée du matin. Un hangar , adoflé au bâtiment du côté du nord , eft l'endroit le plus propre à les conferver dans leur fraicheur , & à les garantir de la fermentation ainfi que de l’explofion des ger- mes. Ce rique mis de côté , les Châtaignes fe confervent mieux en tas. Je fie cependant d’a- vis de les répandre fur le plancher, ou mieux en- core fur des claies, lorfqu’on fe propofe de les manger tout de fuite ; l’évaporation de la partie aqueufe les rendent plus faciles à peler, & d’un goût plus fucré, VI QuEesTiron. LES précautions employées pour récolter la Châtaigne n’influent-elles point fur la conferva+ tion de ce fruit à M9