^ M X '-- : : *.;* -- ■■• -- TR4VAUX DE L'ACADEMIE IMPERIALE DE REIMS. ANNEK 1853 -1854. Tome xix. — N° 1. :^$M REIMS CHEZ P. REGNIER, IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE. CHEZ RRISSART-BINET , LIRRAIRE DE L'ACADEMIE. 185/1. SOMMAIHE DU NUMEKO. SCIENCES. — Communications tie M. Maumene. — ATo«- reau systeme de metier Jacquard electromagneliqur. Sur le Stereoscope. Communication de M. Cuevii-liet. — Sur la masse lotale el le nombredes pctitcs planeles, siluees enlre Mars el Jupiter. Communication de M. Goda. — Du Credit foncier. Communication de M. Th. Lobin. — Essai sur Vetymo- logie du vieux francais Anuit , el sur Vancien usage de donncr an jour civil le nom de Nuit. Communication de M. P. Soullie — Notice sur le parrain magnifique . Communication de M. Elambert. — Rapport sur le xixe volume de la premiere serie des Annates de la Sociele aca- demiqne de Nantes. Lecture de M . Cacchy — Traductions en vers francais de deux hymncs lirces de la liturgie Amienoise. Lecture de M. P. Soulue — Traductions en vers de plusieurs anciens poelcs. Communication de M. Clicquot. — Fables. — Apologue. Communication de M. Th. Lobin — Fable g TRAVAUX DE L'ACADEMIE IMPERIALE DE REIMS. »fx-"V*>uvr£mc Volume. 4e TRIMESTRE 1853. — ler TRIMESTRE 1854. 4^^ REIMS P. REGNIER, IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE. RRISSART-BINET , LIBRAIRE DE L'ACADEMIE. IDCCCLIV. HISTOIRE DE L'EGLISE DE REIMS par IP It (DID (DAI ID PUBLIEE PAR L'ACADEMIE IMPERIALE DE REEVIS, et traduite avec le concours dc VAcademie Par M. Lejktoe, Professeur au Lycee de la meme Ville; Deux Volumes m-8° , 8 fr. (EUVRES CHOISIES CHANOINE-TITULAIRE DE l'eGLJSE METROPOLITAPJE DE REIMS Pobliees sous Its auspices DE SON EMINENCE LE CARDINAL GOUSSET, Archevtque de Reims; Deux Volumes in-S" , 10 fr. !f9= TRAVAUX DE L'ACADEMIE JMPERIALE WK HKIMS, 'S6 TRAVAUX DE L'ACADEMIE IMPEBIALE DE REIMS. IHx-\'i'iivgcmi<> ¥oiuau<\ 4e THIiMESTRE 1853. — le' TRIMESTRE 1854. REIMS P. REGNIER, IMl'RIMEUR D IC L'ACADEMIE. BRISSART-BINET , LIBRAIRE DK L'ACADEMIE. A\. 1 ,1 JVOWeA V SrS7'£At£ /?£ M£7V£/i JA Cgi/A/lZ ' £L£C7Y?6?MA6vyV£T/@&£'J Tve^-cWV as u-Cftt^^vm^'Dw Scuuwus ^ov £.^.MAl/M£A'£. C^cewvL&ve' 1853.) YUs-tCwU a- Coj l't-v u)-vc/. c c & Mp:J. U u £/ 'MOl/ZS '. 2?_„ 1 1 i^rS, OT16566 (Dlouw^Ult ^ (rarcwcC X*.™s TRAVAUX DE l/ACADEMlfi UNRIALE HE REIMS. ANNEK 1853-185&. Tome xix. — N° 1. SCIENCES. romniunk'ttlioii On ne peut dis- » convenir que la rente annuelle ct perpetuelle que paye !e • debileur jusqu'a ce qu'il ail rendu la somme principale . » n'ait du rapport a^ec les inlerels que le debileur paye » dans le contrat de pret a interet jusqu'a la restitution de » la somme prelee et que si, dans le contral de constitution le » debileur de la rente n'esl pas, comme dans le pret a interet, » debileur proprement du sort principal, il lest ntanmoins en » quelque maniere puis'qu'tl ne pcut, sans le rendre, [aire cesser » la rente et se libercr. — (Polbier, Du (-antral de constitution » de rente) » — 29 — Lucrum cessans el du periculum emergens, etc., etc., mais ces exceptions, quoique lies elasliques, n'en reslaient pas moins a I'eial d'exceplion , el loin d'amoindrir le principe, lui donnaient de la force et de la consislance, aussi, celui qui le Iransgressail faisail payer cher sa complaisance, son infraction ail* lois de l'Eglise , el ne consenlail la plupart du temps, a prefer que moyennanl des conditions tallemenl iisuraires, que presque loujours elles enlrai- naienl la ruine du debiteur (1). En presence de ces idees presque generalement admises, on etail loin de chercher a donner de l'essor et du developpemenl au credit foncier, donl le but principal est de preter des capitaux moyennant une redevance. Aussi, pour rencoutrer le premier essai d'association de ce genre, sommes-nous oblige d'arriver a I'an 1772. Les trailes de Paris el de Ilubersbourg venaicnlde meilre fin a la guerre de 7 ens ; I'Furope elait iran- quille, mais epuisee, uri million d'hommes etaienl restes sur les champs de balaille, et la Prusse no- lamment qui venail de soutenir une lulle inegale conire la France el I'Aulriche, avail vu s'epuiser presque enlieremenl toutes ses ressources linancieres. Ce trisle elal de choses se faisail surloul plus specialement semir dans la Silesie, reslee a FreMeric- le-Grand, par le Iraile de Hubersbourg. (1) Le mouveinent des Croisades donna lieu a de nonibreux engagements de la propriete i'onciere, et, 1'usure garantie par le nanlissernent, ne menagea pas ces pieux et braves cheva- liers qui sacriflaient les interets terreslres a la cause du Christ. — (Troplong, Du nanlissernent, nombre 19.) — 30 — La noblesse de celie province se trouvant dans l'impossibilite de payer ses detles, s'adressa au sou- verain el en oblint un sursis de 3 ans ; mais celle concession etait loin de parer a tout ; il ne suffisait pas d'etre momentanement tranquille sur les deltes passees, il fallail en outre subvenir aux besoins de chaque jour ; l'argent etait rare, l'interet etait monte a 40 pour cent et Ton ne pouvait s'en procurer que moyennant une commission de 5 pour cent. « Cet elat de choses inspira a un negotiant obscur » de Berlin, M. Buring, l'idee de relever le credit » foncier, en subsliluanl a la responsabilite individuelle » de chaque debileur, la garantie collective d'une so- » ciete de proprietaires engages par contiats hypo- » thecaires (i). » Cette operation consiste en une association formee entre plusieurs proprietaires ayant besoin de recourir a des emprunls; a la tete de 1'association est un comite d'administration charge" de determiner les som- mesdont on peut faire l'avance a chaque proprietaire, de chercher les capitalistes, de leur servir les inle- rets et de leur fournir aux echeances le rembourse- ment du capital ; 1'association, en un mot, est un inlermediaire solvable et exact entre le debiteur et le preteur, inlermediaire au moyen duquel ce dernier n'a a craindre ni les ennuis d'une poursuite, ni des retards dans ses rentrees. Ce nouveau systeme, quoique bien defeclueux a son origine, eut tout d'abord un grand sncces, les (1) Rapport a M. Dumas , ministre de l'agricullure el du commerce, par M. J. B. Josseau, commissaire du gouveruement, du 2 Janvier 1851. — 31 — capilaux qui se cachaient sorlirent de leur retraite et se dirigerenl vers la propriete fonciere, laquelle s'ameliora rapideraent et redevint pour la noblesse du pays, une source de richesses ; aussi, peu de temps apres, il fut adopte dans les elais voisins : En 1777, on en fll I'application dans la Marche de Brandebourg, en 1781, dans la Pomeranie, en 1782, a Hambourg, en 1798, dans la Prusse orientale, etc. Bientot meme, les etablissemenls de credit foncier s'etendirenl plus loin, et nous les voyons en 1818 prendre racine en Bussie et en Pologne. L'originedu credit, foncier dans l'empire Busse est la memfi qu'en Silesie : En Silesie, c'e-tait la guerre de 7 ans qui y avait donne lieu, en Pologne et en Bussie, ce furent les guerres de l'empire qui for- cerenl a y avoir recours. Les traites de 1815 avaient pacifie ces pays, mais les lerres des seigneurs se trouvaient oberees de toules manieres, la culture elail negligee, les habi- tants decimes ; pour comble de desaslre, on man- quail d'argenl et les privileges de la noblesse empechaienl les capitalisles de lui avancer les som- mes dont elle pouvait avoir besoin. En effet, dans l'empire Busse, les terres se divi- senl en terres peuplees et terres non peuplees. Les lerres non peuplees sont celles dont les habitants ne sont point a Pciat de servage, elles sont eniiere- ment dans le commerce et peuvenl appartenir a toules les classes de la population libre. Dans les terres peuplees, les habitants sont moins des hommes que des choses ; ils sont la propriete du seigneur et ne peuvenl quitter la terre sans sa permission ; ils changenl de maitre avec 1'immeuljle — 32 — sur lequel ils sont ncs; en un mot, ils sonl eux- memes immeubles par destination ; ces sortes de lerres ne peuvent, bien entendu, devenir la pro- priele du premier venu, elles ne doivent etre pos- sedees que par la noblesse ou la couronne. On comprend aisemenl qu'un capitalisle, la plupart du temps simple et obscur rolurier, devail se decider difficilemenl a accepter pour garanlie un domaine de celte nature ; en effet si, pour rentrer dans son capital, il etail oblige de s'en prendre a l'immeuble hypoibeque , que lui arrivait-il ? Par une entente reciproque, la classe privilegiee qui seule pouvait posseder 1'immeuble ne se presentait pas pour ac- querir et le preleur se trouvait reduit a la contem- plation passive d'un gage inabordable pour lui et les personnes de sa classe. Un seul moyen restail done d'atlirer le capitalisle, celui dont M. Buring avait eu I'initiative en Prusse, e'est-a-dire la solidarite entre les proprietaires, aussi, a la demande des nobles Livoniens , l'empereur Alexandre rendit en 1818 un ukase aulorisant une banque de cridit systeme dontil fit lui-meme les pre- miers fonds. Le 13 juiu 1825, il autorisa en outre un etablissement de credit foncier dans le nouveau royaume de Pologne a lui echu par le demembre- ment du Grand-Ducbe de Varsovie. Deja le 25 decembre 1821, un etablissement ana- logue avait ete fonde par le gouvernement Prussien, dans la parlie a lui ecbue de ce Grand-Duche, e'est- a-dire dans celle formant aujou'rd'hui le Duche de Posen et les villes de Danlzig et de Thorn. Ces deux derniers elablissements n'etaienl au sur- plus que la reproduction d'une association analogue — 33 — decretee en 1811 dans \'c. (irand-Duche de Varsovie, lorsque le roi de Saxe gouvernail les provinces pb- lonaises. Les eiablissemenls de credit foncier dont nous vendns de faire sommairement I'historique ont done lous la memo origine : Ce sont loujours et par- tout des seigneurs, des nobles oberds qui cherchenl dans rassociation et la solidarity un credit qu'ils ne peuient se procurer aulremenl . En Alleniagne cependanl pfusieurs societes de credit foncier out un but different. Dans ce pays, les biens des paysans eiaient presque parlout greves de charges el redevances soil personnelles, soil reelles en faveur des nobles el seigneurs feodaux ; l'eman- cipation ayant penetre dans ces conlrees avec nos armes el nos conquetes , les proprielaires des biens greves ont aujourd'hui la faculie de racheter ces charges el redevances, moyennant une indemnite envers les families qui en jouissent. La rarele du numeraire dans les campagnes ayant pendant quelque temps empeche d'user de ce bene- fice, des eiablissemenls ont ele fondes dans le but de procurer les fonds necessaires a ceux qui veulent en profiler , ce sont nolamment : en Saxe, la banque des rentes foncieres, creee le 17 mars 1832, mais donl les operations n'ont commence que le 1" Jan- vier 1834 ; I'etablissemenl du credit territorial du Hanovre, fonde par ordonnance du 8 seplembre 1840 et modifiee par une autre ordonnance du 18 juin 1842 ; retablissement de la Hesse-Electorale fonde en 1832 sous la denomination de Landes credit casse ou caisse du credit territorial, celle du Duche de Nassau fondee en 1840, sous la garantie el avec I'initiathe du gouvernemeni. xix. g - 3/i — Un projel d'etablissement anologue sous la deno- mination de banquc des paysans esl acluellement lerminee pour Ics provinces Baltiques et n'allend plus que la sanction de l'empereur ; on sait que les pay.ans de ces provinces onl etc affranchis en 1817, a la charge de donner des jours de corvees pour la culiure des terres des seigneurs ; le but de cette banque est de mettre le paysan affranchi a meme d'acquerir personnellement des terres et de se libe- rer de ces redevances. line seule institution de credit foncier fonctionne dans l'empire d'Autriche, c'est i'elablissement foude en Gallicie en 1841, par les efforts du prince Leon Sapihea ; son organisation passe pour la plus com- plete parmi les etablissemcnts de ce genre , en ce sens qu'elle vienl en aide en meme temps a la classe noble et a la population des campagnes, mais son element principal el sa base fondamentale consistent loujours dans la solidarite entre plusieurs proprie- laires dans le but de procurer du credit a cliacun d'eux. L'association la plus vaste el la plus compliquee dans ses operations esl la banque hypothecate et d'escompte, fondee a Munich en 1835, par une so- cieie d'actionnaires , au capital de 10 millions de florins (21,400,000 fr.). Cetie association , d'une duree de 99 ans , emet des billets dont le cours est force. Kile enibrasse a la fois les operations faites en France par la banque de France el ses succursales, les comptotis d'escompte, I'ancienne caisse hypolhecaire, les com- pagnies d'assurances conire lincendie, et sur la vie, etc.. ec De plus c'esi la seule qui, pretanl — 35 — sans le secours de la solidarile, ail queltme analogic avec l'etablissement du Credit fonder de France, re- cenimeni elabli chez nous par le gouvernement1 (1). La banque de Munich est a la fois une bonne operation pour jes fondaleurs el une insiiiulion utile au pays , mais on ne pent tirer de son succes aujourd'hui bien constant aucune induction sur les resultats probables du Credit loncier de France, en raison des divers elements dont se composerent les operations de la banque de Munich et, en outre, en raison de la legislation hypothecate du pays 'qui differe esseniiellet.ient de la noire, en ce sens qu'elle n'admet pas d'hypolheques generates el occultes, et (1) Voici, par ordre cbronologique, la nomenclature des eta- bl.ssemenls de credit loncier fonctionnant de nos jours : Celui c mem. sur le principe - ft? — de I'univers , Acad, des inscr. tnm. 27, pages 235 el suiv., elc. (1). On doit, je crois., rapporler aussi a ceite opinion la coutume ancienncment adoptee chez quelques peu- ples du nord, de commencer le jour an concher du soleil, ainsi que I'usage presque general de le compter a parlir de minuit. Voy. Aulu Gelle, nod. aft. I. 3. C'est sans doute pour la memo raisdn que dans le mot nyjh ■■■..■it:. qui, chez les Grccs, designail I'espace de vingl-quaire heures que nous nommons le jour civil, Justus dies, le nom de la nuil precede celui du jour. Voyez H. Elienne, Thes. ling, grate, torn. 2, col. 1102, 11 03. J'en ai dit a>sez, imp peni-eli e, s t; r I'etymologic d'un ancien mot i'rancais toinhe en desuetude. Ceux qui desiferaieni approfondit ceile question peuvent consul I er : Clavier, German, antiq. lib. I, p. 22'J 01. Worm Fast. Dan. lib. 1, cap. 12, p. 3C et suit. Rymbegla, sive Rudim corn put. ecr.lesiasl. j>. 7 et 8, v.o-.c. El. Schedius, de Diis Germ Synt. 2, cap, 21, |>. 353 et suiv G-. Keysler, anlij. Sept. el Celtic, p. 198 et suiv. Eccard, .Xot. ad leg Salic, p. 7 4. Loccenius, ant. sueoyotk. lib. l, cap. 4. Lindcnbrog, Cod. leg. ant. gloss, art Koctes, p. 1445 H. Sj elmann, gl^ss. arch. art. Mona, p. 41G ct suiv — Id. ibid ;irt. ft'octes, p. 427, i28. Du Cange, gloss rned lal. art. Nox, t. le p. 12j5 el suiv. G Wachter, gloss. Germ. art. Nacht, col. lll.r), 1110. (1) Boulanger attribue cet usage au souvenir que les anciens avaient conseive de la calaslrophe universeMe que nous nvons designee sous le nom de deluge. Reeh. stir le despot, orient Sect 6, opuv. ed in-8', lorn 4, p S2 — £3 - J. lhre, Spec, gloss ulphil. part. 3, p. Gl. L'abbe de Fontenu, Oiv. vonject. sur le culte d'Isis, Acad, des inscr. mem. t. 5, p. 69, 70. L'abbe de Verlot, Diss, sur la verit. orig. st humble, il se montre. il saine, ttecoit I'nn, tend la main a i'autrc qui la fuit, Promene egalcmesU son souiire et sa vue. II rit au pcuplc, i! daigae plairo, Comme s'il n'elait ricn, corame un homme ordinaire Je mo laisse aller au plaisir de ciler ces traits charmants, si pleins de finesse el d'observalion ; mais il faul se bornor, j'en passe done et des meil- leurs. La visile de la famille a M. Pommier, scene de l'aUendrissement le plus comique, celle de toils les fonriiisscurs dont voici le defile; Des ouvriers de toutes les facons, Les tins pour les flambeaux, d'autres pour la bougie. Pour le feu d'artifice, et pour les lampions, Un barbouilieur on chef de decorations, Ucs marchandes de noeuds, d'aigrettes, de pompous, Les fifres de la bourgeoisie, Le serpent du chapitre avec sis yiolons, Et les enfants de chceur tons en ceremonie. L'imprimeur des relations, Des vendeuses de fleurs, d'oranges et de citron* Un vieux faisenr de raalvoisie, Et tous les traileurs de Soissons. Monsieur Pommier promel a tous de bonne foi Et par bonte de coeur il arrete de quoi Baptiser une republique. XIX, 4 — 50 — Mais rien n'egale, selon moi, la richesse d'imagi- naiion et la verve du poele decrivant les reves de ML Pommier. Faisant son travail sur ia fete lorsque 11 emegistre tout de cette main legere Dont on ecrit les frais pour le comple d'auirui, Et se reptescntant deja la pompc de la cercmom'e, NereTant[)lusqu'honneurs,po]Uue,hommagcs, parures, Corbeilies de fleuis et gants blancs, Kiublemes sur la conjoncture Des odes de pays, et des vers de parents ; Peuple en foule applaudissemenls. Se voyant revenir en carrosse, entrer aux sons des haulbois dans la salle du souper, avec madame la marraine el vingt beautes dans tous leurs agre- ments, lorsque Se levant en pied par un coup de theatre, Du pariain monseigaenr il porte la sanle. Enfin dans sa pensee la fele attire a Soissons Les etrangers de tous les environs ; Des dames de Chauni.des chanoiue.^ de l.aon, Et jusqu'a des messieurs de la ville de Laon. J'abrege I'analyse que jusqu'ici j'ai faile avec les vers de l'auteur. M. Pommier arrive dans un car- rosse de louage, lire a qualre chevaux el dans le plus brillanl equipage. D'abord iuquiet du silence et de la solitude qui I'accueillent, il se remet bientol, reprend ses illusions, et allend paliemment que mon- seigneur radmetle en sa presence. Car, comme le dit finement Gressel, Quand monseigneur n'aurait au fond de sa retraite, — 5i — Qu'une lettre a Lien caeheter Ou qu'a relire 'a gazelle, 1! Cant maiolenir l'eliquetle, Et se faire a la fois aitendre el respecler. Cependant la Jeunesse, averii do la presence d'une chaise, accour( pour s'opposer aux frais. Apres nne scene assez comique enlre lui el M. Pominier qui ne se connaissenl ni I'un ni I'aulre, la Jeunesse esl delourne par un concert burlesque que les paysans donnenl a J\I. Pommier ; il chasse les musiciens et en les poursuivanl, loniUe et se demel le genou episode assez gai, mais qui distrait ('attention du sujel principal. Dix heures sonnenl. Le sanctuaire s'ouvre. inlerdil, agile, Monsieur Pommies' e*t presenle, i! se eourbe, il n'est plus qu'une humble reverence, Balbutiant, de I'honneur, du hienfait Avee de la reconnaissance, Et quinze monseigneur lires a ricochet. lei commence une longue scene, chef-d'oeuvre de comique, de nalurel, d'obsecvalion, de malice et de gaite, entre les deux principaux personnages repre- sentanl I'un l'orgueil aux prises avec I'avarice, I'aulre la vanile myslifiee el arrelee par le respect ; I'ar- rogance du graod seigneur coniraste avec le ton humble et sullisant du bourgeois. Le dialogue est parfaii et des plus amusants ; quoiqu'il ait plus de trois cents vers, on ne le trouve pas trop long, car il est charmant et e'est le sujet du poeme; je n'en citerai que les trails principaux, et d'abord celui-ci qui me paraii le meilleur de tous, it un trail de genie comparable aux plus heureux trails de Moliere. Le parrain monseigneur commence ainsi : — 5<2 — D'abord inon tber monsieur i'onimier I'enelrez-vous de voire ininistere, Songez a bien eiudier Queiue representant conime il est necessaire, En fin ayaut un caractere, Vous cessez ce jour-la d'etre un parliculier, Prenez sur tos bourgeois, dans toute la seance, Le ton que je prendrais, la ci6me conlenauce. Enfin que voire air haul leur en impose a tous; Et qu'on garde en voire presence Le respect, I'ordre et la decence, I'omme si ce n'etait pas vous. Quel trait de caractere ! et notez qu'il n'est point charge, raais Pexpression naturdle, amende, neces- saire, de Phomme et de la situation. Le memoire de M. Pommier est bienlol mis de cote el Pabbe reprend : D'aborJ n'est-il pas vrai nous avons un cure, — Oui monseigneur,— aliens, que tout soil a ia grande, Je le repele et je le recominaude, Ainsi pour le cure, qu'on mette douze francs. — Qu'est-ce que sa Grandeur commande Pour monsieur le vicaire et les clercs assistants ? — Je suis le serviteur de Monsienr le vicaire, Quand son cure travaille, il nest pas necessaire, Etje ne pretends pas introduire d'abus, Vos pctits clercs? — neant ; des manants revetus Qui se font ton surer pour gagner de quoi boire 1 le bedeau, monseigneur ? — Ah ! e'est une autre hisloire, Trente sous au bedeau. — Combien ordonnez-vous, Qu'on donne au Suisse? — au Suisse? trente sous, Comme au bedeau sans difference , Pour ne point fairc de jaloux. Tout le reste est de celle force. — 53 — Les ciergcs, dit M. Pommier? Mon chor monsieur Pommier, vou* n'avcz point de gout Les cierges ont toujours l'air Iridic et morluaire. Et pour les pauvres ? Eh fi ! Monsieur Pommier, tos pauvres sont des gueut , J'ai mcs pauvres, passons. Les lireurs ? Qu'est-ce que les tireurs ? Pour hruler lo quartier ? On les a defendus, de peur des accidents; II landrail un pen mieux savoir les reglements. Un bouquet a la marraine? Un bouquet, G done moi ! comment ! un homme en place Donner Jans le coiifichel ! Vous vous moqucz du mo'nde ; esl-ce que je veux plaire ? La nourrice? Donner a ces especes-la C'est proteger lcur mauvaise conduitc. Et l'enfant a deux ans quand on calcule; C.c vilain enfant la serait bien ridicule, S'il tettait encore a deux ans. Quelle horreur ! voila tout. — J'oubliais les dragees ! — Et quoi des bonbons a mon Age, Allons done ! point d'enfantillage Ni de menus details, il faut aller au grand. La fin de 1'entrcvue n'est pas moins bien traiiee. Je suis charme que celte circonstance m'ail donne les moyens de vous faire plaisir ; Vous n'avez eu la preference Que parce que j'ai cm ne pouvoir mieux ( hoislr. Portez-vous bien. Votre equipage Sans iloute n'est pas loin ! Vos chevaus sont-ils bous ? Oui monseigneur, j'ai choisi dans Soissons Co quo l'on a d<- mieux. en chevaux de iouage, — 54 - /'en ai qualre excelfents. Je puis certifier Que je suis avec eux venti fort a raon aise. — Combien les louez-vous ?— Dix francs avee la chaise. — Cestui! marche fort bon Adieu; mousieur Pommier. A cette reponse dcrniere Tout est dit; Ie travail est fait Et l'excellence douairiere Gagne son second cabinet ; Elleenlre, !a porte se referme Pile, muel, pelrifie, Monsieur Pommier congedie Resle immobile commeun terme. C'en est done fait ; Ie palais encbanle S'ecroule et disparait, un desert sombre, aride, Couvie ces lieux de yoiupte, Ou brillaient les jardins d'Armide. 0 grandeurs de la terre, 6 songes d"un instant ! Biens, parure et grandeurs, tout est cendre et neant. Que fera monsieur Pommier dans son desespoir, va-t-il eclaler en plainies? Ecoutez Gresset, echo de la sagesse de nos peres. Vous aviez bien raison, 6 vous nos bons ayeux . Vous dont, a lous les temps Ie bon sens doit s'etendre; Quand tous disiez sans art corame je dois le rendre, « Qu'il fait bon battre glorieux. » Jamais la vanile ne change de yisage Au milieu des revers, au sein de la douleur, Elle sail se donner l'air brillant du bonheur, Et du triomphe meme emprunter le langage Un autre remettant l'onereuse faveur Eut plante la tout le bagage, Do l'enfanl et de mooseigneur. Mais monsieur Pommier est trop sage Pour aller prendre de l'hiimeur, Et perdre faute de courage La bonne fortune et l'honncur. — 55 — D'etre lant bien que mal un premier personnage, Fiit-ce aux depens de son menage. Et d'etre qnelque chose line fois en sa vie. Comme Gresset le dit ailleurs : II meurt an lit d'honneur II a nomine l'enfant ! .('arrive au denoiimer.t. Des gens minulieux Demanderont que j'expose a leurs yeux Ce que coiile ce jour et de gloire et de joie ; A monsieur Pommier meme ici je ies renvoie, De regler un tel comptc, il a seul le moyen. Tout ce que j'ai pu voir, c'est qu'il y mil du sien Vingl-sept francs d'argent blanc et dix sous de monnaie Mais si son nora demeure en depil des jaloux. Si mon faible crayon peul ici le sousiraire A l'ahime de temps oil tombe le vulgaire, Ne doit-il pas trouver bien places et bien doux Les frais qu'i! Cut conlraint de faire ? Aux siecles a venir le voiia sur de plaire Pour ses vingl-sept livres di; sons : l/immoi taiiie n'est pas chere. La morale de tout ceci, (Car que vous servirait de ce lire Ihisloire Que pour savoir des ncms et des fails? Jose croire Que vous ne lisez point ainsi, El que vous pretendez ici Vous nourrir l'ame autant que la memoire.) La morale done la voici : N'edifiez aucun systeme Sur la vanite d'un vilain, Repoudez ici bas lout au plus de vous-meine, Avatit que do balir sondez bien le terrain, Et ue lenez jamais un enfant au ba;>teme Que vous n'en soyez le parrain. — 56 — Ainsi se termine ce poeme qui n'est pas sans lache assurement, mais qui, comme le dit M. Renouard, loin de fletrir la gloire de Gresset, y ajoule un nou- veau lustre. Sans doute, ce n'est point de la poesie sublime et ideale, mais tant que I'esprit sera compte pour quelque chose en France, le Parrain magnifi- que trouvera des lecteurs. La poesie n'est pas seu- lement en effet 1'expression de noire divine origine et de nos immortelles destinees, mais elle est encore comme dans Moliere et La Fontaine, Voltaire et Boi- leau le langage de la raison, assaisonne de tout le sel de la plaisanlerie, et le delassement des esprits les plus delicals. En r6sum6, nous retrouvons ici loutes les qualites de Gresset et de la meilleure so- cieMe tlu xviii6 siecle ; grace, finesse, enjouement, facilite, naiurel parfait, sagacile sans pretention, et cet art de raconter et de causer agreablement qui a fail longtemps de la nation francaise le modele de I'Europe enliere. II est vrai que plusieurs des trails de cet ouvrage out perdu pour nous de leur porlee depuis que les rangs sont confondus el que Ton n'ob- serve plus ces nuances qui distinguaient alors la no- blesse de la bourgeoisie et qui, par la difference des conditions pretaient tant aux traits de la salyre et de la comedie ; mais, sous ces dehors qui passent, reste 1'homme de lous les temps avec ses travers, ses faiblesses, son egoisme et sa vanite. Je finis par une timide observation ; le Parrain magnifique, ouvrage posthume de Gresset, n'a pas recu de lui la derniere main et est reste imparfait et surtout beaucoup trop long ; ne pourraii-on pas d'une maniere discrete le corriger et l'abreger, comme on a change quelques uns des chefs-d'oeuvre de Corncille ? Assurement le — 57 - poeme y gagnerail et aurait plus d'admirateurs ; pour moi, j'ai tente en mon particulier une nouvelle re- cension qui le reduirait de 2,400 vers a 1,160, et de dix chants a sis. Ainsi I'episode de la Jeunesse, malgre de jolis details, doit, selon nous, tout enlier disparaitre comme irop long et Irop peu necessaire a une action aussi simple et d'aussi pcu d'etendue. Quoiqu'il en soil dece projet donl on pourrait essayer reflet dans une lecture a haute voix , j'ai cm f'aire plaisir a I'Academie en faisant connaitre a plusieurs de ses membres un aussi "charmant morceau et leur donner l'envie de le lire en enlier ; j'ajoute qu'en en ayant deux exemplaires j'en depose un sur le bureau, pour que ceux de nos collegues qui le de- sirent, puissent Pemporler et gouter a loisir le plaisir le plus pur apres celni de la vertu, c'est-a-dire le sentiment de la grace et de la beaulc, ou le charme des beaux vers. Quid esse potest in otio aut jucundius, aut mag is proprium humanitatis quam sermo facctus, ac nulla in re rudis ? Cic. , in Orat. 58 — Communication Per medias rapit ira caedes. » Dulce el decorum est pro patiia mori : Mors et fugacem persequitur virurc, Nee parcit imbellis juventae Poplitibus limidove tergo. — 81 — Soyez tous a jamais benis de I'eternel, Du Dieu qui fit d'un mot et ia terre et le ciel. Les cieux des cieux seront du Seigneur l'apanage II a donne la lerre aux bommes en partage. Mais les morts, 6 Seigneur, ne te beniront pas, Ni ceux qui desceudrout dans la nuit du Irepas. Pour uous tous qui vivons benissons sa tendresse, Hier, et maintenant, et demain, et sans cesse. Qu'aux travaux de la guerre endurci des I'enfance, Lc Romain de bon coeur souffre la pauvrete ; Que cavalier redoute II poursuiye de sa lance Le Parthe encore indompte. Que le ciel soil son toil, et la terre sa couche, Qu'il coure sans palir au milieu des hasards, Que du haul de ses remparts L'epouse d'un roi farouche Redoute ses etendarts. Qu'il fasse soupirer la jeune fiancee : .< Ah! puisse mon amant inhabile aux combats » De ce lion fuir les pas, » Lorsque sa rage insensee » Porte en tous lieux le trepas. » II est beau de ttavoir mourir pour la patrie. La moi t poursuit aussi le timide guerrier Et frappe surson coursier Le dos du lache qui plie Et jette son bouclier. x — 82 — Virtus, repulsae nescia sordidae, Intamiualis (ulget honoribus, Nee sumit, aut ponit secures Arltitrio popularis aurae. Virtus, recludens immerilis mori Cesium, negala tentat iler yia ; Ccelusque Tulgares et udam Spernit humnm fugiente penna Est et fideli tuta silentio Merces : vetabo, qui Cereris sacrum Vulgarit arcanae, sub isdem Sit trabibus, fragilcmve mecum. Solvat phaselum, Saepe Diespiter Neglectus inceslo addidit integrum ; Raro antecedentem scelestum Deseruit pede Poena claudo. TRADUCTION [)El LELOGE DE POMPEE PAR CATON- (Lucain, Phars. liv. ix.) Cms obit, inquit, multo majoribus impar Nosse modum juris , sed in hoc tamen utilis aevo , Cui non ulla fuit justi reyerentia : salya Libertate potens , et solus plebeparata Privatus servire sibi, rectorque Senatus, - 83 — La verlu sur les coeurs regne sans resistance, Etneredonte point d'echec injurieux, Ellp brilic a tous les yeux, Et ne ticnt pas sa puissance D'un peuple capricieux. Se frayant vers le ciel une route inconaue Aux heros que la gloire a rendus iinmortels Elle dresse des autels, Son aile fendant la nue Fuit la fange des mortels La piete discrete aura son privilege ; Qui trahit les secrets que Ceres veut cactaer. Qu'il evite nion foyer, D'une barque sacrilege Qu'il soil, sans raoi, le nocher. Jupiter a souvent dans sa triste colere Confondu 1'innocent avec 1'incestueux, Et jamais le crime heureux N'a fui la peine severe Qui le suit dun pied boiteux. Un citoyen n'est plus, moins juste qu'autrefois , Mais noble dans ces temps sans respect pour les lois ; Mais grand dans Rome libre, et citoyen encore, Quand il pent asservir le peuple quil'adore. II regnait an Senat, mais le Senatregnait. II ne prit point par force un litre qu'il cherchait : — 8/V- Sod regnantis, erat. Nil belli jure poposcit ; Quaeque dari voluit, Toluit sibi posse negari. immodicas possedit opes, sed plura retentis Intulit ; invasil ferruiii, sed ponere norat. Praetulit arma logae;sed paceni armatus amavit. .luvit sumta ducetn , juvit dimissa potcslas Casta donius iuxuque carens, corruplaque nunquam Fortuna domini. Clarum et yenerabile nomen Gentibus, el mullum nostra? quod proderat urbi. Olira vera fides Sulla, Marioque receplis, Libertatis obit; Pompeio rebus ademlo, Nunc et Acta perit Non jam regnare pudebit ; Nee color imperii, nee frons erit ulla Senatus. U fclix, cui sunima dies fuit obvia viclo, Et cui quaerendos Pharium scelus obtulit enses ! Forsitan in soceri potuisses vivere regno. Scire mori, sors prima viris , sed proxima , cogi. Etmihi, si fatis aliena in jura venimus, Da talem , Forlnna , Jubam : non deprecor hosti Servari, dum me servet ccrvice recisa. catulle a calvus licinius. xive Poeme. Ni te plus oculis meis amarem , Jucundissime Calve, munere isto Odissem te odio Yatiniano. Nam quid feci ego , quidye sum locutus , Cur me tot male perderes poelis ? Isti Dii mala multa dent clienti Qui tanlum tibi misit impiorum ! Dii magni , horribilem et sacrum libellum Quem tu scilicet ad tuum Catullum — 85 - On put lui refuser ce que sou cGetir desire. Plus riche qu'il no faut, il enrichit l'ernpire. Les glaives qu'il lira rentrercnt am fourreaux ; 11 se pint a saisir, a quitter les faisceaux. Sa maison resta pure el tie lit point paraitre Uo luxe qui suit trop la fortune du mallre ; Et son nom venere des peuples et des rois Assura noire empire , en defend it les droits. La Republique , helas ! la liberie complete. Marius et Scylla 1'araient deja defaite ; AvecPompee on perd menie ce ?ain eclat, La pudeur de regner, el I 'ombre du Senat. Trop heurei.'x de perir quand tu fus miserable , Tu trouvas dans I'Egypte une mort desirable, El tu pus en mourant echapperau malheur De vivre sous le joug d'un beau pere vainqueur. Le plus beau des destins , c est de s'oler la vie , Kiisuile c'est du moins de se la voir ravie. Et si moi-meme, tin jour, trahi par les destins , Je devais, 6 Cesar ! toruber enlre tes mains , Que dans Juba je trouve un autre Ploleinee : Qu'il me garde au vainqueur, niais la leteuoupee. Si, plus que de mes yeux je n'aime la prunell Je^ue I'aimais , mon cher Calvus , Je le delesterais de la haiue mortclie Que je porle a Valinius. Que t'ai-je fait eufin , que l'ai-je dit , perfide. Pour m'envoyer uu lei cadeau ? Qui la gratifle de ce livie insipide ? Que Dieu coufonde le bourreau! Oh! Mivre maudit ! les pages infernales Dont tu m'as charge sans raison , El , ce qui ui'exaspere , un jour de Saturnales, Le plus beau jour de lasaisoni — 86 — .\lisli., eontinuo ut die peiiret, Saturnalibus, oplimo dierum. Non , non hoc tibi , salse , sit abibil ; Nam si luxerit, ad librariorum Curram scrinia, Coesios, Aquinios, Suffeimm, omnia colligam ?enena , Ac te his suppliciis remunerabor. Vos hinc interea valele, abite llluc unde malum pedeni tulistis, Scecli incommoda , pessimi poetos. TRADUCTION DUNE EPIGRAMME DE MARTIAL. Vitam quae faciunt beatiorem, Jucundissime Martialis, haec sunt : Res non parta labore, sed relicla ; Non ingralus ager ; focus perennis ; Lis nunquam ; toga rara ; mens quiela, Vires ingenute ; salubre corpus; Prudens simplicitas ; pares amici ; Couvictus facilis ; sine arte measa ; Nos non ebria, sed soluta curis ; Non tristis torus, et lamen pudicus, Somnus qui faciat breves tenebras ; Quod sis esse velis, nihilque malis ; Summumuec metuas diem, nee optes - 87 — dependant ne crois pas que je lieune quilte Pour si |>eu; non , niauvais plaisanl : Silot qu'il fera jour, sois siir que j'irai vile Reconuailre un pareil present. J'entasse Cesius , Aquinius , que sais-je ? Tous ceux qui de nous cnnuyer Semblent avoir des Dieux recu le privilege, Je te veux tous les.envoyer. Cepondant , hors d'ici ! Delogez sans trouapeltes; Je vous ferme la porte au nez , Empoisonneurs, fleaux, delestables poetes, Et relomnez d'ou vous renez. Ami, pour vivre heureux et sage , Voici des secrets peu nonveaux: Un bien laisse par heritage Et conserve par tes travaux , Un gai foyer, un champ fertile, Point de proces et peu d'honneurs, Un corps sain , un esprit tranquille , La force , fruit des bonnes iuaeui>. Sois bienveillant , d'humeur trailable, Prudent avec simplicity ; Recherche lappetit a table, Dans tes amis l'egalile. Des nuits , sans trouble et sans ivresse, Dans un lit chaste sans tristesse, Abrege en dormant la lenteur; Attends, heureux de ta richesse , La mort sans de.sir et sans peur 88 l.ES MUSES. Traduit d'Heaiode. Euterpe , Melpomene, Erato, Polymnie, Uranie et Clio, Terpsichore et Tbalie, Calliope regnant sur les aimables sceurs, Les Graces pres de vous viennent former des chceurs ; De vos levres s'echappe une voix toujours pure, Chantant ce qui sera, ce qui fut, ce qui dure. Filles de Jupiter, salut, dictez mes chants. Des Muses, aux morlels, les chants sont les presents ; 0 Muses, c'est de vous que naquit l'harmonie ; Jupiter fait les rois ; les Muses, le genie. Heureux qui leur devra ses chants delicieux ! Quand le coeur est en deuil, et le front soucieux, Celui dont les neuf Sceurs accueillent les hommages, Celebre les exploits des heros des yieux ages, Et les Dieux, de l'Olympe habitants immortels ; Aussildt oabliant les maux les plus cruels, L'homme livre son ame au charme do la lyre , Et des Muses benit le bienfaisaut delire. — 89 — Communication fir* M Clicquot. A mil 1852. LA TROMBE. Fable, La poussiere, un matin, disait : Depnis longtemps, Sous le pied, sous la roue, on mo foule , on me brise, Od me repousse, on me meprise, J'aurai mon tour; qu'enlin soufflent les vents, On verra qui je suis, et ce que je puis faire ; Et ces homines si vains, ces morteis orgueilleux Qui menominent vile poussiere, Moi, que le ciel forma du raeme liinon qu'eon, Je saurai bien un jour les contraindre a se taire, En les faisant trembler ! Un fils de I'Aquilon Qui l'enlendail, accourt el souffle a plein poumon ; La poussiere aussilot s'elance vers !a nue, L'astre du jour s'eteint, la nuit semblc venue : On n'y voit plus : homines, baudets, chevaux Et chiens semblent soudain frappes de la herlue ; Partoutest I'epouvante, et partout le cahos : Dans les chemins el dans la rue On s'atteint, on se frappe, on se heurte, on se rue Contre un mur, dans un trou, Au hasard de se rompre ou les reins on le cou ; Et la poussiere rit, comme riroit un fou Dans ce desordre imprevu, lamentable, — 90 — On ne >ait ou I'ou est , d'oii l'on neat et moins ou Lou va... le pillard, le croquant, le filou Font leur jeu, leur main et leur coup ; Car il faut bieu: dil-on partout, la part du diable!... Mais, cepeudant, Une petite pluie arrive, et soudain tombe, Le vent se tail et passe avec !a trombe, Et la poussierequi voilait le Armament, Tout doucement sur la terre iiHoiube; L'astre du jour reluit, radieux, triomphant , Et sauf quelque mai ou partiel accident , Toutseremet en place, et vacomuie devant. C'est que, selon la parole du sage, Uepuis longtemps passee en provepbe au village, Petite pluie abal grand vent. « Et comme tin bon Jean le dit la Sapience , Plus fait douceur que violence. » Decembre 4855. LES MOUTONS ET LE LOUP. Apologue. De la bonne gent moutoniere, Un florissant troupeau, Tantot, sur les flancs d'un coteau, Tant6t, au sein d'une fraiche clairiere, Allait, venait, trottait, broutait ; Tout done semblaitbieu, mais non loin de la jachere Ou, chaque soir, ce bon troupeau parquait, S'etendait une tongue terre, Que, comme un vert tapis, de son email friand, Uecorait un jeune froment ; Et d'un regard de convoitise, — 91 — Chaque mouton, Ie soir, eu passant, le lorgnait, Et »i ('attention du ;>atre souimeiilail, Robin, le plus hardi, pour en tater, fuyait ; Mais, le chien atlentif, pour prix de sa sottise, D'un coup de dent le chatiait. Aussi, quaod sur le pare, tombait la nuit obscure, Robin a ses voisins, d'un ton dolent contail Sa courte joie et sa inesavenlure, Et chacun des moutons, en emoi l'ecouiait ! Et comme il advient d'ordinaire, Ue la compassion, passant a la colere, Chacun, avec Robin, grondait, belait, clamaii Or, un soir, un vieu;, loup, qui pres de la rddait, Ou'it ce beau luuiulte et dit : (Vest mon affaire, Et je veux desorinais etre pris pour un sol, Si la gent moutoniere, Dans ines panneaus ne tombe pas bientot! . . Et sans bruit il approche, et de sa voix severe, Adoucissant le ton, il leurdit : Bonne* gens , Le bon droit est a vous, !a question est claire, On n'en saurait douler ; mais que voulez-vous faire Avec ces bruits confus et ces cris discordants, Sinon que reveiiier, qu'exciter la colere Ue I'houime et de ses chiens, vos maitres, vos tyrans :J J'ai grand'pitie de vous, braves moutons, mes freres, Car, nous le sommes tous, et de plus solidaire.s, Contre nos ennemis commims, I'homme et ses chiens ; C'estpour fralerniser avec vous que je viens! Done ayez foi, le del a recu votre plainte, Car il m'a depeche pour calmer votre craiute, Pour rendre a vos esprits leur vertu, leur fierle, Et pour nous conquerir a tous la liberie 1 Car, sachez-le, la loi de la nature, C'est la fraternite, e'est I'egalite pure, Et contre les tyrans, et leurs honteuses lois , La revoke ou la fuite, est le plus saint des droits !. . L'avenir est a vous, croyez-en voire frere ! Mais, il est temps d'agir, ensemble unissez-vous, — 92 — El comme un seul mouton, it la fois poussez tous, Oulbutez ce rempart, rompez cette harriere Qui vous tiennent eaplifs, et saos voir en arriere, Libreset confianls, courez vers la foret. . . Pour moi, je reste la ; si l'ennemi parait Je m'elance .i'un bond an con du temeraire Et je I'etrangle court et net ! . . . II dil : et couinie un seul, les moutons obeirent, Etcommeun saul mouton vers le bois ils s'enfuirent ; Le loup les rejoignit, il les mit dans son fort ; II en ferma 1'entree an raoyen d'une pierre, Pesante et sombre masse, et pres de la tauiere Ses louveleaux ranges, en garderent I'abord !. . . Et loin du jour si pur, et loin de la lumiere, Etde plus condamnee et contrainte a se iaire ! (Si quelqu'un se plaignait, il etail mis a mort.) Regrettantle coteau. regrettant la clairiere, Leruisseau, le sentier, le pare et la jachere, Le paire et memeaussi le cbien, qui parfois mord , L'iuuocenle gent mouloniere Comprit, mais un peu tard, que de foi trop legere, Elle pouvait avoir eu tort ! Elle appritque, pour elle, un palre est necessaire, Quequand il est zele, prudent et debonnaire, Le chasser ou le fuir est une oeuvre de fou ; Qu'un lonp ne doit jamais, par la gent moutoniere, Eire ecoule, moins eucor, pris pour frere, Car un loup, quoiqu'il dise ou qu'it fasse, apres tout, Ne saurait etre un palre et n'est jamais qu'un loup I Et qu'ainsi que le dit une vieille devise, Qu'un Champenois jadis de rimes illustra Et qu'a sa place, ici j'espere on trouvera : « Quiconque par envie, orgueil ou par soltise Au bien d'autrui, sans droit aspirera, Ira, par breve voie, a la desenchantise. Et pour l'ombrele corps, en dupe, il baillera ; Et pour prix de sa coulpe et de sa convoitise, De la fievre en chaud mal, en mal pire il cheera » — 93 — LE MOINEAU ET LEPERVIER. Fable. De moineaux francs, une iribu nombreuse Reunie en congrcs, sur les combles d'un toil. Discourait, perorail, sur I'ordre, sur la loi De ce bas univers, et la iroupe frondeuse, Decidait, apres raainl hero'ique argument, Que I'auteur de ce qu'on a nomme la nature, S'etail fourvoye largement, En voulant que la creature Fut un elre tantot petit el tantot grand : Que puisque de chacun, on le disait le pere, II semble qu'il eut du trailer chacun en frere ; En donnant a cbaque elre, en toute egalile, Beaute, force, vaillance, adresse, agilile ! Enfin, 1'oiseau jaseur, lance dans 1'hyperbole, S'ecriait hardimftnt que lui, simple moineau, II s'estimait autant, qu'un aigle, qu'un gerfaut I! en eut dil bien plus... Mais voila que den haul, Un epervier tombant, lui coupa la parole, Et le happant, lui fit comprendre qu'un moineau, Nest pas un aigle, et pas meme un gerfaut! Chacun de nous, veul elre en France, un personnage, Nous envions loule superiority , Et le plus fou rheleur, obtient noire suffrage. lies que, pour tbeme il prend le mot , egalite : Et pourtant mainlos fois, une lecon severe, Nous a, de ce grand mol, prouvc linauile Mais c'est que, digne fils d'une race legere, Notre oreille gauloise accueille d'ordinaire Les conseils dim demon qu'on nomme : Vanite'... - 94 — Communication dc SI. Th. Loriii , Membre correspondant. LE PII1LOSOPHE ET LE BEKGER, Fable imilee de Gay Modele de sagesse et d'exquise bonte, Un vieux berger , dans toute sa contree , Etait cheri non nioins que respecle. De ses vertus la lenommee Jusque dans un pays lointain Parvint aux oreilles d'un sage, Qui, pour le visiter, soudain Se resolut a se metlre en voyage. A son arrivee , il croyait Trouver un vieux savanl au fond d'un cabinet, Ecrivant, nieditant, palissant sur ses livres : Quel fut done son etonnement De voir un villageois qui, tout tranquillement A ses troupeaux distribuait des vivres Etcomptait ses nombreux raoutons. « Mon ami, lui dit-il, un instant discutons. Aux glorieux travaux de la philosophic Vous avez, je le sais, consacre votre vie ; Mais de tous les sages divers Dont le nom remplit l'univers Lequel preferez-vous ? Bias ou Pythagore , — 95 — Ejiictele , Thaies, on bien Anaxagore, Diogene, Socrate, ou le divin ['la ton , Epicure, Cebes, Lucrece, ou Ciceron? En un mol do que! philosophe Suivez-vous le systcme?» — « A gens Tu peux manger de lous les fruits du jardin, mais ne touche pas au fruit de la science du bien el du mal , si tu y touches , tu mourras. » La menace qui termine I'arret divin, a toujours recu son accomplissement. Le monde ancien a peri dans la corruption engendree par les doctrines phi- losophiques , et le monde moderne a ele conduit a deux doigls de sa ruine par les epouvantables catas- trophes qu'elles onl occasionnees. La France en parliculier se releve a peine des calamiles dont leur desolante influence l'a rendue victime. Nous esperons que Ton ne se meprendra point sur noire dessein , et que Ton ne s'imaginera pas que nous voulons preconiscr le sceplicisme moral. Loin de la , nous nous sommes propose un but lout con- Iraire. Notre ferme persuasion est que le sceplicisme — 109 — moral serail la perte de I'bumanile ; mais notre con- viction noo moins arretee, c'est que le scepiicisme moral esl inevitable si Ton ne demande qu'a la raison la verite morale. Dieu n'a pas pu laisser aux tatounements , aux lenteurs , aux incertitudes de la science qui, du reste. n'est jamais finie, la decou- vcrle de la verile morale qui esl necessairc toujours el dans lout son ensemble ; il n'a pas pu laisser aux hommes le soin de formuler scienlitiquement leur regie de conduile, car ils lauraienl faitc a leur image, c'esl-a-dire a 1'image de leurs passions ; ct celle regie aurait ete inefficace, faule d'une sanction ve- ritable. En rendanl I'esprit bumain temoin et juge de sa propre faiblesse , Dieu a voulu sans doute lui ap- prendre qu'il n'est pas absolument independant, et qu'il doit recevoir sa loi de Paulorile divine , sous peine de n'etre qu'une force dereglee et funeste. Mais , demandera-t-on peul-etre , sur quel fonde- ment s'appuiera cetle aulorile? Le voici, selon moi. Entre les sciences exactes el les sciences inexactcs, il en est une donl nous n'avons pas parle, et qui partage ce double caraclere. D'un cote, elle offre une entiere certitude, d'un autre cote, elle ne presente que des doutes. Celle science , c'est I'bisloire, qui semble comme un pontjete entre les deux principaux ordres de sciences. Or, lautorite divine s'est implanlee sur sa parlie positive, et on ne peut Ten deraciner qu"en renversant avec elle tout ['edifice de I'hisloire. II est vrai qu'en raison des obscuriles bistoriques , il est toujours besoiu d'une certaine loi pour croire a I'autorile , juste asscz, par un dessein ProVidentiel , — 110 — pour que Ic libre arbilre de I'honime ne soil point ab- solumenl force ; raais la foi est necessaire, non seu- lement ici, elle Test encore a l'origine de toutes les sciences : le pliysicien et le cbimisle doivent avoir foi a leurs sens el a la slabilile des lois de la nature ; le malhemalieien doit croire a la raison et a ses pre- cipes londamenlaux Du reste la foi est un faible sacrifice, si e'en est un , en comparison des avan- tages immenses qu'elle procure tant aux individus qu'aux societes. Avec la foi, la science morale est possible , le progres moral est realisable, I'unile pent se faire dans les croyances et la paix dans les cceurs ; sans la foi , an contraire , vous n'avez plus que le doule moral, que l'anarchie des intelli- gences , que la guerre des doctrines et des partis. Notre conclusion linale sera done qu'eu egard a la faiblesse relative de Fespril bumain , la veritable et saine philosophic sera celle-la seule qui prendra pour base l'union de la raison el de la foi ; la raison reche reliant., developpani la verite el I'exposanl dans lout son eclat; la foi dirigeant, eclairant, conlrolant la raison el la preservant de l'abime ou la philosophic isolee s'esl loujours perdue. Cette philosophic non seulemenl est possible , comme nous le disions loul-a-l'heure, mais encore on la culliveraii avec le plus grand profit. Elle arracherait Thomme, le savant aux preoccupations, aux etudes purement materielles, elle ennoblirait les sentiments, elle eleverail les idees, elle soutiendrait, sans danger, 1 'espiit dans les concep- tions les plus hardies, dans les speculations les plus metaphysiques, elle repandrait enfin sur la science une nouvelle splendeur el comme un reflei de la lumiere d"en haul . — Ill — SCIENCES. Lecture as les parenls el — 116 — que le (Vein religieux n'arrete pas dans la depra- vation. Les jeunes gens trouvent touie facilile des leurs premieres annees a salisfaire leur liberlinage. Plus ages, ils sont biases, el ils s'adressenl a I'enfance, recherchant ainsi de nouvelles excitations pour leurs sens emousses. Les coupables sont des celibataires , des hommes mnries de lout age, qui souillent la tendre enfance de leur souffle corrupteur. J'ai vu jusqu'a des enfants de trois ans, viclimes des plus bonteuses passions. Que faut-il done pour arreter le fieau ? Tout d'abord veiller a l'education de la jeunesse. C'eslce que Ton fait avecla sollicitude la pluseclairee. Une active surveillance s'exerce sur les enfants el sur les inslituleurs ; les jeunes Giles sont separees des jeunes garcons, le plus possible, et remises a la di- rection de personnes de leur sexe. Mais le possible est fort limile, et longtemps encore, et toujours m6me pour beaucoup de communes, l'inslruction mixle aura lieu. II faut ensuite la protection de la loi. Des peines severes sonl ediclees contre ceux qui altenlent a la pudeur des enfants lorsqu'ils n'onl pas accompli leur onzieme annee ; mais an dessus de eel age, la loi exige la violence pour rendre I'atlenlat puniesable, de telle sorte que si la viclime de la cor- ruption est agee de onze ans el un jour, le corrupteur n'est plus passible d'une poursuile ; car la jurispru- dence ne permel pas de traduire devanl les Iribunaux, on consequence de Panicle 334 du Code penal , le — 11/ — corrupteur de la jeunesse lorsqu'il agit pour son propre comple. Si Ton voil ^augmentation considerable des pour- suites qui a lieu malgre la limite actuelle de 1'age des vicliraes, on doit en conclure qu'il y a biendesaclcs de corruption commis vis-a-vis d'enfanls plus ages, et qui sont cependant hors d'etat de se defendre conlre des aliaques dont ils ne comprennent pas la portee. La socieie cependant a un grand interet a sauvegarder les moeurs des enfants, et surlout des jeunes filles qui n'ont pas encore la parfaite connaissance des choses et des dangers de ce monde. On en arrive a penser qu'une modification dans noire legislation criminelle serait desirable; seule elle n'aurait pcut-etre pas le pouvoir de ramener an bien, mais elle empecherail quelque peu le mal , el son action combinee avec les aulres moyens que la re- ligion et ['education emploieront pour proteger les bonnes mceurs, produira sans doute quelque cffet. Sans conlredit, il faul toucher avec reserve a nos lois. Leur immuabiliie fait leur force, mais en ce point corame en beaucoup d'aulres , il importe de distinguer entre les lois civiles el les lois de police. Les premieres tiennent aux bases memes de la so- ciete ; tiles reglent les conditions de la famille et de la propriele, et doivent etre aussi stables que possible. Elles resistent aux epreuves des revolutions et ne subissent de modilicalions essentielles que dans les temps les plus agites. Les aulres suivenl la moralite de la nation a la- <]uelle elles s'appliquenl. C'est une digue que Ton esl oblige d elever a mesure que le torrent grossit et — 118 — qu'on abaisse quelquefois trop, lorsque le calme re- parafl el quo les grosses eaux se sonl ecoulees. Je cilerai, pour preuve do ce que j'avance , les changements nombreux que la loi do 1852 a apporles a noire Code penal. Les peines onl etc altenuees parloul : je me trompe; deja on avait reconnu l'inef- (icacile des pciues en ce qui concernail les attentats aux mceurs , nolammenl sur les enfanis, el on avait fail entrer tin nouveau crime dans noire nomencla- ture penale, je veux dire 1'allenlal a la pudeur sans violence sur des enfants au dessous de onze ans. Le viol, qui n'elail puni que de la reclusion, ful passible des iravaux forces a lemps. Ce remede n'a pas suffi; puis il y a encore la lacune dont je parlais el qui me fait penser qu'il y aurail des cliangements nouveaux a faire. La loi actuelle punil 1'allenlal a la pudeur, sans violence , commis sur des enfanls ages de moins de onze ans ; elle punil le proxenele lorsqu'il altente aux mceurs en favorisahl la dcbauche des mineurs de vingt-un ans , c'esl-a-dire lorsqu'il fait metier de corrompre la jeunesse. lorsqu'il en lire un lucre. Mais si un homme corrompl tin enfant de onze, douze , ireize, qualorze ou quinze ans, pour satis- faire sa propre passion , il n'eneourt aucune peine. Cependanl le molif qui a determine le legislaleur a punir 1'allental contre un enfant au dessous de onze ans, exisle pour celui de onze, de douze, (reize ou qua- lorze ; c'est que eel enfant ne sail pas ce qu'on lui demande, c'est que meme il ne peut pas legalemenl consenlir a des relations sexueiles, puisque le manage est defendu a la femme an dessous de Page de quinze — 119 — ans. Ne peul-on pas meme dire qu'au dessous do cet age el pour les plaisirs des sens, i'enfant n'a pas do sexe. Le legislaleur a considere qu'au dessous de quinze ans, la vicliine des attentats aux moaurs etait dans des conditions particulieres , puisqu'il angmente la peine en raison de cette circonstance, lorsqu'il y a violence. Ainsi le raariage est defendu a unc l'emme au des- sous de quinze ans; elle ne peut contracler un lien legitime avec l'assentiment de ses parents , et elle pourrail consenlir a son deshonneur , die pourrail disposer de sa personne pour se perdre! 11 faut noler que le detournement des mineurs est puni. La loi atieinl le simple deplacemenl ou detour- nement lie mineurs au dessous de vingt-un ans ; combien plus grave est la corruption de Tenfance a un age ou l'ame recoit des impressions ineffacables, ou la souillure produil des taches indelebiles. II y a une autre consideration a faire valoir ; la loi a place les mineurs de seize ans dans une situa- tion speciale. Si un mineur de cet age a commis un fail punissable, un vol, un meurtre, un delitde chasse, on devra examiner s'il a agi avec discernement. On suppose qu'a seize ans seulemenl, il a acquis le dis- cernement necessaire pour repondre de ses actes a la sociele. Quand il s'agit des mceurs, il pourrail etre considere, ainsi qu'il Test aujourd'hui , comme ayant donne un consenlcment irreflechi a unc mauvaisc ac- tion donl il est viclime et qui exercera une si mal- beureuse influence sur son existence toule entiere. On pourrail done elever de onze a seize ans la limite M. Max. Sulainc. RAPPORT SUR LA Ve L1VRAISON DU SEPT1EME VOLUME DES ANNALES HE LA SOCIETE AUCI1E0L0GIQUE DE ZURICH (1852). Decouvertes d'Antiquiles Etrusques. Messieurs, Vous avez renvoye a notre examen la 5me livraison du 7rae volume des annales dc la Societe des antiquaires de Zurich. (Miuheilungen der AntiquarischenGesells- chaft in Zurich). Je regrelle vivemenl que cetle tache n'ait pas etc co-nfiee a quelqu'un de nos savants confreres de la section d'archeologie. Tout le nionde y eul gagne ; I'Academie d'abord, puis la societe de Zurich dont les travaux meritent d'etre analyses par un interprete plus competent. Le benefice de cetle der- niere aurail cie d'autant plus reel qu'a mon peu dc connaissances en archeologie je joins, il faut bien le confesser, une certaine defiance, sinon a I'endroil de — I2S - Messieurs les anliquaives que je liens en grande cs- lime, (In moins a regard des anliquites elles-memes. Sans doule on fail parfois de precieuses decouverles, de meme qu'on renconlre de loin en loin d'anciens ta- bleaux originaux ; mais les unes sont aussi rares que les aulres, helas! sont peu communs. Si loeil se laisse souvent seduire par les apparences, I'ima- ginaiion fail Irop facilemenl aussi jouer a quelques debris vulgairesei d'une authenticity douteuse, le role imporlanl que loul colleciionneur reve loujours pour les richessps plus ou moins reelles, au milieu des- quelles s'ecoulc son heureuse et paeilique existence. Ceci dil, sans application aucune, bien enlendu, a la sociele de Zurich dont les serieux Iravaux sonl a Pa- bri de cette observation generate, enlrons en ma- tiere. A deux lieues environ de Berne dans une vallee pro- fonde que I'Aar envcloppede ses replis s'elance le ha- meau de Grachwyl, qui appartient a la paroisse de Meikircb. Quelques antiquaires , se fondant sur une orlbograpbe defeclueuse de ce nom qu'ils ecrivaient Griechwyl, on t cru pouvoir assigner a ce village une origine grecque; mais rien ne vient juslifier d'une maniere serieuse cette opinion. Des vestiges de con- sliuctions en briques^decou verts en divers endroils.sem- bleraient indiquer pluiot Pemplacement d'une colonie romaine. Dans tons les cas des fouilles praliquees, des 1851, dans des tombeaux paiens, ont mis a decouverl des resles d'une haute antiquile qui, joints a la dispo- sition du terrain, demonlrent quelesenvirons deGrach- wyl ont ete cu hives autrefois el out du servir de siege a un eiablissement fortilie. — 124 — Ces lombeaux ou tumuli se trouvaient dans ia forel de Grachwvl entre ce dernier hameau el la route d'Arberg a droile, vers le chemin qui conduit a Schiipfen el a Biiren, el reposaienl sur une pelile emi- nence nalurelle. Celle pelile eminence elail proba- blement jadis enlouree de palissades el devaii avec les habitations qui couronnaient son plateau , presenter 1'aspeci d'un etablissement defendu par Tart et par la nature. Dans une sabliere, creusee autrefois dans la partie elevee de la foret qui avoisine la route, on avait trouve de temps en temps des antiquites qui semblaient pro- venir des lombeaux siloes sur la colline et que la piocbe avail en partie alteints. Ainsi, par exemple, on avail decouvert un vase en airain oxide et un anneau en fer qui lurent rejeles comme objeis sans valeurs. Ces vestiges loulefois suffirent pour donner I'eveil a un amateur distingue, M. Scharer, inspecteur des forets a Lyss, qui engagea M. Courvoisiers de Lode, proprielaire a Grachwyl, a faire executer des fouilles dans ces tumuli. Sous la couche superieure de I'un d'eux, on mit au jour deux squelettes qui malheureusement tomberenl en poussiere au premier altouchemenl. lis elaieni tournes vers I'Orient; l'un tenail de la main droile tin glaive en fer a deux trancbanls avec sa garde et sa poignee, el auquel adheraienl encore quelques debris d'un fourreau de bois. Pres de Tepee reposait un poi- gnard en fer ; un eperon de meme metal armail l'un des pieds, ei une epingle en bronze gisait pres de Pepaule. On decouvrit egalemenl plusicurs fragmenis provenant prob'ablemenl d'une arinure — 125 — Pies de la, dans un lombeau de moindre dimension se trouvait une bagne en bronze d'un iravai! Ires deli- cat et qui avait dii appartenir a une femme. Des fouilles plus profondes amcnerent la decouverte de plusieurs pieces d'armures entieremenl verinbu- lues, de jantes de roues en fer jelees en las, d'agrafes d'epaule, et des resles d'une grande urne en bronze ires mince et surmonlee d'ornements massifs de m6me metal. Nous reviendrons sur ce remarquable morceau d'aniiquite. On reconnut encore les traces de nom- breux corps humains, reduits en poussiere. A sept pieds plus bas on renconlra les debris, la carcasse en fer d'un char a deux roues. Dans le centre du tumulus,, a dix pieds de profondeur, on decouvrit dans une vasle sepulture en pierres une urne cine- raire renfermant encore des cendres. Elle elait en lerre legerement cuite donl la cassure preseutait un aspect rougeatre. L'oxterieur etait d'un jaune pale el des ara- besques quadrangulaires ornaient le lour de son ren- flement principal. Sous les couches inferieures on Irouva encore un fer a cbeva! assez bien conserve et divers objets sans importance et en mauvais elal. Le monticule voisin, moins imporlant que le prece- dent, avail strvi comme lui de sepullure a des corps ensevelis, soil a la fois, soil successivement. Toutefois danscelui-ci on ne trouva que des tombes, landis que dans Paulre on avait rencontre aussi des traces d'inci- neration et de cadavres briiles, comme le lemoignaient I'urne et divers ossements calcines qu'on avait decou- verts. Des traces decharbons onl etc, dureste, ires sou- ventsignalees el on les expliqne, par col to opinion, que les anciens altribuaienl aux substances carhoniseescer- — 120 — laines verius, preservalrices de la ilc^tiuciiou des corps. Ccpendanl les cadavrcs qu'on mil an jour ei.iient bien pres de la plus complete dissolution. Quand on soulevait les pierres qui les recouviaieni ils elaient encore reconnaissables; maisau moindre ntionchement ils tombaienl en poussiere. Ce monticule ou tumulus elait au syrftlns Ires pa a- vre en objels de quelque valeur. Revenons a 1'urnedonl nous parlions lout a I'hcure el qui est en effel la plus riche de ces trouvailles L'en- semble d'un bronze pale pese A livres , et elait, comme lous les fragments de meme metal, reconvert d'une noble coucbe de ronille. Qnoique assez mince elle a suffisammenl de cousislance pour supporter les orne- raents massifs qui la surmonieut. On ne put decouvrir que la partie superieure el une portion du venire ou renflemenl. Deux lions en airain oxide el relournant la tete I'un vers I'aulre lui servenl d'anses. Pres du vase gisail le principal ornement qui avail du la com- pleter. Ce morceau unique en son genre, en bronze massif el cisele en relief, compose le groupe que nous alloiiS decrire. Uue figure de femme debout , courte el raniassee donl la lele et la partie superieure du corps sont d'uue grosseur disproporlionnee, occupe le milieu. Elle porle un diademe, les chcveux boucles avee raideur aulour du front el des lempes se reunissenl en bourrelels serres derriere les oreilles ; peut-elre voudrait-on trouver dans celle e&pece de clievelure un ornemenl de tete bizarre. Le nez, la bouche, les yens soul for- tcment accuses et ces der.niers lies fendus. Sous les sourcils largcmenl arqucs saillil la prunelle lies deve- — 127 - loppeeetarrondie. Le riez mince el cambre, le front 1'uyant, I'expression imperieuse du visage donnenl a lonte ceite figure quelque chose do la phvsionomie sinislre et re| oussanle des dieux infernaux. Le sein reconvert d'unedraperie qui s'applique etpoitement et dessincles formes, est Ires devcloppe. De chaque cote de la poilrine s'elance une aile, qui se deploie comme si elle allait prendre son vol. A parlir de la ceinlure jusque sur des pieds massifs el ecourles descend une espece de tnniquc raide et sans plis; les dessins qui la recouvrenl reprcsentenl des bandes divides par des carres et des lignes horizontals. La main droile tient un lievre par les patios dede- vant, et la main gauche un autre lievre paries palies de derriere. Deux lions soul assis de chaque cote, le corps lourne versle personnage, mais la tele regardant de cole; lous deux appuienlsur le lievre une de leurs grilles de devanl et soni ma'mlenus par une oreille aux ailes donl nous venons de pailer. Au-dessus de ccs ailes et a parlir des deux cotes de la tele du personnage s'allongenl horizontalement deux scrpenls a la tele large el aplatie. Sur le corps de chacun d'eux repose un lion plus pelii que ceux que nous venons de decrire, et enlre ces lions et perche sur le diademese tient un oiseau dans lequel les uns onl cru reconnaiire un faucon, les autres un aisle Le groupe entier a pour base un ornemeni en relief consistanl en deux feuilles, reliees par une espece de conque disposee en cvenlail. Tout fail supposer que cc meme groupe donl parlie est cisclee en ronde bosse pleineel parlie moulee en crenx, apparieriail en effet a I'urne elle-meme. — 128 — La description tie ceile inleressante decouverle con- duit naturellement Tauleur du memoire a rechercher qu'elles pouvaient elre son origine et sa significa- tion. Ici commence une de ces demonstrations ou dis- sertations que nous appelerions volontiers negatives, et qui nous a rappele celle dirigee a 1'endroit du per- sonnage qu'une parade el une chanson, qui a long- iemps berce notre enfance, ont rendu populaire. Dans la piece noire heros est lombe dans 1'eau, on le repeche et toul le monde de s'ecrier : Oh ! le ma- gnifique esturgeon ! — Comment un esturgeon; mais pas du tout, s'ex- clame noire hornme. — Allons, luirepondson interlocuteur, soyonscalme et raisonnons : — Vous eliez dans l'eau, n'esl-il pas vrai? — Helas oui! — On vous a repeche comme un poisson. ~ Heureusement. — Fort bien, nous commencons a nous entendre ; etes-vous un brochet? — Non, cerles. — Vous etes peul-etre une carpe? — Encore moins, parbleu ! — Seriez-vous par hasard un turbot? — Jamais. — Mors, vous voyez bien ! vous n'etes ni une carpe, ni un brochet, done... done vous etes un estur- geon. — J "29 — Et, sans etre parfaitement convaincu, noire hcros dont la ballade a celebre ie earaciere deboonaire, pour avoir la paix, s'accommede lanl bien que mal do la position ampbibie qu'on lui a faile. Quq de demonstrations, il fam bien ledire, ressem- b'ent a celle-la. On commence par declarer ce qu'une chose n'est pas, opinion a laquelle chacuri se range facilemenl, puis, de ce qu'elle n'esl pas ceci, on en conclu't qu'elle doil etre cola. C'esl un peu de cetlc maniere que procede Ie savant auleur du memoire de Zurich. Ainsi, apres avoir re- marque que les aitiibuls de la figure que nous avons deerile, les lions , les serpents, sont communs sans doutea differenles conlrees el a diversesepoques, qu'on les renconlre aussi non seulemcnt dans les sepultures des pcuples meridionaux, raais encore dans les lorn- beaux merovingiensel memo dans le nord, jusques en Siberie, il ajoiile : mais comrae celle piece n'appar- lienl Ni au style grec ; Ni au style greco-romaia ou gallo-romain ; Ni an gaulois pur ; Ni au germain ou au scandinave. On doit supposer qu'elle est d'origine etrusque, a moms qu'on ne jireffere la considerer comme un speci- men de l'art Persan, Babylonien, Assviien, Ou de l'art oriental pur, MX. y — \'60 — Puis encore : Cette figure ne pouvant eire, Ni la Diane des Romains, Ni la Diane des Grecs, Ni une Cybele, Ni une lsis, Elle doit represenler la Diane d'Ephese. Nous devons ajouter au surplus que le memoire enlre alors dans une serie d'observalions savanles a I'appui de cette opinion. Ainsi la pose raide des lions et du personnage, de meine que les traits de ce dernier, rappellent bien plus !e style oriental que le style euro- peen. La couronne murale, les boucles de cheveux, la poilrine developpee, les animaux de toute espece dont est enlouree celle ligure, apparliennent a la Diane d'Ephese. Recherchant ensuite 6 quel usage ce vase a pu etre consacre, Fauteur croit qu'il a du servir aux sacrifices et aux ceremonies religieuses, celebres en l'honneur de la deesse qu'il represente. Dans lous les cas ce n'e- tait pas une urne cineraire , car elle ne renferme aucuns vestiges de cendres ou de charbons. A ceux qui pourraient s'etonner que cette piece d'origine eirusque ait ele trouvee en Suisse, il fait observer que sou vent cbez les peuples du nord, etran- gers a la civilisation du midi, on a decouvert des ob- jels qui provenaient de Rysance, de la Grece, de I'lialie. On a meme rencontre dans des sepultures au milieu des Alpes Seplentrionales des coquillages ma- rins que les Indes seules produisenl. L'existence de ce vase a Grachwyl o'a done rien qui doive surpren- dre. Cet echantillnn de Tart etfusqiie ne serait du — 131 — reste pas le soul en Helvetic Ainsi le musee de Lau- sanne possede un miroir metallique provonanl d'A- venlicum (Avenches) et representant Leda et les Dioscures (Casior el Pollux). On a trouve egalemenl a Coire une statuette en bronze de Junon et ires pro- bahlenieiit nos decouvcrlcs d'objels d'arl e'lrusques ne se borneronl pas la. Viennenl ensuile d'inleressantes considerations sur I'origine ell'anliquite du fond de Grachwyl, auxquelles il est bien difficile en I'absence de pieces de monnaie et d'objels tout a fait caracleristiqucs d'assigner une date a pen pres positive. II est certain, dit le memoire, que si des sepultures de ce genre peuvent remonter a plusieurs siecles avant I'ere chretieune , on en rencontre aussi qui datent de l'epoque de la dominaiion romaine en Suisse. Apres avoir passe de nouveau en revue les debris mis au jour par les fouilles, I'aulcur senible pencber pour cede opinion que, noiamment, le lombeau principal aurait servi de sepulture a quelque famille belvelique puissanle au lemps de celte dominaiion. La fin de cetie livraison est consacree a la descrip- tion du miroir on palere de bronze de Lausanne el de la statuette de Junon de Coire. Pour donner une idee a peu pres exacte de ces deux objels il faudrail traduire completemenl le memoire, cequi donnerail au rapport, deja Ires long, une trop grande elendue. Nous ne le terminerons pas cependant sans ajouter que Messieurs les arcbeologues de Zurich font preuve dans leurs travaux d'une vaste et. serieuse erudition et qu'it est tres regrettable que leurs annales Ires interessantes, sous tous ces rapporis, ne soient pas publiees ou tra- duites en Francais. — 132 — HISTOIRK. Lecture de M. Poinsignon. fiTAT UELIGIKUX. Deuxieme Partde. Hierarchie. — Nee clans un coin de I'Empire , la soeietechrelienne, apres avoir grandi par la persecution el s'elre fortifiee dans le sang des martyrs , avail eniin triomphedesesennemis avecl'aidedeConslanlin. Visiblement protege par le ciel, ce prince reconnaissant s'elail plu a repandre ses faveurs sur les adorateurs du Christ el a les environner de gloirect d'auloriie. II avail commence par elendre el consolider la hierarchie eccle- siastique , en augmenlant le nombre des metropoles , el en sanclionnanl les decrets du concile de INicee,dont le sixieme canon fixait le pouvoir des metropolitains (expression employee pour la premiere fois), el leur assignait le droit de confirmer les eveques de leur — 133 — province. Toulel'ois la conformitedes provinces eccle- srasliques avec celles de I'empire ne fut reconnue en principe qu'au concile d'Anlioche (3,41). On \ii alors des eveques dans lous les grands centres de population;, dans loutes les cites : c'elaienl-!a les chefs naturels de la communaule religieuse, les pretres par iexcel- lence (sacerdoles), quelqueiois disiingues de ceux qui leur servaient d'aides el de conseillers (jpresbyleri, cle- rici) par le liire de grands pretres (summi sacerdoles). A eux eiaient specialement reservees la predication el la dispensation des sacrements(l); a eux le pouvoir d'or.donner les simples pieires, les diacresc\ les anires membres dti clerge inferieur ( sous-diacres, lecteurs, exorcisies), et de leur deleguer une par lie des hautes attributions qu'ils tenaienl des apotres. Ainsi les simples pretres , tout en parlageanl avec I'eveque la puissance sacerdoiale, dependaient de lui dans I'exer- cice de leur minislere, ct n'avaient point le caraclere de fecondiie qui distinguait I'episcopal. Quiconqtie voulaii appartenira une eglise, devait en reconnaitre I'eveque et se tenir en communion avec lui ; car « I'Eglise, c'est I'eveque, et quiconque n'csl pas avec I'eveque, ne saurail etre dans I'Eglise (2). » — Entre I'eveque de la cite ct le simple pretrc se tronvaient les eveques de campngneou ehoreveques, donl {'institution, menlionnee pour la premiere Ibis dans les canons du concile d'Ancyre , en 5!i, demeora Ipngtemps particuliere a I'Orienl ou ellc etait nee , el pa fa ft (1) Dans 1'egli.se d'Afrique , sail) I Augusliu lui le premier pretre a qui son eveque delegua le soin de pr&cher. (2) Sancli Cypriani Epist. 0!). — 134 - n'avoir ele abolie qn'au xe siecle (1). lis ne pouvaienl generalement conferer que Ics ordres mineurs , et jouissaient de 1'honorable distinction do celebrer en presence du poniife auquel ils etaienl sonmis. — Celui-ci de son cole relevait de I'eveque de la me- tropole, et le metropolitain du chef de ."Eglise de Rome, celte presidenle de V union d' amour, comme un pere apostolique l'appelle avec une grace toute mysti- que (2). — . En Orient , ies ponlifes romains avaient pour subordonnes immediats Ies patriarches desegli- ses d'Ardioche et d' Alexandrie , fondees par saint Pierre, et celui de Constantinople, reconnu comme lei en 381, dans le concile general qu'on y celebra (5). lis ne prennent encore, pour constater la primaule de !eur siege , que le litre d'eveques , eveques des eveques, il est vrai ; plus tard on leur reservera ex- clusivement celui de pape , qui leur elait dans le commencement common avec tous Ies prelals de I'Eglise (4). Ainsi l'unite catholique, scellee et reprd- (1) Le concile de Ralisbonne (803), en leur interdisant Ies fonciions episcopates, deiendit expressement de faire de nou- veaux choreveques. Mais cette defense ne fut pas cxaclement observee, et plus d'un siecle s'ecoula avant qu'ils eussenl en- lierement disparu. (2) Saint Ignace dans la ascription de sa lettre a l'eglise de Rome ; il mourn I sous Trajan. (3) Le quatrieme patriarche , celui de Jerusalem, ne devail etre deflnitivement consacre qu'en 451 par le concile de Chal- cedoine. (4) « Ce sont des ecrivains du yie sieclo, Ennodius et Cassio- dore, qui donnent pour la premiere fois le nom de pape {papa) a l'e>eque de Rome exclusivement, tandis que d'autres conli- nuenl de le donner indistinctement a tous Ies e>eques jusque dans le x« siecle. Mais des le ivc et le ve, on troure de nom- — 135 — sentee par l'unite tie I'episcopai , formail un corps organique dont tons les mcmbres obeissaiehi a uti seul chef. Election des eveques. — Dans ces lemps primilii's ou lout pasteur disaii a ses ouailles , comrne saint Auguslin : Je snis chrelien pour moi-fneme , eveque pour vous, el Ou I'humiliie des pins capablesdemau- dait que !a volonie du ciel lour fin bien clairement significe , tout eveque etail choisi par les prelals les plus voisins, trois an moins, el dc l'avis du clerge et du peuple de l'cglise vacante , c'esl-a-dire par tous ceux qui ponvaieni le inieux connaitre les besoins de cello eglise el la purete de la foi el des niceurs du candidal ; en sorle que, si I'assemblee des Hdeles avail le droit de suffrages, c'elait anx eveques qu'il appartenait ^'examiner et de confirmer i'eleclion. « Mais on avail lellement egard au consenlemeni du peuple, que, s'il refusail de recevoir un eveque apres qu'il etail ordonne, on ne I'y coniraignait pas et on lui en donnait un auire qui lui lui agreable (\).» !)u resle , rien de bien fixe ni de bien determine dans le mode d'elcction : point de regie general?, point hreuses denominations pour exprimer le pouvoir et la dignite spirituelle du pape. On le nomme le pere des peres, le pasteur el le gardien du troupeau dc Jesus-Christ, le premier de tous les eveques, le gardien de la vigne du Seigneur. L'Eglise romaine s'appelle toujours par excellence le siege apostolique, \nmctro- pole de toutes les eglises, la pierre, la base fondamentale de la vraie foi. » (Daellinger, Hist, dc I'Eglise, t. I" du Manuel, § 59.) — Les papes avaieut dailleurs sous leur juridiclion particuliere, comm2 nielropoiilains de Rome, les eglises des dix provinces suburbicaires. (1) Fleury, l>iiicours sur I'Histoirc des six premiers siecles de r Eglise. — ISO — de forme permanenle. Irreguliere el diverse, on con- coil qu'elle devaii etre sujelle a une muliilude d'ac- cidenls, souvenl fori regrellables. C'est pourqnoi aussi, des 367, le concile de Laodicee ( treizieme canon ) interdisait au peuple le choix de son pasteur , el le remellnil exclusivemenl au metropolitan! assisie des prelais circonvoisins. Mais I'babitude fut plus forte que ]es prescriptions du concile, el 1'cleciion so maintint si bien qu'au vie siecle , une Novelle de Juslinien (125, I) sc conlenlail encore d'en reserver le droit a la seule noblesse. Ainsi, en 574, Fevequc de Milan, Auxence , ariefi d'opinion , elanl venu a mourir, on se reunit dans la cathedrale pour elire son successeur. Le peuple, le clerge, les eveques de la province, tons elaient la el lous ires auimes ; les deux partis, les orihodoxes el les ariens , voulaient chacuu nom- mer l'eveque. Bientol le d6sordre est a son comble. Un gouverneur venait d'arriver a Milan , au nom de rempereur : c'etail un jeune bomme, il s'appelail Am- broise. Informe du tumulte, il se rend dans l'eglisc pour 1'apaiser ; ses paroles, son air plurent au peu- ple , il avail bonnes moeurs , bonne renommee: une voix s'eleve du milieu de la foule, la voix d'un enfant, dit-on ; clles'ecrie : II laut nommer Ambroise eveque. — Nommons Ambioise, repele le peuple inspire. Et seance tenante, Ambroise, malgre lui, ful separe pour le Christ; il devint ensuitc saint Ambroise (1). Un siecle apres (475), comme la cite de Bourges etait fort divi- see pour I'election d'un eveque, Sidoine Apollinaire, (1) Yoyez la troisieme lecon de M. Guizot dans son Hist, de la civilisation en France. Nous n'avons fait a son recil que de tres legers changeinents. — lo7 — sur I'iuviialion tlu peuple, so decide a proclamcr Siinplicius. Sans doute , peusera-L-on , le noiiveau poniii'e remplitsait auparavani dans I'eglise quelque haute dignite : c'etaii queique fameux archidiacre, ou toul au moins quelque ancien clerc. Loin do la, Sim- plicius elail jenne encore , conime sainl Ambroise , soldat, fils de faniilie el deja pere ; mats lelles etaient la purele de sa vie.sa piele el sa charile, que les Aliens eux-memes ne irouvaient rien a reprendre en Ini (*). C'etaii la le triple cachet donl Dieu semblait marquer aux yeux des fideles ceux qu'il appelait plus pariicu- jieremenl a son service. L'eleclion de Synesius en avail ele , en 411, une preuve bien remarquable. « Syne- sius, de la colonic Lacedemonienne, fondee en Afrique dans la Cyrenaiquc, descendail d'Eurysleue , premier roi de Spa rle, de la race Dorique. II elail philosophe (el disciple de la belle el malheureuse Hypalia); comme saint Augustin danssa jeunesse il parlageail scs jours entre la lecture el la cliasse. Le peuple de Ptolemaide, en Lybie , le demande pour eveque. Synesius ( qui n'avail pas encore recti la grace du bapleme) declare qu'il nese reconnait point la purele de moeurs neces- saire a un si baut ctat ; que Dieu lui a donne une femune, el qu'il ne veul ni la quitter , ni renoncer a avoir tin grand nombre d'enlanls beaux et vertucux. II ajoulait : Je ne croirai jamais que lame soil creee apres le corps ; je ne croirai jamais que le niondedoit perir en toul ou en partie ; la resurrection me paraii une chose fort myslerieuse , el je ne me rends poinl aux opinions du vulgaire. On lui laissa sa lemme elses (1) Sidoine Appollin. liv. 7 , op. il au seigneur pape Per- petuus. - 138 — opinions, [on le baptisa], et on le (it eveque. Quand il fut ordonne, i! ne pul pendant sepl mois se resoudre a vivre au milieu de son iroupeau ; ii pensail que sa charge etail incompatible avec sa philosophic ; il voulait s'expatrieret passer en Grece (1). » Toutefois il Unit parse remellreau jugement de I'eveque d'Alexan- drie , Theophile. Celui-ci s'assura sans doute de sa docilite, et Ton sail que rendu a Plolemaide , Syne- sius eclaire d'en haul, devint un prelai zele el lidele. Caractere de V episcopal. — Voila comme se rem- piissaienl les vacances des dix-huit cent sieges epis- copaux de I'empire (2), comme se formaientces legions de saints qui oul si souvent rendu a I'elal el aux par- ticuliers des services, d'autant plus signales que chez la pluparl d'entre eux a la veriu s'alliaieni la science el la fortune. Qui ne sail ton! I'eclal qu'ont jele sur le ive siecle le devouement ei le profond savoir des Alha- nase, des Eusebe, des B izile, desGiegoire de Naziance, des Chrysoslome, des Hilaire, des Honoral, des Vin- cent, des Paulin, des Ambroise, des Augustin, etc., et qui oserait leur comparer meme les plus honorables debris de la sociele romaine , rheteurs enthousiastes qu'animaienl la haine du Chrislianisme, poetes ingc- nietix, elegants qu'echauffait le desirde flatter un prince absolu, esprils legers ct superficiels donl la composi- tion ou la representation de quelque drame occupait et dislrayait les longs loisirs. La se trouve la vie agreable, douce, variee, mais molle, egoisle, elrangere (1) Fleury, Hist, ecclesiast. t IV, 1. 22, c. il, abrege par Chateaubriand. (2) 1,000 chez les Grecs, 800 dans le nsys latin. (Gibbon, Deca- dence et Chute del' empire romain, t Ier, ch. 20, p. 450.' — 139 — •i loul inlerei puissant el general. Aucun lie vendra ses biens pour soulager la misere dc lout un people, aucun ne se vendra soi-meme pour racheier le ills d'une veuve (1). On ne les verra pas davantage liler de leurs propres mains pour les pauvrcs, ou leur ouvrir quelque pieux asilc; ils ignorenl encore ou savent a peine balbutier le nom de charile. Richesses du clenje. — En presence de ces deux socicies, Constann'n ne pouvait hesilcr. Autanl 1'une elail inertc el impuissanle, aulant I'aulre elait aciivc el feconde en principes regeneraleurs. II est vrai que celle-ci rccommandait des verlus inconnues au paga- nisme , qu'elle enlrelenail , qu'elle rcpandail I'idee d'une regie, d'une loi superieure a toules les lois hu- maines, el qu'appuyee sur le principe de la disiinc- lion du monde exlerieur et de la conscience ou de la foi, elle proclamail la separation du pouvoir spiiiluel el du pouvoir temporel. Mais le vainqueur de Ma- gnence avail bien compris qu'il n'y avail desormais qu'une force morale qui put arreier le deluge de forces malerielles dont 1'empire elait menace, el sauver la civilisation en peril. En se faisant le prolecteur de la soeiete chreiienne, il en appela a lui les chefs ; il en composait son cortege habiluel el son conseil, il les admetlait dans son palais, a sa table, dans sa con- fidence inlime, el aimail a leur marquer sa deference et son zele en se parani au milieu d'eux du lilre (1) 11 est possible que saint Paul in ne fail rachele que de ses deniers, coiume il en a rachele lant d'autres ; mais se trompal- elle en ce point , la tradition n'en prouYcrail pas moins qu'il n'etail aucun sacrifice, aucun devoueiuenl dont on ne ciut capa- bles les paste urs de l'Eglise. — 140 — d'eveque exterieur (1). II til rcbaiir magni(iquement les eglises que la fufcnr des paiens avail deiruites , el ordonna de reslituerau elerge, les mahons, les champs, les jardins et autres biens clont il avail ete injustemenl depouille (2). Ces biens eiaienl deja considerables : on n'embrassail gueres alors la nouvelle religion sans renonccr a line parlie de ses ricbesses; leui au moins, en mourant, en laissail-on la possession a l'Eglise, qui les consacrail a I'enlretien d'un grand nombre de clercs, de veuves el de vierges, au soulagement de loutes les miseres de I'bumanite (5). II se laisail d'ailleurs (ous les dimnncbes , dans I'assemblee des tideles, des queies quidonnaienl aux paiens eux-memes la plus bauie idee de la cbariie cbretienne. Sainl Justin el Terlullien parleol de ces queies, que sainl (1) Euseb. de Vita Constant., 1. 4, c. 24.— Eve'que du dehors veul dire ici lo protecteur des canons (Yoy. Fenelon, Disc, pro- nonce an sacre del'i'lecteur de Cologne, ler point. /2) Omuia ergo qua; aJ ecclesias recte visa fuerint pertinere, sive domus ac possessio sit, sive agri, sive hoi li, sen quaecuraque alia, nullo jure quod ad dominium perlinet imminulo, sed salvis omnibus alque integris manenlibus, restitui jubemus. » Euseb. Vita Constant. 1. n, c. 39. Cf. id. ibid., c. 21, 3G, 41, — et Hist. eccles., 1. 8, c. I et 2, etc. (3) « Aussitol que l'Eglise jouit de sa liberie, dit Dadlinger, leseveques erigerenl des hospices,... ainsi que dcsetabiisseiuents pour les persoones faibles ou estropiees el pour les veillards. Dcja Eustalhe, eveque de Sebaste, dans le Pont, nommait Aerius directeur d'un pareil elablissement. Saint Bazile construisit et dota un immense hospice a Cesaree ; saint Chrysosliime en fonda plusieursa C P., et le concile de Chalcedoine ordonna queies direeteursecclesiastiquesdeces maisons seraient toujours subor- donnes aux eveques. Dans les localites moins importanles, les malades trouvaient un asile dans la demeure meme de l'eveque. Voila pourquoi le biographe du grand ev eqne d'Hipponc dit que c. 380. — U1 — Irenee, saint Cvprien el lous les auteurs ecclesiasliques iles premiers siecles de l'Eglise recommandent dans Tinteret des pauvres et des ministres sacres (1). Cons- taniin augmenta encore par ses propres liberalites et par ses edits les revenus du clerge. II autorisa tous les legs pieux en faveurde l'Eglise, lui assurant ainsi les avanlages dont la loi romaine avail loujours me- nage la jouissance aux minislres des faux dieux (2), lui ceda lesbiens desmorts inleslals sans parents, qui jusqu'alors elaient passes au prince, et consacra au nouveau culle des sonimes immenses (5), qui elaient auparavanlaffecleesaux sacrifices, auxjeux etauxdiffe- renles ceremonies du culle paien. Par ces mesures il evila de charger les peuples, ct il put meme leur pro- curer le bienlait d'une diminulion des impols. A la richesse Constanlin joignit des immunites, un certain pouvoir judiciaire , el prepara Vitifluence des eveques dans i administration civile. 1° Immunites du clerge. — On sait deja que le clerge fut exempt de la capitation ; il le fut aussi dans le principedel'indiction, et ses terres panagerenl avec le domaine de la couronne le privilege de n'eire poinl assujeties a l'impot foncier. II ctail alors egalemenl (1) Les canons apostoliques distinguent deux sortes d'offrandes alors en usage: les unes en ble, raisin, huile et enceus, qui se faisaient a l'autel ; les aulres en lait, legumes et animaux, qui se portaient a la maison de l'eveque, lequel devait les partager avec les diacres ct les autres clercs. (2) Digest. 1. 30, t. I, p. 117 et 122 ; — I. 34. tit. V, p. 20 ; — 1. 33, 1. 1, p. 20. (3) Yoyez Naudet, Des Changements operes dans I' administra- tion de L' Empire romain ious Diocletien, Constanlin, etc., t. l«r, 1" partie, c. 1, art. 2 et 3. - et p. 177 et suivanles. — \m — affranchi des servitudes, corvees, emplois onereux , et du tribut sur le commerce qui se levait tous les cinq ans. Mais quand , par un etrange abus de la faveur, les rainistresde la religion, non contents d'etre commercanls el propriclaires privilegics , se fnrenl permis de preter leur immunile a des particuliers el de les proleger de leur nom conlre le hsc, le pouvoir crul devoir reslreindre a de jusies homes leurs pri- vileges ; Constance sournit a l'impol leurs biens-fonds en 560; et le commerce que l'usoge leur avail permis, fat soumis a la taxe, en attendant que Valenlinien III le leur interdil entierement (452). Le droit cVasile lint plus longlemps contre les attaques du pouvoir. II avail loujours paru pen con- venable aux hommes, alors qu'ils tachaienl de flecbir pour eux-memes la divinile, de se monlrer iuflexibles pour les aulres dans les lieux oil se celebraient ses mjsteres.el ou ils les regardaient comme plus parlicu- lieremenl presents. Celte crainte respectueuse les avail disposes a inlerdire loule violence contre ceux qui venaient s'y refugier , non qu'ils voulussenl meltre les criminels a I'abri des poursniles de la justice, mais pour ouvrir un lieu de refuge aux innocents qu'en des temps malheureux la hi elait impuissante a proleger. De lels motifs engagerent sans doule les premiers em- pereurs Chretiens a transporter aux eglises le droit d'asile donl jouissaient auparavanl les temples du pa- ganisme. Mais la plus ancienne des constitutions imperiales qui le concernent, ne remonte pas au-dela du regne de Theodose le Grand : on n'y enlend nul- lement assurer Timpunile aux debiteurs publics, aux homicides, aux adulieres, aux ravisseurs et aulres cri- — 1/|3 — minels noloires (i). 11 serait facile de montrer que l'exercice du droit d'asile, longlemps utile, n'a ete d'abord atlaque que par des lyrans, irop heureux plus tard d'en invoquer pour eux-memes le bienfail (2). 2° Pouvoir judiciaire.— Saint Paul avail autrefois reproche anx Chretiens de porter leurs contestations devanl les tribunaux des infideles que devail scanda- liser la manifestation de leurs faiblesses, et de saints eveques avaienl donne leurs soins a la conciliation des partis plulol qu'au jugement des proces. Cons- tantin sanclionna eel usage par une loi. « II permit generalement, dit Sozomene, a ceux qui avaient des proces, de recuser les juges civils et d'en appelerau jugement des eveques ; il voulut meme que les sen- tences rendues par le tribunal ecclesiastique eussent plus de lorce que celles des juges seculiers ; qu'elles eussent la meme autorite que si elles avaient ete ren- dues par I'empereur ; enfin, que les gouvemeurs des provinces et leurs officiers fussenl obliges d'en pro- curer l'execution(5). » Ainsi cet arbitrage des eveques, qui, en maliere civile, elail, avant Consianlin, un pur ministers de charite, prit alors le caractere d'une ve- ritable juridiction. A l'egard des clercs le pouvoir episcopal etait beaucoup plus etendu. Car ilsdevaienl, au civil , etre poursuivis devanl le chef spiritucl en (1) CoJ.Theod , i. 9, tit. 45, p. 1. (2) Voyez l'esprit de l'Eglise sur cette maliere dans une lettre de saint Auguslin a Maredonius, vicaire d'Afrique (ep. 153, alias 54). — Fleury en a donne I'analyse en son Hist, eccles., 1. 23 et 52. (3) Sozomene, liv. I,r, c. 9. — m — premiere instance, et (levant !e juge seculier settlement en cas d'appel. Mais pour les causes criminelles , malgre" I'arrete du troisieme concile de Carthage (397), la connaissance en elait reservee a la juridiction se- culiere; encore les eveques et les pretres avaient-ils alors le privilege de sc defendre par procurenr (1). Ces dispositions enlraiaaienl necessairemenl pour les eveques le droit d'infliger aux coupables des pcines lempoi'elles. Saint Auguslin en marque clairement l'exercice dans une lettre au tribun Marcellin (412), ou il souhaite « qu'on n'emploie conlre les Donalis- tes ni les chevalets, ni les ongles de fer, ni le feu , mais seulement les verges, qui sont une sorle de cha- limenl dont les peres se servent envers leurs enfants, les maitres envers leurs ecoliers, et souvent meme les eveques dans leurs jugements (2). a Le cinquieme con- cile de Carthage, tenu en 599 ou 400, decerne conlre certains crimes des amendes peeuniaires ; el le cin- quieme concile romain , tenu en 503 sous le pape Symmaque , condamne a I'exil et a la perte de lous leurs biens les calomniateurs des eveques, con- formement aux anciens decrets des Peres , sicut a Sanctis Patribus dudum statulum est (5). L'episco- pat ne jouissait cependant pas encore du pouvoir co- actif, et il devail recourir pour l'execulion de ses (1) Code Theodos., 1. 15, tit. 2, I. 23, 41, 47, confinnes par Honorius (399; et par Valenlinien 111, dans une Novelle de 452. (2) Et soepe etiam in judiciis solet ab episcopis adhiberi (Epist. 133, alias 159). (3) Labbe, Condi, t. IV, p. 1366. — 145 — sentences au bias seculier. Mais il avail deja, vers la fin du ive siecle , des prisons pour les clercs con- damnesala reclusion (1). 11 en esl fail mention dans une loi des empereurs, Arcadius el Honorius, publiee en 596. 3° Administration civile. — On concoil que ceiie juridiciion lemporelle des eveques, qui faisait parailre loul lour devouemenl, leur haule equiie el leur pro- fond desinleressemenl , en leur ailiranl un surcroil d'affaires et d'cmbarras que sainl Auguslin el Syne- sius, enlie aulres, regreltenl ameremenl dans l'inle- ret des eludes philosopbiques el de la meditation des livres sainis, leur ait donne de bonne heure une grande influence dans l'administralion civile. Des l'an 568, une loi des empereurs Valentinien ler et Valens les chargeait de veiller sur les mat chands, pour empecher ou coniger leurs injustices, surtoul a I'egard des pau- vres. Le lemps n'esl pas eloigne (409) ou une autre loi des emperears Honoiius el Theodose le Jeune ordonnera que les defenscurs des villes soient choisis el institues par les eveques, dans une assemblee de clercs et de notables, et enjoindra de ne les prendre que parmi les calholiques. Car, en ce lemps-la, les hereli- ques elaienl exclus des emplois civils (2). Tolerance des eveques. — Conduite des empereurs. 1° a I'egard des pa'iens. — Mais sous Conslan- lin il n'en etait pas ainsi. Ce prince fatigue des violences et des brigandages qu'exercaient les Dona- (1) On les nommaH decanica ou diaconica , parce qu'clles etaicnt placeesdaos le yoisinage d'une diaconie ou sacristie tenue par des diacres. (2) Voyez sur ces malicres 1'excellenle hisloire du Pouvoir du papa au men/en-dge. xix. 10 - 146 - lisies contre l'eglise d'Afriqne , rendit bion, en 316, une loi qui abolissail leur culte, et conlisquail leurs biens avec les lietix ou ils avaioni coutume de s'as- sembler. Quelques annees apres, qiiaiul Alius eut ele condamne dans le concile de Nicee (325), il le nola d'infamie el le condamna a I'exil avec les eveques de son parti. II n'elait mesures auxquelles il ne recourut pour ruiner doucement et sans bruit I'anlique super- stition , depouillant les temples paiens pour decorer C. P., enlevant porles ou toils pour exposer I'edifice a une ruinc procbaine, transportanl sur la place pu- blique les statues des plus fameuses divinites pour les livrer au meprisdti peuple. Mais, lout en lemoignant ainsi de son zele pour etendre le culle du vrai Dieu , il laissc aux magistrals paiens leurs emplois, el « il declare, dans un edit, qy'il veul que, sous son em- pire, les impies memes jouissent de la paix et de la Iranquillile , persuade que c'esl le plus sur moyen de les ramener dans la bonne voie ; il defend de les inquieier, il exhorle ses sujels a se supporter lesuns lesaulres, malgre la diversite de leurs sentiments, a se communiquer mutuellemenl leurs lumieres sans employer la violence ni la contrainie ; parce qu'en i'ait de religion il est beau de souffrir la morl , mais non de la donner, comme le pretendent quelques cbre- liens animes d'un zele inbumain (1).» Jovien, bien apres lui, sul aussi conlenir ce zele; « il avail com- prisquMl est deschoses, comme la religion, auxquelles (1) Dictionnaire des Heresies de Vabbe Pluquel, Disc, prelimin., p. 121. — Les pretres Flamines conlinuerent a jouir de cerlaines prerogatives el a elre oomnies par l'empereur jusqu'au temps de Gralien. — U7 — le souverain no peul conlraindre ses sujels (!).» Mais deja Coustauce, moins prudent, avail, en 541, menace les paiens de la peine de morl, el, en 557, fail en- lever dii sena:, malgre les gemissenients des senateurs idola'.res, Yautel de la vtcloire, ou ils faisaienl fumer I'encensau commencement de chaque seance. Touielbi s Sytnmaque,ensa fameuse requele aVaienlinien II (584), avoue que le (ils de Constantin « lout en professant une autre religion, avail respeclc celle de ['empire , laissanl a chacun ses coutumes, a chacun ses riles. » Au resle 1'espril de tolerance animait veriiablement les plus Hluslres representanls de I'Eglise. Exempts d'animosile, ils no savaicnt exprimer que le regret de se voir separes de leurs freres. Ceux-ci leur lemoi- gnaienl les memes sentiments el lous semblaient vou- loir se reposer dans la paix des talents, « semblable a cetle paix de Dieu qu'une religion commune ela- blissail enlre les vaillanls el les forls (2) » Libanius, qui avail ete le maiire de Basile , ecril au docleur ebrelien : « J'ai appris que vous eles enlre dans une ineiilenre voie que le barreau, que vous n'etes occupe qu'a plairc a Dieu, el j'ai envie voire bonbeur.» Ba- sile envoie de jeunes Cappadociens a I'ecole de Libanius, sans craindre de les infecter du venin de I'idolairie ; il admire ses d:scours : « 0 muses! 6 Albenes, s'ecrie-l-il , que de cliosas vous enseignez a vos eleves ! » — Synesius, ancien disciple d'Hypatia, ecrivail au philosophe Hypoxia, el il I'appciail sa (t) L'orateur pa'i'en Thcinislius s'adressanl a Jovien lui-ineme, Disc. 5. '2) Chateaubriand, Etudes Historiques. — U8 — mere, sa sceur, so maitresse ft 1'ame loulc divine. — Ausone, de la religion d'Homere, s'adressant a Paulin, son disciple ile la religion du Christ , priait les muses de la Grece dc rendre ce poele aux muses du Laiium, el le poele de la croix repondait : « Pour- quoi rappelles-lu en ma faveur les muses que j'ai repudiees? Mainlenant une autre force, un plus grand Dieu subjugue mon arae... Mais rien ne t'arrachera de ma memoire... Partout present pour moi , je te verrai par la pensee, el, lorsque delivre de celte pri- son du corps, je m'envolcrai vers les celestes regions, en quelque asire du ciel que me place le Pere commun, la je te porlerai en esprit... Car celte ame ne saurait oublier, puisqu'elle ne peul mourir. o Saint Augus- tin elait en correspondance avec la population paienne de Madaure , el parliculierement avec le grammairien Maxime qui appelail sur sa tele la be- nediction du ciel. Mais on ne saurait nier qu'il y avail dans la masse des chreiiens un esprit de zele moins eclaire el quel- quelois moins pur, qui les porlail a lout soumellre au joug de la croix, eta faire servir a I'accomplissemenl de celte conquele la puissance du premier empereur, tant soil peu dispose a seconder leur ardenl prose- ljiisme. C'ciait a Gratien, a Tbeodose et aux fils de Theodose qu'il eiail reserve de porter au paganisme les coups lerribles el supremes. Graiien le premier rejeta le litre de souverain ponlife, summus pontifex, que jusque-la les empereurs chreiiens n'avaient pas cru devoir repudier, el il altribua en meme temps au fisc les revenus deslines a l'entrelien des Flamines. Puis il renvcrsa (582) 1'aulel de la Vicloirc, relablipar — U9 — Julien et lolere par Valenlinien I". En vain lesena- teur Syramaque, donl les chreiiens eux-memes reve- raient la verlu, mil dans la bouche de Rome les plainles les plus palheliqnes, el s'elTorca de ramener le prince a des senliments moins liosiiles pour un cuke vieilli. Soutenn par saint Ambroise el les pro- testations publiques el privees des senaieurs chreiiens qui formaienl alors la majority du serial (\), Gratien lint bon et maintini son coup d'eiat. L'inlrepide Symmaque ne fut pas plus beureux (588) aupres de Theodose; trois ans apres sa derniere requele (591), 1'empereur dcfendit n tous ses sujels de sacrifier aux idoles el d'enlrer meme dans leurs temples pour les honorer : une amende de 15 livres d'or menacait le transgresseur. Bienlol (592) une autre loi vinl defen- drc I'immolaiion des victimcs sous peine de mort.el tous les aulres acles de I'idolatrie, sous peine de con- fiscation des lieux on ils auraient etc commis. Les senaieurs paiens n'en proliierent pas moins de la descenie d'Eugene en Italic pour relever I'autel de la Vicloire. Mais, apres la deTaile de I'usurpaleur (594), Theodose assembla le serial el lui posa celle question : « Quel Dieu les Romains adoreronl-ils ? Le Christ on Jupiter? » La majorile du senat con- damna Jupiter. « Les peres le regreltaicnl peui-eire, mais les enlanls preferaienl le Dieu d'Ambroise an Dieu de Symmaque (2). » « Alors vous eussiez-vu, dil (1) Vix pauca invenies gentilibus obsila nugis Ingcnia, oblritos aegrc relinctilia cultus. (Prudent Conlra Syrnmach , liv. I, v. 570J. . . . Cum majore jam curia Christianorum numero sit referla, dil sainl Ambroise a I'ompcrcnr lui-meme, epil. 1~. (2) Chaleaubriand, Etudes histor. p. 118, edit, grand in-R". — 150 — nn poetc conlemporain, co conseil tie vienx Catous tressai'lir en reveiani le raaoleau de la pieie plus eclatant que la loge romaine.. . , el ions, a I'osWp- liondequelques-unsdeineures sur la rocheTafpeienine, se precipiter dans les temples sncres des Nazareens(l) » Les lemples paiens succomberent en parlie , perie a jamais regrellable pour les arts. Mais il arrival'!, ce qui arrive loujours , que le monument materiel torn- bail sous la force inlellectuelle de i'idee entree dans la conviction du genre humaiu. Le rcnversement du temple de Serapis a Alexandrie est resle celebre. Ce temple ou Ton deposail le Nilomelrc, avail etc baii sur nn lertre arlilieiel. 11 elait lout de marbre , et irois lames de cuivre, d'argenl et dor en reveiaient les murs. La statue colossale de Serapis, la lete cou- verle du royste'rieux boisseau , icuchail de ses deux brasaux parois du s^nctuaire. et, a un certain jour, le soleil venait reposer sur Its levres du Dieu. Les paiens ne purent se resigner a abandonner un lei edifice ; auimes a la defense par ['eloquent philoso- phe Olympius, ils y souiinrenl un veritable siege , et Fun d'eux put se vanler d'avoir tue neuf Chretiens de sa main. Mais enfin ils durenl ceder a I'inlrepi- dile de ceux-ci que conduisail Theophile , archeveque d'Alexandrie, arme des edits de Theodose et appuye du prefet d'Egyple. Le temple ful pille et demoli , la bibliolheque aneantie. La statue de Serapis, frappee d'abord a la joue par la hacbe d'un soldat , puis jelee a bas et brisee, fut brulee piece a piece dans les rues el dans ramphitheatre. Une nichee desouris s'elail echappee de la tele du Dieu, a la grande mo- ll I'rudent. Contra Symmach . , \. 128 et suivants. — 151 — ; queric des speclateuis (1). Dans le memo temps , se distinguaient par le memo zele a renverser les edifices (!u paganisme, saint Martin, eveque do Tours, en Gaule, el Marcellus, eveque d'Apamee, en Syrie. Ceux des temples qui n'eprouverent point ces pieuses fu rent's, el le nombre en Put grand encore, senirent desormais a I'ornemenl des villes ou it la celebration dn nouveau culte. Ainsi le voulait la prudence des souverains, ainsi I'approuvait la sagesse des plus saints docteurM de I'Eglise (2). La destruction el la conversion des temples ba- terent ceriainement, a pros les edits imperiaux , 1'ex- linclion du paganisme. « Le souvenir des opinions theologiquc-s, dil un bislorien pbilosopbe, ne se con- serve pas longlemps, prive du secours des preires , des temples et des leclcurs (3). » Toulcfois nous au- rons lieu de reconnailre dans la suite que, pour a\oir generalemeni abandonne les villes, la superstition pa'icnne, desormais refugiee dans Ins campagnes (4), oil I'absence des preires Chretiens lui permellail de vegeter sans trop de peril , n'en rendil pas moins neccssaires, pendant plusicurs siecles encore, I'allen- (ion et la vigilance des gouverncmenls. (1) V. Fleury, I. Ill, !. 19, c. 28 el 29, el !e recit abiege qu'en a fail Chateaubriand, daris ses Eludes historiques. (2) Consullez la dessus le Commentaire de Godefroy (Cod. Tbeod., I.I, p.xxiu; lib. !5, lit. I, I. 30, lib 10, I. X;l. 3 et 25 ) ; S. Greg, de Naz.. Epigramm. 22G; S August., ep. 47 ad Publicolam; S. Greg. Legrand, op I. 2, ep. 7G. (3) Gibbon , Decadence et Chute rtc t'empire romain , i. I", p. 085. 1 Pagi en lalin : de la la denomination de religio pagana, qui apparait des Ian 3GS. — 152 — 2" A I'egard des heretiques. — On pense hien que le zele de Theodose , tout en se proposanl . ainsi que I'aflirnie Sozomene, non de punir les heretiques , 7nais de les ramener a la vraie foi par la crainte des chati- ments (I), ne les menageail pas plus que les paiens. II poursnivil surtoul avec vigueur la secte immoral? des Manicheens , el alia jusqu'a ordonner au prefel du pretoire d'eiablir des inquisiteurs charges de Us rechercherei d'informer contre eux (2). Auresteune telle politique pouvait trouver des admiraleurs et des proneurs dans les courtisans qui remplissaienl le palais ; muis les csprits serieux et eleves elaient hien loin (Fy applaudir. Saint Jean Ohrysoslome, qui s'as- sit en 598 sur le siege de Constantinople, n'hesiiaii point a proclamer « qu'il n'esl pas permis aux Chre- tiens de combatlre I'erreur par la violence el la con- Irainle, mais seulement par la raison et la douceur (5).» On sait avec quelle surprise douloureuseel quelle indignation sainl Ambroise el sainl Marlin de Tours accueillirenl la sentence de mort portee conlre Pris- cilien, en 584, par I'usurpateur Maxime auquel il (f) Sczcmene, Hist, eccles., lib. 7 c. 12. (i) Sublimilas ilaque lua del inquiiitores, aperial foruui, indi- ces denuntiatorcsquc , sine invidia delationis acciriat ; nemo pr#scriptione coramuni exordium accusalionis iufringat. Cod. Theo!., 1. 16, t V, n. 9. — Si le mot est nouveau, le fait ne l'elait pas. Conslanlin, en 325, avail ordonne une semblable inquisition conlre les Ariens et d'autres heretiques de sou temps, el menace de mort ceux qui refuseraicnt de les livrer. (Socrale, Hist, eccles., lib. I, c. '.) ; — Sozomene, Hist, eccles., lib. 1, c. 20; — Eusebe, Vita Constant., lib. Ill, c. 63 a 66. 3) S. Jean Chrys., Lib. in S. Babylam, contra gentiles , V- 3. — Cf. id. Homil. if. in Mallh., S 1 ct 2. — 153 — avail en I'imprudence d'en appeler lui-meme. lis pre- voyaieni sans douleavec effroi les maiix doni pouvait affliger I'Eglise le fanalisrne d'un prince hereiique ou fauteurde I'heresie. Peut-eire se rappelaient-ils que Constanlin lui-meme s'etail a la fln laisse seduire par les Aliens, an point de consentir a la condamnaiioo ft a I'exil de saint Alhanase, leur plus redoutable ad- versaire, el que son iils Constance, lombanl dans la meme faule, les avail ouvcrlement proteges par ses edits el ses violences. La persecution de Valens apres lout devail eireassez presente a leur memoire. Conciles. — Les chefs de I'Eglise aimaienl mieux en general combatlre I'erreur avec la parole qu'avec I'epee , el par une discussion serieuse amener une soumission que provoquer par une lutte ouverte des resistances dangercuses. lis se reunissaienl done en concile avec Pautorisaiion du gouvernemenl , pour defendre l'unite de I'Eglise el la purete de la t'oi , regler on reformer la discipline el la juridiclion spiri- tuelle, et proceder au jugement des eveques. On dis- linguaitdeux especes de conciles, suivant le nombre, la qualite el le pouvoir des membrcs qui les compo- saienl : les conciles generaux ou cecumeniques , el les nalionaux, les provinciaux confondus sous le nom de synodes. Par le synode s'exprima d'abord la pensee des prelals d'un cercle plus ou moins elendu de I'Eglise, une representation complete, universale elani impossible dans les temps de persecution. Alois les metropoles elaient bien loin d'avoir I'organisation qu'elles presenlerent sous Constanlin. C'eiaienl prin- cipalement les eglises fondees par les Apoires qui remplissaient ce role, et qui, consullees, prononcaient — 154 — dans les matieres dilficiles comme deposiiaires plus fidelesel plus sines de la iradilion. Mais an ive siecle, quand fut elablie I'enliere conformite des provinces ecclesiasliques avec cellos de I'empire, chaque metro- politain ful lenu (neuvieme canon de Nicee) de no prononcer sur aucune question imporianle sans en avoir delibere avecses eveques suflraganls; el, comme chaque eveque avait son college de pretres ou cha- piire , il eul son synode d'eveques , sorie de senat ecclesiasiique. Tribunaux ordinaires de I'Eglise , les conciles provinciaux durenl se lenir au moius deux fois par an dans chaque province (cinquieme canon). Chacun d'eux enl la liberie d'examiner les decrcis des aulres ; on pouvait appeler an pape ou aux conciles plcniers (1) des decisions de lous. II regnait dans I'Eglise une telle activile au ive siecle qu'on ne compte pas moinsen ce temps-la de soixanle-quinze conciles principaux , dont deux cecumeniques, le premier con- cile de Nicee, lenu en o"25 , pour juger la doctrine d'Arius el formuler les principes de foi , le premier concile de Constantinople , lenu en 581 , pour com- pleter le Credo de Nicee el regler la hierarchic ec- clesiasiique. C'esl en celui-ci qu'il ful arrele que 1'eveque de C. P. aurail la prerogative d'bonneur apres 1'eveque de Rome , parce que C. P. elail la nonvelle Rome, canon celebre par les Iristes conse- quences que l'ambilion en lira. II conferait une simple dignite, ce ful bienlot une juridiction fort elendue : un schisme en naquit. L'esprit de ces Byzanlins el, pour mieux dire, des Orientaux , elait detestable. Arrelons-nous un inslanl sur ce qui donna lieu an (1) S. Auguslin, lellre 45, n° 19, edit. Migne. — 155 — coneile de Nicee : la preuve en sera manifesle. L'Aria- ni^me esl d'ailleurs la giande here-sie du ive siecle. Nee dans I'Orienl, et transported an milieu dcs perse- cutions du pouvoir chez les barbares des rives du Danube, elle a pi is ensuile avec eux possession de I'Occident, et persecute a son lour I'Orlhodoxie. A peine eteinle en ces regions, elle re nail au vne siecle avec le Mahomeiisme pour conquerir des rives du IV 1 1 anx Pyrenees, au xvie siecle avec le Deisme phi— losophique des Luthcriens pour soumellre le nord de I'Europe. II fnui reconnailre de pros les sources d'une errenr si longtemps puissanle. Arianisme. — « L'amour de la philosophic Plalo- nicienne et Pylhagoricienne avail, des la naissance du Christianisme, lourne les esprils vers I'elude et Fexa- men du myslere de la Trinile et de la diviniie de Jesus-Christ, de ('union de la nature divine el de la nature humaine. Ces mjsteres sonl, pour ainsi dire , places entre deux abimes dans lesquels la curiosite (emeraire ou le zele indiscret s'eiaient precipites ; les uns avaienl cru que Jesus-Christ n'avait point pris de corps el qu'il ne s'etait point uni a la na- ture humaine ; les aulres avaienl pretendu qu'il n'elail qu'un homme dirige par I'Esprit de Dieu (1). » Praxee (ne siecle), Noel ( me siecle), pour con- server le dogme de la Trinile, avaienl fait du Pere el du Fils deux substances dislincles el confondues dans une seule personne qui est Dieu. Sabellius (iue siecle), pour defendre I'unile de la substance divine, avail fait des trois personnes de la Trinile trois allribuls, (1) Pluquet, Diet, des Heresies, disc, prelim, p, 138. — 156 — Alius, pretre d'Alexandrie (313-336), pour eviler I'erreur de Sabellius et degager le mystere de la Tri- nile de ses difficulles, fil de Jesus-Christ un Dieu cree et distingue de la substance du Pere. C'elail nier la coeternile el la consubstanlialile du Pere et du Fils, nier la divinile memo du Christ, detruire I'effi- cacile de la Redemption el renverser du meme coup le Chrislianisme. On se souleva contre de lelles erreurs ; ceux a qui elles souriaienl les rendirenl precieuses : il se forma des partis. Conslantin previt les effets de ces divisions, et, pour les prevenir, il assembla le concile deNicee. Trois cent dix-buit eveques s'y rcndirent , accom- pagnes de leurs plus habiles clercs. L'eveque d'Alex- andrie y amena un de ses diacres, Albanase, depuis son successeur, qui y deploya le zele le plus ardent. Alius condamne ret'usa de se soumeltre, et, par ordre de l'empereur, ful relegue en Illyrie. Cel Arius ctait un homme de grande laille, maigre , sec , a la phy- sionomie reveuse et melancolique, au maintien grave, a la parole douce el insinuanle. Poete et musicien , il avail mis des le commencement sa doctrine en can- liques,et elle s'etait ainsi fort repandue dans le peuple. Valentin et Harmonius avaient deja , avant Arius , employe ce moyen , qui a souvent reussi aux here- liques. Apollinaire, apres lui, s'en esl servi, et par celle voie, plus que par ses ecrits, perpelua ses erreurs. Celle-ci ful runout bien accueillie des habitants de C. P., peuple naturellement vain et turbulent , el qui s'appliquait avec d'autanl plus de violence aux malieres de la religion que celles de la politique elaient interfiles a son examen. La coniroverse occupait celle — 457 _ ville entiere. « Priez un homme de vous changer une piece d'argenl : il vons apprendra en cjuoi le Fils diftere du Pere ; demandez a un aulre le prix d'un pain, il vous repondra que le Fils esi inferieur au Pere ; informez-vous si le bain est pret, on vous dira que le Fils a ele cree de rien. » Cet esprit de dispute gagna la cour elle-meme. Ministres , favoris , eunuques, se partagerenl enlre les Ariens et les Ca- tholiques, et chacun des deux partis s'elTor^a d'a Hirer a lui les femmes qui environnaient I'empereur. Celui d'Arius l'emporla, et par I'influence de Conslantia , soeur de Consianlin , obtint de ce prince le rappel de I'herelique, et 1'exil d'Athanase son inlrepide ad- versaire. Celte premiere intervention des empereurs dans les discussions theologiques des Chretiens ne tarda pas a multiplier les heresies ; Fecial qu'elle donnait aux hommes distingues, qui attaquaienl ou qui defendaient la verite, alluma le desir de la ce- lebrite dans une foule d'hommes mediocres , trop heureux de Tacquerir au prix de quelques persecu- tions. Elles ne leur manquerenl pas, el les heresies, en provoquant I'exil d'un grand nombre de sujets dan3 I'Arabie, en Perse, chez les barbares qui me- nacaient le's fronlieres, devinrent un principe de des- truction dans Pempire romain. Cependani, quinze mois apres son depart pour Treves, Consianlin et Arius n'elant plus, Alhanase est rappele par Constance ; il rentre en Iriomphe dans sa ville episcopale. Mais I'Arianisme n'elait point eleint. Si centeveques Orthodoxes declarent Athanase innocent dans Alexandrie , quatre-vingl dix evfiques Ariens le condamnent de nouveau a Aniioche , el — 158 - bientol Constance lui-meme , executant les decrets Aliens des conciles d'Arlcs el deMilanJe bannil desou siege. Mais protege par les prelres el les moincs, il echappe aux soldats el se refugiedans les lieux ecartes de I'Egypte. Les religieux qui lui donnent asile sonl in- quiries : « ce genie enlhousiastc s'enfonce plus avanl dans la solilude, comme un glaive ardent dans lefour- reau,» et menace encore I'erreor. Au milieu des scpul- cresdes princes de Tarns, il trace des pages qui vonl remuer les passions du monde. Rendu a son peuple apres la mort de Constance, Julicn le force a rentrer dans la Thebaidc ; il revient quand Julicn est passe. L'nerelique Valens le proscrit, et il se cacbe au torn- beau de son pere. Eniin il sort une derniere Ibis de 1'ombre, et acbeve paisiblemenl sa course (573). Sur les quaranle-six annees de son episcopal, Athanase en avail passe vingl dans I'exil ; mais ses longs com- bats n'etaient point resles sans fruit : I'Arianisme avail quilte le monde ancien pour n'y rentrer qu'avec les barbares. Son premier exit meme servit a I'E- glise d'Occident ; il lui revela la connaissance et la pratique de la vie monastique. Vie monastique. — Des les premiers temps du Christianisme, on avail vn des homines, par une su- blime aspiration vers la perfection evangelique , s'imposer des sacriGces el des rigueurs exlraordinai- res. Mais ce n'elail point la une innovation si exclu- sivemem cbrelienne, qu'on ne puisse la rattacher non seulement a un penchant general de la nature hu- maine, mais encore aux mceurs religieuses de lout 1'Orient , el a certaines traditions judai'ques. Les Ascites , ainsi nommail-on ces pieux enthousiasles — 159 — (<]'rt(rx»> ad Mar cum ; 95 ad Rusticum — 169 — provinces ou personne ne les a envoyes, erranl en lous sens, ne s'anetant, nc s'etablissanl nulle part. Les tins vendenl ca et la ties reliques do martyrs, si lanl esl que ce soient des martyr- ; le» antres elalent lours robes el lonrs phyladeres (1). » Arrelons-nous ici. — II s'elait done avec le lemps glis.se plus d'un alms dans la societe chrelienne, cela esl incontestable , et les dernieres annees dn beau siecle que nous venous d'etudier , temoignent d'un certain relachement dans la vie religieuse. Nous en avons indique deja quelques causes; mais la plus fa- lale de loutes sans contredit, c'esl eelte eruelle lyran- nie du lisc, qui, en pesant loujours davantage sur la classe des proprietaires, les poussait a chercber con- ire I'opprcssion un refuge dans le sein de I'liglise (2) ; c'esl cetie mollesse generate des ciloyens , qui, pour echappcr aux dangers el aux fatigues du service mililaire enlraienl dans les ordres ou revetaieni le manleau monacal. Des 526, Constanlin avail defentlu d'elire pretie un curial : « II faut, disait-il , que les riclies j)ortenl les charges du siecle, el que les pau- vres soienl nourris des biens des eglises. » Valens , en 575, se plaignait au comle d'Orienl que de certains homines laches el paresseux, deserlant les devoirs de ciloyens, cherchassenl la solitude, el , sous pretexte de religion, se melassenl aux congregations des moines. Croit-on que les rangs de l'Eglise se soienl ouvcrls sans peril a de tels hommes , et que sa dis- cipline n'ait pu s'alterer sous Pinfluence des desordres (1) S.Aug, be operemonac, c. 28. (2) Le CodeTheodos. lie renferrae pas moms de 192 lois desig- nees a rappeler les curiales a l'accomplissement de leuis dcYoi»>. — 170 — qu'enfantaient des vocations si mal formees? Croit on qu'en se prolongeant, un lei etat de choses n'eiit pas lini,suivanl loules les probability humaines, par miner les fondemenls de la religion? Nous voila done en- core une fois ramenes a la pensee que I'organisalion sociale de l'empire reclamait impeiieusemenl une re- forme, etentraines aconclure que les barbaresetaient destines a sauver du meme coup la sociele civile et la sociele religieuse. 171 — Lecture de M. V. Tourncur NOTICE SUIt M. i/ABBE CLAIR BANDEVILLE, CHANOINE- TITULAIRE DE LA METROPOLE DE REIMS. Messieurs, Qnand , il y a dix mois , nous avons perdu d'une maniere aussi soudaine qu'inopinee, noire venerable collegue, Monsieur l'abbe Bandeville, vous avez pense que les quelques mots prononces en voire nom dans la ceremonie de ses funerailles, ne pouvaient sufifire pour acquitler la delle de reconnaissance conlraclee par I'Academie, a I'egard d'un de ses membres les plus laborieux et les plus uliles. Vous avez exprime le desir que quelqu'un d'enlre nous se chargeal du soin de recueillir les trails les plus saillants de sa vie, afin d'en conserver le souvenir dans vos annales. — 172 — Le moment esl venu, ce me semble, de realise r voire pensee ; car, graces an concours efficace de la pin- pari d'entre vons, M. I'abbe Bandeville va rcvivre pour nous en parlie, et nfous parler encore dans ses principales ceuvres oraiolres , dont le premier vo- lume sera, dnns quclques jonrs, livre a la publiciie. Toulefois, Messieurs, en demandant celte notice vous traltendez rien de bien eclatanl ; si bien remplie qu'ail eie la carriere que vous desirez connailre, vous savez que les immenses travaux de noire savant col- legue se sonl accomplis sans eclat , quun grand nombre meme ont ecbappe aux investigations les plus pieuses de I'amitie; el que tous ses jours , sans en excepter un seul, se sonl ecoules a I'ombre du sanc- tuaire el dans le secret de I'elude. II a travaille bien plus pour Dieu que pour les bommes , et ccux-ci ignoreront loujours une grande partie de ce qu'il a fait. Clair Bandeville naquit a Sedan le 18 Seplembre 1799. II puisa au sein d'une famille, touie composee d'arlistes , ce gout delicat et pur que nous n'avons cesse d'admirer en lui. Beuucoup d'eglises des dio- ceses de Reims el de Verdun doiveni au ciseau de Monsieur Bandeville pere, un grand nombre de scul- ptures ; et ses fds exercent a Paris le mfime art avec une egale distinclion. Le jeune Clair avail recu du ciel une vocaiion differente, et lout en lui la mani- feslait ; sa douceur , sa piete, et jusqu'aux amuse- ments preferes de son enfance. Ses parents se tirent un devoir de le disposer de loin a suivre la carriere a laquelle il leur paraissait si visiblemcnt destine. Aussiloi qu'il 1'ul en age de commencer ses premieres — 173 — etudes ils Fenvojereni suivre , com me externe , les classes du college de Sedan. Des celte epoque, quoi- qu'il fut bien jeune encore, se re vela son gout pour les eludes serieuses , pour les eludes liistoriques en parliculier. II avail decouvert a I'elalage d'un bouqui- nisle une pile de gros livres donl le liire l'avaii se- duil ; c'etait un Dictionnaire hislorique de Moreri, en cinq ou six volumes in-folio. Cerles un pared litre aurail plulol eloigne qu'allire loul autre enfant ; au- cun surtoul n'eut voulu commencer meine une telle lecture; le jeune Bandeville lit mieux, en epargnanl chaque jour le sou qu'il recevait pour ajouler quel- ques douceurs au pain de son gouler, il parvint au bout d'un temps bien long, a en accumuler assez pour devenir l'lieureux possesseur du Moreri , auquel il consacra bien des conges el bien des veilles. Ce livre ne Fa pas quitte. II le lisait peu sans doule, mais il le conservail avec amour, el nous I'avons relrouve dans sa bibliotbeque ou il occupait loujoursune place honorable. Arrive en peu de lemps en quatrieme, Clair Ban- deville quitta le college de Sedan, pour enlrer au petit seminaire de Cliarleville, donl il devait eire l'honneur. Cet elablissement, cree en 1807 par M. Delvincourt, cure de Charleville et vicaire-general de Feveque de Melz pour le department des Ardennes, n'a cesse de se trouver depuis sa fondalion dans une position ex- ceptionnelle, unique en France, peul-etre, et qui a produit , sous plus d'un rapport , de Ires heureux resultats. M. Delvincourt avail , en 1804, rele\e le college de Charleville, donl il avail eie nomme principal. En - 174 — fondanl le seminaire, il en devint naturellemtnl le superieur el il continua a diriger siinulianement les deux elablissemenls , entre lesquels se formercnt les liens les plus etroils. Les memes classes reunissaient el reunissenl encore les eleves du seminaire el ceux du college : sous la direction du merae professeur , ils recoivenl un enseignemenl commun ; de la une emu- lalion conlinuelle qui, de pari eld'auire, centuple les succes en multiplianl les efforts ; de la des relations araicales bien precieuses pour la suite, qui s'elablissenl entre les jeones gens destines a suivre les diverses car- rieressociales el ceux qui se consacrenlau sacerdoce, el en verlu desquelles les prelres de nos Ardennes retrouvent partoul, au barreau, dans la magislrature, dans loutes les carrieres liberales, a la lele de la so- ciele, ceux qui ont ete leurs condisciples el leursamis, ceux qu'ils connaissenl el dont ils sonlconnus, comme on se connait sur les bancs. Je vous laisse a penser avec quel bonheur et quelle ulilile pour les uns conime pour les autres? Personne plus que fil. Bandeville ne jouit mieux de ce bonheur et ne sut l'apprecier da- vantage. Ses etudes litteraires achevees avec beaucoup d'e- clal, il commenca au grand seminaire de Cliarleville ses eludes llieologiques. On avail ete frappe de la facilile , de la grace, de la fraicheur d'imagination, du bon gout de I'humanisle ; on admira souvent la sagacile , la profondeur, la logique sure el inflexible du theologien ; a iel point que , quoiqu'il ful de beaucoup le plus jeune de ses condisciples, ses su- perieurs lui confierenl souvenl le soin de les suppleer dans leur surveillance et dans leur enseignemenl , le — 175 — chargeanl ainsi de professer la science la plus serieuse, quand il semblait avoir a peine I'age d'en eludier et d'en comprendre les premiers elements. Ce ful durant le cours de ses annees d'eludes Iheo- logiques qu'il recut des mains de son Ordinaire , M. Jauffrel, eveque de Melz, les ordres moindres et le sous-diaconai. — Mais en 1822, on vil enfin le terme du long veuvage de I'eglise de Reims. Apres avoir ete rayee du nombre des eveehes el elre deve- nue, pendant vingt-ei-un ans, une simple cure du diocese de Meaux, I'eglise de Saint-Remi, d'Hincmar, d'Henri de France et de Charles de Lorraine venait de reprendre son rang parmi les metropoles. Le pre- mier soin du nouvel areheveque, M. de Coucy, avait ete de rouvrir son grand seminaire et de le remettre aux mains des Sulpiciens, « ces guides, ces modeles » de la jeunesse clericale, ces prelres devoues qui ont » rendu de si grands services au diocese ; » et de reunir immediatement sous leur direction les jeunes levitesque depuis longtemps Mi Delvincourt se plaisait a former aux scieuces et aux vertus ecclesiasliques. M. de Coucy confera pour la premiere fois les ordres dans son diocese le ler Juin 1822; M. Bandeville fut du nombre des ordinands, el il ful alors promu au diaconat. Ce ne ful qu'un an apres, le 24 Mai 1823 , qu'il franchit le dernier degre du sancluaire, par la consecration sacerdotale. Cette annee d'inlervalle en- ire le diaconal et la prelrise ful une des plus Iabo- rieuses de son studieux novicial clerical. Aux eludes speciales, si longues et si multipliees pour les jeunes diacres, il avait voulu ajouter des exercices pariicu- liers de composition oraloire qu'il poursuivil avec zele, — 176 — sous la direction eclairee de M. Aubry, alors prol'es- seur de theologie dogmalique an grand seminaire el aujourd'hui superieur de la memo maison. C'esl lui qui, a Irenle annees d'inlervalle, et presque jour pour jour , guidait les pas du nouveau |>reirc et monlaii avec lui les degres de l'autel ou il allait celebrer sa premiere messe ; lui encore qui enlourail eon lit de douleur des consolations supremes , et I'inlroduisail dans les cieux, el durant ces Irenle annees, il n'avait pas cesse d'etre le deposilaire des secrets de son an- cien eleve, son guide el son appui. Bien des fois le venerable superieur nous a raconte qu'en lisant les essais oratoires du jeune horn me qui le consuliait, il avail ele vraiment emerveille de leur merite, de l'cle- gante facilite du laogage , de la finesse des apercus , de l'abondance , de la ricbesse des developpements et des details. Quelques jours apres son ordination, le jeune abbe Bandeville ful envoye dans la petite ville de Donchery, pres Sedan , pour commencer, en qualite de vicaire, son apprenlissagedes difficiles fonclions du minislere sacerdotal. II n'y sejourna que quelques mois, et apres trente annees, son souvenir nes'y esl pas efface. II quilta Donchery pour Retbel, ou I'appelerenl les ordres de ses superieurs, le 23 Oclobre 1824. Dans ce poste plus eclatant, el quoique cumulant les fonclions fali- ganles du vicarial avec celles de cure d'une paroissc voisine, il sut irouver, dans ses immenses facilites, le moyen de se livrer encore a des eludes accessoires, sans aucun detriment pour les iravaux plus essentiels donl il etait charge. En feuillelanl ses manuscrits, nous avons irouve un Ires grand nombre de sermons, — 177 — el des plus rematquables, composes duranl son sejour a Relhel. Nous savons d'ailleurs qu'il se livra , dans ce meme temps, a i'eiude de la musique et de la composition musicalc. Deux messes plusieurs fois execulees a Reims , aux applaudissements des con- naisseurs, datenl de cetle epoque. II esl dans la vie du prelre de penibles momenis, e'est quaud il lui fautquiiter un posle conformea ses goiils, pour aller, enfant docile el soumis de I'obeissance , cnlreprendre aiileurs une autre lache, ensemencer un autre champ qui lui parafl plus ingrai, et ou au lieu de fleurs et de fruits qu'il avail moissonnes jus- qu'alors, il ne s'attend a recueillir que des ronces et des epines. L'heure d'un pareil sacrifice avail sonne pour I'abbe Bandeville. Le 17 Seplembre 1828, il devait quitter Relhel el se rendre , en qualile de cure , a Haraucourt , paroisse de Parrondissemeni de Sedan. A cetle epoque, I'opposition violenle, faile au cler- ge , s'elait ctendue jusqu'aux derniers villages ; et pendant que les esprits forts de nos villes se conten- taienl de declamations el d'epigrammes, les paysans descendaienl volontiers jusqu'a I'insulte el aux mau- vais Iraitements. Le cure d'Haraucourt chercha dans I'eiude une distraction a ses ennuis. Enlre aulres iravaux executes par lui dans sa cure d'Haraucourt, il nous a laisse un tres volumineux resume d'hisloire de France, depuis les origines de la monarchic jusqu'a nos jours ; nous y avons lu bien de belles pages. C'est encore dans lememe temps qu'il ecrivil pour plusieurs Revues de savanls articles, ioujours sur les matieres peligieuses ou historiques. xix. \i — 178 — Le 50 Juin 1834, il fut appele a Sainl-Remi de Reims, ou il ne larda pas a se faire connaitre el apprecier. Dnrant le careme de 1855 , il se chargea seuldes predications dela paroisse, ei pendant lecours de six semaines, sans s'exempier en rien des aulres fonciions du minislere vicarial, il sut trouver en lui- meme assez de ressources pour composer, apprendre et prononcer vingl-deux sermons , plus admirables peut-elre par leur valeur reelle que par lamerveilleuse facilile avec laquelle ils avaieni eie ecrits. Aussi le cure de Saint-Remi d'alors, M. Tabbe Jolinet , cha- noine litulaire dc la Mclropolc, le meme qui presidait a son deuil , el qui voulul se faire I'interprele des regrelsdu clerge dnns la ceremonie de ses funerailles, recommandail avec instances son vicaire a 1'aulorile diocesaine, et obtenaii pour lui qu'il fut nomme cha- noine honoraire, en quitlant le vicarial dc la paroisse de Sainl-Remi pour celui de la cathedrale. Ceite trans- lation out lieu le Ti Juin 1836. J'abrege mainienant, et je passe rapidement sur les fails. En 1857, le venerable M. Maquarl, desirant un aide qui 1c soulageal dans sa cliarge d'aumonier du college, ne croyaii pouvoir mieux faire qu'en s'adres- saniaux talents de M. l'abbe Randeville, et en 1847, a la mort de son venerable predecesseur, une deci- sion minisleriolle le designait pour le remplacer. Le ler Fevrier 1852, il prenait possession du litre de chanoine litulaire de la Meiropole, que venait de lui confererS. E. le Cardinal Gousset, comme une digne recompense , noblement conquise par de nom- breux travaux. II semblait helas ! II nous semblail a tous que dans ce poste honorable et paisible il n'avail — 179 — plus qu'a si- reposcr, comme il savait le fa i re en sc livrant a d'utilcs eludes, dont le diocese, le clerge et I'Academie devaienl profiler. La Providence I'avaii autremcnt voulu. Apres une maladie de quelques jours, dans laqtielle il edilia lons les lemoins de ses souf- frances par sa resignation , sa douceur, son calme inalterable, en presence de la redoutable eiernile , il cxpira en sourianl a tous, raerae a la moil, le 8 Mai 1853; il n'avait point encore 54 ans. Nous aurions beaucoup a dire snr la maniere dont il sut s'acqnitler des differents minisleres qui lui furent conlies ; sa vive sollicilude pour les ames qui venaient cherchcr aupres de lui les lumieres et les consolations de la foi ; son amour sincere et devoue pour l'enfance, avec laquelle il se trouvait perpeluel- lement en contact , soit au college, soil dans les di- verses maisons d'educalion, de Pinstruction religieuse desquelles il avail accepte la charge ; sa ponclualile scrupuleuse et vraimcnl admirable aremplir les devoirs allacbes a son canonicat. Ce ful la matiere des eloges publics de son ancien cure, dont il elail devenu le collegue sans avoir jamais cessed'en etre 1'ami. Pour- rionsnousmieux fairc que deciler ici lespropres paroles de M. le chanoine Jolinel? Ou en trouverions-nous d'aulres inspirees par un cceur plus devoue, ou d'une autorile plus grande? « J'ai a vous redirc la fidelitc que JV1 . Bandeville » apporla a I'accomplissemenl des devoirs de son » saint ministere. Son grand desir, le but de ses » iravaux elail de gagner des ames a Dieu ; il s'elait » fait lout a tous, comme le grand Apotre, pour les » sauvi'r tous, s'il I'avaii pu ; il avail, comme son — 180 — i divin Maitrc, une tend re predilection pour I'enfance, » el savait mcltre a sa portee les grandes verites de » la religion. Fidele minislre de I'Evangile , il se » monlra toujours dans la ehaire chretienne , a la >j hauteur de sa mission. Ce fut la surlout qu'il de- » ploya , pour la gloire de Dieu , les talents qu'il » en avail recus; il sul defendre les dograes contrc » les traits de 1'incredulile , el prouver combien la » foi du chretien est raisonnable ; il developpail la » morale evangelique avec une rare sagacite, el per- » suadail au chrelien inlidele ou indifferent la neces- » site de revenir a la pratique de ses devoirs. Bon » et indulgent, a l'exemple du divin Maitre, il lem- » perail la severile de la morale par de sages mena- ;> gements, et sans blesser les regies , ramenait le u pecheur a la verlu » Tel fut en effet le minislere de M. I'abbe Bandeville. Ses principaux travaux vous sont connus. Membre fondateur de l'Academie, il ne cessa de lui preler le plus utile concours. Nos annales conservent un grand nombre d'ecriis dus a sa plume eleganle. C'est a lui, eu grande partie, que nous devons les texles inedils des poesies de Flodoard, qu'il avail collalionnes au prix de mille fatigues et donl il a traduit une portion considerable. Le lexle francais de la Chronique du meme auteur nous a etc egalement fourni parM. Ban- deville. Enfin il a conlribue plus largement que per- soune a I'ceuvre importante de Tedition des quatre enormes volumes in-4° de YHistoire de Reims, par le benedictin Dom Marlol. Les notes les plus conside- rables de l'ouvrage enlier lui appartiennenl, el seul il a mis les mains a la publication des derniers volumes. — 181 ~ Independamment deces ouvrages, malgre la reunion do ses fonclions d'aumonier du lycee ct de vicaire de la calhedrale donl chncune est bien suffisante pour alimenter nno aclivite ordinaire, il a pu mener en- core a bonne fin d'aulres enlreprises importanies. Sous la direclion eclairee dn savant archeveque de Reims, el aide par noire lahorieux collegue, M. L. Paris, ancien biblioihecaire de la ville, il fm speciale- ment charge de la publication des Aden de la province ecclesiastique de Reims, en qualre volume in-4\ Celle volumineuse collection, renfermanl un grand nombro de documenls rares el precieux, fort difficiles a reunir, a ele enrichie par ses soins de notices remplies d'in- lerel el de savanles remarques. Pour nous , qui I'avons vu a I'oeuvre , il nous serait ditlicile de dire combien ce travail important lui a coiile de peines elde rechercbes ; nous dirions plus difficilement en- core les progres immenses qu'il lit dans la science sacree et dans la saine iheologie, en accomplissant sous un lei maitre un semblable labeur. II eut une grande part a la nouvelle edition du chant romain, reslaufe d'apre-s les manuscrils antiques, el il a compose an sujel de ce chain plusieurs me- moires emdits. Un projet preparaloire du nouveau Caiechisme lui apparlienl egalemem. Enfin , il a con- linue d'enrichir plusieurs revues eslimees d'arlicles du plus grand prix, donl quelques-uns seront publics de nouveau dans le second volume de ses OEuvres ckoisies , en ce moment sous presse. Je ne vous rap- pellerai pas I admirable memoire sur I' Influence des Benediciins en Champagne , aucun de ceux d'enlre vous qui en onl entondu la lecture au congres de 1845 ne Ta oublie. — 182 — Je ne vous dirai que peu de choses de ses Sermons. Vous avez regrelle quelquefois qu'aux grandes solen- nites surtout, la delicatesse de son organe ne permit pas loujours a I'immense audiioire de la Metropole de les bien entendre ; dans quelques jours i! vous sera facile de les apprecier a loisir, et d'en reinarquer, a la lecture, toutes les eminenies qualites. Bien des orateurs ont beaucoup perdu, pour leur renommee d'eloquence, a l'inipression de leurs discours , qui semblaient froids, mediocres et monotones, quand ils n'elaient plus soutenus par le prestige de Paction oratoire et du debit. II n'en sera pas ainsi pour M. l'abbe Bandeville. On retrouvera certainement dans ses oeuvres imprimees , toutes ses qualites emineutes , moins frappantes, peut-etre, quand on l'enlendail ; un style loujours pur, correct , elegant ., mais surtout facile el nalurel ; des pensees justes , se succedant sans efforts , s'enchainant etroilement les unes aux autres , et s'emparanl de I'espiit par leur clarte ; l'Ecriture Sainte et les Peres, se fondant pour ainsi dire d'eux-memes sous sa plume, sans recherche appa- rente, et devenani comme le fonds meme de ses de- vt'lo|)pements el de ses preuves ; un choix exquis de sujels, toujours parfaitement adaples a I'audiioire el aux circonslances dans lesquelles ils ont ete pronon- ces. Les edileurs de ces sermons auraieut pu se dispenser d'inscrire la date au litre de ces divers discours, on Paurail retrouvee, celte dale, el dans le ion des paroles , el dans les details dont ils sont remplis. C'esi toujours la difhculte du moment, 1'ob- jeclion du jour que I'orateur saisil corps a corps pour I'aneanlir et la pulveriser sous ses coups. Que I'oupar- coure seulemeni les sermons sur les Mauvaises lectures, — 183 — sur le Sacerdoce, prononccs en 1845 et 1840, cclui sur les Dangers el les devoirs des riches et des pauvrcs, compose en 1850, el Ton sera vivcmenl frappe j pas vers vous, e'est vous qui irez vers lui. La mort » vous a separes, la resurreclion vous reunira , et le » bonbeur de ce'le reunion, rien ne pourra desormais » le troubler, Comolamini in verbis istis. 0 vous lous » que la pensee de la mort afflige, a qui elle met w dans le cceur d'inlerminables regrels, que feriez vous » done si le Seigneur n'eul adouci eelte mort par la » promesse de la resurrection? Vous a vcz foi en cetle » promesse el vous vous allrislez comme ceux qui » n'onl pas d'esperance. » « Laissez les pleurs, les regrels, le desespoir aux (1) Sap. iv. \'k. (2) 1 Thessal. iv. 17. — 186 — » infideles, aux impies qui ne veulent rien entendre o d'une vie future , mais vous a qui le Seigneur a » laisse les paroles de la vie eternelle, n'oubliez pas » que Celui qui a ressuscite Jesus-Christ, a promis » de vous ressusciier avec lui. Oui , nous sortirons » un jour de la tombe, nous nous relrouverons tons » pour ne plus etre separes . tous ensemble nous » serons enleves dans les airs pour voler a la ren- » contre du Seigneur et former a jamais son cortege , •> Consolamini invicem in verbis istis (!).» C'est aussi noire conclusion. (1) Sermon sur la Resurrection des Moris, p. 492 187 - LITTERATURE. Lecture de II. Soullie. ETUDES MORALES ET L1TTERAIRES SUH LA POESIE LYRIQUE EN FRANCE AU XIXe S1ECLE. LAMARTINE. Le privilege des grands poetes est qu'ils peuvent jouirdeleur gloire et que !a poslerite commence pour eux des leur vivanl. Personne n'y a plus de droits que Lamartiue, et nous avons cru a ce litre pouvoir le trailer comme un classique , c'est-a-dire comme un des plus beaux genies dont la France puisse s'honorer. C'esl done par lui que nouscommencerons ces eludes litteraires el morales sur la poesie lyrique a noire 6poque. Comme il nous semble impossible de deta- cher Pidee de la forme dans loute ceuvre d'art_, et comme l'idee morale du Bien esl, selon Plalon, la plus generale ei la plus elevee, nous nous y atlacherons de — 188 — preference; d'ailleurs elle est, comme chacun sail, le fond de toutes les poesies de Lamarline. I/imporlance que Ton doitaiiacher a ceile idee expliquera la scverite apparenle de noire critique. An resle nous proclamons haulement que les poetes doivenl elre apprecies par leurs chefs-d'oeuvre, plus que par leurs productions les plus faibles, par leurs qualiles plus que par leurs defauts , en un mot qu'une beaule efface cent fautes ; le fieau de la lilterature clanl la mediocrile. En outre, la critique ne doit jamais oublier son inferio- rite a I'egard des artistes meine en les blamant; elle doit les admirer avec transport et les censurer avec reserve et a regret, enfin les juger avec une bienveillanleequile. Si done nosobservalionssemblenl quelquefois rigoureuses, nous n'enprotestons pas moins de notre enlhousiasmc pour un aussi beau genie, pour le poele , peul-etre le plus beureusement doue , le plus pur, le pluseleve, le plus harmonieux, le plus habile colorisle, le plus spiritualiste elle plus religieux que la France ait jamais eu, el qui, s'il n'a peul-etre pas fail loul ce qu'il aurail pu faire, n'en a pas moins fail mieux que personne. Loin de nous la critique qui souligne les laches sans signaler les beaules, qui exige un chef-d'eeuvre comme une delte au lieu dc le re- cevoir avec reconnaissance, ou qui ne voit dans la poesie qu'un produit de la raison, sans tenir compte de l'imaginalion et de la sensihilite. Mais aussi essayons de juger meme les plus beaux genies avec independance el sans prevention ; honorons-les sans nous meltre a genoux devant eux, et rappelons-nous que nos eloges n'auronl de valeur qu'aulant qu'ils seront sinceres, avoues par la verile et par la morale. Malheureuse- menl, Peloge n'a pas besoin de preuves ni dc develop- — 189 — pcments parce que le beau se sent encore plus qu'il ne s'analyse; le blame au contraire doit etre longueraent motive, et voila comment la part de la censure pourra parailre plus grande que celle de l'eslime et de Tad- miration, tandis qu'en realile celte dernieredoivePem- porter de beaucoup. Nous esperons du moins que Ton accueillera avec indulgence l'une el I'autre, et que si Ton est d'un autre avis que nous, ce que nous con- cevons parfaitement, on nous repondra plulol par des preuves et des raisons conlraires que par des souvenirs confus et des prejuges sur les bommes ou sur les opi- nions ; ce que nous redouions le plus et ce qui nous occupe le moins etant les questions de personnes sub- stitutes a la discussion calme et polie des principes. SUR LES PREMIERES MEDITATIONS. On se souvicnt encore de Pelonnement el de l'ad- miration qu'excila, en 1820, l'apparilion des premieres Meditations de Lamarline. Au milieu du degout gene- ral cause par une poesie sans croyances etsans portee, et qui semblait elrangere a toule grande pensee re- ligieuse ou nationale, on vit avec transport se lever un poetefranchemenl spiriiualisle, et qui revelait dans de beaux vers le relour confus de noire siecle au Chris- liariisme. Sans dome celte disposition reveuse et me- — 190 — lancolique du chantre d'Elvirc eclaiait deja dans quel- ques elegies de Millevoie. Celle elevation de seniimenls se Irouvait deja dans les Messeniennes de Casimir Delavigne, enfin celle poesie de la religion chretienne avail inspire au commencement du siecle le beau livre de Chateaubriand el quelques vers de Fonlanes ; mais le liberalisme Vollairien etla couleur mylhologique ou abslrailc de la poesie imperiale n'en conlinuait pas moins de regner dans les esprits el dans les ouvrages du temps; et les efforts tenies par la resiauration pour ramener la France a des idees d'ordre, de foi, et de moralile , n'avaient encore presque rien produit qu'une disposition contraire des liberaux a resister au parti qui voulail reiablir le irone sur l'autel, comme on disait alors. Les Meditations de Lamartine furenl done une eloquente proteslation du sentiment religieux conlre 1'indifference elroile ou hostile du liberalisme constilutionnel, en meme temps qu'une revelation sou- daine d'une poesie nouvelle pour la France, ou les pensees les plus pures et les plus profondes etaient exprimees par les plus gracieuses images et dans le style le plus harmonieux. C'est ce double caraclere des Meditations de Lamartine qui fit d'abord le sneces de l'ouvrage et du poete, el lui valut une popularile qui depuis ne s'esl jamais complctemenl effacee. Au- jourd'hui, quand nous relisons ces chants, apres trente ans, et lant de revolutions arrivees dans noire pairie et dans les sentiments du poete, nous sommes peut- etre enclins a plus de severile, soil parce que nous les voulons juger en eux-memes et comme ceuvre d'art eternel , soil parce que nous sommes, graces au poete lui-meme, plus familiarises avec ces idees de spiri- — 191 — tualisme et tie foi religieuse, soil parce que nous sommes lentes de les confondre avec une foule d'imi- lations plus ou moins pales ou exagerees dece genre de poesie qui onl excite si souvent depuis noire im- patience ou noire degout, soil enfin parce que nous ne pouvons nous empecher d'y saisir plusieurs pronostics inquielanls et Irop bien justifies depuis d'une mollesse facheuse dans le slyle et dans les convictions. Tachons n6anmoins de nous degager de ces preoccupations du passe etdu present et d'apprecier les premieres Medi- tations en elles-m6mes et comme les appreciera l'a- venir. Ce petit recueil se compose de trenle pieces de vers. Quoique se resscmblanl entre elles par une sorle d'inspiralion commune, a la fois lyrique et elegiaque, religieuse et melancolique ; elles peuvent se rapporler a qualre classes differentes que nous examinerons en detail successivement. La premiere renferme les ele- gies d'amour portant les numeros 5, 9, 13, 17, 22, 24; la deuxieme est celle des elegies funebres ou phi- losopbiques, c'est-a-dire des numeros 1, 4 6, 21, 25, 26, 27 el 29; la iroisieme categoric, la plus etendue, renferme les meditations de philosopbie religieuse qui semblenl avoir donne leur nom au recueil, ce sont les pieces % 5, 12, 14, -!6, 18, 20 el 28; enlin la derniere comprend des odes religieuses ou politiques, savoir les numeros 1, 8, 10, 11, 15, 19, 25 et 30. On peul encore en reunissant les deux premieres classes en une seule, parlager le livre en irois parlies a peu pres egales, Tune elegiaque, I'autre philosophique, et la iroisieme lyrique ou enlhousiasle. Mais ce qui do- minc et ce qui se retrouve dans lous ces pelits poemes meme erotiques ou politiques, c'est l'aspiration a un ordie d'idees superieures, infinies, elernelles el reli- — 192 — gieuses, sans que celte aspiration du poele aboulisse jamais a une profession de foi explicite, ni a un Chris- tianisme posilif, franchement accepte par l'auleur. Ce vague laisse dans ce premier recueildu poele, a donne aux rationalistes des esperances, et aux croyauls des inquietudes qui n'ont ete que Irop realisees depuis. Au reste dans l'examen des Meditations nous croyons de- voir suivre l'ordre que nous venons d'indiquer sans nous altacher a celui dans lequel l'auleur les a pla- cees, el sans chercher l'ordre chronologique de leur composition ; celui que nous adoptonsnous fera mieux voir le point de depart et les progress de la pensee de I'auteur, en meme temps que la pensee principale, qui se retrouve dans tout I'ouvrage. Mais nous prions le lecteur d'excuser ce qu'il y a d'arbitraire el de irop systematique a ranger ainsi, par le caractere qui nous a paru dominant, chaque chant du poele dans une calegorie exclusive, tandis qu'il semble aussi se rat- tacber par plusieurs points a d'autres pieces du re- cueil ; ce n'est ni la faule de l'auleur ni celle de la critique, mais la consequence inevitable de l'applica- tion, de la reflexion el de 1'analyse aux productions de l'arl et du genie. A la reserve de la 256(xxxie)(l) piece, celle desAdieux Bissy, qui nous parail le coup d'essai de Lamarline, les elegies d'amour nous semblent elre les premieres productions de sa muse. II ne serail peut-elrepas tre; difficile d'y retrouver un roman d'amour Irop lot ler- mine par la mort d'Elvire, et donl ces 6 peiites pieces marquent les phases diverses. Au reste il ne faut pas s'y tromper, le sentiment qui les anime y est loujours (1) Nous luellons enlre |>arenlhe?es le nuiuero correspondan' do I'eJilion dc 1849. — 193 — chaste el reserve, doux el irisle, eleve, el merae reli- gieux. On pourrait plulol lui reproclier une sorle de froideur el de secheressc absolumenl conlraire a ce genre de poesie ; I'auleur semble aimer avec son ima- gination plus qu'avec son coeur ; analyser ses propres impressions en artiste plus qu'en amant, ct prendre a lache de se faire aimer plulol que d'aimer lui-meme. La mort prevue on arrivee de son amante lui inspire moins de soupirs et de regreis qu'une douce reverie, el une tranquilleesperance de se revoir. En un mot, e'est l'ceuvre d'un poele qui aime I'art et la melanco- lie par dessus tout, qui ne voil dans Pamour qu'un theme a ses reHes de beaule, d'avenir et d'infini; ce n'esl point l'ceuvre passionnee d'un amant malheureux de son amour comme Tibulle ou Andre Chenier, mais d'un artiste dont I'amonr a effleure I'amesans Iroubler son calme inalterable ct ce tour d'esprit heureux qui voit tout du cote le plus favorable. Si le charme du style, I'elegance des pensees, et l'elevation des scnti- menls doivenl a la lecture faire illusion a plus d'une femrne, nous doulons qu'il en soil une seule qui en realile vouliil etre aimee ainsi. Cos critiques peuvent sembler severes el conlredire la repulalion de sensi- bilite exquise et profonde qui s'aitacbe a Lamartine; mais nous les croyons faciles a justifier pour quiconque lira avec attention ces petites pieces, en lescomparani aveccelles des maitres de I'art en ce genre, et en les rapprocbant de Jocelyn et surlout d'un des derniers ouvrages de I'auleur, les Confidences, ou Lamartine abantlonne froiJement a la mori une pauvre tille ido- latre de son genie enchanteur. Prenons nos citations dans la piece du Lac qui passe aux yeux deM. Sainle Beuvc pour le chef-d'oeuvre xtx. 13 - 194 — de Lamarline en ce genre, et que nous citons plus loin loule enliere. Quoi de plus sec sur nn sujet aussi attendrissanl que la mort ou meme que I'absence de I'objet aime ; car le commentaire peul seul fixer les doules du lecteur? Et pres des flots cberis qu'elle devait revoir, Regarde ! je vieus seul m'asseoir sur celte pierre Ou tu la vis s'asseoir ! Et plus loin apres cetle introduction encore plus froide . Le flot fulattentif, et la voix qui m'est chere Laissa tomber ces mots : L'auieur conclut tranquillement en artiste. • Gardez de cetle nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir ! Y a-l-il rien de plus glace que cetle expression la voix qui m'est chere, est - il un souvenir moins tendre et plus artistique que celui de cette nuit? II n'y a rien dans loute celie poesie qui soit assez senti, pas- sionne et qui fasse battre le cceur. Nous rendons justice d'ailleurs a la purele et a la delicalesse des pensees , a celte alliance de I'amour avec les pensees de Dieu el d'immorialite , que Ton ne Irouve point dans les autres poetes eroliques et qui font le merile vraiment neuf de ces elegies. Sans doule le melange si poetique des idees d'amour et de mort se trouvent deja dans Tibulle, Properce et Millevoie, mais non avec cetle serenile que - 195 — ilonne I'esperanca chrelienne. Disous un mot en par- liculier de cos pclites pieces en suivant leur ordre probable de composition. La premiere par la date esl la 17e (xxe) du re- cueil el porte le titre trompeur a" Invocation ; c'est une piece adressee a line amante, comme a un ange on a nne divinite, pour qn'elle veille sur I'auteur ici-bas et dans le ciel ; c'esl une sorte de declaralion myslique assez courte et assez mediocre, pen nelle dans son expression excessive ; et presque une profanation du sentiment religieux, applique serieusement et non par meiaphore a une jeune fille que Ton peut supposer lacilement seduile par le piege lendu a son cosur et a sa vanite. O loi qui m'apparus dans ce desert du monde ! Habilanle du ciel, passagere en ces lieux, Ton berceau ful-il sur la terre ? Ou n'es-tu qu'un souffle divin ? 0 Lite de la lerre, ou du divin sejour, Ah ! laisse-moi loute ma vie T'offrir mon culte ou mon amour. Dans la deuxieme qui est la 3e du recueil, I'au- teur promet a Elvire rimmortalite a I'exemple des poetes qui ont celebre leur mailresse ; celte piece est d'une elegance assez commune et assez t'roide, malgre quelques details pleins de grace el d'harmonie. La 22c (xxvc) comme la 17e (xxe) trompe par son titre le Temple. Le poele entrant le soir dans un temple rustique, y murmure sansbonle et sans crainle, — 196 — le nom d'Elvire donl ii est eloigne. L'introduclion en est belle ct d'un coloris vraiment religieux. Pourquoi taul-il que celte piete aboulisse a consacrer l'amour profane? C'est un abus de la poesie selon nous que de porter ainsi aux pieds des aulels une passion que le mariage ou la mort pourraient seuls juslifler ici, et encore a la condition que 1'adoration de Dieu el la resignation a ses decrets dominassent bieniot cet amour, en le purifiant. Mais quoi ! de ces aulels j'ose approcher sans crainle ! J'ose apporter, grand Dieu ! dans celte auguste enceinte Un coeur encor brulant de douleur et d'amour ! Et je ne tremble pas que ta majeste sainte Ne venge le respect qu'on doil a son sejour ! Non : je ne rougis plus du feu qui me consume : L'amour est innocent quand la verlu l'allume. Aussi pur que l'objet a qui je l'ai jur6, ' Le mien brule mon cceur, mais c'est d'un feu sacre ; La Constance l'honore et le malheur l'epure. Les deux pieces suivantes me paraissent bien superieures et les deux plus belles du recueil dans ce genre de poesie ; l'une , la 24e (xxixe) du recueil dite VHymne au Soleil , est moins une ode au soleil et une elegie d'amour, qu'une elegie rentrant dans la seconde classe ; son vrai sujet est le charme de la convalescence aux rayons du soleil et pros d'une amantc ; sans elre Ires elevee elle est pleinc d'une reverie douce, senlie et penelranle. L'autrc, la 13e (xive) du recueil, a pour litre le Lac el est plus belle encore. Un an apres le poete se rappelantqu'il voguait naguercs avec Elvire sur un lac cbarmanl :,ouhaile qu'il garde au moins le souvenir de lour amour. Celte — 107 — piece |)!eine, (Tune couleur el d'une liarmonie douce el delicieusc , d'un spirilualisme reveur, manque un pen selon nous d'ame el de sentiment ; I'auteur se berce dans la peinlure enivranlc de la nature et dans 1'analyse de ses propres impressions, sans paraiire avoir ete penelre assez profondement ni d'amour pour Elvire ni du regret de sa presence. De la une ceriaine froideurqui, selon nous, nuita I'efleldeceliepoesie vrai- ment enclianteresse et du rhylme le plus heureux . Ainsi, toujours pousses vers de nouveaux rivages, Dans la nuit eternelle emportes sans relout , Ne poiirrons-nous jamais stir I'ocean des ages .leter 1'ancre un seul jour ? 0 lac ! I'annee a peine a fini sa carrierc, Et pres des flots cheris (ju'elle devait revoir, Kegarde ! je viens seul m'asseoir sur cede pierre Ou tu la yis s'asseoir ! Tu mugissais ainsi sous- ses roches profondes ; Ainsi tu te brisais sur leurs llanos dechires ; Ainsi le Tent jelait l'ecume de tes ondes Sur ses pieds adores. Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux , Que le bruit des rameurs't|ui frappaient en cadence Tes flots harraonieux. Tout a coup des accents inconnus a la tcrrc Du rivage charme frapperent les echos: l-e flot ftit atlentif, el la roix qui m'est chere Laissa loinber ces mots : — 198 — « 0 temps ! suspends ton vol ; et vous, hcure^ propices ! « Suspendez voire cours ; i Laissez-uous savourer les rapiaes delices « Des plus beaux de nos jours '. o Assez de malheureux ici-bas vous implorent, «< Coulez, coulez pour eux ; • I'renez avec leurs jonrs les soins qui les devorenl ; ■ Oubliez les heureux. « Mais je demande en vain quelques moments encore : o Le temps m'echappe et fuit ; • Je dis a cette nuit: Sois plus lenle; el l'aurore « Va dissiper la nuit. « Aimons done, aimons done! de l'heure fugitive, « Hatons-nous, jouissons ! « L'bomme n'a point de port, le temps n'a point de rive; « II coule, et nous passons ! » Temps jaloux, se peut-ilque ces moments d'ivresse, Ou l'amour a longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la meme vitesse Que les jours de malhour ? Eh quoi ! u'en pourrons-nous flxer au moins la trace Quoi ! passes pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus ! Ce lemps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les reudra plus ! Eteruite, neant, passe, sombres abimes, Que failes-vous des jours que vous engloutissez ? Parlez -. nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez ? 0 lac ! rochers muels ! grottes ! foret obscure ! Vous que le temps epargne ou qu'il i>eut rajeunir, — 199 — Gauiez de cede mm, garde/, belle nature, An moins le souvenir! Qu'il soit dans ton rejios, qu'il soit dans les orages, Beau lac, et da-is l'aspect de les rianls coteaux, Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent stir les eaux ! Qu'il soil dans le zephyr qui lVeinit et qui passe, Dans les bruits de tes bords par les bonis repeles, Dans l'astre au front d'argent qui blanclnl la surface De ses molles clartes ! Que le vent qui gemil, le roseau qui soupire, Que les parfums legers de ton air embaume, Que lout ce qu'on entend, Ton voit on Ton resi.ire, Tout dise : lis ont aime ! Dans la 9e piece i n li tulee Souvenir, I'auleur evoquc I'image de son amanle qu'il a perdue, d'nne maniere moins lendrequ'eleganleel dans un rhytme tropecourle. Telles sont les elegies passionnees du premier recueil de Lamariine ; comme on le voit, I'amour lient pen de place dans sa poesie, repression eu est pure, ideale, inais assez froide; les idees religieoses n'y sonl pas toujours hcureusemeni melees, quoique le spirit n a - lisme el Inspiration vers I'infini y apparaissent a chaque instant. Ces pensees d'elernile dans I'amour nous semblenl plus nalurellemenl invoquees en temoi- gnage de nos grandes deslinees a la tin de la piece inlilulee Immortality. On pourrail aussi rattacher aux pieces de ce genre la 21e (xxive) du recueil doni nous parlerons bienlol , si rien ne nous y rappelait I'amour ou nous indiquait seulemenl avec qni Lamar- iine vogue sur le golfe de Baia. — iOO — Comme la reverie el la penstv do I'inflni dominent deja plus que le sentiment, dans les elegies d'amour de Lamarline, nous ne changcons prcsque pas do sujet dans ses elegies philosophiques propremeut diles; loutefois cetle pensee s'y degage plus ntltemenl que dans les pieces precedentes, el le probleme de la na- ture liumainc toujours non satisfaite ici-bas el de ses deslinees ctemelles, y est presents dans des vers d'une elevation, d'un charme, et d'une harmonie jusqu'a- lors inconnus. Trop souvenl seulemcnl I'objet de cette aspiration elant trop vague, au lieu d'aboutir au sen- timent religieux, elle n'en a que 1'ioslinct el se perd dans une sorte de disposition maladive a la reverie sans but, a la trislesse sans sujet, au detachement de tout sans moralite, a une inertie blamable, a une speculation presomptueuse ; en un mol e'est le souve- nir ou le pressentiment de la foi chrelienne, ou pluloi 1'esperance sans la foi, el si Ton peut parler ainsi, I'inlini sans Dieu. La pralique des devoirs a remplir, de la soumission active aux desseins de Dieu sur nous, 1'amour de Dicu el Tamour des homines, ne sonl plus dans ces chants, comme pour la vraie philosophic, la condition du bonheur de la vie future ; mais cetle autre vie semble a 1'auleur la consequence falalc, ne- ecssaire, obligaloire pour Dieu nieme, de la (lignite de noire nature etde noire besoin de I'inflni. Assurement les premieres Meditations sont justement appelees religieuses en mCme temps que poetiques; mais si elles sont au fond les ceuvres les plus chre- tiennes de Lamarline, son christianisme, plus encore que celui de Chateaubriand, est plus dans ('imagination du poelc que dans son coeur, et Ton voit le germe de ce pantheismc de Goethe, dtslructeur de loule per- — -201 — sonnalileet de toute vend, dans les vers qui terminent la premiere medilalion. Que ne puis-je, porle sur le char de l'Aurore, Vague objet de mes voeux, m'elancer jusqu'a toi ! Et moi, je suis semblable a la feuille fletrie : Emporlez-moi comme elle, orageux aquiions ! Sans doute ces vers sont susceptibles d'une inter- pretation caiholique el e'est ainsi qu'on les a Ius d'a- bord, mais pour n'avoir point nomme Dieu des celte premiere piece, l'auteur a lini pardonner un autre cours a ses pensees et un autre sens a ses vers ; exemple memorable des devoirs que le genie ne peul negliger sans se perdre souvent pour toujours. Nous savons que la pluparl des lecteurs, generation qui s'en tient a celte vague aspiration vers 1'inlini, sans religion pratique el positive, et Vers ce bien ideal que toute mon ame desire, Et qui n'a pas de nom au terrestre sejour. prendra contre nous le parti du poete a qui nous sem- blons faire un proces de tendance; mais e'est parce que le christianisme est pour nous autre chose qu'une Iheorie comme tant d'autres, e'est parce que 1'arl nous pa- rait une chose serieuse et ['expression d'une verile morale et absolue que nous ne pouvons nous empe- cher de regretler, en le conslatant, ce point de depart equivoque qui devait aboutir a la Chute d'un Ange eta Raphael, c'esl-a-dire a la peinture du sensualisme el de I'atheisme dans un poete naturellemcnl si spi- ritualisie et si religicux. — 202 — Voici quelques preuves de cetle disposition an pari- iheisme sans veiiu el sans personnalite. Et comme le soleil aspire la rosce, Dans (on sein pour jamais absorbe ma pensee. Moi, je meurs, el mon ame, au moment que j'expire, S'exhale comme un son Iriste el nielodieux. Le blaspheme, le pantheisme, le malerialisme, n'onl rien qui repugnent a Lamartine dans ces vers el une foule d'auires mollemeni refutes. Notre crime est d'etre homme et de vouloir connaitre. Cetle immortalite que lout morlel espere ; Que dis-je ? Suspendu sur le lit des mcuranls, iles regards la cherchaienl dans des yeuxexpiranls. Le destin me condamnait au jour, Eljeveux,6 soleil, le maudire a mon tour. Ame qui done es-tu ? Flamme qui me devore, Au grand flambeau du jour vas- lu te reunir ? Peut-elre de ce feu tu n'es qu'une etincelle, Qu'un rayon egare que cet astre rappelle ; Peut-elre que, niourant, lorsque l'homme est delruit, Tu n'es qu'un sue plus pur que la terre a produit, Uue fange animee, une argile pensante. Sans parler de la piece dedesespoir tout enliere. Et meme dans VEpitre a lord Byron, le poete glorific Dieu en enumerant tons les tourmenls que Dieu lui — -203 — a fail eprouver, de inaniere a montrer la rigueur de celui-ci plus encore que sa pieuse resignation. Quoi qu'il en soil, nos regrel&s'appliquenl plutot aux poesies ulterieuresde Lamarlinequ'a ces Premieres Me- ditations et surlout a cellesqui nous occupent, et qui se ratlachenl par la pensee de la mori el de Tinfini aux dernieres elegies d'amour. En effel la 4e piece, appelee le Soir, se rapproche de la 9e, appelee Souvenir, et est dans lc meme rhytme. Un rayon de la lune jetie le poele dans une reverie douce et melancolique, il croil y voir Tame de ceux qui no sont plus el s'entretenir avec eux. Celte peiite piece est composee avec une precision un peu elroile et manque des developpenients qu'appelaienl lecceur et Timagina- tion. La premiere du recueii, inliluiee I'Isolement, par ses qualites, ses defauts, ses images, son baimonie et son aspiration a I'infini, est bien placee en tele du re- cueii el donne une idee du caraclere du poele. Dans un cliarmunt paysage du soir, I'auleur reslanl indiffe- rent et decourage aspire vers un autre ideal ; le tableau de la campagne a la cbute du jour est bien trace, le degoul de la vie y est excessif el peu motive, Inspi- ration un peu vague el prelenlieuse, n'est ni assez religieuse ni assez morale, le style en est pur, precis et barmonieux. Nous cilerons celte premiere piece du recueii comme type de ce genre d'elegie descriptive el philosopbique , dont Lamartine esl I'auleur. Souvent sur la montagne, a I ombre du vieux chene, An coucher du soleil, Irislement je m'assieds; Je iiromene au hasard raes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se deroule a mcs pieds. — 204 — lei gronde le fleuve aux vagucs ecumantes ; II serpente, et s'enfonce en un lointain obscur; La, le lac immobile etend ses eaux dormanles Ou 1'etoile du soir se leve dans I'azur. Au sommet de ces monts couronnes de bois sombres, Le crepuscule encor jetle un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, etblancb.it deja les bords de I'horizon. Cependant, s'elancant de la fleche gothique, Un son religieux se repand dans les airs : Le voyageur s'arrele, et la cloche ruslique Aux derniers bruits du jour mele de saints concerts. Mais a ces doux tableaux mon ame indifferente N'eprouve devant eux ni charmo ni transports ; Je contemple la lerre ainsi qu'unc ame errantc : Le soleil des vivants n'echauffe plus les morts. De colline en colline en vain porlant ma vue, Du sud a l'aquilon, de l'aurore au couchant, Je parcours tous les points de 1'immense etenduc, Et je dis : Nulle part le bonheur ne m'attend. Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumieres, Vains objels dont pour moi le charme est envole ? Fleuves, rochers, forels, solitudes si cheres, Un seul elre vous manque, el tout est depeuple ! Quand le tour du soleil ou commence ou s'acheve, D'un oeil indifferent je le suis dans son cours ; Et un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lere, Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours. Quand je pourrais le suivre en sa vaste carriere, Mes yeux verraient partoul le vide ct les ddserts : — 205 — Je nc desire rien de tout ce qu'il eclaire ; — ! Je ne demande rien a l'immense univers. Mais peut-elrc au-dela des bornes de sa sphere , Lieux ou le vrai soleil eclaire d'autres cieux, Si je pouvais laisscr ma depouille a la lerre , Ge que j'ai tant re?e parailraita mes yeux. La, je in 'enivrerais a la source ou j'aspire ; La, je retrouverais et l'espoir et 1'amour, Et ce bien ideal que toute ame desire, Et qui n'a pas de nom au terrestre sejour ! Que ne puis-je, porte sur le char de l'Aurore, Vague objet de mes voeux, m'elancer jusqu'a toi ! Sur la lerre d'exil pourquoi reste-je encore ? 11 n'est rien de common entre la terre et moi. Quand la feuille des bois tombe dans la prairie , Le vent du soir s'eleve et l'arrache aux vallons ; Et moi, je suis semblable a la feuille flelrie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons ! Le Vallon , la 6e piece du recueil offre le meme sujet. Desencliante du monde , le poete trouve dans le tableau de la nature le calme de Tame et la revelation de Dieu. Cette piece d'un ton doux, uni, reflechi, est bien composee et superieure selon nous a la precedenle; l'image y est bien fondue avec la pensee; le sentiment religieux, d'abord naturaliste el pantheiste (1), n'a toute sa precision qu'a la fin seu- lement; c'est le defaul general que nous avons deja (1) Mais la nature est la qui t'invite et qui t'aime , Plonge-toi dans son sein quelle t'ouvre toujours. — 206 — signale. La piele semblc apparaitre da vantage dans la 26e (xxxue) piece la Semaine sainle a la Roche-Guyon ; ou il ne s'agit pas de la semaine sainle, mais du culte rendu a Dieu dans les cloitres et auquel le poele de- mande a s'associer ; Lamariine y parle Irop de Ini else croittrop semblableaux saints anachoretes qu'il visile; ce n'est encore qu'un acces ephemere de foi et de de- votion poelique assez faiblement exprime. Cclte per- sonnalile qui s'analyse avec complaisance, qui veut se faire plaindre et se faire louer, apparait plus encore dans la piece suivante qui, selon nous, la comportait moins. Le Chretien mow ant prend son vol vers le ciel. Quel est ce Chretien, ce ne peut elre Lamariine qui n'est ni saint ni mouxant ; ce n'est done qu'une sorte de theme suppose pour la poesie, ou 1'anteur est su- perficiel et au dessous du sujet. Malgre un ton d'une douce gravite, la foi positive en est irop absente. Bien- tot d'ailleurs, dans la 29e (xxxve) piece ou I'Au- tomne, Lamariine revenant a d'aulres sentiments pres- senl a la fois le trisle hiver et la fin de sa vie pour en deplorer la perte. Ce morceau est aussi faible par le coloris que par la pensee, qui n'est pas assez noble ni assez senile. C'est ici l'occasion de protester conlre cetleecole poitrinaire de poetes Qui toujours bien mangeant mouraient par metaphore. La morl est chose serieuse et nous trouvons odieuse ou ridicule cette pretention des romanliques d'alors de pleurer a vingt ans leur printemps evanoui, et d'al- ler blemes et avec de longs cheveux a leurs propres funerailles. Mais, direz-vous, qui sait si le poete ne se croyait pas pres de sa fin? qu'il le dise alors et dise comment il a ete rappele a la vie, et quels ont ete — 207 — alors ses nouveaux sentiments, sinon nous n'y voyons qu'un pastiche et un texle a declamation sentimen- tale qui ne sent en effet que les admirables adieux de Gilbert et de Millevoie seraient moins touchants s'ils avaient vecu trente ans apres? La poesie lyrique doit elre personnelle et senlie pour elre vraie; si ellen'est qu'une supposition, elleest indigne d'un esprit serieux et une sorte de charlatanisme. Nous avonsdejadit un mot des Adieux a Bissy; c'est un essai de college qui a du tour et de la facilite ; on croit parfois lire une epitre de Gresset, mais il y a plus de pretention que de fond dans cetle petite piece sans portee et qui inte- resse moins le public qu'un petit cercle d'amis curieux de voir le point de depart d'un grand poete. Dans la 21e (xxive) piece, le poete voguant sur le Golfe de Baia, le soir, evoque l'ombre des Cesars et des poeles qui ont vecu sur ces bords. L'inlroduclion est d'une couleur et d'une harmonie charmante, les poeles y sonl plus elegamment rappeles que les empereurs et la reflexion qui termine la piece, quoique trop courte peul-etre, lui donne de l'unite et une teinle de sagesse douce et reveuse ; ce cbanl sans grande portee est plein de charme, malgre quelques legeres irregularites dans le rythme. Ainsi tout change, ainsi tout passe ; Ainsi nous-mernes nous passons, Helas! sans laisser plus de trace Que celte barque oil nous glissons Sur cette mer on lout s'efface. Nous arrivons a la parlie des meditations la plus re- marquable el selon nous la plus parfaita par le style aus.-i bien que par les idees ; ce n'esl pas qu'clles — 208 — soienl par le fond ires differcnlcs des elegies prece- dents, maiselles s'en distinguent par !e rythme qui est le vers alexandrin a rimes plates, el par le ton qui est celui de ia poesie philosophique , comme les dernieres se font reraarquer par l'elan cl la forme lyrique appliques aux memes idees. Ces poemcs sonl de tous ceux de l'auteur les plus soignes, les plus purs, les plus eleves , ceux par lesquels il a fait une revolution dans fart el une sensation si profonde, ceux enfin par lesquels il s'est montre neuf, original et le plus grand poete de notre temps. lis sont au nombre dehuit, la pluparl assezetendus else rattachanl au meme sujet, la desiineede l'liomme et ses rapports avec son crealeur. Generalement Chre- tiens, ces poemes out neanmoins subi l'influence des contemporains et des auleurs que Lamartine y com- bat, de Rousseau, de Chateaubriand et meme de lord Byron. Quoiqu'il penche pour la foi calbolique, cette foi n'est jamais explicile ; il flotte cntre divers systemes et s'il eprouve le besoin de croire, c'est plulot a une nouvelle revelation qu'au catholicisme, ainsi que nous aurons plusieurs fois occasion de le remarquer. Mais en somme Inspiration de ces chants est pure et reli- gieuse; rien n'empeche au moins les croyants de les entendre presque tons dans un sens orlhodoxe; comme ils permettenl aux ames qui se plaisent a sentir et speculer sans s'arreler a aucun dogme precis, de se laisser aller a des sentiments eleves et poetiques. Ce que nous y admirons le plus, c'esi la purete, la fer- mele du style qui n'a jamais ete plus parfait et plus chalie, c'est surtout la plus heureuse union d'un co- lons poelique, riche et harmonicux avec les pensees les plus abstrailes et la plus haute philosophic C'est la — 209 — c; qui fail de quelques-uns, des chefs -d'ceuv re immor- tels dans lesquels presque lout est admirable et rien n'est a reprendre, superieurs a noire sens par la poesie du style et la beaute des idees aux dis- cours en vers de Voltaire et aux epiiresde Boileau. Aussi n'ont-ils point vieilli comme d'aulres poemes de I'auteur et forment-ils ses li res les plus glorieux a I'immortaliie. Ce n'esl pas qu'ils soient tons d'une egale valcur ; les premiers meme donl nous parlerons sont assez laibles, mais il en est plusieurs au dessus de tout eloge. Nous irouvons d'abord Irois pieces adres- sees a de nobles amis de I'auteur, encore empreintcs d'une sagesse toute mondaine, assez commune et pres- que epicurienne. La 12e (xme)du recueil, intitulee/a Retraite, felicite un ami riche et puissant de vivre heureux et sage dans ses terres; elle rappetle lesepitres d'Horace el de Voltaire avec moins de verve et de sens pratique, mais plus d'harmonie, de douceur et d'elevation. II en est de meme de la 20e (xxme)un pen pretentieusemenl appelee Philosophie, et ou ie poete conclut a une sorte d'epicureisme spiritualisle qui n'esl rien moins que moral, ni distingue, quoi qu'on en dise. La phrase y a meme ceite mollesse trainante qu'on trouve raremenl dans ce premier recueil el si souveul depuis dans les ouvrages de I'auteur. Les idees et les images en sont vagues, et sans precision. II y a la Pecueil d'une versification facile et d'une faconde ste- rile qui est devenue un des plus grands defauts de Lamarline. Quant aux pensees, nous croyons qu'elles onl ele comme suagerees au poete par Ie grand sei- gneur auquel il s'adresse, et par celle complaisance d'opinion qui est encore un des traits de I'auteur. La xix. 14 — 210 — 14c (xive) piece, plus courle, el inlilulee la Gloire, assez commune par le fond, puisque Lamartine y console un poete Portugais exile, par l'exemple conies- table du genie malheureux ct par I'esperance de la gloire, esl bien superieure par le style el par la com- position; elle esl estimable sans avoir rien d'eclatant. Telles ne sont pas les trois suivantes d'une toule autre portee el selon nous les plus belles de Lamartine. Les deux premieres, savoir : I'Epitre a lord Byron qui esl la 2<= du recueil, el la 5e I'Immortalite, sont dans toutes les memoires. i'ans YEpitre a lord Byron, Lamartine I'invite a se soumellre a la divine providence en lui cilant son propre exemple el rend gloire a Dieu de lousses desseins sur lui. Mal- gre quelques longueurs el quelques inexactitudes legeres de style ou de pensee, cetle epilre bien com- posee, bien pensee, bien ecrile, esl un modele admi- rable de la poesie pbilosophique, le coloris en est riche sans exces , I'idee jusie el precise, le style lou- jours noble el harmonieux, les sentiments purs et genereux; c'est un cbef-d'ceuvre qu'il faut relire et mediier. La 5e piece est peul-etre plus belle encore. A I'approche de la mort le poete aspire a I'Immortalite el, malgre les faux sages, espere vivre toujours, comme I'atteste I'instinct sublime de la nature et de I'amour. D'une forme peul-etre moins severe, cetle piece l'emporte selon nous par le mouvement et la chaleur qui y regnent. Sans doule Lamartine n'a point doune de ce dogme la preuve la plus forte, et il accorde trop a ses adversaires; mais les deux preuves qu'il developpe sont exposees avec une force, une poesie el une eloquence cnlrainantes. La 16e (xixe) piece esl inlilulee la Priere. La nature semble au soir - 2ii - mi leraple immense dont I'homme est le preire, el !>lorifie lour commun aiiteur par la confiance et I'a- monr. Ce poeme n'est gueres inferieur au precedent; les sentiments en sont meme plus vraiment religieux el le style y reso«l admirablemenl le probleme de ('al- liance enfre la poesie el la philosophic ; enire la rai- son , I'imaginalion et la sensibilite, qui forme U perfection meme. Dans celle inspiration, une des plus pures dc I'autcur, il y a, peui-etre encore, plus de verite que d'enthousiasme, plus d'elevation que de chaleur; mais I'une peut dominer sans que I'autre soil absenle; il suflil qu'ellcs s'y trouvenl loules deux, meme dans des proportions differentes, el le sujel d'ailleurs est plutot l*instiucl religieux de I'homme qu'une priere piopremenl dile. Jusqu'ici Lamartine s'est tenu dans les genera- lises de la religion nalnrelle , et nous sommes loin de lui en savoir mauvais gre, peut-elre meme celte belle philosophic convient-elle mieux a Tauteur, a noire siecle el a noire poesie, et lechristianisme oe pent qu'y applaudir. Mais dans les deux pieces suivanles en voulant se montrer plus croyanl, il s'est au contraire monlre plus incenain. plus llollant et en somme moins chrelien, plus enlache du mal de son epoque; I'incapacite a peu pres egale de croire el de ue pas croire, I'ahsence volonfaire d'opinion for- nielle sur le chrisiianisme. La 18e (xxr) piece est intilulee la Foi. II senible sur ce litre que la foi chreiienhe doive la remplir lout entiere. Point du lout; le commencement et meme la plus grande par- lie soni consacres a exprimer le decouragement de la vie, les fluctuations de lame el les blasphemes 'contre — 5412 — la Providence; apres ces alternatives d'illustons ei de desespoir beaucoup trop longues el Irop complaisam- mcnl exposees, Lamarlinc se souvient de la foi de son en fa nee et 1'invoque com me une lumiere consolanle; ce relour ou plutol celte aspiration a la foi religieuse, chanlec avec une elegance pleine de charme, ne lient pas assez de place dans celte longue piece, d'un en- semble assez equivoque el dont le style est bien moins precis et moins soigne que celui des trois morceaux precedents. Les memes critiques pour la forme et pour le fonds s'appliquenl a la 28e (xxxive) piece, Dieu, qui conlient aussi deux pages admirables sur sept ou buit mediocres ou facheuses. L'auleur aspirant a I'in- lini dans une introduction vague et prelenlieuse, de- tinit la nature de Dieu dans une poesie sublime; mais prelendanl qu'apres s'dtre monlre aux premiers hommes et auxhebreux, il s'est eclipse depuis, il lui demande une nouvelle revelation pour le monde qui sans lui va perir. Celte (in qui nous semble regrettable, monlre cette pretention imperlinente de notre temps de trouver le christianisme vieilli et d'appeler une foi nouvelle. II est vrai que le christianisme n'y est point nomine, mais seulemenl le Judaisme; mais la pensee de l'auteur n'est pas moins evidente dans ces vers : A uos yeux assoupis il faul d'autres spectacles ! A nos esprils flottants il faut d'autres miracles ! Change l'ordre des cieux qui ne nous parle plus ! Lance un nouveau solcil a nos yeux eperdus ; Viens! montre-loi loi-ineme, et force-nous de croire ! Les Juifs demandaient aussi a Jesus-Christ un signe dans le del, ei on sail la reponse que leur fit le Sau- veur. — -213 — II nous resle a examiner les odes propremenl dues, qui se dislinguent des auires pieces du recueil moins par le foods des ide'es que par le rhyihme et un mon- vemenl plus vif el plus amine; les uncs continuent d'agiter le meme probleme de la desiinee de I'homme, d'aulres chanlent les transports du genie; d'aulres, deux cvenemenls politiques imporiants ; d'aulres en- fin , les loiranges de Dieu Iraduiles des psaumes ei des propheties. La 7e el ia 8e odes inlilulees , I'une le Deseapoir, I'auire la Providence a I'homme, Irailcni la queslion deja indiquee dans cede du mal physique on moral. Selon la premiere de ces odes, Dieu, n pi es avoir crcc le monde imparfail, I'a livre an hasard, el I'homme a la douleur, jusqu'a ce qu'ils re- lomhenl dans le neant. Nous n'avons pas besoin de dire combien cede pensee esl fausse, immorale el blasphcmatoire. Elle esl sans doule donnee corame telle par I'auleur, quoique rien ne I'indiquc, si ce n'esi la refutation qu'il en fail dans I'ode suivanle; niais il n'esl point pcrmis, selon nous, au dix-neuviemesiecle el en plein chrisiianisme, de rappeler une pareille im- pieie avec ceiie poeiique energie , celle abondance qui semble convaincue, celle plenitude de develop- pemenl dont on nesorl point, memo a la (in. Esl-ce la doctrine de I'auleur? Esl-ce un theme, une imiia- lion delord Byron, un pendant a Tode suivanle? C'esi selon nous tout cela a la Ibis. On y reconnaii I'in- lluence de lord Byron en effel el celle audace insensee de noire sieele qui llolie entre les extremes sans s'ar- reler ni s'etonner devant aucune utopie; celle science vaine el creuse qui s'enorguedlit des images qu'elle assemble, des difiicultes qu'elle souleve, c'esi-a-dire de sa propre ignorance, de sa misere el de son scepli- — 1\!x — cisme incurable. Mais, sincere ou declamee, celte piece n'esl pas moins un usage Iriste et coupablo de la poesie, elle laisse une impression d'aulani plus pe- nible sur un esprit el un C03iir droit, qu'elle lemoigoc surlout au commencement d'un talent lyrique ires habile. Selon nous elle devait e.re reduile a qnelques strophes mises dans la boucbe de Timpie, et reunie a la piece suivante doni elle n'eut ele que l'iutroduc- tion. L'auleur a eu un autre ion on un autre malheur comme on voudra, juste punition d'avoir fail jouer son genie avec le sopbisme el le blaspheme, c'est que la 8e piece la Providence a I' Homme, qui est sans dome la vraie pensee de Lamartine, est inferieurc a la preccdentc, el la reponse plus faibleque I'objeclion, au moins quant 15 — line sorle d'mdignalion que nous voyous dans les poeies et dans les philosophes le chiislianisme commc non avenu. La He (xir) a pour sujet I'Enlhomiasme ly- rique; Pauteur le peinl el le redoute, car il epuise el con.-ume son ame Les premieres strophes sont pleisies d'elan, de couleur el d'harmonie, les derniercs soul plus f'aibles ; el il est douu ux que I ame soil ainsi viciime douloureuse de I'enlhousiasme, dont fob- jel d'ailleurs n'esi p ,-inl determine, ce qui donne it cede piece moins de por lee serieuse. J.-B. Rousseau, dans 1'ode an comle de Luc, indique an moins le sujei de scs iransporis el de ses veilles. Dans la 19" piece (xxue), inlilulee le Genie, Lamarline loue M. de Bonald d'exposer la vcrile divine, el I'engage a dedai- gner les disconrs du vulgaire pour ne songer qu'a la gloire. Celle ode a pcut-eire plus de raison el d'ele- valion que d'enlhousiasme ou d'elegance; mais elle esl lorlemenl pensee el foriemenl ecriie, el serail re- marquee comme la precedenle dans loni aulre poele. Les deux odes poliliques se ressenienl des conviciions royalisles, mais assez molles, de I'auleur, et n'olt'reni rien de ires remarquable. La premiere esl la JO du recueil, sur la Mart du due de Berry. Le poele imilanl Horace annonce que le siecle doit evpier par ses malheurs el le relour a la foi, les erreurs du siecle dernier. La pensee de celle ode un pen commune ne se railacbe que de loin a eel assassinai qui jela la France el surloui les royalisles dans le deuil ; mais elle a de I'elan el de beaux passages conlre les plii- losophes precniaeurs de la revolution. L'odc sur la Nuisance du due de Bordeaux esl heau- coup plus faible, on n'y ironve point de neltete dans — 216 — les pensees, ni de veritable inspiration. Enlin deux odes sont imitees dc PEcrilure Sainte. L'une la 23" (xxvne) renferme les Chants lyriques de Saul se pro»- mellanl la vicloire, extrails d'une tragedie de ce nom reslee inedile. Cetle imiiaiion esl faible, inachevee el sans suite j nous n'y voyons qu'une amptificaiion me- dioeiv, sauf quelques beaux traits qui pourraienl elre transported dans la suivanle. C'estla irentieme ou der- niere du recueil (xxxvue), elle a pour litre la Poesie Sacree; c'est une imiiaiion de quelques passages de la Ge- nese, de Job, d'Isaie, d'Ezechiel el de Jeremie. L'intro- dudion en esl assez faible ainsi que le premier, le qua- Irieme el le cinquieme morceaux ; mais les pages inspirecs on plulol iraduites de Job el d'Isaie sonl vraimenl belles. Le eoloris myslerieux des propheles y est bien saisi ; sans avoir l'eclal, la verve, Tabon- dance de 1'original. Peul-etre aussi que s'arretant a la forme exterieure Lamarline n'en a pas assez prcrfon- demenl eompris le sens et la portee. On se demande enfinqucl est l*objet serieux de ceite suite de pastiches, el s'll esl permis d'effleurer ainsi les chants sacres j dans un cadre un peu faclice el sans autre motif que r'admiraiion qu'ils inspireni. Neanmoins c'esl encore un hommage rendu en linissant parl'auleur, au Dieu de la Bible, el qui donne un dernier cachel religieux aux Premieres Meditations. La paraphrase des plainles de Job lera connailre le genie lyrique de Lamar- line. Ah! peri&se a jamais le jour qui ma vu naitre Ah ! perisse a jamais la nuit qui m'a coneu, Et le sein qui m'a donne l'clre, Et les genoux qui m'ont recu 1 — 217 — Que (Ju iKimhic des jours Dieu pour jamais I'efface Que, loujours obscurci des oiubres du trcpas, C.e jour parmi les jours ne trouve plus sa placj ! Qu'il soil corume s'il n'etait pas ! Maiulenant dans i'oubli je dormirais encore Et j'acheverais mon sommeil Dans celte longue nuit qui n'aura point d'aurore, Avoc ces conquerants que la lerre devore, Avec le fruit concu qui ineurt avant d'eclore, Et qui n'a pas vu le soleil. Mes jours declinenl comme I'oinbre; Je voudrais les precipiter. 0 mon Dieu! relranchez le ncmbrc Des soleils que je dois compter. L'aspec! de ma longue inlortune Eloigne, repousse, importune Mes freres lasses de u es maux ; En vain je ni'adresse a leur foule, Leur pitie m'echappe, et s'ecoule Comme l'onde aux flancs des coteaux. Ainsi qu'un nuage qui passe , Mon printemps s'est evanoui ; Mes yeux ne verront plus la trace De tous ces biens dont j'ai joui. Par le souffle de la colere, Helas ! arrache de la terre, Je vais d'ou Ton ne rerient pas : Mes yallons, ma propre demeure, Et cet oeil meme qui me pleure, Ne rererronl jamais mes pas ! L'homme vit un jour sur la terre Entre la mort et la douleur; — 218 ~ Itassasie de sa misere, 11 lombe enfin comme la fleur ; II tombe ! Au moins par la rosee Des fleurs la racine arrosee Peut-elle un moment refleurir ; Mais I'bomtne, helas ! apres la vie, C'est un lac donl l'eau s'est enfuie : On le cherche, il vient de tarir. Mes jours fondent comrue la neige Au souffle du courroux divin ; Mon esperance, qu'il abrege, S'enfuit comme l'eau de ma main ; Ouvrez-moi mon dernier asile; La, j'ai dans l'ombre un lit tranquille, Lit prepare pour mes donleurs. 0 tombeau ! vous etes mon pere; Et je dis aux vers de la terre : Vous etes ma mere et mes soeurs ! Mais les jours heureux de 1'impie Ne s'eclipsent pas au matin ; Tranquille, il prolonge sa vie Avec le sang de l'orphelin. II elend au loin ses racines ; Comme un tioupeau sur les collines, Sa famille couvre Segor ; Puis Jans un riche mausolee, II est couche dans la vallee, Et Ton dirait qu'il vit encor. C'est le secret de Dieu; je me tais et j'adore. C'est sa main qui traca les senliers de I'aurore, Qui pesa l'Ocean, qui suspendit les ci«ux. Pour In i, 1'abime est nu, lenfer raerae est sans voiles. II a i'onde la terre el seme les cloites : Et qui suis-je a ses yeux ? — \>\9 — Ainsi que nous I'avons dit en commencaat, lous cos poemes, do forme, de longueurs, el de merite si differents, se raiiacheni a une ineme pcnsee el justi- fienl ieur litre de Meditations poetiques et religieuses; tenant a la fois pour la forme a la poesic lyrique, phi- losophique el elegiaque, ils onl lous le meme fonds; Inspiration tail : mon cceurscul parle dans ce silence. La Toix de l'univers, c'est mon intelligence. Sur les rayons du soir, sur les ailes du vent , Elle s'eleve a Dieu comme un parfum virant; Et donnant un langage a toute creature, Pretc, pour I'adorer, mon arne a la nature. Toules ces idees sans doule sont comities depuis longtemps, mais qu'importe? Qui les avail jamais exprimees avec ce bonheur d'expression? Le role de la poesie n'esl-il pas d'idealiser, par une forme enchan- teresse et inspiree, la pensee de tous?Toutefois on peui encore ici relever quelques fautes legeres. D'oit s'e- levera Vhymne manque d'harmonic par le rapproche- ment de deux accents a rheniisiiche ; mon intelligence s'eleved Dieu comme un parfumviva.nl, n'esl pas assez exact ni consequent apres les flocons de nuage sem- blablcs a ces flols de. I'encens ; il est incoherent avec l'image plus juste de 1'intelligence comme voix de eel univers ou de ce temple , reprise ensuile si heureu- sement. Et, donnant un langage a toute creature, Prete, pour l'adorer, mon ame a la nature. Enfin cette derniere pensee si juste el si noble est en contradiction avec deux vers precedents qu'il aurail fallu sacritier. Et Semble offrir a Dieu dans son brillant langage De la creation le magnifique hommage. Seul, invoquant ici son regard paternel, le remplis le desert du noru de 1'Eternel ; — 22/i — Et celui qui, du sein de sa gloirc infinie, Des spheres qu'il ordoune ecoule l'harmonie, Ecoute aussi la voix de roon humble raison , Qui coDlemple sa gloire et murmure son nom. Ce dernier vers est une repetition assez faible, raais cetle attention que Dieu prete a la priere, n'a rien de presomplueux, c'est la doctrine la phis vraie et la plus belle exprimee en beaux vers. Salut, principe et fin de toi-meme et du moude , Toi qui rends d'un regard l'immensite feconde ; Ame de l'univers, Dieu, pere, createur, Sous tous ces noms divers, je crois en toi, Seigneur ; Et sans avoir besoin d'entendre ta parole, Je lis an front des cieux mon glorieux symbole. Jamais on avait expose avec plus de charme une philosophie plus sublime, le dernier trait seul, mon glorieux symbole , parait un peu pretentieux , mais d'ailleursnedoit pas etrepris a la letlrepar un chrelien comme un pur deisme; L'etendue a mes yeux revele ta grandeur ; La terre, ta bonte ; les astres, ta splendeur ; forme heureuse et rapide , quoique la terre revele plutot la sagesse de Dieu, peut-eire ; et le cceur de 1'homme, sa bonte, an moins de celte facon et comme reflet de Dieu , et non comme son ou- vrage . Ma pensee, embrassant tes atlributs divers, Partoutautour de toi te decouvre et t'adore. 225 Se r.onleiiiple sui-raeme, ett'y decouvrc encore Ainsi I'aslre du jouredate dans les'cieus, Se reflechit dans I'onde, el se peint a mes yeux. alliance met veilleuse de la meiapbvsique la plus haute el dc I'image la plus vive. La est Lamarline tout en- tier, et la revelation qu'il a faite d'une poesie toutc nouvelle; le pnele semble pourtant s'elever encore plus haul. C'est pe« de eroire en toi, bonle, beaule supreme ; .le te cherchc parlout, j'aspire a loi, je t'aime '. Quoi de plus pur, en effet au premier abord ? Mais cclle aspiration peul elre de deux sortes, ou bien elle est passive, fatale, partant sans vertu, et aboulil au pan- theisme des slo'iciens ou au quielisme de Fenelon ; ou bien elle est active et morale, elle est alors mcriloire, chretienne et conserve en la transformant noire per- sonnalite jusqu'au sein de Dieu. Or, Lamarline ignore celte distinction importante , ou plulol il ne con- ?oit„ il n'exprime que la premiere, tout en laissant la plupart des lecteurs dans cette contusion ; en effel, il ajoule : Mon aine est un rayon de lumierc ct d'amour, Qui, du foyer diviu delache pour an jour, De desirs devorants loin de toi consumee, Brule de remonter a sa source enOammee. Je respire, jesens, je pense. j'aimc en loi ! cela pent sans dome s'entendred'une iacon onbodoxe, mais aussi dune absorption absoluc et lolale, cc qui serait faux ; el ee qui me fail e'rairidre que ce ne soit xxix. 13 — 226 — le sens de I'atrteur, ce sont les deux derniers vers do hi piece deja cites , comme cnlaches de panlhcisme. Et, comme le soleil aspire la rosee, Dans ton sein a jamais absorbe ma pensee. Au resle un poete n'est pas un theologien, el tant qiril n'est pas ouverlemcnt dans le faux, on doit Penlendre dans le sens le plus favorable, mais il fal- lait constaler celte equivoque qui ne s'est que trop precisee plus lard. Rcvenons a noire poeme : Ce monde qui te cache est transparent pour moi ; C'est toi que je decouvre au fond de la nature, C'est toi que je bonis dans toute creature. Pour m'approcher do toi, j'ai fui dans ces deserts ; La, quand l'aube, agitant son voile dans les airs, Entr'ouvre 1'horizon qu'un jour naissanl colore, Etseme sur les monts les perles de l'aurore, Pour moi c'est ton regard qui, du divin sejour, S'entr'ouvre sur le monde et lui repand le jour; Quand l'astrc a son midi, suspendant sa carriere, M'inonde de chaleur, de vie et de lumiere, Dans ses puissants rayons, qui raniment mes sens, Seigneur, c'est ta verlu, ton souffle que je sens ; n'cst-ce pas la encore une de ces fausses images du monde de Lamarline. D'ailleurs la presence de Dieu dans le jour, pour l'ame qui prie, est admirablement exprimee.Leresteestunesorledemusiqueinlellectuelle dont les grands poetes onl seuls le secret, et dont Tapplication ou sentiment religieux est la gloire et I'originalite de Lamarline. La peinlure de la nuit est plus delicieuse encore, el les pieux seniirnenls (jiicllo inspire an poele sont ex primes d'une maniere ravissante , il n'y a point d'harmonic plus douce ni qui fasse rever au ciel avec un charme aussi penetrant. El quand la nuit, guidant son cortege d'eloilcs, Sur le inondc endormi jeltc ses sombres voiles, Seul, au sein du desert et de 1'obscurile, Meditantde la nuit la douce niajeste ; Enveloppe de calrae, el d'ombre, et de silence, Mon ame de plus pres adore la presence ; D'un jour interieur je me sens eclairer, Et j'enlends une voix qui me dit d'esperer. Arrive a celte hauteur le poete prend son vol en- core plus haul el plane dans une sphere divine, comme enlre Dieu et 1'homme , ou I'image n'esl plus neces- sairc poursoulenir I'ame dans les regions ideales. La poesie est devenuc I'eievalion a Dieu la plus douce, la plus naturelle el la plus sublime; celle ou le cceur se fond avec le plus de bonheur ; la priere scntie et chanlee, e'est-a-dire, la conlemplalion sans image, la possession sans trouble, l'amour sans ivresse de la verile, de la beaule et de la bonle supremes, en un mot, la jouissance fugitive mais pressenlie par I'art sur cette lerre, de la vision bealifique qui doit elre noire etal parfait et permanent dans le ciel. Oui, j'espere, Seigneur, en la magnificence : Parlout a pleines mains prodiguant 1'exislence, Tu n'auras pas borne le nombre de mes jours A ces jours d'ici-bas, si (roubles et si courts. Je le vois en tous lieux consenrer et produire ; Celui qui peut creer dedaigne de delruire. — 228 — Temoin de ta puissance, et sur de la bonte, J'allends le jour sans fin de I'immorlalile. La morl ni'enloure en vain de ses ombres funebres; Ma raison voit le jour a travers ses tenebres : C'est le dernier degre qui m'approche de loi; C'esl le voile qui tombe enlrc ta face el moi. Hale, pour moi, Seigneur, ce moment que j'implore, Ou, si dans tes secrets tu le retiens encore, Entends du haut dn ciel le cri de mes besoins ; L'atome etl'univers sont l'objet de tes soins ; Des dons de ta bonte soutiens mon indigence, Nourris mon corps de pain, mon anie d'esperance ; Recbauffe d'un regard de tes yeiix tout-puissants Mon espril eclipse par l'ombre de mes sens ; Et, comme ie soleil aspire la rosee, Dans ton sein a jamais absorbc ma pensee. Telle esl celie priere qui semble line paraphrase de l'oraison dominicale ; piece a pen pres parfaite dans son ensemble et ses details. Elle a lous les genres de merite et transporle l'ame dans les regions du monde* ideal. Touteibis nous devons faire en- core une reserve ; les devoirs de I'homme , l'exer- cice de sa liberie , la part qui lui revient dans sa deslinee , ['alternative du bien ou du mal moral aboulissant a un bonheur ou h un malheur eler- nei ; lout cela est laissc dans l'ombre, et il n'en esl pas dit un seul mot. Je sais que Finteniion essenliellc de Dieu en creant Thomme, et sa dcstincc normale, c'esl le ciel, c'est Dieu m6me; mais encore un coup, ce n'est point la son soil fatal , inevitable, mais seulement condilionnel, el s'il accomplit la loi de Dieu. Pourquoi n'en rien dire ? L'auteur croit-il done, avec lanl de philosophes de noire lemps, au paradis seu- — S29 — lenient et point a I'eofer, peul-elre par la frayeur qu'ils en auraient;on s'en tienl-ilau deisme de Rons- beau, qui, conlent de louer Dieu quelqnefois et selon les caprices du sentiment, n'en concha rien pour un culte exlerieur ou une revelation, ni meme pour la conduile qu'il doit tenir dans celle vie? Nous avouons que celle lacunc nous afflige, d'auiant plus qu'elle exisle dans loutes les pieces de Lamarliae, ei qu'elle serable faire partie de son symbole comme du sym bole de tanl d'autres ; funesie erreur, immorale pour I'homme et oulrageanle pour la saintetede Dieu aussi ennemi du mal ou du peche qu'il csi ami du bien , e'est-a-dire de l'innocence ou du repenlir ; lacune trompeuse et regrettable que Jesus-Christ n'a point faite lorsqu'apres nous avoir fail dire a Dieu, que voire regne nous arrive, ii nous fait ajouler : Pardon- nez-nous, ne nous laissez point tomber, mats delivrez- nous du mal. Une fois faite cetle reserve importante , un Chre- tien ne peut que se rejouir de voir ses sentiments ex- poses dans d'anssi beaux vers, qu'aimeret admirer le poele qui prele a sa piete une voix si noble et si parfaile. APPENDICE En 1849, M. de Lamanine se faisanl l'edileur de ses ceuvres, y ajouta quelques commentaires et pi u- sieurs morceaux incdils donl nous devons faire ici mention. Les notes sur les ancienncs pieces sont sur- loul anecdoiiques et pcrsonnelles a I'auteur, ei officii t — 230 — peu d'inlerGt a la critique generale et Iitteraiie. Nous ne parlerons que de deux sur les deux pieces du Desespoir et de la Providence a V Homme. Lamartine paraissanl rougir de la premiere, indigne en effel d'un Chretien et d'unhomme raisonnable, nous averlit « qu'il » etait alors malade de corps, de coeur, d'imaginalion; » qu'une nuit il se leva, ralluma sa lampe el ecrivit » ce gemissement ou plutol ce rugissement de son » ame. Ce cri me soulagea, dit-il, je merendormis. » Apres, il me sembla que je m'etais venge du deslin » par un coup de poignard. II y avait bien d'aulres » stropbes plus acerbes, plus insultantes, plus impies. » Quand je relrouvai celle meditation, et que je me » resolus h I'imprimer, je retranchai ces strophes. a L'inveclive y monlait jusqu'au sacrilege. » Get elal de souffrance physique et morale nous parait une cir- conslancc atlenuanie qui ne justilie pas la composition et encore moins la publication renouvelee de pareils blasphemes. L'aveu d'une faute n'en esl point en- core le repenlir ni la reparation. A la fin de la piece qui suit, ou la Providence a V Homme, Lamartine a ajoule ce commentaire qui continue noire critique : « Celle meditation ne vaut pas la precedenle. Voici » pourquoi : la premiere est d'inspiralion, celle-ci esl » de reflexion. Le repenlir a-i-il jamais l'energie de » la passion? (Alors supprimez le scandale de la faule, » puisque vous le pouvez.) Ma mere, a qui je montiai » ce volume avanide le livrer a l'impression, me re- » procha |)ieusemenl el tendrement ce cri de deses- » poir. C'etait, disait-elle, une offense a Dieu, un » blaspheme conlrc la volonle d'en haul , toujours » juste, toujours sage, toujours aimanle, jusque dans » ses severiies. Je ne pouvais, disail-ellCj imprimer — 231 — » tie pareils vers qu'en les reliilant moi-meine par » une plus haule proclamation a I'elemclle sagessc » el a I'eternelle bonle. J'ecrivis, pour lui obeir el » pour lui complaire, la meditation iniitulee la Pro- » vidence a l' Homme, o En lisanl ces reflexions nous ne pouvons qu'admirer la sollicitude maiernelle tie celle mere cbretienne, loul en regrellanl qu'elle n'aii point demande ou obicnu le sacrifice de la piece elle- meme, el plaiodre Lamarline qui parait ne s'eire re- fute, comme il le devaii , que par condescendance pour sa mere el non |>ar un relour a la resignation. El pourlanl comment, s'il a reconnu que la faule est plus eclatante que la reparation , a-l-il pu se re- soudrc a laisser ainsi la Providence plus faiblement defendue par lui qu'il ne I'avait allaquee? II y a la un defaul de conscience morale ou religieuse qui alllige. N'esl-ce pas la preuve evidente que la vanile du poele l'emporle en lui sur la conviction du cbretien? En somme, celle idee de faireaccompagner ses odes de notes el de commenlaires esl une conception mal- heureuse, el fait encourir a Pauleur le reprocbe d'im- prudence ou de vanite. Horace ni Virgile nes'en elaient poinl avises el avaient laisse ce soin aux Saumaises fulurs. En effel ces details, en nous iniiiant a une realile loujours un pen vulgaire , nuiseni plus a I'im- pression ideale de la poesie. qn'iis ne servenl a I'in- lelligence des sujels. Concoit-on que Bossucl ait accompagne les Oraisons funebres de pieces jusli- ficalives? Nous en disons autant des illuslralions donl on a cru embelli, les cbefs-d'eeuvre de noire liltera- lure el jusqn'au Discours sur I'hisloire umverselle; fachcux indice de la decadence du gout dans une na- 232 lion qui ne In plus el qui a bcsoin d'etre amiuee par des gravures. Nous nous elendrons "davantage sur les pieces ajou- tees en 1849 aux Premieres Meditations ; composees longtemps apres, elles ne soni entrees dans ee recueil que dans un but de speculation qui nous fait quelque peine, mais sur lequel nous ne voulons pas appuyer. II en resulle seulement, outre une certaine confusion dans I'ordre des morceaux, une sorle de disparate dans les idees et dans le style, qui nous parait plus grave, plus choquante, et que, sans Pesperer, nous voudrions voir disparaitre plus laid par la reunion des pieces jusqu'alors inedites et d'une dale poste- rieure, dans un recueil particulier. En effel les Pre- mieres Meditations, les Nouvelles Meditations et les Harmonies formenl un lout assez homogene et con- sacre qu'il n'est point permis selon nous d'alterer par I'interpolaiion de pieces toutes differentes. Quoi qu'il en soil, ces nouvelles pieces sonl au nombre dedouze, et sauf une seule elegie d'amour, apparliennent aux deux classes des elegies funebres ou melancoliques, et dos poesies pbilosopliiques. A I'exception de deux, elles sont fori courtes, el par le Ion el la composition se raliacheraient ainsi aux qualre recueils successifs de Lamartine; savoir, les trois premieres que nous citerons aux Premieres Meditations, cinq autres aux Nouvelles Meditations, deux aux Harmonies et deux aux Recueillements poetiques, comme on va le voir par I'cxamen de chacune d'elles. La derniere meditation dans la nouvellc edition esl une elegie d'amour sans date, el intitulee le Coquillage au bord de la mo\ a unejeune etrangere. Si parmi les — 233 — bruils que cello coquillc inurmure a son oreille, ellc eniend un soupir mele de (rouble el de charme, c'est, dii le poele, C'est I'echo de raon coeur qui m'eulretient de toi. Cette piece bien composee est ecrite avec ia precision elegante , el la delicalesse un pen fYoide des Pre- mieres Meditations. Les Adieux au college de Belley composes en 1809, deja publics, mais bien places en tele du premier recueil de Lamariine, lemoignaieni deja d'un laleni poelique distingue, d'un lour nalu- rellement elegant el barmonieux , mais aussi d'unc moralile molle el floitanle qui prevoit des egarements el des cbules avec moins d'alarmes que de complai- sance. La (xxve) est un fragment d'idylle marine ou de lutte poelique entre un berger et un pe- cheur ; d'un style pur et correct quoiqu'un peu charge , elle fait regretter que Lamariine traile le pu- blic assez cavalieremenl pour lui donner aussi sou- vent de beaux poemes inacheves, par une imitaiion abusive de ces chefs-d'oeuvre de I'anliquite que le temps, mais non lours auteurs, nous ont laisses incom- plels el mutiles. Si ces trois pieces par leur serenile et leur precision se rattacbenl bien a ces Premieres Meditations, c'est plutot aux Nouvelles qu'on doit rapporter les cinq qui suivent, on bien encore aux Melanges poeliques compo- ses et publies plus tard. La xxxvte est adressee en 1851 d une enfant, fille du poete, sans doute a cette jeune Julia que Pauleur devait perdre plus lard, au relour do son voyage on Orient. Cost tirailleurs une blueile sans charme el sans porlee, qui inieresse moins — 234 — le public el la poesie que I'amilie ou ramour paternel. La xxviu6 de 1827, el la xxxm8 de 1837 on! quelque rapport enire elles. Le sujet de l'uneesl Une FleurcueW- lie sur on rivage du midi el aujourd'hui flelrie ; I'auire a pour sujet Les Fleurs qui embellissenl le chemin de la vie. De ces deux pieces assez mediocres, I'une a plus de nellete, mais aussi plus de secheresse, l'autre moins de purele et plus de sentiment. Lcs deux suivantes soni, scion nous, bien superieures. La xxxixe de 1842, a pour lilre Les Oiseaux, ces ornemenls de I'ele quel'liivercbasse ou detruii. Apres une exposition aussi bien pensee que bien ecrile, le poele conclut Irisle- ment el en depassant le bui , selon nous du moins. 0 mes charmanls oiseaux, vous si joyeux d'6clore ! La vie est douc un picge ou le bon Dieu vous prend ? Helas ! c'esl corame nous. El nous chaulons encore ! Que Dieu serail cruel, s'il n'elait pas si grand ! II serait facile mais irop long de montrer que ce dernier trait est faux el excessif. La bonteen Dieu n'excluanlpas la grandeur, tout au conlraire, et cclle bonle eclalanl dans les oiseaux, aussi bien que dans les homines dont la deslinee eslsi diffe- renle; mais sans chicaner la poesie sur cellc ressem- blance et sur eel exces de compassion. Et nous le regreltons d'aulant plus que lout le resle est plus parfait. Lu xl6 meditation ou les Pavots est aussi amere, mais elle a plus d'unite el aulantde precision. Le prinlemps, dit Lamartine, sur le declin de l'age, atlristc la vieillcsse a qui il nc fanl qu'un pavot qui cardele sommcil du cercueil. Celle reflexion si Irisle — 235 — mais bieii seniic cl bicn exprimee, qui est datee de 1 8 i7 , est deplacec, comoie on le voil, dans les Pre- mieres Meditations, ou ecla'.ait la seve de la jeunesse, l'esperance de I'avenir, et Inspiration a l'infini. Cetleobservalion s'applique encore mieux a la xviue piece de la nouvelle edition , piece republicaine au milieu d'inspirations royalistes, piec inegale, incor- recte, incomplete, au milieu de poemes soutenus, precis el acbeves. Celle piece se rapprocbe da- vantage du ion familier des Harmonies el de la poesie philosophique. C'est un ressouvenir du lac Leman, adresse en 1842 a un Suisse M. Hubert Saladin ; c'est de beaucoup la plus longue des nou- velles pieces ajoutees aux Premieres Meditations. Le poelc, apres un debut obscur, decril les bords et la navigation du lac de Geneve avec des cou- leurs brillantes mais un peu confuses el inegales. Puis dans des vers prelenlieux el embarrasses il feli- cite son ami, citoyen d'un pays libre, qui s'afflige a lorl de la faiblesse de sa patrie. Si c'est Tame, le genie, la pensee et la liberie qui fonl la grandeur d'un pays, qu'a done a envier le lac qui vit sur ses bords Rousseau el Voltaire, Byron el Mme de Slael ? Nous ne savons si celte reponse est suflisante; mais on y irouve tantol des trails heureux el energiques, surlout en I'honneur de Mme de Slael el contre le despolisme de Napoleon, tantol des vers faibles et decousus qui irahissent une autre epoque que celle de 1820, et des preoccupations plus poliliques que lilteraires. Voici les vers consacres a Voltaire retire pies du lac de Geneve; il ne faul pas oublier que dans le plan de 1'auleur, il doil en faire I'eloge, mais on de- — 236 — vine qu'il en pense plus tie nial qu'il n'en dit, el qu'M soufire d'6tre oblige de le louer. Voltaire '. quelque soil le nom tlont on le nomme, C'est un cycle virant, c'est un siecle fait horuuie ! Pour fixer de plus haut le jour de la raison , Son ceil d'aigle et de lynx choisit ton horizon ; Heureux si, sur ces monts ou Dieu luil davanlage, 1! eut vu plus de ciel a (ravers le nuage ! Helas ! s'est du dire Lamartine, a quoi sen l'oeil de I'aigle el du lynx, s'ii ne decouvre poinl Dieu devanl nn pared spectacle el Tun des plus beaux pay sages du monde ! Beaucoup plus courie, la xvr piece composee en 1846 el assez impropremenl inlilulee la Cliarile, esl d'un style beaucoup plus pur. Un jour, Dieu ayanl demande au soleil ce qu'il aimail le mieux eclairer : c'esl un pauvre prisonnier, dii-il. Ainsi, ajoule La- marline, majoie esl de consoler un pauvre solitaire. Cet apologue d'un gout assez oriental esl versifie avec simplicile et sans longueurs. I'applicalion que le poele en fait a son genie esl pleine de noblesse et de na- turel. Eniin nous irouvons melees en 184-9 aux Premieres Meditations deux petites pieces mediocres, sans grace el sans porlee, composees en 1842 et en 1844. La Xie ou le Lis d'hehia, raconte en tonnes sees el durs que sur la lombe d'une fern me trouvee morle sur le rivage et ensevelie par des pecheurs il poussa un lis, symbole de sa deslinec, el setermine par quel- ques trails plus purs el plus doux. L'auire , la xx\e improvisee a Ferrare en sortant du cachot du — 237 — Tasse, est pleine d'amertume haniaine phis que do poesie sympalhique; toutes deux devaient elre reje- tees dans les Iiecueillements ou les Melanges. Nous le repetons en finissant, toules ces pieces dont quelques-unes sont fort belles, passent inapercues au milieu des Premieres Meditations, bieo superieures en general par le style et par les pensees, ou raeme en allerent l'ensemble et le caractere de perfection et de serenite; nous pensons que dans ce melange Tediteur a fail tort au poete, et qu'on devrait plutot, dans Tinleret de la gloire de Lamartine, releguer ces nou- velles poesies dans un nouveau recueil qui, sans etre aussi precieux que les premiers, u'en ferait pas moins honneur a son genie. i\ous choisirons la xvie piece ou la Charite, pour donner une idee de ces morceaux plus recents ; comme etant un des plus beaux, lant par l'ampleur de la maniere de l'auteur plus mallre de son plan et de sa pensee, que pour 1'art consomme du style, l'elevation des sentiments, l'aisance et l'aulorite d'un poete illustre, simple avec grandeur, et bienveillant sans or- gueil. Uieu dit un jour a son soteil ; « Toi par qui mon nom luit, toi que ma droile envoie >• Porter a l'univers ma splendeur et ma joie, » Pour que l'immensite me loue a son reveil ; » De ces dons merveilleux que repand ta lumiere, » De ces pas de geant que tu fais dans les cieux, » De ces rayons vivanls que boil chaque paupiere, » Lequet te rend, dis-moi, dans toute la carriere, » Plus semblable a moi-meme et plus grand a tes yeux ?» — 238 — — Le soleil repondit, en se voilant la face : « Ce n'est pas d'eclairer l'immensurable espacc, » De faire etinceler les sables des deserts, » De fondre du Liban la conronne de glace, » Ni de me contempler dans les miroirs des mors, * Ni d'ecumer de feu sur les vagues des airs ; » Mais c'est de me glisser aux fenles de la pierrc » Du cachot ou languit le captif dans sa tour, » Et d'y sechcr des pleurs an bord dune paupiere » Que rejouit dans l'ombre un seul rayon du jour ! » — Bien ! reprii Jehorah ; c'est comme mon amour ! Ce que dit le rayon an Bienfaiteur supreme, Moi, l'insecte chantant, je le dis a moi-meme. Ce qui donne a ma lyre un frisson de bonheur, Ce n'est pas de fremir au vain souffle de gloire, Ni de jeler au temps un nom pour sa memoire , Ni de monter au ciel dans un hymne Tainquenr ; Mais c'est de resonner, dans la nuit du mystere, Pour lame sans echo d'un pauvre solitaire Qui n'a qu'un son lointain pour lout bruit sur la lerre, Et d'y glisser ma voix par les fentes du coeur. L'idee dominanle est belle el profonde, le plan large et severe, la versification facile et harmonieuse, les rimes sont heureusement croisees et redoublees, le colons pur et bien fondu avec la pensee. Toulefois nous v releverons encore quelques taches ; le titre est inexact et pretenlieux, la charite etant une vertu ex- clusivement cbretienne, et la piece n'etanl point un hymne mais une parabole ; le premier vers eut du etre plutot un alexandrin, c'est-a-dire dans le rhythme de toute la piece, le dernier renferme une melaphore peut-etre un pen dure quoique amenee par ce qui — 239 — precede ; entin la repliqoc de Dieu au soleil est trop familiere; mais ces laches legeres disparaissenl dans la beaute de l'ensemble , modelede composilionexacte, de style abondant et de periode poetique. — W) SUn LES NOUVELLES MEDITATIONS. Les Nouvclles Meditations poetiques parureol en 1824, qnalre ans apres les premieres, et furent ega- lemenl bicn accueillies du public, sans causer le meme saisissemenl qui avail saluc en 1820 le debui de Lamartine. Elles so composenl d'un meme nom- bre de pieces environ : en effet, si on y ajoute trois petiles pieces qui parureol a la suite , la Chute du Rhin, une Jeune Fille el Reflexion, on Irouve vingt-neuf pieces, doni Tune, les Preludes, peul se subdiviscr en qualre poemes differenls, repondanl aux qualre classes que nous avons deja elablies, en parlant du premier recueil du poele; cc qui formcrail un lotal de irenle-denx pieces. Chaque classe en comprend huh: la premiere classe, celle des elegies eroliques, comprend les pieces 2, 3, 10, 11, 25, 24, plus Une Jeune Fille el le premier morceau des Preludes; la deuxieme, ou celle des elegies proprement diles, renferme les numeros 1, 5, 12, 14, 16, 21, 22, el le deuxieme morceau des Preludes ; la Iroisieme caiegorie est celle des poesies philosophiques, ce sonl avec le iroi- sieme morceau des Preludes les pieces suivantes, 8, 9, 13, 19, 20, la Chute du Rhin el Reflexion; enfin, — 2&I — fa qualrieme clas.>e rcnfermc les odes, savoir, les numeros 4, 6, 7, 18, 25, 26 el le dernier chant des Preludes. Dc sorte que le recueil separtage en quaire parlies a pen pres egales el a pen pres les memes que cellos des Premieres Meditations. Seulemenl nous devons faire deux remarques sur cede classification, loujours un pen arbilraire. D'abord la deraiere classe no renferme pas seulemenl des odes, mais un frag- ment epique et un autre dramatique ; en second lien nous avons range dans les autres categories cer- taines pieces qui paraissenl d'abord ne pas bien y renlrer, nolammenl par le rhyihme lyrique ; mais qui s'y raliachenl par le fond des pensees. En effet, ce qui distingue les Nouvelles Meditations e'est I'expression de sentiments plus individuels et moins generaux que dans les premieres , d'oii il est resulte un cbangement dans le rhyllime et la pre- dominance des formes lyriques ou elegiaques sur la forme philosophique. C'est encore plus de liberie d'alr lure, plus de sentiments et damages, plus d'harmonie el de richesse de details, mais aussi moins de preci- sion de style, de raison elevee , moins de pensees religieuses el d'aspirations a I'intini. II y a un progres dans le talent de lauleur, surlout pour la poesie ly- rique et anacreonlique, mais une sorie de dechcance dans la poesie pbilosophique. Quoique le fond el la forme soient a peu pres sembl ibles dans les deux recueils , I'expression esi ici plus animee, plus ecla- lante, mais moins precise el moins correcte ; la pen- see esl plus independanie et plus personnelle , mais moins pure el moins serieuse; l'auleur a recule de quelques pas vers I'epicureisme et I'incredulilo ; il s'esl repele, et comme il arrive presqiic loujours, avec xix. 16 — 2/r2 - moins dc perfection qu'il n'en a montre d'abord ; son genie a pins perdu que son talent n'a gagne. En resume, il y a un abaissement presque insensible, mais reel dans I'ensemble dc son second recueil ; on voit que I'atileur depend moins de la portion saine et se- vere du public, el qu'il se livre plus facilemenl a son gout pour la reverie volupiucuse el a la philoso- phic incredule de son sieclc. L 'analyse de ccs diffe- rent poemes Ic prouvcra suffisammcni. Les poemes anacreonliques lienncnt plus de place dans ce recueil, sonl moins chastes et moins purs par le fond ; au lieu d'etre meles aussi souvenl a la pensee de la mort, et presentes conime des souvenirs douloureux du bonheur passe, ils celebrent les char mes dc 1'amour actuel sous Ic bean ciel dc Naples, el sans doute des beantcs nouvelles ei different es. Le poete s'excite le plus souvent a jouir des douceurs de la vie, et nc levc plus que raremenl un regard vers le ciel. Nous regrettons de voir disparaiire ce carac- lere de spirilualile dans 1'amour qui faisait I'origina- lite et le merile des elegies du premier recueil ; mais nous avouons que ce caraclere n'est point essentiel a ce genre de poesie, el que les nouvelles pieces ont souvent beaucoup plus d'eclat, de charme, et de sen- sibiliie, quoique le fond en soil plus commun. La dcusieme piece, Ischia, rappellelecadrcdela piece du Lac, et du Golfe de Baya, des Premieres Medi- tations ; le paysage y est vaporeux el fantastique ; I'im- pression generale, sensuelle ct voluptueuse et sans aucune aspiration vers 1'ideal. L'expression est ele- gante, mais vague; 1'ame est bercee dans une lan- gucur penible a la longuc, plutdt <|ue ravie ct en- — 2/i 3 — chantee. Cclle niolles.se d'images, cle sentiments el de style est plus attachanle dans le premier morceau des Prtludes; quoiqu'il y ail loujours plus d'epicure'ismc d'arlisie que de lendresse. La xie piece, dile Eleyie, sans etre plus lendre, est beaucoup plus faible quant a I'expression, et plus blamablc pour le fond. L'au- leur y invite son amanlea jouir de celte viesicourte, et qui doit aboulir au neant ; il n'y a la ni distinction de style, ni elevation ideale. L'amour ;i plus d'interet et de delicatesse quand il se mele a la douleur, et qu'il pressent la mort, comme dans la x° piece a Elvire, ce qui purifie la deiicieusc peinlurc qui precede ct pro- duit un heureux effel ; ou qu'il evoque dans Une Ap- parition, xxve piece, I'amanle qu'il a perdue. Le mer- veilleuxy est bien amend par un rayon de la lune ; mais I'auleur n'a pas su le devclopper, ni liivr parti de celte source de souvenirs lendres et de regrets toucliants. A la fin du recueil il decril Une Jeune Fille comme une belle statue, simple et sans ornement , mais sans peindre sa figure, ni parler de son ame, sans aucune conclusion generate ou particuliere : de sorle que cette piece sans unite semble un fragment mutile d'un poeme plus etendu ; ce qui nous paraU un grand defaut, malgre le soin du style et la beaute des details. Sapho, la 5e piece du receuil, est une elcgie antique, admirable de passion, d'barmonie et de pathetique, l'amour y est peiul avec feu comme un mal devorant, el lei que Sapho pouvaii le sentir avatit de se precipiler dans la mer ; c'esl un chef-d'ceuvre d'elegance el de sensibiliie, quoique le debut en soil faible et vague; c'est un echo fidele el eloquent de — M — felegie grecque presque lout entiere perdue pour nous. Mais la piece la plus belle el la plus elendue est la xxive du recueil appelee Un chant d'amour. La composition on est parfaile, les details ravissanis, les sentiments, les pensees, les images, I'harmonie, tout y est admirable el delicieux. Malgre la pensee de la mori qui donne, a la (in de la piece, une teinte melan- colique el spirrtualistc a la passion, on pourrait y de- sirer un ideal plus celesie, mais I'expression est tou- jours cbastc et delicate, el la peinlure plutoi poetique que voluplueuse. Ces deux derniercs pieces sont supe- rieures a toutes celles dans ce genre, du premier re- cueil, justement parce que I'amour y est plus semi, s'il est moins eleve, et que la passion esi plus neces- saire au poete que la morale ; il suftit que celle-ci no soil point violee. La perfection consisierait a les reu- nir, si cette union ne semblait pas impossible. vSur ce point done nous constatons un progres dans la poesie de Lamarfine, bien que pour des motifs plus serieux nous en eussions voloniiers fait le sacrilice ; nous en. Unions la perfection, tout en en blamant 1'usage el en constalanl le danger de ces tableaux seducieurs. Quelques elegies semblenl renirer dans la poesie anacreoritique, dont ellesne se distinguenl que, parce que Tamour y est traite non plus comme un sentiment actuel, mais comme un regrel el comme I'objet unique de la vie. Toulefois, celle doclrine epicurienne, qui, comme nous l'avons dit, remplil une grande parlie des Nouvellcs Meditations, est moins bien placee dans Tele- gie proprement dile, ou elle sembie une negation du oliiisiianisme plulot qu'un emportement de la passion; elle prodm't sur le leelcur une sorte de peine, meme — 245 — mi point fie vue de Part. Elle louche an de^espoir et nn blaspheme dans le 2B morceau des Preludes qui rient aussi a la podsie philosophique, el qui, sans manquer de merile, laisse une Irisle impression el commeune reminiscence des imprecations de lord By ron. Aimable et delicate dans la petite piece de la Blanche de I'Amandier, qui en se fietrissant hientot nous invite a jouir; elle est commune et presque re- buiante dans la xne intitulee Tristesse, on le poete de sire retourner a Naples pour y gouier encore les dehccs de I amour. Elle est plus vague et plus nua- geuse dans les Adieux a la Mer, on le poete abuse de sa facibte a decrire el a versifier, et ou regne une sorte de nalurahsme vaporeux qui ne parvienl point a se dcssiner clairement, dans une longuc descripiion sans nettele et sans inleret. Ceite absence de precision dans I'expression et dans la pensce, est le defaut dominant de la piece du recueil comme du recueil tout eniier. L'au- teur y rappelani son passe si riant d'abord, et main- tenanl evanoui trislemenl, se ranime par I'espoir d'une vie nouvelle. La jeunesse et les regrets qui la suivent, sont peints de coulcurs assez riches d'abord puis pales el faibles dans des redites au moins inu- Jiles; les sentiments de foi el de vertu qui ler.nineni la piece soul irop vaguement exprimes pour nous •■assurer sur la conversion du poete, surlout a Teniree du recueil rempli de pieces anacreontiques ; c'est un cadre de bienseance, et comme un souvenir efes Pre- mieres medilatiom. Les trois elegies donl il nous rcste a parlor sonl au contraire, entieremenl nouvellcs et d'unc beauuS — 9/|6 - justemont celchre. II saffirait d'en citer les tilrcs, le Poele mouranl, Consolation et le Crucifix. Sans doule Lamarline avail deja chanie sa morl pro- chaine ; mais colic piece du Poele mouranl efface toules les aulres. An lit de mort le poele expire sans regrcl, apres avoir celebre lous ses seniimenls ; pousse par son genie, il n'estime poinl la gloire, mais I'amour, et s'elance radienx vers leciel. Comme on le voit, c'est nne sorle d'apologie du poele failea sa derniereheure, c'esi-a-dire, dans un cadre faciice et qui a pour objet d'excilcr noire inleiel pour sa mission. Dans celle analyse complaisanle du caraclere de I'auteur, la cri- tique signale trop de vanilc personnelle, el pas assez de verite generate, pen d'elevaiion dans les pensees, peu de sincerile dans le snjel el la situation de La- marline a son lit de mort, et dans ce dedain affecle de la gloire. J'avoue que j'ai de la peine a en croire le poele sur parole, et j'aimc mieux la franchise de Pascal disant a ce sujel : « Ceux qui ecrivent contre » la gloire, veulenl avoir la gloire d'avoir bien ecril; » el ceux qui le liscnt, veulenl avoir la gloire de I'a- » voir lu ; et moi qui ecrit ceci, j'ai peut-eire ceile en- <■> vie, el peul-etre que ceux qui le liront, l'aurontaussi.» Mais si celle piece soulient mal 1'examen de la froide raison, il faul reconnaiire que jamais la grace el la pro- lusion des images, la beaule des lours, I'harmonie des vers n'onl produil un plus grand charme; c'est une ortede seduction el d'encbanlemenl qui nelaisseplus de place a la reflexion ; on oublie que c'est le poele Inl- ine" me qui parle et ne devrait peut-etre pas parler ainsi., pour n'entendreque cequ'il dil dans unlangagesi ravis- sant. Voici celle admirable imprecation conlre la gloire. s — m — Muisle temps?— 11 n'est plus.— Maisla gloire?— Eh! qu'iiuporle. Cet echo d'un vain son qu'un siecle a l'aulre apporle ; Ce nom, brillant jouel de la posterite ? Vous qui tie I'avenir Iui prometfez l'empire, Ecoutez cet accord que va rendre ma lyre... Les vents deja 1'ont emporte ! Au! donnez a la morl un espoir moins frivole. Eh quoi ! le souvenir de ce son qui s'envole Aulour d'un vain tombeau relentirait toujours ? Ce souffle d'un mourant , quoi ! c'est la de la gloire ? Mais vous qui promeltez les temps a sa memoire, Mortels, possedez-vous deux jours ? J'en atteste les dieux ! depuis que je respire Mes levres n'ont jamais prononce sans sourire Ce grand nom invente par le dc-lire humain ; Plus j'ai presse ce mot, plus je l'ai trouve vide, Et je l'ai rcjete, comme une ecorce aride Que nos levres pressenl en vain. Dans le sterile espoir d'une gloire incertaine , L'homme livre , en passant, au courant qui l'entraine Un nom de jour en jour dans sa course affaibli ; De ce brillant debris le flot du lemps se joue : De siecle en siecle il flotle , il avance, il echoue Dans les abiines de l'oubli. Je jetle un nom de plus a ces flots sans rivage ; Au gre des vents, du ciel, qu'il s'abime ou surnage, En serai-je plus grand? Pourquoi ? ce n'est qu'un nom. Le cygne qui s'envole aux voutes elernelles, Amis, s'informe-t-il si l'ombre de ses ailes Flotte encor sur un vil gazon ? Nous preferoiis loulefois I'clugie du Crucifix, moins entachee decelte personnaliieaimable, mais excessive; - 248 - beaucoup plus vraie el plus interessante par la realilc, et par I'uuion des idees de mori et dc religion. D'ail- leurs le poele n'y joue plus, comme il le faut, qu'un personnage secondaireet passif; 1c snjet principal, e'esi le crucifix qu'il a herite d'un ami mourant, el qui lui rappclle lant dc regrets et lant d'esperances. Ceitc elegie, noble ei touchanle, est sobre d'images, et pre- senle tin heureux melange de foi et de tendresse, de Iristesse et de consolation. Peut-elre pourrail-on de- sirer plus dc precision dans les fails, plus de suile dans les idees el plus d'onction rcligieuse. Mais le ton en est parfaii, le style en est pur, el Timpression ideale et melaucolique. La plus belle elegie du recueil est, selon nous, la xivc inlhulee Consolation. L'auteur ranime dans sa douleur benit Dieu et le prie de le laisser jouir encore des douceurs de la vie, et surloul voir grandir aulour de lui sa famille.. Le debut en esl encore un pen vague et obscur, mais la fin est a la fois elevee el precise, simple et gracieuse. Moins ecla- tantede style que beaucoupd'autres, elle est beaucoup plus parfaite, parce que le sentiment en est juste et pur, et parce que la pensee s'en degage plus facilement. La, comme dans le Crucifix et la derniere piece des Preludes. Lamartine fail pressentir un des caracleres les plus heureux de son genie, que Ton soupconne a peine dans I'Hymne ausoleil ou la convalescence, des Premieres Meditations, el qui fail le pins grand charme de Jocelyn; e'est-a-dire, I'idealisation de la vie com- mune et domeslique. En general, son esprit si distin- gue et si elegant, mais un pen reveur et chimerique, n'est jamais mieux inspire que lorsqu'il applique sej merveilleuses faculles poeiiques a un objet precis, s — 249 — exterieur, qui lui l'asse lenir terre, et l'arrete dans le vrai, sans qu'il ail jamais a crnindre rien de trivial ou de vulgaire; au lieu qull esl souvent monolone et faligant dans les Nouvelles Meditations, mais sur- tout dans les Harmonies par ses plaintes sans objet, et ses reves sans idee palpable. Et meme ses plus belles pieces, outre celles que je viens de citer, sont les plus precises par leur sujet, ce sont : Sapho, Bo- naparte, la Chute du Rhin, une Bataille, I'Ange, Saul, ou le poele esl soutenu par la realite; et ou il peul eviler I'ecueil du genre et de son genie poetique, le vague el la langueur. Pour revenira I'elegie, dite Consolation , elle se dis- tingue aussi par un relour vers les idees religieuses el morales assez marque. Mais surtout le poele daigne enlin s'y monlfer epoux et peredefamille, vivre dans la societe, en un mot penser etsenlir comme 1'un d'entre nous, au lieu de vivre dans le monde de la reverie fan- laslique. Songeuiene pouvaii quegagnera serelremper ainsi aux sources du bon sens el de la vertu. L'bomme n'est pas fait pour la speculation oisive , et si le poele y esl plus aulorise, c'esl a condition non des'y com- plaire el de nous en enlrelenir uniquement, mais plutot au conlraire afin de nous faire aimer et d'idea- liser noire condition de travail, d'activile, de peine el de sacrifices. Lamarline I'a souvent oublie, mais quelquefois aussi il a verse les tresors de sa poesie sur la vie pratique, et ce sera la son plus beau litre de gloire apres Teclat qu'il a repandu sur le relour de noire siecle au spiritualisine el a la religion. Par la, sans rien perdre de sa grandeur, la poesie esl plus sympalhiqne et plus morale, et devieni uu 10* — 250 puissant moyen d'education pour les peuples. En effel, apres Dieu et la patrie, il n'y a point, pour Ie poete et pour I'homme, de sentiment plus eleve, plus donx, plus necessaire eten quelque sorte plus humain, que cet esprit de famille qui renferme en soi toutes les verlus (1). C'est toujours 1'immorlelle desiinee de I'homme qui faille sujeldes poemes philosophiques, al'exceptionde deux pieces, la description d'une bataille (dans les Pre- ludes) qui n'appartienl a aucun genre precis, et une autre sur la Liberte. Toutes sont en vers alexandrins el a rimes plaies, excepte les Stances de la xixe piece. On aurait pu y raltacher le 2& morceau des Preludes et quel- ques autres pieces que nous avons ranges parmi les ele- gies, el Ton concoit en effel le rapport qui unit cesdeux classes de poemes. Cependant les pieces philosophiques, (1) Je saisis cetle occasion de protester contre une assertion etrange, que Ton me fait soulenir dans le compte-rendu d'une des seances du Congres scicntifique, tenue a Reims en 1845. ,1'avais dil et je maintiens que lesprit de famille n'existe pas assez en France, et les progres du socialisme dans les ames l'ont assez prouve depuis; sur quoi Ion me fait dire qu'ii n'y existepas. On sent assez la difference que l'adverbe, ajoule ou omis, etablit eutre les deus opinions. Dire que l'esprit de famille n'existe pas en France, ce serait a la fois une absurdila et une injure a noire pays. La venle est qui; si cet esprit ne yivifiait plus la France, la sociele francaise ne subsisterait pas un seul jour; et loin de moi la pensee que la France doive bientot perir ! Au reste cetle enormile nest point la seule qui me soil pielee par la memoire inexacte du secretaire que je n'ai pas I'honneur de connaitre; et si je n'ai pas relcve plus lot une opinion qui doit donner aux lecteurs une triste idee de mon jugement, c'est que le proces-verbal ou elle m'est imputee, n'a ele, comme on lesait.ni In, ni adople par le comile de litleralure, mais redige et publie plus lard, loisque j'etais absent el que je ne pouvais plus rcclamer. , — 251 — outre le rhythme, se dislinguent par un Ion plus ca I me et plus severe, comme aussi par la generaiite de leurs sujels. Comme nous l'avons (lit, elles temoignenl de plus d'independance dans lis idecs, el de flexibiliie dans le talent de l'auleur ; il y csl plus grand colorisie et poete plus seduisant. Mais il y a moins de surele de gout et de doctrine, moins de severile de style, moins de haute eloquence, moins de raison, de foi et de verile. L'clement lyrique ou reveur y domine da- vantage ; la pensee religieuse y est moins chretienne, plus pantheisle, quelquefois meme impie ou indif- ferente, quoique ce soit eucore moins une affirmation formelle qu'une tendance de plus en plus marquee. Nous ne nous arreierons pas au recil d'une balaille qui forme Ie5e morceau des Preludes, morceau brillanl, description admirable donl lous les details sont egale- menl soignes, el sur lequel nous reviendrons plus loin ; ni a la xxe piece sur la Liberie", piece mediocre oil le poete, apres une description des ruines de Rome, assez belle mais vague el obscure, apostrophe la liberie par une declamation royaliste sans juslesse el sans portee. Nous t'aisons meme assez peu de cas des Stances ou le poete, au milieu des occupations des hommes, chanie la grandeur de Dieu; ce theme avail ete deja deve- loppe avec plus d'etendue et de bonheur dans les Premieres Meditations. Enfin la petite piece du Pa- pillon compare en dix vers charmants le papillon vol- tigeanl sans cesse, au desirqui ne s'arrete qu'au ciel ; ce morceau devait entrer dans une autre piece au lieu de faire une meditation enliere. Les aulres poemes sont superieurs. Ce sont d'abord les Etoiles, la vm° piece du recueil. En voyanl ces astres de la nuit, d'une infinie varieie, el qui comme la — 252 — lerre, floltenldans I'espace, mats sans tloute plus pres de Pieu, lepoeiesoubailed'elrel'un d'eux pour consoler les mortels. Cette piece, pleine d'une poesie myslerieuse, repond merveiltcusement a Pimaginaiion bienveillanle, mais un peu chimerique de Pauteur ; c'est aussi une aspiralion a 1'infini bien amenee par le calme el Pirn- mensite du ciel dans une belle null. El en general, Lamarline, poele spiritualisle et melancolique, quoique grand colorisle, prefere le jour douleux du soir, ou la douce clarle de la lune, a Peclat du soleil el aux trails du jour moins favorables, en effel, a la reverie el a I'inspiralion. La Solitude (la 13e piece du recueil) est preferable, selon nous; le sujet en est mieux defini, les pensees plus raisonnables, I'inspiralion plus vrai- ment religieuse. L'auleur, loin des homines, goule le plaisir de gravir une haute monlagne ou Dieu lui ap- parail de plus pres dans sa gloire. La description de ces monls solitaires est admirable, l'impression qu'elle cause est bien senlie el bien exprimee. L'idee de Dieus'en delacheheureusement, melee aux images les plus grandes et les plusgracieuses ; le style en est pur, lerme el soigne , mais pas encore assez precis, el peut- elre inferieur, paries details, a celui des Premieres Meditations , quoique l'ensemble laissc une impression peul-elre plus profonde. Le poele s'y adresse moins a la raison et plusau seniimenl. II en est de meme de la Chute du Rhin, qui a plus d'un rapport avec la piece precedenle, doni la description est plus parfaite encore, mais la conclusion est la meme et moins bien developpee. Ce sont la deux poemes irreprochables par le fond et d'une forme admirable, quoiqu'un peuchargee. Telle n'est pas la demiere piece du recueil, appelee Reflexion. Deux sentiments, selon le poele, pariagent — 253 — lous les hommes : selon les uns, 1'hommc est le fruit du hasard et n'a oi lois, ni destinee immortelle ; selon les autres, Dieu veille siir lui, et apres celte vie d'epreuve , lui reserve I'immorlalite; enlre ces deux opinions, le poete ne se prononce pas, mais il espere. Celte piece est bien composee el bien ecrile, elle rap- pelle, plus qn'aucunc autre, le style ferme des Pre- mieres Meditations, comme elle rappelle les deux pieces du Desespoir et de la Providence a I'Homme, Les memes critiques s'y appliquent egalement : d'a- bord, par je nc sais quelle fatalile, le materialisme y est mieux expose que la verile religicusc; ensuite, malgre le penchant de I'auteur, a peine indique a la lin de la piece, vers le spiritualisme, I'inditference enlre les deux opinions est un choix condamnable apres tant de lemoignages de la Providence divine, de iumieres sur la deslinee de 1'homme, surlout apres les claries de la revelation et les graces du christia- nisme ; fuuesle effet de celte bienveillancc naturelle on interessee d'un auieur incerlain qui sourit a lous les parlis, ou d'une education moitie vollairienne et moi- tie religieuse, ou d'un temps ou le materialisme do- minait encore, landis que la foi n'etait que le souvenir ou Inspiration de quelques ames d'elite. Nous entendons deux voix ; mais laquelle a raison ? L'esperance dit oui , la nature dil nou . Je ne prononce pas sur ce sacre mystere ; Quelle bouche dirait ce que Dieu voulut taire ? L'esprit huraain fendant la mer d'obscurile, Trompe par chaque ecueil, crie en vain : Verile. Sur les bords ignores plane une nuit divine. Ce monde est une enigme ; heureuv qui la devine. — 254 — J. C. a Oil dans 1'Evangile : « Mon Dieu , je vous rends grace de ce que vous avez revele ces v6rites aux humbles et aux pelils , et de ce que vous les avez cachees aux superbes. » II a dit aussi : « Qui n'est pas avec moi, est contre moi. » Devait-il done arriver a Lamarline ce qui est arrive a lanl d'anlres, de suivre son siecle, pour conserver sa popularity au lieu de le diriger, ou plulot au lieu d'ecrire pour la verite universelle de tous les temps; ne sera-t-il que l'enfanl gale de son epoque, comme Voltaire, quand il pouvait, comme Racine el Corneille, inslruire tous les ages; el va-t-il escompter sa gloire, en quelque sorle, pour en jouir plus lot el moins longtemps ; sans parler du crime qu'il y a a trailer ainsi, par mollesse ou par calcul, la morale et la ve- rite. Le defaut du xvme siecle, selon M. Guizot, de ce siecle ou est ne M. Lamartine, c'esl de n'avoir pas eu aulani de haine pour*le mal que d'amour pour le bien (si tant est qu'il ait aime le bien en soi), tandis que Tune est inseparable de l'autre dans Dieu et dans l'homme vertueux. Si le demon elait defini autrefois : celui qui dit non, il n'y a guere moins de danger a dire loujours oui, comme noire siecle et Lamartine ; et ainsi que I'a dit Barlhelemy : « Une vertu sans de- » cision est une vertu sans principes, et des qu'elle » ne fremit pas h I'aspecl du mal,elle en esl souillee.» Comme nous I'avons dit en commencant, les pieces rangees dans la qualrieme classede ce recueil, comme celles de la classe correspondante des Premieres Medi- tations, sonl de forme el de nature tres diverses ; deux d'eutre elles appartiennenl memea la poesie epique ou dramatique, comme aussi plusieurs odes ont ete ralla- chees aux classes precedentes. La plupart onlconserve un — 255 — caractere subjectif el elegiaque, quoique d'un ton plus anime. La 25", improvisee a la grande Chartreuse, res- semble aux poemes precedents, religieux ou philoso- phiques el a la piece sur la Semaine sainie a la Roclie- Guyon. Selon le poete, Dieu qui se plait sur les hau- teurs, doit se reveler dans ces lieux ; c'est toujours I'expression commune d'une foi douleuse et d'imagi- nation. Mais c'est un mensonge que d'inlituler la Sagesse, el d'attribuer aux livres saints la ive piece, ou I'auleur invite les hommes a jouir de la vie, de la na- ture el de l'amour. Malgre la conhance en Dieu, assez nial delerminee a la fin de cetle piece, c'est une sorte de profanation et de contre-sens. Le livre de la Sa- gesse ne fait parler ainsi lesimpies que pour les con- damner et les confondre aussilol apres. Peut-etre La- martine n'a-l-il voulu prendre que la couleur biblique, et a-l-il cru ne pas mal 1'interpreler, parce que celle doctrine ne parait pas absolument contraire a la leltre de la Bible, mais c'est une erreur grossiere ou un travestissemenl coupable que Ton ne sail com- ment expliquer. Rien de plus oppose aux saintes Ecrilures que celle morale molle et sen^uelie , quand elle ne serail pas contraire a la loi naturelle. Voici le commenlaire que M. Lamartine Tail sur cette piece dans ('edition de 1849. « Le mot de sagesse m est pris ici en derision. La sagesse est de fa i re effort » et de souffrir, pour perfectionner en soi le type im- » parfail deFhonime que la nature a mis en nous. Nous » naissons ebauche, nous devons mouiir statue. Le » travail est la loi humaine; la voluple n'est que « I'egoisme des sens. Je savais bien tout cela quand » j'ecrivis cetle ode en 1826, a Florence; » (Sans doule 1826 est une faule d'impression pom- 1816.) « mais — 256 — » Tame s'enerve dans le bonheur, com me le corps » s'enerve dans les climats Irop temperes de 1'Oricnt. » J'etais heureux; je fis comme Salomon, je m'enivrai » de mon bonheur, et je dis : il n'y a pas d'aulre sa- » gesse. Je n'ai pas besoin de dire au lecleur que » c'esl la un paradoxe en vers» (Paradoxe nous parait Irop indulgent,) « dont Horace ou Anacreon aurait » pu fa ire des strophes bien plus assoupissantes que » les miennes, mais dont Plalon aurait rougi. II y a » plus de philosophic dans une larme ou dans une » gonlte de sang versee surle calvaire, que dans tous » les proverbes de Salomon. » Nous n'avons pas be- soin de direcombien cette retractation tardive est in- suffisanle: combien il convient peud'opposer a Jesus- Christ mouranl sur le calvaire les Proverbes de Sa- lomon, livre inspire par 1'Esprii Saint el rempli de la morale la plus pure. Nous n'y avonsvuqu'un versel, qui semble avoir ete saisi par Lamarline avec une legerete qu'on ue sail comment qualifier. A la fin du chapilre V, Salomon s'exprime ainsi : « Vivez dans la joie avic » la femnie que vous avez choisie dans voire jeunesse ; » qu'elle soil pour vous une bicbe agreable et un faon » gracieux ; enivrez-vous sans cesse de son amour. » Mais il ajoute aussitot : « Pourquoi vous laisser seduire » par une etrangere, 6 mon fils, el reposer sur le sein » d'une autre? Le Seigneur considere les voies de » I'homme el observe tons ses pas. » Suivent trois chapitres ou Salomon recommande sans cesse d'evi- ter les lemmes et leurs atlraits irompeurs. Nous le demandons a tout hommu de bonne loi, esl-ce la rendre lidelemenl I'esprit d'un livre el suilout d'uo livre ca- Donique? Si Lamarline avail eu plus de souci de sa gloire el de la posleriie, au lieu de laisser ceUe — 257 — piece telle quil l'avaii composes clans le transport d'une vie dissipee ; il eut saisi celte occasion d'une nou- velle edition pour la refondre ou la supprimer, el n'eiit point dedaigne de se corriger, puisqu'il reconnais- sail qu'il s'elait trompe (1). Ecoutez : voici vers Solime Un son de la harpe sublime, Qui charmait l'echo du Thabor. Insense le morlel qui pense , Toute peusee est une erreur. •4 Au dous murmure de ces ondes, Expriincz tos grappes fecondes Oil rougit I'beureuse liqueur ; Et de main en main sous vos treilles Passez-vous ces coupes vermeilles, 1'leines de 1'ivresse du coeur. Ainsi qu'on cboisil une rose Dans les guirlandes de Sarons, Choisissez une vierge eclose Parmi les lis do vos vallons : Enivrez-vous de son haleine ; Ecartez ses tresses d'ebene ; Goiitez les fruils de sa beaule. Vivez, aimez, c'est la sagesse: Hors le plaiair et la tendresse Tout est mensonge et vanite. linlin, voici la derniere slrophe, qui re pond a ce chant prelendu biblique : (1) II en esl de memo du trait qui lerinine la *•• meditation sur Bonaparte. xix. 17 — '258 — Et vous pourquoi d'un soin sterile Empoisonner tos jours bornes ? Le jour present vaux mieux que raille Des siecles qui ne sont pas nes. Passez, passez, ombres legeres ; Allez oil sont alles vos peres, Dormir aupres de vos a'ieux. De ce lit oil la mort sommeille On dit qu'un jour elle s'eveille Comme I'aurore dans les cieux. II ne manquait plus que de voir les plus graves en- seignemenls de la Bible transformed en livret d'opera comique. Ce n'esl pas ainsi que l'avait compris Ra- cine dans Athalie. Voici d'abord ce que nous lisons dans le detixieme chapilre de la Sagesse : 1. Dixerunt cogitantes apud se non recle. 5. Umbra? transitus est tempus nostrum. 6. Venite ergo, c t fruamur bouis quae sunt, et ulamur crea- tura tanquam in juventute celeriter. 7 . Vino prelioso et unguentis nos impleamus , et non praetereat nos flos temporis. 8. Coronemus nos rosis, antequam marcescant ; nullum pra- tum sit quod non perlranseat luxuria nostra 21. Hoc cogilaverunl et erraverunt, excoecavit enim illos ma- lilia eorum. 22. Et nescierunt sacramenta Dei, neque merccdem sperave- runt justitiae, n c judicaverunt honorem animarum suarum. 23. Quoniaiu Ueus creavit hominem inexterminabilcm ; el ad imaginem similitudinis sua? (Veil ilium. — 259 — Void mainieaaut limitation de ee passage par Ra- cine : Rions, ctaantons, dit celte troupe iinpie, De fleurs en fleurs, tie plaisirs en plaisirs Promenons nos desks Sur l'avenir insense qui se fie. Ue nos ans passagers, le nombre esl incerlain : Hatons-nous aujourd'hui de jouir de la vie; Qui sail si nous serons domain ? Qu'ils pleurenl, 6 nion Dieu, qu'ils fremisseut Je crainle Ces malheureux qui, de ta cite sainte, Ne verront point l'iinmortelie splendeur. De tous ces vains plaisirs ou leur aine se plonge Que leur restera-t-il ? Ce qui resle d'un songe Dont ou a recount! l'erreur ! A leur reveil, 6 reveil plein d'horreur ! lis boiront dans la coupe affreuse, inepuisable. Que tu presenteras au jour de ta fureur A toute la race coupable. 0 reveil plein d'horreur ! 0 souge peu durable ! 0 dangereuse erreur ! Le poeme de Lamanine esl d'autanl plus regrel- lable que la forme en est plus belle, plus charmanle et plus harmonieuse. C'esl encore un abus evident, quoique moins condamnable , que de detourner le sens de ces mols VEsprit de Dieu au genie poetique. Toul poete, selon Lamarline , luite vainement con (re eel esprit divin, comme Jacob lulla conlre I'ange ; c'esl la une pretention vaine des poeies de nos jours, 8'ailleurs exprimee en beaux vers, comme ceux de la Meditaiion sur I' ' Enlhousiasme'. Au moins la seduction — -260 — de cette poesie enchanleresse est moins ilangereuse que celle de la piece precedente. Mais il faut yivre dans notre temps d'ignorance profonde el de legerete incroyable, pour qu'on ait altendu jusqu'ici a faire justice decelangage metaphorique, emprunleala foi par la fantaisie ; corame aussi, pour ne pas s'elever contre cetle impartiable coupable eutre le blaspheme et l'enseignement du christianisme. Dausl'anarchie des esprits et la mollesse des croyances morales, jamais le champ n'a ete plus commode aux poetes pour debiter et faire accepter toutes leurs chimeres et leurs pre- tentions, controler l'Evangile et se donner eux-memes pour des apotres inspires, el il a fallu deux revolutions et des exces plus monstrueux encore, pour qu'on re- vint decet engoument. Osiecledes lumieres! quen'as- tu un peu moms de theories et un peu plus de bon sens! Les Adieux a la Poesie sont plusserieux. Lamarline y prend conge de sa lyre, plus souvent triste que joyeuse, toujours libre, eloignee des partis, chantant tour a lour Dieu el l'araour, et qui charmera peul- etre sa vieillesse. Celte piece est assez molle par le style et par la pensee; on y trouvede la grace, mais peu d'elevation; depuis longtemps, d'ailleurs, on a dispense les poetes lyriques de la modestie, surtout dans leurs epilogues^ II nous reste a parler de deux belles odes, quoique d'un caractere bien different : l'une est le dernier morceau des Preludes. Le poete y chante, avec un charme infini, les beautes de la vie champdtre, et, comme nous I'avons deja dil, idealise heureusement la famille, la ferme et le foyer. L'autre a pour sujet — 261 — Bonaparte, ei est en grande partie imitee do Manzoni, sans que I'auleur en ait rien dit. Lamanine retrace sur sa tombe la vie de eel hommc d'nne si elonnanle destinee, le suit a Sainle-Helene, ou le remords et I'as- sassinatdu prince de CondeTobsede, et le livre au tri- bunal de Dieu. Malgre quelques preoccupations roya- listeset quelques insinuations severes, cette piece ren- ferme une appreciation assez equitable de Napoleon, au moins pour Pepoque ou elle fut ecrile, et se dis- tingue par une grande elevation et une precision ele ganle dans les details. Voici toutefois quelques passa- ges qui nous paraissent pecher conlre le gout ou conlre I'equite : Gloire, honneur, liberie, ces mots que l'homnie adore lietenlissaient pour toi comme i'airain sonore Dontun stupide echo repete au loin le son. El de lous ces grands noms, profanaleur sublime, Tu jouas avec eux, comme la main du crime Avec les vases de lautel. Voici qui est plus grave, c'esl une idee fausse ei immorale, quoique brillante et approuvee sans doule de bien des personnes de noire temps, mais condam- nee, depuis, par I'auleur lui-m6me : Et vous, fleau de Dieu, qui gait si le genie N'esl pas une de vos vertus ? S'il est injuste d'appeler Napoleon un lleau de Dieu, il est encore plus mal de confondre le genie, don naturel qui n'esl pas meriloire, avec la vertu qui nous est personnelle et fait noire vrai meritc devant — *>6'2 — Dieu. Voici en quels lermes Lamarline condamne ce vers, sans le corriger, dans ['edition de 1849. a La » derniere strophe est un sacrifice immoral a ce qu'on «> appelle la gloire. Le genie par lui-meme n'est rien » moins qu'une vertu; ce n'est qu'un don, mie faculte, » un instrument : il n'expie rien, il aggrave lout. Le » genie mal employe est un crime plus illustre, voila la » verite en prose. » Nous n'avons rien a ajouter a uue reprobation aussi formelle. Nous demanderons seule- menl a I'auteur comment un crime peut jamais el re illustre, el s'i! y a une verite differente en prose el en vers. Nous nous elonnons aussi qu'apres une pareille declaration sur les obligations du genie, Lamarline ail laisse subsisler ce vers lei qu'il I'avait compose, el sans songer que lui aussi avail a rendre comple de l'em- ploi du sien au souverain juge. Quoiqu'on puisse avoir mauvaise grace a chicaner lauteur des Meditations, pour nous avoir donne deux beaux morceaux de plus , nous n'approu- vons pas qu'il ait publie ici deux fragments d'autres poemcs plus etendus, et qui, d'ailleurs, n'onl pasparu depuis. D'abord, pourquoi les detacher de I'ensemble avanl le temps? En*uile quels rapports offre le genre epique on dramatique auquel ils apparliennenl avec la poesie des Meditations ? C'est ce qu'il n'est pas facile d'expliquer. 11 semble que l'auteur ail voulu grossir le volume, nous faire connaitre et regreller d'autres ou- vrages de lui, on pressentir, sur ce point, le gout du public. Tom cela nous semble peu serieux, et quoique ces deux pieces soienl ires remarquables, nous pen- sons que le genie de Lamarline est plutot lyrique, elegiaque el philosophique. Quoiqu'il en soil, le frag- — 268 — menl epique esl intitule YAnge. Par Pordre lie Dieu, I'ange Iihuriel descend sur la lerre, el pendant son sommeil emporle I'ame de Clovis dans la lime, sejour des songes. Sans elre d'une grande porlee, le ion de ce morceau est simple el noble comme celui de l'epopee; le merveilleux y est bien exprime; nous admirons surtout la iheorie poeiique de 1'auteur sur les songes; lui seul pouvait revelir des idees abslrailes d'aussi vives images. Le fragment dramalique est en- core plus beau el nous ferait regretter la tragedie de Saill, d'ou il est lire. Saul consulle la Pythonisse d'Endor, qui lui devoile ses malheurs el ; es crimes ; furieux, il s'elance sur elle, quand I'ombre de Samuel lui apparaissant, le force d'avouer qu'il I'a fait peril1. Cetle scene esl bien conduite et eul ete d'un grand effet ; le dialogue en est nalurel, vif el anime, le style ferme et severe, point Irop charge d'images, tel enfin qn'il convient a la tragedie. Nous le repetons, les Nouvelles Meditations de La- martine, sans differer de beaucoup des premieres, sonl plus poetiques et moins religieuses. L'image, le senliment, 1'harmonie, y sonl plus marques. II y a plus de hardiesse et d'eclat, d'arl et de bonheur dans les figures ; mais la pensee en esl moins elevee et moins pure; l'element lyrique y domine davantage, I'aspi- ralion a l'infini change d'objet el se tourne moins vers le ciel et plus vers la terre. L'auteur y esl plus seduisant el moins raisonnable,ei sa gloire y a peut- etre moins gagne que perdu . Enfin, le style, plus colore, mais beaucoup moins precis que dans les Premieres Meditations, offre les memos negligences el qnelques incorreclions nou- — 266 — velles. Par exemple. on y fait rimer chemin el matin, vallon et gazon , sang el glissant, mais surlout re- venir, jouir, flechir , cueillir , soupir , mourir , elc. , ce que nous ne croyons point permis. En general, les rimes masculines doivent porter sur toute la syllabe, surtout quand elles sonl aussi nombreuses que celles-ci ; il ne faul pas qu'un poele aussi par- fail que Lamarline puisse infirmer celte regie, suivie par les grands poeles du xvne siecle. Remord perd encore uue s pour rimer avec mort ; tu t'enivre en perd une egalement pour rimer a vivre, ce qui nous parait une plus grave incorrection ; enfm balayeront est fait a tort de quatre syllabes, Ve muel ne comp- tant pas dans l'interieur des mots au futur, et etant meme aujourd'hui remplace par Paccent circonflexe. Nous remarquons aussi que le retour des memes pensees amene naturellement le retour des memes rimes, et que le poele n'a pas tout a fait echappe a I'ecueil de la mouotonie qui linil par faliguer I'altenlion, engourdir l'oreille, el blaser 1'imagination, surtout dans une poesie aussi vague et des pensees aussi insaisissables. 11 faut observer encore que le retour a I'epicureisme a raraene Ires souvent la forme paienne des Dieux, que nous n'avions pas remar- quee dans les Premieres Meditations , c'est comme un temoignagne involontaire el caracterisiique. Au resle, il semblerait que plusieurs des Nouvelles Meditations aient ete composees avant les Premieres, et dans la jeunesse de Lamarline, si nous ne savions pas que le poele avail ete, en effet, envoye par le gouvernement en Ilalie, ou il a pu se livrer a de nou- velles amours el a denouveaux chants sur ce sujei. — 265 — II nous en coule de relever ties taches legeres an milieu de tant de beaules , el encore plus de juger avec l'exaclilude de la critique un poete si charmant, si eminent , si sympathique a notre siecle et a nous- meme ; un poete pour lequel lout homme de gout et de ccenr doit montrer plus que de l'impartialite , c'est-a-dire , de la bienveillance , de l'amour et de l'admiration. Mais nous avons lache de resister au charme qu'il exercesur notre esprit pour deux motifs; le premier, c'est qu'il est devenu un des poetes clas- siques de noire liiterature, el qu'a ce titre ses de- fauts peuvent lirer a consequence ; le. second, c'est que nous ne pouvons voir sans peine et sans depit un genie si merveilleusemenl doue, dechoir par la penseeet par le style, au lieu de s'elever plus haut en- core que dans son debut ; et qu'en voyant tout ce qu'il a fait , nous scnlons mieux loul ce qu'il aurail pu faire. Nous n'avons pu que dire un mot de chaque piece, et apprecier I'ensemble des Nouvelles Meditations , sans entrer dans les details qui auraient juslifie nos eloges et noire blame. II nous semble pourtant utile d'examiner plus attentivement un de ces poemes, el nous choisirons le plus long, les Preludes, parce qu'il renferme quatre morceaux repondant assez bien aux quatre genres de poesie de I'auteur, la piece ana- creontique, I'elegie, le poeme philosophique el I'ode personnelle. L'ame aballue du poete aitend I'inspiration pour preluder au gr ,) de son caprice ; inspire tout-a-coup, il commence un chant d'amour el se livre a la pas- sion en attendanl la moil ; puis renongajal a ceiie — 266 — corde amollic, il exprime la langueur de son ame irisle et desenchautee ; bienlot, d'une voix male, il decril une baiaille ; enlin, re vena nt a des sentiments plus doux, il s'abandonne au charme de la vie cbam- petre el prend conge de sa muse. Dans ce cadre uu pen t'actice des caprices de ('inspiration poetique, Ic poele reunit qualre morceaux differcnls qui ca- racterisenl son genie, de la deux defauts inevitables; le premier, c'esl I'absence d'unite veritable dans cetie piece; le second, c'esl une suite d'amplificalions pen siirieuses el assez mal rattacbees cnlre elles par des transitions longues el artificielles. La poesie ne peut etre son but aelle-meme, mais 1'expression d'un sen- timent veritable, ce n'est point un tbeme imaginaire qu'elle developpe, mais une pensee serieuse el sin- cere ; elle s'exerce dans le domaine de Tideal non par maniere d'essai ni de passe-lesnps, mais a propos d'idees, de fails, de sujels reels el particuliers. C'esl done, selon nous, une conception fausse el malheu- reuse , de jouer ainsi avec la lyre, sans lenir a al- teindre un but precis, el aucun grand poele ne s'en eiailavise avanl Lamartine. Nous voyons avec plaisir noire critique conlirmee par le commenlaire de I'edilion de 1849. « J'avais » vingl-neuf ans; j'elais marie etheureux. La poesie » n'etait plus pour moi qu'un delassemenl lilleraire; » ce n'etait plus le dechiremenl sonorc de mon cceur. » J'ecrivais encore de temps en temps, mais comme » poele, non plus comme homme. J'ecrivis les Pre- » fades dans cede disposition d'esprit. C'etait une so- » nate de poesie. J'etais devenu plus babile artiste; » je jouais aver mon instrument. Dans ce jeu, j'inter — -267 — » calai cependanl unc elegie reelle ( a la bonne » heiire), inspiree par 1'amour pour la compagne que » Dieu m'avait donnee. » Sans nous arreier acette remarque generate, exami- nons chaque piece en particulier et ('introduction qui les precede. Al'approchede la nuit.le poetelanguissant et commeendormi,gemitdecelengourdissementel appelle lour a lour sa lyre, son genie el sa harpe a bercer son coeur. Toul cela est mediocre, faux ou pen semi. Ce n'est qu'un preambule assez laborieux pour arriver a l'idee generale. Esprit capricicux , viens, prelude a Ion gre. II descend ! il descend ! la harpe obeissanle A fremi mollement sous son vol cadence. Nous ne voyons la rien que de faclice el de pen serieux , el nous n'ainions pas a surprendre ainsi le poele en flagrant delil d'arliiice ; surlout pour exprimer d'abord ce qui suppose le plus de sincerity un chant d'amour. Oublions done celle inirocluclion pour ne voir que le chanl lui-meme. L'onde qui baise ce rivage, De quoi se pl.iint-elle a ses bords ? Pourqtioi le roseau sur la plage, I'ourquoi le ruisseau sous I'ombiage, itcitdent-ils de tiisles accords ? De quoi geiuit la tourterelle Quand, dans le silence des bois. Seule aupres du rainier lidele, L'Amoui fail palpiter son aile, Les b^isers etouflenl sa voix ? — 268 — Et toi, qui mollement te livre Au doux sourire du bonheur, Et du regard dont tu m'enivre, Me fais mourir, me fais revivre ; De quoi te plains-tu sur mon coeur ? Plus jeune que la jeune aurore, Plus limpide que ce flot pur, Ton ame au bonheur vient d'eclore, Et jamais aucun souflle encore N'eo a terni le vague azur. Cependant si ton coeur soupire De quelque poids mysterieux, Sur tes traits si la joie expire, Et si tout pres de ton sourire Brille une larme dans tes yeux ; Helas ! c'est que notre faiblesse, Pliant sous sa felicitc Comme un roseau qu'un souffle abaisse, Donne l'accent de la tristesse Meme au chant de la volupte\ Ou bien peut-etre qu'avertie De la fuite de nos plaisirs, L'ame en extase aneantie Se reveille et sent que la vie Fuit dans chacun de nos soupirs. Ah ! laisse le zephir avide A leur source arreter tes pleurs ; .louissons de 1'heure rapide : Le temps fuit, mais son flot limpide Du ciel reflechit les couleurs. Tout nail, lout passe, tout arrive Au terme ignore de son sort : — -261) — A l'Ocean l'oude plaintive, Aux yents la feuille fugitive, L'aurore au soir, l'homme a la mort. Mais qu'importe, 6 ma bien-aimee ! Le terme incertain de nos jours ? I'ourvu que sur l'onde calmee Par une pente parfumee, Le temps nous entraine en son cours ; I'ourvu que, durant le passage, (louche dans les bras a demi, Les yeux tournes vers ton image , Sans le voir, j'aborde au rivage Comme un voyageur endormi. Le flot murmurant se retire Du rivage qu'il a baise, La voix de la colombe expire, Et le voluplueux zephyre Oortsur le calice epuise. Embrassons-nous, mon bien supreme, Et sans rien reprocher aux dieux, Un jour de la terre ou Ton aime Evanouissons-nous de memo Eu un soupir melodieux. L'idee que lout se plaint dans la nature est ele- gamment rendue dans les deux premieres strophes; le rhythme de cinq vers de huit syllabes, avec rime croisee el redoublee, esl plcin d'harmonie. Vienl ensuile, el par deux fois, la lauie grave ame- nee par la rime, lu le livre, lu m'enivre, sanss. Tout le resle esl melodieux, ravissanl, el la pensee v est - 270 - bien suivie, le sens se developpc doucBHieal cl nain- rellcmeni, si lu gemis, dil-il ; Helas ! c'est que notre (aiblcsse, Pliant sous sa t'elicite Comnie un roseau qu'un souffle abaisse, Donne I'accent de la tristesse Meme au chant de volupte. Idee juste el melaiicoliquc Men cxprimec ; la com- paraison, deja vue plus haul, nous pnrni? de Irop ici. Ou bien peut-etre qu'avertie be la fuite de nos plaisirs, L'ame en exlase aneantie Se reveille et sent que la vie Fuit dans chacun de nos soupirs. Cede pensee de la raorl, au sein tie I'amour, esl eminemment poelique ; comnie dans I'aniiquile, le» poete y puise un nouveau molif pour jouir dcs dou- ceurs de la vie, dans trois sirophes, charmantes par la forme, mais dont le fond, quoique convenanl a la poesie anacrconiiqiu\ est un pen nop paten et sans aucune esperance plus elevee, comme on I'avail vti dans d"auires vers de Latnartine. Les deux dernieres sirophes, quoique moins belles et meme tin peu com- munes, terminenl bien tout ce petit poemc, plein d-u- nile, de grace et de molle langueur. La iransition de ce chant a I'elegie suivanle renferme liuit vers d'uue precision el dune elegance admirables, c'est la para* phrase poetiquc de ce vers tie Boileau : C'est peu d'etre poete, il faut etrc amoureux. — 27 i — Mais quel bonheur d'expression, el quel enchaiile- menl dans ces vers! L amour n'a pas de sons qui puissenl Iexprimei -. Pour reveler sa langue, il faut, il faut aimer. Un seul soupir du cajur que le coeur nous renvoie , Un oeil demi-voile par des Iarmes de joie, Un regard, un silence, un accent de sa voix, Un mot toujours le meme et repele cent fois, 0 lyre ! en disent plus que ta vaine harmonic : L'amour est a I'amour, le reste est an genie. C'esi ce qn'on petii appeler I'eloquence de la poesie, plus douce ct plus penetranle que 1'aulre, et produi- sant, en raoins do mots , tine persuasion plus com- plete, parce qu'clle s'adresse a I'homme lout enlier et lui fail sentir, aimer et posseder la verite ; qu'est-ce done, quand celie verite, commc il arrive souvent dans Lamartine, est non plus une pensee relative on particuliere, mais la verite generale el presque absblue sur I'homme et stir Dieu! Et que sera-ce dans le ciel? Redescendons sur la lerre avee le poele. Dans un acces de sombre desespoir byronien et a peu pres sans objel, il souhaile d'etre emporte dans une tem- petede I'Oceun, pour se semir trembler el vivre. D'effroi, de voluple, (our a tour eperdue, Cent fois entre la vie et la mort suspendue, Peut-etre que mon ame, au sein de ces horreurs , Pourrail jouir au moins de ses propres terreurs Et, [)rcte a s'abimer dans la nuit qu'elle ignore. A la yie un moment se reprendrail encore. — ra — Malgre la beaute du coloris el la veriie du senti- ment, nous avons peu d'admiration el de svrapalhie pour cettc poesie des esprils biases de la famille de Rene, de Veriher el d'Obermann. A cede maladie de l'orgueil, du doute et de la langueur, il n'ya qu'un re- mede que Lamarline connait bien, puisqu'il l'a sou- venl chante, I'humilite, la foi el la pratique du devoir; et nous sommes laches pour lui qu'il ne releve pas merae a la fin, avec I'accent de la resignation el de I'espeiance, la tele vers le ciel el vers Dieu. Apres une iransiliou un peu longue, le poele nous iransporle lout-a-coup sur tin champ de bataille. La, il ne nous resle plus qu'a louer ; seulement la poesie objective tie s'accommode guere mieux, selon nous, que la poesie subjective, de eel exercice d'arlisie sans objet el sans but, parce qu'elle repose sur un fail reel pris au serieux par le poete et par le lecieur, el non imaginaire el intlefini , a moins que ce ne soil a litre d'elude, comme un musicien etudie des gammes ou des variations , pour perfectionner son talent; encore ne peut-on assimiler completement le poele a l'executant, ni meme au compositeur. Apres cetie reserve, disons que tout est admirable dans ce rnorceau ; les apprets de la bataille , ceite alteute so- lennelle de cent mille hommes qui s'appretenl a tuer el a perir, sont merveilleusement peints et sentis. La trouapette a jete le signal des alarmes . Aus armes ! et l'echo repete au loin : aux amies ! Dans la plaine, soudain les escadrons epars, Plus prompts que t'aquilon, fondent de loutes parts, Et sur les flancs epais des legions morlelles S'elendent lout a coup !ent en tounioyaut leurs sanglanis lourbillous ; Sous le poids des coursiers les escadrons s'eiitr'ouvieul ; O'une voute d'airain les rangs presses se couvrent; Les feux croisent les feux, le fcr frappe le fer ; Les rangs entrechoques lancent un seul eclair : Le salpetre, au milieu des torrents de fumee, Brille et court en grondanl sur la llgne enflammee, Et, d'un nuage epais enveloppant leur sort, Cache encore a nos yeux la victoire ou la mort. Ainsi quand deux torrents dans deux gorges prolondes De deux monts opposes precipitant leurs oudes, Dans le lit Irop etroit qu'ils vonl se dispu'.er Vieunent au ineme instant tomber el se heurter, i.e flol choque le flot, les vagues courroucees, Rejaillissant au loin ; ar les vagues poussees, D'une poussiere humide obscnrcissent les airs, Du fracas de leur chute ebranleut los deserts ; Et porlant leur fur-jur au lit qui les rasscmble, Tout en s'y coraballant leurs flo'.s roulent ensemble. L'elegie qui suit repond bico anx dispositions Iristes de Tamo, comme los apprets, a son ardenr mariiale. Les concerts, les gemissements, le spectacle du champ de bataille, les plaintes des parents, et I'iudifference de la nature sont bien exprimes, quoiqu'un pen lon- guement, peut-etre. Lamarline se coraplait trop dans sa facilile de poete colorisle et elegiaque; en outre, nous y avons deja releve deux fautes, sang qui nous parait ntal rimer avcc glissant, el balayeront que le poete fait de quaire syllabes. Apres une transition charmanie, quoiqu'un pen longue, peut-elre, le poete lermine par un chant rna- gnifique, et, selon nous, snperieur a tout le resie par - 276 - la po6»ie et la pensee qui y est exprimee. II tient a la (bis de l'ode. et de l'elegie, mais plulot de celle-ci ; le ton en est donx et elegant , simple, harmonieux, convenable au sujel ; c'est le retour au honheur de la vie champetre. Aprcs avoir peint avec charmeles lieux ct les souvenirs de son enfance a la campagne, il de- clare vouloir y resler el lermine par un tableau ideal et magique de la vie des champs et de la famille. Ce n'est plus seulement la faniaisie du poele de 1'amour, de la melancolie et de I'infini ; c'est 1'ex- pression pitloresque et passionnee des beaules de la nalure et du foyer domeslique ; la raison, le cceur, Poreilie, I'imagination, sont egalement satisfaits, cn- chanles. C'est, selon nous, superieur aux odes el aux epitres d'Horace et de Boileau sur le meme sujel, egal aux plus belles pages des Georgiquesde Virgile, avec un peu moins de severite peut-etre dans le dessin, mais plus de couleur et de sentiment person- ) nel, ainsi qu'il convenait a la poesie Ijrique. O vallous paternels! doux champs, humble chaumiere, Au bord penchant des bois suspendue aux coteaux. Dent 1'humble toil, cache sous des louffes de lierre, Res&emble au nid sous les rameaux ; Gazons enlrecoupes de ruisseaux et d'ombrages, Seuil autique ou inon pere, adore comme un roi, Comptait ses gras troupeanx rentrant des paturages, Ouvrez-vous! ouvrez-vous! c'est nioi. Voila du dieu des champs la ruslique demeure. J'entends l'airain frernir au soinmet de ses tours j II semble que dans l'air une voix qui me pleure Me rappelle a ines premiers jours. — 277 — Oui, je reviens a toi, berceau de mon cnfance, Erubrasser pour jamais tes foyers protecteurs ; Loin de moi les cites et leur vaine opulence, Je suis ne panni les pasteurs ! Enfant, j'aimais, comme eux, a suivre dans la plaint' Les agneaux pas a pas, egares jusqu'au soir ; A revenir , comme eux , baigner leur blanche laine Dans l'eau courante du lavosr. J'aimais a me suspendre aux lianes legeres, A gravir dans les airs de rameaux en rameaux. Pour ravir, le premier, sous l'aile de leurs meres , Les tendres oeufs des tourlereaux. J'aimais les voix du soir dans les airs repandues , Le bruit lointain des chars gemissant sous leurs poids ; Et le sourd tintement des cloches suspendues Au cou des chevreaux, dans les bois. Et depuis, exile de ces douces retraites, Comme un vase impregne d'une premiere odeur, Toujours, loin des cites, des volupies secretes Entraiuaienl mes yeux et mon coBur. Beaux lieux, recevez-moi sous vos sacres ombrages ; Vous qui couvrez le scuil de rameaux eplores, Saules contemporaius , courbez vos longs feuillages Sur le frere que vous pleurea. Reconnaissez mes pas, doux gazons que je foule, Arbres que dans mes jeux j'insultais autrefois; Et toi qui, loin de moi, te cacbais a la foule, Triste echo, reponds a ma voix. Je ne viens pas trainer, dans vos riauls asiles Les regrets du passe, les songes du futur ; — 278 — J *y yiens vivre , el, couchc sous vos berceaux fertiles, Abriter rnon repos obseur. S'evciller le coeur pur, au reveil de laurore, Pour benir, au matin, le Uieu qui fait les jours ; Voir les fleurs du vallon sous la rosee eclore Corarae pour feler son relour; Bespirer les parl'ums que la colline exhale, Ou l'humide fraicheur qui tombe desforels: Voir ouduler de loin 1'lialeine matinale Sur le sein flollaut des guerets ; Conduire la genisse a la source qu'elle aime, On suspendre la chevre an cytise embaume ; Ou Toir ses Manes taureaux venir tendre d'eux-meme Leur front au joug accoutume ; Guider un soc treniblanl dans le sillon qui crie, Du pampre domestique emonder les berceaux, Ou creuser mollement, au sein de la prairie, Les lits murmurants des ruisseaux. Le soil , assis en paix au seuil de la chaumiere, Tendre au |>auvre qui passe un morceau de son pain ; Et, fatigue du jour, y fermersa paupiere Loin des soucis du lendemain ; Senlir, sans les compter, dans leur ordre paisible , Les jours suivre les jours, sans faire plus de bruit Que ce sable leger donl la fuite insensible Nous marque I'heure qui s'enfuit ; Voir, de vos doux vergers, sur vos fronts les fruits pendre Les fruits d'un chaste amour dans vos bras accourir, Et, sur eux appuye, doucemenl redescendre : C'est assez pour qui doit mourir. - 279 — Le chant meurt, la voix lombc : adieu, divin Genie. Iiemonte au vrai sejour de la pure harninnie : Tes chants ont arrete les larraes dans ines yens. Je lui parlais encore. .. II etait dans les cieux. Dans ce chef-d'oeuvre, Lamartine s'esi revele a nous sous un nouveaujour, comme le poele de la vie pratique, el c'esl, comme nous l'avons dit plus haut, un de ses plus beaux litres de gloire. L'epilogue qui termine la piece est simple et court, selon 1'exemple heureux des plus grands poeles qui, apres avoir trans- port^ le lecteur, en prennenl conge un peu brusque- ment en le laissanl au comble de I'emoiion ou du ravissement. Notre admiration sans reserve pour ce morceau doit nous excuseraupresdu lecteur el aupres d'un aussi grand poete, des critiques peul-etre un peu rigoureuses, quoique sinceres, que nous a arracbees, dans cetle elude, l'amour de I'art et de la verite. APPENDICE. Nous ne dirons rien ici des commenlaires qui accompagnent Tedilion de 1849. Nous en avons cite dans ce travail les extrails qui out parti les plus inleressants , et qui pourroni en donner une idee. Le resie a plutot rapport a la vie intime du poete qu'a ses ouvrages ; el nous avons peu de goiil pour celle crilujue anecdolique qui s'ai- lacbe curieusement aux moindres details de la bio- graphic, au lieu de considerer les ceuvres d'art en — 280 — elles-memes el commc 1'expression du beau el du genie de l'homme. Nous passons done aux pieces de vers ajoutees par Lamarline dans cello edition . Ces pieces de vers sont au nombre de dix-huit, donl deux qui avaienl deja paru dans les Recueille- ments poetiques, sonl mises a la suile des Nouvelles Meditations, el formenl la xxvii6 el la xxvni8 ; car l'edi- teur, mieuxconseille, a conserve en leur rang les pieces plus anciennes el qui composenl son second recueil de poesies. Les aulres forment un nouveau recueil a part et sonl inediles, sauf la xe, ou la Priere de V indigent y inlroduile ici sans doute par erreur, el qui n'est que la fin de la ne liarmonie du iue livre , ou Cantate pour les enfants d'une maison de charite. La plupait de ces Meditations inediles n'ont pas plus de vingl vers et semblenl des morceaux de circon- slance, de differenles epoqucs , mais en general pos- terieurs a l'annee 1840. Nous cushions done prefere les voir reunir dans un nouveau recueil qui eut ele tout enlier nouveau, el qui eut eu un caraclere par- ticulier ; au lieu de 1'ajouler a un livre deja connu et avec lequel il n'a pas loujours un rapport exact. Lamarline parail avoir senli eel inconvenient, en les mettanl a la suite des anciennes Meditaiionsy au lieu de les inlercaler comme il I'avail fail pour les Pre- mieres. Ces pieces, generalemenl superieures a celles que Lamartine avait ajoulees aux Premieres Meditations , sont comme les Nouvelles , I'expression d'un senti- ment plus intime el plus personnel , quelquefois meme bautain el cavalier. La composition en est sage, les idees en sont naturelles ; mais le style en est plus inegal, plus lourmente et moins facile : le — -281 — coloris surloul n'a point cette fraicheur et celte ri- chesse des Nouvelles Meditations ; il est plus penible el plus travaille ; en un mot, ces pieces ont plutot les qualiles de Page mux que celles de la jeunesse , et, si elles ne diminuent rien de lagloire de Lamar- tine, elles y ajoulent peu , et n'auraient pas suffi a en faire le plus grand poete de noire temps. Ces dix-sept Meditations inediles se raltachenl de cette maniere aux quatre classes que nous avons etablies plus haut. Six sont des elegies d'amour , mais avec un caractere parliculier ; deux sont des elegies funebres ; huit apparliennenl aux poesies philosophiques, etsoni d'un inleret a la fois general et personnel ; enfin une seule est une ode assez etendue sur I'ingralitude des peuples. La pluparl sont ecriles en stances de quatre vers de douze ou de huil syllabes. Nous allons passer rapideinent en revue cbacune de ces categories differenles. Les elegies d'amour sont moins des chains inspires par la passion, comme celles que nous avons vues , que des souvenirs , des regrets amers ou ties com- pliments delicals. Dans la ire, le poete nous trace un tableau assez frais de la Pervenche, et conclut par ce trait gracieux mais d'un Ion un peu raffine : O fleur, que lu dirais de choses A nion amour si tu rctiens Ce que je dis a levres closes Quaud les yeux nie peigneul les sieus. Ln lisaul ces vers . il faut rellechir pour com- prendre le rapport en Ire les yeux de I'amanie et ceux — 282 — dc la pervenche ; el les relire, pour saisir I'en- semble do la pensee ; evidemmenl il y a la plus d'art que de sentiment. La ne est adressee a Sultan, cheval arabe, qui, dans son galop doux et docile , emporiait celle que le poele aimail, et qui sans doule regrelte son mailre et sa mnilresse d'un jour. Oh oui, carde la selle, en delachant mes aruies, Tu me jelas tout triste un regard presque humain, Je vis ion oeil bronze se ternir, et deuslarmes Le long de tes naseaux, glisserent sur ma main. Ceite piece, bien composee el d'un ion convenable etbrillanl, quoiqu'un peu charge, semble une Orien- tate, el rappelle, avec moins de couleur et plus de sentiment, la manierede Victor Hugo. Nous aimons moins la tve piece adressee a Laurence, qu'il regrelte d'avoir vue trop lard, qu'il eut aimee, suivie partout. Celle elegie manque de charine, dc nalurel el d'e'levalion ; le slyle en est excessif et for- ce ; mais, adressee par un poele marie a I'epouse d'un autre, elle merile de plus graves reproches et laisse une impression qui choque le gout et la morale. Au contraire, les trois autres elegies d'amour sont de petits chefs-d'oeuvre de delicatesse, de grace ou de sensibilile. Par un caprice de son imagination, Lamar- tine suppose, dans la xie, que les parfums ou plutdt les Esprits des fleurs, comme les regards, les soupirs, les paroles el les songes ; Tout prend un corps, une aine, un etre, Yisiblos. mais au sent amour. — 283 — Cetange flottant des prairies, Pale et penche comine ses lis, Cost une de mes reveries Reslee aux fletirs que je cueillis. Et sur ses ailes renversees Celui qui jouit d'expirer, Cen'est qu'une de mes pensees Que vos levres vont respirer. II Caul voir comme cette fiction, peut-eire un peu bizarre, est exprimee et soulenue avec une elegance charmanle, ou la tele, j'en conviens, a plus de part que le coeur; il est vrai que la piece est dalee de 1847, et que Fauieur avail cinquanle-cinq nns. Cette galan- leried'un vieillard est exprimee avec un badinage plein de goul, dans la ixe, adressee a une jeune hlle qui avail fait un reve, en 1847. Le debut a quelque chose de vif et de rapide qui convienl a cette bonhomie rail- leuse qui est rare dans Lamariine. Un baiser sur uion front ! L'n baiser, meme en reve ! Mais de mon fronl pensif le frais baiser s'enfuil ; Mais de mes jours taris l'ete n'a plus de seve ; Mais laurore jamais n'embrassera la nuit. Illusion ! continue le poete, elle me revail sans doule aussi, jeune, inspire, amoureux. Tout-a-coup, il s'e- crie avec un accent bienlot appaise par I'age : Fatale vision ! . . . Tout mon etre frissonne ; On dirait que mon sang veut remouter son cours. Enfant, ne dilcs plus vos reves a personne , Et ne revez jamais, ou bien revez toujours ! — 28i — C'est la, selon nous, un petit modele do delicalesse anacreontique, moilie badin, moilie sentimental, a la fois elegant el passionne ; cnfin une reminiscence de jeunesse exprimeeavec mesure et avec bonheur, qui fait doucemenl sourire, mais sur laquelle il uefaut pas trop appuyer. La moil de Graziella, cette pauvre fille du pecheur de Naples, si tristement abandonnee par Lamartine, lui a inspire du moins, en 1815, un Adieu dechiranl (vme piece), oil se trouvent des trails poignants el vivement senlis. Cette piece, tort courle, laisse une impression profonde de tristesse el de desolation. Bien longtemps apres, le poete, qui a perdu sa fille, s'adressant d une je une fille qui a perdu sa mere (xxvme), Irouve des accents aussi penetrants, mais plus simples et plus calmes, lels qu'il convient a une douleur plus grave et plus recueillie. 11 y a moins de celte eloquence du moment qui eclale en sanglols; mais plus de celle emo- tion contenue el eternelle que laisse le regret d'une fille cherie. L'amanl de Graziella avait dit : Adieu ! mot qu'une larine humecte sur la levre ; Mol qui Quit la joie et qui tranche I amour ; Mot par qui le depart de delices nous sevre ; Mot que i'eternite doiteffacer un jour. II y a encore un retour d'egoisme dans eel adieu . Voici, au conlraire, la resignation douloureuse d'un pere plus lendre, plus devoue el plus inconsolable : Quoique la tristesse ait des charaies, Ne nous regardons plus ainsi. Helas! ce ne sont que des larmes Que les yeux echangent ici ! — 285 — La raort nous sevra de bonne heure, Toi de ton lait, moi de raon miel ; PourTevoir ce que chacun pleure, Pauvre enfant, regardons an ciel ! Helas ! les peres aiment plus que les enfants! Pour- quoi faut-il que Lamartinc nous le protive dans la me piece, La fenetre de la maison paternelle, qui lient si peu ce qu'elle promet, el ou Ton trouve ce vers, d'une secheresse et d'une durele qui afflige. L'oiseau n'est plus, la mere est morte. Celte mere n'est point celle de l'oiseau, tnais celle du poele. Nous aurions mieux aime que I'auleur n'eut point faitni public celle petite piece, ou il ne semble occupe que de lui el de la vigne qui rampera sur son tombeau. Apres ces elegies de ton et de merile si differents, nous devons parler des poesies qui ont un caractere personnel, mais non elegiaque, ct qui semblent elre a la fois des pieces de circonslance, et presenter des idees generales; tenant le milieu entre la poesie philo- sopbique et la poesie lyrique, et qui, par la pensee comme par la forme, renlrent dans le genre moyen, que Ton appelail Stances autrefois. La premiere qui se presenle est la xvie ou derniere du nouveau recueil ; c'esl un Salut a Vile d'hchia, en 1842. Le son le plusdoux, dit Lamarline, pour le voya- geur qui aborde au rivage : Cest le son caressant d'une voix iuconnue Qui recite au poele un refrain de ses rers (I). (1) En arrivant an port d'lschia, l'auteur enlendil unejeune (ille reciter une strophe de ses vers. (Note de Lamar tine.) — 286 - Cette petite piece, sans importance, est assez bien composee, mais la fin en est obscure et pretenlieusc. La xme a phis de porlec. Sur les mines de Rome, Lamariine cherchait le nom d'im Cesar, quo lui cachait un Uzard, seul habitant de ces debris, par une sorie de raillerie de la nature. Cette piece, d'un style sobre et precis, nous semble une des plus pures et des mieux faites, panni les Meditations inediles. Sur un don fail en 48&1 , par la duchesse d'Angou- leme aux indigents de Paris (vi), Lamariine, dans un langage noble et digne, mais peu sympathique el pen nalurel, fail parler la princesse elle-meme par une forme de pensee assez el range. La xive, Sur une page peinte d'insecles et de plantes, offre des couleurs brillanlcs, mais de la secheresse et de l'obscurile dans quelques hails. Les deux pieces suivantes soul supe- rieures et surlout la xne, que nous donnons plus loin en entier. Le poele expose cette pens6e vraie, que les Fleurs sur I'autel semblenl y offrir avec plus de grace et d'innocence les voeux des mortels. This estimable par l'cnsemble que par les details, cette piece, comme la vne, peche par la conclusion. Celle-ci est intilulee V Ideal, sur une page representant des genies enfants. Allez plus loin, dille poete, genies enfants el gracieux, il nous faul des anges plus Irisles el plus tcndres, que Ton no connail pas. Mais qu'importe leur nom ? II est divin pour moi. Quo la terre l'ebauche, et que le ciel I'acheve, Le nom sublime qui dil •. Toi. Apres une exposition assez belle, nous n'aimous pas cette fin obscure el empliatique. D'abord, cette forme d'aposhophe couiie el soudaihe esl usee el pre- — 287 — teoiieuse; ensuite, I'ideal nuquel elle s'adresse, n'a ete indique que dans le til re, qui ne doit point suffire pour expliquer un poeme. II eut fallu, selon nous, terminer celte piece, d'un fond juste el solide, par une definition de I'idcal plus claire, plus nalurelle et un peu plus eiendue Co mine on le voil, loules ces meditations paraissenl des pieces de eirconslances et des poesies d'album , dans lesquelies des occasions exterieures liennent en quelque sorte plus de place el out plus d'imporlance que le fond meme. La pensee du poele y est genee, accidenlelle, ecourlee. II eut mieux vrtlu, peul-etre, n'etre point dans Pobligation de les composer, et ne point les uonner au public quVlles interessenl medio- crement. Ce n'esl point la la grande el vraie poe ie, celle qui a fail la gloire de Lamarline. II nous resle a parler de irois meditations beauconp plus etendues. Deux soni des epitres philosophiques. La premiere est adressee a un cure de village qui crai- gnait apparerament de n'etre pas accueilli avec son cortege chez le poele chalelain, dont il meilail en doute I'orthodoxie. Lamarline le rassure d'un ton af- feclueux et prolecteur, dans des strophes elegantes et faciles. S'il n'a point la foi ni la piete, il I'admire dans les autres, et rend poeliquemenl justice aux re- ligieux mendianis qui prient et iravaillent lour 5 tour. • La ?oix de leur cloche sonore Redit aux vains enfanls du bruit : Que le Seigneur est dans l'aurore ! Que le Seigneur est dans la nuit ! Quand le billon courbe le resle. — 288 — Eux seuls travaillcnt tie leur main A l'oeuvre du Pere celeste Pour tin autre prix que du pain. Mais nous n'admeltons pas la comparaison etablie cntre les poelesel les preHres : Viens done, detachant ta ceinture, Au foyer des bardes t'asseoir ; lis sonl l'hyrane de la nature Et vous en etes I'enccnsoir ! Peut-elre Lamartine croit-il user de modeslie et faire honneur aux pretres en les comparanl aux poeles; mais nous sommes d'un avis tout oppose et nous pen- sons qu'il se trompe en metlanl sur la meme ligne la mission divine el I'autorite sacree du sacerdoce, et les caprices, ou si 1'on veut, les inspirations de la poesie. Ne confondons pas les rangs ni les fonclions. Nous admetlons moins encore cette tolerance sophis- tique, ou plutot cette indifference toule raondaine pour toutes les religions, qui pretend s'autoriser de 1'exem- ple de Jesus-Christ, le bon pasteur. Que t'importe si mes symboles Sont les symboles que tu crois ! J'ai prie desmemes paroles, J'ai saigne sur la ineme croix. Quand l'agneau victimc du monde, Dont la Iaine a fait tes habits, Aux flancs des collides sans onde Paissait lui-meme les brebis ; Loin des piscines de son pere II n'ecartait pasde la main La pauvre brebis etrangere Trouvee aux ronces du chemin — 289 — Que de choses a dire sur ccs vers ! D'abord, nous n'aimons pas les mciaphores emprnnlees a la foi, dans la boucbe de ceux qui ue croienl point; elles ressem- blent a des figures de rlnilorique ou a cos vaines for- mules de poliiesse donl ceux qui les emploienl ne sont pas dupes, ou plutot a une monnaie qu'ils croient fausse, et qu'ils vous forcenl d'accepier, parce que vous la croyez vraie. Laissons done la la croix, les symboles, Vagneau victime du monde, les brebis et la phcine. Laissons cela aux fideles qui y allachenl un sens serieux. Ensuite Lamarline peut-il confondre la tolerance pour les personnes ou la cbarile, avec I 'into- lerance dogmaiique, ou 1'altacbement sincere a la ve- riie rcvelee necessairement exclusive de toute er- reur? F.st-ce la le sens de la parabole louchanle du bon pasieur, qui cherche, appelle et ramene au bercail la brebis egaree, c'esl-a-dire I'ame criminelle dans les seniiers de la vertu? N'a-t-il pas dil, au contraire, conlre les dissidents qui rejetlent I'enseignement de son eglise .» Qui vous ecoute m' ecoute, et qui vous meprise me meprise et meprise Celui qui m'a envoye. La piece est d'ailleurs assez bien composee, malgre quelques fautes de detail. Mais nous ne pouvons laisser inter- vertir les roles, ni voir prendre le ton d'une superiorile protectrice et d'une equile chrelienne a la poesie et a I'incredulite. M. Alfred de Mussel avail adresse a M. de Lamar- line des vers cbarmants, que lout le monde a lus. Dans une epitre pleine d'une admiration sin- cere, il lui peignait avec une lacilite merveilleuse I'e- lal de son ame lourmenlec, Iraliie par une maiiresse el qui revenaii a des pensees de vertu el d'immoria- liie. M. de Lamarline repondil a M. de Mussel par xix. 19 — 290 - la ve Meditation. Son role etait toul trace, c'etait ce- lui d'tui poete spirilualisfe el bienveillanl, qui encou- rage un ami a quitter le vice et a lever ses regards vers le ciel. Voyons comment Lamartine I'a renipli. D'a- bord , aucun de ces eloges de polilesse , que I'usage exigeait et dont il est, dit-on, assez prodigue. Loin de la, apres une apostrophe railleuse el severe, pour ne pas dire haulaine et dure, il lui raconte com- ment il est revenu lui-meme de ses egaremenls, sans que ces souvenirs honleux, rappeles avec une mala- droite complaisance, l'invitent a l'indulgence ou le portent lui-meme au repentir; et il Tail honneur a I'amour d'une femme, de celte conversion qu'il croil sans doute suffisanle, bien qu'elle n'aille pas jusqu'a Dieu ni a la vertu. Sans approuver I'usage qu'Alfred de Mussel a fail de son talent, nous ne croyons pas que ni les convenances, ni les antecedents de Lamartine 1'auto- risassentale prendre avec lui de si haul, et nous pen- sons qu'il eut.eie plus habile et plus beau d'etre plus doux et plus reserve. Qu'imporle que la piece ne soil appelee qu'un fragment de Meditation ? Kile a 140 vers el elle esl enliere. Quanl an style, il est aussi lour- menle el aussi peu nature! que celui d' Alfred de Mus- sel esl facile et correct. A chaquc pas, on y trouve des expressions impropres, des figures incoherenles, des traces d'une inspiration penible, ou d'une negligence excessive. Nous nous bornerons a transcrirc qu iques vers, sans autre commentaire : Trisle serait racceat, et cede longue histoire Keruuerait Irop de cendre au fond de ma memoire. Il est sur son senlier si dur de revenir, Quand chaquc pied saignant *e beurle an souvenir ! — 291 — Mais ecoute tomtier seulement celte goutle De 1'eau trouble du coeur, et tu la sauras toute. En fin la xve Meditation inedile esi line Ode sur I'ingratitude des peuples, ecrite en 1827. Homere, chasse du temple d'Apollon par les envieux, s'ecrie : Sifflez, serpents, jusqu'a ce que les Eumenides vous ecrasent sur mon tombcau ; c'esl !c sort du genie d'exciler la haine ; en vain j'ai cache ma grandeur; I'envie m'a reconnu; elle s'acharnera apres Virgile, Socrale, le Danie, Milton, le Tasse el Chateaudriand. Mais je ne vous donnerai pas meme 1'immorialiie du mepris, vous vous deshonorez assez vou -memes dans la posterite. Ildil; ses ennemis brisent sa lyre, qui, en se brisant, ji'lte un accord sublime el immorlel. II y a dans celle ode de la verve, du mouvement, de 1 'eel a l el de belles strophes ; mais presque toutes sont deparees par quelques laches, telles que contradictions, obscuriies, longueurs et (rails declamaloires. On ne voit pas que cette these, fort contestable, mais affec- tionnee des poeles, du triomphe eternel de la haine et de I'ignorance sur le genie, puisse s'appliqucr a Lamariine, le poele favpri de noire siecle. Peut-etre aussi Homere ou Lamariine abuse un peu trop de la permission accordee aux poetes de predire le passe, et entre-t-il dans des details irop precis. Gependant, les deux plus belles strophes sonl consacrees a Cha- leaubriand, si toutefois c'esl lui que I'auteur a designe sous ces traits un peu obscurs. Et toi, chantre d'un saint martyro ; Toi que Sion vit adorer, Toi qu'en secret I'envie admire , En s'indignant de t'admirer -, — 292 — En vain en rampant sur la Irace, La haine avcc sa langue efface Ta route a l'immortalite : Trop grand pour tin siecle vulgaire, Ta gloire trislement eclaire Son cnvieuse obscurile. En vain l'impure calomnie Lancant ses trails sur l'avenir, Ne pouvant nier Ion genie, S'efforce au moins de le lemir : Comme mi vaisseau voguanl sur l'onde Traine apres soi la vase immonde Qu'il a soulevee en son cours, Ton nom, plus fort que l'injuslice, Traine ton zoile au supplice D'une honte qui vit ton jours T II serait curieux de comparer les vers de celte ode a eeux de quelques poeies duxviit6 siecle, sur la calom- nie, tels que J.-B. Rousseau el Lebrun, el en parliculier avec ceux de Lefranc de Pompignan, sur la mort de Rousseau. Ceux de Lainarline onl plus d'eclat, d'har- monie, de lour el ^'imagination ; ceux de Lefranc ont peul-6ire plus de raison, de force et de profon- deur. Tout le monde sait la belle sirophe qui (ermine ceiie ode : Le Nil a vu sur ses rivages Mais il y a beaucoup d'aulres trails aussr remar- quables. Voici la xne piece que nous avons choisie pour donner au lecleur une idee des qualiles el des defauts de ces Nouvelles Meditations inedites. Belle par la pensee et par I'ensemble, elle laisse a desirer par le style et nar le detail. — 293 — LES FLEUKS SUR L'AUTEL. Quand sous la majeste du Maitre qu'elle adore L'ame humainc a besoin de se fondre d'amour , Comnie une mer dont l'eau s'echauffe et s'evapore , Pour inonler en image a la source du jour ; I Hi' cberche partout dans l'art, dans la nature, L.e vase lc plus saint pour y bruler I'encens. Mais pour I'Elre innomme quelle coupe assez pure ? Et quelle ame ici-bas n'a profane ses sens ? Le oe vers est prosaique, la periode poelique est ha- bile, et le sujet bien annonco a la fin de la 2e strophe. Nous eussious mieux aime YElre infini que VEtre in- nomme. Vient ensuite le developpemenl de celte iin- perfcclion de ions les ages. Les vieillards ont eleint le feu des sacrifices ; Les cnfanls laisseronl vaciller son flambeau ; Les vierges ont pleure le froid de leurs cilices : Comment parer l'aulel de ces fleurs du tombeau P Les deux premiers vers sonl beaux; le troisieme eiaii dilficile, peut-elre, et nousparoit penible, mediocre el bien severe Voila pourquoi les fleurs, ces prieres ecloses Doul Dieu lui-memc emplit les corolles de miel , Pures comme ces lis, chastes comme ces roses, Semblent prior pour nous dans les maisons du ciel. Quand l'homme a depose sur les degres du temple Ce faisceau de parfum, ce symbole d'honneur, Dans un muet espoir son regard le contemple ; II croit ce don du ciel acceptable au Seigneur. — 294 — Nous voila complement en t res dans le sujet. Ces prieres ecloses nous paraii hardi et heureux ; Les maisons du del nous semble moins juste que la maison de Dieu; lesdegres du temple, sonl pour les degres de I'autel, Yespoir pour la confiance; et le faisceaa de par- fum, nous parait une figure inexacte. Enfin, voici la derniere strophe qui, comme nous I'avons dit, est la plus faible de toutes. II regarde la fleur dans 1'urne deposee Exhaler lentemcnt son ame au pied des dieux, Et la brise qui boit ses goutles de rosee. Lui parait une main qui vient secher ses yeux. Le premier vers est une repetition de la strophe precedente. Au pied des Dieux est d'une incorrection inexcusable, pour aux piedsde Dieu; la forme paienne des Dieux est absurde dans uue piece aussi chreiienne et apres ce mot acceptable au Seigneur ; enGn, la brise qui boit et qui est une main , ces gouttes de rosee sur les fleurs et ces larmes des yeux, ce mot de secher pour essuyer. tout cela est impropre et incoherent, outre que la pensee est trop raffinee; il fallait supprimer cette derniere strophe, qui n'est rien moins que necessaire. On le voit, I'ensemble est juste et eleve; la pensee generale elanl belle et vraie, iriomphe des inexacti- tudes de detail et fait lire la piece avec un certain plai- sir; mais, a leur tour, ces inexactitudes trop nom- breuses empechent qu'elle soit une ceuvre parfaile et lui raviront peul-etre rimmortalile, qui n'est reservee qu'a I'union de la perfection des details et de celle de I'ensemble. 295 — FABLE. Lecture de M. Th. Lorin. Plains vers dieu. Eire infini, divine essence ! Si nos yeux ne peuvent te voir, Si noire esprit borne ne peut te concevoir, Tes bienfails a nos cceurs revelent ta presence. Echaufie par lamour, eclaire par la foi Dans un religieux silence Mon esprit absorbe s'incline devanl toi, Toq immensile, ta puissance, Et sur la terre, et dans les cieux, Partout se deroule a mes yeux. Je t'adore; a l'aspectde la foule innombrable De ces globes de feu dont prodigalement Ton pouyoir createur sabla le flrmainent, Etqui, dans un ordre iuimuable, Dociles a tes Iois, ue cessent de fournir Leur vaste et brillante carrierc ; Mais je t'adore aussi, dans l'insecle dphemere Qu'on voil en un seal jour, nailre, aimer et mourir Ainsi que ton pouvoir, la bonle lulelaire Embrasse la nature enliere. Tu defends au Uiste aquiloit De tourmenler de sa bise homicide La brebis souffrante el limide Dont 1'avare cisean moissonna la toison : Mc'-me le vermiceau, rebut de la nature, De toi recoil sa notirrilure. — 296 — Mais pour riioiiiinc surtout, prodigue de bienlails, Chaque jour, chaque instant, prevenant ses souhaits, Ton iacessante et sage Providence Veille sur sa faible existence. Tu fais plus; (a bonle pourvoit a ses plaisirs : De fleurs pour lui lu decores la terre, Pour lui, tu fais souffler des gracicux zephirs L'haleine suave et legere. Si de son corps, qui doit aux elements Rendre sa dcpouille morlelie, Ton paternel amour prend des soins si touckanls, Que ne feras-lu pour son ame immortelle, Kayon issu de ton immcnsite ? Tu daignas, revelant ton essence cternellc D'une enveloppe corporelle, Lui reveler cette religion, Si sublime, si consolante, Qui calme son affliction, Soutienl sa marche chanceianle. Pour moderer ses passions, Tu lui donnas la conscience Qui dirige ses actions, Les piinil ou les recompense ; Dont le cri, qn'on voudrait vainement etouffer, Dans nos cceurs, malgre nous, finit par triompher ; Qui fait palir le superbe autocralc Sur son trone cntoure d'ennemis abatlus, Verse la paix du ciel dans l'ame de Socrale, Les tourments de I'enfer dans cellc d'Anytus. Fais, 6 mon Dieu, qu'avec perseverance, Marchanl a pas certains dans les sentiers etroils, De cette austere conscience Constarament j'ecoute la voix, El que j'obtienne un jour cette paix eternelle Que daignc reserver la bonte palernelle Aux observateurs de tes lois. Ileims, Imp. de P. Kkcnieb. N TIUVAUX DE L'ACADEMIE MPERIALE DE REIMS. aknke 1853 -1854. Tome xx. — N° 1 J REIMS, P. BEGNIER, IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE ; BRISSART-BINET, LIBRAIRE DE L'ACADEMIE. A out 1854. . -^T — t I SOiWAIRE DU NUMERO. SCIENCES. - Lecture de M. Macmene. - Rapport sur le systems d'horlogerie eleclrique presenle par M. Leroy , de Reims. - Rapport sur Us procedes de ventilation el de chauffage adoptes par MM. A. Cocue , Villkmhot-Huaht et C« d«n. /ewr filature. Lecture de M. P. Masse. - Rapport sur un sysleme de joints metalliqucs, pour luyaux , par MM. Lafobest et Bocdeville ; flapport sur un apparei* de rtaivofr de cM?u| apluufrb a 2: : P: x 1850 : 2187,5 donne pour x la quantite de sucre cherchee. Le deuxieme lerme est remplace par C12 H12 O12 (2250) ou par C12 Hio O10 (2025) si Ton determine du sucre de raisin ou de la dextrine, etc. (1) L'acido azotique et l'eau regale ne l'attaqueut, a froid, que lorsqu'ils sont tres concentres. xx. 3 - Sk — La premiere operation dont je viens tie parler pent donuer souvent la quantite du sucre exactement du premier coup : mais il est ordinairemenl necessaire de la renouveler comme il suit : Ou prend le raerae volume de liquide dont on con- nait maintenant la teneur approximative en sucre, et on y ajoule pourcliaque gramme de ce corps do a 50 grammes de bichlorure. On faitevaporer, etc. Lecara- melin est obtenu, dans ce cas, pur el tres divise. Le lavage peul etre fail avec exactitude tandis qu'il est toujours impossible de laver I'inl6rieur des grumeaux oblenus par Taction d'une trop faible proportion de bichlorure. Le poids obtenu donne alors tres exacte- ment la quantite du sucre. Je ne crois pas utile de citer des exemples ; je me bornerai a dire que ce procede' m'a servi a determiner la ricbesse en sucre du jus de betlerave et du vin de champagne et que les resultats onl ete d'accord avec les'analyses faites au saccharimetre. Malheureusement ce procede ne pent etre employe pour separer les diverses especes de sucre, el quand un liquide renferme a la fois du sucre de Cannes el du sucre de raisin, on ne peut determiner que leur somme. — A plus forle raison le procede laisse-t-il a desirer quand les deux sucres sont accompagnes de dextrine. — Lagommen'est pas un embarras serieux puisqu'on peut la separer. En terminant je ferai une courle remarque sur l'em- ploi du caramelin comme couleur. L'aclion du bichlo- rure d'etain sur le sucre et les malieres Ca (HO) b fournit un excellent moyen de preparer une couleur du genre des sepias, terres de Cassel, etc. — Le caramelin pos- sede une tres belle nuance brun noir , et comme on — 35 — I'oblient (run seul coup dans un Ires grand etat de divi. sion (surtout en augmentanl la dose de bichlorure , indiquee plus haul) je crois que ee modede preparation rendra service a la peinlure. Le procede est ires eco- nomique parce qu'on peut employer de la dextrine au lieu de sucreet parce que le bichlorure employe dans une premiere operation peut servir dans une seconde, une troisieme... indefmiment. 30 Lecture , qui, dans les Plat- — 95 — deurs de Racine, occasionne line querelle si plaisante entre Chicaneau et la comtesse de Pimbeche, I'aute d'a- voir ele compris par cetie deruiere, moins familiar isee que le vieux plaideur avec les anciens termes de chi- cane, etc., elc. Voyez mon Essai sur les anciens ecri- vains, meniionne ci-dessus, 2C edition, p. 5, note. Saint Thibault ou Thiebault parlageait avec saint Arnolphe ou saint Arnoult le litre de patron des maris trompes. • Prinae, puisque mon mary faull(manque a son devoir) Par saint Arnoul et saint Thiebault Je luy feray d'autel pain soupe. (Eustache Deschanips, l'oes. Mss. fol. 449, col. 1. ) c'est-a-dire , je lui ferai soupe de pared pain, je le traiterai comme il me traite, ou, selon une autre lo- cution proverbiale : Je lui rendrai pain pour fouace. Probablement cctte fonction donnee a saint Thi- bault vienl de la ressemblance de son nom avec celle de Thibaultrl Agnelet (Rabelais, liv. iv, ch, 8 ; Farce de Patbelin ; La Fontaine, liv. x, fab. 8, etc.), nom qui entraine l'idee de simplicity, de douceur. Voyez mon Vocabulaire sur La Fontaine, art. Thibaut. Saint Arnoul ou Arnolphe aurail alors eille Au bruit soudain de mes accents? Hommes, peuples, ouvrez I'oreille, Soyez attentifs a mes chants. Je parlc un langage seyerc, Enfants des hommes, ecoulez • Vous tous, habitants de la lerre, Riches et pauvres, medilez. tie la yraie et seule science J'annonce la necessite : lie la mondaine sapience Je raconte la vanile. Ueja les cordes de ma lyre Sonnent et vibrenl sous mes doigts : Un sens interieur ra 'inspire, De inon ame j'entends la voix. An jour triste de la souffrance, Inaccessible a la terreur, Mon c(cur ne craint que la puissance El la justice du Seigneur. — 126 — Qui conildunt in virtule sua, £( in mullitudine divitiarum Suariim gloriantur. Frater non rediniit, redimet Homo? Non dabit placationcm suani. Rt pretium redemp tionis Animae sua;: et laborabit In aUernum, et vivel adhuc in finem. Non videbit Interitum, cum videril sapienles Morientes : simul insipiens Rt stut lus pcribunt. Et relinquent alienis Divitias suas : et sepukhia Korum domus illorum In astern um . Tabernacula eoruni in Progenie et progenie vocaverunt Nomina sua in Terris suis. Et homo cum in houore Esset, non intellexil : Comparatus est jumentis Insipientibus el similis faclus est illis. II it via illorum Scandatum ipsis : Et postea in ore suo Complacebunl. Sicut oves in luferuo positi sunt : Mors depascel Eos . — 127 — Knivre dcs biens de la terre, Le riche tremble avec raison : <"ar a Dien, son frere, d'un fiure N'acquitlera pas la rancon! A voir la persistence extreme Que I'homme met a s'enrichir ; Or> rroirait que I'instanl supreme Pour lui ne doit jamais venir. I'ourtaoi, la mort frappe sans cesse Sage, insense.vieillard, enfant : Richesse, bonneurs, g'niie, noblesse, Gootre ses coups rien ne defend Uc la mort vous serez la proie, Hommes, il faudra (out quitter; Et cachanl a peine sa joie Yiendra voire avide beriticr. be ces palais , de celte terre Qui portent voire illuslre nom : Vous sorlirez nuds,... uric bierre Sera voire etroite prison. Semblablo a la brute stupide, Insoucieux de I'avenir , l/homme au basard, marclianl sans guide l)u temps present songe a jouir. Decoraut du nom do sagesse Sa dangereuse illusion, II repousse dans son ivresse I, 'austere voix de la raison. La mort active, inexorable Pourlaul vienl ; pareille au berger Qui prend chaque soir, dans I'elahle La bicbis qu'il yeut egorger. 1"28 — FA Doniinabuntur Eorum jusli In mslntino ; i.t auxilium Eorum velerascet In inferno a Gloria eorum. Verumlamen Deus Redirect anirnain meam de Manu infeii, cum Acceperil mc. Ne timueris cum Dives faelus fuerit homo : Et cum mulliplicata Fueril gloria domus ejus. Quoniam cum Iulcrierit, noD sumel omnia : N'eque descendet cum eo Gloria ej*js. Quia anima ejus In vila ipsius benedicclur ; Confitebilur tibi Gum benefeceris ei. Introibit usque in progenies I'alrum suorura : Et usque in aeternum Non videbit lumen. Homo, cum in honore esset Non intellexit : Comparatus est jumeniis Insipientibus et similis factus est illis. - 129 — El pourtant, dans leur incurie, Ces hommes goiitent le sommeil ; lis fremiront de leur folie Quand viendra I'heure du reveil. Alors, a la premiere place lis verront dun ceil effraye Le pauvre que, dans leur audace, Us ont si longtcmps onblie. El le Seigneur, dans §a clemence, Appellera notre ame a lui, El sa misericorde immense Sera notre espoir, notre appui. Du riche a la demarche alliere, Ne redoutez pas le courroui, Sa splendeur n'est que passagere, Dieu l'a fait morlel comme vous Jusles, deja la mort s'avance, Quand viendra I'heure du tr6pas Sa vaine gloire, sa puissance, An (ombcau ne le suivront pas. Quand ces hommes, dans leur folie, Se gloriGaient dans leur coeur Des biens dont Dieu comblait leur vie ; Noire ame louait le Seigneur. Pres de leurs peres, aux abimes Dedesespoir, d'obscurile, La mort les prennnl pour viclimes Leur ouvrira I'eternile. Semblabie aux animaux slupides Par leur avengle instinct conduits, I'renant ses passions pour guides, Ainsi, I'homme n'a rien compris?. .. 130 — Odi profanum vulgus et arceo ; Favele linguis : carmina non prius Audita Musarum sacerdos Virginibus puerisque canto. Regum timendorumin proprios greges, Reges in ipsos imperium est Jovis, Clari giganteo triumpbo, Cuncta supercilio morentis, Est, ut Tiro vir latins ordinet Arbusta sulcis ; hie generosior Descendat in Campum pelitor ; Moribus hie meliorque fama Contendat ; illi turba clientium Sit major : aequa lege Neccssilas Sorlilur insignes et imos : Omne capax morel urn.i nomen. Deslriclus ensis cui super inipia Service pendel, non Siculae dapc* Dulcem elaborabunt saporem : Non avium cilharmque cantus. Somnum reducent. Somnus agrestium Lenis virorum non humiles doraos Faslidit, umbrosamve ripam Non Zcphyris agitata Tcinpe. — 131 - LIVRE III. HORACE, Ode 1. INUTILITY DES RICHESSES. Je le hais, ecarlez le profane vulgairc , Jeunes vierges, venez et vous, nobles enfants ; Calliope, a ma voix imprime un ton severe, Pretez I'oreille a mes accents! Comme dc Tils troupeaux courbes dans la poussiere, Les princes font trembler les peuples sous leurs lois Mais le Dieu tout-puissant, le maitre du tonnerre Fait a son tour trembler les rois. Que ficr de tes aieux et d'un vaste heritage Tu viennesau Forum sous I'appui d'un grand nora, Que le peuple romain t'accorde son suffrage Pour prix d'une belle action. Quede clients un cortege innombrable, Mortel! incessamment se presse autour de toi ; Ton nom s'agilera dans I'urne redoutable, Tu vis sous la commune loi. Un splendidc feslin, une tendre harmonie Cbarmaient I'ambitieux !.. Soudainson front [alii, II voit briller un glaive; il tremble'pour sa vie ; Le sommeil a quitte son lit! Le sommeil qui cheril les vallons solitaires, Les ruisseaux murmurants, les ombrages epais ; Quisemant sespavots sur les humblcschaumieres, Aux cocurs droits a(>|)orlc la |>aix. — 132 — Desiderantem quod salis est, nequc Tiimultuosum soilicilat mare, Nee ssevus Arcturi cadentis Impetus, autorientis Hoedi : Non rerberatse grandine vineae, Fundusque niendax, arbo«re nunc aquas Culpante, nunc torrentia agros Sidera, nunc hiemes iniquas. Conlracta pisces aequora sentiunt Jactis in altum molibus ; hue frcquens Omenta demiltit redemptor Cum famulis, dominusque terras Faslidiosus : sed Timor et Minae Scandunt codem, quo dominus : neque Decedit a- rata triremi, et Post equitem sedel alra cura. Quod si dolentem nee phrygius lapis, Nee purpurarumsiderc clarior, Delenil usus, nee Falesna Vilis, Achasmeniumque costum : Cur invidendis postibus et novo Sublime ritu moliar atrium ? Cur valle permulem Sabina Divitias operosiores ? — 133 — l/homme qui vit content du simple necessaire N'a rien a redouter des traits de l'aquilon : II yoit sans s'emouyoir bouillooner I'onde amere, II souritaux feux d'Orion. Si la pluie a fletri la rnoisson jaunissante, Si la grele a brise la vigne ou l'olivier, II se soumet aux Dieux, son ame patiente Ne songe pas a murmurer. Le riche enorgueilli des dons de la fortune, Se pose insolemment en roi de l'Univers ; Envahisseur hardi des plaines de Neptune : Son mole trone au sein desmers. 11 fatigue les flots du poids de son trireme, Le fer de ses chevaux au loin gronde et reluit : Mais au banc du navire, au dos du coursier merae, Le chagrin s'assied avec lui. Si le marbre africaiu, si la pourpre d'Asie, Si les vins delicats, si l'or, si les rubis, Ne peuTent ecarter du chemin de la vie La cohorle desnoirs soucis. Pourquoi ces biens trompeurs me feraient-ils envic ! Pourquoi desirerais-je un porlique, un palais, Quand sous mon toit rustique, au val de Sabinie Je trouye le calme et la paix ! Reims, Imp. de P. Regnier. PUBLICATIONS WUVELLES: HISTOIRE DE L EGLISE DE REIMS par FLODOARD PUBLIEE PAR L'ACADEMIE IMPERIALE DE REIMS, et traduite avec le concours de VAca&imie Par M. Lejecnr, Professeur au Lycee de la meme Ville. (EUVRES CHOISIES DE M. L'ABBE BANDEVILLE CHANOINE-TITULAffiE DB I.EGLISE MKTROPOL11A11NE DE REIMS Pahliees sous les auspices DE SON EMINENCE LE CARDINAL GOUSSET, Archereque de Reims. TR4VAUX DE L'ACADiMIE IMPERIALS DE REIMS. \MSKE 1853 -185i. Tome xx. -r- N« 2. REIMS, P. BEGNIEB, IMPBIMEUR DE L'ACADEMIE ; BRISSART-RINET, LIBRAIRE DE L'ACADEMIE. Novembre 1854. SOMMAIRE I)U NUMEHO. Lecture de M. Derode, president annuel. — Discours d'ou- verture. Lecture de M. V. Tocrneur, secretaire- general. — Comple- rendu des travaux de l'annee 1853-1854. Lecture de M. Lesecr. — Au Coin du Feu. Lecture de M. Maumene. — Rapport sur les prix decemes aux applications scientifiques. Lecture de M . Poinsignon. —Etude sur I'Eglise franke au temps des Merovingiens (Fragment). Lecture de M. Paris. — Rapport sur le concours d'histoire littiraire. ROYER-COLLARD. — Etude par M. Emile Chevallet, membre correspondanl. Lecture deM. J-B. Bczt. — BaptemedeClovis. Programme des Concours ouverts pour l'annee 1855. Concours de 1854. — Prix el Medailles. Tableau des Membres composant l'Academie de Reims. — Membres honoraires, Membres titulaires et Membres correspon- dents . — Membres decedgs . Liste des Societes correspondantes. Liste des ouvrages adresses a l'Academie de Reims pendant l'annee 1853-1854. Table des auteurs pour les deux volumes de Tannic 1853- 1854. Table des Matieres eonterfues dans les deux volumes de l'annee 18S3-1854. TRAVAUX DE L'A€ADfiMiE WPERIALE HE REIMS. ANNEE 1853-1854. Tome xx. — Ne 9. Lecture !. I'abbe Barlhelemy. De M. le docteur Philippe, son Discours d'Ouverture du Cours de Clinique chirurgirale a I'Ecolede Medecine de Reims. De MM. les abbes Landriot el Rochet, d'Aulun, la traduction des Discours d'Eumene, publiee par la Socieie Eduenne. Enfin les OEuvres choisics de M. I'abbe Bandeville, el celles de Maucroix, dom 1'Academie a ete assez oc- cupee precedemmenl, pour que nous soyions dispense d'y revenir aujourd'bui. La litterature nous amcne h l'histoire. M. Poinsignon a continue a nous faire part de ses Recherches sur le Moyen-age. Apres avoir eludie sous loutes ses (aces I'elal religieux du monde romain a I'epoqueou les invasions allaient commencer, il arrive a conclure que pour la socieie religieuse comme pour la socieie civile, une reforme elait indispensable el que, dans les vues de la Providence, les barbaros elaienl inanifeslenient destines a I'operer. Dans ce morceau capital, nous avons retrouve, chez noire collegue, ce que nous admirions I'annee derniere, une surele de critique, uue elevation de pensee, une gravite de style lout-a-l'ail digne du sujci im|)ortant qu'il a enlrepris de trailer. Mais si rAcademie aime I'hisloire generate, elle ne — 1/|9 — saurait oublier qu'elle a ete fondee, en parlie, dans I'inleret des recherches d'histoire locale et pour les favoriser. Aussi a-t-elle accueilli avec empressement VHistoire de Charleville, par M. J. Hubert, l'un de nos plus anciens correspondanls, et laureat d'un de nos precedents concours historiques. Une commission speciale, chargee d'examiner le livre de M. Hubert a, par l'organe de M. Goda, son rapporteur, loue sans restriction I'introduction et la premiere parlie de I'ou- vrage embrassant I'hisioire de Charleville, depuis sa fondation en 1606, jusqu'en 1789 ; elle considere m£me cette parlie comme defiant toute cspece de cri- tique.Mais elle voudrait plus dedelailsconcernantce qui s'est accompli de 1789 jusqu'a nos jours. D'apres ces motifs, et faisant droit aux conclusions de sa commis- sion, I'Academie a decerne une medaille d'argent a M. Hubert, pour l'interessante histoire de Charleville qu'il vient de publier. Dans le meme genre, et d'un merile egal, peul-etre, est l'histoire de Saint Alpin, eveque de Chalons^ qui nous a ete offerle par M. l'abbe Boitel, cure de Monlmi- rail, si connu par ses travaux historiques surdifferentes localites du departement de la Marne. Au milieu de la vie du saint eveque, I'auteur a su placer, naturel- lemenl, une dissertation remplie de scieuce sur l'un des plus grands fails de l'histoire donl noire pays a eie le lemoin, je veux dire la defaile sanglante d'Aliila, le fleau de Dien dans les plaines de Chalons. Mais je m'arrete; je ne dois point empieler sur les belles choses que nous dira M. l'abbe Gainel, quand il nous rendra compie du precieux livre de M. Boilel. L'bisloire locale nous a fourni encore : le Chateau de Ham et ses prisonniers, par M. Gomard, de Saint- — 150 — Quentin, membre eorrespondanl , la Vie de saint Pardoux , patron de Gueret, par M. Coudert de Lavillale; La Hevue de Reims et I' Almanack historique et topo- graphique de Reims, ediles par M. Brissarl-Binel, libraire de I' Academic el renvoyes h Texamen de M. L. Lucas. A I'occasion d'une simple notice sur M. de Giene- dolle , M. Robillard nous decrit avec amour les riants paysages de la Normandie, el il joint a Pelude des oauvres d'un litterateur illuslre, !a judicieuse appre- ciation de loule cette epoque lilteraire, qui unit le xvhf siecie au xix% sans les melatiger ni les con- fondre. M. Cberi-Pauflin, voire correspondant, a exlrail, pour vous l'offrir, d'une biograpbie ardem;aise tres- complete, la Vie de Dubois Crance, ne a Charlevillc, en 1747, president de la Convention en 1792, vain- queur impiloyable de Lyon, le 9 octobre 1793 et mort a Reihel, dans un profond oubli, le 24 juin 1814. Vous avez egalement regii une Notice sur Mathieu de Dombasle, parM. de La Chauviniere ; La Vie de Thomas Langevin de Pontaumonl, de Carantan, par M. Regnault. Guiltaume-le-Taciturne, prince d' Orange, par M. Eug. Mahou. Enfin, pour s'acquiller d'une promesse solennelle- ment faite, il y a un an, a pareille epoque, votre se- cretaire general vous a lu quelquee pages oil il s'esl efforce de renfermer les faits les plus saillants de la carriere, helas, irop courte! de noire regrette confrere, — 151 — lVl. I'abbe Bandeville, et une indicalion de ses princi- paux ouvrages. L'histoire racoote les fails, l'archeologie les re- cueille : voici ce qu'elle nous a offert de plus remar- quable depuis noire derniere seance publiquc. En quelque endroil qu'on le remue, noire sol laisse apparailre aussilol d'irrecusables temoins de son an- tique grandeur et corame les vieilles preuves de sa no- blesse. A Ponigivart, M. Croutelle a decouverl une quanlite considerable d'objels antiques, epees, poignards, fers de lances et lout ce qui conslilue la depouille des- guerriers romains. Ces objets nous ont ele genereHse- menl offerls, M. Lucas nous en dira le prix. En creusant les fondaiions des bailments nouveaux de la communaule de l'Enfaut-Jesus de Reims, la pioche a mis au jour une mosaique gallo-romaine, que j'ai cru devoir signaler a voire attention. C'est un morceau assez considerable, de couleurs plus ri- ches, et de dessins plus compliques que ceux qui se renconlrent d'ordinaire dans les ouvrages du m6me genre. Mais, surtout, ce monument trouve sur la voie Cesaree, ou aucun resle important de construction an- tique n'avait encore apparu, ajoutera un jalon nouveau au plan du Reims gallo-romain que M. Rrunelte a deja iraceen grande parlie, en combinani, avec aulant de sagacile que de patience, ce que ses iravaux, comme archilecte de la Ville, lui font renconlrer lous les jours d'antiques debris. Deux lellres de M. Jeanlin, president du tribunal civil de Montmedy, nous ont revele des trouvailles analogues dans la substruction de Pcglise de Sainl-Pierre-Mont et sur le plateau de Giraumonl, aux bords de la Meuse. — 152 - Noire zele collogue, M. Pernol, nous a fail par- venir, duranl la session des Assises scienlifiques, et comme marque sensible de sa sympathie pour lours travaux comme pour les notres, un ires-beau dessin, que je n'hesile pas a ranger au nombre des oenvres archeologiques, car il reproduil, dans loute leur ri- chesse, les merveilles d'architeelure de la charmante eglise de Notre-Dame-de-1'Epine. Cette oeuvre, louie artislique, a sa place marquee dans la salle de nos seances, ou elle doit servir de pendant a la vue de la maison de Jeanne-d'Arc, a Domremi , que M. Pernol nous a precedemment dediee. La sociele archeologique de Zurich, plus beureuse que nous, a trouve en Suisse, dans les fouilles d'an- ciens lombeaux, des bagues, des armures, les debris d'un charrioi de guerre, maib surloul des vases en bronze sculpie, qui sembleni apparlenir a l'ari etrus- que et que M. Suiaine nous a decrils en veritable artiste. Mais I'ceuvre la plus miportante qui nous ail ele offerle, en fait d'arcbeologie, e'est certainement la serieuse etude de M. l'abbe Poussin, sur la forme des aulels,des tabernacles, des vases sacres, des veiements sacerdotaux et des autres objets de lout genre, neces- saires au culle, pendant le xmesiecle. Texles anciens, inventaires perdus dans les archives , monuments m6me, rien n'a echappe, cesemble, aux investigations de l'auteur, et parloul il a trouve les elements neces- saires a la solulion d'une question qui lend, chaque jour, a devenir plus pratique. Apres avoir admire nos edifices du xme siecle et reconnu en eux le veritable type de I'art Chretien, e'est a la meme epoqueque tous les bommes eclaires vonl demander des lumieres pour — 163 - rend re a tout ce qui lient au culte catholique sa pompe et sa majeslueuse gravite d'autrefms. Deja Paris, Reims, Rouen, Solesme, ont vu de grandes et d'admirables ameliorations en ce genre ; Ics recherches de M. Ponssin, plus connues, feront faire cerlaine- ment un ires grand pas a celte hinireuse reforme. Comme elude de I'aisiiquile, il ne nous resle plus a euregislrer que quelques hommages. De M. Loriquei le beau Traite de I'Eclairage chez les Romains, compose pour nous el public avec de nou- velles notes. De M. d'Arbois de Jubainvillo, arcbivisle paleogra- pbe, conservaleur des arcbives du departement de I'Aube, le Pouille du diocese de Troyes, redige eh 1407, et public, pour la premiere Ibis, avec de nom- breuses notes. Nous avous confere a M. de Jubainville le litre de membre correspondanl. En numismaiique, soeur germaine de I'arcbeologie, nous citerons une Notice sur un Ecu d'or au Soleil, frappe a Arras en 1644, au noni de Louis xiv, parM. le docteur Colson. Le Manuel de I' Amateur de Jetons, par M. de Fon- lenay, correspondanl. Les observations de M. Anaiole de Baribelemy, sur I'ouvrage intitule : Lattres a M. Dugast-Matiffeux, sur quelques monnaies frangaises inidites, par M. Fillon, et de plus des Recherches sur les Monnaies et les Je- tons des maltres echevins, par M. Charles Robert, qui compte, comme M. An. de Barthelemy, au nombre de nos plus infaligables correspondauls. Comme archeologie encore, mais dans une autre branche, la preface el Introduction du Livre choral, xx. 11 - 154 — de M. Fanart, on I'auleur expose, avec I'erudilion qu'on lui connait, les raisons qui I'onl pone a lenler la reslauralion complete de la nuisique religiense, en la ramenant an gout de I'aniique ecole caiholique, dont lout le monde salue Palestrina, comme le maiire el le modele. Un rapport de M. Delan nous fera mieux connaflre la pensee de M. Fanart el le merile de son ceuvre. J'enlre mainlennnt dans le domaine des sciences, el je m'en rejouis el pour vous el pour moi, carayant a parler de ce que j'ignore, je serai forcemenl ires laconique. En jurisprudence, nous avons recu : le Droit civil francais, par Zaccharie, traduil de I'allemand par MM. G. Masse, membre honoraire de I' Academic, el Ch. Verge. Un Essai sur les Recompenses, sous le regime de la Communaute legale, par M. Mahomci Mennesson, avocai a Laon, noli e correspondant, dont nous com- prendrons encore mieux lt> liire, quand, suivant sa promesse, M. Mennesson, noire collegue, nous aura rendu compte de Pouvrage. Entin de M. Rohault de Fleury, comme adieux qu'il nous faismi en nou^ quiltant, quelques reflexions fort sages sur la muliiplicile des aiienials contre les person- nes el sur les moyens les plus eflicaces a demander a la loi pour les reprimer. L' Economic politique nous a donnedcM. Goda un premier article sur le Credit fonder, dans lequel I'au- leur nous retrace Phisioire de cette institution, que l'anliquite ne connut qu'eti germe et que Pepoque rao- derne seule a developpee. - 155 - De M. de Maizieres, donl les preoccupations sont toujours l'uiilile el le bonheur des autres, irois me- moires, fruit de ses laborieux loisirs : 1° Mesures an- nuelles a commencer aussitot la Moisson , dans une de nos annees de calme, a fin de nous preserver a jamais du chomage des bras et de la diselte ; 2° Mesures pro- prcs a allenuer et a deraciner, sans secousses, les causes du chdmage el de la cherle que nous subissons pour la demiere fois; 5° Enfiri une nouvelle brochure ayanl pour litre, Sean-e d'une Assemblee illustrs, competente, et an dessus de lout reproche d'interet prive, sur les points culminanls de la vie des homines. En medecine, nous avons recu de M. Collart, de Beine, noire correspondam, la communication d'un nouveaucasde Pellagre, recemmenl observe par lui dans sa pratique. II y a deux ans que le premier fait de ce genre a ele signale a PAcademie par M. Landouzy, et les previsions qu'il nous communiqunil alors se sont Irouvees pleinement confirmees par I'evenement. La Pellagre, maladie Ibrl rare, elail confondue avec d'au- tres et passail inappercue. Aujourd'hui, on sail la re- connaiire, car on nous signale le troisieme cas ob- serve depuis deux ans. On atlribuait la Pellagre a Tusage du inais, a la misere, au mauvais regime. On la regardait comme endemique, el deja les cassoumis a 1'Academie de Reims soni venus completemeni de- menlir ces prejuges. Encore quelques fails, el la Pel- lagre, deja proclamee moins dangereuse, aura sa cause et ses remedes parfailement connus . M. Landouzy nous communique, en outre, i" un memoire de M. Baissiere, medecin a St-Remi-sur- Bussy, concernant un cas de Tetanos spontane, gueri avec I' acetate de morphine ; — 156 — 2° De M. Leroux, docieur en medecine a Corbeny et membre correspondant, uoe note delaillee, concernani V Influence pretendue de I imagination des femmes sur les signes corporels et les monstruosites. 3° De M. Tricoul-Drexel, un appareil de bandage herniaire, d'un genre nouveau, renvoye a I'apprecia- tion compelente de M. Gailliel. De M. Vauquclin, medecin oculiste a Paris, une bro- chure, accompagnee de planches, concernani V Appli- cation de la suture enchevillee a Voperalion de V Ectro- pion spasmodique. En chimie appliquee a la medecine, des dangers que presente Vemploi des papiers colores avec des sub- stances loxiques, par M. Chevalier, professeur a l'ecole de pharmaeie de Paris el membre correspondanl. En medecine veierinaire, un opuscule inlilule, de la Rage, par M Baudesson, membre liiulaire. En bisloire naiurelle, plusieurs ouvrages d'Ornitho- logie, par le savant docieur Ghistel, de Munich. Deux eludes de M. Lcroy-Mabile, Tune sur la Ma- ladie des Pommes de lerre, et I'aulre sur celle de la Vigne, qui, selon lui, doit eire a elle-meme son propre medecin. La geologic n'a point ele muetle parrni nous. M. Hebert, sous-direcleur a l'ecole normale de Paris, el notre correspondant, nous a donne i° une note sur les terrains jurassiques de la Moselle ; 2° une autre note sur la limite qui separe le terrain cretace du terrain lertiaire; une comparaison des couches terliaires inlerieures de 1'Anglelerre avec cellesdu bassin pari- sien. En asironomie, une communication savante de — 157 — M. Chevilliel, nousprouvani, d'apres M. Lcverrier, el a I'aide de rigourenx oalculs que la masse loiale des peiiies planele.s, situees enlre Mars el Jupiter, eslegale, environ, au seplieme de la masse de la lerre el qu'il en resle a peu pres une vingtaine a decouvrir. En physique, divers iravaux de M. Leon Foucaull, anteur des belles experiences sur les divers sighes sen- siblesdu mouvemenl diurne de la lerre, repelees il y a denx ans dans la caihedrale de Reins, enlre aulres : une dissertation sur la conduclibilite des liquides el une these pour le doctoral es-sciences. M. Leon Foucaidi a recu, dans lecoursde celte annee, le litre de mem- bre correspondanl de noire Academie. Mais puis-je parler plus longtemps de sciences phy- siques el nalurelles sans que le nom de M. Maumene, leur savanl el infaligable organe au milieu de nous, se renconlre souvenl sur mes levres? Toul-a I'lieure vous I'entendrez lui meme nous entretenir de plusieurs appareils remarquables, soil comme invention, soil comme execution, et auxquels I'Academie a decerne des recompenses. Tels sonl : I'horloge electrique de M. Leroy; le lelegraphe eleclrique de M. Marlin-Hu- tin, les appareils *de ventilation el de chauffage de MM. Villeminoi et compagnie, dont M. Maumene nous a rendu un comple plus deiaille dans nos seances parliculieres. Tels son! encore le petrissage mecanique de MM. Gerard-Cheruyj Brimoni el Floquel-Lallemenl ; le systeme de joints metalliques de MM. Lalbrest et Boudeville, el Pappareil de reservoir de chaleur appli- cable a louleespece de chcminees, par M. Chedal, el que M. 1*. Masse nous a decrils et Tail comprendre avec une lucidile complete. -.' — 158 — Mais pour parler de ses communications persori- nelles, nous dirons de M. Maumene qu'un soiril nous a fait appre'cier tons les avantages du charmant appa- rcil, assez rare alors el aiijourd'hui beaucoup plus re- pandu,soii3 le nom de stereoscope, qui nous monlre les objets vivants avec leur relief complet, leurs plans nombreux et profonds, el qui peut rendre ainsi aux sciences et aux beaux-arts les plus importants services. Un autre soir, le m6me confrere nous a revele un moyen de fabriquer economiquement le pain, moyen qu'il a lui-meme mis en pratique a Paris el dont les resuliats ont ele ires satisfaisants. Tout le secret con- siste a melanger de la fecule a la farine, ce qui se pra- tique depnis bien longtemps, puis a y ajouleren meme temps tine subsiance equivalcnte an gluten. Cette sub- stance est la dextrine ou fecule lorrcfiee. Pendant qoinze jours, plus de mille kilogrammes de ce pain ont ete fa- briques lous les jours, el les consommaleurs n'ont cesse de lui donner sans hesiter la preference. A M. Maumene encore, nous devons la suite dcs recherches qu'il a failes deptris longtemps stir les moycns de de- terminer la quanlitedu sucrc. II est parvenu a recon- nailre que Taction des chlorures dont on lui doit la decouverle et donl il a tire un si bon parti pour la medecine, peut eire regularisee. Le sucre C'2 H" O" pent eire converii ires exactemenl en Cr- H! CM donl il est facile d'evaluer le poids, an moyen duquel on cal- cule celui du sucre. Nous devons encore an meme confrere I'indicalion de cbnngetncnis esscniielsa inlroduire dans le syslcme de M. Bonelli pourl'applicalion de Pelectro-magnetisme au metiei a la Jacquarl. Telle est, par exemple, la ma- niere de placer et d'assujelir les goupilles dans les — 159 - planches ou dans les cylindres,maniere toul-b-faiC neuve et que M. Maumene a la contiancc lises de la France orientale. II achevait un jour une vierge deslinee a la calhedrale de Metz : deux pelerins vinrcnt lui demander I'aumone. Comme ils se reii- raient salisfails : « N'est-ce pas sa sceur, dirent-ils au clerc qui les avail inlroduils, celte noble el belle dame qui se lienl a ses cotes, lui presentant le compas et lui monlrant ce qu'il doit faire? » Or celte dame, dit I'ha- giographe, c'6tail la mere de Dieu, qui venait aider son ouvrier. Gracieuse legende qui peint admirable- ment 1'idee elevee qu'on se faisail alors de l'art. Faut-il ajouler que les ecoles monastiques etaient ouvertes a tous, et qu'elles en firenl bienlot eclore d'autres au siege des eveches et jusque dans les cam- pagnes les plus reculees. Ainsi, loin de songer a en- iraver la propagation des lumieres, I'cglise la favori- sait, et elle n'eut point a s'en repenlir; car il esl remarquable quece sonl les monasteres, les ecoles, qui lui onl donne le plus grand nombre de saints el les plus illuslres. Mais qu'ils aienl ou non suivi la regie des mona- steres, qu'ils aient ele ou non formes, iniiies dans les cloitres a la pratique du bien, il esl certain que les vertus des saints onl puissamment combattu pour — 181 — I'eglise, elcontribuea emousser les armes et ii diminuer le nombre de ses cnnemis. De quelle sublime elo- quence, de quelle magique autorite ne devail pas elre empreinle celle perpetuelle predication de I'exemple qu'offrail leur vie austere et devouee! Combien leur atlachemeni inviolable a la foi, leur enliere soumission aux decreis de l'Eglise, leur sang verse pour lagloire de la religion ne devaient-ils pas emouvoir les esprils grossiers, mais simples des peuples barbares ! Et ce courage avec lequel ils reprenaienl les grands el defen- daienl conlre leur orgueil despotique la misere des petits, celle charile immense dont ils prodiguaienl a I'ioforlune les inepuisables tresors, ces bienfails sans nombre qu'ils repandaient autour d'eux, vivanls par leurs lumiercs, morts par les prodiges qu'operaienl encore leurs resies veneres ou quede pieuses legendes altribuaienl a la credulile naive de ces lemps, tout cela n'elait-il point proprca eveillerou a enlrelenii dans les cceurs, avec la sensibilile morale, 1'amour du bien et du beau, el en meme temps a reposer, a soulager l'ame bumaine du spectacle des crimes et des vices qui Pas- saillaienl de toules parts ! On scit d'ailleurs que This- loire d'un grand nombre de saiuls se liait iniimement a celle du mouvcmenl politique de la sociele, et on ferail aisement voir I'heureuse influence qu'ils ont exercee sur les idees, sur les mceurs, sur le progres de la civilisation. Jc me conlenlerai de rappeler ici, parmi tanl d'autres, les noms des Remi, des Avil, des Benoit, des Auguslin, des Colomban, des Boniface, des Eloi, des Arnoul^ et d'associer a ces noms si juslement ce- lebres ceux de queiques aulres saints pris pour ainsi dire au hasard dans la foule des gloires de I'eglise. Saint Niaet par exemple, que l'estime du roi Tbeuderic — 182 — eleva dune abbaye au siege episcopal de Treves, montra une rare fermele a censurer les desordres des grands. Plusieurs seigneurs, a l'imitalion du roi Theo- debert, elaieni tombes en d'elranges dereglements, et dedaignaient les exhoriations et les reprimandes du saint prelat. Celui-ci les frappe d'excommunica- tion ; ils meprisent la sentence , pretendent , mal- gre l'eveque , assisler a I'office divin , et osent, un jour de dimancbe , se presenter a I'eglise avec le roi. Mais , apres l'oblalion , Nicet se tournant vers le peuple dit a haute voix : « Nous ne celebrerons pas ici la messe aujourd'hui que les excommunies ne soient sorlis de I'eglise. » Vainement Theode- bert prolesle ; il n'ebranle poiut la fermete du nouvel Ambroise et finit par contribuer lui-meme a I'expulsion des incestueux , des homicides et des adulteres. Bientol il rompit l'union scandaleuse qu'il avait contracted avec sa captive , la belle Deuthe- rie , epouse d'un guerrier goth. Dans le Pon- thieu , saint Riquier , nou moins redoulable aux superbes , se montrait le consolateur du pau- vre , le pere de l'orphelin , le soutien de Top- prime , il prodiguait ses soins aux lepreux et se plaisait a baigner leurs membres malades. II n'etait pas un captif qu'il ne fut heureux d'arra- cher a la servitude et le nombre en elait grand alors. A Bourges , saint Sulpice , touche des ge- misseraents de son peuple qu'un gouverneur avide venait de frapper d'un lourd impot , apres avoir inutilement prie le ciel de toucher l'oppresseur , obtenait du roi par ses larmes et ses menaces que les nouveaux registres fussent dechires et la paix rendue a son eglise. A Nantes , on vit saint Felix — 183 — arreler par son eloquence les ravages des Breions et adoucir I'esprit de leurs comtes, operant ainsi par la seule autorite de sa parole et de son ca- raclere ce que n'avaient pu faire des armees en- tires avec toute leur bravoure. La paix une fois assuree, il enlreprit et acheva pour le bien public, de grands ouvrages qui ont rendu son nom celebre. II delourna la riviere avec des travaux ct des de- penses immenses , ainsi que nous I'apprend son ami Forlunat , et , s'il faul en croire une tradition Naniaise, c'est a lui qu'esl du ce canal de la Loire qui forme le beau port de La Fosse. Je m'arrete. La veriu des saints n'elaii done pa> une verlu sterile, et leur religion se montrait eminem- ment secourable et populaire. Pourquoi cela ? Vous le savez deja, parce qu'elle elail eclairee, eclairee surtout de la lumierc d'en haul. Aussi bien, nous Pavons encore vu, I'Eglise n'a-l-elle jamais entendu mettre la lumiere sous le boisseau, mais elle a constamment encourage l'elude, en recommandant toutefois et en donnant l'exemple de la vivifier au souffle de la reli- gion. Ecoulez les lamentations d'un pere de I'Eglise gauloise sur I'etat des esprits apres la destruction de l'empire romain par les barbares: « Nous avons perdu, dit-il, I'amour des lettres, nous meprisons le culle de l'intelligence; c'est pourquoi nous sommes devenus les esclaves de la mollesse, des richesses, de I'oisivete, de l'ignorance , et la verlu s'en est allee avec la science. » La cause du mal reconnue, I'Eglise n'hesita done pas a la combattre, et, on pent le dire sans exage- ration, elle le fit avec autant de succes que d'ardeur. Grace a elle, I'esprit secouant sa lorpeur reprit une — 184 — nouu'lle vie, deploya une nouvelle aclivite. Settlement celte aclivite s'exer^ail dans le sens religieux el au profit des idees religieuses. Mais ce ful precisement ce qui sauva el les leitres et la sociele. Car « le developpemenl intellecluel, 1j travail des esprils pour alteindre a la verite s'arreteraient au milieu des orages, s'ils ne se placaient sous l'egide de quelqu'un des inlerels actuels , iromediats , puissanls de I'huma- nite » (1); et en cessant de paraitre un luxe pour deve- nir un besoin, en renoncant a la speculation philoso- phique pour se faire des instruments de salul el de consolation, les letlres acquirent chez nous une in- fluence prodigieuse. C'est ainsi, Messieurs, qu'a la vivacile nalurelle de noire esprit sonl venus s'ajouler la droilure et 1'elevation de la raison, la magnanimite du cceur, un sentiment profond de la justice, et que noire pensee, longtemps disciplinee a l'ecole scolas- tique, a fini par s'exprimer dans une langue que sa netlete incomparable et sa male beaule eurent bientdt repandue par toule la lerre. Le monde entier a subi I'ascendant de ce caractere eminemmeni moral etche- valercsque que nous a imprime noire premiere educa- tion ; il le reconnait encore aujourd'hui quo notre drapeau flotie avec orgueil sur les murs de Rome, d'Athenes et de Constantinople, c'esl-a-dire au triple foyer de l'anlique civilisation. Gardons-nous done de rougir d'etre appeles les Fils aims de VEglise, et sachons^defendre contre les altaques de Tignorance ou de la mauvaise foi celle qui nous a eleves et qui nous a fails si grands. (1) Hisloirc de la Civilisation en France. 185 — Lecture de 11. Paris. MAPPOKT SL'K LE CONCOUKS d'HISTOIUE LIT TEIUIUE, Messieurs, Le 4 septembrc 1845, dans un ancien chateau du Berri, s'eteignait paisiblement pour ce moiide, avec les sentiments religietix qui I'avaient anime pendant toute sa vie, un des hommes que la Champagne peul pla- cer a juste litre au rang de ses plus pures illus- trations. Ne Ie21 juin 1765, a Sompuis, pres Vitry-le-Fran- cois, eleve dans les principes ausleres du jansenisme, par une mere qui les avait recueillis elle-meme dans sa famille , confie ensuite a I'education des peres de la Doctrine, dans une maison que dirigeait I'un de^ses oncles, Royer-Collard s'etait trouve, jeune encore et plein d'enthousiasme, mele aux premieres emotions de la revolution. II etait a ce moment avocat au parlement de Paris. Un instant il remplit les fonctionsde secretaire- adjoint du Conseil de la Commune, mais il se separait bienlot avec horreur de ses collegues apres la sanglante xx. \7> — 186 — journee du 10 aoul. Rcfugie a Sompuis, il trouvait dans les travaux de I'agricullure un refuge contre les recher- ches de la lerreur. II rentrait a Paris en 1797, depute au Conseil des cinq cents par le departement de la Marne, echappait aux proscripiious du 18 fruciidor, et ramene loul naturellement aux principcs monarchi- ques, par le spectacle des evenemenls qui venaient de s'accomplir, il 6tait des ce moment designe au Roi comme I'un des conscillers les plus propres a preparer, dans les voies nouvelles, le reiour regulier et uational de la monarchic Correspondant eclaire elintegre del'exile d'Harlwell jusqu'au jourdu couronnemenl du premier Consul, il se reiirail alors dans la solitude, pour se livrer aux etudes puremeut speculalives. M. de Fon- lanes le designait en 1 81 1 a I'empereur pour succeder a M. de Pasloret dans la chaire d'histoire de la philosophie a la faculle des lellresde Paris. II acccptail ces fonclions, tout en refusant aux solicitations el a I'amitiedu grand maitre de TUniversite de placer, dans son discours d'ouverture, un seul mol a Peloge du pouvoir du jour. Plus tard, il etait noinme doyen de la faculle el il proscrivait de I'enseignemenl les doctrines sensualis- tes qu'il avail commence par atlaquer, comhatire el ruiner dans scs publications et dans ses lecons Rentre dans la vie politique a la premiere reslauration, comme direcleur general de la librairie, rendu a ses seules fonciions de professeur au retour de Tile d'Elbe, il etait apres les Cenl Jours appele a la presidence de la commission royale de l'instruclion publique. II re- cevaii en meme lemps du department de la Marne le mandal de depute, el conquerail de prime abord dans les Chambres de la reslauration cette aulorite rcs- peciee, qu'il devaii conserver jusqu'a la fin de sa car- - 187 — Here, el que lui assuraient a la fois son caradere in- dependant, ses vertus, scs talents, sa conformile de vues et d'idees avec leroi Louis XVIII, dont il parait avoir ete le collaborateur lors de la redaction de la Charte. Dans les commencements il n'hesila pas a laisser plier la rigidite de ses principes devant les exigences et les difficultes du moment, mais il s'arreta dans ses concessions le jour ou il crut la France en possession paisible et assuree de la monarcbie. Complice du Roi lui-meme dans ses premiercsopposilionset sespremieres resistances, emporie pen a peu audela deses previsions, trahi dans ses desirs par les consequences rigou- reuses de ses principes, dogmatisant en regies eiroites les doctrines du regime constitutionnel et ne voulant s'en ecarler en rien dans la pratique, refusant lout au sentiment, a l'enthousiasme, aux inspirations de cir- conslance, esclave de la logique, inflexible comme elle, un instant peut-etre trop sensible a la popularile facile d'une opposition constante au ministere de Villele, nomme par sept colleges electoraux a la fois. porte a la presidence de la Chambre, craignanl plus de nuire au Roi que de lui deplaire, signataire a regret el organe emu de la fameuse adresse des 221,entraine ainsi par une etrange et deplorable faialite a renverser la monarcbie qu'il avail reslauree, atlerre lout-a coup a la vue de son ceuvre delruile de ses propres mains, et ne faisani plus entendre dans les assemblies du nouveau regne qu'a de longs intervalles quelques paroles graves, iris- les et decouragees en faveur de la liberte qu'il avail loujours unie dans son esprit a la legitimile, et qu'il n'avait pas sauvee plus qu'elle , demeure an milieu de toules ces lultes , ces agiiaiions et ces chtnge- menls, digne, pur , austere , indifferent aux bon- — 18* — neurs , libre d'ambilion , elranger aux intrigues el n'avam pas perdu un seul jour de la consi- deration si rare qui s'altache a Fhomrae d'etat qui ne ccssc pas pour cela d'etre honnete homine el ci- loyen verlueux : telle a ete, Messieurs, en quelques mots, la vie de l'homme illustreque vous aviez propo- se comme concours. Lti carrieie s'ouvrail vaste, Irop vaste peul-elre devant les concurrents. Comme philosophe, comnie politique, comme oraleur, Royer-Collard presentail uu magniGque snjei d'cludes. Comme philosophe, s'il ne Cut pas le fondaleur de l'ecole nioderne, il en fui du moins le precurseur. Avant lui, la phdosophie reposait sur la doctrine du sensualisme, puisee dans le Traite des Sensations de Condillac el poussee par les encyclopedists jusqu'a sa derniere consequence , I'atheisme. Royer-Collard eut la gloire de l'atiaquer le premier, et au moment ou M. de Chateaubriand frappail plus particulie- rement 1'imagination el le coeur , par son admi- rable livre du Genie du Chrislianisme , il .s'adressail a la raison el a l'espril, en publianl les travaux de l'ecole ecossaise de lleid, et seul, il comtnencaii, dans le do- maine de la philosophie, la reaction spiiitualiste, qui a iriomphe de nos jours. Son enseignement n'a dure que deux annees. « J'ai ete enleve irop lot a la philosophie, disail-il, nonpour elle, qui n'a pas besoin de moi, mais pour moi-meme.» Aussi laissa-t-il son ceuvre incomplete. Elle futconli- nuee par d'aulres, ou pluloi d'autres s'elancereut dans la voie qu'il avail ouverte, el encore bien qu'on puisse douier qu'il soil jamais alle aussi loin qu'eux , il n'en a pas moins ete considere comme leur chef et appele le grand fere de I'eclechsme. — 189 — En politique, !<• role de Royer-Collanl presente les memes analogies*. II y apporta I'espril du philosophe et dn iheoricien. L'un des fondaleurs du regime parle- mentaire, il en crea en quclque sorle la langue, en formula les dogmes el les axiomes. L'ailiance ctroite des principes monarchiques el des liberies naiionales forma it sa doctrine fondamentale. La aussi les eleves onl de beaucoup depas.se le maiire, el souvent Royer- Collard a en a se defcndre d'etre le chef des doctri- naires. Comme oratenr, Royer-Collard occnpa le premier rang dans les assemblies ou partaieni MM. de Serre, Ravez, Camille Jordan , de Marlignac el le general Foy. II lni manquail les elans, I'atidace el les enlrai- nemcnts spontanes de limprovisalion, mais il les remplacail par une dialeclique pnissanie, une ironie fine, penetranle, une originalile de pensees el une purete de forme qui le signalerent aux suffrages de I'Academie franchise Dans les discussions de princi- pes, jamais orateur n'a atleinl une pareille hauteur de raison, de precision el de jusiesse. Messieurs, les trails saillanis el caraclerisiiques de Royer-Collard se soul de suite pfesenles a voire me- moire; quand noire confrere, M. Gobet, vous proposa de mettre sa biographie an coucours. Est \\ besoin d'ajouler qu'un pared sujei renlrait, plus pariiculiere- ment qn'aucun autre, dans les vues de I'Academie, dans ses usages, dans le programme de ses iravaux el repondait esseniiellement a I'espril el au bui de sa fondation, puisquccYtait lionorer Tune des gloires de ce pa\s et travailler a lui clever un monument de plus. Ce n'est pas loulefois, Messieurs, que ce sujel ne presenlat ses dilliculies et ses ecueils. — 190 — Lcs cendres du grand ciloyen u'eiaienl pas encore refroidies que Ton preparah son apotheose. Vhry-le- FraiiQois lui eMevaii une statue sur I'une de ses pla- ces, le Conseil royal de Instruction publique, l'Aca- ddmie franchise, la Societe d'agriculture de ce depar- tment dans des discours solennels, divers publicis- tes dans des articles biographiques el critiques, s'empressaienl tons a I'envi de rappeler les vertus de I'homme prive, d'honorer le caractere de I'homme public, ot de celebrer les talents du litterateur el du philosophe. Le jugement de ses contemporains etait done prononce. A si cotirte distance, lo jour de la posierite n'avail pu bailre encore ; Pauiorile du temps, le calme de la reflexion, de l'imparlialite manquaient a celle-ci pour qu'elle put se pronon- cer a son tour. Tout ce qui, dans les temps ou nous vivons, pouvait etre clit , Pavail ete, el les candidats etaient presque forcement condamnes a manquer d'apcrcus nouveaux el d'originalite. Ce n'est pas cependant, Me:-sieurs, que bien des cvenements ne se soient arcomplis depuis la mort de celui qu'on a appele le patriarche du regime constitutionnel ct parlementaire. Ce regime separe dela monarchielcgitime pour lequelil avail ete cree dans sa pensee, a subi depuis bien des vicissitudes ; ces evenements sont encore trop recenls pour elre juges avec rimpirtialite el la maturile convenables. C'est sans doute, Messieurs, a ces motifs qu'il faut atlribuer le demi-succes de noire concours. Deux memoires seulemenl vous sonl parvenus. Le premier porte pour epigrapbe ces mots attribues par une erreur assez commune a Ciceron : Vir bonus, bene dicendi peritus. C'est une compilation conscien- — 191 — cieuse el complete tie toul ce qui a ele ecril el publie sur Royer-Collard. Elle a du couler a son auleur beau- coup de soin el de recherches. Aux jugemenis el aux recils des divers hisloriens contemporains, il a joint une parlie des di scours el des ecrits de Royer-Collard lui-merue, ei des renseignemenls exlremement deiailles sur sa faraille et ses habitudes inlimes. II esl arrive a donner ainsi nne idee assez rxacte de son sujei ; mais vous avez vu avec regret , Messieurs , que , malgre I'enonciation placee en tele du metnoire de tous les ouvrages auxquels i'auleur avail fait des empruuls, il n'ail pas, dans le cours de son tra\ail, suffisamment rappele les sources, qu'il n'ait snrioul pas soud6, si je puis m'exprinier ainsi. avec assez d'art ses citations , de maniere soil a les opposer les unes aux aulres pour fa i re voir la diversile des jugemenis, soil a les faire concorder ensemble , si cela renlrait plutol dans ses vues. II en resulie que souvent la meme page presenie pele-mele el sans explication , des appreciations diflerentes de m6mes acies et de memes evenemenls, suivant la difference des opinions el des sympathies des ecri- vains qui sont cites. Parmi les renseignemenls qui paraissent lui avoir ete fournis sur la famille, il y a aussi quelques details puerils, el d'aulres lellemenl inlimes que I'histoire n'avaii rien a y gagner en dignite ni en inieret. Le second m^moire; malheureusement irop court, porle cetle epigraphe qui cello fois est bien de Ci- ceron : Qui admonenl amice, tlocendi sunt : Qui inimice inseclanlur, repellendi. (Ciceron. De not. Deorum.) - 192 -- Dans la premiere partie qui ne conticni pas lout- a-laii six pages, I'auleur passe en revue, les enon- cant seulemeni, les divers acles de la vie de Royer- Collard. La seconde partie, plus courle encore, est cousacree a 1'appreciation du philosophe el du poli- tique . Le toul est ecrit avee une graDde sobriele , beaucoup de correction dans les formes el de uetlele dans la pensee. On voit que I'auleur s'esi vraimeni inspire de son sujet. Son travail rappelle quelque chose du ton dogmaiique , de la logique el quelque- tbis meme de I'originalile du modele. Ses apprecia- tions peuvenl parailre souvent absolues , mais au moins elles sont bieu de lui. L'Academie n'avail en- lendu tracer aucunes limites anx concurrents et les laisser sur ce point compleiement libre*, aussi ne s'agil-il pas pour \otre rapporteur de juger les doc- trines ; il lui suffira de dire qu'elles n'ont soulevees aucune reclamation au sein de I'Academie. On a remarque seulemeni que I'auleur les avail peul-etre nn peu trop formulees en axiomcs, on n'eut pas ete parfois (ache de lire la demonstration a cole de I'aOGruiaiion. Parmi les fails rapporles dans la partie biographi- que, il en est un que je dcmande la permission de re I ever. « C'est sous le nom de Remy , esi-il (lit , que Royer-Collard figura dans le conseil de Louis XVIII, dont etaient membres MM. Becquey, le marquis de Clermoni et I'abbe de iMontesquiou. Les ressources de Royer-Collard devaient etre alors fort bornees , car on a appris que |>our ces fonctions, il etail paye 1,200 fr. par an chez MM. Deville, banquiers, rue Basse-du-Rempart. » — 193 — Ce fait, que I'autcur d'ailleurs est loin de presen- ter sous un jour defavorable el qui n'aurait en lui- meme rien que de fort nalurel, a donne lieu, dans certains journaux du temps , a des interpretations blessantes. Royer-Collard y a repondu par une lel- tre inseree le 19 Janvier 1831 dans le Moniteur, el que voici : « En reponse a d'odieux mensonges publies depuis quelque temps, je vous prie de vouloir bien inserer dans voire journal la declaration suivanle : Je ne me suis point prevalu durant les quinze dernieres annees des relations que j'avais eues en d'aulres temps avec le roi Louis XVIII, je suis loin de m'en defendre aujourd'hui. Voici la verile peu connue sur ces re- lations. Elles out commence six mois apres le 18 I'ructidor ; plusieurs (bis interrompues, elles onl de- finilivement cesse vers le milieu de 1'annee 1803. Elles onl consisle en ce que j'ai fail, par le clioix de Louis XVIII, parlie d'un conseil politique com- pose de qualre persouncs donl trois vivenl encore. Tout ce que j'ai a dire de ce conseil dissous avant I'Empire., c'est qu'il a communique direciemenl avec le chef du gouvernement, a!ors general Bonaparte , qu'il lui a remis des leltres de Louis XVIII el qu'il a re?u de lui des reponses autographes. » Je puis ajouter, pour ce qui me regarde, que je ne suis point M. Remy, et que je ne connais point le banquier dont on parle. Est-il besoin que j'affirme qu'en aucun temps je n'ai eg soil avec lui, soil avec qui que ce soil, le genre de relation qui nVesl altribue. » Ce fait reclifie, je me hale de rappeler que vous avez, Messieurs, rendu hommage a la plume exer- — 19/i — cee de I'auteur du second memoir? el aux qualites incontestables de son ceuvre. Je complette 1'expres- sion Hdele de vos sentiments en ajoutant que vous avez regrelte, a raison des proportions trop res- treintes adoptees par I'auteur, de ne pouvoir lui decerner qu'une medaille de premiere classe. — 195 — MfcMOIlU: COUKOININfc. » ROYER-COLLARD. fcTUDE Par M. Ejulk GHEVALLET, Membrc correspondent. Qui admonent amice, doccndi sunt : Qui inlmicc inscctantur, rcpellendi. (Cic6ron. De Nat. Deorum.) II n'est pas loujours facile d'apprecier a leur veri- table valeur les homines qui ont joui, de leur vivani, d'une celebrile meritee, surtout quand la poslerite n'a pas eu le temps de se faire pour eux , et qu'on s'adresse a des lecleurs qui sont eucore sous I'infiuence de I'opinion contemporaine. Celte pensee est la* premiere qui me soil venue en reunissant les materiaux devant servir a I'etude indi- quee par le programme de I'Academie de Reims, et tel est mon desir de rendre hommage a ce qui me parail etre la verite, que je n'hesite pas a me mesurer avec les difficultes de la tache, soutenu que je suis, moins par l'espoir de conquerir les suffrages de I'Aca- demie, que par 1'ambilion de faire ressortir de ce travail tin enseignement mile. — 196 — Royer-Collard, ne en 1765, a Sompuis, pies Vitry- le-Francois, sefil remarquer, desson extreme jeunesse, par line rare aptiiude pour les letlres el les sciences, en raeme lemps que par une imagination qui formait un contrasle piquant avec sa tenue grave et medita- tive. II avail a peine lermine ses etudes sous les peres de la Doctrine , dans un college dirige par un de ses oncles, qu'il ful juge capable d'enseigner lui-meme, et devinl le professeur de ceux qui , la veille encore, etaienl ses condisciples. Pour quelle raison le jeune professeur renonca-l-il a une carriere dans laquclle il debutait d'une maniere si honorable? Nul ne pourrait le dire. Peul-elrc sentait-il inslinclivement qu'il avait a remplir une mission plus haute, ou du moins plus bruyante, et qu'il etait appele a marquer parmi les hommes considerables de son lemps. II vint a Paris, y eludia le droit et se fit recevoir avocat. C'cst ainsi qu'il se prepara a jouer un role dans la revolution de 1789 qui etait proche, el donl il adopla avec enlhousiasme les principesel les idees. La notoriete qu'il s'elail acquise dans Its reunions populaires, le til nommer membre du Conseil de la Commune donl il ful le secretaire, mais il s'en eloigna volontairemenl apres la sanglanie journee du 10 aoul 1792, el vecut a l'ecarl durant la lourmente revolu- tionnaire. La parole etait alors aux montagnards de la Conven- tion et aux terribles logiciens du club des Jacobins. Royer-Collard , esprit melhodique et ponderaleur , - 197 — ennemi des extremes* croyant a la souveraimte do la raison, mais rebelle a I'autorite de la force, n'eiail pas de laille a luiier avec les athletes de ceiie epoque effroyable et gigantesque. II regarda passer le char do la revolution I royant tout ce qui s'opposaii a sa course impelueuse, el tit son profit pour l.'ayenir de cede grande lecon de 1'histoire. Son heure, a lui, n'eiail pas encore venue. En 1797, le deparlemenl de la Marne qui com- mencait a s'enorgueillir de le compter au nombre de ses enfanls, le nomma depute au Conseil des cinq-cents, et depuis lors he cessa de lui confier le mandat reprc- seniaiif. Royer-Collard ne relrouvant pas en face de lui, dans le Conseil des cinq-cenls, ces hommes a lete de fer, a cceur de bronze, qui avaient domine la Convention, el impose a la nation, sous pretexte de salul public, le joug le plus lyrannique qui se fut jamais appesanti sur un peuple, Royer-Collard, dans ses genereuses inspirations de justice et de liberie moderee , ne manqua pas une occasion de s'opposer a loute mesure violente, afin d'epargner a son pays le speclacle degra- dani d'un regime d'arbitraire et de corruption . II fut alors accuse de royalisme el le coup d'Eiai du 18 fruciidor 1'expulsa de la representation nalionale. Royer-Collard etait-il ou n'elait-il pas royaliste quand il fut frappe d'oslracisme? M. de Remusat, son successeur a I'Academie fran- caise, dans le panegyrique qu'il lui a consacre, pretend que Royer-Collard n'eiail pas royaliste, mais qu'on le porta a le devenir en le perseculanl pour cette opinion. Ce raisonuemenl specieux , invente pour la plus — 198 — grande gloire de Royer-Collard, a le toil de manquer complelement sou but. J'ai trop d'eslime eu la con- science de ce grand homme pour admettre que sa conviction lui ail ete imposee par les tracasserics d'un pouvoir violent el sans digoite. Toujours est-il qu'a dater de cette epoque Royer- Collard ne cacha pas ses liaisons avec les royalistes, et fit parlie d'un conseil secret elabli a Paris pour hater le retour des Bourbons. C'est sous le nom de Remy qu'il figura dans le conseil de Louis XVIII, dont etaienl membres MM. Becquey, le marquis de Clermont el I'abbe de Montes- quiou. Les ressources de Royer-Collard devaienl etre alors fori bornees, car on a appris que pour ces fonc- lions, il etail paye 1,200 francs par an chez MM. De- ville, banquiers, rue Rasse-du-Rempart. Par le fail de la proclamation de l'Empire, ce conseil de la royaute en expectative fut, sinon dissous , du moins reduit a I impuissance d'agir, et Royer-Collard, desinteresse momenlanemenl de la politique, se livra a I'etude de la philosophic Le hasard lui fit connaitre alors I'ouvrage d'un phi- losophe etranger ; en lisant Reid, il trouva toules for- mulees les theories qui exislaient dans son esprit a Fetal latent, et fut ainsi dispose, par le desir bien naturel de propager sa decouverte, a accepter les em- plois qui lui furent offerls dans Penseignement. II preta done serment a Napoleon, quand il fut nomme\ en 18H, inspecteur general de PUniversite, doyen de la faculle des letlres et professeur d'histoire de la philosophie a ladite faculle. Je me refuse a croire que Royer-Collard fut en elat — 199 — de conspiration permanente vis-a-vis d'un gouverne- menl qui le corablail de pareilles faveurs. Pour so rendre utile a son pays, dans des fonc- tionsqui n'avaient rien de politique, il avail prete un serraent de pure forme, et il est permis de croire que, sins rien faire pour accel6rer la fin de revolution im- perial, dontle regime lui Stait anlipathique, il souhai- tait, dans son cceur, qu'il survint un ordre de choses plus favorable au developpemenl de la liberie. A la reslauration des Bourbons sur le I roue de France, Royer-Collard fut direcleur general de la II- brairie, conseiller d'etat el cbevalier de la Legion- d'honneur. Au retourde Napoleon, il conserva le litre de pro- fesseur et de doyen de la faculte des leitres. Apres la seconde reslauration, il fut appele de nou- ieau au conseil d'etat et nomine president de la com- mission royale de I'inslruclion publique. Aux elections de 1815, le department de la Maine I'avaii de nouveau cboisi pour depute. Des ameliorations fort importantes furenl dues a radministralion de Royer-Collard ; il crea dans les colleges des chaires de pbilosophie et d'hisloire et retablit I'ecole normale. Plus que personne. Royer-Collard eut I'intelligence des difficultes que devait rencontrer dans sa marche le gouvernement de la Reslauration, et nul n'appoila plus de loyaule et de desinieressement dans les con- seils qu'il lui donna pour aplanir les obstacles, etein- dre les inimities, menager les transaclions. Le depute de la Marne ne croyait pas au droit di- vin de la rovaute\ mais il lui semblaii que I'heredite — 200 — monarchique offrait des garanlies d'ordrr auxquelles il etait patriolique de se raliaclicr, apres les crises desaslreuses que la France avail Iraversees. A cette ne- cessity, Royer-Collard crut devoir faire le sacrifice de quelques-unes de ses plus intimes conviclions, remet- lanl a des temps meilleurs la realisation des prin- cipes de liberie qui servaient de base a ses specula- lions poliliques el philosophiques. Eu 1819, quand le parti ullra-royalisle, mailre du terrain, n'eui plus laisse de place aux conseils de sa- gesse et de temporisation, Royer-Collard s'eloigna des fonclions publiques pour se consacrer exclusivemenl a la lutte engagee entre le droit ilivin et les principes de la revolution. Ce ful le plus beau lemps de sa vie parlemenlaire. On le vil le premier sur la breche, partoul ou il fallut (aire obstacle a l'invasion des idees retrogrades. II combatlit alors avec d'autani plus d'energie, sous le drapeau de la liberie, qu'il avail a racheler ses discours et ses voles precedents, au-sujet de questions ou il avail consenli, dans l'inleret de I'ordre et de l'apai- sement des coleres de parti, a des concessions qui lui avaient aliene la sympathie des liberaux. Le gouvernemenl reclamaii, en 1814, les entraves de la censure prealable, pour toui. ecril de moins de trente feuilles, et lout 1'auirail des brevets d'im- primeur, des penaiiles fiscales, etc., etc. Ce projel etait 1'ceuvre commune de MM. Royer-Collard el Gui- zot. Royer-Collard, directeurde la librairie, professait alors le principe absolu du privilege royal. Pendant les Cent-Jours, c'esi par les conseils de Royer-Collard queM. Guizot s'elail rendu a Gaud. — 201 — En 1815, il avail vole pour la detention indefinie des prevenus politiques et pour le relablissement des cours prevolales; en 1816, pour la suppression de la liberie individuelle, professant, des-lors, les principps qui onl amene le coup d'etat do 25 juillel 1850, et affirmant que la charle pouvaii etre suspcndue; en 1817, pour la censure conire la presse periodique et pour le mainlien de ('organisation universilaire ; on 1818, pour le cautionnement des journaux. Oe fut seulemenl en 1819 que Royer-Collard s'a- percut qu'il faisait fausse route en pretant au pou- voi.r l'appui de sa parole el de ses votes , puisque chacune des concessions failes a I'idee absolutist, amenail des exigences de plus en plus tenaces. Des qu'il fut bien persuade que le gouvernement ne s'arreterait qu'apres avoir efface jusqu'au dernier vestige des conquetes de 1789, on ne cessa pas un in- stant de le renconlrer parmi les adversaires les plus im- placablesde 1'empietement del'aulorile. La presentation des projets de loi du droit d'ainesse el du sacrilege, lui fournit I'occasion de Iriomphes oratoires qui le placerent au premier rang de I'opposition liberate. II ne monlait pas souvent a la tribune, mais quand il le faisait, on pouvait elre certain qu'il n'en des- cendait qu'apres avoir pulverise, sous une irresistible argumentation, tous les sopbismes diriges conire la liberie. En 1827, sa populariie elail immense, son iiom dans loules les bouches, a ce point , qu'au renou- vellement de la Chambre, sepl colleges electoraux se disputereni l'honneur de se faire represenler par lui. En meme temps, el pour que rien ne manqu^t a sa gloire, I'Academie I'rancaise lui ouvrait ses porlcs. xx. 14 — 202 — Son discours de reception, un des plus remarqua- bles ct des plus substanliels qui eussent jamais ete prononces dans l'enceinte de l'lnstitui , fut consi- der^ par I'Europe entiere corarae un evenement. En 1828, nomme president de la chambre des de- putes, il apporia, dans ce poste difficile, une fer- mete imparliale d'autani plus louable et plus rare qu'il s'agissiit de diriger des dcbals toujours irri- tants, precurseurs de la grande catastrophe prete a eclaler. Comme orateur de Popposition , Royer-Gollard a puissamment con'ribue a discrediler la Restauralion et a amener la revolution de 1830, mais il vit cette revolution avec un sentiment mele de douleur el d'effroi. Sans doute ce grand esprit pressentail que de tous ces changements il ne pouvait resulter aucune amelioration sociale , et voyait I'insuffisance des moyens mis en oeuvre pour preserver le pays de nouvelles commotions. Malheureusement, il se trouvait dans un age trop avance pour recommenccr ses etudes ; il elait, d'ail- leurs, noloirement engage dans un sysleme qu'il ne pouvait honorablement deserter. Aussi , depuis 1830, le public fut frappe du changement extraordinaire qui s'etail opere en lui, et que ses plus intimes amis ne se purent expli- quer. II continua de faire panic de la chambre, mais ne se mela plus aux discussions. Dans deux ou trois circonstances , pourtant, il prit la parole pour venir au secours de Ja liberie — 203 — menacee , mais on pul voir alors quelles modifica- lions avail subies eel espril avide de verite, el que cetle gravite iriste empreinle sur sa physionomie , resullait d'une incessante meditation sur les desli- nees de la palrie. Comment s'accompliraieni ces destinees? Ne fau- drait-il pas recourir a des syslemes nouveaux dont on voyait se produire de toules parts des essais in- formes el rudimentaires , el qui , par cela meme , devaient paraitre monstrueux a des hommes rom- pus a la pratique des affaires el portes a repousscr sans examen tout ce qui s'ecarlail de leurs specula- lions habiluelles. II disait le 4 octobre 1851, a ses collegues : « Je vous le demande, Messieurs, que represen- » tez-vous ici? L'universalile des personnes el des » volontes? mais ceux qui vous onl envoyes ne » forment peut-elre pas avec vous la cinquanlieme » partie de la population capable de vouloir. La plus » extreme bienveillance comme la plus haute eslime, » ne saurait decouvrir en vous qu'une imperceptible » oligarchic en contravention flagrante avec la sou- » verainete du peuple. » Qu'il y a loin de cetle declaration appelant le suf- frage universel, a celle qu'il confessait sous la Reslau- ration, alors qu'il etablissail le premier a la tribune ce qu'il appclait une neccssite fondamentale, a savoir, l'empire des classes moyennes ! Un autre rapprochement fera mieux ressorlir encore I'enormechemin que Royer-Collard avail fait en avant, el comment, a dix annees de distance, il jugeail diffe- remmenl la meme question. — -20/i — C'elait en 1827, il s'agissait cle la liberie de la presse et Royer-Collard, organe du liberalisms, s'ex- imait ainsi : « Dans la pensee inlime de la loi, il y a eu de I'im- prevoyance au grand jour de la creation, a laisser riiomme s'echapper libre et intelligent au milieu de I'univers ; de la sont sorlis le mal el I'erreur. Une plus hauie sagesse vient reparer la faule de la Providence, reslreindrc sa libera lite imprudenle, et rendre a I'bumanile, sagemenl mulilee, le service de l'elever enfin a I'hcureuse innocence des brutes... L'opposition de la presse, appuyee sur la maxime que vous avez entendue (sur la necessite de frapper a la fois les bons el les mauvais ecrits, pour mieux assurer la position de ceux-ci), n'est rien moins que le manifeste d'une vasle tyrannie qui contient en principe loutes les oppressions et qui les legitime toules. Avec la liberie elouffee doit s'eieindre ('in- telligence, sa noble compagne. La verile est un bien, mais I'erreur est un mal. II ne laul pas mana- ger le bien quand on atlaque le mal ; perissent done ensemble et I'erreur el la verile! Comme la prison est le remede naturel de la liberie, 1'ignorance sera le remede nalurel de rinielligence. L'ignorance est la vraie science de I'homme et de la sociele... Pour delruire lesjournaux, il faul rendre illicile ce qui esl licile, et licile ce que les lois divines el bumai- nes ont declaiv illicile ; il faut annuler les coutrals, legilimer la spoliation, inviter au vol ; la loi le fait. Une loi qui se joue de la foi donnee el recue esl le re nversement de la sociele. L'obeissance ne lui est pas due Voire loi, sacbez-le-bien, sera vaine ; car la France vaut mieux que son gouvernement. — 205 — » Ah ! qu'il e^t dangereiix de meltrc en opposition la » conscience publique el la loi ! Quel avenir celle im- » prudence prepare! Conseillers de la couronne, » auleurs de la loi, connus ou inconnus, qu'avez-vous » fail qui vous eleve a ce poini au-des^us de vos con- » citoyens, que vous soyez en etal de leur imposer la » lyrannie ? Obscurs el mediocres comine nous, il » nous semble que vous ne nous surpassez qu'en leme- » rite ! » L'enireprise esl laborieuse, el il ne sera pas fa- » cile de la consommer. II y a longiemps que la dis- » cussioi) esi ouverle dans le monde entre le bien et » le mal. E!le remplii d'inuombrables volumes. Des » biblioiheques les livres oni passe dans les esprils ; » e'est de la qu'il vous faul les chasser. Mais le mou- » vemeni des espi iis ne vienl pas seulemenl des li- » vres. Ne de la liberie des conditions, il vit du tra- » vad, de la ricbesse el du loisir ; les rassemblemenls » des villcs el la facilile des communications l'enlre- » tiennent. Pour asservir les homines, il esl necessaire » de les disperser el de les appauvrir : la misere est » la sauvegarde de I'ignorance. Croyez-moi, redni- » sez la population^ renvoyez les hommes de I'indus- » irie a la glebe, briilez les manufactures, comblez u les canaux, labourez les grands chemins Si vous ne » faites pas cela, vous u'aurez rien fail. Si la charrue o ne passe pas sur la civilisation lout entiere,cequi en » restera sutlira pour Iromper vos efforts. » Dans ce magnifique discours rempli d'une mor- dante ironie , el qu'il faudrait donner en enlier, Royer-Collard s'eleve aux plus hautes consideraiions philosophiques, avec cede sureie de parole qui irahit I'homme argumentant d'apres la iheorie preconcue — 200 — do I'infaillibilile de la raisou; mais le cole pratique de la question lui echappait. Le 26 aout 1835, combaltant la loi de septembre sur la presse : « Je n'ai nulle sympathie pour le desordre, disait- » il : Si vous savez des repressions efficaces que la » Charte avoue, je les appuierai. Mais, Messieurs, » il y a sur la presse des veriles acquises qui sont » sorties victorieuses de nos longues discussions, » qui ont penetre peu a peu dans les esprils , et » qui fonnenl aujourd'bui la raisou publique ; celles- » ci, par exemple : le bien et le mal de la presse sont » inseparables ; il n'y a pas de liberie sans qaelque » licence, le delit ecbappe a la definition, I'interprela- » lion resle arbilraire.Le delit lui-nifime est inconstant; » ceqniesldelit dans un temps ne Test pas dans un autre. » Ces inepuisablcs verites ont ele elevees a la » demonsiraiion, et c'est par clle que nous sommes » arrives a la grande. conquete, 5 la conquete na- » lionale de 1'attribution de la presse au jury. En » effcl, si les jugements de la presse sont arbilrai- » res, iis ne doivent pas elre cosities a un tribunal » permanent : ce serai! une tyrannic constitute. Au- » tant vous attribuerez d'eflicacite a la presse, plus » vous exagererez sa puissance, el mieux vous eta- » blirez que la socieie a du se reserver dans le » jury une participation directe aux debts de la » presse. C'est a cette condition seulement qu'elle » jouit de la liberie politique, el qu'elle s'appartient » a elle-meme. » Je me defie profondemenl d'nn pouvoir, quel » qu:il soit, qui se defie de la justice meme ordi- » naire, a plus forte raison de la justice du pays. — 207 — » C'esi cetle defiance inveteree des mauvais gou- » vernements qui leur a fait invenler pour leur ser- » vice toules les tyrannies judiciaires, tribunaux re- » volulionnaires, cours speciales, cours prevotales. » Je ne compare ni les temps ni les hommes ; il y » aurait grande injustice; je ne compare que les si- » lualions. II est avere que le gouverneinent vcut » une autre justice de la presse que la justice du » pays dont il se defie, qu'il veul une justice spe- b ciale. N'osanl la proposer, car il n'oserait, que » fail-il? II a recours a une nouvelle translormalion. » C'est la chambre des pairs qui sera sa cour spe- » ciale, sa cour prevolale. Oui, Messieurs, la cham- » bre des pairs, deja cour speciale de femeute, on » la fail encore cour speciale de la presse. Messieurs, » la chambre des pairs n'a pas merite ce traile- » ment. » Cetle fois , Royer-ColL.rd penelre jusque dans les entrailles de la question. Dans le premier disconrs, il subordonne le gouvernement a la raison jdiilosopbique, dans le second, il subordonne I'auloriie a la justice du pays, a la souverainete du peuple. Royer-Collard mourut en 1845, n'ayant renonce a reprcsenter a la chambre ses compatriotes de la Maine, qu'apres avoir senti les forces physiques fa i re defaul a sa volonte. Quant a son intelligence, il la conserva jusqu'a sa derniere heure. Sa moil bit cello de I'homme juste el austere. Royer-Collard a eu des admirateurs enthousiastes el des delracleurs acharnes, consequence forcee du role marquant qu'il a rempli dans la politique de sou siecle. Ce qu'il y ;i de surprenant, c'est qu'il merita la ce- _ 208 - febrile conune profrSseur sans presquc avoir professe, comme oralcur, sans avoir aborde souveni la iribune, comme philosophe, sans avoir fail i'aire un pas a la philosophic, comme ecrivain, sans avoir rien ecrit. II n'a laisse apres lui. en quelque sorte, que des specimens de cc qu'd aurait pu eire dans chaenne dc ces facultes, mais ces specimens indiqueni, a no s'y pas meprendre , la superiorite de ('intelligence , un noble caractere, un espril nourri des plus saines con- uaissances, une ame sans cesse reptiee sur clle-meme pour la recherche du beau el du bien. Comment avec tonics ces eminenies qualites, le nom de Royer-Collard , si retenlissant lors de sa popiilarile, s'efface-t-il peu a peu des souvenirs, jusqifa faire pre- voir qu'il ne laissera ilans l'hisloire qu'une faible trace ? C'esl que Royer-Collard fut l'homme de son epoque dont il repre enle I'idee, mais qu'il ne ful pas l'homme de I'avenir. En effet, comme porsonnage poliiique el comme philosophe, les deux souls aspecls sous lesquels on doive Tenvisager dans un resume de son existence, ses litres se reduisent a ceci : 1° II ful un des principaux fondaleurs du regime conslilutionnel en France el le chef de la secte des doctrinaires ; 2° II a combattu Descartes, Locke, Malebranche , Leibnitz, Condillac el tous les philosophes de la sen- sation, pour atlacher son nom a la reaction spiritua- list, devenue I'ecleclisme a I'ecole de MM Cousin, Jouffroy el Damiron, cleves de Royer-Collard el con- linualeurs de son r-ysteme. — 209 — J'aurai pen de chosos a dire sur la philosophic de Reid vulgarisee en France par Royer-Collard. Dans celie branche de connaissances humaines, il n'esl pas possible de se faire un nom durable qu'a la condilion d'y avoir fail des decouvertes nouvelles, ou de Iaisser apres soi des ouvrages recommandables par la puissance de la dialeciique , la finesse des apercus, ou le merite du style. Or, Royer-Gollard n'a pas compose un seul ouvrage el ne dui sa reputation qu'a ses conferences , dont ses disciples ont parle dans leurs livres. Quant aux veriles decouvertes dans le domaine de la philosophic il ne faul pas craindre de le dire , elles en sonl lout jusle au point ou les a laissees Arislote. Tanl qu'on ne sera pas parvenu a faire de la metaphy- sique une science exacie ayant son criterium de cer- titude , on en sera reduil a ecrire sur I'ame , la matiere, Dieu, le moi, le non-rnoi, l'origine des idees, la sensation et les concepts, des pages plus ou moins eloquentes , des jugements plus ou moins contradic- loires, mais la division enlre les spirilualistes et les materialistes ne cessera-pas d'exister. Quoiqu'en ait pu dire Reid el apres lui Royer-Collard el son ecole, ce n'esl pas par une faculte de la raison qu'on penche vers le spiritualisme plulol que vers le sensualisme : e'est tout simplement affaire de senli- menl el de foi, et malgre lous les traites ecrits sur la morale , je persible a regarder I'Evangile comme le Code le plus parfait qui soil sur ceite maliere. Ne dedaignons pas, loutefois, ces genereuses tenla- tives de I'esprit huinain en (juele des veriles qui lui onl echappe jusqu'a cc jour : de meme que la chimic a — 210 - du sa cerlilude aux pratiques desordonnees des alclii- misies, de meme la science du vrai et du juste absolus couronnera les efforts de la philosophie. L'humanite n'arrive pas de prime-saul a la connais- sance des theories qui peuvent lui assurer la plus grande scmme de bien-etre: depuis 1'origine des so- cieties , l'histoire offre le spectacle de revolutions incessantes, de crises terribles , de desolations et de catastrophes qui pourraienl auloriser a croire que la discorde est la premiere condition de noire education. 11 a fallu des siecles et des (lots de sang avant de pouvoir remonter a la cause de ces desordres perio- diques, il a fallu fonder un nouvel ordre de connais- sances (VEconomie politique) pour trouver enfin le mot de Peffroyable enigme. Des la plus haute anliquile, quelques legislaleurs de genie ont eu 1'inUiiiion des causes de Pinstabilite des institutions: ils ont vu que ce n'elait pas la une question de politique, ni de forme de gouvernement, mais de distribution de richesse publique, et dans leur ignorance des lois economiques, ils ont decrete I'abolilion des delles, comme Lycurgue et Solon. Lycurguc imposanl a Sparte une communaule qui repugne a la conscience, Solon erigeant la spoliation en principe d'administration, et ne parvenant, ni I'un ni 1 autre, a rendre pour longtemps meilleure la situa- tion a laquelle ils avaienl voulu remedier, ne paru- rent pas de bons guides aux hommes charges par la suite de dinger les nations, et I'on se reprit de plus belle a demander .'i la politique la solution de l'avenir. II n'entre pas dans mon plan de retracer les expe- riences qui furent t(-ntees a diverses epoquos el cliez — 211 — lous les peuples : j'arrive a la Revolution francaise, donl Royer-Collard lut le lemoin, et qui, en inaugu- rant le regime democraliquc, prouva, par ses erreurs el par ses exces, et surtout par l'epouvantable misere qu'elle amena a sa suite, que la encore ne se trouvait pas la panacee toujours promise aux classes populai- res, toujours vainement attendue. C'est alors que Royer-Collard songea a doter son pays des institutions constilutionnelles, deja exislantes chez un peuple voisin, mais en en elaguant I'element arislocratique, pour y subslituer I'element bourgeois. L'absolulisme monarcbique et la democralie pure, malgre les avantages qui pouvaienl recomrnander I'un et l'autre systeme, paraissaienl desormais impossibles; il parut a Royer-Collard que la verile politique se trouvait dans un amalgame habile de ces deux ele- ments, dans leur ponderation exacte, dans un juste milieu. Des ce moment le Doctrinarisme existaiten puissan- ce : il se developpa dans l'ombre pendant la periode imperiale, essaya ses forces sous la Restauration, et ar- riva a son apogee durant les dix-buit annees du regne de Louis-Philippe. Pourquoi donna-t-on le nom de doctrinaires aux partisans del'idee de Royer-Collard? Est-ce parce que Ton considerait cettc idee comme la doctrine par ex- cellence du gouvernemenl? Est-ce par allusion a I'e- ducation premiere de l'importance du systeme, qui s'elait faite chez les peres de la Doctrine ? Quoi qu'il en soit, la maniere de voir des doctri- naires, sans etre vraie en clle-meme, repondait par- faitement aux besoins d'une epoque de transition. — 212 — Ellc procura le calme aux osprits par une sorle de tran- saclion lemporaire, fit progresser la liberie, el permit de donoer aux travaux de la paix une prodigieuse ex- tension qui, en peu d'annecs, amena la bourgeoisie a un degre de prosperite inouie. Inexperience est venue, il est vrai, qui nous en a fait voir les graves inconvenienls; mais, jusque-Ta, il elait permis de croire qu'il n'elail pas possible dc decouvrir une combinaison politique qui donnal plus de garanties de slabilile. Une chose avail echappe aux doctrinaires, e'est que dans celte alliance des idees ievolulionnaires el des principes monarchiqucs, il aniveraii inevitablement que la revolution deborderait la monarchic, ou que la monarchic ab^rberail la revolution. Dun autre cole, on oubliail que les classes ouvrie- res, a l'exemple de la bourgeoisie, ne tarderaieni pas a reclamer des droits poliiiques, puisque l'on fai- sailcirculer dans la nation celte fausse et malheureuse idee, que le bonheur des peuples est le rcsultal de Taction politique. Taut vaut la politique, tant vaut le ciloyen, est un aphorisme raenteur qu'il faut se baler de remplacer par celui-ci : tant vaut le travail, tanl vaut le ciloyen. Le tocsin de 1848 est venu tout a point pour metire en evidence el I'inanile de l'idee doctrinaire el Tim- puissance des droits poliiiques enlre les mains de Tuniversalile des ciloyens. Le tori, le tort grave de la doctrine est d'avoir inocule au peuple travailleur, par l'exemple de la bourgeoisie, la fievre politique , et d'avoir ainsi prepare le renversemenl d'une dynastic. Le parlcmenlarismc qui a fait la forlunedes doctri- — 213 - riaircs, eslraort par exces plelhorique, s'il m'est permis d'emprunler a la langue medicale celie expression qui rend ma pensee. A I'aide de eel instrument, la bour- geoisie surexcitee dans ses appetits matcriels, a un peu trop perdu de vue qu'elie n'eiait, par rapport aux masses, qu'une minoritc infime, et en negligeanl de donner I'exemple du desinieressemenl el de la mora- lile dans les nioyens d'assouvir ses convoilises, elle s'esl exposee aux lerribles reprcsailles qui no lui out pas manque a I'heure marquee par ['inexorable his— toire. S'il est vrai que Royer-Collard ful Tame de la doc- trine , j'ose affirmer que sa memoire ne merite pas la responsabilite des consequences d6sastreuses du sysleme. Ces consequences, il les avail cnirevues avec douleur, el e'est parce qu'il se seniail impuissant a ies prevenir, qu'il rentra silencienx sous sa lente pendant les dernieres annees de sa vie. Les rares discours qu'il prononca depuis sa reunite volontaire , dernonlrent qu'il ne f.iisail plus cause commune avec ceux qui devaient marcher avenglement dans la voie qu'il leur avail ouverte, laquelle, apres avoir traverse de rianls paysages, aboulissait a l'abime. Royer-Collard elait a peine descendu dans la lombe, que la ville de Vitry-le-Francais lui dressail une statue sur I'une de ses places publiques. Un rapprochement se presente tout naturellemenl a l'csprit : Colbert qui u'elail ni philosophe, ni politique, mais qui savail que le travail, le commerce, les arts el l'industrie font loule la richessse et le honheur des peuples, Colbert est morl depuis presde deux siecles ; el quoique les revolutions aienl bouleverse la France, que les mceurs , les idees , el par suite le systeme — 2-14 — goiiveinetnenlal n'aient rien de commun avec le le- gimc dn temps de Louis XIV, le nom du grand mi- nislre conserve son iraposant preslige contre lequel rien ne saurait prevaloir, et Reims, sa ville naiale, esl sur le poinl de lui elever une siaiue. C'eslque Colberl fut I'homme de I'avenir. Je me demande si , a deux siecles de distance de Royer-Collard, la ville de Vitry- le- Francois aurail songe a lui consacrer une statue, si elle n'eut pas eu celte precaution le lendemain de sa mort ? Que restera- t-il de Royer-Collard dans deux siecles ? Un nom ho- norable dans l'histoire de son epoqne agitee. Un nouvel ordre de choses a surgi des entrailles de la nation : j'ignore quelle destinee I'avenir lui reserve, mais j'affirme que nulle voix ne s'eleveta pour le blamer d'avoir supprime le parlementarisme sterile , I'eclectisme politique, le rationalisme anli-chretien, s'il met en honnenr le travail, s'il aide a I'emancipaiion du proletariat en lui inspiranl une initiative feconde, en le moralisanl, el s'il donne, selon sa promesse, la liberie pour couronnemenl a l'edifice en voie de construc- tion. BAPTEME DE CLOVIS. Par J.-B.. BIZV. In hoc signo vinces. I. l)u vicux monderomain le colossc brisc A perdu ponr jamais son prestige et sa git ire L'ame n'anime pins ce grand corps epuise ; L'Elernel a detruit vingt siecles de victoirc, Et des peuples nouveaux les fougueux lourhillons, Pousses par 1c Tres-Hanl de leurs rives lointaines, Onl chasse devant eux les vieilles legions, Et brise les aigles romaines. Sur leur trone ebranle, les antiques Cesars, An seul bruit di leurs pas, ont fremi d'epouvanle ; Les Dieux vaincus, les moeurs, et les lois et les arts Perissent confondus dans l'horrible totirmente. Parlout viclorieux par lc fer et le feu, Le courroux du Barbare ensanglanle la terrc ; lis annoncent qu'ils sont les ministres de Oieu El les fleaux de sa colere Tout-a-coup a leurs yeux la Croix parail dans I'air La Croix a desarme le Vandale lui-memo ; Le Darbare elonne, laissant lomber le fur , Lave ses bras sanglauts dans les eaux du b.ipteiue. 216 La pais avec la Croix a brille dans les cieux, Et la France au berceau sous ses lois s'est rangee ; La terre a contemple son eclat radieux, Et soudain la terre est changee. II. Entre ces murs sacres batis par nos ancetres, Au pied des saints autels huuiblement incline , Entoure de soldals, et da peuple etdes prelres , On voyait sur le inarbre un guerrier prosterne. Ses cheveux blonds, flottant sur sa longue tunique, Laissaient Toir a demi ses traits majestueux ; Ses yeux elincelaicnt dune flamiue hero'i'que , Et la foi temperaitson front imperieux. Le Barbare a genoux attendait en silence. Ces flambeaux allumes, ces chants harmonieux, Les flols amonceles de cette foule immense . De l'airain mugissant les sons religieux, Les riches encensoirs, les flottantes bannieres, De leurs velements d'or les levites ornes, Tout, l'odenr des parfums, les voix et les prieres Pcnetraient de Clovis tous les sens etonnes. Ranges autour de lui, ses compagnons de gloire Partageaient son extase en ce jour solennel ; Sur ses pas ils volaient naguere a la victoire ; Avec lui maintenant ils entouraient l'aulel. 111. Quoi ! ce heros si redoulable, Que Ton voyait dans les combats, De sa francisqua formidable, Signaler chacun de ses pas ; Eh ! quoi ! c'est pour lui que s'appretc Le saint et pieux etendard ! Quoi ! c'est lui qui courbe la tete Sous la main d'un faible vieillard ! •217 Lui qui, sous la cotte de mailles, Superbe et toujours le premier, Affrontait le choc des batailles, Arme de son casque d'acier; C'est lui, dont le front pacifique, Eclaire d'un rayon divin, Recoil le joug evangelique, Sous ces Manes velements de lin ! Est-ce la ce. lion terrible, Qui, par un miracle nouyeau, Devient un agneau si paisible, Au bercail de I'humble troupeau ? Uieu sans doute a fait ce prodige; Les princes Chretiens lui sont chers; Clovis sera la noble tige Des rois Chretiens de I'univers. IV. Cependant le heros conlemplait avec crainte Ce vieillard qui des cieux empnintait son eclat, Et ses yeux. inspires, et la noblesse empreinte Sur le front grave du prelat. 0 Hemi, qui dira !a vigueur de voire ame? Quel bras vous affermit sur vos pieds chancelauts ? Quel feu luysterieux, quelle foi vous enfiamme Sous la glace de vos vieux ans? Ah! o'est vous qui, du pain de la manne immortelle, Avez nourri le coeur de ce Ger conquerant ; Vous avez arrete dans sa course inOdele Les ravages de ce torrent. La vicloire suivait leur marche vagabonde ; lis se sont inclines devant vos cheveux blancs. Parle glaive les Francs ont Irioinphe du raonde ; La Croix a triomphe des francs. xx. *5 218 V. Au milieu des guerriers eu armes, Les yeux voiles de saintes larmes, Priait devant l'autel une ferame a genoux. Belle sous ses cheveux d'ebene, Humble dans son manteau de reine, Elle adressait au ciel ses regards les plus doux. Telles surles vilraux gothiques De nos chretiennes basiliques, Les mains joiutes en croix el les regards baisses, On voit de ces vierges pieuses, Dontles figures radieuses Sembleut prier encor dans les siec'es passes. OCIotilde, soyez benie! La grace, a vos charmes unie, A touche de Clovis le courage indomple. • Oui, la grace, par voire bouche, A de ce conquerant farouche Vaincu par sa douceur Tin vincible lierle La posterile vous conlemple ; Les murs veneres de ce temple Garderont voire image en leurs sacres parvis. Jouissez de voire vicloire ; Les pieux recks de l'hisloire Uniront voire nom a celui de Clovis. VI. Le sacrifice est pret. Les ondes salutaires Vont laver des guerriers les fronts regeneres, Et l'Eglise de Dieu dans ses bras tutelaires Va recevoir enfin ses enfants egares. Les prieres a Dieu s'adressent plus briilantes ; Des encensoirs benits les flols plus parfumes 219 S'exhalent doucement en vapeurs odorantes ; Tout resplendit des feu*, des cierges enflammes. Mors des cherubins les celestes cantiques Remplirent le saint lieu d'ineffables concerts ; On dit qu'on les a vus, de leurs mains angeliques, Benir en souriant tons les fronts deeouverls. Pere, disait Clovis, toi le depositaire Des secrets du Tres-Haut, et l'un de ses amis, Pere, n'est-ce point la le brillant sanctuaire De ce ciel meryeilleux que tu m'avais promis ? Non, nion Qls, tu ne vois qu'un sombre vestibule Du palais inconnu que tu cherches des yeux ; Cette ?i?e clarte nest que le crepuscule De ce joureteroel qui regne dans les Cieux. VII. 11 dit. Tout-a-coup, 6 prodige ! Une colombe vient, vollige. Puis, incertaine, se diiige Sous les arceaux illumines. Volant de chapeile en chapelle, La plume blanche de son aile Laisse une odeur surnalurelle Dans les airs qu'elle a sillonnes. D'ou viens-tu, douce messagere ? Ou vas-tu , charmante etrangere ? Viens-tu devoiler a la terre Les secrets du sejour dirin ? Vois-tu, dans la voiite etoilee, Cette colombe immaculee, Qui, dans I'antique Galilee, Descendit aux bords du Jourdain ? .1 admire ton brillant plumage... Mais quel est done ce doux presage ? Quel est le precieux message Que tu liens au col attache? Viens-lu reveler a la France L'annonce de sa delivrauce, Le jour d'une grande esperance , Ou quelque mystere cache ? VIII. Et les sages vicillards, tout remplis d'allegressc, Se livraient aux transports d'une pieuse ivresse ; Et Clovis, de bonheur el d'extase enivre, Sentait la foi grandir en son coeur penelre Des champs de Tolbiac la memoire recente , De l'ennemi vaincu la deroule eclatante, El le Dieu de Clotildc, arbitre des combals, Pretant a ses gueniers la vigueur de son bras , Achevaient dc plier cette ame encor i ebelle Au jougmysterieux d'une vcrtu nouvelle . Et de feux inconnus eclairaut sa raison, Decouvraient a ses yeux un nouvel horizon. Le prelat, du Tres-Haut implorailla lumiere; La colombe aussitol dune aile familiere Descendit a sa voix, et remit en sa main , Docile, sans effroi, son message divin. Puis, autour de 1'autel , l'aimable messagere Voltigea par trois fois d'une course legere, El reprenant enfin son essor gracieux , Anx regards etonnes disparut dans les cieux. IX. 0 mon flls bien-aime ! Chretiens , pieux fideles ! S'ecrie avec transport le yertueux vieillard ; J'enlends des purs esprits les voix surnaturelles ; De ses desseins secrets l'Eternel m'a fait part, 221 Ce message vient de Dieu meme ; C'est I'huile des elus qu'il confie a mos maiiis ; C'est I'Ampoule, c'est le Saint-Chreme, Le baume consacre dont il marque ses sainls. Roi des Francs, foule aux pieds tes muettes idoles ; Brule a jamais ces Dieux devanl qui tu Iremblais, Fanldmes impuissanls, divinites frivoies ; Adore cette Croix qu'autrefois tu briilais. Fier Sicambre, courbe la tele ; Rends au Dieu des Chretiens les vceux qui lui sont dus ; AujourJ'hui l'Esprit-Saint s'apprele A graver sur ton front le sceau de ses elus Sois Chretien. A la suite, une foule innorabrable De princes, de heros. de monarques pieux, Cbanterortf de ton nom la grandeur memorable, Et, fiers d'etre Chretiens, beniront leurs a'ieux. Je vois dans !e loiulain des ages, Sur le trone des Francs un grand saint couron.ie ; Je vois, au milieu des orages , Des palmes du martyre un trone environne. Honneur aui Fils des Francs '. Sur des plages lointaines, Triomphant par I'epee el la religion , lis vengent tons les torts, brisent toutes les chaines, Et parlout de la Croix planted le pavilion. Je les vois forcer la balance A s'incliuer toujours du cote de la Croix, Du faible embrasser la defense, Et punir par le fer l'ambition des rois. Reims, j'enlrevois de loin tes hautes destinees, Toi qui fus pour les Francs le berceau de la foi ! 222 Sur les pas deClovis, les teles couronnees Viendront prendre en ton sein le nom sacre de roi. 0 Reims , oui, tu peux etre fiere ! Tes temples, la splendeur, tes droits soni immortels ; Un jour , lu verras en priere Les peuples et les rois an pied de tes autels. X A ces mots, le vieillard, de ses mains benissantes, Les yeux leres au ciel d'ou vient la verite, Appela sur Clovis les claries bienfaisantes De Gelui qui commande a toute royaute. Le guerrier se plongea dans 1'onde du bapleme Pour laver dans ses flots son coaur humilie; El, tandis qu'il priait, le baume du Saint-Chreme Acheva d'amollir son Tront purifle. Tout etait consomme : d'une grande esperance L'eclat resplendissait sur le monde paien ; Le soleil de la foi se levait sur la Frauce; Ses destius commencaient : Clovis etait Chretien. PROGRAMME des Concours onvcrls pour Tannic 1855. HISTOIRE. Quelle fut l'influence des archeveques de Reims dans la revolution qui a substitue la race des Capetiens a celle des Carlovingiens sur le trone de France. HISTOIRE LITTERAIRE. £tude sur l'abbe Pluche, sa vie et ses ouvrages. LITTERATURE. — POESIE. La Femme Chretienne au moyen-age. (Son influence sur la civilisation naissanle : Elle converlit , elle ecrit , elle cnseignp. — Son intelligence el sa vigueur dam la con- duite des affaires ). — 224 - ECONOMIE AGRICOLE. Premiere question. — Indiquer un remede eflicace a la maladie de la vigne connue dans la science sous le nom d'Oidium Tuckeri- Deuxieme question. — Quels sonl les procedes les plus certains et les plus economiques d'operer le desseche- ment el l'assainissement des marais qui bordent les rives de la Vesle? Peut-on, en conciliant les interets de l'agriculture avec ceux de I'industrie, associer ces procedes aux tra- vaux hydrauiiques necessaires pour deriver les eaux de cette riviere, par des eanaux d'irrigation ? Les concurrents feront ressortir la necessite du dessechement des marais au double point de vue des avanlages que peuvent y irouver la salubrile el l'agriculture. Dans le cas oil ils constateraieut la possibilite d'etablir des cauaux d'irrigation, sans uuire au dessechement des marais , ils indiqueraient avec soin les conditions d'eiablissement que doivent oflrir les canauz d'introduclion et les canaux de fuite , pour recueillir les eaux d'e- coulemeni. Us appuieronl en outre la question du dessechement sur quelques nivellemenls en long et en travers. ECONOMIE INDUSTRIELLE. chimie appliquee. Premiere question. — Indiquer un moyen usuel de determiner la quautite de sucre ou dalbumine contenue dans les \iquides vegetaux ou animaux. — 225 - Deuxiemf. question. — Indiquer un procede d'en- coilage des chaines des etoffes de la fabrique de Reims, confiees au tissage a la main ou au tissage mecanique. Kaire connaitre une matiere a bas prix qui puisse rem- placer la colle de peaux, dont l'usage est si irregulier et atteint si rarement le but reinpli depuis longtemps dans lindustrie des cotons. L'auteur devra fournir ), direcleur du jardin du Roi, a Pondicbery (Inde franchise). Petit, docteur en medecine, a Hermonville. PiERQUiN, cure de La Neuville-Day (Ardennes). Pinart , substitut du procureur imperial , a Paris. Pingret, graveur, rue Guenegaud, 5, a Paris. Pinteville-Cernon (de) , president du Cornice agricole de la Marne , a Cernon (Marne). Polonceau (sfc), ancien recteur de I'Universite, rue Neuve-des-Pelils-Cbamps, 77, k Paris. Ponsinet, juge au Tribunal civil de Macon. Pontaumont (be), membre de la Societe aea- demique, a Cberbourg, Poquet , membre de la Societe archeologique de Soissons. — 2/|9 — MM. PrEgnos , cure a Torcy (Ardennes). Prin ($£), docteur en medecine, a Chalons-sur- Marne. Prompsallt, auin6nier de la maison des Quinze- Vingls, a Paris. Provostaye ( de la ) , inspecteur general de PUniversile, a Paris. Quandalle , secretaire de la Societe de sphra- gistique , a Paris. Quatrefages (de), membre de rinstilul, a Paris. Rafn (Christ.) (0), secretaire de la Societe des antiquaires du Nord , a Copenhague. Rattier (#), iuspecteur de I'Academie de Dijon, a Troyes. Regazzoni (Pabbe) , docteur en theologie , cha- pelain pies I'eglise Sl-Fidele, a Milan. Renard (Ath.), ancien depute, medecin el maire, a Rourbonne-les-Rains. RicnARD, docteur en medecine, a Hermonville. Rorelin, archilecte, a Paris. Rorert (Ch.) (#), ancien eleve de Pecole poly- technique, sous-inlendant rnililaire, a Metz. Roisin ( baron de ) (#) , proprietaire a Ronu , ( Prusse Rhenane), — ou rue Franchise, 58, a Lille. Rondot (Natal is) (#), delegue en Chine pour les industries des laines et des soies, membre de la Societe asialique, rue Montholon , 24, a Paris. Roucher d'Auranel, docteur en medecine , a Fere-en-Tardenois (Aisne). Rouit , direcleur dc Pecole normale-primaire , a Laon. — 250 — MM. Rousseau, docteur en medecine, a Epcrnay. Royer (E. de) (0. #), procureur-general pres la Cour de cassation, rue St-Renoit, 17, a Paris. Royer-Collard (P.) (#) , doyen de la Faculle de droit, & Paris. Ruinart de Rrimont (Ed.), membre de la Sociele geologique de France, rue Cassetle, a Paris. Saint- Vincent (de) , president du tribunal, a Charleville. Salle, docteur en medecine, a Chalons-sur- Marne. Saunier, professeur d'hisloire au lycee de Nancy. Sauvage (#), ingenieur, a Paris. Sauville (Guillaume de), sous-prefel de I'arron- dissemenl de Marseille. Say (H.) (#), membre du Conseil general de la Seine el de la Cbambre de commerce de Paris, rue Rleue, 13, a Paris. Say (Leon), economisle, a Paris. Sellier, avocat, membre du conseil general, a Clialons-sur-Marne. Seure, docteur en medecine, a Suippes (Marne). Suckau , professeur d'allemand au lycee Monge, rue Saint-Hyacintbe-Saint-Michel , a Paris. Sury, doyen de Givel (Ardennes). Sylvestre (#), homme de lellres, place Belle- Chasse, a Paris. Taillefert , proviseur au lycee d'Orleans. Tamplcci (H.), homme de lellres, a Paris. Tkmpier, jurisconsulie , a Marseille. — 251 — MM. Teste-d'Ouet , homme de leiires, correspondant du minislere de 1'lDslruction publique , rue Bourg-l'Abbe , 7, a Paris. Thierion de Montclin (J.), a Nanteuil (Ar- dennes). Thierry ( E. de), ancien oflicier de cavalerie, a Fismes (Marne). Tirman, docteur en medecine, a Mezieres. Varennes, juge, a Vitry-le-Francois. Viancin, niembre de l'Academie de Besancon. Villeminot , ingenieur-mecanicien, membre de la Chambre de commerce de Reims. Vincent, inspecleur des ecoles primaires de Melz. Violette, homme de lettres , a Mary-sur-Marne (Seine-et-Marne). Vionnois, juge au Tribunal civil, a Montpellier. Vismes (de) (^>), ancien prefet, a Sezanne (Marne). Voilemier, docteur en medecine, a Senlis (Oise). Vro'il (Jules HfiRioT de), membre de la Societe des economises, a Reims. Weiss (#£), correspondant de ITnslitut , conser- vateur de la bibliolheque, a Besancon. Wint (Paul de) , homme de lettres , rue des MaraiS'Sainl-Marlin , 29, a Paris. Yvan (#) , docteur en medecine , mcdecin de I'ambassade de France en Chine , professeur d'hisloire naturelle medicale, place Breda, 10, a Paris. — 25'2 Membres decedes . MM. Anot de Maizieres, ancien professeur de l'Uni- versite, niembre correspondant. Bazin, professeur au lycee de Cahors, membre correspondant. Bussieres (Broquard de) (^) , maire de Sois- sons , ancien officier du genie , membre cor- respondant. Coetlosquet (comle du) (#), ancien represen- tant a Metz, membre correspondant. Durroca, veterinaire au 8e dragons, membre correspondant. Garinet, conseiller de prefecture, a Cbalons-sur- Marne, membre correspondani. Goguel, principal du college de Bouxviller (Bas- Bbin), membre correspondani. Mauvais (^), membre de I'Academie des sciences, a Paris, membre correspondant. Seure (Onesime), bomme de lettres, a Paris, membre correspondani. Thomas (Honore), homme de lettres, a Reims, membre correspondant. LISTE DES SOCIETIES CORRESPONDANTES. Societe academique, a Laon (Aisne). academique, a St-Quentin (Aisne). archeologique, a Soissons. d'emulation, des sciences,arts et belles-lettres, a Moulins (Allier). d'agriculture, a Mezieres (Ardennes). d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres, a Troyes (Aube). des lettres, sciences et arts, a Rhodez (Aveyron). Academie des sciences, lettres et arts, a Marseille (Bouches-du-Rhone) . Societe d'agriculture, a Bayeux (Calvados). Academie des sciences, arts et belles-lettres, a Caen. Societe des Antiquaires de Normandie, a Caen. d'agriculture et de commerce, a Caen. academique, agricole , industrielle et d'in- struction, a Falaise. d'agriculture , sciences et belles-lettres, a Rochefort (Charente-Inferieure). d'agriculture, a Rourges (Cher). Academie des sciences, arts et belles-lettres, a Dijon (C6te-d'Or). Societe des sciences naturelles et antiquites, a Gueret (Creuse). Academie desr science?, lettres et arts, a Besan^on (Doubs). Societe d'emulation, a Montbeliard. — 256 Societe de statistique, a Valence (Drome). — — libre d'agriculture, sciences, arts et belles- lettres, a Evreux (Eure). Academie du Gard, a Nismes (Gard). des sciences, inscriptions et belles-lettres, a Toulouse (Haute-Garonne). des jeux floraux, a Toulouse. Societe archeologique du Midi de la France, a Tou- louse. Academie des sciences, belles lettres et arts, a Bordeaux (Gironde.) Societe archeologique, a Beziers (Herault). d'agriculture et d'industrie, a Bennes (Ille- et-Vilaine). d'agriculture, des sciences, arts et belles- lettres, a Tours (Indre-et-Loire). Academie Delphinale, k Grenoble (Isere). Society d'agriculture, a Grenoble. d'emulation, a Lons-le-Saulnier (Jura). - economique, d'agriculture, sciences, arts et manuf.,a Mont-de-Marsan (Landes). academique, a Nantes (Loire-lnferieure). d'agriculture, sciences, arts et commerce, au Puy (Haute-Loire). des sciences, belles-lettres et arts, a Orleans (Loiret). d'agriculture, commerce, sciences et arts, a Mende (Lozere). d'agriculture , sciences et arts, a Angers (Maine-et-Loire). indugtrielle, a Angers. academique, a Cherbourg (Manche). Societe d'agriculture, commerce, sciences et arts, a Chalons-sur-Marne (Martfe). Cornice agricole de la Marne, a Chalons-sur-Marne. Cercle pharmaceutique de la Marne, a Reims. — 255 — Societe veterinaire de la Marne, a Reims. des sciences, lettres et arls, a Nancy (Meurthe). philomatique, a Verdun (Meuse). Academie a Metz (Moselle). Societe centrale d'agriculture, sciences et arts, a Douai (Nord). Societe" des sciences, de l'agriculture et des art?, a Lille. d'agriculture, sciences et arts, a Valencien- nes. Athenee du Beauvaisis, a Beauvais (Oise). Societe pour l'encouragement des sciences, des lettres et des arts, a Arras (Pas-de- Calais). d'agriculture , du commerce, des sciences et des arts, a Boulogne-sur-Mer. d'agriculture, a Calais. des antiquaires, de la Moriuie, a Saint-Omer. Academie des sciences, belles-lettres et arts, a Clermont- Ferrand (Puy-de-D6me). Societe agricole, scientifique et litteraire, a Perpignan (Pyrenees-Orientales). des sciences, agriculture et arts, a Strasbourg (Bas-Rhin). d'agriculture, commerce, sciences et arts, a Vesoul (IIaute-Sa6ne). d'histoire et d'archeologie , a Chalons-sur- Saone (Sadne-et-Loire). d'agriculture , sciences et belles-lettres , a Macon. Eduenne, a Autun. d'agriculture , sciences et arts , au Mans (Sarthe). d'agriculture, sciences etarts, a Meaux (Seine- et-Marne). — 256 - Academie des sciences, lettres et art?, a Rouen (Seine- Inferieure). Societe centrale d'agriculture, a Rouen. libre d'emulation, a Rouen. Havraise d'etudes diverses, au Havre. des sciences morales, des lettres et des arts, a Versailles (Seine-et-Oise). de statistique, a Niort (Deux-Sevres). des antiquaires de Picardie, a Amiens (Som- me). d'emulation, a Abbeville. Societe des sciences , belles-lettres et arts, a Toulon (Var.) des antiquaires de I'Ouest, a Poitiers (Vienne). d'emulation, a Epinal (Vosges}. archeologique, a Sens (Yonne). Academie des sciences, a Paris (Seine). des inscriptions et belles-lettres, a Paris. Societe centrale d'agriculture, » de la morale chretienne, * des antiquaires de France, de sphragistique, d'encouragement pour l'industrie nationale, geologique de France, de geographie, d'borticulture, » d'cenologie franchise et etrangere » Academie d'archeologie deRelgique, a Anvers. Societe des antiquaires du Nord , a Copenhague (Danemark). des antiquites, a Zurich (Suisse). » » » » )) LISTE DES OUVRAGES ADRESSES A L ACADEMIE IMPERIALS DE REIMS pendant I'annee 1853-1854. ouvuac.es publies par i.es memures de l'acadEmie. Le Chateau de Ham et ses prisonniers, par Cli. Gbmart ; Pars, Dumoulin, 1855. in-8° de 26 p. Mission divine de Jeanne d Arc, prouvee par ses triomphes et son martyr*, panegyrique prononce dans la calhedrale d'Orleans. par M. Barlhelemy de Beaure- gard ; Orleans, Alex. Jacob. in-8° de 72 p. Le Droit civil francais, par Zachariae, trad, del'alle- mand, parG. Masse et Cli. Verge; tome premier ; Pa- ris, A. Durand, 1854. in-8°. lissai sur les Recompenses sous le regime de la com- munaute legale, par M. Mennesson, a vocal a Laon ; Laou, Oyoo, 1855. 1 vol. in-8°. Essai sur I'eclairage chez les Romains, ou Introduc- tion a rilistoire du luminaire dans VEglise, par Ch. Loriquet, bibliolhecaire de la ville de Reims; Reims, P. Regnier, 1855. 1 vol in-8". Observations de M. Anal, de Barlhelemy, sur I'ou- vrage intitule : Lettres a M. Dugast-Matiffeux sur quelques monnaies francaisesinedites, parM. B. Fill on; Blois, Dezairs, 1855. in-8° de10 p. xx. 18 — 258 — Leon Foucaull : These presentee a la faculle ties sciences de Paris, pour oblenir le grade tie docteur es-sciences physi- ques ; Paris, Bachelier, 1833. in-4° de 55 p. — Sur divers signes sensibles du mouvement diume de la terre ; Pa- ris, Bachelier, 1852. 11 p. in-4°. Sur la conductibilite des liquides; piles sans metal: rapport de MM. Pouillet el Regnault, en oclobre 1853. 6 p. in-4°. E. Hebert : Note sur la limite qui separe le terrain cretace du terrain terliaire; Paris, Bachelier. 4 p in-4°. — Terrain Jurassique de la Moselle, position que doivent occuper dans la serie liasique le gres d'Het- tange et de Luxembourg ; Paris, L. Martinet, in-8°. — Geologie : Comparaison des cou- ches tertiaires inferieures de I'Angle- terre avec celles du bassin parisien; Paris, Martinet, in-8°. Essai sur ces deux locutions : « Faire la Barbe, » el « Je veux etre tondu, » par Th. Lorin ; Anvers, Max. Kornicker, 1853. 13 p. in-8". De la rage, par A. Baudesson, medecin-veterinaire ; Reims, Huet, 1853. 22 p. in -8°. Manuel de I' Amateur de Jetons, par J. de Fonle- nay; Paris, Dumoulin, 1854. 1 vol. in-8\ Le LivredeJob, par Em. Chevallet,auteur dela Quin- quengrogne; Paris, P. Germain, 1854. 1 vol. in-12. — 259 — Recherches sur les Monnaies et les Jetons des maltres echevins et description de Jetons divers, par Ch. Robert; Metz, Nouvian, 1855. 1 vol. in-4o, planches. Mesures annuelles et simples a commencer aussitot la moisson, dans une de nos annees de calme, afin de nous preserver a jamais du chomage des bras et de la diselte, par A. Maiziere. Reims, E. Luton, 185i. 12 p. in- 8°. Mesures propres d attenuer et a deraciner sans se- cousse les causes du chomage et de la cherte que nous su- bissons pour la derniere fois, par le meme, 8 p. in-8°. Dubois- Crance, par Cheii Paulfin (de Relhel); Paris, Ledoyen, 1854. 50 p. in-8°. Maucroix, sa vie et ses outrages, publies par Louis Paris, sur le mannscrit de la bibliotheque de Reims; Paris, Techener, 1854. 2 vol. in-12. Maucroix, notice (tiree a part, grand papier). 1 vol. format in-8°. Livre choral, preface et introduction, par L. Fanart ; Paris, V. Didron, 1854. in-4* de 51 p. Notice sur un Ecu d'or au soleil, frappi a Arras, en 4644 au nom de Louis XIV, par le docleur Al. Colson; Blois, Lecesne, 1854.4 p. in-8°. Seance d'une Assemblee illustre, competente et au- dessus de tout reproche d'interet prive , sur les points culminants delavie des hommes, par Arm. Maiziere; Reims, E. Luton, mai 1854. 20 p. in-8<>. Des dangers quepre'senle I'emploi des papiers coloris avec des substances toxiques, par A. Chevalier etE. A. Duchesne ; Paris, Railliere, 1854. 19 p. in-8°. 260 HOMMAGES DIVERS ET JOURNAUX. V Orientalisme rendu classique, suivi d'une Lettre a M. Jules Mohlsurla langue perse, par P. G. de Du- mast; Nancy, N. Wagner, 1853. 32 p. in-8°. Examen de la theorie de M. Pay en sur la maladie dela pomme de lerre , par Leroy-Mabille; Boulogne, imp. de Berger, 1853. 50 p. in-8<\ V Apotheose de la Femme, poerne par Guillot-Cheon; Reims, imp. de Luton. 48 p. in-8. Vie de S. Pardoux, patron de Gueret, el Office du Saint, precedes d'une Note de M. J. Coudert de La- villate; Gueret, Degenest, 1853. 1 vol. in-89. Systematische Uebersicht der Wanzen und Cicaden des Umgebung von Munchen, par le docleur Gistel (de Munich). — Beschreibung des Skeleles des dreistreifigen Nach- taffers (Nyclipithecus trivirgatus). — Statuten des Munchener Vereins fur Nalur- kunde. — Js'is Encyclopwdische Zeilschrift In auf- trage des Munchener Vereins fur Natur- kunde. Hisloire de S. Alpin, par I'abbe Boitel ; Chalons, Boniez-Lambert, 1853. 1 vol. in-12. De I' Application de la section enchevillee a I'opira- tion de I'ectropion spasmodique, par F. Vauquelin, medecin oculiste et auriste; Paris, Germer-Bailliere. 51 p. in-8 avec planches. Bonelli : Considerations sur un article de /illustra- tion du 18 fevrier 485A. 0 p. in-fol. aulographiees. — 261 — Eng. Mnhon: Les Souvenirs, poesies, precedees d'une Introduction, par M.J. Lesguillon ; Pa- ris, Amyot, 1850. 1 vol. in 12. — GuiUaume-le-Taciturne, prince d' Orange, et les Pays-Bas depuis I' abdication de Char les- Quint jusqu'a I' annee 1584 ; Paris, Amyot, 1852. 1 vol. in-12. Vie de Thomas Langevin de Pontaumont, de Caren- lan, conseiller du roi au Prisidial du Cotentin, par A. Regnauh ; Paris, 1854. 10 p. in-8". Discours d'oaverture du cours de Clinique chirurgi- cale a VEcole de Mcdccine de Reims, par le docleur Phillippe; Reims, Gerard, 1854. 16 p. in-8°. Traduction des Discours d'Eumene, par M. I 'abbe Landriol et M. l'abbe Rochet (publication de la societe Eduenne); Autun, Michel de Jnssien, 1854. 1 vol. in-8°. La Vigne guerie par elle-meme, par Leroy Mabille ; Paris, Ve Rouchard-Huzard, 1854. 51 p. in-8°. Les Annates du Bien, par M. J. DeUincourl, 1,e an- nee, livr. 4, 5 et 6; 2e annee, livr. 1, 2, 3 et 4. Journal des Savants, juillet a decembre 1853, Jan- vier a juillet 1854. Bulletin des Societes savanles. Missions scientifiques et litter aires, Comite de lalangue, etc., de la France, lomel", livr. 1, 2, 5,4, 5 et 6. Messager universe! de I' Industrie, n06 du 26 mars an 17 mai 1854. La France Medicate et Pharmaceutique, redigee par M. Felix Roubaud, 1re annee, nos 2, 3, 4, 5 et 6. Reims, Revue monsuelle de la Litterature, etc., noS 9 el 10. — 262 — PUBLICATIONS ADUESSEES PAK LES ACADEMIES ET SOCIETES CORKESPOINDAN I ES . Bulletin de la So exile academique de Laon, iomo 3, 1854. 1 vol in-8". — Archeologique , historique et scientifique deSoissons, tome 6e, 1852. 1 vol. in-8°. Societe academique de Sl-Quentin, Annales agrico- les, scientifiques etindustriellesdudepartement del'Aisne, 2e serie, tome9e, iravatix de 1851 ; tome lO, trav. de 1852; 2 vol. in-8°. Societe d' emulation dudepartement del' Allien, a Mou- lins, annees 1853 et 1851, 2 cahiers comprenant les pages 95 a 322. Journal de la Societe d'agriculture du departement des Ardennes, 10e annee, n°s 1 a 12; 11<> annee, n08 1 a 6. Memoires de la Societe d'agriadture, sciences, arts et belles-lettres de I'Aube, a Troyes, n°s 27 et 28 (tome 17e), 1 vol. in-8°; n09 29 et 30, 1" et2e trim. 1854. — De I'Academie des sciences, arts et belles-let- tres de Dijon, 2e serie, tome 2e, annee 1852-1853. 1 vol. in-8°. Academie du Gard, Compte-rendu par M. Nicot, en seance du conseil general du 27 aoiit 1853 . 22 p. in-8°. — Memoires, annee 1853. 1 vol in-8°. Memoires de I'Academie imperiale des sciences, in- — 263 - serif • lions el belles-lellres de Toulouse, 4' serio, lomo 3e. 1853. 1 vol. in-8«. Memoir es de la Sociele archeologique du midi de la France, a Toulouse, lome 7% 2e livraison, in-4°. Academie des Jeux (loraux a Toulouse, annee 1854. 1 vol. in-8°. Academie de Bordeaux {Recueil des actes de F) 1855, 2e el k" (rismestres. — Programme pour les concours de 1S5A, seance publiqne du 12 Janvier 1854. Annates de la Sociele d' agriculture d' Indre-et- Loire, a Tours, lome 31% nn5 I, 2 el 3; lome 32% n°s 1 el 2 ; lome 33e, n° l . Annates de la Sociele d' agriculture, sciences, arts it commerce du Puy, lome 17e, annee 1852, in-8°. Annates de la Sociele academique de Nantes el du departement de la Loire Inferieure, lre&erie, lomes 44c el 15*, annees 1843 ct 1844; lome 24*, 1853, i.°s 1 el 2. Bulletin de la Sociele d 'agriculture du departement de la Lozere, a Mcnde, n08 40-41, 42. Bulletin de la Societe induslrielle d' Angers, 24e an- nee, 1853. 1 vol. in-8°. Bullelin du Cornice agricole du departement de la Marne, 1853, n° 19. Memoires de la Societe philomatique de Verdun, lome 5e. 1 vol. in-8°. Memoires de /' Academie imperiale deMelz, 54eannee, 1852-1855, 2 vol. in-8o. Memoires de la Societe imperiale des sciences, agricul- ture el arts de Lille, annee 1852, 1 vol. in -8°. — 26/i — — Progtamrne des prix pour Jk54. Revue agricole, industrielle el litteraire du nurd, So- ciete d'agriculture de Valenciennes, 5e annee, n°s5 a 10 el (in du 5e vol., pages 365-395. Bulletin de rAthenee du Beauvaisis, le' ei 2e semes- ires 1853. Bulletin de la Societe des Antiquaires de la Morinie, 2e annee, 2e et 4* livraisons. Societe d'agricullure, etc., de Boulogne, seances du 29 oelobrc 1853 et du 18 mars 1854. Recueil agronomique, induslriel el scientifique de la Societe d'agricullure de la Hauie-Saone, a Vesojul, lome 6e. uos2 el 3. Bulletin de la Societe d' agriculture, sciences, etc. de laSarthe, au Mans, lre, 2*, 3e el 4e Irimeslres 1852. Precis des iravaux de I'Academie de Rouen, pendant Vannee 4852- i 855. 1 vol in-8°. Bulletin de la Societe fibre d'Emxdation de Rouen, annee 1852-1853. 1 vol. in-8°. Societe centrale d" agriculture de la Seine-Inferieure, a Rouen. Exlrait des iravaux, colliers 128 a 132. Lellre du President, concernant une demande a Veffet d'obtenir la promulgation d'une loisur la police des engrais, 1/2 f. in-4°. Societe Havraise d'eludes direrses, programme des concours de 1854, 1/4 de f. in-4«. Societe des sciences morales, lettres et arts de Versailles. Memoires, lome 3e, 1853. 1 vol. in-8°. — Prix pour 1855. in-8°. Memoires de la Societe de statistique du deparlemeni aire , t. n, p. 185. POINSIGNON. Etal politique et religieux de 1'Empire a la mort de Theodose-le-Grand (2rae partie), t. i, p. 132. Etudes sur l'Eglise francke, au temps des Merovingiens (fragment), t. n, p. 171. Poussin. Etudes sur la forme des autels, dcs vetements sacer- dotaux et des autres objets necessaires au culte , pen- dant le xine siecle, t. n, p. 40. KOHAULT DE FLEURY. Examen de la legislation en ce qui conccnic les mreur, 1. 1, p. iii. — -269 — Natalis Rondot. Lettre dalee de Kertch en Crimee, t. n, p. 116. P. Soullie. Notice sur le Parrain magniflque de Cresset, t. i, p. 44. Traductions en vers de plusieurs anciens poetes. t. i, p. 76. Etudes morales et litteraires sur la poesie lyrique en France au xixe siecle. — De Lamai'tine, t. i, p. 187. Max. Sutaine. Rapport sur la ve livraison du septieme volume des Annales de la Societe archeologique de Zurich (1852). — Decouvertes d'Antiquites Etrusques, t 1, p. 122. V. TOURNEUR. Notice sur M. 1'Abbe Clair Bandeville, chanoine-titu- laire de la Metropole de Reims, t. i, p. 171. Compte-rendu des travaux de l'annee 1853-1854, t. n, p. 142. TABLE DES MAT1ERES CONTENUES DANS LES DEUX VOLUMES de Vannie 1853-1854. TOMES XlXe ET XX". ARCHEOLOGIE. Etudes sur la forme des autels, des vetements sacerdo- taux et des autres objets necessaires au culte , pendant le xnie siecle, par M. Poussin, t. n, p. 40. Rapport sur la ve livraison du septieme volume des Annalesde la Societe archeologique de Zurich (1852). — Decouvertes d'Antiquites Etrusques, parM. Max. Sutaine, t. I, p. 122. Les OEufs de Paques, par M. Th , Lorin, t. u, p. 83. BIOGRAPHIE. Royer-Collard, par M. Em. Chevallet, t. n, p. 195. Notice sur M. l'Abbe Clair Bandeville, chanoine-titu- laire de la Metropole de Reims, par M. V, Tourneur, t. i, p. 171. ECONOMIE. Du Credit foncier, par M. Coda., t. i, p. 24. Examen de la legislation en ce qui concerne les moeurs, parM. Rohault de Fleury, t. i, p. 111. histoire. Essai sur 1'etymologie du vieux francos Anuit, et sur I'ancien usage de donner au jour civil le nom de Nun, par M. Th. I.orin, t. !, p. 37. — 271 — Quelques conjectures donnees sur le nom d'AnNOLPHE, applique par derision aux maris trompes, par le meme , t. ii. p. 88. Etat politique et religieux de l'Empire a la mort de Theodose-le-Grand ( 2ms partie),par M. Poinsignon , t. i, p. 132. Etudes sur l'Eglise francke, au temps des Merovingiens (fragment), par le meme, t. n, p. 171 Rapport sur PHistoire de Charleville , par M. Jean Hubert ; par M. Coda, t. n, p. 74. L1TTERATURE. La Belle du Cubri, legende Sparnacienne, par M. Ch. Loriquet, t. ii, p. 96. Etudes morales et litteraires sur la poesie lyrique en France au xixe siecle. — De Lamartine, par le meme, t. i, p. 187. Notice sur le Parrain magnifique de Cresset, par M. P. Soullie, t. i, p. 44. Rapport sur le concours d'Histoire litteraire, par M. H. Paris, t. ii, p. 185. POESIE. Au Coin du Feu, par M. Leseur, t. ii, p. 162. Hapteme de Clovis, par M. J.-B.-Buzy, t. n, p. 215. Elans vers Dieu, par le m6me, t. i, p 295. Le Philosophe et le Berger, fable, par M. Th. Lorin, t. i, p. 94. Traductions en vers de plusieurs anciens poetes, par M. P. Soullie, t. 1, p. 76. Traduction en vers fran^ais de deux bymnes tirees de la liturgie Amienoise, par M. Cauchy, t. i, p. 72. La Trombe, fable ; les Moutons et le Loup, apologue ; le Moineau et I'Epervier, fable, t. i, p. 89, par M. F. Clicquot. _ 272 — Traduction en vers du Psaume xlviii de David, et de l'Ode i, Livre in, d'Horace, par le meme, t. n, p. 124. PHILOSOPHIE. De la portee de I'Esprit humain, par M. de Maiche, t. i, p. 97. SCIENCES. Sur la masse totale et le nombre des petites planetes situees entre Mars et Jupiter , par M. Chevilliet , t. i, p. 17. Rapport de la Commission pour l'examen du memoire de M. Bonelli. — Electro - Magnetisme applique a la machine Jacquard, par M. P. M.vssti, t. i, p. 111. Rapport sur un systeme de joints metalliques, pour tuyaux, par MM. Laforest et Boudeville ; par le meme, t. II, p. 19. Rapport sur un appareil de reservoir de chaleur applicable a toute espece de cheminees, par M. Chedal aine ; par le meme, t. ii, p. 21. Rapport sur un procede d'electrisation des vins de Champagne, par M. Gillet, de Reims ; par le meme, t. n, p. 24 Rapport sur le petrissage mecanique , par le meme , t. ii, p. 27. Nouveausysteme de metier Jacquardelectro-magnetique, par M. Maumen£, t. i,p. 1. Rapport sur lesystemed'horlogerie-electrique, presente par M. Leroy, de Reims; par le meme, t. ii. p. 1 . Rapport sur les procedes de ventilation et de chauffage adoptes par MM. A. Coche, Villeminot-Huart et Ci,J dans leur filature; par lememe, t. ii, p. 14. Nouvelles recherches sur Taction reciproque du sucre et des clilorures. — Procede chimiq-ue pour evaluer la — 273 — quantity tlu Sucre. — Moyen de preparer une nouvelle couleur (du genre sepia, terre de Cassel, etc.), par le meme, t. n, p. 31. Nouveau procede de panification. — Melange de farine, fecule et dextrine, t. n, p. 36. Rapport sur les prix decernes aux applications scienti- fiques, t. n, p. 166. VARIETES. Rapport sur le xix.e volume de la premiere serie des Annales de la Societe academique de Nantes, par M. Elambert, t. i. p. 58. Lettre datee de Kertch en Crimee, par M. Natalis Ron- dot, t. ii, p. 116. Compte- rendu des travaux de l'annee 1853-1854, t. ii, p. 142. Programme des conconrs ouverts pour l'annee 1855, t. ii. p. 223. Proclamation des prix et medailles, t. n, p. '229. Tableau des membres composant l'Academie de Reims, t. ii, p. 231. Liste desSocietes correspondantes, t. n, p, 253. Liste des ouvrages adresses a l'Academie imperiale de Reims, pendant l'annee 1853-1854, t. ii, p, 257. Table des auteurs, t. n, p. 266. Table des matieres, t. ii, p. 269. ERRATUM. Pour le ler vol. page 295, au lieu du mot Fable, lisez: mP? "'•:*" \ Poesie. * ^.-s..-? . \ Iiciins, Imp. de P. Regnjer. Publications 11011 velles ; HISTOIRE DE L'EGLISE DE REIMS par • fKDKDMD PUBLIEE PAR L'ACADEMIE IMPERIALE DE REIMS , et traduite avec le concours de VAcadimie Par M. Lejetjne, Professeur au Lycee de la meme Ville; Deux Volumes in-%° , ' . . (EUVRES CHOISIES GHANOINE-TITULA1RE DR L'EGLISE METROPOUTAINE DE REIMS I . Publics sous les auspices DE SON EMINENCE LE CARDINAL GOUSSET, Archevique de Reims; Deux Volumes m-8° , 10 fr. Z.Q ^9~ TR4VAUX DE L'ACADEMIE IMPERIALS DE REIMS. ARJiKE 1854-1855. Tome xxr. — N« 1 REIMS, P. REGNIER, IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE ; BRISSART-BINET, LIBRAIRE DE L'ACADEMIE. Fevrier 1855. SOMA! A I HE DU NUA1ER0. Lecture de M. Maumene. — Hecherches sur les Lignites At Reims ou Cendres sulfureuses. Communication de M. Gainet. — Etude sur Platon. Lecture de M . Sevestre. — Un beau Souvenir, ou Ermitage et Tie de saint Walbert , 3" abbe de Luxeuil , par M. I'abbe Clerc , membre correspondanl de VAcademie de Reims. Lecture de M. Sevestre. — Les Annates du Bien , revue conlemporaine des actes qui honorent Vhumanite , par M. Delvincodrt , membre de Vlnslitul historique , de VAcademie Jmperiale de Reims , des Socieles acadimiques d' Arras , de Laon , etc., etc. Lecture de M. Maumenb. — Eccpirience pour determiner Vaction des Fluorures sur I'Economie animate. Lecture de M. Macmenb. — De la Transformation que le Sucre de canncs eprouve par faction de Veau pure et de sex applications. TRAVAUX DE L'ACADEMIE IMPERIALE DE REIMS. Vingfi et unleme Volume. TR1MESTRE 1854. — ler TRIMESTRE 1855. REIMS P. REGMER, IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE. BRISSART-BINET, LIBRAIRE DE L'ACADEMIE. HDCCGIT. LtGLISE DE REIMS Traduite par M. LEJEUNE, Professeur auLycee de la m6me Ville ; Deux Volumes in- 8°. Del'an919 a l'an 976, Avec une traduction nouvelle et des notes; suivie d'un Index pour l'Histoire de Reims et la Chronique, PAR FEU M. L'ABBE BANDEVILLE ; Un Volume m-8°. HISTOIRE DE RICHER en quatre livres, HISTOIRE DES GAULES, AU X™ SIECLE, Avec traduction, notes, tableaux genealogiques, Cartes geographiques et Fac simile du manuscrit de Richer, Par A. M. POINSIGNON, Docteur es-lettres ; Un Volume m-8°. TRAVAUX DE L'ACADMlE IMPfiRIALE DE REIMS. $>q*k TRAVAUX DE L'ACADEMIE IMPERIALS DE REIMS. Vingt et unieme Volume. 4e TR1MESTRE 1854. — ler TRIMESTRE 1855. REIMS P. REGNIER, IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE. BRISSART-B1NET, LIBRAIRE DE L'ACADEMIE. MDCCCLV. L ■ ■ i — ; ?* ed TRAVAUX DE L'ACADEMIE IMPERIALE DE REIMS. ANNEE 1854-1855. Tome xxi. — N° 1. Lecture de 51. Maumcirf. RECHERCHES SUR LES LIGNITES DE REIMS ou Cendres sulfureuses. On voit commencer pres de Reims, dans la monta- gue, ou, si Ton veut, dans les premiers anneauxd'une chaine de collines qui entourent le bassin de la Seine et se prolongenl jusqu'en Belgique et en Angleterre (1), un gisement de lignites , meles de sulfure de fer , doues de la faculte de s'enflammer spontanement a l'air. — Un amas de ces lignites ressemble bieulot a un tas de cendres sous lequel couverait le feu : soulevees brusquemenl , leurs paiticules forment auiant d'etincelles. et pour ces molifs on les nomme cendres sulfureuses. (\) Elio de Beaumont el Dufrenoy. XXI. 1 — 2 — Ces lignites sont employes par les cultivaleurs en guise d'engrais. Les cendriers les soumellent a un travail preliminaire , qui consiste a les diviser plu- sieurs fois dans Fair pour oxyder les sulfures el les converlir en sulfates. Celle oxydaiion produit une si grande chaleur que souvent le lignite prend feu, sans donner de flamme, el brule meme assez compietemenl pour se reduire a sa parlie minerale. — On apporte du soin a eviter eel incendie ; les cultivaleurs veulent une cendre noire ct non pas le produit plus oil moins colore en jaune on rouge d'oxyde de fer qui reste apres la combustion. lis attachent beaucoup d'importance a la conservation de la inatiere brun- noir, surtout parce qu'elle empeche le sulfate d'alu- mine de faire pate, parce qu'elle maintienl l'engrais sec, pulverulent, el propre a etre seme regulierement sur le sol. — Aucun d'eux n'atiribue d'influence speciale a celte substance brunc en elle-meme. Les cendres sulfureuses imbibees d'eau , comme elles le sont toujours au moment de I'exlraction , el vues de loin, paraissent noires a peu pres comme la bonille ; elles s'echauffent d'ailleurs si aisemenl jus- qu'au rouge qu'on ne pouvait manquer d'essayer leurs qualites comme combustible : mais on n'avait pas reussi a les bruler; on etait meme si bien convaincu de rimpossibilite de s'en servir pour le chauffage que je ne saurais dire toutes les protestations sou- levees contre la seule demande d'en faire I'essai. Les cendres ont ete Pobjet d'un examen attenlif de la part de M. Berthier. — On lit dans les Essais par la voie seche (1854) : « Lignite de Reims dit Cendres de Reims, graisse — 3 — » minerale , parce qn'on I'emploie commc engrais. » II est compacle, lendre el d'un brun de chocolat » clair. Par calcination il laisse un residu noir qui » pese 0,74 cl qui ne conticnt pas plus de 0,03 de » charbon. II s'incinere sans combustion apparente. » Les cendres conliennent du sable quarzeux. La » malierc combustible est soluble dans la polasse » causlique et se comportc commc ruimine. » Recemment, M. Bruckner a publie de nombreuses et interessanles experiences sur des lignites jaunes et bruns, qui ressemblenl, a que'ques egards, a ceux de Reims. Je rappellerai brievement les principanx. resultats oblenus par ce chimiste: — Par le frolte- ment , les lignites prennent le luisanl de la cire; ils brulent avec une flamme cclairanle. L'alcool, a 80°, enleve les matieres cereuses , qui se deposent en gelee par le refroidissement , et si Ton exprime la gelee , on separe une cau-mere brune dans laquelle se trouvent deux substances resineuses ; I'acetate de plomb separe un sel brun , forme par Tacide georeiinue crislallisable en petites aiguilles blan- ches et forme de C24 H2"2 Os- II resle en dissolution une resine C50 H40 Oe. Pendant que la liqueur est chaude, on precipite par Tacelate de plomb un sel forme par l'acide incristal- lisable geoceriquc, fondant a 82° et represente par £56 H56 O4 : e'est un corps gelalineux. II resle en dis- solution une cire neulre qui se prend en gele"e a la lemperalure ordinaire, et que I'auteur designe sous le nom de geocera'ine. Enfin la distillation donne de la geocerinone C110 Hi io O2. — li - Beaucou|> (Tautres personnes inslruites ont examine les cendrcs : aucune n'a fait cet examen avec une at- lenlion suffisante, et Ton ne lire aujourd'hui d'auire parli de ces ligniles que de les converlir, tant bien que mal, en sulfates pour servir d'engrais , comme je 1'ai dit (1). (I) La publication de mon Memoire par les comples-rendus de I'Acaderoie des sciences a produit une reclamation adressee a V Argus Soissonnais (voir !e nurnero du \G Novembre). Voici le passage principal extrait de la descriplion geologique du department de l'Aisne par M. le vicomte d'Arcbiac i^memoires de la Societe geologique de France, tome V, 2U partie , 7 De- cembre 18-40.) Cendriere de Bourg. Detail de la Coupe. 1 Diluvium. 2 Glaise grise. 3 Banc de braise, lignite homogene, sus-compacle, leger, brun noir, etc. 1! briile facilemenl et est employe comme la houille pour les foumeaux des chaudieres d'evaporation. 4, 5, 6 Banc de bjaise : moins bonne qualite. Les Memoires de la Societe geologique ne sont pas assez repandus el je n'avais pas connaissance de celle publication ; mais il est facile de voir, au reste, combien 1'emploi signale par M. d'Archiac laissait encore a desircr. Voici l'extrait d'une lettre ecrile de Bourg en Dccembre 1852 : La fabrique de Bourg a employe pendant tres-long- » lemps le lignite pour chauffage, parce que le charbon de terre » nous arrivait tres-difficilement et avec grands frais; aujourd'hui, » que le canal nous l'amene a une demi-lieue de la fabrique , il » y a beaucoup plus d'avanlage a employer le charbon de terre. » Deux hectolitres de houille ou charbon de terre de bonne » qualite peuvent reinplaccr dix hectolitres de lignite, encore » faut-il du bois pour l'allumer. Nous n'avons jamais pu arri- » ver a lebullition avec le lignite, et il fallait le double de J'ai fait I'elude de ces depots etje suis arrive a des consequences donl l'interet paraitra, je crois, conside- rable. Voici la premiere : Les lignites presentent , sur environ moiiie de leurepaisseur, un combustible qui pent etre employe dans les mines, sans aucunc preparation. — Ce combustible, pris sur les lieux, donne I'unile de cbaleur pour un prix qui pent etre onze fois moindre que celui de la bouille. On va voir aisement comment, Fanalyse conduit a cc resullat, dont la verification en grand est deja faite, je dois me hater de le dire. » temps pour l'evaporation des memes chaudiercs malgre que » les cheminees avaient huit pieds de hauteur Je pense » qu'il est impossible de chauffer tine chaudiere a vapeur avec le » lignite. » Comme je viens de le dire , on avail cssaye de bruler le lignite; mais on n'y etait pas parvenu. A Bourg, comme aux environs de Reims, on voulait bruler lout sans choix et, comme on le verra plus loin , les portions sulfureuses arrelaient la combus- tion des parlies plus pures. • A Reims, entre aulres objections, j'ai rencontre la suivanle : Dans la maison rneme oil j'ai fait marcher une machine de trenle chevaux pendant cinq heures, sans le moindre incon- venient dans le chauffage, et seutement avec un peu plus do peine pour le chauffeur, il s'est trouve une personue qui avail essaye de bruler le lignite et qui rit fort a mes depens, au simple enonce de ma pretention de conduire la machine. « M. Maumene ne reussira pas, disait cette personne ; et dans » quelques jours il faudra jeter toute cette terre dans la rue. » — Aujourd'hui , ce serail a moi de rire le dernier. Enfin , (et cette preuve du delaisscment du lignite sera peut- etre necessaire) , il n'y a pas une usine qui emploie le lignite meme depuis la publication de ce travail et malgre le prix consi- derable de la houilk* en cc moment. — 6 — Un premier examen des qualites physiques, fait dans un grand nombre de eendrieres, ne larde pas a mon- irer que l'apparence uniforme des couches esl on ne peut plus trompcuse. Dans une meme cendriere, sur une epaisseur de 5 metres, par exemple, il n'esl pas impossible de rencontrer plus de 300 couches vrai- ment dislinctes. — D'uu autre cole, deux cendrie- res eloignees de quelques kilometres, peuvent offrir aux yeux deux couches de memo epaisseur et de meme apparence et qui sont pourlant , on peut le dire, absolument differences. Cela tienl surlout a ce que ia matiere brunc, uhni- que, donne a peu pres la meme nuance a des lignites qui la renferment presque pure ou a des depots qui ne sont plus de verilables lignites el qui renfer- ment 90 pour 100 de sable ou d'argile, et seulemenl 10 de la substance ulmique. — Dans les deux cas, la couleur est la meme, surtout pour des matieres hu- mides. L'analyse fait ressortir bienlol les differences. En voici les principalis details : I. En genera! les lignites purs (j'appellerai ainsi ceux qui, a l'etat sec ne renferment pas plus de 15 a 20 p. 100 de residu mineral), sont impregnes dans le sol d'une grande quanlite d'eau. Desseches a 120°, Le lignite de Beru (1) a donne de 65 a 6o d'eau sur 100; Le lignite de Cormicy a donne de 62 a 64 , Les pseudo-lignites (ceux qui renferment de 21 a 95 (1) Voir la carlo. p. 100 de sable ou d'argile) , en donnent beaucoup moins ; La cendre de Mailly (cendriere parliculiere) a donno seulement 28 p. 100. II. Les ligniies seches a 120° donnenl, apres com- bustion, un residu mineral, une cendre proprement dite, dont le poids, toujours variable, montre claire- ment l'absence d'homogeneile des coucbes, soil verli- calement dans une meme cendriere, soit horizonlale- menl dans les cendrieres plus ou moins voisines : 1° Dans une meme cendriere, par exemple celle de Coulommes, on irouve 5 couches principales, ainsi disposees : A, (Voir la tig. Isur la carte), coucbe argileuse, riche en debris de coquilles et en pyrites tres-divisees ; B, lignite pur a la partie superieure duquel on trouve frequemment des lits horizontaux de gres quar- zenx fendille; C, coucbe argileuse noir -bleuatre (bleu des cendriers) ; D, lignite mele de beaucoup de pyrile divisee gene- ralement plus abondante a mesure de la profon- deur ; E, argile colorce en noir et Ires riche en pyrile divisee. Voici les resultats de 1'analyse pour les deux couches de lignite B et D: (il etait inutile, evidemment, d'etu- dicr les 3 couches A, C, E). Suivant une meme ligne vcrticale, la couche B, - 8 — d'environ 6 decimetres a ele analysee de decimetre en decimetre et a donne : N" 1 le plus rapp. de la surface du sol, ]5'4 0|0 cendre prop, dile. 2 en descendant, 14,8 — 5 — 12,8 — 4 — 16, » 5 — 13,0 — 6 — 16,3 — La couche D, un peu plus epaisse, a ele analysee sur 6 points egalement distants comme la precedenle el a donne: 1 en ha ul 18,6 cendre prop, dite -2 — 20,1 — 3 — 19,4 — 4 — 22,5 — 5 — 28,7 — 6 — 34,2 — Le meme resultat general s'oblient pour toutes les cendrieres examinees dans ce memoire ; il prouve, comme on pent le voir, au reste, a priori, que ces depots n'ont pas d'homogeneile ; leur formation par les eaux a tres evidemmenl eu lieu a un grand nombre de reprises ; les matieres minerales qui accompagnaienl les vegetaux et la substance ulmique variaient conli- nuellemenl de proportion et formaicnt des melanges irreguliers ou se relrouvaienl seulement, d'une ma- niere constanle, les elements de la pyrile ou les com- poses qui lui onl donne naissance. On arrive encore a la meme consequence en etu- diant la couche B dans plusieurs cendriores peu cloi- — 9 — gnees et dont I'apparence est a peu pies la meme. — Ainsi j'ai Irouve : Beru Malo 12, 1 /..('moyennede 3 — Trou d'enfer 14, 2 — 2 Cormicy 12, 1 - 2 iMailly commune 91, 4 — 2 — particulicre 87 3 — 2 Mery 20, 9 — 2 Onrezy Primault 29, * — 2 — Rion 31, 6 — 2 Pargny Guillot 16, 2 — 2 — Huet U, 7 — 6 Rosnay 17, 2 — 2 II. La nature ties residus ou cendres proprement diles dont je viens de parler est Ires variable. lis sont formes tanlot de sable, lantot d'argile avec un peu de chaux et des quantites variables d'oxyde de fer, qui relient presque toujours des traces d'acide sulfurique et quelquefois d'acide phosphoriquc. — Voici quel- ques resultats oblenus par une combustion dans l'oxi- gene pur (1). 100 de residu ou cendres proprement dites onl donne : Beru. Malo . . . — Trou d'enfer Cormicy Mery Pargny H. . . . Rosnay Si03 A1205 Fe20.-> CaO S03 PhOS 2 5 10 5 8 0 79 traces. traces. 3 0 9 0 9 4 78 6 traces. traces. 23 8 28 4 11 0 30 8 u 1 races. 40 1 25 3 18 0 16 6 » )> 42 9 27 1 17 3 12 7 » » 30 1 29 4 1G 6 23 9 i> traces. 100 100 100 100 100 100 (1) Je ne crois pas necessaire d'indiquer les precautions a prendre pour eviter les pertes. — 10 — Ces cendres fondent pariiellement quand on brule le lignite en grande masse dans les foyers d'usines : cela arrive au moins pour les lignites de Pargny, Mery, et Cormicy ; on le concoit sans peine; ils representent un silicate a plusieurs bases avec une forte proportion d'oxyde de fer. IV. On ne saurait deduire des analyses qui prece- dent la proportion de matiere idmique contenue dans ces lignites : car la cendre abandonnee dans I'oxigene ne represente pas le poids des parlies minerales du li- guite : ces parlies minerales sont profondement modi- fiers par la combustion : ainsi le soufre et l'acide sul- furique sont a peu pres completement enleves : le fer absorbe de I'oxigene, etc. — II fallait evaluer direc- tement le poids de cetle matiere ; on y parvienl au moyen des alcalis caustiques. M. Berlhier, comme je l'ai dit plus haut, a constate la solubilile de cette substance ulmique dans la po- tasse ; mes experiences m'ont conduit au meme resul- lat, seulement la solubilile n'est pas complete ; une portion de la matiere brune resisle a. des traitements multiplies et demeure insoluble. 40 gr. de lignite de Mery, soumis a 5 traitements par la potasse, laissent un residu forme de grains quarzeux, tout a fait blancs et un residu brun-fonce insoluble dans les acides et dans les alcalis , qui me parait idenlique avec le caramelin dont j'ai indique la formation par les matieres Ca (H 0)b, sous l'influence des chlorures(l). Au moins 1'analyse a-l-elle donne des (1) Voir les deux memoires (Hi 8 mars 1850 et du 17 aout 185-i. — 11 — nombres bien rapprocbes de ceux qui representent ce corps. Voici des details indispensables : Apres avoir epuise Taction de la polasse, qui est presque complete au deuxieme traitement, on lave le residu avec de l'eau acidulee, qui entraine le carbo- nate dechaux, puis avec de l'eau pure, el on faitsecber a 100°; on oblient ainsi le corps brun mele de sa- ble, d'un peu d'argile et d'oxyde de fer. L'analyse donne ensuite : Matiere, l. 18. — 81 — L'habitude de celle epoque , do (out reduire en dictionnaire , avail lepandu des connaissances fa- ciles, dans loules les classes de la sociele. Cliaque homme, ayant ainsi dans cliaque branche quelques notions superficielles , s'arrogeail le droit, de criti- quer loule chose (1). « Un habilant de paroisse » censurait amerement Instruction pastorale de son » eveque. Les fanlaisies de quelques espiils raison- » neurs el abuses rivalisaient dans les tribunaux » avec les lois elles-memes. Chaque cause qui fixait » I'alieniion , devait elre jugee dans le temple de la » justice, comme on I'avait jugee dans les salons. » Les ecrivains pbilosophes, etrangers a la legisla- tion, avaienl la pretention de reformer les lois. Leurs idees furenl mises en pratique , lorsque la Convention decrela la destruction entiere de I'ordre existent. Aux yeux des novateurs, loules les insti- tutions avaienl le tort de n'avoir pas ete concues ei etablies par eux. On meconnaissait les souvenirs historiques de la nation qu'on esperait refondre dans le moule forme par une vaine philosophie. On voit ainsi que les erreurs legislatives de la revolution ont leur source principale dans les so- pbismes d'une fausse dialeclique , et dans les speculations pour ainsi dire aeriennes d'une philo- sophie delirante. L'influence fatale qu'exerca plus lard I'esprit philosophique du xvnr siecle, n'avait pas echappe au genie observateur de l'abbe Dubos. II presageail les maux qui devaienl en resulter en ecrivant ces lignes prophetiques : « Je me » contenterai de dire que I'esprit philosophique qui (0 Esp- philus. da 18" siecle, par Por talis. XXI. 7 — 82 — » rend les homines >i raisonnables el pour ainsi dire » si consequents , fera bienlot d'une grande parlie » de l'Europe ce qu'en faisaient autrefois les Goths et les » Vandales, suppose qu'il continue a faire les raemes » progres qu'il a fails depuis soixanle-dix ans. Je vois » les arls necessaires negliges , les prejuges les plus » utiles a la societe s'abolir, les raisonnements » speculatifs preferes a la pratique. Nous nous con- » duisons sans egard pour I'experience, le meilleur » maitre qu'ait le genre humain , et nous avons » l'imprudence d'agir comme si nous etions la » premiere generation qui eiit su raisonner. Le b soin de la posterite esl pleinement neglige. Toutes » les depenscs que nos ancelres ont faites en ba- » timenls et mcubles seraienl perdues pour nous, » et nous ne trouverions plus dans la forel du » bois pour balir ni meme pour nous chauffer, s'ils b avaienl ele raisonnables de la maniere dont nous b le sommes.B Les lois qui ont ele faites sous l'empire de ces idees philosophiques , avaienl tons les defauts du sysleme qui les a fait nailre. Comment s'etonner encore que , lorsqtnl s'agissail de rediger sous la Convention un code des formalites jndiciaires , cc produit revolutionnaire ait ele entache de ces vices , resultat des theories absolues el hosliles a toute pratique anterieure? On remplace par de vaines speculations les sages lemons de I'experience. On nc veut que des verites el des maximes absolues, comme s'il y en avait de telles dans la politique et dans la legislation. On oublie que la paix et les autre s avanlages dont on jouissait jusqu'alors , etaient un bienfait des lois el des institutions memes que - 83 — les novateurs maudissaient , que des coulumcs qui s'enracinent dans une nation peuvenl elre changees doucement , mais qn'il ne fant pas les exlirper a coups de liaclie au risque de la faire perir. On oublie que I'homme n'est poinl un elre simple, mais tres-coniplique ; que les hommes sont regis par des habitudes plutot que par des raisonnements , et qu'il s'agit de leur donner non une metaphysique , mais des moeurs qui tiennenl au caractere d'un peuplc et aux passions ha-bituelles qui le font mou- voir. Or, les moeurs ne peuvenl se former que lenternent , dies ne, sont pas etablies, maisinspirees ; clles n'ont point un principe unique , mais une multitude de causes concourent a les produire. C'est done une bien grande imprudence de vouloir trop simplifier les ressorls de la societc et de couper tous les Ills qui, par leur nombrc et leur reunion, lienl les moeurs aux lois el les lois aux moeurs. On compromct la civilisation d'un peuple/ si sous prelexte de lui donner de meilleures institutions, on ne laissc rien subsisier de ce qui I'a civilise ; on le replonge dans la* barbarie, en Tisolant de toutes les choses qui Ten ont fait sorlir. La loi de procedure qui se lie imimement aux habitudes et aux traditions judiciaires d'une nation, ne devait pas convenir a l'csprit philosophique de 1'epoque. Pourquoi des formalilcs de justice , pourquoi un art si complique que la procedure ? pourquoi des coulumes , des usages, des formes, tout cela no saurait elre 1'essenliel , el le fait souvenl oublier ? Qu'on retranchc les procedures on les reduise a la seule comparution des parties devanl le juge pour expliquer leur differend et reccvoir la solution ! — 84 — Ce ful cette ulopie judiciaire qui seduisit les philosophies legislaleurs do la Convention et donna oaissance a la fameuse loi du 3 brumaire an n. Un pareil essai des novateurs suffit pour faire ressorlir a la fois le danger el la vanile de ces syslemes de simplificalion. Noire age esi devenu Hop fertile en artifices, la fraude a Irop de calculs , 1'erreur irop de sublilites , les aclions irop de variete pour qu'un petit nombre de regies embrasse lous les cas. La loi de procedure ne se plie pas a I'esprit gene- ralisatour des theories abstraites. Cetle manie des philosophes du xvme siecle de lout generalise!' sans tenir complc des fails, les rendailennemis des regies particulieres , des restrictions , des temperaments d'equile qui semblent faire un art de la raison m£me. Comrne on s'habiiuait a ne rien disiinguer , on finis- sail par ne rien connatlre. On voulait que les mceurs , le caraclere national, que tout enfin s'aplanit sous l'empire de quelque idee generale , et flechit devanl une abstraction. Les sophistes pour accreditor leurs idees usont de la meme violence qn'emploienl les tyrans pour execuler leurs volontes. lis ne transigent jamais. Perisse le monde plulot qu'un principe ! lis ne^lieenl on sacrifienl les individus au bien, a Tin- leret metapbysique de Pespece. Mais, comme ces abstractions n'ont aucune prise sur les hommes, elles ne peuvent pas prendre racine dans les faits. C'est ce qui arriva a la procedure informe , creee par la Convention. Le mat qu'elle avail fait aux jusliciables acc61era le retour de Fancien systeme. Pour combler le vide de la legislation revolutionnaire, on se conlenla de faire revivre un ordre de choses qui n'etait plus — 85 — en harmonic avec noire nouvelle organisation judi- ciaire (1). La triste experience ties innovations radicales avail laisse ties souvenirs encore trop recenls pour qu'on osat entrepreni're toutes les ameliorations utiles, lors de la redaction du Code de procedure. C'est ainsi que « les theories philosopliiques du xviiT siecle » toujours si abstraites et si absolues , en allaquant » la procedure elle-meme , ont fail obstacle a son » complet perfectionnemenl (2). » PART1E PREMIERE. Principes generaux et type de la procedure. Avant d'enlrer dans les questions de detail , posons d'abord les principes generaux qui forment, pour ainsi dire, la charpente de eel edifice legislalif, dont nous nous reservons un examen approibndi dans les divers tilres du code de procedure. La procedure civile repose sur des principes tres- simples , elle a pour but raccomplissemenl de la loi civile. C'esl par elle que le droit de chaenn, lequel ne peut lui 6lre enleve contre sa volonie, doit etre realise par l'applicalion des lois generales , et non (1) V. parlie historhiue. (2) V. Rapp. a l'Acad (Jos sciences inor. ot jiol., Seance pubL, 13.V2 .p. 16. — 86 - selon des opinions individuelles du juge (I) II ne suflirait pas sans aucun doule de lui prescrjre seu- lement qu'il ait a suivre les lois et non son arbilraire. Comment elre sur de la conformity de sa sentence avec les dispositions legales ? Le juge pourrait les violer ou volontairement, ou par ignorance. Quelles precautions le legislateur doil-il prendre pour ecarler ee danger ? D'abord il faut une bonne organisation judiciaire j ensuite etablir des regies de procedure qui rendenl sa marche simple , rapide et sure. CHAPITRE HI. ORGANISATION JUDICIAIRE. Section lie. A. — De la magistrature. Nous allons rechercher quels soul les principes dont il faut parlir pour garantir les parties contrc les abus des juges. I I. Les droits, disons-nous , peuvenl elre violes volontairement ; soil parce que le juge est soumis a 1'arbilraire des parties , soil a Pinverse , les parties (l) Si tes jugements etaient une opinion particuliere du juge, on viyrait dans la society sans savoir precisement les engage- ments qu'on y contracte. ( Montesquieu , 1. n, ch. 6.) — 87 — au bon plaisir ties juges. II fallail done les rendre independents les uns des aulres. Le juge sur lequel , dans I'exercice de ses fonctions, les passions d'aulrui peuveni inflner , qui, selon qu'il decide de lelle facon ou aulremenl , doit esperer ou craindre, n'esi plus un magistral independent. Sa place esl usurpee par tons ceux qui din'gent sa vo- lonle; l'usurpateur le plus terrible e'est le gouverne- menl, — il possede la puissance publique. Pour protege r le juge contre 1'influence des parlies , il i'allait done avant lout , en tant qu'il doit con- nailrc de leurs contestations , le mellre a I'abri de l'intervention des gouvernemenls. Car, alors toute crainte que pourrail lui inspirer une autre personne, quelle qu'elle soit , sera d'aulant plus siirement neu- tralised , qu'il esl evident que les represenlanls du pouvoir ne concederonl pas plus de puissance a aucun autre qu'ils n'en ont eux-memes , et par consequent une influence sur les acies du juge , influence qu'ils ne doivent avoir eux-memes. L'inamovibilile de la. magislralure realise cetle garanlie d'une bonne justice , elle assure I'indepcn- dance du juge contre les volonies des parties puissanles qui raeprisenl le freiii salulaire des lois. Ge rnotif vrai dans les Etats ou le monarque nomme les juges, ne Test pas moins dans ceux ou leur elec- tion est contiee 6 des assemblies populaires ou a des corps representatifs. Le juge dans la crainte de perdre sa place et pour assurer sa reelection ne pourrail-il point elre lente de ceder aux passions populaires ou a rinlluence des membres dirigeant le corps electoral , surtout qnand il s'agit d'un grand Eiat ou la valeur individuelle des candidats est plus — 88 — difficilement connue de ceux qui uomrnenl les ni.t- gistrats ? L'inamoMbilite de la raagistratnre est on don do la civilisation modorne, inconnu a I'antiquiie. Elle est un rempart essentiel , mais non pas le soul contre le despoM^me et Parbilraire. II fan! encore que les places de juges soient occupees par des ma- gistrals doues d'nne intelligence, d'nnc fermete, d'une science telles que les parlies , abstraction faite de lenr position , les cboisiraiont volontiers pour arbilres par le seul effel de la confiance qu'ils leur inspirent (1). Ainsi que le juge, non pas pour lui-meme, mais dans Pinleret d'une justice iroparliale , devait elre protege contre une destitution arbitraire; de meme il etait necessaire d'erupecher tout empietemenl sur sa foncliou dans les contestations donl i est saisi. Car au fond c'est bien la meme chose de se ser- vir d'un juge dependant comnie instrument d'une violation des droits, ou de meltre de cole cet (\) Le mole i'n noramer les juges est done dune grande im- portance. — lei se piescnte la question de savoir si le gouver- nemenl doit les ihoisir librei .sent , ou s'ils d-3i\eul etie nomines an moyen d'un concours. Malgre les objections serieuses qu'on fait, le dernier mode est generaleiaent reconnu preferable, mais la diflirtilte de son ajiplicatior! pratique, plus grande encore pour les degres superieurs que pour les places inlet'eures , des coiisideiahons po itiques (.'une haute gia/ite, le reudenl jusqu'a present ^realisable. D'ailleurs, Je soin que prend depuis long- temps le gouvernement francais de faire occuper les sieges de la justice par des homines aus^i houneies que capablcs fait ue la magUliaiuie de noire pays la preoiieie de l'Europe el ote a i'insliluliou du concours pour la nomination des juges jusqu'a present beaucoup. de son ulilile pratique. — 89 — instrument , el do permetlre de rendre la justice a des fonctionnaires qui n'offrent pas la garantie de Pindependance judicial re. Une des plus puissanles garanlies du ciloyen conlre I'injuslice consiste dans la iixile de ^organisation ju- diciaire et dans la certitude que I'adminislralion de la justice no sera jamais interrompue ni confiee a d'aulres personnes qu'aux magistrals. L'autorile ju- diciairc serait done mal organisee, si son action pouvait etre ou paralysee ou suspendue (A), ou meme detournee de son cours, pour etre livrce a des com- missions temporaires. Car la magis'rature cesscrait d'etre independanle el inviolable, et ces alteinles en ebranlanl la constitution meme de I'Elat compro- mellraient par suite el la liberie publique el la liberie civile. De la , anatheme sur toute justice de cabinet ouverle ou cachee. Avec la necessite de mellre !e juge a I'abri de toute influence des parlies, marche de front cclle de laisscr le moiiis de place possible a son propre de>potisme. Ce probleme d'oler tout arbitraire a celui qui ne doit dependre de porsonne, n'est pas plus facile ipie celui d'assigner des limitcs a ce qui doit etre illimile. La puissance judieiaire peut devenir !a plus dan- gjreuse dans I'Elat. Elle influe iraraediatemenl stir la vie interieure des families. C'esl elle qui dispose (t) Que! scandale, quel desordse, quel notable prejudice ne lesultaient pas autrefois en France ce 1'exil des Parte- menls? Le minislere de Louis xiv voulut les ronverser, it fnt vaincu : les Parleuients , mi moment abatius , se reieverent aux acclamations publiqiies, et les fentdraes doisl on avail garui leurs bancs disparurent. Fritot, Esprit du Droit, p, 407.) — 90 — de la propriele el do I'honneur de chaque ciloyen. La justice tienl son glaive suspendu sur la tele de chacun, tandis que les aulres puissances de l'Ela^ formidables et efficaces pour le lout , frappent moins les individus en parliculier. L'hisloire nous monlre que si le chef du pouvoir executif, relativemenl a I'exercice legal de ses fonc- lions, est soumis a I'autoriie judiciairc, celie derniere s'eleve a la premiere puissance de I'Etat , el devient meme, si son independance est atsuree, le deposi- laiie de la force publique : ainsi les Ephores a Sparte, I'ancien Juslicier en Aragm, pour peu de temps, il est vrai , le Senal conservaleur sous le Gonsulat. Le precepte general que le juge doit decider d'apres la loi et non arbitrairement n'est pas d'unc grande utilile , ainsi que nous l'avons deja remarque. Qui doit verifier, si la loi a ete ou non suivie par lui dans chaque cas pariiculier? Si le gouvcrnement n'a pas ce droit, et il ne doit point Tavoir , il n'exisle pas do conhole direct possible pour s'oppo- ser a I'arbilraire du juge. II fallaii done I'organiser d'une maniere indirecle. De la , les principes suivanls qui forment la base d'nne bonne organisation judi- ciairc. Le juge civil ne doit jamais inlervenir de lui-meme, mais agir seulemenl sur la reclamation do la partie. II n'a rien a faire lant qu'il n'a pas etc saisi par une demande; et meme alors il ne doil jamais sta- luer au dela. Point de demandcur , point de juge, point de jugeraent au dela de la demande. Cette maxime s'npplique dans loute la procedure civile et dans loule ses phases. Tonic aciivile judiciaire doil elre pour ainsi dire passive. — 91 — Ceci, il est vrai, met un frein a Farbiiraire clu juge, il ne peut agir Iui-m6me selon scs vues pri- vees ; mais il pourrait se faire I'instrument d'une injustice etrangere, en accueillant des conclusions illegales ou rejetant des demandes justes. — Ce danger est corabattu par la publicite de la proce- dure. Toutes les demandes doivent aussi etre l'objet d'une large critique muluelle des parlies. C'est cette critique qui doit deja d'avance frapper de reproba- tion les dispositions ullerieures d'un magistral qui voudrait consacrer des pretentions contraires au droit. Quel juge braverait le blame public au- quel I'exposerait une decision qui admettrail nne injustice prouvee aux yeux de t;tut le monde? Ne voudrait-il pas ecouler la voix de sa conscience , il ne Poserait pas par un sentiment de pudeur. Mais le legislaleur n'aurait pas loujours atteint son but, s'il s'etait fie uniquement a ce sentiment de pudeur du juge. Assure comme Test ce dernier contre tout controle d'en baul par son inamovibilite, il aurail pu abuser de sa puissance conlre les jus- liciables. La loi doit mellre une arme plus forte enlre les mains des parlies conlre son arbilraire. II depend d'elles d'arreter d'une parole I'aclivile du juge , dans les moments imporiants el deci. :is pour le resultat du proces; celle parole magique se nomme Appel. II doit avoir lieu pour toutes les decisions qui jugeni , ou meme selon les cas pre- jugent seulemeni le fond des coniestations. Toute la force el toute Pefficacile de cette institution reside dans l'effel devolutif el en principe suspcnsif qu'elle produil. Elie ote au premier magistral la connaissance de I'affaire , pour la donner a un aulre — 92 — qui, par sa position superieure , n'a aucun tnenagc- mem a prendre dans ['appreciation de la decision antcrieure. C'esl done nn poinl de viie hop elroit que de regarder I'appel seulement comme un moyen de soumettre le litige a des juges plus eclaires. II est, en meme temps, un rempart contre I'arbitraire du magistrat qui sacrifierail les droits des parlies. — L'appel produil en outre par son institution seule eel effet salutaire de piquer I'honneur des premiers juges a bien examiner les affaires , a bien moliver leurs decisions , pour qu'elles ne soient pas reformees par la juridiction superieure. II conlribne ainsi forlement a diminuer le nombre des jugemenls qui devraient etre frappes d'appel. Mais quelle garantie, la loi doil-elle donner contre le juge en dernier ressorl qui peul reformer ou confirmer a son gre ? — Contre celle possibility Tinsiitulion de plusieurs magistrals formant un col- lege dans les tribunaux d'appel est un moyen efficace. Certcs, l'elevation a une fonction n'aneanlit pas les passions qui fermentent dans le cceur de l'liomme, mais elle peul creer un caractere public qui saura les dompter, si la mission est confiee non pas a un individu , mais a une personne morale. Cbaque membre a alors un interet double et comme individu, et comme appartenant a une corporation. Plus les avantages dont jouisseni les memlrcs d'une personne morale serotit grands, plus I'interet du corps sera efficace, plus il combattra avec ener- gie les vues personnelles. II est impossible que les membres d'un college de juges reunis ensemble, puissenl avoir un autre interet que de s'atlirer la — 93 - consideration publique, par une justice egale , inlegre qui met de cole loules vues privees. Les individus pourraient dans chaque affaire etre porles a decider arbitrairement ; mais com me il n'esl pas facile que les opinions de lous , fondees sur le caprice , se renconirenl au meme point, I'un empechera I'autre de faire valoir la sienne. L'interet du college entier reprimera les vues personnelles de chacun. Tous les membres seront d'accord pour elever le carac- tere de leurs fonclions , par une justice imparliale et independante. Rien n'esl done plus dangereux que de permeilre a un seul individu de decider en dernier ressorl. Ce double examen doit constituer une garanlie suffi- sante pour la verification du fait. Mais il y a dans les appreciations du juge une mission plus delicate , e'est cclle d'appliquer la loi, c'esl-a-dire le droit au fait. Le tribunal, lorsqu'il rendun jugemeni, etabliiune loi pour les parties, subordonnee a la loi generate. La sentence judiciaire , pour qu'elle soil bonne, doit done avoir dans une certaine proportion les caracleres de la loi generale. Celle-ci fie peut produire uu effet vraiment heureux que quand elle est basee sur les fails usites cbez une nation, el manifestos par la volonle commune. Si le legislateur est place dans une sphere a les observer de sang-froid , il fera de bonnes lois, elles seront mauvaises el ab iralo , lorsqu'il ne consultera que des fails isoles dans l'interet d'un parii , ou que les passions , qui le melent a la lulle , obscurciront sa raison qui devrait elre calme. — Le juge assistant aux debals ar- denls des plaideurs se laissera quelquefois domiuer par le fail. S'atlachant Hop a l'interet particulier , — 9Zt — il meconnaiira l'expression de l'interet general , la |0i. — La cour de cassation intervient alors pour forcer les aulres Iribuoaux a juger selon les lois. Elle n'a oucune prise sur le fait qu'elle ne doit pas verifier , et , par cetle raison, elle est mieux a meme de voir si la loi a ete bien ou mal appliquee. Elle aneantit loule sentence judiciaire, fondee sur la vio- lation des dispositions legales , el donne ainsi one grande surele aux parties contre Farbitraire des juges. Enfin , une bonne precaution a prendre contre la parlialile des magistrals , ce serait d'ajouter a noire serment la clause inlroduite dans celui des juges d'Angleterre de non audiendo cxtrajiidicialiter . 11 faut fermer la porte secrete de la corruption. On ne va pas dire en public a un juge : donnez-moi gain de cause et je mettrai tel prix a ce service. On com- mence par capler sa bienveillance, puis on se met a sonder le terrain. Mais , si loule conference entre le juge et les parlies on les amis des parlies consti- luait une violation de son serment , celui qui oserail le faire, metiraif sa reputation a la merci du solliciteur. En France les magistrals ne se refusent pas, en general, a recevoir les visites des plaideurs. Cet usage s'est maintenu depuis la creation du nouvel ordre judiciaire. Ce sonl , dit-on , de simples formalites de bienseance, et, en effet, la reputation des juges est inlacte sons le rapport de la corruption pecuniaire ; mais, n'y a-l-il que ce moyen de seduction? « Quel- » que tour qu'on donne a la cbose, dil Rousseau (1), » ou celui qui sollicite un juge l'exliorle a rcmplir son (1) Lettre a d'Alembert. — 95 - » devoir, el alors il lui fait unc insulte, oil il lui » propose une acceplion des personnes , et alors il » veut le scduire ; puisque toute acceplion des » personnes est un crime dans un juge qui doit » connailre I'affaire el non les parties, et ne voir » que l'ordre et la loi. » Tels sonl les moyens que le legislateur doit em- ployer , pour empecher les injustices par volonle inique des rnagislrats. § II. Les droits peuvent aussi , avons-nous dit , etre violes par la negligence, I'inaplitude ou l'ignorance des juges. Quelles precautions le legislateur a-l-il prises contre ces obstacles a ce que bonne justice soil rendue ? A eel egard nous devons rappeler que les institutions qui combaltent la mauvaise volonte d6s magistrats conlribuent aussi puissamment a diminuer les erreurs qu'ils peuvenl commelire. La publiciledes debals judiciaires qui impose aux juges malveillants, servira aussi a inslruire "les faibles de I'espril de la loi el de son application aux fails. Cetle reunion de plusieurs magistrals qui neutralise el aneanlit leur arbilraire , aura a la fois ce resultal beureux d'eclairer les moins capables , pour que leurs voles viennent consacrer le bon droit. La question de savoir comment on choisira les juges revienl ici avec une importance peul-elre plus grande encore , que lorsque nous Irai- lions de leur independance. Nous renvoyons nos lecieurs sur ce point a ce que nous avons dit pre- cedemmenl. Nous n'avons qu'une seule observation a ajouler , c'esl que le gouvernement devrait exiger — 96 — au lieu ilu tilre de liceneie celui de docteur, de ceux qui ve.ulent enlrer dans la raagistrature. II n'est plus dans les habitudes de nos premiers presidents et procureurs generaux d'examiner les candidats eux- memcs et de leur dire s'ils sonl incapables , conime autrefois le grand cliancelier Lamoignon , « failfts relirer efes grands anes. » On devrait , faute de micux, laeher d'y suppleer par celle presomption d'un savoir plus grand que donne au moins le tilre de docleur. Ceux qui sont charges d'appliquer la loi, doivent I'a- voir eiudiee davanlage. Qu'on ne craigue pas de manquer d'aspiranls qui sonl trop nombreux anjour- d'hui , el pour ce motif seul le grade de plus qui en exclurait les moins capables, serail un bienfail. L'obligation de moliver les jugements est encore un moyen de surele conire la legerelc ou 1'incapa- cile du juge. Elle force a examiner el a approfondir la contestation sous loutes ses faces, el comme un auteur (1) l'a fail remarquer , plus d'une fois le juge est revenu d"une premiere opinion , par I'impossibilile de motiver sainement le jugement qui devait en eire le resullal , c'est uoe maniere de verifier si la decision est bonne ou mauvaise. L'obligation pour les juges de motiver publi- quemenl leurs voles , ainsi que cela exislait dans la loi de brumaire an u, a ele proposee par des publicistes distingues conime moyen d'aslreindre les negligeuts a elre allenlifs , et d'ecarier les in- capables qu'il fait connaiire. De plus on ne pent nier que le vote public serail en harmonic avec noire systeme de publicise de la procedure, systeme , (1) Hkllot , C. de procedure de Geneve. — 97 — il esl vrai , que nos legislateurs n'oni pas loujours suivi. Mais nous croyons que ces avantages soni bien petils a cole des inconveuienls Evidemment ou n'ira pas jusqu'a vouloif que les deliberations des magistrals se fassent publiquement. Les dis- cussions vives auxquelles les debats donneni lieu dans ceriains cas porleraient atteinte a la dignite de la justice. Que ferail alors le juge fajble ou distrait ? II repeterait en public quelques motifs que d'autres auronl donnes a la cbambre du conseil. II nejngerait que par les aulres, et pnsserait pour capable aux yeux de ceux qui I'ecoulent ; souvent ainsi le remede ne ferail qu'aggraver le mal. Quelquetois aussi cetle uecessite de motiver en public ferail naitre dans les juges l'ambition de briller par la forme, pluiol que de s'allacher aux raisons solides. Pour eblouir I'audt- toire ils prepareront ieurs motifs d'avance et y liendroni au detriment de la bonne justice , parce qu'ils voudront jouir de I'effel que produira leur |)eiit discours, alia de satisfaire leur amour-propre. D'aulres, au conlraire, d'un caractere timide mais d'un merile reel, inspirefont de la defiance a leurs jusliciables , parce qu'ils manqueronl de ceite faci- lite d'elocution. Enfin , une decision a une seule voix de majorite ne produit-elle pas un effet penible sur la parlie qui le sail ? Elle lui laissera loujours un sentiment de defiance sur I'incertitude de la justice , et meme de baine contre le juge qui lui a fail perdre son proces. Ne serait-il pas a craindre aussi que des magistrals, oublieux de leurs devoirs, u'emissenl quelquel'ois des votes de complaisance , landis que des juges iniegres s'exposeraienl a la ran- cune des plaideurs pour leurs opinions impartiales? xxi. 8 - 98 — Avec le vote secret ce danger n'existe qu'a un degre bien moindre. Nous concevrions tout au plus cetle maniere de voter dans un Etal ou les juges sont nommes par I'election populnire (1). Elle serait un moyen d'e- clairer les electeurs dans leur choix , mais elle aurait de tres-grands inconvenients dans noire organisation judiciaire actuelle. II est constant qu'on connail parfai- lement la capacite des juges apres quelque temps d'exercice, par leurs voles a la chambre du conseil et par leurs rapports forces avec les avoues el les avocats, sans que le vote public soit necessaire. L'expose de ces principes fondamenlaux nous montre, combien l'organisation de la magistrature est imporlanle pour la bonne administration de la justice. II nous a donn6 la conviction profonde que celle de la France dans presque lous ses rouages en est une saine application. — Nous n'aurions qu'a critiquer le droit des juges de paix de decider , quoi- que magistrals uniques el exceplionnels , certaines causes, en dernier ressort , sans aucun controle. Nous verrons plus lard si la pratique exigeait celle derogation aux principes gencraux , lorsque nous traiterons la question de I'exiension ou de la reslriction de l'appel. (1) Royer- T.oli.ard , Inlioil. — Lettves sur la .Chanc. d'Angl. — Cetle publicite exislo dans l'Ameritiue dn Noid el en Anglelerre. V. !es reports qui conticnnent les voles des tiibnnanx. — 99 - Section II. Organisation de la defense en justice. Une classe secoodaire de ministres de la justice non moins indispensables que celle des juges, qui a loujours marche parallelement avec elle , sont ceux a qui est contiee la mission tie diriger et d'inslruire les proces, de representer el de defendre les parties, quelle que soil la denomination sous laquelle on les designe : avocal, avoue , etc. Si I'inegalile des forces dans 1'etat nalurel empe- che les faibles de faire valoir leurs droits , et que 1'institulion de la justice sociale provienne de ce besoin des hommes de les realiser, a plus forte raison I'etat civilise doit-il organiser la justice de maniere que I'inegalile naturelle des forces in- tellectuelles prejudicie le moins possible aux parties, dans leurs contestations devant les iribunaux. En effet, si les plaideurs elaient obliges de paraitre en personne devant la justice, d'inslruire eux memes leurs proces sans guide el sans conseil , qu'en resul- lerait-il ? Bien loin de placer ses raisons dans le meilleur jour , I'homme ignorant et qui n'a pas la connaissance du barreau concevrait a peine lui-meme quel est le point le plus fort de son droit, el la confusion de son langage viendrail encore augmenler la confusion de ses idees. Quel avantage n'aurait pas un adversaire habile sur un pared novice, et quelle prise ne donnerait-il pas par ses faules ? Le timide, le maladroit soutieiidraient une lutte inegale contre l'habile el l'audacieux. Tel a ([ui la nature a refuse le don d'une elocution facile .aura de la peine h — 100 — donner aux juges une noiion claire de sa cause ; son adversaire, au contraire, doue du talent de la parole convaincra facilemeut le tribunal. Tandis que riiomme prudent et verse dans les affaires pesera loutes ses expressions , enveloppera d'une cerlaine obscurile les declarations nuisibles qu'il est oblige de (aire, la partie irreflecbie et sans experience se trahira elle-meme el se fera tort par ses propos inconsideres. Ce ne sera pas le bon droit qui triom- phera , ce sera I'intelligence el le talent qui I'empor- leront sur lui. Pour combatlre cetie in6galite des forces intellec- tuelles enire les parties , le legislateur doit leur permetlre de choisir des conseils, des guides, des defenseurs qui soient charges d'examiner el d'apprecier leurs pretentions el leurs droits ; s'ils les trouvent fondes , de formuler leur demande, de les assister dans la recherche et I'exposition des preuves, de rediger par ecrit et de developper oralemenl les fails de la cause , les moyens de droit qu'elle pre- sente ; le jugemenl une fois rendu , de les diriger, s'il leur est favorable dans son execution; et s'd leur est contraire, dans les voies de recours que leur offrent les lois. Celui qui occupe le premier siege de la justice, le juge , dira-t-on , doit , en cette occasion comme en toule autre, icmplir pour les deux parties, la fonction de defenseur, el suppleer a ce qui manque a I'une ou a l'aulre. Mais , pour exercer ce prolecloral il y a deux conditions necessaires , une connaissance entiere de tout ce qui concerne la cause , et un zele suflisant pour en lirer le meilleur parti. De la part du juge on — 101 — in" peul ni esperer le meme degre d'information sur chaque affoire, ni Ic meme interet on faveur de chaque parlie. Supprimez les defenscurs, nn injusle agresseiir auraii souvent deux avanlages d'une nature oppres- sive : celni d'un esprit fort sur un esprit faible et celui d'nn rang eleve sur une condition inferieure. Dans une cause de nature douteuse on complexe , a inoins de supposer fles juges inaccessibles aux fai- hlesses humaines , ces deux avanlages pourraient etre trop dangereux pour la justice, et m£me clans le cas d'une parl'aile impartiable , ils laisseraient le juge expose a des soupcons odieux. — Le> defensenrs retablissent I'egalite entre les parties plaidantes. La rivalite meme qui existe en! re eux leur fait deployer dans chaque occasion, quel que soil leur client, ri- che ou pauvre , petit on grand, Hlustre on obscur , toule la force de talent qu'ils possedenl et qn'ils ne peuvent negliger sans se nuireaeux-memes. L'honneur el l'inleret sont ici anxiliaires dn devoir Gette mission ne pourrait etre remplie que par des hommes inslruits, verses dans la pratique des affaires, unissant 6 la connaissance approfondie des lois civiles et de procedure, an talent d'une redaction precise et d'une parole facile, un sentiment d'honneur et de probite qui leur fera refuser leur ministere a des proces qu'ils croient injutes , el dedaigner I'em- ploi de tons les artifices el moyens contraircs a la verite qui pourraient iromper la religion du juge. Si telles sont les qualites exigees dans celui qui doit defendre avec honneur les intereis des parlies, fallait-il laisser cet'e carriere ouverle a lous ceux qui voudraient v enlrer. — L'essai d'une liberie illimilee — 102 — a ele fail en France sous la Convention. Cetie assemblee avail supprime dans un acces ou plutot dans un delire de perfeclionnemcnl la procedure el les avoues; on senlil un vide extraordinaire. Les membres honorables du barreau l'avaient deserle dans ces jours de deuil et de terreur. II fill envahi par des praliciens ignorants et sans honneur qui , aftranchis de toule responsabilile eommeitaient les exces les plus criants de cupidile el de 1'raude. Cetie experience malbeureuse pendant sept annees prouvait suflisam- menl qu'on ne pouvait laisser le choix de I'homme de loi a I'appieciation des clients qui ne sont pas generalement a merae de juger son aptitude. Les interets si graves qui leur sont confies, imposent a l'Eial le devoir de prevenir le danger des abus, par les garanties qu'il exige de ceux qui se vouenl a leur defense. Ainsi que pour les raedecins, les lois onl regie les etudes et les epreuves qu'ils doivent subir pour exercer leur profession , il fallait dans Pinteret des justiciables exiger de ceux qui veulenl se destiuer a la mission si honorable de defenseurs , des garanties de leur aptitude. Si par ('incapacity de I'un , noire same, noire vie peuvenl eire en danger, par Tinliabilele de Paulre nos biens , noire etai , noire honneur plus cher que la vie peuvenl elre compromis ; la gravile des incon- veuienls resultant de i'ignoraoce du rnddecin ou de rhomme de loi impose done aux legislaleurs I'obliga- lion de donner au public des garanties de leur capacite. Le legislateur doit eviier de lomber dans I'exces con l r aire de prevoyance conlre les abus du barreau , — 103 — en supprimant entierement la liberie de la profession d'avocat. G'esi ce qui arriva a Frederic II , roi de Prusse. II inlerdil aux parlies d'employer a leur choix des avocals salaries , el y substitua des conseillers ou mandalaires legaux, payes par le tresor public el qui devaienl servir graluilemenl les parliculiers. Qu'en resulla-t-il ? Ces defenseurs etaient dans la dependance du gouvernement. Le roi disciplinail le barreau comme I'armee. Pour les parlies celle pro- hibition de choisir leur avocat elail inuiile ou dange- reuse pour leurs inierels : inuiile, quand elles avaieni conliance dans le defenseur assigne par I'Etal , dan- gereuse , quand elles s'en mefiaient. Ajoulez a cela que la procedure elait secrete. Le client se senlait ainsi tout-a-lait a la merci de son avocat qui pouvait impunement negliger sa cause , puisque sa recom- pense elail independanle tie ses efforts. La publicile des debats ne serail meme qu'un remede insufiisant conlre le defaul d'inierei des defenseurs ofliciels. Jamais un avocal pensionne par le gouvcrnemenl n'emploiera le zele el le talent d'un avocat paye par les parlies. L'un fera ju le son devoir pour ne pas perdre sa place , ni encourir le blame du gouverne- ment; I'aulre, anime par le double aiguillon de la crainte et de resperauce, ne s'entlormira point sur ses succes, el cberchera toujours a se surpasser. Le devoir, quand il agil seul , peul metlre en ceuvre les facultes qui existent deja , il u'appartienl qu'au feu de I'emu- lation de faire eclore de nouveaux ialenis. II faul pourlanl reconnaitre que le but de celle insliiution des mandalaires legaux elail louable, mais le moyen mal cboisi. On voulaii detruire la chicane en oianl aux avo- — lOi — e;ils (out inleret a la prolongation des proces, el Ton compromettait la defense des inlerets legitimes. II eut mieux valu faire Ies lois de procedure de telle sorle que Ies avocats n'eussent pu Ies rendre mauvaises. II faut deracinrr le mal pour obienir une guerison complete. Atlaqner Ies effets et laissrr sub- sisler Ies causes, c'est prendre la chose a rebours. Tout en rejelanl In creation de defcnseurs offi- ciels, payes par i'Etal, nous n'admetlons point 1'exercice illimite de la fonction d'avocat. Le legislaleur doit exiger des garanties de capacile de ceux qui veufent se cousacrer a celte carriere. Ces garanties me paraissent , on ne peut mieux, resumees dans le passage suivanl emprunte an rap- port fait an conseil represenlalif de Geneve, par le professeur Bellot (1). « Independammeul d'une educa- » lion letlree , dil-il, que suppose toute carriere v liberale , elles nous sembient etre au nombre de » cinq : » 1° Des eludes speciales sur Ies diverses bran- » dies du droit pendant un certain nombre d'annees , » el des epreuves assez severes et variees pour » justifier que Ies principes de la science, que Ies » lextes et Ies motifs des lois sonl familiers aux » candidal?. » 2° Un stage pour unir la pratique a la theorie » du droit , pour s'exereer a Implication des lois , » pour acquerir I'habitude des formes de proceder » du barreau. » 3° Hue libre concurrence, aucune restriction de '!) Taii.landier , l)u Code de procedure de Geneye , p. 508. — 105 — n n ombre , I'adniissioD de lous aux qui juslilieronl » des condiiions do capacite requises. » 4° Une rcsponsabilite non partagee, morale ou » civile suivant la distinction des cas qui pese toule » sur celui auquel le client avail confie ses inlerets. » 5° line organisation du barreau qui etablisse i eutre ses membres une solidarite d'bonneur. d La loi franchise est bien loin d'avoir realise ces garanties clans sou organisation des avoues el des a vocals. II suffil pour cxercer la profession d'avocal d'elre recu licencie en droit , de s'elre fail inscrire au ta- bleau des stagiaires , el de frequenter quelquefois les audiences pendant les trois annees de stage. Qu'y a- l-il dans lout cela d'epreuves serieuses , si ce ue sont les examens passes pour oblenir le diplome de licencie? Mais il est bien reconnu de lout le monde que le litre de licencie ne suffii pas , pour mellre uu jeune homme a meme de bien instruire et plaider une cause, que sorti des bancs de I'ecole a peine sail-on assez pour pouvoir eludier soi-mdme sans professeur. II faudrait, avant qu'iis pussent plaider au civil, im poser aux jeunea gens I obligation d'avoir travaille deux aus cbez un avocal qui se trouve pour le moins au tableau depuis cinq annees, et ensuite de passer un examen devanl une commission composee de magistrals de la com d'appel ou le slagiaire voudrait exercer, du ba- tonnier des avocats a la m6me cour et de deux mem- bres du conseil de I'ordre. Dans ce jury d'admission le nombre des avocats examinaleurs ne devrait ja- mais depasser le tiers des membres presents, pour que les decisions ne pussent elre suspeciees de defaveur a regard des candidals , dans le but de diminuer la concurrence. — 106 — Quani aux avoues la loi leur impose settlement 1'obligation de suivre le cours de procedure civile et criminelle , et pour toute preuve de capacile 1'aiteslation d'avoir subi sur cet unique cours l'exa- raen requis. II est vrai que dans plusieurs grandes villes, nolammenl a Paris, la chambre svndicale ne recoil dans la compagnie des avoues que des licencies qui doivent en outre produire un cerlilicat de stage de quelques annees dans une etude. Ce cerlificat souvent de complaisance peul meme etre donne par le lilulaire donl on a achele la charge. Malgre cetle absence presque complete de garan- ties legales pour constaler I'apiiuide el la capacile des avoues, la loi leur a accorde des privileges tres- elendus. Les circonslances poliliques , la fiscalile dans un inieret eiranger aux justiciables , out fail des offices judiciaires des charges venales, un objel de privilege et de monopole. Ce fut la loi du 27 venlose an vm (18 mars 1800) qui relablil ces mandaiaires legaux , connus auirefois sous le nom de procureurs, aujourd'hui sous celui d'avoues. Le droit exclusif de postuler et de prendre des conclusions fut accorde aux avoues, sous la seule garantie fiscale du caulionnement , sans autre condi- tion de capacile, jusqu'a la loi du 22 vcntose an xn relative aux ecolesde droit. Celle-ci exige, comme nous I'avons d't, pour les avoues un cerlilicat de capacile et pour les avocals le diplome de licencie ou de docteur en droit. Les avoues licencies pouvaieDt meme plaider concurremmenl avec les avocats les affaires dans les- quelles ils occupaient (1). Cetle loi de venlose est (1) V. Ics changements introduits par l'ordonnance de 2822. — 107 — confirmee, et ses principes dev.ele.ppes dans les de- crets imperiaux du 14 decembre el 2 juillet 1812; le premier decrel regla les conditions pour l'exercice de la profession d'avocat, et le second etendit meme la faculte de plaider aux avoues non-licencies des cours d'appel el des iribunaux de premiere instance seam aux chefs-lieux de departement dans les causes sommaires ou relatives a la procedure , et aux avoues des autre* tribunaux celle de plaider dans loule espece de cause dans lesquelles ils occupe- raient , a moins qu'il ne s'y format des colleges d'avocals. II resulte de ces lois que la postulation, c'est-a- dire le droit de representer les parties, de laire les acles de procedure, de prendre des conclusions , ap- partenait seul aux avoues. Toule concurrence avec eux etait severement defendue aux avocats. Le decret de 1810 contient meme des dispositions penales contre ceux qui s'immisceraienl dans leurs fonctions el les troubleraient dans celle jouissance exclusive. Leur minislere est force, les parlies ne peuvent s'y sous- traire. Leur nombre aussi est determine el, en fait, limiie. Ainsi il y a en leur faveur privilege, mono- pole et necessile de se servir de leur ministere, pour obtenir justice. Dans tous les tribunaux non exceplionnels nous rencontrons des avoues auxquels sonl devolues les fonctions speciales d'instruire la procedure, d'en di- nger les actes, de surveiller la marche des proces el de representer les encberisseurs aux ventes judiciaires. Dans les grandes villes il y a, a cole d'eux, des avocals auxquels est confiee la defense orale, tandis que dans presque tous les chefs-lieux d'arrondissement les avoues plaidenl eux-memes. — 108 — L'organisation acluellc de l'assistance judiciaire des parties presente done ces irois difficulles qui sonl des questions vitales de la procedure. 1° Le ministere des avoues doit-il etre force d?ns tous les proces civils devant les iribuoaux ordinaires? 2° Le nombre des avoues doit-il etre limite? 3° Est-il necessaire, comme cela a lieu dans les villes d'une certaine importance, de diviser celte de- fense des plaideurs enlre deux agents differenls ? Au point de vue philosopbique , si la legislation etait a creer, nous repondrions aux Irois questions que nous venons de poser par la negative. En effet avec une procedure or;de et simplified dans ses formes le ministere des avoues n'aurail plus cette importance, el la plaidoirie jouerait le role principal dans la plu- part des contestations. Les parlies auraient done pi u tot besoin d'un avocai qui, apres les avoir eclairees sur lears inlerels, apres avoir reduit la cause a ce qu'elle doit etre, la presenterait au tribunal d'une maniere in- telligible. La loi actuelle n'impose pas aux plaideurs le minis- tere de I'avocat, ils sont loujours libres de se defendre eux-memes, a moins que le tribunal n'ordonne le contraire, et je crois qu'il serait bien dur de les forcer, aujourd'bui (|ue I'instruclion et les lumieres sont ge- neralement repandues , que nos lois sont claires, a recourir aux intermediaires qui leur coutent des hono- raires, dans les affaires de pen d'imporlance. Le ministere de l'liomme de loi ne devrail done en principe eire force que dans les causes compliquees. La solution negative que nous donnons aux deux aulres questions, cellos relatives au monopole des avoues el au parlage d'atlribulion, fail enlr'eux et — 100 — les avocals, s'appuie egalement sur des raisons in- contestables. Si la simplification de la procedure, I'abaissement du larifpeuvenl amoindrir les causes facheuses du monopole, ils ne sauraient avoir pour effel de les delruire entierement. Cos consequences seronl tou- jours lelles , que I'experience dans lous les temps ct dans toutes les carrieres nous les inontre, resultant de lelablissement du privilege, du defaut de concur- rence. Nous ne pouvons mieux caracleriser les dangers du monopole qu'en cilanl les paroles du minislrc de Louis xvi. Turgot disait aux defenseurs des corpo- rations : « Prenez toutes sorles de precautions, pour » que chacun remplisse les devoirs de son elat, mais » laissez cliacun employer ses facultes. Ne fixez pas » le nombre des sujets qu'il doit y avoir dans les » professions utiles, ou fixez en meme temps le » nombre des enfanls qui doivenl nailre. Les mailrises » ne supposent ni la capacile, ni la droilure, et » elks perpeiuent l'ignorance. b Dans le preambule de l'edit de fevrier 1776 qui supprimait les corporations , le m6me ministre mit ces paroles energiques atlachees au frontispice d'une loi : « Lenteurs, infidelites, exactions, regime ar- » bitraire et inleresse, voila ce qu'il y a au fond » des monopoles. Le droit de travailler n'est pas un » droit royal; Dieu , en rendant le travail necessaire » a I'homme, a fait de travailler la propriete de » tous et la plus imprescriptible de toutes. » II n'est pas douteux que le privilege n'ecarle ou n'ajourne l'emploi d'hommes capables. II sacrifie leur avenir, leur fortune a quelques families de — MO — titulaires et s'oppose a ce qu'ils se fassent con- nailre. II cree et favorise la mediocrile, le Machement, la negligence par 1'absence de eel interel e( de celie emulation que provoque et qu'enlretient le concours de rivaux jeunes, aclifs, habiles qui, pour percor, ont besoin de se dislingner par leurs lumieres , par leur regularile et leur zele. Le privilege confisque en faveur de quelques personnes l'exercice d'une profession , el depouille les autres du droit de choisir el d'exercer libre- ment cette induslrie. II est done une violation d'une des liberies les plus essentielles et les plus precieuses d'un peuple ; il empeche les homraes , quelles que soient leurs capacites , leurs aptitudes reconnues , de gagner honorablement leur vie , en exer?ani un etat de leur choix. II est on6reux a la sociele ; I'immense interel de tous est froidement immole a celui de quelques tins, parce que ceux qui ont besoin du ministere des monopoleurs se trouvent Irop restreinls dans leur choix. lis ne peuvent compter sur le meme zele , sur les memes lumieres, ni obtenir les memes su- reles que leur offriraient une libre concurrence et une honorable emulation. « Pendant que quelques » uns des possesseurs du monopole , dit Jean de » "Wit (1), se livrent a des operations demesurees , » en vue de se remplir promptement du prix de » leurs charges , d'aulres en revanche s'abandonnenl » a loute la mollesse et a toutes les dissipations » que permet l'accumulalion de leurs gros benefices. » Le gain assure des corps de metiers les rend in- (1) De ses Memoires, Chap. X, 1" j-.age. — Ill — » dolents et paresseux , pendant qu'il exclul les gens o surs et habiles. » Loin de moi la peusee de faire la guerre aux avoues, ma critique ne porle que sur les institutions el non sur les hommes. Toutefois nous ne pouvons admeltre, sans irahir la verite, qu'eux seals aient echappe anx influences et consequences nalurelles, inevitables, uniformes jusqu'a ce jour de tout exer- cice de privilege. Mais la faute en est aux lois qui devraienl pre- venir les abus, au lieu de les autoriser et les prescrire, et ne devraienl jamais faire naitre des lenlalions dans les cceurs honnetes. Enfin le partage d'une cause enlre deux officiers judiciaires, charges I'un des formes, de I'inlroduclion, et I'autre du fond, de la plaidoirie, n'est pas plus rationnel que le monopole. Pour peu qu'on soirfamilier avec la procedure, on sait combien il est important que la meme direc- tion soil donnee a 1'affaire, et combien il est difficile a Pavocat de bien plaider une cause, lorsque le proces a ele mal engage. II est impossible de meconnaitre qu'il existe une etroite liaison entre la forme et le fond, et que le choix de telle marche dans la procedure cause sou- vent le gain ou la perte d'un proces. Rarement I'avoue et Pavocat se concertent sur la demande a former, les conclusions a poser, bref sur la direc- tion de Paffaire. Le plus souvent Pavocat ne peut suivre le proces qu'en Petal ou il lui est remis, que dans la direction imprimee et avec les conclusions posees. Si I'avoue a pris une fause voie, le mal n'est pas loujours reparable , a moins de rectifier - 112 — les conclusions on do rfcommencer lontela procedure-. Si au contraire e'est I'avocat qui dirigo la procedure, l'avoue ne jouera que le simple role de copiste , il est vrai, lent et couteux. Celte separation des fonctions d'avocat et d'avoue est sous tous les rapports pliilot nuisible qu'avania- geuse aux parties. D'abord elle augmente les frais, il font payer les honoraires de deux personnes an lieu d'une seule. Hen resulte uneperte de temps bien plus considerable pour les deux parties qui sont obligees d'avoir des conferences avec lenr avocat et leur avoue, pour les meltre successivemenl au fait dc la cause. Le client est souvent renvoye de l'un a I'aiitre qui s'imputent reciproquement les retards qu'eprouvo. un proces. Cette responsabilile, parlagee entre les deux agents judiciaires, est bien moins grande. Elle peserait bien plus fortement, si un seul elail charge de l'affaire d'un bout a l'autre. Au lieu de cela un proces est perdu , l'avoue en attribue souvent la faute 5 I'avocat , qui n'aurait pas fait valoir tous les moyens dans la plaidoirie , el I'avocat de son cote rejette le tort stir l'avoue qui aurait mal dirige la procedure , qui ne I'aurait pas mis au courant dc la cause ou qui aurait neglige de fournir loutes les pieces utiles. Ceux qui ont un peu ('habitude des affaires judiciaires savent parfai- lement que ce ne sont nullemenl des suppositions gratuites. L'utilile de ce partage se fail-elle senlir davanlage a I'audience? Le role de l'avoue n'y est que purement muet et passif, mais neanmoins force; Tavocat ne peut se faire entendre comme organe de son client — 113 — qu'assiste de I'avoue. Nous le demanderons , n'y a- i-il pas la quelque chose de blessant pour le caractere et la digniie de I'avocat , clans cetie obligation de la presence de l'officier minisleriel , pour qu'il puisse porler legalemeut la parole a I'audience? Aussi il fan I le dire, en fait les tribunaux n'exigent-ils pas rigoureusemenl ceite presence; mais reelle ou Active, ce n'est jamais dans la taxe des frais qu'elle manque de figurer. Deux sorles d'objections peuvent etre faites au sysleme de defense judiciaire que nous proposons. Les premieres tirees de la difficulle que nous out creee les lois de 1800 el de 1816 donl Tune, au prix d'un caulionnement accorda aux avoues (i), ( nom moderne substilue a celui de procureur), le monopole de la poslulalion; et donl I'aulrc, comme correlation des supplements de caulionnements, lcur altribua le droit de presenter eux-memes leurs suecesseurs, droit que I'usage a transforme en une veritable venalite des charges, donl les litulaires sont proprietaires. Nous traiterons celte question de la venalite des offices , lorsque nous parlerons des obstacles qui s'opposenl a I'amelioraliun do la procedure. Les secondes objections soul tirees de la nature speciale de la profession de I'avocat. On a craint que celte reunion des attributions d'avocat el d'avoue nc porlal atteinle a la consideration donl jouissent les avocals, en les aslreignanl au travail materiel de la procedure, a la taxe de leurs emoluments qui substi- tuerail au mobile de I'honneur celui du gain. (i) Le nom d'avoue elait doiine an moyeii-agc au champion qui lors des combats judiciaires defendail les faibles. (V. Keau- manoir, Coutumes de Beauvaisis, chap. 16, p. 30S.) XXI. 9 — lift — Otons a cos objections le vetement brillanl donl elless'enveloppent, elnous venous qu'elles sonl tout- fe— fait creuses el vides. En effel, comment avec une procedure simple qui ecarle (outes les formes arbi- trages , oiseuses el iiscales , qui n'en permet aucune sans molif el sans bul assigne, l'avocat convaincu de la necessile de leur observalion pourraii-il croire qu'il portc atteinte a sa dignile , en se chargeanl lui-meme de celle besognc, si utile a sn cause, attri- bute aujourd'bui a I'avoue? Esl-ce que les avocals de la cour de cassation qui ont loujours comple parmi eux les noms les plus bonorables du barreau de Paris onl perdu par la postulation qu'ils exercenl , la hauie reputation dont ils jouisseni. II n'est pas plus vrai que l'obligation de se sounietlre au larif nuise a leur dignile. Le larif n'exisie-l-il pas pour les avocals de la cour de cassation, el cependanl leur consideration n'en a pas le moius du nionde souf- feri? Tant qu'on n'aura pas demonlre la convenance el la possibiliie de faire du barreau des fonclions enlierement graluiles el accessibles seulement a la richesse, il sera impossible de separer les services de l'avocat du salaire qui lui est du, quelque d£- nominalion d'honoraires on autre qu'on lui donne , pour en dissimuler la nature. Est-ce a dire que eelte necessile de pourvoir a son existence exclue le devouemenl genereux el le desinleressemenl de l'avocat? Cette cumulation de fonclions ne parait-elle pas au conlraire presenter a l'avocat des occasions de plus pour mettre en pra- tique les maximes d'honneur qui font la gloire de sa noble profession? L'assistancc forcee des avoues leur a alt ire peu- - 115 — a-peu loulo la clientele , ce n'est qu'a de rares exceptions que les plaideurs s'adressent a I'avocai; celui-ci iie saurait done avoir que par eux quelques causes, il doit pour ainsi dire se placer sous leur patronage, s'il veul acquerir par la praiique du barreau une reputation assez grande pour s'affranchir de leur dependance. Les avocats qui ne sont pas assez beureux on adroils pour se laire atlacher a une elude, quel que soil d'aillenrs leur merite, n'ont pas les moyens de se fa ire connailrc par la plaidoirie. Ce defaut d'exercice, le relachemeni et le decou- ragcmenl qui en sonl la suite, porteronl leurs fruits plus lard ; I'ordre des avocats on eprouvefa une alleinle grave. La conliance qu'il inspire , I'eclal donl il brille sont attaches a une etroile alliance eolre la science et la pratique du droit. Or peul-on esperer et atlendre ceite alliance d'une carriere ferinee pour la majeure partie , telle que cello du barreau acluel, dans lequel , sans etre favorisc par le privilege, la pratique est deveoue si difficile. Loin done de voir dans le parii que nous proposons, au poinl de vue theorique , quelque chose qui puisse nuire a la consideration des avocats, il ne doit que I'accroilre par leur affranchissemenl de toute depen- dance des avoues. On voudrail enlin juslifier ce parlage de la pos- lulation et de la plaidoirie entre I'avoue el 1'avocat , lorsqu'il s'agil d'un yaste ressori de juridiction , de Uibunaux places dans des ville-;, idles que Paris ou aboutil un si grand nombre de causes el d'affaires imporlantes. Car il esl reconnu que les sieges de justice moins considerables, ou le barreau est oc- cupe presque exclusivcmenl par des avoues licencies, — H6 - joignant la plaidoirie a la poslulation , ne sont point ceux dans lesquels les affaires se suivenl avec le moins de soin el s'expedienl avec le moins de celerile. Mais la oil la distinction d'avocat el d'avoue exisle, que se passe-l-il? La procedure est inslruite , les actes sont rediges, la marche est dirigee par de jeunes clercs; landis que i'avoue recoil paisiblement ses clients dans son cabinet, leur donne des conseils qu'ils pourraienl recevoir d'un avocat, et se borne a signer aveuglemeni ce qui a ele dresse dans son etude. II semblerail done que le plus souvent, ce sont les clercs seuls qui soient utiles, el que leur utilile meine se borne a l'accomplissemenl d'une foule de praliques dont la suppression dans le plus grand nombre de cas serail un bienl'ait. Ne serail- il pas preferable , a tous egards , que l'avocal Irop absorbe par la plaidoirie el les travaux qu'elle exige, se dechargeal des soins de la postulalion sur un aide collaborateur de son choix_, sous sa res- ponsabilile el sa surveillance? Dans tous les cas, par consequent , la reunion de la postulalion et de la plaidoirie dans la personne de I'avocat sera la meilleure institution de defense judiciaire. Nous aurions a faire quelques observations sur d'aulres attributions speciales des avoues, relatives a la poursuite des saisies immobilieres ei aux ventes judiciaires, nous les reservons pour plus lard, quand nous examinerons l'economie de ces lois dans les divers litres du code de procedure. - 117 - CHAPITRE IV. Quel est le meilleur systeme des formes tie procedure. § I. Jusqu'a present nous avons recherche quel serail le meilleur systeme d'organisalion de la magistra- lure el de la defense judiciaire, 1'ordre du plan que nous avons adople nous conduit a examiner quels sont les principes qui doivenl guider le legislaleur dans les formes judiciaires qu'il present. Avant tout il ne doit jamais perdre de vue le but de la pro- cedure. C'est par elle que doit elre realise le droit de chacun, lequel ne peut lui etre enleve contre sa volonie , par ('application des lois el non arbi- trairemenl. Son ceuvre sera done d'aulant plus parfaile , qu'elle saura mieux aueindre ce but , c'esi-a-dire que les regies qu'il tracera ordonneront uue m'arche plus simple, plus prompte, plus sure et moins couteuse. Une bonne loi sur la procedure doit reunir en elle loutes les qualiles que nous venous d'eaumerer. La grande difficulte provient de ce que la simplicity el la celerile ne s'allient pas loujours avec la surete : le legislaleur doil concevoir les formaliies judiciaires de maniere a faire le plus de bien possible, en cau- sanl le moins de mal possible dans l'achemmement au but vers lequel elles doivenl conduire. Pour le creancier, le proprielaire qui reclame son droit, la route la plus simple, la moins chere, la plus courte est la meilleure ; pour lui loute forme, lout delai est un mal. Les grands frais peuvent absorber son gage , surpasser la valour de sa propriete. — 118 — Si Ton considere le defendeur conlre qui le droit est reclame, la simplicite , la promptitude, le bon marche de la procedure ne sont pas aussi apprecies; pour lui , la surete est plus desirable, elle l'empeche d'etre condamne a tort. C'est done a peser scrupuleusemenl ce qu'exigent ces interels opposes des parties que le legislaleur doit s'allacher, lorsqu'il trace les regies des formes judiciaires. Ainsi une des exigences d'une bonne procedure est de simplifier ses rouages ; mais cette simplicite ne doit pas allerjusqu'a omettre les points de procedure qui s'offrent journellement dans la pratique. Suppo- sons que seduits par une fausse idee de simplicite , les redacleurs de la loi placent en premiere ligne le merite de la brievete , non cette brievele inestimable qui consiste a renfermer beaucoup en peu de mots , mais une autre qui semanifeste settlement par le petit nombre d'articles, par 1'exiguite du volume , qu'en arriverail-il ? Les lacunes veulent etre remplies , 1'arbitraire remplace alors la loi el enlraine a sa suite cette incertitude aussi penible aux juges qu'aux jus— liciables. Au fleau de I'exces des formes sera substitue le fleau plus grand encore d'une procedure arbitral re qui a sa source dans les prejuges, l'inierel personnel des praliciens appeles a y concourir. L'empire de I'habitude , plus encore la force de la necessite feront snrvivre a leur abolition les lois supprimees , sur lous les points auxquels on n'a pas expressement pourvu. Quelque iniparfaites, quelque vicieuses que soient ces lois, elles seront cent fois preferables a 1'absence de toute regie. Tels furent les effets deplorables de la fameuse loi du 7> brumaire an u (pour n'en citer — 410 — qu'un exemple), loi que la Convention avail improvisee en 17 articles, croyanl ainsi faire table rase de lout I'ancien sysieme de procedure. Que le legislaleur fixe les formes, toute incertitude disparait, la loi seule regne, lout lui est subordonne. Juges et parlies n'ont qu'a suivre la marche qu'elle trace et ils cessent d'etre a la merci des praticiens. La loi doit elre pure des deux exces , se renfer- mer dans dejustes limites, ne trailer que des points necessaires a prevoir , ne tracer que les formaliles indispensables. Le legislaleur ne doit introduire aucune regie, n'accorder aucun delai sans une necessile ou une ulilite evidente pour la bonne justice. II ne faut rien sacrifier a la com modi 16 des juges , ii l'avanlage des hommes de loi , el en doit nieltre de cote tout in- lerel fiscal. Tonics les vues accessoires devronl elre ecartees , toules les formalites ne tendront qu'a ce but de donner les moyens aux parties d'eclairer les juges. Tousles acles de la procedure qui ne concourront pas evidemment a ce resullal doivent en elre bannis. Un autre caraclere dislinclif d'un bon sysieme de procedure , c'esl la promptitude avec laquelle il fait obienir justice ; mais le legislaleur doil savoir eviler le defaut de sa qualite.L'ecucilconire lequel il ecbouera n'est pas loin , lorsqu'il fait marcher la justice a plcines voiles ; la celerile a lieu aux depens de la surele et amene souvent le prejudice qu'un proces en fail naitre plusieurs, ou qu'une partie est obligee apres le juge- menl de recommencer un autre litige , parce qu'elle n'avait pas le temps necessaire pour faire valoir ses pretentions ou exceptions dans le proces primilif. Que le legislaleur ne se laisse pas facilemenl enlrat- ner par ce brocard du palais: « la forme emportc le — 120 — fond , » el qu'il nc perde pns do vne que le lml de la procedure est la realisation du droil. Si par i'effet des formes omises ou negligees dans un cas , un droil est refuse a qui la loi civile l'atlribue, dans un autre cas un droil accorde a l'individu auquel celle memo loi le refuse , si la forme l'emporle ainsi sur le fond ; je le demande , la loi de procedure a-t-elle rempli sa destination ? Evidemment non. La consequence forcee en est que c'esl une loi mauvaise , parce qu'clle va a l'enconlre de son but. Ainsi en regardant loujours la droiture dans les decisions, comme le bul dominant, on doit considerer la celCrite, I'economie, la simplicite comme des qualiles secondaires qu'il ne faut jamais perdre de vue. Elles sonl snbordonnees an bul prin- cipal c'est-a-dire qu'il ne faut pas , pour eviler des frais el des delais , comprometlre la justesse de la decision. « Pour la rectitude du jugcmcnl , c'esl au maxi- » mum qu'on aspire ; pour les inconvenienls de la » procedure on se borne a en rechercber le mini- » mum (1). » Ce n'esl que dans les cas rares ou la loi doit faire ceder le fond a la forme , lorsque le danger de I'inob- servation des formalite's le mal de I'incerlilnde , les inconvenienls d'une lulle prolonged , surpassent evi- demment le bien resultant de la realisation du droil. Comme la loi civile , loutes les fois qu'elle n'a pu oblenir la ccrlilude , a du se borner a des probabililes, des presomplions resultant soil des circoustances , soil du laps de lemps , on a ete obligee , pour la securile des families , de metlre fin a l'exercice de certains droits , en inlroduisanl la prescription ; la loi de pro- (1) Benthah, Organisat. jud., p. 3, (radnct. de Dumont. — 121 — cedure a du atlacher telle on telle presomption a I'accomplissemenl de telle on telle forme, a l'expi- ralion de tel 011 lei delai , telle ou telle decbeance. En general, il ne faudrait pas par un trop grand desir d'aller vite en procedure , par des delais trop courts, par une difficulte immense a en obtenir d'autres , violer les droits des parlies. Si la loi ne permel pas aux juges de prendre en consideration certaines cir- consiances de la cause, pour faire flechir sa rigueur trop absolue , elle aura pour consequence inevitable, en liant el garotlant les mngislrals de les mettre dans la cruelle position de prononcer souvent contre leur conscience et leur conviction inlime. Resullat funeste, scandale judiciaire, symptome non equivoque d'une loi vicieuse. Mais que Ic juge ne puisse jamais tempe- rer la regie que la ou sa stride observation sera plus funeste que Tarbitraire meme ! Un troisieme point principal a considerer dans une bonne loi de procedure , c'esl que la justice soil peu couteuse. 11 est evident que plus les formes seront simples, plus la marche sera rapide , moins les frais seront considerables. Ces trois caracleres se Merit done elroitement, et exercent les uns sur les autres une influence reciproque. Avant d'exposer les principes fondamenlaux, quel- ques observations preliminaires me paraissent neces- snires pour etablir les vraies nolions qui devraient gnider le legislateur. L'instiliiiion du pouvoir judiciaire a sa raison d'etre dans la necessite reconnue par les bommes dans toute societe civilisee que personne ne doit se rendre justice soi-meme. Elle n'a done pas ete creee seulement dans 1'interet des plaideurs, elle est utile a tous les ciloyens. xxi. 10 — 122 — L'exislence senle du ponvoir judiciaire suffil pour prevenir bien des injustices ; il esl la loi vivante qui propage le sentiment du juste el de I'injuste , qui pro- tege le faible el impose au fort. L'historietle si connue du meunier de Sans-Souci caracterise, on ne pent mieux, le sentiment de conliance et de securite que donne au citoyen ('existence des tribunaux. L'adminislration de la justice est pour l'avantagc general de la sociele, elle esl la sauvegarde de lous. Celui qui jouit paisiblement de ses proprie'tes et de ses droits, lui esl redevable a chaque instant de cetie jouissance non interrompue. Au conlraire, par rapport a celui qui est trouble dans sa possession , soil par un agresseur inique, soit a raison d'une loi obscure, la protection de la justice a ete moins efficace ; elle ponrra le sauver ; mais il n'en aura pas moins souffert. Sans compter les inquietudes, les angoisses qui accom- pagnent les proces , combien n'y a-l-il pas de perle de temps , de derangements dans les affaires , de frais indispensables meme sous les systemes de procedure les moins imparfaits ? Peul-on comparer ces deux etats, l'un dune possession pleine el tranquille, l'autre d'une possession disputee et precaire, et en lirer la consequence que celui qui jouit le moins du benefice commun, doit supporter une charge de plus? « Bien loin , nous dit un economiste distingue (1), » que ceux qui plaident retirent de I'instilulion des » lois civiles plus de benefices que les autres citoyens; » on pent au conlraire les considerer comme ceux qui » en profilent le moins. Tandis que tous les aulres » membres de la sociele reposent iranquillement a (I) TiEhmain CiAMNitR, Notes siir Adam Smilh ; I. i, p. 315. — 1 -23 — » 1'abri ties lois el recueillent en silence les fruits de » I'adminislralion publique de la justice, mix qui se » voienl arraebes a celle paix geuerale, et forces de o defendre lours droits, se trouvenl dans une lacbcuse » exception el paient un tribut a la laiblesse luimaine » el aux vices loujours inberents a nos freles insti- » lulions. » J'irai memo plus loin en ajoulant que la partie qui, pour defendre son droit legitime , soutient un proces, combat a ses risques el perils autant pour la securite de la sociele enliere que dans son propre inlerel. JN'arrive-l-il pas frequenimenl que, parce (prune seule personne a fail decider une question douteuse en sa faveur, beaucou|> d'aulres par la counaissauce de ce jugemenl execuleroul voloutairemenl leurs promesses, ou n'eleveronl plus la meme pretention ? 11 est done certain que Taction du pouvoir judiciaire no profile pas seulement a ceux qui s'en ressentent immediate- ment. De la , celle consequence necessaire relalivement aux frais de justice : Que 1° L'administration de la justice elant une insti- tution egalemenl utile a lous les ciloyens, les depenses qu'elle exige doivenl elre acquittees sur les fonds destines aux inlerels generaux de la sociele. 2° Les plaideurs no prolilanl pas de celle institution plus que les autres ciloyens, on ne devrait logique- rnenl leur faire supporter une plus forte part dans les depenses qu'elle necessite. 11 est done injusle de rejeler sur eux seuls loul le fardeau ; a plus forte raison doit-on reprouver lout impot fiscal donl ils sont greves, impot applicable a divers services, autres que ['administration de la justice. — ]U — On a essay6 de justifier la fiscalite dans la proce- dure comme nn moyen efficace conire la chicane , comme unc peine infligee aux plaideurs lemeraires on de mauvaise foi qui succombenl. II foul se garder de celie doctrine, demenlie par l'experience de (ous les temps el de ions les lienx , que l'el6valion des frais anrail pour effei d'eloigner du lemple de la justice la chicane et la mauvaise foi. Sans contredit I'enormite des frais empechera plu- sieurs proces d'avoir lieu. Des gens timides ou pauvres aimeront mieux , comme on dil , un mauvais accom- modement qu'un bon proces. Celte crainie sera exploi- ted par la mauvaise foi. Que les defenseurs des droits du fisc sur les pro- ces reflechissent bien qu'ils rendent un manvais service a la consideration, a la dignile et a I'honneur de la justice, parce que cet impot la rend inaccessible aux painres el fait reculer devant elle avec effroi tousceux qui n'aiment pas a risquer beaucoup. Cet impot affai- blil le sentiment du droit, le respect du juste, qui annonce dans I'homme cette force virile et ce gout pour tout ce qui est vrai, noble, eleve, au profit de la com- modile seuledecelui qui aime mienx faire des conces- sions volontaires aux gens de mauvaise foi, que de soutenir un proces juste, mais trop couteux. Aller plaider devant les tribunaux, c'est pour lui courir a sa ruine. Le temple de la justice deviendra ainsi le refuge de la mauvaise foi et de la chicane. « Loin (1) » que les frais conlienneni, rebutent I'espril proces- » sif, nous avons va le [tlaideur, semblable au joueur, » dont la fureur s'accroit en proportion de robjel du (l) Bki.lot. — Expose des motifs. — Dcponse. — 1-25 — » jeu on (in pari, s'exciler, s'aniraer par lenormile » memo ties taxes judiciaires. Nous avons vu la pre- » leuiion la plus insignifianle, la plus puerile, devenir » un proces oil les frais depassaient dix , cenl fois » I'objet de la demande, el un chetif terrain eire dis- » pule avec uue telle ardeur que I'argent depense par » les parlies cui pu eu couvrir la surface. » L'enormite des frais n'arreie que la bonne foi, et » par cela memo, lavorise la mauvaise foi (ju'elle eti- » courage, par I'irapunile qu'elle lui assure. Au lieu » de reprimer la chicane, elle lui sen indireclement » de prime d'encouragenienl. » C'esl done uue graode erreur de croire que les laxes judiciaires soienl propres a preveoir des pro- ces, elles oni uue tendance a multiplier les proces in- jusles, les seuls qu'il serail bon de preveoir. Enire les mains de plaideurs fiauduleux, elles soul uti i.nslru- menl d'oppression el un moyen de succes. Dans un bon systemede procedure, I'Eial nedevraii done percevoir aucuu impot sur les proces. II est une espece de frais que les plaideurs devraient elre obliges de payer, ce sont les salaires des officiers judiciaires. Avec une procedure simple, qui u'admet que les formalites neeessaires, et qui allribue a une seule person ne capable, mais non privilegiee, lin- slruclion el la plaidoirie, les frais doivent beaticoup dimiiiuer. — Faul-il laisser les parlies et leurs defen- seurs fibres dans la fixation des salaires, pour les services que ces derniers rendenl ? Nous croyons qu'une regie ceriaine vaul infinimenl mieux, parce qu'elle eviiera les proces facheux enlre le defenseur et son client, qui n'esl pas a meme d'apprecier la valeur des ecrilures ; et elle permellra aux juges de les taxer — 126 — selon Ic larif. Noire solution no sera |>as ia mcme pour le paiemenl de la plaidoirie, objei le plus important pour la parlie dans la procedure orale. G'est la que le le travail, le talent et le merite personnel des defen- seurs so monlrent le plus. Aus«i cs'-il difficile de pre- serve une regie fixe pour le paiemenl de leurs hono- raires. J'admeltrais alors dans le larif la fixation d'un minimum, selon les sommes en lilige. Ce minimum pourra etre augmenle par les jugos, devanl lesquels la cause a ele plaidee, et qui peuvent mieux que tous aulres appreeier la valeur du travail, lorsque I'avocal el le client seronl en desaccord sur le prix des hono- ro ires. Dans cette matiere, il faut se garder de toute exage- ralion dans Pinlerel des parlies • les salaires ne doivenl fire ni Irop elevc.-, ni Irop bns. II est facile de concevoir que I'exccs des salaires toil une charge et une injustice pour tous ceux qui dnl besoin du service des agents judiciaires, el aux- quels il faut le payer plus qu'il nevriiil. II l'cst surtoul pour le pauvre auquel il ferme l'acces de la juslice. D'un auire cole, les ealaires Irop modiques prc- senlenl des inconvenienls d'nnc nalure differente. Si les salaires sont fixes de maniere a nc pouvoir plus procurer une existence lionnele, les hommes ca pables emploieront leurs faculles a d'aulres oecu- pat tofts ; la defense des parlies n'appartiendra qirades .sujels mediocres; le service ma! pave sera nial rendu. Privcs des moyens honorables d'existence, ils pour- roul etre cntraines a chercber des ressources dans des gains illiciics. I.cur probiic en lulle avec le besoin pourrail succomber ; el ils ne craindront pas d'ajouter a leurs profits legitimes par des exactions. G'esl pour — 127 — eviter des desordres aussi deplorables pour la socielc que le legislateur doil choisir un laux moyen, comnie base du larif judiciaire. Le caraclere le plus iraporlanl d'uu bou systeme de procedure, de tous ceux que nous avons signales, c'esl la surete. Ce n'esl que dans les cas tres-rares, la ou il y aurail urgence, que la surete doil ceder a la celerile, paree qu'un irelard ne rendraii plus possible a la procedure d'assurer le droit el qu'elle manqncrail ainsi le but de son institution. § 2. C'esl ici le lieu d'examiner quel sysieme de proce- dure doil choisir le legislaleur, pour qu'elle reunisse toutes les qualiles que nous venous d'exposer. Sera-ce la plaidoirie orale, sera-ce la plaidoirie ecrile, ou lanlol l'une ou lanlol I'aulre ? Nous n'avons qu'a signaler les grands avaniages de la premiere pour prouver qu'elle doil former la regie, que la plaidoirie ecrile ne peul elre admise que comnie exception . La plaidoirie orale e*t une consequence neccssaire de la publicile de la procedure. Aussi a-i-on lou- jours vu marcher de front, ici, la procedure publique el la plaidoirie orale; la, au conlraire, la procedure se- crete el la plaidoirie ecrile. Qui pourra nier que la pu blicile ne diminue les maux et les abus qui naissenl si lacilemenl sous le manleau du myslere ? S'il esl des homines qu'il imparle, dans Texercice de leur ministere, d'environner le plus pres possible de I'opiuion publique, c'esl-a-dire de la censure des gens de bien, ce soul les juges ; plus leur pouvoir — 128 — «si grand, plus il faul qu'ils apereoivent sans cesse a cole d'eux , la premiere ei la plus redou table de loutes les puissances, celle de I'opinion publique qu'on ne corrompt jamais. Les juges n'apercevraient pas celle puissance , si I'inslruclion des affaires etait secrete. Dans un ordre de choses si vicieux , vous laissez necetsairemenl une grande latitude aux pre- ventions du juge, a ses affections parliculieres , a ses prejuges , aux intrigues des honimes de mau- vaise foi , a l'inlluence des protections, aux delations sonnies, a toules les passions eniin qui ne se meuveut que dans l'ombre , el qui n'ont besoin que de paraitre au jour pour cesser d'etre dangereuses. Qui ne sail que la publicile airele la mechancele el la persecution de ceux qui ne craindraienl pas d'agir en secret? « Donnez-moi, disait Mirabeau (1) » a la tribune nalionale, en parlaul au nom du peuple # de Marseille, donnez-moi le juge que vous voudrez » partial, corrompu, mon ennemi me me si vous vou- » lez , peu m'importe , pourvu qu'il ne puisse rien » faire qu'a la face du public. » La publicile de la procedure protege le faible conlre le fori, donne la vie el le mouvemenl a l'adminis- iralion de la justice, combat ce mecanisme rouliuier ijjii s'attache au secret non control*?, comme la rouille au fer, enlin augmente la eon fiance des parties dans leur juge. Pour que celle publicile ne soil pas un mot vide de sens, mais un veritable bienfait, il faul qu'elle ail lieu dans les conditions necessaires pour alieindre son but , el qu'elle ne degenere pas en une pure ;ti Counter de Provence, N° 70, page lit. — 129 — formalite. L'aiidiloirc doit pouvoir apprecier par lui- meme le bien ou le mal juge, en ecoulant l'expose de I'affaire el assistant aux operations imporlanles du proces ; il ne faul pas que le public soil seulement spectaleur des choses indifferentes. C'est pour cela qu'il n'y a pas de vraie publicite sans procedure orale. En effet , la ou la procedure consisle dans un ecbange d'ecritures entre les parlies, la publicite n'esl d'aucune importance, parce que ces actes sont rellemeni indiflerents pour le public, que personne n'a envie d'y assisler. Supposons raeme qu'on lise publiquemenl toutes ces ecritures, cetle operation sera lellemeni ennuyeuse, que les salles d'audience seronl bienlot vides. II n'y a done pas de veritable publicite, si la cause a ete exposee par ccrit , si cette lutte de laquelle doit jaillir la verite a lieu bors de I'audience ou a I'audience meme, dans des memoires remis aux juges. La sentence fut-elle prononcee publiquemenl , il u'y aurait pour les assistants aucun moyen de condole. La publicite exige aussi que tous les actes de la procedure importants pour la decision , comme 1'inlerrogatoire des parties sur fails et articles , les enqueles des lemoins se passent a I'audience. La publicite produil le plus grand effel sur la veracite du temoin. Le mensouge peut etre auda- cieux dans un interrogaloire secret ; il est difficile qu'il le soil en public , cela est meme Ires-in- vraisemblable de la pari de tout bomme qui n'esl pas entieremenl deprave. Tous ces regards diriges sur un temoin le deconcerleiit , s'il a un plan d'imposlure trace d'avance , il sent qu'un mensongc — 130 — peul trouver uu conlradicteur dans cliacun de ceux qui l'ecoutent. Une physionomie qui lui est connue, cl millc aulres qu'il ne connail pas, l'inquielenl egalemenl , el il s'imagine malgre lui que la ve- il te qu'il cherche a cacher, va sorlir du sein de celte audience el I'exposer a tous les dangers du faux temoiguage; il sail au moms qu'il esl une peine a laquelle il ne peul echapper, —la home en presence d'une foule de speclaleurs. Pour bien des personnes, la publicile de la pro- cedure en maliere crirainelle est une supreme garantie de la societe loule eniiere, des accuses, et un moyen plus sur pour le juge de decouvrir la verile dans l'ensemblc des fails qui se derouleul a l'audience. Mais elle ue leur preseule pas les memes avantages dans les affaires civiles oil l'iule- ret prive seul est en question. Qu'un tel ou un lei soil proprielaire d'une maison , que A soil ou non le debiteur de B ne regardc nullemenl les autres , souveut meme il esl ires-prejudiciable pour les parlies de voir les tiers, mis au couranl de leurs affaires, qui sont ainsi inilies dans les secrets te commerce. Nous admellons que ces objections soienl faites avec raison , mais quelles consequences en liter ? C'esl qu'il y a des cas oil la loi peul substituer dans rinlerel des parlies ou des mcears le secret a la publicile. Mais ces motifs seraient-ils assez puissant pour faire disparailre complelemL'nt en maliere civile le principe tulelairt; de la publicile ? Evidemment non , si Ton pivnd lous les avantages qu'elle olfre, el pour le tribunal qui decide, el pour la parlie qui plaide, el pour le public qui ecoule. — 131 — C'esl par la publicite que Ic tribunal acquierl la ccrlilude que les conclusions el les moyens sonl bien ceux des parlies ou de leurs defenseurs. Les rapports du juge a la chambre du conseil ne pre- sented jamais la garanlie sure, que tout ce que les parlies ou leurs niandalaires exposaient dans un cer- tain ordre, arrive a la connaissance du tribunal de la memo maniere. Avec la meilleure volonte du monde, le rapporteur ne raconlera les fails que comme il les a compris, el en omellera, quand ils lui parai- tronl sans importance, ou en changera la suite. Mais s'il a des idees preconcues el qu'il soil anime de passion dans un sens ou dans Paulre, il est fort a craindre que I'affaire ne soil denaluree. Une vraie appreciation des temoignages n'est possible que quand les lemoins ont depose devanl le tribunal reuni. En general , si lous les actes imporlanis de la proce- dure se passent en la presence de lous les juges de I'affaire , ces derniers peuvenl a chaque moment s'eclairer par des questions adressees aux parties ou aux lemoins , sur des points obscurs ou presenles d'une maniere incomplete. Pour les parties, la publicite leur offre une garantie que le tribunal enlier a ele parfailemenl inslruil de la cause , que les points capilaux de I'affaire ont rccu les developpcments qu'elles desiraieni leur donner, tandis qu'avcc une procedure secrete elles sont eloignees de leurs juges et exclucs de loule influence sur les acles du tribunal. Par rapport au public , c'esl-a-dire la sociele cnliere, la publicite e^t sans doule moins necessaire dans les proces civ ils que dans les causes criminelles. II arrivera memo sou vent que dans les affaires de pou d'imporlance, — 132 — la place reservee a I'audiloire sera lout-a-l'aii vide. Mais ne suffil-il pas qu'a lout moment quelqu'un ail le droit de venir assisler aux debals de l'audience, pour que ceite publicile possible produise ses etTets sur les magistrals ? Elle sera pour les juges up stimulant dans une carriere remplie de devoirs penibles, ou l'on a besoin de toutes les laculles de I'intelligence el de loute I'ac tiviie de l'espril , ou cbaque jour de relachemenl est un trioinpbe pour 1'injuslice, el une prolongation de souffrance pour 1'iunocenl. Les magistrals se formeronl sous les yeux du public a une dignilesans hauteur, el a cette egalited'humeur qui ne flatte ni ne iraite avec durele aucune parlie. Elle coniribuera a donner aux audiences un caractere plus solennel el plus conve- nable, les juges n'oseront pas se livrer anssi facilement pendant les seances a leurs gouts pour la lecture des livres ou des journaux, par crainte de s'exposer au blame des assistants. La presence de I'audiloire siimulera les avocats a presenter leur cause d'une maniere inieressante , alin de gagner la contiance generale. Le public ap- prendra ainsi a connaitre les hommes de talent donl il pourrail avoir besoin , et aura occasion lui- meme de se familiariser avec la marcbe des affaires el I'applicalion des lois. La publicile des affaires servira bien souvent aussi a prevenir des contestations, parce qu'un tel qui n'aurail pas hesite avec des formes secretes de chicaner son adversaire el de nier meme ses en- gagements , n'oserait braver ('opinion publique, el il aimera mieux payer ce qu'il doit que de passer devani tout le monde pour un liomme qui manque a ses promesses. — J33 — La parole vive et penetranle que le gesle, la phy- sionomie et I'expression de I'orateur rendent si saisis- sante et si intelligible, anime les debals judiciaires , interesse davantage les andilenrs , captive l'attention des jnges, fait coraprendre plus facilement I'expose des parties ou de leurs defenseurs. La procedure ecrite, au contraire, esige un rapporteur pour porter les affaires a la connaissance du tribunal entier, un homme de loi pour rediger les ecrilures. La pensee de la parlie passe ainsi par deux interme- diaires , avant d'arriver aux juges qui decident. On comprend alors facilement que les proces durent bien plus longtcmps avec un pareil systeme. La siirele y existe aussi, bien moins que dans la procedure orale. Les memoires des parties doivent etre necessairement fails par des bommes de loi, afin de les rendre com- prehensibles pour le juge qui ne peut s'eclairer par des demandes adressees aux plaideurs. Mais souvent les defenseurs qui composent ces ecrits ometlent avec intention des points essentiels pour la connaissance de l'affaire , tachent d'en obscurcir d'aulres, lorsque la lumiere parait contraire a leurs interets , et imaginent meme des fails qui n'onl jamais exisle. Les parlies ne sont pas mises en presence Pune de I'autre pour se contredire iramediatemenl , le juge ne peut faire jaillir la verile par des questions qu'il leur pose. La consequence necessaire de tout cela est que les decisions n'auronl pas le meme caractere de surete, de certitude que dans la procedure orale. L'histoire des procedures secretes est d'accord avec ces principes. Plus les tribunaux ont ete secrets, plus ils ont etc odieux, la cour vehmique, l'inquisition, le conseil des Dix ont flctri les gouvernements qui les - 134- — avaient adoples. On lour a impute com fois pins la coulume de Paris, e! qui, enfin, etant immn- b triculc , a le droit de plaider pour de l'argent , s'il j> a la voix (brie. * Sans doute , la profession d'avocat a , comme touic autre, ses dilliculies, et .ces mecomples, — mais elle a , du inoins , pour elle, — l'independance. L'avocal est affranchi des mille et un details , et des demarches sans nombre , que necessile la preparation d'une affaire : il n'a ni delais a suivre, ni actes a rediger, ni complabilile a tenir, ni desaveu a craindre. II recoil la procedure, en eial, il I'eiudie et il plaide : et c'est l'unite, et le caraclere , — tout personnel de cette lache qui la relevent , et qui donnenl an role de I'avocat le relief particulier qui le distingue. Si l'avocal devient avoue, — il faul, — meme avcc la procedure simplifiee autanl qu'il est possible, — qu'il soit en conipie avec les clients , nc serail-ce que pour les droils de timbre et d'enregistrement , — qu'il remplisse certaioes formaliles , qu'il libelle des exploits , qu'il as-iste , en dehors des audiences , a des enquetes , a des expertises, a des \crifications d'ecritures, a des reglements, et qu'il prele forcemenl son ministere, — qu'il soit, enfin , responsable, — et qu'il subisse , en un mot , toutes les consequences de la po&ition nouvelle qui lui serait faile, Et puis, — on est bien force de le reconnailre , si les avocats sonl charges a la fois de la procedure et de la pluidoirie , i! leur faul des clercs : ils auronl done des etudes , et seronl de verilables officiers ministeriels. Que devient, dans ces conditions, l'independance - lit — de I'avocai , — el so figure-l-on les grands noms du barreau, M. Berryer on M. Chaix, ainsi iransformes ! Nous savons que, dans plus d'un pays, — a Geneve, et au-dela du Rhin , les avocais sont avoues , qu'en France, devanl la Ires grande majorite des Iribunaux, les avoues plaidenl , el nous sommes bien loin de Irouver celle organisalion mauvaise , si elle sufiil aux besoins des ressorts ou elle existe, — el nous com- prenons fori bien que c'est seulemeni dans les grands centres que la profession d'avocal pure a ?a raison d'etre , — mais la , il n'esl pas , selon nous , possible de le delruire, el ce seraii le faire, que de la confondre avec la profession d'avoue. II y a loutefois, il faut bien le dire, quelque cbose de vrai et de serieux, dans celle observation, qu'une seule peisonne devrait suffire pour un pro- ces ; el Ton peul citer a I'appui, outre I'exernple des avoues devanl les iribunaux d'anondissemeni, celui des avocais a la cour de cassation, el des agrees devanl les Iribunaux de commerce: il serait, cependant, facile de repondre, que, devanl la colli- de cassation, la procedure eiant nulle, ou se bor- nanl a un simple memoire, il seraii elrange et inulile que deux personnes y fussenl employees, il s'agit d'ailleurs uniquemenl de questions de droit, el les avocais a la cour de cassation n'ont pas les soucis el les embarras de detail qui pesent sur les avoues. Devant les iribunaux de commerce, la pro- cedure est egalemenl ires sommaire, el celle simplicite dans les formes, unie a la celer.ile dans les delais, se juslifie pleinement par la nature parliculiere des affaires commerciales : mais on n'ira pas cerlaine- menl jusqu'a soutenir que la procedure civile puisse — ik-2 — eire, sans danger, reduite 6 la meme mesnre, et qu'on n'enleverait pas aux plaideurs bien des garanlies, en supprimant nombre de formaliles, qui peuvent paraiire genantes, mais qui sont, en meme temps, proteclrices. Et puis, enfin, les avocals a la cour de cassation, el les agrees sont des officiers mi- nisteriels, ils ont a remplir, seulemenl avec moins de peine peut-eire, tous les devoirs imposes aux avoues, el comme eux,nolamment, ils sont complables et responsables, el il est inutile de !c r6peier, le vrai merite de la profession d'avocal, e'est l'absence d'obligalions de cede nature. El si Ton nous accorde, ce qui nous semble incontestable, que, dans les grandes villes, au moins, a raison de la mullipbcile des affaires, il serait impossible aux avoues de diriger les procedures, el en m6me temps de plaider , la necessite des avocals est evidemment demontree. II est vrai que le nombre des avocals-avoues devanl, dans le svsteme de M. Seiigman, elre illimite, notre objection perd de sa valeur, mais n'y a-t-il pas un bien grave danger dans celle ex- tension indefinie d'une profession, qui, comme celle d'avocat-avoue, demanderail lanl de garanties: nous avons bien vu que M. Seiigman conseillait les plus serieuses exigences, pour experimenter completemenl la capacite des personnes qui se deslineraieni a celle carriere, el sur ce point, on ne peut qu'ap- plaudir aux innovations lulelaires qu'il propose, toulefois, dans un temps ou les professions dites liberales sonl le point de mire de lanl de jeunes gens, donl les peres ne partagent que trop sou vent les ambitieuses esperances, n'y aurait-il pas bien — 1/|3 — vite encombrement, des que les enlraves pecuniaires, qui rendenl aujourd'hui les offices raoins facilement accessibles, anraient disparu ! Ces enlraves onl done leur legilimiie, parce qu'elles sont salulaires; sans doute, au point de vue philosophique, il est permis de protester centre des restrictions que condamne nne liberte largemenl entendue, mais n'est-ce pas I'utilile pratique qu'il faut surtout considerer en pareille maliere, et n'est-il pas certain, que la surveillance d'un barreau illimile etanl presque im- possible, il t'.xisie, pour I'interet des clients des garanlies meillenres, dans I'organisation que M. Seligman attaque si fort. II y a , pour I'avoue et pour I'avocal, des laches dislincles, el qui gagnent a elre divisecs, chacun d'eux a des eludes speciales, il faut pour chacun d'eux des aptitudes diverses, el si vous voulez que I'avocnl ait mission de conclure, en meme temps que de plaider, vous faites de lui un homme d'af- faires, que son etal seul, avec scs details et ses fatigues de chaque jour, absorbera lout entier: vous n'aurez plus d'avocats devoues a la science : le temps leur manquera pour les etudes theoriqiies, et la doc- trine y perdra : vous n'aurez plus d'avocats pour la tribune, et si I'on a pu, non sans quelque raison peut-elre, se plaindre parfois qu'ils Paient trop envabie, il serail injuste de ne pas reconnailre qu'ils ont toujours ele au premier rang, dans les lultes parlemenlaires, et que leur influence a souvcnl profile aux affaires publiques. Et puis, a un autre point de vue, en admettanl, avec le systeme de M. Seligman, que la direction des proces soil retiree aux avoues, il faut remar- - m — quer que les contestations d'audience n'ciant qu'une parlie de leur travail, toules les procedures sp6ciales, celles de vcnte, d'ordres et lant d'auires devraient aussi necessairement etre remises aux avocals, sub- stitues aux avoues, a moins de conserver les avoues pour ces sorles d'affaires, et on se demanderait alors quelle serait 1'ulilile de leur suppression partielle. Cetle derniere consideration n'elablil-elle pas que, dans les centres considerables , les deux profes- sions peuvent co-exister, el ne serail-il pas facile de repondre a cet argument qu'une seule personne devrail suffire pour uu meme proces, que deux avis sonl bien souvent utiles, et que le concours de deux bommes a sauve beaucoup d'affaires qu'un seul aurail compromises. El d'ailleurs, el nous nous arrelons, la division du travail, cequ'on a appele, d'un nom assez peu francos, la specialisation, n'esl-elle pas, en quelque sorle une loi de ce temps ? a une epoque, ou, pour les plus frivoles, il est une somme de connaissances gene- rales indispensables , ou mille objets divers se partagent les esprils, ou 1'existence, a moins d'ac- cepter les calculs oplimisles de M. Flourens sur la longevite liumaine, suifit, a peine a i'etude un peu approfondie d'une science, ou d'un art, il faut evidemmenl morceler toute (ache, sous peine d'avoir, en chaque nature de connaissance des ecoliers seulemenl, el pas un maitre. Non qu'il faille appliquer etroilemenl cetle division du travail, el la pratique, par exemple, comme on le fail, a Paris, dans certains grands etablissemeuls d'inslruclion secondairt', ou de jeunes intelligences — 145 — sont vouees cxclusivemeni a une faculte speciale, les vers latins el lo theme grec, en vue des prix annuels dii concours general : mais, mieux enlendue, elle peui eonduire a d'heureux resullals ; c'esi presque lonjours a»x patieules analyses des esprits cherchenrs, cantonnes dans quelquc specialite incx- ploree que sont dus les progres d'uue science: qnand les iravaus de details sonl acheves, il se rencontre loujonrs quelquc main plus puissante, pour s'en emparer el les reunir dans une synihese fecondc. D'ailleurs, qu'oit I'approuve, ou qu'on s'en in.ligne, la division du travail est tin fait, qui se constate, a chaque pas , non seulement dans 1'induslrie , mais dans chaque branche du savoir humain, el, puisque nous avons fail allusion a l'enseignement, n'cst-cc pas dans col esprit qu'est concu le nou- veau plan des eludes universities, qui prescrit 6 chacnn d'opier, a quinze ans , enlre les lettres et les sciences. C'est que I'echelle des connaissances va grandissant el s'elevant chaque jour, el qu'il faut choisir de bonne b.eure les degres que Ton veut alteindre. El, la science du droit, qui louche a la philosophic, a l'histoire, a I'economie politique, a 1'adminislralion, en raeme temps qua lous les inlerels de la famille el de la propriele, et qui, dans la pratique , piesenle tanl de diffieultes, et exige a la fois (ant d'etudes et d'experience, n'esl-eile pas une science essenliel- Icment multiple, et qu'il faille necessairement diviser? Voila ce que nous desirions repondre, el si in- completes qu'aient eie" nos observations, peut-etrc avons-nous etabli que la reform e, dont M. Seligman vous a enlretenus, ne salisferait personne., ni les avoues, ni les avocats, ni les plaideurs. — U6 — Leclnrc de H. Henry. ESSAI SUR LA VIE POLITIQUE DE GERSON ; ANALYSE D'UN DE SES DISCOURS. [T hat Rex, 1405.) L'histoire de France est une veritable epopee , emouvanle et merveilleuse dans l'ensemble el dans les details , par l'inlervention des grands hommes el de Diea, par les devouemenls heroiques , les catastrophes lamentables, les retours inesperes. La guerre de Cent ans nous presente toutes ces grandes alternatives, la France perdue par Philippe VI et par Jean , sauvee par Charles V ; perdue de nouveau sous Charles VI , definitivement sauvee par Jeanne d'Arc et par Charles VII. A celte triste et glorieuse epoque, au milieu de la guerre civile et de la guerre etrangere, des agitations politiques et religieuses , des exagerations des uns, des reactions des autres, des crimes de tous , apparaissent des hommes de sens et de cceur qui parlent de moderation et de pais, qui defendent en meme temps la patrie, la verile et la justice, par Icurs doctrines et par leurs exemples, par leur vie el par leur mort. Parmi ces hommes se placent au premier rang les legisles et les clercs, parmi les clercs, Jean — Mxl — Gerson , chancelier de I'Eglise et dc riJniversile de Paris. Ne trois ans apres le traiie de Bretigny , Gerson meurl deux mois apres la delivrance d'Orleans (1565-4429). Sa vie remplit une periode de 66ans, line des plus agilees de noire hisloire, de I'hisloire de I'Europe et de I'Eglise. Pendant cinquante ans, comme docteur, chancelier, depute de I'Universiie de Paris, par la parole, par la plume, par des acles, il prend une part loujours active, souvenl passionnee a tous les evenements, a toutes les questions qui remuent son siecle , et se distingue a la fois comme theologien , comme philosophe el comme homme d'Elal. Sous ce triple rapport son action a ele grande et feconde. En iheologie il est le pere du gallica- nisme el le precurseur de Bossuet ; en philosophic le dernier represenlant illustre de la scolastique; en politique le defenseur determine et constant de la royaule et du progres. Dans ce dernier role Gerson est peu connu et pour- tanl merile de l'etre; car, sans prendre directement part aux affaires de PEtat, il a ele mele a toutes les lutles de son temps, a exerce une influence tres dirccte sur le gouvernement et sur le pays. Comme nous l'avons dit , le role politique de Gerson peut se resumer en deux mots, royauie et progres. Pour lui la royauie" est la providence de la France, la joie el la garantie du preseni , Pes- perance de l'avenir, la source des reformes sociales. En consequence il veut un pouvoir fort et respecte, se donnant un controle permanent dans les grands corps de l'Eial, reformant les plus monslrueux ahus de la feodalite, metlaut un lerme aux iniolerahles — 148 - souffrances du pauvre peuple, eiablissanl dans le pays el dans la cite , plus d'unite el d'egalite, plus de moralile el de justice, enfin I'ordre el la pais. Tel esl son programme, il y rcsle fidele, tou- jours el parlout. Cependanl nous remarquons dans sa vie politique deux phases bien dislincles. De 1589 a 1407, il est dans I'opposilion, il allaque sans beaucoup de detours el avcc violence le gou- vernement du due d'Orleans ; des causes diverses, nombreuses el legitimes le porienl el le maintiennenl dans le parti bourguignon, 1'ardeur de la jeunesse, son origine, son education, ses fonclions el surtout les miseres du royaume. II s'indigne a la vue des desordres d'une administration sans regie, des dila- pidations de lous genres et des quereiles des princes pendanl la folie du roi et la guerre elrangere. Fils de paysan, il reclame vivement en faveur des gens de village el labourage, dont il a vu, dont il a par- tage les miseres. Leltre, il a les lionnetes illusions des bourgeois el des uuiversilaires ; il croit que le moment est venu de reformer la vieille monarcbie feodale, de demander et d'oblenir des reformes radicales, une constitution, des elals generaux pe- liodiques, une sorle de garde naliouale ; prelre, il altaque sans management les vices de la cour et des grands ; enfin, protege du due Philippe de Bourgogne, il met en lui toule sa confiance el declare « qu'apres Bieu , il lui doit lout. » De 1407 a 1429 nous trouvous Gerson dans ('autre camp, avec les Armagnacs ; il a quille les Bourguignons, ou plut6t les Bourguignons l'ont quilte, en desertant leur premier drapeau. C'est Jean-sans-Peur qui amene ce grand changemenl. — 149 — Lcs floclrines revolutionnaires de ses nouvcaux amis les artisans et lcs bouchers , son ambition effrenee, ses violences et scs crimes effraienl les hommes sages du parti , les parlementaires et les universi- taircs ; les plus fameux i'abandonnent. Gerson donr.e le signal. La mort tie son bienfaiteur lui a rendu depuis quelques annees toute sa liberie ; en lui raontrant le desordre fatalement uni an progres , I'age et Texperience onl muri sa raison ; l'assassinat du due d'Orleans , 1'audacieuse apologie de Jean Petit, lui revelent lout le danger de la siluation. Aux revolulionnaires qui menacent I'ordre social lout enlier, il oppose, avec une vigueur nouvelle, ses anciennes doctrines, royaute et progres. Ainsi, tout en changeanl de camp, Gerson garde son drapeau , il garde surloul son caraclere de modera- tion , son esprit de conciliation; quand ses amis sont an pouvoir, quand ses ennemis triomphent, dans la relraite el dans 1'exil , i! demande la paix , la reconci- liation des parlis, I'union de tons contre l'etranger. En resume, quoique m61e aux faclieux, Gerson s'e eve au dessus de leurs passions e! de leurs vio- lences: il n'est ni Armagnac, ni Bourguignon. Avec quelques hommes d'elite il forme une sorie de tiers- parti, faible d'abord et odieux aux factions dominantes, mais grandissant peu a peu , pour Iriompher definiti- vement sous Charles VII. Gerson, Jeanne d'Arc , Jacques Coeur sont les plus illustrcs repr^sentants de ce parti de I'avcnir, qui dans le present mei au service du Roi et du pays des convictions profondes , une moderation constante , tous les instincts patrio- liques du cceur, tous les sentiments Chretiens de I'ame. — 150 — Parmi les discours qui se ratlachenl a la premiere phase de la vie politique de Gerson , le plus remar- quable esl celui de 1405. Charles VI regne depuis vingt-cinq ans , ou plutot , depuis vingt-cinq ans , sous ce roi mineur ou insense , regnenlquatre princes ambilieux,cupides el debauches. Les epargnes de Charles-le-Sage, les ressources du pre- senlel de I'avcnironi elegaspillees paries ducsd'Anjou, de Bourgogne , de Berry, d'Grleans , sur les roules d'Ualie el de Flandre, dans des expeditions guerrieres sans profit pour la France, dans des fetes splendides pleines de mauvais enseignemenls. Ces princes, gouvernaul d'apres leurs interels el leurs passions , ne peuvenl s'entendre sur aucune queslion , ni inte- rieure, ni exterieure, ni civile, ni religieuse; de la des liraillements , des contradictions, des desordres, des crimes parlout, I'anarchie parlout. La noidesse, au lieu de prendre une glorieuse revanche sur les Anglais, va guerroyer conire le Turc,- quand un prince veut profiler des desordres de I'Anglelerre el prepare conire elle une couleuse expedilion , son lival se vend a I'elranger ou vole le tresnr de I'armee. Le jieuple esl ruine par les pilleries des gens de guerre , de finance el de justice. Le clerge paie dime sur dime aux princes el aux papes, passe sans molif sans transition , au gre des partis, de la souslraciion a l'obedience. Si parfois les ministres (les Marmousels) el les grands corps de l'eial par leurs doleances oblien- nenl le redressemenl de quelques abus , les princes coalises font empoisonner ou assassiner les minislres. Si le conseil royal vole un impot exlraordinaire , aus- sitot les membres influents du conseil proteslent publiquement conire cet impot. II n'y a plus de gou- — 151 — vernemenl, ou plulot, il y a autant de gouvernements que do princes influents. A la place de la vieille mo- narchic francaise s'est subslituee Foligarchie feodale des sires du sang, des seigneurs de la fleur de lys. Le gouvernemenl est devenu une faction. De la des disputes acharnees pour s'emparer du pouvoir , pour le conserver ou le reprendre. A chaque instant la guerre civile est sur le point d'eclater. En 1405, elle est imminenle. Pendant deux mois ( du 16 aout au 16 oclobre) , le due d'Orleans retire a Melun , le due de Bourgogne, maitre de Paris, menacent d'en venir aux mains. Le traile de Vincennes les reconcilie ; ils renlrenl a Paris, et, d'un commun accord, preparent des reformes ; pour les operer plus facilement , ils demandent des conseils aux bourgeois , au parlement , et notammenl a l'Universite. L'Universite de Paris etait !c plus ancicn el le premier des grands corps de l'Etai. Fille des rois et des papes, elle lenait deux des privileges deja deux fois seculaires (1200-1405). La France, I'Eu- rope, toule la cbreliente, la regardaient comnie la mere des bonnes etudes, la regie de la vraie foi, la source des saines doctrines. A Paris, elle dis- posal de cinquante colleges, d'un grand nombre de benefices , cures , chapellenies , canonicals. Elle avait a ses ordres une armce bruyanle de mallres et d'eludianls venus de lous les coins du monde, une autre armee de clients, chirurgiens, libraires, enlu- mineurs, ecrivains, relieurs, logeurs. Les ordres-men- dianls, en forcant ses porles, etaient venus doubler ses forces el sa gloire. Hors de Paris, elle inspirait toutes les autrcs universiles creees sur son modele, et porlail ses suppols aux plus hautes fonciions xxi. 12 - 152 — de I'Eglise el de I'Elal ; en un mol elle cxeiQail sur tout le monde chrelien , avec un ascendant incontestable, une triple action inlellectuelle, reli- gieuse el politique, qui lui valait les sympathies des princes et les respects des peuples. Les agitations et les troubles du regne de Charles VI portaient de graves atteintes a eelte grande existence. L'Cniversile souffrail dans ses privileges violes, dans ses revenus diminues, dans ses doctrines allaquees. Liberie individuelle, liberie de la parole, juridiclion speeiale , exemptions financiers, lout etait menace, compromis. Les etudianls etaienl beaucoup moins nombreux par suile des malheurs du temps. La guerre civile, la guerre religieuse, la guerre etrangere poussaienl a sa mine le royaume de France, ebranlaient l'ordre social lout entier. Dans cclle grande crise, l'Universile defendit avec ardeur sesinlerels prives ; mais avec plus d'ardeur encore pendant cinquanle ans elle comballit, avec fermete, avec patience, avec sagesse, pour les in- terests generaux de la societe, pour la paix de I'Eglise et la paix du royaume. Pour relablir la paix dans I'Eglise, elle pour- suit avec une egale vigueur 1'heresie et le schisme. Ainsi, des 1384, apres avoir proclame le dogme de l'Immaculee Conception, elle fait une guerre Ires vive aux Dominicains qui allaquent ses decrets. Dans la question du schisme, nous la voyons, des le debut, faire de grands efforts pour le prevenir ou l'arreier. Sous la pression royale elle se prononce pour le pape d'Avignon, mais tardivemenl (mai 1379-1582), el met aussilol en avant le mcilleur moyen de faire cesser la lulte, e'est a-dirc la cession ou Tab- — 153 — dicaiion des deux cenlendants el la convocaiion d'un concile general. C'est alors qu'elle adresse aux papes et aux princes, ambassades sur ambas- sades, leltres sur lettres. Elle echoue complelement aupres des papes ; le roi de France ecoute mieux ses plainles; daux conciles gallicans tenus a Paris se prononcent d'abord pour la cession, puis pour la souslraclion d'obedience. Des lellres royales ou or- donnances sanctionnent ces decrets ( 1595-1598 ). Mais bienlot le due d'Orleans fait avorter loutes ces mesures salulaires. En mai 1405, il arracbe a un Iroisieme concile nalional el an roi des de- crets et des leltres qui font rentrer I'Eglise de France dans le scbisme, sous Tobedience du pape d'Avignon , la livrenl de nouveau aux scandaleux pillages des agents de Benoit XIII ( Pierre de Lune ) el des agents des princ*es. C'est a partir de ce moment que 1'Universile , poussee dans 1'opposilion par le due d'Orleans, s'unit elroitement avec les Bourguignons , dont elle soutienl energiquement les principes politiques. Fidele a son origine royale , 1'Universile enseigne , propage et popularise les doctrines monarchiques de Bome imperiale. C'est a ses lecons que s'instruisent les peuples et que se forment les rois (Confesseurs precepteurs ) . Depuis deux siecles elle contribue puissamment aux progres du pouvoir royal , a 1 elevation du liers-elat , a I'abaissement de la feo- dalite. A celte action politique toute speculative et tbeorique, elle ajoulc naturellement peu a pen , sur- tout dans le courant du xive siecle , tine action pratique el direclc. Elle profile de son droit de doleance oflicielle el de barangue solennelle devant les princes , — 151 — pour dire son mot sur les affaires de l'etat, pour donner en passant de graves conseils sur les questions les plus serieuses el les plus dedicates. Elle est conslam- ment poussee dans celle voie nouvelle, par les pouvoirs forts aussi bien que par les pouvoirs faibles , par les encouragements des rois et des papes aussi bien que par les plaintes des peuples. Ainsi, en 1502, Philippe- le-Bel demande et oblient son adhesion , dans ses demeles avec Boniface VIII. 'Charles-le-Mauvais , roi de Navarre, assassin du Connelablede LaCerda (1555) la prie de demander sa grace au roi ; en 1557, le pape l'engage a offrir sa mediation pour reconcilier Marcel et le Dauphin. Charles V, apres son couronne- menl (15G4), se recommande a l'Universite. Cesage roi aimait a s'enlourer d'universitaires : « // les man- dait souvent pour ou'ir la doctrine de leur science , user de leurs conseils , il les honorait moult en lou- tes choses. » Enfin, lepeuple, dans les grandes depresses qui succedaienl a ses sanglantes emcutes, pour tem- perer les represailles des princes , pour apaiser les coleres du pouvoir ( 1558-1582-1585), implorait avec larmes la mediation de la fdle des rois. L'Universite repondait a lous ces appels avec un devouement ires Chretien et Ires palriolique. Au peuple elle prechait le respect du aux puissances de la terre , aux pouvoirs etablis elle rappelail les ne- cessiles de la justice, a tous elle parlait de la paix, de la charile. Au commencement du xve siecle, voyant ses conseils dedaignes et le royaume marcher a sa perte, rUniversile voulut enfin prendre elle-meme une part active au gouvernement , et se substituer a ceux qu'elle jugeait a la fois coupables et incapables. Elle demanda des reformes, en se posant « comme un pouvoir politique, le grand conseil de la nation. » — 155 — Des le commencement du xve siecle, I'Universite enlre resolument dans sa voie nouvelle. Docteurs, predica- icurs, orateurs, dans les ecoles, dans la chaire, dans les assemblies deliberanles , ne developpcnl qu'un seul et meme theme, les miseres du royaume et la neccssile d'une reformation politique. lis allaquenl avee tine audacieuse violence l'adminislration, les amis, la personnc meme du due d'Orleans. En 1402, d 'accord avec l'archeveque de Reims, Guy de Rove, ils encouragent energiquement le clerge a refuser un nouvel impot. En 1605, ils s'entendent avec le corps de ville el par l'oigane du docteur Jean Courlecuisse, ils prient le roi de potirvoir an bon gouvernement du royaume. En 1404 , Gerson poursuil devanl le parlement un oflicier, un ami du due d'Orleans, le sire de Savoisy, pour insulles et violences a des ecoliers ; il demande et obtienl une reparation eclaianie. En 1405, Jacques Legrand, moine augus- tin el predicateur renomme, va bien plus loin, il aliaque et nomine la reine et le due, le jour de 1'Ascension ; puis, le jour, de la Penlecole, devanl le roi et toule la cour, il reproche a la reine de faire regner a la cour, nuit et jour, dame Venus avec ses suivantes inseparables , gourmandise et crapule ; il declare qu'un certain due, maudil du peuple, mene le royaume a sa perte , si remede n'y est mis. Enu'n I'Universite appelle a Paris de lous ses vceux le due Jean de Rourgogne ; le 25 aout, elle I'accueille avec enthousiasme et des ce moment devient Fame de ses conseils. Elle n'abuse point de celle premiere vicloire : point de reactions, point de vengeauces ; fidele a ses antiques traditions de moderation el de justice, elle n'emel qu'un voeu la reconciliation des princes. — 156 — ello n'a qu'un but la reforme de I'Elat. Pour amener ces henreux resullals , elle deploie une activile infali- gable, elle travaille a la paix d'abord, par des prieres publiques, par des harangues au peuple, des depula- lions aux princes a Melun el a Paris. Les rebuts de la reine, les railleries du due d'Orleans, ne la decou- ragent pas. Enfin elle a la gloire de prendre une grande part a la conclusion du traile de Vincennes. C'est a ce tilre qu'apres la paix, en octobre 1405, elle demande et obiient une audience solennelle. Les membres du conseil royal, plusieurs dues, comles et seigneurs, grand nombre de prelals, de docleurs et de bourgeois se reunissent a l'hotel St-Pol sous la presidence du roi; la reine Isabeau de Baviere, le dauphin Louis el les princes du sang prennent place a cole du trone. C'est devant cede illuslre et nombreuse assemblee que Gerson porle la parole au nom de l'Universite, touchant le grand bien du roi et du royaume. Son discours, compose dans le gout du lemps, est herisse de divisions et subdivisions, episodes, considerations et veriles, emaille de citations de loutes provenances, profanes et sacrees, anciennes el modernes. Mais, quand on I'a de"barrasse de cette vieille rhetorique pedantesque, on y trouve un ex- pose parfois anime, souvent eloquent, toujours vrai des miseres du royaume, el des reformes demandees par les sages. C'est a ce double point de vue que nous analyserons ce curieux monument. Nous commencerons par le tableau des souffrances du pays. Dans son exorde Gerson les resume ainsi : a Helas ! Messeigneurs, perturbation parloul, mechef » parloul, lourmenl douloureux parloul, parloul cruelle » oppression du pcuple ; pour justice violence, pmir — 157 — » misericorde rapine, pour protection destruction, pour » soutenance subversion; pour pasleurs pilleurs, pour » defendeurs perseculeurs ; violation de puc'elles , » prostitutions de femmcs mariees, boutemenls de » feux en saints lieux, profanations de saintes places; » meurlres enfin et chose horrible ! on voil l'bomme » soi-meme se defaire par rage et desespoir ; en un » mot, voici miserable dissipation de ce royaume, si » remede n'y esl mis. » Ce tableau, un peu trop ciceronien peut-etre, n'a pourlanl rien d'exagere ; il esl conlirme par lous les hisloriens contemporains, et Gersou lui-meme par des details Ires precis confirme et complete les hisloriens. Pour nous en convaincre nous n'avons qu'a recueillir cc qu'il dit du gouvernement de I'Elat, des grands services publics, des differenles Glasses de la societe, enfin de la situation morale du pays. ^ Gerson indique neltement le principe du mal , c^est I'anarchie. Lc roi, age de 57 ans, esl fou depuis 15 ans. Les distractions bruyantes, les jeux inno- cents et la relraite absolue, les remedes des physiciens ou medecins, les charmes des astrologues ou sorciers, les prieres des clercs et du peuple n'onl pu le guerir, ni flechir la colore divine. Les absences de Charles VI sont plus frequentes, plus longues, plus completes. Cependant plus il devient malbeu- reux, plus les sympathies populates s'attachent a lui. Gerson les partage el les inlerprete en repelant sans cesse, avec respect, piete et amour, le cri qui lui a servi de texle, vivat rex, vivat rex, vivat rex, rex in sempkernum vive. II nous appiloie sur la trisle position de ce prince, entoure de deux cents chambdlans, deux cents valets de chambre , de se- — 158 — cretaires sans nontbre , qui I'accablent de dcmandes deraisonnables, lui arrachent des ecus par millicrs el le laissent manquer de lout. « Quanies fois on a » vu la personne du roi ne pouvant finer d'un ecu, » ni par prieres ni par promesses, presents ceux » auxquels il donnait par milliers. » De son cole le Religieux de Saint-Denis nous monlre le roi vivanl, comme une bete fauve, dans l'ordure el la vermine et se jelanl louvissement sur la nourriture qu'on lui presenle. Cepcndant ce malheureux prince reste chef de l'Elat. Pour menager leur ambition plutot que par egard pour les sympathies populaires, les princes du sang lui onl laisse 1'exercice du pou- voir ; dans ses moments lucides ils lui font signer les ordonnances ; pendant ses absences ils expedient les affaires en pelil comile ou en consci! royal. Ce conseil, compose des hauls fonclionnaires de l'Elat, des minislres dirigeanls et des princes du sang, est preside par la reine. Isabeau de Baviere, mariee depuis 1585, avail alors 34 ans ; de onze enfants, huit lui restaient, trois tils el cinq lilies ; 1'ainee des lilies avail 16 ans ; Faine des fils avail 9 ans, c'etait le dauphin Louis, due d'Aquitaine ou de Guyerme, concierge du palais. Avec de la tele el du cceur Isabeau pouvait jouer le role de Blanche de Castillo, diviser, puis accabler les ennemis du dedans et du dehors; mais elle se laissa dominer par ceux qui flattaienl le plus ou le mieux ses passions. Cousine par sou pere de la duchesse de Bourgogne, par sa mere de la duchesse d'Orleans, elle subit successivemenl ces deux influences. En avril 1405, le due d'Orleans lui fait donner la presidence du conseil en Tab- — 159 '- sence du roi. Des lors die est toute a lui ; ellc abandonne son royal epoux a des femmes de service, ses enfanis a des mains mercenaires pour nc songer qu'aux plaisirs. Le peuple la deteste, la poursuil de mauvais propos, i'accablc d'imprecalions. Pour lui, Isabeau esl la reinc adullere qui ne se plait qu'aux bombances , aux danses mathonnetes ; c'est Pelrangere qui ruine le royanme pour expedier, a dos de mulels, foul Tor de France, en Baviere. A lous ces griefs les Universitaires ajoulent des griefs particuliers ; ils reprocbenl a la reine d'avoir loujours montre beaucoup dc dedain pour leurs jusles cen- sures, et, naguere encore, a Melun, d'avoir refuse une audience a la deputation des docleurs. Les docleurs se vengcnt aussiiol (en mai el en juin 1405). Jacques Legrand, comme nous I'avons vu , altaque la reine sans aucun management. Dans l'assemblee du raois d'oclobre , Gerson est bien plus reserve. II parle de la reine avec respect el 1'associe aux voeux qu'il fait pour h sante du roi et du dauphin. Cependant a propos de luxe, il hasarde en passant celte al- lusion assez piquanie : « Au temps du roi Philippe, » a la cour des comptes, on complait 12 deniers on » 12 sous pour la refection des robes de la reine et » du dauphin. » Au resle il parle peu de la reine et ne prononce son nom que irois fois ; pour I'auditeur altentif, ce silence et ceile reserve parlent assez haul. Gerson est moins reserve a I'egard des aulres membres du Conseil royal , surlout a I'egard des princes du sang. A celte epoque la race des Capets elalait en plein jour, sur le sol francats, une legion ou plutol une four- xxi. 13 — 160 — mi He re de princes el de princesses (deux cents, sans compter un nombre presque egal de batards). Onze maisons ou families feodales se raltachaient direcle- ment a la race royale. C'etaient les maisons d'Orleans (issue de Charles V), d'Anjou , de Berry et de Bour- gogne ( — de Jean II ), d'Alencon el d'Evreux ( — de Philippe III), de Bourbon ( — de Saint-Louis), d'Artois ( — de LouisYIII ) , de Dreux , de Bretagne et de Courtenay ( — de Louis VI). Ces maisons royalcs, loin de faire alors la fortune et la force de la dynastie, etaieni pour elle une cause permanente de divisions et de l'aiblesse, pour le pays une cause de ruine. II fallait apanager, doler, nourrir tous les princes et les princesses. Les plus pauvres remplissaient a la cour, pres du roi , de la reine, du dauphin , des fonctions domestiques imporlanles, des posies de confiance; ils elaient maitres d'hotel, chambellans, secretaires, panneliers, bouleillers, valets de chambre ou valets tranchanls , parfois capitaines d'avenluriers. Aux chefs de famille, aux proches pa- rents du roi, il fallait des apanages, des fonclions lucratives, la direction des affaires, une place dans le Conseil royal. Dansce conseil on compte alors vingt sires du sang. C'etaient, en premiere ligne, le frere, l'oncle et les quatre cousins germains du roi ; Louis I, due d'Orleans , Jean , due de Berry , Louis II , due d'Anjou , Jean, due de Bourgognc , Antoine, due de Relhel , _.... , . ., \ freres de Jean. Philippe, comle de Nerers , — 161 — Puis venaient les parents eloignes, enlre aiilrcs six Bourbons : Jean I , due d'Aiencon , Charles III , corule d'Evreux et roi dc Navarre , Pierre , com(e de Mortain , son frere , Louis II, due de Bourbon , Jean, son G!s. Jacques II , comto de La Marche, Louis de Vendome, ) ¥ „ \ freres de Jacques. Jean de Carency , ; Jacques, sire de Preaux , Jean VI, due de Brelsgne , Arlhus Richard \ de Bretagne, freres de Jean. Enlin , il faut ajouler a cetle longue lisle : Edouard , due de Bar, flls d'une princesse francaise , Et Louis de Baviere , frere de la reine. Ces princes, divisesen deux factions, reconnaisseni pour chefs le due d'Orleans el le due de Bourgogne; ces derniers sont falalement rivaux ; tous deux out meme age (34 ans) el meme ambition ; lous deux sont porles au pouvoir par deux partis egaleraent puissanls dans la cour et dans le royaurae ; tous deux s'appuienl sur des pretentions a peu pres egales. Louis d'Orleans fait valoir son litre de premier prince du sang. Depuis 17 ans, il prend une part considerable aux affaires de I'lMat, d'abord comme soulien des Marmousels, puis comme rival de ses — 162 — oiicles. En 1404, la mort de Philippe , due de Bour- gogne , le laisse un instant gouvcrner saus controle el sans partage. Valentine de Milan, sa femme , est maitresse de l'esprit el du cceur du roi ; la reine, les dues de Berry, d'Anjou, d'Alencon, de Bar et de Baviere , Louis el Jean de Bourbon , le sire de Preaux lui assurent la majorite dans le conseil ; dans le royaume, il compte, et avec raison, sur la noblesse, surlout sur celle du Midi qui commence deja a prendre pour chefs les com les d'Armagnac, parents du due de Berry. Jean de Bourgogne esi premier pair de France el doyen des pairs, herilier des drolls et des vastes domaines du due Philippe ; i! a aussi a la cour et dans le royaume des partisans nombreux el devoues, ses deux freres d'abord, puis les comles d'Evreux et de Mortain, le comte de La Marche et ses deux freres, la noblesse du Nord, la classe urbaine et surlout la bourgeoisie parisienne. Son manage avec Marguerite de Baviere, les manages de. ses freres avec Jeanne de Luxembourg et Isabelle de Coucy, de ses trois scaurs avec les dues de Hainaut, de Savoie et d'Autriche , lui permetlent de recruter son armee dans lout le Nord et 1'Est de la France, dans la Belgique el dans les Allemagnes. Les ma- nages de deux de ses jeunes enfants, de Marguerite avec le dauphin Louis, de Jean avec Michelle de France , assurent son influence dans le present et dans l'avenir. Dans le present, ce qui fail surtout sa force, e'est son caractere d'homme nouveau ; e'est son attitude de- cidee. Jusqu'alors etranger au gouvernement, il esl egalement etranger aux faules et aux crimes de ceux — 163 — qui Font precede; on ne pern lui reprocher ni ses paroles, ni ses acles, ni ses contradictions ; tout en lui est jeune, intact et fort. Des son ave- nemenl ( avril 1404), il apporle aux affaires une conscience sans scrupule, une volonle energique et cetle audace aveugle qui, a NicopoFis, I'a fait surnommer Jean-sans-Peur. En mars 1405, il pro- teste puhliquement contre une laille nouvelle vu la misere du commun ; vers la Fin du mois d'Aout (25), en s'emparant de Paris, en rendant a cetle ville ses privileges abolis depuis 1583, en ecoutant les doleances des bourgeois et des universitaires, il met le comble a sa popularite : il commence la lutle sur un excellent terrain et dans les meilleures conditions possibles, avec le prestige d'un homme nouveau et la force d'un tribun. Son rival est, au contraire, le plus decrie des hommes, le plus impopulaire des princes. On lui reprocbe son libertinage effrene, ses exactions, ses dilapidations ou plutot ses vols ehontes. Ainsi, plusieurs fois il a pille, puis dissipc en bombances, en largesses a ses compagnons de debauches, Far- gent amasse pour faire la guerre aux Anglais. Reccmmenl (1404-1405) deux tallies generales, pres de 40 millions, ont pris la meme fin. Par ses usurpaiions, il agrandil sans cesse son apanage, eblouil par son luxe, par ses somptueuses constructions, et fait vendre jusqu'd la paille du lit du pauvre. La douleur du peuple Faccuse de tons les attentats, de lous les vices possibles et impossibles; ses etour- deries , son amour pour les arts et la science meme sonl des crimes. Dans le bal du 29 Janvier 1393, c'esl avec intention qu'il a enjlambe le roi deguise — 16/i — en sauvage. Lui el sa femme Valentine, I'llalienne, la fille des Lombards, onl ensorcele et male fide le roi; ils onl fait mourir successivement deux dauphins, l'un an berceau , I'autre a huit ans (1401) : ce bel enfant est devenu (out a coup sec el clique par envoutement. Deux moines du Midi ont formule ces accusations , en declarant que Louis d'Orleans aspirait au none (1598). Les clercs partagent presque toules les croyances populaires ; de plus ils reprochent au prince la violation dc leurs privileges , son attachement pour lienoil XIII , son dedain pour I'Universite. Gerson est I'interprete iidele des rancunes , des prejuges , des esperanccs populaires. II ne cache pas ses sympathies pour le due de Bourgogne. Deux fois il prononce son nom : en rapport ant un trait de la vie de Clodomir , fils de Clovis el roi de Bour- gogne , il ajoute en parenlhese (roi, ainsi se nommait pour lors le due de Bourgogne). Dans un autre passage il raconte que se trouvant a un diner, oil seieail Monseigneur de Bourgogne, un seigneur lui (lit, que valels el gens de neant , instruils des affaires d'etat par gens indircrcts , du matin au soir , delrui- saient le bien fait par les sages conseillers. Cetle pa- renlhese el ce propos de table nous semblenl gros d'eloges et d'encouragements. Loner le due de Bourgogne, e'est deja altaquer le due d'Orleans; Gerson complete son atlaque avec une reserve prudente et une habileie consommee. II ne cite pas une seule fois le nom du prince , il ne dit pas meme commc Jacques Legrand , un certain due, il procede par voie d'insinuations et d'allusions. Tous ses coups sont indirects, anonymes, pour ainsi dire, et ne sont que mieux portes et plus sensibles. — 165 — Ainsi, on faisant Peloge de I'Universile, ii la re- present figuree par Pallas-Aihenes, mere de I'olivier de paix, et disant avec le Sage: Facia sum coram eo tanquam reperiens pacem ; puis il ajoule : « II » ne faut pas croire les calomnialeurs qui disent » I'Universiie parlialeen maliere de foi ; quepersonne » ne vienne lui defendre de crier en public, partout, » vivat rex. Cerles , si quelqu'iin dit de quoi veut- » elle se meler, qu'elle eludie ses livres, c'est bien » pelitement aviser; on n'apprend pas seulcment pour » savoir, mais pour ouvrer, scieniia abscondila, » thesaurus immersus. » Ces vives paroles rappellent a lous les recenles et blessantes railleries adressees par le due, a Melun , aux Universilaires : « Vous » eles pariiaux en matiere de foi, vous querez guerre, » relournez dans vos ecoles, reslez dans voire melier, » ne vous melez des affaires du gouvernement. » Dans un autre passage I'orateur est bien plus vi.f encore : II nous rnontre un flalteur enflambant un seigneur, et lui disant : « Sire, regardez-vous , vrai- » rnenl lerre ne soutient seigneur qui vous egale en » noblesse de cceur, en prouesse et beau parler, en » grand sens et prudence. Les aulres ne sont que » des betes en regard de vous : oui-da , vous eles trop » humble, trop religieux, trop doux , trop large, trop » pileux; que vous cbault de ces vilains, de ces cha- y> perons fourres, de ces lurelupins religieux. Monlrez, • » monlrez que vous etes seigneur. Eh ! je vous prie , » quel est celui qui vous pourrait grever , montrer, » conseillei . Qui eles vous ? x> Dans ce seigneur si bien flalte, il est facile de reconnailre le due d'Orleans, avec ses tendances despoliques , ses dedains pour les conNeiis el les conseillers, ses prelenlions au beau — 160 — langage. Le due el ses flatteurs rlurenl fremir d'indi- gnalion , mais 1'oraieur n'en conlinua pas raping par cette eloquenle apostrophe: « Qui etes-vous? dil le flat— b teiir eti terminant, qui etes-vous? oh! Messeigneurs, » a cette question Veriie repondrait : Tu cs une vessie » rempliede vent; trois pois dedans font grand bruit, » la pointe d'une aiguille abat cette vanlerie ; tu es une )> pauvre miserable creature, sujelle a loute angoisse » et tribulation. Tol ou lard tu deviendras charogne el » puante viande a vers. Regarde dune quels seigneurs » etaicntaee conseil, il y a quaire ou six ans. Chacun » les honorail , chacun les redoulait, chacun les » ilatiait aulanl el plus que loi: oil sonl-ils de present? » lis ont dormi leur songe, Us ont fait leur personnage » dormierunt somnum suum ; peul-elre leur ame esl » en enfer, cerles leur corps est boule en lerre; lerre, t> terre, lerre, ecoule la parole de Dieu , omniscaro » foenum. » Sur lous les autres points de la morale ou de la politique, a chaque ligne de ce grand discours, nous relrouvons des allusions aussi nettes^ aussi iransparenles. Tantol I'orateur condarane les adeples de la magie , qui font peches tres deplaisants a Dieu, diffames au month , jusqu'a persecute)' un roi ou un prince par le fer et le feu , selon les his divines et humaines ; lanlol il appelle la vengeance divine sur les loups-garous qui devorent le royaume, el pourlant font faillite, qui, par la prodigalite, elevent, a un haut rang un horarae de neant, ne possedant pas cent deniers ou cent sous de rente ; ils justi- fient la prophetic de Joel: « Residuum Emcee comedit » locusta, residuum Locustce Bruchus, residuum Bruchi » Rubigo. » — 167 — C'esl evidemment sur loule la noblesse, sur lous les courlisans qu'il frappe, mais surtout sur le due d'Orleans, depuis longiemps seul chef reel du pou- voir et seul reellement respimsable, et c'esl h lui cerlainement que s'adresse cetle rude apostrophe : « Toi prince, tu ne fais lels maux, mais tu les » souflres ; Dieu juslement pourra te dire, je ne te » punis pas, mais si les diables d'enfer le lourmenlenl, » je ne les empecherai pas. » Tel prince, le!s courlisans, tels minislres,^ lels conseillers ! des flaneurs, des pillards, des debauches, de jeunes fous ou de laches vieillards. Gerson les flelrit tons des severites de sa parole. 11 fait du flaneur un portrait digne des grands mailres, de La Bruyere et de Massillon. « Le flatleur est I'en- chanleur du diable, un enveloppeur de paroles, un alibi forain, un mauvais porlier qui ouvre la porle a l'esprit de mensonge. II semble querir paix et suscite dissensions, il bande les yeux des seigneurs et joue d'eux aux chapefols. Taniot il prend unc cape el semble prelai, tanlol se deguise en cheva- lier, aucunes fois en valet. Flatleur est un menetrier ou Irompetle qui chante toujours sur un air faux, au gre du maitre. C'e»t un miroir qui ril, quand on rit; qui pleure, quand on pleure, semper gaudet alienum sumere nullum. Dira un seigneur, il fait chaud — je sue, dira le flalteur; si le seigneur dit incontinent, il fait froid, — je tremble, dit le flalteur. Souvenl j'ai vu en un diner ce cas ou semblable, et m'eionuait fort que le seigneur ne le voyait, moquait ou reprenaii. » Puis il devoile l?egoi'sme l I'avidile de ce triste personnage : « Ah ! jamais ne conlredirai, placebo domino; laillent, rognenl, — 168 — » efforcent, que me cliault, pourvu que j'aie ma part ?» Cetle part est souvent la plus grosse. Tantot il prend lui-mSme et pille comme sangsue qui suce le seigneur de nuit et de jour ; lanl6t on lui donne par prodigalite . Le flatteur ruine le seigneur et perd I'Etal. II inlimide les conseillers, gens de bien, les epouvante en leur disant que verite mene au martyre. Alors ceux-ci « par crainte feignent toujours et disent, Monsieur fait bien, Monsieur dit bien, ou ne disent chose que vaille, ou ploient les epaules et se taisent. i Ce lache silence laisse la parole et l'influence aux flatteurs, aux delateurs, aux etourdis. Nous avons deja vu le flatteur a 1'ceuvre ; voici le dela- teur : a II fait le bon valet pour nuire a aulrui » et fait accusations secretes. J'ai ete en cour et je » sais que la, il est en puissance d'aucunes gens de » neant d'irriter le seigneur conlre ses meilleurs » amis. » Les jeunes gens de leur cote n'ont pour eux que presomplion ou folie; ils meprisent les avis, n'en veulenl pas entendre ou bien ne les suivent pas , tout en laissant redonder dans Vopinon des gens tout le mal sur les conseillers. Ils commellent mille indiscretions, « Dieu sait , si les conseils de France s'e/i vont a la moustarde . et se chantent a la vielle, tant sont secrets. » Enfin , comme les Frangais du temps de Jules Cesar, ils ecoutent les rumeurs, agissent sans prudence, sans prevoyance, sans savoir comment on peut issir d'une affaire, surtout en fait de guerre ; on s'avance, on se laisse agrapper comme poisson d la nasse , puis on dit : non putavi. Sous un pareil gouvernement les grands services — 169 — publics, armee, justice, finances, loin de concourir an Iriomphe de I'ordre on a la prosperite generale, sont une cause ires active de trouble et de mine. Cepemlant, halons-nous de dire que le gouvernement de Charles YI ne porle pas seul la responsabilite du ma!, elle retombc en grande partie sur l'orga- nisation sociale, sur la sociele feodale. Les rouages de la machine monarchique, crees lout recemment par la jeune royaule (Yancaise, ne sont pas moins imparfails qu'elle ; rien de plus complique, de plus anormal, de plus contradictoire. Par les exemptions des ordres privileges, par le nombre effrayant des impots, par leur qnotite plus effrayante encore, par la repartition et leur perception, le sysleme financier est , au dernier point, arbilraire, vexatoire, odieux . Par la venalile des charges et leur multiplicile, par I'etablissemeni des grandes compagnies et par les privileges mililaires de la noblesse, les magistrals et les soldats commeltent d'une maniere permanente des injustices criantes, des violences effroyables. Ainsi, les grands services publics sont falalement pleins d'abus monstrueux ; mais a cette epoque Tincapacite ou la complicile des gouvernanls les augmente et les rend plus monstrueux encore. Pour nous en convaincre, ecoulons Gerson : Voici ce qu'il dit des finances : « Dans ce royaume » on leve des sommes enormes sous differenls noms , » taille, aides, gabelle, fouage, qualrieme, 6peronsdu » roi , ceinture de la reine, truages, chaussees, pas- » sages, laille extraordinaire ou surlaille, emprunts et » autres subventions ou subsides... Dans la repartition » le riche trouve plus de faveur que le pauvre : a ce » dernier on prend tout. . . ou peu lui demeure ; puis — 170 — » sera encore creee une taille , et sorgents de venir, » d'engager pots et poilles. De ces sommes enormes » pen revient au roi, cent francs snrqualre ou six cents. » Les fermiers et percepteurs, les receveurs et treso- » riers, les princes el leurs favoris devorentle resle. » Ce qui rappelle I'hisloire du chien Taupin ; a la table » des noces, une mere cuidait passer par derriere des b mets a son enfant , mais Taupin happait tout. Cette » mere , c'est la chose publique , qui croit donner » merveille a son seigneur, mais le serviteur s'a- » vance et engloute lout. Pour Dieu , soil dit » comme l'enfanl mourant de faim : Ma mere ne » fais Taupin ton messager, car il ne me donne » rien. » C'est le chien Taupin ou le dilapidateur effronle qui est charge des recettes. Les depenses sonl regimes par deux loups-garous, Etat et Don Outrageux, c'esl- a-dire, luxe et prodigalite. Dans de pareilles mains le budget est bien malade. Taupin ne laisse rien ou presque rien entrer dans les coffres ; loup-garou agrappe tout ce qui en sort , ravit tout , happe tout , sans pitie , sans compassion , dissipe la substance du pauvre en males et vilaines oeuvres , en luxe , edifices , famille pompeuse et honteuse , en vanites couvertes sous V ombre d'aumdnes et de religion. Gerson attaque surlout la prodigalite ; c'etait un des grands defauls de Charles VI. Par magnificence, la ou son pere donnait cent ecus, lui en donnait mille. Pour guerir ce vice ruineux, en 1588, le ministre Nogenl et la cour des comptes deciderent qu'a l'avenir, on mettrait dans le tresor des lingots, an lien d'especes. Cette mesure heroique ne guerit pas !e roi, il donna en hons sur le tresor, de — 171 — bouche ou par ecrit ; cet abus arrache a Gerson un de ses cris les plus douloureux « Don outrageux, » accorde par ecrit ou de bouche, parait peu ; ah ! » si on voyait, en un las, mille ou deux mille francs, » el la difficulle de les amasser, denier a denier, du » pauvre peuple ! tel qui donne par milliers, ne don- » nerait point par quarterons. » Avec un pared systeme financier et de semblables abus, on devore fatalement les ressources du present el de l'avenir; on aboulil fatalement au deficit, a la banquerouie. Gerson ne prononce pas ces grands mois , mais il dil neltement la chose. « Les enormes » irapots dont on greve le royaume ne peuvent suffire » a la depense commune d'aucuns seigneurs; chacun » le crie, pas n'est secret. Cela ne peul conlinuer » sans rompre, car selon le commun proverbe : » Qui plus depense qua lui n'affiert , b Sans coup ferir a mort se fieri. » Oui, j'affirmequ'il n'est royaume si stable, qu'il ne » trebuche bientot en cet etat, cxemple: es Grecs, es » Remains, es Papes depuis quarante ou cinquante » ans. Malheur, malheur, dil le Sage, a celui qui » se nourrit de la chair et du sang du peuple , de sub- » stantia pauperis. » Cette malediction relombe aussi sur les princes qui lolerent l'injustice : « Sans justice , dit le Sage , un » royaume n'est que larronnerie. » Grande el triste verite; une larronnerie, telle est, en effet, la France dans ce siecle. Gerson altribue les desordres de Pad- ministration judiciaire a quatre abus principaux , venalile des charges, muliiplicite des offices et chan- gemenls des officicrs de justice , violation des arrets — 172 - du parlement. En 4588, puis en 1401, Nogent el Juvenal des Ursins avaient pense diminuer ces vieux abus, en faisant donner au pariemenl l'ordre expres de ne pas obtemperer aux ordonnances royales enira- vanl le cours de la justice, en subslituant l'election a la venalile. Mais ces ordonnances de reformes elaient leitre morte a cote des abus qui restaienl ties vivants. Ecoulons encore noire orateur : « On institue l'officier » de justice par argent. Cher il l'a achele , cher il la » vendra. Croyez-moi, il la vend, il se garde d'y perdre, >, il emploiecaulele, malice, faux poids. Le plus pesant » l'emporte dans la balance, ou, comme dit un ancien, » arrets de justice sonl loiles d'araignees qui retienneni » petites mouchetleseilaissent grosses aller. On sevit » contre le faible; on ne pourrait en un jour, non pas » en six mois, reciter le travail outrageux qui par in- » justice vient sur les pauvres gens , par pertes de » joumees^ defaut de controuves, amendes,procureurs, 3d avocals , promoteurs, violence et exlorsion de ser- » ments. Oh! quel irebuchemeul d'ames ! Viendronta D I'hotel (notezqueDieu, dans la loi ancienne, defend » d'y enlrer pour ne pas voir la misere du prochain), j> viendronl done a I'hotel, touty sera renverse, deux » ou trois fois le jour, jusqu'a ce qu'on ait compose. » Souvent, il advienl que les depens surmonlenl le » principal. Parfois, si le pauvre veul poursuivre ceux » qui l'ont pille, il perdra ses journees, il depensera » le double et finalement n'aura rien : peut-elre une b cedule chantant ; on doit, a lei, lant, qu'on devra » toujours, comme dit l'autre. » L'orateur parle ensuile du peu de respect qu'on a pour les arrets de la cour souveraine du parlement : pour prouver qu'il ne faul ni multiplier les offices, — 173 — ni changer souvent les magislrats, il emprunle une comparaison a Aristote et cile le dit d'une bonne femme : « Les officiers souvent changes ressemblent » aux mouches de I'homme playe , il faut surlout » redouler les inois des mouches maigres et affamees. » Une bonne femme, voyant, a Orleans, la foule des » eludiants en droit, s'ecria : Helas ! le pays est deja » presque tout gale par avocats, juges, procureurs: » que scra-ce de celte multitude? » C'est ainsi que Gerson Justine les vives paroles de son exorde: pour justice violence, pour defendeurs pilleurs. Apres les pilleries des gens de finances el de justice, qui au moins pillenl sous ombre de legalite, voici les pilleries des gens de guerre , qui pillent pour piller. Les premiers n'ont pas encore lout pris : « Ilsontlaisse, paraventure, une pouleetqualre » poussins; une pauvre femme les nourrissait pour » vendre et payer le demeuranl de la taille , ou une » taille extraordinaire ; lout sera pris, bappe et querez » qui paie. Si I'homme ou la femme en parlent, ils i> seroni vilennes el garconnes. Quel mal plus grand? > Les gens d'armes souvent laches de ne rien prendre » ou il y a rien , menaceront , battront I'homme et la » femme , bruleront la maison. Je ne parle pas des » violences faites aux femmes , aux veuves. /> Ces nouvelles pilleries ont pour causes princi- pals la detestable organisation des compagnies feodales, l'absence de solde et surtout la scandaleuse immoralite des chevaliers , capitaines et soldats. No- tre discours est a ce sujel plein de details curieux el feconds en enseignemenls. « Les jeunes nobles menent » une vie oiseuse el delicieuse, par mepris refusent j> d'apprendre k lire, a connaflre les histoires el chro- — 174 — » niques dc balailles , so faisant evcillcr non par la >, trompelle mais par le dotix son d'uno chanson. » Quant aux chevaliers, « ils sont tons domptes par >, delit voluptueux, traitre qui vient en lapinage, et , » comma la fonlaine de Salmacis, empoisonne, affole, » rend hermaphrodites ceux qui s'y baignent.Ils pas- » sent deux ou irois heures a table, a dressouer pare, » ils prennent des vins a trehucher ; ne songeni qu'a » la parure, ils portent des robes trainantes de deux » pieds par lerre, des manches longues a dexlre et a » seneslre, des poulaines d'un demi pied de long Ils » trainent apres eux trois ou quatre chars de robes, » joyaux, tapis chausses semelees, double ciel a lendre, » fourneau d'airain ou de fer pour pelils pates etchoses » scmblables. Enfin, chacun ensuil son propre plaisir s ou volonle; plus de discipline ou d'obedience. » Tous ces fails douloureux nous reporient bien loin de 1'Europe feodale el chreiienne ; ces trisles chevaliers n'ont point leurs pareils dans l'histoire, si ce n'esl le troupeau confus qii'on appelaii l'armee per- sanne, couvert d'or et d'infamie, et qui ne marchait a Tennemi qu'a coups dc fouet. Leurs exploits onl les memes resuliats : ils savent piller , mais ne savent plus se baltre ; honleusement ils marchenl de defaites en desastres , de dcsastrcs en defaites , de Crecy a Poitiers, de Poitiers a Azincourt. Ces pilleries sans nom , sans pitie,et,peut-elre sans exemple, font cruellement souffrir la France entiere, roi et sujels, nobles et clercs, bourgeois et vilains, proprietaires et rentiers, ordres privilegies et contri- buables ; « le domaine du roi s'appauvrit de sujets et a de ressources , car, comme dit le proverbe, ou n'a » rien, le roi perd ses droits. Tout se pen!, chateaux — 175 — » royaux, pools, chaussees et moulins: il est impos- » sible de faire la guerre aux ennemis du royaume. Les » mendiants crient a la rage de faim ; les prelats et » seigneurs avec loul leur luxe soni aussi pauvres que » ceux qui meridiem leur pain. Les rentiers nepeuvent a avoir renies ; gens d'eglise le savent bien. » On souffre partout , meme a Paris : « meme ceux qui sont » aises dans leurs hotels, a Paris ou est loulo la graisse i) du royaume, oil la vie se relrait au cceur. » — Dans les provinces les souffrances sont bien plus grandes, dans les campagnes, elles sont inlolerables. Jusqu'alors, Gerson n'a eu qu'a flelrir des abus , a frapper des coupables, a laisser parler sa colere et son indignation. Mainlenant inlerpreledes miseres des pauvres paysans, il laisse parler ses sympathies les plus vives de la inaniere la plus touchante. On sent qu'il parle de ce qu'il a soufferl ou \u souffrir , qu'il met dans ses paroles, loule soname et tout son cceur. « Les o paroles me manquent pour exprimer celle desolation » et ires miserable besogne. Las ! un pauvre homme, » de toute son annee de labour, aura-l-il dix ou douze » queues de vin , deux ou trois muids de ble ? il faul » payer ses impots et alors, peu lui demeure. II faut » nourrir sa (em me et ses enlanls. Car sa femme Gerza » et auronl qualre ou six petils enfanls , au foyer ou » four (chaud par aventure). Les enfanls demanderont » du pain et crieront a la rage de faim. La pauvre mere » n'aura a leur bouleres denls qu'unpeu de pain avec » du sel , du pain de seigle ou d'orge. » Ce peu de pain sera bienlot enleve par les gens de finances et de guerre ; les malheureux n'onl plus rien ; « alors » les uns meurent par faule ou male nourriiure; les » aulres de desespoir se luenl, par pendre on noyer, • xxi. 14 — 176 — » ou d'un couteau au coeur. D'autres enfin quiitent » le royaurae. Les demeurants n'out de qnoi semer, ou » n'osenl tenir ni chevaux, ni bceufs, par crainte de les » voir voles , ou ne veulent labourer parce que rien » ne leur demeure. Les enfanls au lieu d'aider leurs » parents, disent : Nous aimons mieux faire les galins » galanis que labourer sans rien avoir. lis s'en voni : les o labourages se laissenl a faire, ou les vieillards sont » obliges de lirer la charrue : c'est pitie de le savoir. » Tous ces maux, Messeigneurs, croyez-le comme vous » nroyez a la mort, ne sont rien compares a ceux que, » par le royaume, mille et mille , et plus de dix mille » personnes ont souffert et souffrent encore. » Ces eloquentes paroles , pleines de larmes , de cris , de sanglots, de douloureux silences , emeuvent vivement I'assemblee ou se trouvent lant de coupables ; 1'orateur acheve de remuer leurs cceurs et leurs consciences : c Tres hauls et puissanls seigneurs , a ces paroles , » voire ccEur benin se tourne a compassion ; oh ! si » vous etiez temoins de ces abominations , vous y » apporteriez remede, avant de dormir dans vos » lits. Vos Ires nobles personnes ne font pas, ne . commandent pas de tels outrages , on le sail bien ; » mais il ne suffit, si vous ne les empechez. Aucuns » disent, quand on se plaint de leurs valets: n'em- » portez rien — mais a part — prenez toujours. Las ! » ou est franchise, oil est le beau litre, Francorum » rex, Roi des Francais? » Pour completer ce tableau de desolation, il nous reste a parler de la situation morale du pays. Ici Gerson est sobre de details, il se contente de re- sumer ce qu'il dit dans ses nombreux sermons en atlaquant le luxe, I'immoralite et l'impiete. « Dans — 477 - » chaque etat du royaume, clergie, chevalerie, bour- » geoisie, le luxe s'esl glisse en toutes choses, soil » en viandes, chevaux, chiens et robes, soil en edifices, » vaisselles, joyaux et pierreries. Partout vainegloire ; » certain prelat, chevalier ou simple comte a plus » grand outrage que le roi Jean, corame plusieurs l'ont » pu voir et comme je l'ai oui. Bourgeois et autres » gens maries savent aussi bien a quoi s'en lenir, s'en » plaignent en secret; le peuple, qui toujours imite » ses maitres, fait la sotlise de vouloir voler jusqu'a a eux. » Le luxe produit d'affreux ravages dans la fortune publique et dans les fortunes privees, dans la morale et dans la religion. « On commet des » peches horribles, ors et vilainsconlreDieu et nature; » on use mal des dons de Dieu, force el beaute, » sens et engin ; on prie Dieu de paroles seulement, » de fait on l'altaque par vilains serments, par mau- j greer, renier, parjurer. On peche surlout contre » les trois vertus theologiques : contre la foi, on seme « partout males doctrines, soil en public, soit en » appert, soit en espece de jeu ; contre Tesperance, » en s'adressant pour guerir maladies a sorciers, » sorcieres, charmeurs, jongleurs, maudits et mau- » greeurs ; contre la charile par ambition, ambition » des princes , ambition des pontifes. » Si a ces fails generaux nous ajoiitons quelques details; si nous nous representons les elranges et deshonnetes coslumes du temps , les bonnets mon- strueux des dames, les longues manches et les robes tralnantes des chevaliers, les souliers a la poulaine, a bee recourbe d'un demi pied el m6me de deux pieds, les parures de soie, d'or et de pierreries, nous nous croirons au milieu du carnaval des fous ou des barbares pares des defroques de l'Europe. — 178 — Telle est, en 1405, la situation politique et morale de la France. Nous avons longtemps pense que Gerson parlait souvent avec les severites et les exagerations d'un moralisle, L'etude consciencieuse des ecrivains contemporains nous a prouve que, dans ce discours, non seulement tout est vrai, mais que rien n'est exagere. En verite, au spec- tacle de ce roi idiot ou furieux, toujours chef de l'Etat , de ces princes et princesses en commerce conlinuel avec le diable, de ces juges, financiers et chevaliers devorant le pauvre peuple, a la vue de ce luxe effrene qui corrompl le gout et le cceur, nous ne pouvons pariager les regrets de certains partisans du passe , qui, a l'ordre moderne, preferent l'anarchie du moyen-age. Nous serions plul6t tentes de prononcer de suite l'arret de mort de cette societe si profondement troublee et corrompue, trou- bled comme les societes qui commencent, corrompue comme celles qui vont mourir. Gerson est moins revolutionnaire, plus patient et plus chrelien; il ne demande que des reformes : « Pour prevenir tine » horrible tempele sur grands et sur petils, pour » que Dieu ne transporte pas le royaume d'une lignee t> a une autre, de gente in gentem , que remede » y soit mis. » 179 Communication de II. V. Touineur. LE SIEGE ET LA DESTRUCTION DU TRfcS FORT CHATEAU DE LINCHAMPS , PAR JEAN-LOUIS MICQUEAU DE REIMS. Introduction. Messieurs , II y a plusieurs mois, je m'occapais a Paris a chercher, un peu au hasard, quelques documenls sur le pays de Reims, chez un libraire donl la specialite est de les recueillir. Je tombai sur une liasse non catalogued, ou se confondaieni pele-mele les livres les plus disparates. Tout-a-coup , mes yeux rencontrerent ce litre : Lycampaei Castri mvnitissimi obsidio, alque excidium, avtore Johanne Lodo'ico Micquello, Rhemo ; Paris 1555. Qu'etait-ce que LycampcBus ? je 1'ignorais profondement. Tout aussi profoudement j'ignorais ce qu'avait ele Micquellus. Mais j'apprenais par le livre meme qu'il elait remois, c'etail un litre a raon interet ; il avait merite pour son ouvrage les felicitations de Nicolas Brizard , le poete d'Alligny , el celles non raoins precieuses de noire vieil ami, Nicolas Chesneau, — 180 — de Tourteroo , Nicolaus Querculus, Turtronensis , 1'ancien doyen du chapitre de Saint-Symphoriea , le traducteur de Flodoard. D'ailleurs le volume etait une jolie brochure du xvie siecie, imprimee en caracleres italiques , lout-a-fail dans le gout de nos charmanles editions des Foigny de Reims , el il ne complait entoulqu'une cinquanlaine de pages: il n'y avail pas moyen de resisler a la lenlalion d'en devenir le proprietaire, ce litre s'acquerait d'ailleurs pour quelques sous ! Apres avoir eludie eel opuscule, il m'a semble nteressani, au trois cenlieme anniversaire de sa publi- cation , d'essayer de le ressusciter pour vous le faire connailre, apres I'avoir soigneusement traduit.Au reste, la personne de l'auteur, le sujet de son livre, la maniere dont il traite son sujet , placenl tout nalurellemenl ce petit ecrit au rang de ceux que I'Academie de Reims airae a accueillir et a favoriser, car il s'agit decurieux evenemenis d'hisloire toule locale, ecrils il y a trois siecles par un remois , autrefois celebre , et qui merite de ne pas rester entierement dans roubli. Occupons- nous d'abord de sa personne, nous dirons ensuile un mot de son ouvrage. Joannes Lodo'icus Micquellus nous a donne lui-meme la traduction exacte de son nom , (chose precieuse quand il s'agit d'un savant du xvie siecie) ; il s'appelait en fran^ais Jean-Louis Micqueau (1). Un passage du (1) Le portefeuille manuscrit RB, u° 22, de la Bibliotheque de Reims, poilant imprime sur le plat le nom de M. de Taizy, inai-, qui est certaincment de la main de M . l'abbe Bouilliot , auteur de la Biographie Ardennaise , 2 vol. in-8°, 1830 , nous a fourni plusieurs renseignemenls qui sc trouyent completes dans le supplement a la Biographie universale de Michaud , sous la signature bien connue L. C. J., Lacatte-Joltrois. - 181 — present opuscule nous apprend qu'il naquit a Reims : il nomme celte ville sa vieille patrie veterem meam patriam. La date precise de sa naissance ne nous est pas connue; mais elle doit se rapporter aux annees qui ont precede immediatement le pontificatde Charles de Lorraine: celui-ci monla sur le siege melropo- lilain de Reims en 1558, pour I'occuper jusqu'en 1574. Aucune epoque n'a ete, pour celte ville, plus feconde en litterateurs habiles et en savants distingues que I'illustre cardinal savait , pour ainsi dire , multiplier aulour de lui. « Dans un siecle de science el d'eru- » dilion », dit un de ses plus judicieux apprecialeurs, M. Guillemin, recteur de I'Academie de Douai, et noire confrere, « il eut tous Ies instincts eleves de » son temps , il partagea son gout pour Ies lettres » et il se servit pour Ies encourager de toutes Ies » ressources qu'une illustre naissance , un grand nom , » une haute position mirent a sa disposition (I). » II fonde avec le concours du Pape et des Princes deux universiles celebres, l'une a Reims en 1547, 1'au- tre a Ponl-a-Mousson, en 1572. Le grand mouvement litleraire de la renaissance recoit de lui la plus vive impulsion. En nommantici Ies principauxpersonnages, encourages et soutenus par Charles de Lorraine , nous ne nous ecarterons nullement de notre sujel , car Micqueau fut Tun d'entre eux ; et ce sera deja le faire connaitre que de dire Ies hommes illuslres au milieu de qui il a vecu , en entretenant avec eux de continuelles relations. Aulour du Cardinal archeveque de Reims, nous (I) Le Cardinal de Lorraine , par J. -J. Guillemin, professeur d'Hisloire au college de Reims , p. 444. — 182 — voyons se presser Ramus qui lui dui la liberty de parler et d'ecrire , comrae cc celebre philosophe s'en vantait lui-meme : Me ad commendationem car- dinalis Lotharingii Henricus manibus et lingua solvit (1). Nous voyons les grands hellenisles formes sous Francois ler a I'ecole de Guillaume Bude, les Turnebe, les Daurat , les Danes , tons combles de ses favenrs. Le docle Papyre Masson nous assure que presque lous les livres qui ont ete publies en France pendant trenle ans ont ele places sous I'illustre patronage de son nom (2). A cole des savants, voici les poetes : Ronsar!, Daurat , Baif , du Bellay et toute la celebre pleiade. Les ceuvres poetiques du cbancelier de I'Hospital ren- ferment quinze ou vingt epitres adressees a Charles de Lorraine , soil pour chanter ses grandes actions , soil pour exprimer les desirs et les esperances du poete. II n'est pas jusqu'a Rabelais qui ne dut la cure de Meudon a I'influence du Cardinal , seigneur de ce lieu , et profecteur de la science et du genie malgre leurs ecarts. Le zele que Charles de Lorraine etendait a toute la France , et au dehors , devait so concentrer surlout sur son cher diocese , aussi les hommes de grand merite y abondent. Marlot nous en fait connailre quelques-uns. Gentien Hervet (et non Felician Hebnot), longtemps l'ami, puis l'ardent conlradicteur de notre Micqueau. II elait ne a Orleans , mais il avait ete fixe a Reims par un canonical donne par le Cardinal en -1570. « II elait ires bien verse, dil Marlot, aux » trois langues Hebraique, grecque et laline; il fut (1) Ramus, — opera, — oralio habila ad annum 1551. (2) M. GciLLEKtiN , ouvrage cile , p. 45G. — 183 — » I'uii des docleurs francais qui assislerent an concile » de Trente, 011 il acquit tant de reputation par » les soins qu'il prit d'eclaircir !es plus difficiles » passages des Peres, de refuier les heresies et » convaincre la nouvelle opinion des sacramenlaires, » qti'on le lenait pour l'oracle de son siecle (1). » Richard Dupre, I'un des douze docteurs, choisis par Charles IX pour assisler au concile de Trente ; theologal de l'Eglise de Reims et chancelier de I'Universite. Nicolas Colin, secretaire du cardinal de Lorraine, auleur de la version franchise des oeuvres de Grenade et de quelques ouvrages de de- votion, Nicolas Beguin, Nicolas Bocher et Jean Murder, « issu de pauvres parents au village de » Roissy, pres Saux-St-Remy au diocese de Reims ; » ayant appris et exerce l'arl de mandelier jusqu'a » 22 ans, commenca ses rudiments en cet age , » dit Mar lot, et fit un tel progres aux etudes qu'il » passa maitre aux arts a 27 ans , docteur en » theologie a 55, chanoine et eveque de Noyon. » On dit _, continue Marlot, que son election ne » fut approuvee de lous a cause de sa vile ex- » traction, trop eloignee de la qualite d'un pair de » France, comme s'il ne pouvait pas sorlir d'nne » petite cliaumiere un courage marque au coin de » la vraie noblesse, et si le pape Nicolas Ier n'avait & pas etc fils d'un berger, Jean XXII d'un cordonnier, » el Benoil XII d'un palissier (2). » C'est toujours Marlot qui parle et nous pourrions, vous le savez, ajouter de frappants cxemples a ceux qu'il cite, si (1) Marlot, t. iv, p. 439. (2) Id., p. 448. — 184 — la cause qu'il defend n'etait pas loule gagnee d'a- vance, a 1'eternel honneur de ceux qui sout les tils illuslres de leurs ceuvres plutot que de leurs aieux. Si la lisle des theologiens remois du xvi° siecle est longue, celle des savants et des poetes que nous fournit la Biographic Ardennaise ne le sera pas moins, quoique nous soyons force de l'abreger. Voici les principaux : Nicolas Brizard, dont nous trouvons les vers en tele du Lycampmi obsidio, ne au bourg d'Atligny en 1520, il fit ses etudes a Reims, et se senlit des lors plein d'ardeur pour la poesie. Imilateur d'Ovide , il a su saisir assez bien la tournure de son modele., nous dil un cri- tique habile, mais il est fort au dessous de lui sous le rapport de la delicatesse des sentiments el de la finesse des pensees. Nicolas Chesneau, dont nous lisons en tele du Lycampwi castri munitissimi obsidio, une jolie piece de vers, adressee a Micqueau, et qui recevait de celui- ci, en echange de ses eloges, les gracieux compliments que voici : Umbrifero si quse producit culmine glandes iEthereo quercus sit sacra facta Jovi. Haec tua qua; primis surgens est fertilis annis Cur non sacra deo, quercule, quercus eris? Hie non asperitas glandis, quam prisca velustas Mirata, immundo praeda relicta sui. Non hie quod Phoebus, non hie quod frigus adurat. Non hie quod soeri fulminis horror agat. Jam Phcebo laurus sordct sua, sordet oliva Coecropioe : Quercus jam sua nulla Jovi. Est sua cuique Deo spreta ut tua floreat arbor Quam felix ergo hac arbore froctus erit ! — 185 — Chesneau naquit a Tourteron en 1521, el fut eleve a Paris au college de La Marche. Son gout pour la poesie se manifesia bientot, et il dut a sa passion pour les letlres grecques et lalines des relations nombreuses avec tous les beaux esprits de son siecle. II choisit la carriere clericale, et apres avoir ele professeur de lilterature au college de La Marche et precepteur de Jean et de Chrislophe de Thou, il fut nomme par le Cardinal de Lorraine doyen de la collegiale de St-Symphorien de Reims. Sa mort arriva le 18 aoiil 1581 ; on l'enierra de- vant la porle du choeur de son eglise. Chesneau a laisse dix-neuf ouvrages imprimes dont neuf de poesies. Remarquons en passant qu'un de ses recueils de vers renferme trois pieces differenles a leloge de I'lmmaculee Conception de la tres Sainte Vierge, qui elail loin d'etre une nouveaute dogmalique , il y a irois cents ans. Les vers de Chesneau pour etre inferieurs a ceux de THospiial et de quclques aulres poeles du xvr1 siecle, n'en ont pas moins leur prix. Nous devrions nommer ici bien d'aulres ecrivains, nes dans le meme temps sur les bords de la ri- viere d'Aisne, el amis eux aussi de Micqueau : Ancelin, Camart , Morel, Renaudin , d'Origny , Gilmer, de Savigny , Dowry, Brigallier (1). Mais (1) Michel Ancelin, ne a Rethel en 1522, est mort cure de la Madeleine dc Reims. Ses vers se lisent en tete du Flodoard de Chesneau. Michel Camart, ne aussi a Rethel en 1500. Jean Morel de Challerange. Pierre Reginaldus ou Renaudin, cure de Givry-sur-Aisne, ne a Attigny vers 1496. Pierre d'Origny, seigneur de Sainle-Marie sous Bourcq. Chrislophe de Savigny, seigneur de Savigny-sur-Aisne , t'un et I'autre a la meme ('-poquc. Jean Gilmer, neveu de Chesneau, ne comme — 186 — pour arriver plus tot a noire but, nous ne nous arr6tons qu'a deux noms encore : Johannes Vulteius que ses biographes out nomme Voute, Vautier, Vouet et meme Visage, et plus communemenl Voulte , sans qu'on soil en droit de leur en faire le moindre reproche. Or, d'apres notre savant compatriote M. Hedoin de Pons-Ludon, dont personne ne recusera l'autorite en celte matiere, il s'appelait tout sim- plement Faciot, comme Sylvius s'appelait Dubois; Puteanus , Dupuis ; Boerius , Bokier ; Querculus , Chesneau ; et Latomus, Masson. Vandy lui avail donne le jour ainsi que Faciot s'en glorifie lui-meme : Axona te fluvius proprias deducit ad aedes, Antiquumque patris Vandiacense solum. Clement Marot, Etienne Dolet , Bude., Danes, Rabelais etaient ses amis, el les trois volumes de po^sie qui nous reslenl de lui, lemoignent suffisamment qu'il etail digne de ces amities illustres. Plusieurs pieces soni adressees a Briznrd, a Chesneau, a Gilmer. Faciot mourul assassine le 50 decembre 1542, Chesneau lui a consacre une fort elegante epitaphe. ( Lib. 5, n° 44.) Enlin Jacques Louis oVEslrebay, qu'un motif se- rieux nous oblige a faire connailre plus au long , ne pres de Rumigny, au petit village d'Eslrebay dont il prit le nom qu'il lalinisa par celui de Strebceus. Ce qui l'a fait appelcr Louis Strebee par lui a Tourteron en 1530 , d'abord principal du college de Reims, puis recteur celebre de l'llmversite de Paris. La Biographie Ardennaise renferme de grands details sur ces personnages et sur les oeavres qu'ils nous ont laissecs. Nous y renvoyons le iecleui. — 187 — la plupart de ses biographes, jusqu'a ce que Dom Lelong, son compatriote, vint devoiler le mystere cache sous ce mot latin jusqu'alors intraduisible pour tout le monde. Apres dc brillantes etudes , faites a Paris, il vint professer dans rUniversite" de Reims el Dom Marlol nous apprend qu'il y occupait la chaire de rheloriqne des Fan 1500. « L'ecole » de celte ville, dit la Biographie Ardennaise, a » qui nous empruntons tous ces details, l'ecole de » cetle ville qui n'etait pas encore erigee en uni- » versile, reprit en peu de temps une face nouvelle » sous d'Estrebay. » II quitta cependant cefte chaire de Reims pour relourner a Paris, ou il se trouvait plus a l'aise. » Devoue par etat a l'instruction de la jeunesse, » il employa tous ses soins a la former dans Tart » de parler et d'ecrire eloquemment. Son style est » souvent harmonieux, toujours elegant el correct: » il faisait ses delices de la lecture de Demosthenes, » de Ciceron et de Quintilien, un des hommes de » I'antiquite qui ont eu le plus de sens et de gout. » Son livre du choix et de I' arrangement des mots, » ses beaux commenlaires, ses fideles versions lui » assurent a jamais une place dislinguee parmi les » classiques savants dans I'art oratoire (1). » Mais h61as ! dit Scevole de Sainte Marthe, « celte » elevation de sentiments qui porte les savants a » dedaigner les details domestiques lui fit perdre b de vue le soin de sa propre fortune. » 1\ fut force pour vivre de se faire correcteur d'epreuves d'imprimerie chez les fameux Estienne ; (lj Biographie Ardennaise, I. i, p. 396. — 188 — celte ressource lui fit meme defaut dans sa vieillesse, il finit, a la honte de ses contemporains, par demander l'aumone. Dix ouvrages imprimes subsislenl encore avec son nom auquel il ajoutaii presque loujours Ie litre de remois, par exeraple M. T. Ciceronis orator ad Mar cum Brulum, cum scholiis J. L. Slreboei, Rhemi. On croit qu'il lermina ses jours a Paris vers 1550. Celte lisle est longue, el pourtanl je n'ai pu l'abreger davantage. II fallait bien rappeler les auleurs dislingues qui occupaient les premieres places sur la scene litleraire remoise, quand parut Jean-Louis Micqueau , remois , comme eux et plus qu'eux , professeur et poete comme la plupart d'entre eux, leur compatriote, leur contemporain, leur ami in- timemcnt uni a la plupart par une communaute parfaite de gouls, d'occupalions et meme de talents. Et certes , ce que je viens de vous citer louchant le merile lilteraire de Louis d'Estrebay ne peut que vous faire eslimer beaucoup celui de Micqueau ! D'Estrebay venait de mourir, el Chesneau ecrivait a notre auteur peu de temps avant la publication de Topuscule que je viens vous presenter : Patria Strebaeum luget pullata, virum quern Crediderat nunquam palria posse mod. Et sperare velim, et longos deponere Indus : Alter enim occurris nom i do pene pari, etc. « La patrie en deuil pleure d'Estrebay, cet homme » qu'elle croyait ne devoir jamais mourir. Je voudrais » esperer et oublier un long chagrin , car lu nous » restes, loi dont la renommee est egale a la sienne. » En effet , les poetiques eloges de Chesneau et de — 189 — Brizard sonl en tete du livre de Micqueau corame nous l'avons deja dit. On relrouve ceux de Brizard et de Micqueau dans les livres de Chesneau , de Faciot, et de lous leurs eloquenls compatriotes. Genlien Hervet lui-meme, le docle chanoine , pro- digue ses eloges a Micqueau en attendant qu'ils fassent echange d'une correspondance toute differente. Voila done un des litterateurs remois de la renais- sance et du Cardinal de Lorraine qui vient tres inopinement se monlrer a nous. II est temps de le fa i re plus amplemenl connailre. Ainsi que nous le disions en commencant , il naquit a Beims, entre 1520 et 1550. II fit ses premieres etudes dans sa ville nalale, sous les auspices et par les bienfails du Cardinal de Lorraine. C'est Micqueau lui-meme qui s'en glorifie, en dediant au prelat une hi^toire du celebre siege d'Orleans en 1428; et des exploits de la Pucelle. Apres s'etre rendu fort habile dans la medecine, comme d'Estrebay, comme Chesneau, comme Brizard, comme Faciot, et probablement a cause d'eux, il quilta de bonne heure Beims pour Paris, et nous le trouvons en 1554, dalant son ouvrage sur Lycampceus , e collegio Becodiano , du college de Boncourt. Vers 1557, il va continuer a Orleans ses enseignements, et c'est la qu'il se lie d'araitie avec Gentien Hervet, dont il prend les avis, et de qui il recoit des corrections pour l'histoire du siege d'Orleans. II est certain que durant son sejour au college de Boncourt, Micqueau etait encore catholique , un passage du Lycampceus le prouve ; il l'etait en 1560, car il dedia a cette epoque son livre a Charles de Lorraine, mais bientot, il se fit protestant et — 190 — re^ut, en celte qualile, la direction d'un pelit college d'Orleans, nomme le college de Champagne. II se separe alors avec eclat de son ancien ami Hervet, et il publie coup sur coup plusieurs ouvrages dont voici les titres : 1° Reponse au discours de Gentien Hervet sur ce que les pillcurs voleurs et bruleurs d'eglises disent qu'ils nen veulent qu'aux pretrcs par Jean Loys Micqueau de Reims , maitre d'escholle a Orleans. Lyon, 1564, in-folio — datee d'Orleans de notre college de Champaigne. 2° Seconde reponse de Jean Loys Micqueau, maitre d'escholle d'Orleans aux folles reveries, execrables blasphemes, erreurs et mensonges de Gentien Hervet. — Orleans, 15 avril 1564. 5° Confutation dcs erreurs et prodigieuses heresies de Gentien Hervet. Outre ces ouvrages de deplorable polemique , a en juger par leur titre seul , le meme auleur a fait impri- iner : 1° Une piece de vers adressee a Chesneau. 2° Lycampoei castri munilissimi obsidio et excidium, — deux editions l'une de 1555, Paris; l'autre de Rouen, a la meme dale. 3° De constituenda apud Aurelios Juventutis disci- plina; oratio. Paris, 1558. Inconnu a Lacroix du Maine. 4° AureUce urbis memorabilis ab anglis obsidio anno 44-28,et JoannceViraginis lotharingiaires gestae. Orleans, Treperel , 1560. in-8° ; et avec renouvellement de frontispice, Paris, Andre Wechel , 1560, in-8°, pp. 112, et Paris, Jacques Dugart, 1651 , in-8°, pp. 287. L'edileur anonyme y a joint un supplement. II en — 191 — parui la meme annee , 1631, une Iraduclion fran- chise par le sieur Du Brelon. Enfin , 5" C'esl line traduction de Ciceron que Lacroix du Maine lui allribue. II est ires probable que Jean-Louis Micqueau , ininistre de la reforme , a Sedan, en 1595, el a Raucourt en 1594 , est bien celui qui nous occupe. Outre loutes les conformites de nom , de prenoms , de dales , de religion , nous retrouvons le meme ta- lent poetique. On doit au minislre Jean-Louis Micqueau une epilaphe latine , en six vers , de Charlotte de La Marck, duehesse de Bouillon, laquelle est imprimee a la suite de l'oraison funebre de cetie princesse par Jean Berchet, principal du college de Sedan. (Sedan, Abel Revery, 1594, 56 pages. ) On ivlrouve dans celte petite piece , I'elegance el la grace de Pemule de Louis d'Esirebay , et de Pingenieux correspondanl de Faciot, de Chesneau , de Gilmer et de Brizart. Mais parlons maintenant du livre , nous en avons peul-elre trop dil sur Pauleur. — Le livre de Micqueau a pour litre : Lycampcei castri munitissimi obsidio atque excidium , le siege el la destruction du ires fort cha- teau de Linchamps. C'esl l'hisioire de cette forleresse, une des plus celebres de nos Ardennes. Les ruines en subsistent encore et sonl une des curiosites des bords charmants de la Semoy. Elles apparliennent a I'im- portante commune des Haules-Rivieres, la plus consi- derable du canton de Montherme. A ce premier litre deja, le livre de Micqueau a pour nous son interet lout special, et nous pouvons vous le presenter comme un complement et un appendice des histoires de Flodoard et de DomMarlot. Qu'est-ce en effet que YHistoire de I'Eglise de Reims ? Si non xxi. 15 — 192 — 1'histoire des Ardennes, dont Reims a tonjours ete de fait , el souvenl de nom , la veritable capitale. Des le temps de Cesar , le pays remois s'elend vers l'Aisne et la Meusc. Mouzon apparlenait aux archeveques de Reims comme seigneurs temporels du chateau-fort qu'on y avait Mti ; et saint Remi, qui avait regu ce domaine de ses predecesseurs , savait le defendre contre les entreprises de Foulques, eveque de Ton- gres, qui voulait l'unir a son diocese (l). Le meme poniife, saint Remi, elait seigneur d'un vaste territoire comprenant dix-sept villages, dont Mauberl-Fonlaine elait le chef-lieu , et qui s'appelait la Raronnie des Potez. Saint Remi le legua par son testament a son Eglise qui en jouit jusqu'en 1790, et qui aurait peul- etre encore quelques droits a sa possession. Hincmar, au ixe siecle , fonde a Rraux une collegiale celebre qui s'enrichit a chaque siecle sous Pinfluence pre- dominante des archeveques de Reims. L'illustre comtede Rethel, d'ou dependaient la principaule d'Ar- ches, Mezieres el Linchamps, n'etait qu'un dememhre- menl du domaine archiepiscopal. « Vers 970, dit notre savani confrere, M. Jean » Hubert , dans I'interessanle histoire de Charleville » que vous avez couronnee il y a quelques mois, vers » 970, l'archevfique de Reims Adalberon ayant » donne Rethel , avec plusieurs autres domaines k » 1'abbaye de Sainl-Remi , les moines se choisirent , » comme c'etait la coutume, des chevaliers ou avoues » charges de defendre le temporel du monaslere a b Rethel. — Les avouis ne tarderent pas a usurper (1) Bauny, Pouilld du diocese de Reims eu 5 vol. mss. t. i, p. 15 et 16. — 193 — » la propriele des lerres coniiees a leur garde , el » prirent le litre de Comtes (1). » Que dirai-je ? Entre les Ardennes et Reims il y a toujours eu la merae coramunaute de commerce, d'interets , de relations, d'habiludes. On a beau les subordonner a Melz pour I'ordre judiciaire, a Cha- lons pour 1'ordre militaire, a Douai pour l'inslruclion publique , leur cenire de predilection c'esl et ce sera toujours Reims. Un de nos collegues, en posi- tion parfaite de connailre exactemenl la pensee de ses compatriotes ardennais, vous disail eloque.umerit il y a quelques mois , avec quel enthousiasme on avail accueilli dans les Ardennes la reslauralion du siege de Reims en 1822 , avec quelle joie on rece- vait en 1850 la nouvelle , prematuree eans doule , de l'erection d'une cour royale a Reims de laquelle res- soiiirait le department des Ardennes ; avec quelles acclamations de bonheur, quel empressement, quelle allegresse on avait salue le decret qui mcltait les villes des Ardennes en communication directe avec Reims, par un chemin de fer (2). Sans nul doute, nous nous inclinerons toujours bumblement devant la supremalie administrative de Chalons-sur-Marne , mais c'est en- vain que nous remontons vers le passe, nous ne trou- vons entre nous el le departement de la Marne presque aucun rapport historique , religieux , judi- ciaire , ou meme commercial -v loules nos racines sont vers le Nord , elles s'elendent de la Marne a la Meuse et la Semoy , elles vont jusqu'au fond (1) Hist, de Charleville, p. 25. (2) Trayaux de I'Academie de Reims , t. xx., p. 81. Rapport sur I'Histoire de Charleville, par M. Goda, membrc titulaire. — 194 — des Ardennes. En nous parlant de Linchamps , c'esl done noire prop re histoire que Micqueau nous raconte. L'6poque ou se placent ces evenemenls est aussi pleine d'interet. C'est le temps de la terrible lulte enire Charles V, Francois Ier et Henri II, surtout au moment ou les Ardennes deviennenl en partie le theatre de la lutte. Linchamps, bali vers 1550, est assiege en 1549 et succombe en 1550 ou 1551. C'est vers ce temps que Mandfeld, gouverneur du Luxembourg, s'avance jusqu'au Chesne, a quelques lieues de Reims (1), que Lumes est detruit, que Beaumont en Argonne, Brieulles et tous les villages depuis Stenay jusqu'a Grandpre sont reduits en cendres. Bientot Charles V voit linir a Metz le cours de sa prosperile, il echoue devant la jeune valeur de Francois de Guise, mais il traverse une grande partie de nos Ardennes pour aller se venger sur Therouenne de l'eclat de sa deTaiie. Bouvigne et Dinant vont etre assises par Henri II. Rocroi, simple village en 1449, enrichi de privi- leges par Charles VII , fortih'e par Francois ler, voit augmenter considerablement ses fortifications a 1'epoque donl nous parlons et recoil definitivement le litre de ville, en attendant que Conde lui marque d'un coup de son epee sa place dans l'histoire. Henri II voulait opposer cette ville nouvelle a celle que consiruisait alors la gouvernante des Pays- Bas, Marie d'Autriche, reine de Hongrie, et qu'elle appelait de son nom Marienbourg. Certes, ou je me Irompe fort, ou lous ceux qui s'occupent des fails du passe, entendront volonliers les recits d'un (1) Dom Lelong, Hist, du diocese de Laou, p. 401-402. — 195 — contemporain, d'un compatriote, d'un temoin oculaire sur des evenemenls aussi serieux et qui ont laisse a la surface de noire sol une si large trace. Et d'autant plus que dix histoires sont ici ren- fermees en une seule ? I'hisioire detaillee de Linchamps, depuis sa fondalion jusqu'a sa mine, nous permet d'apprecier le role que jouerent dans le passe toutes ces forteresses si norabreuses dont les restes appa- raissent a chaque pas dans le nord des Ardennes. Lumes, Monlcornet, Linchamps, Hiersjes, Chateau- Regnaull, Mezieres, Sedan meme et Bouillon, etc., etc. Independents toutes les fois qu'ils pouvaient l'elre, et vivant aux depens de leurs voisins qu'ils etaient censes proteger, les seigneurs de ces chateaux se hataient de se donner au roi on a rempereur, suivant que les chances leur semblaient plus lavo- rables, ou qu'ils etaient plus cheremcnt achetes par I'un ou par 1'autre. Souvent en guerre avec les comtes de Reihel ou les archeveques de Reims, dont les domaines etaient les plus exposes a leurs ravages, ils furent souvent punis par ces rivaux puissants, et ils finirent pour la pluparl par etre immoles au besoin de la paix. Gelles de ces for- teresses qui survecurent, absorbees dans la grande unite nationale, devinrent les boulevards du pays et plus d'une fois sa gloire. Mais en outre, le petit livre que le hazard nous a fail trouver et que nous placons aujourd'hui sous le palronnage bieuveillanl de 1'Academie, est pour ainsi dire une nouveaule inedile et inconnue. Lycampm castri munitissimi obsidio atque excidium a echappe aux palienles recherches du savant abbe Bouilliol, si complel en renseignemeuts sur la Bi- - 196 — bliographie Ardennaise. Notre erudit compatriole, M. Coqueberl.de Taizy, « nom cher aux bibliophiles, » dit M. L. Paris, dans une nolice sur la biblioibeque de Reims, inseree dans !e dernier numcro dti precieux Cabinet Mstorique p. 127, M. Coqueberl de Taizy met en note sur son propre manuscrit , renfermant la biographic de Micqueau, qu'il n'a pu decouvrir ni ce que c'est que Lycampaeus, ni l'ouvrage qui en raconte la chute el la destruction. Les Bildiotheques publiques de Reims, de Charleville, de Sedan, toutes riches quelles sont en ouvrages de localite, ne eonnaissent pas ce precieux volume. II a fallu re- courir a la Biblioibeque imperiale pour pouvoir Ic confronter avec un second exemplaire , et cet exemplaire no nous a ele communique que dans une salle a part, comme une rarissime rarete. Nouveau en lui-meme, noire curieux petit livre Test encore plus par les choses qu'il raconte. Tout ce que nous avons trouve de documents historiques sur Linchamps est rempli d'inconherence et de contradictions. Dom Lelong ( p. 547 ) , reproduit dans la Geographie des Ardennes de M. J. Hubert, ecrit : « Linchamps elail un chateau bad dans le » xne siecle, isole, fort sur son assielte, mais dans » une position malsaine et ou on ne vivait presque j> que de brigandages....)) Edme Baugier , HJemoires historiques de la province de Champagne, s'exprime ainsi en 4721 : « Linchamps » pies Bocroi, on dira ici un mot de ce lieu, i< plus pour conlenter la curiosile de ceux qui en ont » oui parler que pour aucnne autre utilile que b puisse apporter sa description. » C'eiait autrefois un chateau seul et sans aucun — 197 - » autre habitant, plus fort par la difficulte de ses » abords hors de lout passage de communication, » que par la bonle de ses fortifications. » L'air est si epais en cet endroit, qu'on n'y » voil presque jamais le solei! el il y a du brouillard » loute l'annee ; il n'y croit rien du loul pour la » vie, el Ton n'y pourrail demeurer longlemps en » sanle; les hommes y vivaienl sans commercer el » de ce qu'ils allaienl chercher on qu'on leur ap- » porlait d'ailleurs ; el comme c'esl I'exiremile de » la Fiance de ce cole la, il semble aussi que ce » soit le bout du monde. il y a eu cependant » longlemps des gouverneurs de ce chateau : mais » il en fallail changer souvent parce qu'ils y mou- » raient en peu de temps , il est a present demoli » et un lieu abandonne. » A defaut d'histoire c'esl ainsi qu'on fail du roman. Romain du Cours , Ilistoire des Comics de Cham- pagne , s'exprime dans les mfimes lermes. Le Pere Norbert, ca|>ucin de Sedan, morl en 1791, dans ses inleressanles Annates ou histoire chronologic/ ue des villes el principautes de Sedan, Rnucourt et St-Menge, un vol. in -i°, manuscrit de 729 pages dans I'aulo- graphe, adopte une Iroisieme version sur Linchamps. Nous rn devons la communication a robligeante amiiie de M. i'abbe Pregnon, cure de Torcy, membre correspondant de l'Academie de Reims. « Le chateau de Linchamps, situe sur un rocher, » est une place ancienne, ires forte autrefois. En » 1554, on y avail bali un donjon voiite. Le » seigneur de Rognac, gouverneur disgracie de » ceite souverainele, s'etant empare de ceite fortc- » resse pour 1'iMiipcreur pendant que le roi Henri II — 198 — » faisait batlre la ville et le chateau de Dinant, le » doc de Cleves, prince souverain de Linchamps » etc., leve des troupes dans ses terres souveraincs » de Chaieau-Regnault, etc., et des environs, forme » le siege de ce chateau avec des canons tires de » Mezieres. Apres trois semaines d'altaque, le sieur » de Rognac, sans vivres, sort de nuit pour cher- » cher du secours et ravitailler la place. Pendant » son absence, la garnison qui etait ires forte, » demanda & capilnler, et remit la place au due. » En 1586, le chateau de Linchamps qui n'avait » que le donjon, fut augmente d'une grosse tour » carree a la porterie, de bastions et de bonnes » murailles pour soutenir el couvrir le donjon. On » y construisit aussi une citerne et des moulins » a bras. On la munit de canons , d'arquebuses a » croc, de mousquels, de piques, de poudre et » autres munitions. » Presque autani d'erreurs que de mots ! Enfin une quatrieme version , en disaccord avec les precedents , el aussi inexaele probablement , se irouve dans le Terrier de Chateau- Reg naufc, imprime a Charlevilie en 1662. La voici : « Par suite de revolutions et de puissances les sou- » verains de Chaieau-Regnault se soul empares du » lieu de Linchamps, place sur un rocher tres escarpe, » et ayanl trouve sa situation favorable pour une » place forle , ils firenl batir en 1500 un chateau nom- » me le Chateau de Linchamps. En 1554, pendant » que Henri II , roi de France , faisait le siege de » Dinant a dix lieues de Linchamps , un Jean de o Louvain , seigneur de Rognac, ancien goavernear » de ce chateau de Linchamps , et retire par me- — 199 — » conientemenl, s'en empara avec des troupes du ioi )> d'Espagne, due de Bourgogne , et fit l'acquisilion de » la seigneurie qui dependail du chapitre do Braux, » qui la lui vendit en 1552. » Mais le due de Cleves , souverain de Chateau - » Regnault , ayanl leve des troupes dans ses tcrres » et leve du canon de la ville de Mezieres, dont il » etait egalemcnl Seigneur , reprit le chateau en » I'annee 1554 et en augmenla los fortifications. » En 1575, Henri de Lorraine, due de Guise, forca le chapitre de Braux a lui altandonner toutes » ses pretentions sur Linchamps . » (Ce mannscrit a pour litre : Sentence generate des lerres souveraines de Chdteau-Regnault. II fut impri- me a Charleville en 1662, chez Godarl-Poncelet.) Or , apres le roman , voici I'histoire que nous raconte un homme du pays el qui a recueilli les fails de la bouche meme de ceux qui y prirent une part active, ou qui en furent les temoins oculaires : Lin- champs etait un rocher a pic, isole sur les hords de la Semoy ; il appartenait au chapilre de Braux , etabli en ces contrees au ixe siecle. Jean de Louvain , ba- ron de Rognac , pres de Fismes , quitlanl son pays vraisembljblement par suite des demeles de son pere, Antoine de Louvain , avec le seigneur de Chery- Charlreuve (1) , achete ce rocher et y balit une forteresse vers Tan 1550, et non au xne siecle , com me le dit Dom Lelong , ni en 1554 ou ce qui est la meme chose pendant le siege de Dinant , comme le veulent le P. Norberi , Baugier et le Terrier de (1) Voir la note , au commencement de la traduction ci- apres. — 200 — Chaleau-Begnault. Linchamps fill detruit de fond en comble de maniere a ne plus avoir pierre sur pierre , et sa destruction fut le prelude de la guerre qui durait encore en 1554 , au moment ou ecrivait Micqueau. Or, cette guerre commence en 1551. La chute de Linchamps preceda celle de Lumes, elle y contribua meme , car I'execution des prisonniers de Linchamps , mis a morl en vue de Lumes, effraya beaucoup la garnison de cette place , et la determina a se rendre. Or, Dom Lelong et Bouilliot s'accordenl a fixer cette reddition a la fin de 1551. Le siege de Linchamps dura assez longtemps ; il fut commence sans grand succes par les troupes du due de Nevers , el acheve par Bourdillon , depuis marechal de France , au nom de Henri II , pour eviter une rupture avec l'Empereur\ cette rupture eul lieu en 1551, le siege de place done en 1549 ou 1550. Un document fort precieux, lire de la Bibl. Im- perial (fr. Duch., 9612, A. B. C, fol. 158), vieni confirmer pleinemenl les recits de Micqueau , el al- tester sa veracite. C'esl une requele signee par le bailly de Linchamps, et adivssee au nom du sieur de Bognac et de Linchamps aux commissaires du Roi a Cambrai entre 1558 et 1548. L'Empereur se pretendait suzerain de Linchamps et en demandait la destruction. Bognac affirme el prouvedans sarequete: qu'il n'est aucunemenl sujel de 1'Empire , ni vassal de la Seigneurie d'Orchimonl, mais qu'il a lui-meme bdti son chateau sur le terrain, acquis des venerables chanoines el chapilre de Braux, et possede par eux , de lemps immemorial , en toute souveraineie. II se jusiifie « d'avoir fail aucune foulle, si ce n'a » este les guerre el par justice de quelques pores — . 201 — prins on forfaiclure en ses bois et confisquez selon les lois de leur pro pre pays ; mais iceluy seigneur de Rognac a bien meilleure raison de se plaindre des sujets dudil seigneur Empcreur qui par forces en amies, peu auparavant les dernieres guerres en temps de paix sont venus au dessous de ladile place reprendre lours vaclies arretees et saisies par justice sur Indite souveraine seigneu- rie de l'Aleuf de Lincbamps » « Et parlant apperl que loute ceste poursuite ne se faicl que en comptant de ce que ledit Chateau est de grand service pour le Roy et nuict fort a ses ennemis par temps de guerre pour les causes sus- dites : et pose qu'il fut conclud qu'elle serait dcs- molie ( ce qui par raison et equite ne doit et ne pent eslre ), si esl-ce qu'on ne la saurait si bien ruyner que le premier qui se inslruirait dedans en refaisant seulement les portes et le (mur) ilia pourrail lenir promptemenl aulant forte comme elle est de present , car c'est une montagne toute de rocq qui ne se pent aballre, qui est I'occasion que ledit seigneur Empereur l'a poursuite de mine aflin que incontinanl il y puisse mectre gens pour s'en servir en ung camp devant Maisieres et pour lenir le cours de Meuze en subjection avec la dicle chaslollenie Regnault qui ne porroit subsisler sans ledit cbaslel el (inabloment pour myeti parvenir a » pretendre prendre ledit Maisieres et tout le comte » de Rethestz ; et n'est ladicte maison de si petite d force que s'il plaisl au Roy de soustenir ledit » Seigneur de Rougnac a son bon droit , qu'il ne » l'ause bien garder el lenir envers el contre tons. i) Et pour conclusion ledit seigneur Empereur — 202 — o n'a raison de faire lelle poursuite el demande » au Roy, mais au conlraire le Roy a bien meilleure » occasion de conclure el demander que Roullon el » Lumes luy soienl rendus ou du moins les forts » desmollis et ruynez, car ledit Boullon est el » apparlient a Messeigneurs de Sedan el Jamelz el » ledil Lumes, comme disenl les officiers de Maisieres » esi movanl en plain (iefdu chaslel dudicl Maisieres » el ledicl Maisieres de Saincle Mennehould, de ce » apparoislra par les Chartulaires et Regislres le b comle d'Occymonl eslre de son royaume comme b apparlenant au comle de Relheslz comme il appa- » roislra par lesdiclsCartulaireseslans audit Maisieres; » et sesbahit ledicl seigneur de Rougnac comment » ung si hault seigneur comme ledit seigneur » Empereur prend si a cueur la maison d'un pauvre » genlilhomme au contant qu'il sert si loyallement » le Roy son maisire et seigneur souverain el (era » jusques a sa morl. » En 1550, finil Linchamps. Les terres de Rognac et Cohan sont conflsquees a celle epoque par Henri II et donnees a Robert de La Marck et a Guillemette de Sunebruche, sans douie apres la prise de noire forteresse. Les domaines de Linchamps passent a Francois de Cleves, due de Nevers, et par son deces a Calherine de Lorraine, femme de Francois de Rourbon, prince de Conti, qui les cede a Louis XIII en 1629 par un contrai d'echange sigue le 25 mai 1645, sous la regence, conlre la ville et vicomte d'Argenlau, en Normandie. Mais parce que I'Empire elevait encore quelques pretentions sur ces domaines, le traile des Pyrenees, du 9 noverobre 1659, stipule formellemenl la reunion de Linchamps au lerriloire — 203 — frangais, el c'eslainsi que flnitson hisloire parliculiere. Je devrais terminer par parler du caraciere lilteraire dii livre que j'ai traduit. Je dirai tout en un mol. C'est, comme tous les ouvrages lalins du xvie siecle, un pastiche un peu affecle des auleurs anciens, ou' lous les noms propres en parliculier sont bizarre- ment deguises, comme Querculus el Vulteius, sous des masques antiques. Micqueau parait avoir voulu surlout reproduire la forme de Salluste, on peul Ie juger par la mnliiplicile de ses reflexions morales et de ses sentences, la prolixite de ses harangues, car tous ses guerriers , suivant la mode antique , discourenl beaucoup plus qu'ils tie se battent. Malgre cela , la latinite' est pure et de bon gout, Ie recit se developpe avec un interet toujours croissant, et merile I'attention meme pour ses qualiles lilte'raires. Je desire du moins que l'attrail que m'a inspire le recit de Micqueau, ne m'ait point Irompesur ses qua- liles el qu'apres en avoir entendu la lecture voire jugement ratifie le mien. Puissiez-vous trouver ce petit livre aussi plein d'interet pour lui-meme et pour son auteur, que pour les fails qu'il raconte, puisqu'ils nppartiennent a notre propre histoire ! Nous devons a 1'obligeance de M. L. Paris, la vue de Linchamps tel qu'il existait autrefois. Nous sommes heureux de pouvoir la reproduire. V. T. LYCAMPAEI CASTRI MVNITISS1MI OBSIDIO, ATQUE EXCID1UM. AVTOUE IOANNE LODOICO MIGQUELLO, RHEMO. PARISIIS, APUD BENEDICTUM PREUOST, VIA FREMENTELLA ad clausura Brunellum, SUB INSIGNI STELLA AUREjE. 1555. Cum priuilegio ad bienniiim. LE SlfiGE ET LA DESTRUCTION DU TRES-FORT CHATEAU DE LINGHAMPS PAR JEAN LOYS MICQUEAU , DE REIMS. PARIS, CHEZ RKNOIST-PHEVOST , HUE FROIDMANTEL, au clos Bruneau, A L'ENSEIGNE DE L'ETOILE d'OR. 1555. Avec privilege pour deux ans. 20 OPT1MAE Sl'EI ADOLESCENTI FRANCISCO BRIGALIER10 JOANNES LODOICUS MICQUELLLS S. D. Nuper , cum prsesenlibus aliquot amicis ex sermone quodam in bcllorum meniionem, (ut nunc sunt tem- pora), incidissemus, indignum visum est iis Lycampsei obsidionem, horum quasi prseludium, tanquam rem ignobilem, nee scitu dignam oblivione involvi. Itaque a me vehementer conlenderunt, ut earn, (ex multis enim audivisse me el comperisse dixeram ) paucis describerem. Cumque ineptiarum ac potius slullilise crimen diu del'ugissem inslantibus tamen ad exlremum recepi me faclurum, non quidem aucupandse gratiae causa, ubi nullam promerear, nee ad famam iogenii, (cujus tenuitalem atque adeo infaniiam, ulinam lam intellexissent illi, quam ejus mihi ipse conscius sum), sed ne illi me aul sua causa noluisse, aut fugis- se laborem pularent. Hanc itaque lucubraliunculam abortivam sane el prius forte emorluam quam in lucem editam, quam ego ludens descripsi, tibi Francisce Brigalieri, (qui prassens cum illi me roga- rent adfuisli), dono, ac tuo nomini dicatam esse volo, ut banc quasi obsidem voluntatis in te meas dum babeas, nostri memor, sic ejus leclione animum luum oblectes , ut graviora eiiam non omitlens, optimorum parenlum tuorum, (qui nullis neque rebus ueque laboribus parcunt, quo te bonis et moribus, el disciplinis perpoliant), expeclalioni, meaeque de te pisedicaiioni respondeas. Parisiis, e Collegio Becodiano , idibus Novembris, 1554. — 207 — A FUA.lNr.OIS BRIGALIEU , 1EUNE HOMME 1)E LA PLUS BELLE ESPEUANCE , JEAN-LOUIS MICQUEAU , SALUT : Dernierement les circonstances nous amenerent a causer avec quelques amis des evenements de la guerre presente (1), et ils s'indignerent qu'oii laissat dans l'ou- bli , comme chose insigniflante et peu digne de mcmoire, le siege de Linchamps qui en a cte pour ainsi dire Ie prelude. Apprenant done demoi-meme, que cet evene- ment m'etait connu par la relation d'un grand nombre de teraoins, ils me presserent d'en ecrire brievement le recit. Pourm'en defendre , j'alleguai longtemps ma fai- blesse, ou plutot ma complete incapacity enfln cependant, je promis de mc rendre a leur desir, ne recherchant en cela ni faveur , ni renommee litteraire, (et plut a Dieu que mes amis fussent convaincus comme moi de mon insuf- flsance ), mais craignant qu'ils ne pussent me reprocher un refus , ou m'accuser de redouter le travail. "Voici done ce petit ecrit destine a bientot perir, peut-etre meme mort avant d'avoir vu le jour. Je l'ai compose pour toi en me jouant , je te le donne, et veux qu'il soit dedie a ton nom Frangois Brigalier, toi qui etais present quand on m'en faisait la demande ; re§ois-le comme un gage de mes sentiments ; repose ton esprit en le lisant, mais ne te lasse pas de poursuivre des travaux plus serieux , de maniere a repondre dignement a l'attente de tes excellents parents qui n'epargnent ni sacrifices, ni peines, pour orner a la fois ton esprit et ton coeur, de maniere a realiser tout ce que d'avance j'ai annonce pour toi. Paris , College de Boncourt (2) , ides de Novembre 1554. (1) Guerre entre Charles Quintet Henri II commencee en 156i pour la defense d'Oclavc Farnese que l'Enipereur Toulait — 208 — PETRI DOVRRY RHEMI AD FRANCISCVM BRIGALIERIVM ADOLESCENTEM ET INGENUUM ET DOCTUM , EPIGRAMMA. Ecquis te satis sestimet bealum, Isto cui liceat frui magistro, Quo vix doctior est, benigniorque ? Si Mars impius, Arduena sylva, Castrensis strepitus, Lycainpus, arma Enarrare queant libi vicissim, Olim qua ratione sese haberent, Dum telis peteretur arx Lycampi: Non praeslantius hide scire posses, Quam nunc percipis ex tuo Miquello. Num vis adjiciara, ut tenet medendi Artem, prsetereamque liberales? Hem ? si hanc et reliquas luberel artes Omnes enurnerare singulatim, Ut Grsece sapit, ut sapit Latine, Ac ut moribus integris probatur, Non sane scheda summa coniineret. Quis prior libi, quisve sit secundus? Quid dignum mentis pulelur istis ? Num jure hunc habeas loco parentis? depouiller du duche de Parme. Celle guerre inlerrompue par la treve de Vaucelles en 1556, so termina a Cateau-Cambresis, le 2 ayri! 1559. Les principaux evenemeuts militaires de cetle guerre sont le siege de Metz (1552), la destruction de Therouenne (1553), les batailles de Renly (1554) et de Saint-Quentiu ("1557). (2) College de Boncourt, situc rue Bordet , n» 21 , Montagne- Sainte-Geuevieve. 11 fut foude, en 1353, par Pierre Becoud, sei- gneur de Flechinel , qui , pour I'entretien et l'enseignement de — 209 — PIERRE DOURRY, REMOIS, A FRANQOIS BRIG ALTER , JEUNE HOMME DOCTE ET BIEN NTS. Qui pourrait apprecier assez ion bonheur, a toi disciple d'lin maitre des plus bienveillanls el des plus inslrtiils. Quand il se pourrait que le cruel Mars, que la forel des Ardennes , que la renommee , que Linchamps entreprissent de te raconter tour-a-tour les combats et les evenements du siege de ceite for- leresse, tu ne saurais mieux les connaitre par eux que lu ne les sais aujourd'hui de ton cher Micqueau. Dirai-je quelque chose de son habilete dans la me- decine , de sa connaissance des arts liberaux ? Helas! vouloir parler en detail de celte science et de toutes celles qu'il possede, dire ce qu'il sait de grec , ce qu'il sait de latin, et I'estime dont jouit sa vertu , ce serait tenter 1'impossible ! Qui Pemporle sur lui pres de loi , qui meme regale ? Ou Irouver quelque chose qui soit digne de ses merites ? N'est-ce pas a bon droit que tu le regardes comme un pere ? huit ecoliers du diocese de Therouenne , donna la maison qu'il possedait a Paris, rue Bordet, avec quelques reyenus qu'il affecta a cette fondation. Du noin du fondateur Becoud , on a fait en latin le mot Collegium Becodianum , et , par corruption , en francais, celui de Boncourt. Au xtm* siecle le college de Boncourt fut reuni a celui de Navarre qui etail contigu. Dans les bailments du college de Boncourt sont tStablis aujourd'hui les bureaus de I'ecole Poly technique. — 210 — EIVSDEM DOVRRY AD IOANNEM LODOICVM MICQVELLVM, EPIGRAMMA. Ede tuum popnlo (quid enim pudet?) ede libellum, Eia Lycampaeum peclore profer opus. Fiet enim ut laudent omnes, mirentur, adorenl, Clamenl, historica quam bene in arle valet ! Plurima quam lepide paucis compleclere verbis ! Quam cupide miles pectore quisque leget ! Quid, quaeso, cessas? quid sjaudia noslra moraris? Concrescenle gelu lune repente riges ? Anle fores stantem cessas admittere famam? Sudorisne lui prsemia ferre piget ? Per le fac vival, per te noscique Lycampus Incipiat : cineri gloria sera venit. — 211 — LE MEME DOURRY, A JEAN LOYS MICQUEAU. Qui I'arrete ? Livre enfin (on ouvrage an public et ce que Ion genie a compose sur Linchamps. Tons aussilol, emerveilles , transporters, s'ecrieronl : Quel habile hislorien ! avec quelle grace il sail dire beau- coup en peu de mots ? Avec quelle avidite chaque soldal devorera ce livre? Pourquoi tant reculerje tc prie , et diflerer notre plaisir ? les froids croissants de I'hiver t'auraient-ils engourdi ? Ouvre entin a la renommec qui frappe a la porie et recueille les fruits de tes succes. Fais que par loi Linchamps vive et commence a elre connu ; une gloire tardive s'attache a sa cendre. 212 — MCOLAI QVERCVLl AD IOANNEM LODOICUM MICQUELLUM, EPIGRAMMA. Bella Lycampaeos dum scribis gesla per agros, Allerius belli semina cruda jacis. Ex animis hominum nam quod rapit omnia lempus, Emissa graviler laediiur historia. Falcis enim vires senlil per scripla retundi : Humano sese cedere el ingenio. Sic tibi (lempus edax) indicunl bella diserli : Sic lu conficieus omnia, conficeris. NICOLAI IHUZAKDI AD IOANNEM LODOICUM MICQUELLUM. Sufliciat regum veleres novisse Iriumphos : Una Lycampaei prodeal hisloria. Quae primo repeiens enarrel ab ordine Marlem, Clara Lycampaei floreat hisloria. Floreal : el lolum vulgelur fama per orbem : Ex tenui vigeal gloria magna loco. Saepe elenira parvis crescunl e fonlibus amnes, Slellaque praeclarum lumen in orbe dedil. — 213 — NICOLAS CHESNEAU A JEAN LOYS MICQUEAU. Quand tu raconles les combals livres autour de Linchamps, iu jelles la cruelle semence d'une auire guerre. Car le temps qui arrache tout du souvenir di?s hommes recoil de la publication de l'histoire une blessure cruelle. II sent que les ecrits rendenl sa faux impuissanle et la forcenl a ceder au genie des morlels. C'esl ainsi, 6 temps deslrucleur, que les savants le combatlent, et que toi qui detruis lout, es detruit a ton lour. NICOLAS BIUZAUD A JEAN LOYS MICQUEAU. C'est assez raconter les vieux triomphes des rois ; paraisse seule aujourd'hui l'histoire de Linchamps! Que reprenant dans leur ordre lous les fails de celte guerre , cette histoire illuslre bribe au milieu de nous. Qu'elle bribe! et que la renommee la repande dans tout l'univers, un lieu obscur verra naitre une grande gloire! Ainsi la modesle source enfante le grand fleuve ; ainsi l'humble etoile repand sur le globe une eclatante lumiere. - 214 LYCAMPAEI CASTIU MUNITISSLMI OBSIDIO, ATQUE EXC1D1UM. Autore Ioanne Lodoico Micquello, Rhetno. Pkudenter monet Sallustius, priusquam incipias consulto, et ubi consulueris, mature facto opus esse. Quo admonere videlur eos, qui res dubias ac novas moliuntur, dehere non tarn quid velint ipsi aut cupiant, quam quid sit utile ac fulurum consliluere. Saepe enim accidil, ul eos tandem sui consilii maxime poeniteat, qui impelu quodam animi el temerilate potius, quam cogitatione aliquid faciunl. Nam, ut forlunse insolentiam vincitcircumspeclaprovidentiajta celerilatem consiliorum sera et inutilis sequitur pce- nitenlia.Temeritatis vero,tam subiti lamque vehementes sunt impulsus, ut horum iclibus, hominum mentes concussse, nee sua pericula respicere, nee aliena facta jusla sestimalione prosequi, nee cladem vereri, nisi cum adventarit, valeant, ut quae ignorent Phrygum sapientiam, et damnosam pcenitudinem in eadem habitare vicinia. Caeterum quoniam solenl homines ex malis si quid boni inest (quod sane perexiguum est) decerpere, et aliena insania admoniti consultius agere, et more avium laqueos declinare, in quos pedem alios inseruisse viderint (hoc enim illud est prsecipue in cognitione rerum salubre ac frugiferum, omnis te exempli documenta in illustri posita mo- numento intueri : inde tibi quod imitere capias: inde fcedum inceptu, feodum exitu quod vites) non inutile, neque ingralum futurum legentibus arbitralus 215 LE SIEGE ET LA DESTRUCTION l)U TUES FORT CHATEAU DE LINCHAMPS , PAR JEAN-LOUIS MICQUEAU DE REIMS. Deliberez avant de rien entreprendre, et quandvousavez delibere agissez avec maturite, c'est le conseil prudent que donne Salluste, et qu'il adresse, ce semble, a ceux qui meditent des entreprises incertaines et nouvelles , leur recommandant de s'arreter,moins a ce qu'ils veulent ou a ce qu'ils desirent, qu'a ce qui est utile et qui doit arriver. Souvent on a vu se repentir amerement de leurs entre- prises ceux qui s'y laissaient entrainer moins par la reflexion que par l'ardeur ou la temerite de leur esprit. Car de meme que la prevoyance circonspecte triomphe de l'inconstance de la fortune, de meme la precipitation a toujours pour chatiment un regret inutile et tardif. Mais la temerite s'elance d'une maniere si violente et si sou- daine que l'esprit de l'homme ebranle par ses secousses ne sait plus ni reconnaltre son propre danger, ni apprecier justement les bonnes actions des autres , ni redouterun malheur qu'apres qu'il est arrive : il ignore meme que la sa- gesse pbrygienne et les maux les plus regrettables habitent toujours ensemble. D'ailleurs, quandlemal renfermequel- que bien, et il en renferme toujours un peu , on aime a en tirer profit; l'imprudence des autres nous apprend a agir avec plus de sagesse, et Ton imite volontiers les oiseaux qui evitent le perfide lacet ou ils ont vu prendre leurs compa- gnons.Tel est surtout le fruit precieux dePhistoire,qu'elle fixe notre vue sur tous les enseignements que chaque fait eclatant porte avec lui ; par elle nous apprenons ce qu'il faut imiter , ce qu'il faut fuire comme bonteux dans son principe , et bonteux dans ses consequences. Voila pour- quoi j'ai era etre utile et agr^able a mes lecleurs en mettant — 216 — sum, si in Lycampaei obsidione acta sub oculos omnium afferrem : non quidem incertis jactala ru- moribus ( nihil enim ex vano haustum velim) sed quae ab iis qui ipsi aul praefuerunt rebus, aut interfuerunt cum voce, lum scriplo accepimus. Quo vero hujus obsidionis raliones aperiius quivis inlelligat, pauca nobis de Lovanio ( hunc ab oppido silo apud Sues- siones Rougnacum (1) vocabanl) Lycampaei loparcho, ejusque moribus explananda sunt. Fuii igitnr Lovanius (I) M. !'abb6 Poquet, chanoine de Soissons , secretaire de la societe archeologique de cette ville, a bien voulu nous commu- niquer sur la familie de Louvain, et sur son fief de Rognac , les renseigneraents suivants : Le chateau de Rognac, qui a disparu , etait situe an hameau de Courleau , dependanee du village de Coulonge, canton de Fere-en-Tardenois, et a une Ires petite distance do l'ancieune abbaye d'Igny, paroisse d'Arey-Ponsart, au doyenne de Fismes, diocese de Reims. En consultant la carte de Cassini ou celle du depot de la guerre , si 1'ou trace une ligne droite de Fismes a Dormans, on rencontre sur sa route une etroite vallee dite de VOrillion, du nom d'un petit ruisseau coulaul du midi au nord, el se jetanl dans VArdre . a Saint-Gilles, pour tomber quelques kilometres plus loin dans la Vesle. Ed suivant le cours de ce ruisseau on trouve entre Coulonge et le vieus Vesiliy, le hameau de Courleau , qui subsiste encore , ainsi que quelques vieux de- bris , assez imposants de la forleresse de Rognac. Ce chateau avait avant 1789 le titre de Baronie, et etait possede par M. Bou- thillier de Chavigny, marquis de Pont et baron de Rognac. Au xvie siecle le seigneur de Rognac etait Antoine de Louvain qui eut un proces au parlement avec Jean Puy, seigneur de Chery Charlreuve qui occupait alors le chateau de Longeville (com- mune de Uraveny). Le proces regardait la propriete de ce cha- teau, sur lequel les conlendants avaicnt des pretentions exclusives. Le sieur de Rognac, impatient de voir le terme du jugement, arrira devant le chateau avec une troupe de gens amies dans le dessein d'y enlrer de vive force. Lorsqu'il parut, 1'epouse du sieur de Chery logeait hers du chateau , dans une chaiubre a — 217 — au grand jour le siege de Linchamps (l),et en rapportant, non ce que auraient seme de vaines rumeurs, car je ne veux rien puiser d'une source incertaine, raais ce que m'ont appris de vive voix ou par ecrit ceux qui ont dirige ces evenements ou qui en ont ete les temoins. Pour faire plus exactement apprecier les causes de ce siege il faut entrer dans quelques details sur la personne et la conduite du seigneur de Linchamps , Jean de Louvain, nomme de Rognac du nom d'un chateau situe dans le Soissonnais. cote du moulin ; elle avait cboisi ce logemenl parce qei'etant enceinte et pres de son lerme, elle poii7ait avoir besoin de se- cours qu'elle n'aurait pas pu rccevoir dans line place forte. Le sieur de Rognac, suivi de sa troupe, se presenta les armes a la main pour entrer dans la forteresse. Mais le sieur Chery, aide de ses doinestiques, lui en refuse l'enlr<:e. ( Recueil des Arrets de Papon, liv.25, litre y, art. 6.) De Rognac donne l'assaut : mais il est repousse. Outre de I'alTront qu'il venait de receyoir , il decharge sa colere sur l'epouse de Chery, qu'il maltraite. Dc Rognac ayant fait apporter des echelles, lente l'escalade, mais elle ne reussit pas mieux. Apres avoir epuise loutes les ressources pendant neuf jours d'assaut , il s'avisa pour vaincre la resistance de son ennemi, de mellre son epousea la portee des arquebuses et des machines que les assieges faisaienl jouer pour la defense de la place. Le sieur de Chery ne peut tenir contre cet expedient inhumain, et sans rendre la place, il sorlit pendant la nuit par une issue secrete. L'action de Rognac ne demeura pas impunie. Par un arret de 1546, il fut con. laitine a faire amende honorable, au parquet, sur le perron de la table de marbre, puis au village de Longeville devant le chateau, a la plus prochaine fete solennelle. Non content de confesser son crime, il etait coudamne en outre a payer le prix des effets brises ou enleves a la dame de Chery, plus une so in rue de 2,000 liv. de dommages et interets et 1,400 livres passees d'amende, au profit du sieur de Chery. Les terres de Rognac fureul confisquees. Cet Antoine de Louvain , sieur de Rognac , etait fils dun pere aussi violent qu'inhumain. Ce pere. nomme Pierre de Louvain , — 218 - orlus paientibus nobilissimis : qui el re, et sestima- lione magna apud Gallos fuere. Huic procerum corpus, el vividum, solidumque, cum vasla mem- brorum magniludine ineral : animus cum prudens, turn omnium magnarum rerum capax : ul quod is pollicerelur, praestari posse confideres. Conciliandae eorum cum quibus versabatur amiciliae, ac promerendi passim amoris singulare sludium, a lilleris el musis haud abhorrens. Adhibilus a Rege Francisco arduis negoliis, diligenlise laudem earn lulit, ul et amorem ejus in suscipiendis mandalis, el Gdem in conti- ciendis prospicere falerelur. Poslea vero repente mutalus, declaravil ejusdem esse ingenii, et optima et pessima interdum ferre. Nee quibus de causis hoc accident, adhuc mihi satis liquet, nisi forte ipsa fortunse magnitudo plurimas res secum defert, quae bene nala recteque insliluta ingenia queant corrumpere. Is igitur cum gravissimorum criminum reus agerelur , premeretque eum maxirae praeter vulgatam invidiam, quod Lulheranae superstitionis crederetur ( rumoribus vulgi agilatum esl eum prople- rea solum vertere coaclum : sed quia nihil nobis de eo constat non videtur pro certo esse ponendum), ira ac metu anxius, quod in ea maneret regione, ubi paulo diligenlius quam usquam alibi observatur quemadmodum unusquisque se geral in relinenda avail ele justement soupconae d'avoir assassine le mari do Blanche d'Aurebruche afin de l'epouser. Jean de Louvain <>(;iii probablemeatle fits ou le frere d'Antoine. On coacoit la ressem- blance qui existait entre eux. Kn 1550, Henri II fit present a Robert de La Marck et a Guille- melte de Sunebruche , des lerres de Coulonge , de Rognac et de Cohan qui avaient ete confisquees. Sans doute apres la prise de - 219 — Jean de Louvain naquit d'une tres-noble famille , riche et tres-consideree en France. 11 etait pour le corps, grand, actif, robuste; sa taille etait celle dun colosse. Pour l'es- prit , il etait prudent et plein d'aptitude pour les grandes choses ; quoi que ce soit qu'il promit, on etait assure qu'il saurait l'accomplir. llmettaitun soin parliculierase conci- lier lamitie de tous ceux avec qui il avait affaire et a meriter leurs bonnes graces. Les lettres et les muses ne lui etaient point etrangeres. Employe par Francois ler dans des affaires difficiles, il sut par le zele qu'il y apporta me- riter cet eloge : qu'il montrait autant de devouement a recevoir des ordres que de fidelite a les remplir. Plus tard , il changea tout-a-coup, et fit voir que son naturel se pretaitegalement au bien et au mal. Quelle fut la cause de ce cbangement ? Je n'ai pu encore me l'expliquer assez , si ce n'est, peut-etre, qu'une grande fortune amene avec elle bien des cboses capables de corrompre les coeurs les plus heureusement doues etles plus soigneusement formes au bien. Bientot on l'accusa des plus grands crimes, et la malveillance a laquelle il etait en butte s'aggrava encore parce qu'on le soupgonnait d'avoir embrasse la secte Lu- therienne. (Le bruit se repandit meme dans le public que ce fut la la seule raison qui le forga d'aller en exil , mais nous n'avons pu eclaircir assez ce point pour l'affirmer.) Alors , pousse a la fois par la colere et par la crainte, parce que dans la contree qu'il habitait on veillait plus soigneusement que partout ailleurs a la maniere dont cba- cun conservait sa religion et en observait les lois, il batit une Linchamps et la disgrace aes Louvain. La famille des Louyain etait honorable, mais I'ierre et Antoine derogerent a la repu- tation et au merite de leurs aucetres. — Jacques le Bouvier de Berry, 1'un des historiens du regne de Charles VII , parle avanta- geusemenl d'on Pierre de Louvain , qui fut fait chevalier a la prise de Fronsac , avec plusieurs grands seigneurs. Histoire des Valois, t. ii, p. 567. — 220 — religione, observandisquc legibus : castrum apud Ar- duenos ( quos sciebat neque lege, neque imperio cujusquam regi, sed suis moribus vivere ) aedificavit : ubi veluti licentiam naclus, et quasi Galliae oculis remotus, animo semper solulo, liberoque esset. Quidam ad id impulsum volunt, quod incredibili arderet cupidilate nominis illuslrandi. Eral enim is ea ani- mi elatione, el magnitudine, quibus nunia dominandi cupiditas innascitur. Alii volunl, cum delectaremr magnificis apparalibus, vilaeque cultu cum elegaulia et copia, omnesque passim domo, mensaque exci- peret , nee res familiaris , eisi ampla , tanlis sumplibus par esset, hunc locum furlis, el praedae veluti receptaculum delegisse. Incolae Lycampaeum appellant. Sed uon alienum esse arbilror de Arduena regione, quae gentes, quibus moribus earn incolunt, et Lycampaei silum, quantum suscepli operis ratio permitted breviter exponere. Arduena regio inviis saltibus est impediia, longo terrarum Uactu soli sterilis atque infoecundi prae- terquam avenarum, quarum nulla est feracior terra , monies habet praeruptos atque minaces, depressas valles. In mediis nemoribus alunlur equorum in- domiti greges, ac nobilium equarum, ad genus propagandum. Earn regionem incolit genus bominum asperum, incullumque, el Francorum, proater nomen, ignarum, li lingua ad Eburones pertinent: liberi sunt ac sui juris. In ejus regionis confinio, erat Lycam- paeus mons saxeus, praecelsus, maximeque directus, omni ex parte altiludine praeruptus, atque asper : ipsius jugum in angustum dorsum cuneatum, paulo altiore fasiigio, ea parle quae vergil ad orientem. Hujus radices Simois llumen alluit : reliquis ex — 221 — forteresse au milieu des Ardennes, car sachant que ce pays ne subit d'autre empire et d'autre regie que ses propres usages , il lui semblait qu'ayant trouve la l'absence de tout frein , et que s'etant soustrait aux regards de la France il serait a jamais libre etsans crainte. Quelques uns preten- dent qu'il fut pousse par une incroyable envie d'acquerir de la celeb rite ; il avait en effet ce caractere grand et eleve chez qui on voit s'elever souvent un desir immense de domi- nation. Selon d'autres, ami de la pompe et de l'appareil, cherchant a s'entourer du luxe et de la recherche dune vie passee dans l'abondance , recevant volontiers sous son toit et a sa table tous ceux qui se presentaient , sans que son patrimoine, quoique considerable, put suffire h de si grandes depenses , il choisit ce lieu pour s'y livrer au brigandage et y abriter ses rapines. Les gens du pays l'ap- pellent Linchamps. Mais il me parait a propos de dire quelque chose , autant que le permet le but de mon ou- vrage , de 1'Ardenne , de ses habitants, de leurs mceurs et du site de Linchamps (1). L'Ardenne, coupee par des bois impenetrates, renferme de vastes etendues de terrains steriles etqui ne produisent rien que des avoines , mais plus abondamment que quel- que sol que ce soil. Les montagnes y sont a pic et mena- (jantes et les vallees profondes. Au milieu de ces forets paissent des troupeaux de chevaux sauvages et des juments de race pour la propagation de l'espece. Les homines qui habitent ces contrees sont rudes, incultes , et n'ont de frangais que le nom. Leur langage est celui du pays de Liege. lis sont libres, et ne dependent que d'eux-memes. Sur les confins de ce pays etait Linchamps , montagne de pierre, haute, escarpee, taillee a pic de toutes parts et d'un difficile acces : son sommet forme un angle etroit et aigu, dont le point legerement culminant regarde le cote du le- vant. La Semoy baigne le pied de la montagne ; de tous (1) Sur les bords de la Semoy, commune des Hautes-Rivieres, canton do Montherme, arrondissement de Mezieres, Ardennes. — 222 — omnibus parlibus colles mediocri interjccto spalio, sed non pari altitudinis fasligio huncmonlem cingunt. abest Masscriis paulo amplius passuum ocio millia. Lovanius ratus ibi alio, alquc munito loco arcem inexpugnabilem fore, qua3 in coercendis ab incursu liosiibus haud parvi erat momenli, ( nam licel suis ulanlur legibus, et bello paceve neutrius censean- lur juris Ardueni^Regi lamen perpeluosuntinquiores), egit cum canonicis Brausiensibus (quorum res eral) ul sibi venderent. Illi quod intelligebant, quantum essel periculi talem virum sua? dilioni finitimum habere, concedendum non putabanl, neque hominem inimico in sacerdoles animo, data facultate illic aedificandi, lemperalurum ab injuria el maleficio exislimabant. Itaque ei responsum neque se habere vaenalem, neque eliam si maxime velint, silum in sua potestale: neque enim dislrahi, alienarique res ecclesiasticas posse, a se ul non parlas, ila posleris servandas. Isle vero qui spe el opinione prsedam illam devorassel, nulla a3quilale oraiionis commolus est. litis minari acerrime ccepil, calamilalique fore omnibus se de- nunciabai. Sed ubi videl eos nihilo magis minis quam precibus permoveri, aliam rationem iniil : sigillalim unumquemque ad se accersebal, ad coenam invitabal, nee prius eos dimitlebat, quam ab illis inter manus e convivio ( illic enim pro more patriae maximis poculis ministrabatur ) lanquam e praelio elalis, quicquid vellet impetrasset. Ita landera pa- ciscitur sese agros nonnullos eis in Gallia assignalurum, (1) Linchamps est a 17 kilometres de Me^zieres. (2) Rraus , sur la Meuse , 9 kit. de Mezieres. Avait avaut ia revolution une collegiale fondee par Hincmar au ix' siecle. II y avail a Braux douze chanoines ayanl a leur (ele un Prevol. ( Badnv, l'ouille. t. l , p. 118). — 223 — les autros cotes, un cercle peu etendu de collines moins elevoes renvironnent ; Mezieres en est cloigne d'un peu de huit milles (1). Jean de Louvain etait persuade qu'en ce lieu escarpe et fortifie par la nature , il aurait facilement un chateau inexpugnable , chose tres-importante pour resister aux incursions des enoemis , car hien que les Ardennais soient reputes libres et e:i etat de neutrality, soit durant la paix , soil duraut la guerre, cependant ils ont loujours incline de preference du cote du Hoi. II s'a- dresse done aux Chanoines de P.raux (2), a qui le terrain appartenait, leur proposant de le leur acheter. Mais ceux- ci n'etaient aucunement disposes a le vendre ; ils compre- naient combien un pareil voisinage leur scrait dangereux et comment un homme ennenii du clerge, serait facilement injuste et malveillant a leur egard , si on lui permettait de batir en ce lieu. lis lui repondirent done qu'ils n'avaient rien a vendre , et que meme quand ils le voudraient toute vente leur etait impossible, car, ajoutaient-ils , les biens de l'Eglise ne peuvent etre ni alienes, ni distraits ; nous n'en sommes pas les acquereurs, nous les devons a ceux qui viendront apres nous. Des raisons si sages ne firent aucune impression sur Louvain qui convoitait ardemment sa proie, il emploie les plus violentes menaces et leur annonce a tous une cruelle vengeance. Mais convaincu bientot que les menaces et les prieres sont egalement impuissantes, il a recours a un autre moyen. II fait venir chaque chanoine l'un apres I'autre, 1'invite a diner, et ne lui permet de s'eloigner qu'a- pres l'avoir fait relevcr sous la table sur les bras de ses valets, comme du milieu d'un champ de bataille , car on avait chez lui de fort grands verres, suivant la mode du pays. II traite enfin avec le chapitre a la condition de lui donner en France quelques terres , en ecbange de ce qui lui etait abandonne. xxi. il — 224 — ul sibi ea ditiooc cederenl. His ila constitulis, nihil prius habuit quarn arcem aediticare. Qua in re dici non potest quantum studii, opera3, ac vigiliarum proes- literit; acprimum in montis summo loco cotnplanaia rupe, speluncam viginti quinque cubilorum altitudine effodi jussil , Jribusque validissimis propugnaculis mnnivit locum, nalura alioqui munilissimum: excisaque rupe durissimi silicis, uniim perangustum aditum reliquil. Inde non mullo post, ingravescenlibus incendiis belli, ob legatorum csedem, violalasque inducias a Carolo csesare, Lovanius mililes cogere, exules damnalosque maguis pr?emiis ad se allicere caepit: ad quern brevi tempore magna mullitudo undique ex Gallia perdilorum hominum lalronumque convenit , quos spes praedandi, ab agricullura et quotidiano labore revocabat. Hinc nullam moram agendis rebus facit, multa fortiler , multa feliciter agit. Agros hosliles vaslat, et quantam maximam poterat vastitalem edebal, ex hostium agro rapiens, agensque pecora, alque armenta , quolidieque cum omnis generis prseda, el cum captivis, in arcem revertebatur. Haec ubi ad regem delala fuerunt, Lovaniique et consilium, el celeritas, et virtus lau- dari vocibus omnium ccepit : ut illius animum alacriorem in posterum ad belli munia reddcret, honorum insignibus, et magnitudiue prcemiorum excitatum, ac reliquorum voluntates accenderel ad benede republica promerendum , cum viderent fortes industriosque viros, ab eo fieri plurimi : ( sciebat enim eo impendi laborem et periculum unde emo- (1) Ccs aiubassadeurs, nomnies Rineon et Fregosc, elaiculen- voyes jar Francois lei an Sultan ; ils allaient s'embarquera Venisc quand iis furrnt assassines |ires de Pavie , le 3 juillet 1541, par — 225 - Apres ces arrangements, il n'eut rien de plus presse que la construction de sa forteresse. II serait impossible de dire combien d'ardeur, de travaux et de veilles il y employa. II fait d'abord niveler le sommet de lamontagne et y creuse un souterrain profond de vingt-cinq coudees; il defend par trois redoutables enceintes, ce lieu d'ailleurs si bien defendu p(ar la nature, et taillaut de toutes parts cette roche d'une extreme durete , il ne laisse qu'un cbemin ires etroit pour penetrer au chateau. Peu de temps apres, Charles-Quint ayant fait assassiner les ambassadeurs clu roi de France et viole la treve, une guerre trcs violente s'alluma entre lui et ce monarque (1). Mors Louvain se met a reunir des soldats, a attirer par 1'appat de grandes recompenses les exiles et les malfaiteurs : bientol il voit accourir de France une foule d'hommes sans aveu et de bandits, et tous ceux que l'espoir du pillage detournalt de la culture des terres et du travail quotidien. II se met a l'ocuvre sans retard , et il agit souvent avec courage , souvent avec bonheur. II ravage les terres de l'empire et il y etcnd le plus qu'il peut la devastation , pillant les campagnes, chassant devant lui petit et grand betail, et rentrant cbaque jour dans sa forte- resse charge de butin de tout geire et avec des prisonniers. Quand le Roi eut appris ces choses il n'y eut autour de lui qu'une seule voix pour louer la sagesse de Louvain, son activite et son courage. Aussi pour exciter son ardeur guerriere par des distinctions honorifiques et de grandes recompenses, pour encourager les aulres a se devouer au service de l'Etat quand ils verraient le Roi apprecier dignement les hommes braves et habiles , Francois Icr le nomma colonel d'un regiment allcmand, et lui donna une solde tres considerable ; car il savait que Ton compte pour rien le danger et la peine quand il y a des honneurs a l.angei , gouverncur du Piemont , qui vonlail lcur cnlevcr leurs papiers el convaincrc ainsi le roi de France dinlelliger.ee avec le Turc. ( Henri Marlin , t. ix, p. 372.; - 226 — lumentum aiquc honos sperelur ; nihilque non agressuros homines, si magna conatis, magna praemia proponanlur) , prafecluram logionis Germanicae cum stipendiis amplis illi delulil. Memorare possem hoc loco quam crebro cum hostibus manus conserueril, quam mulla ex illis signa militaria ad Regem sint delala, quam saepe hoslium impetum fortissime sustinuerit, ni ea res longius nos ab inceplo traheret. lnlerjecto deinde tempore, Galliae pace undique reslilula, Lovanius sine imperio, sine stipendio commoralus, in omnem luxum domesticum sese effudil : tanlumque impendiornm feci! ( ul eral ille profusus, passimque omnes domo mensaque excipiens) , ul quicquid opum aliquot qua3sieral anuis, quos in hello transegeral, parvo tempore profuderit. Destitutus itaque, atque ila jam exhaustus el egens, ul sli- pendia quoque mililum suorum protrahi, ac differri necesse esset, sese omnibus jam legibus praelerquam quae poculis ponebantur, (quibus diligenler obtem- perebat), solulum ralus, rapinis intendit animum. Deductis mililibus in locupletiores finitimorum domos, has interdum diripiendas dabat, interdum pecunias illis imperabat, majoreque acerbitate exigebat, mului ac crediti nomine velatis rapinis. In eos omnia exempla cruciatusque edebal, si qua res non ad nulum, aut ad volunlatem ejus facta esset: nee quod ah hoste crudelius pati possent reliqui quicquam fuit, quam quod ab illo ipsiusque mililibus paliebantur. Horum qui aliquid conlumeliosissime, impudentissi- meque fecissel, is ut vir strenuus commendabalur, ut commoli eorum conlumeliis, multi, patria,fortunisque carere maluerint. Gupiditaie quoque incensus, ( ut sunt plerumque homines natura proclives ad ea — 227 — esperer , et que les hommes sont capable^ de tout entre- prendre si de grandes remunerations sont promises a de grands efforts. Je pourrais rappeler ici les nombreux com- bats qu'il livra aux imperiaux , tous les drapcaux qu'il fit porter au Roi, combien de fois il soutint intrepidement le choc des ennemis ; mais ces details nous ecarteraient trop de notre sujet. Apres quelques annees la France retrouva la paix (I), et Louvain, sans commandement et sans solde, s'aban- donna au luxe domestique. II fit tant de depenses, (car il etait prodigue et il recevait sans choix tout le monde dans sa maison et a sa table), qu'en peu de temps il dissipa ses epargnes de plusieurs annees , et ce que lui avait procure la guerre. Se voyant epuise et reduit a une telle indigence et une telle detresse qu'il etait force de differer et d'ajourner la paie de sa troupe, il finit par se regarder comme au- dessus de toute loi, excepte toutefois de celles qui se dictent au milieu des verres et qu'il observait toujours scrupuleu- sement. 11 ne songea plus qu'au pillage. II amenait ses soldats dans les maisons de ses plus riches voisins et les leur donnait a ravager; d'autres fois il imposait une contribu- tion au proprietaire et l'exigeait avec la derniere rigueur, deguisant ses rapines sous les noms de credit et d'em- prunt. Trouvait-il une resistance a ses moindres volontes, tous les suppliccs lui convenaient pour exemples , et ces infortunes ne pouvaient rien attendre de l'ennemi le plus cruel qu'ils n'eussent souffert de Louvain et de ses gens. L'un de ces derniers s'etait-il signale par quelque inso- lence ou quelque injure plus atroce , on le vantait comme un brave. Aussi un grand nombre , excedes de ces mau- vais traitements preferent-ils abandonner leurs biens et leur patrie. La cupidite qui entraine naturellement tous les hommes a augmenter leurs domaines , le poussa a (1) Paix de Crepy en Valois , 17 Seplembro 1544. - 228 - propaganda quae possidenl ), pages aliquot, dilionis llaslrensis comilatus occupavii. Naves, quarum alveo Syir.oenlis fluvii ingens quolidie numerus ligna vcclabat, sibi pendere vecligal coegit. Neque enim iovilis his qui in arce era ill, poleral esse propter angustias navibus iransitus ; propterea quod saxis modo ab ea devolutis, quoslibel obrui, aique interfici nullum nt'goiium erat. Et ne quod jus, vel fas inviolaium praelermitleretur, piraticam quoque exer- cere imtituii. Navibus enim ultro citroque Mosa? fluvio commeamibus, ( is baud longe Lycampoeo abest ), non modo transitum non dabat, nisi magna exoralus mercede, verum eliam mullas inlercipiebat. Uode cuidam Masseriensi mercalori aliquando navem, quam ille halecibusonuslam inlerceperat, repetenti, sibi opus esse halecibus dixit his diebus, quibus inler.liclus esset carnium usus: quo se ex suspicione violalse persuasionis, el ex omni hominum sermone ven- dicarei. Mullorum itaque ad Franciscum Nivernensium principem, ( cui N. Fuxeae absque prole sublala comitatus Haslrensis obveneral), quotidie querelas perferebantur, forlunas suas eripi, se suis sedibus pelli, intercipi suorum naves, nee tulo jam posse ex Gallia in Flandriam cursum tenere. Tandem ali- quando miserce patriae consuleret : libertatis, legumque praasidium , quod Lovanii improbitas eripuisset, restitueret : nee eum pateretur lieentia rapinarum quasi rabie, ad singulos procedere: quod si indigni videantur quibus opem auxiliumque ferret, se sua relicluros: quod jam multi istius injuriis exagitali fecissent. His rebus cogniiis, princeps ad Lovanium misil, qui cum monerenl, se ci magnas et graves in suos injurias, quoniam in integrum restiluere — 229 — s'emparer de quelques villages dependants du comte de Hethel, II exigea une redevance des nombreux bateaux transportant du bois sur la Semoy. Car la disposition des licux leur rendait le passage impossible sans le consente- ment des maltres du chateau de Linchamps ; il suffisait a ceux-ci de laisser rouler quelques pierres pour submerger et tuer a leur gre, et sans peiue, tous ceux qu'il leur plai- sait. Et comme pour ne laisser aucune loi ni aucun droit sans le violer, il commence a faire le metier de pirate. A peu de distance de Linchamps coule la Meuse, que mon- tentet que descendent un grand nombre de bateaux. Non seulement il n'en laissait passer aucun sans lui enlever une portion considerable de sa charge , mais il en confisquait memebeaucoup. Ainsi il ariiva qu'ayant pris a un mar- chand de Meziercs un bateau rempli de harengs , quand celui-ci voulut le reclamer , il lui repondit qu'il avait be- soin de harengs pour observer les jours maigres , afin de faire taire par la la calomnie et prouver qu'il n'avait point abjure sa religion. Des plaintes arrivaient ainsi chaque jour, de la part de ses vassaux, a Francois de Nevers a qui Claude de Foix, morte sans enfants , venait de laisser le comte de Rethel (1). On leur ravissait leurs biens, disaient- ils, on les chassait de leurs demeures , on interceptait leurs navires, ils ne pouvaient plus aller avec securitede France en Flandre. Ils invitaient le prince a songerenfln aux interets de son malheureux pays, a luirendre la li- berte et la protection des lois que Louvain lui avait enle- vees,ane pas permettre que celui-ci etendit sur chacun la rage deses rapines; que si ses sujets ne lui paraissaient dignes, ni d'appui ni de secours, ils chercheraient un autre maitre, ce que beaucoup d'entre eux deja avaient fait, forces par les violences de ce brigand. Ayant appris toutes ces (I) Francois, fits do Charles 11 de Clevcs, depossedo en 1525 par Odet , comle de Lautrec , est retabli dans son coinle de Re- thel en 15 se cache sens ce masque latin du xvie sieclo , nous pienons le parli de ne point le Iraduire. — 236 — convocalos omnes vebemenier incusavit : sua perpelua in eos beoeflcia coramemoravit : quod eos excepisset maxime profugi vagamque vitam agentes: quodque eos ab omni periculo conservassel : et ul lutam tranquillamque vilam traherenl, sua perfecisset vigi- lanlia. Prseterea jaclatis vulgo rumoribus, baud temere iidem habendam esse: sibi quidem persuaded, pro suis lantis in eos, qui essent ditionis comitatus Rastrensis, superiori bello beneficiis, fore, uli prin- ceps a perlinacia desisleret. Quod si furore atque amenlia impulsus, bellum inferret, quid landem vere- rentur, aut cur de sua virtute desperarent? Se quidem nolle quemquam scienlem, in paralam perniciem incurrere, neque vana spe lactare animos: id lamen spondere, recipereque, si longius bellum ducatur, Germanorum auxilia ea adfutura, non modo quae obsidionem solvent, sed quibus fretus ultro comilalum Rastrensem principi eripere possil. Quod si seeum nemo remaneal, tamen se cum solo Amando, (buic Lovanius propter virtulem confidebat maxime), de quo non dubitabat, caslrum contra Nivernensium impetum defensurura. Hac oratione habila, mirum in modum conversas sunt omnium mentes, summaque alacrilas, el cupiditas caslri defendendi innata est : seque omnes paratissimos una cum ipso omnem forlunam experiri confirmant. Horum salisfactione accepta ubi videt Lovanius eo processum, ut cas- lrum aut relinquendum, aut retinendum esset armis, decrevit quantum arma, quantum mceniatueri possent, summa vi resislere : citiusque vitam profundere, quam Lycampaei jusla possessione excedere. Raque primum hoslium consilia atque animum, ilineraque et copias, atque commcatus, et caelera quae cognos- - 235 — lution des soldats les plus aguerris. Jean de Louvain s'en etant aperc,u les rassemble tous et les interpelle vivement. 11 enumere ses continuels bienfaits ; il les a recueillis pour la plupart errants et fugitifs, il les a preserves de tout mal, et par sa vigilance , il a su leur procurer une vie sure et tranquille. En outre, il ne faut pas s'en rapporter aveugle- ment a de vaines rumeurs; pourlui, il est persuade qu'en raison des eminents services rendus par Iui dans la guerre precedente aceux du comte de Rethel , le due renoncera a ses projets ; que. si pousse par une folie furieuse, il leur fait la guerre , pourquoi done tant trembler et pourquoi desesperer de leur courage ? 11 ne veut lui , ni jeter per- sonne tete baissee dans un peril evident, ni les bercer d'une vaine esperance ; il peut cependant leur promettre et leur repondre que si la guerre se prolonge, il leur arrivera d'AI- lemagne assez derenforts, non seulement pourfaire lever le siege, mais pour conquerir meme sur le due de Nevers tout le comte de Rethel. Si tous l'abandonnent il restera seul avec Amand ( Louvain avait toute confiance en ce dernier a cause de son courage), de qui il ne doute pas, et seuls ils defendront le chateau contre les soldats du Prince. Ces paroles changerent merveilleusement la disposition des esprits , les voila tout-a-coup remplis d'ardeur et de- sirant vivement defendre la forteresse , ils jurent a leur chef qu'ils sont prets a partager sa fortune, quelle qu'elle soit. Ayant re§u d'eux cette satisfaction , Louvain ne tarde pas a reconnaitre qu'il faut abandonner le chateau ou le garder par la force ; mais la resolution en est prise, il opposera aux plus grands efforts tout ce que lui four- niront de resistance ses armes et ses murailles, il perdrala vie avant d'abandonner ses droits sur Linchamps. C'est pourquoi il met ses soins a decouvrir quels sont les desseins el les intentions de l'ennemi, les chemins qu'il doitsuivre, ses troupes, ses convois, et tout ce qu'il lui importe de — 236 — cenda in re cranl, surama cum cura excqucbalur. Deinde caslro omni conatu incumbere, copias conlrabe- re undique, omnia ad obsidionem inslructa, promplaque sollicite, ut suppeterent, curare : ac primum mului nomine ingentes corrasit pecunias. Hinc magnam vim frumenli el trilici ex vicinis locis curavil : sulphurei vero pulveris tanlam copiam reposilam habuit, nl baec una illius cautio, maximi momcnii ad obsidionem diu tolerandam fuerit. Jam referlum castrum rerum commealibus, jam mililum multitudine tutum erat. Lovanius tamen tanlam invidiam se vix posse suslinere videns, sesluabat dubitalione : versareque se in ulramque parlem coepit, non animo lanlum, sed eliam corpore : ul jam familiares sollicitum eum viderenl, trepidare hominem inlelligerent, quan- lamcumquc liduciam vullu praeferrei. Ingens enim labor periculumque proponebalur, exiguaqueadmodum spes eral adversus lanlum principera. Eum ilaque an- xium aliquando adiit amicus, quern in inlimis habebal: percunclalur si consilium non utile solum, sed eliam salutare admitlere auribus posset. Cum Lovanius gratias quoque se acturum diceret, si quid quod in rem suam essct exponerel, magnopere ei suasit ul dum liceret, dum occasio esset, sibi ac forlunis suis consuleret : satis exemploreum alienas clades prsebere : non qusereret quemadmodum casteris exemplo esset : ne tarn prava inciperet : nee super fortunam animum gereret : non omnia omnibus cupienda : illi res suas salis esse debere. Soepe enim accidisse, ut qui nimia pertinacia in alienis expetendis rebus essent, eliam earum quas baberent, quibusquepacate frui poleranl, amissione plecterenlur, su?eque eos iniemperantise vehementer pceniteret. — 237 — savoir. Tous ses efforts sont pour la siirete de la place , il rassemble des soldats de tout c6te , il veille a ce que les moyens de defense soient prets et sous la main , mais surtout, sous prelexte d'emprunt, il recueille des sornmes considerables. Les lieux circonvoisins lui fournissent en abondance du ble et des grains de toute espece. II amasse une telle quantite de poudre de guerre que ce seul genre de munitions doit lui etre du plus grand secours pour sou- tenir longtemps le siege. Enfin le cbateau est amplement pourvu de tout, et une multitude de soldats veillent a sa surele. Cependant Louvain etait dans une perplexite terrible, a la vue de tant d'ennemis contre lesquels il se sentait trop inegal. Quel parti embrasserait-il ? son esprit besitait a prononcer , et son visage trabissait ses incertitudes. Aussi sesfamiliersle voyant inquiet,comprirent toute son anxiete, malgre l'air de confiance qu'il affectait. II s'agissaiteneffet d'une grande entrepri^e et d'un grand danger, et il n'y avait que fort peu d'esperance de l'emporter sur un si grand prince. Pendant qu'il etait ainsi trouble, un de ses amis les plus intimes l'aborde et demande a lui donner un conseil non seulement utile a suivre, mais d'ou depend son salut. J'accepterai meme avec reconnaissance, repond Louvain, tout ce qui sera dans mon interet. — Hatez-vous done , reprend son ami , de songer a vous et a votre fortune pendant que vous le pouvez encore et que vous en avez l'occasion , assez d'autres nous ont instruits par leurs mal- heurs, ne chercbez pas a devenir vous-memes un exemple. Abandonnez de funestes projets et n'ambitionnez pas plus que vous ne pouvez obtenir. Tous ne peuvent parvenir au faite de la grandeur , contentez-vous done de ce que vous avez. On a vu souvent ceux qui desiraient trop avi- dement le bien des autrcs etre punis par la perte de leur propre fortune dont ils auraient pu jouir en paix , et se re- pentir amerement de leur cupidite. Allez trouver le due, — 238 — Principem adeat, pagosque, quos occupavit, ei reddal: sibi quidem persuaded , sequitale condilionis per- specta, earn graliam ipsius non esse repudiaturum. Nihil non pacis causa ferendum esse : nee com- millendum ut in aleam lanli casus se, suosque daret. Si possessio haud ambigua Lycampoei manerei, mulla diem teinpusque afferre posse, quibus non amissa modo recuperare, sed limendus uliro iis esse posset quos nunc timeret. Tunc Lovanius dicilur secum ipse mulla agitavisse, vultu, colore, ac raetu corporis pariter, atque animo varius: quae scilicet tacente ipso, occulta oris immulaiione patefecissel : tandem vero respondisse, se ul suorum bonorum justa possessione excederet, nullis conditionibus , casibusque adduci posse : quaniasvis principis magnas copias suslineri posse lam munilo loco. Poslremo, si res cogal, faclurum, auxilia Germanorum ut po- teniissima mox adsini, leclissimaeque copice. Conlra ea amicus sero faclurum clamitabal cum majores Gallorum manus, adjunctis Nivernensibus con venisseni , brevem consulendi esse occasionem. Poslremo quis hoc sibi persuaderel, sine jussu Regio principem ad ejusmodi consilium descendissc ? hanc suam senlenliam esse tulissimam, ipsius vero consilium quern haberet exitum? in quo si non praesens periculum, at certe longa obsidione fames esset perlimescenda. Hac in utramque partem habila di- spulatione, Lovanius respondit, se malle armatum, vindicem forlunae dignitalisque sua3 ( ila ul viro forti dignum sit), pali quodcumque belli casus lulerit, quam singula concedendo nudatum ad exlremum opibus, in conlemptu alque inopia consenescere. Interim ille nihil ad perferendam obsidionem sibi — 239 - reudez-lui les villages dont vous vous etes empare, jesuis convaincu que des propositions si justes seront favorable- ment accucillies. La paix vaut bien quelques sacrifices 5 prenez garde de vous exposer aveuglement , vous et les votres, a de si grands malbeurs. Si vous restez maitre inconteste de Lincharaps, le temps et les circonstances pourront reparer vos pertes, ou du rnoins vous rend re re- doufable a ceux que vous craignez aujou.d'bui. Alors Louvain, dit-on , delibera longtemps, cbangeant a cbaque instant , de visage, de couleur, d'air et de pensees, trabissant par tous ses traits ce qui s'agitait dans son cceur. Enfin, ii repondit que ni propositions, ni defaites ne le de- cideront a abandonner des biens qu'il possede justement ; que si nombreuses que sou nt les troupes du I'rince on peut les braver dan^une si forte place, qu'eufin, si les evenements l'y contraignent, il aura bientot rec,u d'Allemagne de puis- sants secours et des troupes d'elite. Tout cela viendra trop tard , lui repliquait son ami , les nombreux bataillons franQais joints a ceux du due de Nevers ne vous laissent que peu de temps pour aviser. Enfin comment se persua- der que le due en soit venu a de telle? extremites sans avoir pris les ordres du Roi ? Mon avis est tres-sur, mais ou aboutiront vos resolutions ? Craignez un peril imminent, ou du moins la famine, resultat d'un long siege. Apres avoir ainsi debattu le pour et le contre , j'aime mieux, s'ecria Louvain , defendre en homme de camr les armes a la main mes possessions et mon bonneur, et souffrir tout ce que peut entrainer la guerre, que de vieillir pauvre et me- prise apres avoir perdu toutes mes ricbesses en les cedant l'une apres l'autre. xxi. 18 — LJ40 — reliqui faciebat. Prima luce ad se venire quolidie onirics suos jubebat, seu quid communicandum, scu quid administrandum viderelur. Neque ullam fere horam intermillebat, quin quid in quoque esset animi periclitafelur. Si quem animadverleret nihil earum rcrum facere, quas caeteri facerent, sed Irisles ac caphe demisso, ejus rei quae causa esset scisci- tabalur, eumque vol consolalione confirmabal, vel abire omniuo jubebat. Liberos cum preiiosiore suppelleclile in urbam Metcnsem devebendos curavil, fortius quicquid acce- dcret laturus, si charissimam sui partem extra communis periculi sortem habuissel. Landa interim cito profeclus agmimv, Lycampaeum pervenit. Sed priusquam quicquam leotard, Lovanio petere per tubicinem insliluit, utse, castrumquc principi traderet. Huic nihil comiler benigneve responsum est. Lycampaeum euim extra tines Franciae situm, in quod principi nullum jus foret. Si quis vim facerei, ad arcendum suffeciuram militum(qui inlus sint) mul- titudinem : annonam in mullos menses congestam habere : arma , tela , tormenta , pecuniamque ad obsidionum casus seposuisse, omnia plena, cumulataque habere. Quae cum Landae renunciasset lubicen, Lo- vanio commeatu intercludere , ac omnibus viis insessis qua commealus portari posset, ad famem redigere statuit. Neque enim iis venerat copiis, ut vi agere quicquam possel. Ac Fayllouaei ( quod is locus peridoneus habebalur ) caslra posuil : multis arboribus longe lateque in finibus excisis, ac in modum cratium per transversum implexis, castra munivit, eoque importari frumentum jussit. Erant quidem l.ovanii copiae nequaquam tanlse, ut iis — 241 — Cependant il n'oubliait rien pour se preparer a soutenir le siege. Au point du jour il coovoquait tous ses soldats , soit pour entendre leurs rapports, soit pour leur donner ses ordres, a chaque heure de la journee il s'informait de leurs dispositions. En voyait-il un separe de ses camarades , triste, la tete baissee, il lui en demandail la cause, il le rafTermissait en I'exhortant, ou lui donnait conge. II fit transporter a Metz ses enfants et ses meubles les plus pre- cieux , pensant qu'il affronterait plus courageusement tous les perils de la guerre si la plus chere portion dc lui-meme v etait soustraite. Pendant cet intervalle Lalanle s'avance rapidement sur Linchamps; mais avant de rien entreprendre, il fit demander a Louvain par un trompette de se rendre au prince, lui et son chateau. La reponse fut hautaine et rude : Linchamps, lui dit-on, est situe hors des fronlieres de France, le prince n'y a par consequent aucun droit. Si quelqu'un veut essayer contre lui la force, la garnison est assez nombreuse pour le repousser. II y a dans la place des vivres pour plusieurs mois, des armes, des munitions, des machines de guerre, de I'argent^ el en grande abondance tout ce qu'il faut pour soutenir un siege. A ces paroles, que lui rapporte le trompette, Lalande resolut de bloquer le chateau en s'emparant de tous les chemins par ou on pouvait y introduire des vivres, car il n'avait pas amene assez de troupes pour tenter un assaut, 11 pla^a son camp a Failloue, trouvant ce lieu tres favorable-, pour le defcndre, il fit abattre dans les environs des arbres en grand nombre qu'il entrelacja en forme de claies, et il y ramassa tout le ble qu'il put trouver. — ~2k-> - extra ca strum si cssel dimicaudum, conliderel : scd ut lamen neque numero, neque genore hominum, neque usu rei mililaris contemnendae viderentur. Multos enirn secum Kabebat, qui inveteravcrant compluribus bellis: hue accedebanl collecti ex prne- donibus laironibusque Flandriae ac Gallia), plures, quos vincula , nou casira conlinueranl. Exulibus enim (ut prius diximus) capiiis damnalis, fugitivisque omnibus ccrlus oral Lycampeei receptus, ccrlaque vilae conditio. Itaque primo Lovanius, propter mul- liludinem hostium, et propter eximiam opinionem virlulis Landae, praelio supersedere statuit. Lancia id comperlum babens, ox ar.ee boslem eliciendi consilium iniit. Delocla manu pediium syrvestri loco, in qucm non etsel in arce dospoclus, insidias disponil : exin ad inescandos Lovanios aliquot levis armalurae mililes ad arcem expediti provolant, qui primum eos olicerent in insidias, deinde circumvenlos aggrederentur. Hos cum repentc Lovanii ani- madverlissent, ac numero superiores, paucilalem contempsissent, in fugam verterunt : nee ante lerga dare desierunt, quam perlraclis in insidias Lovaniis. Turn ingens utrimque pugna coorilur, in qua tanlus luil ardor utriusque partis animorum , ut aequis viribns per aliquot horas forlissime , et ubique alrociter dimicarint. Tandem Lovanii extenualis viribus ( quod impares numero essent ) lerga dede- runl : et haud paulo concitaliore cursu, quam seculi erant fugienles, in castrum sunt compulsi, jam plus in mcenibus, quam in virtute spei collocanles. Caelerum inlercedente trium fere mensium spalio, noc Nivernensibus satis inslruclis apparalu bellico ml nioenia aggredienda, hoc illis ad subeundum pugna; — Uo - Louvaio u'uvait point assez de troupes pour combattre avtc coiifiance hors de ses murailles, mais cependant ces memes troupes n'etaient pas a dedaigner, ni pour le nombre, ni pour la qualite des soldats, ni pour leur habitude de la guerre. Beaucoup d'entre eux avaient vieilli dans les combats ; a eux s'etaient joints, veuus de France et des Flandres, un ram as de pirates et de voleurs, micux places au bagne que dans une armee. Car comme nous 1'avons dit, les exiles, les condamnes a mort, les fugitifs quels qu'ils fussent, trouvaient a Linehamps un refuge assure et un emploi. Aussi Louvain, connaissant le grand nombre des ennemis et la renommee de Lalande se resolut d'abord a eviter une action. Celui- ci s'en etant apergu , congut le projet d'attirer l'ennemi hors de son repaire. II place en embuscade dans un endroit couvert de bois et invisible a la citadelle, une troupe d'infanterie delite ; quelques troupes legeres s'avancent rapidement vers la place pour exciter les assie- ges, les attirer dans 1'embuscade et les envelopper ensuite. Ceux-ci les apercoivent en effet , et dedaignant leur petit nombre les mettent en fuite. Les fuyards ne s'arretent qu'apres avoir amene leurs ennemis dans le piege. Mors s'engage une lutte serieuse dans laquelle chacun des deux partis deploie taut d'ardeur, que Ton combat vaillamment a armes egales pendant plusieurs heures avec opiniatrete. Mais enfin, les assieges a bout de forces, car ils etaient les moins nombreux , prennent la fuite j et courent vers la place plus vite qu'ils n'en etaient sortis en poursuivant Jes autres ; ils devaient plus compter desormais sur leurs murailles que sur leur valeur. Du reste, apres trois mois, il y eut une sorte de suspension d'armes , les assiegeants - '2/1/1 - casum, ulrimque quies ab armis furl": nisi quod frequenter Lovanii novos subide lumultus ciebanl : quidque hoslis viiibus posset, el quid ipsi auderent, periclitabantur, nunc hac nunc ilia parte inclinante victoria: quo tempore magis obsidio, quam oppu- gnalio fuil. Ita caslrum obsidebatur, nee aut vi capi poleral, quia pro spatio loci satis praesidii babebai : aul spern dabal dedilionis, multo frumento ante obsidionem illuc conveclo : laedioque recessum inde foret, ni Lovanius, ubi se ad vim aperlam Nivernentiibus non esse pa rem videt, et principis animum etiam turn ferocem, neque ab incoaplo desistere, staluisset non piaeliis, neque acic, sed alio more bellum gerendum. Is enim nonnullos ex suis divcrsos millii, ad vastitalem circa castrum edendam : ul ea calamitale peimolus pr'mceps, ab incepto desisterel. Illi assueii ministeriis talium facinorum, quod jnssi erant, impigre exequuntur, nulla incolumi relicta re, cui ferro aut igne noceri posset. Hoec eodem tempore ad Henricura Gullorum Regem delala sunt, el lilterae sunl ad eumdem a Maria Austria (quae fralris Caesaris nomine Burgun- diae imperabal ) data3, magna cum querela, quod excursorem, lalronem, sparlacum, hoslem sacrorum el religionum, cum fugiiivis, ac scclerata impiorum manu, in sui regni finibus vivere paierelur : nullum jam propter eum, adilum esse mercaloribus Flandris in Galliam: nil ilium pali vini, frumenti, reliqua- rumque rerum in Flandriam inferri. Rex respondil id se inscio fieri: huic aulem rei omnem esse diligentiam adhibilurum, dalurumque operam, ul el Maria Austria, et omnes bomines intelligereni, (juam asgre lulerii, suis infinibus id fuisse facinus -— 245 — manquant du materiel necessaire pour attaquer les mu- raiiles, les assieges etant trop faibles pour risquer une bataille. 11 est vrai que les troupes do Louvain donnaient souvent 1'alerte , eprouvant le courage de leurs ennerais et montrant leur audace avec differents succes. Toutefois le siege etait vraiment converti en blocus. Ainsi la place etait investie, mais Fans pouvoir etre prise d'assaut, parce qu'elle etait trop forte, et sans espoir de la forcer a se rendre , parce qu'elle s'etait trop bien approvisionnee d'avance. Les assaillants se seraient lasses si Louvain se voyant d'une part trop faible pour battre 1'ennemi en rase campagne , sacbant de 1'autre le due de Nevers toujours irrite et perseverant dans ses desseins , n'eut resolu de terminer la guerre autrement que par la lutte et la bataille. II envoie quelques uns des siens de divers cotes pour ravager les alentours du chateau , dans l'esperance que le Prince levera le siege pour faire cesser ces calami- ty, ses bommes, accoutumes a de pareils exploits, executent sans delai les ordres qu'ils ont rerms. lis n'e- pargnent rien de ce qui peut se detruire par le fer ou par le feu. Dans le meme temps (1) Henri, roi de France, regut des lettres que lui ecrivait Marie d'Autriche , gouvernante de Bourgogne an nom de l'empercur son frore. La princesse se plaignait vivementde ce que le roi tolerait sur ses fron- tieres, un pillard, un bandit, un brigand , un ennemi des cboses saintes et sacrees, a la tete d'une bande de proscrits et de scelerats. A cause de lui tout acces en France est interdit aux marcbands flamands, il ne permet pas que Ion introduise en Flandre ni vins, ni bles , ni quelque marcbandise que ce soit. Le roi repondit que tout s'etait fait a son insu , qu'il allait apporter les plus grands soins a cette affaire, et faire en sorte que Marie d'Autriche et tout le monde avec elle put comprendre combien il etait (I) Vers 1">50. — 246 — atque flagitium perpetratum. Ad ea qua? delaia erant , acccssere , qui calumniando omnia delor- quendoque suspecla et invisa cfficerent : affirmabant Lycampaeum quandoque ul Lnmaeum, exilio finitimis populis fulurum : opprimendum autem Lovanium in ipso ortu, ne mox validior maxime nocerct: focisse ilium potius cur suspectus essel Regi, quam satis staluisse ulram foveret partem si bcllum orialur : impetuque magis quam consilio, Caesari, aut Regi se adjunclurum. Summis imperiis nil negligendum esse: audaciam anicquam radices agaf, in ipso ortu vindicandam, quoniam cum invelerarit, velut jure suo saeviat. Non deerant etiam ( amicis enim, de- precaloribus^ue apud Regcm non caruit) qui hujus furia, rapinas, crudelilatem, scelus, audaciam, rerum gestarum magnitudine tegere conarenlur. Rex itaque (quo nullus unquam promptior veniae dandae fuil ) consueta lenitate usus , facilitate venire animum Lovanii conciliare, quam pcenas ab eo exigere maluil. Quemdam Lucaeium nomine cum mandatis ad eum misit, si Lycampaeo cedere velit, omnium illi, quae impie, nefarieque per multos annos alia super alia ausus sil,.gratiam faclurnm : magno se ilium praemio remuncraturum, conccssurumque ui locum domicilio ex magna copia deligeret, quern ex omni Gallia opporlunissimum judicaret: pacate ac lubens ei traderet, potius quam bello atque invitus paulo post amilteret tamen : quod nisi dccedat, ac suos deducat, sese ilium, pro hoste habilurum. His acceptis mandalis, Lovanius primo commotus metu atque libidine di- versis agitabalur : limebal iram Regis, ni paruisset : porro animus cupidine caecus, ad incoeplum rapiebatur. — 247 — afflige que de pareils crimes et de pareils forfaits se fudsent accomplis sur ses frontieres. Quelques Iiommes vinrent ajouter a ces facheux rapports , en envenimant Lutes choses , et en les presentant malignement comme odieu- ses et suspectes. Linchamps, disaient-ils ; ?era bientot comme Lumes la ruine des populations qui l'avoisinenf, il faut ecraser Louvain des le commencement, de peurqu'il ne devienne plus nuisible en sh fortifiant. 8a conduite la rendu plutot suspect au roi qu'elle n'a fait prcssentir le parti qu'il embrasserait en cas de guerre : une ardeur aveugle, plutot que la prudence, le porteront vers 1'Empe- reur on vers le Roi : un grand royaume ne doit rien negliger; il doit reprmer les audacieux des leurs debuts avant qu'ils se soient enracines., car quand ils ont vieilli , ils semblent avoir acquis le droit de nuire. D'un autre cote Louvain avait des amis aupres du Roi qui s'efforc,aient de cacber ses vols, ses rapines, sa cruaute\ ses crimes, son audace, sous le voile de ses grands exploits. Mais Henri, le plus debonnaire des princes qui fut jamais, snivant les inspirations de sa bonte ordi- naire, aima mieux se gagner le coeur de Louvain par nn pardon facile que de le pumr. 11 lui fait porter ces propo- sitions par un certain Luceius (1) : S'il consent a quitter Lincbamps, le roi lui pardonne ses crimes, son audace, et tout ce qu'il accumule de mefaits depuis plusieurs annees. 11 recevra de grandes recompenses , et pourra cboisir, pour y babiter, le lieu le plus a sa convenance qu'il lui plaira d'indiquer dans toute la France , a son choix. Qu'il cede sa forteresse pacifiquement et de bou gre plutot que d'y etre contraint par les amies. Que s'il ne se retire en paix, lui et les siens, qu'H sache que le Roi lui-meme se declare son ennemi. A la reception de ces ordres Louvain agite par la crainte et par la passion ft) Nous ne le liaduisons pas plus que Raretius , et pour la nieine raison . xxi. ID — 248 - Vicit landera in avido ingenio pravum consilium : exoriens enim bellum, ac motiim terrarum, velut ex specula prospiciens, in supplicis humililalem demitierc se, veniamque erroris furorisve pelere nondum statuebat : sed exlrahere reliquum lemporis aeslatis in animo habebat. Ilaque Lucaeio respondit, sibi neque majus quidquam, neque charius autoritale Regis esse; ab adolcscentia ila se enixum, ut ab oplimo quoque probaretur ; virlute non malilia Regi antea placuisse : ob easdem artes ilium se in suam militiam scripsisse, slipendio juvisse, ornatumque esse voluisse. Cae'erum quo plura bene alque slrenue fecissel, eo animum suum injuriam minus tolerare. Non aequum esse, nova, falsaque crimina, plus sibi obessc, quam anliqua merila, quorum ipse Rex teslis esset : frustra clementiae, gravitalisque regis famara vulgalam in gentes esse, si levibus de causis, quae vix querela el exposlulalione dignse sunt, arma capiat, ac bellum bene de se merilo inferat. Lycam- paeum magnis sumplibus aedificasse : Regem neque recte, neque pro bono faclurum, si justa emptione qusesiiam rem tenere prohibuerii. Dimissus Lucaeius in poslerum diem, cum intellexisset Lovanium tacite curam adhibuisse, ut se caperet, amici cu- jusdam ope ac consilio aufugiens, evasit. Qua re commoti quidam ex amicis Lovanii, monuerunt, videret eliam alque eliam quo progrederetur pro- clinata jam re. Non eamdem illi semper occasionem condilionibus aequis impelrandis futuram: cogitaret ne se, suosque omnes funditus everleret: nee se prudens sciensque eo demilleret, unde exitum videret nullum esse: videri enim sibi periculosum, principe Nivernensium ad Lovanii perniciem alque inleritum — 249 - llottait incertain 5 il redoutait la colore du rui , s'il no lui obeissait, et son aveuglement 1'entrainait a poursuivre son cntreprise. Enfin le mauvais parti l'emporta dans cette ame cupide. Du haut de ses murailles , il voyait la guerre s'elcver, le pays s'agiter , et il ne pouvait se resoudre a s'humilier comme un suppliant pour demander le pardon de ses erreurs ou de ses fautes, il preferait trainer les choses en langueur jusqu'a la fin de la saison. II repondit done a Luceius : Rien ne m'est plus sacre, ni plus cher, que i'autoritedu Hoi ; des mon adolescence j'ai pris a tacbe de meriter res- time des gens de bien, e'est ma bonne et non ma mauvaise conduite qui m'a merite jusqu'ici de plaire au Roi, les memes motifs out determine ce prince , a me recevoir dans son armee , a me prendre a sa solde , a m'accorder d'ho- norables distinctions. Du reste , plus j'ai montre de vertu et de courage, moinsje suis dispose a supporter I'injustice. Lst-il equitable que des accusations nouvelles et calom- nieuscs l'emportent contre moi sur des services eclatants dont le Roi lui-meme a ete te^moin. C'est envain que Ton proclame partout la clemence et la moderation de Henri, si pour de legers motifs qui ne raeritaient pas meme que Ton s'en plaignit, il court aux. amies et declare la guerre a son meilleur sujet. J'ai bati Lincbamps a grands frais, le Roi serait injuste et blamable de me priver (J'une pos- session bien legitimeraent acquise. Luceius fut congedie pour le lendemain , mais sacbant que Louvain prenait en dessous main des mesures pour le faire prisonnier, il s'ecbappa par la fuite avec l'aide et le conseil d'un ami. Quelques bommes devoues a Lou- vain, effrayes de cet evenement , vinrent le conjurer de reflecbir et de voir ou il se precipitait, dans rextremit!! ou il etait parvenu. II ne retrouverait. jamais une pareille occasion pour obtenir des conditions favorables; qu'il prenne done garde de se perdre entierement lui et les siens, et qu'il n'aille pas se plonger de gaite de cceur dans un abime sans issue. II y a un extreme peril a vouloir — 250 — omnia molieDle , Henrico rege in possessionem Lycarapaei sese inferonle, illud (amen velle ret'mere : ipsins vires ad eis resisiendum suffecturas, neminem lam stultum esse qui sperare audeal : neque esse credeudum, qui pares paucisNivernensibus nonfuerint, iisdem, ac exercilu Regio superiores fore. Quos cum atidisset Lovanius, convocatis omnibus suis raililibus, ejusmodi oraiionem babuit. Non lam se quidem ca re angi, ac dolore conflci, quod eo tempore forluna, quae plerumque res bumanas ad- minislral, lam poienles in se hosles armaveril, (falo enim id, neccssilateque nccidisse : itaque moderate esse ferendum), quam quod ex suis nonnulli sint, qui dum immodico terrore opprimunlur, alios eliam perturbent. Illiauiem, (inquil), borlanlur, ul Lycam- j.seo cedamus, ne si eo relinendo Regem irrilaverimus, esercilum slalim miltal: quasi aui facile sit, aut ex Regia digniiale videatur esse, lam levibus de causis exercilum cogere : aut ignoremus principem Nivernensium. ne unum quidem nummum ullerius in bellum insumplurum, qui paucorum mensium spalio, pauculas coborles, prope nudas, ad caslrum oppugnandum vix, a?greque miserit : aut i!le, quo demissius atque abjectius cum illo agemus, non majores sumat in nos spiritus, seque duriorcm, aique implacabiliorem mullo pisebeat. Quod si in- telligei, nobis pristinam inesse viriutem, ac vim sentiel, consensumque omnium veslrum, qui antea fueril in luendo castro videal, el unius salutem omnibus esse curse , inclinabit ad clemenliorem senieniiam, nee despiciet lam arroganler eos, quos obesse sibi posse aliquando verebitur. At eliam veremini ne caslrum oppugnelur, eo silu el nalura - 25 1 — conservcr l.inchamps, quand le due de Nevers fait tou.i ses efforts pour le ruiner et !e detruire , et quand le lloi Henri I! pretend s'en emparer \ ce serait folie que d'es- perer pouvoir leur resister par la force, et il ne faut pa-; compter vaincre les armees du Roi reunies aux autres, quand on aete le plus faible dans la lutte avec les mode-tes trou- pes du due de .Nevers. Apres les avoir entendus , Louvain convoque tons ses soldats , et leur parle en ces terraes : Cequi m'inquiete et mecbagrine dans les circonstances prescntes, ce n'est pas que la fortune, cutte rnaitresse des choses humaiues, arme contre moi tant et de A pressants ennemis, (e'est la Toauvre de la fatalite et du destin aux- quelsilfautbien sesoumettre), mais e'est devoir quelques- uns des miens en proie a une terreur profonde chercher a !a communiquer aux autres. lis voudraient que nous abandonnions imraediatement Lincbamps, de peur que s'irritant de ce que nous le gardons, le lioi n'envoie sur le champ ses troupes contre nous; comme s'il ciait si facile a un Hoi, ou ?i digne de lui, de mettre une armee en marche pour de futiles pretextes ; comme :-i nous igaorious que le due de Nevers ne peut plus e'epenser un ecu pour couti- nuer son entreprise, lui qui durant l'espace de quelques inois n'a pu a peine et avec grands efforts faire assiegep Linchamps que par de miserables cohortes a derai-nues. Comme s'il ne devail pas ?e montrer d'autant plus bautain, plus dur, plus implacable a notre egard, que nous aurons agi plus humblement et plus lachement avec lui? Mais des qu'il comprendra que vous avez toujours le meme courage, des qu'il eprouvera votre vigueur , de« qu'il vous verra defendre le chateau avec le meme ensemble et tous vous preoccuper du salut de cliacim , il prendra un parti plus doux , et ne rejellcra pa? arrogamment ceux qu'il comprendra pouvoir lui etre redoutables un jour. Mais quand meme vous redouteriez un siege, en ce lieu, si bien defendu par la nature, pcr.onue ne pt-ut vous forcer si vous ne vous manquez a vous-mfimes : quand — 252 - loci, ut nisi ipsi nobis desimu>, nonio cogerc nos possit : quod si eliam ipse Rex velil, si festinel !)elliim nobis inferre, aestas abierit, i(a liyemis be- neficio res in annum alterum difleretur : interea bellum aliquod inter Caesarem, et Regem, ( quod jam impendere videlur ), polerit conflari. Postremo si res cogai, Caesarem orabimus ut nos in fidem jusque suscipiat, alque adversus vim Regis lueatur. Hac oratione habita, ac paulisper confirmalis Lova- niorum animis, Lovanius se ad omnem oppugnalionem comparat. Rex vero Lucaeio revcrso, verilus ne quod inilium belli inde nasceretur, Rordillono, (Campaniae nomine principis Nivernensis praefectoj, magna rei militaris , prudenliaeque gloria viro , mandat , ut conscripto exercilu, primo quoque die Lovanium Lycampaeo pelleret. Qui cum ad bellum deleclum edixissel, lanla libido in earn expedilionem cundi, |)lerosque invasit, ut emerilis stipendiis homines, mililiam sponle prolitereniur. His accessil, praeter veleranas mililum copias, ( quae in urbibus emunilis pro mililum custodia slaliva habebanl), juventulis Vallagiae atque adeo totius Campaniae vis ingens qui soli illecli gloria propriis merebanl stipendiis: inde commcatus, toimenla, et quidquid erat bellici inslru- menti Masscriis, et in caelcris urbibus quae propius ad bostem speclant, convehi jussil : ac ita Lycam- paeum pcrvcnit. Cujus rei certior faclus Lovanius, (l) BourdiUon , lieiilenanl-genera) du Roi en Champagne, sa aonimait Imbert de la Plalicre , et fut plus connu sous !e nom de Marerhal de BourdiUon. 11 etait genlilhomme du Nirernais et se dislingua par son courage et par ses services sous les regnes de Francois Iel , Henri il et Charles IX. Apres avoir donne en diverses occasions des marques de sa bravoure, il !iit cree mare- chal de camp en 1552 et commanda dans des conjonctures — 253 — memo lc Hoi I'entreprendrait , quand memc il se haterait de nous apporter la guerre , 1'ete passera , et graces a I'hi- ver il faudra tout remettre a l'annee prochaine. D'ici la la guerre qui parait itnminente entre I'Lmpereur et le Hoi pourra se declarer; puis enfin si les evenements nous y forcent , nous demanderons a devenir les vassaux de l'empire et Charles-Quint nous defendra des assauls de Henri II. Apr6s ces paroles qui rassurerent un peu ses soldats , Louvain se donna tout entier aux preparatifs du siege. Cependant le Hoi, craignant, au retour de Luceius, que ce qui se passait a Linchamps ne devint un pretexte pour commencer la guerre , il envoie au general de Bourdillon (I), gouverneur de la Champagne pour le due de Nevers , et celebre par ses exploits et sa prudence, l'ordre de lever des troupes et d'expulser au plus t6t Louvain de celte forteresse. La publication de l'enrdlement pour cette expedition est accueillie partout avec le plus vif empres- sement , chacun veut y prendre part , et de vieux soldats renoncent a leur conge et reprennent les armes. En outre , sans compter les vieilles troupes qui tenaient garnison dans les places fortes, Bourdillon eut avec lui tnute la jeu- nesse du Vallage (2) et de la Champagne presque entiere qui, attiree par l'appatde la gloire, vint se ranger sous ses drapeaux sans demander aucune solde. II tire ensuite de Mezieres et des autres villes fortes des environs , des vivres, du canon , et les autres machines dont il a besoin, et ainsi il arrive a Linchamps. imporlantes. En 1554, il Cut envoye avec sa compagnie pour r.hasscr les cuneiuis des environs de Mezieres. II se irouva en 1557 a la balaillc de Saint-Quenlin ou il sauva unc parlie de I'ar- inee. En 1559 il commandail en Piemonl. . . II recut en 1502 , coHime recompense de ses services, le baton de marcchal deFrance, idionem diu sustinendam rebus, lum mililibus apprime communila, silentio noclis, (quo boslem fallerel ), via cila, in Germaniam proticiscitur. Prima luce vulgata Lovanii profectione, ad auxilia Germanorum adduccnda, quorum el vicinilas pro- pinqua, et mulliludo essel infinita, Bordillonus quod nisi muliorum morte caslrum vi cxpugnari poieral, - 257 — Gardcz-moi done pour quelques instants encore la Ode- lite que vous m'avez promise ; je pars pour l'Allemagne et je vous jure de revenir en forces avant neuf jours (1). Ces paroles de Louvain , la pitie qu'il inspire , et pour plus grand mobile , leur perte qu'ils regardent commc certaine s'ils ne suivent cet avis, enflamment les coura- ges ; ilsbannissent loute crainte et promettentde supporter pour leur chef tous les maux , meme la perte de la vie. Ensuite, prenant a part Amand, en qui il avail plus de confiance, il faut, lui dit-il, resister par la fermete au malheur qui nous menace. Le due de Nevers, oubliant ceux qu'il altaque, semble evoquer et susciter contre nous des especes de furies, il emploie toutes ses forces pour nous perdre. Mais si nous voulons couler en paix le reste de nos jours, il faut tout oser pour que Bourdillon ne prenne pas notre chateau et ne m'empeche pas d'ac- complir le voyage que je veux entreprendre et de faire mon devoir. En attendant, je te donne le commandement de mes troupes, tu me trouveras pret a te seconder pour tout le reste. Au nom de tout ce qu'il y a de plus sacre, arme-toi done, je t'en conjure, de ce grand occur que je t'ai toujours connu. Amand lui promit de faire son devoir dans ces circonstances tristes ct difficiles, et de supporter avec courage tout ce qui pourrait arriver. Louvain abandonne alors une place foitifiee par la nature et par l'arf, abondamment pourvue de tous les moyens de soutenir un long siege, et defendue par une vaillante garnison. II profite du silence de la nuit et gagne, par le plus court chemin, les terres de l'empire en trompant la vigilance de l'ennemi. Des le point du jour, le bruit de ce depart se repand, on sait que Louvain est alle demander a l'Allemagne des secours qu'elle a dans le voisinage et qu'elle peut fournir en lre< grande quan- (1) Ce discoiirs est visiblement caique sur cclui do Calilina a. sos complices dans Sallusle. — 258 — quonam modo sine crede in suam polestatem venire posset, lacilus animo volvebal. Ilaque feecialem cum his mandatis ad Araandum mitlit, se, si castro per earn poiiatur, magno praemio remuneralurum : om- nesque alios incolumes dimissurum : sin aulem vicloriam suam expcctet, omnia exlrema omnes passuros. Amandus respondil, fecisse Lovanii li be— ralilatem, sibi aliqua re opus ne sit: enimvero fidem dedisse se, nemini in dilionem venturum castrum, nisi Lovanio qui id justa emptione possideret, qui si decedendum mandet, dedimrum: sin minus, omnes hostium impetus in defendendo perlaturum. Atque his quidem responsis commolus Bordillonus, montem edilo loco l.ycampaeo vicinum, ubi lormenta collo- carentur apiissimum, occupai. In quern lamen ilia propter abrupta loca, ac praecipiiia undique, ob idque duris subvectionibus obnoxia, non sine ingenti jumentornm vi ac magno labore perlrahi potuerunt. His iia constilulis obsidionem inslruil, caslrumque omni ex parte op[>ngnare aggredilur, ac jam suos ad omnia feliciier auspicanda odhorlabalur , cum Lovanii exlrema melucnies, ac sibi jam diffidenles, unum ex snis ad cum milium, qui diceret, cupcre quidem se cast rum tradere, sed potestalem se ejus rei nullam habere ante novem dies, interea rogare, til manerenl inducioe, neve alter alteri noceret : (juem ubi Bordillonus intellexit, praesentis periculi vitandi causa a suis esse missum, neque ullam spem ac conditionem afferre, respondit, se magis mise- ricordia molum, quam merito conservaturum cos, si, priusquam globi murum alligissenl, se dedissunt : sed deditiotiis nullam esse moram. Quo acceplo nuntio Amandus suorum tenlat animos, (pjos cogno- — 259 — tile. Aussi Bourdillon, comprenant qu'il lui faudrait sacrifier un grand nombre d'hommes pour emporter Linchamps de vive force , cherche en silence le moyen de s'en rendre maitre sans coup ferir. 11 fait porter a Amand, par un parlementaire , les propositions suivantes : S'il consent a livrer le chateau, il recevra d'iminenses avan- tages et toute la garnison sera saine et sauve ; si au contraire il est vaincu , lui et les siens seront passes par les armes. Amand repondit que , grace aux liberalites de son maitre, il ne manquait de rien •, qu'il avait jure a ce dernier de defendre la forteresse envers et contre tous et qu'il ne la rendrait que sur l'ordre de Louvain, qui en est le legitime proprietaire ; que du moins, il resistera de toutes ses forces aux attaques de l'ennemi. Irrite de ces reponses, Bourdillon fait occuper une mon- tagne escarpee,voisine de Linchamps et propre a recevoir des canons; cependant on ne put les y placer qu'avec peine et a grand renfort de chevaux et de bras, le sol abrupte, taille a pic, entoure de toutes parts par des precipices y mettait obstacle. Les choses etant ainsi preparees pour le siege, le general se dispose a atta- quer la place par tous les points a la fois, et deja il promettait aux siens le succes, quand les soldats de Louvain, craignant les plus grands malheurs et se defiant d'eux-memes, deputent vers lui un d'entre eux pour lui dire: qu'ils desirent lui livrer le chateau, mais qu'ils ne le peuvent que dans neuf jours, ils lui demandent une treve jusqu'a ce moment ou du moins que chacun des deux partis s'abstienne d'attaquer l'autre. Mais Bourdillon comprenant que cet homme ne vient a lui que pousse par la crainte du peril et qu'il n'apporte ni line esperance, ni une proposition, donne cette reponse : qu'il agira plus par pi tie que par justice en leur faisant grace s'ils sc rendent avant que le premier conp de canon soit tire, mais i! veut que cette reddition soit immediate. Apres cette sommation Amand cherche a con- — 260 — scil non sua scd Lovanii absenlis causa sibi Gdissimos : nullumquc periculum deprecaturos tlum per eos Lovanio caslrum servaretur : Eos itaque non longiore oralione est cobortatus, quam ut suae prislinae vir- tuiis memoriam retinerent, neu perturbarentur animo: hosliumque impetum forliter sustinerenl. Deinde lormenla in muris disponil, cerlasque cuique partes ad cuslodiam castri allribuil : neque enim cum tanfa raulliludine hostium Lovanio absenle, nisi oppor- lunitate aliqua data, -sibi diinicandum extra caslrum exislimabal. Bordillonus vcro cum videret non multum profici posse propter loci difficultalem,( nam profecto videbalur diulurnus futurus labor,), in forluna im- peralori simul, et cogniloe rebus bellicis virtulis specimen el maturam victoriam dedisset, ( unicum enim caslrum peranguslumque habebat adilum, quam paucilas adversus quamlibet multitudinem tueri po- terat), veteranos milites ad se vocalos, magnis proposilis prsemiis incendil, ut aggredi, capereque veslibulum vellenl. Erant aulem illi mililes ex omni numero virtulis opinione facile principes : qui re magno animo suscepta, se ad veslibulum audacissime conlulerunt. Ileliquae copias in armis non longe ab illis se conlinebani, ejus rei finem opperientes: si negolium a veteranis perficerelur, sese in arcem confestim illalurse : Lovanii illos ascensu aaneis pilis, lapidibus, ac lignis prohibebant : lantaquc ulrinque contentione actum est, quanta agi debuil : cum hi celerem in ea re victoriam, illi salulem consislere viderent. Ac turn momento lemporis, alia ex parte tanlus exorius est ad arcem aeneorum tormentorum slrepitus, lam densa emicaniium flammarum lonilrua, ut rali fragore magno arcem ruere, diffugerent — 261 — nailre les dispositions de ses soldats. II les trouve fideles, non a sa cause, mais a celle de Louvain, et prets a tout affronter pour conserver a celui-ci son chateau. 11 se contente done de les exhorter en quelques paroles a se souvenir de leur antique valeur, a ne rien craindre, et a recevoir vaillarament I'ennemi. Puis il place le canon sur les murailles et assigne a chacun son poste pour la defense ; car il comprenait qu'en l'absence de Louvain, et contre des ennemis si nombreux, il ne devait essayer une sortie qu'autant qu'il en trouveraitl'occasion favorable. De son cote, Bourdillon voyant qu'il ne pouvait avan- cer rapidement a cause de la disposition du terrain, et que certainement les travaux du siege devaient etre longs ; voyant qu'un succes servirait tout a la fois a prouver l'ha- bilete du general et a lui donner promptement une victoire definitive ; voyant en outre que pour arriver au chateau il n'y avait qu'une seule avenue fort etroite ou quelques hom- ines pouvaient arreterdes bataillons entiers, il convoque les veterans de son armee et les determine, par l'appat des plus rnagnifiques recompenses , a tenter de s'emparcr de cette avenue. Ces hommes etaient certainement les meilleurs soldats qu'on put trouver, aussi prenant a cceur leur ex- pedition ils se portent avec la plus grande audace sur le chemin qui conduit a la forteresse. A quelque distance se tenait en arme le reste de la troupe attendant Tevene- ment , et pret a assaillir le chateau , si l'attaque reussis- sait. Les assiegeants essayent de les arreter en lanc;ant contre eux des boulets, des pierres et des poutres; depart et d'autre on combat avec acharnement , tous compren- nent que du succes depend pour les uns une prompte victoire , pour les autres , le salut et la vie. Tout-a-coup, a un certain moment , un si grand bruit de canon retentit derriere eux accompagne de si eblouissants eclairs que les gens de Louvain prennent la fuite, croyant que la forte- resse s'ecroule avec fracas. Encourages par leur frayeur les assaillants, meles a d'autres troupes, s'emparent de — -202 — Lovanii : quorum perlurbatione incitati velerani , immixtis aliis copiis, veslibulum occuparunt. In ilia irrupiione Bornovillius miles slrenuus, dum suo impigre munere fungiuir, ferreum globuni femore excipiens, prseceps ruens, semianimis jacuit : suo- rumque humeris, in casira e.-t revectus. Inter propngnatores, sibi primas audaciae ac fortitndinis partes opinione bominum vendicarunl Pelrus Villa- longanus et Rassius Baudianus, (huic vulgatius est cognomen Macheromeniaeus), juvenes animum allum prae se ferentes, ac supra aelatem gnari reruin bellicarum. Sed ante caeleros omnes signis opera mil Joannis Villalongani, (is crat ducis Bullonii s-*/fa9/./.of, obiitque mortem apud divum Remigium, vetercm palriam meam, anno 1551, lerlio calendas mensis Novembris), qui cum vix equo propter oetalem posset uti, earn tamen expedilionem sine se fieri noluerai. Amandus ergo insolita rei novitale, simulque tam crebra machinarum ferocitate perculsus, ubi nihil aliud saluti reliclum videl, velo expanso colloquium petiit : qua nova re oblata omnis administralio belli consistit, rnilitesque aversi a praelio, ad studium audiendi et cognoscendi feruniur. Oral, ul paueorum dierum induciae darenlur, occupalum veslibulum, muros dejectos, nullam exoriri moram posse, quo minus slaluta die si imperala non f'acerent, ad nutum e vestigio inlerficerenlur. Bordillonus has conditiones accipiendas minime censebat : expectare enim, dum Lovanius cum copiis reverterelur, summae (J) Macheromenil est une section du village de Corny-la-Ville, commune de 500 habitants, du canton de Novion-Porcien, arrond. de Rethel, dept. des Ardennes. Nous n'avons pu decouvrir la veritable traduction de ce mom latin Rassius Baudianus. - 263 — Pavenue, Dans cette attaqueun valeureux soldat, nomme Bornoville, est frappe d'un boulet a la cuisse pendant qu'jl combat avec intrepidite ; il tombe a demi-mort, et est rap- porte dans le camp sur les epaules de ses compagnons. Parmi les assaillants on remarqua entre les plus auda- cieux et les plus braves, Pierre de Villelongue et Bassius, Baudianus vulgairement appele deMacberomenil (1), jeu- nes guerriers pleins d'ardeur et d'une habilete remarquable pour leur age. Mais par dessus tous les autres se distin- gua Jean de Villelongue (2) qui pouvant a peine monter a cheval, a cause de son age, voulut cependant prendre part a cette expedition. II etait illarechal-dcs-Logis du due de Bouillon, et il mourut a Reims, ma vieille patrie, le 28 octobre 1554. Amand, decontenance par la nouveaute du spectacle et les effets terribles de l'artillerie, comprend qu'il uc luireste qu'un seul espoir de salut, il arbore un drapeau pour demander tine entrevue; des qu'on Taper^oit, le combat s'arrete, et les soldats , delivres du peril, se pressent pour entendre et pour connaitre ce qui arrivera. 11 demande quelques jours de treve ; son avenue forcee, ses murs de- truits, ne pourront, d it— il j, l'empecber d'etre, lui et les siens , passes au fd de l'epee , si au jour marque ils n'ac- complissaient leurs engagements. Bonrdillon refuse abso- lument de souscrire a ces conditions, e'etait a sesyeux une folie veritable d'attendre que Louvain amenat des renforts, 2° La famiHe des ile Villelongue est ardennaise. L'histoire nous fait connaitie un Tristan de Villelongue, ue au village des Aileux, canton du Chesne, arrond. de Vouziers, Ardennes, d'Hubcrl de Villelongue, ecuyer, seigneur de Bertoncoiirl, Wasigny, RemilJy, etc. II deyiul abbe de Laval-Dieu, predicateur ordinaire de Henri IV en 1598. II mourut dans son abbaye de Bucilly, lorsqu'ii entrait dans sa soixante-neuyieoae annee. 31 siiivantGAiLLihi), .'//.>/ dc Francois I*' , I. in, il 2'r'i, edit, de !7(;ar l!<>: h.i.ioi . — 270 — cos caslro exclusit. Rex indignalus alque ad exislimationcm suam pertinere arbiiratus, coercere lanlam lemerilatom, jussit para la omnia ad obsi- dionem mox essenl. Sed Roberti Marcbae precibus landem paululum mitigalus, atque ejusdern consilio Masserias profectus Asprimontanus , oralione ad miligandam iram Regis habila, cum ultro sua omnia Regiae pelenliae et fidei, tradilis eliam caslri clavibus, permisisset, benigne audilus, in iidem acceptus, metu omni liberatus, militiae gradu honestissimo, ac slipendiis donalus esl. Scio rumoribus vulgi exagi- lalum, non eum sed ipsius uxorem Regem adiisse : quodquidem ipsius eliam familiares falsum fatentur. Inlerjeclo deinde tempore, egregie munito castro, ac bello inler Franciscum Regem Gallorum et Carolum Caesarem orlo, veluli melu omni sublato, cum slipendia multorum mcnsium a Rege, ( ul dicebal ), solula non essent, apertus hoslis esse coepit, alque ad Caesarem transiit : cui amicissimus, ac fidelissimus poslea semper fuit. Caesar, quod eral boneslo loco naius, reiquc militaris peritia latidatus, humanissime excepit: majoriqne slipendio, ac condiiione apud se, (altribulo eliam cerlo militum numero in defensio- nem casui ), habuit. Quibus frelus lale vicinas region es populabatur, oppidula diripiebat, agros vasta- bal, pecus abigebat: ul vicis multi diffisi, in urbes sese recipere cogerentur. Masserienscs, qui vetere insiiluto ad bostium cxcursiones coercendas para- tissimi semper suni, obviam saepe illis prodibant (l) En 1547 , selon les meraes aulorites; niais a tort, pnisqne ees fails arriycrent longlemps avant la mort de Francois I" q.ui put lieu le 31 Mais 1541. — 271 — Le Roi s'indigne ct croit de son honneur de reprimer une telle insolence, il ordonne done de tout preparer immediatement puur un assaut. Toutefois, les prieres bend. Seb. Ren. Lecomte, p. II. ) — 276 — non mullo post misere diem suum obiii. Non dosunl qui arbilrantur, eo auloro aique adjutore Mariatn Austriam earn expedilionem, qua superior! anno Vallagias partem, quae ad Lolharingiam special vasta- vit, suscepisse : quod tamen falsum esse comperi. Ila vir ille nobilissimus, qui in Gallia amplissimos ordines duxerat, dignum moribus factisque suis exitium vilae invenit. Quod si ad Nivernensium principem, ut prsesens de negotio transigeret, se inilio slatim contulissel, cujus el potenliam el fidem expertus essel, plus principis misericorJia quam ulla arma valuissent, el bellum nullum omnino susceplum foret. Verum apud hominem plurimum semper valuit perditorum hominum consilium, quo delinilus nescio, an coacius, aures aequo, jurique clausas perpeluo habuit. FINIS. - 277 — s'etait passe, il ne tarda pas a en mourir de chagrin. Quel- ques-uns ont pense que ce fut lui qui conseilla a Marie d'Autriche V expedition qu'elle cntreprit l'annee derniere contre les parties du Vallage qui avoisinent la Lorraine, et qu'il l'aida daos cette expedition (1). Mes recherches m'ont convaincu qu'il n'en est rien. Ainsi cet homme de nais- sance illuslre et qui avait rempli en France les premiers postes,trou\a une fin miserable en rapport avec sa conduite et ses actions. Si, des le commencement, il s'etait trans- ports de sa personne aupres du due de Nevers dont il connaissait la puissance et la bonne foi , pour traiter avec lui, la bonte de ce prince aurait fait plus que toutes les armes du monde et la guerre n'aurait point eu lieu. Mais helas , les conseils des mechants l'emporterent toujours aupres de lui , et je ne sais par quelle seduction ou quelle force inconnue il fut toujours sourd a la voix du droit et de la justice. (1) En 1552, D. Lelong, p. 410. iin. 278 — Lecture des questions philosophiques el religieuses, est » une des necessiies les plus pressanles du temps » ou nous sommes. » Sous les images hardies dont les a revetues l'ima- gination toute meridionale de leur auleur, ces paroles renferraent assurement une pensee grave ; mais cetle pensee, comme tant d'autres du meme genre, s'est perdue plus ou moins au milieu de l'indifference uni- verselle. Or, il m'a semble que c'etait precisement la un motif pour qu'elle fut favorablemcnt accueillie pnrmi — 28*2 — nous. C'est sous l'influence de celtc idee que je me suis propose d'analyser dans une suite de quelques lectures, les principaux ouvrages de l'eminent penseur espagnol oil je l'ai puisee, de Jacques Balmes. Balmes naquit a Vich en Catalogue, le 28 aout 1810, d'une famille ou le gout pour les etudes lit- teraires etait demeure (raditionnel. A sept ans il commenca l'etude du latin, el a vingt-cinq, il sortait de 1'Universile de Cervera avec le litre de docleur en theologie. Doue d'une intelligence superieure, et exlre- mement avide de savoir, Balmes avail apporte dans ses eludes toute l'ardeur dont l'energie de sa nature etait capable. Ses biographes nous ont raconte sa facon d'eludier. Incline sur sa table, le front dans les mains, il lisait quelques pages, puis se couvrant la tele de son manleau, il reslait longtemps abime en lui-meme, il se reveillait enfin commed'un profond sommeil. Un de ses amis lui demandant un jour quel etait cet exercice: « Lire peu, bien choisir ses auleurs et penser beaucoup, repondit Balmes, telle est la vraie melhode. Si Ton se bornait a savoir ce qui se trouve dans les livres, les sciences ne feraient jamais un pas. II s'agit d'apprendre ce que les autres n'ont jamais su. Pendant ces moments de meditation dans les tenebrcs, mes idees fermen- tent, mon cerveau devient comme une chaudiere en ebullition. » II s'elail forme l» cetle laborieuse et utile melhode, des son enfance. A I'age de 14 ans, lorsqu'il etu- diail la philosophic au seminaire de Vich, on rapporte qu'interroge par ses maitres, sur sa maniere d'appren- dre, il repondit : « Jamais je n'ouvre mon livre,et ne lis — 283 — la solution, qu'apres avoir cherche a resoudre la question par ma proprc pensee. Mais c'esl pendant sa preparation au doctoral qu'il mitsurtoul a profit cetle fagon d'elude. Durant qnatre annees entieres il ne lut qu'un seul livre; il est vrai que c'est un livre immense par I'elendue el la grandeur des maiieres qui s'y trouvent, c'esl peut-etre l'ceuvre la plus 6lonnanle de l'esprit hu- main : c'est la somme de saint Thomas d'Aquin. Ce livre etait vraiment pour lui une mine inepuisable. Tout s'y Irouve, s'ecriail-il avec enthousiasme, phi- losophic religion, droit politique ; sous ces formules laconiqucs, loules les richesses sont accumulees. Qu'on aime a voir, Messieurs, cette tele de jeune levile, deja courbee sous le poids de I'elude; deja si pleine d'expression el de pensee, inclinee pendant de longues heures sur ces pages sublimes, puis s'envelopper et disparaitre en quelque sorle dans son manieau d'ecolier, pour mieux penelrer, et savourer, a l'abri des distractions exierieures, la doctrine du grand theologien. La, Messieurs, est le principe, la, est la source de la mission inlellectuelle de Balmes. Sans doule cette mission avait ele admirablement pre"paree en lui par l'educalion premiere, au sein de ces idees austeres, mais saintes el pares, de ces sentiments rigides, mais nobles el eleves de la vieille race es- pagnole, qu'il avait puises au milieu de sa lamille, ct qui excercereul toujours une influence si marquee sur celle ame aussi sensible de cceur, qu'encrgique el forte de volonte. Mais c'est dans son contact frequent, dans son commerce intime avec le docteur Angelique, que Balmes devinl ce qu'il lut, comme — 23i — philosophe et publicisle ; c'est lii qu'il acquit cclte puissance de raisonnement, cetle logique inflexible dont loutes les erreurs contemporaines devaient si souvent eprouver les rudes elreinles; c'esi la, a 1'ecole du plus profond peut-elre et du plus coraplel des methaphysiciens, qu'il puisa ces convictions ine- branlables, ces principes feconds, celte melhode lumineuse, celte force de synthese, ce sens exquis, qui lui permirent d'etudier a fond tous les systemes de notre epoque, de les juger avec aulant de pro- fondeur que d'exactitude, et de les ramener dans ce qu'ils ont de bon, a la grande unite de la philoso- phic chretienne. Aussi, quand pour mettre le sceau a celte oeuvre de preparation , Dieu eut depose dans le coeur du pre- Ire ce besoin d'effusion , cetle puissance d'epansion que communique toujours l'onction sacerdotale , Balmes etait pret. El si la Providence le laissa en repos quelque temps encore, c'etait afin que de la so- litude de sa ville nalale, il fut plus a meme de constater la situalion du monde religieux et moral , les maux qui desolaienl sa palrie, et de pouvoir indiquer ainsi les moyens d'eloigner les maux plus grands encore qui la menacaient. II convenait en effet qu'il fut le spectaleur atteniifdes evenements , avant d'en devenir le juge eclaire et imparlial. Lui-meme nous raconte comment quelquefois le bruit de la guerre, la generale ou le tocsin d'alarme venaient interrompre les lecons de malhematiques qu'il donnait a ses jeunes compa- triotes. S'il etait possible de continuer, il continuait; sinon , disciples et professeurs se levaient et retournaient tranquillement chez cux. C'etait pendant ces inlerval- les et les aulrcs loisirs (pie lui laissail son cours , — 285 — que Balmes recueillail en silence les solennels ensei- gnemenls des revolutions. On le voyail souvent , au milieu de la bibliolheque publique , des carles geogra- phiques sous les yeux, un compas dans une main, lesjournaux dans Pautre , suivreavec la plus profonde atlenlion touies les phases de la guerre , et se rendre compte du moindre mouvement des armees. Et en meme temps que sa reflexion preparaii les sentences qu'il a porlees plus lard , cbaque circonslance, chaque scene particuliere , chaque detail , chaque dale se peignait vivement dans son esprit. Enfin , le traite de Vergara viut arracher les armes aux mains des Carlis- tes, l'insurrection Navarraise elait vaincue , 1'insur- reclion Catalane allait rendre le dernier soupir. Balmes sentilque le moment d'agir elait venu. II quitta done sa ville natale pour aller habiter Barcelonne, ou plus que jamais se concenlra loule l'activite politique et litle- raire de la Catalogue. On elait alors au mois de juillet 1840. Balmes touchait a Hage des grands travaux , il allait avoir trenle ans. Avant de parlir , il ferma les yeux a sa mere; el celle femme energique, dont I'in- lluence avail ete si grande sur la premiere education de son tils; qui jamais , depuis son enfance, n'avait ouvert les levres pour le louer ; laissa une fois , en mourant, percer sa joie et son orgueil malernels : va , mon fds , dit-elle , par un de ces pressenlimenis qui Irompenl rarement une mere, va , le monde parlera beaucoup de toi; paroles louchantes, puissant encou- ragement pour une ame aussi pieuse et aussi sensible que l'etaii celle de Balmes. Comme je me propose d'analyscr, lour-h-lour,cha- cun des ouvrages de 1'eloquent ecrivain , vous me permellrez de ne vous presenter ici de ces ouvrages , qu'une simple table chronologique. — '286 - Les deux premiers furenl deux opuscules qui avaient pour litre l'un, Considerations sociales, cconomiques et poliliques sur les biens du clerge , — I'autre, Reflexions sur la situation actuelle de I'Espagne. Ces deux brochures produisirent une sensation profonde, non-seulement a cause des evenements auxquefs elles faisaient allusion, mais surloul a cause de la hardiesse de l'auteur. Car dans les circonstances ou Ton se trouvait alors, ce n'elait point seulement des ecrils remarquables, c'elaient aussi des acles de rare courage, puisqu'ils atlaquaient par la base et avec vivacite , la politique du general Esparlero , alors dans toute la force de sa puissance, et dans tout l'enivrement de sa victoire. Tel fut le debut, nous dirions aujourd'hui la profession de foi du philosophe-publicisle. Ce debut le fll connailre de M. Rocca y Cornet, qui dirigeait alors a Barcelonne un recueil periodique, intitule : La Religion. M. Rocca etail un de cesbommes qui sont corarae les debris de I'ordre des Benedictins, tanl ils rappellenl ces patients cultivaleurs de la science par la profotideur et 1'elendue de leur eru- dition, comme par le nombre et la perfection de leurs travaux ; sa vie toute enliere paraissait s'elre ecoulee dans le calme de l'elude et dans le silence du cabinet, et cependant il avail pris part a toutes les luttes de I'epoque ; il comprit tout ce que l'on pouvail tirer du genie de Balmes ; il se cbargea done de guider ses pas, et e'est dans ce but, qu'il l'associa a son ceuvrc en m6me temps qu'un autre jeune homme, compatriote et condisciple de Balmes, dont les talents etaient egalement distingues. Par I'adjonc- lion de ces jeunes collaborateurs dont l'un comme — 287 — preire, elait plus verse dans les sciences religieuses el philosophiqucs, I'aulre, comme avocal, dans la science du droit et des legislations ; le recueil pril des proportions plus vasles, une expression plus complete, une importance et une vogue ou parviennent rarement des travaux de ce genre. II prit aussi un nom plus conforme ;i I'esprit de la redaction el aux besoins de l'epoque, il s'appela La Civilisation. C'esl ici la plus belle periode de I'bistoire de Balmes ; c'esl alors que son esprit se manifesle dans lout 1'eclat de sa force el de sa beaule. Ses deux plus imporlanls ouvrages datent de ce moment, quoiqu'ils n'aient etc publics que plus lard. Car e'est en rcdigeant les articles qu'il destinait a cetle revue, que Balmes consul la pensee d'allaquer se- paremenl les deux grands ennemis de I'Espagne el de la religion, le proteslantisme et la philosophic moderne. Apres dix-huil mois de travaux dans la Civilisation, Balmes se separa lout-a-coup de ses collaboraleurs. Une question qui inleressail vivement l'avenir de I'Espagne, commencait alors a s'agiler dans les cercles poliiiques. II s'agissait du mariage de la Rcine. Or, de tout temps I'esprit du jeune ecrivain s'ctait epris de celte idee: qu'on ne pouvaii rien consolider en Espagne que par la fusion intime des deux grands partis qui s'etaient livres de si rudes combats quelque temps auparavant. El il lui semblail qu'il y avail un moyen admirable de con- sommer alors cette union, en donnant pour epoux a Isabclle, le fils aine de Don Carlos. Balmes aimaii ardemmcnl sa patrie, el il voyail dans la realisation de son idee, non-seulement la reunion des deux branches ennemies de la famille royale, mais en- — 288 — core la reconciliation du passe el de I'avenir, de l'au- lorite et de la liberie, de la monarchic el des formes representatives ; c'etail dans sa pensee pour la mal- heureuse Espagne , si troublee et si avilie depuis cinquaute ans, lout un avenir de paix interieure el d'independance a I'egard des elrangers ; une ere de resurrection , loute remplie des plus magnillques espe- rances. II resolut done de se devouer enlierement au triomphe de celte idee, d'y consacrer lout qu'il pos- sedait d'eloquence et de genie. C'esl dans ce but , qu'il fonda, a Barcelonne d'abord, la Sociedad , et a Madrid ensuite, le Pensamiento de la Nacion. La parole de Balmes rencontra des contradicleurs sans doute, mais elle irouva aussi , surtout parmi les homines les plus sincerement attaches aux grands souvenirs de la patrie , de profondes et ardenles sym- pathies. « Balmes! disait a ce propos un homme d'etat distingue , quel dommage que eel homme n'ait pas un sabre a son cote! il nous sauverait. C'est le seul esprit qui voit clair dans nos dangers , et le seul cou- rage qui osal les affronler. » II y a, Messieurs, dans la vie des nations, de ces moments de verlige etd'erreurs qui seraient inexplica- bles, si nous ne savions, que les cceurs des peuples comme ceux des rois sont dans la main de Dieu , qui les aveugle ou les eclaire a son gre, selon les desseins de sa justice ou de sa misericorde. L'Espagne etait alors, comme elle Test encore aujourd'hui, dans I'm) de ces moments critiques ; quelque immenses que dis- sent les avanlages du projel de Balmes, il echoua contre la politique interessee du gouvernement francais. La nouvelle du double manage surprit Balmes , au milieu de ses montagnes nalales oil il sc rcposail de — 289 — ses fatigues. — Ce ful pour lui comme un coup do foudre. — II protesla , mais-sa protestation n'esl qu'un cride decouragement, presque de desespoir: « Jamais, disait-il , je ne me serais attendu a un jour aussi amer, aussi cruel que celui dans lcquel on m'annonca Ie mariage de la reine. L'unique esperance qui nous reslail est a jamais aneanlie. » — Les paroles qu'il ajoutait ensuite sont presque une prophetic « Quant a Louis-Philippe, en contribuant comme il l'a fait au mariage de notre reine , ce souverain mal avise a porle lui-meme son arret de mort.» Balmes compril que sa carriere politique etait ler- minee. Le31 decembre 1846, un mois apres les noces royales, la revue cessa de paraftre ; apres avoir recueilli ses ecrits politiques en un seul volume, il resolut de retourner dans la solitude de son pays natal pour ne plus s'occuper que de religion et de philosopbie. Ce fut en effet a cette epoque qu'il mil la derniere main a son grand ouvrage de la philosophic fondamentale , et qu'il redigea , en quaire parlies, un resume complet dcs sciences philosophiques. — Cependanl quelques lueurs d'espe>ance rcparaissaienl parfois dans son ame desolee. — Mais I'objet de ces esperances, il ne Ie trouvait plus en Espagne , il le cherchait en Italie , dans la personne du Souverain Ponlife ; ce ful en effet dans I'un de ces moments qu'il ecrivil son Pie IX. On eut dil qu'il avail eu comme un pressenlimcnt ex- traordinaire de l'ceuvre accomplie plus lard par Ie Pontile, au milieu de lant d'angoisses et de lanl de larmes. Cet opuscule est le dernier dcril qu'il laissa au monde, lant de fois remue par son ardente parole. — Ce ful son adieu a la lerre. — Depuis sa I7lllcannee, — 290 — ou il avail failli pdrir d'une fievre catharrale, sa poilrioe elail demeuree conslamment faible et delicate. Les fatigues augmenlerent le ma! ; mais ce mal s'ac- crul et se developpa surtout depuis le jour ou bless<5 dans Tune de ses affections les plus vives, 1'amour de sa patrie, Balmes n'entrevit plus pour elle qu'un trisie et funeste avenir. Bientot, il sut que sa derniere heure approchail , et en effet les medecins appeles de Bar- celonne a Vich , en consultation , declarerent que la maladie etait une phtisie pulmonaire, arrivee a un degre ou elle se trouvait incurable. II accepta son sacrifice sans murmurer ; on put seu- lement saisir en lui un vague desir de conserver l'exis- tence ; dernier instinct de notre nature , dit 1'un de ses amis, qui prouve jusqu'a quel point il est vrai que la mort est un chatiment. II expira le 8 juillet 1848 , a la lleur de Page , il n'avait pas encore trenle-cinq ans; six mois auparavanl l'Academie royale de Madrid , par un vceu unanime el sponlane, avail charge M. le Marquis de Viluma , son president, de lui offrir un fauleuil dans son sein. II n'avait pas eu le temps d'eu prendre possession. Une mort, si prematuree, jela dans toule 1'Espagne un elonnement douloureux. On cut dit que louies les nuances poliliques, toules les differences d'opinion et de systeme s'etaient effacees devant le tombeau du jeuue et infortune publicisle. Ce ne ful plus qu'un concert de louangcs et de regrets. On s'apercul plus que jamais que Balmes elail veritablemenl une gloire de la palrie. Or, cette gloire etait si jeune encore, elle grandissait lellement de jour en jour que la voir disparailre en un moment , fut un malheur scnti de tous. — 291 — Lecture quelques-uns a soixante; trois ou quaire octoge- » naires, sans dents et sans yeux, meurent apres » avoir souffert quatre- vingts ans. » Ce tableau n'etait pas rassurant, M. Flourens nous ouvre de plus belles perspectives, et a cote d'une sanle pro- longee, nous accorde des facultes les plus dedicates, — 292 — les plus nobles, sans cesse perfectionnees ; temoin Voltaire qui, approchant de quatre-vingls ans, n'avait jamais eu plus d'esprit, temoin Fontenelle, temoin Buffon, temoin Bossuet. On fixait dc nos jours la duree de la vie moyenne a 55 ans, et nous nous en contentions, sauf a prendre le plus possible sur la part du voisin, quand M. Flourens est venu rassurer nos consciences et nous prouvcr que le voisin n'avait rien a revendi- quer , puisque en vivant un siecle, nous usions simplement d'un droit de nature. On sail depuis longtemps et par de nombreuses experiences, qu'on peut changer l'organisation des animaux On a par exemple empeche des letards de se converlir en grenouilles. On a fait naitre des poulets avec de grosses teles et de petits corps, ou avec de petites teles sur de gros corps. Les oiseaux de basse-cour, le cbeval, le moulon, le pore de- viennenl le produit du regime auquel ou les soumet. On leur donne les aptitudes necessaires a Pemploi qu'on en veut (aire ; aux uns on donne de la laine, aux aulres de la graisse; on forme les uns pour la course, on leur donne les allures lines et sveltes; on developpe les aulres pour la boucherie, on les dote de parties charnues qui saignent d'avance sous la broche du cuisinier. On sail que chez 1'homme, des les premiers temps de la vie, le mode d'alimentation d'un enfant decide d'une maniere cerlaine de la forme de son squelette. II y a longtemps que les medecins onl signale le danger d'allerner pour I'enfant le lait trop rare de la mere, avec les potages et les bouillies, le rachi- tisme est presque toujours le resullat d'une premiere — 293 — alimentation insuffisante. Si dans un age plus avance nous etudions 1'histoire des professions et Phygiene qu'elles determined, nous voyons que le regime et l'educalion peuvent changer completement la consti- tution de l'individu. Les boxeurs anglais obliennent de la sorte une force prodigieuse, une adresse singuliere et une insensibilile aux coups qui passe touie croyance. Cette transformation des etres, ce petrissage de la matiere fagonnee au gre de nos desirs, et un rapport avec nos habitudes, nous scmble une chose loule naturelle. Pourquoi ne pas accepter de meme la possibilite de retarder a l'aide des memes moyens, le terme de la vie et d'ecarter les iufirmiies de la vieillesse. Pourquoi chacun de nous ne recommencerait-il pas ce qu'a fait un genlilhomme de Venise , qui naquil dans cette ville en 1462, he'ritier d'une grande fortune, mais d'une complexion faible et passionnee, ses richesses 1'autoriserenl d'abord a user sa vie dans mille exces; aussi avant quarante ans avait-i! com- promis sa fortune et sa sante. II invoqua inutilemeut le secours de tous les arcanes d'une medeciue empirique; la sagesse repondit mieux a ses vceux. II changea tout-a-coup sa maniere de vivre , a I'intemperance il fit succeder la sobriete. II s'imposa un regime austere, rechercha atleniivement ce qui convenait a son temperament ; il vecul jusqu'a cent-qualre ans sans avoir senti le besom de re- courir a des lunettes. Sa niece rapporte qu'a la fin de sa vie il chantait avec aulant d'agrement qu'a vingt ans. Voici quel etailson regime : douze onces d'aliments - 294 — solides (pain, viande, fruits, ldgumcs ) , quatorze onccs de vin (environ un tiers de bouteille). II di- minua meme cetle quantite avec Page, il en vint k faire un repas d'un jaune d'oeuf, il finil par faire d'un seul jaune d'ceuf deux repas. II conslruisit une sorte de balance ou lui-meme allait de temps en temps constater combien tel aliment lui faisait gagner, ou combien tel exercice et telle transpira- tion lui avaienl fait perdre : « Je fais en sorte, » disait-il, de me preserver du grand chaud et du » grand froid ; je ne fais pas d'exercice violent. Je » me suis abstenu de veilles. Je n'ai point habile b les lieux ou Ton respire un air mauvais, el j'ai » toujours evite, avec un soin egal, d'etre expose » au grand vent et a 1'excessive ardeur du soleil. » L'intemperance lui semblait plus fatalea I'humanite que la pesle, la famine et la guerre reunies. Voici comme il en parle a quatre-vingt-cinq ans. « 0 malheureuse Italie, ne t'apercois-tu pas que » ta gourmandise I'enleve chaque annee plus d'habi- » tants que la pesle, la guerre et la famine ne pourraienl b en delruire ? Tes veritables fleaux sont tes festins » frequents, qui sont si outres, qu'on ne saurail faire » des tables assez grandes pour arranger la quantite a de plats dont la prodigalite les couvre , en sorte » qu'on est oblige de servir les viandes el les fruits » par pyramides. Quelle fureur ! quelle folie ! Meltez- » y ordre pour l'amour de vous otez cetle mort » du milieu de vous , et cette pesle inconnue a vos i> peres. » Je me suis encore fort bien trouve\ ajoute-t-il , de ne point me livrer au chagrin , en chassant de mon esprit tout ce qui pouvait m'en causer. — Si quelque- — *295 — fois jo n'ai ete ni assez philosophc, ni assez prevoyant pour ne me pas irouver clans quelqu'une des situations que je voulais eviter , le regime de ralimenlation qui est celui dont rinilucnce est la plus directe, m'a garanti des suites facheuses de ces pelites irregularites. S'il perdait un parent qui lui etail cher el qu'il se prenait k pleurer, il avail recours a une purgation, et quelques grammes de sene etaient un heureux derivalif a son trop de sensibilile. Un jour il fit une petite debauche par deference pour ses amis, il prit 14 onces de nourrilure au lieu de 12 , ecoutons-le parler : « II y a environ quatre ans que je fus sollicitc puis- b samment a faire une chose qui pensa me coulerchcr. » Mes parents que j'ai vus et qui ont pour moi une » veritable lendresse, mes amis , pour qui j'ai loujours » eu de la complaisance , enfin les medecins , qui sont » ordinairement les oracles de la same, se joignirent » lous ensemble pour me persuader que je mangeais » trop pen , que la nourrilure que je prenais n'etait » pas suffisante dans un age aussi avance que le mien.» II s'en defend longtemps, mais enfin il cede. « Aus- » shot, ajoute-t-il, de fort que j'etais je devins irisle » et de mauvaise humeur. Tout me chagrinait, — je me » mettais en colere pour le moindre sujet et Ton ne » pouvait rireavecmoi. Au bout de douze jours j'eus » une furieuse colique qui dura vingl-qualre heures. » II ne faut pas demander, si Ton desesperait de ma vie » et si Ton se repentit du conseil que Ton m'avait » donne. » Bref, le plaisir secret de Luther conlre la nature, et de vivre en depit de sa constitution et des previ- sions de la medecine, de ne devoir sa vie qu'a soi , qu'h sa volonte , qu'a son art, de compter chaque jour de vie de plus comme un succes de plus pour — 296 — son amour propre contribua a ce grand conlentement qui prolongea sa vie. « J'ai alleini ma 95me annee » el je me trouve sain, gaillard el aussi content » que si je n'avais que 25 ans. Rien n'est avanlageux » a l'homme que de vivre longlemps , el si Ton est » cardinal , on peut devenir pape en vieillissant ; si » Ton est considerable dans sa republique, on peut » en devenir le cbef ; si Ton est savant, si I'on excelle » en quelque art , on excellera encore davanlage. » « Les sciences el les arts auraient beaucoup perdu si tous les grands liommes qui les ont cullives,avaient abrege leurs jours de dix ans. » Apres avoir racoute les bonnes raisons qu'en donne Cornaro, on se prend a souhaiier de vivre comme lui, ei Ton tienl pour certain qu'une vie sobre, une vie bien ordonnee, bicn conduite, la vie raisonnable esl le moyen sur de prolonger la vie. Quel beau lot pour la sagesse, el que de gens vonl devenir sobres! — Prenons garde, il parail que les vicieux onl aussi le privilege d'une longue vie. Au Cornaro deM. Flourens, on pourrait opposer I'exem- ple d'un ivrogne qui vecut plus de cent ans, et sur la tombe duquel on lisait celte e"pitaphe, a ce que rapporte Ch. Joncourt dans la Galerie des Centenaires: sous cetle pierre git Brawn, qui par la seule verlu de la biere forle, sut vivre cent-vingt hivers. II elait loujours ivre, et dans cet elat, si redoutable, que la morl elle-meme le craiguail... La mort en effet ne le prit que par surprise , un jour qu'il n'a- vait pas bu. Un autre centenaire, Thomas Parre, mourut d'indigestion a la cour de Charles I". II avail cent-cinquante ans La punilion de ce vieux gourmand nous ramene a dire que la sobriele esl la regie, el la gourman- — 297 - dise est I'exceplion. Mais en nous rangeant a la sobriele, crmbien de temps vivrons-nous? Cornaro pensail qu'un homme de bonne complexion devait vivre six-vingt ans. Buffon dit que I'homme qui ne meurt pas de maladie vit partout quatre- vingt-dix ou cent ans. M. Flourens admet que la duree normale de la vie de rhomme est d'un sieclc. » Peu d'hommes y arrivent, mais peu d'hommes » font ce qu'il faudrail faire pour y arriver. Avec » nos mceurs, nos passions, nos miseres, I'homme » ne vit pas, il se lue. » Malgre tout, on voil des centenaires. Haller en compte plus de millc de cent a cent-dix ans, soixanle de cenl-dix a cenl- vingt, vingl-ncuf de cenl-vingt a cent-lrenle, quinze de cenl-lrente a cenl-quarante , six de cenl-quaranle a cent-cinquante, un de cenl-soixante-neuf. Ces exceptions que nous tenons pour des pheno- menes, M. Flourens en veul faire la regie. II divise la vie de I'homme en deux moilies a peu pres egales, I'une de croissance el 1'autre de decroissance. II parlage chaque moilie en deux autres, el il forme ainsi les quatre ages de la vie, I'enfance, la jeunesse, I'age viril el la vieillesse. II subdivise cbacun de ces ages en deux, premiere el deuxieme enfance, premiere el deuxieme jeunesse, premier el deuxieme age viril, premiere et deuxieme vieillesse. La premiere enfance dure jusqu'a dix ans, e'esi la periode dentaire ; l'adolescence jusqu'a vingl ans, epoque du developpemeni des os ; la jeunesse jusqu'a quarante ans, epoque de I'accroissemenl du corps en grosseur. Au developpemeni du corps en longueur el en gros- seur succede un travail inlerieur, prolond, qui agil — 208 — dans le tissu le plus inlime, rend ces parlies plus fer- mes, plus achevees, 1'organisme plus complet. C'est le Iravail d'invigoration, il se fait de quarante a cin- quante ans el se prolonge jusque soixante ct soixanle- dix ans. A soixante-dix ans, la vieillesse commence. On remarque alors deux forces, l'une agissante, 1'auire reservee, acquise dans le jeune age et qui vient au secours de la premiere. Comment se manifeste la vieillesse? Les elements du corps vivant ne conservent pas un instant le meme etat et la meme composition, a Notre corps, dit > Leibnitz, est dans un flux perpeluel comme une b riviere et des parties y entrenl et en sorlenl conti- » nuellement. » Avanl lui, on avail deja compare le genre humain au vaisseau de Thesee, qui elait lou- jours le meme vaisseau , quoiqu'a force d'avoir ete repare, il n'eut plus une seule des pieces qui avaient servi a le produire. Notre forme ne change pas, c'est la matiere qui change. Notre physique perd de sa beaute, mais noire moral y gagne, et se perfeclionne, tandis que notre corps use les forces surabondantes de la jeunesse, mises en reserve pour le dernier age. M. Flourens porte a quatre-vingts ans la premiere vieillesse, I'epoque ou l'homme atteinl toute la hau- teur de ses facultes. Voltaire, il est vrai, ecrivait a cinquanle-quatre ans ces vers charmants, qui revelenl les regrets du vieillard : Si vous voulez que j'aimc encore, Rendcz-moi l'age des amours. Mais Lafontaine a soixanle-treize ans ecrivait ceux-ci, encore plcins de jeunesse : A qui donner le jirixl' Au coeur, si Ion m'en croit. — 299 — Que n'ose el que ne peut l'amitie violentc? Get aulre sentiment que Ton appelle amour M£rite moins d'honneur; cependant cheque jour Je le celebre et je le chante. Enfin Buffon appelait resolumenl la vieillesse un prejuge. a Sansnotre ariihmelique, disait-il, nous ne sanrions » pas que nous vieillissons; les animaux ne le savent » point, ce n'est que par noire ariihmelique que nous » en jugeons aulremenl. » Les dames donnent raison a Buffon ; elles oublient la dale de leur naissance el soni jeunes jusqu'a la morl. Malheureusement I'arithmetique esi impitoyable. La force inconnue de la vie, vis abdita qucedamy diminue de plus en plus par le progres de I'dge. Peu de gens savenl elre vieux , a dit La Roche- foucauld. Qui n'a pas I'esprit de son age, De son age a tous les malheurs, a dit Voltaire. Et ils ont raison. 11 faul done bien se connaiire et bien disposer la vie habituelle, par les bonnes habitudes physiques nous obtenons la sante, par les bonnes habitudes morales nous avons des droits au bonheur , par elles toutes nous pouvons esperer de vivre longlemps. On ne saurail croire, dit M. Reveille-Paris, combien une petite sante, bien conduile, peul aller loin. Selon M. Flourens, la duree de la vie ne depend ni du climat , ni de la nourriture , ni de la race, clle ne depend que de la vertu inlrinseque de nos or- gan es. — 300 — Tout , dans 1'cconomie animate , est soumis a des lois fixes. Ainsi chaque espece a sa taillc distincle, — le chat el le tigre sont deux especes tres voisines, ires sem- blablos par leur organisation, chacun garde sa taille. Chaque espece a sa duree determined de gestation: Le lapin, 30 jours; le cochon d'inde, 60; la chatte porle 56 jours ; la chienne, 64 , la lionne, 108. Chaque espece a sa duree d'accroissement. Si la taille, la gestation, Paccroissemenl ont leur duree reglee et marquee, pourquoi la vie n'aurail-elle pas la sienne? On va souvenl a 100 ans, a 90 au moins. Tout le monde irail s'il n'y avait des causes troublantes qui y font obstacle. L'homme perit a tout age, dit Button , tandis que les animaux semblenl parcourir d'un pas egal et ferme I'espace de la vie. Les passions et les malheurs qu'elles entrainent, influent sur la same et derangent les principcs qui nous animent ; si Ton observait les hommes on verrait que presque lous menent une vio timide et contenticuse, et que la plu- part meurt de chagrin. Haller et Buffon admettenl tous deux la possibilite des longues vies d'avanl le deluge. Mais Buffon avait pose un probleme sans en donner rigoureusemenl la solution. II avail dit : « La duree » tolale de la vie peut se mesurer en quelque facon par » celle du temps de Paccroissement. » Le signe cer- tain qui marque le terme de I'accroissement lui avait echappe. II avait donne a la croissance humaine laniOt trente ans, tantol quatorze ans, et il faisait durer l'homme de90a 100 ans: dans les deux cas, M. Flou- rens a trouve ce signe certain qui manquait a Buffon , il le trouve dans la reunion des os a leuis epiphyses. — 301 — « Tant que les os ne sont pas rdunis h leurs epiphyses, I'animal croit : des que les os sont reunis a leurs epiphyses, I'animal cesse de croitre. » On a vu , par mon precedent chapilre, que, dans Fhomme, cette reunion des os et des epiphyses s'opere a vingt ans. » Elle se fait , dans le chameau, a huit ans; dans le cheval, a cinq; dans le bceuf, a quatre ; dans le lion , a quatre , dans le chien, a deux ; dans le chat , a dix-huit mois; dans le lapin , a douze ; dans le cochon d'Inde, a sept, etc. , etc. » Or, l'homme vit qualre-vingt-dix ou cent ans; le chameau en vil quarante ; le cheval , vingl-cinq ; le bceuf, de quinze a vingt ; le lion vit environ vingt ans ; le chien , de dix a douze ; le chat, de neuf a dix ; le lapin vil huit ans; le cochon d'Inde, de six a sept, etc. , etc. » Le rapport indique par Buffon touchait done de bien pres au rapport reel. Buffon dit que chaque ani- mal vil a peu pres six ou sept fois aulani de temps qu'il en met a croitre. Le rappori suppose etait done six ou sept; et le rapport reel est cinq, ou a fort peu pres. » L'homme est vingt ans a croitre, et il vit cinq fois vingt ans, c'esl-a-dire cent ans; le chameau est huit ans a croitre , et il vit cinq fois huit ans, e'est-a- dire quarante ans; le cheval est cinq ans a croitre, et il vit cinq fois cinq ans, c'esl-a-dire vingl-cinq ans, el ainsi des autres. » Nous avons done enfin un caracterc prtcis, et qui nous donne d'une manure sure la duree de l'ac- croissement : la duree de I'accroissemenl nous donne la duree de la vie. » Tel est le systeme que M. Flourens etablit par une lumineuse argumentation el qui fait de la duree cen- — 302 — lenairc le droit comuiun de l'humanile en adoplant les divisions qui nous ont occupe plus haul pour le parlage de la vie en ne faisanlcommencerla premiere vieillesse qu'a 70 ans , el la seconde a 85 ans. On ne dira plus avec Sanclorius que la vieillesse esl une maladie (senectus est cegritudo) , raais on croira Fonlenelle quand il assure que l'age ou il a ete le plus heureux esl de cinquante-cinq a soixante-quinze ans. Nous irons plus loin encore. II y a des gros lots dans la vie. Le lion vil vingl ans d'habilude, il en peut vivre quaranie. Le chien de douze ans peul mon- ter a vingt-qualre , le chat peut aller jusqura vingl , en un mot quand on depasse le terme , on a chance de doubler sa duree , il n'est done pas deraisonnable de compter sur un siecle de vie ordinaire et presque sur un second siecle , un demi siecle toul au moins de vie extraordinaire, le tout est de faire pour soi ce qu'on fait pour faconner la nature entierc, pour rendre dociles les animaux feroces, changer l'or- ganisalion des animaux domesliques, il faut seconder Taction de nos organes, augmenter pendant la jeu- nesse nos forces, nous en faire un fonds de reserve pour la vieillesse el en temperant nos passions comme en reglani nos repas, parcourir d'un pas egal sans infirmile une carriere renouvelee des patriarches. Nous pouvons dire du livre de M. Flourens ce que Montaigne disait de 1'admirable iraite de Ciceron sur la vieillesse : « il donne appetit de vieillir. » Vieillir sans souffrir, quand nous aurons obtenu ce bonheur, que desirerons-nous encore ? D'aller jusqu'a rimmorlalite , e'est bon pour nous qui sommes de l'Academie, mais pour le commun des martyrs : pulvis es, in pulvcrem reverteris. Reims, Imp. de P. Regnibr. ' & :" ... m