■^.>? M -^/;^ (-* JOHNA.SEAVERNS TRAITÉ D'ÉQUITATION PARIS. IMPRIMERIE I-. BAUDOIN, RUE CHRISTINE. 3^c?UEr i LE COMTE D'AURE TRAITE D'ÉQUITATION ILLUSTRÉ r R U C E D E D'UN APERÇU DES DIVERSES MODIFICATIONS ET ClIANdEMENTS Apportés dans l'Ëquitation depuis le XVP siècle jusqu'à nos jours SUIVI D'UN APPENDICE SUR LE JEUNE CnEVAL DU TROT A L'ANGLAISE E T D'UNE LETTRE SUR L'ËQUITATION DES DAMES LE COMTE D'AURE Ancien Écuyer cavalcadour de LL. MM. Louis WIll, Cliarles X et Napoléon 111 Ancien Éciiyer en chef de l'École de cavalerie de Sauniur Oirs^QUIEME EDITION PARIS LIBRAIRIE MILITAIRE DE L. BAUDOIN 1 M l' a 1 M E u u - É D I T E u u 30, Rue et Passage Dauphine, 30 1893 Tous droits résorvôs. 3EC0UET A PARIS . le Comte d'Aure sur le Cerf. PREFACE Les notes fort inachevées que j'avais écrites en 1824, et qui parurent en 1833 sous le titre de Traité d'Équi- TATiox, pouvaient servir à indiquer dans quelle voie marchait l'École de Versailles dans les derniers temps. Un ouvrage complet sur l'équitation et la connaissance du cheval eût été fort inutile ; trop de gens avaient écrit sur ces diverses questions, avec une habileté qui ne donnait pas l'espoir de faire mieux. Il s'agissait de mar- quer la transition qui s'opérait pour dépouiller l'équi- tation de ce charlatanisme, de ces supertluités, ne ser- vant qu'à hérisser d'inutiles difficultés la connaissance d'un art d'autant plus nécessaire à simphfier, qu'il doit s'adresser à toutes les classes de la société, et qu'il est d'une utilité presque générale. VI PREFACE. La critique tardive que l'on a faite de la première édition d'un ouvrage, douze ans après sa publication, m'autorise à douter de sa sincérité, surtout lorsqu'un nouvel éditeur est venu m'otïrir de publier à ses frais une seconde édition. N'ayant aucunement varié dans ma manière de voir, la seconde édition sera semblable k la première ; rien ne sera changé, pas même l'incorrection du style. Je vais donc encore une fois prêter le flanc à mes détrac- teurs. Lorsqu'il s'est agi de me combattre pour faire pré- valoir des idées surannées et faussement interprétées, la vérité a été faussée au point de juger l'École de Ver- sailles d'après mon manège de Paris. N'était-ce pas une partialité révoltante de vouloir comparer une instruc- tion largement organisée, où de jeunes élèves dépen- dent d'un chef pendant plusieurs années, avec un éta- blissement industriel, recevant des hommes de tout âge, de toute force, voulant devenir cavaliers en vingt leçons ? Peut-on mettre la moindre analogie entre un établissement livré à lui-même, rencontrant à chaque instant mille entraves, et un manège soutenu par la munificence royale ? En me reprochant de n'avoir pas enseigné dans mon manège certains moyens de répres- sion et d'assouplissement, quelques personnes ont conclu que je les ignorais; les manèges de Paris sont- ils destinés à former des dresseurs de chevaux, je le demande ? N'est-ce pas déjà beaucoup de pouvoir con- server un élève assez de temps pour lui donner une PREFACE. VII bonne posture, et le mettre dans le cas de se tirer d'affaire avec des chevaux faits ? C'est, je crois, la seule chose à laquelle on doive prétendre. Je considérerai toujours comme très dangereux de chercher à initier un élève à l'application de moyens ne pouvant être réellement compris qu'après une grande habitude. Il faut enfin un sentiment du cheval toujours très difficile à acquérir, et que ne peuvent jamais obtenir des élèves semblables à ceux qui fréquentent nos manèges. En cherchant à prouver que beaucoup de préceptes offerts aujourd'hui comme innovation étaient connus depuis longtemps dans nos écoles, j'essayerai de ne blesser aucune susceptibilité. L'âpreté d'une nouvelle polémique ne peut amener aucun résultat heureux; à quoi, en effet, peuvent aboutir tous ces débats, qui décideraient de la valeur des prétentions de chacun, quand juges et tribunaux ont disparu ? La France, à toutes les époques, s'est fait un devoir d'encourager les arts : l'équitation, plus que tous les autres, était autrefois largement soutenue ; alors, tout en comprenant que l'étude de l'équitation entraîne à des dépenses dont sont exempts les autres arts, notre pays sentait combien il était important de propager un savoir d'où pouvaient émaner la force de notre cavalerie et le débouché de nos productions chevalines. Aujourd'hui, les industries de toute nature, les arts les plus futiles reçoivent de larges encouragements du Gouvernement, l'équitation reste seule abandonnée, livrée à la merci de l'industrie particulière, n'offrant VIII PREFACE. que des chances de ruine à ceux qui veulent s'en occuper sérieusement. Elle ne peut se soutenir qu'en se dégradant; aussi, pour peu qu'un tel état de choses existe, malgré le zèle de quelques personnes pour conserver les bonnes traditions, il ne restera bientôt plus du passé qu'un vague et très imparfait souvenir. APERÇU DES DIVERSES ÉQUITATIONS DEPUIS LE XVP SIECLE JUSQU'A NOS JOURS De l'Italie nous vinrent les premiers principes d'équi- tation. Ils subirent des modifications, des changements, des améliorations, en raison des différentes races, comme en raison du service auquel on voulait astreindre le cheval. La chevalerie, considérant comme de première nécessité l'art de bien manier un cheval , institua les règles du manège afin d'exercer de bonne heure la jeunesse k la pratique de l'équitation. Le travail individuel, indispen- sable pour paraître avec avantage dans les tournois, ou avec grâce dans les carrousels, entraînait la jeunesse k une étude très longue ; car alors, non seulement il était néces- saire que le cavalier fût expérimenté, mais encore fallait-il aussi que le cheval fût rendu souple, liant et soumis h toutes les volontés de son maître. La fuite des talons, les changements de main, les voltes. demi-voltes, passades, pirouettes, etc., étaient autant de ruses mises en usage pour embarrasser un adversaire et l'attaquer avec succès. X TRAITÉ d'ÉQUITATION. Mais tous ces divers mouvements devaient être exécutés avec une justesse et une précision infinies ; car le cavalier qui, par le mouvement des mains ou des jambes, aurait laissé voir ses intentions d'agir, offrait par la de grands avantages a un ennemi expérimenté qui aurait su en pro- fiter. C'est pour cela qu'il était nécessaire d'être placé à cheval de manière que la main tenant l'arme fût parfaite- ment libre ; c'est pour cela que les jambes avaient besoin d'être rapprochées et tombantes, afin de maintenir le cheval dans les talons, tout en permettant au corps du cavalier de se mouvoir en raison des attaques qu'il avait à faire, ou des coups qu'il avait à parer : c'est pour cela enfin que la main de la bride, assez fixée pour maintenir le cheval et régler ses mouvements, ne devait pas agir de façon à le restreindre, à le rétrécir et l'empêcher de se développer. De quelle utilité, je le demande, aurait pu être, pour un homme de guerre, une équitation oîi les deux mains et les deux jambes du cavalier sont continuellement occupées, et où chaque mouvement du cheval est prévu, a cause de la manière apparente dont les unes et les autres agissent? Un cavalier a besoin d'être à son aise ; il doit, en possédant le cheval, lui laisser développer les qualités qui lui sont propres. C'est pour cela que, tout en prenant pour base l'équitation de la chevalerie, nous devons élaguer les superfluités et ne prendre que ce qui convient à notre instruction militaire et civile. L'équitation avait peu de modifications à recevoir : elle ne devait subir que les changements en rapport avec le temps, les races de chevaux TRAITE DEQUITATION. XI et les progrès de notre civilisation ; elle devait chercher à rajeunir l'art. Voilà ce qu'avait fait l'Ecole de Versailles, dont on a complètement perdu le souvenir. Les qualités que donne le sang nous venaient en aide pour simplifier l'équitation, puisque la nature donne au cheval de race un liant, une souplesse et surtout une énergie que les anciens écuyers ne trouvaient pas toujours dans leurs chevaux, mais dont ils reconnaissaient tellement les avantages qu'ils s'elForçaient de la provoquer dans le travail auquel ils les soumettaient. Depuis le quinzième siècle jusqu'à nos jours, le changement progressif qui s'est opéré dans les races, les différentes variétés ont nécessaire- ment obligé les écuyers à modifier leurs moyens d'agir, à les augmenter, à les adoucir, en raison des chevaux qu'ils possédaient. Nous avons l'avantage aujourd'hui de pouvoir prendre à chaque école ce qui peut être appliqué avec Iruit à la nôtre. C'est pour cela, qu'en raison des chevaux, nous pouvons emprunter à Grison sa brutalité, à Newcastle et à Pluvinel leurs moyens d'assouplissement, à la Guérinière la finesse et la régularité, à d'Abzac la justesse et l'énergie, à notre époque la vigueur et le décidé. Est-il de bon goût, je le demande, de venir contester le savoir et le mérite des hommes dont je viens de parler? Peut-on supposer qu'ayant fait du cheval l'étude de toute leur vie, ils n'aient pas connu les moyens d'en tirer parti, tout aussi bien et beaucoup mieux que les hommes qui font résider à présent toute leur science dans le dressage de XII . TRAITE D EQUITATION. quelques malheureux chevaux de manège, et qui, n'ayant aucune idée de l'emploi du cheval dans nos usages habi- tuels, s'efforcent d'étouffer, par leurs moyens de répression, ces qualités, ces mouvements, cette vigueur dont l'ancienne équitation pressentait tous les avantages, et que nous avons su conquérir par l'introduction du sang dans la fabrication de nos races ? Rien n'était plus conséquent, au contraire, que nos anciens écuyers : pourquoi Grisou avait-il de la brutalité? c'est parce que les chevaux de son temps étaient lourds et apathiques : manquant d'espèce, et par conséquent de sensibilité, ils avaient besoin d'être plus fortement excités. Tout en cherchant à réveiller leur action, tout en cher- chant k les rendre liants, il recommandait surtout de ne pas trop leur assouplir l'encolure ; il comprenait qu'un cheval lasche de col, comme il le disait, perdrait de son perçant; c'est au moyen des attaques violentes de l'éperon qu'il réveillait l'action, qu'il assouplissait l'arrière-main pour obtenir les voltes, les posades, les courbettes, les demi- tours ; tandis que pour donner aux épaules une légèreté qui leur manquait, il conseillait de promener les chevaux dans les guérets frais labourés, dans des chemins pierres, dans les rivières, dans la mer, pour les engager à lever les jambes et donner par là du développement aux épaules. Il cherchait aussi à entretenir l'action en faisant parcourir avec furie des distances plus ou moins longues ; mais, comme je viens de le dire, il recoinmandait particulièrement de ne pas trop briser l'encolure, sachant fort bien que chez TRAITÉ d'ÉQUITATION. XIII des che\aux qui n'ont ni trop d'énergie ni trop de vitesse. il faut éviter de laisser prendre un pli qui peut amoindrir cette vitesse et cette énergie. Il avait reconnu que le cheval de son époque, qui n'était pas ferme de col, n'était pas un bon cheval de guerre, et que souvent trop de flexibilité dans cette partie lui donnait de l'incertitude et des moyens de défense. Lorsqu il s'agissait d'obtenir des mouvements pré- cipités S son travail le plus habituel, une fois que le cheval était familiarisé a. l'homme et que ce dernier l'avait promené par la campagne, était de lui faire exécuter des passades et des voltes, c'est-à-dire d'aller et de revenir toujours sur une même piste, appelant la ligne droite que l'on parcourait, la passade, et la volte, le tournant exécuté pour revenir sur la ligne que l'on venait de parcourir. La volte se faisait par un tournant simple, et quel- quefois sur les hanches, ou par un demi-tour. Lorsqu'au bout de la passade on revenait par un demi- tour, la perfection était, avant de tourner, de faire faire une posade au cheval, c'est-à-dire de l'arrêter vigoureusement et de le renfermer alors dans la main et dans les jambes, de façon à lui faire faire la jambette. c'est-à-dire lui faire plier la jambe du devant, de la main à laquelle il se trouvait, et la maintenir ainsi pliée jusqu'à ce que le demi- tour fût exécuté. Je citerai tout à l'heure le texte de ' Le cheval du temps de Grison n'est-il pas le type, ou du moins n'a-t-il pas beaucoup d'analogie avec les chevaux de notre grosse cavalerie ? XIV TRAITE D EQUITATION. Grisou, pour expliquer l'action des jambes du cavalier, lorsqu'il faisait exécuter les tournants et les voltes ; on verra que le principe de se servir de la jambe gauche pour faciliter le tournant k droite, et vice versa, n'est pas du tout nouveau, comme le disent les innovateurs, qui ne com- prennent pas, prétendent-ils. comment on est resté jusqu'à ce jour sans faire connaître cette action. Tout homme sachant monter k cheval sait qu'il y a deux manières d'exécuter un tournant : la première en faisant marcher Farrière-main. la seconde en faisant marcher les épaules. Quand le cheval est en place ou très maintenu dans la main, si on veut le tourner k droite sans que les épaules se déplacent, la jambe droite du cavalier agit pour redresser les hanches du cheval k gauche, ce qui exécute le tournant k droite ; quand au contraire le cheval marche, et que l'on tourne k droite, la jambe gauche du cavalier doit agir pour soutenir la hanche gauche, afin de maintenir l'action transversale des jambes du cheval; car. en agissant autrement, il se désunirait. Si l'on pouvait ne pas savoir cela avant Grisou, depuis nous ne devons pas l'ignorer. Laissons-le parler : « Pour vous faire plus clairement entendre, et avec la (( vraie raison et sans fausseté, comment il faut aider au « cheval avec les éperons quand on le manie, je vous dis « que quand, au bout de la passade, vous le voulez volter « k main droite, il vous le faut aider du côté opposite avec '( l'éperon gauche, et l'arrondir ensemblement avec l'autre « éperon, afin qu'il aille juste et qu'il retourne k sa route. TRAITE DEQUITATION. XV « Et le voulant volter k main gauche avec semblable (( ordonnance, le vous faudra pareillement aider avec (( l'éperon droit, et en môme temps l'arrondir avec le (( gauche; et par ce moyen, il ira juste et correct, toujours (( en un même rond, sans s'avancer plus d'un côté que de <( l'autre. Et vous faut bien noter qu'aucune fois il le faut « aider au commencement de la volte. autre fois au milieu. (( et autre fois à l'instant qu'il la clôt ; et lorsqu'il la clôt. (( ne faut pas que l'éperon, qui arrondit la volte, batte k « per ains. ira en même temps battre un peu plus en (( arrière que l'autre, qui bat au long des sangles, au côté « opposite, comme il est besoin. Et en cela sourd une « grande difficulté pour savoir bien connaître le sentiment (( du cheval, et le piquer k temps, et le poindre plus ou « moins, selon qu'il en est besoin ; ce que je ne vous puis « bonnement exprimer de paroles ; mais la pratique et (( l'expérience vous en feront sages. » Grison comprenait parfaitement, comme nous, les oppo- sitions et les résistances, les actions et les soutiens qui servent k mettre le cheval en mouvement et k le maintenir. S'il usait quelquefois de moyens plus violents, c'est qu'il avait aft'aire k une espèce plus brutale, moins sensible. Si nous avons eu des chevaux assez fins pour comprendre les moindres indications, n'en avons-nous pas rencontré quel- quefois d'autres sur lesquels la correction qu'il indique aurait pu être appliquée avec succès ? « Je vous advise que quand le cheval use de quelque « malice, comme de branler la tête, se lever debout, ou XVI TRAITÉ D'ÉQUITATIOM. « s'appuyer sur la bride, ou bien quand il fera d'autres (( notables fautes, lors vous lui donnerez le châtiment avec (( une voix horrible et effrayante, et ireusement direz, avec (( un cri âpre et menaçant, celle de ces paroles qui vous (( viendra plus a gré : Or sus. or sus; or la, or la: « ah traître! ah ribaud ! tourne, tourne, tourne; arrête, (( arrête: tourne ci, tourne là, et autres semblables. (( pourvu que le cri soit terrible, et que vous disiez paroles (( qui vous sembleront plus conformes et plus propres à « intimider le cheval pour sa correction ; et continuerez (( d'ainsi faire jusqu'à ce qu'il se revienne et corrige de sa (( faute ; et le ferez la voix plus haute, selon que sa faute (( sera plus ou moins grande. » Malgré tout ce qu'il peut y avoir d'original dans cette leçon, bien qu'il recommande le châtiment fort et ferme quand il le croit utile, il comprenait parfaitement le cheval, savait le point où il devait être amené, et connaissait les moyens d'y arriver. La dernière citation que je vais faire de lui est en quelque sorte le résumé de sa manière de voir et de ses principes : « Mais ne pensez pas que pourtant le cheval, bien qu'il « soit proportionné et organisé de nature, puisse de soi- (( même bien faire, et se manier sans le secours humain et « la vraie doctrine? partant, lui faut-il avec l'art, recueillir « les membres et les vertus occultes qui sont en lui; et (( selon le vrai ordre et la bonne discipline, la vertu sera (( plus ou moins éclaircie. Ainsi, au contraire, l'art quand (( il est mauvais et faux, ruine et anéantit le cheval, et lui TRAITÉ d'ÉQUITATION. XVII (( couvre et assoupit toute la vertu ; comme aussi étant bon (( et vrai, il supplée à beaucoup de parties où nature lui a (( défailli, et vraiment à juste cause les Latins ont appelé (( le cheval eqiius, qui ne signifie autre chose que juste, (( pour ce qu'outre les autres raisons que les anciens en ont (( données, il faut que le cheval soit en tout et partout (( juste par mesures, juste au pas, juste au trot, juste au (( galop, juste à la carrière, juste au parer, juste au manier, (( juste au saut, et finalement, juste de tête, et juste quand « il est sur les pieds arrêté, et encore juste et uniment « mesuré selon la volonté de celui qui le chevauche. En « outre cela, il lui faut le pas élevé, le trot libre et délié, le (( galop vigoureux et gaillard, la carrière viste, les sauts (( justes, amassés et amoncelés, le parer léger, le manie- (( ment sûr et prompt. Et pource que le cheval naturelle- (( ment du jour qu'il sort du ventre de la mère, va le pas, (( le galop, et court, et ne lait rien moins, et avec plus (( grande difficulté que le trot ; à cette cause, quand vous (( serez dessus, prenez toujours garde à l'y aduire et rendre (( léger : car par ce moyen il deviendra plus juste et plus (( aisé à conduire a la perfection de toutes les autres vertus. (( lesquelles particulièrement, puis après vous connaîtrez (( évidemment, car de ce trot le cheval vient à prendre au (( pas, agilité; au galop, gaillardise; à la carrière, vitesse; (( au saut, reins et force; au parer, légèreté; au manie- (( ment, sûreté et grande dextérité ; à la tête et au col et à (( la voûte du col, fermeté incroyable ; et à la bouche, doux (( et bon appui qui est le fondement de toute la doctrine. » XYIII TRAITÉ d'ÉQUITATION, Le dressage du cheval, comme l'entendaient Grison et ses prédécesseurs, s'adressait à une espèce généralement commune, pesamment chargée et destinée au combat. Quand Pluvinel et Newcastle arrivèrent, l'équipement de guerre et les costumes devinrent plus légers, et l'on employa des races moins pesantes ; car, au nombre des chevaux en usage, il s'en trouvait d'espagnols et de barbes. Non seulement alors le travail devint plus fin en raison de l'espèce de chevaux, mais encore en raison des nouveaux usages. Les tournois où les chevaliers bardés de fer venaient se heurter les uns contre les autres, rompant leurs lances, et se livrant combat à outrance avec la hache d'armes, avaient fait place aux carrousels, dans lesquels le chevalier d'alors, vêtu beaucoup plus légèrement, venait plutôt faire briller son adresse que son courage. Il existait donc une double raison pour demander aux chevaux un travail plus fini, puisque les futilités du spectacle devaient remplacer les simples besoins de la guerre. L'équitation. renfermée par Pluvinel dans les murs du manège, allait nécessairement devenir plus régulière et plus raccourcie : le traA^ail plus compliqué des reprises, la variété des airs, tout ce qu'on voulait enfin exiger du cheval à cette époque, amena l'obligation de le posséder davantage, de le tenir a des allures plus raccourcies, et par conséquent de l'assouplir bien plus que précédemment. C'est pourquoi Pluvinel, tout en gagnant et assouplissant l' arrière-main comme Grison, dut. à l'égard de lavant-main, agir autre- ment que lui. Si Grison, pour conserve]' du perçant au BECÇUtT A P*RIS l'rédéric Cin son . TRAITÉ d'ÉQUITATION. XIX cheval, recommandait de ne pas le rendre lasche de col, il était tout naturel que du jour où l'on voulait détruire ce perçant pour raccourcir les allures, il fallait faire le contraire de ce que recommandait Grison. Pluvinel chercha donc k combattre les forces de l'encolure, et les détruisit en les assouplissant afin d'arriver à son but. Nous verrons tout k l'heure de quels moyens il se servait, et s'ils n'avaient pas beaucoup d'analogie avec ceux qu'au- jourd hui on nous présente comme nouveaux ; s'ils en difterent. c'est qu'ils étaient employés avec beaucoup plus de discernement. Dans la leçon que Pluvinel donne k Louis XIII, il s'exprime en sujet respectueux, ne parle pas en vantard de son talent. Il répond aux questions que lui adressent le roi et le grand écuyer, M. de Bellegarde, avec la modestie qui appartient au mérite. Le roi demande k M. de Pluvinel : (( La voye et l'ordre qu'il emploie pour dresser les « chevaux, et les rendre adroits k manier, avec cette (( grande facilité qu'il reconnaît en tous ceux de son (( école. » Pluvinel répond : « Sachant par la pratique et par le long usage que le (( cheval ne se peut dire dressé qu'il ne soit parfaitement « obéissant k la main et aux deux talons, je n'ai ])our but (( pour réduire mes chevaux k la raison que ces deux (,( choses, d'autant qu'il est très certain que tout cheval qui (( se laisse conduire par la bride, qui se range de çk et do XX TRAITE D EQUITATION. (( là, s'il se relève devant et derrière à la volonté du « cavalier, je l'estime bien dressé, et doit manier juste (( selon sa force et sa vigueur. Or. pour arriver a gaigner (( ces deux points, j'ai cru par ma méthode en avoir abrégé (( les moyens de plus de moitié du temps ; mais pour « autant que la perfection d'un art consiste à sçavoir par « où il faut commencer, je me suis très bien trouvé en (( celui-cy, de donner les premières leçons au cheval (sans (( être monté), parce qu'il treuve le plus difficile, en (( recherchant la manière de lui travailler la cervelle plus (( que les reins et les jambes, en prenant garde de l'en- (( nuyer. si faire se peut, et d' étouffer sa gentdlesse, car elle (( est aux chevaux comme la fleur sur le fruit, etc — (( Sachant donc que le plus difficile est de tourner, je le « mets autour d'un pilier, comme je vais dire à Votre (( Majesté, afin que le faisant cheminer quelques jours, il « nous montre sa gentillesse, et tout ce qui peut être en lui, (( afin de juger à quoi il sera propre, en laquelle sorte il (( faut le conduire. Ce que je fais bien plus facilement a un (( lieu où il est retenu, parce qu'on a le loisir de voir mieux (( tous ses mouvements que s'il était sur sa foi avec un (( homme sur lui, d'autant qu'à ces premiers commence- « raients, le naturel du cheval est d'employer toute sa (( force, son industrie pour se défendre de l'homme, ce qui (( lui est très aisé en travaillant à une autre méthode que la (( mienne C'est l'occasion. Sire, qui m'a fait rechercher (( plus soigneusement la méthode de laquelle j'use pour ce (( que, par autre voye, il me serait impossible de réduire TRAITÉ d'ÉQUITATION. XXI (( quantité de chevaux que l'on m'amène, dont la plupart K ont de mauvaises qualités. » Le résumé de l'emploi du pilier, d'après Pluvinel, est de plier, d'assouplir l'encolure du cheval, et d'assouplir les hanches. Après avoir travaillé ainsi le cheval quelque Travail du cheval autour du pilier. temps, il passe au travail des deux piliers, pour arriver à un travail plus contraint que sur un seul pilier : (( Après avoir commencé la leçon autour du pilier, je (( l'attache entre deux piliers de la forme suivante ; et avec (( le manche de la houssine, le fais marcher de çà et de là « d'autant que le cheval se trouve grandement contraint (( du caveçon en ce lieu-là plus qu'à un autre. Une fois (( soumis à ce travail, on pourra le ramener autour du « pilier; raccourcir la corde du caveçon, et. lui tenant la (( tête proche du pilier, le faire cheminer des hanches avec u le manche de la gaule, etc. » XXIV TRAITE D EQUITATION. « clieval est bien appuyé sur la main, il faut arriver à la (( connaissance de l'action des talons ' . » Ce travail se faisait aussi dans les piliers. N'est-ce pas encore le travail sur place, et la reproduction du travail des hanches et du système des attaques que l'on prétend avoir inventés en i8/io? Il suffira pour en être coiwaincu de laisser parler Pluvinel. Tout le monde doit savoir que l'équitation du dix-septième siècle s attachant à provoquer des mouvements élevés et brillants était très ralentie , et nécessairement devait être pour cela fort assise. Elle ne pouvait amener ce résultat que par l'emploi presque continuel de l'éperon ; aussi travaillait-on les chevaux pour les amener à cette connaissance parfaite. A la question que fait le roi pour savoir comment on lait comprendre l'aide des talons, Pluvinel répond : « Je déclarerai a Votre Majesté ce qu'elle désire, qui est (( que rencontrant un cheval fort sensible aux talons, pour (( commencer à les lui faire souffrir, estant bien assuré (( dans sa cadence, je fais toujours, ou le plus souvent (( selon le besoin, commencer la leçon au pilier seul, ou le (( faisant aller sur les voltes ; lorsqu'il est en train, je (( tâche tout doucement à le piquer le plus délicatement (( que je puis, d'un talon ou de l'autre selon le besoin, ou de (( tous les deux ensemble un temps ou deux s'il le souffre. 1 Les talons étaient toujours armés des éperons. Quand les anciens écuyers parlaient de l'attaque du talon, il était bien entendu que c'était une attaque de l'éperon. TRAITÉ d'ÉQUITATION. XXV (( lui faire connaître avec caresse ce qu'on désire ; s'il ne (( l'endure pas, je le fais placer entre les deux piliers, les (( cordes courtes, et l'élevant le fais pincer doucement; s'il (( se détraque de sa mesure, je le redresse derrière sur la (( croupe avec la houssine, et en lui aydant, je fais en sorte (( que celui qui est dessus continue a le pincer, afin qu'il (( remarque qu'il faut répondre à l'aide des talons, comme « à celui de la houssine, chose qui sera bientôt (( apprise, etc. » Leçons au pilier seul, pour faire marcher le cheval sur les voiles et faire connaître l'éperon. (Pluvinel.) Pluvinel entre dans de longs détails pour amener le cheval trop sensible, comme le cheval trop froid, à suppor- ter et à comprendre le pincer de l'éperon : « Quentendez-vous, dit le roi. par pmcer ? « Sire, pincer son cheval, lorsqu'il manie, est presser XXVI TRAITÉ d'ÉQUITATION. « tout doucement les deux éperons, ou l'un d'iceux, contre a son ventre, non de coup, mais serrant délicatement, ou (( plus fort selon le besoin k tous les temps, ou lorsque la (( nécessité le requiert, afin que par l'accoutumance de « cette aide, il se relève un peu, ou beaucoup, selon (( l'affermance de laquelle le chevalier advisera. Cette aide (( qui est véritablement tout le subtil de la vraie science, (( et pour le chevalier et pour le cheval, que j'ai nommée la (( délicatesse principale de toutes les aides dont V intelligence (( est la plus nécessaire à l'homme et au cheval, et sans (( laquelle il est impossible au chevalier de faire manier « son cheval de bonne grâce ; d'autant que le cheval (( n'entendant, ne cognoissant et ne souffrant les aides des (( talons, s'il a besoin d'être relevé, animé, ou châtié, il n'y (( aura nul moyen de le faire, car le coup d'éperon est « pour le châtiment, et les jambes et la fermeté des nerfs, (( pour les aides ; mais où il ne répondrait pas assez (( rigoureusement aux aides de la jambe, il faudrait en (( demeurer là, si le cheval ne souffrait le milieu d'entre le (( coup d'éperon et l'aide de la jambe, qui est le pincer (( que je viens de dire, et que fort peu de gens pratiquent (( volontiers par faute de savoir. » Les gens qui ne pratiquaient pas le pincer de l'éperon, et qui pouvaient l'ignorer du temps de Pluvinel, étaient sans doute semblables k ceux de nos jours qui se servent tout simplement du cheval comme moyen de transport, et qui ne recherchent pas le subtil de l'art. Au surplus, est-il possible de mieux définir l'emploi de Il monte avec les mains les éperons, et gaule Le cheval do Pégase qui vole en caprioles, Il monte si haut qu'il touche de sa tête les cieux, Et par ses merveilles ravit en extase les dieux, etc. • (Newoa«tlp. de Pliivinei sur le Bonite TRAITE D EQUITATION. XXIX l'éperon, lorsqu'il est employé comme aide ? qu'il soit appelé attaque, ou pincer, tout cela n'est qu'un travestisse- ment pour donner le change. Si M. de la Guérinière n'en a pas donné une définition très claire pour notre époque, elle l'était pour la sienne, où les principes de Pluvinel et de Newcastle étaient connus et encore en vigueur. 11 en est de même de ce qu'on appelle aujourd'hui le rassemblé. Qu'est-ce que rassembler un cheval^ si ce n'est le posséder dans la main et dans les jambes? Peut-on trouver une définition meilleure que dans Pluvinel : (( En usant bien à propos de cette leçon, elle relève, (( allégit le cheval ; elle le résoud, l'affermit sur les (( hanches, l'assure dans sa cadence, lui fait recevoir (( franchement les aides de la main et des talons, lesquelles (( choses le rendent plus agile a tout ce qu'on désire de lui, (( et par conséquent lui en facilitent les inoyens ? » Avions-nous besoin de voir appeler à son secours des mots abstraits et scientifiques pour définir le rassemblé, expliqué par Pluvinel d'une façon aussi simple que claire ? Il n'est question dans le livre de Pluvinel que des moyens d'assouplir le cheval, de le renfermer dans la main et dans les talons; tout cela n'est-il pas encore du rassemblé? Je terminerai cette analyse sur l'ouvrage de Pluvinel en citant ce que dit le duc de Bellegarde a propos du cheval nommé le Bonite. On trouvera la preuve déjà acquise, d'après ce que j'ai cité plus haut, que jadis les chevaux n'étaient pas plus qu'aujourd'hui une espèce à part qui allait toute seule, et que l'art de l'écuyer y était pour quelque chose. XXX TRAITE D EQUITATION. (( Le Bonite, le parangon certes de tous les manèges du « monde, tant pour sa beauté que pour son excellence k (( manier parfaitement et de bonne grâce, terre à terre et (( courbettes, avec tant de justesse et d'agilité, que ce n'est f( pas sans cause qu'il s'appelle le Bonite. (( Sire, dit monsieur de Bellegarde, monsieur de Plu- f( vinel a raison de vous montrer ce cheval comme un chef- (( d' œuvre ; car il est vrai que monsieur de la Broue. très (( excellent en l'exercice de la cavalerie, après l'avoir fait (( longtemps travailler, et fait voir a feu M. le connétable. Le Bonite, cheval dressé par Pluvinel, et sur lequel le roi Louis XIII a pris ses premières leçons. (( ils le jugèrent tous deux incapable de pouvoir jamais bien « manier, à cause de son impatience, de sa tète mal « assurée, etc. . . Néanmoins quelque jugement qu'en fissent K ces excellents hommes, monsieur de Pluvinel m'assura (( de le rendre à la perfection, ce qui m'obligea de lui (( abandonner mon cheval pour le dresser et manier a toute (( sa volonté, à quoi il travailla, de sorte que par sa TRAITE D EQUITATION. XXXI (( patience et son Industrie, il lui gagna la tête, et lui « donna le parfait appui de la main. etc.. En sorte qu'au « bout de très peu de jours, il me le montra à Fontaine- ce bleau, où il le fit manier à courbettes, par le droit, après (( deux voltes à main droite, toutes d'une haleine, sans « sortir d'un rond a peu près de la longueur du cheval, (( et puis le fît manier en avant, en arrière, de côté, de çà (( et de là, et à une place, en ûiisant courbettes de côté, et (( changeant tout en l'air, retombait de l'autre côté tant de « fois qu'il plaisait au chevalier, ce qui me fit appeler ces {( mouvements la sarabande du Bonite, » Qu'on lise l'ouvrage de Pluvinel, il est impossible d'y trouver des idées plus saines et plus justes; elles pourraient servir de base a toutes les équitations présentes et futures. A peu près dans le même temps que Pluvinel. arriva le marquis de Newcastle ; mais celui-ci se pose en novateur. Il ne dit pas, comme Pluvinel, que sa méthode est bonne; il ne blâme pas les écuyers qui n'agissent pas tout à fait comme lui. Tout ce qui a existé avant lui n'a rien su ; il dit comme certains auteurs de nos jours : u J'écris de la (( façon la plus courte qu'il m'est possible, non pas aux « élèves, mais aux maîtres, l'art de bien dresser les « chevaux, lequel n'a jamais été connu )). L'avant-propos de Newcastle, trop long à rapporter ici. a pu avec celui de Pluvinel servir de texte à d'autres avant- propos écrits tout récemment. Ce sont les mêmes pensées remises à neuf. Quant à luititulé de son Hvre. vous voyez : XXXII TRAITÉ d'ÉQUITATION. (( Méthode nouvelle, Invention extraordinaire de dresser « les chevaux, les travailler selon la nature, et parfaire la (( nature par la subtilité de l'art, laquelle n'a jamais été (( trouvée que par le très noble et haut puissant marquis (( de Newcastle. » (Gela se passait en i65o.) En lisant les légendes écrites au bas de chaque gravure représentant Newcastle, vous voyez la même présomption : Après l'homme, le cheval, le plus noble animal. Est rendu par ce seigneur si juste et si égal. Par cette méthode que tout le monde admire, Qu'on voit aisément qu'il est sujet de son empire. Son assiette si belle, ses aides si secrètes, Tout à la négligence encore si bien faites, Nous sont un argument assez valide et puissant Qu'il est à ses talons et bride obéissant, Et que tous les chevaux sont assujettis à sa loi, Puisqu'ils lui obéissent comme à leur propre roi. S'il montait un diable très robuste. Ce diable irait en tous airs foi-t juste. (Newcastle.) TRAITÉ D'ÉQUITATION. XXXIII Pour arriver à des résultats paraissant aussi prodigieux, analysons les principes de Newcastle. A la demande qu'on pourrait lui faire de savoir combien de temps il faut pour dresser un cheval, il répond : « Gela (( dépend de sa force, de son âge, de son esprit et de ses <( dispositions. Ils ne peuvent pas tous avoir les mêmes « qualités, pas plus que tous les peintres ne peignent de la (( même manière ; que les danseurs ne dansent de la même (( façon. Mais enfin, si un cheval est docile, propre, a des (( esprits et de la force, on pourra le dresser en trois mois, (( c'est-a-dire en quarante-cinq leçons. D'une chose vous (( puis-je répondre, que quelque autre dresse un cheval, (( et le parfasse par son industrie, cette mienne méthode (( nouvelle le parfera en moins de la moitié de temps que (( lui, et il ira encore mieux et plus juste ou parfaitement. « ce que j'ai vu faire à peu de chevaux que les autres « dressent ». Quels sont donc les moyens employés par Newcastle ? c'est encore, dans le début, de placer la tête au cheval et de lui assouplir l'encolure, après les explications prélimi- naires pour familiariser le poulain. (( Il faut, dit-il, que le cavalcador lui place le plus qu'il (( pourra la tête, et peu à peu, et quoiqu'il gagne sur lui, « soit sur la tête, soit sur la bouche, il ne doit pas lui (( donner de liberté, mais l'y garder en gagnant tous les (( jours de plus en plus sur lui, jusqu'à ce qu'il ait placé (( sa tête au lieu qu'il veut qu'elle soit ; alors il doit la (( garder là. le travaillant en bas. avec le bas de la main. » 3 XXXIV TRAITE D EyLlTATlON. Cela ressemble bien au travail en place nouvellement trouvé. 11 continue : « Trottez-le alors sur des cercles (( larges au commencement, et tirez toujours la rené de (( dedans du caveçon, afin que non-seulement il regarde la <( volte, mais aussi qu'il ait la croupe plutôt dehors que « dedans, etc. La principale chose est de gagner la tête du (( cheval et de lui donner bon appui : car, pour sa croupe, (( elle est aisée ; ce qui m'a fait étonner de voir des cava- (( liers commencer par la queue ou croupe du cheval. Si (( vous placez la tête du cheval, vous pourrez en faire ce (( que vous voudrez; si vous ne lui assurez la tête, vous « n'en ferez jamais un cheval parfait; car vous n'avez en (( tout que la main et les talons* pour le dresser, et la (( meilleure partie vous manquera ». Passons à la posture de l'homme à cheval. Il voudrait (( qu'un homme fût placé sans formalité ; je n'ai jamais vu -( aucune formalité qui ne m'ait semblé rapprocher du (( simple et du niais. Celui qui n'est pas bel homme à (( cheval ne peut être bon homme de cheval ». Il poursuit : « Quant aux rênes de la bride et du (( caveçon, je vous enseignerai aux discours suivants ce qui (( n'a jamais été connu jusqu'ici ». Newcastle indique alors la manière de se servir de son caveçon : « Je prends une longue rêne qui a un petit (( anneau attaché à un bout ; je mets l'autre bout de la « rêne dans cet anneau ; je la mets autour du pommeau de • Les talons, avec Newcastle et Pluviiiel, s'entendent armés d'éperons. TRAITÉ D'ÉqUITATION. XXXV c( la selle, et l'y attache ferme, pour y demeurer sans u reinuer; et après, je mets la rené en bas, et la fais passer (( dans le liège de la selle ; alors je remets la rené à c( l'anneau du caveçon. droit en avant, et fais revenir le (( bout de la rêne dans ma main. J'en fais autant de l'autre « côté, etc. Cette sorte de caveçon est très excellente pour (( assurer la tête d'un cheval, lui donner le vrai pli de son (( corps, lui préserver la bouche, etc. » Premier assouplissement de Newcastle, la rêne fixée au siège de la selle. Il n'est pas douteux que cette manière d'obtenir le pli de l'encolure ne soit préférable à cette espèce de variante que l'on veut faire admettre aujourd'hui. Ce pli obtenu, en comprimant dès le principe les barres du cheval, peut amener à olïenser la bouche ; ou si le cheval cède à cause XXXVI TRAITÉ d'ÉQUITATION. de la sensibilité de ses barres, ce pli, obtenu trop promp- tement, peut amener une contraction au lieu d'un assou- plissement. Newcastle insiste pour l'assouplissement : « 11 ne suffît a pas de tourner un peu la tête ou le col en dedans de la (( Yolte ; mais on doit lui donner un pli total depuis le nez a jusqu'à la croupe. Je vous ai montré comment il le faut (( faire ; car, quant à ce que aucuns disent que ce lui (( rendra le col débile, je n'y saurais dire autre chose. « sinon que ces cavaliers ont l'entendement débile, qui (( voudraient que par leur travail leur cheval ait le col (( roide, sans être capable de tourner ». L'assouplissement de l'encolure avec la rêne du banquet de la bride. Si Ton continue a consulter Newcastle, que l'on peut considérer comme un partisan outré des assoupHssements Marcjuis de I^ewoastle TRAITÉ d'ÉQUITATION. XXXVII et des moyens de sujétion, on verra néanmoins que, tout en conseillant d'asseoir et d'assouplir les chevaux, il veut avant toute chose qu'ils soient d'abord exercés de façon a être rendus francs devant eux. En effet, c'est la condition première et indispensable, quel que soit ensuite le travail auquel on veuille soumettre un cheval. La leçon suivante de Newcastle, qui a lieu sur un jeune cheval, servira à prouver ce que j'avance : a Quand le cheval trotte, disait-il, le cavalier le doit « pousser un peu plus vite avant que de l'arrêter, et (( l'arrêter incontinent ; après, tirant la rêne de dedans du (( caveçon un peu plus fort que l'autre, et un peu plus vers « son col, mettant le corps un peu en arrière, afin que le (( poids oblige le cheval à se mettre sur les hanches. Il faut, (( sur toute chose, que le cheval ne se relève point, mais (( seulement qu'il s'arrête sans se relever ; car c'est le (( moyen de gâter un cheval que de l'apprendre à se lever « avant qu'il trotte et galope franchement. » Et il ajoute : // faut prendre garde de ne le lever, c'est-à-dire l'asseoir, le mettre sur les hanches, qu'il n'obéisse franchement aux éperons tant au trot qu'au galop. Ce qui prouve que, tout en considérant l'aide de l'éperon comme indispensable pour soutenir F arrière-main, et la mettre dans le cas de supporter des arrêts tendant à relever le cheval, à l'asseoir et à le rassembler, il pense avec raison que la première connaissance de l'éperon doit s'acquérir en poussant d'abord le cheval en avant. Newcastle poursuit : ((. Trotter et arrêter un cheval sont XXXVIII TRAITE D EQUITATION. (( le fondement de tous airs : placer sa tête et sa croupe. (( le met sur les hanches et le fait léger du devant ; aller en (( arrière, assurer la tête, le mettent sur les hanches, et le (( rendent léger du devant. En mettant la tête au mur, on « lui apprend h connaître l'aide de l'éperon : on lui gagne « ainsi les hanches et l'assoit ». Ici la muraille remplace les deux piliers de Pluvinel ; Newcastle n'est pas partisan des piliers ; mais les résultats sont toujours les mêmes. Il s'agit, pour habituer le cheval à connaître l'action de l'éperon comme aide, de l'empêcher de se porter en avant. Ainsi, qu'il soit maintenu vis-a-vis d'un mur, dans les piliers, ou tenu par un homme au milieu d'un manège ou d'une carrière, tout cela est pour arriver au même but. Que l'on appelle 1 action de l'éperon, en cette circonstance, ou le pincer, ou l'attaque, je demande si ce n'est pas exactement la même chose ? Newcastle s'occupe très spécialement de l'assouplis- sement de l'encolure, et en fait une méthode à lui ; au lieu de se servir des piliers, il commence, comme je l'ai indiqué, k l'assouplir en place sur le caveçon et la bride ; il le travaille ensuite en mouvement en agissant d'abord sur le caveçon : (( Après cet assouplissement sur le caveçon, je voudrais (( que vous prissiez de fausses rênes et que vous les (( attachassiez, à ma mode, au banquet de la bride ; mais (( donnez la liberté à la gourmette, en sorte qu'il a moins « d'appréhension de la bride ; et son appui se fortifie « tellement, que quand on travaille de la bride et par TRAITÉ D'ÉQUITATION. XXXIX ((. conséquent de la gourmette, la bride le rend léger. Ceci (( est bon autant pour tous ceux qui ont trop d'appui que (( pour tous ceux qui en ont trop peu, et lui donne le pli (( de la même sorte que le cayeçon, sinon que le caveçon « le travaille sur le nez, et les fausses rênes sur les barres ; <( ce qui le rend très sensible, comme il doit être, et du <( même côté des barres, comme la bride doit faire ; ce qui a l'accoutume tellement, que quand on le met avec la « bride seulement et qu'il a l'aide de la gourmette, il va (( à merveille. » Assoupliss&ment de l'encolure avec la rêne do la bride. Ceci ressemble bien à ce que l'on appelle aujourd'hui les flexions de mâchoires : « Posez que vous ayez rendu votre cheval souple, et que (( vous lui ayez donné suffisamment le pli avec le caveçon. XL TRAITÉ d'ÉQUITATION. (( et après avec les fausses renés, les rênes de la bride (( continueront la souplesse de son corps, et travailleront a « merveille sur les barres pour lui faire entendre la bride (( seule ; en tenant les rênes séparées en vos deux mains. (( vous travaillerez toujours la rêne du dedans de la volte, (( et vous rendrez le cheval souple ; cette façon de le « travailler est pour le rendre sensible h la gourmette, qui « est finir votre travail pour la main. Les rênes séparées dans les deux mains, travaillant le dedans de la volte. a Cette laçon de travailler est la quintessence de la « cavalerie, car, au moyen de ces trois degrés, du caveçon, (( des fausses rênes et de la bride, on rend un cheval aussi « parfait, que c'est merveille. » Newcastle entre aussi dans une longue dissertation sur la distinction qui doit exister entre mettre un cheval sur TRAITÉ d'ÉQUITATION. XLI les hanches et l'acculer ; il serait trop long de le suivre clans ses préceptes ; il finit enfin en disant que les aides de la main, des cuisses, du gras de jambe et du pincement des éperons, en un mot toutes sortes d'aides, doivent être plus douces au pas qu'aux airs relevés : « Le doux passage demande des aides douces, et les airs (( plus forts demandent des aides plus fortes ; ce qui est (( conforme à la raison. » Si l'école de Grison. de Pluvinel, de Newcastle usait de l'emploi de l'éperon comme aide, si elle en recommandait l'application, néanmoins dans bien des circonstances, avec de certaines natures de chevaux, elle échouait complète- ment. Voici ce que disait de la Broue k cet égard : « S'il a est rétif (le cheval) pour avoir été trop gourmande et (( contraint , il faudra observer autant de douceur et de (( cérémonies, comme s'il estoit poulain. Je veux aussi que (c le cavallerice se souvienne que les espérons grands et « fort piquants sont extrêmement contraires à l'école des « jeunes chevaux. Les châtiments de ces espérons les « pourront effrayer et rendre plus timides, et par consé- (( quent les faire plus tost devenir rétifs, s'ils ne le sont, (( que déterminez s'ils sont ramingues. Et ceux qui seront (( sanguins ou colères s'en pourront aussi facilement (( desdeigner ou désespérer, au lieu de se rendre obéis- (( sants. (( Voilà d'où vient le plus souvent que les chevaux (( pissent de rage et d'effroy, ou qu'ils sont cherchant les (( murailles, ou s'arrêtent tout à fait, ou quelquefois, à XLII TRAITÉ d'ÉQUITATION. (( faute d'autres remèdes, se couchent par terre, ou se (( mettent au hasard de se précipiter avec cekii qui est « dessus. » Notez qu'à cette époque on ne hvrait au travail que des chevaux entiers ; mais si l'appHcation de semblables moyens s'était adressée aux juments, les trois quarts de celles soumises à de semblables étreintes fussent devenues rétives. Après avoir signalé le mal. il indique le palliatif dans le chapitre suivant : « Si le cheval est rebuté ou rétif pour avoir esté trop (( rudement et longuement exercé et trop asprement battu a avec les espérons, il le faudra premièrement laisser (( séjourner jusques à ce qu'il ait reprins ses lorces et (( premiers esprits ; et s'il n'est bien sain dedans le corps. (( il le faudra purger ; car estant malade ou plein de (( mauvaises humeurs, le cavallerice perdra le temps et la « peine qu'il mettra, pensant le remettre en son premier (( et courageux estât, d'autant que cette indisposition le « rendant par accident colère, mélancolique, quoiqu'il soit « naturellement mieux composé et de bonne inclination. « le pourra disposer a quelque mauvais vice. Mais estant « sain, séjourné et bien nourry, on pourra après com- (( mencer de l'exercer a la campaigne, au large et en <( divers lieux, peu et souvent et sans espérons, évitant. a tant qu'il en sera possible , toutes les occasions qui a pourront le faire battre. Néanmoins, toutes les lois que (( le cavallerice cognoîtra qu'il se voudra arrêter et qu'il TRAITE D EQUITATION. XLIII « aura quelque dessein malicieux, il ne manquera de le « braver et menacer à haute voix : et s'il est besoin, le « fouettera à travers les fesses et le ventre avec un fouet ; « et pour une plus grande facilité, il faudra estre secouru (( d'un homme qui suivra ce cheval sur un bidet ordinaire- « ment à vingt-cinq ou trente pas de distance, lequel se « tienne toujours prest pour mettre diligemment pied à « terre quand ce cheval rétif refusera d'aller en avant, et « pour le chasser à grands coups de fouet sur les fesses et k a travers les jambes, principalement s'il se défend en « ruant. Il faudra aussi que le cavallerice soit curieux de (( le caresser quand il lui obeyra librement ; car la douceur « est autant et plus nécessaire aux chevaux estonnez et « rebutez qu'à ceux que l'on exerce pour leur apprendre « ce qu'ils n'ont jamais sceu. » L'école de la Broue, de Pluvinel, de Newcastle se continua, tout en cherchant k se modifier, pendant la durée d'un siècle. L'équitation du tournoi et du carrousel faisant insensiblement place k l'équitation militaire et k l'équitation de chasse, il devait naître une transition qui apportât nécessairement dans les principes un désordre, un conflit que la Guérinière essaya de régulariser. Sa tache fut d'autant plus difficile qu'après Newcastle et Pluvinel , l'équitation trouva des interprètes peu d'accord dans la pratique de cet art. Les uns outraient les préceptes laissés par New^casle ; d'autres, au contraire, reconnaissaient la nécessité de les simplifier. La grande discussion k cette époque était, comme aujourd'hui, do savoir si l'on devait XLIY TRAITE D EQUITATION. plus OU moins assouplir et rompre l'encolure pour bien tirer parti d'un cheval. Les uns voulaient un assouplisse- ment simple, raisonné, calculé selon les chevaux ; les autres , au contraire , appliquaient un assouplissement outré indistinctement sur toutes les natures. Je citerai k cette occasion ce que disait, en 1756, Gaspard Saulnier, écuyer de l'université de Leyde ; nous acquerrons encore la preuve que le système des assouplis- sements n'est pas nouveau, car voici ce- qu'il dit : Pages 87 et 38. « S'il s'agissait de plier un cheval (( comme du temps passé, je conviendrai d'abord que le (( caveçon serait encore le meilleur moyen pour plier le col fité et la justesse de sa niain; avantage qu'on ne peut obtenir lorsque, s'abandonnant à des secousses violentes, le cavalier est souvent obligé de prendre sur sa main et sur ses aides, pour se maintenir, des points d'appui brusques et inégaux, contribuant à dérégler le cheval. * Cet ouvrage fut écrit en 1824, époque où nous avions encore dans les écuries du roi tous les attelages à la française; le temps et la mode ont fait depuis sentir l'inconvénient que je signale. TRAITÉ d'ÉQUITATTON. 63 CHAPITRE XXII Du pas. Le pas étant la plus lente des allures, les jambes agissent alors avec moins d'extension et de rapidité. Les pieds qui s'élèvent et s'appuient diagonalement se succèdent dans leurs appuis, de façon à laisser entendre quatre temps dis- tincts pour chaque pas ; plus les battues sont égales, plus cette allure est régulière. CHAPITRE XXIII Du trot. Dans le trot, les jambes suivent la même marche, avec cette différence que l'allure étant plus allongée et plus vive, les membres prennent alors plus de développement et les pieds se remplacent avec plus de promptitude. Dans le trot comme dans le pas, le pied droit de devant et le gauche de derrière soutiennent le cheval tandis que 64 TRAITÉ D'ÉQUITATION. les deux autres sont en l'air ; mais les jambes qui s'élèvent, au lieu de retomber l'une après l'autre comme dans le pas, tombent ensemble à terre, et ne font entendre par cliaque temps de trot que deux battues ; la première marquée par le pied droit de devant et la jambe gauche de derrière, la seconde par les deux autres. Quand les battues se font entendre également, l'allure est régulière ; il n'en est ainsi que lorsque chaque côté parcourt une même étendue de terrain. CHAPITRE XXIV Du galop. Dans le galop, les jambes marquent toujours leur appui diagonalement, mais elles agissent d'une manière diffé- rente : au lieu de venir alternativement en avant comme dans le pas et le trot, un seul côté agit toujours le premier : le cheval marche par des sauts répétés, qui font qu'à chaque temps il quitte terre. Il résulte de l'ordre dans lequel les jambes se meuvent que le cheval marche toujours un peu de travers, puisqu'un côté est plus avancé que l'autre, et que deux jambes ont à supporter, pendant toute la durée des temps du galop, une plus grande partie de la masse. TRAITÉ d'ÉQUITATTON. 6f) Lorsqu'un cheval court a droite on conçoit que la jambe de devant qui entame le terrain, étant la plus élevée et la plus avancée, aura besoin pour conserver cette position de s'appuyer sur la jambe gauche de devant : mais à son tour celle-ci restant en arrière contribuera k reculer la partie gauche de l'arrière-main. et fera supporter à la jambe droite de derrière, qui s'appuie k terre avec elle, l'excédent du poids qui l'empêcherait d'agir. Le côté droit de derrière étant plus avancé, il est évident qu'il contribue plus que le gauche k pousser la masse en avant, puisque dans cette position il est plus près du centre de gravité et qu'il con- serve cette position tant que dure le galop k cette main : dans ce cas le jarret aura une flexion plus grande, et dans son extension il portera plus que le gauche la masse en avant ; ce dernier aide soutient et maintient l'action du côté droit. Quand le côté de l'arrière-main qui contribue le plus k porter la masse en avant se fatigue, le cheval cesse de le faire agir avec la même force : alors la partie qui était la plus reculée passe devant et remplit k son tour les fonc- tions de celle qui, ayant diminué son action, reste derrière. C'est ce qu'on remarque dans les chevaux qui ont de mauvais jarrets, et qui se désunissent k chaque instant pour soulager alternativement les parties souffrantes et trop chargées de leur arrière-main. 11 arrive encore que, pour soulager l'arrière-main qui est plus chargée en raison de ce qu'on ralentit les allures, le cheval, pour se soustraire k une trop forte sujétion, se 66 TRAITÉ d'ÉQUITATION. porte sur les épaules et de là sur la main, afin de reporter sur les parties antérieures une pesanteur qui surchargerait les parties postérieures. Dans ce cas, l'allure devient plus allongée, et le cheval prend la position expliquée dans le chapitre : De la position du cheval portant sur l'avant- main ; ou bien si la main rejette la masse en arrière, le cheval, pour éviter la sujétion, se traversera, c'est-a-dire iera tomber les hanches hors de la ligne des épaules. Nous voyons que plus le galop est raccourci, plus le cheval est assis, et qu'alors l'arrière-main en fléchissant, faisant élever le devant, le rend par conséquent plus léger. Ainsi, lorsqu'on veut augmenter l'allure, il faut nécessai- rement porter sur lavant-main une portion du poids qui surcharge la partie postérieure, et l'empêche de se déve- lopper, en raison de la vitesse que l'on veut obtenir. Moins cette partie sera chargée, plus elle aura de force pour chasser le devant, qui alors se chargera a mesure que le derrière prendra de l'élévation. Plus le galop se déploie, plus les jambes qui doivent rester en arrière se rapprochent de la ligne de celles qui entament le terrain ; alors le poids se partage plus égale- ment, et, dans la répétition des sauts qui marquent les temps de galop, les deux portions de la partie postérieure et de l'avant-main chassent ou reçoivent des poids presque égaux. Plus l'arrière-main chasse avec force, plus l'avant- main reçoit de pesanteur, et plus alors elle a besoin d'appui. TRAITÉ d'ÉQUITATION. 67 CHAPITRE XXV Résumé. En résumant les précédentes propositions, nous verrons que l'accord et la régularité dans l'action des jambes du cheval produisent des allures égales et franches. Des vices de construction, ainsi que l'habitude que prend un cheval de se servir plus d'un côté que de l'autre, amènent un dérèglement dans les allures ; c'est à l'écuyer a savoir discerner ces défauts et à travailler à les rectifier. Nous avons déjà dit que l'aplomb du cheval cessait d'exister en raison de la souffrance : les allures sont irré- gulières par les mêmes motifs ; car si le derrière pousse le cheval en avant, le devant a aussi à supporter, comme nous l'avons également dit, l'action de l'arrière-main. Il est donc nécessaire qu'il j ait rapport dans la force de ces deux parties, pour que les allures soient franches et rapides : ainsi, quelque force que puisse avoir un cheval dans l'arrière-main, il manquera de vitesse si son devant est faible ; la vitesse manquera de même dans le cas contraire. Les chevaux étant doués de forces plus ou moins grandes, ils sont aussi susceptibles de plus ou de moins de célérité. 68 TRAITÉ d'ÉQUITATION. Ce qu'il faut rechercher en raison des différences de chevaux, c'est d'accorder leurs moyens, de balancer leurs forces et leurs faiblesses, et de faire supporter aux parties qui sont le plus en état un excédent de poids qui établira l'aplomb et donnera au cheval une liberté qui facilitera ses mouvements. Les mains et les jambes du cavalier sont employées pour conserver cet équilibre et soutenir les parties qui ont besoin de leur secours. CHAPITRE XXVI Des moyens d'exiger les allures. Explication préliminaire. Au nombre des explications que j'ai données jusqu'à présent, j'ai parlé de l'action différente de chaque moteur. J'ai démontré que l'action des moteurs de l'arrière-main se contre-balançait avec celle des moteurs de l'avant-main, comme j'ai expliqué aussi que les deux rênes dans leur travail respectif, ainsi que les deux jambes, devaient se prêter un mutuel secours. Lorsque chacun de ces moteurs n'a pas une action égale, je définis ainsi leurs diverses fonctions : le moteur qui agit et celui qui soutient. Le côté agissant est celui qui détermine le mouvement, c'est-à-dire TRAITÉ D'ÉQUITATION. 69 celui qui pousse la masse dont il est chargé dans une direction quelconque, tandis que celui qui soutient n'a d'action que pour recevoir cette pesanteur et la maintenir. Il est aisé de sentir que, plus le moteur qui agit poussera vers un point, plus celui qui soutient aura à supporter. Ainsi, lorsque la bride porte le poids des épaules sur l'arrière-main, c'est la main qui agit et les jambes qui soutiennent ; lorsqu'au contraire les jambes chassent la masse en avant, ce sont elles qui agissent et la main qui soutient. ]1 en est de même pour l'action séparée des jambes : lorsque la jambe droite pousse l'arrière-main à gauche, c'est la jambe gauche qui soutient ; les mêmes effets ont lieu pour les rênes. Si dans ces divers cas le moteur qui soutient est trop surchargé, c'est que celui qui agit pousse avec trop de force ; il faut alors pour y remédier arrêter ce moteur et ne plus le considérer que comme soutien, tandis qu'on fait agir celui qui soutenait. Par ce balancement bien calculé on obtient chez le cheval les diverses allures : elles s'aug- mentent, se diminuent, se changent et s'arrêtent. Nous savons que plus les allures sont allongées, plus le cheval pèse sur le devant, et plus elles sont raccourcies, plus il est sur l'arrière-main. Mais, afin que chacune d'elles puisse s'établir, le cheval doit rechercher d'abord des appuis propres k les déter- miner. Ces appuis diffèrent en raison de chaque allure, et tendent à faire sortir un cheval de son aplomb ordinaire. 70 TRAITÉ d'ÉQUITATION. Il faut donc, pour prendre l'une ou l'autre, savoir placer le cheval, ou lui donner une disposition qui soit en rapport avec l'allure que l'on exige. Une fois les allures déterminées, on les augmente, on les diminue selon le besoin, en donnant une action calculée aux forces qui soutiennent et a celles qui poussent; mais lorsqu'il s'agit d'en changer, il faut retomber dans les principes et user des moyens nécessaires pour obtenir une nouvelle allure. CHAPITRE XXVIl Moyens de mettre un cheval au pas. C'est au pas que le cheval marche le plus d'aplomb. L'allure étant moins rapide, les jambes ayant besoin de moins d'extension, et se portant alternativement en avant, elles se partagent plus également le poids du cheval. Pour obtenir l'allure du pas il faut faire agir les jambes légèrement et par degré, afin que trop de force ne lui fasse pas éprouver une sensation qui pourrait l'engager à passer a une allure plus allongée. A mesure que les jambes agiront pour porter le cheval en avant, la main doit se fixer légèrement pour maintenir le devant et régler les TRAITÉ d'ÉQUITATION. 71 mouvements et la marche du pas. Plus on veut allonger cette allure, plus il faut faire agir les jambes en présentant k la bouche un soutien, qui, engageant le cheval à s'ap- puyer sur la main, trouvera par cet appui le moyen de donner un plus grand développement aux épaules. Pour le ralentir, les jambes doivent diminuer d'action, tandis que la main, ayant servi de soutien dans le pas allongé, agira alors pour décharger les épaules et arrêter leur dévelop- pement. Lorsque l'on veut obtenir un pas léger et cadencé, on augmentera en même temps l'action des mains et des jambes. Les jambes du cheval se portant alternativement en avant, pour que le pas soit régulier, elles doivent embras- ser une même étendue de terrain ; il est donc nécessaire, pour ne point déranger cette régularité, que le cavalier renferme son cheval entre des pesanteurs égales qui contribueront k le maintenir droit. . Etant maintenu entre deux poids égaux, s'il marchait inégalement, cela viendrait d'un défaut de construction, qui en donnant plus de force k un côté ferait marcher le cheval de travers * . Lorsqu'un cheval marche de travers, il y a un côté plus avancé que l'autre. Il faut pour redresser ce côté user de moyens qui puissent le maintenir ou le faire reculer, et qui * Un côté paraît plus faible souvent parce qu'il est moins exercé ; c'est par un travail bien entendu et plus répété qu'on lui fait reprendre de la force. 7^ TRAITÉ d'ÉQUITATION. en même temps feront avancer le côté opposé. Nous avons vu dans l'action des rênes que pour reculer une épaule il fallait tirer à soi la rêne qui agissait sur cette épaule ; en arrêtant ainsi son développement on aidera celui de l'épaule opposée, ou du moins en ralentissant la première on met la seconde dans le cas de passer en avant ou de marcher sur la même ligne. Il en est de même pour les jambes : lorsqu'une seule agit elle tend à pousser l'arrière -main du côté opposé à son action, et par conséquent k faire marcher ce côté le pre- mier. Ainsi, lorsque par un défaut de construction le cheval marche de travers, il faut, par l'effet d'une rêne ou d'une jambe, rectifier son allure, en arrêtant ou mainte- nant plus fort le côté qui va trop en avant ; la jambe ou la rêne qui agira sera toujours maintenue et rectifiée dans son action par la jambe ou la rêne qui soutiendra. Par exemple, si l'épaule gauche reste en arrière, il faut maintenir la rêne gauche et tirer à soi la rêne droite, afin de reculer l'épaule droite. Si la hanche droite dévie ou se pousse à droite, on offre une résistance plus forte de la jambe droite, afin que, les hanches se portant à gauche, l'arrière-main soit redressée ; la jambe gauche ne servira plus que de soutien, mais assez ferme cependant pour que les hanches, renvoyées a gauche par la jambe droite, ne dépassent pas la ligne que l'on parcourt. TRAITÉ d'ÉQUITATION. 73 CHAPITRE XXVlll Moyens de mettre un cheval au trot. Dans le trot, où les jambes du cheval se meuvent comme au pas, l' arrière-main prendra plus d'extension et chassera la masse sur les épaules, qui. k leur tour, se développeront pour gagner du terrain en se maintenant nécessairement plus sur lavant-main. Etant dans cette allure plus sur les épaules qu'au pas, il faut pour mettre le cheval au trot user d'un moyen qui le porte plus en avant. On fermera les jambes avec plus de force afin de porter la masse sur lavant-main ; la main qui dans ce cas doit soutenir ne se fixera que légèrement jusqu'à ce que le trot soit décidé ; à mesure qu'il se déve- loppera, elle s'assurera davantage pour offrir un appui qui soutiendra lavant-main, et réglera et fixera les mouve- mients. C'est par les pressions plus ou moins sensibles des jambes, comme par les appuis plus ou moins forts pré- sentés a lavant-main, qu'on augmente ou diminue le trot* C'est une erreur de penser que cette allure se dévelop-^ pera mieux en ne donnant aucun appui sur le mors : le cheval, dans ce cas, poussé en avant sans être maintenu. 74 TRAITÉ D'ÉQUITATION . n'osant se livrer, trottera avec une incertitude qui commu- niquera de l'inégalité aux mouvements de ses jambes, ce qui pourra lui faire prendre le galop ou une allure fausse ' . Les moyens à employer pour un cheval qui trotte de travers sont les mêmes que pour le pas. CHAPITRE XXIX Moyens de mettre un cheval au galop. Au galop, le terrain étant toujours entamé par le même côté, les mains et les jambes du cavalier doivent agir en raison du côté où l'on veut marcher. Ainsi, par exemple, si l'on veut partir a droite, sachant qu'à cette main l'épaule droite doit être plus avancée, plus élevée que la gauche, on assurera la main de façon à porter le poids des épaules sur l'arrière-main, et l'on fermera les jambes pour provoquer l'action du cheval. Quand on sentira qu'il est assez rassemblé, assez élevé dans son * H arrive qu'un cheval mis au bout de son trot prend le galop ; la raison en est simple : le cheval se maintient au trot tant qu'il y a égalité dans le mouve- ment de ses jambes et qu'elles se portent alternativement en avant; mais, dès que cette égalité cesse, ce qui arrive lorsqu'il force l'allure ou qu'il est de travers, le côté le plus fort restant en avant, il se trouve au galop puisque cette allure existe quand un côté marche toujours le premier. TRAITÉ DÉQUITATION. 75 action pour prendre le galop, il faudra marquer de la bride un arrêt tendant a ralentir le mouvement de l'épaule gauche, et fermer en même temps la jambe gauche plus que la droite afin que l'arrière-main ne se traverse pas k gauche, et suive le mouvement des épaules. En cherchant alors à se rendre compte des mouvements de l'arrière- main, il s'agit de sentir, de saisir le temps où la jambe gauche de devant et la droite de derrière s'appuieront k terre pour redoubler l'action indiquée de la main et des jambes, afin qu'au moment où la jambe gauche de derrière s'élève, elle puisse, quand elle viendra s'appuyer sous le cheval, pousser l'épaule droite en avant et faire entamer le galop k droite. Le moyen d'opposition que je propose pour déterminer le galop me paraît le meilleur, parce qu'il agit d'une façon plus directe sur le cheval, et qu'il est presque toujours probable qu'étant franchement attaqué k gauche, il s'échappera k droite et entamera le terrain de ce côté. Il peut néanmoins arriver qu'il ne parte pas sur le pied demandé ; voici en quelles circonstances : Un cheval, en raison d'une habitude ou d'une souffrance, peut préférer un pied plutôt que l'autre. Je suppose qu'il aime mieux marcher k gauche, et qu'au contraire on veuille marcher k droite. Dans ce cas, bien qu'il reçoive de la part du cavalier des résistances qui devraient le faire partir k droite, les épaules et les hanches habituées k se mouvoir dans un sens qui leur est familier, pourront conserver ce mouvement et accepter alors l'action de la jambe gauche et 10 76 TRAITÉ D EQUITATION. la résistance de la main, comme une indication propre à déterminer l'allure du galop, laquelle, une fois déterminée, s'entamera a gauche, les hanches et les épaules étant par avance disposées à ce mouvement. Il est donc fort essentiel de sentir son cheval, afin de pouvoir l'amener par des arrêts et de petites résistances des jambes a changer son mouvement, et enfin profiter du moment opportun pour le déterminer à la main à laquelle on veut le mettre. Tout homme n'ayant pas le sentiment du cheval peut faire échouer, dans la pratique, l'application des meilleures théories du galop. Il est encore des circonstances où le cheval, pour se mettre sur le pied qui lui est familier, se pousse sur la jambe, et prend sur la main un trop fort point d'appui. Se soustrayant ainsi à leur action, il se met sur le pied qu'il préfère. Cette difficulté se combat en régularisant les mouve- ments, en menant le cheval légèrement, tout en cherchant k le placer de la façon la plus convenable pour obtenir le galop désiré. Dans ce cas, le cheval va par sauts de pie, traquenarde, en se présentant toujours sur le pied qui lui est familier. Il ne faut plus alors agir comme je l'ai expli- qué précédemment ; on doit, au contraire, baisser la main et pousser le cheval dans les jambes afin de le porter sur les épaules. Lorsqu'il a repris son point d'appui sur le mors, qu'il est remis d'aplomb, on le déterminera au trot : on le poussera dans cette allure en le faisant marcher en TRAITÉ d'ÉQUITATION. 77 cercle du côté où l'on veut faire prendre le galop. Ainsi, par exemple, veut-on le mettre à droite? en tournant de ce côté, l'épaule droite se trouvant, par l'effet du tournant, plus avancée que la gauche, et ayant moins de terrain à parcourir, il est indubitable qu'en poussant le cheval au grand trot, on n'amène bientôt une inégalité dans le mou- vement des épaules, inégalité que la main du cavalier peut aider aussi, et qui finira par mettre l'épaule droite dans le cas d'entamer seule le terrain. (Voir la note qui se trouve à la fin du chapitre : Moyen de mettre un cheval au TROT.) Dans ce travail, la jambe du cavalier doit très fortement agir, afin de maintenir les hanches et les empêcher de se traverser ; car si elles sortaient de la ligne des épaules pour se ])orter à gauche, la hanche gauche s'avançant plus que la droite entamerait le terrain et le cheval marcherait désuni. Dans ce cas, le cavalier doit avoir le tact de sentir le mioment où le cheval se présente à droite, afin d'agir avec plus de puissance pour déterminer le galop. Cette manière de mettre un cheval au galop sur les épaules, bonne dans l'hypothèse que je viens de signaler, doit s'employer aussi avec les jeunes chevaux n'ayant pas encore l' arrière-main assez forte ni assez assouplie. L'ancienne équitation, qui suivait ses préceptes pour les jeunes chevaux, indiquait autrement que moi la manière d'embarquer au galop un cheval lait. Elle conseillait d'em- ployer la jambe droite pour déterminer le galop à droite, sous prétexte que, marchant k cette main» le cheval devant 78 TRAITÉ D ÉQUITATION. rester placé à droite, la jambe droite servait à maintenir les hanches. Le galop pouvait parfaitement s'obtenir de cette ma- nière, lorsque la main agissait avec assez de justesse pour arrêter le développement de l'épaule gauche et dégager la droite, et quand, après cela, le cavalier avait assez de tact pour faire agir la jambe au moment où le cheval se pré- sentait a droite. Ce moyen demandait une bien plus grande précision, et, quand il était employé par des hommes peu habiles, il échouait très souvent; car alors la jambe droite, au lieu de pousser le cheval en avant, pouvait agir de façon à traverser les hanches a gauche, et faire partir le cheval à faux. L'ancienne équitation, en faisant agir la jambe droite, pour déterminer le galop k droite, était obligée de rectifier ensuite l'action de la jambe droite par la gauche. Je crois qu'il est beaucoup plus simple de faire agir la jambe gauche, qui offre plus de garanties pour déterminer le galop à droite, et de rectifier l'action de cette jambe par le soutien de la droite. Malgré les principes que je viens de poser, il peut néan- moins arriver que la jambe droite ait besoin d'agir quel- quefois seule pour déterminer le galop à droite. Ainsi, par exemple, un cheval, avant d'être embarqué au galop, viendrait a se traverser de façon à laisser tomber les hanches complètement à droite : on comprend bien alors qu'une fois le cheval présenté à droite plus qu'il ne faut TRAITÉ d'ÉQUITATION. 79 pour déterminer le galop de ce côté, la jambe gauche n'a pas besoin d'agir, et que la jambe droite, tout en cher- chant à redresser les hanches, pourra pousser le cheval en avant pour déterminer le galop k droite. En thèse générale, quelle que soit la jambe qui pousse, un cheval prendra le galop du côté qui sera le plus en avant, CHAPITRE XXX Explication du travail des reprises. Quoiqu'il soit nécessaire autant que possible de recher- cher l'emploi des moyens les plus propres a la conservation des chevaux, nous sommes cependant obligés pour les soumettre de les astreindre à un travail commandé par nos besoins, notre commodité et nos usages. Le travail du manège présentera le double avantage de donner la facilité de les dresser promptement, tout en ménageant leurs moyens. Les reprises furent réglées primitivement pour préparer et dresser les chevaux de combat. Ce travail avait pour but de les assouplir et de les rendre soumis aux moindres volontés du cavalier, qui, répétant au manège les mouve- 80 TRAITÉ d'ÉQUITATION. ments et les figures en usage dans les tournois, se trouvait alors en état de se présenter avec avantage devant un adversaire. Si les règles étaient efficaces pour tirer parti de ces chevaux, ne peuvent-elles être applicables en les modifiant sur toutes les autres espèces? Tout homme qui monte à cheval ne sent-il pas l'avantage de le trouver soumis à ses désirs? Le militaire, le veneur, celui qui monte pour son agrément, ne préféreront-ils pas un cheval assoupli, obéis- sant et commode, a celui qui serait raide, maussade, ou décousu dans ses allures?. En faisant ressortir la nécessité d'user du manège pour tirer parti de toute espèce de chevaux, il faut bien com^ prendre l'acception de ce mot. du moins telle que je l'entends : beaucoup de personnes ne considèrent dans le manège que le travail exigé ordinairement des chevaux d'école. Ce travail est utile, sans doute; en le pratiquant, on apprend à juger tout ce qu'on peut obtenir d'un cheval ; mais ce n'est pas une raison pour j amener tous les chevaux. Manéger un jeune cheval, c'est savoir établir un travail suivi et raisonné, et n'exiger que d'après ses moyens et en raison du service auquel on veut l'employer. Le cheval qui doit être souple et perçant n'a pas besoin d'être aussi renfermé qu'un cheval de promenade ou qu'un cheval de guerre. Ceux-ci doivent être k leur tour moins assouplis, moins rassemblés qu'un cheval de manège. Ce sont des nuances que l'homme de cheval doit saisir. TRAITÉ d'ÉQUITATION. 81 et qui le mettront à même de savoir exiger et baser son travail selon le cheval qu'il aura à dresser et selon le besoin qu'il en a. Mais avant d'entrer dans les détails de l'éducation d'un jeune cheval, il laut connaître le travail à suivre. Dans toute école il est nécessaire d'en avoir une idée exacte, afin de savoir l'appliquer au besoin. Le cheval de manège doit être en quelque sorte sacrifié pour enseigner tout le parti qu'il est possible de tirer de ces animaux. Une école ofTre cet avantage qu'étant composée d'une quantité de chevaux qui diffèrent dans leurs dispositions et dans leur construction, on apprend h modifier les res- sources selon chacun d'eux, ce qui met à même d'en calculer l'application sur le cheval soumis au dressage. Au moyen d'un travail simple et régulier on développe l'intelligence d'un cheval ; les reprises ordinaires du ma- nège ont été établies dans ce but; en les suivant exacte ment on apprendra à sentir et à régler les allures comme a juger les aplombs. 82 TRAITÉ d'ÉQUITATION. CHAPITRE XXXI Principes généraux. Le travail ordinaire se lait sur le large et sur les cercles ; le cheval doit être placé en raison du sens où il parcourt les différentes lignes qui forment une reprise. Quand on tourne à droite, le cheval marche à main droite, et doit être par conséquent placé de ce côté. Il est ainsi placé lorsque les hanches et les épaules marchent sur la même ligne, et que l'encolure et la tête sont placées à droite. On conçoit que l'encolure ainsi pliée, le cheval a plus de facilité pour tourner k droite, puisque la position de la tête et de l'encolure tendent à entraîner la masse de ce côté. Le côté de dedans est celui sur lequel on tourne, celui du dehors le côté opposé. En marchant à main droite, la bride doit être dans la main gauche ; l'épaule du cavalier s'avancera de manière à se mettre en face de la tête du cheval, afin d'être plus tourné vers le côté de dedans où il est censé avoir affaire, et pour résister k la force centrifuge qui tend toujours k reculer le côté du dehors. On change de main cjuand on place le cheval k gauche TRAITE DEQUITATION. 83 et qu'il tourne de ce côté; on tient alors la bride dans la main droite. Les changements de main s'exécutent ordinairement en quittant une piste pour aller chercher celle opposée, que l'on suit alors dans la direction contraire. Lorsque l'on marche sur le large, le carré long parcouru se coupe diagonalement ; quand on va sur les cercles, le changement s'exécute en coupant le cercle en deux. On peut aussi exécuter des changements de main sur des lignes droites. En général le changement de main a lieu dès que le cheval est placé k gauche, et que précé- demment il était placé à droite. Quand le cheval marche au galop, et qu'il change de pied sur la ligne droite, il change de main. Si le changement de pied a lieu par la volonté du cavalier, il faut placer le cheval à la nouvelle main; si, au contraire, il s'est échappé, et qu'il ait exécuté le changement de pied sans que le cavalier ait voulu l'obtenir, celui-ci doit rectifier le mouvement en arrêtant le cheval pour le remettre à la main dont il a voulu sortir'. Dans ces divers changements de main on prendra la bride du côté opposé k celui où l'on marche. Cet usage est » On trouvera sans doute étrange que je donne une pareille explication. Il est de ces détails qui ont paru futiles à de certaines gens, et qu'il est cependant néces- saire d'indiquer, car beaucoup de personnes les ignorent. Elles s'extasient quand elles voient un cheval changer de pied, sans se douter si ce mouvement est exécuté avec justesse. Dépourvues de tact et de tout sentiment du cheval, elles sont d'autant moins à même de l'apprécier, que, lorsqu'elles sont à cheval, elles ne sentent en aucune manière le mouvement qui s'exécute, et seraient fort em- barrassées de savoir et de dire sur quel pied marche leur cheval. 84 TRAITÉ d'ÉQUITATION. nécessaire dans une école, parce qu'ainsi la main qui ne tient pas la bride sert à agir sur la rêne de dedans, et contribue à assouplir et a placer l'encolure du cheval dans le pli où il doit tourner. Une fois hors du manège et le cheval dressé, la bride doit rester dans la main gauche, et par les simples opposi- tions de cette main on le place indistinctement k droite ou à gauche, en raison de la volonté du cavalier qui a besoin d'avoir la main droite toujours libre. Quand on le met en mouvement, il laut partir au pas ; le cheval doit autant que possible marcher droit ; ce n'est qu'une fois le mouvement déterminé qu'il doit être plié k droite ou k gauche. Toutes les fois que l'on change de direction, il faut avant de tourner marquer des temps d'arrêt qui prévien- nent le cheval et le préparent k marcher dans un autre sens. Le passage d'une allure k une autre doit être de même précédé d'un temps d'arrêt calculé en raison de Tallure qu'on veut prendre. Généralement, toutes les lois qu'il s'agit de changer de travail et de direction . il faut toujours en prévenir le cheval, et ce n'est que par le secours des temps d'arrêt. Les reprises commencent d'ordinaire k main droite, et se terminent k la même main. Il faut autant que possible, selon moi. s'abstenir de l'usage du fdet, afin que, sachant se passer de ce secours, on ait toujours une main libre. TRAITE D EQUITATTON. 85 Le bridon est pourtant nécessaire sur le cheval qui n'est pas encore fait k la bride ; il sert à donner la connaissance des effets des rênes, du mors, et à offrir un point d'appui sur la main. Le filet sert de préparation à la connaissance du mors, et remplace son effet lorsque celui-ci agit trop fortement. CHAPITRE XXXII Des reprises simples. — Explication préliminaire. Afin d'assouplir les chevaux, de les rendre plus mania- bles, la règle du manège veut qu'ils soient placés à la main à laquelle ils marchent. Pour obtenir ce travail on paraît quelquefois se trouver en contradiction avec les dispositions naturelles du cheval, quoique cependant elles soient toujours consultées : on ne les contrarie que lorsque les allures ne sont pas régulières. C'est avec le secours de ses aides que le cavalier, tout en plaçant son cheval d'après la règle prescrite au manège, établit des contrepoids qui maintiennent le cheval dans un équilibre appartenant à telle ou telle allure. Par exemple, en suivant une ligne droite, si l'on veut 86 TRAITÉ d'ÉQUITATION. marcher au trot et placer le cheval à droite, il est aisé de sentir que l'encolure et la tête se portant à droite, l'épaule droite du cheval aura à porter un poids plus lourd que l'épaule gauche, et se trouvera ainsi ralentie; position qui nécessairement devra rendre inégal le mouvement des épaules ; il convient donc, si dans cette position on veut marcher au trot, de rechercher les moyens de régulariser les mouvements du cheval pour qu'il ne change pas d'allure, quoique plié à droite. Le trot existe lorsque les battues sont égales, c'est-à-dire lorsque la jambe gauche de derrière et la droite de devant restent aussi longtemps en l'air que les deux autres y resteront, quand, dans l'impulsion locomotrice, elles se soulèveront à leur tour. Le trot a de l'ensemble lorsque les jambes supportent alternativement le même poids. Ainsi je suppose que le poids d'un cheval soit de deux cents livres, que, marchant l'encolure et la tête parfaite- ment droites, les deux jambes qui s'appuient ensemble à terre portent chacune cent livres ; si par la position qu'on donne à la tête et a l'encolure on surcharge l'épaule droite de vingt livres, la hanche gauche ne doit plus en recevoir que quatre-vingts ; tandis que si, d'un autre côté, j'ai soulagé l'épaule gauche de vingt livres, la hanche droite doit en porter cent vingt, lorsque la jambe gauche de devant et la droite de derrière viennent à leur tour à s'appuyer à terre. Nous avons vu comment l'épaule droite pouvait être surchargée de vingt livres ; mais afin de soulager la hanche gauche, il s'agit de l'éloigner du centre TRAITÉ D'ÉQUITATION. 87 de gravité en y amenant la hanche droite, et en lui faisant supporter l'excédent du poids que la hanche gauche ne porte pas. Ainsi placé, on verra que si les jambes qui agissent ensemble -individuellement ne portent pas le même poids, elles portent cependant à elles deux une pesanteur égale aux deux autres, ce qui met le cheval dans le cas d'avoir des mouvements égaux ; mais afin que cette égalité de mouvement existe, il faut présenter aux parties les plus chargées un secours d'aide qui égale l'excédent du poids qu'elles ont à supporter. Or, pour que la hanche droite se maintienne de façon à porter vingt livres de plus que la hanche gauche, la jambe droite du cavalier devra avoir une action de vingt livres plus forte que la gauche. Si l'exemple que je viens de donner est un peu forcé S c'est pour qu'il soit plus sensible, et que l'on comprenne bien le balancement qui doit exister dans l'accord des mains et des jambes. Je m'abstiendrai d'expliquer actuellement ce qui peut avoir rapport k la manière de placer un cheval au galop ; ce sont toujours les mêmes moyens appliqués avec plus ou moins de force en raison de l'allure qu'on veut prendre : il en sera fait mention dans le travail des reprises. Ce pli que l'on cherche k maintenir sur les lignes droites deviendra tout naturel dans les changements de direction, • Et il l'est en effet, car en raison de la rapidité du trot, les épaules ont à porter une plus grande pesanteur que les hanches. Je ne cite cet exemple (jue pour donner une idée exacte de l'action des aides du cavalier. 88 TRAITÉ d'ÉQUITATION. car on sait qu'en tournant à droite, le côté du dehors ayant plus de terrain à parcourir que celui du dedans, il faudra conserver le cheval dans une position qui, en ralentissant son côté droit, facilitera le tournant : aussi, quand l'on tourne, le pli doit être plus marqué. Lorsque le cheval marche au pas, il porte ses jamhes en avant les unes après les autres. D'après cela, le cavalier est maître d'arrêter et d'allonger le développement de chacune d'elles ; c'est pourquoi il faut le considérer comme allure de préparation, c'est-à-dire qu'il doit subir, selon le trot ou le galop, un travail qui préparera le cheval à prendre plus facilement l'une ou l'autre de ces deux allures. Le travail des reprises s'exécute sur les lignes droites, ou sur les cercles ; d'après l'explication déjà .donnée, nous verrons que c'est au trot que les chevaux peuvent le plus facilement suivre un travail composé de lignes droites, puisque pour l'obtenir il est nécessaire de mettre le cheval droit, afin que chacune de ses jambes puisse plus aisément se porter en avant et embrasser une même étendue de terrain. (Voyez le chapitre des Allures au trot.) Ainsi, pour préparer un cheval au trot, le pas se suivra sur le large. Ce travail des lignes droites, en quelque sorte calculé pour le trot, deviendra une difficulté lorsqu'il faudra le suivre au galop ; aussi cette allure doit avoir une prépara- tion en rapport avec les dispositions naturelles du cheval ; le travail des cercles sera celui qui lui conviendra le mieux, puisqu'on tournant, le cheval pourra marcher ainsi un côté toujours plus avancé que l'autre. TRAITE DEQUITATION. 89 Lorsqu'au moyen du pas on aura préparé les chevaux à marcher le trot sur le large et le galop sur les cercles, quand ces allures auront été obtenues chacune dans le travail qui leur sera le plus familier, les lignes droites devront se parcourir au galop comme les lignes circulaires au trot. C'est toujours par le contrepoids des mains et des jambes que ces divers résultats s'obtiendront. CHAPITRE XXXIII Des reprises sur le large, au pas et au trot. Afin de saisir ce travail, qui est extrêmement simple, on le commencera au pas. Une fois le cheval mis en mouve- ment, la main se placera au-dessus de l'encolure, afin de régler le pas ; cette allure déterminée, la main se portera un peu k droite pour que la pression de la rêne gauche sur la bouche et l'encolure pousse la tête un peu en dedans et plie l'encolure a droite*. Cette résistance de la main doit être assez marquée pour porter la tête à droite, mais pas ' Si l'effet de cette rêne ne suffit pas, on ouvre la rêne droite de la bride, ou du iM'idon si la rêne de la bride fait trop d'effet. 90 TRAITÉ d'ÉQUITATION. assez forte cependant pour faire tourner le cheval. La jambe droite se fermera pour maintenir la hanche droite et jeter la gauche en dehors. CHAPITRE XXXIV Passage des coins. Pour prendre l'habitude de marquer des temps d'arrêt à chaque tournant, une fois arrivé à quelques pas du coin, la main se placera dans la direction de l'angle du mur vers lequel on marche ; ce mouvement, qui fera porter l'avant- main du cheval à gauche, obligera l'élève, arrivé dans le coin, à marquer un temps d'arrêt pour rassembler son cheval et le disposer k en sortir ; cet arrêt marqué et le cheval rassemblé, la main se portera k droite pour sortir du coin et suivre la nouvelle direction. Une fois que le cheval sentira ce travail, on passera les coins en maintenant les chevaux k la main k laquelle ils marchent. Le cheval étant dans le large, on observera qu'il soit toujours placé k droite. Si la pression de la rêne gauche ne suffisait pas pour plier l'encolure, ou si son action n'était pas bien sentie, ce qui arrive souvent chez les jeunes TRAITÉ d'ÉQUITATION. 91 chevaux, on se servirait de la main droite pour ouvrir la rêne droite et plier l'encolure à droite. Lorsqu'on travaille avec plus de finesse et sur un cheval dressé, on obtient ce pli de l'encolure par la résistance un peu plus forte de la main droite, qui, agissant sur la barre droite, recule et fixe la tête du côté droit, et plie de même l'encolure de ce côté. Dans le large, les jambes du cavalier se ferment de manière que les hanches suivent les mouvements des épaules. Elles doivent agir aussi toutes les deux dans le passage des coins. La jambe droite sert à plier le cheval pour tourner k droite, tandis que la jambe gauche sou- tient les hanches et les empêche de se porter trop prompte- ment à gauche, ce qui ferait passer le tournant avec trop de précipitation et le rendrait moins juste ; car, dans le moment où le cheval tourne k droite, si l'épaule droite tourne la première, il faut aussi, pour que l'arrière- main marche d'accord avec le devant, que la hanche droite tourne avant la hanche gauche ; et, comme nous l'avons déjk expliqué, ce mouvement ne peut s'effectuer juste que par la résistance de la jambe gauche, qui sou- tient le côté gauche et maintient l'action de la jambe droite \ Il faut beaucoup étudier l'effet différent de ces deux ' N'est-ce pas l'explication très claire d'une prétendue découverte faite récem- ment, et dont, disait-on, aucun auteur n'avait encore parlé, tandis que ce principe est connu depuis Grisou ? 11 92 TRAITE D EQUITATION. jambes, peu sensible au pas et au trot, mais qui est d'une grande puissance dans les changements de direction au galop. CHAPITRE XXXV Du changement de main. Quand on aura ainsi marché plusieurs tours au pas et au trot à main droite, on changera de direction. On quittera alors le mur au point A. indiqué comme commencement du changement de main, en portant la main dans la direction du point B, fin du changement de main. La tête du cheval une fois arrivée au point B, la main se portera dans la direc- tion de l'angle C ; par ce mouve- ment le cheval se trouvera le long du mur. On changera la bride de main, en ayant soin de placer le cheval un peu à gauche et en répétant pour le passage des coins ce qui a été dit plus haut. Le travail des directions sur les lignes droites calculé pour le trot devient une difficulté lorsqu'il s'agit de le suivre au galop. TRAITÉ D'ÉQUITATION. 93 Ce n'est que par degrés que l'on peut arriver à exiger ce travail d'une manière juste. Il faut d'abord placer les chevaux dans la position qui leur est la plus commode, et s'appliquer à sentir l'effet positif de chaque moteur. CHAPITRE XXXVI Du travail sur les cercles, au pas et au galop. En marchant sur une ligne circulaire, le cheval est dans une position pareille à celle où il se trouve lorsque, allant sur le large, il sort d'un coin, c'est-a-dire que suivant un cercle k main droite, en tournant, l'épaule droite doit marcher la première. Dans ce cas, si la main dirigeant le cheval dans le cercle place lavant-main de manière à faire aller l'épaule droite avant la gauche, la jambe gauche du cavalier doit aussi marquer une résistance qui soutienne l' arrière-main en maintenant la hanche droite la première. Un cheval se désunit ou tourne à faux en raison de la position qu'on lui fait prendre. Par exemple, lorsqu'on tournant a droite les épaules suivent la circonférence de manière à marcher l'épaule droite la première, tandis qu'au contraire l'arrière-main sortira de la ligne droite et se 94 TRAITÉ d'ÉQUITATION. portera à gauche, la hanche gauche par ce mouvement s'avancera plus que la droite et sera obligée, pour main- tenir l'aplomb du cheval, de changer son mouvement, c'est-à-dire d'entamer le terrain avant la hanche gauche ; il se désunira ainsi du derrière. Les hanches ainsi placées, si la main se porte trop en dedans pour avancer l'épaule gauche plus que la droite, le cheval changera de pied de devant et marchera alors à faux. On voit par cette explication que le cheval ne se main- tiendra à droite que par la résistance de la jambe gauche, qui placera la hanche droite la première, et par l'action de la main, qui, se portant toujours un peu à gauche, déga- gera l'épaule droite et la mettra en avant. Dans le cas toutefois où le cheval laisserait trop tomber ses hanches en dedans, il deviendrait nécessaire alors de déterminer le galop à droite avec la jambe droite, ainsi que je l'ai expliqué dans le chapitre XXÏX. CHAPITRE XXXVII Des changements de main en cercle, au pas et au galop. Les changements de main s'exécuteront en coupant la circonférence en deux. TRAITÉ D'ÉQUITATION. 95 On partira du point A pour aller au point B. Quel- ques pas avant le point B, on ralentira le cheval pour le disposer à le placer à la main a laquelle il doit entrer et le préparer au tournant. Tout en marquant cet arrêt, on portera en même temps la main un peu à droite, en offrant une résistance de la jambe droite, afin d'éviter de laisser tomber les hanches à droite, et avancer le côté gauche qui doit alors marcher le premier. Ce travail se suivra au pas comme au galop, en ayant soin, en marchant cette dernière allure, d'arrêter tout a fait le cheval pour le faire changer de pied et user des moyens expliqués pour le faire partir à gauche. CHAPITRE XXXVIII Du trot sur les cercles. Quand on veut faire marcher au trot sur des lignes circulaires, le cheval doit être nécessairement placé d'une manière différente de celle où il est en marchant au galop. Dans ce cas, marchant à droite, la jambe droite du cavalier doit avoir une action plus forte que la gauche, afin de 96 TRAITÉ D'ÉQUITATION. placer les deux hanches sur la même ligne ; de même la main doit arrêter davantage l'épaule droite, afin que la gauche puisse s'avancer, et que, de cette sorte, le cheval soit placé de manière a pouvoir marcher le plus également possible. Il est aisé de sentir néanmoins que le côté du dedans aura toujours moins à parcourir que celui du dehors : c'est pour cela qu'à cette allure il faut placer le cheval au- dessous de son train, afin de pouvoir maintenir et arrêter le développement du côté du dedans en travaillant k aug- menter celui du dehors. Dans ce cas, la jambe du dedans doit se fermer plus que celle du dehors, afin de maintenir la hanche droite et d'augmenter le développement de la gauche ; on marquera aussi un arrêt plus fort du côté droit de l'avant-main, en tirant à soi la rêne droite pour arrêter le développement de cette épaule, en cherchant k égaliser le mouvement des deux. Les changements de main au trot s'exécuteront comme il a été expliqué pour le pas et le galop, tout en le main- tenant de façon k conserver toujours le trot, ce qui s'ob- tiendra en ralentissant d'abord le cheval, et en augmentant et régularisant autant que possible le mouvement de ses jambes. TRAITÉ d'ÉQUITATION. 97 CHAPITRE XXXIX Du galop ordinaire sur le large. Pour obtenir ce galop on usera des mêmes moyens appliqués pour le travail en cercle. La inain, tout en étant placée, marquera au moment du départ une résistance et une opposition qui avanceront le côté qui devra marcher le premier ; les jambes agiront dans le même sens. On voit par cette explication que le départ du galop ordinaire se fera toujours un peu de travers ; insensible- ment on arrivera à rendre ces oppositions moins sensibles, afin d'amener le cheval à partir droit. (Voir le cha- pitre XXIX.) CHAPITRE XL Départ au galop, le cheval droit. Le travail des lignes droites, calculé en quelque sorte pour le trot, devient une difficulté quand il s'agit de le suivre au galop. D'après l'explication que nous avons 98 TRAITÉ D'ÉQUITATION. donnée du galop, nous avons vu que l'ordre dans lequel se meuvent les jambes oblige à partir naturellement de travers * . Pour que le cheval marche k droite il est absolument nécessaire que l'épaule et la hanche droite se maintiennent les premières ; il faut atténuer cette disposition sans cesser de la contrarier. On sait que, pour partir à droite, le cheval a besoin d'avoir l'épaule droite plus avancée que la gauche, que l'on n'obtient ce résultat que par un arrêt plus fort formé sur le côté gauche ; on sait que les hanches doivent suivre la disposition donnée à lavant-main, c'est-à-dire que la hanche droite doit être plus avancée que la gauche ; ce que l'on obtient par la résistance de la jambe gauche. Bien pénétré de ces principes, sûr de la puissance des aides, on peut arriver à faire partir un cheval presque droit ; car si l'on peut donner à la rêne et à la jambe gauches une action assez forte pour déterminer le galop a droite, on peut atténuer cette action par le secours de la jambe et de la rêne droites, jusqu'au point qui suffira pour laisser le côté droit le premier. Si dans le principe on a pu, pour faciliter le départ k droite, mettre le cheval de travers, de manière k laisser tomber d'un pied les épaules k gauche et les hanches k ' Nous ne pouvons pas espérer contrarier la nature au point de changer l'ordre do son équilibre ; seulement la perfection du travail peut amener à atténuer cette disposition et à la rendre presque insensible. TRAITÉ D'ÉQUITATION. 99 droite, on peut arriver par le secours des contrepoids à diminuer ces oppositions, au point d'approcher à peu de chose près de la ligne droite, de manière qu'à l'œil le cheval pourra paraître droit. CHAPITRE XLI Du galop à droite, le cheval placé à cette main. Nous avons vu qu'en pliant l'encolure à droite on pouvait ralentir le développement de l'épaule droite et faciliter celui de la gauche. En agissant ainsi sur les parties antérieures, l'arrière-main se trouve aussi dans le cas de sortir de la ligne, et se porte à gauche à mesure que les épaules sont à droite ; cette action a été expliquée dans le Travail du trot, le cheval placé à droite. Si Ton s'y prenait ainsi pour placer à droite un cheval qu'on veut mettre au galop à cette main, il partirait infailliblement a gauche. Il faut nécessairement obtenir ce pli d'une manière différente et de telle sorte qu'en pliant l'encolure à droite et portant la tête de ce côté, l'épaule gauche soit toujours plus chargée et plus en arrière que la droite. Ce travail s'opérera principalement par l'action de la rené droite. Cette rêne doit marquer sur la barre droite 100 TRAITÉ d'ÉQUITATION. une résistance de devant en arrière, qui reculera la tête plus à droite qu'à gauche et pliera par ce moyen l'encolure à droite ; cette position obtenue, la rêne droite, par un mouvement de continuité, en même temps qu'elle ramè- nera la tête et la placera à droite, marquera une résistance de droite a gauche qui empêchera le cheval de tourner et lui maintiendra le bout du nez sur la ligne de l'épaule droite, en rejetant alors sur l'épaule gauche toute la pesanteur de la partie inférieure de l'encolure. Une fois cette position de l'avant-main obtenue, les jambes agiront comme il a été dit dans le chapitre précé- dent, en ayant soin de laisser le moins possible les hanches en dedans. CHAPITRE XLII Résumé général. — Du travail des reprises. Les reprises simples, dont je viens de donner l'explica- tion, doivent être exécutées jusqu'à ce que l'élève les comprenne bien. On ne saurait trop s'appesantir sur chacune de ces leçons, attendu que plus tard c'est le seul travail à suivre pour l'éducation d'un jeune cheval. TRAITÉ d'ÉQUITATION. 101 Les changements de main au pas, au trot et au galop, doivent toujours être précédés d'un temps d'arrêt qui prépare le cheval k passer à une autre main ; il est néces- saire de faire observer qu'il doit être plus marqué au galop, afin d'interrompre complètement le temps à droite pour le disposer k passer k gauche. A cette allure, comme aux autres, on observera que le cheval soit toujours bien droit devant lui, c'est-k-dire que l'arrière-main suive et marche d'accord avec son avant-main. Ce travail droit une fois bien connu, on commencera k prendre une idée de celui des hanches, ainsi que des moyens d'exécuter divers mouvements avec plus de promptitude . CHAPITRE XLIII Travail composé. — Marche oblique et sur les hanches. La marche droite devait être la première k exiger du cheval, puisque c'est celle qui lui est le plus familière : dans ce cas, il se sert de ses épaules et de ses hanches pour recevoir plus ou moins le poids de son arrière-main, ou pour pousser plus ou moins en avant les parties anté- rieures. Ce mécanisme ordinaire, qui met le cheval dans le 402 TRAITÉ d'ÉQUITATION. cas d'aller en avant ou en arrière, ne lui indique d'appuyer ni à droite ni a gauche : si cette circonstance arrive, c'est l'inégalité de la force d'un côté sur un autre qui fait qu'il marche de travers. J'ai démontré jusqu'ici les moyens de rectifier les inégalités dans la force des divers moteurs du cheval par la puissance de nos aides, et d'arriver, au moyen de l'art, à faire parcourir au cheval des lignes droites. Il se présente des cas cependant où il est nécessaire de savoir appuyer k droite ou à gauche sans avancer ni reculer, comme de pouvoir se porter en avant par une marche oblique. Ce premier mouvement s'appelle fermer ou aller sur les pas de côté; le second, fermer, en allant en avant. Ce travail tout à fait nouveau demande une préparation, puisqu'en l'exigeant on intervertit chez l'animal l'ordre de sa marche ordinaire; car si les jambes, qui ont la pro- priété de s'appuyer a terre ensemble, agissent toujours dans le même ordre, quant à leur appui elles suivent une direction et ont une action différentes dans la marche oblique. TRAITÉ D'ÉQUITATION. 103 CHAPITRE XLIV Moyen de fermer ou d'aller sur les pas de côté. Nous devons pour obtenir ce mouvement balancer l'ac- tion des mains et des jambes, de façon que le cheval n'avance ni ne recule. Une fois mis en mouvement, on lui offre une liberté dans la direction qu'on veut suivre, en lui présentant une résistance du côté opposé. Ainsi, voulant appuyer de droite à gauche, on marque un arrêt de la bride, et l'on ferme les jambes pour rassembler le cheval et le mettre en action. Ce mouvement exécuté, on marque un arrêt et une pression de la rêne droite afin d'arrêter le mouvement de l'épaule droite ; cette épaule étant arrêtée agira nécessairement sur la hanche gauche, qui, au lieu de se porter en avant si l'on avait laissé la liberté à l'épaule, étant repoussée par elle, reculera ou s'échappera à gauche. Dans ce mouvement, en fermant la jambe droite pour pousser la hanche droite à gauche, on déterminera le mouvement à gauche de la hanche gauche, déjà provoqué par l'arrêt de la rêne droite, et l'on mettra en mouvement l'épaule gauche, qui. trouvant une résistance dans la main et une pression lui venant de droite, ne pouvant se porter en avant, s'échappera a gauche, étant poussée par le mou- vement de la hanche droite. J04 TRAITÉ d'ÉQUITATION. Une fois mis en mouvement dans cette nouvelle direc- tion, ce sera au cavalier a balancer l'action de ses aides. Si le cheval pousse trop précipitamment ses hanches a droite, on atténuera ce mouvement par l'action de la jambe droite en diminuant celle de la gauche : si l'épaule ne se porte pas assez a droite, ou l'on écartera la rêne droite ou l'on portera la main gauche dans cette direction. Il est bon, pour apprendre à un cheval à marcher ainsi, de le mettre vis-k-vis un mur; la tête étant maintenue, la main n'aura pas besoin d'une action aussi grande, et il recevra plus froidement cette leçon. On peut môme commencer ce travail sans monter le cheval, afin qu'il apprenne à bien croiser ses jambes. Dans ce cas, voulant aller de gauche k droite, on tient le cheval par la bride de la main gauche en le maintenant la tête en face le mur, et en lui faisant appuyer les hanches en l'excitant avec une gaule ; k mesure que les hanches s'échapperont, on portera les épaules vis-a-vis des hanches. Cette marche doit servir de préparation k toute espèce de travail oblique. Avant de prendre les changements de main sur les hanches, il est bon de faire marcher son cheval soit en ligne droite, soit sur les cercles, en faisant porter les hanches tantôt en dedans de la ligne que l'on parcourt et tantôt en dehors. Ainsi, par exemple, en marchant k main droite, si 1 on . veut laisser tomber les hanches en dedans, on marquera un arrêt égal de la bride pour rassembler le cheval et lui TRAITÉ DEQUITATION. 105 maintenir les épaules dans la ligne que l'on suit ; la jambe gauche donne alors une pression assez forte pour jeter les hanches à droite et les faire dévier jusqu'au point que l'on croit nécessaire ; la jambe droite maintient la hanche droite, et l'on continue à marcher dans cette position jusqu'à ce que, le cheval étant assoupli de ce côté, on veuille alors porter les hanches en dehors ou bien changer de main pour exécuter du côté opposé. Dans ce travail, la main droite doit être fixe autant que possible, et l'on n'agit davantage sur une rêne que sur l'autre que lorsque l'on veut plier l'encolure ou redresser les hanches avec fa bride ; car l'efïet des rênes a une action assez directe sur les hanches, pour qu'il suffise aussi sur un cheval assoupli, pour le faire marcher obliquement sans le secours des jambes. En effet, nous savons que l'épaule gauche se met en miouvement avec la hanche droite ; nous avons expliqué que par leur position transversale, lorsque l'épaule gauche était restreinte et maintenue à gauche, la hanche droite devait s'échapper a droite ou reculer. Si la rêne gauche produit cet effet sur la hanche droite, la rêne droite pro- duit ce même efPet sur la lianclie gauche ; alors il est aisé de comprendre que, lorsqu'un cheval échappe trop ses hanches a droite et que la jambe ne peut arrêter ce mou- vement, l'action de la rêne droite pourra le maîtriser, puisqu'en disposant la hanche gauche a s'échapper à gauche elle arrêtera naturellement le mouvement contraire. Ainsi, par la résistance de la rêne sur le côté opposé où l'on veut fuir les hanches, et ensuite par la pression de 106 TRAITÉ d'ÉQUITATION. cette même rêne pour porter l'épaule vis-à-vis la hanche que l'on a engagée, nous voyons que l'on peut marcher obliquement sans le secours des jambes. CHAPITRE XLV Des pas de côté en avant ou changement de main en prenant les hanches. Une fois bien pénétré du travail ci-dessus expliqué, les pas de côté en avant, ou changement de main en prenant les hanches, seront très faciles à obtenir; ce sont toujours les mêmes moyens à employer en faisant agir plus ou moins les aides et en atténuant leur action par les aides qui soutiennent. Ainsi, par exemple, on veut aller du point A au point B, en prenant les hanches, en arrivant au point A, on rassemble le cheval, en fixant la main pour arrêter le mouvement des épaules, la jambe de dehors se ferme pour soutenir et pousser la hanche gauche, en of- frant ainsi en même temps une résistance de la rêne et de la jambe gauches, le cheval s échappant à droite ; la jambe droite alors maintiendra les hanches TRAITÉ d'ÉQUITATION. 107 afin qu'elles se trouvent vis-à-vis les épaules. Une fois le cheval ainsi engagé et placé a droite, la jambe gauche continuera son action pour pousser les hanches de gauche k droite , et la main sera assez légère pour que , tout en arrêtant les épaules afin d'engager les hanches, le cheval puisse se porter un peu en avant, de façon k arriver insensiblement, et toujours dans la même position, au point B. Go sera la jambe droite qui maintiendra les hanches, et qui, par sa pression, poussera toujours le cheval en avant. Ces diverses actions de la jambe qui agit, comme de celle qui soutient, ainsi que le plus ou le moins d'arrêt de la main doivent être en raison de la longueur du change- ment de main. Il est essentiel, quand on comnfience un changement de mam, de ne pas engager les hanches par k-coup, car le cheval pourrait alors faire dépasser au derrière la ligne du devant, comme il pourrait aussi mettre trop de précipita- tion dans son exécution. Une fois que le mouveiTient est déterminé par la jambe de dehors, qui est celle agissante, celle qui soutient a quelquefois besoin, pour maintenir le cheval droit, d'une action plus forte que celle qui agit, ce qui est facile k concevoir, puisqu'une fois le mouvement déterminé toute la inasse du cheval tend k se porter du côté vers lequel il entame le terrain. Du moment que ces divers principes sont compris et exécutés, au pas, au trot et au galop, le cavalier obtiendra tout ce que les moyens d'un cheval peuvent offrir. 12 108 TRAITÉ d'ÉQUITATION. CHAPITRE XLVl Résumé. L avantage k retirer du travail des pas de côté est incal- culable ; il contribue k mettre les chevaux sur les hanches et k les assouplir : il dégage les épaules et donne k l'animal un liant qu'il ne peut avoir lorsqu'il n'a été conduit que droit devant lui. En effet, dans ce premier travail, c'est le devant qui est surchargé par le derrière, ou le derrière qui est surchargé par le devant ; mais une fois que les hanches assouplies savent agir l'une sur l'autre, que les épaules dégagées et liantes peuvent se prêter de mutuels secours^ alors la répartition des poids se fait d'une manière plus égale ; le cheval, obligé k moins d'efforts, obéit avec plus de promptitude et de confiance. Aussi doit-on, dans l'éducation du jeune cheval, s'appli- (juer k travailler de bonne heure les épaules et les hanches. 11 est rare de rencontrer des chevaux qui marchent parfaitement droit, parce que, soit habitude, soit faiblesse, un côté gagne toujours sur l'autre. C'est en cela qu'il est bon, pour égaliser ses mouvements et ses allures, d'exercer alternativement chaque côté, et de donner plus de travail au côté le plus raide. En assouplissant les hanches et les épaules on obtient ce TRAITÉ d'ÉQUITATION. 109 résultat, on donne à l'animal la connaissance plus complète des aides, et le cavalier, s'identifiant avec lui par un travail soutenu, l'amène k savon* se tenir droit ou de travers, en raison de l'égalité ou de l'inégalité de leurs pressions ; mais alors les différentes positions que le cheval peut prendre sont subordonnées à la volonté de l'homme. C'est alors que le cheval ainsi assoupli devient fidèle k la mani. qu'il reçoit sans inquiétude des appuis plus ou moins forts sur la bouche, que son encolui^e acquiert un liant et une souplesse infinie, parce que chaque moteur se coordonnant et se prêtant un mutuel secours, les arrêts qui, dans le principe, ne se faisaient sentir que sur un seul point et excitaient une trop grande susceptibilité, se répar- tissent alors sur toute la machine et deviennent plus supportables \ CHAPITRE XLVII Changement de pied en l'air, le cheval étant au galop. Quand on veut changer l'allure ou le travail d'un cheval, j ai démontré la nécessité de l'arrêter pour le prévenir. C'est en raison du tact du cavalier et de la manière dont il ' N'est-ce pas là une recommandiitioti du système des assouplissements ? 110 TRAITÉ d'ÉQUITATION. prépare son cheval que les changements s'obtiennent avec plus de promptitude et de précision. Les changements de pied en l'air au galop sont très faciles k obtenir quand on possède bien les moyens de les prendre terre à terre; ce sont exactement les mêmes, excepté qu'ils sont exigés plus promptement. Ainsi nous savons que l'on met un cheval à droite par l'arrêt de la bride et la résistance de la jambe gauche, dont l'action est soutenue et maintenue par la jambe droite ; que l'on met aussi un cheval à gauche par le même arrêt de la bride et par l'action contraire des jambes. Le cheval étant a droite, veut-on le passer k gauche, il faut user du moyen indiqué ; seulement on fait agir simul- tanément les mains et les jambes. Ainsi, galopant k droite, au moment de passer k gauche, on marque un arrêt de la bride assez fort pour arrêter le développement de l'épaule droite qui marche la première, et en même temps on fait agir les jambes avec plus d'action, en exigeant plus de la droite que de la gauche, afin de pousser la hanche gauche k gauche. Le cheval qui. par l'arrêt simple de la bride, se serait arrêté si la jambe du cavalier n'avait pas continué d'agir, se rassemblera ; alors la main agissant plus sur l'épaule droite que sur la gauche, cette dernière, poussée en avant par l'action des jambes et étant moins arrêtée que la droite, passera nécessairement devant celle-ci, et enfin l'arrêt qui empêchera le développement de l'épaule droite contribuera k faire échapper k gauche la hanche gauche. TRAITE DEQUITATION. 111 mouvement déjà commencé par l'action jdIus forte de la jambe droite du cavalier. Une fois ce travail conçu, on l'exigera en tenant le cheval droit, comme dans le travail des changements de pied terre à terre. Le changement de pied étant exécuté, on donnera au cheval une plus grande liberté, pour qu'il se maintienne à la main où il sera passé; car si l'on continuait à l'arrêter, incertain dans son travail, il pourrait se désunir ou changer encore de pied. Plus le cheval sera rassemblé, plus facilement il chan- gera de pied en l'air, parce qu'en rapprochant ainsi ses moyens il trouvera dans la main un appui qui lui sera nécessaire pour mieux exécuter l'intervertissement de l'ordre dans lequel les jambes agissent. J'insiste sur ce principe, parce que c'est toujours par là que pèchent les personnes qui veulent faire changer un cheval de pied : on se presse, on augmente le train, et l'on provoque ainsi un décousu qui fait que le cheval n'achève jamais de changer de pied, et reste désuni. 112 TRAITÉ d'ÉQUTTATION. CHAPITRE XLVIII Des têtes à la queue, oa demi-tour. Il est une foule de cas où il faut savoir exécuter le demi- tour. Ce travail, paraissant difficile k obtenir quand on le demande au galop, est cependant promptement compris du cheval lorsqu'on exige ce mouvement avec discernement. C'est une erreur de croire qu'il s'exécute toujours aux dé- pens de r arrière-main ; les personnes pensant ainsi, et agissant dans ce sens, doivent en effet rarement réussir, k moins de rencontrer des chevaux d'une force extrême : car si l'on ne répartit pas bien les poids du cheval, et qu'on veuille iaire supporter k l'arrière-main toute l'exécution, il est rare en effet qu'il ne se refuse pas k tourner, parce qu'alors, prenant trop sur lui. on l'engage k désobéir. On doit, au contraire, loin de le trop restreindre, donner k l'arrière-main une liberté en état de lui permettre d'agir. Par exemple, marchant au galop k droite, au moment où l'on veut exécuter, on rassemble et ralentit le cheval; pour le mettre dans la main et le préparer, on l'arrête insensi- blement, la main très basse, afm de l'engager k baisser la tête, ce qui tend k élever les hanches et k les dégager ; et tout en arrêtant on porte la main k droite en faisant alors agir vigoureusement les deux jambes, afin de rejeter sur TRAITÉ d'ÉQUITATION. 118 ravant-main le poids que l'arrêt de préparation et le com- mencement du tournant auraient pu jeter sur le derrière ; et, offrant une résistance plus lorte de la jambe gauche, on fait échapper l' arrière-main k gauche, à mesure que lavant-main est portée à droite. Une fois ce mouvement indiqué, la main reste fixe dans la nouvelle direction, et la jambe gauche maintient la hanche gauche pour qu'elle ne dépasse pas la ligne de l'épaule. L'essentiel dans l'exécution de ce mouvement est de bien préparer son cheval : il faut qu'il soit arrêté d'abord pour le rassembler, mais ensuite avoir la main assez basse afin de faire baisser la tête le plus possible, et donner par là un appui aux épaules, qui permettront a l' arrière-main de se mouvoir plus facilement. Ainsi, en décomposant ce travail, on voit qu'au point de départ le cheval est plus sur les hanches que sur les épaules, et à la fin du demi-tour il doit être, au contraire, plus sur les épaules que sur les hanches. CHAPITRE XLIX Résumé général. Il est fort essentiel de connaître combien la position do la main influe sur la manière de mener un cheval, et combien cette position plus ou moins élevée contribue k 114 TRAITE D EQUITATION. faire paraître les allures et les arrêts plus ou moins durs. L'ancienne équitation recommandait de placer la main très haut et très en avant. Cet usage, nécessaire sans doute pour les chevaux qu'on avait k cette époque, trouve moins d'application avec notre espèce actuelle ; cependant cette vieille tradition est restée, sans qu'on se soit occupé de la modifier, en raison de la différence qui existe entre nos chevaux et ceux d'autrefois. En consultant tout ce qui avait rapport k la cavalerie du moyen âge, il est incontestable que l'espèce que l'on montait k cette époque était d'une construction différente de la nôtre (fig. 21). Dans des temps plus rapprochés, sous Louis XIIL Louis XIV, les tableaux représentant des chevaux de cette époque ne nous laissent voir que des con- structions robustes et toujours des chevaux entiers, k lourdes épaules et fortes encolures. 11 est aisé de concevoir la nécessité alors de relever et de soutenir la masse du cheval, qui devait toujours se porter en avant. De Ik le besoin, pour maintenir le cheval d'aplomb, d'user d'embou- chures très dures ; de Ik aussi la nécessité de placer la main élevée afin de rejeter sur l'arrière-main une pesan- teur qui tendait toujours k se porter en avant. Mais k présent, au contraire, nos chevaux étant généra- lement plus fins, le croisement des races ayant produit des espèces toutes différentes, que l'on recherche comme qualité les garrots élevés, les encolures fines et déliées, et les épaules très relevées, nécessairement cette construction TRAITÉ DÉQUITATION. Ha de l'avant-main doit tendre a surcharger le derrière. Dans ce cas, en usant sur le cheval ainsi construit des mêmes moyens pratiqués sur ceux d'une construction diamétrale- ment opposée, on doit nécessairement tomber souvent dans l'erreur. 11 est rare de trouver un cheval parfait, c'est-à-dire chez lequel toutes les forces se balancent ; généralement celui supérieur dans son devant est faible dans quelques parties de son arrière-main. 11 est donc nécessaire, lorsque l'on monte un cheval, de soulager la partie la plus faible aux dépens de la plus forte. On sait que l'allure du galop est formée de sauts répé- tés ; k chaque temps l'arrière-main, par sa flexion et son extension, pousse la masse en avant, et qu'il est nécessaire alors, pour embarquer un cheval au galop, d'arrêter les mouvements des épaules, de les élever, et de disposer par k l'arrière-main k agir pour pousser la masse. On conçoit que ces arrêts doivent être calculés en raison des chevaux que l'on monte. Car, si en effet l'arrière-main a besoin d'une sujétion nécessaire pour provoquer la flexion ame- nant l'extension qui doit chasser la masse en avant, il ne faut pas ôter les moyens k cette arrière-main d'agir avec force et facilité. Chez le cheval qui a la position basse, chez lequel par conséquent le devant est trop chargé, il est bon de lever la main afin de rejeter sur le derrière assez de poids pour l'asseoir et provoquer cette flexion de l'arrière-main sans laquelle le galop n'aninil pas lieu. 116 TRAITÉ D EQUITATION. Mais sur celui qui a la tête haute et les épaules élevées, et se trouvant naturellement assis, si vous élevez la main pour le préparer au galop, vous affaisserez par trop les hanches, et restreindrez tellement les mouvements de ses jarrets qu'il ne pourra prendre cette allure ; et si vous persistez k la demander de cette manière, il est rare qu il ne se défende pas, et que ce ne soit par une lançade qu'il cherche k porter sur l'avant-main l'excédent du poids qui surchargeait le derrière et l'empêchait d'agir ; tandis qu'ayant la main hasse, l'arrêt qui diminuera le mouve- ment des épaules reportera sur l'arrière-main assez de pesanteur pour provoquer le galop, tout en laissant aux hanches la position convenant le mieux pour marcher cette allure. Si l'arrêt marqué pour mettre le cheval au galop ne lui convient pas, k plus forte raison il s'y soumettra plus difficilement lorsqu'il s'agira de l'arrêter. Par exemple, voulant passer d'une allure rapide k une allure raccourcie, si vous élevez la main pour rejeter le poids du devant sur le derrière, alors en élevant la tête et l'encolure, et par conséquent les épaules, vous finissez par baisser les hanches et par restreindre le mouvement de flexion des jarrets. Plus le cheval sera sensible dans son arrière-main, moins il se soumettra k cette nouvelle sujétion, ou du moins, s'il cède momentanément k l'action de la bride, il cherchera ensuite k faire reprendre k ses hanches et k ses reins une position élevée, afin de soulager les jarrets. C'est alors qu'il donnera des contretemps TRAITÉ d'ÉQUITATION. 117 d'autant plus durs que les mouvements de son arrière- main seront restreints et affaissés, et que ces contretemps se répéteront autant de fois que vous marquerez les arrêts de cette manière. En fermant les jambes pour offrir un soutien à l'arrière- main, la tête du cheval se baissant permettra aux hanches de s'élever, et celles-ci à leur tour soulageront les jarrets, qui, n'étant plus forcés dans leur flexion, ne donneront plus cette extension brusque et répétée, cause des contre- temps. CHAPITRE L Défense du cheval. La défense du cheval est calculée d'après sa position et son aplomb. Celui au devant faible et qui par conséquent appuiera sur le mors, ayant cette partie plus basse que le derrière, s'il se défend lâchera la ruade ; celui trop assis ou qui aura le derrière faible, s'il vient a se défendre pointera. Généralement il se servira pour sa défense de la partie la plus forte, parce qu'elle sera plus en état de repousser une attaque, comme aussi, étant plus élevée et partant plus légère, elle agira plus promptement. 11 faut donc, en prin- ilS TRAITÉ d'ÉQUITATION. cipe général, combattre la défense en cherchant a rétablir l'équilibre. Les chevaux ayant les jarrets douloureux, et par cette raison portant sur les épaules, ruent si l'on cherche a les asseoir avec trop de force, afin de se soustraire a cette nouvelle sujétion ; les chevaux ayant de la faiblesse dans les jarrets ou dans l' arrière-main se trouvant naturellement assis, pointeront, au contraire, si le mors a une action trop grande, parce qu'ils chercheront k reporter en avant les pesanteurs surchargeant leur arrière-main. CHAPITRE Lï Moyens d'empêcher un cheval de ruer. Pour empêcher un cheval de ruer il faut lever la main et fermer les jambes, afin de l'asseoir et de le mettre en équilibre. Si la main seule agissait, présentant toujours un point d'appui, il se fixerait dessus et il reculerait si l'action en était trop forte ; mais il ne cessera de ruer que lorsque les jambes, en agissant pour maintenir les hanches et l'em- pêcher de reculer, prêteront alors une force suffisante pour supporter l'action de la main, qui sera de rejeter le poids des épaules sur l' arrière-main. TRAITÉ d'ÉQUITATION. 119 CHAPITRE LU Moyens d'empêcher un cheval de pointer. Pour empêcher un cheval de pointer il faut tâcher d'établir l'équihbre en chargeant le devant. Ainsi, pour atteindre ce but. il faut présenter au cheval un point d'appui sur le mors, assez léger pour qu'il ne le redoute pas, et faire agir les jambes avec assez d'action et de force pour jeter l'arrière-main sur les épaules. Lorsque les jambes auront porté sur l'avant-main l'excédent de la pesanteur qui chargeait le derrière, le cheval prendra alors sur le mors un appui devenu nécessaire pour soutenir les épaules ' . CHAPITRE LUI Des causes qui produisent la défense. Plusieurs causes peuvent éloigner un cheval de l'obéis- sance : i" l'ignorance; 2" la faiblesse ou le manque ' 11 est des cas où le clieval, ayant un mauvais derricro, pourra copcudant nier, l!20 TRAITÉ d'ÉQUITATION. d'haleine ; 3° la mauvaise vue ; l\ la souffrance : 5° la folie ou l'immobilité. Chacun de ces cas a des déienses qui lui sont propres. 1° Dans le premier cas, qui est le fait du jeune cheval, la défense, toute de gaieté ou de surprise, se manifeste par des bonds répétés, provoqués par la sensibilité que son dos et ses reins éprouvent lorsqu'il commence à porter le poids du cavalier. Si les moyens employés par l'homme pour réprimer ces premiers écarts sont pris avec trop de vio- lence, et qu'en voulant le maîtriser il fausse l'aplomb du cheval, alors celui-ci prendra un caractère de défense en rapport avec la position à laquelle on l'aurait astreint ou bien en raison de sa construction : aussi ne faut-il attribuer les défauts de la plupart des chevaux qu'à la maladresse des individus qui les ont commencés. La longe et le cave- çon doivent être considérés comme les meilleurs moyens de répression dans toute espèce de défense. Sur le cheval qui bondit et met la tête entre les jambes, la saccade du caveçon portant sur le chanfrein lui relève la tête : privé de ce secours, si le cavalier n'aA^ait que la bride, souvent il n'aurait pas la force de relever la tête, et pour- rait par des efforts offenser la bouche, casser les barres et retarder pour longtemps l'éducation d'un jeune cheval. Je le répète, avec le secours de la longe on pourra maîtriser les sottises de toute espèce de chevaux, et ils comme pointer avec de mauvaises épaules ; la défense part toujours de la partie (jui est le moins chargée. (Voyez les explications sur l'aplomb du cheval et la position de la tète.) TRAITÉ d'ÉQUITATION. Hl seront amenés insensiblement à. répondre k tous les effets de la bride et des jambes, c'est-à-dire à l' obéissance parfaite ; 2" La faiblesse est plus particulièrement aussi le propre du jeune cheval ; elle est le résultat d'un travail au-dessus de ses forces. Quand il ne peut ni bondir ni pointer pour se soustraire à des exigences qui lui deviennent insuppor- tables, il marche avec incertitude, s'arrête, s'attache aux murs, aux arbres, à tout ce qui peut lui donner l'espoir du repos ; si à force de coups on parvient à le porter en avant, dès qu'il trouvera un nouveau prétexte il se dérobera, et peut-être alors forcera-t-il la main pour se rapprocher d'un objet qui lui offrira un abri et un moyen de se soustraire aux exigences du cavalier. Un travail de la longe, simple et de courte durée, augmenté en raison de la force que prend le cheval, l'amènera à l'obéissance. L'essentiel est qu'avant de le mettre en liberté il soit franc aux éperons, c'est-a-dire qu'il ne cherche pas à se dérober au moment de les lui faire sentir, ce qui est facile à obtenir quand il sera main- tenu par le caveçon. Une fois libre, on doit continuer à ne pas lui demander un travail au-dessus de ses forces, car la fatigue et le manque d'haleine produiraient les mêmes effets ; 3° Le cheval ayant une mauvaise vue se dérobe à l'ap- proche de l'objet qui l'offusque. Quand on veut le ramener dessus avec violence, pour s'en éloigner il use de la défense en rapport avec sa construction ou sa position présente» comme il arrive souvent pour le rapprocher d'un objet 122 TRAITÉ D ÉQUITATION. effrayant qu'on mette dans l'action de la main une force d'autant plus grande qu'il met plus de résistance pour s'éloigner de cet objet. En agissant ainsi, on porte souvent sur l'arrière-main une pesanteur propre à gêner le cheval et le faire pointer ; c'est pour cela que généralement le cheval peureux se cabre. On ne peut pas empêcher un cheval d'être peureux, mais on peut atténuer ce défaut en le rendant franc devant lui, c'est-à-dire sensible aux jambes et bien fixe dans la main. Une fois renfermé dans la puissance des aides, les connaissant et se trouvant maintenu par elles, le cavalier, restant toujours en contact avec le cheval, sera amsi pré- venu de ses moindres craintes, pourra le maintenir, recti- fier aussitôt le dérangement qu'amènerait une surprise, et finir par le fiiire marcher avec plus d'assurance. Je ne puis mieux comparer la situation du cheval ainsi dirigé par l'homme, qu'à celle de l'aveugle conduit par son chien; tant que la corde est tendue et qu'il sent son guide, l'aveugle marche avec confiance ; si la tension cesse, l'in- certitude arrive; [\ La plupart des chevaux rétifs le deviennent par souffrance. Combien s'en rencontre-t-il qui passent pour lunatiques, fous ou immobiles, chez lesquels la défense est produite par la sensibilité des reins ou des articulations, que la maladresse du cavalier excite ! Tout cheval souffrant peut être utilisé, et beaucoup sont susceptibles d'un excel- lent service. C'est au cavalier à savoir discerner d'où vient la douleur cause de la défense, et à savoir par son travail TRAITÉ d'ÉQUITATION. 123 placer le cheval de manière à soulager la partie doulou- reuse. Quand les épaules sont raides ou que les poignets sont faibles, il faut faire supporter k l' arrière-main l'excédent du poids qui arrête le développement de lavant-main, et régler les mouvements du derrière sur le devant ; car si l'on veut forcer le train d'un cheval ayant peu de dévelop- pement ou de force de lavant-main, il est aisé de sentir que si les hanches pouvant couvrir plus de terrain que les épaules, on leur laisse prendre tout leur développement, le devant sera bientôt surchargé, et si alors on excite le cheval pour forcer son train, il se défendra, et dans ce cas lâchera la ruade. Lorsque les reins sont faibles, il faut soulager cette partie aux dépens des épaules. Le cheval faible de reins est rarement bon au galop. Sa défense consiste en lançades si l'on cherche k l'asseoir : du reste le cheval faible de reins se défend peu, attendu que généralement il manque de force. Il faudrait qu'il fût bien fortement excité pour faire des écarts graves, et alors on courrait le risque de le faire renverser. C'est la sensibilité dans les jarrets, produite par des jardons ou des éparvins, qui amène le plus de défense, parce que, n'excluant pas la force, elle se trouve dans le cas d'être continuellement excitée par l'efTet du mors, qui, tendant k ralentir, k arrêter ou reculer le cheval, agit directement sur cette partie. Il faut donc, lorsqu'on ren- contre des jarrets douloureux, faire agir la main avec assez 13 424 TRAITÉ d'équitation. de légèreté, de fixité et de ménagement pour ne pas provoquer une irritabilité qui détermine la défense, laquelle dans ce cas se manifeste par des pointes, des bonds en avant, ou la fuite, et quelquefois même par des ruades. Ces diverses défenses se maîtrisent par les secours de la longe. Si dans le moment où l'on cherche, au moyen de la bride et des jambes, a mettre le cheval d'aplomb, le fixer sur le mors, l'assouplir, il essayait de se soustraire à cette sujétion, il faudrait supposer ou qu'on agit avec trop de force, ou qu'habitué k faire des sottises il se sert du moindre prétexte pour les recommencer ; dans ce cas on doit suspendre le travail des aides, et faire exécuter au moyen de la longe ce qu'on ne peut obtenir avec les mains ou les jambes. S'il se défend encore, alors il faut user du caveçon comme correction, et s'en servir jusqu'à ce qu'il ait cessé de bondir, ruer, pointer ou s'emporter. 11 existe des cas encore où le cheval ayant de mauvais jarrets se dérobe : c'est lorsque, étant tenu dans un grand train, on veut exiger un tournant d'une façon trop rapide. Les moyens employés assez ordinairement pour main- tenir un cheval dans la ligne dont il cherche à s'éloigner contribuent par la suite à le mettre dans le cas de faire cette sottise au moindre prétexte. Par exemple, je suppose un cheval devant tourner à droite, et qui, par une raison quelconque de souffrance ou de volonté, se dérobe à gauche ; généralement le cavalier pour le faire tourner a droite ouvrira la rêne droite, et résistera sur cette rêne tant que le cheval n aura pas cédé ; TRAITE D EQUITATION. 125 il arrive alors que, par cette action trop répétée de la rêne droite, le cavalier offense la barre droite de manière a la rompre ou a lui donner une sensibilité telle qu'il ne répondra plus à ce mouvement d'attraction qui tendait à porter la tête à droite, et k entraîner la marche de ce côté ; mais, au contraire, cédant alors à la sensibilité qui lui vient de droite, il se portera à gauche, et s'y jettera d'autant plus que l'on agira davantage sur la rêne droite ; car cette rêne, tout en pliant l'encolure à. droite, fera reculer la tête, de façon que le mouvement de l'épaule droite étant arrêté, le cheval sera forcé de s'échapper a gauche. Il devient donc nécessaire, pour rectifier cette fausse position, de cesser une semblable action sur la rêne droite, et d'agir fortement sur la gauche, afin d'exciter, s'il y a urgence, la sensibi- lité de la barre gauche, en offrant en même temps de ce côté une résistance assez forte pour engager le cheval à la fuir et à se porter à droite * ; ' Afm de donner le change et de faire croire à la nouveauté de principes qu'ils ont pris à toutes nos écoles, des esprits jaloux et malencontreux, chez lesquels l;i, calomnie est une habitude, ont pensé qu'un moyen certain de soutenir leur sorte de propagande était de jeter le ridicule sur tous les hommes imbus de nos bonnes traditions. En ma qualité d'ancien écuyer du roi et du manège de Versailles, je devais nécessairement avoir ma part de toutes ces sottises. Il devenait urgent de me prêter des principes absurdes, qui, répétés comme émanant de moi par des hommes auxquels je n'ai jamais parlé ou qui ne m'ont jamais vu, pouvaient me foire perdre la sorte d'influence due à mon ancienne position. Ainsi, à propos du moyen que je viens d'indiquer pour empêcher un cheval de se dérober, il a été colporté dans tout Paris et dans toute l'armée que j'établissîiis en principe que lorsqu'un cheval avait une barre sensible ou cassée, il foUait lui briser l'autre. Je n'ai pourtant rien dit autre chose que ce que je viens de citer. Cependant il est des circonstances dans la vie où l'homme le plus habile, une fois que ses moyens d'action sur un cheval lui échappent, se voit obligé d'employer des moyens très 126 TRAITÉ d'ÉQUITATION. 5° J'ai cherché à faire connaître les meilleurs moyens de juger et de maîtriser les défenses du cheval. Lorsqu'elles sont causées par l'immobilité, la folie, etc.. elles sont sans remède; mais, je le répète, ces cas sont extrêmement rares; aussi faut-il, avant de se laisser aller trop promptement à cette opinion, se rendre compte si l'irritabilité et la violence qu'emploie le cheval pour se soustraire au frein sont pro- duites par un vice d'organisation du cerveau, ou bien si cette fureur qu'il manifeste dans la défense n'est pas produite par une souffrance des reins et des articulations. peu dans les règles du manège : par exemple, si, pour cmpèclier son cheval de se dérober et de tomber dans une fondrière, un cavalier brisait la barre du cheval pour le détourner du lieu où ils auraient trouvé l'un et l'autre une mort certaine, je dirais que le cavalier a bien agi. Si l'officier à la guerre, emporté par son cheval, n'étant plus maître de l'arrêter, lui cassait la tète, je dirais encore qu'il a bien fait, et que ce moyen était préférable pour lui que de passer dans les rangs ennemis en observant toutes les règles de l'équitation. DU TROT ENLEVÉ DIT TROT A L'ANGLAISE L'ancienne équitation ne considérait pas le grand trot comme une allure à demander au cheval de selle ; elle n'admettait que le pas. le galop et le passage, trot de manège tride, cadencé et raccourci. Aucun principe ne fut donc indiqué pour éviter les réactions d'une allure qui n'était pas en usage. On poussait l'exclusion du grand trot à ce point que, dans les attelages, le cheval du postillon était constamment maintenu au galop, pendant que les autres marchaient au grand trot. Aujourd'hui, en raison des changements apportés dans nos races, en raison aussi de nos usages, de nos nouveaux besoins, on a admis le grand trot comme devant être demandé au cheval de selle. Mais plus le trot est brillant et développé, plus il est dur et fatigant pour le cavalier; il devient donc nécessaire de rechercher les moyens d'at- ténuer les réactions d'une allure que, dans beaucoup de cas, le cheval peut soutenir plus facilement et plus long- 128 TRAITÉ d'ÉQUITATION. temps que le galop, et dans laquelle il atteint le même degré de célérité. Pour éviter de semblables secousses, l'homme qui monte h cheval instinctivement porte le corps en avant et s'enlève sur les étriers, afin de quitter la selle au moinent où la réaction a lieu. Ce moyen, quand il est outré, fait perdre au cavalier sa régularité de position ; il peut même lui faire affecter une attitude ridicule ; mais, un fait certain, c'est qu'il évite ainsi une succession de secousses très fatigantes, et cette manière de trotter, que, dans le langage vulgaire, on appelle trotter à l'anglaise, permet au cavalier le moins expérimenté de marcher plus vite et plus long- temps que celui qui, cherchant à conserver une position plus assise et plus régulière, attend et reçoit un choc qui ébranle sa position et le rend tout aussi disgracieux. Le désavantage reste donc k ce dernier. Mais, puisque le grand trot est une allure admise et en usage, pourquoi ne pas s'appliquer à éviter ses secousses d'une façon rationnelle, et de manière à ne pas perdre, sur le cheval, ni les moyens de conduite, ni les points d'adhérence qui doivent nous lier a lui ? Ces résultats peuvent facilement s'obtenir. En effet, quel est le but à atteindre? c'est d'éviter un choc. Est-il absolu- ment nécessaire de s'éloigner outre mesure de l'objet qui le Droduit? non, certainement. Le choc n'a lieu que par la rencontre de deux corps qui vont en sens inverse ; mais quand leur déplacement est toujours dans le même sens et que l'un cède toujours à l'autre, ils peuvent rester en TRAITE D EQUITATION. 129 contact sans se heurter. C'est ce qu'il faut faire, quand on veut éviter les secousses du trot. L'assiette doit céder à la réaction, lorsqu'elle se marque, au lieu de chercher à la combattre ou de s'enlever démesurément sur les étriers, ce qui, dans l'un et l'autre cas, apporte le désordre dans la position, et fait perdre les points d'adhérence qu'un cavalier doit toujours conserver avec son cheval. Il suffira donc, lorsqu'un cheval aura pris franchement le trot et sera soutenu sur la main, de fixer les cuisses et les genoux et de porter le corps légèrement en avant, afin' de placer l'assiette dans les conditions les meilleures pour céder à la réaction, et sans que pour cela le cavalier perde ses moyens de tenue. C'est particulièrement par une con- traction légère des muscles des cuisses et par l'adhérence des genoux, que l'on doit porter plutôt un peu en arrière qu'en avant, que le déplacement de l'assiette doit s'obtenir, et non pas par l'appui de la jambe sur l'étrier. S'il faut porter les étriers un peu courts, ce doit être pour obtenir la fixité des jambes, qui assure l'adhérence des genoux, et non pas pour faciliter l'enlevé de l'assiette par cet appui : la réaction doit même pouvoir se combattre sans le secours des étriers. Ce qui aide à saisir la manière de parer les réactions, c'est, lorsque le trot est bien marqué, de faire caresser les chevaux avec la main droite sur l'encolure, en conservant toujours la main de la bride fixe pour régler et maintenir l'allure. Le haut du corps, ainsi incliné en avant, enlève forcément l'assiette, oblige les cuisses h s'allonoer. les J30 TRAITÉ d'ÉQUITATION. genoux k se fixer, et chacun par ce moyen pourra, au bout de quelque temps, apprécier l'action à employer. Tant que l'allure reste raccourcie ou incertaine, le cava- lier doit rester assis ; il ne faut jamais incliner le corps en avant pour fuir une réaction quand elle n'est ni assez marquée, ni assez étendue pour enlever l'assiette du cavalier : il faut attendre que le cheval marche avec franchise, que les battues soient égales, ce qui produit des réactions régulières et en mesure, que le cavalier évite en y cédant aussi en mesure ; mais il est nécessaire de com- prendre comment et quand cette mesure doit être prise. On sait que le trot se marque par battues régulières et diagonales, et que chacune d'elles produit une réaction : si le cavalier les attend, il reçoit autant de chocs que le cheval marque de battues; si, au contraire, l'assiette cède à la réaction de la première battue, elle doit se trouver encore dans son mouvement ascensionnel lorsque la deuxième a lieu, et ne doit retomber sur la selle que pour être renvoyée de nouveau par la détente du bipède diago- nal.qui a marqué la première. Ainsi, par exemple, si l'on a cédé à la détente produite par le diagonal droit, l'assiette ne doit retomber qu'après que la battue du diagonal gauche sera produite. De là. la nécessité de marquer ces temps successifs et en mesure; car, si l'on retombe trop tôt, on reçoit la réaction du diagonal gauche ; si l'on retombe trop tard, on rencontre la détente de l'autre, et dans l'un et l'autre cas on reçoit un choc. Non seulement il y a n grand avantage pour le cavalier TRAITE D EQUITATION. 131 à décomposer ainsi la création du grand trot, mais il peut encore, en évitant des déplacements très fatigants, donner k sa main une fixité et une légèreté cju'il perd autrement, légèreté qui facilite la progression du cheval et lui rend le travail moins pénible. En effet, en n'évitant pas la réaction, on diminue inévita- blement la vitesse, car le moment où le cavalier après avoir été violemment renvoyé de la selle retombe dessus, est celui-là même où s'opère la détente des jarrets, et le choc qui en résulte amortit la force de détente de ces articula- tions et diminue proportionnellement la vitesse. Ce qui vient encore contribuer à ce fâcheux résultat, c'est qu'à chaque secousse que reçoit le corps du cavalier, la main vient imprimer sur la bouche du cheval une saccade qui arrête encore l'impulsion en avant. Si, au contraire, le cavalier cède à l'impulsion qu'il reçoit de la détente des jarrets, alors elle s'opère avec toute la puissance dont elle est susceptible, au profit de la chasse, et, par conséquent, de toute la vitesse. Enfin, dans ce cas, la main acquiert, comme nous l'avons déjà dit, une fixité qui seconde, au lieu de les contrarier, les effets du mouvement en avant, en même temps que le corps, un peu incliné en avant, opère vers les parties antérieures ces déplacements du poids qui contribuent à l'accélération du mouvement. Lorsque, par exception, on veut pousser le cheval dans une vitesse telle qu'il prenne le traquenard, le corps doit alors se porter en arrière et l'on ne doit plus chercher à combattre les réactions, parce que, premièrement, la masse ISS TRAITÉ d'ÉQUITATION. étant fortement engagée sur l'aYant-main, il faut éviter de la surcharger du poids du cavalier; secondement, parce que, dans le traquenard, l'allure étant brisée, la réaction n'est plus aussi sensible et qu'elle ne se produit plus en mesure ; enfin, parce qu'en plaçant le corps en arrière, les bras et les mains sont dans des conditions plus favorables pour soutenir le développement extrême de l'allure et maintenir le cheval en cas de chute. Si l'on est bien péné- tré des principes que nous avons établis, on comprendra aisément que l'on ne doit chercher à enseigner aux élèves le trot enlevé que lorsque leur position sera régulière et qu'ils auront trotté longtemps avec ou sans étriers, afin de se faire l'assiette. Nous ne cesserons de le répéter : sans une assiette bien établie, il n'est point de bon cavalier; aussi n'est-ce qu'à la fin d'une instruction équestre bien dirigée que l'on devra essayer d'éviter la réaction du trot. Ce travail ne doit être considéré que comme une étude qui ne peut et ne doit trouver dans la cavalerie son appli- cation que très exceptionnellement. Ainsi, chercher a parer les secousses du trot, dans les exercices militaires, serait une absurdité, parce que jamais, dans les manœuvres, on ne marche à une allure assez allongée, ni assez directe. La mesure du trot enlevé ne peut être prise avec succès que lorsqu'on suit rapidement une ligne droite et que l'on peut être assuré de marcher le môme train pendant un temps donné. Néanmoins, peut-être trouvera-t-on plus tard un avantage, pour les hommes et les chevaux, a ce que les TRAITÉ D'ÉQUITATION. 133 ordonnances, dans leurs courses rapides et souvent lon- gues, fassent l'application du trot à l'anglaise. Ces innovations arriveront par la force des choses, si l'on persiste a estimer les chevaux qui ont le trot déve- loppé, et si on les produit en raison des goûts et des hesoins du moment. DES COURSES Les courses sont des exercices auxquels les peuples cavaliers se sont livrés à toutes les époques ; elles eurent longtemps pour but de mettre en évidence l'adresse et l'intrépidité du cavalier. De nos jours, ces institutions ont pris un caractère plus sérieux, plus utile, puisqu'elles sont considérées, avec raison, comme un moyen puissant d'améliorer nos races, et qu'elles ont pour but de mettre à l'épreuve les chevaux destinés à la reproduction. Quelle garantie, en effet, ne doivent pas offrir, comme étalons ou poulinières, les animaux qui, après les exercices violents et réitérés auxquels ils ont été soumis, sortent de la lutte victorieux et exempts de tares ! N'est-ce pas dans ces exercices que l'on met le plus en jeu les qualités inhérentes a la force et les facultés qui con- courent au développement de la vitesse ? Une grande profondeur de poitrine n'est-elle pas indis- pensable pour faciliter le jeu des organes respiratoires ? 136 TRAITÉ d'ÉQUITATION . N'est-il pas nécessaire aussi que les muscles aient de l'ampleur, les tendons de la force? que les bras de levier soient longs, et que les points d'appui de ces mêmes leviers soient fermes et résistants? En un mot, c'est de la richesse et de la force des organes, autant que de la puissance musculaire et de l'heureuse disposition des leviers, que résultent la vitesse et la durée chez le cheval destiné aux violentes épreuves de l'hippodrome. Aussi est-il de l'intérêt de l'Etat d'accorder des prix nombreux et d'une valeur élevée ; car, tout en encoura- geant l'éducation du cheval de pur sang, il peut ainsi faire passer sa production au creuset, et ne choisir que les sujets d'élite qui se sont en tout montrés dignes d'être considérés comme des types régénérateurs. Nulle épreuve n'est com- parable à celle des courses pour se rendre compte des qualités du cheval. Ceux qui sont brisés ou tarés dans les exercices, et qui, peut-être, s'ils eussent été ménagés, auraient pu faire de jolis chevaux de service, n'auraient toujours fait que des reproducteurs médiocres. Aussi est-il d'un intérêt très secondaire de se préoccuper de l'époque où l'on met en exercice les chevaux que l'on destine aux courses. Si un propriétaire veut manger son bien en herbe, il en est le maître; mais, en général, les exercices trop prématurés s'adressent moins, de leur part, aux animaux d'espérance qu'à ceux qui en présentent peu. Dans une éducation aussi dispendieuse, il est prudent de ne pas faire de frais pour celui qui ne pourra les couvrir. Il vaut donc mieux, par un essai qui ne peut pas nuire à TRAITÉ d'ÉQUITATION. 137 un poulain, s'il est bon, savoir, d'après les résultats, si l'on doit le garder ou s'en défaire. Du reste, la longueur de la course étant toujours mesurée sur l'âge du cheval, il n'y a guère, dans les épreuves, que les mauvais qui échouent; les bons, au contraire, acquièrent de la force, de l'énergie, de la santé, par le fait même de l'exercice régulier auquel on les soumet pour les préparer à la course : aussi a-t-on observé que les chevaux célèbres dans les courses avaient plus de longévité que les autres. Quoique les qualités dont nous avons parlé tout à l'heure soient indispensables pour présenter un cheval à de semblables luttes et l'en faire sortir avec succès, il faut encore que l'art vienne en aide à la nature. En conséquence, aussi bien sous le rapport des exercices que sous celui de l'hygiène, le cheval doit être soumis à un régime spécial. 11 est essentiel, en effet, de le débarrasser d'un excès d'embonpoint qui l'alourdit, gêne la respiration et entrave le jeu des muscles. 11 est nécessaire de donner de la force à ses muscles par un exercice fréquent, et, enfin, par le dressage, de dis- poser la masse dans les conditions les plus favorables à la vitesse. Ce régime, ces exercices s'appellent entraînement. Nous indiquons ici l'entraînement à donner à un clieval que l'on veut momentanément faire courir, et qui plus tard rendra d'autres services» L'entraînement se commence en 138 TRAITE D EQUITATION. exerçant tous les jours le cheval au pas et en le mettant en liberté dans une écurie isolée ; on le sort avec des couver- tures pour provoquer la transpiration et diminuer son état lymphatique sans le fatiguer. On change graduellement aussi son système alimen- taire. Si la ration a été de 4 kilos 1/2 d'avoine par jour, de 3 kilos de foin et de G de paille, on augmente la ration d'avoine et l'on diminue le fourrage. On arrive ainsi, au bout de huit à quinze jours, à ne plus donner de paille, mais a donner G à 7 kilos d'avoine et i kilo 1/2 de foin. On diminue aussi la ration d'eau, de façon k ne plus laisser boire qu'un litre le matin et un le soir. Cette nourriture substantielle, réparatrice et apparaissant sous un petit volume, allégera le cheval et augmentera son énergie et son impressionnabilité. Si l'embonpoint persiste, on le purgera; après quoi, lorsqu'on le sortira, on le couvrira davantage et on lui donnera, de deux jours l'un, un galop d'environ deux kilomètres, afm de provoquer une transpiration abondante. Ce galop doit être modéré à un train de iG kilomètres à l'heure. Ces exercices terminés, on fait gratter la sueur et panser le cheval. Les pansages doivent avoir lieu deux fois par jour. Lorsque le cheval sera arrivé dans une condition satis- faisante, c' est-a-dire qu'il sera en chair, que ses muscles seront bien accusés, que la graisse aura disparu, les galops TRAITÉ d'ÉQUITATION. iHO ne devront être donnés que de temps à autre ; mais on reprendra les longs exercices au pas plutôt deux fois qu'une par jour. Ces galops seront donnés en compagnie, concurremment avec un autre cheval, afin, par là, de l'habituer à la lutte, de lui apprendre a rester en arrière, à marcher sur la même ligne et k devancer. Ces exercices se continuent ainsi jusqu'au moment de l'épreuve, en observant toutefois que, plus on en approche, plus il faut que le cheval reçoive des galops que l'on allonge progressivenaent. On doit avoir grand soin des tendons et des boulets des chevaux que Ion soumet a l'entraînement ; il faut les frictionner souvent et les entourer de flanelle. Dans ces exercices, le cavalier doit s'attacher à pousser plus que jamais le cheval sur la main : plus le cheval prend confiance dans cet appui, mieux il se place pour assurer sa vitesse, la masse étant ainsi engagée dans les conditions les plus efficaces du mouvement en avant. On aide k ce résultat en embouchant le cheval avec un mors doux, un gros filet, par exemple. Lorsque, par le fait de l'entraînement, le cheval, tout en ayant pris sur la main un appui qui aide à la rapidité de l'allure, sera soumis k la volonté du cavalier, de telle sorte que celui-ci soit toujours maître de son train, il pourra entrer en lutte. Alors, le calme et le discernement sont nécessaires, car l'on mènera la course en raison des qualités, des moyens 14 140 TRAITÉ d'ÉQUITATION. que l'on suppose à son cheval : F entraînement a dû éclairer à cet égard. Si l'on compte sur sa vitesse, on l'embarque dans une allure allongée que l'on a soin de toujours régulariser, de façon à le conserver dans le train qui lui est propre ; on a ainsi la chance d'essouffler les chevaux momentanément moins vites, quoique ayant plus de fond; c'est ce qui arrive si les adversaires se laissent émouvoir par ce départ précipité et cherchent à se maintenir, dès le début, à la hauteur d'un cheval plus vite que les leurs. Si, au contraire, on croit pouvoir compter sur le fond de son cheval, le départ doit être calme, et, pendant presque toute la course, il faut le maintenir dans un train soutenu, régulier, mais jamais forcé; on conserve par là son haleine, et, lorsque arrive le moment décisif, on force le train, qui deviendra d'autant plus rapide que le cheval aura été plus ménagé. Un cheval ainsi conduit dépassera facilement tous ceux qui sont partis trop vite et qui, à bout d'haleine aux trois quarts de la course, ne pourront tenir contre celui qui aura, au contraire, conservé ses forces pour la fin. L'homme qui court doit être assis, avoir les cuisses adhérentes et les jambes tombantes ; c'est la position la plus rationnelle pour conserver de la solidité, et aussi la meilleure pour permettre aux mains leur action comme aide de soutien et de ralentissement. La rapidité de l'allure oblige seulement le haut du corps a se porter en avant et la tête à se baisser; mais cette attitude, nécessaire pour mieux résister à l'action de l'air, n'empêche pas la base de TRAITÉ D'ÉQUITATION. 141 conserver la position normale de l'assiette, des cuisses, des genoux et des jambes. Il est certams cas oii 1 inclinaison du corps en avant peut être nécessaire pour charger l' avant-main du cheval et aider à la rapidité de l'allure. Pour obtenir ce résultat, il faut que l'assiette quitte légèrement la selle, ce qui soulage les reins et permet à l'arrière-main d'agir avec plus de puis- sance ; mais, dans ce cas exceptionnel, l'assiette, tout en s'enlevant, doit rester dans des conditions telles, qu'aus- sitôt que l'on veut la rétablir sur la selle, elle y reprenne sa position normale, ce qui a lieu quand les cuisses, les genoux et les gras de jambes conservent leur adhérence. Les principes que nous donnons ici s'appliquent k l'équitation de course telle que nous l'entendons pour des officiers qui ne se proposent point de monter exclusive- ment sur l'hippodrome. Nous savons que les jockeys de profession enlèvent l'assiette et évitent de s'asseoir en course plate et même en course de haie, prétendant décharger ainsi l'arrière-main du cheval et favoriser la vitesse. Sans vouloir discuter ce principe, contesté même par quelques jockeys célèbres, nous n'admettons pas d'une manière absolue un tel système, et nous préférons conser- ver à nos élèves l'habitude d'une bonne assiette, fixe, identifiée au cheval à toutes les allures et dans tous ses mouvements. Quant à la position des mains admise par les jockeys, nous la trouvons rationnelle. Les poignets doivent être bas, le plus souvent appuyés sur la base de l'encolure, afin 14ïJ TRAITÉ D'ÉQUITATION. d'être plus fixes et de donner un point d'appui plus stable et plus constant. Il faut avoir beaucoup d'acquis et de solidité pour employer, comme aide, ces déplacements do corps en avant et ces enlevés d'assiette. Les gens qui singent, sans avoir le sentiment de ce qu'ils font, ne produisent que des effets faux et se rendent ridicules * . L'entraînement, qui sert k donner au cheval de la force et de la santé, qui sert, en outre, à V assagir et le rendre froid et calme, lui retire souvent une élégance, une gentil- lesse qui ne sont ducs généralement qu'à son embonpoint et à la manière différente de le monter. Aussi, les gens qui ne trouvent un cheval bon et beau que lorsqu'il est gras et qu'il caracole, prétendent qu'un animal ainsi levrette, décharné, n'est bon k rien qu'k fournir une course k courte distance, et que, s'il a gagné, ' Ces déplacements d'assiette ne doivent, en tout état de cause, jamais avoir lieu que d'arrière en avant et d'avant en arrière, le corps du cavalier restant dans l'axe du cheval. Ces déplacements peuvent aider, comme nous l'avons dit, la rapidité de l'allure ou favoriser son ralentissement ; mais ce serait une grave erreur que d'offrir comme troisième aide les déplacements à droite ou à gauche de l'assiette, pour agir sur l'arrière-main du cheval ou pour provoquer l'exécution des mouvements de côté, tels que les tournants, les mouvements obliques, les changements de pieds, etc. Il n'est pas douteux qu'en mobilisant son assiette, ces déplacements de poids n'agissent sur le cheval ; mais on perd sa solidité, on retire aux aides des mains et des jambes leur accord, leur précision, leur justesse, et l'on n'obtient du cheval que des déplacements heurtés, saccadés, renversés. Le corps du cavalier affecte alors les positions les plus disgracieuses et les moins académiques ; il faut, selon moi, laisser cette équitation aux casse-cou. TRAITÉ D'ÉQUITATION. 143 cela tient à sa construction particulière. De tels critiques ne se rendent pas compte de la métamorphose qu'a subie le cheval par le fait d'un entraînement sans lequel il ne pourrait supporter les épreuves violentes auxquelles il est soumis. Cette métamorphose est telle, qu'un cheval d'une con- struction vicieuse, soumis à l'entraînement, deviendrait d'un aspect à ne pouvoir supporter l'examen ; car, dans ce cas. le voile tombé, les choses se présenteraient sous leur véritable jour. La charpente osseuse et l'appareil muscu- laire ressortiraient dans toute leur vérité. La graisse peut embellir un cheval bien construit, mais elle n'empêche pas que ce qui existe soit ; tandis qu'avec un cheval d'une construction vicieuse l'embonpoint cache des défauts h. l'œil de l'homme inexpérimenté. Ces mêmes personnes se récrient sur ce que les courses ne sont pas assez longues, que les courses de fond vaudraient mieux, et ne proposent rien moins que des distances de f[0 à 60 kilomètres à parcourir. De semblables courses fussent-elles établies, que les résultats seraient toujours les mêmes ; les chevaux entraî- nés gagneraient ceux qui ne le sont pas ; ceux qui gagnent les courses de vitesse gagneraient les courses de fond, car il n'y a pas de vitesse un peu soutenue sans fond, et les épreuves de /| kilomètres en partie liée sont plus que suffisantes pour prouver ce que j'avance. Des courses plus longues occasionneraient la ruine des bons cl des mauvais chevaux sans amener d'aulres résullals. 144 TRAITÉ d'ÉQUITATION. Une chose indispensable à un cheval destiné à la course ou aux exercices violents, c'est le sang. Pas de sang : pas d'énergie, pas de vitesse, pas de fond. Le cheval qui n'a pas de sang, quelle que soit du reste sa construction, ne peut lutter contre un cheval de pur sang. Plus le cheval se rapproche du pur sang, plus il ap- proche de la perfection, plus alors il peut avoir de vitesse, car, comme nous l'avons vu, la vitesse entraîne après elle presque toutes les autres qualités. A égalité de sang, ce qui peut faire prévaloir un cheval sur un autre, c'est la disposition des organes respiratoires, c'est la conformation des reins, des jarrets, c'est la lon- eueur et la direction des leviers, la force musculaire, la netteté des articulations, la force des appuis. A mérite égal quant au sang et à la construction, ce qui peut faire prévaloir un cheval sur un autre, c'est l'éducation pre- mière, c'est un meilleur entraînement, ou bien, enfin, la manière dont il est monté. A égalité d'éducation, d'entraînement et de conduite, ce qui donne l'avantage à l'un sur l'autre, c'est la différence du poids : moins de poids, plus de vitesse. On voit donc qu'en raison directe du degré de sang, de la puissance de ses leviers, de son entraînement, de la manière dont il est monté et du poids qu'il a a porter, un cheval peut gagner ou perdre une course. La manière d'être (et qui doit être) du cheval entraîné, a fait accréditer des erreurs qu'il faut détruire. TRAITÉ d'ÉQUITATION. 145 On prétend, et beaucoup de gens en sont convaincus, que le cheval de course a une construction exceptionnelle, que son train de derrière est très élevé et son avant-main très basse ; on ne voit pas que c'est le résultat de l'entraî- nement qui lui donne cette apparence particulière, qu'il faut bien chercher à lui conserver ; car, essayer de changer cette disposition, serait prendre sur la rapidité de l'allure. Mais qu'un cheval sorte de l'entraînement, qu'on le mette dans les mêmes conditions que celui qui n'aura pas couru, et qu'au lieu de lui laisser tendre l'encolure on la lui relève et ramène, et que l'on engage son arrière-main sous la masse, on verra alors ce cheval, qui avait paru si disgracieux, prendre les formes les plus élégantes et avoir les allures les plus légères, les plus trides, les plus raccourcies ; en effet, tout ce qui a produit les éléments de force pour déterminer la vitesse se trouve aussi ce qui donne tous les airs relevés, puisque les angles articulaires qui, en s'ouvrant, étaient dans les conditions les meil- leures pour assurer la rapidité, sont également dans les conditions les meilleures pour produire le ralentissement, l'élévation et le brillant des mouvements. A la course, le cheval paraîtra avoir la croupe haute et lavant-main basse ; au manège, au contraire, il paraîtra avoir l'avant-main élevée et la croupe basse ; tandis que le cheval qui a paru beau parce qu'il a de l'embonpoint, que l'on a trouvé avoir l'encolure plus élevée et la croupe plus basse, parce qu'il n'a jamais été exercé, qui a des allures raccourcies, les seules qu'il puisse donner, si les bras de levier sont courts. 140 TRAITÉ d'ÉQUITATION. restera dans son honnête médiocrité et sera écrasé par la comparaison. Le cheval qui n'a que les angles restreints reste toujours sur le même plan ; s'il n'a pas le moyen de pousser hien loin la rapidité de l'allure, il n'a pas davan- tage la faculté de la raccourcir dans ses dernières limites. J'appuierai ce que je viens de dire de quelques obser- vations pratiques : Depuis 1818 jusqu'en 18/40. j'ai monté, à première vue, et sans préparation aucune, plus de quarante étalons pur sang, la plupart vainqueurs aux courses, qui n'étaient jamais entrés dans un manège, qui n'avaient jamais eu le mors dans la bouche, et qui n'avaient jamais travaillé que sur le turf. Ces chevaux devinrent presque instantanément aussi souples et ralentis que des chevaux espagnols. Parmi ces chevaux je citerai Snail, Eastham, Napoléon, Pickpocket et particulièrement Tigris, le cheval le plus remarquable, comme élégance et comme qualité, que j aie monté de ma vie. Il arrivait d'Angleterre couvert de lauriers des courses. On le conduisit dans le manège du haras du Pin ; je le montai. Après sept ou huit bonds de gaieté, que je ne cherchai pas à combattre, il se calma, devint attentif et finit par sembler deviner mes moindres désirs. Au bout d'une demi, heure, il marchait à un galop tellement ralenti, qu'il aurait forcé de passer au pas le cheval le mieux dressé qui aurait tenté de le suivre. Eylau, né au haras du Pin. fils de Napoléon, qui gagna TRAITE D EQUITATION. 147 les courses de Paris, le 17 ou 18 septembre 1889, renvoyé au haras du Pin, après les courses, y arrivait le 28 de ce même mois. Le i" octobre, je le montais dans le manège du haras : le 5, il travaillait avec le ralenti, la précision, la justesse d'un cheval dressé à ces exercices depuis vingt ans. Eylau est encore dans les haras, et passe pour un des meilleurs chevaux au travail de manège. Je pourrais encore citer : Maître-de-Danse, Pikok, Orhutus, Liberté, Jean-Bart, Miss Annetie, et plusieurs autres à lord Seymour. et ce serait pour signaler les mêmes résultats. Je cite ces exemples, seulement pour prouver que les mêmes moyens qui avaient fait de ces chevaux des vain- queurs de courses en firent aussi d'excellents chevaux de manège. Si, maintenant, par opposition aux coureurs célèbres que je viens de citer, je parlais de tous ces chevaux h allures étriquées et que l'on cite comme devant être excel- lents pour le manège, parce qu'ils sont sans allure, je dirais que ce sont ceux-là qui demandent le plus de peine pour les astreindre à ce travail. Quelles que soient l'espèce, la légèreté d'un cheval, s'il manque de proportions régulières, il faudra quelquefois un an pour exécuter au manège un travail que l'on obtiendrait au bout de quinze jours avec un cheval de course*. ' L'élévation et l'étcnJue des mouvements sont siihordonnées ?i la direction et 148 TRAITÉ d'ÉQUITATION. Malheureusement, beaucoup de gens jugent un cheval propre au manège comme d'autres jugent bon pour la course celui qui manque d'accord dans sa conformation, et dont tout le poids se porte sur l'avant-main : un cheval semblable, qui, nécessairement, aura la bouche dure, pourra quelquefois emporter un cavalier ignorant ; il sera considéré alors par celui-ci comme propre à la course, puisqu'il est toujours disposé a aller plus vite qu'on ne le désire. Toutes ces fausses idées doivent disparaître avec l'étude raisonnée de l'anatomie et de la mécanique animale, appli- quées à l'extérieur du cheval. Si nous avons fait voir l'utilité des courses, comme moyen puissant d'aider à la création et à l'essai du cheval destiné k la reproduction, ces institutions ont aussi l'avan- tage de propager le goût et la connaissance du cheval. h la longueur des rayons articulaires. C'est pourquoi un cheval commun, forte- ment constitué, lourd en apparence, pourra avoir des mouvements beaucoup plus allongés et enlevés qu'un autre qui aura plus de sang, mais qui péchera par la longueur et la direction de ses leviers. Ce dernier aura toujours plus d'énergie, mais il n'aura pas les moyens de la dépenser convenablement, et, dans ce cas, la lame usera le fourreau ; néanmoins, tout imparfait qu'il sera, ce cheval pourra rendre des services : c'est au sang seul qu'il devra cet avantage. Pour qu'un cheval commun rende de bons services (services qui seront toujours relatifs, car il n'aura jamais ni la même énergie, ni la même impressionnabilité que le cheval de pure race), il faut que sa construction supplée à ce manque de sang. Il est donc nécessaire que ses organes respiratoires et digestifs fonctionnent librement, afln de réparer constamment les pertes et entretenir une énergie factice qui remplace, jusqu'à un certain point, l'énergie constante que donne le sang. En conséquence, le cheval de troupe, qui demande à être peu impressionnable, et qui, par cette raison, ne réclame pas beaucoup de sang, a besoin que sa construc- tion renferme toutes les autres garanties de service dont nous venons de parler. TRAITÉ d'ÉQUITATION. 149 Combien, en effet, de préjugés, de fausses idées peuvent disparaître en présence des faits ! Cette étude est donc essentielle à un officier de cavalerie : par elle, il acquiert l'apogée de la décision et de l'énergie à cheval; il apprend qu'en revanche, s'il est nécessaire d'être énergique, il faut être prudent. Pour lutter avec avantage, il saura que des soins hygiéniques sont nécessaires, que des exercices préparatoires sont obligés ; il sera donc forcé d'entrer dans tous ces détails indispensables pour donner a son cheval tout le fond, toute l'énergie et toute la vitesse dont il peut être susceptible. Cette étude n'est donc pas perdue pour l'avenir, car c'est un peu la condition du cheval de guerre. Enfin, le jour de la lutte, il aura besoin de mettre en évidence, aussi bien sa vigueur et son intrépidité, que son calme et sa prudence. Nul exercice ne peut donner autant de tact et ne peut mieux compléter l'éducation d'un cava- lier militaire. Du moment où les luttes ont particulièrement pour but de mettre en évidence l'énergie, l'adresse et le tact des cavaliers, il faut les semer d'obstacles. S'il est nécessaire d'avoir un bon cheval pour les franchir, il est encore plus essentiel d'être un cavalier in- trépide et adroit pour les aborder. Les courses de haies et les steeple-chases sont donc les exercices que, dans ce cas, il faut préconiser à l'Ecole de cavalerie. DU JEUNE CHEVAL CHAPITRE PREMIER Les bons et longs services d'un cheval dépendent toujours de la manière dont il a été commencé. Il ne s'agit pas, sur un poulain, de se hâter d'exiger un travail servant k faire valoir l'adresse et ressortir la promptitude avec laquelle le cavalier peut le soumettre k ses exigences ; il faut, au contraire, user de patience pour donner au cheval le temps de se développer, avoir enfin le discernement de juger ce qu'il est en état de donner. Des exigences trop promptes peuvent faire sortir des tares, rompre les allures, faire naître la défense, engendrer des maladies inflamma- toires, et venir ainsi, d'une manière désastreuse, influer pour toujours sur l'économie du cheval. 11 est possible que des chevaux du même âge difl'èrcnt dans leur force et dans leur énergie. Gela tient : i" k leur race ; y" k la manière dont ils ont été nourris dans le jeune âge; 3° k l'exercice auquel ils ont été soumis chez l'éleveur. 152 TRAITÉ d'ÉQUITATION^ ' Cette éducation première influe nécessairement beaucoup sur le plus ou moins de promptitude avec laquelle on peut dresser un cheval. 11 faut donc savoir, quand on entre- prend son dressage, s'il a été soumis à l'entraînement, s'il a été livré aux travaux de la terre, ou si, resté dans l'herbage, il n'a reçu aucune préparation, aucune nourri- ture d'écurie ; et l'on agit alors en conséquence. Un cheval ayant été soumis à l'entraînement peut avoir plus de force qu'un autre; mais, cependant, il doit être commencé avec ménagement, non seulement pour rendre à ses allures une régularité qu'il a pu perdre dans les exercices et les épreuves, mais encore afin qu'il puisse rentrer en condition. Celui qui a travaillé a la terre a de même besoin d'être ménagé, non seulement pour lui faire reprendre des aplombs et des mouvements qu'un travail trop forcé aurait pu altérer, mais encore pour éviter les influences fâcheuses qu'entraîne après elle la nourriture surabondante et malsaine donnée à ces chevaux quand on les prépare pour le commerce. Enfin, le cheval n'étant pas sorti de l'herbage demande des ménagements, parce que. ignorant tout, n'ayant aucune force, trop d'exigences pourraient l'effrayer, le faire défendre et le rendre malade. Dans ces trois hypothèses, nous voyons la nécessité d'agir toujours avec prudence. Une autre raison très grave vient se joindre k celles-ci pour engager à mettre beaucoup de circonspection dans les premières exigences. Quel que soit le cheval auquel on s'adresse, il faut savoir que d'habitude il est livré au commerce a quatre ans; qu'à cet âge les TRAITÉ d'ÉQUITATION. " 153 gourmes arrivent, la dentition est dans son travail le plus fort, et que leur influence fait perdre au cheval toute l'énergie dont précédemment il aurait pu être doué. Les gourmes sont d'autant plus fortes et plus dange- reuses qu'un cheval est tourmenté ; les transpirations trop abondantes, provoquées alors, peuvent amener la morve ou des fluxions de poitrine, qui reculent a tout jamais, ou pour longtemps, une éducation que l'on aurait voulu trop avancer. L'école de Versailles, parfaitement convaincue de ce que je viens de dire, savait attendre ; lorsque, pour doter le pays d'un encouragement salutaire, elle achetait à trois ans les chevaux bruts chez l'éleveur, elle ne les mettait en service qu'à cinq ans. Le jour où il a été nécessaire d'attaquer ou de tourner en ridicule les principes de cette école pour se faire valoir, il a bien fallu paraître ne pas comprendre tout ce qu'avait de logique et de sage cette manière d'agir. Quand on croit trouver des procédés capables de donner en trois semaines à tous les chevaux, quels que soient leur âge et leur con- struction, la même force, la même énergie, les mêmes qualités, comment ne pas condamner et répudier une équitation qui pouvait croire aux diflerences, et trouver quelquefois utile de ne rien forcer dans l'éducation du cheval ? Quoi qu'on puisse dire, je ne pense pas qu'il existe de règles, de principes, de recettes en état de faire marcher les choses plus vite qu'elles ne peuvent aller. 154 TRAITÉ d'ÉQUITATION. Le résultat du système de Versailles était d'avoir pour les écuries royales des chevaux dont la durée était incalcu- lable. Le renouvellement du service de la selle se faisait par quatorzième. Nous avions encore en i83o des chevaux achetés sous l'Empire ; et les écuries du roi actuel avaient, il y a deux ans, des chevaux provenant de nos écuries. CHAPITRE II Nous venons de voir, dans le chapitre précédent, que rien ne doit être pressé dans l'éducation du jeune cheval. Les bons soins hygiéniques, la douceur dans les approches à l'écurie sont les meilleures préparations. Ainsi, lorsqu'à l'écurie il supporte facilement qu'on lui mette le licol et le bridon, qu'il recevra celui-ci dans la bouche, sans témoi- gner de crainte, on le promènera à la main ; on mettra pour le sortir un caveçon par-dessus le bridon, afin que s'il avait envie de sauter, on puisse l'arrêter du caveçon ; on évitera ainsi que le bridon n'offense les barres et les lèvres. Pendant la promenade on marquera des arrêts fréquents du bridon. pour familiariser la bouche à une sujétion. Une fois calme à la promenade à la main, on le mettra à la longe pour le faire trotter en cercle. Dans cette circonstance on se servira de l'homme de bois pour TRAITÉ d'ÉQUITATION. 155 enrêner le cheval et habituer sa bouche à une sujétion légère et égale ; à défaut d'homme de bois, on peut aussi l'enrêner en fixant les renés dans deux anneaux que 1 on peut placer sur un surfaix. Dans le principe on enrêne le cheval très légèrement ; k mesure qu'il se fait à cette sujétion, on gradue l'enrênement ; on tend ensuite une rené plus que l'autre, pour assouplir l'encolure, en ayant soin de plier plus souvent le côté qui paraît le plus raide. Cet assouplissement s'exige en raison de la flexibilité de l'encolure : quand on croit cette partie assez souple, on se contente d'assujettir les rênes également. Le cheval doit être arrêté souvent, ahn d'apprendre à rester en place et k repartir en venant prendre son appui sur le bridon. On pourra, en maintenant aussi le cheval et le tenant alterna- tivement plié k droite ou k gauche, le faire changer de main, et le faire marcher ensuite au trot, au galop, le remettre au pas, lui présenter la tête au mur pour lui faire échapper les hanches. Un travail semblable a l'avantage de parfaitement préparer le cheval, de le familiariser k l'homme, et de n'être aucunement fatigant pour lui. Quand une fois, ainsi maintenu par le caveçon et l'enrênement, il sera devenu docile et confiant, que l'on croira qu'il est assez en force, on essayera de le monter. Quand il sera maintenu par le caveçon, l'homme qui tiendra la longe le caressera, pour le mettre en confiance ; le cavalier l'abordera avec précaution et le montera, le descendra plusieurs lois et restera dessus quand il no 456 TRAITÉ d'équitation. témoignera aucune crainte. Si par hasard il olïrait des difficultés au niontoir, qu'il cherchât k se jeter de côté^ à se doubler sur l'homme, celui qui tiendra la longe donnera des saccades du caveçon, assez fortes pour étonner le cheval et le faire reculer ; quand il aura reçu cette correc- tion, le cavalier l'approchera de nouveau pour monter dessus; la correction du caveçon se répète jusqu'à ce que le cheval reste tranquille. Aussitôt qu il se laissera appro- cher sans témoigner le désir de recommencer une sottise, l'homme qui tiendra la longe le caressera en ayant toujours soin de se tenir prêt à agir avec le caveçon, si le cas échéait*. Une lois le cavalier à cheval, il prendra les deux rênes du bridon, assurera légèrement la main, en laissant tomber les jambes près des sangles ; l'homme tenant la longe portera le cheval en avant, en le tenant assez près pour que le caveçon puisse agir s'il tentait de bondir ou de se dérober. Pendant la marche, le cavalier essayera d'agir sur les bridons, auxquels, du reste, le cheval sera déjà habitué par le travail de l'enrênement. Les premières leçons de ce genre doivent être très courtes : il est préfé- rable de les recommencer souvent, que de trop les pro- longer ; il faut toujours éviter de fatiguer le cheval dans le principe. Quand, au bout de quelque temps, il marchera sagement, on lui donnera de la longe : le cavalier, en le maintenant ' Ce moyen, employé dans toutes les écoles depuis Grison, a été présenté comme une découverte dans un ouvrage publié en 1833* TRAITE DEQUITATION. 187 toujours au pas, essayera de le diriger lui-même sur les cercles, et de le faire changer de main ; il l'arrêtera, essayera de le reculer. Toutes les résistances pour arrêter ou reculer doivent être suivies d'un abandon de la main. Après avoir essayé de reculer, quand on restera en place, on sciera les bridons légèrement, et l'on finira par badiner une seule rêne pour essayer de Taire tourner la tête du cheval et de lui faire plier l'encolure : on répétera ainsi a peu près ce qu'on avait fait avec l'enrênement. Une fois le cheval en confiance au pas, le cavalier essayera de marcher au trot et au galop. L'homme tenant la longe doit être prêt à agir sur le caveçon, pour arrêter le cheval, s'il tentait, en prenant une allure plus vive, de bondir ou de se dérober. Ce travail de la longe se suivra jusqu à ce qu'ayant acquis assez de confiance et de connaissance des aides de la main, le cheval puisse être mis en liberté. Cependant, avant de le laisser libre, on essayera de lui faire échapper les hanches, en lui mettant la tête au mur. Pour cela, le cavalier le dirigera vers une muraille, et s'arrêtera en face. Quand il s'agira de le mettre en mouvement, et de le faire appuyer, je suppose, de gauche à droite, le cavalier portera un peu les épaules à droite pour indiquer la direction dans laquelle le cheval doit marcher ; en même temps il fermera la jambe gauche, en donnant de petits coups de talon pour pousser les hanches de gauche à droite, et les faire marcher obliquement. Pour aider ce mouvement tout nouveau pour le cheval, l'homme qui tiendra la longe la maintiendra assez pour que la tête du cheval ne se porte 158 TRAITÉ d'ÉQUITATION. pas trop à droite, au moment où le cavalier porte les épaules de ce côté; en même temps, il peut aider aussi k pousser les hanches de gauche a droite, en présentant une cravache ou un fouet près de la jambe gauche. Il s'en servira légèrement, en frappant par petits coups l'arrière- main, si les hanches ne s'échappaient pas assez prompte- ment à droite. Quand le cheval sera libre, on lui fera suivre le même travail et le même terrain qu'il avait l'habitude de suivre étant tenu à la longe. Marchant sur un terrain et suivant un travail connu, il obéira ordinairement sans résistance : le cavalier aura alors plus de facilité à l'amener a la con- naissance parfaite des aides. Une fois qu'il sera familiarisé a ces dernières, on pourra l'exercer dehors, afin de l'habi- tuer a la vue des objets. Il est très bon dans ces prome- nades de se faire accompagner d'un vieux cheval : celui-ci lui sert de guide, et l'engage à passer souvent devant les objets qui auraient pu l'effrayer s'il eût été seul. Etant ainsi guidé, il prend naturellement l'envie de se porter en avant, et recherche de lui-même cet appui sur la main, absolument nécessaire k donner aux chevaux pour arriver k les mener avec justesse et précision. On doit éviter, dans le principe, de mettre un jeune cheval dans le cas de faire une sottise : trop d'exigences peuvent faire naître des défenses, qui ne se maîtrisent ensuite qu'aux dépens de ses moyens. Mais, quand une fois le cheval est arrivé k être franc devant lui. qu'il se porte en avant par la pression des TRAITE DEQUITATION. 159 jambes, qu'il s'appuie avec confiance sur la main, et qu'il se laisse facilement diriger et arrêter par elle, on commencera, pour régulariser ses mouvements, à l'astreindre au travail d'une reprise simple, sur le cercle et sur le large, et l'on finira ce travail en faisant échapper quelques pas à chaque main, la tête au mur. Quand il sera ainsi préparé, il s'agira de lui faire con- naître les éperons, et de le rendre franc a leur attaque ; on remettra alors le cheval à la longe ; le cavalier reprendra au pas le travail sur les cercles. Il poussera le cheval devant lui par des appels de langue et de petits coups de jambe. Une fois le mouvement en avant déterminé, il fermera franchement les jambes en approchant les éperons. La première attaque ne doit pas être très vigoureuse, car ordinairement, la première fois qu'un cheval sent l'éperon, loin de se porter en avant, il se retient, baisse la tête et plie l'encolure pour essayer de mordre la jambe du cava- lier, ou bien il se pousse dessus, recule et bondit sur place. Dans ces différents cas. l'hoiTime qui tient la longe doit la maintenir et l'agiter pour que les saccades du cave- çon relèvent la tête du cheval ; il est nécessaire ensuite de le suivre avec un fouet, dont on se sert en le l'rappant sur l'arrière-main, pour le faire aller en avant. Les attaques de l'éperon doivent se graduer et se renouveler, jusqu'à ce que le cheval se porte franchement en avant. Gomme je viens de le dire, un jeune cheval sera toujours plus enclin à se retenir à l'attaque de l'éperon qu'a la fuir: il est bien rare qu'il s'emporte. Sa défense 160 TRAITÉ d'ÉQUITATION. consiste en sauts de mouton, en écarts, en pointes, en ruades : et si, par hasard, dans ces mouyements violents, il se porte en avant, ce ne sera jamais pour s'échapper bien loin: l'emploi des éperons sur un jeune cheval, qui ne le connaîtrait pas et qui voudrait fuir, peut servir souA^ent a l'arrêter et à le faire bondir sur place. Aussi faut-il s'attacher, dans le principe, à ne faire connaître cette aide que comme un moyen de provoquer le mouvement en avant ; un jeune cheval ne peut être consi- déré comme bien préparé, lorsqu'il n'est pas fidèle et franc à l'attaque de l'éperon. L'action de cette aide peut, en se modifiant en raison des besoins, devenir d'une grande utilité dans le complément de son éducation future. Le cheval devient d'autant plus promptement fidèle à l'attaque de l'éperon qu'il trouve sur la main une résis- tance qui ne le porte pas sur l'arrière-main ; c'est pour cela qu'il faut faire connaître les éperons avant de mettre le mors ; le bridon offrant un appui plus doux, engage le cheval a se mettre dessus et a se porter en avant. Une fois le cheval franc a ces attaques, on peut lui mettre la bride: on commence par lui en faire connaître l'efTet en le prome- nant à la main: il faut avoir soin, dans le principe, de tenir la gourmette lâche ; après l'avoir porté quelques pas en avant, on l'arrête en agissant sur les branches du mors, pour offrir une résistance sur les barres et la barbe, et l'on continue cette a-ction pour le faire reculer. Dans l'hypothèse où il refuserait de reculer, au lieu de trop fortement agir sur les branches du mors pour obtenir TRAITÉ DEQUITATION. 161 ce mouvement rétrograde, on se ser^àrait du caveçon ; au moyen de quelques saccades fortement appliquées sur le chanfrein, le cheval se portera en arrière ; à mesure qu'il cédera h l'action du caveçon, on agira légèrement sur le mors afin d'arriver ainsi, en diminuant l'effet du caveçon, à lui faire comprendre que cette action de la bride est pour le faire rétrograder. En sachant user avec adresse et modé- ration du caveçon, un cheval a bientôt compris cette leçon. Quand le cheval a reculé quelques pas, on le reporte en avant, et l'on recommence souvent ces arrêts et ces mou- vements rétrogrades ; le cheval se familiarise ainsi avec cette nouvelle sujétion, qui, arrivant sans à-coups de la part du mors, est bientôt comprise. Quand on aura exé- cuté ce travail assez de temps pour croire que le cheval n'en est plus efPrayé, on se mettra dessus, les rênes de la bride seront tenues dans la main gauche : cette main se fixera de façon à offrir une petite résistance, et l'on fermera les jambes pour pousser le cheval en avant. Si le cheval hésite, on diminue la résistance de la bride en augmentant l'action des jambes, et avec la main droite on agira sur le bridon, le cheval connaissant déjà ses effets. On cherchera, dans le principe, a suivre des lignes droites, on arrêtera souvent, pour l'habituer à cette nouvelle sujétion ; on fera en sorte de marquer les arrêts droits, la main basse, et les jambes assez fermées pour que les hanches ne se traversent pas. Le cheval devenu une fois fidèle à ces arrêts de la bride, on essayera de le tourner en ouvrant la rêne de la bride : à mesure qu'il s'habitue à l'action de l'ouverture de 162 TRAITÉ d'ÉQUITATION. cette rêne, on recommence ces tournants en faisant agir la rené du dehors par son appui, et celle du dedans par l'ouverture ; les jambes doivent toujours maintenir l'arrière-main et aider les mouvements du devant. C'est lorsqu'il commence k répondre à ces différents effets que la main s'assure davantage pour essayer de le rassembler ; alors on lui fait suivre les murs en le tra- vaillant d'abord dans le pli renversé, et ensuite l'épaule en dedans; il faut pendant ce travail arrêter souvent le cheval, essayer de le reculer légèrement et badiner ensuite la rêne pour assouplir l'encolure du côté où l'on veut amener le pli. Cette manière est préférable, je crois, à chercher à assouplir sur place, et elle est tout aussi prompte*, car lorsqu'un cheval est dans sa force, trois semaines d'un travail semblable à celui que je viens d'indiquer suffisent pour le rendre sage et franc devant lui ; il est susceptible alors de pouvoir être utilisé, ou de recevoir, si on le désire, un dressage plus complet, une finesse relative au service auquel on le destine. Le plus long k attendre est, comine je l'ai déjà dit. la vigueur tardive chez les jeunes sujets : c'est pourquoi il est bon de les faire monter par des enfants, afin de moins les charger. Beaucoup de chevaux se défendent par faiblesse ; le plus sûr moyen de réussir est de les laisser en repos et de bien les nourrir. ' Voir le chapitre XV, page 36 : Développement des deux chapitres dr 1/ ACCORD des mains ET DES JAMBES. TRAITE D ÉQUITATION. 163 CHAPITRE III Le simple bon sens indique la nécessité de ne rien presser dans l'éducation du jeune cheval. Les longs services que rendirent les chevaux dans les écuries impériales et royales, dans la maison mihtaire du roi, s'obtenaient au moyen de réserve, où l'on attendait, pour le mettre en service, qu'un cheval ait pris son développement, sa force, et qu'il fût exempt de toutes les maladies du jeune âge. Notre cavalerie, en suivant ces vieux et bons exemples, peut en retirer des avantages incontestables, tout en épargnant au Trésor des dépenses énormes. Qu'elle se pénètre bien des raisons qui rendirent l'ancienne équitation patiente et lente dans l'éducation des jeunes chevaux. Que l'armée, au lieu de s'occuper de questions en dehors de sa compétence, laisse l'agriculture faire sa besogne ; qu'elle lasse tout simplement, pour préparer et dresser les jeunes chevaux, ce que faisait l'ancienne équitation, et bientôt elle aura une cavalerie excellente qui lui coûtera beaucoup moins cher qu'aujourd'hui. Il nous suffira de voir comment la chose se passe dans l'agriculture pour nous mettre a même de savoir comment nous devons agir. Une grande partie des chevaux livrés au commerce ont -164 TRAITÉ D'ÉQUITATION. travaillé k la terre. Ceux que l'agriculture utilise peuvent se diviser en deux catégories : premièrement, les chevaux communs de trait employés plus tard au roulage, aux diligences ou aux postes; deuxièmement, les chevaux d'une espèce plus distinguée, destinés à faire des carrossiers de luxe, des chevaux à deux fins, ou bien encore des chevaux de grosse cavalerie ou de cavalerie de ligne. Dans la deuxième catégorie, le travail auquel on soumet le cheval est toujours subordonné aux qualités qu'il déclare, et a l'espérance avantageuse qu'il laisse k l'éleveur sur sa vente future. Plus l'éleveur croira tirer un prix avantageux de son élève, plus il le ménagera et lui donnera de soins: tandis qu'au contraire il surchargera de besogne celui sur lequel il ne présume aucun bénéfice. Dans tout état de cause, du moment où il est question de livrer au com- merce, soit le cheval dont on aura pris le plus de soin, soit celui dont on aura abusé, il devient nécessaire k l'éleveur de mettre l'un et l'autre en condition de vente, et pour cela il suspendra le travail et l'exercice, et emploiera, pour le mettre en état, des moyens artificiels qui les engraissent promptement. Cette transition dans le régime et les habitudes du cheval est souvent dangereuse pour sa santé, surtout si 1 on n'use pas plus tard de soins, de ménagements extrêmes, pour détruire insensiblement cette sorte d'obésité, cette santé factice qui le prédispose aux gourmes et aux maladies inflammatoires. Le cheval resté k l'herbe réclame peut-être encore plus TRAITÉ d'ÉQUITATION. ' 16o de ménagements, car il est plus prédisposé aux gourmes et maladies inflammatoires, que celui ayant été soumis précé- demment k un travail rigoureux, si pendant le travail il a été bien nourri. En tout état de cause il faut éviter d'exiger trop promptement des services d'un jeune cheval ; la moin- dre tracasserie, une sueur trop abondante suffiront pour faire déclarer les maladies dont je viens de parler, et qui peuvent devenir d'autant plus graves que le cheval aura été plus surexcité. Les maladies que je viens de signaler, causées par le travail, le changement de nourriture, de régime, etc.. peuvent frapper plus généralement les chevaux ayant été abandonnés à l'herbe. Mais quand elles se déclarent sur ceux ayant été exténués de travail, et dont le sang aura été appauvri et vicié, elles se présentent souvent avec le caractère de la contagion. L'armée doit donc, pour bien réussir, adopter le système des réserves ; elles sont indispensables pour donner au cheval le temps de se développer, de jeter ses gourmes, de se faire à la nourriture régimentaire, de se mettre en haleine, et de se dresser sans trop de précipitation. Voilà le secret des hommes, de toutes les époques, les plus compé- tents en équitation. C'est en agissant ainsi que les écuries royales, la maison militaire du roi. etc., obtenaient de longfs services de leurs chevaux. Le ministère de la guerre a prouvé qu'il ne reculerait devant aucun sacrifice pour assurer la remonte de sa cavalerie. L'idée de créer des haras militaires et des dépôts de poulains prouve en même temps qu'il est tout disposé à 166 TRAITÉ d'ÉQUITATION. avoir de la patience. Au lieu donc de se jeter dans des créations aussi douteuses dans leurs résultats qu'elles sont gigantesques et onéreuses, qu'il essaye des réserves, comme je le propose, et je crois pouvoir assurer que, tout en apportant une économie dans le budget, il atteindra le résultat qu'il cherche depuis si longtemps. Qu'il ne se préoccupe pas des ressources qu'offre le pays : qu'il achète bien, qu'il fasse faire des acquisitions régulières, qu'il n'entrave pas les opérations de la remonte par des règle- ments méticuleux \ et il peut être certain que le pays ne lui faillira jamais ! Les établissements de réserves pour la cavalerie peuvent être installés de plusieurs manières ; en admettant cette hypothèse oii chaque régiment serait chargé du soin de sa réserve, cette organisation aurait beaucoup d'analogie avec ce qui se passait dans les gardes du corps et les maisons royales. Chaque réserve pourrait être alors sous la surveil- lance des capitaines instructeurs, ayant sous leurs ordres immédiats un piqueur, avec rang de sous-ofïicier, et recevant une haute paye. Ce piqueur, dont la spécialité serait constatée', aurait, comme les piqueurs des gardes du corps ou des maisons royales, la surveillance de tous les ' Voir ce que je dis à cet égard dans mon Traité de l'industrie cheva- line ACTUELLE DES REMONTES. ^ Ces piqueurs ou ces écuyers militaires, comme on voudra les appeler, seraient fournis par l'Ecole de Saumur; ils seraient choisis parmi les sous-officiers les plus capables; ils pourraient prendre dans le corps une position analoarue à celle du vétérinaire. TRAITÉ DEQUITATION. 1G7 chevaux do réserve, et présiderait à la distribuliou des fourrages ; ferait donner à chaque jeune cheval la nourri- ture qui peut lui convenir ; sachant alors comment ils se nourrissent et se conduisent à l'écurie, il pourra éclairer le capitaine instructeur sur le travail que chacun d'eux peut recevoir, comme il pourra avertir à propos le vétérinaire et le mettre souvent dans le cas de parer a une maladie. A la réserve seraient attachés les soldats reconnus comme les plus soigneux, et les sous-officiers les plus intelligents et les plus jeunes. Indépendamment que le , iqueur serait chargé de l'édu- cation des chevaux les plus susceptibles, il resterait k la disposition du capitaine instructeur, et lui viendrait en aide pour faire monter à cheval les sous-officiers de la réserve chargés aussi du dressage des jeunes chevaux. Ces chevaux ne pourraient rester moins de huit mois à la réserve ; nulle raison ne devrait faire enfreindre cette règle, tandis qu'après cette époque ils pourraient y séjourner jusqu'à ce que le capitaine instructeur ait jugé s'ils sont capables de rendre de bons services. Tout cheval sorti de la réserve, venant à se déranger à l'escadron, à manquer de force, etc.. rentrerait immédiate- ment k la réserve, pour être régularisé ou altenthi. Je crois qu'avec une organisation semblable les régi- ments seront assurés de voir entrer tous les ans, dans leurs rangs, des chevaux aptes alors k rendre de très longs services. L'expérience que j ai de l'éducation de nos jeunes 168 TRAITÉ DEQUITATION. chevaux indigènes m'a mis à même de voir que les pertes faites en sujets de quatre à cinq ans, lorsqu'ils sont d'un bon choix et bien attendus, sont tout au plus de trois à quatre pour cent. Une lois l'éducation terminée, quand le cheval a reçu les soins convenables, sa durée moyenne est au moins de quatorze à quinze ans. Mais aussi j'ai appris a mes dépens que, quand on voulait trop promptement avancer l'éducation de ces jeunes chevaux, les pertes de quatre a cinq ans pouvaient être de vingt à trente pour cent, et que ceux qui survivaient n'offraient plus pour l'avenir d'aussi longues garanties de service que les précédents. Avec une bonne organisation de réserve, le Gouverne- ment peut faire, comme je l'ai déjà dit. d'immenses écono- mies, tout en ayant une cavalerie mieux montée et plus complète. Car il n'est pas douteux que le renouvellement ne se fasse alors par dix ou douze ans. C'est, du reste, ce qui arrive en Allemagne : les Allemands n'obtiennent de semblables résultats que par les bons soins donnés aux chevaux dans le jeune âge. et cependant ils s'adressent à des races offrant beaucoup moins de garantie de durée que les nôtres, et dont la longévité est incontestablement plus courte que celle de nos chevaux indigènes. Nos pays d'élève en France ont certainement besoin de donner à l'éducation de leurs jeunes chevaux des soins mieux entendus, afin d'offrir moins de chances défavo- rables au commerce ; mais jusqu'à ce que les idées des éleveurs se soient rectifiées, jusqu'à ce que le Gouverne- TRAITÉ d'ÉQUITATION. 169 ment ait adopté les mesures nécessaires pour provoquer le progrès : le consommateur doit agir comme je viens de le dire. 11 n'est aucun doute que l'obligation d'attendre un très grand laps de temps nos chevaux indigènes n'ait engagé le commerce à s'éloigner de nos pays d'élève ; mais cela est une question en dehors de celle que je traite en ce moment. A MADAME DE *** M A D A M E , Tout le talent auquel vous devez aspirer est de juger le genre de cheval qui convient a une femme, la position que vous devez avoir, les moyens à employer pour établir un aplomb d'allures qui fasse que les mouvements étant plus doux, vous vous trouviez portée plus commodément, et enfin la manière d'exiger, de changer les allures et de conduire votre cheval dans toutes les directions. On recherche en général chez le cheval destiné k votre sexe une taille élevée : la raison en est que, plus il y a de taille, plus on a de chances de rencontrer de grands mouvements qui, se répétant moins souvent, seront néces- sairement plus doux. Cependant il arrive que des allures allongées se rencontrent dans de petits chevaux, comme des mouvements rétrécis chez des chevaux de grande taille; il faut donc moins vous arrêter à la hauteur du cheval qu'à des mouvements libres et allongés qui dénotent 17:2 TRAITÉ d'équitation. toujours des allures agréables et de la sûreté de jambes. Quant à votre posture, madame, qu'ai-je à vous demander pour qu'elle soit pleine de grâce et de charme, si ce n'est qu'elle soit naturelle et sans apprêts, qu'enfin vous appor- tiez à cheval cette aisance et ces manières nobles qui vous distinguent dans l'habitude de la vie. Je ne vous parle pas cependant de cette attitude nonchalante et abandonnée si familière aux femmes, et qui a tant d'attraits ; à cheval, madame, il faut une attitude décidée qui sente le vouloir; il n'y a rien de si gracieux qu'une femme, ordinairement forte de sa faiblesse, montrant une énergie qui, semblant se communiquer a son cheval, a l'air de redoubler son action. Dans ce cas, que le corps soit bien soutenu, un peu incliné en avant, comme pour dire à votre monture : c'est en avant que je veux aller. Mais pour vous aider a garder cette position, il faut faire le choix d'un cheval dont les dispositions naturelles soient en rapport avec les moyens que vous avez pour le sou- mettre k l'obéissance, n'ayant ni jambes ni éperons pour le pousser en avant. Un cheval d'un caractère froid ne peut vous convenir ; celui qui aurait une trop grande énergie et qui prendrait un fort appui k la main, ne serait pas plus votre fait, car en tirant sur la bride, il vous obligerait, pour l'arrêter, d'employer une force qui fausserait votre position, vous fatiguerait et finirait k la longue par vous emporter, n'ayant plus en vous-même la force de le retenir. Vous devez donc rechercher le cheval qui, ayant une TRAITÉ d'ÉQUITATION. 173 construction saine, c'est-k-dire qui, n'ayant point de tares*, offre des garanties de sagesse^, et dont l'espèce ou le sang lui donne une énergie et une sensibilité que vous pourrez atténuer ou exciter par les moindres effets de votre bride ou de votre cravache. Je serai oblige de faire ici une digression pour vous apprendre, madame, ce qu'on entend par un cheval d'espèce ou de sang. Dans le moyen âge. les chevaux neustriens étaient en renom dans les tournois. C'était alors la race la plus estimée de l'Europe ; aussi les chevaliers de toutes les nations donnaient-ils la préférence aux destriers de ce pays; l'Angleterre, si renommée aujourd'hui par son espèce chevaline, vit l'aurore de ses progrès en ce genre, lors de la conquête de Guillaume, qui, se fixant en Angle- terre, emmenant après lui une suite nombreuse d'écuyers, de chevaliers et d'hommes d'armes, importa ainsi dans le lieu de sa conquête les meilleures chevaux que l'Europe produisait à cette époque. Mais a mesure que la tenue des hommes de guerre se simplifia, que les armures devinrent plus légères, que l'on sentit enfin la nécessité de donner à cette espèce chevaline plus de légèreté dans la construction, et de rapidité dans ' On appelle un cheval d'une construCtiun saine, celui ({ui est exempt de tares. Les tares sont des callosités ou des rel;lclicments ({ui se présentent aux diverses articulations, en gênent les mouvements et provoquent chez le cheval une dou- leur qui, lorsqu'elle est excitée, le désordonné et l'éloigné de l'obéissance. Les tares, lorsqu'elles sont fortement prononcées, font JJoiter les chevaux. J74 TRAITÉ d'ÉQUITATION. les mouvements, on songea k établir des croisements qui devaient atteindre ce but, mais qui, en raison du peu de lumières de chacun, eurent des résultats plus ou moins satisfaisants qui firent apercevoir qu'en ayant voulu modi- fier cette espèce, on l'avait abâtardie, et que les produits n'avaient plus ni la même force ni la môme énergie. On vit alors que les races indigènes devenaient insuffi- santes à l'accomplissement du travail qu'on avait entrepris. Quelques chevaux arabes, qu'on amena en Europe k l'époque des croisades, donnèrent déjà des produits qui prouvèrent la supériorité de ces espèces étrangères : c'est ce qui fit que plus tard, lorsqu on songea sérieusement à l'amélioration de nos races, des hommes éclairés jetèrent les yeux sur l'Orient, ce berceau du monde et de la civili- sation, pour y rechercher chez les tribus arabes la race primitive pure et sans mélange. Il pourra vous paraître étonnant que ce soit chez des hordes barbares qu'on aille chercher le type parfait du cheval ; mais votre surprise cessera lorsque vous saurez que, de temps immémorial, l'Arabe s'occupe spécialement de ce genre d'éducation; le cheval n'est pas pour lui, comme pour nous, un accessoire de l'existence et l'em- blème de la richesse, c'est toute sa vie, c'est son ami le plus dévoué, il partage avec lui ses peines et joies, ses fatigues et son repos. Sa noblesse est celle de son cheval, il a sa généalogie, connaît ses affiliations et peut prouver jusqu'à plus de trois mille ans que son compagnon, son ami fidèle est de race noble et de sang qu'aucune mésal- TRAITÉ d'ÉQUITATION. 175 liance n'a pu tacher. Cette noblesse chevaline s'appelle en Arabie la race des koclhani ; les races croisées, ou qui laissent du doute sur la pureté de l'alliance, des kadischi : il existe aussi des races communes ou plébéiennes, car il y a des vilains partout. Dans la caste des koclhani, madame, il y a de hautes prétentions nobiliaires, car certaines tribus prétendent avoir des chevaux qui descendent en droite ligne d'un étalon ayant appartenu à Salomon, et que le roi montait à la guerre. Il arriva que ce cheval reçut au défaut de l'épaule et de l'encolure un coup de lance qui lui laissa une cicatrice qu'il transmit, a ce qu'on prétend, a toute sa descendance : en effet, j'ai remarqué sur plusieurs chevaux arabes, ou sur des espagnols qui ont aussi une origine orientale depuis la conquête des Maures, un enfoncement au bas de l'encolure, qui ressemble à une blessure et qui n'est qu'une bizarrerie de la nature que l'on nomme coup de lance, pour faire allusion à la fable que je viens de vous rapporter ; car je me garderai bien d'insister pour vous faire croire une chose qui ne servirait par la suite qu'à vous faire douter de toutes les vérités que je pourrais vous dire, et qui vous paraîtraient quelquefois invraisem- blables. Ce fut donc, madame, cette race de koclhani et de kadischi qu'on importa en Europe, aiîn de la mélanger à notre espèce indigène, pour lui donner la vigueur, le fond, la sensibilité et l'énergie qui sont le propre de la race arabe ; ainsi, lorsque vous entendrez dire qu'un cheval a du sang ou de l'espèce, c'est que sa tournure, son élégance 476 TRAITÉ d'équitation. et sa vivacité laissent supposer que dans ses veines coule du sang oriental. Mais afin de n'être pas toujours tributaires de l'Arabie, les Européens tentèrent d'acclimater la race sans mélange. Indépendamment des étalons, ils importèrent des juments de pur sang, afin de faire naître le pur sang en Europe. Vous jugez, madame, qu'il fallut de grands soins pour que des produits, qui auraient dû naître sous un ciel et sur des sables aussi brûlants que ceux de l'Arabie, pussent s'acclimater dans un pays aussi tempéré et aussi humide que le nôtre. Les Français eurent peu de succès dans leurs essais, parce qu'ils n'y mirent point assez de persévérance. Cependant notre race limousine, si renommée jadis, ne devait sa supériorité qu'aux chevaux arabes importés lors des croisades. Je crois que le climat du Limousin et le hasard firent cette race bonne ; l'ignorance, la négligence et le manque d'encouragement l'ont totalement perdue ; mais l'Angleterre, au contraire, a complètement réussi. Ce peuple suivit dès le principe les errements des Arabes a l'égard des généalogies, car les chevaux de pur sang nés en Angleterre ont aussi leurs parchemins. Les divers produits furent mis en concurrence dans les courses afin de juger leur force et leur supériorité. Les meilleurs résultats lurent conservés précieusement comme producteurs. Les soins, les bonnes nourritures et les emplacements chauds et commodes rendirent à ces chevaux la différence du climat moins sensible. Enfin, nnadame. les Anglais sont parvenus TRAITÉ d'ÉQUITATION. 177 à acclimater en Europe la race arabe en lui conservant la même énergie, la même pureté de sang en même temps qu'ils en ont grandi la taille et peut-être augmenté l'élé- gance. C'est sous Henri VIII qu'on s'occupa spécialement de l'amélioration des races en Angleterre. Les courses furent instituées k cette époque, et ce roi. qui ne ressemble en rien à ceux de nos jours, prévoyant qu'en améliorant les races des chevaux dans son royaume il le doterait pour l'avenir d'un bien-être et de produits énormes, rendit un édit qui ordonnait de tuer, chez tout Anglais qui possédait des juments, celles que les experts en cette matière ne jugeraient pas propres à une reproduction convenable. Le despotisme de Henri fut un grand bien pour son pays, puisque l'Angleterre est a présent la contrée de l'Europe où la cavalerie est le mieux montée, les voitures publiques menées avec le plus de célérité, les chevaux de chasse les plus beaux et les meilleurs, les chevaux de course, con- sidérés non seulement comme les coursiers les plus renommés, mais comme les producteurs les plus recher- chés; et enfin, madame, malgré tout ce bien-être et cette gloire, l'exportation des chevaux anglais sur les continents rapporte a l'Angleterre plus de vingt millions par an. Malgré tous ces bienfaits, je crois qu'il serait bien mal venu le roi qui, de nos jours, pour le bonheur de son peuple, agirait comme Henri VIH. Vous savez à présent, madame, ce que c'est que les chevaux de pur sang ; vous voyez qu'il peut s'en trouver 178 TRAITÉ d'ÉQUITATION. en tout pays, mais que leur point de départ est l'Arabie. Le cheval de demi-sang est le produit d'un pur sang avec un sang indigène. Le trois-quarts de sang, le produit du pur sang avec le demi-sang. Je crois, madame, que c'est un cheval issu de cette dernière manière qui doit convenir aujourd'hui k une femme, en répudiant à tout jamais la haquenée et la jument d'allure, qui jadis faisaient les délices de nos vagabondes damoiselles, et qui sont aujour- d'hui tout au plus dignes de porter nos fermières nor- mandes au marché. Avant d'être entré dans cette longue et peut-être ennuyeuse digression sur le cheval de sang, nous avions parlé de votre posture. Lorsque vous aurez pris une bonne attitude, le moyen de la conserver est de rechercher des points d'appui, qui, vous fixant et vous liant au cheval, vous identifient à ses mouvements. Ainsi votre jambe droite qui passe dans le crochet de la selle doit être pliée de manière que vous puissiez étreindre ce crochet lorsque des secousses violentes pourraient vous désarçonner, la jambe gauche doit être dans toute sa longueur le plus près possible du corps du cheval, en appuyant le pied dans l'étrier, parce que plus vous aurez de contact, plus vous aurez de tenue. Votre étrier sera assez court pour qu'en appuyant dessus, le talon soit plus bas que la pointe du pied; et afin que votre jambe ne s'éloigne pas. vous fixerez le plus possible votre genou gauche sur la selle, en tour- nant autant que possible cette jambe sur son plat. Quand le corps sera ainsi fixé, vous aurez alors le double TRAITE D EQUITATION. 179 emploi de vos mains, chose plus essentielle encore pour vous, madame, que pour les hommes, puisque la manière dont vous êtes placée vous ôte le secours puissant des jambes, et que ce sera l'adresse que vous emploierez à vous servir de votre main qui pourra suppléer au manque d'un semblable secours. Vous devez considérer la main qui tient la bride comme un gouvernail qui doit régler tous les mouvements de votre cheval. C'est pour cela qu'une fois en marche, il faut qu'elle se fixe, et qu'en tn^ant un peu sur le mors vous vous mettiez en contact avec la bouche, afin que ce contact établi, votre cheval puisse se fixer et attendre pour changer ses mouvements ou sa direction que votre main change de place. Si je compare la bride qui dirige le cheval au gouvernail qui dirige une barque, c'est qu'en effet, sur beaucoup de points, barque et cheval sont mus par les mêmes causes, c'est-k-dire par des résistances et des oppositions. Ainsi, madame, lorsque vous parcourez dans votre légère nacelle les mille détours de la rivière qui baigne votre parc, si beau et si plein de grands souvenirs, quand, assise sur la poupe, vous tenez en main le gouvernail, vous savez que pour voguer en ligne droite il faut que ce gouvernail soit maintenu bien droit, mais qu'il suffît de le déranger et d'offrir une résistance plus forte d'un côté, pour qu'alors la proue quitte le sillon qu elle s'était ouvert, et qu'elle fende les eaux dans une direction opposée à la résistance qu'elle vient de recevoir. 180 TRAITÉ d'ÉQUITATION. L'avant-main du cheval maintenu par la puissance du mors et des deux renés, de même se maintiendra droit tant que ces deux rênes auront une action égale ; mais dès que cette égalité cessera, la pression la plus forte fera tourner le cheval du côté opposé. Ainsi, lorsque, tenant votre bride dans la main gauche, vous voudrez aller droit devant vous, vous aviserez a ce que vos rênes soient égales et que votre main se trouve placée au-dessus de l'encolure. Quand il A^ous plaira d'aller à droite, vous porterez la main de ce côté; la main cessant de rester au-dessus de l'encolure, les rênes cesseront alors d'être égales, la droite deviendra bal- lante et la gauche, au contraire, s'appuyant sur le côté gauche de l'encolure et du mors, marquera une pression que le cheval fuira en se portant a droite : tant que cette pression aura lieu le cheval tournera ; dès que vous voudrez cesser de tourner il suffira de placer la main dans la nouvelle direction que vous désirerez suivre, et dès que l'encolure sera arrivée sous votre main, les rênes ayant alors une action égale, le cheval marchera droit, arrêtera si. après avoir fixé votre main, vous marquez un temps d'arrêt. Vous pouvez encore faire tourner le cheval par l'écarte- ment d'une rêne au lieu de la pression ; ainsi, voulant tourner a droite, vous laisserez votre main gauche fixe, prendrez la rêne droite avec la main droite et l'écarterez de manière à tirer la tête à droite. La tête s'étant portée dans cette direction, si le mouvement continue, le reste du corps suivra nécessairement la nouvelle direction que vous aurez TRAITÉ D'ÉQUITATION. 181 donnée à la tête. Si le cheval refusait de répondre à cette action, vous agiriez avec la pression de la rêne gauche. Ainsi vous voyez, madame, que vous avez deux moyens au lieu d'un pour tourner à droite ou à gauche. La bride a d'autres propriétés qui vous sont fort essen- tielles à connaître : celle de pouvoir agir sur l'arrière- main ; le cavalier au moyen de ses jambes peut par leur pression agir sur les hanches du cheval. Cette propriété est une grande ressource pour le bien conduire, attendu qu'il arrive souvent que les chevaux marchent de travers, c'est- à-dire que les hanches ne suivent pas exactement la ligne des épaules ; cette manière d'aller serait de plus fort incom- mode pour vous, aussi faut-il avoir le moyen de la rectifier. La disposition naturelle du cheval étant de se porter en avant, lorsque nous avons voulu l'approprier à nos besoins il a fallu rechercher un frein qui, tout en ayant la pro- priété de changer sa direction, eût aussi celle de ralentir son action et de l'arrêter. Qu'est-ce qui fait qu'il s'arrête lorsque vous tirez sur le mors ? C'est que celui-ci, en basculant, fait éprouver au cheval une pression de devant en arrière qui lui fait reculer la tête, relève ses épaules, et. rejetant le poids qui se portait en avant sur l'arrière-main, ralentit sa marche, l'arrête ou le fait reculer en raison de la force et de la continuité de la résistance que vous marquez sur le mors. Vous voyez d'après cela, madame, que votre bride peut agir sur l'arrière-main, puisqu'en tirant dessus vous pouvez la faire marcher la première, c'est-à-dire faire reculer votre W2 TRAITE D EQUITATION. cheval. On peut ensuite, et vous le comprendrez facilement, le faire reculer droit ou de travers. Si les hanches sont exactement sur la même ligne que les épaules, en tirant également sur les deux rênes, les pressions étant égales sur les deux côtés de la bouche, la tête et l'encolure resteront droites, et le portant en arrière feront reculer de même d'une manière droite les épaules et les hanches. Mais si vous vouliez reculer de travers, il faudrait alors marquer sur un côté de la bouche une résistance plus forte que sur l'autre côté. Vous vous doutez, madame, qu'étant sur une ligne droite, s'il vous plaisait de faire sortir la hanche gauche de cette ligne, il faudrait marquer sur la bride une résistance plus forte du côté opposé; car, dans ce cas, en agissant avec plus d'action sur la rêne droite, le cheval amenant et reculant un peu la tête k droite, cette position de tête fera reculer plus l'épaule droite que la gauche, ce qui mettra le cheval de travers et lui rejettera l'arrière-main a gauche ; il en sera de même toutes les fois que vous voudrez faire tourner votre cheval ; en même temps que le devant se porte k droite, l'arrière-main est forcée de se porter k gauche. Ainsi, marchant au pas, au trot ou au golop, si les hanches ne suivent pas la ligne des épaules, il vous suffira pour mettre le cheval droit de marquer une résistance plus forte sur une rêne que sur l'autre. Par exemple, si les hanches tombaient k droite, vous marqueriez alors, en tirant k vous la rêne droite, une résistance qui, portant un peu la tête k droite et reculant l'épaule droite, redressera la TRAITÉ d'ÉQUITATION. 183 hanche de ce côté, puisque ce mouvement doit contribuer il rejeter l'arrière-main à gauche. Si cette action ne suffisait pas, vous pourriez vous servir de votre cravache que vous appuierez sur le ventre du cheval, afin que cette pression put pousser l'arrière-main encore à gauche. S'il déviait en portant l'arrière-main k gauche, vous agiriez avec la rêne gauche en vous aidant cette fois de la pression de votre talon gauche, qui a la propriété de pousser les hanches à droite. Tachez de comprendre, madame, que cette action que vous marquez sur les rênes, et que j'appelle résistance, n'a rien de commun a\ec la pression que vous marquez sur l'encolure poui- Taire tourner ; l'action n'est plus la même ou ne s'exige pas de la même façon. Il arrive cependant qu'il faille alternativement et instantanément donner k vos rênes les deux actions différentes. Une grande justesse est nécessaire pour que, tout en rapprochant ces effets divers, la différence en soit sensible au cheval. Par exemple, madame, il est des cas où vous voulez, au lieu d'aller en avant, faire appuyer votre cheval de gauche k droite ou de droite k gauche, en marchant sur les pas de côté. Souvent aussi, tout en marchant, il vous plaira d'aller d'un côté d'une route k un autre côté, en faisant marcher encore votre cheval sur les hanches ; eh bien ! c'est au moyen de la résistance dont nous venons de parler, et ensuite de la pression de la rêne sur l'encolure que vous pourrez obtenir ces divers résultats. Si vous voulez appuyer de gauche k droite sans aller en 184 TRAITÉ D'ÉQUITATION. avant, il vous suffira d'abord de mettre votre cheval en mouvement, de marquer un temps d'arrêt de la bride, assez fort pour qu'il ne se porte pas en avant ; vous établi- rez alors une résistance de la rêne gauche, afin de jeter les hanches à droite et les engager de ce côté. Une fois que vous avez obtenu ce premier mouvement, vous portez aussitôt la main à droite, afin de faire agir votre rêne gauche par la pression sur l'encolure pour porter les épaules à droite, et vous répéterez alternativement ces deux mouvements afin que, tout en engageant les hanches, les épaules se trouvent placées sur la même ligne que r arrière-main. Afin que le cheval soit plus impressionnable aux divers effets des rênes et qu'il ne recule pas, il faut avoir soin de réveiller son action par quelques coups de cravache sur l'encolure ; comme vous pourrez, pour redoubler cette action et pousser les hanches de gauche k droite, vous servir de votre talon gauche, que vous appuierez fortement et par à-coup sur le ventre du cheval ; il faut encore, en revenant de droite à gauche, user de la cravache sur le flanc pour rejeter l'arrière-main à gauche. Lorsque vous voudrez appuyer ainsi en allant en avant, vous userez des mêmes moyens, excepté que vous laisserez à la bride plus de liberté. Voilà, madame, les seuls moyens qu'ont les femmes pour diriger leurs chevaux ; avec du tact, elles peuvent à l'aide de ces faibles secours savoir cependant changer, régulariser les allures et les maintenir d'aplomb. TRAITÉ d'ÉQUITATION. 185 Lorsque vous voulez marcher le pas, il suffit d'exciter légèrement le cheval, soit par un appel de la langue, soit par un petit coup de fouet sur l'encolure, en maintenant votre main légèrement devant vous. Une fois le pas déter- miné, vous le régulariserez, c'est-à-dire que si vous sentez qu'il aille avec trop de précipitation, vous marquerez un arrêt de la main jusqu'à ce que vous sentiez qu'il marche également et d'aplomh ; s'il n'allongeait pas assez, vous l'exciteriez de la cravache. Pour marcher au trot, vous donnez au moment du départ un peu de liberté à la bride, en laissant toutefois votre main bien fixe devant vous, afin que votre cheval se maintienne droit ; vous exciterez plus fortement de la cra- vache pour augmenter son action et le porter en avant ; une fois l'allure prise, votre main se fixera au point que vous croirez devoir l'aire effet pour que le trot soit régulier, c'est-à-dire que les battues se succèdent assez également pour qu'elles aillent en mesure. Vous aurez soin de maîtriser de la bride ou d'exciter avec la cravache, en raison du plus ou moins de rapidité que vous désirerez obtenir. Dans le pas et le trot, le cheval place alternativement ses jambes également devant lui; il faut donc pour obtenir ces deux allures le maintenir droit. Le galop diffère en ce qu'il entame le terrain toujours du même côté pendant toute la durée du temps de galop, c'est-à-dire que, lorsqu'il court à droite, il entame le terrain avec le pied droit. C'est lorsqu'il court sur ce pied que vous vous trouvez portée le 186 TRAITÉ d'ÉQUITATION. plus commodément. Lorsqu'il court k gauche, c'est son pied gauche qui précède. Vous sentez que, pour prendre l'un ou l'autre pied, il y a nécessairement une préparation à faire, c'est-à-dire que, lorsque yous voulez partir à droite, il faut porter votre main un peu à gauche atin d'avancer l'épaule droite et marquer ensuite une résistance sur la rêne gauche, qui. en reculant le côté gauche, mettra le droit dans le cas de se maintenir en avant. Gomme le galop ne peut se déterminer que lorsque le cheval est un peu assis, il faut, en même temps, que vous agissiez de manière à placer le côté droit le premier, arrêter par l'action de la main le développement des épaules, et engager ainsi le cheval à s'enlever au galop en ayant toujours soin d'entretenir et même d'augmenter son action par des coups de cravache sur son encolure. , Si la fantaisie vous prenait de changer de pied, c'est-a- dire de passer à gauche, vous rompriez par un fort arrêt le galop a droite, placeriez de suite l'épaule gauche la première en portant la main k droite, et en marquant une résistance sur la rêne droite, afin de faire avancer tout le côté gauche et reculer le droit. Enfin exciter de nouveau de la cravache et marquer un petit temps d'arrêt : alors, madame, votre cheval partira infailliblement k gauche. J'ai peut-être été bien long et bien diffus pour vous donner l'explication des moyens qui sont k votre portée et dont vous devez user pour tirer parti d'un cheval. J'espère, madame, que dans l'avenir tous ceux que vous me per- mettrez de vous faire monter vous comprendront, parce TRAITÉ D'ÉQUITATION. 187 que je m'efforcerai de leur donner une éducation en rapport avec le tact que vous acquerrez : c'est du reste, pour moi, une tâche bien douce, mais difficile peut-être, que de prendre l'engagement de vous dresser des chevaux toujours dignes de vous. 17 CONCLUSION J'ai essayé de démontrer la marche progressive de l'équitation ; j'ai cherché k faire connaître les raisons qui la firent modifier, et enfin comment elle était tombée dans l'oubli. Après une longue indifïerence, n'ayant plus le souvenir d'un passé cependant bien près de nous, une réaction s opère, et l'on semble vouloir s'occuper aujourd'hui plus que jamais de cet art. Chacun arrive donc avec ses préten- tions et sa nouvelle méthode. Quelle que puisse être l'excellence de ces méthodes, je doute qu'elles amènent des résultats meilleurs, plus prompts, plus rationnels, que ceux obtenus par l'Ecole de Versailles sous la Restauration. Je crois, au contraire, que si ces nouveaux préceptes étaient adoptés, ils seraient bientôt modifiés, comme le furent à Versailles ceux de l'ancienne équitation. Il existe entre les anciens et les nouveaux préceptes une telle analogie, une telle connexité, que l'on ne peut se refuser a. croire les uns calqués sur les autres ; ils différent 190 TRAITÉ d'ÉQUITATION. simplement dans la manière dont ils sont présentés. Jadis, l'équitation était un art servant a approprier le cheval aux besoins et aux usages de l'époque. Aujourd'hui, un peu plus exclusif, l'on veut en faire une science exacte, ayant des règles immuables et infaillibles. L'expérience nous prouvera de quel côté se trouve la vérité, et qui a raison des savants ou des artistes. En tout état de cause, il n'existe aucun doute pour moi que si cette nouvelle école vient a surgir, une fois qu'elle aura réalisé le proverbe fort trivial : Ole-toi de là que je m'y mette, elle élaguera alors insensiblement tout ce qu'ont d'erroné les principes qui servirent à la mettre en évidence. L'expérience la fera revenir petit a petit aux préceptes sim- ples et raisonnes, clairs et précis, de l'Ecole de Versailles; elle sentira que loin de chercher a rétrograder en se jetant dans les inutiles superfluités du moyen âge, nos usages veulent une équitation plus simple et plus positive. C'est pourquoi j'ai cru utile de faire connaître la voie dans laquelle marchait une Ecole méconnue quand elle existait, et complètement ignorée par ceux qui se permettent d'en parler aujourd'hui. TABLE DES MATIÈRES Pages. Préface v Aperçu des diverses êquitations depuis le seizième siècle jusqu'à nos jours ix PRExMIÈRE SECTION. Chapitre le"" 3 — II. Posture de l'homme à cheval 6 — III. Position de la main. Le cheval en bridon 8 — IV. Position des mains. Le cheval en bride 9 — V. Résumé des chapitres précédents 10 DEUXIEME SECTION. VI. Travail raisonné 13 VII. Principes généraux 15 VIII. Action du mors. Effet des rênes 16 IX. Effet des jambes 17 X. Résumé des chapitres précédents 18 XI. Première leçon. Action de la main 19 XII. Deuxième leçon. Suite de l'action de la main 21 192 TABLE DES MATIÈRES. Pages. Chap. XIII. Troisième leçon. Chang-ement de direction par les jambes. Ce qui servira à mettre un cheval sur la main. 27 — XIV. Accord des mains et des jambes. Moyens de rectifier cet aplomb 30 — XV. Développement des deux chapitres précédents 35 — XVI. Résumé des trois chapitres prcédents 43 — XVn. Des causes qui portent un cheval sur l'avant-main. Moyen d'y remédier 45 — XVIII. Des raisons qui portent un cheval sur l'arrière-main.. . 50 — XIX. Résumé des deux chapitres précédents 53 — XX. De l'embouchure 57 — XXI. Des allures 60 — XXII. Du pas 63 — XXni. Du trot 63 — XXIV. Du galop 64 — XXV. Résumé 67 — XXVI. Des moyens d'exiger les allures. Explication prélimi- naire 68 — XXVII. Moyens de mettre un cheval au pas 70 — XXVIII. Moyens de mettre un cheval au trot 73 — XXIX. Moyens de mettre un cheval au galop 74 — XXX. Explication du travail des reprises 71) — XXXI. Principes généraux 82 — XXXII. Des reprises simples. Explication préliminaire 85 — XXXIII. Des reprises sur le large, au pas et au trot 89 — XXXIV. Passage des coins 90 — XXXV. Du changement de main 92 — XXXVI. Du travail sur les cercles, au pas et au galop 93 — XXXVII. Des changements de main en cercle, au pas et au galop. 94 — XXXVIII. Du trot sur les cercles 95 — XXXIX. Du galop ordinaire sur le large 97 — XL. Départ au galop, le cheval droit 97 — XLI. Du galop à droite, le cheval placé à cette main 99 — XLII. Résumé général. Du travail des reprises 100 XLUI. Travail composé. Marche oblique et sur les hanches.. . . 101 — XLIV. Moyen de fermer ou d'aller sur les pas de côté 103 — XLV. Des pas de côté en avant, ou changement de main en prenant les hanches 106 — XL VI. Résumé 108 TABLE DES MATIÈRES. 193 Page.s Chap. XL VII. Changement de pied en l'air, le cheval étant au galop. . 109 — XL VIII. Des têtes à la queue, ou demi-tour 112 — XLIX. Résumé général .... 113 — L. Défense du cheval 117 — LI. Moyens d'empêcher un cheval de ruer 118 — LU. Moyens d'empêcher un cheval de pointer 119 — LUI. Des causes qui produisent la défense 119 Du TROT ENLEVÉ, DIT TROT A l'aNGLAISE 127 Des courses 1 35 DU JEUNE CHEVAL. Chapitre I" loi — II. 134 — m 163 Lettre a madame "" 171 Conclusion 1 89 faris. — Imprimerie L. Baudoin, 2, rue Christine, \ 'Y '^ • 'M ::\