f:H^ f - I / ffk 'ÏÎX -.V /:- .^^";:J? ^ ■Kx ^ .. % K •4 ^ ciV? .... 'di ^ LAWRENCE FUND 3^ TRAITÉ THEORIQUE ET PRATIQUE DE LA VEGETATION. TOME QUATRIEME, V # TRAITÉ THÉ 0 RI QUE ET PRA TIQUE DELA VÉGÉTATION, Contenant plufieurs Expériences nouvelles & démoaltratives furrEconomie végétale & fur la culture DES ARBRES: Par m. MUSTEL , ancien Capitaine de Dragons ; Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis , des Académies des Sciences, Belles-Lettres & Arts de Rouen , Dijon , Châlons , de la Société des Arts de Londres , & de plufieurs Sociétés d'Agriculture. '■ ■■ \ ' ' ' . . Experientia rerum magifira, TOME QUATRIEME. A PARIS, Chez LES Libraires. E( A ROUEN, Chez LE BOUCHER le jeune , Libraire , ru^. Ganterie. M. D C C. L X X X I V. Avec Approbation & Privik§c du RqL 1 J\. JD JLi Jcj DES LIVRES ET CHAPITRES Contenus dans ce quatrième & dernier Tome. LIVRE V I L Chapitre 1,jLJ E lu Plantation des Ave- nues y page I Chap/IL De la culture des Arbres nouvel- lement plantes , B Chap. III. Méthodes pour foutenir , ajjhrerù protéger les Arbres nouvellement plantés , 1 6 Ghap. IV. De rsiagage , 2.8 Chap. V. De r E brancha ge , 41 Chap. VI. Indice certain de V époque à la- quelle les Arbres cejjent de croître & com- mencent à dépérir , 48 Chap. VIL Des Bois & des Forets^ 6z Chap. VIIÎ. Des dommages que fait le hétûil dans les bois , ^9 Chap. IX. Delà confervation des bois ^ Bî Chap. X. Des Baliveaux , S9 Chap. XI. Du rétablijjement des Foriis & des Bois j> 9B vj TABLE. Ch AP. XII. Du Recepage des jeunes bois , r la wChap, XIIL Delà coupe des Bois , 114. ChaP. XIV. Obfervations générales, fur la multiplication des Arbres , 123 Chap. XV. Des Boutures , 12.9 Chap. XVI. De la préparation des Bou- tures y 145 Chap. XV II. De la faifon défaire reprendre des Boutures , 1^4 Chap. XVIII. De la manière de planter les Boutures , 159 Chap. XIX. Des Arrofements , 169 Chap. XX. De la manière de faire réujfir des Boutures fous cloches ^ 177 Chap. XXI. Des Marcottes ^ 183 Chap. XXII. Des différentes manières de faire des Marcottes , 187 C&AP. XXLIL De la manière de faire des. Marcottes dans des vafes , ou en poupées , ChâP. XXIV. Des Drageons enracinés y 201 Chap. XXV. Des Jardins en général , 205 Chap. XXVI. Des Jardins dans V ordre fym- métrique , 232 Chap. XXVII. Des Jardins dans V ordre naturel , 245 Chap. XXVIII. Du Jardin proprement dit ^ Chap. XXIX. Des Bofquets , 292 ChaP. XXX. Des Bocages ^ 299 Chap. XXXI. Des Jardins de ville ^ 312 Chap. XXXII, Des prétendus Jardins An-- T A B L E. v5j — ■ — — '— — ^— ^■— ' LIVRE VIII. BE LA FRUCTIFICATION. Cha^ITP^E 1,1^ Es Greffes ^ page 3 2- $ Chap. II. De la théorie de la Greffe ^ 332 Chap. ÏII. De la pratique des Greffes , 348 Chap. IV. Des différentes Greffes & de la manière de greffer , 3^S Chap: V- Delà taille des Arbres ^ 398 CHA.P, VI. De la Taille en général ^ 403 Chap. VII. Des Outils néceffaires pour tail- 1er y ^ de la manière d*en faire ujage , 408 Chap. VIII. De la première difpofition de VArhe^ 41$ Chap, IX. Des différenus Branches , 418 Chap. X. Bxgles générales pour la Taille , 422. Chap. XI. De la première taille d^un Arbre ^ 427 Chap. XII. De la taille de la féconde année & des fuivantes , 43 5 Chap. XIII. De la taille de la troifieme an- née , 446 Chap. XIV, Des Arbres en huiffon y 448 Chap. XV. De r entretien & de la réparation des Arbres formés en e/palier , 4^2 Chap. XVI. De la taille des Arbres à fruit à noyau y Ù particulièrement des pêchers , 459 Chap. XVII. De l'Ebourgeonncment , 470 Chap. XVIIÎ. Du Palijfage , 477 viij TABLE. Chap. XIX. De la taille de la Vigne y 482 Ch AP. XX. Pratiques pour la projperite des Arbres fruitiers , 486 Chap. XXI. Des Maladies des Arbres & des Animaux qui leur font nuijîbles , 49 1 Chap. XXII. Des Fourmis ^ 49"; Chap. XXIlI. De la culture des Melons , 502 Lifie des meilleures ejpeces de Melons , 521 Fin de la Table des Livres 5r Chapitres du quatrième & dernier Tome, TR AI T É THÉORIQUE ET PRATIQUE DELA FÉGÊTJTION. G^ wrnwryi» i%>JUB.mBmv^rt(»rt-.iiSi'< rimt- t-fc^t iifarj', .-i^vf j.'-«»-l. ..ulu j rruuwMBaajB LIVRE VIL 31 CHAPITRE PREMIER. De la Plantation des Avenues, T OUT ce que nous avons dit desfemis^ des pépinières & de 1 éducation àts arbres, nous mené aux plantations en grand ; nous en allons parler dans ce Livre , en commen- çant par la plantation des avenues. Leur diredion eft ordinairement déterminée Tome IV. A 1 Traité de la par les chemins ; on a feulement attention de les conduire le plus qu'il eft poflible en ligne droite , car elles perdroient beaucoup de leur beauté , 6i deviendroient même déi'agréables , fi elles avoient différentes courbures , & fi elles changeoient fouvenc de diredion : ces inflexions ne font fupportables que pour les fîkts d'arbres ou les ceintures qui bordent les terres cultivées. On e(l autorifé à adopter cette irrégula- rité dans les plantations qui ont pour objet l'utile plurôr que l'agréable, elles fout des croifees ; croix de S, André ^ fi les lignes fe coupent à un feul poini: A z 4 Traité DÉ LA à angles inégaux ; des étoiles , iî plufieurs lignes fe coupent au même point. On forme aux environs des habitations des avenues et des futaies , des maiîifs de hauts bois. Ces plantations décorent une terre, à la- quelle elles donnent plus de valeur & four- niflènt des promenades; mais de plus, elles abritent les cours 6^ les bâtiments qui y font, & les parent des ravages des vents impétueux & des ouragans. On ne peut fixer en général la largeur des allées ck des avenues, elle doit être détermi- née par plufieurs confidérations particulières, comme la qualité du terrain , la grandeur à laquelle les arbres qu'on plante peuvent par- venir , l'étendue & la longueur qu'on veut donner à la ligne de plantation , la façade -des bâtiments, lorfque les avenues y aboutif- fent ; comme l'intention eil de la comprendre entièrement dans les allées , on eft obligé d'augmenter de beaucoup leur largeur , quoi- que louvent elles aient peu de longueur : une allée trop étroite feroic un fort m.auvais effet en face d'un gros bâtiment ; mais auili il eft ridicule de trop étendre la largeur d'une allée de peu de longueur. Les points de vue étant les principaux agré- ments de la campagne, il faut éviter déplan- ter de grands arbres du côté où il s'en pré- fente de beaux. Lorfque les arbres font pb.ntés trop éloi- gnés les uns des autres, \h forment des files mal garnies ; & quand ii en manque quelques- VEGETATION, Liy. VII, Ch. I. % uns, elles deviennent très- difformes ; mais auiîi quand ils font plantés trop près à près , ils fe nuifent , non-feulement par leurs ra- cines qui fe dérobent muruelleraent les fucs. de la terre , . mais encore plus par leurs bran- ches qui s'entrelaflent les unes dans les au- tres. Il eft donc aufTi important de bien efpacer les arbres entr'eux, que de laifier entre les fibs une diftance convenable. On s'imagine qu'en multipliant les arbres , on fe met eu état de jouir plus promptemeni des agréments qu'on fe promet de fes planta- tions, Les propriétaires abufés par J'i(Jée de cette prompte jouilïance & par les confeils des Jardiniers , qui ne demandent pas mieux que d'en fournir une plus grande quantité, recon- noiflent leur erreur quand les arbres viennent: à croître ; ils difent pour lors que quand ils commenceront à fe ioindre & à fe nuire, ils en feront arracher un entre deux : mais il eft rare de voir exécuter cette fouitradion ; on fe détermine difficilement à jetter à bas de jeunes arbres qui fe portent bien : de plus , ce retranchement de la moitié. des arbres ne peut s'exécuter qu'avec défavantage; car parmi ceux qu'il faudrait arracher , il s*en troiivç fouvent de plus beaux que ceux qu'on laifie- roit fur pied : on doit donc toujours obfer- ver de planter à des diftances proportionnées à la grandeur où les arbres peuvent atteins dre. Quoique difFérçntes çirconftances peuvent; A3 6 TïtAITÉDELA quelquefois varier les diflances , nous dirons cependant en général que les chênes , les or- m^^ y les châraigniers ne doivent être plus près les uns des autres que de cinq toiles. L'Or^ donnance avoit fixe à certe diftance la plan? tation des ornies qui bordent les grandes rou- tes i on a néanmoins coutume de ne les met- tre qu'à trois toiles ; ce qui n'eft pas fuffifant pour avoir, par la fuite, de beaux. & grands arbres. Lorlque les files uniques font formées par des peupliers d'Italie , des bouleaux , des aul- nes , des ibrbiers, des cyprès , &c. , ces ar- bres qui étendent peu leurs branches , peuvent être mis à une toife & demie de diftance les^ uns des autres : fi ce font des tilleuls , dçs peupliers de Canada & autres qui poulTent 4es branches latérales , on les met à deux toi Tes. On met entre les platanes , les hêtres , les marronniers d'inde, les pins, les fapins , &c. quatre toiles. Quand on plante dans les campagnes àt^ filées uniquement defiinées à former des points de vue , vis-à-vis les fauts de loup & les gril» jes , comme il faut tâcher de fe procurer cet agrément , en failant le moins de tort poirible aux champs femés de grains , on peut mettre dix à douze tpifes d'intervalle enxre les arbres. Comm.e ces allées ne font pas faites pour la promenade , mais fimplement pour l'agrémenç de la vue, & qu'on ne les apperçoit que par l'une de leurs extrémités , les arbres qui ït projettent les uns fur les autres , fçmblent fe VEGETATION , Il V. VII , Ch, I. 7 joindre , quoiqu'il y ait beaucoup d'efpace en- tr'eux. Quelques Archireâes de jardins préten- dent qu'une allée de cent tcril'es de longueur doit avoir cinq à lix toifes de largeur , celles de deux cents toifes , fept à huit ; celles de trois cents toifes & au-deiTus, dix à douze toifes de largeur : mais plulieurs cir- çonttances peuvent faire varier ces diitançes. Dans les grandes routes royales , la lar- geur comprife entre les arbres qui les bor- dent, e(l de quatorze toifes; & quand, dans certaines parties , on veut augmenter la déco- ration , on y ajoute des contr'allées qui , pour être bien proportionnées , doivent être cha- cune delà moitié de la largeur delà principale allée, L'Ami des hommes seft récrié , non fans raifon , contre la perce immenfe de ter- rain qu occafionne dans le Royaume ceçtç ma- gnificence royale. Dans les terrains de peu de valeur, il y a moins de perte à étendre la largeur des avenues ; mais on doit la reftreindre dans les terres précieufes , & y fupprimer les con- tr'allées poi^r ne point facrifier Futile à la- gréable. C'ell un principe d'économie qui con- vient non- feulement l ceux qui ont une fortune bornée , mais qui devroit naéme toucher les gens les plus opulents ^ car rien ned plus Gppofé au bien public que de facrifier à la vanité & à l'oftentation de bonnes terres oui doivent porter l'abondance & fubvenir à la nourriture des Citoyens , en augmentant la n}d,iiQ générale des fubliftances. i\ 4. s Traité B^i A Il y a de certaines proportions qu'il faut obferver dans les plantations : de mênie qu'il eft choquant de voir des allées fort courtes & d'une excefîive largeur ; de même on auroit peu d'agrément de celle qui feroit fort lon- gue , Il on la tenoit trop étroite : il faut tç- nir plus larges les allées que l'on plante avec des arbres qui doivent s'élever & prendre beaucoup de tour,/ que celles qu'on fait avec des arbres de moyenne taille. Nous n'en dirons pas davantage ici fut le? avenues, dont nous aurons occalion de reparler encore. CHAPITRE IL De la culture des Arbres nouvellement plantés. I L y a des préceptes qu'il eft plus aifé àt diâer fur le papier , qu'il ne l'eft de les exé- cuter fur le terrain ; tels font ceux qui en- joignent de donner quatre labours aux arbres nouvellement plantés ,* faYpir , un profond avant l'Hiver , pour ouvrir , dit- on , laterre & faciliter l'introduâion de l'eau des pluies & des neigea ; un fécond labour aufîi pro- fond au mois de Mars , non-feulement pour dérruire les mauvaises herbea , rnais encore pour foulever la terre qui a été comprimée par les pluies d'Hiver. Quant aux deux autres l^abours d'Eté ^ ou les ordonne^ légers , parçç VEGETATION , LiV. VII , Ch. II. f qu'ils n'ont pour objet que de détruire les tobes. Voilà une ordonnance très-aifée à dider dans le cabinet ; heureufement qu'elle n'eft pas néceffaire ; car les frais conîidérables qu'il fau droit faire pour l'exécuter, rendroient les plantations impraticables , pour peu qu elles fuiïent étendues. Si on donne de ces labours aux arbres frui- tiers dans les jardins , perfonne ne s'avife de les donner aux arbres forêtiers , plantés en avenue , en malîifs, ôcc. , & heureufement ils s'en patient très-bien. J'irois contre mes principes établis au qua- trième Livre , ii je ne reconnoilTois pas l'uti- lité des labours : mais ces mêmes principes font connoître qu'ils peuvent être très-dan- gereux , & même mortels pour les arbrei , s'ils font faits dans des temps où ils rendent la terre plus perméable à la gelée ou à la cha- leur. Si la terre érant nouvellement remuée au pied des jeunes arbres , il furvient une forte gelée , on fent que c'eft ouvrir un palîage li- bre à cette gelée qui vient frapper les tendres racines que ces arbres , nouvellement plantés , ont pouiré très-près de la fuperficie du ter- rain. L'autre extrême eft encore plus nuifible ; fi on fouit au pied de cqs jeunes arbi'es , dans un tenrps de chaleur & de féchereiTe , c'efl occafionner à la terre une plus grande d'ifi- pation d'humldké Se de fucs. Voye^ et que nous avon^ dit au quatrième Livre , Jàr l'ac- fo Tb.a»itéî>e];a tion dufokil. La chaleur qui pénètre plus fa- cilement aux racines, les deiTeche d'autant plus , que la déperdition des fuçs du terraiii les en prive. J'ai vu beaucoup d'arbres périr par Tune & l'autre imprudence dont je parle. J'ai vu même plufieurs fois combien étoient nuiiibks aux arbres , pendant le haie du Printemps ^ ces labours profonds , donc les pernicieux effets étoient attribués aux roux vents, par îes Jardiniers qui n'en fentent pas la confé- quence. : Ces labours font encore extrêmement nitî> libles , lorfque les arbres fruitiers font en fleur , parce que l'évaporation plus forte des, fucs de la terre forme une athmofphere plus humide , & que s'il furvient de la gelée pen- dant la nuit , les embryons en font plus failis , & il en périt beaucoup. C'eit fur-tout dans les fols humides ou frais où ces remuements dç terre , en pareilles circonftances > font très- nuifibles à la frudificatiori. Conclura-t-on de là qu'il ne faut pas fouir au pied des arbres ? Non. Mais il faut le faire dans des temps où il n'en peut point rétulrer de mal , & fe contenter dans les au- tres de ferfouîr feulement pour détruire les herbes. Ce foin eft néceflaire aux arbres frui- tiers qui peuvent fubfiftcr , mais ne font que de foibles produdions , ii on nç le prencj pas. il feroit très-profitable aufl?, pour les jeu- nes arbres forêtiers ; mais on le prend rare- iTient , & ils ne laiffeut pas de bien venir (jéia§ Vegeîation, Liy. Vîî , Ch. IL ii les herbes & fans labours , conime nous le voyons dans les bois. Les herbes nuifent peu aux arbres qui pi-? votent , & qui ainli tirent les fucs profondé- ment en terre , parce qu'elles ne tirent que ceux de la fuperficie du terrain. Mais par cette raifon elles nuifent beau- coup aux arbres qui tracent , 6c dont les ra- cines fe trouvent mêlées avec celles des her- bes qui enlèvent une partie de leur nourri- ture. Ce font ceux-là qui ont le plus de befoin d être dégagés des herbes par des labours , mais très-légers : i*^. parce que par des la- bours profonds , on couperoit leurs racines qui avoilînent la fuperficie du terrain ; z^, parce que ces racines rampantes font plus lufceptibles que les autres des inconvénients dont nous venons de parler. Voilà des raifonnements qui, quoique fon- dés en apparence , pourroient être fautifs comme le font bien d'autres , iî l'expérience ne les juftifioit pas. Je vais rendre ce qu'elle m'a appris à ce fujet. ^ Je polTede un terrain de nature de haut pré. J'y ai fait des plantations de différentes efpe- ces d'arbres : les arbres une fois plantés , je ne fais donner aucuns labours à ce terrain ; oa le fauche feulement une ou deux fois par an, félon que l'herbe a bien ou mal repouffé pen- dant l'Eté. Tous les arbres à racines pivotantes y réulhifent , pouffent & s'élèvent très-bien fans ^ucu.ne culture j les chênes , les peupliers , 12 T R A I T E B E LA &c. , y font des merveilles ; mais il n'en eft pas de même de ceux qui tracent , comme les ormes , les platanes y &c. Tout ce que j'y ai mis d'arbres fruitiers y languit , & ne faiç que de très-foibles produdions ; quelques-^ uns au pied defquels i'ai fait retourner la ter-> re ont repris vigueur , de même que les pla- tanes qui ont beaucoup plus profité que ceux qui font dans Therbe. Ce que j'éprouve dans le terrain dont je viens de parler , joint à ce que j'ai eu occalioa d*obferver ailleurs , m'a prouvé que les arbres à racines pivotantes peuvent fe paJTer de labours ;, mais que ceux dont les racines tracent près de la fuperfîcie de la terre , exigent d'être purgés des herbes qui leur nuifent beaucoup. Je ne doute cependant pas que les uns Se les autres ne ie trouvent bien d'une meil- leure culture , quand on peut la leur donr ner. On ne donne dans les jardins d'autre cul- ture qu'un ratiffage aux arbres qui forment les allées. Les Jardiniers attentifs , ont feulement l'attention de baifler un peu le terrain vers le pied des arbres , afin que l'eau s'y rende ; ce qui leur fait grand bien. Quand on a fait une plantation avant l'Hi- ver , il faut au Printemps, avant que les bou- tons s'ouvrent , vifiter tous les arbres pour redrelTer ceux qui fe trouvent penchés , rap- porter de la terre au pied de ceux qui ont été ébranlés , & rétablir la pofition verticale de toutes les tiges. Si on négligeoit d'avoir ce foin , on auroit TegetAtion , Liv. VII , Ch. II. 13 le défagrément de voir une partie des arbres d'une plantation s'écarter de leur alignement : c'efl pour éviter ce dérangement qu'il eft bon de buter les arbres ^ fur- tout ceux que l'on plante eti Automne avec leurs branches. Les arbres élevés en pépinière trop près Us uns des autres , ou qui ont été trop élagués , prennent beaucoup de hauteur Ôc peu de grof- feur ; alors il arrive , fur-tout quand on a confervé leurs branches , que leur tête pen- che ^ & que leur tige fe courbe lorfqu'ii fait du vent , & fur-tout dans les temps de neige & de givre. Il ell mieux de ne planter que des arbres dont la groffeur de la tige foit proportionnée à la hauteur ; mais dans le cas où l'on eft contraint de faire ufage de ceux dont nous venons de parler , il faut les étêter ; & fi lorf- qu'ils ont fait de nouvelles branches on re- marque que leurs tiges trop foibles pour les porter (ë courbent , on y remédie , en les af- fujettilTant à des perches afîez fortes , qu'on appelle des tuteurs lorfque ces perches ont une de leurs extrémités enfoncées en terre , ou demi' tuteurs , lorfque ce ne font que ô.^s bouts de perches de peu de longueur , dont environ une moitié ell liée à la partie de la tige qui eft droite , & l'autre moitié affujettit la par- tie de la tige qui eft courbe. Je ne fais point de meilleur moyen pour redreJTer & afRijettir un jeune arbre dont la tige alongée & foible le rend le jouet des vents ; mais il ne feroic pas fans inconvé- nient > Il on n'avoir pas les attentions nécef* 14 Traité de la faircs pour prévenir les accidents qii'il occa- iionneroir. Si les liens n étoient pas bien ferrés ^ la ti- ge agitée par les vents , frôtteroit contre le tuteur , ôc 1 ecorce feroit bleiïee par ce frot- tement ; mais fi ces liens ferrent trop les fi- bres corticales & ligneufes , ils occafionnent Un étranglement t la partie qu'ils touchent , ce qui nuit à là croifiance de l'abre, fi , pour éviter cet accident , on n'avoit pas l'attention de mettre de la paille , du foin ^ ou de la nioufTe entre le tronc & ces liens. Au moyen de cette précaution très-facile, je n'ai jamais reconnu d'inconvénient à l'ufage des tuteurs, lorfqu'on a foin de les entretenir. Si la tige de l'arbre èll aflez forte pour fe foutenir droite , on n'a à craindre que l'effort des vents qui pouifroient le renverfer s'il n'a pas été buté : une bonne précaution pour pré- venir cet accident dans les nouvelles plan- tations qui font très-expofées au vent , eft d'enfoncer en terre , tout près du pied de l'arbre nouvellement planté , un fort pieu de bon bois , qui n'excède le terrain que de deux ou trois pieds. On lie la tige de l'arbre à ce pieu avec des harts , en y mettant , comme nous l'avons dit , du foin ou de la moufle. Ce pieu fupplée au défaut des racines dont les arbres nouvellement plantés ne font pas en- core pourvus. Je ne dirai rien ici de là culture la plus eîTentielle aux jeunes arbres, & que je re- garde comme fi nécefTaire , quoique le plus fûuvenc négligée , que j'ai cru devoir en faire VEGEÏAtlON , LiV. VII , Ch. IÎ. I -} Un Chapitre particulier ; ctOi lelagage. Il eft bien rare , quelques précautions que Ton prenne , qu'il nepérifîe toujours quelques arbres nouvellement plantés. Si on négligeoit de les remplacer , les plantations fe trouve- roient dégarnies , & outre la perte du terrain, elles offriroient un afped très-défsgréable. Il efl donc très-important de remplacer le plutôt qu'il eft poffible les arbres qui meurent. Ces remplacements font peu embarralTants dans les jeunes plantations ; mais lorfque les arbres font grands , & que par quelqu'acci- dent il vient à en manquer quelques-uns , il eft bien difficile de faire réulîir de jeunes ar- bres entre ceux qui font déjà fort élevés & fort touffus. La terre où l'on met ces nouveaux arbres fe trouve épuifée par les anciens qui y ont péri. Celle qu'on a remuée ou rapportée pour faire cette nouvelle plantation , donne moyen aux racines dés arbres voifins de s'y étendre, & ainfi elles dérobent la nourriture des nou- veaux arrivés. L'ombre de ces grands arbres étouffe & fait encore un obftacle confidéra- bîe à leur accroiffemcnt ; de manière que la plupart des genres d'arbres connus fe refufent à un pareil emplacement ; les différentes ten- tatives que l'on a faites pour les y faire réuf- flr , n'ont eu d'autre réfultat que de faire connoitre qu'ils y périffent ou n'y profperent pas pour l'ordinaire. On ne connoît encore qu'un feul genre d*arbres , qui fait vaincre les obitacles dont nous venons de parler ; c'eil le peuplier , fur- i6 T R A î T É D È L A tout refpece de peuplier blanc , & celle dite d'Italie ou de Lombardie ; cette efpece de peuplier s'élève & croît rapidement entre de gros arbres , Se remplit très^promptement les places vuides dans les avenues , défauts qui. leroient fans doute plus frappants que celui d'uniformité de cet arbre avec ceux d'un autre genre» CHAPITRE III. Méthodes pour foutenlr > ojflirer & protéger les Arbres nouvellement plantés, XJ E grands arbres nouvellement pîantéâ avec leurs branches , n'étant point attachés à la terre par de nouvelles racines , courent rifque d'être renverfés par le vent , lorsqu'ils ne font pas affermis : d'ailleurs l'agitation qu'ils éprouvent , tantôt d'un côté , tantôt de l'autre, félon i les variations du vent, forme au pied de l'arbre un efpace vuide , ouvert en entonnoir , qui s'élargit de plus en plus. Si. eft préjudiciable aux racines ; la bute que nous avons recommandée modère les mauvais effets , mais n'efl pas toujours fuffi- fante pour les prévenir totalement , li on n'ufe pas d'autres précautions: parmi celles que l'on peut prendre, voilà la plus facile & la meil- leure pour foutenir de grands arbres. On enfonce au pied de larbre , à coups de maffe , Végétation , tir. VII, Ch. ÎÎÎ. î^ ftiafTe , deux forts pieux de bon bois , qu^ Yon faic encrer en terre le plus qui! eft pof- lible , de manière qu'ils n excédent le térraia que de là hauteur de deux ou trois pieds. On difpofe ces pieux de maniéré qu'ils Ibient op- pofés ; on y lie la tige fortement , à plufieurs tours de fortes harts de bouleau ou de chêne, qu'on a eu foin de bien tordre auparavant , en mettant de là paille ou de la mouffe à la partie de la tige où touchent ces liens , afin qu'ils ne la bleffenc pas. On conçoit qu'au moyen de ces deux pieux la tige fe trouve foutenue & arrêtée , de quel-^ que côté que fouffle le vent , ce qui n'arrive pas 11 on n'y met qu'un pieu qu'il eft bien dif- ficile d'enfoncer perpendiculairement dans la diredion & proche de la tige ; ce qui d'ail- leurs feroic dangereux , parce qu'il feroit nui- îible à la croiffance de Tarbre de trop (errer les liens, & encore plusnuifible, s'ils nel'étoienc pas fortement, attendu le frottement continuel, qui non-feulement ccorce, mais lime le bois& y forme quelquefois de profondes entailles. ( C'efl par un pareil frottement qui entame les parties corticales & ligneufes , que fe greffent naturellement les arbres dsns les bois^ comme nous le dirons en fon lieu). Je n'ai jamais vu arriver pareils accidents* lorfqu'on a alTujetti la tige avec deux liens fixés à deux pieux diamétralement oppoiés , fur- tout fi on a mis un petit tampon de paille ou de mouffe fous le lien. Cet appui fupplée au défaut des racines qui n'ont pas encore pris poifcfîion du terrain ,; ileftaiféde rempla- Tome IK B li T R A I T i D £ t A cer ces liens lorfqu'ils viennent à manquer , & de les changer de place , fî on s'appcrce* voit qu'ils bleflaflent la tige. Cet ufage de pieux équivaut à celui des tuteurs qui eft bon pour de jeunes & petits arbres , dont la tige eft encore menue & flexi- ble , mais qui deviendroit difpendieux & très- difficile pour de grandes plantations ; on feroit fouvent embarrafle de trouver imé afTez grande quantité de perches aflez droites , longues & groffes , pour fervir de tuteurs à de grands arbres ; malgré l'appareil d'échel- les doubles , il eft très- difficile d'enfoncer fuffifamment en terre les longues perches dont la tête éclate fous les coups de mafle. Et ou- tre les difficultés qui ne font pas petites , ce moyen eft fujet à bien des inconvénients pour de grands arbres ; fi les liens font bien ferrés, il forment une entaille à la tige & l'endom- magent ; s'ils font lâches , l'arbre agité par le vent frotte contre le tuteur qui l'entame en plufieurs endroits , ce qui produit des plaies chancreufes ; s'il arrive que le lien tombe de même que la paille qu'on auroit mife pour em- pêcher les accidents , alors l'arbre mal aflli- jetti fera encore plus endommagé en frottani plus fortement contre le tuteur. Il eft aifé de renouveller les liens qui fixent l'arbre à des pieux peu élevés ; il n'en eft pas de même de les remplacer à fept ou huit pieds de haut. On n'a pas toujours- des échelles ; & quand il s'agit de grandes plantations , m prête rarement une attention fuivie aux foins trop m.ultipliés & pénibles. Ve6eîAtion , Lîv. Vit, Ca. lîî 19 Comme les tuteurs font faits avec des per- ches dont le bois n'eft pas encore bien formé y ils pourriffent bientôt à fleur de terre ; ils fè cafient à cet endroit ; la tige agitée parles Vents fait fôn principal effort au pied de l'ar- bre qui en efl: ou arraché, Ou courbé , & tou- jours endommagé. Nous avons recommandé dé ne pas mettre trop près les arbres en pépinière , & de nfe pas trop les ébrancher , afin d'éviter qu'ils né s'élancent rapidement fans prendre de corps ; il vaux rnieux attendre que les arbres que l'on plante aient pris une groifeur fuffifante , Ôt préférer de gros arbres dont la tige foit un peu bafle , à des arbres menus & fort élevés. Mais fi on â planté de ces fortes d'arbres ^ & qu'ils fe courbent vers la tête , on peut les redreiïer & les fortifier avec des demi- tuteurs d'une longueur convenable , qu'on lie d'un bout à la partie qui eft droite , & on afllijettit à l'autre bout de la petche la partie de la tige qui eft courbe : ces demi-tuteurs n'ont pas les mêmeâ inconvénients que les au- tres qui tiennent en terre , palxe qu'ils fe prê- tent librement aux mouvements de la tige , & qu'il n'y a point ou très-peu de frottements; ainfi ils font d'un bon ufage pour redreffer & foutenir des arbres trop foibles de tige. ïl eft rare que les arbres élevés de femen- xe, qui ont leur racine en pivOt , Se qui font plantés dans un fol quia beaucoup de fond, foient renverfés par le vent , ce qui , outre lîeur croiflânce plus rapide , leur donne bieiî de l'avantage fur ceux que nous mutilons ; c'eft B 2, 20 T B. A t TÉ DE 1 A pourquoi on doit préférer de femer, & non de planter des futaies expofées aux grands vents. Plulieurs efpecés d'arbres , entr'autres les ormes , étendent leurs racines fort au loin ; ils réfiitent aflez bien au vent , quoiqu'ils n'aient point de pivot. Ils font néanmoins quel- quefois renverfés quand des vents violents agiflent fur eux dans un fens où ils n'ont point poulfé de fortes racines. On voit que les arbres à racines traçantes qui forment les lifieres des grands bois , quoi- que plus expbfés aux vents, y réfiflent mieux que les mêm'es arbres de l'intérieur , parce que ceux-ci n'ont pas alTez d'emplacement pour étendre leurs racines , au lieu que les autres en jettent fort au loin dans les terres vuifines. Il y a particulièrement des circonftances où les arbres^ qui n'ont point de pivot , cou- rent rifque d'être renverfés. Par exemple , lorfque la terre e(l trop détrempée & amolie par des pluies abondantes & par des dcgel&;^ les racines n'étant point alors affermies , & n'ayant que peu de tenue dans la terre amo- lie ôc détrempée , un coup de vent violent qui^ furvient dans de pareilles circonilances peut^ ks renverfer. On voit que les arbres qui font plantés dans des terres légères ou marécageufes , ôc où le fol a peu de conlîftance , font plus fréquem- ment renverfés par le vent que ceux qui font placés dans une terre forte , où les racines an plus de tenue ,; d'autant plus que les pre,- Végétation , Liv. VII, Ch. III. 21 mjers n'ayant pour l'ordinaire que d'aflez me- nues racines qui ne s'étendent pas fort loin , ils ne doivent pas être fixés auiîi folidement à la terre que ceux qui ont une moindre quantité de racines , mais plus grofTes & plus longues. Il n'eft: guère pofîîble de parer aux acci- dents dont nous venons de parler ; mais on peut en prévenir les effets , en ne plantant dans un fol qui a peu de conlîilance & qui eft expofé aux grands vents , que des arbres qui pivotent, en les affermiiTant quand on les plante avec de forts pieux , comme nou5 l'avons dit , après les avoir bien butés , & fi l'on a eu l'attention de conduire les arbres dans la pépinière , de façon que leurs tiges foient alfez groifes & peu élevées. C'eft fur-tout dans les vallées qui font dans Ja direâion de l'Ouefl: à l'Elt , où il faut re- doubler de précaution^ , parce que le vent fe trouvant relTerré par les coteaux , n'en ell que plus violent & plus impétueux. Quand on a fait une plantation , il faut après l'Hiver vifiter les arbres pour redreflTer ceux qui fe trouvent penchés , rapporter de la terre au pied de ceux qui ont été ébranlés , & l'y affermir. Si on n'avoit pas foin de ré- tablir ainfi la pofition verticale des tiges qui fe font dérangées , on auroit le défagrémenC de voir plufieurs arbres s'écarter de leur ali- gnement y &c il devient aufli difificle de répa^ rer par la fuite ces accidents , qu'il eft aifé d'y remédier dans les premières aa^ XïQQH, B3 Ce ne feroit pas une petite entreprife de remettre fur pied de hauts & grands arbre$ ^ui ont été renverfés : mais j'en ai vu redref^ fer d'aflez forts , dont partie des racines te- îioit encore en terre , quoiqu'ils euflent été entiérenient couchés ,* j'en ai même vu remets tre dans leur pofition verticale , en les aiïu- jettiflant avec trois ou quatre fortes perches fourchues à leur extrémité , difpofées oblique-? ment. Cette opération n'eft pas difficile pouç ^e jeunes arbres ; mais elle le feroit beau-s coup pour ceux qui font vieux ôc qui ont de fortes têtes , tels que de gros pommiers ; on fe contente de relever ceux-ci , en les lailîant inclinés fur les étais qui les foutiennent. Ils ne laiflent pas en cet état de vivre & de fruc- tifier encore long-temps. Cependant lorfqu'on voit qu'ils ont eu plulieurs racines rompues par le coup de vent , il eft bon de les dé- charger à proportion de quelques branches. Si les attentions dont nous venons de par- ler avoient été négligées , & qu'on fût cho- qué de voir quelques arbres déjà forts , pen- chés ^ fortis de i'alignement , on peut les re- ^reffer au moyen d'un cabeftan. Après avoir découvert les racines que l'on recouvre enfui- te , il faut même ramener l'arbre de manière à le faire pencher dans le fens oppofé à celui où il s'inclinoit ; car il tend toujours à y re- venir , ce quil ne manqueroit p^s de faire lorfqu'on Tauroit laifle en liberté , fi on n'a- voit foin de l'étayer folidçment pendant quel- que temps, Jl ne fera peut-être pas inutile pour la fa- VEGETATION , LiV. VII , en débitant ce hêtre, quelque Fhyficien a occafîon de reconnoître dans fou intérieur ce corps étranger , il fe fera fans doute beaucoup de raifonnements à ce fujet , d'autant plus éloignés de la véritable caufe ^ qu'on la foupçonnera moins : mais reprenons îe fujet de ce Chapitre. Nous venons de parler des précautions a prendre pour préferver , contre les efforts des vents , les arbres nouvellement plantés ; mais ils font expofés à plufieurs autres accidents , ftïr-tout fur les routes fréquentées : il y a des malfaideurs , des ivrognes qui fe plaifent à couper & à eftramaçonner , avec des bâtons ou avec des couteaux de chalfe , contre les arbres , auxquels ils font des plaies qui les endommagent dans leur écorce & fou vent dans le bois ; lorfqu'on s'apperçoit à temps de ces plaies , & qu'elles font encore fraî- ches , il faut y appliquer \in appareil de fiente^ de vache & d'argille que l'on recouvre de paille bien liée à la tige. Les voyageurs coupent quelquefois de jeu- nes arbres pour faire des bâtons ; 6c ce Ibnt toujours les tiges les plus droites & les plus belles qui fouffrent de ce délit : les bergers &: les enfants s'amufent à enlever l'écorceavec leurs couteaux. Indépendamment des dommages que font aux arbres les hommes malfaifants, plufieurs animaux moins coupables, parce qu'ils ne fa- . vent pas le mal x^u'ils font , peuvent leur faire beaucoup de tort ; les beftiaux, tourmentés par les mouches ou par d'autres iufeâes > Végétation, Liv. VII, Ch. III. 27 prennent plaifir à fe frotter contre les arbres^ manège que font auffi les biches & les cerfs, fur-tout quand ils quittent leur bois ; ils ébranlent & renverfent les arbres nouvelle- ment plantés, & cafleot ceux qui tiennent en terre. On peut prévenir ces défordres , en entou- rant l'arbre avec des branches d'épines ou de joncs-marins , qu'on afTujettit , à une certaine hauteur, autour de la tige avec des harts. Pour mieux défendre encore des arbres rares qui feroient expofés aux accidents dont nous avons parlé , il faut enfoncer à un ou deux pieds de la tige trois ou quatre forts pieux , affemblés avec des traverfes bien liées avec des harts, & remplir l'intervalle d'épi- nes feches ; les arbres feront ainlî garantis de toute efpece de ravage : il ne faut pas négliger de garnir l'arbre vers le pied, parce qu'en temps de gelée & de neige , les lièvres & les lapins , étant affamés , mangent l'écorce des jeunes arbres : il elt bon de les garantir de ces incurlîons qui font très-dangereu- fts. 28 Traité de la CHAPITRE IV. De l'Elagage. L ''Elagage eft l'opération la plus impor- tante , ÔL cependant celle qui n eft que trop communément la plus négligée pour 1 éduca- tion des arbres ; c eft pourquoi je vais m'at- tacher à en démontrer & faire fentir toute la conféquenee. Il eft bien étonnant que cette opération lî fimpîe , fi facile , ^\ peu couteufe , foit auffi négligée , puifqu'elle eft indifpenfablemenc iiécefîaire pour donner au propriétaire une jouifTance agréable, & lui procurer à l'ave- nir de beaux bois de fervice. On ne peut , ce me femble , attribuer cette fatale négligence qu'au peu de connoifTances & de réflexion ; il eft donc important de détromper des erreurs accréditées , &: de faire connoître que la beauté d'un arbre & la bonté du bois qu'il doit produire dépend des éla- gages faits avec ménagement oc à propos : j'ai lieu de croire que ceux qui voudront lire avec attention ce Chapitre en feront couvain-^ eus. . Pans les maflifs des forêts & dans les futaies , nous voyons >des arbres qui élèvent leurs tiges droites , fans branches & fans nœuds, à une hauteur confidérable ; ces ar- bres fourniffent de très- belles, très-folides Ôç très-longues pièces dont on tire bea,ucoup Végétation , Lîv. VII, Ch. IV. 29 de profit, foie pour être employées entières à la charpente , foit pour être débitées ea planches , en douvain , en folives. Sic, Ces arbres ne font devenus aulîi beaux que parce qu'il» fe font ébranchés naturellement dans les maflifs ; ils fe font élevés rapide- ment, attirés par l'effet des rayons du foleil; kurs branches baffes , étouffées par l'ombrage, périffent néceffairement , comme nous l'avons expliqué au quatrième Livre ; & non-feuîe- ment il ne pouffe point de branches latéra- les fur la tige , mais celles du fomraet , plus rapprochées les unes des autres , félon l'ef- pace qu'elles peuvent occuper , prennent une diredion droite & régulière. 11 n'en eft pas de même des arbres ifolés : comme ils jouiffent de l'air , & qu'ils font frappés des rayons du foleil de tous côtés , leurs branches s'alongent , & ils s'élèvent d'autant moins ; leurs têtes furbaiffées & évafées prennent une forme défagréable ; ces arbres qui font ce qu'on appelle le pommier, font une jouiffance peu fatisfaifante & foat de peu de valeur. Pour éviter ces inconvénients , il faut que la main du Cultivateur opère ce que l'om- brage fait naturellement dans les bois ; c'eit- à-dire élaguer de temps en temps les bran- ches baffes , à mefure que l'arbre s'élève; & comme les menues branches peuvent être cou- pées fans former de nœuds fur la tige , & fans endommager nullement les arbres , il faut fe hâter de les fupprimer avant qu'elles aient pris de la groffeur; car pour lors leut 50 Traité de t à croilTànce bccafionne néceflairçment des nœuds & des vices intérieurs , comme nous l'expli- querons au Chapitre fuivant ; au lieu que le- lagage dés menues branches ne leur fait aucun tort : ce qui a lieu pour tous les genres , comme chênes , ormes , hêtres , frênes , châ- taigniers , pins , fapins , &c. Ce n'eft , je ne peux trop le répéter , ce n*eft que par l'élagage des branches , encore foibles , que l'on parvient à donner aux ar- bres de belles tiges ^ bien élevées , bien net- tes ôc bien faines ; c'eft le feul moyen d'en- tretenir de belles avenues & de former, de beaux & de bons arbres de fervidè. On fait qu'un arbre de haut vent ne doit avoir qu'un tronc ou un feul jet montant ; que ce tronc unique, qui j lors de fa planta- tion , n'âvoit que lîx à dix pieds de hauteur , doit parvenir jufquà vingt ou trente pieds avant de fe partager en branches ; il faut donc retrancher peu à peu les branches latérales pour que le jet montant puifle s'élever & former un beau tronc. Ce font toujours les branches les plus baffes qu'il faut retrancher les premières , & répéter fuccelTivement cette opération à mefure que l'arbre s'élève , car lî on coupoit toutes les branches à la fois , pour ne laifler croître que le jet montant , les arbres s'éleveroient beaucoup , mais fans prendre aflez de corps, & devenus ce qu'on appelle veules , ils ne pourroient réiifteç à Teffbrt du vent ni au poids du givre. C'eil une faute que commettent fouvent les VBSEtATION, Liv. VIT> Ch. IV". 3t élagueurs , fur-tout quand on leur abandonne pour leur falaire les branches qu'ils cou- pent. Pour bien entendre cette éducation des arbres, examinons-la avec ordre, & pour cet effet fuivons les progrès d'un orme, par exem- ple , depuis fa première pouffe , en fortant de la femence , jufqu a ce qu'il foit devenu fort grand. La femence qui germe au Printemps pro-^ duit une tige unique , garnie de plulieurs bou- tons , voilà les produdions de la première année : dans la féconde , prefque tous les bou- tons s'ouvrent & produifent des branches; mais le bouton de l'extrémité de la tige pro- duit le plus grand jet & le plus vigoureux; car ordinairement les pouffes font d'autant plus fortes quelles approchent plus de l'ex- trémité de la branche : dans la troifîeme an- née , prefque tous les boutons s'ouvrent en- core ; celui qui termine l'arbre produit encore le plus long jet ; au-deffbus font les jets qui n'ont qu'une pouflTe, & qui font fortis des boutons formés l'année précédente ; plus bas font les branches qui ont deux pouffes , & t^ui ont déjà produit quelques bourgeons qui n'ont qu'une feule pouffe. Si on veut fe donner la peine de fuivrc par la penfée le progrès de cet arbre qui fc doit faire par la fuite dans le même ordrç que nous venons d'indiquer pour les trois premières années , on comprendra que l'ac- croiffement naturel d'un arbre eft de pouffer un jet principal qui s'élève perpendiculaii'e^ 32 T R A I T É D E L A ment & qui domine tous les autres ; que de Gd jet montant , il part des branches latérales qui ibnt toujours moins vigoureufes & moins fortes que le jet montant ; que û on les compare les unes aux autres , les branches les plus baflfes font moins fortes que celles qui font plus élevées ; de forte même qu'à mefure que 1 arbre s^éleve , la plupart des branches les plus baffes périflent : ma^gré cela , le tronc s'en trouveroit par la fuite prefqu entièrement garni , au moins à une certaine hauteur , fi on n'avoit pas l'attention de les retrancher fuc- ceiîivement. Voilà Tordre naturel de la Végétation , mais il eft dérangé quelquefois par plulieurs accidents ; il fe développe à divers endroits de la tige des bran-ches gourmandes qui affoi- blilTcnt le montant principal , & qui en s*ap- propriant une grande partie de la fève , au- roient bientôt furpaifé le maître jet , li l'on n'y mettoit ordre. Un bourgeon montant, endom- magé par la gelée , par la grêle ou par la dent du bétail , ne s'élève plus , & les bran- ches latérales prennent le deiïlis ; il faut ra- battre ce bourgeon , c'eft-à-dire le couper tout près de la plus prochaine & la plus vigou- reufe branche qui doit le remplacer. On doit déjà juger de l'utilité de lëlagage qui confîfle à retrancher peu à peu les jeu- nes branches les plus bafles , en les coupant très-près de la tige ; étant ainii proprement coupées , la plaie qui ne peut être que fort petite alors , fe recouvre aifément , fans occa- lionner aucun vice extérieur ni intérieur. Cette VEGETATION, LiV. VII,Ch.IV. 33 Cette opération eft très-fimple , lorfque tout fe trouve dans Tordre naturel ; mais il arrive aflez Ibuvent , comiiie nous l'avons déjà dit , que cet ordre naturel fe trouve déran- gé , alors il faut employer différents moyens pour le rétablir : il eft bon de les expli^ quer. S'il fe développe des branches gourman- des , il les faut couper tout près du tronc ou de la branche qui les porte ; il arrive aulîi quelquefois que le jet principal eft languiiïant, & que celui qui eft immédiatement au-deffbus pren4 plus de force , alors larbre fe trouve terminé par un fourcher ; ces deux branches s éloignant chacune de leur côté de la perpen- diculaire ) la tige deviendroit difforme , & for- nieroit un jarret à l'endroit où on auroit re- tranché une de ces deux branches. Mais quand on s'y prend de bonne heure , il eft aifé de prévenir cette difformité ; il ne s'agit que de couper à peu près à la moitié de fà longueur celle d^s deux branches qui eft la moins bonne, & de rapprocher celle que l'on veut conferver de la diredion per- pendiculaire , en la liant avec un ofîer à la partie reftante de la branche fupprimée ; & lorfque la bonne branche fe trouve redreflee , on coupe tout près d'elle le chicot qui fer- voit à î'afflijettir. Il y en a qui fe contentent d'entortiller l'une autour de l'autre les deux branches qui s'écartent ; & l'année d'après , ils retranchent la plus foible. Ces moyens font préférables à l'expédient d'employer des bouts d'échalacs Tome IV. Ç 34 Traitéde l k ou tuteurs , dont on fe fert cependant quand on ne peut faire autrement. Il eft donc aifé , avec du foin & de l'at- tention , de conduire les arbres ifolés jufqu'à ce que leur tronc foit fuffifamment élevé ; il s'agit enfuite de leur former une belle tête : nous en allons parler. Nous avons dit qu'il ne faut point étêter les arbres que l'on tire de fa pépinière , ainlî que tous ceux qui , venant d'un lieu prochain , peuvent être plantés avec leurs racines encore fraîches & leur chevelu ; mais comme ceux qui viennent de loin arrivent ordinairement tout étêtés pour la commodité du tranfport , ou qu'il faut leur couper la tête, fi le che- velu & les racines font defféchés, nous allons commencer par expliquer la façon de les éla- guer dans leurs premières années. Les arbres qui ont été étêtés en les /plan- tant , pouifent ordinairement quantité de bran- ches dans toute la longueur de leur tronc. Il faut , comme nous l'avons dit , retran- cher ces branches , dès qu'elles paroifTent , jufqu'à la hauteur où le bétail y peut attein- dre, & l'on peut laiffer fubfilter toutes les branches fupérieures. La féconde année , on fupprime toutes les branches foibles , & on n'en confervè au fom- met que deux ou trois des plus fortes & des mieux placées ; & même fi l'une de ces bran- ches fe montroit beaucoup plus forte que ks autres , comme il feroit à propos de la deftiner pour former la continuation de la tige , on retranchera l'extrémité de celles VEGETATION , Ll V. VII , Cît. IV. 35 qiron deftine à être fupprimées par la fuite ; & pour faire prendre une direâion perpen- diculaire à la branche principale , on pourra la lier à la tige ou à une des branches éla- guées ; ce qui, en la redreflTant, la fouticndra & empêchera qu elle ne foie éclatée & rom- pue par le vent. Quand la branche qu'on deftine à faire le maître brin eft redrefîee , & qu'elle a pris alTez de force pour pouvoir fe foutenir d'elle» même, on coupera obliquement le bout de l'ancienne tige ou le chicot ; on retranche toutes les branches dont on a déjà coupé le bout; & quand les plaies feront fermées, ce qui ne tarde pas lorfqu'elles ne font pas con- fidérables , on aura un arbre fort approchant de ceux qu'on auroit plantés avec leurs ra- meaux montants. Quand , par les foins que nous venons de détailler, on eft parvenu à former un beau tronc fuffifamment élevé , relativement à cha- que genre d'arbre , il faut travailler à former une belle tête , en ménageant au haut de la tige deux ou trois belles branches bien pla- cées , qu'on laifTe fe charger de tous leurs ra- .meaux. Si ces arbres font plantés en avenue , on efTaiera de faire enfbrte que les brshiches foient placées fur un même plan , en éven- tail , dans l'alignement de la file d'arbres : quand ils font plantés en quinconce , il faut leur ménager trois branches en triangle , afin que la cime forme un évafement arrondi qui imite la forme d'une coupe. Ç z 3^ T R A I T É D E t A Au refte , quand les arbres ont été bieti conduits dans leur jeunefle &. que leur tronc eft bien net & formé , il n'y a plus à craindre d'oc- cafionner des plaies , des difformités exté- rieures & des vices intérieurs ; ce que produit tiécelfairement i'ébranchage dont nous allons parler, au Chapitre fuivant. Lorfque les arbres font formés, l'élagagc âe leurs têtes pratiqué prefque généralement en France depuis environ trente ans , remé- die aux défauts des branches faiîlantes &: qui occaiionnent quelque difformité. Cette opéra- tion , bien moins importante que celle dont nous venons de parler , n'efl pas négligée pour les avenues , les allées , &c. , parce qu'elle farisfait le coup d'œil , Se elle n'eft efïéâi- vement bonne qu'à cela ; mais elle eft devenue une affaire de mode ; & on fait que la mode commande impérieufement , fur -tout en France; il n'y a point de petits-maîtres, die petites maitreffes dont le goût élégant ne fût révolté , il les allées n'étoient pas bien éla- guées ; & on accableroit de reproches le Sei- gneur châtelain , s'il négligeoit ce point im- portant : mais ces mêmes gens n'ont pas les yeux faits pour remarquer des, négligence^ bien plus eirentielles ; on n'en dit rien , & elles fe perpétuent. On a tout facrifié à cet élégant élagage , on en eft venu à le pouffer à un point ridicule Se tout à fait nuilible aux arbres qu'on y a affujettis d'une manière meurtrière , en les- appLuiiTant , Se ne leirr lailfant plus rien de leur port naturel ^ oa les. dé%ure^ oa le^' Végétation, Liv.VîI, Ch.IV. 37 ni utile , on en fait (Je minces tapifTeries en l'air , & cela paroit bien beau , au lieu de fe contenter d'un élagage qui ne devroit erre porté que fur des branches failiantes qui choqueroient la vue & poqrroient même lui nuire, en lailTant d'ailleurs les arbres pren- dre en liberté leur port élevé & majcftaeux. Ce n'éfl pas qu'on ne puiiTe , îi l'on veut , f^crifier à ce goût de fanrailie quelques ar- bres de peu de valeur , comme le marron- nier d'inde ou le tilleul de Hqllande , dont je parlerai ailleurs , en les formant en mince éventail dans les allées d'un jardin , ou bien en demi- arcade , de forte que les deux files oppofées femblent fe réunir en voûte ou en berceau , mais qui ne foit pas fermé par le haut , afin que la lumiçre & l'air y péne-^ trent. Ces arbres peuvent d'autant plus être fa- crifiés à l'agrément du coup d'œil & de îa promenade , qu'on ne doit pas compter fur le produit de leur bois , fur-tout de celui du marronnier ; c'elt pourquoi on ne penfe point à leur form.er de tronc que l'on lailTe ordi- nairement fort court , afin que les branches » font bien- tôt broutés par le bétail ; & quand même ils ne le feroient pas , ils font par la fuite étouf-* fés par les arbres voifins , & la fouche eft entièrement perdue. Ceft encore ce qui arrive aux grands ar- bres & baliveaux qui font choupés -, aufîi elt- H bien défendu de leur caufer de pareils îi T R A 1 f É i)E tA torts , alnli que de couper des mais , des feuillards ou brandons , pour aucunes fêtes , & fous quelques prétextes que ce foit. Pour éviter ces defordres , les Gardes doi- vent faire leur rapport contre ceux qui, au débouché des forêts , fe trouvent chargés de bois verd. " Il paroît que l'intention de l'Ordonnance n éuoit pas d'empêcher de pauvres gens de ra- inafier des branches pourries , ou autre bois mort tombé par terre ; mais les manœu- vres des maraudeurs ont forcé à le défen- dre. On a remarqué qu'ils faifoient périr les arbres fur pied , pour les enlever quand ils font morts, ou qu*ils les renverfoient exprèsv G'ell ce qui a obligé de faire délenfes d'en- lever les bois chablis Ôi les arbres charmes , ainfi que de ramalîér dans les forêts même le bois mort. Com.me le Bruit de la coignée décelé les malfaicleurs , ils coupent les arbres avec la fcie ,• ce qui eft très-iévérement défendu. ^ Ceft encore pour ménager les fouches , qu'il eft ordonné de faire les coupes à lire & à aire , c'eft-à-dire en totalité, & ne réfer- vaiit que les pieds corniers , les parois , les arbres de liiîere & les baliveaux ; car fî on coupoit en jardinant , les fouches des fépées abattues périroient , ou par la dent àv, bé- tail , ou faute d'air. Le recru des fouches étant aufîi important à ménager que les fouches elles-mêmes , on doit celïér tout abattage à la f^n de Mar§ tMi ^raéme plutôt ^'loff ê •[ li fp ':^\Hr^^i ^ . Les uns qui avi)ient firaplem'ent le droit de prendrc-^pour lepri ; chauffage J^e^ bois mort ^ îec , ne fe contentarjt; ,ipa^r,4e pç, avantage > & voulant s'en procurer unc; plusjgraucte quati^ tité ^ eiifajfoiejftt; périr fur. pieds, . n.no^iC:)J D'autres qui avoient le r droit de pr^dre du bois vif , 4e ..CDU poienç fans ménagement fans ^'enibarraflîei; du ppuv,e,au produit deç fouches , ;& caufoient ainlS de grandes dégra- dations , peu ;f0igneux de .-ménager le fonds d'une forêt qu'iisjugeoient fuffifamment écenr due pour ne devoir jamais leur manquer. l^ Le droit de certains ufagers fe bornoit à prendre du mon hpis y ou des épines & des ronces , poui; former leur cjôture ;^ cette perr million de peu de conféquence faifpitvjqaître beaucoup ^'abus, _ ^ ., . . r , ;. Lorfqu'on a quelque droit dans une forêt; on eft tenté , & il eft ajfé ,de l'étendre , -5; au lieu de mort bois on attaque le bois vifl /•.... ;. . :, *-, ■ :::n Enfin, en quelques endroits le, droit d'îLiv fage s'étendpit jufquà abattrç: .^u bois; de charpente pour ïts bâtinients de l'^ufagec j Végétation , Liv. VII, Ch. ÎX. S^ làais outre qu'unç futaie fe trouve nécedliire- ment dégradée par la fouftradion des beaux & gros arbres qu'on abat d'un côté & d'un autre fans ménagement , n'ayant pour objet que de choifir les plus beaux arbres , les fouches de ces arbres abattus indifFéremment ça & là périfftnt ; leur chute encroue & rompt ceux 4u voifinage : on eft même forcé d'en abattre pour tirer de la futaie ceux qu'oa a ehoilîs. Quelquefois la quantité du bois de chaque efpece qu'on devoir prendre étoit limitée ; d'autres fois elle étoit indéfinie : on peut ju- ger du défordre qui pouvoit naître de ces fortes de permilïïons, Pour remédier à cesfources de dégradation, l'Ordonnance de 1669 a fupprimé tous ces droits d'ufage, le Roi fe réiervant de don- ner des indemnités en nature ou en deniers à ceux qui poITédoient ces droits à titre oné^ reux. Comme la cupidité des Propriétaires ufu- fruitiers les porcoic à abattre leurs bois trop fréquemment , il a été ordonné que les taillis feroient mis en coupes réglées , au moins de l'âge de dix ans ; ceux des gens de main- morte font ordinairement fixés à vingt-cinq ans , pour qu'ils puiflent fournir de la perche & de la corde , à la charge toutefois de laifler feize baliveaux par arpent de l'âge du bois, outre les anciens & les modernes, & les autres bois de réferve. Ces réferves font faites pour que le public foit fourni de bois à brûler , ou propre à F 3 $6 T R: A' I T É D E iL^A: d'autres fervices très-importants, Ceft aulî| dans cette vue qu'on a ordonné , dans les bois des gens de main-morte , un quart de îéferve en bon fonds pour croître en fu- taie. L'afTurance d'un revenu annuel fait préférei!. a la plupart des Propriétaires de mettre leurs bois en coupe réglée de taillis , à l'a- vantage de çonferver des futaies qui ne leuc pronaettent qu'une jouiffance très - éloi^- gnée. Il eft certain que lorfqu'on vient à abattra ces futaies, on en retire des fommes conii- dérables , qui font la richeffe d'une famille j mais il faut attendre loo ^150 ans, & peu de gens portent leurs vues à des temps il éloignés ; il s'en trouve peu afiéz bons Ci- toyens pour facrifier ainfi au bien de leurs fuccelfeurs, une partie de leur^ revenus aduels. On veut jouir ; & ii l'Ordonnance n'avoit pas mis des bornes à la cupidité des ufufruitiers , les bois de fervice qui devienneiit rares ,, le feroienc encore beaucoup plus. On a fixé à aux vignes , &c. , qu'en général les arbres font plus abrités du vent , fur-tout dans les vallées les plu? étroites. ; On peut conclure d'après tout ceci qui çft bijeft ' cofifîrfné par l'expérience & l'obferva- tipn, que ce mélange de haut bois & de taillis II* eft pas aulîi profitable qu'on l'avoit crui Mais pour ne fe pas priver de l'avantagé de fe ménager du bois de fervice , M. Duhamel a propofé un moyçn dpnc je vais rendre compte. » Pour faire mieux comprendre , ditril , » le moyen que je propofe pour remédier aux » inconvénients des baliveaux répandus en » grande, quantité dans^-qn faillis , je prendrai » pour exemple une pièce de douze arpents. - ; » 1°. Je réfervetois , -comme le veut l'Or- »donnance, les parois & les arbres dé Jifiere » qui ferviroient à marquer les limites des » triages 6t à répandre du gland pour le » repeuplement du taillis. » 10, Je voudrois ne réferver que fîx • baliveaux par arpent qu'on laiiTeroit fubîif- »ter à toutes les coupés du taillis, fans en » laifler un plus grand nombre ; ces arbres «très- fournis de branches fe charget-oîent » beaucoup de fruit; & comme on ne comp- acterait que fur leiir gland pour le re-peû'ple- ?> metit du bois., on-^embarraiferràt peu qu'ils » fiiïenc ou non de beaux arbres; d'a^lkurs 3> ce petit nombre ne -j^ôurroitiofFAif^yer le «taillis. ■ >' 3/îyivfjw:> nîftp ^V.l^-y?1?l >iJl feroit bon encore de les réferver vers »le milieu de là' pièce oii- âul^ endroits ^m » paroîtroient les ltit)iris gâviVis & loin dès » parois , lefquels fotirniroient dans leur voit » linage le gland nécefTaire ati' repeuple-^ ^menl. > ^pQ ^' .-/^wv^o; On réferveroit au bord de îâ pièce »Â&-1dà'ns le meilleur tettain, uneqitaarité i>é{}uivâ1ente à feize baliveaux par arpent > ce » qui feroit à chaque coupe cent quatre- vingt- «doifôe arbres pôni?- la- pièce de douze ar- j> pents ,^^ on aûroit attention que les arbres 3> qu'on réferveroit fuflent eipacés l'un de lau- 3> tre d'environ iriié tbife ou une' toife & de- >>mie> & pour (Seyv^on abattre!^, comme >>taiHià'," les arbres ''les- piliïS foi blés qui fe » ffouveroient entr eiî^'^^ âinfi que ceux de » médiocre efierfcëv "^3ir i;^ ;: / ; i!; » ,^0' ?0n auroit ^itçofe Tattehtioft' de -faire » Cette réferve , autant -que fâir^ fe pourroit ^ VEGETATION, LiV. Vil , CH. X. 95 » du côté du Midi ou de TEft , afin qu'au » Printemps les vents de Nord & d'Ouel^ ^> pu fient difîiper l'humidité & préferver le » taillis de la gelée. » 5^. A chaque coupe du taillis, on pour- i> roic permettre d'abattre dans cette réierve » les arbres foibles qui feroient étouffés par » les au;res , ôc augmenter la réferve d'une «pareille quantité de cent quatre-vingt-douze » arbres. » 6^. On pourroit faire cette réferve ou en » mailif ou en lifiere , fuivant les circonilanr » ces particulières qui pourroient déterminer » à prendre l'un ou 1 autre paiti. » 7". Enfin , on permettroic d'abattre ces » réferves lorfqu'elles commenceroient à don- » ner des marques de dépérlifement , ici plu- » tôt , là plus tard , fuivant la différente qua- » lité des terrains ; mais communément , ils » parviendroient à la grolfeur qui convient aux » arbres de fervice , parce qu'on auroit l'at- » tention de faire la réferve dans les endroits » de douze arpents où la terre fe trouveroit » la meilleure. » En fuivant cette méthode , la réferve àes » baliveaux fe trouveroit donc placée dans le » meilleur terrain d'un bois qu'on auroit à ex- » ploiter ; & ainfi les arbres réferves pourroient 3> fournir du bois de fervice^ : cette lifiere ne » porteroit aucun préjudice au taillis , ni par 5> fes racines, ni par ion ombre ^ni en y entre- y) tenant l'humidité ;on népuiferoit pas le tail- 3î lis par le choix des arbres vigoureux qui ~ » feuls peuvent le rétablir ; les arbres 5 raifem- ^6 Traite d e i a 'y> blés près les uns des autres , feroient moins i fatigués par les coups de vent; ils poufîè- 7s roient rhoins de branches; & comme il arrive 3> toujours dans les mafTifs , ils formeroient de >) plus beaux corps d'arbres. » Comme à toutes les coupes du taillis , on » abattroit les arbres foibles de la réferve , » les autres fe trouveroient plus à Taife ^ » & les Propriétaires en retireroient quelque 55 profit : le pourtour de ces réferves , de )> même que les fîx baliveaux du milieu de » chaque arpent , les pieds corhiers , les parois » & les ro^r/2û/2/j fourniroient des bois tords » pour la marine , ainli que tous les chênes qui » fe trouvent dans les haies des pays de Boca- » ges. • » Les glands qui fe répandroient au loin dans » le taillis le repeupleroient 5 c'eft pour cela » que nous avons confeillé de réferver les fix » baliveaux aflez loin àts parois, pieds cor/i^'cr^ , ^tournants & de la réferve ; ces iix baliveaux » fourniroient du gland dans leur voilinage. » Enfin , je crois qu'en faifant ce léger cban- » gement dans l'Ordonnance , on tireroit un 30 meilleur parti des baliveaux pour procurer ^ au public du bois de fervice, en même temps » qu'on rendroit les taillis plus utiles aux Pro- jy priétaires «. '-* Quoique cette pratique me paroiffe bonne , priiè en général , je ne dilfimulerai point qu'elle doit fouffrir des exceptions pour quel- ques Propriétaires, qui, dans des cas parti- culiers, feront bien de s'en écarter : par exem- ple, un bomrae qui auroit une pièce de bois qu'il V^ègeYation f. Iiv. VII , Ch. X 97 qu'il diviferoit par coupes , uniquement dans la vue de fe procurer fon chaufege , feroic très -bien de réferver dans toutes fes cou- pes , tion pas feize , mais trente- deux , & même un plus grand nombre de baliveaux dç l'âge du bois pour les abattre tous à là coupe fuivante. Moyennant cette^ réferve , il n'auroit jamais! dans les bois que des perots qui n'etoufFe- roient point le taillis , & dont les Touches , quand on les abattroit , n'auroient que la groÉ^ feur convenable pour fournir un bon recru & de belles fepées. Ainfi, fans faire de tort à fon taillis , il fe procureroit de bon bois à brûler & de bons fagots avec de la corde à charbon* Il y a bien d'autres vues particulières qui pour- roient former de pareilles exceptions ; mais nous ne voulons ici que faire appercevoir combien notre propofition pourroit être utile, fi la pratique en étoit mife en ufage dans les bois du Roi & dans ceux qui appartiennent aux gens de main-morte. Tome IV. G Tkaitéise l Jk C H A B I T R E X I. Du rùabllffemene des Forêts & des Bois^ X^Es dégradatians dont nous avons parlé, & trop fouvent rinexécution des Ordonnait- ces pour la confervation & l'entretien des bois , ont opéré des dépériflements bien con- iidérables dans plufieurs des forêts du Roi , auxquelles la rareté du bois doit engager plus que jamais à remédier : la bienfaifance du Soiî- vcrain le demande poui* fubveair aux befoins du public, & la cherté du bois indemnifera des dépenfes qit'il faut faire pour remettre en valeur les forêts dégradées. Le bien général & le bien particulier ell effentiellement intéreite au rétabliCement des forêts , & c'eft l'opératian la plus impor- tante , on peut même dire la plus preiiante qui doive fixer l'attention & les l'cins da Gou- vernement. La plupart des forêts du Roi , très-dégar- nies , donnent beauco\$p moins de produit, première caufe de la difette de bois qui comr iiience à fe faire fentir. On a parlé d'un moyen de remettre les forêts du Roi en valeur , c'eil de \ts céder à cens & par parties à des particuliers que leur intérêt porteroit à les rétablir , à les entre- tenir & à les conferver ; raugmentatioa deâ VBÔETATiÔÎÎ ,Iiv. Vil, Ch. Xt p^ devenus de l'Etat & l'abondanee du bois fe- roient lès fuites infaillibles d'un pareil ârran* gement. Mais fi des difficultés ou des confi* dérations particulières empêchent d'y avoir recours , il efl: plus àifé & moins difpen^ dieux qi^'on rie penfe peut-être , de rétablir ôc d'entretenir en bon état les forêts du Roi. Je m'abfiiendrai de parler ici des Règlements nécefTaires pour cet elîèt , je m'en tiendrai à ex- pofer les meilleurs moyens à prendre poat parvenir à moindres frais à repeupler lâ^ bois. Quand bien rtiêmc on vdlleroit avec foin à leur confervation , il manque toujours un plus ou moins grand nombre de fonches qui périfTent dé vétufté, de maladies, d'accidents^ & par les manœuvres des malfaiteurs ; de là des plus ou moins grandes clairières , & des va- gues quelquefois très- étendues qui diminuenE coniidérablement le produit d'une forêt : ces clairières auroient pu d'abord fe regarnir natu- rellement par les îemences qui s'y répandenC ou qui y font apportées par les oifeaux ; mais les bêtes rouffes , le fauve & le bétail mangent une partie des femences & broutent les jeunes arbres qu'elles ont produites , & le mal ne fait qu'augmenter. On fait que les Officiers des Eaux & Fo- rêts font tenus d'examiner les clairières ou vagues, & d'en tenir note dans leurs procès- verbaux de vifite, pour mettre le Confeil en état d'y pourvoir. Nous n'examinerons point ici il ce compte (è rend toujours bien exac* G 2. loo Traité dé i a temerit ; obfervons feulement qiie ces omif- lions d'entretien qui coûteroient peu d'abord , peuvent être comparées à des réparations qui, lorfqu'elles font négligées , augmentent de Jour en jour , & obligent enfin le Proprié- taire à réédifier entièrement fa maifon. Notre objet eft d'examiner ici les meilleurs moyens Se en même temps les moins difpen- dieux de repeupler, de regarnir & remettre en valeur non-feuîeraent les bois du Roi qufi ont été négligés & dégradés , mais aufïi ceux des Propriétaires particuliers qui pourroient être en cet état. Je dois prévenir quil eft très-inutile & de nul effet d'en pratiquer aucun , fi on ne com-^ mence par interdire abfolument l'entrée des animaux qui broutent dans les bois. J'en ai déjà fait voir les conféquences que je ne puis trop répéter. Les habitants naturels des bois , tels que les cerfs & les biches , les chevreuils & les lapins y font de terribles ravages , lorf- quils s'y font beaucoup multipliés j c'eft à quoi il faut remédier par des battues & àçs chaiTes fréquentes , & par le furet pour les lapins. Cette grande multiplicité de bêtes fauves ne devroit être permife que dans les forêts où le Roi & les Princes viennent prendre îe divertifiement de la chafie; on devroitTem- pêcher dans toutes les forêts où ils ne chal^ îent point. Les Seigneurs Propriétaires des grands bois ont foin de les détruire, tant pour leur inté- rêt particulier que par humanité pour les Tegetation, Liv. VII , Ch. XI. loi Riverains , dont les grains & les vignes fouf- frent beaucoup desincurfionsnoSurnes de ces animaux. Examiaons maintenant tons les cas où les îiois ont befoin d'être réparés , félon leur différent état de dépérlifenieat .& les meil- leurs moyens à employer : noas allons détail- ler plulîeurs procédés potir repeupler un bois qui n'ell: que dégarni I mais à l'égard de ceux où , par des négligences multipliées, les clai- riepes & ks vagues font devenues très-éten- dues, c'efl prefque une nouvelle formation -qu*!! faut faire ; 6c pour fuivre la comparai- fon , c'eû une maifon où il ne raanquoic d'a- bord que quelques tuiles qu'il eue été aifé de î;emplacer à peu de frais; mais comme on a négligé de le , faire , le dommage s'eO: telle- ment accru qu'il faut refaire toute la toiture à neuf : de même dans les vagues , devenues très-étendues, il faut reformer un bois & «fer des moyens dont nous avons parlé ; c'eft-à-dire de labourer le terrain pour l'en- lemencer ou y repiquer de jeune plant. Mais fi les clairières ne font pas fort éten- dues , & qu'il y aie à portée des arbres qui puiflent y répandre d^s femences , il n'y a îbuvent qu'à laiflér opérer la Nature , qu'il eft bon cependant d'aider , comme je vais l'expli- quer. Les glands,, les faines, les graines dç fre- ines, d'ormes, &c. germent d'elles-mêmes fur le terrain ; la radicule s'y enfonce , & le jeunç arbre s'y élevé. Mais il périt fou vent de ççs femences ^ foit par la gelée , foit par U G 3 ïoi, Traité h e l ^ curée des pifeaux & autres petits animaux ; de plus, la plus grande partie defTéchéç par le fo- ieil , périt enfuite fans germer ; ce qui arriyç encore à celles qui , n'étant point enveloppées de terre & ne rencontrant qu'uri fol dur & mal difpofé à les rpççvpir , poufTent le^i: germe à pure perpe. ij efl un moyen bien fimple & peu cour- teux pour favorifer la germinatipn de ces fer Hiences^- c'eft d'ouvrir avec la houe de peçi- (tes tranchées , en tout fipns , d'environ deux ou trois pouces de profondeur dans les çlai-^ tieres : cette opération doit fe faire avant la chute des femences, ppur recevoir celles qqe Jcs arbres d'alentour pourront y répandre ; lînon il faudroit y çn jetter de celtes qiYè^ auroit ramaflées ailleurs : on remplit ces tran- chées au mois de Novembre avec la terre qu'on en a vetirée & qii'op avoit laifTée à coré ,• les femences qui font tombées dans les tranchées ^ même celles qui fe trouvent fur les revers font ainfî recouvertes Se réulîiflent aflez bien ; pn en voit fortir au printemps une quantité de jeune plant qui , eii peu d'au- nées , regarnit les clairière?. Il eil quelquefois mieux , félon les circonf- çances , de faire (les folfés de diftaqçe en dif^ tance, p|us larges & plus profonds dans les clairières , & de répandre la tçrrç qu'on ea retire au hafard fur la furface du terrain; on recouvre ainfi les femences qui s'y fpnt répan- dues , ëi on alfure leur germinatipn & leurs fuccès. Ces moyens , d'une exécution facile §i pey çpûteufe , peuvçnt feuls rétabliç un Végétation, lïv. VII, Cr. XI. i^q bols , pourvu que l'entrée en foit ii4terdite au bétail. S'il n'eft queftion que de regarnir un taillis dont les foiicbes font trx3p écartées les unes des autres, oa peut étendre & fortifier le produit de cfâ foucèes par un procédé très- fimple : on choiik fur ces foiiches des bran» elles vigoui^ufes & aiongées, on les couche tout autour dan-s des tranchées que l'on fait pour les recevoir ; & aprcs les y avoir fixées avec de forts crochets de bois bien enfon- cés , on les recouvre de c^rre à la partie cou- dée ; elks y prennent racine , ^ chaque bran- che forme un nouveau plant qui garnit les efpaces ; mais comme le bois dur elt quelque- fois plufieurs années à prendre racine, fi on fe conteste de plier aînfi fimpîement la bran- che , on peut en accélérer la radification en faifant une incifion à la partie coudée , comme nous le recoramandoi^s au Chapitre des Mar- cottes ; & alFujettifiant , avec un tuteur, la partie de la branche qui fort de terre , ce qui , empêchant que le mouvemeac de cette jbranche, agitée par les vents, ne rompe les tendres racines lorfqu'ellcs commencent à fe former, lui fait prendre une meilleure direc- tion. Ce procédé fuffit pour garnir les peti- tes clairières,' mais lorfqu'il y a de grandes places vuides où les branches ne pourroienc pas afTez s'étendre , il faut y femer du gland par petites touffes. Si ces arbres de femences bien ménagés font en aflez grand nombre pour occuper \^ urrm &: former une futaie , on peut les laif- G 4^ Ï04 T R A I T É D E LA fer croître , & fe contenter d'abattre le pro- duit des anciennes fouches qui dépériflent peu à peu , & font enfin étouffées par les arbres de femeqce ; finon on prend le parti d'abattre le tout , & on jouit par la fuite d'un beau taillis. 11 y a plufîeurs accidents qui concourent à gâter un bois , les gelées du Printemps qui ont fait périr les nouveaux bourgeons, des multitudes de chenilles qui fe montrent con- fécutivement plufieurs années de fuite , pen- dant lefquelles elles dévorent les feuilles & les bourgeons encore tendres ; de fortes ge- lées ou celles qui font accompagnées de grands vents qui coupent & meurtrilfent les jeunes branches ; le bétail ou le fauve qui broute les jeunes bourgeons ; enfin , les années extrême- ment feches qui font languir les arbres plan- tés dans des terres légères & arides : ces acci- dents rendent les bois rabougris. Si on les laiifoit fubfifter dans cet état , ils ne feroienc plus que de foiblesjprodudions & même ils dépériroient ; mais li on a foin de les rece- per , ils font par la fuite des pouffes vigou- reMies ôi fe remettent en bon état. Cette opération eft prefçrite par l'Ordon- nance î pour le faire avec fuccès , il faut , dans les mois de Février & de Mars , cou- per tous Içs brins près de terre ou des fou- ches qui peuvent s'y trouver , & avoir foin de fe fervir pour cette opération d'inftry-^ ments bien tranchants , afin de ne rien écla- ter * cette précaution eft importante. Quaut aux arbres qui ne repouireot pas de VEGETATION, IlV. VII , Ch. XI. lO^ fouche , comme les pins & les fapins , ils feroient abfolument perdus , fi on leur faifoit cette opération ; il vaut mieux laifler repa- roître les nouveaux pieds qui s'élèvent de fe- mences , & qui lorlqu'ils font devenus vigou- reux furmontent bientôt les pieds rabougris jqui leur ont été utiles par leur ombre ; & quand enfuite ces jeunes pieds auront pris le delTus , on pourra arracher ou couper les an- ciens. L'entretien & le rétabliffement des hois dépend beaucoup de la manière de les exploi- ter , c'eft pourquoi rous allons en dire quel- que choie. L'Ordonnance pour arrêter l'avidité rnal enrendjiie des Propriétaires, en ne fixant point préciféraent l'âge où on doit abattre les tail- lis , seft contentée de défendre de les exploi- ter avant qu'ils enflent dix ans ; mais on a laifle la liberté de les abat-cre depuis cet âge jufqu'à vingt-cinq & trente ans. Comme on ne peut ordinairement retirer d'un taillis de dix ans que des fagots, plu- fîeurs Propriétaires intelligents ne font cou- per leurs taillis qu'à l'âge de dix -huit ans; d'autres attendent à vingt-cinq ans pour avoir du rondin alfez gros pour être vendu en bois de corde : mais il ne îeroit pas bon de laifler fur pied des taillis beaucoup plus âgés, parce que les fouches de trente & quarante ans , devenues trop grofles, fe recouvrent difficile- ment d'une nouvelle écorce ; elles pourriflenc en partie, & ne font plus que de foiblesjets; ^ce qui n'arrive pas à celles qui font moins âgées & moins grolles. THAITÉDE t Ce n eft donc pas à la manière d'exploiter les taillis qu'on doit attribuer la deftruâion des forêts , mais c'eft à la manière dont on exploite les futaies & les demi-futaies. Les arbres de demi-futaie ne peuvent par- venir à ce point d'accroiflement fans qu'il ait péri beaucoup de Touches ; ainfi quand on a abattu un bois de cette efpece, on n'aura plus qu'un taillis très-clair & mal garni ; & fi on ne prend pas pour le repeupler les précau- tions que nous avons indiquées , il fc dégra- dera toujours de plus en plus. C'eft encore bien pis à l'égard des hautes- futaies , car les fouches font encore plus éloi- gnées les unes des autres ; ces fouçhes fort grofles étant coupées à fleur de terre , comme le veut l'Ordonnance, pouffent, à la vérité» quelques jets entre le bois & l'écorce ; mais comme l'aire de la coupe ne fe recouvre ja- mais, le bois fe pourrit & fouvent endom-^ mage la naiflance des nouveaux jets qui fonç ;iifément éclatés par le vent. Les racines de ces arbres , abattus fqrt gros, pouirifTent pour la plupart en terre , oc les autres fe trouvent ufées ; il s'enfuit qu'unç haute-futaie , ainfi abattue , ne. peut jamais faire par la fuite ni une belle futaie ni un beau taillis : c'eft une des plus grandes caufes de la deftruSion des forêts. On pourroit y remédier en n'adjugeant les hautes-futaies qu'à condition d'arracher & de déraciner les arbres, & d'elfarter & de dreffer le terrain ; on n'auroit plus qu'à faire donner quelques labours à la charrue àc€ VEGETATION, IlV.VIÎ , Ch. XL 107 terrain efTarté & déjà bien remué par les fouilr h$ que les arracheurs auront été obligés de faire , & d'y répandre du gland pour y for* mer m nouveau femis dont le fucçès feroit a (Tu ré, Mais comme les arrachis de bois font très- fertiles & propres à fournir pendant long- temps d'abondantes récoltes, des Propriétai* res pourroient préférer de tenir cet arrachis en labour & de mettre en bois d'autres pièces de terre. Cette opération bien préférable à celle d'at* tendre le foible recru de grolTes & vieilles fouches , fourniroit d'abord beaucoup de bois de chauffage par le produit des racines qui pourriroient en terre à pure pertç ; & il n'y a point d'Adjudicataire qui ne fâche très* bien qu'il feroit bien indemnifé des frais de la inain-d'œuvre par le profit qu'il tjreroit des racines & des fouches qui donnent beaucoup de bois , auquel la difettç fait aduelleraent recourir plus que jamais. ' De plus , ils y gagnent encore confidéra- blement par la plus grande longeur qu'ils peu- vent procurer à leurs pièces de bois , tant par la partie qui exifte en terre que par l'en- taille de la coupe qui çfl: d'autant plus grande que Içs arbres font gros , & cette plus grande longueur augmente beaucoup le prix de ^es pièces ; il y a même des Marchands qui font fouiller aflez profondément en terre de groffes racines pour en faire des courbes propres à de petits navires. 11 feroit bien avantageux d'établir çettf Io8 T R. A I T É i> B LA pratique dans les bois des gens de main-mor- te, & principalement dans les forêts du Roi, en chargeant les Adjudicataires , non-feule- ment d'eflarter , mais de former le nouveau femis , en ftipulanc bien les conditions du marché, & prenant les sûretés convenables pour que ces femis & repeuplements fuiTent bien faits. C'eft pour cette raifon & pour plufieurs autres que l'on doit prendre garde d'admettre aux enchères de petits Adjudicataires ; c'eft toujours la fource de mille abus. Un nom- bre de Payfans fe joignent enfemble pour fe faire adjuger une vente de 15 ou 20 arpents; ils chargent l'enchère ; & quand l'adjudica- tion leur eft faite , ils partagent enrr'eux cette vente : alors comme chacun devient maître de fon lot , une forêt fe trouve ou- verte à toutes ces familles; pères, mères & enfants vont & viennent dans ces bois & font autant de picoreurs. Ces fortes d'adjudications ne doivent fe pratiquer que pour des haies ou des bouquet^^ ifolés. Il arrive le même inconvénient quand, les Marchands de bois cèdent à des particuliers quelques arpents de leurs ventes , qui , fe .trouvant de mauvais l)ois , ne leur peuvent être d'un grand produit, ou lorfqu'ils per- .mettent aux bûcherons & aux fagoteurs d'em- porter les copeaux ou ramilles ; ce font autant de prétextes pour picorer impuné- ment. On doit fixer la vuidange des ventes au VEGETATION, LiV. VII , Ch. XI. 109 plus court terme pofïibîe ; car les bêtes de fomme qui enlèvent les bois , broutent le bour- geon , & d'ailleurs leurs pieds , ainii que les roues des voitures , endommagent les fouches* Le pacage , pendant l'exploitation , fait tou* jours tort aux jeunes pouilès ; mais comme on ne peut pas toujours s'y oppofer , il eft fouvent utile de faire un recepage après \^ vuidange. Dans les Ardennes il eft d'ufage quand on abat un bois , de ramaifer toutes les brouf- failles , feuilles , copeaux, brindilles , genêts, bruyères , &c. , de les brûler & d'en répandr» les cendres fur le terrain même où le bois a été abattu ; puis on laboure avec le cro- chet la terre qui eft entre les fouches & étocs , & on y feme du feigle ou du far- rafin ; c'eft ce qu'on appelle dans le pays faire des ejfarts. Cela fe pratique , non-feulement dans les bois des particuliers , mais même dans ce^x qui appartiennent au Roi. Comme la fuperficie des terres plantées en bois eft très-amandée par les feuilles pour- ries & les cendres qu'on y répand , les- ré- coltes des grains qu'on y feme font ordinaire- ment fort bonnes. Ces cultures feroient auffi très-avantageu- fes aux bois , à l'accroiffement des jeunes ar- bres , & à la germination des femences, fi les payfans avoient l'attention de ménager les jeunes arbres & le recru en labourant le terrain , & fur-tout lorfqu'ik font leurs ré- coltes j; . mais outre le peu de ménagement ÎI4 T «. A î t É DÉ t A qu'y mettent ces fortes de gens q.ui ont pour objet principal de tirer le itleilleur parti jîofîiblede la terre qu ils ont cultivée , & comme leurs récoltes font d'autant plus abondantes qu'il y â moins de fouches , ils s^occupent plutôt à les détruire qu*à les ménager. Mais autant cette pratique feroit préjudi-* ciable dans les pays où le bois eft rare & cher , autant elle l'eft peu dans les Ardenne» où il eft abondant & à vil prix. CHAPITRE X II. Du IRecepage des jeunes BoiSé I L eft indifpen fable de receper les jeunet bois qui ont été abroutis , ou qui ont été deshonorés , foit par la gelée, foit par la ^rêle; enfin ceux qui languifTent & qui n^u* lent en cîme. Heceper un bois , c'eft l'abattre à rafe terre ; lorfqu'on fait cette opération fur de jeunes plantes , il faut bien prendre garde de ne pas ébranler les racines. Pour cet effet le bûcheron appuie le fabot contre le pied de l'arbre ; il tire à foi la cîme de la tige , en la ployant de la main gauche , & avec une fcrpette bien tranchante qu'il tient de la main droite , il coupe la tige du jeune arbre le plus près de terre qu'il eft polîible & en pied de biche. Cette opération fe doit faire dans le VEGETATION , lî V. VII , CH. XII. Il 5 iBoîs de Février ou au commencement de Mars. Le recepage , particulièrement bon pour les taillis , fait que les arbres pouffent à là fève fuivante plulîeurs jets vigoureux en la place d'une tige foible qui a été coupée , & forment , comme difent les gens des forêts^ des rackets ou rochers. J'ai démontré , je crois , inconteftablement dans le qaiatrieme Livre des Mouvements de la fève, que les branches & les racines pouf- fent toujours dans la même proportion. Ce fait bien prouvé par l'expérience & l'ob- fervâtion , n'eft apparemment point connu de ceux qui , n'ayant point pris de jufies idées de la végétation , étêtent des arbres en les plantant , & recepent ceux qui font étêtés , dans la perfuafion que cette fupprefïion leur fait pouffer beaucoup de racines & profon- des , même dans les mauvais terrains ; & les partifans de cette opinion erronée , ou plu- tôt de cette fauffe routine , vont même juf- qu'à conclure qu^il faut receper plufieurs fois les arbres. Ceux qui auront lu avec quel- qu'attention ce que j'ai prouvé à ce fujet dans îe quatrième Livre , n'ont plus befoin , je penfe ; d'être détrompés de cette erreur. Il eft à la vérité d'expérience que lesjetî- nes arbres recepés pouffent avec beaucoup de vigueur ; il en faut attribuer l'effet tout naturel à ce que des arbres qui pouffoienc d'abord avec lenteur , & qui fe montroienc languiffants , reprennent par la fuite vigueur, & la confervent après avoir été reçepés , 112 T R A I T É D Ê L A parce qu'au lieu d'un bois mal conditionné 6c en partie defleché , celui que les racines ont produit depuis le recepage eft vif & bien organifé ; les feuilles larges & bien confor- mées , font pafTer beaucoup de fève aérienne aux racines , & ces racines plus fortifiées fpurniflent plus de fève terrefte aux branches. (Voyez le quatrième Livre). Ce n'eft donc pas efFedivement la fuppref- lîon de la tige des branches qui fait pouffer des racines ; mais c'eft le recru qui en pro^ vient. Ces pratiques , quoique très-bonnes & aflez fimples pour être fuivies par tous les Pro- priétaires , ne conviendroient pas dans les bois du Roi , où au lieu de tendre à ce qu'on juge être le mieux , on eft aftreint à fuivrc les règles générales pour éviter les abus. C eft pourquoi il eft d'ufage de receper les jeunes bois à la cinquième année , & fouvent en- core quatre ans après ; enfuite de ce fécond recepage les rachées font bien formées, & à moins qu'il ne furvienne des accidents ex- traordinaires, on ne les recepe plus. Quand le terrain eft de bonne qualité , on peut abattre le bois en petit taillis , dix ans après le fé- cond recepage , ou le laifler croître lï l'oii veut qu'il forme une futaie. Les connoiffances de la végétation & l'ob- fervation , font voir que le recepage eft au moins inutile dans les bons terrains où le plant pouffe avec vigueur , à moins que les accidents dont nous avons parlé n'y con- traignent. La Végétation, Liv. VII, Ch.Xîî. 113 La vraie règle pour connoitre s'il faut re- céper , eft d'examiner fi le plant périt par la cime & repouffe du collet. Cette marque de depérilTement indique du dérangement dans l'orgaivifation de la tige , Ôi dans ce cas le recépage eft nécelTaire , parce qu'on retran- che la partie viciée , & qu'après celte opé- ration il s'en développe de nouvelles mieux conftituées ; car cette opération fait produire à la fouche pluiieurs branches qui forment des rachées & fournilTent une plus grande quantité de bois. Ainfi le recépage convient toujours aux bois qu'on delline à former des taillis , &c ra- rement , à moins d'accidents , à ceux qui doi- vent venir en haute futaie. Enfin cette opération elt abfolument nécef- faire pour fortifier le jeune plant que l'on voit languifTant dans des terres mauvaifes ou médiocres , qui ne peuvent produire que du taillis. Cependant il arrive quelquefois que dans les terrains fecs , mais qui ont beaucoup de fonds , des arbres qu'on avoit vu lan- guir d'abord, deviennent enfuite très-vigou- reux. Dans les bons fonds , qui font les feuîs propres à fournir des futaies , les arbres fe montrent toujours affez vigoureux , & il ne convient de les recéper que lorfqu'ils ont été deshonorés & endommagés par les accidents dont nous avons parlé , auquel cas , fi l'in- tention eft d'en former une futaie , il faut avoir foin , quand ils ont fait trois ou quatre poulies , de couper tous les jets , à l'excep- Tome IV. H 114 Traité de la tion d'un feul fur chaque fouche. Je n'ai pas befoin de dire qu'il faut toujours choifir le plus beau. ' On peut s'en rapporter d'ailleurs à la Na- ture , fur l'éducation des arbres plantés en mafîif & en futaie ; leur cime s'élèvera pour chercher l'air & fe prêter à l'afpiration des rayons du foleil , comme nous l'avons expliqué au quatrième Livre ; & les branches baffes ombragées , & qui ne pourront pas s'étendre pour s'y prêter , mourront & tom- beront en pourriture. Ceft le contraire des arbres ifolés , qui s'élèvent dans les haies , les landes ou les lifieres peu épaiffes ; ces ar- bres frappés de tous côtés des rayons du fo- leil , pouffent fur leur tige de groffes bran- ches latérales très-étendues , & s'élèvent d'au- tant moins : ils ne peuvent fournir de beaux bois de charpente ; mais on y trouve des bois torts & des courbes bien recherchés pour la marine , & qui fe vendent bien cher. CHAPITRE XIII. De la coupe des Bois, jL Lusieurs circonflances locales , & plufieurs coniîdérations particulières doivent néceffairement faire varier l'exploitation des bois , & le temps de leur coupe. Comme on ne doit avoir en vue que de fe procurer la Végétation, Liv. VIÎ^ Ch. XlII. 1 1 ^ facilité du débit & d'en tirer le plus grand profit pofFibie , le terrain & l'ufage local doivent décider fur le temps qu'il convient le mieux d'abattre un taillis ; il ne peuç donc y avoir de règle générale à ce fu- jet. Quand même il feroit prouvé qu'il eO: gé- ïiéralement avantageux de n'abattre les taillis qu'à l'âgé de 2,5 ans , li le fond ell a (fez mau- vais pour que les arbres celTent de croître dès l'âge de douze ou quinze ans , il feroit préjudiciable de les y iaiifer plus long- temps. Mais en fuppôfant que le terrain ait alTez de fertilité ôz de profondeur , il pourroic arriver que l'on perdroit en y laifîànt prendre une plus grande croillance au bois. Par exem- ple , dans les pays de vignobles , ou dans ceux où l'on fait du cidre , le bois d'efpece à faire des cerceaux fe vend très-bien ,• il convient donc dans ces pays d'abattre les taillis aulFi-tôt qu'ils pourront fournir de la perche aiiez forte pour faire refpece de cerceau propre aux futailles qui font en ufage dans le pays , telles que tonneaux , pipes , muids , demi-muids, &c. Ainli, en fuppôfant qu'un taillis de châtaignier , de frêne , de bouleau , de chêne , &c. , foit à la groiTeur convena- ble , au l30ut de huit ans le Propriétaire doit le vendre à cet âge , puilque bien loin que fa valeur augmente pafïe ce temps , elle di- minuera dès que les perches feront devenues plus groiTes qu'il ne faut pour cet ufage. Bans les pavs de vignobles on fait une H 2, n6 T :r A I T É D E L A grande confommation d'échalas ; dans d'au-* très il faut des perches pour ramer le hou- blon. Dans les endroits où la confommation des fagots elt coniidérable pour les chaux-four- niers , briquetiers , tuiliers , plâtriers , Sic, , les Propriétaires doivent fixer l'exploitation de leurs taillis fur l'âge oi^i leurs bois foienc en état de fournir des fagots ; on doit la re- tarder ailleurs où le débit du charbon efl plus certain & plus avantageux , jufqu'à ce que le taillis foit afiez fort pour fournir beaucoup de cordes à charbon ; dans tous ces cas où l'on ne fe propofe point d'avoir de gros bois , on fera bien de ne point con- ferver de baliveaux. Mais en fuppoîant que l'intention d'un Pro- Ujiétaire foit de tirer de fes bois , de la grofle corde , du charbon & des fagots , il fera alors à, propos de lailTer dans fes taillis beaucoup de baliveaux de l'âge du bois j on en va fen- tir l'avantage. Suppofons , par exemple , que les coupes foient mifesà dix-huit ans, & qu'à la première coupe on ait fait réferve par, chaque arpent de trente baliveaux de l'âge du bois ; la coupe fuivante on abattra avec le taillis ces trente modernes , qui , ayant alors trente-iix ans , fourniront de la grofle corde , pendant que les branchages & le taillis de dix-huit ans donneront, fi le fonds eft bon, de la corde à charbon & des fagots. Mais en retranchant tous les baliveaux modernes de trente-fix ans, ©n confervera dans le taillis trente nouveaux VEGETATION, LiV. VII, Ch. XIII. II7 baliveaux de l'âge du bois , pour avoir de la groffe corde à la troifieme exploitation. Voilà le cas où les baliveaux peuvent être confervés avec avantage , puisque , 1®. Hs fourniflent la groffe corde qu'on defîre ; 2°. étant abattus en modernes , ils n'étouffent point le taillis ; 3**. les fouches des baliveaux de trente-fix ans , n'étant pas trop fortes , font en état de donner un bon recru. Si un Propriétaire qui a beaucoup de tail- lis en bon fonds vouloit y former une futaie, fi , comme on le pratique ordinairement, il laifToit croître le taillis , la plupart de ces arbres devenus gros, feroient, ou difformes , ou de mauvaife qualité , parée que la plu- part étant le produit de vieilles fouches ufées, feront peu vigoureux : quantité feront cariés au pied , & prefque tous entreront en retour avant detre parvenus à la grolfeur convena- ble pour faire de beau bois de fervice. On évite ces inconvénients en confervant, lors de l'exploitation du taillis , les arbres de femence , & ceux qui fortent de fouches vigoureufes , ayant l'attention de ne fe réfer- fer qu'un feul brin fur chaque fouche. Cette quantité de baliveaux de dix-huit ans pourra faire à la vérité un peu de tort au taillis, mais il doit être détruit par la fuite, & d'ailleurs les fouches fur lefquelles on n'aura fait aucune réferve , ne laifiéront pas de poufler avec affez de force pour donner encore une coupe allez bonne au bout de dix- huit ans. Tous les baliveaux de trente-fix ans étant H3 îi8 Traité de la confervés , feront immanquablement un ombragg qui fatiguera beaucoup le taillis ; & quoi- qu'on n ait fait à cette féconde coupe aucune réferve de baliveaux de l'âge du bois, il faut compter que le produit des fouches qu'oQ aura confervées en taillis diminuera à propor- tion que les arbres de haut vent feront des progrès , & que peu à peu toutes les fou- ches du taillis périront ; enforte qu'au bouc d'un certain temps il n'y aura que les arbres qui doivent former la futaie qui fubfifteront. On abattra néanmoins le produit des fou- ches qui aura pu pouiTer, pour en tirer quel- que profit, êi pour empêcher que ce recru ne falTe tort aux grands arbres. Avant que les arbres qu'on a femés pour former une futaie foient devenus affez gros pour en faire de beau bois de fervice , il en aura certainement péri une grande quantité de ceux qui feroient élevés de femence , & malgré cela il faut de temps en temps éclair- cir ceux qui font trop ferrés. 11 eft bon ce- pendant qu'ils le foient aifez pour les obliger a former de belles tiges bien droites & déga- gées de branches , ce qui d'ailleurs étouffe Therbe ; mais quand à l'âge de dix à douze ans on voit qu'ils font trop ferrés , il faut commencer à en retrancher , & toujours de préférer ceux qui font difformes , & couper les branches qui pourroient former des four- chets, Comme on ne tire pas un grand pro- duit de ce premier travail, fur-tout dans les _pays où le bois n'ell pas cher , il y en a qui foa; faire cette opération par des Ouvriers Vegetatiotsi, Liv. VII, Ch. XIII. 119 auxquels ils abandonnent pour leur (aîaire le produit de cet élagage ; mais c'eft une mau- vaife & dangereufe économie , parce qu'il ar- rive que ces Ouvriers , dans la vue d'augmen- ter leur gain , abattent fouvent plus d'arbres qu'il ne faut & même les plus beaux : il vaut donc mieux employer des Journaliers à^ ce travail, quand même il arriveroit que le peu de fagots que l'on feroit n'indemniferoit pas des frais de la main-d'œuvre. Quand cette futaie fera parvenue à l'âge de vingt-cinq ans , on pourra abattre un quart des arbres qu'on aura réfervés au premier élagage , avec tout le recru des fouches , en obfervant , comme la première fois, de faire ce nouvel éclaircifTement fur les petits arbres mal faits & languiflants. Quoique cette exploitation puifTe fournir du bois de corde à charbon , des fagots & de la bourrée , le profit n'en fera cependant pas confidérable ; car outre les Bûcherons , on fera obligé d'avoir des Ouvriers pour tranfporter le bois dans les chemins , allées on autres places vuides , afin de ne pas en- dommager les arbres réfervés , auxquels ce curage fera grand bien. Il faudra tous les huit ou dix ans faire une nouvelle revue dans cette futaie , pour éciaircir de nouveau les arbres qui fe trou- veront trop ferrés , ceux qui font reftés bas & feroient étouffés par les autres. Au moyen de cet éclaircifTement on ne ré- ferve que les arbres vigoureux & d'une belle érance , qui , fe trouvant alors plus à H 4 120 Traité de la l'aife , profiteront beaucoup mieux. Les arbres qu'on abat dans ces opérations! répétées , fournirent , fuivant l'âge du bois , d'abord des chevrons de b)in & des lâdelles , puis des limons , du colombage , enfuite des folives , des billes qu'on refend en échalas ou en lattes , & enfin de groiïes pièces de chajrpente ; de forte qi^ par ces différents éclairciffements , lorfque la futaie a pris une certaine croiiïance, elle fournit beaucoup de profit fans être aucunement dégradée. On voit ainfi que le Propriétaire peut tirer une grande quantité de bois d'une futaie avant même que le temps foit venu de l'abattre défi- nitivement, puifqu'un économe intelligent en peut tirer un revenu prefqu'annuel , en tour- nant à fon profit les arbres & les branches qui pourriroient nécefiairement fous l'ombrage des autres. Mais il ne faut faire ces éclaircifiements que peu à peu, avec ménagement ; car fi l'on faifoit à la fois de trop grands vuides , les arbres produiroient quantité de branches laté-? raies fur leur tronc , qui refteroit bas & tra- verfé de beaucoup de nœuds. Il ne faut pas attendre pour exploiter un© futaie , que les arbres foient en caducité & donnent des marques de dépérifiement , non- feulement c'efl perdre du temps , mais oa perd plus que l'on ne gagne à laifier fur pied des arbres qui ne peuvent plus croître , puif- que c'eft l'époque de leur dépériffement : nous avons parlé de cette époque. Mais au lieu d'abattre les arbres à coupç VEGETATION, LîV, VII ,CH. XIII. cai blatî-che , comme on le pratique ordinaire- ment , il y a beaucoup à gagner à tous égards de les déraciner : que l'on ne fe laiffe point épouvanter par la dépcnfe d'un travail véri- tablement conlldérabîe , on peut être afluré d'en être amplement dédommagé par le pro- fit qu'on en retire, fur -tout depuis que h rareté du bois fe fait fentir'; c'eft en lailfer pourrir à pure perte une grande quantité en terre , lorfqu'on abat à coupe blanche , quan- tité qui aideroit puiflamment à fournir à la confommation des particuliers qui recherchent & paient fort cher à préfent ces racines ôç éclats de fouches. D'ailleurs , comme nous l'avons déjà dit , ces groifes & vieilles fouches ne font que peu ou point du tout de recru , il vaut bien mieux , par Tarrachement , remettre fon ter- rain en valeur , foit pour y faire un nouveau femis qui y croîtra rapidement , foit pour mettre la terre en labour , & profiter des récoltes qui font toujours abondantes dans les terres nouvelles qui étçient plantées en bois ; & on pourroit alors faire un nouveau femis dans quelques autres pièces fatiguées par une longue fuite de récoltes en grains. Il eft aifez ordinaire que dans les futaies , il fe rencontre beaucoup de charmes, d'éra- bles & de bois blanc ; il s'élève de cqs diffé- rents bois dans les clairières , qui y étant jeu- nes & pouffant avec force , détruifent beau- coup de chênes ; de forte qu'il fembîe , au ]io\M de quelques années que la futaie ait changé d'eifence ; mais fi on a foin , à cha- m Traité h è la que éckirciffement , dé retrancher ces arbres de moindre valeur , à moins qu'ils ne fe trou- vafTcnt dans de grandes vagues , l'ellênce de chênes fe cônfervera pure jufqu à la dernière exploitation. tour que ces éclaircifTemcnts foient utiles aux Propriétaires & aux arbres réfervés , il faut les faire avec intelligence & peu à peu ; il faut ufer de beaucoup de ménagements pour lie pas dégarnir certaines parties , afin que la futaie refte toujours fuffifamment garnie : cette opération doit aufîi fe faire avec précaution pour prévenir que les arbres réfervés ne foient tncroués , écorchés ou rompus , & enfin en- dommagés par l'abattis que l'on fait. Il eft rare que les Bûcherons prennent les précautions nécellaires pour prévenir ces acci- dents , s'ils ne font pas furveillés par la vigi- lance du maître ,• c'eft pour cela &: pour plu- fieurs autres raiions dont j'ai parlé, que ces éclairciffements li avantageux à un Proprié- taire vigilant, & qui entend fes vrais inté- rêts pourroient devenir très -préjudiciables dans les bois du Rci & dans ceux des Com- munautés , fî on les faifoit ainlî en jardi- nant , parce qu'au lieu d'abattre les arbres fôibles & languiflants , la réforme pour- roit tomber fur les plus beaux arbres & de la meilleure elTence, & on en abattroit une fi grande quantité que la futaie fe trouveroit dégarnie ; c'eft fans doute en conféquence des abus prefqu'inévitabîes qui s'enfuivroient , que l'on a défendu ces éclairciffements dans les bois du Roi & dans ceux des Communau- VEGETATION, LiV. VII, Ch. XIV. 123 tés : il efi: fâcheux que la crainte bien fondée de ces abus prive le public de tout le biea qui en réfulteroit. CHAPITRE XIV. Ohfervations générales fur la multiplication des Arbres, I L y a plufieurs moyens de multiplier les arbres ; favoir , les femences , les marcottes , la greffe , les branches mifes en terre , &. mêmes les racines feules , ce qu'on appelle boutures ;je ne parle point des drageons enraci- nés , parce que ce ne font que des marcottes ou boutures qui fe font naturellement: nous allons traiter de chacun de ces quatre moyens connus de multiplication. Nous obferverons d'abord que les femences font les voies propres de la Nature ; les au- tres font l'ouvrage de l'indudrie & de l'art. L'expérience prouve que ce font ces voies naturelles qui produifent de plus beaux ar- bres, qui s'élèvent & durent davantage; mais les autres ne laifTent pas d'augmenter, d'accé- lérer & d'afTurer nos jouiiïances, fur-tout à l'égard de plufieurs arbres étrangers qui ne donnent point de femences dans notre cli- mat. De plus , ces procédés de l'art nous don- nent & nous aflurent l'avantage de conferver dans leur intégrité les efpeces & même les variétés \ ce que ne font pas les femences , 124 Traité de la par les raifons que nous avons expofécs au fécond Livre. Les femences font les feuls moyens de mul- tiplication pour les plantes herbacées , & fur- tout celles qui font annuelles ; ce n eft pas qu'on ne pût faire ufage des boutures & des marcottes , à legard de quelques-unes ; mais ces moyens font futils & ne méritent pas qu'on en prenne la peine ; ils font au con- traire très-utiles, non- feulement pour multi- plier les arbres dont nous n'avons point dç femences , mais encore pour les avoir tout formés dans l'efpace d'une année pour la plu- part , car il en eft dont la radication eft plus lente ; quoique dans le fait , on n'y perde rien , car s'il a fallu attendre deux années pour que la marcotte fût bien eqracinée , elle a poufle , s'eft élevée 5ç fortifiée pendant ce temps-là. ' Après les femences qui font les moyens les plus abondants de multiplication , mais noa pas les plus prompts , deux autres qui leur font préférables à certains égards méritent notre attention , & font efFeâivement affez généralement pratiqués ; (avoir , la greffe &: les marcottes : à l'égard des boutures, excepté les faules, les fureaux, quelques efpeces de peu- pliers , &c. , elles font d'une éducation diffi- cile ; & malgré tous les foins qu'elles exigent , êc dont nous allons parler, elles ne réuififfent pas toujours, mais enfin on en obtient quelques- unes qui profperent fi on prend les attentions convenables pour les faire reprendre. En multipliant par marcotte fie bouture » Végétation, Liv. VII, Ch. XIV. 12^ on eft afFuré d'avoir exadement la même ef- pece ; car les branches qu'on a cueillies fur l'arbre pouflent comme 11 elles étoient reliées attachées à leur tronc ; toute la différence fe réduifant à ce qu'au lieu de fe nourrir de la fève qui leur venoit du tronc , elles fubfiftenc par le moyen des nouvelles racines dont elles fe font pourvi^s ; & ainfi il ne peut y avoir & il n'y a en effet aucun changement dans l'efpece , & cette bouture produira un arbre tout femblable à celui fur lequel on l'a cou- pée. Nous avons dit que la Nature eft indiffé- rente à produire des branches ou des racines , & que c'ell l'élément feul qui décide l'une ou l'autre produdion. La partie qui eft en terre produit des raci- nes, celle qui eft à l'air produit des branches; une racine devient branche , une branche de- vient racine, fi elle change d'élément : c'eft pourquoi fi on couche une branche en terre , elle produit des racines ; & après qu'on l'a fevrée de l'arbre dont elle tiroir fa nourriture , elle fubfifte de la fève que fes nouvelles raci- nes lui fourniifent , Se devient un arbre tout pareil à celui auquel elle appartenoit. Il en eft de même de ce qu'on appelle dra- geons qui font des produdions qui partent du pied de l'arbre, ou quelquefois des racines qui en font affez éloignées , lorsqu'elles font à fleur de terre. Ces drageons ou jets pouffent fuivant les principes que nous avoas établis aux troifieme &, quatrième Livre. tl6 TS-AiTÉDËI Toutes les fois que le bouton d'une racine qui devoit produire d'autres racines , étant enfoncé en terre , fe trouvera à découvert ou très- près de lafuperficie , de manière qu'il foit expofé à l'effet del'attradion du foleil, ce bou- ton produira une branche qui végète ordinai- rement a^ec vigueur : mais comme le bas de cette branche touche à la terre , il s'y forme des racines , c'eft ce qu'on appelle drageon enraciné, qui ne peut manquer de donner la même efpece , à moins cependant que l'arbre n'ait été greffé ,• car pour lors tout ce qui pouffe au-deffous de la greffe appartient au lauvageon fur lequel on a greffé, Se ne peur donner que- des produdions femblables. On voit par là qu'il n'y a que les arbres dont les racines tracent très-près de la fuper- fîcie de la terre , qui donnent des drageons , comme les pruniers , les ormes , les noifet- tiers , Si.c. Mais ceux qui pivotent , comme les chênes , n'en donnent point ou du moins très-rarement. / Pour comprendre comment fe forment les boutures , il faut fe rappeller ce que nous avons dit aux différents Chapitres de la Sève ; nous y avons expliqué comment la fève mon- tante , que j'ai appellée terreflre , fert à la végétation des bourgeons & des branches , & la fève defcendante , que j'ai nommée aérienne ^ fert aux produdions & à l'alongement àQS racines. Nous avons dit auîïî que toutes les parties d'un arbre font pourvues d'une portion de fève fufîifante pour opérer le premier déve- VegetatioKjLiv.VII, Ch.XIV. 127 ïoppement des boutons , & qu'elles font plus ou moins remplies de germes qui produifenc des racines ou des branches félon le milieu où ils fe trouvent. Ces connoiifances nous mènent à l'intelligence de la formation des boutures & des marcottes , dont la végétation eit la même , mais d'un fuccès fort différent ; les unes étant des branches entièrement fépa- rées de l'arbre & n'en recevant plus aucuns fecours, doivent s'entretenir par elles feules dans un état de vie qui n'a pas lieu long- temps, fi elles ne forment des racines qui four- niifent à leur entretien 3c au développement de leurs parties. Les autres tenant encore à Tarbre que l'on appelle leur mère, participant toujours à fa végétation , ne peuvent manquer de poufler des racines à la partie qui eft en terre, & de fotmer ainfi un nouvel arbre que l'on ne fépare de la mère que lorfqu'il eft en état de s'en paf- fer. Ce procédé peut donc être regardé comme afluré , au lieu que l'autre eft fort incertain : Tenfant abandonné tout d'un coup à lui-même a bien des rifques à courir , & demande, fur-tout lorfqu'il n'eft pas d'une conftitu- tion robufte , beaucoup de ménagements & de foins. Nous allons expliquer ceux que peuc lui donner l'art pour aider la Nature , qu'il faut toujours prendre garde de contrarier. 11 y a quelques efpeces d'arbres fi forte- ment pourvus de germes toujours prêts à fe développer, qu'ils ne manquent guère de re- prendre de bouture fans aucua loin ; mais il 128 Traité be iâ nen eft pas de même de beaucoup d'autres i tels font pour la plupart les bois durs & peii poreux. L'expérience à fait connoîcre , particuliére- tnent pour les arbres très-vivaces, qu'une bou- ture mife en terre dans un fens renverfé réuf- lit également bien ; ce qui paroîc fournir une preuve qu'il n'y a pas de différents conduits pour la fève montante & la fève defcendante, puifque l'une & l'autre opèrent également , malgré le renverfement de la bouture , foit que le gros ou le petit bout foit en terre, & que la naiffance des racines & des branches eft toujours décidée par le milieu où elles fe trouvent. La portion de fève dont eft pourvue une bouture, eft prefque toujours fuffifante pour fournir au développement de quelques bou- tons ; mais ce n eft qu'une lueur d'efpérance toujours trompeufe , s'il ne fe forme pas de racines : car, fans cela, quand même la bou- ture , comme il arrive quelquefois , dévelop- peroit fes feuilles ôi même fes fleurs , lés unes & les autres ne tardent pas à fe flétrir , & tout périt. Mais comme c'eft la fève defcen- dante , pompée par les feuilles , qui fert à la produdion des racines, c'eft une difpolition à en former, qui n'a cependant pas toujours fon effet. Dans les bois tendres & poreux qui font pourvus d'une grande quantité de germes , il fort des racines , non-feulement de l'extré- mité , mais de pluiieurs autres parties laté- rales ; c'eft pourquoi ces boutures ne manquent guère de réuîlir. Il \rEGETATIOîT, LlY. VIÎ, CH. XIV. 129 Il n'en efl pas de même de celles de bois dur Ôii il ne fe forme de racine^ qu'à leur extrê- miré ; ce qui n'arrive que ientemenc. La levé defcendante produit d'abord des émanations entre le bois & lecorce , donc lifFue eft une efpece de bourrelet qui aug- mente de plus en plus , tant que la bouture fe foutient dans un état de vie. Ce bourrelet fe couvre enfuite de mammelons , d'oij commen- cent à pointer des petits fiiets blancs qui deviennent des racines ; ce n'eil qu'alors que le fuccès eft afTuré : mais il y a bien des obfta- cles à vaincre , bien des écueils à éviter avant que d'arriver au port ; c'eil pourquoi on fait fouvent naufrage. J'ai cru devoir commencer par entrer dans ces détails qui concourent à l'intelligence de la manœuvre ; ce qui fera mieux comprendre les pratiques dont nous allons parler. CHAPITRE XV. Des Boutures. J 'Al éprouvé depuis vingt ans les prétendus fecrets & les méthodes les plus vantées pour faire réullir les boutures ; mais je dois avouer que je n'ai obtenu en général que des fuccès très-bornésj excepté à l'égard des arbres de bois blanc dont je vais parler ; rien ne m'empêche \:ependant de croire que tout genre d'arbre ne puifTe reprendre de bouture : mais les fuc-* J'orne ÎV, I ^jjô Traité se la ces qiie rôii cite & que j'ai obtenus moi-mêrtîe^ tiennent à tant de circonftances que nous cot^ noifTons encore fî peu , & aux effets d'une ath- mofphere qui varie tellement, que ce qui a réulîi une fois ne réulîit pas toujours. La longue expérience que j'ai fur les bou- tures que peu de gens ont pratiquées & fui- vies auifi long-temps Ôc auffi confiamment que je l'ai fait , m'en fera parler a?ec vérité , & non pas avec cet efprit d'enthoufîafme qui aveuglant ceux qui en font polfédés , les porte à donner de faux avis fur de légères appa- rences de fuccès qui ne fe foutiennent point aux épreuves réitérées , & qui ne font que l'effet d'une efpece de hafard qui ne fe retrouve plus, parce que. les circonftances ont changé» &: que malheureufement on ne les connoîc pas encore , & que d'ailleurs il ne dépend pas toujours de nous de les faire renaître. Pour bien juger de la conduite que l'oti doit tenir pour faire réullîr les boutures & avoir rintelligence de ce que nous allons en dire , il eft néceîTaire de prendre de juftes idées de la marche de la Nature dans cette opération. On met en terre une plus groffe ou plus petite branche d'un arbre ; privée des lues qu'elle droit de la tige , Se n'ayant point en- core formé de nouveaux organes propres à s'en procurer , elle fe foutient dans un état de vie , au moyen de la portion de fève dont les urricules font pourvues , & qui vraifem- blablement eft un peu entretenue par la fuc- cion des fibres ligneufes dans l'humeur de h VEGETATION , LîV. VI , Ch. XV. î 3 î terre : cette petite portion de nourriture ne manque guère de faire paroître fur la bouture quelques petites productions ,• les boutons s'ouvrent , il en fort des feuilles y & quelque- fois même des fleurs ; mais ces premières pro- ductions ne fervent qu'à tromper l'efpoir des Cultivateurs peu inftruits , 11 cette apparence de végétation en dehors n'a pas lieu dans la terre ; c'efl-à-dire s'il ne s'y forme pas des ra- cines. Rien ri'eft fi ordinaire que de voir des bou- tures qui foutiennent encore une apparence dû vie en dehors , tandis que la partie qui eft ea terre eft déjà pourrie; il faut qu'alors toutes les belles apparences extérieures difparoiffent, & c'eft ce qui arrive effeélivement au grand étonnement de ceux qui n'en connoiffent pas la caufe ^ il eft bon de l'expliquer. Nous avons parlé au quatrième Livre, de la dillipation continuelle que font les plantes par l'effet du foleil : la bouture n'en fubit pas moins la loi^ quoique féparée de l'arbre; elle dillipe , ou fi l'on veut , elle tranfpire de même» Nous avons expliqué au même Livre com- ment les racines fournilTent à cette tranfpira- tion qui eft d'autant plus abondante dans les plantes qu'elles font plus expofées à l'adion du foleil : or , la bouture n'ayant , d'abord pour fournir à cette dilBpation que la petite portion de fève dont elle eft pourvue , ne peut manquer de fe deffécher & de périr , s'il ne . lui eft pas furvenu des moyens de fournir a la dépenfe qu'elle eft obligée de faire j &îous î3i Traité de la les végétaux n'ont pour cela d'autres moyens efficaces & durables que les racines. Les fibres ligneufes peuvent bien tirer des fucs de la terre pendant quelque temps , ce qui entretient refprit de vie ; mais ces fonc- tions immédiates qui ne leur font pas natu- relles, lesfo.it pourrir en peu de temps; c'eft pourquoi une bouture commence toujours à pourrir par le pied. De cet expofé très-abrégé , parce qu'on peut voir au quatrième Livre les détails que nous y avons donnés, on doit conclure, I®. Que moins la bouture fera expofée à l'adion du foleil , &: moins elle tranfpirera ou dilîipera , fur tout li elle eftdans un athmof- phere humide, êc ainfi mieux elle réuffira. 2®. Que les fibres tirant des fucs de là terre , plus celle-ci fera fraîche, & plus elles en tireront pour l'entretien de la bouture. 30. Que cette efpece de nourriture n'étant pas organique , elle n'eft pas durable , & elle devient infuffifante pour faire fubfilter la bou^ ture , li les racines ne viennent pas à fon fe- cours. Tout ce que nous difons ici a lieu à l'égard des arbres nouvellement plantés que les Jar- diniers, félon leur barbare coutume , muti- lent au point de ne leur laifTer prefque point de racines ; ces arbres ainfi traités deviennent prefque des boutures ; ôc malgré quelques ap- parences de produdions fouvent trorapeufes , leur reprife Se leur cxiftence n'eit alFurée que iorfqu'ils ont fait de nouvelles racines. Eclairés par cet expofé , les Cultivateur» VEGETATION, IlV. VII, Ch. XV. 133 pourront pratiquer avec intelligence lesnîéiho- ÛQS dont r^ous allons parler. Autant la radication des boutures de plu- ficurs genres d'arbres eft lente & fouvent nulle , autant elle eft prompte & aifurée dans quelques genres , comme les faules , quelques elpeces de peupliers , &cc. nous allons d'abord en parler. 11 y a des arbres qui ont tant de difpofîtion à reprendre de bouture , qu'on eft afluré d'a- voir un arbre tout formé , lî Ton met en terre une branche de fîx à fepr pieds de longueur & d'environ fix pouces & plus de circonfé- rence : on nomme ces branches des plançons ou plantards ; c'eft ainii qu'on a coutume de mul- tiplier les faules , les marceaux & les peupliers blancs. On ne s^amufe point à élever de femence ces genres d'arbres , puifqu'au moyen des bou-» tures on avance fa jouiifancç de fix ou huit années. Quand on veut faire des plantations de fau- les , on émonde dans les mois de Février & Mars les faules qui doivent fournir les plan- tards ; on choifit les perches les plus droites , dont lecorce eft unie & vive , qui ont par le bout fix à fept pouces de grofTeur & même plus ; on les coupe à fix qu huit pieds de lon- gueur. Il eft mieux de les planter fur le champ 5 mais fi le temps ou les circonftances ne le permettent pas , on peut les conferver fraîches pendant quelques jours , en les mettant à la cave s'il gelé , ou en mettant l'extrémité en 13 If54 Traita de la terre ou dans l'eau ; mais il ne faut pas les y laifler long- temps , car ils ne tardent pas à y poufler des filets blancs , qui font des ra- diments de racines. Soit qu'on les plante aufîi-îôt qu'ils font coupés, loit qu'on les conferve fraîchement, il faut faire cette opération avant le mois d'A- vril , car ces arbres ouvrent leurs boutons de fort bonne heure; 6f j'ai vu périr ou languir âflez long- temps les boutures plantées lorlque les boutons font ouverts. On applatit avec une ferpe bien tranchante les plantards par leur gros bout, ayant atten- tion de n'entamer le bois que par un côté feulement, afin qu'il refte de l'écorce jufqu'à la pointe; on fait avec un pieu de bois dur pu une grofie cheville de fer des trous d'un pied & demi de profondeur, en enfonçant ce |jieu ou cheville à coups de mafie, & ayant foin de l'agiter de temps en temps en tout fens pour qu'elle ne tienne pas trop dans le Irou que l'on élargit par ce moyen , afin que le plantard y entre fans frottement , de crainte de détacher l'écorce qui adhère d'autant moins au bois que l'arbre eîl plus en fève ; nouveau înotif pour devoir faire ctuc opération avant le mois d'Avril , & mieux encore dès le com» înencement de Mars , li on ne l'a pas faite en Automne. Le plantard ayant été introduit dans le trou préparé^ comme nous venons de le dire, oa l'enfonce un peu pour lui faire prendre terre; fi le trou fe trouve trop large à fon ouver- \mc-i 4 ^^^!^ \^ remplir d'un peu de terre fine j VEGETATION, LîV. VH , Ch. XV. 135 & pour l'affermir & faire enforte que la terre le touche exademenc de toutes parts ^ on donne fur le terrain tour autour du plantarcj quelques coups de mafle qui affaiiTenc & com- priment la terre. Les faules ou ofiers qui font de la même famille , végètent dans tous les terrains , à moins qu'ils ne foient très-fecs : mais ils pouffenc plus vigoureuferaent dans les prés affez bas pour qu'il refte de l'eau au fond des foffés fur les bords defquels on les plante. Il ne faut pas cependant que cç foit un ter* rain d,e tourbe , 6c que les inondations y fpient permanentes : fi l'eau y féjournoit , il faudroit en ce cas élever la berge du fofle aiTez haut pour que le pied de l'arbre reliât à fec; car l'expérience fait voir que les faules meurent û l'eau ftagnante fejourne toujours à leur pied. On eft aflez dans l'ufage de faire les bou- tures des peupliers avec de menues branches , & effedivement plufieurs efpeces l'exigent ; mais il en eft, tels que les peupliers blancs &: ceux d'Italie, qui peuvent reprendre en plan- tards , comme }es fouies ; ce qui donnç des arbres tout formés. On çhoifît pour faire ces plantards les bran- ches les plus droites, & qui ont fur l'arbre une poiition la plus approchante de la perpen- diculaire ; car celles qui font très- verticales ont beaucoup de difpofition à fe courber , ôç ne forment pas d'auiîi belles tiges. On ne coupe point les plantards de peuplie:^ par les deux bouts ; l'extrémité fupérieure doit x^&cx dans foa entier ; on y doit même ména- i ^ x^6 Traite de la ger quelques menues branches^ on les émondç feulement , & on laifle la tige principale s'é- lever dans fon entier avec quelques rameaux vers l'extrémité ; fi c'eft pour refter en place & y former futaie, on les plante à une ou deux toi- fes les uns des autres. Le fureau reprend auflî aifément de bou-? ture ; comme il réuffft même dans les terrains fecs , on en plante fur les fofles ôç les en- teintes des enclos ; il ne forme cependant qu'une clôture de peu de défenfe , mais qui fuffit pour en interdire l'entrée au bétail, qui ne l'endommage pas ; avantage que cet arbrif- feu a fur les autres , qu'il broute lorfqu'il peut en approcher : d'ailleurs ces clôtures fournifTent tous les quatre ou cinq ans un émondage profitable. Les fureaux Se les marceaux ont cela de particulier , c'ell: que réufîiflant très-bien dans les terrains humides , ils ne laiffent pas de profpérer dans ceux qui font fecs ; c'eft pour- quoi on les emploie utilement pour remplir des malîifs dans des places arides où les au- tres arbres ne peuvent fubfifter. Les ofiers font du genre des faules j mais d'une efpece différente , dont il y a plufîeurs variétés. On fait que ces ofiers font très-utiles aux Jardiniers, aux Vignerons , aux Tonneliers 6ç aux Pannetiers. Parmi les différentes efpeces ou variétés d'ofiers , on diftingue & on fait cas particu- liérement pour l'ufage de celui qui a l'écorcç d'iin rouge foncé ^^ & de celui dont l'écorce VEGETATION, IlV. VII,Ch.XV. I37 eft d'un jaune clair qu'on appelle ofier doré; il en eft un autre dont les feuilles font oppo- fées & dont les branches font menues, mais rrès-flexibles , & dont les fibres font fi fortes qu'on en fait des liens aulli bons que ceux que Ton feroit avec une ficelle. Les ofîers , comme les faules , reprennent aî- fément de boutures : il n'eft queftion , pour cet effet , que d'enfoncer en terre des houfii- nes d'ofier de deux ou trois pieds de longueur ou même plus , on en coupe le petit bout plus ou moins près de terre , félon que l'on veut donner plus ou moins d'élévation à la fouche d'ofier. Cette plantation fe fait ordinairement dans des terrains aquatiques ou du moins humides jj c'eft où elle réufîit le mieux : cependant l'o- fier fiibfifte dans des terres un peu feches. Les bons Jardiniers ne manquent pas d'en planter , pour leur ufage , dans la partie la plus huniide de leur jardin : une très-petite portion de terrains qu'on y emploie dans un lieu peu vu & fréquenté difpenfe d'en ache- ter , & fert utilement pendant toute Tannée pour fournir des liens journellement nécef- faires pour plufieurs ppérations du jardinage, & qu'il eft fort commode de trouver frais fous fa main, Les Vignerons pour le même effet en plan- tent dans leurs vignes. On plante des ofiers fur le bord des riviè- res & des ifles ; & quoique fouvent fubmer- gées , ils y réuiliffent bien , parce que l'eau eft courante & renouvellée ; il n'en eft pas îf3^ Traité de la de même dans des marais où Teaii croupit , To- fier y pourrit , s'il y a toujours le pied : mais on peut y faire de fort belles ofefraies , au moyen d'un travail peu coûtçux & peut- être peu connu , puisqu'on le voit fi rarement pratiqué , quoiqu'il foit d'un très-bon produit dans des parties marécageufes qui relient à pure perte. Pour les mettre en valeur, il n'eft queftion que d'y creufer parallèlement des petits fofles d'environ deux pieds de largeur & à peu près autant de profondeur, laiflant entre ces fof- fés trois ou quatre pieds de diflance fur la- quelle on jette les terres qui fortent de l'ex- cavation ; ce qui forme des berges fur les- quelles on plante les boutures d'oiier qui pour lors réuffiflent très-bien , y forment un objet utile & un coup d'œil agréable , à la place de Tafped fangeux que préïentoit le marais : de plus , on remédie par là à Tinfalubrité de l'air méphitique des eaux croupies & des bour- biers fans égout. Ce ne peut être , je le ré- pète , que faute de connoître ce moyen fi fîm- ple qu'on ne le pratique pas. On peut encore former des oferaies dans les parties baffes d'un pré qui refient long- temps fubmergées , & ne produifent que peu & que de mauvaife herbe , en y pratiquant les petits fofTés ou rigoles dont je viens de par- ler. On forme ainfi des oferaies qui deviennent plus que jamais d'un bon rapport , fans autres frais d'entretien que d'avoir foin de curer tous les deux ans les rigoles lorfqu'on voit qu'elles - fe rempliffent. VEGETATION, Il V. VII, Ch. XV. 139 Je m dis pas qu'une oferaie ne croilTe mieux & plus vite , lorfqu on a loin de la purger des herbes dans les pren:)ieres années , car elle les étouffe bien par la fuite; mais j'ai éprou- vé quelle réuffit bien fans en prendre la peine. J'ai une eolledion intéreffante d'une ving^ taine d'efpeces de faules étrangers & encore peu connus , que l'on peut employer à bor- der des ruiiïeaux ou à former des malfifs très^ agréables ; on fe plaît à examiner & à recon-' noitre ces efpeces linguUeres. Si, comme nous venons de le dire, les ar- bres dont le bois eft tendre reprennent aifé- ment de bouture , il n'en eft pas de même de ceux dont le bois eft dur : parmi ceux-là , il en eft cependant dont les boutures prennent plus facilement racine , comme le buis, les platanes, &:c. Ces arbres périroient infailliblement , fî on en faifoit des plantards pareils à ceux des fau- les & des peupliers d'Italie ; il faut tenir les boutures beaucoup plus menues ôc plus cour- tes , les faire avec de jeunes branches : j'ai ce^ pendant fait réuflir des boutures de platanes & autres aiTez groifes , en prenant la précau- tion d'y laifTer quelques menues branches tail- lées à deux ou trois yeux, D'après ce que nous avons expliqué aux Chapitres précédents , & ce que nous avons dit ailleurs de la Végétation , on doit voir que le fuccès des boutures dépend de la qua- lité du terrain , de leur pofition & de l'état dq J'^thraofphere, t^O T R A I TE D E ï A> J'ai éprouvé que c'eft peine perdue de plan^ ter des boutures dans une terre légère & fe- che , fur-tout fi elles font frappées du foleil. 11 faut choilîr une terre compade & fraî- che, même humide, pour y planter les bou- tures ; elles y ont moins befoin d'être totale- ment ombragées , parce que l'humeur de la terre fournit à leur tranfpiration , & l'humi- dité de l'athmofphere entretient leur fraîcheur. Voilà le point elïentiel auquel ne peuvent équi- valoir tous les foins artificiels que l'on peut prendre ; tels que les arrofements , les paillaf-* fons , &c. : un tel terrain n'eft pas iî-tôt épuifé par le haie & la fécherefTe du Printemps , & peut mieux fe palTer des pluies fi favorables & même fi néceflaires aux terres légères , qui font bientôt deiTéchées & réduites en efpece de cendres. Les arrofements indifpenfables en pareil temps ne font que des palliatifs qui ne fuppléent qu'imparfaitement aux influences de l'athmofphere ; je vais en traiter dans un Cha- pitre féparé. Les Livres d'Agriculture font remplis de fecrets pour faire reprendre les boutures; car nous ne manquons pas de fecrets imprimés & réimprimés depuis cent ans. Les uns difent que le plus fur moyen pour faire reprendre les boutures eft de percer une perche de faule dans fa longueur de plufieura trous, de fourrer l'extrémité des boutures dans ces trous , de coucher enfuite la perche de faule dans une tranchée , & de la couvrir de terre. Les autres recommandent de faire une inci«^ VEGÈTATlOiT, Liv. VII, Ch. XV. 14Î fion , en fendant le pied de la bouture , & d'y inférer un grain d'orge ou d'avoine. D'autres veulent qu'on trempe l'extrémité dans de la cire fondue ou du maftic , ce qui l'empêche, difent-ils, de pourrir. Quand j'ai commencé à m'adonner au jar- dinage & que j'ai puifé les connoiflances ou plutôt les erreurs répandues dans ces Livres , je n'ai pas manqué , comme bien d'autres , de vouloir pratiquer ces admirables fecrets; mais^ comme eux , j'ai perdu mon temps ,* ce que je n'euife pas fait , iî j'avois eu pour lors les connoifTances que j'ai acquifes fur la végéta- tion , puifque j'aurois vu , comme je n en puis douter à préfent , fans en faire les inutiles épreuves, combien font futiles ces fecrets, ces petits moyens ; je pourrois même dire de la plupart, combien ils font oppofés à la mar- che de la Nature : ce font des puérilités qui ne fervent à rien , fi ce n eft à faire plus fûre- ment manquer les boutures. Ne nous amulons donc point à toutes ces vaines pratiques imaginées & répétées par deg^ Ecrivains fans expérience , Se exécutées à pure perte par des gens crédules ôc oiiifs ; choififlbns un terrain frais , fubitancieux & ombragé : voilà le point capital. C'eft en pa- reil terrain que je réuflis à faire reprendre de bouture toutes les efpeces d'arbres qui y ont de la difpofition , & même quelques-unes ci- tées comme rétives, telles que l'aulne, l'éra- ble , &c. , & cela fans leur donner ni arro- fements ni autres foins que d'arracher les gran- des herbes qui pourroient les étouffer. î4â ï R A I t É b È t  Ce terrain eft la partie baffe d'un pré , ofïî^ bragée d'arbres ; je fais fouir des filions de la largeur d'un fer de bêche ; & fans aucune au- tre précaution i j'y plante mes boutures qui me réufliffent beaucoup mieux que celles que je cultivois avec des Ibins & des attentions fuivies dans mon jardin , dont la terre eft bien amendée , mais naturellement légère & feche. Ce fuccès me fait négliger à préfent la pra- tique minutieufe des méthodes recommandées & reconnues comme les meilleures pour faire réufîir les boutures dans les jardins ; j'en vais cependant parler pour ceux qui n'ont pas des terrains aufli favorables que celui dont je fais ufage depuis quelques années. Les différentes épreuves que j'ai faites avec- foin de plulieurs manières & dans toutes les faifons pour faire reprendre des boutures dans une ferre chaude , me mettent en état d'affurer qu'elles n'y réulBffent point : ce qui vient à l'appui de ce que j'ai dit de la fève aérienne 5 au quatrième Livre , qui eft abfolument nécef- faire pour la radication. On m'objedera peut-être l'ufage des clo* cheSj fous lefquelles on fait réuliir les bou- tures ; mais ceux qui auront lu avec atter.°* tion & réflexion ce que j'ai dit & vais dire encore à ce fujet , ne s'y méprendront pas ; ils fauront que les vapeurs de la terre , retenues & condenfées fous les cloches , y forment & y entretiennent une athmofphere fort humide qui eft très- favorable au fuccès des boutures, èc dont l'effet équivaut & eft même plus puif- fanc que celui de la fève aérienne , puifque Vegetation,Liv.VII,Ch.XV. 14^ Iprfque les cloches font pofées fur un fol très-humide , & fur-tout fur une couche de fumier , on voit l'eau ruilTeler fur les parois intérieures , & que la fraîcheur y eft fi ex- trême que les plantes & les boutures y chan- ciflent & y pourrifTent , û on n'a pas foin de foulever les cloches pour y introduire l'air. Il n'en eft pas de même dans une ferre chaude où les émanations de la terre ont peu d'ef- fet lorfqu'elle eft pavée , & où les courants d'air diiîipent l'humidité qui feroit mortelle aux plantes graffes & autres exotiques qu'on y tient enfermées ; voilà pourquoi les boutu- res ne forment pas de racines <& ne réuiîifTent point dans les ferres chaudes , malgré plu- fieurs circonftances qui leur font d'ailleurs favorables. Les racines reprennent dé bouture aufîî- bien que les branches ; mais de même qu'il faut que celles-ci foient pourvues de boutons ou de quelques petits rameaux, il eft nécef- faire que la bouture de racines foit accom- pagnée de quelque chevelu à la partie qui doie être en terre , & de quelques boutons ou no- dus à celle qui refte à l'air. Je crois que de même qu'il eft pofîible que toute efpece de branches pouffe des racines , il eft pofîible que toute efpece de racine reprenne de bouture & pouffe des branches. Parmi les effais que j'ai faits , les racines qui m'ont le mieux réulii font celles de fu- macs , de l'arbre au vernis du Japon , du bon- duc, de l'accacia chinois, & quelques autres dont les boutures & les marcottes réuififTenc 144 Traité DE là très-rarement j & que l'on ne peut pas miil* tiplicr par la greffe, parce que nous ignorons quels font les fujets qui leur conviennent ; & il ne nous eit pas plus aile de les multiplier de femences , à moins de les tirer de l'Amé- rique d'où on nous les envoie le plus fouvent trop vieilles & mal confervées , de maniéré qu'elles ne lèvent point : c'eft par les racines que je multiplie toutes les années ces efpeces d'arbres ; j'ai fait réulfir plulieurs orangers par le même moyen. L'expérience a prouvé qu'il n'y a point de partie dans un arbre qui ne foit fulceptible de pouffer des branches ou des racines ; une feuille même dont on met le pédicule en terre pouffe des racines. On a publié cet événement comme plus mer- veilleux qu'on n'auroit dû , ce me femble y le faire ; je l'ai éprouvé plulieurs fois avec tout le fuccès qu'il peut avoir , qui n'eft que de fimple curiolité. Nous avons expliqué au Chapitre des Feuil- les, que chacune renferme au centre de fon pédicule un petit cylindre ligneux ; c'eft de l'extrémité de ce corps ligneux que l'on voie fortir un ouplufieurs filets blancs qui font réel- lement des filets de racines qui entretiennent la feuille dans un état de vie; de même que celle-ci fert à les nourrir & à les alonger : ce n'eft cependant pas de longue durée, car, comme il doit arriver , je n'ai vu aucune de ces feuilles produire des bourgeons ; toutes celles que j'ai foumifes à cette expérience n'ont pas fublillé plus d'une année : les feuilles de Vegetatioîî , LiV. VII, Ch. XV Ï. 14Ç i^e laurier-thym font celles qui m'ont le mieux réulîi. Après avoir parlé Sommairement des boutures , nous allons voir dans les Chapitres fuivants la manière de les préparer, & les dif- férents procédés pour les planter & les faire réufîir. SES? CHAEITRE XVI. De la préparation des Boutures, c E Chapitre feroit inutile à ceux qui au- roient lu avec attention & bien médité tout ce que nous avons dit dans les deux premiers Volumes des boutons , des racines &l des mouvements de la fève , puifque tout ce que je vais dire ici n eft qu'une jufte conféquencé & une application des principes que j'ai éta- lîlis & des démônftràtions que j'en ai don- nées. Il ell: cependant bon pour ceux qui auroient étudié ces principes , & encore plus pour ceux qui ne l'auroient pas fait , de rappeller ici ce que j'en ai dit^ & qui doit avoir fon application aux boutures , & fur-tout à la manière de les préparer. J'ai dit & prouvé que les boutons étoient les principes produdifs des bourgeons & des feuilles, & que toute éfpece de tumeur ou gonflement rehfermoit des rudiments de raci- nes ; on conçoit dé là qu'il faut en taillant Tome IV ! K 1^6 Traité DE la les boutures qu'il y ait des boutons fur la partie qui relie hors de terre , & qu'il faut conferver , autant qu'on le peut , des tumeurs fur celle que l'on doit mettre en terre, afin que l'une foit difpofée à produire des braa^ ches & l'autre des racines. Si la bouture efl un peu grofle & qu'il s'y trouve des petits rameaux, il ne faut pas man- quer d'en conferver un ou deux en les taillant à deux ou trois yeux ou boutons. Comme les boutons périroient & ne pour- roient être que nuifibles li on les mettoit en terre , il faut les couper , en confervant foi- gneufement les petites éminences ou confoles qui les portent , en coupant net defTus le bou- ton , & non pas le déchirer avec les doigts , comme font les Jardiniers ignorants, pour avoir plutôt fait. Ces déchirements brifent les fibres de la confole difpofés à la radication. Il arrive quelquefois que le bout de la bou- ture pourrit , & que ce n eft que de ces tu- meurs qu'il fort des racines ; nous en avons aflez amplement parlé. Mais lorfque le bout de la racine ne pourrit pas , il s'y fait des émanations entre le bois & l'écorce qui y forment un bourrelet & des mammelons d'où partent des racines , ainfi que des éminences ou confoles dont nous ve- nons de parler, furcroît de nourriture & de fuçcès pour la bouture. Pour mieux favorifer le développement des racines au bout de la bouture , il eft à pro- pos d'enlever avec elle un peu de vieux bois ou de la couper très-près de la tige ou de la Vbgètàti6i3 , Liy. VII, Gk. XVI. 147 branche ^ dont on la fépare de manière qu*on enlevé le nœud de l'infercion dans lecorce , afin de conferver ces tumeurs qui ont tant de difpolîtion à produire des racines. La Quintiniè qui avôit remarqué cette dif- polîtion produdrice , rccommandoit de laif- 1er ces tumeurs fur les branches en taillant les arbres , c'eft ce qu'il appelloit tailler à lepaifleur d'un écu j il ne manque guère , en effet, d'en fortir trois ou quatre jeunes bran- ches : & comme nous avons prouvé que la Nature produit indifféremment des branches bu des racines , félon l'élément , les tumeurs dont nous venons de parler qui auroient pro- duit des branches à l'air , produifenc des ra- eirieis étant en terre ; il faut donc les confer- ver tant que l'on peut , & même travailler à les faire naître , comme nous l'expiique- rons. Outre les boutons qui fe trouvent fur la bouture , ii elle n'elt pas trop longue , il faut en contérvcr la fommité , au lieu de la cou- per , comme font ceux qui n'en connoiflent pas l'avantage ,• car cette fommité cil toujours terminée par un bouton d'où fort la prolon<- gation de la branche. Quant à celles qu'on eft obligé de couper pour être trop longues , il eft affez indifférent de quelle manière on faffela coupe d'en haut; mais il n'en eft pas de même de celle d'en bas , c'eft- à-dire du bout qui eft en terre, qu'il eft mieux de couper tranfverfalement , & non en pied de biche. Si à la partie qui doit être en terre , il y K a 148 T R A I î È DÉ LA. a quelques branches à retrancher j on ne les coupera pas au ras de la bouture ; mais pouf ménager cette tumeur dont je viens dé par- ler , on y laifTera une petite éminence d'envi- ron une ligne depaifîèur. Maîpighy recommande de faire de petites entailles à Técorce ; cette précaution ne peut être que bonne , fur-tout quand on reçoit des boutures qui n'ont point été coupées avec les précautions dont nous venons de parler, & qui n'auroient que peu de ces éminences ou tumeurs , li nécelTaires à la radication que je ne confeille pas de faire ufage des branches où il ne s'en trouveroit point. On doit donc conferver ces excroiflances , ces tumeurs radicales lorfqu'il s'en trouve fur les branches , & même prendre le moyen d'en faire naître. Il y a différents procédés pour y réuflir , lefquels étant fondés fur le même principe , produifenc à peu près les mêmes effets. Nons avons dit que quand on fait quelque plaie à un arbre ou à une branche , la Nature travaille d'elle-même à la guérir. Que la fève montante & defcendante opère chacune de fon côté pour couvrir la plaie , au moyen des émanations qui fe font entre le bois & l'écorce ; l'obfervation prouve que i'adion de la fève defcendante eft toujours la plus forte , puifque ces émanations font tou- jours plus conlîdérables & plus étendues à la partie fupérieure de la plaie. On peut donc être afliiré qu'en faifant une plaie à une branche, il s'y formera un dépôt VEGETATION, LiV. VII, Ch. XVI. 149 de fève tendant à cicatrifer la plaie. L'ex- périence prouve que ces f(jrtes de cicatrices font pourvues de germes de bourgeons ou de racines , félon le milieu où elles font pofées ^ comme nous l'avons expliqué. Par conféquent , on fera bien de choifir au Printemps quelques branches convenables , fur-tout de celles que l'on peut fupprimer fans trop dégarnir l'arbre , & d'y faire des plaies qui fe cicatriferont pendant le cours de l'Eté, & formeront de ces tumeurs fi favorables à la radication des boutures. Quelques coups de fçrpette , donnés vers l'endroit oq l'on doit couper , peuvent fuffi- re , fi même , fans entamer le bois , on enlevé un anneau circulaire d'écorce qui occaiionne une disjonâion de fève ; il s'y formera une efpece de bourrelet , fur-tout à la partie fupé- rieure ; & cette excroiflance fera d'autant plus conlîdérable que l'on aura fortement ferré les fibres ligneufes découvertes avec un lîl ciré , ou mieux avec du fil de laiton biea recuir. Cette opération ne réulîit bien que fur des branches qui ont environ un demi -pouce de diamettre : à l'égard de celles qui font plus menues , comme on courroit rifque de les faire périr en enlevant l'écorce , on fe con- tente de ferrer fortement la branche avec le fil de laiton ; il fe formera au-deifus de la ligature un gonflement de la fève defcendante gênée dans fon paiTage , où l'on verra fe for- mer un nodus difpofé à la radication ; mais les produâioas de l'écorce entamée font tout- ÎQUis d'un meilleur çfFet. K j IJO T ^ A I T É Ç E L A J'ai fait de ces plaies à des branches , foi^ avec la ferpette , ibic en enlevant un anneau d'écorce , qui, quoique reliées à découvert à l'air & au foleil , n'ont pas laiffé de formeE des bourrelets , mais beaucoup plus foiblement que lorfqu on ^ pris foin de les recouvrir pour empêcher la diilipation de la fève & le delTéchement de la plaie : de la moufle peut fuffire pour ce recouvrement ; mais il cft mieux fî'y metrre une emplâtre d'argile pétrie avec de la fiente de vache. Lorfque l'on fait cette eniplâtre aflez épaifle , & qu'on la recouvre d'une bonne quantité de mouife, ïi on a de plus l'attention de l'arrofer pendant les chaleurs de l'Eté, & de l'entretenir toujours dans un état de fraîcheur, on trouvera vers le mois de Novembre que non-feulement il fe fera formé un bourrelet gros & bien nourri , couvert d'une quantité de mammelons , d'où l'on voit pointer des petits filets blancs qui font des radicules: mais même j'ai trouvé plufieurs fois des paquets de racines déjà fort alongées & bien formées ; ce ne font plus alors des boutures, mais de jeunes plantes bien enra- cinées, dont le fuccès eft certain. Il n'en eft pas toujours de même de celles où il ne s'efl formé qu'un bourrelet ; mais tou- jours donnent-elles plus d'efpoir de réulîite ; bn fera bien , à l'égard de celles-ci, de ren- forcer leur couverture avant l'Hiver , & d'at- tendre le Printemps pour les mettre en terre. Le fuccès en feroit affuré , fi la gelée n'avoit pas fait périr Jes radicules pu du moins leur principe. VEGETATION, LiV. VII, CH. XVl. I ^ î La préparation dont je viens de parler , ayant déjà donné un commencement de radi- cation à la branche qui raflimile plus ou moi'ns à l'état d'une marcotte , on peut lui laifler quelques rameaux que la force de fon pied annonce qu'elle peut nourrir. Mais dans une branche non préparée que l'on met en terre , on ne doit point laifTer de boutons fur la partie qui y doit être enfoncée, ni de rameaux fur celle qui relte à l'air : s'il s'y trouvoit même une grande quantité de bou- tons, il feroit bon den fupprimer quelques- uns , parce qu étant des organes de tranfpira- tion & de dilîipation , ils pourroient opérer le defféchement de la bouture , principale caufe de fa perte , que les arrofements pré- viennent quelquefois , mais qu'ils précipitent fouvent dans certaines circonftances. Le plus ou le moins de difpofition à la radication doit décider de la longueur de la bouture : une bouture ou un plantard de faule de lîx & huit pieds de longueur reprend très-bien, tandis qu'une bouture de deux ou trois pieds d'un bois dur ne reprendroit pas ; c'eil parce que le faule à peine, pour ainfi 4ire , a-t-il touché terre qu'il y développe des racines qui fourniflent à l'entretien de fa tige , & que la plupart des bois durs deman- dent beaucoup de temps pour en former : cependant la partie qui eft hors de terre tranf- pire & difïipe la portion dç fève dont la branche étoit pourvue , & pompe celle con- tenue dans les utricules de la partie qui eft f n terre , dont le deiféchement ell bientôt R4 ' 152 T R AIT É D E L A fuivi de la pourriture. Ceft pourquoi une bouture commence toujours à fe deflecherpar Jfextrêmité inférieure qui eft quelquefois ^ plus de moitié pourrie , tandis que la partie fupérieure eft encore dans une apparence de verdeur & même de vigueur. Il réfulte de cet* expofé , que plus la par- tie fupérieure qui çft à l'air a de longueur , plus elle diffipe & plus elle pompe & épuife la fève de la partie inférieure , Se plutôt par conféquent elle opère fon -defTéchement & fa caducité ; il eft donc à propos de ne laifTer que peu de tige aux boutures, dont la radi- cation eft difficile & lente, mais de manière qu'il y ait toujours au moins un ou deux bou- tons. L'expérience m'a confirmé cet apperçu , particulièrement à l'égard des branches qu^ ont peu de grofieur. J'ai vu que toutes cho- fes d'ailleurs égales , les plus longues n'ont point réulfi & ont toujours péri les premières; & je fuis parvenu à faire reprendre des efpe- ces connues pour être très-rétives , en ne laifr fant que très-peu de bois hors de terre. On doitchoiiir pour faire des boutures , des jeunes branches vigoureufes , dont le bois foie bien fornié, l'écorce vive, & dont les boutons; paroifTent bien conditionnés. Si on n'a pas eu le temps ou la commodité de difpofer les branches à former un bourre- let, comme nous l'avons dit, il faut profiter de tout ce qui peut en tenir lieu ; ëc pour cec effet , on enlèvera avec les boutures cette ex° firoiirance qui fe trouve ordinairement à 11^' VEGETATION, Il V. VII, Ch. XVI. 1^3 fertion des branches. Mais on «fl: obligé pour pela de faire une large plaie à la branche fur laquelle on coupe îa bouture , plaie toujours nuifîble & quelquefois mortelle ; d'ailleurs cette tunieur ne prpduit pas un aulTi bon effet que lie bourrelet que l'on fait naître fur îa branche , en la préparant comme je l'ai dit : ainli on ne peut mieux faire que d'em- ployer ce moyen , principalement pour ks arbres précieux. Quelques Auteurs ont recommandé de faire de petites entailles à la partie qui doit erre en terre ; il vaut bien mieux les avoir faiïes fur les branches , lorfquelles tiennent eacorc à l'arbre ; mais cette précaution ne peut quê- tre bonne en tout temps , quoique la fevc defcendante , qui forme les émanations fupé- rieures , n'ait guère lieu dans une bouture qui n'a point ou peu de feuilles. On ne peut mieux faire que de planter les boutures à mefure qu'on les coupe ; maislî on ne le, pouvoir pas, ï\ faudroit les mercoe en terre dans un lieu frais & ombragé, par- ce qu'il efl eflentiel de ne laifTer dilîiper qiae le moins pofïible la portion de fève doat elles font pourvues. Il y en a qui les met- tent tremper dans l'eau ; mais j'ai épT&mwé qu'en les y laiifant quelque temps , ell^aas font que plus difpofées à pourrir. J'ai dit qu'il faut toujours avoir zttemmm qu'il y ait quelques excroiflances ou Riff^irm Ae boutons fur la partie qui doit èw£ aa terre ; il faut de même qu'il y ait |)outons ou rameaux fur la partie qui irel 154 Traité bb xa l'air ; Tune & l'autre oraiflion feroit certaine- ment manquer la bouture. Quand elle fe trouve de longueur à pouvoir porter le bou- ton fupérieur , il faut bien fe garder de le couper. Après avoir parlé de la préparation des boutures , nous allons examiner la meilleure manière de les planter. CHAPITRE XVII. De la faijbn de faire reprendre les Boutures, I I faut choifîr pour couper des boutures le temps auquel elles font le plus pourvues de fève ; & comme j'ai prouvé que jamais les arbres n'en font plus remplis que lorf- qu'ils font dépouillés de leurs feuilles qui font les organes de la diflipation , c'efl le feul temps de procéder à cette opéra- tion. On ne doit donc fonger à couper & met- tre en terre les boutures que lorfque les feuil- les font tombées , & jamais lorsqu'elles ont commencé à pouffer. On fent qu'il n'efl: queftion ici que des ar- bres qui dépouillent. A l'égard de ceux qui font toujours verds , d'habiles Jardiniers ont recommandé de couper les boutures dès la fin de l'Eté ; l'expérience m'a cependant fait VEGETATION, LiV. VII, Ch. XVII. I ^ % connoître qu'elles réufliflent mieux au Prin-f |emps , comme je vais le dire. D*après les principes que nous avons expli? qués , on conçoit que la portion de fève dont une branche eft pourvue , fuffit pour l'entretenir dans un état de vie d'autant plus long-temps qu'elle eft peu expofée à la dilli- patipn. L'expérience prouve quune branche ne pourrit point , ni dans la terre , ni dans l'eau^ tant qu^elle fe conferve dans un état de ver- deur ; elle n'éprouve cette caducité qu'après le delféchement , & c'eft efFediven^ent ce qui fait pourrir les boutures. C'eft donc ce qu'il faut principalement éviter , en ne les expofant pas à une grande diflipation , lur-tout lorf- que le terrain & rathmofphere ne fourniflent pas afTez d'humidité pour l'entretenir dans un état de fraîcheur qui lui eft nécef- faire. On voit donc d'abord que la chaleur du foleil , le hâle & tout ce qui peut accélérer le deflechement , eft très-contraire à la prof- périté des boutures. Le temps d^ l'Automne & le commence- ment du Printemps eft le plus favorable ; mais lequel des deux doit- on préférer ? Il ■ne faut pas s'étonner lî les avis font parta- gés à ce fujet , parce qu'effeâivement ce n'eft; que la température variable de ces faifons qui en doive & puifle décider. Lorfque l'Hiver eft doux , fans fortes & longues gelées , les boutures d'Automne réuf- liflent bien ; rnais lorfqu'il en eft autrement %^6 Traite dk la îes branches féparées de l'arbre fe defTechent & foufFrent beaucoup. Celles que Ton ne coupe qu'après l'Hiver n'éprouvent point les mêmes dangers ; elles foufFrent moins ref» tant attachées à l'arbre , & pour îors elles réufîiflent mieux au Printemps, Mais aufli lorf- qu'il y a dans cette faifon des vents fecs & hâleux lorfqu'on vient de planter les bou- tures , elles éprouvent un defïeçhement qui les fait pourrir. Ainfi , comme il y a des rif- ques à courir dans 1 une & l'autre faifon , félon des circonftances qu'on ne peut pas prévoir , je confeille d'en fair^ en Automne & au Printemps. La température de la faifon décidera des fuccès. C'eft pour remédier aux inconvénients or- dinaires de ces faifons que l'on fait ufage des procédés dont nous allons parler ; mais ils. ne font pas toujours fuffifants pour les bou- tures délicates , qui font long-temps entre la vie & la mort avant qq'elles aient poufle des racines ,* & celles que l'on fait en pleine terre & à découvert effuient les périls de l'intempérie des faifons ; celle de l'Hiver , toujours plus ou moins accompagnée de gelées & de frimas , fait naître plus de rifques pour une petite branche ifoîée & fans racines. Par cette raifon il eil moins hafardeux de ne plan- ter les boutures qu'au Printemps , ou du moins aulïi-tôt que les fortes gelées font paflees. Mais fi on a coupé & mis en terre des boutures au commencement de l'Automne , & que la faifon favorable leqr ait permis 4q Végétation, LiV.VÎI,Ch.XVIL ï^j ipoufier quelque^ racines -avant l'Hiver , 6c que les gelées ne foient pas aiTez fortes poui* les détruire , il eft certain que ces boutures feront bien plus difpofées à rélifter au hâle du Printenîps & à poufler avec vigueur : maïs c'eft donner au hafard , encore ne con- vient-il de le faire qu'à l'égard dçs branches vigoureufes & qui pouffent aifément & en peu de temps des racines ; car pour les au-? très la faifon du Printemps leur convient toujours mieux 5 fans attendre cependant que les boutons foient ouverts. Il m'eft arrivé d'avoir mis en terre des branches qui avoient déjà pouffé des feuilles : ' je les coupai & il en reparut d'autres^ au moyen defquelles la bouture t'éufïit. Mais ce font de ces événements affez tares pour ne devoir pas y compter. Effeâi- vement cette expérience , plulîeurs fois répé- tée , ne m'a plus réufli. A l'égard des arbres toujours verds , j'en ai fait reprendre de boutures au mois de Mai & même en Juin. Le moment où l'on voie qu'ils commencent à pouffer eft le plus favo- table pour les greffes & pour en planter des boutures. Mais comme ces genres d'arbres pouffent très-difîicilement des racines fur une branche de vieux bois , j'ai éprouvé qu'on réulîit bien mieux en ne faifant ufage que de petites & nouvelles branches , & mieux en* core des fommités. On en accélère la radi- cation en tordant & tournant en anneau l'extré- mité que l'on met en terre. Il ne faut pas fonger à planter des bou- i^è Traité DE LÀ turcs d'arbres verds en Automne , à rribinà qu'on ne les tienne bien à couvert fous des chalTis pendant THiver ; elles ne réfiflent point aux gelées en plein air , fi elles n'ont pas eu le temps de pouffer des racines, & il leur faut plufieurs mois pour cela. Un Auteur qui a acquis une réputation méritée , a dit le contraire , apparemment par inadvertance , puifqu'il a dit , en parlant de ces arbres verds , qu'il ne falloir pas les plan- ter avant l'Hiver , parce que couverts de feuil- les , ayant la fève toujours plus ou moins en adion en toute faifon , ils font moins en état de réfifter aux gelées , lorfque leurs racines ont été dérangées. Or , fi , comme il eft vrai , ces arbres font expofés à périr par ce déran- gement des racines, une bouture qui n'en a point eft pendant l'Hiver dans un état encore plus périlleux. C'eft pourquoi le mieux eft de ntéttre ces boutures en pot vers la fin du Printemps ; & après les avoir tenues à l'ombre pendant l'Eté, les mettre dans la ferre vers la fin de l'Automne , pour les en fortir au Printemps & les planter en pleine terre , fi elles font alors bien enracinées. Vegetation,Ii v.V1I,Ch. XVIII. i ^ 9 CHAP I T R E XVIII. De la mankrt de planter les Boutures, A Prés avoir préparé les boutures avec les attentions que nous venons d'expliquer ^ ii faut, lorfqu'on le peut, les planter auiîi-tôt ; on aura foui la terre pour cet effet , le plus profondément & la mieux divifée qu'on l'aura pu : mais quelque bien remuée qu'elle foit, il eft néanmoins dangereux d'y enfoncer la bouture avec la main , fans y avoir préparé fon entrée , parce que le moindre caillou ou bloc dur qui réfifte à fon pafTage peut en écor- cer le bout , ce qui la fait périr. C'efl: donc une mauvâife maxime d'enfoncer de force avec la main la bouture en terre , fans avoir fait auparavant un trou avec une cheville. L'inftrument dont nous avons donné le mo- dèle , planche z , eft très-bon & très-expédi- tif pour cette opération. Si malgré la préparation qu'on a donnée à îa terre , il y refte encore quelques blocs ou cailloux , on fait avec cet inftrument ^ts, trous alfez larges & profonds. Une femme ou un enfant les remplit de terre bien déliée ; & après y avoir enfoncé fans danger la bouture, on affermit autour la terre avec le pied , ou mieux avec un maillet. Mais fî la terre eft bien déliée & purgée de lêo TrAÎTÉ DELA blocs & de cailloux , il fuffit après avoir fâié tm trou a^c la cheville , qui ne foit pas beau- coup plus large qu'il eft néceiïaire pour y placer la bouture ^ de preffer la terre at ec la cheville pour l'y affermir ; d'autres , après avoir ouvert une rigole avec le cordeau ^ pla- cent les boutures contre la coupe du terrain & les recouvrent de la terre qui eft fortie de cette excavation ; & en redrefiant celles qui auroient été dérangées , ils frappent la terre avec le pied pour la preffer contre les bou- tures. Cette méthode ne vaut pas les deux premières ; ce que nous avons expliqué fuf- fit pour en faire connokre les inconvé- nients. Un lieu ombragé , utie terre fraîche & fubftancieufe , & par conféquent une athmof- phere humide, eft ce qui convient le mieux aux boutures , parce que tranfpirant moins en pareille polîtion , elles s'entretiennent plus long-temps dans un état de verdeur Se de vie j il eft bon cependant qu'elles aient quelques heures de foleil y fur-tout à fon lever , mais jamais au Midi , où elles fe deffécheroient en peu de temps ; mais elles pourriroient par l'effet de l'autre extrême , c^eft-à-dire ii on les plantoit dans un endroit ii humide & tellement couvert qu'elles n'y éprouvaffent nullement la chaleur & l'afpiration du foleil , néceffaires pour faire ouvrir les boutons 6c développer les feuilles , organes dont dépend la naiffance Se la pouffe des racines. Il eft néceffaire d'ombrager d'autant plus les boutures , à proportion qu'elles font plan- tées VEGETATION, Il V. VIÎ,Ch. XVIÏÎ. lêt tées dans un terrain qui a moins de fonds & de fraîcheur ; je dis moins de fraîcheur , car ce feroic peine perdue d'en mettre dans un fol fablonneux & aride. Il y a des Jardiniers qui croient bien faire €n mettant des boutures dans du terreau de couche ou de feuilles. Ces terreaux fans con- lifience & qui fe deflechent promptement ne conviennent pas , parce qu'ils ne s'appliquent pas aflez exadement contre les boutures. I^ail- îeurs s'il y vient des racines , elles font tou- jours menues , noirâtres , chiffonnées & mal conditionnées. Si le lieu où font les boutures n'eft pas na- turellement aifez ombragé , on y fuppléc au moyen de forts rameaux ou avec des paillaf- fons que l'on difpofe fur-tout du côté du Midi , verticalement près des boutures , & non pas horizontalement pour les en couvrir, à moins que l'on ne manque pas de les ôter tous les jours au coucher du foleil , fans quoi elles feroient privées des effets de la rofée & de la fève aérienne defcendante , dont nous avons démontré la nécellité pour le progrès des racines. On ne peut cependant regarder ces moyens que comme des pallia- tifs ; car quoiqu'ils empêchent que les rayons du foleil ne frappent diredement fur les plan- tes, la chaleur ne laifié pas d'y pénétrer, à moins que les paillafTons ne fuffenc très-épais, & y occafionne une plus ou moins grande difïipation & déperdition de fève ; c'eft pour- quoi l'ombrage des arbres ou d'un mur qui les pare du foleil de Midi , vaut toujours Tome IV. L i6i Traité bêia beaucoup mieux. Que l'on ne croie pas que les arrofements foient capables d'y luppîéer toujours ; cette opération fouvent inutile , 6c quelquefois même nuifible lorfquelle ne fe fait pas avec intelligence , mérite un Chapi- tre particulier. Les procédés limples que je viens d'indiquer fuffifent pour faire réufîir les boutures qui re- prennent facilement : mais les différents gen- res d'arbres font remarquer bien des différen- ces graduelles , par rapport à la difficulté & à la lenteur du fuecès , foit parce qu'ils font moins pourvus de germes de racines , foit parce que le développement en eft plus dif- ficile & plus lent. C'eft à ceux-là principalement qu'il eft bon de préparer les branches pendant l'Eté, pour y faire naître les bourrelets ëc mammelons , dont j'ai parlé ; ce qui prépare & accélère beaucoup le développement des racines , foie en plantant iimplement , comme je viens de le dire , ces branches préparées , après les avoir coupées au-deifous du bourrelet , foit en aidant encore mieux la Nature par les pro- cédés dont je vais parler. Il faut faire dans un endroit ombragé du foleil de Midi une tranchée ou fofle , d'une longueur proportionnée à la quantité des bou- tures qu'on fe propofe d'y placer, obfervanc qu'elle ait au moins trois pieds de profon- - deur , & environ fix pieds de largeur. On divife cette tranchée, fuivant fa longueur, en trois parties à peu près égales , au moyen de planches ou de claies qu'on affermit avec tEGETATION,LlV.VÎl,CH.XVIIÎ. ï6^ des pieux ; on remplit de fumier chaud de cheval' les deux eipaces compris entre les cloifons & les bords de la tranchée , & on remplit l'efpàce du milieu avec de la terre franche paiFée à la claie. C'eft là où Ton plante les boutures en prefiant avec foin la terre , pour qu'elle les touche imm.édiatement i il n'eil que mieux que cette terre foit alors plus feche qu'humide ; il ei\ plus aile de l'a- liattre fans la pétrir , ce qui arriveroit li elle étoit mouillée. C'eft pourquoi il ne faut ar- rofer qu'après la plantation ; Si pour mieux entretenir l'humidité du terrain ôc de l'ath- ïîiofphere , il ell: bon de recouvrir la terré d'une couche de litière brifée, de mauvais foin ou de moufTe , que l'on prelTe avec attention «entre les boutures. Comme on doit s'appliquer principalement à prévenir leur trop grande tranfpiration & leur defféchement , il eft boa d'envelopper la portion qui eft hors de terre avec de la moufle , retenue au moyen de liens qu'il faut tenir lâches pour ne pas former d'obftacle au développement des boutons , auxquels il faut laifTer de l'air. Cette précaution eft aufîi très -bonne pour la confervation des arbres exotiques & pré- cieux , tels que les orangers & autres qui viennent de loin & qui ont fouffert dans le tranfport. Les petits & fréquents arrofements que Ton fait en forme de pluie entretiennent la fraî- cheur de la moufle qui enveloppe les tiges & de la litière qui couvre la terre , qui efl d'ail- leurs moins battue par la chute de l'eau & L2. 1^4 Traité i)E LA moins expofée à fe defîecher & à fe cre- va iTer. Je ne répéterai point la néceffité des pré- cautions qu'il faut prendre pour préferver les boutures des rayons ëc de la chaleur du fo- leil. A l'égard de celles qui font petites , délicates & précieufes , voilà un autre pro- cédé qui leur convient encore mieux. On creufera une tranchée de cinq pieds de profondeur & de deux à trois pieds de lar- geur ; fa longueur fera déterminée par la quantité de boutures qu'on y voudra mettre. On remplira cette tranchée à la hauteur de trois pieds feulement de bonne terre franche , fubflancieufe , graîTe 6c ondueufe , en y mêlant un peu de terreau de bruyère ou de feuilles , ou bien du fable gras. II refiera ainiî deux pieds de profondeur , depuis la fuperficie de cette terre jufqu'au haut de la tranchée , dont l'ouverture fupérieure fera couverte par un chalfis de même largeur , fur lequel on aura cloué un cannevas qui dé- bordera ce chalïis de l'un & l'autre côté pour mieux fermer l'ouverture, en traînant à terre. On plantera les boutures dans cette foiïe à deux ou trois pouces de diflance , & après les avoir un peu arrofées , on les couvrira avec le chalfis de cannevas. Quelques jours après on lèvera un peu lè chailis , pour commencer à donner de l'air aux boutures ,• on l'élevera fuccellivement de plus en plus , ou on le rabaifTera , félon la température de la faifon ôi de l'air. On peut ainii les préferver des jours fecs & hâleux, VÈGETATIOx^^,IIV.VîLCH.XVIîI. l6^ & des nuits froides du Printemps. Mais lorf- quil furvient un temps favorable ou des pluies douces , il ne faut pas manquer de le- ver cette couverture pour les en faire mieux profiter , & particulièrement pendant la nuit, lorfquil ne gelé pas. Ces attentions accélé- reront la radication , qui ordinairement s'ef- fedue dans l'efpace d'environ deux mois , pour lors le temps le plus critique eft pafTé ; mais ce commencement de fuccès efl encore lî foible qu'il demande beaucoup de niénagem"ent. Le meilleur temps pour faire ainii repren- dre des boutures efl au mois d'Avril : les jeunes plantes qui en proviennent éprouvent moins dans cette foffe les chaleurs de l'Eté ; & lî on les y laiffe pendant l'Hiver , il eft plus aifé de les préferver de la gelée , en les couvrant de paille que l'on renforce à pro- portion du degré de froid. Si les boutures les plus rétives , qui n'ont pas pouffé de ra- cines la première année, fe font confervées dans un état de vie , elles en poufferont Tan- née fuivante. Cette manière de cultiver des boutures a bien des avantages qu'il eft aifé d'appercevoir ; elle eft pour ainfi dire mitoyenne entre la culture en plein air , & celle que l'on fait fous cloche , dont je vais parler. Plus fiire que l'une, mais moins à la vérité que l'autre, elle n a d'ailleurs les inconvénients ni de l'une ni de l'autre. J'ai cru inutile d'avertir qu'outre la cou- verture de cannevas , cette foffe doit être abri- tée des rayons du foleil. ï66 Traité be la Les arrofements doivent y être d'autant plus ménagés , que la terre eft toujours na- turellement plus humide dans cette excava- tion. J'ai éprouvé la nécefîité d'être attentif à détruire les limaçons qui viennent s'y loger, & mangent Jes jeiuies bourgeons fi on n'a pas foin de les en défendre. Il ne faut pas finir ce Chapitre fans par- ler d'une végétation hydraulique , que M. Bonnet a mife en réputation , & dont a beaucoup parlé d'après lui M. Duhamel. J'ai beaucoup fuivi Se répété ces expériences pen- dant pluîieurs années , & j'ai trouvé qu'elles font plus curieufes qu'utiles : elles exigent beaucoup de foins , font fujettes à plufieurs inconvénients , & ne produifent que très- peu de chofe. En mettant les boutures dans des bocaux pleins d'eau , il arrive que même en y en mettant tous les jours de nouvelle , il fe for- me autour de l'écorce une efpece de limon qui la fait pourrir. Si en les frottant fouvent en renouvtllant l'eau on remédie à cet incon- vénient , ôc qu'à force de foins ôc d'._ne fu- jétion qui exige beaucoup de temps on par- vienne à obtenir des racines , ces racines qui ne font jamais dans l'eau que des filets blancs, grêles &. fort alongés , exigent encore des attentions fuivies, lorfqu'il eft queilion de les faire changer d'élément. Il faut d'abord les tenir dans un état mitoyen , entre la terre & l'eau y c'efl-à-dire les mettre pendant quel- que temps dans une efpece de limon terreux; VEGETATION, Ll V. VIÎ, Ch. XVIII. 1 6q car en les mettant d'abord , à la fortie de l'eau ^ dans delà terre ordinaire, la plupart pé- riflent : il faut les amener par degrés à ce changement de nourriture. Dégoûté des foins journaliers qu'exige cette opération & de la perce de temps que deman- de la fujétion du changement d'eau & du frottement des boutures & des bocaux dont les parois font fujectes à fe couvrir de même de l'efpece de fubîtance graife & verdâtre qui fait pourrir les boutures , li on n'a pas foin de les en délivrer, j'avois abandonné cette pratique minutieufe ; mais j'ai imaginé depuis une manière de s'en affranchir , qui m'a bien réulîi. Au lieu de mettre les boutures dans des bocaux , je me fuis avifé de les planter fur une planche percée de trous pour cet effet ,^ en les faifant dépaifer en-deifous de la Ion- ' gueur de deux ou trois pouces. Cette petite plantation étant faite , je pofe la planche fur l'eau d'un baiïin, ou pièce d'eau. Cette efpece de petite ifle flottante & am- bulante eft fouvent en mouvement & poufTée çà & là par le "^^Wi : le grand volume d'eau & le changement local empêche la produc- tion du limon dont j'ai parlé. On n'a ni la peine de changer l'eau tous les jours , ni de frotter les boutures, qui n'exigent ainiî aucun foin : je les ai vues dans cet état pouffer des feuilles. & des fleurs , en même temps qu'elles pouffent des racines. Une rivière ou un ruiffeau d'eau vive & courante feroit encore plus propre à cette vé- gétation. L ^ i58 Traité edla Il efl aifé de prendre la planche à la main , Se de la retourner , pour voir en quel état font les racines ; & lorfque l'on voit que les boutures en font fuffifamment pourvues, on fend avec précaution la planche , fuivant la direâion de la ligne des trous que l'on a faits pour y mettre les boutures , pour les en retirer fans rompre les racines. Après avoir bouché les trous des pots où on veut les mettre , on les emplit aux trois- quarts d'un terreau très-délié ; après y avoir bien arrangé les racines , on remplit d'eau ces pots ; quelques jours après on dégage un des trous pour en laifler couler l'eau , & on amené ainfî par degrés la jeune plante aqua- tique à l'état de la terre ordinaire. Comme tous les arbres n'ont pas la même difpofition à pouffer des racines , & que les uns y mettent beaucoup plus de temps que les autres , on ne doit charger chaque plan- che que des efpeces dont la radication eft à peu près la même , afin que toutes les bou- tures foient également en état d'être tranf- plantées , lorfque l'on fend la planche. Ayant reconnu que la planche furchargéé de boutures & imbibée d'eau s'enfonce plus qu'il ne faut , j'y ai remédié en clouant tout autour des tringles , Ôc remplilTant les vuides avec du godron ou du maftic. Cette bordure, d'environ deux pouces de hauteur , donne à la planche la forme & l'effet d'un bateau qui ne s'enfonce plus , comme il arrive fans cela. Ceux qui voudront fuivre cette pratique VEGETATION, Ll V. VU, Ch, XIX. 169 bien fimple & bien facile , y trouveront , d'a- près Texpérience que j'en ai faite , un nou- veau moyen de multiplier , fans peines & fans foins , les efpeces les plus rétives , & l'on reconnoîtra l'utilité de cette décou- verte. CHAPITRE XIX Des Arrofimcnts. I on demandoit à un Jardinier s'il fait arrofer , le plus ignorant fur-tout prendroit cette queftion pour une infulte , parce que la plupart ne fe doutent feulement pas que fa- voir bien arrofer eft une partie du jardinage qui , pour être bien exécutée , exige beaucoup d'intelligence & de connoifTances ; ils ignorent que non-feulement la confervation , mais le fuccès à^s> plantes dépend des arrofements faits à propos & bien entendus. Eïfedivement pour le commun des Jardi- niers , arrofer n'eft autre chofe que de cha- rier de Teau comme un manœuvre , & de la répandre à toute heure & indiftindement fur le terrain , fouvent même en verfant l'eau de toute leur hauteur, en élevant les bras, en laif- fant tomber des torrents qui renverfent les plantes , & battent & durciflent le terrain. J'en ai vu même qui , pour y mieux réufïir , fans cependant y fonger , mais pour aller plus lyo Traité delà vite , prenoient foia d'élargir les trous de la pomme de l'arroloir. Il n'y a que ceux qui favent combien des arrofements faits à propos contribuent à la profpérité des plantes , qui reconnoiiTent le mal qu'ils occafionnént , étant faits mal à propos , parce que fi ce mal ell apperçu par les autres, ils l'attribuent à toute autre caufe. Il me paroît donc intéreffant d'entrer dans des détails d'autant plus nécefFarres fur cette opération importante du jardinage , que je ne fâche pas qu'elle ait été bien expliquée par aucuns des Auteurs qui ont parlé de la culture des jardins. Il fera aifé de comprendre tout ce que je vais dire dans ce Chapitre à ceux qui vou- dront bien fe rappeller ce que j'ai expliqué dans ceux des mouvements de la fève , &: des effets de la raréfadion & de la condenfation. C'eft fur les principes qui y font démontrés qu'eft fondée avec certitude la fcience des arrofements : on fera a (Tu ré , en opérant félon ces principes , de ne faire qu'aider la Nature , Se de ne jamais la contrarier , Si ainli de faire en cela ce qu'on p€ut de mieux pour la prof- périté des plantes. En général, les faifons, les heures du jour, la température , l'état & l'efpece des plantes , la nature & l'expofition du fol font autant de confidérations qui doivent déterminer le temps convenable , & la quantité fuffi faute des arro- fements. Un premier apperçu auroit pu faire croire ,que c'efl dans le temps que les plantes éprou- VEGETATION, LiV.VIÏ,Ch, XIX. 171 vent la plus grande tranfpiration , c'eft-à-dire pendant la grande chaleur , qu'il feroit le plus néceflaire de leur donner de l'eau pour les aider à fournir aux effets de l'afpiration du foleil qui épuife les fucs dont la terre , alors deîféchée , a peine à réparer la dilîipation : l'expérience fe joint au raifonnement pour prouver que rien ne leur eft plus préjudiciable^, La plante alors vivement en adion , en fui- vant les loix de la raréfadion , fe trouveroit par l'effet de l'eau , & fur -tout d'une eau froide, amenée brufquement à l'état de con- denfation , & la Nature , ainfî contrariée dans fa marche , feroit éprouver aux vifceres de la plante une efpece de bouleverfement toujours dangereux ôc fouvent même mortel : mais quand l'ailre brûlant du jour a fini fa car- rière , quand l'humidité qu'il a pompée com- mence à retomber en rofée & à rafraîchir i'air , c'eft alors que les arrofements doivent commencer & peuvent être prolongés fans danger jufqu'à ce que le foleil fe foit affez élevé fur l'horizon pour faire fentir l'effet ar- dent de fes rayons. Il ne faut donc arrofer pendant les jours chauds de l'Eté que le foir , la nuit ou le matin de très-bonne heure , & cefTer quand la chaleur commence : mais on peut prolon- ger plus long-temps les arrofements dans la matinée , îorfque le ciel , couvert de nuages , ne laiife pas luire le foleil. Tout au contraire , pendant les gelées & les vents froids & hâleux du Printemps , il faut bien fe garder d'arrofer le foir ; il ne 172 Traité de la faut donner de l'eau aux plantes en pareilles circonftances que lorfque le foleil, élevé fur l'horizon , a déjà commencé à échauffer l'air , & en proportionner toujours la quantité à l'état de féchereife du terrain & au degré de la température. Cette attention efl particulièrement nécef- faire à l'égard des boutures , que l'on court rifque de faire pourrir en leur donnant trop d*eau ; de même qu'elles deffechent lorfqu'on leur laiife manquer de fraîcheur. La nature du terrain doit décider de ce régime : il faut donner de plus amples ôc de plus fréquents arrofements aux terres légè- res , fablonneufes & qui ont peu de liaifon , parce qu'elles ne confervent pas long-temps l'humidité; mais un terrain compade, argil- leux 6c gras , n'eft pas aulîî fujet à fe deifé- cher ; il fe forme ordinairement fur fa fuper- ficie , pendant les grandes chaleurs , une efpece dé croûte fous laquelle l'humidité fe conferve alfez long-temps , parce qu'elle fait le même effet que les pierres dont nous avons parlé. Il faut donc bien fe garder , tant que la chaleur dure, de caiTer cette croûte, comme le font quelques Jardiniers ; il feroit même bon de remplir les crevafles qui s'y font pour empêcher l'évaporation : mais lorfqu'il vient de la pluie , on fera bien de ferfouir un pa- reil terrain , fur-tout au pied des plantes , afin que l'eau y pénètre mieux. Ce foin eft particulièrement néceffaire pour les plantes & arbriffeaux que l'on tient en caifTes ou en pots : la fuperficie de la terre j^ Végétation, Liv. VIî ,Ch. XIX. 173 battue par les arrofements, fe durcit de ma- nière que l'eau y coule fans y pénétrer, Se fe répand à pure perte , ou du moins il n'y à qu'une partie de la terre de deffus qui eft mouillée , tandis que celle du fond, où font les racines , refte feche ; la motte defféchée, ayant diminué de volume, s'eft détachée des parois du pot ; l'eau coule par cet intervalle, & va fortir , fans effet , par les trous du fond : alors l'arbre , loin de pouffer avec vigueur , ne fait qne languir ; on le voit , & le Jardi- nier dit que ce n'eft pas fa faute , qu'il l'ar- rofe fouvent ; mais c'eft ainiî à pure perte. Pour remédier à ce mal , toujours très- préjudiciable & quelquefois même mortel , il faut de temps en temps ferfouir affez profon- dément, & divifer la terre avec une petite four- che de fer pour ne pas couper les racines, & arrofer à différentes fois , jufqu'à ce que l'on juge que Veau ait pénétré Se bien imbibé la terre du fond du pot ; il ne fera plus quef- tion après que de l'entretenir en cet état. Pour empêcher la fuperficie de la terre de fe durcir par la chute fréquente de l'eau , il y a une très-bonne précaution à prendre, ceft de mettre fur le pot un morceau d'ardoife ou de verre , & de verfer l'eau defîus ; le même morceau fert fucceîîivement pour tous les pots ; il n'eft queftion pour cela que de faire ufage d'un plus petit arrofoir que l'on tient de la main droite , tandis que de la gau- che on pafTe l'ardoife de pot en pot. Il eft très-important de connoître le tem- pérament des plantes que l'on cultive pour Ï7f T R A I T É DE LA Tavoir leur donner le régime qui leur cotl^ vient. Une plante grafle , originaire des fables brû- lants de l'Afrique, pourriroit dans un degré d'humidité qui feroit à peine fuffifant pour l'entretien d'une autre : la quantité d'eau né- cefTaire pour faire profpérer un grenadier , un myrthe , un laurier-rofe , &:c. feroit pré- judiciable à un oranger , auquel trop, d'hu- midité fait jaunir & même tomber les feuilles. J'ai vu des orangers dans cet état, auxquels un Jardinier ignorant donnoit beaucoup d'eau pour , difoit-il , les faire revenir : fur ce que j'en dis au Maître , on décaiifa les arbres , feul moyen de les fauver ; nous trouvâmes la plupart des racines pourries: après n'avoir con-* îervé que celles qui étoient encore bonnes & les avoir taillées , nous rencaifsâmes dans une terre convenable, en donnant des arrofements mo- dérés , les orangers pouffèrent & f e remirent en bon état. La qualité & la température des eaux ne font pas indifférentes ; celle qui fort d'une iburce ou d'un puits efl: très - maîfaifante aux plantes, fur-tout pendant les chaleurs : lorfqu'on n'en a pas d'autre , il faut l'expofer au foleil dans quelque dépôt avant d'en faire lifage ; celle des ruiffeaux & des mares vaut beaucoup mieux : mais quelles que foient ces eaux , on peut leur donner un excellent effet , en les mettant dans des tonneaux où l'on détrempera de la fiente de vache, de che- val ëc mieux encore d'homme. Les arrofe- ments que l'ont fait avec ces eaux graffes font Végétation , Iiv. VÎI , Ch. XîX. 17 j lÊnguliérement profpérer toutes les plantes , & particulièrement les orangers. C'eft une pratique que je ne peux aiTez recommander ; elle eil bien connue & fuivie par les Jardiniers Flamands qui ne craignent pas , avec raifon , que cela donne mauvais goût à leurs légu- mes. Celui qui arrofe doit fe courber pour ré- pandre l'eau le plus bas & le plus près des plantes qu'il ell poflible ; il vaut mieux répé- ter les arroiements , en verfant peu d'eau à la fois , en petite pluie , que de la répandre par torrents qui écrafent les plantes & ruif- îellent à pure perte dans les allées : on ne gagne pas à faire mal en une fois ce qu'on peut bien faire en deux , fur- tout lorfque l'eau ii'efl pas très à portée. Que de plantes herbacées & lignçufes avor- tent ou périfTent chaque Eté faute d'arrofe- ments ou faute de les bien faire ! J'ai vu quel- quefois que ce n'efi: pas la faute du Jardi- nier , auquel il elt impofïible , dans des temps de féchereiTe, de donner aiïez d'eau & à pro- pos à toutes les plantes qui en ont befoin^ fî on ne lui donne pas alors plus de fecours, & qu'on ne lui faife pas apporter de l'eau dans des tonneaux , fi le réfervoir eft éloi- gné ,' malheureux font alors les Jardiniers dont les Maîtres ne connoifTent ni n'aiment la culture des jardins , & qui exigent l'impolli- ble : mais ceux qui donnent à leurs Jardiniers les fecours néceffaires & les chofes dont ils ont befoin , ne doivent point recevoir de mauvaifes excufes fur leur négligence ; celle 1^6 Traité de la des arrofements eft une des plus deftrudives pour Futile ôc l'agréable. Cette opération abfolument nécefTaire , ëi qui doit être fouvent renouvellée pendant les chaleurs dans les terres légères & naturelle- ment lèches , doit être regardée alors comme capitale & devant faire le principal travail du Jardinier. Mais pour la faire à propos , je lui con- feille de fe repofer 6c de dormir , ainfi que . fes aides, pendant la chaleur du jour, afin de pouvoir arrofer pendant la fraîcheur. Pour ne pas contrarier la Nature , il ne faut jamais arrofer dans les temps où la terre eft dans un état de raréfaction ; ceux qui voudront agir en cela avec plus de fureté, pourront être guidés par l'inilrument que j'ap- pelle thermomètre terreftre ; il fert à faire connoitre que quoique l'air paroifTe frais , la terre eft quelquefois encore échauffée, & n'eft point dans l'état de condenfation convC'» nable pour recevoir ôc rendre profitables les arrofements. Un Jardinier intelligent doit avoir des arro- foirs de différentes grandeurs , auxquels on adapte des pommes percées de plus grands Si de plus petits trous , que l'on change pour les employer félon la force des plantes, afin de ne faire tomber fur les plus délicates qu'une efpece de pluie fine qui ne les renverfe ôc ne les dérange pas : la négligence de ces attentions qui n'a que trop fouvent lieu , occa- lionne beaucoup de défordres. Si on fait ufage d'arrofoirs (Je tôle ou de fer YegetatioK,Iiv.VII,Ch. XIX. 177 fer blanc , il ne faut pas manquer de les faire enduire en dehors & en dedans de plufîeurs couches de peinture , cette petite dépenfe eil une économie, puifquelle les fait durer beau- coup plus long-temps ; mais de plus la rouille qui , fans cela ne tarde pas à les ronger & à les percer , fe répand avec l'eau fur les plantes , & leur eft très-nuiiible. Il en eft de même du verd-de-gris dont fe couvrent les arrofoirs de cuivre , lorfqu'oa n'a pas foin de les tenir propres. Ce Chapitre qui ne paraîtra pas trop étendu à ceux qui en Tentent l'importance, m'a paru' d'autant plus néceifaire, qu'il n'a été traité que fuperficiellement par ceux qui ont écrit fur la culture des jardins. ^^Â*^ CHAPITRE XX. De la manière de faire réufjîr des Boutures fous cloches. Utre les procédés dont nous venons de parler, il y en a d autres pour faire re- prendre des boutures délicates & precieufes. Nous avons expliqué que le point principal eft de les préferver d'une grande tranfpira- tion qui , occaiionnant la difiipation de la por« tion de fève dont elles font pourvues, les amené bientôt à l'état d'epuiiement &: de deiféchement , toujours fuivi de celui de pourriture. Nous avons die qu'on ne peui: Tome IV. ' M îyS Traité be ia mieux prévenir ce dépériffement qu'en les te- nant abritées & dans une atlimofphere fraîche & humide ; c'eft au moyen des cloches ou des chalîis de verre que l'on peut mieux leur affurer ces avantages d'où dépendent leur con- fervation. Il y a différentes manières d'en faire ufage : nous allons les expliquer. Après avoir planté les boutures dans des pots ou mieux dans des jattes rondes & fai- tes exprès qui aient cinq à lix pouces de pro- fondeur & d'un diamètre un peu moindre que celui de la cloche , on enfonce ces jattes dans wne couche de fumier qui a perdu fa grande chaleur , & recouverte de terreau de 1 épaif- feur de deux pouces. Ces jattes , dont les bords doivent être de niveau à la fuperficie de la couche , font enfuite couvertes de clo- ches qui, félon ce que nous venons de recom- mander , les renferment aflez exadement. Cependant pour mieux empêcher que l'air extérieur n'y pénètre , on relevé le terreau tout -autour des bords de la cloche , en y formant une efpece de cordon qui en bouche les vuides. Lorfque cette opération fe fait dès le mois de Mars , & qu'il y ait encore quelques for- tes gelées à craindre , il faut couvrir les clo- ches pendant la nuit avec des paillaflbns ; mais îorfque la température n'eft pas trop froide , il ne faut point y mettre de paillaflbns ; il eft mieux de ne couvrir les cloches qu'avec de la paille ; cette couverture doit être aifez épaiiTe pour donner un peu d'ombrage, mais pâs a^cz pour intercepter totalement les rayons Végétation , tiv. Vtl , Gh. XX. 179 du foleil, dont la force plus ou moins adive doit régler cette attention. Toutes les conditions recommandées fe trouvent remplies par cette difpolition , les boutures éprouvant une chaleur convenable ^ fe trouvent plongées dans une athmoiphere humide, où elles pompent plus quelles ne tranf- pirent. Les effets fuccelîifs de la raréfadiori & de la condenfâtion pendant la fraîcheur de la nuit font bien favorables à la végétation de ces boutures ; aulli les voit -on développer leurs boutons en peu de temps & pouffer des feuilles & même des bourgeons affez alon- gés : mais la grande humidité qui règne fous les cloches où l'on voit l'eau ruiffeler le long ÛQS parois intérieures , feroit chancir & pour- rir ces produdions , fi on n avoit loin de fou- lever de temps en temps les cloches pour y donner un air nouveau. Ce remède malheu- reufemént néçeffaire ne doit être donné qu'à propos & avec mefure , fans quoi on voit bientôt avorter toutes fes efpérânces. Si on levoit totalement les cloches par un temps de haie & trop froid , ces tendres produdions , faifies par un changement fubit de tempéra- ture , fe flétriffent preiqu'aulli-tôt ; il ne faut leur donner de l'air que par degrés & pendant peu de temps , jufqu a ce que la radicatioa foit opérée ; auquel temps on les accoutume peu à peu à l'air extérieur , en prenant foia de les abriter totalement des l'iyons du foleil , julqu'à ce que la reprife en étant bien affu-^ rée, on ôte les jattes de deff'is la couchf M i i8o Traité de la pour les mettre dans un lieu frais & om- bragé. Lorfque ces boutures commencent à pouf-^ fer fous les cloches, elles y éprouvent, ou- tre l'excès d'humidité, un autre danger, dont il faut avoir foin de les préferver. Il fort ordinairement du fumier de la couche, quel- quefois même en affez grande quantité , des petits limaçons fans coques, que les Jardiniers appellent mollets. Quoique ces petits animaux paroiffent n*a- voîr que peu de coniîftance, ils font armés de dents alTez tranchantes pour ronger les feuilles 6c même les bourgeons ; ils font de grands ravages fous les cloches , lorfque l'on n'a pas foin de les viiiter fou vent & de les détruire : il faut pour cet effet lever entière- ment & renverfer la cloche ; on les trouve attachés aux parois intérieures , ou butinant encore fur les boutures , qu'il faut recouvrir aufîi-tôt qu'on les a délivrés de ces petits , mais dangereux ennemis. Les arrofements ne doivent être ni abon- dants ni fréquents fous les cloches , parce que les vapeurs du fumier qui y font rete- nues & condenfées , y entretiennent toujours beaucoup d'humidité. Si au lieu de cloches , on fait ufage de chaffis de verre , les foins & les attentions que je viens de recommander doivent être à peu près les mêmes , & font fuivis des mêmes effets. Je ne répéterai point ici ce que j'ai dit au cinquième Livre , des chafîis & des vitrages ; VEGETATION, Il V. VII, Ch. XX. iSi on y trouvera la difpolîtion qu^il convient de leur donner pour leur faire produire le meilleur effet. Les Jardiniers Anglois ne mettent point les boutures fur des couches : dégoûtés des inconvénients dont je viens de parler , ils pratiquent une autre méthode qui en a moins, & qui leur réuffit mieux. Je vais la rendre telle que je l'ai vue chez eux , & je me fuis bien trouvé de l'avoir imitée , même en petit. Ils font faire des cloches beaucoup plus épaifles & plus grandes en tout fens que les nôtres; elles ont aux environs de deux pieds de diamètre. Après avoir fait un trou de deux pieds de profondeur & quatre de largeur , ils le remplirent de fumier nouveau qu'ils ont foin de bien trépigner & fouler le plus poflible; ils font excéder ce tas de fumier de quelques pouces au-deflus du rez-de-chauflee ; ils le couvrent enfuite de terre franche bien déliée , avec laquelle ils forment un cône tronqué qui ait trois pieds de diamètre au fommet tronqué & bien applati ; ils placent fur le milieu de cet aire fupérieur la cloche de deux pieds de diamètre qui y lailfe ainfi une marge de lix pouces. Cette opération ne fe fait que pour marquer l'empreinte du cercle de la clo- che , après quoi on la retire. On plante enfuite les boutures dans le cercle marqué , en preflant bien la terre ; après quoi, on arrofe^ abondamment; on pofe enfuite la cloche fur la même circonférence M 3 î8i Traité bêla qu'elle avoit tracée , & on relevé la terre pour en former un cordon autour de fes bords. Ces buttes font expoiees en plein foleil ; mai$ lorfqu'il eft trop ardent , on a foin de cou- vrir les cloches avec de longue paille : cette opération faite , on ne touche plus aux clo- ches fous lefqnelles on voit végéter les bou- tures que l'on ne découvre entièrement que lofqu'on les juge bien enracinées; ce qui arrive ordinairement dans l'efpace de fix ou fept fe- maines ; & lorfqu'on les prive des cloches , on a foin de les bien abriter avec des pajllaf- fons. Si après la quantité d'eau dont on a im- bibé cette butte , il furvenoit des pluies trop abondantes qui pourroient être nuifibles , oa à l'attention de rabattre en talus le bord de la marge pour faire écouler l'eau : mais lî , au contraire , un temps conftamment chaud Occafionnoit trop de fecherefle , on renforce d'un cordon de terre le bord de cette marge pour retenir l'eau de la pluie qui tombe fur la cloche, ou celle qu'on y feroit tomber , s'il ne pleuvoit pas ; ce qui fuffit pour entre? tenir la terre & les boutures d^tis un état dç fraîcheur convenable. Toutes les circonftarices dont nous avons parlé , fe réMniffent dans ce procédé pour fa^ vorifer la végétation des boutures : beaucoup moitîs de dangers à éviter , & conféguemraént beaucoup moins de foins à prendre. C'eft cç ^ue j^ai éprouvé même avec nos petites clo- ches, dont l'effet rie vaut pas celui des cloçhe$ plus epaiffes §f . plus yplumineufes. VEGEf ATION , LiV. VII , Crf. XX. I S j Les Anglois , perfuadés que non-feulement les rayons du foleil , mais l'air feul fait tranf- pirer & deflecher les boutures, ont penfé que plus ils les en préfervenc , & plus ils en alTurenc le fuccès ,• c'ell pourquoi , fous la pre- mière cloche, ils en mettent encore une féconde d'un moindre volume , & quelquefois même une troifieme plus petite fous les deux pre^- mieres ; c'eft fous ce double & triple recou- vrement qu'ils mettent les boutures les plus précieufes & les plus difficiles à faire repren- dre. Après avoir traité des boutures d'une ma- nière , ce me femble , aflez détaillée & appro- fondie , nous allons parler des marcottes , qui exigent bien moins de foins & qui font d'ua plus fur & d'un meilleur produit. IIWHIIIIIWIIIIIW A CHAPITRE XXI. Des Marcottes, ^ Près avoir parlé àts boutures d'autant plus amplement que cette partie avoit été peu approfondie , traitée fuperficiellement par les uns , & d une manière erronée par d'autres , nous allons expliquer un autre genre de mul- tiplication , qui a beaucoup de rapport avec les boutures , & qui exigeant beaucoup moins de précautions & de foins , donnent des pro- dudions plus certaines & aflure mieux nos jouiflances : mais malheureufement^cette opé^ M 4 ï84 T K. A I T É D E I A ration n'efl praticable qu'autant qu'on poflede les arbres déjà un peu forts , & qu'il y a des branches difpofées à s'y prêter , c'eft-à- dire alTez bafles , affez longues & affez flexi- bles pour pouvoir être pliées & couchées ea terre , & les amener ainli à l'opération que l'on appelle marcotter. Mais comme il arrive rarement que les arbres confervent des branches aflez baffes pour cela , c'efi: par art qu'on les fait naître , au moyen de différents procédés que je vais expliquer. Les principes de la radication des marcot- tes font les mêmes que ceux des boutures : c'eft une branche qui en auroit produit d'au- tres , Il elle fut reftée à l'air , & qui produit des racines à la partie qui eft dans la terre. Je crois inutile de répéter ici tout ce que nous avons déjà dit à ce fujet : mais obfer- vous que cette branche pliée en terre, nom- mée alors marcotte, n'eil pas expofée à pé- rir comme une bouture ifolée & abandonnée, à fes foibles moyens de fubfiftance. Celle-là qui tient toujours à l'arbre qui l'a produite , èi qui lui fait toujours paffer des fucs nour- riciers, continue de végéter à peu près de même que û elle n'avoir fouffert aucun déran- gement ; bien plus , lorfqu'elle a pouffé des racines , elle acquiert un double moyen de fubiiflance , & elle reçoit alors une double portion de nourriture: cela n'a lieu cepen- dant que jufqu'au temps où le pied de la marcotte e(t abondamment pourvu de raci- nes i car alors n'ayant plus befoin de fa mère, VEGETATION, 1iV.VIÎ,Ch. XXI. iSÇ elie s'en fepare d'elle-même en faifant pourrir îa partie de la branche qui l'y tenoit atta- chée : c'eft l'effet du fécond étage de racines que nous avons expliqué au Chapitre de la Condenfation. Cette féparation naturelle ne fe feroit qu'a- près plufîeurs années ; mais on la prévient en fevrant la marcotte lorfqu'elle eft fufïi- famment enracinée. Je crois qu'il n'y a point d'arbre dont les branches , couvertes fimplement de terre , ne pouffalï^nt des racines en plus ou moins de temps , fur-tout dans une terre forte & fraîche : mais on accélère beaucoup la radi- cation au moyen de différents procédés dont je vais parleh Ces procédés font fondés fur les principes que nous avons expliqués d'après l'expérience qui démontre que toutes les fois que l'on fait quelque plaie à un arbre fur fa tige ou fur fes branches , il s'y fait des émanations de levé qui produifent des bourrelets , des tumeurs , des excroilTances qui font remplis de germes de racines très-difpofées à fe dé- velopper. C'eft ce qui arrive effedivement aux mar- cottes que l'on traite comme nous allons l'indiquer , pour leur faire pouffer des raci- nes bien plutôt & bien mieux. C'eil l'objet des différents procédés dont nous allons parler : ils font tous bons; mais les circonfîances doivent décider fur le choix qu'on en doit faire. A l'infpedion de la pofîtion & de la î«^ Traït'e de tA forme des branches , un Cultivateur , éclairé par les notions que nous avons données , faura , fans demander confeil , de quelle manière il doit les traiter pour leur faire pouffer des racines le plus prompteraent & avec le plus de fuccès. La bonté , la fraîcheur du terrain y con- tribuent beaucoup , c'eft pourquoi il faut tou- jours recouvrir les marcottes , autant qu'il eft pofîîble, avec une terre graffe & onc- tueufe qui conferve l'humidité. . Comme il faiit rapporter de la terre pour couvrir & butter les marcottes , celle de pré ou toute autre forte & argilleufe eft la meilleure pour cette opération ; mais jamais de terreaux fecs ni de terres fablonneufes qui exigent de fréquents arrofements qu'on n'a pas toujours le temps ni la commodité de leur donner , & où les racines ne font ja- mais fortes & vigoureufes. Comme la terre de recouvrement , battue par les pluies , s'affaiffe & diminue d'épaiffeur, il faut avoir foin d'en remettre par-deffus^de temps en temps : nous allons entrer dans de plus grands détails à ce fujet dans les ChsH pitres fuivants. Végéta TiQN.Llv. VIÏ,Ch.XXII. 187 CHAPITRE XX n. Des différentes manières défaire des 10[arcottes, o N peut fe procurer de bon plant enra^- ciné , en buttant de grofles fouches qui aient fait des poufles nouvelles. Si les fouches font fur le même alignement , on fait un fofle à environ deux pieds de ces fouches , que l'on recouvre avec la terre du folTé ; enforte que les pouffes fe trouvent enterrées d'environ un pied : cette opération les fait pouffer avec plus de vigueur. Cçs pouffes ainfi recouvertes pouffent des yacines vers leur infertion au tronc : i°. Lorf-^ qu'on voit qu'elles en font fuffifamment poui>- vues , ce qui arrive à la deuxième ou troi- fieme année , félon les genres d'arbres, oi| rabat la terre qui couvroit les fouches , Ôc on en fépare ce jeune plant enraciné. 2Q. On coupe un arbre affez gros & vigou- reux au ras de terre : il pouffe de forts jets dès la première année ; la féconde on butte les fouches , de forte que les jets foient en- tourés d'un pied de terre , ayant foin de faire cette butte de manière que les bords foient plus élevés que le centre , afin que les eaux puiffent couler au pied de l'arbre. Il n'eft que trop ordinaire de voir ces buttes faites en cône , parce que c*eft le plutôt fait ; ce qui floignant çoni|amment les eaux du pied d^ i88 Traité d e i a l'arbre , le fait languir & même quelquefois périr , & empêche la radication des mar- cottes. On abat cette butte lorfque les jets font fuf- fifamment enracinés , pour les lever Se les mettre en pépinière. On découvre bien la fou- che fur laquelle on peut laiffer quelques jets qui ne feroient pas bien pourvus de racines ; cette fouche que les Jardiniers appellent une mère , produit de nouveaux jets , ôc elle four- nit ainfî tous les trois ou quatre ans du jeune plant. 30. On coupe à deux ou trois pieds de hau- teur un jeune arbre de trois , quatre ou lîx pou- ces de circonférence; il pouffe dans la même année , fi on l'a coupé pendant l'Hiver , des jets dans toute la longueur de ce qu'on lui a laiffé de tige ,- l'année fuivante on apporte quel- ques brouettées de terre au pied de cet ar- bre ; on rétend en longueur & en efpece de couche élevée du côté que l'on veut le coucher ; on le plie , & on l'affujettit fur cette couche avec de forts crochets bien enfoncés en terre. On y fixe de même fes rameaux ; on les redreiïe en les liant à de petites baguettes que l'on nom- me tuteurs, après quoi on recouvre de terre déliée à la main le tout , de manière cepen- dant que les plus courtes branches aient leurs extrémités hors de terre. Si la tige étoit aflez flexible pour que l'on pût la plier totalement fans courir rifque de la rompre , on pourroit s'épargner le tranf- port de terre dont nous venons de parler , qui n'eft cependant ni difficile ni difpendieux , lorf- VEGETATION, LiV. VII, Ch. XXII. 189 qu'on la prend à portée , en faifant auprès de l'arbre une tranchée dans laquelle on le cou- che , & on arrange fes branches , comme je viens de le dire , fans négliger les plus petits rameaux. Mais dans ce procédé , comme dans le pré- cédent , il faut bien fe garder de couvrir en- tièrement la tige de terre dans toute fon éten- due ; car il arriveroit alors qu elle pourriroit ; c'eft du moins ce que j'ai éprouvé dans plu- fieurs genres d'arbres : il faut lui en laifler une partie découverte en plein air , ne fût-elle que de la longueur de quatre ou lix pouces : on juge bien que c'eil celle qui eft la plus proche des racines. Cette méthode de coucher eft très-multipli- cative & en général très-bonne pour tous les jeunes arbres dont la tige eft affez flexible pour fe prêtera cette opération. J'ai même couché avec fuccès des arbres tout entiers avec tou- tes leurs branches , qui m'ont donné autant de marcottes enracinées , après quoi j'ai relevé la tige en la redreflant au moyen d'un tuteur, & dès la féconde année elle avoir pouffé de nouvelles branches , & l'arbre avoir reformé fa tête, de forte qu'il ne paroiffoit plus feref- fentir d'une opération très-utile , puisqu'elle m'en avoit donné quinze ou vingt autres de fon efpece, dont quelques-uns font déjà pref- qu'auffi forts que celui qui les a produits. Comme la terre déliée avec laquelle on recouvre les marcottes s'afFaifîe , il faut avoir attention de les recouvrir de temps en temps de nouvelle terre» 290 Traité dé la Il s'eii faut bien que toutes les marcottes produifent des racines dans le même efpace de temps. Le genre d'arbres ^ le terrain , l'expô- iitioti , la température de Tannée , &c. , y apportent beaucoup de différence. Uombre & l'humidité accélèrent beaucoup leurradication* Les extrêmes contraires la retardent & l'annu- lent même quelquefois : elles réuiîiïïent beau- coup mieux , de même que les boutures dans des années pluvieufes ; & de même qu'il y a des genres d'arbres qui tardent peu à pouffer des rax:ines , il y en a dont les branches ref- tent plulieurs années en terre fans en produire, comme le catalpa, le tulipier ^ &c* La fouche des arbres rélineux meurt fans produire de nouveaux jets 5 mais lorfqu'étant encore jeunes ils ont des branches affez près de terre pour pouvoir être marcottées , j'ai éprouvé qu'elles pouffent des racines ,• il leur faut à la vérité plus de temps pour être bien enracinées. J'ai fait aulîi réuffir de bouture pluiieurs genres de ces arbres. Voilà les méthodes les plus expéditives de faire des marcottes ; mais û on veut en affu- rer & en accélérer le fuccès ,il faut y ajouter les préparations dont je vais parler. La première eft de couper & fendre à moi- tié bois la branche que l'on veut marcotter : on fait cette incifion en-deffbus de labranchCjj îorfqu'elle eft dans une difpofition horizontale j & après l'avoir fixée avec un fort crochet bien enfoncé en terre , on la relevé en la cour- bant, pour lui faire prendre unepofition verti- cale , dans laquelle on la maintient en raffu- VEGETATION, LiV, VII, CH. XXII. 191 jettiffant & la liant à un tuteur. Pour lors î'incifion que l'on a faite s'ouvre ; la partie par laquelle la marcotte tient à la fouche fe cour- be , & celle qui a été coupée s'ouvre & s'en détache ; c'eft ce qu'on appelle k talon de la marcotte , d'où il fort des racines de même que du haut de Tincifion. C'eft pourquoi la préparation & la coupe de ce talon eft très- effentielle ; il eft d*autant plus nécelTaire de l'expliquer , que la plupart des Jardiniers qui n'en connoifTent pas la conféquence , la font fort mal : ils fe contentent de couper la bran- che obliquement, & de la fendre , de manière que l'extrémité de la coupe , au lieu de for- mer un talon , n'eft qu'une efpece de lèvre mince mal difpofée à la radication. Il faut pou^ bien faire cette opération com- mencer par couper tranfverfalement la bran- che jufqu'à environ moitié bois : en coupant cnfuite obliquement à trois ou quatre lignes au-deflbus de l'incliion , on enlevé une por^ tion de bois , dont l'amputation forme uq vuide qui donne l'aifance de fendre la bran- che d'environ un pouce , plus ou moins, feloQ fa groifeur. Le talon de la marcotte fe trouve ainli coupé net & dans toute l'épaiiTeur qu'il peut avoir , & il ne tarde pas à s'y former un calus d'où fortent des racines. S'il fe trouve à la partie de la branche que l'on marcotte , un nœud ou quelqu'autre tu- meur , il ne faut pas négliger d'en profiter en y faifant de préférence la coupe tranf'- verfale qui forme le talon. Nous avons dit qut quand la branche eft t^Z TUAITÉDELA dans une difpofition horizontale on la redreffe verticalement , en l'aiRijettiflant à un tuteur , ce qui pour lors fait ouvrir la fente & écarte fufîifamraent le talon de la marcotte ; mais lorfque la branche eft dans une difpofition à peu près verticale , & que l'on n'eft point obligé de faire ufage de tuteur , pour îors comme rien ne feroit ouvrir la fente & n'écarteroit le talon de la branche , il faut pour remplir cet effet néceffaire mettre un petit coin de bois vers le milieu de la fente , qui la tienne fuffifamment ouverte , & prendre garde de le déranger en recouvrant la mar- cotte. On peut être afluré , au moyen de ce pro- cédé , d'avoir autant de pieds d'arbres que l'on fera de marcottes en plus ou moins de temps , félon la dureté du bois : plufieurs genres d'arbres ainfi marcottés au Printemps donnent du plant fuffifamment enraciné dans l'Automne fuivante ; d'autres n'en donnent qu'à la féconde , ou quelquefois même la troilieme année ; mais au furplus on n'y perd rien pour attendre, parce que la branche nour- rie par fa mère poufle & fe fortifie pendant ce temps-là , de forte que la marcotte en eft plus forte & plus élevée , & donne un arbre mieux formé. Outre la nature de l'arbre , le temps de la radication eft plus ou moins accéléré , ielon la différente température de l'année , félon que le terrain eft plus ou moins iubftancieux & frais , félon l'expoiicion plus ou mouis ombragée & autres circooftances plus ou moins 1rEGETAi:iON,IlV. VII,Ch. XXII. îfl 91U moins favorables à la végétation^„ ^ Rien ne favonie & n'aceélere plas la radî« cation que la fraîcheur de la terre : fi celle où l'on a faic les marcottes étoit naturellement feche & expofée au foleil, oti ne pourroit en èfpérer de fuccès qu'autant que leg fréquents arrofements fuppléeroient aux défauts du ter- rain : il eft bon alors de le couvrir de moufle ou de paille ,, en arrofant fur cette couver» ture qui empêché la dilîipation de l'humi* dite. , , -. ^ .^ La manière de marcotter , dont je viens de parler , efl la plus connue Ôi la plus ufitée ; mais il en eft une autre qui ne réuflit pas môinâ bien, & qui eft même plus convenable pour des branches qui ont peu de grolTeur. On en- levé circuîairement un anneau cortical a la partie que l'on couche ou que l'on recouvre de terre , en dépouillant ainfi la branche de toute fon écorce de la largeur de quelques lignes , plus ou moins félon fa grofleur. Qn, forme au milieu de la partie écorçét one li- gature de _ fil de laiton bien fouple & bien' recuit , dont on tort les extrémités avec des" pinces , pour bien ferrer les fibres ligneu- fes., . , , : ..,..; ... ......,, La fève defcendantè interceptée par cette coupe d'écorce, gênée & arrêtée parla ligature êc la comprefîion des fibres ligneufes , forme un dépôt à la partie fupérieure de la coupe ^ èù il fe fait un bourrelet d'où fortenc des racines. . < , .^ , , .^ , Si fans enkver d'anneau d'écorce on fait feulement une ligature de fil de laiton Torriê IV. M Traite b e t if ferre bien la branche en coupant en parti© î'écorce , il fe forme un gonflement au-defTus ^ d'où fortent aufîi des racines, mais ce procé- dé , à la vérité plus expéditif, ne vaut pas FauÉre. Au fur plus on ne fait ces opérations que pour des arbres qui en méritent la peine & qui pouiTent difficilement des racines. Quant aux autres dont on veut tirer beaucoup de plant enraciné , on fait des mères , c'efl-à- dire qu'on coupe un arbre déjà gros au ras de terre ; la fouche poufle au Printemps fuivanc quantité de jets. Pour cet effet il eft bon d*avorr la précau- tion de planter les arbres qu*on devine à faire des mères, dans une petite excavation , queTor^ tient ouverte en forme d'entonnoir que Ton remplit quand on fait des marcottes ;. ou fi Farbre étoit planté fans cette précaution , il faut, avant de le couper ^ décombier la terre toiit autour , pour découvrir le pied autans qu il eft pofîible , afin que les jets pouffent fort bas & qu'ils puifTent être plus aifément & mieux recouverts. Quand les fouches ont produit des bran- ches de deux ou trois pieds de longueur , ce qui fouvent arrive dès la première année , on butte la fouche en la recouvrant de terre , ainfî que la naifTance de toutes les brancheSj dont pluiieurs genres poufîent des racines étant- ainii enterrées. Mais il eft toujours sTiieux , fî on ne prend pas la peine de les marcotter, comme nous l'avons dit, d'aider de quelque manière la radication > fait en don* VEGÈl?Âtîoi«r,"Eiv. V'iï,Cm.3fiXIII. t§^ mot fimpleraenir dès coups de ferpette pour faire quelques plaies au 1)38 des branches ^^^ foie en les courbant & eaffant ainfi quelques:; fibres, outout autre moyen qui gênant le cours' de la feve^ la force à faire quelque dépôt. Après un ou deux ans les marcottes font Ordinairement fuffifaTriraent enracinées pout être fevrëes & mifes en pépinière , ôc la mer© déchargée de ces branches en produit de nou- velles ; ce qu'elle fait de plus en plus pendané pluiiéurs années; qu'il efl d'autant mieux de maître à profit qu'on eft obligé de les fupprimer étaiu mal placés & nuiiibles au port de l'arbre. S'il n'êil pas polTible que ces branches trop élevées ail-- lent trouver la terre , il faut s'y prendre de'"' manière que la terre aille les trouver ; & voilà pour cet effet ce que je pratique avec fuceès. fç^ T B. A I t è DE r A Je fais au fond d'un pot un trou afféz ou- vert , pour que la branche & fes rameaux y puiflent pafTer aifémènt ; ce qui étant fait , je fais defcendre le pot le plus près poffible de la naiffarice de la branche , où je le tiens bien fixé avec des liens d'olier contre la tige de l'arbre & deux ou trois forts pieux enfoncés en terre 5 ayant donné à ce pot ou autre vafe une pofition folide & droite, c'eft-à-dire qu'il ne îbit pas incliné de manière à faire écouler en pure perte l'eau de la pluie ou des arrofements^ je marcotte la branche vers le milieu du pot, comme je l'ai expliqué au Chapitre précédent |- & après avoir mis au fond un bouchon de paille pour fermer l'ouverture qui y a été faire, je remplis lé pot de bonne terre franche & argilleufe , en la pfefTant fuf-.tout;contre lin- cifion. Il n'eil plus queftion que d'arrofer fou- vent cette terre qui fe conferve humide, d'au- tsmt plus long- temps que la mafîe en eft plus conlîdérable étant dans un plus grand pot , & que la pofition eft plus ombragée. ^ Si la tranche eft un peu longue , il eff bon de la fixer à un tuteur, parce que l'agitation oè la mettroîeirt les vents lui féroit très- cou* traire. Les branches; ainfi marcottées - réulfifTent auflî bien que celles que l'on met en pleine terre , pourvu qu'on ait attention de tenir toujourâ^^ humide celle qui eft dans les pots ; ce qui n'exige pas plus de foin t\ue ks autres vafes ou font des arbitftes , lorfquil y a de même UQç quantité fuffifante de terre. Il n'en eft pas de même lorfque Ton fait VEGE'rÂTîON,IiV.VII,GH.XXlII. I^ Xifage de très-petits pots , ou pis encore d'en- tonnoirs de fer blanc ou de cornets de plomb. Ces pratiques adoptées par ceux qui n'ont point de connoiffances ou qui ne Féfiéchiflent pas, font évidemnaent mauvaifes , parce que non-feulement le peu de terre que contien- nent ces entonnoirs ou cornets eft trop fujette à fe delTécher , mais de plus leur forme co- nique fait qu'ils n'en contiennent prefque point par en bas , ou même vers le milieu où doit fe faire le travail de la marcotte ; & l'endroit où la terre efl la plus néceîTaire pour la pro- •duâion & le développement des racines , eft précifément celui où il y en a le moins. Cette fâufle difpoiition oblige à arrofer fbir & matin ces entonnoirs ; & malgré ces foins affidus & minutieux , il n'y a guère de marcottes qui y réulfiflent. Voyant qu'il fau- droit continuellement avoir l'arrofoir à la main , pour empêcher cette poignée de terre de fe deflecher, il y en a qui ont imaginé dé fufpendre au- defliis un pot plein d'eau , & dé l'y laiiTer tomber goutte à goutte , par le moyen d'une lifiere de drap qui fait l'office d'un fyphon. Cette puérile pratique , fujette à beaucoup d'inconvénients , ne méritoit pas d'être citée par un Auteur célèbre quin'auroit pas dû y faire attention & encore moins en parler. Les pots d'une certaine confidance m'ont toujours bien réulîi poqr les itiarcottes , & mieux encore les caifles , lorfque j'ai pu en faire ufage , parce que plus il y a de terre , & ipiçux on réufïit avec moins de foins. N 3 TlSi^lTÈ ©E LA Etant dan5 la néceiîité (3e fupprimer une grofle branche d'un arbre que je n'ai jamais pu faire reprendre d-e bouture , c'eft le /b- ffhora ; je voulus tenter avant de couper cetta brapehe , de mettre à profit une grande quan-? titç de rameaux qui étoient à fon extrémité , à la hauteur de douze ou quinze pieds. Je formai pour cet effet , avec de longues & fortes perches , un échafaudage alTez folidé pour fupporter deu^i caifles , qui avoienc chacune quatre pieds de longueur , deux de Jargeur, & quinze pouces de profondeur. Ces caifles pofées fur 1 eçhafaud & difpo- fees de manière à recevoir les rameaux de pia branche , ils y furent marcottés & éten- dus féparém^nt , çonime ils l'aurpient été en pleine terre , après quoi on remplit les caifles de bonne terre fraiiche , que l'on arrofa bien. Cette opération faite avec attention me réufTit très- bien : toutes les branches qui avoient été bien marcottée? poufTerent des lacines pendant l'Eté ; je les fis couper l'Au- tomne fuivante , aflez bien enracinées pour qu'elles aient toutes poulTé avec vigueur. Quoique ce? caiifes fulTent en l'air & ex- pofées au fpleil , il ne fut pas nécefTaire , même pendant les chaleurs , de renouveller bien fouvent les arrofements qu'on ne pou- voit y porter qu'au moyen d'une échelle , parce qu'outre que j'avois eu la précaution Adeurs , & aux fcenes qu'ils doivent repré- fenter , de leur donner quelques foins > de les faire paroitre dans des fituations favora- bles; mais empêcher que l'art , fous la vaine prétention de les embellir , ne vienne les défi- gurer 5c les priver de leurs agréments. Toutes les beautés de la Nature ont des formes qui leur font propres ; vouloir leur en donner d'autres , c'eft prétendre à faire mieux qu'elle; & cette prétention , je le ré- pète , ne peut être que vaine & ridicule. La main du Décorateur peut bien agir pour répa- Végétation, Iiv.VIIjGh. XXV. làf ter quelques négligences & corriger quelques écarts , mais jamais pour mutiler , pour tron-* quer les perlbnnages ordonnés par le Créa- teur. Touc arbre a un port qui lui eil: natu^ rel ; il ne peut être vraiment beau qu'en le confervant : tout terrain a naturellement do^ pentes , des inégalités ; c'eft ce qui lui donne de la variété & du mouvement. On peut bien les corriger, les adoucir, fî ellfs font trop brufques ; mais vouloir niveler fcrupuleufè- raent & régularifer fymmétriquement un ter- rain, c'eft 'refroidir & même anéantir fou jeu & fon adion , c'eft vouloir imiter ces plaines de la Champagne où tout paroît plat» égal , uniforme ; on fait quelle impreiîion elles font aux yeux du Spedateur. Comment la fymmétrie feroit-elle une fource de beauté dans nos jardins , puifqu elle nous choque même dans les objets auxquels elle; fembie convenir d'une manière plus particiî^ liere ? Les deux côtés du corps humain font femblables ; cependant pour que les attitudes;. foient agréables ^ il faut que les membres foient contraftés. On appelle à la Chine & en Angleterre jardins une compolition champêtre de prai- ries, où l'on voit paître différents animaux ; des champs couverts de moiffons , des, cultu- res de toutes efpeces , des bois , des planta- tions fans alignement &, en apparence, fans ordre , de différents arbres qui s'élèvent ifo- îés ou par grouppes fur un tapis de gazon iné- gal & quelquefois montueux, que l'on parcourt en fuivant des fentiers qui ferpentent autour ià^ T R A I T É à E L A des grouppes d'arbres ou des builTons d*ar- briffeaux. Ce coup d'œil champêtre , . libre de tous côtés & qui femble n'avoir d'autres bornes que l'horizon , eft bien différent de celui de nos jardins François , où les allées en lignes droites & à angles droits , découpent toujours fymmétriquement & par compartiment un terrain fcrupuleufement nivelé , enveloppé de charmilles & enfermé dans des murs. L'art d'un Décorateur François confîfte à découper méthodiquemeut une furface, à en divifer & fubdivifer régulièrement les parties ^ fans avoir égard au iite qu'il fait obéir aveu- glément à fon ordonnance , émanée de fou cabinet. Le Décorateur Chinois , tout au contraire , prend l'ordre du local ; le génie qui préfide à fcs opérations les lui fait varier , félon la fituation, la difpolîtion du terrain, les diffé- rents afpeds , les effets de l'optique , -à-dire de fatiguer la vue par un amas confus de fabriques , d'or- 03 ^14 Traitéde la pements , de ftatues 5c autres décorations , de trop travailler fon terrain , d'en rendre les diftributions mefquines , en voulant les rendre élégantes. il eft impoflible , malgré le feçpurs des Livres qui en ont parlé , de prendre une jufte îdée de ces jardins , li différents des nôtres , fi on ne les a pas vus ; encore faut-il bien du temps pour les examiner & reçonnoître les beautés naturelles qu'ils offrent , mais qui; ne s'apperçoivent pas au premier coup d'œil , parce qu elles ne fe préfentent que fous l'ap- parence de la plus grande fîmplicité. Tout y parok d'abord champêtre , & même quelque- fois fauvage , fur-tout à la vue d'un François qui n'a connu que fes jardins : dans ceux-là point de lignes droites, point d'angles droits, point de plantations régulières , point d'allées alignées & nivelées ; des champs fertiles , àes prés , des bois où les formes régulières font par-tpût nrofcrites. Point de murailles, point d'autre clôture apparente que l'horizon ,• dif- férents animaux qui y pâturenty font fubditués aux ilatues ; quelques allées pu plutôt quel- ques fentiers pour les communications cou- pent , en circulant , la peloufe , où des ruif- îeaux coulent librement en ferpentant. La fîmplicité , l'étendue de ces lieux cham- pêtres , qui noiis paroiffent même d'abord ruftiques , eft fi difparate de l'appareil fym- inétrique & borné de nos jardins , qu'on a peine à comprendra fous ce nom ce qui ne paroît que des parcs ou les alentours d'un ,Viltage ou d'un Hameau. VEGETATION, LiV. VII, Ch. XXV. 21^ Ceft ce que j'éprouvai la première fois que fai vu ces jardins : il y avoic plus de quatre heures que je parcourois , à la faveur d'un guide inrtruit , celui de Riehemont, principale & favorite réfidence du Roi d'Anglererre ; on m'avoit conduit dans des champs^ des prairies , des bois ; je voyois bien des payfages incé- relTants , des promenades agréables ; mais tout cela ne m'offroic rien que de champêtre ; je n'avois point vu de parterres , d'qillées ali^ gnées , de plantations régulières , de quincon- ces , de charmilles , de compartiments , de boulingrins, de treillages 5- enfin, rien de ce que la fymmétrie produit chez nous : c'eft alTez , dis'je alors à mon guide , c'eft aiïez parcourir les dehors ; menez- moi enfin dans les jardins. Mais vous y êtes , me dit-il ; il y a quatre heures que vous les voyez , & bientôt nous les aurons vus tous. Mais où font les fruitiers , les potagers ? Ils font dans des lieux à l'écart & hors de vue, parce qu'ils figureroientraal ici, & nuiroient à l'e^- femble du tableau : que feroit un tableau de payfage où l'on mettroit des potagers ? Ce ne fut qu'avec le temps que ma vue s'ae- coutuma à ce genre champêtre, & que j'ap- pris à en connokre les beautés qui tiennent au génie de la peinture. Pour donner aux jardins une dénomination intelligible & précife , nous les diviferons en deux efpeces générales ; favoir , les jar- dins dans l'ordre fymmétrique , & les jardins dans l'ordre naturel. Pour- bien juger ces deux genres y je p;iç 0 ^ 21$ T R A I T É D E I. A rnes Ledeurs de ne pas mettre plus que mo| d'efprit d'habitude & de préjugés , en exami- nant y fans partialité & fans palïiqn , les agré- ments & les défauts des uns & des autres, gue je vais expofer tels qu'ils m'ont paru. ' Je parlerai de ces petits monllres moins faits pour perpétuer leur efpece que pour en dégoûter , que la fantailie a fait naître en France depuis quelques années , fous le nom àQ jardins Anglais . Je l'ai dit pour les Chinois , on peut le dire de même pour tous les autres Peuples : le goût &: la formation des jardins tient aux mœurs de la Nation & du temps ; il falloir poqr faire naître & adopter les compofitions faftueufes de le Noftre, un fiecle où les arts encouragés fembloient fe difputer l'éclat & la masiniîicence du luxe. Wos qfages, enfantés par ce qu'on\^ppe!îç la mode, accrédités enfuite par la généralité , ne font fouvent que des préjugés fortifiés par l'habitude &i perpétués par l'imitation. L'au- torité qu'ils acquièrent en impofe , & fait taire toute autre coniidération ; & comrhé d^ailleurs il eft plus aifé d'être copifte que Créateur , il s'enfuit qu'un plan adopté par là mode devient général & s'applique a toute efpece de local , fans plus fonger aux con- venances que n'y penlent les femmes, en adoptant la mode , fouvent bifarre , de leurs coëffureâ , ians examiner fi elle convient aux traits de leur vifage éc à leur phyliono- plie. '"' '''" C'eft ainii que fç font établis iios jardins V^GET4Tioi? , Liv. VII^ Ce, XXV. 21^ fymmétriques ^ & malgré l'ennui que fait éprouver leur monotonie depuis environ un fîecle qu'ils exiftent , Tempire de la mode & de l'habitude nous a ii fort fubjugués qu'il nous empêche de voir qu'on peut faire mieux ; & cet aveuglement , fortifié par la nonchalance ou l'incapacité , ou par cet attachement naturel aux chofes que l'on a faites , doit faire craindre que de long-temps nous ne re- venions au vrai fur la formation de nos jar- dins , puifque depuis pluiieurs années que quelques bons Ouvrages oni: démontré le fau^c du goût que nous avons fuivi , nous n'en fommes encore qu'à voir taxer de fingularité toute efpece de changement propofé dans ce genre. Il y a des hommes tellement entichés de l'efprit d'habitude & d'imitation , qu'ils coni- mencent par rejeter , fans examen & fans réflexion , tout ce qui n'ell: pas conforme à la routine qu'ils ont vu fuivre & qu'ils ont fuivie eux-mêmes ; ceux-là feront bien de s'abllenir de lire plufîeurs Chapitres de ce Traité qui leur feroient inutiles , puifque les vérités que j'y expofe ne lesperfuaderoient pas. Il eft cependant à croire que tôt ou tard l'efprit de vérité & de rai Ton opérera cette révolution chez nous , comme elle s'eft faite en Angleterre ; déjà pl^ifieurs gens de bon goût y font difpofés , & beaucoup d'autres pe demandent peut-être qua être éclairés pour y bien procéder. Mais rien n'eft plus capable de retarder l'établiflement & les progrès de l'ordre natu- zïS Traitédela rel , que ces petites produdions fantaftiques Se monflrueufes qui fe font, multipliées de- puis quelques années , fous le nom de jar- dins Anglois, dans Paris & dans fes envi- rons. La plupart de ces petites cotnpolîtions bifarres ne font que leffet des rêves de quel- ques Artiftes qui nont jamais forti de la Capitale. Il me paroit li iniportant de détrom- per de ces fauîTes formations , que j'en parle-? rai plus amplement çians un Chapitre parti- culier. L'ordonnance de nos jardins , foumife aux lignes & aux fedions géométriques, eft de- venue de la compétence des Arcbitedes ; lïiais comment ont-ils pu confondre les prin- cipes , les moyens & les beautés, de leur art, avec ceux des jardins qui ne doivent être qu'une imitation de la Kature , dont les for- mes libres ôi dégagées des entraves de \^ méthode , n ont de règles que le fentiment , & de principes que le goût?- En prenant pour objet principal ce qui doit n'être qu'acceflToire , ils s'appliquèrent à lier par une mutuelle correfpondaace les jar- dins au bâtiment; & fous la vaine prétention d'embellir la Nature , ils la défigurèrent. Accoutumés aux formes régulières dont Tufage convient & s'adapte bien aux produc- tions de leur art, ils voulurenr affujettir la Nature aux mêmes combinaifons ; ils donnè- rent aux jardins la diftribution d'une maifon^ en les compartiflant en efpeces de parquets, en falles, en cabinets, en corridors ; ils en formèrent les divificns avec des murs d^ VEGETATION, Il V. VII, Clî. XXV. 2x9 charmilles , percés de portes , de fenêtres , d*arçades ; ils voulurent même y former des colonnes , des trunieaux , des chapitaux & des entablements comme dans leurs édifices, & le fer meurtrier du Jardinier eut ordre de travailler prefque continuellement pour exé- cuter & maintenir cette architedure végé- tale. Ils meublèrent ces finguliers appartements avec des tapifTeries de verdure , des treilla- ges fculptés , des perfpedives peintes ; ils y logèrent des (tatuçs qui ne repréfentent que des prifonniers étroitement enfermés : aulli n'eft-on pas tenté de partager leur fort ; car Il on va quelquefois dans ces falles , ce n'efi que pour y paiTer rapidement. Sans cefler d'être Architeâes en devenant Jardiniers , ils taillèrent un arbre comme une pierre, en rond, en cube, en pyramide, en boule, &c. A ce défaut d'une régularité , d'une uni- formité pouflee trop loin, ils joignirent celui d'afTujettir les parterres à une difpofition fym- métrique , & a des découpures géométriques , à des broderies, des compartiments que cha- cun traça félon fon imagination. La découverte du buis nain qui fe conduit aulîi aifément qu'il fe multiplie , leur fournit le moyen facile de multiplier ces découpures , dont plufieurs furent remplies de fable de cou- Jeur. Ils affujettirent les bofquets à la même fymmétrie, prefque aux mêmes découpures , fn tournaentant le terrain ; & foit par igiio- zio Traité:de la rance de la végétation , foit pour hâter 1^ jouiiTance , ils plantèrent à de petites dillan- ces des arbres de nature à croître fort haut & à étendre beaucoup leurs branches : le défordre & la confulion en font les effets, & une vieillelfe prématurée donne à ces pe- tits bofquets , li jolis dans leur jeunefle, un afped défagréable & choquant. Ils portèrent la géométrie jufques dans les parcs , ils les découpèrent régulièrement par le cours des lignes droites qui fe coupent à angles droits ou à angles aigus, mais fym- métriques qu'ils appellerent en croix de S. André ; la fediori de plufieurs de ces lignes au même point fut appeliée en étoile ; ils firent du refte des mafîifs impénétrables qui ne permettent jamais d'appercevoir les ani- maux fauvages qui les habitent , & que l'oii regrette de ne pas voir plus long-temps lorf- qu'ilç traverfent rapidement les allées droites que l'on voit toujours. Triileraent enfermé entre ces épais mafîifs ,» vainement on y cherche quelque variété qu*on n y trouve point ; on ne peut y éviter une uniformité ennuyeufe qu'on trouve toujours. Il en réfulte que bientôt ennuyé de leurs vaf- tes & fymmétrique5 dimenfions , on defire d'en fortir pour retrouver dans la campagne cette variété , ce défordre de la Nature qui plaît bien plus que la régularité. Mais comment ces parcs ont-ils donc pris faveur ? Par imitation , ou parce que leurs pcfTelTeurs , jouifTant d'une aifance furabon- ^ante & embarrafTés de leurs loifirs , tendent VEGETATION, tiV. VII, Ch. XXV, 22Î à des idées & à des jouifîancess artificielles , d'autant plus qu'ils s'éloignent de la Nature. Enfin , ils voulurent tout affervir à leurâ méthodiques règles ; les eaux mêmes , dont le cours libre & régulier fait le principal char- me , furent renfermées dans des murs de ma- çonnerie , où , en reftant ftagnantes , elleâ font prefque toujours impures , troubles & infalubres. Etendant fur-tout l'application de leurs principes , ils s'appliquèrent à niveler fcrupu- îeufement les terrains ; & pour conferver par parties le niveau fur ceux qui s'en écar- toient trop à leur gré , ils les coupèrent par étages , ce qu'ils appellerent en terraffes , qu'ils foutinrent par des murs ou par des taluts en précipices; & toujours ne perdauc pas de vue l'architedure , ils y formèrent des efcaliers de pierres , comme aux mai- fons. Ceft cependant à cette difpofition aufîî incommode que déplacée dans un jardin , ou à ce minutieux nivelement , qu'on facrifie in- conîidérément cet effet heureux que produit le jeu des pentes Ôc le mouvement du ter- rain que l'on peut adoucir à moindres frais, quand cela efl néceffaire. Mais à qui donc s'adrefTer pour former des jardins lelon l'ordre de la Nature ? A elle-même. Elle feule fournit les préceptes , les exemples & les mntériaux j mais li on ne connoît pas bien fa marche , qu'on s'adreiTe à celui qui l'a bien étudiée, qui joint aux con- noilTances de la végétation un goût éclairé de la peinture , fur-tout de la repréfentatioa des payfages. tii Traité de là S'il eft rare & difficile de trouver à pre^ fent des hommes qui raffemblenc ces connoit fances , il y à lieu de croire qu'il s'en for- mera un plus grand nombre , quand la ré- jforme de nos jardins fymmétriques fera plus décidée & qu'elle deviendra générale ; c'eft à quoi s'oppofent aduellemenc , non-feulement les idées reçues , mais peut-être plus encore le défaut d'Artifles capables de les bien for- mer : ^u relié, comme ces compofitions font les effets du génie & du bon goût , combien de Propriétaires font aflez éclairés & en état de faire exécuter les projets qu'ils auront bien concertés ! mais malheureufement ceux qui ont le plus de cônnoifîances , ne font pas toujours ceux qui ont le plus de moyens. Cette conlîdération m'a engagé à parler des jardins, partie qui d'ailleurs n'eft pas étran- gère à ce Traité; & dans refquiffe que je vais donner de différentes formations plus ou moins étendues , & conféquemment plus ou moins difpendieufes , chacun pourra y trouver des idées applicables & relatives à fon local & à fa fortune ; d'ailleurs la même différence qui exifte entre le palais d'un Sou- verain , le château d'un grand Seigneur & là raaifon d'un Particulier , doit être aufTi dan's les jardins qui les accompagnent. Si le bon ordre & la propreté doivent fë trouver également dans les jardins d'un Par- culier , ils ne doivent point avoir cette re-- cherche qui déplaît & qui bleffe lorfqu'elle eft afîedée ou exceflive; il ne faut pas que les foins donnés à l'agréable paroiifent l'em- Veg£TATION,Liv.VIÏ,Ch.XXV. 2.z| porter trop fur l'utile : on eft choqué, fur- tout quand le Propriétaire n'eft pas fort ri- che , lorfqu il vient en penfée que les frais tiécefTaires à ce qui n'eft qu'ornement , abfor- benc des fommes confidérables. Quelques Auteurs très -éclairés qui ont écrit fur la théorie & fart des jardins , ont traité ce fujet dans le grand ; ce qui leur a fait dédaigner les petits^ travaux ëc les dé- tails : ce font ceux-là que je vais indiquer principalement, comnle étant ceux qui con- viennent à un plus grand nombre de perfon- nes ; j'offrirai des créations aux riches , & de lim.ples additions à ceux qui ne le font pas. Au furplus , comme je le ferai connoître, la formation des jardins dans l'ordre naturel, eft plus produâive que difpendieufe ; tel eft fon taradere , on manqueroit le but , s'il tn étoit autrement : tout au contraire de nos jardins fymmétriques , chaque partie doit être mife en valeur. Si une face du château doit porter , comme je l'ai dit , fon influence fur l'efpace immé- diat, appelle le parterre, il nefl pas mal que l'autre face porte fa régularité fur l'autre partie qui lui eft également foumife , que l'on appelle la cour dhonntar \ que des ar- bres alignés en forment la clôture latérale ; que quelques bâtirrients utiles fymmétrifent & repré- fentent avec appareil défunt l'autre zoii\ que des foffés en maçonnerie en terminent la face , fermée par une grille auiîi élégante que fo- lide ; mais que la continuité de ces bâtiments ne clofe pas cette cour comme celle d'un 224 Traité de la hôteî dans une Ville; qu'une large allée coupé 6c fépare en deux parties le gazon qui là tapilTe-, n'en feroit-ce pas alTez , fans étendre Tarchitedure fur de plus éloignés & plus vaftes ei'paces qu'on appelle avant-cours , à moins que cela ne foit nécelTaire pour démaf- qucr & donner des vues ? Mais nous touchons au point d'imitation auili peu réfléchi qu'il ell prefque générale- ment adopté , & qui , fans procurer d'agré- ment , eil nuilîBle à tous égards ; c eft l'ufage de CCS éternelles avenues en face des châ- teaux, avenues par lesquelles on n'arrive point, & que l'on ne fréquente que rarement j- efpeces de tubes de lunettes , où la vifiere étroitement relTérrée, conduit toujours l'œil en ligne droite , fans lui permettre de s'é- chapper de l'un ni de l'autre côté , & ne laifle entrevoir au-delà que l'objet que le ha- fa'rd y a placé : tant pis pour le Spedateur, fî la ligne facrée ne préfente dans fa direc- tion rien qui FintéreiTe * il faut qu'il regarde là, & non ailleurs. De côté ou d'autre , peut- être fe fût-il ren- contré un point de vue agréable, un lointain qui eût terminé heureufement le tableau ,* en facrifiant la fyramétrie de droite ou de gau- che , on fe fût procuré une perfpedive inté- relTante qui eût égayé l'afped & embelli le lite ; mais tant de beautés , àcs agréments fl précieux feront perdus pour ne s'être pas trou- vés diredement en face du milieu du château , dans l'alignement de ces plantations unifor- mes , monotones , & d'autant plus ennuyeu- fes VEGETATION, tit. vu, Ch.XXV. 2^1 fés qu'elles ont plus de longueur , & tantôt ifolés , tantôt group- pés , fans obferver de diftance ni d'aligne- ment réglé; j'aurois fur- tout attention d'en varier les genres & les efpeces , & confé- quemment le port & les formes ; j'y mêle- rois quelques arbres verds qui y formeroient des points d'ombre pendant l'Eté, ëc y don-r neroient de la verdure pendant l'Hiver. Ces efpeces de forieres , de liiîeres , de bocages qui ne paroîtront pas d'abord li ma- gnifiques aux yeux accoutumés à la conti- nuité & à l'alignement des grandes avenues , rempliront le même objet par rapport à l'om- brage ; les clairières entre les grands ar- bres , feront tomber ou du moins afFoibliront beaucoup le mafque que les avenues portent VEGETATION, LiV. VII, Ch. XXV. 229 fur le château ; un chemin non pas au milieu , mais de l'un ou l'autre coté , eu fuivant libres .lîient la foriere , y offrira une promenade fuffilamment ombragée , champêtre & va- riée. Ces lignes de bocages formeront, au milieu de la pleine , des remifes favorables aux oi- feaux & au gibier qui viendra s'y réfugier & y multiplier , fous la protedion ëc hs yeux du Maître ; on en verra fortir , en fe promenant, les lièvres & les perdrix. Je ne crois pas qu'il y ait de comparaifon à faire du côré de l'agréable; examinons maintenant l'utile. Ces lignes de grands arbres, moins conti- nues & moins épaiffes , nuiront moins aux champs d'alentour : la coupe du taillis fera un produit réglé ; l'efpace de Vallée , s'il e(l vafté , devietidr^ une prairie artificielle que l'on pourra faucher deux fois par an , ou bien on y fera paître des vaches & des che- vaux attachés à un cordeau , dont le point fixe , arrêté par un piquet au milieu de l'al- lée , ne leur permettra pas d'approcher du taillis Se de l'endommager : on pourra même pendant l'Hiver y amener les moutons. J'avoue que je n'ai point vu exécuter d(^s dehors & des promenades de cette efpece ; mais je crois que ceux qui voudront le les procurer , nie fauront gré de leur en avoir donné l'idée , & qu'ils auroient des imita- teurs. Ces . détails m'ont un peu écarté de mon f^j^^j j'y reviens. 130 Traité de j. 4 Un Peintre m'a dit qu'en fortant de Paris ^ il étoit obligé de faire dix lieues avant de pou- Foir trouver un paylage. Il eit vrai que cette fsfpece de luxe qui a pris naiflance dans U jCapirale , & qu'on pourroit appeller luxe végétal , s'efl étendu tort Ipip & fi généra- lement qu'il n'y a pas de bicoque qui n'ei? air reçu quelques traits : prefque tous les arbres en portent {'empreinte , excepté ceux gui font pgrvenus à élpver leurs têtes majef- îueufes âu-delTus des échelles & de la por- tée du cfoiiïant ; c'ell ainfî que hors d'atteinte des coups de leurs tyrans , ils vont former ^laos les airs de fuperbes arcades &l des voû- tes , pour ainfi dirp céleftes ,• leurs brancha- ges , étendus fans gêne , s'approchent , s'en- trelàirent fans contrainte , & offrent des effets bien plus admirables que ceux que peuvent produire fous les efforts ^c l'art. ' Faut il conclure de tout ce que nous vê- lions de dire gu'on doive exclure la fymmé- frie & les ornements de fart de tous les lieux auxquels on a donné le nom de jardins } Kori ^ il en eft qui la fouffrent & même qui l'exigent : la fymmétrie fied bien ^2ins ces jardins qui font une dépendance des palais , deg grands hôtels 3 ou encorç dans des jar4 dins^ publics ; rien ap-dehors ne contrarie ce genre de décorations ,- la forme prefque tou- joiirs régulière du terrain , fqn peu de fur^ fac^ j Timportance du bâtiment dont Finfluençe doit fe faire fen tir dans l'étroit efpace qui l'envirqnne , tout concourt à foumettre un pa- reil local à des diflributions fymmétriques.. VEGETATION, LiV.VIÎ, Ch. XXV. 23 1 Les jardins publics ne font que des pla- jces plantées d'arbres, ou l'on vient, non pour jouir du fpedacle de la Natures mais pour prendre un exercice momentané ; com- me on n'y vient que pour étaler le luxe & fatisfaire la curioiité , le plus grand orne- ment de ces jardins exiiie dans le concours général ; l'ennui qu'on y éprouve , quand ils lont peu fréquentés , en eft la preuve. Voilà les jardins qui font d^ la compé» tence des Architedes , ils font partie de leurs plans , & doivent être fournis au régime de leurs principes. Mais ils n'auroient jamais dû cranfporter jufques dans nos campagnes un genre qui y elt li déplacé, & qui devoir ref-- ter dans les villes où il a pris iiaiiTince. Cette licence eit h fource de l'erreur & du faux goût qui a régné trop long -temps jdans la compofîtion de nos jardins champê- tres , où Ton ne doit jamais appercevoir quç l'image de la Nature libre. Quand on cherche un sfyle aux champs , ce n'eft pas pour y trouver la contrainte de la régularité & les apprêts de l'art ; c'efl: là , au contraire , qu'on fe réfugie pour les fuir ^ & pour fe débarrafTer de la gêne des villes. Laiflbns donc la fymmétrie aux jardins de la ville , & ne recherchons à la campagne que les grâces naïves & les variétés de la Nature. L'art des jardins modernes, art en- core bien nouveau chez nous , eft digne par Je goût & les connoiiTances qu'il exige , & par les agréments qu'il procure , d'exercer les plus ingénieux Artiltes de notre Na^Pa» |.3Z TS-AITÉ DE XA Méditons-en bien les principes , & failbns-e^ ym jufte application à nos demeures cham- pêtres ; eflayons les meilleurs moyens de l-âfiembler autour d'elles les beautés éparfes ^e la Nature, fans les défigurer ni les alté- rer ; le goût doit les diilribuer , & l'art les ppproclier & les expofer dans leur plus beau jour. Après avoir donné cette idée générale de§ jardins , dont de plus longs détails m'entrai- peroient trop loin , je vais parler de chaque gf nire en particulier, S=! Ç H A PI T R E; XXVI, Çps Jardiris dans tordre fymmétriqiieé. A compofition de le Nqfîre a livré nos jardins à l'architedure & à la géométrie \ tout y eft diviié & fubdivifé en parties régu- lières ; tout y eft nivelé , compafle, aligné 5ç découpé fymmétriquement \ tout y eft orné^ décore élégamment ; enfin dans ces parterres magnifiques , on y trouve de tout , excepté quelquefois de la verdure & de l'ombrage y par-tout de la contrainte , de la décoration fans variété. Que rarchitedure porte , po;ir ainlî dirCj^ fqn reflet fur les parties qui avoifinent le châ- tçau^ il n'y a rien en cela qui ne paroiffe VEGETATION, LiV. VII, Ch. XXVI. 235 iTiïne certaine convenance ; mais n'a-t-elle pas étendu trop loin fon domaine ? Je ne fais ii c'eft l'efpnt d'habitude ou la vérité qui nous fait paroitre choquante la tranfition fubite de la façade d'un château féguliçr & magnifique , chargé d'ornements > à la fimple & champêtre verdure ; mais il paroît qu'une grande habitation eft aflujettie à s'annoncer par un accord plus régulier ; car plus eft grande la noblelTe & la magni^ ficence du bâtiment, plus elle eft éloignée & difparate des beautés naturelles qui n'admet^ tent point ces pompeufes & régulières pro- dudions de Fart , qui étonnent plus qu'elles ne plaifent , Se excluent toute idée d'un féjoui: de paix & de bonheur. Mais comme ces fuperbes châteaux fup-^ pofent la richçffe, ne peut-on pas , par de grands ouvrages , amener de grandes beau-' tés convenables & proportionnées à l'éten- due & à la forme de l'édifice ? Des arcades i]aturelles , des grouppes bien difpofés , des lacs, des rivières, des ponts , des temples <& 2iuïrçs fabriques , un émail de fleurs, non pas refierrées dans des cadres , mais répan- 4ues & difperfées librement , comme elles le font avec profufion par les mains libérales de la Nature ; des arbres étrangers d'un effet varié & pittorefque , ne remplaceroient-iîs pas avec plus d'agrément nos monotones par- terres ? Mais enfin , iî on veut les conferver , ne pourrpit-on pas leur donner des formes plus vidées & pi y s naturelles fuivant le fixe , 1^ ^34 Traité de la. difpofîtion du terrain & les différents af^ peàs? Ne feroit-ce pas fur le lieu qu'il faudroit çompofer & tracer le plan , & non pas for- cer le terrain à prendre les formes, convena- bles ou non , deffinées dans le cabinet d'un Architede qui n'a jamais vu ou du moins étudié comme il faut le local ? Des felles à tous chevaux , c'elt-à-dire des deffins, tirés d'un porte - feuille , font adopr tés , employés félon la fantaifîe , fans con- fulter les convenances, & les fituations. On va trouver à Paris un Artifte en répu- tation, méritée à d'autres égards; fur quel- ques expofés , bien ou mal rendus , on lui demande un plan pour décorer une terre qu'il n'a jamais vue : n'importe, il prononce. Les ordonnances qui émanent d'une pareille con- fultation ne doivent-elles pas être les mêmes que celles d'un Médecin de la Capitale que l'on veut charger de diriger la fanté d'une perfonne de Province qu'il n'a jamais vue , & dont il ne connoît point le tempérament & les difpofi- tions ? Quelqu'abfurde que cela foit , il n'y a cependant rien de plus ordinaire que de voir ces abuiîves confultations s'accréditer par une crédulité peu réfléchie. Plufieurs Propriétaires qui opèrent par eux^ mêmes ne font que copier , imiter fervile- ment ce qu^'ils ont vu exécuté ailleurs : de là prefque tous les jardins d'un pays femblent calqués fur le même plan , mêmes images , mêmes routines , mêmes abus & quelquefois mêmes abfurdités : chaque jardin 4 Ipn ^^^^ VEGETATION, LiV. VII, Ch.XXVI. 2.3$ terre fous la façade du château ; de larges allées labourées féparenc de petites plate-ban-? des ; de hautes murailles de charmilles bor- nent cet efpace de droite & de gauche , & mafquent bien exadement la vue arrêtée or- dinairement encore par une ligne de tilleuls qui, fur un bout de tige , portent une tête bien mutilée & bienapplatie , ce qu'pn appelle faire l'éventail. Des ifs étronconnés forment des aligne- ments au milieu des plate-bandes ; ils fonç taillés en pyramides ou en cylindres pareil- lement découpés par étage; heureux encore lorsqu'ils ne font pas niodelés en vafes 011 en oifeaux & autres figures grotefques qui n'attellent janiais que le mauvais goût du Maître & la maladrefie du Jardinier. Si l'on voit entre ces trilles décorations quelques arbriffeaux à fleurs , ils font ordi- nairement niéconnoiflables , parce que pour les tailler en boules , on ne leur a laiiïe pref- que plus de branches, ni de feuillage, ni de moyens de fleurir. Ùts vafes, desilatues accompagnent , quand qn le peut , un bailin cimenté qui contient une eau flagnante , & quelquefois couverte de limon : heureufement que la vue, peu in- téreflee par ces objets , trouve à fe repofer fur les capis de verdure qui rempliflent les quarrés. Prefque toutes nos maifons de campagne , aflîfes fur des terralTes , font détachées des jardins , & ne communiquent qu'à l'aide d'un pfcalier 4an^ unç rr^éthodique pofition qu'il i^6 Traité DE LA faut traverfer , expofé à l'ardeur du foleil $ fur un foi dont le fable mobile & brûlant, où la terre labourée ne préfente qu'un mar- cher fatiguant & d'une aridité rebutante, pour parvenir à de fombres & fymraétriques cabi- nets de charmifles , étouffants pendant le jour , & humides le foir , parce qu'ils oppo- fent conftamment un obftacle à la circulatioa de l'air. Si les chofes de commodité ont été négli- gées, celles d'agrément n'ont pas été mieux traitées ; tels font en particulier les afpeds y objets û nécelTaires pour rendre une habita- tion & des jardins agréables & riants. Eh , comment attendre àQS fcenes intéreffantes , efpérer des tableaux , des points de vue va- riés d'un plan fait dans le cabinet où l'on a combiné , fur le bureau , des formes réguliè- res , fymmétriquement découpées, qui s'ap- pliquent à toute efpece de pofition , fe pla^ cent fur toute efpece de terrain , fans con- noiiTance du local , fans égard au lite , au fol ,' &c. Après avoir dénaturé le terrain , on a défiguré les arbres , on les a alTujettis à la même forme , diftribués fcrupuleufement à I4 même diilance , arrêtés à la même hauteur ; la régularité a voulu qu'ils foient du même âge ; ils font fi exadement femblables dans nos jardins , qu'il femble en les voyant qu'ils ont tous été jettes dans le même moule : de plus , la mode & l'imitation les a rendus tous du même genre ; ce font par-tout dei§ tilleulsc Vegetation,Liv.VII,Ch.XXVI. 237 La Nature , non contrainte , les eût va- riés , les eût modelés avec fes grâces négli- gées , dont toutes fes produdions portent l'empreinte ; mais dès leur enfance d'impi- toyables manœuvres , le croifTant & le cifeau à la main , aflujettillent les uns à la forme quarrée , ou les taillent en boule ; ils affervif- fent les autres à étendre leurs branches ea éventail , ou les applatiflent en palilTade ; ils tranchent , ils coupent, ils ne font pas grâce à la moindre branche qui s'échappe , à la plus petite feuille qui excède : l'objet le plus magnifique & le plus varié des jardins de- vient , fous leur fer barbare , le plus pauvre & le plus informe. En vain fon peu de vi- gueur & fa tendance opiniâtre à reprendre fa forme primitive annoncent fa répugnance , il fera taillé , eftropié , raartyrifé jufqu'à ce qu'enfin il périffe fous l'inflrument meurtrier qui ne ceffe de le tourmenter : mutiler ainfî les plus belles produâions de la Nature , eft-ce l'embellir ,1 la rcdifier ? Ceft bien plus encore que de la défigurer , c'eft l'outra- ger. Les formes régulières & fymmétriques étant bornées , les jardins à la compofition defqueîs elles ont fervi de règles doivent fe relTembler & fe refiemblent en eflet ; on s'ell non-feulement privé d'une fource abondante de richeffes & de variétés , en altérant la forme & le port naturel des arbres ; & ea évitant les mélanges d'efpeces , mais froids & méthodiques , leurs auteurs ont-ils placé une allée d'up côte, aulîi-tèt ils tracent paraUjé- ^^ t R A.I T é 1) É I A Jement ou fur un angle femblable fa jumelle de l'autre. Mettent -ils un bofquet à droite, il lui faut fon correfpondant à gauche ,• & dans leur marché & leur compofition fe ré- pétant perpétuellement les uns & les autres , ils plantent au milieu de la maifon , perpen- diculairement fur la façade , fur une ligne qu'ils appellent magiflrale ou axe principal ^ une allée longue & étroite qu'on appelle ave- nue , par laquelle on n'arrive point. Nous en avons déjà parlé. De cette reflemblance de tous nos jardins , de cette uniformité dans toutes les parties, naît l'ennui qu'on y éprouve ; de même que dans ces parcs fyrtimétriques , faits à grands frais , où l'on a cherché à fuppléef l'agrément par le luxe , les grâces par la régularité , où l'on a prodigué les ornements , les flatues , les vafes , les bronzes & les eaux jailliflantes en maigres filets , & fuivant avec effort une route oppofée à celle que leur a tracé la Na- ture , s'élancent vers la région d'où elles doi- vent tomber. C'efl à cette faflueufe monotonie qu'if faut attribuer cet inflind naturel qui force le Propriétaire même de fortir de fes jardins fadices , & les lui fait traverfer par la voie la plus courte pour aller fe promener le long des haies de fon village & dans les fentiers qui partagent les champs , pour gravir les coteaux du voifînage par des chemins obli- ques & tortueux , attiré par les beautés na- turelles qui l'environnent , autant que repouffé par l'uniformité faflidieufe de fon jardin ôç Vêgexaîion, Il V. VII, Ch. XXVI. 239 de fon parc. lî préfère les bords d'une rivière dont les eaux claires & libres dans leur cours ont façonné fes rives inégales & variées ; il cherche à s'enfoncer dans un bois négligé que la main de l'homme n'a pas gâté, où les grouppes d'arbres & les maiîifs entrecou- pés de clairières laiiTeat jouer la lumière & l'ombre par leur heureufe difpoiition. Entraîné par un charme toujours nouveau ^ ïl parcourt cette vafte peloufe entretenue & animée par les beftiaux de la conimune , ou bien il defcendra dans ce vallon enrichi d'une prairie que rafraîchit fans ceiïe le ruiffeau qui en fuit librement la pente & les dé- tours. A tant de raifons de rejeter les jardins fym- métriques , fondées fur le fentiment & tirées des règles du goût , il faut en ajouter une autre. Ce font les limites toujours trop ref- ferrées que ce genre nécelîice : de quelqu'é- tendue que foit la poficfîion d'un Particu- lier , fût-ce même celle d'un Prince , on en appercevra bientôt les bornes , parce que là où finit l'art, commence la Nature. La ligne qui les fépare en marque l'enceinte par une folution de continuité d'autant plus remarquable qu'elle elt toujours indiquée pat' un mur ; fa diredion droite & fcs retours angulaires gâtent & défigurent, par leur fé- cherelTe & leur dureté , le payfage dans lequel le jardin eft infcrit. C'elt vainement qu'on imagine avoir fauve une partie de ces défagréments par des per- cés ou ce qu'on appelle des hahas > fineife %^0 Traité de tA groffiere qui ne fit jamais illufion , puifqu'oiî voit la coupe du mur ; mais dont l'invention prouve que toute clôture apparente déplaît ^ parce qu'elle produit toujours une fecrete in- quiétude qui fait defirer de la franchir , foit que cette inquiétude naifle du fentiment fi univerfel de la liberté , ou qu'on fuppofe que les objets que de telles clôtures cachent ^ font plus agréables que ceux qu'elles renfer- ment ; fuppofition toujours vraie dans ké jardins que le goût improuve & que la Nature rejeté. Voilà dans le vfâi la fîérile & monotone ordonnance à laquelle la fymmétrie a afTujetti les maifons de campagne ; en voir une , c'efl les avoir vues toutes ,• plus ou moins d'éten- due , plus ou moins d'ornements font les plus grandes , & prefque les feules différen- ces , mais toujours le même ftyle : que de motifs d'ennui ! aufïi eft-ce le fruit le plus ordinaire que l'on recueille de ces parterres fymmétriques ; c'eft pourquoi , après avoir jette un coup d'œil fur ces jardins , on les traverfe rapidement pour s'échapper des murs qui les renferment , & aller jouir au-dehors des afpeds variés d^s champs j des bois , des vallons , des ruilTeaux , &c. Mais , dit-on , ces hautes murailles de char- milles font néceiïaires pour mafquer les pota- gers qui font adroite & à gauche du parterre. Voilà donc un grand défaut dans une pa- reille ordonnance. Si on fent la nécelîité de ca- cher à la vue les potagers, pourquoi les placer fous les fenêtres du châttau où la vue doit être VEGEtATION,LlV.VÏI,CH.XXVI. ù.^1 être dégagée , où l'on ne doit lai préfen- ter que des objets riants & agréables. Les murs qui y font néceiraires ne mafquent-ils pas entièrement toutes les parties extérieu- res ; il faut convenir d'ailleurs qu'un potager n'eft point de mife dans un tableau ; c'eft une partie qui doit être rellreinte à l'utilité ; ce îeroit manquer le but que de vouloir la lier à l'embelUirement t il vaut mieux l'aller cher- cher que de le rencontrer. Comme il ne doit être envifagé que comme un objet utile , il faut lui donner l'emplacement qui lui convient le mieux par rapport à fa culture ; fa meil-* îeure pofition Ieroit celle où il pourroit rece- voir les fumiers , les engrais, les eaux grafTes des écuries & des baffes- cours, qui y feroieaC amenées dans un ballin pour fervir aux arro* fements, de même que les eaux bourbcufes des mares. C'eft là où les rideaux de charmille feroienc placés pour couvrir ces puifarts Ôi en em- pêcher la diffipation , ainfi que pour mafquer les dépôts des fumiers & des terreaux. Les murs desefpaliers , quelqu'exaucés qu'ils fuffent , n'emprifonneroient plus l'efpace immé- diat fous le château où la vue doit être libre. En examinant les principes de fart de l'ar* chitedure & Ceux de l'art des jardins , on Verra que ces principes , loin d'être analo- gues , font toujours en oppofîtion. L'Architede a pour objet de rendre agréa- bles toutes les parties d'un plan vertical. I^e Décorateur de jardins exerce fes talents pour embellir un plan horizontal. Tome IV. -Q 24i Tkaïté ds xa Le premier, afTujetti aux règles, ne doit préfenter que des formes régulières & fym- inétriques , des proportions faciles à fai- fir. L'autre , imitateur de la Nature , ne doiÉ offrir , comme elle , que des formes difTem- blables , des accidents qui comibattent la régu-* larité. La préciiion du trait , l'exaditude des dé^ tails font les recherches de l'architedure. Une certaine indéciiion pleine d'agréments , cette négligence qui iied li bien à la Nature , font les finelTes de l'art des jardins. Un feul coup d'œil embraife toute la façade d'un bâti- ment ; un jardin que l'on voit de même, n' infpire au fpedateur qu'un foible delir de changer de place : li on le découvre en entier , on efl: peu curieux d'en fuivre le détail ; on délibère Il on s'engagera à arpenter ces efpaces , qu'un regard feul a déjà parcourus. L'homme de génie qui travaille à décorer un jardin , fe garde bien de mettre ainlî fa compolition à découvert ; la Nature , objeE de fes obfervations habituelles ëc de ks étu- des journalières , fe préfente continuellement à lui , enrichie de {es variétés , embellie par fes oppoiitîons , fes accidents & fes effets. Le mouvement, cet efprit de la Nature, ce principe inépuifable de l'intérêt qu elle inf^ pire , lui fera délirer fans celle d'animer le payfage qu'il difpofera. Des diliributions de lignes parallèles fur lîo plan horizontal, bien uni , paroîiront il froides ôl û peu intérefiantes à ion imagina- ArÈGÉTATroK,Liv.VÎIjCH„XXVI. i43 tion , qu'incapable de sVn occuper , il ira chercher fur le terrain des inégalités & des accidents qui fe préfentent d'une manière pit- torefque & piquante ; s'il les rencontre , il fe gardera bien de les détruire par des nive- îements & des travaux chers & nuilibles aii plailîr qu'on veut fe procurer. Des grouppes de vieux arbres fe rencontrent-ils ? il les Confervera & faura les faire entrer dans fa compofîrion. Je voudrois toujours conferver & refpedet ces arbres, dont le corps noueux eft encore couronné de rameaux & de feuil- lage , fut- il même déjà caduc , & qui a l'air d'avoir vu renouveller plus d'une fois les Habitants du pays : voilà de ces ruines inté- reflantes dont l'antiquité n'efi: point fuf- pede. Une fource ne lui infpirerà jamais le pro- jet d'un canal aligné ou d'un miroir à pans égaux ; mais il y verra le moyen de former un ruilTeau dont la fraîcheur , les douces linuoîîtés & le mouvement lui préparent d^s afpeâs riants & une jouiffance agréable. S'il emploie des objets fadices , s'il place im temple , une pyramide , des ftatues , des vafes , des baluilrades , il en méditera l'ufage • il proportionnera ces acceffoires au caradere de fa compolition , aux fîtes , aux mafTes qui les accompagnent , aux objets qui les avoifi- nent , à l'efpace vuide d'où ils font vus , aux afpeds de la lumière, aux repos qu'il médi^ tera de placer pour qu'on en jouifFe plus par- faitement ; il ne prodiguera rien, parce qu'il fait que dans les arts la profufion des orne-* 244 Traité DE LA ments indique la ftérilité du génie , comme la prodigalité des richefles marque le vuide de l'ame. Nous fomraes accoutumés à voir nos fla- tues exhauffées fur des piedeftaux , dont le plan rétréci rend leur immobilité trop fen- fible : dans les jardins en Angleterre , les unes font pofées fur des focles peu élevés ; d'autres , afîifes fur des lits antiques & fous des portiques ouverts , paroiflent s'entrete- nir. Mais tous ces ornements fadices , toutes ces décorations ne doivent jamais paroître avec profufion : que ferviroient ici la richefle des ornements & le fuperflu trop marqué ? L'intelligence fixe plus naturellement l'atten- tion & fait naître plus fûrement l'intérêt. Tout appareil d'une opulence afFedée afFoi- blit , détruit même l'idée champêtre qui doit ici dominer : l'entretien & la propreté , voilà le véritable luxe de cette partie; l'ordre, la variété & l'irrégularité en font les vrais orne- ments. Mais , dira-t-on , fi le genre régulier doit être profcrit dans les jardins , en quoi con- liflent les moyens d'en rendre la vue gracieufe & d'Y procurer une promenade agréable? Ils fe réduifent à imiter la Nature , à bien voir ce que le local exige , & s*y conformer , à mettre chaque chofe à fa place , & à rappro- cher avec goiit des objets alTortis ; voilà les principes généraux fur lefquels nous revien- drons encore. L'induftrie appliquée à des objets trop re- VEGETATION, IlV. VII, Ch. XXVI. 24^ cherchés , & qui ne font pas naturels , peut bien , comme dans ces fuperbes jardins fym- métriques , obtenir quelques moments d'ad- miration ; mais l'impreflion en eft peu dura- ble : le charme celle à l'examen , & la fatiété fuit de près l'illufion des beautés qui ne font pas naturelles 5 c'ell la variété , je ne peux trop le répéter, qui attire & foutient l'atten- tion & la jouiriance : nous allons en parler au Chapitre Suivant. CHAPITRE XXVII. Des Jardins dans tordre naturel. L 'Ordre naturel , très-différent de Tordœ fymmétrique , n'a pas pour objet , comme celui-ci , de produire une reprélentation fac-^ tice. L'art qui le forme n'a point la vaine , l'orgueilleufe prétention d'embellir la Nature , de faire mieux qu'elle , il n'opère que pour la féconder ; il évite de la contrarier , en voulant la foumettre à des formes qui lui font étrangères , & en lui fubitituant des effets qu'elle ne fauroit avouer ; enfin , en ref- pedant fa noble lîmplicité & fes beautés , il n'agit que pour les imiter ou les employer avec choix. Cette méthode ne peut être affujettie à aucun plan , à aucune règle fixe , parce qu'elle eft fufceptible d'autant de variations qu'il y Q 3 T R A I T é^ DE I A a d'arrangements différents dans les ouvrages .de la création. L'unité doit y régner fans ref- femblance; par-tout de la variété, de l'irrégu- larité , de l'anti'fymmétrie , tout roule fur ces principes, La Naturç , toujours fimple , n'emploie que quatre matériaux dans fes compolitions , le terrain , les arbres , les eaux & les rochers : |es beautés des jardins dépendent du choix , de l'arrangement & de la dirpoiition de ces matériaux. On a diyifé les jardins de l'ordre naturel fous quatre dénominations qui défignent leur çaradere ; fa voir, h pays , le parc , le jardin proprement dit ou lieu de plaifance , & la ferme. Npiis allons efquilTer chacun en parti- culier. Ces quatre différents genres , traités avec Çucçès depuis plufieurs années en Angleterre , put été appelles jardins Anglpis , que Ton 3'efîprce d'imiter en miniature à Paris depuis quelques années. Mais ces foibles copies , ces infiniment petits diminutifs ne rendent & ne préfentent, pour la plupart , que d'une ma- nière ridicule les grands traits des tableaux priginaux , & n'en donnent qu'une idée fauITe pu informe qui n'engage pas à les adop«^ ter, Heureufement il a paru de très-bons Trai- tés sf tels que celui de la théorie des jardins , & celui de l'art de former les jardins moder- nés j qui les font mieux connoître. Mais ces Auteurs , dont les Ecrits prouvent le boii goût & les çonnciffances les plus approfoiiT VEGETATION, Li\r. VU, Ch. XXVII. 247 éks de l'art , n'en parlent qu'en grand, comme Peintres & Naturaliftes éclairés. En fuivant les bons préceptes qu'ils don- nent, profitant de leurs lumières, rendant même quelquefois leurs lumineux principes , je vais en parler dans des détails- pratiques que ne pouvoit admettre le (tyle qu'ils onc fuivi. La dénomination générale des jardins dans l'ordre naturel , dit alTez que ce font les jardins de la Nature , libre des entraves & de la captivité où l'affujettifTent & la retiennent ceux de l'ordre fyramétrique donc nous venons de parler. Ces jardins de la Nature paroiflent avoir exiflé de tous les temps : tels étoient ceux de Sémiramls , tels étoient ceux des Grecs , au rapport de Xenophon , ceux des Romains , félon la defcription de Pline l'ancien 8c le jeune ; on y voyoit , diibient-ils , des champs , des lacs , des vergers , de charmantes perf- peclives , & de fuperbes maifons de plai- iance. Milton dans fa charmante defcription du Paradis terreilre , en ne confultant que la Nature , a raCfemblé prefque tous les genres de beautés que nous offrent les jardins d'An- gleterre. Cet homme , dont les idées étoient Il fublimes & l'imagination Ç\ féconde , avoic deviné l'art plus d'un demi-fiecle avant que Kent l'eût mis en pratique , & fes com- patriotes ont exécuté en grande partie les idées qu'il leur a données; & cette exécution force à dire que \% Noftre a delliné des oar- a.48 Traité de la terres, mais que Milton a compofé des jar^ dins. Ainfî toute contrainte doit en être bannie , ainli difparoîtra l'ufage du çifeau , du croif? fant , in(lrun:ients d'un art fantaftique & def-? trudeur , qui , fans examen des bonnes ou tnauvaifes branches , de celles qui font bien ou mal placées fur ia tige , coupent tout fans diflindion , & fans autre égard que celui d'un fervile alignement. Il fera permis aux arbres de croître & de s'éleyer en liberté, fuivant la mode de la îsiature, & non pas félon celle du fiecle ; ils pourront fe montrer dans le port & le? formes quelle leur a données. Les eaux ftagnantes, impures & fans mouve^ ment dans des bafïins cimentés , auront la liberté de couler librement félon leur pente ; devenues limpides , elles laifTeront voir le fond fable de leur lit; & en ferpentant fur la peloufe, elles viendront s'étendre dans un efpace dif- pofé à y former une rivière , ou un étang , o\i un lac. Les rives de ces pièces d'eau ne por^ teront jamais la froide empreinte du cordeau ni de Téquerre ; elles feront formées en glacis facile & verdoyant , fur lequel s'étendra libre- ment le pur cryftal de l'onde ; 6 quelquefois elle eft agitée par l'haleine des vents , elle y viendra rouler fes flots , divifés en globules brillantçs , qui , par la réflexion des rayons du foleil , paroiïïent être des tas dç diamants répandus fur des émeraudes ; on voit les poif- fons venir folâtrer fur ces rives herbues pour y pourfuivre des iafeSes dont ils font leuç pâturç. VEGETATION, Il V. VII, Ch.XXVIL 249 On trouvera peut-être que le tableau que je viens d'efquifîer efl: d'un ftyle plus poéti- que que naturel ; ce n*eft cependant point un^ fidion : le plaifir que j'ai fenti en admirant les brillants effets que je viens de rendre tels que jç les ai vus , m'a fait une impreilion qui en prouve la réalité. Ainii difparoitront les terrafles , les beaux^ efcaliers , les parterres en broderie, les quin- conces , -les eaux jailliflantes , les labyrin- thes , les boulingrins , ces hautes murailles , ces rues de charmilles , dignes afyles de tous les reptiles du pays , ces vaftes efpaces con- tinuellement labourés & herfés , uniquement pour donner l'image d'une perpétuelle Itéri- lité , ces uniformes avenues , alignées à perte de vue , &c. L E P ^ V s. Le Pays conftitue vraiment ce qu'on appelle la campagne, aulîi doit-il en avoir tous les attributs ; il faut que l'utile fe joigne à l'agréable , fans cela l'objet feroit man- qué. Des champs fertiles & diverfifiés par le détail des cultures , des prairies , des pâtu- rages où l'on voit paître les animaux utiles, des bois , des fermes , des hameaux , des vil- lages , des coteaux , des montagnes , des ro- chers , des veillons , des ruiifeaux , des riviè- res , des lacs , enfin tout ce qui peut con- tribuer à former un payfage qu'il n'eft plus qvieftion que d'orner par quelques additions ^^o Traité be la; pu fouflradions , & par des travaux bien conçus & bien exécutés pour lier d'un ton naturel & convenable ces différentes parties les unes aux autres par des tranlitions natu- relles. , Il n'eft pas néceffaire d'être Propriétaire de tout le pays dont nous parlons pour paroitre en jouir , il fuffit de difpofer fes pofTelïions de manière à en lier les parties qui les ter- minent à celles qui leur font limitrophes. Mais cependant cette compolîtion exige la propriété d'une grande étendue de terrain , une grande variété de matériaux"; il faut que les éléments & les trois règnes y fourniffent leur contingent ; il faut de plus des fituations heureufes & fufceptibles de produire de beaux effets , en rendant encore plus faillants & plus marqués ces grands traits de la Nature que l'homme peut orner, mais qu'il n'efl pas en fon pouvoir de créer. On fent bien déjà qu'il nappartient qu*à un homme riche & puilï'ant d'entreprendre de former ce qu'on appelle le pays. Ce n'eft cependant pas qu'une fois formé , Tentretien en foit onéreux au Propriétaire ^ puifque toutes fes parties font mifes en- va- leur & font produdives ; mais ces parties ne fe trouvent ordinairement raffembiées ëc étendues que dans les domaines des grands Seigneurs. Il en efl: parmi ceux-ci auxquels il ne manque rien pour pouvoir bien réullir dans ce genre ; celui auquel j'ai dédié cet Ouvrage 2, écrit un Traité fur les jardins qui , s'il feue Veg£TAtiôn,Iiv.VîI,Ch.XXVIÎ. 251 rendu public , tiendroic un rang diftingué parmi ceux qui ont paru ; on y trouve des preu- ves non équivoques du bon goût , du tad jufte & ÛQS connoiflances étendues de fon Auteur. Je ne peux mieux prouver que ce n'eft pas par adulation que j'en parle ainfi, qu'en me faifant honneur de profiter de plulîeurs de fes idées. Mais en général , ce qui , en France , nuira au progrès de ce genre qui eft fuivi avec tanc de fuccès en Angleterre , c'ell: que nos grands Propriétaires , entraînés par des devoirs ou par les plaifirs de la Capitale , ne font pas aufîi fédentaires dans leurs terres que les Anglois , naturellement plus amateurs de la campagne ; c'eft pourquoi je ne penfe pas que ce genre Toit aulîi fuivi en France qu'il l'eft en Angleterre. Plufîeurs Auteurs en ont parlé 11 bien , que je me difpenferai d'en riea dire de plus. L :e Parc. Le Parc tient le milieu entre le pays & le jardin proprement dit , aufîi eil-ce là fa place; il fe diftingué du premier par une compoli- tion plus recherchée , une formation plus or- pée , & une cukure plus foignée. Il en diffère fur -tout par fes dimenfîons & fon étendue, & en ce que les bornes qui diftinguent la propriété ne font pas effacées & confondues : la nécelTité de la clôture des parcs , pour en interdire l'entrée au bétaii domeltique & empêcher la fortie des ani- maux fauvages qui y font enfermés , eft une z^% Traite delà ligne de démarcation qui les ifole , quand ik font clos par des murs élevés ; mais quand ces clôtures ne font pas apparentes , au moyen des fofles renduits en maçonnerie ou palifla- dés dans le fonds , pour lors les parties du parc peuvent fe lier aux objets extérieurs qui paroiftent lui appartenir , & entrent dans la compofîtion de fes tableaux. Pour cet effet , la ligne de divifion doit être la moins marquée poffible : le déguife- ment le plus iimple eftde tenir le bord du fofîë' du côté du parc plus élevé que l'autre, en- forte que celui-ci ne puiffe être vu que de fort près ; & afin que cette ligne de divifioa paroifTe moins , il ne faut pas qu elle foit tra- cée uniformément ; rien ne l'efface mieux que des monticules élevées , mais peu éten- dues. Le pays rejette tout ce qui peut laiflir appercevoir un projet formé d'arrangement ; la réunion de fes parties eft l'objet des tra- vaux qu*il exige. Mais dans /e parc , la Nature , quoique Ifbre & fe livrant à ces efpeces de négligences & d'irrégularités qui en font le charme , ne craint point de paroître s enorgueillir des fecours d'ua art qui ne la contrarie pas ; elle fait fe prê- ter aux combinaifons du goût qui a travaillé à raflembler fes beaux effets , & à les mettre fous le jour le plus avantageux pour en. rea- dre l'afped agréable & la jouiffance facile. Une poffefiion étendue peut fournir au par<; de grands développements , de belles maffes d'arbres raajeflueux , de belles futaies » dç VEGETAtION,IlV. VII.Ch. XXVII. 253 grands effets d'eau , de vaftes peloufes ; fa compolition doit être d'un ftyle noble, jamais affedé , quelquefois même négligé en appa- rence ; on n'y laiffera paroître d'autre art que celui qui apprend à mettre dans un ordre agréable ce que la iS^ature offre de plus inté- reffant ; d'affocier dans un même lieu , de la même manière & par les mêmes moyens qu'elle , les beautés éparfes qu'elle femble n'a- voir que parfeniées & jettées au hafard : l'arc fe réduit à les bien placer, à les faire valoir les unes par les autres , à varier un enfemble ^ fans en détruire l'harmonie & l'unité, fans €n affoiblir le caradere & l'exprelïion , à faire ufage des contraftes avec intelligence > & des oppositions avec ménagement , à éta- blir des liaifons naturelles , & à f e procurer des tranlîtions heureufes. Le principal objet du parc étatit l'agrément & le plailîr de la promenade , il faut en ren- dre toutes les parties d'un libre & commode accès. Ces taillis impénétrables , dont j'ai déjà parlé , feront place à des maiîîfs légers & variés , tapiffés par un gazon uni , . fur lequel on verra le j^eu des ombres que pro- jettent les arbres ; les clairières de ces maf- iîfs lailferont plus fouvent & mieux jouir de la vue des animaux fauvages , qui le feront moins en éprouvant qu'ils peuvent fe montrer fans danger. Les étoiles , les pattes - doies , les mono- tones allées alignées & régulièrement tra- cées , feront remplacées par des routes qui n'auront d'autres diredioas & débouché* que s,^^ T R A î î È B E t £ ceux qui feront indiqués par des points de vue intéreflants : pour lors la largeur de ces routes ouvertes & dirigées fur les objets que. l'on veut découvrir , n'empêchera pas la ligne des maiîifs de fe feltonner librement & irré- gulièrement fur l'efpace. L'efprit d'habitude doit faire imaginer que le fâcrifice de ces lignes droites auxquelles on eft accoutumé, doit influer fur la beauté du lieu ; que ces irrégularités font ridicules & doivent faire un coup d'œil défagréable ; mais quand libre de préjugés , on en voït^ l'effet , on admire l'art avec lequel elles ont été conduites, & le goût qui a préfidé à leurs différentes & libres inflexions : ces irré- gularités rompent la longueur & la continuité fatiguante d'une ligne , & peuvent fuppléer quelquefois au défaut d'un terrain uniforme. Quand les bois terminent une plaine , ils ne doivent jamais la couper , la trancher bruf- quement par une ligne droite ; il faut qu'en avant de leur raaffe, des arbres ifolés & des arbriiïeaux & arbuftes épars , rendent la lign© indécife, & la fondent par dégradation avec la peloufe. Les routes de communication qui ne don- nent ouverture à aucun lointain , circuleront dans les bois ; mais toujours quelqu'obftacle en juflifîera les détours. Des maffifs plus touffus mafqueront des parties dont l'afpeci: n'auroit rien d'agréable ^ & qui même quelquefois doit être caché; d'autres formeront des berceaux ou des om- brages épais qui confervent , pendant l'ardeur VEGETATION, tiV. vil, Ch. XXVII. 2^^ du jour , une agréable fraîcheur , où la Na- ture dans toute fa vigueur , méprifant l'art & les règles , déploie toutes fes grâces 6c fa liberté. Si la formation du pays proprement ait ne peut convenir qu'à ceux qui ont des pof- feffions très-étendues , celle du parc peut être exécutée par un plus grand nombre de Pro- priétaires ; on peut même , s'il eil étendu, î'afiimiler à un pays , tant par les parties in^ îérieures qu'extérieures. La France ne diffère pas aîTez de TAngle- terre pour qu'on ne puiife pas y créer & y figurer des parcs dans le même goût. Si l'humidité de l'athmofphere de celle-ci lui procure cette belle & confiante verdure à laquelle nous devons renoncer , ne pour- rions-nous pas d'ailleurs profiter de ces fitua-!' tions , où un concours de circonflances heu- reufes balancent les défavaniages du climat , par rapport aux nuances vives du verd, tou- jours beau lorfqu'on n'en connoit pas d'au- tre ? Quant au terrain où l'on forme un parc^ îl eft bien à délirer qu'il foit inégal , c'eft- à-dire qu'il s'y trouve des formes convexes ôc concaves qui peuvent fe combiner à l'in'- fini : une plaine n'efl point intérefîante par elle-même; fon infipidité ne peut être fauvée que par les objets qui l'environnent , ou par quelques monticules répandues çà & là. Il efl très-difîicile de rendre un terrain in- téreffant lorfqu'il manque de mouvement & de variété : heureux celui qui lui trouve d'heu- 1^6 T R A i T É D È t  reufes difpolitions , car ce n'eft qu'à grand frais qu'on peut les lui donner quand il ne les a pas. Si la variété exige qu'on falîe contrafter le terrain , elle l'ordonne encore plus à l'égard de la diftribution ^& des plantations, il faut qu'une ligne foit toujours rompue oblique- ment ; des lignes droites , des parallèles , des divifions à angle droit produifent l'unifor- mité ,• elle ell détruite par le contrafte qui doit régner fur le feuillage , les couleurs des fleurs & des fruits ; une parfaite reiïemblance entre tous ces objets ne produit qu'une com- pofition monotone , & par conféquent pauvre & ennuyeufe. La Nature va infiniment plus loin que Tard dans les bois où elle jouit le plus de fa liberté : non contente des contrafles, elle unit jufqu'aux objets les plus oppofés ; toutes les formes grotefques qui font fouvent jettées enfemble confufément, juilifient alTez cette remarque* Cependant l'effet de cette efpece de bifarrerie eft quelquefois fi merveilleux , qu'on feroic tâché d'y faire des changements > mais ces effets linguliers perdent ordinairement tout leur prix , loriqu'ils font imités fur un petit terrain artificiel ; ils étonnent & ils plaifent comme effets du bafard , mais non comme objets de choix. La connoifTance des arbres & arbriffeaux efl efTentiellement néceflkire à celui qui veut former des plantations d'un âfped varié , in- téreifant & agréable : il peut être difpenfé de les connoître en Botaniik ^ mais il faut qu'il Vi:GEtATiON,Liv.VII,CH.XXVn. î^j ^u'il les cdnnoifle comme Décorateur, Cette i'eule partie exigeroic un traité qui feroit très-utile à ceux qui n'ont pas la cori- noiifance des arbres étrangers que nous ne pofledons en France que depuis quelques an^' liées : ce qu'en ont dit les Botanilies neit pas propre à éclairer les Décorateurs ; puif- qu'ils ne parlent point des couleurs des fleurs^ ni de leurs fruits, du temps qu'ils fîeuriirent^^ de leur port , &c. , mais feulement des carac- tères diilindifs qui fervent à diftingùer les» genres & ks efpeces , félon la méthode qu'ils fuivent. Ce n'efî qu'en pofTédant Si cultivant ceè ^rbirés qu'on peut bien les connoîtfe : le deiîr de me rendre utile à mes Compatriotes pourroit bien m'engager à donner ce Traité lorfquef j'âur'ai achevé ceîui-ci , s'il eft favorablement reçu du publie. Je m en tiendrai ici à quel- ques notions générales. Pour donner les plus grands effets à ud bois ou bocage , confidéré comme objet par- ticulier, il ell néceflaire d'obferver les diffc-^ rences que mettent éntr'èux les arbres & ar- briffeaux. Il faut lés examiner félon feurs différentes élévations, leurs formes, leur verdure , leur floraifon &: leur frudification ; effets princi- paux de la variété & dii côntrafte. II y a des arbres qui abondent en hrM^ ches & qui font fort touffus, comme lûrmé^ lé tulipier , \t platane , Sic, ; d^àutrés n'ont que fort peu de branches , & n'ont qu'un feuillage fort léger , tels que le glcditjiay le tamaris 4 Tomt IV. ^ R 2.58 Traite de ia le peuplier d'Italie , &c. Il y en a beaucoup d'autres qui tiennent le milieu entre ces deux extrêmes ; il y en a qui portent leur tête fur une tige élevée ,• d'autres font rameux dès le bas, & font le buiflbn. Les différents angles que forment les bran* ches à leur infertion, font que les uns s'élè- vent en cônes étendus , comme les fapins & les pins , &c. ; d'autres plus alongés & d'un moindre diamètre , comme les peupliers d'Ita- lie > les thuya de la Chine , les cyprès y &c. Les branches qui forment un angle prefque droit fur la tige , croiiTent horizontalement , comme celles des chênes , di^s frênes y &c. ; fur d*autres, elles s'abaifTent comme fur l'aca^ cia y \g pommier, &c. ; quelquefois même elles font pendantes & s'inclinent jufqu'à terre , comme au faule oriental. La forme & la couleur des feuilles jouent un grand rôle dans le tableau , & méritent une attention particulière. Ceft quelquefois un verd obfcur , comme dans prefque tous les arbres qui ne fe dépouil- lent point & autres , tels que le marronier , \t peuplier de Canada ^ &c. j ou un verd clair, tel que le tilleul, le hêtre, le magnolia , le meleie , le laurier cerife , &c. ; ou un verd blanc , comme Xypreau $ le rhamnoïdes , Xœlea- gnus , &c. ; quelquefois enfin un verd jaune, commQ V érable a fieur rouge» Les arbres dont les feuilles font panachées , entrent en général dans les clafles du blanc ou du jaune , félon que l'une ou l'autre de ces teintes domine fut les feuilles j il y a de TEGETÀtiÔNiLtT.VIIjCH.XXTII. 259 ees arbres & arbrifleaux dont la panachure eit âlTez coiiftante & qui font un grand effet , tels que \ érable panaché i le houx y Yaltca^X^ fauk , &c. Si les arbres différent en deux ou trois diofes principales , ils contraftent ; s'ils diffé- rent en tout , roppofîtion qui en réiulterà ' empêchera qu'ils ne forment des grouppes. Mais il y a des degrés intermédiaires qui lient les deux extrémités ; par exemple , les fapins qui portent horizontalement leurs bran- ches, ne fouffrent point de mélange avec les branches verticales du cyprès ; mais un chin& vcrd , interpofé entre ces deux extrêmes, rendra du moins cet alfemblage fupporta- ble. Les nuances de verdure , depuis les plus foibles jufqu'aux plus fortes , font très-impor- tantes dans la compolîtion du tableau ; elles produifent des eftéts très - feniîbles dans de grands bois , par leur union ou par leur con- traite ; elles enrichirent une peripedive ; elles paroiifent ifoler les arbres , & rompent ainfi oae continuité trop étendue. Des verdures bien mélangées rendent ya petit bois très -agréable & lui donnent beau- coup d'éclat : les différents verds rendent les mallifs plus ou moins diftinds à une certaine diftance , & donnent aux grouppes les plus heureux effets. Les couleurs des feuilles font ou perma- nentes ou accidentelles : ces dernières chaor gent le tableau félon les faifons ; il y a àts arbres dont les feuilles prennent des teintes R 2 ±6à î R A I T E DE t  de rouge pendant rAutomiie, qui prQduifènt un effet éclatant. La longfcieur d'une plantation continue ell modifiée en apparence par la gradation de la teinte d'un verd clair & d'un verd foncé. Ges différentes nuances j jointes à l'inégalité de hauteur des arbres , rompent l'unifor- mité. L'œil qui fe précipite vers l'extrémité de tout ee qui efl uniforme , fe plaît à tracer une ligne variée ; à travers cet enchaînement d'obftacles , il fe plaît à fe repofer de diftance en diftance , & à prolonger fa marche. L'étendue d'un bois dans une plaine ne paroît jamais fi bien que par un enfoncement profond , fur- tout li cet enfoncement forme des replis qui en cachent rextrêmité , & donnent carrière à l'imagination ; quelques arbres détachés , placés au-devant de ces en-^ foncements , leur donnent des grâces doisc ils feroient privés fans Ce fecours ; on voit ces arbres ifolés dans le jour le plus favora-^ ble, à caufe de l'efpace qui efl derrière eux ÔL entre leurs tiges , &: le bois en eft em- belli. Les maîSfs doivent avoir plus ou moins d'étendue , plus ou moins d'épaiffeur, félon le terrain & les circonftances ; quelquefois continus , quelquefois ifolés , on doit les em- ployer dans cet état comme objets beaux pat eux-nlêmcs, & fou vent néceffaires pour rom-* pre l'étendue trop valle d'une pièce de gazoa ou d'une ligne trop uniforme ; les élévations ks préfentent fous le jour le plus avantageux. Vegetation,Iiv. VII, Ch. XXVII. %6i Il faut avoir fur-tout attention à la figure des efpaces yuides & des clairières des tapis verds & des bois ; les liaifons, les contrafles des maflifs font d'une aulTi grande importance que leurs formes ; il faut en examiner cha- que pQint de vue principal pour juger s'il n'efl pas néceffaire 4'y faire ou un enfoncement , Qu une faillie, ou quelqu autre changement dans la ligne 'extérieur^?. Les eaux font une partie principale de la corapoiition des jardins ; quoiqu'elles n'y foient pas d'une nécellité indifpen fable , elles y jettent tant d'éclat & tant d'agréments qu'on regrette toujours d'en être privé. Les eaux s'accornmodent à toutes les fitua-- tions , elles font l'objet le plus intérefTant dans un payfage , elles en font une partie délicieufe & utile 5 elles plaifent dans l'éloi-? gnement , &ç. charment quand on les voit de près ; elles donnent du coloris à une expo- lition ouverte ; elles animent un ombrage , & enrichirent un point de vue ; il n'y a poini; de plan où elles ne puiffent entrer , il n'y a point ^Q^^t auquel elles ne donnent plus de force. En ne çpnfidérant fînipîenient les eaux que comme objet, il n'y en a point qui foit auifi propre à s'attirer l'attention & à la fixer long- temps : on peut Jes divifer en général en 11a- gnantes , courantes & précipitées. Je ne parle point de celles qu'on appelle jaillifîàntes ou (aillantes , on fent bien que cet artifice ne peut avoir place dans l'ordre naturel. Stagnantes , comme celles d'un étang y d'uQ R 3 %6i Traité bexa lac , elles font rarement fans mpuyement ; courantes , comme celles d'une riviçre ou d'un Tuiffèau^ elles intéreflTent par leur cours & par leur agréable mwxmwït -, précipitées yComme> Celles d'une cafcade , d'un torrent , d'une ca- tharacic i elles étonnent , elles infpirent unç forte de frayeur. Uétang ou \t lac doit être proportionné à rétendue du parc ; trop valle , il fatigue la vue ; trop petit , il ne l'intérefTe pas : on le fait paroître plus étendu & plus agréable , en formant fes rives plattes , & lorfque les finuofîtés de fon rivage à fleur d'eau préfen- tent de petites haies. Uart çonfifte à lailTer dans l'incertitude fur ^fon étendue , lorfqu oa en dérobe aux yeux fes extrémités , foit par l'interpofîtion d'une ifle bien placée, foit par des grouppes qui les mafquent , foit par des înaflifs épais qui jes couvrent j ç'eft ainfi que Ton peut donner barrière à l'imagination qui ne manque pas de fe figurer vine grande éten- due quand rillufion l'y portç. Il faut s'attaclier principalement à perfec- tionner les bords d'une pièce d'eau \ ils font fufceptibles de grandes beautés : les pointes de terre , les baies & autres petites inégali- tés , font les parties ordinaires de cette ligne extérieure ; joignez^ les ijles , les entrées & les /orties des rivières ou des ruiffeaux , & vous aurez un fonds inépuifàblç de variétés s mais jamais de lignes régulières, parce qu'elles paroiffent toujours artificielles , à moins qu'une très-vade étendue n'écarte abfolument cette fuppofition ; il faut donc expriraier tantôt des VEGETATrt>N,Liv. VII, Ch. XXVII. i^3 lignes courbes & tantôt des lignes prefque droites, elles formeront un contrafte agréa- ble. Les haies Se promontoires , quoique d'un grand effet, ne doivent pas être en trop grand nombre : un rivage trop découpé en petites portions, n'a point de ligne extérieure fixe; en général , la multiplicité des fubdivifions détruit la netteté & la fîmplicité des grandes parties. La plus magnifique compofîtion dont les eaux foient fufceptibles , eft celle qui confîfte partie en lac & partie en rivière ; l'image qu'on fç forme de celle-ci la rend toujours çortueufe dans fon cours, parce qu'effeaive- ment, fuivant toujours la pente du terrain, elle ne coule point ou très-peu çn ligne droite; rien n'empêche cependant qu'elle ne foit na- turelle, fans ferpenter continuellement : de brufques & trop fréquents détours ne la ren- droient pas d'un afped agréable ; de longs courants contribuent à fa beauté , pourvu qu'ils ne foient pas çn ligne droite qui lut donneroit l'apparence d'un canal tronqué. Dans fes fînuofités , fes détours, il faut toujours obferver que l'angle d'inflexion foie plus grand qu'un angle droit ; s'il étoit moin- dre , il termineroit le courant immédiatement & détruiroit toute idée de rivière. Les ponts entrent dans le caradere d'une rivière, objet de nécellité pour la communi- cation entre deux rivages oppofés , ils devien- nent en même temps des fabriques de déco^ ration ; fans nuire à la vue , ils mafquent le R 4 RAITE DE LA cours quelquefois incertain d'une rivière : pîa*: ces à propos , ils peuvent encore fervir à jfaire illufion fur retendue de fpn cours ; maiç il ne faut pas trop les multiplier ni mettre trop d'afFedatipn dans leur conftrudion , leur déco- ration & fur- tout leur peinture , foit qu'ils foient en pierre ou en bois ; la fimplicité e|l leur cara&re , à moins que ce ne foit dans des îieux dont ils dgivent accompagner la magni- ficence. Dès courants d^eau forment de petits ruif« féaux qui défigurent plus fouvent qu'ils ne parent un pays découvejft , leur cours étant moins marqué par les eaux que par une ligne confufe;maïsil êit agréable lorlque fe dérobant à un point de vue général ,il eoUle dans un lieii écarté & relTerré : ainfî un vallon enfoncé , un taillis couvert eft l'eniplacement qui lui convient le mieux, il arrole ôc rafraîchit l'in- térieur d'un bocage. Son mouvement étant très-vif, il fe prête à toutes les fantaifies ,• de fréquents détours déguifent fa petitefTe ; des inflexions courte^ & peu ménagées le rendent plus animé ; des changements fubits dans fa largeur , y jettent encore beaucoup de variété^ on fe plaît à le luivre dans fon cours embar- raffé ^ à le voir forcer un pafTage étroit , lut- ter contre les obflacles , s'éteadre dans un canal plus large. - Le murmure d'un ruilFeau efl: un des prin- cipaux agréments qui lui font propres: û le tonds fur lequel il coule eft plein d'inégali- tés , la pente feule fait naître continuellement un petit bruit agréable; la moindre petite câf- ¥egetation,Iiv. VII,Ch. XXVII. a6| cade, le plus petit creux doù l'eau ne fort qu'avec effort produit ce gazouillement qu oa fe plaît tant à entendre : en obfervant les eau- fes qui le produifent , on eft maître de les 'augmenter , de les affoiblir & de les changer entièrement ; fouvent une feule pierre ou quel- ques cailloux de plus ou de moins fuffifent pour cet effet. Il ne faut point penfer à faire former des cafcades à un petit ruilTeau ;• cela ne convient qu'à une rivière ; l'ambition ridicule de vou- loir imiter la Nature dans fes grands écarts, ne fait que déceler la foiblefle de l'art. Ce n'eft pas tant la largeur des cafcades qui frappe , c'eft leur profondeur ; elles fe forment & fe développent dans les rochers; c'eft là où elles produifent leurs effets natu- rels & frappants : celles qui ne font que l'ou- vrage de l'art n'en approchent jamais. Quelques bâtinients analpgues au lieu & à retendue , placés convenablement , ornent bien un payfage : je ne parlerai point ici de ces fa- briques élégantes , de ces temples qui contri- buent au caradere des différentes fcenes du pays ; mais dans un parc, on eft bien aife de rencontrer quelque bâtiment fimple , confacri à la fqlitude & à la tranquillité. L ^ F E R M B, Une ferme ornée , telle que celle dont nous allons parler, doit réunir l'agrément à uae utilité réelle qui eft fon objet principal. L'arc ^Ç cette cQmpQfition cprililtç à rendre ^gri^- xé6 Traité be xa blés toutes les parties qui ont un but d utilité; elle admet toutes les fituations , pourvu qu'il ce tile ; Il ne lui raut pour i obtenir qu de goût qui l'arrange, & un Cultivateur intel- ligent qui la dirige. Sans parler des détails de la culture d'une ferme , qui font très-multipliés , nous ne l'en- vifagerons ici que par les agréments que le goût peut y répandre ; mais il faut être au fait de l'économie rurale pourréuffir dans l'ordon- nance de cette efpece de jardin. On diflingue en Angleterre h ferme y tupaporale & en agri- cole ; elles exigent une tournure & une mar-s che particulière dans leur compofition. La première s'occupe principalement des beftiaux , il lui faut des pâturages abondants ; l'autre fait fa principale occupation de toute efpece de culture , il lui faut de vaftes champs, des plaines labourables & des coteaux fer- tiles. Mais comme l'un de ces deux genres n ex«^ dut pas l'autre, h ferme qui les réunit devient mixte y & peut former une ferme boucgeoijè qui, fans excéder les bornes; du earaâere cham- pêtre , efl: fufceptible d'embelliiTements , lorf? qu'on fait lier avec intelligence les accidents du fite aux objets de culture ; fes tableauiq doivent être agreftes ; tous les foins trop oi- tenlibles , loin de lui procurer de l'agrément ^ la défigureroient. La meilleure formation d'une ^r/we eft celle qui la divife par enelos i de vaftes plaines V^GET^TïOTsr, Iiv. VII,Ch,XXVIL 161 (iniformes ne préfentent communément qu'une froide monotonie ; une grande étendue de terres en labour a toujours un coup d'œil peu agréable ; on meuble ainfi le pays trop nud, en terminant des efpaces trop vagues. Ces enclos par la divcrfité de leur forme & de leur étendue , font de chaque enceinte ua fite qui a fa culture & fon caradere particu- lier , & leur réunion embellit l'enfemble gé- néral ; des haies vives , des arbres , des arbrif- fsaux , fans en excepter ceux qui ne font qu'a- gréables, bien malfés & diftribués avec in- telligence , en enfermant les cultures j deili- îient des chemins de communication. Ces chemins plus ou moins négligés, plus ou moins parés, félon le genre de la ferme, deviennent eux-mêmes des jardins & des pro- menades in|:ére(rantes par leurs contours Ôc par la variété des formes & des objets ; ils font couverts d'une belle peîoufe ombragée par les plantations variées & diveriifiées. On ménage tous les effets qui peuvent naî- tre des points de vue mélangés avec l'afpeâ des cultures. • Indépendamment des embelliiïements; qu'ils procurent au payfage , ces enclos ont encore l'avantage de garantir les produdions qu'ils renferment ,• ils font un abri contre les vents violents qui , fuivis de pluies abondantes , ver- fent & couchent les épis. On en connoît l'u- tilité dans un canton de la Baife-Normandie , que l'on a tiommé le Bocage , parce qu'il eft coupé par de pareils enclos. 1-e peu d'ombre Qqe ces plantations nop |.i5S Traité DE ï. A continues jettent fur la bordure des terres; nuit moins aux grains qu'il ne les protège , f& il eft très- profitable aux prairies artificiel- les & aux pâturages qui profperent mieux par la fraîcheur que l'ombre y entretient ; fiinlî on peut encadrer chaque enclos par une bande de verdure dans la largeur de l'om- bre portée ; cela auroit un objet d'utilité , & feroit un nouveau îTipyen d'çmbellifie- ment. ' Il n*y a point de plaines fi ennuyeufes qui ne puiflent acquérir une variété amufante par cette manière de les divifer ; ce moyen fi iira' pie en lui-même & praticable par-tout , peuç cendre très-riante la pofTefiion la plus infi- pide , & faire d'une ferme niauffade un^ cam- pagne charmante , fans diminuer le revenu & fans fortir 4u caradere champêtre qui lui con- vient. Il y a deux fortes de verger^, l'iin agrejl^ & l'autre cultivé \ celgi-ci a fa place dans Iç potager , il exige des foins & une culture Ibignée ; quant à l'autre , il doit remplir uii des enclos : des arbres à fruit de toutes for-^ tes d'efpeces , par un agréable mélange de leur forme , de leur volume , par des group? pes bien diftribués , plantés fur une verte peloufe , font d'un yerger agrefte , un objet aufiî intéreflant par fon effet que p^r fes pror dudions. Il ne faut pas croire que l'arrangement du fymniétrique quinconce foit le feul favorable aux vergers ; s'il y a quelques arbres à fruit qu'U faut ifoier pour qu'ils réulîiirenCj il y çïi ^EGÈTÂtlO^,LlV.VÎI,CH. XXVII. 16^ a nombre d'autres qui viennent très -bien & produifent beaucoup en grouppe. Le potager, dont Tafped eft fi froi4 pat fa diftribution toujours méthodique , qu'on n eftime que par fon utilité , qui n'a pour l'œil aucun attrait ; le potager bien compofé peut aulTi préfenter ici un coup d'oeil intéreifant. Ce qui dépare cette efpece de culture & la fait rejeter des tableaux , c'eft qu'indépendam- ment du peu de goût qui prélide à fa com- poîition , les murs élevés dont on l'environne de toutes parts, l'ifolent & lui donnent un afped trifte ; ce qui, joint à ces formes régu- lières auxquelles on l'affujettit toujours j n'ea fait qu'un objet ennuyeux , & lui donne une forte d'infipidité que l'on ne devroit pas at- tendre de la verdure perpétuelle des plantes qui y végètent, & de l'adivité d'une culture il foignée. Pourquoi ne pas enclorre le potager de fof- fés dans les parties où il peut s'allier avec tout ce qui l'avoiiine du côté du Midi & da Levant ? Pourquoi ne pas fubdituer à^s haies vives ou des paliffades à ces infupportables murs ? Pourquoi ne pas préférer des planta- tions épaifles de grands arbres pour lui four- nir des abris contre les vents malfaifants du Nord ? CeO: ainfî que le potager obtiendroic de la grâce , participeroit des agréments pro- curés aux autres cultures , & cefferoit d'être un objet triftement délaiiTé. Qu'on ne fe perfuade pas que ces difpoii- tions & ces arrangements , pour être différents de ceux que l'on pratique affez généralement ^ lyo ÎRAlfÉ î>È LA lui foient défavorables : les Jardiniers Hollao- dois , tout auili curieux que nous de ce genre de culture & peut-être plus intelligents , paixe qu'ils ont à vaincre les obllacles du climat ^ les préfèrent ,• ils n'ont pas d'autre clôture que des paliflades , ni d'autres abris que des arbres. Un mur expofé au Midi ou aii Levant f n'emprifonneroit pas le potager , & fuffiroit à l'appui des efpaliers qui a (Turent la frudifi- cation de quelques genres d'arbres : mais à quoi fervent les murs à l'expolîtion du Nord & du Couchant , puisqu'on fait que les arbres que l'on met en efpalier à ces exportions peu- vent également frudifier en éventail ou en buif* fon , & même en plein vent ? La diftribution d'un potager demande né- ceiïairement un certain ordre pour la facilité & le fuccès de la culture ; mais l'une & l'au* tre n'exigent pas de le découper par des quar- rés entourés de plates-bandes , ni de larges allées ratiflees qui occupent des bras plus utiles ailleurs , & dont le fol aride & nud eft à pure perte. Un potager peut être diftribaé plus utilement & plus agréablement. Par exemple , le buiflbnnier d'arbres nains & à demi vent , qu'on appelle le verger cul- tivé , fera en tête dans la partie la plus abri- tée ; au-deflbus feront les gros légumes qui peuvent fe pafler d'arrofements ,* les plantes légumieres les plus délicates , feront placées dans la partie la plus baffe , diiiribuées par planches , & féparées feulement par de petits leutiers poux en faciliter l'approche & la cul-^ Végétation, Liv.VIIjCH.XXVlI. 17 1 ture ; tout le terrain fera couvert , & on n'en perdra pas pour de faftidieux compartiment^ & pour d'inutiles allées : la forme générale ne fera pas un quatre entre quatre murs , elle fera décidée par les accidents & la marche du terrain ; enfin des vues économiques , affo- ciées aux grâces champêtres , doivent être le but de ce travail. Une ferme bourgeoife eft ou la maifon de campagne du Citadin aifé, ou la demeure du Cultivateur qu'une pofleffion étendue met plus qu'au-deffus du befoin ; il faut qu'elle foit com- mode, & non faftueufe ; riante, & non dé- corée ; ornée , mais non magnifique. Une balTe cour eft indifpenfable, c'eft elle qui caradérife la ferme ; quand elle eft arran- gée & diftribuée commodément , il s'en faut bien qu'elle foit un objet déplaifant ; fon mou- vement lui donne un air vivant & animé qui îécrée &; araufe. Le manoir placé fur une peloufe en pente douce , entretenue par les moutons qui en feroient les Jardiniers , pré- fentera quelques grouppes d'arbres pour avoir de l'ombre ; quelques arbrifleaux à fleurs y feront diftribués pour orner les alentours , & mettre fous les yeux du Maître une pro* menade engageante ; pour la lui rendre tou- jours praticable , des fentiers circuleront fous les arbres qui les couvriront de leurojnbre , & îe conduiront dans fes poffelïïoos par les chemins qui les entourent: ainfi tout formera promenade, & Ion rencontrera de tous côtés des objets d'araufement qui attireront , & des objets é'urilité qui intérelTerorit ; c'eft aiofi qu ua ^72 Traité j6 ë i à Propriétaire peut pofleder & jouir tout à là fois. Qu'y a-t-il de plus attrayant que le fpec- tacle d'une campagne dans une lituation heu- reufe , dont le fol fertile eft embelli par lé concours des diverfes fcenes champêtres liées les unes aux autres, lorsqu'elles étalent aux yeux toutes les richefl'es d*une végétation vi- goureufe , fruit d'une culture foignée & bien conduite î Le parc i le jardin ^ême avec fes graces^^ légères pourront s'alfocier une ferme ornée pour fe procurer un changement de fcene & faire contrafte : le paflage de l'un à l'autre ^ bien ménagé , peut les faire valoir tous les deux ; mais il fera toujotîts dangereux & fouvent impraticable de tenter cette affocia- rion fans intermédiaire ni préparation. Ce que je viens de dire de ces différents genres de jardins pourra fuffire pour en don- ner ridée à ceux qui n'en ont nulle connoif- fance ,• & ceux qui , mettant à l'écart Fefpric d'habitude & les préjugés , voudront fe pro- curer des jouilTances agréables , pourront y* trouver , de même que dans les Chapitres fui- vants , des moyens de rendre leurs campagBt^' plus agréables»' CHÀPÏTR& Vegetation.Liv.VII/Ch. XXVIII. 175 CHAPITRE XXVIII. Du Jardin ptoprement dlL D Epurs qu'on a traité les jardins dans l'ordre naturel , ils fe font beaucoup rappro- chés du caradere des parcs du côté de l'é- tendue & du ftyle ; mais le jardin propre- ment dit, c'eft-à-dire la partie qui avoifine l'habitation , doit être plus recherchée , plus ornée j plus élégante , parce que toutes fes prétentions fe bornent à l'agrément. Il efl commode de trouver de l'ombrage en fortant du château ; mais cet ombragé doit être un afyle commode contre la cha- leur brûlante du jour , fans participer de l'hu- Hiidité ni des ténèbres de la nuit. S'il inter-* cepte quelquefois les points de vue d'un côté, on en e(l dédommagé dans plufieurs autres! parties ; il n'eft pas néceflaire de jouir d'un horizon découvert , il perdroit de fon prix , s'il étoit totalement expofé à la vue. La plus heureufe iituation d'une maifon de campagne n'eft pas toujours celle qui domine une plus vafte étendue de pays. Ce que le Propriétaire doit délirer, c'eft de jouir de fes fenêtres d'une perfpedive riante & intéref- fante. Il eft beaucoup plus fenfibîe aux charmes d'un grand payfage lorfqu il ric les voit qu'en Torm IV. S 274 Traité de la pafTant ; car s'ils lui font trop familiers , ils lui deviennent infipides. Ceft pourquoi ils ne doivent pas fe pré- fentcr dans routes les parties du jardin , & qu'un voile jette à propos dans une partie peut donner daiTs une autre les grâces de la nouveauté , quelquefois même de la fur- ^rife. Le peu d'étendue d'un jardin excluant la multiplicité & la variété des fcenes , il fe trouve dans la céceliité de tirer fes princi- paux agréments de fon propre fonds , & de s'en procurer par l'élégance dans les détails & les effets. Pour y parvenir , on eft forcé de s'écarter de cette exaâe vérité qui doit régner dans les autres genres. Cependant il ne faut pas fe lailTer aller à la manie ii commune de créer des tableaux de pure fantaifîe , d'entaffer dans \m petit jar- din une multitude de fabriques & de conf- trudions bifarres , qai contrarient le genre | & font difparoître la Nature,- ce n'eft plus qu'une mauvaife décoration , fans vraifem^ blance & fans intérêt , un afTemblage fafti- dieux de parties incohérentes qui n'infpirent que le dégoût. Quoiqu'on puifle fe permettre quelques écarts dans le jardin proprement dit , quoi* qu'un arrangement plus évidemment combiné , des formes plus précieufes, une propreté plus recherchée dévoilent l'art , il ne feroit pas néceflaire qu'il y portât la fymmétrie ; les matériaux de la Nature, employés avec intel- ligence & difppfés avec goût , peuvent feula Vegetation,Liv,VII,Ch.XXVII1 27$ produire des effets très-élégants & bnilants« Des fleurs , des arbrilieaux fleuris, des gazons foignés & bien entretenus, des eaux limpides, tantôt découvertes , tantôt ombragées , pré- fentées fous des formes agréables & variées , aflbciées avec les fleurs & les gazons , entou- rées d'objets qui leur prêtent & en reçoivent plus de grâce ; des pentes douces & infenli^i blés que l'œil fê plaît à fuivre , ôc que les" pieds parcourent fans fatigue ; des fentiers & des chemins propres en tout temps , bor- dés de fleurs & de plantations agréables , tracés fans régularité , mais avec précilion , contournés naturellement & dirigés de ma- nière que les objets & les effets paroiflent fous l'afped le plus favorable , & qui mènent à des fcenes choifies ou à des lieux de repos oonfacrés aux charmes de la folitude ou aux douceurs de la retraite : voilà les principaux objets qui doivent entrer dans la compofitioQ du jardin proprement dit , compofition plus intéreflante & plus féduifante que celle de ces jardins fymmétriques oij l'on a raiTemblé avec tant de profulîon toutes les^produdions de l'art & de la Nature , où Ton a confondu tous les genres , & aflbcié tous les carac- tères. Si les jardins où l'oti n'a fait entrer , fans fymmétrie, que les feuls matériaux doat je viens de parler , n'ont pas obtenu le fumrage des gens de goût ; s'ils n^'ont préieaté ni char- mes ni intérêt, c'eft que le Jardinier n'a ïw leur donner ni caradere ni expreliion , & que déaué de reffburces & fans imagination , S % 2'j6 Traité de la il fe répète dans toutes fts diftributions , & ne Gonnoît qu'un petit nombre de combinai- fons qu'il place indifféremment par»tout. Mais le plus fouvent n'étant que fottement imitateur , il copie machinalement ; il tranf- porte fur fon terrain ce qu'il a vu ailleurs , lans confulter les convenances , ignorant l'art d'aflbcier les effets au genre , &: celui de tirer parti des circonftances : c^eft donc moins à l'infuffifance des matériaux qu'à l'incapacité de celui qui les emploie qu'il faut s'en prea- dre. Le jardin dont le coup d'oeil efl fi frais , Il élégant , fe lie bien rarement avec les fîtes qui l'environnent ; les fîmples objets de la campagne font trop négligés ; ce mélange lui feroit perdre fa grâce, & détruiroit fon ex- preffion ; il faut lui donner un cadre y l'en- fermer au moins latéralement par des plan- tations qui cachent tout ce qui extérieure- ment pourroit lui nuire. Cette précaution eft d'autant plus néceffaire que le jardin eft plus petit , parce qu'il fuppofe encore plus de foin êc de recherches , & conféquemment moins de rapport avec ce qui eft hors de fon en- ceinte. indépendamment du peu d'analogie entre le jardin & les objets ordinaires de la campa- gne , àQS communications trop imniédiates , des ouvertures trop vaftes l'anéantiroient ; il feroit noyé dans le vague , il feroit compté peur rien : mais s'il a une dimenfion telle ' qu'elle admette de la variété dans les tableaux, èc qu'il joue le petit parc , pouvant alors I VEGETATION, Lîv.VII,Ch.XXVIII. 177 par des paîTages bien ménagés , arriver à des fcenes plus négligées , fe rapprochant alors davantage de la Nature , il fe liera aifément avec les objets dont elle fe compofe. Toute culture , autre que celle qui contri- bue à la propreté , à l'entretien , eft déplacée dans le jardin ; tout doit y avoir l'agrément pour motif: de là il fuit que toute idée d'é- conomie , d'intérêt doit en être exclue. De petits morceaux de terre en labour , de petites buttes plantées de vignes, quelques petites pièces de prairies , 6cc, , de quelque manière qu'on les arrange , font des objets peu propres à figurer avec grâce dans un jardin; leur place n'eft point dans un lieu deitiné uniquement à plaire aux yeux & à procurer une promenade délicieufe ,• ils y feroient au moins un contre- fens. On voit cependant de ces petits jardins qu'on a cru embellir par ces petits échantil- lons de toutes fortes de produdions, où l'on a raflemblé dans de petits efpaces les plan- tes , les herbes les moins intérelTantes , mé- langées avec les plus belles fleurs & les ar- brifTeaux les plus élégants; l'évidente inutilité d'une pareille culture n'en fait qu'une puéri- lité fans objet comme fans goût. La culture eft intéreffante fans doute lorf- que traitée , en grand , elle préfente une utilité réelle ; mais doit-elle entrer dans la compofi- tion d'un jardin ? Elle ne figure bien que dans le pays où elle fait tableau, ou dans h/erm^ dont elle elt l'objet principal. Si on doit exclure du jardin toute culture S3 2,78 T R A I T i B E LA purement économique , on ne doit pas y introduire des objets de luxe & dç magnifia cence ; oftentation qui ne peut fuppléer à l'habileté & au goût qui fait tirer des objets les plus fimples les effets les plus fédui- fants. Un jardin dans l'ordre naturel peut bien avoir une liaifon intime avec le manoir en- touré de gazon , de fleurs & d'arbres , & peut offrir au Propriétaire des amufements variés & intéreffants , & de faciles & charmantes promenades ; il peut plaire par l'élégance dç fa compolition & la grâce de fes formes na- turelles ; mais li l'efprit d'habitude , pu , lî Von veut , la convenance décide qu'un châ- teau où l'art & la régularité fe font fcntir dans toutes fes parties , a l'air d'une pièce totalement détachée au milieu du bocage le plus agréable ^ & qu'il exige néceffairement un accompagnement plus régulier , il faut donc lui donner quelques acceffoires qui lui foient analogues : une terraffe ornée de vafeç & de flatues , des perrons élégants , un par- terre découpé par des allées alignées , des tapis de gazon réguliers ; enfin un ordre de fymmécrie qui, diminuant , par une dégrada^ tion nuancée , l'appareil de la décoration , ira fe perdre dans les bofquets ; c'eft un paffage que l'on traverfe en admirant les parties que l'art a enrichies , pour aller chercher celles où la Nature brille de fes feuls attraits. C'eft ainiî jouir du genre naturel , fans perdre ce que l'autre peut avoir dé réellement beau ; c'eft enfin fatisfairç au goût qui veut qu^ VE(5EfATION,LlV.VII,CH,XXVIII.27J refpace immédiatement fournis à l'archi- tedure , doive être fous fa dépendance, & facrifié à fon accompagnement. On y for- mera un parterre qui fera livré à l'art ; on en déterminera les proportions félon reten- due du bâtiment, & les formes félon les dif- pofitions du local & les afpeds extérieurs. Lié par des dégradations infenfibles aux au- tres parties dont nous parlerons , il paroîtra y tenir , parce qu'il n'en fera féparé par au- cune clôture apparente. Des fofles revêtus donneront les avantages de la clôture , fans y être enfermé ; les par- ties intérieures paroîtront tenir à celles dci dehors qui ne lear feront point étrangères , & pourront même faire continuation , en leur donnant le même ton. Une diftribution faite avec intelligence , fans jetter dans de grands mouvements de terrain & de grandes dépenfes , faura préfen- ter fous le château un air de régularité qui lui paroît néceflaire , mais qui ira fe perdre par dégradations infenfibles dans les de- hors. On mariera au gazon les fleurs & les ar- buftes , auxquels il fera permis de croître en liberté , & de fe préfenter dans leur port naturel , couverts de leur feuillage & de leurs fleurs. Les allées feront proportionnées à Tefpace qu'elles coupent ; on n'attachera point une vaine idée de magnificence à former des allées d'une vafte largeur , comme font & doivent être cçUes des jardins publics de la Çapi^ S 4 ^8p Traité de i a taie. Le jardin d'un Particulier n'a pas befoiri de vafles promenoirs; n'eft-il pas ridicule de former de grands efpaces de terre qu'on laboure & qu'on herfe continueliementpour la forcer ^ la ftérilité? Il vaut mieux que les chemins foienc moins larges & toujours bien entretenus ,* il en eft plus aifé de les former avec du gra- vier battu , de les bomber , afin qu'ils foienu fermes , fecs , propres & commodes en tout temps. Les allées couvertes de gravier & de fable l)attu , font préférables à tous égards à celles où l'argille fe préfente en blocs par un temps fec , & en boue dans tout autre , ce qui rend la promenade toujours défagréable ; mais il faut que la verdure domine l'aridité du fable. Quelques vafes , quelques ftatues foutien- dront l'analogie de l'arçhitedure & de la fculpture ; mais cette régularité , cette fym-. iTîétrie ira par dégradations , en paffant paç les bofquets , fe perdre au-delà dans les; bocages : je vais parler féparément des un^ Se des autres. Les fleurs doivent donner le plus brillant éclat à ce parterre régulier ; & il y a nom-.- bre d'arbuiles qui ne rnéritent pas moins d'atr. tirer ëi de fixer les regards : les détails ea font légers & intérefiants , & leurs variétés forment vin coup d'œil charmant. Mais point de ces plantes que l'on recherche unique-? ment parce qu'elles font rares, qui femblent dédaigner tout ciel étranger , & ne confer- ver leur vigueur , leur fraîcheur & leurs par- VEGETATION,Iiy.Vir,CH.XXVlII. iSî fûms que fur le fol qui les fit naître ; il faut les y laifler ou les tenir dans des ferres où elles fubfiftent , mais ne donnent jamais que de foibles récompenfes des foins quelles exi- gent pour les conferver. La vaine prétention d'embellir la Nature n'a ordinairement d'autre effet que celui de la défigurer : nous ne devons travailler qu'à là parer , en rafiemblant , en rapprochant dans un même lieu les beautés qu'elle fait naître dans de plus grands efpaces : elle les a répandues fur la terre fans ordre , fans s'aiTujettir à aucune règle ; fa compofîtion eût été moins animée, fes effets moins tou- chants ; la variété , le plus précieux de fes attributs , eût été détruite par la fervile fym- métrie & la contrainte des formes réguliè- res. Les fleurs font la plus brillante parure des jardins ; les plus rares & les moins éle- vées doivent être raffemblées auprès de la maifon ; elles feront ainfi mieux cultivées fous l'œil du Maître, & il en jouira mieux. C'eft la place des tulipes , des anémones , renon- cules , des jacinthes , narcijjes y Se autres fleurs bulbeufes & printannieres que l'on rem- place par des fleurs annuelles , eflivales Sç automnales , telles que les amaranthes , les giroflées , les ravenelles , les reines- margue- rites , différentes efpeces de petits œillets & autres. Plus loin , par gradations , on verra s'éle- ver les œillets , les pieds d'alouettes , les î\idles 3| les coquelicots doubles > les pavots 3 af X T R k t t É è E LA les lys y là rofé- pivoine , les pqffc-rofis , \l verge-d'or y hs tourne/où, &c. . Ces fleurs répandues ici avec profufion , là avec économie , félon leurs hauteurs & le rôle qu'elles doivent jouer , lorfqu'on fait bien faifir leurs nuances , donnent à un par- terre un éclat enchanteur. Les arbriffeaux , placés avec choix en in- termédiaires , doivent dominer & couronner lemail brillant des fleurs. Ici la rofe , fuf- pendue & penchée négligemment fur le nar- cijje , paroît plus vive fur le blanc éclatant de celle-ci ; là le li/as de Perfe , étendant mollement fes grappes de fleurs purpurines fur la jonquille , femble lui donner & en recevoir un nouveau luftre. Le butnerin ou arbre aux anémones , vient répandre fur les fleurs de ce nom une efpece d'ombre qui eh releye encore l'éclat. Le magnolia glauque couronne admirable- ment une planche de renoncules , fur lesquel- les il étend fon beau feuillage & épanouit fes fleurs , dont la blancheur raviffânte eft fur- montée d'un gland d'or , 6c qui fourniflent feules tous les parfums dont manquent les autres. Vémerus femble jetter un jour doré fur Tazur de la jacinthe. Le colutea oriental ^ dont le feuillage charmant eft couvert de fleurs d'un rouge foncé , en contraftant avec le lys , en relevé encore la blancheur , &c. &c. Outre les fleurs d'élite que l'on placera dans la partie la plus proche de la m^^ifon j VEGETATION, tïV.VII,C]^.XXVIII. 2? J outre les plate-bandes du parterre , garnie? comme je viens de le dire , je voudrois en- core que l'on formât dans les quarrés de gazon , non pas des ovales ifolés , placés fym^ métriquement au centre, & que l'on appelle corbeilles , à caufe d'un petit treillage qui les entoure , & qui repréfente là commô féroit un boulingrin au milieu d'un pré ; non pas de ces petites éminences , de ces petites buttes qui n'ont l'air que de taupiniè- res , & dont la furface bombée & conique? laifle rapidement écouler l'eau des pluies, qui ne féjournant & ne pénétrant jamais au pied des arbres qui y font plantés , on les voie languir & périr. Mais je voudrois , dis-jc , que l'on formât ou plutôt que l'on répandît comme au ha- fard , furie gazon, de petits grouppes d'ar- buftes, au pied defquels ramperoient les vio" httes , les muguets y les flaticés , les crocus , les perceneiges , les hépatiques , les cyclamen j^ &c. Ces arbuftes feroient plantés tout uniment fur des places bien préparées , dont les con^ tours feroient libres ; on auroit foin feule- ment de les tenir nettes des herbes qui pour- roient nuire à la profpérité des plantes. Des petits fcntiers fables qui circuleroienç & fe raniifieroient , pour ainli dire , fur le gazon , cpnduiroient des uns aux autres : la couleur jaune ou blanche du fable fait encore îpieux fortir & briller la verdure. Ces grouppes feroient formés d'un , deux pu trois arbrifleaux au centre , entourés par è84 Traité DELA' dégradation de plus petits , ayant attetîtion; de compofer chacun d'arbrifleaux qui don- nent des fleurs dans le même temps , avec des couleurs différentes. Par exemple , pour les grouppes du Prin- temps , Yépine à fleurs rouges & celle à fleurs blanches & doubles feroient plantées au cen- tre à côté l'une de l'autre , de manière à en- trelafler leur rameaux fleuris. On planteroit circulairement à leurs pieds \t Jpirea à feuille de millepertuis , qui cou- ronneroit de fes guirlandes de fleurs blanches; la tête de Yérnems , couverte de fleurs jau- nes ; le chamœcerafas à fleurs blanches s'u- niroit à celui qui en donne d'un beau rouge, &c. 5?ç. Aux bords de ce grouppe , mais fans former un cordon fuivi , rampe- roient , fans prétentions , les humbles violettes^ les crocus printanniers , les perçeneiges , les muguets , les hépatiques , les primevères , &c. D*autres de la même faifon , furmontés pareillement par des arbres de Judée y des pêchers à fleurs doubles , des éhéniers , des acacias rofes y des padus , des aubiers à fleurs doubles ou rofes de Gueîdres , &c. feroient environnés de petits tr/Vyyij , de rofiers ^ ^au-- hier s , de viorne , ^amandiers nains , de time' lies ou bois jolis à fl.eur rouge & à fleur blanche, &c. Les grouppes d'Eté feroient compofés de genêts d'Efpagne à fleur limple & double , de jajmins blancs & jaunes , de colutea jau- nes & rouges, ^altea blancs, rouges, bleus ëc panachés , de cijks ladanum , tamaris , dç VEaEtATION,tlV.YII,CH.XXVin. aéi firinga , de periploca & autres arbrifTeaux environnés de petits arbuftes de cette faifon, comn:ie des fpiréa à fleurs purpurines , des qiiintefïuilhs , des afcyrum , des rojîers , des kalmia , des a[alea , cephalantes , c/^ ^r^ > «Ve^ , ^ des fnaudrap , des atriphx , kaltoides ou othonna , à^sphlomis à fleurs jaunes & pour-, près , des camenerions ou ofiers fleuris , fiir- tout ceux à feuilles panachées & à fleur vio- lette , les petits genêts à fleur jaune & à fleur blanche , &c. Ces grouppes feroîent bordés par des mar^ guérites rouges & blanches, àçspenfeesy des orchis , des iris , des argentines , à^s fiatice's ^ des petits œillets de plufieurs efpeces , des giroflées annuelles , des juliennes & autres fkurs de cette faifon. Les grouppes d'Automne feroiént moins faciles à former en arbres à fleurs; on a ce- pendant encore la ronce à fleur double , V aca- cia rofe qwi fleurit une féconde fois , les ro- fiers perpétuels , un arbufte charmant qui nous efl: venu du Marilland, fous le nom àtcajjîe. Mais il y a un grand nombre d'efpeces d'arbres qui en cette faifon font couverts de fruits de différentes couleurs , dont leelat ne îe cède pas à celui des fleurs ; tels font une grande quantité de variétés ^épines , les ai^e^ rôliers y les alifiers y \ts fufains ^ l^s forbiers^ le buijffon ardent , les viornes , aubiers , 6kc. Outre les belles efpeces de bruyères •, dont on peut environner ces grouppes, on rie man- que pas de fleurs annuelles en cette faifon , dont le défaut de parfum peut être réparé %i6 TS-AltÉ iJE t par celui du reieda , de ^héliotrope du Péroii qui fe conferve & fleurit en pleine terre juf- qu'aux gelées , la mtnthe , le thym , la lavan- de , &c. Je voudrois répandre quelques grouppes d'arbrifleaux qui coniervent toujours leurs feuilles parmi ceux qui s'en dépouillent en hiver, pour ne pas laifTer en cette faifon le théâtre fans aucune décoration. Je formerois ces grouppes de lauriers , principalement de ceux de Portugal , nommés a^arero , qui , parmi leur verdure brillante , même pendant l'hiver , portent des fruits d'un rouge écla- tant. Les lauriers thyms qui font en fleur juf- qu'aux fortes gelées , les philaria , les alater^ nés y principalement ceux qui font panachés, les ciftes , le chèvrefeuille toujours verd , les thuya y les pyracanta, le troëfne d'Amérique, & fur-tout les houx panachés , dont il y a un grand nombre de belles variétés. Ils feront ac- compagnes d'arbuftes verds , tels que X^/ympha-- ricarpos , les laureoles , le fufain toujours verd , le lierre panaché , le rofier de Mahon ^ les huis panachés , le romarin , la jacohét maritime à feuille argentée , la grande perven- che ^ \2i fabine panachée, &c. On peut for- mer la bordure de flaticés , ^hépatiques , de touffes de violettes , de perceneiges , hellébo- res , de crocus , de petites pervenches , &c^ Ces grouppes verds , unis de diftance en dif- tance à la verdure confiante du gazon , ani^ meront, vivifieront l'efpace auquel ne four* niflent plus les autres arbres dépouillés , & . qui paroifîent morts. VEGETAtîON,LlV.Vn,eH.XXVIIÎ. 287 Mais comme ces arbres verds ne donnent pas pour la plupart de fleurs apparentes , je voudrois leur donner des agréments emprun- tés pendant la belle faifon : pour cet effet , je les marierois avec des chèvrefeuilles , des ptriploca , des dulcamara , des bignonia , des clématites , evonimoïdes & autres arbriiïeaux grimpants qui viendroient y apporter àts fleurs dont ceux-là font naturellement mal pourvu?^ Outre ces petites maffes vivantes & natu- relles dont feroient ornées , mais fans confu^ ^on , les pièces de gazon , je voudrois y voir briller Témail que Ton voit dans les prés ; quelques petits foins pourroient même les rendre plus agréables & plus brillantes ; un peu de terre remuée avec une houlette de diftance en dillance , où Ton dépoferoit des graines, fuffiroit- pour y faire naître une grande variété des plus jolies fleurs champê» tres. il y a , comme on le fait , beaucoup de plantes qui ne tardent pas à repoufler & à fleurir après le palfage de la faux. Les décorations naturelles du parterre dont je viens d'efquifler la compofition , l'empor- teroient certainement fur les tontures aflidues des ifs , des charmilles , galeries , pilaflres , pyramides , éventails , globes , palijfades , en- caiffèments & autres minutieufes découpures qui emploient continuellement les bras &c les cifeaux du Jardinier , parce que la Nature tâche toujours de s'affranchir de la contrainte où il la met , & elle ne tarde pas à s'échapper pour le peu qii'oa lui en donne le temps & la liberté. a88 T â A i T E B E I A Il faut d'ailleurs bien du temps avant qiiè ces plantations aient acquis les . hauteurs & les formes qu'on veut leur donner , ôl le Pro- priétaire j s'il n'eft pas jeune , court rifque de n'en jamais jouir. Mais on peut comment cer à jouir du jardin que je propofe dès la première ou du moins la féconde année : la dépenfe n'en eft pas eoniidérable , il exige plus d'intelligence & de goût que de richef- fcs ,* fa formation eft peu coûteufe , & foti entretien eft borné à quelques foins qui pren- nent peu de temps. Si le Maître fe plaît a aller de temps en temps , la ferpette'^à la main, vifîter fes ar- brirfeaux ,• s'il fe fait un amufement qui ent vaut bien un autre, quand on fait le goûter, de les débarraffer de quelques branches gour- mandes , mal placées ou trop excédentes , feule attention dont ils ont befoin , le Jardi- nier n'aura rien à y faire ; affranchi de la fu- jetion des éternelles rontures & des labours des larges allées , il n'aura plus qu'à veil-- 1er à l'entretien de la propreté du parterre^ & à donner fes foins au potager. De petites mafles détachées de grands ar- bres , encadreront latéralement ce parterre , & formeront les coulifles de ce théâtre de la Nature. Ces arbres , quoiqu'efpacés ^ s'élevant fur une peloufe , dont ils laif- feront voir la continuation , porteront fur des tiges nettes & élevées des têtes affez étendues pour donner fuffifamment d'ombrage. Cette efpece de colonade que formeront leurs» tiges , laiiTera affeZr d'efpaces libres pour per-» mettre VeGEt ATiOîT,Li v:YIï,Ch; XXVlîi. lî^ ftiertre à la vue de s'étendre dans le lointain^ 6c l'effet de l'optique n'en fera que plus pi- quant. Ces aîrbrés ifolés , ces niaffeê détachées ^ en donnant au parterre l'air riant qui liii convient , donneront dans leurs êfpaces un libre cours à la lumière & aux rayons da foleil qui égaie les payfages , comme il vivi- fie & anime la Nature. ■ Quelques grands arbres à fleurs, tels que les maronûUrs \ les pavia , les tulipiers j &c, joueroient là un beau rôle. Les efpaces libres entre ées couliffes i làifferoient affez appercer/oir des payfages pour faire naître le defîr d'aller les chercher ; des vues ainfî entrecoupées fur les côtés dii hianoir , pâroifTent préférables à celles d'un horizon découvert & reconnu d'un feul coiip d'œil. Je laiflerdis entièrement libre & ouverte la partie qui fait face au château , à moins que la vue n'en fût bornée de fi près & fî défagréablement qu'il vallût mieux la maf- quer , ou que le terrain en pente fût difpofé de manière à pouvoir y former les bofquets dont je vais parler , qui , étant peu élevés j permettroient à la vue de glifTer par-def* fus. Voilà les vrais orriements d'Un jardin dt tampagne : il faut reléguer dans ceux de là ville les petits acceiïbires qui peuvent feulg les faire valoir* Voilà une idée d'un parterre <|ui , confervant une apparence de régularité jj fé lie à celle du bâtiment auquel il eil fou- Tome IF. T %go Trâïté de la îiîis j mais qui êft dégagé en partie des entra- ves de la fyramétrie & du goût barbare & meurtrier de mutiler les arbres. Autant la taille tÛ néceiraire aux arbres fruitiers, comme nous l'expliquerons , pour les rendre plus produdifs , autant elle etl pernicieufe aux arbres forêtiers & de limple décoration. On dégarnit un pêcher des bran- ches à bois , on conlérve les branches à fruit ; on y dirige la fève, on ne lui iaiife que peu ©u point de tige ; on l'empêche de selever ; on s'attache moins à le faire vivre long-temps qu'à le faire frudifier beaucoup. En taillant un tilleul, un orme en boule, en éventail , on coupe également le bois fain , la plus belle pouffe & ia branche malade ; on abat les fommités qui dévoient prolonger fa tige & former fa tête , en confervant les branches baffes , culture diamétralement op- pofée à celle qu'on de voit lui donner & au port qu'il auroit pris naturellement. Cette cruelle tonture , fréquemment répétée , s'op- pofe à fa croiffance -, la fève arrêtée ou dé- tournée par les plaies qui détruifent les fibres qu'elle parcouroit, ou coule, ou s'évapore., .& cicatrife par des nodofités , des obitruc- tions qui font languir l'aibre jufqu'à ce qu'il périffe. Ces arbres mutilés fe dépouillent toujours beaucoup plutôt que les autres de même ef- pece qui croiffent en liberté , parce qu'ils n'ont jamais la même vigueur. Nous avons dit , & l'expérience le prouve , que les branches pouffent toujours eu même VEGETATtON,LlV. Vît,eH. XX VIIÎ. l^t proportion que les racines > & les racines que les branches ^ on peut donc être affuré que moins on lailTe de branches à un ârbre^ èc moins il pou (Te de racines , & par conlé- quent moins il a de force & de durée. On voit l'effet des coupes faites & répé- tées au fommet des arbres étronçonnés , tels que \ts faulcs y les ormes ^ hs frênes ôi autres périodiquement ébranchés pour futilité des métairies ; feau s'intiltre dans leurs plaies , altère le cœur de l'arbre , le corps ligneux tombe en pourriture > & l'arbre creux ne con- ferve plus à la fin que fon écorce. Tout fe réunit donc pour démontrer le danger de ces meurtriers ébranchages, de ces tontures , de ces élagages qui ne doivent avoir lieu qu'à l'égard de quelques branches mal placées & trop Taillantes qui ofFufquenE im point de vue. Nous avons allez parlé de l'utilité de l'élagage des branches bafTes fur les jeunes arbres pour leur former une belle & haute tige. Dans le parterre que je viens de décrire , les teintes de régularité de l'architedure , déjà bien adoucies, vont s'effacer infenfible- ment en paifant dans les bofqucts , les bo- cages & les payfages , où elles difparoitront entièrement pour y laifTer la Nature jouir librement de tous fes droits. La tranfition d'un tel parterre aux bocages ne paroîtroit pas même trop brufque , fi on ne vouloit pas lui donner pour intermédiaire les bofquets dont je vais parler» T % 12 TiLAttÉDEtA m- CHAPITRE XXIX. Dès BofquetS, E N fortant da parterre fymitiétrique & régulier dans fcs principales formes , les dehors vont s'affranchir de la régularité , à mefure qu'ils s'éloigneront du château. Le bofquet eft une partie intermédiaire entre le parterre & le bocage , parce qu'il tient de l'un & de l'autre. On comprend fous le nom de bofquet un efpace d'une petite ou du moins d'une mé- diocre étendue , qui eft coupé régulièrement par des allées droites ou circulaires, & dont le terre-plein eft garni d'arbuftes & d'arbrilTeaux à fleurs. Il y en a qui ont porté l'élégance jufqu'à border les allées de treillages ornés & peints , de corbeilles fculptées , &g. ; dépenfe plus chère que durable , toujours déplacée à la campagne, & qui ne convient qu'aux jardins de ville , comme nous le dirons. Un bofquec doit tirer fon luftre de fa propre parure ; c'eft à l'art à le difpofer, & à la Nature à l'embellir. La Htuation & le terrain doivent décider la forme & la diftribution d'un bofquet ; mais fouvent c'eft la fantaifie feule qui y préfide : le défaut trop ordinaire eft d'y voir une quan- VEGETATION, IlV. VII, Gh.XXIX. 293 t'ité de petites allées qui multiplient ridicule^ ment les petites découpures. Il ne doit point y avoir de plate -bandes comme au parterre ; les allées qui ne font ici que de petits promenoirs , doivent avoir peu de largeur , il en fera plus facile de les îabler. Elles pourront être bordées par une ligne de troëfne , encadrement charmant en toutç faifon , quand on a foin de le tenir toujours bas & peu épais , & qui n'éprouve pas les peu de durée , le dépériflement & la déçom^ pofîtion des treillages. Les parties intérieures du terrain feront ferfouites ou ratilTées de manière à être tou-? jours pqrgéçs d'herbe. Cette culture fera mieux profpérev les arbuftes délicats qu'on y plan-r tera afTez près les uns des autres pour cou-^ vrir la terre de leurs rameaux , & y former des mallifs. Quelques ftatues , quelques vafes convien- nent à un bofquet : des arbrilTeaux exotiques pourront y avoir place dans des vafes de faïance ou dans des caiffes peintes , tels que des orangers , des grenadiers , des myrrhes à Heurs doubles , des lauriers rofes , ôcc. ; ce font des efpeces de pompons qui conviennent à fon coilumç Sç. à fou tan plus recherché que naturel. Mais les arbuftes rares & beaux qu'on y ipettra feront fçs plus grandes richeffes & fon plus bel ornement ; il ne doit entrer dans fa compoiition que des arbriffeaux qui s'éle-» y^nt peu i 5^ ainfî coqvme il ne doit pas nuir^ V Ta 1^4 Traité DE LA k la vue , il peut être placé à l'extrémité du parterre en face de la maifon , pourvu cepen- -âant qu'il ne mafque pas , & que la difpoiition du local s'y prête ; autrement îi peut êtrç placé fur la droite ou fur la gauche , au bout des grands arbres qui bordent latéralement îe parterre : on doit prendre l'ordre du fit© & des convenances qui doivent décider fur cela. On voit qu'ainii le bofquet fournis à la régu- larité Se aux lignes géométriques doit avoir fur un terrain nivelé un enfemble d'une figure déterminée. Le gazon , fi on en conferve dans ks ailées , doit y être mieux entretenu Se décpupé. Le bofquet étant le dépôt d'arbuftes & de plantes rares Si curieufes , il doit êtrenéceiïai- rement entouré d'uneclôture particulière, mais non pas de murailles ; les mallifs doivent êtrç garnis d'arbriiTeaux , dont le contrafte de hau- reur, de figures &: de couleurs fait un effet charmant. Ceux qui ne connoiffent pas les arbres , & qui par conféquent ne peuvent prévoir leurs effets , tombent ordinairement dans une grande faute, en plantant à de trop petites diflances^eux dont la nature eft d'étendre leurs branches ,; on voudroit voir les mallifs fe former promptement , ^ qu'ils reftafTent îoujours en cet état ; mais la Nature ne fe prête pas à ççt arrangement , il en réfulte en peu d'années une confufion déplaifante : en vain le fer eft-il employé pour mutiler ces Ifères çntaiTés ^ le défor-^r^ çontifluç §ç mêm^ V^EGET ATI 0113 , IlV. VII, Ch. XXIX. 29^ augmente , à moins que les plus forts n'étouf- fent les plus foibles. Il faut planter au centre des raafïïfs, des- arbres qui foient de nature à s élever plus hauc que ceux de devant ; ce qui préfente l'image d'une éminence fur un terrain uni , & forme une gradation utile à la prefpérité des végé- taux, & agréable à la vue. Quoique les différentes efpeces exotiques exigent des terrains différents , cela n'empê- che pas de les raiïembler toutes dans un même bofquet, en rempliffant les quarrés de Fefpece- de terre qui leur convient ; par exemple , on mettra les arbres de l'Amérique à racines iibreufes , tels que les azalea ^ les kalmîa , les' andromeda , &c. Sec. , dans du terreau noir de bruyère; d'autres à racines offeufes , tels que les magnolia , &c. dans une terre forte ëc argilleufe , & de même des autres : c'efl: ainli qu'on jouira des arbrifleaux les plus cu- rieux & les plus rares du Nord & de l'Afie, & qu'on peut faire des coUedions variées & intéreflantes , en donnant à chaque genre le régime qui lui convient. Ceft une pareille colledion qui fait la vraie richeffe d'un bofquet ; car quoique l'art puifie s'arroger le droit de s'y montrer avec moins de rifque , ii ne peut y jouer un plus beau rôle que d'y entremêler fans cefle des objets de curiolité qui attachent & qui invitent à s'arrêter. Ceft là que doit être placée la ferre envi- ronnée d'abris tranfparents , échauffée par des feuxinvifible^ , qui offrira dans fa température 2.9^ T |l A I T E DE X 4 gratjuéç , les fleurs, les arbrifleaux, les fruit^ de toutes les faifons , dans celle même où loti fe voit eritpuré de glaces & de frimats. Si ce jardin artificiel fait, pour ainfî dire,^ âîfparqîtrç l'Hiver, on y tç-ouve encore bietï des agréments au çpmmençemçnt du Prin- temps ; cette faifon charmante pu tout femble fe ranimer , eft dans nqs climats encore très-^ inégale, & nous ramené dans de certains jours les rigueurs de l'Hiver auquel elle vient da fuccéder. Quoiqu'invité par le çharmç de ce^ nouveaux objets, on n'ofç s'cxpofer à la froideur ^e l'air , & on fe réfugie avec plailir dans ces gfyles vitrés, où Tadion ^es rayons du foleil n'eft point refroidie par le haie des vents du Novd , qui ne flétrit point les fleurs que l'or^ y ypit épanouies, - L'art de formey un bofquet confîfte princi- palement à afîbrtir les plantes & les arbrif- îeaux de manière que leurs figures , leurs for- mes , leurs couleurs mélangées avec goût pro- ^uii^ent un bel effet , a les ^iftnbuer par groupe, gçs ^/un volume relatif à l'efpace , à les ifo- îer pouf qu'ils contraflent agréablement par, îa variété de leurs n\atres , ou les rapprocher » afin que les rarrieaux s'entrelacent d'une ma- riiere pittorefque , à en varier les figures , le§ diftancçs. La vue aime àerter furunaflembîage (p'arbres agréables & choifis ; ceux qu'on apper- çoit font rechercher paj leur agrément ceux qu'ils cachent, Si invitent à les vifiter par l'ef^ ppir d'i|n plaifo nouvçau; à admettre ici des formes pyramidales ^ là des formes arrondies tant dans leui: plan que dans leur élévation ^ VEG£ÎA'ri01T,IlV. VII, Ch. XXIX. 2^7 ailleurs les malTes feront plus légères ; plus loin , elles feront plus ferrées & plus touf- fues ; quelquefois des grouppes principaux fe çompoferont avec des grouppes particuliers,, ou fe détacheront fans fe féparer. Il efl: utile de connoître le temps de la floraifon de chaque efpece , afin que diftribuées en conféquence , les fleurs s'épanouiflent en- femble ou fe fuccedent & prolongent le plai- fir qu'elles donnent. Les nuances du feuillage font d'une confi- dération effentielle ; car les fleurs palfent , Se les grouppes d'arbres qui les portent relient; tout dénués qu'ils font de leur principal orne- ment , ils doivent encore figurer & jouer avec grâce dans l'enfemble du tableau général. D'ailleurs dans un grand nombre d'arbrif-^ féaux aux fleurs fuccedent des fruits , dont les vives couleurs très-variées relèvent le verd des feuilles 6i en reçoivent un plus grand éclat , & rappellent en Automne le fouvenir des fleurs du Printemps. La compofition d'un tel bofquet ne laiffe- roit riçn à defîrer , fi un heureux hafard y amenoit un ruiffeau qui fût taatôc ombragé, lent & filencieux , tantô.t découvert , agité & ra.urmurant ; & fi on y trouvent des points de vue agréables & rapprochés qui échappent; &: reparoiffent à propos pour ne pas détruire i'air tranquille & k ton un peu myfiérkuic de ce genre de compofition. Qn aura ainfî un b.Qfquec des plus agréa- bles , & fon afped offrira le tableau le plus frais dans toutes les faifons de l'année ^ il fera Xg$ T S. A ï T i D E t A la promenade la plus engageante & Tafyle le plus recherché ; au Printemps on ira y cher- cher la chaleur defirée du foleil ; l'Eté oa s'y mettra à l'abri de la vivacité de fes rayons , dont les influences fe feront fenrir alternati- vement d'un côté 5 tandis que de l'autre l'om- bre la tempérera , en rendra la jouiiTance agréable dans tous les inftants du jour. Les vents violents de l'Automne y trouve- ront des obftacles , & leurs efforts feront brifés par les grouppes des grands arbres ex- térieurs ; en Hiver la maifon vitrée y donnera' îa douceur & les agréments du Printemps. Si on y emploie quelques parties de treil- lages, plulieurs raifons doivent engager à ne îamais les peindre en verd ; la couleur verte eft la livrée de la Nature , elle la donne à tous fcs fujets végétaux ; l'art ne doit point donner ici la même couleur aux liens : dira- t-on que c'ell pour imiter îa Nature ? Mais a quoi peut aller cette grofliere & prétendue imitation ? Eft-ce pour faire paroltre vif un morceau de bois mort? L'illufion n'eft pas heu^ reiife. D'ailleurs cette couleur verte ne brille pas fous le feuillage ,• une couleur blanche ou gris de perle éil bien mieux apperçue «Se plus failiante , & fait mieux fortir la ver-^ dure , en lui donnant encore plus d'éclat. PaiTons adueliement au bocage , où nous allons trouver une marche libre & champê- tre, où l'art, qui doit cependant y avoir bonne part, doit fe cacher par-tout adroitement. Végétation, Iiv. VII, Ch, XXX. 299 jLj CHAPITRE XXX. Des Bocages, E cordeau & l'équerre n'ont plus rien à faire ici ; c'elt le goût, c'eft le génie qui doit y opérer. Mais il ell plus rare & plus diffi- cile de trouver de bons Artiltes en ce genre que des petits Géomètres & des Arpenteurs : il efl; fans doute plus aifé de tirer des lignes droites , & de former à volonté des figures régulières , que de defliner , de compofer , de faire valoir des payfages : c'eft cet art qui forme les bocages ; il eft difficile d'en déter- miner les préceptes , & plus encore d'en don-* ner des plans. Eh , comment le pourroit-on , puifque la marche de l'Artifte doit varier continuellement comme les fituations ? Ces tracés ne peuvent plus être tirés du porte- feuille ou être faits dans le cabinet ; il faut, il faut abfolument les faire fur les lieux ; il n'eft plus poffible de forcer le terrain à s'y conformer ; il faut favoir s'affujettir à fon ordonnance , & en recevoir à chaque infiant de nouveaux ordres : l'habileté confifte à fa- voir les bien entendre & les exécuter. Ceft le bon ufage du local , c'eft la bonne difpofition, c'eft l'étude de la Nature , c'eft k connoiflance des matériau^ que l'on em- ploie , qui donneront ces formations charman- |€s de bocages , ,qui ne lailîeront point defirer |oa Traite de xa tout ce que la Fable attribue de merveilleii^^ aux jardins des Hefpérides. S'il n'ell pas pollible pour cet effet de pref- crire de. règles , tâchons au moins d'en don^ ner & d'en faire prendre l'idée. Le bocage eft une partie de terrain qui doit être traitée fur le ton champêtre 3 dont la fuperficie eft ornée par le goût & par Fima-. gination. Un fentier commode & fuffifamment large ^ tracé librement fur la peloufe , fuit par le niveau le plus doux, la hauteur ou la pente , s'approche des objets intéreffants , va décou- vrir les points de vue , fe proloage fur les rivages , s'écarte d'un fol ftérile , traverfe une> prairie pour aller fe perdre, dans un bois; touffu, dont il ne fort que pour aller pré^ ienter quelque fpeôacle inattendu ; toujours, y promet, toujours il laiffe à la curiofité. fttisfaite l'efpérance d'un nouveau pîaiiir. Les bords verdoyants de ce fentier font émaillés de fleurs aggi:eftes ; derrière elles, font des arbuiles appuyés fur des grouppes d'arbres qui font briller les couleurs de la rofq & du lilas ; ces arbres , ces grouppes tantôt çpars laiffent découvrir tout ce qui doit être vu ; & tantôt plus raffembiés & touffus cachent; tQUt ce qui doit être mafqué : rares dans la, prairie , épais da,ns les fables & fur les ron ©hers. Toutes les parties qui peuvent produire dea beautés de détail font mifes à leur plaça dans le bocage ; il n'eft affujetti à aucunç> forme ni borné par à^s murs ; il s'avance 4^.0% V£GÉmTIOîT,LlV.VîI,CH. XXX. 5ÔÎ h parc , s étend , fe rétrécit pour embrafler toutes les parties extérieures qui lui font de quelqu'avantage ; fon enceinte formée par un folTé palifladé dans le fond , le confond avec ie parc pour l'œil , & l'en fépare pour leè animaux : ainfi les cerfs & les daims femblent libres de ravager les arbulles & les fleurs , & les linuolités des angles faillants vous met* tent au milieu des troupeaux : rien n'eit plus vivant , plus intéreflant. Outre le goût 6c les connoiflances nécef* faircs pour former un pareil bocage , il eft eflentiel de bien connoitre les genres & le tempérament des arbres qui doivent le déco- rer , puisqu'ils n'y réufliront bien qu'autant que chacun fera mis à la place qui lui con- vient ; ce qui doit varier félon l'expoiition , félon la qualité du fol , félon qu'il eft aride ou fubftancieux , fec ou humide , bas ou élevé, franc ou pierreux ; la plantation eft ordon- née & doit changer par-tout où il change : cet article eil capital , fans lequel point de jouilTance. Les peupliers , les aulnes groupperont les prairies & les ifles ; les fauks , dont il nous eft venu plufieurs belles variétés de l'Amé- rique , borderont les rivières & les ruiffeaux. L^ Jaule oriental y dit parafai , parce que dans une forme pittorefque , il étend de tous côtés fes longs rameaux recourbés & pen- dants , fait répéter agréablement fon ombrage dans l'onde dont le voilinage lui plaît. Les tulipiers , les magnolia , plufieurs belles efpeces de peupliers , les platanes ^ les fyco^ g02 T U A I T É fl È t id mores , les tilleuls noirs d'Amérique , , &(f. garniront les vallées, les terres fraîches & fubftancieufes où ils profperent bien. Les chênes verds , les gkditfia , les acacia , les fiaphylladendron , ks genêts , &c. couvrir ront les coteaux. Les cèdres , Uspifis , les cyprès , les thuya ^ dont le verd foncé , qui ne s'efface jamais , eft plus d'accord avec le ton mâle , avec l'afped févere des rochers & des montagnes , en maf- queront l'afpérité , de même que l'aridité des terres fablonneufes où ils fe plaifent. C'eft ainli qu'eu égard à l*expofition ,- à la nature du fol, aux effets, aux convenances , on diftribuera les plantations de tous les autres arbriffeaux, en faifatit contrafter leur feuillage, leurs fleurs & leurs fruits. Il n eit pas queflion ici de nkeler le ter- rain ; plus il a de mouvement , & plus il rend le payfage varié & intérefîant : s'il eft befoin de le travailler, de l'adoucir dans quel- ques parties pour en rendre le paffage plus commode, il faut bien prendre garde que la régularité ne vienne y apporter fon air froid êc uniforme. Les ondulations molles, les incîinaifons bien ménagées , mais toujours libres , qui font paf- fer fans peine d'un plan à un autre ; les linuo- fités concertées à propos, qui interrompent la froideur de la ligne droite , font préféra- bles à la reditude des terralTes & des gla- cis. Des revêtements , des coupes géométriques, des angles redilignes , des parues régulière- VEGETATION, tlV.VII,CH.XXX. 305 ment circulaires , font des témoins d'une dé- penfe plus oflenfible que fatisfaifante , qui ne fert qu'à rendre le terrain refroidi 5 mono- tone. En jettant les yeux fur un payfage, on y verra toujours la correfpondance alternative des angles faillants & rentrants ; tous font émouffés , & par conféquent moins fecs. Les coteaux defcendent doucement, quel- ques reifauts varient leurs inflexions : comme leur crête ell variée par plus ou moins d'élé- vation , c'eft à cette rondeur , à cette flexi- bilité qu'eft du le charme certain qu'une belle vue fait généralement éprouver ; elle feroic gâtée par des prolongations répétées de murs, de plantations , de canaux redilignes , enfin par toutes les lignes droites & parallèles , parce que toutes ces parallèles amènent Tu- - niformité. La fymmétrie obligée dans l'art original comme l'architedure , eft profcrite dans i'arî: qui copie la Nature , parce qu'il s'écarteroit alors de fon modèle ; il doit s'en tenir à l'imiter, fans prétendre jamais à la furpafîer: or , tout emploi des terres , des arbres , des eaux & de toutes les produdions naturelles, eft une copie ; fi l'art y vient apporter la régularité , le réfultat eit un monftre. Si on ne trouve pas de lignes droites dans une forêt , on y trouve encore moins des arbres plantés à une égale diilance ; il faut donc varier ces diftances , fi on veut imiter la Nature : les arbres feront ou ifolés ou raffemblés en grouppes, ou plantés fur dçs 5d4 Tb-Aîte Éë ti •lignes. irrégulieres ; leurs intervalles fei'ont contraftés , tant dans les dimenlions que dans les formes. Il y aura dans quelques endroits de grands efpaces entièrement découverts ; dans d'autres , les arbres feront fi rapprochés qu'à peine laifl'eront-ils un paiTage entr eux i ëc dans d'autres y ils feront aulîi éloignés qu'ils peuvent l'être , en formant un même grouppe : c'eft dans les formes & les variétés de ces grouppes , de ces lignes & de ces efp?.- ceslibres, que confifte principalement la beauté d'un bocage. Il faut favoir féfîfter à la tentation de plani- ter trop près pour jouir promptement ; ce- pendant fi Ton n'avoit pas la patience d'atten- dre , il eft polTible de jouir du préfent , fans fe priver de l'avenir , en donnant au bocage une difpofition telle qu'elle ne puifTe manquer de produire un bel effet lorfque les arbres feront grands, en mêlant dans les intervalles des arbres de paiTage qui feront un bel effet tant qu'ils feront petits , & qu'on fupprimera avant qu'ils puiifent nuire aux autres. La li- berté d'erter dans tous les détours du bocage met tour à tour chaque arbre ou chaque grouppe fous les yeux , & permet d'obfer- ver , outre les différences de feuillage, celui qui offre le plus de légèreté ôc le plus d'élé- gance. L'inégalité des arbres peut remédier fu défaut d'un terrain trop égal , en les mettant en dégradation depuis les plus élevés jiifqu'aux plus petits arbriifeaux ; mais la pofitiôn la plus avantageufe pour de telles perfpeâives eft Végétation,' Lîv.VIÎ, Ch. XXX. 30^ tft celle d'iin bois en emphitHéatre , où chaque arbre ncd qu'en partie caché par celui qui le précède , & ne couvre de même qu'en par- tie celui qu'il a derrière lui. Les formes con- traitées dés tiges & àos têces qui fè montrent , les nuances diverfes dont elles le colorent , offrent un afpeâ bien intéretfant quand l'âffor- tiiiient en eit ménagé avec goLît. - Il ne fuffit pas que les gtouppes fo'ient^ bien çontraftés , il faut qu,é les clairières qui les partagent le foient auiîi > dans leur forme & dans leur dimenlion ; que les gazons qui fervent de fond aux pfantations foient fins & bien entretenus ; qiie les pentes foient variées & adoucies ; que le marcher y foie doux & facile , c'eif ce qui fait le charme des promenades ; que plufieurs fentîers foîi- dement faits ^ praticables dans toutes les fai- fons & dans tous les moments du jour , cir« culent , fe communiquent les lins aux autres, & conduifent le promeneur dans tous les endroits les plus dignes de fes regards • au moyen de ces facilités , il petit errer à foii gré dans toutes les parties du bocage qu'om- brage une fuite peu interrompue d^arbrc^ ou arbriiïeaux qui joignent à une variété conti- nuelle tout ce que leis fcenes dé ce gènr0 peuvent offrir de plus attrayant. : Enfin pour inviter par refpôif du' pîailïf^ & pour attirer par le charme des beaux effets de la Nature , que l'on répande des agréments & de la variété par-tout , en évitant toujours; Funiformité q:ui ennuie & la contrainte qui chagrine • il n'y a point de grâces 30(5 Traité DëtA liberté , il n'y à point de plaiiir fans la va- riété. C'eft ainlî qu'on peut fe procurer de char- mants bocages ^ il des difpofitions beureufes de terrain font aidées par un art bien entendu fans prodigalité & fans efforts démefurés. Voilà les éléments de ce genre , éléments qui peuvent fe combiner avec une variété iné- |)uifable, en s'appuyant toujours fur la Na- ture ^ & fe refufant à une fervile imita- lion. Vouloir particulârifer ces tômbinaifons infi- nies, eft une entreprife impofTible; chaque lîtuation , chaque terrain peuvent fournir des embelliflements qui leur foient propres & relatifs à leur caradere ; on ne peut qu'en donner une idée générale foumife au fite & aux environs , c'eft au bon goût à en faire tine Julie application. Si quelques parties du terrain eicigeht des changements • foit pour être trop élevées & rapides, foit pour être trop baffes ou préci- pitées, quelquefois , au contraire, pour être trop égales ; c'eft au coup d'œil à déterminer les pentes , les contours , le mouvement qu'il fauÉ lui donner , & pour y ajouter ce qui fefte à délirer , mais toujours de manière qug tout aille à l'accord général. Quelques parties brutes forment trn con~ trafte , un repos quelquefois convenable pour faire mieux valoir le fini ; des coupes préci- pitées ,■ heurtées , font des repouJToirs utiles four donner plus de mouvement au ta^ TÊGÊTATION,LtV.VII,CH.XXX. 357 . Mais quand on n eft pas riche ^ il fàtit pren= flre garde de s'engager dans de grands déblais dé cerre ^ travaux toujours plus longs & plus Hifpendieux que l'on n'a cru. Heureux céliii qui trouve lia local favorablement difpôfé t Mais quand il en eft autrement , St que l'on ne peut ou que l'on ne veut pas s'engager dans de grandes dépenfes ,- on fe contente dé tirer le meilleur parti de ion terrain tel qu'il éft , éri tendant feulement lès pàlfagés plus faciles. , , ^ ,_ . Gomme la formation & là eômpofîtiôn des bocages peut être plus ou moins recherchée j> riche (& ibignée îf. chacun peut en former felôa fes moyens & fâ volonté ; on peut même diP pofer un taillis déjà fait, à en recevoir les agréments au moins en partie : c'eli une jouiflance qu'on peut fe procurer à peu dé frais, & pour ainli dire furie champ. . . ;, Ordinairement les taillis font fitués fut là pente des montagnes ou des coteaux ; c'eft la difpofîtion là plus favorable pour, éri tirer l'agrément que je propofe , fans prendre que très-peu fur leur utilité : il n'eft queftion que d'ouvrir des fentiers plus ou moins inclinés 3^ félon que la pente eft plus ou moins rapide ^ €'eft-à-dire des rampes allez douces pour ren- dre la promenade facile & commode, en fuivarit l'étendue du taillis par différents re- tours. . Ces foutes ou promenoirs , ombragés par îes malles du taillis , en feront plus ou moins couverts par intervalles ; tantôt ce fera un ige fous un berceau épais &: fombre, qui V i \o\ TïiAlTÊ DE t A ^'ouvrira tout à coup pour donner la furprifè d'un point de vue intérelïant , qui invitera à en jouir fur une efplanade garnie de bancs ou de lièges de gazon ; tantôt une grotte ou un cabinet de verdure impénétrable aux rayons du foleil , fe trouvera fur le paffage pour offrir une fraîcheur & un repos dont oa profi- tera. Si on ne veut pas faire la dépenfe de kiof- tes & de temples , quelques petits belvédè- res ou limplemeut des bancs couverts pré- fenteront un abrî lorfqu'on fera furpris d'une ondée de pluie ; ils y ferviront même en tout temps , étant placés fur un plateaj d'où la vue peut s'étendre dans le lointain & y dé- couvrir une grande étendue de pays ; des communications dirédes entre ces foutes in- clinées formeront des efpeces de galeries dé- couvertes , bordées d'arbrilTeaux diftingués , & fembleront faire trouver un pays uni au milieu de la montagne. S'il fe trouve fur le paflage quelques exca- vations , quelques ravines qui en interrompent le cours , on les coirvrira de ponts de bois , d'une conltfudion variée, & plus ou moins élégante. Quelques ligures grotefques d'hommes &. d'animaux, placés convenablement dans ces routes & que l'on rencontre inopinément , y excitent la furprifè , récréent & prêtent à la plaifanterie par l'étonnement & par les idées qu'elles font naître. S'il fe trouve dans ce taillis quelque gorge entre les coteaux, elle peut, étant bien trai- Végétation, Liv. VII, Ch. XXX. 30^ tée , fournir plulîeurs autres agréments. Si le hafard fait trouver une fource, quel- que petite qu elle foit , dans quelque partie alTez élevée du coteau , ç'eft une bonne for- tune dont on peut tirer mille agréments. Sans nuire à la partie utile du taillis , oa peut planter des arbres & arbrifleaux étran- gers , de diftance en diftance , le long des routes , fans alignenient & fans autre choix que celui des parties de terrain qui feront les meilleures & les plus libres ; quelques arbres verds , ^ifperfés çà & là, & fur-tout aux angles, y feront un bon effet en tout temps , & donneront au taillis un air vivant pendant l'Hiver; en ébranchant fuccefliveraenc ces arbres , ils couvriront peu de terrain : au refte, s'ils font périr quelques cépées , n'ea eft-on pas dédommagé par l'agrément qu'ils donnent, tant qu'ils font fur pied , & par ]ç profit qu'on en tire lorfqu'on les abat > Ceft principalement fur Içs plateaux ou l'on s'arrête pour jouir des beaux points dq vue , qu'il convient de planter des arbres étrangers , intéreflants & charmants par la beauté de leur feuillage , l'éclat & le parfum de leurs fleurs , & le coloris brillant dç leurs fruits. Je ne parle point d'une quantité d'autre^ détails & embelliiFements dont peut être fuf- ceptible une pareille çompofîtioii que je ferois tenté d'appçller une incruftation de bocage orné d^ns un taiHis brut & fauvage ; çpéra-^ tion qui peut fe faire à peu de frais , puif-? qu'çUe n'exige quç peu ou point de rapports 3ïo T R A I T :p 35 i: L 4. de terrçs ; il n'eft queftion que de piochçr dans ie bois pour déraciner & emporter guel- i]ues Touches ; car s'il fe trouve de grands arbres fur le pafiage , on détourne la route pour I3 faire paÏÏer à côté. ■ Aij refte, chacun peiît fuivre ce travail félon* fa voronté'& f es moyens ; quel qu'il foit , il donnera toujours des promenades recherchées & plus ou irioins agréables, fuf- tout lorfqu'il eu fait fur la pente d'un coteau <^ui offre des vues intéreflantes'. " Dans un pays de plaine ëc où il n'y aurois point de taillis , on peut encore , par des inoyens lîmples, former des promenades agréa- bles , en difpofant & plantant d'une manière plus ' fôignée les enclos des cours , des ver« gers , dés herbages & autres parties qui avoi- lînent ordinairement les habitations & les fermes * eh élevant des mafles plus larges tirées de l'excavation des foJTés , plantées dç l'un & l'autre côté, ce qiii forme une efpecç de cours dominant la campagne , cloà par iine haie vive fur la partie extérieure;' ' La dépenfe d'une pareille clôturé eft bien inférieure à celle d'un m^r ; elle ne demandé que peu ou point d'entretien, & elle lui e{| infiniment préférable dii côté de Tagrément & du profit Mais fi la haie & les fofles font faits , & qu'on ' veuille les conferver tels qu'on les trouve , il n'efl queflion alors que d'y ajouter quelques plantations qui leur donnent les beau- tés gui leur manquent : c'efl ici où le brut peut devenir agréable & même élégant, à peu de frais. " m \ 1 VEGETATION, LiV. VU, Ch.XXX. JII Ces fofles , plantés de grands arbres , fe- ront bordés de malTes d'arbrifTeaux , entre lefquels fera tracé une route inégale & tor- tueufe , bordée d'arbuftes & parfemée de fleurs ; des clairières , des ouvertures mé- nagées à propos , donneront des échappes de vue fur les dehors & fur le dedans. Si au fortir de parties ombragées , il s'en pré- fente quelqu autres plus découvertes , ce fera pour retrouver l'ombrage dont on vient d'ê- tre privé ; quelcjues arbres plus élevés de diltance en diftance , mais fans ordre & fans alignement , domineront fur les abrilleaux , & en rompront l'uniformité. Ces forieres champêtres , mais ornées , pro^ longées à l'entour des enclos , forment des promenades naturelles & variées qu'on nç trouvera jamais dans nos allées alignées. Pourquoi donc des Propriétaires , dégoûtés 4e la promenade de ces longues allées mono- tones , de ces infipides quinconces, &c. , vont-ils en chercher une autre dans les champs , le long des haies qui , quoique brutes , leur paroiflent plus intéreflantes , fans fonger à y former des promenoirs plus agréables ? & pourquoi eft-il li rare de trouver des campagnes pu l'on fe foit ménagé de tels agréments, quoi- que fort iouyent le fite foit très-difpofé à en procurer ? C'eft uniqucnient , 4ns doute, parce que , pour la plupart , les hommes fe îaiflent guider bien moins par la raifon & leur propre fentiment que par i'ufage établi , par l'exemple de leurs femblables , & fur-tout p_^ç l'habitude. ^ï^ Traité DE L4^ CHAPITRE XXXI, Des Jardins de ville. Es petits jardins pu jardins de ville n^ doivent & ne peuvent avoir de prétention^ aux grands développenients de la ISTaturc dont nous avpns parlé ; toute imitation en petit des grandes formations ne peut être que puérile. Un petit jardin efi fufceptible de certaines grâces naturelles que l'art fait jbricore mieux briller : un air champêtre & même négligé ne lui convient pas ; il lui faiit des ornements , de la parure , des pompbns^ autrement \ ceft iine Adrîce en bonnet de nuit lur le théâtre dé l'Opéra. Comme l^s grands traits delà î^atur^ ne peuvent parôîtrç dans un petit efpace envi- ronné de murailles, ordinairement fans vue§,fans afpeds & fanshorizpn, ilfaut fuppléer aux gran- des beautés dont ils font nécélTairement privés, par des ornements artificiels qui leur çonvien-^ fient ; ce font à^s efpeces de miniatures où le coloris doit remplacer le gétiië'& la grande compofitipn des tableaux. Ces jardins qui font , pour ainfi dire , fous le reflet de rarchiçedure /doivent lui être fournis ; ils font fous fa dépendance ; elle y doiç porter fa régularité , fa fymmétrie , & tqutç^ les teintes de fa cômpofiti on. La géométrie en doit diriger les découpu?| VEGETATION, Il V. VII, Gh.XXXÎ. 313 ^çs ; il n'y a qu'à choilîr dans le porte-feuille de l'Artifte le tracé qui convient à l'ef- pace. Ces petites formations qui ne dépendent d'aucun fite extérieur , qui n'ont d'autre exif- tence que celle que leur donnent les murs qui les circonfcrivent , n'exigent aucuns rap- ports , aucune unité. Leurs petites formes ne donnent que la jouifTance d'un coup d'œil , & tout eit apperçu, tout eft vu dans un inf- tant , lorsqu'ils font dans l'état de nudité ; aufTi 'n'eft-ce qu'un appartement de plus dans la maifon ; on ne s'y promené que comme on fait dans une galerie ,• & on feroit peu tenté d'y relier , fi quelques beautés de détail n'y intéreflbient ja vue. On ne rend qu'un hommage pafTager aux décorations artificielles dont il eft bien de les orner, comme des ftatues, desvafes, des treillages , des; jets d'eau , &c. Mais les beau- tés naturelles qu'on y raflemble fpnt feules capables d'exciter & de fixer l'attention ; c'eft ce qui fait le mieux valoir les petits jardins; c'eft ce qui les rend vraiement intéreflants ; c'eft ce qui fait oublier les afpeds qui leur îT^anquent , parce que quand on çft occupé à examiner des beautés de détail qu'on a fous les yeux , & qui plaifeqt , la yuç. ne cherche pointa s'étendre fur d'autres objets. Des quarrés de fleurs rares & d'un beau choix qui contraftenc par l'émail brillant & les nuances de leurs couleurs fur lesquelles l'œil , agréablement fixé , eft embarraffé à décider lefquellçs méritent U préférence ^ |i4 Traité be i. a. des arbrifTeaux étrangers & curieux qui ont un port fîngulier & élégant , qui déve- loppent un feuillage inconnu , préfçntent des ôeurs dont on fe plaît à examiner la viva- cité des couleurs , la iingularité des formes , & à obferver les traits linguliers qui carac- cérifent une phyfiononiie étrangère , n'çxci- tent pas moins la curiofité que feroit un ha- bitant de rifie Taïù tranfporté à Paris : mais de même que cet Etranger que nous ver- rions blême & mqribond dans notre climat , ne feroit qu'çxciter notre cpmpallion , une, plante qui ne fait que languir dans notre pays ne peut donner qu'une jouiflance défa- gréable : on y remédie , il eft vrai , par le fecours des ferres chaudes ;; mais jamais cet état de captivité ne nous les fait voir tellea qu elles font dans leur pays natal ; ainfi , çxcepté quelque^ arbrifleaux auxquels il fuffit d'être préfervés des fortes gelées dans les orangeries pendant l'Hiver , & qui végètent & fleuriflent très-bien en plein air dans les autres faifons, je ne confeille point d'avoir d^autres arbres que ceux qui naturels d'un climat , tel ou même plus froid que le nôtre , favent fupporter , en pleine terre , la rigueur de nos Hivers ; tels font ceux qui naus viear cent de l'Amérique feptçntrionale, 11 nous eft venu de çç pays , par la voie. 4es Anglois, un grand nombre d'arbrifleaux & d'arbuftes , dont la petitefTe & l'élégance les rendent plus propres à orner de, petite jardins, qu'à figurer dans les grands ; les diffé- rentes nuances de leur feuillage , la yariét^ » VEGETATION, Ll V. VU , Gh« XXXI. 3 1 f h beauté & le parfum de leurs fleurs , font le plus conftant , le plus intéreffant '& le plus bel ornement que l'on puifle donner aux jardins dont nous parlons. Répandus çà & là dans les planches de fleurs, dont, comme on fait , k durée eft très-courte , ces arbuftes orne- ront , ils garniront , vivifieront , pendatiÉ toute la durée de la feelle faifon , les par- terres , qui, lorfque les fleurs du Printemps font palfées, ne préfentent plus que des tiges mortes fur un terrain nud , & qui refte tel jufqaau temps auquel on puifle lever les oi- gnons & y mettre des plantes d'Automne i non-feulement ces jolis arbuftes font difpa- roître cet état de nudité , mais ils couron- nent agréablement & accompagnent les fleurs bafles , fans leur nuire, lorfqu'on n'y met que çèuK qui , fqr une tige foigneufement élaguée , ne portent qu une tête peu étendue & qui s'élève peu. Cette conipofition d'arbuftes & de plantes I fleurs , donne en miniature les effets des bofquets , & même des bocages remplis d'ar- bres & de fleurs , finon d'une manière aullî grande' & aufli naturelle , d'un^ ton , d'un coloris plus brillant , parce que les fleurs y font plus choifies & plus raflemblées. Je n'entends cependant pas que ce choix foit celui de ces Amateurs fantaftiques, de ç^s Savants en fleurimanie , dont le feul ca- price a prétendu daller les beautés de là Nature félon des loix imaginaires ; & qui è'eftimant que ce qui eft rare , mettent un granàrÇrix à ce qui fouveot le rotérite le moins. p^ Traité de i â Les Jardiniers Hollandois qui fe font enri- chis en tournant à leur profit cette manie, yuineufe pour ceux qui la portent à l'excès ^ ç*efForcent vainenient aujourd'hui de la faire encore valoir : on a reconnu que les oignons de fleurs bien nourris dans le terrain gras & fucculent de leurs n^arais , & fous leur ath- niofphere humide , ne tardent pas à dégénérer lorsqu'ils en font privés ^^ à moins qu'on nç Jeur donne une culture & des foins donc peu de Jardiniers font capables: c'efl dommage, car ce font les Holiandois qui nous fourniff- fent les plus belles fleurs. D'ailleurs , 1^ Botanique ayant repris fes droits fur la Fleurimanie , les Amateurs de la Nature trouvent des plaifîrs plus fûrs j plus confiants & plus durables dans la cul- ture des arbrilTeaux : cçtte jouifîance unie à rémail brillant & non fantaftique des tulip- kpes , de^ jacinthes , dés anémones , des renon-». çules , des jonquilles , des narcifîes , des iris , ^c. donne à un petit jardin tout l'éclat & tout l'intérêt qu'il peut avoir. Mais , dit-on , où trouver ^ comment fe procurer ces jolis arbrifleaux ? Je fais qu'il eft difficile d'çn avoir ; on n'a encore pour cela que la voie des Jardiniers Anglois qui les ont tirés de l'Amérique feptentrionale , & ^ui les ont beaucoup multipliés. J'ai été en Angleterre, il y a douze ans, pour apprendre à cultiver ces arbres , donc je fis une coliedion fort étendue ; & je fuis, parvenu à les multiplier , de manière à ei\ ïQrr^er de^ pépinière^ ;» 6ç à pouvoir a^qeUç- ^?'ÈGÈtAtION,IIV.VÎÎ,CH.XXXi. 3lf incnt en céder à ceux qui défirent de s'en procurer ; ainfi j'ai réuni à la fatisfadion de Jouir de ces beaux arbres , celle d'obliger ceux qui les aiment. Les allées principales, étant des prome- noirs fouvent fréquentés , doivent être pro- prement Tablées , & avoit une largeur d'au- tant plus grande qu'elles feront bordées de caifles d'orangers , de grenadiers ^ & autres grands arbrilîeaux de ferres. Des gradins peints & bien difpofés pré- Tenteront , avec avantage , les oreilles d'ours j ies œillets y & autres plantes & arbuftes que l'on tient dans des pots de faïance ou de terre peinte. C'eft là où les corbeilles de fleurs doivent figurer : je n'y voudrois point de ces petits morceaux de gazon , tels qu'ils peuvent être dans un petit jardin ; c'eft vouloir jouer trop en petit la prairie ; s'il efl bien garni d'ar- brilîeâux & de plantes , comme je viens de le dire , la verdure n'y manquera pas. Les murs doivent être garnis d'arbres frui- tiers , bien tenus en efpaliers , attachés à des treillages de bois bien équarris , peints en gris blanc , & non en verd , pour les raifons que j'ai déjà alléguées. Des berceaux , des repofoirs en treillages élégants , inviteront à y venir prendre le frais fous le feuillage du jafmin ^ du chevre-feuille , des tofiers , du feringa , periploca> & autres arbrilfeaux flexibles qui en formeront le toit & les murailles, & qui fatisferont également les yeux & l'odorat. 318 Traite de là / Si refpace permet d'y former quelques al- lées couvertes , qu'on n'y foufFrê jamais l'huraidè obfcurité de là fombre charmille , ni l'inlipidè éventail du tilleul ; que ces allées foient bor- dées d'ârbrifTèaux fleuris , du nombre de ceux qui sélevent fuffifamment pour donner àflez d'ombrage ; mais qui ne s'élèvent ÔL ne s'é- tendent pas de manière à obliger à les muti- ler ; tels font les lilas , les fumacs , les belles efpeces d'épines i les aliiîers ^ les àzeroliers i les forbiers , les padus , mahalebs, catalpa » ébeniers , arbres de Judée , &c. &c. Des allées , quelques petites qu'elles? fôiènt » formées par un mélange bien aiTorti de ces àrbrifleaux, offrent le coup d'cèil d'une riche tâpillèrie qui s'unit bien agréaMement au brillant tapis des fleurs du parterre ; & quelle que foit la force de la routine & de l'imita- tion , ce n'ell fans doute que la difficulté de trouver de ces arbres tout formés qui a piï leur faire préférer la monotone plantation de tilleul^ que l'on trouve par - tout. Mais pourquoi ne pas élever chez foi en pépinière ces arbrifleaux ^ pour les avoir , après quel- ques années , aflez forts pour les mettre en" place & en jouir aufli-tôt ? Je renvoie à ce que j'ai dit à ce fujet au Chapitre des Semis & des Pépinières. , , , Voilà à peu près quel doit être le coftume d'un jardin de ville ; on ne réuflira jamais ^ fous quelque nom que ce foit , à leur donner les attributs d'un pays ou d'an vafte jardin de campagne ; c'efl: cependant ce quôn a; entrepris dans la formation dont nous allon^' parler au Chapitre fuivant. V'EéEîAtioN,Liv.VIÎ,CH.JCXXIi. 319 CHAPITRE XXX IL Des prétendus Jardins Anglais. o N a formé depuis quelques années ea France des efpeces de jardins qui ne font ni dans l'ordre fymmétrique ni dans l'ordre naturel , & on a donné le nom de Jardin An" gloisïcQS petits monftres ; enfants du caprice , ils n'appartiennent proprement ni à l'art ni à la Nature ; ce font des êtres fantaftiques & bi- farres , fans forme , fans proportions , qui ne relfembient à rien , & qui n*annoncent d'autres intentions que celles de pygraées qui s'efforcent de paroître des géants. Tels font en effet ces jardins où on a pré- tendu faire des illulions qui ne peuvent être que vaines ^ où quelques brouettées de terre , amoncelées en forme de taupinières , fonc données pour des montagnes • où une rocaille maigre & méthodiquement conftruite en moi- îons de meulière , prend le nom impofant de rocher ; où de l'eau , tirée à grands frais da fonds d'un puits , coulant dans une rigole Cimentée , eft gratifiée du titre faftueux de rivière : c'cft ainli que fur un ou deux arpents , on croit avoir rendu les grands tableaux de la Nature. i Des fûts de colonnes que l'on vient de siodelcr pour les brifer auiïi-tôt, font répaa- giO TRAITE Ï)E LA dus fur un chemin nouveai^ pour y repré- senter Vouvrage de plufîeurs fiecles. Des ma^ fures , des ruines que l'on vient de faire à neuf pour leur donner les prétentions de la^ plus haute antiquité. Des cimetières ,' des tom- beaux fe trouvent fur le.paflage pour donner au jardin iin air plus vivant <& plus riant. Des petites allées rampantes à replis tortueux,- fans but , fans objet , fans intention , décou- pent des petits morceaux de gazon , bom- bés fans caufe & fans effet. Deux petites maffes de terre amoncelée laiffent entr elles un efpace étroit qu'on appelle abyme , préci- pice de quatre ou cinq pieds de hauteur, fur lequel on jette un pont. Un autre monceau de terre , formé bien régulièrement en GÔne , que l'on nomme colline , parok relié comme tïù tonneau de cercles en fpirale, qui font les routes que l'on met beaucoup de temps à parcourir pour s'élever à huit ou dix pieds de hauteur : heureux encore fi , parmi les chemins qui coupent cette plaine qui a deux ou trois arpents d'étendue , on n^eft pas obligé de paffer dans un foffé qu'on appelle chemin creux ou cavée. Ces prodiidions mà'nquées d'un art mau- vais Gopiile de h Nature , font auflî cho- quantes qu'imparfaites ,* ces fauffes imitations n'offrent que des fruits informes , d'un caprice dont celui même qui les a produits ne tarde guère à fe dégoûter. Dans quelques-uns de ces jardins moins bifarres , on a voulu imiter la liberté de la Nature ; mais trop petites copies d'une grands Vegetation^Liv.VII,Ch. XXXII. 33.1 grande & vafte repréfentation , elles ne décè- lent que rimpuiflance du Jardinier. Les jardins libres ^ chéris des Anglois ^ contiennent plufieurs centaines d'arpents ; ceux de la Chine font encore plus vaftes ; c'eft là où il eft permis de former des fcQ-- nés naturelles , mais non pas fur un petit ter- rain où l'on ne peut faire que de petites décou- pures , qui ne font que les effets d'une fan- taifie épidémique & d'un caprice momentané ; c'eft enfin une efpece de pantomime qui an- nonce plus de richefles & de depenfes que d'intelligence & de goût, & qui ne fait voir que l'égarement des arts. Yoilà la compolition , le goût êc les fa- briques de la plupart des nouvelles produc- tions que j'ai vues à Paris , fous le nom de jardins Anglois. On fe îromperoit en croyant que les Anglois font naître de ces petits monftres chez eux ; ce que je viens de rendre de leurs jardins fufïit pour en défàbufer. Trompé par la jadance du décorateur , par la manière dont il vante les efforts de fon génie créateur, & dont il fait valoir fpa talent dans l'exécution , le poflefTeur de ces prétendues merveilles paroit s'en amufer d'a- bord , parce qu'avec beaucoup d'efprit & d'autres connoilTances , on peut bien n'avoir pas celles qui font néceffaires pour bien en- tendre & traiter la partie des jardins ; ce n'eft pas que tout le monde n'en parle, mai» elle a été étudiée par très-peu de gens , comme elle doit & mérite de l'être. J'ai vu un de ces célèbres Artiftes que ToîTiQ IV. X 321 T R A t T É DE LA j*aurais pris, à en juger par fon ton impor- tant & fa riche parure, pour un Seigneur du premier rang ; cet homme qui n avoit jamais forti de Paris , après s'être plaint beaucoup du peu de juftice que Ton rendoit en France aux talents fupérieurs , me fit voir un jardin Anglois qu'il venoit d'exécuter : outre l'ad- miiSon d'une partie des ridicules dont je vien» de parler, & même encore de quelques au- tres , je trouvai qu'il n'y avoit mis que des arbres fort communs , dont il connoiflbit à peine la nomenclature & encore moins les effets ; cependant le Maître me dit qu'il les avojt payés comme des arbres très- rares & précieux. Quand la formation bifarre de ces jardins dfe pure fantaifie fera bien reconnue , la mode qui les a accrédités fera place au bon goût qui en produira d'autres qui mériteront d'a- voir une plus longue durée. Le goût François introduira un ordre com- pofite entre le naturel trop brut & le régu- lier trop maniéré ; celui qui tiendra un juftc milieu entre les deux extrêmes fera celui qui réufîira le mieux ; c'eft celui-là qui convient le plus , ce me femble , aux jardins de peu d'étendue qui ne peuvent jamais avoir , pour ainlî dire, une phyfionomie affez ouverte & décidée pour y voir les grands traits de la Nature ou les grands effets de l'art. Ainfi point d'imitations du grand dans le petit, elks ne peuvent être que puériles; point de prétentions aux grands développe- nients dans de petiis eipaces , elles feroienc VeCet A TïON, Li V. V II, Ch. XXXIL 3 23 toujours ridicules ; point de reprérentatioDS de i'antiquiré dans ce qui vient de naître , c'eft un enfant dont on voudroit faire un vieillard. Cd\ une impofture qui ne peut en impofer, & qui n'a rien qui puiife la faire valoir ; on regarde avec une forte de refped les refies vénérables des antiques monuments ; on fe plaît, pour ainfi dire, à les interroger fur les révolutions des temps ; on aime à y re- Connoître Ce que nous dit l'hifloire, des ufa- ges , des mœurs de ceux qui les ont conf^ truits : mais quel intérêt peuvent infpirer des ruines que l'on vient de faire à neuf? Ce n'eft certainement point un efprit de déclamation qui m'infpire ce que je viens de dire de ces nouvelles productions ; j'aurai peu de contradideurs parmi ceux qui vou- dront y réfléchir , & je fuis en cela d'accord avec plufieurs Propriétaires de ces petits jar- dins qui , trompés par la jadance de ceux auxquels ils en ont confié la formation, avouent de bonne foi qu'ils en font peu fatisfaits, & qu'ils regrettent la dépenfe qu'ils y ont faite. Mais je dois ra'attendre à ne pas plaire à quelques compoliteurs en ce genre ; ce fera cependant un bien pour ceux qui ont du génie de voir abandonner ces fauifes pratiques , parce qu'ils appliqueront leurs talents au vrai genre dans lequel ils réulîiront , & ils pro- duiront de belles compoiitions plus fatisfai- fantes pour eux & potir ceux qui en joui* ront. .Parmi ces prétendus j a rdias Anglois , il y 324 Traité DE la. VEGETAXioisr. en a quelques-uns où Ton trouve des traits de goût & même de génie , qui font voir que leurs compofiteurs font capables de mieux exécuter en faifant une jufte application de leurs talents. L'art des jardins dans Tordre naturel n'efl en France qu'un art dans l'enfance qui fera encore bien des chûtes avant de marcher droit. On ne cite guère ç[\\ Ermenonville où l'on a travaillé dans le vrai 6c dans le grand en ce genre : mais les yeux François , fafcinés par l'habitude , ont peine à faifir , à goûter ces beautés champêtres auxquelles ils ne font pas accoutumés ; l'idée de régularité vient tou- jours a la traverle , & il faut commencer par l'oublier pour favoir s'en détacher. Je n'ai fuivi en tout ce que j'ai dit des jar- dins que l'efprit de vérité qui m'anime , & j'ai lieu de croire que ceux qui voudront bien mettre à l'écart l'efprit d'habitude & de pré- vention , conviendront des excès auxquels on a pouffé l'ordre fymmétrique , &: du peu de vraifemblance que l'on a donné à l'ordre natu- rel dans la formation de ces jardins bifarrcs que l'on a nommés jardins Anglais , quoiqu'on n'en trouve aucun qui foit femblable en Angle^ terre. Je ne fuis pas le feul ni le premier qui s'élève contre ces formations ridicules ; c'eft ainiî que quelques Auteurs éclairés les ont déjà jugées : je me fais honneur de voir & de pen- fer de même, & de rendre les mêmes vérités. Fin du fepticme Livre. TRAITE THEORIQUE ET PRATIQUE DELA VÈGÈTATIOK L I V R E VIII. DE LA FRUCTIFICATION. sm CHAPITRE PREMIER- C Des . Greffes, i^EST à l'iifage de greffer que nous devons l'agrément & l'utilité des jardins , & fur-tout des jardins fruitiers ; c'eft par cette invention admirable qui augmente & multiplie nos jouiiTances , que nous allons commencer ce Livre de la Frudification. Il eft certain que c'eft par le moyen des grefies que nous X3 ^l6 T R A I T É n B X A jouiflbns abondamment & facilement de toutes les excellentes efpeces de fruits connus, qui peuvent réuffir dans notre climat. Lorfqu'on eft parvenu à faire venir un arbre étranger , il devient facile , par le fecours de la greffe , d'en perpétuer & multiplier l'efpecej? c'eït par cette merveilîeufe invention que des petites branches , envoyées des pays lointains j^ viennent former chez nous des arbres nou- veaux , même après un trajet de plufieurs mois , fi on a pris des précautions faciles que nous indiquerons pour les coriferver en boa état. Sans les greffes , nous aurions été réduits à nous contenter de nos arbres indigènes , dont la lifte n'eft pas étendue, ou du moins nous ne jouirions quen très-petite quantité de ceux que le hafard nous auroit fournis. La greffe eft un moyen de multiplication d'autant plus abondant & facile , qu'il eft aifé d'être libéral quand il n*en coûte rien : tn effet , on peut fe communiquer les uns aux autres ce qu'on a de meilleur , fans fe priver de ce que Ton poifede ; on peut s'enrichir des plus belles & des meilleures efpeces, fans dimi- nuer rien du fond de celui qui les procure. Un bon Jardinier en fait Jouir fon JVlaî^ tre ; mais jamais cette jouifiance n'eft aufîi fatisfaifante que quand elle eft l'efiFet de fa propre induftrie , en faifant voir l'ouvrage dç fes mains , goûter les fruits qui en font pro- venus , & fans qu'il .en coûte ri^n , en fairp part à fes amis. L^ mot 4e grf^ iSieft pUîS $m^i îigni§c%0: Veoetation , Lrv. VIII, Ch. I. 3x7 que celui dinftrtiony du mot latin infirere ; mais comme il eft généralement adopté en françois, nous nous en fervirons félon Tu- fage' On eft plus afluré de l'ancienneté de Tare de greffer que de fon origine , dont les Au- teurs n'ont point parlé ou n'ont rien dit de fatisfaifanr. Théophrafie dit que ce qui a donné la pre- mière idée de greffer , eft d'avoir vu que du dedans du tronc d'un arbre creux , il en étoit forti un autre arbre d'une efpece toute diffé- rente ; il ajoute qu'un oifeau ayant avalé un fruit tout entier , en "avoir rendu & jette le noyau dans le creux de cet arbre , où des parties pourries & réduites en terreau humedé par les pluies , l'y avoient fait germer & croître. Ce fait eft trèspofïible ; mais il n'a rien de commun avec les greffes , & ne peut qu'être rapporté aux femences ; ainli cette citation eft à faux, Pline nous dit qu'un Laboureur voulant enclorre une pièce de terre, y avoir planté tout autour des perches vertes , & que pour les empêcher de pourrir à la partie qui étoit en tçrrç & les faire durer plus long-temps , il s'étoit ^Lvifé de coucher en terre des troncs de liçrre , dans lefquels , après les avoir fen- dus , il avoit enchaffé l'extrémité inférieure de ces perches, & quil arriva à fon grand étonnçment que la fève qui étoit dans Içs partieà internes de ces troncs avoit fervi de nourriture à ces perches ; enforte qu'avec le temps , elles y étoient devenues de grands X 4 giS Traité de la arbres : & voilà , félon Pline , l'origine de la greffe. Mais de la manière dont Pline dit que ces perches avoient fi bien réuffi , il y a apparence qu'elles étoient de faule ou de peu- pliers ou autre bois blanc qui pouffe aifément des racines non-feulement à leur extrémité , mais dans toute l'étendue de la partie qui eft en terre : le fait qu'il rapporte n'a donc rien de merveilleux ni détonnant. Mais lî ces perches ont pouffé , ce n^eft pas , comme il le rapporte, parce que leur extrémité étoit iuférée dans les troncs de lierre , puifqu'il eft bien certain que jamais un arbre qui fe dé- pouille ne peut pouffer étant greffé fur un arbre qui ne fe dépouille pas , & cette végé- tation ne peut être regardée que comme celle des boutures, & non pas comme celle des greffes. On a dit avec plus de vraifemblance que ç'eft la Nature elle-même qui a indiqué l'art de greffer; elle a fait connoître Teftet de la greffe par approche dans les bois où l'on voit que deux branches qui fe croifent en fe tou- chant, fe greffent naturellement, après que l'agitation les a fait écorcer au point où elles fe touchent ; il eft effedivement à croire que ceux qui les premiers ont fait cette remarque ont dû prendre l'idée de la greffe. Au furplus, fi nous ignorons fon origine, nous favons que fon ancienneté remonte à la plus haute antiquité; les plus anciens Au- teurs en ont parlé; Virgile en fait de bril- lantes defcriptions dans les Georgiques, Mai^ Végétation, Liv. VIII, Ch.I. 329 ce Prince des Poètes prouve qu'il n etoit pas celui des Jardiniers , & nous ne pouvons regarder que comme des ftdions poétiques ce qu'il nous en dit. Il n'étoit pas plus pofîîble de fon temps qu'il l'eft aduellement d'enter , comme il le dit , des pommiers fur des ormes , des poi- riers fur des hêtres & des platanes , des cerifiers fur des lauriers , des vignes fur des noyers , &c. Cependant la célébrité de cet Auteur a tellement accrédité ces erreurs qu'on les voit répétées dans plufieurs Livres d'A- griculture , où l'on trouve de plus des fecrets imprimés depuis plufieurs fiecles pour obte- nir , par de certaines unions , des efpeces tout à fait rares; comme , par exemple, de greffer la vigne fur des oliviers pour avoir des grappes d'huile , des cerifiers fur des mûriers pour avoir des cerifes fans noyau , des rofîers fur des houx pour avoir des rofes ' vertes, &c. &c. Ceux qui voudront faire attention à ce que nous allons expliquer de la théorie & de la pratique des greffes , ne donneront point dans les illufions de ces pratiques qui ne peuvent que faire perdre du temps aux gens crédules & peu inÀruits qui veulent en faire d'inutiles effais. L'expérience prouve & décide irrévocable- ment qu'il n'y a point de fuccès à attendre d'une greffe , s'il n'y a pas d'analogie entr elle & le fujet fur lequel on l'applique , c'eft une union qui ne règne que dans la même famille ; m étranger ny efl point adopté , il ne peut 330 T R A I T i D E t A ■y participer : c'eft ce qui fera expliqué plus amplement au Chapitre fuivant. Parmi la quantité de tentatives que Ton a fai- tes , trompés par une première apparence de fuc- cès , des Jardiniers fe font emprefles d'annoncer des prétendues découvertes , comme l'union du lilas fur le frêne , du laurier- cerife fur le cerifier , & quelques autres : mais le peu de durée de cet efpoir leur a fait regretter d'en avoir parlé. lanalogie de nos arbres fruitiers & foré- tiers eft fi connue qu'il n'y a pas de Jardiniers qui fignorent ; mais il n'en eft pas de même par rapport à plufieurs arbres étrangers qui nous font venus de l'Amérique feptentrionale & autres pays , tels que le tulipier , le ma- gnolia , le bonduc , le fophora , le butneria & cent autres.Nous ne connoiflbns point encore chez nous de fujets qui leur conviennent ; on a cependant lieu d'efpérer que les tentatives que l'on fera à ce fujet ne feront pas toutes infrudueufes , puifqu'on a déjà trouvé parmi ces arbres étrangers quelques analogies qui n'étoient pas fort apparentes ; on fait qu'on greffe avec fuccès le chionantus ou arbre de neige fur le frêne , Vacacia rofe fur le faux acacia , \ilcx ou chêne verd d'Amérique fur le houx : on pourra pareillement parvenir à trouver des unions convenables à plufieurs autres. Le moyen d'abréger les eflais eft de biem obferver la parité de l'effence de la fève & du temps auquel elle fe met en mouvement. Cette dernière circonftanee n'eu pas difficik VEGETATION , Il V. VIII , Ch. I. ^yt à obferver ; mais malheureufement il n'en eft pas de même à l'égard de l'autre fur laquelle nous n'avons encore que des connoiffances bien bornées : cependant ce que nous avons dit de la lymphe & des fucs propres , pourra fer- vir à donner quelques indications. Il y a des fucs propres d'une nature très- apparente , tels font ceux qui font réfineux, gommeux , laiteux ; ceux-là indiquent leur analogie de manière à ne pouvoir s'y mépren- dre : mais plufieurs autres ne font pas carac- térifés de même ; cependant fi on ne peut les diilinguer à la vue & au toucher, le goût & l'odorat y font trouver des différences fen- lîblçs. Dans certains arbres , les fucs propres font acerbes , amers ; dans d'autres , ils font doux ou infipides ; dans les uns clairs & coulants, comme la lymphe ; dans d'autres , épais & gluants. L'indice le plus certain pour opérer des unions par les greffes , eft d'obferver la parité dçs fucs propres , ians cela point de fuccès. Je crois pouvoir donner comme neuve cette jobfervation importante , puifque je ne fâche pas qu'aucun Auteur en ait parlé ; tous ont bien reconnu la nécellité de l'analogie , mais ils n'ont rien dit àcs moyens de la reconnoî- tre. Si par ceux que je donne ici, il n'eft pas toujours aifé de s'affurer de l'analogie Âes greffes , parce qu'on a peine à reconnoîtrc la parité des fucs propres qui n'ont pas de •différences affez marquées dans plufieurs ar- jferes i il y ^a a beaucoup d'autres çù ceçts 331 T R A I T E D E L A parité eft fort apparente ; on ne fera point fur ceux-ci d'inutiles tentatives , & celles que l'on fera fur les autres feront toujours plus rapprochées. CHAPITRE II. De la théorie de la Greffe, p OuR bien entendre les opérations de la greffe, il faut commencer par en prendre de jufles notions. Greffer neft autre chofe que d'implanter un arbre fur un autre. C'eft d'après cette définition aufîi fimple que vraie , que nous allons confidérer & ex- pliquer clairement cette importante opéra- tion du jardinage, que plufieurs Auteurs ont regardée comme inexplicable , parce qu'ils n'ont pas fu en failïr la vraie caufe & les effets. Parmi ceux qui en ont parlé , les, uns ne- toient que Phyficiens fans être Cultivateurs , & les autres n'étoient que Cultivateurs fans être Phyficiens 5 tel étoit la Quintinie , Pra- ticien expérimenté , auquel nous avons l'obli- gation de bons détails-pratiques ; mais je ne crains point d'être démenti par tout Natu- ralifte éclairé , en difant que fes raifonne- ments phyiîques , fes réflexions fur l'agricul- ture font un tiffu d'erreurs & de vues pour la plupart très-faufles ; ce n'eu certainement VEGETATION j LiV. VIÎI, Gh. II. 353 pas dans l'intention d'attaquer & de ternir fa mémoire que je prononce ainfi fur fes écrits ; mais en lui rendant , comme je l'ai déjà fait au troifieme Livre , toute la juftice qu'il mé- rite d'ailleurs , il eft important pour les pro- grès de l'art & pour l'inftruâion de ceux qui s'y adonnent, de détromper des erreurs que la célébrité de cet Auteur a accrédi- tées. Sans parler de la manière dont il nie la fève defcendante & aérienne , des explica- tions qu'il tente de donner des mouvements de la fève , de fes faux principes fur l'adion des racines qui le portent à recommander de n'en laifler que très- peu aux arbres que l'on plante , de fes comparaifons défedueufes , enfin d'un grand nombre d'idées erronées fur la végétation ; je m'en tiendrai ici à citer ce qu^il a dit fur les greffes. Il y a apparence qu'on ne connoifToit point encore dans ce temps-là le fexe des plantes , & qu'on étoit très-peu éclairé fur leur, ana- tomie ; du moins il paroît que la Quintinie n'en a eu nulle idée ; il n eft donc pas éton- nant qu'il n'ait eu que de faufîes notions de la végétation. Après bien des raifonnemcnts vagues qui n'éclairciffent rien , on peut dire , écrit cet Auteur , » que quoiqu'il n'y ait rien de plus » ordinaire & de plus aifé dans le monde que » de greffer , cependant dans toute la produc- » tion des végétaux , il n'y a rien qui foit » plus digne d'admiration , ni guère rien de » plus impénétrable à l'entendement de l'homme. 534 Traité DE tA Il n'eft point étonnant qu'il en parle ainfi ^ en s'en tenant aux. explications qu'en don- noient quelques Phyficiens de jfon temps. Voilà comme il en raifonne , page 289 : » To- » pinion de la philofophie moderne qui attri- « bue à la feule diverfité des pores , cette » grande différence , tant de fève que de » corps fublunaires , eft véritablement ingé- » nieufe & agréable ; mais j'avoue de bonne » foi que je ne fuis pas capable de l'entendre : » je ne puis , en effet , concevoir qu'un fuc » de mortel qu'il étoit devienne faluraire , ou » d'infipide devienne fucré , ou de puant de- » vienne agréable à fentir, fi limplement, fans » autres cireonftances , il lui arrive un chan- » gement de demeure , c'eft-à-dire li au for- » tir des pores faits d'une telle figure diffé- » rente qui le feront être tout le contraire. » Ce n'eft pas que volontiers , avec tant » d'honnêtes gens qui font profeffion de cette » dodrine , je ne l'eufle pareillement em- » braflee , & fur-tout s'il eft vrai que par » cette dodrine de pores , ils prétendent don- 9 ner d'alfez bonnes raifons pour expliquer » intelligiblement le grand changement qtji fe » fait dans les arbres par le moyen des gref- » fcs. Je demeure d'accord que la comparai- » fon de l'ajuftoir paroît , en quelque façon , » favorable à leur delTein ; elle a d'abord quel- » que manière d'éclat qui éblouit & qui tou- » che ; mais j'ofe dire qu'elle ne va pas , ce » me femble , jufqu'à perfuader & convain- » cre. » Le myftere des greffes eft certainement Végétation, Lïv. VIII, Ch. IL 335 » trop obfcur & trop enveloppé pour être » par là fuffifamment éclairci ; le nombre des » grandes difparités qui s'y trouvent furpafîe » de bien loin cette petite convenance qui a » fait d'abord un fi grand bruit : expliquous- » en quelques-unes , & voyons ce que cette » explication opérera pour nous iuftruire. » Un ajuftoir, à force de fervir, s'ufe à la » longue , fe mine & fe gâte entièrement ; » notre écuffon , au contraire , fe fortifie » d'autant plus qu'il eft employé à faire fa: » fondion : chaque ajuftoir ne peut repré- » fenter qu'une certaine figure ; chaque écuf- ^ fon produit une infinité d'effets féparés les » uns des autres , & très-différents entr'eux , j» favoir , une écorce , du bois , des feuilles , » des fleurs , des fruits , &c. ; joint que par Jo là , on pourroit dire que notre écuflbn qui » produit une infinité d'autres écuffons , pro- » duiroit en effet une infinité d'ajuftoirs ; » ce qui ne peut en façon du monde con- » venir aux ajuftoirs des fontaines , lefqueîs » font incapables de fe multiplier ; joint aufiî » que toutes fortes d'ajuftoirs peuvent fervir » à toutes fortes d'eaux , & que cependant » chaque écuffon eft reftreint & limité à un© » cfpece de fruits particuliers ; ceux , par » exemple , qui font à pépin , ne pouvanc » fervir qu'à ceux qui font à pépin , ni tous » les autres pareillement , chacun dans leur » catégorie ne pouvant fervir à des efpeces » étrangères. » Et partant , qui eft-ce qui peut être clal- »remcat convaincu par cette comparaifo» 355 T R A I TÉ D £ r A «comme quoi il fe peut faire qu'un petit » nombre de pores tout feul ait le don de » faire changer par lui-même toute la difpO' » fition d'un grand nombre d'autres potes tout »difFéreRts? ' » Et pour augmenter ici notre difficulté , » il me femble qu'il eft vrai de dire que ^e ■ » petit nombre des pores eft comme étran- 5) ger & foible , & en quelque façon altéré »'dans la greffe qu'on applique ; au lieu que , - » s'il eft permis de parler ainli, le grand nom- » bre eft comme chez foi , & foutenu d'un 5>pied fort & vigoureux fur lequel cette » greffe étrangère vient à être appliquée : fi ».bien que vraifemblablement le petit nombre ».devroit s'accommoder au grand & céder à yr l'impreflion que le fort , félon l'ordre de la » Nature , peut donner au foible ; & cepen- > » dant voici une occalion où le grand cède » prefque honteufement , & le petit a tout » l'honneur & tout l'avantage de fon côté. » Un miférable éculfon dépayfé &l dépourvu » de fecours de fes parents , dont il femble^ * » roit avoir néceffairement befoin pour fe 5) pouvoir au moins conferver dans fon être » fpécifique ; ce petit écuffon n'ayant avec » foi qu'un peu de fève paternelle , vit & non- ». feulement fe. maintient dans fon efpece , » mais fe trouve affez le maître pour mener » comme en triomphe cette grande quantité «d'autre fève étrangère parmi laquelle il fe » vient mêler. C'eft un petit ruifTeau qui arrête 3> au milieu de fa courfe un torrent impé* »tueux & violent, & le réduit àfeconten- »ier^ Végétation , Liy. VIII , Ch. II. 337 » ter , pour un temps , de fon petit lit , au 3> lieu de fuivre cette route furieufe où il » étoit emporté. » Le pied vigoureux d'un arbre par la dé- » termination du fecours ordinaire de fon » adion , & par le moyen de la fève que fes 5> racines ont préparée , alloit à faire un cer- » tain fruit d'un tel goût , d'une telle cou- » leur , d'une telle figure , &c. Cette fève » trouvant en fon chemin une ou pîuiîeurs » petites greffes qui lui étoient inconnues , » plie d'abord fous leurs ordres , & fe laifle » déterminer à faire des arbres & dés fruits » différents. 3> Ceft ainfî qu'un coignafîier qui étoit en » train de faire des pommes de coin , que » tout le monde fait être un fruit dur , revêche , » pierreux & défagréable , fait cependant un » ou plufieurs poiriers , & un nombre infini » de poires très-bonnes & très-douces ; un J> amandier qni n'alloit qu'à faire des amandes, 5> fait des pêches , des prunes , des abricots , » tout cela par l'entremife de quelques petits 5> écuffons , qui étant , pour ainfî dire, revê- 3> tus d'un caradere dominant , fe préfentent » au paffage de cette fève , enforte qu'elle eft » entièrement obligée de prendre la route » qu'ils lui prefcrivent , & par là efl foumife » & affujettie à ces changements û grands & » fi furprenants qui nous arrivent tous les » jours par le moyen de nos greffes. » A voir de quelle manière <& avec , quelle «autorité cette petite greffe fe fert avanta- » geufement de la chofe même qui feroit ca- Tom&lV. Y f 338 Traité delà » pable de la noyer & de la détruire , ou au » moins de lui faire changer de parti , ne femble- » t-il pas que ce foit un enfant foible & étran- 3> ger qu'on vient mettre à la tête dune armée » qui combat , & dans le temps même qu'elle » combat ? Je vois cette armée toute en feu » & continuant vigoureufement ce qu'elle » avoit commencé par l'ordre d'un premier 55 Général ,• je vois cet enfant qu'on lui vient » mettre à la tête , exprès pour lui donner » des ordres nouveaux , & lui faire employer » fa force & fon courage à l'exécution d'un » deiïein tout différent. En effet , cet enfant , » tout enfant qu'il eft , difpofe fur le champ «cette armée à faire une entreprife toute y> contraire ; il faut bien que ce foit par quel- » que caradere royal qu'il porte en fa per- » fonne : & voilà pourquoi cette armée , toute >5nombreufe, toute vigoureufc & toute agif- » fante qu'elle étoit pour un autre ouvrage , J> reconnoilTant d'abord cette autorité fouve- 3> raine , fuit aveuglément ôc exécute , fans » aucune répugnance , tout ce que cet enfant » veut bien lui ordonner : mais véritablement »ce n'eft peut-être pas pour long - temps » qu'elle lui obéit ,• il pourra bien venir quel- » que nouveau Commandant qui aura le même » avantage fur ce dernier , que ce dernier s'eft » trouvé avoir dans la conjondure que nous « venons d'expliquer : & ainfi cette fève , après 5î avoir paiTé par les ordres de celui-ci , de- » viendra elle-même , avec toute fa nouvelle » livrée, l'inllrument d'obéiflance & d'exécu- » tion pour un autre* VÉGÉTATION, LiV. VIII, Ch. II. ^3^ » Il femble que la Nature ait ici voulu ti borner le cours de nos curiofités & con- 9 fondre la vanité de nos petites lumières 5 »> il femble qu elle fe foit contentée de nous » avoir infpiré la manière d'appliquer l'agent » au patient , fans vouloir nous laiffer décou- » vrir les reflTorts qu'elle remue dans une telle » application ^ pour en faire fortir cette quan- » tité innombrable d'effets fi furprenants , » &c. » De tout ce que nous avons dit ei-dêvant » fur cette matière de greffes , je ne puis » m'empêcher de conclure qu'il faut bien fûre- » ment qu'il y ait en cela quelqu'autre chofe de «plus extraordinaire que ce qu'on vient d'at- » tribuer à une fimple rencontre de certains » pores figurés d'une telle ou d'une telle autre » manière «. Ainii raifonnoit fur les greffes le bon la Quintinie , & ainfi a-t-il railbnné fouvent fur d'autres objets , comme on peut le voir dans fes Réflexions fur l'Agriculture î ce que je viens de citer fuffit , ce me femble > pour juftifier ce que j'ai dit de fes raifonnements phyliques , de fes principes fur la végétation , & de fes comparaifons. Je n'en parle, je le répète , que pour détruire les erreurs que puifent encore dans fes Ecrits beaucoup de gens peu infh'uits , quiétabliffent leur croyance fur la célébrité du nom de l'Auteur : c'eft ce qu'ont fait auffi plufieurs Ecrivains ; & c'eft ainfi que fe tranfmettent & fe perpé- tuent les fauffes idées. Quand il y auroit moins de vues mal dirî- y % 340 Traité de la gées dans ce que je viens de rendre des Ecrits de la Quintinie , il faut convenir que nous n'en ferions pas plus avancés ni plus éclairés fur la théorie des greffes , parce que cet Au- teur , comme bien d'autres , a été chercher du merveilleux où il n'y en a points Sans avoir recours à de fauiTes comparai- fons , telles que celle des ajuftoirs & autres qui n'ont rien d'intelligible , tenons-nous-en à confidérer l'opération des greffes d'une manière aufli lîmpie qu'elle fe fait en effet ; & elle devient alors aifée à expliquer & à comprendre. Si je fuis le premier qui l'explique auffi intelligiblement , c'eft que je fuis le premier qui la voit & la rend aufli limplement. Je dis qu'une greffe eft une bouture pla- cée fur im arbre. ' Cette limple définition bien entendue rend tout le refle aifé à expliquer : nous avons va qu'une bouture fublilte d'abord de la portion de fève dont elle eft pourvue & des fucs qu'elle tire de la terre , même dans fon état d'imperfec- tion ; Se qu'enfuite die pouffe des racines qui fournifTent à fon exiftence & à fa croif- fance. De même , une greffe , conlidérée comme bouture , fubfifte d'abord de la portion de fève dont elle eft pourvue, & des fucs qu'elle tire de l'arbre fur lequel on l'a pofée ; elle s'y enracine enfuire par l'union qu'elle con- trade avec cet arbre; & cette union qui lui tranfmet la fève que fournifTent les racines du fujet , qui deviennent alors comme fes VEGETATION, ElV. VIII, Ch. II. 341 propres racines , opère fon développement & fa croilTance. Par la fuite du temps , la greffe & le fujet ne paroiffent faire qu'un feul & même arbre : mais l'organifation de l'un & de l'autre ne changent jamais > l'un & l'autre quoiqu'unis confervent toujours & en tout leur eifence générique & fpécifique ; de ma-» niere qu'ils font toujours chacun, les pxodudions qui leur font naturelles. On voit que l'écorce & le bois de l'un & de fautre ne changent point,malgré leur union; leurs feuilles , leurs fleurs & leurs fruits font & feront toujours les mêmes. Par exemple, tandis qu'un pêcher, greffé fur un prunier , donnera , dans toutes les parties qui appar-^ tiennent à la greffe , les produdions naturel- les au pêcher , la partie du fujet qui étoit ici un prunier ne donnera que les produc- tions naturelles d'un prunier ; de forte que fi fur ce fujet il vient à pouffer une branche, elle donnera des prunes, tandis que la greffe donnera des pêches ; parce que de même qu'une branche comme bouture ne change point d'organifation & de nature pour être mife en terre , & qu'elle conferve toujours là même efpece que celle de l'arbre dont on fa féparée, il en efl: abfolument de même d'une branche ou greffe pofée fur un arbre qui la nourrit : ainfî le fujet ne change rien à la greffe, comme la greffe ne change rien au fujet. J'ai dit que la greffe s'enracine dans l'ar- bre; & quoique ce ne foit pas de la même manière que la bouture s'enracine en terre» Y3 Traité de ia pour fe convaincre de lefpece de radicatioii dont je parle , il ne faut qu'examiner le nœud qui fe forme toujours à l'infertion des greffes ; on y apperçoit un peloton de fibres entor- tillées 6c repliées en plulîeurs fens , qui font fi bien des germes de racines quelles fe déve- loppent & pouffent en peu de temps , lorf- qu'on couvre de terre ce nœud de la greffe. Mais , dira-t-on peut-être , je conçois qu'une petite branche nommée bouture , oi| une petite branche nommée greffe , peuvent être conlidérées de même ; mais un éculfon , un petit morceau d'écorce, bien différent d'une branche , comment peut-il s'enraciner dans un arbre ? Tout de même , comme je l'ex- pliquerai plus amplement en parlant de cette çfpece de greffe. Je dirai feulement ici qu'il ne faut pas conlîdérer un écuffon comme un lîmple morceau d'écorce ,• comme tel il eft incapable de faire aucune produdion , il faut pour cçla qu'il foit pourvu d'un petit corps ligneux fur lequel eft implanté le bouton ou œil , comme difent les Jardiniers , qui n'a befoin que d'une fève qui lui convienne pour faire fur le fujet où on l'applique les mêmes développements & produdions qu'il auroit faits fur la branche où on Fa pris ; & fon çfpece de radication , fon incorporation au fujet eft la même que celle de la branche en- tée, comme le prouve un nœud tout pareil qui fe forme à fon infertion : nous en parle» rons plus amplement. De même que là bouture trouve en terre une fève qui lui ci^nyient , il faut que la Végétation, Il V. VIII, Ch. II. 345 greffe trouve dans l'arbre des fucs qui lui foient propres j fans quoi point d'analogie & point de fuccès ; il faut que le lait de la nourrice convienne à cette efpece d'enfant , qui fans cela périt infailliblement : il faut de plus , en me fervant de la même comparai- fon ^ que la bouche de l'enfant foit appliquée fur le teton de la nourrice , autrement il ne pourroit fucer le lait. Nous expliquerons cette circonftance néceflaire dans le Chapitre fuivant. Si fai rendu mes idées fur les greffes aufïî clairement que je les conçois , j'ai lieu de croire que le jour que j'ai répandu fur cette partie regardée comme inexplicable, la rend très-apparente & très-intelligible , & qu'enfin j'ai donné la folution de ce problème donc on a tant parlé. Ce qui me refte à dire en prouvera de plus en plus la certitude , dont nous allons tirer plufieurs conféquences très -utiles pour la fureté & les progrès de l'art de greffer. D'après les explications que je viens de donner, on voit que le fujet ne peut rien changer à la nature & aux produdions de la greffe, & c'eft en effet ce qui ^rrive conf- tamment. Ainfi on ne donnera plus de croyance à ces prétendus mélanges de fève dont on a parlé , puifqu'on voit que quand bien même des greffes de rofier réulliroient étant pofées fur des houx ou fur des genêts , ce qui eft contre Tordre delà Nature, lesrofes qu'elles produiroiçût nç feroient ni vertes ni jaunes , Y i f 344 Traite de la comme plufieurs Livres Font dit & l'ont faîf croire aux gens peu inftruits : on ne perdra plus fon temps à vouloir former de ces al- liances merveilleufes que l'ignorance a préco- nifëes , mais qui ne peuvent jamais réuflir. Etant bien alTurés qu'une greffe ne peut fubfifler & croître que fur un fujet dont les fucs lui conviennent , les Jardiniers ne feront point de vaines tentatives , quand ils com- prendront & fauront que toute autre unioq ne peut réuîlir. Mais en s'appliquant à recon- iioître la parité (les fucs , ils pourront trou- ver plulîeurs alliances polîibles & qui font encore inconnues , fur - tout à l'égard des arbres étrangers. La lymphe étant , comme je le crois , à peu près la même dans tous les arbres , c'eft îa différence des fucs propres qu'il faut obfer- ver ; mais cela ne fuffit pas encore , il faut examiner le temps où la fev« commence à fe mettre en mouvement au Printemps : on fait que cette époque n'eft pas la même dans tous les genres d'arbres, & il eft néceffaire qu'elle le foit dans la greffe & le fujet. On a dit qu'en mettant fucceffivement plu- fieurs greffes les unes au-deffus des autres fur un poirier , les fruits en devenoient d'un goût plus relevé & meilleur ; cela peut être , non pas parce que ces greffes y changent quelque chofe pat elles-mêmes , mais parce que l'arbre , affoibli par ces différentes greffes , ne recevant plus la même abondance de fève terreftre , dont le cours eft gêné en paffanc par pkfienrs nœuds, reçoit avec plus d'effi«* VEGETATION , lîV. Vîîï, Ch. IL 34Î cacité les influences de la fève aérienne. Voyez ce que nous avons dit ^ ce fujet aux Chapirrcs de ces deux Sèves. Il eft certain que la greffe afFoiblit la végé- tation ; jamais un arbre qui a été greffé ne seleve & ne grofîic autant que celui qui ne Fa pas été. Je viens d'en dire la raifon. Si le nodus qui fe forme à l'infertion s'op- pofe au libre cours de la fève montante , il arrête encore plus celui de la fève defcen- (dante : on peut s'en convaincre par l'examen des émanations qui fe font au pied de la greffe qui recouvrent en peu de temps la coupe du fujet ; car ce recouvrement fe fait évidemment par la fève defcendante de la greffe, le bois, récorce & les rameaux qui en fortent quel- quefois , étant de la mêm.e efpece : de forte (}ue de même que la fève defcendante vient former un bourrelet au pied d'une bouture d'où partent des racines , elle en forme un pareillement au pied de la greffe où fe forme fon efpece de radication , fon union avec le fujet qui la nourrit. Je dois d'autant mieux prouver que le bourrelet qui fe forme toujours au pied_ de la greffe & qui recouvre la coupe du fujet, provient des émanations de la fève defcen- dante de la greffe, que M, Duhamel a dit à l'article des Greffes , page 83 , qu'il n'eil guère poiîible de révoquer en doute que le fujet n'en produife une bonne partie. Cet Auteur, dont je refpede les lumières & la mémoire , n'a fans doute dit cela que par iïiadvertarice , & c'eil plus pour juftifîer fes 34<^ Traitédis la connoiflaaces que pour critiquer fes Ecrits que je relevé une erreur qui lui a échappé pour le moment; il nous a bien prouvé le contraire dans une quantité d'expériences fur les effets de la fève defcendante, & il ne pouvoit ignorer un fait certain qui détruit cette erreur : c'eft qu'il ne fe forme jamais de recouvrement fur la coupe d'une tige ni fur celle de l'extrémité d'une branche , à moins qu'il n'ait pouffe une nouvelle branche à cote. Mais comment la même fève qui nourrit & fait croître le corps ligneux d'un prunier peut-elle en même temps nourrir & faire croître le corps ligneux d'un pêcher ? En lifant avec attention ce que nous avons expli- qué au Chapitre de la Nutrition des Plantes » on fera en état , iînon de développer tous les replis de cette végétation, au moins d'en concevoir les effets par l'affinité & l'attrac- tion dçs particules homogènes que les vifce- res des plantes s'approprient au paffage de la fève qui en eft le véhicule : par exemple , ici ce qui ne convient point au prunier , & qui , dans fon état naturel , fe feroit exhalé & diffipé par les pores des feuilles , convient au pêcher qui le retient & fe l'approprie , en laiffant pafler & exhaler ce qui ne lui convient pas. Tout le refte tient à l'organifation parti- culière de chaque efpece de plante qui règle décidément les produdions de chacune ; cette différence d'organifation , de difpofîtion , d'ar^ rangements de fibres , bien conftatée par nies VEGETATION, IlV. VIII, Ch. II. 547 expériences faites avec des liqueurs colorées, «ft pour nous plus admirable qu'explicable ; c'efl: un travail d'un tiflu fi fin qu'il paroît imperceptible pour toujours à la foibleiTe de notre vue : mais qui fait fi à l'aide de bons jnicrofcopes , on ne parviendra pas à en dé- mêler quelque chofc par des obfervations affi- <îues & confiantes? Ne croyons pas que les laboratoires de la Nature foient auffi impénétrables qu'on le dit j nous voyons tous les jours qu'ils ne le fonç pas pour ceux qui , éclairés par le flambeau de l'expérience , favent marcher dans les rou- tes qui y conduifent : combien de nouvelles lumières nous ont donné la chymie & la phy- lique expérimentale! On peut juger par les Ecrits de la Quin- tinic &: de fes Contemporains où en étoient il y a cent ans les connoiffances fur la Végé- tation ; que dç progrès depuis ce temps-là doivent en faire efpérer encore d'autres ! Si les notions que m'ont donné les travaux de ceux qui m'ont précédé , fi mes expérienr ces & mes obfervations fuivies m'ont mis en état de voir ce qui n'avoit pas encore été ^pperçu , ne dois-je pas croire que plus ha- bile & plus laborieux que moi, verra en- core mieux & étendra beaucoup plus les limites de cette fcience ? Il ne faudroit pour cela qu'étudier cette intéreffante partie , en y donnant toute l'ap^ plication & les attentions fuivies qu'elle mé- dite ; mais c'eft malheureufement ce que font très-peu de Phyfieiens : il n'y a cependant qm 34^ Traité de la ceux-là qui , lorfqu'ils joignent la pratique à la théorie , puiiïënt marcher fûrement & avan- cer plus rapidement dans cette carrière. Quant aux connoiffances acquifes , tranf- mifes & expliquées par des Obfervateurs éclai- rés , il ne faut que de l'intelligence & de la mémoire pour en profiter ; mais encore faut- il y donner une certaine application fuivie ^ à laquelle fouvent on fe refufe : c'eft pour- quoi il y a fî peu de gens inftruits fur les opérations de l'agriculture & du jardinage. Ce que je viens de dire fur la théorie des greffes eft fuffifant pour éclairer dans l'art de greffer. Il y a plufieurs procédés connus que nous allons examiner féparément ; quoique diffé- rents en apparence , ils font tous les mêmes , & tous font fondés fur les mêmes principes que je viens d'expofer , parce que la vérité efî: par-tout & toujours la même. *■'"■,■"■ - ■ ^ CHAPITRE III. D De la pratique des Greffes, 'Après ce que nous venons d'expliquer fur rhiilorique & la théorie des greffes , l'indication que nous allons donner des diffé- rentes manières de greffer ne fera point , comme je l'ai dit , un bâton mis dans la main d'un aveugle , puifque ceux qui auront lu avec réflexion les explications précédeur VEGETATION, LiV. VIII , Gh^^ lïl. 349 tes & celles que nous allons donner encore, feront clairvoyants dans la pratique. Il y aplulîeurs manières connues de greffer; toutes tendent à remplir le même objet ; favoir, à implanter un arbre fur un autre ; car c'efl là l'unique effet de cette opération. Il ne man- quera point d'avoir lieu , lî on obferve les pré- cautions nécelfaires ; il y en a trois eifen- tielles : 1°. L'analogie de la greffe avec le fujet. 2°. La faifon convenable. 3°. La manière de pofer la greffe. J'ai déjà parlé de l'analogie , c'eft-à-dire de la conformité de l'elfence de la fève & du temps qu'elle fe met en mouvement : exa- minons-en ici les efiietSi En obfervant des greffes en fente , quand elles commencent à pouffer , on appercoic que toute la partie qui étoic embrafîee par l'écorce, ainfî que les vuides que l'inexadi- tude de l'opération avoit laiffés entre la greffe & le fujet , font remplis d'une fubltance ten- dre j herbacée & comme grenue ; & à la partie qui repofe fur l'aire de la coupe du fujet , il fe forme un bourrelet ou un épan- chement de cette même fubftance herbacée , qui s'étend pour recouvrir l'aire de cette coupe : mais quoique le bois des greffes tou- che immédiatement celui du fujet, on remar- que que ces deux bois ne s'unilfent jamais l'un à fautre ; celui des greffes fe deffeche & meurt , & la réunion ne fe fait qu'au moyen de la fubflance herbacée qui tranlfude entre le bois & l'écorce. 50 Trâîtêdèla En examinant quelque temps après lc§ greffes plus avancées ^ on trouve la fubftancc herbacée endurcie ; les lames intérieures de lecorce de la greffe & du fujet paroiiTenc continues ; de forte qu'on n'apperçoit la dif- férence de ces deux écorcès que par celle de leur couleur , & quelqu'autres caraderes aîfez diftindifs pour en marquer la féparation : mais on apperçoit dans le nodus dont j'ai parlé , un travail fi confus qu'il n'eft pas aifé d'en fuivre le tiifu tortueux. Une (quan- tité de fibres , de filets ligneux, entrelaffés & entortillés, repréfentent d'abord la radi- cation de la bouture , & à mefure qu'ils fô développent, ils s'étendent pour s'aboucher, & fe fonder aux fibres du fujet auxquelles ils s'uniffent; de manière qu'après plufieurs années les fibres paroiiFent tellement d'une feule pièce , que quand l'analogie entre les deux arbres ell parfaite, & quand les deux bois font de même couleur , on a peine à appercevoir le point de cette union ; de même qu'on ne l'apperçoit pas au point où fe pla- cent naturellemeiit les bourgeons qui fortent de l'extrémité d'un arbre étêté , & la greffe, tenant la place d'un bourgeon naturel , s'y incorpore par la fuite de la même manière ; mais quand l'analogie n'eft pas auili parfaite , les marques de cette union ligneufe reiîent toujours plus ou moins apparentes. Les effets de toutes les greffes , quoique différentes en apparence , s'opèrent cependant de même : li on examine des écuffons peu de temps après leur application , on remar-* VEe^EtATioM,Liv. Vlli, Ch. m. 3^i que , en les diflequant , que les bords de Tan- cienne écorce qu'on avoit détachés du bois pour placer l'écuiïbn , font delTéchés & morts; mais les bords de lecufTon très-vivants font garnis de la même fubftance herbacée que produifent les greffes en fenre. On ne voit point d'adhérence entre le filet ligneux de récuflbn & le bois fur lequel il eil appli- qué , comme on n'en voit point dans la greffe en fente : mais on trouve fous l'écorce de l'éculTon un feuillet ligneux qui eft de fa même nature , & qui épaifïit & s'étend de plus en plus , à mefure que cet écufTon poufle & fait des produdions. On apperçoit autour de ce filet ligneux des points d'adhérence avec le bois du fujetj c'efl ainfî que l'écuffon forme fa radication & s'implante dans le fujct , dont les émana- tions femblent venir à fa rencontre pour le recevoir. Leurs fibres refpeâives viennent s'aboucher, & forment une union d'autant plus parfaite qu'elles ont de plus intimes rap- ports; de forte qu'au bout de quelques an- nées , elles font fi continues qu'il ne parole prefque point ds féparation. On obferve que J'éculfon ne fe joint au fujet que par quelques points d'union , lorf- ' qu'il y a moins d'analogie entr'eux ; mai§ lorf- qu'il n'y en a aucune, ils ne s'unifient en au- cun point. On voit que les émanations qui fortent entre le bois & l'écorce de la greffe , de même que celles qui fortent entre le bois & l'écorce du fujet, produifent des fibres cor-* 352. Traité de la ticales , & deUoiis des filets ligneux qui éma- nent de ces deux parties. Les premières fibres ligneùfes qui partent de leculTon émanent du petit corps ligneux fur lequel eft implanté le bouton ; cela eft il vrai que quand l'écuflbn n'en eft pas pour- vu, l'écorce feule ne laifle pas de fe gref- fer ; mais elle ne fait aucune produdion li- gneufe : c'eft ce que l'expérience ne manque jamais de prouver. C'eft donc une erreur dans laquelle font tombés quelques Auteurs de croire que l'é- corce feule peut produire du bois : toutes les obfervations bien faites démontrent le con- traire ; mais il y a des circonftances où l'on voit le bois produire de l'écorce. Il paroit étonnant qu'un petit morceau d'écorce & un très -petit cône ligneux qui n'a encore contradé aucune union avec l'ar- bre fur lequel on l'applique, puifle faire quel- ques productions ; on en eft cependant con- vaincu en examinant un écuflbn de pêcher , dont le bois eft jaune , appliqué fur un pru- nier dont le bois eft rouge ; la différente couleur de ces deux bois fait voir diftinde- ment que l'écuffon ainli que le fujet ont con- tribué à la formation des points d'union par les filets ligneux qui font fortis de l'un & de l'autre , & qui fe font unis pour établir îa communication. Il eft vrai que cette <:om- munication n'eft que bien lente & bien foi- bie , tant que l'écuflbn n'a pas fait de pro- dudions extérieures : ce n'eft que lorfque le bouton développé a poulTé un bourgeon vigou- reux , Végétation, Liv. vin, Ck. III. 353 reux , comme il arrive ordinairement, que les émanations de 1 eculTon deviennent abon- dantes , que s'étend fa radicatioa , & que ion union avec le l'ujet commence à fe perfedionner ; c'ed encore en cela la même marche d'une bouture qui , après avoir fubflflé quelque temps de fon propre fonds 6c de quelques fucs qu elle afpire , doit faire éciorre quelques bourgeons avant de pouvoir pouffer des racines. Ces explications nous mènent à reconnoître àt plus en plus la néceffité de l'analogie en- tre la greffe &l le fujet ; mais elle peut être parfaite , moins parfaite , foible ou nulle ; 10. Lorfqu'elle eft parfaite , le fuccès eft com." plet , toutes les fibres s'uniffent fi complette- ment qu'on a peine, comme nous l'avons dit, à diftinguer le point de leur union au bouc de quelques années ; le cours delà fève étant ainli très-libre , l'arbre végète , croît 6c dure prefque de même que s'il navoit point été greffé ; je dis prefque de même , car je croijs que quelque parfaite que foit Tuiiion , elle y occafionne toujours quelque différence. Il faut donc tendre à cette analogie par- faite le plus qu'il efl poffible , & on doit s'appliquer à étudier les rapports que les ar-» bres ont entr'eux , pour ne greffer les uns fur les autres que ceux que Ton reconnoïc avoir le plus de convenance : celt le moyen d'avoir des arbres vigoureux & de longue durée, tels qu'on doit fe propofer d'avoir des arbres foreciers Si d'alignement, ou des arbres fruitiers en plein vent dans les ver- Toms IV. Z 554 T R A I T É DE L A gers. Mais à l'égard des arbres nains & d ef- palier, comme on doit plus conlidérer leur abondante frudification que leur vigueur & leur durée, une analogie moins parfaite rem- plit mieux cet objet. '^ Nous avons expliqué pourquoi les arbres qui pouflent avec trop de vigueur, c'eft-à-dire qui tirent une grande abondance de fève ter- reftre , ne donnent point ou que très-peu de fruits. Il eft donc avantageux de diminuer tetice abondance de fève à l'égard des arbres nains dans les potagers , & c'eft ce qu'opère une moindre convenance. 2«, L'analogie étant moins parfaite, mais cependant fuffvfante pour former l'union de la greffe au fujet , la végétation fera plus fôible, parce que les fibres refpedives ne s'étendent pas & ne fe foudent^ pas aufTi- bien ; celles de la greffe , moins développées, reftent repliées dans le nodas quelles for- ment , & qui cft toujours apparent ; la fève terreftre n'y a pas ainfi un auiîi libre cours, de même que la fève aérienne , double rai- fon pour que l'arbre poude moins en bois & frudifie mieux ; ce qui arrive effedive- ment toujours , mais aulIi la durée en eft plus courte : par exemple , un coignaf- fier vit très-long-temps , même dans des ter- rains alfez fecs , & les poiriers , greffés fur le coignaffier , ne fubfiftent pas long- temps dans ces fortes de terrains. Il n'en eft pas de même des poiriers greffés fur leurs fauva- geons > ils durent très-long-teraps , mais ils ne frudifient ni fi-tôt ni fi bien. VEGBTkttoff, Ltv. Vni, C^. III. 3t5 3**. Si Fanalogre n'eft que foifale , les gref- fes ne donaenc que quelques apparences de fuCr ces qui s'évanouinent bientôt ; telles font cel- les du laurier-cerife fur le cerifier, du lilas fur le frêne, Sec. Ces fortes de greffes qu'on s'eft trop emprelTé de préconifer fur les premières apparences de réuffice , périffent fouvenc dès la première année , & ne fe foutiennenc ja* mais la féconde ; leur dilTedion fait voir qu'il n'y a eu que quelques fibres qui fe font unies foiblement, & les fucs de la greffe font ex- travafés dans les autres où le défordre appa* rent fait coiinoître qu'ils s'y font corrompus ,, parce qu'ils n'ont point trouvé de parité dans les fucs du fujet qui s'y font corrompus de même ; c'eii pourquoi la mort de la greffe eff ordinaitement fuivic de celle du fujet , à moins qu'il ne s*y foit développé quelque bourgeon qui le mette dans fon état naturel de végétation. Lorfque Tanalogie efl moins foible , h greffe fublîfte plus long-temps : par exemple, l'amandier qui réuiîit mal , étant greffé fur le prunier , ne laiffe pas quelquefois d'y pouf- fer , & même d'y frudifier ; mais ces fucciB« font rares & de peu de durée, Il parok d'abord étonnant que Tamandier ne réufîiffe pas fur le prunier , puifqu'on fait que le pêcher réuliit également fur le prunier ÔC fur l'amandier, & qu'ainfi ces trois arbres ne par roiffent pas être d'une nature différente ; mais cet étonnement ceffe en faifant attention que l'analogie nécelfaire dans les greffes ne conr fiftc pas feulement dans la fimilitude de J* Z z ^<^6 Traité de la fève , mais de plus dans le temps qu'elle fe met en mouvement. Lorfque la fève de la greffe de pêcher fe met en mouvement , elle trouve en adion celle de l'amandier qui fournit à fa fubfif- tance ; il n'en eft pas de même de la greffe d'amandier , dont la fève , fe mettant en mou- vement de très-bonne heure au Printemps , ne peut tirer de fecours de celle du prunier, dont l'adion elt beaucoup plus tardive. Cette contrariété eft évidemment fuffifante pour faire languir & périr cette greffe , dont la tranfpiration , la diflipation n'eft point réparée. Il eft évident qu'une pareille greffe , faite en fente vers la fin de l'Hiver , doit toujours périr fans faire aucune produdion ; mais elle reprend très- bien en écufîbn , parce qu'au temps de l'Eté , ces deux fèves analogues d'ailleurs font également en mouvement , &c tout iroit bien 11 au Printemps fuivant, elles s'y mettoient de même , ou que du moins il n'y eût pas tant de différence. Cette explication fait évidemment connoî- tre combien cette circonftance de l'analogie^ eft effentielle. -■40. Enfin, s'il n'y a nulle analogie entre la greffe & le fujet, il ne peut y avoir au- cune réuffite , parce qu'il ne peut fe faire aucune union. '"■'On peut donc, avec certitude, regarder comme pures chimères tout ce que difent plulieurs Livres d'Agriculture de ces greffes cxti:aordinaires. Les Auteurs qui en ont parlé VEGETATION, LlV.Vin,GH, III. 3^7 n'ont fait , comme Virgile , que des fidions poétiques , ou comme Pline , ont ren^du dès erreurs ; d'autres qui les propofent , n étant nullement fondés en expérience , n'en ont parlé qiie d'après leur imagination. Que l'on ne croie donc point, d'après les citations de ces Auteurs , que l'on puifle greffer avec fuccès un poirier fur un orme , fur un charme , fur un chêne , la vigne fur le noyer , les pêchers fur les faules , &c. ; tout cela n'a fervi qu'à faire perdre du temps à ceux qui ont voulu tenter d'en faire les eflais. Il eft étonnant que des hommes éclairés aient donné dans de pareilles bévues , & en- core plus qu'on les ait confignées parmi les Ecrits des Savants auxquels on doit ajouter foi. On trouve dans les Mémoires de l'Acadé-^ mie des Sciences de Paris, année 1704, que M. Lémery parle d'un prunier greffé fur coi- gnaffier , qui donnoit des fruits qui ne con^ tenoient qu'un fçul pépin : mais eonime il eft certain qu'on ne peut parvenir à faire réullir un arbre à noyau greffé fur un arbre à fruit à pépin , il eft aile de juger la çits^tion dç M. Lémery. D'ailleurs j'ai déjà i\t &. je v^is prouver encore mieux , qu'une greffe ne fait jamais d'autres produ^ions que celles qu'elle auroit faites li çlle çut refté fur l'arbre dont pq Va tirée. L'union de la greffe au fujet ne change riça à l'eifence de l'un & de l'autre, à leurorga-r nifation , à leurs propriétés , à Içurs produG'» 5^3 T R A ï T i 3 ? Z A dons refpcâivçs ; elle eft plus propre à conferver les efpeces qu'à Us changer ; elle peut tout au plus concourir à leur donner quelque perfedion , mais fans pouvoir chau" ger leur nature : c'eft une vérité démontréç conilamment par rexpérience. Si on greffe l'eipece de prune nommée reine-claude fur l'amandier , fur le pécher, fiir le prunier , fur l'épine noire , oo aura toujours la même efpeçe de prune. On greffe , comme on fait , le pêcher fur k pêcher fauyageon , fur l'amandier & fur différentes efpeces de prunier , fans qu'on apperçoive aucun changement dans les efpe- ces. Une même efpeçe de poirier , greffé fur le poirier fauvageon , fur le coignaffier , fur l'é^ pine blanche & fur le nefRier , ne reçoit au^ Cun changement dans fes fruits ; c'eft , comme je r^i dit , une bouture qui ne peut faire que les produàions qui lui font naturelles ; Ôç cela , félon ce que j'ai dit çncore, j'ofe dire le premier , au Chapitre de la Sève aérienne, parce que c'elt cette fève pompée par les feuil- les , & non pas la feye tèrreftre qui vient d<^s racines, qui donne les fuçs propres aux fruits. M, Duhamel en donne une preuve, en citant un effet dqnt il y a apparence que ce favant Naruralifte n'avoit pas connu la caufe, puif- qu'il n'en ? rien dit ; niais il prétend prouver fpulemenr par le fait qu'il cite , qu'il y a tour près d^s fruits des organes qui operenc la principale préparation de la fève. Ji dif avoir greffé p^r approche un çitroa VEGETATION, LlV. VIII, Gh: III. 3^9^ nouvellement noué fur un oranger ; & quoi- que ce fruit déjà formé fût joint à Varanger par fa queue , qui n'avoir que quelques lignes de longueur , le citron groflit & parvint à fa maturité , fans avoir en rien changé d'ef- pece ; il ne participoic nullement de l'o^ range. Ne voilà-t-il pas une preuve bien évidente des effets de la fève aérienne , félon Forga^ nifation naturelle des parties des plantes qui s'alîimilent par affinité les particules qui leur conviennent , comme j'ai tâché de l'expliquer au Chapitre de la Nutrition. Ceft un vafle champ ouvert aux fpéculations des Physi- ciens qui poufferont plus loin que moi les fuites de cette découverte qui n'eu pas la moindre de celles que l'on trouve dans cet Ouvrage. Non-feulement l'union de la greffe & du fujet n'apporte aucun changement à leur or- ganifatioa & à leurs productions refpedives, mais même elle ne change rien à leur croif- fance naturelle. Un citronnier greffé fur un oranger nous en fournit une preuve bien évidente ; le pre- mier, dont la croiffance ell beaucoup plus rapide que celle de l'autre , fait voir une grande difparité de groffeur entre fa tige & celle de l'oranger ; lorfque celle-ci n'a acquis que trois ou quatre pouces de circon- férence , celle du citronnier enté deffas en a acquis iix ou huit ; ce qui occafionne une difformité monllrueufe fur une pareille tige , qui ne doit pas engager à pratiquer cette Z 4 • ^6q Traité de la greffe , quoique d'ailleurs elle réufÏÏflJb bien : cet incoHvétiient n'a point lieu en greffant l'oranger fur le citronnier , fur-tout s'ils ne font pas continuité de tige. S'il arrive que les greffes périffent faute de nourriture , il arrive auffi quelquefois que le fujet pédt , parce qu elles en tirent trop >; c'eii ce qu'on appelle des greffes gourmandes qui affament & deffechent leur nourrice qui lie peut leur fournir affez de lait , & la mort dé cette nourrice doit néceffairement être fuivie de celle du nourricon ; cela n'arrive point par défaut d'analogie des fucs , mais par une difproportion organique à laquelle il faut encore faire attention ,• car il convient quil y ait entre la greffe & le fujet de cer- tains rapports d'organifation , & une fimili» tude de parties , fans laquelle elle ne reprend abfolument point , ou elle ne peut fubfiiler long-temps. Pour qu'elle réufiifîe parfaite- ment, il f^ut qu'elle s'uniffe li intimement avec le fujet , qu'elle devienne comnie une de fes branches naturelles. Tous les arbres fe reffemblent en certains points généraux , tous ont des vaiffeaux lym- phatiques, des vaiffeaux propres , des utricu- les , 6îc. ; mais le différent grain des bois , leurs différences pefanteurs Ipécifiques , leur différente dureté , rarrangement différent de leurs parties , enfin leur différente organifa- tion les rendent fort diffemblables , & pro- duifent les autres différences dont j'ai déjà parlé. Pour exemple des grefes qui affament le VEGETATION, LiV. VIII, Ch. III. 35t fil jet , je citerai celle du pêcher fur prunier : fi ou iaifTe croître en liberté & en plein vent un pareil arbre , on le voit languir & périr au bout de quelques années ; ce qui n'arrive point à celui que Ton met en efpalier : la raifon eft que le pêcher , quoique délicat , pouffe beaucoup de brins gourniands , plus même qu'il n'en peut nourrir naturellement , ce qui fait que les pêchers de noyau en plein vent font toujours remplis de bois mort , & pour l'ordinaire durent peu. Cette grande quantité de branches gourmandes épuifent cécelfairement le prunier qui a peine à leui: fournir la quantité de fève qu'elles confom- ment ; 4e là le dépériffement & la mort du pied , & conféquemment de la tête. Mais il n'en eft pas de même d'un tel arbre en efpa- lier , parce qu'on lui retranche toujours beau- coup de branches à la taille , Si. qu'ainfi oa ne lui en laifle que ce qu'il en peut nour- rir. Un autre exemple des greffes capables d'affa- mer le fujet , eft celle du pommier fur la petite efpece nommée paradis ;c'eft un moyen que l'on a trouvé pour avoir des arbres nains qui donnent de fort beaux fruits ; mais oi» n'en profiteroit pas long-temps , fi on n'a- voit pas foin de tailler & de rabattre les branches de pommier , car quoique ces arbres ne pouffent pas en bois aulli fortement que les autres , néanmoins les branches devien- droient d'une force & d'une confommation de fève fupérieure à la quantité qu'en peut fournir ce petit fujet qui n'a que peu déracines. ^6z Traité de là Il feroit à délirer que l'on trouvât quelque fujet propre à nous donner pareillement des poiriers nains. En voilà , ce me femble , alTez pour faire connoître la nécelîité d'analogie de la greffe avec le fujet , & les inconvénients qui réfui- rent de leurs différentes difparités. Je crois avoir aufîi prouvé fuffifamment que la greffe lie change jamais d'efpece ni de produdions : ainfi convaincus de ce fait, mes Ledeurs ne donneront plus croyance aux citations de plufîeurs Auteurs , & ne perdront plus leur temps à effayer vainement les greffes merveilleu- fcs qu'ils propofent. Toutes les manières de greffer , quoique différentes en apparence, font cependant effen- tiellement toutes les mêmes; elles ne differenc pas dans le point capital : toutes fondées fur le même principe , ont les mêmes effets , parce qu'elles ont la même caufe ; toutes enfin exi- gent la même difpofition , il faut néceffaire- ment , de quelque manière qu'on s*y prenne , pofer la greffe de façon que fon liber réponde le mieux qu'il eft poilible à celui du lujet ; fans cela , il n'y a & il ne peut y avoir au- cun fuccès : nous avons vu que ce qu'on a nommé /iber eft une membrane ou pellicule très-mince qui fe forme entre le bois & Fécorce ,• ce fera donc la même chofe en difant qu'il faut que les efpaces qui font en- tre le bois & l'écorce fe rencontrent parfai- tement , au moins en quelques points. Cet efpace étant le principal canal du cours de la fcve , ceft fa rencontre réciproque qui VEGETATION, Liv. VIII, Ch/III. g^? établit la communication de la fève du fujet à celle de la greffe ; & de là tous les effets dont nous venons de parler. Toutes les manières de greffer ufitées , & toutes autres que Ion peut pratiquer, exigent cette condition ; elle eft bien recommandée par tous les Auteurs & connue des Jardiniers dans l'opération delà greffe en fente, à emporte pièce , en approche , &c. : mais ils n'en par- lent point dans celle à écuffon , où elle s efl cependant pas moins eflentielle , comme je l'expliquerai. Si le fuccès dépend de la manière de placer les greffes , il ne dépend pas moins de la maniéré de les tailler ; il etl; étonnant que cette opération qui demande de l'adrefle , de la fouplelfe & de la délicateffe dans les doigts , fur-tout pour la taille de l'éculTon , foit uniquement aban- donnée aux mains grolîieres des Jardiniers. Si les doigts les plus fouples , les plus déli- cats, les plus adroits y font les plus propres, C€ devroit être l'ouvrage des dames qui , fi elles s'y adonnoient , s'en feroient un amufe^ ment & un jeu ; en effet , greffer eft , pour ainli dire, jouer avec la Nature qui fe plaît toujours à faire gagner la partie à qui fait bien s'en affurer. L'opération de la greffe en écuffon n'a rien de pénible ni de mal- propre , rien que puiffe redouter une belle main, J'ai fait connoitre cet amufement à des dames qui l'ont fuivi avec plaifir ; elles y ont beaucoup mieux réulïi que leur Jardinier , & çlks m'om fu bon gré de leur avoir procuré la 3^4 Traitéde là fktisfaâion qu'elles reflentoient à cueillir une belle rofc étrangère qu'elles avoient greffée elles-mêmes fur un rofier commun, & à man- ger d'excellents fruits qu'elles avoient fait pro- duire à un fauvageon. Puiffe leur exemple être imité par plufieurs autres pour l'honneur & l'avantage du jardinage ; à leur imitation qui influe aujourd'hui plus que jamais fur nos mœurs , leurs maris Se leurs amis ne dédai- gneroient pas de s'en occuper. Roufleau a tant prêché les femmes qu'il en a fait des nourrices ; fi les nourriçons que je leur propofe font moins importants , ils ne leur donneront que des plaifirs fans peines. Quant au temps propre pour grelfer, il doit être relatif au moyen que l'on emploie ; car celui qui convient à l'un feroit totalemeni^ contraire à l'autre : c'eft ce que nous allons expliquer. Il y a différentes manières cojinues de gref- fer, qui partent toutes des mêmes principes & rempliflent le même objet. Je vais en par- ler féparément > & j'en ferai connoître enfuite quelques autres qui font meilleures dans certai- nes circonftances : on peut greffer pendant huit mois de l'année ; favoir : En fente dans les mois de Février , de Mars & même d'Avril pour certains arbres plus tardifs , parce que cette greffe n'efl plus praticable quand les arbres commencent à être en fève , c'e(l-à-dire quand l'écorce fe détache du bois. Ceft tout au contraire le feul temps favQ-? Végétation, Il V, VIII, Ch. IV. 35$ rable pour les greffes en écuflbn, à la poufle, en couronne, en fifflec> qui ne peuvent s'opérer que quand les arbres font en pleine fève , au mois de Mai & de Juin de ks fuivants. La greffe en approche fe fait pendant le Printemps & l'Eté. L'éculïbn à œil dormant fe pratique en Juillet, Août & Septembre. Nous allons expliquer ces différentes greffés siu Chapitre fuivant. CHAPITRE i V. Des différentes Greffes & de la manière de greffer. N De la Greffe en feîîte. Ous commencerons par les détails de la greffe en fente , parce que c'eft la première qui fe fait vers la fin de l'Hiver & au corn-? mencement du Printemps ; car , comme je l'aï déjà dit, auffi-côt que l'écorce fe détache du bois, on ne peut plus faire ufage de cecte greffe. Comme cette circonftance n'eft pas moins importante pour la greffe que pour le fujet, on d^it avoir foin de couper les branches que l'on veut greffer dès le mois de Janvier , ou même dès que les feuilles font tombées , pourvu qu'on prenne les précautions nécef^ ^66 T R A î T É B 1 L A faires pour les conferver en bon éraf* C'efl ce qui donne la facilité d'en envoyer de fort loin en les enveloppant de nioufîe fraîche^, de manière à prévenir leur defleche* ment , fans cependant les expofer à fe moiiir & à s'échauffer. Quant à celles que Ton coupe chez foi ou qui ne viennent pas de loin, il fiiffit , après les avoir liées par petites bottes de chaque efpece, den enterrer le bas de la profon^ deur d'environ deux pouces au pied d'un mur expofé au Nord, ayant foin de les cou- vrir quand il vient des gelées un peu fortes j ce qui eft néeeflaire fur-tout pour les bran- ches de fruit à noyau. . On doit faire choix pour greffer, de bran-» ches faines, vigoureufes , dont l'écorce foit nette & fine, Ôl qui portent des boutons vifs & bien nourris.. Les branches chiffonnes donnent des greffes foibles & languiffantes ; les gourmandes pouffent vigoureufement en bois, mais font longtemps à fe mettre à fruit; c'eft pourquoi il vaut mieux prendre des greffes préférablement fur des arbres for- més & qui donnent du fruit, plutôt que.fur des arbres trop jeunes. Il n'en dl pas de même à l'égard des ar- bres forêtiers ou des fruitiers que l'on deftine à venir en plein vent , pour lefquels il faut cboifir les branches les plus vigoureufes & qui s'élèvent droites ; celles de côté font rare- ment de belles tiges. Les branches de la pouffe de l'année peu- vent fournir de bonnes greffes , néanmoins il VegjetatioNjIiv. VIII,Ch.IV. 3^7 cft fouvent mieux , fur-tout pour les efpeces qui ont beaucoup de moelle , que le bois de la greffe qui doit entrer dans la fente foit ua bois de deux ans. La greffe en fente convient aux tiges 8i aux branches qui n'ont qu'une certaine grof- feur, il ne faut pas non plus qu'elles foienç trop menues : néanmoins Kjuoique la Quinti- nie ait dit qu'il faljoit que la tige eût trois pouces de groffeur , j'en ai greffé en fente de moitié moins groffes qui ont bien réuili , ea^ proportionnant , comme il faut toujours Iç faire, la groffeur de la greffe à celle du fujet. Il faut commencer par couper tranfverfa- lement la tige ou la branche à l'endroit où on veut la greffer lorsqu'elle efl groffe ; cette opération fe fait avec une fcie ; mais comme cet outil déchire plutôt qu'il ne coupe , on doit réparer & unir la fedion avec la fer- pette ou autre inflrument bien tranchant. On fend en fuite la tige par le milieu , ce qui fe fait aifément avec la ferpette , fî elle n'eft pas fort groffe , fans frapper fur la lame, mais en appuyant de la main fur le manche, & en l'agitant tantôt plus haut , tantôt plus bas ; parce qu'ainfi on coupe fécorce de Vun & l'autre côté en fendant le bois : il e(l important de ne la pas déchirer, ce qui né peut manquer d'arriver en la forçant de s'ou- vrir. Nous avons vu que Técorce efl un com^f pôle de réfaux entrelaffés qui ne peuvent fç îeparer en ligne droite qu'en tranchant leur tiflu. 368 Traité be lA Il me paroît d'autant plus néceflaire de faire ici cette obfervation , que je ne fâche pas qu'aucun Auteur en ait parlé : quelques-uns recommandent bien de réparer la fente de l'écorce , en coupant les filets qui s'en font féparés ; mais ce remède ne guérit pas le mal , on peut même dire qu'il l'augmente , parce que cette réparation , cette fuppreflion de filets déchirés occaiîonne néceflairement un vuide entre les deux parties de l'écorce , & ainfi elles ne peuvent plus ferrer celles de la greffe & s'y bien joindre ; c'eft cependant cette jondion des parties corticales qui eft nécef- faire , puifque l'expérience prouve , comme je l'ai dit au Chapitre précédent , que les par- ties ligneufes appliquées les unes contre les autres , ne s'unifient jamais. Quelques Auteurs , fentant bien l'impor- tance d'une coupe nette de l'écorce , ont confeillé de la faire avec la pointe de la fer- pette de l'un & l'autre côté, avant de fendre le bois ; ce moyen feroit très-bon , s'il étoic d'une exécution facile , mais il eft très-mal aifé de fuivre exadement la diredion de ces fentes , & la moindre inexaditude fait déta- cher un lambeau d'écorce qui fait avorter l'opération , par la raifon que je viens d'en donner. Si la branche ou la tige eft trop grofle pour pouvoir être fendue à la main avec la ferpette , il faut bien fe garder pour la fen- dre de fe fervir de coins , comme quelques- iins l'ont dit ; le déchirement de l'écorce ne pourroit njanquer de s'en (uivre, de même que Végétation, LîY. VIII, Ch.îV, 3^9 que les défordres que je viens d obferver ; on les évite en faiianc ul'age d'un fer plus fore que la ferpette , mais plat , tranchant & re- courbé de même , en frappant deflus avec un maillet , & fendant non pas diredement , mais en inclinant ce fer , tantôt d'un côté , tantôt de l'autre, de manière que l'on ait toujours coupé l'écorce avant de fendre la partie du corps li- gneux qui eft à même hauteur ; e'eft à quoi contribue la courbure du fer dont la partie convexe refte toujours en arrière fur le bois, Lorfque la tige a été fendue avec ces pré- cautions, on enfonce un coin dans le bois pour en retirer d'abord , avec plus de faci- lité , le fer qui l'a fendu ,* & après l'avois retiré , on remet & on enfonce de nouveau le coin pour placer avec aifance la greffe. Parlons aduellement de la manière de la tail- ler. On a dû faire la fente de la profondeur que Ion donne à la longueur de la greffe , c'eft-à-dire d'environ un pouce ou un peu plus , un peu moins , félon la groffeur du îujet , à laquelle on doit proportionner la groffeur & la longueur de la greffe. On prend fur les branches que l'on a con- fervées , comme nous l'avons dit , une partie qui ait deux ou trois bons boutons ou bons yeux , comme difent les Jardiniers , qui doi- vent refter extérieurement ; mais il ne faut pas qu'il y en ait dans le bas où l'on fait la taille. Cette taille fe fait en coin ; c'efl ce que favent tous les Jardiniers ; mais l'exécu- tion parfaite demande bien des attentions Tom& IV. - Aa 570 Traité BELA que plufieurs ignorent ou négligent : il faut que ce coin foit d'une forme à devoir rem- plir , fans vuide , la fente du fujet depuis le haut jufqu'au bas de fon infertion. C'eil de fa taille bien faite & bien mode- lée que dépend cette perfedion. Il faut d abord pour y parvenir avoir un outil bien affilé & bien tranchant ; après avoir fait deux petites retraites qui doivent porter & s'unir fur la cête du fujet, on coupe de l'un & l'autre côté depuis ces retraites, en diminuant infen- iiblement , l'épailfeur de la greffe- jufqu'à fon extrémité où elle ne doit prefque plus en avoir , il faut bien prendre garde d'en déta- cher l'écorce. Gn doit porter fes attentions fur la partie extérieure ; à l'égard de celle qui entre dans le bois , elle eit peu importante , puifqu elle n'y forme jamais d'union ; on y laiiTe cepen- dant pareillement l'écorce , mais on obferve 4e tailler cette partie moins épaifTe que Fau- tre , afin que toute la prefîion fe faffe fur celle-là. Tout étant ainfi préparé , on ouvre la fente avec la pointe de la ferpette, & on y introduit la greffe , en évitant toute efpece de frottement qui pourroit détacher l'écorce, La figure première , planche troifieme y repréfente la greffe taillée , & la figure deu- xième fa polition fur le fujet. Nous voilà arrivés au point capital & le plus difficile : c'eft de placer cette greffe de manière qu& fon liber réponde bien jufle à celui du fujet, ou -, ce qui eft la mêrrie VEGETATION , LlV, VIII ^ CU. IV, 37Î ehofe , que la partie de la greffe qui eft en- tre le bois & l'écorce réponde exadement entre le bois & l'écorce du fujec. Il faut avoir de bons yeux oui plutôt le tad très-fin pour y bien réullir ; car outre que ce liber eft prefque imperceptible dans plufîeurs genres d'arbres , on peut encore moins l'appercevoir dans l'introduâion de la greffe. C'eil le jugement ou le hafard qui guide le plus fouvent le Jardinier , c'eft en par- tie pourquoi beaucoup de greffes man- quent , excepté dans quelques genres d'ar- bres où le liber eft plus épais & plus appa- rent , comme aux pommiers , poiriers , ceri- fiers , &c. S'il falloit néceffaireraent que la rencontre des libers fût exade & parfaite , il feroit bien rare de voir des greffes réufîir ^ mais heureufement il fuffit qu'ils fe rencon- trent en quelques parties où les deux fèves fe joignent : c'eft pourquoi dans les greffes où le liber eft le plus imperceptible , il eft bon de tailler le coin fur une partie un peu courbe , parce que le hafard fera ce que les yeux du Greffeur ne pourroient faire , cette courbure devant néceffairement faire rencon- trer en quelques points le liber de la greffe ^vec celui du fujet. Ce feroit même une bonne pratique pour toutes les greffes en fente , il ce n*étoif que ces foibles rencontres n'ont fouvent que d'affez foibles effets. Si la greffe reprend , elle pouffe avec peu de vigueur ^ parce que n'y ayant que peu de fibres qui fe foient abouchés , les autres reftent fans effet : enfin le fuccès complet dépend de funion la A a z 372. Traité de là plus étendue & la plus parfaite de ces fibres. Il y a des Jardiniers aflez peu infiruits pour croire qu'il fuffit que les écorces exté- rieures foient bien de niveau ; & en fuivant cette mauvaife pratique , il arrive que les libers ne peuvent fe rencontrer , parce que récorce de la greffe eft ordinairement moins épaifle que celle d u fu jet , & que le fuccès dépend de la plus parfaite rencontre des libers. Après avoir pris toutes les attentions pof- libles pour parvenir le mieux qu'on peut à cette perfedion , on raffermit & on fixe bien la greffe fur le fujet, en liant avec un olier ou mieux avec des écorces fes deux parties féparées , à moins qu'étant affez gros , il n'ait un reffort fuffifant pour bien ferrer & con- tenir la greffe; on recouvre enfuite avec un ruban d'écorce d'olîer l'aire de la coupe & les fentes du fujet; après quoi on applique deffus une quantité fuffifante d'argile mêlée avec de la bouze de vache , que l'on preffe bien avec la main , & par-deffus une plus grande quantité de la même compofition où l'on a mis du foin ; on preffe bien encore & on polit avec la main cette efpece d'em- plâtre , en forme de poire , ayant fur-tout attention qu'elle embraffe bien la greffe , & qu'il ne refte pas d'efpace par où l'eau pour- roit couler : il eft encore mieux d'envelopper le tout avec de la mouffe affujettie par des liens; cela corferve la fraîcheur de cet em- plâtre qu'on a nommé poupée, d'après l'ufage recommandé p^r quelques Auteurs de la cou- VEGETATION, LiV. VIII, Ch.1V. 373 vrir d'un morceau de linge : mais rexpérience prouve que cer ufage , difpendieux pour plu- lieurs centaines de greffes , ed minutieux & inutile , puifque ce que je viens d'expliquer eft fuiïifanc & remplit très-bien l'objet. Si toutes les précautions que je viens de recommander ont été bien pnies & dans la faifon convenable , on peut être affuré d'un plein fuccès ,* il n'y aura plus rien à faire que de retrancher les jets qui pouffent ordinaire- ment fur le fujet , qui s'empareroient de la fève au préjudice de la greffe ; car quelqu'a- nalogie qu'elle ait avec le fujet , il eft tou- jours plus porté à nourrir fes enfants natu- rels que ceux qu'on lui a fait adopter. Lorfque la tige eft trop groffe pour pou- voir être fendue à la main avec la ferpette , on fe fert d'un fer plus fort , courbe Ôc peu épais , comme je l'ai déjà dit , fur lequel on frappe à petits coups ; & après avoir enfoncé un coin dans la fente , on y place une greffe de chaque côté ; quelquefois même on fait encore une autre fente à angle droit fur la première , où l'on met encore deux greffes : on pourroit même y en placer davantage lorf- que le tronc eft fort gros ; mais dans ce cas on préfère l'efpece de greffe dont nous allons parler. Je dois parler de la façon de greffer la vigne : elle fe greffe en fente , mais plus aifément que tout autre arbre ; elle a cela de particulier qu'il n'eit point queftion de la rencontre des libers ; elle réufSt très-bien «="« inff^rant «.fans, autre njécaution , la greffe ^a 3 374 Traité de ia dans la fente du bois du fujet. II faut choifir pour cela un vieux pied ou du moins un peu gros & ligneiix , on le coupe tout près de terre ; & lorsqu'il eil greffé , il faut Tea recouvrir ; car rarement il reprend étant ex- pofé à l'air : il en fort dès la même année pn farment très-long. De la Greffe en couronne. Ces greffes ont été nommées en couronne ^ parce qu'efFedivement elles paroiiTent cou- ronner le tronc fur lequel on les a placées , comme on le voit à la figure 3 , planche 3 j |:out au contraire des greffes en fente , qui îie peuvent fe faire que quand l'arbre n'eft point en fève , & que l'écprce eft adhérente au bois ; il faut qu'elle s'en détache aifément pour pouvoir pratiquer celle-ci. On n'en fait .ufage que fur de fort groi arbres. Voilà comme elles fe font : lorfque le fujet eif en fève au rnois de Mai , on com- fjence par fcier l'arbre dans une partie où il n'y ait pas de nœuds, comme pour la greffe en fente ; & après avoir bien réparé & uni Faire de ja coupe , on introduit un petit coin fort mince , de bois dur ou mieux d'ivoire entre le bois & l'écorce , à environ un pouce de profondeur , cette opération fe fait ea frappant doucement & fucceflivement fur la tête du coin , ou plutôt de la petite lame |3ont pn fe fert ; je dis fucceflivement , & ceU afin que l'écorce ait , pour ainfî dire , le temp§ |îe fe difpQfer ^ de fe prêter à lexteafiga VEGETATION, LiV.VÏII, Ch. IV. 375 qu'on la force de prendre ; car elle ue man- queroit pas de fe déchirer & fe fendre , fi on y faifoit entrer brufquement un coin trop épais , ce qui eft un mal : pour mieux l'évi- ter, il ell: bon, avant l'introdudion du coin, de faire, avec la pointe de la ferpette , une incifion verticale à l'écorce , qui ne pénètre qu'à la moitié de fon épailTeur ; la partie qui refte entière & qui fuffit , fe prête mieux à l'extention fans fe déchirer. Cet accident , qu'il eft toujours mieux d'éviter , pourroic bien cependant ne pas empêcher le fuccès de la greffe qui dépend principalement de l'ap- plication la plus exade pofîible des bords de fon écorce fur le bois du fujet. C'eft pour- quoi en choifiiïant une petite branche qui ait deux ou trois bons boutons , on en taille l'extrémité en pied de biche très-allongé , & on creufe le bois de manière à lui donner la forme d'un cure- dent, ayant attention de laif- fer les bords àc l'écorce bien dégagés , fur- tout à fon extrémité ,• car c'eft là principale^ ment que fe fait le mieux la rencontre des libers & l'union des fibres. La greffe ainii bien taillée , on l'introduiç dans l'efpace qu'a ouvert le coin , entre le bois & l'écorce du fujet, ayant attention de ne la pas forcer de manière à féparer l'écorce du bois , fur-tout à fon extrémité : quand on s'apperçoit que cela arrive , il faut rejeter la greffe , car furement elle ne reprendroit pas. On en place de même à deux ou trois pouces de diitance tout autour da tronc, ce qui lui donne l'appareqçe d'une couronne , A a 4 37^ T R A r T É D E I A comme on le voit , fîg. 4 , pi. 3 ; on lie êc ferre enfuite circulairemenc routes ces greffes avec un lien d'ofier , & on les recou- vre ainfi que l's^ire de la coqpe ^ comme je l'ai dit pour celles en fente. Ces greffes poulTent ordinairement avec tant de vigueur , croifTent & s'élèvent 11 rapi- dement, qu'il eft bon d'affujettir leurs pouffes avec des tuteurs pour éviter que le vent ne les rompe , lorfqu'elles font encore ten- dres. J'ai fait ufage avec fuccès de cette même greffe , mais placée différemment. Pavois des tiges d'orangers fauvageons d'environ un pouce de diamètre , fur lefquelles des écuf- îbns , pofés à différentes reprifes , n'avoient point réalli ,• j'y mis de ces greffes qui y pouffèrent avec vigueur : mais ce n'étoit point len couronne; jenefciai point la tige, je fis feu- lement une entaille à 1 ecorce pour me donner la facilité d'y introduire le coin qui ouvrit & prépara la place de la greffe taillée en cure- dent , qui pouffa avec une force & une rapi- dité furprenante. J'ai répété cette manière de greffer fur d'autres arbres , pu elle a eu le fnême fuccès. De la GllEï'FE EH SIFFLET. Je ne vois pas trop ce qui a déterminé à appel- kr ainfi cette greffe, n'appercevant guère de ref- femblance entre elle & un lifïlet : mais peu importe , voilà comme elle fe fait. On coupe la tige d'un jeune srH'e dans le VEGETATION, LïV. VIII, Gh. IV. 377 temps qu'il eft en pleine fève; à environ un densi-pouce au-deflbus de cette coupe , on fait un incifion circulaire dans lecorce pour la détacher du bois qu'on en dépouille tota- lement , fîg. "5 : on choifit fur Tarbre , dont on veut avoir lefpece & qui a de l'analogie avec le fujet , une branche de la même grof-^ feur que la partie que l'on a écorcée ; on fait vers fon extrémité , avec la ferpette , une incifion circulaire , & en tordant l'écorce qui alors n'eft point adhérente au bois , on en enlevé un anneau, fig. 6 , que l'on place fur le bois écorcé du fujet ; de forte que cette écorce étrangère fe trouve fubftituée à l'écorce naturelle , comme on le voit, fig. 7 ; mais il faut obferver qu'il y ait un bouton fur cet anneau ou tuyau , fans cela il fe gref- feroit également , mais il ne feroit aucune produdion. La principale attention que l'on doit avoir dans cette manière de greffer , eft que les deux, écorces fe joignent le plus parfaitement poffible , c'eft-à-dire que les libers fe rencon- trent ôc s'unident ; car c'eft , comme je l'ai dit, le point eifentiel & général dans toute efpece de greffes. On recouvre enfuite cet appareil , fur-tout en haut & en bas , avec une compoiition de cire & de térébenthine , en prenant garde de laifTer le bouton à découvert , lequel , lî l'opération a été bien faite , s'ouvre peu de temps après & produit un bourgeon. Il ferait très-difficile de pratiquer cette greffe , §'il falloit abfolument que les rap- 578 Traité de la ports refpedifs fufTcnt parfaitement exaâs ; mais lexpérience fait connoître que cela n'eft pas nécelfaire. Par exemple , fi Tanneau cortical eft trop grand pour s'ajufter exadement à la place qu on lui deftine , on le fend à la partie op- pofée au bouton , & on retranche ce qu'il faut pour que les deux parties féparées fe rejoignent ; s'il eft trop petit , après l'avoir fendu de même , on l'applique fur le bois du fujet ; & quoique les deux parties cou- pées ne fe joignent pas , il ne laifle pas de reprendre, étant bien recouvert, pourvu que la partie que l'on applique foit bien jointe par le bas à l'écorce du fujet. Je préférerois ce procédé d'anneau disjoint à celui indiqué par quelques Auteurs , de retrancher du bois du fujet lorfque l'anneau eft trop petit pour y être placé : j'ai vu qu'en coupant la par- tie fupérieure du bois , on occafionne fouvent un delTéchement total. On pratique encore cette greffe , dite en lifflet , d'une autre ma- nière dont je vais parler , quoiqu'elle foit & plus difficile & moins fûre ; double raifon pour ne pas engager à en faire ufage. Au lieu d'emporter un anneau cortical au bout du fujet , on détache l'écorce par la- nières que l'on rabat ; & après avoir placé l'anneau étranger, on le recouvre avec ces lambeaux d'écorce , en les relevant & les liant tout autour. Mais pour que cette opération réuflifle , il faut que ces lanières d'écorce foient déta- chées toutes bien également ôc à wme hau- VEGETATION, LiV. VIII, Ch.IV. 379 tcur autour du fujet ; ce qui n*eft pas aifé à exécuter. En général, on ne fait guère ufage de la greffe en lifïlet que pour les marronniers , les oliviers & les figuiers , parce qu'on a remar- qué que c'eft celle qui réulîic le mieux fur ces genres d'arbres ; elle peut cependant fe pratiquer fur tout autre : mais on préfère î'ufage de Técuffon dont nous allons par- ler. De la Greffe en écusson. On a appelle ainfî cette greffe , parce que îe morceau d'écorce que l'on emploie eft à peu près taillé dans la forme des écufTons des anciennes armoiries , comme on le voit fig. 8 ; elle n'eft praticable que quand les arbres font en fève. Lorfqu'on l'a fait dans la première faifon, îe bouton s'ouvre peu de temps après & poulTe un bourgeon , ç'eil pourquoi on l'ap- pelle écuflbn à la pouffe. Mais fi on ne la fait qu'en Eté , quoique récuflbn s'uniiTe au fujet , il refte fermé pen- dant l'Automne & l'Hiver , fans faire de pro- dudions, c'eft pourquoi on l'appelle écuflbn à œil dormant. Nous allons parler de l'un & de l'autre qui ne différent que par le temps de leur pouffe. Lorfqu'on fe propofe de faire des écufTons au mois de Mai , il faut avoir coupé lès branches avant que les boutons fe foicnc ouverts j on les conferve en les enfonçant un 380 Traité ]>e la peu en terre au pied d'un mur , à l'expoS- tion du Nord : on ne doit choifir pour écuf- fonner que des branches de la dernière poulTe. De mênie qu'on doit s'approvifionner d'é- cufTons pendant l'Hiver , on doit aufTi difpo- fer les fujeis à les recevoir ; §c pour cet effet , on les dépouille de toutes les branches fuperflues, fur-tout de celles qui font fur la tige , & qui les affameroient. Si on ne fai- foit cet ébranchage que quelques jours avant d'écufTonner , on trouveroit les arbres peu en fève , & on auroit peine à détacher Té- corce du bois; on doit avoir la même pré- voyance à l'égard de ceux qu'on doit écuf- fonner en Eté. Si on coupe ces branches en écufTorinanc, l'inconvénient de l'adhérence de l'écorce n'a pas lieu ; mais comme il eft re- connu que cette opération rallentit les mou- vements de la fève , l'éculTon en fouffire beau- coup : mais ce qui feroit un mal pour plu- fieurs genres d'arbres peut être un bien pour d'autres : par exeitiple , comme il eft dange- reux pour les arbres à fruit à noyau qu'ils aient trop de fève lorfqu'on les écufTonne, la fup- prefîion aduelle des branches du fujet pourroit être d'un bon effet , fur-tout dans des temps frais & humides , puifqu'elle diminueroit l'abondance de la fève dont font remplis ces arbres , fur- tout en pareil temps très-favo- rable pour écuffonner plufîeurs autres , mais tion pas ceux-ci. On fe fert pour écuffonner d'une efpece de petit couteau doot la lame un peu re- Vegktâtioî^ , Lit. VIII, Ch. IV. ^'2i courbée à l'extrémité efl fort pointue , le bout du manche efl garni d'une petite lame d'ivoire tranchante & arrondie qui fert à détacher Técorce ; ce petit inftrument appelle greffoir efl afTez connu pour que je n'en dife rien de plus. Lorfque l'on veut écufTonner , on ehoîlît fur la branche un bouton bien conditionné, qui foit avoifiné d'une écorce bien nette & vive ; on en levé un petit copeau qui pénètre dans le bois environ du tiers de l'épaifTeur de la branche ; enfuite , tenant entre le pouce & le premier doigt de la main gauche ce petit copeau par fon centre , on détache avec la pointe du greffoir , que l'on tient de la » main droite , tout le bois le plus cxadement qu'il efl poflible ; le mieux efl qu'il n'en refle point , mais c'efl ce qu'il n'efl pas facile , fur-tout lorsqu'il ne fe détache pas de lui- même , ou qu'en fe détachant le petit cône ligneux fur lequel efl implanté le bouton , refle fur le bois. Dans le premier cas , on efl obligé d'en- lever par parcelles le bois qui adhère à l'é- corce ; & fi on ne met beaucoup de légèreté & d'adreffe dans cette opération , on gâte l'éculTon , foit en grattant & ofFenfant foa liber , ou en mutilant & déchirant les extré- mités de l'écorce. Ce feroit ici le triomphe de ces doigts délicats, légers, fouples & adroits que j'ai réclamés en invitant les Dames à fe livrer à cet amufement ; ce feroit pour elles ces décou- pures quelles fa vent fi bien faire à leurs îcflons & à leurs broderies. 382 Traité de la Lorfqu'on eft parvenu à dégager le bois de récorce de manière à ne pas l'endomma- ger , on achevé de tailler ce morceau d'é- côrce en pointe par le bas , & coupé net par le haut dans toute fa largeur. Mais il récorce s'ell détachée aifément & qu'elle ait laifTé fur le bois le petit eône ligneux , il feroit inutile de placer FécuiTon , non pas qu'il ne fe greffât bienaufujet, mais il ne feroit aucune produdion ; c'eft alors ce qu'on appelle un écuifon borgne ; on pour- roit même dire aveugle , puifqu'ii eft privé du feul œil qu'il avoit, C'eft ce que nous allons encore mieux faire entendre. Nous avons dit, en parlant des boutons à bois , au premier Livre , qu'ils étoient for- més d'une enveloppe écailleufe qui renferme les rudiments d'une jeune branche : nous avons dit que ces écailles tiroient leur origine des cou- ches corticales , & que la jeune branche émanoit des couches ligneufes ; or , quand le petit cône , qui eft le germe du bourgeon , refte adhérent au bois , & qu'il ne demeure pas attaché à Fécorce fous les enveloppes écail* leufes du bouton , alors l'écorce fe greffe ; mais il ne fort point de branche du bouton , puifqu^il eft dépourvu du germe qui la doit produire. Voilà les deux inconvénients que l'on éprouve en greffant en écuffon , ou de muti- ler récorce en découpant par parcelles le bois lorfqu'il y adhère ; ou û l'écorce fe dé- tache aifément, de laiiîer fur le bois ce peut VEGETATION, IlV. VIII > Ch. IV. 383 cône ligneux , ce germe de la branche , par-^ tie eflentielle de 1 ecuffon ; c'eft ce qui arrive communément à plulieurs genres d'arbres, particulièrement à l'oranger. Je crois faire une citation utile en ren- dant compte ici d'un inftrument que j'ai ima- giné , & dont je me fers avec fuccès depuis quelques années. Il fert à opérer avec fureté & facilité pour détacher l'écufîbn de deflus la branche lorfqu'elle eft bien en fève ; & voilà comme je m'y prends. Au lieu d'enlever le petit copeau de bois dont j'ai parlé , je fais avec la pointe du gref- foir une incifion dans l'écorce autour du bou- ton , félon la forme que doit avoir Pécuflbn ; c'eft pour lors une efpece de petite ifle fépa- rée du continent: je l'en détache entièrement, en foulevant avec la lame d'ivoire du greffoir ce morceau d'écorce dans toutes fes parties autour du bouton. Mais arrivé à ce point de difficulté qui met en danger de l'enlever dé- pourvu de ce petit cône ligneux qui lui eft îî néceftaire , je fentois bien qu'il n'y avoit rien de mieux à faire que de couper en deflbus de l'écorce, non-feulement ce petit corps ligneux , mais de plus avec lui un peu de bois auquel il tient. Mais c'eft à quoi il eft très-mal aifé de parvenir avec la lame droite du greffoir , fans couper en même temps l'une ou l'autre partie convexe.de l'écorce: c'eft ce qui m'a fait imaginer rinftrument qui m'eft fi utile. Au bout d'un manche , tel que celui d'ua canif, eft une petite lame très-mince comme •*^**.*: 384 Traité 35 e la un refïbrtî de montre , ayant à peu près deu3C lignes de largeur , bien affilée d'un côté feu- lement. Cette petite lame eit pliée vers ion milieu , à peu près en demi-cercle , mais ce- pendant plus ouvert , afin de pouvoir fervir fur différents diamètres de branches. Après avoir détaché , comme je l'ai dit , le morceau d'écorce autour du bouton , il devient facile de le détacher entièrement avec le cône ligneux au moyen de mon outil , en paflant la courbure ji^ntre le bois Ôi l'écorce foulevée, & appuyant fur le bois , feus le bouton , pour en couper une parcelle avec le germe précieux. Je ne vante pas cela comme une grande découverte ; mais elle fera très-utile à ceux qui , comme moi , en voudront faire ufage ; la figure 9 repréfente cet inftrument. Après avoir parlé de la manière de tailleries écuflbns, venons maintenant à celle de les biea placer qui n'eft pas moins importante. On fait que pour placer un écuffon , ou fait à Vécorce du fujet une incifion en forme de T ; & après avoir foulevé avec la lame d'ivoire, qui eft pour cet effet au manche du greffoir , l'écorce fuivant la longueur de fa fente, on iniinue l'éjcuflbn entre le bois & l'écorce , de forte que fon bouton forte li- brement entre les deux lèvres de cette écorce détachée. Voilà tous les documents que donnent les Auteurs fur cette opération ; mais il y a bien d'autres obfervations à faire dont ils ne par- lent pas. Dans l'intentioa d'inftruire ceux qui n'en auroient Végétation, Liv. VIII, Ch. IV. 38c aui*oient pas connoiflance , je vais tâcher de les expliquer clairement. Je dirai premièrement qu'il faut propor- tionner la longueur de la fente à celle de 1 e- cuflbn , article très- important auquel manque la plupart des GrefFeurs ignorants 5 car e'eft aux deux extrémités de l'écuiTon que le fait l'union dQS fibres. Metant trouvé chez un de mes amis au- quel fon Jardinier avoit fait accroire que les roux-vents avoient fait périr tous fes écuf- fons ; n'en ayant pas trouvé en effet un feul vivant, j'en dépouillai plulieurs de leurs liga- ments , & je vis que tous , pofés dans une longue fente , y étoient delTéchés , parce qu'ils ne touchoient ni par en haut ni par en bas à l'écorce du fujet : je fis comprendre à mon ami qu'il étoit bien impoiïible que pareils éculTons puflentréufîir. Mais le Jardinier afTura qu'un habile homme , qui n'en manquoit ja- mais , lui avoit montré à les faire comme cela, Il ell mieux que l'écuflbn ait un peu plus de longueur que la fente ,♦ on en va voir la rai fon. Comme le bouton naît toujours fous le pédicule d'une feuille , il faut la couper & n'en lailTer qu'une petite partie fur le pédi- cule , qui fe détache & tombe de lui-même quand l'écuflon a repris & qu'il regorge , pour ainfi dire , de fève ; mais il refte adhé- rent à celui qui n'a pas repris & qui eft def- féehé , faute de nourriture : ce fait , connu des Jardiniers , eft une nouvelle preuve de Tom&lV:] Bb g8(5 T R A I T É D E £ A ce que j'ai dit de la caufe de la chute des feuilles , qui ne tombent qu'à caufe de la trop grande abondance de fève qui ne s'exhale plus. Je n'ai point été furpris de voir que cette alTertion paroifle étonnante , puisqu'elle eft diamétralement oppofée aux préjugés accré- dités ; on ne doit cependant pas la regarde)^ comme un fyltême, mais comme un fait dont tout Naturalifte éclairé peut fe convaincre d'après l'examen. Cependant je ne me flatte point de perfuader tous ceux qui liront ce que j'ai dit à ce fujet , parce que je fais qu'il eft bien difficile de faire recevoir une opi- nion nouvelle , quelque raifonnable & même quelque bien prouvée qu'elle foit , quand elle contrarie les idées reçues : que l'on me palTe cette petite digreffion qui trouve ici fa place. Je dis qu'il faut laifTer le pédicule avec une petite partie de la feuille attachée au bou- ton : outre que ce feroit faire tort à ce bou- ton de l'en arracher , on s'en fert utilement pour pofer l'écuflbn, en tenant ce pédicule entre le pouce & le premier doigt de la main gauche , tandis que de la droite on en- tr'ouvre les lèvres de l'écorce du fujet avec la lame d'ivoire ; c'eft ainfi qu'on introduit l'écuffon , en l'enfonçant doucem.ent en ligne direde ; ce qui fe fait aifément en appuyant le côté de la lame d'ivoire au bas du pédi- cule de la feuille , en prenant garde de bief- fer le bouton. J'ai die qu'il falloit que l'écufîbn fût un peu plus long que la fenre , parce que quand ou a prefTé , comme je l'ai dit, pour le faire Vecétation,Liv. VÎII.Ch.IV. 387 entrer dans le bas de la fente autant qu'il k peut , on coupe net la partie fupérieure qui excède la coupe traniverfaie de 1 écorce juf- tement à la hauteur de celle-ci ; & après l'y avoir logée ^ en appuyant légèrement delTus avec le greffoir , on relevé , au moyen du pédicule de la feuille, l'écuffon, afin que la coupe de fon écorce s'unilTe bien à celle du fujet : il efl aulli rare de voir manquer un écuiFon taillé & placé comme je viens de le dire, qu*il l'eft peu devoir périr ceux que l'oa travaille négligemment. Tout étant ainii difpofé y il ne refte plus qu'à lier l'écuffon , & la manière d'y procé- der neft pas indifférente. Il y en a qui le fervent de filaffe ou de fil ; cela ne vaut rien , parée que ces liga- ments fe refîerrent par l'humidité , étran- glent l'écuffon , & ne fe prêtant point à la croiffance & à l'extention du fujet , ils mettent obftacle au cours de la fève ; il faut faire ufage de laine ou de Té- corce d'ofier que l'on trouve chez les Van- niers , ou mieux encore de certaines écorces qui forment des nattes que l'on trouve chez les Epiciers , dans lefquelles on emballe les marchandifes qui leur viennent de l'Etranger, Je me trouve très-bien de ces ligaments pour les greffes en fente & en écuffon , & pour plulieurs autres ufages du jardinage ; leur largeur & leur flexibilité les rend pré- férables à tous autres : ayant difféqué la natte dont je viens de parler , on e.i torme dç$ paquets d'efpece de rubans de la longaeyr fi b X 388 Traité delà 81 de la largeur convenable pour l'ufage qu'oQ en veut faire. Ayant pris un de ces rubans de la lon^ gueur d'environ dix-huit pouces & de trois ou quatre lignes de largeur, on commence par en appliquer le milieu fur la partie fupé- rieure de l'écufTon pour couvrir fon point de jonâion ; enfuite en paflant & repaflant à plufieurs tours les uns fur les autres les deux bouts du lien , on arrive jufqu'au bou- ton que l'on laifle à découvert entre les liens j on continue ces ligaments de même jufqu'au bas & même au-delTous de la fente , de ma- nière que tout foit bien couvert & ferré 5 ce qui eft important non-feulement pour bien fixer l'éculîbn , mais encore pour le pré- ferver de la pluie & empêcher que l'eau n'y. pénètre, & pour le préfèrver du delléche- ment que peut occalionner le foleil ou le vent hâleux du Printemps. Ceux qui veulent ufer des précautions uti-. les contre ces accidents couvrent tout l'ap- pareil de moulTe fraîche pendant quelques jours, ou avec une feuille qui forme une ef- pece de parafol , ou avec un cornet de pa- pier qu'on attache au-delTus de l'éculTon ; ce cornet empêche l'infiltration de l'eau & pré-, ferve la nouvelle poufle des effets de la gelée du Printemps : mais il faut prendre garde qu'il ne sy loge des infedes. Comme rien n'efl: û préjudiciable à l'écuf- fon que lorfque l'eau s'infiltre par le bas de la fente entre fon écorce & celle du fujet , ce qui arrive quand les ligaments ne recou-; VEGETATION, IlV. VIII, Gh. IV. 389 vrent pas exadement le tout , il y a un moyen pourmieuxparer à cet inconvénient ; c'eft celui dont les Italiens font ufage pour greffer leurs orangers. Ils pofent 1 ecufTon dans un fens renverfé , c'eft-à-dire qu'après avoir fait fur l'écorce da fujet l'incifion tranfverfale , au lieu de faire l'autre incifion longitudinale en defcendant , ils la font en montant; ainfî efl renverfé le j^ , dont ces deux incifions ont la forme : il faut en conféquence tailler l'écufTon de ma- nière que la pointe du bouton foit tournée du côté de la pointe de 1 ecuffbn , au lieu que dans l'autre pratique , elle eft tournée du côté de la partie la plus large. On procède d'ailleurs tout de même , & tout de même pouffe l'écuffbn , qui eff, par cette difpofition , plus à l'abri de l'infilcra* tion de l'eau. Ayant fait cette greffe fans changer la manière ordinaire de tailler l'écuffbn , je le pofai fur le fujet , de forte que la pointe du bouton étoit tournée du côté du pied de l'ar- bre; quoique dans ce fens renverfé l'éçufion reprît & pouffât , fon bourgeon regardant d'abord la terre fe releva en fe courbant , & fe retourna du côté du ciel ; il fe forma un bourrelet conlîdérable à Tinfertion de la greffe qui pouffa avec peu de vigueur : curieux d'ob- ferver ce qui s'étoit paffe dans l'intérieur , je diffequai ce bourrelet, j'y apperçus un entor- tillement confus de .fibres repliées en diffé- rents fens , où le cours de la fève devoir né- ceflairement être fort gêné. 5b 3 390^ Tkaité de ia Pour préferver les écuflqns des coups de foleil du Midi & prévenir leur defTéchement , il fauc les pofer fur la partie du fujet qui regarde le ^Jord ; ceft ce que je conieilie de faire daprè§ ce que ma prouvé Texpé- irience. Il ç(l d'ufage en écuflbnngnt dgns le Prin»- temps , comme on dit , à œil pouffant , de couper le fujet un peu au-deflus de l'écuiïbn qui ne tarde pas à pou0er & à produire un bourgeon ; mais je corifeille de ne le couper que huit ou dix jours après, parce qu'^n ne dérangeant pas fubitement le cours de la fève , on facilite mieux l'union. Lorsqu'on écufibnne en Eté à œil dormant , comme on ne veut pas que l'ecuffon pouffe un jet tendre ^ herbacé qui périroit pen* ida.it llïiver, on nétète les fujets qu'au Prin- temps, après quoi ils ne tardent pas à fe inettre en adion. Sans cette fupprefïion de la tête du fujet au-deifiis de l'ecuffon , quoique bien fondé & dans un état de vie , il ne pouiïerpit cependant pas, parce que la levé montante , afpirée par les rameaux naturels de l'arbre , n'opéreroit point poyr le développement de réculTon : j'en pçux pter une preuve aiTez forte. Ayant remarqué qu'i^ y avoit fur une bran^» ^be d'un gros citronnier que je venpis d'4^ çheter, un éculFon d'oranger bien fondé à^ très-vivant | rnais dont le bouton reftoit fer- mé , je le fis voir | celui qui me ravpitven*' du \ il fe rapp liî^ qu'il avoit pofé c^ écuf»? |ba il y avQit di^ aos, fdon une époquie ^tî'jj Végétation, Liv. VIII, Gh.IV. 391 me cita; & que n'y ayant plus fongé , il avoit oublié à couper la branche : je la cou- pai au Printemps fuivant 5 l'écufTon poulla & a formé depuis fur ce citronnier une belle tête d'oranger. La greffe en écufibn a plufieurs avantages fur les autres , auili eii-elle plus généralement pratiquée, fur -tout à legard des arbres à fruit à noyau qui font affez ordinairement endommagés par la gomme dans l'opération des autres greffes : il n'y en a point qui foie aufli facile & aufli prompte & qui réulliffe mieux fur les jeunes arbres , mais non pas fur les vieux dont l'écorce cil épaiffe. Sil'éculfon à œil dormant ne reprend point, le fujet n'en reçoit aucun dommage, puif- qu'on ne letête que quand on eft fur du fuc- chs : on peut en pofer plufieurs à la fois ; & fi ceux qu'on a placés en Juillet ne repren- nent pas, on en peut pofer d'autres en Août & en Septembre. Il faut choifir de préférence les gros bou- tons du bas des branches, ils font mieux nour- ris & mieux formés que ceux qui approchent de l'extrémité , où d'ailleurs l'écorce n'efl en^ core ordinairement qu'herbacée & infuffifam- ment confliruée. On doit placer l'éculTon affez haut fur le fujet pour que la greffe ne fe trouve point couverte de terre quand on tranfplante l'ar- bre pour le mettre en place ; car , comme je l'ai déjà dit , le bourrelet qui fe forme au point de l'infertion a beaucoup de difpofitioa a poufîer des racines , qui , s'étendaat à la Bb4 392 Traité de ia fuperfîcie de la terre , forment un fécond étage qui fait périr l'autre , & périflTent fouvent elles-mêmes dans un terrain léger & dans des années feches. On a coutume d'éculTonner à cinq ou fîx pouces au-deflus de la terre les arbres à baf- fes tiges ; quant à ceux qu'on deiiine à for- mer de hautes tiges , on fe règle fur l'éléva- tion qu'on veut leur faire prendre , & fur l'état & la difpolition de la tige que l'on greffe. Il eft bon cependant d'écuflbnner fort bas , quand on veut fe procurer les avantages dont je vais parler. Bien affuré qu'en enfonçant en terre le bourrelet qui fe forme à l'infertion de la greffe il y pouffe des racines , on peut fe procurer par là des arbres francs de pied. Cefl ainfi que j'ai obtenu en arbres francs des robinia ou acacia rofes qui avoient été greffés fur de faux acacia , dçs chio- nanthus greffés auparavant fur des frênes , àçs pommiers, des pruniers aufli francs de pied : outre que l'intégrité de ces arbres, qui pouffent fur leurs propres racines , les rend plus vigoureux & d'une plus longue durée que ceux qui font entés , tous leurs rejets étant francs aufîi n'ont pas befoin d'être greffés. Il n'efl pas rare de voir des écuffons pofés fur des fujets vigoureux & en bon terrain , faire en peu de temps des jets de deux & trois pieds de longueur & chargés de très- larges feuilles ; comme ils ne tiennent au VEGETATrOKjLlV. VIÎÎ^CH.ÎV. 393 fujet qiie par une couche ligoeofe qui n'a pas encore acquis beaucoup de folidité , ils font expofés à être décolés par le vent. Pour prévenir cet accident , il faut avoir l'atten- tion de leur donner des tuteurs qui les fou- tiennent , ou de couper l'extrémité de ces jets lorfque l'on voit qu'ils pouffent avec force & qu'ils s'élèvent trop. Quoique dans la même faifon, il y a des jours bien plus favorables les uns que les au- tres pour écuflonner , c'eft pendant un temps frais ou après quelques ondées de pluie que l'on trouve les arbres bien en fève ; il n en eft pas de même dans des temps de féchereffe. Dans les jours où le foleil eft ardent , il îie faut écuifonner que le matin ou le foir , à moins que les arbres fur lefquels on tra- vaille ne foient à l'ombre. Il ne faut pas écuifonner en temps de pluie, car les écuifons mouillés pcriffent prefque toujours ; c'eft pourquoi je dois parler ici d'une très-mauvaife pratique que fuivent ce- pendant , par mauvais exemple & par igno- rance , plufieurs Jardiniers , c'eil de mettre entre leurs lèvres l'écuffon lorfqu'ils l'ont taillé, tandis qu'ils font l'inciiion fur l'écorce du fujet : quelques-uns que j'ai repris de cette mauvaife habitude , m'ont dit qu'ils ne mettoient entre leurs lèvres que le pédicule ; c'eil fans doute un moindre mal que d'y mettre Fécorce de récuifon , mais c'en eft toujours un , ne fût-ce qu'à caufe de l'haleine qui fe porte immédiatement deifus. Quand on a choifi les branches fur lef- 394 Traité de la quelles on veut prendre les écuflbns , il faut auffi-tôt couper toutes les feuilles jufqu'au- près du pédicule , comme je l'ai déjà dit. Cette précaution eft encore plus néceîTaire quand on ne doit pas pofer les écuflbns dans la même journée ; car en confervant les feuilles en- tières , qui , comme je l'ai expliqué au fécond Livre , font les principaux organes delà diflipa- tion de la fève, les branches enferoient bientôt dépourvues ; il eft bon , outre cela , de les envelopper d'herbe fraîche ou d'un linge hu- mide , & ne les en retirer que lorfqu'on veut lever defliis les écuflbns : li on eft obligé d'être quelques jours fans en faire ufage , foiC à caufe du traniport , foit pour autre empê- chement, on en enfonce le bout dans un con- combre , & on les enveloppe dans de la moufle fraîche, recouverte d'un linge mouillé. Mais malgré ces précautions bien prifes , j'ai éproAivé que u , pendant un temps chaud, on eft plulîeurs jours fans employer ces greffes , les écuflbns fe détachent mal & ne réufliflent pas. Lorfqu'on veut prendre quelques écuflbns fur un arbre précieux qu'on ne veut pas dé- garnir de fes branches , on peut, fans en cou- per aucune , les lever deflus ; mais il faut les placer fur le champ. J'en ai levé ainfi plu- fieurs , fans qu'il m'ait paru que la branche en fôuflirît ; la plaie fe recouvre en y met- tant un peu de cire , & on n'apperçoit l'an- née fqivante que la cicatrice qui s'y eft for- mée. Ce Chapitre paroîtra peut-être trop long VEGETATION , IlV. VIII, Ch, IV. 39^ à ceux qui rve fe foucienc pas d'en faire ufage, & peut-êcre encore trop court à ceux qui ne veulent rien ignorer de cette pratique , qui eft une des plus intéreiTantes du jardi^ lîage. De la Greffe en approche. Cette greffe , bien nommée par approche , eft , dit-on avec vraifemblance , celle qui a donné aux hommes l'idée de toutes les au- tres greffes ; elle fe fait naturellement dans les bois , & plus fouvent encore dans les charmilles ou les arbres fe trouvent très- ferrés les uns contre les autres ; il n'y a per- fonne qui n'ait vu de ces greffes faites par ia Nature & le hafard. Lorfque deux arbres affez voifins pour fe toucher & fe ferrer dans une de leurs par- ties , font écorcés de manière que les liberg refpedifs fe rencontrent, ils fe greffent de la façon qu'on appelle par approche ; c'ell ce qu'on voit arriver naturellement dans les bois où deux tiges ou deux branches , venant à fe ferrer & à s'écorcer par l'agitation & le frottement , s'uniffent & fe greflent de manière que fi on coupe une des deux , les racines de l'arbre nourriront les deux têtes : ç'eft ce que repréfente la figure 10. Ce font vraifemblablement ces accidents naturels qui ont donné l'idée des greffes : celle-là ne pourroit pas être d'une grande uti- lité , parce que î'ufage utile n'eft pas d'unir 4^ijx arbres çnfenible > mais de faire porter ^^6 Traité de t a fur l'un les branches d'un autre; pour cet effet,oiî étête lefujet , &on lui fait une entaille triangu- laire , comme on le voit à la figure 1 1 ; on taille enfuite , en forme de coin , la tige ou feulement une des branches de l'arbre qu oa veut greffer , & on l'infère dans l'entaille du fujet , en obfervant que les libers fe rencon- trent , car c'eft là le point capital en toute efpece de greffe ; enfuite on lie & on affu- jettit bien cet appareil , comme on le voie iîgure 12, &: on recouvre le tout comme la greffe en fente. Quand la tige ou la branche étrangère eft bien foudée fur le fujet , on la coupe pour la féparer en deux. On greffe encore par approche , en cou- pant la tige du fujet en forme de coin, & en fendant la tige ou une branche de l'arbre qu'on veut multiplier , de façon que les deux côtés s'appliquent exadement fur le coin & que les libers coïncident, comme on le voit planche 4, figure i^*'^ La greffe par approche, quoique peu pra- tiquée, a cependant bien des avantages; il efl vrai qu'elle n'efl praticable que fur des fujets qui font très-proche des arbres que Ton veut îTiultiplier , ou mieux fur ceux que l'on a mis pour cet effet en pot ou en cailfe, que l'on peut difpofer aifément à l'union d'une branche; car quoique j'aie marqué ici une union de tige à tige, il efl mieux de ne la faire que fur une branche dont la fouftrac- tion peu nuifîble ne lailfe pas de former, dès U première année, une tête fur le fujet greffé. Végétation j Liv. VIÎI, ChJV. 397 La reprife de cette greffe eft plus certaine , parce que la branche de même que le fujet ne ceflenc pas de cirer de la nourriture de leur pied , ce qui contribue à l'union réciproque. Quoiqu'on puifTe greffer par approche , tant que les arbres font en fève , la faifon la plus favorable eft celle du Printemps , avant que les boutons foient ouverts , parce que quand la branche eft couverte de feuilles , organes d'une grande dilîipation , elle en fouffre beau- coup , fi on l'entame profondément , & fu- nion fe fait mal, fi on l'entame peu. De plus , il eft toujours mieux de ne pas attendre trop tard à faire ces greffes, parce qu'elles ne fe formeroient pas fufïifammenc avant THiver , inconvénient pour les arbres délicats , & empêchement de fuccès pour les autres. Outre les différents procédés que je viens de détailler , on en pratique & on en peut même imaginer encore d'autres ; tous réulliront plus ou moins bien , pourvu que l'on obferve l'article effentiel , la rencontre des libers. Les Anglois pratiquent une efpece de greffe qui réulfit mieux que toute autre fur les ar- boufiers , hêtres , chênes étrangers , &c. : après avoir étêté le fujet , ils coupent à l'ex- trémité la moitié du bois de la longueur d'en- viron un pouce , ils coupent de même la moitié du bois de la greffe de la même lon- gueur , & ils appliquent ces deux fedions l'une contre l'autre , en faifant rencontrer les libers d'un côté : il fcroit mieux encore qu'ils fe rencontraffent des deux côtés ; mais cette 39^ T R A ï T É D E I A opération deviendroit très -difficile, parce qu'il faudroit pour cela que la greffe & le iiijer fuflent exadement de la même grofleur. Il fuffit heureufement pour le fuccès que la jondion foit parfaite d'un feul côté, & de bien lier le tout comme à la greffe en fente. D^autres , après avoir coupé le fujet en bec de flûte , taillent de même la greffe qu'ils appli- quent deffus : enfin , tous ces procédés réufli-' ront , pourvu que la rencontre des libers foit obfervée ; point capital , fans lequel il ne peut y avoir de fuccès. En voilà bien affez fur ce Chapitre pour ceux qui défirent de s inftruire , & trop pour ceux qui ne le veu- lent pas. CHAPITRE V. De la taille des Arbres, X-jA taille des arbres eft une opération bien importante ; mais elle eft pour rordinaire mal entendue Si mal exécutée : on voit par- tout des efpaliers dans les jardins , & il eft très-rare d'en voir qui foient bien difpofés & bien entretenus. La multiplicité des Auteurs qui ont parlé de la taille n'a fait que jetter plus de confu- lion & d'embarras dans l'efprit de ceux qui les lifent , parce qu'ils y trouvent des mé- thodes différentes & des contradidions fré- quentes. Végétation, Liv. VIII, Ch. V. 399 Au lieu d'expofer fimplement & méthodi- quement les vrais principes , on les a furchar- gés d'une confulîon de détails compliqués , quelquefois contradidoires , fouvent vains & inutiles, & toujours ennuyeux & rebutants, & qui loin de fixer les idées ne font que les embar- rafl'er & les rendre obfcures & incertaines. La manière donc pluiieurs de ces Auteurs ont parlé de l'opération de la taille fait évi- demment connoître qu'ils n'en entendoient pas les premiers principes ; d'autres n'ont donné que des accelfoires , au lieu d'approfondir, d'expliquer l'objet principal & les moyens d'y parvenir ; d'autres enfin s'en tenant à leur pro- pre expérience locale , ont vanté, comme uni- que , une pratique qu'ils ont vu réulfir , fans faire attention que le fuccès n'en eft dû qu'à des circonftances particulières qui n'ont pas lieu dans un local différent : de là les dégoûts , les incertitudes que produifent la ledure de ces Livres dans l'efprit des Maîtres , & le peu de fruit qu'en retirent les Jardiniers les plus intelligents & les plus appliqués ; & le nombre de ceux-ci eft bien petit en compa- raifon de la multitude de gens grofîiers & ignorants qui fe difent Jardiniers , après avoir été pendant deux ou trois ans garçons d'un prétendu Maître qui ne leur a tranfmis qu'une routine aveugle , avec les erreurs dont il eft lui-même imbu. C'eft cependant à ces fortes de gens qu'un Propriétaire qui n'a point de connoilfances par lui-même confie la conduite de les efpaliers ; c'eft à leurs mains meurtrières que les pauvres 400. Traité de la arbres font abandonnés ; il coupe , il rogné fans favoir pourquoi , fans examen des difFë- rentes branches qu'il ne connoît pas ^ dont il ignore FefFet préfent & futur ; ce qui eft l'ar- ticle eflentiel qu'il faut favoir prévoir ; & il eft fort content de fon travail , pourvu que les branches foient bien arrondies & bien attachées fur le treillage , & qu'il n'y refte point de bois mort. Eft-il étonnant , d'après cela , de voir des efpaliers mal entretenus, des arbres dégarnis de branches en bas & au centre , qui ne pré- fentent, au bout de quelques années, que des cuiffarts nuds , couronnés de yergettes qui ont gagné le haut du mur , & qu'on eft obligé de mutiler toutes les années : de là la fin & la mort prématurée de l'arbre. Si on a lu 6c médité tout ce que nous avons dit fur la Végétation , il ne fera pas difficile de prendre de juftes idées des vrais principes de la taille ; & j'ai lieu de croire que la ma- nière dont nous allons en parler fera difpa- roître les difficultés & les incertitudes dans lefquelles on a laifTé cette opération très-fîm- ple par elle-même , faute de l'avoir examinée & préfentée telle qu'elle le doit être. On nous dit que la taille des arbres fert à leur donner plus de forcé, plus de vigueur & plus de durée ; cela n'eft pas vrai : qu'elle ferc à lui faire rapporter une plus grande quantité de fruits & d'une meilleure qualité j cela n'eft pas plus vrai. Il eft certain qu'un arbre dans fon port na- turel i en liberté & en plein vent, acquiert beaucoup Végétation, Liv. VIII, Ch. V. ^ot beaucoup plus de force , plus d'étendue ^ & dure davantage que celui qui eft coupé & mutilé annuellement : il eft aufïi connu que ces mêmes arbres donnent une plus grande quantité de fruits & d'un goût plus relevé , tels que les abricotiers , les pruniers , les pê- chers, &c. Ne perdons point de vue lés grands prin- cipes : nous avons vu que les racines & les branches poufîent toujours eii riiême propor- tion ; donc un arbre doit pouffer & poulfe effedivement d'autant moins en racines qu'oa lui fupprime fréquemment des branches. Il ta donc virai de dire que la taille ert général eft une opération contre nature qui tend toujours à reprendre fes droits fur les manœuvres du Jardinier qui la contrarie & la gêne continuellement ; & cette opération fur un arbre eft affez femblable à celle que Ton feroit fiir un animal que Ton itiutileroic pour l'empêcher de croître. On ne s'avife point de tailler en efpaliei'â les pêchers cri Perle , les abricotiers en Ar- ménie , les oliviers en Provence , les oran- gers en Italie, les poiriers & lès pommiers pour faire du cidre en Normandie ; on fait combien on y perdroit à tous égal'ds : mais on s'eft apperçu que ces arbres trânfplantés dans des climats qui leur conviennent moins, ont befoin d'être abrités pour en afflirer la frudification qui , quoique plus abondante & d'une meilleure qualité en plein air, eft trop fujette à manquer Ibuvent par l'effet des ge- lées du Printemps. On a pris le parti d'ea Tom€ IV. Ce ^oi Traité de la planter contre les murs de clôture , ce qui' joint l'agréable à l'utile , en les couvrant d'un tapis de verdure agréablement fleuri au Printemps & rempli de fruits en Au- tomne. Pour bien remplir cet objet , il faut difpo- fer les arbres de manière qu'ils couvrent la muraille depuis le bas jufqu'en haut, & dans la plus grande étendue poffible : voilà préci- fément l'effet d'une taille bien entendue , telle que nous la décrirons. Il faut commencer par forcer l'arbre à prendre un port tout différent de celui qu'il prendroit ^ Ù. on le laiiïbit en liberté ,♦ il faut ctronçonner fa tige fur laquelle il auroit élevé une tête arrondie , pour ne lui lailfer pro- duire que quelques branches principales qui doivent fe ramifier en plufieurs autres , & s'étendant fur la furface de la muraille , la doivent garnir entièrement. Il faut le conte- nir , l'entretenir dans cette efpece de gène & de contrainte, ôc il faut pour cela que le Jardinier lutte continuellement contre la !Nature qui travaille toujours à s'affranchir de l'eiclavage dans lequel on la veut retenir, en pouffant perpendiculairement des branches , dont la végétation rapide dégarniroit le bas & le milieu de l'arbre. Une branche vigoureufe , s'emparant de toute la fève , formeroit bientôt une nou- velle tige fur laquelle l'arbre formeroit une tête ôi reprendroit ainli fon port naturel ; c'eft ce qui arrive à ceux que l'on dit échap- pés; c'eft par le moyen de la taille que VEGETATION, LiV. VIII, Çh. VI. 403 l'on arrête ou mieux que Ion prévient ces éruptions. Après avoir pris ces idées fimples & Bet- tes de l'opération de la taille , il n eft plug queftion que d'examiner & de fuivre les meil- leurs procédés pour les bien remplir : c'eft ce que nous allons traiter méthodiquement & fur ks principes de la Végétation. c CHAPITRE VI. De la Taille en général. 'Est tailler un arbre que de lui couper des branches ; mais on fe fert de différents termes , félon les différentes manières de cou- per : on dit tondre des charmilles , des haies, des pallilfades , des buis , des ifs , &c. lorf- qu'on ne fait que couper, avec des cifeaux, les nouvelles pouffes pour donner aux bor- dures ou aux palliffades le coup d'œil d'une furfacc plane comme celle d'un mur. On dit ébrancher , lorfqu'on coupe les groffes branches d'un arbre au niveau de fa tige ; c'eft avec la ferpe que l'on fait cette opération. On dit élaguer , lorfqu'on ne fait que fup- primer quelques branches baffes , & cou- per les extrémités de celles qui font Taillan- tes , dans le deffein de , donner aux grands arbres d'alignement , plantés en avenues , le coup d'œil d'une tapiflerie également & per* Ce a Traïtê de xa pendicuîsflVement tendue , ou celui d'une ar» cade , d'une voûte , &c. ; on fe fert pour cela du croiflant ï nous avons déjà parlé de ces opérations. Mais on n'entend par le mot de taille , proprement dit , que ia conduite des arbres fruitiers , & fur-tout de ceux tenus dans les jardins en éventail ou en builTon , qui forment ce qu'on appelle efpaliers , contr'efpaliers ou buiffons. Quant à ceux qu'on appelle en plein vent , qui s'élèvent en liberté ôr en plein air , on ne fe met guère en peine de les tailler , îî ce n'eil une ou deux fois dans les premiè- res années pour les aider à prendre le pre- mier tour de la figure ronde & à bien for- mer leur tête , qui feroit défigurée par quel- ques branches de faux bois qu'il eft bon de fupprimer. Les vieux arbres de tige ont auffi befoin d'être débarralTés de temps en temps de branches mortes ou langoureufes ; mais cela s'appelle plutôt les éplucher , les nettoyer que les tail- ler : il fuffit pour tout cela de favoir couper ; mais il faut bien d'autres connoilTances pour favoir bien tailler. Toutes ces connoiiTances font cependant renfermées dans une feule & unique ; c*efl celle de la végétation d&s différents gen- res d'arbres que l'on veut conduire : avec- cette connoilTance , on acquiert aifément & même on polTede déjà toutes les autres ; mais fans elle, on ne peut jamais les acquérir que d'une manière confule, imparfaite ôc même fauffe. VEGETATION, LrV. VIII, Ch. VI. 40$ Cçft ce défaut de connoiffance primitive & abfolument néceflaire qui a mis les Auteurs en çoncradidion , les poiTeffeurs des jardins dans Vincerntude , & la plupart des Jardi- niers dans la plus profonde ôc la plus per- pétuelle ignorance. Plulieurs expériences ou plutôt pluiîeurs faits iiiconteftables répandus dans ce Traité , prouvent qu'il y a dans chaque arbre deux caufes de végétation , l'une qui lui eft pro- pre, & l'autre qui eft accidentelle. J'appelle propre celle qui dépend de font erganifation , & accidentelle celle qui dépend du fol, du climat , des courants d'air, de l'athmofphere , de l'expolition , &c. Comme cette dernière caufe varie d'un lieu à un autre , les effets doivent néceflairemenc varier. Cette feule raifon doit faire voir qu'on ne doit pas plus propofer ni fuivre de règle générale pour la conduite des végétaux que de médecine univerfelle pour les hommes. Le traitement doit varier dans les uns & dans les autres félon l'âge, le tempérament, l'or- ganifatîon , le local & les circonftances. D'a- près cela que l'on vienne nous vantçr comme modèle unique , & qui doit être générale- ment fuivi , la culture & la taille de Mon- treuil , proche Paris , où les pêchers éprou- vant la plus vigoureufe végétation , forment en peu d'années un éventail de quarante à cin-^ quante pieds d'étendue, en attribuant ces heu^ reux fuccès aux feules opérations des Jardi- niers , fans faire attention au fol & aux cir^» CPîiflânces locaiçs : comme fi en fuivant par Ce 3 4©^ T R AI T É D E I A tout la même culture , on en obtiendroit d'aufîi heureux effets. D'après cela, on voit combien peu on doit s'embarrafTer des difputes , des conflits des Auteurs & des Praticiens , dont les Ecrits contradidoires ne tendent qu'à donner pour procédés feuls bons & imitables ceux qu^'ils ont adoptés & qui ont pu leur réufîir dans tel local , mais qui ne réuffiroient certaine- ment pas dans un autre. LaifTons-les difputer pour favoir s'il faut tailler telle & telle bran- che longue ou courte ; s'il faut laiffer très- peu ou beaucoup de bois ; s'il faut tailler avant ou pendant l'Hiver , ou feulement au Printemps ; s'il faut failir ou non le temps du décours de la lune , &c. Sic. Nous verrons combien ces difputes fon vaines & inconlîdé- rées , & combien peu on doit s'en embarraf- fen Sans adopter de maxime générale , réglons- nous fur l'état de nos arbres & fur les cir- conftances de la végétation, & rempliffons l'objet que nous nous propofons , relative- ment au climat , au fol , à la vigueur ou à la foibleffe de l'arbre : je chargerai en bois & je taillerai plus long celui qui eft vigou- reux, & je traiterai tout au contraire celui qui ne l'eft pas. Voilà une règle générale que l'on doit fuivre par-tout , parce qu'elle eft par-tout fufceptible de modifications. Si l'art de la taille paroît difficile & com- pliqué , c*eft qu'on l'a flirchargé d'idées con- fufes, de raifonnements vagues & de diffi- cultés qui ne naiflent que de l'ignprance des vrais VEGETATION, LlV. VIII, Ch.VÎ. 407 principes : je crois néceffaire de commencer par difiiper ces vains phantômes que l'erreur feule a fait naître , en donnant de julles idée& de cette opération , & n'établiflant d'autres prin- cipes que ceux que dide la marche de la Na- ture. Si nous parlons des autres que Tefprit de fyflême & de fantaifie a tenté d'accréditer , ce ne fera que pour en démontrer l'erreur. Pour bien réufîir dans un art quelconque, âl faut commencer par examiner , bien envi- fager l'objet qu'on fe propofe, & favoir fai- fir les meilleurs moyens pour y parvenir. Quel eft l'objet que je me propofe ici en formant un efpalier ? C'eit d'étendre en éven- tail des arbres contre une muraille , de ma- nière qu'ils la tapilTent depuis le bas jufqu'en haut , fans laifTer de vuide , en s étendant le plus poffible à droite & à gauche. Je vois d'abord que je ne puis parvenir à ce but qu'en contrariant la Nature ; elle a def- tiné cet arbre à former une tige unique & élevée , couronnée d'une tête arrondie ; & il me faut ici la forcer à faire tout le con- traire. C'eft par l'opération de la taille que je pourrai y parvenir ;c'e{t par elle que je difpofe- rai d'abord l'arbre à prendre un port qui ne lui eft pas naturel, que je le forcerai à fuivre la forme applatie que je veux lui donner ; & enfin , c'eft par elle que je l'entretiendrai dans la difpoiition la plus propre à farisfaire la vue & le goût, en couvrant bien la muraille & en fe chargeant de fruits. Ce premier examea nous donne trois points C c 4 TKAITé DE LA îiécefTaires d'éducation de l'arbre ; favoir , fâ première difpofition , fa formation & fon entretien : nous allons en parler féparémenc ; mais auparavant il eft bon de parler des outils dont on doit fe fervir , ^ dé la manière d'en ftire ufage. IBiai»^,aiffiaHM«BBaL«IIU-LUlUJJLJk»-lLLiLWi CHAPITRE VII. Des Outils néceffhires pour tailler ^ ^ de la manière d'en faire ufag^. T OUT le monde fait que pour tailler on fe fert d'une efpece de petit couteau recourbé ^ appelle ferpette ; mais tput le monde ne fait pas en faire ufage : je crois donc devoir corn- înencer par entrer en détail à ce fujet. La qualité , la forme & la conftrudion d'une ferpette n'eft ppint indifférente pour travailler aifément, promptement , avec plus de facilité & de fatisfadion ; elle doit être d'un bon acier bien trempé , de forte que le tranchant ne fe rcbroufie ni ne s'égraine ou ne s'ébreçhe pas aifément ; il faut qu elle foit bien affilée ; on a foin de la faire repalTer ou ai- guifer lorfqu'on s'apperçoit que le tranchant ne coule pas bien ; car avec de bons outils , on travaille mieux , plus proprement, plus promptement & avec plus de pîaiiir; la coupe |ie la branche en eft plus nette ; ce qui n'eft pas Indifférent pour le recouvrement de la plaie» La lame ni trop droite ni trop courbe, doit l'être feulement 'en forme de croiîfant veri VEGETATION, LîV. vin, Ch. VIL 409 foH extrémité, terminée en pointe; le man- che doit être alTèz gros ,• & pour mieux tenir dans la main , la forme à peu près quarrée eft préférable à toute autre. Il eit mieux qu'il foie d'une matière rabo- teufe , telle que la corne de cerf, pour bien tenir fans tourner dans la main : outre cette ferpette , dont la lame doit avoir environ trois pOLjces de longueur , enamanchée fortement , que tout Jardinier doit toijours avoir dans la poche; il eft bon d'en avoir une plus petite & plus légère , avec un manche arrondi & plus propre , qui ne doit fervir qu'à la coupe des petites branches ; c'eft de cette efpece de fer- pette dont un Amateur eft toujours muni pour couper, en fe promenant, ce qu'il re- marque de branches mal placées , & donner une meilleure forme aux arbres fruitiers & aux arbres d'agrément ; ce font des amufe- ments qui en valent bien d'autres pour ceux qui favent les goûter. Outre les ferpettes , il faut aufîî avoir une ou deux petites fcies , dites à couteau , parce qu'elles font emmanchées comme un couteau , fe replient de même & fe portent commo- dément dans la poche. Il n'eft pas befoin que la lame ait plus d'un demi-pouce de largeur & environ cinq de longueur ; l'effentiel eft qu'elle foit d'un bon acier , qu'elle ait bien de la voie , c'eft- à-dire que les dents foient bien écartées & bien ouvertes , allant l'une d'un côté, l'autre de l'autre , & fur -tout que le côté du dos foit plus mince que celui des dents i autrement la fcie ne pafteroit pas aifé- 4IO Traité de la inent , & on auroit peine à s'en fervir. Ceft u|i grand point d'avoir de bons ou- tils , mais il faut favoir s'en fervir , tant pour expédier & bien faire la befogne que pour éviter les accidents ; c'eft un apprentiffage qui ne fe fait guère fans répandre un peu de fang par ceux qui commencent à travailler fans avoir eu de bonnes leçons. Il faut prendre des précautions pour prendre une polition ferme & aifée , & pour bien placer la main gauche , fans quoi on court grand rifque de fe blefler, & quelquefois mênie grièvement. Il faut d'abord prendre une poiîtion afluréc & ferme fur fes jambes , à portée convenable de l'arbre , afin de faire ufage de fa force Se de fes inflruments , & tenir le manche de la ferpette le plus ferme qu'il eft poflible , afin qu'elle ne tourne point dans la main : il faut toujours couper la branche , en commençant par lecotéoppoféau bouton qui refte à l'extrémité de la branche taillée ; ainfî fi le bouton eft fur le devant de la branche, on tire à foi en taillant, ce qui fe fait le plus ordinairement ; mais fi ce bouton eft: fur un des côtés delà branche, il faut alors couper de revers : mais dans l'un ou l'autre cas, il faut avoir la précaution de mettre la main gauche au-delTous & tout proche de l'endroit où l'on veut couper, & de tenir fx ferme la branche qu'elle ne puifle être ébran^ lée , & qu'elle réfifte à l'effort que fait la mait\ droite en coupant : il n'y a rien à craindre tant que la main gauche refte ainfi fixée ; mais fi ellç fe dérange, la ferpette la trouvera dans fon che-^ min , & pourra la bleffer dangereufcment. . Vegbtation, Il V. VÏII , Ch. vil 41 1 Il faut accoutumer la main droite à tenir la ferpette de manière que la lame foit dans une pofition à peu près horizontale ,& à s arrêter tout court après l'effort qu'elle vient de faire en coupant , fans cela on court des rifques par rapport à foi & par rapport aux bran- ches voifînes que l'on vouloit conferver ; c eil pourquoi il eft à propos , en préfenrant la ferpette, d'obferver ce quelle pourroit ren- contrer pour éviter le dégât, & favoir pref- fentir jufquoii peut aller l'effort qu'il faut faire pour emporter tout d'un coup la partie que Ton veut fupprimer , fans nuire à aucune au- tre ; c'eft pourquoi il faut examiner comment la main doit aller en coupant , car elle doit dans l'effort donner un certain tour à la fer- pette , afin que la pointe n'endommage rien. Voilà ce qu'on appelle couper net & comme il faut pour bien tailler, de manière que la coupe foit à peu près ronde & plattc , mais jamais allongée , comme la font les gens maladroits ; s'il arrivoit qu'elle le fût , il faudroit réparer cette difformité : on voit qu'il en eft pour les branches tout autrement que pour les raci- nes, qui doivent être taillées en pied de biche, comme nous l'avons dit. Il eft bon d'avoir deux ferpettes : l'une d'un fil fin & bien tranchant pour tailler les branches vertes, feroit bientôt émoulTée & même ébréchée fi on s'en fervoit pour couper le bois mort qui eft beaucoup plus dur • on doit avoir une féconde ferpette plus forte pour cette opération , & fur-tout pour cou- per jufqu'au vif les ergots fecs & morts , ^ 412 TîlAITÉ DE X h qu'un Jardinier , propre dans fon travail , ne doit jamais laiiTer fur aucun arbre: on appelle ergot l'ancienne extrémité d'une branche qui précé- , demment a été raccourcie un peu loin d'un Oîil d'où il eft forti depuis une autre bran- che , & pour lors cette extrémité eft demeu- rée feche ou à demi-morte , s'étant trouvée privée de fève. Il faut cependant obferver que cette opé- ration pourroit être dangereufe fur certains pêchers fujets à la gomme qui fuppure par cette plaie qui ne peut fe fermer. On taille avec d'autant plus d'aifance lorf- que la pofition refpedive du Jardinier à celle des branches eft fuffifamment rapprochée & à la hauteur la plus commode qui eft à peu près celle de l'eftoraac : lorfque les branches font beaucoup plus bafles , il faut fe baiffer Se mettre genou en tetre ; & fi elles font trop hautes , il faut monter fur un marche- pied , afin d'être en état de couper à fon aife & fans fe gêner , car on eft en danger de fe blelTer ou d'éclater la branche quand on coupe de haut en bas : on rifque moins quand on coupe de bas en haut ; mais pour lors la coupe eft toujours allongée , ce qu'il faut éviter. Lorfqu on eft afTez exercé & habile à ma- nier la ferpette , on peut fans rifque mettre k main gauche au-deffus de la droite ; ce qui , dans de certains cas , rend l'opération plus aifée fur de grofles branches vertes , parce qu'en forçant les fibres de ces branches que J'on courbe & les tirant à foi , elles devien- ^ VEGETATION, Il V.VIIÏ,Ch. VII. 413 fient beaucoup plus aifées à couper ; mais il ne faut pas trop les forcer , ce qui les feroit: éclater à moitié coupe. J'ai dit qu'il falloit s'élever pour tailler les branches hautes au moyen d'un marche-pied qui donne une pofition plus commode & plus ferme qu'une échelle qui éloigne trop de l'ar-^ bre , & qui eft fujette à bien des inconvé- nients ; on blefle la tête de l'arbre en appli- quant l'échelle: fi pour éviter cela, on y pra- tique, vers fon extrémité fupérieure , deux chevilles qui portent uniquement contre le mur ; li les pieds de cette échelle ne font pas pofés fur un terrain très-ferme, le poids du Jardinier les fait entrer en terre , & les che- villes , en defcendant contre le mur, brifent les treillages & les arbres : pour éviter cec enfoncement , quelques-uns emboîtent les pieds de l'échelle dans de grolTes boules de bois ; mais il eft toujours mieux , tant qu'on le peut, de faire ufage du marche-pied, tant pour tail* 1er que pour cueillir les fruits. Quant à la fcie , on s'en fert pour fuppri- mer de grofles branches qu'on ne pourroit ai- fément &c tout d'un coup couper avec la fér- pette , & encore pour ôter le bois i^çc & dur capable de gâter le tranchant : la petite fcic à couteau , telle que nous l'avons indiquée , fuffira pour ces deux opérations ; mais s'il s'agiflbit d'abattre de fort grofTes branches on débotter un arbre , on fent bien qu'il faudroit faire ufage d'une fcie plus forte. Lorfqu'on fe fert de la fcie , il faut qu'au contraire de ce qui fe fait avec la- ferpette , 414 Traité de ia la main gauche , tant que faire fe peut , foit toujours placée au-deflbs de la droite, qu'elle faifilFe & foutienne ferme la partie que l'on veut abattre pour l'empêcher de remuer, au- trement la fcie feroit mal fon effet ; d'ailleurs la meilleure manière de la tenir eft de la dif- pofer de façon que le bout du manche ne vienne qu'environ jufqu'au milieu de la paume de la main & au-delTous du pouce, ce qui donne un point d'appui pour mieux pouffer 6c mettre en adion la fcie ; & pour mieux diriger fon mouvement, il ell: bon que le pre- mier doigt foit étendu le long du manche juf- que fur le bord de la lame ; il faut agiter cette fcie avec vîtefTe , fans trop appuyer deffus , ayant attention de la diriger toujours fur la même ligne ; car li , lorfqu'elle efl en- gagée dans le bois , on la dévoyoit à droite ou à gauche , on la feroit tortuer ou même cafTer. Il ne faut pas achever de fcier toute la branche , mais s'arrêter proche de la dernière écorce ; autrement il arriveroit que l'écorce de deiîous fe détacheroit de la partie qui doit refier , & y feroit une écorchure dangereufe : la fcrpette doit toujours achever l'ouvrage de la fcie pour couper net ce qu'on n'a pas achevé de fcier & pour ragréer la coupe , en tran- chant l'extrémité des fibres déchirées & brû- lées par l'adion de la fcie • c'eft fur-tout au- tour de l'écorce que cette réparation doit fe faire, fans quoi les émanations ne fe feroient pas entre le bois & l'écorce , émanations né- cefTaires pour recouvrir la plaie. VEGETATION, LiV. VIII, Ch.VIII. 415 De même qu'avec la ferpetce on facilite beaucoup l'opération en pliant un peu la branche que l'on veut fcier , la fcie en pafle mieux & achevé plus aifément & plus promp- tement l'ouvrage ; mais c'eit fur-tout ici qu'il faut bien prendre garde de ne pas trop for- cer , car il fe feroit un éclat fâcheux fur la partie qui doit relier. CHAPITRE VIII. De la première difpojition de l'Arbre, 0 N" plante contre une muraille un arbre que l'on veut forcer à prendre une furfacc étendue & applatie pour garnir cette mu- raille depuis le bas jufqu'en haut. Cet arbre ne le feroit fûrement pas lî on le laiflbit croî- tre dans fon ordre naturel : il faut donc commencer par le défigurer ; & pour cet effet , on coupe la tige plus ou moins près de terre , félon qu'on en veut faire un arbre de bafle ou de moyenne tige : le prin- cipal canal de la fève étant ainii fupprimé, elle ne manquera pas de faire éruption fur la partie de la tige étronçonnée, & de pouffer plufieurs branches latérales qui doivent faire la bafe de l'édifice qu'on fe propofe d'élever. Ces branches font de nature différente , il eft abfolument néceffaire de les connoître & de favoir lesdiftinguer , pour les traiter comme 4l5 ÎRAtTÉ DE LA elles doivent l'être ; c'efl pourquoi on leur â donné des noms que nous expliquerons dans le Chapitre fuivant , en donnant les notions de leur forme, de leur nature , de leurs pro- priétés & de leurs effets. C'eft fur ces premières iDrànches qu'on fait la première taille pour en obtenir de nouvelles , fur iefquelles on taille l'année fuivante pour faire ramifier l'arbre & l'étendre de plus en plus. J'ai déjà dit que Ton doit eonfidérer la taille eomme une opération qui fert à arrê- ter & contrarier continuellement l'ordre de îa végétation ; c'eft un combat entre le Jar- dinier & la Nature qui reprend bientôt fes droits, Il on lui en laifFe la liberté ; l'arbre tend à élever perpendiculairement fes bran- ches ,• très- touffues en haut & dégarnies du bas , c'eft ce qu'il faut principalement empê- cher ; bien plus , parmi les nouvelles bran- ches produites fur la tige étroneonnée , une des plus vigoureufes s'empareroit de toute la fève & s'éleveroit au détriment des autres pour former feule une nouvelle tige , qui figureroit comme celle que l'on a fuppri- mée. On doit donc eonfidérer la taille Comnie «ne opération qui force l'arbre à faire tout le contraire de ce qu'il feroit naturelkmenc êc en liberté : il eft donc néeelîairê pour favoir bien tailler , de connoitre la végétation naturelle des arbres. Ce que nous avons die " des branches , des boutons & des bourgeons dans plufieurs autres Chapitres de^ce Traité, a VeGET ATîOtJ , Liv. VIII , Ch. VIII. 417 â dû donner les connoifTances néceifaires à ce fujec ; il n ell plus queftion que d'en faù'e ici une juile application. Nous allons iuivre l'arbre depuis fa planta- tion en efpalier jufqu'à fon entière formation ; nous indiquerons les meilleurs procédés pour y parvenir fucceiïivement 6c l'encretenir en bon état ; nous parlerons eafuite de l'éduca- tion & de la conduite des arbres en buiffba qui exigent un traitement différent relativeraenc à la forme qu'on veut leur faire prendre ; & après avoir parlé de la taille en général & de celle des fruits à pépin , nous parlerons de celle des fruits à noyau , & particulière- ment de celle des pêchers ; car la végétation de ces arbres n'étant pas généralement la même , leur traitement doit être différent à certains égards : mais ce qui va être dit de la taille en général étant bien entendu , il ref- tera peu de choie à dire au fujet des différents genres d'arbres. Comme la taille & le traitement des dif- férentes branches ne font pas les mêmes, il faut commencer par les bien connoître : c'eft ce qui va être expliqué dans le Chapitre fui- vant. Tome IF, D à 4i8 T'raité be I.A N CHAPITRE IX. Des différentes Branches. Ous ne répéterons point ce que nous avons dît au Chapitre des Boutons & des Branches, qui peut fervir à l'intelligence de celui-ci ; mais nous avons à y ajouter beau-- coup , en pariant des arbres proprement dits fruitiers. On dittingue en général deux efpeces de branches , lavoir , les branches à bois & les branches à fruit; elles font très-aifées à con- noître : les premières , ordinairement plus grofles , plus fortes , plus liffes & mieux nourries , portent des boutons ou yeux allon- gés , pointus, plus rapprochés de la branche & plus efpacés ; les autres , plus petites & plus foibles , font garnies de boutons plus gros, plus arrondis &c plus détachés; ils Xont aulli , félon les années , plus nombreux & plus rapprochés les uns des autres. Tou- tes ces branches naiflent , comme nous l'avons expliqué , des boutons qui fe forment pendant TEté & l'Automne fous le pédicule des feuilles. Ces deux différentes efpeces ne font pas toutes de la même force ; il eft dans l'ordre de la Végétation que celles qui approchent le plus des extrémités foient plus longues & plus grolfes ; il en arrive cependant quelques- fois autrement. Il croit des branches à bois plus greffes dans la partie bafle ; d'autres s'é- Végétation, trv. VIII, Cïî.îX. 419 lèvent fur les grofles branche? & rneme fur la tige i celles-ci font répunées mauvaiies, on les appelle branches de faux bois : on en voit qui poulTent avec une vigueur extraor- dinaire, qui , groiIiirant& s'allongeant en peu de temps, s'emparent d'une grande partie de la levé; c'eft pourquoi on les appelle gourmandes. Ces produâions vigoureufes font des efforts de la Nature qui veut lecoùer le joug & s'affranchir de l'efclavàge où on la tient : en effet , fi on n'arre*- toit pas ces branches gourmandes > elles ne tarderoient pas à former de nouvelles tiges G\i de grolfes qui s'éleveroient au détriment de toutes les autres. Mais plus la Nature fait d'efforts par le moyen de ces fortes de branches , plus le Jardinier doit redoubler d'attentions & de foins à les réprimer & les vaincre ; car l'arbre lui échappe bientôt, s'il ne fait pas le retenir : nous allons en expli^ quer & en détailler les moyens. On diftingue trois fortes de branches à bois; les très-groffes , les grolfes & les moyennes : les très-grolTes ne fortent points comme les autres . des boutons, mais de l'écorce^ foit fur les branches , foit fur la tige ; leur nailfance eft due à une furabondance de fève qui fait éruption & perce au travers de l'é- corce , quelquefois même fort dure ; ces branches abondent en fève & prennent une croilfance très-rapide , c'eft pourquoi on les appelle gourmandes. On nous dit qu'elles viennent contre l'ordre de la Nature; mais tout au contraire y. elles ne viennent que par foa ordre ou même félon fon vœu y car c' D d a. 4^0 Traité de la par elles qu'elle fait effort pour reprendre (es droits , comme nous l'expliquerons. Ces branches font aifees à connoître parleur polition , par leur empattement très- évafé lur la branche d'où elles fortent , par leur croifiance extraordinaire , par la cou- leur de leur écorce qui eft plus brune; leurs feuilles font aulïï plus longues , plus larges & plus épaifTes ; leurs boutons , différents des autres , font plus aigus , applatis & fort dii- tants les uns des autres. Les grolfes font celles qui font forties des yeuXj félon le cours ordinaire de la Végétation; on n'y remarque point les mêmes excès que dans les premières ; ce font elles que ion appelle branches à bois. Les médiocres ont les mêmes caraderes que les précédentes , excepré qu'elles font moins greffes ; c'elf pourquoi on les nomme branches à demi-bois : nous parlerons de leur traitement. On difiingue aufli trois efpeces de branches à fruit ,* les groiles , les médiocres &: les petites. Les groffes ont environ deux lignes de dia- mètre avec des yeux triples à chaque nœud au pêcher; favoir, deux boutons à fleur & un bou- ton à bois au milieu ; leur écorce verte eft ordi- nairement couverte de marques noirâtres , un peu graveleufes ; leurs boutons rapprochés les uns des autres, font bien nourris <& airondis. Les branches à fruit dires médiocres , ne différent des précédentes que par leur grof- feur àL leur longueur. VEGETATION, VÎII , IlV. Ch.IX. 4^1 Les petites font de deux fortes ; on les dit frudueufes ou ftériles : les frudueufes qui ont à chaque nœud un feul bouton à fruit , accompagné d'un bouton à bois, font encore appellées branches crochets; elles font reje- tées par plulieurs Jardiniers , & confervées précieufement par d'autres ; 6c les uns & les autres peuvent avoir raifon , félon les circonf- tances. Quant aux petites infrudueufea, appellées branches fo//es , ies avis ne font pas parta- gés ; on convient généralement que c'eft un fretin dont il faut purger entièrement l'ar- bre. Parmi les branches à fruit 3 il en eft de fi grêles 6c de ii foibles que lî elles donnoient des fruits , ils ne pourroient être que chétifs ôc mauvais ;)& comme d'ailleurs ces petites branches ne font que hériifer l'efpalier & lui donnent un coup d'œil comme chiffonné & défagréable , on ies a nommées branches chiffonnes. Voilà à quoi fe réduit la connoifTance eirQu-^ tielîe des branches : après en avoir donné des notions fufli lances pour pouvoir aifément les diilinguer &l connoître leur nature , après avoir donné leur nomenclature , connue de tous les Jardiniers , les Leiieurs les moins exercés voient déjà quelles font celles qu'il faut funprinier;i]n'eil plus queilion que de favoir comment on doit les fupprimer , & comment on doit tailler celles qu'il faut conferver % c'efl ce que nous allons expliquer dans les Chapitres fuivants, en conduifant fucceffive'^ 412 Traité delà ment un arbre d'efpalier depuis fa plantatioiis juiqu'à fa parfaite formation ; ce que nous ferons en fimplifiant toujours des opérations qui ne paroifîent difîiciies que par la ma-? niere confuie &: embrouillée dont on les pféfente. Eclairés par les connoiflances de la Végé- tation , nous marcherons à pas fins dans cette carrière qui eft un labyrinthe pour ceux q»i n*ont pas le fil d'Ariane qui va nous conduire toujourSo tm^gsfsmammmtrssir- CHAPITRE X, Relies générales pour la Taille, G N ne doit jamais commencer à tailîer im arbre en elpalier qu'il ne foit entièrement dépaliiTé ,* car oucre qu on taille plus aifémenr , plus Vite & mieux , il arrive qu'en paliO'ant çnfuite on en range mieux les branches con- fervées. Souvent par parelîc de défaire ma lien pour en refaire un nouveau , on laiffe la bran- che comme on l'a trouvée, quoique mal pla- cée. Il eft même bon de dépaliiïer pour le pre- mier paliHage du mois de Mai , pour mieux reconnoître & arranger les nouveaux jeis & dégager de derrière le treillage ceux qui s'y étoient déjà glilTés , & qu'il n'y faut jamais lliifer ^ on a plus dç hçiXm ppur remédier VEGETATION, LiV. VIII, Ch.X. 415 à ce défordre lorfque les branches font déta- chées , de mêms que pour ôrer les jets trop multipliés o j trop foibles qui ne feroient que de la confuiion. Un arbre vigoureux ne fauroit avoir trop de branches, pourvu qu'elles foient bien con- duites & qu elles ne faflent point de confu- lîon ; tout au contraire , celui qui ne l'eft pas ne doit avoir de charge qu'à proportion de fa vigueur; on ne doit lui laiiier que peu de jets taillés fort court , & ne lui donner que peu d^étendue , qu'un tel arbre ne pour- roit prendre qu'en fe dégarnilTant du milieu. En toutes fortes d'arbres , il y a toujours quelques branches qui pouflent plus vigoureu- fement que les autres ; nous parlerons des moyens de les arrêter , de manière que la vi- gueur de Tarbre puifTe fe partager à peu près également dans toutes fes parties. Si un arbre trop abondant en fève , au lieu de fe mettre à fniit , ne fait que poufler dçs branches à bois, il faut les luilaifTer , même les gourmandes; plus on en fupprimeroit , & plus il en repoulTeroir , il faut fe contenter de l'étendre, ce qu'il fait rapidement ,* & lorfque ces grands mouvements de fève feront ralentis , on fup- primera le bois qui eft de trop & feroit con- fufion : nous parierons des moyens d'opérer ce ralentilTement de (eve lorfqu'elle continue d'être trop abondante. Il faut fur-tout veiller à empêcher l'arbre en efpalier de fe dégarnir du bas & de s'é^ chapper en haut félon fon penchant naturel ; c'elt une bonoe fortune au'il faut meitre à Dd 4 424 'THAITÉBE LA profit , îorfque du bas de la grofTe branche il en fort l'année même une autre grofle. Il ne fil ut jamais conferver des branches chiffonnes , en quelqu endroit qu'elles croif- fent ; il arrive quelquefois aux plus habiles , par diftradioii ou autrement , d'avoir laiffé trop de longueur à quelques branches , ou d'en avoir conlervé quelques-unes que l'on doit fupprimer ; c'eft pourquoi il efl nécef- faire de faire une revue le lendemain ou le même jour, pour examiner fon travail & réparer les omilîions que l'on aura faites. Ceft ce que ne manquent guère de faire les bons Jar- diniers , & que ne font jamais les ignorants auxquels ce nouvel examen feroit cependant bien plus néceiïaire : mais il n'y a que 'ceux qui favent bien faire qui apperçoivent ce qui n'eft pas bien fait. En toutes fortes d'arbres , il faut toujours donner moins de longueur à la branche à bois qui efl: un peu foible , qu'à celle qui eft groife & forte. Quand on ôte une branche haute fur une plus baffe , ce qu^on appelle ravaler , il faut couper le plus près polîible de la branche qui refte , afin que la plaie fe cicatrife mieux & plus promptement ; mais quand on fup- prime celle qui eft au-deiTous de celle qu'on veut conferver , il faut la couper en talus ^ afin d'en efpérer quelque bonne branche nou- velle. Quand ayant taillé court une branche qui étoit affez grofTe, elle n'a fait que de foibles produâions , c'eîl: une marque qu'elle ne tire VEGETATION , LiV. VIÎI, Ch. X. ^1% plus de nourriture ; & alors il faut la fup- prjmer entièrement , ne devant en attendre rien de bon. Si de quelqu'arbre que ce foit qui étoit tortu , il fort dès la première année un jet fort & bien droit , comme il arrive quelque- fois , il faut ravaler toute la tige fur ce jet qui en formera une plus belle. On coupe ordinairement les branches à bois de la longueur de cinq à fept pouces; mais plufieurs confidérations doivent en déter- miner la taille : on doit fe régler en cela fur la vigueur ou la foibleffe de l'arbre , fur la groffeur ou la médiocrité de la branche ; on doit tailler plus longues celles qui font groiïes 6c vigoureufes , & plus courtes celles qui le font moins ; le vuide qui eil: à remplir doit aufîi déterminer à les laifTer plus lon- gues ou plus courtes : & quoiqu'on ne doive pas s'arrêter à la fymmétrie , il eft mieux , tant qu'on le peut , de fe régler fur les bran- ches voiiines pour donner à l'arbre une forme arrondie & à peu près égale d^ns fon pour- tour. Il n'y a point d'inconvénient à tailler lon- gues les branches à fruit , & à les laifTer même dans toute leur longueur , fi elle n'eft pas excefîive : quand une de ces branches vient à en pouffer plufieurs autres propres à faire du fruit , je fuis d'avis qu'on les con- ferve , fur-tout lorfque l'arbre ell vigoureux; il importe peu comment elles font placées , dut-on les faire croifer ,- on ne doit point craindre qu'elles faifent confufian, principa- 4i6 Traité de la lement dans les arbres à fruit à noyau , dont les branches à fruit périflent ordinairement la même année , attendu qu*on les fupprime à îa prochaine taille, comme branches mortes ou ufées. Quand de queîqu endroit d'une branche couchée & contrainte qui , au lieu de mon- ter droite , comme font les autres , s'eft te- nue horizontale Se panchée , il en eft forti quelques-unes de faux bois, dont on ne peut tirer aucun fecours , ni pour la figure ni pour le fruit , il faut la fupprimer ; autrement , iî arriveroit que ce faux bois ruineroit le bon : je dis le bon , car ces fortes de branches in- clinées font excellentes pour devenir bientôt branches à fruit. Lorfqu*on s*apperçoit pen- dant l'Eté de la naiffance de pareils gour- mands , il faut les arracher fur le champ. La taille des branches foibles & longues fe fait aulïi-bien en rompant firaplement l'ex- trémité qu en la coupant , & peut-être même fe fait- elle mieux comme elle fe fait plus vite ; car on a remarqué qu'il s'y forme plu- tôt & en plus grande quantité àts boutons à fruit : il y a apparence que c'eft parce qu'il fe fait une plus grande évaporation de fève lerreilre , dont la diminution eft favorable pour mettre îa branche à fruit. On ne doit faire aucun cas des petites branches menues & foibles qui viennent d'autres branches pareilles ; s'il en fort quel- quefois de plus grolTcs , il faut les regar- der & les traiter coname branches de faux bois. VEGETATION, LiV. VIII, Ch. XL 42.7 ■MOBBMMIMaBIBMIBi^HBBmOTiMPaMBI^i^BiSBHBaMaMMaBaHlMMHHaaBBaaaVaM '■ ' ' ' - » - Jg CHAPITRE XL De la première taille d'un Arbre* L ^ Arbre que nous aurons planté ea étronçonnanc fa tige aura fait des produc- tions , ou n'en aura pas fait , ou n'en aura fait que de foibles & de chétives : dans ces deux derniers cas , il ne faut pas le laifler en place ; mais il faut le remplacer par ua autre qui donne de meilleures efpérances. On le lèvera & on trouvera fans doute qu'il n'a point fait de nouvelles racines , & qu'au contraire pluiîeurs des anciennes feront gâtées & pourries : s'il ell: totalement mort ou vicié, il nell bon à rien ; mais s'il donne encore quelqu'efpérance , on pourra , après l'avoir purgé des racines gâtées , le planter à l'ombre avec fes pareils dans quelqu'endroit du jardin , qu'on pourroit appeller l'infirme- rie , en ravalant de nouveau fa tige , & il pourra, par la fuite, fe refaire & raérirer d'être mis es place. Si notre arbre a fait de belles produc- tions , elles confineront en une feule bran- che forte , accompagnée de quelques foibles , ou deux feulement , ou enfin en un plus grand nombre : dans ces trois cas dont nous allons parler féparément , le traitement doit être différent. i^. S'il na produit quune feule branche 428 Tla.AITÉ DE LA forte , il faut examiner fi elle a pris naifTance à l'extrémité de la tige coupée , ou plus bas : la première pofîrion formeroit une addition à la tige , qui en l'élevant trop dégarniroit le bas de la muraille & donneroit a l'arbre ce qu'on appelle une moyenne tige , au lieu d'une bafle qu'il devoit avoir. Le mieux eft de facrifier cette produdion à une plus belle forme ; & pour cet effet , de fupprimer non- feulement cette branche trop élevée , mais avec elle la partie de la tige qui la portoit , dans l'efpoir immanquable d'avoir l'année fui- vante plusieurs bonnes branches ^ plus baffes & mieux placées. Mais fi cette bonne branche quoiqu'unique a pouffé fur la tige alfez bas & enfin à une hauteur convenable , on en peut tirer un bon parti : en ravalant d'abord la tige tout près de la naiffance de cette branche ^ qu'il faut tailler de manière à ne lui laiifer que quatre ou au plus fix yeux ou boutons , il en doit fortir autant de jets fur iefquels on aura à choifir pour la taille faisante , comme nous le dirons. Ainfi en retardant peut-être d'une année la frudîfication , on évite l'inconvénient d'avoir tlii arbre trop haut monté qui choqueroit toujours , &: ne pourroit remplir fobjet qu'on fe doit propofer, de garnir l'efpalier le plus bas poffible , tant pour l'agrément de la vue que pour une plus grande quantité de fruits. On peut être affuré qu'il en fortira au moins deux bonnes branches oppofées Tune à l'autre ; il n'en faut pas davantage pour VEGETATION, LîV. VIII, Ch. XI. 429 former un bel arbre , lorfqu'on le fait bieu conduire , comme nous allons l'expliquer fuc- ceilivement. Cette branche unique peut donc fufFire pour faire le fondement & reCpéraoce d'un bel arbre ^ lorfqu on a eu foin de lui faire pren- dre de bonne heure un port bien dirigé, afin que farbre foit droit fur Ton centre, comme il le doit être pour ne pas choquer la vue. En faifant fa taille fur la branche qui eft venue feule grode & forte , on pourra bien conferver, non pas les branches très- menues , appellées chiffonnes , qu'il faut géné- ralement fupprimer , mais quelques-unes de celles qui , quoique courtes , font paffabie- ment groiîes , & qui ont des yeux affez beaux & bien placés ; on en obtiendra bientôt quel- que fruit, fans craindre que cela nuife à la croiflance de Tarbre, fur-tout s'il pouffe avec affez de vigueur ; car autrement , il vaut mieux les fuppnrner toutes. 2°, Si Tarbre a produit deux branches for- tes avec quelques autres foibles , & que ces deux premières foient à peu près également groifes & bien placées , l'une à\\n côté , l'au- tre de l'autre, vers le haut de la tige , on ne peut guère rien fouhaiter de mieux 3 c'eft un très beau commencement pour faire un bel arbre : il faut tailler ces deux branches , en ne leur îaiffant que quatre ou iix yeux ^ obfervant fur-tout qu'il y ait au moins deux bons boutons à bois fur le côté Se en dehors de chaque branche , atin que les jets qyi ea 450 THAITÉDÊLA doivent naître fe trouvent fi bien placés qu ol^ puilTe les conferver. Ce feroit mal opérer , fi on ne c'hercbois pas à faire enforte que les yeux ou boutons qui fe trouvent vers les extrémités des deux branches que l'on taille fulTent oppofés Vun à l'autre ; car il eft important que les nou- velles branches qui en doivent fortir aient d'elles-mêmes une difpofition naturelle à fe bien placer & à s'étendre fur les parties de la muraille que l'on cherche à couvrir fuc- cefîivement ; objet que l'on doit toujours avoir en vue , & auquel on doit commencer à tra- vailler dès la première éducation de l'ar- bre. Si l'on remarque que Tune de ces deux bran- ches a quelqu'avantage de force & de grof- feur fur l'autre , enforte qu'il y ait apparence que Tune puifTe en produire deux fortes , ôi que fa voifine n'en produife qu'une feule , pour lors il faut prévoir par la difpofition des yeux & tailler de manière que, tant les deux jets de la plus grolTe, que l'unique de l'autre, viennent à fortir fi convenablement que tous trois puifTent être confervés comme propres & nécefiaires pour rétabliffement de la forme qu'on veut donner à l'arbre. S'il arrive que les deux premières fortes branches que l'arbre aura produites foient mal placées , c'elt- à-dire que toutes deux foient du même côté , ou qu'étant oppofées , l'une foit fort haute & l'autre fort bafle , il faut alors fe réfoudre à n'en conferver qu'une feule : fi le choix tombe fur la plus baife , Veoetation , lîV. VIII, Ch. XI, 431 on rabattra la tige fur elle ; fi on choifit îa plus haute , on fiipprimera l'autre ; & d'ail- leurs le traitement de cette branche unique fera le même que celui dont nous avons parlé. Car fi on confervoit ces deux branches mal placées , elles produiroienc une diffor- mité permanente & conftante dans tout le cours de la végétation de l'arbre, & chaque fois qu'on le verroic , on feroit fâché de ne l'avoir pas mieux conduit dès fon enfance : que l'on ne croie pas d'ailleurs que cela retarde ia croilTance de l'arbre , tout fe retrouvera au même deux ou trois années après. Il arrive quelquefois que d'un même bou- ton ou œil d'un arbre nouvellement planté, il en fort deux belles branches , fans qu'il en forte d'ailleurs ; on peut fort bien les con- fèrver toutes deux , en quelqu'endroit de la tige qu'elles foient , pourvu qu'elles foienc l'une & l'autre bien difpofées & vigoureufes ; mais dans le cas contraire, on fera bien de fe réduire à la feule dont on peut faire un bon ufage. 3°. Si enfin l'arbre a pouffé quatre ou même iix branches bien conditionnées & bien pla- cées , que faut-il faire ? Les meilleurs Pra- ticiens ne paroiffent point d'accord fur cela ; les uns prétendent qu'il n'en faut laiffer que deux , les autres recommandent de les con- ferver toutes. Voilà des opinions bien oppofées , & ce- pendant on peut dire qu'ils ont raifon les uns & les autres ,• il a'eft queftion que de 432 Traitédelâ s'expliquer : ceux qui ne veulent iaiiTer que deux branches s'autorifent de l'exemple des Jardiniers de Montreuil qui n'établiiTenc ja- mais kurs pêchers que fur deux mères bran- ches, dont la végétation bien conduite leur donne, en peu d'années , un éventail de quarante à cinquante pieds d'étendue qui couvre exac- tement ia muraille depuis le bas jufqu'en haut. Le coup d'œil de ces admirables efpaliers dépofe d'abord en faveur de la méthode de ceux qui les dirigent j mais tout eit-il dû à cette méthode ? non apurement. Il eft reconnu que les pêchers pouffent i Montreuil & même dans les environs, avec une vigueur qu'ils n'ont point ailleurs ; cet avantage dû au fol , à l'athmofphere & autres circonitances loca- les ne dépend point de la manière de conduire ces arbres ; mais il doit la déterminer. Ainû puifqu'il eft reconnu à Montreuil que deux branches premières pouffent affez vigoureufe- ment pour le charger, en peu d années, d'une quantité de bois fuffifante pour couvrir la muraille , il feroit inutile & même nuiiible d'y en laiffer davantage. Mais dans tout autre local où ces mêmes arbres pouffent bien plus foiblement, il faut bien fe garder de fuppri- mer aucune des branches qui font bonnes & bien placées ; feul moyen , en pareil local , d'avoir toujours du bois à choifir pour faire fa taille & entretenir la plénitude de l'arbre que j'ai toujours vu dégarni au centre dans de médiocres terrains, en fuivant la méthode de Montreuil. Voilà TfîOETATIÔN, Liv. Vlil, CH.t.1. 43§ Voilà comme fe concilient des avis tïhs'- ôppofés (jue l'on a donnés d'après d'heureux eifets , fans examiner ou du moins fans par- ler d^s caafes particulières : c'ed ce que j'ai eu foin de relever fouvent dans le cours de ce Traité. Ainii lorfque , foit par îa bonté naturelle du fol , loic par les précautions que l'on â prifes avant de planter en défonçant profon- dément le mauvais terrain pour y en rappor- ter de bon , foit par toute autre cauie qui fait connoicre qu-e l arbre pouiTe avec vigueur &. donne l'efpoir d'une végétation rapide & de ramifications étendues , on peut fe con^- teater détablir fa taille ieulement fur deu^ bonnes branches ; linon il faut conferver tou- tes celles qui mériteront de l'être par kut force & leur poiition. De tout ce que nous venons dé dire au fujet de la première taille d'un arbte planté de l'année précédente , il faut conclure > lo. Qu'il faut généralement fupprimer tou- tes les branches chiffonnes ou mal placées qui ne font nullement propres à remplir l'ob- jet qu'on fe propofe , & n'établir fa taille que fur des branches aifez fortes & bien dif- pofées ; e'eft de cette première opération que dépend l'akliette de l'arbre , qu'il ne fera plus permis de changer ; c'eft le principe, ceft îa bafe de l'édifice > les fautes comràifes ea le formant ne peuvent plus fe réparer. lo. Qu'il vaut mieux fe contenter d'un© feule branche bien placée & bien condition* née, que d'en conferver d'autres peu difpg- Tome IV. E e 434 Traitédela fées à donner à l'arbre la figure qu'il doit avoir ; & cela dans l'efpoir fondé, que cette branche unique , taillée à quatre ou lix yeux ^ en donnera l'année Suivante plufieuxs à choi- lir telles qu'on les délire 30. Que deux bonnes branches pourront fuffire dans des terrains favorables pour l'é- tabliffement de l'arbre , en les taillant , comme nous avons dit, de manière à devoir en atten- dre pluiieurs autres bonnes & convenablement difpofées. 40. Que dans les terrains médiocres où les arbres ne pouflent pas vigoureufement , il faut conferver, y en eût-il quatre ou lix , toutes les branches bien conditionnées pour contri- buer plutôt à la formation & à l'entretien de l'arbre , fujet à fe dégarnir dans ces efpe- ces de terrains où les jets font toujours pluS' rares & foibles. Je fuis même li convaincu de la nécelTité de conferver pluiieurs branches fur ces arbres qui ne peuvent pouifer que foiblement , que fi je n'y trouvois qu'une ou deux branches bien placées , j'en garderois s'il s'en trouvoit deux autres , foit devant, foit derrière , en les pliant de bonne heure , pour leur donner la tournure qu'elles. doivent prendre ; car enfin le pire de tout eil d'avoir un arbre dégarni du bas & au milieu. 5°. Que parmi les branches à bois que l'on coaferve, on peut laifTer quelques bonnes bran- ches à fruit , pourvu néanmoins qu'elles ne iiuifent pas aux autres , & qu'elles ne faflenc point de confuiion. VÈdEîATîoN.Liv.VniîCK.XIt 4^1 CHAPITRE X I t De la taille de la féconde année & déi fuivantes. Jnk, Près âvôir fait, comme tiôus Vvfmê dit , la première taille d'un arbre , examinons quel en a été le fuceès & la manière done il a poudej pour le trait^ér en eonféquenee à cette leconde taille ; & pour y procéder avec ordre ^ reprenons ces arbres dans les différents états où nous les avons laiffés. i^. Si l'arbre dont nous avons ravalé la tige , parce qu'elle n'avoit fait que de mau<*- Vaifes èi foibles produdions, n'en a pas fait de meilleures , il faut le mettre à l'infirme- rie , & le rettiplacer à l'efpalier ; mais s'il a produit une , deux ou plufieurs bonnes bran» ehes j il faut le traiter félon ce que nous avons déjà dit ; car cette féconde taille ne doit être confidérée que comme la première pour cet arbre. 2°é L'arbre qui , dans lai première ârtnée ^ n'avoit fait qu'une feule branche à bois % ayanÊ été taillé fur cette branche , en aura produit d'autres qu'il faut examiner, il en aura fans doute fait tout au moins une groîTe avec quel- ques foibles , ou bien deux ou trois groiTe^ ^ & peut-être davantage , ce qui ell rare. Ce qui peut arriver de pis , c'eft qu'il ii'âit fait qu'un feul jet à l'extrémité de la brani^h^ îa-dllée , qui cil devenu auffi gros qu'elle } f^M 43^ TRAItÉ DE lA lors il faut couper fort court ce nouveau jet, c'eft-à-dire ne lui laiffer que deux yeux , ou mieux encore le fup primer entièrement avec une partie de la branche qui l'a produit , dans Tefpérance quelle fera de meilleures produc- tions dans l'année ; car l'arbre ayant fait de meilleures racines & étant devenu plus vi- goureux, il pourra poulTer une plus grande quantité de grofTes branches ,• autrement , il faut l'envoyer à l'infirmerie , & le rem- placer , pour ne pas languir en vaines ef- pérances qui n'aboutiroient qu'à des regrets d'avoir vu retarder inutilement fa joui (Tance : il faut toujours fe méfier d'un tel arbre qui marque li peu de bonnes difpofitions dès fon commencement. Mais fi cette branche unique a bien rempli nos efpérances en produifant au moins deux , mais peut-être trois ou quatre belles & grof- fes branches à bois avec quelques autres plus foibles , on n'a autre chofe à faire que ce qui a été dit pour les arbres qui , la première année de leur plantation , ont fait femblable quantité de jets. 3o- L'arbre qui , dans la première année , avoir fait deux belles branches , bien placées , qui ont été taillées h quatre ou fix yeux , aura fans doute pouffe fur l'une & l'autre de ces deux brarxhes tout au moins deux autres belles & bien placées , parce qu'on a obfervé îa fituarion des deux derniers yeux qu'on a îaifFés à l'extrémité ; elles feront aulîi fans doute accompagnées de plus foibles venues au-deiTous. Végétation^ Liv. VIII, Ch. XII. 437 On taillera toutes ces branches plus ou moins longues , félon les conlidérations donî nous avons parlé. Si ces deux branches en ont produit plu- lîeurs autres qui foient mal conditionnées ou mal placées, il faut les fupprimer , foit en coupant celles qui font au-deffous de celles que l'on conferve , foit en ravalant la branche mère fur les bonnes qui doivent rellen S'il arrivoit qu'une de ces deux premieres^ branches n'en eût fait à fon extrémité qu'une groffe avec quelques petites plus bafles pen- dant que l'autre en a fait deux ; ce qui peut arriver lorfque cette branche na pas reçu autant de fève que fa compagne qui pour lors aura beaucoup plus groffi ; il faut tailler cette branche unique un peu plus courte, afin d'en obtenir une autre fufceptible de meilleures produdions. Mais fi l'année fuivante cette branche ne marque pas plus de vigueur , on ne doit plusls^ conlidérer , ellç & celles qu'elle aura données , que comme branches à fruit qui ne dureront pas long-temps ; ainfi il faut fe préparer de bonne heure à réparer ce défaut , au moyen des branches voifînes qu'il faut plier ^ éten- dre de ce côté-là, SU arnvoit que Tune des deux branches qui ont pouffé ait été caffée ou gâtée par queî- qu'açcident , fi c'eit celle qui étoit au-deifos^, il faut ravaler la mère branche jufques fur celle qui reftç , ou bien fupprimer celle qui a été caffée au-deffous ; alors la branche qui î:efte feule jouira de toute la fève qui auroi TïÇ-ATTÉ DE LA été partagée ; & comme elle doit pouffer plus vigoùreuiemenc , elle fera de nouvelles pro- dudions qui répareront l'accident arrivé. On doit tailler cette branche unique plus ou moins longue , félon les égards néceffaires pour ne pas laifler monter d'un côté ct% arbre plus que de l'autre ; cette inégalité de hauteur occafîonne une difformité qu'il faut éviter autant qu'il eft poffible : ainii on doit régler la taille de cette branche vigoureufe , qui eft reftée feule , fur celle qui fe doit faire à la branche oppofée qui en porte deux au- tres , de forte que , par la fuite , larbre s'é^ tende également des deux côtés ; conduite né^ ceffaire pour la beauté de l'arbre , & dont un Jardinier habile fç rend toujours le maî- tre, Si au dernier œil d'une des deux premières btanches où , félon l'ordre de la Nature , de-* voit venir une branche forte , il en eft cepen- dant venu une foible ou même deux foibles aux deux derniers yeux , & qu'au-defibus il en ait pouffé une ou plulîeurs groffes, ce qui arrive quelquefois , il faut regarder ces fortes de branches foibles comme des branches à fruit , & les conferver précieufement en les rompant un peu par leur extrêniiçé , ou les laiffant toutes entières , il elles paroiffent bien proportionnées ; ceci eft un avis d'autant plus important que les Jardiniers ignorants ne manquent pas de fupprimér ces précieufes branches , faute d'en çonnoitre la valeur , dans la miférable idée qu'elle occalionne de la difformiçé à rarrondiffement fjrmraétriqa^ VEGETATION, LiV. VIII, Ch. XII. 439 h auquel ces ignorants facrifîent inconfidéré- ment des coniîdérations bien plus eflentielles pour le préfent & pour l'avenir; mais comme elles font au-delTus de leur peu de connoif- fances , ils n'y ont nul égard & coupent in- différemment quelque forte de branches que ce foit qui fe trouvent fous leurs mains meur- trières : ces ignorants ne prennent pas garde que le fruit ne gâte jamais rien en quelqu'en- droit qu'il foit ; que c'e/l une efpece de meur- tre d'ôter une belle difpoiition à fruit toute formée , & qu'enfin la figure & la beauté d'un arbre n'eft établie que fur les branches principales. Quant aux. branches à bois qui font venues au-defibus de ces foibles , elles auront fuivi l'ordre de la Nature pour la différence de leur grolfeur & de leur longueur : tout de même que fi elles s'étoient trouvées à l'ex- trémité de la branche où naturellement elles dévoient être , il faut les tailler tout de même que fi elles étoient , en effet , forties de cette extrémité , c'eil-à-dire d'une longueur pro- portionnée à leur force & à la vigueur de l'arbre , ayant toujours les égards néceifaires pour les branches qu'elles doivent produire aux derniers yeux , & on fupprimera toutes celles qui pourroient nuire à l'éducation de l'arbre , comme inutiles , mal conditionnées pu mal placées. La Nature toujours en contrainte par l'o- pération de la taille , prend toutes fortes de voies pour s'en affranchir : par exemple , il arrive quelquefois & même alfez fouvent dans Ee 4 340 TuAtTÉ BE lA un bon terrain , quand l'arbre eil vigouYeux , qu'une branche fpible laifTée longue, comme branche à fruit, a groiîi extraordinairement & en a peur-être fait une ou plufieurs gref- fes à fon extrémité , tandis que celles qui étant réputées branches à bois , avoient été taillées courtes , font demeurées prefqu'en même état & n'en auront produit que de foibles 5 la fève ayant pour ainli dire changé de route t pour lors il faut opérer en con- féquence de ce changement qu'on ne peut pré- venir ni empêcher quand une fois il ell formé, 11 faut donc, d'après ce changement, chanr ger çntiérement de batterie , c'eft- à-dire trai- ter à la taille comme branche à bois cellç qui , de branche à fruit qu'elle étoit , eft de- venue à bois , 6t comme branche à fruit celle qui étoit branche à bois , puifqu'efFedivement elles ont changé l'unç $l l'autre de cpndi- pon. Comme il eft important, principalement dans le commencement de leducation de l'ar- bre , de ne pas conferver de branches à boi$ taillées longues , & encore moins faut-il faire , jes annçes fuivantes, une noiivelle taille Ion- guç fur la giolTe branche nouvelle qui eft venue de celle qui ayoit été laifTée longue comme branche à fruit , & eft enfuite deve- nue groiTe par une furabondance de fève ex- traordinaire & imprévue, C'eft pourquoi , au lieu de faire fa raille fur la produâipn dç ççitç l^ranche défordonnée, il faut dcfcendre jufqu'â celle ci, en la raccourcilTant de ma- l^iere à pe i^i lailTer (jue la Iqa|ueur qu'ot^ Vegetatioît,Iiv. VIIIjCh.XIL 44Î lui auroiç donnée comme branche à bois. Mais il cet e branche n'étoit que d'une lon"^ gueur convÉ.Bible, on fe contenteroit de fup* primer fes piodudjons en les coupant en moignon , cdï-h dire lî près de leur fortie qu'il n'en refte pas la moindre petite partie , d'où il en puilFe (brtir quelque chofe de nou-^ veau. La plupart des Jardiniers commettent la faute très-grave de tailler trop longues les groffes branches, & cela faute de connoître la végétation naturelle de l'arbre ou du moins d'y faire attention. Quand on veut former un grand arbre fur une tige droite & élevée , il n'eft queflioîi que de féconder la Nature par l'élagage & îa fupprelTion des branches baflés. Maisici , je le répète, il faut la contrarier pour la forcer à faire tout le contraire de ce qu'elle feroit , & ce qu'elle ne manque jamais de faire auili- côt qu'on lui en lailTe la liberté. Si le Jardinier n'eft pas attentif à lutter continuellement contr'elle , l'arbre tend tou- jours à moriter & à fe dégarnir du bas , & il n'y a rien tant à craindre pour un efpalier: c'eft cependant ce qiii n'arrive que trop ordi- nairement , faute de n'avoir pas arrêté affcz court les branches à bois : n'ayant aucune difpofition à fe ramifier dans le bas , elles n'y font jarpais trop abondantes ; mais la fève qwi fe porte à leurs extrémités les y fortifie & multiplie très-abondamment. Voilà pour- quoi les nouveaux jets ^u haut font , dans f ordre naturel , toujours plus gros & plus 44i Traité DE LA longs que ceux du bas , & en cela , comme nous l'avons dit, toujours préférables, pourvu néanmoins qu'ils ne foient pas trop écartés & allongés. On éprouve un dégoût fenfîbîe , un vrai déplaifir en voyant des efpaliers qui , chex les Jardiniers mal habiles , font vuides & dé- garnis, de forte qu'il n'y a de rameaux que vers le haut de la muraille, & tous les nou- veaux jets excédants le chaperon ; on eft obligé de les rogner continuellement, ou plu- tôt de les tondre comme on fait une char- mille ; on voit ainli fe confommer vainement toute l'adion & la vigueur de Tarbre , dont toute la partie n'eft compofée que de cuijfarts ou de jarrets , comme Ton dit en termes de jardinage , c'eft-à-dire ne préfente que de groffes & longues branches noirâtres, mouf- fues , ridées , dénuées de ces autres petites qui les devroient accompagner ,* & ainli la muraille qui devoit être couverte par-tout , depuis le bas jufqu'en haut , paroît au con- traire toute nue. Il eft inutile de dire com-^ bien ce défordrç fait perdre du côté de Ta- gréable & de l'utile , c'eft- à-dire du coup d'çeiî de l'efpalier & de fa frudifîcation. lats arbres auxquels on a confervé , à la première taille , trois ou quatre bonnes branches, en auront fans doute produit de nouvelles venues fur ces mères branches ; ç'eft fur celles-ci qu'il faut faire la féconde taille à peu près avec les mêmes conlidéra- tions & avec les mêmes égards que nous avons eus pour les premières j mais comme les pro- VEGETATION, LiV. VIII, CH. XII, 44 J dudions plus abondantes de ces arbres annoa- cent qu'ils font plus vigoureux que ceux dont nous avons déjà parlé , aufîi demandent* ils plus d'attention & d'habileté pour ne les pas laifler tomber dans les inconvénients dont ils font menacés. D'abord il faut en général tailler les bran- ches plus longues que celles des arbres pré- cédents , tant pour éviter la confufion , en leur donnant plus d'étendue , que pour em- ployer & mettre à profit l'abondance de fève qui s'y manifelle & qui l'empêcheroit de fe mettre à fruit : on peut même lorfque cette furie de fève eft trop conlidérable , outre les branches néceflaires pour la figure de l'arbre , y en laiffer d'autres , même des gourmandes , dans le deflein de les fupprimer quand cette furie de fève fera rallentie ; ëç comme on ne regarde ces branches que comme paflfageres , on les taille fans conféquence , en les laiiTant longues , mais de manière à faire le moins de confufion qu'il fe peut. Ces tîourriçons pafiTagers dont on charge l'arbre , dilîipent une partie de la furabon- dance de la fève , qui allongeroit en boutons à bois ceux qui fe feroient arrondis en boutons à fruit , fi , comme je l'ai démontré dans la féconde Partie , la fève terreftre domi- »oit trop fur la fève aérienne qui opère la frudification. Cet arbre à la fin de la féconde année aura commencé à prendre forme au moyen des nouvelles branches produites par chacune des anciennes : parmi çe$ nouvelles , il fauc 444 Traité de xa toujours bien choifir les meilleures & les mieux difpofëes à la formation de Tarbre , & les tailler un peu plus longues qu'on n'avoit fait celles d où elles fortent , en tâchant de juger , à rinfpedion des yeux , fi la branche choifie peut au moins en donner deux bien placées, afin de les conferver l'une & l'autre , fi elles viennent telles qu'on le defire ; mais û on ne peut en conferver qu'une , que ce foit toujours , autant qu'on le pourra , la plus baflè, comme la plus propre à donner la forme que l'on délire. De plus , l'endroit coupé fera promptemtnt recouvert , & il ne fe fera aucune plaie fur les branches confervées , & par coniequent l'arbre en fera plus beau & plus fain. Si Ton voit par la fuite que la vigueur de cet arbre continue & même qu'elle augmente, il faut craindre plus que jamais la confufion ; c'eft pourquoi il faut faire la taille fui vante encore plus longue , ce qui peut aller jufqu'à un pied & même plus, pour y employer cette abondance de fève que nous jugeons ne pou- voir être gênée ni contenue dans un petit cfpace. Mais lorfque l'arbre commencera à donner du fruit , & que de cette taille longue il fera venu d'autres bonnes branches qui garniront fuffifammenc , pour lors on fera la taille or^ dinaire de iix à fept pouces fur les branches les plus vigoureules , & à proportion fur les médiocres. Cette grande furie de fève ne manque guère de fe railentir au boqc de quelques anaéçs. ^ Végétation, Liv.VIîî^Ch.XÎI. 44^ fi Farbre a été bien conduit; c'efl: pour lors que toutes ces petites branches que nous avons fait venir dans le bas & que nousy avoos confervées , commencent à nous bien récom- penler de notre prévoyance & de nos foins. On peut alors fupprimer ou du moins rac- courcir pluiieurs de ces branches que i'oa navoit laiflees que comme paiïageres en vi*- fant toujours à donner de l'étendue fur les côtés , fans dégarnir le centre , & en em- ployant utilement la force de l'arbre pour lui conferver la forme & la figure qu'il doit avoir. Mais méfions-nous de la fauffe jouiflance d'une étendue précipitée qui ne pourroit que dégarnir l'arbre qui y efl très difpofé par lui- même , Il on ne l'arrête pas : on doit doac plutôt fonger à s'oppofer au cours naturel de fa végétation qu'à l'étendre ; c'efl pourquoi il vaut mieux toujours ravaler , ceil-à-dire rabattre & baiifer l'arbre, en taillant les brao- ches les plus hautes fur les plus bafles , afin de le retenir plus bas & bien garni , au lieu de devenir haut monté & dépouillé d'en bas; défaut d'autant plus fâcheux qu'il efl bien difficile d'y remédier , fur-tout pour les pê- chers qui font rarement de nouveaux jets fur le gros bois. Je recommande cette taille ravalée, fur- tout dans les terrains maigres où la végéta- tion n'eft pas vigoureufe , quoique quelques Ecrivains recommandent la taille allongée qu'ils ont vu réuliir dans des terrains privi- légiés. 44^ T R A i T É D Ê LA CHAPITRE XIII. De la taille de la iroifumt année, V->Ette troifieme tâiîle fur lïn arbte planté depuis quatre ans, doit fe faire avec les mê- mes égards & dans les mêmes principes que nous venons d'eicpliquer : quoique la manière dont ils ont pouiTé ne les ait pas fournis d'une égale quantité de grofles branches , pla- cées & difpolées de même , les uns & les autres en doivent avoir fait fuffifamment pour faire paroître une tête déjà formée en éven- tail & difpofée à s'étendre fur la muraille & la garnir entièrement. Comme c'eft le principal objet que l'on doit toujours avoir en vue , il faut pour le bien remplir examiner lefpece, la qualité & la pofition des nouvelles branches produites dans l'année , pour les traiter en coniéquence^ les faire venir & les placer aux endroits où on en a befoin pour former & entretenir la belle figure de l'arbre. L'intelligence du Jardiniet doit travailler pour le préfent & pour l'avenir ; car ce n'eft pas affez que tout foit bien garni aduelle- ment , il faut favoir ufer de prévoyance pour fe procurer de nouvelles branches qui rem- placent celles qui doivent périr , telles que les branches à fruit. C'eft par une taille bien entendue que Toa Végétation, Liv. VîîI, Ch. XIII. 447 fait naître dts branches à bois où il en eft be- foin pour entretenir ie plein, & donner des branches à fruit. Nous en avons expliqué les moyens qu'il eft inutile de répéter,- je me contenterai de recommander de nouveau de proportionner toujours la charge de la tête à la vigueur du pied ; c'ell-à-dire de laifTer plus de nouvelles branches & taillées plus longues à celui qui eft fort vigoureux, & d'en laifler moins & de plus courtes à celui qui paroît plus foible ; de conferver au premier beaucoup de nouvelles & de vieilles branches , fur- tout pour fruit , & de ravaler l'autre fur les vieilles , en taillant court pour lui en faire poufler moins , mais qui foient plus fortes , parce que le cours de la fève , moins divifé & n'ayant à nourrir que peu de bran- ches, leur donnera plus de force & de vigueur. Celui qui ayant pris de juftes connoiflan- ces de la Végétation , d'après tout ce que nous avons dit dans ce Traité , & qui aura bien faiii les idées que nous venons de donner de la raille & les préceptes qu'il faut fuivre pour bien opérer, fera capable de conduire toutes fortes d'arbres fruitiers ; mais comme ils ne font pas tous de la même nature^ ils exigent quelques traitements particuliers dont nous allons parler , auili-bien que de la manière dont il faut les conduire pour leur faire prendre les différentes for- mes qu'on veut leur donner , pour rétablir ceux qui ont été négligés, & enfin de quel- ques accidents & cas particuliers fur lefquels 448 Traité be la il efl bon d'être éelairci & de favoir le pard qu'il y a à prendre. CHAPITRE XIV. Des Arbres eh huijjbn. % OuT ce que nous avons dit de la taille des arbres en efpalier peut être appliqué à celle des arbres en buiflbn ; mais comme la forme qu'il convient de leur taire prendre eft différente j il faut à cet égard tenir une con- duite différente. La belle forme d'un arbre en efpalier con- fiftej comme nous l'avons dit , à avoir fa tête étendue & applatie contTe la muraille , & fi bien garnie par-tout qu'elle la couvre > fans laiffer de vuidc , depuis le haut jufqu en bas : celle d'un arbre en buiffon doit être arrondie également, garnie dans les côtés , autant qu'il fe peut, & vuide au milieu, imi- tant la figure d'une coupe étroite à fa bafe & ouverte de plus en plus dans fa hauteur * îes furfaces extérieures & intérieures doivent être unies , fans qu'on y apperçoive de par- ties faillantes qui choqueroient la vue & y produiroient de la confufion. Enfin , un arbre en buiffon doit paroître formé par la circonférence de pluîîeurs cer-- clés concentriques qui augmentent de diamè- tre félon que l'arbre s'élève : quoique cette forme foit très- différente de celle d'un arbre en VEGETATION, LiV. VIII, Ch. XIV. 449 en efpalier , il faut cependant pour y parvenir ufer des mêmes moyens ; ceft-à-dire en fui- vant tout ce que nous avons dit pour la pre- mière & féconde taille d'un arbre nouvelle- ment planté , difpoier la formation de la tête fur deux ou plufieurs bonnes branches qui doivent devenir principales & mères de plu- fieurs autres, à la différence près, qu'au lieu d'étendre ces branches à plat , on les étend ici en rond ; & pour cet effet , il eH d'ufage de les attacher fur des cercles , fixés dans fintérieur ; ces cercles doivent être d'abord d'un très-petit diamètre ; & on en met fuccefiî- vement de plus grands , à mefure que l'arbre s'élève , pour f ouvrir davantage. Cet arbre , quoique dans une forme diffé- rente , doit être également contrarié dans le cours d€ fa végétation par la taille, fans quoi il échapperoit bientôt de même aux vues du Jardinier, s'il ne le mutiioit & le rabattoit fouvent pour lui faire pouffer de nouveaux jets qui l'entretiennent toujours bien garni depuis le bas jufqu en haut de branches à bois & à fruit. C'efl en fuivant les principes que nous avons donnés , que Ton parvient à fe procurer ces avantages & à éviter les défauts dont nous avons parlé; c'efl-à-dire à empêcher que l'ar- bre ne foit haut monté fur fa tige , & à prévenir les deux extrêmes , le vuide & la confufion ; ce qui confifte principalement dans la pratique du principe général de tailler long & peu fur un arbre vigoureux, davantage Ôc plus court fur celui qui eft foible. Tome IV. Ff 45/0 Traité de la De la première éducation qui , comme nous l'avons dit , eil la bafe de l'édifice, dépend la belle ou la mauvaife figure de l'arbre. Si par exemple , un Jardinier mal inflruit , au iieu d'avoir formé fon builTon au moins fur deux branches à peu près d'une égale force , lune d'un côté, & l'autre de l'autre, pour y tenir la vigueur partagée Se , pour ainli dire, en équilibre ; fi, dis- je ,^ au lieu de cela , il a indifîéremment commencé â établir fa taille fur une grolfe branche d'un côté & une foi- ble de l'autre , leur laiiTant à chacune des lon- gueurs égales s pour lors ia groffe branche, atti- rant beaucoup plus defeve, enproduit toujours de ce côté-là beaucoup de nouvelles & de fortes , tandis que l'autre petite branche , bien moins nourrie , ne fait que de foibles pro- dudions , & toujours d'autant plus foibîes qu'elles font plus multipliée^ , à mefure qu'on l'a taillée plus longue ; il ne peut manquer d'arriver, par cette mauvaife conduite , qu'un côté de l'arbre fe trouve toujours beaucoup plus vigoureux & mieux garni , tandis que l'autre eft toujours foible , languifTanc & dégarni ; de là une difformité choquante à laquelle on ne peut remédier qu'en reve- nant fur fes pas , c'efl-à-dire en ravalant en- tiérement l'arbre. Mais fi après avoir établi la tête fur deux ou plufieurs bonnes branches , on s'apperçoit cependant qu'il y en ait une qui pouffe plus vigoureufement & garniffe plus d'un côté, il efl aifé d'y remédier en attirant des jets de cette branche pour garnir les parties voi- VEGETATION, tiV. VIII jCHo XIV. 451 fines qui font plus foibles & moins garnies ; défaut qui din:iinue par là de plus en plus, en faifant difparoître le vuide & la diffor- mité, & en rendant à l'arbre la perfedion de rondeur qui lui manquoic. J'ai dit que l'on fait ufage de cercles pour la première éducation d un buiffon ; mais un Jardinier habile fait s'en pafler ; en tout cas , il n'en eft plus befoin quand l'arbre a commencé à prendre fa forme. Il faut ici , comme aux arbres en efpalier ^ avoir attention de conferver fur les branches que l'on taille , des yeux qui foient fur les côtés , d'où il doit fortir des jets bien difpo- fés , & non pas en devant ou derrière la branche , pofition qui occaiionneroit du défordre & de la confufion en dedans ou en dehors du buiffon : fi quelquefois , faute d'autres , on éft obligé de conferver de ces branches mal placées , il faut les tailler fort court pour en obtenir de latérales qui , loin de nuire , rempliront l'objet qu'on fe pro- pofe. ^ 1E£ X 4^2. Traité de la CHAPITRE XV. Dt r entretien & de la réparation des arbres formés en ejpalier. Ol les arbres en efpalier ont été éduqués & conduits comme nous l'avons expliqué , ii n eil queflion que de les entretenir dans ce bon état, en veillant foigneufement à arrê- ter ou réparer les défauts qui ne manquent pas de s'y introduire par les nouveaux efforts que la Nature ne celTe de faire pour s'afrran- chir de la contrainte à laquelle on l'a fou- mife. Les branches les plus fortes ëi les plus vigoureufes font toujours celles par lefquelles elle tâche de s'échapper; ce font donc de cel- les-ci qu'il faut principalement fe méfier , parce qu'elles ne manquent jamais de fe ren-^ dre les maîtreîTes par-tout où elles commen- cent à fe former ; ce font elles qui gâtent tout, par le mauvais ufsge qu'on en fait, & qui produifent tous les dcfallres dont nous avons parlé , iî on \çs laiife fuivre leur cours naturel : mais lorfqu'on fait en faire bon ufage &z les tourner à bien , en pratiquant ce qui a été dit , ce font elles qui contribuent à la beauté & à la durée des arbres , & à l'abondance du beau & bon fruit qu'ils nous doivent donner. Dans la taille annuelle que l'on fait aux arbres eu efpalier, on doit avoir principale- VEGETATION, LiV. VIIÎ, Cîî. XV. 453 ment en vue de conferver & de makiplier les branches au bas & au centre de l'arbre; le haut & les côtés feront toujours aflez fournis par le cours naturel de la végétation : mais ce n'eft uniquement que l'ouvrage bien entendu & fuivi d'un Jardinier foigneux & habile, qui forme & entretien le plein en bas &. au centre ; & comme ces Jardiniers font rares , il eft rare auiîi de voir cet ouvrage bien fait. Au lieu de fupprimer totalement , comme font les ignorants , les branches à bois & même les gourmandes , en quelqu'endroic qu'elles croisent, fur les mères brandies oa fur la tige , un Jardinier habile fait en faire fon profit , en les taillant plus ou moins court , félon les circonlîances , pour leur faire produire de grolTes & de petites bran- ches qui remplaceront celles qui périifent , & remédieront au défaut du vuide qui ne peut manquer d'avoir lieu fans ces précau- tions. Gomme on ne peut pas compter fur, Ja durée des branches à fruit , & que différents accidents font mourir ou dégarnir des bran- ches à bois , il faut bien en faire naître de nouvelles qui les remplacent fucceflivement : le défaut de prévoyance d'un Jardinier néglir- gent & malhabile , occafionne toujours plus ou moins de défordre , félon le. plus ou moins de fautes quil commet; s*il ne fait ou ne réfléchit pas que les branches nouvelles ne viennent d'ordinaire qu'à l'extrémité de celles qu'on a taillées , il fe doit infaillibiemerit F f ^ former un grand vuide , c'eft* à-dire qu'il doit refter un endroit tout dégarni dans le bas de celles qu'on aura lailTées trop longues , comme d'un pied ou plus, ce que font les ignorants qui ne fongent qu'à bien arrondir l'arbre pour le préftnt , fans prévoir l'avenir : par conféquent , un arbre ainii traité & mal conduit , ne fauroit acquérir la beauté qu'un' efpalier doit avoir pour être véritablement en bon ^at. La' beauté & la durée d'un arbre çonfifle principalement dans une efpece d'équilibre de l'étendue & de la force de fes deux cô- tés ; cet équilibre ne fe dérange que par né- gligence & le défaut de foins que l'on doit avoir pour l'entretenir. Ce dérangement n'ar- rive que parce qu'on a laifTé un côté prendre le deÔus fur l'autre & fe fortifier à fes dé- pens , en laiiTant fur l'un beaucoup de petites branches foibles qui ne peuvent l'entretenir en bon bois , & qu'on a laifle ô^ taillé fur l'autre d'une égale longueur plulieurs fortes branches fort près les unes des autres , ce qui eft une grande faute; car, comme il eH certain qu'une branche taillée en produit de nouvelles , li on laiiïe beaucoup de branches taillées également fort près les unes des au- tres , il s'y en produira un grand nombre de nouvelles qui , ne trouvant pas alTez de place vuide à remplir , feront de la confufion & y attireront la plus grande partie de la fève , aux dépens de l'autre côté de l'arbre qui devient miférable &, pour ainfi dire, aban- donné. VEGETATION, LiV. VIÎI, Ch. XV. 4^^ Si on a des raifons pour lainer plufieurs branches voiiines , 6c cela à proportion du plus ou moins de vigueur & de vuide qui paroic en cet endroit-là , il faut les tenir dif- férentes de longueur , & que leurs yeux foienc diCpofés de manière à nous faire efpérer des branches qui puiflent s'étendre naturellement fur les endroits que l'on veut garnir. Les règles que l'on doit fuivre dans la fuite de la taille pour entretenir en bon état un arbre formé , étant à peu près les mêmes que celles que nous avons données pour fa première éducation , il me paroît inutile de tomber dans des répétitions fuperflues mcme pour les Ledeurs les moins intelligents : c'efl ici où l'on peut dire , dimidium facli qui henè cœpit habet; il n'eft plus queftion , en effet , que d'entretenir l'arbre dans la bonne tournure qu'on lui a donnée d'abord , & félon laquelle on l'a conduit fuccellivement ; mais aulîi-tôt qu'on s'apperçoit qu'il veut s'en éloi- gner , comme il tente toujours de le faire , il faut s'y oppofer vigoureufement & conf- tamment , en l'empêchant de s échapper , & par conféquent de fe dégarnir : c'eil l'objet elTentiel auquel doivent tendre toutes les opé- rations de la taille. S'il eft une fois manqué , on ne peut y remédier que par des moyens violents qu il eft néceflaire d'employer fur des efpaliers qui ont été mal conduits & négligés : nous allons en parler. Le bon ordre veut que l'on ne fafTe jamais croifer une branche à bois fur une autre : Ff 4 4^^ Traité DE LA mais on ne doit pas avoir le même fcrupulc à l'égard d'une branche à fruit ; on fait que , fur«tout aux pêchers , ces branches périment d'ordinaire la même année , par conféquent on n'en doit craindre aucun mauvais effet par la fuite. Si un côté paroît s'affoiblir , il faut tâcher de le fortifier , en y faifant naître quelques nou- velles & fortes branches ; ce que l'état de l'arbre ne permet que rarement , parce qu'un côté ne s'affoiblit point notablement que l'autre ne fe fortifie d'autant ; ainfî dès qu'on s'apper- coitou'un coté fe fortifie extraordinairement, qu'une branche qui a beaucoup grolîi en a produit plufieùrs autres très vigoureufes & ^ui cherchent à s'échapper , il faut d'abord ravaler cette groffe fur une qui regarde le côté foible ; par ce moyen , on remédie à coup fur à la difforipité de l'arbre ; car d'a- bord le cours de la fève étant arrêté ou du moins modifié par cette opération , elle fe portera en plus grande quantité dans le côté foible , & le fortifiera : de plus , la branche laiflee fur le côté vigoureux & qui tend à s'étendre fur le côté foible , viendra à foti fecours pour le garnir & reliituer au moins à peu près l'équilibre & l'égalité de vigueur fans laquelle un arbre ne fauroit avoir la belle figure qui lui convient , & que nous devons toujours tâcher de lui procurer, t Lorfqu'un arbre s'emporte avec furie d'un côté , & que l'autre relie foible & ianguif* faut , comme cela doit arriver, en attribuant cet ?ffetà une ou plufieùrs racines vigoureufes qui VEGETATION, LiV. VIIÎ, Ch, XV. 457 foBt leur devoir de ce côté bien mieu^ que leurs voifines de Taiitre ; il y en a qui conlbillent de fupprimer quelques-unes de ces forces racines; c ert ce que je ne peux approuver , parce qu e« fuppofanc que telle racine ne lerve inimédiaîe- raent& uniquement qu'à l'entretien de telle bran- che , ce que je ne crois pas , toujours ell-il vrai qu'en affaibli (Tant ce côté vigoureux par la fiip- prefïion des racines , je ne vois pas corn- nient l'autre en fera mieux fortiiié ; au con- traire 5 n'en deviendra-t-il pas encore plus foible ; car l'expérience prouve que la iup- preîTion des racines afFoiblit l'arbre en entier: il me femble donc que c'eft mal entendre îa végétation que d'ufer de pareils moyens. Mais j'ai éprouvé qu'il el1: bon d'en faire ufage pour diminuer l'abondance de la fève terreilre, lorfqu'elle empêche un arbre de fe mettre à fruit ; d'après cette opération , je n*ai jamais manqué de voir diminuer notaÎ3iement la trop grande vigueur d'un arbre, & cela dans tou- tes fes parties , quoique je n'eufle coupé des racines que d'un feui côté. Quant aux anciens efpaliers qui ont été on mal conduits d'abordou négligés depuis plufieurs années , comme il n'eft que trop commun d'en voir ; aux grands maux de grands remèdes , ce font effedivement ceux qu il faut employer en pareil cas. Si hs arbres ne font pas bien vieux , il faut fe déterminer à ravaler les groifes bran- ches qui font échappées depuis deux à trois ans ; elles en produiront de nouvelles à leurs extrémités qui recommenceront la figure agréar 458 Traité de la ble & utile que doivent avoir les efpaliers , ëc donneront encore long-temps beaucoup de bons fruits que leur état échappé ne leur permettoit plus de produire. Ce moyen pourroit bien ne pas réufTir éga- lement fur des arbres très-vieux , fur-tout fur des pêchers greffés qui ne durent & ûe s'entretiennent pas en vigueur aufîi long-temps que les autres arbres , & qui ne peuvent plus faire fortir de nouvelles branches au travers d'une écorce devenue dure & feche, & dont l'or- ganifation eil dérangée ; il n'en eft pas de même des pêchers de noyau qui durent plus long-temps & plus fains , & qui étant recé- pés repouffent vigoureufement & reprennent, pour ainiî dire , leur première jeuneffe. Ces avantages rendroient ces pêchers de noyau bien préférables à ceux qui ont été greffés ; mais maîheureufement il ne vient fou- vent de la meilleure efpece de pêche qu'un arbre qui produit de fort mauvais fruit , excepté la malthe qui donne ordinairement fa même efpece ; & d'après mon expérience, je ne faurois affez exhorter à en profiter plus qu'on ne fait. J'ai éprouvé que fi elle donne de nouvelles efpeces , loin de dégénérer , elles font encore meilleures ; il m'eft venu d'un noyau de pêche de malthe une efpece nouvelle de pêche très-groffe & bien colorée , vineufe & fucrée , & d'un goût exquis ; ôç tous ceux qui en ont mangé conviennent que c'eft la plus belle & la meilleure efpece de pêche qui foit encore connue : j'en ai déjà greffé beaucoup pour en faire part à mes , VEGETATION, Il V,VIIÎ,Ch. XVI. 459 amis ; mais je fuis bien impatient de favoir fi les noyaux que j'ai plantés donneront h même efpece. CHAPITRE XV î. Ve la taille des arbres à fruit à noyau. , Ù particulièrement des pêchers. jL Out ce que nous avons dit en général de la taille des arbres fruitiers peut conve- nir à toutes fortes d'arbres ; mais comme on a remarqué quelques différences dans la végé- tation des fruits à pépin & des fruits à noyau , & fur-tout des pêchers , elles exi- gent quelques traitements particuliers. Les branches à fruit des pêchers durent peu , beaucoup périffent immédiatement après avoir donné leur fruit, ou mêmelorfque, fans en avoir donné , leurs fleurs ont été gâtées ou par la gomme ou par les gelées du Prin- temps \ pour lors il les faut ôter entière- ment , à moins qu'elles n'aient beaucoup grolli , & qu'elles n'aient poulTé quelques belles branches qui foient propres à faire du fruit dans l'année fuivante ; elles peuvent amli durer deux ou même trois ans , lorfqu'eîles font encore quelques bonnes branches , foit à l'extrémité de leur dernière taille ou dans leur étendue ; mais paiTé ce temps-là , il ne lè^ faut regarder qne comme branches ufées ^ & par conféquent inutiles. 4i5o Traitédela lî n'en eft pas de même des branches^ â fruit aux poiriers , pommiers , & même à celles des pruniers ; les unes &: les autres durent plus long-temps ; elles en font ordi- nairement de petites très-bonnes, qui donnent régulièrement du fruit , jufqu'à ce qu'enfin , fuivant leur condition , elles viennent toutes à périr entièrement. Il y a une grande quantité de Traités fur la culture & la taille des pêchers ; chaque Auteur vante fon fydême ou fa méthode favo- rite ; mais commue ces méthodes font contra- didoires , on eft bien embarrailé de favoir à laquelle on doit donner la préférence. Pourquoi ces différentes méthodes , pour- quoi ces contradidions ? C'eft que chacun a donné pour une méthode générale & comme k meilleure , celle qu'il a vu le mieux réufîir , fans faire attention à la différence du terrain & de l'athmofphere , différence cependant bien effentielle , puifque la terre nourrit l'ar- bre par les fondions des racines , & l'ath- mofphere par celles des feuilles , comme je l'ai démontré dans la féconde Partie , en dif- tinguant deux fèves que j'ai nommées terref- tre & aérienne. C'eil donc faute d'avoir égard aux différences locales , auxquelles ils ne fongeoient pas , puifqu'ils n'en ont point parlé, que ces Auteurs fe font contredits dans rétabliffement des principes qui ne peu- vent être généraux , mais qui doivent nécef* fairement varier félon les différences locales , puifque ces différences en produifent beau- coup dans la végétation , Si qu'il eft certain VEGETATION , LiV. Vllî , Ch. XVÎ. 461 qy'iin arbre vigoureux doit être traité diiFé- remment de celui qui eil foible. C'eli: donc, par exemple , fort inutilement que l'on van- tera , que l'on recommandera la méthode de Montreuil à tous ceux qui ne peuvent jamais voir leurs pêchers végéter & croître avec la même rapidité , & prendre la même étendue que dans ces lieux privilégiés. Quand on pratiqueroit dans de mauvais terrains la culture du Vexin , y auroit-oii jamais d'aufîi beaux bleds ? Quand on culti- veroit en Normandie les vignes comme on le fait en Bourgogne & en Champagne , y feroit-on jamais d'auiîî bons vins ? &c. , &c. Il faut donc favoir difiinguer l'ouvrage de la Nature, de l'opération de l'art , & ne pas chercher vainement à obtenir par l'un ce que l'autre feule peut donner. Cette erreur fait perdre beaucoup de temps & quelquefois beaucoup d'argent à ceux qui fe font laiiTés féduire par les confeils & les écrits des Enthouiiaftes & des Efprits fyilé- raatiques qui n'ont jamais eu qu\ine pratique peu éclairée , fondée fur une théorie confiivi^e , dont la fauîTeté fe décelé par leurs raifonne- ments au jugement des gens inftruits ; mais comme c'eit le plus petit nombre , un fot trouve toujours un plus fot qui l'admire : fans m'avifer de parler ici de toutes les bé- vues de quelques Auteurs , je ne parlerai que de ce que je crois bon , en gardant le filence fur ce qui- a été dit de mauvais. Quoiqu'on dife que M. de la Quintinie eft un Saint qu'on ive fête plus , l'expéneoce m'a ^6t Traité be la fait connoîcre que fes principes , dégagés de propos fou vent diffus, d'erreurs & de quel- ques fantaifies particulières , font , au moins pour la plupart , préférables à ceux de quel- ques Jardiniers qui ont écrit depuis lui , & qui l'ont critiqué quelquefois mal à propos^ Sans fuivre généralement cet Auteur , qui le premier nous a ouvert de bonnes routes , j'adopte de fes maximes que je crois les meil- leures , & je les rends mime quelquefois d'après lui. Deux chofes font à recommander pour la confervation & la beauté des arbres & pour leur frudificadon , particulièrement pour les pêchers. La ^ première , de tenir afTez courtes lès grofles branches , fur-tout fur les arbres foi- b!es ,* la féconde, de conferver les branches à fruit , mais cependant de n'en laifTer fuir chaque arbre que ce qu'il en peut nourrir , & de fâcrifier la quantité à la qualité & à la beauté du fruit, Lorfqu'après avoir dépalifTé un pêcher pour le tjffller, on a commencé par ôter toutes les vieilles branches feches , toutes celles appellées chiffonnes, qui, par leur extrême foiblefle , ne font bonnes à rien , on trouve qu'il ne relie que deux fortes de bonnes bran- ches , dont les unes , favoir , les foibles , doi- vent donner du fruit la même année, les bou- tons y étant déjà tout formés; & les autres, c'eit-à-dire les fortes , qui n'en doivent point donner , n'ayant que des boutons à bois ; mais elles font d'ua autre feryice très-impor- VEGETATION, LîV. VIII,Ch.XVL 4^3 tant : il faut conferver foigneufemenc toutes ces branches foibles , à caufe de l'apparence vifible de leur frudifîcation aduelle , & les tenir plus ou moins longues, félon leur force j il n'y a point d'inconvénient à craindre , en en laifTant beaucoup, dut-on les croifer , puif- que pluîîeurs doivent périr dès la même an- née , & qu'on eft toujours à temps de fup- primer celles qui pourroient fe nuire. A l'égard des fortes , il les faut confidé- rer comme des reflburccs néceffaires pour l'avenir , & les tailler courtes , en voyant déjà par les yeux de l'imagination les bran- ches fortes & foibles qu'elles doivent pro- duire dans l'ordre de la Nature , dont les unes garniront & étendront la figure de l'ar- bre , & les autres remplaceront celles qui périront après avoir donné leur fruit. Ayant déjà dit qu'on doit ôter toutes les branches trop menues qu'on appelle chiffon- nes , j'en excepte celles qu'on appelle bou- quets ; il fuffit de dire qu'il ne faut conferver aucunes branches longues que celles qui ont une médiocre groffeur , & qui font chargées de boutons à fruit tout formés. Il faut obferver qu'aux pêchers , on ne doit re~ garder comme bons boutons que ceux qui font doubles avec un œil à bois au milieu; ce font les feuls qui méritent d'être confer- vés , excepté cependant aux avant-pêches & aux pêches de Troye. Mais lorfque l'arbre ayant très-grande quan- tité de branches à fruit & très-peu de bran- ches à bois & fort hautes , oi] a lieu de craia- 4^4 Traité de la dre que le bas ou le milieu ne fe dégarnifTe trop les années fuivantes , alors il eft nés à- propos de facrifîer quelques boutons, êc de raccourcir quelques-unes des plus belles & des plus grofies d'entre celles qui en font chargées , pour fe procurer par là des bran- ches d'une moyenne force , qu'on appelle demi-branches à bois. Il y a des pêchers extraordinairement vi- goureux , foie par les circonftances locales, ibit par leur nature particulière , tels que quelques madeleines, les brugnons, quelques pavies blancs, les violettes tardives , &c. qui font très -difficiles à fructifier ; il eft à propos de laifler à ceux-là des branches d'une médiocre grolfeur, afîez longues , quoiqu'elles n'aient aucuns boutons à fruit, fur la certi- tude apparente qu'elles en donneront beau- coup d'autres foibles , & quoique même quel- quefois afiez groifes pour pouvoir être regar- dées comme branches à bois ; cependant on ne les taille pas courtes , s'il y en a dans leur voiiînage d'autres plus groffes qu'on a taillées pour bois ; parce que , fuivant les bonnes règles, il ne faut jamais laifler plu- Heurs branches à bois fort près les unes des autres. On peut voir déjà , d'après tout ce que nous avons dit , que fart de la taille , dégagé . des difficultés dont on a voulu le furcharger, des obfcurités que quelques-uns y ont répan- dues , & des vains fantômes qu'on a fait naî- tre , enfin des fyilêmes & des fanraifies parti- culières, ne coniifte qu'à couper plus ou moins court 3 VEGETATION, LiV. VÎII, Ch. XVI. ^6^ court, félon la nature des branches & félon les circonlhnces que nous avons expliquées, & à ne laifler que deux efpeces de branches ; favoir, celles qui doivent donner du fruit dans l'année , & que nous confeillons de lâilfer longues, & celles propres à donner l'année fuivante de bon bois aux endroits où l'on en aurabefoin ,& que pour cet effet oîi îaiffe courtes. On peut dire qu un arbre eft bien taillé , quand ces deux conditions s'y rencontrenE bien obfervée?. L'accident delà gonlme, à laquelle, comme on fait, font fujets les pêchers, encore plus que les autres fruits à noyau , fait qu'on n eil pas aulîi affuré qu'une grofle branche , étant tail- lée , en fera d'autres à fon extrémité , comme cela eft aflez immanquable aux poiriers, pom- miers & même aux pruniers & abricotiers* Quand on a des pêchers qui paroiflent atta- qués de cette gomme , & que cependant <5à . voudroit bien les garder encore quelques an- nées , il faut attendre un peu tard à les tail- ler , c'eft- à-dire jufqu à ce qu'ils commencent à fleurir & à pouffer, afin d'être affûté de conferver au moins quelques bons yeux & quelques bonnes fleurs , ce dont on ne ferôiê nullement fur avant ce temps-là. Quand un pêcher ne fait plus de branches à bois , on ne doit plus le regarder que comme un arbre ufé , & qu'il faut fonger à remplacer. Quand on met des pêchers en efpalier contre des murailles peu élevées , on doit Tom& IF. G g j^66 Traité de tA les planter éloignés les uns des autres , parce qu'il faut leur donner d'autant plus d'éten- due qu'ils ne peuvent prendre que peu de hauteur ; & pour cet effet , on doit étendre & tailler fort long les branches latérales , en repliant toujours les branches à bois le plus près pofRble de terre. Il convient qu'un arbre en efpalier , fur- tout lorfqu*il ell en vigueur , ait toujours un cfpace convenable de muraille libre où fes nouveaux jets puilTent s'étendre ; autrement la plupart de les principales branches feront inutiles, puifque ne devant pas excéder le chaperon , on eft obligé de les couper ; & qu ainfî en ne profitant pas de la vigueur de l'arbre , la quantité de vergettes qui paroilTent à fon extrémité font un défagrément à un efpalier qui ne tarde pas à fe ruiner. La grande quantité de différents Traités qui ont paru fur la taille des arbres ne peu- vent que jetter dans l'incertitude & dans l'em- barras ceux qui les lifent , lorsqu'ils ne fe font pas mis en état d'en juger par Fétudc & les connoilTances de la végétation. Pref- que tous ces Traités font contradidoires : chaque Auteur attaque les prétendues erreurs d'un autre, & ne fait fouvent qu'y fubfti- tuer les liennes : taillez court , dit l'un ; taillez long , dit l'autre ; chacun vante exclu- livement fa méthode favorite 5 auquel en croira le Jardinier qui ne voit pas pourquoi à doit fuivre l'un plutôt que l'autre? Mais cette in- certitude n'aura point lieu dans l'efprit de celui qui , ayant étudié la marche de la Na- Végétation, Il V. VIîî, Ch.XVI. 467 ture , en aura pris de juftes notions s k$ connoifTances de la végétation des ar-r bres, répandues dans ce Traité , lui fiiffironc pour favoir difcerner les bonnes & les mau- vaifes pratiques. Juge éclairé de ces diffé- rents Ecrits 5 il faura les mettre à leur jiifte valeur ; il profitera des bons préceptes , & rejetera les erreurs ; un tad fur , acquis par de bons principes & fortifié par l'expérience , lui fera difcerner le vrai dû faux. Eclairé par les liirtiieres des Auteurs qui ont écrit fainemenc fur la conduite des ar- bres , il rira des idées hafardées de ceux qui n'en ont parlé que d'après leur imagination ; il faura le cas qu'il doit faire des préceptes de celui qui a imaginé de tailler géométri- quement un arbre ; comme fi les produâions de la végétation pouvoient fe prêter à cette précifîon ; comme fi les branches croifibienc toujours également & à volonté. L'Auteur de cette idée n'auroit-il pas du voir qu'une feule branche manquée ou avortée fait tom- ber néceflairement toute fa fymmétrie, aufîî inutile d'ailleurs qu'elle feroit difficile à fairq naître, & impoiîible à entretenir? Le moyen de bien réuilir en tout ce qu'on entreptend , cil de prendre de juftes idées de ce qu'on fait , de connoître & fuivre les meil- leurs moyens de remplir l'objet qu'on fe pro- pofe i faire appercevoir & expliquer fain©r ment cet objet dans l'art de la taille , le dé- gager des difficultés , des obfcurités , des contradidions dont on l'a furchargé , en fim- plifier l'opération & les vues , démontrer Gg 2. 4éS T R À I TÉ DE LA com-ment on peut parvenir à fe procurer les effets délires , en intervertifTànt l'ordre natu- rel de la végétation i ces connoiiïances don- nées , prifes , diliipent d'abord les ouages qui couvroient le but auquel il faut vifer , & on conçoit plus aifément les moyens d'y tou- cher. Quel eft l'objet qu'on fe propofe dans la conduite d'un efpalier ? Mous l'avons déjà dit : c'eft de forcer un arbre qui devoir naturelle- ment fur une tige élevée & dégarnie de bran- ches porter une tête arrondie , à faire tout 1@ contraire de ce qu'il devoir faire. Il faut donc pour cela travailler attentivement & prefque continuellement à arrêter & à con- trarier fa végétation naturelle , pour lui faire prendre une forme applatie , étendue Sz gar- nie depuis le bas jufqu'en haut , telle qu'elle doit être pour bien garnir & tapiîTer la mu- raille à laquelle on l'applique : cela ne fe peut faire qu'en le rabaiifant & le mutilant fouvent pour le mettre & le retenir dans cette forte de contrainte <& de captivité, & on ne peut y parvenir que par la luppreflion ou le raccourciflement des branches à bois , ëi par leur bonne conduite, félon les cir- conftances : voilà tout l'art de la taille. Cette fimple explication fufiiroit à celui qui aura lu avec attention & étudié ce que nous avons dit aux Chapitres des Boutons , des Bourgeons 6c des Branches , puifqu'ii faura connoître les différentes branches, com- ment elles fortent en bourgeons des boutons abois, & comment ces bourgeons devenus VEGETATION, lîV. VIII, Ch. XVL 469 branches , en produifent d'autres , &c. ; il faura qu'en coupant une branche à deux , trois ou quatre boutons ou yeux , comme le diienc les Jardiniers ,il en doit fortir autant de nou- velles branches à bois ou à fruit; il faura que moins il aura iailTé de boutons fur la bran- che taillée, moins elle fera de produâions, plus elles feront fortes & vigoureufesS il faura donc diriger la taille de ces branches fur le beibin qu'il en aura pour entretenir , fans confufion , le plein de fon éventail en bas & au centre ; ce qui eft l'objet capital , & que l'on voit le plus généralement manqué. Ceft de la confervation de la coupe Sa de l'arrangement des branches utiles que dépend Fafped agréable , la frudification & la durée d'un arbre en efpalier ou en éventail ; & comme ces branches commencent par être bourgeons ou nouvelles pouffes , c'eft fur celles-ci qu'il faut principalement opérer ; c'eft pourquoi l'ébourgeonnement & la taille d'Eté font deux opérations indifpenfablement néceffaires aux arbres en efpalier , li ou ne veut pas les voir défigurés & dégarnis en peu de temps : cette taille d'Eté eft même la plus eflèntielle & la plus nécefîaire ; c'eft elle qui prépare, difpofe & décide la taille d'Hiver, qui n'en eft plus qu'une fuite. Nous allons par- ler en deux Chapitres particuliers de ces deux opérations importantes par lefquelles devroic commencer tout Traité de la taille. or 470 Traité de la -■ — ' i "' ' ' ' CHAPITRE XVII, Z3j l'Ehour^eonnemcnt, BouRGEONîaER , c'efl: fupprimer des bourgeons : cette opération , recommandée par les bons Auteurs & fuivie exadement par les bqns Jardiniers , eft la plus impor- |:ante , je dir^i même la plus nécefTaire pour la profpérité , Tentretien, la durée & la fruc- tification d'un arbre en efpalier , & fur-çouç pour le pêcher. Si cette pratique eflentielle eft omife ou négligée , il s'epfuit néceffairemenç le défor- dre , le dépériflemenc qu'il n'eft que trop ordinaire de voir dans les efpaliers : quicon- que aura pris quelqu'idée de la végétation , ne pourra douter qu'en fupprimant des bran- ches inutiles ou mal placées , celles qui ref- tent en poffeiîion de la fève ne le fortifient d'autant plus qu'elles profitent de celle qye ces branche^ à rffprmer auroiçnç inutilement confommée. Si ce travail exige quelques attentions & quelque temps , on en épargne beaucoup par îa fuite dans les autres opérations de la taille qui ne peuvent manquer d'être fort embarraf- iantes & dangereufes ^ li on n'a pas com- jnencé par celle-là. Tous les Auteurs recommandent l'ébour- geonnement j mais les uns prefcrivent d'ébour- geonner bçs^ucQUP, & les autres peu : nou- Vegetatioîî,Liv.VÎIî,Ch.XVII. 471 vel embarras pour ceux qui les lifent. Entrons dans le détail , & nous allons voir que les uns & les autres peuvent avoir raifon : fans donner comme eux des règles générales & prefcrire des méthodes favorites , je dirai que les circonftances locales , la force ou la foiblefle de la végétation en doivent décider ; on doit fe régler dans cette opération fur le plus ou le moins de vigueur de l'arbre , Se fur l'efpace & le vuide que l'on a à rem- plir. Le temps de l'ébourgeonnement ne peut pas être plus déterminé ^ il doit fe faire ordi- nairement dans le courant du mois de Mai ; mais plutôt ou plus tard , félon les années & l'état des nouvelles poulTes : lorfqu'elles ont atteint la lon- gueur d'environ un pied , on peut ébourgeoa- ner ; il vaut mieux le faire plutôt que plus tard fur des arbres foibles , parce que les bourgeons qui relient fe fortifient plutôt & mieux , & que ceux que l'on fupprime fe détachent plus aiféraent à la main , fans le fe- cours de la ferpette , qui efl: néceffaire lorf- que le bourgeon ell devenu ligneux , & qu*au lieu de fe détacher de la branche , comme il le fait lorfqu'il n'eft encore qu'herbacé , Iç déchirement des fibres ligneufes occafionneroic une extravafion des fucs propres , connus fous le nom de gomme , à laqu.ellç le pécher fur-» tout n'eft que trop fujet. Mais l'ébourgeonnement précoce ne feroie pas fans inconvénient fur des arbres vigou- reux où le cours de la fève en adion , relTer- réç dans ua petit nombre de canaux , feroiç 471' Traité de la irruption par les boutons des branches con- fervées;, ôc y feroit pouiïer de nouveaux bourgeons qui ne feroient que des branches chiffonnes , s'ils y étoient beaucoup multi- pliés , ou des gourmands , s'ils l'étoient peu : ^1 vaut mieux pour ces fortes d'arbres atten- dre le déclin de la fève pour ébourgeonner. La Quintinie a mente confeillé de ne point ébourgeonner des arbres où l'on voit la fève fortement en adion. Je crois le confeil très-bon, parce qu'il eft certain que plus on coupe de bran-? çhes fur de pareils arbres , & plus il en re- pou (Te , cette furie de fève ne provenant que de la grande adion des racines qui entretien* nent toujours une memç proportion avec les tranches. Il efl mieux pour ces fortes d'arbres d'at- tendre pour ébourgeonner le temps du fol- ilice ; la fève a jette alors tout fpn feu ; elle s'arrête : on peut fans inconvénient retrancher les bourgeons fuperflus & toutes les bran- ches qui font fur le devant & fur le der- rière de l'arbre , fi on en a de mieux placées pour entretenir le plein, enfin, toutes celles qui font inutiles & qui pourroient faire con- fufion ; il n'en repoufle plus , & le palilFage .eft déterminé ; d'ailleurs les fruits encore tendres ont befpin de l'abri des bourgeons, & foiç qu'on les fupprime plutôt ou plus taird j il faup toujours que ce foit de manière 1 ne pas expofer les fruits tout d'un coup ^uy. ardeurs du fpleil : ç'eft pourqupi fi on ^bourgeonne de bonne heure les arbres qui l^'pnç pas p|i|s de fçve (ju'il ne leur eu faut| VEGETATION , Il V. VIII, Ch. XVII. 475 il vaut mieux y laiffer quelques branches fuper- flues , lorfqu elles font nécefîaires pour cette couverture dont les fruits ont befoin. Ces notions fur lebourgeonnement fuffi- roient à ceux qui ont pris de jultes idées de la Végétation ; mais nous allons y joindre quelques détails en faveur des autres. L'art debourgeonner conliilant dans la connoiflance des branches à fupprimer & de celles qu'on doit conferver, il devient nécelTaire de déligner les unes & les autres pour ceux qui ne les connoiffent pas. L'objet efientiel dans un arbre en efpalier , étant qu'il foit bien garni & qu'il tapilTe la muraille depuis le bas jufqu'en haut , on voit d'abord qu'il faut conferver & conduire foi- gneufement toutes les branches qui font né- ceflaires pour former Se entretenir le plein & prévenir le vuide • & li on ne trouve pas pour cela des branches de choix & bien pla- cées , il faut fe fervir de toute autre qui a poulie fur le nouveau ou fur le vieux bois , tût-on même obligé de la faire croifer , dé- faut qu'il faut éviter autant qu on le peut , mais bien moindre que celui du vuide. On trouve fur un jeune arbre des pouffes ou bourgeons non-feulement fur les branches taillées l'Hiver précédent , mais encore fur v les grofles branches ; il n'en ell: pas de m.ême fur les vieux pêchers , ils ne repiquent plus , comme le difent les Jardiniers; c'eft-à-dire qu'ils ne font plus que rarement dts jets fur les groifes branches, iorfque l'écorce ell en- durcie ^ & ainfî fadioa de la k\^ n'opérant 474- Tk^AlTli^DE XA plus qu'aux extrémités, le centre refle dépouillé &: plus ou moins dégarni • il ell aifé de pré- venir ce défordre , mais il eft bien difficile de le réparer : le remède connu de ravaler entièrement un tel arbre ne réuflic pas toujours , celui d'appliquer plufieurs éçulîbns fur les branches dégarnies feroit meilleur; mais oa a peine à faire reprendre ces écuflbns fur de groffes branches où lecorce efl: épaifle & dure. - Ce n'efl donc point aux extrémités de Varbre qu'il faut porter les principales attentions , comme le font la plupart des Jardiniers , la îsîarurc n'y pourvoit toujours, que trop:ce(lau bas , c'eii au centre qu'il faut particulièrement veiller:on ne doit point fupprimer les bourgeons qui s*y trouvent , à moins qu'ils n'y filTenc trop de confufîon ,• je n'en excepte pas les gourmands que les ignorants ne manquent pas de fupprimer totalement , & qui taillés plus ou moins court félon les circonftances , pro- duifent de bonnes branches à bois & à fruit : autant ils feroient nuifibles aux extrémités , autant ils font utiles au bas & au milieu de l'arbre ; c'eit une^bonne fortune dont il fauc profiter lorfqu'il en poulTe fur de grofles bran- ches d'un arbre négligé & échappé : j'en ai vu rétablir fur deux ou trois de ces branches, vigoureufes. Quant au choix des bourgeons qui font aux extrémités fur les branches taillées de l'année , les uns recommandent de fupprimer les plus hauts , & les autres les plus bas î nouvel embarras , nouvelle indécilioa pour VEGETATION, LiV. VIÎI^CH. XVII. 47$ 0eux qui n'ont point de principes ; entrons en détail à ce {ujet. Toute branche taillée aura produit plus ou moins de nouveaux jets , félon qu'on l'aura laiflée plus ou moins longue, c'eft-à-dire félon qu'elle aura été chargée de plus ou moins de boutons ; c'eft fur ces branches que doit fe faire principalement l'ébourgeonnement : mais qui indiquera la meilleure façon d'y procé- der ? L'arbre lui-même : c'ed fon état de vigueur ou de foiblefle qui en doit décider. Dans le premier cas , ne craignez pas de lui donner de l'étendue ; ôc pour cet effet , con- fervez les jets provenus au haut des bran- ches , & fupp rimez ceux du bas ; dans l'au- tre , redoutez le trop d'étendue qui produi"^ roit du vuide , & ne con fervez que deux ou trois bonnes branches baffes , en fupprimant celles, d'en haut. Voilà comme fe concilient les préceptes contradiâoires en agiflant d'une manière dif- férente & même oppofée félon les circonf- tances , fans fe laifTer féduire par les cita- tions de la méthode pratiquée avec fuccès à Montreuil , local privilégié pour les pêchers qui y prennent une croiflance rapide , vigou- reufe ôc foutenue, qu'on ne leur voit nulle part ailleurs. J'ai vu à Montreuil dans des veines de terrain , apparemment moins bon- nes, des pêchers peu vigoureux , & j'ai vu que les Jardiniers intelligents les conduifoient tout différemment des autres. Il y a des cas particuliers qui forcent ï faire de bonne heure un premier ébourgeon- ^jô Traité de la nement qui devient néceflaire lorfque les pê- chers font attaqués de ce qu'on appelle la cloque^ lorfque les pucerons ont crifpé & recroquillé par leurs piquures les feuilles des pêchers roulées en forme de corners , dans lefquels ils établirent leur nombreufe progé- niture , on y trouve alors des fourmis aux- quelles le préjugé commun attribue le mal : je les juftinerai dans un Chapitre particu- lier. Le mot ébourgeonner renferme deux autres opérations auxquelles on procède en même temps , pincer & arrêter : comme le pêcher a cela de particulier qu'au milieu de deux boutons à fruit , ( car ils doivent être ainfî accouplés pour être bons ) il y a un bouton à bois , il en fort un bourgeon que l'on pince affez court avec l'ongle , ce qui s'appelle arrê- ter ; on pince même auiîi , félon les circonf- tances , d'autres bourgeons pour en faire pouf- fer latéralement. Il faut bien fe garder de confondre parmi ce qu'on appelle branches chiffonnes ou brin- dilles , dont il faut purger l'arbre , des petites branches qui n'ont communément qu'un ou deux pouces de longueur , on les a nommées bouquets ; il faut les conferver précieufement en quelqu'endroit qu'elles fe trouvent , puif- qu'elles rapportent ordinairement de très-bons & beaux fruits. VEGETATION, LiV.VIII,Ch. XVIII. 477 CHAPITRE XVIII. Du Palijfhge. L E paliflage , qui conlifle à attacher pro- prement & avec ordre les branches nouvel- les au treillage , devient une opération auiîi facile qu'elle eft difficile & embarraf- fante quand on na pas ébourgeonné aupara- vant : on n'a prefque plus rien à fupprimer , le choix eft tout fait ; on n'a qu'à attacher ce qui fe trouve , il n'ett plus queftion que d'efpacer convenablement les branches , les étendre & leur faire prendre le tour qui con- vient pour former le plein néceflaire dans toute l'étendue de l'arbre, & de mettre, au- tant qu'on le peut , le fruit à couvert des feuilles , il en profite mieux ; il ne faut le découvrir que fuccellivement jufqu'au temps où il approche de fa maturité ; & pour lors on Texpofe en plein foleil , en coupant eu partie les feuilles qui le couvrent , & y laif- fant le pédicule que l'on ne pourroit arracher fans nuire au bouton qui fe forme à fon itt- fertion. Le premier paliflage fe fait en ébourgeon- nant, ou peu de temps après; on en fait un fécond lorfque l'on voit que les bourgeons fe font fort allongés ^ encore avec une petite pompe à main. Lorfque la vigne a fleuri & que les grains Hh 3 ^îê Traitéde la font formés , on taille les branches qui por-* cent des grappes à deux yeux au-deflus de îa plus élevée ; ç*efl: une mauvaife routine de couper tout près de la grappe , on en peut juger par ce que nous avons dit de l'ufage des leuilles & du befoin qu'en a le raifîn , qui ïie doit être découvert que lorfqu il approche de fa maturité : la conduite de la vigne n'a d'ailleurs rien de particulier de ce qui a été dit pour les autres arbres. CHAPITRE XX, Trafiques pour la profpérité des arbres fruitiers, JLiA taille d'Hiver & d'Eté eft l'opération la plus eflentielle pour bien conduire , faire réuffir & durer les arbres en efpalier ; mais ^ comme leur vigueur dépend d'une bonne cul- ture & de quelques foins particuliers, nous allons en parler dans ce Chapitre. Ce que nous avons dit de la plantation des arbres en général eft applicable à ceux-ci , en obfervant de ne les pas planter au pied du mur , mais de les en éldigner plus ou moins félon la hauteur de la tige qu'on incline con- tre le treillage. Je me garderai bien de pref-^ crire , comme bien d'autres , des règles générales fur la diftance qu'il faut mettre entre chaque arbre ; la bonté du fol & l'étendue qu'y prennent les s^rbres doivent la VEGETATION, IlV. VIII, Ch. XX. 487 décider : on ne peut pas fe donner de ces fols privilégiés où , tomme à Mon treuil , les pêchers prennent quarante à cinquante pieds d'éventail , mais on peut par-tout corriger un mauvais terrain en le défonçant & l'amélio- rant , comme je l'ai expliqué. Il ne faut pas donner moins de cinq ou fix pieds de largeur à la platte-bande de l'efpa- lier; c'eft une mauvaife pratique que d'y plan- ter des pois & autres plantes potagères éle- vées qui ombragent trop , qui nuifent aux fondions des racines & empêchent les la- bours & ratilTages qu'il eft bon d'y faire fou- vent. Lorfque les arbres , à i'expofition du Midi , y éprouvent une grande diflipation , à laquelle un terrain fableux & fec ne peut fournir , il eft bon de border la pi atte-bande d'une plan- tation de vignes , efpacées d'environ dix à douze pieds , en les fixant à une forte perche repliée en arc fur le chaperon du mur ; ce qui forme des cerceaux entre lefquels on plante des grofeilliers ou autres petits arbriiTeauxj La figure I^'"^ , planche 4 , repréfente cette difpofition , dont l'expérience de plufieurs an- nées m'a prouvé les bons effets ; cette ligne verdoyante joint l'agréable à l'utile, en don- nant une double récolte ; elle affure celle des pêchers , en entretenant de la fraîcheur au pied , & moins de diflipation à la tête , qui cft moins conflamment , mais fuffifamment frappée des rayons du foleil, Lorfque les fruits approchent de leur ma- turité , il faut les découvrir , en eo^:?pant hé Hh 4 Traité de la feuilles avec l'ongle ; il eft bon d'en laifTer une partie fur le pédicule pour la profpéricé du bouto'n qui s'y forme alors j c'eft en dé- couvrant ainfi les pêches qu'on leur fait ac- quérir cette belle couleur pourprée & cette faveur qui fatisfont égaleroent l'œil & le goût : on peut encore l'augmenter fur tous les fruits , en les afpergeant d'eau fraîche vers midi ^ lorfque le foleil eft le plus ardent ; cette af- periion donne , fur- tout aux poires de bon- chrétien , un coloris très-vif. Outre les fignes extérieurs qui peuvent faire juger de la maturité des pêches , il n'eft befoin que de pafler doucement la main def- fous , en les foulevant ; û le fruit eft mûr, il tonibe dans la main : mais il ne faut jamais faire cette épreuve avec le pouce , dont la preffion fait autant de taches de pourriture. Les Livres de Jardinage donnent des liftes très-étendues des différents genres Ôç efpeces de fruits ; on ne doit rechercher que celles qui font les nieilleures & qui fe fuccedent eti maturité. Il y a une quantité de fruits qui réuffiiïent bien , & même mieux en plein vent, dont on pourroit former des vergers qui procure-- roient l'abondance dans une maifon de cam- pagne. Il eft cependant fort rare de voir de ces vergers affprtis de différents genres & efpeces de fruits : cependant ces plantations, beaucoup plus produdives , n'exigent ni ks foins ni la dépenfe àss efpaliers. Mais, dit-on 5 la frudiiication des arbres ^n pleiJf^veîît o'eft pas aulii aiïuréa : j'pn con- VEGETATION, LiV, vin, Ch. XX. 4S9 viens , quand on ne prend pas les moyens de les faire réuflir ; quand étant ifolés & expo- fés aux vents , fur-touc proche de la mer , leurs fleurs font brûlées prefqu'en raêrne temps qu eclofes : mais je peux aiTurer , d'après ce que j'en ai vu dans des poiitions très- défavo- rables , qu'il n'en eft pas ainli lorfqu on prend les moyens de les garantir des mauvais vents & des gelées ; & ces moyens font très -fa- ciles. Il faut d'abord planter ces arbres plus près les uns des autres qu'on ne le fait ordinaire- ment , envelopper le verger d'une haute mu- raille de charmille , principalement du coté du Nord , derrière laquelle on plante , à àour bie ou triple rang , des arbres toujours verds, comme pins , fapins, thuyas, cyprès , cèdres, &c. , ou y former un mallif de hauts arbres , on peut êcre affuré qu'un verger, ainli abrité, frudifiera plus ou moins toutes les années. Une pratique très-elTentielle , & cependant négligée prefque par-tout , eft que la platte- bande foit plus baffe que l'allée qui la borde , qui doit être difpofée en pente douce de ce côté pour y porter les eaux : on fent que cette difpofition très-favorable aux terres lé- gères & feches , feroit nuifible à celles qui font naturellement trop fraîches & trop hu- mides ; tout au contraire , il y en a qui dans des terrains arides élèvent leurs platte-bandes bien au-defTus des allées , en les difpofant en pente rapide du côté du mur pour y faire couler toutes les eaux , croyant pourvoir à tout eu arrofant le pied , comme fi les ra- 49© Traité DE LA cines qui s'étendent & dont les fuçoirs font principalement aux extrémités , n avoient pas plus befoia là qu'ailleurs de fraîcheur & de lues. II efl bon de couvrir, pendant les chaleurs de l'Eté, la tige des arbres dans toute leur lon- gueur avec une planche de deux ou trois pou- ces de large ; ce qui , en confervant la fraî- cheur de l'écorce , facilite l'écoulement de la fève , & en diminue l'évaporation : il y en a qui pour le même objet enveloppent les tiges de paille ; mais c'eft une retraite où les infec- tes viennent fe loger : outre cela , il faut pen- dant la continuation d'un temps chaud , fur- tout dans des terres arides , ouvrir un peu la terre au pied des arbres , & y jetter quel- ques féaux d'eau , ayant foin de recouvrij& aufîï'tôr après cette opération. Le fumier pourrit mieux pendant l'Hiver, lorfqu'on le met pendant l'Automne dans les plattes-bandes ; il ne faut l'enterrer que peu , tant parce que les fucs defcendent toujours & ne montent point , que parce qu'il faut évi- ter de le mettre immédiatement fur les raci- nes. Voilà les obfervations principales à ajouter à celles dont nous avons déjà parlé pour h culture des arbres ; je n'en citerai point plu^ fieurs autres que l'on trouve par- tout, ou parce qu'elles font très-connues , ou li minu-^ tieufes qu elles ne méritent pas qu'on en fafTe lïienîion. VEGETATION, LiV. VIII, CH. XXL 491 ??3 C HA PITRE XXI. Des Maladies des arbres & des Animaux qut leur font nuijibks. o Ut RE les accidents qui arrivent aux arbres, provenants du grand froid, de la grande chaleur & de la fécherelTe , de la grêle , des tourbillons , &c. , il y a des maladies qui leur font communes en général , & d'autres qui font particulières à chaque efpece. La plupart des maladies générales provien- nent de la mauvaife qualité du fol qui, lorf- qu'il eft aride, ne peut fournir affez de fucs nourriciers pour réparer la dilïipation pen- dant les chaleurs de TEté ; de là des feuilles qui jauniffent , des branches qui meurent del- féchées , de foibles & petits jets qui périflent, k tige & les groffes branches couvertes de moulfe , &c. , tous lignes de langueur & de dépériflement. Les maladies particulières font âux poiriers les chancres , aux abricotiers , pruniers , & fur-tout aux pêchers la gomme , qui d'ordinaire fait mourir la partie qu elle at- taque. On ne peut que plaindre le Propriétaire d'un mauvais terrain qui y a planté fans l'a- voir défoncé & bonifié , comme nous l'avons recommandé ; il n'en corrigera jamais le défaut 3 quoi qu'il faffe ; les fumiers ne fçront que des palliatifs inutiles , s'ils font en pe» ^^r Traité de la tite quantité, & nuifibles s'ils font abondants» Voyei ce que nous avons dit au Chapitre, du Terrain , III^. Tome, Les poiriers greffés fur coignaflier & les pêchers fur prunier réulîxiïenc mal & durenc peu dans les terres légères & fableufes; les poiriers greffés fur franc & les pêchers fur amandier conviennent beaucoup mieux à ces for- tes de terrains : il en eft tout au contraire des terres fortes, fraîches & fuccuîentes. Cette pratique ignorée & négligée, n'eft que trop fou vent caufe du dépériffement des arbres ; nous en avons donné l'explication au Chapitre àçs Racines. Quand les arbres font attaqués de quelques chaticres , il faut, avec la pointe de la ferpette , ôter jufqu'au vif toute la partie chancreufe , & recouvrir la plaie avec de la bouze de vache. Il faut traiter de m^me les parties maltrai- tées par la gomme aux arbres à fruits à noyau: cette maladie n'efl pas incurable dans fes commencements ; mais lî elle a déjà fait de grands progrès Iprfqu'on s'en apperçoit , pour empêcher cette efpece de gangrené de gagner plus loin , il faut couper la branche au-deflous du mal ; quelquefois cette maladie vient d'un vice intérieur & alors s'enfuit la niort de l'arbre. Il eft encore une maladie à laquelle mal- heureufement il n'y a point de remède pour les végétaux & pour les animaux ; c'eft la vieillefîe. Lorfqu'oa voit tomber en cadu- cité un arbre , il faut fonger à le rem- placer, en faifanc une excavatiori fuffifaiat^ Végétation, Liv. VIIÎ, Ch. XXI. 493 pour extirper toutes- fes racines & remplir le trou de nouvelle terre avant de planter où il étoit. Outre les maladies naturelles & acciden- telles , les arbres ont des ennemis qui ordi- nairement ne s'attachent qu'aux mêmes gen- res & qui leur font fort nuiiibles ; tels font les pucerons aux pêchers , les tigres aux poi- riers, les lifettes ou coupe bourgeon^ & fur- tout les vers blancs de hanneton , nommés mans , qui rongent les racines des jeunes ar- bres & les font tomber en langueur , s'ils ne les font pas périr fur le champ. Voye^ et que nous en avons dit dans un Chapitre par- ticulier y II I^. Tome. ' La lifette eft un petit animal noir & de forme ronde qui ronge la pointe des bour- geons dès qu'ils commencent à pouffer , & dérange ainiî conlidérablement l'économie végétale. Les pucerons qui attaquent particulièrement les pêchers , les endommagent beaucoup ; ces petits infedes dont la multiplication eil prompte & prodigieufe , s'établiffent à l'en- tour des nouveaux bourgeons dont ils fucent les fucs , aullî-bicn que ceux des feuilles dans lefquelles ils s'enveloppent en les faifant re- croqueviller par leurs piquûres en forme de cornets ; ce qui donne aux pêchers la mala- die que les Jardiniers attribuent aux roux?- vents. Outre le mal quefontles pucerons en fuçant avecleurtrompe lafjbftance de l'arbre ,ils dé- rangent par leurs piquûres l'orgaiiifatioa des 494 Traité de t, feuilles qui, prenant uneépaifleurconlidérable ^ affament les branches & contribuent à les deffé- cher , & la fupprefîion de ces feuilles n'eft pas d'ailleurs lans inconvénients. Ces petits animaux , dont il n'eft pas aifé de fe débarralTer , font beaucoup de mal aux pêchers, & leur en feroient encore bien da- vantage 5 11 les fournis ne venoient les détruire , ou du moins en diminuer l'énorme multipli- cation, : c'eft ce qui fera prouvé dans le Cha- pitre fuivant. Il arrive quelquefois pendant l'Eté que les feuilles d'un arbre qui étoit en pleine vigueur, fe flétrilTent fubitement ; ce qui eft ôccalîonné ordinairement par les tnans qui rongent les racines : on trouve effedivement ces malfaic- îeurs en fouillant au pied de l'arbre ; après l'en avoir délivré , il faut bien arrofer non- feulement ce qui refte de racines , mais en- core 'les feuilles , en faifant tomber deflus de l'eau en forme de pluie avec la pomme de î'arrofoir , ou mieux encore avec une pompe à main : il eft bon de le couvrir enfuite de paiîlalTons pour le préferver de l'ardeur du îbleil qui occafionneroit plus de diffipation que ce qui refte de racines ne pourroit en- tretenir. C'eft ainfi que j'ai fauve des pêchers qui auroient infailliblement péri fans ces fe- cours qui les rétabliifent lorfqu'ils font don- nés à temps. S'il y a des animaux voraces pour les ar- bres , il en eft d'autres qui le font pour les fruits , tels font les limaçons, les mouches de différentes' efpeces , & fur-tout les guêpes y Ve<^etatîon,Liv. VIÎI,Ch,XXI. 495 les i^ats , les fouines, &G. : il ces animaux s'en tenoienc à manger le fruit qu'ils ont en- tamé, le mal ne feroit pas fi grand ,• mais ils en gâtent en même temps plufîeurs autres & dévallent bientôt les efpaliers j fi on ne prend foin de les délivrer de ces frugivores. Des revues fréquentes pour les limaçons le matin Se le foir , des fioles remplies d'eau miellég pour les mouches, des pièges pour les rats & fouines font les meilleurs moyens recom- mandés pour les détruire : s'ils ne réufliirenc pas toujours complettement , plus de tués moins d'ennemis. CHAPITRE XXII. Des Fourmis. j 'Entreprends d'établir une vérité oppofée aux Ecrits de tous les Auteurs an- ciens & modernes des Livres d'Agriculture; je n'en connois qu'un feul qui n'ait pas pro- noncé arrêt de mort contre les fourmis, en donnant les moyens de l'exécuter ; je vais cependant prouver ici non-feulement leur in- nocence , mais encore leur utilité & leurs bons fervices dans les cas même où on les accufe de malfaifance. J'ai déjà attaqué & détruit dans le cours de cet Ouvrage plus d'une erreur accréditée , & conféquemment difficile à difliper ; celle-ci a été fi généralement répétée & reçue fans T R,A I T É DE LA examen, que je devrois craindre de ne pas par- venir à en détromper , fi les preuves que je vais donner & dont il eft aifé de fe convain- cre netablifibient inconteftablement le fait. II y a vingt ans que , reconnoiffant l'erreur où Von étoit à ce fujet , je publiai mes obfer- vacions dans la Gazette d'Agriculture, & j'ai eu iieu de voir, par des Ecrits ultérieurs , quelles ont fait effet fur les efprits observa- teurs. Je vais encore mieux ici , pour Tintérêt des Cultivateurs , juftifier un petit peuple mal connu y auquel une profcription générale avoir tenu lieu de la reconnoiiïànce qu'on lui doit à plufieurs égards , auquel par la plus aveugle erreur , parla plus grande injuftice , on impute le mal auquel il ne ceîîè de remédier & qu'il prévient même quelquefois. On a cru faire une belle découverre en ima- ginant, en propofant de nouveaux moyens pour détruire les fourmis ou leur interdire tout accès fur les arbres ; c'eft comme iî on propofoit de tendre des pièges aux chats qui vont dans les greniers, dans les granges pour y détruire les rats & les fouris : c'ett ce qui va être démontré. Doit-on chercher à détruire les fourmis ou à les empêcher de venir fur les arbres ? Cette queftion fera décidée en prouvant qu'el- les n'y font point de mal , mais qu'au contraire elles y font beaucoup de bien. On a vu languir & périr des arbres fur lefouels il y avoir des fourmis ; je vais prou» ver que ce n'eu pas parce qu'il y avoit des fourrais , Vegetatiok, Liv. YIÎIj; Ch. XXIL 457 foormis , mais parce qu'il n'y en avoit pas alTez. Je dois croire que cet énoncé ne man- quera pas de révolter d'abord tous ceux qui font imbus des préjugés contraires; mais j'ai iieu d'efpérer d'en faire revenir tous ceux qui /Voudront ndn- feulement réfléchir far mes , preuves , mais les foumettre à leur propre ; examen. Tout arbre fur lequel on verra des four- mis au Printemps , on y trouvera des puce- rons , des punaifes ou galle -infedes, &c. ; tout arbre fur lequel il n'y aura point de ces infedes i on n'y verra point de fourmis : Une obfervation , fuivie depuis vingt ans , m'a tel- lement afluré de ce fait que je le donne pour ^ inconteftâble. Les fourmis ne parcourent donc les arbres que pour y chercher ces infedes; mais efl* ce , comme l'ont dit quelques Auteurs , parce qu'elles les aiment & qu'elles recher- . chent leur fociété , ou parce qu'elles en font ; curée ? Examinons le fait. Qu'on obferve de fuite & avec attention • à la loupe y on verra 5 comme je l'ai vu , que îcs fourmis attaquent & fucent les pucerons, , remplis d'une liqueur fucrée j & que les cada- vres de ceux-ci relient noirs & defféchés. La ; fourmi vient donc détruire le puceron ; en- nemi redoutable & mortel des arbres , & fur-tout du pêcher j il en pompe les fucs en s'attachant aux jeunes pouffes & aux feuilles qu'il épuife & fait périr par fes piquûres mal- faifantes ; il intercepte les effets naturels de îa fève ; il dérange les opérations de la végé- Toms iV. I i 498 Traité de z a. :tatioD; il occafionne des produdions raonf- trueufes ; il détruit lorganifàtion de la feuille ^ en faifant contrader les nervures & la pulpe par fes piquûres , & la fait rouler dans la ; forme d'un cornet dans lequel il fe loge , y fait naître des tubérofîtés & des excroiflan- ces ; enfin , ces dangereufes opérations, mul- tipliées par la quantité des opérateurs ^ font fuivies de la maladie & quelquefois delà mort de l'arbre. Mais examinons la conduite des fourmis ^ que les uns ont regardés comme complices ^ d'autres comme auteurs du mal : a-ton pu remarquer qu'elles fuçerit les fucs nourriciers des arbres , en s'artachant'fôit aux bourgeons > foit aux feuilles ? Les a-t-on vues entamer ^ r déchirer les unes ou les autres ? Je les ai ob- servées , fuivies de près , & je n'ai jamais rien , vu de cela ; outre la préfomption de leur goût * connu qui les porte à rechercher ce qui eft fucré, & qui doit les éloigner des fucs pro- pres du pêcher qui font ^mers, je^n-ai jamais f rien vu qui indique qu'elles fe les appro- •- prient ; on voit , il eft vrai , des fourmis fur . des bourgeois gâtés par' leslpucèrOîis, auteurs du mal qu'on attribue aux autres , tant il eft dangereux de fe trouver avec des malfaideurs : -mais parce qu'on trouve des chats dans une grange j peut-on juger que ce font eux qui ont mangé le grain & rongé la paille ? C'eil ici la même choie. Si les fourmis venoient fur les arbres pour en. pomper les fucs j elles iroient iediiFérem- - ment fur ceux où il n'y a point d'iEifeSes Vegetatioît, Li^. VIÎI,Ch. XXII. 499 €omm€ fur ceux où il y €n a ; mais quicon- que voudra examiner verra le contraire. J'ai fouvent, & toujours avec certitude ^ défié les incrédules de trouver une feule fourmi fur un pêcher ou tout autre arbre où il n'y a point d'infedes; elles n'y viennent donc qu'at- tirées par l'appât de ces animaux deftrue- teurs ; elles viennent leur donner la chafle & lés détruire ; elles n'y font donc que du bien. Cette année 17 84 a fourni une nouvelle preuve de ce fait : la rigueur de l'Hiver a fait périr , en graode partie , les pucerons ; il a été rare d'en voir au Printemps fur les pêchers , tôliers ^ & autres arbres auxquels ils s'attachent par- ticulièrement ; il s'en eft fuivi que les bour- geons & les feuilles des pêchers n'ont point été endommagés ,• point de feuilles recroque- villées , point de tubercules, point de clo- que , effets que les Jardiniers attribuent tou- jours aux roux - vents j qui n'ont cependant pas laifle de régner cette année : d'après l'ob- fervation que j'avois faite dans mon Jardin 5 j'en ai viiîté pluiieurs autres où j'ai reconnu de même que n'y ayant point de pucerons fur les pêchers, il n'y avoit pas une feule fourmi. Si la quantité des fourmis eft fuffifante pour détruire tous les pucerons , l'arbre en fera délivré ; mais fi la malfe du gibier ex- cède le nombre , l'adion & le pouvoir des chafTeurs , il en reftera beaucoup , & fur-tout de celui-ci qui a la faculté de fe reproduire ^ de fe multiplier prodigieufement , & alors I i 2 ^00 Traité de x a les dégâts continueront, non pas parce qu'il y a des fourmis, mais parce qu'il n'y en a pas alTez. Les expériences que j'ai faites fur des pê- chers en plein vent prouvent encore mieux tout ce que je viens de dire : deux de ces ar- bres étoient fort attaqués par les pucerons ; a y avoit aulîi , comme il arrive toujours alors , beaucoup de fourmis. J'en purgeai l'uîi des deux autant qu'il me fut poilibie; & pour leur en interdire l'accès , j'enveloppai la tige d'un bourrelet de coton imbibé d'huile ; il arriva que les pucerons détruits , au moins en grande partie par les fourmis qui avoient libre accès fur l'autre pêcher, y nuiiîrent peu ; mais celui dont je les avois expulfées fut bien- . tôt tout couvert de pucerons qui ravagèrent en toute liberté ; cet a_rbre devint languiflaat . ëi. perdit beaucoup de branches. En achetant le Jardin & la Maifon où je demeure , il me fallut acheter auilî une cen- taine d'orangers que j'y trouvai ; ils étoient tous plus ou moins infedés de punaifes^ en- nemis redoutables de l'oranger ; le vendeur me dit que c'étoit les fourmis qui avoient gâté ces arbres, mais qu'il ufoit d'un moyen fur pour y remédier ; effedivement je vis à cha- que tige une eipece de cuvette ronde de terre cuite 5 qui y éîoit attachée de manière qu'é- tant remplie d'eau j elle interdifoit tout accès aux fourrais. Mon homme me vantoic beau- coup cette découverte ,* & j'avoue qu'imbu alors des mêmes préjugés , j'avois grand foin d'entre- tenir ces vafes plein d'eau : deux perfonne.ç Végétation, Liv.Vni,CH. XXII. $oi- que j'employois à frotter les branches de mes orangers , ne pouvoient parvenir à les purger des punaifes ; un de ces vafes étant tombé pendant la nuit , je vis le lendemain l'oranger/ couvert de fourniis , & les ayant obfervées avec attention , je vis , à ne pouvoir m'y mé* prendre, qu'elles manœuvroient fur les pu- nnifes qu'elles fuçoient & détruifoient. Bien affuré du fait , je fis caiTer tous les petits va- fes pour donner un libre accès fur mes oran- gers à ces bonnes ouvrières qui les purgèrent de punaifes beaucoup plus promptement & mieux que n'avoient pu faire les deux femmes que je payois pour cela ; je n'ai point vu qu'elles filTent aucun mal ni à la fleur ni au bourgeon de l'oranger qui eft amer j mais j'ai toujours vu que lorfqu'il n'y a plus de punai- fes fur l'arbre, il n'y vient plus de fourmis ; & ce fait bien confiant , que j'ai prefenté aux incrédules fur les orangers & fur les pêchers , a toujours été Si eil efFeclivement fans ré- plique. Voilà , je crois , la fourmi bien juftifiée , moins par mes Ecrits que par les obfervations, ou plutôt par fa conduire : m.ais , dira-t-on , les fourmis établies au pied d'uq arbre y fonc grand tort. Je répoqds à cela qu'il eft bien rare qu'elles s'établifTent précifément là ; 3c on doit , fans regrec , accorder un pied quarré de terrain pour l'établiiTemeuc d'un? répu- blique dont les citoyens font û utiles & bien- faifants. En général , je ne vois pas que les. fpurmillieres nuifent beaucoup dans nos jar- dins j il a'eltpas même appareat que les four- li ^ fOZ T EL A I T É B É LA mis de l'efpece 4e celles dont je parle vivent ordinairement en républiq^ae fouterraine ; elles paroiiTent fe ralTembler plutôt dans les cavités^ des murailles. Mais , dira- 1- on encore , la fourmi entamp ?& gâte les fruits. Je ne crois pas qu'elle les entame ; mais lî quelqu'autre animal y a fait brèche , elle faip en prpfiter : j'ai déclaré h paiFion dominante pour tout ce qui eft fpcré ^ àinfi le fuc d'un abricot, d'une pêche, d'unp prune ou d'une pqire lui plaît fans doute beau- coup ,• & peut-être qu'après avoir purgé' l'arbre de fès ennemis naturels & contribue^ ainii à fa frudification , elle fe croit en droit d'y prendre part. Mais ceux qui ne le piqueroient pas de reconnoiffance jufqu'à ce point-là, pourroient lui interdire la pro- menade fur les arbres ^^endant l'Eté , temps auquel fa chalfe n'efl plus aulîi utile qu'au Printemps : auiîi ne l'y voit-on pas venir avec le mêm,e erpprefTement. CHAPITRE XXIII. Ve id culture des Melons. L n'y a gqeres de Livres de jardinage qui îie parlent de la culture des melons ; il y- a peu de Jardiniers qui ne fe difent en état de la fui\ re , & cependant il arrive que fur un grand nouibre de plantes, les unes ne frudi- E (jue peu ou |)oiac , & la plupart des VEGETATION, LlV.VIII^Clî.XXni, 503. autres frudifient mal ; eoiîn , fur une gratrde quantité de melonvS , il eft fouveuc rare d'en trouver de bons^ Ce peu de fucçès tient-il à un yice inhé-, rent à la plante, ou au défaut de connoilTan- ces néceiTaires pour la faire réufîir ? Si , par une culture bien entendue & convenable à cette plante exotique , quelques Jardiniers in-> îelligeots parviennent à avoir alftz, ordinaire-j ment de bons melons , tandis que d'autres n'en ont jamais que de mauvais ou de médio- cres, il paroît décidé que cette plante ne fû refufe pas à une bonne fruâifiçation dans notre Climat lorfqu'elîe tiï cultivée avec les foins & les attentions qui lui font néceiTai- res ^ & que ce n'eft que l'habileté des uns Ôç l'ignorance des autres qui décide fon bon ou fon mauvais fuccès. * . Pour bien conduire & faire profpérer une plante , il faut commencer par prendre de juf« tes notions de fon organifation particulière , ^e fa n^aniere dç végéter , de la nature de fes racines , de fa tige, de fes rameaux, de fes fleurs & de fes fruits , & fur- tout du tempé- rament que lui, a imprimé fon pays natal. Originaire des pays chauds , le nielon y vient fans culture; abandonné à la nature du Climat qui lui convient ;, il y frqdifie mer- veilleufement fans éçre mutilé par la main de Thomme j point de taille , point de fuppref- lion de branches ni de flçurs , la vigueur de la plante la met en état de nourrir toutes fes parties , quelqu'étetvdues qu'elles foient. Il n'en ell pas 4e mêrne dans notre pay^ f04 ï R A I T E D E I, A tempéré & fouvenc froid , où il faut appeîîer Fart au fecours de la Nature. Tous les Jar- diniers fa vent qu'il faut des couches de fu- mier recouvert de terreaux , des cloches ou des chaiïïs vitrés; mais favent-ils les bien dif- pofer. '' Je ne connois point de Livre de jardinage qui donne fur cela de bons principes & qui en parle d'une manière fufiifante & convena- ble : comme les précautions qu'il faut obfer- ver à cet égard forment la baie de cette cul- ture, nous allons tâcher de ne rien omettre de tout ce qui peut la favorifer. Si on veut avoir des melons d'efpece hâtive au mois de Mai , il faut les femer vers la fin de Janvier ou au commencement de Pévrier , temps au- quel la chaleur des couches eft indifpenfable- jnent néceffaire; on feme alors ces melons fous cloches ou fous des chaffis , comme en pepi^ niere , pour les cranfplanter fur d'autres cou- ches préparées ; & afin qu'ils fouffrent moins de la tranfplantation , il eft mieux den mettre im ou deux pépins dans du terreau mis dans ^es petits pots à bafilic qu'on a loin de per- cer par le fond pour lecouleraenî de l'eaq dont oh arrofe le terreau; comme le germe 4'où doit fortir la radicule , efl à l'extrémité de la pointe de la graine , il n'ell point indiffé- J'en t de le mettre en terre félon cette difpofi- pon. ( Voyez ce que nous avons dit au Cha- pitre des Graines ), ' Lorfque les jeunes plantes font eif état d'ê- tre tranfplantées , il n'efl queflion que de reri- irer fer les pots où elles ont gefmé & pouiTé VEGETATION, LïV.VÎÎÎ,Ch.XXIIÎ. ^O^ pour en faire tomber la motte dans la main, & les tranfplanter fans que la radication en foufFre , après avoir préparé une couche pour les y placer à demeure. Je renvoie à ce que j'ai dit de la forma- tion des couches & de la difpofîtion des éhaffis , Tome II ; j'y ajouterai ici qu'il faut que la couche pour les melons , après avoir été bien trépignée , foit bien relevée au cen- tre en dos de bahut , & qu'elle foit recou- verte d'environ un pied de bon terreau ; nous ferons connoître combien l'omillion trop or- dinaire de ces deux articles eft préjudiciable. Outre cette difpoiition très-bombée du fumier & du terreau , il eft bor) de former au mi- lieu , à des dillances de trois ou quatre pieds, de petites buttes arrondies fur îefquelles on mettra les jeunes plantes , recouvertes de clo- ches ; fi on replante fous des chalîis, on obfer- vera la même élévation & convexité au centre, en difpofant de plus le tout en glacis : nous al- lons expliquer la nécelîicé de ces précau- tions. Le melon , comme je l'ai déjà dit , origi- naire des pays chauds , dans des terres feches & brûlantes , ne peut réufîir dans des terres forces & fubftancieufes , & dans une politioii humide & fL'âîche ; telle eft cependant celle que l'impéritie de la plupart des Jardiniers lui donne. Planté fur une couche afrailTée & con- cave au centre , toutes les eaux de pluie vien- nent s'écouler au pied ; les racines , après avoir pénétré une épaiiïeur d'environ fîx pou- ces de terreau , s'enfoncent dans un fumier \ îo5l Traité de la humide Ôc pournflant ; de là îa langueur de la plante , ces taches que Ton voit fur fes feuilles , maladie qu'on appelle ie blanc ; de îà enfin des fruits aqueux , des citrouilles inii^ pides , effets naturels d'une auiîi maiivaife cul- ture. Le même défordre arrive aux couches mal laites fur lefquelles om pofe des chaflis dont îe poids affailTant encore plus le fumier, les bords plus élevés qui reçoivent l'écoulement des eaux du virrage les tranfmettent au-dedans de la couche , ce qui inonde les plantes & ks tient dans une humidité perniçieufe. Je fuis étonné de n'avoir vu nulle part pratiquer MB moyen bien fimple de remédier à cet in- çoEvénienî. Autant a pendant l'Hiver , une large marge de la CQuçbe ell néceiFaire piour conferver la chaleur au centre , autant cette marge eft inu« tiîe &: même nuilible pendant l'Eté , puifqu'eUe Défait alors que s'oppofer aux effets des rryons du foleiî , & qu'elle entretient , comme nous venons de le dire , une humidité perniçieufe dans la couche ; il feroit donc avantageux de fuppriraer au mois de Mai fur tout la marge intérieure qui reçoit l'écoulement des eaux du vitrage , & d'adapter au chajiis une plan- che inclinée en forme de toit qui en écarte- xoït la chute de l'eau ^ enfin , tout moyen qui tend à préfcrver cette plante d'un degré d'hu- midité qui lui eft contraire , doit être faifi & pratiqué par celui qui la cultive. C'eil: d'après ces principes que j'ai imaginé, il y a déjà plufieurs années ^ un genre de cul- Vegetation^Ii v.VIIIjCh. XXIIÏ. 507 ture que je ne faurois afTez faire connoîtrc <& recommander , puifque je l'ai vu réuflir parfaitemencpar-touroù on l'a pratiqué comme il faut. J'avois bien vu planter des nielons en pleine terre ; j'en avois même vu réuflir quelques-uns dans des terres fablonneufes & légères , quand l'Eté étoit chaud & fec ; mais ayant reconnu qu'il n'en étoit pas de même dans d'autres çirconftances , quelques Cultivateurs avoient penfé y remédier en élevant des planches en dos d'âne , ou en formant des buttes larges & plattes fur lefquelles ils plantoient leurs me- lons. Après avoir reconnu l'infuffifance de ces moyens qui tiennent de trop près à la pleine terre, j'en imaginai un autre que le raifonner ment me difoit meilleur , & qu'une expérience annuelle & confiante a toujours juftifié. Ayant remarqué que les arbres languiîTent & périflent lorfqif après leur plantation on les butte avec de la terre difpofée en forme conique , parce qu'ainfi l'eau des pluies ne tombe jamais au pied ni aux racines , mais ^'écoulé toujours au-delà , je jugeai que ce qui eft contraire aux arbres pouvoir conve- nir aux melons, auxquels l'humidité & la fraî- cheur font pernicieufes : cette idée me déter- inina à faire l'eflai qui a fi bien réuiîi ; je vais en rendre compte. On choifit un emplacement expofé au Midi §c abrité du Nord ; on creufe à quatre ou cinq pieds de diftance des trous d'environ trois pieds en quarré & de deux pieds de profondeur, oa les remplit de fumier chaud ^Q? T K A I T E DELA que Ton foule le plus polîibîe , en faifant dé- border ce famier de huit ou dix pouces au- deffus delà fuperficie du terrain ; on jette enfuite par pelletées, fur le centre de cette niâiïe de fumier, du terreau compofé comme je vais le dire; on continue cette opération jafqu'â ce qu'on ait élevé une butte d'environ trois pieds d'élévation , formée en cône ; fi ce terreau étoit fec , on aura foin de l'arro- fer de temps en temps pour lui donner plus de coniiftance , afin d'empêcher que les terres roulantes ne prennent trop de bafe à propor- tion de leur hauteur ; il faut enfuite tronquer ce cône pour lui donner une fuperficie fupé- rieure qui ait environ iix pouces de diamètre de plus que celui de la cloche qui doit le couvrir , afin qu'il refte autour de cette clo- che une marge d'environ trois pouces. Cette opération ne doit fe faire au plutôt que vers la fin d'Avril ou au commencement de Mai , auquel temps on plante au centre de cette butte un ou deux pieds de melons , que l'on cou- vre d'une cloche: quelques jours après , lorf- qu'il a toiibé de la pluie & que les terres fe font affaiffées & ont formé plus de liai- fon , on déga[re celles qui fe font trop éten- dues fur les côtés , & fur-tout à la bafe du cône. On fait fucceffivement ainfi autant de but- tes que Ion veut planter de melons : exami- nons maintenant quels font les avantages de ce procédé, iQ On fe rend ainfi le maître de remédier à lintempérie des faifons ; fi la féçhereiTe ç(i Végétation, Liv.VIII,Ch. XXIII fd^ It)ngue & forte, on fait un petit rebord à Ja marge qui eft autour de la cloche , afin que l'eau de la pluie ou des airofements fe porte au pied de la plante. Si , au contraire, & c'eft ce qu'il y a le plus à craindre , la faifon eft pluvieufe & fraîche ^ on rabat les bords de la marge en talus , afin de procurer récoulement des eaux & les écarter de la plante , dont le pied peut ainfi reiler dans l'état de fécherefle qui lui convient. lo. Les rayons du foleil qui tourne autour de cette butte élevée & ifolée , échauffent & animent les racines de cette plante qui exige de la chaleur , dont elle eft d'autant mieux • pénétrée que la couche de terre eft moins ' épaiiTe & plus dégagée de l'humidité. C'elt ainfi qu'on fait réu/îir dans notre Climat les orangers dans des cailTes où l'on ne met qu'une quantité de terre proportionnée à la force du pied ; on fait que ces arbres lan- guifienc & périflent lorsqu'on les met dans uq volume de terre difproportionné, parce que leurs racines , dans une mafTe trop humide & trop épaifie , fe trouvent hors d'atteinte des - rayons du foleil : il en eft de même de la vé- gétation, & fur-tout de la frudification des melons. 3°. Les fruits qui fe forment fur les bran- ches , qui s'étendent fur les côtés de la butte font mieux expofés à l'air & au foleil, & re- . çoivent dans cette pofition de meilleures in- fluences de la fève aérienne, nourriture prin- cipale de ce fruit , que ceux qui , pofés fur : le fumier , font immédiatement plongés dans çio Traita de %-a- râthmofphère humide &f liante et h coucliéif qui , fans une continuation ée jours chauds g qui peuvent dilîiper çe$ vapeurs , oe doit man- quer de rendre les melons infipides, aqueux & de mauvais goût : les morceaux d'ardoife ou de tuile que l'on met deflbus peuvent bien les empêcher de pourrir , mais ils ne remédient pas aux mauvaifes influences , dont ils font d'autant plus imprégnés que le temps eft plu- vieux : on voit que le côté du melon qui pofe fur la couche eft d'un jaune lavé, tirant au blanc, 6c que la chair eil toujours d'un mauvais goût. Notre butte affranchit de ces inconvé- nients : lorfque le fruit pendant à la branche îa charge & la tire trop , il eft aifé d'y remé- dier , en enfonçant dans la butte deux che- villes fur lefquelles on pofe la tète du fruit. 4°. Si , au temps de la frudification , la faifon continue d'être pluvieufe , on couvre îc pied du melon d'une cloche portée fur trois fourches de bois, élevées de trois ou quatre pouces , ce qui le tient dans un état de fé- cherefle convenable , vu fa polition ifolée & îa facilité de l'écoulement des eaux ; ce qui ne peut avoir lieu fur une couche dont la maffe eft également imbibée de l'eau des pluies. L'expofé de tous ces avantages eft bien ca- pable , ce me femble , de perfuader les Pro- priétaires inftruiîs & intelligents , & c'cft pour ceux-là que j'écris. Quant à ceux qui n'ont ni goût, ni principes, ni connoiflances fur l'Agriculture & qui ne cherchent pas à en acquérir, ou ils négligeront la ledure de cet Ouvrage , ou ils n'en profiteront guère ; & Végeîàtïok, Lî V, Vîîl, Gh. XXIIL t i t fi , fans préfider , fans veiller à lexécutioiî ^ ils fe contentent de dke : Jardinier, faites cda* ils feront mieux de s'en abftenir , parce qiîë l'homme de routine , foit par maliee , foie pi£ ignorance, ne manquera pas défaire échouer l'expérience , pour avoir droit de dire qiîe tout C€ qu'il n'a pas fait & tout ce qu'il n'a pas vu faire ne vaut rien. Un de mes amis , perfuade de la bonté de ma méthode , voulut la faire exécuter par [on Jardinier ; nous le trouvâmes rétif : après avoir fait difpofer tout fous nos yeux & lui avoir prefcrit tout ce qu'il devoit faire , foa Maître le menaça d une difgrace certaine , fi , par négligence ou autrement , il ne condui- Ibit pas tout à bien , en l'afTurant qu'il ne re- cevToit aucune mauvaife excufe. Le Jardinier exécuta ce que je lui avois recommandé , et les melons furent excellents <& II fupérieurs. à ceux qu'il avoit cultivés avec foin lur cou- che, qu'il n'a pas été befoin les années fui- vantes de le forcer à fuivre cette méthode qui s'étend de plus en plus dans le voifinage ou elle réufïït conftamment , de même que par^ tout où j'ai indiqué cet excellent procédé. Comme il arrive ordinairement que les but- tes s'afFaiffent & s'évafent trop , ce qui en di- minue les bons effets , il eft aifé d'y obvier au moyen d'une légère dépenfe ; c'eii dé faire faire par un vannier des efpeces de panniers grof- liers , fans fonds, en forme de cône tronqué, dont on pofera le grand diamètre fur la bafe de fumier & que l'on remplira de terreau , en obfervant d'élever le terreau à environ an pied 512, T R A I T É D E t L au-deflus du bord fupérieur du pannier ; ce moyen bien fimpïe , en contenant les ter- res empêchera révafemenc & la dégrada- tion de la butte. On fenc qu'il eîl néceflaire de proportionner le diamètre de ces pan- : lïiers à l'élévation de la butte , de ma- nière que la fuperficie fupérieure du cône tronqué ait toujours , comme je l'ai dit y iix pouces de diamètre de plus, que celui de M cloche. On peut , Il l'on veut avoir des melons plus tardifs, au lieu de plantes , mettre despepins fux ces buttes. . : Quant à la culture panticuliere des melons , ceux qui n'ont point de principes doivent être fort embarrafies quel parti prendre, d'après la îedure contradidoire des Livre^ , fur cela comme fur bien d'autres chofes , & d'après les citations des différents Cultivateurs : les uns recommandent d'amples & fréquents arro-^ fements , d'autres les profcri.yent ; comment fe décider fur ces différents confeils , quand oh lî'a aucune connoifîance de Ja nature de la plante & de fa végétation ? Sera-ce fur la ré- putation de l'Auteur ?on courroit rifque d'ê- tre trompé. Ce n'eft que d'après de bons prin- cipes , un examen raifonné & réfléchi , & fur- tout d'après l'expérience, que l'on peut pren- dre un parti fur. Par exemple, lorfqu'on fait que la plante dont nous parlons ici croît & profpere natu- Tellement dans les pays chauds & dans des terres arides , cette connoiffance indique qu'il ne lui faut donner de l'eau qu'autant qu'il enr :^ Végétation, Liv. VIII, Ch. XXIII. 5X3 eft néceflaire pour la faire fubfifter fous les : yerres où on iâ tient rcnfefrtiéé. Sachant qu'il pleut rarement dans le Climat dont die eft originaire , on doit s'abitenir de répandre delfus les feuilles l'eau en pluie avec les arro- foirsj mais arrofer feulement aucour du pied avec de l'eau qui a été auparavant éxpofee à i'air âc au foleil , toute autre puilee nouvel- lement lui étatit fore contraire. Sans avoir égard aux différents Ecrits , aux différents confeils , tendus- nous en à un indice certain. Cette plante, comme bien d'au- tres j indiqué les belbuls : lorlqu on s'apper- Çoit que (es feuilles commencent a devenic molles, c'eft un figne alîbré qu'elle a befoiii d'eau , ii faut alors lui en donner nlodéré- ment , mais jamais tant que les feuilles fonc fermes & vigoureufes. La connoilFance des racines fibreufes de cette plante indique qu'un terrain léger & délié lui convient ; tel eft eflfedivement celui où elle croît natiirelietiient dans les pays chauds : on doit donc rejeter les avis de ceux qui Gonfeilient de la cultiver dans une terre de potager ou toute autre forte Si compade » fondés fur ce que cette terre qui conferve plus long-temps fa fraîcheur , épargne le foin des arrofements , donne à la plante plus de ; vigueur & la fait mieux pouffer en bois. ^Ces obfervations font vraies ; mais c eft parce ^qu'elles font vraies qu'elles font diredement oppofées à l'objet qu'on doit fe propofer; i^ De fe rendre Maître le plus qu'il eft poliible de tenir le pied de cette plante dans Tome IF. K k ^14 T R A I T É D E 1 A un certain degré de fécherefle dans des temps pluvieux. 20. Comme on ne doit avoir en vue que ce qui tend à la meilleure frudification, on remplit mal cet objet principal en faifant trop poufTer en bois cette plante qui , dans un ter- rain fubilancieux & dans un trop grand de- gré de vigueur , poufle toujours d'autant plus de bois qu'on en coupe. ( Voyez ce que nous avons dit des arbres trop vigoureux qui fe mettent difficilement à fruit & qui n'en pro- duifent que de mauvais : il en eft de même des melons ). Le raifonnement & l'expérience prouvent que pour les avoir bons , il ne faut pas les planter dans des terres fortes & trop fuccu- îentes ; ainlî rejetant comme mauvaife com- pofition celle que l'on confeill^ de faire avec moitié terre forte à potager & autres ingré- dients , la meilleure fera deux tiers de terreau de couches , s'il eft gras, mêlé avec un tiers de terre légère & fableufe ; s'il ne l'eft pas , mêlé avec un tiers de terre grafle, mais dé- liée : on fe trouvera bien d'ajouter à ce mé- lange environ un quart de fiente de pigeoa ou de mouton réduite en poudre. Comme cette compofition peut fe faire également par-tout » & qu'on peut y fuivre de même les procé- dés que nous indiquons ici , il fembleroit que les melons devroient réufîir également dans le même pays ; mais on fe tromperoit en adop- tant cette idée; la nature du fol , l'état de l'athmofphere , de certains courants d'air, y apportent beaucoup de différences. L'expé- rience prouve que les melons que Ton cultive VEGETATION>Li:T.VIII,CH.XXlît. ÎT| fur un fol aride & fâblonneux oui réfléchit .à mieux les rayons du foleil & où Tathmof- phere ell conftamment plus feche ^ font tou- jours meilleurs , toutes chofes d'ailleurs éga- les, que ceux qui font plongés dans une at- mofphereliumide, fur un fol eompaâ & frais, & fur-touc dans des vallées aquatiques ; po- fitioris où ils réufliflent mal , excepté dan* des années très-feches. On feroit encore plus embarralfé fur la con- duite que l'on doit tenir dans la taille des melons , d'après les différentes pratiques pref- crites par différents Auteurs : les uns recom- mandent de tailler amplement & fréquemment^ les autres modérément. Remontons encore à l'origine , pour favoir ce qu'il convient de faire. Cette plante croît naturellement dans les pays chauds, dont elle ell originaire , fans être taillée , & elle y frudifîe d'une manière bien fupérieure à celle que peuvent lui donner dans notre Climat toutes les précautions & les foins qu'il nous eft pofîible de prendre ; mais comme elle n'a chez nous ni le même degré de chaleur , ni le même fol , ni là même at- mofphere , l'expérience a prouvé qu'il faut que l'art fupplée au défaut de ces avantages naturels : une trop grande multiplication & exteniion de branches nuiroit à la frudifica- tion ; il eft donc bon d'en fupprimer quelques- unes & d'arrêter à propos les autres. Exa- minons cette opération de la taille dès foa commencement. Lorfque la jeune plante s*eft affez élevée Kk 2 :5i5 Traité de ia : pour avoir formé deux ou trois nœuds Se quelques feuilles , on en coupe la fommité ; la tige ne pouvant plus alors s'élever, la force de la végétation fe porte uniquement dans les nœuds d'où il fort des branches latérales & principales qui , étant aulîi arrêtées , fe rami- fient par la fuite en plufieurs autres qui ram- pent l'ur la terre & la couvrent tout autour du pied dans une plus gi*ande ou moindre éten- due félon qu'on a eu foin d'arrêter les jeu- nes pouffes ; foin qu'il faut prendre pour em- pêcher la courfe de ces branches qui s'allon- geroient trop aux dépens de la plante , qui n'a pas chez nous , comme dans fon pays natal , les moyens de fournir aune grande extenlion : il eft bon de plus de la décharger de quelques rameaux inutiles & qui n'opèrent que de la confulion , mais ménager les bonnes branches que l'on coupe à un nœud ou deux au-deifus du fruit lorfqu'il elt bien lormé , c'eft ce que les Jardiniers appellent alors des melons ar- rêtés. Cette conduite bien entendue n'exige qu'une taille renouvellée de temps en temps , ôc non pas une ample, trop répétée & inconfidéréc mutilation dont les ignorants fatiguent & ex- cédent cette plante qu'ils app^uvrilTent & rui- nent à force de la tourmenter. Mais ce qui ell le comble de l'abfurdité , c'eft la fuppreflion de ce qu'ils appellent y2?£{/^ fe s fleurs 9 comme s'il y avoir quelque chofe de faux dans la Nature ; on doit le pardon- ner aux Jardiniers , puifque je ne connois point de Livre de jardinage qui n'appelle^ainli Vegetation,Liv.VIII,Ch.XXIII. ^ij Cîes fleurs , & que la plupart des Auteurs recommandent de les fupprimer ; ce n*eft pas la feule preuve que donnent ces Auteurs de leur peu de connoiflances en phyfique rurale & en botanique ; je pourrois en citer un bon nombre , même parmi les modernes , où il y a peu de pages de leurs Ecrits qui ne le prou- vent quç trop î les anciens, tels que la Quin^- tinie, que les nouveaux conipilateurs blâment quelquefois mal à propos, tout en répétant d'ailleurs ce qu'il a dit , n'ont point connu le fexe des plantes > je l'ai expliqué d'une manière faffifante au Chapitre des Fleurs , dans le i^*'. Volume. Je m'en tiendrai à dire ici que la famille des cucurbitaeés , dont eft le melon , porte fuir le même individu des fleurs mâles & des fleurs femelles ; les premières ne donnent point de fruit , voilà pourquoi les ignares les ont nom- mées yZ/^i* Jieurs ; mais elles fervent effen- tiellement & néceflairement à féconder les embryons des fleurs femelles qui , privés dç la projediondes pouflieres des étamines, avor- tent infailliblement. D'après ces connoiflances certaines , il eft aifé de juger de l'abfurdité de l'ufage prefque général, parmi les Jardiniers , de fupprimer ces fleurs mâles ,• il eft certain que leur fuppreflion totale rendroit la plante abfolument inféconde ; mais malgré la guerre qu'ils font à ces fleurs lî néceflaires , il en échappe toujours quelques-unes à leurs meur- trières recherches , foit fur le même pied iè foit fur un autre voiiin , qui fuffirent pour fif conder quelques fruits : ea voilà aifez à ce fl8 TRAITji DE LA fajet pour faire eonnoître cet abus à ceux qui ne font pas trop entêtés dans leur igno- rance, & trop pour les autres que rien ne peut faire revenir. Je termine cet article par dirç qu'il n'y a point d'inconvénient à laiiler tou- tes les fleurs mâles comme ifs y a mjfes la îvlature, fur les branches que l'on conierve, & qu'il y en a toujours à les fupprimer , même en partie : dira-t-on qu'elles épuifent la plante ? ce jugement n'eft point fondé ; leur règne n'eft pas long ; elles tombent lorfqu*ayant fait leur office, le vœu de la Nature eft rem- pli y Si la rnultiplicité des moyens alTure mieux la fécondation , la force & la perfedion du fruit, En confultant ce que j'ai dit dans le troi- sième Volume , aux Chapitres des Couches , des Cloches & des Vitrages , on aura , avec les préceptes que l'on trouve ici , tous les éclairciflTements nécelTaire? pour la culture des melons ; mais je dois obferver que le fuccès dépend principalement du choix d'une bonne graine , bien nourrie , qui contienne un germe bien formé & vigoureux ; & quelque eiïen- tiel que foit cet article, il cil négligé par le plus grand nombre des Cultivateurs. Voyez ce que nous avons dit des fruits & des pepin^ dans ie premier Volume. La pulpe des fruits , quoi qu'en dife l'homme ^ui veut croire que tout eft fait pour lui, eft deftinée à la formation & à la nourriture du germe qui doit perpétuer refpece ; ç'eft roL> dre de la Nature, ordre qui s'obferve par- iait , indépendamment des opinions ôç dçs lailonaçmeilts des hômmçs, VEGETATION, IrV.ViII,CH. XXIII. ^19 Une pomme , par exemple , tombe de l'ar- bre dans les bois , elle pourrit fur terre ; le pépin qui a acquis fou entière perfedion dans la pourriture de la pulpe , s'en dégage , germe en terre & produit un pommier : il n'efl pa^s douteux qu'il n'en foit de môme des melons dans les pays où ils croilfent naturellement, abandonnés à la Nature. Réiiéchiifons fur ce qui fe pratique ordi- nairement chez nous à ce fujet : il on trouve fur une table un melon d'une bonne chair , fucré & d'un goût relevé , on voit fortir les papiers de la poche pour en prendre des pé- pins , ou bien on dit à un dom.eftique de les conferver $ cette coUedion fe fait fans choix par ceux qui ne favent pas que les pépins du centre font meilleurs que ceux des extrémités. Mais enfin ces pépins font-ils dans leur per- fedion ? Non , fans doute , puifque par la rai Ton même que le fruit s'eft trouvé bon , c'eft une preuve qu'il n étoit pas pafTé de ma- turité , comme il faut qu'il le foit pour que le germe foit parfaitement nourri & bien con- ditionné. L'épreuve que l'on fait de ces pépins m les mettant fur une furface d'eau & rejetant tous ceux qui furnagent pour ne conferver que ceux qui tombent au fond de l'eau , peut bien prouver que les lobes de ceux-ci font mieux formés & plus pefants ; ce qui fait préfumer la formation du germe , mais ne prouve pas fon entière perfedion. Il faut pour le manger bon, favoir faifir un «leloa au point convenable de maturité 5c ^19 Traité delà même un peu auparavant , en le coupant la veille du jour qu'il doit être fervi ; cette ma- turité fe reccnnoît au paflage fubit de la cou- leur verte au jaune i çç qu'on appelle un me- lon frappé ^ à l'odeur , & ordinairement à un commencement de rupture à la queue du fruit : on reconnoît à ces indices qu'il eft mangea- ble ; mais le pépin n eft pas focore fuffifani- jîjent formé. Il n'eft pas étonnant que ces germes impar- feits prodùifent des fruits qui dégénèrent en grofleur & en qualité ; plufieurs les fement dès l'année fuivante , parce qu'ils ignorent que ces graines oléagineufes fe confervent bonnes pendant un grand nombre d'années , & que Celle de dix ans n'en eft que meil- leure. 11 faut , fi l'on veut avoir (^es pépins par- faits , laifler pafler de maturité un melon fur pied, & même l'y laifTer pourrir avant d'en re- tirer la fenf^çncip ;; ç'eft ùp petit facrifice qui produira un grand bien pour foi & pour ceux auxquels on fera part d'une femencc parfaite , en ne prenant que celle ^u centre. En fuivant cette pratique , en cultivant bien & en obfervant de renfermer les bonnes ef- pcces dans des çaifes , 4e manière qu'elles foient affez féparées des plantes voifines pour que les ppuilieres des éiamiries dP ççllcs-ci îje viennent pas les féconder , voyez ce que nous avonç dit au Chapitre des Fleurs, Tome premier , on fer^ gflurf de nç p^S voir dégé- iiérer f^& melons. C'f{|; çf qu'a foin f obftrvçç M, de Belle- Vegetation,Liv.VIII,Ch.XXIII. î^i garde , Cpnfeiller au Parlement de Rouen , qui s'eft adonné particulièrement à cette cul- turc qu'il fuit avçc beaucoup d'ordre fous des chaffis fur couches & fous des cloches fui! des buttes ; il m'a fait voir une lille de 1 80 efpeces ou variétés dont il feme lui-même chaque année une grande quantité , exademeuc numérotée. CeuK qui n ont ni afiez d'efpace ni aflez d€: moyens pour fuivre en grand cette culture & donner dans une colledion très^ étendue , pqurront s'en tenir aux efpeces ci- après nommées que l'on eftime les meilleures & qui donnent une JQuiflauce hâtive & fui- vie. LISTE BES MEILLEURES ESPECES DE MELONS. i.JlEtit melon fucrin , très-hâtif; il eft de la forme & de la grofleur d'une orange. 2. Melon fucrin de plus groffe efpece , il fuit de près le premier ; ces deux efpeces ne brodent point , & ont la chair très-fucrée. ^ 3. Melon à chair verte. èc à côte, très-petit & très-hâtif; il a beaucoup de fuc. 4. Melon Cantaloupe , noir , très-hâtif, ua peu long & bon, 5. Petit melon Cantaloupe , très- hâtif, rond & couvert de tubercules « très-bon. jiz Traité DE LA 6. Melon Cantaloupe d'orange^ gros , rond , tubercule & très-bon. 7. Melon Cantaloupe d'AJIracan , plus gros que le précédent. ^. Melon Cantaloupe Romain^ il eft fore long. 9. Melon Cantaloupe d* Anjou , il eft noir extérieurement & boflu. 10. Melon Cantaloupe Ananas , à côtes & tubercule , couronné a fon extrémité ; il eft excellent. 11. Melon Cantaloupe noir &C2iC\mih\2iï\'' che \ il eft très-fucré. 12. Melon Cantaloupe plat ^ à chair rouge. 13. Melon Cantaloupe tubercule , à chair verte , très-fucré. Il y a pluiîeurs autres efpeces ou variétés de Cantaloupe ; toutes font plus ou moins bonnes, foie dans la première , foit dans la féconde fa i fon. 14. Melon de l'Archipel-, il eft d'une forme allongée & eft d'une bonne qualité. 1 5 . Melon de Langeais à côtes ; il brode peu & eft très-bon. 16. Melon Romain ou des Carmes 5 il eft hâtif; il y en a plufieurs variétés qui ont une broderie fine ; leur chair eft d'un goût relevé. 17. Melon dit de S. Nicolas» Il a une belle chair & très-fucrée. 18. Melon Moriny gros melon qui brode beaucoup & eft marqué d'une étoile à fon extrémité ; c'eft celui que l'on trouve le plus communément dans les Marchés, de Paris. VEGETATION, LiV.VIIÎ,Ch. XXIII. 523 19. Melon d'Honfleur affez femblable au précédent , mais plus gros ; on le cultive en pleine terre daiis une gorge à Honfleur, où il réuiîit parfaitement ; mais il n'en ell pas toujours de même dans les jardins. 2.0. Melon de Naples d'une forme allongée. 21. Petit melon de Malthe à chair rouge; il eft bien brodé & bon. 22. Melon de Minorqueà chair rouge, a une broderie très-fine & eft d'une bonne qua- lité. 23. Melon d*Efpagne , il ne mûrit que tard. 24. Melon de San à côte ,• fa broderie eft fine , fa chair jaune & bonne. 2^. Melon d'eau ; fa chair eft blanche. x6. Melon de la Chine , excellente efpece nouvellement cultivée en France ; c*eft un melon d'une forme allongée , fans broderie ni côtes apparentes , d'une couleur plus verte que jaune ; il s'annonce très-mal par les ap- parences extérieures ; mais la couleur vive de fa chair, fon parfum, fon goût vineux & très-fucré rappellent la morale de la Fontaine, qui dit qu'il ne faut pas juger àts gens fur la mine ; il en eft fouvent de même des melons. On peut s'en tenir à la culture de ceux que je viens de nommer comme les meilleurs & qui réuififFcnt le mieux dans notre Cli- mat : on en nomme une bien plus grande quantité ; mais plufieurs font moins des ef- peces que des variétés, & quelquefois les mêmes fous différents noms; c'eft ainfî que l'on groflit des liftes, en y faifant entrer des efpççes mauvaifes ou médiocres. |Z4 Traité de la Les efpeces ci-deiTus décrites fuffifent pour donner des variétés & former une melonniere étendue ; je n'ai point parlé de fa difpofition , de fes murs de clôture, de fes abris du côté du Nord , des paillaflbns dont on couvre les chaHis & les cloches pendant les gelées & les nuits froides , ainfî que pour mettre les plantes, fur-tout lorfqu'elles font nouvelle^ ment tranfplantées , à l'abri d'un foleil trop vif. Je n'aime point à répéter ce que tous les autres ont dit & que tout le monde fait : fi j'ai fait entrer dans ce long Chapitre ou dans ce Traité le plus étendu qui ait été donné fur la culture des melons , quelques détails déjà connus , j'ai lieu de croire qu'on y trouvera beaucoup d'obfervations nouvelles & utiles ; je me fuis principalement attaché à dén^oncer les faufTes pratiques & à démon-, trer les erreurs accréditées des Auteurs & des Jardiniers peu inftruits. Heureux fî j'ai pu fur cela, comme fur bien d'autres articles, détruire l'empire de la routine & des préju- gés ; au refte , je prie de croire qu'en com- battant les erreurs, je n'ai en vue de criti- quer ni de blefler perfonne. Satisfait fi mor^ Ouvrage peut obtenir le fufFrage dQS geqs inf- truits , car ceux qui n'ont point la clef de la ftieace ne peuvent fe rendre les Arbitres , les Juges où les Cçnfeurç des opinions & des procédés nouveaux, fondés fur une faine phy- fi que rurale , puifque fans boulTole & fans gou- vernail , ils font comme flottants à tout vent de dodrine. Fin du quatrième & dernier Tome. PRIVILEGE DU ROt. LOUIS, par la grâce de Dieu ^ Roi de France iSc de Navarre. A nos amés Se féaux Confeilîers , les Gens tenant nos Cours de Par- lement , Maîtres êi^s Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Conféil , Prévôt de Paris, Baillis , Sénéchaux , leurs Lieutenants-Civils , & autres nos Jufticiers qu'il appartiendra : Salut. Notre bien amé le fieur Mustel, nous a fait expo- fer qu'il defireroitfaire imprimer Ôc donner au Pu- blic un Ouvrage de fa compofîtion , intitulé : Traité Théorique & Pratique de la Végétation 5 s'il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres de Pri^ vilege à ce néeeflaires. A ces caufes , voulant fa- vorablement traiter l'Expofant, Nous lui avons permis & permettons de faire imprimer ledit Ou-^ vrage autant de fois que bon lui femblera , & de le vendre , faire vendre par-tout notre Royaume. Voulons qu'il jouiffe de Peffet du préfent Pri- vilège , pour lui & ÏQs hoirs , à perpétuité , pourvu qu'il ne le rétrocède à perfonne : 8c H cependant il jugeoit à propos d'en faire une cef- fion , l'ade qui la contiendra fera enregiftré en la Chambre Syndicale de Paris , à peine de nullité , tant du Privilège que de la celTion ; & alors par le fait feul de la ceffion enregifîrée , ,k dorée du préfent Privilège fera réduite à celle de la vie de FÊxpofant , ou à celle de dix années , à compter de ce jour , fi TExpofanc dé- cède avant l'expiration defdites dix années ; le tout conformément aux Articles IV & V de l'Ar- rêt du Confeil , du 30 Août 1777 , portant Règlement fur la durée àes Privilèges en Li- brairie. Faifôns défenfes à tous Imprimeurs, Li* braires & autres perfonnes, de quelque qualité ê: condition qu'elles foient , d'en întrodufrs d'hTipreffion étrangère dans aucun lieu de no-» tre obéiflance ; comme aufîi d'imprimer ou faire imprimer, vendre , faire vendre , débiter ni contrefaire ledit Ouvrage , fous quelque pré- texte que ce puifTe être , fans la permiffionexprelTe Se par écrit duditExpofant, ou de celui qui le re- préfentera_, à peine de faifie 8c de confifcation des Exemplaires contrefaits, de fîx mille livres d'amen- dfe, qui ne pourra être modérée pour la pre- mière fois , de pareille amende âc de déchéance d'état en cas de récidive , Se de fous dépens , dommages & intérêts , conformément à l'Arrêt du Confeil , du 30 Août 1777 , concernant les contrefaçons ; à la charge que ces Préfentes fe- ront enregiftrées totit au long fur le Regiftre de la Communauté des Imprimeurs Se Libraires de Paris, dans trois mois de la date d'ieelles ; que l'imprefïion dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume , Se non ailleurs , en beau^ pa- pier Se beau caraâere , conformément aux Rè- glements de la Librairie , à peine de déchéance du préfent Privilège : qu'avant de l'expofer en vente , le Manufcrit qui aura fervi de copie à rimprefîion dudit Ouvrage , fera remis dans le même état où l'approbation y aura été donnée, es mains de notre très - cher Se féal Cheva- lier Garde des Sceaux de France ^ le Sieur Hue de Miromesnil , Commandeur de nos Ordres ; qu'il en fera enfuite remis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique ^ un dans celle de notre Château du Louvre , un dans celle de notre très-cher Se féal Chevalier, Chancelier de France, le Sieur de Maupeou, & un dans celle dudit Sieur Hue de Miromes- jfiL , le tout à peine de nullité des Préfentes ; du contenu defquelles Vous mandons Se enjoignons de faîfe jouir ledit Expofant & fès hoirs pleine* ment&paifiblement, fans foufFrir qu'il leur foie fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que la copie des Préfentes, qui fera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudic Ou^ vrage , foit tenue pour duement fignifiée ; & qu'aux Copies collationnées par l'un de nos amés éc féaux Confeillers-Secrétaires , foi foit ajoutée comme à l'Original. Commandons au premier notre Huiflier ou Sergent fur ce requis , de faire pour l'exécution d'icelles , tous aâes requis Se nécelfaires , fans demander autre permi/îion , Se nonobftant clameur de Haro , Charte Normande Se Lettres à ce contraires : Car tel eft notre pîaifir. Donné à Paris le troifieme jour d'Oc- tobre , l'an de grâce mil fept cent quatre-vingt- un , & de notre règne le huitième. Par le Roi ^ en fon Confeil. Signé, LE BEGUE. Regiftré fur le Regiftre XXI. de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris, No. nj^j , Fol. ^j6 y conj armement aux dijpojitions énoncées dans le préfent Privilège / & à la charge de remettre à ladite Chambre les huit exemplaires prefcrits par l'Article CVIIL du Règlement de ZJÇL^. A Paris , ce trente Oç^ îobre mil fept cent quatre-vingt-un. Signé , FOURNlER , Adjoint. EXPLICATION dé tihflrument dit Thermomètre terrejîre , cité T'orne II. LE tube A. eft fixé fur une planche B. , foutenue verticalement & perpendiculairement par deux piquets C. enfoncés en terre* Cette planche eft graduée par quatre lignes, t , à, 3, 4j pour marquer la variation de la liqueur dans l'une & l'autre branche du tube. I*ar exemple , dans le temps que la raréfaâion a lieii en terre , la liqueur defèéiid dans la branche D. , figure ae. , comme ici en 3 ou 4, & monte dans l'autre E. , comme en 2 ou I , félon le degré de ra- réh£tion. Au contraire , pendant le temps de la condenfation en terre , la liqueur monte dans la branche D. , figuré 4 , comme ici en i ou a, & defcend dans la branche Ê, , comme ici en 3 ou 4 , felôn le degré de condeii- fatioui 11 faut bien prendre garde que l'orifice inférieur du tube , moins enfoncé dans une terre compadlé que dans un terrain fableux & léger , fie foit pas bouché par quelque grain de fable ; éc afin qu'il reçoive mieux riroprelTion fouterrairie , il eft bon de le terminer pat un évafement , tel que le frag- ment d'une boule de Thermomètre ordinaire, comme on le voit en F. ; & afin que la pluie & la rofée n'entrent pas par l'orifice fupérieur , il eft bonde le recourber un peu , comme on voit en H. Tous les autres détails fur cet inftrument ont été donnés dans Je fécond Volume ; on en Voit id la repréfentation , figures 3 & 4 j planche 4. A Rouen, De l'Imprim. de LOUIS OURSEL, 1784* TLM Fïa.I.p.370. Jfyr. s.p-d- Tlj. Sp- 377- -^if- '^- P'-'^- Ti^ja. p. 3^5 . -Fii/.^p.J8à' ^yr 3 p Jyff J'z^.y.^jd. Fùr.ji.p.3^ff. Fif.8.^.3^^. Fz^.J.2,.p . d- va:/-=. '1 ' É â ri.jv: J'i^.. r ^v a fé^ V ■iV m^m ' < U*' îlî ri t?': •7> i' *■ *■ '/.■ .I^,«, 4