ETS ” RP T AA RE à et. , À " et A à] # ñ Dares 2n rl 1, rt RATES 1 VO TRAÎTÉ PHILOSOPHIQUE ET PHYSIOLOGIQUE L'HÉRÉDITÉ NATURELLE. OUVRAGES DU MÊME AUTEUR : DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT, ouvrage couronné à l'unanimité dans le concours fondé par les trois Sociétés de la Morale chrétienne, des Méthodes, et de l'Enseignement élémentaire. Paris, 1831, 1 vol. in-8. DE L’IMITATION CONTAGIEUSE, ou de la propagation sympathique des névroses et des monomanies. Dissertation, Paris, 1855, in-4. Pour paraître dans le cours de 1847. PHYSIOLOGIE DE L’EXTASE, et des diverses formes de son développe- ment, dans leurs rapports avec les états de raison, de passion et de folie. 1 vol. in-8. THÉORIE PHILOSOPHIQUE ET PHYSIOLOGIQUE DE LA SYM- PATHIE VITALE. 1 vol. in-8. CORLEIL, IMPRIMERIE DE CRÊTE. 13! ES ei> fe entre Aruns et Lucius, dans la famille Tarquin; en- -+ re les deux Gracchus, dans la famille des Gracques; entre ù >les empereurs Titus et Domitien, dans celle de Vespa- : sienjventre Caracalla et Géta, dans celle de l’empereur Sévére; entre Carinus et Numerianus, dans celle de Ca- rus, etc. Elles sont aussi saillantes dans l’histoire de plu- sieurs de nos derniers rois: les frères de Charles IX dans >]a branche des Valois, dans la branche des Bourbons ceux de Louis XIII, de Louis XIV, de Louis X VIT, n’avaient ni égalité, ni conformité de goûts, de capacité, ni de ca- ractère. N’en était-il pas de même, à un très-haut degré, (1) Ebauche de la religion naturelle, p. 149. (2) Ouv. cité, p. 37. {3) Art de perfectionner l'homme, tom. IT, ch. 1v, p. 97. (4) Ouv. cité, tom. IT, p. 248. (5) Manuei de physiologie, tom. IT, p. 764. (6) Mémoire cilé, loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 151 entre les frères Joseph, Lucien, Louis, Jérôme, et Napo- léon, chez les Bonaparte? N’en est-il pas de même, dans l’histoire privée de la plupart des familles? les mêmes dis- semblances n’y frappent-elles pas les yeux? Un fait bien digne de remarque, et qui porte, sur ce point, la démonstration jusqu’à l’évidence, c’est que ces sortes de contrastes sont quelquefois extrêmes, dans les inclinations, et dans les facultésnaturelles des jumeaux (1). « Cherchez, s’écrie Daignan, qui pousse même ici son « affirmation jusqu’à un absolu que nous n’admettons pas, « cherchez deux hommes, qui se ressemblent le plus en « tous points, deux frères, deux Jumeaux qui aient tou- « jours vécu ensemble, qui aient été élevés de même, qui « aient le même état, enfin qui paraissent avoir la même « constitution ; si par hasardil se rencontre des individus « qui, au premier coup d'œil, paraissent exactement sem- « blables, suivez-les avec attention, quelles différences ne « trouverez-vous pas dans leurs traits, dans leur ton, « dans leur allure, dans leur son de voix, dans leurs « gestes, dans leurs goüts, dans leurs appétits, dans leurs « penchants, dans leurs inclinations, dans leurs talents, « dans leurs idées, dans leurs jugements, dans leurs rai- « Sonnements, etc. (2)? » Si ces différences ne sont ni si générales ni si absolues que l’a pensé l’auteur, on ne peut disconvenir qu’elles ne soient du moins et tout aussi communes et tout aussi pro- fondes dans le moral que dans le physique des jumeaux. La remarque n’en avait pas échappé aux anciens. (1) Sinibaldi, Geneanthropeia, lib. VII, Tract. If, de prolis humani numerosà ac multi formi generatione, p. 854. — Bailly, Songes de Phes- tion, p. 111. (2) Daignan, Tableau des variétés de la vie humaine, tom. I, p. 261. 152 DE LA LOI D'INNÉITÉ « Castor gaudet equis, ove prognatus eodem pugnis, » a dit Le poëte (1) organe d’une expérience devenue pres- que mythique, à force d’antiquité, et consacrée dans les traditions de plusieurs peuples : à côté du Castor et du Pollux des Grecs, de Eurysthenès et du Proclès des Spar- tiates (2), n’avons-nous pas le Jacob et l’Esaü des Juifs, le Romulus et le Remus des premiers Romains? etc. La science compte, sur ce point, des phénomènes encore plus curieux que l’histoire : l’on sait, dit Muller, que les monstres doubles, qui parviennentà vivre quelquetemps, peuventavoir des dispositions morales différentes(3). Ritta et Christina ont fourni l’occasion d’en faire‘ la remar- que (4) : maiselle a été faite bien plus anciennement, dans des cas analogues, entre autres chez les célèbres jumel- les de Presbourg: ces jumelles étaient nées unies, par le côté, vers l’extrémité postérieure du thorax , de sorte qu’elles ne pouvaientjamais se regarder; elles avaient l’une et l’autre les deux bras, les deux jambes, et les parties sexuelles parfaitement distinctes, mais un conduit unique pour les excréments. Malcré cette singulière communauté de vie, malgré cette unité de naissance et d’origine, les deux jumelles étaient aussi différentes d'humeur que de visage: l’envie de manger, d’évacuer, d’uriner, ne les prenait pas toutes deux en même temps : il fallait tour à tour pourvoir à leurs besoins: l’une d’elles, plus forte que l’autre, se pliant sur le côté, enlevait sa sœur aussi facilement qu’elle eût levé le bras: l’autre n’exécutait le (1) Horace, sat. I. (2) Hérodote, liv. vi. (3) Muller, ouv. cité, tom. IT, p. 637. (4) Serres, Recherches d'anatomie transcendante et pathologique. Pa- ris, 1832. : DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 155 même mouvement qu'avec beaucoup d'effort. La première pouvait être malade, la seconde se porter bien: celle-ci était belle, douce, posée, peu sensuelle; celle-là laide, mé- chante, colère, querelleuse, ardente, pleine de tempé- rament. Les violences de la dernière contre sa sœur, et leurs disputes, étaient devenues si fréquentes et si inquié- tantes que, dans le couvent des religieuses Salésiennes où le cardinal de Saxe -Zeits les avait placées, on se vit obligé de leur affecter une surveillante qui ne les quittait point, afin de prévenir ou d’apaiser leurs querelles. Elles véeurent, en dépit de ces désunions, jusqu’au mois d'avril de l’an- née 1724 où elles moururent toutes deux, à peu de jours de distance, à l’âge de 22 ans (1). Ce contraste du naturel, aussi grand quelquefois que celui des destinées, entre deux enfants issus tous deux du même père et de la même mère, conçus au même instant, nés presque au même moment, quelquefois même unis par une partie du corps et des fonctions vitales, a très-long- temps servi d’argument empirique contre l'astrologie : on le trouve invoqué, comme tel, parles auteurs les plus di- vers : il l’est par Cicéron (2j par SaintAugustin (3) par le père Jean François (4) et par un grand nombre d’autres adversaires de la foi superstitieuse dans l’influence des astres. De nos jours il n’est pas moins embarrassant pour les partisans exclusifs de la loi de l’hérédité dans la gé— (1) Sigaud de Lafond. Dictionnaire des merveilles de la nature, tom. I, p- 258, 259. (2) Giceronis Opera, De divinatione, lib. II, XLV, XLVI, XLVIE, etc. (3) Saint Augustin, De civilate Dei, lb. V, cap. 11 et vi, — et De ge- nere, lib. Il, cap. xLvir. (4) Jean François, de la comp. de Jésus, Traité des influences cé- lestes, chap. vin, $ 2, p. 216, 217. ét secs 154 DE LA LOI D INNÉITÉ nération, qu'il ne l'était autreïois pour les astrologues. Mais ilestun second fait, plus inexplicable encore, pour les premiers: ce n’est pas uniquement entre les frères et sœurs, issus d’un même mariage, que l’on voit apparaître ces dissemblances de goûts, de penchants, de talents et de caractère: cette diversité, qui devient trop souvent un élé- ment de trouble etbrisel’harmonie intérieure desfamilles, n’est ni moins ordinaire, ni moins prononcée entre les modes d’être, de sentir, de comprendre, de juger et d’a- gir d’un grand nombre d'enfants et ceux des pères ef mères. Il n’y arien de plus commun, dit Wollaston, que de voir des enfants qui ne ressemblent point du tout à leurs | parents dans leur esprit, dans leurs inclinations, dans DR RE pu cu la figure de leur corps, dans leur teint, et qui, ajoute-t-il, diffèrent beaucoup, entre enfants mêmes(1). 1° Ces différences peuvent être en faveur des enfants et de leurs dispositions mentales et morales. Souvent, dit Burdach, les parents ont des facultés in- tellectuelles très-bornées et tous leurs enfants annon- cent les plus heureuses dispositions (2); Virey a fait la même observation (3); Lyonnet l’a presque outrée, en re- gardant, comme un fait ordinaire, de voir à des pères in- sensés des enfants raisonnables (4). Ce n’était pas l'opinion del’illustre prédicateur anglais Tillotson qui rendaït publi- quement et au moment même de son installation dans le siége archiépiscopal de Cantorbéry, une action de gräces à Dieu de ce qu’it « lui avait donné quelque talent, etdece (1) Ebauche de la religion naturelle, p. 149. (2) Ouw. cité, tom. II, Ç 302, p. 245. (3) Art de perfect. l’homme, tom. IX, ch. v, p. 94. (4) Brevis dissertatio de morbis hæreditariis, etc. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 155 « qu’il lui avait conservéla raison, quoique sa chère mère « en eüt été privée pendant plusieurs années et qu’ainsi « elle eût pu lui transmettre cette infirmité (1). Ces divergences morales affectent d’autres fois une for- me singulière, celle d’une innovation : comme de graines recueillies sur une même fleur, comme de pepins d’un fruit du même arbre fruitier naissent les variétés les plus imprévues et quelquefois les plus précieuses de fruit ou de fleurs, on voit, des mêmes parents, naître des fils ou des filles, d’une tournure d’esprit et de caractère nouvelle dans la famille, ou d’aptitudes diverses étrangères aux auteurs (2). Boileau nous apprend que, malgré le naturel doux et nullement critique de ses père et mère, tous leurs enfants furent doués d’un esprit satirique. Dans la famille Corneille s’éveilla de même tout à coup le génie de la poé- sie dramatique. Les frères Bernouilli mathématiciens, les Cassini astronomes, les Jussieu botanistes, etc., montrent, dit à ce sujet Le docteur Virey, qu’il éclot dans certaines familles des dispositions d’esprit dont il est diffficile d’as- signer les causes et qui peuvent s’éteindre (3). Voltaire, J. J. Rousseau, d’Alembert, Diderot, une foule de poëtes et d'hommes de nos jours célèbres par leurs talents, lord Byron, Goëthe, Béranger, Lamartine, Victor Hugo, sont autant de témoignages vivants de ce phénomène. Nehusius et Burdach ont généralisé, avec raison, le fait : c’est fréquemment de parents simples, dit le dernier, que sortent ces hommes supérieurs, ces esprits dont l’influence (1) Oraison funèbre de Tillotson, par Burnet, évêq. de Salisbury. — Lordat, mém. cilé, p. 20. (2) Spurzheim, Essai sur les principes de l'éducation, loc. cit.—Burdach, ouv. cit. (3) Ouv. cité, tom. II, ch. 1v, p. 97-98. 156 DE LA LOI D INNÉITÉ se faitsentir, pendant des milliers d’années et dontla pré- sence était un besoin pour l’humanité, au moment où ils sont entrés dans la vie: les plus grands hommes appar- tenaient à des familles vulgaires, pauvres ou inconnues(1). L'autre auteur le démontre par une rapide esquisse de la généalogie des personnages célèbres de l’antiquité(2); mais aucune histoire ne le confirme mieux que l’histoire de la France, ni aucune époque mieux que la grande époque de notre révolution. 2° Les différences morales, entre les enfants et les pères et mères, peuvent êtreen sens in verse et tout au détriment de la nature des enfants et de leur intelligence (3) : Des personnes distinguées par les dons de l’esprit ou les qualités de âme, comme par les grâces du corps, engendrent des enfants privés de ces avantages, et qui naissent avec de mauvaises inclinations (4) : souvent même, des parents doués des plus éminentes facultés men- tales , n’ont que des enfants stupides ou de la plus inepte médiocrité. Ces contrastes ressortent, dans la postérité la plus immédiate des plus brillants génies; cette observa- tion avait, chez les anciens, donné lieu au proverbe rappelé par Lyonnet (5) et invoqué par Louis, contre l’hérédité : Heroum filii noxæ et amentes Hippocratis filii. Comment arrive-t-il, demande Alexandre de Tralles, | que tant d’imbéciles engendrent des hommes capables , et | que de tant d’hommes capables naissent des imbéciles (6)? | Parquel singulier jeu de la nature, s’écrie un autreauteur, 1) Ouv. cité, tom. II, p. 245. 2) Theat. ingen. hum., lib. IT, p. 226 - 227, — et 234 - 9238. ( ( (3) De Pré, de Morbis archealibus, sive hœæreditariis, p.12. (4) Lyonnet, Louis, Virey, etc., ouv. cité. ( ( DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 457 du sage Périclès, peut-il sortir deux sots, comme Parale et Xanthippe, un furieux comme Clinias ? de l’intègre Aris- tide un infâme Lysimaque? du grave Thucydide un inepte Milésias, un stupide Stéphane? du tempérant Phocion, — un dissolu Phocus? de Sophocle, d’Aristarque, d’Aris- 2 tippe, de Thémistocle et de Socrate, des fils plus vils que la pituite (1)? Et, poursuivant le cours de ces oppositions de la nature morale des pères et des enfants, depuis l’his- toire sacrée jusqu’à l’histoire romaine, il nous montre le fils de Fabius l’Allobrogique , si perdu de débauche qu’un jugement du préteur le frappe de l'interdiction des biens paternels (2) ; celui du grand Scipion, tombé à ce degré de honte et de dégradation, que ses parents indignés lui arrachent du doigt l’anneau à l’efligie de son illustre père (3) : les fils de Curion, le plus frugal des hommes, croupissant dans la plus abjecte dépravation : il nous re- présente, enfin, avec le grave Plutarque (4), le fils de Caton d’Utique aussi infâme de mœurs qu’infâme de là-<… cheté, et rappelle l’étonnement et la douleur de Rome de voir, dans un ivrogne et sot débauché, le fils de Cicéron ; _ dans un Caligula, le fils de Germanicus ; dans un Domi- tien , le fils de Vespasien; dans le gladiateur Commode, le fils de Marc-Aurèle. NM AT Il serait facile d'étendre à l’histoire moderne et d'y multiplier ces sortes d’antagonismes; on sait qu'ils y abondent : ils sont de toutes Les époques et de toutes les carrières : mais, les fils de Henri IV, ceux de Louis XIV, ceux d'Olivier Cromwell, ceux de Pierre- le - Grand, (1) Edonis Neuhusii Theatrum, etc., lb. I, p. 331. (2) Valer. Maxim., lib. III, cap. v. (3) Ibid. id., id. (4) Plutarque, dans Caton. 158 DE LA LOI D INNÉITÉ comme ceux de La Fontaine, de Crébillon, et de Goëthe, et de Napoléon, dispensent de tant d’autres noms que Von pourrait citer. L'expérience, en ce point, est trop générale, elle est trop positive, elle est trop permanente, pour aller demander, à la lettre morte des livres, la con- firmation de faits présents et vivants devant tous les yeux : il semble qu’il existe une fatalité qui ne permette pas que la plupart des enfants des personnes éminentes par leur intelligence et par leur vertu, soient dignes de leurs pères; et plus d’un philosophe a dû s’armer contre elle. On connaît la réponse de Stilpon aux amis qui lui di- saient que sa fille le couvrait de honte : «Elle ne me fait > pas plus de honte que je ne lui fais d'honneur. » Diogène Laërce (1) a mis une parole plus cynique dans la bouche ru d’Aristippe : on lui reprochait son excès de rigueur envers d’indignes fils , et la répudiation qu’il faisait de son sang : \ à a « et la vermine, dit-il, et la pituite aussi, s’engendrent de notre sang; cependant qui ne les rejette (2)? » L’his- toire a conservé du roi Philippe IT, d’Espagne, et du ezar Pierre [°, sur leurs propres enfants, le czarwitch Alexis, et l’infant don Carlos, des mots analogues, mais dont l'expression s’est profondément empreinte du caractère de l’empereur et du roi : «quand on a de mauvais sang , « on se le fait tirer. » Les considérations de fait qui servent de base à ces mots historiques , avaient assez vivement influencé Pla- ton, pour vaincre, sur ce point, l’impulsion deson esprit aristocratique. L'importance qu’il ne peut se défendre (1) Diogène Laërce, Vies des philosophes de l'antiquité, liv. II, ch. x. (2) Idem. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 159 d’attacher à l'extraction de familles puissantes et habiles, lorsqu'il ne considère dans la génération que l’hérédité, ne lui ferme pas les yeux sur les inconvénients de l’a- dopter comme loi de transmission des pouvoirs : il pense, à la vérité, dit Ritter, que le plus souvent les bons nais- sent des bons, les méchants des méchants ; mais que, d’autres fois aussi, les bons donnent le jour à des mé- chants et réciproquement (1). Aussi, loin d'appliquer le principe de l’hérédité au gouvernement, le rejette-t-il complétement de sa république ; il n’y veut pas plus d’a- ristocratie de naissance que de fortune ; et, comme il n’y tolère d’autre domination que celle de la vertu et celle des lumières, la souveraineté n’y est transmissible qu’en- tre les philosophes (2). Les mêmes réflexions fondées sur les mêmes faits ont porté d’autres auteurs, avant et après lui, bien au delà des limites où il s’est arrêté : il en est chez lesquels le dé- veloppement spontané de la diversité dans la généra- tion , les dissemblances mentales et morales si fréquentes, si extrêmes quelquefois des enfants aux parents, ont éteint toute fois dans l’hérédité de la nature morale. Dès avant Platon, un poëte qu’il a cité (3), Théognis, avait dit, dans une élégie, que si l’âme était de nature à être procréée, et pour ainsi dire inoculée dans l’être, par la génération , jamais un mauvais fils ne naïîtrait d’un bon père; argument qui a pris et qui devait prendre faveur, près d’esprits plus sérieux : il n’a échappé à aucun ad- versaire de la doctrine de l’hérédité morale : Lyonnet, (1) Ritter. Histoire de la philosophie, tom. IT, p. 369. (2) De republic. INT, p. 415, A. S. IV, p. 493, C.S. V, p. 459, À. S. — et VIE, p. 540. — Voyez aussi le Timée, p. 18. (3) Dans le dialogue Ménon ou de la vertu. 160 DE LA LOI D'INNÉITÉ Helvétius, Weiïkard, Louis, Wollaston surtout, s’en sont emparés. Le dernier dit nettement qu’une sem- blable différence a autant de force pour prouver qu’il n’y a point de génération d’âmes, que la ressemblance en a pour prouver que les âmes passent des pères aux en- fants (1). Tout récemment encore le professeur Lordat a soutenu la même thèse (2). Cette argumentation aurait pu s'appuyer sur des con- trastes encore plus extraordinaires : La variété peut prendre un tel développement dans la nature morale, elle peut lui imprimer de telles divergen- ces, qu’elle la fasse sortir, comme la nature physique (3), non pas seulement du type moral de la famille, mais du type moral de la race à laquelle la famille appartient (4). La diversité psychologique des races est, comme nous l'avons vu, aussi bien démontrée que leur diversité phy- siologique ; et cette diversité porte sur toutes Les formes du dynamisme humain. Toutes les races, en un mot, quoique participant toutes des attributs d’une seule et même espèce, les présentent sous une forme et à un de- gré propres à chacune d’elles ; chacune d’elles a son type de sensoriété, son type de caractère , son type d’intelli- gence, son type d'activité : or, il n’en est pas une où la génération ne développe d'anomalies soudaines du natu- rel , et où l’on ne soit à même d’observer, ainsi que dans la forme physique de son existence, des transitions di- oyez plus haut, Ile part., liv. I, ch. 1er, p. 492 et sui. (8) V 4) Demangeon, De l’imagination, p. 460. \ DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 161 verses et spontanées du type moral de la race, au type moral d’une autre. La race nègre, par exemple, de aveu unanime de tous les naturalistes qui l'ont étudiée, a par-dessus les autres une délicatesse, une perfection, une puissance vraiment miraculeuses des sens. La vue, l’ouie, lodorat, le goût et le toucher , sont chez elle, ainsi que dans plu- sieurs nations américaines (1), d’une subtilité incom- préhensible ; les nègres distinguent un homme, un vais- seau en mer, dans un éloignement où les Européens . pourraient à peine les apercevoir, avec des lunettes à longue vue (2). lis entendent, comme ils voient, à d'immenses distances, les sons les plus légers, les pius imperceptibles : leur sûreté d’odorat est aussi ex- ‘quise : ils flairent de très-loin les animaux qu’ils chas- sent, ils les suivent à la piste (3), discernent celle d’un serpent , celle d’un nègre, celle d’un blanc (4). Leur sen- . Sibilité de goût et de toucher est de la même finesse ; en un mot, ils présentent, à un si haut degré, les instincts animaux, que Virey, s’emparant de ces analogies, est tenté de voir en eux, selon l'ordre de la nature, les an- ciens frères des singes. Eh bien, il n’y a pas un seul de ces traits partiels du naturel nègre, qui ne manque à plusieurs, et il n’est peut-être pas de race où, spontané- ment, ils ne puissent apparaitre. La race blanche en compte un grand nombre d'exemples : chez quelques in- dividus, la puissance de la vue ÿ atteint au prodige ; on (1) Voyez Morton, Crania Amertcäna, Boston, 1840. Voyez encore les détails que donne, sur les Gauchos des Pampas, le capitaine Bazile Hall. (2) Virey, Histoire naturelle du genre humain. (3) Observations physiques, tom. IL, p. 183. (4) Observations physiques, loc. cit. Virey, ouv. cité. — Zimmermann, De l'expérience, tom. NT, p. 320. lg Ai + 162 DE L'INNÉITÉ sait que, s’il est des yeux qui peuvent à peine compter quelques étoiles au ciel, où les meilleures vues en nom- brent à peine trois mille, il en est qui luttent presque avec les instruments. J’ai connu une personne, qui, seule de sa famille , ne trouvait point d'avantage à se ser- vir de lorgnette ; la vision, chez elle, était d’une puis- sance et d’une portée que rien dans le physique de l’œil ne pouvait expliquer , mais cette faculté cessait avec le jour. Digby parle d’un homme dont la subtilité d’odorat était telle qu’il flairait, comme les nègres, l’approche de l'ennemi, et distinguait, à de simples émanations , sa femme d’une autre femme. Chez le religieux dont il est question dans le Journal des savants de 1684, la péné- tration de l’odorat tenait à la divination; non-seulement ce religieux reconnaissait à l’odeur , les diverses per- sonnes ; mais, ce qui serait plus étrange, et ce qu’il est très-permis de révoquer en doute, il aurait distingué les filles ou les femmes chastes de celles qui ne l’étaient pas. Il avait commencé un traité des odeurs, quand la mort vint le surprendre (1). Zimmermann raconte que l’illustre Haller lui-même avait une perfection si grande de l’odorat, que dans Le temps où l’habitude de la dissec- tion le rendait insensible à l’odeur des cadavres, il sen- tait de sa maison des pommes renfermées dans la maison voisine, et percevait de dix pas la transpiration de vieilles gens, insensible à tout autre qu’à lui (2). Daignan, enfin, rapporte, comme témoin oculaire de la délicatesse de l’o- (1) Lecat,, Traité des sensations et des passions, tom: Il, p. 255, 258, Je ne sais, ajoute-t-il plaisamment, si un homme si savant en ce genre n'aurait pas été dangereux dans la société. (2) Zunmermann, Traité de l'expérience, trad. par Lefebvre de Ville= brune, tom. IT, p. 320. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 163 dorat et du tact un exemple singulier, s’il ne s’est pas mépris sur sa réalité : il dit avoir vu en 1760, à Tournay, dans une famille de huit à dix enfants, une petite fille de neuf mois ou environ, qui depuis Pàge de trois mois, pleurait toutes les fois qu’on avait mis sur elle, ou dans son berceau, quelque linge qui avait servi à d’autres, jus- qu’à ce qu’on l’eùt changé pour lui en donner qui n’eussent servi qu’à elle, ce qu’elle distinguait en les flairant, quoique blancs de lessive (1). -Ce que nous venons de dire des sens, nous pouvons le répéter des inclinations, des goûts, des caractères, des facultés mentales : la viemorale n’a point deforme propre; ni de type spécial à une race, qui ne puisse spontanément surgir dans une autre, On retrouve, chez des blancs, une foule de traits épars et plus ou moins profonds, du naturel nègre, du naturel mongol, ou de celui d’autres races, comme on en retrouve, chez eux, de leur complexion phy- sique et de leur conformation. Ne rencontre-t-on pas dans toutes les races balnches, des individus à l’humeur mobile, violente, inconsistante, et presque exclusivement sensuelle du nègre; d’autres à l’inertie stupide du Hottentot, qui préfère l’inaction du corps et de l'esprit, à la volupté même (2). Est-il même très-rare de voir s’y manifester des caractères qui offrent cette réunion bizarre des défauts des deux âges extrêmes de la vie, l'ignorance et la légèreté de l’enfant, l'incapacité et l’opiniâtreté incurables du vieil- lard, qui font du naturel de la race rouge, le type peut- être le plus incivilisable et le plus bestial de l’huma- nité (3). Oui, dans la race blanche, il naît spontanément (1) Daignan. Ouv. cité, tom. I, p.7. (2) Virey. Histoire naturelle du genre humain, tom. I. (3) Journal of the Royal geographical Society, tom. IT. Traduction an- glaise de l'ouvrage du docteur Martius. 104 DE L'INNÉITÉ de ces types exotiques, et réciproquement, il surgit dans ces types, chez quelques individus, des traits disséminés du naturel des blancs, tandis que par exemple, dans la belle et grande famille caucasique, la race prééminente par l’intelligence, apparaissent des hommes d’un esprit inférieur et qui sous ce rapport s’écartent de son type, des races , sous le même rapport, moins privilégiées, en- gendrent tout à coup des hommes supérieurs à la race et au temps. Ce fait s’est réalisé jusque dans les races les plus dédaignées. Malgré ce qu’on a dit et dit avec raison de l’incapacité de la race nègre, Blumenbach, Maltebrun, Bory de Sant-Vincent, Perceval, l'abbé Grégoire, etc., ont fait connaitre les noms de nègres doués de facultés re- marquables : il en est qui surpassent en talent musical, en science mathématique ou philosophique , la majorité des Européens (1). Toussaint Louverture n’était certainement pas, comme tête politique, un homme ordinaire (2) : de la race des Cafres (3), de la race Hottentote, que Bory de Saint-Vin- cent nous peint comme réduite à une sorte de glousse- ment, pour unique langage, et que les Cafres eux-mêmes chassent et exterminent comme une sorte de gibier, sortent des hommes courageux, et quelquefois des hommes d’une rare intelligence (4). IL n’est pas jusqu’au stupide Esquimau, jusqu’au Groenlandais, qui ne puissent pré- senter le même phénomène (5). Dans toutes les races, enfin, (1) Spurzheim, Essai sur les principes élémentaires de l'éducation, p.18. (2) Broc, Essai sur les races humaines considérées sous les rapports anatomique et philosophique, p. 77. (3) Id., p. 81. (4) Kolbe, Voyage au cap de Bonne-Esperance. Nuremberg, 4745, 3 vol. in-folio. (5) Prichard, Histoire naturelle de l'homme, tom. II, p. 280, 289. DANS LA PROCRÉATION DU BYNAMISME VITAL. 165 comme dans toutes les familles, naissent spontanément des individus destitués des traits du caractère moral, ainsi que d’autres des traits du caractère pAsIQRE de leur race originelle. La diversité qui se produit ainsi, dans la génération, ne s'arrête pas même à ces degrés d’écarts : comme dans les variétés infinies qu’elle engendre, elle abandonne sou- vent le type de la race, elle peut dénaturer, dans ses bizar- reries, jusqu’au type moral des espèces elles-mêmes. Parmi les animaux, des individus naissent, à divers degrés, étrangers aux mœurs, et privés des instincts com- muns de leur espèce : le même fait se répète dans l’huma- nité. C’est ainsi, dit Burdach, qu’on voit des enfants, chez qui le caractère de l'humanité est plus ou moins altéré, sous le rapport des facultés intellectuelles, des qualités morales, ou de la constitution, sans que l’on en puisse découvrir la cause, ni dans le physique, ni dans le moral, ni dans le genre de vie de ceux qui leur ont donné le jour (1). Cette altération spécifique peut n’atteindre que les sens externes ;-chez un grand nombre, c’est l’œil : plusieurs enfants arrivent à la vie, inhabiles à la perception d’une ou de plusieurs couleurs (2); il en est pour lesquels le bleu n’existe pas; il en est pour lesquels le rouge est in- sensible; d’autres qui ignorent le jaune; d’autres aux yeux de qui le ciel, Les astres, la terre, la mer, les oiseaux et les fleurs, toutes les nuances du prisme magique deluni- vers, se fondent uniformément dans une teinte sombre et terne, ou n’offrent que des degrés de blanc et de (1) Burdach, Traité de physiologie, tom. IL, p. 245. (2) Muller, Physiologie du système nerveux, tom. IE, p. 447. 166 DE L'INNÉITÉ noir (1). 11 en est d’autres, enfin, plus malheureux en- core, pour lesquels la lumière elle-même n'existe pas : ils naissent aveugles de parents voyant clair, comme les précédents, frappés d'anomalies, de parents dont les yeux n’offrent rien d’anormal (2). ù D’autres fois, au lieu de la vue, c’est l’ouïe, qui est atteinte, dans les mêmes conditions : la surdi-mutité, dans un grand nombre de cas, n’a rien qui explique de la part des auteurs de la génération. Fernel rapporte qu’un père et une mère, tous deux d’une parfaite santé, d’une organisation des sens irréprochable, n’engen- draient que des sourds-muets (3); Baillou a raconté un autre fait analogue; Poilroux, plus récemment, a fait la mème remarque dans une autre famille, où le père et la mère jouissaient l’un et l’autre du sens de l’ouïe et de la faculté de parler (4) : dans la famille Luco, dont Bouvyer Desmortiers a retracé l’histoire, le phénomène s’entou- rait d’une bizarrerie de plus: les parents, doués tous deux de l’intéorité de la voix et de celle de l’ouïe, engendraient, par une sorte de périodicité constante et régulière, des enfants sourds-muets, puis d’autres qui ne l’étaient pas (5). On trouve ailleurs un fait presque aussi singu- lier : c’est celui d’une famille qui habitait alternativement Paris et Bordeaux ; les enfants engendrés à Bordeaux . naissaient tous sourds-muets : les enfants engendrés à (1) Philosophical transactions of the Royal Society of London, 1777, p. 260. — Transactions of the Royal Society of Edinburgh, vol. X, p. 253. (@) Portal, Considérations sur les maladies héréditaires. (3) Fernel, Patholog., lib. V, cap. vi. (4) Poilroux, Recherches sur les maladies chroniques, p. 252. (5) Bouvyer Desmortiers. Considérations sur les sourds-muets de naïis- sance, p. 125. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 167 Paris, naissaient tous doués, comme leurs parents, de la plus parfaite intégrité de l’ouïe (1). La vue et l’ouie peuvent même être ainsi frappées toutes deux à la fois. Tel était Le cas de l’infortuné Michel, dont il est question dans l’ouvrage de Spurzheïm : il était né le 11 novembre 1795, sourd-muet et avengle de parents voyant clair, entendant et parlant (2). Chez d’autres, l’œil et l’oreille exercent leurs fonctions : lindividu percoit la lumière, les couleurs, les vibrations sonores, mais le goût et l’odorat naissent complétement inertes. Schenck, en a rapporté de curieux exemples : un des plus étranges, est celui d’un nommé Lazare, autre- ment dit, le mangeur de verre. Get homme dévorait indif- féremment tout, verre, pierre, bois, charbon, animaux vivants, poissons, linges , ordures, etc. ; il avait le palais également insensible à toutes les saveurs. L’anatomiste Colomb, qui, après sa mort, en fit l’autopsie, reconnut chez lui une déviation des nerfs de la quatrième paire (3). Les célèbres polyphages, Bijou et Tarare, ont offert, de nos temps, des faits analogues; et, circonstance curieuse, chez ces omnivores, l'autopsie révéla un rapport singulier de conformation entre leur tube digestif et celui des ani- mâux carnassiers. Au lieu des sensations, il arrive quelquefois que ce sont les sentiments, que c’est le type spécifique du caractère moral, que ces dégradations spontanées dénaturent : ces dégradations peuvent se rapporter ou à la quantité, ou à la qualité de la puissance de sentir. L’une et l’autre faculté, comprennent dans chaque es- (1) Anecdotes de médecine, tom. II, p. 241. (2) Vimont, Traité de la phrénologie, tom. 11, p. 67. (3) Schenckii Observationes medicæ de capite humano, p. 416. 168 DE L'INNÉITÉ pèce, particulièrement dans l’espèce humaine, des degrés innombrables. Nous en distinguerons trois dans la premiere : | ILexisted’abordde cesnatures exquises, quisententaussi loin etaussifortementqu'il aitété donnéà espèce desentir. Il en existe d’autres, natures intermédiaires, en qui la faculté spécifique de sentir présente un type moyen et se produit toujours dans une certaine mesure. _ILen existe enfin, qui semblent destituées, au sein de la même famille, on ne sait pas pourquoi, on ne sait pas comment, du pouvoir de sentir, aveugles et sourds de l’âme, que n’échaufle aucun rayon de sa plus vive lu- mière ; natures végétatives, ces êtres vivent et digèfent, mais le plus grand excès de leur sensibilité leur donner le sentiment d'eux-mêmes. Touteune série d’êtres, atteints de cette sorte d’anesthésie profonde, restent ainsi comme en dehors de l’humanité. Les nuances et les degrés de la seconde forme de la sensibilité affective de l’âme, ou de la qualité spécifique 2 s’épuise à. de sentir, sont trop infinies, pour qu'il soit possible de les énumérer ; il faudrait posséder un prisme qui réfléchisse, en quelque manière, toutes les couleurs de l’âme, et sur lequelon puisse comparer et noter, chez les différents êtres, celles qu’ils percoivent ou ne perçoivent pas. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’à côté des êtres privilégiés qui jouissent de tous les modes de sensibilité que l’homme a recus du ciel, il en existe d’autres, qui, sans être insensibles, sont comme destitués du pouvoir de réflé-. chir telle ou telle série des sentiments de l’humanité. Ces anomalies rétrogrades peuvent même faire redes- cendre l’homme, jusqu’à une sorte de bestialité native, tristes et incurables métamorphoses, dont l’innéité, dans DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 169 la génération, est l’unique Circé. N’y a-t-il pas des êtres qui n’apportent à la vie, que la figure de l’homme, des hommes qui ont du tigre ou de la brute dans le sang, in- nocemment capables, et quelquefois coupables de tous les genres de crime? Nous regardons, pour notre part, comme rentrant dans cette classe de monstruosités, beau- coup de naturels, que l’on a tort de ranger dans les mo- nomanies. Les anciens an été tellement frappés de ces appa- ritions d’instincts rétrogrades, dans l'humanité, qu’ils en cherchaient les signes Jusque sur les visages, et qu’ils po- saient en loi, heureusement arbitraire, que l’homme devait avoir les mœurs de l’animal dont il avait les traits (1). Ce qu’il y a de très-remarquable, c’est que dans beau- coup de cas, rien de la part de la race, ni de la famille, n’explique ces dégradations. Plus fréquemment encore, c’est dans l’intelligence que naissent congénialement ces anomalies et que Le type spé- cifique du moral des êtres se montre altéré : l’idiotie na- tive survient dans-bien des cas où rien du côté ni du père, de la mère, ni des autres membres de la famille ne l'explique. IL est même des familles et des individus, où ces dégradations spontanées de l’espèce atteignent à la fois et la forme physique, et la forme morale de l’exis- tence humaine. Kubhn, raconte Burdach (2), a connu deux époux, grands, robustes, intelligents et rangés, issus de familles bien constituées, et eux-mêmes pourvus d’or- ganes génitaux bien développés, qui étaient arrivés en temps convenable à la puberté et qui avaient contracté les liens du mariage à l’époque de leur pleine vigueur ; ja- (1) J. B. Porta, De humanG physionomid, lib. I, cap. 1I£ et 1V. (2) Ouv. cité, tom. IT, p. 246. 170 DE L'INNÉITÉ mais ils ne s'étaient écartés des lois de la nature dans leursrelations intimes : jamais non plus ils n’avaient fait usage d’aliments extraordinaires, ou de mauvaise qua- lité : toutes les grossesses et les parturitions de la femme, avaient été normales, et elle avait allaité ses enfants jus- qu’à l’âge de deux ans; le fils aîné âgé de 24 ans, intel- ligent, mais haut seulement de trois pieds deux pouces, avait le menton dépourvu de barbe, et les organes géni- taux très-peu développés ; il n’éprouvait aucun désir et il était sujet à des accès de catalepsie. Un autre fils de 21 ans, ressemblait à son frère sous le rapport de l’appa- rence génitale, mais il était grand, fort, robuste et doué d’une voix mâle, du reste peu spirituel, arrogant, opi- niâtre, méchant. Une fille de 16 ans, avait trois pieds de haut, sans aucune apparence de puberté; elle était idiote et hors d’état de parler convenablement. Une autre fille de 10 ans et un garcon de 7 étaient complétement imbé-. ciles et incapables de parler, ayant une langue si épaisse qu'ils ne pouvaient la tirer (1). Des considérations que nous venoñs d’exposer, et des observations sur lesquelles elles se fondent, ressort donc, à nos yeux complétement démontrée, la vérité d’un fait que nous avons tout d'abord établi en principe : qu’au contraire de ce qui se passe sous le type spécifique, la gé- nération, sousle type individuel, développe spontanément sous la forme morale, ainsi que sous la forme physique. de l’existence des variétés natives où la procréation di- verge de la famille, diverge de la race et de l’espèce elle- mème, et personnifie, en quelque manière, tous les attri- buts des produits qu’elle anime. (1) Schriflen der Berlin Geselschaft naturforschender Freunde, t. 1, pag. 367. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 171 CONCLUSION DE CE LIVRE. Deux faits fondamentaux ressortent de ce livre : le pre- mier, en harmonie avec ce que la science proclame depuis longtemps, c’est qu’il n’existe point d’INNÉITÉ dans letype spécifique des êtres, ou, en d’autres termes, que la généra- tion n’institue point d'espèces : une expérience qui re- monte, comme nous l’avons vu, presque aussi avant, dans la nuit des temps, que les traditions humaines, montre partout et toujours la PROGRÉATION respectant les types de la nature physique et morale des espèces, types primor- diaux de la cRÉATION dont elle est l’image, et dont elle est appelée à répéter les œuvres. De ce principe découle la conséquence de l’uniformité spécifique des êtres, dans chacune des espèces qui se re- produisent. Le second fait est celui de la perpétuelle action de l’in- NÉITÉ sous le type individuel des êtres : c’est le phéno- mène inverse de la PROGRÉATION, qui, fixe et immobile devant les caractères des espèces, demeurées invariables au milieu de leurs mille renouvellements, se montre presque aussi féconde en métamorphoses, qu’en multiplications du type individuel. La génération n’y apparaît-elle pas, dé- veloppant de toutes parts, au sein de l’identité de espèce, de la race, et de lafamille elle-même, dans la forme phy- -sique et dans la forme morale del’organisation, des varié- tés sans nombre? , | De ce second principe découle la conséquence de la diversité individuelle des êtres dans l’unité d'espèce. Il a été donné à chacun de ces deux grands phénomènes de la vie, la fixité de l’espèce, lavariabilitéde l’individu, de 172 DE L'INNÉITÉ remuer, dans tous les temps, les intelligences, et dans tous les temps, de profondément diviser les esprits. La nature des questions et l’ordre des matières nous appelleront plus loin à remettre sous les yeux et les prin- cipes qui viennent à l’appui du premier, l’immutabilité du type spécifique, et l’ensemble des doctrines qu’on lui a opposées (1). Mais les débats que soulève Le second phénomène, celui de l’innéité du typeindividuel, ou de la diversitéà l'infini des êtres, se produisant sous toutes les formes de l’exis- tence, et à tous les degrés possibles d’analogie, dans la PROCRÉATION, réclament, dès cemoment toute notre âtten- tion, et c’est icile lieu de mettre en parallèle avec lexpli- cation que nous avons présentée de ce fait fondamental, la revue des impressions qu’il a éveillées et celle des théo- ries diverses qu’il a fait naître. De tous les types de vie et d’uniformité d'organisation : où il se développe, il n’en est aucun où son développe- ment excite plus de surprise que le sein de la famille. En l'y voyant jaillir, en quelque manière, de l’iden- tité même, toutes les opinions n’ont qu’une voix pour se dire : quelle est donc la nature, l’origine, la cause de cette diversité? d’où viennent ces dissemblances des en- fants aux parents et des enfants entre eux? Questions inévitables, que les intelligences, amenées de près ou de loin à heurter ce problème, sont partout et toujours for- cées de se poser. Parménide, Empédocle, Hippocrate, Aristote, etc., se les sont adressées dans l'antiquité, et, à leur suite, une foule d’auteurs les plus divers d'époque et de pays, depuis Alexandre de Tralles et Averrhoës, jus- (1) Voyez tom. IT, IVe part. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 173 qu'aux écrivains, philosophes ou médecins, des trois der- niers siècles, entre autres Vanini ({), Zacchias (2), Louis Mercado (3), André du Laurens (4), Benoît Sinibaldi (5), de Pré (6), Wollaston (7), Maupertuis (8), Louis, Ve- nette (9), etc. « Cur in iisdem mœnibus et parietibus, dit Neus, «eumdem cœli aerem haurientes, ejusdem slirpis « ac sanguinis cognatione devincti, tam variis affectibus « aique ingeniis aguntur? ut vultuum ità mentium di- « versos natura habitus et quasi iineamenta effinxit qui- « bus singuli, tot jäm per sæcula homines, sub codem - « cœlo, in eâdem domo ac familià a se dissenserunt : quot « capita tot hominum diversa ingenia. UE suum quisque © spiritum ità indolem a naturä traxit peculiarem, cer- « Lum virtulis vitiorumque, crescentibus annis, rudimen- « tum (10).» D'où peut donc venir cette bisirriitel se demande Pierre Baïlly, encore tout étonné de la rencontrer jusques entre les jumeaux, différents, écrit-1l, en visage, linéa- mens, mœurs, voix, écritures, gestes, port de corps, et en beaucoup d’autreschoses (11)? Existe-t-elle dans les germes ou dans les développements? se demande Helvétius. D’où provient, se dit de même le docteur Gall, cette différence (1) Jul. Cæs. Vanie (2) Quæstiones medico-legal. lib. I, tit. v, quæst. 111, p. 122. (3) De morb.mulier., lib. III, cap. vu. (4) OEuvres d'André du Laurens, liv. VII, De la génération, quæsi. xx, p. 411, #19. (5) de cilé. (6) De Pré, De morbis archealibus sive hæredtaris. Erfurth,1702, p. 12. (7) Ouv. cité. (8) Vénus physique, L'° partie, ch. x, p. 60, 2me part., ch. 111, p. 97. (9) Traité de la génération. (1 à Ed.Neihusi Theat. ingentii humani, lib F, cap. xvin, p. 306. (11) Pierre Bailly, Songes dEphestion, p. 111. 174 DE L INNÉITÉ d’individu à individu, dans les facultés et les qualités es- sentielles communes à l’espèce, différence plus frappante dans l’humanité, que dans toute autre nature d’êtres, et que l’on observe dans le caractère moral et intellectuel d’une seule et même famille (1)? A Nous n’avons pas besoin de dire que la réponse change avec les systèmes. Le fait même qui la provoque, le déve- loppement spontané de la diversité dans la génération, est loin d’avoir pour tous le même caractère. Ce fait laisse sans surprise ceux-qui rejettent la doctrine de l’hé- rédité de la nature physique et de la nature morale, sous. le type individuel : il rentre dans leurs principes. Ils disentavec Ch. Bonnet: « Le germe porte l’empreinte origi- « nelle de l'espèce, et non celle de l’individualité : c’est « très en petit un homme, un cheval, un taureau, etc. « Mais ce n’est pas un certain homme, un certain cheval, « un certain taureau (2). » | Mais on comprend combien cette diversité doit étonner tous ceux, qui professent la doctrine diamétralement con- traire, lorsque l’absence égale de l’hérédité des côtés ma- ternel et paternel de l’être, leur enlève la ressource d’une explication conforme à leur système. La première question que ces deux théories inverses aient à résoudre, est celle de la nature du fait qui les sé- pare, c’est-à-dire de l'essence de la diversité dans la pro- création. Sur ce point capital nous nous trouvons en face de deux doctrines contraires : une première ratta- che le fait de la variété à l’hérédité, et le considère comme une anomalie de la génération ; sous le type individuel (1) Gall, Sur les fonctions du cerveau, tom. IE, p. #14, 416. (2) Bonnet, Considérations sur les corps organisées , tom. IT, chap. vu, 3 S 338, p. 219. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 175 comme sous le spécifique, la ressemblance, à ses yeux, en est la seule loi: une seconde disjoint le fait de la variété de l’hérédité, et le déclare un fait ordinaire et normal de la génération ; sous le type individuel, la aHsrence, pour elle, en est la règle unique. De là des divisions sans nombre sur l’époque, ainsi que sur la cause de la diversité, dans la procréation. Toutes rentrent cependant dans deux ordres d’idées : 1° nous renfermons, dans l’un, toutes les théories qui li- mitent le principe de la diversité, dans la procréation, aux simples circonstances de la procréation et du développe- ment de l’être; 2° nous comprenons dans l’autre, toutes les théories quiélèvent le principe de la diversité, dans la procréation, au-dessus des circonstances de la procréation et du développement de l’être. Nous allons rapidement parcourir cette double série d'opinions. I. Dans la première série, trois opinions se partagent sur l’époque et la cause de la diversité dans le type de la famille : 1° Elle est pour une première, postérieure à la vie in- tra-utérine, et reconnait pour cause, l’ensemble des cir- constances qui peuvent agir sur l'être, après la naissance; toutes les influences physiques et morales de l’alimenta- tion, de l’éducation, des lieux et des climats. C’est la thèse soutenue avec complaisance par Wollaston, Helvé- tius, Bonnet, Louis, Weikard, etc. 2° Elle est, pour une seconde, d’une date antérieure à celle de la naissance, mais postérieure à celle de la con- ception: elle a pour origine et pour cause, tous les troubles soit physiques, soit moraux de la vie utérine, toutes les influences de nature à réagir de la mère sur le fœtus, tels 176 DE L'INNÉITÉ que les effets d'imagination, les vices de nutrition, etc. Un très-grand nombre d'auteurs insistent sur les premiers : Th. Fien, Zacchias, Louis, de Mercado, André du Lau- rens, Venette, Lazare Rivière (1), Ulysse Aldovrand (2); d’autres, avec Demangeon, n’admettent que les seconds. « Pour les dissemblances, il n’est pas, dit-il, déraison- « nable de croire, lorsqu'elles ne viennent pas d’infidé-: « lité, que c’est au trouble des fonctions des organes de « Ja nutrition, d’abord dans la mère, et successivement « dans le fruit, qu’il faut principalement les rappor- « ter,» et il en donne pour preuve, les modifications et les variétés des plantes sorties des graines de même espèce, selon les terrains (3) ; 3° Elle est, pour une troisième, antérieure à l’ensemble de toutes les circonstances de la vie extra et intra-utérine : son origine est celle. de la conception mème, et c’est dans la nature des conditions physiques et morales (4) des deux êtres qui concourent à cet acte, qu’il faut chercher sa cause : Aristote la rattache en principe à l'insuffisance du père (5), Pline, Galien, Alexandre de Tralles, Sinibaldi, facchias (6), Virey (7), Portal, Girou (8), Spurzheim, et une foule d’autres, anciens ou modernes, en accusent, les uns, les préoccupations mentales dans le coït, les autres, les (1) Lazar. Rivière, Instilut. medical., lib. I, sect. Vir, cap. M, p. 29, in-fol. Lugdun. 1672. 5 (2) Ulyssis Aldovrandi Monstror. Histor., in-fol. p. 685, E. (3) Demangeon, De l'imagination, p. 467. (4) Portal, Considérations sur la nature et le traitement des maladies de famille, 3e édition, p. 5. (5) De generat. animal. 1v, 3. (6) Quæstion medico-legal., Utul. v, quæst. 13, p. 122. (7) Virey, Art de perfectionner l’homme, tom. IT, ch. 1v, p. 94 et 97. (S) Girau, de la Génération. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 177 différences ou les variétés des dispositions des parents dans l'instant de la conception : telles sont, en effet, pour ces divers auteurs, les causes qui font provenir les insensés des sages, ou les méchants des bons, etc. N'oublions pas de noter deux autres opinions : l’une, très- exclusivement admise par Vanini, ne concoit aucune autre cause de la dissemblance des enfants aux parents que celle de l’adultère (1); la seconde, hasardée plutôt qu’acceptée par Maupertuis (2), mais vivement accueillie de nos jours par l’habile expérimentateur Girou de Busareïingues fait remonter le type individuel jusqu’à l’infini des généa- logies, et ne voit dans les différences que des représen- tations d’ancêtres inconnus, ou des expressions d’une double paternité (3). IT. Er tête dela seconde série d’opinions, ou des théories qui élèvent le principe de la diversité dans la procréation au-dessus des circonstances de la génération et du déve- loppement de l'être, se présente le système qui, au re- bours de tous ceux qui précèdent, rejette l’hérédité sous le type individuel. Dans cette doctrine, il n’y a point à chercher de raison de la dissemblance des enfants aux parents, puisque cette dissemblance est la loi elle-même. (1) Jul. Cæs. Vanini, op. cit. (2) « Ces variétés, si on les pouvait suivre, auraient peut-être leur « origine dans quelque ancêtre inconnu.» Maupertuis, Vénus physique, seconde partie, ch. 111, p. 97. (3) Ch. Girou, de la Génération, ch. 1x. Après avoir avoué que la dou- ble paternité, si même elle existe, doit être fort rare, il ajoute : « Mais si « elle existe quelquefois, ne serait-ce pas des combinaisons qui en ré- « sultent dans un même individu que dérivent les traits de ses descen- « dants que n'offre pas la souche paternelle à laquelle on les rapporte ? » Ouv. cité, p. 221. — S'il était un moment possible d'admettre cette expli- cation de la dissemblance dans la génération, la paternité double serait un fait quotidien. I. 12 178 DE LA LOI D'INNÉITÉ Beaucoup moins absolue, une seconde doctrine, dans laquelle se groupent diverses opinions, sans méconnaître, comme l’autre, dans l’action du semblable, ou dans l’hé- rédité de l’individu, une loi positive de la génération, se refuse d’abord à regarder le divers, qui s’y montre de toutes parts, comme une anomalie; et elle repousse en- suite les raisons par lesquelles l’expliquent les systèmes qui lui attribuent un semblable caractère : aucun d’eux ne lui semble atteindre à son principe : ce principe, à ses yeux, échappe également et à ceux quile rattachent aux cir- constances actives après la naissance, et à ceux qui le rap- portent aux circonstances actives après la conception, et à ceux qui le font remonter jusqu’à celles de la conception elle-même. Elle convient cependant, avec les derniers, que ce prin- cipe agit dans l’acte et dans l’instant de la fécondation : mais toutes les opinions dont elle se compose sont d’accord pour penser, qu’on ne peut s’élever jusqu’à la cause pre- mière de la diversité dans la génération, sans s'élever au- dessus de toutes les circonstances qui accompagnent ou suivent les phases physiologiques de la reproduction et du développementde l’être. Cette diversité découle à leurs veux d’une source plus haute. Mais sitôt qu’il s’agit de s’expliquer sur cette source et de la déterminer, les avis se partagent, selon les hommes ou les temps. On la long- temps placée, par delà les limites dece monde sublunaire, dans les constellations, ou dans l’action des astres; c’est l’antique théorie défendue par P. Baïlly (1). Les Kabba- listes, pour qui la génération n’est que la descente du ciel, (1) D'où peut donc venir cette bigarrure, dit-il, sinon que le ciel sous lequel ils ont été faits roulant toujours avec diverses constellations et lumières, communique aussi ses influences diverses, etc. (Loc, cit.). DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 179 ou que l’incarnation des types préexistants dans la nature divine, la transportent de cette vie à la vie antérieure, ou de la procréation à l'institution originelle des âmes (1). Edo Neubs , un instant devenu manichéen , en divise le principe entre les deux puissances : la variété, en bien, a sa source dans Dieu : la variété, en mal, tire la sienne du diable (2). Le profond Burdach, enfin, amené de nos jours à s’expliquer sur elle, l’attribue premièrement à l’espéce qui, dit-il, cherche à réaliser complétement son type et produit de cette manière une infinie diversité d'individus, surtout dans l’humanité (3) ; puis lorsque la raison d’es- pèce disparait, comme lorsqu'il arrive à la diversité de s’élancer au delà de l’espèce elle-même, il invoque sim- plement l’ordre de l'univers (4). Laquelle adopter de ces doctrines opposées sur la na- ture, sur l’époque , sur la cause de la diversité dans la procréation? Nous nous rangerons d’abord contre toutes celles qui tendent à considérer la variété en soi, comme une ano- malie de la génération, comme un simple accident, comme une aberration de l’hérédité, tendance commune à toutes les doctrines renfermées dans le premier des deux groupes, qui ne se départent point de l’idée que là dissemblance est toujours, par le fait, à un degré quelconque, un ef- fet tératique. Personne n’est entré plus avant qu’Aristote (1) A. Franck, {a Kabbale, loc. cit. (2): « Altiüs illa mihi repetenda videntur, et à largitore bonorum Deo, « si malorum fonte diabolo, etc. — Est verd etiam, est profectù majo: « quædam vis quæ virtutum et vitiorum semina in hominum animos ef- « fundit, non à solo tantüm patrio adgenerata, sed à Deo quoque et dia- « bolo excepta, etc.» Theatr.ingenii humani, lib. I, cap. xvur, p.306, 313. (3) Burdach, Traité de physiologie, tom. IT, p. 245. (4) Id., p.246. 180 DE LA LOI D'INNÉITÉ dans cette opinion ; les autres n’ont fait que le suivre ou que le répéter : la ressemblance des enfants non-seuleinent aux parents, mais aux pères, est pour lui une loi si abso- lue et si essentielle de la génération, qu’il relègue parmi les monstruosités, toutes les différences qui s’écartent de ce type (1). Il y range même, à ce titre, la naissance des filles. Ce point de vue systématique était lié chez lui à ses propres idées sur la génération et la monstruosité, et aux idées de son temps, ou plutôt de son pays, sur la pré- pondérance exclusive de l’homme (2). Nous n’avons pas besoin de faire ressortir ce qu’il y a d’erroné dans ces opinions. Il n’est point vrai, d’abord, que la diversité constitue en principe une anomalie de la génération : sa généralité et sa nature défendent de lui attribuer un semblable ca- ractère : loin de se présenter sous un tel aspect, tant que la diversité reste dans les limites de la variété pure, elleest dans la famille ce qu’elle est hors de la famille. On ne peut que répéter avec Pierre Bailly que cette bigarrure est une beauté du monde (3); on ne peut que reconnaîtreavec Bur- lamaqui, que cette variété, envisagée dans sa généralité, bien loin d’être inutile, a un but important et providen- tiel (4), vérité capitale que la pathologie achève d'éclairer. (1) « Celui qui ne ressemble pas à ses parents, dit-il, est une sorte de monstre, car la nature s’écarte en lui de son espèce, c’est un premier de- gré de dégénération. » Arist., de Gener. animal., 1v, 3. (2) Non-seulement, dit Ritter, il regarde ce qu’il y a de femelle dans toute ia nature comme mutilé en comparaison du sexe mâle, mais il considère encore toutes les espèces d'animaux comme des êtres mutilés, tel que la taupe. (Hist. anim. 1v, 8.) Ritter, Histoire de la philosophie, tom. II, liv. IX, ch. 1v, p. 182. (3) Pierre Bailly, ouv. cité. (4) Burlamaqui, Principes du droit naturel et politique, 1764, tom. F, S x. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 181 Il n’est pas plus exact que les dissemblances des en- fants aux parents constituent par elles-mêmes, et soient toutes en principe des monstruosités. Elles ne peuvent pas l’être relativement à l’espéce, dès qu’elles respectent son type; presque toutes sont dans ce cas : elles peuvent encore moins l’être relativement à l'individu, en tant qu’elles le composent et le personni- fient : ce ne serait que par rapport à l’hérédité que ces dissemblances pourraient avoir ce caractère, si elles n’en étaient que des aberrations, et si l’hérédité en était le principe. Or, l’hérédité n’en est point le principe, et il n’est point vrai qu’elles puissent, ni dépendre d’elle, ni s’expliquer par elle. L’hérédité, sans doute, a ses bizar- reries, et elle a ses écarts; mais ils ne sont point de cet ordre, mais ils ne réagissent point contre sa propre loi, la loi du semblable dans la génération. Toutes les différen- ces apparentes qui naissent de l’hérédité ne sont, comme nous le verrons, que des alternatives ou des interversions dans les similitudes ; les différences réelles ne lui appar- tiennent point. De ce point de vue, elles ne sont que des effets sans cause (1). Sans contester ici, ni la réalité, ni l’influence de celles que , dans l’ordre d’idées que nous combattons, on leur a supposées, on ne peut donc voir en elles que des causes secondaires, des causes auxiliaires ou accidentelles. Mais il n’en est aucune que l’on puisse reconnaître comme la cause effective, comme le premier principe de la diver- sité, dans la procréation. 1° Cette diversité ne peut être, en principe, postérieure (1) Voyez à la conclusion générale de la seconde partie les autres rai- sons qui achèvent de renverser complétement ce système. 182 DE LA LOI D’INNÉITÉ à la vie extra-utérine, ni dépendre, dans sa généralité, des circonstances externes du développement de l'être, après sa naissance : cette première hypothèse tombe devant l’expérience et la logique des faits. Ainsi que l’ont très bien démontré Neubs (1) et Gall (2), on n’en peut voir la source, ni dans la différence de l’alimentation, ni dans la différence de l’éducation, ni dans la différence des cli- mats et des lieux ; car le divers s’engendre dans toutes les conditions d’analogie de ces influences , dans toutes les circonstances d'identité de la vie extra-utérine, chez des individus issus des mêmes parents. 2° Cette diversité ne peut être, en principe, postérieure au fait de la conception , et ne dépendre que des troubles physiques ou moraux de la mère dans la grossesse. Cette seconde hypothèse ne résiste pas mieux à l’expérience ; le divers s’engendre dans toutes les conditions les plus analogues de l’état physique et de l’état moral de la mère, dans le cours de la gestation ; il s’engendre sous l’empire des mêmes circonstances d'impression, d'émotion, d’ali- mentation ; il s’engendre, enfin, sans trouble de la vie intra-utérine, sans causes tératiques. D'une autre part, il n’est ni généralement, ni essentiellement, ce qu’il de- vrait toujours être si la perturbation en était l’origine ; une monstruosilé, une anomalie, au moins un accident; il est un fait normal, et, dans certaines limites, un fait (1) « Cur ejusdem patriæ aurà pasti, ejusdem hospitii domesticà fami- liaritate conjuneti, ex eodem utero geniti, ab eâdem stirpe ac sanguine propagali, in tàm diversas animorum species efformantur, si, à natali tantèm solo et cœlo, virtutum, vitiorumque indoles homini adgenera- tur. » Ouvw. cit. loc. cit. (2) Gall, Sur les fonctions du cerveau, tom. II, Loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 183 général , car, dans certaines limites , il existe toujours et se produit constamment. 3° Si tout tend à prouver que le moment initial de Vaction du divers, dans la génération, remonte jusqu’à . celui de la conception elle-même, et que la fécondation soit l'instant d’élection où ce principe déploie sa puis- sante énergie dans la procréation, il n’en résulte pas qu'il ne date que d’elle, ni qu’il n’existe qu’en elle : et, ce qui le démontre bien, c’est qu’il n’est au pouvoir d’au- cune des circonstances qui précèdent cet acte de nous l’expliquer, et que toutes les théories qu’on en a propo- sées ne sauraient rendre compte de son développement. L'hypothèse qui prétend déduire la dissemblance des enfants aux parents et des enfants entre eux de l’insufli- sance du père dans la copulation , système inacceptable soutenu par Aristote, tombe d’abord devant la loi po- sitive de la participation de la mère au produit; elle tombe ensuite devant la preuve empirique de la généra- tion de cette diversité, dans les conditions de la plus ar- dente vigueur et de la plus évidente prépondérance du père. L'hypothèse plus ancienne , mais souvent renouvelée, qui en cherche les causes dans l'inégalité de concours des deux sexes à l’acte reproducteur, ne saurait expliquer que la disproportion de la ressemblance de l'enfant au père ou à la mère, mais non ses dissemblances avec tous les deux. Une troisième hypothèse qui prétend faire naître cette diversité de la variété des dispositions physiques ou mo- rales, au moment du coîït, est atteinte du mème vice: celles de ces variétés de dispositions qui sont purement physi- ques , ne s'étendent point jusqu'aux formes; or, la di- versité est, comme nous l’avons vu, et tout aussi pro- 184 DE LA LOI D'INNÉITÉ fonde et tout aussi fréquente dans les caractères de la con- formation que dans les caractères du dynamisme des êtres ; celles de ces variétés de dispositions qui sont purement morales, telles que l’inattention, la préoccupation, la divagation, ne peuvent, d’après l’expérience et d’après . la logique des principes dont on part, que laisser pré- valoir l’influence et partant la ressemblance de celui des auteurs absorbé tout entier dans l’acte qu’il accomplit ; ou, en leur accordant le degré d’activité qu’on leur at- tribue, elles ne peuvent engendrer que des dispositions morales identiques, et non des facultés ou des disposi- tions différentes à la fois de ce qu’elies sont elles-mêmes, et différentes du type normal des facultés et des dispo- sitions de l’un ou de l’autre auteur. Rapporter, enfin, comme on l’a fait encore , toutes ces dissemblances aux diversités des tempéraments , des constitutions, des organisations, etc., ce n’est que faire changer à la question de forme, ou plutôt, re- culer l’objection d’un degré; d’où vient, répondrons- nous, que les tempéraments, que les constitutions, que les organisations, s’engendrent et se développent diffé- rents des mêmes êtres? « Personne n’ignore , dit Muller, « que les individus mêmes qui se ressemblent le plus, « eu égard à la complexion, procréent néanmoins des « enfants qui diffèrent les uns des autres sous le rapport « des formes et des aptitudes (1). » Tout vient donc démontrer que le développement de la diversité, dans la procréation, est, relativement à la génération, un acte spontané, c’est-à-dire dontle principe (1) Muller, Manuel de physiologie. Paris, 1845, tom. IL, ïiv. VIT, sect.ur, p. 763. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 185 échappe aux circonstances durables ou passagères, phy- siques ou morales de la reproduction , et qui n’a point sa cause originaire en elle. Ainsi, en même temps que la logique des faits établit sans réplique que la production de la diversité n’est ni un accident, ni une anomalie, mais un phénomène con- siant et régulier de tous les degrés de la procréation, la même logique prouve que cette diversité a une cause su- périeure et antérieure à toutes les conditions de l'acte où elle se développe. Sur ces deux premiers points, on ne peut que se rallier aux principes de la seconde des deux classes d'opinions que nous venons d’exposer : mais il n’en saurait être ainsi d'un autre point, ou de la nature qu’elle prête à cette cause essentielle. 1° Cette cause essentielle de la diversité, dans la pro- création, n’est pas l'action des astres ; dans la plus haute vigueur de cette hypothèse, aujourd’hui et sans doute à jamais délaissée, on lui opposait, comme nous l’avons dit, l'argument sans réplique de la diversité naturelle des jumeaux, et de celle de tous les hommes nés, dans le même instant, sur les mille points du globe. 2° La raison démoniaque est une hypothèse tombée depuis longtemps dans le même discrédit que la puis- sance qu’elle évoque. 3° L'intervention divine n’est pas une théorie plus scientifique ; c’est un lieu commun de causes. Remon- ter à Dieu, c’est remonter à l’auteur et non pas à la loi, et c’est la loi que la science aspire à pénétrer. Or, le recours pur et simple à l’auteur éternel la sous-entend, sans doute, mais ne la révèle pas. L'énergie de l’espèce et l’ordre de l'univers, invoqués 186 DE LA LOI D 'INNÉITÉ par Burdach, sont, sous une autre forme, deux explica- tions entachées du même vice : | La première, c’est - à - dire l’hypothèse que l'espèce trouve la variété des individus dans l’effort incessant de réalisation absolue de son type, n’est que le fait donné pour raison de lui-même. Cette explication, en lacceptant pour telle, est insuflisante, d’abord en ce qu’elle ren- ferme le fait dans des limites qui ne le contiennent pas: la diversité, sous le type individuel, franchit, comme on l’a vu, et de l’aveu de Burdach, celles de l’espèce elle- même. L’explication , ensuite , est inexacte, en ce qu’elle transforme le type spécifique en cause immanente du type individuel, tandis que, du moment où on leur reconnaitune existence distincte, aucun de ces deux types ne peut être considéré comme la source de l’autre; quoiqu’ils soient lunet l’autre harmonieusement fondus dans l'unité del’é- tre, chacun d’eux a sa loi : l'explication, enfin, est radicale- ment fausse sous ce dernier point de vue; car en faisant provenir du type spécifique la diversité du type individuel, elle transpose au fond la loi propre à chaque type, et, contre la nature et l'expérience des choses , elle fait éma- ner la diversité de celui dont l’attribut caractéristique est l’'uniformité et la fixité même. Ajoutons , pour conclure, que cette explication ne détermine rien. C’est le reproche que mérite, à un plus haut degré, s’il se peut, la seconde interprétation de la diversité adoptée par Burdach , ou le recours pur et simple à Lor- dre de l’univers. Telle est, comme on l’a vu, la vague théorie qui remplit, à ses yeux , le vide de la première, quand , en présence des faits où la procréation, devenue tératique, s’écarte de l’espèce dans l’individu, la raïson de l'espèce vient à défaillir. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 187 On ne peut disconvenir que la cause essentielle de la diversité ne soit cependant renfermée dans cette vaste Synthèse : la diversité spontanée qui se produit dans la procréation, doit nécessairement tenir à l’ordre de l’u- nivers. Mais, cet ordre est en soi un abîme de lois, un abîime de causes ; et son évocation ne nous explique pas , à quelle loi de cet ordre, ou à quel principe de l’im- mense système, cette diversité tient. Quel est donc ce principe, demanderons-nous nous- même ? Évidemment celui que nous venons de voir en action dans le ivre qui précède. Peu de mots suffiront pour achever de le mettre complétement en lumière. Trois faits fondamentaux ressortent de la discussion : Le premier, est celui de la nature normale et provi- dentielle de la diversité que la génération développe à linfini, sous le type individuel de l’existence physique et morale des êtres, et dont l'expression la plus saisissante est la dissemblance des enfants aux parents et des en- fants entre eux. Le second fait est celui de l'intervention directe de la cause première de cette diversité, dans l’acte et dès l’in- stant de la fécondation. Le troisième est enfin celui de l'indépendance de cette cause première de toutes les causes secondes et acciden- telles qui la favorisent, ou, pour tout dire d’un mot, la spontanéité de son activité dans la PROCRÉATION. Mais, de ces deux derniers faits, de la spontanéité et de l’intervention de cette cause première dans Pacte et dès l’instant de la fécondation, résulte nécessairement que cette cause préexistante et indépendante de toutes les circonstances, qui accompagnent ou suivent la PROCRÉA- 188 DE LA LOI D INNÉITÉ TION, doit être, dans son essence, sinon identique, du moins liée au principe de la PROCRÉATION même. Maintenant, ce phénomène de la diversité native et spontanée de la PROCRÉATION, est-il sans analogue dans la CRÉATION ? Non ; c’est à un point de vue frappant d’identité que la CRÉATION nous place. La CRÉATION nous montre un divers primordial et lié à son principe, car il commence avec la crÉATIoN elle- même : ce divers est normal et providentiel, car il s’é- tend à toute l’infinité des êtres , et il est un des types d'institution de la vie (1). Nous trouvons donc, d'abord, un rapport parfaite- ment établi de nature ou de caractère entre le divers nor- mal et congénial de la PROCRÉATION, et le divers normal et primordial de la CRÉATION. Mais ce rapport n’est pas le seul, et quand on réflé- chit, que si la diversité spontanée, qui s’engendre dans la PROCRÉATION, Sy élève au-dessus de toutes les circonstan- ces d'identité d’espèce, de race, de famille, d’auteurs, et de climat, et de lieu , et de nutrition, et d’éducation, la diversité primordiale, qui s’engendre dans la CRÉATION, échappe également, dans son premier principe , à toutes ces circonstances, et, plus puissante encore, y varie les espèces comme les individus, qu’elle y naît, en un mot, et s’y reproduit d'elle-même, tout porte à soupconner, qu’il n’y a point seulement rapport de caractère entre l’une et l’autre de ces diversités, mais rapport d’origine, mais unité de cause, c’est-à-dire action commune sur l’une et l'autre d’une force supérieure et antérieure aux actes où (1) Voyez première partie, liv. I*, ch. r et 11. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 189 elle se manifeste, et identique à celle de la cRÉATIoN. Que manque-t-il, maintenant, pour que cette pré- somption soit une démonstration ?... Qu'il y ait identité entre la force qui crée et celle qui procrée, car il y a, dès lors, nécessairement, entre elles, identité de loi. Or, avons-nous besoin de le répéter, l'identité existe et elle est démontrée: le principe actif de la CRÉATION est le prin- cipe actif de la PROCRÉATION. Ce ne sont point les êtres, à proprement parler, qui se reproduisent , c’est la nature qui crée, en eux et par eux, dans la génération : organes impersonnels de son activité, ils ne sont, devant elle, que de simples instruments encore tout pleins du Dieu de vie qui la possède, et par l’intermédiaire desquels elle re- nouvelle , selon les lois primordiales de l’institution des êtres, l’œuvre qui les a créés. Demandera-t-on, maintenant, à laquelle des lois de cette institution, la loi des dissemblances spontanées qui s’engendrent, dans la PROGRÉATION, doit être rapportée ? Évidemment, cette loi n’est pas LIMITATION, que L’HÉ- RÉDITÉ représente dans la génération : c’est donc de l’au- tre loi, de celle dont L’INNEITÉ représente le principe, c’est de L'INVENTION qu’elles doivent dériver; c’est-à-dire, de cette loi de la variété dans l’unité, d’où naissent les di- versités d'ordres dans l'unité de classe, les diversités de genres dans l’unité d’ordre, les diversités de races dans l’unité d'espèce, les diversités de familles dans l'unité de race, dans l’unité de famille les diversités des individus. Il est donc naturel, que lorsque l’on ne demande la raison de ces derniers degrés des différences congéniales des êtres qu’à la génération , ou qu’aux circonstances ac- tives qui l’entourent, elles ne la donnent pas ; elle n’est pas en elles ; et l’on comprend aussi en quoi il est vrai 190 DE L'INNÉITÉ DANS Lä PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. que cette raison remonte à l’ordre de l’univers. Cet ordre de l'univers doit s'entendre la NATURE, dont L'INVENTION persiste et continue d’agir dans la génération, c’est-à-dire, qui retient et qui exerce encore, dans la PROGRÉATION, sous le type individuel, et par l’intermédiaire des êtres qu’elle anime, la puissance qu’elle exerce immédiatement dans la crÉATION, celle de la liberté , de la variété et de l’imagination, dans le développement de la vie. Nous devions d’autant plus insister sur cette loi de L'INNÉITÉ dans l’organisation , que nous devons plus nous étendre sur la loi contraire, la loi de L’HÉRÉDITE. La ques- tion exige qu’on les mette en présence, parce qu’elles sont en concours, et qu’elles se mêlent tellement et se fondent en tant de nuances et sous tant de formes dans l'être, qu’il nous semble impossible d’omettre la part de l’une, sans s’exposer aux plus inévitables méprises sur la nature, le rôle et les limites de l’autre. C’est surtout dans la sphère de la puissance nerveuse, sphère où l’hé- rédité vient, comme nous l’avons dit, se heurter de toutes parts à des questions morales , et où, en théorie comme en fait, sa loi doit se concilier dans lêtre avec les autres faits et les autres lois de la personnalité, de la liberté et de la conscience humaine, c’est, dis-je, dans cette sphère que cette omission entraîne le plus d’erreurs et engendre, à nos yeux, le plus de confusion, de doutes, et de ténèbres. Nous n’hésiterons même pas, et nous le prouverons plus loin, à regarder l’absence et l’inintel- ligence de ce double point de vue, comme une des causes premières des doctrines exclusives ou des incertitudes qui règnent sur cette question, dans Les meilleurs esprits. DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ, ETC. 191 LIVRE SECOND. DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ DANS L’UNE ET L'AUTRE FORME D'ORGANISATION. La loi D’IMITATION ramenée à la naissance et devenue, en passant de la CRÉATION à la PROGRÉATION, la loi D’HÉ- RÉDITÉ, s'accroît de tout l’empire que, dans la génération, L'INVENTION abandonne. Poser le fait précédent de la restriction de cette der- nière loi, c’est, dans les mêmes limites, établir le fait de la domination et du développement de Pautre. 1° Sous le type spécifique où L’INNÉITÉ, comme nous Pavons vu, ne se constitue pas, la loi D'HÉRÉDITÉ devient donc exclusive : elle y règne partout, elle y règne seule ; elle y occupe la classe, elle y occupe l’ordre, elle y occupe le genre, elle y occupe l’espèce, elle y a l’évidence, l'unité, l’absolu, la fixité de leurs lois (1). Ni la forme plastique, ni la forme dynamique de l’exis- tence des êtres ne renferment, sous ce type, d'éléments organiques qui ne lui appartiennent. Nous avons démon- tré qu’elles restent inaltérables à l’influence du temps; que ni la succession des générations, ni celle des années ne (1) La fixité de la classe est aussi positive que celle de l’espèce même, et résiste comme elle à l'influence des circonstances (Voyez Cuvier, Histoire des sciences naturelles depuis leur origine jusqu'à nos jours. dernière lecon, p. 13), * 192 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ déterminaient en elles de métamorphoses physiques ou morales ; du fait qu’elles se maintiennent résulte qu’elles se transmettent : du fait qu’elles sont fixes, qu’elles sont héréditaires. L’'HÉRÉDITÉ, sous ce type, ne peut être mise en doute, et il serait superflu de nous y arrêter. 2 Sous le type individuel, si L'HÉRÉDITÉ reste une question plus obscure, c’est, comme nous l’avons dit, qu’elle n’est pas l’unique loi de la génération, et que L'ix- NÉITÉ y concourt avec elle au développement de l'être. Nous avons établi le rèle de la dernière, rôle trop ina- percu ou trop étendu, selon les points de vue des systèmes exclusifs. Le rôle de la seconde n’a pas moins d’importance ni de réalité dans l’organisation, sous le type individuel des deux formes d’existence; et son omission ne rend pas moins impossibles que l’omission de l’autre la recherche des origines et l’analyse complète des caractères de l'êime: CHAPITRE PREMIER. De lhérédité dans la procréation dela nature physique. La participation de l’hérédité à cette forme de la vie est la moins contestée parce qu’elle est matérielle, qu’elle est la première à tomber sous les sens, et frappe, pour ainsi dire, les yeux, dès le berceau. « Ce qui se transmet d’abord, dit Burdach (ou plutôt « ce qui apparaît d’abord comme transmis) par la voie de « l’hérédité, c’est le caractère physique (1). » (1) Traité de physiologie, tom. II, p. 248. — DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 193 Les considérations que nous avons exposées sur le rôle primordial de l’imitation dans la création de ce mode de existence, sont de tout point applicables au rôle consé- eutif de l’hérédité, dans la procréation de cette nature de l'être : il ne nous reste donc qu’à énumérer les divers élé- ments où elle se manifeste. . Ces principes sont les mêmes que ceux où lPinnéilé peut intervenir ; ce sont, en d’autres termes, tous les caractères des éléments solides, des éléments liquides, des états de la vie, et des anomalies de l’organisation. ARTICLE I. Del'hérédité descaractères propres aux éléments solides de l’organisation. Le premier caractère des éléments solides où la trans- mission sémunale apparaisse est la conformation : la ressemblance de forme du produit aux auteurs de la géné- ration est une observation qui date de tous les temps. Po- sée pour ainsi dire en loi par les anciens, reconnue d’Hip- pocrate, faussée par Aristote({), elle est parfaitement saisie par Galien, qui précise nettement qu’elle ne doit pas s'entendre de la simple hérédité de la ressemblance à espèce, mais de celle de la ressemblance à l'individu (2). Bonnet lui-même, à la fin du siècle dernier, vaincu par l’évidence, après avoir voulu n’admettre que le premier, finit par reconnaître à l’hérédité de la configuration le dernier caractère (3). Cette hérédité est commune à toutes les espèces d’ani- maux. C’est un fait universellement reconnu, dit Frédéric (1) Arist., De generat. animal., 1v, 3. (2) Gal., lib. IT, De semine, cap. 1. (3) Considérations sur les corps organises, tom. IT, ch. vuir, S 338, p. 219 et suiv. É 19 194 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Cuvier, que les animaux ont une très-grande ressemblanes avec les individus qui leur ont donné la vie. Ce fait est aussi manifeste pour l'espèce humaine que pour toute autre espèce (1). Cette ressemblance existe et quant à l'extérieur, et quant à l’intérieur de la conformation. $ I. — Hérédité de la structure externe. 1° L’hérédité de la conformation externe peut être géné- rale, et régir également toutes les parties : toutes peuvent en accuser au dehors lexpression, la tête, le tronc, les membres, les ongles même et les poils (2): mais il n’en est aucune qui en porte une plus vive ni une plus habi- tuelle empreinte que le visage : elle s’y étend aux formes particulières des traits, et les grave à l’image des iypes originels. La régularité, l’irrégularité, les signes distinc- tifs, la laideur, la beauté, l'agrément des figures (3) sont héréditaires; aux preuves poétiques qu’en donne Sini- baldi (4) qui invoque, à la fois, des vers de Virgile (5), et ceux d’une gracieuse palinodie d’Horace (6) se joignent Les témoignages plus sérieux de Haller (7), de Portal (8), de (1) Frédéric Cuvier, Supplément à l'Histoire naturelle de Buflon ; — et Mémoires du Muséum d'Histoire natur., tom. XIII, p. 446. (2) Aristo., De generat. animal. cap. xvui. — Burdach, Traité de phy- siologie, tom. I, p.249.— Ch. Girou, De la génération, ch. vu, p. 120, 122. (3) Vandermonde, Essai sur la manière de perfectionner l'espèce hu- maine, tom. I, p. 6. (4) Sinibaldi, Geneanthropæia, etc., ch. xu, p. 622. (3) Enéide, liv.1, Discours de Junon à Éole : « Sunt mihi bis septem præstanti corpore nymphæ, « Quarum quæ formà pulcherrima Deiopæa, « Connubio jungam stabili, propriamque dicabo TRE Et pulchrä faciat te prole parentem. » (6) O matre pulchrà filia pulchrior. Lib. I, od. 14. (7)Haller, Elementa physiologie, t. VIIL. (8) Portal, ouv. cile. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 195 Girou (1), de Burdach (2), et lautorité de l’expérience journalière. Il existait même anciennement, en Crète, une loi qui ordonnait de faire un choix des jeunes gens de chaque génération les plus remarquables par la beauté des formes et de les obliger, même de force, au mariage, pour propager leur type (3). La ressemblance peut aller jusqu’à faire illusion sur l’identité ou jusqu’à déceler, au premier coup d'œil, l’origine des personnes. Pix ans avant sa mort, un célè- bre chanteur de l'Opéra, Nourrit, parut sur la scène avec un de ses fils qui avait hérité de sa complexion phy- sique, comme de sa belle voix, et dans les eux Salem, dont l'intrigue est du genre de celle des ÂZénechmes, la ressemblance vraiment extraordinaire du père et du fils entupla l'intérêt des méprises sans nombre dont la pièce est remplie, en leur prêtant aux yeux des spectateurs sur- pris l’apparence et le charme de la réalité (4). Dans d’au- tres circonstances, il peut arriver que ce phénomène serve d'indice de filiation et de reconnaissance de parents in- connus. Il y a peu d’années, qu’un journal judiciaire citaït un exemple presque romanesque de ces sortes de décou- vertes. Une dame d’une grande fortune voyageait en France ; saisie de retrouver, dans la physionomie d’une servante d’auberge, ie portrait d’une fille dont elle pleu- rait la perte, elle fait des recherches qui ont pour résultat de prouver que cette Jeune fille était de sa famille, et elle lui lègue ses biens (5). (1) Girou, de la Génération. passim. (2) Burdach, loco cilato. (3) Alexandri ab Alexandro Genialium dierum libri sex. Paris, 1570, lib. IV, cap. vurr, p.195. (4) Da Gama Machado, Théorie des ressemblances, partie 2, p. 119. (5) Gazette des tribunaux. 196 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Il est assez fréquent que cette répétition hérédi- taire des traits n’apparaisse point toujours dès les pre- mières périodes de l’existence, mais plus tard, et lors- que les enfants touchent à l’âge où les traits des pa- rents offraient le même caractère (1). Les ressemblances peuvent aussi n’exister qu’un instant et ne faire pour ainsi dire que glisser sur les visages. Nous ne parlons point ici des ressemblances d'expression, naturellement mobiles sur la physionomie comme les sentiments ou les idées auxquelles elles répondent dans l’âme : nous parlons de celles des formes et des linéamenis arrêtés des figu- res. Il est même donné d'observer quelquefois, dans ces ressemblances, des métamorphoses de l’image d’un auteur dans l'image de l’autre : les ressemblances de conformation du fils avec la mère, de la fille avec le père, peuvent s’ellacer, après l’adolescence, et être remplacées par celle du fils avec le père, de la fille avec la mère (2). Girou de Buzareingues a cité des exemples de ces sortes d’alternative de l’hérédité, où les deux auteurs viennent, _comme tour à tour, se réfléchir sur les traits. « V°%*et | « X***, dit-il, ressemblaient dès leur bas âge à leur mère, l« et mademoiselle A*** à son père: ces ressemblances | « frappaient tous ceux qui en étaient témoins; aujourd’hui «et depuis l’adolescence, les deux garçons ressemblent « à leur père, et la fille a cessé de ressembler au sien (3). » Plusieurs observations ont même porté l’auteur à croire que ces changements sont plus fréquents et plus complets, chez les garçons, qu’ils ne le sont chez les filles. Si habituelles que soient dans le sein des familles de (1) Piorry, ouv. cité, ch. vit, p. 35. (2) Girou, de la Génération, p. 132. (3) Id., p. 290. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 197 telles analogies, rien n’est plus contraire à la vérité que de les supposer constantes et totales ; comme le dit Bur- dach, les êtres procréateurs ne se répètent pas en entier dans leur fruit (1). La loi de L'iNNÉITÉ ne le permet pas et nous nous. sommes longuement expliqué plus haut sur les nombreux contrastes que la génération, influencée par eile, développe sur tous les points de l’organisation dans les individus de la même famille; la conformation est loin d’en être exempte: tantôt la ressemblance n’y à pas d’expres- sion, et tantôt elle n’y a qu’une expression partielle: mais, chose digne de remarque, cette expression par- tielle n’en est que plus prononcée, et porte en général, sur l’élément le plus caractéristique de la configuration pro- pre de la famille , le front , les yeux, le nez, les lèvres, le menton, les oreilles, le cou, etc. Il n’est pas, ainsi, une partie du corps, une partie des membres, qui ne puisse témoigner des défauts paternels (2); et, c’est surtout par là que le type transmis devient reconnaissable. Les anciens avaient fait cette observation. Plu- tarque raconte qu’il existait à Thèbes une famille qui portait en naissant, sur le corps, la forme d’un fer de lance (3), particularité qui s’est représentée plus tard, en Italie, chez les Lansada. Les Bentivoglio por- taient également, dit-on, de père en fils, une tumeur légèrement proéminente, qui les avertissait des change- ments de temps , et se gonflait toutes les fois qu’un vent humide venait à souffler (4). Il était assez ordinaire aux (L) Ouv. cit., tom. IT, & 303. (2) Vandermonde, t. I, re partie, ch.r, p. 65. (3) Plutarque, De ceux dont Dieu diffère la punition, ch. xix de la tra- duction d’Amyot. (4) Haller, Elem. phys., t. VIT, 198 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Romains de déduire du signe héréditaire local le nom de la famille : de là leurs Capitones, leurs Labeones , leurs Nasones , leurs Buccones, et une infinité d’appellations de ce genre. Les Bourbons , parmi les familles modernes, ont eu de tout temps , dit-on, le nez aquilin. Portal parle d’une famille dont les muscles du nez et les lèvres affec- taient une telle disposition, les cartilages du nez une telle mobilité , que leur mouvement suivait celui du dis- cours, et que la pointe du nez s'élevait ou s’abaissait, à toutes leurs paroles (1). Les barons de Vesins naïssaient avec un seing entre les deux épaules, et ce fat à ce signe, qu’un de la Tour-Landry reconnut, dans Papprenti d’un cordonnier de Londres, le fils posthume et le légitime héritier du baron de Vesins (2). Ces transmissions locales d’un trait originel peuvent se prolonger pendant un très-long temps. Le gros nez aqui- lin de la famille Borromée se retrouvait dans ses derniers descendants. On doit au docteur Grégory, fils et succes- seur du célèbre professeur de la chaire de médecine théori- que et pratique d'Édimbourg, un exemple remarquable de cette persistance du type de la famille dans les traits du visage. Appelé dans une campagne, en Écosse, pour voir une riche héritière , il reconnut d’abord, à la forme du nez , qu'elle ressemblait au grand chancelier d'Écosse, sous le règne de Charles I. Le portrait du chancelier se trouvait dans le château. Le docteur, l’après-diner, se promenant dans le village, est surpris de reconnaitre la même forme de nez chez quelques paysans : Cela n’a rien d'étonnant, lui répond aussitôt l’intendant de la mai- (1) Portal, ouv. cité. (2) Sigaud de Lafond, Dictionnaire des merveilles de la nature, t, WW, p. 353. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME viral. 199 son qui l’accompaguait, ils descendent des bâtards de l’illustre seigneur (1). Ainsi, la transmission datait de deux siècles. Nous n’en croyons pas moins, avec Portal, qu’il faut, en gé- néral , se défier de ces transmissions de si ancienne date , et ne les accueillir qu’avec grande réserve, comme preu- ves d’hérédité du type individuel. Le caractère trans- mis peut, dans ces cas, au lieu d’être celui d’une famille, être celui d’une race, et tenir à l'influence du lieu ou du climat. 2° Ce que nous disons de la forme, nous le dirons de toutes les proportions possibles en hauteur , en largeur, en épaisseur du corps et de ses moindres parties, les plu- mes, la laine, le poil. Toutes ces dimensions sont sou- mises à la loi de l’hérédité. On sait que du croisement du chat angora et du chat ordinaire sortent des métis d’un poil plus long et plus soyeux que celui du dernier. Daubenton, en croisant ainsi des races françaises de l’espèce ovine, a créé des rä- ces dignes de rivaliser , pour la beauté de la laine, avec les races d’Espagne : de six pouces de longueur que la laine présentait dans les béliers-souches, en poursui- vant le premier résultat obtenu, de génération en géné- ralion , il l’a progressivement portée à vingt-deux pouces ou de 0,165" à 0,60° (2. Il en est de la hauteur totale de l’animal, comme de la longueur de la laine ou des poils : L’hérédité de la taille est un fait reconnu de toute an- tiquité ; Sinibaldi, sans doute, a tort d’affirmer , en ou- (1) Portal, ouv. cité, p. 16, note. (2) Daubenton, Instruction pour les bergers et les propriélaires de troupeaux. Paris, an X, p. 109. 200 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ trant sur ce point l’opinion d’Hippocrate (1), qu’on ne voit point sortir de géants des pygmées, ni de pygmées des géants (2) ; les faits d’innéité de la taille prouvent le contraire : la stature échappe, dans plusieurs circonstan- ces, à l’hérédité ; mais l’hérédité n’en est pas moins fré- quente, ni moins bien constatée. Beaucoup d'individus de petite ou de haute taille en- gendrent leurs semblables (3) : C’est même sur l’expérience immémoriale acquise de cette hérédité que l’on s’est appuyé pour créer, dans une foule d’espèces animales , des races de taille courte ou de taille élevée : de l’union de brebis de vingt pouces de hau- teur à des béliers de vingt-huit , Daubenton a vu naître, et dès la première génération, des agneaux de vingt- sept pouces de taille (4) : les Anglais, depuis longtemps, appliquent le même système à l’amélioration de leurs races de bétail, et selon qu’ils veulent obtenir une petite ou une haute taille, ils ont soin de choisir, pour les ap- parier, les mâles et Les femelles les plus grands ou les plus petits de l’espèce, qu’ils peuvent se procurer. Le même système a été appliqué à l’égard de Phuma- nité: il a existé, nous dit Sinibaldi (5), des peuples chez lesquels il était passé, comme en loi, par l’usage, de ne marier les hommes d’une stature élevée qu’à des femmes de haute taille, dans l’espoir d’en voir naître une génération plus grande, plus vigoureuse, et plus propre à la guerre. Le père du roi de Prusse Frédéric (1) Dans le livre de Geniturû pueri. (2) Sinibaldi, Loc. cit. (3) Burdach, tom. IT, p. 240. (4) Daubenton, loc. cit. (5) Sinibaldi, Geneanthropæia, lib. VIII, tract. 11, p. 867. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 201 le Grand , dont on sait la passion pour les hommes co- losses, opérait, à l’égard du régiment de géants qu'il avait formé, d’après le même principe. Il ne tolérait le mariage de ses gardes qu'avec des femmes d’une taille égale à la leur. Tout démontre, dans ce but, l'efficacité de la précaution ; un journal anglais, le Times, en donnait, il y a peu de temps, un exemple : une réclamation con- tre un engagement frauduleux au service amenait en jus- ticeun homme de six pieds six pouces, pesant quatre cent soixante-deux livres anglaises; son père, qui est fermier, est de six pieds trois pouces, sa mère de six pieds ; ses frères et ses sœurs sont autant de colosses (1). Le savant Haller se vantait d’appartenir à l’une de ces races dont les individus , par leur stature imposante, semblent nés pour commander aux autres hommes (2) ; on peut dire de lui, dit à ce sujet Pujol, que la grandeur de son corps répondait à celle de son génie (3). Le géant qui exis- tait en 1834 aux États-Unis, est un autre exemple cu- rieux de l’hérédité de la plus haute taille. IL se nommait Modeste Malouet, natif du Canada, et exerçait la pro- fession de charpentier. Sa taille était de six pieds six pouces ; il était alors âgé de 68 ans et encore vif et agile. Sa démarche était majestueuse , son air patriarcal, sa cor- pulence proportionnée à sa taille, son appétit excessif: il pouvait faire une lieue tout d’une traite, sans éprou- ver la moindre fatigue. | Ce colosse descendait des premiers colons français éta- blis au Canada. Son père , fermier à Saint-Jean, près de (1) Courrier français, 13 janvier 1845. (2) Element. physiolog., lib. XXX, sect. 9, $ 2. (3) Pujol. OZuvres de médecine pratique, tom. IT, p. 244, 245. 202 BE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Québec, avait cinq pieds onze pouces ; Malouet avait lui- même une femme très-grande (1). La taille, comme on le voit, avait recu, dans ce cas, une marche progressive de l’hérédité. Ainsi que la stature, et souvent avec elle, la généra- tion propage les proportions de largeur et d'épaisseur de toutes les parties. C’est ainsi que l’on voit se transmettre dans les familles , le volume comme la forme de la tête, du buste, et des extrémités. IL y a des familles qui por- tent une tête énorme et presque sans cou sur un petit corps; d’autres , sur un grand corps, portent une petite tête. Il en est de même des bras, des mains, des pieds, des joues, de toutes les régions (2). D’après Sturm et Prichard, les proportions de la tête, la longueur relative et l’épaisseur du cou, constituent également, chez les animaux, des types distinctifs, particulièrement dans les races chevalines (3). Meckel remarque aussi que les di- mensions en longueur, en largeur et en épaisseur des parties postérieures du tronc fournissent des signes de même ordre, et qu’il en est de même de la longueur de la queue et de sa grosseur (4). Le plus ou moins de largeur du bassin est encore un des caractères transmissibles par la voie de la génération, et il peut devenir constant dans les produits. Il existe également des variétés constantes dans la longueur relative des membres antérieurs et pos- térieurs, et dans les proportions qu'ils présentent avec le reste du corps (5). (4) Charles Legoncourt, Galerie des centenaires anciens et modernes, in-8°, 1842, 2e part., p. 58. (2) Portal, ouv. cité. (3) Prichard, Histoire naturelle de l’homme, tom. I, p. 83 à 86. (4) 3. Meckel, Traité général d'anatomie comparée, Paris, 1833, L. VIII, p.8* (5) Prichard, op. et loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 203 Les éleveurs célèbres que compte l'Angleterre, Back- well, Fowler, Paget, Princeps, et plusieurs autres, ont tiré un parti merveilleux de ces faits : ils sont ar- rivés à transporter d’une race à une autre race, ou d’un individu à ses divers produits, telle ou telle propor- tion de membre ou de partie. Il leur a suffi, pour ar- river à ce but, de préciser d’abord le caractère physique qu’ils désirent transmettre ; de faire élection, ensuite , de mâles et de femelles le présentant l’un et l’autre, au plus haut degré possible de développement ; et, à défaut d'individus étrangers, d’allier les rares produits où ils se propagent, avec les pères ou mères, avec les frères et sœurs , procédé que les Anglais nomment breeding in and in. C’est la propagation suivie dans le même sang (1). Le docteur Dannecy, qui avait connaissance de ces ré- sultats, a tenté de les reproduire dans d’autres espèces : il a fait, dix années, procréer une centaine de couples de lapins, en ayant l'attention de disposer toujours les ac- couplements, d’après des circonstances individuelles fixes et toujours les mêmes, dans certaines lignées ; et il est parvenu à obtenir ainsi une foule de conformations différentes, de monstruosités, en quelque sorte, de tout le corps, ou de chacune de ses parties. Le résultat a été le même sur des pigeons, le même sur des souris , le même sur des végétaux (2). John Sebright en avait recueilli d’a- nalogues , par les mêmes procédés, sur des chiens, sur des poules, enfin sur des pigeons (3). De cette hérédité du volume des parties peuvent même (4) L’illustration, vol. I, p. 380, 381. (2) Georget, Physiologie du système nerveux, Paris, 1821, t. I, p. 268. (3) Sainclair, Agriculture pratique et raisonnée, traduite de l’anglais, par Matthieu de Dombasle, 2 vol, in-80, tom. 1, p. 198. 204 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ dériver de graves conséquences, quand, dans l’accouple- ment, la loi des proportions a été violée. Venette a rap- porté la mort d’une boulangère qui, après deux par- turitions laborieuses , périt à la troisième, par l’impos- sibilité de la délivrer d’un enfant aux épaules déme- surément larges, comme celles de son père. C’est d’après ce principe, que la mère du médecin Pierre Fo- restus refusa sa fille à un homme fort riche mais très- large d’épaules, dans la crainte fondée sur son expé- rience, que sa fille ne périt pendant le travail (1). Des accidents semblables sont assez fréquents dans l’espèce canine , où des chiens de haute taille parviennent à s’ac- coupler avec de petites chiennes. D’après le chevalier Da Gama Machado, cette sorte d'influence de l’hérédité serait bien autrement puissante sur les oiseaux : elle ne s’ex- primerait point seulement dans le produit, elle agirait jusque sur le volume de l’œuf. ILa souvent, dit-il, remar- qué, chez les oiseaux, des avortements causés par la gros- seur relative de l’œuf, quand il est fécondé par des mâles d’une taille double de celle de la femelle. Cette observa- tion lui fait même attribuer au défaut d'harmonie de la taille des époux les avortements dans l’espèce humaine (2). Nous resterons plus près de la vérité, en reconnaissant à ces disproportions de volume des parties , et particuliè- rement de la tête et des épaules, une part dans les causes des avortements, et dans celles des accouchements labo- rieux. De là l’importance, dans l’appréciation des vices du bassin , de ne pas simplement tenir compte des propor- tions du bassin de la femme que l’on examine, mais des (1) Venette, de la Génération de l’homme, 4e partie, ch. vir. (2) Da Gama Machado, Théorie des ressemblances, part. 2. DANS LA PROCRÉATION DU, MÉCANISME VITAL. 205 dimensions de la tête et des épaules de l’homme qu’elle peut ou qu’elle doit épouser, précaution qu’on ne prend pour ainsi dire Jamais, bien que la plus essentielle à prendre, par le médecin comme par la famille. Le volume relatif de chacune des parties n’est pas seul transmissible; le volume intégral du corps se propage dans toutes les dimensions, dans toutes les proportions naturelles de lêtre : ainsi la maigreur et la gracilité gé- nérales des parents se répètent dans les produits ; la gros- seur, l’embonpoint, l’obésité complète, se reproduisent de même. Ce fait, chez les animaux, est attesté par des expériences sans nombre. Un cultivateur anglais , Guil- laume Storq avait, en 1758 et 1759, un bélier de trois ans , qui pesait 398 livres d'Angleterre : il fut vendu à M. Bancks de Harsworth 14 guinées ; les agneaux qui na- quirent des brebis couvertes par ce bélier ressemblaient si fort à leur père, qu’on payait au possesseur de cet ani- mal une demi-guinée, pour chaque brebis qu’il lui faisait couvrir. Plus tard, on en vint à payer une guinée pour chaque accouplement. Mais on retirait de la tonte seule de l’agneau, jusqu’à 22 livres anglaises de fine laine (1). De tels résultats ne pouvaient qu’encourager l’indus- trie anglaise, à persévérer dans l'application du principe de l’hérédité du volume à toutes les espèces propres à alimentation, et ils ont, sur ce point, opéré des prodiges. Ils ont réussi d’une manière admirable à créer, non-seule- ment dans l’espèce ovine, mais dans Pespèce bovine, mais dans celle du cochon, des races qui n’ont pas d’os, en quelque manière, et dont l’augmentation de la graisse et de la chair est vraiment inconcevable : telle est, dans les (1) Chambon, Traité de l'éducation des moutons, tom. Ier, ch. 111, $ 7, p. 65. 206 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ moutons, la race décrite par Bewick (1) sous le nom de The leicester-spire improved bread; telle, dans l’espèce du porc, celle qu’ils ont obtenue par le croisement du cochon de Siam et du cochon commun ; telles dans l’es- pèce bovine, plusieurs autres races, créations singulières dont les célèbres peintres d’animaux d’Angleterre, Kirth et T. Bretland ont fidèlement rendu les types en quelque sorte tout artificiels ; car il ne faudrait point chercher dans ces figures les caractères, toujours si harmoniques, des types primordiaux des espèces. La génération, dirigée par la plus gloutonne industrie, a retranché de ces types presque tout ce qui échappe à notre voracité : contours, grâce, légèreté, tout a disparu sous des masses informes de laine, de chair ou de graisse, et, de leur nature pre- mière, il ne reste plus que des êtres tout ventre et presque sans pattes (2). Par un rapprochement qui nous a frappé, nous rap pellerons ici que Buffon avait déjà fait Pobservation que les cas d’obésité les plus remarquables, dans l’espèce hu- maine, se rencontrent chez des Anglais. Isidore-Geoffroy Saint-Hilaire n'y voit pas un simple résultat de leur ré- gimediététique et de leur genre de vie, mais une suitepro- bable des conditions spéciales de leur tempérament(3). Ce que les voyageurs nous ont appris des races chinoises et (1) À general history of quadrupeds, p. 63. (2) L'industrie agricole en France n’a rien de pareil, comme l’a très- bien dit un journal français qui a reproduit les figures de ces animaux d’après Kirth et Bretland (Illustration, vol. II, p. 379, 380), non que l’art d'engraisser ne soit pour le moins chez nous au niveau de ce qu’il est maintenant en Angleterre : on élève chez nous des bestiaux énormes, mais ces animaux n’y représentent point des races, Comme en Angleterre; ils ne représentent que des individus. (3) Isid. Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire générale et particulière des anomalies, Paris, 1832, tom. I, p: 264: DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 207 indochinoise, dont l'alimentation est si différente, confirme cette opinion : malgré cette différence, il existe chez elles une tendance naturelle à l'obésité (1). D’autre part, sans nier l'influence positive que, dans toutes les races hu- maines, une vie oisive, l’usage et abondance d’aliments nutritifs peuvent exercer sur l'obésité, des faits bien con- statés démontrent qu’elle peut surgir, au sein des priva- tions, et sous le poids de la fatigue et de la misère ; qu’elle peut être congéniale (2) ; fortes et nouvelles raisons de l’attribuer, comme le pense le savant dont nous parlions, à une prédisposition née d’une modification quelcon- que de l’organisme. Burdach dit aussi qu’elle repose sur l’état des forces digestives, de la complexion et du tempérament (3). Dans un ancien et excellent travail de topographie médicale de la Haute - Auvergne , de Brieude ratta- chait cette modification, chez les Auvergnats, à une action spéciale que le virus serophuleux exerce sur les humeurs du tissu cellulaire. C’est, dit-il, un embonpoint parliculier que personne n’a observé. Ces scrophuleux sont joufflus ; leurs membres sont gras et potelés ; leurs couleurs sont très-vives, mais d’un rouge foncé ou violet; leur graisse est néanmoins dure et presque squirrheuse, et la forme de leurs membres est matérielle et mal arrondie. Il propose même de donner à cette sorte d’épaississement du tissu cellulaire, le nom de polysarchia scrophulosa (4). Mais, quel que soit le principe organiquequi la cause, et (1) Finlayson’s Embassy to Siam and Hue, p. 230. (2) R. William Clauder, stupenda pueri recens nati obesilas.— Ephem. nat. curios., an VI, ob. exc; — et Isid. Geoffroy Saint-Hilaire, loc. cit. (3) Ouv. cité, p. 249, (4) Mémoires de la Société royale de Médecine, an 1782, 1783, p. 307. 208 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ soit qu’elle se lie, comme dans le cas précédent, à une diathèse morbide; soit qu’au lieu d’en provenir, comme en d’autres circonstances, elle la développe; soit enfia qu’elle se borne, comme on l’observe encore, à n'être qu’un fardeau et qu’une exubérance incommode, par la gène qu’elle occasionne dans le jeu des mouvements et des fonctions vitales, sous toutes ces formes, dis-je, il n’est que trop positif que l'obésité est dans notre espèce, ainsi que dans les autres, transmissible par la voie de la géné- ration (1). Nous savons, pour notre part, plus d’une fa- mille où Pobésité du dernier des trois genres se propage, du côté du père comme de la mère, à plusieurs des enfants. Le professeur Piorry dit avoir plus d’une fois, dans sa pra- tique civile, rencontré des exemples de l’hérédité du se- cond : nous rangeons dans ce nombre les cas où de gros ventres chez les ascendants et les descendants coïncident avec des affections du cœur (2), et les coïncidences hé- réditaires semblables et plus fréquentes encore avec les congestions sanguines du cer veau, et avec toutes les formes possibles d’apoplexie. De Brieude, dit également que la troisième sorte d’obésité, quise lie au vice scrophuleux, est héréditaire : plus commune chez les filles que chez Les garcons, elle affligeait de son temps desfamilles entières(3). 3° De même que la structure, la taille et le volume, la couleur qui se répand sur tous les éléments et les propor- tions de la configuration extérieure des êtres, est, au plus haut degré, soumise à la même loi de transmission sé- minale. ; (1) Portal, ouv. cité. — Burdach, ouv. cité, tom. Il, p. 249. (2) Piorry, ouv. cilé, p. 98. (3) Mémotres de la Societé royale de Médecine, loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 209 Les couleurs des espèces se reproduisent avec la même fidélité que se répètent leurs formes, conséquence natu- relle de la fixité de leur type : dans l’unité d’espèce, les couleurs de chaque race se transmettent chez chacune d’elles, avec la même constance de représentation. Cette représentation est même si générale, que, tant qu’elle se renferme dans le sein d’espèces ou de races unicolores, elle s’efface en quelque sorte dans l’uniformité de la couleur transmise; mais que la génération vienne à mélanger des espèces ou des races de nature différente et de cou- leurs variées, la propagation séminale des couleurs pro- pres à chacune d’elles se revêt aussitôt de vives expres- sions, et l’hérédité ressort par le contraste ou l’harmonie des teintes que la génération communique au produit. On sait à quelle richesse et à quelle variété de colorations ce métissage des espèces et des races a conduit dans la vé- gétation, dans l’animalité, dans l'humanité. Les horticul- teurs, les ornithologistes et les agronomes se servent en quelque sorte de la contagion de l’amour et de la vie, comme d’un conducteur ou d’un peintre invisible, pour imprimer aux êtres les livrées de leur caprice, de leur intérêt ou de leur passion. C’est ainsi, par exemple, que, dans la Guyane, les Indiens avaient l’art de peindre à leur gré le plumage des perroquets, de leur faire pousser des plumes jaunes ou rouges, et de créer par là d’admi- rables variétés de ces animaux (1). L’attraction sexuelle, le pur instinct des sens produit, dans notre espèce, les mêmes phénomènes. Le mélange spontané ou violent des races, et particulièrement des races blanches et noires, y a donné naissance à une com- (1) Vandermonde, ouv. cité, tom. I, p. 93. 1? 44 210 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ plication de variétés devenue vraiment inextricable. Ce n’est pas qu’on n'ait tenté de les énumérer. L’expé— rience a prouvé que la plus grande partie des animaux issus de parents dont l’un est blanc, et dont l’autre est noir, naissent de couleur grise, c’est-à-dire d’une couleur intermédiaire entre celles de leurs deux auteurs, et qui semble un mélange égal des deux teintes (1). C’est un fait constaté surtout chez les chevaux (2); il est presque aussi ordinaire, dans les mêmes circonstances, chez l’homme (3). D’après cette expérience l’on a établi un prétendu système de classification des variétés produites par le mélange de sang des races blanche et noire, système qui rapporte chaque génération à une sorte d’échelle de proportion régulière et de dégradation numérique des couleurs (4). Le tableau suivant mesure les principaux degrés de cette échelle (5). PARENTS. | PRODUITS OU CASTES. DEGRÉS DE MÉLANGE. Blanc et noir. Mulâtre. 1/2 blanc. 1/2 noir. Blanc et mulâtre. Terceron saltatras. 5/k blanc. 1/, noir. Noir et mulâtre. Griffe ou zambo. 3/, noir. 1/, blanc. Blanc et terceron. Quarteron. 7/8 blanc. 1/4 noir. Noir et terceron. Quinteron et saltatras. |7/$ noir. 1/4 blanc. Blanc et quarteron. Quinteron. 15/,6 blanc. 1/4, noir. Noir et quarteron. Quinteron saltatras. 15/16 noir. 1/44 blanc. Mais, commelereconn aîtle docteur Virey lui-même (6), (1) Maupertuis, Vénus physique, 1re part., p. 60. — Isid. Geoffroy Saint-Hilaire, Dictionnaire classique d'histoire naturelle, tom. X, p. 121. (2) Girou, de la Génération, p.124. (3) Isid. Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire générale et particulière des anomalies, tom. I, p. 306. (4) Voy. Valmont Bomare, Dictionnaire d'histoire naturelle, tom. 1X ; p. 197, 198. (8) Virey, Histoire naturelle du genre huïnain, tom. II, p. 185 et suiv. (6) Virey, op. et loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 211 en suivant le principe de cette progression géométrique des teintes originelles des races, par la génération, on arrive promptement à des variétés sans nom et sans nombre. Il y a plus, le principe de cette gradation ou de cette dégradation régulière des couleurs, par le croisement des races , bien que réel, en soi, dans certaines limites, n’est ni constant comme fait, ni général comme loi, même dans le métissage des races blanche et noire. La coloration des métis qui en naissent est loin de se répartir ainsi, dans tous les cas, comme par moitié, entre les deux races, et de représenter une sorte de fusion égale de leurs couleurs. Elles peuvent se propager fort inégale- ment : la couleur d’une des deux races peut prédominer ; elle peut se transmettre seule. L'expérience l’a mis hors de doute dans une foule de races et d’espèces que l’on a mé- langées. Les exemples en abondent dans le métissage des va- riétés blanches et des variétés noires des espèces anima- les ; nous en trouvons de nombreux parmi les oiseaux. De cinq petits, produits par un corbeau et une corneille mantelée, deux étaient noirs comme le père, deux gris comme la mère, un de couleur mixte (1). De paons blancs appariés à des paons ordinaires naissent des paons pana- chés (2). L’accouplement du serin et du chardonneret présente quelquefois des résultats plus rares : non-seule- ment le métis peut exclusivement représenter la robe d’une de ces deux espèces, c’est-à-dire être blanc ou jaune, sans aucune tache, comme l’est la serine, ou de plumage (1) Burdach, Traité de physiologie, tom. II. (2) Valmont Bomare, ouv. cité, tom. X, p. 71, art. Paon. 212 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ varié, comme le chardonneret, mais il peut arriver qu'il ne passe au produit qu’une seule des couleurs de l'aile brillante du père. On voit de ces oiseaux naître des mulets noirs. Parmi les mammifères, le croisement dans les grandes et Les petites espècesreproduit lesmêmes faits : d’un daim noir accouplé avecune daine blanche naquit d’abord un mâle varié de blanc et de noir ; le même croisement donna, la portée suivante, un mâle noir comme le père; il n’en différait que par une très-petite tache au-dessus du sabot ; il était ainsi presque entièrement semblable au produit ordinaire de l’accouplement de deux individus de la race noire (1). Chambon (2) et Girou (3) rapportent des espèces ovine et chevaline des cas identiques, Masch, de celle du co- chon {4), Maupertuis, des chiens (5), Colladon, des souris : les produits des souris blanches et des souris grises sont assez fréquemment ou tout blancs où tout gris (6). Il en est de même des produits du mélange de la variété blan- che et de la variété brune de l’espèce du cerf (7). Que l’on ne croie pas que cette transmission élective des couleurs d’une des races croisées ne se représente pas dans Phumanité, comme la précédente classification des métisdes deux races leferait supposer; lacouleur de l’une d’elles peut exclusivement se communiquer au produit, de plein saut. Un nègre de Berlin eut d’une femme blanchesept filles mu- (1) Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Dictionnaire classique d'histoire na- turelle, tom. X, p. 121. (2) Chambon, Traité de l'éducation des moutons, tom. IT, p.275, 267. (3) Girou, de la Génération, p.120, 126, et 307, 308, n° 6. (4) Burdach, Traité de physiologie, tom. il, p. 267. (3) OEuvres de Maupertuis, tom. LI, lettre xvir, p. 388; édit. in-12, 1753. (6) Annales des sciences nuturelles, Mémoires de MM. Prévost et Dumas. (7) Burdach, ouv. cité, p. 261. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 213 lâtresses et quatre fils blancs (1). Nous pouvons rapprocher de ce fait de Siebold plusieurs faits analogues, dont deux communiqués par témoins dignes de foi, et le der- nier observé par nous-même. La fille Fl..., giletière, maîtresse, pendant cinq ans, d’un nègre pur sang, et d’une fidélité sans reproches dans sa liaison, eut trois enfants de ce nègre: le premier, négrillon pur, à ne consulter que la couleur de la peau, négrillon noir au point que la pauvre fille, malgré son affection profonde pour son enfant, ne pouvait se décider à sortir avec lui ; elle le per- dit à l’âge de quinze mois. Le second enfant était un vrai mulâtre. Le troisième, également du sexe masculin, était parfaitement blanc, et non-seulement blanc, mais encore d’une figure assez agréable ; ses cheveux étaient d’un blond rouge, très-frisés, et, cependant, en regardant l’en- fant avec soin, on reconnaissait vite en lui un fond de nègre. Le second fait, donné avec moins de détails, est celui d’un cent-suisse , amant d’une négresse, dont il eut également des enfants tout noirs, des enfants mulâtres, et des enfants blancs. Le troisième, que j’ai eu une année sous les yeux, se rapporte à des personnes d’un nom très-connu et d’une position de fortune élevée. Le mari était blanc, la femme mulâtresse ou négresse , peut-être, tant la couleur noire et les caractères généraux du type nègre étaient prononcés dans son extérieur. Ils avaient trois enfants à l’époque où J'avais l’occasion de les voir. Le premier , âgé déjà de plusieurs années, était un mu- lâtre tirant sur le nègre ; le second, plus jeune, était d’une couleur moins foncée et tirant sur le brun plutôt que sur le noir ; le troisième était une jolie petite fille (1) Siebold, Journal fuer Geburtshuelfe, tom. VII, p. 2. 214 | DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ pariaitement blanche, d’une figure agréable et petillante d'esprit. Le peu de cas positifs de superfétation que la science possède, nous reproduisent les mêmes faits de transmission des couleurs, et remet quelquefois , non plus successive- ment, mais simultanément , dans le double. produit, le type de coloration des deux races en présence : une feinnme de Charlesiown , dans la Caroline méxidio- nele , accoucha de deux jumeaux, l’un nègre et l’autre blanc; pressée de questions, elle avoua avoir cédé à la violence effrénée d’un nègre , un jour que son mari venait de la quitter et de la laisser au lit (1). IL.existe une observation analogue du docteur Stearns : une négresse mit au monde un premier fœtus noir d'environ huit mois; puis, au bout de quelques heures, un second fœtus blanc d’à peu près quatre mois (2). Une autre négresse accou- cha de trois enfants : un noir, un blanc, un cabre. Une domestique blanche, dans le comté de Montgomery, donna , dans la même couche, le jour à une fille blanche et à un garçon parfaitement noir; un nègre et un domes- tique blanc disparurent ensemble lorsqu’on eut reconnu que cette fille était enceinte. D’après Gardien, Valerius a rapporté un fait semblable au précédent; mais il en existe encore plusieurs autres (3) sur lesquels nous croyons inutile d’insister. Si de l’hérédité de la couleur des espèces et de celle des races, nous descendons à celle de l’hérédité des teintes téeumentaires propres aux individus , l'expérience nous 1) Orfila, Leçons de médecine légale, tom. I, p. 262. 2) Velpeau, Traité élémentaire de l’art des accouchements, Paris, 1835, tom. I, p. 332. (3) Home, Lectures on comparative anatomy, tom. IE, p. 302; — et Mende Handbuch der gerichtlichen Medecin, tom. IV, p. 526. ( ( DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 215 représente les mêmes phénomènes. Ainsi que les couleurs des races et des espèces , les êtres réfléchissent héréditai- rement les couleurs des familles. Chaque famille à son type de coloration (1), et les nuances de la peau, celles des cheveux, celles des yeux, des sourcils et des cils, se propagent du père ou de la mère aux enfants , et tiennent plus ou moins de leurs caractères (2). Des expériences suivies avec le plus grand soin chez les animaux démontrent quelle est, chez eux, l’étendue de cette loi. Une des plus anciennes de ces expériences est celle que l’on doit à l’oncle de Columelle. Ayant accouplé un bélier d'Afrique, avecses brebis de Tarente, la couleur de la laine du père passa à ses descendants et se continua dans les gé- nérations suivantes. Sur deux cent seize couples de chevaux du même poil, deux cent cinq donnèrent, d’après Ho- facker, des poulains de même couleur, et onze seulement des poulains d’une teinte différente de la leur (3). Le même auteur dit aussi que la couleur blanche est celle qui se transmet le plus facilement chez les animaux de- venus domestiques. Mais jusqu’à quel point a-t-il tenu compte de la fréquence relative de la couleur blanche chez ces animaux, où elle est si commune qu’elle est, en quel- que sorte, le signe extérieur de la domination de l’homme, la livrée naturelle de la domesticité (4). Ce qu’il y a de certain, c’est que l’hérédité régit tontes Les couleurs , et ce n’est pas seulement le fond de la couleur, ce sont en- core les taches et la distribution des taches qu’elie trans- (1) Pujol de Castres, OEuvres complètes, tom. IL, art. 1, p. 245, 246. (2) Portal, loc. cit., p. 1. (3) Hofacker, Ueber die Eigenschaften, welche sich bei. Menschen und Thieren von den Elternauf die Nachommen vererben, p.10.— Burdach, t. I, p. 249. (4) Isid. Geoff. Saint-Hilaire, ouv. cité. 216 DE LA LOL D HÉRÉDITÉ porte (1). On peut à volonté tacheter les produits, en choisissant des mäles ou des femelles tachetés (2). Une vache de race suisse, au poil blanc semé de taches rousses, donna à Giroude Buzareingues cinq veaux dont quatre répétaient le fond de la couleur, et la distri bution des taches de leur mère; le cinquième , femelle, ressemblait au taureau (3). On voit aussi lestaches affecter chez les petits les mêmes points que sur les pères : dans un nombreux troupeau d’agneaux issus de béliers blancs et légèrement tachés de noir sur le nez, et de brebis dont la plupart étaient blan- ches et plusieurs noires, toutes les femelles étaient blan- ches et presque toutes tachées de noir sur le nez (4). Desexempies analogues ont été recueillis chez des cerfs, chez des chiens , chez des chats, des souris , et chez des oiseaux (5). Le savant agronome que nous venons de citer, et qui a fait une si minutieuse étude de ces transmissions, en pousse l’analyse jusqu’à la répartition la plus systémati- que des couleurs dela mère et du père aux produits. La - couleur, d’après lui, n’obéirait pas aux mêmes lois que les formes ; celle des poils passerait moins sûrement ou moins parfaitement que la forme de l’ascendant masculin au descendant : elle y prédominerait cependant sur celle de la mère, surtout celle des poils à insertion profonde ou de ceux qui croissent vers les extrémités. Ce serait le contraire de la couleur du duvet qui, ainsi que celle de (1) Vandermonde, ouv. cité, tom. I, p. 70. (2) Chambon, Traité de l'éducation des moutons, t. I, ch. vu, $ 40, p.116. (3) Girou, de la Génération, ch. vi, p. 126. (4) Id., p. 120. (5) Burdach, tom. II, p. 260. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. A 17 la peau, tiendrait à peu près le milieu dans le produit, entre celle du père et celle de la mère, ou même appar- tiendrait un peu plus également à la mère qu’au père (1) ; mais nous ne saurions reconnaitre à ces résultats la va- leur de principes. On ne voit point seulement prédominer ainsi, alterner, ou se mêler, selon les produits et selon les parties, la couleur des parents, dansles êtres qu’ils engendrent. Bien que Girou prétende qu’elle n’obéisse pas aux mêmes lois que la forme , il est cependant une loi de transport de la forme , celle de métamorphose, qu’on retrouve dans le transport séminal des couleurs. On voit la couleur du père et de la mère se succéder, ainsi que l’expression du visage , dans les mêmes parties et sur un même produit. « Parmi les veaux issus de taureaux noirs et de vaches rousses, raconte Girou lui-même, il y a souvent des mà- les qui, roux en naissant, deviennent noirs par la suite; et, parmi ceux qui proviennent de vaches noires et de taureaux roux, on rencontre quelquefois des génisses qui, rousses en naissant, deviennent ensuite noires : mais je n'ai jamais vu, ajoute-t-il, que le veau teint en naissant de la couleur de son père prit ensuite celle de sa mère ; ni que la génisse, teinte d’abord comme sa mère, prit plus tard la couleur de son père (2). » C’est précisément ce que nous avons eu l’occasion d’observer chez deux petites filles issues d’un père châtain et d’une mère dont les che- veux étaient d’un noir de jais : toutes les deux étaient nées avec des cheveux rares, mais noirs comme ceux de la mère, et, au bout de peu de mois , ils se transformè- (1) Girou, ouv. cité, p. 130. (2) Id., ouv. cité, p.124. — Voy. aussi p.128. 218 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ rent en cheveux de plus en plus semblables à ceux du père. Ces transformations sufliraient, à elles seules, pour rendre peu probable l’idée de Chambon , que la couleur constitue un principe qui, une fois transmis aux produits, n’est plus susceptible de mutation, et qu’il est, sous ce rapport, une exception à faire aux effets ordinaires des accouplements des diverses races de la même famille (1). Maïs Chambon n’avait pas d’autre preuve, à l’appui de son opinion, que le fait précédemment cité de Columelle; et ce fait la limiterait à l’espèce ovine. Spurzheim , pour notre espèce, soutient la thèse contraire : le teint et l’ex- pression de la figure s’altèrent, d’après lui, plus vite que les formes. Les familles européennes brunissent dans les climats chauds, tandis qu’elles conservent leur configura- tion primitive. Les Juifs deviennent blonds au nord, et ils sont basanés en Portugal ; mais les traits de leur vi- sage sont encore les mêmes , dans tous les pays (2). Nous regardons, pour notre part, les deux thèses con- traires comme entachées toutes deux du même absolu : l'exemple de Columelle est très-insuffisant à prouver la première, même pour l’espèce ovine ; l’exemple de la race juive n’est pas moins impuissant à démontrer la se- conde, pour toutes les autres races de l’espèce humaine. On ne peut évidemment conclure , en pareil cas, ni de faits isolés, ni de race à race, ni d’espèce à espèce (3); il (1) Chambon, Traité de l'éducation des moutons, loc. cit. () Spurzheim, Essai sur les principes élémentaires de l'éducation, Introduction, p. 14. (3) Huzard fils, De quelques questions relatives au métissage, 1831, P. 4 et passim. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 219 n’y a de démontré et de commun à toutes que le trans— port séminal des colorations. S II. — Hérédité de la structure interne. A l’hérédité de tous les caractères de la conformation et de la structure externes, répond l’hérédité de tous les caractères de la conformation et de la structure internes. La raison en est simple : la structure externe et la struc- ture interne émanent du même principe d'organisation , se touchent , se continuent, ou se rapportent entre elles ; profondes connexions qui ont la double base de Pidentité de l'être et de l’unité de la vie. Mais , si intimes que soient ces connexions , il ne faut pas moins éviter de se méprendre sur leur nature réelle, et, par suite, sur celle de la correspondance qui peut exister entre la transmission des éléments externes et celle des éléments internes de la structure. Il est ar- rivé que l’on s’est gravement abusé sur elles. On a exagé- ré, jusqu’à la fausser, la loi de relation des deux confor- mations, et consécutivement , le principe du rapport de l’hérédité de la structure externe, à l’hérédité de la struc- ture interne, et des différentes affections morbides. On a prétendu mesurer, en général et indistinctement, chez tout individu , la propagation des ressemblances internes, sur celle des ressemblances externes, dans tous les êtres ; et, d’après la première, ainsi préjugée indifféremment de tou- tes les parties, décider de l'existence et de l’étendue des prédispositions à l’hérédité des maladies de famille. Cullen, Portal, Petit, Adams, Burdach et d’autres auteurs abondent trop dans ce sens. Que l’hérédité de la structure externe soit l’expression 2920 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ directe de l’hérédité de la structure interne, c’est un fait qui s’observe, mais qui n’est absolu que dans cer- taines limites. Ces limites sont celles où le volume et la forme des parties intérieures sont dans une dépendance de juxtaposition et de contiguité physique immédiate de la forme et du volume des parties extérieures, qui leur ser- vent d’enveloppe : telle est la dépendance qui pêut exis- ter entre les dimensions du crâne et du cerveau ; entre la configuration du thorax et celle des poumons ; entre la conformation extérieure des membres et le développe- ment du système musculaire, etc. Au delà de ces limites, le fait de correspondance de l’une et de l’autre structure peut encore se produire, mais, ni nécessairement, ni généralement ; et rien n’au- torise plus à le préjuger, avant l’apparition des phéno- mènes internes ou des signes extérieurs qui en prouvent l’existence. Le poser, comme une règle, hors de ces con- ditions, et le présenter même comme le phénomène le plus ordinaire , ce n’est pas seulement se lancer dans une voie purement conjecturale, c’est tout à la fois fausser les rapports de la structure externe et de la structure interne, et se méprendre sur les lois de l’hérédité elle-même. Ni les lois empiriques de l’hérédité, ni celles de lu- nité des deux conformations ne consacrent, en principe, unetelle conséquence. Deux seules conséquences nous semblent s’en déduire légitimement : La première, c’est que du fait de la relation vitale de la structure externe à la structure interne de l’organisa- ton , l’hérédité ne peut exercer sur l’une d’action qu’elle ne soit libre d’exercer sur l’autre; de l’unité qui les lie, résulte nécessairement leur communauté de lois. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 291 La seconde conséquence, c’est qu’en vertu de cette même connexion vitale, l’hérédité ne pouvant être modi- fiée par celui des deux sens, externe ou interne, de lorga- nisation où son action s’exerce, peut non-seulementse por- ter, au dedans comme au dehors, sur les mêmes caractères, mais, au dedans comme au dehors, dans les mêmes circon- stances et les mêmes conditions, peut suivre les mêmeslois. Ces deux propositions sont précisément celles que les faits établissent. 1° La première n’admet pas le plus léger doute. L’hé- rédité agit sur les mêmes caractères des éléments inter- nes que des éléments externes de la conformation ; au dedans comme au dehors , elle régit la forme et le volume des parties. Cette transmission affecte jusqu'aux vices de leur con- ficuration et de leur développement, fait bien connu de Baïllou qui, dans la prévision de la relation de ces vices avec l’hérédité de diverses maladies , insiste avec raison sur l’investigation des organes internes (1). Cette investi- gation le démontre nettement de tous les appareils et de tous Les systèmes de l’intérieur de l’être : Rien de plus positif que l’hérédité de la forme, du vo- lume , et des anomalies du système osseux : celle des pro- portions, en toutsens , du crâne, du thorax , du bassin, de la colonne vertébrale (2), des moindres os du sque- lette, est d’une observation quotidienne et vulgaire; on a constaté jusqu’à celle du nombre en plus ou en moins des vertèbres et des dents. D’après Hofacker, cette trans- mission s'étend à tous les caractères spéciaux de la char- (1) Baïllou, Oper. omn., tom. III, p. 267. (2) Piorry, ouv. cité. — Duchamp, Maladies de la croissance, p. 35. 299 a DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ pente osseuse des animaux vivant en domesticité (1); et nous avons , plus haut, signalé le parti qu’en tirent les Anglais , en appliquant ce principe à la formation des races à petits os. L’hérédité régit de même les proportions du système nerveux ; elle est manifeste dans les dimensions géné- rales du cerveau , son principal organe (2) ; elle est même très-souvent sensible dans le volume, et jusque dans la forme des circonvolutions, et l'observation que Gall en avait faite avait donné l’idée au célèbre fondateur de l’é- cole phrénologique, d'interpréter par elle la propagation des facultés mentales (3). Le système circulatoire, le système digestif, le système musculaire, suivent , sous tous ces rapports, les lois de transmission des autres systèmes internes de l’organisme : le développement, l’étendue, la configuration , la capa- cité, les disproportions les plus particulières des appareïls spéciaux qui leur appartiennent, se transportent des pères et des mères aux produits : il existe des familles où le cœur et le calibre des principaux vaisseaux, sont na- turellement très-considérables; d’autres chez lesquelles ils sont relativement petits; d’autres, où, comme l'avait constaté Corvisart, ils présentent les mêmes vices de con- formation. Des disproportions analogues, transmises par la génération , se rencontrent également dans les diverses parties du tube digestif, de l'appareil rénal, de l'appareil urinaire, dans le diamètre congénial des conduits sécré- teurs et des excréteurs de différents organes (4), dans la (1) Hofacker, ouv. cité, p. 10. (2) Gall, Sur les fonctions du cerveau. Paris, 1825, tom. II, p. 411. (3) Loc. cit. (4) Piorry, ouv. cité, p. 105. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 293 largeur des ouvertures naturelles, telles que celles des anneaux inguinal et crural (1). Valésius de Tarente dit avoir constaté l’hérédité de hernies congéniales , jusqu’à la troisième génération. Le Journal d'Allemagne fait men- tion d’un enfant qui avait une hernie, et dont l’aïeul et le bisaïeul avaient une descente ombilicale. Valentin Poly- chrest parle d’une famille dans laquelle tous les mâles avaient une hernie (2). Mare a pu également suivre l’hé- rédité de hernies ombilicales jusqu’à la troisième généra- tion (3). Nous savons nous-même une autre famille, où le père, à soixante ans, a été affecté subitement d’une double hernie inguinale : un de ses fils, à trente ans, a été attaqué de la même infirmité du côté droit, et menacé en même temps de l’être du côté gauche. Enfin, il n’y a point, à proprement parler, de viscère dont la struc- ture ne soit soumise à la loi du transport séminal. Cest même à cette action de l’hérédité sur la conforma- tion interne des organes que les auteurs rapportent, trop généralement dans notre opinion, les maladies de famille. Nous prouverons plus loin qu’il n’est rationnel d’y rat- tacher que celles des affections des solides qui tiennent à la texture ou aux dimensions des différents viscères. On ne peut excepter de la transmission des éléments internes de la conformation la coloration interne des parties. Les relations profondes d'organisation , de fonc- tion et d’affection, que l’anatomie , la physiologie , et ja pathologie, s'unissent pour établir entre les membranes muqueuse et cutanée (4), s'expriment aussi vivement dans (1) Prorry, ouv. cité, p: 41, (2) Venette, de la Génération, tom. II, p. 46, notes. (3) Dictionnaire des sciences médicales, tom. VI, p. 527. (4) Flourens, Recherches anatomiques sur les structures comparées de 294 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ l’action qu’elles subissent de la génération. L’hérédité régit la peau interne comme la peau externe, et propage aussi bien les caractères propres de texture et de couleur de l’une que ceux de l’autre. Les teintes physiologiques des membranes muqueuses ne sont pas uniformes chez toutes les personnes ; indépendamment de l’âge et de la santé, elles varient de nuance et vont du pâle au rose, du rose au rouge-cerise, selon les individus. On en voit chez lesquels la nuance la plus vive est aussi prononcée qu’elle l’est chez les nègres; et ces colorations, qui sont souvent de race, sont aussi de famille, comme les nuan- ces de la peau extérieure et du teint. Il en est ainsi de colorations internes plus profondes, de celles d’autres membranes de l’économie, du tissu des muscles, du cerveau et des os. Chez les poissons, des couleurs analogues à celles des écailles, la plupart du temps mêlées de petits points noirs se voient à l’arachnoïde, au péritoine, dans le tissu cellulaire de certaines veines, et au périoste de la colonne vertébrale ; on remarque aussi des taches noires chez les membranes séreuses des batraciens ; chez les oiseaux, cer- tains points du périoste et des membranes séreuses ont la même teinte que les pattes et le bec, et sont, par exemple, noirs chez les poules noires, rouges chez les cigognes (1). Le mélanisme des poules de Bogota, s’étend, comme on Pa vu, d’après le docteur Roulin, au périoste, à toutes les membranes séreuses, à la couche cellulaire qui entoure la membrane cutanée et de la membrane muqueuse, Annales des Sciences naturelles, 2e série, Zoologie, t. IX, p.239 et suiv.—Voy.encore Hébréard, Mémoire sur l’analogie qui existe entre les systèmes muqueux et dermorde. — Dans les Mémoires de la Société Médicale d'émulation, tom. VIIT; — et Rayer, Traité des maladies de la peau, tom. IL, p. 781. (1) Burdach, Traité de physiologie, tom. VII, $ 813, p. 336. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 229 les muscles (1). Les mammifères à pelage noir, par exem- ple les bêtes bovines et ovines , présentent également un pigment noir à la membrane muqueuse de la bouche, du nez et des yeux (2). Enfin d’après Meckel, comme d’a- près Virey (3), le melanisme pénètre, chez la race nègre, jusque dans la substance corticale du cer veau , et le doc- teur Rayer a vu, dans quelques cas de nigritie générale, le dépôt accidentel de pigment s'étendre, sous la forme de taches brunes, jusqu’à la surface de la langue (4). Or tous ces caractères de la couleur interne se propagent, comme on le sait, des parents aux produits, aussi posi- tivement, aussi intégralement , que les caractères de la couleur externe de la peau, des cheveux, des ongles, des poils , de la robe et du plumage. La connexion intime (5) de texture et de fonction en- tre les deux membranes, toiles vivantes où s’imprègnent le plus généralement les nuances riches ou sombres du coloris des êtres, reçoit même quelquefois de l’hérédité de plus fortes expressions. Ainsi que nous voyons, dans l’état morbide, Pé- troite sympathie organique de la membrane muqueuse et de la peau, opérer de l’une à l’autre des révolu- tions ou des métastases; nous voyons d’autres fois la génération, procédant à son tour, par des métastases d’un autre caractère, transporter de l’une à lautre les (1) Mémoires présentés par divers savants à l’Académie des Sciences. Paris, 1835, tom. VI, p. 3241. (2) Burdacb, Traité de physiologie. (3) Nouveau Dictionnaire des sciences naturelles, art. Nègre, p. #43. (4) Rayer, Traité des maladies de la peau,Paris, 1835, tom. IIT, p. 793. (3) Cette connexion est telle que d’après les observations d'Hébréard, dans le mémoire cité, la peau, en certains cas, peut se transformer en membrane muqueuse, et la membrane muqueuse se transformer en peau. L° 19 296 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ colorations propres à chacune d’elles. Des faits indu- bitables prouvent que leurs couleurs peuvent se sub- stituer comme se correspondre. L'expérience a depuis longtemps enseigné aux agriculteurs qui cherchent à maintenir ou à propager la blancheur de la laine, qu'ils doivent écarter avec soin du troupeau non-seulement les béliers et les brebis tachetés sur la laine ou la peau , maïs encore les brebis et les béliers tachetés soit sur la langue, soit même sur la voûte palatine (1). IL suffit d’un bélier taché de noir sur la langue pour produire des agneaux tachés de noir sur le dos ou partout ailleurs (2). Les faits confirment donc pleinement la première des deux propositions que nous avons déduites de la connexion vitale de la structure externe et de la structure interne des solides organiques : l’hérédité agit sur les mêmes ca- ractères au dedans qu'au dehors de la conformation. Ils consacrent aussi formellement la seconde : l’hé- rédité se comporte au dehors comme au dedans de la con- formation, d'après les mêmes lois. Extérieurement, elle peut être intégrale ; elle peut être partielle ; elle peut ne pas être, c’est-à-dire laisser, à dif- férents degrés , la loi contraire agir. L’hérédité se pré- sente, sous ce triple et même aspect, à l’intérieur des êtres. Elle y peut certainement porter son expression sur tous les solides ; mais il est aussi rare de voir la ressemblance interne des enfants aux parents s’imprimer à la fois, chez le même individu, dans tous les organes, que de voir la ressemblance externe apparaître dans la tota- lité du type extérieur. Dans le grand nombre des cas, (1) Chambon, ouv. cité, tom. I, ch. vir, p. 116. (2) Girou, ouv. cité, ch. vus, p. 126. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 227 elle n’est que partielle; encore n’affecte-t-elle point tou- jours tout un système, ni tout un appareil, ni même tout un organe ; fréquemment elle n’en frappe qu’un élé- ment, qu'un point; mais là, comme sur les traits, si limitée qu’elle soit, elle n’en est pas moins caractéristi- ques. Dans beaucoup de cas, enfin, elle n’existe pas. La loi de l’inNÉrTÉ s’y est substituée dans l’intérieur de Pêire: De toutes ces circonstances et de leur combinaison, il peut résulter, et les faits établissent qu’il résulte réelle- ment les éventualités principales qui suivent : 1° La ressemblance externe de conformation du pro- duit aux auteurs peut être presque totale; la ressem- blance interne , nulle. 2° La ressemblance externe être radicalement nulle, et la ressemblance interne être intégrale. 3° Les ressemblances interne et externe de structure être partielles toutes deux. 4° La ressemblance partielle n’exister que pour l’une ou pour l’autre structure et ne pas se porter, dans celle qu’elle affecte, sur les mêmes organes, ou dans les mêmes organes, sur les mêmes éléments ou sur les mêmes points. »° Les ressemblances externe et interne de structure peuvent être non pas complètes, mais presque générales. 6° Les ressemblances externe et interne de struc- ture peuvent r’exister pour ainsi dire nulle part, dans au- cun des systèmes, dans aucun des organes, des parents aux produits. Toutes ces combinaisons, que nous ne faisons encore qu'énumérer , mais que fera ressortir la suite de ce tra- vail, sont autant de conséquences à la fois empiriques et rationnelles de la double intervention des lois de l’in- 228 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ néité et de l’hérédité sur tous les éléments de l’organisa- tion et des lois positives de l’hérédité elle-même. ARTICLE IT. De l'hérédité des caractères propres aux éléments fluides de l’organisa- tion. Si l’unité qui lie les caractères externes aux caractères internes de la conformation, est d’une nature profonde, la connexion vitale des éléments solides et fluides de l’être est d’une intimité plus pénétrante encore; elle touche à l’essentiel de l’identité même. La formation centrale et la formation périphérique de la structure animale ne sont point successives ; l’une n’est point le produit de l’autre. La science, impartiale entre les deux systèmes du professeur Serres, pour qui toute formation organique procède du dehors au dedans (1), et de Mayer, aux yeux de qui elle procède, au contraire, du dedans au dehors (2), conciliant les deux opinions ad- verses , reconnaît aujourd’hui que la vie s’organise par- tiellement dans les deux directions, et que leur déve- Joppement simultané remonte à-la même époque de la vie embryonnaire. Le rapport de l’extérieur à l’intérieur de la confor- mation, n’est donc, dans son principe, qu’un rapport d'harmonie. Le rapport organique des fluides aux solides se pré- sente à nos yeux, sous un tout autre aspect, au dedans comme au dehors de la vie utérine. ({) E. Serres, Recherches d'anatomie transcendante et pathologique, 1839, in-40. (2) Meckel, Archiv. fuer Anatomie. 1826, p. 228. RE DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 229 Dans le cours de la vie extra-utérine, leur continuité se révèle d’abord par la difliculté d’une ligne positive de démarcation entre les trois états, où ils y coexistent : in- dépendamment de l’état vaporeux qui ne s’y manifeste que dans ses actions, ces trois états sensibles de cohésion vitale, sont : l’un, l’état liquide; l’autre, l’état mou; le dernier, l’état solide ; et loin qué la différence entre ces trois degrés de consistance des principes de l’organisation, soit aussi bien tranchée, que certains éléments anatomi- ques plus fixes, et d’autres plus fluides , le donneraient à croire, entre leurs termes extrêmes, on pourrait établir une échelle d’états dont les échelons se toucheraïent pres- que (1). Il est même des organes, le poumon, le cerveau, le foie, nous pourrions dire la plupart des viscères, dont le degré de cohésion est intermédiaire, et comme incer- tain , entre les deux états les plus opposés ; et l’évapora- tion montre que l’apparence est , à cet égard, au-dessous de la réalité. Sur 10,000 parties de pulpe cérébrale , l’é- vaporation en dissipe, chez l’adulte, 8,096 ; elle en dissipe 8694 chez l’embryon. Le foie, sur le même nombre, en perd 7,600 chez le premier ; il en perd 8,064 chez l’autre (2). La vérité est que ces trois degrés divers de cohésion vi- tale, ne sont que des états relatifs ; ils sont irréductibles à des termes absolus. Si l’on entre dans cette voie, on tend nécessairement à des énormités : ainsi, d’après Grimaud, Capiluli s'était laissé aller à croire que le liquide principal de l’économie, le sang, n’était point liquide dans l’organisme vivant, et qu'il y constituait un tissu fibreux concourant à former (1) Piorry, ouv. cité, p. 46: (2) Haller, Elementa physiolog., tom. VII, p. 266. 230 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ une partie des vaisseaux (1). Ainsi, Dœllingen ne voit, à l'inspection microscopique du sang, que des globules. pressés les uns contre les autres, sans aucun vide entre, eux, et déclare que le sang n’est pas plus liquide que ne l’est un tas de pois ; qu’il ne coule pas comme l’eau, mais comme coule le sable dans un sablier (2). Tristes et éloquentes preuves des écarts où entraine l’idée de l’absolu et d’une ligne rigoureuse de démarca- tion de ces trois états de consistance organique. Plus on remonte avant dans la formation de l'être, plus celte ligne est obscure, plus la limitation exacte est diffi-. cile. Dans le cours de la vie intra-utérine, de coexistants, ils deviennent successifs : À un certain degré, les solides en voie de consolidation, n’ont qu’une consistance molle et gélatineuse ; la conden- sation ne s’en fait que peu à peu ; à un autre degré, encore moins avancé de la vie embryonaire, les solides en. voie de configuration n'existent encore qu’en formes, sans tissus ni texture. À un troisième degré, les solides sont liquides, ou pour parler plus net, ils n’existent pas. Enfin, à un degré initial en quelque sorte de la formation de l'être, il n’y a, pour ainsi dire, ni solide, ni liquide vi- tal proprement dit, mais la masse organique nommée pri- mordiale, transformation première de l’embryotrophe, de laquelle le sang, et successivemeut tous les éléments de être doivent plus tard émaner. De cette gradalion, il résulte donc que chacun des trois états se succède dans les mêmes principes de l'être, et que, par une merveilleuse évolution vitale, ils se substi- (1) Grimaud, Cours complet de physiologie, Lom. IE, p. 93. (2) Burdach, ouv. cité, tom. VI, p. 102, 403. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 231 tuent progressivement, dans l’organisation, dont tous les éléments passent, en se développant, par leurs termes extrèmes : les liquides finissent par l’état solide ; les so- lides commencent par l’état fluide qui, pour tous les sys- tèmes, comme pour tous Les organes, est l’état antérieur, l’état initial. Entre l’état solide et l’état liquide de l’organisation , la connexion vitale n’est donc plus seulement , comme entre les deux structures interne et externe, un simple consensus, un rapport d'harmonie, mais une relation de cause à effet, mais une dépendance de génération; car leur génération n’est point simultanée, et la priorité ap- partient aux liquides. Tout être organisé procède d’un liquide et sa formation est, dans certaines limites, comme le dit Burdach, une solidification. Les liquides contiennent donc les solides en puissance, et ils recèlent ainsi le principe formateur de toutes les ex- pressions que les solides prennent dans l’organisation, et dont les solides sont comme les véhicules, puisqu'ils les leur transmettent ; ils font même plus que de les leur transmettre, puisqu'ils les précèdent ; ils en sont les au- teurs, et à proprement dire, les prédécesseurs. Si maintenant les solides, état postérieur et relative- ment inerte de l’organisation (1), restent doués cependant de cette puissance vive de propagation et de reproduc- tion que nous avons reconnue à tous leurs caractères , à plus forte raison, la logique nous dit-elle que cette force de transmission et de représentation appartient aux liqui- des, état antérieur, et force relativement plus essentielle, (1) Burdach, Traité de physiologie, tom. VI, & 660. 2392 DE LA LO1 D'HÉRÉDITÉ plus active, et partant plus reproductrice des types inti- mes de l’être. Ce que la logique affirme, l’expérience le prouve. La loi d’hérédité qui régit les solides, régit également les liquides organiques, qui forment le torrent où circule la vie. On peut même, en principe, voir dans la reproduction des types des solides, et de leurs caractères, une pre- mière expression de la reproduction des types des liqui- des et de leurs caractères, puisque tous les solides pas- sent par l’état liquide ; que cet état, dont ils sont, à proprement parler, de simples évolutions, en recèle à la fois les germes et les figures , et que figures et germes dépen- dent de la nature et de la composition de ces fluides for- mateurs , comme les formes des cristaux de la composition et de la nature des dissolutions où ils prennent naissance. Mais l’hérédité des éléments liquides ne se limite pas à la transmission de ceux de leurs caractères, qui vien- nent pour ainsi dire prendre forme dans les solides, ex- pressions finales de leurs métamorphoses : elle s’étend à tous les caractères d’état des liquides eux-mêmes, c’est-à- dire à tous ceux qui s’attachent au degré de cohésion vi- tale qui constitue l’état de fluidité de ces mêmes éléments. La loi d’hérédité, en un‘mot, n’agit pas sur les seules pro- portions de forme, de volume, et de texture des parties ; elle ne consiste pas dans l’unique transmission de leurs rapports d’étendue, de configuration, de coloration; ellese continue jusque dans leurs principes, elle se représente jusque dans les rapports de composition et de proportion propres aux divers fluides d’où les parties proviennent. Quels sont, maintenant, les caractères vitaux qui ren- trent dans cette classe, c’est-à-dire qui soient essentiels DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 233 aux liquides, et sur lesquels se porte Le transport séminal? Nous reconnaissons aux liquides organiques, comme aux inorganiques, une double nature : une première phy- sique, une seconde chimique. L'action héréditaire s'exerce sur les deux ; elle agit à la fois et sur les caractères de la proportion, et sur les caractères de la composition des différents fluides. 1° Quant à la proportion, l’hérédité existe et dans les quantités absolues des liquides, et dans leurs quantités relatives entre eux. : De l’hérédité de leurs quantités relatives, dérive l’hé- rédité des tempéraments, qui en est l’expression la plus générale : les systèmes organiques à la prédominance desquels se rattachent leurs quatre principaux types , le système sanguin, le système nerveux, le système bilieux, le système lymphatique, doivent tous, à des liquides et à des sécrétions, non-seulement l’essence de leurs attributs, mais encore la très-grande partie de leur substance. De tous, les principaux foyers de deux de ces systèmes, comme on l’a vu du cerveau et du foie, l’évaporation ne laisse presque rien, et l’idée rationnelle de leur prépon- dérance ne peut se rapporter qu’à la prépondérance des fluides qu’ils renferment. Que cette prépondérance existe pour chacun de leurs différents fluides, relativement aux fluides des autres systèmes, c’est un fait avéré, quant à l'individu et à la famille, comme il l’est encore quant aux diverses races et aux diverses nations (1). À l’égard des familles, c’est comme l'écrit Pujol, un de ces faits généraux dont il est aisé de constater la réalité, dès qu’on veut examiner curieusement et en détail les diffé- (1) Pujol de Castres, tom. II, p. 247, 248. 234 DE LA LOL D'HÉRÉDITÉ rentes familles dont la réunion compose nos grandes ci- tés (1). Le sang est plus abondant dans certaines familles qu'il ne l’est dans d’autres (2), et cette surabondance tient à l’hérédité de la disproportion du système sanguin dans les premiers auteurs, aux descendants desquels elle communique une prédisposition à toutes les maladies dont cette disproportion peut être le principe : des apo- plexies, des épilepsies, des aliénations, des hémorrhagies, des inflammations, tout un cortége de maux, proviennent en effet de cette sarabondance héréditaire du sang, cause, dit Portal, trop souvent méconnue (3). La prépondérance peut, chez d’autres familles, se por- ter sur la bile (4) : les bilieux, écrivait Le père de la méde- cine, engendrent des bilieux, et l’auteur précédent ratta- chait à cette source l’hérédité d’un autre groupe de maladies, le mélæna, la jaunisse, les coliques hépatiques, les coliques bilieuses, si souvent transmises des parents aux enfants. La névrosité et la lymphe (5) sont sujettes aux mêmes dis- proportions dans les individus, et, comme les précédentes, ces disproportions des individus passent à leurs produits, et leur inoculent des prédispositions à l’hérédité des affec- tions spéciales dont elles sont l’origine. (1) Lordat, Les Lois de l'hérédilé physiologique sont-elles les mêmes chez les bêtes et chez l’homme? Montpellier, 4842, p. 3. — E. Gintrac, de l’In- fluence de l'hérédité sur la production de la sureæcitation nerveuse, etc:, Paris, 1845, in-40, p. 3, et 20 à 24. — A.-J, Gaussail, même titre, in-8. Paris, 1845, p. 60 à 62. (2) Voy. Portal, ouv. cité, préface, p.8, 9, et 97, et Pujol, Loc. ci. (3) Idem, p. 97, 98, et ses Observations sur les maladies du foie. (4) Pujol, loc. cit. — Portal, loc. cit. (5) Portal, ouv. cit. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 235 De la reproduction des quantités relatives des prinei- paux fluides de l’économie, découlent ainsi autant de for- mes particulières de l’hérédité des tempéraments ; de celle constatée de prépondérance relative du sang, l’hérédité du tempérament sanguin ; de celle constatée de prépondérance relative de la bile, l’hérédité du tempérament bilieux ; de celle constatée de prépondérance relative de la lymphe, l’hérédité du tempérament lymphatique; de celle aussi constatée de la prépondérance de la névrosité, l’hérédité du tempérament nerveux ; de celle, enfin, du mélange de ces tempéraments et de leurs alliances, l’hérédité de toutes leurs combinaisons et de tous les dérivés qu’elles peuvent produire. Égaré par la loi de l’innéité physiologique de l'être, Louis est presque le seul auteur important dont la voix se soit élevée contre la vérité de tout temps démontrée de ces transmissions (1). Elles se représentent aussi positivement dans les pro- portions absolues des liquides de l’organisation, ou de leur quantité en plus ou en moins, relativement à eux- mêmes, et par suite à la vie. Telle est l’hérédité de celles en plus du sang, que l’on nomme pléthore, et de celles en moins que l’on nomme anémie. La répétition par la voie séminale de la dernière n’est rare que sous son type mor- bide, mais au simple degré où elle n’entraîne qu’une sorte détiolement naturel de l’organisation, accusée par une décoloration et une ématiation de l’habitus extérieur, qui peut s’allier longtemps, sans troubles manifestes, avec Pexistence, dans combien de professions, dans combien de familles ne se rencontre-t-elle pas? L’hérédité de la dis- (1) Louis, Considérations, etc., ouv. cité. 236 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ proportion inverse ne laisse pas l’ombre d’un doute; le professeur Piorry en cite plusieurs exemples : dans un premier, le père, les frères et les sœurs présentaient une égale prédisposition aux accidents qui naissent del’hyper: émie ; dans un autre, trois sœurs ainsi que la plupart des parents paternels étaient prédisposés par la même cause aux mêmes accidents. Sur 48 cas de pléthore recueillis dans les hôpitaux, on a trouvé, dit-il, quatre cas où les parents offraient des circonstances semblables d'organisation, et sur vingt-deux cas d’une maladie nommée par le docteur Fournet, congestion du poumon, et analogue à la conges- tion sanguine active du cerveau, ce médecin a rencontré quatre malades chez lesquels la même pléthore sanguine générale, la mème disposition aux congestions viscérales, cérébrales surtout, faisaient partie de l’histoire des pa- rents (1). Nous ne doutons pas qu’une statistique sévère et plus étendue ne montre que l’hérédité de ces disposi- tions ne s’élève à un chiffre plus élevé que celui que ce premier essai de statistique indique. 2° Quant aux caractères de la composition des différents fluides, l’hérédité agit manifestement sur tous ceux qu'ils présentent. Elle agit premièrement sur les caractères de leur nature physique, sur leur densité, Le nombre, Les proportions de leurs éléments, sur les dispositions qui en sont la suite. Ainsi se transmettent par la voie séminale, les quantités relatives des principes sanguins ; celles de surabondance du principe fibrineux sur le principe séreux, et consécuti- vement la tendance spontanée au développement de l’état couenneux du sang, et aux inflammations aiguës qu’il dé- (1) De l’hérédité dans les maladies, $ 191, p, 62. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 237 termine (1). Ainsi se communiquent par la même voie les proportions contraires, ou la surabondanee de la sérosité sur la fibrine de ce même liquide. L’hérédité de l’état nommé chlorotique, et plus récemment par le docteur . Piorry, hydroëmique du sang, en est tout à la fois l’expres- sion et la preuve. Non-seulement aucun sexe (2), non- seulement aucun àge (3), n’en sont à l’abri, mais, sous sa forme simple, d’après le docteur Ashwell, il est, dans la plupart des cas, congénital (4) et, comme la phihisie, qui en est une des plus graves complications, 1l a souvent sa source première dans les familles. Marshall-Hall a même eu l’occasion de remarquer que, si, dans une famille, plu- sieurs filles présentent l’état chlorotique, leurs parents de l’autre sexe offrent assez fréquemment une pàleur habi- tuelle de la surface du corps (5). Il est d’autres caractères ou d’autres altérations de la composition physique du même liquide ou des sécrétions diverses qui en proviennent, qui, plus intimes encore, ou plutôt plus latents, ne se révelent qu'aux sens armés du microscope, et dont l’hérédité ne fait pas question. De ce nombre sont d’abord des principes, ou plutôt des êtres étrangers, les entozoaires des différents liquides de l’économie, les uns nageant dans le sang, les autres dans les mucus, d’autres jusque dans le sein des humeurs de l’œil, êtres parasites, dont la propagation par la voie sé- (1) Piorry, ouv. cité, 8 723. (2) Sauvages, Nosologie méthodique, Lyon, édit. in-12, 1772, tom. IX, classe X, ord. vi, xxx, p. 502. (3) Sauvages, loc. cit., p. 519, Chlorosis infantium.— Roche et Samson, Nouveaux Eléments de pathologie, tom. II. (4) Ashwell, Mémoire sur la chlorose et ses complications, $& 2 et 3, conclusion 1. (5) Marshall-Hall, On the diseases and derangements of the nervous system. London, 1841. 238 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ minale, dans tous les milieux et sous toutes les formes où ils se manifestent, a été reconnue de toute antiquité, etssi bien constatée, qu’on s’en est fait une arme, impuissante ilest vrai, contre le fait clairement prouvé par Rudolphi (1) et plus tard par Burdach (2), de leur génération spontanée dans les êtres. De plus de douze espèces d’entozoaires qui se rencon- trent chez l’homme, il existe des personnes qui n’en pré- sentent aucune. Les parents et aïeux d’autres individus qui en sont affectés, n’en avaient point souffert ; d’autres enfin, reçoivent Ge la génération les mêmes entozoaires, ceux-ci que leur père, ceux-là que leur mère (3). Les mêmes faits se représentent chez les animaux (4), et dans les deux classes d'êtres, cette hérédité n’est noint un sim— ple transport séminal des œufs, mais une reproduction de la totalité de substance et de corps de ces parasites, reproduction aussiintégrale que celle obtenue récemment, dans des expériences d’inoculation, ou de contagion di- recte des vers du sang du chien (5). De ce nombre sont aussi des altérations de la nature du sang, visibles au microscope, comme les précédentes ; mais qui, au lieu de tenir à des corps étrangers, portent sur les caractères de ses éléments physiques; telles sont les altérations de ce liquide, sous l'influence desquelles, (1) Rudolphi, Entozoorum historia naturalis, Amst. 1808, tom. I, p. 375 et suiv. (2) Ouv. cité, tom. I, p. 29 et suiv. (3) Id:, loc. cit. (4) Merat, Dictionnaire des sciences médicales; art. Entorouseria.—Voy. aussi Dictionnaire usuel de chirurgie et de médecine vétérinaires, 2 vol. in-8°,1835, tom. Ï, p. 611. (5) Expériences de MM, Grubyet dela Fond. — Voy. Ga%ette Médicale, 20 avril 1844. ET DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 239 sans lésion des tissus, se développent ces étranges prédis- positions aux hémorrhagies que présentent certaines per- sonnes, aujourd’hui désignées sous le nom de bluters (1), prédispositions dont une masse de faits prouvent l’hérédité. Aux observations, ailleurs rassemblées, de Samson, de John Otto, du docteur Hugues, d’Alza-Haravius, de D. Latour (2), du journaldes Progrès, des Archives généra- les, de la Gazette médicale, etc., nous ajouterons ici quel- ques faits analogues qui viennent les confirmer. Le docteur Laborie a vu, chezun malade de la Pitié, les chocs les plus légers produire des ecchymoses, et amener plusieurs fois des hémorrhagies graves: plusieurs enfants de la famille étaient morts de pareils accidents provoqués par des causes incapables d’entrainer, sans prédisposition, de tels résultats. Muller, d'Édimbourg, a vu périr ainsi un jeune homme, à la suite d’une légère piqüre suivie d’une perte de sang que rien ne put arrêter ; les membres de sa famille qui avaient avec lui une grande ressemblance, la même couleur de cheveux, le même aspect de la peau, pré- sentaient la même prédisposition aux hémorrhagies. Un de sesoncles, entre autres, avaitdes ecchymoses, à la moindre pression de la peau sous un corps dur (3). Le docteur Racken cite plusieurs faits semblables (4). Un des plus remarqua- bles, tant par le double concours de l’innéité et de l’hé- rédité à sa production, que par la marche de la propaga- (1) D, Latour, Histoire philosophique et médicale des causes essen- tielles, immédiates ou prochaines des hémorrhagies. Orléans, 1815, t. I, obs. 127, 152, p. 103, 106, 124. (2) E. Gintral, Mémoires de l’Académie royale de médecine, 1. XI, p. 20 à 24. — AÀ.-J. Gaussail, Mém. cit., loc. cit. (3) Société médicale d’émulation, séance du 7 août 1844. — Gazette des hôpitaux, du mardi 24 septembre même année. (4) Medicinische chirurgie Zeitung. Nov. 1830. 240 - DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ tion elle-même, est peut-être le suivant : Le père de la fa- mille E. P était en pleine vie et en parfaite santé, bien que déjà à l’âge de 86 ans. De son mariage étaient nés douze enfants, cinq fils et sept filles; parmi eux, qua- tre enfants, trois fils et une fille moururent d’hémor- rhagie : la plus jeune des filles qui n'avait jamais pré- senté de symptômes de cette prédisposition, se marie à un brave et vigoureux garçon, elle en a six enfants, quatre garçons et deux filles : trois des garcons périssent d’hémorrhagie. Il n’y avait point de trace qu'aucun des parents , soit du côté du père, soit du côté de la mère, eùt été affecté de cette idiosynerasie, antérieurement aux enfants d’Ernest P. (1) La mème forme inhérente de reproduction s’attache aux caractères de la composition organique des liquides , qui ne sont appréciables qu’à l’analyse chimique. Il en est parmi eux de physiologiques, comme ceux qui con- stituent, dans l’espèce chevaline, les races dites de pur sang ; l'analyse, en eflet, constate dans leur sang des différences chimiques (2). Jusqu’à quel point n’en serait- il pas ainsi, dans l’espèce humaine, du sang de certaines races très-distinctes entre elles, telles que la race des blanes et la race des noirs ? Tout nous semble de nature à le faire présumer, et déjà l'induction a la valeur d’un fait pour les naturalistes aux yeux desquels le sang, la bile, et toutes les autres humeurs offrent, chez les nègres, une nuance plus foncée qu’ils ne l'ont chez les blancs (3). D’autres caractères chimiques ne sont ni des qualités , (1) Cyclopedia ofpractical medicine, vol. II, p. 418. (2) Voyez la question chevaline considerée sous le point deivue natio- nal, agricole, économique et militaire, 1845, p. 41 et suiv. (3) Broc, Essai sur les races humaines, p. 72. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 241 ni des propriétés, mais de véritables troubles morbides des liquides, etn’en passent pas moins des auteursaux produits. De cette nature sont toutes les altérations ou modi- fications de composition, soit du sang en lui-même, soit des sécrétions dont l’analyse chimique a montré la rela- tion avec un ordre déterminé d’affections, et dont l’expé- rience prouve l’hérédité par l’hérédité de ces affections elles-mêmes : telles sont le diabète et l’albuminurie, la première ou du sucre, la seconde ou de l’albumine, passent du sang dans Purine. Une dernière classe enfin d’altérations chimiques ou physiques des liquides , la plus nombreuse de toutes, dans l’état de la science , comprend les caractères et les altérations des humeurs organiques qui échappent plus ou moins, aux sens, aux instruments, et à l’analyse, et n’ont d'autre expression que celle des conséquences ou des états morbides qu’elles déterminent. C’est la classe des diathèses et des cachexies, des principesherpétique, scor- butique, arthritique, goutteux, tuberculeux, scrophu- leux, cancéreux, des vices syphilitiques, sources vénéneu- ses de maux qui ont pour ainsi dire leurs racines dans l’essence des éléments de l’être, et dont la contagion s’in- fuse avec la vie (1). ARTICLE II. De l’hérédité des caractères propres aux états de la vie ou modes physiologiques de l’organisation. De l’hérédité de tous les types de structure ou de comi- position des éléments solides et liquides de l'être, doit dériver celle de tous ses états ou modes physiologiques. (1) F. L. Gaillard, Histoire générale des sept diathèses, Gazette Médicale, IILe série, t. I, p. 263, 264. I. 16 9249 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Elle apparait d’abord dans la constitution, ou dans le caractère général de la vie. Ce caractère est d’espèce, de race, de nation, de climat, de lieu, de personne et de profession ; il a, en un mot, des types généraux et des particuliers, et chacun de ses types participe de la force de régénération de l’indi- vidu. La plus universelle de ces reproductions est nécessaire- ment celle qui se rapporte aux modes d’existence des espèces. Sous cette forme elle se passe de démonstration : « Une certaine uniformité de constitution, ou sauf quel- « ques déviations, dont les limites sont toujours assez « étroites, la constance à obéir à certaines lois de l’éco- « nomie animale appartient, dit Prichard, au caractère « spécifique de chaque race originelle. Aïnsi, la durée « moyenne de la vie, est, pour chaque espèce, comprise « entre certaines limites. Pour chacune, il y a des limites « semblables, quant aux circonstances relatives à la re- « production : telles que le nombre des petits, les épo- « ques et la fréquence des naissances ; la durée de la « gestation, chez les mammifères, et chez Les oiseaux celle « de l'incubation, ete. Il y en a enfin pour tout le temps « que dure l’éducation ou l’allaitement des petits » (1). La propagation des caractères spéciaux de la constitu- tion qui sont propres aux races, aux nations, aux climats, aux lieux, se manifeste sous presque autant de formes qu’il existe de lieux, de climats, de nations, de races, sur le globe. : L’hérédité, enfin, de ceux des mêmes caractères propres aux individus demande à peine plus de preuves; elle (1) Prichard, Hist. nat. de l’homme, €. I, p. 89. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 243 se voit, à son tour, sous autant d'expressions, que la con- stitution a de modes d’activité dans les auteurs de l’é- tre(h) « Le germe de la femme et Le sperme de l’homme offrent immédiatement, comme le disait Lafon (2), les matériaux et les forces qui doivent concourir à la constitution ner- veuse de embryon. Or, ce germe et ce sperme sont des produits relatifs à la constitution, à l’état et aux fonctions générales et particulières de la mère et du père; il doit done y avoir des constitutions nerveuses, congénères, héréditaires, paternelle et maternelle.» Les deux principaux types de la constitution qui se rapportent aux auteurs, sont ceux de faiblesse ou de force générale de la vie : l’un et l’autre se propagent des au- teurs aux produits(3). Les enfants qui naissent de parents bien portants et d’une race vigoureuse, apportent dansle monde une constitution, qui résiste aux mêmes causes de maladies auxquelles succombent les enfants de parents chétifs et faibles (4). La différence des classes fait souvent ressortir ces contrastes organiques. Une faiblesse radicale de constitution qui est, d’après Barthès, causée par l’ex- cès du travail journalier, et par la mauvaise nourriture , fait que ies gens de la campagne parviennent rarement à un âge avancé. Il est remarquable, dit-il, que les gens pauvres transmettent à leurs enfants un vice analogue de faiblesse radicale de la constitution, que cache assez sou- (1) Gintrac, de l’Influence de l’hérèdité sur la production de la surexci- tation nerveuse, etc., p. 3 et suiv. (2) Lafon, Philosophie médicale, XXIe apercu, $ 405. (3) Burdach, ouv. cité, t. XI, p. 259. (4) Spuyzheim, Essai sur les principes élémentaires de l'éducation, ch. t, p. #3. 244 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ vent un état de vigueur apparente. C’est aussi à ses yeux la principale raison pour laquelle la saignée et la purga- tion causent plus souvent chez les domestiques mêmes, dont le corps paraît être d’un tissu ferme, des défaillan- ces et une résolution particulière des forces que Baillou a observées le premier (1). Beaucoup d’autres professions sont dans le même cas : les ouvriers qui mènent une vie sédentaire dans les quartiers populeux des villes, qui ha- bitent de petits logements, et respirent un air vicié, pro- pagent, en général, une race appauvrie; et, à un autre extrême, la vie voluptueuse des riches réagit d’une ma- nière aussi déplorable sur leur postérité (2). $ 2. — De l’hérédité des modes de développement. Mais ce n’est point seulement la force ou la faiblesse de la constitution du père ou de la mère, ce sont les carac- tères les plus particuliers de ses modes d’existence, dont la génération revivifie les formes, c’est tout ce qui touche aux types de l’activité vitale et du développement de l'être. Il existe des familles qui ont des époques fixes pour leur développement. Tantôt c’est à la deuxième dentition, ou à la puberté; tantôt c’est par secousses en quelque sorte partielles, mais soutenues, vers ces époques, ou par secousses brusques et qui portent de bonne heure la taille, à la hauteur où elle doit arriver, crises de la croissance dont le moment d’explosion, indépendamment de ses dangers immédiats, mérite toute l’attention des médecins, (1) Barthez, Nouveaux éléments de la science de l’homme, 2e édition, tom. II, CCXXXV, p. 168. (2) Spurzheim, ouv. cité, Introduction, p. 13. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 245 sous le rapport des affections chroniques, dont il peut être le point de départ héréditaire (1). Que la croissance soit, ou qu’elle ne soït pas accompa- onée de crises, il est beaucoup de familles où elle est pré- coce. Duchamp en a cité où cette précocité coïncidait avec le développement spontané de l’épilepsie (2). Chez d’autres familles, la génération transmet, au con- traire, une tendance à un développement tardif (3). Les mêmes observations sont en tout applicables à la puberté : il en est des époques de son premier éveil et de sa maturité, comme de celles de croissance ; précoces ou tardives , elles sont souvent les mêmes dans les pères et mères et dans les enfants. S IT. — De l’hérédité des modes de la reproduction. L’hérédité s’étend jusque sur la puissance de reproduc- tion des forces génératrices auxquelles la puberté a donné l'essor. Des familles sont remarquables par leur fécondité et cette fécondité propage chez elles, tantôt de la part du père, et tantôt de la part de la mère, aux produits. Cinq filles d’une mère de vingt-quatre enfants mirent au jour, à elles cinq, quarante-six enfants : la fille de son fils était, jeune encore, accouchée du seizième (4). Les fils, filles et petits-fils d’un père et d’une mère de dix- neuf enfants, participent presque tous, à notre connais- sance, de cette puissance prolifique. Deux des filles à elles deux, ont eu dix-septenfants ; un des petits-fils, onze. (1) Duchamp, Maladies de la croissance, Paris, 1825, 1 volume in-80, pag. 160. (2) Id., ouv. cité, p. 25 et 35. (3) De Brieude, loc. cit., Mémoires de la Société royale de médecine. (4) Girou, de la Générat., p. 277. 246 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ De vieilles familles, qui portent de beaux noms dans l’histoire de la noblesse française, ont joui de la même vigueur de propagation. Anne de Montmorency, cet intrépide guerrier, chez qui plus de quinze lustres avaient si peu diminué le cou- rage et Les forces, qu’atteint de huit blessures mortelles , à la bataille de Saint-Denis, il brisa, du pommeau de son épée, les dents du soldat écossais qui lui porta le dernier coup, était père de douze enfants, et trois de ses aïeux, Mathieu 1, Mathieu IT, Mathieu II, en avaient ensemble dix-huit, dont quinze garçons. Le fils et le petit-fils du grand Condé en comptaient, à eux deux, dix-neuf. Leur arrière-grand-père, tué à Jar- nac, dix. Les quatre premiers Guises avaient ensemble quarante- trois enfants, dont trente garcons. | Achille de Harlay, père du premier président du par- lement de Paris, eut neuf enfants; son père en avait eu dix. Louis de Harlay, son arrière-grand-père, dix-huit. » Aubert de Jaucourt était également père de neuf en- fants. Jean de Jaucourt, son fils, en eut onze. Louis et Philippe de Jaucourt, ses arrière-petits-fils, chacun neuf. Antoine de Jaucourt, après eux, en eut quatorze ; Elie de Jaucourt, vingt-trois (1). Ce n’est pas tout encore : la propriété, dont chez les animaux jouissent certaines femelles, d’avoir des portées plus fréquentes, et de mettre bas plus souvent deux petits à la fois, s’y remarque, d’après Sinclair, d’une manière (1) Mémoire sur la durée des familles nobles, en France, par Benoiston de Château-Neuf. (Annales d'hygiène publique et de médecine légale, 1846, t. XXXV, p. 27 et suiv.) DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 247 plus frappante dans quelques familles, et ceux qui se li- vrent à l’élève des bestiaux, ont reconnu que dans ces cas, non-seulement le nombre, mais Le sexe des rejetons sem- ble dépendre de la mère. On a vu deux vaches produire chacune quatorze fe- melles, en quinze années, quoique le taureau fût changé chaque année. Une circonstance singulière, c’est que lors- qu’elles produisirent chacune un veau mâle, ce fut dans la même année. Cependant d’autres vaches, soumises au même régime que les précédentes, ont produit en même temps plusieurs mâles de suite, mais en moins grand nombre (1). Girou a rapporté des exemples analogues. Les mêmes faits se représentent dans l’humanité. Le docteur Virey y a constaté l’existence de familles gémelli- pares ; il en a vu l’exemple dans deux frères jumeaux, qui ont eu tous les deux, de leurs femmes , des jumeaux, à plusieurs reprises : la femme de l’un d’eux étant venue à mourir, sa seconde femme produisit, comme l’autre, des jumeaux (2). Osiander cite des faits plus extraordinaires, où l’hérédité de la fécondité provenait de l’auteur in- verse. Une femme qui, en onze couches, avait mis au monde trente-deux enfants, était née elle-même avec trois autres Jumeaux, et sa mère avait eu trente-huit enfants ; une autre femme aecoucha de cinq enfants à la fois et sa sœur de trois (3). Par une corrélation naturelle, il arrive que l'influence propagée des parents aux produits, sur la fécondité, s’é- tend nécessairement aux fonctions qui s’y lient ; elle passe par exemple, du nombre des produits jusqu’à la quantité (1) Sinclair, Agriculture pratique et raisonnée, t. T, p. 181, 182. (2) Nouveau Dictionnaire d'histoire naturelle, etc., t. XI, p. 566. (3) Osiander, Handbuch der entbindungskunst, t. T, p. 316, 317. 248 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ de sécrétion lactée, qui leur sert d’aliment. Ce qui semble plus digne de remarque, c’est que cette faculté de donner plus ou moins de lait est transmissible, ainsi que la fécondité, de la part de deux auteurs. L’hérédité de l’une décide de celle de l’autre. Les agriculteurs ont le soin, d’après Thaer, de choisir, pour la monte, des tau- reaux qui proviennent d’une bonne vache laïtière (1). Nous trouvons, dans Girou, un témoignage grave à l'appui de ce fait : les propriétaires de vaches ont remarqué, dit-il, qu’il était encore plus important au perfectionne- ment d’une vacherie, de faire un bon choix de taureaux que de génisses, attendu que la propriété de donner beau- coup de lait se transmet plus sûrement par le mâle, que par la femelle. Le savant agronome considère le fait comme très-constant et déclare avoir eu l’occasion de l’observer souvent dans ses étables (2). $ IV. — De l’hérédité des idiosyncrasies. L’hérédité devient, dans la génération, le principe d’at- tributs plus extraordinaires, relativement au sexe auquel elle les transporte etrelativement au sexe qui les commu- nique. Nous entendons parler de la propagation de l’écou- lement menstruel des mères aux garcons, puis des pères à leurs fils. Mais nous nous bornons à indiquer ici cette transmission bizarre, dont les faits appartiennent au cha- pitre des rapports de l’hérédité à l’hermaphrodisme (3). Il existe beaucoup d’autres idiosyncrasies, qui ne peu- (1) Burdach, ouv. cité, tom. II, p. 417. (2) Girou, de la Génération, ch. vr, p. 127. (3) Voy. tom. II, 3e partie. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 249 vent être regardées comme des maladies et qui se ren— contrent aussi, de génération en génération, dans les mé- mes familles (1). Nous donnerons pour exemple une sus- ceptibilité toute particulière à ressentir un effet spécial de certains agents, soit thérapeutiques, soit alimentaires, tels que le café, le mercure, l’opium, etc. (2). Il est généralement connu des praticiens, qu’il y a des familles chez lesquelles les doses les plus légères d’opium provoquent immédiatement un état convulsif. Zimmer- mann en cite une que l’influence du café disposait à dor- mir ; il produisait sur elle l’effet de l’opium : l’opium, au contraire, était sans action (3). Nous en savons une autre, chez qui le calomel, administré aux doses les plus inoffensives, détermine promptement le tremblement mer- curiel. D’autres familles supportent très-mal les vomitifs, d'autres les purgatifs, et d’autres les saignées. Il en est d’elles, ainsi que des individus (4). Un rapport naturel rapproche la transmission de sus- ceptibilités si exagérées à tel ou tel agent, à tel ou tel re- mède, de la transmission de susceptibilités plus singu- lières encore, qui n’en admettent pas. Il y a des familles qu’une antipathie plus incompréhensible, propagée chez elles de génération en génération, rend rebelles à l’action et même à l’essai de tout moyen médical. « Que les méde- « cins excusent un peu ma liberté, lisons-nous dans « Montaigne, ulcéré des souffrances d’un mal, alors au- « dessus des ressources de l’art, l’affection calculeuse « qu’il tenait de son père : que les médecins excusent un A 1 2 (1) Cyclopedia of medicine, vol. II, p. 418. (2) E. Gintrac, Mém. cité, p. 2. (3) Zimmermann, Traité de l'expérience, tom. IT, p. 191. (4) Duchamp, Maladies de la croissance, p. 146. 250 DE LA LOI D'HERÉDITÉ : « peu ma liberté, car, par cette mêsmeinfusion etinsinua- « tion fatale, j’ay receu la haine etle mespris de leur doctri- « ne. Cetteantipathie que j’ay à leurart, m’est héréditaire: « mon père a vêscu soixante-quatorze ans, mon ayeul « soixante-neuf, mon bizayeul prèz de quatrevingts, sans « avoir goûsté aulcune sorte de médecine, etentre eulx, « tout ce qui n’éstoit de l’usage ordinaire, tenoit lieu de « drogue.—Mes ancèstres avaient la médecine à contre- « cœur, par quelque inclination occulte et naturelle, car, « la veue mêsme des drogues, faisoit horreur à mon père. « Le seigneur de Gerviac, mon oncle paternel, homme « d'église, maladif dèz sa naissance, et qui feit toutefois « durer cette vie débile, jusqu’à soixante-sept ans, éstant « tumbé aultrefois en une grosse et véhémente fiebvre « continue, il feut ordonné par les médecins, qu’on luy « déclarerait, s’il ne vouloit ayder (ils appellent secours « ce qui le plus souvent est empêschement), qu’il estoit « infailliblement mort. Ce bon homme, tout effrayé, « comme il feut de cette horrible sentence, si respon- « dit-il : « Je suis doncques mort. » Mais Dieu rendit tan- « lLôst après vain cepronostique.—Il est possible que j’ay « receu d’eulx, cette dispathie naturelle à la médecine(f).» Ce qui est très-certain, c’est que Montaigne l’érigea en système et y fut fidèle tant qu’il vécut. Il n’opposa-jamais à ses maladies que l’expectation. Que l’on ne s’imagine point, que ces inexplicables idio- syncrasies, peut-être exclusivement mentales dans leur principe, une fois qu’elles sont transmises, n’aient point par elles-mêmes d’action organique, ni qu’elles doivent toujours être traitées légèrement. Comme les antipathies (1) Montaigne, Essais, liv. I, ch. xxxvir. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 251 vraiment naturelles, on ne les viole pas, surtout d’une ma- nière brusque et inconsidérée, avec impunité. Zimmer- mann en rapporte un exempleinstructif (1). Bayer en cite un autre dont le dénouement fut plus déplorable: Un jeune homme, à ce qu’il dit, ayant une fièvre ardente avec con- stipation, ne voulut pas prendre un clystère, parune répu- gnance héréditaire, disant que ses parents n’en avaient jamais pu souffrir. On le força d’obéir, et il mourut (2). Ainsi que ces aversions incompréhensibles à l’usage des remèdes, la génération propage d’autres fois les immuni- tés les plus inexplicables à la virulence de certaines affec- tions. Cette incapacité à subir l’action des plus contagieuses de toutes les maladies, a été constatée, même pour la syphilis, quant aux individus, à l’époque où ce fléau, nouvelle- ment rallumé, sévissait en Europe dans toute sa furie. Dans le degré de fièvre de l’épidémie, où sur les témoi- gnages les plus positifs des contemporains les plus dignes de foi, de C. Schellig, de Torella, de Monte-Saurus et d’une foule d’autres témoins oculaires, le mal se propageait, non plus comme de nos jours, par les rapports sexuels, mais au simple toucher du corps ou des habits, mais par l’at- mosphère, et passait subitement par une voie inconnue, à une famille entière; à cette époque, dis-je, ilse trouvait des êtres privilégiés, des natures singulières, qui bravaient à plaisir, avec impunité, toutes les formes possibles de con- tagion du mal, et jusqu’à l’épreuve décisive du coït. C'est le témoignage qu’en donne Cataneus : « Causa fortior vel « debilior erit, secundüm variam dispositionem indivi- (1) Zimmermann, ouv. cilé, tom. ILE. (2) Bayer, Praæ. medic., $ 13. 252 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ « duorum.Viditamen complures concubitus immundorum « non recusantes el in sordes venereas sese præcipitantes, « qui tamen nullam indé infectionem hauserunt (1). » Le même fait, mais dans l’état présent de l’épidémie, bien moinsdigne d’attention, se voit encore denos jours(2), et bien qu’il n’ait été anciennement constaté que chez des individus, le phénomène analogue que nous offrent au- jourd’hui des aïffections d’une force de contagion morbide tout aussi formidable, la rougeole, et surtout la petite vé- role, tout autorise à croire que celte immunité n’était pas uniquement individuelle. Dans la réunion de toutes les conditions apparentes favorables à la contagion, l’infec- tion vénérienne n’est point immanquable; la syphilis exige, d’après le docteur Ricord, une prédisposition idio- syncrasique, qui peut avoir sa source dans l’hérédité. Il peut arriver et il est arrivé plus d’une fois, qu’un en- fant infecté par sa mère, ait recu de son père une prédis- position qui, en le laissant passible d’accidents primitifs, le mette à l’abri de l’infection générale. Il en est, en un mot, pour le docteur Ricord, de la syphilis, comme de la variole et de la rougeole; il y a des personnes héréditaire- ment préservées de celles-là, comme de celles-ci (3). Il est très-positif qu’il existe des familles qui ne sont point sujettes à ces deux maladies (4). « Il paraït certain, écrit Fodéré, que nous contractons de nos parents la dis- position à avoir ou à n’avoir pas la petite vérole, d’après des exemples très-nombreux des générations qui n’ont (4) Jac. Catanei, Tractatus de morbo gallico, 1504. (2) F. Swediaur, Traité complet sur les symptômes, les effets, la nature et le traitement des maladies syphilitiques, tom. IT, introd., p. 38. (3) Gazette des Hôpitaux, t. VIII, p. 13. (4) Petit, Essai sur les maladies héréditaires, p. 30. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 293 jamais eu cette maladie, malgré qu’elles n’aient rien fait pourléviter, malgré la tentative répétée de l’inoculation.» Entre autres exemples recueillis à Marseille, il en avait un continuel sous les yeux : c'était celui de sa femme et de ses enfants : le père de sa femme, mort à 91 ans, après une longue pratique, ne contracta jamais la petite vérole, et tenta en vain de la donner à sa fille par l’inoculation et en la faisant jouer avec des variolés ; son père et son aïeul, morts également plus qu’octogénaires,avaientété demême, et vingt fois le premier lui avait rapporté plusieurs faits analogues de sa connaissance. Son opinion était que ces dis- positions, heureuses ou malheureuses, venaient plutôt des pères aux enfants, que des mères. Nous noterons cepen- dant que les enfants de Fodéré n’ont pas joui, de son aveu, du même avantage (1). Cet exemple rappelle celui de Diemerbroëck, dont ni le père ni la mère, nonogénaires tous deux, ni la grand’mère, morte octogénaire, ni deux proches parents, âgés de 80 ans, ni lui-même, arrivé à 70 ans, après avoir soigné des variolés sans nombre, n’a- vaient jamais été, d’après Van Swretts, atteints de la petite vérole (2). Par une opposition à laquelle on s’attend, il arrive, au contraire, qu’il est d’autres familles, que la génération prédispose à subir une si forte influence de cette maladie, qu’elles en sont exposées à une multiple atteinte (3). Des recherches récentes démontrent qu’en effet, il existe des sujets qu’une idiosyncrasie, soit héréditaire, soit acquise, rend aptes à contracter deux fois et même trois fois la va- (1) Fodéré, Traité de médecine légale, 2e édit., 1813, tom. V, 8e partie, 8 1129, p. 360. (2) Sersiron, de l’Hérédité dans les maladies. (3) Petit, ouv. cité, p. 30. 254 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ riole (1). Chaque fois que des accidents de famille éveillent chez le médecin le soupçon de cette diathèse, il doit pra- tiquer la revaccination (2). S V. — De l’hérédité de la durée de la vue. Nous arrivons, enfin, à un des plus graves et des plus curieux problèmes de l'influence physiologique de lhéré- dité : l’hérédité a-t-elle ou n’a-t-elle pas d'action sur la durée de la vie? il y à peu d’années que cette question s’agita dans le parlement anglais. Une question faite par M. Baring à la chambre des communes, sur les annuïités, conduisit lord Althorp, ministre des finances, à donner sur ce point d’in- téressants détails. I apprit à la chambre que, pour placer le capital d’une rente viagère, on avait l’habitude, en An- gleterre, de visiter les cimetières, dans le but de découvrir, par les inscriptions des tombes, un membre vivant des familles parvenues à un âge avancé, afin de placer l’an- nuité sur sa tête. D’après les mêmes principes, les agents de compagnies d’assurances sur la vie, dans le même pays, sont tenus de transmettre à leurs administrations, entre aulres renseignements sur la personne à assurer, tous ceux qui concernent la longévité de ses père et mère. L’Écosse a d’autres mœurs : on y est dans l’usage de graver sur la pierre sépulcrale des femmes, si c’est une femme ma- riée, son nom de demoiselle, et quand on vérifie ainsi dans les familles que les pères et mères ont vécu longtemps, onentiredes présages de longévité en faveur des enfants. (1) Richelot, Note pour servir à l’histoire de la vaccine et de la vérole (Archives générales de médecine, avril 1844). (2) Loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 255 Contrairement à l’opinion de M. Baring, qu'entre ces vies choisies et les vies ordinaires, il existait les plus no- tables différences, lord Althorp soutenait qu’il n’y avait point de preuve que ces existences durassent plus que les autres, et terminant par une de ces comparaisons de tout temps familières au laisser-aller de la tribune anglaise, pour juger de la bonté d’un pudding, disait-il, 4 faut le manger. Le temps seul décidera si ces vies jouissent ou non d’une plus longue durée (1). Cette question est si grave, si intéressante, et, à ce qu'il nous semble, si mal éclaircie, que nous croyons nécessaire d'entrer, pour la résoudre, dans l’exposition des princi- paux points qu’elle présente à débattre. Nous ne mettrons pas un seul instant en doute que la durée de la vie ne dépende, en grande partie, d’une dispo- sition innée dans la famille (2). 1° IL n’est d’abord pas permis de contester l’action de lPhérédité sur la durée partielle des éléments physiques, ou des fonctions locales de l’organisation. IL est plusieurs familles où les cheveux blanchissent dès la première jeu- nesse et presque dès l’enfance, d’autres même où ils tom- bent ; la canitie précoce et l’alopécie sont héréditaires. Poil- roux à connu trois frères devenus chauves depuis l’âge de 25 ans. Un oncle, dans leur famille, avait éprouvé la même perte au même âge (3). Dans une autre famille, tous les garcons devenaient, ainsi que les premiers, chauves à 25 ans, tandis que les filles conservaient leurs cheveux (4). Il (1) Da Gama Machado, Théorie des ressemblances, part. 11, p.18, 19. (2) Spurzheim, ouv. cité, p. 43. (3) Poilroux, Nouvelles Recherches sur les maladies chroniques, class. 1v. (4) Encyclopédie méthodique, t, VIL, p. 164. 256 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ enest de même des dents (1) et d’autres organes ; l'énergie sexuelle, les fonctions menstruelles, les facultés mentales s’éteignent de très-bonne heure dans plusieurs familles, où la mort partielle, gangrène intérieure, envahit bien avant l’extinction finale, par un point ou par l’autre, l’a- gonie de la vie. 2° Il n’est pas plus permis de révoquer en doute l’action de l’hérédité sur la durée totale de la vie à courte période. Dans certaines familles, une mort précoce est si ordinaire qu’il n’y a qu’un petit nombre d'individus qui puissent s’y soustraire à force de précautions (2). Dans la famille Turgot, on ne dépassait guère l’âge de 50 ans, et l’homme qui en a fait la célébrité, voyant approcher cette époque fatale, malgré toute l’apparence d’une bonnesanté et d’une grande vigueur de tempérament, fit observer un jour qu’il était temps pour lui de mettre ordre à ses affaires, et d'a- chever un travail qu’il avait commencé, parce que l’âge de durée de la vie dans sa famille était près de finir. Il mourut, en effet, à cinquante-trois ans. Mais quel est le médecin, j'allais dire quel est l’homme, qui n'ait eu sous les yeux de pareils exemples, et qui nait l’ex- périence de l’impuissance de l’art à reculer ces heures fatales de l’existence, ou à en prolonger, quelques instants de plus, les vibrations dernières, dans ces tristes familles où la vie n’a qu’un àge, où la mort n’a qu’une forme. L'action de l’hérédité n’est pas moins énergique sur la durée de la vie à période ordinaire; l’expectative la mieux fondée d’une longue vie est celle qui repose sur la des- cendance d’une famille dans laquelle on est parvenu à un (1) Piorry, ouv. cité. (2) Burdach, ouv. cité, tom. IT. he DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 297 àge avancé (1). Rush dit n'avoir pas connu d’octogénaire dans la famille duquel il n’y eüt des exemples fréquents de longévité (2). Une masse de faits confirment la vérité pratique de cette proposition. Le père de Montaigne, comme il le dit lui-même dans l’immortel ouvrage que nous venons de citer de ce pro- fond moraliste, avait vécu 74 ans, son aïeul 69, son oncle, quoique maladif de naissance, 67, et son bisaïeul, près de 80 ans; Montaigne, autre calculeux, périt à 59. Nous avons vu plus haut la famille du médecin hol- landais Diemerbroëck, offrir un cas semblable : Diemer- broëck est mort à 70 ans, fils de nonagénaires, petit-fils et neveu de parents octogénaires. Au village de Conches, paroisse de Saint-Frezal de Ven- talon, ci-devant diocèse de Mende, au milieu des Cévennes, mourut, le mois d'août 1758, Florette Roux, âgée de 117 ans. Son mari, Jacques Guin, chef de camisards, mourut l’année suivante, âgé de 114 ans. Ils comptaient 79 ans de mariage, 18 enfants, 6 filles et {2 garcons, dont 14 vivants, étaient nés de cette union extraordinaire. Jac- ques Guin, l’ainé, avait 79 ans, Pierre Guin, 78 ; les autres à proportion (3). Danslemois d’octobre de la même année, mourut, dans la paroisse de Saint-Martin, à Metz, un nommé Pierre Bertrand, à l’âge de 102 ans; il laissait une sœur de 88 ans, un fils de 70, une fille de 65, un autre fils de 60. (1) Burdach, Traîté de physiologie, t. I. (2) Sanvmlung auserlesener Abhandlungen, t. XVII, p. 110. (3) Sigaud de Lafond, Dictionnaire des merveilles de la nature, tom. Ii, p. 516 et suiv. I. 17 258 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Dans une autre contrée, vers la mème époque, un autre patriarche faisait l'admiration de la ville de Siara, capitale de la province de ce nom. Il se nommait André Visal de Neïgreiros, et mourut en l’année 1773, àgé de 124 ans, doué de toute sa mémoire et de la pléni- tude des facultés des sens. Ce vieillard était père de 30 fils et » filles, qui avaient engendré 33 enfants, 52 petits-fils, 42 arrière-petits-fils, pères eux-mêmes, en ce moment, de 26 descendants. Ils composaient ensemble une postérité de 198 personnes, dont 149 pleines de vie, n’occupaient qu’une seule et même maison, avec leur premier et véné- rable auteur (1). Un siècle plus tard, nous retrouvons, en Espagne, un cas presque analogue : le 25 décembre 1844, mouraït, près de Pravia, dans les Asturies, un riche laboureur, Gaspard Cifuentes, sur le point d’atteindre à 119 ans. Il a eu une seule fille, qui aujourd’hui âgée de 85 ans, est mère de 2 filles mariées dans le même village ; toutes deux ont des enfants, et le vieux Gaspard est mort, sans avoir éprouvé le chagrin de pleurer aucun de ses descendants, cas si rare dans la vie (2). Un journal espagnol rapportait dernièrement, qu’une femme de Tolosa venait de mourir, dans cette ville, le 6 février 1846, âgée de 150 ans. Elle laissait une fille de 82 ans. Il y a deux ans, en France, à Vaux-en-Velin, tout près du camp de Dessine, il y avait encore un curieux cas sem- blable de longévité de famille. 11 s’y trouvait cinq frères ou sœurs, nés du même père et de la même mère, ayant (1) Sigaud de Lafond, ouv. cité, loc. cit, (2) Journal Le Siècle, 11 janvier 1844. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 259 toute leur vie habité ce pays de marécages, près du Rhône, dont les âges réunis composaient un chiffre de 430 ans. Ces personnes étaient : Louis Joffrey, âgé de 92 ans ; Claudine Joffrey, de 89; Antoine Joffrey, de 86; Marie Joffrey, de 83 ; Pierre Joffrey, de 80. Total, 430. Ces cinq per- sonues étaient toutes très-bien portantes ; il est à remar- quer que toutes sont nées à trois ans de distance l’une de autre, et que les sexes ont toujours été alternés (1). À Aspelaer, près d’Alost, vit encore une autre famille dont les quatre membres, trois frères et une sœur, comp- tent ensemble 357 ans : Pierre Barbier, l’ainé, a 93 ans ; Constant, 90 ; Jean-Baptiste, 86; Marianne, 88. Jean- Baptiste fait encore cinq à six lieues par jour. Leur père est mort à 99 ans (2). Fodéré (3), Poilroux (4), Piorry (5), citent aussi quel- ques faits analogues. Nous connaissons nous-même une de ces magnifiques familles de vieillards, où l’on ne meurt point, où l’on s’éteint doucement, en changeant de som- meil. Mais nous ne croyons pouvoir mieux clore la série des cas de longévité, qui rentrent dans ces limites, que par celui d’une femme, d’un nom connu en France par une grande découverte, madame de Montgolfier, encore pleine de vie, aujourd’hui, à Paris, douée de toutes ses facultés, à près de 110 ans, et mère d’enfants vivants de plus de 80. | Si étonnants que soient de pareils exemples, ils ne sont pas les plus extraordinaires. (1) Journal Le Siècle, numéro du 7 août 1843. (2 National, numéro du 2 septembre 1841. (3) Fodéré, loc. cit. (4) Poilroux, Recherches sur les maladies chroniques, p. 267, (5) Ouv. cité, p. 36. 260 - DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ La puissance du principe de l’hérédité, sur la durée de la vie, atteint aux expressions les plus phénoménales, et se représente active Jusque dans des périodes presque problématiques de l’existence humaine. Le 31 juillet 1554, le cardinal d’Armagnac passant dans la rue, vit un vieillard, âgé de 81 ans, qui versait des larmes à la porte d’une maison. L’éminence lui demande quelle en est la cause. C’est, répond le vieillard, que mon père m'a battu pour être passé devant mon grand- père sans le saluer. Le père avait 103 ans, le grand- père 123 (1). Le 5 janvier de l’année 1724, mourait en Hongrie, dans le Bannat de Temeswar, un cultivateur, Pierre Czortan, àgé de 185 ans, et après avoir vu ainsi changer trois fois le millésime séculaire. Le cadet de ses fils avait, au mo- ment de sa mort, 97 ans, l’ainé, 155. Le prince Charles avait à Bruxelles le portrait et l’histoire de ce vieillard, dans sa bibliothèque (2). | Dans le même pays et à la même époque, une autre fa- mille offrait, en fait d’hérédité, une longévité tout aussi prodigieuse : c’était la célèbre famille de Jean Rowir. Le père avait vécu 172 ans; Sara Dessen, sa femme, 164 ans; le cadet de leurs fils, à la mort de Rowir, allait avoir un siècle, et l’ainé comptait déjà 115 ans (3). Vers le même temps, en Turquie, Le 6 mars 1779, mou- rait un autre vieillard, Jean Argus, à l’âge de 123 ans ; il laissait six garçons et trois filles qui ont porté sa descen- dance jusqu’à une cinquième génération de 160 person- (1) Etrennes historiques de Gessey, 1753. (2) Mémoires de Delandine, tom. IL, art. Macrobie.—Verd.,1740, p. 299. (3) Mémoires cités et Annales européennes, tom. VII, p. 437. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 261 nes, toutes réunies dans le même village. Son père avait vécu, comme lui, 120 ans (1). Vingt-huit ans plus tard, expirait en Norwége, aux en- virons de Berghem, un cultivateur âgé de 160 ans, Jean Surrington. La veille de son décès, ce prodigieux vieil- lard, qui conserva, jusqu’à ses derniers moments, sa rai- son et ses sens, partagea lui-même, entre ses enfants, les biens qu’il leur laissait. L’aîné de ses fils avait 103 ans ; le plus jeune 9 ans; il l'avait eu à l’âge de 151 ans (2). La Pologne nous représente un phénomène semblable. Le siècle dernier, mourut à Varsovie, sur les terres du Staroste de Grojeck, Saluski, paysan âgé de 157 ans. Il s'était marié pour la première fois à l’âge de 30 ans, il avait eu de sa femme six enfants, et avait vécu 58 ans avec elle; il eut sept enfants d’une seconde, avec qui il vécut encore 55 ans. Quelque froid qu'il fit, il était tou jours vêtu légèrement, il n’avait jamais eu de maladies ; huït jours seulement avant sa mort, il commença à ne plus trouver le même goût aux aliments. Son père avait vécu 150 ans (3). Dans le comitat de Zarand, en Transylvanie, est mort par accident, au mois de février 1839, le paysan Juan Graza, âgé de 120 ans. Il a laissé un fils âgé de plus de 100 ans, portant le même nom, et un petit-fils de 80 ans, qui, depuis 50 ans, remplit les fonctions de juge sei- gneurial. L’Angleterre compte aussi plusieurs de ces miracles; nous n’en citerons que trois, dont les deux si célèbres de (1) Valmont Bomare, Dictionnaire raisonné universel d'histoire natu- relle, tom. VII, p. 70. (2) Delandine, Mémoire et pass. cit. (3) Sigaud de Lafond, Dict. des merv. de la nat., tom. IF, p. 516. 262 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Thomas Parr et de Jean Purs. Jean Purs avait vécu 152 ans; son fils, Jean Neuwell, en vécut 127, et mourut vers la fin du mois d’août de l’an 1761, à Michaelstown, dans le comté de Corke, ayant conservé toute sa tête jusqu’à son dernier moment (1). Thomas Parr, le second, après une vie frugale, mourut d’indigestion, le 4 novembre 1635, âgé, selon les uns, de 153 ans, et selon les autres, de 168 ans, après avoir vu sur le trône dix rois ou reines d'Angleterre. Son fils mou- rut à l’âge de 127 ans (2). Trois ans après lui, mourait dans le même pays, dans le comté de Cumberland, au mois de janvier 1768, une femme âgée de 138 ans, Jeanne Forester. Elle avait dix- huit ans lorsque Charles 1" périt sur l’échafaud. Sa mémoire, très-fidèle, lui rappelait encore que, pendant le siége de Carlisle par Cromwell, en 1646,une tête de cheval coùtait deux schellings. A l’époque de sa mort, sa fille unique était âgée de 103 ans (3). Sous le ciel de l’Italie, en 1825, expirait, à Rome, le célèbre chanteur Galvini, arrivé à 138 ans. Son fils est récemment mort dans la même ville, âgé de 113 ans (4). La France fournit aussi son contingent d'exemples de propagation de ces vies séculaires. Le 17 février 1711, Henri le Boucher, de la ville de Caen, seigneur de Verdun, mourait à 115 ans ; son père avait vécu 108 ans, et son fils avait 73 ans. Le 23 mars 1715, Jean Filleul, laboureur au village de Boisle, pa- (4) Sigaud de Lafond, id., p. 517. (2) De Longeville d'Harcourt, Histoire des personnes qui ont vécu plu- sieurs siècles, p. 145. — Valm. Bom., tom. VII, p. 71. — Sigaud de La- fond, ouv. cilé, t. II, p. 464. (3j Lottin, Almanach des centenaires, 1770. (4) Moniteur universel, avril 1841. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 263 roisse de Clos-la-Ferrière, diocèse d’Évreux, meurt âgé de 108 ans; son père avait vécu 104 ans, son aïeul 113 ; il laissaït une fille de 80 ans (1). A la fin du long règne de Louis XIV, le {avril de l’an 1716, expirait à Paris, Philippe d’Herbelot, âgé de 115 ans. Il était né le 1° janvier 1602, à Doulevant, en Cham- pagne, et exerçait la profession de sellier. Admis à pré- senter, pour la dernière fois, en 1714, un bouquet au grand roi, à l’occasion de sa fête, Louis XIV lui demanda comment il avait fait pour atteindre à un âge aussi avancé. « Sire, répondit le malicieux vieillard, dès l’âge de 50 ans, j'ai fermé mon cœur et J'ai ouvert ma cave. » Le père de d’Herbelot avait vécu 113 ans, et son aïeul {12 (2). Dans une autre ville de France, à Bordeaux, mourait le 7 février 1753, Catherine Testemalle, femme d’Audet Plantinet, à l’âge de 104 ans, précédant de peu de jours Marguerite Plantinet, sœur de son mari, qui s’éteignait comme elle, dans la même ville, âgée de 108 ans. Son père avait vécu 101 ans (3). Deux années plus tard, expirait au Havre, une autre femme arrivée à l’âge de 110 ans, Anne Pesnel, veuve de Jean Deschamps, laboureur. Elle avait conservé toutes ses dents, sa chevelure était encore noire et fournie, et sa raison intacte ; depuis 25 ans seulement elle n'avait plus son père, laboureur près de Lisieux, mort à 105 ans (4). Enfin,'en 1772, à Dieppe, existait, âgée de 150 ans, et (1) Charles Lejoncourt, Galerie des centenaires, 1849, in-80, p. 166 et pda: (2) Verdun, 1716, juin, p. 434, (3) Elrennes mignonnes, 1754. (4) Charles Lejoncourt, ouv. cité, p. 181. 264 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ l'intelligence encore saine, une femme, Anne Cauchie, dont le père avait vécu 124 ans, et l’oncle 113 ans (1). Paris, il y a deux ans, renfermaïit encore un type mer- veilleux de ces vies phénoménales, en qui l’hérédité ino- cule un principe de durée séculaire, c'était Le chevalier Noël des Quersonnières, le doyen des Français existant de nos jours. Né à Valenciennes, département du Nord, le 28 février 1728, il vivait encore au mois de janvier 1842, âgé de 114 ans, sans incommodités, plein de santé, plein d'esprit, d’une instruction variée, et de la plus sûre mémoire (2). Sans craindre ni désirer la mort, qu’il prévoyait dans un prochain avenir, comme le but nécessaire où l’homme s’achemine, il vivait sans surprise de sa longue existence. « Ma famille, disait-il quelquefois, descend des Mathusa- « lem ; il faut nous tuer pour que nous cessions de vivre : « mon aïeule maternelle a péri accidentellement à l’âge « de 125 ans, et moi, ajouta-t-il en souriant, je vous in— « vite à mes funérailles... pour le siècle prochain (3). » La même ville maintenant voit vivre au milieu d’elle, un monument aussi curieux du dernier siècle, Jean (1) Piganiol de la Force, Description de Paris, 1754, tom. IX, p. 224. (2) On ne peut, dit l’auteur à qui nous empruntons ces curieux détails, on ne peut, sans un sentiment inexprimable, l'entendre narrer, d’une voix grave et lente, le fait suivant: « En 1750, passant un jour sur le « Pont-Neuf, je fus arrêté par un équipage éblouissant; chacun s’em- « pressait de lui livrer passage : c'était celui de madame de Pompadour. « Lorsqu'il eut traversé le pont, un plaisant se prit à dire : Maintenant « je réponds de la solidité de ce monument. — Et pourquoi ? repartit un « inconnu. — Parce qu’il vient de porter le plus grand fardeau de la « France et qu’il ne s’est pas écroulé. Soudain, l’homme au bon mot fut « entouré, saisi, conduit à la Bastille, et jamais on n’entendit parler « de lui. » (3) Charles Lejoncourt, Galerie des centenaires, p. 216. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 265 Golembiewski, le plus vieux des vétérans aujourd’hui sous les armes. Né à Ostrowie (Pologne) en 1744, il est en ce moment âgé de 102 ans. Ancien soldat de la garde du roi de Pologne Stanislas Leszezynski, il entra en 1766, dans le régiment d’infanterie française, dit alors Bourbonnais, et, depuis cette époque, il compte 80 ans de services actifs passés sous nos drapeaux. Il n’a pas fait moins de 35 campagnes, entre autres, la campagne d'Amérique, sous Louis XVI, la campagne d'Égypte, sous le Directoire; la campagne d'Italie, la campagne d’Espagne, la campagne d'Allemagne, la campagne de Russie, sous Napoléon. De- puis 1814, ce symbole vivant de la confraternité d’âme et de sang de la France et de la Pologne est passé dans le cadre des sous-officiers vétérans, qui font le service du Luxembourg. Golembiewski jouit, malgré cinq blessu- res, d’une santé robuste ; nous le voyons nous-même al- ler, venir, se promener, l’hiver comme l’été, toujours dans la plus stricte tenue militaire, et conservant intactes ses facultés physiques et intellectuelles. Il ne paraît point changé, depuis 30 ans, à ses compagnons d’armes (1). Le père de Golembiewski a vécu jusqu’à l’âge de 121 ans : sa mère est morte à 50, mais sa grand’mère avait atteint l’âge de 130. | Des faits si authentiques résolvent le problème, non de la plus longue durée possible de la vie dans l’humanité, mais de la décroissance prétendue de la puissance interne de la vie chez les hommes de nos jours. Les chiffres ont démontré que cette hypothèse n’a pas le moindre fondement quant à la durée moyenne de la vie, pour les temps historiques. Sous l’influence de la civilisa- (1) N.-A. Kubalski, Vie de Jean Golembiewski, Paris, 1846. 266 DE LA LO! D HÉRÉDITÉ tion, du progrès des lumières, de l’amélioration de l’édu- cation et de l’industrie, de l’adoption d’un genre de vie plus naturel, et du perfectionnement de l’art médical (1), la vie moyenne de l’homme tend plutôt à s’accroître qu’elle ne tend à décroitre. Les calculs d’Ulpien faits sous l’empereur Alexandre Sévère, et d’après les dénombrements de l’empire ro- main, depuis Servius Tullius jusqu’à mille ans plus tard, la fixaient à 30 ans (2). À Paris, d’après le docteur Villermé, la mortalité rela- tive était : Au xrv° siècle, de 1,17. Au xvrre siècle de 1,26. Au xixe, d’après Benoiston de Château-Neuf, elle est de 1,39. De 18 ans » mois, que la vie moyenne était à Genève, au xvie siècle, dès 1826 elle s'était élevée à 38 ans 10 mois (3). Enfin, des calculs faits, sur des bases plus larges, tendent à établir que la moyenne générale de la vie s’est successi- vement élevée de 22 à 29, de 29 à 36, et si l’on en croit même quelques statisticiens, à 40 ans en France (4). L'expérience n’est pas moins décisive contre la thèse de la décroissance de l’existence humaine, quant à la durée ordinaire de la vie. (4) Malgré l’hilarité homérique qu’une allusion faite par le roi Louis- Philippe, à la part de la science dans ce résultat, a provoquée au sein de l’Académie de Médecine, on nous permettra de croire, avec Burdach, que l’art de guérir n’est pas sans influence sur ce progrès de l’état sani- taire général : il nous semble qu’il y a aussi peu de sérieux à nier cette influence qu’à lui tout rapporter dans l'amélioration de la santé publique. (2) Mémoires de l’Académie royale de Médecine, Paris, 1898, t. I, p.51. (3) Bibliothèque universelle de Genève, t. XXX VI, p. 136-140. (4) Ch. Lejoncourt, ouv. cité. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 267 L'histoire nous apprend que chez tous les peuples, et dans tous les temps, la durée ordinaire de la vie humaine a été de 70 à 80 ans (1). C’est, entre ces deux limites, que se rangent les plus anciennes comme les plus modernes de ses évaluations, quelque base théorique de mensuration de la vie que l’on ait adoptée. Le système de division adopté par Solon, qui avait ad- mis dix périodes septennales de l’existence humaine, en portait la durée à 70 ans. Le système de division établi dans les livres sacrés des Étrusques qui, au lieu de dix périodes, admettaient douze périodes septennales de la vie, en élevait la durée à 84 ans. « On peut atteindre ce terme, enseignaient-ils, lors- « que, par des prières et des sacrifices, on conjure le dan- « ger des époques critiques ; mais on ne doit plus s’at- « tendre à d’autre prolongation, parce que l’homme perd « alors sa force spirituelle, et qu’il ne s'opère plus en lui « de prodiges (2). » A l’époque moderne, différents auteurs, adoptant d’au- tres méthodes d’évaluation de la vie, n’ont que très-peu varié, quant aux résultats où elles les ont conduits. Les méthodes de Schubert, de Kastner et de Butte, ex- posées par Burdach (3), assignent à l’existence la durée ordinaire, la première de 70 ans 9 dixièmes, la seconde de 72 ans ou de 864 mois; la troisième de 81 ans. D’après estimation de Burdach lui-même, qui a voulu donner, selon ses expressions, à l’arithmétique des âges de la vie, (1) Burdach, Traité de physiologie, tom. V, p. 359. (2) Censorimi, de Die natali, p. 66. (3) Ouv. cité, t. V, 8 650. 268 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ un caractère vraiment organique, en prenant pour échelle la vie embryonaire, et en partant de l’idée, peut-être contestable, qu’elle contient à l’état de racine ou de rudi- ment, la mesure des âges ; que l’enfance représente dix fois la durée de la vie embryonaire, et la vie ulté- rieure ou indépendante, dix fois celle de l’enfance, la durée ordinaire de la vie se réduit à 4,000 semaines, ou à 76 ans 3 semaines et 3 Jours. Si l’on délaisse enfin les données théoriques, pour ne s’en rapporter qu'aux expérimentales, les comparaisons entre les tables générales de la mortalité, d’accord avec l’histoire, démontrent que l’époque ordinaire de la fin de existence humaine, coïncide avec celle que ces calculs lui assignent, qu’elle survient de 70 à 80 ans (1). La durée ordinaire de la vie, dans notre espèce, est donc toujours la même, et d’après Ch. Lejoncourt, elle est demeurée telle presque indifféremment pour toutes les carrières. Il n’en excepte qu’une, et il est sur ce point en contradiction formelle avec Haller : l’illustre physio- logiste avait cru remarquer qu’il se trouve parmi les sou- verains d'Europe, beaucoup plus de vieillards dans les temps modernes que dans le moyen âge. En opposition à cette manière de voir, et d’après une revue de deux mille cinq cents empereurs, rois,chefs de peuples,ou papes, qui constate que, depuis plus de 600 ans, aucun souverain n’a fourni son siècle, les tètes couronnées paraissent à Lejoncourt les seules dont la longévité semble dé- croître (2). D'autre part, si du problème de la durée ordinaire, et (1) Ou. et pass. cit. (2) Galerie des centenaires, p. 30-38. ! DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 269 de la durée moyenne de l'existence humaine, nous pas- sons à celui de sa persistance extrême, ou de ces termes étonnants de prolongation dont nous venons de parler, nous avons également la preuve irréfutable qu’il en est de ces durées phénoménales ainsi que des durées ordi- naire et moyenne de la vie dans notre espèce. Deux thèses contradictoires ont été débattues, sur ce point curieux de la biologie. Dans l’une on a soutenu, comme un faitavéré, dans l’au- tre on a rejeté, comme une fiction, une telle permanence de l’existence humaine : la première s’appuyait sur la lon- gévité des vies patriarcales attestées par la Bible : la seconde répondait par la négation de la valeur historique de semblables témoignages. Parti de l'hypothèse de leur autorité, Buffon avait cher- ché dans la jeunesse du globe, et dans la perfection des premiers fruits de la terre, au temps des patriarches, une explication des différences énormes de la durée de leur vie et de la durée de la vie des hommes de nos jours (1). On n’a besoin d'aucune hypothèse aujourd’hui, pour la solution de la question historique et physiologique que ce débat soulève. Si nous prenons d’abord, au moins comme élément approximatif de comparaison, le nombre des centenaires, nous arrivons à ce premier résultat, que, d’après les do- cuments comparables qui existent, le chiffre des cente- paires est plus élevé de nos jours, dans une seule des grandes puissances de l’Europe, qu’il. ne l'était encore, dans l'Italie entière, l’an 74 après Jésus-Christ. Dans le (1) Buffon, Histoire naturelle, t. IV, p. 358, 560, ett. VII, p. 15 et suiv., 5e édit. in-12, imprimerie royale, 1753. 270 DE LA LOL D HÉRÉDITÉ dénombrement fait, à cette époque, par l’ordre des em- pereurs Vespasien et Titus, la liste des centenaires ne renfermait en tout que soixante-cinq personnes, Savoir : cinquante-cinq hommes et dix femmes, dont Pline et Phlegon, après lui, ont conservé les noms (1). Or, d’après un tableau dressé sur un état fait par département, des centenaires morts dans le cours de quatorze ans, de 1824 à 1837, Charles Lejoncourt (2) donne, année par année, pour la France seulement, ces chiffres des centenaires : Années. Centenaires décédés. ASH A ASS ete ele alerte ose tale let (a ee late ele D) HS Sodeoo0bonospbobdouee Re Se LEE DODGE eee stores sislaieretelelsislefole aise lsicletole els siete = = ML OD) AISST LE SR ES sn ee Ne AT ON URSS 153 HPHBDdor doom dogoUoodobounanddbdoandoucos. 126 16H) bobo na bonbon doit boddomobonapbuoe.déo oc HE) HÉBIDE Geo ones habob os haonnetdo D pgococnor lil 1HRYlooovue JounocopOc 00070 C Dovbbocbnebcooococon LE MSc este cer dédododo Sébodbounoododon 150 1RÉR COS 00-0000 0000000 steel iehiols Dodo con ALT ERP Bbooocdocopovoboconotonogoooeommobceounco AL IÉobsonooosobocmobbnoodsaoogosmouosaon dt AL70 1836-0200 AO LB DE UD Hope édoduononet AE ASS TASER eee eslleesielals eee aanle sicieteteet- EL D’après ce tableau, on voit qu’à notre époque, cent cinquante centenaires, terme moyen, décèdent annuelle- ment en France. Un autre calcul fait par le même auteur, avec une pré- cision toute mathématique, donne 170 centenaires, en France, sur une population de 10,000,000 d’hommes distribués par âge. {i) Phlegon, De mirabilibus et longevis. (2) Ouw. cité, p.204. — Ce iableau, dit l'auteur, a été dressé sur ceux fournis par le bureau de statistique générale à celui des longitudes et qui sont complets pour ces 14 années seulement, car, avant 1834, on se DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL, 271 En Angleterre, on compte ordinairement un centenaire sur 3,100 individus (f). Et enfin, en Russie, des chiffres officiels présentent, pour les années 1814, 1837, 1838, les nombres énormes qui suivent : 1° En 1814, sur 891,652 morts, 3,631 centenaires de 100 à 132 ans, ou { centenaire sur 245 individus. 2° En 1827, un total comprenant Les hommes seulement, de 943 centenaires (2), savoir : STÉMUC RER lee eshenieletsieletelele 100 à 110 ans. 33 au-dessus de........... ono 115 24 au-dessus de.........s..... 130 Nau-dessustde see mere 195 1 au-dessus de..........scee. 160 3° En 1838, un total de 1,238 centenaires (3), sur les- quels : BBA HB enr enie sie cles see css cie 100 à 105 ans. OS ClÉboontonneo np dn oo 110 à 4115 FAT Glosrécotoobeuboudt 0008.30 116 à 120 HO GGosdosoceorno dd détounbdo 191 à 195 D'iCceddobaddenoovecobeo eo 1926 à 130 R'HOoocesogeedecetecodosonde 131 à 140 AR TON rare ner MA ele etat le e.e 145 BTP Eee D acte een te elae te 4150 à 155 l'Hooacoonoudcone0o0nosonoe 160 TEA R E R CI en e ente sels tele lets 165 Si, comme élément de comparaison directe, nous con- bornaït comme on se borne depuis 1837, à indiquer par département le mouvement de la population du royaume. (1) Edimburg Philosophical Journal, décembre 1840. (2) D’après le tableau du décès des hommes, publié en 18927, par le Saint-Synode. (3) D’après un état du mouvement de la population de l'empire russe, état publié par les soins du ministre de l’intérieur, et dressé sur les élé- 272 DE LA LOL D HÉRÉDITÉ sultons maintenant, non le chiffre du nombre, mais le chiffre de l’âge, cette nouvelle méthode d’évaluation nous mène à reconnaitre encore plus positivement que la lon- gévité la plus exceptionnelle n’a pas diminué, et qu’elle est aujourd’hui ce qu’elle était encore, il y a quatre mille ans. En éliminant, en effet, quelques cas d’une longévité, non-seulement erronée, mais évidemment impossible sur la terre, dans l’humanité, et qui serait fabuleuse, si elle ne s’expliquait par un autre système de division du temps et de mesure de l’année (1), notre époque peut lut- ter avec toutes les époques, en fait de macrobie, et aux exemples les plus antiques de la Bible, opposer des exem- ples aussi surprenants qu’eux. Charles Lejoncourt établit, sur ce point, un curieux pa- rallèle : c’est la comparaison de la longévité de la famille d'Abraham, et de la famille Rowir, qui ont existé à 3,800 ans de distance l’une de l’autre. Sara, femme d'Abraham, a vécu.............. 127 ans. Abraham Eee. J0S 0 de dodomboneondue AE Isaac; son fils: 2.7 ncoddéoove DT De Bocoagec 180 Total te." MrAsSPlans: Sara Dessen, femme de Jean Rowir, a vécu.... 4164 ans. JEAMMROWME See -Er-ERee ete ere LC CT SÉ5oos 172 Le fils aîné de Jean Rowir était encore vivant et a été perdu de vue au commencement de ce siècle, à.....-.. eo cebe ec EE ECECLES 115 Totale ess bla us: ments transmis par les ministres des différents cultes. — Lejoncourt, p. 163. (1) L’année n’était d'abord que de trois mois ou d’une saison chez les Chaldéens et autres peuples d'Orient, d’après Macrobe et Plutarque; elle DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 273 On voit que la balance est déjà presque égale, et peut- être la durée de la vie du dernier membre de la famille hongroise a-t-elle effacé le défaut d’équilibre (1). Un autre parallèle fait par le même auteur, entre les principaux patriarches bibliques, et les principaux cente- naires modernes, donne les mêmes résultats (2). Le dix-huitième siècle renferme plusieurs exemples, très-bien constatés, d'hommes qui ont fourni presque leurs deux siècles. Cest plus qu’il n’en faut, nous ne dirons pas pour jus- tifier la Bible, à moins qu’on n’en écarte, comme on la fait plus haut, les âges fabuleux, mais pour confirmer la hardiesse d’une proposition de Hufeland : qu’il n’y a rien d’invraisemblable à dire que l’organisation et la force Rhone pénxent une durer, aubréceir mens dant deux siècles (3). Le doute n’est donc plus permis, sur la réalité de ces macrobies si longtemps contestées, et dès lors il se re- porte du fait à la cause de ces longévités extraordinaires, point par lequel elles touchent si essentiellement à la grave question que nous examinons. On en a tour à tour ou simultanément rapporté l’ori- gine au climat, à la race, à la profession, à l’alimentation, à la sobriété, à l’influence de toutes les conditions exter- nes de nature à agir sur Le cours de la vie. Mais les faits parlent d'eux-mêmes, et il suffit de passer une rapide revue de ceux qui sont consignés dans les di- fut de huit mois depuis Abraham ; de douze depuis Joseph, ministre de Pharaon. (1) Ouv. cité, voy. p. 110. (2) Id. p. 166, 117. (3) Journal des travaux de la Société française de statistique univer- selle, vol. 7, 3° série, décembre 1841. 18 274 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ vers recueils qui traitent des centenaires (1), pour être immédiatement fixé, sur tous ces points. Buffon, guidé au fond par un instinct sûr, mais trop absolu, éliminait d’un trait tontes ces influences : La dif- férence des races, des climats, des nourritures, des commo- dités, n’en fait aucune, dit-il, à la durée de la vie (2). Burdach s’est prononcé aussi positivement, et dans le même sens, relativement au climat : il ne reconnaît d’absolument nuisibles à la longévité que les climats extrêmes (3). Prichard, se fondant sur les évaluations de Moreau de Jonnès, et sur les différences de la mortalité annuelle qu’il signale, selon les divers pays, sans sortir de PEurope, croit à une influence immense du climat (4). Lejoncourt, à son tour, fournit un argument d’un poids considérable : « À l’exception, dit-il, des parties de l’Inde, où règne un printemps perpétuel, et où la vie de l’homme atteint quelquefois à ses dernières limites, il est prouvé que la patrie des centenaires se trouve en Europe, dans les régions du nord, telles que la Grande-Bretagne, Allemagne, et la Russie, tandis que l'existence est, en général, de peu de durée dans les climats chauds, tels que (1) Voy. Bacon, Opera omnia, p. 505 à 515. — Haller, Eléments phy- siolog., t. VIII. — De Longeville d’Harcourt, De ceux qui ont vécu vieux . — Les Almanachs des centenaires, de Wipacher et Lamotte, et de Lot- tin, etc. — Valmont Bomare, Dictionnaire d'histoire naturelle, tom. VII, 5e édit., art. Homme. — Sigaud de Lafond, Dictionnaire des merveilles de la nature. — Neumair Die Sichersten, Mittel ein sehr hohes alter zu er- reichen, Leipsick, 1822. — Hufeland, La Macrobiotique, Paris, 1838. — Et enfin, Ch. Lejoncourt, Galerie des centenaires, Paris, 1842. (2) Buffon, Histoire naturelle, tom. IV, p. 357, 5e édit. in-12, de l’Im- primerie royale. (3) Traité de Physiologie, tom. V, p. 396. (4) Prichard, Histoire naturelle de l’homme, t. IT, p. 245. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 275 l'Espagne ou l’Italie, et que la France, située à l’est, tient le milieu (1). Depuis vingt-huit ans, répète-t-il plus loin, 1835 est l’année où les centenaires ont été le moins nombreux en Russie : eh bien! que l’on compare le chiffre 416, qu'offre cette seule année, avec le nombre de ceux recueillis péni- blement sur le chemin de vingt-trois siècles, en Espagne, en Grèce, et en Italie, la question du climat sera ré- solue (2). ; Il nous semble évident que l’on confond des deux parts, dans cette discussion, deux éléments distincts, la ques- tion d'influence, et la question de cause, le principe, en d’autres termes, et la proportion des cas de longévité. Si l’on prétend réduire la question des climats à celle d’une influence sur la longévité, ou, en d’autres termes, sur l’élément du nombre dans les macrobies, la question, “à nos yeux, est pleinement résolue contre Buffon et contre ceux qui auraient adopté la même opinion. Mais si l’on substitue à la question de nombre, la ques- tion du fait de la longévité, ou à la question de la pro- portion, la question d’origine, dans ce grave problème, le problème se résout tout aussi clairement, dans un sens opposé. Le fait de longévité se reproduit partout; il est de tous les lieux et de tous les climats, chauds, froids, ou tempérés, et il est évident, dès lors, que le climat n’en est pas le principe. Réside-t-il dans la race? Ce point a donné lieu à un autre débat, et, à certains égards, à la même confusion. Burdach, tout à l'heure d’accord avec Buffon pour éli- (1) Galerie des centenaires, p. 130. (2) Id., p. 164. 276 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ miner l’action du climat, s’en écarte pour admettre, en termes tout à la fois explicites et vagues, une influence des races (1) : Prichard, à son tour, se rapproche de Buf- fon, pour rejeter le dernière : « L’Européen, le Nègre, le Chinois, l'Américain, l’homme policé, l’homme sauvage, écrit le naturaliste français, se ressemblent à cet égard et n’ont chacun que la même mesure, le même intervalle de temps à parcourir, de la naissance à la mort (2). » «Il paraîtrait, dit aussi le physiologiste anglais, que, rela- tivement à la durée de la vie, toutes les nations ont été soumises par la nature à une même loi : même dans les climats différents, la tendance à exister pendant un temps donné est la même : la durée de la vie varie seule- ment, parce que les causes extérieures qui amènent des catastrophes accidentelles et prématurées, ou celles qui nuisent à la santé, et altèrent l’organisation, sont plus communes et plus puissantes dans un climat que dans un autre (3). » Et, à l’appui de cette opinion, s’élève toute une série de faits de longévité, particulière à la race nègre, où, comme dans la race blanche, se représentent des chiffres de 115, 120, 130, 140, 150, 160, 180 ans de vie. Que ces données soient ou non jugées suflisantes à une évaluation comparative dela longévité des races, dans l’humanité, ce que nous n’admettons pas, et ce que ne pense pas le D' Pritchard lui-mème, une conséquence en ressort parfaitement démontrée : c’est que la longévité la plus prodigieuse est de toutes Les races, et dès lors que la race n’en est pas le principe. .(1) Traité de Physiologie, tom. V, p. 386, 387. (2) Buffon, Histoire naturelle, loc. cit. (3) Prichard, Histoire naturelle de l’homme, t. IT, p. 248. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 277 Ce principe n’est pas non plus dans la profession. Toutes les professions fournissent leur contingent à ces macrobies : savants, littérateurs, artistes, médecins, chi- rurgiens, bergers, agriculteurs, orfèvres, artisans, mi- neurs même, toutes les carrières y sont représentées : on cite, chose inouïe ! l’exemple d’un houilleur, qui, en An- gleterre, a prolongé cette dure et sombre existence, jus- qu’à cent-trente-trois ans (1). La même liste renferme des prisonniers, elle renferme des forcats (2). L'alimentation serait-elle donc l’origine de ces longévi- tés extraordinaires ? On compte, il est vrai, parmi les ma- crobes, plusieurs individus qui, comme Czortan (3), Au- bourg (4), Nouillac (5), Jacques Perchez (6), vivaient d’eau et de légumes ; ou, comme Marie Priou (7), de fro- mage et de lait de chèvre; ou, comme Jean Peliot (8), de simples coquillages ; on en compte quelques autres qui, comme Jean d’Oubrego (9), ne mangeaient que des choux cuits, de la bouillie de lait et de blé de Turquie, ou, comme Jean Maulny (10) du pain sec, ou en soupe, des (1) « Il existe en ce moment (1768), en Ecosse, un houilleur âgé de « 133 ans qui, depuis 80 ans, fouille les mines de charbon de terre de « Parkeith, près d’Edimbourg. Ce n’est pas le seul que l’on trouve parmi « les ouvriers de ce métier, qui poussent leur carrière aussi loin que « dans d’autres professions » Art d'exploiter le charbon de terre, publié par l’Académie des Sciences, p. 29. (2) Moniteur du 3 décembre 1841. — Fait de Marie Scully, vivant à 106 ans, dans une maison de travail de Limerick, en Angleterre. (3) Galerie des centenaires, p. 19. (4) Lejoncourt, ouv. cité, p. 111 à 184. 278 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ fèves, du blé d’Espagne, et quelques morceaux de co- chon salé, arrosés d’eau pure, et parfois de piquette ; D’autres encore, qui, comme Patrice O’Neil (1) se per- mettaient la bière, et la viande, par hasard, dans les repas de familles; mais que d’autres aussi, qui n’ont rien présenté de particulier dans leur manière de vivre! qui ne se sont refusé ni viande, ni fruits, ni café, ni li- queurs! Jean-Antoine Bondini, docteur en médecine, mort à 117 ans, Camoux, dit Annibal, Catherine Ray- mond de Montesquiou (2) buvaient beaucoup de vin, et leur appétit, presque jusqu’à leur mort, fut extraordinaire. Jacques Donald (3) dévorait, à chaque repas, quatrelivres d'aliments solides, et il s’abreuvait, dans les mêmes pro- portions, de liqueurs fermentées, sans que sa raison en re- cut la plus légère atteinte. D’Herbelot, selon son dire, avait ouvert sa cave dès l’âge de 50 ans. Le vétéran polo- lais de nos armées françaises, J. Golembiewski, boit en- core, chaque jour , sans tenir compte du vin, plus d’un demi-setier d’absinthe. Ainsi donc, non-seulement l’alimentation, mais comme l’ont reconnu Buffon, Haller, Fischer, Sinclair et Bur- dach, la sobriété même, n’ont qu’un rôle secondaire dans la production de la longévité (4). À côté de Marie Nau- senne (5) qui disait : « Beaucoup de sobriété, nulle inquié- tude, les sensetl’espritégalement calmes, voilà ma recette, » nous trouvons d’abord le tonnelier Jean-Pierre Gardien, qui buvait chaque jour, un verre d’eau-de-vie, mais qui, (1) Lejoncourt, p. 61 - 62 - 77. (2) Id., ouv. cit., p. 184. (3) Id., id., p. 57. (4) Traité de physiologie, t. V, p. 395. (5) Galerie des centenaires. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 279 les trois dernières années deson existence, avait augmenté la dose jusqu’à boire, dans cet intervalle, 450 litres de cette pernicieuse liqueur (1); nous trouvons le laboureur Ga- briel Chevalier (2), qui ne s’était refusé aucune sorte de - plaisir ; le maître en chirurgie Espagno et le chirurgien lorrain Politiman (3), qui considéraient, comme médecine quotidienne, l'habitude contractée, depuis vingt-cinq ans, de s’enivrer chaque soir; nous trouvons plusieurs autres buveurs séculaires : le boucher Philippe Larroque (4), mort à 102 ans, le chasseur Jonh Kirton, mort à 125 (5), et cetirlandais Brawn, dont l'existence fut uneivresse d’un siècle, et dont l’orgie sans fin est si facétieusement évo- quée, sur sa tombe, par une originale et bouffonne épi- taphe (6). Incontestablement, toutes les circonstances , au milieu desquelles se produit ou se maintient une telle longévité, ne sont qu’accessoires. Tout démontre qu’elle tient à une puissance interne de vitalité propre, que ces individus privilégiés apportent, en naissant, à la vie. Cette vitalité est si particulière et son énergie si généralement et si pro- fondément empreinte dans leur nature, qu’elle s’y carac- térisent dans tous les attributs de l’organisation. ils ont la plupart, une sorte d’immunité contre les ma- ladies : un très-grand nombre d’entre eux ne les con- (1) Galer. des cent., p. 190. (2) Id., p. 194. (3) Id., p. 93, 94. (4) Id., p. 197. (5) Id., p. (6) « Sous cette pierre git Brawn qui, par la seule vertu de la bière « forte, sut vivre cent vingt hivers. I] était toujours ivre et, dans cet état, « si redoutable que la mort elle-même le craignait. Un jour que, malgré « lui, ilse trouvait rassis, la mort, devenue plus hardie, l’attaqua et 280 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ naissent pas (1). La vitalité d’autres, en apparence moins heureusement dotés, résiste également à une jeunesse dé- bile, aux affections graves, soit aiguës, soit chroniques, aux fièvres intermittentes les plus invétérées, au typhus, aux ulcérations du poumon (2), enfin , comme on l’a vu, àtous les genres d’excès. Les déviations mêmes de la colonne vertébrale ne paraissent pas contrarier la puissance in- térieure de ces fortes existences (3). Ce n’est pas, à bien dire, la simple animation, c’est la vie tout entière, avec tous ses dons et toutes ses facultés, qui persistent chez elles ; leurs fonctions sensoriales, leurs fonctions affec- tives, leurs fonctions mentales, leurs fonctions mo- trices, leurs fonctions sexuelles ; tout s’accomplit dans ces organisations, avec une énergie, une régularité, une persistance incompréhensibles. On cite parmi les hommes, on cite parmi les femmes, plusieurs de ces macrobes, qui ont eu des enfants, à des âges fabuleux : A côté d’Abrahamet de Sara de la Bible, l’un père à plus d’un siècle, l’autre mère à près de quatre-vingt- dix ans, nous voyons Thomas Parr, dans le dix-septième siècle, faire pénitence publique, à la porte de l’église, du « triompha de cet ivrogne sans pareil. » Ch. Lejoncourt, Galerie des cen- tenaires, p. 53, 54. (1) Pierre Béranger, mort à 104 ans; Pierre Jablier et sa femme, à 106 ans; Pierre Macquart, mort à 102 ans ; Francois Le Beaupin, mort à 107; Marie Jouhand, morte à 411 ; Marin Chesnard, mort à 112 ; Dando, mort à 120 ; Thomas Parr, mort à 153; enfin, une infinité d’autres, Poli- timan, Espagno, etc., etc. (2) Haller, Elementa phisiolog., tom. VIIT, part. 11, p. 117. — Burdach, Traité de physiologie, t. V, p. 395. (3) Nicole Marc, bossue, morte à 110. — La naine Elspeth Walson, n'ayant que 65 centimètres de taille, morte à 415 ans. — On sait de plus que Hope, le maréchal de Luxembourg, Pope, La Réveillère-Lepeaux et Oberkamps ont tous vécu vieux, quoique affligés de gibbosité. — Ch. Lejoncourt, p. 188. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 281 crime d’avoir fait un enfant à une fille, à l’âgede 101 ans(1). Nous voyons dans le même siècle, en France, Lebaupin, avoir à 103 ans, de sa femme, deux garçons (2); un cen- tenaire de Pau, épouser une fille qui lui donne un fils, à l’âge de 107 ans(3); dans le dix-huitième siècle, Massard à 101 ans, dans le dix-neuvième, le docteur Dufournel, à près de 110ans, nousreprésenter le mêmephénomène ; enfin, chose inouie, Surringhton, de Norwége (4), engendrer encore à 151 ans (5). Et pour qu'il ne plane point de doute sur ces miracles, les femmes les reproduisent : un vieillard âgé de 94 ans, épouse à Séez, une femme de 83 ans, enceinte de ses œuvres, et qui met au monde un garçon à terme (6). Marguerite Krobscowna, accouche en Russie à 96 ans (7). Une marchande peaucière, encore aujourd’hui vivante à Moscow, était aussi féconde à 123 ans (8). Enfin, tout récemment, mourait à la Havane, âgée de 125 ans, une négresse libre, Maria-Dolores Villanueva, présentant le phénomène extraordinaire, de conserver du lait jusqu’à 124 ans (9). Plusieurs échappent même à l’air de la vieillesse, et n’offrent aucune trace, ni d’incommodités (10), ni de (1) Lottin, Amanach de la vieillesse, 1764, p. 47. (2) De Longeville d'Harcourt, ouv. cit., p. 145. (3) Journal encyclopédique, avril 1779. (4) Galerie des centenaires, p. 64. (5) Delandine, Mémoires bibliographiques, tom. I, art. MACROBIE. (6) Sigaud de Lafond, ouv. cit., tom. I. (7) Sigaud de Lafond, Dict. des merv. de la nat.,t.1, p.386. (8) Moniteur universel, 5 septembre 1840. (9) Galerie des centenaires, p. 80. — Cette femme avait allaité 44 en- fants du maître qui l'avait affranchie, don Manuel Facunda de Aguerro. (10) Le rhéteur grec, précepteur du célèbre Isocrates, Gorgias de Leonti, répondait, quatre siècles avant l'ère vulgaire, à ceux qui lui demandaient pourquoi, à 107 ans, il tenait encore à rester sur la terre : « C’est parce- 282 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ décrépitude; il semble qu’ils se soient arrêtés, dans la vie, à l’âge de soixante ans, et qu’au delà de ce terme, dans ces heureuses natures, l’existence persiste, maïs ne s’écoule plus (1). Un grand nombre d’entre eux gardent leurs dents intactes (2), d’autres leurs cheveux noirs (3); on en voit, au contraire, dont par un phénomène, très- digne d’attention, et que le savant Lordat nommerait catalytique (4), car il se lie parfois à une fin prochaine, les cheveux et les dents tombent, mais pour laisser sortir des dents plus consistantes, des cheveux redevenus noirs (5). Un très-grand nombre enfin, meurent sans ma- « que je n’ai encore aucun sujet de me plaindre de la vieillesse. » Valer. Max. lib. VIII, cap. 13. — Bon nombre de macrobes, pour le moinsaussi avancés en âge, François Lebeaupin, Dando, Politiman, Espagno, Thomas Parr, Mwe de Mongolfer, auraient pu, de nos jours, faire la même réponse. (1) Georges Domberger, morave, mort en 1838, âgé de 130 ans, était resté le même, quant à l'extérieur, depuis l’âge de 65 ans. — Henri Fran- cesco qui, en 1820, existait encore, âgé de 134 ans, aux États-Unis, avait l'extérieur d’un homme de 50 ans.— Barbe Clément, à 110, Elisabeth Durieux, et M. de Quersonnières, à 414 ans, pour ne citer que les plus remarquables, ont aussi présenté le même phénomène. Cet arrêt de la vieillesse, à l'extérieur, est un signe à noter, comme indice probable de la macrobie. Jean Golembiewski, à 102 ans bientôt, à la taille plus droite que bien des hommes à 60 ; il a l'air d’un vieillard de 70 ans qui se por- terait bien. À (2) — « Moïse mourut et fut enseveli dans la vallée du pays de Moab, « vis-à-vis de Phogor. € Il avait 120 ans ; sa vue ne baiïssa point pendant tout ce temps, et ses dents ne furent point ébranlées.» Deuteronome, ch. XXXIV, y. 7. Ainsi ont été : Dom Assensio Mendez, mort à 102 ans; Nicole Marc, mort à 110; Nicolas Schraen, mort à 108; Anne Pesnel, morte à 110; Jacques Blavet, mort à 112 ; Antoine Noulhac, mort à 115 ; et enfin Gas- pardo Dragonetti, mort à 120, en 1626, etc., etc. (3) Plusieurs des mêmes, Anne Pesnel, Jean Gaillot, àgé de 109 ans, etc. (4) Lordat, Ebauche du plan d'un traité complet de physiologie hu- maine, p. 130. (5) Angelique Domangieux, morte à 103 ans; la comtesse d’Esmonde, à 104 ans ; Jeanne Boot, morte à 108 ans; François Secardi Hongo, mort à 114 ans; Jean de Baldecq, chanoine et doyen du chapitre de Kilche- DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 283 ladie, et souvent sans que rien, l’année, le mois, la se- maine, le jour, l'heure qui précèdent, avertisse de leur fin (1). Le berger centenaire paît encore son troupeau (2), le laboureur conduit encore sa charrue (3), le jardinier cul- tive encore son jardin (4), le chasseur s’élance avec la même ardeur sur la piste du gibier (5), le chirurgien berg, mort à 186 ans. On lisait encore, en 1764, sur son tombeau, dans l’abbaye de Saint-Michel, cette épitaphe aussi bizarre que le phénomène: De Kilchberg canus Edentulus Decanus Rursùm nigrescit, Dentescit, Hic requiescit. (Gazette de médecine, t. I, p. 14 et 20.) On cite encore un vieillard du comté de Belfort dont les cheveux, très-blancs à quatre-vingts ans, redevinrent en peu de temps du plus beau brun foncé, et gardèrent cette couleur jusqu’à sa mort, arrivée à 100 ans. — Un autre qui, à Vienne, vit, à 105 ans, sa tête se recouvrir de cheveux noirs; et enfin, une anglaise de 95 ans, chez qui se produisit le même phénomène. Dix années plus tard, ses cheveux reblanchirent et la mort fut prochaine. Dictionn. pittor. d’'hist. nat., t. I, p. 86. (1) Pierre Bertrand, âgé de plus de 102 ans, venait de très-bien souper, 1l se couche vers neuf heures, demande un verre de vin, le boit, et meurt ense tournant de droite à gauche. — Abraham Favrot, à l’âge de 104 ans, meurt aussi subitement, sans indice de souffrance, « comme une lampe « bien allumée qu'un souffle éteint tout à coup. » — Archambault, à 105 ans, sans fièvre, sans douleur, meurt en s’habillant, par une dé- faillance. — Jean Lafite, meurt de même, en se mettant au lit, au milieu d’une tranquille conversation ; il avait 1436 ans, etc. (2) Un berger de Cunovaz, âgé de 121 ans; Jean Bayler, âgé de 130, etc. — Lejonc., p. 67 à 86. (3) Louis Jouhau, à 108 ans; Antoine Senisse, à 111 ans; Jean Ma- joudon, à 114 ans ; Francoise Morsio, à 120 ans, etc. (4) Marguerite Champenois, à 105 ans; Taroux, à 107 ans; Jean- Estienne, à 113 ; Jeanne Obst, à 155 ans; etc., etc. {5) Michel de Gourgues, à 105 ans; le baron de Lavaux, à 104 ; Pierre Duburre, à 114 ans; Nazon de Vigé, à 118 ; Pierre Mendez, à 130, etc. 284 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ opère (1), le médecin consulte (2), le prêtre dit sa messe (3), l’ouvrier fait sa tâche (4), le pauvre continue ses courses quotidiennes à travers les campagnes, ou vague, mendiant, par les mêmes chemins (5); chacun en un mot, exerce sa profession et passe subitement de la vie à la mort, comme à une autre journée. Pour découvrir la source et trouver la loi d’organisa- tions si extraordinaires, ne faut-il pas d’abord se former une idée de leur nature réelle? Quelle idée s’en former ? On ne veut voir en elles que des anomalies. Certes, si l’on n’a égard qu’à l’élément de nombre, ou, en d’autres termes, qu’à leur proportion, relativement à celle des autres existences, on est fondé à les considérer comme telles. Relativement aux durées ordinaire et moyenne de la vie humaine, elles sont dans l’exception. Mais, dès que l’on envisage ces organisations, dans leur essence même, par rapport aux organes, par rapport aux fonctions, par rapport à l’espèce, prétendre les réduire ainsi, du seul fait de la longevité, à des anomalies, c’est, (1) Jacques Poncy, père, doyen des chirurgiens de Paris, en 1724, à 102 ans. — Le maître en chirurgie Espagno, âgé de 112 ans, qui pratiqua jusqu’au dernier moment. — Politiman qui, la veille de son décès, avait opéré d’un cancer, etavec une dextérité remarquable, une femme âgée. — Leyoncourt, p. 93. (2) Denis-Antoine Bondini, docteur en médecine, mort à 117 ans; le decteur Dufournel, mort à 120 ans. (3) Alain des Croches, mort à 113 ans; Pailhé; curé de Bonnemaison, mort à 105 ; le curé de Robion, mort à 108, etc. (4) Charles Bahut, armurier, à 104 ans; Lalettré, menuisier, à 107; Marguerite Chaumont, femme de campagne, à 104; Marie Blanchard, ouvrière, à 104; Jean Cathala, cordonnier, à 108 ; Grandez, compagnon orfèvre, à 126 ans, etc., etc. (5) Pierre Fumery, mort à 105 ans; Nicolas Schraen, Dubourg Krick, à 108; Robert Montgomery, à 126; Hilario Pari, à 139 ans, etc. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 285 ense méprenant gravement sur leur nature, se condamner à ne comprendre, ni leur source, ni leur but. On tombe cependant de toute nécessité dans cette mé- prise, si l’on ne distingue pas très-explicitement la durée ordinaire, de la durée normale de l’existence hu- maine. Burdach a fait la faute de cette confusion. C’est en appelant normale, la durée ordinaire de soixante-dix à quatre-vingt ans, qu’il s’est réduit à la né- cessilé logique de nommer anormale, toute prolongation ultérieure de la vie. « Rien, dit au contraire le docteur Hufeland , rien ne « nous empêche de considérer le terme le plus reculé, « que nous offrent les exemples connus de longévité, « comme formant l’extrème limite de la vie humaine, ou « l’idéal de sa perfection ; comme un modèle, enfin de ce « dont la nature de l’homme est capable, dans des cir- « constances favorables (1). » C’est, jusqu’à certain point, sous le même aspect, que ces longévités extrêmes nous apparaissent. Mais nous allons plus loin que le docteur Hufeland : nouslesconsi- dérons, comme un rappel à l’ordre, comme un retourspon- tané de la vie à son type spécifique de durée, retour d'autant plus fréquent, d’autant plus général que les circonstances lui sont plus favorables ; mais, qui s’accom- plit, en dépit d’elles-mêmes, si elles ne le sont pas. Si re- culée, enfin, qu’en soit la limite, cette capacité naturelle de durée est à l’étendue de la vie dans letemps, ce qu'est à l’étendue de la vie dans l’espace, ce qu’est à l’amplitude (1) Journal des travaux de la société française de statistique univer- selle, vol. VIII, 3e série, décembre 1841. 286 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ de l'intelligence, la capacité naturelle du génie; elle est la plus haute, la plus vaste, et la plus complète expression du type de l’espèce dans l'individu. La macrobie, pour nous, a le même caractère : elle a son origine première dans l’espèce, et se rapporte à l’es- pèce, et à ce titre, elle n’est pas simplement normale, elle est positivement ce que Hufeland l’imagine, elle est le modèle, elle est l’idéal de la perfection de la vie, comme l'expression la plus intégrale, dans lêtre, de la durée spé- cifique de l'existence humaine. "Tel est le caractère que sa nature lui donne. Et c’est aussi celui de sa destination. Sa mission est im- mense, et nous met sur la voie des principes véritables, qui régissent la durée naturelle de la vie. Ces longévités prétendues anormales, c’est-à-dire, toutes celles qui dépassent la durée ordinaire de la vie, ont pour fin de ramener, dans le cours successif des gé- nérations, la durée de l’existence à son équilibre. Rien n’est plus évident. Si ces longévités ne se produisaient pas dans l’huma- nité, si le superflu de vie qu’elles représentent, ne venait point compenser les déperditions acquises et transmises, par la génération, de la durée nécessaire de notre exis- tence, sa diminution, depuis les premiers temps, ne serait pas un problème. Les lacunes successives et progressives, des vies particulières, se seraient étendues à la vie gé- nérale. Destituée de tout principe de renouvellement, elle n’eut pu se maintenir dans les mêmes limites. De plus en plus abrégée, par les mille influences contre lesquelles elle lutte, et chaque abréviation se propa- geant aux produits, pour s’abréger encore, elle füt depuis . longtemps passée de l’impuissance à lextinction finale. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 287 C’est la marche qu’elle suit dans une foule de familles ; ne l’y voyons-nous pas franchir ces trois degrés : dé- croissance héréditaire de la vie, impuissance, défaut de viabilité, mort. Sous peine d’unerupture immédiate d'équilibre dela du- rée spécifique de notre existence, et, dans un temps donné, de l’anéantissement de l’espèce elle-même, ces longévités devaient donc s’v produire, et elles s’y produisent. Mais comment s’y produire, quand elles n’existent pas ? Comment, et par quelle voie, s’incarner de l’espèce dans l’individu ? On dit par descendance. Mais pour se propager, il faut d’abord qu’elles soient, et pour être, qu’elles se forment ; de quelle loi de formation les premières procèdent- elles ? Elles naissent spontanément , dans ce que l’on appelle nature originelle ou constitution congénère de la vie. L’rN- nérré en est donc le premier principe ; c’est leur loi d’o- rigine, c’est celle qui préside à leur génération. Mais, si cette loi seule agissait sur elles, si une fois pro- duites, elles étaient inhabiles à se reproduire, et ne se transmettaient pas, à moins de se renouveler incessam- ment d’une manière spontanée, et dans des proportions relativement énormes , elles n’étaient que plus ou moins fortuites ou bizarres ; et dans ce cas là même , toujours isolées, et sans continuation, leur action n’allait pas au . delà des personnes en qui elles étaient nées; elles man- quaient leur but : le but de réagir sur la génération, le but de compenser les déperditions acquises et transmises de la durée de la vie. Il ne leur a donc pas suffi de se produire, il a fallu de plus qu’elles se propageassent. 288 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ L’'HÉRÉDITÉ doit donc en être, et elle en est le second principe. | Mais si, d’un autre part, une fois engendrées, elles res- taient soumises indéfiniment, et d’une manière con- stante, à l’action exclusive de l’hérédité, cette simple dis- position qui, au premier abord, n’a rien que de favorable à la vie de l’espèce, transformait rapidement toutes les conditions de la vie sur le globe. L’humanité ne fut pas seulement arrivée à l’augmentation de la durée moyenne de son existence, le cours même ordinaire de cette exis- tence eut subi l'impulsion d’un progrès formidable; et le bouleversement du rapport nécessaire du nombre des décès à celui des naissances, rapidement amené par ces races de macrobes, se formant de toutes parts et se mul- tipliant de même à l'infini, eut depuis longtemps causé l’étouffement de toute espèce animale et de l’humanité sur notre planète. « Si tous les individus d’une espèce atteignaient, dit « Burdach, le plus grand âge possible, ils feraient dis- « paraître les autres espèces de la terre, et finiraient par « ne plus pouvoir maintenir leur propre existence. « Qu’on admette avec Sussmileh (f) que cinq millions « de lieues carrées de pays habitable, suffisent pour dix- « huit mille millions d'hommes, ou, avec Wallace (2), « qu'il y aurait assez de place sur la terre pour quatre « cent soixante-treize mille millions d’hommes, en accor- « dant neuf mille cent dix pieds à chacun, toujours est- « il certain, que, si depuis l’époque seulement à laquelle « remonte l’histoire, tous les hommes étaient morts au (1) Gœttlichte Ordnung, t. II, p. 233. (2) Diction. des Sciences médicales, tom. XXXIV, p. 336. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 289 « dernier terme de la vieillesse , il n’y aurait plus de- « puis longtemps de quoi loger le genre humain sur le « globe (1) ». Ainsi donc, l’équilibre de la durée ordinaire de l’exi- stence humaine, par cette voie comme par l’autre, était encore rompu. Au lieu de ce résultat, que nous montrent les faits ? Que ni l’INNÉITÉ ni l’'HÉRÉDITÉ n’agissent constam- ment et exclusivement sur la durée de la vie. Dans les conditions les plus imprévues, dans les cir- constances les plus opposées de milieu, d’époque, d’or- ganisation, de parents dont l’existence n’a pas dépassé la limite ordinaire, d'individus même où elle a été courte, naissent spontanément, en nombre plus ou moins grand, des êtres prédestinés à la macrobie. Il n’est point en effet de famille où, si brève que soit l'existence, on ne voie des vieillards. Réciproquement, il n’est point de famille parmi celles dont la vie atteint à de longs termes, qui, dans une série de générations, très-souvent dans la même, ne comptent plus ou moins de membres qui ne meurent jeunes de la mort la plus naturelle. Si Sinclair et Rush (2) déclarent n’avoir pas connu d’octogénaires, dans la famille desquels il n’y eut des exem- ples fréquents de longévité, ils ajoutent aussi qu’ils n’en ont pas connu qui n’eussent perdu des frères ou des sœurs en bas âge. Qu'est-ce à dire, sinou que liNNÉITÉ qui intervient d’a- (1) Samthlung anserlosener Abhandlungen, t. XV, p. 110. (2) Ouv. cité, iom. V, p. 403. 1. 19 200 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ bord pour produire de toutes pièces, dans la procréation, ces énergies vitales extraordinaires, et qui laisse à lac- tion de l’hérédité sur la génération à les reproduire, re- vient ensuite sur elle-même, et intervient alors, dans ce mouvement de retour , pour les réprimer. Les faits serrent donc ici le plus étroitement possible la théorie. La théorie nous dit que les lois d’INNÉITÉ et d'HÉRÉDITÉ doivent intervenir perpétuellement et se compenser sans cesse, sous peine d'extinction finale de l’espèce , dans la durée de la vie. Et voilà que les faits nous révèlent de toutes parts, en- tre l’action des deux lois, cette marche harmonique et providentielle d’où dépend l’équilibre. Ils sont précisément tels qu'ils doivent être, pour qu’au bout d’une série de générations, la durée brève ou lon- gue de la vie de famille soit rentrée dans les termes de durée ordinaire, pour que cette durée ordinaire soit con- stante dans la vie de l’espèce, pour que l’équilibre, sans cesse interrompu, se rétablisse sans cesse, et se main- tienne toujours. Les macrobies, qui semblent les plus phénoménales, font partie du système. On ne voit point de ces hommes presque bi- centenaires, dont la longévité ne soit soumise à ces lois; presque généralement, à ce terme excessif, elle décroit dès la seconde, souvent dès la première gé- nération; plusieurs ont perdu leurs parents, au berceau ; plusieurs, à leur tour, comme le juif errant de la légende chrétienne, emportés par le souffle tout-puissant de la vie, ne franchissent le siècle de leurs contemporains, que pour rester seuls debout sur les tombes des enfants qu’ils ont vu leur sourire : solitaires d’un monde qui ne les connaît DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 291 pas, ils souffrent de l’existence comme d’une expiation , et attendent aussi, comme une grâce, de finir. ARTICLE IV. De l’hérédité des anomalies du type spécifique de l’organisation. Nous abordons ici un ordre de phénomènes du plus haut intérêt, soit qu’on les envisage dans leurs caractères, soit qu’on cherche à surprendre, dans la procréation, leurs lois de formation et de première origine. : Nous n'avons point ici à les approfondir ni sous l’un, ni sous l’autre de ces deux aspects. Mais il est un troisième aspect aussi curieux et presque aussi obseur de ces phéno- mènes, par lequel ils touchent à lessence de ce livre ; ce point qui se lie intimement à notre sujet, est la question si grave et si décisive de leur reproduction par la voie séminale. Sous ce rapport, ils achèvent de porter la lumière sur les parties les plus ténébreuses du débat, et donnent toute la rigueur d’une démonstration au principe, peut-être incertain, sans eux, de l’action de l’hérédité sur tous les éléments du physique de la vie. Il est des esprits que le parti pris de la négation aveu- gle, tout comme il en est d’autres que le parti pris de l'affirmation égare. Parmi les premiers, il s’est, comme on l’a vu, rencontré des auteurs, rebelles à l’évidence, qui n’ont voulu admettre que la reproduction du type spécifi- que, et qui ont longtemps rejeté comme une chimère, la reproduction du type individuel. Pour ces intelligences, la plupart des faits que nous 292 DE LA LOI D’ HÉRÉDITÉ venons d’énumérer, si probants qu’ils puissent être, si vrais qu'ils les jugeassent, ne pourraient cependant for- cer la conviction. Les seules preuves qu’ils leur offrent de l’hérédité du type individuel sont la filiation et la ressem- blance. Maïs tous les caractères du type individuel, comme propres à l’espèce, peuvent se résoudre en elle ; et lon conçoit très-bien, que, dans cet ordre d’idées, et tant que les caractères du type individuel, si prononcés qu'ils soient, si particuliers qu’on les imagine, restent par leur nature réductibles à l’espèce, il soit toujours loisible; à des esprits sceptiques, de contester la valeur de la ressem- blance et de rejeter l’argument de la filiation. Des auteurs l’ont tenté : Wollaston et Bonnet, entre autres, entrainés par l’esprit de système, ont préféré re- courir aux théories Les plus incompréhensibles, que d’ou- vrir les yeux à la lumière des faits. Mais nous voyons ici le type individuel s’offrir à notre étude, sous des caractères de personnalité qui ferment toute issue à la négation, et Ôtent tout recours à l’inter- prétation de la ressemblance de famille par la ressem- blance d’espèce. Ce n’est pas seulement parce qu’ils in- vestissent l’être d’une double physionomie de personnalité, mais encore et surtout parce que, au lieu de pouvoir, comme les traits ordinaires, si infinis qu’ils soient, du type individuel, se fondre dans le type général de Pes- pèce, ils sont, au contraire, irréductibles en elle, et en divergent jusqu’à former ces écarts que la science de nos jours nomme des anomalies, des monstruosités, et que l'antiquité, plus près de l’impression de merveilleux qu’ils éveillent, appelait des prodiges. De semblables phénomènes étaient donc, par eux- mêmes, la voie la plus certaine d'investigation et de DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 203 décision dans un pareil problème. Aussi, des deux côtés, y a-t-on fait appel. Se propagent-ils ou ne se propagent-ils pas par la voie séminale ? Telle était la question. Dans l’antiquité, 11 n’y a eu qu’une seule voix pour VPaffirmative (1). Les physiologistes et les observateurs les plus remarquables, Hippocrate, Aristote (2), ont ex- plicitement reconnu le principe de leur hérédité. Parmi les modernes, la solution n’a pas été si absolue, ni si unanime; les uns, prenant pour guides des idées préconcues sur les lois de la nature et sur les théories de la génération, n’ont tenu aucun compte de l’opinion des anciens, se sont dispensés de nouvelles observations, ou de nouvelles expériences, etont dogmatiquement repoussé le principe de la propagation de tout défaut du corps et de toute espèce de monstruosité. Ce serait, à leurs yeux, un incompréhensible oubli de la nature, qui les a pro- duites, que de les reproduire (3). D’autres, plus réservés, en sont restés au doute ; nous ne sommes pas encore éloignés de l’époque où le docte Fodéré témoignait sa surprise que les maladies, ou les (1) Isid. G. Saint-Hilaire, Histoire générale et particulière des ano- malies de l'organisation chez l’homme et les animaux, Paris, 1836, t. IT, p. 378, (2) De Histor. animal. lib. IX, cap. vi. (3) D’après De Lamotte, un homme à qui il manque un bras, une main, une jambe, un pied, les deux bras, les deux jambes, ou une partie quelconque, devrait engendrer plus forte, dans ses enfants, la partie qu’il n’a pas. Lidée qu’un père boiteux puisse engendrer un enfant boiteux, nest pas moins frivole, ajoute-t-il plus bas. « Et par quelle raison, la « nature quiva toujours droit à son but, pourrait-elle s’oublier à un tel « point ? Car ce père boiteux peut ne pas être venu au monde tel, et « quand même il serait né boiteux, par un vice de la première confor- .« mation, s’ensuivrait-il de là qu'un fils qu'il aurait engendré dût être « lel, etc. » 294 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ dispositions aux maladies, se iransmissent par la généra- tion, et que les défauts du corps ne se transmissent pas. On ne voit pas, disait-il avec étonnement, et en répétant l'argument de Louis, on ne voit pas des pères borgnes , aveugles, manchots, privés d’une jambe, etc., avoir des enfants de même (1). 11 en est d’autres enfin qui, en admettant avec les an- ciens, l’action de l’hérédité sur les anomalies, ont pensé cependant que ni la théorie, ni l’expérience ne permet- taient d’en étendre le principe à toutes. Parmi les représentants de cette dernière opinion, comp- tent, au premier rang, plusieurs de nos savants tératologis-— tes, entre autres l’illustre Geoffroy Saint-Hilaire, et son fils. Le dernier auteur, dans son lumineux traité sur cette matière, appelé à s’expliquer sur ce point de la ques- tion, commence par établir une distinction entre les hé- mitéries, ou anomalies simples qui comprennent les vices de conformation, et les monstruosités proprement dites. Il reconnaît ensuite, en thèse générale, l’action de l’hé- rédité sur les anomalies de la première classe, et ne l’ad- met qu’en partie sur celles de la seconde (2). Nous adopterons cet ordre d’exposition dans la rapide revue que nous allons passer des anomalies dont la trans- mission ne fait plus aucun doute. I. — De l’hérédité des hémitéries, ou anomalies simples de l’organisation. Elles peuvent se rattacher d’une manière générale, soit à un arrêt, soit à un excès de développement organique. (1) Fodéré, Traité de médecine légale, t. V, p.361, 2e édit. (2) Ouw. cité, tom. IIT, p.378 et suiv. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 295 $ I. — De l’hérédité des anomalies par arrêt de développement de l’organisation. I. Une des plus importantes, par les graves questions ethnologiques auxquelles elle se rapporte, est cette ano- malie du système cutané que l’on a désignée sous le nom d’albinisme, transition congéniale de la couleur naturelle à la couleur blanche. Trois opinions contraires se sont partagées sur le carac- tère de cette métamorphose. | La première, qui a eu grand nombre de voyageurs, et après eux Voltaire (1) et même, un instant, Buffon (2) pour organes, n’a vu, dans l’albinisme, que la couleur na- tive d’une race particulière de l’espèce humaine. La seconde, professée par Blumenbach (3), Witterbot- ton, Sprengel, Otto, etc., et par le docteur Blandin (4), fait rentrer l’albinisme au nombre des maladies. La troisième, soutenue par Jefferson, par Hallé, par Béclard et par Prichard lui-même (5), considère l’albi- nisme comme une simple variété d'organisation. La première opinion est abandonnée; elle doit son ori- sine à l'inégalité de distribution de cette anomalie selon (1) Voltaire, Mélanges philosophiques, chap. xvir, et Essai sur les mœurs, Chap. 1. (2) Buffon, voy. son Traité de l’homme, et le supplément 1v de l'Histoire naturelle. (3) Blumenbach (J.-J.), Commentatio de oculis Leutæchiopum et iridis motu, in-4°, Gottingue, 1786. — Idem, De generis humani varietate na- tivé, in-19, Gottingue, 1795, p. 150, 164, 170, 274. (4) Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique, t. 1, p. 455. (5) « À ces deux variétés (la blonde et la brune), nous devons en « ajouter, dit-il, une troisième, la variété albine, regardée comme une « sorte de monstruosité, mais seulement peut-être parce qu’elle est beau- «coup plus rare que les précédentes. » Ouw. cilé, t. I, p. 104. 296 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ les climats : rares dans les pays froids, plus rares encore dans les pays tempérés, communs, au contraire, dans les pays chauds, les voyageurs les ont trouvés en si grand nombre dans toutes les contrées intertropicales, qu’ils leur ont paru former des peuplades (1). Les deux autres théories qui divisent tant de physiolo- gistes distingués, s'expliquent, pour Is. Geoffroy Saint- Hilaire, par la diversité d'état des albinos qu'ils ont observés. Selon l’opinion du savant professeur, il existe en effet deux sortes d’albinisme : l’un est une véritable décolora- tion de la peau et des cheveux, qui survient à la longue, et peut se rattacher à une cause morbide; l’autre, dont la cause réelle reste jusqu’à présent indéterminée, n’est qu’une anomalie due à un véritable arrêt de développe- ment. « On sait, dit-il, que le pigmentum manque, chez « le fœtus, jusqu’à une époque très-avancée de la vie uté- « rine, et que, même chez les peuples noirs, bruns, ou cui- « vrés, la peau est encore quelque temps après la nais- « sance, de même couleur que chez les enfants de race « blanche; il est donc très-facile de concevoir comment « la peau peut s’arrêter dans la série de ses développe- « ments avant l’époque où, dans l’ordre normal, le pig- « mentum se dépose dans le corps muqueux, et par con- « séquent reste décolorée; la matière colorante de la peau, « de l’iris, de la choroïde, peut ainsi, indépendamment « de toute altération pathologique, manquer chez un in- « dividu, de la même manière que tout autre organe, ou (1) Isid. Geoffroy Saint-Hilaire, ouv. cité, t. I, p. 314, 315. — Voy. aussi Valmont Bomare. Dict. d'hist. nat., t. VIT, art. Home, p. 94. (2) Handb. der Pathol. anatom., t. AT, part. 1r, p. 3. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 297 « partie d’organe, c’est-à-dire, par un arrêt de dévelop- « pement. » C’est sous lemêmeaspect que Mansfeld, avant l’auteur, et postérieurement Virey et Breschetconsidèrent l’albinisme. Meckel, en adoptant la même théorie, ne le fait cepen- dant qu’avec une sorte de doute et d’hésitation (1). Qu’on nous permette ici d’écarter un instant toutes les autorités, pour réparer d’abord une omission grave et pour fonder sur elle une distinction de nature à rallier, jusqu’à un certain point, les opinions contraires. Avant de discuter sur la nature morbide, ou purement anormale des divers albinismes, on eut dù commencer par résoudre la question de l’albinisme normal, ou phy- siologique, dans l’animalité. On a omis de le faire, et de là, en partie, la confusion qui règne dans la discussion. Les faits établissent nettement, à nos yeux, cette espèce naturelle et première d’albinisme. Il suffit, pour avoir la même conviction, de rapprocher cette espèce et ses caractères, de l’espèce anormale et de ses caractères. Deux ordres de signes constituent le dernier : 1° La transformation des teintes naturelles de la peau, des che- veux, des poils, de l'iris, de la choroïde, en coloration rose-rouge, de la pupille et des membranes de l'œil, et en coloration blanc-mat de la peau. 2° La coexistence de cette transformation spontanée dans les êtres, avec l’atténuation des facultés vitales (2), (1) Handb. der Pathol, anatom., t. I, p. 319, 320. (2) On convient généralement que beaucoup d’albinos sont d’une con- stitution délicate, qu’ils vivent moins longtemps, (Isid. Geoff. Saint-Hi- laire, loc. cit., p.304) et rarement au delà de 40 ans (Blandin, art. cité). 298 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ sensorielles (1), mentales (2) et motrices des êtres. En deux mots, mutation de la couleur naturelle ; atté- nuation des forces et des facultés générales de la vie : tels sont les deux signes dont la réunion compose l’albinisme, ou du moins l’albinisme nommé anormal. Mais lalbinisme a-t-il toujours ces caractères? est-il bien réellement, et dans tous les cas, une dégradation de la couleur naturelle, jointe à l’altération de la vitalité et de la puissance des sens et de l'intelligence ? Nul doute qu’il ne conserve ce double caractère dans le plus grand nombre des espèces animales, dans celles où il ne nait que sporadiquement ; il est bien alors, eomme on l’a dit, le signe du dernier degré de dégénération (3). Mais il n’est pas vrai que toutes les espèces soient dans le même cas : ilen est plusieurs, où, detous lescaractères, il ne lui reste plus que la couleur blanche et où cette eou- leur, au lieu d’appartenir à des individus infirmes ou ma- lingres, appartient à des races et s’y perpétue d’une ma- uière constante, avec la plénitude des puissances dela vie. (1) Presque tous les albinos de l'espèce humaine ont la vue faible, et l’ouie dure, leurs paupières sont agitées d’un clignotement continuel. Beaucoup sont nyctalopes, ils ne voient bien qu’au clair de la lune, ou au crépuscule, d'où vient le nom d’yéux-de-lune, que les nègres leur ont donné, et l’idée de Bomare que ce sont les hiboux de l'espèce humaine. (Voy. Valmont Bomare, Dictionnaire raisonné d'histoire naturelle, loc. cit., art. Homme, — Isid. Geoff. Saint-Hilaire, loc. cit.—Blandin, art. cit. — Broc, loc. cit. Il en est de même de plusieurs albinos des espèces animales : ils ont, dans les espèces où ils ne forment pas de races constantes, les Yeux rouges l'oreille dure, comme dans notre espèce. Flourens, Buffon, Histoire de ses travaux, p. 86. (2) On est généralement d'accord sur leur état de semi-idiotisme dans l'espèce humaine, il y a à peine une ou deux exceptions. — Voy. Auteurs cites. (3) Buffon. — Histoire de sestravaux et de ses idées, par P. Flourens, pag. 85. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 299 On ne le voit pas seulement parmi les espèces devenues domestiques; on le voit chez des sauvages, on l’y voit même chez un mammifère, le daim (1). Comment désigner l’albinisme réduit à une telle ex- pression, c’est-à-dire simplement à la couleur blanche, sans altération de la couleur des yeux, de l’intégrité des sens, de la fécondité, de la durée de la vie? Le savant professeur que nous venons de citer, dit que ces races blanches, se perpétuant dans une espèce dont le type primitif présente une autre couleur, doivent être considérées comme de véritables races albines, quoique quelques-uns des caractères de Palbinisme se soient à la longue perdus chez la plupart d’entre elles (2). Rien n’est moins démontré; et nous ajouterons, rien n’est moins probable que cette perte supposée, au moins pour tous les cas. Il est, au contraire, bien plus vraisem- blable que ces caractères, que l’on prétend perdus, n’ont jamais existé. . On part évidemment, dans cette hypothèse, de l’idée préconcue, et, dans notre opinion, radicalement fausse, que la couleur blanche ne peut être naturelle aux espèces animales, qu’elle en est par elle-même, une dégradation. C’est rayer le blanc des couleurs premières ou sponta- nées de la vie, système dont la logique conséquence est de faire de la race caucasique, une dégénérescence de l'humanité; on n’a plus à chercher, dans une pareille thèse, comment de blancs les hommes ont pu devenir noirs, mais bien comment de noirs, ou de rouges, ou de jaunes, ils se sont dégradés, jusqu’à devenir blancs, (4) Isid. Geoff. Saint-Hilaire, ouv. cité, t. I, p. 297. (2) Id., Id., loc. cit. 300 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Le savant professeur n’a point reculé devant cette con- clusion directe de l’ordre d'idées où il s’est engagé : « Tel serait évidemment, dans l’espèce humaine, dit-il textuel- lement, le cas de la race caucasique elle-même, s’il était prouvé qu’elle tirât son origine, comme on l’a prétendu, de la race noire (1). » Nous nerépondrons pas, ce que nous pourrions répon— dre : le blanc ne tire pas plus son origine du noir, que le noir, quoi que l’on dise, ne tire la sienne du blanc; Nous accepterons purement et simplement le dilemme : Ou il faut, en effet, reléguer la race caucasique elle- même, dans les hémitéries, et la ravaler jusqu’à la na- ture d’une race inférieure, bâtarde, presque morbide de humanité, ou il faut admettre, dans certaines espèces, parmi les animaux comme parmi les hommes, l’existence naturelle de variétés blanches, comme de variétés noires ; et, délaissant ici la question d’origine et de priorité rela- tive de ces races, pour ne s’occuper que du caractère de leur coloration, il faut reconnaître que, dans ces variétés, la coloration blanche est physiologique et compatible avec toute la perfection des attributs de la vie : il faut, en un mot, reconnaître, à côté de l’albinisme anormal, un albinisme normal très-distinct du premier. IL offre, pour caractère ou signes différenciels : 1° De ne porter que sur le système cutané; 2 De laisser aux yeux, et chez l’homme, aux cils mêmes, aux sourcils, aux cheveux, leurs couleurs ordi- naires ; 3° De laisser aux facultés des sens, de l'intelligence, de l’activité, enfin à la durée de la vie, toute leur étendue ; (1) Isid. Geoffroy Saint-Hilaire, ouv. cit. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 301 4° De conserver, surtout, à la reproduction toute la plé- nitude de la fécondité spécifique des êtres, ou, en d’au- tres termes, la continuité dans la régénération. Tout nous témoigne alors que le blanc doit être rangé au nombre des couleurs naturelles de la vie; au nombre de celles qui forment les traits des variétés originelles des êtres, et tels sont, à nos yeux, et les preuves et les signes de cet albinisme normal. Si nous appliquons maintenant ces principes aux di- verses théories données de lalbinisme, nous voyons, qu’à instant, ils en réduisent le nombre. La théorie de Voltaire tombe avant tout débat. La théorie d’Hallé, de Jefferson, de Beclard, reproduite par Prichard, dans son dernier ouvrage, manque aussi par la base. Du moment qu’il existe un albinisme normal, et que cet albinisme s’entoure de tous les signes que nous avons décrits, on reconnait aussitôt, que la race blanche, est, dans l’espèce humaine, la seule variété albine pro- prement dite, car elle est la seule à offrir le concours de touslescaractères del’albinisme naturel, il estainsi devenu tout à faitimpossible d'accepter, comme tel, un albinisme qui n'offre que des signes contraires, qui est accidentel au lieu d’être constant ; qui n’est pas collectif, mais indi- viduel; qui atteint à la fois la peau et ses annexes, sans aucune exception, les cheveux, les sourcils, les cils, l'iris, etla choroïde ; qui s’accompagne enfin d’une adynamie de la constitution, d’une atténuation de toutes ou de la plupart des facultés des sens et de l’intelligence, et dans certaines limites, de la puissance même de se reproduire. Le premier est une couleur naturelle des êtres, et le second n’est qu’une décoloration. La seule question qui reste est donc celle de savoir si, 302 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ comme l’ont prétendu Blumenbach, Sprengel, Otto, etc., cette décoloration sporadique des êtres, appartient par elle-même à l’ordre pathologique, si elle constitue une maladie, ou si, comme l'ont pensé Mansfeld, Meckel , Breschet, Virey, etc., elle ne constitue qu’une anomalie par arrêt de développement, ou défaut de formation du dépôt pigmentaire. Tout le débat sur ce point se réduit à ces termes : 1° ce vice de formation est-il ou n'est-il pas, dans son premier principe, dû à une cause morbide ? 2° est-il par lui-même un péril de la vie ou de la santé de l’individu ? Nous comprenons qu'il puisse se rencontrer des cas où l’albinisme présente ces deux caractères, et il n’est pas douteux que, dans ces cas, l’albinisme ne soit patho- logique. Autrement, et à moins de faire rentrer dans le cadre de la pathologie, tout arrêt de développement, quelle qu’en soit la nature, à moins, en d’autres termes de fran- chir la limite, sisouvent méconnue, qui sépare réellement l’anomalie en soi de la maladie, il n’est possible de voir dans cette albinisme qu’une imper fection congéniale d’or- ganisme, qu'une hémitérie. C’est l’unique titre auquel il nous importe ici d’exami- ner le fait de son hérédité. L’hérédité de la forme normale de l’albinisme ne laisse pas le moindre doute. Domestiques ou sauvages, les es- pèces où cette forme d’albinisme se montre, quelles que soient les causes ou les dates premières de sa formation , qu’il ait ou qu'il n’ait pas la même origine qu’elles, ces espèces le voient se perpétuer en races constantes dans leur sein. Telles sont, entre autres, chez les animaux les variétés blanches d’une foule d’oiseaux, poules, pigeons, DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 303 oies, canards, etc., etc. Telles celles du cheval, du bœuf, du chien, du daim sauvage, parmi les mammifères , telle, comme nous l’avons vu, la race caucasique dans l'humanité. La fécondité de ces variétés semble, dans toutes ces es- pèces, aussi continue que celle des espèceselles-mêmes(1). L’albinisme anormal n’a pas le même privilége. Non- seulement sa fécondité est bornée; mais, pour quelques auteurs, elle n’existerait pas. Contrairement à ce qui se passe chez les animaux, où les albinos, mème les plus complets, sont rarement stériles, on a prétendu que ceux de l’espèce humaine étaient généralement frappés d’impuissance. Les faits ont renversé cette proposition. Les albinos engendrent, et de plus ils reproduisent souvent des al- binos. On sait qu’ils appartiennent dans l’espèce humaine à presque toutes les races. Il en naît dans la rouge, il en nait dans la blanche, il en naît dans la noire; ils sont même très-fréquents dans cette dernière couleur. Dans toutes ils se régénèrent ; le docteur Rayer re- garde même comme fort obseure l’étiologie de l’albinisme congénital qui ne remonte pas à l’hérédité. Mais, comme les caractères de l’albinisme anormal sont en général plus fortement empreints dans la nature des mâles que dans celle des femelles, on donnait pour certain que les albi- nos mâles, du moins ceux de la race nègre, étaient pres- que toujours incapables d’engendrer (2). (4) V. Isid. Geoff, Saint-Hil., ouv. cité, t.I, p. 297.— Roulin, Mémoire cité. — Prichard, Hist. naturelle de l’homme, tom. I, p. 52 et 104. — Wi- seman ouv. cité, t. I, p.143. | (2) Histoire générale et particulière des anomalies, Paris, 1832, tom. I, pag, 305, 304 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Une observation de Winterbotton démontre, sans ré- plique, qu’ils ne le sont pas toujours. Cet auteur a, de ses yeux, vu à Wankapong, un jeune albinos, d'environ dix-huit ans, grand, bien fait, dont le père était un nègre blanc. Sa mère, ses trois frères, deux de ses sœurs étaient noirs; mais l’une de ses sœurs était blanche comme lui (1). La fécondité des négresses albinos est encore mieux prouvée ; Les auteurs en conviennent : la plupart des au- teurs ont mème rapporté que, du croisement de ces fem- mes avec les nègres, naissaient des enfants pies, e’est-à- dire variés de taches noires et blanches (2). Il se passerait alors, dans ces sortes de mélanges, ce qui se passe, en général, quand on apparie des paons blans, par exemple, et des paons ordinaires ; le produit est un oiseau dont le plumage est mêlé, et qui portele nom de paon panaché (3). Le fait ne présente donc rien que de vraisemblable, il peut même survenir le plus fréquemment ; mais il n'est pas moins vraiqu’ilest inacceptable comme fait absolu (4). L'exemple précédemment cité de Winterbotton est de na- ture à le combattre, ainsi que plusieurs autres, que nous avons rapportés, en traitant du transport des diverses cou- leurs par la génération (5). Le transport de l’albinisme doit évidemment obéir aux mêmes lois. Un cas observé par Jefferson , en est une dernière preuve : il a vu deux sœurs albinos engen- (4) Broc. Essai sur les races humaines, p. 106. (2) Isid. Geoff. Saint-Hilaire, ouv. cit. (3) Val. Bomare, Dict. univ. d'hist. nat., t. X, p. 71. (4) Isid. Geoff. Saint-Hilaire, loc. cit. ) DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 305 drer, la première, un enfant albinos comme elle ; la se- conde, un enfant très-noir comme son père (1). Il n’est pas plus douteux qu’il n’y obéisse dans la race blanche, et qu’il ne s’y reproduise par l’hérédité. Blu- menbach, qui le jugeait une maladie, comme Breschet, qui le jugeait une anomalie, l’y regardaient également tous deux comme transmissible, et l'expérience confirme leur opinion. Il y a peu d’années qu’il existait encore à Choiïsy-le-Roï, d’après le docteur Blandin , une famille d’albinos (2). Wiseman rapporte un exemple analogue d’une famille respectable , vivant dans un village, à peu de distance de Rome (3). IL. L’albinisme n’est pas la seule anomalie qui combatte l’opinion formulée par Adams : Que les vices par arrêt de la conformation ne sont pas soumis à l’hérédité (4) ; D’autres anomalies plus caractéristiques, s’il se er la renversent. Nous citerons ici, en première ligne, celle de la fissure congéniale des lèvres, désignée sous le nom de bec-de- lièvre ; et celle de la fissure du voile du palais. Malgré l'autorité d’anciennes observations (5), le doc- teur Isidore Geoffroy Saint-Hilaire refusait presque d’ad- mettre la réalité de leur transport séminal : « Les enfants affectés du bec-de-lièvre, dit-il, naissent « presque toujours de parents bien conformés : la fissure « labiale est en effet une des anomalies qui se transmet- « tent lemoins fréquemment par voie de génération, et (1) Notes on the state of Virginia, London, 1784. (2) Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique, t. I, p. 454. (3) Discours sur les rapports entre la science et la religion révélée, t. I, p. 430. (4) Cyclopedia of practical medicine, vol. II, p. 417-419. (5) Roderic à Castro, de Morb. mulier. 20 306 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ « les faits sur lesquels on a prétendu établir l’hérédité du « bec-de-lièvre , sont, en effet, très-peu nombreux, et « pour la plupart même, peu authentiques et privés de « toute valeur (1). » Un exemple puisé dans la zoologie, et cité par lui-même, aurait dû le mettre en garde contre le trop d’absolu de sa négation : nous voulons parler de cette race de chiens dont la lèvre supérieure présente une divisionsur la ligne médiane, semblable à celle du lièvre, vice de conforma- tion héréditaire chez elle (2). L’objection que ce vice ne peut être confondu avec le bec-de-lièvre proprement dit, parce que le dernier ne se présente jamais que latérale- ment, n’a d’autre valeur que celle d’un signe différentiel, et la transmission de la fissure médiane devait rendre probable celle de la fissure latérale, en tant qu’on puisse conclure d’une espèce à une autre, puisqu'il s'agissait d’une même nature de vice de conformation. Des faits incontestables, et en assezgrand nombre, pour entraîner les convictions les plus rebelles, ne laissent plus aujourd’hui de doute sur la vérité de cette analogie et de sa conclusion. - Dans le mois de janvier 1846, le professeur Roux opé- rait un enfant, d’un bec-de-lièvre simple. Deux ans au- paravant, il avait opéré le frère du même enfant d’un bec-de-lièvre double, avec saillie de l'os intermaxillaire, entre les fentes de la lèvre. Le célèbre chirurgien n’osait décider, sur ces indications, qu’il s’agit là d’un cas vrai- nent héréditaire. Il pouvait ne s’agir que d’un vice de fa- (1) Histoire générale et particulière des anomalies, etc., t. I, part. 9, liv. IV, ch. v, p. 583-584. (2) Girou, de la Génération, p. 121. (3) Gazette des hôpitaux, 2e série, t. VIII, p. 46. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 307 mille. Mais un autre fait très-intéressant, qu’il a eu l’oc- casion de recueillir lui-même, échappait complétement à cette explication : « Il y a quelques années, dit-il, à sa cli- nique, un homme nous apporta un enfant qui lui appar- tenait, pour que nous lui fissions l’opération du bec-de- lièvre. Douze ou quinze ans auparavant, cet homme avait subi lui-même une opération semblable : comme celui du père, le bec-de-lièvre dont était affecté l’enfant était double, avec tubercule médian supportant les dents inci- sives. Mais, ce n’est pas tout; le père avait six doigts à chaque main et à chaque pied ; l’enfant présentait la même conformation, il était sexdigitaire. » D’autres exemples décisifs de l’hérédité de la même ano- malie ont été recueillis, dans ces derniers temps, par Demarquay, aide d'anatomie à la Faculté de médecine de Paris (1). L'un de ces exemples a été observé par un étudiant en médecine, Lacazette , chez un charpentier de son pays et son fils , tous les deux affectés de bec-de-lièvre. Un autre exemple est dû au docteur Lebert, qui a der- nièrement opéré, en Suisse, une petite fille de dix jours, née d’une mère affectée de la même anomalie. Le docteur Thierry a aussi délivré de cette difformité un jeune homme dont ie père en avait été délivré lui- même par les mains de Dessault. Dans ces trois premières observations , le bec-de-lièvre est la seule anomalie produite, et c’est aussi la seule ano- malie transmise. … Il nous reste à citer des cas plus curieux, où l’hérédité de la fissure labiale se complique de cellé de l’imper- (1) Gazette médicale de Paris, 25 janvier 1843. 308 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ fection de la voûte palatine , et de la scission du voile du palais. Un homme , qui avait le palais mal conformé, engen- dra quatre fils bien constitués et trois filles atteintes de bec-de-lièvre et de scission du voile du palais. La sœur de sa mère avait eu, au contraire, cinq filles bien con- formées et cinq fils affectés de bec-de-lièvre (1). Plusieurs exemples récents confirment la transmission de cette double difformité. Le docteur Gilette, chargé d’un service médical à la Pitié, recut, l’année dernière, dans une de ses salles, un individu atteint de rhumatisme ; ce malade présentait une séparation de la voûte palatine et du voile du palais. Il avait pour mère une femme affectée de la même diffor- mité : sa grand’mère maternelle portait un bec-de-lièvre : son frère a le même défaut de conformation que lui. Sa sœur n’a rien de semblable (2). Voici deux autres cas tout aussi singuliers : Le i7 avril 1844, Alexis Pareille, fort et bien consti- tué, entrait à l’Hôtel-Dieu, conduit par sa mère, pour se faire opérer d’un bec-de-lièvre double, compliqué d’une saillie considérable des os intermaxillaires. D’après les renseignements fournis par la mère, cette femme est née avec un bec-de-lièvre double, dont elle porte les traces, et qui présentait la même complication de saillie des os intermaxillaires. Son père et son grand-père étaient af- fectés de la même difformité ; il en était de même de plu- sieurs de ses frères et sœurs , tous morts jeunes. Elle a eu sept enfants : sur sept, quatre sont nés avec un bec-de- (1) Nov. act. nat.curios., t. I, p. 445. (2) Gazette des hôpitaux, 24 septembre 1844. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 309 lièvre en tout semblable au sien et à celui de son fils , le seul de ses fils qui ait survécu. Plusieurs des autres sont morts dans les convulsions (1). Le 27 juillet de la même année, on recevait, salle Saint-Paul , une enfant forte et bien constituée , mais af- fectée d’un bec-de-lièvre double avec scission complète de la voûte palatine et du voile du palais. Cette enfant, Élisa Dif, alors âgée de six mois, était née avec cette dif- formité; sa grand’mère avertit que la mère d’Élise Dif avait elle-même offert un bec-de-lièvre simple au moment de sa naissance, mais qu’elle était la seule de toute la fa- mille à présenter ce vice de conformation (2). L'hérédité de cette double anomalie reste done désor- mais un fait hors de question.  IE. Mais la reproduction, par la voie séminale, des arrêts de développement, ne s’arrête pas à ce seul genre de difformités : les vices de développement de la colonne vertébrale sont aussi transmissibles , quoi qu’en ait dit Louis. Un homme d’une taille droite, mais qui était issu d’une famille rachitique, a un grand nombre d’enfants. Tous les garcons sont droits ; toutes les filles, une seule exceptée, sont bossues. Un autre individu, dans des conditions analogues aux premières, engendre deux filles bossues. Sa sœur a sept enfants : quatre garçons et trois filles , tous bossus. Trois des garçons se marient et donnent naïs- sance à sept enfants droits: deux des garcons de cette se- (1) Demarquay, Quelques considérations sur le bec-de-lièvre (Gazelte médicale de Paris, loc. cit.). (2) Demarquay, loc. cit. 310 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ conde génération, et une fille, se marient, et ils ont chacun une fille bossue (1). IV. L’hérédité des vices de développement du tronc s’étend-elle jusqu'aux membres ? Fodéré en doutait : « Est-ce que, se demande-t-il, les « vices héréditaires n’attaqueraient que le tronc et non « les branches; les éléments de la vitalité et non ses ac- « cessoires (2)? » ; L'auteur, dans le temps même où il se posait ce bizarre problème, était près de le résoudre par la négative. Il soupconnait déjà quelques vices du système articulaire, et particulièrement la claudication, d’être transmissibles. Il avait, disait-il, été étonné du grand nombre des boi- teux, dans la commune de Beuil, ancien département des Alpes maritimes. La claudication dont les habitants étaient affectés ne paraissait nullement tenir au rachitisme, et ils la regardaient comme héréditaire. Venette a raconté l’observation d’une femme boiteuse du pied droit, dont la première fille boiïtait du même pied (3). Girou de Buzareingue rapporte plusieurs exemples, beaucoup plus positifs, de l’hérédité du même vice par défaut de développement des membres (4). Ces faits portent presque tous sur les difformités des membres pelviens. Dans une première famille dont il était question , les fils et les filles étaient tous boiteux et presque culs de- jatte : l’aîné seul se marie, tous ses fils sont bien confor- (1) Girou de Buzareingue, de la Génération, p. 278. (2) Fodéré, Traité de Médecine légale, t. V, p. 362. (3) Venette, Génération de l’homme, t. Il, ch. var. (4) Ch. Girou, de la Génération, notes, p. 279-280. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 911 més ; mais de ses deux filles, l’une est boïteuse, comme son père. L’ainé de ses garçons se marie à son tour, et il donne le jour à un fils et une fille, tous les deux affectés de claudication ; mais la fille plus que le fils, plus même que le grand-père. Dans une seconde famille, où la claudication est héré- ditaire , un membre , qui échappe à cette difformité , en- gendre une fille boiteuse et a deux garçons droits : l’un de ces derniers a, plus tard, deux enfants : une fille très- boïteuse, un garçon qui l’est moins. Dans une troisième famille, un père, à peine boiteux, compte, parmi ses enfants, une fille très-boiteuse et un garçon qui boite aussi légèrement. Un troisième exemple est aussi concluant. — Un mem- bre d’une famille parfaitement conformée, bien conformé lui-même, épouse une femme issue d’une famille de boi- teux , et boitant du pied gauche. Les malléoles de ce pied étaient grosses, le talon en était gros et élevé, et les doigts relevés. De ce mariage naissent sept garçons et une fille: parmi ces garcons , le premier a le pied rond ; le deuxième a la malléole grosse et le pied rond; le troisième a le pied rond ; le quatrième et le cinquième, la malléole grosse ; le sixième a Le pied rond et les doigts relevés ; le septième le pied rond et la malléole grosse ; la fille est boiteuse par faiblesse , dit Girou , des muscles lombaires. L’hérédité n’épargne pas davantage les anomalies ou vices par défaut de conformation desmembres thoraciques. C’est ainsi qu’elle agit très-manifestement sur la repro- duction de l’ectrodactylie, ou absence congéniale du nombre normal des doigts. Le docteur Béchet en cite une preuve convaincante : 312 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Une femme, Victoire Barré, n’avait à chaque main que le cinquième doigt; le second et le troisième n’étaient re- présentés que par un développement très-incomplet de leurs métacarpiens ; les deux autres doigts manquaient to- talement. Aux pieds, deux des orteils, le premier et le cinquième, ne laissaient entre eux qu’un intervalle vide : eux-mêmes n'étaient pas parfaitement développés, et leurs ongles étaient restés rudimentaires. Le père et une tante de cette malheureuse femme étaient encore plus maltraités de la nature : le père n’avait aux pieds que le cinquième orteil ; il n’avait que le cin- quième doigt à la main gauche. Victoire Barré elle-même, en 1827 et 1829, donna successivement le jour à deux filles qui naquirent toutes deux n’ayant, comme leur mère, qu’un seul doigt à chaque main , le doigt auriculaire, et n’ayant aux pieds que le cinquième orteil seulement, comme leur aïeul (1). Nous ajouterons à ce fait d’autres faits plus récents : — Le professeur Piorry voyait à Clamart, en 1840, une main à laquelle il manquait un doigt. Les parents du su- jet de cette observation n’avaient également que quatre doigts à la main (2). Le docteur Thoresi avait communi- qué au même médecin un exemple qui se rapproche de ceux qu’on vient de lire: M. Musini, employé dans les douanes de la ville de Mantoue , est aujourd’hui père de cinq enfants , trois garcons et deux filles; tous portent, dès la naissance, le même vice de conformation des mêmes doigts et à la même main. Plus récemment encore, un chirurgien de Chalon-sur-Saône, le docteur Lépine, (1) Béchet, Essai sur les monstruosités humaînes, 1829. (2) Piorry, ouv. cité, p.46. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 313 transmettait à l’Académie de médecine de Paris, un nou- vel exemple de l’hérédité de l’ectrodactylie. Le sujet de l'observation n'avait que trois doigts seulement à chaque main, et quatre orteils aux pieds ; la même anomalie exis- tait chez son père; et il avait donné naissance à un fils qui présentait le même vice de conformation (1). La proposition formulée par Adams, que les vices par arrêt de développement ne sont pas transmissibles par la génération, croule done, de toutes parts, devant l’expé- rience ; il reste, au contraire, complétement démontré, par les faits qui précèdent, que le principe, quel qu’il soit, de ces anomalies, obéit à la loi de l’hérédité. Examinons, maintenant, jusqu’à quel degré, les vices par excès de développement organique, subissent la même loi. $ II. — De l'hérédité des anomalies par excès de développement de l’organisation. I. A côté de l’albinisme, cette anomalie par arrêt de sécrétion du principe colorant, qui a donné lieu, en ethno- logie, à des questions si graves, se présente une seconde anomalie de la peau, d’un caractère contraire, et de na- ture à soulever les mêmes problèmes. C’est le mélanisme, ou passage spontané de la couleur naturelle à la couleur noire. {tte sorte de déviation organique, par excès, de la co- loration, porte extérieurement sur les mêmes parties ; elle s'exprime sur la peau, sur les poils, sur l'iris, et son (1) Rapport de A. Bérard, sur un choix d'observations chirurgicales, adressées à l'Académie, par M. Lépine (Bulletin de l’Académie royale de Médecine, séance du 31 octobre 1843, t. IX, p. 145). 314 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ développement ramène les mêmes débats, les mêmes dis- sentiments, et, jusqu’à certain point, les mêmes conclu- sions. Ainsi que l’albinisme, on peut en effet le considérer comme une maladie, comme une anomalie, comme une variété normale des espèces; et il a, à nos yeux, selon les circonstances, le premier, le second, ou le troisième caractère. L'ictère noir est le type du mélanisme morbide. La race nègre est, pour nous, le type du mélanisme normal ou naturel, dans l'humanité; et l’animalité four- nit un très-grand nombre d’exemples de son type fortuit ou anormal. Différents auteurs, tant anciens que modernes, ont même paru croire que ce dernier genre de mélanisme se produisait jusque dans l’espèce humaine, et de ce fait, à leurs yeux plus ou moins démontré, ils se sont élevés aux considérations les plus paradoxales. Nous n’examinerons pas ici cette opinion, dont la dis- cussion nous entrainerait dans des développements beau- coup trop étendus pour cette partie de l’ouvrage ; nous nous bornerons à dire, que, jusqu’à présent, iln’existe pas une seule preuve authentique du fait qu'ils présupposent, et nous démontrerons amplement ailleurs, que le méla- nisme, se produisit-il ainsi congénialement, d’une ma- nière spontanée dans l’humanité, on n’en pourrait pas déduire les conséquences qu’ils en ont tirées (1). Mais, quant aux animaux, le fait est démontré: le pas- sage congénial de la couleur naturelle à la couleur noire s’y observe, chez une foule d’espèces domestiques et d’es- (2) Voy. le tom. II de cet ouvrage, IV® partie. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 2315 pèces sauvages (1). La classe des mammifères en renferme un grand nombre d'exemples bien constatés, parmi les dernières : il est fréquent chez le rat, parmi les rongeurs ; chez le raton laveur, parmi les carnassiers ; il l’est chez le mouflon, dans les ruminants; mais l’espèce où ilest le plus commun est le daim, chez qui, comme l’albinisme, il caractérise une variété constante, d’un brun grisâtre été, d’un noir brunûâtre l'hiver (2). Les grandes et les petites espèces félis le présentent aussi souvent, surtout la panthère : les individus noirs, que l’on rencontre chez elle, ne forment pas une espèce, et l’on en a vu plus d’une fois, dit Cuvier, de noirs et de fauves allaités par la même mère (3). Le docteur Roulin nous apprend que la même anomalie de couleur est sujette à se produire dans toutes les espèces d’animaux à sang chaud de l’Amé- rique intertropicale (4); elle est très-répandue dans la classe des oiseaux et particulièrement chez les gallinacés, où le noir et le blanc peuvent d’ailleurs former, dans la même espèce, comme dans notre espèce, des races naturel- les : sile cygne est, en Europe, le typede la blancheur, à la Nouvelle-Hollande, il est d’une teinte noire; si le kaka- toës est blanc à la Chine et aux îles Moluques, à la Nou- velle-Holiande, il est du plus beau noir (5). Dans toutes les classes, chez toutes ces espèces, où le mélanisme existe, ouse développe ainsi sporadiquement, on peut établir, en règle générale, qu’il n’en est pas une, où, une fois développé, il ne se transmette par la gé- (1) Isid. Geoff. Saint-Hilaire, ouv. cité, t, 1, part. 2, p. 325 et suiv. (2) Histoire générale et particulière des anomalies, mème vol., p. 325. (3) Georges Cuvier, Règne animal, etc., t. 1, p. 162. (4) Roulin, mém. cité. (5) Dict. d’'hist. nat., p.340, t. I. 316 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ nération. Il n’en est pas une où il ne se reproduise avec presque autant de facilité que dans les espèces où il forme, comme chez le daim , des races naturelles. Tout nous démontre donc que, s’il se développait de même congénialement, sous un type sporadique, dans l’espèce humaine, il s’y propagerait de la même ma- nière; mais, comme la science n’y connaît pas d'exemple de production congéniale de cette anomalie, elle n’en peut pas avoir de sa transmission. IL. IL n’en est pas ainsi d’une monstruosité plus extraor- dinaire, dont nous avons parlé dans un autre chapitre (1), et qui, sans altérer la coloration, transforme d’une ma- nière insolite et bizarre la conformation du système cu- tané. C’est cette pseudomorphose des lames épidermiques qui donne à la peau la structure apparente de celle du porc-épic. Nous en avons cité quelques exemples chez l’homme, et le plus curieux de tous, celui d’Edward Lambert, dont tout le corps, moins le visage, la paume des mains, l'extrémité des doigts et la plante des pieds, - était revêtu d’excroissances cornées, bruissant l’une contre l’autre , au frottement de la main. L’hérédité de cette étrange anomalie est aussi authen- tique que celle du fait lui-même. Edward Lambert donna le jour à six enfants, qui tous, ainsi que lui, dès l’âge de six semaines, présentèrent la même singularité. Le seul qui survécut la transmit, comme son père, à tous ses gar- cons, et cette transmission marchant de mâle en mâle, s’est (1) Vovez sur cette anomalie : 1° Philosoph. transact., tom. XVII, 1731-39, p. 299 ; 20 Idem, t. XLIX, p. 22; 30 Tilésius, Ausfurliche Bes- chrelbungund Abbildung der beiden genannten so Stachelschwein-menschen, aus den bekannten, engelischen familie Lambert, Altenburg, 1802, in-fol. ; 4° Bulletin de la société philomatique, 110, 67, note complète sur cette famille, publiée par Geoffroy Saint-Hilaire père. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. JU ainsi continuée, chez la famille Lambert, cinq généra- tions (1). Encore sous la première impression d’étonne- ment de la succession d’une monstruosité si extraordinaire, un des observateurs, qui la voyait à sa deuxième généra- tion, Backer, est sur le point de croire assister à la forma- tion d’une nouvelle race, dans l’espèce humaine. Il sem- ble donc hors de doute, conclut-il hardiment, que de cet individu (Lambert), il peut sortir une race, à peau ru- gueuse, ou squameuse, comme la sienne ; et, si ce fait arrivait, et qu’on perdit mémoire de son origine tout ac- cidentelle, il n’est pas impossible qu’on regardât quelque jour cette race, comme une espèce différente d’hommes. Cette considération, ajoute-t-il avec plus de hardiesse encore, nous conduirait presque à imaginer que l’espèce humaine a été produite d’un seul et unique tronc ; la peau noire des nègres et d’autres différences analogues de na- ture pouvant aussi, en toute possibilité, avoir pour ori- gine des causes accidentelles (1). Ce n’est pas ici le lieu de discuter le degré de fonde- ment de semblables conjectures ; le moment opportun de cette discussion se présentera plus tard (2). Mais ce que nous pouvons reconnaître, ici même, c’est que d’autres anomalies, d’une nature analogue, semblent au premier abord confirmer, à l’égard de lanimalité, la première hy- pothèse hasardée par Backer. Il est très-positif que de monstruosités originellement nées de causes accidentelles, et transmises par la voie de la génération, sont, dans plusieurs espèces, sorties des ra- ces nouvelles.Les anomalies spontanément produites dans les espèces ovine, bovine, chevaline, et dans une foule (1) Philosophic. transact., vol. XLIX, p.22. (2) Voir le tom. II de cet ouvrage. 318 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ d’autres, dont il a été précédemment question (1), ont donné la plupart naissance à des races. Les cerfs à dague unique (2), les taureaux sans cornes (3), les moutons an- con (4), les chiens à six doigts aux pattes de derrière (5), les poules à double pouce, etc., ont ainsi formé souche. III. D’autres exagérations plus ou moins monstrueuses se sont montrées sujettes aux mêmes lois de succession, dans l’humanité. Malgré la prétendue règle de Scaliger , que les mères n’ont jamais plus de mamelles qu’elles ne doivent avoir de petits, on peut voir des femmes qui n’ont que deux ma- melles accoucher de trois, de quatre,et même de cinq en- fants ; on en peut voir porter des seins surnuméraires; d’autres, sur le même sein, porter plusieurs mamelons. La mère d'Alexandre Sévère, d’après l’histoire, avait trois mamelles. Olaüs Borrichius a vu, à Copenhague, une femme pourvue de trois mamelles bien formées, dont deux du côtégauche ; elle allaitait des trois indifféremment son unique enfant. Borelli parle d’une femme nommée Rachel Rey, de Castel, en Franconie, qui avait également trois mamelles, dont deux à la place ordinaire, et la troi- sième placée sous la mamelle gauche. Bartholin assure en avoir connu une qui portait une troisième mamelle sur le dos. Chez madame Withès, de Trèves, fort belle femme de son temps, et aussi multimamme, les trois mamelles étaient disposées en triangle. Une femme de Rome, en 1671, n’en avait pas moins de quatre, et toutes, à chaque (1) Voy plus haut , 2 section, liv. I, chap. 1. (2) Burdach, Traité de physiologie, t. IL, p. 251. (3) Don Félix d’Azara, Voyages dans l'Amérique méridionale , t. 1, p. 378. (4) Transact. philosoph., année 1813, p. 58. (5) Histoire générale et particulière des anomalies, t, 1, p. 699. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 319 grossesse, se remplissaient de lait (1). On en pourrait citer une foule d’autres exemples, dont un des plus re- marquables rapporté par Gadner, est le seul qui se prête à la loi de Scaliger : Une mulâtresse du Cap, porteuse de six mamelles, et mère à quatorze ans, faisait les en- fants par quatre et cinq à la fois. Mais ce qui nous inté- resse, c’est que cette anomalie par excès est soumise à l’hérédité. En 1827, Adrien de Jussieu communiquait à deux sociétés savantes une observation qui ne laisse pas à cet égard le plus léger doute ; la femme qui fait le su- jet de cette observation portait trois mamelles, dont une inguinale ; c'était cette dernière qui servait d’ordinaire à l’allaitement. La mère de cette femme était, comme sa fille, née avec trois mamelles, mais toutes les trois étaient placées à la région antérieure du thorax (2). IV. L'expérience atteste la propagation d’une anomalie bien plus singulière, si singulière qu’elle a longtemps été niée par de très-bons esprits. Nous voulons parler de l’existence d’une queue, chez des individus de l’espèce humaine, monstruosité qui semblait fabuleuse, et dontun apercu du professeur Serres a, comme nous l’avons dit (3), donné l’explication. Le développement congénial de cet appendice se lie en effet au rapport très-constant, qu’il a démontré, entre l’évolution de la moelle épinière et celle de la queue (4). La moelle épinière se prolonge, dans l’o- rigine, jusqu’à l’extrémité du canal vertébral, chez tous les animaux de la classe où il existe, et tous, à cette époque de la vie embryonaire, se trouvent ainsi munis d’une (1) Dictionnaire des merveilles de la nature, t. T, p. 278. (2) Globe, t. V, 1827, p. 198. (3) Voy. plus haut, 2e sect., liv. I, ch. 1, p. (4) 3 k) Serres, Anatomie comparée du cerveau, t. I, p. 99, et t. II, p. 116. 320 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ queue plus ou moins longue ; selon qu’ultérieurement , et d’après les espèces, le prolongement de la moëlle se maintient ou se retire, l’axe vertébral est ou n’est pas pourvu d’un appendice caudal. « Ces rapports très-curieux entre la diminution de la « queue et l’ascension de la moelle épinière , vrais dans « l’état normal, le sont également dans l’état anormal , « dit le professeur Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, et il « arrive ainsi quelquefois que la moelle épinière, conser- «vant sa première disposition, s’étende encore, chez « l’homme, au moment de la naissance, jusqu’à l’extré- . « mité du coccyx. Dans ce cas, la colonne vertébrale reste « terminée par une queue » (1). Nous avons déjà eu l’oc- casion de citer quelques-uns des exemples que la science en possède. De Maillet, qu’il faut mettre au premier rang de ceux qui se sont attachés à la constatation de cette anomalie, en a établi en doctrine et en fait la propa- gation par l’hérédité. | Ceux qui ont des queues, se demande-t-il, peuvent-ils être les fils de ceux qui n’en ont point ? Pas plus, à ses yeux, que les singes à queue ne peuvent descendre des singes sans queue. L’intrépide et célèbre Cruvillier de la Cioutat, qui fit avec succès et avec courage la course contre les Turcs, et qui périt, en Câramanie, sur un vaisseau qu’un officier de son bord fit sauter par ven- geance, en mettant le feu aux poudres, était aussi connu, à ce que dit de Maillet, par la queue qu’il portait, que par ses actions de valeur. Son frère, d’une vigueur égale à la sienne, avait aussi une queue ; un autre individu nommé de Barsabas, et sa sœur, religieuse, l’un et l’autre fameux (1) Ouv. cité, t. 1, p. 736. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 321 pour des actes de force extraordinaire, étaient affectés de la même difformité. Le même auteur rapporte qu’il vit, à Tripoli de Barbarie, un nègre, du nom de Mohammed, d’une puissance musculaire telle, que d’une seule main, il renversait deux ou trois hommes, et qu’à l’aide de deux ra- mes, ilimprimaitseul, à une grosse chaloupe, plus de vitesse que vingt autres rameurs n’auraient pu le faire. Ce nouvel Hercule était dans le même cas; il était velu et couvert de poils, contre l’ordinairedes noirs, et ilavaitunequeue d’un demi-pied de longueur, qu’ilmontra à de Maillet. Il était de Bornéo, et il assura que son père était porteur d’une queuecomme la sienne(1).La communication de ces sortes de queue, des pères aux enfants, était, pour de Maillet, une preuve certaine, que les hommes affligés de cette mons- truosité étaient d’une autreespèce. Cette autre espèceavait encore àses yeux, deux traits distinctifs : la férocité et la pi- losité: « si cette férocité et cette pilosité extraordinaires ne sont pas toujours égales, dans tousles sujets de cette race, cette variété ne procède, dit-il, que de ce que cette espèce, mêlée à la nôtre, perd sans doute quelques-unes de ses propriétés, et que l’une se conserve dans un sujet pro- duit de ce mélange, tandis que les autres s’affaiblissent ou se cachent pour quelque temps. Ainsi, un fils né d’un père qui a une queue et d’une mère qui n’en a point, peut être sans queue (2), et ce fils peut avoir d’une femme qui n’aura point de queue, un enfant qui ressemblera par là à (4) Telliamed, tom. Il, p. 174 et suiv. (2) Voyez, dans Telliamed (tom. IT, p. 179-180), le curieux récit d’une visite de de Maillet à une jeune et fort belle courtisane de Pise, qui se vantait de ses rapports avec un officier français, affecté de cette mon- struosité ; chez cet individu, elle n’était pas de famille et il l’attribuait au désir de sa mère de manger une queue de cochon. I. 21 322 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ son aïeul ; il peut être velu, et n’avoir point de queue, et avoir une queue et n'être point velu (1).» Ces éventualités sont toutes physiologiques ; elles sont toutes possibles, et conformes aux lois de l’hérédité; mais, enles supposant toutes réalisées, elles ne prouveraient pas ce que veut, à toute force, leur faire prouver de Maillet, la différence d’espèce des hommes affectés de cette anomalie. Il était, du reste, fort excusable de croire à cette diver- sité, puisque des voyageurs assuraient, avant lui, que ces hommes formaient de véritables peuplades et des races sans mélange dans les îles Moluques et aux Philip- pines (2), dans l’archipel Indien, dans le royaume de Lambri (3). Mais il est tout au plus demeuré vraisem-— blable, que cette difformité a pu être plus fréquente, si- non endémique, pendant un certain temps, dans ces divers pays. Peut-être aussi n'est-elle seulement que moins rare dans la race noire. V. On paraît être tombé dans les mêmes errements et dans le même système d’exagération, à l’égard d’une autre particularité héréditaire, comme celle dont nous venons de parler, et tout aussi bizarre, bien qu’elle appar- tienne à un autreappareil. Cette anomalie, qui a servi de texte à tant de discussions, est cet appendice dû à un pro- longement monstrueux des nymphes, auquel on à donné le nom de tablier chez les Hottentots, et que Cuvier com- pare à une figure de cœur, aux lobes étroits et longs, dont Le plus le milieu offrirait l’ouverture de la vulve (4). \ ] / (1) Telliamed, loc. cit., p. 182. (2) Gemelli, Voyage du tour du monde. (3) Bomare, Dictionnaire raisonné, etc., t.. VIT, p. 86. (4) Mémoires du Muséum d'histoire naturelle, t'AN, p. 2661etsuN. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 323 grand dissentiment règne entre les auteurs, quant au ca- ractère de cet appendice, et de la masse graisseuse qui sur- monte les fesses, sorte de protubérance qu’on a rappro- chée de la bosse du zébu, et de la proéminence du dos du chameau (1). Les uns les ont regardés comme des carac- ières purement individuels; d’autres les ont attri- bués sans exception, à toutes les femmes Hottentotes. D’après le docteur Broc, ils appartiendraient surtout aux Boschimans, tribu de cette race; maïs du croise- ment des femmes de cette tribu, avec les Hottentots pro- prement dits, proviendraient cà et là quelques femmes re- vêtues des mêmes caractères (2). Toutefois de plus récentes investigations, il résulterait que les Boschimans ne sont pas une famille particulière de la race Hottentote, mais une subdivision de ce malheureux peuple, réduite au bri- gandage et à toutes les misères de la vie sauvage, dans le fond des cavernes et au milieu des bois (3). De ces faits, s’ils sont exacts, il faudrait donc conclure, comme nous Vavons dit, que l’on aurait commis, sur ces anomalies, le même genre de méprise qu'au sujet de la queue observée chez lesnoirs. Du moment où il est prouvé que l’appendice vulvaire des Hottentotes, ni la protubérance sébacée de leurs fesses, ne: sont des caractères généraux de la race, et que les Boschimans n’en constituent pas une famille distincte, il devient évident que ces deux difformités doi- vent être considérées comme des anomalies, sans doute individuelles dans leur origine, sujettes àse produire dans cetterace inférieure de l’humanité,endémiques, peut-être, {) Wiseman, ouv, cité, t. 1, p. 144-145. (2) Broc, Essui sur les races humaines, p. 86. (3) Prichard, Histoire naturelle de Fhomine, t. M, p. 14, et 295-296. 324 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ transmissibles, et suivant dans leur transmission les lois de l’hérédité ! L'appareil viril de la génération a aussi ses anomalies par excès, et ces anomalies peuvent être héréditaires : des jeunes garçons naissent avec trois testicules, comme des jeunes filles naissent avec trois mamelles, et ils peuvent propager cette monstruosité à leurs descendants. Fernel parle d’une famille dont les membres présentaient cette bizarrerie (1). Sinibaldi raconte un fait analogue d’une famille de Bergame, dont presque tous les membres étaient trior— chides, particularité à laquelle ils devaient un singulier surnom. « Bergami familia est Coleonum, e quà Bartho- « lomeus ille Venetorum dux famigeratus, sic nuncupata « quèd plurimi tres obtineant testes (2). » Un véritable vice de conformation du même appareil, l’hypospadias, est aussi transmissible des parents aux pro- duits. Le docteur Ritter de Rottembourg en recueillait dernièrement ce cas fort remarquable : Un individu affecté d’hypospadias, avait communi- qué à son fils ce même vice de conformation ; ce fils s’était marié, il était même déjà devenu père de deux filles bien constituées, quand, dans la quatrième année de son ma- riage, en 1844, il engendra un fils chez qui le vice pater- nel s'était reproduit sous ces caractères : il n’y avait pas d’anus, et la place que cette ouverture devait occuper, n’était indiquée par aucune trace ; mais, par contre, il existait le long du raphé une galerie sous-cutanée, ayant l’aspect d’un chapelet noirâtre, et se terminant vers le (1) Fernel, Oper. patholog., lib. I, cap. vin. (2) Sinibaldi, Geneanthropæiæ lib. II, tract. 11, p. 204. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 325 milieu de la face inférieure du pénis, par une petite ouver- ture. C’est par cette ouverture, qui admettait, à peine, le bouton d’un stylet, que l'enfant rendait avec des efforts et des cris, les vents et les matières fécales. L’urine passait librement. Ritter s’assura, par une sonde, que cette galerie ne communiquait pas avec le canal de l’urètre, mais qu’elle aboutissait derrière le scrotum, à un sac dur, bien circonscrit, qui était évidemment le rectum. Une incision pratiquée tout le long du trajet fistuleux, ouvrit le sac et forma ainsi un anus, à l’endroit normal, par lequel les matières fécales et les flatuosités passèrent en grande quantité et soulagèrent l’enfant. Celui-ci vécut encore quinze jours et mourut de consomption (1). Meckel a rapporté un cas d’hérédité de la même ditfor- mité dont la transmission avait un caractère plus extraor- dinaire. Une femme née d’une famille, dans laquelle on comptait plusieurs hypospadias, mit au monde deux gar- cons affectés de ce vice de conformation (2). Il reste une dernière espèce d’anomalie, la polydactylie, ou l'existence chez l’homme et chez les animaux de doigts surnuméraires, dont la reproduction, par la voie sémi- nale , parfaitement constatée par les anciens, est généra- lement reconnue par les modernes. Le chien en donne un exemple, chez les mammifères ; la poule, chez les oiseaux : il existe des poules pourvues d’un double pouce, et des chiens chez lesquels on compte cinq à six doigts aux pattes de derrière ; ces difformités sont héréditaires dans les deux espèces (3). (1) Medicinisches Correspondenz—Blatt.—Gazette médicale, IIIe série, 1846, t. I, p. 350. (2) Meckel, Handbuch der pathologischen Anatomie, t. I, p. 20, (3) Isid. Geoff. Saint-Hilaire, ouv. cité, t. I, p. 699. 326 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ La polydactylie est beaucoup plus commune he né à dactylie, dans l'espèce humaine. su Le plus souvent elle s’y borne au sexdigitisme : c’est le nom sous lequel elle fut connue des Romains. Deux filles de Caïus Horatius, d’une famille patricienne, avaient, d’après Pline, six doigts à chaque main (1). Dans un autre passage (2), l’illustre compilateur parle, d’après Mé- gasthène, d’une famille tout entière, dont les pieds tour- nés en arrière se terminaient par huit doigts (3). On a observé plusieurs faits analogues dans les deux derniers siècles : Maupertuis en a rapporté un exemple des plus remarquables par la constatation de l’hérédité. C’est celui de Jacob Ruhe, chirurgien de Berlin , né avec six doigts aux mains et aux pieds. Cette singularité lui venait de sa mère, Elisabeth Ruhen, qui la tenait de sa mère, Elisabeth Hortsmann. Elisabeth Ruhen la transmit à qua- tre de ses enfants , sur huit qu’elle eut de Jean Christian Ruhe qui ne présentait rien d’extraordinaire aux pieds et aux mains. Jacob Rubhe, l’un de ces enfants sexdigitaires, épousa à Dantzick, en 1733, Sophie-Louise de Thingen, dont la conformation des pieds et des mains n’avait rien d’anormal ; il en eut six enfants : deux des enfants mâles naquirent sexdigitaires (4). Renou, maitre en chirurgie de la Pommeraye, en Anjou, communiqua plus tard à l’Académie une ob- servation relative à plusieurs familles sexdigitaires qui, de temps immémorial, étaient répandues dans plusieurs paroisses du Bas-Anjou. Cette difformité (1) Histor.natur., lib. XI, cap. x. (2) Idem, lib. VII, ch. 11. (3) Isid. Geoff. Saint-Hilaire, Loc. cit. (4) Maupertuis, OEuvres complètes, t. IL, lettre XVII, p. 384, 385, DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. al se perpétuait chez elles malgré leur alliance avec .des familles de conformation normale. Les père ou mère atteints de l’infirmité la communiquaient indifféremment -aux enfants des deux sexes (1). Un membre correspondant de l’Académie des sciences avait, vers le même temps, donné connaissance à cette assemblée de l'existence d’une famille semblable, à l’île de Malte. Cétait la famille Gratio Kalleja. Cet individu avait d’abord transmis cette monstruosité à trois de ses quatre enfants, et les enfants l’avaient, à leur tour, propagée à leur postérité (2). IL'en était ainsi de la famille du célèbre calculateur Colburn , dont Carlisle a tracé avec beaucoup de soin la généalogie. Cette singularité provenait du bisaïeul du plus jeune en- fant que l’on examinait, et s’était reproduite, de généra- tion en génération, dans une partie des membres de cette famille (3). Anna rapporte le cas d’une autre famille , où le père et le fils avaient tous les deux douze doigts et douze orteils (4). Nous avons emprunté, plus haut, au docteur Roux un fait analogue. Plus récemment enfin, le chirurgien Vanderbach a recueilli exemple d’une famille espagnole, de la com- mune de San—-Martine de Valdeclesia, où la même nature de monstruosité se compliquait d’une autre particularité : chez la plupart des membres de cette: nombreuse famille, sans doute encore vivante, les troisième et quatrième doigts de la main, quelquefois un cinquième surnuméraire, étaient réunis par les tégu- (1) Dictionnaire raisonné d'histoire naturelle, t. VIIL, p. 492. (2) Histoire de l’Académie des Sciences, pour 1771, p. 77. — Voy. aussi abbé Rozier, Journal de physique et d'histoire naturelle, novemb. 1774, p. 377, et juin 1778, (3) Transact. Philosoph., vol. CIV, 1814, part. 4, p. 94. (4) Salz-med. chirurg. Zeitung, 1805, t. IV, p. 212. 328 DE LA LOL D HÉRÉDITÉ ments, depuis l’articulation métacarpo-phalangienne , jusqu’à leur extrémité. Les phalanges , les phalangines et les phalangettes de ces doigts, étaient presque toutes composées de deux os situés l’un à côté de l’autre, comme le sont ceux de l’avant-bras. Les ongles, quoique formés d’une seule pièce, présentaient au milieu, ou sur le côté, une fêlure verticale qui indiquait la portion correspon- dante à chacun des os des phalangettes. Mais, ce qui dé- montrait que c’étaient, en effet, deux doigts grêles réunis, c’est que chacun des tendons des muscles épicondylo-sus- phalangettiens et cubito-phalangettiens communs, étaient aussi doubles , et qu’il existait une articulation libre et distincte pour chaque phalange contiguë. Chez quelques personnes de la même famille, Le pouce était aussi bipha- langettien , et, parmi celles-ci, il en était chez qui l’ex- trémité de ce doigt était bifurquée : d’autres, chez qui les deux portions qui la formaient étaient réunies dans toute leur étendue, comme pour les autres doigts : enfin, chez quelques-uns, la même disposition se représentait aux pieds : les troisième et quatrième orteils y étaient réunis par les téguments. Cette conformation vicieuse des doigts était héréditaire dans toute la famille : Vanderbach y compta quarante individus chez qui elle existait. Presque tous Jouissaient d’une santé robuste; mais on n’en attribuait pas moins, dans le pays, à un vice humoral spécial à la famille, ce dé- faut d’une pure et simple conformation physique. On les désignait sous le nom de Los-pedagos, famille des Collés : et l’on donnait celui de Pedagosa, c’est-à-dire de gluant ou de contagieux, par allusion directe à la propagation de cette anomalie, à chacun de ses membres (1). (1) Recueil des mémoires de médecine, de chirurgie et de pharmacie militaires, 1818, p. 176-178. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 329 Stahl rapporte l’exemple de l’hérédité d’une difformité à peu près analogue, dans une autre famille : les doigts du pied, chez elle, étaient unis entre eux par une mem- brane, comme les doigts des canards (1). Tous les faits concourent donc à nous présenter les hé- mitéries, ou simples anomalies par arrêt ou excès d’orga- nisation, comme soumises à la loi de l’hérédité. IT. — De l’hérédité des monstruosités proprement dites, Le problème de la reproduction séminale des monstruo- sités proprement dites est beaucoup plus complexe, et n’est pas susceptible, comme nous allons le voir, d’une solution aussi générale. Il nécessite d’abord la distinction première des mons- truosités unilaires ou propres à un être unique, et des composées, qui semblent appartenir à deux êtres différents. $ I. — De l’hérédité des monstruosités unitairese La possibilité de la transmission des monstruosités unitaires est soumise à deux conditions qu’on peut dire absolues : L'une, est que la nature de la monstruosité ne soit pas incompatible avec l’existence : que le monstre soit viable; L'autre, qu’elle ne soit pas incompatible avec la géné- ration : que le monstre soit fécond. La loi préalable de ces deux conditions élimine du pro- blème la plus grande partie des monstruosités. La plu- part des monstres ne sont pas viables : le grand nombre de ceux même qui sont viables, est atteint d’impuis- sance. D’après Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, 1l n’y a qu’une (1) Stabhl, de Morbis hæreditariis. 390 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ / seule classe de monstruosités unitaires appelées à remplir cette double condition : la classe des monstruosités ectro- méliennes, ou, en d’autres termes , qui a pour caractère l'avortement des membres. Encore y a-t-il lieu d'établir dans cette classe une distinction, entre les monstres frap— pés de l’avortement des membres thoraciques, et les monstres frappés d’un avortement des membres abdo- minaux. 1° D’après le savant tératologiste, la théorie s’accorde avecl’observation, pour faire considérer l’absence; oul’état rudimentaire des membres abdominaux, comme coïnci- dant ordinairement avec un développement imparfaït des organes générateurs, et quelquefois même avec l’impuis- sance (1); raison décisive et déterminante de l’impossi- bilité de leur reproduction. 2° Les sujets chez lesquels la monstruosité ne porte, au contraire, que sur les membres thoraciques, ont, en gé- néral, une conformation parfaitement normale des or- ganes sexuels, et ces organes sont aptes à remplir leurs fonctions. Rien ne semble donc s’opposer à la transmis- sion de ces monstruosités par voie de génération, et les faits, sur ce point, setrouvent aussi d'accord avec la théo- rie. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire nous en donne un exemple authentique dans l’espèce canine. Il a eu, dit-il, à sa disposition, une chienne et son petit, tous Les deux affectés d’une ectro-mélie bithoracique, et entièrement semblables l’un à l’autre. Cette femelle avait eu plusieurs autres petits, dont quelques-uns au moins, si ce n’est fous, étaient aussi ectro-mèles (2). (1) Histoire générale et particulière des anomalies, tom. II, part. 2, p. 233-234, (2) Ouv, cité, tom. IT, part. 2, p. 234. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 331 Il arrive en effet rarement, dans une famille, par la raison de l’action de la loi d’'INNÉITÉ, que PHÉRÉDITÉ, de quelque caractère anormal ou normal qu’elle soit le véhi- cule, le transporte à tous ses membres ; par la même rai- son, la constatation de l’hérédité de cette monstruosité, ne suppose pas la constance de sa transmission. Il en est, sous ce rapport, de la reproduction de l’ectro-mélie tho- racique, comme de celle des autres anomalies ; elle souffre des lacunes partielles ou complètes. L'expérience l’a prouvé : les produits d’un bouc ectro-mèle, comme la chienne dont il vient d’être question, ont tous été nor- maux (1). $ II. — De l’hérédité des monstruosités doubles ou composées. Quant à l’hérédité des monstruosités doubles ou com- posées, indépendamment des deux questions premières, d'aptitude à la viabilité et à la reproduction, il en est une troisième qu’elle soulève : c’est celle de la nature de ces monstruosités. Nous nous trouvons ici en face de deux systèmes : le système de la nature accidentelle et celui de la nature pri- mordiale, ou du moins originelle, des causes des anoma- lies. Dans le premier système, tous les germes étant naturel- lement normaux, sont naturellement simples, et les monstres doubles ne résultent que de l’union, soit super- ficielle, soit profonde, de deux ou de plusieurs sujets for- tuitement réunis dans le cours de la vie intra-utérine. Dans le second système, en grande partie fondé sur l’hypothèse de la préexistence des germes , les germes (1) Méme ouv., tom. IT, part. 4, p. 379. 332 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ préexistants sont primordialement normaux, ou anor- maux ; ils sont réellement simples, doubles, ou triples, ou du moins animés d’une puissance intérieure, qui les prédispose à une duplication ultérieure des parties et même d’une ou de plusieurs régions de l’organisme ; mais cette duplication, telle multiplicité extérieure qu'elle re- vête, n’en constitue pas moins un être unitaire. On voit que nous rentrons dans les termes du débat si vivement agité, dans le dernier siècle, entre Lémery et Winslow, débat qui partagea la science à cette époque, et qui, de métamorphose en métamorphose, la partage en- core, jusqu’à un certain point, au milieu de nos jours. Nous voyons d’un côté, Serres et Meckel défendre, en la modifiant (1), la théorie de Winslow, et soutenir, comme lui, l’unité essentielle des monstres composés; nous voyons, de l’autre, Geoffroy Saint-Hilaire se rallier, sous ce rapport (2), aux doctrines de Lémery, et rattacher comme lui, à la réunion de deux germes distincts, la for mation de ces monstres essentiellement binaires. Cette question de l’origine, et de la nature propre des monstruosilés de cette catégorie, domine rationnellement et préjuge le problème de leur hérédité. Si l’on part du principe de la dualité ou de la composi- tion essentiellement binaire de tous les êtres doubles, com- (1) D’après Meckel, les germes ne seraient pas primordialement mon- strueux, ou créés tels par Dieu, dès l’origine des temps, comme le voulait Winslow; mais il admet leur nature anormale, dès leur formation dans les individus. (Voy. de Duplicitate monstror. Commentar., p. 2, et Des- criptio monstrorum nullorum, in-4°, Leipsick, 1826.—Le professeur Serres n’admet pas la duplicité des germes, mais la duplication par exubérance d’une ou de plusieurs régions du corps. (2) Lémery, et postérieurement Olivier, considèrent l’agglutination comme fortuite; Geoffroy Saint-Hilaire considère, au contraire, cette réunion comme déterminée par les lois des formations et des développe- ments organiques. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 333 plets ou incomplets, comme les parasitaires, la théorie repousse explicitement le principe de leur reproduction par la voie séminale. Dans cette hypothèse, l’acte générateur n’est pas accompli, en réalité, par le monstre lui-même, mais par un seul des individus composants : « Or, comme le dit très-bien le professeur Isidore Geoffroy Saint-Hi- laire, parce que cet individu sera accolé, par un point de la périphérie, à un autre individu semblable à lui, ou parce qu’il portera suspendu à son corps un autre sujet, incomplet, presque rudimentaire et inerte, sera-t-il con- damné à donner naissance à un monstre double? le con- traire semble indiqué par la tendance même qu'ont tous les êtres vivants, à transmettre leurs qualités propres à leurs produits. Qui ne voit, en effet, qu'un monsire double ne serait nullement le représentant d’un être, qui, pour faire partie d’un monsire composé, n’en est pas moins, considéré en lui-même, un être unitaire (1)? » Si l’on part, au contraire, du principe opposé, et que l’on admette avec Serres et Meckel, que tout monstre double n'est, malgré l'apparence, qu'un monstre par excès, ou en d’autres termes, qu'un être unitaire, avec une ou plusieurs parties surnuméraires, la possibilité, la proba- bilité même de la transmission de toutes les parties sur- numéraires existent, et la reproduction de la duplicité monstrueuse qui la forme, rentre théoriquement dans le cas de l’hérédité de la polydactylie, et des autres anoma- lies par excès (2). Nous aurions cru devoir, il y a quelques années, nous rallier, au moins pour la plupart des cas, à la première {1) Histoire générale et particulière des anomalies, t. IIT, part. #4, p. 379-380. (2) Id., loc. cit. 334 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ de ces deux doctrines. Notre opinion avait un double fon- dement : la démonstration complète à nos yeux, de la dua- lité psychologique des monstres composés (1); l'absence radicale d’une preuve empirique de leur reproduction par l’hérédité. La science n’en possédait, et elle n’en possède encore aucun exemple. Mais de nouveaux documents, introduits dans l’étude de l’'embryogénie par le microscope, sont venus singulière- ment compliquer la question, et semblent à la fois, donner tort et raison aux deux doctrines contraires. Nous devons dire toutefois, qu’en les répétant, nous conservons des doutes et faisons des réserves, moins sur la vérité des faits observés, bien qu’ils puissent prêter à des illusions, que sur le caractère qu’on leur attribue, et l’interprétation qu’il semble logique d’en faire. On comprendra nos réserves et nos doutes, d’un mot : nous ne soinmes pas encore pleinement convaincu que ce qu’on a nommé ovule chez la femme et chez les mammi- fères, puisse être identifié à l'œuf proprement dit. Nous ne sommes pas les seuls à rester, sur ce point, dans Le scepti- cisme; malgré tous les travaux et tous les résultats qui militent en faveur de l’affirmative, des hommes très-com- pétents, même en ces derniers temps, Wilbrand (2) et Hausmann (3), ne s’en tiennent pas au doute, mais vont expressément jusqu’à la négative, et n’abandonnent point l'opinion d’Haller (4). (1) Cette preuve résulte évidemment pour nous des faits psychologi- ques présentés par Ritta-Ckristina, par les jumeaux Siamois, et par presque tous ceux des monstres analogues qui sont nés viables. (2) Dans sa Physiologie, et dans Berlin-medic. central Zeitung, 1841. (3) Ueber die Zeugung und Entstelung des wahren weiblichen Eîes, Hanovre, 1840, in-40. (4) Element physiclog., tom. VII, p. 42. DANS LA PROCRÉATION: DU MÉCANISME VITAL. 33) Quoi qu’il en soit, Bischoff, qui a soumis au plus mi- nutieux examen des milliers d’ovules encore contenus dans l'ovaire de femmes ou de mammifères, dit positivement ayoir eu plusieurs fois l’occasion d’observer des ovules présentant des formes insolites. Telle est d’abord, entre autres, une variété dans laquelle le jaune ne remplit point la zône, n’affecte pas la forme parfaitement sphérique des ovules réguliers, et représente un corps parfois bicon- vexe, parfois biconcave, qui se divise en deux ou en plu- sieurs parties. ILen a trouvé d’autres, tant parmi des ovules fécondés dans la trompe, que parmi les ovules non fécon- dés et encore dans l’ovaire, affectant, au lieu de la forme sphérique, une forme ovale ou une forme de poire, ou une forme de biscuit; enfin, il a deux fois trouvé, chez une lapine, deux ovules dans une même vésicule de Graaf (1). Baer avait déjà fait une fois, chez la chienne, et vrai- semblablement aussi chez la truie, une remarque ana- logue (2). Bilder a de même récemment observé deux ovu- les réunis dans une vésicule de Graaf, chez la vache, et comme ces deux ovules s’y trouvaient engagés dans une seule et même membrane granuleuse, on ne pouvait soup- conner qu’ils appartinssent à deux follicules différents (3). Bischoff a répété la même observation sur une lapine : Hausmann, enfin, allant sur ce point au delà des autres observateurs, dit avoir rencontré jusqu’à six ovules réunis (1) Bischoff, Traité du développement de l’homme et des mammifères, suivi d’une histoire du développement de l’œuf du lapin, t'ad. par A.-J.-L. Jourdan, Paris, 1843, p. 18-19. (2) Gharl.-Ern. Baer, Eypistola de ovi mammalium et hominis generi, Leipsick, 1827, p. 18, traduit en français par Brescret, sousle titre : Lettre de la formation de l'œuf, dans l’espèce humaine et les mammifères, Paris, 1829, in-#0o. (3) Muller, Archiv., 1842, chap. 1, p. 86. 330 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ dans une même vésicule, chez la chienne (1), phénomène que Bischoff déclare, pour sa part, n’avoir jamais vu (2). Maintenant, en raisonnant dans l'hypothèse admise par la majorité des embryologistes, de l’identité de l’ovuleet de l’œuf, et de la préexistence de cet œuf, avant la féconda - tion, chez les mammifères, comme chez les oïseaux, les anomalies précédentes des ovules conduiraient logique- ment à des conclusions bien inattendues. On devrait admettre : 1° Que, conformément à l'opinion soutenue par Geoffroy Saint-Hilaire , et contrairement à celle défendue par Meckel, Serres, etc., les monstruosités doubles, sinon toutes, du moins une partie d’entre elles, sont des compo- sitions essentiellement binaires : elles résulteraient de l’union organique de deux ou de plusieurs êtres. 2% Mais d’une autre part, contrairement à la thèse de Geoffroy Saint-Hilaire, et conformément à la thèse opposée de Serres et de Meckel, il faudrait reconnaître que cette réunion, au lieu de dépendre d’une juxtaposition posté- rieure à l’acte de la fécondation, provient réellement, non d’une connexion préexistante des germes, il n’y a pas de germes avant la fécondation, mais d’une connexion pré- existante des œufs. Que si nous appliquons à cette théorie mixte, car elle est la moyenne des deux thèses contraires, la logique des lois de l’hérédité, et que nous demandions, si, d’après les principes rationnels de ces lois, ces monstruosités peuvent être transmissibles, nous sommes forcé d'admettre la possibilité de leur transmission. La possibilité purement rationnelle de cette transmis- (1) Hausmann, oper. cit. (2) Bischoff, ouw. cité, p. 19. - DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 997 sion ne soufire point de doute. L’objection d’Isidore Geof- froy Saint-Hilaire ({), est sans force contre elle. Du mo- ment que les ovules, ou les matériaux constitutifs du ‘germe, se forment spontanément doubles, par anomalie, chez des individus des diverses espèces, rien ne s’oppose à ce qu'ils puissent, et tout indique qu’ils peuvent se reproduire doubles aussi dans les enfants : comme, dans cette hypothèse, c’est antérieurement à la fécondation, et chez l’individu isolé qu’ils s’engendrent, il n'importe plus qu’il n’y ait qu’un seul des deux êtres unis qui con- coure , dans le même acte, à la fécondation : chacun des deux recèle tout le monstre en puissance, chacun des deux est apte à le régénérer. Cette possibilité touche, à certains égards, à l’empi- risme même, sitôt que, par un rapport logique et néces- saire, dans cette théorie, on vient à rapprocher la géné- ration des monstres composés de la génération plus com- mune des jumeaux. Celles des grossesses doubles, qui ne proviennent point d’une superfétation, proviennent, en effet, dans cette hypothèse, de la même origine que celles qui donnent naissance à des monstres composés : elles sont détermi- nées par une duplicité analogue des ovules. Or, indépendamment de toute théorie, nous avons dû reconnaître que la faculté d’engendrer des jumeaux peut être héréditaire ; qu’elle est positivement de la part des deux auteurs (2) ; qu’elle l’est dans notre espèce, comme chez les animaux. Et dans l’ordre des idées que nous exposons, les mons- tres doubles ne sont que des jumeaux unis. (4) Voy. plus haut, art. ur, de V’Hérédité des modes physiologiques de Vorganisation, p.241. (2) Deuxième partie, liv. 11, chap. 1, ait. 11, $ 3, p. 247. I. 99 pl 338 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Ni les inductions théoriques des lois de lPhérédité, ni les inductions empiriques déduites de faits analogues, n'interdisent done, du moins rationnellement, d'admettre la possibilité de la reproduction, par la voie séminale, des monstruosités deubles ou composées. Il est très-vrai que les preuves directes font défaut. Bien que déjà la science compte plusieurs exemples de générations, chez des monstres composés, du sexe mas- culin, comme du féminin, dans l’animalité, dans l’huma- nité, il n’y a pas encore un seul fait authentique d’un monstre double reproduit par la génération. Plusieurs agneaux issus d’une brebis gastro-mèle, plusieurs oiseaux nés des œufs de deux oies et de deux poules pygomèles, étaient bien conformés. L’hétéradelphe humain dont Bux- torf a donné la curieuse histoire a eu quatre enfants, tous les quatre normaux (1). Il y a peu de mois encore, les journaux d'Amérique apprenaient à l’Europe, que les ju- meaux Siamois étaient devenus les époux de deux sœurs, et que chacun d’eux avait donné le jour à une fille : enfin, et c’est un fait qu'Isidore Geolfroy Saint-Hilaire a jugé presque décisif, Le croisement d’un taureau notomèle avec une vache affectée de la même monstruosité a lui-même donné un produit exempt de toute anomalie (2). Mais si grande que soit la valeur négative de ces obser- vations, est-il permis de l’élever jusqu’à la valeur d’une solution complète et finale du problème? Nous ne le pensons pas. La preuve rationnelle de impossibilité de la transmis- sion des monstruosités doubles ou composées repose sur l’hypothèse : que les monstres doubles sont des êtres dis- (1) Isid. Geoffroy Saint-Hilaire, ouv. cité, tom. IT, ch. 1v, p. 380, (2) Id, loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU MÉCANISME VITAL. 339 tincts dont la réunion, quelle qu’en soit la nature, ne préexiste pas à la fécondation; et les documents, que nous venons de reproduire, laissent dans lincertitude cette question de principe. La question de fait, malgré les apparences, n’est pas mieux éclaircie : 1° Les observations négatives par lesquelles on pré- tend la résoudre, sont bien loin, à nos yeux, d’être assez nombreuses : un seul fait positif peut les renverser, et la proportion des cas d’hérédité est relativement si faible, dans quelques anomalies, qu’en se limitant même à un nombre quelquefois très-grand d'observations, on s’expose à l'erreur, du fait qu’on se limite, dès qu’on prétend con- clure par la négative. C’est précisément ce qui est arrivé, pour la scissure des lèvres, et du voile du palais. L’im- mense disproportion des cas indépendants sur les cas dé- pendants de l’hérédité, avait fait rejeter le fait, aujour- d’hui prouvé, de la transmission de ces anomalies : les monstruosités composées ne pourraient-elles se trouver dans le même cas ? 2° Nous ajouterons, d’autre part, que les observations sur lesquelles on s’appuie, fussent-elles assez nombreu- ses, ce qu’elles ne sont pas, ne seraient pas suflisamment probantes par elles-mêmes :elles ne prouvent que pour une génération, et c’est ne rien prouver, il eût fallu suivre les générations. On manque donc des deux bases d’une démonstration vraie et définitive : l'obscurité nouvelle de la question d’embryogénie ajoute aux ténèbres de celle d’hérédité, et dans le tiraillement de doctrines contraires, l'insuffisance des faits, le doute sur les principes, tout commande de s’en tenir à l’expectative. C2 ta (==) DE LA LOI D HÉRÉDITÉ CHAPITRE IL. De l’hérédité dans la procréation de la nature morale. Dans l'esprit des systèmes aux yeux de qui la vie, sous tous ses attributs, avec toutes ses puissances, n’est qu’une conséquence de l’organisation, et pour qui le physique est, selon l’énergique expression de Voltaire, le pêre du moral, la démonstration de l’hérédité de tous Les éléments matériels de l’être suflit à la preuve de l’hérédité de tous les autres principes et de tous les autres modes de notre existence. Dans cet ordre d’idées, la voie la plus directe et la plus naturelle est de procéder de la forme plastique à la forme dynamique de l’organisation : établir le rôle de l’héré- dité dans la première, c’est, pour ainsi dire, établir dans la source; de cette source, elle descend ensuite comme d’une cause, et se représente d’elle-même dans le dyna- misme, comme dans un effet. Nous avons pris cette voie, et nous l’avons suivie jus- qu’au point de contact des autres opinions, parce que, dans ces limites, elle n’en blessait aucune. Mais ce se- rait, à nos yeux, faire acte de système, que d’y persévérer et de ne présenter d’autre démonstration de l’hérédité de la nature morale, que celle purement logique de lhéré- dité de la nature physique. Les opinions qui voient la cause où l’opinion précé- dente voit l’effet, toutes celles aux yeux de qui l’organi- sation n’est qu’une suite de la vie, source génératrice dont le physique et le moral émanent parallèlement, et ne sont qu’une double forme, et nous dirions presque une double harmonie, ces opinions pourraient logiquement DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 341 rejeter une démonstration purement rationnelle, basée sur un principe qu’elles n’admettent point. Il faut donc commencer par se dégager de toute théo- rie, et ne traiter la question de l’hérédité de la nature morale, que prise en elle-même, et indépendamment de l’hérédité de la nature physique. Deux voies se présentent à nous, d'aborder ce pro- blème : la première est celle des preuves d'autorité ; elle est dans le témoignage qu’en portent les religions, les in- stitutions, les mœurs, les opinions des peuples, des temps, des hommes. La seconde est celle des preuves d’expé- rience ou de l’observation pure et simple des faits, source fondamentale et base commune d’épreuve de toutes les théories et de tous les systèmes. Nous allons rapidement soumettre la question à ce double contrôle. PREMIÈRE SECTION. Des preuves d'autorité de l’hérédité de la nature morale. I. L’étroite dépendance, où la nature morale des êtres procréés est de la nature morale des êtres qui les pro- créent, est un fait reconnu de toute l’antiquité. Il y est gravé dans les plus anciens monuments de la foi reli- gieuse des peuples. Les Vedas et les codes sacrés des Hindous en poussent le principe jusqu’à la plus intime identification de la per- sonne du fils à la personne du père : « Un mari, en fécondant le sein de sa femme, dit le « Manava-Dharma-Sastra, y renaît sous la forme d’un « fœtus, et l’épouse est nommée Djaia, parce que son « mari naît (Djaiate) en elle une seconde fois (1). » (1) Manava-Dharma-Sastra. Lois de Manou, comprenant les institu= 342 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Lear bizarre théorie de la triple naissance de l’être,en est un authentique et curieux témoignage (1) : « Ce (vivant principe), lit-on dans l’Aitareya A’Ran’ya, « est d’abord dans l’homme un fœtus, ou une semence « productive quiest l’essence extraite de tous les membres « (du corps). Ainsi, l’homme se nourrit lui-même de lui- « même; mais, quand il émet sa semence productive dans « la femme, il procrée ce (fœtus), et telle est sa première « naissance. « Il (le fœtus) devient identifié à la femme, et étant « ainsi identifié avec elle, comme s’il était son propre « corps, il ne la détruit pas : elle chérit, caresse son lui- « même (2) reçu ainsi dans son sein, et comme elle le « nourrit, elle doit être chérie (par lui) ; la femme nourrit « ce fœtus. Mais lui, aima antérieurement l'enfant ; et, « plus tard, il en futde même après sa naissance ; puisqu'il «entretient, qu'il soutient l'enfant, avant et après sa « naissance, il s’aime lui-même, et cela, pour la perpétuelle « succession des personnes, car c’est ainsi que les personnes « Sont perpétuées. « Telle est la seconde naissance. « Ce (second) lui-même, devient son représentant dans «les saints actes (de religion), et cet autre (lui-même), «ayant rempli ses obligations et complété ses périodes de vie, meurt; parti de ce monde il renaît de nouveau sous « quelque autre forme. À « Et telle est sa troisième naïssance. » tions religieuses et civiles des Indiens, traduites du sanskrit et accom- pagnées de notes explicatives, par Loiseleur des Longchamps, 1 vol. in-8, Paris, 1833, liv. IX, st. 8. (1) L’Aitareya A’Ran'ya, liv. IT, $ V, Notice sur les Védas, par Cole- brooke.— Pauthier, Livres sacrés de l'Orient, p. 319. (2) « Car l’homme est identifié avec l'enfant créé par lui. » DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 343 Le plus ancien livre religieux du Parsisme, le Zend- Avesta, proclame, dans un mythe, cette loi d’hérédité de la nature morale : Nos premiers parents, trompés par Avesta s'unissent charnellement et leurs enfants héritent de leurs misères (1). Le livre du Mosaïsme, la Bible, reproduit ce mythe, dans ses premières pages, où les légendes et les traditions de l’Islamisme sont allées l’emprunter (2); les évangiles, enfin, mettent à deux reprises la reconnais- sance du principe qu’il recouvre, dans la bouche du Christ; une première, en sentence, et dans une parabole (3) : une seconde, dans la plus hardie de ses apostrophes aux Pharisiens (4). Mais ce ne sont pas seulement les monuments des cultes qui en portent l’empreinte: ce fait est partout inscrit dans les institutions religieuses, politiques, civiles des sociétés. 1. L'institution des castes et la prohibition des rap- ports sexuels, entre elles, lui doivent leur origine. L’hérédité morale en est évidemment le principe naturel. (1) Zend-Avesta, tom. IIT, p. 351 à 378. (2) Aperçu historique sur les temps anté-islamiques, d’après les docteurs musulmans, par Perron, directeur de l’école de Médecine du Caire (Revue indépendante, tom. V, p.445, 450). (3) « Ou dites que l’arbre est bon, et que le fruit en est bon aussi; ou « dites que l'arbre étant mauvais, le fruit aussi en est mauvais; car « c’est par le fruit qu’on connaît l’arbre. » Evangile selon saint Matthieu, chap. x11, vers. 33. (4) — « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites, qui bâtissez « des tombeaux aux prophètes, et qui ornez les monuments des justes, « et qui dites: Si nous eussions vécu du temps de nos pères, nous n’eus- « sions pas répandu comme eux le sang des prophètes : ainsi, vous vous « rendez témoignage à vous-mêmes que vous êtes les enfants de ceux « qui ont tué les prophètes ; achevez donc de combler la mesure de vos « pères. Je vais vous envoyer des prophètes, des sages et des docteurs, « et vous tuerez les uns, vous crucifierez les autres, vous en fouetterez « d'autres dans vos synagogues, et vousiles persécuterez de ville en « ville, etc., etc. » Saint Matthieu, ch. xx1r1, vers. 29, 30, 31, 29, 34. 344 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Berjamin Constant le eonfesse lui-même (1). Malgré la part immense et l'intérêt visible qu’il prête au sacerdoce dans leur consécration, sa justesse d’esprit finit par lui faire voir que la division des castes ne pouvait être d’in- vention purement sacerdotale ; qu’elle devait avoir une cause antérieure au sacerdoce lui-même, dans une dis- position naturelle à l’homme, et que cette cause pre- mière était l’hérédité, ou du moins l’opinion de l’héré- dité. «L’homme a pu, sans calcul intéressé de la part d’une « classe, considérer, dit-il, les enfants de ceux qu’il croyait « favorisés par les dieux, comme appelés à l’héritage de « cette faveur (2). » Sans prétendre rejeter les causes auxiliaires, qui, telles que la conquête, les différences de races, etc., ont pu fa- voriser la traduction en loi et en fait social de cette foi instinctive de l’humanité, il nous semble, pour notre part, impossible de nier ni la sincérité, ni lintervention de cette croyance naturelle, dans l'institution originelle des castes, en présence des textes mêmes qui les établis- sent. Tous les doutes doivent tomber devant le plus an- tique code où nous puissions lire l'exposé des motifs de cette monstrueuse distribution des hommes, devant le Manava-Dharma-Sastra, livre des lois de Manou, qui remonte, d’après l’orientaliste Chezi, jusqu’au treizième siècle avant l’ère chrétienne (3). Il n’est, pour ainsi dire, pas un seul des textes qui, dans ce code religieux et civil des Hindous, se rapportent (1) Benj. Constant, de la Religion, tom. I, liv. IE, ch. vit, p. 61, 62. (2) Id., loc. cit. (3) Manava-Dharma-Sastra, Lois de Manou, comprenant les instilu- tions religieuses et civiles des Hindous, traduites du sanskrit et accompa- gnées de notes explicatives, par A. Loiseleur des Longchamps. 4 vol. in-8, Paris, 1833. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 345 au dogme de la division des castes, où n’apparaissent à nu, sitôt qu’on les dépouille de leur enveloppe mythi- que, l’érection en système et l’exagération jusqu’au fata- lisme le plus paradoxal, de deux faits naturels : l'inégalité primordiale du type individuel de l’homme ; la repro- duction par la génération de toutes les aptitudes et de tous les caractères de la nature morale des races qu'il a formées. Le premier fait respire dans la stance célèbre qui as- signe à chacune des quatre castes primitives, aujourd’hui même encore existantes, dans l’Inde, un lieu particulier d’origine dans le corps de l’universel Brahma. « Pour la propagation de la race humaine, de sa « bouche, de son bras, de sa cuisse, et de son pied, il « produisit le Brahmane, le Kchatriya, le Vaysia et le « Soûüdra (1). » Ou, en d’autres termes, l’homme type du sacerdoce, l’homme type de la guerre, l’homme type du commerce et de l’agriculture, l’homme type de la servitude. Le second fait n’a pas une, il a mille expressions, les unes pour l’établir, les autres pour en prévenir toutes les conséquences : | « Une femme, dit le code sacré, met toujours au monde « un fils doué des mêmes qualités que celui qui l’a en- « gendré; c’est pourquoi, afin d’assurer la pureté de sa « lignée, un mari doit garder sa femme avec atten- « tion (2). » « On doit reconnaître à ses actions, dit plus loin le « même code, l’homme qui appartient à une classe vile, « qui est né d’une mère méprisable (3). » (1) Manava-Dharma-Sastra, liv. J, st. 31. (2) Liv. IX, st. 9. (3) Liv. X, st. 59. 346 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ « Le manque de sentiments nobles, la rudesse des pa- « roles, la cruauté, etl’oublides devoirs dénotent, ici-bas, « l’homme qui doit le jour àune mère digne de mépris (1). » « Un homme d’une naissance abjecte prend le mau- « vais naturel de son père, ou celui de sa mère, ou de « tous les deux à la fois : jamais il ne peut cacher son « origine (2). » Ce dernier trait, à lui seul, révèlerait à quel point de connaissance des faits d’hérédité morale, on était arrivé dès le temps de Manou, c’est-à-dire à l’époque de la pro- mulgation de ces lois singulières. D’autres traits, en grand nombre, semblent même té- moigner d'observations suivies sur les dégradations de la nature morale par le métissage, ou le mélange illicite des classes primitives; tout témoigne du moins d’une minu- tieuse étude des degrés de ce mélange, car toussont divisés en deux catégories, l’une de l’ordre direct, où la dégrada- tion des enfants provient de la mésalliance des pères ; l’autre de l’ordre inverse, où le déclassement des enfants provient de la mésalliance des mères ; et tous ces degrés de métissage ont un nom, et forment une collection de variétés humaines plus inextricables que celles du métis- sage du blanc et du noir, dans l’inépuisable vocabulaire créole. Le croisement des quatre classes donne, dès la première génération, naissance à onze sortes distinctes de métis, cinq de l’ordre direct, et six de l’ordre inverse, dont voici le tableau, tracé pour cette unique première génération, d’après les lois de Manou sur le texte desquelles nous l'avons composé (3). (1) Manava-Dharma-Sastra, liv. X, st. 58. (2) Liv. X, st. 59. (3) XÇ 4507, 8/19, 40, 1112 etc-tetc. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 347 ÉCHELLE DE L'ORDRE DIRECT ÉCHELLE DE L'ORDRE INVERSE DE DÉGRADATION DE DÉGRADATION PAR MÉSALLIANCE DES PÈRES. PAR MÉSALLIANCE DES MÈRES. Classes mésalliées. Produits dégradés. Classes mésalliées. Produits dégrad. Brahmane et fille Kchatryia. | Mourdhabhichikta.|| Kchatryia et fille Brahmani. | Soûta. Brahmane et fille Vaysia. Ambachtha. Vaysia et fille Kchatryia. Magadha. Brahmane et fille Soûdra. Nichada ou Para-|| Vaysia et fille Brahmani. Vaideha. sava. Soûdra et fille Vaysia. Ayogova,. Kchatryia et fille Vaysia. Mahtchya. Soüdra et fille Kchatryia. Kchattry. Kchatryia et fille Soûdra. Ougra. Soûdra et fille Brahmani. Tchandala. Nous n’examinerons pas les produits qui résultent du croisement de ces métis entremêlés entre eux ; le dénom- brement en serait interminable (1). Nous dirons seulement que dans l’ordre direct, comme dans l’ordre inverse, la dégradation marche en progrès continu : Que les six types primitifs du métissage inverse, le Soûta, le Magadha, le Vaideha, l’Ayogaya, le Kchattry, le Tchandala, engendrent en s’unissant réciproquement (1) I y a eu d’étranges dissentiments sur le nombre des castes chez les Hindous ; Pyrard, d’après Benjamin Constant, prétend qu’il n’y a que trois ordres. Anquetil en compte cinq ; Hamilton, huit; Lacroze porte le nombre des castes à 98, mais tous placent en tête le sacerdoce : il est évident pour nous que ces dissidences tiennent les unes à l'ignorance des textes, les autres à la confusion des castes pures, ou classes primitives, et des castes impures, ou classes mêlées, tous ces points sont clairement établis par les lois de Manou. 19 Il y a bien quatre classes pures. Voy. liv. I, st. 31, et liv. X, st. 4. 29 Mais de ces quatre classes pures, il n’y en a que trois dites régé- nérées, ou des dwidgas : la classe Soûdra, quoique pure, n’a qu’une naissance, lib. X, st. 4. De là l'erreur de Pyrard qui en compte trois. La même stance du même livre prouve l'erreur d’Anquetil, puisqu'elle dit textuellement : «Il n’y a pas de cinquième classe primitive. » 3° Le nombre des classes impures est presque illimité, de là l'erreur de Lacroze. 348 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ chacun à des femmes de leur race, des races plus ignobles et plus méprisables que celles dont ils sortent (1) ; qu’en s’unissant avec des femmes des quatre classes pures, ils engendrent des fils encore plus vils qu'eux-mêmes (2); qu’enfin, en se mariant, entre elles, dans l’ordre inverse, les six classes abjectes donnent naissance à quinze classes de plus en plus infâmes (3). Toutes ces classes sans race, sont collectivement dési- gnées par la loi sous Le nom de classes impures; toutes sont également exclues des sacrifices, toutes prédestinées aux plus viles fonctions, et sans plus de valeur aux yeux des Hindous, qu'aux yeux des Arabes, qu’aux yeux des agro- nomes, qu'aux yeux des chasseurs, ne peuvent l'être des chiens, des chevaux, des bestiaux sans race. Que l’on ne réponde pas que cette impureté, ou, en d’au- tres termes, cette infériorité, est purement dogmatique ; qu’elle est, comme Benjamin Constant le supposait, toute religieuse : des textes fort remarquables détournent de l’absolu de cette opinion. « Des mariages irréprochables, dit le Code sacré, naît « une postérité irréprochable : des mariages répréhen- « sibles, une postérité méprisable. On doit donc éviter « les mariages dignes de mépris (4). » Et quels sont ces mariages dignes de mépris? Tous les mariages qui troublent la pureté du physique, ou du mo- ral des castes. Les textes sont formels : Les deux principales sources des classes impures sont (1) Manava-Dharma-Sastra, liv. X, st. 26, 27. (2) Id., X, st. 30. (3) Id., st. 31. (4) Id., TI, st. 42. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 349 le mélange illicite des classes, et les mariages contraires aux règlements (1). Les mariages contraires aux règlements comprenaient : 1° Les alliances aux degrés de consanguinité prohibés par la loi, et la loiles prohibe jusqu’au septième degré (2) ; 2° Les alliances avec l’une des dix familles suivantes, lors même qu’elles seraient trés-considérables et très- riches en vaches, chèvres, brebis, biens et grains, savoir : « La famille dans laquelle on néglige les sacrements : « celle qui ne produit pas d’enfants mâles ; celle où l’on « n’étudie pas l’Écriture sainte ; celle dont les individus « ont le corps couvert de longs poils, ou sont afligés, soil « d’hémorroïdes, soit de phtñisie, soit de dyspepsie, soit « dépilepsie, soit de lèpre blanche, soit d’éléphantia- « sis (3). » À ces interdictions le Code ajoute celles d’épouser une filleayant les cheveux rougeûtres, ou ayant un membre de trop, ou souvent malade, ou nullement velue, ou trop velue, ou insupportable par son bavardage, ou ayant les yeux rouges (4). 3° Les mariages prohibés comprenaient enfin les al- liances avec les autres castes , et le code tient le langage le plus physiologique sur leurs conséquences : « Quelque distinguée que soit la famille d’un homme, dit le texte sacré, s’il doit sa naissance au mélange des classes il participe à un degré plus ou moins marqué du naturel pervers de ses parents (5). » Aucun terme ne peut rendre le mépris qu’il affecte pour la dégradation morale de tels produits : À À _ à (4) Manava-Dharma-Sastra, liv. X, st. 24. (2) Id., liv. ILE, st. 5. (2) des 7: (4) Id., st. 8. (5) Id., X, st. 60. : JoÛ DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ « L’enfant qu'un brahmane engendre par luxure, en « s’unissant avec une femme de la classe servile , quoi- « que jouissant de la vie (péragan), est comme un cada- « vre (sava); c’est pourquoi il s’appelle cadavre vivant « (parasava) (1). » De l’union d’un Kchatryia avec une fille soùdra , naît, on l’a vu plus haut, le métis dit Ougra. « L’Ougra, dit le même Code, est un être féroce dans « ses actions, se plaisant dans la cruauté, et qui parti- « cipe de la nature de la classe guerrière et de la classe « servile (2), » c’est-à-dire des deux classes dont il est issu. Le Tchandala, métis né de l’union d’un soùdra et d’une Brahmani est « le plus infâme des hommes (3). » Pourquoi ? on va Le comprendre : Le Manava-Dharma- Sastra porte des traces visibles de discussions, dès ce temps-là régnantes, sur la prépondérance du père et. de la mère dans la génération (4) : « Quelques sages van- « tent, dit-il, préférablement la semence, d’autres le « champ , d’autres estiment à la fois le champ et la se- « mence, etc. (5). » Mais le code s’autorisant, tantôt de traditions exclusi- vement mythiques (6), et tantôt de données physiologi-— ) Manava-Dharma-Sastra, liv. IX, st. 498. 9) Id., X, st. 9: ) Id., LIL, st. 234. 4) Voy. liv. IX, st. 34 et suiv. 5) LIN-0X, St..70/ 70 70; (6) St. 72. « Mais puisque par l'excellence des vertus de leurs pères, « les fils même d'animaux sauvages sont devenus de saints hommes, « honorés et glorifiés, pour cette raison le pouvoir mâle l'emporte. » Comme exemple de cette miraculeuse hérédité, le commentateur cite Richyasringa, fils du saint ermite Vidhandaka et d’une daine, Lois de Manou, liv. X. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 3bl ques (1) de nature à prouver l’excellence de l’infusion des vertus des pères dans les enfants , conclut en faveur de l'influence du père, principe d’après lequel le mélange dans lordre inverse ou la mésalliance du côté maternel est la plus réprouvée, est celle qui donne naissance aux êtres les plus ignobles : « Celui qui a été engendré par un homme honorable et « par une femme vile, peut se rendre honorable par ses « qualités ; mais celui qui a été engendré par une femme « distinguée et par un homme vil, doit lui-même être « regardé comme vil. Telle est la décision (2). » C’est en conformité de ces mêmes principes que le mème Code porte « Si une jeune fille aime un homme d’une classe supé- « rieure à la sienne, le roi ne doit pas lui faire payer la « moindre amende. Mais si elle s’atiache à un homme « d’une naissance inférieure, elle doit être enfermée dans « Sa maison, sous bonne garde, et l’homme de basse « classe qui lui adresse ses vœux est déclaré digne d’une « peine corporelle (3). » Tout en faisant la part des préventions des castes , et des motifs d’ordre purement sacerdotal qui peuvent se ré- fléchir dans ces déclarations, n’est-1l pas naturel de se demander, devant de tels documents qui prouvent une notion vraie, dans certaines limites, des conséquences possibles de l’hérédité, jusqu’à quel point toutes ces dé- gradations de la nature morale attachées par la loi au mé- lange des castes, au lieu de provenir du dogme, n’ont pas pu linspirer ; au lieu de précéder, n’ont pas, dans (1) Manava-Dharma-Sastra, liv. IX, st, 35, 36, 97 38. (2) Id., iv. X, st. 67. (3) Lois de Mano, liv. VII, st, 265, 366. 32 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ l’origine , pu suivre l’expérience? Les mœurs sont déjà vieilles lorsqu'on écrit les lois, et les lois ont toujours quelque base dans les faits. Que si nous rapprochons de ces considérations les ob- servations auxquelles a donné lieu , dans les temps mo- dernes , le mélange des races blanche et noire aux colo- nies (1), celles du docteur Rush (2), celles de Le Vail- lant (3) et d’autres voyageurs sur les résultats quelquefois bizarres, d’autres fois déplorables, pour la nature morale des individus, du métissage des races dans l’humanité, celles enfin qui donnent lieu de croire que ce métissage est loin d’être toujours innocent, par lui-même, pour la santé physique (4), il est bien difficile de ne pas soupcon- ner que les législateurs primitifs des Hindous, écrivant à l’époque d’une civilisation différente de la nôtre, mais très-avancée, n’ont pas eu sous les yeux des phénomènes semblables ; et le nom de classes impures donné aux clas- ses mêlées, prend dans cette présomption, jusqu’à certain (1) « Ces individus (mulâtres) qui encombrent nos colonies, n’ont ni « l'intelligence aussi perfectionnée que les blancs, ni la soumission « laborieuse des nègres. Ils forment une caste ambiguë, sans rang, sans « état fixe, plus prompte à la révolte que disposée au travail, etc. » — Virey, Histoire naturelle du genre humain, tom. IT, p. 185. (2) Rush, On the influence of physical causes on the intellectual fa- cullies, p. 119 et suiv. (3) Le Vaillant. (4) Voy. Burdach, Traité de physiologie, Paris, 1837, tom. VI, p. 743, et tom. VIII, p. 352. — « 4° De même qu’un sang étranger, de bonne « qualité d’ailleurs, ne saurait entretenir la vie, et qu’il est capable de « l’anéantir, ainsi le contact d'une sécrétion étrangère exerce fréquem- « ment une influence nuisible ; dans la polyandrie, il survient aux « parties génitales des flux muqueux et des ulcères qui sont peut-être « déterminés par le mélange des spermes des individus différents, et « ce m'est point une conjecture dénuée de vraisemblance que celle qui « attribue le développement de certaines maladies spéciales au rappro- « chement d'hommes appartenant à des races différentes. » Loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. JD3 degré, un sens positif et physiologique. Il n’y à pas jus- qu’à la distinction curieuse, entre les bâtards de race du côté maternel, et les bâtards de race du côté paternel, qui ne vienne corroborer cette opinion. L’expérience a prouvé que cette distinction ne manquait pas de fondement, dans le métissage des races. Le Vaillant, entre autres, a pu constaterla réalité d’une distinction semblable, dans le produit du mélange de la race européenne et de la race Hottentote (1). Cette hypothèse, enfin , touche presque à la limite de la certitude, depuis qu’il est démontré que, dans l’Inde, comme dans l'Egypte (2), dont les sculptures et les peintures ont offert à Blumenbach trois types fort distincts, le type éthiopien, l’indien, etle berbère, la divi- sion des castes recouvre, par le fait, des différences de ra- ces rapprochées peut-être par des migrations , ou hiérar- chiquement groupées par la conquête (3). La différence de couleur et de profil entre les créoles espagnols et les Péruviens n’est pas aussi grande , d’après Heeren (4), que celle qu’on observe entre les Bramines et (1) Wiseman avoue nettement que l'hypothèse d’'Heeren et de Meiners sur la division des çcastes, serait complétement démontrée, si une diffé rence de couleur était manifeste entre les hautes et les basses castes. — Wisem., ouv. cit., tom. I, p. 165. à (2) La participation de la diversité des races à l’institution de la divi- sion en castes était prouvée pour l'Egypte, aux yeux de Benjamin Con- stant. «Il est certain, dit-il, qu'il y a, en Egypte, plusieurs races « d'hommes qui se sont livré de violents combats, car sur quelques « monuments nouvellement découverts, on voit des hommes rouges « frappant ou tuant des hommes noirs (Denon, Voyage en Egypte, II, « 228. Heeren, If, 544-551). Tandis que sur un plus grand nombre, sur « les bas-reliefs du temple d'Osiris, par exemple, ce sont les hommes « noirs qui tuent les hommes rouges, que des savants ont pris, non « sans vraisemblance, pour des Hycsos, pasteurs, où des Juifs » (Gœærr, As. mith. Gesch., préf. xxxij, xxxii]). (3) C’est l'opinion de Meiners, de Origin. Cast. Comm. Soc. Gælt. (4) Hecren, Idées, 1, 616. 1. Us 23 394 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ les Parias. Le témoignage de tous les voyageurs modernes concorde avec le sien : Legentil décerne à la caste des Brahmanes la supériorité de la race et du sang : « Dans « cette tribu , dit-il, on voit les plus belles femmes et les « plus jolis enfants (1). » L'abbé Dubois avoue sans détour que leur teint est dif- férent de celui des autres castes ; un Brahme un peu noir, un Paria un peu blanc sont regardés, de son aveu, comme deux monstruosités (2). Mais il s’aventure, contre l’évi- dence, à rapporter la cause de cette diversité de colora- tion à la diversité de la manière de vivre (3). L'évèque anglican Heber (4) convient aussi de son extrême surprise de voir, dans la foule, à son arrivée , des individus noirs comme des nègres, d’autres de couleur cuivrée, d’autres à peine plus bruns que des Tunisiens ; mais entendant de la bouche de M. Miles, président du Bishop’s college , homme très-versé cependant dans l’étude de l’Inde, qu’il n’a jamais pu découvrir la raison de cette variété géné- rale, et partout frappante dans la contrée , il aime mieux supposer que ces différences sont purement accidentelles, que de se rendre à la simple raison qui les explique , à la diversité originelle de races vivant à la fois disjointes et réunies dans le même pays (5). (1) Legsentil, Voyage aux Indes, Paris, 1779, 1780. (2) L'abbé Dubois, Mœurs, institutions et cérémonies des peuples de l'Inde, Paris, 1825, 2 vol. in-80. (3) La puérilité de cette hypothèse est très-bien sentie par Heber. « Ce n’est pas seulement, dit-il, le plus ou moins d'exposition aux « rayons du soleil qui cause ces différences, car cette variété de teintes « est visible chez les pêcheurs qui sont tous également nus. » (4) Heber, Narrative of a journey through the upper provinces of India, 2e édit., London, 1828, vol. I, p. 9. (5) Il n’y a pas d'autre raison que le fait de cette diversité première de races et de leurs croisements. Heber à été dupe d’une objection spécieuse qu’il a opposée à cette explication si naturelle. « Cela ne dépend pas de DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL, 309 Mais devant l’inanité des autres explications, ce n’en est pas moins l’unique fait qui reste , et ce fait, qui con- firme l’hypothèse d’Heeren , reçoit une nouvelle sanction d’une stancetrès-remarquable du Manava-Dharma-Sastra, x où nous retrouvons, à une date qui remonte à plus de trois mille ans , une appréhension prophétique des dan- gers qui menacent les créoles des colonies modernes : « Toute contrée où naissent ces hommes de race mêlée, » qui corrompent la pureté des classes, est bientôt détruite, « ainsi que ceux qui l’habitent (1). » Ainsi donc, à côté des textes positifs qui nous montrent la foi dans l’hérédité de la nature morale comme le pre- mier principe de la division des castes , vient se placer un fait qui explique à la fois les motifs légitimes que l’on avait de s'opposer aux conséquences possibles de cette hé- « la caste, dit-1l de très-bonne foi, puisque dans la caste la plus noble, « celle des Brahmes, on trouve des individus noirs, et, chez les Parias, « des irdividus presque blancs » (Heber, loc. cit.). Le fait est très-vrai, mais l'argument est sans aucune valeur : au lieu d’être contraire à la diversité des races existantes dans l’Inde, il en est une nouvelle démon- stration. il provient évidemment de trois règles établies par les lois de Manou, et noussommes surpris que nil’évèque Heber, niMiles ne lesaient consultées sur ce problème qui les à tant préoccupés. La première règle est celle de la déchéance de caste, que tout Brahmane peutencourir, dans une foule de cas, et qui rejette sa postérité ultérieure, quoique d’origine blanche, au rang des Parias (Voy. par ex., liv. IIL, st. 15); de là des parias blancs. La seconde règle est la faculté donnée, par le même code, aux trois castes supérieures de s’allier, après un premier mariage, à des femmes des castes inférieures (Manava-Dharma-Sastra, lv. IX, st. 149 et suiv.). La troisième est la possibilité laissée au métis d’un Brahmane et d’une fille Soudra (Manava-Dharma-Sastra, liv. X, st. 64 et 65) de re- monter, par alliance ou croisements successifs avec la race du père, au rang des Brahmanes, à la septième génération. De là, en vertu des lois de l’hérédité, des Brahmanes noirs, ou de couleur foncée, du reste en très-petit nombre. L’explication que nous donnonsici nous semble dé- cisive et confirmative de la diversité desracess existantes. (1) Manava-Dharma-Sastira, iv. X, st, 61. 306 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ rédité, et ceux aussi réels des craintes qu’elles inspi- raient. Ce fait est celui de la diversité des races groupées en castes , et ces craintes sont celles des résultats physi- ques, moraux et sociaux de leur métissage, préoccupa- tions que les préjugés religieux, joints aux préjugés de ra- ces, ont sans doute exaltées jusqu’au fanatisme, jusqu’à de pures chimères , comme chez nos créoles, mais qui n’en ont pas moins une base empirique, dont Benjamin Constant n’a pas suffisamment apprécié la valeur (1). Par là s’expliquent aussi , et la solennité de l’interdic- tion des relations sexuelles, entre les diverses castes, et le luxe des peines religieuses , civiles, sociales , qui Les ré- priment, partout où le principe d’une division quelconque de classes a prévalu. Dans le code de Manou, où la prohibition de ces sortes d’alliances est bien loin cependant de cet absolu, que le précédent auteur avait supposé (2), la loi est sur ce point (1) Il est évident, pour nous, que Benjamin Constant n’a pas eu sous les yeux le texte traduit des lois de Manou, ou qu’il n’en a pas pris suffisante connaissance : deux erreurs impossibles, sans cela, nous le prouvent : la première relative à la faculté donnée aux trois classes de se mésallier, à certaines conditions ; la seconde relative au nombre des vastes. La première traduction francaise du Manava-Dharma-Sastra est postérieure à la mort de Benjamin Constant. Toutefois la traduction anglaise de William Jones remonte à plus de 40 ans. (2) Benjamin Constant l’a cru à tort absolue. Les stances 12 et 13 du livre III du Manava-Dharma-Sastra démontrent le contraire : ces deux stances méritent d’être citées textuellement : « St. 12.— Il est enjoint « aux Dwidjas (les trois castes supérieures ou régénérées) de prendre « une femme de leur classe pour le premier mariage, mais lorsque le « désir les porte à se remarier, les femmes doivent être préférées, d'après « l’ordre naturel des classes. — St. 13. Un Soudra ne doit avoir pour « femme qu’une Soudra ; un Vaysya peut prendre une épouse dans la « classe servile et dans la sienne : un Kchatrya, dans les deux classes « mentionnées, et dans la sienne propre; un Brahmane, dans ces trois « classes et dans la classe sacerdotale. » Mais la loi Hindoue est si mer- veilleusement combinée, que cette faculté de mésalliance, licite dans les cas de détresse (expression de la loi), ne peut altérer la caste. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 397 conçue avec un art si profond et si sûr, qu’il n’est pas au pouvoir de la promiscuité même, de porter atteinte à la pu- reté des castes ; elle réprime tout aussi efficacement la faculté qu’elle laisse , que celle qu’elle ne laisse pas. Dans le premier cas, la promiscuité est frappée d’im- puissance, par le déclassement de tous les produits des croisements licites; les métis n’appartiennent à aucune des quatre classes (1). Dans le second cas, la dégradation atteint également les enfants et les pères : « Les Dwidjas assez insensés, dit le code, pour épouser « une femme de la dernière classe, abaïssent bientôt « leurs familles et leurs lignées à la condition de sou- « dras (2). — L’épouseur d’une soudra, s’il fait partie de « Ja classe sacerdotale , est dégradé sur-le-champ, selon « Atri(3) ,et le fils d’Outathya (Gotama) (4); à la nais- « sance d'un fils, S'il appartient à la classe militaire , au « dire de Sonaka (5) ; lorsque ce fils a un enfant mâle , « sil est de la classe commercante, selon Brighou (6). » Et des peines religieuses s’ajoutent aux peines sociales : « Le Brahmane qui n’épouse pas une femme de sa classe, « et qui introduit une Soudra dans son lit, descend au (1) Voy. Manava-Dharma-Sastra, liv. IX et X, st. 5, 6, 7 et passim. Il nous est impossible de ne pas faire ressortir le contraste instructif que le Brahmanisme nous offre sur ce point avec l’Islamisme, aux yeux de qui les enfants des concubines et jusque des esclaves sont aussi légitimes que ceux des épouses libres: la raison en est simple: c’est Punité de foi qui, dans l’Islamisme, est le principe essentiel de l’insti- tution, et dans le Brahmanisme, c’est l'identité de race. (2) Liv. II, stance 15. (3) Atri passe pour l'auteur d’un traité de lois qui existe encore. (4) Gotama, célèbre législateur indou, dont on cite des textes. (5) Mouni, d’une grande célébrité. (6) Brighou est le narrateur des lois de Manou lui-même; il parle ici de lui à la troisième personne. 398 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ « séjour infernal. — S'il en a un fils, il est dépouillé de « son Brahmanat(1). Pour celui dont les lèvres sont pol- « luées par celles d’une Soudra (2), qui est souillé par son « haleine, et qui en a un enfant, aucune expiation n’est « déclarée par la loi (3). » L’adultère , aggravé du mélange des castes, met sous le coup des plus terribles châtiments, selon la classe des coupables, etselon les circonstances qui entourent le crime: La perte des biens, celle de la liberté, celle de l'honneur, celle même de la vie, frappent dans ce cas les hommes des classes supérieures (4). Le Soudra est puni de la perte du membre viril , pour Îe simple commerce avec une femme de l’une des trois premières classes ; si la femme est gar- dée, il est puni de mort (5). Un article plus cruel condamne même , dans ces cas, la femme adultère à être dévorée vi- vante , par des chiens, sur la place publique, et son com- plice à être brülé vif sur un lit de fer chauffé à rouge (6). IIT. Nous voyons respirer Le même sentiment, et sous son influence naître les mêmes craintes, et par suite s’éta- blir les mêmes réprobations, dans l’institution des divi- sions purement politiques des classes ; on les retrouve chez les Grecs et Les Romains, et chez les barbares. « Varron, dit Ballanche, avait cru que les enfants, qu’à Sparte, on précipitait du Taygète, étaient non les enfants mal con- formés, mais les enfants issus d’unions prohibées. « Une loi des Douze Tables, restituée par Cicéron, don- (1) Manava-Dharma-Sastra, liv. III, st. 47. (2) Littéralement : pour celui qui boit l’écume des lèvres d'une Soudra (Notes de Loiseleur des Longchamps). (G)Aive TU; stM0r (4) VIII, stances 375, 2376, 377, 378, 379. : )MEdE ste08 71e (6) he 374, DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 399 nerait lieu de croire que la même chose se faisait à Rome. Qu'on se rappelle, ajoute-t-il, que les patriciens seuls avaient la beauté civile, qu’on se rappelle encore cette expression natura secum discors, pour exprimer l’union réprouvée entre le sang patricien et le sang plébéien, et l’on comprendra celle-ci : insignem ad deformitatem, em- ployée pour désigner un enfant que la loi condamnaïit à périr. L'enfant né de ces sortes d’unions, était un monstre civil (1). » Certaines dispositions de la loi Julia et de la loi Papia sont bien évidemment empruntées du même esprit, quoi-- que, plus libérales, par les envahissements de l’élément populaire dans le gouvernement, elles ne proscrivissent plus que l'alliance des patriciens avec les esclaves et les affranchies. Un instant abrogées, par Aurélien, ces dispo- sitions recurent des empereurs Claude et Vespasien une agoravation et une vigueur nouvelles. Non-seulement les enfants issus de ces alliances n’appartenaient point à l’or- dre des patriciens, mais ils perdaient même l’ingénuité civile, et retombaient au rang de simples affranchis. Quant à la mère, si le père avait ignoré sa condition, elle deve- nait eselave , et s’il l'avait connue, elle restait affranchie. L'Édit de Vespasien est encore plus sévère : il porte que toute femme libre qui épouse un esclave doit, dès ce mo- ment, être tenue pour esclave (2). Le même système a régné parmi les Germains ; et la dif- férence entre les deux classes (les hommes libres et non libres ), était si marquée et d’après Koutorga, « ils veil- (1) Ballanche, Palingénésie sociale, première édition, in-8, Paris, 1829, ture (2) Alexandri ab Alexandro, Genialium dierum lib. IV, cap. xxn, p- 237,238. 360 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ laient avec un soin si sévère à ce que leur origine se con- servât pure, que l’individu de condition libre, qui con- tractait mariage avec une personne esclave, en était puni. Dans les temps postérieurs, on attacha même à cette in- fraction, la perte de la liberté (1). » - C’est de la même idée que semble découler l'institution de la noblesse de famille, dans des temps plus moder- nes (2). L'observation pratique, et fondée sur une loi mé- connue mais réelle, celle de l’innéité, qui avait décidé le plus aristocratique génie de la Grèce, après Héraclite, Platon , à repousser de sa république toute hérédité de fonctions et de pouvoirs (3), n’était pas de nature à pré- valoir dans toutes les intelligences, contre les inductions sociales de la loi contraire, la loi d’hérédité : « In san- « guine sua est phahtasia, disait Van Helmont, quæ quia « potentius ibidem viget, quam in rebus cæteris, et quia « eadem phantasia tradux inest, obid nempè in posthumo « mores, gestus et conditiones avi emicant. Nobilitas ex « benè merità virtute ortum sumpsit. Hine nobilitas im- « merito continuà stirpis propagatione augeri suspicare- « tur, nisi avorum mores ac virtutes in seris nepotibus « elucescere sperarentur probabiliter (4). » Partie de ce principe, vrai dans certaines limites, et qu’on a sans raison accusé de nos jours, de lavoir per- due (5), la noblesse, dans la force et la vigueur première (1) Koutorga, de l'Organisation de la tribu, p. 145. (2) Benjamin Constant, de La Religion, loc. cit. — Ed. Neubus, pass. cit., t. I, p. 201, 202. (3) Voy. deuxième partie, liv. E, chap. 11, p. 159. (4) Joan-Bapt. Van Helmontis, de Magneticà vulnerum curatione, Theatrum sympatheticum, p. 303. (5) Rien n’est, à notre sens, plus radicalement faux que cette opinion soutenue par Niebuhr, et qui est devenue une sorte de lieu commun DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 361 2 de son institution, se faisait une loi d’honneur de ne pas mêler son sang au sang des autres classes. Dans ses moin- dres alliances elle ne scrutait pas, avec moins de scru- pule, la pureté de la généalogie, que les Arabes en Afri- que, ou que les membres des comices hippiques de nos jours, les yeux sur les Stud-Book (1) de France, ou d’An- gleterre, ne scrutent la pureté de celle de leurs chevaux. D’autres institutions découlent évidemment de la même origine. IV. Peut-on rapporter à une cause plus simple et plus naturelle, qu’à cette même foi dans l’hérédité de tous les attributs de la nature morale, et des aptitudes dont elle est le principe, le fait si général de l’hérédité des profes- sions ? La croyance sur ce point est immémoriale , et selon les époques et les peuples, on la trouve consacrée par les d'explication physiologique de l’extinction de la noblesse : il y a dans la noblesse deux éléments distincts : l'un est l'institution, et l’autre est la race : la première n’est tombée que par des causes sociales ; la seconde a péri par des causes étrangères à la génération. Ce n’est certainement pas que le défaut de croisement ne puisse avoir en soi de fâcheuses conséquences; mais on verra plus loin qu’on a fait, dans ce cas, une application fausse d’un principe vrai à la théorie de la disparition des familles nobles. Le moment de la discussion de la question de principe se présentera plus tard : quant à la question de fait, en ce qui touche la noblesse, nous ne pouvions mieux faire que de renvoyer au curieux mémoire d’un membre de l’Institut, Benoiston de Château-Neuf, sur la Durée des familles nobles, en France (Annales d'hygiène publique et de médecine légale, Paris, 1846, tom. XXXV, p. 27). (1) Le Stud-Book est un vaste dictionnaire ou répertoire indiquant toutes les filiations des chevaux ou jument!s issus, sans mésalliance, des chevaux ou juments originairement importés d'Orient. L'établissement du Stud-Book anglais remonte à l’année 1603. La France à aussi aujourd'hui son Stud-Book, publié par ordre du ministre du commerce et de l’agriculture, sous la direction de l’admi- nistration des haras. Cet ouvrage, commencé seulement en 1838, en est aujourd’hui à son troisième volume. 362 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ lois, ou simplement passée en pratique, dans les mœurs. Toutes les professions sont héréditaires, chez tous les peuples soumis à la division sacerdotale des castes, et l’hé- rédité en est obligatoire. Cette obligation légale des en- fants de succéder aux sciences, aux arts, ou aux métiers exercés par les pères, n’est pas exclusive, dans l’Inde,aux quatre castes ou classes primitives ; elles’étend à toutes les innombrables classes dites impures ou mêlées ; l'emploi de chacune d’elles est fixe comme son nom (1). Il en était ainsi, par la même raison, et de l'Ethiopie, et de l'Egypte anciennes. Les sept castes qu'Hérodote comp- tait dans ce pays, devaient rester fidèles aux professions des pères (2). Il est même vraisemblable, c’est du moins notre avis, que l’hérédité des professions est le type pri- mitif, la forme élémentaire de toutes les institutions fon- dées sur le principe de l’hérédité de la nature morale. Les capacités se répartissent d’abord naturellement. On suit son instinct, l’homme comme l’animal, la race, la tribu, la famille, comme l’espèce : l’habitude se développe par l'exercice, par l’habitude l’art, par l’art l’intérêt; l’inté- rêt, la nature et l'éducation concentrent de plus en plus Part dans la famille ; l’opinion l’y renferme, puis Le temps suivant son cours, viennent les institutions, les religions, les conquêtes, qui à la place du fait traditionnel, mais libre, substituent le devoir, et à la volonté spontanée du père, ou aux dispositions instinctives des enfants, la vo- lonté de la loi, du vainqueur, ou du prêtre. C’est ainsi qu’on s’explique, non-seulement comment le fait de l’hérédité des professions se lie si étroitement au (1) Manava-Dharma-Sastra, liv. X. (2) Hérodote, IT, 143 et 164. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 303 fait de la division en castes, mais pourquoi il se retrouve, chez des peuples où le système des castes n’existe pas, et où les professions sont libres, comme elles l’étaient dans la Grèce antique. Partout, en effet, et antérieurement à toute institution, à toute expérience, l’homme reconnait d’abord qu’il n’est 0 auteur, qu’il n’est pas plus la cause de ses facultés / / qu'il ne l’est de sa nature, qu’il ne l’est de sa vie ; partout il reconnaît que tous les attributs qui lui sont départis, toutes les activités de la force qui l’anime, ont une source antérieure et supérieure à lui, dans la cause sacrée de son origine. De là, une première idée, qui se retrouve au fond de toutes les religions (1), et dont le mythe d’Apollon est, dans le polythéisme, un magnifique symbole, l’idée de di- vinité de principe et d’essence de tous les talents, de tous les dons de la vie, et par eux de toutes les sciences et de tous les arts. Mais l'inégalité de la distribution de ces bienfaits des dieux, fondée sur l’expérience de l’inégalité et de la variété des aptitudes des hommes, entraine néces- sairement l’idée de privilége ; et celle de privilége ou de prédilection des dieux pour leurs élus, celle de la trans- mission de toutes leurs faveurs aux enfants qui naissent d’eux et qui les représentent. L'institution n’a donc pas besoin d'exister, ni la loi d’être expresse, pour que l’hérédité de la profession naïisse de l'opinion de celle de la faculté dont elle est l’exercice. Toutes les facultés, dans cet ordre d’idées, participent de cette loi, et par les facultés toutes les fonctions, investi- tures sacrées, à la tête desquelles apparaît celle d’organede la divinité, le privilége du prêtre. Aussi l’hérédité du sa- (1) Voy. de Burigny, Théologie paienne, tom. IT, chap. xvir, p. 81 et suiv. Paris, 1754, 2 vol.in-19, 364 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ cerdoce est-elle de fait et de coutume, chez la plupart des peuples, où elle n’est pas de droit, et se monire-t-elle en Perse (1), en Judée (2), au Mexique (3), où la division en castes n'existait pas, et jusque dans les Gaules, parmi les Druides (4), dont les fonctions étaient cependant électives par l’institution (5). Le polythéisme grec nous a représenté le même phéno- mène. L’hérédité s’y montre dans le plus éminent attri- but du prêtre, la vaticination. « Les idées des Grecs sur le don de prophétie, dit Ben- jamin Constant, semblent avoir eu quelque analogie avee celles des peuples modernes sur la noblesse. Ils pensaient que cette faveur des dieux se transmettait du père au fils. Calchas descendait d’une famille qui en avait joui depuis trois générations (6); Mopsus devait le jour à Man- to, fille de Tirésias(7). Amphiloque était prophète, comme son père Amphiaraüs. Evénius, raconte Hérodote, avait recu du ciel la divination, parce que les Apolloniates Pavaient injustement privé de la vue; et l’historien ajoute, comme une conséquence naturelle de ce fait, que Déiphonus, fils de cet Evénius, remplissait dans l'armée les fonctions de devin (8). C’est par cette foi des Grecs dans l’hérédité des dons de la prophétie, que le même auteur explique l’existence des nombreuses familles sacerdotales dont il est fait mention (1) Hyde, de Religione Persarum. — Schmidt, de Sacerdot. el sacrifie. Ægypt., p. 8. (2) Edom-Neushii, ouv. cité, lib. IL, p. 201. (3) Acosta, Histoirenaturelle et morale des Indes occidentales. (4) Diodore, IL, 47. (5) Benjamin Constant, ouv. cité, mème vol., p. 84. (6) Apollon. Rhod., Scol. 1, 139. (7) Strabon, liv. XIV. (8) Hérodote, IX, 92, 94. DANS LA FROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 365 dans l’histoire de ce pays. IL y avait, dit-il, peu de villes en Grèce, où l’on ne rencontrât quelque famille sacerdotale : les Branchides et les Deucalionides habitaient Delphes({ ); les Evangélides, descendants adoptifs des Branchides, résidaient à Milet ; les Telliades, à Géla (2). Aïlleurs, les Clitiades et les Jamides : ceux-ci rapportaient leur ori- gine à Apollon, dont Jamus, leur fondateur, était fils : ce dieu lui avait accordé d’entendre la voix des Dieux et de lire l’avenir dans les flammes. C'était en Elide qu’ils s'étaient fixés (3). Chez les Athéniens, les Eumolpides, les Céryces, les Etéobutades avaient la surintendance des mystères (4). Mais dans ce pandémonium de l'intelligence humaine, où tous les dons de la vie se tiennent par leur unité d’ori- gine en Dieu, lelien naturel, qui rattache la divinationau sacerdoce, rattache Le principe de toutes les connaissances à la divination; la même raison qui donne à chaque fa- culté de la nature son Dieu, donne à chaque science son culte, son temple, ses oracles, et leur réunion ne nous présente plus que des formes d’une seule et même vatici- nation dont lesinspirations passent, par privilége, d’abord du Dieu au prêtre, et par génération, du prêtre à ses en- fants. Tous Les dons d’Apollon, la poésie, l’éloquence, la médecine, les beaux-arts, étaient héréditaires, et tous par- ticipaient, à titre de divins, de la révélation, comme la prophétie même ; enchainement remarquable, qui en ra- menant ainsi toute faculté au Dieu , ramenait toute science au temple, et, dans le temple, aux prêtres. (1) Hérodote, IV. — Varron, Divin. rer. liber, etc. Cd MHLe TEE IX :37. (3) Pind. Olymp., VI, 69, 291. — Hérod., IX, 32. — Cicer., de Divina- tione, lib. I, 41. (4) De la Religion, tom. IE, liv. I, ch, r, p. 297, 298. 366 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ C’est ainsi qu’en Grèce, et ailleurs, tant de sciences, et surtout la médecine, sont restées si longtemps, même sans le concours des lois ni des institutions, concentrées dans leurs mains. Ainsi, quoique avant le siége de Troie, la médecine n’eüt pas été chez les Grecs, d’une manière exclusive, entre les mains des prêtres, les plus anciens prêtres de la Grèce, Les Gurètes et les Cabires, s’occupèrent déjà de l’art de guérir (1), et l’idée de l’hérédité de cet art, comme simple forme ou branche de la divination, est aussi an- cienne, dans les traditions grecques, que celle de l’art lui- même. Esculape, ce dieu originaire d’Orient, comme, d’après E. Littré, tous ceux de l’Olympe grec (2), Escu- lape, personnage soit fictif, soit réel (3), dont la théogonie d'Hésiode ne parle pas, n’avait pas reçu des Grecs son apothéose, il n’était encore pour le vieil Homère, ou plu- tôt pour l’époque où remontent ses chants, qu’un excel- lent médecin , que ses talents étaient déjà transmis à ses enfants (4). Plus tard, l’idée de sa divinité, et la transfor- mation de son tombeau en temple (5), ne firent qu’ajouter, chez ses descendants, à l’art divin de guérir, la qualité de prètres. (1) Sprengel, Histoire de la médecine, traduit par A.-J.-L. Jourdan, Pa- ris, 1815, tom. I, chap. 1v. (2) E. Littré, OEuvres complètes d'Hippocrate. Paris, 1839, tom. I,p. 6. (3) Voyez à ce sujet l'opinion du docteur allemand Rosenbaum (Ga- zelte médico-chirurgicale de Salzbourg, tom. I, 1841, p. 155), et celle du docteur Malgaigne (Lettres sur l’histoire de la chirurgie, Gazette des hôpitaux, 1842). Nous serions tenté de croire que les Grecs n'emprun- tèrent aux nations orientales que l’idée d’un Dieu de la médecine, et qu'ilsidentifièrent ce Dieu à-son plus ancien représentant traditionnel en Grèce. (4) Iiade, liv. XI. (5) Auguste Gauthier, Recherches hisloriques sur l'exercice de la mé- decine dans les temples, 1 vol. in-18. Lyon, 1845, p. 15. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 307 Les prêtres d’'Esculape, ou les Asclépiades, se disaient en effet de sa postérité, et c’est à ce titre qu’ils exercè- rent l’art dans les Asclépions, et qu’ils y fondèrent les écoles d'Italie, de Cnide, de Rhodes et de Cos, la plus cé- lèbre de toutes et qui vit naître Hippocrate. IL y avait, d’a- près le professeur Choulant, 750 ans qu’elle y était gar- dée, comme un secret de famille et l’apanage des prêtres, lorsque le vrai père de la médecine antique prit naissance dans son sein (1). Chez les Eléens, deux ou trois autres familles s’étaient arrogé de joindre de père en fils, au don de prédire l’avenir, comme conséquence, le don de guérir les maladies (2). Cette tendance naturelle à l’héré- dité professionnelle, en Grèce, s’étendait à d’autres arts, et s’y maintint longtemps. Tout récemment encore une inscription laissée par un rhéteur grec, Nicagoras, Da- douque des mystères d’Eleusis, et recueillie dans un des tombeaux des rois ou syringes, qui existent en Egypte, à Thèbes, dans la vallée de Biban-el-Molouk, a permis au savant Letronne de reconstruire sa généalogie, et lui a révélé, dans cette même famille, de l’empereur Adrien à l'empereur Constantin, une succession de cinq généra- tions de rhéteurs de père en fils (3). Ce fait, qui si longtemps régit les sociétés, se prolonge, dans quelques-unes, presque jusqu’à nos jours. Chezquel- ques hordes africaines, il y a des pêcheurs et des chas- seurs héréditaires (4). Chez les Turcs, l'administration de la justice est la propriété de certaines familles qui en exercent héréditairement les fonctions (5). Les Lapons ) Ou. cité, p.79. ) Hérod., IX, 33. — Pausan., IL, 2, 1V, 15. — Cicéron, de Divin. ) Journal des savants, 1844, p. 43. ) Iserts, Voyage, p. 224. (3) Porter, sur les Turcs. 308 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ ont des races de magiciens (1); et l’on en rencontrait de médecins et de poètes , dans les montagnes d'Écosse , jus- que vers la fin du dix-huitième siècle (2); aujourd’hui même la France en compte de rebouteurs (3). N. Il n’est pas enfin jusqu'aux législations civiles ou pénales, où cette foi générale à la représentation de la na- ture morale des pères dans les enfants n’ait, sous des formes plus graves encore, laissé des traces. Nous avons déjà dit que ce principe, à nos yeux, était le fondement naturel du droit de succession qu'ont uni- versellement consacré les premières(4);il est même arrivé que l’on a quelquefois arbitrairement réglé, d’après les mêmes idées, le partage des biens entre les enfants, dans les successions. Il est d’autres peuples chez qui elles sont intervenues dans lerèglement de l’état civil et social des en- fants, état qui dépendait de la part que chaque sexe était présumé prendre à la génération de leur nature morale. Ainsi chez les Lydiens, les enfants empruntaient leur nom et leur état, non du père, mais de la mère, de sorte qu’une femme libre qui se mariait à un esclave, donnait à la patrie un enfant libre comme elle, et un père libre qui épousait une esclave n’avait que des enfants escla- ves, comme leur mère (5). Une loi fort différente était en vigueur chez les Égyp- tiens. La loi égyptienne ne frappait ni d’esclavage, ni (1) Voyages d'Acerbi. (2) Pennant, À tour in Scotland. — Benjamin Constant, owv. cilé, tom. Il, p. 61, 62. (3) Il n'y a pas d'années que la Gazette des Tribunaux n’en cite des exemples. Astreints bon gré, mal gré, par l'opinion à suivre la profession de leurs pères, ils finissent la plupart par être traduits devant les tri- bunaux pour exercice illégal de la médecine. (4) Prolégomènes, p.5 et 6. (5) Girou, Philosophie physiologique, p. 310. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 3069 d’aucune espèce d’illégitimité les enfants issus d'une mère esclave. Le père seul pouvait transmettre l’ingénuité, parce que le père seul, dans leur opinion, communiquait la race, et que la mère n’avait point d’action sur la naïis- sance (1). Dans les cas analogues, chez les Germaine, la coutume variait selon les peuplades(2), et de nos jours, dans l’Inde, en Afrique, et parmi plusieurs hordes sauvages de l’Amé- rique du Nord, de Humboldt nous apprend que la suc- cession des chefs passe aux enfants des sœurs (3). VI. Quant aux lois pénales, qui ne reconnaitrait dans l'abus du principe et du fait naturels de l’hérédité morale la source de cette terrible solidarité qui faisait remonter le crime et le supplice d’un membre d’une famille à la famille entière, doctrine épouvantable, qui ne s’est que lentement effacée des lois, qui exceptionnellement s’y re- présente encore, et qui dans l’opinion garde malheureuse- ment trop de sa première puissance. [Il est aujourd’hui, comme autrefois, de droit positif et d'usage habituel en Chine et au Japon, d’envelopper la famille entière des coupables dans la punition de certains forfaits (4). Le même principe mitigé persiste, par exception, dans les lois prussiennes. Faut-il, après cela, s'étonner de le surprendre, sous milie expressions, dans les sentences des poëtes qui s’em- parent , en tout temps, des vérités physiques dont ils sont (1) Alexander ab Alexandro, Genialium dierum lib. IV, p. 238. (2) Koutorga, ouv. cité, p. 183. D’après lui, dans ce cas, l'enfant était ordinairement réputé non libre (Lex Ripuaria, tit. vin, $ 2), mais quel- quefois la condition de la mère entraînait celle de l'enfant : Partus se- guitur ventrem. (3) De Humboldt, Voyage aux régions équinoxiales. (4) Benjamin Constant, ouv. cité, t. II, p. 272. ï. 24 370 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ les échos, quand il ne leur arrive pas de les pressentir, et d’en être les devins? | Nous éprouverions plus de surprise à le voir avoué des philosophes comme des naturalistes, des jurisconsultes comme des Pères de l’Église, si le consentement général, en quelque sorte, à cette opinion, et le rôle qu’elle a joué dans l’humanité, ne révélaient d’abord qu’elle sort de l'hypothèse, et qu’elle doit avoir l’observation pour base. Comment interpréter autrement cet accord des monu- ments religieux, des institutions, des mœurs, et des idées des peuples, des temps, des hommes, unanimes, au milieu de leurs divergences, à l’établir en dogme, en loi ou en usage ? Elle a toute la sanction, et toute la valeur qu’une dé- monstration, par autorité d'opinion, peut avoir. Mais il reste à connaître celle, qu'indépendamment de toute opinion et de toute théorie, l’observation directe, et l’expérience de faits laissent à ce grand principe. DEUXIÈME SECTION. Des preuves d'expérience de l’hérédité de la nature morale. Avant d'appeler les faits à décider de la part que prend l'hérédité à la génération de la nature morale, nous de- vons expliquer sous quel jour la nature morale nous ap- paraît, et quel ordre général d’exposition des faits nous croyons devoir suivre. Ecartant, ici, les complications de tous les problèmes et de toutes les questions qui divisent les esprits sur la sub- stance de l'être, parce qu'elles ne sont pas essentielles au sujet, nous ne considérerons de la force qui nous anime que le pur dynamisme. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 371 Ce dynamisme renferme quatre ordres de facultés, où la physiologie fait intervenir la puissance nerveuse, où la philosophie fait intervénir l’âme. Nous considérerons ces quatre ordres, comme autant de formes d’activité d’un seul et même principe, quel qu’il soit, en lui-même : La première, sensorielle, comprend les sensations ; La seconde, sentimentale, comprend les sentiments ; La troisième, mentale, comprend l'intelligence ; La quatrième, motrice, comprend les mouvements, et tous les actes soumis à la force musculaire. Dans l’état d’anarchie profonde des opinions sur le système nerveux, nous avons dù repousser toute division fondée sur l’organologie et comme prématurée, et comme indémontrée,et comme nécessairement systématique, pour n’adopter le principe que d’une division purement fonc- tionnelle, la seule acceptable pour toutes les théories, comme la seule qui puisse être expérimentale ; et l’ordre précédent nous a paru le plus simple, le plus méthodique, et le plus convenable à une exposition rapide de cette par- tie des phénomènes de l’hérédité. ARTICLE I. De l’hérédité des caractères propres aux modes d'activité sensorielle de l'être. La loi d’hérédité régit-elle le principe des sens exté- rieurs, et intervient-elle dans les modes spéciaux de leurs perceptions? Cest, dans l’ordre des idées, de toutes les questions de lPhérédité nerveuse, la plus élémentaire et la moins étudiée. 1% DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Ce n’est pas la moins curieuse, ni la moins instructive. Les facultés externes obéissent d’abord à la loi spécifi- que : la nature de l’espèce décide de leur nature, de leur nombre, de leurs modes. Sous ce premier rapport, les êtres de même espèce ont originellement les mêmes sen- sations, comme originellement ils ont les mêmes orga- nes. Le toucher, l’odorat, le goût, la vue, l’ouïe, pro- priétés communes à l'humanité, doivent, par cette raison, y être spécifiquement transmissibles comme elle. Mais cette transmission, évidente par elle-même, n’a jamais fait question. La question à résoudre est celle de savoir si les types spécifiques de nos sensations recèlent des modes personnels de sentir, sur lesquels l’influence héréditaire s’exerce ? La question, dans ces termes, beaucoup plus délicate, n’est pas moins nettement tranchée, pour tous les sens. Il n’en est aucun où ne nous apparaissent de ces spécia- lités individuelles dans le mode de sentir ; il n’en est au- cun, où l’hérédité de ces spécialités ne se manifeste. S I. — De l’hérédité des modes sensitifs du tact et du toucher. Le tact constitue la forme élémentaire et le mode, en quelque sorte, le plus universel de la sensibilité animale de la vie.J. Muller en a très-bien défini l’étendue, les mé- tamorphoses, et l’ubiquité : « Toutes les parties, dit-il, dans lesquelles il y a pos- « Sibilité de sentir la présence d’un stimulus, depuis le « simple sentiment, jusqu'aux modifications de la dou- « leur et du plaisir, toutes celles qui sont susceptibles de sensations de chaleur et de froid, appartiennent à ce sens. Ses sensations s'étendent à la totalité du système animal et du sytème organique, bien que la netteté varie À = À À DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 313 « à l'infini dans les diverses parties. Le sens du toucher « pénètre même dans les organes d’autres sens, où il dé- « pend de nerfs autres que ceux qui président à la sensi- « bilité spécifique : ainsi il y a sensation tactile à l’œil, « dans l'oreille, dansle nez, dans l'organe gustatif. La sen- « sibilité générale, appelée cœnœæsthesis, n’offre rien de « particulier ; ce n’est que le toucher dans les parties in- « ternes, toucher dont le mode est susceptible d’une infi- « nité de modifications ; en santé, depuis le sentiment du « bien-être jusqu’à la volupté et au chatouillement ; en « maladie, depuis la lassitude jusqu’à la douleur (1). »Les causes excitatrices de l’activité de ce sens protée peuvent être atmosphériques, elles peuvent être mécaniques, chi- miques, électriques. Quelle que soit leur nature, les effets qu’elles produi- sent sont sujets à deux ordres de variations : le premier relatif au caractère même, et à l’intensité de l’action qui les développe; le second relatif à l’idiosyncrasie et à l’é- nergie du dynamisme vital sur lequel ils s’opèrent. La zoologie nous montre, à quelle distance, les espèces, sous ce rapport, sont les unes des autres. Tous les modes généraux de la sensibilité tactile diffèrent entre elles : les unes sensibles au chaud, les autres sensibles au froid, les autres aux variations des deux températures, au point de ne pouvoir vivre, en dehors des conditions thermo- métriques propres à leur existence. Parmi ces espèces il en est de complétement inhabiles au toucher, d’autres au tact lui-même, ou qui ne l'ont attaché qu’à de cer- taines parties, tandis que d’autres espèces en jouissent par (1) Muller, Physiologie du système nerveux, traduite par A. J.L Jour- dan. Paris, 1840, t. II, 3e partie, p. 608. 314 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ tout leur être dans toute l’étendue, dans toute la perfec- tion de son activité. Notre espèce est peut-être de toutes les espèces, celle chez laquelle ce sens atteint au plus haut point de son dé- veloppement. Mais il est bien loin d’avoir, chez tous les hommes, la même délicatesse, ou la même énergie. Il y offre, au contraire, des variétés sans nombre. Ces diversités tiennent moins encore, peut-être, à la structure du système cutané, qu’au degré de puissance et de délicatesse de la sensibilité générale de l'être. Ge qui démontrerait qu’elles ont cette origine, c’est que la perfection du tact et du toucher est la plupart du temps en relation intime avec le degré de susceptibilité et d’ac- tivité fonctionnelle de la vie, et que toutes les influences qui modifient les unes, impriment presque toujours une modification correspondante à l’autre. Qu’elles viennent du mécanisme, ou comme nous le pensons, du dynamisme même, toutes les variétés dont le tact et le toucher peuvent être susceptibles, dans l’huma- nité, s’y montrent entre les races. Naïssent-elles, chez ces races, du climat où elles vivent, oude l’idiosynerasie pro- pre à chacune d’elles ? nous ne le déciderons pas. Mais il est vraisemblable qu’elles y ont à la fois l’une et l’autre origine ; ilest certain, du moins, que de grandes diffé- rences existent, sous ces rapports, entre les races du Nord et celles du Midi. Ces différences sont loin de ne se rap- porter qu’au degré de tolérance du froid ou du chaud. On peut établir en règle, avec Barthez, qu’aux degrés oppo- sés de la latitude des températures touchent les degrés inverses de la latitude des sensibilités (1). Les races où l’on rencontre la sensibilité tactile la plus exquise et la (1) Nouveaux éléments de la science de l'homme, p. 265. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 319 plus développée, sous tous ses modes d’être, sont en géné- ral les races du Midi ; les races chez lesquelles elle est la plus obscure et la plus imparfaite, sont en général les ra- ces du Nord. C’est dans les mêmes pays, où comme le dit Barthez, il semble qu’un voile de matière plus épais rende le prin- cipe vital moins accessible, et où, par cette raison, la vio- lence des remèdes est une nécessité de traitement et de salut dans les maladies, c’est dans ces pays, dis-je, que, selon l’énergique mot de Montesquieu, i! faut écorcher Phomme pour le faire sentir. Le Lapon, dit Girou, qui boit de l’huile de tabac pour calmer une colique n'a pro- bablement pas la peau plus irritable, que l'habitant des côtes occidentales de l'Amérique du Nord, qui se coupe les chairs aux yeux de l’Européen, et rit de sa surprise (1). Ces idiosynerasies du tact et du toucher ne sont pas, dans notre espèce, exclusives aux races ; elles s’y repré- sentent, au sein des mêmes races, et sous toutes les for- mes d’impression tactile, entre les personnes. Rien de plus varié que le type individuel de sensibilité à la température. Fuster pose en principe, et ce principe est vrai, que les qualités de l’air n’impressionnent l’éco- nomie, que d’après ses tendances propres, ou la nature de ses dispositions (2). « La sensibilité organique, selon lui, n’obéit pas servi- lement à l’action physique de l’atmosphère ; elle ne cède à son empire que dans les limites toujours incertaines de ses aptitudes acquises ou originelles. Cette sensibilité si mobile, tantôt exquise, tantôt obtuse, parcourt d’un (1) Philosophie physiologique, p. 29. (2) Fuster, Des maladies de la France dans leurs rapports avec les saisons. Paris, 1840, 1 vol. in-8, 1re partie, p. 76. 376 DE LA LOL D'HÉRÉDITÉ extrême à l’autre un champ beaucoup plus grand que l'échelle ordinaire des variations météorologiques. Les uns s’ouvrent aisément à des qualités atmosphériques qui n’émeuvent point les autres ; ceux-ci y sont sensibles dès qu’elles se manifestent, ou avant même qu’elles se ma- nifestent ; ceux-là ne les ressentent que lorsqu’elles ont beaucoup duré, ou qu’elles n’existent plus (1). » D’après le même auteur, il y a même des personnes, qui, à l’instar deplusieurs animaux, pressentent les chan- gements de l’atmosphère, avant les moindres indications des instruments les plus subtils. Zimmermann avait fait la même observation, et il était allé jusqu’à rattacher au tempérament nerveux, dans notre espèce, cette divi- nation de l’état atmosphérique : « un air épais et humide abat sur-le-champ, disait-il, les personnes de ce tempé- rament; elles perdent tout courage ; un air serein et très- élastique les ranime subitement; elles deviennent gaies, allègres, pensent et agissent aisément, et sentent déjà le matin, avant de se lever, quelle est la température de l'air. Cet état de l’air s’annonce, chez quelques-uns , par la sensation très-agréable d’un petit froid au nez. Serait-ce donc s’exprimer d’une manière ridicule que de dire qu’il y a des gens qui flairent le beau temps (2). » Cette étrange faculté de pressensation tactile peut se rapporter sans doute à un état morbide, mais peut aussi s’allier, dans plusieurs autres cas, à une santé par- faite. Tissot (3) a vu très-souvent un homme, d’ailleurs bien portant, chez qui les paipitations de cœur annon- (1) Fuster, ouvr. cit., 2e partie, p. 358 et 361. (2) Zimmermann, Traité de l'expérience, t. II, p. 319. (3) Tissot, des Nerfs et de leurs maladies, ch. 1, art. 11. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 311 caient infailliblement les tonnerres des orages vingt-qua- tre heures à l’avance (1). Il est d’autres personnes, chez lesquelles, cette sorte d’hyperesthésie à l’influence de l’air va jusqu’à une vé- ritable aériphobie (2). Pomme parle, d’après Laugier, d’une demoiselle Majot, qu’un degré de plus ou de moins d'ouverture de la fenêtre incommodait au point de la faire évanouir (3). Alibert a connu une autre personne à qui l'impression de l’air était si sensible, et si insuppor- table, qu’elle se condamnait à vivre dans une chambre hermétiquement fermée, et nous avons nous-même donné nos soins à un oflicier supérieur, revenu de l’Afrique avec une telle terreur du vent, que le plus léger souffle le jetait dans un état d’exaspération voisin de la manie (4). Ces inexplicables susceptibilités de l’énergie tactile peuvent même aller jusqu'à la photophobie : Van Swieten cite l'exemple d’une jeune fille qui tombait en convulsion, à la moindre impression de la lumière (5). Pomme dit aussi avoir connu , à Tarascon , une vaporeuse invétérée qui vivait entourée de ténèbres, dans une chambre close, ne pouvant supporter l’impression trop vive des rayons lumineux ; cette vaporeuse n’en accouchait pas moins d’un enfant tous les ans (6). Les individus présentent d’aussi étranges différences dynamiques de sensibilité, à toutes les autres formes d’im- (1) Fuster, ouv. cité, loc. cit. (2) Portal, Observations sur la nature et sur le traitement de la rage, art. 5. (3) Pomme, Traité des affections vaporeuses, 6° édit., Paris, 1795, 2 v. Micée (D Tee (4) Voyez encore le fait rapporté par Tissot, d’après Boyle, owv. cité, page 59. (5) Comment. in Aphor., t. I., p. 28. (6) Pomme, ouv. cit.,t. I, p. 33. 318 DE LA LOL D'HÉRÉDITÉ pression cutanée, aux excitations mécaniques, chimiques, électriques du toucher. Il est des hommes chez qui ces ex- citations sont imperceptibles, et dont le toucher grossier, etcomme imparfait, est dansunétat naturel d’hébétude. Ils se heurtent, se piquent, se brülent, se déchirent, presque sans en souffrir.Îlen est d’autres doni l’impressionnabilité, à tous ces excitants, est des plus exquises, et dont l’âme en quelque sorte va jusqu’au bout des doigts; ils jouissent, avec extase, ou souffrent avec torture, de tout ce qui agit sur leur épiderme. Haller et Zimmermann parlent de femmes à qui le contact, le bruit, l’approche même du taffetas, d’une étoffe de soie, ou du velouté d’une pêche causaient des spasmes et des horripilations (1). On a vu ces effets aller, chez un médecin, jusqu’à la sueur froide (2). Nous ne contestons pas que ces dispositions du tact et du toucher ne puissent survenir, ou ne puissent s’acqué- rir, jusqu’à un certain point : elles peuvent être tempo- raires, elles peuvent se développer, elles peuvent se per- dre, mais toutes celles d’entre elles qui ne sont point de cet ordre, qui n’appartiennent point à la maladie, sont nécessairement naturels aux êtres, et proviennent chez eux ou de l'innéité ou de l’hérédité. Quelle qu’en soit la nature, soit qu’on les attribue à des diversités d’organisa- tion du système cutané, soit qu’on les rapporte, avec Zim- mermann et Girou de Buzareingue (3), à des diversités du tempérament, soit qu’on se borne simplement, et sans les expliquer (4), à reconnaitre en elles des idiosyncerasies, dans les trois hypothèses, l'induction nous dit qu’elles sont (1) De l’ Expérience, t. III, p. 233. (2) Dictionnaire pittoresque d'Histoire naturelle, t. I, art. Antipathie. (3) Philosophie physiologique, p. 290 à 300. (4) Fuster, ouv. cit., 1re partie, sect. 2, p. 70. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 379 héréditaires, puisqu'il n’est pas une seule de ces origines des dispositions individuelles où nous n’ayons vu inter- venir la loi de l’hérédité (1). L'expérience ne permet même pas d’en douter. On peut tenir des parents le type personnel de sensibilité à la température. Le fait est démontré, même dans le règne végétal. L’assolement d’abord a donné, sur ce point, de curieuses lumières : on s’est assuré qu’il y avait une action mar- quée de la semence sur la quantité et sur la qualité de la récolte qu’elle donne, selon la différence du sol et du cli- mat d'où la semence provient ; elle recèle en quelque sorte, la température de la race et du ciel où elle s’est engendrée. Les espèces opposées de sols et de climats pro- fitent, par cette raison, d’un changement de semence. Dans les montagnes d’Ecosse, on fait venir les semences des Pays-Bas, et des plaines dont le climat est plus doux, et où par conséquent les semences sont plus hâtives, qua- lité que toujours elles conservent pendant quelques géné- rations. On s’est convaincu que le cultivateur de ces pays montueux, s’il voulait toujours semer sa propre semence, obtiendrait des récoltes de plus en plus tardives, qui à la fin, peut-être, ne parviendraient même pas à leur maturité. Cette circonstance s’explique par la plus courte durée de l’été dans ces montagnes. Si, d’un autre côté, le cultivateur d’un pays plat, dont le climat est doux, et le sol sec et léger, voulait continuellement em- ployer la semence de sa propre récolte, elle pousserait d’année en année plus tôt en épis ; les tiges deviendraient de plus en plus courtes, les épis et les grains toujours (1) Voy. plus haut, 2e partie, liv. IT, ch. 1, art. 3, p. 241 et suiv. 380 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ plus petits, et il finirait par en résulter de très-maigres produits (1). L’hybridité est venue corroborer le fait sur lequel re- posent ces coutumes de culture. Un naturaliste fort distingué, Neumann, en a fait l’objet d’expérimenta- tions, dans ces derniers temps. La logique l’avait induit à supposer que si, par exemple, on fécondait le pistil d’une plante tropicale, avec le pollen d’une plante congénère de région froide, la graine qui en naïîtrait donnerait proba- blement une plante moins sensible au froid que sa mère. Les expériences n’ont pas tardé à confirmer son opinion. Ainsi, dit-il, parmi des rhododendrons provenus de fé- condation artificielle croisée, entre les rhododendrons de la Chine et ceux de l'Amérique septentrionale, il en est qui passent l'hiver en pleine terre, et d’autres qui n’y résistent pas. On peut même reconnaitre, à certains ca- ractères, les individus qui possèdent, et ceux qui ne pos- sèdent pas cette propriété (2). Mais, la transmission de la sensibilité à la température est aussi bien prouvée, pour nous, dans le dernier, que dans le premier cas : la différence dont parle l’expérimen- tateur ne tient évidemment qu’à celle des deux espèces dont l’action l’emporte : dansun cas c’est le rhododendron de la Chine, dans l’autre c’est celui de l'Amérique du Nord qui propage au produit son type originel desusceptibilité. Des faits identiques s’observent tous les jours, chez les animaux, et dans l’espèce humaine. Nous en avons nous- même un exemple sous les yeux. Une famille du Midi s’est depuis très-longtemps transportée à Paris: plu- (1) Bronn, Influence de l’origine de la semence sur la quantité et la qualité de la récolte, dans ,e Journal d'Agriculture et d'Economie rurale du royaume des Pays-Bas, t. XII, p. 182 et suiv. (2) Bulletin de la Société royale d'agricullure, janvier 1846. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 2381 sieurs des enfants sont nés à Paris même, mais ceux qui y sont nés, comme ceux qui n’y ont été que transportés, dans leur première enfance, sont de la plus extrême sensi- bilité à l'impression du froid ; il semble, pour ainsi dire, que la génération leur ait inoculé la réminiscence du cli- mat paternel. Une des filles s’est alliée à un individu ori- ginaire du Nord et insensible au froid, quand il n’est pas extrême. L'enfant né de cette union est encore plus fri- leux peut-être que sa mère ; il frissonne, comme elle, au moindre abaissement de la température, et il redoute, au point de craindre de sortir, impression de Pair, sitôt qu’il devient vif. L'hérédité régit aussi positivement toutes les autres formes de sensibilité naturelle du tact. IL est d’observa- tion, et c’est un point facile à vérifier, que les parents transmettent à leur progéniture, comme la finesse ou la grossièreté des formes, comme la rudesse ou la délica- tesse de peau, les imperfections ou les perfections les plus singulières du tact et du toucher. La peau n’a point de modes d’hyperesthésie ou d’anesthésie qui nous semblent devoir faire exception à cette règle. Une femme dont la sensibilité tactile est d’une exaltation, qui transforme en supplice la plus petite blessure, s’est ma- riée à un homme doué au plus haut degré de la qualité contraire. L'intelligence, chezlui, nemanque pas d’un cer- tain degré d’activité ; mais la peauet le cœur sont impas- sibles. Ils ont donné le jour à une fille aussi dure à la douleur externe que peut l’être son père. Nous l’avons vue supporter, sans se plaindre, et sans paraître presque s’en apercevoir, des douleurs qui, pour nous, eussent été très-sensibles. Les cas opposés, ceux de l’hyperesthésie naturelle du 382 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ tact, sont encore plus fréquents. Une forme sous la- quelle l’hérédité en est d’observation vulgaire, est celle du plus ou moins de sensibilité au chatouillement. Des familles presque entières y sont insensibles, d’autres s’y montrent sensibles, au moindre attouchement, jus- qu’à la syncope. Les antipathies mêmes, de la nature de celles dont nous avons parlé, qui, chez certai- nes personnes, s’éveillent au simple contact, ou à la sim- ple approche de certains objets, le taffetas, la soie, le lié- ge, ete., proviennent très-souvent du père ou de la mère. Noussavonsune famille, entre autres, dont plusieurs mem- bres, tant filles que garçons, éprouvent instinctivement, au toucher du liége, ou du velouté des pêches, une telle sensation de frémissementinterneet d’horripilation, quela vue même de ces fruits leur est insupportable; il faut les leur servir dépouillés d’enveloppe. L’irritabilité trans- mise de la peau n’a, chez d’autres familles, d’autre expres- sion que celle d’une délicatesse exquise du toucher. On sait jusqu’où allait cette délicatesse chez Anne d'Autriche. Elle l'aurait propagée à l’un de ses enfants, si, comme Girou le pense, le goût du Masque de fer pourle beau linge, ajoute à l’autorité du sentiment qu'il était fils de cette reine, pour laquelle il n’y eut jamais de linge assez fin (1). S IL. — De l’'hérédité des modes sensitifs de l’odorat et du goût. L’odorat et le goût sont sujets aux mêmes variétés spé- cifiques et individuelles. Nous avons insisté déjà sur les premières, nous en avons montré toute la diversité, dans le sens du goût, chez les (1) De la Génération, p. 287. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 383 animaux (1). Chaque espèce a, chez eux, sa nature d’ali- ment, herbe, fleur, fruit, ou proie. La diversité du sens de l’odorat n’y est pas moins extrême; toutes les espèces n’ont pas la même apti- tude à sentir les odeurs. « Il doit, dit Muller, dépendre des forces qui animent les parties centrales de l’appa- reil olfactif, que le monde odorant d’un herbivore dif- fère totalement de celui d’un carnivore. Les carnas- siers ont un nez très-fin pour lés qualités spécifiques des substances animales, pour suivre à la piste, mais ils ne paraissent pas sensibles à l’odeur des plantes, ni des fleurs. L'homme se trouve placé au-dessous d’eux, par rapport à la finesse de l’odorat, mais le monde de ses odeurs est plus homogène (2). L’homogénéité spécifique de ce monde des odeurs de l’homme n’exclut point d’extrêmes variétés personnelles. Ces variétés communes au sens de l’odorat, et à celui du goût, sont relatives au degré de la sensibilité qui les ca- ractérise, et aux anomalies dont ils sont susceptibles. Les différences quirègnent, sous le premier rapport, en- tre les individus, vont de la nullité presque absolue du goût et de l’odorat jusqu’à une acuité qui tient du pro- dige. IL y a des palais qui ne perçoivent qu’à peine, et qui ne peuvent parvenir à analyser les qualités sapides ; ilenest d’autres qui souffrent, ou qui jouissent des moin- dres nuances des diverses saveurs (3). Il existe de même des nez quin’odorent pas, et des nez d’une finesse qui par- ticipe presque de la divination (4). Cardan, Zimmermann (1) Voy. plus haut, 1re partie, liv. I, ch. 11, p. 49, 50 - 56. (2) Muller, Physiologie du système nerveux, t. IT, p. 599. (3) Bichat, Recherches sur la vie et la mort, art. 3, S 1. (4) Voy. plus haut, p. 162. 384 DE LA LO! D'HÉRÉDITÉ et Jean-Jacques Rousseau avaient même attaché à cette excellence du sens de l’odorat des idées singulières. Car- dan en tirait des conséquences à la pénétration d’esprit ; Zimmermann, à la sensibilité du tempérament; Rousseau, à la puissance de l’imagination. Les variétés qui naissent des anomalies de l’un et de l’autre sens sont plus singulières ; elles tiennent aux per- ceptions des qualités sapides et odorantes des corps et de leurs consonnances. Les saveurseneffetont leurs consonnances. Il en est d’el- les, ainsi que des sons ou des couleurs, dont l’une exalte à l'œil la sensation de celle qui lui est opposée ou complé- mentaire. Lelaitetlecafé semblentaigresaprèsavoir mâché delaracine deroseau aromatique. La saveur des choses dou- cesaltère le goût du vin, que celle du fromage rehausse (1). Muller, en avouant qu’il est impossible de réduire à des principes généraux ces contrastes naturels des saveurs, ajoute, avec raison, que l’art culinaire a eu, dans tous les temps, le talent empirique de mettre en œuvre les règles de succession el d’association de ces consonnances, ainsi que la musique et la peinture l’ont eu de mettre en pra- tique celles de l’harmonie sans en connaître les lois (2). Il n’est pas démontré, d’après le même auteur, que les odeurs soient soumises aux mêmes lois de conson- nance et de dissonance, mais tout le porte. à le croire (3). « La fétidité, dit-il, est pour l’odorat, ce que la couleur est pour le toucher, l’éblouissement ou le défaut d’har- monie des couleurs, pour la vue, la dissonance pour l’ouïie ; c’est l’opposé de l’odeur suave (4). » ) Muller, ouv. cit.,t. IT, p.606. ) Muller, Physiologie du système nerveux, t. II, p. 606. ) ) Mb te Ip 599; Loc. cit. (L (2 (3 (4 DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 389 Soit que l’on admette, soit que lon rejette l’idée de ces analogies, une conformité réelle des sensations de l’odorat et du goût, avec celles de l'oreille et de l’œil, est limpuis- sance où sont plusieurs individus de percevoir ces lois de rapport des sensations, si tantest qu’elles existent ; c’est de plus la variété d’impression que produisent les mêmes sa- veurs et les mêmes odeurs, selon la nature des êtres. Il est certain , d’après Muller lui-même, que la fétidité et la suavité sont purement relatives dans Le règne animal, et que beaucoup d’animaux recherchent, avec empresse- ment, ce qui nous offense le nez (1). Le même fait se répète dans l’espèce humaine. Il est plus rare qu’on ne croit, de voir plusieurs personnes d’accord sur la nature de saveurs ou d’odeurs même très- prononcées. Ces dissentiments ne sont pas de réflexion, comme Bichat a fait la faute de le croire (2), mais de pure sensation, et comme tels antérieurs à toute action men- tale et indépendants d’elle. Il en est ainsi de l’impression de plaisir ou d’aversion qu’elles causent (3). Les saveurs délicieuses à de certains palais révoltent d’autres palais, d’où le proverbe tous les goûts sont dans la nature, et la sage maxime de n’en pas disputer. On voit des gens aimer des odeurs qui suffoquent ; des femmes, par exemple, celle de corne brülée, sans présenter pour cela de symptôme hystérique. Les parfums les plus suaves, pour d’autres odorats , sont des odeurs nulles, ou des odeurs infectes. Blumenbach a cité des exemples de per- sonnes qui ne trouvent au réséda qu’une odeur herbacée. (1) Ouv. cit., t. IE, p. 599. (2) Bichat, Recherches sur la vieet la mort, art. 3, 8 1. (3) Id., mêm ouv., loc. cit. Fe 25 386 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Muller s’avoue du nombre (1). On a vu redouter jusqu’à l’odeur des roses et de la violette. Une femme appréhendait celle de cette dernière fleur au point d’en percevoir de très-loin la présence. Un moine ressentait un effet si pé- nible des sensations de l’autre, que, pendant la saison de floraison des roses, il se tenait enfermé au fond de sa cellule (2). Toutes ces bizarreries, soit qu’elles ne consistent qu’en de simples différences de délicatesse de l’odorat ou du goût , soit qu’elles en constituent des anomalies, rentrent évidemment, comme celles du toucher, dans le caractère des idiosynerasies, etsè prêtent aux mêmes considérations. Un premier point de rapport qu’elles présentent avec celles de ce dernier sens , est celui d’être innées. La subtilité de l’odorat et du goût est, à tous ses degrés, naturelle chez les êtres, depuis l’hyperesthésie jusqu’à l’anesthésie de l’un et de l’autre sens. Les nez délicats et les palais fins sont originels, et il est depuis longtemps passé en aphorisme, chez les génies de la table, et chez les inspirés de l’art culinaire, que l’on naît gourmet. Les bizarreries de l’un et de l’autre sens sont aussi dans le même cas : la plupart sont de naissance. Un second point de rapport de ces variétés innées de l’odorat et du goût, avec les variétés analogues du toucher, c’est d’être le plus souvent, comme elles, de famille, c’est d’être transmissibles par génération. Sous le type spécifique, cette transmission est une loi constante ; les espèces herbivores paissent toujours les mê— mes plantes que paissaient leurs pères ; les carnivores dé- vorent toujours la même proie ; les oiseaux, les insectes, (1) Muller, loc. cit. (@) Dictionnaire d'Histoire naturelle, t, 1, p. 224. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 387 s’attaquent aussi toujours aux mêmes sortes de feuilles, ou de fleurs ou de fruits dont se nourrissaient leurs premiers parents. Tous ont également les mêmes aver- sions. L’hérédité s’étend , sous ce rapport, aussi loin, dans l'instinct des saveurs , que la variété même. Par ces mêmes raisons , dans toutes les classes d'êtres, les espèces répugnent, ou ne répugnent pas, à telles ou telles odeurs. Les mêmes attractions, les mêmes répulsions, sous le type individuel, sont soumises non plus à la règle con- stante, mais à l’action de la loi de l’hérédité. L’anosmie se propage souvent par cette voie. On ren- otre des familles qui n’odorent pas ; d’autres jouissent A de l’odorat le plus développé et le plus délicat. Il est même des races, parmi les animaux comme parmi les hommes, dont cette faculté est l’éminent attribut, des races à nez fin. La subtilité de l’odorat du nègre, si incompréhensible, qu’on l’a regardée, chezlui, comme complémentaire d’une lacune de raison (1), la portée aussi merveilleuse du même sens, que possèdent les Américains indigènes (2), se retrouvent aussi vives dans leurs descendants; et il est bien connu que, dans l’espèce canine, c’est à l’hérédité de la sagacité native de l’odorat, que tient, en grande partie, la valeur de la race et de l'individu. Les qualités du goût sont sujettes, sous le même type, au même mode de transport. (4) Zimmermann, Traité de l'expérience, loc. cit. (2) Morton, Crania americana, Boston, 1840. Les uns attribuent l’inconcevable pénétration de l’odorat, chez ces races, à un plus grand développement de la membrane olfactive, les autres à un plus grand exercice du sens. Voy. Prichard, Histoire naiu- relle de l’homme, Paris, 1843, t. II, p. 88, 89. 353 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ L'hybridité en donne, chez les animaux, de curieux exemples. Le cochon a un goût très -prononcé pour l'orge; le sanglier le dédaigne, et se nourrit d’herbe et de feuilles. On a vu, du croisement de la truie domestique et du san- glier, naître des petits qui avaient, les uns l’aversion de l'orge, comme le sanglier, les autres le goût de l’orge, comme le cochon (1). On rencontre tous les jours des faits analogues dars l'espèce humaine , chez les familles les plus diverses de position , de rang et de fortune. Saint-Simon nous apprend, dans ses curieux mémoires, que Louis XIV était d’une voracité et d’une gourmandise extraordinaires : presque tous ses enfants étaient, ainsi que lui, gourmands et grands mangeurs. Dans beaucoup de familles, entourées cependant du luxe de la table, pères, mères, enfants, avec le meilleur appétit, efileurent à peine les mets, ou préfèrent, dans le nombre, les mêmes aliments. Il en est chez lesquelles on observe une hydrophobie naturelle : trois membres d’une maison qui nous est connue, la grand’mère, la mère, une des filles, mangent à sec, jusqu'aux soupes qu’elles se font convertir en bouillie, et elles ne boivent, pour ainsi dire, pas. Leur répugnance native contre les liquides est telle, qu’elle résiste à la fièvre, et qu’il faut renoncer, presque complé- tement, à toutes les tisanes. Cette hérédité des dispositions les plus ordinaires de l’odorat et du goût, se rencontre jusque dans les ano- malies les plus prononcées de ces deux mêmes sens. On voit l’anesthésie, on voit l’antipathie à certaines odeurs, à certaines saveurs, ètre une disposition naturelle (1) Burdach, Trailé de physiologie, t. 1, p. 267. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 389 de famille. Descartes (1) et Mallebranche (2) avaient tous deux compris qu’il fallait remonter, dans la plupart des cas, pour leur explication, au delà de la naissance, et tous deux rapportaient ces phénomènes bizarres à la sympathie de la mère et de l’enfant dans la gestation. Nous ne prétendons pas rejeter cette théorie; elle peut s'appliquer à un ordre de faits; on en cite des exemples : tel est entre autres celui que les Éphémérides germani- ques racontent. On y lit, qu’une femme enceinte, tour- mentée du désir de manger des écrevisses, en dévora une si grande quantité qu’elle en eut la diarrhée, et que la pe- titefille dont elle devintmère, naquitavec un goûtsi décidé pour elles, qu’elle les mangeait toutes crues(3). Mais il n’est pas moins vrai, que l’origine de ces singularités est souvent antérieure à la conception même, et qu’elle est d’autres fois étrangère à la mère. L’aversion ou le goût, toujours si prononcés, qu’on a pour le fromage, donne lieu de le vérifier chez detrès-jeunes enfants. Dans une nom- breuse famille de notre connaissance le père et la mère en mangent avec plaisir : la grand’mère lavait dans le plus profond dégoût. Quatre des enfants, trois garçons et une fille partagent le même dégoût : il est complétement étranger aux deux autres. Schenck cite un exemple encore plus décisif de lhérédité de cette aversion : elle était com- mune à deux frères dont la mère avait pour le fromage un goût passionné ; mais la répugnance du père était telle, qu’à la seule odeur, il était sur le point de tomber en syncope (4). (1) Ren. Descartes, Principia philosophiæ, in-4°, apud Elzevir, de Pas- sionibus, part. II, art. cxxx, p. 60. (2) Mallebranche, de la Recherche de la vérité, édit. in-12, t. F, liv. IL, page 263. (3) Ephemer. Germanic., Dec. II, an. IX et X, obs. 133. (4) Venette, Génération de l’homme. 390 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Cette hérédité des prédispositions appétitives porte sur bien d’autres espèces d'aliments. Godefroy-Samuel Pelisius connaissait un jeune homme, phthisique, qui était saisi d’une sueur froide aux mains et au visage, et près de s’é- vanouir, à la vue de harengs ou d’une vinaigrette; son père avait eu les mêmes antipathies ; il finit cependant par vaincre, avec le temps, cette répulsion et par manger des mets qui la lui inspiraient (1). IL en est de plus étranges, et dont on ne triomphe pas toujours avec bonheur. Telle est la répugnance à se nourrir de chair, répu- gnance dont l’abbé de Villedieu fut victime, le siècle der- nier. Caresses des parents, menaces des précepteurs, rien n'avait pu lui faire surmonter ce dégoût. Dès sa plus ten- dre enfance, et jusqu’à trente ans, il ne s’était nourri que de légumes et d’œufs. Pressé plus tard de faire quelques tentatives pour changer de régime, il s’essaya d’abord à prendre du bouillon de bœuf et de mouton, et finit par pouvoir manger de ces deux viandes. Mais la répugnance était sans doute instinctive, car on vit succéder rapide- ment à ce changement d’alimentation, la pléthore, lin- somnie, et une fièvre cérébrale terminée par la mort (2). Un journal judiciaire donnait, l’année dernière, un exemple remarquable de l'hérédité de cette inexplicable antipathie du goût. Une inculpation grave amenaït sur les bancs de la cour d’assises de la Meurthe, à Nancy, l’accusé Patenotte : « Les débats, dit le journal, ont révélé « à l’égard de cet accusé une particularité assez singu- « lière, et qui lui est commune avec son pére : c’est une « répugnance invincible, et poussée jusqu’au plus violent (1) Sigaud de Lafond, Dictionnaire des merveilles de la nature, t. I, p. 122, 193. (2) Journal de médecine, août 1760. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 391 « dégoût, pour tous les aliments composés de substances « animales. Dix-huit mois passés, dans un régiment du « génie, n’ont pu triompher de cette étrange disposition, « et il a été obligé de quitter les drapeaux (1). » En opposition à ce fait tout nouveau de la transmission par la voie séminale d’une aussi bizarre aversion du goût, nous rappellerons un fait très-ancien, et souvent cité, de l’hérédité de la dépravation la plus abominable du pen- chant contraire; c’est le fait de l’histoire d’Ecosse em- prunté par Gaubius, à Hector Boeth. Cet auteur fait men- tion d’une jeune fille dont le père était entrainé par un penchant violent et irrésistible à manger de la chair humaine, penchant qui le poussa à des assassinats : quoi- que séparée de son père et de sa mère, condamnés au feu avant qu’elle eût un an, quoiqu’élevée au milieu de per- sonnes respectables, cette jeune fille succomba, comme son père, à l’inconcevable désir de manger de la chair hu- maine. Nous devons avouer que le fait ne nous étonne pas plus, qu’il n’a étonné Gaubius, Zimmermann (2), Lamettrye (3) et Gall (4). S III. — De l’hérédité des modes sensitifs de la vue. Le type spécifique des facultés de l’œil, comme celui du toucher , du goût , de l’odorat, a ses variétés et ses anomalies, et l’observation va nous y présenter, sous un jour plus curieux , la part originelle de l’hérédité aux moindres caractères de nos sensations. (1) Gazeite des Tribunaux, 21 mai 1844. (2) Traité de l'expérience, t. TI. (3) Lamettrye, OEuvres philosophiques, édit. in-4°, l'Homme machine, page 145. (4) Gall, sur les Fonctions du cerveau. Paris, 1825, vol. 1, p. 208. 392 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Il n’est pas une seule des facultés optiques qui ne puisse offrir de ces diversités et de ces anomalies , et il n’est pas une seule des singularités que l’on y rencontre , dont l’hé- rédité ne puisse être le principe. Toutes tiennent au mécanisme, ou au dynamisme de l’organe visuel. I. Parmi les plus vulgaires particularités de la vision, que le mécanisme explique, s'offrent, en première ligne, le strabisme, la presbytie, et la myopie, toutes trois de famille, toutes trois transmissibles par génération. Portal a signalé l’hérédité de la vue à la Montmorency, strabisme incomplet, dont étaient affectés presque tous les membres de cette originale et illustre famille (1). Une fa- mille plus modeste, celle d’un simple et digne oflicier de santé, dont on nous permettra de taire ici le nom, nous a présenté à nous-même un exemple de la propagation du père aux enfants du strabisme le plus caractérisé. Les médecins de Breslau , avaient , le siècle dernier, recueilli dans cette ville plusieurs faits semblables (2); mais les observations de ce genre sont trop vulgaires pour nous y arrêter. Celles d’hérédité de la myopie et de la presbytie sont presque aussi communes. Il n’est pour ainsi dire, personne qui n’en connaisse ou n’en ait vu d’exemples. Il en est, sous ce rapport, de la presbytie, comme de la persistance des facultés de l'œil : comme il est des familles, où ces facultés retiennent , au delà d’un siècle, leur éner- gie première (3), il en est un grand nombre dont les mem- bres ne doivent qu’à l’hérédité de la conformation de leur appareil optique la portée brève ou longue de leur vision. (1) Portal, Considérations sur les maladies de faille, etc. (2) Histor. morbor. Braislav., an. 1707, éd. Haller, p. 309. (3) Voy. plus haut, 2 partie, liv. IT, ch. 1, p. 280. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 393 Les recherches statistiques du docteur Furnari, sur les affections de l’œil, lui ont même démontré que la plu- part des myopes étaient fils ou petits-fils d'individus myopes. Dans la seule famille du docteur Lhéritier, la myopie s’est successivement iransmise de l’aïeul au père, et du père aux deux fils (1). Dans la famille M**”, le père, qui vient d'atteindre à ses quatre-vingts ans, est né le premier myope de sa famille : la mère ne l’est pas, les deux fils qui leur restent sont myopes comme leur père. On trouve dans Portal un fait d’hérédité d’une parti- cularité beaucoup plus singulière de la vision : deux frères, l’un de dix-sept et l’autre de quinze ans, ne pouvaient, quelques minutes, rester la tête baissée, sans perdre la vue ; ils ne la recouvraient qu’au bout de quelques mo- ments, après s’être relevés, et en portant la tête légère- ment en arrière. | Curieux de découvrir la cause de cette bizarrerie, Por- tal trouva chez eux, à l’examen des yeux, une dilatation extrême de la pupille, et il Lui sembla que le cristallin, avec sa capsule, s’insinuait en partie dans l’ouverture de la pupille, et faisait une saillie apparente dans la chambre antérieure de l’œil : cette espèce de hernie dispa- raissait lorsque les deux frères avaient tenu la tête rele- vée quelques instants : le père de ces Jeunes gens avait toute sa vie été sujet, comme eux, à cette cécité momen- tanée (2). Nous ne dirons rien ici de l’hérédité de la cataracte; les exemples en fourmillent; nous devons glisser sur les phénomènes qui n’appartiennent point, à proprement parler , à l'élément nerveux de la vision. (1) Piorry, de l'Hérédité dans les maladies, p. 120. (2) Portal, ouv. cit., p.87. 394 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ IL Une étroite dépendance de la nature intime de cet. élément est le caractère commun de la plupart de celles des anomalies des facultés optiques, dont le mécanisme de l’œil ne saurait rendre compte. Ces anomalies sont nécessairement celles des facultés de perception de la lumière, des formes ou des couleurs, triple force sensorielle de la vision, qui, selon les per- sonnes , offre les différences natives les plus étranges d’é- tendue, de quantité, et de qualité dela miraculeuse activité de l'œil. Toutes ces variétés de nature ou d’étendue de la vision, rentrent dans deux classes distinctes, où , indépendam- ment des causes dont elles proviennent, leur type symp - tomatique invite à les ranger. La première renferme les différents degrés d’insensibi- lité ou d’anesthésie des facultés optiques. La seconde comprend les différents degrés de suracti- vité ou d’hyperesthésie des mêmes puissances de l’œil. L’hérédité régit également ces deux classes. a) Hérédité des modes d’anesthésie de l'œil. La plus élémentaire des perceptions optiques, la seule qui soit encore sensible à l’œil éteint de quelques aveugles- nés (1), celle de la lumière, est susceptible chez l’homme, d’autant de degrés et d’inégalités que parmi les oiseaux. Depuis le regard de l’aigle, qui fixe le soleil, jusqu’à celui de la chouette, qui ne souffre que l’indécise clarté du cré- puscule, on retrouve en effet, chez lui , tous les types, toutes les gradations de cette faculté première et dernière (1) P. A. Dufau, Essai sur l'état physique, moral et intellectuel des aveugles-nés. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 395 de la vue. Manifestes déjà chez les aveugles-nés (1), ces différences sont encore plus prononcées chez les clair- voyants. On en a même donné, dans ces derniers temps , une démonstration exclusivement physique : de curieuses recherches sur la photométrie électrique, appliquée à la mesure de la sensibilité de l’œil, il est résulté que cette sensibilité peut varier du double, entre les individus, dans l’état naturel , et, conséquemment , qu’elle peut pré- senter jusqu’à l'infini, selon les personnes, les nuances intermédiaires entre les deux limites (2). Mais l’observa- tion purement physiologique avait depuis longtemps ré- vélé, chez les hommes, ces inégalités de la perception vi- suelle de la lumière, et l’hérédité de toutes ses gradations, et par malheur aussi de ses impuissances , depuis le pre- mier degré de l’anesthésie partielle, jusqu’à ce dernier degré d’anesthésie totale, où la cécité, cette nuit de la vie, ferme l’œil au jour, aux formes, et aux couleurs des Corps. L’hérédité se range , en effet, dans les causes qui pro- duisent la dernière, et elle peut la produire sous le type continu, sous le type intermittent. Elle peut la produire congénialement. Malgré la néga- tion téméraire de Louis, et le doute de plusieurs autres, il arrive aux aveugles d’engendrer des aveugles. Cette an- cienne opinion d’Aristote (3) est pour nous un fait hors de question : 1° La cécité de naissance peut être de famille. Portal cite le cas de quatre enfants issus des mêmes pa- (1) Dufau, ouv. cit., part. 1, chap. 1v, p. 51, 52. (2) Masson, Mémoires sur la photométrie électrique, deuxième mé- moire. Académie des Sciences, séance du 5 août 1844. (3) Aristote, Histor. animal, lib. V, Cap. vi. 396 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ rents qui étaient tous les quatre aveugles, en venant au monde (1). 2° La cécité des pères ou des mères peut atteindre les produits, de naissance. Persuadé de ce fait, le savant Huzard est allé jusqu’à dire, que si l’on voulait avoir ane race de chevaux aveu- gles de naissance, il serait possible de le faire, en choïsis- sant pour lareproduction, pendant plusieurs générations, des animaux aveugles, par suite dela fluxion périodique (2). Si le fait est incertain relativement à la race, il est très- positif, quant à la famille, pour diverses affections de l’œil, dans notre espèce. Un père aveugle, écrit Vander- monde, a des enfants aveugles (3). Nous lisons dans Venette qu’un pauvre aveugle, qui vi- vait d’aumône, engendra quatre garcons et une fille, qui naquirent tous les cinq aveugles (4). Ce fait n’est pas isolé. Il est confirmé par des obser- vations positives qui nous montrent diverses affections de l’œil suivies de cécité, chez les pères ou les mères, causant chez les enfants la cécité de naissance. Nous les présentons éparses, dans un tableau, qu’a bien voulu dresser, d’après notre demande, le directeur actuel de l’Institution Royale des jeunes aveugles, P. A. Dufau, auteur lauréat d’un ouvrage plein des aperçus les plus intéressants sur l’état physique et intellectuel des aveu- gles-nés (5). (1) Portal, ouv. cit. (2) Dictionn. usuel de chirurgie et de médecine vétérinaires, 2 v. in-8. (3) Vandermonde, ouv. cit., t. I, p. 69. (4) Venette, la Génération de l’homme, t. IL, p. 47. (5) P. A. Dufau, Essai sur l'état physique, moral et intellectuel des aveugles-nés, avec un nouveau plan pour l'amélioration de leur condition sociale. — Ouvrage couronné par la Société de la morale chrétienne, A vol. in-8°, Paris, 1837. 397 N DU DYNAMISME VITAL. LA PROCREATIO DANS *919P10789 919d-puels uf ‘sonbnoinewe Ans e] ‘[OU19)EU 9[9U0 79 919 “asoinetue Jed 9[8n94b 1n@S *a[{LUR] e| SUep souessieu op (as11d ‘o1pI 19 a18n94e ‘Jonwu-pinos ‘9191} uA ‘S93n01 “syeorop Xnof so] 1u0 sjuoied s97 ‘Sa1OIpl snjd 9p 19 ‘9/[9 2109 SANDS G ‘2[[2 2UITU09 91917 U ‘au-9[8n9A8 UIPUI98 UISU0") ‘Xn9 XNE UO199JJE 29AP 919N *asseq 9nA ‘919 RG ‘a[4{1ie] 2nA “2UPSSIEU 9p 2[FN9AE 9191] UN ‘“odokuwu ajpouo un ‘QUISIIO SUIQUI 8] 99AP ‘SUE CG e aç#noae said nod v ans ouf ‘PT 9al1Juf ‘IN] 209 2[8n94A6 9191} uf *TANSIA ANVIUO/T SNVA SHLOHIIV SINHUVd *SHpe[EUW JUOS XN9 À S9[}U0p ANDS ouf] ‘sanbnoineuue aqjue1 SUN 39 S9191J & *219P18109 AUN,P 918094 aJue] auf] ‘oxoui 19 919d ‘osseq anA ‘9191} uf ‘inf anb Je)9 owgtu 9] suep urew198 uISN09 un ‘91984829 994P 919d-puesr “ouiound onueqqdo *2S01neuUY “eurojind auemydO ‘o[eltup3u09 9so1neuYy “oudo}iind atmemuydo ‘ew10jind orujeqiudo og -W09 9119) SaJ[y Xn9p Jo uo94e3 un |-nsa1d 99uui9)9put osne ‘sue sindap 919818)P9 19 9S01nEY “29U1019)9pul anbiuoxqo oijenuydG DL "2s0in eu y : ‘SATIASIONAHE "QUIUH9)9pUI attu[eyqdQ ‘2[OIIP À ‘ay9ne3 P 2A1N99SU09 9981 -8169 ‘ouioJandottueqdo ‘21940 ‘apeyu98u09 o1do(r9 ÂN ‘PT DL “ouoyind anuçpeqqdo "a[e)1U98U09 919818787) DT ‘o[r}u94u09 9s01NPLUY ‘HLIDHO VT ga HSAVI | ‘sanol sil | Soguur saut Sa] SOp ojquey on4 ‘C/y Sue 6 ‘t/1 sue 6 *DDUESSIEN *SUE 6 “pI *SADUESSIEN "sue 6 *DI “JJUPSSICEN ‘sue $ *SIOUI 9 ‘sanof Gr ‘SUP G *"JDUPSSIEU 9 . 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Mais les jeunes aveugles entrent pour la plupart à l’insti- tution, dans des circonstances telles, qu’il est impossible d'obtenir d’eux, ou de ceux qui les amènent, des éclair- cissements sur l’origine du mal qui les prive de la vue, ni sur la relation de ce mal avec l’état des yeux de leurs pa- rents. Tel qu’il est, ce tableau offre matière à plusieurs consi- dérations, d’une certaine importance, qui prendront place ailleurs (1). Nous n’en tirerons ici que les deux consé- quences qui touchent directement au point dont il s’agit : La première, qui ressort de l’ensemble de ce relevé, c’est que la cécité est héréditaire ; La seconde, c’est que diverses causes de la cécité, spé- cialement l’amaurose, la nyctalopie et La cataracte quipri- vent de la vue un ou plusieurs parents, propagent dans les familles, non pas simplement la prédestination à la cécité, mais la cécité même : on voit dans les exemples de Clapot, Caffet, Croiset, Fèvre, Baudesson, Seguay et Tournaillon, la cécité de famille ou héréditaire, produite par ces trois causes, être congénitale (2). Mais il arrive encore beaucoup plus fréquemment aux malheureux pri- vés de la vue d’engendrer des fils prédestinés à la perdre comme eux. (1) Voy. tome II de cet ouvrage. (2) Voir le tableau ci-joint. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 399 Les vétérinaires sont presque tous d’accord sur la réa- lité de cette forme d’hérédité chez les animaux, et parti- culièrement dans l’espèce chevaline. Dès 1808, Huzard père demandait de rejeter des haras les juments af- fectées de fluxion lunatique, parce qu’elles transmet- taient ce mal à leurs poulains (1) : la plupart des auteurs ont admis, comme lui, l’hérédité de cette cause de la cé- cité. Bourgelat fait pour les chevaux affectés des maux d’yeux qu’il nomme essentiels, la recommandation d’Hu- zard pour les juments (2). Demoussy, Thierry, de Royère, Garsault, Mangin (3) sont de la même opinion, et d’après ce principe, on a réformé plusieurs étalons dans les dé- pôts de l'État, parce qu'on avait remarqué d’eux à leurs produits cette propagation de la prédestination à la cé- cité (4). Les cas d’héréditéde ces prédestinationsfourmillent dans notre espèce, et particulièrement de celles à la cataracte et à l’amaurose. Portal (5), Beer (6), Demours (7), San- son (8), Joseph Adams(9), Brown (10), en citent plusieurs exemples. Dans celui rapporté par Sanson, le père, deux filles, deux garçons, ont tous été frappés d’amaurose, à l’âge (1) Huzard, Instruction sur l’amélioration des chevaux en France, an X, 1808. (2) Bourgelat, Exterieur, p. 446. — Voy. aussi Pichard, Manuel des haras. Paris, 1812, p. 121, 122. (3) Mangin, Recueil de médecine vétérinære, t. V, p. 636. (4) Hurtrel d’Arboval, Dictionnaire de médecine, de chirurgie et d’hy- giène vétérinaires, 1838, t. IIT, p. 57. (5) Portal, ouv. cit., p. 86, 87. : (6) Lehre von den Augen Krankheiten. Wien. 1817. (7) Demours, Précis historique et pralique des maladies des yeux. Paris, 1893. É (8) Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique, t. IT, p. 98. (9) Adams, À philosophical dissertation on the hereditary peculiarities, of the human constitution, p. 12. (10) J. Brown, Cyclopedia of practical medicine, vol. IE, p. 419. 400 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ de 21 ans. Un cas recueilli par Brown est encore plus re- marquable ; les membres de la famille Lecomte, dit-il, voyaient clairement jusqu’à l’âge de 16 à 17 ans ; à cet âge, sans cause apparente, quelques-uns d’entre eux s’aperce- vaient d’un obscurcissement dans leur vue, et cet obscur- cissement croissait graduellement, jusqu’à ce qu’il fût de- venu une cécité complète : tel fut le cas, pendant trois générations, pour un certain nombre d’entre eux, dans chacune d’elles : mais tous ceux qui avaient passé cet âge critique ont conservé leur vue le reste de leurs jours (1). Fabrice de Hilden a vu la cécité poursuivre ainsi sa mar- che cinq générations, dans la même famille (2). Le tableau précédent offre des cas analogues. Il en est un, celui de la jeune Harang, qui nous était connu et qui nous a paru digne de quelques détails. Dans la triste famille qui fait le sujet de cette observa- tion, le grand-père était doué d’excellents yeux; la grand’mère a été frappée d’amaurose, à l’âge de trente- cinq ans. Sa fille mariée à un facteur des postes est à dix- neuf ans privée de la vue par la même affection. La cé- cité chez elle, quoique trop complète, lui laisse cependant un degré confus de sensibilité nyctalopique, qui lui per- met encore de percevoir vaguement la lumière de la lune. Des sept enfants auxquels elle a donné la vie, l’ainée, charmante jeune fille, devient amaurotique à l’âge de treize ans, et meurt à quinze ans, totalement aveugle; la seconde perd la lumière, à sa onzième année, par la même maladie qui s’annonce chez toutes de la même manière : de la céphalalgie , un léger strabisme, et la diminution (1) Baltimore med. and physic. Reg. 1819. (2) Cent. V, obs. 3. n'es DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 401 indolente mais croissante de la vision, jusqu’à la cécité. La troisième fille offrait, comme sa sœur, au même âge de onze ans, tous les mêmes symptômes ; elle ne voyait déjà plus à se diriger, lorsque le mal a cédé, soit mo- mentanément, soit définitivement, à l’heureux emploi des ressources de l’art. Des quatre derniers enfants, l’une est morte à deux ans, sans rien présenter de particulier, du côté de la vue. Une autre âgée de treize ans, lorsque je recueillais cette observation, n’avait point ressenti d’atteinte de l’affection qui afflige sa famille, et les autres étaient deux garçons, le premier de trois ans, le second d’un an, à peine, jus- que-là clairvoyants. A côté de ces faits si graves d’hérédité du type continu de la cécité totale, se placent d’autres exemples qui prou- vent l’hérédité du type intermittent de l'anesthésie com plète de la vision. La principale forme de ce type d’anesthésie est cette singulière anomalie de la vue qui ne permet de voir que le jour , ou qu’à la condition de la présence du soleil au- dessus de l'horizon (1). Ovelgun rapporte l'exemple d’une famille dont les membres devenaient aveugles pendant la nuit (2). La science a réuni plusieurs autres exemples de la reproduction, par la voie séminale, de la même affec- tion. Mais le plus remarquable, que nous connaissions, de l’innéité et de l'hérédité de ce mode d’amblyopie est celui que l’on doit au docteur Cunier. Dans l’observation qu’il en a recueillie, on voit toute une commune, celle de Van- derman, près de Montpellier, infectée, en quelque sorte, (1) Voyez dans Casimir Médicus, Traité des maladies périodiques sans fièvres, traduit de l'allemand, par Lefebvre de Villebrune. Paris, 1790, in-12.8 XX, p. 77 à 87, le résumé d’une foule d'observations de ce genre. (2) Act. natur. curios., vol. VII, obs. 28. I. _ 26 402 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ depuis six générations, dans toute la descendance d’un nommé Nougaret, de ce vice héréditaire. Ce vice n’atteint pas ceux des habitants étrangers à sa race, et il l’a suivie dans tous les autres lieux où elle a habité (1). IL existe également des faits de propagation, par l’hé- rédité, de la forme opposée de l’amblyopie, ou de la nycta- lopie, autre mode d’intermittence de la vision, qui ne permet de voir qu’au crépuscule, ou qu’à la chute du jour. Mais sa régénération se lie le plus souvent à celle de l’al- binisme, ou d'anomalies de l’œil dont nous allons par- ler (2). Ces anomalies, dont il a été précédemment question dans le cours de ce travail (3), sont celles qui constituent l’anesthésie partielle ou incomplète de l'œil. Les lacunes, qui les forment, portent sur la perception des images des objets, ou sur celle des couleurs. Le nombre, et la dimension des corps qui frappent la vue, varient à l'infini, selon les espèces d’êtres, et, dans: la même espèce, selon l’organisation particulière de l’œil. Il y a, disait Lecat, plus de différence entre les yeux de diverses espèces d'animaux, qu’il n’y en a entre toutes les espèces de lentilles. IL est donc clair que les différentes es- pèces d'animaux, et même que tous les hommes ne voient pas les objets de la même grandeur, ni une même quantité d'objets à la fois (4). Pour les animaux, le fait est hors de doute. Il n’est pas plus possible d’assimiler chez eux, pour la fonction, que (1) Annales d’Oculistique, t. I. (2) Voyez ce que nous disons de l’hérédité de la chromatopseudopsie. Plusieurs ont en même temps des tendances à la nyctalopie, à Aie bylie, et à la myopie. (3) Voy. deuxième partie, chap. 1, p. 465 .£ 140 (4) Lecat, Traité des sensations, t. II, p. 465, 466. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 403 pour la structure, les yeux simples ou points oculaires des vers, et des différents autres animaux inférieurs, dépour- vus d'appareils optiques transparents, les yeux composés ou à mosaique, qui, chez les insectes, et chez les crustacés, où ils présentent encore tant de variétés(1), isolent la lu- mière, et les yeux à milieux transparents, mais pourvus d'appareils réfringents, qui, chez les vertébrés, réunis- sent en foyer les rayons lumineux. Quantité, qualité, dis- stance, étendue de la puissance optique, degré de netteté, proportion de l’image, tout est nécessairement divers (2), dans la vision d’yeux si dissemblables ; tout doit s’y rap- porter, selon les espèces, et dans la même espèce selon les individus, à des nuances innombrables. Pour les hommes, et sous le type individuel, Le fait est tout aussi nettement démontré. (1) Muller a établi des modifications des yeux à facettes, cette classifi- cation qui fait bien juger de leurs diversités : {° Yeux composés dont la cornée présente des facettes, et qui sont pourvus de cônes transparents, sans lentille (les insectes et la plupart des crustacés décapodes). À. A facettes simples ; B. A fortes saillieslenticulaires sur la face interne des facettes (Meloe). 20 Yeux composés dont la cornée est lisse et sans facettes : A. Avec des corps transparents, coniques, arrondis à leur base, sans lentilles (Daphnia, Apus, Gammasus, Cyamus, etc.) ; B. A bases des cônes soudées avec la cornée (Limulus) ; 30 Yeux composés ayant des lentilles au-devant des corps coniques transparents : A. À cornée présentant des facettes (Calianassa, Cancer, Macu- latus, etc.) ; B. À cornée lisse en dehors , et présentant des facettes en dedans (Amhitæ, Hyperia, etc.) ; C. À cornée lisse en dehors, et présentant des facettes en dedans (Branchivpus). 49 Agrégation d’yeux simples, dont chacun contient les parties essen- tielles des yeux simples, savoir : une lentille, et un corps vitré sphérique, (plusieurs isopodes, tels que CGymothoe, et les insectes myriapodes, Julus). Physiologie du syst. nerv., t. II, p.321. (2) Muller, mém. ouv., p. 316, 317, et p. 335 ct suiv. 404 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ IL n’est pas rare, dit le docteur Vimont, de rencontrer des personnes qui voient très-distinctement les objets, mais qui n'ont qu’une idée très-imparfaite de leur vo- lume, de leur forme, de leur distance (1). Ces anomalies l’amènent même à penser que la partie de l’œil, qui sert à la transmission de la lumière, n’est pas celle qui donne la conscience de la forme, de l’étendue et de la distance des corps (2). Lecat, dont l’attention avait été frappée de ces singu- larités, est allé plus loin ; il a avancé « qu’un même homme, « qu'un même œil voit, dans un même jour, dans un «même moment, les objets, tantôt plus grands, tantôt « plus petits, selon certains mouvements qui se passent « dans cet organe, et certains états où il se trouve (3). » Les recherches sur la photométrie électrique, dont nous avons parlé, confirment, qu’en effet, il y a d’un jour à l’autre, dans la même personne, des variations du mode sensitif de l’œil (4). Maïs celles d’individu à individu sont bien plus étendues, et on a reconnu, dans ces derniers temps, à l'Observatoire, que la diversité individuelle des appréciations de l’œil était une cause réelle et notable d'erreurs, dans les observations astronomiques. Toutes celles de ces variétés de la vue qui proviennent des espèces, obéissent à la loi de l’hérédité de la structure spécifique qui régit l’appareil de la vision ; chaque espèce transmet par la génération, non la simple faculté de perce- voir la lumière, mais encore le degré et la manière de voir. Prouver que ces variétés, dans l’unité d’espèce, se produi- (1) Vimont, Traité de phrénologie humaine et comparée, Paris, 1838, t. II, p. 150. (2) Id., loc. cit. (3) Lecat, ouv. cité, p. 466. (4) Masson, memoire cité. L DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 405 sent entreles personnes, et qu’il en existe quitiennent de la naissance une plus imparfaite appréciation des formes ou du volume des corps qui frappent leurs regards, c’est, par le même principe, qui s'étend de l’espèce jusqu à l'individu, prouver l’hérédité des mêmes diversités, sous le type indi- viduel. Quelles quesoient en effet les causes mécaniques, ou dynamiques , auxquelles tiennent ces imperfections de la manière de voir, nous ne pouvons douter, d’après les faits connus, qu’elles ne soient transmissibles. Comme le dit Portal, on hérite du regard ; maïs, sur ce point spécial, nous manquons d'exemples directs qui nous l’attestent. Les exemples, au contraire, de l’hérédité de l’anesthésie partielle qui porte sur les couleurs sont en assez grand nombre. Ces faits si étonnants, qui démontrent à eux seuls, à quel point les lois organiques de la vue, et sans doute, en partie, celles de la lumière, sont encore ignorées, se pro- duisent presque tous héréditairement. Nous n’entendons parler que de ceux de ces phénomènes qui ne présentent pas un caractère morbide. « Il ya, dit Muller, beaucoup de personnes qui, par « une disposition innée de la rétine distinguent mal les « couleurs.Les nombreusesobservations du jeuneSeebeck, « sur ce phénomène, ont fourni les résultats suivants : « Outre les hommes qui ont de la peine à déterminer les « couleurs, il y en a d’autres qui confondent plus ou « moins ensemble des couleurs tout à fait différentes. On « remarque des nuances à cet égard, non-seulement au « degré, mais encore au mode de la confusion (1). » Et se fondant sur cette base, il a formé deux classes de (1) Muller, ouv. cité, t. II, p.447. 406 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ ces anomalies, l’une d’après le degré, l’autre d’après le mode d’anesthésie visuelle. Ai Goëthe, dans sa très-remarquable théorie des couleurs, les a toutes comprises dans une même classe, et sous un même nom, l’akyanoblepsie, parce qu’il croyait, à tort(1), que toutes avaient leur principe dans l’impuissance de l’œil à percevoir le bleu. D’autres dénominations, celle d’achromatopsie, ou de vision colorée (coloured-vision), avaient successivement été proposées, lorsqu'un Allemand, Sommer, leur a substitué l’appellation plus juste de chromatopseudopsie, (yep, ba5doc, &b) ou de perception inexacte des couleurs. Le docteur Szokalski , qui a adopté cette dénomination, dans son curieux travail sur ces anomalies, en a formé cinq classes, et nous allons nous-même suivresa division, comme plus analytique (2). La première classe renferme les observations qui se rapprochent le plus de l’insensibilité complète pour les couleurs, c’est-à-dire toutes celles où le défaut de per- ception du jaune, du rouge et du bleu ne présente à l'œil, dans les plus riches teintes naturelles des objets que des nuances de blanc et de noir. Le type le plus fidèle de cette véritable achromatopsie est le cas de Harris, cordonnier de Mary-Port, dans le Cumberland, dont une lettre de Hudart à Priestley (3), donne la description, avec tous les détails. (1) Dans plus de soixante cas de ces anomalies, il ne s’en est pas trouvé un seul qui présentât exclusivement le défaut absolu de percep- tion du bleu. L’imperfection de cette dernière sensation n’est pas rare; mais, d’après le Dr Szokalski, elle est toujours combinée avec l’insensi- bilité pour le rouge. (2) V.Szokalski, Essai sur les sensations des couleurs,S x, p.107et pass. (3) Philosophical transactions of the royal society of London. — 1777, p. 260. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 407 Cet homme pouvait juger très-exactement des grandeurs et des formes; mais il ne sut jamais distinguer les cou- leurs. Deux de ses frères avaient apporté en naissant le même défaut que lui; deux autres frères et sœurs en étaient exempis. La seconde classe renferme les individus qui peuvent percevoir trois nuances de lumière, le blanc, le jaune et le noir. Le docteur Szokalski reconnait qu’il n’a pu rencontrer un exemple exact et exclusif de cette variété, et une im- parfaite sensation du bleu lui a fait rejeter, comme proto- type de ce cadre, le fait si curieux rapporté par Har- wey(1):c’est celui d’un vieillard, qui, depuis son enfance, avait remarqué lui-même qu’il ne pouvait nommer les couleurs par leur nom, et quise désespérait de ne voir, dans les tableaux, qu’un aspect gris et sombre, dans un panorama qu’une fumée obseure, dans le lever du jour, dans le coucher du soleil, dans les plus riches nuances de l’are-en-ciel, dans les plus magnifiques scènes de la na- ture, qu’une teinte inanimée et qu’une froide et terne uniformité. La troisième classe est celle où les akyanopses, comme Goëthe les nomme, ont, outre la perception du jaune des akyanopses de la seconde classe, une sensation mixte qui, pour un œil bien organisé, correspondrait, d’après le doc- teur Szokalski , à la perception du bleu et du rouge. C’est dans l’auteur allemand Sommer, narrateur et su- jet de l'observation (2), qu’il en voit le modèle : le frère de (1) Transactions of the royal society of Edinburg, vol. X, p. 253. (2) Journal de chirurgie, par Graefe et Walthr, vol. V, p.20. 408 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Sommer , un de ses cousins, et son oncle maternel, vieiïl- lard de 76 ans , sont sujets au même vice. Witlloch Nichol (1) nous en fournit un autre exemple, où l’hérédité est très-bien démontrée ; il s’agit d’un en- fant âgé de onze ans qui ne voit dans le prisme que le jaune , le rouge et le pourpre, qui nomme bleu rougeûtre la couleur vert clair, rouge le vert ordinaire, et bleu le rouge de tuile. Quatre sœurs de cet enfant ont une sensation exacte des couleurs : le vice de sa vision est un héritage du côté ma- ternel ; il lui vient de son grand-père, officier de marine, et père de deux filles, et de deux garçons. Un seul de ceux- ci participe de l’imperfection de sa vue; mais, quoique personnellement exempte de ce défaut, une des filles l’a transmis, comme nous venons de le voir, à un de ses en- fants. Le D' Cunier a publié le cas le plus curieux peut- être de l’hérédité de cette forme de chromatopseudopsie : c’est celui d’une famille où cette anomalie n’a frappé que les femmes, et ne se transmet que par elles, depuis cinq générations (2). La quatrième classe de cette infirmité se caractérise par le défaut de la sensation du rouge et la substitution d’une sorte de gris cendré à cette riche couleur. La per- ception du bleu n’y diffère pas de celle des yeux ordinaires. L’illustre chimiste anglais, Dalton, rentre dans cette classe; 1l nous donne lui-même l’histoire détaillée des singularités de sa vision (3). D'une sœur et de trois frères qui forment sa famille, (4) Medico-chirurgical transactions, vol. VIT, p. 427. (2) Annales d’oculistique, t. I, p. 418. (3) Memoirs of the literary society of Manchester, vol. V, p. 25. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 409 deux seulement sont atteints de la même affection : ila eu l’occasion de la constater, dans d’autres familles, en plus forte proportion, quoique rien ne lui prouve, dit-il, que les chefs de ces familles, une seule exceptée, aïent été sujets à cette imperfection. Le fondeur écossais James Milnes est dans le même cas. L’hérédité de cette imperfection de la vue paraît prove- nir, chez lui, de son grand-père maternel : ni son père, ni sa mère, ni aucune de ses sœurs, n’en ont été atteints: elle existe, au contraire, manifestement, chez ses deux frères et lui (1). Enfin la dernière classe de chromatopseudopsie se forme d'individus qui ont la perception de cinq des couleurs premières, c’est-à-dire du blanc, du jaune, du rouge, du bleu et du noir. Cest la classe la plus riche de toutes en exemples, comme la plus fécoride en variétés, et naturellement celle dont l’hérédité doit être le plus fréquente. Mais nous n’insisterons pas sur ce point démontré, et dont il serait facile de donner d’autres exemples ; encore moins devrons-nous nous arrêter ici aux diverses théories qu’on en a présentées, et aux inconcevables conséquences qu’on entire. Ce qu’il nous importait seulement de rap- peler, c’était l'existence de singularités si étranges de la vue, et leur propagation par l’hérédité. 2° Hérédité des modes d’hyperesthésie de l'œil. Par un profond contraste à ces cas déplorables, où la gé- nération répand, dès la naissance, les ténèbres sur la vie, et (1) Vimont, Traité de phrénologie humaine et comparée, Paris, 1838, t. IT, p. 349. 410 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ à ces cas moins tristes, mais déjà si bizarres, oùelleaecorde à l’être le sens de la lumière, sans celui des couleurs, il surgit d’autres cas plus extraordinaires, où la génération dote la vision d’une puissance qui touche presque au sur naturel, et dont l’explication défie les théories de la science, à notre époque. Il ne s’agit point ici de phénomènes accidentels d’ex- tase, ou de magnétisme, ou de somnambulisme, il s’agit de phénomènes propres à Pétat de veille, de facultés na- tives, qui, si prodigieuses qu’elles nous apparaissent, ne sont, chez le petit nombre desindividus où elles se mani- festent, qu’une aptitude normale ou idiosynecrasique de l’activité visuelle. Ilexiste en effet, un certain nombre d’exemples d’in- dividus chez qui la vision déploie, d’une manière sponta- née, dans l’état naturel, tout l’incompréhensible des facultés optiques vulgairement rapportées à ce qu’on a nommé transposition des sens. On sait qu’on a rangé, parmi ses grands miracles, la vue à distance, et la vue à travers les corps opaques. Miraculeux ou non, on à observé l’un et l’autre phéno- mène, dans l’état ordinaire. Il semble, en quelque sorte, qu’on voie poindre la der- nière de ces deux facultés jusque chez des aveugles. Saunderson, malgré sa cécité complète, n’en avait pas moins, jusqu’à certain degré, perception de la lumière. Un jour qu’il assistait à des observations astronomiques qui se faisaient en plein air, il s’apercevait des moments où le soleil était obscurci par des nuages passagers, au point de pouvoir indiquer lui-même, avec précision, l’in- stant où il fallait suspendre ou poursuivre les observa- tions. L’organe visuel était cependant entièrement détruit DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 411 chez lui. Saunderson, conclut à ce sujet Diderot, voyait donc par la peau (1). Un contemporain anglais de Saunderson, devenu comme lui aveugle dès sa plus tendre enfance, et, comme lui, distingué par l'étendue de ses connaissances, n’était pas non plus totalement insensible à la lumière in- tense ; il était affecté différemment par les rayons du prisme (2). D’autres aveugles, il est vrai, comme Rodenbach, nient la réalité de ces perceptions vagues ; maïs cette né- gation ne prouve que pour eux-mêmes ; elle ne démontre qu’une. chose, c’est que cette perception, chez eux, n'existe pas. L’habile directeur actuel des jeunes aveugles, P. A. Dufau, à l’ouvrage duquel j'emprunte ces derniers faits, dit positivement que beaucoup d’autres aveugles affirment qu’ils reconnaissent s’ils sont dans un endroit éclairé ou obscur. Il en a vu plusieurs regarder fixement le soleil, et s’apercevoir, quand un nuage venait à passer sur son disque. De petits enfants se font quelquefois, dit- il, un jeu de cette perception confuse de la lumière : ils placent une main horizontalement sur leur front exposé aux rayons solaires, et battent l’air devant leurs yeux éteints (3). Si de la cécité, nous passons maintenant à la mutité, ce ne sont plus seulement les simples rudiments, c’est la plénitude de ces deux facultés extraordinaires, que va nous offrir un type de ce dernier genre d’infirmités hu- maines, le muet de Théodore-Agrippa d’Aubigné ; ami, le (1) Diderot, Lettres sur les aveugles, p. 103. (2) Encyclopédie Britannique, art. Blind. — Dufau, Essai sur l’état physique, moral et intellectuel des aveugles-nés,\ch. iv, p. 51, 52. (3) Dufau, ouv. cité, p. 52. 412 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ compagnon et le juge de HenriIV, homme dont letémoi- gnage a pour nous tout le poids de son grand caractère et de l’irréprochable loyauté de sa vie. Il entre, sur ce point, dans une foule de détails très-circonstanciés, qu’on peut lire tout au long dans ses mémoires secrets, et dans ses épîtres familières. Ce muet spécifiait jusqu'aux pièces de monnaie qu’on avait dans les poches. Enfin on a retrouvé la même aptitude naturelle chez des hommes doués de la plus parfaite intégrité des sens. Un mathématicien, le célèbre Huyghens, rend lui-même témoignage d’un phénomène semblable. Dans une de ses lettres écrite au père Mersenne, à la date de La Haye, 26 novembre 1646, il dit textuellement : « qu’on a vu, à An- « vers, un prisonnier dont la vue était si perçante, qu’il « découvrait, sans aucun secours d’instrument, et avec fa- « cilité, tout ce qui était caché, ou couvert, sous quelque « sorte d’étoffe ou d’habits que ce fût, à l'exception seu- « lement des étoffes teintes en rouge(1).» Circonstance que les faits de chromatopseudopsie, que nous avons cités, rendent très-digne de remarque. De nos jours, Gaspard Hauzer a aussi présenté, mais à un moindre degré, dans son énigmatique et tragique exis- tence, cette hyperesthésie des facultés optiques : ilaperce- vait Les étoiles invisibles à la vue ordinaire, et pouvait dis- cerner les couleurs, au milieu des plus épaisses ténèbres. Plus récemment encore, un médecin de Strasbourg, le docteur Willaume, aux yeux de qui, sans doute, au re- bours d’un grand sceptique du siècle dernier, Frédéric-le- Grand, l’incompréhensible est toujours l’absurde, ra- (1) Variétés, Hist. phys. et litt. Paris, Noyon 1752, t. II, 2° part., p. 475. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 412 conte cependant, dans une lettre adressée à l’Académie royale de médecine, avoir vu lui-même, de ses yeux, à Strasbourg, au milieu d’une foire, chez des saltimban- ques, une femme, en apparence d’une bonne santé, qui, sans préparatifs, sans passes, les yeux bandés, et le dos tourné aux spectateurs, devinait, lisait, voyait. Elle dési- gnait de quel métal était une montre, l’heure qu’elle in- diquait, de quelle espèce était une pièce de monnaie qu'un individu tenait dans la main, quelle était l’efligie, le millésime de cette pièce, etc. De l’aveu du témoin, le bateleur ignorait jusqu’au nom de magnétisme, et le docteur Willaume, donnant, à sa manière, une solution d’un problème qu’il ne peut réussir à comprendre, décide que ce sont de pures jon- gleries dont il n’a pas la elef (à). Mais de tous les faits de ce genre, le plus extraordi- naire, en ce qui touche la vue, le plus généralement et le mieux constaté que l’état naiurel ait présenté, peut-être, est celui du fameux Rabbi, Hirsch Dænemark, dont les expériences ont si vivement remué l'attention publique, il n’y a pas quatre ans (2). Elles ont, à nos yeux, la double importance d’être une consécration empirique très-grave de la réalité de ce genre de phénomènes, et de nous offrir l’exemple de sa relation directe à l’hérédité. Nous em- pruntons le récit de ces expériences à une notice fort bien faite qu’on a publiée à Metz, où elles eurent lieu. Hirsch Dænemark arriva à Metz, au mois d'août 1842, (1) Burdin et Dubois (d'Amiens), Histoire académique du magnétisme animal. Paris, 1841, p. 583. (2) Voy. l’Indépendant, numéros des 2 et 3 août 1842. — Le Moniteur Parisien, du 6 septembre 1842.— Les Archives israëlites de France, du 8 août 1842. 414 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ muni de certificats délivrés par le pape, le prince de Metternich, et les principaux professeurs des universités d'Allemagne. Cest un juif polonais. Sa taille est moyenne, sa démarche assurée, ses cheveux tout noirs, ses traits réguliers, sa constitution apparente robuste, mais liée à une extrême sensibilité nerveuse; son âge est de trente-quatre ans. n’en avait que douze, lorsqu'il dé- couvrit les facultés étranges dont il était doué. Aussi étonné d'elles, que tout autre peut l’être, il les considère comme un don du ciel, et s’est intitulé lui-même l’homme du miracle (Der Wundermann). Ses expériences se com- posent, dit-il, de faits naturels et de faits surnaturels. Daus les premiers, il place la lecture continue d’un texte, etreconnait que c’est un effet de mémoire : regarde, comme appartenant au second, les divers faits de vue au travers des livres. Il donna trois séances successives à Metz. La première, le 2 août, en présence du grand Rabbin, et de plusieurs hébraïsants ; la seconde, au grand séminaire, dont la plu- part des professeurs savent l’allemand et l’hébreu; la troisième, dans une maison particulière où se trouvaient plusieurs personnes notables. Aucune ne démentit sa réputation. Pour l’intelligence des expériences faites sur le Talmud, dit l’auteur de la note à qui nous empruntons ces curieux détails, il est né- cessaire de donner quelques explications sur celivre, qui se compose de trente-six volumes in-folio. Le texte est accompagné, à droite et à gauche de cha- que page, de deux commentaires différents qui, lorsqu’ils sont très-amples, envahissent presque toute la page, et réduisent quelquefois le texte à deux ou trois lignes. A côté des commentaires, se trouvent quelquefois des notes DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 445 qu’on nomme la concordance ; il résulte de là une dispo- sition typographique dont l’aspect varie, à chaque page. Le Talmud est paginé. Les expériences suivantes ont été faites sans la moindre hésitation. I. Lorsque le livre se trouve retourné, Hirsch l’in- dique aussitôt, bien que le livre ne porte aucun signe ex- térieur qui puisse faire soupçonner qu’il n’est pas dans son vrai sens. Il: Hirsch prie une personne d'introduire son doigt, ou une épingle, dans la tranche de devant d’un livre fer- mé, posésur son plat, et dont on tourne le dos de son côté. Il lit le mot sur lequel pose le doigt, ou annonce lorsqu'il porte sur une partie blanche de la page. Parmi ces expériences s’est présentée la suivante, qui est très-remarquable : Hirsch dit que le doigt porte sur deux mots effacés à la plume, ce qui se trouve vrai. IL Il demande que plusieurs personnes désignent cha- cune le chiffre d’une page et le quantième d’une ligne, à partir du haut, ou du bas de la page, soit du texte, soit du commentaire, et il lit successivement les lignes désignées, le livre restant fermé. Prié de lire la 17° ligne du texte de la 34° page du Tal- mu, 11 répond que le texte n’a que deux lignes et un mot. On lui demande de lire telle ligne de la page 38 : on ne trouve pas à cette page ce qu'il vient de lire. Il fait re- marquer qu'il y a une faute d'impression dans la pagina- tion, et qu’il faut lire à la page suivante : IV. Hirsch demande que l’on fasse une oreille à un feuillet d’un volume que l’on referme aussitôt : Il Vit le mot qui correspond à la pointe de l'oreille, ainsi que les mots qu’elle recouvre. 416 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ 11 indique aussi le numéro de la page. On répète lamême expérience, mais d’une manière plus compliquée, en faisant une oreille à plusieurs feuillets réunis. Hirsch lit le mot, qui, à chaque page, correspond au coin de l’oreille. V. Hirsch prie quelqu'un de poser le doigt sur la couverture du volume fermé. Il invite ensuite plusieurs personnes à désigner, chacune, une page quelconque : Il lit le mot qui correspond, pour chaque page, au doigt placé sur la couverture. VI. À une page désignée, Hirsch indique, avec son doigt, par-dessus la couverture de l’un des volumes du Talmud, la disposition typographique du texte, qui, comme nous l'avons dit, varie à chaque page. VIT. On ouvre ce volume au hasard, et on y enfonce une épingle. On prie Hirsch de lire aux pages 58, 71, les mots traversés par l’épingle. Il répond que l’épingle ne traverse aucun mot. Quel- quefois, après avoir lu une ligne désignée dans le Talmud, Hirsch continue, avec une extrême volubilité, la lecture de la page entière, en y intercalant les commentaires re- latifs à tous les mots auxquels ils se rapportent. A la séance du séminaire, quand on lui citait un verset, il répétait tous les versets suivants. Il attribue lui-même ce dernier fait à la mémoire. VIII. La traduction hébraïque du Nouveau-Testament ayantété présentée à Hirsch, après en avoir lu un mot, il se tait. Il ouvre ensuite le livre, en le tenant verticalement, et DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 417 le dos tourné de son côté, et lit les mots sur lesquels pose un de ses doigts. Il lit également les mots touchés par une autre per- sonne. IX. M. Gerson-Lévy possède un manuscrit hébraïque écrit en caractères cursifs, que n’emploient point les juifs polonais, mais dont certains passages sont écrits en caractères imitant ceux de l’impression : lorsque le doigt (ou l’épingle) enfoncé dans la tranche de ce manuscrit, porte sur l'écriture cursive que Hirsch ne sait pas lire, il indique la place où il faut mettre le doigt, pour qu’il rencontre les mots écrits en caractères typogra- phiques. Hirsch a opéré aussi sur d’autres ouvrages hébreux que possède M. Gerson, et qui lui étaient inconnus. A la séance du séminaire, Hirsch a également fait Pépreuve de sa faculté sur des livres dont il ignorait Pexistence. Une chose à remarquer, lit-on dansle compte rendu de ces expériences, c’est que Hirsch, avant d'opérer, tou- che la couverture du volume et quelques-unes de ses pages. Inierrogé s’il lui suffirait de toucher un corps en contact avec le livre, il répond qu’il n’en sait rien , n’ayant pas fait cet essai. On place alors un livre sur la Bible, il le touche, hésite quelque temps, s’écrie: Je vois, et commence à lire la ligne qu’on lui désigne. On lui demande ensuite de lire, sans le mettre en con- tact avec La Bible (1), il refuse : on insiste : il prie quel- (1) Cette pratique de M. Hirsch, de se mettre en contact direct ou in- direct avec la B.ble, ne dérive, dans notre opinion, que de sa croyance religieuse et de la persuasion de l’origine surnaturelle des facultés qu’il Je PAT! 418 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ # qu’un de mettre un doigt dans la Bible, et se contente de diriger la main vers le doigt qu’une personne a introduit dans le livre. On l’engage à lire de plus loin , et toujours sans toucher le livre: il fait flotter son mouchoir vers la personne qui est en contact avec la Bible , sans toutefois toucher cette personne , et 11 lit sans peine. Hirsch a commis quelquefois une légère erreur : il lui est arrivé de lire la ligne placée au-dessus, ou au- dessous de celle qu’on lui désignait. Nous omettons ici plusieurs autres expériences tout aussi décisives, pour rapporter celle dont il triompha, sous les yeux du pape, dans son voyage à Rome. Le pape fit venir, de la bibliothèque du Vatican, un manuscrit hébraïque, en lettres d’or, et demanda à Hirsch de lire telle ligne, à telle page Celui-ci répondit qu’il n’y avait qu'une ligne dans la page indiquée. Tout bruit semble agir d’une manière pénible sur Hirsch Dænemark, dans ses expériences. Il demande que la pièce où elles doivent avoir lieu ne donne pas sur la rue, que l’on fasse silence, et qu’on ne lui adresse pas de questions sur des matières religieuses. Nous terminerons le récit de ces faits singuliers par une circonstance qui les relie étroitement au sujet de ce livre, et qui se représente, plus d’une fois, dans l’histoire des faits considérés comme surnaturels, et spécialement dans celle de la divination : cette hyperesthésie, innée chez manifeste. C'est un tic de foi, et qui comme tous les tics, peut se lier chez lui, du seul fait de sa foi, à l’activité de son extraordinaire énergie visuelle. Beaucoup de faits analogues ne nous laissent pas douter de la vérité de notre explication. _ DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 419 Hirsch, de la puissance optique, comme l’anesthésie, comme l’achromatopsie, chez d’autres individus, s’est transmise à son fils. Son fils âgé de dix ans, qui est au- jourd’hui à Saint-Pétersbourg, possède, presqueau même âge, où son père s’aperçut de cette aptitude étrange, les mêmes facultés que lui, mais à un degré encore plus re- marquable. Il a indiqué, devant l’empereur de Russie, tout ce que contenait la chambre de l’impératrice : et telle est la confiance qu’on attache aujourd’hui à ses instruc- tions, qu’on le consulte jusque sur l'issue des procès(1). En retrouvant, de nos jours, dans l’état naturel, d’une part garantis par de telles épreuves, d'autre part entourés de si puissants témoignages, de semblables phénomènes, n’est-on pas en droit de se demander jusqu’à quel point les Grecs, les Romains, tant d’autres peuples de l’anti- quité (2), et, à notre époque même, les Écossais, une foule de peuplades sauvages, ont été dupes d’une pure illusion d'esprit, et n’ont cédé qu’à un entraînement logique, non- seulement en croyant à la divination, nous ne doutons pas, pour nous, de sa réalité, mais ce qui pouvait paraître plus problématique, en posant en principe l’hérédité de tous les dons qu’ils regardaient comme surnaturels ? Mais, comme ce n’est pas le lieu nile moment d’enga- ger de polémique sur une pareille matière, et que nous ne prétendons pas trancher incidemment ces questions formidables, nous nous arrêterons à cette pure et simple exposition de faits. (1) Notice sur les expériences de Rabbi Hirsch. Metz, typographie de Dembourg et Gangel. (2) Voy. plus haut, I. IL ch. 11, 8 4. 490 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ $ IV. — De l’hérédité des modes sensoriels de l’ouïe. Si nous étendons maintenantau sens de l’ouïe, la recher- cheanalytique que nous venons d’opérer, dans le sens de la vue, elle nous conduit aux mêmes conclusions ; nous rencontrons les mêmes variétés personnelles de la faculté spécifique d'entendre, soit qu’elles y dépendent en elle du mécanisme organique de l'oreille, soit qu’elles y provien- nent de la diversité purement dynamique des modes de percevoir. Quelle qu’en soit l’origine, l’observation révèle des contrastes infinis de degrés, et de puissance, dans les pro- priétés sensorielles de l’oreille, comme dans celles de l'œil, depuis la faculté la plus élémentaire, la perception des sons, jusqu'aux moindres nuances des plus merveilleux développements qu’elle atteigne. I. « De même que tel homme ne voit bien qu’au grand jour, ettelautre, qu’à une lumière modérée, de même, dit Muller, l’ouie n’a pas la même aptitude chez tous, à distin- guer les sons graves et aigus (1). Il y a des oreilles naturellement fines, que la plus lé- gère vibration éveille, et qui, dans le même instant, dis- tinguent mille sons. Il y a des oreilles, nées dures et paresseuses, qui n’en- tendent qu’avec peine, et que les sons n’émeuvent qu’à la condition de devenir des bruits. Enfin, il en existe de complétement destituées de la fa- culté d’entendre. L’hérédité d’abord s’attache-t-elle à ce dernier degré (1) Muller, ouv. cité,t. IE, p.588, vir. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 421 d’anesthésie complète de l’audition”? La surdi-mutité est- elle héréditaire? Un docteur régent de l’ancienne fa- culté de Paris, Vandermonde, s’autorisant sans doute de faits connus de lui, mais qu’il ne cite pas, ne paraît pas soupconner que cette sorte de transmission puisse provoquer le doute ; il en parle comme d’un fait de noto- riété publique : « des parents sourds-muets de naissance, «nous dit-il, communiquent ordinairement les mêmes « défauts à leurs enfants (1). » Un auteur postérieur, Bouvyer Desmortiers, dans un mémoire écrit, il y a quarante ans, sur les sourds-muets de naissance, paraît si étranger à cette tradition, qu’il se pose encore le fait-comme un problème ; mais trouvant les sourds-muets qui naïssent parmi nous tellement défi- gurés, qu’ils ne ressemblent point à ce qu'ils auraient été dans l’état de nature, il propose gravement, pour résou- dre la question, de les reléguer dans une île déserte, et en dehors de toute communication. « Ceux, dit-il, qui nai- « traient depuis la déportation, en nous offrant les mêmes « caractères, nous apprendraient de plus si la surdité des « pères et mères passe aux enfants (2).» N'ayant nulle prétention à déterminer le caractère du sourd-muet, dans l’état de nature et redoutant l’obstacle de la question préalable : Dans l’état de nature y a-t-il des sourds-muets? nous avons cru devoir limiter la ques- tion, à l’état des sourds-muets tels qu’ils ont le malheur d’être, sous l’influence de la civilisation, et nous ne pou- vions dès lors attendre de lumières que des établissements (1) Vandermonde, Essai sur la manière de perfectionner l'espèce hu- mañne, 2 vol.in-12, Paris, 1756, t. I, p. 69. (2) Bouvyer Desmortiers, Mémoire ow considérations sur les sourds- muets de naissance, in-8, an VII, p. 35. 499 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ DAAË où notre société dégradée les recueille, les nourrit, les instruit, au lieu de les laisser dans l’heureux abandon que Bouvyer-Desmortiers leur souhaitait, en conscience, dans l'intérêt de l’art et de leur prochain retour à l’état naturel. Nous en avons, dans ce but, appelé à la science, et aux recherches spéciales du docteur Menière , médecin actuel de l’Institution des sourds-muets, à Paris. Mais, de sa déclaration, comme de celle de P. A. Dufau, pour les aveugles, ressort malheureusement la difficulté d'obtenir, sur ce point, des renseignements de quelque valeur, de la part des enfants, ou de la part des fa- milles. Cependant, des renseignements nécessairement frès- vagues, que par cette raison il a pu nous moe de se déduisent ces résultats, pour l’institution : 1° Les sourds-muets de naissance forment à peine un huitième du nombre total, dans l'établissement; 2 Les sept huitièmes doivent cette infirmité à des cau- ses morbides, et qui agissent chez eux après la naïssance, telles premièrement que les convulsions et la méningite, et plus tard les affections éruptives, les fièvres dites céré= brales, typhoïdes, etc. ; 3° Il y a un tiers de plus de sourds-muets que de sour- des-muettes ; 4° La plupart &es sourds-muets naissent de parents entendants. Il y a, dit-il, à peine deux ou trois excep- tions connues à cette règle dans l'établissement, et depuis qu’il y étudie les sourds-muets, il a à peine pu constater quelques faits de la même nature. _ Postérieurement à cette communication, le docteur Menière a publié des recherches qu’il nous annoncait sur DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 4923 origine de la surdi-mutité. Dans cette lumineuse expo- sition des règles et des voies à suivre pour sortir des té- nèbres, où nous sommes encore, sur létiologie de cette infirmité, l’auteur n’a pas omis de compter l’hérédité au nombre de ses principes, et il fait, en ces termes, la part de l’action qu’elle exerce sur elle. « On ne peut pas dire, aujourd’hui, que tous les en- fants sourds-muets doivent le jour à des parents enten- danits et parlants. Il n’y a pas longtemps que l’on a recueilli les premiers faits en contradiction avec ce principe, et l'on a pu constater, un certain nombre de fois, l’hérédité directe et immédiate de la surdi-mutité. On doit dire ce- pendant, que ces faits constituent une rare exception, et qu'habituellement, dans l’immense majorité des cas, les sourds-muets mariés à des sourdes-muettes ont des en- fants qui entendent et qui parlent. Cela est vrai, à plus forte raison, quand le mariage est mixte, c’est-à-dire quand un des époux seul est sourd-muet ; et, cependant, même dans cette occurrence, il y a des exemples d’héré- dité bien avérés (1).» À part la rareté de la transmission, il est donc impos- sible d’être plus affirmatif, sur la transmission même, que ne l’est le médecin de l’Institut des sourds-muets. Mais cette rareté même de l’hérédité de la surdi-mutité est-elle bien réelle? nous avons des motifs de croire, qu’elle ne tient qu’au défaut dedistinction, entre lhérédité de la surdi-mutité de nature congéniale, et celle de la surdi-mutité acquise ou accidentelle. En réunissant ces deux ordres de cas, dans le mème ta- . (1) Prosper Menière, Recherches sur l’origine de la surdi-mutité (Ga- zeite médicale de Paris, 11° série, t. I, p. 243). 42% DE LA LOI D HÉRÉDITÉ bleau, les proportions doivent être telles qu’elles appa- raissent. Mais, si l’on tenait compte de cette distinction qui, dans notre opinion, est fondamentale, et que l’on s’attachät à suivre, pendant au moins trois générations, comme la na- ture des lois de l’hérédité exige qu’on le fasse, la filiation des sourds-muets de naissance, nous doutons à peine que l’on neretrouvât beaucoup plus de fréquence, dans latrans- mission de cette triste infirmité , qu’on ne l’a supposé. Ce qui nous confirme dans cette manière de voir ,'e’est le résultat de recherches assez étendues, maïs encore in- complètes , faites à l’Instilution des sourds-muets de Londres, sur l’hérédité. De cent quarante-huit élèves que l’Institution de Lon- dres renfermait, au moment de sa fondation, on en comp- tait un, dans la famille duquel il y avait cinq sourds- muets ; un autre, d’une famille où il y en avait quatre; onze, dans la famille de chacun desquels il en existait trois; dix-neuf dont la famille en renfermait deux : cinquante des élèves étaient des filles, le reste des garcons (1). Ilsemble difficile, devant de pareils faits, derévoquer en doute l’action de l’hérédité sur cette déplorable infirmité des sens. Cependant, on a élevé contre cette conclusion, deux ordres d’objections, ou, pour mieux dire, deux lieux com- muns d'arguments, qui se représentent sans cesse, dans la question de la transmissibilité de tous les phénomènes par la voie séminale. On a dit, qu’on ne pouvait juger héréditaires, les carac- (1) Joseph Adams, À freatise on the supposed hereditary properties of diseases, p. 66. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 425 tères ou les affections de famille, auxquels les pères et mères demeuraient étrangers, et que, dans les cas de ce genre, les pères et mères étaient entendants et par- lants. On a dit, d’auire part, qu’il est d'observation, que ceux des sourds-muets qui viennent à se marier, et qui ont des enfants, produisent des enfants qui entendent et qui parlent. La première des deux objections est complexe : En principe, il est vrai, qu’on ne peut conclure d’au- cune affection de famille, dont sont exempts le père et la mère des enfants, qu’elle est héréditaire dans la famille qu’elle frappe, comme dans plusieurs cas très-dignes d’at- tention que nous avons cités (1): mais c’est uniquement à la condition qu’elle vienne d’y naître, qu’elle y ap- paraïsse pour la première fois; autrement , et d’après des lois de l’hérédité, dont nous parlerons plus loin, bien que les auteurs directs de la génération n’en offrent aucune trace, il y a, selon les cas, tantôt présomption, et tantôt certitude de l’hérédité, par l’excellente raison que le père et la mère ne sont pas les sources uniques d’où les phéno- mènes héréditaires proviennent. En fait, si plusieurs des surdi-mutités de famille, dont il est question dans ce relevé, peuvent être sans relation à l’hérédité, comme dans l’observation recueillie par Mor- gagni, qui fait mention de trois sœurs muettes dès leur naissance, ou, comme dans celles beaucoup plus curieuses rapportées par Bouvyer-Desmortiers, et par d’autres au- teurs précédemment cités (2), on ne peut pas admettre (i) Voyez deuxième partie, liv. I, chap. n, p. 166. (2) Voyez plus haut, deuxième partie, loc. cût. f 496 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ que tous les cas précédents de surdi-mutité de famille! soient de cette nature. Nous dirons plus : la seule pro: portion du nombre de ces prétendues surdités de famille est si forte, relativement au nombre total des sourds- muets compris dans ce relevé, qu’il ne nous laisse pas de doute sur une intervention même très-étendue de l’héré- dité. Si, des 148 sourds-muets de l’institution, le huitième seulement, d’après l’estimation du docteur Menière, re- présente les sourds-muets de naissance, proprement dits, nous voyons que déjà cent trente enfants, total des sourds- muets chez lesquels l’affection ne provient que de là ma- ladie, devraient tous être nés de parents entendants, et ne rien présenter de spécial du côté de l’oreille, dans leur famille. Dix-huit enfants seulement, dix-neuf au plus, devraient être dans le cas contraire. Au lieu de ces dix-neuf, quel chiffre trouvons-nous ? un chiffre presque double, un total de trente-deux, et sur ces trente-deux, plusieurs, dans la famille desquels les sourds-muets se comptent par deux, trois ou quatre. La première objection n’a done point de valeur. La seconde, si elle était constante et générale, serait décisive; s’il était en effet démontré que jamais les sourds- muets qui se marient, soit entre eux, soit avec des indi- vidus doués de l’ouie et de la voix, ne transmettent à leurs enfants la surdi-mutité, que toujours leurs enfants reviennent au type normal, qu’ils entendent et qu'ils par- lent, la surdi-mutité de famille elle-même n’en établirait pas, pour nous, l’hérédité. Que les faits, le plus souvent, se passent de cette ma- nière , il n’y a, sans doute, aucun lieu d’en douter ; on verra même plus loin, d’après Les principes et les lois qui régissent la reproduction, que cela doït être ; l’innéité DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 427 agit en ceci, comme en tout. Adams cite même un cas où le père et la mère étaient tous les deux sourds-muets de naissance (1), sans que leurs enfants naquissent privés de la faculté d’entendre ni de parler. Tous ces faits sont dans l’ordre, comme dans l’obser- vation ; mais cette observation et cet ordre sont communs à tous les phénomènes morbides ou non morbides soumis à la loi de transport héréditaire ; et ils sont en principe conciliables avec elle; ils ne prouveraient contre elle, qu’à la condition d’être constants et continus. Très-malheureusement ils ne le sont pas. L’hérédité aussi, pour les cas identiques, est dans l'expérience : comme les’ sourds-muets se produisent dans certaines familles, ils s’y reproduisent. On voit même, chez l’homme et chez les animaux, ces générations et régénérations de la surdi-mutité, tantôt suivre l’ordre le plus régulier, et tantôt affecter l’ordre le plus bizarre. Est-il, par exemple, une périodicité plus extraordinaire de la surdi-mutité, que celle des deux familles dont Bou- vyer-Desmortiers a recueiili l’histoire : dans la première famille, dix enfants, cinq garçons et cinq filles étaient nés alternativement sourds-muets, et doués de l’ouiïe et de la voix (2). Dans la seconde famille, la famille Luco, de quatorze enfants, quatre, savoir : le troisième, le sixième, “le neuvième et le douzième étaient nés sourds-muets, de trois en trois (3). La régénération de la surdi-mutité n’affecte pas, par- fois, une marche moins singulière. « Je connais, dit l’au- (1) Ouvrage et passage cités. (2) Bouvyer-Desmortiers, ouv. cit., p. 123. (3) Id., p. 141, 143. 498 - DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ teur que nous venons de citer, une famille de chats an- goras, dont la mère est blanche et sourde ; le père, qui entend, est blanc et noir. Tous les petits qui naissent blanes sont sourds, comme la mère ; ceux qui ressemblent au père ne le sont pas (1). Ce phénomène s’est reproduit, à la couleur près, chez une ancienne maîtresse d’institu- tion de Paris, madame de Mais... Cette dame avait une chatte d’une fourrure admirable , mais elle était née sourde ; devenue pleine, elle mit bas, parmi plusieurs pe- tits, un chat roux, sourd comme elle. On retrouve, dans notre espèce, les mêmes bizarre- ries. Meckei raconte qu’une femme d’un esprit borné, et dont la famille renfermait plusieurs membres atteints de du- relè d'oreille et d’idiotisme, accoucha de deux garcons sourds-muets, dont un était, de plus, imbécile, de deux filles bien portantes, et enfin, d’un garçon qui jouissait également d’une bonne santé (2). Tout récemment, enfin, le savant oculiste belge, Florent Cunier, a rapporté un cas beaucoup plus remarquable, où la génération reproduit à la fois, et à plusieurs reprises, dans la même famille, une double infirmité de l’oreille et de l'œil. Une femme née d’une mère microphthalmique, mais avant les deux yeux parfaitement développés, avait épousé un homme dont la grand’mère était sourde et muette ; de ce mariage sont nés cinq enfants, trois gar- cons et deux filles. Les deux filles sont affectées de microphthalmie. Chez l’une d’elles , qui est en même temps sourde et muette, il y a absence complète de l'iris. (1) Bouvyer-Desmortiers, ouv. cit., p. 123. (2) Archiv. fuer anatomie, 1828, p. 186. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 429 L'autre fille est mariée; un enfant qu’elle à mis au monde, il y a trois ans, est sourd-muel, en même temps qu’il est affecté de microphthalmie (1). Cette hérédité de la surdi-mutité, et de la microphthal- mie, dans une même famille, a paru au docteur Cunier, corroborer le raisonnement du docteur Burgraëve qui s’est attaché à faire ressortir l’analogie qui, d’après lui, existe entre les imperfections innées de lappareil de la vision et de l’appareil de l’ouie. Mais quelle que soit, d’ailleurs, la réalité de cette analogie, il est évident, à nos yeux, que ce fait ne la confirme en rien. Il ne prouve que deux choses: l’hérédité des deux infirmités transmises, etle transport, de la part des deux familles alliées, de l’a- nomalie des sens propre à chacune d’elles. La participation de l’hérédité à ces degrés extrêmes de l’imperfection de l’ouiïe poussée jusqu’à absence native de l’audition et de la parole, ne permet pas de douter, qu’elle n’intervienne de même, dans toutes les autres formes, et à tous les degrés de la même infirmité. Les surdités de famille et héréditaires, qui n’excliuent pas la voix, sont d’une observation presque journalière ; plusieurs auteurs en ont cité des exemples recueillis par Portal (2). Nous avons eu nous-même plusieurs occasions d'observer la fréquence de la transmission de la semi-sur- dité, ou de la dureté de l’ouie, dans le sein des familles, et de sa relation avec un certain degré d’obtusion des fa- cultès mentales. Mais il n’est pas aussi facile, qu’on le sup- poserait, d'obtenir les lumières nécessaires, sur ce point, de lamour-propre des sourds. La plupart des sourds ne (1) Gazette médicale, t. XIII, p. 328. (2) Portal, Considérations sur les maladies de famille, p, 88.—Anatomie médicale, Paris , 1804, t. IV. st 430 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ ” consentent pas à l’être, ni surtout à le dire; ils sont fort différents en cela des aveugles, que l’évidence de leur mal, et le sentiment de la compassion peut-être plus grande qu’ils inspirent, sollicitent à parler : ils ne veulent point convenir d’avoir l’oreille dure, et par la même rai- son, cachent, tant qu’ils le peuvent, que cette infirmité existechez leurs parents. Tout récemment encore, il nous est arrivé de ne devoir qu’au hasard, de connaître que le père d’une domestique très-paresseuse de l’ouie était à peu près sourd. Les sourds, nous le répétons , sont, en gé- néral, en pareille matière, les dernières personnes à inter- roger , et les dernières à croire. L Quant à l’hérédité de ce que l’on appelle les prédispo- sitions à la surdité, ou, pour nous exprimer selon notre pensée, des surdités qui ne sont pas congéniales , et quine doivent éclater, qu’à un âge plus ou moins avancé dans la vie, cette hérédité, comme on le comprend bien, n’est pas moins certaine. Adams cite des familles où ces affections se reproduisaient ainsi par la voie séminale (1). Tel fut, d’après Brown , le cas de la famille Basse, pour toute une série de générations (2). Il doit en être de mème de tous les autres degrés d’im- perfection de l’ouïe, et de toutes les autres formes de ses anomalies; car l’oreille en a d’aussi étranges que celles de la vision, et qui leur correspondent (3). La faculté d'entendre n'est-elle pas souvent courte, comme celle de voir? N'’est-elle pas, d’autres fois, très— étendue comme elle? N'est-elle pas, en un mot, sujette (4) Adams, À philosophical dissertation on the hereditary peculiarilies of the human constitution, p.12. (2) Cyclopedia of practical medicine, vol. IT, p. 418. (3) Muller, ouv. cité, tom. IT, p. 588. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 431 aux différences analogues, à celles qu’on nomme myopie et presbytie, dans la vision ? Ainsi, pour ne parler que des inégalités relatives au sexe, qu’elle offre chez Les hommes, les hommes en géné- ral entendent de plus loin ; les femmes apprécient mieux les qualités des sons (1). Certains individus entendent parfaitement bien, d’une manière générale; mais les li- mites de la perception auditive, pour les sons aigus, sont chez eux très-étroites, et Wollaston en a observé des exemples (2). Des bizarreries de ce genre ont été notées jusque chez des sourds : Willis, Holder, Bachmann, Fielitz, en ont cité à qui le battement d’une caisse, ou leson des cloches, ou d’autres bruits extérieurs, permettaient de percevoir des sons beaucoup plus faibles, de suivreun en- tretien. L’ouie n’a-t-elle pas, enfin, ses imperfections qualita- tives comme l'œil? Sil existe des yeux clairvoyants, et pourtant insensibles à l'éclat des plus brillantes couleurs, et aux lois naturelles de leur symétrie, il y a des oreilles, très-délicatement organisées d’ailleurs, qui ne sont pas moins inertes, ni moins inhabiles à sentir les rapports mu- sicaux des sons ; il en est pour lesquelles , il n’est point d'harmonie, comme il en est qui jouissent d'elle jusqu’à l’extase. Wollaston à vu des individus insensibles à tous les sons placés au-dessus et au-dessous de l'échelle diato- tonique (3); il en existe d’autres, qui n’entendent que le ton au-dessous ou au-dessus. Cette discordance peut même, dit-on, s’observer, entre les deux oreilles d’un (1) Burdach, Traité de physiologie, t. LUI, p. 333. (2) Muller, ouv. cit., t. IT, p. 588. (3) Transactions of the Royal society of London, 1820. 432 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ individu, de sorte qu'il est condamné à en fermer une, pour s’accorder avec un autre musicien (1). Ilya, en un mot, des oreilles justes et des oreilles fausses, et de là vient que nous voyons , comme le dit Bichat, tel homme coordonner toujours l’enchainement de sa danse à la suc- cession des mesures ; tel autre, au contraire, allier con- stamment aux accords de l’orchestre la discordance de ses pas (2). C’est bien, eneffet, dans ces variétés dela sensibilité mu- sicale de l’ouie , c’est dans ces nuances innées et hérédi- taires de la perfection et de limperfection de ce sens, nuances et variétés dont on ignore les causes, que réside le principe de la diversité des effets que l’harmonie peut produire chez les êtres. On n’est disposé à ne le chercher que dans le sentiment, lorsque la sensation en est le plus souvent l’unique origine. On devrait également y recon- naître une des causes des inégalités si tranchées d’apti- tude à l’art musical, qu’on observe dès l'enfance; on en demande un compte beaucoup trop exclusif à l’intelli- gence, quand ce serait l’oreille de l’individu, ou celle de la famille qui devraient être appelées à en rendre raison : on voit, eneliet, des familles tout entières dont la voix est très-belle et qui chantent toujours faux : si parfaite que soit l’ouie , le sens musical, n’existant pas chez elles, ne peut jamais s'y mettre d'accord avec la voix ; on en voit, au contraire , d’autres dont l’oreille est juste, mais la voix ingrate, et qui chantent aussi faux, parce quela voix, chez elles, résiste à l'harmonie que l’ouie cherche inutile- ment à lui communiquer. Nous verrons plus loin que (1) L'abbé Forichon, le matérialisme et la phrénologie combattus dans leurs fondements, 1840, p. 330. (2) Bichat, Recherches sur la vie et la mort, art. m, S 1. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 433 l'hérédité n'intervient point seulement, dans ces variétés des dispositions naturelles des êtres à l'harmonie de la danse, du chant, et souvent même de l’exécution instru- mentale ; maisqu’elle intervient, aussi positivement, dans l'inégalité des dispositions à la composition musicale elle- même (1). Si l’on ajoutait foi à de certains récits, on serait forcé d'admettre que l’hérédité s’étendrait, à l'égard de louie, comme du toucher, comme de l’odorat, jusqu'aux plus inconcevables des antipathies. On cite ainsi l’exemple d’un jeune Danois, appelé Olaüs, qui, disait-on, avait hérité, de sa mère, d’unesi profonde aversion pour son nom, qu’il tombait ensyncope, s’il arrivait qu’on le prononçât devant lui (2). Dans notre mode de toucher, d’odorer, de goùter, dans notre mode de voir, dans notre mode d’entendre, il existe donc une grande et première part qui revient à l’espèce ; il en est une seconde, qui émane de la race ; il en est unetroisième, qu’on ne peut rapporter qu’à l’indi- vidu, et l’hérédité les régit toutes trois. Sous le type individuel de nos sensations, nous lui re- connaissons même une double nature : En tant que la variété, dans le mode de sentir, dépende de l'appareil organique du sens, ou du mécanisme, l’hé- rédité se rattache à la reproduction de la conformation externe et interne de l’instrument sensoriel. (1) Voyez plus bas, même chapitre, art. II. (2) Act. Hafn., v. 5, p. 60. É 28 æ 434 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ En tant que la variété, dans le mode de sentir, pro- vienne du dynamisme ou de l’activité vitale, proprement dite, l’hérédité de ses modes devient celle de la forme sen- sitive de l’âme, forme dont les sensations ne sont qu’un élément, ou qu’un type d'énergie. | ARTICLE IT. DE L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES PROPRES AUX MODES D'ACTIVITÉ SENTIMENTALE DE L'ÊTRE. $ I. — Aperçu de l’opinion générale des auteurs sur l’hérédité de ces caractères. La force sentimentale embrasse toute la sphère de Vac- tivité pathétique de l'être, tous ses types d'impression , d’impulsion et d’état, sentiments, goûts, penchants, qua- lités, passions ; elle est, en d’autres termes, la forme au- trefois dite sensitive de l’âme, par ceux des philosophes de l'antiquité, qui avaient admis la pluralité du principe de la vie; tels que, les Stoïciens, les Platoniciens, les Péripatéticiens ; aucune de ces trois écoles n’a con- testé la part originelle de la génération à cette nature de l’être. La première, qui avait distingué, dans l’homme, une âme raisonnable, et une irrationnelle, regardait, dit Barthèz, comme transmises par la semence, les parties qui concourent à former la dernière, ou le principe sen- sitif (1). La seconde, par l’organe de son chef, Platon, n’a pas plus (1) Barthèz, Nouveaux éléments de la science de l’homme, t. Y, rte sect., p. 74. à DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 435 hésité à reconnaitre l’action de l’hérédité sur elle. Pla- ton, dans le Timée, va jusqu’à professer que les mauvais penchants ne sont dus qu’à une mauvaise qualité du corps et à une éducation vicieuse, en sorte qu’on devrait plutôt accuser le pére et l’instituteur du méchant, que le méchant lui-même (1). : La troisième est plus explicite encore; car Aristote ne voit, dans l’âme sensitive, qu’une émanation de l’âme vé- gétative, dont la fin spéciale est la propagation, etil serait, d’après lui, convenable de la nommer l’âme douée de la faculté de reproduire son semblable (2). Nous avons même vu jusqu’à quels excès, moins ré- servé sous ce rapport, et moins vrai que Platon, il pousse ce principe (3). Mais cette opinion de’l’hérédité des types, et des états de la force sentimentale, ne date pas de ces trois systèmes et ne s’y limite pas. Il règne, sur ce point, un accord gé- néral des hommes de tous les temps, de tous les pays, de toutes les professions. Dans ce flot d’assentiments, surna- gent, pêle-mêle, des sentences de poëtes grecs et de poëtes latins, Homère (4), Euripide (5), Virgile (6), Horace (7), Lucrèce (8), Juvénal (9), Plaute (10), etc., échos de la foi des peuples, et les suffrages plus graves d’une foule de phi- losophes, de physiologistes, et de jurisconsultes, depuis (1) Ritter, Histoire de la philosophie, t. IX, p. 320, 321. (2) Idem, t. IT, p. 236. — Aristote, Politique, lib. Il, cap. 1v. (3) Voyez plus haut, Ile partie, liv. L, chap. 11. (4) Odyssée, passim. (5) Euripide, dans Hercule furieux. (6) Enéide. (7) Odes, liv. IV, od. #. (8) De natur& rerum, lib. II. (9)-Satyr: VEret XIV. * (10) Plaut. in Pseudolo. Soi. 532 436 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ x le légisiateur de l’antique code de Manou (1), jusqu'à Tiraqueau (2). La question est nettement posée par Zacchias. Après avoir traité de la ressemblance de forme et de tempéra- ment, il se présente, dit-il, à examiner une autreressem- blance, celle du moral et de l’âme : ainsi d’un père, bon, doux, miséricordieux, juste, tempéré, naît-il un fils bon, doux, miséricordieux, juste, tempéré, comme lui? Naïît-il, au contraire, d’un père méchant, impie, sans pitié, sans justice, sanstempérance, un fils, d’une méchanceté, d’une impiété, d’une inhumanité, d’une iniquité , d’une intem- pérance semblable à la sienne (3)? D'accord en général, sur laflirmative, les auteurs se divisent, cependant, sur la cause, sur le caractère etl’éten= due du fait. En convenant, en principe, de l’hérédité des qualités morales, il en est qui n’admettent cette forme d’hérédité, qu'avec restriction. Parmi ces derniers, plusieurs ne distinguent pas entre lesqualités, et semblentles reconnaître toutescommetrans- missibles. Ils disent seulement, à l'exemple de Platon, que la ressemblance morale des enfants aux parents, tout en étant la règle, souffre des exceptions; qu’elle présente des lacunes, qu’elle a desinconstances; ils laissent, en d’autres termes, plus ou moins vaguement, sa part naturelle à l'in- néité dans le moral, ainsi que dans le physique de l’être. De cenombre, sont, entreautres, Edon NeuhsetZacchias. Neubs est très-positif : il n’excepte de la loi aucune qualité de l’âme, et ne fait, sous un rapport, aucunediffé- (4) Manava-Dharma-Sastra, loc. cit., voy. plus haut, d. (2) Tiraquell. De legibus connubialibus, glos. 1, part. vir, num. 2. (3) Pauli Zacchiæ, Quest. medico-légal, lib. I, tit. V, p. 115 et SuIY. Et DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 437 rence des vices ni des vertus : comme l’on voit, dit-il, les oiseaux revêtir la nature de leurs pères, apporter en naissant les mêmes couleurs de plumes, la même voix, le même chant, comme on voit les défauts de la plupart des membres se transmettre aux descendants, on voit les en- fants rivaliser avec les mœurs de leurs ancêtres, et, par l'impulsion d’une attraction native, suivre la pente de leurs vices, ou celle de leurs vertus(1). Mais, presque immédia- tement, il admet dans les unes, ainsi que dans les autres, les plus inconcevables dégénérescences (2), et il arrive ainsi, par une explication sans doute insuffisante, à la reconnaissance de cette diversité spontanée du moral, dans l’unité de famille, dont nous avons parlé. Zacchias est beaucoup plus embarrassé que lui, entre le dogme et le fait. Par dogme, nous voulons dire ici la théorie scolastique, qui régnait, au temps de Zacchias, dans l’Église catholique , sur la nature et sur l’origine de l’âme : condamné par l’époque, et aussi par le lieu, à tà- cher, comme Bailly(3), de philosopher et de christianiser tout ensemble, il nous oblige à bien distinguer, chez lui, le fait qu’il reconnaît, de l’explication qu’il donne : la théorie le gène; tant qu’il est en face d'elle, lexpli- cation reflète l'embarras naturel ou forcé du chré- tien (4). Mais, toutes les fois qu’il n’est qu’en présence du fait, il reprend l'assurance et l’indépendance d’esprit de l’observateur et du philosophe, et il va aussi loin, que, dans son ordre d'idées, il soit possible d’aller. (1) Theatrum ingenii humani, lib. I, p. 323. (2) Id., loc. cit., p. 329. (3) Pierre Bailly, Songes de Phestion, p. 201. (4) Pauli Zacchiæ, Quæstion. medico-legal., edit. in-quart., Avenione, 4755, lib. I, titul. V, p.115, 116, 417, 120. 438 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Voici les propres termes dans lesquels il s'exprime : « Il est certain que la plupart des penchants et des af- fections de l’âme naissent de la semence des parents, ainsi que le corps, bien que l’âme vienne du dehors, et qu’elle n’émane point d'une force de la matière, comme la vérité catholique l'enseigne le plus généralement. L’ètre colère donne le jour à un être colère, l’envieux à un envieux, le superbe à un superbe, le timide à un timide , et l’auda- cieux à un audacieux. Il en est de même de l’homme misé- ricordieux , de l’homme chaste, de l’homme modéré; ils engendrent leurs semblables (1). ÎLest si convaincu de ce qu'il vient d'avancer, que tout en convenant, dit-il, avec le vieil Homère, que de bons parents, peuvent naître de mauvais fils, s’il est démontré que le père, ou celui qui est présumé tel, a été ivrogne, colère, joueur, vo- leur, téméraire, ou doué de qualités contraires, et que le fils, ou celui qui est présumé fils, affecte les mêmes mœurs, on peut, dès ce moment, présupposer entre eux la ressemblance interne que Zacchias rapporte à l’héré- dité ; car, d’après lui, la règle générale est que les fils naissent moralement semblables à leurs auteurs, fait à Pappui duquel s'élève, ajoute-t-il, jusqu’au témoignage des jurisconsultes. Ilinvoque , en effet, les noms de plusieurs légistes'} entre autres de Tiraquel ou de Tiraqueau, qui, à di- verses époques , ont soutenu ce principe. Par ce qui précède, on voit que sa restriction à l’hérédité des inclinations, et des qualités bonnes ou mauvaises de l’âme , est tout à la fois très-large et très- étroite : elle ne porte sur aucune disposition dis- (1) Zacchias, Loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 439 tincte ; mais elle les embrasse toutes, exceptionnellement. C’est le sens des deux mots par lesquels il l’exprime: le plus grand nombre, le plus généralement (1). Sans être arrêtés, comme l'était Zacchias, par le triple obstacle du dogme, des lieux, des temps, d’autres con- cluentcependant, sur la même matière, avec moins de har- diesse et de vérité que lui. Selon l'opinion de ces derniers auteurs , l’omission de transport des inclinations des pa- rents aux enfants, dans la génération, au lieu de provenir de la transmission même, provient de la nature des qua- lités morales. Il y aurait, d’après eux, un ordre tout en- tier des dispositions naturelles de l’homme, qui échappe- rait aux lois de l’hérédité. Entre autres partisans de cette opinion, nous citerons les: docteurs Lordat et Virey. Le docteur Virey établit, sur ce point, une distinction entre les qualités morales qui tiennent au corps, et les qualités morales qui tienhent à l’âme ; il admet, en principe, l’hérédité des unes, ou des corporelles, et prétend rejeter l’hérédité des autres, ou des spirituelles (2). Le professeur Lordat, dans un travail récent, dont il sera plus d’une fois question dans cet ou- vrage , adopte, en d’autres termes, une distinction sem- blable : il sépare, en principe, ce qui est vital et instinctif, dans le dynamisme humain, de ce qui ne l’est pas, ou de ce qui appartient, pour lui, au sens INTIME. D’après sa doctrine, à laquelle toutefois il ne semble accorder qu’une foi provisoire (3), toutes les qualités de la première na- ture, c’est-à-dire toutes celles attachées à la FORCE VITALE, dans notre espèce, seraient transmissibles par la voie sé- (1) Plures animi propensiones, — ut plurimüm, loc. cit. (2) L'art de perfectionner l'homme, tom. II, ch. 1v, p. 94, 95. (3) Lordat, Les lois de l'hérédité sont-elles les mêmes chez les bétes et chez l’homme ? 9e lecon, p. 25. 440 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ minale (1); mais les qualités de la seconde nature, les qua= lités indigènes ou exotiques du SENS INTIME, pour nous servir ici de ses expressions, celles qui peuvent l’enlaidir, ou le décorer, ne seraient point soumises à l’hérédité (2). Par un autre extrême, il est d’autres auteurs qui re- poussent, au contraire, toute restriction, et qui tendent à rejeter toute forme d'exception à l’hérédité des inclinations naturelles de l’âme. Dans leur manière de voir, la loi est absolue : les déviations elles-mêmes, apparentes ou réelles, s’expliquent encore par elle ; les qualités se trans- mettent toutes et toujours. Cette opinion qui rentre dans celle précédemment exposée d’Empédocles, d’Aristote, d'Alexandre de Tralles, ete., a été professée, dans toute la rigueur de ses conséquences, par Le célèbre et malheureux Vanini, par Sinibaldi, et, de nos jours, par Pujol dont la foi religieuse ne s’est point révoltée de cette constance prétendue de l’hérédité des vices et des vertus. Les excep- tions neprouvent, aux yeux du dernier, que l’influence de l’exemple et de l’éducation (3) : aux yeux du premier, encore plus exclusif, elles ne prouvent qu’une chose : c’est que les enfants ne proviennent point de ceux qu’on supposeleurspères. Personne, répète-t-il, avec Cicéron (4), personne n’admet qu’on puisse jamais naître probe d’un père qui ne l’est pas (5). Mais il faut recourir au texte de ses dialogues, pour s£e faire une idée de l’audace et du cynisme effrénés, pour le (1) Lordat, loc. cit., 1re lecon, p. 20. (2) Id., 2° lecon, p. 26, 27. (3) Pujol, OEuvres de médecine pratique, Paris, 1893, t. Il, Essai sur les maladies héréditaires, p. 255, 256. (4) In oratione pro Roscio. (5) Julii Cœsaris Vanini, etc.; de admirandis naturæ reginæ deæque mortalium arcanis, libri quatuor, lib. IIT, dialog. xLix, p. 339, 340. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 441 temps, qu'il met à soutenir ce point, comme tous les points, de sa thèse de l’origine des vices et des vertus. « Pour moi, si la naissance et l’éducation ne m’avaient « fait chrétien, dit-il, en propres termes, je dirais que « ce n’est pas l’instigation du diable, mais le vice des « humeurs qui pousse l’homme au mal. — Mais d’où lui « vient ce vice? — De la semence, de l’imagination dans « le coit, de l’éducation, de l'influence des astres, de la « constitution atmosphérique, de lalimentation. — « Comment de la semence? » Invoquant, pour répondre, une théorie Hindoue de la génération (1), reproduite par Hippocrate : « La semence, « dit-il, découle des principales, ou, selon d’autres, de « toutes les parties du corps ; elle contient en puissance « toutes les facultés dévolues aux organes : s’il y a donc « des vices inhérents à quelque partie de l’organisme des « générateurs , ils doivent nécessairement se transmettre « à la semence, et de la semence au fœtus, puisqu'il « émane d'elle. » A l’objection, qu’on voit d’indignes descendants de parents vertueux, il répond simplement, comme nous l’avons dit , que ces vertueux parents ne sont pas leurs pères ; et, sur l’insistance de l’interlocuteur, qui lui demande des éclaircissements, sur la manière dont la dépravation morale découle du sperme, Vanini réplique : que la semence des hommes bilieux est d’une qualité ar- dente, comme leur nature, et que, par cette raison, il doit en être ainsi de l’animal qu’elle recèle. Enfin, à l'argument que l’homme a reçu du ciel la raison, pour dompter ses mauvais instincts, il riposte qu’on peut tenir de son origine une imperfection des organes affectés à la génération des (1) Manava-Dharma-Sastra, lib. ILE, st. 49. 449 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ esprits nécessaires à l’intelligence, et que, dansle cas même où ils soient parfaits, les vices héréditaires des humeurs peuvent encore en obseurcir la lucidité, et en dépraver toutes les fonctions (1). Sinibaldi, dont la crudité érotique peut le disputer à celle de Vanini, adopte, sur l'influence du fluide séminal, de l’imagination, des constellations (2), etc., considérés comme sourcesdes vertus et des vices, la mêmethéorie (3), et. n’y met guère plus de restriction que lui : « Quo- « niam in Veneris agone, dit-il,imaginatio maximè præ- « pollet, fit ideù ut boni viri probæ cogitationes, rectaque « phantasmata, insemine ipso imprimantur, sicut perdi- « torum hominum ex adverso pravæ mentis perperæque « imagines : quôd si nutricis mores per lac deferuntur ad « lactentem puerum, quantd magis per semen traduci de- « bent mores parentum ad suam prolem ? Etenim effica- « ciüs oppido est quod producit, quàm quod alit: illud est « intrinsecum principium, hoc autem extrinsecum (4). » Au lieu d’accepter, comme conciliables entre elles, les influences des astres et de l’hérédité sur le caractère et les qualités de l’âme, et de mettre sur la même ligne, ainsi que Vanini et Sinibaldi, l’action de la semence et celle des constellations, des physiologistes, moins incon- séquents, ont, avecCicéron(5), reconnu que les deux forces étaient contradictoires. Mais ils n’ont si nettement rejeté (4) Vanini, loc. cit. (2) Sinibaldi Geneanthropeia; Voyez tout le liv. VII, du chap. vi au chap. xxv, p. 788 à 825. (3) Il s'appuie, en effet, sur la même théorie de la génération que Vanini. (4) Idem, lib. V, tract. 1, p. 624. (5) « Quid? quod non intelligunt seminum vire quæ ad gignendum, « procreandumque plurimum valeat funditùs tolli, mediæris erroris est ? « Quis enim non videt, et formas, et mores, et plerosque status ac motus DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 443 la dernière, que pour accorder toute énergie à l’autre, Nous ne trouvons pas seulement cette manière de voir, chez des médecins, tels que Van-Helmont, nous la ren- controns jusque chez des religieux : « La véritable in- fluence qui préside à la conception des plantes et des « animaux, lit-on dans le Trailé des influences célestes, « du père Jean-François, de la compagnie de Jésus, celle « qui met le premier fondement à tout ce qui suit, n’est « autre que la vertu et l’esprit quiréside en la semence. « C’est là où l’enfant prend un naturei, l’un bilieux , « qui le porte à des querelles, si les occasions. s’en pré- « sentent, l’autre mélancolique, qui le rend retiré et so- « litaire , et dans la solitude l’attache à des pensées par- « ticulières..….. C’est dans la semence, quoique petite en « apparence, où on trouve les premières sources de nos « tempéraments, constitutions, complexions et inclina- « tions naturelles, lesquels se fortifient, ou s’affaiblissent, « par la bonté ou malignité du lait de la nourrice , et par « les diverses viandes dont on nourrit l’enfant, etc. (1).» Les opinions de J. Boëhme sont encore plus hardies (2): il dit, en propres termes, que l’âme est propagée par la voie humaine ; qu’il n’y a pas beaucoup de saintes géné- rations ; qu’elles ne peuvent venir que de bonnes semen- ces; que, lorsque les deux parents sont mauvais etcaptivés par le démon, alors c’est une mauvaise âme qui est se- mée ; qu’il arrive rarement que d’un corbeau noir il en « À «eflingere à parentibus liberos? Quod non contingeret, si hoc, non vis « et natura gignentium efficeret, sed temperatio lunæ, cœlique mode- « ratio ».— Cicero, de Divinatione, lib. II, XLY. : (1) Traité des influences célestes, ch. 1, p. 51. (2) Jacob Boëhme.—Quarante questions sur l’origine; l'essence, l'être, la nature, etla propriété de l’âme, traduit de l’allemand, par un Ph. inc. (Saint-Martin), 1 vol. in-8. Paris, 1807 ; 1x° et xe question. 444 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ provienne un blanc ; mais que lorsqu'il y a moitié l’un et moitié l’autre, cela peut arriver plus aisément. Dans toute l’ardeur de sa conviction, il conclut par cette apo- strophe évangélique : « Faïtes attention à ceci, vous, mau- « Vais parents : vous ramassez de l’or pour vos enfants, ra- « massez-leur une bonne âme, cela leur sera plus utile ({).» Enfin, et par l’opposition la plus complète à ceux des philosophes ou des physiologistes , qui prétendent sous- traire à l’hérédité les qualités qu’ils nomment spirituelles de l’âme, d’autres auteurs, en grand nombre, la plupart de nos jours, non-seulement considèrent tous les modes de la vie sentimentale de l’être, comme indifféremment transmissibles par la voie de la génération, mais ils ne voient même, dans cette transmission, que la conséquence directe de l’hérédité de l’organisation, ou de celle dela vie : Voltaire (2), Lamettrie (3), Gall (4), Spurzheim (5), Por- tal (6), Girou (7), Da Gama Machado (8), etc., se rangent à cette doctrine. Deux des hommes dont s’honore le plus l'Allemagne savante, Burdach (9) et Muller (10) se rallient, de nos jours, à cette manière de voir. Mettons maintenant de côté toutes les divergences 'd’o- pinion sur le fait de l’hérédité des modes d’activité senti- (1) Jacob Boëhme, Loc. cit., p.125, 127, 198. (2) Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. Caton et suicides. (3) Lamettrie, OEuvres philosophiques, l’homme machine, édit. in-#0, 1751, p. 45. (4) Gall, Sur les fonctions du cerveau, loc. cit. (5) Spurzheim, Essai sur les principes élémentaires de l'éducation, ch. I, p. 45 et passim. (6) Portal, Consideérations sur les maladies de famille, p. 3. 7) Girou de Buzareingue, Physiologie physichologique, passim. (8) Da Gama Machado, ouv. cit. (9) Traité de physiologie, Paris, 1838, tom. IT, loc. cit. (10) Manuel de physiologie, Paris, 1845,tom. II, liv. vus, sect, 3, Ch. rt. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 449 mentale de l’être, pour ne nous occuper que de la ques- tion de l’hérédité elle-même. La génération, considérée comme source de la nature de sentir, se rattache à trois types : le premier est l’es- pèce, le second est la race, le dernier la famille. Est-il vrai que chacun de ces types originels de l’orga- nisation imprime son caractère aux formes d'impression, d’impulsion et d'état de notre sensibilité affective et mo-— rale, qu’il se répète en elle ? On ne peut discuter l’hérédité de la part qui lui vient de lespèce : elle est l’hérédité de l’espèce elle-même (1). L’hérédité de la part qui procède de la race n’est pas plus contestable : telle opinion qu’on ait sur l’origine des races, et telle théorie que l’on aït adoptée sur leur di- versité, on ne peut pas nier que ce qu’il existe de distinc- tif, en elles, et de primitif dans leur mode de sentir, ne se propage avec elles. Toutes les observations ethnologiques l’attestent ; elles prouvent la transmission de tous les traits qui composent, chez les différents peuples, le caractère national. Reste la question de l’hérédité de la part qui vient de la famille. Pour tout observateur impartial, au milieu du conflit des systèmes, elle n’est pas moins nettement tran- chée par l’expérience. ÿ On ne peut pas d’abord, comme nous l’avons vu, ré- voquer en doute le fait de la diversité des modes particu- liers de la sensibilité. On ne saurait non plus contester le fait de leur origine ; il est évident que ces modes particuliers de la sensibilité ne viennent primitivement, du moins le plus grand nom- (1) Voyez plus haut, deuxième partie, liv. 1, chap. 1, p. 441. 446 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ bre, ni de l’éducation , ni des circonstances, qu’ils vien- nent de la nature ou de l’organisation ; enfin, malgré celles desdoctrines précédentes quisoutiennent le contraire, ilest aussi certain, queles variétés du pouvoir de sentir, qui sont dans les personnes d’organisation, ou de nature première, qui naissent avec la vie, sont transmissibles comme elle. $ II. — MA nCIpes fondamentaux des restrictions à faire à l’hérédité des propensions morales. Mais trois points du problème restent à éclaircir : tous les modes d’être de la sensibilité, toutes les qualités, tou— les inclinations du dynamisme de l’homme , sont-ils communicables par la génération ? Le sont-ils tous également, à tous leurs degrés ? Le sont-ils toujours ? Nous nous trouvons ici appelé à décider entre les trois opinions que nous avons exposées : l’une, des doc- teurs Virey et Lordat, qui admet ou rejette le principe de la transmission des qualités, selon la nature des qualités elles-mêmes; Pautre, représentée par le plus grandnombre des auteurs de nos jours, qui ne fait aucune espèce de dis- tinction entreelles, et qui érige en fait l’hérédité de toutes; une troisième, encore plus absolue, et dont Vanini et Pujol ont été les logiques organes, qui croit à la constance né- cessaire et certaine de cette hérédité de toutes les qualités, bonnes ou mauvaises des êtres, dans leurs progénitures. La dernière doctrine se réfute d’elle-même: ni l’expé- rience, ni la théorie, ne permettent de reconnaître, à ces sortes de communications, l’infaillibilité ni la fixité qu’on leur a décernées. Nous ne saurions même assez admirer, sur ce point, l'opinion de Zacchias, et celle d’un petit nombre d’anciens jurisconsultes. Ils ne sont pas contents RES DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 447 d’asseoir sur la base, déjà si infidèle, de la ressemblance, la preuve de la filiation, comme sur la présomption la plus indubitable; ils poussent encore l’abus de la loi na- turelle que le semblable doit procéder du semblable, jus- qu’à préférer, dans cette périlleuse voie de démonstration de la paternité, les indications de la ressemblance morale, comme les plus certaines. La raison qu’ils en donnent est des plus bouffonnes ; la ressemblance morale serait la seule, d’après eux, soustraite à l’empire de l’imagination des femmes, dans le coït (1). On ne saurait tomber dans une plus grave erreur de principe et de fait sur la génération : de fait, car l’expé- rience dément, à chaque instant, non pas seulement chez l’homme, mais chez les animaux, comme nous l’avons déjà longuement démontré, dans un autre chapitre (2), cette prétendue constance de représentation de la nature morale des parents dans leurs fruits; de principe, car c’est supprimer l’action de l’une des deux lois de la pro- création, celle de l’INNÉITÉ sur la nature morale ; et il est évident que l’INNÉITE régit le type du dynamisme, comme elle régit le type du mécanisme des êtres, et que, par cette raison, elle peut diversifier, à l’infini, les mœurs, les incli- nations, les qualités des fils et des filles, quelles que soient les qualités, les mœurs, les inclinations de ceux qui leur donnent le jour (3). La doctrine opposée des docteurs Virey et Lordat n’of- fre pas de plus solides bases, mais soulève des questions très-dignes d’examen. Tout leur système tient à uneligne absolue de démarcation qu’ils veulent établir, entre les at- (1) Pauli Zacchiæ, Quæstion. medico-legal., loc. cit. (2) Liv. Ier, chap. IL, p. 148 et suiv. (3) Même chapitre. 448 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ À tributs du mécanisme humain et ceux d’une partie de son dynamisme. C’est donc la valeur physiologique de cette démarcation qu’il faut approfondir, d’abord relativement à la nature propre des qualités morales, ensuite relative- ment à leur origine. La distinction de Virey, né les qualités morales qui tiennent au corps, et les qualités morales qui tiennent à l’âme, a le double défaut d'être très-arbitraire et, faute d'explication, presque inintelligible. Si, par qualités spi- rituelles, il désigne les facultés mentales, il est, comme nous le verrons, dans une erreur profonde, en niant qu’el- les se transmettent. Si sa distinction porte sur les at- tributs de la force sentimentale, nous espérons en faire ressortir tout le vide, par l'examen critique de la thèse analogue du professeur Lordat. Cette thèse du savant représentant de l’école de Mont- pellier est beaucoup plus spécieuse, parce qu’elle recèle un fond latent de vérité dont il n’est pas facile de déga- ger l’erreur. Toute sa doctrine roule sur une diversité, qu’il croit ra- dicale, entre les attributs spéciaux de la FORCE VITALE et les attributs spéciaux du SENS INTIME. Cette distinction a, sur la précédente, l'avantage d’expri- mer d’abord une idée claire ; c’est la distinction de la vie et de l'esprit (1), ou de l’activité physiologique et de l’acti- vité psychologique de l’être. Mais cette distinction a une autre qualité que d’être intelligible; elle a celle d’être vraie, en {ant qu'elle se rapporte à notre mode de sentir. La sensibilité partage réellement notre être en deux parties: l’une, dont les phénomènes nous sont perceptibles ; l’autre (1) Muller, Manuel de physiologie, Paris, 1845, t. II. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 449 dont les phénomènes ne nous le sont pas. On peut done, en faisant choix d’une semblable base, comprendre exclu- sivement, dans la FORCE VITALE, tout l’ordre des facultés et des opérations dont l’être n’a point conscience, et com- prendre, au contraire, dans le SENS INTIME, tout l’or- dre des facultés et des opérations dont l'être a con- science (1). C’est seulement ainsi que nous pouvons nous rendre compte de la division du professeur Lordat, et, psycholo- giquement, dans certaines limites, elle nous semble ac- ceptable; mais l’est-elle, de même, physiologiquement, c’est-à-dire, répond-elle à une dualité réelle de nature et d’origine des deux ordres d’attributs qu’elle distingue dans l'être? C’est sur ce second point que le professeur Lordat nous semble s’égarer. D'abord, pour ne pas prendre le change sur les mots, quelles sont précisément les qualités de l'être, qui ren- trent dans le SENS INTIME, et dont le savant auteur nie l’hérédité ? Le sENs INTIME Comprend, comme nous venons de le voir, tous ceux des phénomènes et des activités de la vie qui arrivent à la conscience de l’être. IL est donc évident qu’il renferme également, et indifféremment, toutes les activités de la sphère morale de l’homme, car l’homme a conscience de tous ses attributs, quel qu’en soit le carac- tère, à quelque but qu'ils tendent. On voit, en effet, par l’énumération des seize mode d’êtres, dont le professeur Lordat investit le SENS INTIME de l’humanité, que cette ca- tégorie embrasse pêle-mêle toutes les formes générales (1) Ebauche du plan d’un traité complet de physiologie humaïÿne. Mont- pellier, 1841. 1. 29 450 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ du dynamisme sensible, et particulièrement celles que nous avons désignées sous les noms de forme senso- rielle (1), de forme pathétique ow sentimentale (2), de forme intellectuelle (3), de l’activité de l’être. Nous avons déjà traité de l’hérédité de la première (4) ; nous traiterons plus loin de celle de la dernière (5). Cesera l’occasion de combattre les arguments dirigés contre cette - forme de l’hérédité. Mais, pour ne pas sortir de l’ordre des matières, nous ne devons ici traiter des objections du professeur Lordat contre l’hérédité de la nature morale, qu’autant qu’elles se rapportent au mode d'énergie du type psychologique dont nous nous occupons, c’est-à-dire à la force sentimentale de lêtre. Il n’y a point d’abord de distinction de nature ni d’o- rigine, à faire, entre ceux des attributs de la catégorie du professeur Lordat, quirentrent dans cette forme du pouvoir de sentir. Dans la lettre et l’esprit de la démarcation qu’il a établie, ils ne diffèrent, entre eux, que comme caractè- res, espèces, ou variétés de modes du SENS INTIME. La question est desavoir, si ces modes, variétés, espèces, ou caractères propres du SENS INTIME, qui ont essentielle- (1) Elle rentre dans le quatrième mode d’être du sens intime de ja catégorie de Lordat: La sensibilité. Voy. Ebauche du plan d'un traité complet de physiologie, 5. 20-21. (2) 7e, 9e, 11°, 13e, 14° modes d’être de la même catégorie, c’est-à-dire, selon le vocabulaire adopté par l’auteur, l’activité interne, la philautie, l'affectibilité, la croyance, le caractère, etc. Ouv. cit., p.20, 21. (3) 5°, 10€, 12€ modes d’être de la même catégorie, ou la force de con- ception, la raison directrice ou l’entendement, l'aptitude créatrice, etc. Id., loc. cit. (4) Voyez plus haut, même chap., art. 1. (5) Voyez plus loin : De l’hérédité des caractères propres aux ‘modes d'activité de la force mentale. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 451 ment et la même nature et la même origine, ont uneautre origine, et une autre nature, que les simples attributs ou activité de la FORCE VITALE? Voilà ce que nous nions très-positivement : En poussant jusqu’au fond l’idée systématique du pro- fesseur Lordat, celle d’une diversité radicale de principe entre le SENS INTIME et la FORCE VITALE, on arrive droit, et rigoureusement, à cette énormité physiologique , que le SENS INTIME n’a point chez l'individu l'origine de la vie, etqu’il y a, dans l’homme, une double source de l’être; une première, physique, qui procède de l’acte et des lois or- ganiques de la génération ; une autre, métaphysique, an- térieure, postérieure ou concomitante à l’union sexuelle, et qui correspondrait à l’une des théories purement spé- culatives de l’origine de l’âme (1). Avec tout le respect qu’on doit aux intentions, et aux croyances qui ont inspiré ces doctrines, nous pensons que c’est rendre à la philosophie, et à la doctrine même de l’existence de l’âme, un dangereux service, que de s’atta— cher aux bases de ces distinctions. Pour nous, la FORCE vI- TALE et le SENS INTIME de l’être sont indivisibles. La seule différence que nous admettions , au point de vue dela vie, entre ces deux ordres d’attributs généraux du dynamisme humain, est celle que nous avons exprimée, en disant, que les uns étaient sensibles, les autres insen- sibles au principe de notre être. Mais toute distinction de nature essentielle, entre les qualités propres de la FORCE VITALE et les qualités propres du SENS INTIME, manque, dans notre conviction, de base physiologique ; laraison en est simple, c’est qu’il n’existe pas de dis- tinction de nature entre les deux principes auxquels (1) Voyez, à ce sujet, l’article suivant. 452 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ on les rapporte, entre le SENS INTIME et la FORCE VITALE. | Selon notre manière de voir, qui n’est point seulement celle de l’école de Paris, mais celle des plus savants physiologistes d'Allemagne, de Burdach, de Bischof , etc., elc., ces dénominations ne représentent, en fait, . que deux formes d'activité de l’unité radicale de l’orga- nisation : la première, soumise, la seconde, soustraite à la conscience de l’être; mais, perceptibles, ou non, à cette conscience, il est pour nous visible comme la lumière, que les modes d’être et d’agir de ces deux éner- gies du dynamisme humain, également sujets aux diver- ses influences des états de la vie, également forts ou faibles, réglés ou déréglés, selon les mille circonstances, selon les mille variations de la santé physique, selon l’es- pèce ou le degré d’énergie des agents, sur l’organisation, participent au fond d’une seule et même nature, au point de vue de la vie. Le SENS INTIME, en un mot, est toujours, par rap- port à l’organisation, réductible à l’essence de la FORCE VITALE, et, comme tel, il reste physiologiquement insépa- rable d’elle. Par la même raison, l’idée d’une différence d’origine entre eux, n’est pas admissible : vitales dansleur essence et dans leur énergie, ces deux formes de l’être sont encore vi- tales dans leur source première. Quelles que soient, par exemple, l'espèce et la puissance des qualités morales, éten- dues ou restreintes, bonnes ou mauvaises en soi, elles ne naissent pas plus dela volonté de l’être, ni de sa liberté, que les qualités physiques. On ne les choisit pas plus qu’on ne choisit sa figure ou sa constitution : on les recoit, et elles sont aussi involontaires dans leurs modes d’être et leur pre- DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 453 mier principe, que la FORCE VITALE et que le SENS INTIME, dont elles ont l’origine, c’est-à-dire celle de l’être. Mais, s’il n’existe pas de diflérence de nature, s’il n’en existe pas d’origine, entre les formes ou modes du sens INTIME et les formes ou modes de la FORCE VITALE, il n’en peut exister entre les lois qui président à leur génération. Ils doivent nécessairement reconnaitre les mêmes, à la source de l’être. Cette source de l’être est double : c’est la nature pro- pre ou type de son espèce ; c’est la nature propre ou type individuel de ses générateurs. Physiques ou morales, il faut donc, premièrement, dans la génération, que toutes les tendances, qualités, attributs, procèdent de ces deux types ; il faut encore, de plus, de quelque nom qu’on les nomme, qu’ils y subis- sent l’action de l’une et de l’autre loi qui président à l’œuvre de la formation de l’être, la loi d’INNÉITÉ, la loi d'HÉRÉDITÉ. Nous avons déjà vu que toutes les qualités, quel qu’en soit le caractère, pouvaient également et indifféremment naiître de la première, ou de l’INNEITÉ; la raison nous dit donc, qu’indépendamment de toutes les distinctions d’es- pèce ou de mode d’être, qu’on établit entre elles, toutes les qualités peuvent également, et indifféremment, procé- der de la seconde, ou de l’'HÉRÉDITÉ. Ce que la raison dit, sur ce point, des espèces ou modes constitutifs du dynamisme sensible, la logique le répète de ses impulsions, ou des propensions directes qui en émanent ; comme personne n’est la cause première des qualités ou des défauts qu’il tient du principe de la vie, personne, une fois pourvu de ces qualités, ou de ces dé- fauts natifs, n’est libre d’en sentir ou de n’en pas sentir 454 DE BA LOI D'HÉRÉDITÉ les sollicitations ; une fois constituée, de quelque part qu’elle vienne, de quelqu’espèce d’attributs qu’elle’ soit investie, il est inévitable que la nature morale parle et agisse sur l’être, puisqu'elle est active ; il est inévitable qu’il en sente l’aiguillon, puisque cet aiguillon part de la sphère sensible de son existence. Les impulsions sont donc aussi essentiellement automa- tiques en soi, aussi indépendantes de la volonté, que les espèces ou modes d’être du sens intime, qui en sont les principes ; et, puisque ces espèces, ou modes du sens in - time, quelle qu’en soit la nature, peuvent découler toutes de la génération, et reconnaître en elle l’hérédité pour cause, l’hérédité peut être nécessairement la cause immé- diate et directe de leurs impulsions. Mais ici se présente une question très-grave : De l’hérédité des qualités morales et de leurs impulsions, doit-on induire celle des actions où elles tendent ? C’est la nécessité logique, en apparence, de cette con- clusion, qui a fermé le plus d’esprits à la lumière; c’est celle que nous paraît appréhender le plus le professeur Lordat. Helvétius, Weikar, Wollaston, etc., en avaient, au fond, la même crainte, et, pour s’en délivrer, ils n’a- vaient rien trouvé de mieux que de restreindre, jusqu’à l’abolir , l’action de l’hérédité sur tous les attributs de l’activité morale, et que de lui substituer celle de l’imita- tion, de l’éducation, et des autres circonstances exté- rieures analogues. Mais, comme le dit très-bien, à ce sujet, Burdach : « Avec l'excellente intention de montrer à l’homme qu’il est libre, et de l’engager à faire usage de sa liberté, C'était s’éloigner par trop de la vérité que de hasarder une semblable hypothèse, car l’hérédité a réel- lement plus d’empire sur notre constitution et notre ca- DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 495 ractère, que toutes les influences du dehors, physiques et morales (1). » Le fait est évident, mais les appréhensions de ses con- séquences morales sont pleinement chimériques ; on ne les a conçues que pour ne pas avoir logiquement procédé à son analyse. Le problème se réduit à des termes très-simples : Nous l’aborderons-par une première question : 1° Quelle que soit l’origine des dispositions de l'être, l’homme en est-il le maître, ou en est-il l’esclave ? sont- elles, en d’autres termes, nécessaires et fatales, ou bien sont-elles libres et facultatives dans leur activité ? Mettons ici de côté les dénominations de qualités phy- siques et de qualités morales, pour ne nous occuper que de l’empire de l’homme sur leur exercice. L'expérience de la vie et de ses fonctions , celle de la maladie, celle de la douleur, ne laissent à personne le plus léger doute qu’il n’existe, dans l’être, un ordre de phénomènes exclusivement soumis à l’activité spontanée de la vie; car ils s’accomplissent automatiquement, irré- sistiblement, non-seulement sans le concours de la vo- lonté, mais contre la volonté, et sans qu’il dépende d’elle d'arrêter leur action, tant que dure la vie. Cet ordre de phénomènes comprend toutes les formes des opérations dites involontaires ou organiques de l’être. La même expérience nous apprend, qu’il existe, dans l'individu, d’autres phénomènes, simultanëment soumis à l’action spontanée de la vie, età l’action libre delindividu. Ce second ordre comprend toutes les facultés appelées volontaires ou animales de l’être. Dans cette dernière classe, rentrent toutes les énergies (1) Ouw. cit., t. IL, p. 248. 456 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ de la nature morale, proprement dite, c’est-à-dire toutes celles qui intéressent le devoir et la conscience humaine. En quoi consiste l’empire de la volonté, sur ces activités également dépendantes du pouvoir de la vie, et du pou- voir de l’âme? où commence-t-il, sur quoi s’exerce-t-il, en elles ? Ce n’est, en aucun cas, sur les espèces mêmes de ces acti- vités, ou sur les caractères des modes du SENS INTIME; ils ne proviennent point, nous l’avons déjà dit, de l'initiative ui de l'élection de l'être ; il ne dépend point de lui d’en changer la nature, ni de s’en donner d’autres. Ce n’est pas davantage sur les impulsions morales qui en dérivent; comme tenant aux premières, qui procèdent de la vie, elles sont, nous l’avons vu, aussi involontaires, aussi automatiques, dans leur premier mouvement, que celles de la vie elle-même. Mais, si la volonté ne peut intervenir sur la nature même des facultés qu’on dit soumises à son empire, et si, d’une autre part, elle n’est pas le principe de leurs dispo- sitions, que lui reste-t-il donc, et où se réfugie-t-elle ? Dans l'énergie, dont l’homme est doué au plus haut point, de réagir sur lui-même. Physiques ou morales, quelque nom qu’on leur donne, de quelque part qu’elles viennent, les tendances de l’or- dre dont il s’agit ici, pour être automatiques dans leurs impulsions, ne sont pas irrésistibles. Il faudrait qu’elles Le fussent, pour que l’on püt induire, de leur automatisme, la négation logique de la liberté. Mais, dans l'humanité, entre l’impulsion et l'acte , il y a un intervalle. C’est dans cet intervalle, véritable période de la tenta- tion, pour nous servir ici du langage de l’Eglise, que la DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 457 conscience intervient, que la raison juge, que la volonté décide, et que l’énergie de l’être, instrument de ses or- dres, obéit ou résiste à l'exécution de Pacte. Dans les conditions normales de la santé, de l’organi- sation, et de l'intelligence, quelles que soient la source, la nature, et la force de nos impulsions , les actions morales sont donc facultatives : il est, dans la nature de l’homme, d’en être le juge, et d’en rester le maître; la conscience intervient partout où l’action intéresse le devoir, et ne la laisse émaner que de la volonté de l’être, force immédiate et libre de la personnalité, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus essentiellement propre à l’individu, de plus insépa- rable de son initiative. Il n’existe donc pas seulement un premier et immense intervalle, par rapport à l’empire de notre liberté, entre les actes volontaires et ceux qui ne le sont pas, il y a, dans la sphère même des phénomènes soumis à notre volonté, une ligne absolue de démarcation entre les impulsions et les actions : les unes, automatiques, et liées par leur prin- cipe à la nature de l’être et au mouvement de la vie; les autres, facultatives, et seules réellement liées à la liberté. Cette solution de la première question, conduit à une seconde qui dénoue le problème : 2 Est-1l au pouvoir de l'hérédité de transformer l’es- sence des dispositions dont elle est le principe, et de mé- tamorphoser, indifféremment, toutes les impulsions qui proviennent delle, en actes nécessaires? Telle est la vraie question, et, posée dans ces termes, la solution en est complétement négative. L’hérédité laisse leur nature à l’essence de l’activité vitale et de l’activité libre. On prévoit, à l'instant, quelles conclusions s’ensuivent. 458 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Ceux des modes de la vie, ceux des attributs du dyna- misme humain, qui sont exclusivement automatiques dans l'être, restent soumis au même ordre d’activité vitale, lorsqu'ils ont leur source, comme lorsqu'ils ne de, dans lPhérédité. Innés ou transmis, ils se développent en nous de la même manière, ils s’y manifestent et s’y accomplissent aussi nécessairement, selon le degré d'énergie qu’ils tiennent de leur nature et de leur origine. Ceux des modes de la vieou des attributs du dynamisme humain qui, au contraire, ne sont involontaires en nous, que dans leurs modes d’être, et dans leurs impulsions, mais dont les actions sont volontaires et libres, ne chan- gent point non plus de nature, ni de caractère par la transmission ; ils restent automatiques dans leurs im- pulsions, ils restent involontaires dans leurs modes d’être; mais ils restent aussi volontaires et libres, ils restent facultatifs dans leurs actions. L'hypothèse du fait de l’hérédité des qualités morales ne renverse donc pas, et ne restreint en rien, la loi fon- damentale du libre arbitre de l’homme. Pour que l’hérédité eût un tel caractère, il faudrait qu’il y eût hérédité des actes, ou du moins qu’il y eût ir- résistibilité des tendances transmises. 1°1l n’y a pas d’abord d’hérédité des actes ; il n’y a de transmis, dans la sphère qui touche à la moralité de l'existence humaine, que les dispositions etles impulsions, et non les actes mêmes ; 2° Ni les impulsions, ni les dispositions, ainsi commu- niquées, ne sont irrésistibles. L'homme est sollicité, par l’hérédité de ses modes de sentir, à vouloir, etpar suite, àagircomme sespères; mais, DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 459 comme il a été dans la nature des pères, de ne pointobéir, irrésistiblement, aux sollicitations de leur dynamisme, comme ils sont restés maîtres, du moins dans les limites de la droite raison, et de la liberté départies à l’espèce, de céder, ou de ne point céder, à ces tendances, de même l'enfant reste maitre de céder, ou de ne pas céder, à toutes celles des mêmes impulsions transmises par ses pères, qui tombent sous l’empire de son intelli- gence et de sa conscience, et qui rentrent, à cetitre, dansle domaine de l’âme et de la liberté. Leur hérédité ne con- stitue, pour lui, qu’un ordre d’influences et de circon- stances internes, au milieu desquelles ilest appelé à vivre, et qu’il a tout ensemble, la raison de juger et la force de vaincre; elles n’entraînent pas plus que les autres cir- constances, externes ou internes, de l’organisation, l’a- néantissement du libre arbitre de l’être, ni la nécessité fatale de ses actes. Il dépend, en un mot, de l’hérédité, comme de l’innéité, de faire naître plus ou moins vivement entraîné vers le bien ou le mal, et partant plus ou moins coupable de faillir ; maison ne leur doit ni le vice, ni la vertu; le vice et la vertu n’existent point d'eux-mêmes ; ils ne consistent point dans la nature fatale des impulsions externes ou in- . ternes qui agissent sur nous, maïs dansleconcours mental et exécutif de la volonté ; et, à tous cestitres, ilstiennent à la personne, viennent de la liberté, et n’ont pas d’héritage. Telest à notre point de vue, unique et vrai principe des restrictions à faire à l’hérédité des propensions mo- rales, proprement dites, c’est-à-dire de celles qui tou- chent à la conscience et à la liberté responsable de l’homme ; il est, comme on le voit, fort éloigné de celui du professeur Lordat. 460 DE LA LOL D'HÉRÉDITÉ Tout est artificiel dans sa distinction : fondée sur l’hy- pothèse de qualités physiques qui seraient héréditaires, et de qualités morales qui ne le seraient pas, elle tombe de- vant le fait d’unité de principe de tous les modes d’exis- tence et d’activité de l’être ; elle tombe encore devant la logique, qui nous dit, que toutes les qualités originelles de l’être, que tous les attributs du dynamisme humain, quelle qu’en soit la nature, de quelque nom qu’on les nomme, peuvent être héréditaires. Tout nous semble, au contraire, légitime dans celle que nous adoptons : elle reconnaît le fait d’unité d’origine de tous Les attributs du dynamisme humain ; elle ne se heurte point contre l'évidence de l’hérédité de tous ses caractè- res ; elle respecte, enfin, la loi morale de l’homme, en abandonnant à sa liberté, non le principe d’impulsions qui ne lui appartiennent point, mais son véritable et unique domaine, l’empire des actions, dont elle est res- ponsable. Aux deux restrictions près, que nous avons faites, 1° de l'exercice et l'empire de la liberté sur les actions, 2° de l'exercice et l’empire de la loi d’INNÉITÉ sur toutes les im- pulsions et tous les caractères ou modes d’activité senti- mentale de l'être, la représentation de tous les attributs de cette forme de la vie des pères, dans les enfants, nous semble indubitable : dureté, douceur, fausseté, franchise, lâcheté, courage, élévation, bassesse, tendance à tous les vices, à toutes les vertus, il n’est point, à nos yeux, une seule qualité, bonne, mauvaise ou bizarre, il n’est point de penchant, il n’est point de passion qui ne puisse éma- ner de l’hérédité et avoir ses racines dans le type de la famille. C’est la conclusion qui, indépendamment des considé- Æ DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 461 rationsexelusivement logiques que nous venons d’exposer, ressort directement d’une double expérience : La première est celle de la propagation des inclinations, qualités ou défauts, du type individuel dans l’animalité; La seconde est celle de la propagation des inclinations, qualités ou défauts, du type individuel dans l'espèce hu- maine. $ IT. — De l’hérédité des inclinations, qualités, ou défauts du type individuel, dans l’animalité. La transmission des traits du naturel et du caractère individuels, chez les animaux, est un fait si commun et si bien constaté, qu'il se passerait d’exemple. Les carac- tères de douceur et de docilité, dit le savant Huzard, ne doivent pas être moins recherchés, dans les pères et dans les mères, que les qualités physiques extérieures; leurs petits sont plus doux, plus faciles à élever (1). Après lori- gine, ce que les Anglais demandent, sur toute chose, dans un étalon, c’est le good-action, autrement le courage. Sans cette qualité, ilsnedonneraient pas un écu, dit Pichard, du plus beau cheval du monde, pour en faire un étalon (2). On a depuis longtemps remarqué, qu’en effet, le che- val peut transmettre , par la génération, presque toutes ses bonnes ou mauvaises qualités : « Un cheval naturel- « lement hargneux, ombrageux, rétif, écrit Buffon, pro- « duit des poulains qui ont le même naturel. » Dupuy a connu une jument, morte de morve, dont les produits avaient hérité , non-seulement de sa conformation parti- culière, mais de ses dispositions à mordre et à frapper du (1) Huzard, Traité des haras, p. 174. (2) Pichard, Manuel des haras, ch. vr, p. 103, 104. 462 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ pied (1). Dans un mémoire couronné par la société royale et centrale d’Agriculture, en 1823, Bouin a rapporté, sur le témoignage des officiers du dépôt d’étalons de Saint- Maixent, qu’un étalon de selle Hongrois, dit le Sauvage, d’un caractère inquiet, et qui ne se laissait approcher que des personnes qui avaient l’habitude de lui donner du foin, a produit beaucoup de poulains du même na- turel. Le Jupiter, étalon du haras d'expérience d’Alfort, qui a dans le caractère beaucoup de méchanceté, a transmis ce caractère à une grande partie de ses productions (2). Huzard a donc raison de donner le conseil de rejeter de la reproduction tout étalon rétif, méchant, même trop sauvage (3). L’hérédité peut mème s'étendre, chez les bêtes, aux dis- positions les plus particulières, ou les plus bizarres, de leur naturel : un chien de chasse, pris à la mamelle, et élevé loin de son père et de sa mère , était d’un entête- ment rare, incorrigible dans ses penchants, et, chose re- marquable, il craignait, au point de n’en plus chasser, l'explosion de la poudre, qui excite tant l’ardeur des au- tres chiens. Sur la surprise qu’en témoignait son maitre à la personne dont il tenait Le chien : rien n’est moins sur- prenant , lui répondit-elle, son père étail ainsi (4). Cette propagation des divers naturels, chez les ani- maux, est encore plus marquée dans le métissage des races ou des espèces : L'expérience, dit Venette, nous apprend, que les bêtes 4) Dupuy, Traité sur l'affection tuberculeuse, etc. (2) Dictionnaire de nédecine et de chirurgie vétérinaires, t. II, p. 610. (3) Huzard, op. et loc. cit. (4) Girou, Philosophie physiologique, p. 215. DANS LÀ PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 463 même de différentes espèces, en produisent une troisième qui a un instinct mêlé, et que, s’il y a en elle de la variété du corps, il n’y en a pas moins de l’âme, par ce mélange des deux matières et des deux âmes de la semence de ces animaux (1). Ce mélange d’instincts ne s’opère pas toujours. La gé- nération peut ne propager que ceux d’une des deux races ou d’une des deux espèces, ou les distribuer entre les produits; c’est ainsi qu’on a vu, dans le croisement du cochon et du sanglier, ou de l’espèce du loup et de l’espèce du chien, une partie des petits hériter des tendances in- stinctives de la race sauvage, et une autre partie de celles de l’espèce ou de la race domestique; les uns, se complaire avec l’homme et les chiens; les autres, au contraire, les craindre et les fuir (2). Girou a observé des faits analo- gues, dansle croisement des diverses races de chiens et de chats (3) ; Da Gama Machado, dans celui des diverses es- pèces d'oiseaux (4). Le transport séminal des instincts, des penchants, des qualités ou vices du dynamisme des bêtes, est une démons- tration très-précieuse de cette forme d’hérédité chez l’homme, en ce sens qu’elle tend à dégager la preuve ex- périmentale qu’on donne de la dernière, d’une série d’ob- jections dont on a poussé l’abus jusqu’à l’absurde. Telle est l’explication des ressemblances morales du type indi- viduel , dans le sein des familles, par l’identité de l’é- ducation, par l'empire de l’exemple, la forcede l’habitude, et l'influence de toutes les causes extérieures, etc. (1) Venette, Génération de l’homme, tom. IL, p. 71. (2) Burdach, Traité de physiologie, tom. II, loc. cit. (3) Girou, de la Génération, voy. p. 120, 121, 125 et passim. (4) Théorie des ressemblances, part. 1. 46% DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ a Tous ces lieux communs d’arguments disparaissent de- vant la transmission des traits particuliers du dynamisme vital dans l’animalité, parce que cette transmission s’y montre, en général, complétement étrangère à cet ordre d’influences, ou que rien n’est plus facile que de l’y sous- traire. Mais ici se présente une irès-grave question préjudi- cielle: jusqu’à quel point est-il rationnel de conclure, en pareille matière, de l’animalité à l’humanité? ou, en d'autres termes , les lois de l’hérédité physiologique sont- elles les mêmes chez les bêtes et chez l'homme ? C’est la fin de non-recevoir qu’a très-ingénieusement développée, sous ce titre, le professeur Lordat, et qu’il oppose à toutes les inductions tirées de l’hérédité du na- turel des bêtes (1). Nous nous trouvons encore en opposition radicale sur ce point, comme sur presque tous les points de son mé- moire, avec le savant organe de l’école de Montpellier. L’hérédité physiologique des qualités, chez les animaux, n’est, de son aveu, contestée par personne; il l’'admet dans toute sa réalité, dans toute son étendue, sous le type ori- ginel, et sous le type acquis de l’organisation. | L'ordre des matières ne nous permet de traiter ici que du premier (2). Sous ce premier type, le professeur Lordat reconnait, sans détour, que cette hérédité dynamique, chez les bru- tes, régit non-seulement les qualités vitales ou économi- (4) Les lois de l’hérédité physiologique sont-elles les mêmes chez les bôles et chez l’homme, in-8, Montpellier, 1842. (2) Voyez, pour la critique des considérations du professeur Lordat, qui se rattachent à l'hérédité des modifications acquises, le tome II dece livre, 1v° partie. 7 LA fe ; DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 465 ques, mais les qualités instinclives, simulant les qualités morales (1). | Mais, conséquent avec ses précédents principes, ilre- pousse toute idée d’assimilation entre l’hérédité de ces qualités , chez les animaux, et celle des qualités morales proprement dites, dans l’espèce humaine. Le motif qu’il en donne est que l’hérédité ne suit pas, dans les deux classes, une seule et même loi. Pour saisir, en quelque sorte, dans ses premières ra-' cines, une opinion qui semble aussi paradoxale, il ne faut pas seulement la voir en elle-même, dans sa nature nue : il faut, comme à l’égard de certaines théories philoso- phiques, considérer sa fin, se demander où elle tend, et où elle veut aller. L'auteur de la doctrine de l’insénescence du sens in- time de Phomme ne nous dissimule pas cette raison finale de sa théorie. Il l’expose en ces termes : « Si les lois sont les mêmes dans les deux ordres, la « ressemblance pourra nous faire penser que le dyna- « misme des bêtes est semblable au nôtre, et quel’homme « rest qu'un animal plus développé et ennobli, comme « V’ont tant professé Gall et son école. Mais, si ces deux « hérédités présentent des lois différentes, vous convien- « drez que nous pourrons contester l'identité des deux « dynamismes comparés (2). » Tel est le point de départ de son hypothèse : c’est à un: distinction radicale de nature, entre le dynamisme des “espèces animales, et le dynamisme de l’espèce humaine , qu’il veut arriver. 5 (1) Mémoire cité, p. 23. (2) Mémoire cité, p. 3 et 4. F 3Ù KR É Es 4 > 466 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Au lieu de se placer au point de vue des faits, le plus philosophique etle plus lumineux, en matière d'expérience et d'observation, le professeur Lordat commet ainsi la faute de se placer au point de vue de leurs conséquences. Mais , sous ce rapport même, le savant auteur nous semble se jeter dans une voie pleine d’écueils. Nous parta- geons plusieurs de ses convictions ; nous sommes tout aussi opposé, qu’il peui l'être, à l’idée de la pure animalité de l’homme ; nous voyons, comme lui, entreles deux na- tures de l’homme et de la brute, une immense barrière, ou plutôt un abime; à nos yeux, comme aux siens, il existe entre elles une dissemblance d’être, de loi d’acti- vité, de puissance et de destinée, qui en fait deux sym- boles non-seulement inégaux , mais essentiellement diffé- rents de la vie; en un mot, nos croyances morales sont les siennes ; mais nous n’en ressentons que plus vivement encore le danger qu’il y a à les faire reposer, même indi- rectement, sur de pareilles bases. Le premier vice d’une semblable argumentation est un vice logique : ilest évident que le professeur Lordat ren- verse complétement les termes du problème: Ce n’est pas à la loi de l’hérédité à trancher la question de la ressemblance, ou de la différence des natures compa- rées de l’homme et de l'animal. Il ne lui appartient, en rien, de nous instruire, ni de ce qui les unit, ni de ce qui les sépare. L’hérédité, en soi, n’est en effet, qu’une sim- ple répétition des êtres : c’est le transport du semblable des parents aux produits. Elle ne décide donc pas de l’es- sence absolue des types qu’elle communique. Elle ne les distingue ni ne les différencie , elle les reproduit, quels qu’ils soient, tels qu’ils sont. 8 On ne doit donc étudier , on ne doit interroger l’héré- DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 407 dité que sur l’hérédité elle-même, parce que, à propre- ment dire, elle ne nous éclaire que sur la transmission et non sur la nature des modes spécifiques et individuels de la vie, chez les êtres ; parce que, directement, elle ne nous ré- vèle bien queses propres lois. De l'identité ou de la diver- sité de ses lois , entre deux espèces, on n’est donc logique- ment fondé à conclure , ni à l’identité, ni à la différence de leurs dynamismes : on n’en peut induire légitimement que l’identité, ou la diversité, selon Les espèces, des lois du trans- port, par la génération, des attributsdela vie. Ces lois peu- vent être les mêmes, et les dynamismes être fort différents. C’est à l'observation comparée et directe des dynamis- mes eux-mêmes, qu'il appartient seulement de décider s’ils sont ou ne sont pas semblables. Ces principes restent vrais, quelles que soient les es- pèces ou les natures d’êtres qu’on mette en parallèle. Si ces natures sont celles de l'animal et de l’homme, c’est donc la nature même de l’homme et de l’animal, c’est le caractère même de leurs dynamismes, ce n’est pas leur transport par la génération qu’il faut interroger. L’argumentation du professeur Lordat se brise contre un second écueil. C’est sur la différence profonde, d’après lui, des lois de l’hérédité, chez l’homme et chez la brute, qu’il veut fonder la preuve que l’homme est réellement un être su- périeur , une nature à part, dans le cadre zoologique, et nonune espèce d'animal ennobli (1). Avant de faire porter à une proposition de si lourdes conséquences, il faut être plus que sür de la solidité des ba- ses qui la Soutiennent ; car, siles bases croulent, elles n’en- (1) Mém. et pass. cit. 468 DE LA LOI» D'HÉRÉDITÉ traînent pas seulement la ruine logique du système qu’on défend, mais le triomphe logique du système qu’on atta- que. Si, par exemple, ici, la différence des lois de l’héré- dité chez les bêtes et chez l’homme n’est pas démontrée, s’il demeure, au contraire, évident qu’elle suit, dans ces deux classes d'êtres, une seule et même loi, il en résul- tera , aux termes 5 problème, que l’homme n’est qu'un animal. C’est, malheureusement, à cette conclusion, l'inverse mème de celle que veut faire prévaloir le professeur Lor- dat, c’est à cette rigoureuse énormité qu'il mène, ou plutôt que mènerait son argumentation, car la dualité prétendue des lois, sur laquelle il s’appuie, est une pure chimère. La procréation obéit, il est vrai, à deux lois bien dis- tinctes, aux lois d’innéité et d’hérédité; maïs il n’existe pas, dans l’hérédité, deux lois physiologiques, l’une ex- clusive à l’homme, l'autre à animal. La raison tout d’abord se révolte contre ce dualisme- L'homme, au point de vuedela physiologie, a tous les carac-" tères et traverse toutes les phases de l’animalité; il naît, vit, ilmeurt, ilse reproduit, comme le moindre animal, et d’après les mêmes lois. Pourquoi l’hérédité, simple corol- laire de la reproduction, échapperait-elle seule, et dans notre seule espèce, à la communauté des principes régissent la reproduction même? 11 faudrait les plus graves raisons d’expérience, ou de doctrine, pour l’admettre. Le professeur Lordat le com- prend si bien, qu’il reconnaît lui-même, très-explicite- ment, chez l’homme et chez les bêtes, l’identité des lois de la forme physique de l'hérédité (1) : C'est éxclusive- L. (1) Mémoire clé, p. 2. + DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 469 ment à la forme morale de l’hérédité, que, dans son sys- ième, cette dualité imaginaire s’applique. Certes, cette dualité serait bien curieuse, si elle était prouvée; mais, quelles sont les preuves de fait, ou de doc- trine, qu’il en administre”? celles de doctrine d’abord ?elles se réduisent à deux : L’une, que les qualités du dynamisme des bêtes sont implantées, chez elles, dans la force vitale, et par cette raï- son transmissibles, comme tousles attributs de cette force; L'autre, que les qualités du dynamisme de l’homme, celles du moins qui ressortent de sa nature morale, sont implantées chez lui dans le sens intime, et par cette raison intransmissibles, comme tous les attributs de ce sens. Ces raisons, comme on le voit, sont toutes deux enta= chées du vice des distinctions que nous avons combattues, entre le sens intime et la force vitale. Nous avons dit, en quoi, elles nous semblent inexac- ES): Les inductions, qu’en tire ici le savant auteur, ne sont pas mieux fondées. Pourquoi ne pas étendre aux divers attributs du dyna- misme des bêtes, la dualité de principes qu’il a établie dans les attributs du dynamisme de l’homme, ou pour- quoi l’établir chez le dernier ? Pourquoi rattacher les mé- mes qualités, ou les analogues, à deux sources distinctes, dans l’espèce humaine ; dans toutes les autres espèces, à une source unique? Pourquoi ne rapporter qu’à la force vitale, chez.les animaux, le principe de la sensibilité et de toutes les énergies de l’être qui en émanent, et ne les rapporter, chez l’homme, qu’au sens intime? Enfin, pour- quoi refuser tout sens intime aux bêtes ? (1) I, p.3 et 4. 470 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Dans Pesprit positif de la définition que nous en avons donnée, c’est-à-dire dans celui de conscience des forces, de sentiment de la vie et d’une partie deses actes ou de ses impulsions, ce serait nier l’évidence; on ne le peut pas. Tout ce qu’il est permis de dire, c’est que le sens in- time de l’animal n’est pas Le sens intime de l’homme; c’est que les bêtes ne sentent pas, comme nous, de la même ma- nière, dans la même étendue, avec la même puissance, la même complexité. Mais elles ont, comme nous, un ordre d’instincts, un ordre de qualités, un ordre de passions, un système d'énergies, de quelque nom qu’on les nomme, qui les meuvent, comme nous, et dont elles ont conscience. Le professeur Lordat, lui-même, ne peut songer à la leur refuser; mais du seul fait qu’elles ont ce sentiment réel de toute une partie des impulsions internes de leur dynamisme, il y a, dans son langage, impropriété de ter- mes, et il est difficile, en s’en tenant aux mots, de se faire jour jusqu’au fond de son opinion. Veut-il dire, seulement, que les attributs du dynamisme humain , que les énergies dont nous avons conscience sont d’une autre forme, et d’un autre caractère que les at- tributs du dynamisme des bêtes, et que les énergies dont elles ont conscience ? Rien n’est plus certain, nous ve- nons de le dire; mais cet argument , en lui-même, ne ya pas au delà du fait de la diversité spécifique des êtres, et cette diversité est tout aussi réelle, d’une espèce animale à une autre espèce, que de l’animalité à l’humanité. Veut-il dire, de plus, que l'homme possède seul et que l’animal n’a point, dans la propriété rigoureuse da mot, une nature morale ? Nous sommes de son avis : il n’y a, chez les bêtes, ni notion du bien, ni notion du mal, ni notion du droit, ni notion du devoir ; et, par cette rai- DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 471 son, elles n’ont ni conscience, ni intelligence, ni acti- vité, ni liberté, ni même volonté morales, du moins pro- prement dites. L'homme seul est, à nos yeux, être moral et libre. Mais de cette différence, fondamentale en soi, il ne ré- sulte pas qu’ilexiste, chez l’homme, des qualités qui tirent, et d’autres qui ne tirent point leur origine première de la formation de l’être et des lois de la vie ; il ne résulte pas, que les mêmes attributs physiologiques émanent ex- clusivement de la force vitale, chez les animaux ; du sens intime, chez l’homme. Ou ces mêmes attributs procèdent des deux sources, dans les deux classes d'êtres ; ou, dans ces deux classes, ils rentrent tous, en principe, dans l’essence de la vie. Ni de l’une, ni de l’autre des deux hypothèses, ne jaillit une seule preuve de la différence des lois de l’hérédité entre l’homme et l’animal ; ni de l’une, ni de l’autre, ne ressort logiquement cette conséquence, que tous les attri- buts du dynamisme des bêtes soient communicables par la génération, et que des attributs analogues de l’homme, ceux-ci soient transmissibles par la même voie, ceux-là ne le soient pas. La logique, au contraire, dit expressément : si tous les attributs des dynamismes de l’homme et de l’animal rentrent dans l’essence du principe de la vie, et que l’hérédité soit, dans les deux classes, une loi de ce principe, tous les attributs des dynamismes de l’homme et de l’animal sont, dans les mêmes limites que la vie elle-même, soumis, dans les deux classes, à la même loi de l’hérédité. Si, dans les deux classes, il existe deux ordres, ou mème deux principes d’attributs dynamiques , et que & » 472 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ l’hérédité régisse les attributs de ces deux principes dans l’une de ces deux classes, de toute nécessité elle les régit. «chez l’autre. Il ne peut exister, dans leur transmission , d’autre dif- férence entre elles, que celles de la nature des deux ty- pes qu’elle transporte. Il n’y a donc point lieu de rechercher, si l’hérédité a des lois différentes chez les bêtes et chez l’homme, mais si la différence des deux natures d'êtres en imprime à l’action des mêmes lois sur elles. C’est ce nœud de la question qui a si complétement échappé au savant médecin de Montpellier, et qui est de- venu la cause de sa méprise, sur la ligne véritable de dé- marcation, entre l’hérédité du dynamisme de l’homme, et celle du dynamisme de l’animal. Il l’a vue, ou plutôt il l’a imaginée, où elle est chiméri- que, où physiologiquement elle ne peut exister, où elle existe pas; il l’a vue dans les lois de l’hérédité elle- même, au lieu.de la voir, où elle est positive et réelle, à nos yeux, dans le caractère de leur résultat. Les lois physiologiques de l’hérédité sont identiques chez l’homme, et chez l’animal ; mais Paction des mêmes lois, sur les mèmes attributs, sur les mèmes qualités, ou sur les analogues, n’a point, dans les deux classes, les mêmes conséquences, par la disparité des deux dyna- mismes. Nous retrouvons, en effet, entre ces conséquences des lois les plus semblables de l'hérédité, chez les deux classes d'êtres, les mêmes différences qu'entre leurs deux na- tures. Le dynamisme des bêtes est, disions-nous plus haut, soumis aux seuls instincts de l’animalité ; il est destitué 4 DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 473 de conscience, de raison, de liberté morales (i); dans toute la sphère de son activité, l’essence de sa nature est d’être spontanée. L'hérédité laisse, avons-nous dit encore, leur nature à Pessence de l’activité vitale, et de l’activité libre (2). D’après ces deux faits, tous ceux des attributs du dy- namisme des bêtes, que la génération communique aux produits, ne pouvant changer d’essence par lPhérédité, simple transport du semblable des parents aux produits, sont donc, dans les produits, comme dans les auteurs, soumis aux formes , aux lois et aux limites d’action de l’animalité pure. Ils doivent, en un mot, être tout sponta- nés, et tendre, en quelque sorte, irrésistiblement aux ac- tes qui se rapportent à leurs impulsions; non, comme l’a prétendu le professeur Lordat, que toutes les qualités transmises aux animaux soient plus nécessairement im- plantées, que celles de l’homme, dans la force vitale ; elles n’y sont pas plus implantées que les nôtres; mais, c’est qu’elles ne rencontrent, dans la nature des petits, que la nature des pères ; c’est que, ne recevant d'elle, ni conscience, ni raison, ni liberté morales, elles ne peuvent être morales, ni raisonnables, ni libres; d’où la nécessité aussi irrésistible des actes où elles tendent, que de ceux de la vie. Chez la bête, en un mot, entre l'impulsion transmise, comme entre l’impulsion innée et l’action, !l n’y à point d'arrêt moral proprement dit. S'il s’en manifeste, il tient exclusivement aux inspirations et aux impressions ani- males delinstinct, ou à l'éducation imprimée au physique. (4) Voyez plus haut, p. 470-471. (2) Voyez plus haut, p. 457-458. 47% DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Chez l’homme, au contraire , toutes les qualités, toutes les dispositions, toutes les passions bonnes ou mauvaises des pères, propagées aux enfants, retrou- vent dans les enfants les lois de la conscience et de la raison humaines : et, comme nous l’avons dit, quelles que soient la nature et la violence même des tendances transmises, si elles rentrent dans la sphère de la moralité, il ne leur est point donné d’être aveugles, ni d’être au- tomatiques dans l’exécution : entre leurs impulsions et leurs actions , il y a tout l'intervalle de la liberté et de la lumière de l’âme. Nousrentrons donc, ainsi, dans les termes du problème, dont nous avons déjà donné la solution (1), sans que la solution, sous cette nouvelle forme, change de caractère : il s'ensuit, il est vrai, que l’on ne peut conclure des ré- sultats des lois de l’hérédité, chez les animaux, aux ré- sultats des lois de l’hérédité, chez l’homme : l'impulsion transmise entraîne, chez l’animal, la nécessité de la ma- nifestation et de l’exécution de l’acte; l’impulsion trans- mise n’entraine, chez l’homme, ni la nécessité de sa mani- festation, ni la nécessité de sa traduction en acte; mais toutes les diflérences de l’hérédité, entre les deux classes, s'arrêtent, comme nous le disions, à ces seules conséquen- ces, instinctives, fatales, animales chez l’une, réfléchies, jugées, libres, morales, chez l’autre. Mais pour des différences , dans les lois de l’hérédité elle-même, entre l’homme et l’animal, il n’y en a pas; les lois sont identiques, entre les deux natures, et cette identité telle, qu’elle donne le droit d’induire de l’exis- tence, et de l’activité visibles de ces lois, dans le dyna- (1) Voyez même article, p. 454 à 461. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 475 misme des bêtes, la preuve rationnelle de leur existence et de leur activité, dans le dynamisme de l’homme. Nous avons dit, plus haut (1), les raisons qui donnaient à cette forme logique de démonstration une si grande im- portance : mais, si rigoureuse qu’elle soit, dans notre es- prit, l’hérédité morale n’est pas, dans notre espèce, ré- duite à cette seule base ; elle en a une seconde, directe, inébranlable, c'est l’expérience elle-même. $ IV. — De l’hérédité des inclinations, qualités et défauts dans l'humanité. L’hérédité régit, dans l’humanité, la disposition à tou- tes les passions. « On suppose assez communément, dit Girou de Bu- zareingue, et J. J. Rousseau ne s’est point préservé de cette erreur, que les enfants naissent sans penchants, et qu'un même système d'éducation peut convenir à tous ; il est cependant vrai que nous naissons avec les habitudes, comme avec le tempérament de ceux à qui nous devons la vie, et il est souvent bien difficile de dire d’un bambin qui ne peut que crier et pleurer, si son impatience ou sa colère proviennent de la colique, ou du caractère trans- mis et inné, ou des habitudes propres. On prend souvent la nature, pour un effet de l’éducation, et l’on s’empresse de réprimer brusquement, dans un être faible, des ha- bitudes d’ancienne date qui font partie de son organisa- tion. Un enfant peut être capricieux ou violent parce que son père ou sa mère le sont (2). » (1) Pages 463-464. (2) Girou, Philosophie physiologique, p. 346. F 476 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ N’arrive-t-il pas souvent, lit-on dans Lavater, que nous trouvons, trait pour trait, dans le fils le caractère, letempérament, et la plupart des qualités morales du père? et combien de fois, le caractère de la mère ne reparaît-il pas dans la fille, ou dans le fils, et celui du père dans la fille ? L'enfant peut tenir de son père, ou de sa mère, les plus déplorables dispositions. Il peut hériter d’eux d’un penchant naturel à l’ivrogne- rie. Gall parle d’une famille russe où le père et le grand- père avaient péri tous deux prématurément, victimes de leur penchant pour les liqueurs fortes: Le petit-fils manifes- tait, dès l’âge de cinq ans, le goût le plus décidé pour les mêmes liqueurs (1). Girou de Buzareingue dit connaïire des familles où ce malheureux goût est transmis par les mères (2). On trouve, dans Louis lui-même, deux exem- ples à l’appui de cette sorte d’hérédité qu’il s’obstine à combattre : le premier est celui de la famille de Voiture, dont le père et un des frères aimaient passionnément la bonne chère et le vin, à l'opposé de Voiture quine buvait que de l’eau (3); le second est celui d’une autre famille connue personnellement de Louis : le chef et une partie des enfants de ceite famille tenaient de leur père la goutte avec l’ivrognerie. Louis nie la transmission, dans ces cas, du seul fait que tous les enfants n’avaient pas les mêmes penchants; ce n’est qu’une méprise de plus, dans son paradoxe (4). ? ) Esquirol, des Maladies mentales, Paris, 1838, t. II, p. 73. (2) De la Généralivn, p. 277. (3) Histoire de l'Académie française. — Eloge de Voiture, p. 196. = La Haye, 1688. | dl 1 À {1 (4) Louis, Dissertation sur les maladies héréditaires, p. 41 et sui. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 471 L’ivrognerie transmise, par la génération, peut s’allier à des prédispositions pires que la goutte elle-même. Le docteur Moreau cite un fait où ce penchant se liait, chez un jeune homme, à l’aliénation : le malade n’avait point de fous dans sa famille, mais son père avait l'habitude de l'ivresse ; le fils n'avait point, comme lui, abusé de la boisson; mais chaque fois qu’il avait du chagrin, il éprou- vait un singulier penchant à s’y livrer (1). Un journal ju- diciaire rapportait dernièrement un cas plus déplorable. Ils étaient quatre frères adonnés, tous les quatre, à l’ivro- gnerie la plus effrénée, et voici quelles ont été, pour cha— cun d'eux, les suites de cette passion : l’aîné de la famille s'est jeté à l’eau et s’y est noyé: le second s’est pendu ; le troisième s’est coupé la gorge, avec un rasoir; le qua- trième, un jour, s’est précipité d’un troisième étage, et il n’a survécu aux fractures que cette chute lui a occasion- nées, que pour se faire traduire, pour excès et violences, devant la cour d’assises (2). L’hérédité du penchant à l’ivresse dégénérait, chez eux, en manie suicide. La passion du jeu peut, comme celle du vin, remonter à la même source. Une dame, avec laquelle j'ai été lié, jouissant d’une grande fortune, avait, dit le chevalier Da Gama Machado, la passion du jeu, et passait les nuits à jouer : elle mourut, dans un âge peu avancé, d’une ma- ladie pulmonaire. Son fils aîné, qui lui ressemblait parfai- tement, également passionné pour le jeu, passait de même ses nuits à jouer; il mourut de consomption, comme sa mère, et presque au même âge qu'elle ; sa fille, 1) Moreau, Mémoire sur le traitement des hallucinations, 7, 25. (2) Gazette des Tribunaux, 13 avril 1845. 418 DE LA LOL D HÉRÉDITÉ qui lui ressemblait, hérita des mêmes goûts, et mourut encore jeune (1). Une passion plus commune, et, dans son impulsion pre- mière, plus excusable, la passion sexuelle, est peut-être une de celles qui offrent le plus d’exemples de ces sortes de transmissions ; elle a, pour ainsi dire, toute la contagion de la vie qu’elle renouvelle. Les faits n’ont pas besoin de l’à- pre témoignage des poëtes (2). Ils sont même de nature à se passer de preuves; on les retrouve, à chaque pas, dans l’antiquité; nous voyons Léonie, célèbre courtisane et amie d’Épicure, mère de Danaé, courtisane elle- même, et maitresse de Sophron (3); Auguste, père de Ju- lie; Julie, mère d’une fille du même nom, et de la même impudicité qu’elle; la lascive Poppée qui ne mettait, dit Tacite, aucune différence, entre ses mariages et ses adul- tères, fille de cette Poppée dont les galanteries avaient fait tant de bruit ; sous le règne de Claude, Messaline elle- même, fille de Lépida, sœur du père de Néron, prostituée accusée d’inceste avec son frère, etc. Que de faits analo- gues à citer, de nos jours, et dans toutes les classes de la société ! Fodéré en comptait de nombreux exemples ; j’ai connu, disait-il, des familles où cette malheureuse disposition est héréditaire (4). Des familles où la nubilité était très- (1) Da Gama Machado, Théorie des ressemblances, part. 2, p. 442. (2) « Scilcet expectas ut tradat mater honestas « Aut mores alios quam quos habet.…. (JUvVÈNAL, Sat. VI.) — Et Michel Varimus. « Casta refert castæ genitricis filia mores « Lascivæ nunquàm filia casta fuit... etc. (3) Athénée, liv. XIII. (4) Fodéré, Essai médico-légal sur les diverses espèces de folie, wrdïe; simulée où raisonnée. Strasbourg, 1832, 1 vol. in-89, p. 156. + DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 479 anticipée, dans les deux sexes, et où les enfants, ayant été peu soignés dans leur éducation morale, se livraient déjà de bonne heure à de gravesexcès. Ne devra-t-on pas, ajou- tait-il encore, avoir égard à cette anticipation, s’il leur arrive d’être accusés d’attentat contre les mœurs (1) ? Plusieurs faits du même ordre sont à notre connais- sance; nous ne rapporterons, dans le nombre, que les deux plus remarquables. Le père du mari d’une dame *“*, femme simple et de mœurs fort paisibles, était un très-bel homme, d’une riche santé, mais d’une passion sans frein pour le vin et les femmes. À peine adolescent, son fils poussait déjà, à l’ex- trême, les deux vices. Son début fut d’enlever une mai- tresse à son père qui ne le lui pardonna pas mème à la mort: il donna ensuite dans tous les genres d’orgies, but son bien, ruina l’établissement de sa femme, qu'il dé- pouillait jusque de ses matelas, pour boire et pour payer des filles, et végète, aujourd’hui, dans le dernier degré de crapule et de misère. Le fils de ce même homme vient de mourir jeune, mais incorrigible, des mêmes vices que son père et que son aïieul. Le second fait est encore plus instructif, peut-être : un cuisinier, d’un rare talent dans son métier, a été toute sa vie, et aujourd’hui mème, à plus de soixante ans, en- trainé vers les femmes, avec frénésie. A cette passion s’est jointe une dépravation infâme de l'instinct sexuel, le goût de la sodomie. Un de ses fils naturels, qui vit séparé de lui, qui ne le connaît pas, et qui n’a pas encore dix- neuf ans révolus, a, presque dès l’enfance, donné tous (1) Ouv. cit., p. 188. 480 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ les signes d’un lubrique érotisme ; et, chose bien digne de remarque, il a, comme son père, le goût de s’attaquer indifféremment à l’un et à l’autre sexe. Il y a peu de temps encore, qu’une tentative de ce genre lui a mérité, de son maître d'apprentissage, la plus énergique correc- tion manuelle. Tous ces faits non-seulement laissent sans étonnement, mais prennent un caractère de nécessité, et révètent , en quelque sorte, l'importance de causes, lorsqu'on les rap- proche de faits encore plus graves, tels que ceux, par exemple, de l’hérédité des modes correspondants d’alié— nation mentale et de criminalité, dont ils sont les prin- cipes. $ V. — De l'hérédité des propensions au crime. L'hérédité agit, en effet, sur bien d’autres et de plus tristes formes de l’état passionnel : elle est l’origine de prédispositions qui précipitent au crime. C’est l’opinion d’un homme dont l’expérience est une autorité, en pa- reille matière : il existe, dit Vidocq, des familles-dans les- quelles le crime se transmet de génération en génération, et qui ne paraissent exister que pour prouver la vérité du vieux proverbe : bon chien chasse de race (1). » Très-malheureusement cette opinion se fonde sur des faits positifs, et ces faits établissent, d’une manière pé- remptoire, ce que l'induction des lois physiologiques de la génération indiquait, à elle seule, la réalité de FPhéré- dité des tendances aux crimes contre les personnes, de, l'hérédité des tendances aux crimes contre les propriélés. (1) Vidocq, les vrais Mystères de Paris, t. I, p. 134, : DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 481 1° De l’hérédité des penchants aux crimes contre les propriétés. Conséquent avec les principes qu’il pose ({), le pro- fesseur Lordat se refuse à admettre l’hérédité de cet ordre de prédispositions. C’est par une distinction qu’il se dérobe au fait de son évidence : « Il y a, dit-il, des penchants pervers qui peuvent pro- « venir de sources différentes, quoique les formes exté- « rieures soient identiques. Deux voleurs, semblables pour « action, peuvent différer beaucoup dans Les motifs qui « les font agir : l’un dérobe très-raisonnablement, e’est- « à-Gire après avoir considéré le but, les avantages, les «inconvénients, les moyens de les faire disparaître : le « motif part de l’entendement; c’est une volonté prémé- « ditée qui a dirigé l’acte ; n’ayez pas peur que l’habitude « vicieuse de ce genre se propage par la génération. « Mais, continue-t-il, celui qui vole, sans but, sans « profit, en vertu d’une impulsion interne que le sens intime condamne, et qui n’a pas plus réfléchi sur Pac- tion, que la pie, ou certains fous, je ne réponds pas À « qu'il ne transmette cette morosité à son fils (2). » Gette distinction, réduite à ses éléments, porte sui la différence des cas où le vol est le but, et de ceux où le vol n’est que le moyen. Jusqu'à certain point, elle est très- fondée; mais la conséquence qu’il en tire ne l’est pas ; elle ne l’est pas, en fait ; elle ne l’est pas, en doctrine. Le professeur Lordat voit dans le vol pour ie vol, un (1) Voyez plus haut, pages 439-440. (2) Les lois physiologiques de l’hérédité sont-elles les mêmes chez les béles et chez l’homime? page 27. LS 31 482 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ acte tout instinctif; dans le vol pour le profit, un acte tout réfléchi. C’est donc sur le degré d'intérêt du vol, qu’il mesure celui de la réflexion ; c’est sur le degré de la réflexion, qu’il mesure, en quelque sorte, celui de la conscience. Le plus sûr, pour éviter ici de se méprendre, est d’en revenir au texte et à l’esprit de la loi. « Quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui « ne lui appartient pas, est coupable de vol. » Tel est le langage du Code (1). Il n’admet point, en ce cas, de considérations tirées du plus ou moins de préméditation, ni du plus ou moins d'importance du vol; ces considérations peuvent influer, sans doute, sur le degré de culpabilité de l’acte, mais, dans l’esprit de la loi, n’en altèrent pas l’essence. Le vol, proprement dit, dans le sens de la loi, est in- séparable de l'intention de s’approprier (2) : l’iutention responsable, ou en d’autres termes, l’imputabilité, de l’état de raison et de liberté morale (3). La loi n’a donc pas à se poser la question : l’acte est-il réfléchi, ou ne l’est-il pas? mais bien, les deux sui- vantes : Avait-on l'intention de s’approprier la chose dérobée ? L'acte est-il accompli par une volonté raisonnable et libre? Telles sont les deux seuls points qui soient à décider. Si l’acte s’est accompli, sous l'empire d’un état d’alié- nation mentale, état que la loi désigne sous le terme gé- nérique, mais impropre, de démence, il n’y a pas eu de vol (4) Code pénal, liv. IL, tit. 11. sect. 4, art. 379. . (2) Arrèt de la Cour de cassation du 2 août 1816. —S. t. XVII, p. 52° (3) Code pénal, liv. IL, art. 64, 65, 66. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 483 proprement dit ; mais ce n’est point à titre d’acte irréflé- chi, mais d’acte exécuté dans le trouble maladif des fonctions dont dépend la liberté morale, que le vol, dans ces cas, devient irresponsable; du moment où l’agent n’est pas sous l'influence de ce désordre morbide, l'esprit de la loi répugne profondément à toute distinction du vol, d’après son importance, sa forme, son origine métaphy- sique : elle ne s’occupe pas, si le motif du vol part de l’entendement, ou de l'impulsion interne (1) ; instinctif ou mental, dans son premier principe, prémédité ou non, quelles qu’en soient la source, la matière, la cause, l’uti- lité, et même l’inutilité complète pour son auteur, le vol, à ses yeux, reste toujours le vol. Il semble, au contraire, d’après la doctrine du profes- seur Lordat, qu’il suffise qu’un acte soit intellectuel dans son origine, que la source en soit mentale, pour qu’il ne recèle rien d’instinclif en soi, pour qu’il soit de toute nécessité libre et, qu’à ce titre, le principe en soit intrans- missible. Il semble, d’autre part, qu’il suflise qu’un acte émane, dans son principe, d’une impulsion interne, qu’il soit instinctif dans son origine, pour qu’il soit, en tout, aveu- gle, irréfléchi, fatal, héréditaire. Cette théorie n’irait à rien de moins qu’à disjoindre, en criminalité, comme incompatibles, la spontanéité et la li- berté, l'instinct et la raison, l'instinct et la conscience, con- séquence que repousse tout l’esprit de la loi, et c’est d’é- quité : d'équité, car la loi s’adresse à des hommes, et non à des brutes ; car elle n’admet pas qu’il y ait dans notre espèce, dans l’état de raison, dans la sphère morale de l’ac- (1) Précédente distinction du docteur Lordat. 484 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ tivité libre, des actes spontanés qui ne soient qu’instinc- üfs et qu’ils cessent à la fois d’être réfléchis, d’être moraux, d’être libres. La pensée de la loi, et elle s’inspire ici du verbe intérieur de l’humanité, est que la liberté, est que la conscience n’ont pas besoin, chez l’homme, de ces lon- gues méditations et de ces longs intervalles, qu’on suppose, pour agir. Si spontané que semble être un acte coupable, la lumière de l’âme, plus électrique encore, léclaire toujours plus vite qu’il ne s’accomplit. IL est, selon les cas, ou plus ou moins coupable, mais il ne peut jamais passer innocemment à l’exécution. On ne peut, sous ce rapport, assimiler en rien, le vol pour le vol, au vol irréfléchi : ni le vol irréfléchi, mème tel qu’on l’imagine, au vol instinctif du fou ou de la pie. La pie ne dérobe pas, dans le but de voler; elle ne vole inêème pas, à vrai dire, elle cache; mais, chez l’homme qui n’est ni idiot, ni fou ; chez l’homme, une fois en âge de discernement, entre le vol pour le vol et le vol pour le profit, il n’y a, quant au but, de différence, que celle de là nature de satisfaction que le voleur éprouve; entre le vol réfléchi ou d’impulsion mentale, et le vol irréfléchi ou dimpulsion interne, iln’y à pas, non plus, quant à l’inten- tion et quant à la pensée, toute la distance que l’on ima- gine, il n’y a de différence que celle de la longueur de la réflexion. L'importance qu’attache le professeur Lordat, à dis- tinguer ainsi la source intellectuelle de la source instinc- tive de l’acte criminel, très-fondée, s’il s’agit d'apprécier les degrés de culpabilité, n’est donc point justifiée, s’il s’agit de la simple criminalité de l’acte : Il n’est point d’impulsion interne de l’instinct, qui, si L'acte où elle tend, intéresse le devoir, ou le sens moral de DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 485 l’homme, ne soit chez lui soumise, à différents degrés, à l'intelligence et à la conscience. Il n’est point, d’autre part, d’impulsion mentale, en la supposant la plus étrangère, dans sa source, à l’instinct ou aux sens intérieurs, qui n’y retentisse. Ceite différence possible des sources d’un même acte est donc sans conséquence finale pour son essence. Tout mode sensitif de l’activité libre devient toujours, plus ou moins vivement, intellectuel; tout mode intellec- tuel de l’activité libre devient toujours, plus ou moins vivement, sensitif. Par rapport à l’action de l’hérédité, cette distinction des sources instinctives et mentales de l’acte criminel reste donc sans valeur. En s’en tenant aux termes du professeur Lordat, l’aveu qu’il fait de l’action de l’hérédité, sur les vols qui procèdent de l’un des deux principes, implique- rait l’action de l’hérédité, sur les vols analogues qui pro- cèdent de l’autre, à moins qu’il n’entende réduire les pre- miers à la démence légale. Mais, en réalité, l’hérédité régit Les impulsions de l’une et de l’autre origine, et peut, dans les deux cas, être la source vraie de celles qui poussent au vol. Il reste seule- ment à faire, dans l’un et l’autre cas, l’application des règles que mous avons posées, en se conformant au prin- cipe essentiel de la distinction entre l’hérédité de la dis- position et l’hérédité de Pacte : Instinctif ou mental, l’acte même du vol, en tant que libre et moral, est intransmissible ; qu’il ait été de grande ou de nulle importance, prémédité ou non, le père, en âge de raison, sain de corps et d'esprit, n’a pu, à titre d'homme, l’exécuter lui-même comme un acte machinal. Ce n’est point, en lui, l’automatisme vital, c’est 486 DE LA LOT D'HÉRÉDITÉ la volonté morale qui l’a commis. Il n’en peut donc lé- guer la nécessité organique à son fils, comme une part fatale de son héritage. La génération ne saurait transmet- tre les actes de conscience qui y ont concouru, ni la déci- sion libre et personnelle de la volonté qui l’a accompli. Instinctive ou mentale, l’enfant peut, au contraire, hé- riter dela tendance, ou de la disposition des parents à voler. Si l'exécution suit, ce n’est point que l’acte accompli ait cessé, dans ces cas, d’être facultatif; c’est que la volonté responsable du fils succombe, dans ces cas, à l'impulsion transmise, comme elle avait déjà succombé, chez le père, à l’impulsion innée, à l'intérêt, au goût, ou à la passion. Nous ne saurions donc citer de semblables exemples, comme des preuves de l’hérédité du vol, ni de tout autre crime, mais comme l’unique preuve empirique qu’il soit possible de donner, comme l’unique expression que l’on puisse saisir, de la transmission de cet ordre de tendances. Devant la masse des faits patents d’hérédité des pro- pensions aux crimes contre les propriétés, on n’a, pour ainsi dire, que l’embarras du choix entre ces sortes d'exemples. Lametthrye parle d’une femme, qui, pendant ses gros- sesses, était sous l’empire d’une monomanfe de vol; et cette disposition passait à ses enfants (1). Gall cite d’au- tres exemples de cette disposition héréditaire au vol (2). Une voleuse, dont il est question dans Vidocq, la Sans- Refus, était fille naturelle d’un voleur nommé Comtois, rompu vif en 1788, dans la cour de Bicètre, et de la fille (1) Lametthrye, OEuvres philosophiques, in-4°. Londres, 1781, l’Homme- machine, p. 45. (2) Gall, Sur les fonctions du cerveau. Paris, 1825, . I, p. 207, 208. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 487 Marianne Lempave, qui fut un peu plus tard condamnée, pour vol, à plusieurs années de prison (1). Les journaux judiciaires fourmillent de faits semblables. Il y a quelques années qu’un fameux recéleur d’Angle- terre, William Lee, fut pendu pour avoir osé acheter le grand sceau de l'État, dont un voleur avait eu l’art de s'emparer. En 1826, le magistrat de police renvoyait Wolf Lee, fils du précédent, devant les assises, pour nombreuses escroqueries commises sur des marchands, toutes de la même manière (2). En France, dans le courant de juin 1844, comparais- saient aussi devant la cour d’assises, deux familles sous le poids d’une accusation de quarante-cinq vols. Ces deux familles étaient alliées par le sang et par le brigandage. Chrétien Jægly, le chef de la première, avait épousé la fille de Samuel Ruch, le chef de la seconde ; on voyait dans l’une, au banc des accusés, le père, la mère, le fils, e les deux beaux-frères ; dans l’autre, le père Samuel Ruch, et son fils Charles Ruch, tous pour être condamnés aux travaux forcés, ou à la réclusion, à l’exception d’un seul, Jægli fils, à peine âgé de dix-neuf ans; encore était-il bien démontré aux débats, qu’il avait été surpris avec son père, la figure barbouillée de suie et, comme lui, chargé d’ob- jets très-suspects (3). L’année suivante, à Lille, une autre famille venait pren- dre place à son tour, sur le banc des assises : les accusés étaient Caroline Arbonnier, âgée de vingt-deux ans, pre- (1) Vidocq, Les vrais Mystères de Paris, t.1, p.134. Nous ne citons icr ce fait que parce que Vidocq garantit la réalité de ces personnages. (2) Gazette des Tribunaux, 1re année, n° 238. — 1892. (3) Gazette des Tribunaux, 26 juin 1844. 488 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ mier sujet de la bande; Hector et Zéphyrin, ses deux frères ; la veuve Arbonnier, sa mère, et Adolphine Veyke- ner, sa belle-sœur. Cette véritable société de ravageurs exploitait de longue main, le vol en famille; plasieurs de ses membres avaient été précédemment repris de justice, quand, à la suite d’un vol avec abus de confiance, ils furent tous saisis, et devant l’accablante évidence des preuves, condamnés, hors une seule, Adolphine Veyke- ner, à la réclusion (1). Il arrive parfois, disait dernièrement un journal ju- diciaire (2), que, devant la justice, se déroule le tableau d’existences et de mœurs tellement bizarres, qu’à peine peut-on croire à leur réalité. La fille Marianne pour- rait être, en ce genre, citée comme un des types les plus singuliers. A peine âgée de vingt et un ans, d’une beauté remar- quable, d’une rare distinction, elle est une première fois saisie, sous l’habit d'homme, en compagnie de voleurs, au moment où elle jouait un rôle dans un vol à l’améri- caine ; elle n’est, cette fois, punie que de quelques mois de prison. Surprise, de nouveau, dans l’église Notre-Dame- de-Lorette, en plein vol, de complicité avec des charrieurs désignés sous le nom de la bande belge, elle est alors frappée d’une condamnation à un an de prison. Le terme expirait le 1‘ juillet 1846. Mais des révélations recueillies, dans le cours de sa détention, sur ses antécédents et sur sa position, on ne peut plus singulière, n’ont pas permis de la rendre à la liberté. La justice a appris que cette fille Marianne était un des agents de cette race bohème dont le chef, Claude Thibert, a été arrêté, il y a quelques (1) Le Droit, Journal des Débats judiciaires, 10° année, p. 403. (2) Gazette des Tribunaux, 2 Juillet 1846. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 489 mois. Elle était un des membres les plus actifs de cette redoutable société de voleurs, etcomme telle, elle se trouve comprise dans l'instruction dirigée contre Claude Thibert et ses complices. Confrontée avec eux, elle a tout avoué. Comme on l’a dit plus haut, d’une beauté remarquable, d’une grande douceur de voix, parlant avec la même fa- cilité l'allemand, l'anglais et le français, aussi libre et aussi élégante sous le costume d'homme, que sous celui de femme, elle s’est montrée apte à jouer tous les rôles, et elle n’a reculé devant aucun des moyens propres à as- surer le succès de ses projets et de ceux de ses complices qui, pour la plupart, ont été ses amants. Cette voleuse émérite a, pour père, un voleur cinq fois condamné, qui subit en ce moment une peine afflictive et infamante : sa mère est une femme plusieurs fois déjà re- prise de justice, aujourd’hui évadée : enfin, elle a un frère qui est, ainsi qu’elle, tenu sous les verroux. Pour singularité dernière, elle est née sur un grand chemin, et dans une voiture dont se servait la famille, pour enlever le fruit de ses vols. Très-souvent, à l’hérédité du goût du vol se joint, dans ces familles , celle d’un goût aussi vif, et aussi naturel, pour une manière violente de l’exécuter. Des crimes de ce genre mixte amenaient sur le banc de la cour d’assises de l’Orne, au commencement de no- vembre 1844, trois membres d’une même famille, le père, François Lebossé, âgé de 69 ans, et Jean et Siméon Lebossé, ses deux fils, tous les trois accusés de vol avec violence, sur un chemin public : le père était un voleur vieilli dans le crime; ses deux fils, comme lui, étaient ca- pables de tout ; ils étaient la terreur de toute la contrée. Lorsque les paysans revenaient de la foire, avec de l’ar- 490 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ gent, ils n’oubliaient jamais de faire un grand détour afin d'éviter la maison mal famée. Les attaques nocturnes, les vols qui se commettaient leur étaient attribués; on en avait les preuves, et on gardait le silence ; tant était grande la crainte qu’ils inspiraient à tous. Chacun crai- gnait pour soi qu’une dénonciation ne fût un arrêt de mort. Mais enfin, arrêtés et convaincus par une masse de preuves, les trois Lebossé ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité (1). Quelques années avant leur condamnation, une bande de malfaiteurs jetait l’effroi dans le département du Cal- vados, et particulièrement dans l’arrondissement de Bayeux. Des vols nombreux furent commis avec une au- dace rare sur les routes, et la justice fit d’inutiles recher- ches pour en découvrir les auteurs. Ces poursuites étaient à peu près abandonnées, lorsqu'une femme, Adélaïde Legoupil, veuve Lahaye, condamnée à perpétuité comme complice d’assassinat, fit d’importantes révélations ; bientôt après toute une famille de la commune de Nonant fut mise en arrestation , et l'enquête dont elle fut l’objet fit connaître que tous ses membres ne vivaient, depuis longtemps, que du produit de leurs crimes. Six d’entre eux furent traduits devant les assises : les trois frères Jean, Pierre et Constant Fossay, Francois Shouvray, leur beau-frère, et la femme Shouvray, leur sœur. Après de longs débats où se montra tout le cynisme de ces misérables, la cour condamna Pierre et Constant Fossay, chacun à douze ans de travaux forcés, Shouvray à vingt ans, et sa femme à quinze ans. Quant à Jean Fossay, antérieurement condamné à perpétuité pour as- (1) Ga%ette des Tribunaux, 5 novembre 1844. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 491 sassinat, aucune peine ne put être prononcée contre lui. Ces condamnations reportaient naturellement le souvenir des habitants sur les antécédents de cette famille où le crime est héréditaire. En effet, le grand-père et le père des Fossay furent pendus, en leur temps, aux jours du gibet et de la corde de chanvre; leurs oncles, une de leurs tantes, ont long- temps séjourné dans les bagnes; un de leurs neveux, le fils de Shouvray, expie, dans le bagne de Brest, la con- damnation qu’il avait encourue, et le reste de la famille suivait sa destinée (1). Qu’on ne s’imagine pas que ces faits d’hérédité des pro- pensions aux crimes contre les propriétés, soient excep- tionnels, et que la proportion en soit insignifiante : Un des deux fondateurs de la société pour le patronage des jeunes libérés du département de la Seine-Inférieure, M. G. Lecointe, stimulé par l’exemple et par le succès de la colonie agricole de Mettray, eut, il y a quatre ans, la hardiesse d'établir, à ses risques et périls, pour les jeunes détenus de son département, sur les bases les plus sim- ples, les mieux entendues, les plus économiques, une colonie de ce genre ; il l’institua sous le nom de colonie horticole, agricole et industrielle de Petit-Quevilly, dans le but de profiter du bénéfice de l’âge et des facilités de correction qu’il offre, chez les ieunes détenus, où le mal, en quelque sorte, est eñcore dans son germe, pour les ra- mener au bien, par le travail des champs, par l’éduca- tion, par l’émulation, la solidarité, le don d’un état, enfin, par la confiance poussée, après un temps d’épreuve pré- liminaire,. jusqu’à la liberté, jusqu’à faire des détenus, (1) Le Siècle, 13 décembre 1843. 492 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ des prisonniers sur parole : le succès a dépassé toutes les espérances (1), et les résultats obtenus, jusqu'ici, sont de nature à donner pleine confiance dans l’avenir et l’eff- cacité de ce système tout pratique de réforme pénale. Désireux de savoir quel rapport existait, ou pouvait exis- ter, entre la moralité des jeunes condamnés de cet éta— blissement et la moralité de leurs pères et mères, je dois à la bienveillance de son fondateur, cette communica- tion, que le défaut de temps ne lui a pas permis de rendre plus complète : Sur 126 enfants entrés dans la colonie du Petit-Quevilly depuis le 14 janvier 1843 jusqu'au 8 juin 1846 : Le n° 5 a été condamné pour mendicité et vol, de complicité avec sa mère, son frère et sa sœur (enfant naturel). 9. Condamné pour vol de grains et volailles, de complicité avec son père. 11. Condamné pour vol de coton, de complicité avec sa mère et son père. 12. Condamné pour vol de friandises, le père disparu depuis la nais- sance de l’enfant. 19. Condamné pour vol de poules, le père et la mère soupconnés de complicité. 21. Condamné pour vol (enfant naturel); la mère subit cinq ans de prison. 22. Condamné pour vol d'argent; il ignore ce que son père est devenu. 26. Condamné pour vol de complicité avec sa mère. 27. Condamné pour vol, ignore ce que son père est devenu depuis qu’il est né. 30. Orphelin de père et mère. 31. Enfant de l’hospice de Paris. 42. Enfant trouvé. 63. Condamné pour mendicité, de complicité avec ses parents. 64. Condamné pour vol de montre; le père subit une condamnation. (4) Voy. Rapport sur la fondation, les résultats moraux, et la position financière de la colonie horticole et agricole, depuis leA4 janvier 1843, jusqu'au 31 décembre 1844, par M. G. Lecointe, directeur. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 493 65. Condamné pour mendicité, de complicité avecsa mère. 69. Enfant naturel ; sa mère se livre à la prostitution. 70. Vols à l’instigation de ses parents. 71, Attentat à la pudeur; abandonné par le père; la mère conduite érès-équivoque. 74. Vol d'argent, de complicité avec sa mère. 78. Vols excités par sa mère, condamnée en récidive, abandonné par le père. 82. Vol de 115 fr. à l’aide d’escalade ; le père condamné plusieurs fois et sous la surveillance. ! 106. Vol de 40 fr.; les parents sous lasurveillance,mauvaiseréputation. 107. Tentative de viol sur une petite fille de six ans; le père a subi une condamnation pour vol. 123. Enfant naturel, condamné pour mendicité; sa mère se livre à la prostitution. 126, 127. Deux frères condamnés pour vagahbondage ; le père repris de justice. 198, 199, 130, 131, 132. Se livraient au vol et à la mendicité à l’insti- gation de leurs parents. Nous trouvons dans le rapport du 12 mars 1843, de M. de Bretignières, un des deux fondateurs de la colonie pénitentiaire de Mettray, un autre document qui laisse pressentir ce que cet ordre de causes peut avoir d’impor- tance. Au nombre des jeunes détenus de l'établissement, on comptait, d’après lui, au 12 mars de l’année 1843, 32 enfants naturels ; 34, dont les pères et mères étaient re- mariés; 1, dont les parents élaient en prison; et enfin 124, dont les parents n’avaient jamais été poursuivis de justice, mais qui vivaient plongés dans une profonde misère. « Ces chiffres sont éloquents et gros d’enseignements, « ajoute l'écrivain ; ils permettent de remonter des effets < aux causes, et donnent l'espoir d’arrêter les progrès « d’un mal dont l’origine est bien constatée; le nombre « des parents criminels fait apprécier l'éducation qu'ont « dû recevoir les enfants, sous la tutelle de semblables 494 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ « guides. Instruits au mal par leurs pères, les fils ont «_ failli sous leurs ordres, et ont cru bien faire, en suivant « leur exemple. » fé Ce dernier point mérite un éclaircissement ; nous som- mes loin de prétendre ni rejeter, ni restreindre, l’influence de l'exemple et de limitation; mais nous ne doutons pas qu’on ne s’en exagère ici l'importance ; il est, à nos yeux, plus que vraisemblable, que, dans beaucoup de ces cas, l’éducation vicieuse, ou le défaut absolu d'éducation, n’ont fait que concourir à la dépravation : l’éducation, l’exem- ple, l’instigation même du père ou de la mère, ne sont, en quelque sorte, dans plusieurs circonstances, que des causes auxiliaires, des causes occasionnelles : la cause pré- disposante, la cause originelle est l’'hérédité; c’est, en d’au- tres termes, la perversité même des penchants naturels, perversité puisée aux sources de la vie, et tantôt excitée, tantôt même réprimée par la volonté réfléchie des parents. ILest, en effet, une première et grave considération qui suffit, à elle seule, à prouver, sans réplique, toute la réalité de l'influence du sang, ou de l’hérédité pure, sur ces genres de crimes; c’est, qu’en opposition à ce qu’on semble dire, de la part exclusive de l’éducation à ces cri— mes de famille, rien, au témoignage de voleurs émérites et désintéressés dans leur opinion, rien, dis-je, n’est plus rare que de voir les voleurs, ceux du moinsdont le vol est l’art ou le métier, instruire leurs fils au vol, et leur trans- mettre ainsi, du moins volontairement, leur triste pro- fession : comme les filles publiques, ils cherchent à éloi= gner de la contagion de leur vie la vie de leurs enfants. C’est la déclaration faite par Lacenaire. Il n’exceptait que les juifs. La complicité, il est vrai, en elle-même n’est pas un DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 495 fait simple, mais un fait très-complexe : elle peut repré- senter, sans doute, les influences de l’éducation, del’exem- ple, de l'excitation, etc.; mais elle n’est pas, non plus, uniquement conciliable avec ces influences ; elle peut représenter, et représente avec elles, l'élément séminal du principe d’action. Comme elle suppose toujours une communauté d'intérêt, quant à l’acte, elle présuppose de même, dans un grand nombre de cas, un degré quelcon- que d’analogie morale et de conformité, entre les com- plices, dans le penchant qui l’inspire. Il est encore une autre considération d’une grande vé- rité et d’une grande valeur qui ajoute à la force de cette conclusion. C’est qu’on oublie toujours que l’homme est un être moral, une nature libre qui douée généralement de la puissance intérieure de réagir sur elle-même, et de résister à ses propres attractions, l’est, à plus forte raison, de celle de réagir contre les impulsions et les attractions qui lui sont étrangères. Sans doute, dans le premier âge, cette puissance spontanée de réaction morale n’a pas toute l’é- nergie, toute l’élasticité qu’elle doit avoir plus tard; et cependant l’exemple, l’éducation, la force même, em- ployée à l’égard des enfants, ne peuvent toujours suffire, et ne suffisent pas toujours à la dompter. Le concours de ces trois influences ne peut faire des musiciens, des poë- tes, des orateurs, ni des mathématiciens, d’enfants qui ne sont pas nés pour le devenir. Le même concours ne peut transformer en voleurs, ni si facilement qu’on se Vimagine, des enfants bien nés et qui n'ont rien, en eux, des dispositions nécessaires pour l'être; en voici un exemple instructif et récent : Le 13 novembre 1845, la cour d’assises du département de la Seine frappait de peines afilictives et infamantes 496 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ trois membres, sur cinq, d'une famille de voleurs, la fa- mille Robert (1); cette affaire présentait une circonstance vraiment digne de remarque. Le père n’avait pas égale- ment trouvé, chez tous ses enfants, les dispositions qu'il aurait désirées. Il lui avait fallu employer la contrainte à l’égard de sa femme, et des deux derniers nés, jusqu'à la fin rebelles à ses ordres infâmes. L’ainée de ses filles s’é- tait, au contraire, élancée, comme d’instinct, sur ses traces ; elle s’était montrée tout aussi ardente, et tout aussi violente, dans ses tentatives pour plier la famille à ses odieux penchants ; mais, chez une partie, le naturel manquait ; ils tenaient de leur mère. Enfin, l’objection que nous combattons ici perd toute sa puissance, lorsqu'il s’agit de crimes qui ne s’enseignent pas, comme ceux qui n'ont point d’autres causes que les passions. Tels sont, en grande partie, les crimes contre les per- sonnes dont la violence est le but. 2 De l’hérédité des penchants aux crimes contre les personnes. Le professeur Lordat fait, au sujet de ces crimes, Les mêmes distinctions et suit les mêmes errements; il sé- pare, par rapport à l’hérédité, « le meurtrier scélérat qui, préférant ses intérêts à l'humanité entière, ne balance pas à commettre le crime, s’il y trouve un profit, et le meur- irier malade qui, quoique possédant toute sa raison, a succombé à un besoin instinctif dont il a horreur , au mo- ment même où il a commis le mal; il ne serait pas, dit-il, surpris, que celui-ci transmette sa morosité à ses enfants ; + (1) Droit et Gazetle des Tribunaux, du 14 novembre 1845. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VIraL. 497 mais il parierait que l’hérédité n'aurait pas lieu, chez les descendants de celui-là. Il ne s’étonne pas que l’anthropo- phagie, par exemple, ait été un penchant instinctif dans des générations de famille, comme en Écosse, où plu- sieurs membres d’une race ont payé de leur vie ce funeste penchant, et où il a fallu judiciairement en surveiller quelques autres ; mais il ne serait pas étonné non plus que l'enfant d’un sauvage, élevé dans une nation européenne, eût autant d'horreur, que nous, pour l’usage de la chair humaine, quoique son père en eût mangé, par point d'honneur, par esprit de vengeance, ou par amour pa- triotiqnes(1). » Un jeune enfant sauvage serait, dans ces circonstances, tel que l’imagine le professeur Lordat, que le fait, en principe, ne prouverait rien, absolument rien, contre l’hérédité; il prouverait seulement que l’enfant, dans cecas, . n’a pas hérité de l'instinct paternel; ce quiarrive, en vertu de la loi d’innéité, même dans la vie sauvage; ou que, sous l'influence de la vie civilisée, et.ainsi qu’il arrive à l’égard d’une foule d’autres dispositions vicieuses, ou mor- bides, et surtout à l'égard de celles qui sont soumises, chez l’homme, au double empire de l'intelligence et de la liberté, la raison éclairée par l’éducation, cette médecine de l’âme, a étouffé Le goût et vaincu le penchant instinc- tif propagé. La question n’est pas là. L'autre objection, tirée de la distinction réelle, à établir entre les meurtriers, d’après la cause du meurtre, n’est pas plus décisive contre l’hérédité; elle répond, simple- ment, ou à la différence des crimes dont le meurtre est le (1) Lordat, Les lois de l'hérédité physiologique sont-elles les mêmes chez les bétes et chez l'homme, p. 27-28. fie 32 498 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ but, et des crimes dont le meurtre n’est que le moyen; ou à la différence des meurtres commis en état de raison, et des meurtres commis en état de folie. Dans l’un et l’autre cas, la question des tendances hé- réditaires aux meurtre ramène au mêmes débats, et en- traîne forcément la même solution que celle des tendan- ces héréditaires au vol. Il y a nécessité d'appliquer les mêmes règles ; il y a né- cessité de poser les mêmes questions : La première que provoque le Code pénal français est toujours la suivante : le meurtre s’est-il commis en état de raison , ou en état de folie? (1) Dans le dernier cas, l’acte n’est pas imputable à la li- berté intelligente de l’être ; il n’y a point de crime. Quelles que soient l’origine, la cause, l’atrocité apparente du meurtre, il ne peut donc s’agir, dans tous les faits de ce genre, d’hérédité du meurtre, mais d’hérédité de l’alié- nation. Dans le cas contraire, du seul fait que le meurtre n’est pas imputable à l’aliénation, il est légalement et ration- nellement l’acte d’un être. libre ; il est donc toujours eri- me, avec cette différence que, la loi, dans l’homicide, admet une distinction qu’elle repousse pour le vol,'en sé- parant le meurtre non prémédité, du meurtre prémédité ou de l'assassinat. Mais là s’arrêtent aussi les distinctions de la loi : elle n’admet point, dans la rigueur des termes, de meurtrier malade possédant sa raison (2). Dans l'esprit de la loi, posséder sa raison, c’est rester responsable, parce que c’est être libre. Que le meurtre soit le but, ou qu’il soit le (1) Voy. Code pénal, liv. TX, tit. n, ch. 1, sect. 1, $ 5. (2) Expressions précédentes du professeur Lordat. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 409 moyen, il garde donc, à ses yeux, en pareille circonstance, et il y doit garder le même caractère. Il y a, dans les deux cas, meurtre volontaire; il y a donc lieu, dans un cas comme dans l’autre, de poser la question de l’hérédité, en se conformant aux règles qui régissent la matière. Ces règles, applicables à tous les éléments et à tous les états de l’activité libre, veulent pour Phomicide, ce qu’elles veulent pour le vol : qu’on distingue soigneusement entre l’hérédité de la propension, et l’hérédité de l’acte? L'hérédité de l'acte, meurtre ou assassinat, est incom- patible avec l’état de raison et de liberté morale : si elle se manifeste, d’une manière positive, sous un tel carac- tère, elle n’est, à nos yeux, que l’hérédité d’une forme quelconque de folie. Il n’en est pas ainsi de l’hérédité de la propension au meurtre, suivie ou non suivie de l’exécution. L’exécution, préméditée ou non, quel qu’en soit le mo- bile, ne saurait émaner que de la volonté responsable de l'être : pour l’homicide, comme pour tous les autres cri mes, elle est nécessairement, à des degrés divers, hors le cas de folie, une décision de notre liberté. Mais la pro- pension même, instinctive ou mentale, à répandre le sang, dans quelque but ou pour quelque cause que ce soit, peut, chez l'être Le plus libre et le plus raisonnable, avoir la même source qu’elle a chez l’insensé. Elle peut remonter jusqu'aux sources de la vie, et tirer son principe de l’hérédité. Toute la différence, si l’exécution suit, qu’il ya, sous ce rapport, entre l’un et l’autre, c’est que le dernier succombe irrésistiblement, le premier librement à la disposition homicide transmise ; c’est que l’un est coupable, et que l’autre ne l’est pas. Mais ni l’état de raison, ni l’état de folie, ni les circon- 500 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ stances plus ou moins aggravantes de la réflexion ou de l’irréflexion, ni la nature du but où tend l’homicide, ni l'espèce du crime, ne préjugentrien, par eux-mêmes, pour ou contre le principe, pour ou contre le fait de l’héré- dité. L’hérédité s’allie avec tous les états, comme avec toutes les formes d’activité de l’être. Le professeur Lordat semble reconnaître, lui-même, ce qu’il y a d’arbitraire, dans les distinctions subtiles qu’il adopte : « On me dira, dit-il, que des distinctions pa- reilles sont impossibles, dans la pratique, parce que, de- vant les tribunaux, chacun a souvent intérêt à supposer des motifs d’action fort différents des réels (1). » Nous ferions, pour notre part, à ces distinctions, sielles étaient fondées, un reproche plus grave que d’être inap- plicables : nous leur ferions celui d’être très-dangereuses par leurs conséquences. l En niant l’hérédité des prédispositions morales à tous les crimes, à l’exception de celles des prédispositions qui ont leur origine dans des morosilés, c’est-à-dire dans des formes ou des degrés divers de l’aliénation, la doctrine précédente du professeur Lordat amène à ne plus voir, dans toutes les personnes que des dispositions transmises de cette nature ont entrainées au crime, que des aliénés et non des criminels, si coupables qu’elles semblent, et (4) « Ce n’est pas, selon lui, d’après la Gazelte des Tribunaux que « nous pouvons connaître l’homme : il préfère s’en rapporter aux ré- « vélations du for intérieur, et les médecins, dit-il, obtiennent à cet « égard autant de confidences que les confesseurs. » Nous pensons, pour noire part, que tous les faits sont à interroger, et que des faits aussi authentiques que ceux d’après lesquels on décide cha- que jour de la vie et de la mort de nos semblables sont d'uné valeur égale à leur autorité. DANS Là PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 501 très-souvent qu’elles soient. Car, si l’hérédité d’une pré- disposition suffit pour empreindre tout acte qu’elle in- spire d’un caractère morbide, d’un vestige de folie, l’hé- rédité détruit l’imputabilité de tous les actes commis sous son influence; la démonstration de l’hérédité des incli- nations auxquelles on a cédé, quel qu’ait été l’acte, quel qu’ait été l’état de raison et de liberté morale de l'agent, équivaut, par le fait, à la démonstration de l’innocence même : l’hérédité devient, pour toute espèce de cas indif- féremment, où l’on suit sa trace, le symbole organique d’une fatalité plus forte que la conscience, que l’intelli- gence, et que la volonté responsable de l’homme ; elle est le sceau de la folie et le palladium du crime. Cest à quoi n’ont pris garde ni Fodéré, ni Marc, en donnant à penser, l’un, que l’hérédité enlève le caractère intentionnel de l’acte (1) ; l’autre, qu’elle doit entraîner V’atténuation de la peine (2). ù On ne peut poser en règle ni l’un ni l’autre principe; tout dépend de la nature de l’hérédité dont il est question : Les deux opinions sont vraies, s’il ne s’agit que de l’hé- rédité qui tient à la folie ou à l’idiotie ; de celle où le rap- port de l’impulsion transmise à l’exécution, sous l'empire de ces deux états involontaires de l’intelligence, est irré- fléchi et irrésistible. Les deux opinions sont radicalement fausses, s’il ne s’a- git que de l’hérédité elle-même, c’est-à-dire dégagée de Pidiotie et de l’aliénation. Toute doctrine contraire revient à déclarer que l’inter- (1) Marc, de la Folie, considérée dans ses rapports avec les questions médico-judiciaires. Paris, 1840, t. IT, p. 260. (2) Fodéré, Essai médico-légal sur les diverses espèces de folie vraie , sinvulée et raisonnée. Strasbourg, 1839, p. 188. # 502 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ vention de la loi d’hérédité, dans les tendances aux crimes, est incompatible avec l’état de raison et de liberté morale, véritable hérésie en psychologie et en droit criminel : elle ramène toujours et nécessairement le terrible di- lemme : ou il n’existe point de liberté morale des actions humaines, ou l’hérédité est une loi étrangère à la nature morale. Le professeur Lordat a évidemment cru à cette alter- native, et entre le sacrifice de la liberté ou de l’hérédité, c’est l’hérédité qu'il a sacrifiée. De là les opinions logi- ques, à ce point de vue, mais en contradiction flagrante avec les faits, qu’il a développées. Dans notre foi profonde que la liberté et l’hérédité sont deux lois conciliables et harmoniques entre elles, nous repoussons, tout aussi formellement, en matière de crimes contre les personnes qu'en matière de crimes contre les propriétés, les termes du dilemme ; mais nous reconnais- sons , aussi, qu’on n’y échappe, qu’à la condition d’en re- venir toujours et nécessairement, dans l’un et l’autre cas, au principe général que nous avons posé, c’est-à-dire.à celai de la distinction entre l’hérédité de la propension, et l’hérédité de l'acte, la première compatible, la seconde incompatible avec l’état de raison et de liberté morale. En s’inspirant de cette règle : 1° S'il s’agit d'apprécier la criminalité intentionnelle d’un acte de violence quelconque contre les personnes, ce n’est donc point l’origine innée, héréditaire, ou acciden— telle de la disposition qui l’a fait commettre, qu’on doit considérer : ce n’est point d’elle qu’on doit tenir compte; c'est de l’état de raison ou d’aliénation, du degré de ré- flexion ou d’irréflexion de l’auteur, dans le fait. D'après la double loi de la génération, d’après les lois DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 503 de l’hérédité elle-même, le frère, le fils, le neveu du fou le plus complet, peuvent être très-coupables, du même acte dont leur oncle, ou leur père, ou leur frère, s’ils l’eus- sent exécuté, seraient irresponsables. 2° S'il s’agit, au contraire, d’apprécier la part de l’hé- rédité à la propension même, c'est, comme nous l’avons dit, la généalogie seule de l’accusé, c’est-à-dire en quel- que sorte, l’histoire des précédents du naturel de l’être, dans ses générateurs, qu’il faut interroger, parce qu’elle seule peut nous dire si l’hérédité est ou n’est pas la source de la disposition qui l’a conduit au crime. 3° Si l’on veut enfin établir le rapport qui lie l’héré- dité à l’aliénation, c’est de l’hérédité de l’aliénation, dans le cas déterminé, ce n’est point de l’hérédité pure et sim- ple, qu’il faut administrer la preuve. Ainsi interrogée dans une foule de cas, la généalogie ne laisse point de doute sur l’hérédité des prédispositions à tous les genres de crimes contre les personnes, comme nous avons vu qu’elle n’en laissait pas sur celle des ten- dances à tous les genres de crimes contre les propriétés. Elle éclaire aussi, dans plusieurs circonstances, sur la correspondance qui peut exister entre l’hérédité de l’alié- nation, et l’hérédité de la tendance au crime. I. Il existe des exemples de l’hérédité du penchant au viol. Nous avons vu, plus haut, Fodéré insister vivement sur la fréquence de la disposition qui en est l’origine (1). Nous avons cité même un fait qui s’en rapproche (2). II s’en est présenté, l’an dernier, à Pontoise, un cas plus déplorable : un malheureux père, Alexandre de M..., avait eu la douleur de voir son fils aîné, à peine âgé de (4) Ouv. cit., p.156 à 188. (2) Pag. 479-480. 504 . DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ seize ans, violer sa cousine et la tuer, après lui avoir fait subir des traitements atroces : dernièrement, son second fils tentait aussi de violer une petite fille, et la pauvre enfant n’a dûü son salut qu’à l’arrivée subite de plusieurs personnes accourues à ses cris. Ces deux jeunes gens ont rendu compte à la justice de leur conduite; mais la peine prononcée dans les deux cas a été atténuée, parce que l'instruction a prouvé que ces enfants subissaient l’in- fluence d’une folie héréditaire (1). IT. L’hérédité de la disposition au meurtre compte une foule d'exemples : Au mois de février 1845, comparaissait, devant les assises de la Nièvre, un nommé Jean Goudrand, sous l’in- culpation du crime d’assassinat. L’accusé avait passé sa Jeunesse dans une caverne, au milieu d’une famille vi- vant de brigandage et semant la terreur dans tout le pays. Son père avait été l’objet de plusieurs poursuites ; l’ainé de ses frères avait précédemment subi plusieurs condam- nations pour sévices et violences sur la personne de sa femme ; un second de ses frères était condamné à mort, par contumace, pour crime de fausse monnaie ; le plus jeune de ses frères avait aussi été condamné à mort pour avoir tué sa femme, après l'avoir fait à demi dévorer par un boule-dogue ; sa mère avait été condamnée à cinq ans de réclusion, comme complice de cet horrible crime. L’ac- cusé lui-même, également condamné à mort pour fabri- cation de fausse monnaie, avait trouvé moyen de s'évader, après commutation de peine : il avait une conformation si bizarre, et une si grande souplesse des pieds et des mains, qu'il glissait, en quelque sorte, à travers les (4) Le Droit, Bulletin des Tribunaux, Xe année, n° 99, p. 399. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 505 fers ; devenu libre, il avait fini par égorger aussi sa con- cubine, qu’ilaccablait de sévices, depuis l’origine de leurs relations, et il avait blessé de coups de couteau trois per- sonnes accourues au secours de la victime. Pour que rien ne manquât à cette cause remarquable, depuis son arres- tation, l’accusé se donnait pour illuminé, se disait un Messie, ne parlait qu’au nom de son père qui est aux cieux , et prétendait recevoir des révélations. Cette démence simulée, malgré l’art profond du nouveau prophète, n’a point trouvé faveur auprès du jury. Jean Goudrand a été condamné à mort et exé- cuté (1). à Une autre cour d’assises condamnait, le même mois, une mère et son fils, tous deux reconnus coupables d’as- sassinat sur le beau-père du fils (2). Une condamnation, pour un crime analogue, vient d’être prononcée par la cour d’assises de la Loire (Mont- brison), contre deux autres assassins, Taillandier père et fils. Ces hommes, par leurs menaces, par leurs violences, par leurs mœurs féroces, se faisaient redouter de toute la contrée : le père avait la réputation d’être un voleur. Le fils était si à craindre, qu’un de ses maîtres l’ayant ex- pulsé, pour vol, n’osait plus aller dans les lieux où pou- vait se trouver son voleur. Poussés par des motifs de haine et d’intérêt , ils ont fini par tuer leur beau-frère et beau-fils. Le crime, comploté et prémédité par l’un et par l’autre, a été finalement accompli par le fils. La per- versité est tellement précoce, dans cette triste famille, qu’un des jeunes Taillandier, un enfant, a osé menacer (1) Gazette des Tribunaux, 25 février 1845. (2) Le Droit, Bulletin des Tribunaux, 26 février 1845. 506 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ hautement d’incendier les maisons des témoins qui dépo- seraient contre ses parents (1). IL. IL est à remarquer que, dans plusieurs de ces cas, les violences s’exercent, les meurtres se commettent, pour ainsi dire, sans cause, et que les exemples des peines res- tent dépourvus d’action sur la famille qu’elles frappent. Au mois de décembre 1844, le nommé Étienne Coutas, de la commune de Saint-Vincent de Barrès, était con- damné à la peine de mort, aux assises de l’Ardèche, pour crime d’assassinat commis sur la personne du cultivateur Rieux. Le motif du crime était des plus futiles ; une con- damnation pour injure verbale, à {5 fr. d'amende, obtenue par Rieux, contre Coutas, en justice de paix. Quelques an- nées avant cet assassinat, le frère aîné de Coutas était condamné, par la même cour d’assises, aux travaux for- cés à perpétuité, pour meurtre suivi de vol (2). IV. On voit aussi des cas où l’hérédité de la disposi= tion à répandre le sang prend un caractère qui touche, naturellement, aux limites extrêmes d’un état passionnel voisin de la folie, sans se confondre avec elle. Le 29 mai 1845, un crime épouvantable, inouïi dans les annales de l’ile Bourbon, répandait la stupeur dans la population de cette belle colonie. Un petit habitant des grands bois, Jean-Philidor Merlo, épris d’une violente pas- sion pour une jeune fille, Éléonore Belon, l'avait épousée contre l’aveu de la famille de sa femme et de la sienne Six jours ne s’étaient pas encore écoulés que cette femme, d’une grande beauté, d’une douceur excessive, d’une conduite sans reproches, en butte à des actes de la brutalité la plus (1) Le Droit, des lundi et mardi 2 juin 1846.— Gazette des Tribunaux du mercredi 3 juin de la mème année. (2) Journal Le Siècle, 20 décembre 1844. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 507 inexplicable, était forcée de chercher un refuge près de sa mère, et moins d’un mois après, mourait entre ses bras, assassinée, avec son Jeune frère, de la main de Jean-Phi- lidor. Les circonstances du meurtre témoignent à la fois d’une férocité sauvage et calculée. Le meurtrier, müre- ment préparé à son double crime, avait attendu ses victi- mes sur la route où elles devaient passer : il s'approche d’elles, de l’air le plus inoffensif, tue le frère par surprise, puis s’élance à la fois sur sa femme et sa mère, comme une bête fauve, leur arrache leurs mouchoirs, leurs peignes, leurs cheveux, les jette à terre, Les foule sous ses genoux, les mord, et, avant de porter le coup mortel à la fille, il cherche la place du cœur, mais il ne réussit à y plonger le fer qu’à travers la main mutilée de la mère. La conduite de ce monstre est restée une énigme, même après les débats. La seule cause apparente du crime est la fureur où l’a- vait mis la plainte déposée contre lui, par sa femme, en justice, pour se mettre à l’abri de ses brutalités et de ses violences, et la rage d’avoir vu qu’elle se refusait à réinté- grer le domicile conjugal. Jean-Philidor Merlo se borne à soutenir, contre toute évidence, qu’il n’a fait que se défendre. Au moment où la liste des témoins à charge va être épuisée, le défenseur leur fait poser quelques questions tendant à établir : 1° Que le père de Merlo, dans un accès de colère, a tiré un coup de fusil sur sa femme, en ce moment en couches ; 2” Que le frère de l’accusé, Auguste Merlo, s’est, par jalousie, brülé la cervelle; 3° Qu'un oncle de l’accusé est encore aujourd’hui frappé d’interdiction. 508 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Ces faits sont reconnus exacts par les témoins. Des réponses des médecins aux interpellations faites et par la défense et par l’accusation, il semblerait résulter que le crime pouvait également s’expliquer, par un accès subit de folie furieuse, ou par une passion quelconque, exaspérée jusqu’à la fureur. P Mais, dans notre conviction, fondée sur les débats, la se- conde explication était la seule plausible. C’était un crime atroce, inspiré par vengeance, et commis par un être na- turellement féroce, dont la colère était un état de fureur : ilexécutait avecfrénésie, maisil préméditaitavec réflexion. L'attention soutenue, et la sagacité dont il donna la preuve, pendant les débats, nous confirment encore dans notre opinion. Aussitôt qu’un point lui semblait contes- table, il se retournait vivement vers son défenseur, placé à ses côtés, et il lui adressait des observations dont la dé- fense dut, plus d’une fois, faire usage. Déclaré coupable de meurtre, sans préméditation , Merlo est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Son pourvoi en grâce a postérieurement été rejeté (1). Voici un second fait qui, à quelques égards, a le même caractère. Le 1° mars 1846, vers neuf heures et demie du soir, le nommé Bédu, dit le Dey d’Alger, journalier à Ba- paume, se présente à la caserne de la gendarmerie de cette ville, déclare au brigadier qu’il vient d’assassiner sa maitresse, la fille Romaine Lefèbre, parce qu’elle. lui était infidèle ; et il ajoute ensuite qu’il méditait ce crime depuis quinze jours, et qu'il ne s’en repent pas. Il remet aux gen- darmes un petit couteau de table taché de sang, et offre (1) Gazette des Tribunaux, 11 avril 1846. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 509 de les conduire auprès de sa victime. On le suit, on arrive avec lui dans le chemin de Thilliers à Bapaume; là, on trouve, en effet, la malheureuse jeune fille, sur la crête d’un fossé où Bedu l’avait mise après l’avoir tuée, dans la crainte, dit-il, qu’elle ne fût écrasée par les roues d’une voiture. Il montre, lui-même, au milieu du chemin la place, indiquée par une mare de sang, où il l'avait frap- pée, et il a le courage horrible d'aider, de ses mains, à transporter le cadavre dans une maison voisine. Il l’avait égorgée, ce même soir, dans ce chemin creux, au retour d’un cabaret où il l'avait comblée de marques d’affection. L’assassin appartient à une très-honnèête famille de Bapaume. Il pouvait, comme son frère, vivre dans l’ai- sance, s’il n’avait préféré se livrer à ses passions. Adonné à la débauche et à l’ivrognerie, il est d’un caractère d’une extrême violence, et l’on attribue, en partie, la mort de sa femme , aux mauvais traitements qu’il exercçait sur elle, dans ses moments d'ivresse. Ii est certain, toutefois, quele soir de son crime, il n’était point pris de vin. Tous ceux qui l’ont vu, soit avant, soit après le meurtre de sa maitresse, l’ont trouvé parfaitement calme et tranquille. IL n’avait pas, disent-ils d’une commune voix, un autre air que de coutume. de Voici comment lui-même il rend compte des faits : « Sortis ensemble, nous nous trouvâmes bientôt enga- « gés dans un chemin creux. Trois fois l’idée me vint « de tuer Romaine. Je pris mon couteau ; mais, trois fois, « je le rengainai, sans rien faire. Nous étions tous deux « seuls dans le chemin; la lune brillait. Romaine me dit : « Nous nous aventurons par ici, j ai peur ! si on nous « assassinait ! À ces mots, mon projet de mort se réveilla « si vivement, que je ne fus pas maitre de mon mouve- 510 DE LA LOL D'HÉRÉDITÉ « ment. Il y avait comme quelque chose qui m’entraînait « malgré moi. Je me précipitai sur ma maitresse et je la « frappai. » — Où l’avez-vous frappée? lui demande le président. — À la tête et au cou. — Comment avez-vous fait? L’accusé prend le couteau, et représente avec un sang- froid indicible, l’action qu'il a commise. Il montre Ro- maine, dans son bras gauche qui l’enlace, et indique, du bras droit, Les coups qu’il a portés. L’auditoire tout entier est saisi d'horreur : « Comme Romaine criait, dit-il, je frappai davantage « encore, pour qu’elle souffrit moins longtemps. La vue « du sang, qui coulait avec abondance, me toucha. Je « me mis à genoux auprès du corps. Je voulais me tuer, « mais Je n’en eus pas la résolution. Je pensai à Dieu, et « je me dis qu'il fallait, avant de mourir, me confesser à «“ un prêtre, etexpier mon crime. » Les aveux de l’accusé sont faits avec un calme qui glace d’épouvante. Un officier de santé, le témoin Barry, vient déclarer qu’il a donné, pendant vingt ans, ses soins à la mère de l'accusé Bédu : que cette: femme, qui a donné le jour à huit enfants, avait, après chaque accouchement, des transports extraordinaires; elle poussait des cris, puis quittait sa maison, vaguait par les campagnes, et se réfu- giait le plus souvent chez des inconnus, où elle passait des mois entiers, loin de son mari et de ses enfants. Sur l'interrogation précise du président, 1l déclare ce- pendant qu’il ne la croit pas folle (1), mais elle est ma- niaque, dit-il, et passe pour telle. (4) La folie ne fait pas ici ombre d’un doute ; c’est un cas évident de DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. D41 D’autres témoins, voisins de la maison de cette femme, depuis vingt-cinq ans, déposent qu’elle est comme folle, qu’elle pousse des cris le jour et la nuit, et qu’elle s’en- ferme chez elle. Une de ses sœurs s’est tenue ainsi enfer- mée plus de six ans, sans vouloir quitter sa chambre. Un jour elle s’est enfuie, et elle a disparu, sans qu’on ait su depuis, ce qu’elle était devenue. La défense a tiré parti de ces précédents, pour jeter du doute sur la lucidité de l’état mental de l’accusé Bédu, au moment du crime; et, malgré l’évidence de la prémé- ditation, malgré l’aveu de la cause patente du crime ; enfin, malgré le sang-froid, et peut-être même à cause de lincompréhensible sang-froid du coupable, le jury a cru devoir l’admettre à profiter du bénéfice des circonstances atténuantes. La peine a été celle des travaux forcés à perpétuité (1). V. Cette tendance à tuer, infuse avec la vie, et comme inoculée par la génération, ne fait même pas toujours ac- ception des parents, et ne respecte pas les liens Les plus étroits, les plus sacrés du sang. Sous l’impulsion de cette hérédité fatale, on voit des pères et mères détruire leurs enfants... La cour d’assises du département de la Manche ju- geait récemment deux sœurs, Jeanne et Marie Nell, toutes deux accusées du crime d’infanticide. Leurs ancè- tres étaient morts, en partie, dans les bagnes , ou sur les échafauds. Les membres, aujourd’hui vivants de leur fa- mille, restaient sans relation avec les autres familles du lieu qu’ils habitaient. Ces deux sœurs logeaient dans manie intermittente, dont l'accouchement n’était que la cause occasion- nelle, la cause prédisposante et constitutionnelle étant l’hérédité. (1) Gazette des Tribunaux, 12 janvier 1846. He DE LA LOL D HÉRÉDITÉ une maison isolée. Kiarie Nell devient enceinte. Le maire en est instruit ; peu rassuré par les précédents de la fa- mille et redoutant un crime, il fait une démarche pour détourner Marie de l’idée d’attenter aux jours de son en- fant. Mais, malgré sa démarche et ses avis, l’enfant est cruellement étranglé dans des langes et enterré par les deux sœurs. Reconnues coupables, elles sont condamnées aux travaux forcés à perpétuité (1). Le 21 juillet 1845, au coucher du soleil, le cadavre d'Antoine Delpech, du village de Fau, fut trouvé étendu, sur un terrain nommé Bruyères de Roumegoux, à peu de distance du chef-lieu de la commune de Ladinhae, can- ton de Montsalvy. Une profonde blessure, par instrument tranchant, traversait de part en part la région du cœur, et avait dù produire une mort instantanée. Delpech, jeune encore, d’un caractère paisible, pas- sait dans le pays pour le fils naturel de Guillaume Mal- vezeln. Mais loin de lui témoigner la moindre affection, ce dernier lui avait voué une haine implacable, depuis une déposition que Delpech avait faite contre Malvezein, dans un procès de police correctionnelle. ë L’animosité de Malvezein s’était constamment mani- festée par des menaces : «J’en veux à Delpech, disait-il, plus de trois ans « avant l’assassinat; 1l passera par mes mains, tôt ou « tard ; et si je ne puis me venger moi-même, mon fils « grandira et le fera pour moi. » Il entendait parler d’un de ses fils légitimes, Antoine Malvezein. D'une nature irascible et violente comme son père, ce jeune homme s’était déjà signalé par des attaques envers (4) National du 3 octobre 1844. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 013 les personnes; plus d’une fois il avait ouvert son cou- teau, levé cette arme sur ceux qui étaient l’objet de son ressentiment, en les menaçant de leur ôter la vie. Agé de dix-huit ans à peine, il inspirait la même crainte que son père, et ils étaient tous deux l’effroi du canton. Delpech avait été déjà de la part du père l’objet d’une agression violente sur le chemin de Ladinhac à Mont- salvy. L'endroit n’était pas commode, disait de cette attaque son féroce agresseur, et le lieu ne me convenait pas pour ce que j'avais à faire, il me le payera plus tard; il ne m’échappera pas. un jour. Le jour vint, en effet; l’infortuné Delpech, qui vivait sans défiance d’Antoine Malvezein, se laisse attirer par lui à un prétendu rendez-vous de plaisir, et y meurt égorgé par les mains d’Antoineet de Guillaume Malvezein La clameur publique mit promptement la justice sur la trace des coupables ; et le 6 juin 1846, ils ont été tous deux condamnés à mort, par la cour d’assises du Cantal. Au moment où Guillaume Malvezein quittait, le len- demain du crime, le hameau de la Plantade, pour aller à la foire de Montsalvy, la fille Automayou, qui vivait avec lui en concubinage, prévoyant quelle issue aurait pour lui le crime, dit à une de ses filles : Regarde bien ton père qui monte là haut dans la châtaigneraie, car tu ne le verras plus. Je suis bien malheureuse, disait-elle en pleurant, et je crains bien que mes enfants n’héritent du caractère farouche des enfants légitimes de Guillaume Malvezein (1). (1) Gazette des Tribunaux, du mercredi 24 juin 1846. I. 6e d14 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Dans d’autres cas plus atroces encore, s’il est possible, ce sont les enfants qui tuent leurs pères et mères. | Vanini s’ingénie fort arbitrairement, dans ses dia- logues, à donner la raison de je ne sais quelle héré- dité du parricide chez les araignées (1): le philosophe était dupe d’une méprise : que n’est-il aussi possible de regarder, comme une fable, l’hérédité de ce crime dans l’humanité ? L’antiquité a retenu sur ce point des mots épouvanta- bles : on connait la réponse de ce misérable qui s'excuse, en rejetant sur une disposition d'organisation héréditaire, le crime de maltraiter son père : « Mon père, s’écrie-t-il, a battu mon aïeul : mon aïeul a de même traité mon bis- aieul de la plus cruelle manière, et vous voyez mon fils : cet enfantn’aura pasl’âge d'homme, qu’il ne m’épargnera pas Les sévices et les coups (2). » On se souvient encore du cri de ce père, que son fils trainait, par les cheveux, à la porte : « Assez! assez! mon fils! mon fils, je n’ai pas trainé plus loin mon père (3). » On serait d’abord tenté de voir, dans ces paroles, plutôt une nouvelle preuve de la foi de l’époque, dans la transmission des penchants naturels, qu’une preuve à l’appui de cette transmission elle-même. Mais des exemples atroces, positifs, en grand nombre, ne lais- (4) Julii Cæsaris Vanini, De admirandà naturæ, etc., lil. I, dia- log. x1ix, De hominis affectibus, pag. 332. — Il est vraisemblable que dans le fait que prétend expliquer Vanini, on aura simplement pris les mâles pour des pères : les femelles d'araignées dévorent souvent les mâles, avant le coït, si les mâles se hasardent à les approcher, avant que la femelle ait donné le signal et qu'il lui convienne de se laisser couvrir. (2) Aristote, Ethiq., lib. VII. (3) Idem, Loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. )13 sent point de doute que ces mots ne recèlent d’horribles vérités. Il y en a des exemples à faire dresser les cheveux. On lit dans le numéro d’un journal judiciaire du mardi 13 mai 1828, le récit de l’exécution d’un père et d’un fils, les deux Cantégril, déclarés, tous les deux, coupables de parricide sur leur mère et grand- mère (1). Le numéro du jeudi 22 mars 1827, du même journal, en cite un autre cas, où l’on voit figurer sur le banc des assises une famille entière : d’abord, Agnès Renouf, veuve du malheureux Dupré, homicidé, puis Rose- Victoire Dupré, sa fille légitime, Jean-Etienne Duchesne , dit _Bancroche, fils naturel de Rose-Victoire: Dupré, enfin le nommé Vaillant, père de Pierre-François Vaillant, gendre de Dupré. Les détails sont horribles : La femme Dupré vivait mal avec son mari : chaque jour amenait des querelles domestiques ; la fille se joi- gnait constamment à la mère pour maltraiter Dupré : rien de plus immoral que la conduite de cette fille : elle avait eu deux enfants naturels ; Duchesne, dit Bancroche, l’un de ces enfants se montrait en tout son fils : ilse van- tait tout haut, et publiquement, des mauvais traitements exercés, en famille, contre son aïeul, et il y prenait part. La mère et les enfants avaient souvent tenu ce propos infâme: Sice gueux, si ce cochon-là était mort, nous jouirions ! Ces faits et ces propos sont attestés par plusieurs témoins. La mère avait même dit: « Je sais bien par où il faut le prendre pour le dompter : un coup (1) Gazette des Tribunaux, mardi 13 mai 1898. L 6 516 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ de pied dans le ventre le rend blanc comme neige. Ils le tuèrent, en effet, et le jetèrent, avec une pierre du poids de quatre-vingt-huit livres au cou, sous la roue du moulin. Tous les yeux étaient fixés sur cette famille qui n’in- spirait à tous que le mépris et l’horreur. La mère et la fille furent condamnées à mort : la minorité de faveur du jury sauva la tête des autres ([). L’année dernière, en mars 1845 , une autre cour d’as- sisescondamnait, à Toulouse, à la peine de mort, le nommé Lacomme, pour crime de parricide. Cet homme avait gardé, dans tout le cours des débats, et au moment même où le président des assises prononcait son arrêt de mort, l’impassibilité la plus imperturbable, et qui contrastait d’une manière étrange avec l’émotion profonde de l’auditoire; mais, à peine enfermé dans le cachot des condamnés à mort, il fit retentir, toute la nuit, la prison de ses cris de désespoir et de ses gémissements ; toutefois, dès le lendemain 5 mars, il avait repris sa tranquillité. Ce parricide, d’après une rumeur publique, ne serait pas le premier commis dans la famille : on disait, qu’il y avait près de quatre-vingts ans, un de ses membres avait été condamné, pour un crime demême nature, au supplice de la roue, par la chambre des Tournelles du parlement de Toulouse. « Si ce fait était vrai, dit le journaliste, en « rendant compte de ce cas dont il semble surpris, n°y « aurait-il pas une sorte de fatalité attachée à l’existence « de certaines familles, et ample matière de réflexion « pour le moraliste (2)? » (1) Gazette des Tribunaux, du 22 mars 1827. (2) Le Droit, bulletin des Tribunaux, 12 mars 1845. — Voy. aussi plus loin, les pag. 534-535. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 517 Devant de tels résultats, comment ne pas comprendre que certaines idées aient longtemps prévalu dans la croyance des peuples, et qu’il en soit sorti certaines in- stitutions ? comment ne pas s’expliquer cette solidarité de loi, ou d'opinion, qui pèse sur les familles, terrible pré- jugé dans ce qu’il a d’exclusif, puisqu'il supprime une loi de la génération, la loi de l’innéité, la loi des contrai- res: mais qui, dans les limites de la loi de l’hérédité, de la loi des semblables, ne manque pas de fondement, et ne manquerait pas de justice, s’il ne tenait nul compte de la personnalité, de la moralité et de la liberté de l’homme. Deux exemples, entre cent , tous les deux effroyables, montrent jusqu’à quel point il est enraciné dans la foi populaire : Le vingt-cinq juin 1825, dans la petite ville de Frein- walde, en Poméranie, un cordonnier trouve, au retour des champs, ses quatre enfants tués dans sa propre mai- son, et la mère disparue. Le lendemain, on la découvre cachée dans un champ de blé : on l’arrète; elle avoue, dès les premières questions, qu’elle est l’auteur du meur- tre : que c’est bien elle, qui de ses mains a assommé ses fils à coups de marteau. On ne remarque chez elle aucune apparence ni signe d’aliénation : elle se repent de son crime, mais elle assure qu’elle a été forcée de Le com- mettre; que malgré tous les efforts faits pour se comman- der, elle était comme poussée par une force supérieure et irrésistible : elle déclare, en outre, qu’il lui est arrivé, à chaque grossesse, de commettre des vols de peu de valeur : et, comme on lui avait dit que les mauvaises actions d’une femme enceinte passaient en héritage à l'enfant que cette femme portait dans son sein, el que par conséquent, tous œx Là; sie OUR , 518 © DE LA LOL D'HÉRÉDITÉ ses enfants devaient devenir des voleurs, elle regardait comme un bonheur, pour ces innocentes créatures, d'avoir quitté le monde (1). Qu'il s’agisse, dans ce cas, ou qu’il ne s’agisse pas de monomanie (2), le délire, ou le crime, ont eu évidemment leur principe dans l’aveugle préjugé du peuple, et dans l'impression que ce préjugé, uni aux remords de quel- ques vols, avait laissée au fond de la conscienee de la mère. L'autre exemple, plus récent, est d’un autre carac- tère : Dans la commune d’Asendorf, située non loin de la route de Nienbourg à Brême, en Hanovre, et formée de maisons isolées, et pour la plupart très-distantes les unes des autres, demeuraient deux familles, portant toutes deux le nom d’Hassenbrak : les membres des deux familles étaient, par leurs vols et par leurs brigandages, devenus la terreur de toute la contrée : les tribunaux avaient souvent sévi contre eux : fous avaient subi des peines plus ou moins fortes, et cependant, pas le dixième des délits et des cri- mes commis par ces brigands n’était parvenu à l'oreille de la justice : leurs innombrables victimes n’osaient les dénoncer, encore moins porter plainte, parcequ’ils avaient toujours à la bouche cette menace : « Si quelqu'un nous fait avoir des démêlés avec la justice, nous mettronsle feu à sa maison. » Les choses en étaient là quand, le diman- che 16 avril 1843, le baïlli annonça à tous les habi- tants convoqués au cimetière, à la sortie de l’église, que , (1) Demangeon, du Pouvoir de l'imagination, p. 252. (2) Nous serions disposé à assigner à ce fait ce dernier caractère; mais il est difficile, sur ces seuls renseignements donnés par les journaux, d'asseoir une conclusion. — Voy. Courrier du Bas-Rhin, 25 août 1825. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 549 Frédérie et Albert Hassenbrak, les plus redoutés et les plus hardis des malfaiteurs de ce nom, venaient d’assassi- ner leur propre beau-frère, malade, dans son lit, et de dévaliser complétement sa maison, et 1l invita, dans l’in- térêt public, tous les assistants à battre les environs, afin de découvrir et de saisir les coupables. Ils sont surpris, le lendemain, cachés dans une caverne, au milieu d’un bois de pins. La caverne était garnie d’une immense quantité d'objets de toute espèce, fruit de leurs rapines. Trans- portés, malgré la plus vive résistance, après avoir fait feu deux fois de leurs fusils, à une maison située sur une hau- teur appelée la Montagne de la Haïie, les paysans leur ôtent vestes et pantalons, les étendent chacunsurun banc, _ à plat ventre, et se relayent pour les battre avec de gros bâtons. Ils ne cessèrent même pas lorsque toute la chair des patients fut enlevée, ni lorsque les os apparurent à nu, et à onze heures du soir les deux malheureux expi- rèrent dans ce long et atroce supplice. Convaincus qu’ils n’ont fait qu’un acte de justice, les paysans emportent en triomphe leurs cadavres, et rentrent chez eux au bruit de chansons de guerre et de chansons à boire : mais leur ven- geance devait aller encore plus loin : quatre d’entre eux se rendént dans la maison d’Albert Hassenbrak, ieur victime ; et dans l’espoir sans doute d’anéantir sa race, ils arrachent de son lit la veuve de ce dernier; ils traînent par les cheveux cette femme enceinte et près d’'accoucher, la plongent à trois reprises dans le fond d’un ruisseau, la foulent aux pieds, et l’abandonnent ensuite au milieu de la grande route. La justice intervint plus tard ; mais attendu les crimes commis par cette famille, l'ignorance, la bonne foi et la 520 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ réputation intacte des bourreaux, elle ne sévit qu'avec une grande indulgence (1). À Mais peut-on s'étonner de ces scènes de cannibales, inspirées par l’effroi de l’hérédité du crime, à de pauvres villageois, quand on ne peut faire un pas, dans l’his- toire des époques qui précèdent la nôtre, et qui l’ont en- gendrée, sans y retrouver des traces encore fraîches et sanglantes de la même terreur. La foi générale de l’anti- quité en a été empreinte, et non pas uniquement la foi du vulgaire, mais la foi religieuse et philosophique des hommes du temps, chez qui elle fut le plus sincère et le plus éclairée. Un de ceux en qui respire, dans toute sa candeur, l’esprit du monde ancien, Plutarque, nous le montre à genoux devant l’horrible dogme. Dans son cu-- rieux traité de Ceux dont Dieu diffère la punition, c’est par cette effroyable solidarité qu’il veut expliquer les retards apparents de la vengeance divine, et la justifier de frap- per dans les cités, de frapper dans les familles, la postérité éloignée des coupables : « Si nous venons, dit-il, à considérer l’homme dans « son état d'association, il semble qu’il n’y ait plus de « difficulté, et que la vengeance divine tombant sur un « état, ou sur une ville, longtemps après la mort des « coupables, ne présente plus rien qui choque notre « raison... « Mais, si l’état doit être considéré sous ce point de « xue, il en doit être de même d’une famille provenant « d’une souche commune, dont elle tient je ne sais quelle « force cachée, je ne sais quelle communication d’espèce « et de qualité qui s’étend à tous les individus de la lignée. (1) Gazette des Tribunaux, 24 octobre 1844. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 21 Les êtres produits par voie de génération ne ressem- blent point aux productions de l’art : à l’égard de celles-ci, dès que l'ouvrage est terminé, il est sur- le-champ séparé de la main de l’ouvrier, et il ne lui appartient plus. IL est bien fait par lui, mais non de lui. Au contraire, ce qui est engendré pro- vient de la substance même de l’être générateur, tellement qu'il tient de lui quelque chose qui est très- justement puni ou récompensé pour lui, car ce quelque chose est lui. « Les enfants des hommes vicieux et méchants sont une dérivation de l’essence même de leurs pères. Ce qu’il y avait dans ceux-ci de principal, ce qui vivait, ce qui se nourrissait, ce qui pensait et parlait, est pré- cisément ce qu'ils ont donné à leurs fils; il ne doit donc pas sembler étrange, ni difficile à croire, qu’il y ait en- tre l’être générateur et l’être engendré une sorte d’iden- tité occulte, capable de soumettre justement le second à toutes les suiles d'une action commise par le pre- mier (1). » Cette doctrine effroyable ne s’est pas, par malheur, arrêtée à la foi. L'institution, la loi, s’en sont faites l’inter- prète. Nous avons vu jusqu'où ces principes s’étendaient dans le Brahmanisme : ils se retrouvent, à chaque pas, dans le Mosaïsme, et s'ils n’ont pas gardé de place dans le droit romain, ils ont infecté toutes les législations barbares du moyen àge, et persisté, de nos jours, dans les sociétés demeurées étrangères au mouvement des idées et des (1) Voyez OEuvres de Plutarque, traduction d'Amyot, chap. xix, de Ceux dont Dieu diffère la punition, et la traduction du même traité, par le comte Joseph de Maistre, p. 46 à 50. «J'IO # 922 DE LA LO1 D'HÉRÉDITÉ - Ra & lumières modernes. L’atroce législation des Japonais en- veloppe , encore aujourd’hui, dans la punition, les pa- rents du coupable (1). Cette solidarité reste, en pleine vigueur, dans les institutions pénales de la Chine. Le coupable du crime de lèse-majesté, ou de parricide du prince, est, d’après la formule de la loi Chinoïse, coupéen dix mille morceaux, etses fils et petits-fils sont tous punis de mort (2). Enfin, le croira-t-on, cet odieux principe se re- trouve, en Europe même, dans le code d’un peuple très-civi- lisé, d’un peuple voisin de la France , en Prusse, pourile même crime ! il ysurvit cependant à tant de lois sauvages, mitigé, il est vrai,et par les mœurs du peuple, et par celles de l’époque. Maïs, en est-ce moins une honte, pour le code d’une nation éclairée et chrétienne, de contenir une loi qui permette de détenir, à vie, dans une forteresse, les enfants de tout coupable d’attentat à la vie de son souverain (3). Existe-t-il, au monde, une nature de crime, qui donne un pareil droit au juge sur la famille innocente du coupable, au mépris des premiers principes du droit romain : «les fautes sont personnelles : — nul n’est le suc- cesseur du crime d'autrui ; — aucune peine n’est dueau fils pour le délit du père. — Le fait d’un frère ne nuit pas à son frère. » L'expérience de l’action que l’hérédité peut avoir sur les crimes a introduit en Chine, à côté de cette horrible (1) Benjamin Constant, de La Religion, t. IL, liv. IV, ch. x1r, p. 275. (2) Gazette des Tribunaux, 31 décembre 1844. (3) Nous n’entendons parler que de la Leftre de la loi; car l'application en tombe en désuétude ; l'exécution de Tcheck pour crime de tentative d’assassinat dirigée contre le roi régnant de Prusse, n’a pas été suivie de l’application de la loi à l'égard de sa fille: mais il n’est jamais sans inconvénient de laisser ainsi survivre même la lettre d’une loi abomi- nable. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. D23 solidarité, digne d’une nation de tigres, une coutume di- gne du peuple le plus civilisé. Dans une curieuse esquisse du système pénal et de l’administration de la justice, chez ce peuple, un journal judiciaire nous révèle la ma- nière, fort digne d’attention, dont on y procède à l’inter- rogatoire et à l’instruction des crimes capitaux. On ne se borne pas à s’enquérir des faits qui se rattachent au crime, ni du crime lui-même : on apporte le soin le plus minutieux à s'informer de tout ce qui touche à l’état phy- sique de l’accusé, à son tempérament, à sa complexion, aux moindres événements de son existence, à ses moin- dres précédents : on s’occupe, avec la même religion, des moindres antécédents des membres de sa famille, et l’on pousse le scrupule de l’investigation jusqu’à ceux de ses aieux (1). Nous regrettons, pour la France, dans le double intérêt du progrès des sciences médico-légales, et dune plus équi- table distribution des peines, que ce système d'instruction n’y soit pasen vigueur.Nous voudrions le voir régularisé et le voir appliqué, non exceptionnellement, non à tel ou tef ordre de crimes déterminés, non pas même uniquement sur les accusés, comme moyen d'enquête, avant le Juge- ment; mais, après le jugement, sur tous les condamnés, mais généralement, pour tous les genres de crimes, mais dans toutes les prisons, et particulièrement dans les maï- sons centrales ainsi que dans les bagnes. Quelle serait, au bout d'un nombre suffisant d'armées, l’importance des données obtenues par ces recherches, si elles étaient faites avec l'intelligence, la persévérance et le soin qu’elles réclament, c’est ce que l’ensemble des (à) Gazette des Tribunaux, du 31 décembre 1844. 524 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ faits que nous venons d’exposer fait assez pressentir : là est l’éclaircissement de plus d’un problème de médecine légale et de criminalité, et la solution de bien des points du débat que soulèvent de nos jours les réformes péna- les. Il est plus spécialement deux questions sur lesquelles une telle enquête jetterait la plus vive lumière, parce que l’hérédité est tout à la fois l'étude et l'expression la plus infaillible de ce qu’il y a d’organique, de morbide et de fatal dans la nature de l’homme : la première est celle des rapports généraux de l’organisation à la moralité ; la seconde, celle des rapports de la criminalité à l’aliëna- tion (1); questions fondamentales, commodes à préjuger, en tant de sens contraires, au gré des opinions, dans la lutte des personnes, ou dans celle des systèmes ; mais qui, abordées avec l’esprit de réserve et d’impartialité que la recherche sérieuse de la vérité réclame, apparaissent, ce qu’elles sont, profondément obscares, et loin de leur so- lution. C’est dans le but de frayer la voie à cette étude, et de préparer les bases d’une semblable enquête, que nous avons conçu l’idée de deux tableaux, ou de deux registres, propres à recueillir les matériaux relatifs à ces deux ques- tions, dans les diverses prisons et maisons centrales. Nous n’en donnons encore que le spécimen ; le premier, que nous nommerons tableau statistique de la généalogie morale des condamnés, serait destiné à offrir, chaque an- née, par rang de sexe et d’âge, et par classe, genre, et es- (1) Voy. à ce sujet, A. Quetelet, Recherches statistiques sur le royaume des Pays-Bas, Bruxelles, 1819. — Son Essai sur le penchant au crime, aux différents âges ; — et son Essai de physique sociale. — Voyez aussi Fodéré, Essai médico-légal sur les diverses espèces de folie, introduction, P. 16. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 25 pèce de crime, le chiffre des détenus dont les ascendants, ou les descendants , ont subi ou subissent des condam- nations. Il renfermerait ainsi les éléments, au moins les plus essentiels, de comparaison, entre la moralité légale des détenus et celle de leurs familles. Le second, que nous nommerons tableau statistique de la généalogie mentale des condamnés, tableau d’une na- ture beaucoup plus compliquée et bien plus délicate, se- rait destiné à offrir, chaque année, par rang de sexe, d’âge, et par classe, genre, et espèce de crimes, le chiffre des condamnés dont les ascendants ou les descendants ont été atteints de maladies mentales, ou d’affections de na- ture à leur donner naissance. Ce dernier tableau renfermerait ainsi les éléments, au moins les plus essentiels, de comparaison entre l’état sa- nitaire et mental des détenus, et l’état sanitaire et men- tal des familles. ; Ces tableaux, préparés pendant l’instruction, seraient rédigés, de concert, au fur et à mesure de l’entrée des condamnés dans les prisons et bagnes, par les directeurs et par les médecins des bagnes et des prisons. Les deux divisions générales des détenus pour crimes contre les personnes, et des détenus pour crimes contre les propriétés seraient subdivisées en deux catégories, une première des hommes, une seconde des femmes, et les individus de chaque catégorie répartis, en autant de ta- bleaux différents, que de classes de crimes. Ces tableaux seraient adressés, chaque année, au garde des sceaux, et le relevé général prendrait annuellement place dans les comptesrendus de l’administration de la jus- tice criminelle. 526 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Très-pénibles d’abord, peut-être même ingrats, par la difficulté réelle d’en recueillir les premiers matériaux, ils finiraient par être, si l'administration y tenait la main, de plus en plus curieux, de plus en plus faciles, par leur succession même, et formeraient plus tard une mine féconde en révélations sur létiologie de la crimi- nalité. Il en est, en effet, de la criminalité, comme de la ma- ladie. Les origines en sont plus complexes, plus profon- des, plus lointaines qu’elles ne le semblent. Le vulgaire des légistes, comme celui des médecins, ne porte pas les yeux au delà des circonstances prochaines de l’accident qui détermine le mal; il. ne va pas plus loin que les causes occasionnelles. Mais, ni le criminaliste, ni le mé- decin éclairés, ne vont ainsi demander le principe initial du phénomène morbide, ou de l'acte criminel, à ce qu’il y a d’éventuel et de plus immédiat dans son explosion. , Dès que l’on veut sonder, dans les obscurités du dédale de la vie, ce pointinitial, la philosophie dela science conduit ie médecin, à tenir compte d’abord du milieu où l’on vit, de l’atmosphère qu’on respire, de la constitution médicale du lieu, de l’année, de la saison, de la profession, de l’âge, du sexe, de l’habitude, de l’alimentation; elle le conduit encore, à pénétrer au delà des circonstances activessur l’or- ganisation, pour demander, à l’organisation elle-même, le secret des causes premières desa nature d’être et de ces types d'impression qui engendrent le mal ou donnent un caractère propre à la maladie; elle le conduit, enfin, sur ces extrèmes limites où l’organisation de l'individu ne dit plus rien d’elle-mème, à interroger et à retrouver l’his- toire des précédents du naturel morbide de l'être, dans ses auteurs. Er ES DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 027 . La philosophie de la criminalité est fatalement appelée à suivre la même marche : de l’étude du milieu social où-germent les crimes, de la constitution morale de l’é- poque qui les entretient, de celle des influences, si mani- festes, de l’âge, du sexe, de la profession, des moyens existence, sur leur développement, illui faudra toujours revenir à l’étude des impulsions natives de l’organisation, comme aux premières racines des tendances passionnelles de l’individu ; et sous peine de ne rien comprendre au phénomène de leur originé, interroger de même l’his- toire des précédents du naturel moral de l’être, dans ses pères. Fe SPÉCIMEN | DE LA GÉNÉALOGIE s É DIVISION DES CRIMES CONTRE LES PERSONNES. 1° NOMBRE TOTAL DES DÉTENUS DE LA CLASSE ET DE LA CATÉGORIE ; 2° NOMBRE ; TOTAL DE CEUX DONT ON N’A PAS ÉCLAIRCI LA GÉNÉALOGIE MORALE. Indications relatives aux condamnés. | { Î tat civil. 2 E Degré d'instruction Caractère Profession. Moyens d’existence Nature du crime. Motif du crime. Nature de la peine. Noms des condamnés. Age ——— | —— | ———— | — | —— | ——— | ————— DU TABLEAU MORALE DES CONDAMNES. CLASSE DES HOMMES, — CATÉGORIE DES HOMICIDES. 3° NOMBRE DE CEUX DONT LES PARENTS N'ONT PAS ÉTÉ REPRIS DE JUSTICE ; 4° NOMBRE DE CEUX DONT LES PARENTS ONT ÉTÉ REPRIS DE JUSTICE. Indications relatives à leurs familles. PARENTS 4 d REPRIS DE JUSTICE. | 2 ; = = d Es : ñ a = £ a ER | = = — 5 ‘& = 3 £ < MO EnNERAlS") 2 d COTE PATERNEL. | COTE MATERNEL, | & | & S E © = = | «EE = a = = D | a = =) e = Hi = = A se S = divecte, |collatérale. | directe. | collatérale. | | | he | pnlier f LIGNE LIGNE | LIGNE LIGNE | SPÉCIMEN DE LA GÉNÉALOGIE DIVISION DES CRIMES CONTRE LES PERSONNES, 1° NOMBRE TOTAL DES DÉTENUS DE LA CLASSE ET DE LA CATÉGORIE; 90 NOMBRE DE CEUX DONT ON N’A PU ÉCLAIRCIR LA GÉNÉALOGIE MENTALE; Indications relatives aux condamnés. | 10 Toutes les maladies idio- essentielles, phlegmasiques , ou organiques du système ner- veux, convulsions, chorée, épilepsie, hystérie, surdi-mu- tilé, etc.; nation mentale ; | : ! 50 Toutes les affections gas- | tro-intestinales; | | 4o Toutes les affections eu- | tanées. 50 Tenir compte, chez les femmes, de la menstruation. £ | | =: | < L L QUME= ) A 4 o 8 8 a 162 = Q n \£ = |£ £ 5 | 5 £ :3 | MALADIES DES DÉTENUS QE 5 | s |.æ sal EE Site E 1515 LENS ssl Sals|s|£e | s|al|° lo le avant, pendant S|=|H|S|Sl£ = | SU ES SACS EE oh LR a |S|T S|£lelE = one mire 5 |S | SNITANEN EE 6 | 3 | | : AIE E LES > | = |£ ST - ET APRÈS LE CRIME. 2 Es] Ch | & |;= A & |‘o (E Ë | A | | ‘5 | = | | | LS] PRE ON EE RES | | SPÉCIALEMENT : | pathiques ou deutéropathiques : 20 Toutes les espèces d’alié- | D'UN TABLEAU MENTALE DES CONDAMNÉS. CLASSE DES HOMMES. — CATÉGORIE DES HOMICIDES. À Î l 39 NOMBREDE CEUX DONT LES PARENTS N'ONT JAMAIS DONNÉ DE SIGNE DE FOLIE; 49 NOMBRE DE CEUX DONT LES PARENTS ONT DONNÉ DES SIGNES DE FOLIE. Indications relatives à leurs familles. PARENTS TRAITÉS OÙ REGARDÉS NATURE d’aliénation COMME ATTEINTS D'ALIÉNATION MENTALE. ou de maladie tendant à | a | & Æ de liberté. de détention. l’aliénation Profession. État civil. COTE PATERNEL. COTE MATERNEL. dont tat d'interdiction. État État ils ont été 2 É { Degré d'instruction. er | î ou LIGNE LIGNE | LIGNE LIGNE directe. indirecte, | directe. indirecte. sont affectés. | —_—_—___ 2 î2——_—_——— | …——|—|—|— | — LE Insister sur les mêmes espèces | d'affection | | | que celles | | indiquées plus haut pour les 2 détenus. 032 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ $ VI. — Confirmation générale par l’histoire. Il est un livre immense, ouvert à tous les yeux, écrit dans toutes les langues, où ces deux tableaux s’exécutent de tout temps, et où l’esprit peut suivre également, à la trace des généalogies, la trace de qualités, de vices, de passions, et de crimes aussi grands que ceux qui s’expient aux bagnes ou sur les échafauds. Ce livre, où ne manquent non plus ni bourreaux, ni victimes, ni familles déplora- bles, est celui de l’histoire : partout l’histoire nous mon- tre dans les descendants les hommes qui sont en scène, les inclinations, les caractères, les mœurs, les défauts, les for- faits suivant, comme à la piste, les généalogies. Ce serait en vérité un trop long travail, dirons-nous avec Neubs, que d’énumérer ici toutes les familles dont les caractères sont passés, avec le sang, à leur postérité ; que d'évoquer de l’histoire grecque, celle des Héraclides; celle des Pélopides, celle des Éacides, celle des Lagides, celle des Séleucides, etc. ; de l’histoire romaine, celle des Cornélius, des Décius, des Brutus, des Appius, des Clau- dius, des Caton, des Gracchus, et des Métellus, etc.; et de l’histoire de France, de Prusse, d’Autriche, de Ba- vière, de Saxe, de Suède, de Russie, d'Angleterre, toutes celles du même genre qui seraient à citer. IL faudrait des volumes. Nous laisserons de côté tous les témoignages dont four- millent les annales de l’antiquité ; mais, que l’on s’en rapproche ou que l’on s’en éloigne, jusqu’à redescendre aux noms du moyen àge ou de l’époque moderne, on est vraiment saisi, en étudiant les faits, du même point de vue, de la part que le même principe de l’hérédité reven- DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 533 dique dans l’histoire. Il a presque toute celle que le ca- ractère particulier des hommes a dans les événements, par la part qui revient à l’hérédité dans les caractères. Il n’est point de famille souveraine où cette loi de suc- cession n’existe et ne suive celle du pouvoir; elle est, en quelque sorte, une forme de leur destin. La consanguinité, dans les mariages, ajoute à l'évidence, en ajoutant encore à la force naturelle de cette fatalité. Girou de Buzareingues, quoiqu’en en présentant une interprétation beaucoup trop exclusive et trop systémati- que, n’en a pas moins très-bien saisi les conséquences, et montré l’étendue : « La consanguinité dans les mariages des rois devient, dit-il, après plusieurs générations, funeste aux peuples. Car les passions qui naissent de l’autorité, des résistan- ces, et de la flatterie, et le caractère qui en est le fruit, passent du père à la fille, de celle-ci au garçon (1) etsont enfin l'héritage commun de tous (2) les enfants appelés à régner : héritage qui se transmet sans altération, parce que le caractère de la mère étant celui du père, celui du fils est aussi celui de la fille ; il n’y a point de neutralisa- tion. « Les rois d'Egypte épousaient presque toujours leurs sœurs. On croirait, dit Anquetil, que ces alliances perpé- tuées dans les familles, de race en race, auraient dü être un gage perpétuel d'amitié et de concorde : ce fut, au contraire, le germe des haïnes qui, non-seulement ensan- (1) L'hérédité est loin de suivre nécessairement, ni même si fréquem- ment, que semble ici le croire Girou de Buzareingues, celte marche croisée. Voy. le tom. II de cet ouvrage, 11e partie, 2e sect., art. 2, Ç 2. (2) Cet absolu s’explique par l’omission complète qu'a toujours faite l'auteur, de la loi d’innéité. 534 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ glantèrent le trône, mais qui firent le malheur des peu- ples, entraînés par leurs princes dans les guerres civiles. « La famille de Physcon-Gros-Ventre, roi d'Égypte, le plus cruel des hommes, se composa de deux fils, dont lun tua sa mère, l’autre égorgea indistinctement étran- gers et sujets, et de trois filles qui s’entre-déchirèrent. « Il eut encore un enfant illégitime, nommé Appion, fils de la concubine Irène, qui ne ressembla point à son père, et qui rendit ses peuples heureux. « Dans la Syrie aussi, les crimes se multiplièrent, de- puis Ninus et Sémiramis, jusqu’à la fin des Séleucides, par les mariages consanguins (1). » Si puissante qu’elle soit, la consanguinité n'est mal- heureusement pas l’unique circonstance où l’histoire éta- blisse un rapport immédiat entre les sources de la vie, et les sources du crime. Il en est de complétement indé- pendantes d’elle. « Les historiens orientaux, dit de Hammer, dans sa cu- rieuse histoire de l'Ordre des assassins, présentent, à tout moment, cette grande vérité que, dans la même génération, Pinfanticide suit de près le parricide, et que le poignard du petit-fils venge sur le père, l’assassinat de l’aïieul. « L'histoire des anciens rois persans, et celle des kha- lifes, en offrent à l’humanité révoltée une foule de san- glants exemples : comment, alors, n’abonderaient-ils pas dans celle des assassins ? Khosru-Parwis, et le kalife Mos- tanfzer, qui s’étaient souillés du sang de leurs pères, fu- rent tués par leurs fils : la haine que Hassan IT portait à son père appela sur son fils Mohammed de terribles re- (4) Giron de Buzareingues, Philosophie physiologique. Paris, 1828, 1 vol. in-80, p. 3192, 313. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 539 présailles : son petit-fils Dschelaleddin se révolta d’abord contre lui, et finit par l’empoisonner (1). » « Dans les annales de quelques dynasties, dit plus loin le même auteur, nous ne trouvons jamais plus d’un dou- ble parricide : les criminels effrayés ont reculé devant un troisième, parce qu’ils n’avaient pas encore entièrement renoncé à l’estime des hommes et aux sentiments les plus sacrés de la nature. L'histoire des assassins seule semble combler la mesure de tous les forfaits : on y voit quatre fois le meurtre des parents vengé par leurs descendants. Depuis Hassan-ben-Sabah, jusqu’à la chute de l’Ordre, une mort violente a toujours terminé la vie des grands- maîtres ; deux d’entre eux furent tués par leurs fils, deux autres par leurs parents, qui se servirent également du poison et du poignard. Hassan IL périt sous Les coups de son gendre et de son fils Mohammed, qui, à son tour, fut empoisonné par son fils Dschelaleddin. Celui-ci reçut aussi son châtiment de la main de ses parents et, comme son père, mourut par le poison. Alaeddin, fils de Dschela- leddin, fit tuer les empoisonneurs, mais Rochnedin, son fils, augmenta le nombre des parricides (2). » Il y aurait, sans doute, une grande témérité, à ne voir, dans ces forfaits, que la part exclusive de l’hérédité, et à n’y pas reconnaître celle de l’imitation, ni celle de la doc- trine : l’effroyable doctrine des ismaélites fut à l’islamisme, de l’aveu de Hammer (3), ce que fut au christianisme, avec moins de violence, celle des Templiers, avec plus de (1) De Hammer, Histoire de l’ordre des assassins, traduit de l'allemand par J. J. Hellert et P. À. de la Nourais, liv. V, p. 217. Paris, 1833, 1 vol. in-80, (2) Mème ouvrage, p. 252, 953. (3) Voy. p. 240 et 339. 530 . DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ profondeur, celle des Jésuites : l’idolâtrie de la secte, chez les Fédavis, remplacait celle du culte, et de la morale elle- même ; et l’initiation, en dépouillant l'élu, de tout dogme, de toute foi, et de tout devoir étrangers aux préceptes de l’ordre, comme de voiles jetés sur les yeux du vulgaire, ne laissait subsister, chez les inférieurs, que le fanatisme, et, chez les supérieurs, que l’intérêt du crime. Ce serait nier la lumière, que de nier l'influence de semblables principes d’action, sur de tels actes. Mais, pour nous, et pour ceux qui auront parcouru l’ensemble de ce travail, nous ne craignons pas de le dire, ce serait retomber dans un autre extrême, que de tout rapporter de ces actes à ces principes; ce serait être aveugle, que de ne pas recon- naitre, dans ces crimes qui se succèdent par génération, et qui ont, pour auteurs, des pères, des fils, des proches, la plus épouvantable de toutes les influences de l’hérédité. Si la filiation de semblables forfaits n’était point celle du sang, mais celle de ces doctrines, on ne l’eût jamais vuese reproduire sans elles ; jamais surtout l’histoire n’eût donné le scandale de l’union adultère des croyances les plus pures, et de ces effroyables généalogies. Autrement, quelle n’est pas l’énergie d’une force, qui, dans les circonstances et de position, et d'éducation, et de profession, et de devoir, et de foi, les plus propres à comprimer l'élan des instincts criminels, et à éteindre la voix des passions brutales, conserve cependant assez de puissance, pour laisser ressortir, Jusque sous la tiare, l’hérédité des types des plus abominables dégradations humaines! Or, la papauté même, qui a eu ses grands hommes, et ses hommes de bien, a subi le destin de ces traditions. Combien de fois l’histoire ne nous montre-t-elle pas le chef de l'Église romaine, apportant avec lui au DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. D97 trône pontifical la dépravation morale de ses pères ! com- bien de fois, au mépris de ces lois ecclésiastiques, d’après lesquelles les papes sont réputés ne pas avoir de descen- dants, neles voyons-nous pas inoculer, aux fils deleur lubri- cité, le germe de tous les vices, le germe de tous les crimes ! Au dixième siècle, deux courtisanes du temps, Théo- dora et Marozzia, sa fille, véritables Messalines de la Rome chrétienne, font à deux de leurs amants, Jean X et Serge III, une sorte de lit nuptial du siége apostolique, s’y vautrent dans la fange de leurs déportements, puis le cèdent à leurs fils. Que deviennent et que font Jean XI (1), Jean XII (2), Benoît IX (3), ces métis de filles et de prè- tres? Ils intronisent le meurtre, le viol, le sacrilége, sur la chaire de saint Pierre. Jean XI meurt dans le cachot où le jette un de ses frères ; Jean XIT, jamais ni las, ni rassasié d’orgie (4), périt de mort violente, en flagrant adultère : Benoît IX, dès quinze ans, chassé par les Romains, pour des déportements dignes de ceux de sa race, après une première réintégration mendiée à l'étranger et bientôt com- promise par les mêmes turpitudes et les mêmes violences, (1) Jean XI, fils de Marozzia et de Serge IIT, an 836. (2) Jean XII, fils d’Alberic, et petit-fils de Marozzia, an 964. (3) Arrière-petit-fils de Marozzia, en 1044. (4) « Les Romains députés pour se plaindre à Othon, des vices et des « désordres du souverain Pontife, lui firent, dit de Potter, une longue « énumération des crimes de Jean XII. Ils nommèrent, en témoignage « de ce qu’ils avancaient, les femmes pour l'amour desquelles le pape « s'était souillé de sacriléges, de meurtres et d’incestes : ils dirent que « toutes celles qui conservaient un reste d’honnêteté avaient été forcées « d'abandonner la ville, pour ne point être exposées aux violences sous « lesquelles avaient déjà succombé tant de femmes, de veuves et de vier- « ges; ils ajoutèrent, que le palais de Latran, jadis l'asile des saints, était « devenu un lieu de prostitution, etc.» — De Potier, Histoire philoso- phique, politique et critique du christianisme, t. VI, liv.[, pag. 17 et 18. Paris, 1836. rene ne ete 538 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ une seconde fois chassé, une seconde rétabli, vend le trône pontifical qu’il ne peut plus garder. Plus tard, au seizième siècle, c'est l’infâme Sixte IV, et ses prétendus neveux, fils de Sixte et de sa sœur, Pierre et Jérôme Riario, famille de sodomistes, qui, sur le même théâtre, ramènent les mêmes scènes de crapule et de crime ; mais qui, poussantencore, d’un degré plus avant, la dépravation, font de la prostitution une branche d’indus- trie, font des lupanars des parties de bénéfice (1), font des filles publiques des meubles de prieuré (2), et ce que de tels cardinaux pouvaient seuls demander, et de tels papes permettre, autorisent trois mois de l’an la pédérastie (3) et laissent, en expirant d’épuisement et de débauche, un cadavre si noir, que le peuple n’a plus que leur âme à re- commander au diable (4. Puis, viennent les Borgia, Alexandre VI, ses quatre fils et sa fille, enfants dela courtisane Vanocci, sa maï- tresse, tous dignes les uns des autres, exécrable race, où l’on vole, où l’on viole, où l’on empoisonne, où l’on assassine, (1) Voy. Wesselus, dans son livre des Indulg. pap. — Voy. aussi, Henr. Cornel. Agrippa, De Vanitate scientiarum, cap. 64, de Lenoniä; Rome et ses Papes. Paris, 1829, p. 224 — De Potter’, ouv. cit., tom. V, p. 83. — H. Estienne, Apolog. pour Hérodote, chap. 39, $ 15, tom. III, p. 331. (2) « Quod quidem in Italià non rarum est, ubi etiam romana scorta, in singulas hebdomadas, Julium pendent pontifici, qui census annuus nonnunquam viginti millia ducatos excedit, adeoque ecclesiæ procerum id munus est, ut una cum ecclesiarum proventibus etiäm lenociniorum numerent mercedem. Sic enim ego illos supputantes aliquando audivi : habet (inquientes) ille duo beneficia, unum curatum aureorum vi- ginti, alterum pricratum ducatorum quadraginta et res pulanas in « burdello, quæ reddunt, singulis hebdomadibus, Julios viginti, etc. » Henrici Cornelii Agrippæ ab Nettesheim de incertitudine et vanitate scientiarum, etc. M. XXX VII, cap. 64, de lenoniä. (3) Rome et ses Papes, liv. I, ch. xvir, p. 225. (4) Stephano Infessura. Decario Rom. part. I, t. ILT, Rer. ltal. p. 1158, SOS — DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. D99 où toutes les parentés se mêlent etse confondent (1), comme toutes les formes possibles de lubricité, comme tous les genres d’inceste, comme tous les genres de crimes (2). Après eux, les Farnèse, émules et successeurs prochains des Borgia, Paul IIL et ses enfants, se donnent, comme les derniers, auxquels le vice les lie (3), licence de tout forfait : le père, empoisonneur, incrédule, ivrogne (4), et suiv. Sixte IV, d’après cet auteur, puerorum amator et sodomita fuit.: l'or, les évèchés, les cardinalats, tout était employé à payer ses mignons et il entre, sur ce fait, dans une foule de détails inutiles à rappeler. Voici, d’après de Potter, les vers qu’on fit sur lui : Leno vorax, pathicus, meretrix, delator, adulter, Si Romam veniet illico cretus erit. Pædico insignis, prædo furiosus, adulter, Exitiumque urbis perniciesque Dei. Gaude, prisce Nero, superat te crimine Sixtus; Hic scelus omne simul clauditur et vitium. L’épitaphe suivante que l’on fit à son fils, Pierre Riario, devenu car- dinal de Saint-Sixte, et mort à 28 ans de tous les genres d’excès, le mon- ire digne de son père : Omne scelus fugiat Latia modù procul ab urbe _ Et virtus et probitas, impariterque pudor. Fur, scortum, leno, mœchus, pædico, cynœdus Et scurra et phydicen cedat ab Italia : Namque ille ausonii pestis scelerata senatus, Petrus, ad infernas est modo raptus aquas. — (1) Hoc jacet in tumulo Lucretia nomine, sed re Thaïs, Alexandri filia, sponsa, nurus. Epitaphe faite à Lucrèce, et attribuée à Pontan. (2) Voyez les irrécusables témoignages des historiens du temps, et jus- qu’à celui du maître des cérémonies d'Alexandre VI, que de Potter a ras- semblés, t. V, p. 102 à 195. (3) Alexandre Farnèse avait été promu au cardinalat par AlexandreVI, qui avait fait de Julie Farnèse, sa maîtresse. Vita di Benvenuto Cellini, t.11, p.404. (4) Benvenuto Cellini. — « Non credeva nulla, ne Dio, ne in altri. « Usava di fare una volta la settimana una crapula assai gagliarda, perche dappoi la vomiteva. » Et Benvenuto était témoin oculaire et même victime des procédés de ce pape et de son fils. — Vita, t. I, p. 438 à 450. 540 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ incestueux amant de sa sœur qu’il prostitue, de sa fille qu’il marie, puis bourreau du mari, comme il l’est des amants (1); les fils, dépassant tout ce que la dépravation pourrait imaginer de luxure et de débauche, poussant jusqu’au viol, quasi-public, d’évêques, et jusqu’à la gloriole de ces atrocités, le cynisme de la crapule et de la sodo- mie (2). | Qued’autres encore à joindre! Mais la vie des Jules III, | des Innocent X, des Jean XXIIL, pâlit devant de pareils | tableaux. Dans d’autres races souveraines, où le sacerdoce ne se mêle pas à l'empire, comme dans la papauté, l’histoire nous montre de même l’hérédité de vices et de passions déplorables. Sur un petit théâtre, dans la ville de Florence, c’est, (1) Paul III était clandestinement marié à une dame de Bologne, aux yeux de laquelle il s'était fait passer pour libre et séculier ; il eut d'elle deux enfants, Constance et Pierre; il fit de Constance sa concubine, puis la maria à Sporie, dont il se débarrassa par le poison: il empoisonna également les amants préférés de sa sœur, qu'il avait prostituée à Borgia, et dans l'intimité de laquelle on lui reprochait de vivre: on l’a même accusé d’avoir empoisonné sa mère. Voy. Eustache Vignon, H. Estienne, Apolog. pour Hérodote, ch.xxxix, n° 15, t. INT, p. 329. — Lhorente, Port. politig. des Papes, t. XI, p. 206. — Rome et ses Papes, p. 266. (2) L’évèque dont il s’agit était le malheureux Côme Gheri, évêque de Faenza (Fano). — Voy dans de Potter, les horribles détails racontés par les historiens, t. V, p. 186, 187. — « Bernard Segni dit, en propres « termes, que le fils naturel de Paul IE, Pierre-Louis Farnèse, faisait « faire une traque continuelle des garçons, au moyen d’agents qu’il « salariait publiquement, dans toutes les provinces d'Italie, pour qu’ils « lui fournissent de beaux jeunes hommes à corrompre ou à violer; à « Rome, les seigneurs éloignaient leurs fils, de peur qu'ils ne fussent « exposés à l’ardeur libidineuse de Pierre-Louis qui se vantait publique- « ment de la honte qu’il faisait subir aux autres pour ses infâmes plai- « sirs. La chose fut portée au point que...» Suivent les détails du viol de Come Gheri qui mourut de chagrin, d’autres disent de poison, qua- rante jours après cet horrible attentat. De Potter, t. V, p. 186. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. D41 chez les Médicis, l’esprit de domination, la soif du pou- voir et de l’autocratie : c’est, chez les Visconti, despotes de Milan, un besoin de cruauté, aussi inné, chez eux, et aussi effréné que celui de la tyrannie : nous voyons Luc- chino , par une atrocité digne du Diomède antique, faire dévorer, sous ses yeux, par ses chiens, tout homme assez osé pour manquer de respect aux dogues du gouver- neur (1); la férocité de son neveu Barnabas ne le cède pas à lä sienne; celle de Galéas, frère de Barnabas, a plus de patience encore, et plus de profondeur. C’est lui qui inventa, pour ce qu'il plaisait à ces brigands d’appeler trahison ou révolte, le supplice des quarante jours (2). Dans la famille alors régnante, en Allemagne, dont ces monstres tenaient leur dictature desang, chez l’empereur Charles IV, c'était la passion de vendre et de thésauri- ser : dégradante passion, dont Voltaire fait si bien res- sortir le caractère jusque dans les actes publics de cet empereur et de sa postérité : Harpagons couronnés, ils semblaient ne comprendre le gouvernement que comme puissance de vendre et moyen d’amasser ; et, pour nous (1) Ge tigre eut la barbarie de faire dévorer ainsi un jeune Allemand qui venait lui présenter des cerises. (2) « Les tourments duraient pendant quarante jours consécutifs, et « on avait la barbare précaution de laisser au patient un jour de repos, « après chaque exécution partielle. Le condamné devait d’abord boire « de la chaux délayée dans de l’eau et du vinaigre; ensuite, on lui arra- « chait la peau de la plante des pieds et on ie faisait marcher sur des « pois secs. On lui coupait une main; puis, après l’intervalle d’un jour, « Pautre main ; puis un pied, puis l’autre : on lui crevait les yeux; on lui « coupait le nez, on le mutilait de la manière la plus atroce et à différentes « reprises, ete., etc. Enfin, le quarantième jour, on terminait ses maux « avec sa vie; et, après l'avoir tenaillé, on l’étendait sur la roue. — Vid. Vit. di Cola di Rienzo, t. 1, cap. 9, in Antiq. Ital. t. FIL, p. 305. — Mat- teo Villani, Liv. vis, cap. 48. t. LIT, p. 395. — Petrus Azarius in Chron. cap 16. t. XVI, rer. Ital., p. 410. — Pottor, ouv. cit., t. IV, p. 444. 542 DE LA LOL D HÉRÉDITÉ servir de ses expressions, ils vendaient en détail l’empire acheté en gros (1). En Flandre les Nassau, en Angleterre les Stuarts, en France les maisons de Guise, de Valois, de Condé, nous montrent, sous d’autres formes, la même hérédité du type de la famille, dans les qualités les plus éminentes, comme dans les vices les plus profonds du caractère. Tel fut, sous Philippe IE, Guillaume-le-Taciturne, tel, sous Louis XIV, se montre le prince d'Orange, larrière- petit-fils de l ne Stathouder ; tel vient d’être, de nos jours, le feu roi de la Belgique, Guillaume des Pays- Bas. On saït si, chez ce prince, l’obstination faite homme, l’'invincible et froide opiniâtreté d’esprit des Nassau se (1) « On prétend, dit Voltaire, qu’il (Charles IV) trompa le duc d'Au- « triche par des espions, et qu’il paya ensuite ces espions en fausse mon- « naie; ce conte a l’air d’une fable, mais cette fable est fondée sur son « caractère : il vendait des priviléges à toutes les villes ; il vendait au « comte de Savoie le titre de vicaire de l'empire : il donne, pour des som- « mes très-légères, le titre de villes impériales à Mayence, à Worms, à « Spire, et même à Genève; il confirmait la liberté de la ville de Flo- « rence à prix d'argent ; il en tirait de Venise pour la souveraineté de « Vérone, de Padoue et de Vienne. Mais ceux qui le payèrent le plus « cher furent les Visconti, pour avoir la puissance héréditaire dans Mi- « lan. On prétend qu’il vendait ainsi en détail, l'empire qu’il avait achete « en gros — Voltaire, Annales de l'empire. Son demi-maniaque de fils, Venceslas, lui succède; après une série de fautes et de folies, demeuré veuf d’une première femme, morte deses mauvais traitements, il en épouse une seconde, « et alors, dit Voltaire, « il ne s’occupe plus qu’à amasser de l'argent, comme Charles IV, son « père : tl vend tout; il vend enfin à Galéas Visconti, tous les droits de « l'empire sur la Lombardie pour 250,000 écus d’or.» Voltaire, id. Après ce fou, dépossédé par ses propres sujets, vient Sigismond, son frère, fils, comme le précédent, de l’empereur Charles IV, etsous le règne duquel se tint le concile de Constance. « Au milieu de ce vaste appareil d’un concile, et parmi tant de soins « apparents de rendre la paix à l’église, et à l'empire sa dignité, quelle « fut, dit Voltaire, la principale occupation de Sigismond? Celle da- « masser de largent. » DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 43 sont démenties. Le même entêtement, mais dans le bigo- tisme, et dans la plus étroite et la plus orgueilleuse super- stition des droits et des prérogatives du rang et du pou- voir, aveugla jusqu’au bout, et finit par perdre la dynastie des Stuarts. Presque toute la famille royale des Valois était d’une humeur sujette aux plus soudaines et aux plus fréné- - tiques exaspérations de toutes Les passions qui fermentaient en elle. « Toute la lignée des Guise, Voltaire en fait la re- « marque, fut téméraire, factieuse, pétrie du plus inso- « lent orgueil et de la politesse la plus séduisante : de- « puis François de Guise, jusqu’à celui qui, seul et sans « être attendu, alla se mettre à la tête du peuple de Na- « ples, tous furent d’une figure, d’un courage, et « d’un tour d'esprit, au-dessus du commun des hom- . mes (1). » La famille des Condé, dont Saint-Simon, ce maître en portraits historiques, a buriné les traits avec cette éner- -gie et cette sûreté de main qui rendent l’âme et la vie aux hommes du passé, la famille des Condé est digne, sous le même rapport, d’être mise en regard de cette ancienne maison : chez presque tous les princes de ce nom, qu’il évoque, Saint-Simon nous fait voir une chaude et natu- relle intrépidité, une remarquable entente de l’art mili- taire, de brillantes facultés de l’intelligence ; mais, à côté. de ces dons, des travers de l'esprit voisins de la folie : des vices odieux du cœur et du caractère, la malignité, la bassesse, la fureur, l’avidité du gain, une avarice sordide, le goût de la rapine et de la tyrannie, et cette sorte d’in- (4) « J'ai vu, ajoute Voltaire, les portraits en pied de François de « Guise, du Balafré, et de son fils, leur taille est de six pieds; même « traits, même courage, même audace sur le front, dans les yeux et dans « l'attitude: » Dictionnaire philosophique, art. Caton et suicide. D44 DE LA LO1 D HÉRÉDITÉ solence qui, dit-il, a plus fait détester les tyrans que la tyrannie même (1). À ces exemples se joint, parmi une foule d’autres que nous pourrions extraire de l’histoire contemporaine, un exemple plus moderne et non moins remarquable, celui de lord Byron. Dans la rapide revue qu’il passe de ses ancêtres, Moore fait l'observation qu’il est impossible de ne point reconnaître, dans ce génie, dont les chants por- tent l’originale et si profonde empreinte des nuances de son àme, la réunion la plus étrange, dans le même homme, de ce qu’il y avait de meilleur et peut-être de pis, dans les qualités, comme disséminées, entre les caractères deses prédécesseurs: la générosité, amour des aventures, l’é- lévation d’esprit des plus irréprochables représentants de sa race, mais aussi tout le dérèglement des passions, toute l’excentricité, toute la bizarrerie, joints au plus téméraire et au plus souverain mépris del’opinion, qui caractérisaient si fortement les autres (1): Les Pitt, les Brentano, les Mirabeau, ete., sont autant d’autres types de l’hérédité des plus inexplicables bizar- reries d'humeur, et des plus éminentes qualités entourées d’un cortége de défauts, de vices, ou de travérs. Voltaire avait-il tort de conclure hardiment, de phéno- mènes semblables, que si l’on apportait autant de soin à ne pas mêler les races d’hommes, qu’on en apporte à ne pas mêler les races de chevaux ou de chiens de chasse, les généalogies seraient écrites sur les visages et se mnanifeste- raient dans les mœurs (3)? Nous comprenons très-bien ce qu’on peut opposer à (1) Mémoires de Saint-Simon, t. III, p. 131 à 140. (2)- Thomas Moore, Vie de lord Byron. (3) Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. Caton et suicide. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. D49 cette manière d'interpréter les hommes et d’expliquer l'histoire : on peut lui reprocher de démontrer plutôt le caractère des temps, l'influence des époques, de l’édu- cation, de l’exemple de la famille, que l’action de l’héré- dité. IL est vrai qu’il est peut-être difficile de faire, d’une époque quelconque, lorsqu'il s’agit de temps très-éloignés de nous, la part des circonstances, nécessairement com- plexes, qui ont pu concourir à la formation de caractères devenus historiques par la mort et la célébrité; il est aussi vrai que l’exemple, limitation, l'éducation, les temps, ne peuvent être éliminés, d’une manière absolue, des circon- stances actives sur ces caractères. Indubitablement, ce se- rait une erreur et une faute énormes de prétendre les ré- duire toutes, et dans tous les cas, à l’hérédité ; maïs il faut éviter de tomber dans l’autre écueil, et de prétendre ab- sorber, dans ces influences, l’action du naturel sur le ca- ractère, l’action de l’hérédité sur le naturel. Le naturel revendique dans l’histoire, comme partout, la principale part, et reste la première source des actions humaines. Deux considérations achèvent, à notre avis, de résoudre affirmativement la question, même dans ce qu’elle a de plus grave, dans l’hérédité des propensions au crime. Aux époques les plus corrompues de l’histoire d’un peuple ou d’un pays, jamais la contagion n’atteint toutes les familles ; il y en a toujours, et à l’honneur de l’homme, il faut le reconnaitre, c’est souvent le grand nombre, dont la moralité résiste et reste intacte, au milieu de l’impure atmosphère qu’elles respirent; on ne peutdonc arguer,aussi indistinctement, ni aussi exclusivement qu’on le fait d’ha- bitude, pour expliquer les hommes et les actes du passé, de la corruption profonde et générale des temps ; c’est tou- rs 39 546 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ jours la nature humaine quis’agite, nature libreet morale; le seul fait de succomber, passionnément, sans retour, d'une manière absolue, et comme élective, à ces épidémies de la santé morale, révèle dans ces familles que le mal a choisies, qu’il aime, en quelque sorte, et dont il est aimé, ce que révèlent souvent les épidémies de la santé physique dans celles qu’elles dévorent, une prédisposition latente et virtuelle, une nature harmonique à la nature du mal. Dans Les familles mêmes où les vices du temps ont élu domicile, ou qu’on suppose soumises à l’empire exclusif de l’éducation ou de l’exemple des parents, on voit se re- présenter le même phénomène : tous les membres n’en sont pas, le plus souvent, atteints ; une partie échappent. Est-ce à dire, uniquement, que la nature morale résiste et qu’elle l'emporte? Non, c’est à dire aussi que là, comme ailleurs, la génération obéit à ses lois; que l’innéité se produit, et que, par la même raison, l’hérédité opère. Une preuve décisive, c’est que cette soustraction d’une partie des membres aux vices, aux défauts, ou aux qualités historiques des familles, n’est nullement arbitraire, et qu’elle suit très-souvent la marche de croisement, par opposition de sexe, marche si ordinaire de l’hérédité. « IL suflit de consulter l’histoire, dit à ce sujet Girou de Buzareingues, pour reconnaître Scipion, dans Cornélie ; Cornélie, dans les Gracques ; Caton, dans Porcie ; Cicéron, dans Tullie; Livie, dans Tibère; Caligula, dans Julie Dru- sille; Agrippine, dans Néron ; Sœmie, dans Héliogabale ; Faustine, dans Commode ; Alphonse IX, dans ses trois filles Bérangère, Blanche et Urraque; Bérangère, dans saïnt Ferdinand; Blanche, dans saint Louis ; Louis XII, dans la reine Claude; Catherine de Médicis, dans Charles IX et dans Henri If; Henri if, dans Marguerite de Valois; Ca- at DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 947 therine de Navarre, dans Henri IE de Navarre; Henri IE, dans Jeanne d’Albret ; Jeanne d’Albret, dans Henri IV; Henri IV, dans Henriette d'Angleterre ; Marie de Médicis, dans Louis XIIT, ou dans Gaston ; Anne d'Autriche, dans Louis XIV; Marie-Charlotte Leckzinska, dans la Dauphine ; Henri VIII, dans Marie ou dans Élisabeth (1). » Le présent et le passé, l'expérience et l’histoire, l’ani- malité et l’humanité, tout nous autorise donc à répéter des modes de l’activité pathétique de l’être, et de ses mo- des d’impression, d’impulsion, et d'état, sentiments, goûts, penchants, passions, caractères, ce que nous avons dit, dans un autre chapitre, de nos sensations : Dans toute notre manière intérieure de sentir, l’espèce premièrement, puis la race, ont leur part, et, en troisième lieu, la famille a la sienne; et cette triple nature de la force sentimentale, qui nous caractérise, et dont les expressions se propagent toujours, plus ou moins, à nos actes, s'inspire, en quelque sorte, dans l’extase de Pa- mour, de la contagion de la vie, et se transmet avec elle à notre postérité. Cette loi est-elle commune à notre intelligence ? ARTICLE IL. DE L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES PROPRES AUX MODES D'ACTIVITÉ INTELLECTUELLE DE L'ÊTRE. 8 Is. — Apercu de l'opinion générale des auteurs sur l’hérédité de ces caractères. De l'intervention de l’hérédité dans les sensations, de son intervention dans les sentiments, ou dans les sources (1) Girou de Buzareingues, Philosophie psychologique, p. 311. — Voyez aussi de la Génération, p. 283 et suiv. 548 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ externes et internes des idées, découle rationnellement l’action de l’hérédité sur l’intelligence. Cette conclusion logique ne pouvait ni ne devait cepen- dant être acceptée par toutes Les époques, ni par toutes les doctrines : un rapport trop direct l’unissait au pro- blème de la nature et de l’origine de l’âme. On sait que c’est surtout à l’admirable don que l’homme a de comprendre, que la plupart des systèmes de théolo- gie, de philosophie, et de physiologie, ont longtemps rat- taché le principe immortel de notre existence : ils ont identifié l'intelligence à l’âme. Mais leur accord, assez gé- néral sur ce point, ne s’est pas étendu jusqu’à la question d’origine et de nature de ce dernier principe. L’hérédité mentale devait donc se trouver plus intimement mêlée, qu'aucune autre des formes de l’hérédité, aux débats qu'ont, de tout temps, soulevés ces deux problèmes. Sur la question de nature, deux théories contraires di- visaient et divisent encore les esprits : la doctrine de la spiritualité, et la doctrine de la matérialité de l’âme. Trois systèmes les ont également partagés, de toute an- tiquité, sur son origine : le premier est celui de la préexis- tence, le deuxième celui de la création, et Le troisième celui de la génération ou de la transmission de l’âme. Dans l’hypothèse de la préexistence des âmes, le corps n’est qu’une prison où les âmes, éternelles, incréées, ou créées, à l’origine des temps, viennent subir l’épreuve ou l'exil de la vie. Dans la seconde hypothèse, Dieu, source immédiate et unique des âmes, crée, à chaque conception, une âme personnelle au corps qui se produit. Enfin, dans la dernière des trois hypothèses, toutes les àmes humaines sortent de celle d'Adam, origine com- DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 549 mune de laquelle elles émanent, en se propageant, à la manière des corps, par génération. On ne peut se faire une idée, que par la lecture des Pères, de l’ardeur avec laquelle ces trois opinions ont été autrefois débattues dans l’Église, et de l'anxiété profonde où elles avaient fini par jeter les esprits. Chacune d’elles y comptait des représentants. Origène, Pierius, Philas- ire (1), Synésius, et la majeure partie des Pères orientaux, profondément imbus des idées platoniques, comme parmi les Juifs, les Kabbalistes l’étaient des idées du parsis- me (2), se ralliaient au dogme de la préexistence : une autre partie des Pères, et tous les Pélasgiens, comme plus tard les Thomistes, adoptaient celui de la création : Tertullien (3), Arnobe (4), Tatien, Apollinaire, et, de lPaveu de saint Jérôme (5), la plus grande partie des Pères occidentaux, professaient la doctrine de la transmission des âmes. D’accord, en général, pour rejeter l’opinion de la spiritualité et de l’immortalité de nature, de l’âme, ils pensaient que les parents engendraient l’âme et le corps. Tertullien ajoute même très-explicitement que cette gé- nération comprend le sentiment et l'intelligence, et qu’elle s’accomplit, non-seulement dans le même acte, mais dans le même instant, que celle du corps lui-même (6). Plus tard, sans adopter les idées de Tertullien sur la nature de l’âme, Luther, Hasenreffer, Sigwardus, Thum- mius, Christophe Wolfflin, l’Église luthérienne tout (4) Philastrius, de Hæresibus, hæres. 51. (2) Ad. Franck, la Kabbale, p. 241, 375, 389. (3) Tertullianus, de Anima, cap. x1x et xxvir. (4) Arnobi Opera, Lugduni-Batavorum, 1651. — Adversus gentes, lib. If, p. 68 et seq. (5) Sancti Hieronymi Opera. — Epist. ad Marcellinum, t. IV, p. 642. (6) « Pupullabit tam intellectu quam ei senisu. » Op. cit., cap. xIx. 290 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ A 4 entière, se font un point de doctrine de la même opinion, quant à son origine (1). D’autres hétérodoxes l’embrassè- rent, comme eux : parmi ces derniers, serange le mystique et célèbre Jacob Bêhme, qui, dans un de ses bizarres et curieux ouvrages, à travers ses mythes et ses hiéroglyphes, s’explique, sur ce point, avec beaucoup plus de raison et de netteté qu’on ne s’y attend peut-être : « D’où provient « P’âme? dit-il : elle provient précisément de Dieu, qui « est de toute éternité, sans fond et sans fin, et elle sub- « siste dans sa propre éternité : mais le commencement « qui a eu lieu en Dieu, pour mouvoir la créature, c’est « ce qui ne peut pas être connu (2): » et, des nuages reli- gieux de cette origine première, revenant à l’évidence de l'origine naturelle de toutes les formes de vie de l’homme et de la femme, après leur eréation, il conclut en ces ter- mes : « Maintenant ils n’ont pas d’autre moyen que de « sereproduire bestialement en deux semences : l’homme « sème l’âme et la femme l'esprit, et comme cela est semé « dans un champ terrestre, cela se produit à la manière « de tous les animaux (3). » Plusieurs philosophes, Mallebranche (4), Leibnitz (5), se sont également, par différents motifs, prononcés en fa- veur de la même doctrine. Le dernier l’a même regardée, comme la seule où la philosophie puisse se rapporter avec la religion. (1) J. B. Robinet, de la Nature, t. I, 4e partie, ch. vr, p. 392, note. (2) Jacob Bêhme, Quarante questions sur l’origine, l'essence, V'étre, la nature et la propriété de l’âme, ire question, p. 95, 96. (3) Idem, VIITe question, p. 122: « Dans la semence, ajoute-t-il, il n°y « a aucune âme vivante, mais quand les deux semences concourent en- « semble, le tout devient être, car dans la semence l'âme est en essence, « et dans la conception elle devient substantielle.» (4) Mallebranche, Recherche de la vérité, t. 1, liv. If, p. 261, 262. (5) Leibnitz, Essais de théodicée, 1re partie, $ 91. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. DD1 La physiologie était mise à l'écart. On ne peut dire, en effet, qu'aucun de ces trois systè- mes des théologiens, ou des philosophes, ait eu, chez eux, son point de départ dans les faits; chaque opinion ne avait que dans un dogme religieux ou philosophique dont on voulait trouver une nouvelle sanction dans l’ori- gine de l’âme : pour la théorie de la préexistence, ce dogme était celui de la prédestination ; pour lathéorie dela création, ce dogme était celui de la liberté humaine ; pour la théorie de la transmission de l’âme, le péché originel. Mais, malgré les efforts de conciliation de la doctrine et du dogme, chaque théorie trouvait, ou dans le dogme lui-même, ou dans ses conséquences, des objections de nature à ajouter encore à la difficulté d’une question in- soluble, dans l’état des croyances et des idées du temps. De là cette peur candide de toute solution et ce doute curieux si franchement exprimé par un grand nombre de Pères: saint Augustin (1), saint Fulgence(2),Cassiodore(3), Isidore deSéville(4), saint Prudence (5)et longtemps avant ces derniers, les évèques d'Afrique exilés en Sardaigne, ont cru de leur devoir de rester, pour leur part, dans l’in- décision, et en laissant aux autres la liberté de foi que donne sur ce point l’absence d’aucun texte formel de l’É- criture, de leur recommander la réserve ou le silence (6). Cétait le plus sage parti, qu’au point de vue de l’É- glise, et des trois opinions qui se disputaient la foi, l’é- (1) Augustinus, de Libero arbitrio, lib. TI, cap. xx1, et de Genere, Hb. X, cap. xx. (2) Fulgentius, de Verd prædestinatione, lib. LIT, cap. xvi et XX. (3) Cassiodorus, de Anima, cap. vir. (4) Isidorus Hispal., de Different. spirit., p.189. (>) Prudentius, dans Mauguin, t. I, p. 454, de Prœædest., cap. xvr. (6) Voy. Conciles du‘père Labbe, t. IV, p. 1599, cap. x1v. 992 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ poque permit de suivre. La première théorie était incon- ciliable avec la Genèse ; elle renversait le dogme de la création ; la seconde théorie semblait incriminer la justice de Dieu (1); la troisième théorie évoquait à l’esprit l’ar- gument de Lucrèce (2), et semblait décider affirmative- ment la question de nature matérielle de l’âme, et com- promettre la foi dans l’immortalité (3). Elle seule, cependant, de ces trois doctrines, était compatible, jusqu’à un certain point, avec l’hérédité de l’intelligence ; mais, comme nous venons de le dire, dans l'esprit du temps, le dogme était contre elle. S II. — Objections de doctrine et de fait dirigées contre l'hérédité des facultés mentales. Cette opposition, entre le dogme et le fait, devint bien autrement absolue et tranchée, quand la philosophie péri- patéticienne eut définitivement prévalu dans l'Église. De- puis l’interprétation scolastique du système d’Aristote sur l’âme, et de sa distinction de trois espèces d’âme : une végétative, propre aux végélaux, une sensilive, propre aux animaux, et une raisonnable exclusive à l'homme, l’intel- ligence étant ainsi, plus que jamais, identifiée à l’âme, dans l'humanité, et cette âme déclarée indépendante du corps et de tout organisme, extérieure dans sa source, divine dans son principe, et postérieure à la génération de l’être qu’elle venait animer, la génération ne pouvait plus être une cause naturelle, mais une simple occasion de la créa- (1) Beausobre, Histoire du Manichéisme, t. LL, liv. VI, ch. v, p. 350 et auiv. (9) « Denique cur acris violentia triste leonum « Seminium sequitur, elc., etc. » (De rerum Natura, lib. II, vers. 741 et seq.) (3) De Burigny, Théologie païenne.t. I, ch. xv, p. 64. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 593 tion de l’âme raisonnable. L’intelligence se trouvait donc ainsi complétement soustraite à l’hérédité. Ce fut, en effet, à cette caricature de la théorie aris— totélique, que la théologie, dans le catholicisme, parut s'arrêter (1), et pendant le long règne du péripatétisme, cette conclusion devint presque un article de foi (2). Il y eut alors péril pour le physiologiste, comme pour le philoso- phe, à s’en écarter : aussi voit-on ceux mêmes qui font, à cette époque, le moins de difliculté d’accueillir l’hérédité de la forme sensitive de l’âme, adhérer presque tous à Popinion d’Occam : « que l’âme raisonnable, ne saurait être du fait de la génération » (3). Il n'est pas Jjus- qu’à Vanini qui ne garde, malgré toute la hardiesse de ses opinions, et du sous-entendu de leurs conséquences, une certaine réserve, sur ce point délicat: il tourne plutôt qu’il n’aborde la question ; et, si audacieux qu’il soit à affirmer l’hérédité de toutes les formes d’activité de la nature humaine , c’est à la transmission des imperfections de l’organisme mental, et des vices des humeurs qu’il laisse à démontrer celle de l'intelligence (4). Pierre Bailly s’avançant, avec plus d’adresse, sur le même terrain, après avoir fait toucher au doigt le vide et les absurdités de la théorie de l’école, et de la prétendue distinction d’origine de l’âme sensitive et de l’âme raisonnable, opine, contre l'évidence qu’il a démontrée, et conclut, en chrétien, que l’âme sensitive provient de la semence, mais que l’âme (1) De célèbres théologiens conviennent que, bien que ce soit le senti- ment aujourd'hui le plus général de l’Église, ce n’est cependant pas un article de foi. (2) De Burigny, ouv. cit., p. 62. (3) Henrici Cornelii Agrippæ, de Incertitudine et vanitate scientia- rum, elC., Cap. LIL, de Anim. (4) J. C. Vanini, etc., Dialog. XLIX, p. 243. 554 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ raisonnable, quel que soit le moment de son infusion dans l’homme, ne peut venir que de Dieu (1). Venette, à une époque plus rapprochée de nous, se laisse, sur le même sujet, aller à des idées encore plus singulières ; il ne se contente pas des anciennes distinc- tions de l’âme et du corps, de l’âme sensitive et de l’âme raisonnable ; il sépare complétement l'intelligence de l’âme dans la nature humaine, et les unit toutes deux au corps par les esprits. L’âme, d’après lui, comme d’après Tertullien, nous est communiquée par la semence de nos pères, distillation de leur être et sorte d’élixir de tous leurs esprits, comme la matière de cette même semence est un élixir et un extrait de leur corps; et c’est, par cette raison, que cette substance pure, en découlant, en nous, de l’âme de nos deux parents, nous identifie à leurs qualités et à leurs passions. Mais l’entendement et l’âme sont deux choses, selon lui, fort différentes dars l’homme; et retom- bant dans la vieille théorie scolastique, l’entendement, ajoute-t-il, est indépendant et inorganique; libre de tous les liens qui rattachent les autres parties à la matière, il nous vient du dehors; il est envoyé de Dieu, dans le corps de l’enfant qui commence à se former dans les flanes de sa mère, comme un ange, ou premier moteur, qui va bâtir un domicile pour sa demeure, et qui, selon le sentiment de Tertullien, devra rendre compte un jour de ses bonnes ou de ses mauvaises actions (2). Wollaston a recours à des objections beaucoup plus spécieuses : « On devrait clairement expliquer, nous dit- « il, ce qu’on entend par un homme qui a la faculté de . (4) Pierre Bailly, Songes de Phestion : « Le temps préfix de la création et infusion de l'âme raisonnable, » p. 197 et suiv. (2) Venette, de la Génération de l'homme, t. T, p. 67 à 71. « « DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 559 transmettre l’âme ; car il n’est pas facile de compren- dre comment la pensée, comment une substance pen- sante, peuvent être engendrées comme le sont des branches, ou de quelque autre manière qui se rapporte à celle-là, ni qu’on puisse se servir de cette expression, même dans le sens métaphorique. Il faudrait nous dire, si cette génération vient d’un des parents ou de tous les deux ensemble. Si c’est d’un seul, duquel est-ce? si c’est de tous les deux, il s’ensuit qu’une seule branche sera toujours produite par deux troncs différents, con- cours qu’il est, je pense, impossible de trouver ailleurs, et dont il n’y a aucun exemple dans toute la nature, quoiqu'il soit bien plus naturel de faire cette supposi- tion des vignes et des plantes, que non pas des êtres in- tellectuels qui sont des substances simples et sans aucune composition (1). » Mais trouvant devant lui le terrible argument de la ressemblance, ou de la conformité de la capacité naturelle des parents et de celle de leurs enfants, il en montre d’abord ce qu’il en considère, en toute bonne foi, comme la conséquence; c’est la même qui avait tant effrayé les Pères ; «on est porté, dit-il fran- chement, par ces raisons, à conclure qu’il n'y a point d’autre substance que la matière, et que l’âme prove- nant seulement de Ja disposition ou de quelque partie du corps, ou bien n’étant qu’un accessoire matériel, doit accompagner le corps, et naître avec lui du père, ou de la mère, ou de tous les deux ensemble, et que la génération de l’un est une suite de la génération de autre (2), » Dans l’appréhension de cette conclusion, (1) Wollaston, Ébauche de la religion naturelle, p.148. (2) Wollaston, ouv, cité, p. 149. 996 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ il attaque le rapport de la génération à la ressemblance, et présente, comme autant d’objections décisives contre cet argument, le développemeut spontané de la diversité dans le sein de la famille (1), les infidélités de la ressem- blance, son transport de la mère ou du père à l’enfant (2) et, comme raison dernière, une obscure théorie de la préexistence originelle des âmes, et la négation de la gé- nération naturelle des corps (3). Helvétius, Weïkart, Jacotot, etc., ont de même, plus récemment , soulevé contre le principe de l’hérédité mentale, celui de la prétendue égalité première des in- telligences; et, dans ces derniers temps, le docteur Virey, distinguant entre l'instinct et l'intelligence, se prononce en ces termes, contre la transmission de la der— nière : « L'instinct est infus, invariable, irréfléchi, machinal, « mais nécessaire à l’existence ; il se transmet aux descen- « dants, avec la structure, comme type de l’espèce ; l’in- telligence, étant une acquisition personnelle, ne trans- porte pas ses connaissances du père au fils (4). » (1) Idem, p. 149, 150. (2) «L'enfant ressemblant quelquefois au père, et quelquefois à Ja « mère, et la génération se faisant toujours par le père ou toujours par « la mère, il suit qu'il y a quelquefois dans l'enfant une ressemblance à « celui qui n’est pas l’auteur de la génération : et si un enfant peut res- « sembler à un de ses parents, pourquoi un autre enfant ne pourrait-il « pas en faire de même? etc. » P.152. (3) « Ceux qui fondent la génération sur la supposition qu’elle est « matérielle, et qu'elle est dans le corps, ou comme une de»ses parties, « où comme sa modification, me paraissent encore se tromper grossière « ment, parce que le corps n'est pas lui-même engendré par les pa- « rents : il passe à la vérité dans eux; ils lui prêtent, pour ainsi dire, « une demeure et une subsistance passagères, maisil ne peut être formé « par eux ni croître d'aucune de leurs parties.» P. 153. (4) Virey, ouv. cité. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 337 S III. — Critique des objections dirigées contre cette forme de l’héré- dité. Mais toutes ces négations, fondées sur des idées, nous ne dirons pas seulement de pure métaphysique, mais de fausse psychologie, sont toutes arbitraires, et radicale- ment renversées par les faits. L’objection de Virey n’a pas le moindre fondement; la distinction de l’instinet et de l'intelligence ne saurait consacrer la dualité de principe de l’activité mentale ; l’in- telligence n’est ni plus individuelle,. ni nécessairement plus acquise que l’instinet: ils ont, l’un comme l’autre, leur racine dans l’espèceet dans l'individu, dans l’organisa- tion et dans l’éducation ; ils sont, en d’autres termes, sou- mis aux influences de la nature seconde et de la nature première du type spécifique et de l’individuel; et nous verrons, plus loin, que les caractères, même acquis, des deux types, obéissent à la loi de transmission séminale. L’objection absurde de l'égalité première des intelli- gences tombe devant la fausseté de son propre principe. L’argumentation de Wollaston ne prouve que sa com- plète ignorance des lois de l’hérédité, et de la génération. Les distinctions de Venette, de Pierre Bailly, de Vanini, et des scolastiques, entre l’âme sensitive et l’âme rai- sonnable, entre l’entendement, l’âme, et les esprits, sous le double rapport de l’origine et de la transmissibilité, ne soutiennent même pas l’épreuve de la logique : Si c’est, en effet, sur la ressemblance, ou sur le carac- tère de conformité des inclinations, qualités, et passions naturelles des enfantsà celles de leurs parents, que l’héré- dité de l’âme sensitive se fonde, et si, d’une autre part, Vâme raisonnable demeure indépendante de l’acte de la D)S DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ génération, et découle de Dieu, d’où vient qu’elle nous présente, originellement, dans les individus, les mêmes caractères de ressemblance intime et de conformité, qui paraissent aux esprits, une preuve irréfutable de la transmission héréditaire de l’autre? Il est trop évident que ces subtilités tenaient aux cau- ses qui ont amassé tant de nuages sur les questions, qui, de près ou de loin, touchent au problème de l’âme : elles sont nées du besoin où l’on s’est cru longtemps, et où se croient encore tant de psychologistes, de faire dériver les facultés mentales d’une force particulière. Mais, comme le dit très-bien, à ce sujet, Bischoff, « il a fallu l'habitude de considérer les fonctions du cerveau, sous un point de vue étroit, habitude provenant de leur complication et de leur importance dans l’humanité, pour faire naître ici des difficultés qui ne se trouvent point ailleurs. On a craint de proclamer une analogie complète, parce qu’on avait la vue assez courte pour croire qu’elle conduirait au matérialisme (1). » Cette appréhension n’est certainement pas demeurée étrangère à l'opinion de l’auteur, d’ailleurs si éminent, du système de l’insénescence du sens intime, et à son parti pris de la négation de l’hérédité mentale ; mais elle n’est pas l’unique considération qui lait déterminé. Cette né- gation était une nécessité logique de sa doctrine, et le vice de son point de vue nous rend parfaitement compte de son illusion. « Répétons-le, tant qu’on voudra, dit-il, les généra- « tions, dans l’espèce huinaine, héritent naturellement (1) T.L. G. Bischoff, Traité du développement de l’homme et des mam- mifères, traduit de l'allemand par Jourdan. Paris, 1843, 3e partie, ch. 1, p. 466. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. D)Ÿ « de leurs parents Les formes corporelles, les traits phy- « sionomiques, le teint, la constitution chimique, la crase « vitale, des diathèses, des dispositions, des maladiesfu- « tures, le tempérament, Les idiosynerasies, soit vulgaires, « soitexcentriques, et les parties du caractère qui tiennent « aux modes saillants de l'instinct ; mais elles n’héritent « pas des modes radicaux du sens intime, le génie, la su- « périorité distinctive (1). — Oui, dans l'espèce hu- « maine, l’auteur, en tant qu’intelligent, ne transmet aux « descendants que la substance sur laquelle résident les « attributs essentiels du sens intime. Il leur donne sa spé- « cialité, son humanité, et les met dans la continuité DE « LA CHAINE DES ENFANTS D'ADAM (2). » Le professeur Lordat applique, comme on le voit, à l'intelligence, le principe que Bonnet, poussé, lui aussi, par les nécessités logiques d’un autre système, entendait appliquer à la to- talité de la forme physique et morale de la vie: Il ne peut reconnaître l’hérédité de la force intellectuelle de l’homme que sous le type spécifique, et nie explicitement l’hérédité de cette force, sous le type individuel. On peut rapporter à trois principaux chefs les objec- tions qu’il croit décisives contre elle : 1° le premier est le fait de la différence mentaleentre les enfants et leurs pères et mères, entre les enfants et leurs frères et sœurs. 2° Le second, la négation de l’origine séminale de la ressemblance intellectuelle transmise ; 3° Le dernier, la négation de la ressemblance intellec- tuelle elle-même. En preuve de la première objection, il invoque les pro- (1) Lordat, Les lois de l’hérédité physiologique sont-elles les mêmes chez les béles et chez l’homme? p. 19. (2)1d,10;, p. 23. 560 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ verbes : Péère avare, fils prodigue; — petit-fils d'un grand- pêre ; — l’épigramme souvent lächée contre le père, ordi- naire ou nul, d’un fils devenu célèbre : Ce père est plus puis- sant que Dieu ; les contrastes d’espritet d'intelligence, entre les pères et les fils, chez des hommes dont il est question dans l’histoire : entre Marcus Tullius Cicéron et son fils ; enire Vespasien et Tite, Tite et Domitien, entre l’infâme Commode et son père Marc-Aurèle, c’est-à-dire, entre un monstre et un homme à qui le satyrique Julien n’a pu faire d’autre reproche que d’avoir laissé son trône à un tel héritier : Charlemagne et ses fils, Charles VII et Louis XH, Louis XI et ses enfants, Henri IV, Louis XIV et leur pos- térité lui offrent le sujet de semblables oppositions, et les dictionnaires des personnages illustres, des noms iso— lés, ou des suites d’homonymes, mais peu qui fassent li- gnée. À l’appui de la seconde objection, il insiste sur la né- cessité de la distinction entre l’hérédité de la capacité, et l’'hérédité de la profession ; la dernière se rencontre dans certaines maisons et peut donner une sorte d’uniformité aux individus divers qui s’y succèdent; mais cette ressem- blance est toute extérieure ; et pour travailler au problème de l’hérédité physiologique, il faut, dit-il, creuser plus profondément dans l’examen des membres ; il faut étu- dier leurs capacités, leurs aptitudes mentales, etc. (1) : or, en considérant plusieurs générations d’une même famille, malgré les influences dedictiques que les premiers ont pu exercer sur les subséquents, rien, pour lui, n’est plus rare que la propagation d’un assortiment de facultés mentales, qu'on puisse regarder comme une continuation de l’âme L2 (1) Mémoire cité. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 561 du pére et de la mère (1). » S’il arrive cependant qu’elle se manifeste, ce n’est, presque toujours, que le résultat de coïncidences fortuites (2) ; c’est la profession (3), ou l’imi- tation (4), ce n’est point l’hérédité qui en est l’origine; ou, si elle semble l’être, c’est une illusion : « comme, pour l’exercice des fonctions intellectuelles, il faut le concours du SENS INTIME qui les dirige, de la FORCE VITALE qui C00- père, et des ORGANES qui servent d’instrument, il peut se faire que, lors de l’exécution, on puisse apercevoir quelques ressemblances héréditaires, dans la collaboration des élé- ments biotiques. Ainsi, on peut reconnaître, dans un des- cendant, le son de voix, les manières de parler, la facilité, ou la torpeur, l’air évaporé, etc., etc., de quelqu'un de ses parents, mais ces traits ne sont pas des parties propres du sens intime; ce ne sont que des effets, des moyens d'exécution. Il faut se familiariser avec cette analyse (5). » Il n’a point d’autre principe d’argumentation contre la preuve naturelle de l’hérédité de l’intelligence par l’hé- rédité de l’aliénation. « L’aliénation mentale, ce sont ses « expressions, n’est le plus fréquemment qu’une affection « vitale , qui se transmet QUELQUEFOIS héréditaire- « ment (6). » Il confirme, enfin, son troisième et dernier système d’objections, et sape, dans sa base, l’hérédité mentale, en s’attaquant à la ressemblance mentale elle-même, c’est-à- dire, en montrant les différences réelles cachées sous (1) [Ie leçon, p. 32. (2) Mémoire cité, p. 21. (3) Id., ITe leçon, p. 32. (4) Mémoire cité. (5) Ile lecon, p. 26, 27. (6) Id., p. 19-20. L. 30 562 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ l'apparence de l’uniformité séminale des esprits. Agrip- pine et Néron, dans l’antiquité, les Scaliger , les Vossius, les Malesherbes, les Montesquieu, ete., dans les temps modernes, sont, à ses yeux, autant d'exemples de ces con- trastes, dans les analogies de l’intelligence. Les crimes de Néron et ceux d’Agrippine, selon le docte professeur, n’avaient pas la même source : le mal procédait, chez l’une, de l’ambition, et de ce qu’aucun principe ne pou- vait l’arrêter, dès que l’intérèt parlait; le mal, chez Né- ron, venait du mépris absolu de l’humanité, du désir de le montrer par caprice et par goùt, etc. Les deux Scaliger, père et fils, sont, sans doute, labo- rieux tous les deux ; ils sont tous les deux vains, tous les deux méprisants ; mais de telles qualités n’ont pas be- soin, pour leur transmission, d’une hérédité physiologi- que ; l'exemple suffit; et si l’on étudie ces deux hommes de plus près, le premier, Jules-César, montre beaucoup d’es- prit, et un savoir médiocre ; le second, Joseph-Jules, beau- coup de savoir, et peu d'esprit (f). Gérard-Jean Vossius laisse, après lui, cinq- fils qui cultivent les lettres ; Isaac, le dernier, est le seul à se faire une réputation, mais n’est point l'héritier intellec- tue] du père. Studieux l’un et l’autre, ils sont tous deux capables ; mais leurs talents mutuels sont leurs antipo- des. ILen est de même des deux Montesquieu : le père, génie du droit et de la littérature; le fils, intelligent, mais qui n’aima rien moins que les objets qui avaient le plusillustréson père, etqui, à l’aversion la plus prononcée de la magistrature, Joignait le goût de la physique et de l’histoire naturelle. La famille Lamoignon, dont un de nos plus savants et de nos plus éloquents jurisconsultes, (1) Mém. cité. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 563 M. Dupin l’ainé, avait dans un discours, donné en quel- que sorte, le signalement mental, malgré Panalogie de la profession, et l’uniformité de l’éducation, des préceptes, des exemples, n’en présente pas moins, au professeur Lordat, dans ses différents membres, les mêmes dissem- blances : l’un, le plus éminent, le doux Lamoignon, mo- dèle d’un ministre dans l’État monarchique; l’autre, son fils, intendant d'une grande capacité, mais dur et hau- tain ; son petit-fils, Courson, d’un goût si décidé pour l'arbitraire, qu’il ne peut conserver l’intendance de Guyenne; le dernier, au contraire, l’infortuné Malesher- bes, disgracié de bonne heure, pour un libéralisme pré- maturé (1). « J’ai beaucoup cherché les hérédités mentales, conclut, « d’après ces faits, le savant professeur, et je n’en trouve « pas (2). » Nous ne reviendrons pas ici sur la critique du principe radical de ces négations : elles ont, évidemment, leur rai- son de doctrine, dans la distinction que nous avons com- battue (3), entre l’hérédité des attributs propres à la FORCE VITALE, et celle des attributs propres au SENS INTIME. Nous ne discuterons ici que les raisons de fait. Il n’est pas une seule des considérations de cet ordre qui nous semble résister un instant à un mür examen. La première objection, celle de la différence qui se montre fréquemment entre l’intelligence des enfants et des pères, ou des enfants entre eux, n’est que l’antique argument soulevé par Théognis, reproduit par Wollaston, par Louis, et par tous ceux qui, comme nous l’avons dit (4), (1) Mém. cité. (2) Loc. cit. (3) Voy. plus haut, p. 448 et suiv. (4) Voy. plus haut, p. 160. 564 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ ï ont attaqué la loi d’hérédité vitale. D’une vérité in- contestable, en soi, il est sans nulle valeur contre la vé- rité qu’il aspire à détruire. Nous avons insisté, nous-même, et longuement, sur le fait qu’il révèle, sur cette diversité spontanée qui se produit ainsi, congénialement, dans tous les caractères, et sous toutes les formes du type de la famille (1); mais cette diversité découle de l’action de la loi d’innéité sur l'intelligence, c’est-à-dire, du principe de cette seconde loi de la procréation, d’où procède le divers, dans tous les attributs de la nature des êtres; loi si généralement incomprise des auteurs qui ont Jusqu'à présent traité de cette matière, et devenue, pour eux, la source de tant d’erreurs (2). Or, indépendamment de ce que l’existence de cette loi n’est pas incompatible avec celle de la loi contraire, indépendamment de la réalité et de l’activité prouvées de toutes deux, si l’on était fondé à se faire un argument de la loi d’innéité mentale contre la loi d’hérédité mentale, comme le tente ici le professeur Lordat, en rejetant la dernière, on serait également fondé à repousser, en vertu de la loi de l’innéité physique, la loi d’hérédité physique, qu’il reconnaît aussi bien que nous- même ; car la diversité séminale n’atteint pas exclusive- ment l’activité mentale, ni les seuls attributs du dyna- misme des êtres. Dans le sein de la famille, elle frappe également, et indifféremment, tous les linéaments du mé- canisme vital, les formes, la figure, les traits, lespropor- tions de toutes les parties, etc., etc. (3). Il en résulterait, ce que prétendait Louis et, avant lui, Bonnet, que l’héré- dité, sous letypeindividuel, ne serait plus qu’une chimère. (4) Voy. part. 2, liv. I, ch. 11, p. 171 et suiv. (2) Id., p. 170. (3) Id., part. I, Liv. I, ch. 1, p.97 et suiv. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 65 Nous n’insisterons pas plus longtemps sur le vice de cette objection ; elle tient à l’omission de la loi fondamentale de l’innéité et s’efface devant elle. Le second ordre d’objections du professeur Lordat, contre l’hérédité du type individuel de l'intelligence, roule sur des arguments que nous avons déjà plus d’une fois réfutés dans le cours de cet écrit (1). L'éducation, l’exem- ple, nous l’avons déjà dit, sont des puissances vives, dont on ne peut écarter, d’une manière absolue, l’influence sur aucune des formes de l'existence. Il serait absurde de prétendre soustraire l’activité mentale à leur énergie ; mais, à côté de la faute de cette prétention, il y a deux autres fautes : 1° celle de ne reconnaître que leur seule influence, et de leur attribuer, sur le dynamisme, une action exclusive ; 2° celle d'étendre l’action de cette in- flüence au delà de ses limites. Sous cette seconde face, argumentation du professeur Lordat tombe dans les deux extrèmes. L'action de l’édu- cation, celle de l’imitation, celle de l’hérédité sur l’intel- ligence, ne sont point, par le fait, inconciliables entre elles. Chacune d’elles peut avoir, chacune d'elles, exer- cer son ordre d'influence, sur la même faculté, sur le même phénomène. On ne peut donc procéder, à l’égard d’aucune d'elles, par voie de négation absolue, du seul fait de l'existence des autres ; il est également impossible de réduire, soit l'éducation ou l’imitation à l’hérédité physiologique, soit l’hérédité physiologique à l’éducation, ou à l’imitation ; autant vaudrait réduire à l’imitation ou à la seule action des influences externes, toutes les causes congéniales des (1) Article XI, & V'et S VI, et passim. ÿ$ 566 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ affections morbides, et toute l’hérédité pathologique elle-s même. al Ainsi, dans la sphère où l’imitation et l’éducation gar- dent leur énergie, l’hérédité retient et exerce la sienne : Mais les deux énergies n’ont ni les mêmes limites, ni le même pouvoir: celle de l'éducation et de l'imitation ne s’étend pas au principe des facultés qu’elle meut. Indé- pendamment de l’hérédité , elle n’a aucune part à leur origine ; elle ne peut agir qu’en raison de la nature et de l'étendue de l'intelligence elle-même ; or, cette intelli- gence ne s acquiert ni ne s’imite. La puissance mentale est, peut-être, de toutes les formes d’activité de notre dyna- misme, celle qui laisse le moins de doute sur sa cause première : elle peut être éveillée, elle peut être stimulée, elle peut être développée par l’éducation et l’imitation, mais elle n’est pas de celles dont il leur appartienne, aux yeux les plus vulgaires, d’engendrer le principe, ni de transmettre la flamme ; son principe a sa source dans l’or- ganisation, et l’organisation a toujours une des siennes dans l’hérédité. Longtemps avant Bonnet et Gall, Félix Plater ne s’y méprenait pas, et signalait aussi cette double origine de la diversité et de l’uniformité des intelligences. « La diversité, je l’attribue, disait-il, à la variété de « l’organisation, tantôt dirigée dans un sens et tantôt « dans un autre, imprimant, aux fonctions intellectuelles, « plus ou moins d'aptitude, de promptitude, ou de lenteur, « ainsi que nous le voyons chez les animaux d’une même « espèce, qui ont souvent des penchants différents. L’or- « ganisation humaine a les mêmes variétés individuelles. » Mais il reconnait aussitôt, en ces termes, le fait opposé de Puniformité des intelligences et de son origine, dans DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 567 les mêmes lignées : « On trouve, dans certaines familles, « une générosité, une noblesse de caractère héréditaires, « où beaucoup de prudence et d’adresse, ou une grande « facilité pour toute acquisition de l’esprit, ou, au con- « traire, une pesanteur et une disposition négative remar- « quable, pour tout travail intellectuel (1). » S'il admet, enfin, qu’il y ait des personnes que l’exer- cice continuel des sciences et des arts, uni à l’excellence de leur éducation, fasse triompher d’inaptitudes natu- relles, c’est pour les comparer aux animaux sauvages, qui s’apprivoisent parfois, et qui peuvent imiter quelqu’une de nos paroles ou quelqu'un de nos actes. Du moment, en effet, où la ressemblance mentale n’est pas un simple rapport de forme, en quelque sorte, ou d’apparence externe, mais une analogie de capacité réelle et de vigueur d'esprit, ce n’est ni l'éducation, ni l’imita- tion qui en sont l’origine. Le professeur Lordat convient lui-même, ailleurs, que toutes les influences didactiques que les pères exercent sur les enfants, dont les qualités intellectuelles sont différentes des leurs, ne peuvent, pres- que jamais, donner à ces dernières même un air de fa- mille (2). La même raison détruit, en partie, l’importance que ce professeur met à la distinction, très-rationnelle du reste, de l’hérédité de la profession et de l’hérédité de la force intellectuelle. Nous sommes de son avis, si l’on n’entend parler que de la succession de la profession elle-même. L’exemple, l’opinion, mille considérations peuventse sub- (1) Felicis Plater ; Observat. in hominis affectibus plerisque. — Basiliæ. 1641. — Ulysse Trélat, Recherches historiques sur la folie, in-8. Paris, 1839, p. 66 et 67. (2) Mémoire cité. 568 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ stituer à l’hérédité, et pousser les enfants à suivre la carrière illustrée par leurs pères. Mais ces explications disparais- sent, à nos yeux, du moment qu'il s’agit de la succession du talent ou de l’art dans la profession. En faisant, dans ces cas, la part de l’intérêt privé de la famille, celle de l'éducation, celle de l’esprit du temps, et de la société, il reste, alors, une part à l’action de la nature ou de l’organi- sation des pères et des mères, sur les aptitudes primitives des enfants ; et le degré éminent de ces aptitudes, il faut le répéter, avec Platen et Gall, l'éducation, l'exemple, le travail ne le donnent pas. Restreindre dans tous les cas de ce genre où, ni l’exem- ple, ni l'éducation, ni la profession, ne sauraient rendre compte de l’analogie mentale des membres de la famille, l'action de l'hérédité à une simple apparence, la limiter aux seuls instruments de la parole et de la pensée, aux seuls caractères, ou moyens d'expression et d’opération des forces intellectuelles (1), est une objection limitée, elle-même, à un nombre de faits, c’est-à-dire, aux seuls cas où l’hérédité n'a réellement agi que sur les seuls or- ganes de manifestation des facultés mentales ; elle est ra- dicalement inapplicable aux cas, tout aussi nombreux, où l'hérédité agit sur le principe et sur le caractère des fa- cultés elles-mêmes, comme lorsqu'elle communique, non plus le son de voix, la manière de parler, la mimique extérieure de l’élocution, mais le fond de l’aptitude, mais la réalité de la capacité intellectuelle des pères, mais les désordres mêmes de leur intelligence ; car, malgré tout le poids de l'opinion du célèbre médecin de Montpellier, nous ne saurions admettre, ni que l’aliénation soit le plus 4) Lordat, Mém. cit. RE DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 569 fréquemment, dans Le sens où il le dit, une affection vitale, c’est-à-dire, un désordre étranger, dans sa source, au dy- namisme mental, ni, comme il le prétend, que cette affec- tion ne se transmette que quelquefois héréditaire- ment (1). | Nous ne pouvons même comprendre que le docteur Lordat élude ainsi un fait si universellement et si bien con- staté. On peut, certes, vivement et longuement discuter sur la nature, les formes, les causes, les lésions de l’aliénation mentale : on en peut contester le rapport essentiel ou ori- ginel avec l'intelligence ; nous sommes, nous-même, de ceux qui n’y croient pas d’une foi absolue, ni constante, dans toute espèce de cas. Mais nier la fréquence, la très- grande fréquence de l’hérédité de ce mal, aussi fécond en mystères qu’en douleurs, c’est fermer l'oreille à la voix unanime des observateurs, c’est faire la guerre aux chif- fres (2) ; c’est nier la lumière. Un des hommes de nos jours qui ont le plus étudié cette affection terrible, celui de tous, peut-être, à qui elle a donné le plus de décourage- ment (3), Fodéré, avait eu de commun, avec l’auteur que nous combattons, l’idée que l’intelligence ne saurait être malade : « Les fausses notions qu’elle a reçues, disait-il, « sont ses maladies : elles peuvent être telles, eten si grand « nombre, qu’elles ne se rapportent jamais aux réalités « en dehors de nous, et qu’elles occupent habituellement « le sens interne de volitions et autres mouvements actifs « qui la mettent hors de la dépendance des sens exter- « nes (4). » (1) Mémoire cité. (2) Voir le tome II de cet ouvrage. (3) Fodéré est mort avec la conviction que la folie était un mal incu- rable. (4) Fodéré, Essai médico-légal sur les diverses espèces de folie, p. 69. 570 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ Mais il ajouteaussi que ces fausses notions lui viennent d’une altération , congéniale ou acquise, du sens interne lui-même ; et loin de suivre les errements du professeur Lordat, personne n’a poussé, plus loin que lui, l'idée de l'hérédité de ces fausses notions et de ces altérations de l'intelligence (2). Il est presque tombé dans l’abus de ne pas croire à la folie sans elle (3). En nous gardant de l’un, comme de l’autre extrême, nous dirons, qu’à nos yeux, dans un grand nombre de cas, et particulièrement dans presque toutes les causes morales de la folie, quand elles sont initiales, le mal a son principe, où il a son action et son expression, dans lintel- ligence même ; et que l’hérédité, qui vient à propager ces troubles essentiels des facultés mentales, ne peut ètre regardée, comme plus étrangère au principe réel de ces facultés, que celle qui propage les facultés elles- mêmes. Reste donc un dernier et unique argument de cette série d'objections du professeur Lordat, l’interprétation de l’a- nalogie mentale des pères et des enfants par la coïn- cidence (4). A l’égard de personnes étrangères par le sang, cette in- terprétation est, dans l'insuffisance des autres explications, la plus vraisemblable et la plus naturelle. Nous ne sau- rions même voir qu’un de ces abus communs à l'esprit de système , dans la prétention de vouloir, à toute force, trouver dans des alliances inconnues, idéales, et souvent impossibles, des générations antérieures des familles , la (1) Id., ouv. cit., p. 66, 67, 69 et passim. (2) Id., p. 66, Disposilion sine quâ non, etc., voy. aussi p. 80. (3) Mémoire cité. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL, D71 raison de ces ressemblances , purement fortuites, qui se voient, entre les esprits, comme entre les visages (1). La ressemblance native, sous le type individuel , n’est pas nécessairement l’hérédité elle-même : l’hérédité n’existe qu'à la condition d’une consanguinité réelle et dé- montrée; et en dehors d’elle, il n’est, à nos yeux, d’autre cause de ces analogies, que l’action de la loi inconnue du hasard. Mais autant la raison de cette loi inconnue a de poids et de valeur, dans ces conditions, autant elle en a peu, sitôt qu’on la déplace, c’est-à-dire qu’on l’applique à la théorie des ressemblances de forme ou d'intelligence, entre personnes unies par les liens du sang. Ainsi étendue jusqu’à la filiation naturelle des familles, ou elle n’explique rien, ou elle explique tout, sans en ex- cepter ni l’éducation, ni l’imitation, ni la naissance elle- même ; car on peut, au même titre, éliminer ces causes ; rien ne démontre plus la subordination de la formation de l’être à l’action des auteurs ; les pères n’ont plus d’en- fants, les enfants n’ont plus de pères. On se compose , on naît, on existe, par hasard; la génération n’est plus que spontanée , tout est coïncidence. Qu'’est-ceà dire, sinon que, dans la théorie des ressem- blances de corps ou d’esprit des familles, ce n’est plus l’hérédité, c’est la coïncidence dans la succession, qui est une chimère. Une coïncidence qui, dans une famille, s'attache à la suite des générations ; qui ne peut provenir ni de l'éducation, ni de la profession, ni d’aucune autre cause externe, quelle qu’elle soit ; qui a, non pas seule- ment le même caractère, mais encore la même marche que (1) Voy. plus haut, 17e partie, liv. IE, ch, 1, p. 70, 71. 572 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ l’hérédité, est de toute nécessité l’hérédité elle-même. Nous arrivons enfin à un point culminant de l’argumen- tation du représentant de l’école de Montpellier, contre la transmission des facultés mentales, à celui qui pénètre jusqu’à la substance de cette transmission, en attaquant non plus l’origine, mais le fait, mais la réalité des ressem- blances mentales, dans les mêmes familles. C’est précisément dans le sein des familles, c’est entre les ascendants et les descendants que, dans son opi- nion, ces sortes de ressemblances ne se produisent pas : il n’y a point, d’après lui, entre les membres d’une lignée, de vraie analogie intellectuelle, de véritable uniformité d’es- prit: les exemples qu’on en cite, n’en sont que d’apparents et d’imparfaits modèles. Comme entre les Néron et les Agrippine , comme entre les Vossius, comme entre les Scaliger, comme entre les Lamoignon, etc., si l’on ap- profondit la comparaison entre les intelligences réputées semblables, il y a toujours des points où l’uniformité pré- tendue fait défaut, où l’inégalité, où la différence même, finissent par ressortir, sous une forme, ou sous l’autre; la variété, enfin, à un degré quelconque, jaillit toujours du fond de cette analogie supposée des esprits. Réduite à sa plus simple et dernière expression, cette, objection est celle du défaut d’absolu de la ressemblance elle-même. On la repousse du fait qu’elle n’est point parfaite, on la repousse du fait qu’elle n’est point totale. Il ne faut point d’abord confondre l'identité et la res- semblance. La ressemblance n’exprime que les analogies, que les points de rapport et de conformité de deux choses, êtres, corps, ou objets différents. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 573 Dans toute la rigueur de son expression, l’identité ex- clut non plus la différence, mais la distinction, mais la dualité même. Sous ce dernier rapport, dans toute la plénitude de sa perfection, la ressemblance n’est point, et ne peut jamais être l’identité. Cette identité absolue n’est nulle part : elle n’existe même pas entre les feuilles d’un arbre, entre les grains de sable, entre les gouttes de pluie. On ne peut donc la demander à la nature morale des membres d’une maison. Ce serait lui demander l’unité des personnes, car elle n’admet point, à proprement parler, de pluralité d’è- tres, et à moins de se jeter dans la théorie admise par les Indous ({) ou dans une théorie analogue, soutenue par un auteur moderne (2), l’être engendré n’est pas l’être géné- rateur, el, comme identité essentielle de l’être, la person- nalité est intransmissible. Du fait que la ressemblance n’est ni ne peut jamais être l'identité, elle ne peut donc jamais atteindre, dans le dy- namisme, à cet absolu purement idéal de l’uniformité, qui serait, en quelque sorte, l'identité elle-même: par la seule raison de la pluralité des êtres les plus semblables, il y a des degrés, des inégalités, il y a même des lacunes dans leurs analogies. La ressemblance dynamique, qui ne peut être absolue, ne saurait non plus prétendre à être intégrale. Elle ne peut y prétendre, parce que l’hérédité dont elle est l’expression, n’y peut prétendre elle-même : l’hérédité (1) Voyez plus haut, part. 2, Liv. I, ch. 11, p. 139, 140 et p. 171 et suiv. (2) Alcide Depierris. Traité de physiologie transcendentale, ou leçons sur la vie universelle et Les lois nécessaires qui la régissent. 2 vol. in-8. Paris, 1844, chap. xt, p. 382 et 383. RL 514 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ n’a pas, en effet, plus de part à l'existence morale qu’à l’existence physique : lune et l’autre sont soumises à l’ac- tion des deux lois de la génération, les lois d’innéité et d’hérédité; pour être constamment totale dans le dyna- misme, et particulièrement dans l’intelligence, l’hérédité devrait être l’unique loi de sa formation, et elle ne l’est point : | La composition de l'intelligence subit, nous l'avons dit, l'action de deux lois contraires. Mais, dans l'hypothèse même où, contre l’évidence (1), le dynamisme mental n’eûl subi que l’empire de la seconde loi, la Loi de l’hérédité, la ressemblance ne pouvait en- core être intégrale, entre les intelligences, en vertu des lois de l’hérédité elle-même. Si unique, en eflet, et si exclusive qu’on suppose, un instant, l’action de l’hérédité sur les facultés intellec- tuelles des êtres, elle n’en est pas moins simultanément appelée à reproduire deux types différents, le type de la mère et le type du père. Or, pour être constamment absolue et totale dans sa reproduction du typeintellectuel de l’un des deux auteurs, elle serait forcée de ne rien représenter, dans le fruit, du type de l’autre. Il faudrait admettre, en principe, et prou- ver, que l’un des deux auteurs, soit le père, soit la mère, est demeuré étranger à la reproduction, ou du moins étran- ger à la répétition du dynamisme mental, système en tout contraire à l'expérience : La composition de l'intelligence est simultanément sou- mise à l'action de deux auteurs divers. C’est cette omission de la part d’un des auteurs qui a (1) Voy. tom. II, 3e part., 2° section, DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 37) déterminé, sur ce point, la méprise du professeur Lordat: dans la plupart des cas de diversité intellectuelle qu’il cite, entre les ascendants et les descendants, il a, presque par- tout, omis comme à l’égard de Louis XI, d'Henri IV, et de Louis XIV, l’action profonde des mères sur l'intelligence, et il est arrivé ainsi à méconnaître, dans des cas évidents, l’hérédité mentale, et à lui imposer des conditions aux- quelles à! n’existerait pas d’hérédité physique : 1° La ressemblance physique, au plus haut degré de sa perfection, n’est jamais l'absolu de la ressemblance; 2 La ressemblance physique n’occupe généralement qu'une ou plusieurs parties; elle n’est jamais totale (1) ; 3° La ressemblance physique n'est pas non plus con- stante dans sa succession (2). Elle ne remplitenfin aucune des conditions que le pro- fesseur Lordat exige explicitement de l’hérédité intellec- tuelle. C’est qu’en réalité, ni sous la forme physique, ni sous la forme morale, l’hérédité ne peut ni ne doit les remplir, par deux raisons plausibles : La première, qu’elles suppriment l’action d’une des deux lois de la procréation ; La seconde, qu’elles suppriment l’action d’un des'au- teurs. S IV. — Preuves d'expérience de l’hérédité mentale. En tenant compte, au contraire, dans l’examen des faits, de ces deux grands principes, on se tonvaine, bien (1) Voy. 2e partie, liv. IT, chap. I, $ 1, p. 196 et 297. — Voy. aussi Gintrac, de l’Influence de l’hérédité sur la production de la surexcitation nerveuse, p.4. (2) Voy. 2e partie, loc. cit. — Voy aussi tom. Il, Marche de l'hérédité. 970 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ vite, que l’activité mentale obéit aux mêmes lois de la gé-. nération que toutes les autres formes de l’activité psycho- logique de l’être. | Il y a transmission évidente au produit de la force et de la nature intellectuelle de ses générateurs. ; Nous ne dirons rien de l’abime qui sépare l’intelli- gence des races dans l’humanité, ni de celui qui sépare les variétés entre elles ; il est trop manifeste, et trop bien reconnu, qu’elles sont à des distances immenses les unes des autres, et que ces disproportions se propagent chez elles par la génération, comme dans chaque variété, comme dans chaque race, se propage la vie: nous ne parleronsicique des types individuels de l’activité mentale. L'hérédité de ces types nous apparait d’abord dans la forme la plus haute et la plus générale de l’intelligence, dans toutes les nuances, et à tous Les degrés, infinis cepen- dant, de la faculté humaine de comprendre. Elle nous apparaît, à sa première lueur, dans ce cré- puscule où elle ne se dégage qu'avec effort de l’être, et où ses pàles rayons n’éclairent, pour ainsi dire, que des degrés d’idiotisme. L’appétence sexuelleest, en effet, très-vive, chez le grand nombre des idiots et des imbéciles (1), et très-souvent encore une fécondité malheureuse la suit ; car l’hérédité descend tous les échelons de cette dégradation de la force intellectuelle, et ne s’arrête qu’au degré où la génération est frappée d’impuissance. Les formes-mêmes sous lesquelles l’imbécillité touche, dans l’espèce humaine, à la bestialité, celles du crétinisme, (1) Marc, de la Folie considérée dans ses rapports médico-judiciaires, tom. L, ch. 1v p. 208. — Esquirol, des Maladies mentales, t. II, p. 364. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 71 n’échappent pas à cette loi. Des faits récents sont venus confirmer l’opinion émise par Fodéré (1), que toutes celles de ces formes, qui n’entrainent pas la perte de la faculté sexuelle, se renouvellent par elle. D’après un excellent travail du docteur Roesch, qui a fait une étude spéciale du crétinisme dans le Wurtemberg, le doute n’est plus. possible; cetextrême degré d’imbécillité setransmet, dans ce pays, de famille en famille, et, par un phénomène qui ne se ‘présente même qu’exceptionnellement dans l’hérédité, se manifeste jusque chez les enfants naissants : quelques-uns sont déjà de vrais erétins en venant au monde (2). L’imbécillité indépendante du goître et du crétinisme se propage également par la génération (3), de famille en famille. « Il n’est pas rare, dit Esquirol, qu’il y ait plu- « sieurs idiots dans la même famille, j’ai connu deux « jeunes gens, seuls héritiers d’une grande famiile qui « étaient idiots. Nous avons vu, à la Salpètrière, une «idiote dont la mère n’a eu que trois enfants, dont deux « filles idiotes et un garcon idiot ; quelquefois, aussi, dans « la même‘famille, il y a un idiot et d’autres enfants qui « sont aliénés. J’ai vu. des idiotes devenir mères ; je n’ai « pu savoir ce que sont devenus leurs enfants (4). » Haller, plus heureux, a cité l’exemple de deux familles nobles où l’idiotisme était apparu, depuis à peu près un siècle, au moment où il écrivait, et où on le voyait se manifester encore, chez quelques individus de la quatrième et de la cinquième génération (5). 1) Fodéré, du Goître et du crélinisme. Paris, 1800, p. 69 et suiv. 2) Roesch, Recherches sur lecrétinisme. Erlangen, 1844. ) Burdach, Traité de physiologie, t. IL, $ 303. ) Esquirol, ouv. cit., t. II, p. 240, 241. ) Haller, Element. physiolog., t. VIII. - I. 97 ( ( (3 (4 (5 578 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ A plus forte raison, en doit-il être ainsi de cette im= puissance mentale que de faibles nuances séparent à peine de l’idiotie. « On n’a, dit Mallebranche, que trop d’exem- « ples de ces choses, et tout le monde sait assez qu’il y «a des familles entières qui sont afiligées de grandes « faiblesses d’imagination qu’elles ont héritées de leurs « parents (1). » Plater (2), Portal (3), Piorry (4), recon- naissent également cette hérédilé de l’hébétude et de in- capacité d'esprit. De Brieude dit avoir connu une famille, de la haute Auvergne, dont les individus, très-vigoureux et très-robustes, étaient des masses de-chair ; leurs enfants ne commencaient à balbutier qu’à six ou sept ans ; à peine montraient-1ls les premiers éléments de la raison à quinze, Sans qu’il parût chez eux ‘d'autre vice que des organes trop matériels (5)... On nous rapportait, encore tout récemment, l’exemple d’un portier qui, dépuis sa naissance, reste dans un état de demi-idiotisme ; sa femme est d'une intelligence ordi- naire ; l'intelligence du fils touche, comme celle du pèr e, à l'imbécillité. De ces limbes obscurs, l’hérédité remonte, avec les fa- cultés, de degré en degré, jusquèaux plus lumineuses régions de la pensée, et Méyarre l’y à reconnue out d’abord. Combien ne voyons-nous pas de familles qui ren- ferment, ou successivement, ou simultanément, plusieurs. hommes supérieurs, dans la politique, dans la littérature, dans Les sciences, dansles arts(6)? Cette mystérieuse action (1) Mallebranche, Recherche de la vérité, t. I, Liv. IL, p. 261, 2620 (2) Felic. Plater, op. cit. (3) Portal, owv. cit., p. 3. (4) Piorry, ouv. cit., p. 37. (3) Mémoires de la société royale de médecine, an.1782, 1783. (6) Burdach, ouv. cit., t. IL. — Portal, ouv. cit. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 579 de lhérédité sur l'intelligence se manifesté même, chez un srandènombre d’enfants, dès leurs:plus jeunes ans. Chez les enfants qui tiennent ainsi de la faveur de leur origine d’heureuses dispositions, les Icons profitent plus qi chez les autres enfants (1). On n’a pour ainsi dire pas à les instrüire, tant ils conçoivént vite, et acquièrent “Promptement, facilement, et bien ; il SOmDe, en un mot, qu'ils recèlent en eux-mêmes une, fée dPiriee qui, avant comme après la parole du maitre, leur révèle Le sens et la nature-des choses, et dégage à leurs yeux la science de ses nuages et de ses aspérités,. en laissant devant eux, * à leur premier regard, la vérité sans voiles. L'étude n’est, Chez eux, qu’une sorte de vision, ou de réminis- à ù cence. n 3 | Mais, ainsi qu’il .. un degré hr, où l’anoma- id lie de la force mentale s’abaisse tellement au-dessous de l'ordre naturél que la reproduction en touche à Pimpossi- ble, il est un autre degré supérieur, où elle monte à de telles hauteurs, et où ellé s élève à de telles proportions, au-dessus de la loi commune, que, sortie, pour ainsi dire, des-régions de la vie, elle échappe à ses lois, et que l’hé- réaité ne peut plus Vy atteindre. L'impuissance ‘de beaucoup de naïns et d’idiots, ces nains de l'esprit, est une démonstration palpable du pre- mier fait ; au delà de certaines limites d’imbécillité, la -génération, chez ces avortons, faït défaut à sa loi. _ La"preuve du second fait est l’infécondité des géants de la taille et de l'intelligence. a mi Le génie véritable est toujours isolé, dent d'une com- (4) Plater, loc. cit. — Spurzheim, Essai sur les principes élémentaires de l'éducation, Ch. 1, p. 43. à . 280 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ. mune Voix, Spuréheim (1 (1), Virey (2), ue œ, Bur- dach (4), etc.; il ne se réveille point dans sa postérité. Nous croyons, avec eux, à cette solitade naturelle du génie, mais il ne faut la voir que là, où elle existe, dans le génie lui-mêmé, c’est-à-dire dans l’intime personnifi- cation des facultés élevées à leur dernière puissance, et non dans l'étendue des facultés elles-mêmes. Le génie tient, de soi, à l’identité de l'être. C’est cette identité du type individuel de l'être et de L'esprit, qui reste solitaire, et ne se transmet pas. Mais il n’en est nullement ainsi de l’éminence des ‘facultés mentales. Si, les génies selon l’heureuse expression du professeur Lordat, sont des enfants trouvés et des célibataires (5), ils ne sont pas, pour cela, nécessairement, sans pères, ni sans fils naturels ; ces fils, ces pères, ces frères ne sont pas leurs semblables, mais on reconnaît en eux le sang dont 1ls proviennent. Les dons de l'intelligence, si inégaux qu’ils soient, peu- vent encore, en d’autres térmes, être très-remarquables chez les ascendants, ils peuventd’être de même-chez les descendants des hommes de génie ; il leur arrive de ne pas mourir tout entiers, il leur arrive même de revivre, en partie, dans la mème famille. Mais il est naturel que cette renaissance ne se remarque pas. Une fatalité, com mune à tous les fils de ces êtres privilégiés, veut qu'on ne les regarde jamais que du haut de leurs pères. à L’hérédité de la forme la plus générale de l'intelligence “ (1) Spurzheim, Essai sur les principes élémentaires de l'éducation, p. #3. } (2) Virey, Ar£ de perfectionner l'homme, t. "LU, ch. 1v, p. 98. (3) Lordat, mémoire cité, p. 23. (4) Traité de physiologie, t. L, loc. cit. ‘5) Loc. cit. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. DS1 s'étend à toutes les formes spéciales de facultés qui peu- vent émaner d’elle, et se montre, aussi clairement, dans les aptitudes particulières, que l’hérédité de la force élé- mentaire des sens, dans les moindres détails, dans les moindres accidents de leurs perceptions. On remarque souvent; dit le docteur Spurzheim, que certaines faculiés mentales dominent dans des familles “entières (1). Il n’est, pour ainsi dire, point de genre de talent où la célébrité d’une famille ne l’atteste. L'art oratoire était. tellement naturel chez les Hortensius, chez les Curions, et “chez les Lélius, qu’il semblait s’y transmettre, de la main à la main, et qu’il s’y propageait jusque parmi les femmes. On vit également le génié de l’éloquence et de la politique héréditaire, plus tard, chez les Médicis; il était chez les Pitt, et, d’après Sinclair, il y venait d’une femme : irois femmes. célèbres, toutes trois, par une intelligence extraordinaire de la philosophie, et par les plus riches dons de la parole, Arété, Hypatie, et. madame de Staël, avaient, toutes les trois, des philosophes pour pères. Mi- rabeau le père contenait Mirabeau le tribun. Une étude plus sérieuse de l’Ami des hommes remet vite en lumière ce qu'il y avait de profondeur, d'originalité, et d’étendue d’esprit dans cet écrivain, dont le génie bizarre s’éclipse, en se répétant, sous un type plus frappant, dans le génie de son fils. Un autre homme, dont le nom brille d’une célébrité bien autrement étrange, et pourtant méritée, Michel Nostradamus, ce voyant populaire du seizième siècle, docteur et professeur de la faculté de médecine de (1) Spurzheim, Essai sur les principes élémentaires de l’éducation, ch.1, p. #3. .. 821. : - sk DE: LA LOI D'HÉRÉDITÉ à na. + £: * = . La Montpellier, homme véritablement extraordinaire, et à la science duquel ses See Pret -mêmés ont rendu jus- tice (1), Michel Nostradamus se vantait de descendre. d’une-triburenommée par le don de prédire (2). Ses aïeux paternel et maternel étaient célèbres médecins (3); et son fils, aujourd’hui presque disparu, dans le retentissement + de la mémoire .de son père, César 1 Nostradamus, fut tout à la fois, bon poëte, excellent peintre, habile historien (4). L’antiquité ne comptait päs moins de buït poëtes LEE ques dans la famille d’Eschyle. Les deux poëtes les plusre= marquables du gnosticisrñe étaient pèreet fils: lepremier, - Bardesanes, fondateur de l’une des principales sectes de cette hérésie, avait composé cent cinquante hymnes, emprein- tes de la plus véritable inspiration poétique et religieuse, cantiques contagieux, où le “choix des expressions, la mé- lodie du rhythme, le luxe des images, tout ajoutait encore au charme du mysticisme entraimant de la gnose (5). Les hymnes de son fils et de son successeur, Harmonijus;, com- posées d’après les mêmes principes, surpassaient encore en beauté celles du père, et se trouvèrent bientôt dans” toutes les bouches, comme dans tous les cœurs (6). Ea même progression du talent poétique se fit remarquer L2 : L2 (1) Voy. les Mémoires d’ Peut pour servir à l histoire ban faculté de Montpellier. Paris, 1767, in- (2) Nostradamus était juif d origine et se Glorifiait de descendre de la tribu d’Issachar. « De filiis quoque Issachar, viri eruditi qui noverunt + « singula tempora. » Paralipom., lib. I, c. x1r, vers. 32. (3) Voy. Petri Petiti de sybillà libri tres, lib. ITL, cap. 1x, p.884, = Et Nostradamus, par Eugène Bareste, in-18, 1840, p. 8, 9 et 23. 1 (4 ap Histoire de la ville d'Aix, 1766, in-fol. p. 604. — Où a de. César, l’Histoire et croniqjue de Prouence, Lyon, 1614 , in-fol. (5 Sozomenne, Hist. eccles., lib. III, cap. xvi. — Et Matter, Histoire du gnosticisme, t. I, sect. 2, ch. 111, p. 301, 302, édit. de 1828. (6) Telle était la beauté des hymnes ‘du père et du fils que quoïque LE DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 583 aussi dans la famille du Tasse : le père de Torquato, Ber- nardo Tasso, avait le don des vers, dont son fils eut le génie ; la poésie de Racine revivait, malgré lui-même, moins féconde, sans doute, et moins inspirée, mais re- connaissable encore, dans Les vers de Louis. Les faits d’hérédité fourmillent dans la sculpture, et dans la peinture, et dans Part musical. L’illustre Germain Pilon, qui a donné son nom à l’une des cinq. salles de la sculpturé moderne qui porte, au Louvre; le nom des sculpteurs français, était fils d’un sculpteur très-distingué du Mans. Ce fut dans l’atelier de son père, qu’il puisa les éléments de l’art. John Flaxman, célèbre sculpteur anglais, l’auteur des plus remarqua- bles bas- reliefs.du théâtre de Covent- -Garden, et de divers monuments de Chichester et de Westminster, était fils d’un mouleur de figures en plâtre. Le rival de Canova, Albert Thorwaldsen, que la mort vient de frapper dans sa ville natale, au milieu de’sa gloire, était fils d’un mure sculpteur islandais, Golskalk Thorwaldsen. Dans les peintres, nous voyons le père de Raphaël être lui-même un peintre. La mère de Van Dyck avait un remarquable talent pour peindre les fleurs. Le Permigien perdit son père, encore tout jeune ; mais ses oncles étaient peintres. Vanloo était le frère, le petit-fils, et l’arrière- petit-fils de-peintres. Les deux frères cadets du Titien, son fils, son neveu, et son arrière-neveu étaient égale- ment peintres. Horace Vernet est le fils de Charles Ver- reconnus fous les deux pour gnostiques, et condamnés comme tels, leurs hymnes’ne continuaient - pas moins de se chanter dans les égli- ses. Ce ne fut qu’au quatrième siècle, que les hymnes d’Eplirem, com- posées sur le mêmerhythme et pour les mêmes airs, parvinrent peu à peu à les faire disparaître. Voy. de Matter, loc. cit. 584 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ net, d’un si rare talent pour peindre les chevaux, etil est le petit-fils de ce Joseph Vernet, célèbre par ses marines. Son frère quoique libraire, avait une véritable passion de la peinture, et il y a de ses peintures qui ontété prises, à ce que l’on prétend, pour celles de son frère. La même succession du génie musical se remarque dans les familles : ie père dé Mozart était un violoniste de réputation , et la sœur de l’illustre compositeur avait, + e # comme son frère , déployé le plus précoce talent pour la musique; il laissa deux fils, dont l’un est directeur de musique à Lemberg. Beethoven était le fils d’un ténor. Enfin, tout un essaim de compositeurs est sorti de la fa- mille de Jean-Sébastien Bach, nom d’uné haute Se musicale. ù $S V. — Réfutation sommaire de doctrines.erronées, déduites du prin- cipe de l’hérédité des facultés mentales, Mais on a déduit, de l’expérience prolongée de ce fait physiologique, des conséquences extrêmes, et que, ÊS notre opinion, il ne consacre pas. | « L'histoire, dit un auteur, ne nous fournit pas un seul exemple d’un homme d’une véritable élévation d’esprit, ni d’une universelle vigueur d'intelligence, qui soit né d’imbéciles. Nous osons affirmer que tous ceux, qui ont fait une figure remarquable sur le théâtre du monde, ont dù principalement, à cette propagation de la force et de l'étendue de la puissance mentale, leur supériorité sur leurs contemporains (1). » On n’est ni si tranchant, ni si exclusif, quand on ap- profondit les faits de l’hérédité : quand on connaît toutes (4) The journal of the health of Philadelphia, vo!. # p.26: LA > DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 585 les bizarreries qu’ils présentent ; quand on arrive, enfin, à reconnaitre, comme nous, dans la génération, l’action des deux lois que nous avons exposées. - D'abord, beaucoup de grands hommes tirent leur ori- gine de l’innéité ; ils comméncent et finissent la gloire de leurs familles. Il est, ensuite, beaucoup trop bien démontré, que les hommes les plus capables peuvent donner le jour aux êtres les plus ineptes, pour oser affirmer que, d’un esprit inepte, il ne soit jamais né, ni ne naitra jamais un in- dividu d’une haute intelligence : « Souvent, dit Bur- dach, les parents ont des facultés intellectuelles très-bor- nées et tous leurs enfants annoncent les plus heureuses dispositions (1). » Il est des opinions ericore plus hardies, que celle que nous venons de combattre. «IL est probable, dit ledocteur Rush, que les qualités du corps et de l'esprit des parents, qu’on voit produire des enfants doués de beaucoup d’in- telligence, peuvent être fixéès et déterminées, et peut- - être, un Jour, prédira-t-on avec certitude, le caractère intellectuel des enfants, lorsque l’on connaîtra la nature spécifique des différentes facultés intellectuelles de leurs parents (2).» Vandermonde (3), Spurzheim (4), Da Gama Machado, s’exprimant à peu près de la même manière, soutiennent, que l’on pourrait facilement créer des races d'hommes à talent, en employant les mêmes moyens que .(1) Traité de physiolôgie, t. Il, p. 245. (2) Rush, On the influence of physical causes on the intellectuel facul- ties, p.119. (3) Vandermonde, Essai sur la manière ce perfectionner l'espèce hu- maine, t. I, EE. p-. vil. (4) Essai sur les principes élémentaires de l'éducation, p. #4 etsuiv. de es Ê 986 DE LA LOL D'HÉRÉDITÉ l’homme a adoptés pour produire différentes espèces d'animaux (1). 3 æ Ces deux opinions ont un côté de vrai er un côté de faux. He + Il est vrai que l’on peut s haie à voir naître, en vertu de la loi de l’hérédité mentale, des enfants spiri- tuels, de parents spirituels. Mais il ne l’est pas, que les qualités du corps et de l'intelligénce. des parents, qui en- gendrent des enfants capables, puissent être détérmi- nées, puisque ces enfants peuvent devoir la vie à des pères et des mères sans capacité, de facultés diverses, de fa- cultés contraires. ” Il est encore moins vrai, que, un. leskcas. mêmes où ‘ l’on peut préciser le caractère mental des auteurs'du, produit, on puisse jamais prédire, avec certitude, le ca- : ractère mental des enfants qui vont naître. C’est compromettre la loi de l’hérédité, que d’en dé duire de telles vaticinations. C’est surtout oublier que l’innéité existe, et qu’elle agit sans cesse. L'intervention de cette Loi de l’innéité, dans la généra—, tion, est encore la raison qui repousse, l’hypothèse de ceux qui s’imaginent, qu’on peut, à volonté, créer,.dans notre espèce, des races d’hommes de talent, en n’unis- sant que des hommes et que des femmes capables; c’est une condition, et une très-érande,, sans doute, pour que beaucoup d’enfants naissent capables comme ‘EUX; Mais il faut bien savoir : 1° Que telles précautions qu’on prenne, il devra se pro- duire, comme Spurzheim est contraint de noûs en faire l’'aveu, de la diversité, de l’inégalité, de l’infériorité (1) Da Gama Machado. Théorie des ressemblances, part. 2, p. 7.° * DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 587 " mème, dans la puissance meniale d’une js partie de leurs successeurs (i). 2 Que, laissée à elle-même, la race, ainsi formée, ne sera Jamais que momentanément: en. possession de ses rares priviléges. Ces arguments répondent à une ‘grave objection de politique théorique du professeur Lordat, qui, partant du principe de l'hérédité des facultés mentales, nous de- mande pourquoi, dans cette hypothèse, tant d'avis diffé- rents, sur la meilleure forme de succession aux irônes monarchiques-? RS TUE « Ceux qui veulent Pélection, partent, dit-il, d’une «vérité d'expérience, qui est que:les qualités, les vertus, « la capacité, les tendances morales, ne sont pas hérédi- « taires, et que Vous n’avez aucune garantie, pour un fils « “du titulaire actuel le plus parfait. « Malgré tout, ajoute-t-il, les élections du Bas-Empire « et de Pologne nous apprennent, depuis longtemps, « que lhérédité sociale vaut encore mieux. Cependant, « comment se préserver.des maux qu’amènent l’incapa- « cité, ou les vices de ceux qui viennent par droit dé nais- « sance? .« Il a.fallu imaginer les formes gouvernementales con- « stitutionnelles, représentatives ou autres, pour qu’une « nation ne füt poiht asservie au pouvoir absolu d’un fils « qui n’a pas hérité due génie et de la bienfaisance de « Sn père (2).'». Il ressort, en substance, de cette objection : ou: que l'hérédité des facultés mentales est une pure, chimère; (1) Ouv. cit, p.56. (2) Lordat, mém. cit. 588 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ ou que le système représentatif est, en quelque manière, une superfluité basée sur une erreur physiologique. L’explication des faits échappe à ce dilemme: il n’af- faiblit en rien, ni la réalité de l’hérédité mentale, ni la nécessité de lagarantie des formes constitutionnelles, qui, chez un peuple libre, doit toujours Enfouxer l’hérédité sociale, quand elle y existe. L’hérédité fût-elle l'unique et seule loi de la généra- tion, il n’en résulterait nullement, à notre sens, que la succession du pouvoir politique dût avoir cette seule base. On ne pourrait admettre un semblable principe, qu’en admettant, d’abord, que l’autorité légitime est, de soi, indépendante de la volonté des peuples, et qu elle ‘est, de naissance, le droit du plus capable. Mais nous-n ’admettons pas la légitimité de cette pré- tendue souveraineté de droit. Nous en avons ailleurs (1) repoussé la théorie. Il n’y a de pouvoir légitime, à nos yeux, qu’à la condi- tion d’être généralement constitué et voulu par les gou- vernés. L'hérédité fût-elle l'unique et seule loi de la généra- tion, et l’autorité dût-elle être, de naissance, le droit.du plus capable, il en résulterait, encore moins, à nos yeux, que la succession du pouvoir politique puisse être dégagée de toute autre garantie : parce que la nature failigle et corruptible de l'humanité la rendpar trop précaire ; parce que les facultés, parce que les plus heureuses tendances de la nature morale. des parents pourraient s ’inoculer à tous leurs enfants, sans que, par la contagion des mille (1) Prosper Lucas, de la Liberté d'enseignement, 1 pos in-8°, Paris, 1831, ch, un DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 589 séductions qui s’attachent au pouvoir, les souverains en soient nécessairement meilleurs, ni que leurs actes publics témoignent des qualités, des talents, des vertus dont ils avaient reçu le germe de leurs pères. Mais il y a deux autres raisons péremptoires qui ne per- mettent point de ne donner au pouvoir que cette unique assiette de l’hérédité des facultés mentales. La première est celle de la dualité des lois de la géné- ration, c’est-à-dire de la double action de l’innéité et de l’hérédité sur tous les attributs, comme sur toutes les for mes de la nature de l’être : d’où l’infidélité, l’inconstance, les lacunes, et la diversité de la succession; expérience décisive, qui avait autrefois déterminé Platon, si con- vaincu qu’il füt de la réalité des transmissions mentales, à proscrire le principe de l'hérédité sociale de sa répu- blique (1). | Cette considération ne touche qu’à ce qu’il y a de plus immédiat dans la transmission. La seconde raison se rapporte à une prévision moins prochaine, sans être moins immanquable. C’est que le pouvoir, assis sur une pareille base, tire son origine d’une supériorité émanée, quelle qu’elle soit, du type indivi- duel, et que l’hérédité de tous les attributs du type indi- viduel n’est pas seulement variable, mais encore tempo- raire, et que, dans cette hypothèse, ellelaisseraittoujours, au bout d’un nombre donné de générations, les descen- dants sans titre. Nous ne l’avons que trop vu : Il n’est pas, en effet, de plus grande erreur, que de prétendre, dans ces cas, faire abstraction du temps, et (1) Voyez plus haut, 2e partie, livre LE, chap. 11, p. 158 et 159. 5990 DE LA LO! D HÉRÉDITÉ FFE ÿ que de supposer, que la supériorité des facultés mentales, ainsi communiquée des parents aux enfants, puisse être le patrimoine éternel d’une famille, et s’y maintenir, d’elle- même, à ce degré d'éclat et de force intellectuelle où elle s'était élevée dans ses premiers auteurs. C’est bien mal reconnaitre l’action de l’hérédité Sur le développement des facultés mentales , que de limaginer ainsi stationnaire, dans le sein d’une lignée, quand tout y obéit à la loi de mouvement et de succession que sui vent, dans les individus les facultés elles-mêmes : on sat chez les ‘derniers, la supériorité la plus éminenie de Pin- telligence, croitre, décroiître, etfinir, souvent avant la vie. L'action de l’hérédité sur l'intelligence, Gans le sein 1 familles, -ne la soustrait pas, même en la renouvelantpar la génération, à ce destin de la vie. Il y a comme une sorte de nécessité, à ce que la transmission de la force in- tellectuelle offre les mêmes périodes, et ce sont, en effet, celles qu’elle nous présente. Neuhs était si frappé de ce résultat, qu’il avait cru pouvoir faire une application de cette loi de mouvement de l’hérédité des facultés mentales au fait de l’ascension et de la décrépitude de quelques dynasties (1), point de vue d’° où l'histoire est, ‘en effet, curieuse à interroger. Il est ‘digne de remarque que le mouvement ascendant des hautes facultés d’un assez vw grand nombre de fondateurs de races, s'arrête presque toujours à la troisième, se continue rarement jusqu à la quatrième, et presque Jamais ne dépasse la cinquième gé- nération. Nous le voyons s’élever, jusqu’à ce dernier terme, dans la race de Pépin, où, de père en fils, se‘suivent Pépin de Landen, Pépin d’Héristal, Charles-Martel, Pépin-le- (1) Theat. ingenii humani, lib. I, p. 325, 326. LA # DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 291 Bref, et enfin, Charlemagne, chez lequel il n'arrive à son épanouissement que pour décliner. Il s’arrête au second _ terme, dans les fondateurs de la race capétienne, de Ro- bert, duc de France, à Huges- Capet, roi ; de même, dans celle des Guises, quelques instants si . en hommes remarquables, ilne va pas au delà de la victime de Blois. Les résultats auxquels -des recherches-statistiques fort curieuses ont conduit Benoistôn de Châteauneuf, vien- nent encore à l'appui de ce qu'on vient de lire. Dans son intéressant travail sur la durée moyenne des familles no- bles, on est étonné de voir, avec quélle vitesse, s’éteignent les familles les plus riches en tous genres d'illustrations : presque aucune ne dépasse trois siècles de durée ; si peu qu'elles persistent, presque toutes survivent à la gloire de leur nom. La noblesse d’épée, la noblesse de robe ne sont pas les seules astreintes à cette loi : dans les lettres , dans les sciences et dans les beaux-arts, les noms les plus célèbres sont disparus au bout d’un petit nombre d’an- nées. La famille de Boileau a duré à peine deux cents ans, malgré les treize enfants mâles qu'elle a produits ; celle de Racine n’a pu se continuer au delà de trois générations ; celle de Crébillon n’en a compté qu’une. Molière est mort sans laisser d’enfants ; Corneille sans s’être marié; Dan- “ille, Baïlly, Lavoisier, Condorcet, n’ont eu que des filles. Le dernier des Cassini vient de finir die la retraite sa vieillesse séculaire (1). Cette sorte d'évolution de l’hérédité n’est point parti- culière aux facultés mentales, et reçoit, comme nous le (1) Benoiston de Chateauneuf : Mémoire sur la durée des familles no- bles, en France, (Annales d'Hygiène publique et de médecine légale, 1846, tom. XXXV, p. 27 etsuiv.) 592 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ » verrons, une sanction nouvelle de généalogies patholo- giques, dressées avec le plus grand soin. La théorie, aussi, la confirme en tout point. Partout nous retrou- verons cette loi de progression et de rétrogression dans le transport séminal des attributs mormaux ou anor- maux du type individuel de l'être. Ainsi, loin que ce fait renverse le principe de la propagation des facultés men-— tales, 1l ne fait qu'ajouter à la vérité et à la portée de l’in- duction de Neuhss, qui ne voit, avec raison, ‘dans ce mou- vement évident de l’hérédité de l’intelligence, qu’une nou- velle preuve de sa réalité et comme de sa vie : « Aîque « ide quidem certa estilla paternæ indolis in posteritatem « transitio ut, in claris familiis, illa suos veluti natales ha- « beat, et sumptoincremento, adolescatet, senior confecta, « deficiat et commoriatur. — Eximît se subito aliqua de « vulgo familia,etsecundusgratiæauris, ad conspicuam lu- « cem, ab ignotis tenebris emergit. Eadem, statim obsoles= «cente venustatis splendore, vix majorum gloriam tuetur. « Tam magis magisque extabescens, eteruta hominum sen- sibus, sempiterna oblivione deletur(1). » C’est, en d’autres termes, la même conclusion que celle où arrive Burdach: « La nature tend partout à l’harmonie ; aussi après avoir pris un plus grand élan, chez certains individus, revient- elle promplement à sa mesure ordinaire. — Les talents” meurent dans une famille à laquelle il ne reste plus qu’à vivre de la gloire de ses ancêtres, et tandis que les ancien- nes races s’abâtardissent," il s’en élève de nouvelles , ce qui rétablit l'équilibre (2). » Ç (1) Theatrum ingenu humani, lib. 1, p. 326 et lib. I, p. 209. (2) Burdach, tom. IL, Loc cit. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 593 ARTICLE IV. DE L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES PROPRES AUX MODES D'ACTIVITÉ MOTRICE ET VOCALE DE L'ÊTRE. Les développements où nous sommes entré, sur l’héré- dité des formes principales de l’activité nerveuse, nous dispensent de longues considérations sur l’hérédité des mouvements et de la voix ; ces phénomènes n’étant, comme les sensations, comme les sentiments, comme l’intelli- gence, que des phénomènes de la même puissance, ne sauraient demeurer étrangers à ses lois. Ils en dépendent aussi étroitement que les autres. Les mouvements et la voix présentent, comme ces der- niers, une double physionomie : La première est celle du type spécifique ; La seconde est celle du type individuel. L'homme, comme espèce, a instinctivement les mêmes mouvements, les mêmes gestes, les mêmes poses, les mêmes attitudes ; il a, comme espèce, Les mêmes cris, la même voix : nous ne parlons pas ici de la parole, dé- veloppement ultérieur et acquis de la dernière, et dont les formes sont régies par l’habitude ou par la conven- tion. Mais, comme individu et comme race, l’homme est loin de présenter une égale uniformité de mouvements et de VOIx. Il se personnifie dans leurs caractères, et il s’y réfléchit quelquefois tout entier. La vivacité, la lenteur, la grâce, la force, la souplesse, la rudesse, la douceur, la dureté, l’adresse, l’indolence, tout y est à la fois infini et divers dans ses expressions, jé 38 D94 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ même les plus précises, et malgré l'infini, malgré la va- riété, tout, à la condition d’y avoir son principe dans l’or- ganisation, est transmissible par elle. Quelques mots d’abord sur l’hérédité des phénomènes moteurs. $ I. — De l’'hérédité des facultés motrices. IL existe, à ce sujet, chez les Orientaux, une légende sin- gulière qui nous reporte à ces jours de paradis de la terre, et de première jeunesse de la création, dont il nous man- que l’histoire. C’était après le bannissement de l’Eden : Adam et Eve partaient, en se tenant par la main; l’ange Gabriel arrive, et il dit à Adam : « Quitte la main d’Eve, « Dieu veut que tu sois séparé d’elle. » Ils se quittent : dans leur douleur; Adam se frappe la cuisse de la main, Eve porte la main à sa tête, ils pleurent : de là, dit la légende, l’habitude traditionnelle et héréditaire des hommes et des femmes: les uns, dans leur chagrin, se frappent la cuisse avec la main, les autres se portent la main à la tête (1). Il n’y a pas si loin, qu’on le pourrait croire, de cette cu- rieuse légende des docteurs musulmans, à une théorie d’un des plus beaux génies de la philosophie, d’un religieux; Mallebranche : « Ce que je souhaite principalement que l’on remarque, « lisons-nous dans le célèbre disciple de Descartes, c’est « qu’il y a toutes les apparences possibles que les hommes « gardent, encore aujourd’hui, dans leur cerveau, des « traces et des impressions de leurs premiers parents ; « car, de même que les animaux produisent leurs sem- (4) Perron, Légendes orientales. — Aperçu historique sur les temps anté-islamiques, d’après les docteurs musulmans, Rev. ind., t. IV, p. 450. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 595 « blables, et avec des vestiges semblables dans leur cer- « veau, lesquels sont cause que les animaux de même « espèce ont les mêmes sympathies et antipathies, et qu’ils « font les mêmes actions dans les mêmes rencontres ; ainsi «nos premiers parents, après leur péché, ont recu dans « leur cerveau de si grands vestiges, et des traces si pro- « fondes, par l'impression des objets sensibles, qu’ils pour- « raient bien les avoir communiqués à leurs enfants (1). » L'observation nous donne des preuves moins reculées de l’hérédité des phénomènes moteurs dans l’animalité et l'humanité. L'expérience acquise, dans les courses de chevaux, à prouvé que la vitesse, ainsi que tous les autres mérites du cheval ne sont pas individuels, et que les pères et mères transmettent à leurs produits une grande partie de tou- tes les qualités de mouvement qui les distinguent (2). Le célèbre Eclipse, ce cheval prodigieux dont la force, l’haleine, la vitesse étaient telles, qu'avec un poids de douze stones, ou d’à peu près soixante-dix kilogrammes, il- laissait, sans peine, à double distance, tous les plus forts chevaux connus de l’Angleterre, qui couraient contre lui pour le prix du roi, et qu1, pour tous les autres prix, ou sweepstakes, ne rencontra jamais d’adversaire en état de les lui disputer, Eclipse était issu de Marsk, fameux coureur, et il donna le jour à une foule de produits d’une vélocité presque égale à la sienne : Mercury, Meteor, Sol- dier, Gunpowder, King Fergus, Duncannon, Bowdsow, Jupiter, Vertumnus, etc. (3). (1) Recherche de la vérité, t. 1, iv. LE, p. 265. (2) La question chevaline considérée sous le point de vue national, etc., p. #1. (3) Pichard, Manuel des Haras, ou système de régénération des races de chevaux. 1819, in-19, p. 94 et 113-114. : 596 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ Telle était la renommée de ses productions, que l’on en vint à payer sa monte mille guinées, et que le propriétaire était, même à ce prix, forcé de réduire le nombre des ju- ments à saillir (1). Fondée sur ces exemples, la confiance des Anglais, dans l’hérédité de la vitesse du cheval, en est arrivée à ce degré de foi, que danses paris énormes dont les courses sont l’objet, ils ne demandent jamais à voir les chevaux; ils parient sur la seule réputation des races dont sortent les poulains, ou dont ils sortiront, car ils engagent souvent des sommes très-élevées sur des poulains à naître (2) et même longtemps avant que leurs futures mères n’aient été fécondées (3). On devine, par les faits que nous avons exposés, ce qu’il y a d’aventureux dans de semblables calculs, et ce qu'ils doivent faire éprouver de mécomptes; mais on comprend aussi, d’après les mêmes faits, que ces prévi- sions puissent être justifiées. On cite un fameux coureur, (1) Le Grand-Eclipse, comme Pichard l'appelle, vivait encore en 4784, à Epsom, où Pichard le vit cette même année. Son propriétaire, M. O’Kelly, lui avait fait élever, au milieu de son jardin, une superbe ro- tonde qui ressemblait plutôt à un heau salon qu'à une écurie. Ce cheval qui avait alors vingt-deux ans, avait tous les jours, rien que pour sa li- tière, vingt bottes de paille fraîche, et, par une excentricité tout an- glaise, quatre petits jockeys, en grande tenue, le servaient à la fois; le maître-groom, toujours en livrée, se tenait debout, et il n’était pas permis de se couvrir en présence du cheval! (2) Le Racing-Calendar, ou l Annuaire des Courses de 1800, parle d’une souscription de deux mille six cents guinées pour vingt-six chevaux qui étaient à naître. ; (3) «Si la mère de la prétendue production ne fait pas de poulains, le pari est nul à son égard. Lorsque le poulain est né, s’il ne tourne pas à bien, le propriétaire paye ce qu’il appelle Half-forfeit, moitié de dédit, à moins qu’il ne soit spécifié dans l'acte, play or pay, c’est-à-dire courir ou payer; dans ce cas, le parieur gagne ou perd tout.» — Pichard, ouv. cit., p. 95. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 097 High-Flyer, qui donna le jour à trente-neuf gagnants, dans quatre-vingt-onze paris considérables; et un autre, Wood-Pecker, à dix-sept chevaux qui eurent l'avantage dans cinquante-quatre courses (1). Hofacker a poussé aussi loin que possible la, consta- tation du même ordre de faits chez les animaux. Il ne s’est pas borné seulement à démontrer l’hérédité de la force, ou de l’adresse musculaire, en général ; il l’a démontrée dans ses caractères les plus déterminés, tels que, chez le cheval, ceux de l’aptitude au trait ou à la course (2). De là l’importance de ne point faire saillir une jument de collier par un cheval de race; par un cheval de char- rette, une jument de selle. Toute alliance entre le cheval de course et le cheval de trait doit être proscrite, sous peine d’une dégradation plus ou moins profonde de l’ap- titude propre à chacune des deux races. Pichard voit dans l'oubli trop commun de cette règle, une des causes principales de l’abâtardissement de nos bonnes races françaises (3). Comme les qualités, les moindres vices du mouvement, dans les mêmes espèces, se transmettent aux produits. Le petit poulain a quelquefois le tic, comme son père, qu’il n’a jamais vu ; un étalon vendu au gouvernement par Girou de Buzareingues, avait le tic de l’ours ; il en était de même de son père, loin duquel il avait été élevé (4). Une jument andalouse, qui tiquait à l’excès, fut achetée par un habitant de Saint-Maïxent ; elle se trouvait pleine et fit un poulain à terme, bien constitué, qui se mit à ti- (2) Pichard, ouv. cit., p. 97. À (2) Hofacker, Ueber die Eigenschaften, p. 10. (3) Pichard, ouv. cit., p. 25 et 76. (5) Girou, Philosophie physiologique, p. 215. 598 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ quer sur la mangeoire, trois ou quatre jours, à peine, après sa naissance ; le petit animal conservait encore cette même habitude, à l’âge de quatre ans (1). SOL On a vérifié les mêmes faits dans le produit du croï- sement de diverses espèces d'animaux. Le mulet tient de son père la faculté qu’il a de sup- porter la fatigue; il tient aussi de lui la sûreté du pas, il rue comme l’âne (2). Le bâtard du chamoïs et de la chèvre a aussi plus de force musculaire, et gravit les rochers les plus escarpés ; celui des anas glaucion et querquedula est tout aussi dépourvu de mobilité sur terre, et tout aussi bon nageur que son père (3). ) On a même retrouvé, dans les facultés motrices des bâtards, des diversités relatives, non-seulement aux diffé- rences d'espèce du père et de la mère, mais des diver- sités relatives à leur sexe, et visiblement dépendantes du croisement des influences des sexes, dans l’hérédité. Ainsi, d’après Masch, on a remarqué, dans les bätards du chien et de la louve, que des métis mâles avaient le trot du loup, des métis femelles, le marcher du chien (4). L’espèce humaine n’est pas moins sujette, pour sa part, à cette transmission des dispositions et des carac- tères de l’activité motrice par la voie séminale. L’hérédité régit, chez elle, tous les degrés de la force musculaire. Il y avait, dans l’antiquité, des familles d’a- thlètes. Valère-Maxime, Pline et Pausanias parlent d’une (1) Dictionnaire de médecine vétérinaire, p. 610. (2) Girou, Loc. cit: — Voy. aussi Annales de l’agriculture française, février 1826. (3) Burdach, ouv. cit, t. IT, p. 264. (4) Der Naturforscher, t. IV, p. 25. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 599 Béronice, comme de la seule femme qui eût le droit d’as- sister aux jeux de la lutte, pour avoir elle-même conduit son fils Euclée aux combais olympiques. Elle était née d’un père qui s’y était rendu célèbre par ses victoires, et plusieurs de ses frères avaient eu la même gloire (1). Les Anglais ont, de nos jours, leurs familles de boxeurs. Les frères Rousselle, en France, dits les Hercules du Nord, qui, dans ces derniers temps, ont étonné Paris de leurs prodiges de vigueur, en sont un autre exemple. On sait à quel point la qualité contraire, l’impuissance muscu- laire, obéit à cette loi de propagation. Il en est de même de toutes les autres expressions de Pactivité motrice. Zacchias (2), Portal, Poilroux (3), pres- que tous les auteurs qui se sont occupés de l’hérédité, si- gnalent celle des gestes, celle de l'attitude, celle de la dé- marche : « Nous voyons tous les jours parmi les hommes, « dit Girou de Buzareingues, des enfants doués de L’es- « prit, du caractère de leur père ou de leur mère, ou « même de l’un de leurs aïeux, partager leurs habitudes « de mouvement. C’est par imitaton, dira-t-on, ce sont « autant de résultats de l'éducation ; point du tout : outre « plusieurs observations que j'ai faites moi-même, sur « des enfants élevés loin de leurs parents, qui me laissent « convaincu, que ce serait à tort qu’on attribuerait à « l'éducation les ressemblances qui nous occupent, je « tiens de M. V..., que tous les individus d’une famille « de sa connaissance sont gauchers, quoique ayant été « séparés trop jeunes d'elle, pour qu’il soit permis de (1) Ménage, Abrégé de la vie des femmes philosophes de l'antiquité, au mot Béronice. (2) Quæstion. med.-leg., lib. 1, cap. v, quæst. tr. (3) Poil'oux, Recherches sur les maladies chroniques, p. 251. 600 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ « soupçonner que ce soit par imitation, qu'ils se servent « de préférence de la main gauche (1). » Voici d’autres faits, qui achèvent de détruire tout doute, à cet égard : Les premiers, relatifs à cette élection anormale de la main. G. est issu d’une famille, où l’usage spécial de la main gauche est héréditaire; il n’est pas gaucher lui-même ; mais il a une fille mariée qui est gauchère et dont tous les enfants sont gauchers. Il a, en outre, un fils marié qui se sert spécialement de la main droite, mais qui est père d’une fille tellement gauchère, que, dès le berceau, on a été forcé de lui emmaillotter la main gauche, pour lobli- ger à se servir de la droite. Dans cet état de gêne, elle prenait, en fléchissant l’avant-bras gauche, sur le bras du même côté, les objets qu’on avait mis dans sa main droite (2). Portal cite également le fait de deux garcons, tous les deux gauchers, et qui avaient reçu cette disposition mus- culaire de leur père (3). Il ne manque pas d’exemples d’hérédité d’autres phé- nomènes moteurs. P. avait l’habitude, lorsqu'il était au lit, de se cou- cher sur le dos, et de croiser la jambe droite sur la gauche ; une de ses filles a apporté, en naissant, la même habitude ; elle prenait constamment, dans son berceau, la même position, malgré la résistance des langes (4). Il y a des familles dont presque tous les membres sont (1) Philosophie physiologique, p. 216. (2) Girou, de la Génération, p.278. (3) Portal, ouv. cit., p.20. (4) Girou, ouv. cit., p. 282. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 601 doués d’une adresse et d’une grâce exquises, dans tous les mouvements. Oui, jusqu’à l'élégance du port et de la tournure, jus- qu'aux moindres caractères de la pose et des gestes, tout, dans l’activité musculaire, peut dépendre de l’hérédité. Elle a souvent transmis l’art charmant de la danse (1). Vestris qui vient de mourir, à quatre-vingt-deux ans, était fils de ce Vestris qu'ont admiré nos mères, et qui disait avec une fierté bouffonne : « Le dix-huitième siè- « cle a produit trois grands hommes : Frédérie, Voltaire « et moi. » Tout récemment, encore, un petit-neveu de cette divi- nité de la danse, Hoguet Vestris, entrait à son tour sur la scène des miracles de ses pères, et il ne faisait pas mentir le sang des dieux. Mais l’hérédité est loin de toujours être une source d’agréments et de belles manières : Venette a vu une femme, boïiteuse du pied droit, donner le jour à une fille atteinte, au même pied qu’elle, de cette disgracieuse incommodité (2). Borel l’a vue passer du père aux enfants. Fodéré l’a trouvée, comme nous l’avons dit, héréditaire dans presque tout un vil- lage (3). Ambroise Paré avait aussi remarqué que plu- sieurs qui branlaient de la tête avaient eu des enfants qui en branlaient comme eux (4). Portal a rapporté que le maréchal de Beauveau était affecté de cette incommo- dité, ainsi que ses quatre sœurs, et que, dans leur famille, (1) Vandermonde, ouv. cit., t. I, p. 93. (2) Venette, de la Génération de l'homme, IIIe part., ch. vir. (3) Fodéré, ouv. cit., t. V, p. 262. (4) Ambroise Paré, liv. XXIII, ch. xx. 602 DE LA LOI D HÉRÉDITÉ elle était regardée comme héréditaire (1). Pomme l’a vue également héréditaire chez un valet de chambre de la reine femme du roi Louis XV (2). Girou à constaté la même hérédité du tremblement des mains chez une mère et son fils ; le tremblement était sigrand, chez le dernier, qu’il pouvait à peine exercer les fonctions ecclésiastiques (3). $ II. — De l'hérédité des facultés vocales. Si des phénomènes de l’activité motrice, nous remon- tons à ceux de l’activité vocale, nous y constatons aussitôt la même loi, et nous l’y retrouvons également chez les hommes et chez les animaux. Le mulet a la voix et le hennissement du cheval ; le bar- deau, le braiment de l’âne (4). Les bâtards de la louve et du chien ont, tantôt l’aboiement du chien, tantôt le hur- lement du loup (5); ceux du chien et de la femelle du re- nard aboient d’une voix enrouée, et hurlent comme les loups, à une forte douleur (6). Bechsteina rapporté qu’un bâtard d’ours et de chienne aboyait et grognait (7). Le cri et le chantdes oiseaux passent, de la même manière, des pères et mères aux petits : le mulet de la serine et du chardonneret a le chant de son père, mêlé le plus souvent de notes de celui du serin, et avec une tendance si irré- sistible à répéter le dernier, qu’il semble à tout moment i) Portal, ouv. cit., p. 25. (2) Pomme, Maladies vaporeuses, t. I, avant-propos, vüj. (3) Girou, ouv. cit., p. 277. 4) Valmont-Bomare, Dictionnaire d'histoire naturelle, t. IX, p. 91. (5) Buffon, Histoire naturelle, t. VII, supplément.—Bomare, ouv. cit., t. III, p. 396. (6) Burdach, Traité de physiologie, t. I, p. 264. (7) Bechstein, Gemeinneutzige Naturgeschichte, t. I, p. 702. DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 603 prêt à se réveiller, delui-même, dans sa mémoire. Il en est ainsi du croisement de presque toutes les espèces d’oi- seaux : « J'ai, dit le chevalier Da Gama Machado, trois oi- seaux mulets, dans mes volières ; le premier, né d’un tarin avec une serine : ce mulet a la robe mixte du tarin et du serin ; il chante quelquefois comme le tarin, quelquefois comme le serin ; il a, par conséquent, Le caractère mixte du serin et du tarin. Le second mulet est issu d’un linot avec une serine ; sa robe tient aussi de celles de ces deux oiseaux; son chant est plus doux que celui du serin, qui est aigre. Le troisième doit la vie à un chardonneret et à une serine ; il a le chant mixte, et il est toujoursoccupé à dé- truire, comme on le voit cheztous les chardonnerets (1). » On a, depuis longtemps, fait dans l'humanité les mêmes observations : il y a un son de voix, un timbre particu- lier, une accentuation, qui, indépendamment de toute imitation, distinguent les familles. Homère, dans l'Odyssée, fait d’abord reconnaître Télé- maque à Nestor, pour le fils d'Ulysse, à la voix de son père (2). Il n’est guère, en effet, de trait de ressemblance qui soit et plus commun et plus saisissable. Presque tou- jours la voix du père ou de la mère se retrouve dans les enfants. Tous les observateurs sont d'accord sur ce point : Qualités ou défauts de l’intonation vocale ont générale- ment, chez les uns et Les autres, le même caractère : le bé- gayement, le grasseyement, le nasillement, et les autres vices de la parole sont soumis à cette loi. Les historiens nous disent que l’impératrice Galeria Fundana, femme de Vitellius, avait un embarras de la langue qui lui rendait (1) Da Gama Machado, ouv. cit., part. 2, p.177. (2) Odyssée, liv. III. 604 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ le parler difficile. Publius Vitellius, son fils, recut d’elle la même incommodité, mais si aggravée, qu’il en était presque muet (1). La pureté, l'éclat, l’étendue de la voix, aptitude au chant, se transmettent de même. Les deux frères Garat avaient tous les deux une très-belle voix, et tellement semblable, que lorsqu'ils chantaient, ou par- laient, on avait de la peine à les distinguer l’un de l’autre. D’après la famille, ils tenaient cette beauté de voix de leur mère, qui l'avait magnifique, et à laquelle la leur ressemblait beaucoup (2). Les demoiselles Garcia ont la voix de leur sœur (3) ; le fils de Nourrit avait, à un degré capable de faire illusion, celle de son malheureux et re- grettable père (4). S'il existe des familles presque entières de chanteurs, il en est de rebelles, au delà de toute expression, à la mé- lodie. Chez d’autres, surtout chez celles où un seul des auteurs doit à la nature un organe musical, les en- fants naissent très-inégalement partagés, et il est rare qu’au moins une partie d’entre eux ne soient pas destitués del’harmonieux organe de leur père ou de leur mère. Dans une famille nombreuse qui nous est connue, la mère est complétement dépourvue de voix, et lorsqu'elle veut chan- ter, son chant n’est qu’une espèce d’enrouement sans notes. Le père, au contraire, a eu la voix juste, fraiche et belle; trois desfilset deux filles ont, à divers degrés, hérité de sa voix ; maisle dernier garçon rappelle à s’y mépren- dre, sitôt qu’il veut chanter, les indescriptibles intona- tions de sa mère. Sueton., in Vitell. Portal, ouv. cit., part. 1, art. 4. Piorry, ouv. cit., p. 99. Da Gama Machado, ouv. cit. (1) (2) (3) (4) DANS LA PROCRÉATION DU DYNAMISME VITAL. 605 Un dernier phénomène qui se rattache encore à l’héré- dité de l’activité vocale, est la loquacité. La plupart des enfants, nés de parents bavards, sont bavards de naissance. La parole, sans idée, sans but, et sans frein, semble obéir en eux à un ressort élastique dont ils ne sont pas maitres; ils parlent pour parler. Nous avons vu, nous-même, chez un de nos amis, une fille de service, qui en était un triste et curieux exemple: la loqua- cité la plus irrésistible s'élevait, chez cette fille, jusqu’au type maniaque ; elle parlait aux personnes à ne pas les laisser libres de respirer, elle parlait aux bêtes, elle par- lait aux choses, et quand elle ne savait plus à qui s’adres- ser, elle s’entretenait tout haut avec elle-même. Il y eut nécessité de la congédier. Son maitre apprit alors quela même cause lui avait fermé bien des portes : « Mais, di- sait-elle, monsieur, ce n’est pas ma faute, ce n’est pas ma faute: cela me vient de mon père, dont le même défaut désespérait ma mère, et il avait un frère qui était comme moi. » La loi d’hérédité n’a donc point d’exception qui naïisse de la nature des activités ou du caractère propre des phé- nomènes : facultés sensorielles, facultés affectives, facultés mentales, facultés vocales , facultés motrices , elle in- fluence tout, elle intervient en tout, elle est, en tout, principe, type, et force de l’être. Nous pouvons donc ad- meitre comme applicable à l'homme, et comme une ex- pression généralement exacte et rigoureuse des faits, cette proposition de Girou de Buzareingues : « Il n’y a rien, dans l’animai, qui ne puisse se transmettre par géné- ration. » 606 DE LA LOI D'HÉRÉDITÉ, ETC. Des premiers rudiments, et des premières formes de vie qui nous animent, cette transmission s'élève à tous les autres degrés, à toutes les autres formes de notre exis- tence, et l’on retrouve, ainsi, dans tous les systèmes, dans tous les éléments, dans tous les attributs, dans toutes les puissances de notre nature physique et de notre nature morale, unis aux caractères spécifiques qui tiennent à l'humanité, d’autres caractères individuels et propres au sang dont nous sortons, qui font réellement revivre dans notre corps et agir dans notre âme, le démon de la vie écoulée de nos pères. CONCLUSION GÉNÉRALE DE LA DEUXIÈME PARTIE. 607 CONCLUSION GÉNÉRALE DE LA DEUXIÈME PARTIE. Nous avons déjà vu, dès la première partie, à des signes certains, aux caractères empreints dans la série des êtres existants de nos jours, ou dans les vestiges d’une anima- lité depuis longtemps éteinte, nous avons vu la force en- core vierge du globe, saisie en quelque sorte dans le premier effort de son enfantement, obéir à deux lois es- sentiellement distinctes, bien qu'harmoniques entre elles, de la formation des êtres. Partout, comme sous l’empire d’une pensée générale de la nature en travail, partout, VINVENTION ou le principe du divers, partout lrmirTa- TION, ou le principe du semblable, fécondés tout à coup, et poussés de toutes parts à l’incarnation par l’esprit de la vie, nous sont apparus en action dans ses œuvres, et s’y imprimant comme les deux symboles de l’énergie sa- crée de la CRÉATION. Dès le premier coup d’œil, dans la seconde partie, la PROCRÉATION s’est offerte à nos yeux sous le même aspect. Ainsi que la magique parturition de la terre, la généra- tion des êtres par les êtres, simple suite du miracle, de- vait nous réfléchir et nous a réfléchi les deux mêmes ex- pressions du verbe de la vre. Nous avons retrouvé, dans la fécondité communiquée des êtres, l’activité patente des deux lois primordiales de la fécondité spontanée du globe : 608 CONCLUSION GÉNÉRALE dans l'INNÉITÉ et dans l’HÉRÉDITÉ de la PROPAGATION, les lois d’INVENTION et d'IMITATION, le semblable et le divers, de l’ixsTITUTION des types de l’existence. Mais, en nous replaçant dans la seconde partie, en face des mêmes principes que dans la première, les faits si merveilleux de la génération des êtres par les êtres nous ont aussi remis en face des mêmes questions. Le divers et le semblable, en se reproduisant sous les types spécifique et individuel, devaient nécessairement ramener sous les deux types les mêmes problèmes. Nous les avons retrou- vés à chaque pas du débat, nous les avons surtout vus se reproduire aux deux points culminants qui se sont le plus obscurcis au milieu du conflit des doctrines : io La dualité des lois de la PROCRÉATION ; 20 Le rapport de ces lois aux lois primordiales de la CRÉATION. 1. Sur le premier point, nous avons reconnu, à l’égard des deux lois de la PROGRÉATION, le même abus d'idées et de thèses absolues qu’au sujet des deux lois de la CRÉATION. Comme on avait nié la dualité des lois d’INSTITUTION des types organiques des êtres, on a nié celle des lois de leur PROPAGATION. Comme dans la CRÉATION on n’avait voulu voir que le principe du divers, ou le principe du semblable, et réduire l’une à l’autre les lois d’INVENTION et d'IMITATION de la FORCE PRIMORDIALE, On à voulu, de même , dans la PROCRÉATION , investir, sous d’autres noms, chacun des deux principes, de l’unité réelle, et réduire l’une à l’autre les lois d'INNÉITÉ et d'HÉRÉDITÉ naturelles de la vie. De là, deux théories radicalement contraires qui, par- ties toutes deux de l’unité de la loi de la génération, sont DE LA DEUXIÈME PARTIE. 609 venues comme les premières se briser à nos yeux sur les mêmes écueils : 1° Fondée sur l'hypothèse de l'identité prétendue du principe de la PROCRÉATION et de celui du semblable, la première doctrine n’a voulu reconnaître dans la gé- nération, sous les types spécifique et individuel du mé- canisme et du dynamisme des êtres, que la loi d’HÉRÉDITÉ, c’est-à-dire l’action du principe du semblable; mais, en rejetant ainsi dogmatiquement la loi de l’INNÉITÉ, c’est- à-dire l’existence et l'indépendance du principe du divers, elle ne pouvait rejeter le fait du divers lui-même : et là s’est rencontré l’obstacle contre lequel elle devait tomber. Ce n’est point faute d'efforts tentés pour l’aplanir : nous avons parcouru toutes les explications qu’elle en a pré- sentées,en vue de son système : elle s’en est prise à toutes les faces du phénomène de la diversité dans la génération : elle lui a contesté son origine, sa cause, sa nature, et enfin son existence même. Nous l’avons vue soutenir que cette diversité était pos- térieure à la naissance de l’être ; qu’elle était postérieure à la fécondation; qu’elle pouvait avoir la même date qu’elle, mais sans émaner d’elle, ete. Nous l’avons vue soutenir que la diversité, quelle que füt l’époque de son développement dans la génération, n’était pas, en effet, dépendante du principe de la géné- ration; qu’elle avait pour principe : ou, aprés la naissance, toutes les causes de nature à modifier le physique et le moral de la vie, éducation , exemples, aliments, lieux, climats, etc ; ou, avant la naissance, toutes les causes physiques ou morales de nature à porter le désordre dans la vie utérine ; ou, enfin, à l'instant de la conception elle- même, toutes les causes physiques ou morales de nature I. 39 610 CONCLUSION GÉNÉRALE à déterminer une perturbation quelconque des conditions et des dispositions d’âme et de corps nécessaires à la per fection de l’acte, c’est-à-dire toujours et dans toute hy- pothèse, des causes accidentelles. Nous l’avons vue soutenir que la diversité, désordre d’origine, n’était nécessairement, sous le type individuel comme sous le type spécifique, qu’un désordre de fait, une exception bizarre, un cas tératique, une monstruosité. Nous lavons vue enfin, par un effort suprême, épuisée de théories et d’interprétations du phénomène rebelle, soutenir hardiment que la diversité n'existait même pas ; qu’elle était ou le signe flagrant de l’adultère, ou le re- tour de l’image et de l’esprit des ancêtres, et, dans les deux cas, l’efligie physique ou morale des auteurs immé- diats ou médiats de la génération, c’est-à-dire, l’expression de l’hérédité elle-même. Mais nous avons aussi vu successivement tomber toutes ces théories, impuissantes tentatives d’interprétation et de mutilation d’un fait qui les domine. Il est resté prouvé que la diversité, dans la PROCRÉATION, n’est point une chi- mère, qu’elle y existe dans toute sa réalité, dans la fidélité des liens conjugaux, et sans rappels de types éloignés des aieux. IL est resté prouvé que cette diversité n’est, de sa na- ture, ni une anomalie, ni un accident, ni même une ex- ception, mais un fait régulier, ordinaire et normal du type individuel : qu’ainsi, sa cause n’avait rien de tératique , qu'aucune perturbation n’en était le principe. Il est resté prouvé que ce principe, antérieur et supé- rieur à toutes les circonstances possibles de la naissance de l’enfant, de la gestation, de la fécondation, était actif dans toutes les conditions externes et internes de la vie, DE LA DEUXIÈME PARTIE. 611 mème dans les plus semblables, et par cette énergie spon- tanée , identique, sous une première forme, au principe actif de la reproduction, comme réunissant tous les ca- ractères d’origine, d'essence, de généralité, de perma- nence, enfin de spontanéité d’une loi ou d’une forme de la PROCRÉATION. 20 La doctrine opposée s’est jetée dans l’autre extrême, en tournant dans le vice des mêmes arguments. Fondée sur l’absolu de l’action du divers et sur l’imagi- naireréduction du principe de la PROCRÉATION à ce seul élé- ment, elle n’a voulu admettre dans la propagation de la gature physique et de la nature morale, que l’INNÉITÉ ou loi d’expression du divers, proscrivant, à son tour, de la génération, l'HÉRÉDITÉ ou loi d'expression du semblable. Nous l’avons donc vue poursuivre, sous toutes les for- mes, le dernier caractère : elle a voulu l’exclure du mé- canisme et du dynamisme des êtres, du type spécifique, du type individuel de l’organisation. On a, dans le premier but, poussé l’esprit de système, jusqu’à nier le principe de la distinction essentielle des deux types ; jusqu’à poser, en règle, que la nature n’i- mite pas ; qu'il n’y a point de loi d’uniformité dans la gé- nération : négation explicite et de l’hérédité et de l’espèce elle-même ; de l’espèce, qui n’est plus, dans cette hypo— thèse, qu’une forme momentanée d’une métamorphose indéfinie des êtres ; de l’hérédité, qui n’est plus qu’un hasard de la propagation de l'individu. On n’a, dans le second but, contraint par édences reconnu l’expression et la réalité de la loi du semblable, sous le type spécifique, que pour la combattre, avec plus de puissance; sous le type individuel. Comme nous avions vu, sous ce second type, contester 612 CONCLUSION GÉNÉRALE l’origine et l’essence du divers, nous avons vu, alors, con- tester l’origine et l’essence du semblable. On a nié que le semblable fût dépendant du fait de la génération ; et l’on en a de même poursuivi la preuve dans des hypothèses sur l’époque et la cause de son déve- loppement. Les uns l’ont présenté comme postérieur de date, à la naissance de l’être, et devant son origine à l’uniformité de l’alimentation, des lieux, du climat, de l’éducation, de limitation, etc., les autres, comme postérieur à la fécon- dation, et produit par l’action de l’imagination de la mère sur le fœtus, par l’identité de la nourriture, etc. En reconnaissant même, qu’il avait ou pouvait avoir la même date que la fécondation, on a nié qu’il provint du principe séminal. Selon ceux-ci, il avait sa source dans la loi inconnue du hasard ; selon ceux-là, dans l’action de l’imagination du père ou de la mère; selon d’autres, il l’avait dans l’adul- tère même. Enfin, comme s’il devait ne pas rester une seule des objections soulevées contre l’expression de l’INNÉITÉ, qui ne dût se reproduire contre l’expression de l’'HÉRÉDITÉ, de même qu’on avait nié non-seulement la loi, mais le fait même du divers, nous avons vu nier et sous la forme phy- sique, et sous la forme morale, dans la génération, non- seulement la loi, mais le fait même du semblable. On lui a opposé, sous le type individuel, de n’être pas intégral, de n’être pas absolu, de n’être pas continu, de rentrer dans l’espèce, en un mot de ne pas être. Mais nous avons aussi reconnu tout le vide de ces hy- pothèses, et de ces systématiques négations de l’action et de l'expression de l’'HÉRÉDITÉ. DE LA DEUXIÈME PARTIE. 613 Elles ne nous ont pas laissé l’ombre d’un doute sur la réalité essentielle du semblable. Il nous est apparu dans le mécanisme, il nous est apparu dans le dynamisme des êtres, sous le type spécifique, sous le type individuel de la PROCRÉATION. Sous le premier des deux types, il s’est offert à nous, dans toute l’évidence de l'espèce elle-même ; Sous le second des deux types, dans les caractères les plus exclusivement propres à l'individu, à titre de person- nels, à titre d’anormaux, ou d’irréductibles à l’espèce de l'être. Nous avons même vu que malgré les lacunes réelles d’i- dentité, de totalité, de continuité qu’il y manifeste, le semblable ne laisse point, dans les limites de temps, de partie, d’analogie, où il se produit, de rester le sem- blable. Nous avons encore vu crouler toutes les doctrines oppo- sées sur la date de son développement, et celles qui le rattachent à une date postérieure au fait de la naissance, et celles qui le rattachent à une date postérieure à la fé- condation. L'alimentation, le climat, les lieux, l'éducation, l’exem- ple, n’ont pu nous rendre compte que de son développe- ment après la naissance, et nullement du principe de sa formation.Les circonstances actives, ou supposées actives, pendant la gestation, la nourriture, l’imagination de la mère, etc., etc., n’ont pas eu plus de pouvoir. 1° Elles sont insuffisantes comme uniques théories de Porigine du semblable. 2° Elles ne renversent point ses rapports antérieurs à la fécondation. La coïncidence, l’action de l'imagination dans le coît, 614 CONCLUSION GÉNÉRALE et enfin l’adultère sont de détestables explications de son développement dans la conception même ; | La coincidence, parce qu’elle ne représente que l’action du hasard, et que l’action du hasard, les chiffres en font foi (1), est la plus chimérique de toutes les raisons possi- bles de la succession de la ressemblance, dans les circon- stances de communauté d’origine et de sang ; L’imagination, eût-elle toute l’énergie dont on l’a do- tée, parce qu’elle nesaurait être qu’une cause accidentelle; parce qu’une cause de ce genre ne saurait expliquer un fait si général, dans l’animalité et l'humanité, et que la reconnaître la loi d’un pareil phénomène, c’est condam- ner les hommes et les animaux à ne plus engendrer que sous l'empire immédiat de l’imagination; c’est faire deson pouvoir, le pouvoir de la vie ; L'adultère, enfin, par les mêmes raisons : parce que c’est toujours à la seule énergie de l’imagination mise en jeu par la peur que l’on transporte alors la cause des ressemblances ; parce qu’il est plus absurde encore, sil est possible, de ne voir que dans l’action mentale de Pa- dultère, l’origine du semblable, que de réduire à l’action (1) Voy. Maupertuis, OEuvres complètes, lettre XVII, sur la généra- tion des animaux; où, à l’occasion de l’hérédité de la polydactylie, il soumet au calcul la théorie de l’'hérédité par le hasard. Si l’on voulait, dit-il, regarder la continuation du sex-digitisme comme un effet du pur hasard, il faut voir quelle est la probabilité que cette variété acciden- telle, dans un premier parent, ne se répétera pas dans ses descendants. Supposant alors qu’on compte sur 20,000 hommes 1 sex-digitaire, la probabilité que son fils ou sa fille ne naîtra point avec le sex-digitisme, est de 20,000 à 1; et celle que son fils et son pelit-fils ne seront point sex-digitaires, est de 20,000 fois 20,000, ou de 400,000,000 à 1. Enfin la probabilité que cette singularité ne se continuera pas pendant trois gé- nérations consécutives, serait de 8,000,000,000,000 à 4, nombres si grands que la certitude des choses les mieux démontrées en PEYRE n’approche pas de ces probabilités.» Loc. cit. DE LA DEUXIÈME PARTIE. 615 physique de l’adulière, l’origine du divers; parce qu’enfin l'expérience ne laisse ni chez l’homme, ni chez l’animal, le plus léger doute sur l’absurdité de toutes ces théories. Pour tout dire, en un mot, aucune des influences acci- dentelles de la génération ne donne l’explication de l’uni- formité féconde qui s’y déploie; aucune évidemment n’en contient le principe. De même que le principe de la diversité, ce principe antérieur et supérieur à toutes les circonstances possibles de la naissance de l’enfant, de la gestation, de la féconda- tion, s’est produit, lui aussi, comme une force essentielle et active de la vie, dans toutes les conditions et dès le pre- mier instant de la génération de l’être, participant ainsi de tous les attributs d’un principe formateur, et réunis— sant en soi, commele divers, mais sous une autre forme, tous les caractères d’origine, d’essence, de généralité, de continuité, de spontanéité, d’un ordre ou d’une loi de la PROCRÉATION. Aïnsi s’annullent les deux théories contraires de l’ab- solu du semblable, de l’absolu du divers, comme sym- bole de la vie, dans la reproduction séminale des êtres. Le système véritable de la PROCRÉATION semble être celui de l'alliance des deux caractères, c’est-à-dire celui d’une dualité apparente de lois. IT. Reste le second point qui, comme nous l’avons dit, s’est le plus obsecurci, dans le dédale du problème : le rap- port de ces lois de la PROGRÉATION aux lois primordiales de la CRÉATION. Et d’abord ces deux lois ne de la PROCRÉATION sont-elles réellement distinctes dans leur essence; ou ne seraient-elles, au fond, qu’une seule et même loi? C’est la même question que, sous une autre face, les 616 CONCLUSION GÉNÉRALE lois primordiales de la CRÉATION nous ont précédemment appelé à résoudre. t Sous la face nouvelle, où elle se produit, nous ne savons que deux manières directes d’arriver à sa solution : l’une est de comparer l’essence des deux principes dans leur rapport avec la PROCRÉATION ; l’autre, d’analyser l’es- sence du principe de la PROCRÉATION même. En nous renfermant, d’abord, dans la sphère pure- ment phénoménale de la procréation, il est évident, par la nature des faits qui s’y manifestent, et que nous venons d’exposer, que la PROCRÉATION est irréductible à Pan- NÉITÉ ; qu’elle est irréductible à l’'HÉRÉDITÉ. Le divers et le semblable s’engendrent l’un et l’autre dans la reproduction séminale des êtres : le premier n'y est point exclusif du second, Le second du premier : ils n’y sont point en opposition d’existence, ils n’y sont qu’en opposition d'activité, et cette opposition se résout en har- monie : là PROCRÉATION les comprend l’un et l’autre dans son énergie; elle en répand sans cesse et parallèlement les deux caractères. Si nous voulons, maintenant , comparer entre eux ces deux phénomènes de la génération, l’un de ces phéno- mènes est-1l antérieur au développement de l’autre? est- il plus général? est-il plus continu ? et a-t-il, par lui- même, dans la génération, plus de raison d’existence ? Nous avons reconnu : Qu'ils sont simultanés dans leur formation : qu’ils procèdent tous deux d’un seulet même instant de l’acte générateur: l’un par cette raison, ne sau- rait provenir, l’autre ne point provenir de la fécondation: ils ont tous les deux, ou aucun des deux n’a cette pre- mière origine. Ils ont, en un mot, la même date dans l’être. DE LA DEUXIÈME PARTIE. 617 Ils y ont la même étendue d’expression. Aucun des deux n’y est limité à un type, ni à un élément, ni àun carac- tère, quel qu’il soit, de la vie : ils se représentent, tous deux, dans tous les attributs, et dans tous les modes, et dans toutes les parties de l'existence physique, de l’exis- tence morale : ils se comportent enfin comme deux puis- sances égales, et qui tendent, au fond, à sefaireéquilibre. Cet équilibre, pour nous, est une de leurs lois : que l’on compose un groupe de tous les membres épars d’une même famille, ou plutôt, qu’on fasse choix d’un seul indi- vidu, offrant le plus de rapports avec ses deux parents, et qu’on additionne la somme des différences et celle des ressemblances avec ses père et mère : il ne nous semble pas, un seul instant douteux, qu’à la condition, par mal- heur impossible, de tenir un compte exact de tous Les ca- ractères externes et internes, physiques et dynamiques de l’organisation, et d’accorder à tous une valeur sembla- ble, il ne nous semble pas un seul instant douteux, que, si l’on pouvait rendre toutes les analogies et toutes les dif- férences de tous ces points sensibles, le résultat le plus constant du parallèle ne füt, qu’en général, la somme des différences et celle des ressemblances sont égales entre elles. Les deux phénomènes sont tout aussi égaux dans leur continuité : comme la PROCRÉATION engendre PARTOUT, dans la nature de l’être, le divers et le semblable, elle l’en- gendre TOUJOURS. La théorie, enfin, confirme ces principes. Car, si des phénomènes, nous remontons aux agents de la PROGRÉA- TION, si de la nature des faits, nous passons à l’étude de la nature des facteurs, il devient évident que ni lesemblable, ni le divers, n’ont en elle de raison supérieure d'existence : 618 CONCLUSION GÉNÉRALE Toute théorie de réduction dela loi de l’INNÉITÉ à l’HE- RÉDITÉ se fonde sur le principe que le semblable doit dé- river du semblable : Toute théorie de réduction de la loi de l’'HÉRÉDITÉ à PINNÉITÉ, se fonde sur le principe que le divers doit déri- ver du divers. Or, est-il une de ces conditions opposées de la généra- tion de l’un ou de l’autre caractère, que la PROCRÉATION remplisse jamais seule? 1° Évidemment, il est une première limite au delà de laquelle ellene remplit point celle dela formation exclusive du divers. Dans toute génération normale, il est toujours, entre le père et la mère, un degré nécessaire et une forme plus ou moins marquée d’analogie : cette forme est celle qui tient à l’unité d’espèce : ce degré est le point où les diversités du type individuel se résolvent, en quelque sorte, dans l'identité spécifique des auteurs. Dans un grand nombre de cas, le type individuel mè- me a, chez les deux auteurs, ses similitudes et ses ana- logies. Voilà donc deux lacunes, l’une fortuite, l’autre con- stante, et tenant à l’essence de la PROCRÉATION, qui bou- leversent, en elle, la condition première de la génération exclusive du divers. 2° La PROCRÉATION en oppose d’analogues à la généra- tion exclusive du semblable. Et c’est précisément de la loi que le semblable doit pro- duire le semblable, qu’elle lesfait sortir. On ne s’est point aperçu qu’on faisait de cette loi une application fausse à la reproduction séminale des êtres. L'application n’en serait logique et rigoureuse que dans DE LA DEUXIÈME PARTIE. 619 les théories où l’on fait dériver d’un seul des deux auteurs la totalité de la nature du produit. Dans ces hypothèses, si elles étaient fondées, et si le nombre seul des diversités pouvait jamais permettre de les considérer comme des ex- ceptions, on pourrait, logiquement, jusqu’à un certain point, regarder, selon les différents systèmes del'Ovarisme, ou du Spermatisme pur, toute dissemblance entre les en- fants et le père, les enfants et la mère, comme de mons- trueuses dérogations aux lois de la PROCRÉATION. Mais il est aujourd’hui pleinement démontré, et nous en donnerons plus loin toutes les preuves, que ces théo- ries sont radicalement fausses ; qu'aucun de ces systèmes exclusifs sur le germe n’a de réalité. Le germe, proprement dit, procède des deux à auteurs. Or, dans ans cette théorie, la prove conforme aux faits de la génération, si active que puisse être la loi que le sem- blable engendre le semblable, on ne peut plus appliquer à la PROGRÉATION la rigueur absolue du principe qu’elle pose. Toutes les conditions d'énergie de cette loi, sous le type spécifique, se trouvent sans doute encore généralement remplies : le père et la mère sont spécifiquement sembla- bles l’un à l’autre, et semblables au produit : ils sont et ils restent d’une seule et même espèce : et tous deux sous ce type, et par cette raison, se répètent sans cesse. Mais la question setransforme, sous le type individuel. | Individuellement, ni le père ni la mère ne sont sem- blables entre eux : ils sont même toujours plus ou moins différents : ils diffèrent, commesexes ; ils diffèrent, comme êtres, et par les attributs de leur existence physique, et par les attributs de leur existence morale. Devant cette dualité active des deux facteurs, dans cette | | | 620 CONCLUSION GÉNÉRALE diversité souvent pleine de contrastes et d’oppositions de leur double nature, il n’existe pas plus de raison exclu- sive de la génération absolue du semblable, que de la génération absolue du divers. S'ils agissent, cependant, dans ces conditions, s’ils s’y manifestent, c’est qu’ils obéissent nécessairement tous deux à une force supérieure qui les y développe, comme deux expressions parallèles de la vie intérieure qui lani- me, ou qu'ils s’y dégagent spontanément eux-mêmes, comme deux forces, ou deux loisindépendantes entre elles. Il faut donc toujours, et dans toute hypothèse, recon- naître à tous deux une même valeur. Si l’on ne veut accorder qu’une valeur de fait à 'INNÉITÉ, il est rationnellement impossible d’accorder une autre va- leur à l’'HÉRÉDITÉ; si l’INNÉITÉ n’est pas une loi, l’'HÉRÉ- DITÉ ne peut être une loi : et.si toutes deux sont lois, ce sont deux lois égales : égales, car aucune d’elles n’est ni le corollaire, ni l'expression de l’autre : égales, car aucune d’elles ne procède de l’autre ; égales, car aucune d'elles n’est réductible à l’autre : égales, car aucune d’elles ne domine plus que l’autre la génération. La génération anime successivement, alternativement, simultanément les deux caractères : elle obéit à l’un et à l’autre principe ; ou, pour être plus exact, aucun des deux principes n’y a, de soi, de cause libre et indépendante d’activité première; leur spontanéité apparente n’est que celle du principe actif de la PROCRÉATION. Or, quel est le principe actif de cet immense et conti- nuel miracle? Nous l’avons déjà dit, c’est Le principe actif de la CRÉATION. La PROCRÉATION et la CREATION procèdent d’un seul et même système d'énergie, et ne sont que le mème acte DE LA DEUXIÈME PARTIE. 621 d’un seul et même auteur : ineffable merveille, dont les conditions, dont les expressions, dont les agents chan- gent, dont les lois sont les mêmes : ce sont toujours les lois premières d’INVENTION et d’IMITATION naturelles de la vie. Il y a donc, à la fois, unité de principe et dualité de lois. Ne voir que l’iNNÉITÉ, ou que l’'HÉRÉDITÉ, dans la PRo- CRÉATION, équivaut donc à ne voir, dans la CRÉATION, que lesystème du divers ou que celui du semblable, c’est-à-dire, qu’un seul des deux caractères dont la reproduction, comme la production initiale des êtres, nous révèlent à la fois le dualisme et l’hymen. C’est cette corrélation que l’on n’a point saisie : On à commis la faute de ne point franchir la sphère de la PROCRÉATION, et de ne point poursuivre le rapport de ses lois et de ses phénomènes avec les phénomènes et les lois PRIMORDIALES de la CRÉATION. Se limiter ainsi à la génération, c’était se condamner à ne jamais comprendre ni l'essence ni la cause de l’un FORMITÉ et de la DIVERSITÉ SECONDES qui s’y déploient. Elles y sont sans lumière et sans commencement. Ainsi s'expliquent, pour nous, et se légitiment, en quel- quemanière, tant de fausses théories qu’on en a proposées. De ce court horizon d'une question immense, rien de plus difficile, dans le chaos des faits discordants qui se mêlent, que de ne point confondre les deux caractères ; leur dualité saisie, rien de plus difficile que de dégager l’un de l’autre les deux éléments : la séparation faite, rien de plus difficile que d’en déterminer le parallélisme, l'essence, le principe. Plus on approfondit l’ensemble des circonstances où ils se développent, plus leur source se perd, plus leur 622 CONCLUSION GÉNÉRALE nature échappe, plus l’obseurité gagne, par lembarras croissant de savoir que penser des faits au delà des faits, que penser des faits mêmes. Le divers et le semblable s'unissent sous tant de formes, ou se heurtent en tant de sens, si inopinément, si spontanément, sous tant d’aspects bizar- res, qu'il y a de la vérité, au premier abord, à ne plus voir en eux que des effets sans cause. On comprend qu’on se soit surpris même à douter de leur existence. Tant, semblable ou divers, tout paraît également fantas- tique, étrange, désordonné, fatal, incompréhensible! tant il est impossible, en ne s’écartant point de l’acte ni des agents de la reproduction, de leur trouver une loi, une raison d’eux-mêmes ! Maissitôt qu’on s'élève de la PROCRÉATION à la CRÉATION et que l’on interroge la nature sur les formes de son acti- vité immédiate dans l’une, pour les comparer aux for- mes de son activité médiate dans l’autre, si l’on a une fois bien saisi les premières, le nuage se dissipe, le chaos s’illumine, et Le désordre apparent se transforme à l'instant en un ordre admirable où, jusqu'aux accidents, tout s’éclaire et s’explique (1). Alors, mais seulement alors, se révèlent la nature et la cause essentielles du divers, la nature et la cause essen- tielles du semblable : alors se révèle même la raison pour laquelle cette nature et cette cause n’apparaissent nulle part dans la génération ; c’est qu’à proprement dire, elles ne sont point en elle, et que pour les saisir, il faut re- monter au principe supérieur qu’elle nous représente et dont elle dérive. (1) Voy. Tom.If, marche de l’hérédité et de l'innéité dansla génération. DE LA DEUXIÈME PARTIE. 623 On retrouve aussitôt dans la propagation les lois en action de l’institution des êtres. Toute génération directe ou indirecte, c’est-à-dire spon- tanée où communiquée n'est plus dès ce moment, qu’une exaltation, ou plutôt qu’une extase fécoude de la vre où s’é- veillent toujours les mêmes facultés de la force magique qui crée dans l’univers. Dans les entrailles des êtres, ou dans les flancs du globe, partout où elle agit, partout où elle engendre, elle INVENTE, elle IMAGINE ; elle IM1YE, elle se RESSOUVIENT. FIN DU PREMIER VOLUME. TABLE DU TOME PREMIER. ÉRAMER LIN ARR INTRODUCTION TERRE AE RONA ANR ne SNS PCOPÉGOMENES een ces elle elslerae le Lies esse cl . S L. Rapports de la question de l’hérédité avec les sciences physiques et les sciences morales.....,.....,.4...... $ IE. Rapports de la question de l’hérédité de nature avec cellerde Fhérédité dns UT EE CRE MST NUE $ IT. Rapports de la question de l’hérédité de nature avec celle de lPhérédié delirnervanion EE PRE Se $ IV. Rapports de la question de l’hérédité de l’innervation avec celle d’origine des facultés des êtres. ........,..... $ V. Rapports de la question de l’origine première des fa- cultés des êtres avec celle de naturedes principes et des lois deblorsamsation timer enr senne PE REG PARA A RE S VL. Rapports de la question du principe et des lois de l’or- ganisation avec celle du principe et des lois de la vie dans la création primordiale des êtres.............. AE PREMIÈRE PARTIE. DES DEUX LOIS DE LA VIE DANS L'INSTITUTION PRIMORDIALE DESB TRES 222 Rd er Ne A me le a estate errant NA Te re ere Value LIVRE PREMIER. De la loi d’iNvenrioN dans la création de l’une et de Pautre lormed'existence des ÉLlES es ee de ce NN ee CHAPITRE PREMIER. — De la loi d'INVENTION dans la créa- tion du mécanisme des êtres ou dans linstitution de la forme physique de leur existence...................: CHAP. ]I. — De la loi d'iNvENTION dans la création du dynamisme des êlres, ou dans l'institution de la forme InOrle de lEUTexXISTENRCE AMAR EN ne HETe Œe 40 18 624 TABLE DES MATIÈRES LIVRE SECOND. De la loi d’IMITATION dans la création de l’une et de l’autre formeldiexistence des tres mer EEE CHAPITRE PREMIER. — De la loi d’imirarion dans la créa- tion du mécanisme des êtres, ou dans l'institution de la forme physique de leur existence "7" ERP NETEREE CHAP. II. — De la loi d’imiraTion dans la création du dy= namisme des êtres, ou dans l’instilulion de la forme mo- raledeleur'existences. 1520 M EEE DEUXIÈME PARTIE. DE LA TRANSITION DES DEUX LOIS PRIMORDIALES DE LA CRÉA- TION DANS LA PROCRÉATION . .....sere États le ee NO LIVRE PREMIER. De la loi d’iNNÉITÉ dans la PROGRÉATION de l’une et de autre forme d'organisation... 2; ct e2tten Lire ce LEUR EUR CHAPITRE PREMIER.— De l’iNNÉITÉ dans la procréation du MÉCONISMENNLLAL ee ce Reel Eee CEA Er PME CHAP. II. — De liNNÉITÉ dans la procréation du dyna- misme NilAL idees corne tkne EC LEE ILE RINEEES mr ess nn memes esse LIVRE SECOND. De la loi d'HÉRÉDITÉ dans la pROcRÉATION de l’une et de l’autre forme d'orsanisationts 42... REP ERERS CHAPITRE PREMIER. — De l’HÉRÉDITÉ dans la procréation ARTICLE 1. — De l'hérédité des caractères propres aux éléments solides de l’organisation $ L. De l’hérédité de la structure externe S IL. De l’hérédité de la structure interne. ............ ARTICLE 2.—De l’hérédité des caractères propres aux élé- ments'fluides de l’organisation. -:--...." 0..." .022 ARTICLE 5. — De l’hérédité des caractères propres aux états de la vie ou modes physiologiques de l’organisation... $ I. De l’hérédité de la constitution ou du caractère géné- mA A6 14 VIE . san eee» re EC UC LEE 61 95 97 ibid. 139 171 DU TOME PREMIER. S IL. De l’hérédité des modes de développement. ...... S HE. De l’hérédité des modes de la reproduction. .. IV "De lhérédité des idiosynerasies- tt. SV'Derlhérédité della duréede’la vie. 1921 ts ARTICLE 4. — De l’hérédité des anomalies du type spécifi- querde lorganisations ns et LU HEe). 0 2 ANS LT URI I. Del’hérédité des hémithéries, ou anomalies simples delorganisalontans st He) has ta ne ie et $ I. De l’hérédité des anomalies par arrêt de développe- ment.de l'organisation ete Cest $ IL. De l'hérédité des anomalies par excès de développe- ment de l'organisation en ae leLe trNerr nue IL. De l’hérédité des monstruosités proprement dites, $ IL. De l'hérédité des monstruosités unitaires......... S IL. De l’hérédité des monstruosités doubles ou compo- CHAP. IL. — De l’aérépitTé dans la cation de la na- HDITEMTLOT ALES AM ne A ARS dl PREMIÈRE SECTION. Des preuves d'autorité de l’hérédité de la nature morale... DEUXIÈME SECTION. Des preuves d’expérience de l'hérédité de la nature morale... ARTICLE 1. — De l’hérédité des caractères propres aux mo- des d'activité sensorielle de létres tint sen cher A ME UE PO EN A me M ed eane at à goût 00 oo ombobbvotevadiusettondbonuouooboe oo S LIL. De l’hérédité des modes sensitifs de la vue... .... 1. Hérédité des modes d’anesthésie de l’æil........ 2. Hérédité des modes d’hyperesthésie de l'œil... ... S IV. De l’hérédité des modes sensitifs de l’ouie....... ARTICLE 2. — De l’hérédité des caractères propres aux mo- des d'activité sentimentale de l’être................. $ L. Apercu de l’opinion générale des auteurs sur l’héré- ditérde Ces) Caracieres tr NERO $ IL. Principes fondamentaux des restrictions à faire à l’hérédité des propensions morales, ...........,... S IE. De l’hérédité des inclinations, qualités ou défauts du type individuel, dans Panimalité . ...... RAD $ IV. De l’hérédité des inclinations, qualités ou défauts du type individuel dans l’humanité.......... ce 626 TABLE DES MATIÈRES DU TOME PREMIER. $ V. De l’hérédité des propensions au crime.......... 480 1. De l’hérédité des penchants aux crimes contre les propriétés ..... CA CAAOELS 2 5 LAS 8 SECTE MES 481 2. De l’hérédité des penchants aux crimes contre les personnes uit Ras er NRENERA UC ER LATE 496 Spécimen d’un tableau de la généalogie morale des Conda MnéSU te O2 ALT ATRNERR RIRES ...... D28-599 Spécimen d’un tableau de la généalogie mentale des CON dAMNÉS) FATAE UE RARE ARR ENS ... D90-D51 $ VI. Confirmation générale par l’histoire. ........... 532 ARTICLE 5. — De l’hérédité des caractères propres aux mo- des d'activité intellectuelle/de l'être HP ERE SE PEER 547 $ L. Aperçu de opinion générale des auteurs sur l’héré- dité de ces:caractères Lama n de ALTRNIIEESSRE . ibid. $ IL. Objections de doctrine et de fait dirigées contre lhéxédité des facultés:mentales 2" SR 552 S UK. Critique des objections dirigées contre cette forme de lhérédité etes EN 2 IE dD7 S IV. Preuves d'expérience de l’hérédité mentale..... 575 $ V. Réfutation sommaire de doctrines erronées déduites du principe de l’hérédité des facultés mentales. ..... 584 ARTICLE 4. — De l’hérédité des caractères propres aux mo- des d'activité molrice et vocale de l'être, :.. 0". D95 SI. De l'hérédité des facultés motrices............... D94 S IL. De l’hérédité des facultés vocales. ......... + 2 COMODE CONCLUSION générale de la deuxième partie...,......... 606 FIN DE LA TABLE DU TOME PREMIER, re k en SAR) en M THE a W k RE SMITHSONIAN INSTITUTION LIBRARIES ann 31580 7 rt HAT L93 T hilos