SftS 'i PI i f 1 J 1 J 1. I I 1 li i TRAVAUX DE L'ACADfiMIE impEriale DE REIMS. Trenlii'me"! Voliinic. ANNEE 1859-1860. — Nos 3 et 4. Chaque annee, 4 numeros trimestriels ou 2 volumes. Prix d'abonnement : HUIT Francs. REIMS P. DUBOIS, IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE Rue de l'Arbtilcte, 9. MDCCLX1. fe^?gg)CL^if^3C^,j^3C^fO)' TRAVAUX DE LACABEM1E IMPERIALE DE REIMS. n £ M ■■Mi^m'iwmtfii'W TRAVAUX DE L'ACADfiMIE IMPERIALE DE REIMS. Trenfienie Volume. ANNEE 1859-1860. — Nos 3 et 4. Chaque annee, 4 numeros trimestriels ou 2 volumes. Prix d'abonnement : HUIT Francs. REIMS P. DUBOIS, IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE Rue de l'Arbalete, o. HDGGLXI. (•oh ■ - La responsabilite des opinions et assertions Smises dans les ouvrages publies appartient tout enliere a leurs auteurs. TRAYADX DE I/ACADEMIE IMPERIALS DE REIMS HISTOIRE. EXAMSM DUN OUVRAGE DE ffi. SAVY Agenl-voyer en chef du departement de la Marne, rKTITULi Memoire topographique jusqu'au V° siecle de la pai lie ties Gaules occupee aujourd'hui par le deparle.mp.nl ; par M. Loriouet , secretaire general. Depuis les travaux dAdrien de Valois, de d'Anville ct ineme de Walckenaer sur la geographic de la (laule ancienne , une foule de points inexplores uu demeures indecis ont ete mis en lumiere. Mais les observations qui se mulliplienl de jour en jour, dis- seniinees dans de minces brochures, dans des revues, dans les publications des societes savanles , avaient besoin d'etre coordonnees pour que l'hisloire de notre XXX. 1 ^ pays put en lirer les secours qu'elle en attend. C'est done une pensee palriotique et feconde que celle qui a fonde, sous les auspices de M. le ministre de In- struction publique , les vastes recueils ou vonl se trouver reunis et condenses, pour ainsi dire, les tra- vaux etles reclierches de tant d'observateurs judicieux de notre sol et de ses antiquites. Le Recueil des inscriptions anciennes de la France, veritable source hislorique pour ces temps recules , si Ton n'etait malheureusement certain a l'avance d'y trouver des lacunes tres-nombreuses, a perdu , sans aucun doute, a etre entrepris de nos jours plutot que dans le siecle des grands travaux, pendant l'ere, que je pourrais appeler benedictine, des Ducange , des Sainte-Martbe et des Mabillon, que marquent tant de collections imposantes, tant d'ouvrages gigantesques qui excitent notre admiration ou plutot notre eton- nement. Et en exprimant ce regret, je nc veux dimi- nuer en rien la haute valeur des hommes qui se sont charges, soit de l'ensemble de l'ceuvre , soit des de- tails ; j'entends seulement que les monuments epigra- phiques deviennent de plus en plus rares par l'effei desastreux du temps , souvent aussi par la volonte perverse des hommes, et qu'on ne saurait s'elre occupe trop tot de les recueillir. Le monument geographique que veul elever le gouvernement frangais , au contraire , ne peut que recevoir aveclelempsdenouvelles donnees qui seront autant de richesses. Du grand nombre des observations reiterees depend la fidelite de la description d'un pays; plus les temoignages sont multiplies, plus on est sur d'approcher de la verite; et si Ton peut, les historiens et les charles a la main , retrouver sur le sol meme la trace encore empreinte des evenements, ce sera surtout quand les siecles auront permis d'e- tudier ce sol, de le fouiller et d'y recueillir les temoi- gnages parlants des anciennes civilisations. La pensee qui a conga le projet du vaste edifice que j'indique en a aussi trace le plan. II a paru ne- cessaire , pour rendre ce travail aussi complet que possible et pour en faciliter l'execution, de lediviser en trois series : 1° Topographie des Gaules avant le Ve siecle ; 2° Diclionnaire de la France ancienne et moderne ; 3° Repertoire archeologique de la France. line commission a ele formee, au ministere de 1 'In- struction publique, pour chacune de ces series, afin de coordonner les elements du travail ; et pour lui assurer les conditions d'une execution prompte, et cependant aussi fidele que le permel l'etal de la science, le ministre a fait appel aux societes savanles de la France , les a associees , interessees meme a rceuvre par une sorte de concours, en confianl a chacune d'elles, ou a ceux de leurs membres qu'elles auront designes, la portion du travail correspondant a la circonscriplion territoriale dans laquelle s'exerce na- turellement leur influence; enfin , en instituant des prix qui seront decernes aux meilleurs travaux. Pour les deux dernieres series, des instructions emanees des commissions speciales ont trace la marche a suivre, et mis fin aux incertitudes qui ont , au premier moment, tenu en suspens la bonne volonte des travailleurs de province appeles a collaborcr a cetle oeuvre. Pour la premiere partie, Topographic des Gaules avant le. V* siecle , les instructions ont manqur, on 4 da inoins elles out etc beaucoup nioins precises et moins delaillees. 11 en resultera necessairement uno grande bigarrure dans le plan adopte paries collabo- rateurs du minislere: a cole d'un travail volumineux elplein de fails, lc ministre recevra souvenlune simple esquisse ; beaucoup aussi de ces Iravaux empieteront, l'un sur le Diclionnaire des lieux anciens et modernes , l'autre sur le Repertoire archeologique, et le double emploi rendra inutiles bien des peines e.t des recherches. Charge par l'Academie Imperiale de Reims d'entre- prendre, sous le controle d'une commission, les deux premieres series, a savoir la Topographie et le Didion- naire, j'ai sagement insiste, je crois, pour que la part que la compagnie ou son delegue devait prendre a ce travail et celle de la Societe d'agriculture de Chalons fussent determinees. Quelle que soil la com- petence d'une societe d'agriculture, commerce, sciences et arts a s'occuper de travaux purement historiques, l'autorite qui est souveraine a prononce, et nous de- vons nous renfermer dans les limites de l'arrondisse- ment, tandis que le restedu departement est livre aux recherches des membres de la societe chalonnaise. Ce partage, regrettable a certains points de vue, nous dispensera d'employer un lemps precieux a des re- cherches deja faitcs ailleurs , ou du moins dont d'autres personnes auront du s'occuper. En attendant, voici ce (jue la Societe de Chalons reponda la premiere question, parl'organedeM. Savy, l'un de ses membres et agent-voyer en chef du de- partement. L'ouvrage de M. Savy a pour litre : Memoire topo- 5 - grapkique jusqu'au Ve siecle de la partie des Gaules occupee aujourd'hui par le departement de la Marne. Apres un apergu general sur le pays, sur la cir- conscriplion des civitates et des pagi qu'il comprenait, 1'auleur indique lui-memc les divisions de son me*- moire : 1° Voies romaines ; 2° Enceintes fortifiees et camps ; 3° Tumulus ; 4° Lieux oil des objets antiques ont ete decouverts. Ge plan me parait excellent, je n'ai rien a y re- prendre. Les observations que je ferai porteronl plutot sur les details. Cependant la premiere et la plus imporlanle s'applique indirectemenl a l'ensemble, car elle a pour objet une lacune que ne remplit certainement pas l'apergu general par lequel I'auteur en Ire en matiere. La geograpbie politique et administrative du pays que nous habitons y manque a peu pres lotalemenr. Pas de discussion sur les limites respectives des Hemes proprement dits et des peuples places sous leur dependance, sous leur patronage, ou seulement ([uilesavoisinaient; sur l'elendueet sur la denomination des pagi que comprenait chaque civitas ou peuple. Naguere on placait encore du cote de Stenay le pagus Stadunensis qui parait devoir plutot enlourer Sainte- Menebould, et que M. Savy appelle, je no sais pour- quoi, Stadicnsis ; naguere aussi, le pagus Dulcomemis ou Dolomensis a donne lieu a deux dissertations: ces exemples ne sont pas les seuls qu'on pourrait ciler des incertitudes qui planent encore sur la geograpbie de nos contrees. II ne pouvait elre oiseux, conse- ffuemmcnl, de resumer an moins I'clat de la science — 6 — au sujel de circonscriptions pour la plupart indecises jusqu'ici ; il eut ete mieux encore d'attaquer soi-meme celle elude , d'inlerroger a son sujet les polyptiques, les chartriers et les chroniqueurs, de recueillir tous les temoignages, de les coordonner et de les discuter. A mon sens, c'etait le cas, ou jamais, de faire de la science; un travail serieux sur cette matiere eut rendu plus de services, historiquement parlant, a la conlree que nous habitons que l'enumeration meme des richesses archeologiques qui le couvrent et que le premier archeologue venu pent voir et decrire. Esl-ce assez dire des pagi, qu'ils respondent a certains archidiacones et a certains doyennes , que leurs limites ont change et sont peu certaines , d'en nommer sur la carte trois ou quatre appartenant aux environs de Chalons, et aucun de la region qui envi- ronne Reims ? L'auteur, si limide en ce point, Test beaucoup moins en d'autres ; j'oserai dire meme que son lan- gage me semble inconsidere. En parlant de la divi- sion de la Gaule en provinces , il s'exprime ainsi , page 69 (1) : « Jules Cesar divisa la Gaule en trois provinces : l'Aquitaine , la Celtique et la Belgique ; Auguste en fit quatre : la Narbonnaise, la Lyonnaise, l'Aquitaine et la Belgique. Antonin , au IIe siecle, crea sept pro- vinces : la Germanie, la Belgique , la Lyonnaise, l'Aquitaine, la Narbonnaise, la Viennoise et 1' Alpine. Enfin, Constantin le Grand, vers l'an 320, repartit fl) Le memoire de M. Savy occupe les pages 69 a 170 du volume public par la Societe d'agriculture, etr , de Chalons-sur-Marne pour 1 annee 1859. - 7 — la Gaule en dix-sept provinces, dont quatre Lyon- naises. » Or, jusqu'ici , ce que M. Savy altribue a Cesar avait ete considere seulement comme une presomption. Quant aux autres divisions de la Gaule, il les accepte trop facilemenl de divers ecrivains modernes dont l'autorite a besoin d'etre controlee. Nous nous som- mes elendu nous-meme (1) assez au long sur ce point , et preuves en mains, nous avons Irouve un resullat different , savoir : quatre provinces sous Auguste : Belgique, Celtique , Aquitaine et Narbon- naise ; six au deuxieme siecle , dans Ptolemee , y compris trois pour la Belgique ; douze sous Dioclelien, suivant Lactancc , avec quatre pour la Belgique ; quatorze sous Valens , suivant Sexlus Bufus ; enfin dix-sept dans la Notice des D ignites , par conse- quent sous Gralien. Plus loin, I'auleur enumere en deux pages les lieux principauxdu departemenl cites dans les auleurs anciens ou dans les itineraires. Chalons et son terri- toire prend la moitie de cet espace : on ne pouvail moins donner au chef-lieu administralif du depar- tement. Neuf lignes, du reste, pouvaient suffire, a la rigueur, pour dircce qu'etait Beims,etnous ne serions pas jaloux d'un plus long article , si celui qui nous est accorde avait au moins le merite de l'exaclifude. (I) Reims pendant Id domination romaine , d'apres les inscrip- tions. Nous ferons lemarquer k i que M. Savy, qui croit indiquer tleux divisions diflercntes de la Gaule par Cesar et |iar Auguste , n'en donne qu'uue ep fait, la premiere ne parlant pas de la Narbou- naise , quoiqu'elle existat reellement sous le nom de Province romaine , et la seconde remplacant le nom de Celtique par celui de Lyonnaise pour une meme paj'lie du pays. _ 8 — « Reims , » tlil l'auteur , « devinl la capitale de la Seconde Belgique. » Cela est vrai, mais ce n'est pas dire assez ; car , avant le parlage de la Belgique , Reims en elait deja la capitale. Je continue : « Son norn celtique Durancort ou Durancourt prit . sous les Romains, une terminaison latine et devint Durocortorum ; on lui substitua ensuite celui de Remorum , lorsque , sous le regne d'Adrien, au deuxieme siccle , le geographe Plolemee designa les capitales par le nom des peuples. » Ne semble-t-il pas que le geographe Plolemee ait a lui lout seul, du bout de sa plume, change les noms de lant villes de la Gaule? Oil l'auteur a-l-il pris que le nom celtique de Reims i'ut Durancourt? Lors meme que Geruzez, qu'il cite en toute confiance , l'aurait emprunte de Bergier , il n'en deviendrail pas plus facile de reconnaitre un nom celtique sous l'habit a la franchise ou a la mo- derne dont s'affuble ce Durancourt. Quant a ce qui suit, peul-on, de Chalons meme, aussi pres de Reims, ecrire que cette ville s'est appelee Remorum, en pienant le genitif du nom de peuple ? Je ne voudrais pas que Ton jugeat du livrc par de pareilles faules; neanmoins, je ne puis m'empecher de remarquer qu'il suffit de retourner la page pour en tiouver du meme genre. « Anlonin, » dit l'auteur, « tit mesurer toules les \oics de 1'empire, et l'ltineraire qu'on lui attribue et qui a conserve son nom indique les lieux situes sur ces voies et les distances de Tun a l'autre. » Ceci pose, et a part ce qu'il y a de tout-a-fait inexact sur l'lli- luiiaire , n'est-on pas etonne de lire une note ainsi roncue : « On croit generalemenl que c'elail sous le — 9 — consulat de C6sar et d'Antoine, epoque ou le senat ordonna par un decret qu'un mesurage ou arpentage general serait fait dans tout I'empire.... » Apparemmenl, la ronfusion materielle que nous signalons n'est pas le fait de l'auleur; il faut que 1'imprimeur ait pris sur lui de raltacher a eel endroit du lexle une note qui n'y a nucun rapport. Nous devons lui impuler encore , cinq lignes plus bas, un ou deux mots malheureux. « Vinl ensuite, » ost-il dil, a la carte attribute a un savant d'Augsbourg, appelcPeutingcr, et qu'on nomme aussi Table Theo- dosienne, parce qu'elle indique des Ucux qui nc furent connus que du temps de Theodose. » Toutle monde sail que la Table de Peulingor porte le nom du savant qui la fit connaitre ; e'est une er- reur que de le prendre pour l'auteur de ce travail. On appellc aussi cctle carte Table Tbeodosienne , parce qu'on pense generalement qu'elle a ete dressee sous Theodose le Jeune. Pour etre juste, nous no devons pas omellre de re- marquer que 1'appreciation inexacte des deux monu- ments geographiques dont nous venons de parler est corrigee par une petite note placee au bas de la page 92. L'auteur y est certainement plus pres de la verite; mais ce ne sera pas encore le dernier avis qu'il emetlra sur la Table et sur lTtineraiic, et nous aurons denouvelles incertitudes a constater sur cesujel. Avant d'aborder les routes nombreuses qui sorla'ent de Reims pour se rendre en divers points de la Gaule, M. Savy se demande quel elait le point dc depart de foutes ces lignes. Volontiers il le placerait pour cha- cunc d'elles a la porte corrcspondantc de la cite, — 10 — induit en crreur par ceile plirase de Bergier, qu'il cite (page 75) : « C'etait le propre des arcs de Iriomphe d'etre places aux chefs et commencements des voies militaires. » Assurement , Bergier, en s'exprimant ainsi, n'a pas voulu dire d'une maniere absolue que chaque voie sur laquelle s'elevait un arc de triomphe avait pour point de depart cet arc hii -meme, et que Ton devait compter les distances a partir de la. Aulremcnt, il faudrait dire aussi qu'a Rome, le milliarinm au- reum du forum etait sans objet, qu'on y mesurait les distances a partir des portes ou meme des arcs de triomphe eleves sur ces voies ; chose parfaitement inexacle et non moins impossible, puisque les portes triomphales se repetaient souvent sur une meme voie, sur les places, devant les temples, les cirques et les theatres. Quant au point de depart des routes romaines dans la cite" de Reims, il est reste tout-a-fait inconnu jus- qu'ici et presumablement le sera toujours. M. Savy, qui, sans discussion, le prend au milieu de la place Royale, perd de vue que ce centre naturel de la cite de nos jours n'exisiait pas avant qu'on se decidat, en 1757, a demolir tout le quartier du Grand-Credo pour en faire une place et y eriger la statue de Louis XV. II oublie encore, quand il prend pour centre de la cite le milieu meme de la place qu'il suppose la ou s'en trouve une aujourd'hui, que le milliarinm au- reum de Rome etait non au centre, mais a l'un des coins du forum. En un mot, cc n'est pas le milieu apparent de la cit6 qui doit determiner le point de depart que nous cherchons ; nous ne le connailrons qu'en mesurant sur chaque voie des distances connues entic le point cherche et d'aulres points dont la posi- lion ne laisse aucune incertitude. Or, ces elements de la question manquenl tout-a-fait , je ne crains pas de le dire ; car l'exactilude des itineraires et de la Table est tres-contestee : non pas que telle ou telle edition de ces itineraires el de cette Table merite plus ou moins de confiance, comme parait le croire M. Savy (page 81), mais l'incertitude qui de- meure sur ces documents resulte des doutes qui en enveloppent le texle primitif et les origines. — De plus, il faut le dire encore, on n'est pas meme d'ac- cord sur l'etendue en metres du mille romain ou de la lieue gauloise. — Enfin, quand le hasard permet de rencontrer une inscription milliaire, l'incerlitude sur la place qu'elle occupait primilivemenl vient ebranler l'echafaudage topographique que Ton vou- drait pouvoir etablir sur cette decouverte ; a moins qu'elle n'ait ele trouvee a une certaine profondeur, car alors il y a de fortes preemptions pour croire qu'elle n'a pas subi de deplacement. Et dans ce cas parait etre la borne deBrimonl, qui indiquc qualre lieues de Reims, et qui a ete decouverte, en effet, a cette distance, ou a peu pres. Mais que d'incerlitudes encore ne renconlrcra-t-on pas, pour le calcul des distances indiquees, dons la direction que suivait a l'interieur de la ville le chemin qu'il s'agit de mesurer ! Tant qu'on n'aura pas fait des fouilles serieuses , conduiles avec soin , qui ne mel- tront pas l'imagination a la place de la realite, tant qu'on n'aura pas la connaissance exacte et complete des voies inlerieures de la cite, il n'y a pas de calculs a faire. Comment resoudre un probleme avec des donnees incompletes ? Ces difficultes, M. Savy les a senties, et les calculs — 12 — auxquels il s'est livre, en prenant pour base la borne de Brimont , n'ont servi qu'a demontrer que cette recherche est prematuree. Ses preliminaires poses , M. Savy examine succes- sivemenlles cinq voies qui sortaienl de Reims et celles qui s'y rattachoient. Je n'ai que des eloges a donner au soin avec lequel M. l'ogent-voyer indique le trac6 de ces voies, mais je n'ai pas renonce aux observations de detail, el elles seront nombreuscs, je dois le dire. Ainsi, lout le monde, exceple M. Savy, appelle vote Ccsarec , ct non vote de Cesar (page 76 et pas- sim) , ce qui n'est pas absolument la meme chose , le chemin dont la rue du Barbatre fail partie ; lout le monde appelle Gessoriacum , el non Gessoriacus (page 77), la ville de Boulogne (1), terme extreme de celle voie ; toul le monde sait aussi que, si Ton vient de Melz a Reims par le Barbatre, la porte Collatice ou Bazee n'e precede pas le Barbatre (Ibid., nole 1), mais le suit; que Treves s'appelait Augusta Trevirorum , et non Treviorum (page 85 et carte) ; qu'Axuenna , nom de plusieurs localites situees sur l'Aisne , a pour accusatif Axuennam ({tage 86) ; que le general de Valenlinien qui vainquit Altila , s'appe- lait Aetius, el non yElius , comme il est nomme per- peluellemenl par M. Savy. Ce sont la des miseres , j'en conviens , mais des miseres dont pas une page , pour ainsi dire , n'est exempte. Et lors meme que l'auteur empruntc ses assertions a des ecrivains acci'edites, comment se 'CM. de Saulcy (Expedit. ile Cesar en Grapde-Bretage , Revue archeol. I860! ailemonlie (|uo I'Uiui portus etait Wissanl , et non p;.is Boulogne. — 13 - fait— il qu'il n'en soil pas pour cela plus exact? Temoin Pitiscus , a qui M. Savy fail dire « qu'a Rome , la rue qui precede la voie de Cesar s'appelle aussi rue du Barbalre , comme a Reims. » Or voici, en lalin, il esl vrai, la phrase de Pitiscus : .< Pars ejus (viae) in Urbem prolato pomcerio transiit , nota hodie nomine rue du Barbalre. » Le mol Urbem ecrit avec une majuscule , dans Pitiscus , a probablement fait croire a M. l'agent-voyer qu'il s'agissait de Rome, les prescriptions du dictionnaire latin lui revenant a la memoire etlui recommandant de traduire par Rome le mot Urbs employe seul et ayant en tete YU capifale ; le meme dictionnaire lui apprenant aussi que le pomcerium etail un terrain reserve autour de Rome , ou il n'etait permis ni de balir, ni de conduire la charrue. Mais ce qui prouve que Pitiscus ne l'a pas entendu comme M. Savy, que chez lui Urbs signifie la metropole du nord de la Gaule, et non la capitale du monde, et pomcerium un simple faubourg, ou du moins un espace libre d'habitalions se rattachant a la cite, tel que fut longtemps. en effet, noire Barbalre , c'est qu'il ajoule que, sur la voie dont il parle, est situee l'eglise de Saint-Maurice, a laquclle saint Remy legua deux sols d'or. Ge que l'auteur dit de Basilia vient confirmer ce que j'ai moi-meme indique l'an dernier (1) relalive- ment a l'emplacement de celte ville, a savoir qu'elle devait etre l'Auberive ou le Grand-Saint-Hilaire d'aujourd'hui. M. Savy n'est pas eloigne d'admetlre que les deux villages distonls de quatre kilometres (1) Reims pendant la domination romaine, d'a/nri les insrrip- tiont. — \A — l'onl remplaeee, ce qui lui donnerait peut-etre beau- coup d'imporlance ; mais il incline plutot en faveur de Saint-Hilaire, a cause de sa situalion au confluent de la Suippe et du Souain (1) , a cause de la proxi- mite de Jonchery, tete de l'aqueduc de la Suippe a Reims , et aussi a cause de plusieurs tumulus qu'on y voyait il y a quelques annees. Ccs raisons m'ont paru faibles, la derniere surtout : car, que prouvent des elevations de terrain faites dc la main des Celles ou des barbares, quand il s'agit de demontrer Insis- tence d'une station romaine? La rencontre pres de Basilia et d' Axuenna qui la suit, dans le travail de M. Savy, d'un petit ruisseau, la Tourbe, que vous connaissez tous, me remet egalement en memoire que j'ai emis , l'an dernier , sur la Suippe, une opinion qui a trouve quelques incredules. J'avais dit qu'avanl de porter ce nom de Suippe, la riviere a laquelle il s'applique aujourd'hui s'etait peut-etre bien appele Basilia, comme la ville dont nous venons de parler. Cette opinion, je l'avais empruntee a un des geograpbes les plus savants du XVle siecle, Cluwer ou Cluverius. Je l'appuyais sur 1'exemple semblable de deux localites siluees sur l'Aisne et nommees Axuenna , comme la riviere qui les baignait. La Tourbe m'en fournit un nouveau : le village de Ville-sur-Tourbe, place sur ce ruisseau, s'appelait de merae que lui Turba (2). Les raisons invoquees par M. Savy pour demon- trer qu' Axuenna est bien Vienne-la-Ville , sont em- pruntees a la savante Histoire de Sainte-Menehould, (I) Le ruisseau appele Souain par M. Savy se norame la Ain. (7) Floduardi Uitt., lil>. II. cap. XI. 15 par Uuhettc de Verrieres ; elles sont excellentes ; toutefois, il en est une , selon moi, qui domine toutes les autres, c'est celle qui se tire du rapproche- ment desnoms, Axona (VMsne),elviaAxon(e (Viaixne, Vienne) , c'est-a-dire , chemin de I'Aisne , et non pas bourg sur I'Aisne, comme le dit M. Savy, qui confond vicus avec via. Sur la deuxieme route de Durocort a Divodurum (Metz) se trouve un lieu que les itineraires appellent Fanum Minerva. M. Savy le place a La Cheppe. C'est, du reste , l'opinion la plus accreditee aujourd'hui , comme nous l'avons deja dit nous-meme. M. Savy justifie son choix par une raison que nous devons rapporter, malgre notre repugnance pour les conse- quences qu'il en tirera dans la suite de son travail : c'est que ce nom La Cheppe derive de chapelle, capclla, qu'une chapelle se trouvait dans son voisi- nage, et que ce monumenl , deja ancien lui-meme, a presumablement remplace le temple de Minerve indi- que par le nom romain du lieu. Quanta l'origine du nom primitif, nous croyons hien l'avoir trouvee nous- meme , en signalant dans ce pays le sejour de la premiere legion Minervienne, ou du moins des vete- rans sortis de cette legion. Une inscription que nous avons rapportee etcommentee temoigne aulhentique- ment de ce sejour. II est done permis d'altrihuer a ces soldats l'erection d'un temple a la divinite a qui Domitien les avait consacres ; et quant a l'ereclion elle-meme , le fait n'est pas nouveau , nous l'avons egalement trouve dans une inscription qui rappelle un monument du meme genre erige a Mars dans le voisinage de Cleves. « Sur In route de Durocort a Treves », dit M. Savy, — It) — » la premiere station signalee en sortant lie Reims esl Vungo- Vims, Voncq-sur-Aisne, suivant Valckenaer. » Cela est exact, si Ton suit l'lthieraire d'Anlonin ; il n'etait pas inutile, toulelbis, do menlionncr une sta- tion plus rapprochee de Reims, Noviomagns , que donne la Table Theodosienne, el que M. Walckenaer croit a tort etre Neuville-en-Tournafuy. 11 n'etait pas inutile non plus de faire connailre la double direc- tion de celle route , qui bifurque a Mouzon , allant d'une part en droileligne surCarignan, puis a Treves, et de l'autre plus au nord, dans la direction de Cologne. Je passe a une autre route , celle de Bagacum (Bavay) a Durocoi t. D'Anville place entre Neufchatel et Asfeld XAxaenna de la Table Tbeodosicnne et de PItineraire, eslropie toulefois par le copiste de ce dernier et appele par lui Muenna. M. Walckenaer le met a Menneville, sans faire. attention que Menneville est eloigne de la voie romaine de 2,500 metres. La remarque est de M. Savy, et nous n'avons garde d'en affaiblir le merite. II fait observer encore avec raisun que Neufcbatel, lieu generalement designe par les geograpbes comme repondant a Aocuenna, n'est qu'a neuf lieues gauloises et demie de Reims, au lieu de dix marquees dans litineraire, et que Evergnicourt parail mieux repondre a cetle de- signation ; il se rapproche ainsi de ce que d'Anvillc avail dit avant lui sans preciser. Ici se place, dans le travail de M. Savy, la borne milliairequiaetelrouveeenl822surle bord de la voie romaine , entre le bois Soulain et le Cran de Brimont. J'ai entretenu longuement l'Academie de l'inscription que porte ce precieux monument, et je n'aurais rien - 17 — a en dire en ce moment, si M. Savy n'avait eu h ma- lencontreuse idee d'en emprunler Interpretation a l'un de nos compatrioles qui ne fait pas autorite, tant s'en faut, et s'il n'avait, comme lui et bien d'autres encore, fait dire a l'inscription que la cite de Reims avail des proconsuls, chose absolument contrairea ce qu'on sait de 1 'organisation municipale des cites, contra ire, d'ailleurs, a la contexture meme de l'in- scription. L'tiuleur parle ensuite d'un embranchemenl sur Langres de la route de Reims a Metz , puis il aborde une voie que Gassini croit aller jusqu'a Charleville et que la carte du depot de la guerre mene jusqu'a Chaleau-Porcien. Que ce chemiu soil antique , au moins dans sa premiere partie , on n'en saurait dou- ter ; toutefois, il est bon d'accepter ici Cassini , et meme la carte du depot , sous benefice d'inventaire, et pas aulrement, puisque la Table Theodosienne est muettc sur cette route. A plus forte raison rejellerons-nous, jusqu'a preuve suffisante , l'origine romaine des trongons de voies que M. Savy croit avoir reconnus entre Reims el Da- mery, et du trongon de 2,500 metres que la carte du depot indique au sud-esl du mont Aout ; et nous nous etonnerons de lui entendre dire qu'il ne parlera pas des voies « qui onl du cxister aux environs de Sezanne, Montmirail, Epernoy et Damery, pour les- quelles il n'a obtenu aucuns renseignements ( page 75). » Se mettrc a la recherche de voies allant vers ces localites, e'est leur donner une importance que plu- sieurs d'entre elles n'avaienl pas alors. Qui ne sail, par exemple, qu'il n'est pas question d'Epernay avant xxx. 2 — 18 — sa donation a saint Homy par Euloge , el qu'alors c'etait un simple village , villa :' D'ailleurs, pourquoi s'etonner de ne Irouver aucune route romaine allant dc Reims vers le sud-ouest du departement? « Sans doute, il devait en exister, » dit M. Savy. Oui, certes , il exislait des routes dans cette direction, une, du moins, qui comble parfaitement cette lacune, mais dont M. Savy n'a pas compris l'im- portance, quoiqu'il ait signale son passage a Sezanne. Cette route, e'est le chemin de la Barbarie, grande artere tracee, pour ainsi dire, entrc les Bellovaques el lespcuplesdu nord, qui traverse la Marne, l'Aisne, l'Oise et la Somme , et lance a droite et a gauche des rameaux impoitants. suivant un peu en zigzag les inegalites du terrain, tournant les difficultes, evitant les cours d'eau ou recherchant les endroits gueables, dont le trace, en un mot, et meme la construction prcsentent le contrastc le plus frappant avec les routes romaines. On est d'accord aujourd'hui pour y reconnaitre un ouvrage des Gaulois, et Ton ne cherche plus dans son nom de Barbarie une ori- gine hunnique ou vandale. II appartenait done au programme trace a M. Savy , et il meritait d'autant plus d'etre etudie ici avec soin, qu'il peut se recon- naitre a travers notre departement dans presque toute son etendue du nord-ouesl au sud-ouest. J'ajoule que l'agent-voyer du departement, le curator viarum, comme il s'appelle (page 83), elait plus a meme que personne de nous edifier completement a son sujet. Apres les voies, leur construction el leur direction, - 19 — l'auteur du memoire passe en revue les enceintes fortifiees , les camps et les tumulus. Incertain , avec raison , sur I'origine des retran- chements qui enlourent diverses localites du depar- tement et dont aucun, a mon sens, n'a un caraclere assez marque pour qu'on 1'altribue a l'epoque gallo- rornaine plutot qu'a celie des guerres de religion , M. Savy est moins reserve sur les tumulus. SVil ne croit pas absolument trouver a Poix le tombeau de Theodoric, a Baudement sur l'Aube celui d'un officier romain nomme Cireneus , a Prouilly ou au mont de la Housse celui du roi Pharamond , a Vesigneul-sur- Coole celui d'Attila , apparemment transporte' ia de sa capitale, ou il mourul, il n'y met pas trop de mauvaise volonte, et il perd un peu de vue que ccs bultes pcuvent etrc ccltirjues , gallo-romaines ou merovingiennes, el que leur conlenu seul peut deter- miner auquel de ces Irois genres elles appartiennent. Quant aux camps , la besogne aurail pu etre fort simple, puisque le department n'en conlienl qu'un seul dont l'existence soit bien constalec. Mais ce camp est celui d'Attila, et vous savez combien on est peu d'accord sur son origine. M. Savy ne se con- tend pas de rapporler les diverses opinions ; sans precisement discuter, il f;.it connailre les faits qui lui paraissent concluanls, puis il prend parti. Qu'on ait trouve , il y a quclque cinquantc ans, au mont Frenois , a 3,700 metres de La Cheppo, des squeleltes bumains, des debris de briques et de tuiles, et des vases en fonte , nous ne voyons pas, pour noire part , quelle conclusion on en peut tirer pour le camp. J'imagine meme que la fonlc ici mentionnee, si telle etait la matiere des vases dont on parle, est - 20 — le fait d'un mediant esprit qui aura voulu se moquer des archeologues chalonnais et leur faire prendre un debris moderne pour une reliquegallo-romaine. Plus tard, continue M. Savy , vers- le milieu du camp, un laboureur qui le traversait est entraine avec son cheval et sa charrue dans un trou de forme circulaire dont le fond et les parois etaient en lerre fortement baliue. Ce trou renfermait des lances, de; especes de massues,des etriers, quanlite de ferrailles, enfin, rongees par la rouille, mais dont un marechal a cru pouvoir tirer quelque chose. II est evident encore ici que, si eel artisan y a trouve son compte, nous n'en pouvons dire autant , et qu'il faudra chercber de nouveau el bien cbercher, pour avoir des prcuyes capables de demontrer que ce camp est romain , commeon le pretend. Ainsi, nous ne pouvons qu'ap- plaudir aux mesures prises par l'Empereur pour que les objets trouves dans l'enceinle du camp et dans son voisinage soient desormais recucillis avec le plus grand soin. Dela depend absolument le sens que Ton pourra donner a ce camp. Qu'importe, en effet , eomme le souliennenl encore generalement les clas- siques de 1'archeologie , qu'un camp soit circulaire ou carre , qu'il ail des enirees regulierement placees ou non , des fosses plus ou moins creux , faits avec soin ou bien a la hate et sans regie? Est-on en droit de pretendre qu'en tout temps , dans toute circon- stance, les Romains suivaient les prescriptions de Vegece? que les nations guerrieres du nord de la Gaule et de la Germanie n'employaient jamais des moyens de defense analogues a ceux des Romains ? que leurs campements etaient sans regularite , tou- jours comme improvises et etablis a l'aventure? Ne — 21 - peut-on pas ciler des enceintes fortifiees parfailernent regulieres , carrees meme, et qu'enlourent un fosse profond el des epaulements dresses avec un certain art , enceintes cependont oil Ton trouve tons les jours des objets qui ne se rapportenl en aucune facon a la civilisation romaine ? Est-il rien de plus concluant sur ce point que l'exemple de la cite de Limes, pres de Dieppe, qu'ont exploree avec tant de soin M. Feret et M. l'abbe Cocbet? De; lors , a quoi bon chercber, comme le fait M. Savy, a prouver que la forme circu- late du camp de La Cheppe ne s'eloigne pas trop du carre , et aulres cboses du meme genre? La n'est pas la question , je le repele ; elle est lout enliere dans les fouilles. Si, d'ailleurs, il est vrai , comme parait radmeltre M. de Saulcy dans son Iravail sur les expeditions de Cesar , que la plupart des lieux fortifies du nord de la France sont des ouvrages des Gaulois et qu'ils ont servi de refuge aux populations avanl d'etre employes au campement des legions, on arrivera peut-etre a y distinguer le travail de circon- vallation generalement rectiligne des Romains d'avec les retrancbements d'un oppide gaulois couverts et remplaces par lui. Mais cette preuve n'est pas abso- lument necessaire , par les raisons que nous avons donnees plus haut. Quant a la denomination de Vieux- Chalons donne au camp d'Altila par les gens du pays el par plu- sieurs ecrivains, M. Savy a eu raison de la mentionner ici, et nous lui aurions su gre de trailer avec quelque elendue ce cote encore inexplore de la question. On a appelc de meme Vieil-Laon un plateau forlifie si- tue sur la droite de la route de Reims a Laon, un peu au-dessus dc Corbeny; Vieux-Rrims le camp si- i)0 lac pros de Conde-sur-Suippe , an confluenl de telle derniere riviere dans l'Aisne, et que D. Lelong eroit etre le camp de Tilurius , lieutenant de Cesar. II y ;iurait le plus grand inleret a etudier comparativement ces trois enceintes et a rechercher aussi ce qu'il y a sous cetle denomination commune en quelque facon. 11 se peut que cet examen n'amene pas, quant a I'o- rigine des enceintes , des resultats aussi concluants que ceux dont nous parlions toul-a-1'heure; mais, lors meme que les fouilles demontreraient qu'elles apparliennent a l'ere romaine on encore a Fere cel- tiquc, nous croyons qu'on n'en reculerait pas moins l'origine de la denomination commune jusqu'a unc cpoque plus rceente, a celle des grandes invasions ou meme au Moyen-Age. 11 n'y a done, selon nous, uucune induction a lirerde ce nom de Vieux- Chalons donne au camp d'Attila, en faveur de Fantiquite de la ville qui est aujourd'hui le centre administratif du departement. Vainement M. Savy fait « remarquer que le territoire de La Cheppe formait dc ce cote la limite des territoires des Remi et des Catalauni. » Tant qu'il n'aura pas demontre que, des les temps les plus recules dans l'histoire de la Gaule, les Catalauni faisaienl un peuple a part, ayant un territoire, une existence propre, il sera difficile d'admettre avec lui que « les Catalauni a\a\cn[ elablia l'extremite de leur territoire une forteresse j)roteclrice de Chalons. » Du reste , contre qui cette forteresse aurait-elle ete elevee, a l'epoque de la conquete romaine, sur la limite supposee des deux territoires ? Les Romains venant du midi, ce ne pouvait etre pour arreter leur marche. Ce n'e- lait pas non plus contre les Remois, amis et protec- — 23 — teurs ties Catalauni, on leur concedera au moins ce litre. Ainsi, rl'aucune maniere, la forlercsse ne pro- tegeail Chalons, comme l'a entcnJu M. Savy; elle' a pu tout au plus servir de refuge aux habitants , apres (invasion tie la ville et de tout le pays , et cc serait pour cela qu'elle aurait ele aussi rapprochecque pos- sible de la protection des Remois. Mais ceci ne peut s'entendre que d'une epoque assez reculee apres la conquete romaine , celle des invasions ; tout porte a croire , en effet, qu'a l'origine el meme pendant les premiers temps de l'occupation romaine, les Catalauni se confondaienl dans le peuple remois , et que leur territoire n'etait (ju'un simple pagus ou canton du pays de Reims, de meme que le pagus Stadunensis , le pagus Pertensis, le pagus Virtudensis et autres qui l'environnaient. Peut-il resulter une autre opinion du silence absolu des ecrivains (jui ont parle de cctte parlie de la Gaule? Cesar, qui compte vingt-qualre nations dans la seule Gaule Belgique; Cesar, qui pres des Remois place les Suessons, les Bellovaques , les Veromandues, les Ambiens et beaucoup d'autres, Cesar ne nomme ni les Catalauni ni leur chef-lieu. Pline, Ptolemee, Slrabon, au second siecle, ne paraissentpasdavantagc soupgonner leur existence. La premiere fois qu'il est question de Chalons dans l'histoire , c'est dans la Chronique d'Eusebe , a I'annee 273 , sous Aurelicn. Ammien Marccllin en parle a son tour en 300. La Notice des Gaules et YItineraire d'Antonin le nomment parmi les cites dc la province; mais celle mention no peut tirer a consequence pour lui donner une an- tiquile tres-reculee , puisque la Notice ne peut pas - u - remonlcr au-dela d'Honorius et (|ue I'llineruireparlc tie Coutances, de Constantinople et de bien d'autres villes dont les noms nous envoient bien loin d'Antonin lc Pieux, a qui M. Savy le fait remonter (page 73), et meme de cet autre Antonin qui est le fi!s de Sep- time-Severc et qu'on appelle vulgairement Cara- cal la. Encore est-on Ires-incertain sur le nom qu'on doit donncr a cette ville. Cellarius pense qu'il faut l'appeler Calalaunum tout court, et que si l'ltineraire porle Duropatalaunum, c'est par erreur de copiste, a cause du voisinage de Durocortorum. Henry de Yalois, apres avoir rapportc tous les textes anciens relalifs aux Ca- talauni et les incertitudes des geographes au sujet de leur chef-lieu, cherchea reparer l'oubli des ecrivains des premiers siecles a eel egard. L'importance plus recente de la ville lui parail meriter qu'on lui cherche un nom antique quelconque, et il essaie de demontrer quelle est le Noeomagus ou Noviomagus que Ptolemee donne pour capitale aux Vadicassiens, et que les geo- graphes posterieurs n'avaient su ou placer. Du resle, M. Savy n'a pas craint de s'exprimer neltement, dans un autre endroit (page 70), sur la haute antiquite de Chalons : « Cesar n'en parle pas (Jans ses Commentaiies , » dit-il , « parce que, sans doute, les Catalauni se joignirent aux Remi pour faire alliance avec lesRomains. » A cela notre reponse est facile et le lecteur l'a faite avec nous, c'est que les Catalauni devaient etre assez peu de chose pour se cacher ainsi derriere les Re'mois, leurs patrons : autrement, le vainqueur eut au moins constate leur existence; il eut, en outre, regie leur sort, comme il fit des Soissonnais, qu'il annexa aux Re- — 25 — rnois (1). Muis laissons Chalons el sa douleuse anli- quite, pour arriver a une question du plus haut interet, celle de savoir si la bataille gagnee sur Attila paries Romains el leurs allies, en 451, fut livree dans le voisinage de La Cheppe. M. Savy pouvait se dispenser d'aborder ce sujet scabreux que son programme ne comprenait pas absolument, et dans lequel lanl d'aulres se sonl en- gages (2) sans avoir pu le m'etlre hors de loutc contestation. Y a-l-il mieux leussi que Iesaulres?Nous voudrions pouvoir le dire. Mais, pour cela, il eut fallu donnerdenouvelles preuves ou presenter les anciennes de maniere a vaincrc les resistances du lecleur. Or, comment en serait-il ainsi, quand M. Savy ne fait en somme que reproduire, en l'abregeanl, la demonstra- tion de M. Tourneux dans l'ouvragc intitule : Attila dans les G aides , livre estimable a beaucoup d'egards, mais dont l'auleur, avec une modestie qui l'lionore , nous avei lit lui-meme de nous defier, en ecrivant cc qui suit a sa premiere page : « Les fails connus sur Attila sont peu nombreux ; j'ai cherchc a remplir les lacunes qui les separent. Je (1) Cesar, remarque M. Walckenaer ( (ieogr. anc. des Gaules, part. 11, chap. II), s'cxprime de inaniere a nous prouver form el lenient que le lerritoire des Catalauni etait compris dans celui des Rem! , puisqu'il nous dit que « les R«m«'etaicnl limitrophes de la Celtiquc ou de la Gaule, mais que cependanl ils faisaient parlie des Beiges." Si les Catalauni n'avaient point etc compris alors dans le territoire des Remi, ces derniers n'eussent point etc limitrophes de la Celtique. (2) Notamment l'abbe Sahbathier , secretaire perpetuel de la Societe litteraire de Chalons , dans le Recueil de dissertations sur divers sujets de I'histoire de France, imprime a Chalons en 1770. in- 12. M. Saw ne parait pas connaitre cetl« dissertation. — -20 - ilonne comme vrai ce qui n'est que vraisemblable ; mes conjectures sont devenues pour moi ties realites : je n'ai cependant paseu ['intention de faire un roman historique. » M. Savy a-t-il lu ce petit avertissement ? II semble que non, ou du moins il parait en avoir tenu peu de compte. Qu'importe, me direz-vous, si , sur le point principal que soutient M. Savy, les auloriles alleguees sont puisees a de bonnes sources el decisives? Je ne puis entreprendre ici d'examiner a fond la these de M. Savy reeditee de M. Tourneux. Pour lc faire, il faudrait suivre ces Messieurs de point en point , controler et peser cbacune de leurs raisons, faire ensuite la ineme epreuve sur la demonstration de Grosley et des autres partisans de Mery-sur-Seine; en un mot, c'est toule une dissertation a entreprendre. Mais je dois au moins faire connaitre les procedes de discussion au moyen desquels on s'imagine faire triompher l'opinion que Ton soutient. Suivanl M. Savy, comme vous pouvez vous le rap- peler, La Cheppe lire son nom actuel d'une chapelle (capella) qui existait dans le voisinage du camp el qui devait avoir remplace le temple de Minerve , [anion Miner vce , d'ou le meme lieu avait pris son nom primitif. Cette chapelle, qui semble n'etrequ'un point, va prendre, dans les mains de M. Savy, une impor- tance que vous n'avez suremenl pas soupconnee. Comme il croit y avoir trouve une preuve nouvellc en faveur de sa these, il s'est nalurellement attache a la metlre en relief; c'est aussi par la que nous com- mencerons a attaquer son systeme. « Cette chapelle, » dil M. 1'agent-voyer, « subsista jusqu'aux guerres de religion. Si Ton en doute, parce - r< - que ies pouilles du diocese n'cn font pas mention , qu'on inierroge les vieillards du pays, et ils vous liiront, non pas qu'ils l'ont vue, bien entendu , car leurs soixante-dix ou qualre vingls ans ne lc leur per- uietlenl pas , inais au moins qu'on voyait encore , il y a soixante ans, des fondalions dansbendroit qu'elle devait occuper, et que ces fondations elaient bien celles d'une chapelle ; de plus, qu'un tableau repre- senlanl saint Maurice a echappe miraculeusement a la destruction de I'edifiee , qu'il a ete transports dans 1'eglise dc La Gheppe , qu'il y a etc longtemps con- serve , et qu'il a donne son nom, du moins pour quelqucs annees, a 1'un de ses autels. Voila cedontdeposerenl solennellement, le "20 Jan- vier 1859, trois notables de La Cheppe, devant le maire de la commune assisle de M. Savy et du secre- taire de la Societe d'agriculture do Clialons, et proces- verbal a etc redige de leur deposition , ad perpe- tuam rei memoriam. Une fois en possession de ce document concluant, M. Savy ne voit plus qu'une chose a demontrer pour elre sur de son fait , c'esl que le culte de saint Maurice est aneien dans le pays. II y etail repandu , dit-il, des 330, et la preuve, e'est que, « a celte epoque, on edifia en son honneur a Reims , sous le gouvernement de Jovin, une eglise qui etait placee au-dehors de la ville, sur la voie Cesaree (V. Dom Marlot, Histoire de Reims). » Tout ce que nous connaissions jusqu'ici de banti- quile de notre eglise de Saint-Maurice, e'est qu'elle devait elre anterieure a la mort de saint Remy, e'est- a-dire a ban 530 environ ; et en admeltant meme comme aulhenliquele testament du grand archeveque, — 28 - dans lequel elle est mentionnee, j'ai peine a y voir la preuve que l'eglise donl nous parlons existail en 330, deux cents auparavant. Cette date, il est vrai , M. Savy dit l'avoir empruntee a Marlot. II est vraiment etonnant que quelque Remois ne l'y ait pas trouvee comme lui, s'il n'etait plus probable qu'il a pris une page pour une autre et confondu l'eglise de Saint- Maurice avec celle de Saint-Agricole. C'est ce que semble indiquer l'intervenlion de Jovin, gouverneur on non de Reims, que nous ne voyons pas moyen d'expliquer autrernent en cette affaire. Depuis des siecles , la cbapelle dont parlc M. Savy, el donl il a fait constaler l'existence au moyen de la declaration que voussavez, s'appclait Notre-Dame- •du-Parjouet. Ce nom ne fait pas l'affaire de M. Savy; il imagine done que la cbapelle a change de vocable, el qu'en451, epoque de la bataille, elle pouvait avoir celui de Saint-Maurice. Nous ne dispulerons pas sur la porlee plus ou moins serieuse de celle supposition, et nous en accorderions sans difficulte tout le bene- fice a M. Savy, si, a ce propos, il ne se servait encore de Marlot pour etablir un fait sur lequel l'ecrivain remois se prononce d'une maniere tres-differente. « Nous n'avons trouve, »> dit-il, << aucune preuve qu'a cette epoque presque contemporaine du concile d'E- pbese (431 ),ou la doctrine deNestoriusfutcondamnee, des temples a la mere de Dieu eussent deja ele eleves dans notre pays. » — Marlot, tome ler, page 580, dit bien, en effet, que la condamnation de l'bere- siarque fnt comme le signal d'une plus grande « de- votion de bastir partoul des sacres edifices en l'honneur de la Sainte Vierge,.... en forme de glorieux tropbees, pour la victoire renq>ortee contre les ennemis de la - 29 - sainte malernite. » Ces paroles du grand-prieur de Saint-Nicaise ont pu induire en erreur M. Savy ; mais, a coup sur, il n'aurail pas parle si affirmativement au sujet de la propagation du culte de Notre-Dame , en lant qu'ayant amene le changement de vocable de diverses eglises de cette contree, s'il avaitlu, quelques lignes plus haut, (|ue sainl Regule , apotre de Senlis, et saint Firmin , eveque d'Amiens , tous deux suffra- gants de Reims, batirent des eglises a la mere de Dieu ; qu'a Cambray, saint Wast, disciple de saint Remy, relablit un autel antique dedie a la Vierge ; enfin, il n'y a pas loin des dernieres lignes de la page 580 aux premieres de la page 584 , et la M. Savy aurait lu que, des 399, saint Nicaise avait place sa calhedrale sous l'invocation de la Sainte Vierge. En voila bien long sur cette chapelle , et je ne vous ai pas encore dit pourquoi M. Savy a tant a cceur d'en prouver l'existence , pourquoi surtout il vent qu'elle se soit appelec du nom de Saint-Maurice. Le voici : On lit dans Jornandes que la campagne oil fut battu Allila s'appelait Calalaunique ou Mauricicnne : « Convenitur in campos Catalaunicos qui et Mauricii nominantur. » Ces cbamps Mauriciens, appeles aussi champs Catalauniques , s'accommoderaient parfaile- mentbien, il fautenconvenir, du voisinagedeLaCheppe et du camp d'Attila, si Ton parvenail a demontrer que, pour une raison ou pour une autre, ce territoire a pu porter le premier nom. Le voisinage d'une chapelle que Ton dit avoir ete dediee a saint Maurice suffit-il pour justifier cette proposition? Comprend-on bien, d'ailleurs, la phrase de Jornandes en appliquant ce qu'il dit de la bataille a une portion du territoire — 30 — Catalauniquc? N'est-il pas evident, au contraire, par la contexture meme de cette phrase , qu'il a en- tendu donner a un meme lerritoire , et a tout ce territoire, les deux noms, et que cbez lui champs Mauriciens ou champs Catalauniques sont une meme chose? S'il en elait aulrement , pourquoi le meme ecrivain , continuant son recit, indiquerait-il l'elen- due du pays , mais pas de deux pays, et donnerait-il de cette etenduc des mesures qui conviennent assez a la Champagne tout enliere, pas du tout a la portion indiquee par M. Savy ? D'ailleurs , est-on hien sur que Jornandes n'a pas voulu ecrire Mauriaci comme Gregoire de Tours , comme Fredegaire el l'auteur de la Vie de Saint- Aignan, que M. Tourneux, sinon M. Savy, parait avoir consulles? — Mais que faire de ce Mauriacus ? — Ouoi ! parce que vous en serez embarrasses , et qu'il rendra vain cet echafaudage a grands frais eleve d'une chapelle dediee a saint Maurice , oserez-vous dire que la ou on lit ainsi. il y a faufe de copiste? Ne craindrez-vous pas que Ton relorque Targument conlre vous? Pourquoi, force que vous etes d'avouer que quelqu'un s'est trompe , ceux qui ont ecrit Mauriaci ou ceux qui lisent Mauricii , donneriez- vous tort aux copistcs de Fredegaire, etc., plutot qu'a ceux de Jornandes ? Mais ce n'est pas aux copistes des historiens que je viens de nommer que s'en prend M. Savy , c'est plutot aux historiens eux-memes, qu'il pretend avoir cmprunte maladroitement ce Mauriacus a Isidore de Seville. Quant a ce dernier , M. Savy ne lui en veut pas , hien au contraire , en depit du Mauriacus qui lui 31 deplail. Suivanl M . Tourneux, que M. Savy veut croirc sur parole , saint Isidore aurail ecrit que la bataille s'est donnee dans la plaine de Mauriac, a trois lieues de Chalons : « Ubi Mauriacus campus Iribus lends Catalauno abest. » Est-il rien de plus concluant? Peut-on indiquer d'une facon plus pre- cise les environs de La Cheppe , et ne doit-on pas des egards a un ecrivain qui sert si bien la cause qu'on defend? En general , quand on cite les paroles textuelles d'un auteur, il n'y a qu'a s'incliner : un temoignage aussi formel semble exclure la possibilite d'un doute. Pourtont il y a des gens qui n'acceplent pas de confiance ce qu'on leur dit, et qui veulent qu'on leur montre dans l'auteur memo les preuves que Ton met en avanl. Cettc difficulte , M. Savy l'a bien vue , il semble meme y avoir reflechi un instant , avant de passer outre. Mais comment faire? M. Savy n'a « pu trouver l'edition ou so trouve cette citation ; cclles qu'il a consullees se bornenl a dire que la bataille s'est donnee dans les plaines Gatalauniques ( tex- tuel). r> Je voudrais , quant a rnoi , lui procurer cette edition impossible , ne fut-ce que pour epargner a Grosley , auteur , comme on sait, de Recherches qui fixent pres de Troyes le lieu de la bataille , l'ac- cusation (page 104) « d'avoir passe sous silence I'historien Isidore de Seville. » Qu'importe, me direz- vous, si Isidore de Seville ne dit rien ? Passons done. Ce reproche, du reste, adresse a Grosley par M. l'agent- voyer n'est pas le seul dont nous ayons a le defendre. D'abord il a copie dans Jornandes Mauriaci an lieu de Mauricii. C'etait deja , vous vous le rappelez , le — 32 — crime de Gregoiie de Tours el de Fredegaire; Groslcy est done en assez bonne compagnie. En troisieme lieu , on reproche a Grosley « de n'avoir pas traduit fidelement l'opinion d'Adrien de Valois. 0 Celte accusation de la part de M. Savy sem- ble indiquer qu'il croit avoir trouve dans Valois un auxiliaire utile. Voyez cependant si Valois ne dit pas netlement que .lornandes ne merite pas la confiance entiere de M. Savy ; s'il ne prefere pas a eel Italien, Fredegaire, dont lui, au contraire, fait bon marchej Fredegaire qui elait Francais et qui connaissait les localites ; s'il ne dit pas que Mauricii est une mau- vaise lecon , et que Mauriaci est la bonne ; s'il ne plaide pas clairement pour Mery; si, contrairemenl a ce que lui fait dire la traduction de M. Savy , son opinion n'est pas qu'il y a eu un leger engagement dans les champs Mauriaques ! A l'endroit indique de la Notitia Galliarum, edition de 1675, page 324, nous lisons ce qui suit : « In eo a Frcdegario dissenlio, quod in compis Mauriacis leve aliquod prcelium fac- tum inter Romanos et Attilam.... esse puto. » C'est bien de lui-meme que parle Valois ; il y a puto , et non putat. Valois continue : « At paullo post in campis Catalaunicis directa acre pugnatwn.... » On doit croire que, danscette parlie de la phrase, M. l'agent- voyer a compris son nutcur. Pourlant est-il bien sur que directa acie signifie « l'armee ayant ele dirigee de ce cole? » J'ai beau me representer qu'on ne peut traduire plus mot a mot, que le tour employe est le plus pres possible du latin, involon- iairement, je me rappelle cet endroit de Virgile : — 33 - et campo stetit agmeu aperto, Directfeque acies (1) ; et ceux-ci de Veil. Paterculus : « Pugnatum stvpe di- recla acie, scepe in agminibus (2); » — « Direda quoque acie feliciter fundi (3) ; » que les diclionnaires et les traductcurs s'uecordenl a rendre comme s'il y avait acie instruda. Apres tout , Valois ne serait pas trop deraisonnable de dire qu'apres un petit combat dans les campagnes Mauriaques, il s'etait livre une grande bataille dans les champs Catalauniens ; car c'esl ainsi que les faits sont rapportes par saint Isidore, e'est aussi 1' opinion qu'a exposee dans ces derniers temps M. Am. Thierry (4). Tout ce monde doit-il avoir tort aupres de M. Savy ? (I) Ceorg Il,28t. (•2) Histor lib. II, C. 47. (a) Lib. II, c. 96. (4J M. Peigne-Delacouit, daus un spleudiile ouvrage paru depuis que nous ecrivions ccs lignes ( Recl.erches sur k lieu de la bataille dAltila en t5l , Paris, i860, in-i"), s'atlache a prouver que les en- virons de Mery out etc le theatre des faits memorables dont i) est ici question. II aduiet aussi deux batailles, mais, a la difference de Valois et de M. Am. Thierry, il pense que toutes les deux out ete Iivrees sur les bords de la Seine. Joinandes lui sert de guide dans l'examen du terrain , et Ton doit convenir que de fortes presomp- tions resultent en faveur de son systeme. Toutefois, si les raagni- fiques aruies trouvees a ['ouan sout ceitainement eelles dun chef inhume en ce lieu, si ellessont digues d'etre companies a eelles de Tournay, pour la richesse et pourle style, il est perrais, neanmoins, de desirer d'autres preuves pour demontrer qu'elles ont bien la provenance que leur assigne le laborieux et consciencieux archeo- logue. Le Musee de Reims renferme des debris provenant de la depouille deplusieurs chefs merovingiens ; et ces debris , tout incomplets qu'ils sont , n'ont guere moius de magnificence que les trouvailles de Tournay et de Pouan. Nous ne cioyous pas pour cela pouvoir les attribuer a des rois. xxx. 3 Grosley est accuse d'un quatrieme crime, qui est d'avoir mal traduit ce passage de Fredegaire ( 1 ) : « Hunni repedanles Trecassis in Maitriacensi consi- dent campania. » Cela , dit M. Savy, signifie qu'ils revenaient de Troyes, el non a Troyes ou par Troyes. Pourtant il m'avait semble jusqu'ici que Trecassis etait un genitif singulier, et non pas un ablatif plu- riel , et Valois parait etre de mon avis, car, en citant ce passage , il place une virgule entre repedantes et Trecassis. Valois , me direz-vous , a pu se tromper ; Trecassis doit etre pris pour adverbe. Je le veux bien. Mais pour donner tort a Grosley comme a Valois, vous serez oblige de prouver que les auteurs du Moyen- Age n'ont pas employe cette forme pour signifier l'arrivee aussi bien que le depart ; que, par exemple, Mettis devenire ne signifie pas venir a Meiz, et reversus est Tungris , il revint a Tongres , et cela dans un auteur que vous pouvez connaitre , puisque vous le citez, dans Paul Diacre (2). J'ai hale de quitter ce champ de bataille si contro- versy et je voudrais faire quelques pas dans Pexamen du travail de M. Savy. Pourtant je trouve encore au passage un leger obstacle, une petite difficulte gram- maticale que je ne puis sauter sans y regarder a deux fois. Vaperlo Marie confligens d'Idace esl-il bien traduit en disant : altaquanl en rase campagne le roi Theodoric ? Jornandes semble tout expres donner a la merae idee un developpement plus complel, pour nous faire connailre nettement le sens de l'historien espagnol. « Conferuntiir acies utrceque fortissimo. (1) M. Savy dit ici Idace par erreur. (3) Ap. D. Bououet, Bee. des hist, de la Gmile, 1. 1", p. 650. — 35 — dit-il , nihil subreplionibus agitur, sed apcrto Marie certatur. » Les deux armees marchent a la rencontre Tune de l'autre; il ne s'agit plus des pillages qui avaient precedemment dissemine les Barbares depuis le Jura jusqu'a l'Ocean ; c'est une grande bataille , un combat en regie qui se prepare, et ce combat, a vrai dire , pouvait aussi bien se livrer sur une hau- teur ou dans une vallee que dans la plaine , « en rase campogne , » comme le dit M. Savy. Enfin, pour mettre un terme a cette malheureusc campagne de La Cheppe, M. Savy, a la derniere page de son livre , porte a ses adversaires un coup decisif, du moins il le croit. On trouve, dit-il, dans le Parallela gcogr. vet. et novce, ouvrage du P. Briet, jesuite, edition de 1648, tome Iei", page 472, au litre In Campania, le passage suivant:« J/i campis Catalannicis fluviolus est Vidula dictus ; is in pugna contra Attilam ita sanguine cre- vit, utcadavera in proximum fluvium deferret (Paulus Diaconus). Dans les plaines Calalauniennes , il existe un ruisseau appele la Vesle ; pendant le combat contre Attila , le sang repandu grossit tellement les eaux du ruisseau, qu'elles charriercnt les cadavres jusque dans la riviere voisine. » M. Savy intitule victorieusement cette note ainsi qu'il suit : Lieu oil se donna la bataille de 451 , d'apres Paul Diacre , qui vivait au IXe siecle. C'est d'abord au VlIIe qu'il aurait du dire ; car Paul Wanefride , diacre d'Aquilee , secretaire de Didier , roi des Lombards , naquit en 740 et mourut en 801. Mais ceci n'a pas precisement d'intcrel dans la question. L'imporlant est de trouver le passage nllegue. Car , si la Vesle est nominee el la Noblelle - 36 — aussi nellement designee, le proces est gagne pom- La Cheppe ; il n'y a pas merae lieu tie discuter ; on ne peut que se demander comment tant de gens qui se sont occupes de ces faits depuis Adrien de Valois jusqu'a M. Amedee Thierry, ont laisse echapper un passage de cette valeur , comment nous sommes ar- rives jusqu'a M. Savy pour en avoir connaissance. Cette particularity d'un ruisseau presque a sec, qui traversait la plaine et dont les eaux se seraicnt subitement grossies des flots de sang repandus dans le combat , est emprunlee a peu pres texluellement a Jornandes (1) ; il est surprenant que M. Savy ne l'ait pas reconnu , lorsqu'a propos d'un autre pas- sage de cet ecrivain , il a remarque qu'on y trouvait les details les plus minutieux sur la balaille. La seule circonstance dont ne parle pas Jornandes est celle de cadavres charries par les eaux et emportes jusque dans la riviere voisine. Cette ressemblance ne doit pas etonner, car l'ou- vrage de Paul Diacre oil se trouve une relation du combat de 451 , est une espece de centon , compose de lambeaux empruntes , au moins pour le fond , a divers auteurs. 11 fait suite a l'abrege d'Eutrope , dont il forme les livres XIe a XVIIR Au XVe , on lit ce qui suit : « Tantum est sanguinis cffitsum , ut parvulus, qui ibidem labebatar, rivulus, immodicus subilo torrens effeclus , eadavcra secum traheret per- emptorum. » (1) Voici le passage de Jornandes : Nam si senioribus credere fas est , rivulus memorali campi humili ripa prolabens , peremptorum vulneribus sanguine multo provectus , non auelus imbribus , ul solebat , sed liquore coneitatus insolito , torrens factus est cruoris augmento . — 37 — Je garantis a M. Snvy (|uc les editions les plus completes n'en disent pas davantage ; el il est peut- etre bon d'en fuire la remarque, car toutcs no ren- ferment pas la phrase que je viens de rapporler ; on pourrait , a la rigucur, la considorer comme une interpolation. Mais , quelles que soient , d'une part, 1'autorile personnelle de l'ecrivain , et de l'aulre, 1'aulhenticile du texte , il faut bien avouer qu'il n'y est pas plus question de la Vesle et de la Noblelte que dans Jor- nandes. II est clair, consequemment, que le P. Briet, rencherissant sur un recit deja amplifie par un autre, a pris sur lui de preciser les lieux : et c'etait plus , cerlainement , que ne lui permeltait sa qualite de geographe; de plus, que M. Savy , sur le fait qu'il voulait meltre principalement en relief, a pris l'as- serlion inexacle d'un ecrivain moderne pour le recit d'un hislorien contemporain on a peu pres. Ce n'est pas tout : eel auxiliaire raerae , lenu en reserve jus- qu'a la fin , lui fait defaut. En effet, que dit le P. Brict? « 11 indique posilive- ment que la bataille de 451 s'est donnee sur les bords de la Vesle. » C'esl M. Savy qui l'assure aprcs l'avoir traduit, et comme traducteur , il ne se trompe pas. Mais on connail le mot italien: tradutlore traditore ; or, si les auteurs ont souvenl a se plaindre des Iraduc- teurs, ceux-ci ont parfois de la peine a accommoder les auteurs a leur guise, surlout s'ils disent le contraire de ce qu'on croyait ou voudrait y trouver. M. Savy ne peu!. pas souffrir qu'on reporte la bataille si loin de La Cheppe ; il sc venge de sa traduction comme de son auteur par le commentaire que voici : « Le ruisseau , dit il , qui traversait le champ de ba- — 38 — taille s'appelle la Noblette ; c'est un affluent de la Vesle , et c'est dans cette riviere , que , grossi par le sang repandu dans le combat , il charriait les cadavres. » A la bonne beure ! voila les choses remises a leur place. Ce Pere Briet oubliait la Noblette, la Noblette qui coule a La Cheppe, la Noblette si necessaire a noire plan, ou plutot il la confondait avec la Vesle! Quant au cours d'eau plus considerable dans lequel se rendait la petile riviere, le fleuve enfin que le P. Briet ne nomme pas, et que peut-etre il croyaitetre l'Aisne, il faut que ce soit la Vesle, dut la ville de Reims s'enfler d'orgueil de voir ennoblir ainsi la riviere qui baigne ses murs. Mais alors ce n'est plus meme le sosie de Paul Diacre , ce n'est plus le P. Briet qui parle , c'est M. Savy tout seul. Le lecteur est bien force de s'en apercevoir, malgre la precaution de M. Savy pour ne pas faire remarquer l'opposition qui existe entre la preuve alleguee et ses deductions. Ce n'etait pas la peine, il faul en convenir , d'invoquer si hautement un temoignage que Ton devait soi-meme reduire a neant. En un mot, M. Savy ne peut pas s'imaginer avoir ferme la discussion par une argumentation aussi peremploire , et il faut bien qu'il avoue que la ba- taille de La Cheppe n'est pas plus pres d'etre ga- gnee pour lui qu'au moment ou il est descendu sur le terrain. Apres la dissertation sur la bataille de 451, M. Savy donne, sur un camp situe dans le voisinage de Vitry- le-Brule et de Vitry-le-Francois, des extraits d'une notice adrcssee en 1855 au congres archeologique de — 39 - Chalons, par M. Peslre. Cette enceinte, que l'auteur appelle camp des Louvieres , occupe un plateau eleve de 50 metres au-dessus des prairies, defendu d'une part par la Marne et la Saulx, de l'aulre par un re- tranchement ; il a la forme d'un losange irregulier et presenle les memes caracteres que les enceintes fortifiees d'origine gauloise dont nous avons parle. Ce nom des Louvieres , que ne mentionne pas la carte du depot de la guerre, et que M. Pestre era- prunte sans doute au cadastre , pcut fort bien s'en- tendre soil de pieges a loups , soit de repaires de ces animaux existant en cet endroit a une epoque plus ou moins reculee. Doit-il son origine a des cohorles romaines placees sous l'enseigne de la louve, comme le pretend cet archeologue? Est-on suffisam- ment autorise a l'admellre par l'exemple de Vitry, dont le nom, Victriacum , est regarde, avec quelque apparence de raison , comme du a une colonie de veterans provenant de la legion Victorieuse, Victrix ? N'est-ce pas se hasarder beaucoup que de chercber des origines semblables a toutes les denominations que Ton rencontre ? On peut regrelter au moins que M. Savy ne disc pas sa pensee sur ce point, et que les affirmations de M. Pestre n'aient souleve aucune observation de sa part. J'ai dit que M. Savy terminait son travail par une liste des lieux oil des objels antiques ont ete decou verts. Cette partie du Memoire n'a pas moins de quarante pages. Cost, a vrai dire, le Repertoire areheologique du department, qui, suivant le plan trace par M. le ininisire de I'lnstruction publique, doit etrc distinct de la Topographic et former une autre serie dans les — 40 — Iravaux demandes aux societes savantes. Ainsi l'ou- vrage de M. Savy est destine a remplir par anticipation les voeux du ministre pour le Repertoire dont nous pnrlons, en raerae temps que pour la Topographie ; fidele aux habitudes absorbantes que Ton cultive dans les chefs-lieux adminislratifs el aux pretentions cen- tralisatrices qu'a elevees depuis quelque? annees la societe dont il est l'organe , en celte circonslnnce , M. Savy a compris dans ce travail le department tout entier, et se borne a cette seule reserve en notre faveur dans Particle Reims : « L'Academie Imperiale de Reims ne manquera pas de repondre au desir du Gouvernement en lui adressant les ren- seignements les plus precis sur la topographie et l'bistoire de cette ville. » Ainsi , e'est bien la part du lion que s'est faite la Societe d'agriculture de Chalons- sur-Marne. Quelque honneur qu'il y ait pour nous d'occuper une petite place aupres de M. l'agent-voyer, a l'ombre , en quelque sorte , de la savante societe qu'il represente, nous ne pouvons user ici de la per- mission qu'il veut bien nous octroyer, et nous devons. reserver ce que nous avons a dire de Reims pour le travail particulicr que M. le ministre a bien voulu nous demander sur l'arrondissement. Nous comple- terons alors ce que M. Savy a cru devoir dire a tort ou a raison de cette parlie du departemenl. Pourau- jourd'bui, nous nous contenlerons de noter dans le restc de son travail les inexactitudes qu'il importe le plus de lui signaler. Le tombeau antique decouvert en 1750 a Brimont, ollribue a Phaiamond par les uns , par d'aulres a un pretre d'Hecate , prescnte tous les caractercs des — 41 — sepultures merovingienncs. Je dirai la meme chose de ceux qui nnt ete trouves a Dormans et a Sillery en 183*2, a Sainl-Elienne-au-Temple et a Laval en 1838 , a Vitry-la-Ville en 1845 , enfin a Scrupt et a Vieux-Dampierre. lis sortent consequemment de la limite fixee par le programme ministeriel et meme par le titre du memoire de M. Savy : il devait n'en rien dire , ou du moins avertir de leur nature. II eiit pu remarquer, par exemple, que, d'apres lui-meme, certaincs monnaies appartenant a la decouverte de Laval dataient du VIe siecle. A l'article Chalons-sur-Marne , M. Savy place l'his- torique d'une decouverte faile en 1 836 pres de Chalons, dans une contree appelee le Mont-Lampas ; il em- prunte sa notice a la Chronique de Champagne , tome Ier, ou pi u tot au Journal de VInstitut historique, d'ou les redactcurs de la Chronique I'ont extraite. Mais presentee a la maniere de M. Savy , elle prend un sens que ni les redacteurs de la Chronique, ni ceux du Journal de VInstitut historique n'ont entendu lui donner. Je ne parle pas des details eux-memes qu'il a maladroitement abreges. Mais il change le lieu de la decouverte , et la plagant a l'endroit appele vulgai- rement le Mausolce , il insinue par la que les ohjets trouves font partie de la sepulture presumee de Lam- pas. Pourtantles deux journaux cites disent en propres termes : « La contree dans laquelle on a fait cette decouverte se nomme Mont-Lampas , et a cent vingt metres de cette contree, est un lieu nomme vulgai- rement le Mausolec. h — Le moindre tort de ce deplacement est d'etre inexact. Ce que j'y trouve a blamer principalement , e'est la consequence que j'ai signalee; et cette consequence, M. Savy l'aggrave a — 42 — plaisir par un tout petit changement dont il n'a pas vu lous les inconvenients. o Larnpas, ndisait la Chro- nique, est le nom d'un chef remois que les vieilles chroniques chalonnaises (1) font vivre en Van 42 de notre ere. » Cette qualite de chef remois fait reflechir M. Savy , et n'imaginant pas qu'on puisseainsi parler d'un gouverneur romain residanl a Reims , il croit retablir les faits dans leur verite en ecrivant que Lampas vivait 42 ans avant notre ere. Or, comment cela se peut-il , quand, suivant M. Savy lui-meme , on trouve dans la sepulture de Lampas des monnaies d'Auguste et de Tibere? Ce dernier naissait la meme annee ! Un peu plus has, enumerant divers objets trouves a Chalons, aujourd'hui en la possession de M. Gari- net, il mentionne une Venus celtique. — S'il avait dit gauloise, encore passe, en donnant a cette deno- mination le sens de gallo-romaine : mais le mot celtique exclut toute action venant de Rome , exclut principalement toute transfusion du polylheismc ro- main : une Venus celtique , en un mot , n'a pas de sens dans le langage archeologique. Je passe sur les etymologies au moins douleuscs des noms de la butte de Sarran et du village de Congy, que M. Savy rapporte sans les disculer , et j'arrive a Damery. Je n'ai, du reste, qu'une observation a faire par rapport a cette localite. G'est que les objets decrits dans la notice de M. Hiver, ancien substitut a Reims, et provenant d'un atelier monetaire , ont ete en grande partie recueillis par M Lucas-Dessain et (1) C'est-a-dire dans les Acles du marlyre. de saint Memmit, — 43 — donnes par son fils au Musee de Reims, ou M. Savy aurait pu les visiter. Le dessin que M. Savy a publie d'apres celui de la Chronique de Champagne, sans faire connailre cet emprunt (1), ne pouvait que gagner a cette visite. Enfin, parmi les monuments gallo-romains qu'il a remarques a Reims, M. Savy nomme « le bel arc de triomphe , dit Porte-Mars , eleve a Jules Cesar. » C'est ainsi qu'il s'exprime. Or, a Reims, on a toujours dit, en parlant de ce monument , Tare de la Porte- Mars et non pas la Porte-Mars. II ne pourrait venir de doutes au sujet de notre observation qu'a ceux qui s'imaginent que les noms actuels des portes de Reims ont une origine romaine. On a les preuves du conlraire pour celles de Ceres et de Dieu- Lumiere; quelque jour aussi, peut-elre, on parvien- dra a expliquer pareillement cc nom de Porte-Mars, sans remonter aussi loin qu'il a semble necessaire jusqu'iei , et sans supposer, comme l'ont fait Marlot et la plupart de nos hisloriens, que , porte originai- rement par l'arc de triomphe , il a ete transmis de- puis et comme par heritage a la porte voisine. Quant a l'attribution de l'arc de la porte de Mars a l'epoque de Cesar, tout le monde sait ce qu'il en faut penser. M. Savy cependant parait 1'admettre sans hesitation. Nous terminerons l'examen de la derniere partie du travail de M. Savy par une remarque generate. Pour dresser la lisle des antiquiles decouvertes dans les diverses localites du departement , 1'auteur a (1) Les details et le dessin de l'aqueduc de Joncucry a Reims sont empruntes a la meme revue publiee a Reims. — u — compulse la plupart des recueils et ouvrages recents, YAnnuaire de la Marne, et particulierement les com- munications de MM. Lacatte-Joltrois et Povillon inse- rees dans celte publication, la Chroniqne de Cham- pagne, les Travaux de V Academic dc Reims (1), qui pouvaientle renseigner sur la plupart des decouvertes failes depuis environ quarante ans. Celles qui remon- tent a unc epoque plus reculee ne sont pas mention- nees dans son memoire ; elles nepouvaient, du reste, lui elre fournies que par des ouvrages qu'il est difficile de lire tous et meme de se procurer. II en est cependant qui doivent etre connus a Chalons aussi bien qu'a Reims , et qu'il aurait pu consulter davan- tage: tels sont YHistoire de Sainte-Menehould de CI. Buirette, on il a pris a peu pres lout ce qu'il dit de Vienne-la-Ville, mais qui pouvait lui fournir encore d'excellents renseignemenls , notammenl sur le pagus Stadunensis; la notice hislorique qui precede les Cou- tumes de Vitry-le-Francois, parCh. de Salligny, ou il aurait Irouve des details sur les antiquites de Vitry-en- Pertois, chef-lieu d'une partie tres-importanle du de- partemenl qui prit son nom , le pagus Pertensis. Mais il ne suffisait pas de savoir quelles etaient les sources a consulter et de reunir tous les elements qu'on pouvait y puiser. Une connaissance plus ap- profondie des choses qui doivent guider dans ce genre d'etude , un esprit de critique plus sur de lui-meme , plus accoutumc a la discussion , eussent premuni l'autcur contrc les indecisions et les inexac- (!) Nous n'avons pas besom de faire remarquer que c'est !a meaie ville qui a fourni a peu pros tous les renseignemenls recueillis par M. Savy. — 45 - tiluJes nombreuses que nous lui avons reprochees. Nous avons cepcndant signale dans son ouvrage plu- sieurs parlies dignes d'eloge , et pour etre juste envers lui , nous devons reconnailre encore qu'il elait difficile de faire quelque chose de parfait avec le peu de ressources qu'il parait avoir eues entre les mains. S'il n'a pas reussi plus completement dans ce premier jet , c'est du moins beaucoup que d'avoir essaye. Une revision faite avec soin et l'aide d'hommes eclaires sur ces matieres, tels que ceux qui composent la commission speciale du ministere de l'instruction publique , pourra donner a ce memoire le caractere d'autorite que doit avoir un document destine a for- mer la base de l'liistoire et de la geographic de notre contree. Reims , 23 Decembre 4859. — 46 — REIMS PENDANT LA DOMINATION ROMAINE , d'apres LES INSCRIPTIONS, par M. Ch. Lohiquet, membre (itulaire. AU LECTEUR. Reims a occupe le premier rang parmi les villes de la Gaule : les preuves de son antiquite et de son im- portance abondent, et pourtant les commencements de son histoire sont presque inconnus. Comme la Grece, comme l'ltalie, la metropole des Remois a son epoque fabuleuse, et par dela cette epoque , pendant de longs siecles encore , soit avant la conquete , soit pendant la domination romaine , une partie de ses annales, probablementla plus glorieuse, est enveloppee d'obscurites que n'ont pu dissiper jusqu'ici la perse- verance et la sagacite des Bergier, des Marlot et des Lacourt. Leurs travaux seront toujours les premiers guides de ceux qui voudront etudier l'etat de notre cite a ces epoques reculees , et notamment le role qu'elle a joue dans la Gaule; mais il ne faut pas leur demander des renseignements bien complets et sur- — 47 — tout bien precis; its ont laisse indecis et, pour ainsi dire, a l'elat de presomptions el d'apparences une foule de fails auxquels une etude serieuse, attentive, minulieuse merae pourra seule donner la consistance et la certitude historiques. Le sol antique de notre ville n'a pas encore ete assez remue , les debris de l'ancienne civilisation n'ont pas ete recueillis avec assez de perseverance , analyses avec assez de soin , pour que nous n'esperions pas y trouver des elements nouveaux qu'aucun temoignage ecrit ne saurait nous donner. Si le concours ouvert,il ya quelques annees, par l'Academie (1), et qui avait pour objet l'histoire de Reims a l'epoque de la conquele par les Romains, n'a pas eu le succes espere, si les tentatives qui ont ete faites depuis (2) n'ont pas beaucoup mieux reussi, c'est que les preuves materielles de celle histoire ne forment pas encore un ensemble assez imposant. Celte etude des details et, pour ainsi dire, sur pieces, la seule capable d'amener un jour a des resultats solides, est heureusement aujourd'hui la plus en vogue dans toules les branches de l'histoire. Le Gouverne- ment lui-meme en a senti l'importance, et il vientde l'encourager puissamment, en ordonnant, d'une part, de recueillir les monuments epigraphiques epars sur le sol de la France ou dans les musees ; et de (1) En 1813. M. L. Paris a public, a cette occasion : Durocort, ou les Remois sous les Romains, par J. Lacourt. (Reims , Jacquet, 18U, in 18.) (2) Memoire sur les origines civiles de Reims, adresse a l'Acade- mie par M. L.-W. Ravencz. Plusieurs inscriptions y ont ete rapportees d'apres les copies que nous avions communiquees a l'auteur. Elles ont ete reproduces egalement dans l'lntroduction des Recherches sur les origines de VEglise de Reims , par le meme. (Reims, Gerard, 1857, in-8°.) - 48 — l'autre, de conslaler l'existence des voies qui reliaient les anciennes cites ct des edifices dont les traces, nombreuses encore, quoicjue incessamment exposees a tous les genres de destruction, temoignent de leur importance , dc l'abondanee qui y regnait et de l'e- clat qu'y avaient le commerce et les arts. De toutes ces etudes , celle des inscriptions n'esl pas la moins aride ni la moins penible ; mais leur bonne interpretation jette souvenl sur des points obscurs unelumiere inesperee. On y trouve des temoi- gnagesdes institutions primitives que les villes avaient conservees , de celles que la conquete y avait intro- duces, des modifications que la civilisation romaine avait apportees aux moeurs, aux usages, au culte meme. Elles procurenl les indications les plus diverses, des dates, des noms de personnes et de lieux ; elles revelent ou expliquent des faits generaux ou particu- liers dont l'bisloire ne peut manquer de faire son profit, ou plutot qui deviennent sa base la plus cer- taine, puisque la fidelite de pareils documents ne peut etre contestee. Enrassemblant ici les inscriptions qui se rattachent a l'hisloire de Reims avant le Moyen-Age, nous aurions bien voulu que notre recueil repondit a 1' importance de celte ville. Malheureusement , le butin que nous apportons estassez pauvre, surtout si on le compare avec les trouvailles en objets d'art , en meubles de la vie ordinaire , en monnaies , avec les traces nom- breuses de voies anciennes, de murailles , d'edifices meme considerables que chaque jour, pour ainsi dire , met en lumiere sur le sol de l'ancienne cite gallo-romaine. - 49 - On a pu remarquer avec ctonnement (1) que Van- tique cile de Reims, la melropoled'une vasle province ccclesiaslique, n'a fourni que deux on Irois monu- ments au recueil dcs inscriptions chreliennes de la Gaule anterieures au VIII? sieclc, el que pas une n'a pu etre conservee jusqu'a nos jours. On verra que les monuments epigrapliiques civils ou pa'i'ens d'unc an- tiquile plus reculee n'y sonl pas beaucoup plus abondanls. Sans prelondrc expliqucr celte rarete relative des monuments epigrapliiques de Reims, je crois devoir faire remarquer que les inscriptions les plus recem- ment reeueillies se trouvaient reunies sur un seul point des anciens murs de la ville, el faisaienl parlie, avec Tare de triomphe de la porte de Mors, de 1'en- ceinlc du chateau des archeveques dit chateau de Mars. Tout porte a croire qu'apres les invasions des Barbares, les murs de la ville furcnt reedifies avec des maleriaux empruntes aux edifices antiques qui depassaicnl leur enceinte el dont les dehris couvraient le sol. Or la seule partie vraimenl anciennc de ces murs qui soil restee dehout jusqu'a nos jours esl celle dont nous parlous; lc resle a subi lanl de rema- niemcnls succcssifs, qu'il n'y a pas lieu de s'etonner si, parmi leurs maleriaux cent fois remues , el, pour ainsi dire, emietles, il s'est rencontre peu de frag- ments antiques. Quoi qu'il en soil, la plupart des monuments epi- (I) Inscriptions chretiennes de la Gaule anterieures att Fill" Steele, par Edmund Le !Sla:\t, t. I'\ XXX. — 50 - graphiques que nous allons rapporler sont precieux, el i! y en a d'inedils. Le peu (1'importance de l'en- semble nous dispensera de les classer bien rigoureu- sement. Mais nos explications, en nous entrainant dans l'etude de fails peu connus ou contesles, ont pris quclquefois les proportions d'une dissertation , de maniere a donner a cc travail une elendue qu'il ne paraissait pas comporler. Nous l'avons done, pour plus de clarte, divise ainsi qu'il suit : I. Culle paien ; II. Elat politique; gouvernement de la cite; III. Etat militaire ; IV. Voies et commerce ; V. Monuments divers ; VI. Inscriptions funeraires ; VII. Marques de fabriquc. Malgre les developpements que nous avons donnes a ce memoire, on aurait tort d'y chercber une bis- toire complete de noire ville a l'epoque indiquee. Tout en traitant de beaucoup de cboses, nous avons du negliger bien des points, meme des plus impor- tants. Notre cboix a ete commande par les inscrip- tions clles-memes et par l'obscurite qui regne sur l'ordre de fails auquel elles apparliennenl. Une fois engage dans un sujet, nous n'avons pas craint d'en pousser I'examen aussi loin qu'il etaitnecessaire pour donner a nos rechercbes le degre d'utilite qu'on doit — 51 toujours envisager dans lcs travaux tic cctle nature. Nous esperons avoir ainsi prepare des maleriaux pour ccux qui voudront enlreprcndre une hisloire serieuse el veritable de notre cile. Ilelait nalurel d'v comprendre lcs localiles aujour- d'hui separees de Reims par la division administrative. Mais nous n'avons pas cm devoir aller au-dela ; ct si nous parlons, par exemplc, de quelques inscriptions qui appartiennent an Soissonnais, cc ne sera qu'in- cidcmmenl ct a litre d'eclaircissement. Nous avons a dessein laisse de coteles details topo- graphiques, tout aussi bic-n que la description des monuments ct des decouverles d'ori°ine oallo-ro- mainc appurtenant au pays, (jui ne se rattachaient pas a nos inscriptions. Suivant le plan trace par le minisire de 1'inslruction publique el des eultes pour l'etude de la Gaulc, ils doivent etre l'objet d'une elude speciale confiee au zele de l'Acadcmie imperiale de Reims. G'est pour nous conformer au meme programme que nous avons place ici quelques inscriptions cbre- tienncs, en nous arretant, autant qu'il nous etait per- mis d'en juger, a la limite prescrilc. Les inscriptions du Moyen-Age , a partir du Ve siecle , formeront une secondc partie de noire recueil. Nous ne finirons pas ccs ligncs sans remercier M Leon Renier, del'Inslilut, des conseils qu'il a bicn voulu nous donncr sur divers endroits de noire me- moire. La bibliotbequc de Reims lui a ete utile dans scs premieres etudes ; il s'en est souvenu en reccvanl — 52 — les communications du conservateur actuel, et ii a voulu payer gracieusement, au profit dece dernier, ce qu'il croyait devoir a la bibliotbeque comme a la ville qui avail abrite ses jeunes annees. 15 Oclobre 1859. 'ARDV1NNE * CAMVLOMOVI * MERCVRIO » HERCVLI MQVARTINIVS'M F ' CIVES* vTABINVS a REMVi" MILES'COH'VII'PR' ANT ON IAN E » PWLS % 6. ^\ T, AA 0 T ^"/^ r V v O- "N. V \r (, 1 A, n (• 2. Fiji 5. NVM-AVC-DEOAPO LUNIPAGOVENNECTI PROSCAEN1VM1M A GIVS^SECVNDVSOO NOD ESVCVMD EDIT' SAMORIXLIAMARI F- RE/nVSEC^ALALONGINI ANAANXXX1 ^STIPENXIl H ""' S ETSINGV3 — 53 — I. GULTE. 1. ARD01NNE SATVRNO M IOVI - MERCVRIO - IIERCVLI M • QVARTINIVS-M ■ F C1VES SARINVS - REM VS MILES -COHvTl • PR-ANTONIANEP V V LS- Fig. 1. « A Arduina (Diane) , a Saturne et a Mars, a Jupiter , a Mercure , a Hercule , Marcus Quartinius , fils de Marcus , citoyen de la Sabine, r&nois, soldat (fantassin) de la VII8 cohorte pretorienne Antonine, Pieuse, Vengeresse, accomplit le vceu qu'il avait fait [Piae Vindicis Volvm Libens Solvit]. » Gruter , 40 , 9 ; — D. Martin , Religion des Gaulois , t. I , p. 486; — Fabretti, lnscr. Domest. emendationes Gruteriance, p. 1 ; — Kellermann, Vigil. Rom., n° 168 ; — Orelli , n° 1960; — Henzen , Supplem. Orellian., p. 168. Ce monument appartient au musee Vatican; il.est en marbre et porte , entre la premiere ct la deuxieme ligne de l'inscriplion , les statues en bas-relief des diviniles donl celle-ci conlient les noms. — 54 - Avant de parler de ccs stalucs, nous devons dire qu'on n'est pas d'accord sur lc monument. 1° Gruler, Montl'aucon , D. Martin l'onl public tel que le reproduil noire planche , avec la figure de Diane Gauloise (1) a la gauche, et au-de^sous le nom ti'Ardoinne qui lui est particulier dans les Gaules el qui rappelle la forel des Ardennes, empire naturel de la deesse de la chasse dans noire contree; enfin, avec le nom gaulois Camulo donne a Mars. 2° Fabretti, venu ensuite, pretend qu'on doil lire : Satvrno Marti; il ajoule que Saturne est arme d'une faulxetqueMercure tient une bourse a la main gaucbe. 3° Kellermann ecrit : Satvrno Mavli, comme si le dernier mot elait incomplet des dernieres letlres. •4° Orelli presentela correction de Fabretti comme portant sur le mot Camvlo; a l'entendre, il faudrait laisser Arduine avec la figure de Diane, et les deux noms de Saturne et de Mars devraient s'appliquer a un meme personnage qui serait le second du monu- ment. II s'en lienl neanmoins a la lecon de Gruter et de Ligorio, laquelle fait concorder des noms de divi- niles gauloises avec la qualite de Rcmois qu'ils sup- posent a l'auteur de Vex voto. 5° M. Henzen, enfin, dans son supplement au recueil d'Orelli , dit avoir vu le monument et nous assure qu'il porle bien Satvrno Marti , comme l'avait avance Fabretti ; le nom d'Ardoinne lui parait avoir etc in- troduit par Ligorio pour donner une deesse gauloise a ce Quartinius gaulois ou remois ; mais il soutient que le mot Remus, qui qualifie ce personnage, est un sur- (1) Une statuette en bronze trouvec aReimsen 1851, et offerte au Musee de la ville parM. Doublie, presente al*solument les memes caracteres que celle de ce monument. — 55 - nom et non pas un adjeclif elhnique : « Ardoinnam Ligorius videlur introduxisse , ut gallicam deam Remo gallo adjungeret ; at Remus cognomen est hominis. » Lequel croire de lous ees temoignages? Le plus imposant semble elre le dernier, car M. Henzen parle apres avoir vu. II est d'ailleurs a peu pres d'accord avec Fabrelti, qui parait avoir eu pareillementle mo- nument sous les veux ; du moins les remarques faites par ce dernier sur les statues de Salurne el de Mercurc le donnent a penser : el cependant, s'il y a vu assez dislinctcment pour distinguer ce que portait Salurne, on aurait le droit de lui demander comment il a pu prendre la main droite pour la gauche, quand il s'esl agi de Mercure. Cette observation sur la fidelite du lemoignage de Fabrelti en suscite une plus generale , qui cependant s'adresse plus specialement a M. Henzen. Peut-on admeltre que, dans la representation plusieurs fois publiee de ce monument, on ait subslitue et conserve unefigure au lieu d'une autre? Doil-on regarder comrae irrecusable un temoin qui nous parle d'un change- ment dans les noms, et qui n'a rien a dire d'une fraude bien plus grave, si elleestvraie, celle dont une figure aurait ele l'objet? Se Iromper ou tromper son lecteur sur un mot d'une inscription, c'est peu de chose, on en conviendra , a cote de la substitution d'une figure a une autre dans un monument. Or, si Ton ne nous apprend pas d'une maniere positive que la figure de Diane doive etre remplacee, nous sommes en droit de supposer que le change- ment indique s'applique a la deuxieme figure , et qu'ellc doit porter les deux noms de Salurne et de - 56 — Mars, au lieu tie Cam-ulus. Tel esl ,- il ne faut pa-s l'oublier, l'avis d'Orelli ; c'est peut-elre aussi celui de Kellermann, qui abrege la legon et ecrit : SalvrnoM. Car, pourquoi cette abreviation, si le dernier mot avail du s'appliquer a une figure , a un dieu different du premier? Que si cello confusion, ou plulot , Ran., v. 557. — Callimaque, in Dian., v. U8, 160 et seq. — Ateieinee., X. — Anthologie, IV, 8, eprgr. 13.— Li Antick. di Ercola>io, vol. U, p. Ti et 81. — 57 — mot de Tin scrip I ion , de cc qu'elle conlienl de plus gaulois pcut-etre. Remus est un surnom, dit M. Ilen- zen (1) : « Remits cognomen est hominis. » Assure- ment, si un nom pout elre regardc commc elant d'origine Inline, e'est celui-la ; ct le pcrsonnage qui le porlerait ne pourrait guere plus etre revendiquc par la cite des Remi que le frere de Romulus, quoi qu'en pusscnt penser Bergier et les autres hisloriens des origincs fabuleuses du pcuple remois. Mais nous nevoyons pas sur quoi se fonderait une pareille deci- sion au sujet du soldat de notre inscription. Est-ce qu'il ne pouvait elre citoyen de la Sabine el Remois de naissunce? Hislori(|uemenl parlant, rien ne s'y oppose. En est-il aulremenl au point de vue cpigra- phique? Est-ce la contexture de l'inscription qui em- pecherait d'adopter cc sentiment? Je sais bien que le nom de la tribu , quand il est exprime, se place apres la filiation et avant le surnom ; mais le cives sabinus que nous avons ici peut-il elre considere comme un nom de tribu, comme son equivalent, du moins, par rapport a la place qu'il doit occuper? Je ne le crois pas, je ne connais meme pas d'exemple de surnom place apres le nom etbnique , ainsi que M. Ilenzen le voudrait ici. Par tout ce qui precede on reconnaitra, nous l'es- perons, notre entiere bonne foi. 11 ne nous coutc rien, du resle, de le declarer : des lors qu'il ne nous elait pas clairement demontre que cctte inscription ne de- vait pas avoir place dans notre recucil, nous avons mieux aime l'y mainlenir^ quoique douleuse, que de la rejeler sans discussion ; des lors aussi, nous de- {Vy Telle est aussi l'opinion de M. L Renier, - 58 - vions l'accompagner des explications propres a nous justifier, mais avec les reserves cependant que com- mandent les auloriles qu'on nous oppose. La forme malerielle de noire inscription donne lieu a peu de remarques. Nous y voyons Ardoinne au lieu de Ardvinae, qui est plus ordinaire; cives, au lieu de civis. Pour les sigies de la derniere ligne, nous avons choisi la lecon generalement adoptee ; on pourrait lire egalement : Pro Vt Voverat; Fabretli lit : Practoris Vrbis, mais nous ne croyons pas qu'on puisse s'arreter a cette legon , surloul en l'absence du nom de la ville. Les observations qui vont suivre seront plutot his- loriques ; elles supposeront admise l'hypotbese que les explications precedents lendent a justifier. Le personnage qui fait l'objet de l'inscription s'in- litule citoyen de la Sabine. 11 avait sans doute acquis cetle qualite en servant dans le corps pretorien qu'il nomme (1) et qui avait recu des terres a partagerdans cette contree de l'ltalie. Souvent, en effet, ceux qui avaient appartenu a ces corps favorises, recevaient (I) M. Ravenez (loc. cit.) traduit: « soldat de la V cohorte de la lre legion Antonienne ; » puis il ajoute: « II parait que sous la domination romaine, la lr" legion se recrutait a Reims. » Nous ne releverons pas toutce qu'il y ad'inexact dans cette facond'interpre- ter notre inscription. Nous i'crons remaiquer : 1" que le mot legion n' est pas exprimeet qu'il n'y a pas d'exeniple oil il soitsous-entendu ; par consequent les lettres PR ne peuvent signifier premiere. 2° II faut lire Antonine, etuon pas Anloniane, et il est certain d'ailleurs qu'il n'y a jamais eu de legion qui ait porte le nom d'Antoine ; des lors que nous sommes a l'epoque des Antonins ou apres leur regne, il n'y a pas a s'etonner qu'il s'agisse ici d'un corps de cavalerie pretorienne place en dehors de l'organisation des legions: il u'en eiit pas ete de meme a l'e;poque d'Antoine, ou chaque legion avait sa cohorte (lite pretorienne. - 50 - des recompenses du memo genre, et c'est ainsi qu'un grand nombre do Gaulois s'etaienl etablis dans la Peninsule, particulieremcnl dans la Sabine, comme le prouvent d'autres rnonumenls. Le culle deja modifie des dieux de la pa trie les accompagnail dans lcur nou- velle residence,, el des rnonumenls du genre de celui qui nous occupe, perpeluaient dans l'ltalie des types et des noms diffcrents de ceux des divinitcs pure- men I romaines. On a disserie beaucoup sur 1'ancien culte des Gau- lois, mais il reste beaucoup a dire aussi sur les trans- formations qu'eprouva ce culle apres la conquele. Les auteurs latins presentent une foule de particii- lariles quiclablissenl l'assimilalion du culle des Gau- lois, comme de leurs usages et de leurs institutions civiles, au culle, aux usages et aux institutions de Rome; mais comment et par quels degres s'est operee cetle assimilation? jusqu'a quel point a-t-elle ete complete? a quelle cpoque est-elle arrivee a son par- fait developpement? dul-elle davantage, en fait, a la politique qui portail particulierement les Romains a identifier les divinites indigenes et nationales aux leurs, qu'aux desirs des Gaulois de copier leurs vain- queurs et de se rapprocher d'eux? On ne le sait pas encore. II est certain seulement que cetle fusion ne se fit pas sans efforts, quant a la religion , quoique Cesar prelendc que , de son temps , les Gaulois avaient sur Apollon, Mars, Jupiter, Minervc et les autres dieux, les memes idees que les autres nations (1). Vaine- (1) De Bello gall., lib VI, 17. — M. Alfred Maury a deja de- montre, ca cc qui concerne Apollon, 1' exactitude du temoigaage dc Cesar. (Revue archeoloy., Janvier 1860, p. 58.) — GO — nient Augusle et Tibere intcrdirent les sacrilices humains , Claude fut oblige de renouveler celte de- fense (1) ; et cependant les Druides conserverent leur influence dans les cites de la Gaule (2). Si leur aulo- rile dans l'ordre civil s'elait effacee, elle etait demeuree intacte a peu pres dans les choses de la religion, et principalement dans les doctrines philosopbiques. Au temps d'Aurelien et de Dioclelien, leurs superstitions elaient loutes puissantes (3) ; el meme a la fin du IVe siecle, sous les fils de Theodose, Ausone en parle encore dans des termes qui montrent la consideration dont jouissaienl les families de Druides, a une epoque ou l'idolalrie avait disparu de la Gaule. Ce fait seul indique quelles difficulles l'etablissement du culle romain dut renconlrer, et combien, au contraire, le christianisme dut trouver de facilites pour renverser les idoles, puisque les doctrines druidiques differaient peu au fond de celles du judai'sme, et par consequent aussi de celles des cbretiens. La transformation du culle pai'en dut elre beau- coup plus promple dans les villes soumises aux lois romaines. Cependant les ciles alliees de Rome ou seulement libres , qui se gouvernaient suivant leurs propres lois, suivirent cet exemple avec plus ou moins d'empressement et se soumirent volonlairement aux usages des vainqueurs. Les citoyens les plus puissants de ces cites adopterent bien vite le culle et les mceurs de Rome, et travaillerent aclivement a les propager , lorsqu'ils virent Claude appeler au senat des Caulois decores du titre de citoyens romains, lorsque leur (1) Scetone, Claud., 2i. — Pline, XXX, 1. (2) Tacite, Hist., IV, 54. — Strabon, IV, 198. (3) Voihscus, Aureliani et Nameriani Vita. - 61 — obsequiosite pour les vainqucurs dcvint un moyen d'arriver aux premieres charges dc l'empire. On voit par loutes ces reflexions l'interel qui s'alla- che aux monuments du culle paien dans les Gaules, et combien il importe de les etudier tous avec soin. Celui que nous venons de decrire apparlient a l'epo- que des Anlonins ; on pent inferer d'apres lui ce qu'elait le culte dans la Gaule, et particulierement a Reims, a celte epoque. Cinq des dieux de l'llalie , devenus ceux de la Gaule , y sont figures. Le choix qui en est fait parait indiqucr qu'on a voulu reunir les principaux dans un meme ex volo; cl sous des altributs un peu differenls , sous des noms meme particuliers a la Gaule , il est facile de voir que les divinites du culle romain n'eprouverent pas de bien grandes transformations en changeant de pays. Les monuments du culte pai'en trouves a Reims dans ces dernieres annees sont des plus importanls. Nous nous contenlerons de citer les principaux. En premiere ligne nous placerons le magnifique bas- relief trouve dans l'emplacement de la prison de Ronne-Semaine et qui represente Mercure et Apollon debout, aux coles d'une divinite dont les allributs et l'occupalion onl donne bien de l'embarras a ceux qui ont voulu l'expliquer, et qui me parait etre Cer- nunnos (1) ; puis les autels a Mercure, a Jupiter et a Vulcain, que Ton voyait encore, il y a quelques mois, dans un corridor de l'holel-de-ville, et qu'on en a (1) Des savants veulent que ce soit Esus. Le rat qui orcupe le tympan du fronton et les animaux qui mangent !e grain repandu par IeDieu, ne seraient-ils qu'un rebus? L'artiste qui a sculptc cc bas-relief aurait-il voulu faire de l'etyuiologie ct rapprocher le nom Esus du dieu, de faction de res animaux, edere? — 02 — retires dans 1'espoir, inulile jusqu'ici , de leur don- ner un emplacement plus convenable ; plusieurs petits autels que possede M. Duquenelle (i) , porlant trois figures accolees ou pint at fondues sur une seulc tele, particularite curieuse du culte local que per- sonne n'a expliquee , jc crois , mais sur laquelle on a cru pouvoir etablir une nouvelle explication de la triple figure qui sc voil sur les medailles a la legende Rcmo. Aucun de ces monuments ne portc d'in- scription. Nous citerons enfin plusieurs figurines gauloiscs en argile blanche , dont les unes represented une sorte de Venus nue qui arrange scs chevcux , et les autres sontdu genre plus commun de ces Mtdcrnites ou figures de Junon Lucine , assises dans un siege d'osier en forme de hotle, qui tiennent tan tot un , tantotdeux enfants a la mamelle. Ces figurines se trou- vaient en grand nombrc au bas du piedestal du bas- relief de Bonne-Semaine : celle circonstance porle a croire que e'etaient aulant d'cx voto ; mais on n'a- percoit pas le rapport qui pouvait exister entre ces figurines et les divinites representees sur le bas-relief. Une seule de celles que possede le musee de la ville, trouvee recemment dans les fouilles des prome- nades (2), porle au bas, sur le derriere , le mot PISTIL , evidemment trace dans le moule, ou plutot dans les deux monies , puisque la soudure des deux (!) Deux monuments semblables, moins bien conserves, sont sortis malheureusementdu cabinet dc M. L. Lucas pour etre traites comme de simples moellons. L'un des trois du cabinet de M. Du- quenelle a de plus, sur le cote gauche, une tete de face ; sur le cote droit, un couteau de sacrifice; enfin, au sommet, une tete de bclier et un oiseau ou un serpent, '2) En Jnillct tsf.o. parties tie la figurine met a unc assez grande distance Tune de l'aulre les premieres lellres P et I. Cette inscription se retrouvesur une figurine sem- blable du musee de Lyon, qui a etedecouverte a Vienne. M. Comarmond (1) la croit symbolique et l'ecrit PYSTILOS. M. Duchalais (2) , qui a decrit plusieurs med.iilles portant le merae nom , pense que , dans le cas present , c'est cclui d'un potier. 2. MARTI-CaMVLo SACRVM-PRO SALVTE -TIBER1I CLiVDI-CAESARIS AVG-GERMANICi-IMP ////IVES-REMI-QVI ////EMPLVM-GoNSTiTv ERViT O-G-S « Marti Camvlo sacrvm pro salvle Tiberii Claudii Caesaris Avgvsli Gerraanici imperatoris cives Remi , qvi lemplvm constitvervnt. « Ob civesservalos. c Gruter , 56 , 42. — Morcelli, lib. 1 , 23. — Fiedler , p. 235. — Orelli, 1977. — Steiner, Cod. inscript. rhe».', 590. — Memoires de la Societe des antiq. de France, t. XIX, p. 18. — Lersch, Central Museum, part. Ill, n" 279. (1) Description du cabinet des antiques de la vilh dc Lyon , n° H8. (2) Description des medailles gauloises dela Biblioth.royale, p. 180. — 04 — « Ccttc pierre, dil le doclcur Lerscb, sc trouvail ori- ginairemcnl dansl'eglise de Rbynorn, monument tres- ancien qui a probablement eleconstruiten partie avcc des materiaux romains. Elle vint a Cloves en 1 793 , on elle se Irouve encore au chateau. Elle est deslinee au musee de Bonn. Sur les deux faces lalerales on voit un rameau de laurier bien garni de feuilles , et der- riere, une couronne de cbene, au-dessus de lnrjuelle sonl les Irois lellres mal dessinees 0. C. S. » Elle devait occuper la base d'un aulel. Quant au lemple qui y est mentionne, plusieurs suppositions sc presentent. Ou bien cet edifice avail ele cleve a Reims par les Remois qui avaienl ele revelus dela qualite de ciloycns en vertu de la grande mesure prise par I'empcreur Claude en faveur de la Gaule (1) ; ces memes Remois avaienl consacre a Mars un aulel dans un autre sanc- luaire silue dans 1c pays que nous avons nomme , et ils avaienl voulu que l'inscription de cet aulel rappelat le double effet de leur reconnaissance envcrs Claude, c'est-a-dire le lemple de Reims en meme temps que l'aulel de Cloves. Ou bien le temple et l'aulel ctaient dans le memo pays ; et Ton comprendra plus difficilement encore le cboix que les Remois auraient fail du voisinage de Cleves pour y ele.ver l'un el l'aulre : a moins qu'on ne doiv« voir ici qu'un certain nombre de Remois babilants des bords du Rbin. Dans le cas oil la cite de Reims lout entiere sera it en cause, le molif de la double erection, ou meme de l'ereclion parlielle, est facile a comprendre. La cou- (1) Nous aurons occasion plus loin d'en parlor d'unc manii're plus ('tend uc. — 65 — ronno civiquo sculplee sur la face opposee de I'anlel ct ['inscription qui l'accompagne ct qui en est inseparable sexpliquent facilemcnt aussi. II n'en est pas de memo tout-a-fait dans l'aulre hypothese; ct nous sommes reduit a supposer qu'il y a ici une allusion a quelque evenement inconnu (\u regne de Claude, a quelque service parliculier que ces Remois, habitants du pays de Cleves, en auraient recu. Par quelles circonstances quilterent-ils 1c sol de la patiie, pour aller s'elablir sur les bords du Rhin. a une epoque qui n'est pas eloignee de la con- quete? Nous nc le savons pas davantage; et nous devons nous bonier a constaler qu'ils devaient y etre en assez grand nombrc et dans une situation aisee : la construction d'un temple a leurs frais, si Ton s'ar- relea cetle supposition, le prouve surabondammenl. Nous sommes done oblige de donner tort a M. Bc- nccb , auleur d'un savant memoirc sur la table de Claude (1), el a M. Laferriere (2), qui, transformant en un fait general et atlribuant a la cite de Reims ce qui doit etre borne a un petit nombre de citovens eloignes de leur melropole, prelendent que les Remes batirent un temple pour perpeluer le souvenir dc Claude et des privileges accordes par lui a la Gaule. Celte inscription a sur la precedente I'avantage de nc pouvoir nous etre conteslee. Elle est d'autant plus preciense qu'elle temoignc aussi de la fusion de deux diviniles en une seule , ct cetle fois d'une divinite locale avec une divinile romaine, de Mars avec un (1) Memoires de I' Academic des Sciences de Toulouse, 4e serie. tome I, page 17:?. (2 1 Hisloire du Droit riiil de Home et du Droit francais, t. I, xxx. 5 - 00 — dieu analogue tie la Gaule. Plus precise que d'aulres inscriplions a l'egard de ce dieu, donl le nom gaulois seul esl souvent conserve, elle en reproduit le nom latin a cote de celui-ci. Nous ne pouvons nous etendre beaucoup ici sur le role de Camulus dans le polylheisme gallo-romain, car rien n'est plus obscur encore que ces matieres. Nous nous conlenterons de remarquer qu'un ex voto adresse a Camulus pour la sanle ou la conservation d'un prince ne suffit pas pour supposer a ce dieu les altribulions de l'Apollon medicus, opifer, salutifer des Romains. S'il esl demontre que l'Apollon Grannus, a qui divers monuments du midi de la Gaule donnent ce caractere (1), apparlenait plutot a celle contree, on aurail tort certainement d'en conclure que le nord le remplagait par Camulus. En effet, de semblables vceux etaient adresses a d'autres diviniles : a Mer- cure, par les commercanls (2); a Diane, par les chas- seurs (o); a Hercule (4) et a Saturne (5), pour la con- servation de la vie, abstraction faite des circonstances parliculieres qui precedent; a Jupiter enfin, par qui- conquc avait quelque chose a garder, les biens et les richesses , aussi bien que la vie (0). Du reste, il ne faut pas perdre de vue que le Ca- mulus gaulois represenle le Mars latin, et que celui-ci elait en possession des plus grands honneurs chez (l) A. .Maiky, De l'Apollon gaulois; Rente cvrcheologique , aim. I860, p. 58. (•2) Orklu, 1402. (3) Op. cit.,%-1, 2378. (I) Op. r/{.,1536, S550. (5) Op. fit., 1507. (6) Op. cit., 1225, 1226, 1227, 1228, 1620, 1682, 3511, 3726, 3004, 'iOO't , i!IS2 , 5610. — 07 - les Romairis, qui lui donnaient ie litre de pere (1). Or, nolle part 1'assislancc de cc dieu ne sc comprend mieux qu'an milieu dcs perils de la guerre , ct les vooux qu'on lui adresse peuvenl avoir pour but de garanlir contre ces perils cclui qui y est expose. L'in- vocalion ;i Mars dans ce sens etait frequente, com me le prouvcnt un assez grand nombre descriptions (2). Toutefois, 1'epithele de custos donnec a Mars dans quelques-unes(3), soit seule, soil con joinlemtnt avec celle de conservator, ct {'association de ce dieu avec Jupiter sous cette qualification commune (4), autorise aussi a le considerer com me le defenscur dcs biens maleriels et de la vie , abstraction faite de la guerre el de ses dangers. Ici , il s'agit de Claude. L'cxpcdilion de ce prince contre la Grande-Bretagne , en l'annce -43 de Jesus- Cbrist , suffirait a la rigueur pour motiver Vex volo de nos Remois ; mais nous ne voyons pas comment ce sens donne au monument pourrait s'accorder avec la couronnc civique et les mots oh cives servatos. La protection du dieu invoque , prise dans l'acception la plus gene-rale , parail done mieux convenir dans le cas present. Cela pose , noire inscription semble accuser une devotion particuliere des Remois pour le dieu de la (1) Op. cit., 1347, 1 3 i S . (2) Op. cit., I3U, 1315, 134", 131S, 1078. (3) Op. cit., 1345, 5490. {{■) Op cit., 5490. D'apres Venuti (Borioni, Collectanea roma- nor. Antiquitat , \) 01), Jupiter custos est represento, coram e nous I'avons vu dans le monument precedent, tenant d'une main la fottdrc et appaye d« l'autre sur une liaste. - 68 - guerre. II y a lieu do remarquer , du moins , que le dieu Camulus est choisi ici par dc simples citoyens remois , rion plus par un soldal , pour recevoir par- liculieremenl leurs hommages el pour lui recom- mander le salul du chef de l'Etat, comme le dieu supreme en quelque sorle, comme la divinite de predilection de leur culle ; et nous nous empresserions d'en lirer toutes les preuvcs dc droit en favour du caraclere et des gouts bclliqueux de nos ancelres , si Ton ne retrouvait encore sur d'autres points de la Gaule la meme importance donnee a celle divinite, et s'il n'elait facile d etablir, comme l'a fait M. Alfred Maury (1), que Camulus etait un des grands dieux de la Gaule, et que son culte essentiellement national a cle repandu dans toute la contree occupee par les Celtes. II est vrai qu'une inscription decouverte a Clermont- Ferrand el rapportee par M. de La Saussaye dans la Revue numismatique (2) porte la dcdicace : Camulo Viromanduo , et le voisinage des Remi et des Vero- mandui semble permellrede regarder Camulus comme une divinite locale du nord de la Gaule; mais on ne peut, en definitive, admettre cela que comme une presomplion. Au moins esl-il bien prouve par la q.u'on ne pourrait se servir de noire inscription pour (t) Memoires dc la SociiHe des anliquaires dc France, \. XIX. ^inscription dun monument semblahlcment dedie a Mars pour la conservation de renipereur Commode, et conserve a Rome, donne aussi le nom romain et le nom gaulois du dieu , et elle y ajoute l'epithete deus sanelissimus (Ohfi.li, 197) : « In. honorem. domus. divinu:. Mavortio. Camulo. Deo. sanctissimo. pro. salute, imp. C;esar. M. Auiel. Commodi. Aug... . » (2) Annee 1838, p. 40", — 09 - considerer Garaulus comme plus parlieulieremcnt lionore dans le pays ou elle a ete trouvee. Dans tous les cas , c'est a tort que divers ecrivains, Gruter et Fiedler, entre autres, trompes par une mauvaise interpretation de Tinscription preeedente, ont considere Cumulus et son nom comme une im- portation de la Sabine ou du Samnium dans la Gaule (1). C'est le conlraire qu'il faut admettre , comme pour VAnluina dont il a etc question dans la meme inscription. Quant a la forme , celle-ci donne lieu a qucl- ques observations. La lecon que nous avons pre- feree est celle du docieur Lersch. Ce dernier repete 171inal dans le mot Tiberii, tandis qu'Orelli, d'apres Fiedler, l'avait double de meme que dans clavdI. Gruter est le seul qui n'a pas complete le mot Cccsaris; il ne donne pas non plus les sigles 0. G. S. , et ,1a disposition des lignes n'est pas la meme cbez lui. On remarquera en outre les petites letlres intercalees , lelles que les donne le docteur Lerscb; enfin, les lettres AV de la qualrieme ligne el NT de la derniere sont liees. (l) D. Maktin, Religion des Gaulois, t. I", p. 486, ale premier signale cette erreur. 70 3. NVM- AVG-DE0-AP0 LLINIPAGO-VENNEGTi PR0SCAEN1VM-L - MA GIVS-SECVNDVS-DO NO-DESVO-DEDIT- Fig. g. a Sous l'invocation d'Augusle et dp dieu Apollon , L. Ma- gius a donne ce proscaenium au bourg de Vennecle. » Bulletin de la Societe academique de Laon, t. I, p. 91 ; t. II, p. 140; t. Ill, p. 155. Cette inscription a etc trouvee en 1854, a Nizy-le- Comte, bourg sitae sur la limite extreme du deparle- menl de l'Aisne et de celui des Ardennes, et faisant partie de I'oncien pays remois. Comme telle , cette localitenous appartient, et nous pouvons revendiqner comme remo-romains les monuments anciens qu'on y a recemment decouverts. Nous devons, toulefois, reconnaitre que le zele eclaire de la Sociele academique de Laon est pour beaucoup dans Illustration que ce bourg a reoue depuis quelques annees aux yeux des ar- cbeologues, soit par les fouilles intelligentes qu'elle y a encouragees ou memo praliquees, soit par les expli- cations qu'elle a donnees des monuments que ces fouilles ont mis en lumiere. Nous n'avons pas a rappeler ici les monnaies , - 71 - les vases, les debris de sculpture , les mosaiques, les edifices enfin qui ont ete trouves sur ce point. Nous n'enlrerons pas non plus dans la discussion qu'onf soulevee divers membres de la Sociele academique de Laon sur l'ancien nom de Nizy-le-Comte. II nous suffira de reconnaitre comme un fait etabli qu'a peu pres a Fendroit ou se voit Nizy-le-Comte, sur le che- min de Reims a Bavai, elait une station romaine que l'ltineraire d'Antonin appelle Minaticum , la Table Theodosienne Niniltaci, et D'Anville Nintecasi ; niais qu'a cote exislait un bourg, ou plulolune ville d'une certaine importance, du moins a en juger paries trou- vailles qu'on y a failes , et quoiqu'elle soit designee ici comme un simple pagus; qu'enfm ce pagus s'ap- pelait Vennectis ou Vcnncctum, nom inconnu jusqu'ici ou perdu , mais dont vient deposer un lemoin (•.•re- cusable, l'inseriplion recueillie par la Sociele ^oade- mique de Laon et acquise depuis par la Sociele, .rcbeo- logique de Soissons. f Celle pierre a 88 centimetres de longueur, 40 de l,a.r- geur et 46 d'epaisseur. L'une de ses exlremites lalera- les est laillee en biseau et presenle une queue d'aronde de 11 centimetres de saillie. Un rebord de 2 centi- metres d'epaisseur encadre lecbamp de l'inscription. Les leltres ont 7 centimetres de hauteur a la pre- miere ligne, et 45 millimetres aux suivanles. Nous devons d'abord mentionner le debat dont celle inscription a etc l'objet. Les uns ont voulu voir dans le mot prosccenium l'avant-scene d'un theatre , ou la decoration monumenlale de la scene faisant face aux speclateurs; d'autres, s'etonnanl de trouver un theatre dans un simple pagus , ont prctendu que par ce mot on devait entendre l'aulel volif, ou le 7-2 porlique place a l'entree des habitations particuh'eies. Ce dernier sens nous parait peu aulorise. On l'a remarque avec beaucoup de raison , il n'y a qu'uu monument public duquel on puisse dire, dans une inscription, que tel citoyen l'a donne et fait conslruire a ses frais ; et quand le nom de la localite , dans l'inleret de laquelle a ele eleve le monument en ques- tion , est exprimc en Unites lellres , quelle place reste-il au doute? L'existence d'un theatre dans un lieu dont 1'liisloire ne signal'e pas l'imporlance n'est pas un fait nouveau : Grand , dont nous avons paiie ailleurs (1), avail son theatre ; Champlieu avait le sien egalement (4). Et d'ailleurs r les fondles entre- prises a Nizy-le-Comle onl fait decouvrir des monu- ments considerables dont la presence demontre 1'importance de cede localite. An surplus, si i'epigraphie ne peut ciler qu'un petit nombre de monuments semblables, ainsi que le remarque Orelli , neanmoins le fait n'est pas sans exemples ; ceux que Ton connait sont meme aussi explicites que possible sur le sens qu'il faut donner au mot proscaminm. Une de ces inscriptions men- tionne en outre fa construction d'un theatre tout enticr : « Theatrum et prosctenium (3) ; » une autre y joint 1'orchestre et les decors : « Proscajnium et orchestram cum ornamentis (A) ; » une troisieme (1) Note au sujet d'une lampe trouvee ;i Grand, ;'i la suite de noire Essai sur V eclair age ches les liomains, Paris, Didiou, 1853, iu-8'. (2) Viollet Leduc, liuines de Champlieu (Itcvue archeol . , Janv. 1800.) — Peigne-Delacocrt, Notice sur le theatre de Champlieu- et Supplement publii' en 1859. (3) Orelli, 3303. (4) Op. cit., 504T. - 73 - borne la construction au prosccenium , mais les termes ([ii'elle emploie font connailre (jue la depense en elait considerable : « Prosccenium omni impendio suo (1). » Cetle derniere, decouverte a Saint-Andre-de-Briart, dans le Bugey, et publiee par Reinesius , dil que l'ou- vrage a ele eleve en l'bonneur do la famille imperiale et dcdie a Mercure : « In honorem domus divinoc deo Mercuric » Celle de Venecte monlre unc inten- tion semblable; elle ne differe que par le nom du dieu , qui est Apollon , et par une flalterie plus mar- quee encore a 1'egard de l'empereur. M. Rouit, dans le Bulletin de la Socicte academique de Laon, pense qu'il faut lire : Numini Augusti , et il traduit : « Sous la protection d'Augusle. » II nous semble que rien n'empeche de considerer ici Augusle, ou plutot l'empereur, quel qu'il soil, coinme un dieu. On trouve ainsi l'empereur deifie et son nom reuni a celui de Jupiter, dans une inscription de Chalon-sur- Saone (2). Nous traduirons done : a la divinile d'Au- guste , sans elre arrele par la distinction que le l'ondateur du monument parait avoir voulu etablir cntre le dieu par nature, Apollon, et le heros devenu (1) « In honorem tlomus diviiine // prosceenium omni impendio // suo Camulia Attica." — Reinesius , Nov. llepert. inacript. antiq. Append., p. 809. — D. Martin, Religion des Gaulois, t. II, p. 233. (2) « Jovi et Aug. sacrum. » Memoircs de la Sociele d'histoirc de Clidlon-sur-Saone , t. Ill , p. 267. — Un autel poite : « Augusto sacrum et genio civitatis Bit. Viv. » (Comarmo.nd, Musee lapid. de Lyon.) — Mommsen (Inscrip. helvet., a. 43) donne une inscription concue comme la notie : « Numinib. Augg. Jovi Poenino Sabi- neiius censor Ambianus V. S. L. M. » Nous en trouvons une autre, dans Spon {Recherche des antiq. et curios, de la ville de Lyon, chap. V) : « N'uminibus Augustorum Leanius Rull'us > — 74 - dieu a son tour, Auguste, sous l'invocation commune de qui il place l'edifice construit a ses frais, et qui avaient apparemment un temple dans le voisinage. Quant au choix d'Apollon , apres l'exemple d'un pareil monument dedie a Mercure , nous n'avons pas besoin de remarquer qu'il n'a aucune signification parliculicre , malgre 1'analogie qui existe entre un theatre et le dieu qui preside aux lettres et aux arts. On sait , du restc, que les spectacles faisaient partie de la religion, que la plupart des theatres etaient conslruits dans le voisinage d'un temple, et que cer- tains, comme celui de Pompee , en enfermaient un dans leur enceinte. La divinite honoree dans le tem- ple devenait naturellement aussi celle du theatre. 4. DEOMERCVRIO-ET-ROS MERTE-CANTIVS-////////T/// FILIVS.-EX-V///T///// Fig. 3. « Au dieu Mercure et a Rosmerte, Gantius, fds de Titus , pour l'accomplissement d'un vceu. » Muratori, 108, 1.— Gruter, 50, 9. — Montfaucon , Antiq. expl, t. II. p. 415. — D. Martin , Relig. des Gau- lois, t. 1, p. 354. — Orelli, 5907. Cette inscription fut trouvee a Langres, dit Gruter, et elle se voyait a Reims dans la maison de l'illustre — io — M. Culin : « llhemis in sedibus V. (J. Colini, sed re- perlum apud Lingoncs (1). » Nous inclinons ii croire qu'il s'agit ici, noa pas du gravcur a qui nous de- vons, enlrc autres choses, le plan de Reims date de 1665, mais d'un chanoine du meme nom, tresorier de l'eglise melropolilaine de Reims, ami de Rergicr, et « hommc fort entendu au faict des medailles et pieces antiques, » suivant l'auleur do YHistoire des grands chemins (2) . [/inscription , telle que nous la donnons, n'est pas eonforme a la transcription de Gruter, mais a eelle que nous avons trouvee , avec le dessin de la pierrc meme sur laquelle elle figurait, dans l'album de notre poete-dcssinateur Guill. Baussonnet (3). La reproduction de ce dessin, que nous avons tout lieu de croire parfaitement exact, aidera a expliquer cc qu'e- tait la divinilc dont le buste est accole a celui de Mercurc dans cet ex voto. On remarquera qu'elle a les epaules dissimulees a leur naissance par la partie superieure d'unc robe d'etoffe raide ; une sorle de courroie se trouve passee sur son epaule gauche. Quant au Mercure, il a pres de lui le caducee, et sur la tete le petase aile et un peu bombe que lui don- naient les Gaulois. La pierre qui portait les deux bustes et 1'inscription elait rectangulaire. On remai*- quera en outre qu'elle ctaii encaslree dans un frag- ment de muraille de petit appareil ; il y a done lieu de penser que le petit monument elait dispose dans la mai- son de M. Colin comme on le voit ici, et il est difficile (1) Page 268 de led. de Paris, 1622. (2) Muratori et Orelli disent qu'il etait ii Paris. (3) Bibliolheque de la ville de Reims. - 70 - d'admellrc qu'il en eut ete de meme s'il eut ete trouve a Lang-res, comme le dit Gruter, el non a Reims. Deux autres dessins accompagnent , dans l'album de Baussonnet , celui que nous venons de decrire. En tele, on lit : Graveure, d'oii Ton doit conclureque le tout a ete grave , apparemment par E. Moreau, dont le nom est rarement separe de celui de Baussonnet. L'un des deux dessins appartient aux monuments ci- vils : nous en parlerons plus Las ; l'autre porle la dale 1002 et represente trois medailles, savoir : un grand bronze d'Agrippa, consul pour la troisieme fois; un grand bronze deDrusus^u/orfrappesousClaude ;enfin un denier d'argent a l'avers de Rome casquee et au revers de la louve allaitant Romulus et Remus, avec deux etoiles au-dessus , et , au-dessous, la legende Consta. Ces monnaies ont eteprobablement trouvees au meme endroit que l'un des deux monuments, sinon tous les deux ; il est permis de penser que le tout etait contemporain d'origine, de meme qu'il parait 1'avoir ete comme trouvaille. Montfaucon avait eu sur ce monument les rensei- gnements les plus inexacts ; la figure et l'explication qu'il en donne ne doivent pas nous arreter. Dom Martin merite plus d'attenlion. De son temps, ce monument se voyait dans le cabinet d'un M. Petau. Or c'est en 1727 qu'a ete imprime son livre : le mo- nument avait pu changer de maitre depuis que Gruter avait public son recueil d'inscriptions ; mais D. Martin ne dit pas si le nouveau proprielaire du monument habitait Reims. Le dessin de l'ouvrage de D. Martin se rapproche assez de celui de Baussonnet. La seule difference no- table est dans le tonneau ou boisseau dont il environne - 77 — le corps deRosmcrtc, ct quo nous croyons elrc sim- plement une robe de grosse etoffc : on n'y voit pas les deux angles indiques par Baussonnet aux epaules. Quant a 1'inscription, elle est la meme dans l'un et dans l'autre dessin; inais cet accord disparait, des que nous passons au texle de D. Martin. La le savant benedictin rejette la lecon de M. Petau, qui est celle du dessin , pour adopter celle de Gruter. II ecrit done : Deo Mercvrio et Pos \\ tverte C. Antivs Tili \\ filivs ex voto ; et il croit, dit-il, devoir se fier a Gruter, principalement parce qu'ecrivant dans le temps de la decouverte du monument, il pouvail avoir copie sur l'original meme. A l'egard de Gruter, cet argument s'appuie sur une simple presomplion. Le proprietaire du monument presentait, ce nous samble , des garanties bien plus certaines, et noire Baussonnet est (out-a-fait dans le meme cas. Lui, a coup sur, a copie sur l'original ; el si Ton peutexpliquer 1'inscription telle qu'il la donne, nous devons adopter sa copie, lors meme qu'elle ne serait pas d'accord avec celle de Gruter. De prime-abord, cette discussion et celle confronta- tion de deux redactions semblent presenter un mince inleret. Cependant il ne peut etre indifferent d'inlro- duire dans rOlympe remois une divinite apocryphe. Je me hate de dire que la seule correction qu'il y ait a faire a la lecon de Baussonnet , e'est d'ecrire Ros- merte au lieu de Posmerte, et Ton congoil facilement que la parlie supprimee de l'R que nous relablissons ait disparu de 1'inscription a l'epoque ou noire des- sinateur la transcrivait. Or le nom de Rosmerta est encore reuni a celui de — 78 — Mercure dans unc inscription (1) trouvee on 1820 a Sion [Semi la Leucorum] ; il faut consequemment s'en tenir a ce nom el renonccr au Fortucrtc de Monl- faucon, et au Poslaerte de Gruler ct de D. Martin. Quelqucs ecrivains pretendent (2) que cette deesse etait invoquee par les femmes a terme , parce qu'elle dimi- nuait, disait-on, les douleurs de l'enfanlement et re- tournait l'enfant quand il se presentait par les pieds. Mais son association avec Mercure autorise a la regarder comme une divinite commerciale, de memo que la Nundina qui, dans d'autres contrees , a ele trouvee egalemenl associee au dieu des marchands. Parmi les inscriptions dans lesquelles sont reunis Mercure et Rosmcrte , Orelli en a publie une ou celle-ci porte la qualile de Mercurielle, Mercurialis (3); et celui qui a fait clever le monument auquel elle apparlient est un agent du fisc, adjutor tabulario- rum. Ainsi, la devotion particuliere du Canlius de notre inscription pour Mercure et Rosmerle parait indiquer un commergant ou un homme de finance. On a trouve a Metz (4) une inscription d'ex volo dediee aux memes divinites par un homme du nom de Musicus. Rien n'indique que sa profession repon- dit au nom qu'il portait. Du reste, au dire de Cesar, Mercure etait le dieu (t) Memoires dc la Sociele des Antiquaires de France, t. Ill, p. 475; t. XIII, l> 208. (2) D. Martin, loc. cit. (3) N" 5908. (4) Mt'moires de V Academic imp. de Metz , 1858-1859, p. 287. L'auteur du memoire, M. Clercx, pense qu'un monument a peu pros pareil, niais oil manquent les noms des divinites, avail pour objet d'obtenir un mariageheureux. - 79 — qn'honoraient le plus les Gaulois; ils lui clevaient bcaucoup de slalues, et le regardaient comrae l'in- venleur de tous les arts , comme le guide des voya- geurs et comme presidant a toute espece de com- merce (1). Quant au nom Cantius, il est donne par Bausson- net ; je crois devoir aussi le mainlenir. S'il est peu frequent dans les inscriptions lapidaires, on Pa trou- ve du moins sur les nombreux tuyaux de plomb pro- venant des aqueducs du voisinage d'Arlcs , ou il est ecrit lantot Cantius, et tantot Canthius (2). Ce nom avail peut-etre son origine dans la Grande- Bretagne. On sail, en cffet, que les Canlii sont le peuple que rencontra Cesar en abordant dans celte ile (3), et c'est de Hi qu'est venu au pays qu'ils babitaient le nom de comte de Kent. (1) C/esar, de Bello Gall., lib. VI, cap. 17. (2) Aivr. Abis'AUD, Anliquiles a" Aries, diss. p. 7; — Le P. Pokcuikk, Antiq. d '^irZes.mss.p.lGG, — Gklteu, 183, 9; — Montfaucon, An- tiquit. e.rpl. supplem., t. Ill, p. 165 ; — De Villeneuve-Babge- mont, Notice sur d'anc tuyaux de plomb, Memoires de la Soeiete des Anti((uaires de France, t. V, p. 232 et suiv. (3) De Bello Gall., lib. V, cap. H. _ 80 — II. ETAT POLITIQUE, GOUVERNEMENT DE LA CITE. 5. D-IVL-D-FIL////// CAPITONI FLAMlVlEN ■ IIIVIR /////PVBLICPER ///IVIR- A ERA////// PRAEF • FABRV - TR1B MIL-L/////////////////////// GEM//////////////////////////// REMI • FOEDERATA D. D. D. Chorier, Recherches des Antiq. de Vienne, p. 496. — Spon, Miscell. erud. anliquit., p. 203. — Gruter, 421, n<> 8. — Orelli, nn 3844. — Leon Renier,, Melanges d'E- pigraphie., p. 61 (1). (1) M. Leon Renier a donnesur celte inscription et sur lcs deux suivantes unc dissertation fort interessante que nous regrettons beaucoup de n'avoir pas connue avant la redaction de notre tra- vail. Frappe comme lui de la ressemblance de cello que nous don- nons sous le n° 0 avcc cellc qui precede, nous nous etions pareil- lementservi de l'une pour expliquer l'autre; tout en nous felicitant de celte rencontre avec le savant acaderaicien , nous n'avons pas cru devoir renoncer a la separation que nous avions etablie entre les deux premieres inscriptions et celle qui suit, comme n'appartenant — 81 - Cette inscription, qui existait a Vienne en Dauphi- ne, est aujourd'hui perdue. Les auteurs que nous citons en ont donne des redactions tres-diverses; celle que nous avons choisie apparlient a Chorier. Ce dernier l'a completee ainsi cju'il suit pour les six derniercs lignes : LOC. PVBL1C. PER |j IIVIR. AERAR f| PRAEF. FABRY. TRIB || MIL. LEG. VII ] GEMIN. C1V1T || ReMI. FOEDE- RATA || D. D. U. Spon reproduit la legon de Chorier sans morlili- calions. Quant a Gruler, la sienne est tellement dif- ferente, que le savant Lyonnais n'a pu s'empecher, en la rejetant , de temoigner sa surprise de voir al- tere a ce point un monument si connu (1). Voici, du resle, la redaction de Gruter : D. Ivl. D. Fili |1 Capitoni || flamIvEnI. iiivir || LOC. PVBLIC PER II r. VIR. AERAS... I) TRAEF. FABR. TRIB || MIL. LEG.... DIV.. || GEN || FOEDERATAE (] REMl. PVBLIC || D. D. D. Notre preference pour Chorier s'explique naturelle- ment par sa presence sur les lieux memes ; c'est done lui que nous suivrons, du moins en grande partie, et nous nous aiderons encore d'une autre inscription trouvee egalement a Vienne, en 1753, dans l'abbaye de Saint-Andre-le-Haut, relevee par feu M. Delorme, bibliothecaire de cette ville, etpubliee par lui, sous le n° 26, dans la Description du Musee de Vienne (2). pas d'une mauiere certaine au meme personnage. Nous n'avons p. — 83 - surchasune d'ellcs, nous ferons remarquer do moins nn point ou nous devons corriger Chorier. C'est a la Iroisieme lignc. II a evidemment remplace la lecon veritable par unc interpretation, flamIvEn par fla- mivien, autorise en quelque sorle a 1c faire par le grand E du mot, dans lequel il lui etait permis dc supposer un I melange. La veritable lecon, demeleepar Gruler, se irouve pleinement confirmee par l'inscrip- lion dc M. Dclormc. II faut lire flamini juventvtis, et ccla s'obtient dans la premiere inscription par l'inscrtion d'un point oublie ou efface ct par le reta- blissemenl du v voyelle avant le v consonne avec le- quel il est confondu, suivant un usage frequemment observe dans les inscriptions. Cela pose, nous pouvons lire comme il suit la pre- miere inscription : Decimo FVLio decimi ¥ll{w VOLTIN/a) || CAPI- TONI, || FLAMmi WvWtvtis, IIIVIRo II (locorvm) PVBLICorum PEEseqvendorvm, || IlVIRo AERA(RII), \\_ VMEVecto FABRVm, TRIBiwo || mUtvm L(EGionis Tl ADIVTricis,) || GEU(inae ClMTates VIENNa COLonia || ET) REMI FOEDERATA I! (Loco) Vato Qccreto decv- rionvm. « A Decimus Julius, fils de Decimus, (de la tribu) Vollinia, (surnomme) Capito, flamine de la Jeunesse, triumvir pour l'inspection des lieux publics, duumvir du trcsor, prefet des ouvriers, tribun de la 2<-' legion adjulrice, la colonie dc Vienne et la villc federee de Reims, avec l'autorisalion des decurions. » Dans Tunc comme dans l'autre inscription, il s'agil evidemment d'une statue erigee a la memo personne ; chacune occupait une face du piedestal auqucl elle apparlenait. Meltons un moment de cute la seconde, — 84 — pour ne nous occuper que de la premiere el pour eclaireir les diverses questions qu'elle souleve. Quel etait ce Decimus Julius Capito? Chorier re- marque qu'il apparlenait a une famille illustre el puissante : un Fontejus Capito fut proconsul en Asie sousTiberc; un autre futsoupconne, sousGalba, d'as- pircr a l'cmpire (1). Le savant Viennois n'avait pu lire sur la pierre passablement fruste de son inscrip- tion le nom de la tribu romaine a laquelle il appar- lenait el a laquelle appartinrent, comme lui, beaucoup de Viennois (2). On sait que la place de ce nom est ordinairemenf. apres la filiation el avantlesurnom (3). Le recueil de Gruter (4) conlient une inscription trouvee a Geneve dont les noms sont absolument les mernes; le personnage a qui elle appartient etait flamine de Mars Suivant M. L. Renier (5), il pour- rail etre le fils, ou mieux encore le pere du flamine de la Jeunesse. Nous avons vu comment Chorier avail pu etre in- duit en erreur au sujet de ce dernier tide. En disant que Capito avail ete flamine de Vienne , cela signi- (i) Tacit. Hist., lib. I, c. 8. (2) Orf.lu, n. 453, 453, 2704, 381-2, 5301, 599G. — On a con- jecture que les eitoyens gaulois, ct particulierement ceux prove- naut de la province romaine, etaient inscrits dans cette tribu. ,3) M. L. Reniek (Revue archeol., Fevrier 1860, p. 12) a montre qu'il y avait des exceptions a celte regie, et que les Viennois n'elaient pas toujours inscrits dans la tribu Vollinia. (V) Void cette inscription; elle porte le n° 6, p. 421 : D-IVL • D -F ■ VOLT CAPITO///// A V 0 V It I 17- V I K 0 - A ER A R////// FLAM1M MARTIS TR M I L IT "> I., Rkmkr, Melanges d'Epigraphie, p. 06. - 85 - fiait, dans son esprit, grand pontile on chef de la religion dans cetle ville: cor c'esl ainsi qu'il faut l'entendre loutes les fois qu'il s'agit du flarnine d'une cite et que le nora de la divinile au cnlle de laquelle le flarnine elail attache n'est pas indique. Mais ici le nom de la divinile est fort bien exprime : Capilo elail flarnine de la Jeunessc, litre qui existait effecti- vemenl a Yienne et que prouvent d'aulres monuments epigraphiques (1). Les autres litres que nous Irouvons resultent ega- lement d'une lecture plus complete et plus exacte qu'il n'avait ete permis a Chorier de le faire , faute de connaitre la seconde inscription. Plusieurs parais- sent avoir ete donnes au personnage en question dans la colonie de Vienne : nous ne les examinerons pas tous en particulier ; nous remarquerons seule- ment que celui de prefet des ouvriers , pra'fedus fabrum , peut presenter deux sens. On sail qu'a Rome, et dans loutes les villes ou les institutions romoines etaient en vigueur, les artisans ctaienl or- ganises en colleges , des les temps les plus recules. Tantot favorisees par des magistrals populaires, tantot contenues ou supprimees par le senat, et meme, pen- dant plus d'un siecle, par les empercurs a qui elles s'etaient rendues redoulables, ces corporations finirenl par obtenir des derniers une institution definitive par laquelle ils esperaienl soulenir l'industrie mourante. En echange des minces privileges que l'Etat leur accordait, ceux qui en faisaient partie recevaient des liens de plus d'une sorte ; ils demeuroienl no- lamment attaches d'une maniere indissoluble a leur (1) L. IU.^ikk, lor, rit. — 80 — metier el a lcur college. Ghaque corporation on pi n- sieurs ensemble avaient unc caisse ; elles avaicnt cle autorisecs par Marc-Aurele a accepter des legs (1) ; elles pouvaient aussi s'imposer une cotisation, rece- voir des donations, posseder des terres avec leurs colons, les louer a des fermiers et en employer le revenu aux depenses communes ou le partager enlre leurs membres. Tout cela se voit par des lois du Code Theodosien (2) et par differentes inscriptions (3). Chacun des colleges avail un cbef, sorle dc patron et de surveillant en meme temps, pris parmi les prin- cipals dc la ville, ordinairement revetu d'autres honneurs ou ayant exerce les magistratures. C'esl ainsi qu'on pent entendre la cbarge allribuee a Capito dans nos deux inscriptions; mais il y avait aussi un titre militaire de meme sorte , connu des le temps de Cesar (-4), et dont Gruter et Orelli ont recueilli de nombreux excmples (5). L'inscription conservce au musee de Vienne men- tionne un autre titre dont noire n° 5 n'a pas de trace, celui d'augure. Son absence donnerait a pen- ser que l'inscription du musee est poslerieurc a cclle de Cborier (6). (1) Dig.,\iv. XXXIV, tit. 5, 1. 20. (2) Liv. XIV, tit. 3, 1. 1!), aim. 39r>. (3) Okelu, 3 id et 4094. (4) Le Bella civ., lib. I, 24. (5) Nous nous bornerons a titer une inscription relative a un lielge qui faisait paj lie tie la fubriqiie ou des ouvriers en fer de la XXe legion ; la voici : Ivlivs. Vitalis. fabricies || is. leg. XX. V. V. || slipendior || vm IX. anor. XX||IX. natione Be||lga. ex. colegio |j fabrice. elalv|J s. II. S. E. (Orelli, u" 4079.) (6j M. llenier l'a rctabli dans la premiere inscription. - 87 - Quant au mot GEM., c'est a tort que Chorier le rattache a la legion dont parle son inscription. II est vrai que ce nom de Gemina ful donne a differcnlcs legions, notamment a la VIIC, dont la residence ful fixee a Vienne par l'empereur Neron ; mais ce fait ne nous parait pas motiver suffisamment l'explication de Chorier. La IIe legion Adjutrice est suffisamment indiquee dans l'inscriplion du musee de Vienne, et nous la retrouverons encore ailleurs. Selon nous, ce mot GEM. trouve nalurellement son explication dans 1'expression de la reconnaissance commune des deux villes pour le magistrat dont noire inscription a pcr- pelue le nom. Par quels services le personnage en question me- rila-t-il cette reconnaissance? Tout ce que nous pou- vons repondre a cette question, c'est qu'ayanl exerce differenles magistralures dans les deux villes, il avait autant de litres a une statue , et meme a plusieurs, que tant d'autres magistrats honores de semblables distinctions ou de semblables flatteries par les popu- lations qui avaient eu a se louer d'eux, ou du moins en avaient ete humainement traitees. Si la colonie de Vienne a ete cboisie pour etre la gardienne de ces monuments, c'est qu'apparemment Capilo y elaif ne, comme l'indique le nom de la tribu dont il fai- sait partie. M. Renier (1), qui fait inlervenir les Remois seuls (i) M. L. Renier, prenant pour point de depart lalecon deGru- ter, est arrive a la retablir ainsi qu'il suit : - 88 — dans l'erection Ju monument auquel appartient Vinscription de Chorier , leur attribue aussi celui dc D-IVL- D F- VOL CAPITONI FLAM- I VENT -TTTVIK LOG PVBLIC PERSEQ fTviR - AERAR ovgvr PRAEFFABR-TRIR MIL- LEG- itaDlVf GEN'*or - civil ■ remor FOEDERATAE REMl - PVBLICc I - DDD Nous ne reproduirons pas ici les details de la discussion dans laquelle est entre le savant academicien, et nous indiquerons seule- ment les points de son interpretation qui different de la notre. 1" Au lieu de GEN, donne par Gruter, a lahuitieme ligne.M. Re- nier lit CEN en changeant la premiere leltre, induit a le fa ire par la eomparaison de cette inscription avec celle dont nous parlerons tout- a-1'heure sous le n" 7, et par 1'idee que ces trois inscriptions ap- partenaient au rneme personnage. La derniere manquant des pre- mieres lignes, M. Renier a cru pouvoir y adapter le commencement des deux autres inscriptions et occuper les lignes vides par les noms et qualites que nous y avous lus. II s'est cru d'autant plus autorise .i faire cette restitution, que cette derniere inscription a ete decou- verte a Vicnne, comme les deux autres. 2° Trouvant dans Gruter l'avant-derniereligne occupee par le mot PVBLIC, et la precedenle par lc mot FOEDERATA, il a cru pouvoir mettre eelui-ci au genitif et le rapporter a la cite de Reims, cicit. Remorum, qui remplit toule lahuitiemeligne. Deeettefacon.tln'ya pas besoin d'associer la colonie de Yienne a notre cite daus les honneurs decernes a D. Jul. Capito; il y a moins de suppositions a faire, ce qui n'est pas un mat. Toutefois, nous devons rappeler, pour notre defense, les motifs qui nous out fait preferer la lecon de Chorier. Ce dernier avait vu et copie sur place Inscription qu'il a inseree dans ses Recherchcs, et cet avantage doit ctre refuse a peu pres a tous les autres, Spon excepte. Ce dernier n'admet pas plus que Chorier le mot PUBLICe: pourquoi l'aurions-nous introduit, quand on peut sen passer? Quant a GEM, e'est aussi la lecon des deux savants que aous venous de citer; il cut fallu y changer deux lettrcs sur trnss — 89 — I'inscription du musee tie Vienne. Nous ne pensons pas que la ressembkmce des deux inscriptions dans les premieres lignes autorise pleinement a les regarder comme idenliques dans les dernieres ; volonliers nous croirions plulol que la seconde mcntionnait une vilie diflerente , ou meme une province reconnaissance, comme Reims et Yienne, des services de Capito. L'epoque a laquelle appartient le premier monument ne serait pas indifferente a connailre , surtout en pre- sence du mot le plus saillant de celle inscription, et qui en est aussi le dernier. Suivant Choricr, le mot fcederata indique qu'il existait une alliance entre Reims et Vienne. Nous ne nierons pas celte alliance, elle a pu exisler, mais rien ne le prouve, et ce serait s'eloigner de la saine critique pour arriver a ('interpretation choisic par M. Rcnier. Enfin, nous ne pouvons dissimuler que la repetition de civit. Hemor et de Itcmi n'estpascequ'ilya deplusheureux dans cettc interpretation. Quoi qu'il en soit, l'auteur des Melanges d'Epigraphie rcstitue la seconde inscription ainsi qu'il suit : D-IVL-DFIL- VOK CAPITONi /7AM IVENT- III Vir-ioc pvbLIC ■ PERSEO - HVirner otGVRI • PR.EF ■ VAbr ■ trib m I L I T • L E G • IT • a ■ Divt cm sor - CI lit ■ remor ■ foed. etc. « On voit, dit-il, quelle n'ajoute rien a ce que nous savons de la carriere de ce personnage. Peut-etre, si elle elait complete, nous ferait-elle connaitre de nouvelles fonctions rem plies par lui, apres celles de procurateur de la province de Gallecie et d'Asturie (men- tionnees dans la 3" inscription) ; peut-etre aussi y verrions-nous, ce qui est phis probable, un monument eleve en son honneur par les habitants d'un autre conrcntns dc cettc province. » - 00 - que d'invoquer a I'apptri les inscriptions qui nous occupent. II est bien plus nalurel , ce nous semble , d'expliquer ce mot par la condition dans laquelle les Remois etaient places par rapport aux Romains ; condi- tion de laquelle ils avaient lieu d'etre fiers, puisqu'elle n'avait ete accorded qu'a un tres-petit nombre de cites, celle des Eduens , celle des Lingones, celle des Car- nutes, e'est-a-direaux plusredoutables de toute laGaule, et qu'elle les meltait en quelque sorte au memo rang que Rome elle-meme (1). C'est par ce litre que les vainqueurs s'attachaient les populations dont les se- cours ou l'influence dans le pays pouvait lui elre utile. Quelques-unes, dont on ne craignait rien ou n'atten- dait rien, mais dont on devait cependant recompenser les services, recurent le titre de libres. Celui de con- federis entrainait l'usage d'une constitution propre (2), l'autonomie complete, autant, du moins, qu'elle pouvait s'accommoder avec l'etablissement de pouvoirs nou- veaux imposes, les uns par la volonte des empereurs , les autres par l'empressement meme des vaincusa se placer sous le joug. Longtemps les Romains trailerent avec faveur les nouvelles provinces conquises par Cesar; ils se contenterent d'exigerd'elles un tribut de 40,000 sesterces, stipendii nomine , pour l'entrelien des troupes, comme dit Suetone (3), et pour le main- (1) Plin., Hist, nat., lib. IV, c. 17. — Treves n'obtint ee tilre que plus tard. (2) Dulaure( Des Seuats des Claulcs, Memoires de I Academic Cel- tique, t.Ij p. 322) dit que les institutions politiques furent conservees chez les Gaulois allies et surtout chez les Gaulois Ubrcs. C'est le contraire qu'il devait dire. Ce n'est pas, du reste, la seulc inexac- titude que Ton puisse signaler dans ce memoire. (3, In Cwsar. , c. 35. - 91 — lien de la paix , comme lc disail, un siecle plus lard, Pelilius Gerinlis (1). Plus heureux que ceux dc la Narbonnaise, lcs Gaulois Chevclus conserverent leurs terres, leurs villes, leurs institutions inlerieures. Mais combicn de temps dura cet ordre de clioses ? II serait difficile de le dire ; il est a croire que les diffe- rences de lois, comme celles de religion et d'usages, s'effacerent pcu a pen du sein des peuples qui com- posaient l'empire ; peu a peu aussi les privileges de certains passerent a Fetal de fiction ; en un mot, l'edit de Caracalla ne fit que constater un fait deja existant, quand il passa le niveau sur toule l'etendue de l'em- pire et declara ciloyens romains tous ses habitants : l'empire n'elait plus qu'une vaste monarchie, et les habitants, qu'on decorait du nom de ciloyens, etaient tous des sujets (2). Pline, qui menlionne le litre de federee donne a la cite des Remois , ecrivait plus d'un siecle apres la conquele ; nous verrons par une inscription (n° 7) contemporaine des Antonins que ce litre lui fut con- serve assez longtemps, elavec lui l'inlegrile des fran- chises municipales. Nous Irouverons a Reims un senat (n° 8); nous y verrons aussi des magistrals speciaux ayant diverses attributions, un censeur par exemple (n° 7). Mais a cote des magistrals municipaux s'eleva et grandit peu a peu le pouvoir des agents du gou- vernement imperial, chefs civils et militaires a la fois, puis revelus d'altributions distincles, principalement (1) Tacit. Histor., 1. IV, c. 74. (2) Nous verrons tout-a-1'heure que l'edit de Caracalla uechangea rien a l'etat de la Gaule Chevelue, quant au titre el aux droits de eitoyen romain. - 92 - depuis Gonstanlin. Reims donna l'bospilalileaux pre- sets romains, flit Strabon (1), dont je copie a dessein l'expression ; el il faul remarquer que ceci regarde ios commencemenls de I'occupation romaine, pent-elre meme une epoque anlerieurea la division dela Belgique en frois parties , sous le nom de Germanie premiere et seconde et de Belgique. Generalemenl, les prefets, les consulages . les comtes , les dues et autres agents 7 KJ du pouvoir politique ne paraissent pas s'etrc meles de l'adrainistralion interieure des cites ; lc choix des magistrats municipaux, d'abord abandonneaux senats ou aux decurions des cites, fut meme subordonne a 1'election, par ordre des empereurs (2). Placee dans la condition des villes les plus favorisees , Reims dut conserver la libre administration de ses affaires in- terieures ; sous ce rapport , le regime imperial et l'hospitalile donnee aux magistrals imperiaux ne porta pasd'alteinte serieuse a ses francbises. Mais e'est tout ce qui lui resta de son ancienne importance. On ne peut pas dire a quelle epoque elle cessa d'etre la tete d'une nation puissanle , quand le pays remois cessa de lui obeir pour devenir un simple canton de pro- vince romaine , ni quand ses lois disparurent pour faire place aux lois romaines. Deux faits peuvent eire invoques en faveur de la conservation du pouvoir polili(|ue de Reims, du moins pendant un certain temps. Le premier a ele recueilli avant nous par l'abbe Le Beuf (3) dans Cesar et dans son continuateur Hirtius , mais il a besoin d'etre eclairci. (1) Livre IV. (2) Leon, Constitut. 47. Quod alius. (3) Dissertat. *ur h Soissonnois, \u xi. - 93 -- Au debut de la conquele, les Soissonnais et les Remois faisaient, en quelque sorte, un seul etat, a ce point que le senat el les magistrals reinois gouver- naient a la fois les Remois el les Soissonnais. Cela parait, en effet , resuller du teste de Cesar (1). Les envoyes remois, dans leur premiere visile au general romain, ne se contenlent pas dc dire que les Sois- sonnais sonl leurs freres, raais qn'ils vivenl sous le meme droit public, sous les memes lois , sous le meme gouvernement, sous la meme administration : « Qui eodem jure, iisdem legibus ulanlur, unum im- perium, unumquc magistratum cum ipsis habeant. b Ceci , sans donner la moindre entorse aux lermes employes, ne peut s'enlendre d'une simple parile ou similitude dans le gouvernement, dans les lois , dans l'administration de la justice , dans la police , etc. ; mais il en resulle clairemenl une union complete sur lous les points. Gelte union des Soissonnais a l'Etat remois, meme dans les derniers temps du sejour de Cesar en Gaule, esl confirmee par Ilirtius (2), qui dit des pre- miers, non pas seulement qu'ils etaienl places sous la protection des Remois, mais qu'ils etaienl incor- pores au pays remois : « Suessiones qui Remis eranl altributi. » Le litre de libres donne plus lard aux Sues- sons (3) cbangca peut-etre les conditions de leur de- (1) he Bcllotjail , lib. 11, t . (2) Ibid., lib VIII, G. (3) Plin., lib. IV, cap. 17. M. Walcke.naer (Geogr . desGaules, tome 1 ' , p. i83)j combat Hirtius Mir le point qui nous occupe et lui oppose le temoignagc tie I'line; il oublie que le langage d'Hir- lins - accorde pleinement avec celui de Cesar, et que Ions deux — 94 — pendance politique a l'egard des Remois. Du reste, elle dul disparaitrc cnlieremenl lors de l'entree du territoirc remois lui-meme dans l'empire el de la suppression de l'autoritc do la capitale sur In na- tion. Le second fait que nous pouvons invoquer en fa- vour de l'autonomie des Remois, el celle fois a tine epoque plus roculee, c'est la conservation parmi cux d'un senat, d'une assemblee des premiers de la na- tion, non-seulemcnt souveraine quant an gouverne- mcnt inlerieur de la cite, mais exercant une supre- malic et une certaine autorite sur les aulres peuples de la Gaule. Comme nous aurons a nous occupcr plus bas du meme fait, nous nous contenlerons ici de l'indiqucr. II ressorl de ce que nous venons de dire que par Reims, Remi , dans l'inscription n° 5 et dans la suivanle, il faul entendre, non pas simplement la ville, mais l'elat ou lc corps de nation dont cette villc etait la capitale el dont le nom lui est reste. C'est dans ce meme sens qu'on doit prendre, aux temps les plus rapproches de la conquete, le mot civitas que nous avons reslilue dans notre inscription et que nous relrouverons dans celle qui suit. II ar- rive, en effet , a Cesar de mellre dans une meme phrase en opposition les mots urbs et civitas, de fa- con a ne laisser aucunc incertitude sur le sens par- ticulier de l'un et de l'aulre a cette epoque (1). Tacite patient tics premiers temps de la conquete, tandis que Plinc prend les choses apres l'cntiere soumission de la Gaule et son organisa- tion en province romaine. (I) De Bella gallico, 1. I, c. 12; 1. VII, c. 15; I. Ill, c. 3, 3i ; I II, c. ':«; I. V, c. :>3; et passim. - 95 - suit constamment la raeme voie(1); mais plus on avance, et plus le mot civitas s'eloigne de son sens primitif pour designer exclusivement une ville. La Notice des provinces s'en sert pour designer a la Ibis la capilale et le territoirc qui en depend; et, dans Ammien Marccllin, ce mot n'a plus d'aulre sens que celui de ville (2). En meme temps, comme l'a remarquc M. F. Bour- quelot, dans un travail etendu sur cette matiere (3), le nom gaulois de la capilale s'efface pen a peu, el a sa place, 1'usage introduit le nom de la nation. Dans notre inscription, dans celle qui suit egalement, comme il s'agit de la nation, et non de la ville, nous ne voyons pas figurer le nom de Durocoiiorum de celle derniere, et il ne faudrait pas en conclure que ce nom ne fut plus en usage; nous sommes loin en- core du temps oil saint Jerome , parlant de la ville de Reims, disait : Remorum urbs prcepofcns . » La transformation des noms de villes devint gene- rale; mais il faut la restreindre a la partiede la Gaulc conquise par Cesar. Aussi, n'en Irouvant pas a peine de traces dans la Narbonnaise, l'abbe Beley (4) en a conclu que, comme les assemblees de ebaque pcuple sc tenaient dans la capilale, comme les membres de ces assemblees y residaient babituellement et gou- vernaient au nom du pcuple, le nom de ce dernier (I) Annal., 1. HI, c. 43, 41; De Morib. German., c. 41; Vit. A(jrirol7 1 . — 101 — Agrippinus Cornicularius, sous Victorin (1). L'avant- dernier s'intilule procurator a rationibus; les an Lies, procurator seulement. C'est tie ces fonctionnaires que Vespasien disait qu'il s'en servait comme d'epongcs. Leur administra- tion, nalurellement pen susceptible do Gonoilier l'a- mour des peuples, avait besoin d'etre exercee avec une egale justice el un grand desinleressement pour ne point soulever la haine des provinces. Eiles leur claienl generalemcnt reconnaissantes «le cctte con- duite louable el ne cachaient pas les motifs tie leur estime dans l'inseriplion des monuments qu'elles erigeaienl en leur honneur (2). Ces! apparemment le cas present. A l'epoque d'Augusle, les procuratores se bornaicnl a l'adrainislralion du fisc, et n'avaienl aucune juri- diclion; Claude y :ijouta la procuration de tout cc qui avait rapport a cetle administration (3). Dans I'etat regulier de^ choses, les procuratores n'avaienl au- cune aulorile en debors de cetle administration el de ceile juridiction; el ce qui le prouve , c'est que, quand un memo fonctionnaire reunissait les pouvoirs de gouverneurii ceux d'intendant des deniers publics, il prenait le litre de procurator et celui de presses. Gutherius (4) en donne plusieurs exemples. Les deux peuples que nomine l'inseriplion sont rarement separes dans les monuments; ils formaient ensemble une section de la province de I'Espagne (1; I'. AEIio. Agrippino. Cornicvlario. Procvratori proviuciae Bel- gicac... IIe>zeh, 6j:!'.i. (2) Cf. L 1'.kmi:h, Mel. d'Epfgraphie, p. .'.:). (3) Sc/iTONE, c. XII, n" 2.— Tacit;:, Anna!., XII, CO.. (t) l)c Officiis domus aiiy., liber III. c. 334. - 102 — Cilerieure (1), ce qui n'cmpechait pas , comme on le voit, chacun d'cux d'avoir scs assemblies, et vrai- semblablcment aussi scs magistrals a pari. L'ordre dans lequel sonl enumeres les litres de noire personnagc indique qu'il avail rempli en der- nier lieu la charge de procurator. II avail d'abord, comme lc D. J. Capilo de l'in- scription n° 5, commando la lle legion Adjutrice. Plusieurs corps porterent cede denomination : nous aurons lieu d'en parler plus bas. Quanl au lilre de Iribun, ici comme dans les inscriptions precedenles, nous croyons qu'on doit entendre le grand tribun, tribitnus major, chef de la legion. Les oilieiers com- mandant une coliorlc portent lc meme litre, il est vrai; mais I'indication de la coliorlc suit habituel- lement le nom du Iribun minor qui en est le chef, ce que nous n'avons pas ici. Dans lc Bas-Empire, on donna le lilre de prefet (pmfectus legionis, etc.) au grand tribun, el meme au tribun de cohorle ct a tout oflicicr qui commandail un dctachement de legion employe ou slationnant separemenl, comme le prouve une inscription que nous rapporlcrons plus loin et qui regarde un chef de cohorle oppar- tenant a la premiere legion Minervienne. II avail ele censeur des Remois. Quel sens donner a ce litre? Dans un chapitre sur les magislrats ro- mains charges de faire le recensement de la popu- lalion des provinces de la Gaule , M. L. Renier rappelle que le recensement de la population des provinces etait confie, sous l'empire, a des magislrats (1) Cellahiiis, Notitia orbis sntiqui, lil). II, cap. 1, 19 ct seq.— V. aussi Delormk, loc. cit. — 103 — qui preiwient le litre de legate Augusti pro prcetore censuum accipiendorum, ou ad census accipiendos, ou simplement ad census, ou bien encore celui de legati Augusti pro prcetore censitores; que, suivant Tacite, deux recensemenls furent faits en Gaule, le premier en l'an 14 de noire ere, par Germanicus, le second en 64, par Trebellius Maximus, Volusius Salurninus el Sexlius Africanus. Ces Irois person- nages avaient exeree le consulat. Plus tard. on se contenla de prendre les censileurs parmi les anciens preteurs. Enlin, aprcs avoir reserve celle charge aux scnateurs, on aurait commence , sous l'empereur Se- vere, a la donner a des chevaliers. Ilcileensuile une inscription relative a un censileur de la province de Belgique que M. llenzen (I) croit etre un fils de l'empereur Maxime. La voici : T. Clo- divs... Pvpienvs Pvlcher Maximvs , ELECTVS. IVD. SACRO. AD. censvs. ACCEPT. PER. PROV. VELGIAM. « Le style et l'orlhographe de ['inscription , ilit M. L. Renier , sembleraient annoncer m\e epoque plus basse. » En lout cas, elle ne serait pas poslerieure au milieu du IVe siecle, epoque a laquellc nous cro;, ons ponvoir rapportcr la division de la Belgique en Premiere et Seconde. Outre ces censileurs provinciaux, M. L. Renier signale des censiteurs en sous-ordre : ainsi, dans la Lyonnaise, un adjutor ad census provincial; puis, dans noire contree, le magistrat a qui apparlient l'inscription (juinous occupc. « Oiclinaiiemcnl, dil-il, les inscriptions relatives a ces fonclionnaires cdn- lienncnt I'indicalion des villes ou des parlies de la province dans lesquelles ils ont opere. » (1) Bulletin tie I'Institui niched, de Home, 1819, p. 93. — 104 — Jusqu'ici , nous sommes plcinemeiit d'accord avec M. L. Renier. Mais nous ne pouvons ranger noire censeur avec les censileurs donl il parle, et confondre les adjutores ad census avec les censores civitatis. L'exprcssion seule suffit, ce nous semble, a indiquer une magistrate mnnicipnle, et non une i'onction relevant des empcreurs. Et d'ailleurs, il est difficile d'admettre que le cen- sorat de Home ait ete confere, sous l'empire, a des parliculrers, quand on voi! Claude (1), Vespasien (i), Titus (3), non-seulement se serviv de I'autorite cen- soriale pom' aecroilrc leur pouvoir (-4), mais reven- diquer le litre de censeur dans les inscriptions et dans les actes irnportanls de leur regno; Domitien, enfin , des l'annee 86 (5), porter le titre de censeur perpe- tuel, jusqu'a ce que la mention de celte portion des prerogatives imperiales parut inutile. Nous croyons done que notre inscription est une preuve de l'existence des insii'utions romaines a Reims des la fin du ler siecle. On comprend, du reste , que, sans y etre contraint, puisqu'il jouissait de I'aulonomie, le peuple qui avait montre le plusd'em- pressement pour la cause des vainqueurs, n'ait pas ele des derniers a iinilcr Rome dans les formes du gouvernement, et qu'il se soil promptement applique a rendre cetle imitation aussi complete que possible, (1) Ouklli etHeaZEK, 331, 648, 709, 710, 711, 712, 722, 723, 2052, 5181, 6005. (2) Op. cit , 1868, 3261, 5190, 5256, 5418, 5419, 5420. (3) Op. cit., 53, 56, 751, 752, 759, 5428, 6913. {i) Temoin la celebre Table de Claude dont nous parlerons plus bas. (5) Op. cit., 766, 7 68, 5133. [/inscription 5430, qui est de l'annee 85, porte le litre simple dc censeur. — 105 - sinon en creant de nouvelles magistratures, toul au moins en donnanl des noms de magistralures romaines 11 colics du pays qui s'en rapprochaienl le plus. Nous voyons encore ici la preuvc d'un fail qui rnerile alleniion, c'esl qu'il n'y avait pas incompali- bilile cnlre les cliarges de la republique remoise et les grades superieurs dans rarmee romaine ; el s'il n'esl pas demontre par noire inscription que le meme pcrsonnagc ail eu a la lois le commandement d'une legion et le censoral de la republique remoise, on congoit que rien n'eut empecbe qu'il en Cut ainsi, dans le cas ou la legion eut etc en station a Reims ou dans le voisinage. Au surplus, il est permis de considerer les divers litres relates ici comrae successifs. Mainlenant, de quelle nature elait le censoral dans la cite remoise? C'est bien ce qu'il imporlerait de pou- voir preciser. Malbeureusement, les renseignemenls sur ce point sont pcu concluants : il est a croire scu- lement que le censeur de Reims avait des fonclions analogues a celles des eenseurs de Rome. On sail de plus que, dans la plupart des villes alliees etdes colo- nies, il y avait deux eenseurs, et que d'autres en eurent qualre, meme buit. Mais commc ceci se connait par les inscriptions, ou ce litre est generalement ac- compagne des mots duumvir, quatuorvir, etc., l'ab- sence de l'un de ces mots autorise, enquelque sorte, a croire que Reims n'avait qu'un seul magistral de ce nom. Dans la plupart des cites, ces magislrats etaienl nommes pour cinq ans ; un Ires-petit nombrc en avaienl de perpeluels (1). (i) Nous avous rite plus liaut une inscription qui fail mention paiwHement du censeur des Ainbieus mi Aiuieuois. - 100 llllllllllllllllllllllllllllllll S- ET MEMOR • N /////// llllillllllllllllllllllllllllllllll lllllllllllllllllllllllllllllllllllHlltll /////// SENATOR V 1 X I T ANN-LXXII VITALINA CONIVX CARISSIMA VIVA • M • POSVIT 3f*> T (Diis Manibvs) Sacrvm ET MEMORiac ( N. CIVitalis REMOHVM FOEDeratae) SENATORis: VJX1T ANNis LXXI1. V1TALINA CONIVX CARISSIMA VIVAMonvmentvm POSVIT. — Svb ascia. a Monument consacre aux Dieux Manes el a la memoire de N., senateur de la cite federee des Remois. II vecut 72 ans. Erige par Vitaline , sa chere epouse , encore vivante. » Geruzez, Description de la ville de Reims, tome /er, p. 288. — PoviLLON-PitLRruRD , Disserlut. sur les anc. sepidt. deconv. hors de Rheims , p. 12. Celle inscription a ele irouvee le 20 Mars 1812, sous l'un des piliers de l'eglise Saint-Nicaise en de- molition , a 5 pieds tie profondeur, suivont Povillon- Pierrard. L'ecrivain que nous citons ne dit pas si la pierre qui la portait elail engagee dans la construction du pilier ; mais il insinue qu'elle apparlenait a une sepulture dont la chambre, construite en platre , fut Irouvee a pen de distance de la, a 10 pieds au-dessous flu so! do I'eglise. La tele des voies romaines de Reims a Toul, Mclz el Chalons, qui passait precise- men I. derriere l'emplacement occupe par I'eglise , devail elre bordee dc chaque cole de monuments funeraires; .'.insi I'oa ne saurait assurer que l'in- scription apparlint :i la sepulture qui fut rencontree plus avant dans la lerre , plulot qu'a quelque autre du voisinage. Quoi qu'il en soil , la pierre gravee avait 3 pieds 9 pouces de longueur , 2 pieds 6 pouces de largeur el 8 pouces d'epaisseur. Elle elait grossieremenl tra- vaillee et portait , au has de l'inscription , Yascia en relief. Elle n'a pas ete conservee; du moins nous ne croyons pas qu'elle ail pu avoir d'aulre destination que celle de moellon , dans les mains indifferenles des acquereurs qui se sont parlage les materiaux de Saint-Nicaise npres l'acquercur principal , le trop fa- meux Santerre, brasseur de son metier , et par occa- sion general de la republique, comme chacun sail. La chambre sepulcrale dont nous avons parle avait 6 pieds de longueur, sur 10 a 12 pouces de profondeur, et 10 pouces de largeur. On y trouva un squeletle encore entier. Les lignes 1, 3 et 4 de l'inscription n'ont pas ete relevees par ceux qui l'ont vue , apparemment a cause de leur mauvais elat. Nous croyons pouvoir legitimementla completer en plagant, en tele, les sigles D. M; a la troisieme ligne, les nom et surnom du per- sonnage; et a la quatrieme, l'indication du pays ou il avail exerce la dignite senatoriale. Toutefois , comme Povillon en ecrit ainsi le commencement : S. ET. MEMO....N, sans indiquer de lacune au-dessus de cello ligne, dans l'incertitude ou nous laissent forcemcnt des — 108 — autoriles peu sures, nous croirions volonliers que ce qui a ete pris pour un S etait un D, et que la leltre N elait un M. L'explication , du reste , serait , au fond, la meme. Nous verrons que l'eglise dont nous parlons etait orginairement un cimeliere chrclien ; mais la for- mule Diis Manibus sacrum indique unc sepulture an- terieure a cetle 6poque. Quant au mot senator, esl-il un tiire de dignite? est-il seulement un surnom ? II y a des exemples de ce dernier emploi dans plusieurs inscriptions de la Gaule; mais la aucun doute n'est possible, puisqu'il n'y a pas de lacunes a reraplir et que la coDtexture des inscriptions ne permet pas une explication diffe- rente. Ici, an conlraire, differentcs suposilions sont permises : quoique nous ne puissions en affirmer aucunc, nous devons cependant les examiner. Noire redaction suppose que le personnage dont rinscription a conserve le souvenir appartenait au senatde Reims, et non au senal de la capitale de l'em- pire. Aucune indication ne motivant un choix entre les deux digniles, nous sommes oblige de montrer comment on peul admetlre cbacune d'elles, et sur queiles donnecs il est permis de l'etablir. Exominons d'abord comment les Gaulois eurent enliee au senal de Rome. Cesar, a qui nous devons a peu pres lout ce qu'on sait du gouvernement interieur des principaux penples de la Gaule, parle aussi des privileges qu'il accorda a plusieurs d'entre eux, et qui furenl l'originc de leurs franchises municipales ; il ne ditpas jusqu'a quel point les nouvelles provinces entrerent dans le droit commun de l'empire. Fidele a la politique roraaine qui mesurait toujours les droits — 109 — accordes sur les services qu'elle avait recus ou sur ceux qu'elle pouvait reeevoir, nous le voyons d'abord favoriser certaines villes et en abaisser d'aulres au contrnire; puis, lors des guerres civiles, recompense!" le dcvoucment desnouvelles provinces par un regime plus doux que celui de la Narbonnaise , qui avait donne des preuves d'atlachement a la cause de Pom- pee. 11 paraft done probable que les droits dont jouissaient les habitants de la iXarbonnaise, ceux de la Gaule Cbevelue les recurent aussi, et meme dans line mesure plus etendue. Mais cela devait se borner encore a assez pen de chose, suivant ce que nous apprend Tacile. Les principaux de la Gaule Chevelue, dit-il, qui avaient obtenu depuis longtemps des traites et le droit de citoyens romains, aspiraient, sous l'em- pereur Claude, au droit d'obtenir les dignites de Rome (1). « Primores Gallia? qua) comata rppellalur fcedera el civilatem romanam pridem assecuti, jus adi- piscendorum in urbe honorum (appelebant.) » Les traites, fcedera, voila les privileges particuliers, voila l'autonomie plus ou moins complete dont nous avons parle. Quant a la qualite de citoyen romain, civitas romana, le seul jus privatum lui elait atta- che ; celui qui le possedait n'etait pas citoyen optimo jure, comme on disail ; il n'avait aucune part aux droits politiques, au jus suffragii et au jus honorum: et nous le voyons , les principaux seuls, ceux que Cesar appelle principes, et Tacile primores, jouis- saient de ce premier degre de la cite romaine. Suelone , il est vrai , nous fait connailre que .1. Cesar fit enlrer dans le senat quelques Gaulois a I ) AniKikx, I, »V. — 110 — demi barbares (1); ce fait s'explique par la tendance interesseedu diclaleur a rompre une majorite qui lui etait hostile ; mais eeux qui etaient 1'objel de cette faveur , devaient avoir regu anlerieuremenl et par concession individuelle le droit de bourgeoisie. Et la preuve qu'on ne peut l'enlendre autrement, c'esl que, quand Ciceron nous fait connaitre que la Nar- bonnaise est peuplee de citoyens romains , « plena civium romanorum (2) , » la suite de son discours demontre que ccs citoyens romains ne sont pas des gens nes dans le pays. Ainsi en devait-il etre de la Gaule Chevelue , apres les favours repandues par Cesar sur sa conquete. Ses successeurs immedials n'apporlerent pas beaucoup de changement a l'eiat des choses : Auguste, particulierement, parail avoir plutot resserre les lirailes des concessions. Claude, le premier, dans les memes vues politiques que Cesar, et voulant , comme lui , s'affranchir de l'aristocratie senatoriale , commenca ce mouvement favorable aux etrangers dont les progres croissants amenerent enfin, au commencement du llle siecle , l'edit de Caracalla , qui fit triompher definitivement dans l'empire le prin- cipe de l'unite. Claude elant ne a Lyon , la Gaule fat naturellement appelee la premiere a jouir des droits nouveaux qui constituaient la plenitude de V optimum jus , ou le solidum civitatis beneficiiim , comme s'exprime la Table de Claude ; le prince les demanda pour elle dans un discours solennel au senat dont Tacite nous a donne la substance, et dont le texte meme a ete retrouve en 1527 , a Lyon. Cette celebre (l) In Ccesar. , 7(>. [2j Pro Fonteju, V. • — 111 — Table de Claude est, comme l'a ecrit M. Benech (1), le premier monument authentique de notre liisloire nalionale , le litre de notre admission dans la grande initiation du monde. Mais a qui prolita le discours de Claude, ou plulot le senatus-consulte qui en approuva les propositions? M. Benech repond avee raison a cette question que les principaux ou notables de la Gaule Cbevelue recu- renl seuls le droit aux honneurs , et que ce mot primorcs de Tacile, comme le principes de Cesar , designe les plus distingues des Gaulois par leurs richesses , par l'anciennete de leur race , par la puis- sance de leur famille, aussi bien que les bommes eleves en dignite, les fonclionnaires, les membrcs du senat ou decurions gaulois; tous ceux, en un mot, qui avaient aulorile dans le pays a un titre quelconque ; ceux qui, en raison de leur position elevee, avaient deja recu des privileges et le droit de cite, « fcedera et civitatem romanam pridem assccuti. » Ainsi le senatus-consulte ne s'appliqua qu'a une classe des Gaulois Cbevclus : seuls, les principaux dc la nation recurenl le droit d'etre appeles au senat et aux magislratures de Rome. Quant au mode d'elec- tion , il etail fort simple : 1'empereur, invesli seul du pouvoir censorial, disposait du privilege accorde: (1) Les druides, dont le sacerdoce avaitete supprime ciuq ans auparavant par Claude Iui-meme, pouvaicut-ils etre compris dans la categorie des primores ? II uous semble douteux qu'en leur retirant l'exercice du pouvoir religieux dont ils etaient investis, le prince ait porte atteinte aux droits qu'ils pouvaient avoir d'ailleurs, en vertu des constitutions ou des faveurs imperiales ; seulement, ils ne devaient plus iuvoqucr leur titre supprime pour pretendre au premier rang comme autrefois. M. Benech, suivaut nous, n'a pas assez l'ait cette distinction. — 112 — c'elait done a sa faveur scule qu'on en devail les eflels. Les Eduens furenl les premiers appeles ij en jouir, suivant Tacile : « Primi M M • M • AVRELIVS • PRIMVS VETERANVS-LEG- I-M MISSVS • HONEST • MIS SION • GlVTS ■ REM- VlVS SIRI FECIT^ET - C MODESTIN -PEREGRI NO - VETERANO - LEG E1VSD-M1SSO • HONEST MISSION - CIV - AGRIPP CONTVBERNAL • MIHI CARISSIM • ET • SVB ■ AS CIA DEDI GAVERVN T Fig. 4. « Aux Dieux Manes. M. Aurelius Primus , veteran de la premiere legion Minervienne , sorti du service par conge" honorable, citoyen de Reims , a fait faire de son vivant ce monument pour lui et pour C. Modestinus Peregrinus, ve- teran de la meme legion , sorli du service par conge hono- rable , citoyen de Cologne , son compagnon ; pour moi (dis-je) , et pour mon ami ; et tous deux l'ont dedie sous 1'ascia. » Comarmond, Musfe lapidaire de la ville de Lyon, n» 317. Cettc inscription , trouvee a Vaise, il y a quelques annees , fait partie du niusec de Lyon. Nous la rap- — 120 portons ici la premiere , a cause des details qu'elle renfermesur le service militaire. M. Comarmond, (jui ecrit, a la cinquiemc ligne , CIVIS REMVLVS , n'en traduit pas moins ces mots par citoyen de Reims. II parait, du reste, avoir moins bien transcrit que bien traduit. Nous nous empressons done de revendiquer un compatriole, de donner des lettres de bourgeoisie a ce genereux soldat, a ce constant et excellent ami qui ne veut pas que la mort le separe du compagnon de sa vie , mais qu'il ait place avec lui dans l'asile du repos. Le monument est un monolithe de calcaire juras- sique, portanl 2 metres 77 cent, de baut., surd m. 6 cent, de large et 80 cent, d'epaisseur. II n'est pas seulement remarquable par ses dimensions, il est de- core d'un couronnement a moulures , avec consoles renversees, au centre duquel on a sculpte Vascia. La base porte egalemenl des moulures el presente , sur le devant , une ouverture carree servant d'entree a une chambre sepulcrale qui elait vraisemblablement menagee sous le monument. Entrelessiglcs D, M dela premiere ligne est figuree en creux une feuille de lierre, que beaucoup de sa- vants regardenta la fois comme un symbole funeraire etcomme un symbole de 1'amilie, a laquelle certains n'attachent pas d'autre valeur que celle d'un signe de separation. Une feuille de lierre est encore sculptee en creux a la sixieme ligne , entre le mot FECIT et le mot ET. Selon la pratique babituelle des graveurs en lettres a cette epoque, plusieurs I sont allonges, no- lammcnt dans le mot VIVS , lequel est remarquable aussi par la suppression de l'V voyelle aprcs l'V con- sonne , comme nous l'avons deja vu dans les nos 5 — 127 — el 6 ; aux mots PEREGR1NO ct AGRIPP., la lettre I est reportee sur le jambage allonge de l'R ; et au mot MIHI, le deuxieme I est reporte sur l'un des jam- bages de la lettre H, comme on le voit par la figure. La legion a laquelle avaient appartenu nos deux soldats etait, croyons-nous, la premiere Minervienne. Ce nom est indique par sa premiere lcltre seulement; mais nous croyons notre choix suffisammenl autorise par les nombreuses inscriptions relatives a la pre- miere Minervienne, qu'ont recueillies Gruter et Orelli. Celte legion devait sa creation a Domitien; Trajan en confia le commandement aAdrien, lorsqu'il l'em- mena dans sa deuxieme expedition contre les Daces (1). Casaubon (2) pense qu'elle n'etait pas la seule qui portal le nom de Minervienne ; mais rien, jusqu'a present, n'est venu juslilier cetle opinion. Les Minerviens paraissent devoir leur nom a la devotion particuliere qu'avait Domilien pour Mi- nerve (3). Suivant la Notice de l'empire, ils faisaient partie des huit legions dites comitatenses, e'est-a- dire appelees a servir dans le comte du prince, mais qui remplissaient rnrement cette destination, puis- qu'elles furenl placees sous les ordres du maitre de la milicede l'lllyricum. Ptolemee indique Boulogne- sur-Mer comme ayanl ete la residence de la premiere Minervienne; nous n'avons pas besoin d'ajouler que (1) Dioj»., Hitt. rom., lib. LV. — Spaiitian., in Adrian., 3. (2) In Sparliani Adrianum, cap. 3. (3) Chez les auteurs grecs et dans les inscriptions grecques, cette legion est appelee du nom grec de la deesse , to A9»jva'ev ray- /m«, i) hyiuv TrpwT/i A0»;va. C'est done sans raison que Ion a cru (pie ce nom ctait celui d'une ville, aujourd'hui inconnue, ou au- raient etc crees lc>; Minerviens. - H8 - le sejour qu'elle fit chez les Morins nc t'ut que mo- mentary. Dion (1) la place dans la Germanic Infe- rieure, cc qui rentre a pen pros dans le departement militaire auqucl elle apparlient d'apres la Notice. La presence de deux soldals remois dans cet'c legion portc a croire qu'elle se recrula , sinon habi- tuellement, du nioins momentanemenl , dans notre conlree. Une aulre inscription nous rensciirnera d'une maniere plus precise a cet egard; elle pro- vienl d'un monument eleve a Jupiter par un officicr apparemment preserve de la foudre, dans le lieu meme oil il avail pense perir, a Narone, en Dalmatic. Cet officier, norame Sulpicius Calvio, servait dans la premiere legion Minervicnne et y commandait la premiere cohorlc des Beiges. Voici l'inscription (2) : I • 0 - M SVLPIC1VS-CAL YIO-C-LEG-I-M- PR AEPOS1TVS- GH O-I-DELG HOC-IN LOCO-MAIESTA TE-ETNVM1NE E1VS- SERVATVS Le terme propositus , employe pour marquer le grade de 1'officicr , nous parait caracteriser I'epoque de cette inscription : elle ne doit pas elre des pre- miers siecles. (1) Loco citato. (2) Lanza , Sagio storico statisco medico sopra Vanliqua cilta di Narona — Hbkzen , 6750. — 129 - Revenons a nos soldats. Lo service militaire <5ta it de 10 ans pour la cava- lerie, et de 25 nns pour l'infanterie , reduits a 20 pour celle derniere par Augusle (1). On y en trail a 17 ans, el on en sortaitau moyen dediverses especes de conges que nous rapporlerons sommairemcnl. On distinguait le conge regulier el le conge irre- gulier, missio justa, tnissio injusta (2). Le premier elait de deux sorles : 1° Missio honesta, conge que le soldat oblenail apres avoir fail son temps. Geux qui voulaient encore cnnlinuer a servir etaient mis au rang des veterans on voloniaires, jouissaient, it ce litre, de ccrlains privileges, etnotamment n'etaient pas assujellis a tous les travaux babituels du soldat ; ils obtenaient comme retraile une recompense pro- porlionnee a leurs elats de service. 2P Missio cau- saria. conge motive par la maladie, les blessures, etc. Une loi de Valenlinien nous apprend que ce dernier conge n'enlevail pas a ceux qui l'obtenaient leurs droits a la recompense de leurs travaux. Le conge illegal ou irregulier, missio injusta, elait aussi de deux sortes : celui que Ton obtenait par faveur, missio gratiosa ; et le renvoi pour crime ou lacbete, mi7 . (2) Maceh, de He milit., II, 2; XIII, 2. XXX. 9 - 430 - age ils I'avaieot quitle. Or une inscription du rcgnc d'Hadrien mentionne un veteran qui reeut son conge au bout cle "26 ans (4); une autre parle egalement d'un veteran qui servit 26 ans, niais sans qu'il y ait mention de conge (2). Elait-ce la limile ordinaire? Nous n'oserions l'assurer sur ces seuls temoignages. Nos veterans ne disent pas non plus par quelles circonstances ils habitaient la colonie de Lyon. Leur qualite de veteran autorise a penser qu'ils y avaient acquis quelque bien a titre de recompense militaire. Des les derniers temps de la republique , les cbefs avaient assure une retraile a lours soldats en leur donnant des terres d'abord dans l'ltalie, puis dans les differentes provinces de l'empire. Tout le monde se rappelle la plainte de Melibee (3) : Impius hsec tam culta novalia miles habebit:' Barbaras has segetos ? Ces distributions de terres, irequentes a la suite des guerres civiles, le devinrent davantage encore sous l'empire, dont le maitre pouvait tout avec la milice, et rien qu'avec la milice, surtout avec la milice pre- torienne. Assuremenl, la retraite par laquelle on recom- pensait leurs services etait pour ceux qui portaienl les amies le plus puissant encouragement qu'on put proposer a leur emulation. Ces etablissements avaient encore d'autresavantages. lis debarrassaienl le centre de l'empire d'une population genanle , si elle demeu- (1) Schefkkr, de Mil. Nov., IV, 1. 1 2) S. Pitiscos, ad verbum Missio. (3) Virgil., Eclog 1, 71. — 131 - rail inoccupce , et la rendaienl de plus fort utile, en appliquant sa male activite a l'agriculture, et parli- culierement au defrichement des terres. Enfin, c'etait un moyen de domination des plus assures, que de transporter au loin les lois et les usages de Rome, et de placer de distance en distance, dans les provinces suspectes, ces noyaux de population romnine qui devenaient comrae les jalons et les postes avanccs de sa puissance. Nous avons vu dans Pinscription n° 1 qu'un Remois du nom de M. Quartinius, apres avoir servi en qua- lite de fanlassin de la VIIe cohorte prelorienne An- tonine, s'etait etabli dans la Sabine. G'est eel u i qui, pour l'accomplissement d'un vceu, cleva le curieux monument que nous avons decrit aux divinites gallo- romaines Arduina , Salurne , Jupiter, Mercure el Hcrcule. Le barbare qui, dans Virgile, reco'.te les moissons du laboureur ilalien, n'est-ce pas, a la lellre, noire Remois Quartinius et lout autre elrangcr enrichi, comme lui, par Octave, par les Anlonins ou par d'aulres, aux depens d'un ancien proprietaire depossede? Je n'assurerai pas que le poete manlouan nous eut moins loucbe , si nous avions su que l'usur- pateur, maudit dans ses vers, fut quelqu'un de nos peres ; mais, a couj) sur, nous n'avons pas pris lelle- ment au serieux son recil, (pie les preuves de son exactitude n'aienl pour nous quelque chose de sur- prenant et a la fois de piquant aujourd'liui. . L'elablissemenl de veterans dans le voisinage de Lyon et de plusieurs autres dans noire pays nous porle nalurellement a recbercber sommairement quelles ctaienl les condilions de cet etablisse- menl. — 132 -- En parlant (1) de la douceur avec laquelle s'im- posa le pouvoir du vainqueur aprcs la conquele , nous avons dit que les terres dcmeurerent dans les mains de ccux qui en elaient en possession ; a pari la Narbonnaise, dont les habilanls ne furenl pas aussi favorablement traites, parait-il (2), la Gaule ne nous I'era pas entendre des plainles scmblables a celles de Melibee. Meme a la fin du IVe siecle , les anciens possesseuvs n'etaient pas troubles dans leur jouis- sance, malgre la presence d'un grand nombre d'lta- liens et aussi de veterans de diverses nations. Entre autres loi ^ de ce temps qui favorisent Fagriculture dans b s Gaules et qui assui'ent le sort des habitants de la eampagne, nous en trouvons une, adressee en 370 par les empereurs Valentinien Valens et Gralien a notre Jovin, chef militaire des Gaules , magister militum per Gallias , qui invite les veterans a defri- cher les terres que leur position inaccessible ou 1'abandon des proprietaires rend incultes , et leur en assure la libre jouissance (3). Les veterans etaient rarement dissemines. D'ordi- naire, ceux d'une meme legion allaient peupler les colonies etablies dans les endroits que la guerre avait ruines, et le tcrritoire ossigne a la colonic etait par- tage entre eux. Ainsi Plinc nous fait connaitre la colonie d'Arles, formec de soldats de la VIe legion ; celle de Beziers, formce de soldats de la VIle legion ; (t) Inscription n" 5. (2) Discours de Critognate aux. Gaulois assieges dans Alise. Cesar, De Bella gall., 1. VII, 77. (3) Cod. Theod., t. It, p. 433. — D. Bouquet, Rec. des histor. de France, t. I, p. 75i — Brequigny, Table chronol. des diplo- mes. . ., t. I, p. '*. — 133 - cello de Frejus, do soldals de la VIIIC; celle d'Orange, de soldals de. la lle (1). Au resle, les veterans elaient loin de s'occuper exclusivemenl de la culture des lerres. line loi des memes princes, dalee de Vervins, en 306, et adressee a Dagalaife , raaitre de la railice avanl Jovin, quand celui-ci n'elait que niaitre de la cavalerie, ordonne de laisser les veterans acheler, vendre et faire negoce, sans qu'ils aient a payer pour ce aucuns inipols ou redevances (2). 12. OKI/" L I ■ C . A E T I C C I . V etera..leg.pri.a divtr1cis.piae.fI delis. et.secvndi \NE . COIIVGI . IPSE . S (Diis-Manibvs et Memoriae) jj Lidmt Aelicci , v [| ete- rant legionis pr'mue a |j divlricis, piae, fi || delis et Secvndi || n(a)e co(n)ivgi, ipse s || (ibi posvit). « Aux dieux Manes el a la memoire tie Licinius Aeticcius, (!) Colonia Arclate Sextanorum; Colonia Blilerrs Septnanorum; Forum Julii Octavanorum Colonia; Colonia Atausio Secundanorum. Hist, mat., lib. Ill, c. 'i. [2] I). BOUQUKT, IOC. Ctt., |). ":")(). ~- \U - veteran de la premiere legion Adjul rice , pieuse , fidele . ot de Secundine , son epouse. Eleve pnr lui de son vivant. » Mu sec de Reims. Ce monument funeraire a 1 m. 3 cent, de lontr , 43 cent, dans sa plus grande largeur et 1 m. 10 cent, d'epaisseur. II est en pierre de l'Aisne. Les lellres sonl de la mcilleure epoquc; elles portent 65 millim. ;iux lignes 1 , 2 et 6 , et ont moins de hauteur dans les autres. Deux I, dans la quatrieme ligne , depas- senl la longueur des autres lettrcs. Dans la sixieme , on remarquera la repetition de l'l de conivgi, en remplacement de l'N, suivant un usage assez 'fre- quent dans les premiers siecles. Le bas et le haut de l'inscriplion manqnent, mais se devinent facile- ment; elle est complete dans sa largeur, sauf deux ou trois leltres de la gauche, dont l'indecision cm- peche de connaitre surement le nom du veteran. Le nom d'Adjutrix prima donne a la legion design e suffisamment le cor[>s auquel il avail appartenu. Plu- sieurs legions Parent ainsi appelees, dit Panciroli (1), parce qu'elles avaient ete, lors de leur creation , destinees a porter secours a d'autres dans le combat ou a les seconder dans quelque operation mililaire. On en trouve Irois de ce nom dans Grutcr, la pre- miere, la deuxiemc et la troisieme, el parliculiercment la premiere (aux pages 387 , nD 8 ; 436 , n° 7 ; 493 , n° 1), avec les qualifications pia et fulclis qu'elle tenait de la reconnaissance des empereurs pour ses services. Tacile parait attribuer sa creation a Othon (2). La deuxieme du mcmc nom a deja ete mentionnee (1) In Nntitlam imp. Occid. Comment., cap. LXXX1I. (2) Hittor., lib. II, 43. - 135 - plus haul dans les inscriptions nos 5 fit G : Hadrien y sfirvit en qualile fie Iribun , avant que de porvenir a Tempi re (1). On vnit dans la Notice des dignites de I'empire d'Occident qu'elles furent placces toutes les deux sous les ordres du due de la province Valeria Ripensis, e'est-a-dire du pays silue entre le Djnubc el la Drave. La meme Notice donne l'indicalion des end roils oil eljes etaient en quartier (2); Dion (3) indique la Pannonie com me oianl , de son temps, la residence de la seconde. L'auteur des Recherches sur les origines des eg Uses de Reims, de Soissons et de Chalons (A) pretend lirer de celle inscription , el tie cede que nous avons rap- porlce sous le n" 1 , celle induction, que la premiere legion se recrulait a Heims. On pourrait demander d'abord ce que l'auteur entend par premiere legion; car il parait ouhlier que, sous I'empire, pour designer . IV, -r,. {2} Inscription n" 5. - 137 - (Jus (Jans le vuisinage (1). En oulrc, telle circon- st.mce donnee pul fa i re de Reims le quartier general des armees dc 1'empire et lui donner une cerlaine importance militaire. Ainsi, Tan 355, Julien, nomme Cesar, fut envove en Gaule, an moment ou les provinces de 1'Est etaient envahies par les Allemands: c'estaReims qu'il concen- tra d'abord'les legions qui s'elaient retirees jusqu'a la Maine et la Seine; c'esl la qu'il disposa tout pour la grande expedition dans laquelle il refoula l'ennemi au-dela du Rhin et dee'agea Strasbourg, Savernc , Coblentz et Cologne (2) La predilection do Julien pour notre ville et le sejour qu'il y fit plusieurs fois , a l'occasion dc ses expeditions contre les Allemands, fixerent-ils a Reims le siege habitue! des cbefs militaires de la Gaule? D. Bouquet (3) croit pouvoir assurer, d'apres Ain- mien Marcellin, que le mailre de la milice des Gaules y avait sa residence ; el si nous ne trouvons pas (II La Notice des (lignites place dans laSeconde Rctgique, enlre les Remois et les Ambiens, un corps de Sarmates; a Reims et a Senlis , un corps de Letes Genlils; a Noviomagus, un corps de Letes Batavcs : " Praefectus Sarmatarum Gentilium inter Remos et Ambiauos provihcifB Belgic, » dit le savant benedictin. — m — Ammicn tout-a-fait concluant sur ce point, nous ne pouvons, du moins, oublier que Jovin , donl nous paiierons bienlot , parcourut les hauls grades de 1'armee sous Julien, jusqu'a celui de mailre de la milice, magister milit.um , ou magister equitum pe. ditumque , el qu'apres elre parvenu a cctle liaule position, il parail avoir fail sa residence habituelle a Reims. De plus, quand Jovien , a son avenemenl , voulul depouiller Jovin du commandement militaire qui lui etail coufie, c'est a Reims que Lucilien, beau- pere de l'empereur, vinl faire reconnailre l'autorite de eetle decision, comrne au cenlre de Taction gouver- nemenlale et an quarlier general des armees romaines dans la Gaule. C'esl encore a Reims que les lettres de Jovien vinrent Irouver Jovin, pour l'engager a rcpren- dreses fonclions et a lui dormer le concoursdesa pru- dence el de son aulorile personnelle. Enlin, plusieurs lois relatives au service militaire, a la meme epoque, surlout pendant le consulat de Lupicinus et de Jovin, en 367, sont datees de Reims. Pour completer ce que nous pouvons dire sur l'etal militaire de Reims , il nous reste a examiner quelle fut , ilu cote de la guerre, la puissance des Remois , avant la conquete ; puis quelle part ils pri- renl au service militaire , comme sujels de F empire. Cesar ne dil rien des forces des Remois, parce que, suivant la remarque de Lacourt (1), leur canton se rangca des le commencement a son obeissnnce, et qu'il n'eut point tie part oux premiers troubles excites dans le nord de la G.iule. Mais on en pent juger par conjecture, quand on sail, d'apres le lemoignage 'I; Hallo Belgica, :n.< , [" 91. . — 139 - memo des deputes romois qui vinrenl Irouver Cesar., queceux de Soissons pouvaienf mcllre 50,000 hommes sur pied , ct ecux do Beauvais jusqu'a 100,000. Lc pays ro^mois no le cedait point 6 ceux quo nous vciions de nommor, on elendue commeon population ; sa capitale elait ires^peuplee, an dire de Strabon ; il complait plusieurs villes forlifiecs, suivanl le temoi- gnagc des deputes romois que nous avons deja cites el qui cxposcrent a Cesar Fetal du pays : « Parati oppidis recipcrc ; » et Ton pent jugerde la force de cos places par le siege du Bibrax , l'une d'elles. Cello ville elait bien fortifiee ; olio avait ses portes , ses uiuiaillos , ses remparls; Iccius, l'un des principaux de la nation, y comraandait; sous ses ordres, elle soulinl bravemenl I' effort des Beiges minis, dont ie nombrc elait lol que lour camp occupail une elendue de plus de deux lieues. Comme c'esl un point conlroverse que do savoir si les Rernois appartenaiont a la Cellique on a la Bel- giquc , nous ne pourrions l'aire valoir on favour des Romois la reputation do courage qu'avaient les Beiges, sans essayer en meme temps de les laver du reproche d'avoir trahi la cause de cos derniers. Ccci nous mcnerail trop loin. Mais, que nos peres fuss- nt beiges ou non, nous n'en maintiendrons pas moins pour eux le mcrile de la valour guerrierc. Lucain, pres de nous monlrer Cesar sortant de la Gaule avee ses legions pour courir a une aulre conquele, cello de Pempire, passe en revue les peu- plos les plus belliqueux do' la Gaule : a cote des Lingoncs armes de glaivos colores , du riverain de la Seine adroit a faire monoeuvrer lc cheval , et du Soissonnais au corps souple el aux longuos armes, - 140 — il a soin de nienlionner les Remois , dont le bras est habile a lancer le dard : Optiinus excusso Leucus Remusque lacerto (i . Cesar, du rcste, les employa souvenl dans ses oampagnes de Gaule , comme auxiliaires, el il se lone beaucoup des services qu'il en recut. Suivons-le parliculieremenl , avec Hirlius, dans la derniere gueri'e conlre les Bellovaques; la, nous ver- rons avec quelle ardeur la cavalerie remoise charge l'ennemi, puis se preeipite ;i sa poursuite. Entoures malheureusement par des Iroupes superieures en nombre, les Remois ne parviennent pas a vaincre eel obstacle inatlendu, mats ils ne se retirent qu'apres avoir perdu leur chef dans l'aclion. Verlisque etait un homme consomme dans le metier des urines, mais , affaibli par les annces , il pouvait a peine se soutenir a cheval i ; cependant, il n'avait pas pense (pie son grand age le dispensat du commanclement el n'avait pas permis que Ton coinballil sans lui. Ses forces trahirent son courage, et sa perle entraina la deroute des siens. Conduits par tin homme d'un coup d'ceil plus sur, sinon plus txerce, nos compatriotes n'eus- sent pas essuye eel echec ; mais, en se relirant du combat, ils pouvaient elre tiers, et de la brillante va- leur qu'ils y avaienl deployee, el de la Constance du chef qui leur avail donne 1'exemple. Apres des traits de ce genre , nous n'aurions [>as beaucoup d'efforls a faire pour prouver noire these, et nous pourrions, avec quelque apparence de raison, invoipier en rhonneur des Remois la devotion sin- 41) Phonal., 1, 12.T. - 141 - guliere pour le dieu de la guorre que cerlaines in- scriptions semblent leur attribuer (1). En conslatant la presence d'un certain nombre dc Remois dans les legions romaines, el memede cohortes entieres fournies par les Beiges et incorporees a ces legions (2), il ne faut pas perdre de vue que c'elait le seul parli qui restat , sous J'empire, a ceux qui choisissaient le metier des armes. On enrolait pour le service de 1'empire los hommes vigoureux qui n'a- vaient pas de ressources assurers ; la profession mi- lilaire et meme l'usage des armes etaient interdits au reste des citoyens (3). La qualile de confederes qu'avaieni les Remois et cello de libres donnee a d'autres peuples assurerent- elles, de ce cote, une condition meilleure a ceux qui les possedaient? Dubos (4) est pour l'attirmative. Les passages de Jornandes, de Procope, de SidoineApol- linaire, d'Aurelius Victor et de Rutilius, qu'il cite a ce propos, demontrent a peu pres uniquement l'admis- sion au service de 1'empire d'anxiliaires fournis par les nations barbares qui ne lui etaient pas soumises; mais la Notice des digniies, sur laquelle il s'appuie egalcment, fait connaitie certains corps de troupes dont les noms se comprendraienl difficilemcnt, si on n'etendait ce fait aux cantons libres ou confederes de la Gaule. Tels sont les Leles Bataves, les Letes Lingones, les Letes Nervicns etaulres. Et ce qui est vrai de l'e- poque avancee a laquelle appartienlle document dont (1) Inscriptions n°* i et 2. ^2) Inscription lie Sulpicius Calvio citee plus haul. (3) Dion., Hist, rom., Iil>. LIII. — Hkrodian. Hist., lib. II (f) Histoire de I'etablissemtnt de In monarchic francoise, livre I, chap. 10. — 142 - nous venonsde porler, ressort assez evidemment, pour les premiers siecles, des passages ou Tacile parle des auxiliaires gaulois el memo beiges (1). Loin de les con fond re avec les troupes de l'empiie, il en parte de facon a ne paslaisser croire que ces corps etaient leves el soudoyes par les empercurs, mais demandes aux peuples allies et fournis par eux pour aider les legions dans les eirconslances oil leur concours pou- vail 33. — Gutheiius , de Offic. domus aug.. lili III, c. 12. (3) Journal de Jleim.i (suile aux Affiches, annonces et acts di- vers). 24 Juiu 1796. - 144 - deux mains, en latin spatha (d'oii l'italien spada , l'cspagnol espada el le fruiiQais espee), clout usaienl les peuples du Nord, el particulieiement les anciens Gaulois, suivant Diodorc (1) et Titc-Live (2). 13. T - FLAVIVS CRENSCES EQV - ALE TAMVE X • BRIT • AN XXX - STIP - XV DOM • DVROCORREM H - S E FLAVIVS • SILVANVS • DEC • A ///// FVS - D II ■ F • F T. Flavius || Crescens, || eqaes || alae || Yamianae v« [) xillarius Britowrm, annis XXX, sl'ipendiis XV, || domo Dorocor/oro Bemt s || hie sitvs est. Flavivs Silvanvs, decy- rionvm a(dministrandorutn) fxnervm sententia defvneti haeres (actvs fecit. « Ci-git T. Flavius .Crescens, cavalier de l'aile Tamienne, de l'escadron des Bretons, age de 30 ans, en ayanl servi 15, domicilie a Durocort cles Rcmois. Flavius Silvanus, son h6ri- tier, ltd a erige ce monument, avec la permission des decu- rions charges de regler les funerailles. » Orelli, n° 5253. — Alterlh. d. OEsterr. monarchie (Wiener Jahrbb. 1829 sqq.), n» 388; Bull. Inst, arch., 1833, p. 48. — Borghesius, Bull, 1. 1. (1) Lib. V. (2) Lib. XXXII. — 145 — Celle inscription a etc Irouvee a Petronelle, Fan- cien Carnuntum, en Pannonie. Ellc avait plusieurs mo!s douleux pour Orelli : a plus forte rnison en aura-t-elle pour nous. Heureusement, l'epigrapliie a ses privileges qui facilitent ['interpretation ties sigles et des parties incerlaincs. Nous en avons use sobre- ment, comme on va levoir par l'expose des difficultes que nous avons rencontrees. 1° Le tcxte donne Crcnsces : il est evident que I'N transposed devail elre remise a sa place dans la deuxieme syllabe du mot. 2° Comme une autre inscription (1) porle Ala Pannoniorum Tampiana, Orelli a pense qu'on devait lire ici Alae Tampianae, et sous-entendre Pannonio- rum. Mais il reconnail en meme temps qu'il est diffi- cile d'accorder cela avec ce qui suit, noire cavalier devant, dela sorte, faire parlie d'un escadron de Bre- tons compris lui-meme dans un corps plus consi- derable de Pannoniens (2). Or, le Pannoniorum de L'inscription citee par Orelli, et qu'il sous-entend ici, ne nous est nullement neccssaire. Car le nom que porlait l'aile ou, pour parler a la franchise, le nom du regiment de cava- lerie, ctont celui de son chef, ce nom pouvait bien elre autre que Tampiana, lout en commcncanl par les memes leltres. Nous ne l'ecrivons nous-meme Ta- miana que parce que M. Borghesi a lu Tami,c[ que (I) Oukli.i, n. 5i4i. (2; Suivant tcs conimeiitateurs, l'aile de cavaleiie etait, chez les aneiens, re qu'est, chez nous, un regiment. Les corps de cavalerie se postaienl a droite et a gauche de l'infanterie, comme les .sites an corps des oiseaux : dela le nom d'ailes qu'on leur donnait. xxx. 10 — 146 — le reste est facultatif; et il est clair que l'indecision dans laquelle reste forcement ce mot ote son a-propos a l'exemple allegue par Orelli. Des lors, rien n'em- peche que notre cavalier ait fait parlie d'un corps de Bretons : vexillationis Britanniccs, ou meme qu'il en ait ete le porte-enseigne : vexillarius Brilonum, comme nous l'avons ecrit; il est permis d'inlerprSlcr des deux manieres. 3° Nous ne saurions assurer si, pour faire parlie d'un escadron porlanl le nom d'une nation , il tallait absolument appartenir a cette nation par la naissance. II est certain, du moins , par ce qui suit , que notre cavalier avait son domicile a Reims ; car domus ne peut signifier autre chose ici : on le voit employe de la merae maniere dans une autre inscription ou il est precede du mot Tol (Tolosensis) , explique comme nous le faisons ici (1). Mais le domicile et la nais- sance, qui sonl deux choses fort distinctes de leur nature, pouvaient bien differer pour Flavius Crescens : rien ne s'oppose a ce que , ne dans un pays, il ait elu domicile dans un autre. Aussi ne concevons-nous pas qu'apres avoir dit que Crescens elait Breton , Orelli se soit preoccupe de cette idee, au point de meconnoitre ce que signifiail le mot Durocorrem., et de dire que c'est sans doule le nom d'une ville de Bretagne qu'il ne connait pas. Nous avons parle ailleurs avec quelques develop- pements du nom de noire ville , soit Durocortorum seul, soit accole au nom de la nation : Durocortorum Rcmorum (2). Dcvions-nous n'en faire ici qu'un seul (1) Oman, n. 3551. (2) Inscription n" 5. — 147 — mot ? Nous ne le pensons pas , aucun exemple ana- logue ne nous autorisant a le faire. 4° Les sigles H. S. E. sont habituellement traduits comme nous l'avons fait : ils ne presentent aucune difficult^. 5° La fin de l'inscription n'est pas aussi claire, et la cause en est autant a l'absence de quelques lellres qu'a la presence de certaines abreviations qui convien- nent a la fois a des mols diflerents. Ainsi : DEC est aussi bien le commencement de decurio que de decre- tum ; l'un est aussi frequent que l'autre dans les inscriptions ; lequel choisir? — A , qui suit , semble commencer un mot ; mais il est seul , les lellres qui devaient le suivre n'ont pu etre deebifiVees. — Orelli donne ensuile FYS. A-l-il bien lu? Ne fallail-il pas FVN? L'N alteree n'a-l-elle pas cause cede meprise? Le plus sur, dans de parcilles incertitudes, e'est de faire le moins possible de suppositions et de s'atla- cber a expliquer ce qui est plulot que ce qui pourrait etre. Nous avons done borne notre pouvoir discre- tionnaire a deux cboses : nous avons fait deux mots de FYS , el nous sommes parti de la pour donner au mot commengant par A le complement qui sc rap- prochait le plus des mots precedents pour le sens. On pouvail lire : « Decrelo a curaloribus funerum {fun au lieu de fits) dalo , boc fisci fecit ; » Ou bien : « Decurionum adminislrandorum funerum senlentia defuncli lucres factus fecit, o Nous avons prefere la derniere leoon , comme salisfaisanlc pour le sens , en memo temps qu'elle modifie pen la letfic de l'inscriplion. Nous admctlons, du rcste, que le mot admiriistrandorum pent etre — 148 — remplace par toul autre commengant par a, comme seraient : apparandorum et adscribmdorum ; ou , en restreignanl le sens en raison de circonstances parli- culieres : accidentium , advenarum , etc. La premiere legon, qui parait assez naturelle de prime-abord, suppose que FYS ailete" mis pourFVN; elle suppose un emploi de curatores funerum dont on n'a pas d'exemple; enfin elle donne au mot decreto un complement, dato, qui n'est pas necessaire el qui est de plus insolite. On sail que les decurions remplissaient la plupart des charges urbaines. Neanmoins, on pourrait trouver le soin des sepultures comme un peu trop humble pour ceux qui conslituaienl le premier ordre de la cite. Pour ne pas s'en etonner, il suffit de se rap- peler qu'aujourd'hui, les chefs udministratifs des villes et des communes, les maires et adjoinls exer- cent encore toules les functions d'officiers de l'etat civil , et que c'est en leur nom que sont prises les moindres mesures d'ordre a ce sujel. II y a, du reste, d'autres inscriptions qui prouvenl qu'il apparlenait aux decurions de decider des choses relatives a la sepulture (4). Nous n'avons pas a chercher par quelles circon- stances Flavius Crescens mourut a Carnunluni , quel rang occupait sa famille, que lui elait parliculierc- ment cet heritier nomme, comme lui, Flavius. 11 avail servi 15 ans; voila, quanl a lui, son seul litre de distinction : et il est remarquable qu'il elait entre tres-jeune au service, des l'age de 15 ans, apparem- ment par suite d'un enrolement volonlaire. (,J, Orrlli, n. 40.S2, 6211. 149 - U. SAMORIX -LIAMARI.-F REMVS-EQ- ALA LONGINI ANA-AN-XXXI-STIPEN-XII " - s ////////////////////////// ET S IN GV I HI I II II I II mi H II p r mm mi mil Fig. 5. Samorix Liamari Ulius , I! Remus, cqucs ala Longini |] ana, anms XXXI, stipend's XII « Samorix, fils de Liamarus , Remois, cavalier de l'aile Longinienne , a I'age de 31 ans et 12 de service (1) ...d Inscript. ant. de Chdlon-sur-Saune , par M. Canat, n° XV.— Mem. de la Soc. archeol. de Chalon-sur-Sadne, t. Ill, p. 24. Celle inscription , que nous empruntons au travail de M. Marcel Canal sur les inscriptions antiques de Cbalon-sur-Saone, a ete trouvee en 1839, sur le bord dc la voic antique allant de Cbalon a Autun. Les tenons en aile qui la lerminenl de chaque cole in- diquent qu'elle elait encaslree dans one construction. II est bien regrettable qu'elle ne nous soil pas parvenuc enliere, car elle est remarquable en plus d'un point. Avanl M. Canat, un ecrivain, qui s'est occupe de Cbalon-sur-Saone et de son histoire (2), a donne de (l) Jos. Bard, Chdlon-sar-Saone, Histoire et Table. (i) M. Canat ecrit stipendiorum. Nous croyons que c'est a tort. - 150 - cctte inscription une explication fort singuliere. Nous n'en citerons qu'une parlicularile. D'apreslui, 1c Rc- mois Samorix n'aurait cu que 11 ons lors de son enrolement. Si Ton pouvait soutenir une pareille le- con , il faudrait'eonvenir que le caractere belliqueux de nos ancetres n'aurait plus besoin d'etre prouve : celte precocite du courage guerrier dans notre ville serait la plus peremptoire des demonstrations. Mais nous devons, pour etre raisonnable , nous en tenir a l'explication de M. Canat, que nous avons repro- duite. Nous remarquerons d'abord avec lui les noms franchemenl gaulois de Samorix et de son pere Liamarus. Ce dernier rappelle avec bien peu de cbangemenls les noms fameux d'lliomarus et de Viomarus que donnent Cesar el Tacitc, et de Viro- marus que porte la haute borne do Fontaines, dans la Haute-Marnc (1). Samorix appartenail-il a une famille qui avail laisse des souvenirs? Le respect avec lequel il conserve son nom palronymique semble l'indiquer ; autrement, il eut fait comime tous ses compalriotes, qui adoptaient un nom romain pour complaire aux vainqueurs ou pour se mettre a leur niveau en prenant part aux avantages que leur offrait la civilisation romaine ; a moins que nous ne fassions remonter cetle inscription a une epoque assez voisine de la conquete, ou les habitudes et les institutions nalionales n'etaient pas encore oubliees, ou la langue n'avait pas encore subi une profonde alteration. Les trois dernieres lignes , qui sont incompletes , (1) Memoires de I'Academie des inscriptions et belles-lettres, t. IX, Histoire, \>. 170. l.Jl laissent bcaucoup a l'interpr6talion. Lcs sigles H. S. £taicnl probablement suivis d'autres abrevialions ; on peut lire, par exemple , au choix : Hoc Sepvlchrvm Vivvs Posvit, — Sibi Fecit , Hacredes Posvervnt , — Hacredes Fcccrvnt. Mais il est plus difficile de preciser ce que pouvaient renfermer les deux dernieres lignes , inlerrompues egalement. M. Gnnat suppose que Tavant-derniere : ET SINGV... exprime les regrets et les lemoignages de douleur qui ont accompagnela mort de Samorix , et que les leltres FR sont le commencement de [rater. Puis, abandonnant cette explication qui s'accorde- rait avec rejection du monument par des heriliers, il cherchc ceque pourraient signifier les deux dernieres lignes, dans le cas ou Samorix aurait prepare lui- meme son monument funeraire. Mors les deux der- nieres lignes eussent ete tracees apres coup, dit-il, et Samorix , monte en grade dans l'armee, devenu eques singularis , e'est-a-dire entre dans les cavaliers d'elite attaches au service des Augusles, des chefs des legions ou des magislrats des provinces, aurait voulu signaler ici son cbangement de position. Peul-etre meme aurait- on ajoute ces deux lignes apres sa mort. . C'est, j'ose le dire, chercher bicn loin une explica- tion apres tout sans fondement solide ; la grande difficulte pour faire admettrc toulesces savantes sup- positions, c'est la forme meme du monument epigra- pbique. Comment supposer qu'en Iracantla premiere parlie de l'inscription, on avait dispose les lignes de — 152 — maniere a menager une place pour des additions posthumes'? Quant a cetlc aile Longinienne a laquelle appar- lenail le cavalier Samorix , cc nom lui venait d'un chef ou prefet nommc Longiuus. Gruler (4) uienlionne les denominations analogues de ala Longina et ala Longinia. M. M. Canal termine la serie des inscriptions raili- taires de Chalon-sur-Saone par une remarque qui a son importance : « Parmi les inscriptions militaires de la colonie de Lyon, dit-il, on trouve que, sur tiente-huit, pas une ne mentionne un corps de cavalerie ; et sur cinq monuments dont se compose la courle serie des in- scriptions militaires de Chalon-sur Saone, Irois ap- partiennent a la cavalerie, et deux a l'infanterie. » Les monuments militaires de Reims ou de Remois nc sont pas nombreux non plus. On pout y remar- quer que l'infanlerie y domine sur la cavalerie : car, sur six monuments, deux seuleinenl appar- tiennent a cetle categorie , et parmi eux , celui que nous avons emprunte a Chalon-sur-Saone. II est a remarquer , en outre, que un se rapporle au corps d'elite des preloriens, et que deux mcnlionnenl des chefs de leoion. La seule chose (jue Ton sache , a peu pres , de l'organisation militaire de la Gaulc, depuis son orga- nisation en provinces jusqu'ii Conslantin, c'est que le gouverneur provincial, le Icgalus Augusti pro prcetorc, depuis consulaire ou prefet , en etait a la fois le chef militaire et le chef administrate ou civil. Pour les (i) P^r CCCCX1II, 8, e\ DLXXI, 4. temps posterieurs, la Notice dps dignites nous fail connailre plus de details. Nous y voyons que lc pre- i'el du pretoire , f|ui est devenu le rcprescntant supreme de l'empcreur dons la Gaule , n'a oucune autorile raililaire , ct que lc commandemcnt dcs armees appariient a deux generalissimos, le maitre de l'infantcric , magister peditum, el le maitre de In cavalerie , magister equilvm, celui-ci toujours supe- rieurau premier, souvent reunissant ses attributions, connaissant des delits des soldats ct de lout ce qui regardc la milice , souvent nomme simplement ma- gister militum , en raison dc sa superiorile. La memo Notice nous fait connailre les differenls corps qui claient sous les ordrcs de ce haul commandemenl raililaire , an IVC siccle. Parmi ces corps, quelques- uns avaienl des chefs ou generaux speciaux , duces , donl le litre etait allache a one province ou a un district voisin dcs fronticrcs de I'empire. La Seconde Belgique avail un qfficier de ce nom, dux Belgian Secundce, sous les ordrcs du maitre des fantassins presents , « sub disposilionc viri illuslris mngislri peditum prtcsenlalis. » La Notice , enfin , comme nous 1'avons vu, nomine plusieurs corps en station, a la meme epoque, clans le pays de Reims (1). Nous nc pourrions entrer dans de plus longs details a ce sujet , sans rcdire des choses que tout le monde connail ou est a portee d'apprendre. Nous aurons, du rcste , occasion dc revenir sur differents points, soit en parlant du gouvernemenl dc la province el (1) On 'lent consuller, a ce sujnt, Dusos, Histoire de I'etablisse- mcnl de la monarchic frangoise, livre I, chap. 3, 5, G, 7, 8 ct 0 ; Wai.ckkna: r, Geographic des (tanks, t. II, pail. 3', chap. 6. — 154 — . dcs chefs qui en etaicnt charges, soil a propos do Jovin, qui va nous occuper. 15. INSCRIPTION DE L'EGLISE JOVIN1ENNE ET TOMBEAU DE JOVIN A HEIMS (4). FLODOAnDi Hist. Remensis Ecclesm , lib. I, cap. VI. — Tristan, Commcnlaires Msloriques, Hadrian, me\l. XXXII. — Marlot, Histoire de la ville, ciU et university de Reims (Reims, 1843, in-4°), tome hr, p. 524 et suiv. § I- Jovin. Vers l'an 365 de Jesus-Christ, un temple raagnifique se construisait au voisinage de la cite de Reims. Un illustre guerrier, qui etait a la fois un pieux chrclien, elevait ce monument a la gloire de Dieu, sous l'invo- cation do saint Agrieole et de saint Vital, martyrises a Rologne, sous Dioclelien. Ce guerrier etait Jovin. J. Tristan el Dom G. Marlot ont parle dans de grands details de sa famille et de sa vie : ne pouvant rien y ajoutcr, nous nous contenterons d'indiquer les (t) L'etendue de cette dissertation nous oblige, pour plus de clarte, a la diviser en plusieurs paragraphes. ..' ■■=. \ ■■:■ *...-* • ■ >v ■ | > o 1 c faO «8% ) 55 points flout la connaissance s'appuie sur des temoi- gnages irrecusables, en insislant davanlage sur ceux qui sont demeures douteux on que la critique n'a pas assez remarques. Eleve par Julien au comraandement des armees romaines en Illyrie , puis en Gaule , Jovin avait etc 1'auxiliaire le plus utile de ce prince contre les Alle- mands (1). Trois fois vainqueur, sous Valentinien Ier, des memes envahisseurs de ce pays, il avait recu de ce prince l'honneurle plus insignequiputelrcaccorde a un sujet , celui de voir 1'cmpereur s'avancer en grande pompe hors des portes de Paris pour le re- cevoir (2). En 367, il etait eleve a la dignite de consul (3). Enfin, trente ans apres, son nom brillait encore du plus vif eclat dans la Gaule, et sans autre litre que celui d'apparlenira la famille de Jovin, deux de ses descendants elaient portes a l'empire par les populations reconnrsissanles (4). Reims, en particulier, avail associe dans sa grati- tude le lieutenant de Julien au prince dont le gouver- nement fort et palernel epargna Lien des douleurs a la Seconde Belgique ; elle n'oublia pas non plus que lui-memc l'avait plus tard sauvee de l'invasion ; et , justement glorieuse d'avoir ete choisie par un chef militairc aussi renomme pour y faire sa residence, elle inscrivit son nom au livre d'or de ses enfanls. Une tradition ancienne regarde Jovin comme Remois de naissance, et non d'adoplion. Nous ne voudrions (1) Ammien Marcellin, livre XXI, passim. (2) Op. cit., lib. XXVII, cap. 2. (3) Loc. cit. (4) Tillkmo.nt, Histoire ecclesiastiquc, t. XVI, p. 208 ; Histoirc des empereurs, t. V, p. 32 et suiv. — 156 — pas qu'on put nous accuser d'amoindrir un sou- venir cher a la ville de Reims; nous devons dire cependant , pour elre vrai, que nous n'avons trouve , jusqu'ici, aucune raison peremptoire de rejeter celle supposition , mais rien non plus qui l'autorise. En effet, si Jovin etait parent de saint Agricole , comme l'assurent d'anciennesebroniques de l'abbaye de Saint-Nicaise , et que saint Agricole fut Bolonais, ainsi qu'on pent I'induire desaclesde son martyre (1), il y aurait de fortes presomptions pour croire que Jovin n'etait pas Remois. De plus, avant de venir en Gaule pour y exercer le eommandement superieur des armees, il avail" occnpe le meme poste en lllyrie. Enfin, si Ton admet avec Baronius, et comme semble le prouvcr la ressemblance des noms, qu'une jeune fille nommee Fl. Jovina , dont l'inscription (2) existe a Rome, apparlenait a sa famille, tout porte a croire qu'il etait Italien, ou du moins qu'il avait reside en Italic autant qu'en Gaule. Quant au sejour qu'il aurait fait a Reims en par- ticulier, les lois de celtc epoque, datecs de Reims , vraisemblablemcnt redigees sous son inspiration el (l) Ap. D Thierry Ruinart , Acta martyrum shircra. (2i Voici oette inscription : FL-IOVINA-QUAE VIXIT ANXIS TR 113 VS-D XXXI 1 DEPOS N EOFITA IN -PACE -XI • K AL • OCTOB Une inscription des has temps, rapportee par Orelli (n« 67.34), mer.lionne un Fl. Jovinvs, qui avait ete commandant (EX P-JPj ex praeposito) des troupes de llstrie. — 157 — dont plusieurs lui sont adressees (1), la construc- tion d'une grande et magnifique eglise, sa sepulture, enfin, en deposent surabondamment pour les der- nieres annees de sa vie. Pour les temps anterieurs, il n'y a que des presomptions a tirer du cboix que Julian, auteur principal de l'avancement de Jovin , fit de Reims pour quarlier general et pour centre de ses operations contre les Allemands. Marlot (2), et tous les ecrivains remois a sa suite, ont dit et redit que Jovin suivit Julien dans sa guerre contre les Perses. lis croient pouvoir s'auto- riser en ce point du silence d'Ammien; mais la conclusion opposee nous semble resulter clairement de ce que rapporle l'historien latin dans la suite de son recit (3). A peine elu , Jovien fait porter a Malaric l'ordre de prendre le commandemenl de l'armee des Gaules a la place de Jovin, qui lui est suspect. Malaric re- fuse , et , quand Jovien I'apprend , une deputation de l'armee des Gaules vient le trouver pour faire sa soumission. Mors, le nouvel cmpereur, assure de la fidelite de Jovin, lui depeche Arinthee, a Reims, avec une lettre par laquelle il le pi ie de repren- dre le haul commandemenl qui lui avait ete retire, el de meltre au service de sa cause l'influence qu'il a sur les troupes. Voila ce (jue dit Ammien; je l'ai prcsque traduit. (1) Cod. Thcod , * II, p. 433. — D. Bouqukt, Rer. des hislor. de France, t. I, p T54. — BbSquigny , Table chrouol. des di- plomes. . ., t. I, p. i. (2) Tome I, p. 520. L'auteur auonyme de I'ai-ticle Jovin, dans la Biographie Michaud, a reproduil cette errcur. (3) Lili. XXV, cap. io. — 158 — II me parait clair, d'apres cela, que, si Jovin avait fait partie tie I'expedition de Perse, ou bicn il aurail pris part, avec les aulres chefs, a l'eleclion de Jovien, et ce dernier n'aurait pas eu lieu de le craindre ; ou bien il aurail quilte l'armee de Perse dans des dis- positions hostiles, et Jovien I'eut fait arreter pour l'empecher de nuire. L'inquielude de l'empereur sur les disposilions de Jovin a son egard vient, ce nous semble, de ce que le general est eloigne ct de ce qu'il exerce une autorite inconlestee dans un pays, sur une armee amis de Julien , et ou le bruit que l'ancien Cesar des Gaules n'elait pas morl avail trouve un instant creance et occasionne un soulevement. Suivant le raerae Ammien , Jovin fut revetu de la dignite de consul en 367 (1), sous Jnslinien ; les fastes consulages ne mentionnant pas d'autre magis- tral de ce nom , suivant la remarque de Tille- mont (2), il faut que ce soit de lui egalement que parle Sidoine Apollinaire, dans la piece intitulee Narbo, en le designant sous le nom de Jovin l'Ancien, prisms Jovinus. Nous pensons done pouvoir, d'apres cela , admetlre les inductions que Tristan , et apres lui Marlot , ont tirees de celte piece, relalivement a la famille de Jovin, et nolamment que sa lignee etait ce que la Gaule renfermait de plus eleve ; qu'une de ses filles, mariee a Narbonne , etait la mere de Consentius, bote de Sidoine , et qu'a la meme famille (1) C'cst ropinion de Valois, de Tristan, de Savaron ( Sidon. Apull. Op., p. 187), dc Sirmond {Notw ad Sid. ApoU., p. 157), de Marlot et de Tillemont. (2) Loco citato. — 159 — appartenaient Jovin el Sebastien , dont Orose (1) vanle la haute naissance , ct qui prirent la pourpre sous l'empire d'llonorius et d'Arcadius. Nous ne trouvons rien sur l'epoque de la mort de Jovin ( 2 ) ; inais celle de sa relraile nous parait plus facile a determiner. En effet , Ammien, parlant de Theodose le pere , dil qu'il remplaca Valens Jovinus dans le commandement de la cavalerie : « In locum Valentis Jovini successit , qui equorum copias luebatur (3). » Je ferai reinarquer d'abord qu'on a donne a Jovin, dans ces derniers temps , tantot le nom de Valerius, tantot celui de Valenfinus. L'abreviation , qui est la meme pour des noms differents , est apparemment l'origine de celte erreur. Le prenom Flavins est donne par les Pastes consulages. Quant au cbangement raconle par Ammien, Adrien de Valois (4) le fixe a l'an 370, el il faut qu'il ail eu lieu, en effet , dans la premiere moitic de cette annee, car la loi de veteranis , qui est du 16 des calendes de Fevrier, aulremcnt dit du 17 Janvier, est encore adressee a Jovin, avec le tilre de magister militum per Gallias; et celle de nupliis gentiliitm, qui est du 5 des calendes de Juin, e'est-a-dire du 28 Mai, (t) Lil). VII, cap. 42. (2 j On la fixe generalement en l'annee370. Les religieux de Sainl-Nicaise celebraient, chaque annee, son obit le 7 deSeptembre, jour de samort, suiVanl le Necrologe de 1'abbaye, ilont parte Marlot, mais qui n'est pas venu jusqu"a nous. Lin Ceremonial de 1742 (ms. C iii de la bibliolheque de Reims) en fait mention egalement au mcrae jour. (a) Lib. XXVIII. cap. 3. (i) Ad Ammiani loc. eit., edit, de Leyde, Ki'.sa, ia-fol. - 160 - est adressee ;i Theodose , a qui l'en-lete donnc la qualite de magister equitum. La difference des deux litres ne doit pas lirer a consequence. II resulle , en effel , de PHisloire d'Ammien el du Code Theodosien qu'on disait indiffe- rerament maitre de la milice , maitre des deux mi- lices (1), maitre de la cavalerie ct de Vinfanterie (2), on simplement maitre de la cavalerie, pour desi- gner le commandant superieur des troupes de toutes armes dans une certaine eireonscription (3). La mai- trise des amies , magisterium armorum , retiree, puis renduc a Jovin par Jovien, elait encore la meme chose. Nous ne voyons pas de motifs serieux d'en- lendre aulrement le litre de magister rei castrensis, que le meme historien donne a Jovin et a Severe , charges par Valentinien de veillcr sur les ailcs dc son armee , dans l'expedition qu'il entreprit sur les Lords du Rhin , au prinlemps de l'annee 3G8. La qualite de prefel de Rome, que donnent a Jovin les manuscrils de Saint-Nicaise cites par Maiiot , ne repose sur rien ; du moins, nous n'avons trouve aucun document aulhentique qui la justifie. {I) « Magister utriusque militia:. » Cf . Sirjhond . adEnnodium, lib. I, cpistol. XXIV. (2) Loi adressee a Jovin ea 305. (3) M. Walckenaeb ( Geographic de la Cattle) pense que les deux commandements de l'infanterie et de la cavalerie, habiluelle- mcat separes, n'oul etc souvent rounis dans une seule main, pour la Gaule, qu'a cause des eiiconstances difficiles oil elle elait placee, on pour prevenir tout conflit d'autorite entie les deux chefs. Nous ne croyons pas cette opinion sufflsamment jastifiee. Dubos, dans son excellente Uistoirc de letablissement de la monarchic francoise , apres l'avoir emisc, ne la sentient pas. 10! § H. Sepulture de Jovin. Eglise Jovinienne on cylise de Saint-Agricole et Saint- Vital, depuis Saint-Nicaise, L'inscription suivanle, conserves par Flodoard, ne liiisse aucun doule sur 1'endroi.t choisi par Jovin pour sa sepulture. Felix militiae svmpsit devota Jovinvs Cingvla, virtvtvm evlmen provectvs in allvm, Bisqve datvs meritis eqvitvm peditvmqve magister, Extvlit aeternvm saeclorvm in saecvla nomen ; Sed pielate gravi tanta haec praeconia vicit, Insignesqve trivmphos relligione dicavit , Vt qvem faina dabat rebvssvpeiaret honoreua El vitam factis posset sperare perenncm. Gonscivs hie sancto manantis fonte salvtis Sedem vivacem moribvndis ponerc membris , Corporis hospitivra laet\s metator adornat, Keddendos vilae salvari providet artvs. Omnipoteos Xi istvs, ivdex venerabilis atqve Terribilis, pie longanimis, spes fida precantvra, Nobilis eximios famvlis non impvtat actvs : Plvs ivslo fidei ac pietatis praemia viucant. (i Jovin embrassa avec succes le metier des amies : il parvint au comble des honneurs militaires, et eleve deux ibis par ses services a la dignite de maitre de la cavalerie et de 1'infanterie, il s'est acquis un nom inunortel pour Ies siecles des siecles. Mais sa haute piele merite encore de plus grands eloges : il a sanctifie par la religion ses triomphes eclatants , il s'est eleve ainsi au-dessus de la gloire que la renommee accordait a ses hauls faits, et il s'est assure par ses ceuvres l'csperance de la vie eternelle. 11 choisit ce lieu, on coulent lescaux sainles du salut, pour que ses restes xxx. 14 — 462 — y puisenl une vie nouvelle, et c'est avec la joie tie 1'esperance qu'il embellit l'asile ou ils doivent attendre la resurrection des corps. Le Christ tout-puissant, juge adorable et terrible, et cependant bon et misericordieux, fidele espoir de ceux qui l'implorent, ne tient pas compte a ses serviteurs de leurs actions d'eclat : meltons done au premier rang les ceuvres de la foi et de la piete. » Voila ce qu'on lisait en lettres d'or sur le portail on a l'entree de l'eglise balie par les soins de Jo- vin (1). Lacourt (2), qui n'est pas de facile composition en fait de tradition, el qui aimc surtout a s'en prendre a Flodoard , ne croit pas que cette inscription soit conlemporaine de Jovin. 11 ne peut admetlre que le general se donne ainsi de l'encens, et croit que loute cette rhelorique est du lXe siecle , qu'elle se ressent du style el du genie d'Hincmar. Ces rnisons ne nous paraissenl pas assez fortes pour rejeter une piece sur la valeur de laquelle Flo- doard pouvait etre parfaitement renseigne, puisque, selon loute apparence, on voyait encore cette inscrip- tion de son temps. On a, du reste, des inscriptions en vers de la memo epoque ; leur style ne differe guere de celle-ci que par une plus grande secheresse. La richesse exuberante qui la rend suspecte accuse pen l- (I Flodoaiiu, Ice. cit (2j .lean Lacourt, rtianoiiie de Notre-Danie de Reims, mort en 1730, auteur de notes sur VHistoire de D. Marlot et de nombreux liianuscrits que possede la bibliotheque de Reims, particulierement sur rhistoi rede cette ville. M. Louis Paris en a public un fragment >oii» lc litre de Durocort, ou les Remois sous les liomains (Reims, ISH, in-18). — 163 — elre unc main eeclesiastique : aussi bien n'avons- nous pas la pretention de Pattribuer au pieux soldat dontelle celebre la munificence et les vertus. Si cette inscription avait etc l'ceuvre d'Hincmar, il est pro- bable que Flodoard Paurait su, lui qui a recueilli avec lant de soin el, pour ainsi dire, enlasse duns sun ouvrage lout cc qu'il a pu trouver de ce prelat, et qui vivail a une epoquc encore pleine de son sou- venir. Lacourt ajoule, il est vrai. que, si Jovin avait fait placer lui-meme cetlc inscription , il cut parle de son consulat. Mais comment supposer, dirons-nous a notre tour, qu'Hincmar n'eut dit mot de ce nouveau litre de Jovin, lui si curieux de tout ce qui pouvait contribuer a la gloire de Reims? Nous n'avons pas besoin de prouver que les vers, qui ont piis ici la place du style lapidaire, appar- tiennent aussi bien , comine forme epigrapbique , a l'epoque de Jovin qu'a celle d'Hincmar. Sans" des- cend re a Fortunat el a saint Martin de Prague, qui ontecritdes legendes murales, plusieurs, notammenl, destinees, com me la notre, a decorer la porte d'une eglise, saint Remy lui-meme, au Ve siecle, nous a laisse un exemple du genre pour un calice (1), et saint Damase a plusieurs pieces semblables ecrites pour des monuments executes sous ses yeux (2). Ce pape elait conlemporain de Jovin. Si done une inscription de Treves, que M. Edm. Le Blant croit elre du Ve siecle, reproduit une des idees principales de la notre (vers dixieme et on- (i) Flodoard. Hist. lion. Ecel.j lib. 1, c. 10. (2) C. 14, 15, 18, 82. — 164 — zieme), et meme a pen pres dans les memes termes, lout porlc a croire que l'imitalion est du cote de Finscription de Treves, d'aulanl plus qu'elle a ete coraposee pour une reslauralion du temple auquel elle appartenail (1). Au reste, comme l'a remarque M. Edm. Le Blant, les deux presents adornat, providet, du onzieme et du douzieme vers, font assez connaitre que l'inscription fut executee du vivant de Jovin : saint Damase ne s'exprime pas autremenl dans les inscriptions dont nous avons parle ; saint Theodulfe , qui ecrira plus tard dans le meme genre et dans des circonslances analogues, parlera egalement au present (2). Nous ferons encore, avec M. Le Blant, que nous nous plaisons a citer ici, quelques uemarques sur la contexture de notre inscription. Les mots hospitium et mektfor , qui semblenl ap- partenir a l'esprit puremenl chretien , se retrouvent cependani dans le langage des paiens. Ainsi, le pre- mier mot figure avec le meme sens dans des monu- ments funebres qui n'ont rien de chretien (8); le second designe, dans Vegece (4), l'oflicier charge de (lj Elle se lisait dans Toiatorium de saint Euchaire , aupres de qui saint Cyrille se preparait une sepulture. La voici : Qvam bene Concordes divina potentia jvngil , Membra sc.ccrdotvm qvae ornat locvs iste duorvin Evcharivm loqvitvr Valerivmqve simvl ; Sedeni victvris gavdens componere membris , Frati'ibvs hoc sauctis ponens altare Cyiillvs Corporis liospitivm sanctvs nietator adornat. (Edm. Le Bi.a>t , op. cit., n. 242.) (2 Sir.iiond, Opp. t. II, p. 77:). (3) Okf.i.u, n. ii3-> el 18^7. (i) Lib. II, 7. — Cf. Optat. mievit. Ill; Paisciroi.., Notit.Dignil. imp. Orient., c. 47 el GG ; Gcther , tie Offlc. dom. Any., II. 1 i. - 165 - preparer les campcmenls : « Me I a I ores, qui praece- dentes, locum eligunl castris. » L'association seule des memes mols a quelque chose tie neuf, mais sans caractere propre a la religion. Enfin, il y a un vers faux, le qualorzieme. Faul-il en donner le tort aux copisles? Nous ne savons. Une fois admise l'authenticile de noire inscription, il sera facile d'en determiner a peu pres la dale. Elle mentionne les deux fois que Jovin fut eleve a la li- gnite de maitre de la milice, sans parler de son con- sulat; consequemment elle doit se placer enlre les annees 363 et 367 de Jesus-Christ, donl la premiere est la dale du retablisseinent de Jovin dans le com- mandcment superieur qui lui avail ele un instant ote, et la seeondc celle de son consulat. Ainsi, nous semble-t-il, sera iixe egalement le temps on fut ler- minee l'eglise de Saint-Agricole. Adrien de Valois (1) insinue , il esl vrai , que le consulat de Jovin est implicilement relate dans ces mols de l'inscriplion : . . Virtvtvm cvlmen provectvs in altvni , ICxtvlit aeternvm saeclorvm in saecvla nomen. lis signifieraienl, celon lui, que « Jovin fut eleve a la plus haute dignite de l'Etat, c'est-a-dire au consulat, et que, porle, en raison de celte dignite, sur les la- blettes hisloriques de l'empire, son nom passera d'age en age jusqu'a la posterile la plus reculee. » Celle explication alambiquee, et que juslifierait a (1) A<1 Antmian. Marccllii).. lib. XXVIII, cap. 3; edit, de Leyde, ir.93. — 166 — {•cine I'esprit du temps ou vivail Jovin, ne Irouve au- cun aj»pui dans la contexture dc noire inscription. Malgre l'autorite de l'illustre erudit, il est clair pour nous que ces expressions plus ou moins poeliques sont tout uniment des formules elogieuses molivees par l'admiralion de l'auteuf dc l'inscriplion pour son heros. Nous devons dire encore que la dale donnee plus haut n'est pas celle que Marlol assignc a la construction de l'eglise. « .1'eslime, dit-il, que Jovin fit bastir l'e- glise de Sainl-Agricole vers l'annee 330, puisque, dix ans apres, le venerable Aper, cinquiesme arcbevesque de Reims, y fat inbume (1). » Le lestamenl de saint Remy nous apprend, en effet, que les cinq predeces- seurs immediats de saint Nicaise furent inbumes dans l'eglise Jovinienne ; Aper, qui mourut vers 350, est l'un des cinq eveques ainsi designes, sans que le tes- tament le nomme ccpendant, non plus que les autres, de sorte que Marlot lui-meme, ne trouvant rien de certain sur la mort el la sepulture de ce prelat , pas plus que sur sa vie, dit, quebjues pages plus loin, et cette fois d'une maniere beaucoup moins affirmative, que « Aper scmble estre Tun des cinq confesscurs qui furent inbumes en l'eglise Saint-Agricole. » Cette dif- ference dans le langage du savant benedictin montre, sinon que nous avons raison , du moins que nous pouvons n'avoir pas tort. Du resle , si l'eglise elevee par Jovin dcvint la :'l) Laconrt adopte a pcii pres les caleuls de Marlot pour I'cpoque de !a fondation de l'eglise, el releve, a ce propos, les expressions de FJodoard. Celui-ci dit que l'eglise etait batie depuis longlemps quand saint Nicaise y fat enterre, tandis que l'intervalle ne devail elre que dune soixantaine d'annees. - 167 - sepulture des eveques dont nous venous de parlef , la qualile de cimeliere que lui donne Flodoard nous autorise a penser qu'anterieurement a ces eveques, le lieu choisi par la piele de Jovin etail deja vene- rable par la sepulture de plusieurs confesseurs de la foi ; de meme que , a Rome , les basiliques les plus anciennes , celles elevees par Constanlin notamnieni, eurent pour fondemenls les cryples ou les premiers Chretiens avaient abrite leur vie conlre la perse- cution, et oil leurs freres avaient recele leurs corps apres leur morl. II est done permis de croire qn'Aper a ete inhume en ce lieu avant la construction de l'eslise Joviniennc , avant son aclievement du moins, aclievement que suppose ['inscription dont nous nous occupons. Geci semble trancber negativement la question de savoir si l'eglise Jovinienne etait ou non un oraloire prive , attache a la maison du fondateur ou meme compris dans cette maison. A Rome, les tiluli prives de Gaudenlius , de Pudens , d'Aquila et de Prisciila, comme le remarque M. Lc Rant, sc confondaienl avec ceux des basiliques de Sainte-Cecile, de Sainte- Pudentienne et de Saint-Prisque. Mais, si l'emploi simullane des deux denominations pour la basilique remoise permet de l'assimiler , a certains egards , a celles que nous venons de nommer , la compa- raison ne peut elrc absolue , les circonslances n'etant pas les memes dans les deux cas ; el comme Jovin parait avoir seulemenl remplace un modesle sanc- luaire par un temple plus vaste et plus riche , on ne peut dire qu'il en ait ete le premier fondateur, que l'oraloirc prive soil devenu un edifice public , et qu'ainsi se soienl confondus les tilrcs de basilique — res — Joviniennc et d'cglisc de Sainl-Agricole el Jo Saint- Vital (1). Quoi qu'il en soil , le litre le plus usite fut long- temps le premier. C'esl celui qu'emploie le testament de saint Remy : « Ecclesia Joviniana tituli Sancti (l) Nous trouvons la mcme opinion dans ua manuscrit de la fin du X\'e siecle appartenant a la bibliotheque de Reims, petit in-folio de 56feuillets, qui a pour titre : Le premier Cahier des antiquitez de Reims. L'auteur inconnu de ce fragment sotitient de plus que la basilique Jovinienne a remplace I'eglise de SaintPierrc bade par saint Sixte. « De I'anciatnetedu temple des martyrs saincls Vital el Agricole. »..-.. Sur quoi il faut reduire en memoirc comme nostrc premier evesque sainct Xyste, bastissant diverges eglises pour la commodite de ses nouveaux chrestiens, entre autres bastit une hois de la ville, laquelle il dediaa Dieu soubz la mi-moire de son bon maistre sainct Pierre, et pres d'icelle fut assis et prins le cimetier pour ensepul- turerceux qui viendroient a mourir, selon la coustume qui pour le temps estoit alors observee , que de meltre en tone les corps hors de la ville. Comme noz anciens hystorieng maintiennent quelle fut bastie d'uu chrestien nomme Jovinus, chef de l'armee romaine , derotieux a Dieu au possible , lequel vivoit du temps du grand Constantin; ee qui n'est loing de la verite : mais je ne leur pen accorder qu'il ayt este le premier bastisseur. Bien est vray qu'il suffira de voire , que seullement il la remis en meillcur estat pour son bastiment, I'ayantdcdie pour sa devotion au vray Dieu soubz la memoirc des saincts martyrs Vital et Agricole. qui motirurent en la persecution de Diocletien : car auparavaut le corps de celui Evre (Aper) a este la ensepultnre, mais aussi quatre autres apres luy ses successeurs, appelles Maternian, Donatian, Vivant et Severe, assez longtemps avant que celuy Jovinus commenca a le, rebastir. Ce que j'ay bien voulu icy discourir en passant, pour osier I'eneur de ceulx qui voient et maintiennent par un faulx donne a entendre des hystoriens anciens que cette. petite eglise procbe celle icy, que communement on nomme I'eglise dc Sainct-Xyste , est cello qui premierement fut bastie pour la commodite des premiers chrestiens par ce bon evesque sainct Xyste, incontinent qu'il cut prins la charge du gouvernemenl du peuple de Rheims. » " - 469 - Agricolae , ubi ipse vir chrisiianissimus .lovinus et sanclus martyr Nicasius requiescunl (1); » cl on lc trouve jusque dans lc Xe siecle, sous Philippe Ier. Lc document que nous venons de oiler demonlre que Jovii) avait sa sepulture dansl'eglise meme, et l'in- scription s'exprime aussi nettemenl a eel egard. G'est done a tort que M. Fleury a ecrit dans la Chronique de Champagne (2) que son tombeau elait dans ie cime- iiere place le long de la voie Cesarec , an voisinage du temple ; induit en errcur par lc nom de cimeiiere donne a l'eglise, l'auteur de Varliele que nous rap- pelons n'avait qu'a se reporter a Flodoard pour com- prendre le sensde celte denomination. Le chroniqueur du 1XC siecle dit encore, dans un autre endroil, (]ue saint Nicaise fut enterrc « in ccemelerio Sancti Agricolae, templo quondam a .lovino fundalo inagni- ficequc decoralo (3) » : dans le cimeiiere de Saint- Agricole, c'csl-a-dire dans l'eglise fondee et magni- fiquement or nee par Jovin. Nous avons dit plus haul quelle elait l'origine de ce nom de cimetiere. Le bourg Sainl-Remy possedait plusieurs eglises ainsi denommees et qui s'etaienl elevees sur les cryples ou la foi chrelienne naissanle s'elail longtemps abritee. Le caveau de Saint-Martin, (1) Flodoard., Hist. Rem. Eccl., lib. I, rap. 18. (2) Tome IV, page 4-. — M. Jacob Kolb, dans sa Description his- toiiquo de Rheims, p 61, dit la meme chose. (3) Hist., lib. I, cap. 6. — M. Amedee Thierry, dans I'ouvrage intitule: Charlemagne et les Huns (Revue des Deiix-lHondes , annee 18.56, 1. 1", p. 782), a parle. en termes inexacls du martyrede sainte Eulropie, soeur de saint Nicaise. « Reims, dit-il, montcait les ca- davres decolles de Nicaise et d'Eutropie » Or, aucun historien n'a ecrit que sainte Eutropie ait etc decapitee Flodoard dit tienne. » ( Maulot francais, t. I, p. c>03.) Au rait-on vouhi faire honneur aux saints martyrs, en exhumant leurs restes et en les deposant dans ce tombeau antique , dont la sculpture rappelleles premiers siecles du christianisme? Les annates de l'abbaye n'ont pas conserve la date de cette translation. D'apres Marlot (page 005), ce serait settlement au VIP sieele que le tombeau aurait ete ouvert; et apres une translation solennelle , l'eglise Jovinienne u'aurait plus conserve qu'une parlie du corps de saint Nicaise. D'autres (Almanack de Reims, 1772 , art.de l'abbe Hillet.p. 75) veulent que le corps de saint Nicaise ait ete enleve en grande partie a une epoque qu'on ne pouvait preciser, peut-etrecelle oii l'e- glise fut abandonnee, qu'on retrouva a Tournay ces restes precieux, et que Gervais les fit reintegrer dans l'eglise relevee par ses soins. Encore aurait-elle, suivant Flodoard, sous l'archevcque Foulque, cede ces reliques, avecle corps de sainte Eutropie, a l'eglise dcNotre-Dame. Ainsi, selon toute apparence, le monument connu sous le nom — 473 — II y a apparence , enfin , qu'elles avaient tout-a-1'ait disparu , de meme que Inscription du portail , an milieu des vicissitudes que subit 1'edifice. Nous avons mentionne deja une ancienne chronique de l'abbaye, ou l'on a puise differenls faits relatifs a Jovin. A defaul de l'original qui est perdu, Marlot en a laisse un extrait en franca is, a la suite d'un Coutu- uiier de l'abbaye conserve aujourd'bui dans la biblio- thequede Reims (1). Ony voilque l'eglise etledomaine qui lui appartenait devinrent la proie de lai'ques puis- sants, mais peui-oucieuxde la gloirede Dieu, etqueles saints m ysteres avaient cesse, depuis de longues annees, d'y etre celebres, si ce n'est d'aventure, par quelque pretre de passage, lorsque l'archeveque Gervais, emu de pitie a la vue des combles effondres, des murs et du poriail tombanl en mines , ne put s'empecher de pleurer la negligence de ceux qui avaienl laisse depe- rir un si somptueux batiment. I! rachela done du comle de Gbnmpagne Thibault Ier, qui le detenait, le domaine de l'eglise , pour le rendre a sa premiere destination, el cnlreprit, en 1056, la reconstruction de l'eglise. Plus lard , celle-ci prit le nom de Sainl- Nicaise ; plus tard encore, en 1229, elle fut re- de tombeau de saint Nieaisc n'avail qu'un caractere coinmemoratif. II en elait do lui comme du monument eleve a sainte Eutropie, dans la meme eglise, en 1090, parun ancien religieux nommeLe Fondeur, lequel etait de pierre et couvert de bois , au rapport de Dom Lespaguol (Manuscrit de la bibliotheque de Reims). On voit combieu les traditions qui paraissent le mieux etablies out souvent de peine a se soutenir, quand on les met en regard des temoignages vcritablement historiques. (1) Manuscrit G \l\. Ge fragment a pour litre : Le Principe ritublissenirnt e.i suites tic In celebre abbaye de Saint-Nicaise de Reims. — 174 -- constitute telle que nos peres Font vue , et detruile, enfin, dc fond en comble sous nos yeux. § III. Etal et description du monument connu sous le twm de tombeau de Jovin. Ce monument est un grand coffre (1) de marbre blanc, d'un seul bloc, porlant 2 metres 84 centime- tres de longueur sur 1 metre 40 centimetres de largeur (2), et 1 melre 50 centimetres de bauleur. Le marbre n'est pas de premier cboix commc teinle : sa masse presenle , en outre, des inegaliles de grain , surlout prononcees sur les faces laterales; el une longue faille ou fente , qui part de sa base et s'etend jusqu'a pres des deux tiers de la bauleur, semble menacer de separer, quelque jour, la face principale en deux parties. Ce cote seul est sculpte en plein relief, tandis que les deux autres presentent une simple ebaucbe ou la main de l'artiste, peut-etre meme celle d'un ouvrier moins habile, a dessine a grands trails quelques figu- res sans saillie , ainsi qu'on le fait pour des parlies de moindre importance. Mais, malgre cette difference dans le travail, il est facile de voir que le sujet est unique et qu'il se continue sans interruption sur les faces laterales. (t) Les Italiens nomnient ce genre de monuments area sfpolcrale. (2) II est engage dc 30 centimetres environ dans la liaie dont il occupe anjourd'hui t'ouverture. • — 475 — On cornpte dansl'ensemble du monument qualorze personnes d'age, de sexe et de condition divers, dont le coslume differe aussi, sauf le manteau (abolla ou sagim, suivant l'ampleur et la nature de l'etoffe), (jue la plupart portent agrafe sur l'cpaulc droite au mojen d'une broche (fibula). Le personaage le plus apparent est le premier en avant, a gauche de la face anterieure ; il a les che- veux courts et. la face imberbe (tonsus), et porlc le coslume des chefs militaires d'un grade elevti , tel qu'on le voit generalement dans les monuments du IIC siecle, savoir : le calegon ( femoralia ) couvrant les cuisses ;iu-dessus du mollel ; la lunique etroile , courte et sans manches (colobium) ; la cuirasse ou corselet, suivant, ou mieux , figurant les formes du corps sans le comprimcr , composee d'ecailles qui imitenl les plumes d'un oiseau (lorica plumata), ornee vers le has d'un double rang de lambrequins longs a panaches bu enroulemenls, et aux epaulieres d'un rang de lambrequins egalement roules ; le manteau court, agrafe sur l'epaule droite , releve sur la gauche; entin, aux pieds, les brodequins a orleils decou verts (campagns) , ornes de unifies el derinceaux en relief. Sa main droile, dont les doigts sont brises , tenait probablement un epieu (venabulum) ; la gauche est cassee au poignet. Ce personnage parait dormer un ordre auquel re- pomlent : 1° le jeune bomme place a sa gauche en arriere, a la figure imberbe, a la chevelure abon- dante (comatus), coiffe d'un elegant bonnet phrygien, qui tient par la bride le cheval pret a rece- voir son maitre ; 2° un autre jeune homme a pieds el jambes nus; ;i tote echevelee (crinis spar- — 176 - - sits), vein d'un manteau et d'une (unique courte a monches, nouee a la hauteur des reins, qui s'avance derriere le cheval el remplit avec lui la face gauche, presenlant a son inaitre un casque a mentonnieres (bucculce), et tenant de l'autre main une pique (hasta), dont la hampe est appuyee sur son epaule; 3° un enfant enlierement nu , sauf le manteau qui couvre ses epaules, soutenant un casque a la grecque, for- mant masque pour la figure, avec une tele de belier sur le cole, el donl le cimier estbrise. L'enfantsemble egalement offrir ce casque au personnage place pres de lui ; nous remarquerons, toulefois, que celte coif- fure parait trop petite pour ce dernier, mais aussi trop grande pour l'enfant. A l'arriere-plan esl un homme a cheveux courts, a barbe epaisse et bouclee (cincinnus), vetu comme les autres, autant qu'on en peut juger par le peu qu'il monlre de son corps. 11 parait s'entretenir avec le jeune homme au bonnet phrygien. En avancant vers la droite , nous trouvons une jeune feinme au regard fier, a l'attilude ferme et tranquille, bien que son attention soit tout entiere it la scene emouvante qui se passe sous ses yeux et qu'elle soil prele a y prendre une part active. Sa tele est couverte d'un casque a cimier, portant deux ou trois creles (triphaleia), dont l'une est brisee : une abondante chevelure s'en echappe (1) et laisse tom- ber une boucle (anlia) jusque sur son epaule droite, qui est nue comme le bras, comme le sein du ine.v.e cole (expapillala) , grace a la forme de sa lunique, (l) La chevelure devait avoir plus de saillie; elle parait avoir etc brisee et relouchee avec peu de soin. 77 .,jui est ouvcrtc dun cole (exomis) , de 1'ncon a laisser plus de liberie a ses mouvemenls, landis que, de {'autre, clle est maintenue par une broche et forme un nceud a plis abondants. Ce vehement esl serre a la fois aux reins et au-dessous du sein (siiccinda). Nous retrouvons ensuite les cliausscs c.ollantes du principal personnage que nous avons vu preccdem- nient. Quant a la chaussure, e!lc lient a la fois du campagus el de In crcpida ; la parlie inlerieure a la forme d'un chausson decouvert dont les bords, perces d'ceillets (ansce), sont tendus par une courroie (ob- stragulum). Le baut est dispose h pen pres comme nous l'avons vu dans le personnage que nous venons de rappeler. La main droite de noire amazone tient un epieu ; un vaste bouclier ovale (dypeits) est passe a son bras gauche, et sa main, du meme cote, s'ap- puie sur la garde de son epee (parazonium). A leurs pieds , par-derriere , sont deux animaux lues, dont un sanglier et un cerf a bois aplati, qui pnrait etre un inlermediaire entre le genre cerf pro- prement dil el le renne. On sail que les animaux de ce dernier genre abondaient dans les Pyrenees a l'epoque ;i laquelle nous altribuons notre monument; la difference du climat devait lui donner des allures plus vives que cellos qu'on connait an renne des conlrees septenlrionalcs, el le rendre propre a la oiinsse a l'egal du cerf commun. Plus loin, a pcu pres au centre, un personnage a clieval, imbcrbe, a cbeveux courts, vetu d'une tuniijue a manches longues ( tunica manicata ) , serree aux reins, et du manleau, les jambes couverles de chausses collantes , lienl de la main gauche les renes de son oheval, el s'apprele fie la droite a pcrcer le lion qui xxx. 12 — 178 — s'avance a sa rencontre. Lc pied droit est brise et Ton ne voit pas de quelle forme etait la cbaussure. Le trail qui va atteindre le lion ne depassait pas, dans sa longueur, la main gauche du chasseur, car on voit, a la hauteur de sa poitrine, le commencement du fer. Quant au lion , il a deja la poitrine transpercee par une arme semblahle , dont le fer sort au-dessus de son epaule, et dont la hampe brisce se voit en avant. Un homme renverse a lerre essaie, a Faide d'un bouclier ovale (parma), de soutenir le choc de l'a- nimal. Cet homme porte une chevelure en desordre, moustaches , favoris et bouquet de barbe au menton. II est vetu comme lc precedent, sauf la cbaussure et !e panlalon. Ce dernier est large (braccce), s'etend sur toute la jambe et se trouve pris, a son exliemile in- ferieurc, dans les souliers (calcous), lesquels sont en cuir et s'eloignent peu de la forme des notres, enve- loppant tout le pied , avec des cordons noues sur le cou-de-pied et une ouverture en cceur un peu au- dessous. Les mains sont brisees, mais il est facile de voir que celle qui est passee au bouclier tenait deux jave- lots dont la poinle fail saillie sur la.bande inferieure du monument. Sous le lion est elendu un animal a cornes , du meme genre que celui dont nous avons parle plus haul. Au second plan esl un second personnage a cheval, vetu comme le premier, et lancant , comme lui, une javelinc sur l'animal , mais ayanl les cheveux longs el en desordre , des moustaches el de la barbe parsemee en bouquets sur le visage. Viennent ensuite deux homines h pied. Le premier — 170 - porle une tunique ouvcrte (exomis), sans manches; sa chaussurc est !a meme (|ue celle dc l'amazone , quoique moins ornee. II a les cheveux demi-longs, la moustache et les favoris. Sa main droile est brisee; de la gauche, il porte soil des javelots, soil plulot un lacet, engin de chasse frequemmenl employe alors, ct parail etre Tauxiliaire du cavalier voisin, de meme que l'homme renverse a terre devail etre an service du personnoge a chevalaux piedsduquel il est lombe. L'homme qui occupe Tangle droit du monument est chausse comme le precedent; il n'a pas d'autre velement que son manleau; il porleles cheveux longs et la mouslache ; le rcsle de son visage est sons borhe; son bras droit est brise au-dessus de la saignee; la main gauche, que recouvre le manteau, parait s'elre appuyee sur une longue pique, aujourd'hui brisee, dont le bout louchail la bande superieure du mo- nument. Entre les deux homines, on voil, dans le haul du bas-relief, quelques rameaux de verdure; el enlre eux et le deuxieme cavalier, la fete d'un homme, a cheveux courts, sans barbe apparenle. La face droite du sarcophage est occupee par deux hommes a cheveux longs el barbus, vetus (ous deux de la lunique a manchetles et du manteau. Celui qui parait s'eloigner a les pieds nus ; l'autre a des boltines en lanieres (caliga) ; il lient une pique d'une main el de l'autre la laisse d'un chien. Trois autres chiens figurent dans le resle du mo- nument : un a Tangle gauche, sous le premier cheval; un pres de Tepaule droite de l'homme renverse, le Iroisieme sous le lion. Aucun d'eux n'a le museau intact : il est difficile, conscquemment, de delermi- - 180 - ner Fespece h laijaelle ils apparliennent. La seule chose que nous puissions constater, c'est que Tenco- lure est mcdiocrement effilee , les epaules et les cotes saillantes , les oreilles demi - longues et droites , et que leur forme repond a celle que Ton voit le plus frequemment dans les monuments d'origine romaine. Tous porten! un collier a bords et a clous saillants , mais sans pointes. Les trois chevaux ont pour stragulum ou capara- gon une peau de bete, dont le mufle s'npplique en deux parts sur le poitrail. Deux ont la bride ornee de galons sur les bords et de clous au milieu, avec pen- dants de metal au frontal. Les memes portent au col une courroie en forme de martingale ou de collier (monile,pharetrce), auquel pendent, commeornement, pour Tun, celui de Tangle gauche, un croissant ren- verse {lunula); pour l'autre, celui qui est au centre, de petites sonnetles et des feuilles de lierre ou des trefles alternant (crepundia). La bride du merne cheval est tressee. Enfin, un leger pilastre, affectant la forme carree, complelement degage dans sa longueur, soulient, a Tangle gauche, la corniche du monument. Ses deux faces apparentes sont remplies par une branche de lierre conrante ; le chapiteau est orne de feuilles de roseau; il se relie avec la corniche au moyen d'un segment de coupole, donl la face exterieure pre- sente la statue d'un fleuve couche dans les eaux, enloure de plantes aquatiques, appuye de son bras gauche sur une urne, et tenant de la droite un ro- s.eau (fig. 9). Dans Tcsprit des cosmogonies anciennes, le prin- cipe bumide est considere comme la source de la - 181 — vie ; par suite, tout ce qui rappelie ce principe, et particulierement la perpetuile do l'existence dans l'eau reproduit l'opposilion dcs idees de vie, de moil et d'eternite, et devienl un symbole funcraire (1). On relrouve celte figure de fleuve dans deux medail- lons de bronze frappes a Epbesc, en l'honneur d'An- tonin, et le sens funebre qui lui .ippartienl se com- plete par un cypres, par un edicule funcraire, par la figure de Jupiter lancant la foudre et deversant les eaux du ciel sur la terre (2). Notre bas-relief est moins complet; on n'\ voit pas Jupiter, mais les eaux semblent bien venir precipitamment d'en haul : la signification, du resle, n'en est pas moins claire, et (1) F. Lajard, Rechcrches sur le culte du cypres pgramidal chez lespcuples civilises de lantiquite. [Memoires de I'Academie des in- scriptions et belles-lettres, t. XX, p. 3it et plain-he IV, fig. 4 et 5 ) (2) Fig. 10 et tl. Nous croyons reconnaitre la meme figure sur plusieurs autres monuments : 1" sur un tombeau public par Mont- faucon (tome V, planche t2i), qui veut que ce soit le Styx, mais sans appuyer ce sentiment de raisons valables; — 2" sur une lampe du Musee Passeri (tome II, planche 03). On croil que, dans ce dernier exemple, on doit voir le fleuve Scamandre assistant au de- barquementdesGrecsqni viennentassiegerTroie; mais pourquoi ne serait-ce pas notre fleuve symbolique, assistant au passage des morts dans les enfers?— 3° a Tangle droit du sarcopliage du Louvre n° 228, qui represente Phedre et Hippolyte. M. de Clarac 'tome II. partie premiere, page 63G) dit que celte figure est le genie du lieu ; notre vieillard est trop reconnaissable pour qu'on s'y trompe : seulemeut, il faut remplacer ici par des ondes I'espece d'aile sur laquelle le graveur la pere.he;— i° a Tangle droit du lias-relief de Dresde (Augusleum, t. Ill, pi. CX), que nous citerons encore plus bas. II est evident que cette figure isolee, beaucoup plus petite que celles des chasseurs, n'appartient pas a la scene du bas-relief. — Nous inclinons a donner le meme sens au fleuve sculpte entre Its Yertus cardinales, qui figure au musee de Cluny, sous le n" 72 , tra- vail qui appartient a la Renaissance , mais qui est une imitation evidente de Tantique. - l,s-J - le pilastre qui lui sert de support rentre dans Ic meme sens par son chapiteau a feuilles d'eau ct par les branches de lierre qui courenl le long de ses parois exterieures. On sait que ce monument, avec la pierre lumulaire de l'archilecte Li Bergicr, a etc depose, en 1800, dans l'eglise cathedrale, dont une portion seulement elait alors consacree au culte, et que le choix de l'empla- cement a en pour but d'en fa ire jouir plus facilemcnt les curieux. 11 avail ele d'abord place dans la grandc nef, cnlre deux piliers; les besoins du culte ont oblige depuis a le releguer oil il est aujourd'bui, devant I'an- cienne porle de la collalerale du sud. II prendra place au musee de la ville, aussilot que l'adminis- tration municipale pourra disposer d'un local conve- nable qu'appellent une foule de restes antiques qui demeurent, depuis vingt ans, dans le voisinage de la Porte-Mars, exposes a loutes les causes de destruction, ou qui gisent inconnus dans les dependances de l'Ho- lel-de-Ville. Avant son deplaeement, le cenotaphe occupait, dans l'eglise de Saint-Nicaise, l'entree a droilc de la porte principale du grand porlai!, contre la muraille. II ctait eleve sur trois colonnes de marbre gris , donl les bases , suivant les gravures (jui les ont re- produces en enlicr, indiquenl le XlVe siecle, c'esl-a- dire 1'epoquc de l'achevcment de l'eglise qui a sub- siste jusqu'a nos joui's. Celle place lui devint funesle; car le vent, ayanl abaltu, en 1540, Timmense verriere du grand portail , couvrit l'interieur de l'eglise de fragments dc pierre. C'est a la cbute de ces materiaux qu'on attribue generalemcnt les fractures que Ton re- inarque dans la face principale du monument ; c'est elle • - 183 - aussi qui parait avoir defonce les dalles qui en formaient lecouvercle. Avanlcetleepoquc, appareraraent, avaicnl cesse d'exister les panneaux de menuiserie qui l'enve- loppaient, el dont l'encadrement vermoulu lenait en- core sur plusieurs poinls de son pourtour an moment du emplacement. Les scellemenls en son! encore visi- bles. Un auteur qu'on ne peut suspecter de mellre a la charge de la Revolution des fautes qu'elle n'a pas commises, Raussin (1) pretend que le tombeou de Jovin a etc mulile par les gardes nalionales en gar- nison a Reims en 1791, 1792, elc. La chambre creusee h l'interieur n'a pas encore etc mesurce d'une maniere exacle, et les relations de ceux qui l'onl visilee different beaucoup. Marlot a ecrit, dans l'Hisloire laline aussi bien que dans la francaise, que cette chambre etait partagee en trois parties au moyen de cloisons de meme matiere que la masse du monument. II ne parle pas d'ossemenls. Peu d'annees apres, Lacourt visite, h son lour, le meme inlerieur, et assure que Marlot sc Irompe (2). « J'ai vu , dit-il , le dedans du tombeau , dans le- quel il y a plusieurs ossemenls; il est separc en deux par des pierres qui servent a distinguer les testes etles costes, et les gros os des jambes et des bras, mais nullement par la meme pierre de marbre; et ces pierres sont des morceaux de croisillons de fenestres. » Celte note, que je copie sans y rien changer, malgre son incorreclion , est significative ; mais elle ne nous cxplique pas comment il y avail plusieurs letes pour un s»ul corps. (1) Recueil intitule Place [toy ale. (2) Mtirlot annote, livre I"'. — 184 - Du temps de Marlol, le coffre sepulcrul etaitouverl el sans couvercle : il y a apparence qu'il en ful ainsi jusqu'a la Revolution. A celte epoquc (1793), quelle qu'en soil la cause, les ossemenls avaienl rfispara ; car, si nous en croyons Povillon, on nc Irouva plus qu'un peu de poussicre el quelques fragments de bollincs. L'espcce de pain donl parle le chroniqueur pouvail bien n'elrc autre chose qu'un fragment de la verriere detruile. 11 menlionne aussi, dans ses ma- nuscrils, un vase , donl il ne [iarle plus dans sa Description dc Notre Dame ; el il est d'aulant plus regrettable que nous n'ayons rien de precis sur ce point, que la presence, dans une sepulture, d'un vase de telle ou telle forme, intact ou perce de trous, pent aider a determiner l'age de cetle sepulture et meme le culte auquel le mort appartenait. Nous avons dit que la pierre qui couronne le mo- nument el lui serl de couvercle est de dale recente : elle a ele placee lorsque la cathedrale fut rendue en- tierement au culle (1). L'inscription latine FL. VAL. JOVINO. REM. COS. AR. V. C. A. CD. CXX. est du meme temps : elle est assez incorrecte pour qu'on ne s'y trompe pas. Une autre , en francais , avait etc placee au pied du monument lors de son installation a Notre-Dame. La voici : (I) Ce couvercle a ele forme au moyen de deux dalles tuniulaircs empruntees a l'eglise dc SaLnl-Nicaise. - 185 ~ Cenotaphe crrge dans le quatrierae siecle a Fl. Val. Jovin, Remois , prcfcl dc la Gaulc, chef des armees , consul romain ; Iransfere do l'eglise de Saint-Nicaise h la fin du XVIII8 siecle, an VIII tic la R. 1800. § iv. Le monument connu sous le nom de Jovin lui est-il legitimement attribue ? Differentes explications proposees. Au rappoil de la Chronique manuscrite que nous avons cilee d'apres Marlot (1), le tornbeau qui porte le nom de Jovin avail une inscription dont les deux premiers vers settlement ont ete conserves : Venia Dei basis fidei jacethic Joviauvs, Restitvit qvod ilestitvit neqvam Jvlianvs. Nous avons peine a croire que celte inscription soit veritablement antique ; sa contexture et le nom de Jovianus allonge, a la maniere des Orienlaux , pour rimer avec Julianus , nous la fait rapporter au Moyen-Age ; die ne nous parait nulleraent probante (i) Manuscrit C — — 186 - sur le fnil de 1'atli ibution a Jovin du monumeni qui porte son nom. On voyait dans l'eglise de Saint-Reray un sarco- phage de marbre dont la face principale , sculptee et de travail remain , comme celui de Jovin , mais d'un merite inferieur, representail a peu pres le meme sujel. Ce sarcophage passait pour avoir ete le tombeau de Carloman ; mais il n'etait pas difficile de reconnaitre qu'un monumeni que tout porte a croire antique n'avait pu etre prepare pour le i'rere de Char- lemagne, en depitdc la tradition et quoiqu'il fut bien elabli que ce prince avail ete inhume dans l'eglise de Saint-Re oo)' , et que ses restes avaient ete transferes plus tard seulement a Sainl-Denys en France (1). (1) Comme ce monument a ilisparu, sans qu'on en ait conserve Ja trace, nous reproduisons ici ce qu'en a tlit D. ChUelain dans ses notes sur l'eglise de Saint- Hemy : « Le premier des roys que Ton scache avoir etc enlerre dans l'eglise de Saint-Remy est Carloman, roy de Soissons, fils de Pepin et frerede Charlemagne, morl en 771 ,a Samoucy, maison roialledans le Laonnois. On ne scait pas precisement en quel endroit son corps a ete mis, parce que sou tombeau, que rarcheveque Hincmar tit voir, comme une chose digne de remarque, a l'empereur Charles lo Chauve, petit neveu de ce prince, lorsqu'il vint a Reims cent ans apri'S, a plusieurs fois change de place, selon le sentiment d'un au- theur de reputation pour l'anliquitesacree etprophane. Ce tombeau n'est autre qu'une grande urne de marbre blanc de sept a huit pieds de long et d'environ trois pieds et demie de haul et de large, sans couvertui'c, a peu pres semblable au superbe tombeau de Jovin, prefet des armees romaines dans les Gaules, qui est dans l'eglise de Saint-Nicaise, proche le grand portail. » Sur le devant de ce marbre est represents en demi relief une chasse de lion ou les chasseurs sont vetus a la romaine de meme qu'au mausolee de Jovin que I'on voit a Saint-Nicaise; ce qui continue que e'est la pierre sepulcrale du roi Carloman, e'est que sur le cote droit, entre plusieurs bas-reliefs, il pa rait une sorte de globe im- 187 — Marlot , qui n'efait] pas prieur do Sainl-Rerm el n'avaii pas mission particuliere tie defendre lcs ino- numenls dc cette eglise, a soin de remarquer , a propos du lombeau de Carloman , que les anciens manuscrils n'en parlent pas (1). Ne pourrait-on perial, en forme dune roue tie chariot, marque d'tine croix. que 1'on scait avoir etc le symbole tie Charlemagne. » En 1756, ])our le mieux conserver, il futmis sur des colonnes de pierre sous la premiere arcade du collateral du cote du Cloitre, proche la sacristie. On n'y voit aucune inscription, rnais il est bon d'observer que lcs ossemens de ce roy auroient bien pu etre tires de. ce tombeau depuis Hincmar, et partes a Saint Denis en France, oil on lit sur un cenotaphe ces 'mots: Karlomannus Hex Pipini fili us. » Lacourtet Povillon disent qu'un char leiupii dedepouillesfigurait sur I'une des faces laterales G'est , a la verite, le tom- beau de Garloman que Lacourt decrit de la sorte ; raais , en l'absence de la dissertation sur le tombeau de Jovin, qui manque dans ses manuscrits, quoiqu'il en soit fait mention plusieurs fois, nous trouvons ici loute sa pensee sur le dernier monument , puisqu'il le declare en tout semblable au premier (1); et , chose remarquable , il ne dit pas comment il se fait que le merne trait de la vie de Jovin soit represents a la fois dans deux monuments funebres, comme si le general eut joui du privilege d'avoir deux lombeaux ! A son avis, Fun etait la copie de l'autre; mais pour- quoi aurait-on reproduit , pour en revetir le monu- ment d'un autre personnage, un sujet que Ton savait etre bislorique et qui n'avait aucun rapport avec lui ? Le pourquoi manque encore a l'echappatoire imaginee par Lacourt. Que d'etourderies a la fois pour un bomme aussi grave! En verite, des assertions de ce genre ne se discutent pas. Nous aiinerions mieux encore l'explication d'un autre chanoine de Reims , ami de Bergier , M. Colin, a qui ce dernier et Tristan ont fait 1'bonneur d'une (1) M. Jacob Kullj . ilans sa Description hislorique de la viUe de FJieims, a adoptc lcs idrcs de Lacourt, sans dire ou il lesa prises. — 197 — refutation en forme, el qui voulait quo le personnage principal du bas-relief fut Hadrien. Get empereur avail , en effel , au recil d'Atbenec , lue de sa main un lion redoulable. Mais Hadrien porlait de la barbe, et noire Romain n'en a pas; on Irouve , de plus, bien jeune et surtoul bien expose l'enfant nu qui porte un casque dans ses mains , pour elre Antinoiis, ainsi que 1c voulait le bon M-. Colin ; et puis, pour- quoi l'auteur de l'exploil represente serait-il Hadrien? d'autres empereurs n'en ont-ils pas fait autanl? Ce dernier sysleme , qui nous mene loin de Jovin , a, du moins, ceci de bon a nos yeux , qu'il reporte noire inonumenl a i*epoque que Ton peut raisonna- blement lui assigner pour le style. Mais le clianoine Colin , comme Lacourl, comme Tristan et tons ceux. qui ont suivi de pros ou de loin leur opinion , rai- sonnent comme si noire bas-relief etait unique. Or, nous ovons parle d'un monument semblable qui figurait, avant la Revolution, dans l'eglise de Saint- Remy ; on en connait beaucoup d'autres qui repre- senlent le meme sujet , avec des differences plus ou moins sensibles dans la disposition des details, dans le nombre des personnages et des animaux, dans la maniere dont les premiers sont velus, dons les dimen- sions, el enfin dans le style. Notre confrere, M. Pier- ret , en a fait connaitre , a l'Academie de Reims, un dans le musee de Naples el deux paiini les lombeaux de la villa Pampbili, a Rome. J'en citerai, pour ma part, un au Capitole dans la meme ville (1), un (1) Ausii;ngai:d , Galeries publ . de VEurope, Ronte. p. 17i. — Ici , comme dans la plupart des t>as-reliefs representant une chasse et oil se trouve un sanglicr , on vcut que ce suit Atalantc et Meleagre chassant dans la foret de Gilydon, el t'on altegue que les — 198 — parmi les peintures du lombeau des Nasons, un dans la calhedrale de Girgenti, en Sicile (1), un au Musee Brilannique , un dans les Miscellanees de Spon (2), deux parrai les monuments antiques de Barbault (3), deux plus remarquables figures sont uu jeuue homme et unejeune femme. Mais d'auires, qui ont aussi leur valeur dans le bas-relief, nous paraissent traitees legcrement. II y a notamment une deuxieme femme, et celle-la est a cheval : pourquoi ne la nomme- rait-on pas Atalante, de preference a l'autre i1 Ne remarquc-t on pas, en outre, que la personne decoree de ce nom semble poursuivre la bete apris lui avoir decoche un trait? Ce n'est pas lii une femme dont la vie est ou vient d'etre en danger; le jeune homme , qui l'aide en sa pomsuite contre la bete, n'aura pas le merite del'avoir sauvee : aussi l'un et l'autre nous interessent-ils beaucoup moins que le vieillard qui altaque de front la bete et leve sur elle sa mas- sue. Sommc toute , ['explication mythologiquc generalement adoptee pour ce monument n'a pas ici plus de raison que pour les autres. (1) II provient de l'ancienne Agiigente. II est sculple dans tout son pourtour; l'une des faces principales represente une chasse au sanglier. Sur un des cotes , on voit un homme embarrasse dans les traits de ses chevaux epouvantes et traine sur les debris de son char fiacasse : e'est un symbole de la brievetc de la vie et de la soudainete de la mort, que Ton rencontre frequemment. II est de toute evidence que le personnage tombe d'un cbar n'est pas le meme que celui que Ion voit, dans une autre partie du monument, pres de monter a cheval pour aller a la chasse. V. Voyage pittor., ou Description des royaumes de Naples et de Sicile. Paris , 1785. Tome IV, pi. 82. (2) Miscellanea erudita antiq., page 313. Le savant Lyonnais dit que ce monument est a Rome. II veut que ce soit la chasse de la foret de Calydon, et il y fait assister Diane , Ilercule, Thesee et d'autres heros. Nous ne voyons pas trop quel besoin on avait de tout ce monde venu d'en haut, ct nous aimerions mieux qu'on nous eut montre quelque part Atalante. Spon , qui l'oublie tout-a-fait , parait ctre embarrasse de Diane : nous donnerons plus bas notre opinion a ce sujet. (3) Monuments anciens, ou Collection choisie d'anciens bas-reliefs et fragments egyptiens , grecs , romains el elrusques (tome IV' du recueil), pi. 77 et "8. • — 199 — un a Barcclonne (1) , un dans. I'Augusleum de Dres- de (2) , un au Louvre (3). La ressemblance de ce dernier avec le notre est frappanle ; on dit la meme chose de eeux de Naples et de Londres. Ainsi , le sujel traitc dans lc monument de Reims est banal, les figures qu'on y a remarquees et qu'on a affublees de noms hisloriques , sont banales egale- ment. L'ensemble s'est perpelue d'age en age dans le monde romain , comme molif d'ornemcntalion des monuments funebres , sans autres differences que celles que le temps et le caprice des artistes ont pu lui imprimer. Battus sur le terrain de l'hisioire, quelques ruison- neurs se sont refugies, avec Bergier (4), dans le champ de la mythologie. La chasse de la foret de Galydon est dans toutes les memoires ; el , pourvu qu'il y ait un sanglier , quand meme il y aurait aussi un lion , c'est assez ; il ne faut plus trouver que les acteurs principaux de la scene : telle femme esL Atalante ; tel homme, qui semble jeune, est Meleagre ; cet (t) Caylus, Recueil d'antiquilcs, tome IV, pi. GIX. (2) Augusteum, par Guill. Gottlieb Becker (Leipzig, l8ll), t. HI, n* HO. (3) N° 423, salle de l'Haruspice ; — Ci.arac , 186. Cet ecrivain decrit ce monument comme s'il n'en conuaissait pas de semblables. 11 a presque les memes details et la meme disposition que le notre , mais il est , quant au style , dune epoque bcaucoup plus avancee. Plusieurs parties, des tet.es notamment, ont etc refaites. A l'enumeration deja tongue des monuments semblables que nous connaissons, nous pouvons ajouter les fragments de tombeaux publies par Piranesi , t. II , pi. 4G ; les ebasses du musee des Anti- ques . a Paris ^Clarac , a" 183 bis, l»i, 187, 18S, 027) ; la chasse, aux filets publiee par M. A. Lenoir, dans la Slatisti(/ue monument, rtt Paris, epoque romaine, pi. XXVI. (4) Histoirc des grands chemins, liv. II, chap. 37. - 200 - autre, qui esl un pea plus vicux, est Eupalamon; un troisieme esl Pelagon ; pour le reste, on les nommera Gomme on voudra : derriere les plus brillants , il fault bien que Ton apeiroive la foule ou le eommun des chasseurs. Ce sysleme, qui, je dois le dire, esl le plus gene- ralemenl adople, a bien par-ci par-la cjuehjues diffi- culles dans les details. L'Alalante de notre bas-relief, par exemple, n'aarail pas Fair de prendre a la chasse une part aussi active qu'elle le devrait , si elle etait l'heroiine (ju'Ovide a tiepeinle. Pourquoi aussi ces diffe- rences dans les costumes? 11 y a des personnages a cheveux longs, d'aulres a cheveux courts ; ceux-ci sonl vetus a la romaine, el memo un dans i'appa- reil d'officier d'un grade eleve ; ceux-la ont des ve- tements flotlants ; on voit des jambes nues ou couvertes d'un pantalon qui finit au-dessous du genou , tandis. que d'autres sonl vetus jusqu'ii la cheville. L'on a des explications pour tout. Nous avons bien hi, dans une description Ires-splendide ct non moins savante du monument de Dresde (1), que les gens a pantalon sont les Etoliens, chez qui sefaisait la chasse, el que les jambes nues apparliennent aux Cureles, que le roi (Enee avail invites. Ne sait on pas, en effet. qu'a- pres la chasse, il y eul une grande querelle enlre eux et les gens du pays? Si« le panlalonn'cst pas grec, » il convienlra mieux sans doule « a quelqu'une des peu- plades voisines que les Grecs appelaienl barbares; » et il suivra de la que ce qui semblait gener le com- mentaire y aidera, au eontraire, singulierement. Ainsi des aulres, donl les inventions merveilleuses ,J.) August awn , L< > ; 1 1 c til , page 3:). ■ - 204 — peuvent am user un instant, mais no soutiennenl pas I'examen -, Hist, del' Art chez les Ancie>is, Lome I'", pi. XX. — Bar bait, op. cit.i pi. ;if>, :^9, sar; san'it el ipsa Venus. (Martial, de Spectaculis, cpigr. 7.) (C Slat sexus rudis insciusque ferri, Ft pugnas capit improbus viriles. (Stat., lib. I, silv. 0'.) (I) Juvenal, sat. I. (8) Maktial , op. nit.. epigr H. - -208 - « Mais vovez avec quelle fureur se melent a ces 'miles feroces des jeunes gens appartenant aux plus nobles maisons : Aspicc illos juvenes quos ex nobi- tissimis domibus in arenam luxuria conjccit (1) ; et jusqu'a dc tous pelils enfanls, sans que personne, en quelque sorte , s'inquiete du danger qu'ils courent : Guratis quis ex solitudine infantes auferat , pwituros nisi, auferanticr (2). » En un mot, il n'esl pas de condition (3), de sexe, ni d'age qui emp6che de prendre une part active a ces spectacles , en sorte que saint Cyprien peut s'ecrier (A) : « Pourquoi done, je vous prie, tout ce monde s'ex- pose-l-il aux betes sane y avoir ete condamne ? Dans la fleur de l'age el de la beaute , veins magnitique- ment, pleins de vie , ces jeunes gens se parent pour une moil de leur choix ; ils sont fiers des blessures qu'ils regoivenl ; e'est la fureur, el non le crime a expier, qui les pousse conlre les betes ; et , chose etrange, le fils combat sous les yeux de son pere ; le frere, dans l'arene, a pres de lui sa sceur ! » Nous n'en dirons pas davantage pour justifier la (1) Sen ec, epist C. •2; Sr.>EC, controvers. X. (3) Une inscription trouvee a Aix, en 1839, etdeciite par M Rouard dans le Bulletin monumental (tome XXIV , p. 200), menlionne un jeune homme qui n'etait pas moins fierrfe son talent dans les excr- cicesdu corps que de sa beaute, ct figurait souvent, quoiquemede- cin: dans les chasses de ['amphitheatre, emule et compagnon de vie des bestiaires. Qui docili lusu juvenum oeue doctus harenis, I'nlcher et ille lui, variis circumdatus armis, Sa^pe feras lusi, medicus tamen, is quoque vixi Et comes ursaris. . . . i) Lettre -2. - 209 — presence tfauco> , Antiquite txpliquee, t. V, pi. 201 ; Clarac, pi. 191, n° 317. (3) Bartoli, t« partie, pi. 34. 38, 37; 3* partie, pi. 17. (4) Bartoii, 1" partie , pi. 24, 25, 26, 27, 28, ?9 ; Passkri, 1. I, pi. 91,95; op. cit., t. Ill, pi. 20, 27, 28, 52, 56; MONTFAUCON, t. V, pi. 193, 197. — 212 — combals de gladiateurs et des lultes diverses d"homme a homme (4), des chasses d'animaux combattant enlre eux (G2) ou avec des bestiaires (3), enfin des teles d'a- nimaux, indices, comme nous l'avons dit, des spec- tacles auxquels les betes avaient part (4). II n'est done rien de plus commun que ces repre- sentations : on peut les considerer des lors comme appartenant aux funerailles les plus modestes aussi bien qu'aux plus somptueuses, aux morls de la plus basse condition comme aux plus riches. Aux uns, les vastes coffres de marbre et les mausolees revelus de sculptures sur loutes les faces ; aux aulres, les simples urnes de pierre; a tous, les vases cineraires etlacrymaloires(5); a tous.principalement, leslampes de bronze ou d'argile; et sur lout cela, les memes compositions, variees de forme et d'elendue, mais ne changeant point quant au sens. En conclura-t-on que tous les morts eurent leurs (1) Bartoi.i, fpartie, pi. 20, -21, 22, 23; Passeri, t. I. pi. 96, 98.101; op. cft.,t.lll, pi. 5,6,7, 8,22, 23, 24, 25 ; MoiNTFACCON, t V, pi. 197; Berculanum et Pompei, t. VII, pi. 48. (2) Bartoli, l'partie, pi. 33 ; Passeri, t III, pi. 12, 13, 15, 16, 17,93, 102, 103; Montfaicon, t. V, pi. 190, 191. (3) Bartoli, I'partie, pi. 31, 32; Passeri, t. Ill, pi- 1C, 11, 18, 94 ; MoisTFAUCO, I. V, pi. 191 Uerculaimm cl Pompei, t. VII, pi. 43, 44, 47, 42. (A) Passeri, t. Ill, pi. 51. (6) L'ouvrage allemand intitule Beschreibung romischer und deutscher Alterlhiimer in dem Gebietc der provinz Rheinhessen contient plusieurs vases fort curieux qui repTesentent des chasses et combats d'animaux (pi. 1 , fig. 3 ; pi. 2 , fig. 1 , 2 , * . 5; pi. 3, ficr, 2, 3, 4, G). Nous les croyons funeraires, ainsi que ceux du menie genre qui ont ete trouves a Reims et que possede M. Duque- nelle. II taut en dire autant de tous les vases qui sont omes de feuilles d'eau ; nous avons vu, en effet, le sens qu'il faut attacher aux symbotes de leau ronsid«ree comme principe. - 213 — jeux funebres? Pretendra-t-on que lout cela rappelle des spectacles, des courses, des combats, des chasses donnes a propos de sepulture? Ce serait par trop naif. II est evident que leur celebration entrainait d'enormes depenses, el que les mediocres fortunes elles-memes n'y pouvaient suffire. Cede consideration suffirait seule pour nous empecher de regarder les plus splendides monuments de marbre et de porphvre comme des garants tres-cerlains que les jeux dont ils portent la representation aient ete accomplis. Nous avons d'aulres motifs encore de croire qu'il n'y a pas eu d'immolalion de prisonniers dans l'a- rene en l'honneur de l'imperatrice Helene , quoi- que son lombeau representc ce genre de scene. Les spectacles dont nous parlous, nienie les chasses, etaient interdits aux Chretiens, bien qu'on en donnal tres-longtemps apres que !e cbrislianisme se ful assis sur le trone des Cesars, sinon a litre de ceremonie religieuse el comme complement des funerailles, du moins pour l'amusement du peuple (4). Suppose cependanl que ce lombeau ful plus ancien, comme le dit Eusebe , il serait permis d'admeltre I'execution qu'il suppose, en la important a une epoque oil celle execution etait encore en usage pour les princes. Quant au monument de Reims, s'il etait le tombeau d'un chrelien , de Jovin , j>ar exemple, nous pour- rions affirmer egalement (|u'une chasse n'a pas ete donnee a la morl de ce personnage ; dans le cas contraire , en lui atlribuant , comme nous 1'avons fait, une date bien anterieure, I'execution d'une chasse sera reduile a une simple probabilile. (1) Justinien se distingua, a Constautiuople , par la profusion avec laquclle il donna des-chasses, au rapport du cointe Marcelliu. - 214 - Cest qu'en eHel , la frequence memo de ces repre- sentations clans lcs monuments funebres leur ole toute valeur historique , pour leur laisser purement cl simplemenl un caracterecommemoratif el en quel- que sorle symbolique. Je m'explique. Les funerailles faisaient parlie de la religion ; ses moindres details etaient des rites, les uns obligatoires, les aulres de pure devotion. De ce nombrc etaient principalemcnt les sacrifices dits Ferite el Infer ice , les repas et les jeux , c'est-a-dire tout ce qui suivait la sepulture el pent etre compris sous le nom de sacrifices funebres , puis<|ue , comme les repas , les jeux de la scene et de l'ampbillieatre n'etaient eux- memes d'abord qu'un sacrifice, et , depuis , l'accom- pagnement de ce sacrifice : on immolait , en effet . , des vicliraes au theatre avantde commencer la piece; et quant aux spectacles de 1'arene, le sang qu'on y repandait n'etait , en definitive, qu'une immolation d'bommes et d'animaux prolongee , rendue plus inleressanlc el moins odieuse par les peripeties d un combat ou la force et l'adresse faisaient des vain- queurs en meme temps que des victimcs. Nous n'avons pas a nous occuper davanlage des motifs et de l'origine des jeux funebres. Rappelons seulemenl qu'ils ne devinrent en usage que dans les derniers temps de la Republique, et que, cependant, du vivanl de Ciceron , la loi etait obligee deja de restreindre ces prodigalites crueiles, dans lesquelles les families opulentes Irouvaient un moyen de faire de l'eclat et de capler lcs bonnes graces du peuple. Malgre I'empresseraent de quelques-uns a satisfaire en ce point le gout de la multitude, malgre la favour - 215 — qui en etait le prix , malgre Texiyence qurapportait le peuple a les demander imperieusemenl a ceux de qui il les altendail, ct les autrcs motifs qui eu fai- saient a ces derniers comine une necessite de position, on pent dire que c'etail un luxe reserve a un petit nombre de citoyens ; il etait tellement rare que des partieuliers se le donnassent . (]iie, quand eela arri- vait par exception, par exception aussi celui qui faisait la depense des jeux etait autorise a prendre, pour y assister , les marques de la magistrature. Ce que nous disons ici s'appliquea l'epoque la plus florissante de Rome, mais s'etend aussi, a certains egards, a l'empire; car, si alors la perturbation dans les fortunes des partieuliers rendit la celebration des spectacles abordable a des gens de basse naissance, l'absorplion du pouvoir par les empereurs empecha souvent que d'aulres que le prince et ses favoris osassent en (aire la depense. II n'est done pas croyable que ces representations reproduces a l'infini dans les monuments funebres accusent toujours l'execulion des jeux ; quelque fre- quents qu'ils fussent, on se dispensail plus souvent encore de les celebrer. On pouvait, jusqu'a un cer- tain point, considerer telle scene de theatre, tel combat, telle chasse execulee en peinture ou en scupture, com me constiluant par eux-memes le sa- crifice present auxdivinites funebres, puisqu'ilsetaienl l'occasion d'une depense faile en leur bonneur. A defaut de 1'accomplissemenl d'un rile dont on n'aimait pas a s'affrancbir absolument, on en conservail, du moins, le simulacre, el Ton se conlenlait, la plupart du temps, d'en (aire memoire sur les monuments. Ainsi, au lieu de la valeur hislorique que nous — 2f6 — eroyons devoir cnlever a ces representations, nous y verrons plutol uncaractcrc religieux e! symbolique; el encore sera-t-il plus exact de les considcrer comme puremenl commemoratives, comine de simples sou- venirs des funerailles el de la morl. On concoit que le plus grand nombre n'en avaient pas une idee plus elevec ; le sujet represents, devenant, pour les monu- ments du genre , comme une espece de lieu commun d'ornementalion, s'y perpetna sans qu'on prit garde au sens qu'il fallait lui donner : dela cette ressem- blance qui nous a frappe dans le nombre assez grand que nous avons pu comparer entre eux. Toutefois, l'idee religieuse est demeuree empreinle sur quelques-uns ; les dieux Manes, Jupiter, Mereure, Diane y figurenl, soil separes, soil reunis, Diane sur- tout, a qui les chasses etaient parliculierement consa- crees, comme s'accordent a le prouver vingt endroils des poeles ct d'autres ecrivains (1) ; la presence de ces divinites ajoule alors au sujet, quel qu'il soil, un caracteresacre. C'est ainsi, croyons-nous, elnonauire- ment, qu'on pourra expliquer le bas-relief funeraire publie par Spon (2) el dont nous avons deja eu oc- casion de parler. Si son dessin est fidele, et nous avons tout lieu de le croire, la femme armee d'un arc, qu'on y voil, est bien Diane: elle a lous les caracteres qu'on donne ordinairement a cette deesse. Avec le sujet de Meleagre et Alalanle que Spon adopte, a l'exemple de lous les savants, la presence de Diane (1) SruTON. . in Calig , cap. XXV; Statu Sylv., lib. Ill; Vai.f.r. Flacc lib. II ; Martial., Epiyr. XII et XIII ; Ci.audian., Panegyr. Mallii.; Prudent, in Symmach.; Lactantiis, lib. V«, cap. XX; Cassiodor., lib. V, cap. XLII, etc. (2) Misecttan. cruit. anliquitalis, |». 312 s — 217 — est inexplicable, puisque lesanglier de Calydon avait ete envoye par ellc pour punir les habitants, el que, suivant la fable, elle chatia Meleagre pour avoir tue cet animal: le savant Lyonnais le reconnait parfaitc- ment lui-meme, mais il croit pouvoir lever cetlc dif- (iculle en l'impulant a une inadvertance de l'artiste. Appliquons, a notre lour, a ee monument l'explicalion que nous avons donnee, quitlons la foret de Calydon et Iransporlons la scene dans l'amphilhealre ; faisons, en un mot, de cclte cliass^ une chasse funebre, et Diane sera parfailemenl a sa place, elle presidera aux jeux dont la eelebralion lui est offerte. Divers monuments sculptes represenlant des cliasses renferment des fcmmes (1), mais non avec les carac- leres distinclifs el si connus de Diane. On a cru, du resle, a lort, que Ton devait exclurc de ccs sorles de sujels Diane uiasseresse, parcc que c'est plulot a la Diane Taurique, a la deesse d'Aricie, qu'elaient con- sacres les jeux funebres. Un grand nombre de lampes, cependnnt, portent I'effigiede la deesse de la chasse (2), lamlis que Ires-peu nous moulrent celle de Diane d'Ephese (3) el celle de Diane Nocturne (4). Ce fait seul demonlre que les artistes avaient complete liberie sur le cboix, quelle que fut, d'ailleurs, 1'intentioE allachee a leur oeuvre. Nous lerminerons cette disserlalion par l'examen de (11 Notammcnt le notre et ceux, cites plus haut, de Barbaut, pi. 7", etde Caylus, t. IV, pi. 109. 1.2) Bartoli, 2' partie, pi. 32, 33. :;C; Lucerna ;icliles musei Passerii. t. P», pi. 9«, 96 bis, 07; t. Ill, pi. 87, S8 ; Mo.ntfacco>, t. V, pi. 168 (-2 exemples), 169 (it.). (3) Baktoli, 2 partie, pi. M, 3ft; Passeri, t. I", pi. 98, 99; Mo.ntf.wcon, t. V, pi. 169, avec silicern turn. [I) Passkbi, t. l'r, pi. 91, 93, 94. — 218 — quelques vases funeraires qui nous ont paru renlrer clans 1'espece de monuments que nous avons tenle d'expliquer. L'idee generate qui nous a suivi clans ce travail en tirera plus de clarte encore, aide que nous serons ici, quoique a son insu, par M. Lajard. Dans un memoire sur une urne cineraire du musee de Rouen (1), le savant academicien avail demontre : 1° que les groupes d'animaux represents sur les mo- numents funeraires ont eux-memes un sens funebre et sont empruntes aux croyances religicuses et a la symbolique de l'Asie occiclentale ; 2° que ces groupes sont invariablement composes d'herbivores etdecar- nassiers opposes genre a genre et « reproduisant hie- roglyphiquement la double acception de mortetde vie, ou de generation el de vie spirituelle, dont le sens indique les ames passant de la vie corporelle ou mate- rielle qui est leur mort el leur lombeau, a la vie spiri- tuelle qui les rend a leur deslinee primitive (2). » De nouveaux exemples, apportes dans les Recherches du meme auteur sur leculte du cypres pyramidal (3), ont complete celte demonstration. Les deux plats d'argent apparlenant a la Biblio- tbeque Imperiale , decrils dans le second travail de M. Lajard (4), presenlent chncun, sur le bord exte- rieur de son pourtour, une suite d'objets qui ont presque tous, sinon tous, comme le veut M. Lajard, un sens mystique et funebre. « Ce sont, dilM. Lajard, (1) Acad, des inscript., nouv. serie, t. XV, 'i* partle, p. 63- 127. (2) Nous avons nous-meme expose la signification symbolique des lampes sepulcrales et du feu dans les rites funeraires. {Essai sur I' eclair age chez les Romains, p. 1 26— 1 51.) (3) Op. cit., t. XX, -1' parlie. (4) /.or. cit., p. 3.;:s et seq., pi XVI, XVII et XVIII, n" l. 219 — lies masques sceniques, des animaux carnassiers, tels que des lions, des iionnes, dcs ours, qui atlaquenl on poursuivenl des animaux herbivores nu frugjvores, tels que des anlilopes on des bouquelins, des bit-lies, dcs sanglievs ; ce soul des edicules funebres el des aulels ; ee sont encore des cypres, des arbres morts on depouilles de feuilles, el des pinnies aquatiques. » Nous avons trop de respect pour l'aulorile de l'lionorable academieien, el trop de contiance dans son savoir pour oser enlreprendre la critique de cet expose el des developpemcnts qui le suivent ; nous voulons sculemcnt faire quelques remarques ii son sujel , el nous croyons pouvoir deduire des memos examples (\c> consequences qu'il n'a pas remarquees on suffisamment apprqlondies. 1° II s'en faul que lous Ies arbres represents dans les deux bandes soicnl sans feuilles ; consequemment, le sens funebre qui leur est donnc est peul-etre trop exclusif. Les aulres atlributs materiels, les petits monuments sculples qui sonl places de loin en loin, no sonl pas non plus tuns absolumenl funernires : ii ya, nolamment, parmi eux des autels eylindriques aussi bien que des aulels a double cone ; il y a raeme des objels tout-a-fail indifferents el de pur remplis- sage, lels que la pierre ovale et la pierre en losangc qui accompagnenl un de? masques du plat n° 2, de celui qui a ele trouve a Berthouville, pres de Bernay, en 1830. 2° Les animaux du memo plat etant places syme- Iriquement deux a deux, et paraissant courir, n'en conclut-on pas un peu lestemeni qu'ils se poursui- venl? El si, dans I'aulre plat, les animaux, affrontes pour la pluparl, semblenl y mellre plus d'a'ction et — 220 — se combaltre, n'esl-ce pas un peu affaire d'art el de symelrie? N'accordera-t-on pas que le caprice du sculpteur s'eloigne beaucoup de la vraisemblance, en represenlant, par exemple, un cerf qui se jelte sur un lion, un autre cerf poursuivant un autre lion, et ce dernier se retournant comme pour faire tete a cet ennerai peu redoutablc (1) ? Je veux bien no pas disputer sur le point de savoir si la juxtaposition d'animaux de deux genres opposes a, au fond, le sens syrnboliquc que M. Lajard lui atlribue; mais je rappellerai que, pour que cet anta- gonisme soil evident, il faudrait que l'opposition des deux principes ful conslamment observee. Or , on citera tacilemcnt des cxemples du contraire; ainsi, il y a telle chasse sculptee, dont un fragment presenle des carnassiers qui se combaitent (2), et un autre des herbivores (3). Bien plus, une lampe d'nn carac- tere inconlestablement funcraire (4-) porle quatre teles d'animaux : ce sont un sanglier, un laureau, un belier et un lion. Pourquoi trois conlre un? Se- rait-ce que le lion est capable de vaincre et de man- ger les trois autres? Ceci serail-il aussi du symbo- lisme? Aurait-on voulu prouver par la que le principe represente par le carnassier l'emporle sur l'aulre principe? M. Lajard nous parait done pousser troploin les consequences de son sysleme, quand il afilrnie qu'il y a lutte de principes dans loutes les represen- tations d'animaux. Nous pensons que ces representa- (t) Op. cit., pi. XVI, fragm. a" ; et 2. (2) Musee du Louvre, 769 ; Clahac, pi. 113, n" 183. (3) Bas-reliefs d'Assos, musee du Louvre, oy>. cil., pi. 116 B, n° 6. (I) Passeri, t. 111. pi. >»• 221 — lions ont, avant tout, unc signification commemora- tive, el qu'elles rappellent les immolations d'animaux donnees en spectacle an public, en l'honneur des morts, sous forme de combats d'animaux enlre eux, et plus souvent sous forme de chasses, que ces immo- lations aienl eu lieu reellement ou que Ton se soit contentc de les figurer sur les monuments funebres. Nous avons deja fait remarquer la signification egalement commemorative des masques de theatre, dans lesquels M. Lajard (1) parait avoir trouve aussi un caraclere mystique qu'il n'a pas explique. 3° Apres avoir etudie la bande circulaire des deux vases, M. Lajard parle des medaillons qui occupent le centre de chacun d'eux. Dans l'un, un Romain combat a cbeval un enorme sanglier ; la Vicloirc s'avance dans les airs pour poser une couronne sur la lete du cavalier (2). Dansl'autre, un cavalier est assailli a la fois par un lion et par une autre bele ressemblant a un loup (3). Une inscription tracce autour de ce medail- lon fait connaitre qu'un G. Properlius Secundus a fait faire ce vase en l'honneur de Mercure Kaneton- nensis, e'est-a-dire, suivant M. Lajard, honore a Ka- nelo, ville inconnue. Comme Mercure presidait aux mysteres et aux riles funebres, la dedicace et )a destination du dernier vase paraissent s'accorder avec sa decoration : nous somines, sur ce point, de memo avis que ML Lajard ; mais nous cro\ons demontrer plus clairement celte (1) Loc. cit., p. 334. (2) Mem. de V Academic des inscript., t. XX, 2" partie, pi. XVI, fig. 5. (3) Op. cit., p|. XVIII, li". 1. — 222 — destination en donna nt on vase uno attribution com- memorative ct en l'enlevant an domaine de l'allegorie oil le range M. Lajard. Et ce que nous disons du vase qui porte une inscription , doit s'entendre egalement de celui qui n'en a pas. Que voit-on, en efl'et, dans les medaillons de chacun d'eux rjui soil etranger ;i la representation d'une chasse funebre et ne s'cxplique parfaitement par la? L'exiguite du cadre a reduil cette representation a ses moindres elements : d'une part, un ou deux animaux ; del'aulre, le combatlant vainqueur ou pros de l'etre. N'est-ce pas assez pour faire connailre a quel propol d'autres animaux, en plus grand nombre, courent aux bords des vases? Se peut-il riendeplus clair?Esl-il besoin, pour expliquer une scene si pen cotnpliquee, d'appeler a son aide la symbolique, de fouiller les profondeurs du mysticisme asialique, et, au risque de se mettre en contradiction avec ce que nous savons des mceurs antiques, deprelendre qii'il s'agit ici , non d'un simple combat avec des betes feroces, « maisdu combat perpetuel qu'ici-bas nous devons livrer a nos passions (1) ? » M. Lajard rappelle , a ce propos , des medailles contorniales que possede la Bibliotheque Imperiale, a l'avers de la tele d'Homere, de Neron ou de Vespa- sien, et qui presentent, d'autre part, un guerrier arme d'une pique et combattant a pied , seconde de son chicn, un enorme sangiier(2).Le cypres pyramidal qui s'rir've denierc ce groupe indique assez l'intention l'u- nerairedu sujel represenlc; et comme on doit conside- (i) Opere cit., p. 334. (•>) Operecit., pi. XVIII, fig. 3. . — m - rer Ics rnonnaies conlorninles comme des jelons de fantaisie frappes pour des particuliers, il n'y a pas de doute que celles-ci n'aient eu une destination funebre ou, du moins, commemorative des funerailles. Les jeux funebres suffisenl a les expliquer, cenons semble; et il faul avoir l'esprit bien preoccupe de la mytbo- logie ou des doctrines religieuses de l'Asie , pour cbercber encore ici , comrae le fait M. Lajard , Meleagre et le sanglier de Calydon (1), ou la lutte mystique dont nous avons deja parle (2). Toutefois , je dois avouer que l'bonorablc acade- micien ne conclut pas sans reserves. Transmises des peuples de l'Asie occidentale aux Romains , les doc- trines religieuses dont il croit avoir relrouve les traces lui paraissent s'etre perpetuees dans le monde romain , comme a son insu et sans que les raisons des symboles et des rites conserves lui fussent connues (3). Au nombre des symboles funebres in- compris et cependant tres-repandus, il cite le cypres. Nous devrions peut-elre cbercher a la merae source l'origine des combats et des cbasses funebres : ce qu'on connait de la parlie du cube de Diane, que les Romains recurent des cites grecques de l'Asie, y aiderait ccrtainement ; et il se pourrail bien qu'il en fut de ces combats et de ces chasses comme de beau- coup de traditions appartenant a d'anciennes litur- gies, conservees religieusement a cause de leur origine , mais dont la raison echappait au vulgaire et elait du domaine de quebpies adeptes seulemenl. i \) Opere cit., p. 281. (2j Oi>t>ri' cit.. p. 3i6. (S) Loco cit — Wk — IV. VOIES ET COMMERCE 16. 1MP-CAES-MAR PIAVONIO- VICTO RINO-P-F -IN-AVG PM-TR1B-P-COS PP- PROGOS C-REM L • 1 1 1 1 Fig. 12. Imperatori Caesar/ Marco Piavonio Viclorino pio felici inviclo avgvsto pontifici maxima Iribvnitia potestate consiii patri patriae pvoconsvli. Civitate Remorvm \evcae 1111. at A J'empereur Piavonius Viclorin.. . . A quatre lieues de la ville de Reims, » Povillon-Piekard, Tableau hist, delamont. de Brimont. — Congres scientif., Xllb session , tenue a Reims, p. 273. — Bulletin de la Soc. academ. de Laon , t. VI, p. 170. « S'il y a ville en toule la Gaule en deca des Alpes , dil Bergier (1), en laquelle il se fasse abord de toutes parts de grand nombre de cbemins, e'est (1) Hist. ,ies grands Chemins de I'empire, liv. IV, chap. 39. ■ - 225 — la ville de Reims Et ne se faul esmerveiller si les empereurs de Rome Font accommodee des le commencement de tant de grands chemins : allendn que des le temps de Jules Cesar les Rernois avoient grand pouvoir sur toule la Gaule Belgique , el que d'ailleurs ils avoient succede a 1'aulorite et princi- paule que ceux de Bourgogne , qu'il appelle Sequo- nois, avoient auparavanl dans la Celtique : el Slrabo, qui vivoil du temps raeme d'Auguste , montre bien en quelle eslime les Renvois eloient chez les Romains, lorsqu'ayant parle des peuples de Paris, de Meaux,' de Lizieux et autres qui sont sur le cours de la riviere de Seine , il adjoute : « Super omnes autem » lmjus traclus incolas R'erai dignilate prtecellunl , » metropoliin Duricortorum frequenlissimam habenl, » romanos accipientem duclores (1). » L'auleur des Grands Chemins n'exagere rien : sepl voies romaines rayonnaient aulour de Reims el en faisaient le centre d'un mouvemenl considerable. On s'etonnera done que nous no citions ici qu'une seule borne milliaire trouvee dans ses environs. Le tome IIIe des Memoires de VAcademie des inscriptions et belles- lettres , page 250 et suivantes, contient le dessin et Implication de deux monuments de ce genre qui ont ele Irouves a peu de distance de Soissons (2) ; mais ils n'apparliennent pas pioprement an pays remois, dans lequel nous devons nous renfermer. Celui donl nous rapporlons l'inscription devail etre place sur la voie romaine qui parlait de la porle de Mars pour so dinger vers Bavay (Bagacum Nerviorum) par Pont- (1) Livre IV. {■2) La premiere, decouverle en 1708 , snr le territoire Je Sois ttfift -est ainsi concue : xxx. " 15 - 226 - Givart , Neufchalel ( Amenna ? ) , Nizy-le-Comte (Minaticum), Vervins {Verbinum) et La Capelle. II est conserve dans le domaine de Brimont, et a ele trouve I M P - C A E S ■ L SEPTIMIO-SE VEROPIO-PER TINACE- AVG-ARA BICO ADIABENI PAR T H I C 0 • M A X PP-IIIETIMP-CAES MAVRELIOANTONI NO- PI 0 ////////////////// CE C ////////////.'/////// GVRANTE-L-P POSTVMO-LEG-AVGG PP • AB AYG • SUESS-LEG VII. Elle date de l'an 202 de Jesus-Christ , sous le regne de Septime Severe, Caracal la etant associe a l'empire. Elle mentionne un pro- preteur , lieutenant de la province , du nom de Postume. On ne sait pas a quelle voie elle appartenait. Voici la seconde : IMP- CAES MAVRELIO-AN TONINO-PIO AVG BRITANNI CO-MAXTRIB POT-XIIII IMP-1I C 0 S - 1 1 1 - P P • P R 0 COS-ABA VG SVESS-LEVG VII Elle a ete trouvee nou loin de Vic-sur-Aisne et est aujourd'hui dans les dependances de l'ancien clialeau. Elle appartenait vrai- semblablement au chemin de Soissons a Beauvais. D'apres le calcul d'Eckhel (Doclrina numorum vcterum , vol. "VII ), la date qu'elle porte est l'an 211 de Jesus -Christ, sous Caraealla , et non 202, comme 1'a ecrit M. Peigne-Dclacourt ( Recherches stir la posi- tion de Nociodunum Suessionum, p. HO). .). 27 — vers l'endroit de la route appele le Gran de Brimont, a une distance de Reims qui est bien celle qu'indique 1'inscription. Celle borne est en pierrc de I'Aisne; elle a hi forme dun cylindre aplati ou d'un prisme rectangu- laire dont les angles el les faces seraient arrondis, de 1 m. 08 de hauteur sur 44 cenlim. de largeur et 32 centim. d'epaisseur. Une gorge creusee dans ia section superieure du prisme (fig. i2, coupe) indique qu'un couronnemenl, qui a disparu, s\ agencait. La base est egalemenl perdue. L'inscriplion occupe le baul de 1'iine des faces principalcs, donl elle laisse libre 63 centim. environ. Les lettres portent 55 millim. a la premiere ligne, ct 45 aux suivanles. Cclte inscription nous foil connaitre deux choses, une dale et une distance. Viclorin (Marcus Aurelius Piavonius Victorinus), donl le nom y est inscrit, l'un des Ircnlc tyrans qui prirenl la pourpre sous Gailien, l\it associe a l'em- pirc par Poslume en 264, demeura seul mailrc de la Gaule apres la mort de ce dernier ct celle de Lollien, ot peril en 268, dans une sedition. G'est done enlre les annees 264 et 268 de Jesus-Christ que furent exe- cutes, sur le cbemin qui nous occupe, ou du moins dans la portion rapprochee de Reims ou fut trouvee la borne, les travaux dont elle a conserve le souvenir. Selon toule apparence, il ne s'agissail que de repara- tions ou d'amelioralions, car Viclorin regna Irop peu de temps pour avoir elabli des chemins d'une grando importance. De plus, reporter I'etablissemenl de ce- lui-ci jusqu'a la fin du llle sieclc , e'est supposer que les relations enlre Bavaj et la melropolc n'en avaien! — 228 — pas encore raontre l'utilite (1). Enfin l'ltineraired'An- lonin en contient le trace tout enlier ; etsi ce n'est pas une pre uve tres-concluante de son existence a une epoque reculee , a cause de l'inceilitude ou Von est surle document geographique dont nous parlons, il a pu faire partie des elements les plus anciens que renferme l'ltineraire. Les monuments de Victorin ovec inscription sont fort rares ; Orelli n'en cite que trois. Apres le nom et les litres du prince sous lequel le monument fut eleve, nous lisons que notre borne etait la qualrieme depuis Reims, chaque borne etant plaeee sur la route a la distance d'une lieue gauloise. Toutes les bornes nc nommenl pas le point de de- part ; quelques-unes le donnenl fort en abrege, et c'est le ca^ de la noire ; maisla ville de Reims n'en est pas moins clairement designee : Civilalr. Renwvm. L'ab- sence de la preposition marquant le depart n'est pas une difficulte : on en voit des exemples; nous nous contenlerons d'indiquer ce que dit, a ce sujet, Freret, dans les Memoires de I' Academic des inscriptions et belles-lettres (t. XIV, Memoires, p. 451). L'emploi de civitas dans le sens de urbs ne doit pas non plus surprendre, apres ce que nous avons dit, a cet egard, pour l'epoque a laquelle appartient ce monument. Quelque simple que paraisse l'explication que nous en donnons, nous avons besoin de la justifier etd'en- irer , a son sujet, dans quelques details. L'llineraire d'Antouin el la Table Theodosienne (1) V. Frerilt, Observations sur la situation de quelques peuples . l~0. — 231 — niille oil de lieue en lieue ? Mors, pourquoi placer ces homes , non a l'entree, mais sur un point eloigne des exlremites ? Et si elles etaient destinees a marquer une Iimite, sans ulilile pour les vojageurs, pourquoi y inscrire une distance ? Nous n'insisterons pas sur de pareilles distractions; nous avons, du reste, une erreur plus grave a signaler, mais nousne l'impulerons pas entierementa M. Piette, quoiqu'il ait rencheri, a ce propos, sur ce qu'ont dit de notre inscription les savants etrangers qui s'cn sont occupes au Congres scienlifique de 1845 (1). Tous se sont accordes a y trouver la preuve de l'exis- lence a Reims d'un proconsul, ou meme de plu- sieurs (2), qui auraieni eleve ce monument: « Sous la republique, disait-on (3), on nommait proconsuls les consuls donl les fonctions etaient prorogues , soit pour terminer une guerre, soit pour pacifier une province. Sous les premiers empereurs, les proconsuls n'etaient plus que des magistrats charges d'administrer une contree plus ou moins etendue. Ce fut Iladrien qui parait avoir le premier divise l'empire en parties d'une etendue convenable, et mis a leur tete des proconsuls. » Ici venait l'indicalion d'endroils d'Appien et de Spartien qui ne conliennent pas un mot a l'appui tie ce que Ton voulait prouver. (1) Congres scientifiquelde France, XIlIe session, p. 273. (2) Ce Qombreest porte a qu.itre dans la publication faite ante- rieurement par M. Ruinart deBrimont, en forme de placard in-4", sous le litre lie « Pierre milliaire trouvee pres ltrimont, sur la route de Helms a Neufchdlel. » Les lettres C (civitate) et L (leuca;) sont negligees dans cette publication ; e!le contient encore d'autres erreurs. (3) M. Taillar. conseiller a la cour de Douai. 232 « Plus lard , continue le compte-rendu, quant? Dioclelien partagea la Gaulc en dix-sepl provinces, chacune eut un consuluire qui parnit avoir rerapli les fonctions ties proconsuls elablis par Hadrien A cetle epoque , l'ancienne Belgique etait divisee en deux, el leurs capilales, Treves et Reims, avaient leurs consulaires. » Un membi'c, rappelant alors qu'aux IIIeetIVe sie- cles, les villes de la Gaule se trouvaient dans 1'aban- don , demandait si le proconsul n'etait pas un" magistral municipal plutot qu'un fonctionnaire poli- tique (1). Je dirai toul d'abord que notre savant confrere M. Goguel , qui avait emis cetle opinion, y a complelement renonce depuis et a reconnu que les donnees sur lesquelles il l'appuyait n'avaient aucun fontlement. II est certain, du resle , comme l'a fait remarquer le president de la section, M. Paulin Paris, que le monument elanl une colonne milliairc, il devait son origine au gouvernement lui-meme, et non pas a des magistrals municipaux. En effet , les inscriptions ilineraires portent toutes le nom du prince, soil au nominalif, soit au datif ; dans le pre- mier cas, e'est le prince nomme qui a fail execuler la route; dans le second, les magistrals romains charges du soin de cet ouvrage le lui ont dedie. Ces magistrals s'appelaient curalores viarum (2) ; ce (1) Tout demicrement, lautcur des Recherches sur les origines des eglises de Reinis, de Soissons et de Chalons, abondant dans ce dernier sens, a pretendu tiicr de notre inscription une preuve irrefutable en faveur de lautonomic des Remois aux premiers siecles. (•2) II y avaitaussi des magistratsou officiers municipaux charges — i>33 — litre csl fort commun sur les inscriptions qui portent le nora du prince au datif , mais il n'y est pas tou- jours exprime, el la notre est dans ce dernier cas. Ainsi, pas do doute, notre borne n'a pas ete elevee par un magislrat municipal , proconsul ou autre. Mais Reims a-t-elle pu compter un proconsul parmi ses magistrals municipaux? Sous l'empire, comme duranl la republique, un proconsul suppose un consul. Or Reims n'a jamais eu de consuls (1); celte appellation est parliculiere an Midi , et s'y applique aux magistralures urbaines qui , dans le Nord , avaient 1c litre d'echevins ; mais, la raerae , elle ne paraiUpas remonler bien baut , puisqu'aucune inscription de l'epoque gallo-romaine n'en fait mention. Reims n'a done pas eu de magistrals municipaux du nom de proconsul. A-t-elle ete le sejour d'un pro- consul remain ? Nous croyons celle recbercbe assez inutile ici, par la raison que les proconsuls agissaient toujours au nom du prince , et que noire inscription ne contient aucune mention de celle nature. Mais nous tenons a ne laisser aucun doute sur la legilimile de noire de ce que nous appelons aujourd hui la petite voirie. On les ap- pelait, suivant leur noinbre , duumviri, triumviri, etc., curam/a- rum. viarum. (1) M. Taillar [Congres, p. 299) dit que Jovin n'a pas ete consul . et combat, sur ce point, l'inscription placee, en 1800, sur son tombeau. S'il entendait que Jovin n'a pas ete consul de la cite de Reims, ilavait parfaitement raison; mais il est certain que Jovin fut consul avec Lupicinus, l'an 367. Voir, a ce sujet, D. Ruinart, Acta martyrum, de SS. Vitalc et Agricola. Le titrc de consul fut poite par les juges du commerce etablis a Reims en 1 587. -- -234 — traduction ; nous retablirons en meme temps l'exac- titude des faits en ce qui concerne le partage de la Gaule aux diverses epoques de la domination romaine, et ce que nous dirons du gouvernemenl de la Belgique en particulier complelera l'exnmen que nous avons fait precedemment de ce point de noire histoire. Au milieu d'une foule de monuments relatifs aux proconsuls d'Afrique, d'Asie , d'Espagne , etc., un petit nombre d'inscriplions ropportees par Gruter et par Orelli (1) font connailre des proconsuls de la Narbonnaise, pas un du reste de la Gaule. A quoi tient cette absence de monuments, sinon a ce que le titre de procomul fut donne exclusivement aux gouver- neurs des provinces du peuple, tandis que les pro- vinces du ressort dc Ycmpereur etaient gouvernees par des lieutenants de l'empereur, qui reunissaienl les pouvoirs politique et judiciaire au commande- ment militaire dans leur province, a l'exclusion du droit de lever les deniers publics, lequel etait exerce par des intendants? Quand done Auguste partagea la Gaule en quatre provinces, savoir : la Belgique, la Celtique ou Lyon- naise,l'Aquitaine et la Narbonnaise (2), celle-ci con- (1) N°* 2021, 3059, 5iji, 6477, 69»5. (2) Stbabon , liv. IV , I ; — Plin. Hist nat., lib. IV , 31. — Spon (Rech. des antiq. et curios, de la ville de Lyon, chap. VIJ mentionne plusieurs inscriptions oil il est parle des trois provinces de la Gaule , et dit que ces provinces etaient la Lyonnaise , la Narbonnaise et l'Aquitaine. « Les geograpbes , reniarque-t-il , y ajoutent la Belgique ; mais celle-ci est plus souvenl inise avec rAllemagne. » II y a, croyons-nous, confusion tie la part du savant Lyonnais. Par Alleniiigne , il faut entendre la partie de la Gaule que les Remains appelerent Geruianie, et qui fut comprise loiiiitcmps +41 JO ***** b'nua d'etre gouvernee par un proconsul, comme elle l'avait etc sous la rdpublique, el chacune ties trois autres ful placec sous les ordres tl'im lieutenant de I'empereur, legatus; et, des ce moment, le lieutenant de la Belgique residait a Reims. Le lemoignage de Slrabon ne laisse pas de doute a cet egard ; les termes memes dont il sc sen en parlant de Reims sont aussi precis sur la question (pie nous disculons que la langue grecque le permetlail. En effel, il dit que Reims ctait la residence des chefs des Romains : « zovq twv Pw- fiaioiv •/lysij.ovaq, » expression qui indique des chefs plutot mililaires que civils, et nc pent s'enlendre de proconsuls, pour I'epoque oil il ecrivait (1). Environ un demi-siecle apres, sans rien changer a la distribution generate des quatre grarides pro- vinces, Plolemee nous fait connailre une subdivi- sion (2). La Belgique, plus rapprochee des contrees insoumises et plus exposee , est partagee en trois gouvernemenls : Belgique , Germanic Inferieure et Superieure. Chacune de ces provinces a encore son dans unc memo province avec la Belgique , sous la denomination de Gaule-Pclgique. Nous eroyons, en outre, bien demontre que, pendant longtemps , la Narbonnaise n'eut rien de commun avec la Gauie nouvellement conquise, et que e'est elle qui est exclue quand il s'agit des trois provinces sans designation nominale. (1) Reims est la seule ville sur laquelle Strabon fait celte remar- que. Peutetre son silence sur les autres a-t-il plus de signification que nous ne lui en donnons, et autorise-t-il a penser qu'il a voulu indiquer Reims comme etant de son temps ou ayant ete la resi- dence des gouverneurs de la Gaule. Ce qu'il dit de Lyon nienie , dont il depeint l'lieureuse position au centre de la Gaule et d'oii il fait rayonner les routes tracees ]»ar Agrippa, n'infinne pas nette- ment les expressions dont il use a I'egard de Reims. (V Lib. II, cap. IX. — 236 - lieutenant du prince, leg at us , lemoin Tacite (1) : « Quielae ad id tempus res in Germania fuerant inge- nio ducum, » dit-il a l'annee 58 de Jesus-Chrisl, sous (1) Annal., XIII. II avait deja parle des deux Gertnanies, Inferior et Superior (Annal., I). Le maintien pendant assez longtemps de la division de la Gaule nouvellement conquise en trois provinces priucipales et le temoi- gnage si coccluant dc Strabon en faveur de Reims semblent auto- riser ou rendre moins improbable Implication qu'on a donnee de la monnaie frappee a Reims, a la legende Remo. Les trois tetes seraient alors lcs tres Gallia , les trois provinces de Gaule, comme le croit le P. Sirmoud. On a combaltu jusqu'ici ce systeme , en invoquant la subdivision du territoire en un plus grand nombre de provinces : nous allons voir que ce morcellement n'est pas aussi ancien qu'on le croit generalement. La scule difficulty scrieuse qu'on puisse opposer aux pretentions remoises est l'existence de Lyon, colouie d'Augaste, comme capitale de tout le pays. Ne se- rait-il pas perm is de supposer que Reims aurait occupe d'abord la premiere place, et que Lyon lui aurait settlement succede dans ce role important? M. Duchalais (Description des med. gaul. de la Bibliotheque Royale, p. 219) regarde les monnaies de Galba, au revers tres Gallia, comme des imitations de la monnaie a la legende Remo. Nous sommes persuade, quant a nous, que la comparaison atten- tive des pieces doit donner 1'opinion opposee. En effet, 1° les lettres de la monnaie Remo sont romaines, et accusent tine epoque assez avancee apresla conquetc: on n'y voit plus rien de limitation des monnaies grecques; 2° les trois tetes sont placees de meme que sur les monnaies de Galba; elles n'en different veritablement que par le trait en forme de lacet qui sert de liaison aux trois figures, et parlequel un artiste maladroit nous semble avoir vottlu repro- duire la coupe du cou des bustes qu'il avait a imiter. Cette derniere remarque suffit pour nous empecher d'admettre l'explication de trois tetes sur un meme corps, que quelques ecri- vains ont mise en avaut sans la justifier. Les monuments du culte local aux trois figures aceolees, dont nous avons parle plus haut et qu'on a invoques en dernier lieu a l'appui de cette explication, n'out pas un sens assez defini, ni une ressemblance assez frappante avec les trois tetes de la monnaie, pour qu'on y reconnaisse le meme ordrc d'idees. — 237 - Neron : « ...lnvidil operi JUius Gracilis, Belgicae le- galus, deterrendo Veterem, ne legiones alienae pro- vinciae inferret. » Plusieurs inscriptions deposent du meme fait. L'unc d'elles, qui date du regne de Claude, donne, de plus, au lieutenant de la Belgique la qualite de propreteur : « Lcgalus Augusli pro prsetore provinciae Belgicse(l); » elle demontrc en meme temps l'existence de la dis- tinction que nous avons elablie entre les gouverneurs des provinces imperiales et ccux des provinces du senat, car elle nous apprcnd que lc meme person- nage avail exerce les fonctions de proconsul en Achate avant de venir gouverner notre province. Une autre, qui est conlemporaine de Trajan, maintient la qua- lite de propreteur (2); la borne milliaire trouvee dans le voisinage de Soissons, el dont nous avons parle plus haul (3), qualifie de meme un lieutenant des empereurs du noin de Postume. Cetle borne est du regne de Septime-Severe, en 202. Une quatrieme inscription, enfin , nous fail connailre un lieutenant qui exercail ses pouvoirs a la fois dans la Belgique et la Germanic Inferieure (4). Du reste, apres le partageque nous avons indique de la Belgique en trois gouvernements , l'union pa- rait s'etre maintenue assez longtemps pour une por- tion de Padminislration provinciale; car on voit le (1) IIknzen, Supplement a Orclli, n. 7440. (2) Obelli, n. a4l8; — Lebsch, Centralmuseum, part. II, n. 18 et 20. Dans to u° 18, le docteur Lersch lit a toil legatus Au- gusti prases; les lettrcs PR, que donne 1 inscription, doivenl etre repetees. (3) Note de la page 220. (4) Orei.m, n. >.r)02. — 238 — memo inlendanl ties denjers publics, procurator a ration/bus, charge a la fois des finances de la pro- vince de Belgique el de celles des deux Germanies (1). Des modificalions nouvelles furenl apportees dans la suite au parlagc do la Gaulc : on la dislribui d'abord en douze provinces ; de la dale la distinc- tion en Premiere el en Scconde , la partie la plus eloignee par rapport a Rome prenant le nom de Pre- miere, co mine il y avail deja, par rapporl aux po- sitions respectives, une Germanic Inferieure el une Superieure (2). On a fail remonter celle division a Hadrien ou a Antonin ; mais les historiens de ces princes n'en parlent pas, comme nous l'avons deja remarque dans Saperlin. INous avons rapporle (3) une inscription qui, sui- (1) Opcre cil., ii. 179, is.., 3574. ("2) Les mots Premiere on Superieure, Seconde ou Inferieure, nous paraissentnctlement dcfinis par l'emploi qu'en a fait Floiloard, en parlant ties Austrasiens : « Auslrasii, (jui sunt supcriores Franci, » dit-il; c'est-a-dirc : les Francs Septenlriouaux (Uist. Rem. Ecel., lib. I, 25.) Lanouvelle division administrative du lerritoire ne porta, en rea- lite, qu'une legere atteinte a l'importance de Reims ; ainsi que la eta- bli Marlot (Histoirc de la ville de lieims, edit, francaise, t. 1, c. 33), elle ne cessa pas d'occuper lc premier rang comme metropole de la Belgique entiere, malgrc les riecessites stratcgiques qui obiigerent les chefs de resider plus habituollemcnt a Treves. On pent rcmar- quer, du reste, que dix cites impo.-tautes, et la plupartancieimes, furent plaeecs immedialement sous la metropole de la Seconde Bel- gique: Soissous, Chalons, Vermand, Arras, Cambray, Tournuy, Senlis, Amiens, Therouanne et Boulogne; tandis que Treves, me- tropole de la Belgique Premiere, n'en avait que trois : Mctz, Toul et Verdun; que Maycnce, metropole de la Germanic Premiere, n'en ■avait que trois egalement : Strasbourg, Worms et Spire ; et Cologne, metropole de la Deuxicme Germanic, une seule: Tougres. (3) Supplement a Orelli, 651-'. . — m — vanlM.IIcnzen, mentionne un ills do Maxime charge du recensement de la province de Belgique : ad cen- sus acceplandos per provinciam Vclgiam. Si celte inscription n'est pas anterieure a l'epoque indiquee, ct M. L. Renier incline a la croire plutot posterieure, elle prouverait que la separation de la Belgique en Premiere et Seconde n'elait pas encore i'aile vers lc milieu duIIIe siecle. Une autre inscription (1), relative a un procurator provincial Belgicce, la reporterait apres les annees 264-268, ou regnait Victorin. Du reste, celte distribution parait convenir a Diocle- tien, de qui Lactance dit qu'il mit en lambeaux les pro- vinces : « Provincial quoque in frusta eoncisoe (2). » Le nombre des provinces de la Gaule fut ensuite porte de douze a qualorze , vers le milieu du regne de Valenlinien Ier. Une inscription rapportee par Gruter (3) parle d'un Saturninus Secundus presses provincial Aquitanicm : d'ou Ton doit conclure que, dans les premieres annees de Valentinien, sous lequel vecut ce Saturninus Secundus, il n'y avail qu'une Aquilaine,el que la distribution en quatorze provinces n'elait pas faile. II est a remarquer aussi qu'a l'e- poque ou Ammien Marcellin (A) ecrivait son histoire, la Gaule comprenait encore douze provinces seule- ment ; mais elle en avait quatorze, cpiand, en 369, Sextus Rufus ecrivait pour Valens sa description de l'empirc (5). Enfin, sous Gratien, un dernier portage donna dix- it) Hekzkn, op. cit., 053!). (2) De Morlib. persecutorum. (3) Page 4G5. ) Breviarium de lictoriisilprovinciis popiili romani, VI. — 2-40 — sept provinces a la Gaule, et de la la denomination employee par la Notice des dignites (4) : les dix-scpt provinces, pour dire la Gaule. Le regime des provinces de la Gaule ful-il mo- cl i fie pendant ces diverses periodes, quant au pouvoir des representanls de l'autorite centrale et quant au litre qu'ils portaient? Le litre de lieutenant general, legatus, que nous avons trouve dans Tacile pour le premier siecle, fut remplace [tar celui de pixefectus a une epoque qu'on ne saurait determiner. C'est le litre que porterent dans cc pays, a Reims meme, el Lam- pade, qui ordonna le suppliee de saint Timolhee et de ses compagnons, sous Neron (2) ; et Didius Ju- lianus, qui gouverna longlemps , et avec integrile, noire province, suivant Sparlien (3), et succeda , en 495, a Pertinax; et Riclius Varus, qui execula dans nos contrees les edits sanguinaircs de Diocletien el de Maximien (<4). Apres le parlage de la Gaule en qualorze provinces, Gonslanlin, voulanl resserrer dans ses mains l'auloriie qu'avaient possedee les deux Augustes et les deux Cesars institues par Diocletien, crea , suivant Zo- zime (5), qualre prefels du preloire , sans aulorite sur les troupes, avec des attributions puremenl ci- viles, a\ant sous leurs ordres les prefeis des pro- vinces ou dioceses. De la date la separation des pou- (1) Sect, v*. 40, 48. (2) 1). Ruinakt, ad Gregorii Turon. de Gloria martyrum, lib. 1. rap. 53. — Flodoarcl [Hist. Hem. Ere!., lib. I, 4) lui donne a lort le tilre de prases. (3j i< Didius Julianus Belgicam sancte et diu rexit. » (i) I). Ruinart, ad Gregorii Turon. loc. cit. j) Lib. II. • — u\ - voirs civils ot mililaipes. Nous voyons, par une letlrc de Symmaque a Protade (1), prefet cles Gaules, que ce magistral residait plus ordinairement a Treves. La Seconde Belgique elait alors gouvernee par un presses, comme le prouve le fail suivant, que j'em- prunte a Ammien Marcellin (2). En 357, Julien s'opposa a ce que le tribul de la Gaule ful augmente, malgre les efforts du prefet Flo- pentius, qu'appuyait l'empereur Constance. La Se- conde Belgique, ecrasee de charges de toute espece, ful parliculierernent l'objet de ses attentions dans celle circonstame (3). II se chargea lui memo de ce (1J Lib. IV, epist. 30- (2) Lib. XVII, 3. — Nous avons deja pji renrarquer ce litre de prwses et celui de vice prwsidis dans plusieurs inscriptions. Nous retrouverons plus bas, dans unc inscription sepulcrale (n° 27), la qualification de vir prwsidialis . (3) Tacile, racontant les troubles arrives en Gaule sous Galbaet sous Vespasien , fait connaitre que la situation ma I hen re use de notre contree datait de loin. Les Gaules , dit-il, ctaicnt liees par Ic don recent du droit de cite , et depuis par la diminution du triliut qui avait etc exige d'elles . Les populations les phis exposc.es aux incursions des Germains n'avaient pas ete aussi bien traitees par les Romains , les uncs ayant meme perdu une parlie de leur terriloire. « Galliaj obligate recenti dono romana; civitatis et in posterum tributi levamento Proximae lamen ger- manis exercitibus Galliarum civitates, non eodem honore habitae, quaedam etiam finibus ademptis » [Hist, lib. 1 , 8.) Voir aussi, sin- la diminution de limpet, le livre I", ch. 5I. En effet, s'il est vrai que la Gaule Cut, de loutes les provinces de I'empire , celle ou la civilisation romaine lit les progres les plus rapides, puisqu'elle etait an plus haut degre de la prosperite des I'epoquedes Antonins, il fallut aussi peude temps pour ruiner ces magnifiques csperances. De mauvaises lois et une administration pire encore amenercut I'appauvrissement des habitants et la deca- dence en toutcs cboses. Maximin depeupla le pays par ses pros- criptions et ses impotsexcessifs ; les luttes et l'anarchie causees par xxx . 1 G — 242 — qui la regardait, a la condition que les officiers du prefet ni ceux du gouverneur n'interviendraient pas et n'exerceraient aucune poursuite conlre les debi- l'indiscipliue des armees et par l'ambition des chefs qui prirenl la pourpre imperiale en Gaulc , portcrent la misere a son comble ; ct 1 exces de la souffrance suscita enfin Ie soulevement des paysans, dont les bandes furieuses , sous le nora de Bagaudes, ravagerent tout sur leur passage et no fnent que des ruines depuis Autun j us - qu'a la Maine. Eumene (Graf, act., cap. VI et VIII ; Panegyr. in Const., cap. XXI) a fait de ces devastations un tableau qui a ar- rache des larmes a Constanlin. Bientot. a ces maux de I'interieur s'en joignirent du dehors; les irruptions des barbares Germains acheverent d'cffacer les derniers vestiges de l'ancienne prosperitc. Zozinie (Hist. lib. Ill ) parle de quarante villes detruites ou rava- gees clans lest de la Gaule, au milieu du IVe siecle ; Julien, ecrivaiit, en 355, aux Atlieniens sur le nicme sujet, en compte davantage, et dit qu'il faut y ajouter un nombre encore plus grand de chateaux et de postes moins importants (Epist. ad S. P. Q. Allien. Collec- tion des histor. de France, t. I, p. 721, C). Mais, pour savoir a quoi s'en tenir sur cette epoque desastreusc, il suffit de lire, dans Ammien (liv.XVII, 3) les niiseres incurables qui pesaient depuis longtemps sur la Gaule, et particuHerement sur notre contrec, les efforts que fit Julien pour calmer les esprits irrites, pour soulager surtout la propriete et pour lui rendre moins fu- nestes les effels des taxes vexatoires qui lui incombaieut et que chaque jour rendait plus lourdes La Seconde Belgique , ruinee par les devastations, epuisee par I'impot et par le sejour prolonge des armees, ecrasee de charges de loute espcce, lui dut bcaucoup dans ces malheureuscs ciiconstances. II obtint, non sans peine, du prefet du pretoire de s'en remettre a lui de cette partie de son administration, a la condition cxpresse que les officiers du prefet ni ceux du gouverneur provincial n'exerceraient aucune poursuite contreles debit eurs. Cette condescendance tutclaire de Julien sauva la province et ne fat pas inutile, sans doute, a I'autorite romaine , outre que chacun s'empressa, sans altendre de sommation, de porter aux caisses de l'etat le montaut de ses redevances. Mais il est evident que, quand les choses en sont a ce point, le pouvoix, comme la societe, couiine le sol, n 'off re plusque des debris, et que la force barbare parviendra bientot et sans peine a tout envahir. Nous touchons aux devas- tours : « Ea lego nl nee praefecliariu&j nee praesl- dialis apparitor ad sulvendum quemquam urgeret. » Ce texte me parait etablir 1'existence simultanee des auloriles prefectorale et presidiale; on y voit, en outre, (|ue l'impol etait du , partie pour l'admi- nistralion generate de la Gaule, partie pour eelle de la province en partieulier (1). Enfin , la Notice nous fait connailre I'organisation complete de la Gaule au commencemenl du Ve siecle, sous los regnes d'Honorius ou de Valeniinien HI, epoque de sa redaction. Nous y trouvons d'abord le prefet du pretoire , chef supreme des Gaules , qui comprennent alors TEspagne ot la Brelagne ; au- dessous de lui, trois vicaires, donl un charge specia- lemeni du diocese de la Gaule ; el dans chacune des dix-sept provinces, soit un prcrses, soil un consul, on plutot un constrict ire , car on ne sail pas hien quel titrc on doit donner aux gouverneurs des provinces consu- laires , mais on incline generalement pour le dernier. Par consul ou consulage , il semble qu'il faille entendre un homme revelu actuellemcnt de la (li- gnite de consul, ou qui en a rempli la charge. II n'en est rien, a cette epoque, pour les gouverneurs dont nous parlons. Que les premiers empercurs aient confie I'ad ministration des provinces preloriennes a des hommes inveslis ties plus hautesdigniles de l'Elat. tations lamentables que racontent saint .leinnic (Epist. XXV ad Aijcruchiam) et saint Prosper (De Providentia divina Carm., pro- logus), (iii deux fois Reims fut prise par les Vandales et par les Huns, son teiritoire couvert de mines, et ses habitants pousses pele-mele avec les troupeaux devant lenneiui, ou fuynnt 1 tncendie et la mort. (i) Voir, a propos de I'inscription n" ~. ee que nous avons dit ilcs divers offieiers du Use. _ 244 — cela parait fort probable; ici, le litre consulaire em- porlait , non le pouvoir, mais seulement lcs marques de la dignite. 11 est a remarquer, toutefois , que les provinces consulages sont celles que leur situation exposait davantage aux invasions du dehors ; il y a done lieu de penser qu'au titre etaient attaches des pouvoirs plus etendus. Quant a la denomination de presses, on doit recon- naitre qu'elle avait , dans l'origine , un sens general, puisqu'on voit des proconsuls de la Narbonnaise appeles prcesides. Dans la plus recente organisation que nous a conservee la Notice, on designe seulement par la les gouverneurs purement civils de certaines provinces. A celte derniere epoque, la Seconde Belgique etait une province consulaire. Mais , alors comme avant , nous n'y voyons aucune trace de proconsul, non plus que dans la cite de Reims. Nous ne prolongerons^as davantage celte digres- sion. Nous ne parlerons pas non plus des autres voies romaines qui conduisaient a Reims : ce sujet a besoin d'etre eludie en detail et dans un memoire special. Mais il louche de trop pres Tun des cotes de la grandeur ancienne de Reims , celui de l'imporlance de son commerce et de sa population, pour que nous ne- gligions de completer par quelques reflexions ce que nous avons deja dit sur le meme point. Dans un memoire sur la civilisation et le com- merce de la Gaule Septentrionale avant la conquete romaine (1), M. E. de Freville s'exprime ainsi : « Si de ces extremiles peu accessibles a la civili- (t) Memoircs de la Snciete des Antiq. de France, t.XXII. p. 119. - 245 - sation grecque (la Gaule Belgique , par exempli;), nous dirigeons nos pas vers le midi de la Gaule, chaque fleuve que nous rencontrons nous monlrc sur ses bords plus de civilisation et plus d'aisanee, plus d'industrie et de commerce. II est facile dc juger, sur ce qu'en dit Cesar {De Bcllo gall., 1. I, c. 12 ; liv. V, c. 24 et 53; liv. VI, c. 3), qu'Arras, Amiens, Soissons, Reims, Paris et Sens n'etaient (pie de pe- tites villes, alors que Besangon, Ghalon-sur-Saone, Aulun, Nevers, Bourges, Orleans (1), etaienl deja riches et peuplees {De Bello gall., I. I, c. 23 et 38; I. VII, passim. — Strabon, l. IV, p. 191 et 192). Les villes des Allobroges et dcs Vocontiens, etc., Vicnne, Avignon, Aries, Nimes, Carcassonne, Toulouse, etc., devaient elrc encore plus imporlantes. » Que les Grecs aient ete les propagateurs du com- merce et des arts dans la Gaule; que la civilisation ait rayonne dans ce pa\s du sud au nord, qu'clle y soit entree en raerae temps par 1'embouchure dcs fleuves et qu'elle ait suivi le cours des rivieres, cela peut etre vrai en these generate; cela ressort meme de la configuration du sol de la France et se trouve verifie par dcs temoignages irrecusables. Mais l'es- pril de systeme n'aveugle-t-il pas l'auteur? Lui cst-il permis d'en g^neraliser les consequences jusqu'a meconnaitre la puissance des Remois et l'importance de leur cite? M. de Freville prcnd, selon nous, bien legerement Cesar pour garant du jugement qu'il porte. Cent (1) Orleans fut pillee lors tic la guerre de Cesar (V. Hirtius , lib. VIII, 5, et Cesar, lib. VII, 2). Elle n'eut ensuite de t'impor- tance qu'apres que Aurelien leut relevee de ses ruines et lui eut donne son nora. _ y, Memor. hist., t. Ill, part. II, chap. 7. (4) Lib. XIX. (:») Lib. IV. '6) Epislola XX Joaimis Sarisberiensis ad Miloncm , Morinen- sem episcop , ap. I). Bouquet, 7>ee. des hist, de la France. • — 263 - les Remois eux-memes Poire present d'un service de lable a l'empereur Charles VI, et en 1345, an dauphin, depuis Louis XI (1) ; en '14-81 , les chanoincs de Nolrc-Dame « acheler plusieurs loiles et serviettes pour en faire presens » aux principaux seigneurs de la cour et en obtenir des fonds pour les repa- rations necessities par l'incendie de leur eglise (2). Cependant, la ne se bornaient pas les produits de notre manufacture : des les lemps les plus anciens , on voil fabriquer a Reims, non-seulcmcnt des eloffes de laine, mais aussi des tissus de soic, d'or el d'ar- gent. Cos diverses industries formerent longlemps plusieurs communaules dislincles: d'une part , celle des marchands fabricants des ctoffes de soie garnies d'or ou d'argent, celle des merciers, grossiers, csta- miniers et jouailliers , celle des passementiers et en- joliveurs; de l'autre, celle des drapiers chausseticrs, celle des drapiers drapanls, celle des fabricants, en- fin celle des sergiers et pcigneurs de laine. Aux premieres apparlenaient la passementerie, la rubanerie et les infinies varietes de tissus de soie, pure ou melee de laine et de coton, d'or et d'argent, tels que satins, serges, camelots, burats, velours, dentelles, cannetilles, crepes, etc.; en un mot, la grande et la petite navette, c'esl-a-dire lout cc qui etait permis aux lissutiers rubaniers , et ce que les ouvriers en draps d'or, d'argent et de soie avaient le privilege de fabriquer. Ces industries onl complete- men I disparu de noire cilc , bien que plusieurs s'y (\) Lettre de Regnault de Chartres, archev. de Reims, aux habitants. (Archives de la villi-) (2) Marlot francais, t. IV, p, i%<. - 264 — soient maintenues jusqu'au XYlll'- siecle, commc le- prouve l'union des commnnautes des marcbands dra- piers ct des inerciers en 170-4. Nous en reporlerions volonliers l'origine jusqu'au temps de la domination romaine; car il nous semble difficile de donner un autre sens a ce passage de la Notice des digniles : « Sub dispositione viri illustris magislri officiorum, propositus bambaricariorum sive argentariorum Re- mensium. » Plusieurs ont pense qu'il s'agissait ici seulement d'ateliers d'orfevrerie , de damasquinerio, de dorure et d'argenture ; mais Donal l'entend autrement. Sui- vant lui, les bambaricarii on barbaricarii (ainsi les appellc le Code Tbeodosien) etaient des ouvriers qui employaienl des fds d'or pour relracer dans les e:oftes des figures d'hommes, d'animaux el d'objets divers: '•< Barbaricarii dicunlur qui ex auro coloralis fills ex- primunt bominum formas, animalium et alia rum specierum, imilantes sublilitalc veritatem (-1). i Les Romains avaient tire jusqu'alors de l'Orient ces sortes d'eloftes bistoriees : de la la denomination de barba- rica pour signifier des tis&us brodes, de meme (|ue phrygia signifiail brodeur , a cause de l'habilete connue des Pbrygiens dans cet art. Nous nous rendons sans peine a une autorite aussi respectable que cello du savant commenlateur que nous venons de ciler ; cependant nous remarquerons qu'un fait semble concilier les deux opinions et leur donner egalement raison. C'est que la meme corpo- ration reunit longlcmps a Reims les joiaillers avec les etaminiers et les mcrciers , et plus lard avec les M) In hi.. XI Mneidos. • - 205 - falricanls d'etoffes de sole, d'or ct d*argent. Nrest-on pas fonde a croire que ces industries curcnt unc ori- gine commune, et que eclte origine se Ironve dans 1'etabJissemeut imperial rlont paiic la Nolice (1)? Marlol rapporte qu'apres la bataille de Nicopolis, en 1395, on rassembla des objets rares el precieux pour la rancon de plusreurs seigneurs francais fails prisonniers, et qu'on les envoy a a Bajazet 4er (2). Parmi eux figuraient des ctoffes de Reims qu'il nomine serica Remensia. Faul-il en conclure que l'induslrie de la soie s'etail mainlenue a Reims jusqu'alors avec la reputation qu'elle avail eue sous les empereurs? M. Franc Michel (3) en doute. 11 prelere traduire ce mot scrica par serges, non pas dans le sens ori- ginel que lui donne Du Cange (4), raais en reslrei- gnant cc mot a Fetorfe legere ordinairement faite de laine, dit-il, qui se fabriquait deja a Reims du temps de saint Louis, et dont on trouve dc frequenles men- (1) Nous nc d irons rien lie 1'organisation intdrieure ilcs manu- factures imperiales et de la condition des artisans attaches au ser- vice de I'Etat. Ce snjet a ete expose dans des traites speciaux, et il imporlc pen a notre objet (V. L.-M. Moreau-Christophe , Du Droit <) Voisivete ct dc 1'organisation du travail servile dans lex republiques grecque el rqmaine ; — M.-E. Levasseuk , Tlisloire des classes ouvrieres en France). On nc sait pas quels changements la chute du poirvofr romain apporta dans ces etablissements im- periaux. II y a apparence que les artisans qui leur appartenaient, deja reunis en colleges ayant leurs chefs electifs, leurs patrons, leurs Statuts, conlinuerent a exercer les memes industries dans les memes lieux, et constituerent les corporations ou corps d'etats qui se sont maintenus jusqu'a la Revolution. (2) Melrop. Item. Hist., t. II, p. G8 !■ Marlol, Bidet et autres nomment ici Bajazet: les dates ne concordent pas. (3) Rechcrchcs sur le commerce des ctoffes dc soie, dor ct d' argent. t. I, p. 'J7. (i) rannus scrirolap.il>, nude somen. Ad verb. Sargineum. - 266 - tions dans les comples de l'argenlerie des rois dc France au XIVe siecle (1). II repousse enfln d'une maniere absolue l'emploi de la soie dans la manufacture de Reims. La ville de Caen, celebre nussi par ses serges vermeilles ct par ses serges perses, com me on le voit par l'in- ventaire dresse apres le deces de Richard Picque, ou plutol de la Pique (2), archeveque de Reims, ne lui parait pas plus fondec a revendiquer autre chose que la laine pour ses anciennes fabriques. Gependont les ordonnances qui reglaient la fabrication des tissus dans celle derniere ville la font remonter jusqu'au milieu du XIVe siecle ; et celles qui regardent Reims prouvent que les deux sortes de tissus, ceux de laine d'une part, et de l'autre ceux de soie et des melaux precieux qu'on y melait, se sont perpeluees dans sa fabrication jusque dans les derniers temps. Ne sonl-ce pas la des pieces irrecusables? Le savant auteur des Recherches sur les eloffes n'en foit-il pas trop bon marche? II cite, a ce propos, la reponse qu'un chevalier fit au roi de France, suivant Froissart, a savoir que « fines blanches toiles de Rheims seroient de l'Amo- rathetdeses gens recueillies a grand gre et fines es- carlates; que de drapsd'or et desoie, en Tnrquie, le roi et les seigneurs avoient assez largement (3). (1) Douet d'Arc, Comples de I'argenterie, p 50, 51, 61, 174 ct 401, col. 1. (2) Une sarge vermeille ile Quein. Quatre pieces ile couvcrtures de sai'ges perses de Quein. Une sarge de Quc-ia vermeille. Une sarge de tiretaine. (I\ Tarbk, Inventaire, etc., p. -21, 24, 25, 26, 54, 64.) (3) Chmnique de. sire Jean Froissart, livre IT, eh. 53, an 1396. . — 207 - Cello reponse, remarquons-le d'abord, ne porte qu'indireclement atloinle a des faits lels que l'elablis- semcnt de la fabrication des etoffes de soie en France, a l'exemple de Venise, Genes el Florence, tels que lcs progres de celle fabrication et l'imporlance qu'ellc prit des le XIIC siecle, suivanl M. Fr. Michel lui-meme (4 ) : d'ou il serait peut-elre logique de tirer nne conclusion favorable a Reims et a Caen, aussi bien qu'.'i Paris, du moment que des documents irrecusables, lels que les reglements dont nous avons parte, deposenl de l'existence de ce genre de fabri- cation dans ces villes. Le memo bistorien, racontant les rapports qui existoicnt , vers la memo epoque , entre Amurath Iei ou son fils et Jean Galeaz Visconti , due de Milan , nous apprend que ce dernier «c envoyoit tous les ans dons et presens de cbiens et d'oiseaux , on de draps de fines toiles de Rheims , qui sont moult plaisans aux pa j ens et sarrasins , car ils n'en ont mils si ils ne vienncnt de nos parties (2). » Doit-on prendre ces toiles dans le sens qu'on donne, de nos jours , a ce mot? L'historien francais enlen- dait-il parler de toiles de lin ou de cbanvre, ou bien de lissus de laine qui se rapprocheraient des pre- mieres par leur finesse et leur mode de fabrication ? M. Franc Michel incline pour les derniers ; il nous semble aussi qu'en nommant en dernier lieu les draps de fines toiles de Rheims, Froissart a tranche irapli- citcment la question : car, en fait de linge , ce que nous appelons aujourd'hui des draps s'appelail (1) Op. (■/(., 1. 1 ', p 87 et suiv. (2) Liv. IV, chap. 50, an. KiOG. — 2G8 — afors et parlout des linceuls ; ilfautdonc que ce mo! designe autre chose, et celte autre chose ne pcul etre que des etoffes de laine. De plus , le premier passage cite nomme les fines blanches toiles dc Bheims : les deux epilhctes donnenl encore ici au mot toiles une signification qui n'est pas celle de nos jours. Car, pourquoi appeler fins et blancs ces tissus , si ce n'est par opposition aux autres etoffes de laine , et particulierement aux draps teints en ecarlale qui sont nommes a la suite? Enfin , ne reconnail-on pas dans le dernier exem- ple les tissus qui s'emploient en blanc parloul , et donl notre manufacture a presque loujours eu le monopole ? C'est encore , nous le croyons , une fine etoffe dc laine ou de soie plutot que de la toile proprement ditc, qu'on doit voir dans ce passage d'un poeme analais du XVe siecle : Your sheets shal be of elotlis of Rayue (I); et si la signification du mot sheet peul laisser quel- que hesitation dans ce cas, il n'en peut exister aucune dans l'exemple suivant , tire du roman inti- tule Le Chapel des trois fleurs lis (2) : Mais je me doubs que les graiuls aises , Les beaux lis , coustes champenoises. . . . Ne face la chevalerie Moult redoubter et aleutir D'aler 1'air de la mev sentir. (1) Sir Degore, etc [The History of English Poetry, ed. de 1S40, t. I, p. 180.) (2) Manuscrit de laBibliotbeque Royale n° 727 j, fol. Ho, rcrto, 1" col ., v. It; — Fr Michkl, op. cit.,i. If, p. I8'f. Par coustes , cosliez , cousties , coltres , queutes ou kieutes, en lalin culcitra . il faut entendre des etofTes etendues en forme de lapis on de couvertures. II s'agit done d'etoffes et de tissus precieux , non de linge , comme l'explique lui-meme M. Fr. Michel (1). En parlant des corporations qui sc partageaienl le commerce de Reims , nous avons nomine en second lieu celles qui se livraienl a la fabrication des tissus de laine. Les ordonnances de la manufacture et les slatuls des coruorations , de 1550 a 1800, nous font connailre ces tissus : ce sont toujours a peu pres les memes, a savoir : draps, serges, etamines, burals , voiles, droguels, tiretaines, croises , dauphines, cas- tors, marocs , flanelles , etc., dont plusieurs avaient leurs analogues dans la serie des etoffes de soie ; ils se sont conserves generalement jusijue dans les der- niers temps , el n'ont disparu que pour faire place a des tissus peu differcnls au fond , tels que la napo- lilaine, la loile de laine , le merinos, etc. Si nous nous rappelons la remarque de Diodore, a savoir que l'eloffe de la soie variail suivant les saisons (2), nous pourrons en inferer qu'originai- rement Reims fabriquait de preference les articles d'ete, tanl en laine qu'en aulres matieres , et que, sous ce rapport, r.on commerce a peu change. Ce qui n'est qu'unc induction pour ces temps recules, va devenir une certitude pour le Moyen-Age , grace a •loinvillc. (1) Op. cil., t u . p. !l>. (i) Lo lestament de sainl Remy, au commencement du \ 1 siecle, fait la meme distinction Le saint archevequc legue a Ursus , son archidiacrc , deux saies de tine etoffe : « duo saga delicata. • Fi.oDouiid Hist. Rem. EccL, lib I, c 19 et -2.) — -270 - Lc senechal tie Champagne avail etc mantle a la cour avec beaucoup d'aulres seigneurs, pour appren- dre tlu roi qu'il allait prendre la croix. « El advinf, dit-il (1), que le jour de la feste Noslre-Dame en Mars, je m'endormy ii matines. El en mon dormant me ful advis que je veoie lc roy a genoulx devant ung aulel, el qu'il y avoil plusieurs prclalz (jui le revestoient d'une chaisible rouge, qui esloil de sarge dc Reims. Et tanlonsl que je fu esveille, je racomplay ma vision a ung mien chappelain, qui estoit Ires saige hommc: lequel me dist que le roy se eroizeroit le landemain. Et je luy demqnday eommant il lc savoil. El il me dist qu'il le savoit par mon songe cl advis ; el que la chaisible rouge, que je luy veoie meclre sus , signi- fioit la croix de Nostre Seigneur Jesus-Christ, laqtielle fut rouge de son precieux sang qu'il espandil pour nous. Et ainsi la chaisible esloil de sarge de Reims, que ainsi la croiserie seroit de petit exploict , ainsi qu'il disoit que je verrois le landemain. » Or atlvint que le landemain le roy et ses Irois fdz se croiserent : cl ful la croisure de petit exploict , lout ainsi que mon chappelain le m'avoit recite le jour devant. Par quoy je creu que e'estoit prophecie. » Joinville, rcmarquons-le, insisle sur eclte particu- late que le roi elait vetu de serge de Reims, el qu'on appclait ainsi la serge de petil exploict, aulremenl la serge dc petit travail , ou de pen de prix , la serge de laine sans doute. El celle maniere de s'exprimer a I'egard de la serge de Reims, remarquons-le, ne signilie pas tlu lout que ce lissu n'elait d'aucun prix. On citerait lei autre (1) Hist, dc saint Louys, IX' du nom ; 6(1. dc Du Cangc, p 125 — 971 — tissu reraois, la lirelaine, par exempte, elofl'e fine et lege re assez semblable a Fetamine foulee el au dro- guel, que Ton comptait autrefois parmi les plus pre- cieuses, quoiqu'elle fut de laine , comnie on le voil par ces vers de Jean dc Meting (1) : Puis lit t remest par maintes guises Robes faites par grant mestrises De blanc drap, de souefve laine, D'cscarlate, et de tiretaine. Quant a la serge de Reims (2), ce que dit Joinville monlre assez ce qu'on en doit penser. Cetle elofl'e elait Lien connuc ; on en faisait un grand usage, car lc senechal la reconnait lout de suite; et cependant ce n'etail pas, quant a la qualile, une elofl'e commune , puisqu'on l'employail a la confec- tion des ornemenls d'eglisc. En tout cas, c'est a tort as nvant l'annee 170. — -275 - trouver, enefl'el, qti'apres avoir ete enlevcede Reims ; cela parait evident par son lexte memo, en supposant qu'elle apparlint aux thermes donl elle menlionne la fondalion et Pachevement. Mais ne se pourrait-il pas aussi qu'apres Pachevement des thermes, un monu- ment commemoralif eut ete eleve ;i Rome par les Remois reconnaissanls, et que Pinsoription fut le seul resle de ce monument? Nous nc serons pas bien te- meraire peul-elre en cmetlant cette opinion , et en Popposant a ce que nos devanciers ont dit sur le meme sujet. Gomme dans les villes oil la civilisation romaine avail pris !ous ses developpements, les thermes oc- cupaient, a Reims, le premier rangparmi les edifices publics et prives qui concouraient a son embellisse- ment et a Pagrement de ses habitants. Elle en avait plusieurs. M. Brunette, avchitecte de la ville, croft avoir retrouve les mines de deux etablissemenls de ce genre. Le plus etendu d'enlre eux elait silue, selon lui , sur Pem placemen I; qa'occupe le marche convert construit en 1839; son importance suffirail pour expliquer Pegoul dont quelques vestiges onl ete trouves dans son voisinage, et l'aqueduc qui amenait au meme endroit les eaux de la Suippc (1). D'autres (lj Get aqueduc prend les e;iux de la Suippe a Jonclicry, passe a cote du Grand-Saint-Hjlaire, atteint etcotoie la chaussee romaine de Reims a Verdun, monte au-dessus de la ferme de Moscou, vers les hautes terres de Prosnes, touctie les Commelleset Alger, coudoie la t'ompelle, remonte vers les terres de Nogent-l'Abbesse, passe non loin de Cernay. entre dans Reims au-dessus de la porte Dieu- Lumiere, et traverse en plusieurs directions toute la partie haute de la ville. En plusieurs endroits, les habitants du voisinage l'ont mis en exploitation et en tirent des materiaux. Voir ce qu'ont dit a son sujet MM. Lacattk-Joltrois, dans i'.4n- — 276 — Iherraes paraissent avoir existe a pea tie distance tie la catbedralc, rue du Cloilrc ; du moins, l'aqueduc qu'on a decouvert dans eel endroit semble 1'indiquer (1). L'inscription que nous venons de rapporter s'ap- plique-t-elle a l'un de ces etablissements ou a quelque autre dont remplacement est inconnu? Nous ne pou- vons le dii'C. Marlol parle tie thermes constru'ts a Reims, sous Gonstantin II : il n'a pa connaitre ce fait que par la tradition, sinon par notre inscription, dont, a la verite, il ne parle pas. Quoi qu'il en soil, l'epoque oil ful commencee et achevee eetle construction est on ne peut plus precise, puisque le prince qui la fit execuler ne regna que trois ans, de 337 a 340. An milieu des formules que l'orgueil des empe- reurs et la servilile ties peuples accumulaient dans les monuments epigrapbiques de celte epoque, nous remarquerons ici un mot qui dit beaucoup sur l'etat politique desRemois. Reportons-nous aux monuments dans lesquels leur cite, ou plulol la republique dont Durocorl elait le centre, prenait le litre d'alliee de Rome, de confederee avec Rome, Remorwn civitas fosderala. Deux cent vingl-cinq ans environ nous separent de ces monuments, et dans celui qui nous occupe, nous ne trouvons plus la condition indepen- dante el digne dont Reims etaiL fiere. Sans que nous sacbions par quels degres celte condilion s'est amoin- nuaire de la Marne de 1831 et 1837 ; Povili.on , dans le meme Annuaire 18:!b; et L. I'aims , dans la Chroniqtie de Champagne, t. II, |). "295. ;ii Voir Congres scientifique, 13e session, tenue a Reims , page ■288. — Des constructions souterraines appartenanta quelques mai- sons de la rue de la Peiricre, entre la place Royale et la rue Sainte- Marguerite, paraissent avoir la meme provenance. - 277 — drie, nous elevens conslater qu'elle n'est plus la m^me. Nous l'avons dit, des le commencement du IIP siecle, I'empire n'etait deja qu'une vaste monorchie, et Ies habitants, decerns du nom de ciloyens romains, que des sujets. Les privileges que cerlaines populations avaient conserves s'effacerenl de plus en plus et dis- parurent meme de nom. A l'epoque ou nous sommes arrives, les seuls litres donl s'enorgueillissenl les cites et les ciloyens sont ceux qui lemoigne.nl le plus de leur dependance a 1'egard du prince et de leur altachement pour lui. Reims, en entrant dans la con- dition commune, recut-elle des princes le litre de ville imperials? Rien ne le prouve, elcela est, je dois le dire, sans exemple; mais , on le voit, I'empereur l'appelle sienne, « civilas sua ; » a peu pres comme, plus tard , les rois direnl : a Notre bonne ville de Reims. » Si c'esl une distinction ou une marque d'affection, e'en est une qui ne se donnc qu'a la fide- lite par un mailre. Enfin, il est probable que le mot civitas a deja le meme sens que urbs, ville. La ou, scion loute appa- rence, il n'y a plus de gouvernement parliculier et que des lambeaux de liberies, la nationalite parlicu- liere n'existe plus. L'epoque a laquelle doit elre fixe l'elablissement des thermes dont nous parlons fut celle de travaux importants dans la ville de Reims, s'il est vrai, comme l'opinion en a ete emise par Bidet (1), que la porte Bazee el la porle de Mars lui apparliennent. II esl certain, du moins , qu'en Janvier 1752, (I) Memoires pour scrvir a I'histoire tic lieims , man user it lie la bibliotheque de Reims, V" par tie, chap. 11. — 278 - quand on demolit Tare alors existant de la porle Bazee pour elargir celte parlie d'une rue Ires- frequenlee, on trouva dans les fondolions du monu- ment des medailles du memo Constanlin II et de son frere Constance. Seulement, nous remarquerons que ce n'est pas au sejour de Julien , comme L'a cru Bidet , qu'on peut atlribuer ces grands ouvrages; el cela est clair pour les thermes, dont la date est precise, car Julien ne vint dans les Gaulesqu'en 355. La porte Bazee, dont nous ne parlons ici qu'inci- demment , nous parail avoir avec les thermes , dont la fondalion est constatee par noire inscription, un lien que personne n'a soupconne et que Ton nous pardbnnera d'indiquer ici. Cetle porle a ete appelee aussi Collatice; e'est le nom que lui donne le testament de saint Remy. Nous ne re- chercherons pas d'oii il peut venir ; nous dirons seule- ment que l'etymologie qu'on en donne ne nous parait pas suffisamment autorisee, el qu'on ne sait ni quand il a commence, ni quand il a cesse d'etre usite (1). Le nom de porte Bazee , dont il nous importe davantage de connailre l'origine , a varie beaucoup dans le langage des habitants. Bergier (2) nous apprend qu'on disail autrefois Ba- zeilel « qu'ainsi portent les anciens papiers el regis- (t) Nous aiderons peut-etre a determiner le sens de ce mot, en fai- sant remarquer qu'il est employi deux fois dans la Cluonique de Flodoard pom- signifier'la cotisation ou l'impotqui se leva en France afin de satisfaire aux exigences des Normands : « Anno 924 incipiente , fit exactio per Franciam peounise colla- ticise qua: Nortmannis pacto pacisdaretur. » « Anno 020, exactio pecuniae collaticiae Nortmannis pacto pacis dandre publice fit per Franciam atque Burgundiam. « (2) Hist, des grands Chemins , liv. II, chap. XL, 9. ■ — 279 — tres de la Ville. » Pcrsonne inieux que le savant Syndic de la Ville ne pouvail etre renseigne a eel egard ; et si nous n'avons pas encore rencontre nous-meme le nom de la vieille porlc ainsi cent, nous avons vu plus d'nne fois Bazel , qui en est l'equivalenl (1). On trouve aussi Bazet, raais il est moins frequent (2). En latin, la porle s'appelait Basiiicaris. La deri- vation du francais Based el Bazel est evidente ; les noms Bazet et Bazee n'en sont que des alterations. Voici les explications qu'on a donnees a ce sujel. Les uns onl dit que e'etait la porte royale ou im- perial, du grec Bxalevg ; el le nom de Cesaree, que porlait la voie sur Inquelle elle etait placee, donne une cerlaine apparence de virile a cede explication . quelle que fut , d'ailleurs, l'origine du nom de Cesa- ree , que le chemin le diit h Agrippa qui l'aurait trace, comme l'onl dit quelques-uns, ou qu'il cut 6te frequenle de preference par les empereurs arri- vanl du midi des Gaules, pour enlrer dans la ville, comme il est permis de le croire. C'est l'avis de Mabillon (3), et nous nous y rangerions volonliers , si nous pouvionsexpliquer comment on a pu traduire, pour la porte, le nom de royale ou imperiale en langage grec ou oriental , landis qu'on laissail a la (1) 126-2. Depositions des temoins produits par I'archeveque de Reims contre le roi , au sujet du droit de garde de Saint-Itemy (Varin , Arch, admin., t. I, p. 853). — 1303. Arret de l'eclievi- nagc (op. cit., t. II, p. 42). — 1328. Liste des heritages de la ville {op. cit., I. II, p. 528 el 536). (2) 127-2. Lettre sur I'hominage du portage de la porte Bazet (Varin , Arch admin., t. I . p. 95V). — Op. cit., t. Ill, p. 77. — 140G. Compte des chaussees (Archives de la ville, Domaine , liasse 24, n° 16). (3) Attn. ord. S. licned , t. I, p. 408 . - 280 - voie unnom purement romain. Ne semble-t-il pas que toutes deux devaient avoir nom PLM - XL • CIVES 6 REMVS (i) Grater, 373, w> 6. — 298 — Hie iacet Aelianvs || filivs Pavli || viri praesidialis || qvi vixit annis |) plvs minvs XL, cives || Remvs. « Ici repose Elien, fils de Paul , personnage pr&idial; il a vecu environ 40 ans ; il etait citoyen remois. » Hist, de I'Acad. des inscript. et belles-lettres, t. XVIII, p. 246. — De Boissieu, Inscrip. ant. de Lyon, p. 229 et 559. — Le Blant , Inscriptions chretiennes de la Gaule , t. I, p. 39. Cetle inscription ful trouvee en 1740, a Lyon, sous les mines de l'eglise de Saint-Just, autrefois eglise des Machabees , suivant l'abbe Le Bceuf (1); dans une cha- pelle souterraine de Saint-lrenee , smvant M. de Boissieu. Elle a disparu depuis. Le chrisme place en tete indique que le personnage qu'elle menlionne etait chretien. L'abbe Le Bceuf croit pouvoir lui assigner l'epoque du Ve siecle, a cause de la formule Hicjacet el de la forme des lettres, surtout des E et des L. Celles-ci ont une queue pro- longed en forme de crochet jusque sous la lettre voisine. La terminaison cives pour ciuis, usilee des la plus haute antiquite, se maintint assez lard , comme on le voit ici. Ne a Beims, ou du moins citoyen remois, le defunt tenait apparemment ce litre a honneur, puisque e'est le seul qu'on juge a propos de mentionner sur sa sepulture avec le souvenir de sa noble naissanee. L'abbe Le Bceuf remarque avec raison que le litre de vir prcesidialis, donne au pere d'Elien , ne se (I) Acad, ties inscript., Inc. cil. — 299 - trouvc (Jons aucune inscription connuc. Cependant la frequence des litres analogues : vir consularis , vir censorius, donne a penser qu'il devait elre lui-meme asst'Z commun. Plusieurs provinces, comme nous l'avons dit, avaient pour chefs des magistrals appeles presides : vir prcesidialis signifie done un homme qui a ete presses d'une province. Faut-il admeltre , avec l'abbe Le Bceuf, (|ue le pere d'Elien avail exerce ce pouvoir a Lyon meme? Nous ne voyons ici rien qui le prouve, el Ton ne pourroil l'inferer que d'apres des monuments plus precis. Nous pouvons assurer, du moins, que ce n'est pas a Reims que Paul eut ce tilre , car l'inscriplion est posterieure au temps oil le mot presses avail un sens general; a l'epoque a laquelle elle appartient, le gou- verneur dc la Secondc Belgique elait un consulaire, vir consularis, comme nous l'avons dit ailleurs. La filiation (jue nous voyons inentionnee ici se \ oil tres-rarement dans les monuments Chretiens, comme l'a demontre M. Le Blunt (1). Nous remarquerons, enlin , avec l'abbe Le Boeuf, qu'une sorte de feuille de lierre figurait a la fin dc la qualrieme ligne et au commencement de la sixieme. Nous avons indique precedemment le sens qu'il faul donner a eel ornement. (I) Op. cit., n. 57. — 300 — VII. MARQUES DE FABRIQUE. Nous reunissons sous ce tilre un certain nombre de marques de pharmaciens et d'artisans, sur pierre, sur verre, sur argile et sur metal. Notre recueil epigraphique pouvait , a la rigueur, se passer de celie legere addition. L'inleret hislo- rique y est a peu pres nul ; mais la science medicale, l'art et l'induslrie ont des droits que nous savons reconnaitre. D'ailleurs , n'a-t-on pas vu , de nos jours , les plus minces curiosites d'anliquaires ac- querir une importance que les gens serieux d'au- trefois etaient loin de soupconner ? En general , rien n'est a dedaigner, quand il s'agit tie r6unir les elements des civilisations qui ont disparu , et si Ton veut s'en faire une idee aussi complete que le per- metlent l'eloignement et la difference des temps. Ainsi compris," ces monuments renferment aussi leur instruction. I. PIERRES SIGILLAIRES. Nous n'apprendrons rien a personne en disant qu'on appelle ainsi de petites tablettes de forme car- ree ou quadrilaterale, epaisses de quelques millime- tres, ordinairement en steatite verte ou brune , dont les tranches portent des inscriptions gravees en creux , a rebours , et dont l'empreinte donne en - 301 - relief le nom d'un remede , ordinairement accom- pagne He Enumeration de ses qualites et precede d'un nom d'homme. Comme les pierres qu'on a recueillies jusqu'ici n'ont fait connailre que des col- lyres ou remedes Indiques dans les ecrits des anciens medecins pour les maladies des ycux et des parties qui avoisinent cet organe(l), on leur a donne aussi Je nom de cachets d'oculistes. Des divers travaux qui ont ete faits sur ces pierres, il resulte : 1° que l'usage abusif des bains multi- pliait, cbez les anciens, les maladies des yeux, el que celle circonslance suffit pour expliquer le grand nombre de cachets d'oculistes que Ton rencontre de nos jours ; 2° que la plupart ont ete graves du lemps des Antonins ; 3° que les pbarmacopoles s'en ser- vaient pour etiqueter les remedes qu'ils debitaienl , el, pour cela, appliquaient l'une des tranches gravees sur la preparation elle-meme, a laquelle ilsdonnaient laconsistancevoulueau moyen dela gomme ; 4° que , dependant, il y a des exemplcs de vases destines a conlenir des collyres liquides et qui portent dans leur pate l'indication de cette destination ; 5o que le nom d'homme place ordinairement en tete de chaque etiquette est celui du medecin inventeur du remede, (I Par exeniple: ad yenas scissas et ad genarum cicatrices. Pourles medecins anciens, reraarque le docteur Daremberg (Oribase, t. II, p. 889), lemot collyre n'indiquc pas seulemeut un metlicameut pour les yeux, niais toute espece de medicament, liquide ou solide, meme pulverulent , destine a etre inlroduit dans les cavites na- turellesouaccidentelles, tandisque, chez nous, il designeseulement les topiques oculaires, qu'on les introduise ou non entre le globe de l'ceil et la paupiere. Le mot colly re ne se rencontre meme pas dans Hippocratc avec le sens de medicament oculaire - 302 — dont le pharmacopole avait suivi la formule , et non de ce dernier. /. Lapis Tervensis seu Verbinensis (1). M. Piette a publie dans le Bulletin de la Socicte academique de Laon (tome IVe) une pierre sigillaire decouverte en 1846, sur l'emplacement de Terva, commune de La Herie, pres d'Hirson (Aisne). Elle est gravee sur les quatre coles et porte ce qui suit : 1. M-VICELLI-HERASISTRA TI CROCODES Mara Vicelli Herasistrati crocodes. « Collyre au safran (2) de Marcus Vicellus Herasislratus. » 2. MVICELLI DIAP HERAS1STRATISORI Marci Vicelli Herasistrati diapsoricttm. « Diapsoricum (3) de M. Vicellus Herasistratus. » (1) M. E. Johanneau a prefeie donner a cette pierre le nom de Vervins , comme lieu plus connu. (2) « Crocus maturat, »dit Gallien (deOculis, cap. 5). — « Robur autem auribus magis afferret collyrium quod diaglaucium vocant, prsterea crocodes, » dit le meme ( de sanitate tuenda, lib. VI, 12, ). — a Ex croco diacroca appellata collyiia ad lippitudinum iuitia commoda sunt," dit Paul d'Egine (de oculorum morbis, lib. Ill, /.p). Avec le crocodes ou le diacrocum , employes pour les yeux, on trouve ordinairement sur les cachets : ad aspritttdines. (3J Nous expliquons plus loin ce mot. ' — 303 3. MAR CI- ty N A R D I V Marci Nardinwm. « Colly re au nard (1) de Marcus Vi- cellus Herasistratus. » 4. MARCI- \v; CEL1D0 { Marci cheMdonium. « Collyre de chelidoine (2; de Marcus Vicellus Herasistratus. » Nous avons peu de chose a ajouter aux explications que contient le memoire de M. Pielte sur les collyres dont il est ici question, et nous y renvoyons volontiers. Suivant M. E. Johanneau , le nom du medecin de- vrait elre lu Vigellius , et son surnora Erasistratus . Au sujet de ce dernier nom, nous sera-t-il permis de faireuneremarque qui a echappe au savant que nous venons de nommer, ainsi qu'a M. Janssen, conserva- teurdu musee d'anliquites de Leyde? Parmi l.^s me- decins grecs les plus connus, on compte Erasistrale, ne dans l'ile de Ceos , a la fin du lVe siecle avant Jesus-Christ. C'esl le premier medecin solidiste et, apres Herophile, le plus grand analomiste dela Grece. Gallien nous a conserve de nomhreux fragments de ses ecrils. Or, on sail que les collyres se recom- (1) Oiibase (synops. Ill), Alexandre de Tralles (II, :>), Aetius (VII, U") et Paul d'Egine (//) LndiquenJ plusieurs collyres au nard . (2) A ce mot est ordinairement joint la forma le : ad genarum cicatrices , pour gue.rir les gercures des joues. — 30-4 - mandaient toujours par le nom d'un medecin celebre qui en avait le premier fait usage ou en avait donne la forjnule. Ce fameux medecin pourrait done etre considere comme l'invenleur ou le patron du noire, si les noms Marcus el Vicellus, que porlail eel inven- teur, n'indiquaienl plulol un Latin. Le surnom d'Era- sislralus qu'il prenait est-il une qualification de son choix, deslinee a tromper le vulgaire, a attirer sur sa personne et sur son rernede la confiance attaehee a une grande illustration medicate'? A-t-il seulement pour objetd'indiquer que Marcus Vicellus apparlenait a l'ecole d'Erasistrale, comme la terminaison latine en us semble 1'indiquer? Nous laisserons le probleme a resoudre a de plus instruits : sa solution ne sera pas sans interet pour l'hisloire de la medecine. Nous remarquerons enfin dans la pierre de Terva une particularity peu commune, savoir, la separa- tion sur deux lignes du mot diapsorkum de la seconde etiquette. Quant aux feuilles de lierre ou d'acanlhe que portent les deux grands coles el a l'es- pece d'arbre que Ton voit sur les deux pe.tils, ils sont dus probablement a un caprice du graveur ; car, s'il fallait leur donner un sens, et y chercher un sym- bole de la medecine, on les relrouverait sur la plupart des cachets d'oculisles, ce qui n'est pas. Les deux pierres qui suivent ont ele recueillies a Reims meme, il y a quelques annees , par mon collegue M. Duquenelle, qui a eu l'obligeance de me les communiquer. Suivant l'habitude prise de donner a ces petits monuments epigraphiques le nom de la localite qui les a fournis, je designerai ceux-ci par les denomi- — 305 - nations de lapis Remensis primus el lapis Remensis secundus. 2. Lapis Remensis primus. Cetle pierre a 55 millimetres tie longueur, sur 25 de largeur et 10 d'epaisseur. Ellc est gravee sur deux tranches settlement, les plus longues, et. porle ce qui suit : 1. RVPLOTINIDIAS MYRNPOSTIMPET 2. CRVPLOTINIDI A FSoRoBoBADCLAoC 1. Rvplotini diasmyrnes post impelwra. — « Collyre de myrriw de Ruplotinus, a employer apres une inflammation subtle. » Le nom de medecin, Ruplotinus, n'est pas encore connu. Le remede compose de myrrhe, diasmyrnes, diasmyrnen, diasmymon , diasmyrneum (de Sia et aij.vpvx) , elait d'un usage tres-repandu, suivanl le docleur Sichel (1). C'est celui que l'on voit ordinaire- mentindiquesur les cachets d'oculisles, avec les mots ad impetum ou post impetum, comme ici, auxquels s'ajoule quelquefois le mot lippitudinis (2), qui, proprement, signifie chassie , mais que les anciens employaient generiquemenl pour designer l'ophthalmie et les autres maladies inflammatoires des yeux. (1) Cinq cachets inedits de medecins-oculistes romains. (2) Dcchalais, Observations sur les pierres sigillaircs : Lapis Inguillarensis et iapis incertus primus ; Memoires d»- la Sociele des uidiquaires de France, t. XVIII. xxx. 20 — 3u6 - Marcellus Empiricus, chapitre VIII, parle de ce primus impetus ou subitus impetus, comme l'ont remarque Saxius et Tochon d'Aneci. 2. C. Rvplotini diafsorc'ctm ohobalsamvm ad chritatem ocvlorvm. — « Diapsoricum au baume, de C. Ruplotinus, pour eclaircir la vue. » Ail nomdu medecinRuplotinus estjointeicil'initiale de son prenom, Cneius, Calulus ou autre. Diafsoricum est pour diapsoricum, qu'on Irouve ecrit aussi diaphso- ricum et diabsoricum; et obobalsamum, pour opobal- samum. Ces alterations de mots semblent devoir etre impulees au grave u r ; neanmoins, il se pourrait que Figriorance du pharmacopole possesseur de ce cachet en fut cause ou, du moins, n'y trouvat point a redire. Le diapsoricum indique un collyre dont le psoricum faisait partie comme ingredient, ainsi qu'on le voit par plusieurs endroits de Scribonius Largus, de Celse et de Gallien; cependant Marcellus Empiricus (1) donne la formule d'un collyre diapsoricum qui ne conlient pas de psoricum proprement dit. Un grand nombre de collyres portaient ce nom. Le docteur Sichel dit que les astringents metalliques, surtout les oxydes de zinc et de cuivre, en formaient la base. Voici ce que Celse nous apprend sur sa preparation : « 11 n'esl point, dit-il, de substance qui, par elle-meme, s'appelle psoricum; mais on donne .ce nom a un melange de chalcitis et de cadmie qu'on broie ensemble dans le double de vinaigre ; on met le lout dans un vase de terre, qu'on recouvre de feuilles de figuier et qu'on laisse pendant vingt jours sous la terre ; (i) Loc. cit. — 307 — ensuite on le retire, et on le broie de nouveau (1). • Caylus {% derive ce nom de ^pa. , scabies. L'epithete opobalsamum (on voit aussi opobalsa- matum) est habiluelle a la suite du diapsoricum , et aussi avec le stactum et Yisochrision, autres compo- sitions employees a guerir l'obscurcissement de la vue. Le sue du baumier (onoc, ^akaap.ov) venait ici temperer Faction incisive du psoricum. Nous remarquerons, au point de vue epigrapbique, les lettres AD liees, et les Ode dimensions moindres que le reste des lettres 3. Lapis Remensis secundus. Cette pierre, longue de 65 millimetres el large de 15, en a 7 d'epaisseur Trois de ses tranches* sont lisses ; la seule qui soit gravee porle : GFIRMSEVERDIASMY G. Firrrn Sever* diasmyrnes. — « Collyre de myrrhe de G. Fir mus Severus. » Cetle inscription ne nous apprend rien de nouveau, si ce n'est qu'un medecin nomme G (probablement Gaius) Firmus Severus etait Finventeur de cette pre- paration , sans dire en quoi elle differail de celle du meme nom dont il a ete question plus haul. Un medecin nomme Severus figure plusieurs fois dans l'ouvrage d'Aetius , notamment en tete des cha- (1) Livre VI, chapitre VI, 31. (2) Reeueil d'antiquites, t. I", p. 227. — 308 - pities : t de carbunculis in palpebris (sermo VII , cap. 30), » — « de aspritudinibus et densitatibus, syco- sique ac callis (cap. 43), » — « de collyriis sistentibus (cap. 102), j cbaque fois comme auteur, sinon de l'article rapporle , au moins du traitement indique. Enfin , Alexandre de Tralles (lib. II, cap. 5 , a de exulceratione el inflammatione » ) donne , apres une infinite de collyres , la formule d'une poudre appa- remment invenlee par le meme Severus , pour rendre a la vue sa vigueur , et a laquelle il a attache son nom : « Pulvis Severius cognomento, ad visus acu- men. » Lc Severus d'Aetius et d'Alexandre de Tralles est-il le meme que le G. Firmus Severus de notre pierre? Rien ne nous en donne absolumenl la certitude, mais rien n'y contredit non plus. II. MARQUE SUR VERRE. FIRM HILA RI ATYLAR Les marques sur verre sont fort rares ; nous n'en avons qu'une seule. Elle est inscrile en relief a la base d'une bouteille etroile , de forme carree, a long col, dont nos figures 16etl7 reproduisent la silhouette et lefond. Cette bouteille a ele trouvee, avec d'autres vases de verre ou d'argile , dans une sepulture, a Clairmarais , pres Reims, lors de l'etablissement de la filature de M. Steff. Elle a 18 centimetres de hauteur, et sa base 35 millimetres de cote. Cette base — 309 — est legerement concave ; par sa forme et par 1'in- scription qu'elle porte, il est facile de voir que la bouteille a ele coulee dans un moule. Les leitres, sans etre d'une epoque tres-avancee, sont peu regu- lieres. Elles doivent etre lues a rebours. Quant au sens qu'elles pr^sentent, voici ce que nous trouvons. Ce nom Firmus qui la commence se verra loul-a- l'heure sur une poleric sans raractere parliculier ; il a ele releve deja sur nn tesson recueilli dans I'empla- cement clu palais d'Albalre, a Soissons (1), et il v est accompagne de l'abreviation OF, pour ofjicina. Done nous aurions mauvaise grace de prelendrc a priori qu'il n'est pas celui d'un artisan , du verrier qui a souffle ou jele en moule celte bouteille , quand meme nous aurions deja vu un medecin de ce nom. Mais, — singulier effet d'un contraste que nous n'avons pas cherche,* — le surnom Severus du medecin Firmus que nous quitlons , mis en presence du mot Hilaris , surnom d'un autre Firmus , nous donne a reflechir plus que nous ne nous y altendions d'abord ; et nous rappelant qu'on a trouve des vases revelus d'une marque qui indique leur contenu (2) , nous nous demandons si notre fiole n'est pas du meme genre , si l'inscription qu'elle porte n'annonce pas aussi une preparation medicale. De la sorte, nous aurions ici , d'une part, quelque cbose du medecin Taut-Pis, etde l'autre, quelque chose du medecin Tanl-Mieux. La rencontre est assez piquante pour qu'on nous peu- melte de la signaler. (1) Bulletin de la Societe archeolug. de Soissons, t. IX, memoire de M. de la Prairie. (2) Caylus , Rec. d'antiquites , I. VII , pi. 74; Tochon, op. cit., pi. i. — 310 — A son tour, la derniere ligne de l'inscription nous altire par sa physionomie grecque, et, hatons-nous de le dire, cette physionomie ne sera pas trompeuse. De prime-abord, on pourrait croire que Atylar, complete d'un e, est un mot grec latinise, comme il v en a tant dans les livres des medecins latins, et qu'il signifie ici : non durci, liquide (de a. et zvIom). On aurait alorsle « remede liquide de Firmus Ililaris, » comme il y a chez nous Yeau de Cologne, Veau de Botot, etc. Mais, en y regardant de plus pres, il est facile de voir que cette traduction manque d'exac- titude; et, d'ailleurs, les medecins grecs ont une expression consacree pour ces sorles de compositions : Oribase, qui distingue les collyres sees et les collyres humides, nomine ces derniers vypai (1). Gallien se chargera de nous renseigner plus pleinement sur l'objet de notre recherche. Enumerant les diverses affections dont l'ceil peut souflrir, il dil : « Interiores palpebrarum partes infestant aspiitudo , crassities, sycosis, tylosis, etc. » Puis, precisant chacune d'elles, ilajoute: « Tylosis est, cum palpebrisaspritudines ex senectute crassiores , albiores, et parum sensiles extiterint, eoque minus deteri possunt (2). » A son tour, le medecin Severus, dans Aetius (3), la definit ainsi : « Tylosis aspriluclo est diuturna, induratas et callosas insequalitates habens. b Ainsi, la tylosis est la meme chose que Yaspritudo, mais aggravee parce qu'elle est inveteree ; elle consiste dans la presence (1) Collection medicale, iiv. I, 23. (2) Introductio seu Medicus, cap. 15, de oculorum affectibus. Traduction de Rene Chaitier. (Lutet. Paris., ap. Andr. Pralard, 1679, in-f".) (3) Sermo VII. 43. — 311 - de durillons a l'interieur des paupieres. Nalurelle- ment, cede affection a ses degres ; cetle callosite, zvlog, xvlri ou rvlMpa, est plus ou moins epaisse ; elle peut elre legere encore , peu epaisse ou naissante , apaix : Ava TuX&xjtg ocpziag, « contre la tylosis nais- sante, » voila ce que nous parait signifier la partie de notre inscription que nous etudions , el l'enon- cialion abregee des proprietes du collyre contenu dans noire fiole. Nous le nommerons done ainsi qu'il suit : « Collyre de Firmus Hilaris contre les callosiles nais- sanles de Vail, u Si celte explication satisfait , comme nous l'espe- rons , notre fiole de verre ne peut nianquer de piquer la curiosite des personnes qui s'interessent aux cachets d'oculistes, eta qui manquaient, jusqu'ici, les fioles pharmaceutiques en verre. Quoique notre petite inscription soil plaeee en sens inverse, nous ne pensons pas qu'elle ail ele destinee a timbrer des remedes. A la rigueur, le verre est aussi propre qu'un autre corps dur a former des empreinles sur des matieres tnolles; cependant, par sa nature et par suite d'un premier moulage, il pre- sente lui-meme une empreinte donl la nettete n'ap- proche pas de celle qu'on oblient par la gravure sur pierre ou sur metal. Pourquoi , d'ailleurs, choisir une bouteille pour servir de matrice ? Cela ne se comprendrait qu'en admettant que cette meme bou- teille aurait ete pour le pharmacien d'un usage habiluel , a cause de son contenu. Une telle suppo- sition mene evidemment trop loin. II nous parait -- 31 2 - plus nature] de penser qu'il en etait de notre bouteille comme des quelques vases a etiquettes pharmaceu- liques que nous avons cites pour exemples. L'inscrip- lion indiquail le conlenu du vase; et quant a la position inverse de celle inscription, il faut l'oltribuer a la maladresse qu'on avail eue de la tracer dans le vrai sens , dans le moule destine a recevoir le verre en fusion. Iir. MARQUES DE POTIERS. On a reconnu, dans plusieurs villes , la presence d'ateliers ou se fabriquait la poterie. Une grande abondance de tessons de differents genres, quelques ustensiles particuliers , et surtout des fours pour la cuisson, suffisaient, dans ce cas. pour determiner l'es- pece de ruine que Ton avail esbumee. Les amas de poteries qui onl ele signales jusqu'ici dans notre pays n'ont pas ele suffisamment etudies ou man- quaient des caracteres qui indiquent un atelier. En un mot , l'liistoire de la ceramique dans le pays de Reims, a celle epoque, manque de ses elements es- sentiels; il serait meme difficile de dire quelles sortes de poteries on y faisait de preference , et oil se pre- naient les terres employees a leur confection. Du reste , on le sait, loules les poteries gallo-romaines se ressemblent, a quelque contree qu'elles appar- tiennent. Imitees des poteries italiennes, dans leurs formes, leurs moulures, leurs ornements, leur cou- leur, et meme dans les procedes d'execution , elles n'en differaient pas non plus par la marque. La grosse poterie recevait l'estampille a l'cxlerieur, ~ 313 - Ies vases communs en dessous de la base , les am- phores sur l'anse , les terrines sur le bord. Dons les vases plus delicals dc matiere el de forme , tels que les tasses et soucoupes de terre rouge ou rose vif , dite terre samienne , on l'appliquait sur le fond in- terieur. Enfin , les morceaux de ceramique qui se jetaient en moule , et donl la confection tenait plus de la sculpture que de l'art du potier, tels que les vases ornes de reliefs , les antcfixes et aulres orne- mentsd'arcbiteclure,portaient la marque a l'exterieur, et quelquefois repelee. Elle elait alors le resullat de l'empreintedu moule lui-meme, el nondel'application d'un sceau delache. L'cslampille des vases de pelites dimensions , oc- cupant tres-peu de place , conlienl generalement un seul nom, soit seul, soil accompagne des mots manu, oflicina, fecit , en abrege. Le nom prefere , quand il est seul, est le surnom, suivanl l'usage presque inva- riable des anciens. Le corps de l'inscription est encaslre dans un lislel dont les extremites sont arrondies ou a angles droits. Les caracteres, traces en creux dans le sceau, paraissaienl en relief sur l'objet qui en recevail I'em- preinle, avant que la pale n'eut acquis assez de soli- dile pour resister a l'application du sceau : du plus ou moins de mollesse de cetle pate depend naturel- lement le plus ou moins de profondeur de l'empreinte. Nous rangerons ces marques peu nombreuscs, sans distinction d'espece, suivant la leltre par laquelle elles commencenl. Nous serons tres-sobre d'inlerpretations a leur egard , l'impression plus ou moins complete du sceau pouvant donner aux caracteres une certaine indecision, et I'absence de separation empecbant sou- — 314 — vent de distinguer si la legende forme nn seul mot ou plusieurs. 1. AAOTV1V Grande soucoupe , en terre rouge , a fond conique , dont la pointe, pousseeen dedans, a recu la marque. Celle-ci est a angles droits , allongee et tres-elroite. La premiere lettre nous parait etre un A. (Cabinet de M. Deleulle, orfevre.) 2. AMPITOVMA AMPITOV MAnw, de la main d'Ampitos ou Ampitus. Marque a bouts ronds, au fond interieur d'une assietle rouge. On remar- quera le singulier assemblage d'un nom grec avec la formule laline manu. II se peut que les lettres I el T doivent se rejoindre pour former un H ; il faudrait lire alors Amphitou; mais le trait median de l'H n'est pas ap- parent. Du resle , quant a 1'ely- mologie, le nom est le meme, si ce n'est que la premiere forme est eolienne. (CabinetdeM.Duquenelle, an- cien pharmacien.) 3. A N N I OS • F ANNIOS Fecit , Annius a fait. Nom a terminaison grecque , S - 315 — relourne. Cetle marque est a angles droits et occupe le fond inlerieur d'une lasse rouge. Le meme nom s'est retrouvc sur une polerie du musee de Lvon. (Ibid.) 4. OF-ARDACI OFficina ARDACl , atelier de Ardacus. Fond inlerieur d'une soucoupe rouge. (Ibid.) 5. ANX-II ANXII oflicina , atelier d'An- xius. Fond inlerieur d'une lasse de lerre grise. Le point nous parait elre accidenlel. (Ibid ) 6- B1TV. Fragment de plat en belle lerre rosee. Marque a angles droits, fortement accusee, en Ires beaux caracteres, molheureusemenl in- complele. (Cabinet de M. Deleulle.) 7. BOVIVS sbd: Fecit, Bovius a fait. Marque a bouts ronds, peu pro- fonde, a l'inleiieur d'une sebille de lerre rouge. (Cabinet de M. Duquenelle.) 8. CABRIIIIMA CABRINI MAnu, de la main de Cabrinus. Marque au fond in- terieur d'une soucoupe en terre rouge. La lellreNn'esl pas claire- — 316 - ment tracee. Quanl aux traits qui suivent le dernier I, nous croyons pouvoir les interpreter par un M et un A reunis. (Ibid.) 9. OFGALVI OFficina CALVI, atelier de Calvus. Marque a bouts arrondis, au fond d'une coupelle bris6e ; terre d'un rouge pale n vernis plus fonce. (Cabinet de M. Deleulle.) 10. COMVS sbd: Fecit, Comus a fait. Marque a angles droits, tracee a rebours, en caracteres barbares, au fond d'une coupelle en terre rouge. L' V est arrondi par le bas et ressemble a un C a demi renverse. (Ibid.) 11 . COTI • OF GOTI OFficina, atelier de Cotus ou Cotius. Marque a l'interieur d'une soucoupe rouge. (Cabinet de M. Duquenelle.) 12. DECREM DECREMm ou DECREMnw fecit ou bien DEC RE .... Mam. A l'interieur d'un plat de terre rouge. (Ibid.) 13. DO V VII sbd: Officina '■ ou Manu, atelier ou de la main de Dovius. On sail que les deux II peuvent aussi, en certains cas , etre pris pour E. — 817 — Celte marque rappelle le Bovius qui est plus haut. Celle-ci occupe egalement le fond d'une tasse de terre rouge. (Ibid.) 14. DRILLUS sbd : Fecit. Drillus a fait. Marque a angles droits, fond interieur d"une tasse en terre rouge; caracteres des bas temps ; L a pied oblique. (Cabinet de M. Deleulle.) 15. FIRM F I R M us fecit. Firmus a fait. Marque interieure d'une sou- coupe de terre rouge. (Cab. de M. Duquenelle.) ' 16. FORNO FORN... Officina , atelier de Forn... Marque interieure d'une tasse de terre rose a vernis rouse (Ibid.) 17. GERM A GER...MA?m, de la main de Ger... Deux varietes de marque a angles droits, dont l'uneestau fond d'une petite tasse de terre rouge, l'aulre sur un fragment de vase plus large, d'une pale plus fine. La premiere est en caracteres moins nets, et le cro- cbet du G y est plus prononce. Les leltres MA sont liees. Peut- etre faut-il lire, en un seul mot, - 318 - GERMA pour GERM Am. Dans l'estampille ou le G est plus rap- proche d'un C, nous avions lu d'abord CERAM , mot indiquant la profession , et que Ton pour- rait ne pas regarder comme un nom propre. (Gab. de M. Deleulle.) 18. INTVGNATV sbd : S, Intugnatus a fait. Marque a angles droits , a l'in- terieur d'une petite tasse de terre rose a vernis rouge. (Cab. do M. Duquenelle.) 19. ivpiIviF IVPEIVs ou IVREIVs Fecit. Mar- que a angles droits, ;■ l'interieur d'une tasse de terre d'un blanc rose, recouverte de vernis rouge. On sail que l'R a quelquefois la forme grecque, et l'E celle de deux 1 ; un I pent encore etre reuni a l'E, et, dans ce cas, le jambage qui le represente a plus de longueur, comme ici. L'F est suffisamment accuse par le cro- chet qui le termine superieure- ment et par le point qui le separe par le milieu. Enfin , un trait oblique le precede ; il peut former avec lui une leltre double : EF ou FE; quoiqu'il ressemble assez a une virgule, nous n'osons - 319 - lui dormer la valeur d'un S ; ce- lui-ci, du resle, peut facilement se suppleer. Nous noterons en- core que , sous le pied du vase, on a trace avec une poinle, en caracteres peu reguliers, mais romains, le mol DONAT. (Musee de Reims.) ^- OCG Fond exterienr d'une lampe monomyxe. II serait difficile de demeler le nom qui est abrege dans cette estampille. Peul-etre faut-il donner la premiere lettre a Officina. (Cabinet de M. Duquenelle.) 21. PASSEMV PXSSEMYs fecit ;Passemm ou Bassemus a fait. Soucoupe en terre rouge. (Ibid.) 22. ROGGA Rocca a fait. Marque a angles droits, placee sur l'anse d'une amphore en terre blanche. (Ibid.) 23. S A T T 0 F SATT. . . . OF ficina , atelier de Salt.... Marque en caracteres barbares, au fond d'une soucoupe de terre rouge. L'A a la forme d'un A avec un I place droit a l'interieur. (Ibid.) La meme, au fond d'une lasse de terre blanche a vernis noir. (Ibid.) - 320 - 24. SATTONIS sbd : Officina ou Manu, atelier ou de la main de Satto. Marque Iracee dansle moule, en caracleres reguliers, au-dessous d'une lampe monomyxe en terre rose com- mune. Le nom , ici complet, est probablement le raeme que lc pre- cedent. (Mon cabinet.) 25. S I L V I N SILVINms fecit, Silvinus a fait. Marque a bouts arrondis , a l'in- lerieur d'une soucoupe de terre rouge. L'S est relourne. (Ibid.) 26 . 0 F S I L V I N OFficina S I L V I N i, atelier de Silvinus. Tnlerieur d'une tasse de terre rouge. Ce peut elre une estampille differenle du rae- me ouvrier ; cependant on peut admetlre aussi que deux potiers de raeme nom auront voulu dis- tinguer leurs ouvrages par des marques differentes. 27. Q VAERIVS sbd' : Fecit. Marque a angles VERANIVS droits, longuede 5 centim., large de 2 , placee en travers , sur le bord d'une grande terrine en terre blanche assez fine. Le mu- see n'a de celte terrine que le fragment revetu de l'estampille; mais il en possede une autre, en terre d'un blanc rose , moins - 321 — line , qui paiuit avoir les mernes dimensions. Les lellres sont par- failement regulieres el de bonne epoque. Le Q place un peu a distance indique qu'il apparlient a un premier mot [Quintus, par exemple) ; l'A et le V du mot suivant sont reunis, en sorfe qu'on peut lire dans le second mot, soit Averius, soit Vaerius. La terrine complete a 15 cent, de profondeur, 38 de diamelre a l'ouverture, el 21 a la base. Elle n'a pas de marque. (Musee de Reims.) -28. V1RIANV VIRIANV*/^, Virianus a fait. Trace en relief, en ca- racteres greles , mais d'assez bonne forme, dans le moule, et non au moyen d'un sceau, au bas d'un antefixe en terre rousse grossiere. l\ a conserve l'ap- pendice conique dont est ordi- nairement muni le pied des an- tefixes, pour les soulenir dans la position qu'ils doivent conserver. (Cabinet de M. Duquenelle.) 29> AA^I Marque en forme de semelle, au fond interieur d'une tasse en terre rousse, portanl une suite de traits qui figurent a peu pres ce xxx . 21 - 322 — que nous donnons ci-contre, et auxqucls il est difficile de donner un sens. (Musee de Reims.) 30. /////SEXQW Cetle marque est-elle celle /////ANN I jj dun Potie,'? A la suile du Pre' mier mol, on y voit une sorte d'il enloure de rayons que nous ne savons comment expliquer; puis, dans loute la hauteur du listel, une sorte d'arbre semblable a ce que nous avons trouve sur des cachets d'oculistes. II y a, comme nous l'avons dil, des vases oil la marque de fabrique se trouve remplacee par l'indicalion de leur destination ; on pourrait peut- elre ranger celui-ci dans la derniere categorie. Malheureuse- menl, le fragment de polerie rouge qui porte cetle eslampille n'en donne qu'une partie. (Cabinet de M. Duquenelle.) Enfin, nous devons rappeler ici la figurine en argile blanche dont nous avons dejli parle, au bas de laquelle on lit , par-derriere, en caracleres assez irreguliers, l'inscription PISTIL, ou plulot (1) PIS- TILL V, car, en l'examinant de plus pres, nous y avons (I) D. Martin ( Religion des Gaulois, t. 11, p. 864; en a |>ul>li« une ou il lit: I STILLY. dan — .rlo — decouvcrt deux L ;iu lieu d'un, el a la suite un V, ce qui, en suppleant un S, rapproche beaucoup le nom inscrit sur noire statuette du PI ST I LOS de M. Du- chalais. Contrairement a l'opinion de ce dernier, nous ferons observer que toulcs les figurines du meme genre, avec inscription, portent le meme nom, plus ou uioins cxaclemenl reproduit: cela semble prouver que ce nom n'est pas cclui du fabricanl, et qu'il a une autre signification. Nous ne repeterons pas ce que nous avons dit a ce sujet ; nous nous bornerons a remarquer le mode de fabrication de ces figurines. On en connait plusieurs varietes. Toutes sont plus ou moins aplalies de la face anterieure a la partie poslerieure, et monlrent de chaque cote des traces de soudure. La cassure de celles que Ton brise rend encore plus evident que les deux faces etaient coulees dans des monies separes, puis collees et ajustees ensemble avec plus ou moins d'adresse. IV. MARQUES SUR METAL. Nous n'avons pas proprement de marques , mais seulement quelques lettres ou chiffres traces a la pointe sur des uslensiles de cuisine en bronze. 1. Villi Sur le goulot d'un vase du genre sartago, a fond plat, peu profond, munide trois orcilleltes, dont l'iirterieur est argente ou e- tame, qui a ete donne au inusec par M. Doublie, en 1852, et fait partie des nombrcux uslensiles 2. vim 3. VVV - 324 - de cuisine que l'on a trouves ensemble a cette epoque. Peut- etre celte inscription marque-t- elle le poids de l'objet. Sur le revers d'un racloir a pate, donne par M. Louis-Lucas. (Meme provenance.) Sur le cot^e de l'anse d'une aiguiere du genre orceolum, donnee par M. Doublie (meme provenance). On pourrait consi- derer ces traits repetes comme un ornement,s'ilsne manquaient sur l'autre face de l'anse ; nous ne leur voyons, du resle, aucun sens. - 325 — APPENDIGE. 20 bis. QVE VS Fig. 10. Musee de Reims. Nous apporlons ici ce quo contionl un Fragment de sculpture gallo-romaine dont la provenance nous est inconnue, mais qui parait avoir appartenu a l'ancien fonds du musee , car il figure parmi les objets recueillis au moment de la formation du nouvcau, sans aucune mention de don ou d'achat. II est en pierre blanche d'un grain assez fin, et porte 18 centim. de largeur, 17 de hauteur et8 d'epaisseur. L'inscriplion, dont il nous reste une faiblc partie, oc- cupait un cartouche oblong, encadre dans une moulure et termine de chaque cote par un ornement feuillage d'assez bon style. Les lettres elles-menies sont de bonne epoque. La premiere ligne conlient seulemenl les lotlres VE avec le crochet d'un 0 , ce qui donne lo mot 0^7E; de la sccondc , il resDc seulement la terminaison V S d'un mot. Une troisieme ligne pouvait — 3C26 — occuper l'espace libre au-dessous des deux autres ; raais , si elle existait , elle devait etre en caracteres de moindre hauteur. Ce reste d'inscription rappelle immediatement a la memoire la formule si frequente : SENATUS POPULUSQUE ROMANUS. Mais a quoi l'appliquer? Ceci demeurera pour nous h l'etat de question insoluble. Nous nous bornerons a faire remarquer que la pierre a laquelle appartient noire fragment pouvait tres-bien former une assise dans un piedestal ou dans tout autre monument de petite dimension. 327 TABLE DES MATIERES. Pages. Au lecteur, 4G I. Guile, n°' 1-4, 53 II. Etat politique, gouverueiuent de la cile, n'" 5-8 , 80 III. Etat militaire, n" 9-15 , 128 No 15. Inscription de l'eglise Jovinicnne el lombeau de Jovin a Reims , 154 § I Jovin, tii §11. Sepulture de Jovin. Eglise Jovinieune ou eglise de Saint-Agricole et Saint-Vital, depuis Saint-Nieaise, 161 §111. Etat et description du monument connu sous le nom de lombeau de Jovin , 174 §1V. Le monument connu sous le nom de tombeau de Jovin lui est-il legitimement attribue ? Diffe- rentes explications proposees , 185 § V. Le monument de Reims represente uue chasse funebre , 202 § VI. Frequence el caractere eommemoratif des chasses sur les monuments funebres , 210 IV. Voies et commerce , n" 16-18, 224 V. Monuments divers , n°s 19-20, 273 VI. Inscriptions funeraires, n" 21 -28, 286 VII. Marques de fabrique, 300 1. Pierres sigillaires, 300 2. Marque sur verre, 308 3. Marques de potiers, 312 4. Marques sur metal, 323 Appendice n" 2o bis, 325 329 — TABLE ALPHAHETIQUE (i) DIEUX ET DEESSES. Apollo Medicus, page 6G. Apollon, 59, 61, 66, 70, 74, ARDOINNE, 53. Avgvsto. Sacrvm, 73. Camvlo, C3. Camvlo. Viromandvo, 68. Camulus, son culte dans la Gaule, 68. Deo. Apollim, 70, 73. Deo. Mercvrio, 71, 78. Deo. Sanclissimo, 08. Diane, 53, 6G. Dlis. Manibvs, IOC, 125, 131, 253, 288, 292, 294, 295 Esus, 61 . Fortuerte (falso). V. Rosmerte. Genio. Civitatis, 73. Hercule, 53, 66. Hercvli, 53. Iovi, 53. Iovi. Conservatori, 128. Jovi. Poenino, 73. Junon Lucine, G-2, 63, 322. Jupiter, 53, 61, 66, 67, 73, 128. Jupiter Gustos, 66. Ivventvtis. Flamin., 80, 85. Mais, 53, 56, 59, 63, 66, Si. — Custosct Conservator, 66 — et Saturne confondus, 56. Marti, 53. Maiti. Camvlo. Sacrvm, G3. lilartis. flamin., 8i. Maternites (Figurines dites), 62, 322. Mercure, 53, 61, 6G, 74, 78. Mercurial is. V. Rosmerte. Mercvrio, 53. Minerve, 59. Nvmini. Avgvsto, 70, 73. Nvminibvs. Avgg,, 73. Nundina, 78. Pistillv. 62, 322. Pistilos, 63. Postverte ( falso). V. Rosmerte. Rosmerte, 74, 77. Saturne, 53, 55, 66. Satvrno, 53. Venus (Figurine? de), 62. Vulcain, 61. (l) Nous avons mis en petites capitales les mots appartenant aux inscriptions etudiees dans cet ouvrage, et en italiques ceux qui apnartiennent aux inscriptions citees. xxx. 22 330 — NOMS DE PERSONNES. Aecot., 297. Pal. Aeliano, 100. Aelianvs. Filivs. Pavli, 297. P. Aelio. Agrippino. Comicvlario, 101. Lie. Aeticci, 133. Alotvi (marque), 311. Ampiutov (marque), 314. Amios (marque), 314. Antebroge, 115. Anxii (marque), 315. Aper, archev. de Reims : sa sepul- ture, 106. Abdaci (marque), 315. Arinthee envoye vers Jovin, 157. C. Atilivs. Marvllvs , 09. avreliano, 123. M.Avrelio. Antonino. Pio, 226. M. Avrklivs. Pbimvs, 125. Q. Axio, 100. Bassaco. Stel. Rvfo, 100. Baussonnet: ses dessins, 76. BlTTlEM... 291. Bitv. (marque), 315. Bovivs (marque), 315. Cabrim (marque), 31 5. Calvi (marque), 316. Camvlia. Attica, 73. Cantivs, 74, 79. D. Ivl. Capitom, 80, 81, 85. Censorin..., 291. Clavdivs. Tiberivs. Caesar, 63. T. Clodivs, Pvpienvs. Pclcher. Maximvs, 103. Colin, tresorier du chapitre de Reims, 75. Commodi [pro salvle), 68. Comvs (marque), 316. CoNSTANTLSVS (II), 271. CoNTVA..., 292, 293. Coti (marque), 316. Decrf. (marque), 316. Didius Julianus, prefet a Reims, 240. Down (marque), 316. Drillvs (marque), 317. Druides: ce qu'ils conserverent de leur pouvoir, 60, 111; ils elaient exempts des impots, du service etdes charges, 114. Firm, (marque), 317. Firm. Hilab. (marque), 308. G. Fibm. Sever, (marque), 307. T. Flavivs. Crensces, 144. FLAV1VS. SlLVANVS, 144. Flavius Valens Iovinus, 158. V. Jovin. Fontejvs Capito, 81. forn. (marque), 317. Fvrivs. Sabinivs, 99. Germa. (marque), 317. Gaulois (Les). Voir aux noms de lieux. Helene (1'impcralricc) : son tom- beau, 204,213. Iccius, general des Remois, 115, 139. Imp. Caes. M. Avuelio. Aistom- no. Pio, 226. Imp. Caes. Fl. Constaintinvs. Max. Avg. Sempiternvs, 274. Imp.Nervae. Traian. Caes. Avg. Germ. Dacici. Optimi, 98. Imp. Caes. L.Septimio. Severo. Pio. Pertinace, 226. Imp. Caes. Mar. Piavonio. Vic- torino. Procos., 224. Intvgnatv. (marque), 318. 331 - Jovin : sa famille, 155; sa nais- sance, 155; il commando les troupes en Illyrie, 155 ; il de- meure en Gatile pendant I'expe- dition de Julien dans la Poise, 156, 191; il devient suspect a Pempcrcur Jovien, 157; il est retabli dans son commande- ment, 157, 165; il hat les Alle- mands, 155 ; il est fait consul, 155, 158, 162, 165, 233; lois qui lui sont adressees, 132, 159, il batit 1'eglise de Saint-Agricole et de Saint-Vital, 154, 166 ; sa sepulture, 168; inscription qu'i'l fit placer a Saint-Agricole, 161. Fl. Jovina, 156. JOVINVS, 161. Fl. Jovinvs. ex. P. P., \sg Jovinus (Priscus), 158. IVLIAE. MlNNATIAE, 288. Ivpiivi (marque), 31S. Lajard (Memoires sur une urne ci- neraire et sur le culle du cypres pyramidal, par M.), 21 S et sq. Lampade, prefet a Reims, 210. C. Latini. Regini, 253. Leanivs. Rvfvs, 73. Liamari, 149, 150. Lvcu, 294. L. Magivs. Secvndvs, 70. Malaric, 157. Manasses, archeveque de Reims : son election, 118. C. Modesti:\-o, 125. Mvsicos, "8. NoCTVRN...,, 288. Occ. (marque), 319. Passemv. (marque), 319. Pertinace(Imp. Caes. L. Septi- mio. Severo\ 220. L. P. Postumo, leg. Avgg., 226. PtJPlLI.A , 295. M. QVARTINIVS, 53, 131. Remois (les). Voir aux nomsde lieux. Remvs (forte cognomen). 57 . Rictius Varus, prefet a Reims, 240. Rocca (marque), 319. C. Rvplotisi (marque,), 305. Sabincivs, 73. G. Sacconivs. Adnatvs, 99. Saint-Agricole et Saint-Vital, 154. Saint Nicaise et saintc Eutropie : leurmaityre, 169; leur sepul- ture, 172." Samorix, 149. SAfT. ('marque), 319. Sattonis (marque}, 320. Satvrninvs. Secvndrs, 239. Secvndine, 133. ... Sex Anni (marque), 322. Silvin. (marque), 320. fVL. SlLVINVS, 286. Solim, 283. Svlpicivs. Calvio, 128. Traian. Caes. Avg., 98. Q. Vaerivs. Veranivs (marque), 320. T. Vario. Clementi, 100. Vertisque, general des Remois et chef de leur nation, 116, no. M. Vicelu. Herasistrati (mar que), 302. VicTORixo (Imp. Caes. Mar. Pia vonio), 224. Viomarus, 150. Viriainv. (marque), 321 . Viromarus. 150. VlTALISA, IOC. Id. Vitalis, 80. VRBICAE, 290. — 332 Vrbieia, -290. Vhbicio, 288. Vrbicius, 290. Vhbico, 288, 290. NOMS DE LIEUX. Ad fines, 250. Ambianvs (Censor), 7 3 Auberive, 281. astvkvm (conventvsj, 9s. Astvr. f.t. Gallaeciae. Phovinc ., 98. Argvsta. Scessionvm, 226. AVG. SVESSIONVM, 2,r)0. Axona, 282. Axuenna, 282, 283. Baconnes, 283,284. Barbarie (Chemiu de la), 250. Basilia, 281 et sq. Basilicaris porta V. Bazee. Basilicarum porta, 280. Bavay : voie de cette villea Reims, 225, 227. Bazee (Porte), 275, 280. Belga [Natione), 80, 128. Belgique (Province tie) : elle est partagee en trois provinces, 235; puis en quatre, 237 ; elle est gouvernee par un lieutenant de 1'empereur , legatus Augusti, puis par un prefet, prcefectus , 210; troupes romaines en quar- tier dans ce pays , 136 , lit ; officiers du fisc dans ce pays , V. Procurator ; fabrique d'etof- fcs dansce pays, 257, 258, 260. — Seconde (Province dej : elle est gouvernee par un presses, 241 ; un due y comma nde les trou- pes,153; sesmalheurs, du IP au V° siecle, 2ii ; elJe est secourue par Julien, 137, 241, 242. Bibrax : siege de celte ville, 110, 139; diplome de Chilperic I*r, date de celte villc, 285. Bonn (Musec de), 64. Bonne-Semaine, prison a Beims, 61. Brimont, 226, 295 AGiuppinensis (Civisj, 125. Caen. V. Serges. Carnuntum, 145. Ceres (Porte), V. Cbacre. Cesarec (Voie), 279, 2a7. Chacre (Porte), 2S0, 285 Chalon-sur-Saone, 149. Champlieu (Theatre de), 72. Cleves (Chateau de), 64. Collatice (Porte) V. Bazee. Duranicanoris, 97. Durocorier, 97. Durocorieb, 250. Durocortoro, 97 . DVROCOn.TOROB.EMVS (domo), 144, 146. Durocortorum Remorum, 96. Dvrocortorvm. Remorvm , 144, 146. Durostolum, 97. Eduens: leur entree dans le senat de Rome, 112. Eglise Joviniennc ou de Saint- Agricole et de Saint-Vital : date de sa construction , 154, 166, 168 ; ses cryptes, 170; elle est abandonnee, 173 ; elle est retahlie par Gervais, 173, 188; elle — 333 - prend le nom de Saint-Ni- caise, 173. Egfise de Saint-Martin: son ca- veau, 109, 170. — de Saint-Pierre, 168. — de Saint-Sixte, 163. Fines. V. Ad fines. Fontaines (Borne de), 150. Gallaeciae. Paovmc, 98. Gaule (La) : premiere division de cc pays sous Auguste , 231 ; deuxieme division, qui n'atteint que laBelgique, 23 j ; troisieme, en douze provinces, 238 ; qua- trieme, en quatorze provinces, 239 ; cinquieme , en dix sept provinces, 239; son gouverne- ment , 234 et sq ; son organi- sation militaire, 152 ; ses habi- tants sont traites avec douceur, 90, 108, 132 ; tribut qui leur est impose, 90 ; privileges accor- des a plusieurs de ses villes ou cantons , 108, 115, 117, lit ; elle est inal protegee par les Ro mains, .112 ; sa decadence, 241. Gaulois (Les): ils recoivent le titre de citoyens romains, 65, 84, 91, 109 ; ils sont admis aux dignites romaines, 109 et suiv.; leur habillement, 255. Gaulois auxiliaires, 142. Grand (Theatre de), 72. Herie(La). V. Terva. Isaba, 250. Langres, 74. Lyon (Musee de), 63, 125, 253. Lvgdvni, 253. Mars (Arc de la porte de), 225. 277. Minaticum, 71. Musees de Bonn , de Lyon , de Reims, du Vatican, de Vienne. V. ces noms. Naronne, en Dalmatie, 128. Narbonnaise (La) moins favorisee quelesaulres provinces,91,132. Ninittaci. V. Nizy-le-Comte et Pa go Vennecti. Nizy-le-Comte, 71 , 72, 124; son theatre, 72. Noviomac, 250. Pago. Ve;s:vecti, 70. Ponton tChemin de), 294. Petronelle. V. Carnuntum, Ponts dans la Gaule, 249. Reims : ses divers noms, 96 ; son importance et sa population , 246 ; elle recoit le litre d'alliee du peuple romain, 88, 98,276; etendue de son territoire comme metropole, 92, 238; les gou- verneurs romains et les chefs militaires y resident, 137, 138. 23 j; son Capitole et son senat, 118 ; ses thermes, 275; ses por- tes, V. Bazee, Chacre, Mars et Treves; ses anciennes voies, 225 , 249; V. aussi Bavay, Cesaree, Ponton, Soissons, Tongres, Toul etChemin delaBarbarie; elle est pillee par les Barbares , 243 ; ses autels antiques, 61 ; sa fa- brique d'armes, 143 -, son com- merce d'etolTes, 259 et sq. ; di- verses industries de sa fabrique, 263; ses toiles, diirerents sens de ce mot, 267 et sq.; ses cirne- tieres , 107 , 167 , 170 ; ses pre- mieres eglises, V. Eglises; son musee, 54, 6-2, 123, 134, 288. 291, 292, 29 4, 297; origiue de son cchevinage et de son conseil de ville, 119, 120; elle n'estpas Q -> f. UO'L- atteintc par t'edit de Moulins , 120; clle demeure politiquement separee tie la Champagne, 1*22. Remi (Natione), 253. Remi. Civks, 63, 88. Remi. Civitas. foedeuata, 81 . Remis (Civitas), 97. Renio, 236. Remois: leur importance a l'epoque de la conquete, 246 ; leur atta chement pour lesRomains, 112; leur preponderance dans la Gaule, 252 ; ils conservent leur autonomie, 90, 92 ; leur senat, autorite de ce corps sur le reste de laGaule, 113, 117, 118; leur censeur, S8, 98; leur force nii- litaire, 116,139, U0; leur entree dans le senat de Rome, 113; la eharte de commune jugee par " eux insuffisante , 119; temple eleve a Mars par eux, 64. Remorum Civitas, 97 . Remorvm. Civitas. foederata, 88, 98. Remorvm. Civitate. Levcae. MI., 224, 223. Remorum urbs, 95. Remvs, 53, 149. Remus (Civitas), 96. Remvs. Gives, 297. Remvs. Cms, 125. Rhynern (Eglise de), 64. Rovdivm, 250 . Royale (Porte) a Reims, 280. Sabine (La), 69. Saeinvs. Gives, 53, 57. Ste-Genevieve (Moulins de), 295 Sainl-Hilaire-le-Graiid, 281. Sainl-1 rence (Eglise de), a Lyon, 298. Saint-Just (Eglise de), a Lyon , 298. Samahabriva, 250. Samnium (Le), 69. Sion, Semita Lcucorum, 78. Soissons (Voie de) a Beauvais , 226; a Reims, 294. Soissonnais reunis auxRemois, 93. Steviae, 250. Suessiones. V. Avg. Svessionvm. Suippe, riviere, 281. Terva, 302. Tolosensis. domo, 146. Tongres, Aduatuca Tungrorum: son inscription itincraire, 251. Toul : voie de cette ville a Reims, 107. Treverica porta, 285. Treves: son senat, 118;etendue de son territoire comme metropole, 238. Vatican (Musee), 53. Vaudesincourt, 284. Yelgiam (seu Belgicamj prot>. , 1 03 239. Vemvecti. Pago, 70. Vennectum, 124. Vic-sur-Aisne (Borne de), 226. Vienna. Colonia, 83. Vicnne en Dauphine, 63, 83 ; son musee, 81, 82, 98. Vienne-la-Ville. V. Axuenna. Voies anciennes conduisaut a Reims, 225, 249 ; V. aussi Bavay, Barbarie, Rrimont, Cesaree, Pon- toii, Soissons, Tongres et Toul. Voies anciennes en general ; V. Bornes-,Curatores,LieueetMille. 335 SUJETS DIVERS. Adjutor ad census, 103. — tabulariorum, 78. Agathe de la Sainte-Chapelle : ex- plication dece monument, 205. Ala. Longiniana, 149. Ala. Pannoniorvm. Tamplana , 145. Ala. TAiuiana, 144. Awnis, 144, 149, 298. Apparitor prajfectianus, 243. — prasidialis, ibid. Aqueduc de Joncliery-sur-Suippe a Reims, 275. Aristocratie militaire chez les Gau- lois, 115. Amies (Usage des) inlerdit, puis rendu, 153, Ascia, 107. Atylar., 308. Autels a Reims, 61. Avgvri, 84. AVVA. MATER. FILMS. ElIVS, 288, 290. Rambariearii sive argentariiRemi, 264. Rarbaricarii. V. Rambariearii. Baussonnet (Dessins de), 75. Belg. coh. I, 128. Borne de Brimont, 226 ; elle mar- quait une distance et non une de- limitation, 230. Rornes des voies elevees par les magistrats romains. et non par ceux des villes, 232 . Bronzes iucrustes, 292. Charte de commune jugee insuffi- sanle par les Remois, 119. Chrisuie, 156, 298. CELIbONlVM, 303. Censeur : ce titre est reserve, dans Rome, aux empereurs, 104. Censitorcs, 103. Censor. Ambianvs, 73. Censor. Civit. Remorvm, 88, 98. Censores eivitatis, 102, 104. Glasses et combats d'animaux : frequence de ce spectacle , 205 , 210, 213 ; des homines de tout rang, des enfants et des femmes y prennent part, 208 ; leur ca- ractere commemoratif et reli- gieux sur les monuments fune- bres, 211 et sq.; presence des dieux dans plusieurs de ces re- presentations, 2i6; leur repro- duction sur les medailles, 221 ; sur les vases, 212, 2(8. Glasses funebres dediees a Diane, 216, 223; a Jupiter, 216; a Mercure, 216, 221 ; aux Manes, 216. Cimetieres, 107, 167, 169. Cives. Remi, 63. Gves. Remvs, 125. Civis. Remvs. 297. Civitas : sens divers de ce mot, 94, 228. ClVlTAS.FOEDERATA, 109,111, 136. ClVITATI. SVAE. REMORVM, 274, 277. Claude (Table de), 65, 110. Clous (Corps perces de), 287. Coh. I. Bclgarvm, 128. Collyre: signification de ce mot, 303; fiole a collyre liquide, 311. Commandement militaire en Gau- le, 152. - 336 - Commerce et civilisation de la Gaule septentrionale : M. de Freville refute sur ce point, 244. CoNIVGl. KARE MER1TISS. P1EN- TISS., 292. Considaris, 243. Consuls ou juges du commerce a Reims, 233. Co.MVBERiYALI, 125. Corporations d'ouvriers, 85. Couronne civique, 64 Coustes champenoises, 268. Crocodes, 302. Culte des Gaulois transformed 59 ; monuments trouves a Reims, 61. Curatores viarum, 232. Cypres pyramidal (Culte du), 218 DEcvrionvm. Administrand. Fv- nervin. Sententia , 144, U7. DiAFsonicvm OBOBalsamvm ad. CLAiitatem. Ocvlorvm, 306. DiAPsoricvm, 304. DiASMrrnes, 307. DlASMTKN. POST. lMPETVlll, 305. Diebvs XXXII, 156. Draps de fines toiles de Reims , 267. IIvir. Aerabii, 80, 83, 84. Dux Belgica; Secunda;, 153. Electus. ad. census, accept, per. prov. Yelgiam, 103 Eq. ALA. LoNGlNlANA, 149, 152. Eqves. ale. TAMiane, 144. Eqlitvm peditvmque magis'ter, 161. Etaminiers a Reims, 263. Etoffes de soie, d'or et d'argent a Reims, 263, 265. Etoffes fabriquees dans la Belgique 257, 258, 260. Ex. colegio. fabrice. elalvs, 86. Figure triple sur un ante!, G2. Fi.amin. IvvExlvtis, 80, 85. Ft am in. Mart is, 84. Fleuve, statue symbolique, 181. Funerailles: prisonuiers etesclaves qu'on y massacrait, 203 ; jeux qu'on y celebrait , 2o2, 214 ; magistrats qui en etaient char- ges dans les villes, 148. Gymecium Remense, 259. llabillement des Gaulois, 255; V. aussi Saie. Inscriptions ii Reims : leur rarete, 49. Inscriptions en vers, 162. Inscriptions niilitaires, 152. Jeux funcbres, 202, 214. Joailliers a Reims, 261. Jus civitalis, 109. — honorum, 109. « — optimum, 110. — suffragii, 109. Lapis Terveusis seu Verbinensis , 302. — Remensis primus, 305 ; se- cundus, 307. Laurier (Rameau de), 64. Legatus Augusti pro prretore, gou- verneur de la Belgique, 152, 235, 240. Legatus Augusti pro pra?tore ad census accipiendos, 103. LegioGemina, 87. Legion XX", 86. Leg. II. adjit. 83, 98. Leg. I. adjvtricis. pie. fidelis, 133, 13 i. Leg. I. Minerv., 125, 127. Leg. I. M. Praepnsitrs, 128. Libera (Civitas), 109. Lierre (Feuilles et guirlande de) . 126. 299. - .J37 — Lieue (Emploi do la) it du mille, pour les distances, 220. Magister cquitum, 153, lflO. — militum, 153. — — perGallias, 160. — peditum, 153. — — praesentalisoupree- sentalium , 153. — rei castrensis, 160. — utriusque militia?, 160. Magisterium armorum, 1G0. Masques de theatre sur les monu- ments funebres, 211, 221. Medailles representant des cliasses, 222. — representant un fleuve, 181. Meleagre ct Atalante (Fable de) : attribution fausse de ce sujet a divers monuments, 197, 199, 21 C. Miles, con. VII. Pk. Antoniane, 53, 58. Militaire (Profession,) sous l'em- pire, 141. MlLlTIAE CINGVLA, 161. Mille (Emploi du) et de la lieue , 229. Miroir (Jeune fille tenant un), 295. Missio causaria, 129. — justa, ibid — injusta, ibid. MiSSlO HONESTA, 125, 129. Monnaie a la legende Remo, 62, 236. — de Galba, au revers Tres Gai.liae, 236. Nardinvm, 303. Neofila. 156. Oculistes (Cachets d'). V. Pierrcs sigillaircs. Optimum jus, 1 10. Oratoires prives , l j9. Ordo, pour signifierle senat, ll'.i Peuples confederes, 90. — libres, ibid. Pierres sigillaires, 301 et sq. Praefectianus (Apparitor). V.ce mot. Prcefectus : ce titre remplacc celui de legatus en Belgique, jusqu'a Constanlin, 210. Pracf. coh. F. Gallic, 99. Pit.EFecto.FABrvm, 80, 82, 83, 85. Praefectus legionis, 102. Praepositos. cohortis, 128. Prefets du pretoire sous Gonstan- tin, 240. Prefets a Reims. V. Didius Julia- nus, Lampade, Rictius Varus. Praeses, 101, 244. — en Belgique, apies Con- stantin, 241, 244. — provinciae. Aquitanicae , 239. Preesidialis (Apparitor). V. ce mot. Pu.esidialis (Viri), 241, 298. Prijiitivae. conivgi, 286. Primores, 109, 111. Principes, 109, 111, 1 13. Proconsul : Reims n'a pas eu de magistrals romains ou munici paux de ce nom, 233, 234. Procos. V. Vietorino, Procvrator. a. rationibvs. prov. Belgicae, 238. Procvrator. patrimonii . prov. Bel gic.et. dvarvm. Germaniar.,-i9. Procvrator. provinciae. Belgicae, 100, 101, 139. Procurator ration um pri\ alarum. 99, 100. — rationum publicarum, 100. — 338 — Procurator, ralionum. pubiica- rum. proo. Belgic. et. duas. Germanias, 99. Procvratori. Ave, 98. Proscaenivm, 70, 71, 72. Proscaenivm. et. orchestram. cvm. ornamentis, 72. Provinces da senat ou du peuple, ou provinces consulaires, 234, 237, 243. Provinces imperiales ou pretorien- nes, 234, 243. Pvpilla, 295. Remo (Medaillea la legendc), 62. Sagarii, 253,254. Sagum, 255, 257, 258. Saie d'etoffe legere, 269. Sainte-Chapelle (Agatlie de la): ex- plication de ce monument, 205. Senat des Remois. V. Remois. — de Rome (Entree des Gaulois dans le), 109. Senator, 106, 108. Senatvs. Popvlvsqve. Romanvs, 32G. Serges de Caen, 26G. — de Reims, 265, 270. Serica Remensia, 265. Spatha, 144. Spatharia Remensia, 143. Stipendiis, 144, 149. Symbolique des anciens, 181, 201. Templvm. coihstitvervnt, 63. Tetes d'animaux sur les monu- ments funebres, 212, 220. Theatres de Champlieu, de Grand, de Nizy-le-Comte. V. ces mots. Theatrvm. et. proscaenivm, 72 . TUERMAS. FISCI. A FVNDAMENTIS. CEPTAS. AC. PKRACTAS.LARGITV'S. EST, 27*. Tiretaine, 271. Toiles deRens, 261 etsq. Tombeau de Carloman, dans l'e- glise de Saint-Remy, 186, 196. Tombeau de Jovin : description de ce monument, 175; son depla- cement, 182;cequ'ony a trou- ve, 183; epoque a laquelle il appartient , 189; diverses ex- plications qu'on en a donnees, 187 et sq.; son sujet est unique, 192; il n'est pas lire de l'his- toire, 196, 197; ilrepresente une chasse funebre,202; inscriptions qu'on y amises, 184, 185; mo- numents semblables, 186, 195, 197. Tombeau de saint Nicaise et de sainte Eutropie, 172. Tbibvn. militvm, 80, 83, 98. Tribunus major, 102; minor, ibid. IIlviR. LOC. PVBLIC. PERSEQ., 80. Tuyaux de plomb, 79. Tylosis, 310. Urbs, 94. Veterani, 123, 132. Veterano, 125. Veteranorvm, 124. Veteranvs, 125. Veterans (Terreset privileges accor- des aux), 130, 132 ; (colonies de), 130, 132. |Vexillationis. Brit., 144, 146. Vice-Praesidis, 99, 241. — prov. German. inferior., 99. VlRI. PRAESID1ALIS, 297, 299, Viva. Monvmentvm. posvit, 106. Viva, posvit, 288. Voltinia (Tribu), 82, 83. 339 — SIGLES ET FORMULES. Corporis nospinvM adornat , 161, 164. Dec. a... fv... sententia, 144, 147. Depos.neofita. in. pace, 156. D. H. F. F., 144, 147. Diis. Mamdvs. et. memoriae, 133. D. M., 125, 253, 295. D. M. et. memoriae, 288, 292, 294. D. M. S., 106. DOMO. DVROCORTOREMVS, 144. — Tolosensis, ibid. Dono. de. svo. dedit, 70. Et. singv. 149. Ex. p. p., 15G. Ex. voto, 74. }Iic. jacet, 297. II. P. C, 253. H. S., 149. H. S. E.. 144. In, honorem. domes, divinae, 68, 73. In. honorem. Marceli.i, 273. I. P., 280. In. pace, 156. Ipse. sibi. posvit, 133, L. D. D. D., 83, 98. Loc. Pvblic. per., 80, 83 Maiestate. et. nomine cius. ser- vatvs, 128 Metator, 1G1, 104, 165. MlLITlAE. CINGVI.A, 161. Ncofita, 156. 0. C S., 63, 67. Omni, impendio. svo, 73. Pro salvte, 63, 68. Pro. solita. hberalitate, 274. P. V. V., 58. qvod. est. svpeu 1mpos1tvm, 292. Salvari providet artvs, 161, 164. SANCTO MANANTIS , FONTK SALVTIS, 161. Stipsndhs, 144, 119. Svb. ascia. dedicavervnt, 125. Svi (pro svo), 274. THERMAS. FISCl. LARG1TVS. EST, 274. TOTO. ORBE. VICTOR1IS. SVIS. SEM- PER. AC. FELICITER. CELEBRAN- DVS, 274. V. L. S., 53. VlV. MONIMENTVM. POSVI. IPSE 292. VlXIT. ANNIS. PLVS. M1NVS, 297. Vixit. annis. Iribvs. d. XXXII, 156. • — 341 — ETUDE SUR LINGUET par M. Henry Martin. MEMOIRE COURONNE PAR L'ACADEMIE EN 1859. ...Non, mon inebranlable fermetc n'est pas de l'egolsme : ou si e'en est an , e'est celui que Phonneur com- mande; celui sans lequel 1'horame n'est qu'un vil esclave et le dernier des etres. Malheur au lache a qui )a crainte de ses eunemis fait perdre la confianee en lui-meme, ou qui , par I'espoir de les apaiser , peut feindre un instant de ne plus s'estimer. C'est la le dernier degre de l'avilisscment. (Linguet, Annates politiques , tome II, p. 211.) Avant de servir de jouet aux esprits frivoles , le paradoxe a ete l'erreur du genie. Une verite feconde, une utile reforme degenerent bientot sous la plume du philosophe, lorsque, trop sensible aux atlaques des contradicleurs, il se laisse emporter dans une lutte oil le depit fait bon marche de la raison. Chez quelques ecrivains, cet entrainement a ele meme si frequent, les a egares a tel point, qu'on a pu, sans invraisemblance, les accuser d'un culte systematiquc 342 n ( our les propositions contraires a l'opinion commune et au plus vulgaire bon sens. De ce nombre est le publicists qui, dans la croisade du siecle dernier contre le vieil ordre social, a tenu avec le plus de fermete, peut-elre, le drapeau des novateurs, Linguet. Ce hardi raisonneur prend sa place au meme rang que les Encyclopedists, immediatement apres Rous- seau, donl la farouche eloquence releva la dignite humaine, et Voltaire, qui fronda les abus avec un discernement si merveilleux. Personne autant que Linguet n'a paye de sa re- nommee les saillies d'un caractere illegal. La lecture attentive de ses ecrits, et les souvenirs de la seule famille dans laquelle il ait intimement vecu, m'ont persuade qu'un coeur prompt a se pas- sionner elun esprit tropactif peuvent donner a l'ame la plus droite les apparences de la deloyauteV, et ternir aisement , pour des yeux prevenus, les plus beaux talents. Cettesensibilite excessive, quil'aegarecomme philosophe, lui a inspire, comme homme, les injus- tices que ses contemporains ont imputees a sa mauvaise foi. Aujourd'hui, assez loin des passions rivales pour mesurer leur influence sans la subir, suivons le cours de ses efforts, desessucces, de ses malheurs, et nous verrons, en faisant la part des faiblesses dont peu d'entre nous osent se flatter d'etre exempts, que sa memoire ne doit pas plus longtemps porter le poids d'un jugement si severe. Une etude sur Linguet peut se diviser en trois parties bien distinctes tant par la nature de ses travaux que par les circonstances de sa vie : La premiere, qui se termine a son entree au barreau de Paris, en 4770, comprend divers ouvrages pure- — 343 ~ ment litteraires, d'economie generale ct de philo- sophie ; La secondc occupe sa carriere judiciaire jusqu'a 1776, date de son exil ; La derniere periode embrasse tous les ecrits poli- tiques qu'il a publics a l'etranger ou en France, entre sa captivite a la Bastille et son agonie a La Force (1776-4794). Chaque epoque sera suivie de l'examen des pro- ductions qui lui appartiennent. 344 — PREMIERE PARTIE. — 1736-1770. A la suile des querelles religieuses qui avaient agile la fin du XVIIe dies premieres annees du XVIIIe siecle, le doulc avait penelre dans les meilleurs esprits. Plus la lulte avait ete effrenee, plus ses conse- quences devaient etre funesles. La controverse avait epuise les croyances; sans la severite prevovanle de Rome, il ne serait resulte dans l'Eglise, du choc de tant de plumes eminentes qui pensaient combattre pour elle, que discredit et confusion. Chacun consultait sa conscience, cherchant en lui-meme le secret de la nature, ou, ebloui par la decouverte recente de la loi qui preside au mouvement des mondes, demandait aux sciences naturclles la raison de l'univers. Une secte allait bientot naitre qui devait l'altribuer au hasard. La Cour, inquiete d'une pareille fermentation, maudissait la faiblesse de Louis XIV qui la lui avait leguee, et, pressentant que la chute du trone suivrait de pres les alteintes portees a la foi, reprimait avec rigueur les dernieres convulsions du scbisme. A cette epoque, un professeur du college de Reauvais, a Paris, ayant ete suspecte d'illuminisme, fut, par letlre de cachet du 17 Septcmbre 1731, prive de sa place et exile a Reims. — Ce fut dans cette ville, a laquelle se lient les plus purs souvenirs de la religion et de la monarchic, que, victime de loutes deux, il se maria, — 345 - et regul du Pharsale, .coiitait plusieurs millions d'hommes au » monde et depeuplait des pays entiei's. » De semblables propositions ne pouvaient manquer d'eveiller la curiosite dans un monde entbousiasle de libre-penser, au milieu duquel la hardiesse, avec quel- que apparence de raison , elail eneouragee par ton. L'auteur avail, sans doute, comple sur celle disposi- tion de l'esprit public ; le succes repondit a son attente. Au moment ou les journaux citaient une appre- ciation si nouvelle des conqueranls, l'Europe venait de perdre, en six annees,huit cent mille hommes dans vingt grandes batailles. La France, pour sa part, victime d'une alliance impolitique et d'une provocation deloyale, battue en Saxe, en Ilanovre , en Westpbalie, au Canada, aux Indes, sur la mer comme sur le continent, allait as- seoir une paix bonteuse sur de bonteux desaslres. Rien encore, il est vrai, ne presageait le traite de Paris. — Par une manoeuvre habile, le due de Cboi- seul , unissant la destinee de plusieurs Etats a celle du royaume, semblait avoir conjure son humiliation; a l'appuide celte union, douze bataillons partaient en Espagne. — Le prince de Bauveau , qui en regut le commandement, s'attacha Linguet en qualite d'aide- de-camp pour la partie du genie. A quoi celui-ci dut-il celte favour?- Ala recom- - 352 - rnandalion des cbefs dn parti unli-eneyclopedique qui etaient les familiers du prince, a celle de Tronson- Du-Coudray (1), son distingue compalriole, ou a ses eludes anterieures? C'est un point qui n'est point encore eclairci. Toujours est-il que le jeune lilte- raleur quilta Paris avec unc mission rnilitaire, et, conformement a l'ordonnance du roi du 11 Mai 1762, franchit les Pyrenees dans le courant de Juillet. Pen de jours apres parul Parrel de proscription des jesuites de France, echo formidable du coup qui leur avait ete porte en Portugal, et donl les deux mondes retenlirent. Ce n'est pas ici le lieu de nous arreler sur celle mesure , sur son histoire si curieuse, ni snr la savanle polemique qu'elle suscita. Toule- fois, a l'occasion de deux pieces manuscrites qui cou- rurent alors sous le norn de Linguet, et qu'il fit im- primer l'annee suivante, nous devons dire qu'une cerlnine con form ite d'opinion l'avait lie au P. Ber- liner. On a prelendu que celui-ci s'elait acquis le zele de Linguet pour la defense des jesuites, en lui pro- mettant la cession de son privilege au Journal de Trevoux, promesse qu'il aurait ensuiteeludee Cela n'est pas vraisemblablc. — II faudrait sup- poser dans ce jeune cceur, qui pechait par trop de lierte, une bassesse inadmissible ; — dans le pretre, une fourberie dont sa memoire eut conserve quelque cbose. — D'ailleurs, quelle probabilile qu'un ou- vrage, redige depuis soixanle ans paries ecrivains (I) Le pcre de l'avocat, officicr d'artillerie, esprit d'clile, cceur Renercux ; it offrit, un des premiers, ses services a Washington ; mais, pen apres son arrivee en Amerique, it peril emporte par la LU'lawarc, dans la terrible unit du -2h Deccmbre I77(». 353 - les plus considerables de la Gompagnie de Jesus, dut passer subitement aux mains laiques d'un jeune liomme qui n'elait connu ni par sa naissance, ni par sa position, ni par ses ceuvres? Admeltons plutol que Linguet se passionna since - rement pour une cause pleine de grandeur, a la- quelle un passe toujours militant, souvent glorieux, conciliaitde bautes sympalbies pros du trone el dans la sociele. (1763.) — Dans les premiers mois de I'annee sui- vanle, la pais europeenne est signce a Paris et a Hubertsbourg, le corps d'expedilion d'Espagne rap- pele et dissous. — Nous retrouvons Linguet parcou- rant seul, en vojageur sludieux , le bassin de la Garonne, puis celui du Rbone. A Lyon, il fail quel- ques tentalivcs dans l'industrie; elles ne reussissent pas. — II descend alors le Rliin. visite la Ilollande, admire ses grands Iravaux d'endiguement et de ca- nalisation, sa marine, son commerce, et s'entbou- siasme pour un peuple chez qui prosperent a la fois, dans les conditions les plus defavorables, Tindustrie el la science. En rentrant en France, a boul de ressources pe- cuniaires , il s'arrete a Abbeville. La veuve d'un libraire (dont le fds, A. Deverite, est auteur de la notice imprimee a Liege en 4782) logea le jeune voyageur. Le futur redacteur des Annates elait dans un denument lei (jue son hotesse dul avancer.les frais d'impression de ses premiers ecrits. Ici commencenl pour Linguet ces annees de mi- sere et d'obscurite pendant lesquelles l'esprit s'exerce, se fonifie et se iransforme, sorlc de novicial de la raison, qui doit etre laboiicux a peine de slerilite. - 354 - Les exemples no nianquent pas de talents engourdis durant celle epreuve. Depuis vingt ans meme, l'oi- sivele, mise en theorie, fait seele parmi les jeunes litterateurs. Quelques-uns , aveugles par l'amour- propre; entraines par des lectures decevantes, es- complent la moisson encore inceriaine, s'altardent eteternisenl une periode de transition. Linguet, loin de sa famille, de ses amis, eut a souf- frir de l'isolement et a le comballre ; les exigences ma- teriellesdomplerent savanile; — il futcourageux, per- severant et gagna, a force deprivations, de deceptions, de degouts surmonles, le droit d'ecrire plus tard : « Quiconqae, n'etant pas ne absolument depourvu » de toute espece de talent , on n'ayant pas eprouve a dans sa caducite des revers irreparables, nc jouit » pas d'une aisance honnele , peut etre justement » soupgonne d'inconduile. » Que de blames cette pbrase n'a-t-elle pas valus a sonauteur! On n'a vu que forfanterie et egoi'sme dans un conseil indirect a la Boheme de ce temps-la. Nous ne partageons pas la severite de Linguet, mais il nous semble que ses malheurs l'excusent. 11 songea d'abord a reconnaitre l'bospitalite qu'il recevail, — de son hotesse, en instruisant son jeune fils ; — de la ville, en ouvrant un cours gratuit de mathematiques aux officiers qui y tenaient garnison. Puis il publia divers memoires d'interet local, dont plusieurs furent pris en consideration. Quelques ecrits sur des reformes economiques et judiciaires, qui marquenl avanlageusement ses premiers pas dans la carriere des penseurs, sontaussi dates d'Abbeville. Pendant les dix-huit mois qu'il y passa, ses manieres ouverles, son esprit droit et ses talents gagnerent - 355 — lous les suffrages, el quand ties avis prevoyants le rappelerenl dans sa ville nalale, il laissa derriere lui les regrets les plus flatleurs. Son aieule malernclle lui representa qu'elle avail jusqu'alors eleve ses freres el steurs ; — mais que, ses soins allanl bienlot leur manquer, il lui appar- tenail, eomme a l'aine, dc soutenir el de dinger la jeune famille. — Penetre de son devoir, Linguel com- pril que ses qualiles personnelles seraienl sleriles sans une position sociale oil elles pussent trouver leur emploi et leur recompense. II commenca done sur- le-champ son droit a l'ecole de Reims, et, l'annee suivanle, obtint son diplome de licence. —La vie de province n'eut guere convenu a son activite inquiele ; curieux, d'ailleurs, de se fa ire connaitre autant que presse de s'enricliir, il partit sans retard pour le seul lieu du monde ou s'improvisenl honorablement la fortune et la reputation. A son arrivee a Paris, Linyuet entrait dans sa irentieme annee. — II etait d'une taille mediocre. Sa figure manquait d'embonpoint, mais non de regu- larity; un grand air de franchise y respirait. Toule- fois, la mobilite et fecial de ses yeux exlrememenl vifs et souriants vous frappaient au premier abord. « Je n'aime pas recevoir l'avocat de mon fils, dit, un jour, la duchesse d'Aiguillon a Lequesne ; il a lou- jours fair a la piste d'un scandale. « — Quoique la raillerie el fenjouement lui fussent habituels, il etait inlerieurement grave. Ce conlrasle a fait bien souvent et bien elourdiment suspecler sa sincerile ; — il n'etait, certes, pas bomme a deguiser ses rancunes. Avec une voix maigre, il s'cxprimait aisement. Unc conception promptc, jointc a un nalurel observalcur,. — 356 - rendait sa conversation brillanle et solide a la fois : par malheur, il ne savait pas ecouler. Qu'on joigne a ces dehors une naive bienfaisance, un cceur tropexpansif a la premiere caresse pour ne pas tomber dans l'exces conlraire a la premiere piqure, beaucoup d'ambition, beaucoup d'amour-propre , el Ton comprendra qu'il ait eu tant d'amis, s'en soit si souvent separe, les ait meme poursuivis avec la plus etrange ingratitude, sans, pour cela, s'etre enliere- ment aliene leur tendresse. A 1'epoque oil nous sommes dans la vie de Linguet, son amour de l'humanite n'etait encore mele d'aucune amertume. Prive de bonne heure des caresses maier- nelles, ayant a peine connu la douce morale du foyer domestique, dont l'ame recoil ses meiileures et plus durables impressions, il avait cette honnete timidite qui est parfois moins prejudiciable aux besoins du cceur qu'un abandon trop confiant. Rien ne faisait prevoir Tissue malheureuse de ses liaisons. En maliere de religion, nourri des lecons de son pere, inslruit par son exemple, il fuyait ces disputes que Massillon blame comme etant plutot des derisions secretes de la foi que les recherches respectueuses d'un vrai fidele. Nulle consideration, nuls entrainements ne lui ont fait trahir ces principes. Ainsi, on le voit, le jeune avocat apportait au seuil de la carriere toutes les qualites de l'esprit et le culle ardent du bien. Grace aux protections qu'il avait su se concilier a Abbeville, il ne resta pas inoccupe. M. Douville (1) (1) M. Douville de Maillefeu, ancien maire, alors conseiller au presidial tl' Abbeville. — ^57 - et un genlilhomme artesien, son ami, le marquis de Salpervick, lui adresserent bonnombre de causes por- teesen appel au parlement de Paris, duquel ressor- tissaient les presidiaux du Pontbieu et de PArtois. II ne plaida oralemenl que devant le parlement Mau- peou, a la fin de 1771 , mais ses debuls datent de 1765. La premiere consultation qu'il signa en fait foi (1). Elle accuse, des les premieres lignes, le sys- teme generalisaleur dont il nc s'est pas deparli. De nombreux memoires la suivirent, dont le principal merile est une grande force de deduction. Vint l'affaire du chevalier de La Barre.— Dans la nuit du 8 au 9 Aoutl765, un crucifix avail ete mu- tile sur le pont d'Abbeville. Le clerge du lieu, mal conseille parson depitcontre les enlreprisesdes philo- sopbes , mil saisir l'occasion d'enlraver les progres de l'impiete. A son instigation, le procureur du roi rendit plainle conlre trois jeunes gens soupconnes de ce sacrilege. L'aine n'avait pas dix-buit ans. lis furenl decreles de prise de corps; deux seulemenl purent etreapprehendes, le troisieme s'ecbappa. Par sentence du bailliage d'Abbeville du 28 Fevrier 1760, l'un des accuses presents, Lefebvre de La Barre, et le conlumace Moynel furent condamnes a etre brides vifs. Inslruit sur-le-champ, par M. Douville, du resultat de cette affaire, 6 laquelle l'opinion pnbli- que n'avait pas, jusquela, suppose tanl d'importance, Linguel accourut. Le mal n'etait reparable que devant le second degre de juridiction. II se rendit a la prison, (1) Memoire pour les abbe, prieur et religieux de Vabbaye royale de Saint-Valery. II se trouve, avec quelques autres du menie temps, a la bildiotheque de Reims. Les plus importants se trouvent dans la Collection Bassompicrre. La llaye, 177G II volumes. - 358 — ouil recjutdu eondamne la mission dc lc defendre au parlement de Paris, et, s'il succombait, au tribunal de la posterile. Dire qu'il s'est aequille de ce devoir avec le zele et la chaleur d'un ami de la verite, avecle denoue- ment d'un frere,c'est repeler ce quelespapiers publics et les temoignages parliculiers nous ont transmis. Le nom de Linguet esl lie dans l'hisloire a celui de La Barre, commc le nom de Voltaire a celui de Calas. Malheureusement, la defense ne fut pas libre; le par- lement, aveugle par une haine qui datait du minis- lere d'Argenson, ne voulut point ecouler l'avocat. - • « J'ai cssuye, dit-il, tous les deboires, tous les desa- lt gremenls imaginables ; on m'a lie les mains , on » m'a ferme la boucbe , on ne m'a pas permis de » publier la moindre chose pour sa justification. II a * fallu substituer aux ecrits imprimes, qui auraient o tout d'un coup instruit et desabuse lc public, des » demarches , des solicitations, des remontrances u manuscrites qui m'ont coule cent fois plusde peine, » et qui n'ont produit aucun effet. » Et confirmanl la sentence des premiers juges, l'arret du 5 Juin 1 76G decida, pour toute concession a l'hu- manile^ que La Barre serait decapile, aurait la langue arrachee, et que son corps serait ensuite brule avec le Dictionnaire philosophique. L'execution eut lieu sur la grande place d'Abbeville, le \er Juillet 1766. II faut tout dire, la nation ne desavoua pas d'abord cette monslrueuse injustice. Deux mois apres, le contumace, ayant ete arrele, rapporta dans son inlerrogatoire (7 ,Oclobre) qu'il avail entendu le jeune Douville , fils du conseiller, et Dumesniel de Saveuse, fds du lieutenant de l'elec- — 359 — tion d'Abbeville, chanter des chansons inipies. 11 n'en fallut pas davanlage pour qu'on les decretal de prise de corps (30 Octobre). lis avaient ele amis de La Barre, ses camarades de plaisirs; leur complicitc elait ma- nifeste. — On instruisit done 1'atTaire a nouveau. — Cette fois, elle cut une autre issue. Une victime avait ele immolee a la fureur insensee de la magistrature ; l'opinion publique, par'qui elle avait ete enlrainee , eprouva alors une reaction; elle accueillit avec gratitude la defense des jeunes gens, el sut gre aux avocats quilui fournissaient Toccasion de reconnailre sou egarement. Linguet, stimulc et non decouroge par son premier echec, implore, d'ailleurs, par M. Douville, trouva dans sa conviction, dans son amitie, assez d'eloquence et de chaleur pour dejouer les calculs de l'assesseur criminel , dont l'animositd n'elait un mystere pour personne. II ohtinl une sen- tence d'absolution. Ses consultations furcnt remar- quees , applaudies. Mais parmi ces temoignages de sjmpathie, il en fut qu'il regul avec quelque fierte: ce furent ceux qui vinrent de Ferney.— II jouit done pleinement alors, comme au temps oil ses triomphes d'ecolier etaient un hommage fdial , d'un succes auquel son esprit et son cceur avaient part. Pour- quoi devons-nous ajouter que, dans la seconde moilie de sa vie, nous n'en rencontrerons plus d'aussi purs ? II faut bien se garder, comme nous l'avons fait entendre plus haut, de juger Linguet sur tel on tel de ses actes ou de ses ecrits; lout, chez lui, est du premier jet. Une idee le frappc, el, sur-le-champ, il I'etudie ; elle prend telle ou telle couleur, selon la disposition d'esprit ou il se trouve. G'est une legerete - 300 — de bonne loi, a laquelle president 1'analyse et l'ob- servation. Aussi ne faut-il pas s'elonner des contradictions qui se trouvenl, a chaque instant, entre ses ouvrages et sa conduite. Jamais esprit plus versatile dans les leltres comme au barreau n'a donne tant de prise a la crili(]ue. Apres I'affaire La Barre, il ecrivait a M. Douville: « J'ai ose aller chercher la fortune a la suite des » grands. J'ai cm trouver la gloire et la considera- » lion dans la carriere des lcttres. Je me suis promis » de la douceur dans le commerce de ceux qui s'ap- » pliquent a cultiver leur esprit. b Ces ideeselaient flatteuses, et il a fallu du temps » pour m'en desabuser J'ai donne les dix plus belles » annees de ma vie a la poursuite de ces cbimeres ; t> et j'ai vu qu'apres bien des travaux, tout ce que je a pouvaisen altendre, e'etaient des sujets de chagrins » et de repentir pour le resle de mes jours. » Croirait-t-on quo, six mois apres, il publiait un ou- vrage purement litteraire? II est vrai que, darts la preface de cet ouvrage, il chercbe a effacer cette con- tradiction avec une naivete plus propre a la faire ressorlir : « J'ai vu que dans la litterature, en general, il est » bien plus difficile de se faire une reputation que de » la meriter. J'ai vu que la patience, l'intrigue et le » bonheur y conduisaient plutot que les tnlents. Ces » reflexions m'ont engage a quitter la litterature, a 1 lui preferer une profession plus noble parle prejuge » public , moins agreable, il est vrai, par les objels qu'elle embrasse, mais, certainement, plus utile par b ses fonctions. L'ouvrage que je laisse imprimer E - 361 - o aujourd'hui n'cst plusun relour vers une mailresse » avec qui j'ai rompu; c'est plutot le gage de la rup- » lure et la preuve que je ne veux rien conserver t qui me la rappelle. a On csl souvent mal inspire par Pamour-propre. Dans les pctites choses comme dans les circonslances graves, il faut s'en defier. Que noire merite personnel le justifie on que nos succes l'excusent, le moins qu'il puisse faire, s'il ne nous egare pas completement, c'est d'aliener nos droits a Indulgence. Linguet etait jeune , il ne rcsislail pas a rentrainement d'un siecle ou la vanite faisail cortege au talent. Enhardi, d'ailleurs , par quclques conseils indiscrels, jaloux de l'accueil fait aux Pkilosophes, il resolut de leur disputer une pari dans la favour publique. L'occasion etait favorable. Dans le temps memeou la Divinile.encourageanlles efforts liumains, permettait a la science de pen6trer quelques-unes des lois qui regissenl l'harmonie de l'univers, une philosophic superbe el impuissante niait la puissance divine ; comme si chaque pas que nous faisons dans les decouvertes accessibles a nos sens dut nous eloigner des veriles d'un ordre plus eleve. On a remarque ce fait, qu'apres chacundes grands progres scientifiques, le monde a eprouve une defaillance mo- rale, et est dcvenu la proie des schismesou desguerres religieuses. Mais il faut reconnailre en meme temps que la religion sortail plus pure de so luile conlre 1'he- resie vaincue , la sociele plus confianle et moins hostile a la conscience individuolle. En vain quekjnes vols glosaieni encore sur les origines, la foi et la tradition avaicnt reconquis leur empire, l'humanite reprenait sa marche. xxx . 24 — 362 — Les dernieres annees du regne de Louis XV portent cettefletrissure del'impiele erigee en systeme.contre- partie falale des conqueles du genie humain.— Apres Newton, Huyghens, Bernouilli, Euler, Mac-Laurin, Buffon, Maupertuis, l'atlention publique s'etait rejetee sur Diderot, Naigeon, d'Holbach et les gagistes de l'im- piete que ne desavouaienl pas leurs collaborateurs a l'Encyclopedie.Voltaire, premier soldaldel'incredulite, se defendail mal d'en parlager les exces. — II eut fallu alors la parole d'un Bossuet pour relever le decoura- gement universel et proclamer, avec toute l'autorite de l'erudition et de l'eloquence, les principes qui, seuls, respondent aux besoins de l'ame bumaine. ' C'esl a ce moment, au contraire, que Linguet, dans la Thcoriedeslois, niehaulement la loi divine anterieure, et, donnant pour origines a la propriete le brigandage et l'usurpation, en fait decouler le pouvoir du chef de famille. C'est quand une favorite dirige la main royale qu'il assimile la nation au troupeau rassemble par un chasseur adroit et fort, et, pour mieux insuller a sa faiblesse, lui vante les douceurs de la servitude. On pent comparer la societe d'alors a un malade que les philosophes trailaient par des reactifs. Comme tel, l'ouvrage de Linguet trouva des juges favorables. Mais, pour quelques voix amies, que de detracleurs! Le marquis de Mirabeau interrompit ses Elements de philosophic ruralc pour fulminer contre le jeune avo- cat qui niait , en matiere juridique , la revelation interne. Puis vint un concert de maledictions, dont les dernieres notes retentissaient encore aux oreilles du biographe de 4811 (1). (»; CifairsEZ , Annuaire de la Vnrne. - SOS - L'auteur, on 1c pensc bicn , nc manqua pas dc rc- pondrea ces attarjues; mais son emporlementl'egara. On excuse les poetes d'etre irritables ; cette tolerance, si elle ne s'elait pas inlroduile dans leur code a la fa- veur de la poesie meme, leur serait acquisc par pres- cription. Cependant toute tolerance a ses bornes; la fureur avec laquelle Linguet se dechaina conlre ses censeurs indisposa le public et l'enlraina lui-mcme a formuler les propositions les plus absurdes. De \ 767 a 1 770, il se rencontre avec les pbilosophes dans une serie d'escarmoucbes dont le Mercure, YAn- nee lilleraire et la Gazelle d 'agriculture sont le thea- tre. — Parfois il fait agir quelque grosse machine de guerre comme les Letlres sur la Theoric ties lois, YAveu sincere, la Pierre philosophale, les Lellres sur le Tacile dc La Blelterie , ouvrages eloquents, spiri- tuels, mais remplis de paradoxes. Toutes ces productions sont ecrites avec trop de chaleur pour que les erreurs qu'elles contienncnt soient l'objet d'un sysleme ; mais les ennemis de Linguet avaient beau jeu pour le denigrer : ils le firent avec acharnement. Sa personne fut aussi mal- traitee que ses ceuvres. La malignite devint si ardente que M. Douville , attache a l'obscurite par son carac- lere et par la nature de ses fonclions, s'ccarla de la loi qu'il s'elait faite a cet egard et pria Lacombe, fermier du Mercure, d'inscrer une leltre datee d'Ab- beville, 8 Juillet 1709, dans laquelle il reprenait vivement les agresseurs : « M. Linguet, que » vous accusez sans le connaitre , est un avocat dis- » tingue ; — il a Fame noble et une fierte coura- > geuse. — Je ne m'aveugle pas sur son merite , > parce qu'il est mon bienfaiteur, le defenseur de - 364 - 9 I'honneurde ma famille et du mien; — mais c'esl » par-dessus toul un honnele homme qui n'a contre » lui qu'une excessive modeslie et la haine des pro- » teclions... (1) » Linguet avail ete mis en rapport avec d'Alembert par un jeune avocat, son compatriote, nomme Lelhi- nois, que 1'auteur du Discours preliminaire s'etait attache en qualile de secretaire.— Disons, en passant, que ce jeune homme, apres avoir rendu de veritables services a d'Alembert , mourut, quelques annees plus tard, a 1'hopital de Reims, dans la misere el l'aban- don. Linguet apprit Irop tard celtc fin deplorable, qu'il eul certainement conjuree. Mais telle etait la haine deses detracleurs, qui reclamaienl si bruyam- ment en faveur de la charite innee et poussaient a l'H6tel-Dieu le chanlre de la Mori d'Abel, parce qu'il repudiait leur alheisme deguise , ou ne portaient a MaKilatre qu'une aumone tardive, dont ils avaient peut-etre calcule Finulilite. Ah! si quelque chose peut, autant que leur acharnement, excuser les sorties de Linguet contre les Encyclopedisles, n'est-ce pas eel egoiste savoir-vivre, premiere vertu d'une secte exposee seulement a des persecutions aussi inoflensives que flatteuses, et comblee, d'aulre part, de lous les dons de la richesse? On pense bien que d'Alembert, de quelque re- commandalion que Linguet se Cut prevalu aupres de lui, ne prit pas son parti dans la lulte de 1768 a 1770. D'ailleurs, une petite cause de mesintelligence s'etait produile entre eux. D'Alembert, consulle sur une prise d'eau, avail (J) >T*rcurt. Aout I7C'.). — 365 — donne par 6cril une decision erronee; le jugement ayant ete rendu conforme a celte expertise, la partie condamnee s'elait adressee a Linguet. Celui-ci avait etudie la question, reconnu Pen-ear ei J^mande sans bruit une retractation a d'Alembert. Lc philosophe avait refuse, puis, l'affaire etant venue en appcl, reg'u un dementi public par l'infirmalion de la sentence des premiers juges. Ce fut egalement pour n'avoir pas desavoue des critiques trop severes que les redacteurs du Mercure et ceu\ du Journal economique s'altirerent l'animo- sile de Linguet. Cetle exisience mililante fut devenue intolerable, s'il n'eut trouve quelque adoucissemenldans ses rela- tions privees. A l'affection que lui avaient vouee MM. De Sal- pervicket Douville, s'elait joinle I'amitie d'un bomme doux, honneteeibon, M. Lequesne, marchand d'etoffes de soie, a Paris. Cbarme de la cbaleur que Linguet avait mise pour ses interels dans une affaire heureusemenl terminee, il lui avait ouvert sa maison, et offert, au nom de M. Levasseur de Verville, son associe, de passer l'ete de 1769 a Pontoise, ou celui-ci residait habiluelle- ment. La, le jeune avocat, en confiant a ses botes les defaillances de son cceur et lous les besoins de sa position, avait resserre dans une intimite cordiale des liens qui semblaient devoir etre indissolubles. — Nous passerions sous silence ces rapports intimes, s'ils n^taient une partie inlegrante dc riiistoire dc Linguet, et si nous ne leur devions, par la tradition ou par ecrit , les traits de la physionomie de notre auteur qu'il importe le plus de faire connaitre. — 866 — II se trouvait done entoure d'appuis bienveillants et solides ; ses memoires pour les co-accuses de Labarre ct ccux pour Luneau de Bcisgermain, dans l'affaire contre les syndics et adjoints des libraires de Paris, lui avaient procure quelque relief au barreau ; il ne lui manquait plus qu'une occasion brillante pour donner carriere a son ambition et a son audace. Elle ne tarda pas a se presenter. Avant d'aborder cette phase brillante de la vie de Linguet , jetons un coup d'oeil sur ses premieres productions. Quelques-unes traitent d'histoire ; nous commen- cerons par clles. Et d'abord, une observation generate qui s'applique a toutes : il n'y a, en quelque sorte, pour Linguet, de faits prouves que ceux sur l'authen- ticite desquels tous les bistoriens sont d'accord. Ainsi, des les reflexions preliminaires du Siecle d' Alexandre, il conteste a l'Egypte ces inventions admirables dont les annales du monde y placent le berceau. S'il n'affirme pas formellement que la civilisation ne doive rien a ce peuple industrieux, patient et sage, chez qui Solon, Thalcs, Platon, Pythagore sont alles recueillir les notions des sciences dont nous benissons aujourd'hui la fecondite, peu s'en faut qu'il ne biffe d'un trait de plume tous ses droits a la reconnaissance du genre humain. Que prouvent contre les Egyptiens certains recits merveilleux de Diodore et d'Herodote dont s'effarouche tant Linguet, sinon l'admiration pro- fonde, tradilionnelle, de l'Europe naissante pour le vieux Nil? A mesure que la lumiere penetre l'histoire, ne voyons-nous pas cette admiration grandir en sejus- tifiant, de superstitieuse et confuse , devenir nette — 307 — et consequente, et ne serait-ce pas un outrage a la verit6, comme un vrai malheur pour les lctlres, si on en effacait l'expression dans l'cnseignement de Rollin, dans le discours de Bossuet? II serait pueril d'enlreprendre cetle these de nos jours, ou de nou- velles decouvertes apportent, d'heure en heure, de nouveaux arguments. Plus loin, c'est Rome , a qui l'auteur reproche d'avoir, sous le quatrieme roi, divinise une cour- lisane ; — mais, outre le peu de creance accorde par les historiens a ce fait, que signifie une pareille critique? a quoi tend-elle? Plus loin encore, c'est Sparte soumise a une cen- sure aussi oiseuse, c'est sa legislation analysee avec la plus grande faiblesse de raisonnement. Linguet n'ignorait pas, lui admiraleur si declare de Plalon, le tableau qu'en a fait ce philosophe au septieme livre de sa Republique, pas plus qu'il n'ignorait le recit de Crilias sur les Egypliens dans le Timee. Les lellres du fondateur de l'Academie et le mot de Philoxenus lui etaient egalement connus, ce qui ne l'a point empeche de doter Denys le Tyran d'une tolerance improbable pour les philosophes. La secondc partie de l'ouvrage conlient une sorte de plaidoyer en favour du meurtrier de Clilus, plai- doyer faible, parce qu'il n'est pas echauffe par la conviction, parce qu'Alexandre ne peutr ecbapper a l'imputabilite de cerlains crimes accomplis froide- ment : le meurtre de Callisthene, ,de jPhilolas , de Parmenion, de Betis, ses faveurs pour Feunu^jue Bagoas, l'embrasement de Persepolis, etc. — II faut ajoutcr, toulefois, qu'il y a de bonnes pages au mi- lieu de ces paralogismes, oil la couleur, le mouve- - 3G8 — - mcnl du style caplivent. Les conquetes d'Alexandrc, par exemple, sonl Iracces avcc une chaleur et une verve juveniles, el Ton serait conduit sous ce cbarme jusqu'a la fin du volume, si, tout-a-coup, une lourde glose des hisloriens qui ont eerit l'expedition des Indes ne frappail morlellement l'atlention. En somme, peu de recherches qui aient enrichi l'histoire et un parti- pris constant d'originalile. Ecriles avec plus de soin, les Revolutions de I' Em- pire romain, que Linguet destinait a faire suite a Hiis- toire deYcrtot, inanquent encore des qualilcs essen- tiellesaux ouvrages de celte nature. Les hardiesses de jugement ne sont pas toutes heureuses. On se laissera parfois aller a y applaudir, mais, quand la reflexion les aura depouillecs des artifices d'un esprit inge- nieux et d'une plume elegante, il n'en restera rien de serieux. Avant tout, pour ecrire sur ces matieres, il faul de la bonne foi et une grande independance de jugement, sans pour cela rejeter par principe les opinions du passe. « Je me suis propose, dit l'auteur, de tracer un t> cbemin inconnu aux anciens hisloriens, d'ouvrir » un passage a Iravers les prejuges de 1'esprit de » parti; — j'ai tache de dislinguer et de suivre la » raison, malgre les lenebres qu'ont repandues sur » le chemin la haine et l'adulation, les panegyriques » el les satires. » A la bonne heure ; mais pourquoi tailler et ren- verser sans plus d'attenlion et d'analyse? Pourquoi traiter tout d'abord Suetone de romancier, Tacite de eourlisan, Dion de rheteur babillard, pour jeter, sans pieces a l'appui, le blame on le mepris sur les empcreurs donl ils t'ont Telogc , et faire celui — 309 - tics lyrans qui onl Iraine le no in remain dans la debauche el dans le sang? — Quiconque lira avec attention les deux volumes dont se compose cet ou- vrage, y reconnaitra la maniere d'un historien con- somme et tout ensemble la legerete d'un esprit frivole. A cote d'une vigoureuse combinaison des evenements favorables a la conclusion premedilee, un manque complet de couleur locale , un mepris insolent des sources ; aupres d'un expose clair et concis de la poli- tique d'un Cesar, le tableau prolixe des intrigues de sa cour ou le detail inutile des rivalit£s entre senaleurs. Dans VHistoire impartiale des Jesuites, Linguet ap- porte plus de profondeur, une plus juste application de sa tendance au renversement des opinions accre- ditees. L'ensemble des travaux de cet inslitut admi- rable prend, sous la plume de l'historien, des pro- portions saisissantes. On assisle avec interet a ses developpements successifs, dus a une cohesion, a un ordre que l'exil, le marlyre et les persecutions de tout genre n'ont pu enlamer. Cet ouvrage est dedie au roi de Prusse ; non que l'auteur ait eu pour but de gagner sa protection, mais il rendait ainsi hommage a 1'im- partialile de Frederic II , a l'egard d'une compagnie aussi celebre par ses malbeurs que par les services dont elle a paye noire cruel aveuglement (1). fl)« Vous direz a qui voudra l'entendre , ecrivait ce prince a » son representant a Rome, vous direz au Pape ou a son premier >■ ministre que, touchaut les Jesuites, je les conserverai dans mes " Etats J'ai garanti au traite de Breslaw le statu quo de la religion » catholique, et je n'ai jamais trouve de meilleurs pretres a tous » egards que les Jesuites. Vous ajouterez que j'appartiens a la » classe des heretiques, et qu'en consequence, le Saint -Pere ne » peutme dispenser de l'obligalion de lenir ma parole ni du devoir » i\\u\ honnete homme ct d'un roi. » - 370 - Nous ignorons si le caractere oil lc talent de Linguet furenl jamais sympalhiques h Frederie II ; il n'en existe pas de trace. On a cru a tort voir le portrait du jeune avocat a la fin de l'epitre a Finck (1). II fallail des fiatleurs ct des hommes de science a la cour de Prusse. Des reveurs trop hardis s'y seraient trouves mal a l'aise. J. -J. Rousseau n'aurait pardonne de sa vie a mylord Marechal , si cclui-ci l'y eut in- troduit. L'Histoire des Jesuilcs renferme de vrais morceaux d'eloquence , notamment dans le second volume , au chapitre qui traite de la participation supposee des Jcsuites au meurtre de nos rois, et a la fin, lorsque l'auleur evoque le souvenir des hommes illustres sorlis des rangs de la compagnie. Une grande nellete de vues, beaucoup de methode et des jugements tres-lucides recommandent deux autres volumes publies par Linguet a la meme epoque : ils ont pour litre : Hisloire univcrselle duXVIa siede, — four [aire suite a celle de Hardion (2). C'est un long tableau. On peut en suivre les details sans que la division par periodes et par pays nuise a l'ensemble, l'auleur ayanl eu soin de mettre habilement en scene, a chaque fait general, les peuples quiy ont pris part, et d'exposer la situation politique de l'Europe avanl le recit de tous les evenements qui l'ont modifiee. 11 faut citer encore, pour n' avoir pas a revenir sur les travaux historiques de Linguet, YEssai sur le mo- nachisme, ecrit en 1775. Cet ouvrage prend le clerge (1) Poesies du philosophc de Sans-Souci, page 192. (2) Composee par ordre de Mesdames de France. Les cinq pre- miers volumes avaient paru en 175i. — 371 — re"gulicr a sa naissance chez les Chretiens orientaux ; il eludie les pratiques des premiers anachoreles, l'e- tablissement des monasteres, les prodiges accomplis par les moines sous le despotisme eclaire des abbes, puis rintroduction du monachisme en Occident. On y Irouve une appreciation fort juste et fort attachantc des progres de l'ordre de Saint-Benoit et de son in- fluence. Une part equitable y est faite a l'appui que les ordres mendiants ont pret6 au Saint-Siege comme a l'emploi criminel qu'ils ont fait du sacerdoce pour soulever les peuples et inquieter les gouvernemenls. En somme, c'est un des bons ecrits que nous ayons sur cette matiere. Son litre n'est guere justifie, parce que la philosophic n'y joue pas un role appreciable ; a cela pres, c'est un essai tres-heureux. L'hislorien ne doit prendre aucunc place dans son recit , ni donner aux fails une couleur qui lui soit propre. Linguet semblait acquerir graducllement le calme necessaire, quand on le vit tout-a-coup se jeter dans un genre ou sa sensibilite ful plus a l'aise. — Mais qu'il defende la vie do Labarre contre un fana- lisrae inhumain , qu'il dispute aux calomniateurs, apres l'6dit de 47G2, l'existence morale des Jesuiles, ou qu'il reclame, comme nous l'allons voir, des reformes dans l'administration judicioire et dans la repartition des impots, c'est toujours un sentiment genereux qui l'anime. Fruit hatif d'une science encore confuse, ses ouvra- ges economiques ont les vices originels : le desordre et l'incerlitude. Ce ne fut pas l'enthousiasme cepen- dant qui fit faute au developpement de la physiocratie; ce ne furent ni les encouragements d'une aristo- cratic aveugle, ni les rigueurs impolitiqucs des minis- — 372 — Ires; lout cela, au contraire, entoura son berceau. Q'avait ete en haine de la tolerance de d'Argenson que Machault et ses successeurs avaient comprime l'elan d'une secte deja propre a servir l'etat. — Le systeme prevoyant el conservateur de ce ministre a cerlainemeni ameliore la situation financiere; mais il est incontestable que, si les reformes tentees plus tard par Turgot eussent ete preparees de longue main, leur introduction se fut faite sans dechire- ment. Quoi qu'il en soit, l'opposilion que rencon- trerent les premiers economises seduisit la noblesse ; elle les prit sous son egide, s'y agregea dans la per- sonne de ses membres les plus puissanls , et, de ce jour, la haute sociele begaya, sans les comprendre, les termes nouveaux d'une science qui ne pouvait resolument progresser que sur ses depouilles. Le marquis de Mirabeau sortait a peine de la Bastille, lorsque Linguet, reprenant les plus hardies propositions de la Theorie de Vimpot, et partant du meme point , leur appliqua, dans la Dixme royale, une autre direction. Les rapports de l'administration avec les conlribuables, le role que joue la propriete dans la constitution de l'etat, le principe de la con- tribution territoriale sont identiques chez les deux ecrivains ; mais la se borne la parente de leurs speculations. Les vues du marquis de Mirabeau sont plus profondes, plus elendues et plus sensees. La Dixme royale s'arrele a un mode de perfection tres- imparfait d'ailleurs, conforme au memoire de Vau- ban, qui en est la source. Tous les ecrils de Linguet sur la matiere econo- mique manquent de lucidite et de sagesse. 11 pretend resoudre loutes les questions sans les avoir eludi^es. — - 373 - Les finances du royaume sonl-ellcs embarrassees? Vendez les biens du domaine pour acquilter les dettes de l'Etat. — Le commerce paie-t-il en discredit la ges- lion maladroite ou la dilapidation du tresor public? Ouvrez vos ports a l'etranger, recevez ses marchan- dises libres, {ranches de toute visile et de lous droits. Quesnay, Adam Smith , Mirabeau ont traite ces questions, on sail avec quel cxamen. Linguel no previent aucune objection ; il croit avoir trouve la solution du problcme, etne prend pas meme la peine de nous dire quels raisonnements l'y ont conduit. Est-ce a la meme legerete que nous allribuerons son decouragement devanl la premiere difficulte de l'equilibre social? II deplore la pauvrete, la depen- dance, et s'arretea la resignation comme a une source de bonheur. El cependant, lorsqu'il vent nous con- vaincre des avantages de la servitude acceptee sans arriere-pensee, on sent courir sous sa plume un fremissement d'indignalion. « En llollande, le paysan va a la corvee comme » chez nous; vous voyez, le long des canaux, des » piliers blancs qui marquent l'ctendue de terrain » que chacun doit enlrelenir, et qui annoncent au a loin la servitude dans le sein de la liberie. Tn » examen bien reflechi ferait peut-etre evanouir cc » fanlome de liberie comme la fumee de leur tourbe, i qui de loin presenlc un nuage epais , el que le i> moindre vcnldissipe. — 11 n'y a , sur toute la sur- » face de la lerre, qu'une race d'hommes libres et » heureux autant que leurs passions leur permetlent » de l'etre : ce sont les riches. Ceux-la, par lous pays, » peuvenl avoir idee de l'independancc el du bonheur ; j mais le sort de tout le reste est parfaitement — 374 — » semblable sous tous les climats ct sous tous les > gouverncments: le travail, labassesse et la misere, » voila l'apanage de la plus nombreuse parlie du » genre bumain. Cette position est triste, sans doute, » mais elle est inseparable de la societe. C'est une » cbose dure a penser et pourlont incontestable, qu'il » faut necessairement que les trois quarts des » bommes soient reduits par l'indigencea un travail » incessant. 11 faut que leur pauvrete laborieuse » nourrisse l'oisivete opulente de l'autre quart qui » les gouverne (I). » Diderot a-t-il plus vivement peint l'avilissement do l'espece humaine et mis au cceur du peuple, avec des raisonnemenls plus specieux, un levain plus amer? II opposail l'humiliation d'une partie des hommes a la grandeur de la nature: — Linguet met- tait en presence de leurs ennemis les viclimes de l'inegalile des conditions. — Assuremenl, 1'homme qui raisonnail ainsi devait rencontrer Brissot, et donner a la fois, pour les unir, une main aux libres- penseurs et l'aulre aux bommes d'action. Et ailleurs : « Je ne vois jamais un homme ricbe 5 dans l'eclat de l'opulence, que je ne me le repre- » sente porte sur les epaules de tous les malheureux » dont les travaux servent a le nourrir ou a le pa- B rer> j — N'est-ce pas la cette a exploitation de 1'homme par 1'homme » qui, dans nos dernieres guerres civiles, a recrute les factieux? Pour nous, il y a, entre la pensee de l'ecrivain et le but avoue de (1) Canaux navigable* , tell. 28, p. 163. — L'objet de cct ou- trage est l'etablissement d'un nouveau port a rembouchure de •laSonimc, et la canalisation de cette riviere depuis Amiens. — 375 - sa parole, une contradiction manifesto, el l'on par- tagera noire conviction en medilant ces reflexions desesperanles qui lerminent le second volume de la Thcorie des lois : « Aimez les homines, soulagez-lcs, dit l'auleuraux » philosophes, mais ne leur inspirez pas de degout » pour leur elal : ce serait une cruaule. Ne voyez- » vous pas que l'obeissance, l'aneantissement, puis- » qu'il faut le dire, de cette nombreuse partie du » troupeau , fait l'opulence des bergers? — Si les » brebis qui la composent s'avisaient jamais de pre- » senter leur tete au chien qui les rassemble, ne » seraient-elles pas bienlot dispersees, detruites, et > leur maitre mine? Croyez-moi, pour son inleret, j pour le votre et raeme pour le leur, laissez-les » dans la persuasion que ce roquet qui les aboie a » plus de force a lui seal qu'elles loutes ensemble. j» Laissez-les fuir slupidement au simple aspect de » son ombre. Tout le monde y gagne. Vous en avez » plus de facilite a les rassembler pour vous oppro- » prier leurs toisons. Elles sont plus aisement garan- j ties d'etre devorees par les loups ; ce n'est, il est J vrai, que pour etre mangees par les bomnies. Mais, » enfin, e'est la leur sort lorsqu'elles sont enirces » dans une etable. Avanl que de les y souslraire, t renversez l'etable, e'est-a-dire la sociele. » De bonne foi, est-ce la 1'hommage sincere de l'esclavc benissant a genoux le fouet qui dechire ses epaules? Pour qui eel eloge del'asservissement el dela bassesse est-il le cantique d'un cceur reconnaissant? — Certes, l'bomme qui penserail ainsi, s'il s'en rencontrait ja- mais un, ne ravoucrait pas sans mourir de honle. Et Linguet, si fier par sa nature, si impatient du - 37G - joug, jetont sans cesse a la face du genre humain le tableau de son abjeclion, n'est pas cet bomme-la. Les ecrivains qui l'ont accuse de lachele sont ceux qu'a domines son eff rayon te logique ou qui ont feint de s'y laisser prendre pour I'accabler plus aise- ment (I). Assurement, misc en regard de l'histoire, sa doc- trine est sans replique. Aujourd'hui encore, il est impossible de nier qu'une volonte souveraine, res- pectable par elle-memc aulant que par sa mission, soil plus propre a assurer notre bonheur que l'ap- plicalion absolue du principe egalitaire. Mais, a l'ombre de ce pouvoir, les idees liberties peuvent se developper et murir. L'auteur de la Theorie des loin ne pouvait rien allendre de sem- blable du regime corrompu sous lequel il vivait, et en presence du mauvais vouloir dont on accueillait alors les meilleurs plans de reforme. Nous le verrons, a l'avenement de Louis XVI, sa- luer l'aurore d'une revolution pacifique, el, toujours consequent avec lui-meme sur ce point, maudire plus tard les exces d'une liberie prematuree. La plupart de ses contemporains ne s'y sont pas mepris. C'est a lui que la jeunesse republicaine a (1) L'abhe Mortllct et Deverite, nolamment, au siecle dernier, et, tlans celui-ci, Gardaz et Lemonley. — D<-s 1787, Linguet, re- pondant aux deux premiers sans doute, disait : « On est parvenu » a proscrire la Theorie des lois , et a la faire regarder comme « 1'ecolc du despotisme. Si les i artisans du despotisme avaient » eu le meme interel a la decrier, il ieur aurait etc Lien plus aise » de la condamner conirji5. 1'ecole de l'independaace. En efTet, il » y rogne d'un bout a Pautre une fierte republicaine qu'il fallait » toule rimpudeur de mcs detracteurs [)our travestir en servi- o lite. »' Annates, t. XIII, n» 97.) - 377 — adresse son premier elan d'enthousiasme, comme aw plus courageux de ses chefs. Et, en effet, quel no- valeur eut aussi hardiment attaque les abus? « Les impots sont arraches aux conlribuables » d'une maniere cruelle, dit-il dans la Dixme royale. » Sans parler de la corvee par on s'ecoule tout le » sang de la campagne, il y a les grilles de la finance, » soit ferme, soil regie, et cetle multitude d'ongles » aceres qu'elle fait mouvoir et qui ne servent qu'a » deehirer en detail et a loisir tons les membres de » l'Efat dont clle suce le sang. Pourquoi cet etat de » choses ? G'est qu'il y a autour du Irone deux » mille voix eclatanles qui etouffent la timide et » rnodeste verile; e'est que des barrieres infranchis- » sables en ecarlcnt les larmes du peuple; e'est que » du sang de cc peuple ecrase , la finance tire un b peu d'or au moyen de ces cours souveraines , » tribunaux avides et impies que signale ^execration » publique ! » Ce livre paraissait deux mois apres la rigoureuse ordonnance du 28 Mars 4764- (1); on pent, d'ailleurs, se faire unc juste idee de son audace, en parcourant les registres des prisons d'Etat de 1764 a 4770. Comme philosophe , Linguct est plus habile que raisonnable. Cependant , la Theorie des lois et ses deux annexes (2) n'ontelejugees que par des critiques legcrs on malveillanls. Les premiers font prise, sans favoir etudiee, pour texte d'une refutation de Hobbes et dcBenlham; les seconds se sont amuses (1) Rendue a llnstigation du contrpleur general Laveniy. (2) Lcltres de la Theorie des lois (1771); — Du pins heureuir Gouvernement (1774). XXX. 25 — 378 — a coudre ensemble plusieurs propositions extraites de ci et de la dans l'ouvrage, pour en faire une mosai'que choquanie qui n'appartient pas plus a Linguet que le Centon nuptial d'Ausone n'appartient a Virgile. Si la philosophic de la Theorie des lois manque de gran- deur, elle est pleine, au moins, de suite el de clarte. A Fexemple des sophisles grecs deja confirmed par l'Angleterre , Linguet nie , le premier en France , l'existence d'un droit nalurel anterieur a l'existence des societes. II etudie ensuile la propriete, qu'un pu- bliciste a, de nos jours, si habilement egaree dans ses rapports avec la production, et en fait la clef du systeme social. Selon lui, l'espril de propriete fit du mariage une servitude reelle, donna naissance a la poljgamie. « Les femmes perdirent leur liberie , mais elles j gagnerent un defenseur interesse a les proteger, » et cette dependance dcvinl plus utile pour leur » faiblesse que le libre usage de leur volonle n'aurail » pu paraitre agreable a leur orgueil (i). « II va plus loin. Triomphant sans peine de Hobbes, pour qui la mere possede seule tout pcuvoir sur son enfant, il allaque les sages conclusions de Locke, renverse le double appui dont la nature a enloure le berceau des hommes, et, apres avoir fait de l'union conjugale une sorle demarche, adjuge, avec Grolius, le fils au pere de famille, comme la chose dont il a la complete disposition. Ecoutons l'auteur de la Theorie des lois developper les avantages de ce dominium palernel et l'etendre a la sociele. — « La puissance paternelle est beaucoup (I) Thcor. <.h>s loin, liv. Ill , ch. 26. - 379 - > plus proprc quo la civile pour etefnisef les liaisons » Jes differents degres do la hierarchie socialc. Elle » agit dans lous les temps et avec la rneme vigueur. » Elle n'a besoin ni d'assistance pour faire reporter » ses ordrcs, ni de formalites pour les transmetlre ; » ils sont aussitot connus que donnes, et aussitot » accomplis que connus. Comme le pouvoir dont ils j emanenl est presque infini et que le terrain ou it » s'exerce est Ires-borne, l'cloignement ne sauraitles » affaiblir, ni la distance les denaturer... Les princes » devraient done etendre les droits du pere de famille d et s'en approprier les eflets : ce serait prudent et » logiquc. Car, enfin, si, des que je suis en age de » me conduire moi-meme, je deviens par cela seul j egal a mon pere, pourquoi ne le serais-je pas, par » la merae raison, a mon roi (1)? » De la question fociale , il arrive ainsi a 1'organi- sation politique, et , appliquant a la nation sa Iheorie le la famille, en admet toutes les consequences. Pour lui, le depositaire de l'autorite souveraine, sorli lu suffrage, n'a besoin i:i de pretoriens ni de slrelitz :ilus disposes a exploiter sa faiblesse qu'a le consolider. 11 est, par sa nature, aussi invulnerable aux insur- rections parlielies, comme la Fronde, qu'aux complots les meconlents, comme ceux de Cinq-Mars et de Cellamare. II est soumis lui-meme a la loi ; s'il la transgresse, un soulevement general le detrone, il n'y a pas d'autre issue. Nous ne voyons pas la la theorie egoiste de Bentham , nous y voyons moins encore Yimperium illimite de Hobbes, qui fait du roi l'ame de l'Etat, injusticiable de ses sujets pris individuel- [l) Theor. des his, li\. IV, ih. 32. — 380 — lemenl ou colleclivcment, el a qui chacun doit obeir, « ni vditpotms mori (1). » C'esl plulut noire monar- chic a sa naissance, avec l'accord lacile qui liail la nation au souverain. — Quand Louis XII, par l'edit de 1499, abdiqua l'autorite sans controlc de ses pre- decesseurs, il ne se placa pas entierement au rangde ses sujefs relalivement a la loi, car la puissance legis- lative reslait dans sa main; mais le principe etaitpose, le pacle constilulionnel elait en gernie dans la societe franchise, c'clait a la philosophic de le feconder. Ce qui domine tout le systeme politique de Linguet, c'est l'exclusion des corps intermediaires. Quelques lignes resument ses griefs contrc eux. — « Les regnes » de Henri VIII et de Cromwell ne justifienl-ils pas » celte maxime que j'ai ose le premier avancer, ct » qui est l'abrege de toute la veritable politique, que » les corps sont bien plulol les armes du despotisme > que les gardiens de la liberie ; qu'un peuple oil il h se forme des compagnies intermediaires sera asservi » sans retour, lorsqu'ilse trouvera a sa tete tin homme h qui sache en faire le seul usage auquel dies sont i propres? Ces compagnies sont le lacet passe au cou » du patient : il ne l'incommode point lant qu'on ne » le tire pas, il l'etrangle des qu'une main vigou- » reuse le serre (2). » La Theoriedes lois souleva nombre de critiques qui, aux yeux de Linguet, representerenl autant d'cnnemis. II ne manqua pas d'y repondre. C'est a sa querelle ronlre le parti philosophique que se rattachenl plu- M) Elem. phil. — De Civ. Liberty f. I, S XIV; liniuiium .-. VI, § IV. (2) Annates, 1" vol., ». 300.. — 381 - sieurs brochures de la merae epoque : Reponse aux doctcurs modernes, la Pierre philo&ophalc , YAveu sincere, le Fanatisme des philosophes. Un mot de Seneque les resume toules : Postquam docti prodierunt , boni desunt (1). Pour lui, il n'y a pas un hommc ami du bien qui prenne le nom de philosopbe : « Celui-la , dit-il , est vraiment lache. » Son cceur, fletri par.les pretendues lumieres, n'est » accessible qu'a la peur; desabuse sur les mots dc » patrie, d'honneur, de devoir, accoutume a les » dissequer, a en exprimer les rapports, il n'cu con- » nait plus ni la force ni la douceur. C'est un vil es- » clave pret a se revolter des que le maitre aura tourne » les yeux et suspendu son fouet (2). » En maliere de juridiction, ce sont les justices sei- gneuriales qu'il prend a parlie. II allribue a leur con- servation la decadence des presidinux, qui sont pour lui les tribunaux les plus utiles et les moins favorises du royaume. II combat Montesquieu pour s'etre pro- nonce en faveur de la justice des seigneurs, et le refute avec autant de raison que d'esprit. On lira avec plaisir, au milieu d'une eloquenlc critique de ces juridiclions, un tableau du bailli en fonctions. L'auteur nous le rcpresente arrivant crolte au village, s'arretant au cabaret et y etablissant son siege. — « II est allere » aussi, et il boit; il boit encore avant d'ecouter la » plaidoirie; il fait boire le procureur fiscal, le gref- » tier, et les plaideurs meme, s'ils en ont envie; » il ne s'inquiele jamais de l'ecot , parce qu'il sait o bien que ce n'est pas lui qui le paiera. Ce n'est pas (1) Epist. XGV. (2) L'Aveu sincere, edit, de Lond. 1778, p. 73. — 382 - i lout ; par delicalesse, il ne se charge pas de de- ft cider lui-meme. II veut juger d'apres la consullalion » de quelque avocat de la ville prochaine. II va le » trouver, et, comme on le pense bien, ce n'est pas » a ses depens. Intervient une consultation que les » parties ont encore a payer, et, au bout de tout cela, » elles n'ont pas memo un commencement de sen- > tence (I). » I/administration avait trop inleret a former Toreille a ces plaintes ; l'ordonnance de 1774, en elendant la juridiclion des presidiaux, leur donna quelque sa- tisfaction, maiscene fut qu'a la veille de la Revolu- tion qu'on y acceda enliereinent (2). Un dialogue sur la venalite des offices de judicature clot le livre (3). Linguet y flelrit le premier, dans Montesquieu, la justification de cet attentat permanent a la vie, a l'bonneur et a la fortune des hommes. Quant a la partie purement litteraire des ecrits de Linguet, il faut citer, outre quelques vers tres-me- diocres inseres dans V Almanack des Muses, la trage- die de Socrate, qui est une paraphrase dialogue©, en vers faciles, des poemes philosophiques de Vol- taire. — Elle n'a pas ele mise au theatre et n'y eut pas reussi, a raison du manque d'interet. Un extrait de l'unique scene digne d'altontion vaudra mieux que la meilleure analyse. — Un rival de Socrate le visile dans sa prison : ANHTJS. Je ne me pique point de preeeptes sublimes ; Je vais en peu de mots t'explkiuer mes niaximes. . . . (1) Edit, de 1764, p. 57. (2) Art. 4dudecretdui Aoiit 1789. (i) Necessite d'une reforme dans {administration ile la juriiet rn France, 1761. - 383 — ... Tu peux leur comparer celles de ton ecole. Jc reexamine point, par un desir frivole , Si ces Dieux de tous tciups par le peuple adores Sont, comme tu le crois, des mcnsonges sacres Qui, nesde limpobtuie et de noire faiblesse , Out acquis du pouvoir a force de vieillesse , lit rcndeut respectable aux stupides huniains Le fruit de leurs erreurs, l'ouvragc de leurs mains. Tu vois que, si ces Dieux sont faibles, meprisables, Leurs pretres out, du moins, des armes redoutablcs ... Pourquoi melt re au creuset les reves de nos peres? Au lieu de travailler a les decrediter, Au lieu de les combattre, il faut en profiter. Cost la l'unique but, le triomphe du sage. SOCRATE. Je t'entends. L'ambition du sage onfante les oraclos, Sur les aulels des Dieux prodigue les miracles, Montre au peuple le crime adore dans les cieux, Fait naitre 1'apparcil qui frappe ici ses yeux, Et tons ces dogmes vains qu'il ne saurait comprendre. AMTUS. 11 les mepriserait , s'il pouvait les entendre. Va, crois moi, pour penser le peuple n'est pas ne. 11 faut, pour son bonbeur, qu'humblement prosterne Aux autels de ses Dieux, sous la main de s es pretres, 11 adore en tremblant !e pouvoir de ses maitres. . . . ( Acte IV, sc. l".) Voili encore les principes de la Thiorie des lois; et ce n'est pas au philosophe qui a le beau role dans la piece que Linguet les prete : mais nous n'a- vons pas besoin de cet exemple pour prouver qu'il ne les a jamais parlages. Les epilres en vers repandues manuscrites en 1762, et relatives aux Jesuiles, sont pleines de verve. C'estle style de la Chartreuse de Gressel et la cba- leur un peu manieree des Heroides de Colardeau. - 384 DEUXIEME PARTIE. — 1770-1776. Un matin de Fevrier 1770, le due d'Aiguillon, accompagne du chevalier d'Abrien , son intendant, se fail annoncer ehez Linguet. « J'ai besoin , lui dil-il, d'un hommc nouveau j> comme vous, dont la fiertc soil assez connue, tou- » tefois, pour qu'on ne l'accuse pas de se vendre, qui » ait voire hardiesse et vos talents. Youlez-vous elre » mon avocat? » Linguet n'avait jamais vu le due d'Aiguillon ; il ne connaissait les affaires de Bretagne que par le compte- rendu des gazettes : cette proposition le surprit. Elle lui faisait d'emblee un avenir brillant, lui assu- rait, au cas oil il l'aurait acceplee, les secours pecu- niaires qui sont parfois un abri contre les faiblesses de l'ame, et lui donnait, par la nature du proces, un role politique, en quelque sorte, qui convenait a son ambition. 11 ne l'accepta pas tout d'abord, cependant. II voulut s'assurer qu'on ne lui offrai't pas un mandat perilleux pour sa conscience, et demanda aux visi- teurs le temps d'examiner les pieces de la procedure avant de se prononcer (1). Onsaitdans quelles conditions desesperees l'affaire se presentait. Intentee a l'instigation du due de Choi- (1) Le rccit de cette visite se trouve dans le Plaidoytr cnnlre it due d'Aiguillon. Londies, 1787, in-S*. — 385 - scul, qui voulail ecarter le due d'Aiguillon du niinis- tere, aggravee des rigueurs dont la famille Caradeuc- Lachalotais avait ele frappee pendanl la procedure de 1765 et 1760, ellevenait d'etre evoquec du parlement de Rennes a celui de Paris, don I les pairs etaient justiciables. On accusait l'ancien commandanl de Bretagne d'avoir fait essuyer a la province un despotisme cruel, 'd'avoir protege les Jesuiles, de s'elre livre aux conseils de quclques meneurs turbulents et vindicatifs, de s'etre propose pour but l'avilissement, la mine de la magistrate re et des magistrals ; d'avoir favorise des complols criminels de toute espece, trames pour perdre des hommes vertueux; d'avoir ordonne ou souffert, qu'en vue de lui plaire, on attaquat leur vie par le poison et leur honneur par des depositions mendiees et suggerees. Quand le due d'Aiguillon revint cbez Linguet , il le trouva pret a enlreprendre sa jusliiicalion. Le jeune avocat, n'ayant rien trouve qui prouvat que son client eut prete les mains aux intrigues dont il etait soupconne , ne voyant tout au plus en lui qu'un administrateur negligent, se livra, sur les documents considerables qui lui lurent fournis, a un travail fort long et fort penible, dont le memoire de Juin 1770 est le residu. Ici, les faits historiques se pressent. Une sorle de partie s'engage enlre le roi, la comtesse Dubarry, le chancelier Maupeou et l'abbe Terray d'une part, et le prince de Conli, le due de Choiseul et le parle- ment de l'autre : l'bonneur du due d'Aiguillon est l'enjeu. Louis XV, paraissanld'abord prendre grand inleret — 380 — a 1'affaire, preside en personne I'ouverlure des debats a Versailles, le 4 Avril, le 7, et jours suivants ; mais le manage du Dauphin avec Marie-Antoinette vient interrompre celle belle ardeur et meme l'eteindre tout-6-fait. Sollicite par la comtesse Dubarry, qui favorisait ouverlementl'accuse, il selassa subitement d'etre impartial, et, apres quelques efforts pour suivre le premier terme de l'avis de la magistralure : c Si judicas, cognosce, » il opta pour le second : « Si regnas, jube. o A la suite de ces fetes malheureuses, presage d'un sinistrc avenir, le roi convoque done un lit de justice, et, par lettres patenles du meme jour (27 Juin), annule tout ce qui a ele fait jusqu'a ce jour tant contre le due d'Aiguillon que contre les sieurs La- cbalolais et Caradeuc, imposant, a cet egard, le silence le plus absolu. Fruit de la suggestion du chancelier, celle mesure ne devait pas rester sans effet. Aussi, quand le par- lement, dont il meditait la mine, indignede ce coup, eut rendu, le °2 Juillet suivant, l'arret memorable qui declare le due d'Aiguillon entache et suspendu des fonctions de la pairie, sa perle fut resolue. D'abord, par une ordonnance rendue en son conseil, le roi casse l'arret ; puis, au moment ou il parait ceder aux remontrances et consenlir a la reprise de 1'affaire, il arrive le 3 Seplembre, de grand matin, dans ses voitures de chasse, precede des quatre compagnies rouges, enleve du greffe toules les mi- nutes du proces de Bretagne et les confie a la garde du chancelier, qui les emporte. Le parlement, interdit, so separe avant I'ouverlure des vacances. — 387 — A la renlrec, il refuse l'enrcgistrcment d'un edit qui blesse sa dignile, et, dans le lit de justice du 2 Decembre, reuni pour vaincre sa resistance, il a la mortification de voir sieger le due d'Aiguillon parmi les pairs ; il proteste alors , se mutine , fait des representations reiterees, suspend ses travaux et re- sisle aux letlres de jussion el aux ordres verbaux du roi. Sur ces enlrefailcs, Louis XV. cedant encore aux seductions de la favorite et aux manoeuvres de Mau- peou, exile le due de Cboiscul. Par'celtc mesure, le parlement, ennemi du elerge donl il avail systema- tiquement etouffe les pretentions, du peuple, dont ilnegligeait les inleretsau moment oil la rigueur des impots et la cherle du pain lui faisaient un devoir plus pressanl de les soulenir, de l'armee composee d'une jeune noblesse qui voyait sa propre cause dans celle du due d'Aiguillon, le parlement, disons-nous, resta sans autre appui que lui-meme.' Dans la nuil du 20 Janvier 1771, chacun de ses membres est reveille au nom du roi, instruit d'un arret du conseil qui confisque sa charge, et emmene par deux mousquetaires sur un point du royaume oil il lui est enjoint de resler. Le chancelier compose alors d'elements nouveaux ce parlement auquel on a donne son nom, et qui, a daler d'Avril 1771, fonctionna jusqu'a l'avenement de Louis XVI. Pendant qu'avec 1'aide de Maupeou et de madame Dubarry, le due d'Aiguillon remportait sur la magis- tralure cette scandaleuse vicloire, il trouvait 1'opinion publique plus rebelle. Linguel, charge de la ramener, y travaillait sans — 388 — relacbe. An Mcmoire de Juin 1770, oeuvre ou la pa- tience el l'ctendue des recberches ajoutent au prix de la forme, succedenl la Lettre au procureur du roi sur l'arret dn °2 Juillet, puis YExamcn des procedures de Bretayne, el enfin les Observations sur Vimprime intitule : Reponse des Etats de Bretayne au Mcmoire pour le due d'Aiguillon. Ces deux derniers ouvrages furent condamnes a etre brules par arret du parlement de Rennes du 27 Juillet 1771, comme le premier l'avait etc par arret du 14Aoutl770. Ainsi , l'avocat du due d'Aiguillon se signalail par son courage a mesure qu'on multipliait les epreuves. Ses ennemis du parti encyclopedique ne manquerent pas d'altiser les mecontentements, et des epigrammes coururent la ville, ou le client et le defenseur etaienl frappes cote a cote. Linguet, dit une des plus vio- lentes, Linguet loua jadis et Tilx'-ro et Neron, Calonmia Trajan, Titus et Marc-Aurele; Cet infame, aujourd'hui, dans un afl'reux libelle, Noircit Lachalotais et blanchit d'Aiguillon. Nous ignorons quel ecrit de Linguet contient des insinuations contre Lachaiotais. II n'y a rien de sem- blable dans les ouvrages que nous venons d'enumerer, a moins que ce n'ait ete dans la Lettre au procureur du roi, qui n'a jamais ete imprimee (1). Quoi qu'il en soit, ces atteintes ne le Irouvaient ,pas insensible. Dans les Observations, notamment, il s'ecrie : « Fouquet etait coupable : Pelisson n'etait » pas meme son avocat, et il s'est immortalise par (1) Lachalotais est traite dans les Annates comme « un homme ausii respectable par ses vertus que par ses malheurs. » — 889 — » la gdnerosite qu'il a eue de le defendre. M. le due » d'Aiguillon est innocent : por quelle falalite me b trouverais-je devenu criminel pour avoir Iravaille » a le justifier? » Le zele que deploya Linguet dans cetle affaire no lui elait pas inspire par la seule ambition : il faut kit ;;ttribuer une autre et plus louable cause. Nons l'avons vu abandonncr a ses sceurs et freres le revenu de sa part dans le greffe d'election qu'ils lenaicnt de leur pere. II nc se crut pas quilte envers eux par ce sacrifice , et n'oublia pas les recommen- dations de son ai'eulc. II se proposa done d'etablir honorablement les unes et d'ouvrir la carriere aux autres. En consequence , des qu'il s'dlait senti en voie de rcussir, il avait appele ses freres aupres de lui, se promeltant de suppleer aux cbarges qu'il s'im- posait par un surcroit d'opiniatrele. L'un avait ete place chez un procureur, deux autres s'employaient au depouillement des pieces de Bretagne, dont l'exa- men elait indispensable pour justifier radministratiori du due. Toute la correspondance de Linguet respire eo sentiment d'amour el d'abnegalion envers la famillc, qui est un trait caractei islique de son naturcl comme de sa doctrine sociale. Seul, ce sentiment fut assez fort pour l'encbainer jour et nuit a la plus aride besogne. Une fievre continuelle, dont l'insomnic accelera les progres, mit un instant sa vie en danger. En vain ses amis voulurent-ils lc convaincre que cello ardour meme, alterant sa sanle, l'eloignait du bul qu'il voulait atleindre ; en vain M. de Salpervick l'emmena-l-il mou- rant en Artois : Linguet consacra encore an travail les instnnls que lui laissait le delire, el, de son lit, — 300 — adressa au chevalier d'Abrien ces pages admirables oil circule un enthousiame qui n'est pas l'eloquence , mais, a defaut d'unc entierc conviction , le supreme effort du talent. Le bruit de son nom occupail un rang secondaire dans le prix qu'il attacbail au succes. Le 18 Mars 4771, il ecrivait au due d'Aiguillon: « Je n'ai demande a M. de Maupeou qu'une favour, » cellc de reimprimer mes ouvrages. Cela m'aurait » produit un fonds dont mes freres et moi avons » besoin. Je ne lui en ai pas cache le motif » II m'a repondu que mes ecrits etant l'apologic du i) despolisme, il n'en pouvait autoriser la rendition. » Vous le savez, Monsieur le due, j'ai des freres plus j> jeunes que moi dont j'ai ete jusqu'ici le soutien.... » Orphelins comme moi , ils ont des droits sur les » fruits d'un talent que j'ai puise a une source com- i mune, et ils en usent. Dans la deroule acluelle, il » faut que je les place. J'en ai un que j'envoie en » Amerique; je lui ai trouve le poste de premier » secretaire de l'intendant de Sainl-Domingue (i). Je » vais faire prendre le meme chemin a un de ses » cadets. Ainsi, je suis reduit a regarder comme une j> ressourcel'expatrialion d'une partie de ma famille. > Comment placer le reste? » Le client avait deja oublie son defenseur: il ne repondit pas. Celui-ci pourvut seul a l'elablissement de ses soeurs et freres. L'un d'eux (Francois-Augustin) devint chanoine regulicr a Rouen , puis a La Ferte- Bernard , oil il mourut en 1802; l'autre (Nicolas- (1) Le jeune Marie Linguet partit , en effct, k la suite de M. de Montarchet, ex-conseiller au parlement de Dijon, nonime intendant a Saint-Doiningue , et mourut dans celte ile apres un sejour de . (to, -i' vol. (2) Reflexions sur la declamation, ;i la suite du Voyage apres beaucoup de grimaces, finit par une plate o culbule (3). » Quoi (ju'il en soit, le succes avail couronne les efforts de Linguet et juslific l'assurance dont on lui reprochait de faire etalage. Sa personne pouvait donner prise ;i la critique , mais ses talents elaient inconteslables. Le lendemain de I'arret, Voltaire avait dit le dernier mot sur ce point : « Linguet , (1) Molette de Moralities. (2) Chargente sur laquelle on executait les eriminels condamnes a la roue. (3) Falconjjet. (JPteuves demonstratives en fait de justice, p. 7.) 4 01 b resistant seul, par sa fermele el par son eloquence, » a une foule d'avocats seduits paries Vcrron, deve- » venus malgre eux les organes du mensonge , a la b cabale d'une populace dechaince , a la sentence » d'un bailliage prevenu et partial , s'est fait une » reputation qui durera aulant que le barreau (l).» Les exces naissent les uns des autres ; les esprits les plus forts ne sauraient se souslraire a celte loi ; bien qu'ils la connaissenl et la signalent, e'est sur eux qu'elle semble sevir avec le plus de rigueur. L'ex- treme faveur donl Linguet se vrl comble le rendit arrogant et intraitable. Un avenir glorieux s'ouvrait devant lui, il occupait le premier rang au barreau et pouvail aisement s'y maintcnir. Cinq mois apres, il en fut cxclu. La cause premiere de cette mesure remonte a ses debuts au palais. 11 avail commence, ainsi que nous I'avons vu, par se faire un ennemi de Gcrbicr , qu'on appelait alors VAigle du Barreau. Bicntot sa maniere de plaider en se tournant frequemment vers le public, comme pour lui demander un applaudis- sement , les interpellations directes qu'il faisait aux avocats (2), le sourire railleur dont il accueillait chaque terme de leur argumentation, lout avail in- dispose ses confreres. Des cette epoque, il les traitait parfois insolemment. L'un d'eux, homrae corpulent, (1) VoltAIBE. (Quatrieme Lettre a la noblesse du Gevaudan.) {-1) Cousin D'Avalon a conserve quelques-unes tie ses sorties. Elles nepouvaient manquer de plaiie a l'auditoire; aussi ses ad- versaires evitaieut-ils , autant que possible, de les provoquer. Comme les adversaires de ce Cassius cite par Montaigne [Ess., liv. I, ch. XI), ils craignaient de le piquer, de peurque la eolere ne lui fit cedouhler 3on eloquence. — 402 - s'etant,un jour, aviso de dire a l'audience : « ... Aussi, » nos adversaires ont-ils ctaoisi un jeune avocat, no- » vice encore,... » Linguet s'elait leve vivement pour repliquer, en le toisant du regard : « Mon client m'a » prefere puree qu'il ne mesure pas le merile d'un » homme nu volume d'air qu'il deplace. » Un pen plus tard, il s'elait permis de lancer, indireclemenl, il est vrai, divers sarcasmes contre le premier avocat general de Verges, el un autre avocat general nomine de Vaucresson. M. de Verges l'aborde a Tissue de l'audience el lui reproche ces personnalites, ajoutant que personne ne s'y etait trornpe. « Tant mieux, re- » pond Linguet, e'est une marque de la verite de mes » portraits. » L'avocat general, pique, lui demande s'il sait a qui il parle. « Oui , monsieur, je parle » a Me Jacques de Verges, avocat general du parle- » ment, a mon refits. » II devenait ainsi plus suscep- tible a mesure que sa reputation grandissait. Nous avons sous les yeux quelques lettres ou respire cette intraitable (ierle que l'oragc menacant vint stimuler encore. c Je lacberai de profiler ce soir, » ecrivait-il au president Lepretre de Chaleaugiron, le \3 Mai 1773, « de l'audience que vous voulez bien m'accorder. . . On j me parait determine, dans votre compagnie dont je » n'ai jamais demerite, a me sacrifier a la vengeance » pelite, lacbe, de deux avocats generauxqui nevous » prennent pas pour modele (1) et semblent prendre a » tacbe de decrier leur place. Je n'ai pas encore pris (1 ) Lepretre de Chateaugiron, alors second presidentde la grand'- «hambre du parlement de Paris, avait ete avocat general au parle- menl de Rennes. Dans l'affaire du due d'Aiguillon, il s'Mait montre lavoiable a I'ancien commandant de Bretagne. - 403 - w de parti, mais j'en prendrai tin, e t , s'il faut qae » je me retire, ma retraile sera eelle rlu lion : je no » tournerai pas !e dos et je combatlrai jusqu'au dcr- d nier sou pi r. » Deux mois apres, il plaidait a la Touinelle sur une demande en nullile de testament pour cause de cap- tation (!). La succession en litige etant imporlante, son adversaire ovoit interromrpu son proprc avocat et apostrophe Linguct avec une certainc vivacite. Lc soir memo , celui-ci , s'adressant an meme presi- dent : « Vous avez ete temofn de ma moderation devanl » le tribunal, mais j'oserai vous dcmander a quoi » elle me sert. Vous avez ete temoin aussi de la ma- il niere indisrne donl M. de Portelancc m'a insulle. » Cela sera-t-il toujours impuni? On m'assure qu'il » veut imprimer son plaidoyer. S'il y a un scul de » ces mots-la, il pent etre sur que j'y repondrai avec » toute ma verve, et j'ose croire que, pour le coup, j> monsieur le president Lepretre ne sera pas de ceux » qui me blamcront. o Le plaidoyer dont il so plaignait n'avait, sans- doute , pas ete fort blessant ; mais le plaideur, con- naissant l'hunieur cbatouilleuse de son adversaire, va le lni soumeltre avant l'impression. 11 se presente accompagne de son defenseur, M. de Piolenc, avocat mediocre, pelit-fds d'un ancien premier president an parlement de Grenoble (2) , demande audience el s'annonce avec toutes les marques de la deference et (1) Tranel, raarchand d' Amiens, eontre M. de I'orfelance. {Collec- tion de Brueil, vol. 1'.8,. n" i.) (2) An debul dc son plaidoyer pour lc sieur Tranel, Liuguel fait" I*61ogc de ce jcune avocat. — 404 - de la conciliation. Comment est-il rccu? Linguet va nous le dire. « A Monsieur le president Lepretre. » Paris, 26 Juillet 1773. » Je ne puis m'empecher de vous rend re compte o d'une nouvelle incartade que vient de faire chez a moi M. de Porle'ance. II a rencontre ce matin, au » palais, M. de Piolenc, et l'a prie de le mener chez » moi (1)*. Sa raison a ele, a ce que m'a assure » M. de Piolenc, qu'il craignail que je le jelasse par » la fenetre. Son pretexle elait de me montrer des » reformes qu'il avail, disait-il, failes a son discours » dans les endroits qui ont pu me choquer. Arrive » a ma porle, il a prie M. de Piolenc de monler le i) premier pour me prevenir. Toutes ces precautions » annoncent combien il sentait qu'il m'avait offense. » Je l'ai fait inviter a monler , apres avoir dit a » M. de Piolenc que je ne cacherais pas ma fagon » de penscr. u En entrant, il est venu a moi pour m'embrasser; » je lui ai demande alors s'il elait Italien et si son » usage etait de caresser les gens qu'il se reservait » la liberie d'outroger. La-dessus, au lieu de parler » de reformes, d'adoucissements sur quoi que ce soil, » il s'esl elendu sur son bonnetete de Samedi, sur la » juslesse de tout ce qu'il avail dit, qui elait, suivant » lui, tres-essenliel a sa cause. Je lui ai fait sentir » neltement, mais sans sortir des bornes que la (t) Linguet demeurait alors rue Tiqaetonne, au coin cle la rue Montmartie. — 405 — » circonstance de le voir chez moi m'imposait, que t sa conduite et ses propos avaient ete tres-inde- » cents. II s'est recrie avec beaucoup de violence » contre M. de Piolcnc, a qui il a reprocbe de lui » avoir tendu un piege... » II me semble que M. de Porlelance n'est venu » cbez moi que pour pouvoir dire qu'il y elail venu, t qu'il avail cte oblige d'en venir a un eclat avec » son propre defenseur, et qu'apres avoir cte insulte » par moi dans mon appartement, quand il y venait u avec des vues pacifiques, tout lui elait permis. Je » vous avoue, Monsieur le president, que si je n'avais d respecte en lui l'inleret dont vous m'avez paru » l'bonorer, il aurait pu lui arriver ce qu'il disait » craindre, et sa retraite aurait pu etre abregee. » Je vous rends compte de ceci, afin (jue vous » jugiez a quels bommes j'ai afTaire , el qu'en » plaignant la destinee qui mo condamne a etre u compromis, lors meme que je me soumets a la » plus excessive circonspcclion, vous veuilliez bien » me rendre justice, et ne pas me rendre respon- i sable des exces donl je suis l'objet. \> On ne pent meconnaitre le tori du narralcur sous ce recit habile. Assuremenl, cet homme n'allait pas cbez lui pour l'insuller, et dut etre slupefait de l'ac- cueil qu'il y Irouva. Nous avons reproduit la letlre lout cnlierc, parce qu'ellc semble prouver une cbosc : c'est que le travers d'esprit qui dirigea Jean-Jacques Rousseau pendanl la secondc moitic de sa vie, sc manifesto cgalemenl dans les inexplicables sorties de Linguet. Qu'on n'y cbercbe pas un vice du cccur, il faudrait nier en meme temps trop de bonnes actions. — 406 - Apres l'affaire Morangies, un proces non raoins scandaleux vint occuper la curiosite publique. Les dues de Bellegarde et de Monlhien, accuses d'avoir frustre l'Etat de sommes considerables dans la fournilure et la reforme des amies pendant les annecs 1767,1768, 1769 el 1770, comparaissaient devant un conseil de guerre scant aux Invalides et preside par le marechal de Biron. La duchessc de Bellegarde, ne pouvant communi- quer avec son mari, prisonnier a l'holel des Inva- lides, et ne possedant aucune piece qui put servir a sa justification, Irouva diflicilernenl des avocals dis- poses a l'enlreprendre. II faut ajouter que la con- cussion etant, pour ainsi dire, manifesle, 1' opinion s'elait prononcee. Les defenseurs avaient done fort a fairc. Cc fut Linguct el un avocat peu connn, nomme Mille, qui accepierenl cellc mission. lis la remplirent tous deux avec courage. Leurs consultations ecriles, seul mode de plaider qui leur fut permis, sont pleines do genereux efforts. lis furent et ils devaient etre impuissants. Le 10 Octobre, la commission mililaire rendit un jugement qui cassail le due de Bellegarde, le condamnait a vingt ans et un jour de prison, et le declarait inca- pable de servir le roi. Le baron do Cbargey, son neveu, assistait a la lecture de l'arret. Quand il vit I'accuse entoure de soldats et entendit prononcer son desbonneur, il fondit en larmes. « Pourquoi pleu- res-lu ? lui dit le due de Bellegarde; parce qu'on m'a «asse ? Va, les morceaux en sont bons. » Le due de Montbieu fut declare incapable de fairc aucune fourniture aux arsenaux ni aux troupes du roi , ■et condamne a rester en prison jusqu'a repara- - -407 - lion complete du prejudice cause par lui au royaume. Le marquis de Monteynard, ministre dc la guerre, ayant expose au roi que deux avocals au parleroent s'etaienl permis de publier leur avis sur une question dont la juridiction militaire etait saisie, ce qui etait de nature a en fausser la marche, Sa Majesle signa deux lcttres de cachet qui exilaienl Linguet a Chartres et Mille a Dijon. De sorte que, le jour oil lc due de Bellegarde partait pour Pierre-en-Cise, son defenseur partageail sa disgrace. Ce fut a Chartres que Linguet connut une femme qui l'a suivi plus lard en Anglelerrc et en Belgique, et sur bquelle Brissol donne quelques details. Nous aurons occasion plus lard d'en parler. II resta deux mois dans cetle ville. A son retour, il trouve le palais souleve contre lui. Bienloi il apprend que Gerbier refuse de plaider pour le due de Broglio contre madamc de Bclhune, sa clienle. — Deja , dans l'affaire Morangies , Gerbier n'avait pas voulu prendre la defense de la veuve Verron , pour ne pas se trouver en presence de son ennemi. — Gerbier, ii qui les freres Michelin repro- chent la soustraclion de cent mille ecus, sait que Linguet a mission d'exercer pour eux cette repetition. 11 reunit les principalis avocats dans plusieurs ronci- liabules, propose la radiation de Linguet et annonce qu'il s'est assure les avocats generaux pour eel objel. 11 y avail encore de 1'hesilation; queh]ues-uns opi- naient pour qu'il fut suspendu une annee, pendant laquelle Gerbier ferait sa relraile , quand toul-a- coup parail une brochure intitulee : Reflexions pour Mc Liuf/nct, tivocat de la comtesse dc Belhunc. L'auleur - 408 - y avancc que . - 409 — Dans le corns do l'annee 1774, de grands mouve- ments poliliques s'opcrent : la mort de Louis XV, l'avenemcnt dc son petit-ills , l'exil do Maupeou, le rappel de I'aneien parlement el celtii du comic de Maurepas an ministere. Linguet redouble do perseverance : d'une main, il soliicile son retablissement au lableau des avocals ; de I'aulro , il accepte dc Panckouke la direction du Journal de politique el de lilteralurc. Cctte feuillc, qu'il redigea du jour de sa creation (°25 Oclobre 1774) jusqu'au 25 Juillet 1776 inclusivement, est le pre- lude des Annales. Elle acquit tout d'abord un succes prodigieux, parce quo le naturel impatient et agressil' du rcdac- teur promettail du scandale. An debut, la seclo economique fut son point de mire ; n'ctait-ce pas la qu'il y avail du danger? — Turgot arrivait aux finances, ses theories allaient s'imposer; la liberie du commerce des grains, no- tamment, s'agitait au conscil d'Elat et^ dans los gazettes; son application semblait imminenie. Qiiel- ques voix s'eleverenl pour disculer cotte mesure : celles de Necker et de Linguet sont les plus fermes. Le nouveau ministre fit appeler ce dernier, a qui I'abbe Houbaud etait, d'ailleurs, charge de renondre dans la Gazelle d' agriculture (1). On sail quelle independance de discussion Turgot S'arrachent la robe et I'honneur. Quant a la robe, elle ent souvent pareil outrage. Pour l'honneur, n'ayez crainte, il est bien defendu : Linguet n'en eul jamais, et Gerbier l'a perdu. i'l) Gazelle d'agric. V. 22 Novembre, -il Decembrc I77< aunee suivante. xxx. 27 — 410 — aulorisait sur les malieres de son departemenl. Ja- mais, depuis d'Argenson, ministre n'etail en Ire aux affaires avec un programme plus liberal. Dans son cabinet, ce futtout autre cbose. II inlima vcrtement au journaliste l'ordre de se laire au sujet des reformes financieres. Mais, pour ne pas paraitre publiquemenl en contradiction avec ses principes, il lui dit a liaule voix, en le reconduisant dans le salon d'atlente, ou se lenaitun nombreux audiloire : « Ab » ca ! Monsieur Linguet, point d'invectives, de per- » sonnaliles , de la moderation dans vos comples- » rendus. » Sur quoi, celui-ci , outre d'une pareille hypoerisie : « Mais, Monsieur le controleur general, » a qui m'en rapporter? au ministre qui vient de me » parler lete-a-lele, ou au ministre qui me parle ici » en public (I) ? » Turgot et Trudaine chargereni un des plus zeles propagateurs de leurs opinions, I'abbe Morellet, d'en lirer vengeance. Ce litterateur, qui n'avait pas d'idces a lui, qui servait tour-a-tour les plus basses et les plus nobles doctrines, qui a signe dans 1' Encyclopedic des lignes empreintes d'un sage amour de l'bumanite, et qui, courlisan inbumain, vendail ailleurs sa plume aux financiers du pacte de famine, I'abbe Morellet s'en- ferme chez lui avec lous les ouvrages de Linguet, en exlrait les pensees hardies, et les combat dans une brochure qu'il intitule Thcorie du paradoxe. « Lorsque j'eus fini, dil-il dans ses Memoires, je » lus l'ouvrage chez Madame Trudaine, a MM. Ma- (1) I'lDA.vsAi'. i!e Maisobert , YObservat. anglais, 1770,1" vol., [). 310. — 411 — » tesherfoes, Turgot el Trudaine dc Montigny. M. de » Malesherbes prit la defense de ce pauvrc Linguet. » Je consentis a ne public r que quand son affaire » avee le parlement serait eteinle, mais je fis impri- » mer el gardai les exemplaires tanquam gladium » in vagina. Des que Linguet fut defmitivement raye, » des l'audience de sept heures, on mit en vente, an » palais el chez divers libraires, la Theorie du » paradoxe; huit jours apres, je fus oblige de faire » une nouvelle edition a 2,000 exemplaires ; ce ne » fut pas long, einq ou six feuilles avaienl etc gar- » dees Ionics composces. Bien me prit de m'etrepresse j> pour la publication, car M. Trudaine de Montigny, » etanl alle a Versailles le lendemain raerae du ju- » gement, nvenvoya en grande bate un expres qui » m'arriva vers deux heures pour me dire que le » garde-des-sceaux voulait que je differassc la pu- b Itlicalion de ma critique. J'avais, je I'avoue, pres- » senli quelque defense de ce genre, el, comme j'a- » vais iravaille a la rend re inutile, ma reponse fut » que l'ouvrage etait pnblie (1). » On sait dans quelles conjonclures paraissait la Theorie du paradoxe. Linguet, retabli un moment au tableau (44 Janvier 4775), s'en voyait exclu de nou- veau (4 Fevrier 4775), apres s'elre consume deux mois en douloureux efforts pour disputer son elat a ses confreres, comme le patient dispute sa vie a Lexecuteur. Le Journal kistorique du parlement Maupeou donne tous les details de cetle periode si curicusc de [l) Wmoires de I'abbe Horellet, I8>!>, — 41 c2 - l'bisloire du borreau (1). On assiste aux reunions lu- mullueuses des avocats , aux demarches secretes des meneurs, a la lutte fievreuse dans laquellc Linguet de- pensa lant d'eloquence et d'energie. Mais ses protec- teursvirenl bien que, sousl'ancien parlement retabli (2) comme sous le parlement Maupcou, tons leurs efforts seraient inuliles devant la haine collective de ses confreres; et, lorsque, le 8 Octobre 1775, il presenta au roi,sur la lerrasse de Cboisy. une requele tendant a obtenir par les voies legates sa reintegration au palais, cclte tentative resla sans resultat. Cependant, le Journal de politique et de litterature alteignit tin degre inesperc de prosperile. Plus de six mille souscripteurs, chiffre considerable pour le temps, temoignaienl du prix que le public attacbait deja aux. bardiesses de l'analyse politique. Le redacteur n'y (1) Vol. VII, p. 81 a 97, 131-14'*. lGi-172, 190-10G, etc... Voir aussHes gazettes, les correspondences de Grimm, La Harpe, etc., Bachaumont. (2) Tout le monde ne t'approuvait pas , temoin cette mediocre epigramme : Tes pairs, ne pouvant pus devenir tes semblables, Linguel, font raye du tableau. Deux arrets inconciliables, Dont Tun met a tes pieds tes rivaux meprisables, Et l'autre te condamne a quitter le barreau, Demontrent a toute la France Que le vieux parlement, revenu du tombeau. X'a pas encor repris toute sa connaissance. Si Ton cut pu promer au parlement nouveau Une pareille inconsequence, Tout Paris en fureur eut deinande vengeance ; Mais les magistrals d'a-prescnt Savent impunement Incliner la balance au grc de Icur pouvoir Et, dans la meme circonstancc, Absoudre, condamner, prononcer blanc on noir. - 413 — parlait pas trop de lui-meme et ne signait pas loutes ses oeuvres (1). Les gens de lctlrcs y rcccvaient de vives lecons; pom lant 1'esprit de parti n'entrait pour rien dans ces rigueurs qui porlaient avec elles leur justification. Gilbert, Doral, Champfort y sont favora- blement trailes ; mais Marmontel , d'Alembert ct La Harpe y regoivenl de mortelles ntleintes. Marmontel allribue, dans ses Memoires, la sevcrile de Linguet a des sentiments de jalousie. Selon lui, l'avocat du due d'Aiguillon ne pouvail lui pardonner d'avoir acceple de ce ministre la place d'historio- grapbe de France, a la morl de Duclos. « II prelen- » dail que celle place lui avail ele promise, dit » l'outeur des Conies moraux; d'ailleurs, sa baine » contre moi remonle plus haul.... Tandis que je » logeais cbez Madame Geoffrin, Garville vint me » voir: — « Le due d'Aiguillon est mecontent d'un » memoire que vienl de terminer son jeune avocat; » le style est ampoule, declamatoire ; il m'a prie de » chercber un correcteur : voulez-vous vous en » charger? »— J'acceptai. Mais, quand le due rapporta » a Linguet son travail corrige, celui-ci refusa de » continuer de le defendre, s'il ne relablissait l'ou- » vrage dans sa forme premiere. II apprit que » c'elait moi qui avais remanie le memoire, et » devint mon ennemi le plus cruel ; le journal qu'il » fit dans la suite fut inonde du venin de la rage dont » il ccumait a mon nom (2). » Voila, en substance, les motifs que Marmontel sup- (1) Entie autrcs une piece de vers sur I'ingratitude, a l'adresse ilu due d'Aiguillon saus doutc, dans le nuineio du 15 Fevricr 1775, et des reflexions sur I'imprimerie, dans ceJui du 5 Mai !776. (2) Memoires, livre I\. - 414 — pose a la tres-juste critique du Journal de liUerature. Ce qui est certain, c'esl qu'il existait enlrc Linguel et lui une haine a laquelle l'auteur ties Annates assigne une autre cause (i). Nous avons fait connailre le principe de l'animo- site qu'il temoignait souvent pour d'Alembert; peut- etre faul-il y ajouler que ce philosophe n'avait pas voulu appuyersa candidature au fauteuil academique. Candidature, c'esl beaucoup dire, Linguet n'avouant jamais qu'il se soil mis sur les rangs; mais nous pouvons croire Deverite , quand il nous parle de cerlaincs visiles faites aux academiciens par le ieune ecrivain de la Theoric des lois, en 17G8. D'ailleurs, la maniere dont il tiaile l'Academie, chaque fois qu'elle se rencontre sous sa plume, denote un depit interesse. Quant a LaHarpe, il s'elait depuis longtemps aliene la bienveillance de Linguet par les jugemenls severes qu'il avail portes, dans le Mercure, contre plusieurs de ses productions ; dans les notes qui accompagnent sa traduction des Cesars de Suetone, dans celles notam- ment de Neron, de Titus et de Vespasien, l'auteur des Revolutions de Vempire romain avait ele traite sans egards, quoiqu'avec justice. Ne venait-il pas, dans sa Correspondance litteraire, de dire, a proposdes affaires Morangies et de Bethune : « Leur avocat possede, il » est vrai, cette qualite de l'orateur qui consiste a » bien connailre la multitude et a la dominer en la » meprisant; mais je ne connais personne qui ait (i) « Marmontel, ditil, tlevait epouser la soeur il'un des avocats » de Dujonquay (affaire Moraugies), et faisait partie de la caliate • ameittee contre moi. » (T. IV des Annahs, avertissement ! - 415 — » plus d'audace dans la tete el moins do courage » dans l'ame.... II va loujours s'enfonc.ant dans la » honte. » Quoi qu'il en soil , les critiques du Journal de politique el de Utterature nous paraissent equilables et, de plus, elles sont savantes. L'auteur de Warwick s'en offensa; il s'en plaignil meme amercment dans une lettre inserce au Mcrcure d'Octobre 1775. Linguel, a son tour, le provoqua a un petit duel litleraire qui ne fut pas accepte. II s'agis- sail de concourir ensemble a un prix d'eloquence dans une academie de province. Rien n'est plus curieux que celte rencontre (1). Par malheur, elle eut une funeste issue. En Juillel 1776, La Harpe enlre a 1' Academie Fran- chise. Que Linguel ait assiste a la seance avec Brissot, comme le pretend celui-ci ; qu'il n'ait connu, ainsi qu'il le dit lui-meme (2), le discours de reception que pendant son voyage a Ferney , peu importe. Toujours est-il que le numero (3) suivont de son journal continl une critique si mordante des discours echanges dans celte solcnnite, que deux academiciens, au nom du corps dont on blamait trop verlement le choix, allerent demander aux ministres qu'on lui enlevat la redaction de sa fcuille. Des le lendemain, Panckouke recut du comte de Vergennes et du garde-des-sceaux l'ordre de se pourvoir d'un autre (1) Journal de politique et Utterature, n' 30. 25 Octol>re 1775. (2) Lettre au roi, tie Bruxelles, 20 Aoiit 1776. ( Memoires et plaidoyers de Linguet, edit, d' Amsterdam, onzieme vol. Bibliotheque Mazarine ) (3) Numero 21. rcdaclcur, s'il ne voulail encourir la suppression du journal. Ce fut a La Harpe lui-meme ct a un professeur de province encore inconnu (1), que le libraire confia la depouille de Linguet. Le chiffre des abonnements lomba tout-a-coup des deux tiers. On pouvait croire qu'apres ces violenles proscrip- tions, l'homme qu'elles avaient frappe aurait joui en repos d'une independance de fortune cherement ac- quise. 11 n'en fut rien. Huit mois seront a peine ecoules , qu'une nouvelle machine de guerre fou- droiera ses ennemis ; plus terrible que l'arme si aise- ment brisee dans sa main , ses coups auront plus de relenlissement et plus de force. Le scjour de Linguet a Ferney a ete diversement raconte. « J'ai ele payer a l'homme le plus celebre i) decesiecle le tribut que tout homme de lettres lui » doit, » dit-il lui-meme. Voltaire, dans sa correspon- dance, parle de cetle visile en termes differenls, selon les gens a qui il s'adresse. Ses lettres a Mallet du Pan et le temoignage de celui-ci suffisent pour etablir que l'entrevue fut, d'une part, franche et noble, de l'autre, sinon cordiale, au moins demonstrative. Dans les premiers jours d'Aout 1776, Linguet re- vint a Paris, confia lout ce qui lui apparlenait a Lequesne, lui fit ses adieux et partit pour Bruxelles, en embrassant le jeune Brissol, dont il avail, depuis peu, recu l'bommage enthousiaste. C'est la qu'il ecrivit au roi de France un eloquent resume de ses recriminations, dont nous donnerons plus loin quelques exlraits, et fit imprimer la Collec- ft) Fontanelle, . - 417 — (ion de ses plaidoyers el mcmoircs, la plus complete (jui existc (1). Le tnlent oraloire dc Linguct a ele spiriluellemenl traite par Voltaire : « On s'est plaint de ea vivacile, » mais il faul pardonner a son feu qui brule en fa- » veur de la clarle qu'il donne (2). » Tous ses plaidoyers ont le meme defaut, l'absence du calme qui donne plus de poids a la raison. Aussi, un dclracteur habile a-t-il osc lui dire : « Voulez-vous » une juste image de voire manierc? Placez un vase » sur un grand feu, jetcz-y une cuilleree de lail. II » bouillonne, remplit le vase, mais ce n'est que de » l'ecumc (3). » Une fois ce reproche accepte clans la mesure qu'il merite, nous pouvons hardiment avancer que l'elo- quence judiciaire n'a jamais cu un plus brillant in- terprete. Avec un caractere moins emporte, Linguet eul plaide avec grace, done corame il l'etoit dc finesse et d'esprit. Violent, au contraire, et ombrageux, son style devait etre ferme et impetueux. II est rarement profond, mais il cherche a raisonner corame Seneque et a ecrire comme Ciceron. Quand sa pensee se repose au milieu d'un orage, le cceur de l'homme, du philosophe, vous fait oublier un mo- ment, par quelque reflexion touchante, les mouve- ments passionnes de l'avocat. Ainsi, dans le resume (1) E!le porte la date de Liege pour les dix premiers volumes, et d'Amstei'dain pour le onzicme. L'edition de 1773 est tres-incom- plete. (2) Deuxieme lettre a la noblesse du Gevaudan, 16 Aout 1773. (3) Falconnet, Defense dds pteuves demonstratives . Collection do Brueil. Memoires anciens. Biblioth. des avocats, a Paris. — 418 — general pour le comle de Morangies, apres une apos- trophe vigoureuse conlre la sentence du bailliage, il s'apaise toul-a-coup, envisage avec slupeur l'even- tualile d'un arret qui deshonorerait une des plus vieilles families de la noblesse du Daupliine ; puis, eloignant cctle idee comrne un reve du desespoir : « Ne faut-il pas de temps en temps, ajoute-t-il, des » exemples capables de nous rassurer, nous, enfanls » obscurs d'une patrie que nous servons et qui sou- * met sans nous consulter notre fortune, notre hon- o neur, notre vie a des mains que nous ne choisis- n sons pas ? » Mais ce retour au calme de l'exorde est rare chez Linguet. Son discours est un torrent. Pour en prevenir les ecarts, il lui donne la forme du syllogisme, pre- caution salulaire qui discipline les elans d'un zele parfois exagere. Plusieurs de ses clients ont dit a Lequesne : « Voire ami prend a ma cause plus d'in- » teret que moi-meme ; ne craignez-vous pas que sa d chaleur me nuise ? » Herault de Sechelles lui ayant demande comment il travaillait : « Apres avoir bicn » etudie une affaire, repondit-il, je pose les termes » d'un raisonnement, et, deux jours avantde plaidcr, » me penctre a ce point des sentiments que je dois » faire partager au tribunal, que je suis en proie a » la fievre et a l'insomnie. » Dans ces conditions, il ne pouvait manquer d'elo- quence ni d'entrainement. C'est lui qui a introduit au barreau le systeme de generaliser les faits d'une cause dans Texposc qui precede l'argumentation. Souvent merne, il lui arrive d'y revenir incidemment au milieu de la plaidoirie, com me dans cettc sortie contrc Gerbier : « Et — 419 - » c'est la vivacite d'un zele interesse mis, j'ai presente ma (etc a la justice (i) pour » garantir celle d'un innocent que son bras Irompe » allait assassiner. J'ai fait voir au public de quelle » ressource pouvait encore &lre , meme dans nos j siecles d'abatardissement. et d'inertie, la profession » d'avocal exercee par un horame integre el ferine, » cbez qui le courage de l'esprit est produit par la » droiture du coeur. » Qu'on me pardonne de parler ainsi de moi-memc » J'en ai assez cberement acliele le droit, et, d'ail- » leurs, s'il est permis a mes concurrents de mulli- » plier des impostures pour me degrader, pourrait-on » me defendre de reveiller des veriles qui m'bono- » rent ? » Enfin , j'ai vaincu. On se rappelle comment, » apres une instruction si longue , si violemment » suivic, etc » Et dans un autre endroit du memo plaidoyer : a Ne voyez-vous pas, jurisconsulles eclaires , qui » passez vos jours a combaltre par le secours de la » raison et des lois les abus de la force, qu'il vous » sied moins qu'a tousautresde vous les permeltie?... » Quand j'ai employe, sous la sauvegarde des lois, » la moitie de ma vie a me rendre digne d'un etat » penible et utile au public , ce n'a pas etc pour » courir le risque de me voir, dans l'age mur, c\- » clu de eel etat, exclu par un caprice odieux, exclu » avec une ignominie qui me fermcrait Tenlrec de » tous les autres, en supposant que j'eusse des ta- « lents univcrsels. 11 faut un delit pour motiver cctte (I) 11 s'etait offert comme caution apirs la condamnalion de Mo- tangies par le bailliagc. — 422 — •> mort rigoti reuse, ct, encore une fois, je n'en ai » point com mis. » Quelle doit done elre la purele, j'ose le dire, » l'inculpabilite d'un homme contre lequel , en dix » ans de fureur, de rage, de recherches, de calom- » nies en lout genre , on n'a pu ramasser que les » elrangcs puerililes que vous m'opposez? Mes » mains ne sont point souillees ; ma conscience est o inlacle. Et vous me devouez a l'opprobre, sous » pretexlc que je fais vn journal et que vous ne » m'aimez pas ? » II faudrait ciler chaque page de ce recucil anime tour-a-tour par l'attendrissemenl et la fureur, monu- ment curieux d'une hardiesse dont on ne verra plus d'exemples. Dans la lellre qu'il adressa au roi en quiltant la France, sorle de manifesle destine a expliquer son exil : « Je redigeais, depuis un an ct demi, un journal » qui etait devenu mon elat , dil-il ; cbasse du bar- » reau, en effet , je n'avais pu me resoudre, comme » on me le conseillait, a etre avocat consultant; j'avais » prefere un travail que je croyais plus douxa la lulte » eternelle et terrible qu'il fallait soutenir, dans le » pretendu sanctuaire des lois, contre le crime et la » seduction, pour leur arracber l'innocence. Et ce > journal, cette ressourcc, on me l'enleve. Et pour- » quoi? Parce que j'ai manque a La Ilarpe ! Mais nous b avons vu , pendant vingl ans, Voltaire compromis » par Freron. Porle-je done au front un sceau de » reprobation universelle qui enbardit tous les » hommes a m'ecraser? Les avocats m'ont defendu » de parlcr, les minislres m'ont defendu d'ecrire ; au » premier moment, je rccevrais done une letlre minis. - 425 — » terielle qui mc defendra do penser? C'esl a peu » pres le seul attentat contre la justice el la raison » qu'il reste a commeltre envers moi ! » II n'y a pour cetle ame ardcnlc ni sang-froid ni decouragement: son amertume est fievreuse, son depit est arrogant ; et quand il n'eprouve aucun de ces sentiments, il est enthousiaste. Ainsi, dans le Memoire pour le due d'Aiguillon, on lira son eloge en termessi chaleureux , qu'ils en sont presquc ridicules. C'est le sauveur de la Brctagne ; il a fixe sur les cotes de cette province la victoire qui abandonnait les armees franchises ; il a retabli sans frais les communications enlre les villes et multiplie les debouches du commerce par la multiplication des cbemins. II a maitrise la mer, en reparant presque tous les ports degrades ; maitrise egalement les rivieres, en creusant leurs Ills ; les sables meme de 1'Ocean , en leu-r arrachant les vastes terrains qu'ils avaient deja submerges, et une ville entiere (1) qu'ils menacoient d'ensevelir bientut, etc... Nous ne devons pas oublier, en traitant des pro- ductions judiciaires de Linguct, son plaidoyer contre le meme due d'Aiguillon, qu'il avait defendu avec lant de zelc. Ce plaidoyer a etc prononce en 1787; bien que son objet fut peu propre a des mouvements d'eloquence (il s'agissait d'une repetition d'hono- raires), il s'y rencontre de beaux passages (c2). 11 avait repondu a la Theorie du paradoxe par la Thcorie du libellc. La premiere de ces brochures se terminc ainsi : (1) Saint-Pol-de-Lwu. (2) Notaminrnt page 143, et a la I'm du volume . tout <•<> qui a trait aux lettres de Soptembre 1774. _ AU — « . .. Lc rcslc clu traite manque... 11 scrait a de- o sirer qu'il flit acbcve par unc main exercee , et » nous ne voyons que M. Linguet lui-meme qui » puisse rendre ce service au public dans les mo- « ments que lui laisseront desormais sa profession » d'avocat et son metier do journalisle. » La Theorie du libelle, relevant ce lourd sarcasme, y repond plus lourdemenl encore : « Get illustre proxenetc de la science, y cst-il dit » de l'abbe Morcllel , s'est eleve au-dessus de tons » les eloges en forcant son cceur a outrager un » bom me renverse, et son pied de derriere a se » lever pour lui donner le dernier coup. » Laissons dans l'oubli ce petit ecrit ainsi que la riposte de Morellet : Reponse serieusc. Tout cela ne fait bonneur a personne, e'est un pugilat d'invectives. Plus tard, Linguet, honteux de s'etre laisse aller a cette altercation , cbercbe a s'en justifier dans les Annales : « L'homme innocent, le cceur droit peut » elre ecrase par une foule furieuse, mais il ne con- » trefaitpas l'immobilite de la mort pour sauver les » restes de sa vie. Au moment ou j'etais poursuivi » par une meute acbarnee; ou une cour instituee i) pour rendre la justice me refusait son appui ; 011, » d'apres cet axiome : Res est sacra miser , j'avais » droit, non-seulement aux egards dus a l'innocence, s mais a la commiseration qu'inspire lc malbeui', » l'abbe Morellet , sans avoir eu avec moi aucunc » discussion, sans m'avoir jamais vu, sans avoir ja » mais ele nomme ou designe par moi, est venu sc » declarer la trompette de mes ennemis... II m'a fait b le plus sanglant outrage qu'un horn me puisse » recevoir d'un autre, un outrage du genre de ceux — 425 - o conlre lesquels les lois de tous lcs peuples pro*- » nonccnt 1c dernier supplice. » II ne nous reste qu'a etudierles ouvrages poliliques de Linguet. lis se lienf intimement a son ceuvre capitals, les Annates, publication bi-mensuellc, dans laquelle, d'nilleurs, ils ont etc presque tous inseres. En raconlantsa vie, nous anahserons sommairement ce journal, oil sont traites a la fois, avec une grande surclc de vue, les rapports inlernationaux deo deux rnondes et la marche rapide de l'esprit revolulion- n;u're dans l'Europe oecidenlale. XXX. 28 - 4G26 - SEANCE PUBLIQUE TENUE LE 28 JUILLET 1859 DISCOURS D'GUVERTURE PRONONCK Par M. Joguet, President annuel de l'Academie. Messieurs , C'est l'un des atlraits et l'une des prerogatives des nobles etudes pour lesquelles nous sommes associes que leur perpeluel a-propos. Les anciens aimaient ii dire, on a souvent repete apres eux qu'elles con viennent a tous les ages et aux fortunes les plus diverses de la vie, qu'il n'est point ici-bas de bon- beur qu'elles ne complement, de chagrin qu'elles ne parviennent a adoucir. II faut ajouter qu'elles sont a la hauteur de toutes les situations publiques, et qu'il n'y a rien de si eleve dans le spectacle des choscs humaines, rien de si grand dans les preoccu- pations nalionales a cote de (juoi ellcs risquent jamais de paraitre deplacees. Ce privilege , qui ne leur est commun qu'avec la religion, leur appartienl chez tons les peuples, parce — 427 - qu'elles sonl pour tons, non une vaine distraction on un frivole ornement, mais la salisfaciion d'un besoin superieur, le developpement d'une faculte de pre- mier ordre, l'accomplissement d'nne obligation. Que sera-ce done clans un pays dont elles onl fonde, pour une si large part, la gloirc et la grandeur; dont l'as- cendani intelleetucl a conslamment seconde, quel- quefois releve l'ascendant politique , et qui a plus souvent encore domino le monde par ses ecrivains et par ses idees, que par ses amies ou par sa diplo- matic? Voila pourquoi nous sommes ici , malgre les souvenirs brulanls d'liier , malgre les solcnnelles atlentes du jour present. Nos occurs et les volres debordcnl encore cles emotions de la lnltc sublime qui, au prix de taut do deuils cruels, a delivre plu- sieurs millions d'liommes du joug de l'ctranger, et la France elle-meme des dernieres traces de l'ombre oppressive de Waterloo et de l'invasion. Ensemble nous demandons au ciel que la paix, si rapidement reconquise, si habilemcnt soustraite a de jalouses interventions, si noblemenl expliquee a de nobles regrets, s'acbeve en acquittanl en prosperites toute la detle de I'Europe envers notrc pays, en assuranl le progres regulier de la vie nouvelle que la fdle ainee de l'ltalie est allee repandre, avec les torrents de son sang le plus pur, clans les veines epuisees de cette more du monde moderne.... Mais nous savons, les cms et les autres, qu'en France surlout, le culle des lelties el de la science, la curiosite de leurs ma- nifestations, le souci de leur avenir, e'est encore du palriotisme. Oui, du palriotisme, Messieurs; el ce mo| ne jus- — 428 - lifie pas seulement l'opportunite de celle seance ; il explique notre institution tout enliere ; il resume les sentiments dont elle est nee , comme ceux qui l'ont foil vivre el qui la perpelueront. L'Academie Impe- riale n'a jamais ete , grace a Dieu, ni une coalition d'amours-propres s'essayant ensemble a jouer un role, ni meme une simple mise en commun des pures jouissances de la vie intcllectuelle. Des l'origine, elle s'est propose un noble but d'emulalion el d'ulilite publique, et, pendant ses dix-sept annees d'existence, elle n'a cesse d'y marcher avec zele et avec denoue- ment. Suns doule, comme dans loules les choses bumaines, le resultat n'a pas ele au niveau de l'effort, et la satire peut se donner carriere, surlout en nous attribuant, scion I'usage, des ambitions et des esperances que nous n'avons jamais eoncues. Reims a revu de nos jours une ties grandeurs in- tellectuelles de son passe. En se placanl resolument a la lete d'un vasle ensemble d'idees et de tendances qu'ellc avait longlemps tour-a-tour adoptees et combatlues, la vieillc metropole ecclesiaslique a rajeuni sa vicille influence. Par la bardiesse et la suite de ses initiatives, par la vigueur de son enseignement doginatique , par la largeur populaire de son ensei- gement moral, elle est redevenue pour tons, pour les adversaires comme pour les adberenls de sa cause, l'une des premieres ecoles, l'un des principaux centres d'action du calholicisme , et mieux encore qu'au Moyen-Agc, la Rome fiancaise. L'Academie, systema- tiqucment elrangcre aux controverses tbeologiques, n'a aucune revendication a fa i re dans la conquete de cet ascendant, trail capital de riiisloirecontcmporaine — 4-29 - de Reims. Nous devons lout a I'illuslre prelal don I clle est l'honneur, notre existence, noire dcmeure preparee pour lesrois, noire premier prestige, l'exeni- ple permanent du travail et de la production dc l'es- prit sous le poids des affaires et dcs digniles, l'cxcm- plc permaneul de la tolerance pratique non moins necessaire aux corps savants. Qu'on nous en loue ou qu'on nous en blame, son ceuvre cssentielle ne nous doit ricn. L'antique Durocorl excelle loujours, comme au temps de Pline , par ses lissus d'une espece rare et merveilleusc ; il n'a cesse d'etendre, de varier et d'enrichir son habile fabrication, a laquelle une sociele, scour de la noire, prepare en ce moment un nouvel essor ; il n'est pas redevenu cetle Athenes des Gaules dont le precepteur dc Marc-Aurele parlait un siecle apres Pline. II a porle son nom moderne a tous lesconfins de la lerre ; dans l'univcrs entier, il inlervient, pour y doubler la cordialile des sympathies et la franchise des expansions, dans toutes les fetes de la patrie, de la famille ou de I'amitie ; il re- pand partout, jusquechez les Scythes, l'csprit francais, les gais propos, les vivos reparlies ; mais ce n'est pas avec les chants de ses poetes ou les recils de ses conteurs, e'est sous la forme de la precieusc liqueur inventee par ses moines, dans l'inlervalle dc leurs glorieux travaux lilteraires , et a laquelle il a ele donne plus qu'a aucune autre de rejouir le ccenr de riiomme et de se meler aux mceurs de ccux qui la boivent. Nous avons edile ou rcmis en lumiere les joyeux el quclquefois trop joyeux chanoiucs qui, dc Cotjuil- lard a Maucroix ct a Laltcignant, composent sa lignec — -430 - poetique : nous no lent' avons pas plus donno ou suscite de rivaux qu'a ses grantls et immorlels arlisles, les Libergier, les Robert de Coucy et lcs Nanleuil. Sur ce terrain meme de l'erudilion, on attend encore nos Bergier et nos Ruinart, el le temps ou lcs ecoles remoises avaient des maitres tels (pie Sainte-Marlhe ou Petau, et des disciples tels que Mabillon et Mar- tene, est loujours a rer.aitre comme ceux oil leurs professeurs s'appelaient Gerberl, saint Bruno, Jean de Salisbery , et leurs eleves Olhon d'Allemagne, Robert de France ou Gerson. Maislebien qui elail possible, et sur lequel comp- laient nos fondateurs, n'a pas manque , a coup sur. La distinction des classes est heureusemenl pen profonde dans un pajs ou elles ont toutes le travail commercial pour point de depart immedial ; les dissi- dences poliliques et aulres y alterent peut-elre moins qu'ailleurs les relations et les sentiments de bienveillance mutuellc ; cependant , la sociabilite elle-meme a gagne, comme le disail ici l'un de nos plus spirituels et de nos meilleurs confreres, a celle reunion d'hommes divers d'origines, de professions et d'opinions, rassembles sous le drapeau neutre de la republiquc des leltres, en meme temps que le cbamp de l'intelligence s'elargissail, du moins pour cbocun de nous, par le rapprocbement et le concert de la diversite des etudes speciales. Un surcroit d'impulsion a ele donne, dans ce foyer de production materielle , ;i l'exercice desintcresse de la pensee , a l'amour des cboses de l'esprit, au gout des livres , des arts et des loisirs studieux , au cube des souvenirs etdes traditions, a la conservation eta la reslauration intelligent!, des monuments, a lour — 431 — heureuse imitation, a la preoccupation du beau dans ce vaste renouvcllcment tie notre vieille cite , ou un administraleur eminent a pour principal auxiliaire le talent d'un de nos fondateurs. Grace aux habiles inlerpretes qui n'ont jamais manque parmi nous aux differents ordres de connais- sances, les decouverles , les idees utiles, ecloses ail- leurs , se sont propagecs plus promptement el plus surement. La botanique , la geologic , la medecine et la cbimie surlout , se sont enricliies d'un grand nombre d'observalions precieuses et fecondes. Les textes inedils sont sorlis en foule des archives. De vives lumieres ont ele repandues sur plus d'un point obscur , sur plus d'une grande ou inleressante figure de nos annales. D'imporlantes publications , d'heu- reuses traductions ont conslitue et mis a la porlee de tous la suite continue de ces annales. Chaque edifice, chaque ruine, chaque vestige sur un sol si ricbe a ete l'objet de perseveranles el fructueuses investi- gations. Nos industries onl trouve, comme nos arts , d'babiles hisloriens et de savants theoriciens.Le droit et l'economie politique, les bautes speculations de la philosopbie , la lilterature sous la pluparl de ses formes, onl eu mointes foisleur belle place aupres des sciences experimenlales , de l'archeologie et de Ferudition ; et des travaux que la compagnie a pro- voques, de ceux qu'elle a accomplis , soil collective- tnent, soit par les efforts isoles de ses membres, il resultc , en definitive, un ensemble imposant oil toutes les etudes generales figurent avechonneur etsouvent avec eclat , oil l'etude speciale de Reims , de sa con- stitution physique, des diverses branches de son aclivite, de son glorieux passe, de ses magnifiques monuments, - 432 - est representee par unc serie considerable tie do- cuments nouveaux, de recherches approfondies et dc brillantes esquisscs ; oil bien des pages seraient devenues populaires des leur apparition, si , an lieu d'atlendre la renommee dans nos modestes recueils, elles etaient allees au-devantd'elle dans quelque revue a la mode. L'Academie n'a done qu'a se rester fidele a elle- meme pour etre dignc des encouragements que lui conlinuent les pouvoirs publics . du baut patronage et des precieuses sympathies dont elle recueille , au- jourd'hui meme, de nouveaux temoignages. Elle per- severera, en effet. Elle s'efforcera d'etre chaquc jour davantage un lien fraternel de plus , un aiguillon intellectuel , un reflectcur des lumiercs du dehors, un flambeau de science locale. Puisse-t-elle y etre aideede plus en plus par ses soutiens naturels ! Apres un long oubli , dont elle s'honore d'avoir contribue a reparer l'injure, Reims est redevenu jui> tement fier d'avoir donne Colbert au grand siecle; se souvient-il toujours assoz que ce glorieux fils de ses marchands fat un Mecene , qu'il pensionna les lettres et les arts, dola l'Academie frangaise, el fonda l'Academie des sciences, l'Academie des inscriptions et belles-lettres, l'Academie des beaux-arts? Quelle ne serait pas notre action, si des subventions pu- bliques et permanentes, si les fondalions de quelque Monthyon remois permeltaient a notre venerable tresorier de proportionner nos prix aux sujels que nous proposons chaque annee, aux merites que nous renconlrons souvenl, et d'en (aire, pour les jeunes talents, une excitation et une assistance serieuses? Quelle importance nouvellc ne prendraient pas — 433 - deja nos travaux, si tous ceux qui pourraient y con- courir, a un tilre ou a un autre, sc rattachaient a nous, et que toutes les forces intellectuelles du pays se concentrassent reellement en faisceau dans notre sein? Que d'uliles renforts, que d'enviables collogues auraient a nous envoyer, par exemple, ces rangs presses des professions dites positives, oil tant de culture generale et d'espril applicable a tout se mele a l'art des affaires; et le clerge des Bandeville , des Nanquelle et des Bara ; el une magistralure loujoiirs riche, elle aussi , en talents et en savoir, meme apres des pertes successives, comme celle de notre regretle confrere, M. Masse; et l'Universile elle- meme, malgre le zele reconnaissant et fecond avec lequel ses professeurs les plus distingues repondent d'ordinaire au cordial accueil de la compognie, aux honneurs qu'elle decerne quelquefois a leurs chefs les moins autorises, au seul litre de leurs fonc- tions! II est vrai qu'il circulc encore de par le monde quelques vieilles epigrararaes allardees contre les academies de province; mais a Dieu ne plaise que nous expliquions par la aucune des abstentions que nous regreltons! Nous parlons d'inlelligences Irop serieuses et trop independantes pour leur supposer de telles legerctes ou de telles servitudes. On ne jure plus par personne, que nous sachions, pas meme par Voltaire. D'ailleurs, si un antique usage , passe en loi, autorise toujours les gens d'esprit a ne pa'o savoir ce qui se fait a cole d'eux, a riionneur et par les mains de leurs voisins, ce privilege d'ignorance ne s'elend pas encore au-dela des limitcs de la cite. Et quine le sait? Pour avoir decoche, un jour, un de — 45 o* scs trails contre l'Academie de Soissons, le prince des railleurs n'en fut pas moins , avec Fonlenelle, avec Montesquieu, avec le president Hainault, l'un des patrons des academies de province; il appartint avec eux, commc associe, a plusieurs d'entre elles, et il venait de se faire recevoir solennellement par l'Academie de Lyon , quand il adressait a cette ville eel adieu, d'autant plus propre a exciter l'emulation d'une cite industrielle, qu'il etait merite alors et qu'il Test toujours (1) : II est vrai que Plutus est au rang de vos dieux, Et e'est un riche appui pour votre aimable ville; II n'a pas de plus bel asile; Chez nous, il est aveugle; il a, chez vous, des yeux. II etait autrefois le dieu de la richesse : Vous en faites le dieu des arts ; J'ai vu couler dans vos remparts Les ondes du Pactoleet leseaux du Permesse, etc. A qui faut-il apprendre aussi que ces filles de l'Aca- demie franchise ont singulierement fait parler d'elles depuis un siecle, sans cesser d'etre honnetes ? Inces- samment multipliers, couvrant aujourd'huil'empirede pres de deux cent cinquante missions scientifiques per- manentes, elles sont partout a I'oeuvre, comme a Reims, pour venir en aide a la cause de l'esprit, entretenir ou raviver les traditions patriotiques, explorer et divulguer les richesses naturelles ou archeologiques qui les en- tourent, preparer une hisloire generale plus com- plete et plus sure par les histoires particulieres. Pour (1) V. la tres-interessante brochure de M. Bouillicr : L'Acade- mie de Lyon au XVJIIe siecle. — II faut lire aussi un autre opus- i-uledu savant doyen de la Facalle des lettres dc Lyon : L'lnstilut et les Academics de province. — 435 — dispuler leurs recompenses, elles onl en, enlrc aulres concurrents celebres, Rousseau, le lieutenant d'arlil- lerie Bonaparte, Daunou, M. Guizot , M. Thiers, M. Victor Hugo, M. Mignet. Presque tout l'enseigne- ment superieur de France est enlrc dans leurs rangs apres la pluparl des dignitaircs de l'Eglise et de l'Elal. La moilie de l'lnstitut est sortie de leur sein ou leur appartient encore a des litres divers, et nous complons nous-memes dans ce corps illustre, outre un de nos laureals, l'historien de Colbert, six corres- pondants. 11 y a quelques mois a peine, c'esl un des leurs, un pocte, membre d'une societe qui leur avail deja fourni Ducis, Thomas, Ampere, Ballanche, qu'il appclait au fauteuil du charmant el malheureux Alfred de Mussel. C'esl a elles et a l'Universite qu'il decerne a peu pres exclusivement ses nobles palmes auxquelles l'Academie de Reims a pris sa belle part, avee nos trois confreres, MM. Geruzez, Landouzy et Mau- mene, dont les deux premiers, couronnes chacun, celle onnee meme, une quatrieme fois, altendront bientol l'autre, nous l'esperons, sur les sieges du pa- lais Mazarin. Depuis Irente ans, elles onl ete l'une des preoccupations constantcs de tous les homines cminenls qui se sonl succede dans le gouvernernent de rinstruclion publique ; tous ont agite el cherchc a resoudre le probleme delicat de leur organisation et de leur federation ; et aujourd'bui, apres une lutte dans laquclle rinslilut et l'Etat se dispulaient l'hon- neur de leur donner un centre et un lien, les voila, par une serie de mesures qui ne seronl pas le moindre litre d'un ministre reparateur, raltachees definitive- mcnl a l'Etat. Elles sont pourvues aupres de lui de defenseurs accredites pour tous leurs intercts, dejuges — 436 — eminents pour toutes leurs rechcrchcs, dotees d'un organe special dans la presse parisienne, cl d'un systeme regulier de directions, d'encouragemenls et de recompenses, librement engagees enfin, sous ce haul protectorat, comme autrefois nos illustres com- munautes benediclines, dans la construction de vasles monuments d'erudition nationale ou notre savant bi- bliotbecaire s'apprete a representer dignement l'Aca- demie de Reims, ou toutes apporteronl au grand jour les resultats de leur perpetuelle enquete sur le passe et le present de leur circonscription, et celle image complete et fidele d'un des membres de la grande famille que chacune d'elles a la pieuse tache de donner a la France. Ainsi, treve, au besoin, a d'absurdes dedains, et en meme temps, aux hesitations plus naturelles que pouvail inspirer jusqu'ici, en l'absence d'une publicite suffisante, la crainte de voir de serieux travaux ensevelis ou audacieusemenl usurpes, comme il est arrive, par exemple, a la piquante histoiredu vin de Champagne de noire ingenieux vice-president. Mais treve encore a ces defiances excessives de soi-meme , a ces idees exagerees sur les conditions des services intellecluels, qui nous privenl souvent aussi de precieuses collabo- rations et influent parfoisjusque sur notre proprezele. Meme pour faire avancer les sciences et les lettres, meme pour y ajouter au tresor commun et inalienable du genre humain, meme pour y participer a la pro- duction des chefs-d'eftuvre, il ne faut, grace au ciel, ni le privilege du genie, ni toujours les dons du talent. Dieu n'a pas permis une telle depossession du vulgaire au profit du petit nombre. Par une admirable dispensation de sa providence, - 437 - il a voulu quo, surunc foule de points de son domaine, le vrai Jul presque aussi accessible a tous que le bicn et n'exigeat guere souvcnl de meme que des qualilcs morales, l'amour du travail, la patience, la modestie, la sincerite. Une observation ou une experience nou- velle dans les recherches naturelles, une rectification lu'storique, la fixation d'une dale, le dechiffrement d'une inscription, le depouillement d'une charte, la description d'un objet d'arl, son! des laches a' la portee de loule bonne volonte cclairee ; el elles n'en conslituent pas moins, dans bien des cas, un accrois- semcnt de connaissances reel et indestructible, qui pourra en amcner d'autrcs, qui conduira par la a quelqu'une de ces lois ou de ces theories generates, gloires supremes de la science. Les leltres sont moins democraliques, peut-elre ; e'est le cceur, cependanl, qui prodnil le beau, ne l'oublions pas; e'est au cceur qu'est la source des grandes pensees, des paroles eloquenles et des nobles vers. Quiconque croil, aime et souffie en ce mondc, pcut esperer trouver et fixer pour jamais un de ces accents penetrants , rencontres par la douce muse de province disparue hier, et qui sufiiront a perpeluer le nom de Desbordcs-Valmorc, ou meme une de ces hautes vues morales, un de ces cris profonds de I'ame qui emporlent quelquefois avee eux, sur les levres les plus simples, une expression digne du sentiment donl ils cmanent et au-dessus desquels il n'y a rien ici-bas, excepte une action ver- tueuse. Et puis, dans bicn des genres, au-dessous du beau , il est plus d'un degre oil le charme rcsle possible a la faiblesse aidee du travail. Si Panliquite inlcrdil le mediocre aux poeles au nom des dieux - 438 - monies, c'est clle encore, lout eprise qu'elle fut rfe la forme, qui a dit que les recils historiques plaisent, de quelque maniere qu'ils soient ecrits. A cote de l'art difficile, il y a la critique, aussi difficile et aussi grande que l'art sous la plume de notre membre d"bonneur, M. Villemain, et de ses pareils , aisee et utile encore quand elle se borne au role de la servanfe de Thales ou de celle de Moliere. A cote des omvres originates, il y a la traduction oil le copiste est eleve au-dessus de lui-meme par la presence du modele, et avec laquelle le moindre ecrivain pent jouer le role de crealeur dans sa lillcralurc nalionale el y verser a flots des idees et des formes nouvelles. Et il en sera comme des decouverles scienlifiques de ces inspira- tions heureuses , de ces pages interessantes , de ccs judicieuses appreciations, de ces conceptions et de ces beaules elrangeres, souvent meme de lenlalives tout-a-fait disproportionnees dans des domaines supe- rieurs : elles feront leur cbemin ; elles deviendronl a leur tour generatrices et fecondes. Les vents du ciel, qui connaissent leurs routes, se chargeront de porter la semence ou elle doit ailer pour devenir un chene immense ou une opulenle moisson. Un Virgile, un Horace saura cxlraire l'or cacbe dans le fumier ou roule dans des eaux bourbeuses ; un Moliere reprcndre son bien ou il le trouve; un La Fontaine faire sorlir un Eden de poesie d'une matiere nue et informe. Dans cbacune des spberes du monde de l'esprit, comme dans le monde des corps, rien ne se perd. tout s'enlr'aide, tout se lie, tout arrive a une existence superienre. Les plus grandes cboses se rattacbent aux plus bumbles. Dieu scul tire loule sa gloire de son propre fonds. Pa.s une oeuvre Immainc eminenle qui - 489 ~ ne soit, a beaucoup d'egards, une ceuvre collective, une creation successive el. multiple, une raagniQque redile , une admirable combinaison nouvelle d'ele- menls precxistants. Pareille au prisme, une critique attentive a decom- pose toules les gloires exceplionnelles , et il a ele constate que leur aureole n'avait de si prodigieuse splendour que parce que des milliers d'aureoles elaient venues s'y fondre, comme il arrive des aslres, si nous en croyons les savants. FrancoisBacon accuse Arislote d'avoir deiobe a ses devanciers la plupart des bases de la renommce sans egale qui a fail de. lui, pendant tanl de siecles, lemonarque de Tintelligence ; il le compare aux souverains de l'Orient qui lueni leurs freres pour regner seuls. Le mot est juste, et il a recu d'eclalantes confirmations. Mais il a ete applique egalement a celui qui l'a prononce et a toules les reputations scientifiques sans proportion avec celles que les peuples decernent d'ordinaire. Toutes ont ele reconnues redevables a une foule de litres enversles travaux anterieurs ou conlemporains. Dememe pourl'art et la lilterature. A la suite d'une discussion memorable sur les poemes bomeriqucs , commencee en France au XVIIe siecle parl'ecole do Perrault , et poursuivie en Italic et surtout en Alle- magne avec une cbaleur dont le sujet elait digne , une opinion a ele mise bors de doute pour la plupai t des esprils , a savoir (jue ccs poemes , ou regne une si saisissante unite, sont bien d'un seul bomme , comme l'avait mi l'antiquite tout cntiere ; mais que eel bomme sublime n'aborda son epopee qu'apres une foule de poetes donl les noms el les efforts onl disparu dans Fecial du sien ; que , s'i! ne so borno — uo — pas , ainsi qu'on l'avait soulcnu , a coordonner dcs fragments epars , du moins il s'appropriala substance d'une foule de chants anterieurs en les combinant ensemble, en y melant ses inspirations personnelles, en les elevanl a une forme definitive et iraperissable. Une part notable de ce qui a ete demontre pour Homere, auguste ancelre de la tradition inlellecluelle tie l'Occident, Test cbaque jour de plus en plus pour tous les grands artistes, pour tons les grands ecrivains qui , d'apres un point de vue familiar a la critique an- cienne, peuvent etre considered comme la posterite de son genie. Aceux-la meraes qui semblaientle plus evi- demment solitaires et fils de leurs ceuvres , lels que Dante el Shakespeare , l'erudition a retrouve dcs families considerables de devanciers ou de conlem- porains obscurs qui les avaient engendres el doles. Ilicr encore, elle completait par les details les moins atlendus sur la pari des collabora leurs de Buffon meme a son 03uvre lilleraire et a ses beaules de style , une serie de revelations analogues surcc rare esprit, egalemenl sublime, mais egalcmcnt prepare dans le passe el assiste dans le present comme ccri- vain et comme savant , comme peintre et comme theoricien de la nature. On a compare a une armec en campagne ces pen- seurs, ces savants, ces poetes qui marchenl vers l'ideal depuis les premiers jours du monde, et qui, depuis trois siecles, surtout par rinlermediaire des academies, font de plus en plus cause commune et s'entendent, s'unissent d'un bout de la lerre a l'autre. lis forment, en effet, 1'armce de la civilisation, lis combaltcnl, cux aussi, pour la liberie et pour la re- ligion, car lout progrcs inlellcctuel affranchil l'homme _ m - d'une enlrave ct agrandit I'idee de Dieu dans son esprit et dans son cceur. lis poursuivent, ils accom- plissent sans relachc, a force de labours, de souffrances et bien souvent de sacrifices heroiques, d'admirables conquetes qui ne coiitent rien qu'a eux-memes, qui n'ont a craindre aucun retour de la fortune, et qui deviennent a jamais l'apanngc de I'humanite tout en- tierc. Ils ont pour Irophees les merveilles de cetle seconde creation materielle par laquelle il a plu a Dicu de leur permettre de corriger et de completer la sienne, et surtoul ces livres incompa rabies, discours, poemes , svstemes , tresors de beaute et de verite jusque dans l'erreur, delices, consolation, inspira- tions elernelles des ames. Et; que nul ne l'oublie ni en (lehois de nous ni parmi nous-memes, mes chers confreres, leurs brillants officiers, leurs grands capitaines, les triompbateurs de leurs Austerlitz ou de leurs Solferino gagnent, comme les autres, leurs immortelles batailles avec leur genie et avec leur grand cceur, mais aussi avec des illuminations sorties de tous les rangs, avec de vaillanles phalanges d'ob- scurs soldals, allant simplement justju'au bout de leurs forces a la place oil Dieu les a mis, sans autres stimu- lants que lc sentiment du devoir el de la pafrie, el le besoin de concourir a la victoire commune, sans autres perspectives de gloire personnelle que l'humble* medaille mililnire ou 1'echo fugilif de la cite et. du village. xxx 29 — 442 - COMPTE-RENDU DES TRAVAUX DE L'ANNEE 1858-1859 Par M. Leseur, secretaire general. Messieurs , Lorsque le secretaire general prend possession de ce fauteuil, il ne doit pas se dissimuler, quel que soitson amour-propre, que le premier sentiment qu'il inspire, c'est un sentiment d'effroi. Les regards in- quiets cherchent a deviner le volume exact de son manuscrit, et semblent lui dire en suppliant, comme Dandin des Plaideurs : « Rapporteur , serez-vous »long?» J'imiterai le personnage a qui s'adressecetle question : je serai de bonne foi : je ne reponds de rien. Aussi bien serait-on tente d'etre long quand on a a parcourir une suite de travaux aussi varies et aussi attachants que ceux qui doivent faire l'objet de ce compte-rendu. Chacun d'eux a en lui-meme tant de charmes et d'attraits qui lui sont propres, que, si voire secretaire general ne sait pas, avec de tels elements, eveiller et soutenir 1'interet, la faute n'en est qu'a - 443 - lui seul; si done voire attention se fatigue avant le terme, le rapporteur sera le seul coupable. Cepcndant, ilestunecueil que je rencontre an debut de-ma tache : e'est le souvenir de ceux qui m'ont precededans eesfonctions, etqui les ontrempliesd'une faeon si complete et si remarquable. On pent succeder nu regrettable M. Bandeville, a M. l'abbe Tourneur, 'a M. Loriquet ; mais les remplacer dignement est bien difficile. Comment faire oublier ces voix si justement aimees el en meme temps si pleines de cello autoriteque donnenl el lesavoir et Texperience? 11 est donne a peu de personnes de posseder a un aussi haul degre eel esprit d'ingenieuse analyse, cette connaissance approfondie de toules les matieres aca- demiques, qui leur permettaient de juger chaque ouvrage en lui conservant son caraclere, et qui fai- saient de leur cornpte-rendu comme une galerie vi- vante oil chaque auleur passe en revue conservait sa physionomie et pouvait aisemenl se reconnaitre sans que sa susceptibilite d'auleur cut a souffrir. Sans espoir de les egaler, je lacherai de suivre leurs traces et de m'en rapprocber le plus possible, el, si l'intervalle qui nous s6pare est encore trop grand, vous me saurez gre de mes efforts , et votre indul- gence fera le reste. Mais puis-je enlrer ainsi en matiere sans autre preambule, comme aussi sans exorde? — Un exorde? Kt a quoi bon? II ne saurait avoir pour objet que de vous exposer la raison d'etre de notre sociele, ses traditions, les services qu'elle a rendus, ceux qu'elle peut rendre encore ; et que pourrais-je dire sur ce sujet, apres les eloquentes paroles que vous venez d'enlendre? Je n'en serais qu'un echo affaibli et impnissanl. — 444 — • Commencons done notre revue. Les sciences, que nous rencontrons au debut , n'ont occupe, cette annee, et nous devons le regreller, qu'une place trop restreinte dans nos travoux. M. Landouzy nous a fait part de savantes obser- vations dont deux epidemies de typhus au couvent du Bon-Pasteur lui ont fourni l'occasion. Dans les deux epidemies, l'encombrernent du couvent, joint a de raauvaises conditions hygieniques, a ete la cause manifeste du typhus. Dans la seconde de ces epide- mies, declaree le 2 Juillet 1858, la seule qui ait fait des viclimes, les signes morhides ont ete, pendant la vie, completement semblables a ceux du typhus de Crimee, ct les signes anatomo-palhologiques, apres la mort, completement differents. Dans les trois au- topsies qui ont ete faites a Reims, on a, en effet, note des lesions intestinales considerables, identiques a celles de la fievre lyphoide ; or, l'absence de lesions intestinales, en Crimee, avant fait adopter l'opinion que le iyphus et la fievre lyphoide sonl deux maladies essentiellement differenles, il etait important d'in- scrire dans les annales de la science cette constatation rigoureusement faite de lesions intestinales dans plu- sieurs cas du typhus le mieux confirme. Notre savant confrere en conclul done que, si on laissait eriger en loi absoiue l'absence de lesions intestinales dons le typhus, au lieu d'en faire seulement une regie sus- ceptible d'exceptions, on s'exposerait a voir mecon- nailre le caractere de certaines epidemies, et a ne- gliger les grandes mesures hygieniques qui peuvent les prevenir ou les allenuer. M. Maumene, que nous avions vu avec regret trop longtemps eloigne de nos seances par d'exigeanles - 445 - occupations, nous a rendu son concours, et, fidelc h ses bonnes habitudes, il a signale son retour par une communication des plus imporlantcs. Tout le moncle, ici surlout, sait que la premiere operation que Ton fait subir a la laine des moutons, avant dc 1'employer, est un lavage a grande eau. Ce lavage entraine une quantite de matieres solubles, jusqu'alors negligees et perdues, ainsi que n'en temoignent que trop les ruisseaux de notre cite. Chercher a ne laisser rien perdre et a tout utiliser, meme les matieres et les residus les plus bumbles, tel est le probleme que la chimie se pose et cherche sans cesse a resoudre, au profit de l'industrie et du de- veloppement de la richesse nationale. Aussi des chi- mistes, et des plus illustres, Vauquelin et M. Cbe- vreuil enlre autres, avaient-ils deja fait de minutieuses recberches sur ces residus du lavage des laines. Le sujet pouvait paraitro epuise, quand, a la sollicitalion d'un negociant distingue de noire ville , M. Victor Rogelet.ami zeleeleclairedu progres, M. Maumene a ete conduit a faire sur cette maliere de nouvelles recher- ches. Ces recherches faites par eux en commun, ont amene la decouverledontjenevousdirai que quclques mots. Le suint est forme de deux parties dislinctes, Tune soluble, l'autre insoluble, tres-differentesl'unederau- tre. La partie insoluble est une sorte de residu grais- seux bien connu; quant a la partie soluble, celle qui a fait 1'objet des experiences de ces Messieurs , elle doit etre, selon eux, consideree comme un veritable sel de potasse. La polasse est une matiere de premier ordre , d'un usage indispensable pour un nombre infini de preparations induslrielles et pbarmaceutiques. II est done d'un interet incontestable de multiplier les — 446 - sources do la polasse; sources, malbeureuscmcnt, chez nous si restrcintes , que l'industrie franchise est obligee, pour s'en procurer, de recourir a I'Amerique eta la Russie, qui ne fournissenl merae a ses besoin> qu'une ])otasse a l'elat impur. Les experiences de MM. Maumene et Rogelet ouvriraient a 1'induslrie une mine nouvelle de potasse presque intarissablc, ct en outre d'une potasse entierement pure. Le procedc d'extraction serait d'une extreme simplicue ct pen couleux. Deja, nous a dit M. Maumene, ces operations se seraient faites a Reims sur une grande echelle ; plu- sieurs fabricants y auraient concouru avec empresse- ment. Partout, les resultals obtenus seraient des plus satisfaisants. Faisons done des vceux pour que la de- couverte de MM. Maumene et Rogelet soil couronnee d'un plein succes, et qu'elle prenne bienlot place parmi les faits accomplis. J'aurais encore a vous cnlretenir des communi- cations qui vous ont ele faites par le docteur Gerard sur des experiences de magnetisme animal ; mais le sujet nous parait trop delicat, la verification trop difficile ; Ton ne peut voir que si Ton croit, et Ton ne croit que si Ton voit, en sorte que les experiences ne reussissent a convaincre que la seule personne qui n'ait pas besoin d'etre convaincue. Voire com- mission n'a pas, d'ailleurs, ele mise a meme de faire u n rapport ; la question semble s'elre endormie : ne la reveillons pas. Vous vous rappelez la critique savante que M. Du- ch£ilaux vous a faite de differents articles des jour- naux agricoles le Sud-Esl et le Journal de Caen, renvoyes a son examen. Notre confrere a su donner — 447 — ■a ce compte-rendu tout I'attrait d'un travail original ; c'est une vraie lecon de chimie agricole sur l'ordre et la succession a etablir dans les cultures, le choix a faire dans les engrais, mais lecon faite avec tant de clarte et un tel bonheur d'expressions, que les personnes les plus neuves et les plus incompetenles en cette maliere peuvent en saisir toule la portee. Mentionnons, en fait d'agriculture, les envois de notre correspondant M. Ponsard, le redacteur du Journal agricole ; propagateur infatigoble des idees nouvelles en agriculture, M. Ponsard a voulu joindre le preceple a l'exemple : il ne se contente pas d'etre un de nos agriculteurs les plus dislingues, il veut faire profiler les cultivateurs timides ou hesitanls des utiles experiences qu'il a failes el.dont il est si bon juge, en les mellant a leur portee au moyen de la publi- cation periodique qu'il dirige. M. Masse, le representant eminent de la science du droit parmi nous, a fait hommage a la compagnie de son dernier volume de Zachariae qui comprend les im- portants traites du contrat de mariage et de la vente. II nous suffit de dire de ce volume qu'il est au niveau de ceuxqui l'ont precede ; il jette sur ces questions recem- ment si controversies une vive lumiere. Celle publi- cation a donne au nom de M. Masse une autorite qui le met au rang de nos jurisconsultes les plus conside- rables. Mais pourquoi faut-il meler des regrets a nos eloges? Ces travaux avaient appeledepuis longtemps sur leur auteur la distinction dont il a ete l'objet. Si l'Academie a applaudi a l'elevation de M. Masse aux fonctions de vice-president du tribunal de la Seine, elle a vu en meme temps avec peine ces fonctions nouvelles lui enlever un merribre dont le concours — 448 — ne lui a jamais fail defaut. Mais ['absence ne rompt pas toiis les liens, et l'Academie se console par la pensec que le litre de membre honoraire que conserve M. Masse entreliendra enlre lui el elle des rclalions donl elle aura toujours a se feliciler. Enlre le droit, la philosopbie el la morale, il y a un lien bien etroil ; ce sonl enfants d'une menie famille ; aussi puis-je sans transition passer de Za- chariae a Leibnitz. M. Ropiquel nous a lu une notice substanlielle sin- ce pbilosopbe, donl il admire vivement les opinions, sans les adopter d'une fagon absolue ; il place Leibnitz sur la merae ligne que Platon et que Descartes, el trouvememe en lui un spiritualisme plus pur cl plus eleve. M. Ropiquet, lout en distinguanl avec surete et precision ce qu'il y a d'errone dans ceriaines doc- trines de l'illustre pbilosopbe, rend une juslice ecla- tanle a son genie , et, sauf ceriaines restrictions, parait preferer son sysleme a tous les autres. Remercions M. Delvincourt de l'envoi qu'il nous continue du Journal de la societe de la morale chrettcnne ■ Les saines et sages idees et les principes cbretiens qui inspirent cetle publication en font un instrument certain de moralisalion. M. Alexandre Aubert, qui joint aux travaux du saint ministere les fonctions de secretaire du Cornice agricole de Chalons, nous a adresse une analyse, avec extraits, d'un livre de La Serre, publie en 1630 sous le litre: VEntrelien des bons esprits sur les vanites du monde. Pujet de la Serre est l'auteur malheureux que Boileau a simallraile elquijouele principal role dans la parodie de Chapelain decoiffe. Les biographies ne mentionnent pas eel ouvrage de morale parmi - 449 - ceux si nombreux et si varies de La Serre ; mais jo ne crois pas que cetle exhumation lilteraire, pour mc servir de l'expression de M. Aubert, doive beau- coup profiler a La Serre et le tirer de l'oubli ou il est si justement tombe. Cc livre des vanites les passe foules en revue : vanite de la noblesse, vanite des grandeurs et des richesses, vanite des charges, etc., etc. Mais quel style! Jugez-en par cet extrait du chapitre de la vanite des festins et des danses : € Le premier festin du monde fut celui que le » diahle fit, dans le paradis terrestre, a nos premiers » peres. Quel funeste banquet! II les invita a manger » des pommes, mais le poison elail dedans, et si » contagieux, que toute la nature humaine en fut » mortellement alteinte. Adam el Eve s'assirenl a j table l'un aupres de l'autre, a I'enlour de l'arbre » de vie, etle malin esprit, sous la figure d'un serpent, » se met au haul bout, afin de les invitee a faire » bonne chere. II leur presente, pour le premier » service, des plus excellents fruits dujardin, et en- » suite il fait voir sa magnificence. Mais voici ledes- » sert qui vient. Je vois un plat tout plein de pommes, » sur lequel Eve jette deja les yeux, comme pressee » de 1'envie d'en manger. Que fera-t-elle? » Ce qu'elle fit, helas! nous le savons tous ; mais ce que nous savons aussi, e'est qu'il est impossible de donner a sa pensee une forme plus plate et plus grotesque. Peut-elre M. Aubert nous objectera-t-il qu'il ne faut pas juger de l'ouvrage par ce seul endroit ; que d'autres chapitres, notamment ceux de la vanite de la noblesse et des charges , conliennent quelques pensees fortes, bien exprimees ; mais quclles beautes, — 450 - et de premier ordre, ne faudrait-il pas pour racheter de pareilles pages ! Que M. Aubert se rassure done : ni Boileau ni la posterite n'ont ete injusles pour La Serre ; il est a sa vraie place : qu'il y reste ! Dans son denombrement des vanites, il n'en est qu'une que La Serre a ou- bliee, et e'est la sienne propre. On raconte, en effet, qu'un jour, enlendant un discours de Richesource, un grand auteur de merae force, il alia, comme dans une espece de transport , embrasser l'oraleur en s'ecriant: « Ah ! Monsieur, depuis vingl ans, j'ai » bien debite du galimathias; raais vous venez d'en » dire plus en une heure que je n'en ai ecrit en i toute rna vie. » La Serre se flaltait : Richesource n'avait pas fait YEntretien des gens tVesprit on le Litre des vanites. M. Paris vous a lu une notice biographique sur M. Moustalon, mort le 10 Aout 1830, a Epernay, et qui, apres avoir consacre sa vie a la direction de la jeunesse, a voulu que sa modeste mission ne finit pas avec lui , en ecrivant pour elle des petils traites de morale comme le Lycee de la Jeunesse. Cetle notice manuscrite est l'ceuvre de la piele fdiale; elle est de la fille de l'auteur : nous devions, a tant de titres, la mentionner ici. L'archeologie et la numismalique ne nous ont pas ete infidedes. M. Reimbeau, a propos du memoire presente au concours sur l'iconographie exterieure de la cathe- drale, vous a lu quelques observations destinees a mettre en lumiere le role des imagiers de nos ca- thedrales vis-a-vis des archilectes ou mailres des oeuvres, comme on les appelait alors. II vous a — 451 - montre I ar chilecte sc reservant son entiere liberie de ce sujet pour mal interpreter les saintes inten- » tions du Saint-Siege, et faire croire qu'il s'essaie » sur 1'Elat et veut le depouiller de son autorile. » Et il ajoule pour 1'ambassadeur : « Vous savez, Mon- » sieur le commandeur, combien les esprits de » nos FranQois sont chatouilleux: c'est pourquoi vous » vous y devrez roidir, et en tout ce qui regardera la » dignite de ceste couronne , n'eslant raisonnable » que pour ses afflictions, elle receive aucune dimi- » nution de ses privileges. » — m — Voila, cerles, de nobles cl fieres paroles, vraimenl franchises : le calcul personnel perce un peu sous le sentiment national ; la peau du renard selaisse voir sous la peau du lion. Mais, quoi qu'il en soit, on doit savoir gre a Mayenne de cette noble attitude , qui temoigne que l'ambition n'a pu elouffer dans son cceur le sentiment de la patrie. Les lettres de Babou de la Bourdaisiere sont de quelques annees anterieures a celles de Mayenne. — Celles que possede la bibliotheque de la ville sont au nombre de cinquante, en deux series : l'une du ler Juil- let 1560 au 2 Avril 1561 ; l'aulre, du 25 Mars 1 563 au 8 Janvier 1564. Elles sonl ecriles de Rome, oil leur auteur mourut en 1570, apres y avoir passe les douze dernieres annees de sa vie , d'abord avec le litre d'ambassodeur ordinaire , puis comme prolec- leur des affaires de France. — Nous sommes sous le regne de Francois II et de Charles IX, au debut des guerres de religion. L'Espagne , l'implacable rivale de la France, essaie de profiter de nos troubles nais- sanls pour comballre el aneantir a Rome l'influence francaise , et y imposer sa preseance. — Les lettres de La Bourdaisiere nous font assister a ces luttes in- cessantes d'etiquette entrc l'ambassadeur d'Espagne et lui , luttes qui peuvenl parailre pueriles aujour- d'hui, mais qui avaient, alorssurtoul, une importance extreme , puisque l'influence francaise a Rome en etait l'enjeu. — Mb'f de la Bourdaisiere le senlait bien ; aussi, ne craint-il pas de payer de sa personne, et Vargas, le representant de l'Espagne, a affaire en lui a forte partic. Permeltez-moi de vous rappeler, notre confrere aidant , comment les choses se passerent lors de la fete de la creation , le 26 Decembre 1503. - Am - Dans deux occasions precedentes, Ms1' de la Bour- daisiere avail ete joue par son rival, dont lc papc et la cour encourageaient les usurpations ; mais ce jour-la, 26 Decembre, des lc fin malin, Babou va au palais, et, voyant que le cardinal Borromee ne repon- dail qu'evasivement a ses questions, il se rend dans 1'anticbamlire dupape ct demandeaudience.il atlen- dait depuis longtemps, quand Vargas arrive et penetre aussitot pres du Saint-Pere , ou le rejoignent pen apres plusieurs cardinaux. Mors commence une scene, ou plutot une comedie, comme dit Babou, qui dura quatre ou cinq beures. « Apres avoir confere*quelque temps avec Pie IV, » les cardinaux, ecrit-il, revinrent me trouver dans » l'anticbambre , proposant plusieurs expedients, » entre autres celui-ci : Le pape consentoit a ce » que j'assistasse au diner dc la creation , mais , » le jour de la coronation , je resterois cbez )> moi , feignant d'etre malade : a quoi je re- » pondis que, quand je serois reellement malade , » je me ferois plutost porter que de manquer a un » tel acte ou la dignite de mon maitre se mettoit en » conlroverse. Et ainsi de suite, repoussant tous les » expedients jusques quatre, aulant il y avoil de » trous, trouvanl autanl de cbevilles pour les es- » louper. Mors Moron commenca a me conjurer par » la bonne amitie qu'il me porloit, par la bonne » opinion que lc pape avoit de moi, par le bien et » repos de la cbrestiente, que j'eusse a me desister » de cette miennc obslination, Les autres cardinaux » ajouterenl leurs instances, comme freres et amis. » Le camerlingue se montra mervcilleusement aigre » et mo picqua plus que pas un, commencant a me- — 464 - « nasser de la guerre, de laquellc il disoii que nous 9 n'avions pas besoin. Ne pouvanl supporter ces bra- » vades , je repliquai : « Nous n'avons pas paour » de la guerre, Dieu merci ; encor que nostre prinee t> soil jeune, le royaume de France est en lerraes » d'offendre autrui non moins que de se defendre. » 9 Je remerciai tres-humblement les autres, mais je » leur lis remarquer que, m'oubliant comme ils vou- » loient que je fisse, je n'aurois pas le pied-a l'etrier » en la seconde posle de Prance, que je ne fusse » arreste prisonnier pour faire justice d'une telle » deloyaute ; que je tenois a savoir de Sa Sainlete » si elle vouloit nous reconnoistre a l'accoustume ou t s'ennuyoit de nostre obeissance; qu'enfin, plutost » que de parlir avant de lui avoir parle, j'atlendrois s> d'estre jecte dehors par ses gardes. » Les cardinaux retournerent pres-du pape, qui, sur leur rapport, congedia Vargas et descendit pour aller a la messe. II clait une heure apres midi ou plus. L'eveque d'Angoulerae faisait toujours antichambre. Pie IV passa pres de lui sans dire un seul mot, mais le salua de la tele avec un fort bon visage, « cl me » sembla , ajouie notre ambassadeur, qu'en son » cceur il esloit content que j'eusse tenu bon. » Vargas avail comple sans son bote : il s'en alia battu et pen content. Pendant six semaines, il s'abstint de toute ceremonie publique,ne reparut qu'a la messe de la Chandeleur el a son rang. — Cepen- dant, celte dispute n'aigrit point autrement, du moins en apparence , les rapports des deux ambassadeurs, qui s'embrassaient et devisaient ensemble comme serviieurs de princes allies ; mais, en diplomatic, les embrassades ne content guere ; elles n'engagent pas l'avcnir ; engagent-elles meme le present? - 465 - Le comic de Tendille fit plus de facons : le jour de la coronation, se trouvanta Saint-Pierre, au service, el voyant que Ton avail porlc l'encens a l'eveque d'Angoulemc le premier, il tourna la tele, quand on le voulut encenser, « com me celui qui ne racce[>te. » Noire ambassadeur etail reste mailre du champ de bataille. N'oublions pas la lecture que M. Henry nous a faite sur l'.etat de la Faculte de droit a Reims avant 1789, ct qui nous a fourni l'occasion d'entendre encore quelques railleries de notre vieille connais- sance Jelian Pussot a I'endroil des gens de justice. Avez-vous lu Baruch? demandait La Fontaine a [put venanl, dans son naif enlbousiasme pourle pro- phele qu'il venait de lire pour la premiere ibis. Connaissez-vous Moilain, vous demanderai-je avec le meme empressemenl, apres avoir lu la nouvelle his- torique de M Robillard, le Defile du Serpent ? Morlain, petite ville du depai lenient de la Manche, d'apres le tableau si attra\antque nous en fait notre confrere, qui ne desirerait la connaitre? Morlain, sile encbanleur, ales pieds dans unegra- cieuse vallee, el la tele sous l'ombrage de la plus rianle colline. — Ombres epaisses, fruits savouieux, lailage frais, loul vous y fait regreller le bon lemps des eglogues. 11 semble que le bonbeur doive avoir la un asile inviolable, oil les chagrins n'aient pas d'acces. Mais, helas ! com me ajoute philosophii|ue- ment notre confrere, le malheur a ses entrees par- taut. La nature el la vie ne sont que contrasles. Ce pays, qui semble voue a la paix, ne devait pas etre a I'abri des orages de la Revolution. En face de Morlain — 466 - s'elevent deux montagnes aux formes variees el bizarres, qui cachent dans leurs gorges abruples et profondes un chemin etroit , appele le Defile du Serpent. Ce defile a ete , pendant la Revolution , le theatre d'un drame terrible , d'une lulte supreme entre les chouans , commandes par Deslange , et les troupes republicaines condnites par Remblancay , l'un des jeunes lieutenants du comte de Frotte. Ce combat, qui se livra dans la nuit du 14 Juillet 1798, fait le sujet de la nouvelle de M. Robillard. Vous savez avec quelle richesse de couleurs il nous a depeint cet episode saisissant. Au lever du soleil , il ne reslait plus dans loule la longueur du defile un seul chouan de vivant. La Rasse-Normandie redevint immobile et muette sous l'oppression de ce grand desastre. Quels sentiments douloureux de pareilles luttes n'eveillent-elles pas? Si elles indiquent chez la nation chez laquelle elles se livrent des conditions de vita- lite et d'energie preferables peut-elre a la torpeur d'un peuple fatigue qui passe, com me un troupeau docile, sous la main du plus fort, et accepte sans resistance la loi du succes, quel qu'il soit, de telles luttes n'en sont pas moins douloureuses. Que d'he- roi'sme perdu ! La victoire ainsi achet^e coute trop cher, et de quelques emblemes qu'on veuille la parer, ils sont impuissants a cacher la plaie qui saigne au ccaur de la patrie. Mais , a cette meme epoque , la France livrail d'autres grands combats dont les succes remportes sur l'elranger excitaient un sentiment unanime de joie etd'orgueil. Le bonheur elait sans melange, et nous en trouvons la brillante expression dans le livre remarquable dont nous avons ;» vous entretenir. - 467 - Ce livre, vous l'avez deja nomine, c'est VHistoire de la Utter ature francaise pendant la Revolution, e'est-a-ilirc pendant les dix dernieres annees du XVIIIe siecle. M. Geruzez , l'heureux continuatcur de M. Ville- main, a mis, par celtc publication , le sceau a sa reputation de critique ; et 1'Academie Franchise a confirme le jugement des gens de gout, en lui con- ferant, unanimement, une de ces distinctions qu'elle ne decerne que raremenl au merite purement litle- raire, le prix Bordain. Dans ce volume , M. Geruzez passe en revue, au point de vue lil'eraire, les productions de l'esprit, pendant celle pcriodc qui s'ouvrc par les magnifi- cences de la tribune avec Mirabeau , et finit par les eclatanles proclamations avec Napoleon. 11 examine, sans parti pris, et avec la siirete de gout qui le carac- terise, les ceuvres quelles qu'elles soient ; journalisme, pampblets , critique , theatre , tout y a sa place ; et l'auteur y trouve l'occasion de relever une infinite de details heureux que les grands evenemenls qui occupaient alors le premier plan de la scene avaient fait negliger et meme oublier. Parmi les plus curieux, il faut signaler, dans beau- coup de compositions poeliques et dramaliques, une tendance a la fadeur qui conlraste singulierement avec les hommes et les fails. — C'est ainsi que M. Geruzez cite ces deux vers de la comedie des Femmes de Dumoustier, jouee en pleine Terreur : Les fleurs sur votre teint meurent a peine ecloses. J'y vois encor des lis, mais j'y cherche des roses. Quels vers, et dans quel temps! II ya vraiment, - -408 - ajoute-t-il spirtuellement , ties graces d'etat pour les ames douces qui ont la passion des fleurs. L'epigramme seule a quelque chose de farouche et de sinistre ; ellc a echange le trait qui blesse , contre la hache el le couleau qui tuent. Mais la partie la plus neuve et la plus saisissanle du livre de M. Geruzez, que les evenemenls ont rendue tout actuelle, est celle qu'il consacre a l'elo- qnence militaire. Le general Bonaparte etait alors la personnification de cette eloquence ; non pas qu'il l'ait creee , comme le remarque judicieusement M Geruzez, car, avant lui, Henri IV 1'avail possedee a un haut degre, mais il l'a elevee et agrandie. Vous vous rappclez, Messieurs, <-elle de nos seances oil noire illustre correspondant, faisant a l'Academie l'hommage des premices de son livre , nous lut quel- ques pages de ce chapitre : quels magnifiques sou- venirs se levaient dans vos esprits au souffle de cette eloquence entrainante des proclamations du jeune general a I'armee d'llalie ! Qui nous eiit dit alors que celte lecture etait presque une prophetic, et que, dans quelques mois, notre armee foulerait les rnemes champs de bataille, el, reveillant les echos de Mon- tebello et de Marignan, livrerait a l'admiration de l'histoire les noms nouveaux ou rajeunis de ces lulles giorieuses et gigantesques ? Permettez-moi de vous lire ici la deuxieme pro- clamation a I'armee d'ltalie. c Soldats, vous vous etes precipites comme un » torrent du haut de l'Apenriin ; vous avez culbute, » disperse lout ce qui s'opposait a votre marche. Le » Piemont, delivre de la tyrannic autrichienne, s'est » livre a ses senliments naturels de paix et d'amitie - 469 - » pour la France. Milan est a vous , cl le pavilion » francais flolte dans toute la Lombardie. Les dues de » Parme et de Modenc ne doivent leur existence » politique qu'a votre generosile. L'armcc qui vous » menacait avec oi'gueil ne Irouve plus de barrieres » qui la rassurent contre voire courage. Le Po, le » Tessin, l'Adda n'ont pu vous arreler un seul jour; » ces boulevards lani vantes de l'ltalie ont etc insuf- i) fisanls : vous les avez francbis. o Ces pages sont-ellcs de 1797 ou de 4859? — Quelle bcureuse aclualite! Ab! disons-le avec orgueil, e'est que la France est toujours la meme, etque toules les foisqu'elle tire l'epce pour une sainte et noble cause, la victoire et la gloire sont fideles a ses drapeaux. M. Tarbe, toujours present parmi nous, en depit de l'absence, nous a oflert le volume qu'il vient de publier sur la Vie et les (Euvres de Jean-Da ptisle Pigalle , le sculpteur a qui Pieiins doit la statue de Louis XV et les statues allegoriques qu'on voit aux coles du piedestal. L'auteur y rappelle avec un or- gueil legitime la parente qui l'unit a l'illuslre scul- pteur; on l'eut devine s'il ne l'avait pas dit , car l'ouvrage laisse sentir une cbaleur de sentiment qui semble en faire une ceuvre de piete Gliale. — Peut-etre meme ce sentiment pousse a l'exces donne- t-il au ton general du livre une nuance quelquc peu outree : lei, au debut , l'enlretien de l'auteur avec le gardien du cimciiere Montmarlrc, qui pbilosophe mieux que ne feraienl les fossojeurs d'Hamlct. — Mais, a part ce leger defaut (etqui n'a pas les siens?), le livre de M. Tarbe est ecrit avec le cceur et renferme une abondance de details nouveaux qui ne fatiguent jamais le lecteur. - 470 - Nous ne pouvons resistor a la tcnlalion de vous en citer quelques-uns qui ont un trait particulier a notre ville : je lesemprunte aux chapitres quel'auteur a consacres h 1' execution et a l'erection de la statue de Louis XV a Reims. Ce fut un evenement dans le monde des arts, quand, en 1765, aprcs neuf ans de travail, Pigalle exposa son oeuvre au Louvre; les eloges se donnerenl un libre cours, et la critique ne s'excrca pas avec une moins grande vivacite. Pigalle n'etait pas l'homme des encyclopedistes, qui avaient leur sculpteur de predilection dans Falconet, son rival : aussi I'ceuvre nouvelle est-elle assez severement jugee par Diderot. Gependant, dans son salon de 1765, il raconte que, lorsque le monu ment fut expose, Falconet, qui n'aimait pas Pigalle, lui dit, apres avoir vu et bien vu son ou- vrage : « Monsieur Pigalle, je ne vous aime pas et » je crois que vous me le rendez bien : j'ai vu voire >• citoyen (c'est le nom sous lequel on designait l'une » deux statues du piedestal , celle du Commerce ) : » on peut faire aussi beau, puisque vous l'avez fait, » mais je ne crois pas que Part puisse oiler une » ligne au-dcla. Cela n'empeche pas que nous demeu- d rions comme nous sommes. » — « Voila mon » Falconet ! » s'ecrie Diderot. Une statue ne peut pas resler sans inscription : Pigalle s'adressa a Voltaire pour lui en demander une de sa main. — 11 lui ecrivit done le 23 Juillet 1763, el nous citerons de celte letlre un passage fort curieux ; le sculpteur indique quel est I'ensemble de sa composition. « En voici, ecrit-il, le sujet : J'ai pose » la figure de Louis XV debout sur un piedestal rond : » je l'ai vetu a la romaine, couronne de lauriers. II « etend la main pour prendre lepeuple sous sa protec- — 471 ~ » lion. Aux deux cotes du piedeslal sonl deux figures » emblematiques dont l'une exprime la douceur du » gouvernement, et l'autre la felicile des peuples. » La douceur du gouvernement est representee par » une ferame tenant d'une main un gouvernail et con- » duisanl de l'autre , par la criniere , un lion en » liberie, pour exprimer que le Francais, malgre sa » force, se soumet volontiers a un gouvernement » doux. La felicite des peuples est rendue par un » citoyen heureux , jouissant d'un parfait repos an » milieu de l'abondance designee par la corne qui » verse des fruits , des fleurs , des perles et autres » richesses. — L'olivier croit aupres de lui ; il est » assissur des ballots de marcbandises ; il a sa bourse » ouverte, pour marquer sa securite ; et pour sup- » pleer au symbole de l'Age d'Or, on voit, a l'un de » ses cotes , un enfant qui se joue aver, un loup. » J'avais d'abord mis leloup et l'agneau qui dorment » ensemble : mais Messieurs du corps de ville,, a cause » du proverbe : 99 moutons et i Champenois font » cent...., onl voulu absolument que je supprimasse » l'agneau. » Cette susceptibilile du corps de villc me parait bicn exageree. Qu'a done de si offensant pour le Cham- penois ce dicton qui n'est qu'un mot echappe a la fureur d'une fiscalite cupide et brutale, cpii, sans cesse vaincue par la malice champenoise , et des- esperant d'en triomphor, no trouva d'aulre arme que l'arbitraire? Je prefere a cette susceptibilitc limide la reponse que M. Sulaine nous faisait connaitre, en rendant compte d'une brochure de M. Chaubry de Troncenord sur les graveurs champenois. Trois voyageurs, au moment de se separer, venaient d'e- — Mi — changer leurs cartes. — « Ah! ah ! discnt deux d'entre » eux au troisieme, vous eles Champenois? du pajs » des 99? — Precisement, repondit noire compalriole, » je suis du pays ou Ton renconlre un homme d'es- » prit sur cent. En eonnaissez-vous beaucoup, Mes - » sieurs, dont on puisse en dire autanl? » Pigalle, du reste, en revint a sa premiere idee ; et, sans egard pour la suseeptibilile du corps de ville, reunit l'agneau et le loup au pied de son piedestal , et ils y dorment encore aujourd'hui, sans froisser personnc, j'imagine. Nous avons laisse notre sculpleur en quele d'une inscription pour sa slalue. Voltaire s'executa et en- voys ces deux vers assez obscurs : Peuple fidi'le et juste, et digned'un tsl maitre, L'un par 1'autre cheii, vous meritez de l'etre f< Vo\ez, ajoulait-il, si vous serez content; il me » parait que, du moins, ni le roi ni les Remois ne » doivent se facher. Si vous trouvez quelque meil- » leure inscription, employez-la. Je ne suis jaloux » de rien, mais je disputerai a tout le monde le » plaisir de senlir lout ce que vous valez. a Cela elait bon a dire, mais Voltaire n'etait pas homme a faire ainsi bon marche de ses ceuvres, meme les plus minces. Aussi ecrivail-il, le meme jour, a une autre personne, et, lui racontanl les difficultes que lui avail presentees la composition de ces deux vers, ajoutait-il : « Si on ne veut pas de ce petit disticon, » qu'on se coucbe aupres , car je n'en ferai pas » d'autre. » II le refit cependant, el jusqu'a quatre fois, sans elre plus beureux. Diderot lui-meme se mil en campagne et fit une — 473 - inscription; mais elle elait en prose: ce n'elail pas do mode. L'Academie des Inscriplions n'enl pas plus de sueces. L'Academie de Clialons-sur-Marne, Saurin, de l'Academie fraiicaise, auteur de Sparlacus el de Beverley , Piron meme entrerent en lice et en- voyerent chacun la sienne ; mais Reims eut le lion gout de n'en accepter aucune, et on ne saurait l'ac- cuser d'avoir ete difficile. Appel fut fail aux poetes remois : M. Have, avocat au bailliage royal et biblio- phile ; messire de Saulx, chanoine de Reims, chan- celier de l'Univcrsile, concoururent, el la statue eut ete en grand danger de rester sans inscription, sans M. Simon Clicquot-Blervache, qui faisait alors parlie du conseil de ville, donl il etait le secretaire, el qui demandail au commerce des Muses, comme on disait alors, le delassement de ses etudes d'economie poli- tique. II fit le quatrain suivanl : C'est ici qu'un rui bienfaisant Vint jurer d'etre voire pere. Ge monument instruit la terre Qu'il fut tidele ;i son serment. Le concours etait clos, et le conseil pria M. Ber- lin, controleur general des finances, de souineltre au roi cinq des inscriptions composees en son honneur, el parmi lesquelles figuraient celles de l'Academie des Inscriptions, de Voltaire, de Piron, et enfin celle de M. Clicquot. Peu de jours apres, le secretaire du conseil municipal recevait la lettre suivante : « J'ai mis » sous les yeux du roi et de son conseil, Monsieur, » les inscriptions proposees par la ville de Reims » pour le monument qu'elle a fait faire a l'lionneur » de Sa Majeste. La cinquieme, dont vous eles l'au- » teur, a ete unanimement preferee, el le roi a paru xxx. 31 _ 474 — a saiisfait de la maniere dont vous avez exprime son » amour pour son peuple : c'est de toutes les louanges u qu'il merite a tant d'egards, celle qui lui est le » plus there. — Je suis fort aise de la preference » que votre inscription a obtenue sur celles de l'Aca- s demie et dQ deux au!res auleurs celebres , et c'est » avec plaisir que je vous i'annonce. » Reims devait etre salisfaite : c'etait une belle vic- toire ; VAcademie, Diderot, Voltaire, vaincus par le se- cretaire de son conseil! Voltaire et Diderot exhalerent bien leur mauvaise bumeur en ameres impertinences contre les gens de leltres de province ; mais la Cbampagne etait vengee, et le mouton de Pigalle pouvait continuer a dormir au pied de la statue de Louis XV et braver la raillerie. Voila, assurement, des details bien propresa faire lire avec plaisir l'ouvrage de notre confrere. Ceux qui suivenl, sur la pose de la premiere pierre du piedestal, le 30 Oclobre 1764, sur l'arrivee de la statue a Reims, les 7 et 8 Juillet 1765, et enfin sur son inauguration, le 26 Aout 1765, ne sont pas moins attacbants. La reine Marie Leczinska assistait a Tinauguration. Les trois ceremonies furent 1'occasion du deploiement d'une pompe extraordinaire : truelles, equerres, mortiers, tabliers d'argenl, uniformes ma- gnifiques, lout ce qui pouvait rehausser l'eclat de la fete et la magnificence du cortege , feux d'artifices, jeux, chansons, rien ne manqua. Ce fut pour l'artiste un triple triomphe. — Cependant la statue coulait a Reims, ycompris les depenses pour l'etablissement de la place, 416,000 livres , somme enorme pour l'epoque ; mais la ville n'y regarda pas; elle tit royalement les choses, et fiere de posseder un chef- - 475 — d'ceuvre ilu grand slatuaire de I'cpoque, elle ajoula nu prix convenu 50,000 livres pour Pigalle, plus une pension de 4,000 livres. Cela se passait en 1765. Le 15 Aout 1792, vingt- sept ans apres, a deux heures apres midi, celle meme siatue , dont l'ereclion avait ele l'objet de si bril- lanles feles, elait renversee. « On la garnit, du cole de l'holel dcs Fermes (la Douane), dit un conlempo- rain , d'un grand nombre de fagots monlunt a la hauleur du piedestal ; on a place un gros rouleau de bois au bas de la statue; un ouvrier est monte avec une echelle au dos de la statue , a passe une corde aulour du col ; alors un nombre d'bommes se sont mis a tirer la corde d'assez loin , et la statue est tombee en presence de Couplet, dit Beaucourt, procu- reur de la Commune. » Puis on mil en adjudication, au rabais, les ouvrages necessaires pour la mise en morceaux du bronze de la siatue et pour le depe- cement de la fameuse inscription qui avait donne tant de peine et qui avait ete pour le Parnasse remois l'occasion d'un si beau succes. Une derniere afficbe annoncait pour le 31 Octobre 1793 1'adjudicalion, au rabais, du transport des debris de la siatue de Louis Capet a l'arsenal de Melz. Le conseil municipal parvint a sauver les deux statues symboliques el le piedestal qu'elles deco- raient. Si Ton en croit noire confrere, Pigalle, comme autrefois Phidias, se serait represents sous la figure du Citoyen du groupe du Commerce, el tout en admirant son ceuvre, le passant peut ainsi con- templer a loisir les traits du grand artiste. Je vous ai deja cite le compte-rendu que M. Su- taine vous avait fait d'une brochure de M. le baron — 470 — Chaubry Ui s souvent des impressions premieres ; ce n'esl qu'une revelation do soi-meme que Ton doil aux lecons de ses premiers maitres : aussi voire president doit-il etre justemcni fierde compter M. D'Arbois parmi ses eleves, et d'avdir, en l'initiant aux etudes historiques eten les lui faisont aimer, prepare une carriere dont chaque pas est. un succes. Citons enfin, romme ayant trait a l'histoire, un remarquable discours prononce a la distribution des prix du lycee imperial de Bordeaux par M. Belin de Launay, sur les causes du sceplicisme historique el la certitude des monuments de l'histoire ; une mo- nographic de Chateau-Porcien par M. Lepine , l'au- teur d'une hisloire de Roci-oy couronnee, 1'annee derniere, par l'Academie, et dont l'oouvre nouvelle presente les inemes meriles ; un essai sur 1'lnde et l'Anglelerre par M. Nicaise, de Chalons-sur-Marne. que l'Academie a elu, cctle annee, membre corres- pondant, et qui, par cet envoi, juslifie pleinement le choix que vous avez fait. J'en aifini, Messieurs, avec les Iravaux historiques, et vous voyez que , lorsque je vous annoncais que ce champ nous offrait d'abondantes moissons, je ne disais rien qui fut au-dela de la verite. La poesie a ete moins fecondc. M. Soullie vous a lu (juebjues pages de sa traduction du prophete Isaie. La lache elait bien difficile, ingrate meme, car com- ment esperer jamais egaler son modcle? Apres avoir — 482 — traduit Tbeocrite, tratluire Isaie ! Quel espace a fran- chir ! M. Soullie n'en a pas ete effraye, et nous devons l'en feliciter, car ce nouvel essni lui a fourni l'oc- casion de nous montrer avec quelle facilite son talent sail se plier aux exigences de son sujet. Sa traduction reflete assez fidelement quelques-unes des teintes fortes etsombres de son sublime original. N'oublions pas la critique que notre confrere nous a lue de quelques poesies de Lamartine et de Victor Hugo. Des apercus quelquefois neufs et ingenieux distinguent ce travail, auquel nous ne reprocherons, toutefois, qu'une excessive severile. M. Tardieu de Saint-Germain nous a envoye son Epilre it I'Academie de Rouen sur la perpetuite en matiere de litterature et d'art. G'est une question de droit mise en vers. Nous avons retrouvedans celte ceuvre ce talent si gracieux dont, il y a un an, nous admirions ici les cbarmantes productions. Enfin, M. Cberi Pauffin, de Rethel , nous a en- voye quelques pieces qui ne sont pas sans mcrite. Messieurs, j'ai (ermine ma tacbe. Puisse-je n'avoir pas mis votre patience a une trop rude epreuve, et n'etre pas reste trop au-dessous de mon sujet ! J'ai parcouru avec vous l'ensemble de vos travaux: tous, sans doule, ne sont pas de premier ordre et ne jeltent pas un grand eclat; mais, fussent-ils plus modestcs, que le but de noire association n'en serait pas moins atteini. lis indiqueraient toujours que nous sommes demeures fideles a l'amour de 1'etude el au culte des choses del'intelligence et de l'esprit. Ce ne sont pas des dieux sourds , et leur culte est si doux qu'il est deja en lui-meme une recompense. Son influence n'agit pas moins sur lecceur que sur l'esprit, - 48; elsielle nous fait mieux com prendre et seniir ce qui est beau, elle nous fait aussi mieux aimer 5,18 II. 25,00 III. 25,08 IV. 27,30 j 24, ',(5 27,42 ct il esl bienclairque le sel double ne renferme pas plus de 6 HO. Les resullats analyliques sont d'ailleurs parfaitement corrobores par le cbangement des proprietes phy- siques. Le sel double, prive seulement de son eau par la fusion menagee, presenle au plus haut degre les phenomenes curieux du rochage et du delitemenl in- diques par Berzelius (2). A peine retire du feu , il crislallise en grandes lames, il roche comme l'argentr se solidifie, et revienl peu a peu de la teinte vert noir au bleu pale que possedaient les crislaux. Plus lard, quand il est presque a la temperature ordinaire, il se delite et forme promptement une poussiere qui se 1) Cu 31.75 K 39. S 16. 0 8. H 1. (2) Traite de Chimie, 1847, IV, 103. _ 45 — dctacbc entitlement du creuset, si la surface estbien polie. Ges phenomenes sont dus a une dilatation et a une contraction successivesetalafragilitedu sel. — lis disparaissentcompletement lorsque le sel a perdu la petite proportion d'acide sulfurique dont j'ai parle plus haul. U n'y a plus alors de rochage ni de deli- tement spontane. — En outre, l'eau tiede ne dissout plus enticement le sel : il reste un precipite inso- luble, grenu , dont on ne conserve pas la moindre trace quand la fusion n'a separe que de l'eau pure. D'apres la formuleCuO. SO3 :KO.S03. OHO, on voit que l'unite de potasse (K 0) est representee dans celte methode par 4,6968 sel double; l'unile de carbonate (KO.C O1) par 3,2. — D'un autre cote, l'unite de sel double represenle 0,2129 potasse (K 0), el 0,91.26 carbonate (KO. CO2). II est ainsi tres-facile de resoudre les questions proposees a l'analyse. Le poids du sulfate double, en operant sur 10 grammes seulement d'une potasse commerciale, atteint en general 20 grammes : il peut etre evalue bien facile- ment a 2 centigrammes , e'est-a-dire au millieme, et comme le carbonate pese un pen moins du tiers de son poids , on voit que ce genre d'analyse com- porte une tres-grande precision. C'est ce qu'il est bien facile de verifier par des comparaisons, au moyen du chlorure de platine. .le crois pouvoir passer sous silence toules celles que j'ai deja faites. Au lieu du sulfate de cuivre, on pourrait employer d'aulres sulfates , et notamment le sulfate d'aluminc. II se formerait de l'alun, et l'unite de potasse ou de carbonate pourrait etre representee par un poids beaucoup plus considerable de sel double. 1 de po- tasse donne 9,5851 d'alun ; 1 de carbonate produit — 4G — 0,529 da memo sel. — L'unite d'alun rcpresente 0,1043 de potasse (K 0), ou 0,15315 de carbonate (KO.CO1). II y aurait, sous ce rapport, de grands avantages, mais il faudrait employer le sulfate d'alu- mine pur, et cela n'est pas facile, meme dans les laboratoires. Les sulfates d'alumine commerciaux renferment souvent jusqu'a 3 ou 4 pour cent d'alun, et l'exaclitude de l'analyse serait ainsi diwinuee. La tendance du sulfate d'alumine a produire des sous- sels gene aussi un peu , surtout vers la fin de l'ope- ration. Cependant on y remedie, en ajoutant quelques gouttes d'acide sulfurique a la liqueur. J'ai fait plusieurs determinations avec le sulfate d'alumine, etles resultats ont ete tres-satisfaisants. Je ne crois pas non plus devoir en donner le detail. Dans les applications industrielles, pour metlreala portee des mains peu familieres aux manipulations une melhode simple et sure, je crois le sulfate de cuivre preferable au sulfate d'alumine On le trouve facilement pur; le bleu pale du sulfate double est bien distinct du, bleu fonce qu'il presente lui-meme. La faible solubilite du sulfate double rend sa preci- pitation tres-complete. En un mot, je le crois plus apte a donner des garanlies. Mais l'experience seule doit prononcer a cet egard. Voici la marche que je conseillerais comme la plus simple aux personnes de l'industrie : Faire dissoudre 100 grammes de l'echantillon dans l'eau froide , ajouter peu a peu le double de l'acide sulfurique n6cessaire pour la neutralisation, et des- secher le tout dans une casserole emaillee, en sus- pendant sur le liquide un entonnoir de verre renvers6, touchant presque les parois, afin d'eviter toute pro- — 47 — jection. Rassembler tout le sel ainsi oblenu dans une petite marmite de fonte, et le faire rougir fortement pour chasser l'exces d'acide sulfurique. Prendre 400 grammes des sulfates ainsi obtenus, qui doivent etrc neutres, les faire dissoudre dans 600 grammes d'eau bouillante et y ajouter 143 grammes 4 de sulfate de cuivre, dissous eux-memes dans 350 grammes d'eau bouillante.*Melanger soigneusement les deux liquides avec une baguette de verre ou de faience, et aban- donner la solution a l'evaporation spontanee (1). Au bout de douze a quinze jours, le liquide sera reduit a quelques grammes, eton doit alors isolerles cristaux deja formes , en faisant couler le liquide dans une soucoupe. Les cristaux bien egoulles sont etales sur une feuille de papier a filtre, soulenue par une lame de verre. En quelques heures, ils sont sees : on les pese sur le papier, en s'assurant que leur poids ne cbange plus. Si du jour au lendemain le liquide de la soucoupe ne donne pas de nouveaux cristaux ( dans un lieu sec), l'experience est terminee. Le poids total des cristaux sees donnera : 1° Le poids du carbonate de potasse contenu dans les 100 grammes d'echantillon en multipliant par 0,3126. 2° Le poids de la potasse (K 0) en multipliant par 0,2129. Si Ton emploie du sulfate d'alumine, on fera l'ope- ration de la meme maniere ; seulement, au lieu de 143 grammes 4, il faudra prendre 363 a 365 grammes de sulfate d'alumine pur, et ajouter 2 a 3 grammes d'acide sulfurique. (1) II faut laisser la casserole emaillee contenant le melange dans une salle aeree, tenue a I'abri de la poussiere. — 48 — Le poids total (Tallin seche a l'air donnera : 1° Lc poids du carbonate de polasse en le multi- pliant par 0,15315. 2" Le poids de la potasse (KU) en le multipliant par 0,1043. Je crois inutile d'insister sur les raisons qui me font conseiller des poids aussi forts : l'operation n'en est pas plus difficile, et la mesurc de ces poids n'exigera pas d'autres balances que celles dont on se sert parlout. Reims, l" Octobre 185!). ~ m - OBSERVATIONS relatives an MfiMOIRE DE M. PASTEUP. SUR I. A FERMENTATION ALCCCL1QUE , par M. Maumene , membre lilulaire. L 'etude de la fermentation alcoolique est un des sujets les pins difficiles que puisse aborder le savant. Le botaniste, le zoologiste, le physicien, le chimiste lui-meme n'ont pu , jusqu'a present, saisir la vraie nature de l'agenl. mysterieux de cette fermentation, c'est-a-dire de la levure ou ferment alcoolique. M. Pasteur vient de publier des resultats qui jeltent de vives lumieres sur cette importantc question. Ces resultats, obtenus par des rechercbes laborieuses et suivies pendant trois annees, meritent, sous tous les rapports, l'attention de l'Aeademie, et je me fais un devoir d'en presenter le resume. Le premier est la~ decouverte de Yacide succiniquc comme produil constant de la fermentation, meme lorsqu'elle a lieu pour du sucre pur. II est on ne peut plus facile d'en prouver l'exis- tence. Lorsquc la fermentation est lerminee, on fait evaporcr avec precaution, et le residu sirupeux", traite par I'elher, donne une solution qu'il suffit xxxi. 4 - 50 — d'abandonnor a 1'evapontlion sponlanee pour voir l'acide succinique apparaitre en crislaux. On le pu- rifie tres-aisement, et l'analyse immediate prouve son identite avec l'acide tire du succin. La quantite de l'acide n'est pas tres-grande. Elle atteint seulement °2/3 p. 0/o du poids du sucre dans les fermentations de sucre pur. Elle est plus grande dans les fermentations de melanges sucres , par exemple dans celle du jus de raisin , ou elle s'eleve environ au double. Cette decouverte a des consequences importantes. Elle contribue a expliquer l'acidite des liquides fer- menles, et en particulier du vin. Or, cette acidite n'est pas une chose secondairc. Je le montrerai plus loin en parlant du vin. Avanl d'en venir la, prenons connaissance d'une seconde decouverte de M. Pasteur : c'esl celle de la glycerine, autre produit constant de la fermentation du sucre pur ou melange. La glycerine est une matiere speciale douee de proprietes tres-curieuses. Elle a cte trouvQe pour la premiere fois dans les corps gras, par le celebre Scheele C'est un derive de la saponification de ces corps. Mais, malgre cette origine, la glycerine a ete appelee par l'auteurde sa decouverte principe doux, principe sucre des huiles ; elle se dissout dans l'eau ; sa saveur est sucree; elle ne se reduit pas en une matiere seche et dure par l'evaporation : elle forme un sirop onctueux qui se mele a l'eau et a presque lous les liquides, merae aux liquides gras, assez indif- feremmenl. Cette circonstance est fort importante, et la glycerine lui doit d'etre appliquee dans des cir- constances de plus en plus nombreuscs. La pharmacic — 51 — a rcconnu son nptitnde extreme a adoucir les douleurs causees par les plaics, en formant Ic lien des parlies aqueuscs on liquides et des parties charnues on graisseuses. On la fait entrer, par cette raison, dans un grand nombre de preparations medicates. L'induslric a compris elle-meme le parti qu'elle peut tirer d'un corps incapable de se dessecher et de dnrcir par son exposition a l'air. Par exemple, un sculpteur, en rao- delant ses ebauches, n'a plus a craindre le retrait de sa terre ; la proportion des diverses parties ne varic plus ; il ne se fait plus de fissures lorsqu'au lieu de delayer la terre glaise a l'eau pure, il fait intervenir une certaine quantite de glycerine. C'est celle matiere toute speciale qui se produit dans la fermentation en quantite tres-sensible. Son poids est, en general, cinq fois plus grand que celui de l'acide succinique. II s'cleve done a environ 3 1/2 p. 0/fj du poids du sucre dans les fermentations de sucre pur. On constate sa presence avec facilite. Apres avoir fait evaporer le residu de la fermentation du sucre pur, on le traite par la chaux de maniere a neutra- liser exactement l'acide succinique, on acheve 1' Eva- poration* et on delaie dans un melange d'ether et d'alcool (1 alcool a 90 centiemes — 1 1/2 ether pur). Ce liquide dissout la glycerine presque pure et laisse un depot plastique d'abord, puis de plus en plus grenu , de nature azotee. Cette seconde decouverte n'est pas moins impor- t'antc que la premiere, et nous pouvons le comprendre aisement. Tout ce qui toucbe a la fermentation alcooliquc se rapportc a la production du vin ct de toutes les _ 52 — boissons vineuses. — Si la glycerine et l'acide succi- nique sont des produils conslanls de la fermentation alcoolique, ils doivent se retrouver dans le vin, et c'est ce que M. Pasteur n'a pas manque de bien etablir. Je vais donner les nombres cites dans son memoire. 1 litre de vin a fourni : ALCOOL. Bordeaux vieux bonne Glycerine. Ac. succin". Poids. Volume. qualite 7 412 1 48 75 9 37 5 Bordeaux vieux ordi™. 6 97 1 39 73 5 9 187 Bourgogne — bonne qualite 7 34 1 47 81 10 125 Bourgogne vieux ordi". 4 34 87 78 9 75 Arbois vieux bonne qualite 6 75 1 35 90 It 25 On me permettra d'ajouler que j'ai eu l'occasion de verifier l'exactitude de ces resultats. II s'en est tallu de bien peu memo que j'eusse l'honneur des deux decouvertes. Je m'occupais du vin, comme l'A- cademie le sait : frappe d'une circonstance evidente pour le chimiste qui analyse attentivement le vin une seule fois, e'est-a-dire de la grande difference du poids total des matieres solides trouvees dans le li- quide, d'une part, et du poids total de celles de ces matieres qu'on a su distinguer, d'aulre part, — diffe- rence qui s'eleve a plus de moitie, j'avais voulu me rendre compte de la nature des parties non designees dans les analyses Par un procede different de celui de M. Pasteur, j'avais trouve un acide cristallise et une maliere sirupeuse dont l'analyse immediate me reslait seule a faire , lorsque mon savant et beureux confrere publia l'extrait de ses rccherches. On verra meme, par la note donl je donnerai lecture tout-h- — 53 - I'heure, a quel point je suis certain de la presence d'un troisiemc corps de nature acide inconnu jusqu'a present. — Pour le moment, je me borne a eonstater la concordance de mes travaux sur cc sujel avec les belles recherches de M. Pasteur. Si nous voulons mainlenanl appreeier les conse- quences des deux decouverles de cet habile chimiste, il faul d'abord voir clairemenl d'ou viennenl la gly- cerine el I'acide succinique. Ces deux corps viennent du sucre : M. Pasteur I'a prouve. Je crois seulement que la formulc adoplee par rauleur pour expliquer cetle derivation n'est pas la meilleure , et je vais essayer de le montrer. Si Ton compare les formules du sucre, de la gly- cerine el de I'acide succinique, en egalant les equi- valents de carbone, on a : Sucre. . . . C'MI'aO" x 1 = CMP1 0" Glycerine. . C° H s 0 ° X 2 = C*1 H'c 0" Acide succinc Gs H6 0s x 3/2 = G12 II 9 O'1 el Ton voit que la glycerine est plus bydrogenee que le sucre, tandis que I'acide succinique I'estmoins. Gelte remarque faile, I'auteur ajoute : Si Ton fait la somrne de C° W Or' glycerine et Cs II6 0s acide succinique On trouve C14 H ' 0" , c'esl a-dire le carbone , I'bydrogene et I'oxygene avec les rapports qu'ils offrent dans le sucre. Si les poids de glycerine et d'acide etaient dans le rapport des equivalents, 1'explicalion de leur produc- tion scroll loute simple. Mais, au lieu de cc rapport, qui serait •— --- 0.7796, l'experience donne a pen pros i|- = 5. lll'aut done que le sucre, en produisant une si forte — 54 — proportion de glycerine, donne en memo temps nn autre corps, soil beaucoup moins hydrogene, soil beaucoup plus oxygene. Par des considerations que je ne crois pas devoir reproduce, M. Pasteur est amene a penser que la compensation est due a de 1'acide carbonique. Celte pensee ne pouvant etre admise que si la fermentation donne plus d'acide carbonique que n'en exige la formule de Gay-Lussac : c,2 H,2 0u _ 2 C4 H=o'-fi CO2, M. Pasteur a dii s'occuper d'etablir l'existence de cet exces. II y est parvenu en se servant d'une me- thode tres-delicate. En operant sur des poids de sucre de 1 gr. 440 et 1 gr. 498 seulement, il trouve un excedanl de 5CC. 4 dans le premier cas , et presque du meme volume dans le second. Ce fait ainsi etabli, 1'auteur croit pouvoir repre- senter les faits par la formule suivanle : 49 &" H" 0" +109 110 = 12 0" H6 0' + 72 C° H8 0° + 60 CO2. D'apres cette formule, 4.5 de sucre fourniraient : Glycerine 3.607 Acide succinique.. 0.760 Acide carbonique. 0 708 5.075 " II y a ici une legere erreur de calcul. 4.5 de sucre donneraient : Glycerine 3-557 J Rapp. Acide succinique . . 0.760 j 4.68 Acide carbonique . . 0.709 5.026 55 ce qui, d'apres M. Pasleur , differe peu de l'expe- rience. En resume, voici une formule complexc,et l'auteur la croit nccessaire pour ne pas permetlre de doules sur I'exaclilude de scs rcsultals : j'enlre done dans ses vues en monlrant que les fails peuvent elre rc- presentes avec une precision plus grande encore. — (Vest le seul motif qui me decide a foirc mon obser- vation. Le point capital des rccherches de M. Pasteur, e'est d'avoir mis en evidence que le suae, en cprou- vant la fermentation , no donne pas seulement , commc on l'avait cm avant lui, de Palcool et de l'acide carbonique, mais en outre de la glycerine, de l'acide succinique , auxquels correspond une nou- velle quanlite d'aeidc carbonique , el des matieres indetcrminces dont la quanlite s'eleve presque a moitie de cello de la glycerine. En effel, dans une analyse ou la glycerine pesail 3 gr. 040 et l'acide succinique 0 073, ces matieres indclerminees nc pesaicnt pas moins de 1.033. Or, si nous adoptons avec M. Pasteur les sages preceples de M. Chevreul : « On ne saurait Irop repeter qu'une analyse n'est salisfaisante qu'aulant que Ton a separe d'une quanlite donnee de ma- tiere, tout cc qu'il est possible d'en isoler, el que les produits separes , rcduils a des especes cbimi- ques delerminees , represenlenl par kairs poids respectifs le poids de la malierc analysee , j» nous scrons fort lentes de nous etonner (pie la for- mule comprenne seulement la glycerine, l'acide suc- cinique et l'acide carbonique , sans lenir aucun comple de ces matieres indelerminees donl le poids — 56 - est plus grand que celui do l'acide succinique el dt? J'acide carbonique rcunis. Jl n'y a aucune raison solide pour expliquer cette omission. — Le poids de ces matieres est variable; il a ete de 1 gr. 633 dans l'experience citee, ce qui est une limite superieure, car, en general, il n'est que de 1,5 a 1,0. Mais l'acide succinique ne presente pas non plus des rap- ports invariables avec la glycerine. Tanlot son poids est le cinquicme de celui de la glycerine, tantot le seplieme seulemenl.En outre, l'acide carbo- nique doit-il etre regarde com me le complement de la glycerine el de l'acide succinique seuls ? IN'esl-il pas aussi le complement des matieres indeterminees? On n'en sail absolument rien. Si done une formule est necessaire, elle Test autant pour expliquer la formation des matieres indeter- minees que cello de la glycerine el de l'acide succi- nique. La levure iniervient-elle pour les unes? 11 n'est pas siir qu'elle n'intervienne pas pour les autres. On trouve aisement la formule suivante : C3gH48q36 Cs 0'» 6C..H"0"=C.H.O- +WW¥] + — + C23 H12 O"2 pour representor les resultats oblenus par M. Pas- teur. 6 equivalents de sucre cristallisable donneraient 1 equivalent d'acide succinique , 6 equivalents de glycerine, 5 equivalents d'acide carbonique , et un ensemble C" H'1 O12, dont le poids correspond a celui qui a etc obtenu. Cette formule , rapportee a 3,607 de glycerine, donne : — 57 - Glycerine, 3,607 au lieu cle 3,007 Acide succinique, 771 — 700 Acide carbonique, 718 — 708 Matieres indetcrminees, 1,007 — 1,633 nombres qui se confondent presque exaclement avec ceux de l'experience, el qui sont beaucoup plus simples que ceux de M. Pasteur. Celle formule est-elle vraie ? On nc peul l'affirmerj car C23 II12 O'" represente certaincmcnl plusieurs especes dont aucune n'est determinee ; raais elle a l'avantoge de monlrcr apeupres dans quelles limites onl lieu les transformations du sucrc. Elle pennet encore d'expliquer un fait tres-impor- tant, dont j'ai parle plus baut, et sur lequcl je dois maintenant revenir en detail. Je veux parler de l'exis- tence, dans le vin, d'un acide particulier distinct de l'acide tarlrique et de l'acide succinique, et dont la quanlile parait assez grande. Voici comment j'aieteamene a reconnailrc ce fait. L'acidite dcs vins est variable ; rnais dans les conditions ordinaires du travail des vins mousseux, on trouve que l'enscmble des acides contenus dans un litre de vin equivaut a peu pres a 3 gr. 55 ou 4 gr. 77 d'acide sulfurique (SO3. 110). (1) Toutes les experiences que j'ai faites en 1858, 1859, 1800 , onl donnc des resultats parfaitement analogues, et on peut admettre que dans nos vins, la puissance acide (deduction faite de l'acide carbo- nique) represente de 3,5 a 5 gr. d'acide sulfurique par litre. (1) Voir moii ouvrage sur les vins, page ;>2I . — L'errata place a lafindu volume indique un changement qui est Iui-meme un erratum, et dont il ne faut tcnir aucun compte. - 58 - Or, en consideranl que les acides connus du vin sont l'acide lartriquc et I'acide succinique, les seuls dont la quantite soit notable ; les acides malique, cilrique, elc., ne pouvant presque etre mesures, tant leur proportion est faible, il est facile de voir que le vin doitrenfermer un ou plusieurs autres acides non encore determines. En effet, l'acide tartrique existe a l'etat de tartrc , ou tartrate acide de potasse, et l'acide succinique est libre. — M. Pasteur a mesure la proportion de l'acide succinique ; elle est de I gr. 480, soit 1 gr. 500 au maximum, et cc poids cor- respond seulement a 0,623 d'acide sulfurique. Si nous retranchons ces 0,023 de 5 gr. 000, le resle, 4,377 , devrait representer l'acide tarlrique , ou mieux le lartre, et le poids Je ce sel ainsi evalue ne serait pas moindre de 17 gr. 467. L'analyse peut montrer si ce poids est aussi grand. II s'cn faut de beaucoup qu'il le soit. — En parlant de ce sujet dans mon livre sur les vins, j'ai indiquc un peu plus de 5 gr. 5 (5,71), comme represenlant la quanlile du lartre par litre de vin. — J'avais determine ce nombrc en brulant le residu de l'eva- poration du vin, mesurant la richesse alcalinc, et admetlant que toule cette richesse correspond au bitartrale. Depuis cette epoque , de nouvelles experiences m'ont prouve que ce nombreestlrop fort. Cinq litres de vin de cuvee neutralises tres-soi- gneusement par la soude caustique, ont etc precipiles par l'acetate neulre de plomb. Le precipite bien lave a ele decompose par l'hydrogene sulfure, et a donne 34gr.95d'acides tres-coloresenbrun On a dissousces acides dans l'eau dislillee au volume de 200rr. La moilic du liquide a etc neuhalisce par do la potasse - 59 — eaustiquc, ct melee avec I'autre moitic. On u ajoute an litre d'alcool a 901', ct on a abandonnc plusieurs jours, en agitant de temps en temps. Le depot lave a I'alcool et seche pesail 150 gr. — II est inalterable a l'air, et presente tous les caracteres (hi tartre (I). 2 litres 5 de vin de Verzenay, 1857, trailes de la meme maniere, ont donne 17 gr. 6 acides, et ensuile 7 gr. 67 tartre. Dans la premiere experience, il y a donc3!.000 tartre par litre. Dans la seconde, 3. 068. En adoptant meme ce dernier nombre, qui est le plus fort, on voit combien il s'en faut que l'acidite du vin puisse etre representee par du tartre ; il en faudrait 17 gr. 407, et nous ne trouvons que 8,068. La difference est de 14 gr. 4, ou presque de cinq sixiemes en sus. J'aile regret de ne pouvoir aujourd'bui completer cette etude , et craignant de ne retrouver assez de liberie avant longtemps, je crois devoir publier ma remarque. — J'ai reconnu que les acides ou l'acide execdant le tartre et l'acide succinique est solide, cris- tallisable , tres-soluble dans l'eau. Mais je n'ai pas encore pu, faute de temps, l'isoler el le purifier pour en faire l'analyse. Ce sera l'objet d'une autre note, aussitot que j'aurai le temps necessaire. (1) Brule ct sature par SO3 HO, ou par C2 O3. 3 II 0, il a doub- les resultats calcules. — 60 - M LA PELLAGRE SPORADIQUE PAR HI. LAKDOUZY. Uirecteur de 1'Ecole de Medecine , membrc litulaire. En signalanl, il y a dix ans, a l'Academie de Reims, le premier cas de pellagre conslate dans la Champagne, j'avais lout parliculieremenl insiste sur les probabilites de sa frequence dans le centre de la France, et j'ajoutais : « II en sera de la pellagre sporadique comme de » la morve , comme de l'albuminurie, comme de la » phthisie larvee, etc., quin'ont paru plus frequentes » que depuis qu'elles ont ete mieux definies. » Les fails ont confirme ce jugement, et il ne s'est pas passe d'annee ou mes eleves et mes confreres n'aienl vu a la clinique de Reims les pellagrcs les mieux caracterisees. De nouveau, en 1858, j'appelai sur ce point l'e- tude des palhologistes, en signalant a l'Academie Imperiale de Medecine deux cas graves, reunis dans mes salles, et en invitanl a venirles visiter tons les medecins qu'interessent les grandes questions pra- tiques a elucider. Depuis ce temps, des exemples analogues se sonl, a chaque prinlemps, reproduits a l'II6tel-Dieu. Plu- sieurs meme ont passe sans etre. rccueillis, car les — 01 — eleves, habitues aujourd'hui a les reconnailre facile- ment, avaient cesse d'y attacher aulant d'importance qu'au commencement. Croyant, d'ailleurs, l'existence de la pellagre spo- radique hors de doute pour les medecins, je me bor- nais a indiquer a nos internes ce sujet de these inau- gurale, et je ne songeais plus a fairepersonnellement profiter la science des documents fournis par l'hopital, lorsque parutle rapport au comite consultatif d'hy- giene de France, avec les conclusions suivantes : « La commission considere comme acluellement » elabli qu'il existe une correlation const ante entre le » ma'is et la pellagre. v Si qnelques faits exceptionnels , dont I'origine et » surtout la nature nc sont pas a I'abri de toute con- » testation , ont etc etablis, il n'en est pas mo ins » certain que la pellagre n 'existe que dans des pays b a ma'is, etqu'elle ne sevit que sur des individus qui » s'en nourrissent principalement (1). » Etonne de ces affirmations si calegoriques ; effraye des consequences qu'elles pouvaient avoir sur la science et sur la pratique, si elles etaient fausses ; desireux de modifier publiquement mon ancienne opinion, si elles etaient vraies, je relus avec la plus grande attention mes observations personnelles ; je relus celles des pays a mais ; j'etudiai avec le plus grand soin trois pellagreux en ce moment sous mes yeux, et quoique n'ayant pas trouve de difference entre les faits decrits dans le Milanais , dans la Gi- ronde, dans les Asturies, et les faits recueillis dans (i; Costali.at, Etiologie et prophyla-rU'. avec le mais, surtout pendant la saison froide ; » 2° la misere qui condamne a cette alimentation et » au genre de vie affaiblissant qui donne a celle-ci » toute son efficacile morbifique. » (1) Uae partie de la Champagne ressemblant a une partie des Landes, pour la sterilite du sol, on pourrait, au premier abord, attriliuer nos pellagres a une sorte d'endemie. II me suffira de faire remarqucr qu'aucun des faits que j'ai observes a Reims ne se rap- porte a cette region desheritee du departement de la Marne. (2j « Le talent remaiquable avec lequel M. Roussel a soutenu certaines hypotheses etiologiques, et la fidelite avec laquelle les traites de pathologie les out reproduites , ont beaucoup nui a la notion de la maladie. » « Aux yeux d'un grand nombre de praticiens, en effet, la pel- lagre doit passer inapercue par cela seul que les malades qui s'offrcnt a eux ne se trouvent pas dans les conditions de causalite formulees dans les livres. Et comme il est toujours possible de classer l'affection, selon ses phenomenes predominants , soit parrai les dermatoses dartreuses, soit parmi les enterites chroniques, soit parmi les affections mcntalcs, soit parmi les paralysies progres- sives, etc , la pellagre passe pour une maladie des plus raresa l'elat sporadique, tandis qu'en realite on en remarque assez souvent desexemples. » Landoczv, Lettre a l' Academic de Medecins. — m — Get axiomc rigoureux d'un traile devenu classique, rapprochc d'un rapport qui doitfaire autorite, etpar la science 6prouvee du rapporteur, et par la haute competence de ceux qui en ont admis les donnees, ne permetlait desormais aux medecins aucune hesi- tation. II ne pouvait y avoir de pellagre que la oil il y a du mai's ! Or, comme toutes les pcllagres de Reims, sans exception , se sont developpees en dehors du mai's , et comme plusieurs meme se sont developpees en dehors de la misere, il fallait necessairement, avant de comhattre les affirmations de deux auteurs si juslement estimes, verifier de visa si notre pellagre sporadique etait bien semblable a cello qui avail servi de type a l'ouvrage de M. Th. Roussel et aux conclusions de M. Tardieu. Ajoutons que le rapport du comit6 consultatif de France ne venait lui-meme qu'apres de nombreuses enquctes , dirigees par les conseils d'hygiene des dcpartemcnls meridionaux et demandees par le mi- nislre, a la sollicitation repclee d'un medecin dis- tingue de Bagneres, M. Costallat, qui enlreprend, a l'exemple de Balardini , d'extirper, par de simples precautions hygieniques, le fleau qui ddtruit ou aba- tardit toute la population agricole des contrees pyreneennes. De nombreuses statistiques patiemment analysees, M. Costallat infere que le mai's altere cause seul la pellagre. Mais, alors meme que les fails invoques eussenl prouve rinflucnce da mai's altere sur la pro- duction de la pellagre, ils ne pouvaicnl prouver que celte influence fut constanlc, soil partout oil Ton — 04 — fail usage du mais altere, soil parlout oil existe la pellagre; et alors rneme que ces fails cussent demontre cette Constance, on ne pouvait en induire qn'elle fiit exclusive. Conclure de la Constance d'un effet a l'unicite d'une cause, ce serait, en medecine comme en phy- sique, uneerreur capitale. De ce que l'alimentation par les movdes alterees produit conslamment l'urticaire, s'ensuit-il que I'ur- tica, que les bains, que les emotions morales, etc., ne la produisent pas aussi et avec des caracteres identiques? De ce que les miasmes paludeens produisent inva- riablement la fievre inlermittente , s'ensuit-il que d'autres causes ne la produisent pas egalement? Or, le travail de M. Gostallat se termine textuel- lement par ces conclusions : « 4 ° La pellagre est un empoisonnement lent par le » vcrdet ( mais altere ) ; » 2° La pellagre disparaitra quand toide la farine » de mais sera convenablement preparee ; » 3° En attendant , il ne faut plus parler de cas b existants ou ay ant existe de pellagre tans mais, il » faut en montrer (1). » En montrer n'etait pas difficile, et les fails recueillis a Paris par plusieurs medecins d'hopitaux, eta Reims, par mes eleves, constitunient un ensemble de preuves suffisantes pour fairc tomber loutes ces hypotheses d'eliologie exclusive. Mais en presence de pareilles affirmations, emanees d'hommes si convaincus et si compelenis , l'authen- ticite des faits sporadiques ne suffisait plus, quelle (l) Costallat, loc. cit., page i°2. — 05 - que liit la competence tie ceux qui les avaient consignees. II fallait que le meme observaleur eut pu comparer de vim les deux ordres d'observa- tions. Je partis done, aussitot le printemps, pour les Landes , sans opinion preconcue, je n'ai pas besoin de le dire : car, outre qu'il m'eut ete plus agreable de ne pas avoir a comballre l'opinion de mou Ires- savant confrere et ami Tardieu , il eut ete plus inte- ressant aussi, scientifiquement parlant, de proclamer une pellagre sui generis , ou meme une varielo de pellagre speciale a Reims et au centre de la France, que de proclamer l'identile pure et simple entre toutes les pellagres connues. Malheureusement, l'enquete direcle n'a fait que confirmer les donnees des relations ecrites ; l'identile est complete et absolue, et tellement complete et tel- lement absolue, qu'arrive dans les Landes avec l'in- tention de prendre une serie d'observations, j'ai du y renoncer immediatement sous peine de fastidieuses repetitions. Meme erylbeme special, memes troubles digestifs, memes troubles nerveux, memes accidents scorbu- tiques, meme periodicite, meme cedeine, meme peau bronzee, memes guerisons, memes rechules, memes resultats necroscopiques. Et non-seulemenl noire pellagre sporadique est la meme que la pellagre endemique des pays a mais, mais elle est la meme que la cacbexie pellagreuse des alienes, sur laquelle M. Billod a le premier specia- lement appele l'aUention, et que je suis alle observer avec lui, il y a quelques jours, dans I'asile meme XXXI. — 6b — ou il a rceueilli les nombreux exemples qui forment In base de sa precieuse monographic (1). Les fails que j'ai constates dans les asiles de Fains, de Chalons, de Mareville, de Laon, d'Aurillac, m'onl fourni les memes resullats que ceux de Sainte- Gemme. La plupart des cas de pellagre que j'ai Irouves dans ces elabiissemenls, avaient deja ete diagnos- tiques ; quelques-uns etaienl passes inapercus ; tous otaient, par les symptomes gcneraux, par la demence ou la lypemanie, et surtout par l'erj theme dorsal des mains, identiques cntre eux , a part l'intensite , et identiques aux pellagres sporadiques ou endemiques. Evidemment , il n'y a pas pour les alienes une simple cachexie pellagreuse ajoutee a Talienation, mais une veritable pcllagre , semblable a celle que je vois a Reims, semblable a celle que j'ai vue dans les Landes, semblable a celle qu'on a decrile en Ilalie et en Espagne, semblable, en un mot , a toutes les pellagres, comme la pleuresie et la scarlatine d'un pays sont semblables aux scarlatines et aux pleuresies des aulres pays, sauf les nuances tout-a-fait secon- daires et inseparables des complications morbides, des influences de climat , de localile, de regime, el surtout d'idiosyncrasie individuelle. Ainsi, j'ai bien vu, dans l'asile de Maine-el-Loire, rerylheme plus vesiculeux , la lypemanie plus pro- noncee ; dans ceux de la Meurthe, de la Mouse et de la Marne, l'epiderme plus brun et plus parchemine ; a Reims, la dermalose plus etendue sur la face pal- maire, la peau plus cornee, la manie plus violenle ; (l) Arch. gen. dc med., 1838, 1S60. — 67 — dans les Landes , les accidents scorbutiques plus ac- cuses, la rachialgie plus frequente : mais ce sont la de simples nuances , tres-manifestes aujourd'hui, peut-etre nulles demain , et qui, disparaissant , d'ailleurs, dans de longues series de faits, ne peuvent etre considerees meme com me des varietes , sans embarrasser inutilement la nosographie. Etablir, d'apres des differences secondaires, des especes, des genres, des degres , en multipliant les analyses, rien n'est plus facile. Mais si, en therapeu- lique, on doit surtout tenir compte des differences entre les malades , on doit , en patbologie , tenir compte surtout des analogies entre les symptomes. S'ingenier a multiplier les entites morbides , a diviser les tableaux qui peuvent entrer dansun meme cadre, c'est compliquer 1'elude deja si complexe de la medecine, c'est sacrifier le fond a la forme, et oublier que la synlhese est l'expression la plus elevee des sciences ! De cetle idenlite que j'ai signalee le premier, entre la pellagre ordinaire et la pellagre des alienes, decoulent d'importantes consequences pratiques. Ainsi, certains malades qu'on abandonnait dans les asiles comme atteints de demence incurable, devront etre trailes dans les hopitaux comme atteints de pellagre. Certaines guerisons momentanees de folie pourront etre regardees comme de simples remissions perio- diques de pellagre . Les acces soudains de folie homicide chez certains pellagreux sporadiques, promptement rendus a une complete raison, devront eveiller 1'attention des me- decins legistes. — 68 — J'ai signale, dans le Iravail special que je publie en ce moment, plusieurs autres points sur lesquels la science etait restee muellc jusqu'ici ; mais je crain- drais d'etre indiscret en m'etendanl davanlage, devant l'Academie, sur la paitie purement medicale de la question , et je me resume dans les conclusions suivanles : 1. La pellagre sporadique, a peine mentionnee dans les plus recenls traites de mcdecine, existe a Reims, a Paris, et probablement dans toutes les contrees. 2. La pellagre sporadique est caracterisee, comme la pellagre endemique, par l'apparition isolee, simul- tanee ou successive, d'accidents cutanes, digestifs el. nerveux, se manifestant ou s'exagerant presque lou- jours au printemps. 3. La pellagre sporadique reste le plus souvent me- connue, en raison de ses analogies avec plusieurs autres etals morbides, et surlout en raison des er- reurs accreditees sur son etiologie. 4. La pellagre sporadique cessera d'etre consideree comme une maladie rare, des qu'elle aura ete cate- goriquement signalee aux praticienset debarrassee des hypotheses qui en obscurcissent la notion. 5. La pellagre sporadique existe , comme la pellagre endemique, dans des localiles ou le mais est lout-a- fait inconnu, et elle sevit a tous les dcgres sur des individus qui n'en ont jamais mange. - 69 - Elle exisle egalement en dehors de l'alimentation par les cereales alterees, en dehors de l'influence de la misere , et en dehors de l'influence directs du soleil. 0. La pellagre sporadique, la pellagre endemique et la folie pellagreuse sont des affections identiques. Les differences qu'on a voulu etablir entre la pel- lagre des pays a mais, la pellagre du centre de la France et la pellagre des alienes, ne constituent que de simples nuances observees, d'ailleurs , dans les autres etats morbides, selon qu'ils sont sporadiques, endemiques, epidemiques, hereditaires, produits par des agents loxiques ou compliques par d'autres affections. 7. Les alterations anatomiques le plus generalemcnt signalees sont les lesions de l'estomac , des intestins et de la moelle. 8. La cause intime de la pellagre est inconnue. Sa principale cause occasionnelle est l'insolation. Ses principals causes predisposantes sont l'he- redite , la misere , l'usage d'une alimentation mau- vaise, les passions tristes, l'alienation, el particulie- rement la dcmence et la lypemanie. 9. Le diagnostic repose principalement sur la perio- dicite vernale de trois ordres d'accidents speciaux le plus souvenl reunis, faciles a reconnailre me'medans — 70 — leur isolement , et impossibles a meconnaitre dans leur simiillaneite pathognomonique. 10. Le pronostic doit etre reserve, malgre la benignite, la gravile on la nature des accidents, certaines pel- lagres de tout type ayant ete prornptement suivies de mort, quoiqu'elles fussentlegeres au debut, etd'autres ayant ete suivies de guerison confirmee, quoiqu'elles fussent en apparence des plus graves. 11. Quoique la nature d'un mal dont la cause essen- tielle resle ignoree soil difficile a determiner, on doit placer la prolopalbie dans le sysleme nerveux cgrebro-spinal. Lui alleinl par une lesion loule spe- ciale, la peau n'a plus la force de reagir contre les rayons solaires : le sysleme digestif subit dans son " innervation locale les consequences du trouble de l'innervation generale, et quant aux phenomenes de paralysie ou de folie, ils s'expliquent par la chaine des nerfs ou des ganglions, selon qu'ils descendent de l'encephale ou qu'ils remontent vers lui. 12. Le traitement aura pour base, outre la medecine des symptomes speciaux el la proscription de loute medication debilitante , une bonne hygiene, une ali- mentation fortifiante, les grands bains et les modi- ficateurs generaux. Des la fin de l'hiver, on insistera particulierement sur le regime , sur les preparations de quinquina et sur les precautions contre le soleil. 71 DE L'IMPORTANCE DE LA PHILOSOPHIE CONSIDERED DANS SES RAPPORTS AVEC LA VIE PRATKJUE PAR M. FELIX MOREL , Membre correspondant , professeur de logique an college de Soissons. Dans un siecle oil dcmine la poursuite ties interets materiels , la philosophie, avec son caractere essen- tiellement spirilualiste, est, en general, dedaignee comme un repertoire faslidieux d'abstraclions vaines et steriles. Et pourianl celte noble etude que ie positivisme assimile en quelque sorle au culte des Nuees dont parle le poete eomique d'Athenes, cette science des choses immaterielles a des rapports in- times avec les alTaires humaines. Elle reste melee au mouvement de la vie, lors meme qu'elle s'eleve dans les regions de la metaphysique generate , et qu'elle atteint les hauteurs des veriles premieres, sources de tous les jugcmenls, loi souveraine de tous les actes. Ces grands principes de la raison sonl universellement connus , mais a des degres divers ; ils ne deploient leur puissance (ju'en proportion de la culture inlel- lectuelle. A tous les hommes il importe de feconder le plus possible les notions primitives par le travail de P esprit rcplie sur lui-meme ; la philosophie, vouee — Tl — a une lei te oeuvre , meriterait par cela soul d'etre rangee parmi les connnissances les plus pratiques. Mais ce n'esl pas uniquement dans la recherche exacle des elements immuables de la raison intuitive que la science des sciences Irouve d'utiles observa- tions; elle en puise encore dans l'analyse des autres facullesdel'ame. La psychologic, qui constate la na- ture et les lois de loutes ces facultes, leur prepare une sage direction ; en effet, l'intelligence, considered dans l'ensemble de ses pouvoirs multiples , etant une force capable de decouvrir le vrai en general, il est bon de la bien connaitre, pour elre a meme d'en tirer tout le parti possible, quand il s'agira de l'ap- pliquer a la comprehension de verites d'un ordre quelconque. x\ppuyee sur cette etude des phenomenes superieurs aux perceptions des sens , la logique proprement dite, l'art de raisonner vienl nous offrir ses lumieres, dans toutes les positions oil nous pouvons etre pla- ces. En est-il une seule oil la nettetedes conceptions, la justesse des pensees, 1'exactitude ct la coordination des jugements deviennent inutiles ? En esl-il une seule ou les ecarts de l'intelligence n'enirainent des fautes et des malheurs ? Et des lors peut-on revoquer en doule l'utilite d'un art qui a precisement pour objet le developpement des qualites de l'esprit desli- nees a nous procurer le bien fait de la verite, et a nous garantir des maux enfantes par l'erreur ? Et qu'on ne vienne pas, reproduisant un sophisme bien rebaltu, objecter que le jugement droit est un don de la nature , comme l'alteste l'exemple des hommes qui raisonnent bien , sans avoir etudie les regies du raisonnemenl ! La nature, il est vrai, ren- Tc ferme les fondomenls do la logique aussi bicn que de Ions les arts; mais, ici comme ailleurs, la con- naissance et la meditation des preceptes pcrmeltent de balir avec plus de succes sur ccs fondomenls eler- nels. Si des esprits lieurenscment doues manifestent, sans preparation speciale, un degre assez remarquable de perspicacite dans le discemement du vrai, il faut on conclure, non pas que les procedes elablis pour dinger des investigations de cette nature sont com- plelement inefficaces , mais qu'aidecs de leur se- cours, des intelligences plus qu'ordinaires se seraient avancees encore plus loin. Quant aux homines qui ne possedent qu'un fonds mediocre de facultes parti- culierement afTeclees a l'exercice de la raison, s'ils ne les soumettent a une forte discipline , ils tombent dans une sorle de nullitc sous ce rapport. Supposez qu'ils joignent une imagination vive, une ame agitee de monvements tumultucux a l'ignorance de l'art de penser, ignorance qui peut coexister avec un certain vernis lilteraire ct meme avec une certaine instruction scientifique, ils n'en seront que plus exposes a de tristes naufrages ; jetes sans boussole sur la mer orageuse du monde, ils iront sans doute se briser contre un des mille ecueils de l'erreur ou les pous- sera le souffle de la passion , ou les entrainera le prestige de doctrines aussi fausses que dangereuses. Comment, on effet , demeler an fond de son elre moral les artifices par lesquels l'ame craue cherche a se tromper elle-meme, si Ton n'a pas ete mis en garde contre la tendance de Vesprit a devenir la dupe du cceur? Comment reduire a leur plus simple expression des systemes illogiques , revetus d'argu- ments captieux otd'une phraseologie brillante, si Ton - 74 - n'a point appris a depouiller le sophisme d'un vain ap- pareil ct a I'eoraser sous les axiomes de la raison et sous les faits de la nature humaine ? Les premiers ne peuvent elre approfondis dans toutes leurs con- sequences, les seconds ne peuvent elre observes dans tous leurs details qu'avec la direction de la philo- sophic. Celle-ci nesera jamais suppleee par les etudes d'un autre genre qui contribuent, il est vrai, a exer- cer les facultes logiques et reflexives, mais qui n'ont pas pour but special la methode du raisonnement et de la reflexion. Dans un travail sur la dissertation, qui nous parait lui-meme un chef-d'oeuvre de disser- tation, un de nos professeurs les plus eminents de philosophie, M Benard a demontreque le vrai moyen d'apprendre a reflechir et a raisonner, c'est de refle- chir pour apprendre a reflechir , de raisonner pour apprendre a raisonner, et que la logique a seule le pouvoir de developper d'une maniere complete les qualites de l'esprit qui president a la recherche de la verile (1). Ges qualites precieuses , necessaires pour juger le present et le passe, sont indispensables pour preparer l'avenir relativement a tout ce qui peut dependre de nos previsions et de nos efforts. L'appreciation des probabililes rentre dans le domaine de la logique. II est bien entendu que nous ne voulons point parler du calcul des probabililes, de cet ensemble de regies par lesquelles on peut calculer , dans le sens propre de ce mot, les chances relatives d'evenements futurs. Celte science, qui a ete cultivee par de grands ma- thematiciens, depuis Pascal jusqu'a M, Cournot, pour- 'vl } Logique cnsciynce par les uuleurs. — 75 — rait, elarit reslreinlc a de jtisles liaiites , l'ournir d'utiles exercices a l'enscignement scientifique. Mais il s'agit en ce moment d'une appreciation morale des probabilities telle que l'exposent. dans des pages Irop peu remarquees, la Logique de Port- Royal et celle de Bossuel. Par ces deux ouvrages dont 1'Universite prescrit l'emploi, l'elude des vraisemblances futures penetre dans nos classes de logique ; mais peut-etre serait-il a desirer que , vu son importance , elle eut une place nominative au sein meme du programme. Quoi qu'il en soil, le tnite de Port-Royal consacre a Yart de penser contienl , dans le dernier chapitre, d'utiles apercus sur ce qu'il appelle les accidents futurs. Apres avoir etabli en principe qu'un fait arri- vera, lorsque les circonslances presentes sont telles, qu'elles sont ordinaircment suivies d'un tel effef, l'auleur monire toule l'illusion des personnes qui ne regardent que la grandeur el la consequence de l'avanlage qu'elles souhailenl ou de l'inconvenient qu'elles craignent, sans considerer en aucune sorle l'apparence de probabilite qu'il y a que cet avantage ou cet inconvenient arrive ou n'arrivepas. L'ecrivain de Port-Royal pose cette regie : « Pour juger de ce que Ton doit faire pour obtenir un bien ou pour eviter un mal, il ne faut pas seulement considerer le bien el le mal en soi, mais aussi la probabilite qu'il arrive ou n'arrive pas , et regard er exaclement la proporlion que toutes ces cboses ont ensemble. » — Les considerations de Bossuet ont un caractere encore plus pratique ; dans le chapitre 17 du 3e livre de son traite sur l'arl de raisonner , il expose avec net- tete l'usage et les condilions de 1'argument probable, vraisemblable ou conjectural. 11 remurque que « ce — 7G - genre d'argument est lc plus frequent dans la vie , qu'il est celui qui decide des affaires, et qui preside, pour ainsi parler , a toules les deliberations ; qu'il est d'une extreme importance d'apprendre a bien faire de tels raisonnements sur lesquels est fondee toute la conduite. » 11 indique trois moyens de tendre a la certitude dans ses projets : \° S'assurer de la possibilite de cc qn'on veut entreprendre ; 2° etablir et recueillir les fails constants, c'est-a-dire les cir- constances dont on peut etre assure ; 3° rechercher de quel cote il y a plus de raison. L'illustre ecrivain resume les avantages de l'argument probable, en le definissanl la demonstration de la plus grande faci- lite et des moindres inconvcnicnts . Le bon sens, que Bossuet appelle le maitre de la vie humaine, lui avait montre l'universclle applica- tion de cet argument. En effet, a chaque instant, nous avons a prendre un parti pour nous-memes ou pour les autres; l'appreciation des probabilities em- brasse les diverses raisons qu'il est possible de faire valoir pour ou contrc les entreprises de toute nature ; trop souvent ces entreprises, ou l'activitede 1'homme se deploie en des formes multiples, portent avec elles un principe de ruine, par suite de la funeste habitude que l'esprit a prise de regarder les choses sous un certain point de vue et de proceder sans aucune me- thode. On ne voit que le but, on detourne les yeux des obstacles qui embarrassentle chemin, on se hale d'y courir a l'aventure, au risque de tomber fre- quemment, et memo de faire sur la route une chute definitive et deplorable. On semble ignorer qu'il faut, avant d'agir, se former des notions exactes sur la chose a entreprendre. sur les inconvenients plus ou — 77 — moins graves auxquols on s'expusc en cas de non reussite, enfin sur les moyens dont on pent disposer pour parvenir a un but d'une utilite incontestable. Ces precautions que dicte le bon sens et dont la lo- gique fail ressorlir toule l'imporlance, ne se pre- sented guerea l'espritquin'a point contraclede bonne heure l'habitude de reflechir et dc soumeltre tout a un examen seiieux. C'est d'une telle imprevoyance que naissent, et les erreurs adminislratives, cause incessante de desordres, el les fausses mesures dc politique , source intarissable de boulcversements , et les operations raal concerlees qui,, dans le com- merce et l'industrie, produisent des fruits si amers. Les desastres de ce dernier genre sont, sous un double aspect, le resultat du mepris pour les lecons de la sagesse ; d'un cute, le sensualisme, reprouve par la saine philosophic, allume dans les ames la fievre de l'or qui leur promet toutes les satisfactions cor- porelles ; d'un aulre cole, comme les ressources lenles et bornees du travail sont loin de suffire a l'avidite immense des besoins faclices, l'liomme, impatient de devorer des plaisirs, demande des profits rapides et considerables a des speculations temeraires ou il jouc son patrimoine entier, toutes les esperances des siens, l'avenir meme de personnes etrangeres. De la des catastrophes induslrielles el commerciales ; de la des coups terribles portes a la confiance publique; de la des families precipilees dans un goulTre de misere ; de la des morls lamentables qui, par la violation des devoirs de l'liomme envers lui-meme , envers la so- cietc, envers Dieu, couronnent dignement l'infraction a toutes les regies de la prudence. Ces regies preservalrices ne peuvent pas non plus — 78 - etre dedaignees impunement dans la grave entreprise qu'on nomme le choix d'un etat. Ici encore, l'appre- cialion des probability est appelee a rendre de grands services. En effet, il s'agit de resoudre un probleme qui pourrait se formuler ainsi : Trouver une profes- sion qui, etani en harmonie avec le gout, avec I'ap- titude et avec les ressources de Vindividu, soit de nature a lui procurer ccrtaines conditions de bien-etre et le developpement regulier de ses faculles physiques, intellectuelles el morales, c'esl-a-dire tons les elements d'un bonheur relatif. Le seul enonce du probleme indique tout ce -que la solution exige de justesse d'esprit et de sagacite. Plus les parents auront fortifie leur propre raison et celle de leurs enfants, plus ils seront a meme de les guider dans cette oeuvre capi- tale, ou plulot de l'a'ccomplir de concert avec eux, plus ils auront de moyens de les rnettre a l'abri des inconvenienls facbeux ou meme des veritables mal- heurs qu'entrainerail pour eux-memes ou pour les autres une existence fourvoyee. Un homme voue a une profession pour laquelle il n'est pas fait, est, dit un pbilosophe espagnol, comme un rouage de- place ; il souffre et embarrasse la societe qu'il aurait pu servir tres-efficacement, s'il avait ete mis, pour ainsi dire, dans son engrenure. Et d'ou viennent ces tristes effets du declassement, si ce n'est de ce que les chefs de farnille et les jeunes gens rivalisent d'etourderie dans un choix ou il fau- drait porter un esprit ferme, grave, capable de peser altentivemenl les chances de succes qu'offrent les diverses carrieres ? On le voit , il n'est pas d'entreprise ou ne doive intervenir un jugement droit et bien exerce ; e'est — 79 — le preservatif d'une foule de maux que l'homme aime a rejeter surundestin sinistre, mais qui sorlent logiquement de ses imprudences. L'appreciation exacle des evenements probables le sauve de tous les ecarts de la temerite, sans toutefois lui inspirer une crainte pusillanime ; elle est un des precieux resultats de la philosophie appliquee aux affaires humaines. Enfin, le cote pratique de la philosophie apparait encore dans I'etude de la morale et de la theodicee. Faisant ici abstraction des veriles d'une sphere su- perieure , et n'envisageant les principes de l'ordre moral que dans leurs rapports avec le bien-etre materiel de la societe , nous constatons que celle- ci a besoin , sous ce rapport , de probite , de bonne foi, de justice, de respect du a la sainlete des contrats , de mceurs pures, compagnes du travail actif et de la sage economie ; de reputation hono- rable, source de conflance ; d'atlachement a l'ordre, garanlie de securite publique ; enfin de fortes con- victions, digue opposee aux mauvais instincts de la nature humaine marchant loujours avec une escorte de desordres et de catastrophes. Or, l'enseignement pbilosophique s'unit a l'enseignement religieux pour developper le plus possible toules ces forces morales qui reagissent sur la distribution des forces pro- ductives, dont le but est de diminuer pour le corps la somme des maux, et d'augmenler celle des biens, sans porter atleinte aux interels preeminents de l'ame. En resume, la science qui sonde les realites imma- lerielles , objet de la raison intuitive , qui scrute la nature et les lois de la pensee , qui donne une di- rection a l'espril, qui determine la regie de nos actes, qui decril les diverscs sanctions du code moral, qui — 80 — expose les preuves de l'existencc de Dieu , nous fait connailre ses attributs et ses rappoiis naturels avec 1'homme , ceite vaste science louche par tous les points a la vie usuelle. Ge caraelere positif se fait remarquer dans la logique de nos lycees et de nos colleges ; elle est considered, non pas comme Tart de raisonner proprement dit, mais bien cornme l'art de dinger toutes les facultes qui nous ont ete donnees pour connailre le vrai. Entendue dans ce sens large qui, suivant les intentions du programme universi- taire, la rend adequate a l'idee de philosophic , la logique a pour but de donner un pins vif eclat au flambeau de la raison , dont la lumiere doit nous eclairer dans toules les conditions sociales. Done, non-seulemenl elle merilerait d'etre eludiee avec plus d'ardeur par les eleves des cours secondares , mais elle devrait meme etre inlroduite en une cer- taine mesure dans les etablissements consacres a l'inslruclion primaire des jeunes gens et des jeunes personnes ; la aussi, les generations nouvelles recla- ment des lecons de sens commun developpe , de morale religieuseetde philosophic chrelienne, qu'elles puissent emporter dans la vie comme une source de verites pratiques, comme une sauvegarde contre les erreurs si fecondes en actes desastreux, coupables et meme criminels. - 81 LITTERATURE. ETUDE SUR LINGUET par M. Henry Martin. MEMOIRE COURONNE PAR L'ACADEMIE EN 1859. ( SUITE ET FIN.) TR01SIEY1E PARTIE. — 1776-1794. « II n'y a point de galant hom me qui ne se fasse » un devoir d'aimer sa patrie ; on peut avoir a se » plaindre d'elle, on peut gemir des injustices que » Ton y eprouve, des ingratitudes qu'elle tolere, mais » il n'est jamais permis de s'en detacher. C'est une » mere sujette a des absences, et dont une larme, » une caresse, font oublier tous les caprices. Je le » repete, j'adore ma patrie ; je l'ai quiltee, parce » que ma personne etait en danger, parce que les » lois et la justice etant en ce moment sans force, » il n'elait pas de la prudence de rester expose a » des exces qu'elles ne pouvaient reprimer. Voila ce » qui m'a determine a m'eloigner de la France ; xxxi . 6 — 8i~— » mais je perirais mille fois plutot (jue de hasarder » un pas qui put lui elre prejudiciable (I). » C'est ainsi que Linguet molive sa retraite. II avait le coeur gonfle de colere contre le parlement et l'ordre des avocats, contre le due d'Aiguillon et le comte de Vergennes. Son ressenliment a 1'egard du barreau de Paris n'a pas besoin d'explicaiion ; mais les attaques dont son premier client devint I'objet de sa part, mais la lettre violente qu'il adressa aux minislres de France, en posant le pied en Angleterre, nous obligcnt de reve- nir un moment sur le passe. Apres le premier arret de radiation rendu contre Linguet, en 1774, nous avons vu le due d'Aiguillon solliciter son retablissement. Bien que cette demarche fut restee sans succes, elle meritait d'etre appreciee. Linguet, attribuant son inefficacite a la tiedeur du zele de son protecteur, le soumil a une seconde epreuve. 11 demanda une place dans les bureaux de son department. Le due d'Aiguillon lui reponditque ses connaissances sur la maliere politique, et nolam- roenl sur la politique etrangere , ne s'elant jamais produites jusque-la, il ne pouvait lui confier incon- siderement un posle qui exigeait de serieuses etudes. C'est alors, et pour repondre a cette objection, que Linguet lui renvoya un memoire sur le parlage de la Pologne qu'il lui avait deja propose en 1771. Le due d'Aiguillon, ne voulant ou ne pouvant s'en occu- per, garda le silence. Sur ces entrefaites, survint le cbangement de regne. Le corps diplomatique tout entier fut renou- vele. Le due perdit sa place el se retira a Veret. (I) Lettrecut comic de Vergennes, Lonil., 1777. p. 'rl. — 83 — II poavait s'y croire a l'abri de loule solicitation, n'ayant d'autre credit que sa parente avec le comle de Maurepas, lorsqa'il reQut de Linguet, en Seplembre 1774, des letlrcs furieuses qui lui reprochaient la sterilite de sa reconnaissance pour son ancien defen- seur, et reclamaient une remuneration pecuniaire Irop longlemps allendue. Ce furent ces memes lellres qui scrvirent de grief, six mois apres, a la seconde proscription du signa- taire. II ne pardonna jamais au due d'Aiguillon de les avoir communiquees a ses ennemis, ct jura de pour- suivre juridiquement conlre lui le poiement de ses honoraires. se croyant desormais, par la perle de son elal, habile a former celte reclamation qu'une sage mesure inierdit aux avocals. Le comle de Vergcnnes , au conlraire, appele au conseil des l'avenement de Louis XVI , s'etait em- presse d'assurcr Linguet de sa protection. « Je n'ai » pas encore eu le temps, lui ecrivail-il le 31 Juillet, » d'examiner la requele (pie M. Lequesne m'a » remise en votre nom ; mais vous eles son ami , o vous ayez des talents sublimes, vous les avez em- » ployes plus d'une fois a laver l'innocence, je ne » doule pas que vos intentions soient pures, et si » je ne reponds pas du succesde mes efforts en votre » favour , je puis au moins vous garanlir leur » sincerite. » II s'etait, en effet , si bien employe a le servir, qu'a la rentrec de I'ancien parlement, la revision de^ l'arret rendu par les gens du roi avail ele son ceuvre. Aussi, son protege ne manqua-l-il pas de lui vouer une reconnaissance eternclle, publiant [larloul Tobli- — 84 — gation qu'il lui avait, el glorifiant lejeune prince qui s'enlouraii avec tant de discernement des vrais amis de la justice. Mais on n'etait jamais plus pres d'encourirlahaine de Linguet qu'au moment on on en etait le plus aime. C'elait La Harpe qui en avait fait , le premier, la douloureuse experience. Un jour , il regoit de lui l'assurance qu'il s'applaudit de l'avoir pour juge, et, le lendemain. a propos d'une critique rien moins que rigoureuse du Memo i re pour le ducd'Aiguillon, quel- qu'un lui recite cette epigramme toute fraiche : Monsieur La Harpe, en son Mercure, Blame le feu de mes ecrits : — Monsieur La Harpe, je vous jure, D'un defaut de cette nature Vous ne serez jamais repris ; Et s'il me vient, hn jour, l'envie D'abandonner ce vilain ton. rour bien refroidir mon genie, J'etudierai Timoleon, Warwick, Gustavc et Melanie. Quand le comte de Vergennes, obsede des plaintes que soulevait le Journal de politique et de litlera- ture, eut salisfait aux vives solicitations de l'Academie en ordonnant a Panckouke de choisir un autre redac- leur, il devint aux yeux de Linguet un ennemi declare; et celui-ci , qui avait fait son eloge, l'accusa hau- lement avant son depart. Les gazettes etaient pleines de lui. I! entretenait, par des leltres publiees en Allemagne et en Angleterre, la curiosile publique toujours prete a le suivre. Un savait quelles menaces il avait adressees aux minis- - 85 - Ires en quillant !a France, el eombien ce transfuge serait plus redoutable qu'un Pelleport on qu'un Morancle. Ceux qu'il nommail ses persecuteurs n'ignoraient pas que sa nature haulaine etait aussi eloignee de la venalite qu'inaccessible a la moderalion ; rien ne pouvait les preserver de ses represailles. De son cote, Linguet , s'il fut d'abord fier d'etre craint, ne tarda pas a trembler pour sa liberte , et tanl que la mer ne le separa pas de ses puissanls ad- versaires, crut ses jours en peril. 11 traversa done le detroit en Mars 1777, et demanda a l'Angleterre le be- nefice de ce droit d'asile qui crea autrefois le premier peupledumonde , et en honore aujourd'hui le plus audacieux Son premier soin, en arrivant a Londres, fut d'as- surer l'ambassadeur franrais de son amour inalte- rable pour la patrie et pour le roi; — le second fut d'ecrire au comte de Vergennes celle letlre insolenle qui n'est pas seulement un libelle, mais une mau- vaise action. Tanlot recit, tanlot apostrophe, elle emprunte a l'art oratoire, pour le service d'un res- sentiment injuste, tout ce qu'il peut donner de fiel et d'amerlume. — Le comte de Vergennes avail ap- plaudi, encourage, secouru Linguet dans un moment difficile; a propos du Journal de politique, son inlervenlion avait ete d'abord moderatrice ; sans doute meme, s'il avait eu affaire a un homme moins ombrageux, eut-elle ele conciliante; le due d'Ai- guillon avait pu negliger son ancien defenseur; le garde-des-sceaux avait pu se montrer sottement severe en interdisanl la reimpression de ses ouvrages; le due de Duras, en sollicitant son exclusion de la — 8G — feuille Panckouke, avait peut-etre oulrepaase la mis- sion qu'il lenait de l'Academic ; certainement, Lin- guet se plaignait avcc quelque raison , mais de la a l'inflexible fureur qui gronde dans la Lellre ait comte de Vergennes, il y a la distance du reproche a l'oulrage. Qu'on me permelte d'en citer une page, une seule. Un sermon a fait la reputation du pere Bridaine ; qu'on me dise si les quelques lignes qui vont suivre ne sont pas un monument d'eloquence ct d'energie plus digne, par sa forme, de signaler un orateur. « ....Maintenant, ccoulez-moi, monsieur le comte, a et daignez m'apprecier; je vais vous dire des » choses qui seront neuves peut-etre pour vous et » pour tous vos confreres ministres, mais qui n'en » sont pas moins vraies. Ce sera une ample maliere » a reflexion pour les lecteurs de toutes les classes. y> Vous m'obligez a me donner une existence nou- » velle ; si mon cceur s'y refuse, mon esprit n'y est. « pas embarrasse. — Dans l'etat oil se trouve au- » jourd'hui l'Europe, avec du courage et de l'indi- » gnation, je sens a merveille qu'on peut aller tres- i loin. » La balance politique vous echappe, et vos faibles » mains ne la reprendront plus. Le Nord recouvre v partout son ascendant presque oublie depuis plu- » sieurs siecles. » Dans l'ancien continent, les pertes de la Pologne » enrichissent des puissances qui ne tarderonl pas » a faire la loi au Midi. — Au-dela des mers, qu'ar- » rive-t-il? La partie septentrionale de l'autre hemis- » pbere se derobe au joug do ses maitres, qu'elle « appelle ses tyrans. Ceux-ci reclament leurs droits - 87 — » avec les resources que ddnnent le temps ct la » force ; de maniere ou d'autre, les riches el faibles » possessions ties premiere dominaleurs de l'Ame- » riqne deviendronl, avanl peu, la proie du vain- » queur ou 1'indemnite du vaincu. » Dans ce choc des deux mondes, dans l'embra- » sement universe! qui ne peut manquer d'en elre » bientot 1'effet, toutes les ca meres scnl ouvertes a » un ho mine qui a les yeux bons e! une ante intre- » pide : la voix de la liberie relenlit d'un pole a » l'autre; elle promel la gloire et la fortune a qui » aura assez de hardiesse et de talents pour les » saisir. Voila ce que je distingue clairement. Je b vois, des lors, devanl moi des ressources innom- » brables pour mon elablissemenl el ma vengeance. » Mais vous, ministre du roi, que la Providence d a fait voire maitre et le mien ; vous, complable a b lui el a la France de tous les talents qui peuvent » leur elre utiles, osez-vous, dans de pareilles con- » jonctures, parun pur caprice, ou par une faiblessc » moins excusable encore, pousser au desespoir, i) reduire a l'exil, un sujel fidele, innocent, qui n'a b jamais demande, qui ne demande encore qu'exa- » men et justice ?. .. » L'effet ne tarda pas a suivre la menace. Deux mois apres, le discours preliminaire des Annates poli- tiques parut. II ne s'agissait pas d'une suite a 1'abbc de Saint-Pierre , dont la polysynodie se relrouvc a (juelques egards, cependant, parmi les theories gou- vernementales de Linguel : c'elait la realisation d'un projet concu le jour ineme ou le journal de Panc- kouke ctail passe dans les mains de ses ennemis, « de donner une histoire universelle, impaitiale et — 88 - » quolidienne, de son siecle avec sa franchise et son » inflexibilite trop connues... 11 ne s'y soumettra » pas aux repartitions ridicules qui font de chacun » des objets sur lcsquels peut s'exercer l'intelligence » humaine un terroir isole ou personne ne peut » avoir d'acces que celui qui en a paye la patenle, » espece de simonic litteraire moins scandaleuse, » mais plus avilissante que celle qui met a prix les » tilres ecclesiastiques. ... 11 n'est jamais penrus » d'attaquer la divinite ni les moaurs... Les parlicu- » Hers doivent etre sacres, parce qu'ils sont rarement » a porlee de se defendre..., et l'intenlion des » princes etant presque toujours bonne , il faut ta- » cber de les eclairer sans risquer de les aigrir. Ces » maximes ont toujours ele celles de l'auteur, et il » ne les dementira jamais. » Apres avoir use ma vie a combattre pour les » opprimes, ajoute-t-il dans la dedicace a Louis XVI, » je suis, a mon tour, victimede l'oppression. Jen'en » conserve pas moins la ferme confiance que Votre » Majeste. m'en vengera quand l'obstacle qui empeche » mes plaintes d'arriver jusqu'a elle sera evanoui. » Si ma vie sc termine avant que j'aie pu jouir de » cetle consolation, j'en appellerai a la posterite , » qui pourra repondre : Apres son innocence , » rien ne lui fut plus cber que sa patrie et son » prince. » Puis, dans un manifeste plein de hauteur, l'anna- liste expose la serie des evenements qui l'amene en Anglelerre, 1'entreprise qu'il a con(;ue et les bases sur lesquelles il pretend l'asseoir. Selon lui, la verite en matierc politique et litteraire n'ayant pas d'asile, il lui en ouvre un dans son journal. Son indepen- — 89 - dance , aux questions religieuses pres , ressuscilera Bayle, Leclerc el Basnage. — En effet, dans ce meme preambule, dune hardiesse inconcevable, politique, commerce, belles-lettres, sciences , arts , tout est traile avec une liberie d'examen et une sagacile sur- prenantes. — L'insurreclion americaine , premier fruit de la pbilosopbie impaliente , s'y heurle dans une melee de reprocbes contre l'esprit d'envahisse- ment de l'Angleterre ; toutes les parlies del'adminis- tralion des elals del'Europe y sonl mises au creuset ; rien n'echappe a la plume indiscrete du journaliste, pour qui une nouvelle disgrace sera le signal d'une resurrection nouvelle. — N'a-t-il pas donne cette fiere devise a son ceuvrc : Uno avulso, non deficit alter ? Aussi, de 1777 a 1793, offre-t-il le spectacle, sans exemple jusque la, et depuis, sans imilateur , d'un bomme gourmandant tour-a-tour souverains et peuples; offrant aux uns la mediation de sa plume dans les qucrelles internationales , aux autres, son influence aupres des cours contre l'oppression des tyrans subalternes ; — alimenlant, seul, une impri- merie qu'il promene de rivage en rivage ; — se dcro- bant, a travers mille dangers, aux seductions et au despolisme qui pourraient enchainer sa conscience ou sa parole. — S'il est reduit au silence par la pri- vation de sa liberie , il saluera sa delivrance avec un tel eclat que les murs de sa prison crouleront ; si la main du bourreau brulc ses bardies propositions, il les propagera avec un redoublement d'aclivite, et, apres avoir suppule ce que coutera de teles le re- maniement social , furieux des tardives concessions faites par la monarchic au liberalisme , jellera aux — 90 - qualre coins de l'Europe les fermenls tie la subversion prochaine (1). II est le chef du journalisme politique, non-seule- ment parce qu'il a, le premier, donne une publicite periodique aux jugements d'un parliculier sur les affaires de PEtat, mais parce que nul, jusqu'a ce jour, n'a pousse plus loin que lui, dans ce genre, le franc-parler, le bon-sens et l'eloquence. Qu'elaient cesecrits anonvmes, correspondances, memoires se- crets , opuscules obscurs lances conlre certains horames ou certaines coteries par des mains furlives, a cote d'une feuille signee, a chaque page, d'un seul et meme nom, exercant un controle universel , et distri- bute deux fois par mois, lanl par les conlrefacteurs (2) que par les depositaires, a pres de cent mille abonnes? De nos jours, la polemique est devenue plus sa- vante, plus subtile, plus profonde; mais esl-elle en- core sans defaut? Ne ressent-elle pas, parfois, comme un mal hereditaire, les violences tie Loustalot, de Marat, le c\nisme d'Hebcrl et de Lebois se meler a ses emportements, et la presse moderne doit-elle oublier son premier athlete? Peu s'en fallul que la grande enlrcprise de Linguet ait ete tout-a-coup renversee. Sans le devouement de Lequesne, ellc avortait. Le due d'Aiguillon, ayant recu de Londres, en Avril 1777, une brochure dans . (1) De nos jours, ce recit peut paraitre un dithyrambe. Mallet du Pan I'a prevu, lorsqu'en 1799, il ecrivait : « 11 est probable que la * generation nouvelle ignorera jusqu'au nom de Linguet, si popu- » laire, si celebre, il y a quinze ans a peine, — si prodigieusement » oublie aujourd'hui. » — En effet, le palais a, seul , garde sa me- moire, etses ouvragesont, presque tous, disparu. (2) On compta, un moment, onze contrefacons , taut en France qu'en Suisse, en Belgique, en Angleterre, etc. — 91 - laquellc il elait vigoureusement lance, ct dont l'au- teur, sans se nommer, se faisail assez connaitre, se plaignit au comtc de Maurepas, son oncle. Tous les ministres avaienl recu ce libelle avec menace de lc voir repandre en France, s"il n'elait pas donne satis- faction aux exigences de Linguet. — M. de Sarline dil que la meilleure reponse a fail e elait d'cnlever le libelliste pour le mellre a la Bastille, et son avis fut adopte. Deux exempts de police, Demmery et Des- bruguieres, dont on trouve les noms a la tete de loutes les expeditions de ce genre, furent mis en campagne. Lequesne en fut instruit par M. Levasseur de Verville, dont la famille elait alliee a celle du comle de Vergennes, et courut aussilol chez ce ministre. Celui-ci le renvoya au comle de Maurepas ; mais le due d'Aiguillon, seul, consentil a l'entendre. « Je » pars, dit-il a ce seigneur, si vous voulez faire sus- j> pendre 1' execution de l'ordre de police, et m'engage » a vous rapporler, avec lous les exemplaires qui » existent de Y AiguiUoniana ( 1 ), la parole formelle de » Linguet qu'il n'en imprimera jamais d'autre. » — Ainsi fut fait; mais le due d'Aiguillon exigea que Lequesne conduisit son ami a l'ambassade de France, a Londres, et lui fit souscrire l'engagement en question sous les yeux du due de Noailles. Les Annales obtinrent, des leur apparition, un succes qui etonna bien des gens. « G'est une chose » si delicate, ecrivait, acesujet, Voltaire a Mallet du » Pan , que de vouloir rappeler a une nation ses (1) 11 serait bien difficile de trouver ce libelle aujourd'hui. La dernicre mention qui en ait ete faite date de Lyon, 1816 ( Bulletin 'In la Idbrairie). -- 92 — » interets , lorsqu'elle s'est privee elle-meme de » lous les movens *~de regeneration. Je doute que » Xenophon eut ose le tenter chez le jeune Gyrus ; » mais ce qui me donne les plus grandes esperances, » c'est que M. Linguet a les outils universels avec » lesquels on fait tout ce qu'on veut : le courage et b l'eloquence. » Comme loutes les gazettes, les Annates donnaient le bulletin de la guerre americaine. Quand la nouvelle des progres de Washington et de l'echec de Saratoga parvinl en Anglelerre, une surexcitalion douloureuse se manifesta dans tout le royaume ; l'inquietude fut si vive sur le sort de cette armee et de ces belles possessions qui elaient pour la Grande-Brelagne un gage de preponderance autanl qu'une source de richesses, que le commerce s'arrela lout-a-coup. Les hesitations de Louis XVI entre la politique de Pitt et l'alliance americaine jeterent une certaine defaveur sur les refugies francais. Deverite pretend que lord North menaca alors Linguet de le chasser d'Angle- terre. II n'en fut rien ; ou mieux ce fut le contraire qui arriva : le premier lord de la tresorerie lui donna le plus haut temoignage d'eslime et d'egards qu'un homme puisse donner a un autre. « ... La crainte de la guerre m'absorbe, ecrit » Linguet a Lequesne, le 10 Fevrier 1778. . . Ce b n'est pas que je ne trouve ici des offres pleines de » prevenance... Un des premiers magistrats de ce » pays est venu, hier, me dire qu'il avait appris que » j'etais inquiet de la guerre et incertain si je reslerais » ici; que je ne devais pas penser a quitter, et que, b s'il le fallait, il se porterail caution pour moi ; de » sorle que, si Ton chassait les Francois de Londres, — 93 — » je pouvais etre sur d'y etre conserve ; mais, plus > celle favour aurait d'eclal, moins j'en serais curieux. » Ce ne sont. pas les politesses des Anglais que je » desire, c'est a ma patrie que je ne veux pas avoir » l'air d'etre oppose , et, decidement, au premier » coup de canon, je pars. » Quelques jours apres, il regut la visile de Mallet du Pan, avec qui il s'etait rencontre a Ferney et dont il encourageait le devouement a la monarchic ; Mallet du Pan, qui se giorifiait d'etre son eleve et son ami. Ce jeune homme lui apporlait la table des matieres des deux premiers volumes des Annates ; travail difficile, dont il s'etait religieusement acquitte. II semble que la societe d'un homme de talent avec lequel il sympathisait par ses principes eut du lui rendre la besogne plus douce et J'exil moins doulou- reux; mais, commel'a dit un observateur spiriluel (1), les hommes superieurs savent raremenl vivre ensem- ble; les moutons se rassemblent, mais les lions s'iso- lent. Les trois semaines que Mallet du Pan passa a Londres suffirent pour indisposer Linguel conlre lui. Toulefois, il invita son hole a aller le voir en Suisse et a s'y installer dans le cas oil il quitterait l'Angle- terre. Ce que prouve la lettre suivanle : « 3 Avril 1778. — Ah ! moncher Lequcsne, queje » suis triste ! M. Mallet du Pan part d'ici. II me » laisse desole. Ma destinee est bien cruelle ! Dans » ma vie, je n'ai a me reprocher d'avoir desoblige » personne. Au contraire, j'ai toujours fait du bien » tanl que j'ai pu. Cclui-la a toujours ete un des » principaux objets de ma bienveillance. Je ne l'ai (1) RlV.UlOL. — 94 — » d'abord connu que par ses eerils cl ses lettres, » asscz mauvaise maniere de connailre les gens. Son » travail est nul; lui-meme est bas, paresseux, etc. » J'hesite a aller vivre dans son pays, oil il m'attend... » J'y vais cependanl. Je n'ai reussi qu'une fois en » amis: vous lc voyez, c'est le jour oil je vous ai » connu. » On venait d'apprendre que la France reconnaissait l'insurreclion americaine (par le traile du 6 Fevrier 1778), et Linguet quillait l'Angleterre, en quete d'une residence ou il put, sans scrupules, parler de cet evenemenl et de ses suites. Toutefois, avant d'arreter son choix sur Geneve, il avait fait sonder le comte de Vergennes , qui au- rait fort bien pu se ressouvenir de la leltre oil on l'avait si violemment menace , el inquieter l'eiablis- sement de son agresseur dans une conlree voisine. Mais Lequesne, cbarge de celte negotiation , l'avait conduite avec assez de bonheur pour decider le comte de Vergennes a ecrire ces propres mots a Linguet : « Je vous annonce tant de la partde M. le comte de » Maurepas que de la mienne , une siirele entiere » pour voire personne dans le nouveau domicile que t> vous vous proposez de prendre. Je vous en donne » bien volontiers l'assurance et celle de vous laisser » mailre de vos actions, persuade que la religion, le » roi ni l'Etat ne seront attaques dans vos ecrits... » 23 Avril 1778. Bien plus, Lequesne avait obtcnu et menage une entrevue aChanlilly entre le ministre el son delracleur. Aussi, quand Linguet, apresavoireprouvea Soleure, a Berne et a Geneve, des obstacles a son installation, revint a Biuxelles, il ecrivit a son ami ces lignes qui - 95 - peignenl 1c repentir d'un cceur ou la raison n'a pas moins d'aulorile que le sentiment : « Bruxelles , 22 » Juillet 1778. — Le silence que vous m'impose'z a » l'egard du ministre est une chose impossible. La » plupart des homines sont laches Quant a moi, » ma reconciliation ne me fera pas changer de ton sur » le passe, mais je ne me tairai pas sur les bienfaits > dont je suis l'objet, pas plus que je n'ai mis de » temperament dans l'acrete de mes plaintes. » Le succes des Annates allait toujours grandissant : grace a la protection du comle de Vergennes , elles circulaient gratuilemenl en France par la posle, dont le directeur, le baron d'Ogny, remellait an roi un exemplaire de chaque numero. Lequesne en elait le distribuleur a Paris. II faut lire sa correspondance pour avoir une idee des em- barras de loute nature que celle besognc lui suscitail. Outre le service d'unc comptabilile tres-etendue que les soins de son commerce rendaient plus penible, il lui fallait accueillir les reclamations des meconlents, repondre aux provocations de ceux plus exigeants qui, froisses par le journaliste dans leurs inlerels ou dans leur dignite, lui demandaient raison des ecarls de son ami. C'etaient des plaintes continuelles , des menaces, des injures pour lesquelles il fallut bien souvent mettre l'epee a la main ou avoir recours a l'autorile. Grimm raconteune de ces altercations donl d'Epremesnil, encore sur le seuil de l'arene politique, est le heros (1). Encore si Linguet avait su reconnailrc un pareil devoucment ! Mais , loin d'en apprecier le merile , M) V. cgalement les Annates, t. IX, le n" du 5 Aout 1780. - 96 - apres quelques protestations de gratitude , il se plaignail amerement , a chaque courrier, qu'on ne- Q-liaeat ses affaires. A la fin de 4778, notamment , il reclama, avec une insistance blessanle , un compte general. — C'etait en Decembre, au moment ou l'as- sociation enlre Levasseur de Verville et Lequesne allail se dissoudre. — Celui-ci, absorbe par le tra- vail d'une liquidation considerable, ne put repondre assez vile aux exigences de son ami, et la mesintel- ligence se glissa entre eux. Linguet s'imagina d'at- tribuer le silence de Lequesne a une gestion infidele, et accourut a Paris, en Fevrier 1779, ayant en pocbe un libelle conlre lui. — La tout s'eclaircit ; il choisit lui-meme des arbitres pour fixer leur balance com- merciale, et le resullat du compte etablit Linguet debiteur de 34,212 livres envers son manda- taire (1). Cette petite legon donnee a sa vivacite le renJit plus circonspect. II tint, a dater de ce jour, un etal si exact de ses rapports pecuniaires avec Lequesne , qu'il lui ecrivail, le 14 Aout 1780 : « Vous m'envoyez toujours de l'argent que je ne » vous demande pas, de sorle que je suis toujours » redevable envers vous. Vous etes un bien etrange » ami, qui voulez me faire perir d'angoisses et d'in- » quietudes en m'engageant dans des obligations d dont jene puis voir Tissue. » Sa maison, a Waerbeck, pres Bruxelles, etait le rendez-vous d'une societe choisie; il menait un train convenable et jouissait de la consideration qui (1) Memoire pour Pierre Lequesne, march d'etoffes de soye, par Cahier de Gerville. — Paris, Janvier 1787. Collection Gaultier Debreuil. Memoires aneiens. Biblioth. lies Avocats, a Paris. — 97 — accompagne toujours nne fortune due au travail (1). Mais l'age venait , et, avec lui, le regret He n'avoir pas assure, par un lien legitime , le repos du coeur dont il commencait a eprouver l'imperieux besoin. Sa compagne le quitlaun moment. — Mors il sentit mieux sa solitude, et devint en proie a la mefiance et a la misanlhropie, en reconnaissant qu'il lui etait impossible de rompre des noeuds desavoues par la justice et par la religion. Les fatigues meurtrieres de son ceuvre furent bien- tot compliquees d'agitalions domesliques, de menaces etrangeres, qui le rendirent sauvage et fantasque comme Rousseau a Moliers. — Ses lettres sont toutes empreintes de cetle situation si parfaitement decrite par Seneque (2), si inbumainement raillee par Grimm (3). — Une sobriete d'anachorete, un travail de jour et de nuit, une fievre devorante sans cesse rallumee par les entraves que lui suscitait le minis- tere, compromirent gravement sa vie. Ce fut dans ce moment que les Annates rendirent compte du proces intente par le due de Duras au comte Desgree-Dulou. Ilressortit, desdebals, qui eurentlieu a Rennes, que le commandant de Bretagne avait donne a Desgree- Dulou 4,500 livres pour trahir , aux Etals, les inte- rets de la province. Linguet , en reproduisant (A) (1) II recevait une rente viagere du comte de Morangies et de la comtesse de Bethunc , outre les benefices de son entreprise litteraire. (2) De Clemenlia, XIX : Tantum enim necesse est. ut tiraeat quantum timeri voluit, etc. . . . (3) Juillet 1780, Correspondancc . (4j Annates, t. VII, p. b6 et 59 ; t. VIII, p. 157. Les n°s 59 et 60 ( Mars 1780 ) furent anetcs a la poste. xxxi. 7 - 98 - l'arret du parlement du 28 Fevrier 1780, qui Ordon- nait la suppression de l'affarrc et des pieces consi- gnees au greffe, ajoulait : De seinblables arrets l'effet le plus commun Est de perdre d'honneur deux hommes, au lieu d'un. Le due de Duras , qui avait ete , en 1776, le pro- moleur de son exclusion de la feuille Panckouke, fut sensible a cette vengeance. II luiecrivit, de sa main, qu'a la premiere saillie, il le feroit batonner. La re- ponsedeLinguet, aussiimperlinentequelaconique (1), moliva la lettre de cachet du 18 Avril, en vertu de laquelle il fut mis a la Bastille cinq mois apres. Cette lettre de cachet resta secrete. Les amis de Linguet en ignoraient l'exislence , quand celui-ci, relevant de maladie , vint incognito a Paris prendre quelque distraction et mettre ordre a ses affaires. II y etait depuis huit jours a peine, lorsqu'on l'ar- reta a l'entree du faubourg Saint-Anloine , allant , avec Lequesne, diner a la campagne. Cette circon- slance qu'il etait dans la voilure de Lequesne, entoure de ses gens , qu'il se rendait a Saint-Mande , chez Lequesne et sur son invitation, lui a fait penser que son ami l'avait trahi. La verite est que Lequesne ignorait l'ordre d'ar- restalion, et ses larmes , son desespoir temoigne- rent assez de son innocence. . . . Voici commentles cboses s'etaient passees : Linguet, etant descendu rue du Carrousel , a l'hotel du Roi, sousle nom de M. Caumont, avait fait demander par Lequesne une audience au comte de Vergennes. (1) Grimm la rapporte. ( Correspondancc, Juillet 1780.) — 99 — Celui-ci l'avait accordee et s'elait empresse de signa- ler au lieutenant de police Lenoir la presence de Linguet a Paris. L'amilie aussi loyale que dcbonnaire de Lequesne ne pouvait etie mise en doute. C'etait malgre ses con- seils que Linguet etait venu a Paris : « Votre sante, » lui ecrivait-il dans les derniers jours d'Aout, ne » vous permet peut-elre pas ce voyage ; consulted » bien vos forces avant de l'entreprendre ; vous ne » pouvez compter sur l'arriere-saison... Tout vous » invite a rester a Waerbeck, racrae mon cceur, que » le plaisir de vous embrasser fait batlre en ce mo- b ment. ;> Ce ful le 27 Septembre que Linguet entra a la Bas- tille. II y fut conduit par le commissaire da quartier Saint-Antoine Chesnon et l'exempt Demmery. — A l'interrogatoire par lequel on preludait a toute incar- ceration, sa leltre du 7 Avril au due de Duras lui fut representee : il la reconnut. 11 nous a raconte lui-meme, dans un petit ouvrage bien precieux pour 1'histoire de la Bastille, toutes les circonslances de sa detention. La seule chose qu'il ait negligee, ?'a ete de rendre justice a l'abnegation, a la sollicitude , a raltacbement fralernel dont Le- quesne lui donna mille gages. — Voyage a Bruxelles, difficultes de toute nature pour arracher sa fortune et ses papiers aux mains chargees par la police de Paris dc les enlever, requeles, sollicitations qu'aucun refus ne lassait, rien ne lui couta. Si le lieutenant de police lui-meme n'avait assure le prisonnier que c'etait du comte de Vergennes qu'il avait appris sa presence a Paris, si le comte de Vergennes n'avait, a son tour, disculpe haulement Lequesne de l'accusa- — 100 — tion dont il fat l'objet, tant de devouement l'aurait dementie. Linguet mit, sans plus larder, tout en ceuvre pour sa delivrance . En Oclobre 1 781 , il se crut un moment bien pres de l'obtenir. Les canons de la Bastille lui annoncerent un de ces evenements qui ont toujours ete, dans notre pays, un pretexte a la clemence du souverain (1). II ne laissa pas echapper l'occasion, et pria Lequesne de faire parv'enir au roi qnelques vers en forme de supplique, dont il esperait le plus heu- reux resultat. Celte requete resta sans reponse. Peul- etre la princesse de Chimay et le prince d'Hennin, qui s'en etaient charges, ne l'ont-ils pas donnee a Louis XVI. Toujours est-il qu'il fallut se tourner d'un autre cote. Les recherches de Hooke et d'Hoffmann sur la trans- mission des signaux avaienl mis en campagne bien des esprits pratiques ; le gouvernement encourageait leurs efforts, mais toutes leurs combinaisons echouaient a l'experience. Linguet employa les loisirs de sa captivite a etudier cette matiere, et trouva un procede de telegraphie lumineuse sur lequel il adressa au ministre de la marine un memoire qui parut digne d'attention. « Voyez, voyez le ministre, ecrivait-il a » Lequesne a ce sujet, le 20 Fevrier 1782; soyez » assidu, montrez-vous lous les jours... Soyez sur » que j'apprecie tout ce que ceci vous cause detour- » ments, mais croyez bien aussi que la sensibilite » qu'excite en moi votre attacbement est de tous les » instants... » (1) La naissance du dauphin Louis-Joseph-Xavier, le 22 Oclobre 1781, mort au chateau de Meudon , le i Juin 1789. — 101 — Lequesne avail oblenu du ministre que Linguet serai t rendu a la liberie si son invenlion reussissait, el il avail ofiert de prendre sa place pendant la duree des experiences. « Si le preliminaire de sortir pour » eprouver souffrail encore des difficultes, lui disait b alors le prisonnier, n'insislez plus ; car, enfin, » pourvu que je vous voie, afin de convenir des raa- » teriaux et nous concerter sur l'usage, nous pour- » rions, a toule force, essayer, moi elant ici, vous » a un point convenu. Sans doule il s'en Irouveni » aux environs de Paris, a la distance donnee d'ou » Ton decouvre cet enfer-ci ; mais il faudrait avoir » bien l'assurance qu'au moment du succes, les fers s tomberont. » « J'aurais mieux aime devoir ma resurrection a » la justice, au nom de laquelle j'ai toujours parle, » qu'a une idee due au hasard... Au milieu de mes » craintes, une chose me tranquillise , c'est que » vous etes infatigable , et que voire zele s'anirae » par les difficultes. » gieuse, mais je serai un bon econome, un pro- » prietaire vigilant. Je me flatte, Monseigneur, que » vous voudrez bien vous considerer comme l'abbe » d'un couvent donl vous m'aurez fait le prieur. » Quant a l'etablissement de la cure dont je vous » ai parle, j'ai des vnes particulieres que je commu- (I) Une partie des batiments dont se eomposait lancien couvent etail restee occupee par une ecole publique de filles. — 100 — 5 niquerai a Votre Excellence. J'ai un frere, main- » tenant cure en France, en Normandie, et que je » serais heureux d'attirer pres de moi... G'est le seul » qui me reste. . . Le plus jeune est mort l'annee » derniere a Paris , me laissant par testament sa » charge d'avocat aux conseils, que j'ai prefere ce- » der...— Mon intention est de fixer a Awerghem, a » mes frais, un chirurgien, sorte de secours qui » manque a ce pays, egalement destilue des tempo- » relset des spirituels... » Suivait un memoire, dans lequel Linguet developpail ses offres el les evaluail a plus de 60,000 fiorins. Quelques jours apres (48 Fevrier 1789), il se ren- dit sur les lieux, accompagne d'un conseiller com- missaire, charge par le gouvernemenl de fa ire un rapport sur l'objel en (piestion. a Ce rapporteur, » raconte Linguet, ne fut frappe que d'une chose, » de la facilite de. hatir a peu de frais, en rasant tous » les vieux baliments qui sont au has de la colline, » une jolie maison de campagne sur la hauteur... « __ C'est etonnant, ajouta-t-il, qu'on ne l'ait pas » encore fait ! »— et, dans son rapport, il offrit, pour » son propre comple, 60,000 florins, en pretendanl » que je n'en avais offer!, moi, que 15,000. » Quoi qu'il en soil de celte assertion de Linguet, il ne manqua pas de se plaindre. S'adressant une der- niere fois au comte de Trautmansdorff : a . . . Le rap- » port est d'une malignite odieuse, dit-il, et l'offre une » prevarication deguisee ; je suis au desespoir d'avoir » cede a la tentation d'etre utile.— Je ne veux » plus d'Awerghem ; je vais a Vienne porter ma justi- » ficationauxpieds del'empereur. Si Votre Excellence » a des ordres a me donner, je la prie de me les — HA — » adresser sous vingt-quatre heures, et dc vouloir » bien me faire expedier un passe-port, que j'enver- » rai chercher demain matin. — Ce 28 Fevrier » 1789. » II partit en efl'et ; mais, a Yienne, il ne put voir l'empereur, qui, gravement malade, ne recevail que les minislres. Un l'engagea, de sa part, a relourner a Bruxelles, avec promesse qu'il lui serait donne sa- tisfaction. Mais, en presence du mauvais vouloir des conseillers generaux, il resolut de rentrer en France, comptant Irouver surele et protection aupres du comte de Mercy-Argentcau, ambassadeur d'Autriche, si sa liberte ou sa vie y etait menacee. En quittant la Belgique, il fait ainsi ses adieux au gouverneur : « Bruxelles, 21 Avril 1789.— Je vicns de dissoudre >> mon imprimerie, Monsieur le comte, et de con- » gedier mes ouvriers. II y a six mois que je n'avais » plus besoin d'eux, mais ils avaient besoin de moi. » Je les ai entrelenus tant que la saison a ele ri- » goureuse... Ce soni autant de families qui vont se » Irouver sans emploi par un effel de l'administra- » lion... Getle idee jette, dans les adieux que je vous » adresse, une tristesse donl je nepuis me defendre. » Je pars demain ; jusqu'a midi, j'altendrai vos or- » dres, qui seront execute* avec le plus grand soin, » si vous en avez a me donner. » On sait quelle aurore d'esperance signala le rappel de Necker et la revocation des edits de Brienne. Malgre le parlement, qui avail jele le masque ; raalgre le vote des notables, la double representation du tiers aux elals generaux etait ordonnee. — Les trois ordres avaient repondu a l'appel, mais une scission - 122 — opiniatre rendait sterile le zele dont ils paraissaient animes. Linguet, qui ne s'etait pas presente a la deputa- tion, quoique plusieurs villes eussent sollicite sa can- didature, regrelta, en voyant l'horizon s'assombrir, de n'avoir pas accepte le rnandat populaire.— La resistance du clerge et de la noblesse se peignit d'a- bord a ses yeux des couleurs sous lesquelles il avait vu la tenacite du parlement ; raais il pensa bientot que la superiorite numerique du tiers pouvait conju- rer la crise, et l'engagea a se reunir aux aulres ordres pour prevenir une rencontre. N'y a-t-il pas quelque chose de prophetique dans cette apostrophe qu'il adressa aux communes ?. . . « — Vous auriez de » grandes ressources pour le combat, — helas 1 » oui ; mais en auriez-vous seules? Dussiez-vous b compter sur un triomphe assure, quelles seraient » done les premieres offrandes que vous presente- » riez, les premieres victimes que vous immoleriez » au nom de la nation a la liberie? Seriez vous » siires, pourriez-vous repondre de vous arreter dans » cet elan meurtrier ? — N'est-ce pas encore aux » depens du peuple, de la vraie nation en tous sens, » qu'il faudrait en courir le risque? — Et quelle » main serait assez adroite, assez puissanle pour re- » nouer les liens que vous aurez ainsi rompus (1) ?..» Ainsi, nous voyons son action moderatrice des- cendre du pouvoir au peuple, toujours inspiree de l'amour du bien public. (1) Serait-il trop tnrd ? par M. Linguet, ancien avocat au parle- ment de Paris, 1789; in-12, avec cette epigr. : Paeem vos posci- mus omnes. (Page 30.) — 123 — An serment du Jeu-de-Paume , succede bientot l'orageuse seance du 23 Juin, si funesle a la cause royale. Linguet se Irouvait a Versailles. La parole for- midable de Mirabeau francbit les murs de l'hoteldes Elats et contrisla bien des cceurs. — L'avilissement de cette monarcbie glorieuse pour la France, depuis tant de siecles, fut salue par d'autres voix comme l'aube d'un jour plus brillant qui devait laisser dans l'ombre tons les beaux souvenirs du passe. « Le coup » a fait balle, » dit Linguel a Montmorin (1), qui se flattait de n'avoir a reprimer que d'inoffensives de- clamations; « vous serez de grands medecins, si vous » sauvez seulement la dignite de la couronne. » Des bruits calomnieux couraient sur lui. — Le lundi 13 Juillet, il suivait l'avenue de Vincennes pour se rendre a Wissous, pres Antony, ou un ami lui avail donne asile, lorsqu'une troupe de paysans ar- mes entoure sa voiture ; il s'informe : — « Vous ar- » rivez de Vienne, lui dit-on, vous avez recu de » l'empereur un million pour comploter avec nos » courtisans contre la revolution; — le renvoi de » M. Necker a ete en partie votre ouvrage, per- » sonne ne l'ignore ; les gardes-frangaises en sont » instruites; nous vous arretons au nom du peuple. » Linguet, sans tenir compte de ces propos, ordonne a son cocber de poursuivre sa route et arrive cbez lui. — La, il soutient pendant deux beures une espece de siege; — d'une fenetre, il harangue les assaillants ; — c'esten vain. — Des cris de mort, d'incendie se font entendre. Alors, il monte a cbeval, suivi d'un domes- tique, fend la foule, qu'il tient en respect, un pistolet (1) Ministre dc la marine. - 124 — a la main, et retourne a Paris.— 11 court au Palais- Royal, oil relentit encore l'appel de Camille Des- moulins, et se mele aux groupes. — Un nouvelliste, qui ne le connait pas, lui rapporte a lui-meme, en les confirmant, les accusations absurdes dont il est l'objet, et ajoute qu'on est a sa recherche pour en tirer justice. Le lendemain, au moment ou sonne sa cinquante- troisieme annee, il assiste a la prise de la Bastille : — « En voyant l'enthousiasme public, je brulais de me » nommer, dit-il, et j'aurais applaudi sans restric- » tion a cet acte de justice populaire, si le triomphe » affreux du portage des tetes n'avait souille la fin » de cette grande journee (1). » La vue du carnage l'epouvante. C'en est fait ; les exces qu'il a presages a la roxaute, si elle hesltait a s'affranchir de la tulelle parlementaire et minisle- rielle, commencent. La regeneration, qu'il voulait pacifique, organisee, honorable, va couter au pays, dans une large me- sure, des larmes, du sang et de l'honneur. Le sejour de Paris, ou, d'ailleurs, il n'est pas en surele, devient odieux a Linguet, quand il voit a l'Hotel-de-Yille, le 17 Juillet, Louis XVI porter a son front la cocarde tricolore, entoure d'une foule sombre et menacante. II ne s'attendait pas a etre temoin sitot de 1' humiliation du souverain, et, pour s'epar- gner de pareils spectacles, il retourne a Bruxelles. Mais la aussi gronde une revolution. Les Pays-Bas autrichiens sont au comble de l'effervescence. L'agi- tation ou il les a laisses s'est accrue de la cassation ;t) Lettre au comtc de Trautmansdorff. — 125 - de tous les Etats par le rescrit du 18 Jnin, de la cas- sation du conseildu Brabant, de la substitution de magistrats Strangers aux juges nationaux, du deraem- brement violent de l'universite de Louvain. — Des arrestalions nombreuses et arbitrages redoublent l'exasperation : « Rendez-nous, ecrit Linguet au » comte de Trautmansdorff, le lei- A out, rendez-nous » ees malheureux que Ton traine vers les rochers » du Luxembourg et qu'on menace des marais de la » Hongrie. . . Soyez humain. ou craignez... Lespeu- » pies, depuis quelques annees, jouent avec les rois » une terrible tragedie. En Amerique, le premier acte » presenle une guerre reglee el une insurrection » triomphante ; en Hollande, les factions ont pro- » duit des debats ridicules, des desaslres particuliers » et un avilissement general ; — en France, on a de- » bute par des assassinats sans deguisement, continues » par des proscriptions sans noinbre. Cc qui n'a pas » peri de ministres reprouves est en fuite avec presque » toule la famille royale. Je ne sais ce qui se pas- » sera au quatrieme acte ;— mais, en verile, mal- » heur aux administrateurs du pays ou il se jouera!.. » Que deviendrez-vous? que deviendra tout ce qui » vous est cher, si jamais le peuple rompl le frein » dont vous lui ensanglantez la boucbe ? » Les prisonniers furenl rendus, et il put se flatter d'y avoir ardemment contribue. — Cependant l'appui sympathique qu'il semble vouloir preter aux Braban- cons arrive aux oreilles de Joseph II. — « Ne repondez » point a Linguet , ecrit cc prince au general » d'Alton, et s'il devient insolent, chassez-le de mes » Etats. » Alors les inembres du gouvernement l'accusent, - 126 - aupres de la cour de Vienne, d'avoir vendu sa plume aux raeneurs de l'insurrection. « Moi, s'ecrie Linguet, dans une letlre publique » au gouveriieur, moi, m'etre laisse conduire par » l'interel ! Demandez a l'empereur si mon attache- b ment pour lui a jamais ele souille par une re- » compense pecuniaire. » Ah! Monseigneur, si j'etais a vendre, ce pays b tout entier ne suffirait pas pour le prix que j'exi- » gerais ! — Feu le comte de Vergennes a voulu » m'arheler, et cher ; — vous savez comme je l'ai » puni de eet outrage. —Dans l'affaire de l'Escaut, si » honteusement abandonnee en 1785, — pour sa » mediation, pour avoir charge la France de paver » une parlie, non pas de la rangon, mais de l'escla- » vage de l'Escaut, il a regu une superbe argenlerie » vue de toute la France ; — les Hollandais ont sans » doute mis plus de discretion, mais aulant de gene- b rosite dans les autres marches,... et il n'est resulte » pour moi que l'honneur d'etre appele, dans une » depeclie autricbicnne, un vendeur d'ecrits ! Voila » ma part dans une affaire ou vous trouvez l'empe- » reur vendant ses droits et la prosperite de ses pro- » vinces, des ministres vendant l'empereur et sa b renommee, les commisNaires Leclerc, Debrou et » autres grapillant encore apres les grands coups de » main, et prevariquant, a bourse deliee, dans la » fixation des limites, qui n'a ete pour les armoi- d ries imperiales, partout ou ils ont opere, qu'une » souillure. » On voit par quelle suite d'evenements Linguet se trouve amene dans les rangs de la presse revolu- tionnaire, qui le compte bientot parmi ses chefs. — - 127 - De ce moment, c'est en ennemi qu'on le Iraite sur cetle terre oil des honneurs l'ont accueilli. Dans la nuit du 17 au 18 Decembre, des soldats enfoncent la porle de sa maison, saisissent el enle- vent ses papiers, en vertu d'un ordre des conseillers du gouvernement, ell'interncnt chez lui, sous la sur- veillance d'un posle qui interccpte luute communi- cation avec le dehors. G'esl dans eel elat qu'il ecril a l'empereur : « ...Quedois-je penser, Sire, du spectacle dont je » suis temoin? Ne mereprochez pas de changer avec » la fortune. — Je vous ai fail serment de fidelite, et » je l'ai tenu avec le plus rigoureux scrupule. Mais » je ne l'ai point fait a vos minislres... Je ne l'ai » point fait a la perversite, a la corruption, au des- » potisme sans bornes, et beureusement sans lu- » mieres, de cinq ou six miserables intrigants qui, » depuis trois ans, ont, pour notre malheur et pour » le votre, surpris voire confiance.... Quoi ! c'est » toujours par la prison que les souverains ont paye » ma soumission ! Qu'ai-je pu, cependant, qu'ai-je du » faire, sinon cequejefais? — N'est-ce pas, a l'ave- » nir, pour mon cceur une necessite, un devoir, d'ab- » jurer le service des rois, auxquelsje n'en ai jamais » rendu dont j'aie a rougir, dont je ne sois pret a b rendre un compte, a soutenir un examen juridi- » que ; — de consacrer, soit ici, soit en France, a la » patrie qui, heureusement, dans ces belles con- » trees, n'est pas un mot vide de sens, les restes b d'une vie sur laquelle toutes les especes de despo- » tisme n'ont cesse d'exercer leur fureur ; — enfin, o de vouer a Votre Majeste mes regrets, — a la liberte » mon hommage et mes secours?.. » - 1°28 - Huil jours apres, Joseph II punissait d'un arret tie mort celte loyale et bardie fermete. « On a tres-bien » fait, disait-il an general d'Alton, d'arreter Linguel a et ses complices, pourvu qu'un prompt jugemenl d et exemple s'ensuivent (Depeche du S\ Decernbre » 1789). » — • Tous les individus prevenus de ma- noeuvres tendant a favoriser l'insurrection elaient juges sommairement, et, pourla plupart, condamnes a la peine capitate. - Linguel n'a pas un moment de faiblesse. Entre les mains du bourreau, en quel- que sorte, c'est au parti republicain qu'il dit baute- ment appartenir; ce sont les pieges diplomatiques qu'il signale au peuple indecis : « ...Joseph II veut j> faire passer vos provinces sous le sceptre d'une » arcbiduchesse de sa famille ! 0 lion, lion, prends » garde au tigre, sous quelque forme qu'il se de- ft guise!.. Point d'accord avec cette race; — tremble » que la gronde place ne se teigne de sang comme » "le. tapis vert de Laeken ! . . . Aux amies pour » ton independence! — Sus aux rejetons du Tibere » espagnol du XVIC siecle, pngnent ipsique nepotes /» — Et, dans une dizaine de brochures, il avive le com- bat avecsa verve furieuse (\). II ne dut son salut qu'au triomphe momentane de l'insurrection. — Camille Desmoulins, qui en publiait les bulletins a Paris, ne manqua pas de consigner dans sa feuille (2) l'active cooperation qu'y apporta Linguet.— Celui ci fut sensible aux eloges du jeune publiciste. « ...Quoi, luiecrivit-il, vous faites unjour- » nal, et vous ne me dites pas d'injures ! Vous eles (1) Elles formeni la Collection de la Revolution du Brabant. Rruxelles, 1790. In -8°. (2) Revolutions de France et de Brabant, n" 6 (2 Janvier 1790). — 129 - » Papdlre de la liberie, el vous ne ra'appelez pas » celui du despolisme (1) ! El vous me rendez la jus- » ticc ile reconnaitre que j'etais clans le cheval de » bois avec les plus courageux desGrecs! — Je. » relourne a Paris;— j'ecris au chef des Cordeliers » pour l'inslruire de ma resolution d'y sieger a cole » de vous, de MM. Fabre d'Eglantine el Chenier. » (Fevrier 1790) (2). Camille Desmoulins, en recevanl celle promesse, courut enfairc part au district; mais la personne a qui Linguel avait adresse sa lellre pour le president avail cru devoir surseoir. « On a ecrit a Lingnet des » lcltres dehorlatoires et on m'a signifie, de sa part — » (c'esi Desmoulins qui parle), — l'ordre de sursis. » J'avais pris les devanls ; le son des cloches avait » annonce la joyeuse nouvelle ; — on m'avait felicite )> de ma procuration, el quand j'ai annonce le conlre- » ordre, reclamation univcrselle ! — Non, nous le » reliendrons quand meme. — Nous 1'avons inscrit » sur notre tableau, il ne sera pas raye. Nous lui » avons deja prepare une cocarde, unmousquet, un » sabre, une gibcrne Eh ! parbleu ! vous serez des » notrcs, monsieur Linguet, vous serez du dislrict » des Cordeliers ; » Ac veluti to >> Juileei cogomus in lianc concedere lurbam (3). » En eflet, en Mai 1790, Linguet arrive a Paris, des- cend rue Sainl-Andre-des-Arts , hotel de Toulouse, (1) Linguet n'avait sans doute pas hi la France librc, de Des- moulins, 1788, p. G9 (2) Revolutions de France ct de Brabant, n° 15. (3) Ibid. xxxr. !l - l.-UJ — vole au district preier le serment civique enlre les mains de Danlon , et annonce la reprise des Annates. 11 ne fit parlie des Cordeliers que deux mois, les districts ayant du faire place, en Juillel, aux qua- rante-huit sections ; mais ces deux mois furent bien employes. — Ce fat lui qui redigea presque lous les memoires ou adresses dont la commune futaccablee. L'adresse a l'assemblee, au sujet de la procedure du Chatelet, sur les evenemcms du 6 Octobre, a Ver- sailles, est signee de lui ; on y trouve de beaux mouvcments de style : « ... Si des inconnus, a une » epoque ou le Chatelet veut obstinement trouver des » debts, des molheureux excedes d'une marcbe peni- » bl", perissant de besoin, a qui on avail refuse un » ab'ri contre les injures de l'air, au milieu d'une » nuit orageuse, ont viole un asile respectable ; — » des personnages connus, redoulables, n'avaient-ils » pas insulte les couleurs de la liberie dans cetle » meme enceinte, au milieu du lumulte d'une orgic » premaluree, dans le fracas d'une espece de baccba- » nale, oil la bonne chere el les esperances egale- » ment prodiguees avaient produit, pour les acteurs, » une double ivresse, et pour le ro\aume, un double » peril ? — El c'est quand la nation et son chef se » soril muluellement jure d'oublier,... c'est alors que » le Chatelet a l'audace impie de lever ce voile aussi » sacre que celui qui couvre le visage des morts. » Celte adresse fut approuvee par quara nle-deux dis- tricts. Le rapport de Chabroud a l'assemblee en re- produisit les conclusions, et, malgre l'opposilion de 1'abbe Maury, le decrcl fut rendu conforme. C'est la dcrniere cause que binguet ait gagnee. - 181 — C'est Sgalement la seule circonstance ou il se soil trouve clu meme avis que Barnave (1). Le1ei Juillet, ses adieux an district sont couverls d'appiaudissements : une deputation l'accompagne an chef-lieu des deux sections Saint-Andre-des-Arls, mais il n'y pent eloblir son activile, ni son eligibilite. On lui objecle qu'il n'csl a Paris que depuis trois mois, ehez un logeur ; qu'il habile la Belgique; et, malgre les efforts de Pare, president du district en l'absence do Danlon (decrele de prise dc corps par le Chalelet), et les protestations amicales de Fabrc d'Eglanline, qui se porle caution de son civisme, il sevoit exclu de la section substitute au club en verlu du decrel du 17 Mai. — Sa vie publique se borne, des lors, aux Annates, dans lesquelles il ne cessa, jusqu'en 1792, dc blamer les exces de la multitude et les vains scandales des assemblies. Deux fois, dependant, il fit sur la scene politique une courte et nialhcureuse apparkion La premiere, . au sujet de la reclamation portee par quatre-vingt- cinq deputes de 1'assemblee generate de Saint-Do- mingue conlre 1'assemblee provinciale, qu'elle prc- lendail supplanter. II se presenla en leur nom a la barre de 1'assemblee nalionale, le 31 Mars et le 5 Avril 4791 ; mais l'opposition presque unanime du comile colonial, dont faisaient partie Barnave, Thou- ret el Chapelier, paralysa tons ses efforts . Tout ce (t) Lingnet se trouvait ii 1'assemblee nalionale le 22 Juillel 1789, au moment ou les corps de Foulon et de Berthier etaient traines dans les ruisseaux et leurs tetes sanglantes promenees au Palais-Royal II avait entendu Barnave, a la nouvelle dc cet eve-_ nement, s'ecrierala tribune: « Lesang qui coule est-il done si » pur? » Ces paroles, sorties dcslevres dun jeune homme imberbe, le lui avaient rendu odieux. / qu'il put obtenir, ce fut les honneurs de la seance. A I'occasion de celte affaire, Linguet cchangea avec Barnave plusieurs lettres erapreintes, de pari et d'au- ire, d'une haine raisonnec, que la malignitc publique enconragea. On alia memejusqu'a publier, sousleurs noms, un recueil de lettres apocryphesqui eut le plus grand succes. — Parmi colics que 1'auleur des An- nates insera dans son journal, il en est une dont nous exlrairons qaelques lignes : a Vous pouvez vous jouer des droits de la cou- » ronne, qui n'a que trop merite son humiliation, » mais a laquelle, cependant, pour le bien general, » il ser.ail bien temps de fa ire grace; — de ceux dti » clerge, dont la partie haute commence, par sa » maladressc, par ses fureurs, a juslifier son abais- » semenl, mais dont vous ne menagez guere plus la » partie inferieure, si digne de respect etde support; » — de la noblesse, dont je croirai loujours que la » degradation n'elait ni necessaire, ni utile, ni meme » politique ; — de ceux du peuple, enfin, a qui, pour le » monter, vous vous etes associe, vous avez mis un » bat qui pourra bien sauter, avec les ecuyers, a la » premiere made de cet animal fougueux. Mais, mor- » bleu ! vous ne vous jouerez pas de 1'bonneur d'un » citoyen irreprehensible, a qui les inkjuites des de- i funis des|)otes, remplaces plus encore que depla- s ces par vous, leurs soi-disants ennerais, n'onl guere » laisse d'autre fortune quecelle-la. » (9 Mars 1791.) Quond on songe a l'epoque ou cette profession de foi a ele ecrite, on esi confondu de la hardiesse qu'elle affiebc. Linguet a term ce langage jusqu'au tribunal rcvolutionnaire. La derniere demarche publique qu'il fitavait pour - 133 — objet la rehabilitation tie deuxgarde-magasinsdeTrin- quemalle,condamnespourdilapidationsparle tribunal francais aux Indes, et acquilles depuis, surles memes griefs, par le tribunal de district de Quimper. II porta la parole a la barre de l'assemblee nalionale, dans la seance du soir du 7 Fevrier 1792 ; raais ses clients n'y gagnerent rien, sinon la mise en de- meure, porlee au minislre de la marine, de se justi- fier du deni de justice dont ilsl'accusaient. Bertrand de Molleville se juslifia pleinemcnt, eti'affaire n'eut pas d 'autre suite. Jusqu'en Fevrier 1792, Lingue.t restea Paris, rue Saint-Dominique, uniquemenl occupe de la redaction des Annates. II enlretient quelque temps, avec lle- rault de Seychelles, Desmoulins, Danlon, Robespierre memo, une correspondancc ou respire unc sage fra- lernite; — mais, du jour ou ces hommes, si doux an sein de leur famille et dans les relations privees, sont emportes dans la tourmente des passions popu- lates qu'ils ont soulevees ; du jour ou, jeles vio- lemmenl au pouvoir par les mains qu'ils ont armees, ils se soumeltenl a I'invincible necessile qu'ils se sont faite de cbercher dans le crime un abri contre leur propre tcrreur, — Linguet les renie bravement, publi- quement. Conteste-t-on son devouement a la repu- blique, en le voyanl flelrir la conduile des ministres improvises? Comparant les doctrines de ses premiers ouvrages aux services qu'il rend a la cause de la liber- te, l'accuse-t-on de souffler tour-a-tour le chaud el le froid ? -Non, repond-il, ce que vous appelez 1'eloge du despotisme est 1'ecole do 1'independance ; relisez les ecrits que vous incriminez : loin de les abjurer, je les confirme. — J'ai rompu avec les meneurs de -■• 134 — dubs quand ils se sont laisses gouverner eux-memes par la force irreflechie qu'ils avaient mission de con- tenir. — Je partage avec eux la haine d'un regime qui, dans ces derniers temps, leur a donne des legons de faiblesse, mais « je reste attache aux principes eter- » nels de justice, sans lesqnels il n'y a point de » societes (1). » Si Ton trouve, parmi ces pages ou le desespoir est maldeguise, quelques railleries contre les membrcs de la legislature (2), n'imputons pas a l'auleur une indifference, meme passagere, au milieu des dechi- rements de la palrie ; la polemique injurieuse de ses confreres lui fait horreur, et il veut arreter, s'il se peut, les progres de la demagogie avec le sourire sur les levres, et non l'ecume. Parfois, cependant, celte fougue de parole que lui a inspiree Taction destructive des parlements contre la monarchie se reveille, lorsqu'il entend outrager, a la tribune republicaine, l'bumanite ou la religion. Mais l'independance, que les rois avaient en partie toleree, nc pouvait trouver un asile sous le terrorisme (3). En Janvier 1792, il avait acbete a Marnes, pres de Versailles, un vaste terrain pour y faire des essais de culture. Apres le 10 Aout, il s'y retira entiere- ment (4). (1) Annates, 5 Mai 1791, n° 16G. ("2) Parmi ces sarcasmes pleins d'atticisme, ou reuiarquera un ruorceau sur Necker {Annul. , t. XVI, p. 74), une conversation entre deux deputes (Mars 1791, n" 160), et Vaittitude des avocats apres la loi du 14 Decembre 1790 {Annates, Fevrier 1791). (3) Et qui insultaverat agmini tyrannorum , ejus libertatem libertasnon tulit (Seneque, son auteurfavori,— De tranquillitate animi, § 3 ) (I) C'est cette propiiete qui appartenait, vers 1830, an dbcteus Bnuntois. 'Barriere, Memoires sur la Revolution.) — 135 - La, cherchant dans I'obscurite, dans I'elude de la nature, ce repps si precieux au declin de la vie, il deplorait en silence les malheurs de la France, de- voree a la ibis par I'anarchie et la guerre exterieure. Bienfaisant el plein de zele pour les interets de sa commune, dont un clioix unanime I'avait fait deposi- taire, il ne songeait pas, sans doutc, que la loi des suspects put l'atleindre, lorsqu'on vinl I'arreter quel- ques jours apres, le 17 Septembre 1793. Quoique doue d'unc robusle sanle dans un corps chetif, Linguet etait souvent en proie a de vives douleurs qui changeaient de siege en variant d'in- tensite, et dont il ignora longlemps la nature — C'etait une goutte errante qui, pendant son sejour a la Bastille, ayant atlaque l'cstomac, lui fit croire qu'on I'avait empoisonne.— II etait au lit et souf- frant de cette maladie, quand on vint proceder a son arrestation.— II dul a cello circonstance de n'clre pas conduit, avec les personnes arrelees en meme temps, a l'Abbaye, oil ses deux derniers amis, I'abbe Lenfant (1) elM. de Montmorin, venaient d'etre im- moles dans le massacre de Septembre. Interne a l'Abbaye dn faubourg Sainl-Antoine, con- vertie en bospice, peut-etre y eut-il echappe a I'acii- vile devoranlc des Iribunaux du 10 Mars et du 5 Avril, s'il ne se ful, par une reclamation inlempes- tive, signalea l'atlention du comilede Sal tit public (2). (1) Linguet avail conau i'abbe Lenfa.ut, confesseur de I'empereur d'Autriche, a Vienne, pendant son premier voyage — IJ entrelint une correspondance suivie avec ce vieillard, dont Ces derniers mo- ments furent ceux d'un martyr. (2) 11 ccrivit au comite pour se plaindre du commissairc de la section, qui s'etait empare dc sa voiture et en faisait usage malgre - 136 — En Fevrier 1704, on le Iransfere a La Force. C'elait, if ne Pignorait pas, 1'anlichainbrc du tribunal revo- lutionnairc, et, consequemment, un arret de rnorl.-- Une deputation de sa commune etait venue lemoigner en sa faveur et le reclamer comme un pcre auprcs du eomitc de Salut public ; — son jeune eleve d'Abbe- ville, Deverite, apres l'avoir, pendant quelques an- nees, accuse d'ingratilude et harcele de brochures, lui rendait justice au moment supreme , et, comme membre de la Convention, demandail son elargisse- ment au comite de surete gene-rale. Tout fut inutile. Robespierre avait jure sa perte, — Robespierre, dont il avail, en 1790, sincerement loue le patriotisme, puis, en 1703, fletri le delire sanguinaire. II envisageait froidement son sort. Loin d'echanger avec ses compagnons de captivile les consolations (]u'inspire aux malheureux un desespoir commun, il ne rechercbait pas leur commerce et redoulait sur- tout de provoquer de sleriles gemissements on d'cn- courager de laches faiblesses. Und'euxlui ayant de- niande s'il n'esperait pas triompher des verroux de La Force, lui qui avait franehi les murs de la Ras- tille, a Paris, et ceux de la rorte-de-Ilalle , a Bru- xelles: — « Les temps sont bien changes, » repondit-il apres un moment de silence et un profond sou- pir; — « et puis, lant va la cruche a l'eau, qu'a La » fin elle casse. » Pendant les cinq rnois de sa detention, au dire de ceux qui font partagee, il ne profera aucune plainte. sa volonte. Celui-ci, appeLe devant le eomite, n'eut pas grand'peiae ;i se fa i re absoudre, et profits dela circonstance pour appeletl 'at- tention de Robespierre sur l'homme qui I'avait traite de « Idche el > odieux tvihun . » - 157 — Ce n'elail plus I'homme tie 1776 ni do 1788; cede vive intelligence, celte parole impetueuse, celte verve intarissable avaient fait place au calme et au recueille- ment. Et pouvait-il en etre autrement a l'hcurc ou, chaque jour, se faisait Tappcl des accuses, et a celle plus douloureuse ou on apprenait leur execution ?— De quoi eut-il pu s'entretenir, avec Dussaulx, par exemple, sinon de sa mission au 2 Seplembrc , du cadavre de Montmorin foule aux pieds, et de la tele blanche du pere Lenfant, coupee et mulilee par un peuple de bourrcaux a la soldo dc la patrie? Peul- etre, meme, desira-t-il que son heure ne se fit pas longtemps attendre, et quand elle sonna, le 27 Juin, elle ne le vit pas sourciller. II parut meme devant le tribunal revolutionnaire avec lafermetede ses meillcurs jours.— Le mandat ducomite de surete generate lui avait ete signifie des le 29 Prairial ; mais il n'avait pu preparer sa de- fense, Facte d'accusation, redige, le 8 Messidor, par Fouquier-Tinville, n'etant venu a sa connaissance que par la lecture publique qui en fut faile, le 9, avant l'interrogaloire (1). Get acte elait ainsi congu : « Linguet, connu par ses ecrits etson sejour, dans » Ies cours de Vienne et deLondres, aupres des des- » potes qu'il insulta et encensa tour-a-tour, etait vu » des inlimes conseillers du trailrc Capet contrc la » revolution et l'un des membres du comite autri- » chien des Tuileries. — Par une leltre trouvec dans » Parmoire de fer, ecrite par Linguet a Gapel, le 4 (I) On procedait ainsi en verlu do la terrible toi voice iccciii- ment par la Convention, sur la proposition de Couthon et dc Ro bespierre. (10 Juin.) — 138 — » Avril 179u2, il le remercie de la justice qu'il vienl, » dit-il, de lui rendre en temoignant de sa confiance » en lui ; puis il parle des troubles qui agitent » l'Elat et des prelendus malheurs du tyran. — » II les atlribue a ce que, depuis quinze ans, il n'a » pas eu de volonte decidee ; — c'est ce qui a com- » promis son autorite et sa personne ; enfin, il finit » par lui donner le conseil de se montrer souvent » et de se confier au peuple, qui lui rend deja jus- » tice et qui la lui rendrait bien autrement s'il le » voyait tous les jours (1),-- langage qui prouve que , » si Linguet a paru se couvrir d'un masque de pa- » triolisme et faire quelques ecrils en faveur de la » liberie, ce n'etait de sa part que la vengeance ou » l'hypocrisie qui conduisait sa plume, mais qu'il elait » toujours le partisan et l'apotre du despotisme, dont » on trouve des marques aussi atroces dans cetle » lettre contrc-revolutionnaire, oil il met le masque » bas pour se prononcer conlre le peuple et ses » represenlanis. » Pendant cette lecture, Linguet prit un crayon et jeta a la hate sur un chiffon de papier les lignes sui- vanles, qu'il fit passer au tribunal : « On cite conlre moi l'exlrait d'une lettre unique » et dont je ne me souviens pas, — qu'on ne montre » memepas.Peut-on jugersurune preuve pareille?— » L'aecusateur public rappelle au souvenir des jures (1) Reproduction, mot pour mot, de l'analyse faite par la com- mission des douze etablie par le decret du 2 1 Decembre 1792 , pour examiner et deerire les pieces trouvees dans l'armoire de fcr et deposees par Roland sur le bureau de la Convention.— Cetle ana- lyse, qui porte len° 284, dans le recueil imprime en vertu du decret du 5 Decembre 1792, est suivie de ces mots : Apostillee de la main enlendue. » (l)Devanlla barriere du Trone, dite alors barriere Renversee — 141 -- renier sa conduile passee ni faire le moindre effort pour en detourner lcs consequences. II a brave ses bourreaux en 1 79 i , comme il a, en 1775, affront 6 le depit de ses confreres au lieu de se disculper a leur yeux. — Je ne chercherai pas a elablir que ses doc- trines soient enticrement conformes a la raison : il me faudrait d'abord prouver leur unite cc qui n'esl pas possible. — Mais on ne conlestera pas que ses contradictions soient les fautes d'un esprit qui cbercbe la verile , et non les jongleries d'un baleleur, comme plusieurs de ses contemporains l'ont avancc. Si je me suis appesanli sur les cgarcmenls de son coeur, c'a cle pour ne pas parailre soutcnir une these difficile en lournant les obstacles ; mais l'ensemble de ses actions decele une ame genereuse, et je pense qu'on ne plaidera jamais mieux la cause d'un homme de bien qu'enfaisant le recit complet de sa vie. Avocat, il neat pas de maitre et n'a pas laisse d'imitateurs ; on cbercberait en vain a elablir un parallele enlre ses memoires et ceux de Beaumar- chais. Les prcmierssont ties discours divises, comme un syllogisme, en premisses et conclusion; les se- conds sont, enquelquc sorle, unecomedie de mceurs, sans dialogue et desordonnee ; dans les uns, la force et la clarle dominent ; e'est ['esprit qui fait lout le merile des autres. llistorien, la bardiesse de ses jugements, l'beu- rcuse innovation de rechercher, avec les evenements, leurs causes politiques ct lours consequences gene- rales (ses devanciers s'etant, pour la pluparl, boincs au recit des fails, on ayant limite leur analyse aux conlrecs ou il> so sonl produits), lui assurenl un — U"l - rang honorable dans cctte classc precieuse dc nos connaissances. Litterateur, on peut dire que sa plume a une sou- plesse el une elegance qu'on croirait nalurelles, tant ellcs ont de soudainete. Son style manque dc pro- fondeur et de concision, mais il se plie si aisement aux evolutions de la pensee, qu'il ne fatigue pas, malgre le retour assez frequent de certains ar- cbaismes. II se peut que l'habitude de parler soil incompalible avec la sobriete d'expressions, qui est la marque d'un esprit puissant et conlenu. Cepen- dant Linguet, dans ses ecrils, n'esl, selon moi, ja- mais faible et jamais prolixe. Ce qu'on lui repro- cbera avec raison, e'est un gout trop prononcc pour 1'image, Iravers commun a lous les ecrivains de son temps. Journaliste, il a donne le ton a la pressc mili- tante, non pas celle qui fait appel aux partis, mais cette presse vraimenl impartiale qui ne puise ses raisonnements que dans sa conscience et ne s'inspire pas plus de l'obeissance passive au pouvoir que des plans d'un compeliteur. Quelquefois, il raille a la maniere de Courier ou tire une consequence comme M. de Girardin ; le plus souvent, il est lui-meme, e'est-a-dire fougueux el sage comme peu de publi- cisles l'ont ete depuis. En somme, il a laisse dans les Annates un des plus beaux monuments que nous ayons de patriotismc et d'eloquence. Philosophe, enfin, et economiste, ses erreurs sonl trop nombrcuses pour que toute sa logique puisse les racbeler; mais on 1'eludiera avec fruit, et sa rnemoire n'y perdra rien. — Les faules de Hobbes et de Spinosa se. retrouvenl dans la doctrine de — 1L-1 — Liuguet, el Benthara lui n emprunte quelques para- doxes. Si la nature et la raison y recoivenl de vives atteintes, pcu de doctrines ecbappcnt a ce reprocbe, hormis cet ensemble admirable de principes qu'on invoque, avec un triomphe pueril, pour ecraser les speculations des penseurs — Certes, le despolismc du pbilosopbe de Malmesbury, la monarcbic tempe- ree de Locke, le Contrat social de Rousseau font, trisle contenance a cote de 1'Evangile, et ceux qui condamnent la Theorie des Lois, au nom de la reli- gion et dela morale cbretiennes, font une bien facile besotrne. Politiquement, le regime que Linguet propose a fait ses preuves et seme d'epoqucs glorieuses l'liis- toire des nations; — les reformateurs qui, dc nos jours, embrassant l'exageration contraire, ont preche l'egalite pratique, n'ont-ils pas mis la societc en pe- l'il, ct sommes-nous bien stirs que la lenleur qui preside a la marcbe de rimmanile n'est pas dans les vues de la Providence? — On peut appliquera l.'au- teur de la Theorie des Lois ce qu'IIorace disait d'En- nius (I); mais, sans exagercr son importance, on ajoutera (pic, soit en defendant la monarcbie centre l'esprit de desordre, soil en disputant la liberie aux enlreprises demagogiques, il a courageusement sou- tenu les principes inviolablcs dc la societe ct est mort pour clle. (1) Si foret hoc nostrum lVilo delatus in ffivum , Detf-reret sibi multa. {Sol. 10, liv. ir.) 144 OUVRAGES DE LINGUIST. 1755. Voyage an labyrinthe du Jardin-du-Roi. 1 vol. in-12. 1758. Les Femmes-Filles , parodie d'Hypermnestre. 1 vol. in-12. 1702. Lettr edu mandarin Bocit-Ching, sur les affaires des Jesuiles In-12, — Epitre en vers d'un J. de D. a un dc ses amis, sur les affaires ties Jesuiles. In-12. — Prospectus d'un nouveau theatre de musique. — Histoire du siecle d' 'Alexandre. 2 vol. in-12. 1764. Memoire sur un objet intcressant pour la pro- vince de Picardie, avcc un P ar allele du com- merce el de I'activite des Francais et des Hol- landais. In-8°. Abbeville, chez la veuve Deverite. — Troisieme lettre, par l'auteur dudit memoire ; — on y examine comment et jusqu'a quel point la maree agit sur les rivieres; — on y donne line methode nouvelle pour les excavations. — In-8°. Abbeville , chez la veuve Deverite. — Socrate, tragedie. ln-8'. — Necessite crime reforme dans I' administration dc la justice et dans les lois civiles en France, avecla Refutation de quelques pas- sages deV Esprit des fo/s.In-8°. Amsterdam. — 445 — 1764. IJ Impel territorial on la Dixme royale , avec quelqucs reflexions sur ce qu'on appelle la contrebande el V usage de regarder commc inalienable le domaine de nos rois. La Ilaye. In-8°. 1765. Letlre deVauleur du memoir e sur la canali- sation de la Somme. In-8°. — Memoir e sur un projet inter essanl la province d'Artois. In-8°. 1776. La Cacomonade, histoire politique et morale, parle docteur Pangloss. Cologne. In-12. — Histoire des Revolutions de V empire romain. Paris. 2 vol. in-8°. 1767. Thecrie des Lois. — Londres. 2 vol. in-8°. 1768. LAven sincere. Lettre a ma mere sur les dan- gers de la carriere des lettres. In-8°. — Histoire impartiable des Jesuites. 2 vol. in-8°. — Lettre sur la noxwelle traduction de Taeite, par Lablelterie. In -12. — La Pierre philosophale, discours economique. — Theatre espagnol, trad, en frangais. 4 vol. in-8°. — Considerations sur I'utilite de reformer les lois ( reimpression de la Necessile d'unc refor.ne, etc., de4764). In-8°. 1769. Traile des Canaux navigables (reimpres. des Memoires sur l'Artoiset, laPicardie). In-42. — Histoire universelle du XVIe siecle. — Suite de Hardion. 2 vol. in~8°. 1770. Lettres sur la Theorie des Lois civiles. 1771. Reponse aux Docteurs modernes. — Refuta- tion des economistes. In-88. 24 Avril. — Protestations et Arretes des xxxi. 40 — 146 — Dames contre I'edit tie 1770, le lit de jus- tice du 13 Avril 1 771, et tout cc qui a precede et suivi. 1 feuille in-8°. 1774. Du Pain et du Bled (1er et 2e volumes des ceuvres de M. Linguet). — Londres. 6 vol. in-12. — Du plus heureux Gouvernement ( 6e vol . de I'edit. susdite). 1774-1776. Journal de politique et litteralure (25 Octobre 1774 - 25 Juillet 1776). 1775. Essai philosophique sur le monachisme. In-12. — Theorie du Libelle. In-12. — Compliment au Roi sur sa fete.— 1 feuille (24 Aout). 1777. Lettre au comte de Vergennes. Londres. In-8°. — Aiguilloniana . — Londres. In-12. 1777-1792. Annates civiles , politiques et litteraires (Mars 1777 a Avril 1792). — 20 volumes. 1779. Appel a la Posterite. Bruxelles. In-8°. 1783. Memoire sur la Bastille. Londres et Bruxelles. In-12 et in-8°. 1784. Dissertation sur Vouverture de VEscaut. Londres. In-8f. — Reflexions sur la lumiere et la part qu'elle a au mouvement des corps celestes. Londres. In-12. 1785. Nouvelles Considerations sur Vouverture de VEscaut ou Observations sur lemanifeste des Etats-Generaux (du 3 Novembre 1784). In-8°. 1786. Memoire au Roi. Bruxelles. Fort in-8° . 1787. Plaidoyer, par S.-N.-H. Linguet (suivi des Lettres de 1774 au due d'Aiguillon ). Bruxelles, in-8°. — 147 — 1787. Discours sur Vutilite et la preeminence de la Chirurgie sur la Medecine. Bruxelles et Paris. In-8". 1788. Examen des ouvrages de Voltaire ( r&mpres- sion ), Bruxelles. In-8°. — La France plus qiCanglaise. ln-8° de 149 p., avec eelle devise : « Principiis obsla. » Bruxelles. — Quelle esl I'origine des Etats-Generaux? Paris. Broch. in-8° de 65 p. — Onguent pour la Brulure. Bruxelles et Paris. In- 8°. 1789. Legitimite du divorce, justifiee par les Peres, les Saintes Ecritures. Paris. In-8°. — Serait-il trop tard? Paris. In-8' de 43 p. — Point de banqueroute, plus d'emprunt et, si Von veut, bientot plus de detles, en reduisant les impots a un seul. Paris. In-8*>. 1789, 1790 el 1791. Collection des ouvrages de M. Linguet relntifs a la revolution du Bra- bant. 2 vol. in-8°, conlenant : 1° Leitres a Trautmansdorff, 1788 et 4789;—%° Obser- vations d'un citoyen sur les evenements du 27 Juillet; — 3° Lcttre du 28 Juillet 1789 a Trautmansdorff; — 4° Appel a la nation bel- gique ; — 5° Lettre de Cobenzcl, avec la re- ponsc ; — 6° he Peuple belgique a Cobenzcl ; — 7° Lettre de Linguet au comitepatriotiquc; — 8° Lettre a un membre de ce comite ; — 9° Lettre a VEmpereur, ler Novembre ; — 10° Code criminel de Joseph II ; — 11° Let- tre a VEmpereur, 22 Decembre 1789; — 1 2° Choix de Lettres pater nelles de Joseph II. — 448 — OUVRAGES ATTRIBUES A LINGUET. 4759. Recueil sur la question de savoir si un jaif, marie dans sa religion, pent se remarier apres son bapteme, lorsque sa femme juive refuse de le suivre.— Querard place la pu- blication de cet ecrit en 4761. — Nous avons vu une edition de 4759 (Amster- dam, 2 volumes in-8°). C'est une collection de plaidoyers ou memoires de Loyseau, Moreau, etc. 4776. Memoir e a consulter sur I' 'existence actuelle des six corps et la conservation de leurs privi- leges.— Signe Delacroix (Grimm, et Di- derot). — Avril 4776. 4778. Philosophical and political Speculations ( Ex- trait des Annates). Londres. 4 784 . Le Proces des trois rois : Louis X VI, Georges III et Charles III... Libelle immonde, dont le veritable auleur est Bouffonidor (V. Bar- bier). — Querard l'attribue a Linguet, alors a la Bastille. 4783. Esprit de Vhistoire generate de V Europe de- puis 476 jusqu'a la paix de Westphalie. — Londres. Fort in-8°. — Nee de la Rocbelle ( Biblioth. historiq. , 4803, n° 843) le place sous le nom de Linguet. L'ouvrage est d'un grand style, et, sans la monotonie inseparable de ramoncellement des faits, tiendrait un rang superieur dans l'ensei- gnement. Mais, outre qu'il n'a rien de la maniere de Linguet, nous ne le voyons — 149 — mentionne nulle part au dos des livraisons des Annates, qui sont couvertes de l'an- nonce de ses productions , nolamment a dater de 1783. 1789. La Caninomanie. In-12. 1791. Testament de Joseph II . Petit in-8°. Les memoires judiciaires de Linguet sont disse- mines a la Bibliolheque des avocats de Paris (Collec- tion Gaultier de Breil,— Memoires anciens) et dans les editions d'Amsterdam, 1767, 7 vol., et de La Haye, 1776, 11 volumes. OUVRAGES A CONSULTER POUR SA BIOGRAPIIIL. Journal de la Marne, 18 Avril 1810. — Annuaire de 1811. — Article de M. Gerusez, ancien genove- fain. Notice pour servir a rhistoire de Linguet, par De- verite. — Liege, 1782. Essai sur la vie et les ceuvres de Linguet, par Gardaz. — Lyon, 1809. Notice sur Linguet (Barreau moderne). Article de M. Dupin jeune. Notice biographique sur Linguet (Annales de l'Aca- demie impcriale de Reims, 1842) , par M. Derode- Gerusez . Linguet ( Constitutionnel, 25, 26 et 27 Juillet 1851). Article de M. Charles Monselet. — IhO LES ROSES DE HOEL Par M. J. Tardieu m Saint-Germain , Membre correspondant. EXAMEN DE GET OUVRAGE par M. Robillard , membre titulaire. Messieurs , Je ne sais pas jusqu'a quel point on peut encore se permeltre de citer La Fontaine : c'est peut-etre bien use, mais c'est commode. II tourne avec tant de pre- cision les pensees que nous avons tous, que ses vers nous viennent aux levres plus vite que nos idees. Ce n'est pas, je l'avoue, un tres-grand merite d'avoir dit: Quel esprit ne bat la campagne? Qui ne fait chateaux en Espagne J mois e'en est un d'avoir marque une verite si vul- gaire d'un poincon qui l'a consacree. II parait que cetle maladie cerebrate etait tout aussi epidemique an XVIIe siecle qu'aujourd'hui, et cela doit etre, car je ne connais pas de moyen plus facile — 151 — et moins dispendieux de sortir un instant de ses en- nuis ou de soi-meme, ce qui est identiquement, la raeme chose. Ce genre de construction ayant probablement tou- jours existe, il a du se rencontrer de tous temps des obstacles aux developpements de cette vaporeuse et illusoire architecture. Le premier, sans contredit, c'est de n'avoir pas assez d'imagination pour edifier son chateau. Qu'en esl-il resulte? Que des esprits ge- nereux sont venus au secours des indigents ct se sont mis a rediger des reves a l'usage de ceux qui n'ont pas le temps ou le* talent d'en faire. Ces ma- nuels sont les romans, ou mieux encore ces petites pieces en vers qu'on peut lire Lentus in herba , couche sur l'herbe ou sur un canape, le cigare a la bouche, les yeux clos a demi. On serait tente de croire qu'il n'y a jamais eu plus de malheureux qu'aujourd'hui, car jamais, dans au- cun siecle, on n'a vu tant de charite . Chacun veut aider son voisin a se creer, tant bien que mal, un petit ciel a sa portee. Parmi les esprits genereux dont je parle, je n'en connais pasde plus charmants que M. Tardieu, votre honorable correspondant, qui , par modestie, sans doute, cache son veritable nom sous le pseudonyme de J. T. de Saint-Germaiu. Les Roses de Noel (tel est le titre de son livre), aussi fraiches, aussi parfumees que des roses de Mai/ se composent de ces jolis riens qu'un homme d'esprit appelait la petite monnaie du poete ; mais, sur cette tramc dcliee dont les fils sont lendus et croises avee 152 — un art qui Irompe sur leur tenuite, quelle variete ! quelle grace ! quel naturel ! Oil trouver d'aussi deli- cieux vers que ceux-ci, que j'extrais d'une piece in- titulee : Les Litanies de Mignon? C'est la source limpide et pure Qui glisse sur le sable d'or, Et qui berce de son murmure L'oiseau qui dort. C'est l'ecriii de perles ecloses Sous les baisers de l'Orient, Que l'enfant, sous ses levres roses , Montre en riant. C'est le lis, plus blanc que I'hermine, Qui dans son sein cache un tresor, Et tremble quand cbaque etamine Le couvre d'or. C'est Tare de celeste alliance, Rayon du prisme aux septcouleurs, Qui descend, comme une esperance, Au fond des coeurs. C'est l'ange aux ailes diaphaues, Le bel ange silencieux, Qui, loin des voluptes profanes, Montre les cieux. Les vers de M. Tardieu sont souvent une impres- sion fugitive, un reve inacheve de 1'imagination ou de I'ame du poele, un son vague el inarticule de sa lyre , one grace nue et insaisissable de son esprit. C'est anssi parfois quelquc chose de grave et de mys- terieux comme la destinee humaine, d'eleve comme nos esperances, d'infini comme nos desirs, de pro- fond et de tend re comme nos pensees et nos affec- tions. Lisez, si vous voulez vous convaincre de ce que j'avance, la piece intitulee : Deux Mots, dont je me contenle de vous citer le commencement: Dans les salons brillants, sous ia larnpe d'albatre, An milieu des parfums, des flambeaux et desfleurs, Pendant que lu seduis une foule idolatre, .le me cache et verse des'pleurs. C'est pour leur plaireatous que. tu te fais si belle, Mignon, par ton esprit, lu veux tous les charmer, Et ton regard de feu trouble le plus rebelle. Mais moi seul, jesavais t'aimer. Jamais, je dois le dire, l'embleme du miel place au bord des levres ne se realisa mieux : on lit les Roses de Noel, attire par le charme d'une poesie in- genieuse, et Ton se trouve parfois avoir fait un cours d'une profonde philosophic. Je citerai pour exemple : Le Paiv du ban Dieu. Ecoutez : Le pain vient de Dieu ; c'est sa main feconde Oui fait dans nos champs germer nos raoissons. Quand son l)le murit, c'est pour tout le monde, Car tous ses enfants sont ses nourrissons. Vous qui, dans la joie etdans I abondance, Coulcz d'heureux jours sans manquer de rien, Vous, les prel'eies de la Providence, Chcrs enfants gates, ecoutez-moi bien ; — 11 est des enfants nes dans la miscre ; __ 154 — Ces pauvres pctits n'ont ni feu ni lieu : Plaiguez surtout ceux qui n'ont plus de mere ; Negaspillez pas le pain du bon Dieu. La fleur vient de Dieu ; la main de ses anges Prend a l'arc en ciel ses vives couleurs Pour en decorer lours fraiches phalanges, Et verse l'encens dans le sein des fleurs. — Mais il est encore une fleur plus belle, La fleur de jeunesse et de purete, Car Dieu la prefere et verse sur elle Le'.don de la grace et de la beaute. —Les jours de printemps sont une promesse; Aux beaux jours bientot il fautdire adieu : Menagez-labien, la fleur de jeunesse; Ne gaspillez pas la fleur du bon Dieu. Le vin vient de Dieu ; voyez la lumiere Briller a travers le raisin vermeil ; Quand vous y goutez, sur le bord du verre N'aspirez-vous pas les feux du soleil ? — Tout en y goutant, redoutez l'ivresse ; Le bord de la coupe offre la sante ; Mais le fond des pots cache la paresse Et tous les enfants de l'oisivete- — Si vos chariots, charges de vendanges, Sous un double poids font plier l'essieu, Ne buvez pas tout ; — remplissez vos granges ; Ne gaspillez pas le vin du bon Dieu. L' esprit vient de Dieu; sa vivante flamme Servira de phare a l'humanite ; Mais prenez-y garde, il a charge d'ame, Et ne bville pas sans la verite. — L'esprit nous seduit, mais il perd son charme Quand avec le creur il n'est pas d'accord ; Malheur a celui qui s'en fait une arnie, Qui fait un stylet dcsa plume d'or. — L'arbre se connait par les fruits qu'il porte, Etquand vous auriez l'esprit d'un Chaulieu, •/esprit sans le cceur n'est que lettre morte ; \Y gaspillez«pas l'esprit du bon Dieu. - 455 — L'amour . ienl de Dieu ; cost 1c vrai dktarae, C'est le pur rayon que, danssapitie, iJicu laissa tomberau fond de notre ame", Etde son reflet il fit l'amilie. — Mais souvenez-vous de ces vierges I'olles Qui n'ont pas garde d'huile j usqn'au jour, £t u'effeuillez pas, dans des jeu\ frivoles, Les naissantes flours, les flours de l'amour. — L'amour offense depliraii ses ailcs Et prendrait son vol, sans vous dire adieu. Pour aller chercber des cceurs plus fideles ; Negaspillez pas l'amour du bon Dieu. Les armes poetiques son! journalieres cornme les autres armes ; c'est vous dire que les vers du recueil de M. Tardieu ne sont pas tous aussi heureux que ceux qui viennent devous elre his. On y trouve, en general , Irop de prosai'sme , et ils ont le tort de rappeler, par leurs tendances reveuses et melan- coliques , les vers de Fun des plus grands poeles de l'Allemagne, sans les egaler, comme ces visages im- parfaitsqui, par une ressemblance lointaine, evoquent le souvenir d une beaule achevee, sans la rendre. Je n'ai pas cru devoir passer sous silence celte observation que je donne, non comme bonne, mais comme mienne. Au resle, c'est souvenl une preuve d'eslime que la critique, et pour moi, par le temps qui court, j'aimerais mieux une critique, meme mal- veillante, qu'un elogc sans reserve. 11 y a si peu de livres qui soient de force a supporter une vraie et serieuse critique ! On eprouve lant de repugnance a ajouter la peine de la critique a la peine que doit avoir un pauvrc auteur de voir lomber son pauvre livre ! A quoi bon pousser le livre pour le fa i re lom- ber un peu plus vile? II lombera bien tout seul ! Et puis, dansl'empire desleltres, comme ailleurs, l'ega- — 156 — lite a fait tant de progres ! II y a si peu d'ecrivains qui n'aient pas assez d'esprit pour justifier, jusqu'a un certain point, l'eloge et rassurer la conscience de la critique, et si peu qui en aient tant que la critique puisse les effleurer sans les blesser ! Oil sont, dans l'anarchie litteraire, les principes assez solides, assez generalement admis pour servir de base a la cri- tique? Qu'est-ce qui est bon? Qu'est-ce qui est mau- vais? N'est-ce pas une affaire de gout particulier et d'opinion comme toutle reste? L'immobile, l'univer- selle verite, proscrite partout, n'a-t-elle pas aussi ete chassee de la litlerature? A quoi bon se faire un en- nemi d'un homrae qui, apres tout, si vous trouvez son livre mauvais, n'a que le tort d'avoir un systeme different du voire? Croyez-raoi : le ton de l'eloge continu est bien souvent celui de l'indifference, et il faut que les gens aient infiniment d'esprit, et d'un esprit a eux, pour que l'interet qu'ils inspirent se manifeste par une serieuse critique. Si la critique va jusqu'a la passion, jusqu'a l'ainertume ; s'ils sont assez heureux pour avoir presque des ennemis, ce sont, a coup sur, des hommes a part. II faut qu'ils aient possede a un degre bien eminent l'art d'attirer l'atlention et de frapper les yeux, et qu'ils aient su s'elever, par l'originalile et l'eclat de leur talent, au- dessus de cette communaute oil la foule vit dans une quietude si parfaite ! Ce que je viens de dire m'amene tout naturelle- ment a essayer de demontrer comment ce sentiment litteraire , qu'on nomme le bon gout, et cette maniere d'agir, qu'on nomme la saine morale, pro- viennent de la meme source, et s'alterent en meme lemps cbez les peuples. — 157 ~ Rien n'est plus varie que le senliment du goul en litteralure ; de meme aussi, rien n'est plus varie que les principes moraux d'ou chacun tire sa regie de conduite. Cependant, a de certaines epoques, il y a un gout qui regne, une morale qui regne. D'ou cela vient-il? Cela vient de ce que la societe ou regnent ce gout et cette morale vit sous l'empire d'une regie ; certains scrupules dominent, certaines lois resident dans les esprits comme dans les coeurs. Ces lois derivent d'une seule, celle de s'etudier et de se contenir soi-meme. Le bon gout en litteralure n'est autre chose que l'etat d'un esprit qui se sur- veille, s'observe, se corrige d'apres l'idee d'une regie qu'il ne veut pas enfreindre. La moralite, c'est un effort de l'ame sur elle-meme, c'est une direction que Ton imprime a sa volonte d'apres une regie de conduite qui present certains devoirs. On voit, d'apres cela, comment le gout el la mo- rale s'alterent dans un elat : c'est quand s'epuise cette source qui les vivifie, c'est quand l'empire d'une regie disparait. Or, ceci arrive par la civilisation : je ne dis pas la civilisation en general, car il sui- vrait de la que le gout et la morale n'existeraient plus depuis longtemps ; mais je veux parlor de cer- laines epoques oil la civilisation prend un caraclere indetermine, et perd, du cote de la precision et de la force, ce qu'elle gagne en elendue. Nous vivons, malheureusement, aujourd'hui dans une epoquc de ce genre. L'absence de toute discipline qui s'impose au coeur ou a l'esprit, est ce qui carac- terise noire siecle : de la, plus de morale, plus de gout. Que dis-je? II y a une multitude de gouts dif- ferents, mais pas un seul qui regne et qui fasse loi ; - 158 — il y a une foule de principes tl'oii chacun de nous lire ses devoirs comme il lui plait, raais pas un seul qui soit la regie morale de la societe ; de l'in- dependance partout, mais partout aussi de f anarchie. En litterature, c'est un etat de faniaisie et de caprice qui domine. Chacun ne depend que de soi, chacun s'inspire de son propre genie. Rien de mieux, s'il etait donne a tout le inonde d'etre grand ! Mais que de malheureux essais produils par cette tolerance universelle ! En morale, meme esprit d'indecision. Ou est la regie commune que lout le monde respecte? Est-ce la philosophie , la religion, les bienseances, les vertus politiques ? Principes que Ton adople tour- a-tour et que Ton rejelte avec le meme empres-' sement ; si bien qu'il n'y a plus maintenant de grandes vertus, puisqu'il n'y a plus de Constance en rien ; nide grands vices, puisque tousles scrupules s'effacent et qu'il n'y a plus de barrieres a franchir pour etre vicieux. Je m'apercois, un peu laid peut-elre, que je me suis singulierement ecarte de mon sujet. La faute en est aux incidenles qui se glissent incessamment sous ma plume et me lancent bors de ma voie. Je vois bien mon but, mais je n'y puis courir que de biais, et, sem- blable au cbien de chasse , je me jelte a droite et a gauche pour fouiller, flairer et trouver, s'il se peut, quelque gibier de parenthese, comme dit Montaigne. Revenons a M. Tardieu. Toujours fidele aux lois du gout, aux regies fondamentales de la langue, son style dedaigne de recbercher ses effets dans l'art de creer ou d'exhumer des mots pour exprimer des idees vulgaires. On sent qu'il a la conviction qu'en — 159 — verscomme en prose, ondoit ecrirepouretreentendu, et que la langue des XVII0 et XVIIP siecles peut, a la rigueur, suffire encore aux besoins les plus im- perieux du XlXe. A cet avanlage que lui reconnaitront les hommes qui se sont occupes de poesie, s'en joint un autre dont tous les hommes de bien lui sauront gre : c'est d'avoir respecte son talent dans l'usage qu'il en a fait, et de ne l'avoir jamais employe a favoriser le vice ou a populariser la licence. Si l'antiquite a de- fini l'orateur un homme vertueux, habile a bien dire, elle n'a pas donne aux poetes de moins nobles devoirs ; nul d'entre eux ne sait les comprendre et les remplir plus dignement que M. Tardieu. — 160 — FRAGMENTS DUNE TRADUCTION DISAIE par M. P. Soullie , membre titulaire. CHAPITRE V. Reproches et, menaces de Dieu contrc le peuple juif. \ Pour Tami de mon choix, dont mon coeur est charme , Je vais dire le chant qu'un jour, mon bien-aime Faisait entendre sur sa vigne. Mon bien-aime, faveur insigne, A Sorec en cboisit le plant , La disposa lui-meme en un sol excellent, Et des soins les plus chers ne la crut pas indigne. 2 D'une haie il ceignit les ceps de toutes parts ; Lui-meme, il en ota tous les cailloux epars, Y batit, par de longs ouvrages, Une tour contre les orages ; 11 y fit placer le pressoir ; De raisins savoureux il concevait l'espoir : Elle ne produisit que des grappes sauvages. 3 Habitants de Sion, descendants d'lsrael, Entre ma vigne et moi prononcez sans appel. 4 Pour elle pouvais-je plus faire ? Pourquoi done, quand, pour mon salaire , — 101 — J'altendais le plus beau raisin , La grappc la meilleure et le plus noble vin, Ne m'a-t-elle rendu qu'une liqueur amere? 5 Apprenez maintenant ce que je lui ferai : J'arracberai sa haie el je la brulerai ; Je renverserais ses murailles ; 6 Plus de culture, plus de tailies ; Elle servira de chemin ; Je ferai quelescieux pour elle soient d'airain , Et Ton n'y verra plus qu'epines et broussailles. 7 La vigne du Seigneur, e'est l'ingrat Israel : Israel est le plant si cher a 1'Eternel ; Et , pour toute reconnaissance , Dieu n'y trouvc que violence , Injustice , deloyaute. II altendait de lui l'amour de requite , Et le cri des forfaits provoque sa vengeance. 8 Malheur a qui sans cesse agrandit ses maisons , Ajoute a ses moissons de nouvelles moissons ! Sans laisser place a voire frere , Voulez-vous envahir la terre ? Seuls, pretendez-vous l'habiter? Vos avides desirs ne cessent d'irriter Du grand Dieu des combats la terrible colere. 9 Ecoutez, ecoutez sa redoutable voix : — Tous ces riches palais, ces portiques, ces toits D'une superbc architecture, Resleront, un jour, je le jure, Dit le Seigneur, sans habitants. 10 Un muids sera le fruit de plus de dix arpents , Et dix boisseaux semes rendront une mesure. — XXXJ. 11 — 162 — 1 1 Malheur a ceux qui sont ivres cles le matin , Que le soir trouve encore echaufifes par le vin ! 12 Le lambour, la flute ct la lyre , Et cles vins exquis le delire , Qui president a leurs feslins, Leur cachent le Seigneur et l'ceuvre de ses mains , Et leur font oublier ses droits et son empire. 13 Peuple insense, Fexil el la captivite Seront le juste prix de son iniquile. Peuple prive d'intelligence , 11 va ressenlir Tindigence; Ses princes n'auronl pas de pain; Les plus nobles d'cntre eux periront par la faim. Les autres par la soif, au sein de Ja souffrance. 14 De l'enfer tenebreux les flancs sont elargis ; Les petits et les grands y seront engloulis. Au milieu de la folle joie Ou leur licence se deploie . 15 Tous les mortels frissonneron! , Et du superbe alors les yeux s'abaisseront , Dans l'allente des maux que FEternel envoie. 16 Le Dieudes forts sera grand dans ses jugements ; Le Dieu saint vengera ses saints commandements ; Les mediants iront a leur perte. 17 Pres de la bergerie ouverte, Les brebis paitront sans berger ; Les campagnes seront en proie a Tetranger ; 11 fera de ces champs une plaine deserte. 18 Malheur a qui, trainanl les liens du peche , Et semblable au cheval a sa charge attache , 19 A qui dit, dans son insolence : — Que Dieu se hate, qu'il s'avance ; - 103 — Sa justice peut edater ; Le Seigneur tarde trop a se manifester ; Qu'il vienne, et nous saurons sa force et sa puissance !- 20 Malheur a qui pretend que le mal est le bien, Que le bien est le mal, sans distinguer en rien Les tenebres de la lumiere ; A qui la douceur est amere, A qui l'amertune est douceur ! 21 Malheur a qui se llatte en son orgueil trompeur , A qui se croit prudent dans sa sagesse altiere ! 22 Malheur a vous enfin, qui vous glorifiez De boire plus de vin qu'aucun des convies, Et dont les levres sont vaillantes Contre les liqueurs enivrantes ; 23 A vous qui, pour un vil present, Delivrez le coupable et perdez l'innocenl, Sans craindre du Seigneur les coleres pesantes ! 24 Bientot, comme Ton voit dans un foyer ardent Le chaume accumule" perir en un instant, Et bruler la ballelegere, De Sion la race adultere, J'our avoir brave l'Eternel , v'erra dans sa racine extirper Israel ; Ses rejetons fletris s'en iront en poussiere. 25 i'arce que du Seigneur ils violent les lois, Que du Saint d'Israe'l ils meprisent la voix, De Dieu la colere terrible S'est aliunde inextinguible; 11 etend son bras tout-puissant ; 11 frappe, il frappe encor son peuple gemissant, Et les monts ont croule sous son etreinte horrible. — 104 — Aux plus fangeux debris meles et confondus, De tes fils, 6 Sion, les corps sonl etendus, Ainsi que la plus vile ordure, Sur les places, sans sepulture. Et pourtant encor le Seigneur Ne fait pas rebrousser cheinin a sa fureur ; Son bras reste leve pour venger son injure. 26 Son etendard se dresse aux yeux. des nations : II siffle, et repondant a ces terribles sons, Des extremiles de la terre, Dans sa marche vive et legere, Un peuple infatigable accourt ; 27 Aux charmes du repos il demeurera sourd, Et jamais le sommeil ne clora sa paupiere. II ne denouera point les meuds du baudrier ; Jamais ne se rompront, sous les pieds du guerrier, Les lanieres de sa chaussure ; Jamais il n'ote sa ceinture ; 28 II aiguise ses javelots ; Tous ses arcs sont tendus ; l'ongle de ses chevaux Egale en duretela pierrela plus dure. Deja vole son char sur les ailes des vents ; 29 Les pelits du lion, par leurs rugissements, Au cceur jettent moins d'epouvanle. Le voila qui hors de sa tente Se precipite en fremissant, S'elance sur sa proie, et l'emporte en passant : Nul ne peut l'arracher a sa dent devorante. 30 Sa voix ressemblera, dans le jour de terreur, Au fracas de la mer soulevant sa fureur Et grondant au sein des tenebres. Quand sur ces ruines celebres — 165 - L'oeil etonne s'arretera, Dans le sein de la nuit la clarte s'eteindra ; L'ombre couvrira tout de ses voiles funebres. CHAPITRE XL. Debut de la longae prophetie sur le retour de la captivite el la mine de Baby lone , fonde sur la grandeur et la toute- puissance de Dieu et la faiblesse des homines. Consolez, consolez mon peuple en sa inisere : C'est 1'arret de salut par notre Dieu porte ; Allez, parlez au coeur de Sion, votre mere : II est passe le temps de son epreuve amere ; Elle a paye le prix de son iniquite. Une voix a crie dans la lande brulee : — Preparez au desert la route du Seigneur ; Ornez pour noire Dieu la terre desolee , Rendez droits ses sentiers, comblez toute vallee ; Des collines, des monts abaissez la hauteur. Leschemins tortueux reprendront leur droiture, Et tout coteau sera devant lui nivele ; L'Eternel va montrer sa i^loire auguste et pufe ; Tou!e chair va la voir, el (oute creature Saura que du Seigneur la voix sainte a parle\ Etcette voix disait : — Crie, 6 prophete, crie ! — Que crierai-je, Eternel? — r^pondis-je trouble. — 106 — — Toule chair n'esl qu'une herbe, une fleur de prairie. Bientot l'herbe se fane, et la fleur est fletrie , Lorsque l'esprit de Dieu sur sa lige a souffle. Oui, ce n'est qu'une fleur que le peuple superbe ; G'est une herbe des pres qui verdit un moment ; Et la fleur se fletrit, et le vent seche l'herbe; Mais seul de l'Eternei l'inalterable verbe , La parole de Dieu vit eternellement Va porter , o Sion, celte heureuse nouvelle ; Eleve-loi bien haut, au sominet du saint lieu ; Crie, 6 Jerusalem; brulant d'un noble zele , Ne crains rien, et redis d'une voix solennelle Aux villes de Juda : — Voyez, c'est votre Dieu ! C'est votre Dieu qui vient, arme de sa puissance ; La force de son bras, inebranlable appui , Regnera sur la terre ; il lieat sa recompense; II vient la decerner, et, marquant sa presence , Ses oeuvres, ses bienfaits marcheront devanl lui. De ses tendres brebis pasteur incomparable , Sa main avec douceur conduira ses agneaux ; Portant les plus petits jusquo dans leur etable , II les rechauffera sur son sein charitable , Et prendra dans ses bras les meres des troupeaux. Dans le creux de sa main qui renferma les ondes ? Qui, la tenant ouverte, a mesure les cieux ? Qui tint en ses trois doigts la poussicre du monde? Qui, pesant sans effort les montagnes fecondes, Dans la balance a mis leurs sommets sourcilleux ? Qui done de l'Eternei guida la main novice? Quel mortel lui donna des conseils de salut ? Quel inaitre l'instruisit? Quelle main protectrice. — 167 - Le menant aux sentiers de l'exacte justice , Lui monlra la sagesse et lui marqua le but ? Tout peuple sur la terre a ses yeux est serablable A l'humble goutte d'eau qui tombe du lavoir. Tel est dans la balance un faible grain de sable; Les iles so-nt pour lui la poussiere impalpable Que dissipe le vent sans qu'on puisse la voir. Descedres du Liban la foret imposante En vain sur ses autels serait brulee en tas ; Les betes lui seraient une offrc insuffisante, Et les peuples du monde, ombre vaine, impuissante, Sont tous devant ses yeux comme s'ils n'etaient pas. A peindre l'Eternel que nul ne s'evertue ! Quelle image sera celle du Dieu vivant? L'ouvrier peut jeter en fonle une statue, Dericbes lames d'or et d'argent revetue, En forger le metal sous un marteau savant ; S'il est pauvre, et s'il n'a qu'une matiere vile, II prend un bois solide, et, selon son pouvoir, II cherche un ouvrier dont la science habile Faconne avec effort une idolc futile ; Et rien sur son aulel no la pourra mouvoir. Quoi done ! est-ce pour vou.s un si profond mystere ? N'avez-vous rien appris des le commencement? lgnorez-vous celui dont la main tutelaire Sur l'abime a pose les bases de la terre, Et comment de son trone die est le fondement? Son bras a suspendu les cieux comme une tente ; II les a deroules comme son pavilion. L'homme n'est devant lui qu'une larve rampante ; II renverse des rois la force languissante, Et reduit au neanl leur debile raison. — .108 - Les princes in-bas n'ont point plante leur race, Leur lige n'a point pris racine dans le sol ; Le souffle du Seigneur les seche et les efface ; Un tourbillon soudain, sans en laisser de trace, Comme un ehaume leger les emporte en son vol. A qui done, dit le Saint, m'avez-vous fait semblable? Insenses, elevez vos regards \ers les cieux. Qui done les a crees? Dans un onlre immuable Des asres qui conduit la milice innombrable, Et par son propre nom appelie cliacun d'eux ? Nuile etoile ne manque a suivre son empire, Tant eclale partout la verlu de son bras ! Comment done, Israel, comment oses-tu dire : — Le Seigneur ne sait pas meme si je respire ; A prendre ma defense il ne s'applique pas. Ehquoi ! nesais-tu pas, n'as-lu pas w. naguere Que Dieu, e'est le Seigneur, l'Eternel, !e Parfait ? Lui seul, il a cree les bornes de la lerre; A son bras la fatigue est toujours etrangere, Ei nul de ses conseils n'a sonde le secret. 11 ranime l'effort du pauvre en sa faiblesse ; Des membres defaillanls il double la vigueur; Le premier age en vain se joue en sa faiblesse ; Vainement en sa fougue eclale la jeunesse : Tous deux sentent bientot le poids de la langueur. Mais du Dieu tout-puissant acceptant la ttitelle, En son sein paternel ceux qui s'abriteront, Comme Taigle, au printemps, sent renaitre son aile. Y puiseront (oujours une force nouvelle, Et jamais a marcher ne se faligueront. 169 — CHAPITRE XLVII. Menaces contre Babylone. Descends, vierge, descends t'asseoir dans la poussiere ; Fille de Babylone, assieds-toi sur la pierre. Plus de trflne pour toi, fille des Chaldeens. On ne le dira plus voluplueuse et belle; Allons, tourne la nieule, assemble la javelle, Ecrases-en les grains. »' Deroule tes cheveux et quitle ta chaussure ; Rcleve ton manteau, traverse 1'onde impure Ta pudeur subira l'affront le plus cruel ; Ta honte, aux yeux de tous, paraitra deeomerte; Quandje me vengerai, tu verras par ta perte Si je suis un mortel. Noire liberateur, c'est le Dieu des annees; Son nora, c'est le vengeur des tribus opprimees. Assieds-tui dans la nuit, lille des Chaldeens; Perds lout, jusqu'a ton nom ; depose ta couionno; Non, lu ne seras plus la grande Babylone , La reine des humains. Je m'etais irrite contre nion heritage, Et, profanant Jacob, autrefois mon partage , Je l'ai mis pour un temps au pouvoir de ton bras; Tu n'as pas eu pitie de sa tongue detresse , Ta main a fail peser jusque sur sa vieillesse Le joug de tes soldals. Tu disais dans ton cceur : — Je regne sans alarmes ; Tu ne prevoyais pas 1c malheur de les armes , — 170 — Ni les maux qui devaient, un jour, fondre sur toi. Ecoute maintenant, fille voluptueuse, Toi qui dis aujourd'hui, femme presomptueuse : — Je suis, il n'est que moi ; Je ne serai jamais ni veuve, ni sterile , — Deux fleaux a la fois vont fondre sur la ville : La mort de ton epoux, celle de tes enfants. Tu periras, malgre tes nombreux malefices, Malgre" (out le pouvoir et tous les artifices De tes enchantements. Tu disais, dans l'orgueil d'une folle arrogance : — Personne ne me voit ; — et ta vaine science , Ton aveugle sagesse a trouble tes regards. Tu disais dans ton cceur : — Je suis, et sur la terre Nul autre n'est que moi. — Tout-a-coup la misere Fondra sur tes remparls. Dans le mallieur, soudain In seras sans ressource, Et tu ne pourras point en detourner la source. Dis a tes enchanteurs qu'ils viennent te sauver. Depuls tes premiers ans, tu connais leurs prestiges : Peut-etre de leur art les merveilleux prodiges Sauront te preserver. Afin de t'arracher a d'imminents desastres, Qu'ils observent le ciel, qu'ils consullent les astres; Qu'ils supputent les mois pour prevenir tes maux. Mais vois : ils sont pareils a la paille, et leur ame Ne peut se garantir des fureurs de la flamme Qui consume leurs os. II n'en restera pas un charbon sous la cendre , Ni de brasier ou l'hommc aime a venir s'etendre. Sur tes amis, un jour, ce fieau lombera 171 — Ces raarchandSj avecqui, des ta tendre jeunesse, Tu trafiquais jadis, fuiront dans tadetresse; Nul ne te sauvera. CIIAPITRE L1V. Promesse du rdour de la captivite, ct par allegorie, prophetie de la vocation des gentila el du Iriomphe de VEglise, Rejouis-toi, sterile, et sois dans l'allegresse ; Eclate en doux transports de joie et de tendresse. Toi, qui n'enfantais pas ; Parce que les enfants de l'humble me>ris<*e Vont etre plus nombreux que ceux de l'epousee, Dil le Dieu des combats. De ton beau pavilion etemls au loin les biles ; rTepargne rien, etends, elargis-en les voiles De differents cotes ; Affennis-en les pieux, allonge les cordages : Ta raceberitera des peuples d'aulres plages Les remparts desertes. Dannis loin de ton cueur les ennuis el la crainie ; Ne baisse plus ce front qui porte encor l'emprein'le De tes Iongues douleurs ; Car tu vas oublier les maux de ta jeunesse ; Du veuvage laissant la bonte ct la tristesse, Tu vas secher tes pleurs. Celui qui te forma, le grand Dieu des batailies, <<"esl lui, c'est ton epoux, l'appui do tes murailles ; — 172 - G'est le saint d' Israel ; II sera reconnu Dieu de toute la terre. Ce Dieu t'a rappelee, en voyant la misere, Ton opprobre cruel. Epouse, t'a-t-il dit, d'abord repudiee, Toi que, pour un moment, j'avais humili^e, J'aurai pitie de toi ; Contre toi courrouce, je t'ai cache ma face ; Un amour eternel va te rendre ma grace, Dit Ion sauveur, ton roi. Comme, aux jours de Noe, j'arretai ma colere, Comme je lui jurai que jamais sur la terre Je n'enverrais les eaux, Ainsije l'aijurd, Sion, ville cherie, Je n'adresserai plus a ton ame fletrie Des reproches nouveaux. Les montagnes prendronl la place des vallees, Les collines an loin crouleront ebranlees, Dit le Dieu de Sion, Avant que soit rompu le traite de ma grace, Avant que mon amour, 6 Juda, ne se lasse Dans ma compassion. Pauvre et chereSion, si longtemps desolee, De l'orage battue, affaiblie, accablee Sous un poids inegal , A les nouveaux palais je vais donner pour bases Les plus beaux diamants, les rubis, les topazes, Et le plus pur cristal. Tes fenetres seront d'agates precieuses; Tes porles, de saphirs, de perles radieuscs Enchasses avec Tor, - 173 - Et tes fils, par Dieu meme instruits dans ses justices, D'une profonde paix gofiteront les delices, L'inefiable tresor. La droiture sera ton renipart invincible ; D6sormais, a l'abri de l'oppresseur terrible, Tu ne trembleras plus. L'on fera des complots, mais sans moi ; sois sans crainte Car celui qui viendra pour 'roubler ton enceinte, Succombera confus. J'ai cree l'ouvrier qui, soufflant sur la Damme, De la forge retire une brulante lame Destinee aux combats ; De meme j'ai cre'e' le conquerant farouche Qui, de sang altere, brise lout ce qu'il touche Sousl'effort de son bras. Mais toutearme, Sion, contre toi disposee, Et contre ton bonneur loule langue aiguisee S'emousseront soudain . Des serviteurs de Dieu tel sera l'heritage •, lis recevront de moi la justice en partage, Dit le Dieu souverain CHAPITRES LVI ET LVII. Reproches et menaces contre Jerusalem, dont Vidolalrie est presentee comme un adullerc ou une infidelite au Seigneur qui avait fait alliance avec elle. Venez devorer votre proie, Accourez, betes des forets ; Que votre fureur se deploie Sur les cites, sur les guerets. - 174 — Venez ; toules les sentinelles Son I aveugles, sont infideles, Laissant la garde des troupeaux ; Chiens muets, dont la vigilance S'endort au sein de l'indolence Et s'engourdit dans le repos. Ainsi que Panimal vorace Que rien ne saurait assouvir, De ces pasteurs la main rapace S'ouvre toujours pour tout ra\ir. Dans les chemins de l'injustice, Tons, esclaves de l'avarice, Cherchent des tresors superflus. Accourez, disent-ils sans cesse, Buvons, plongeons-nous dans l'ivresse, Aujourd hui , demain encore plus. Le juste meurl, et sur sa couc.he Personne ne vient recueillir Le dernier souffle de sa bouche, De son coeur le dernier soupir. Mais, alors ineme qu'il succombe, C'est Dieu qui le couche en sa tombe, Pour le soustraire a lous les maux. Heureux qui, suivant la justice, S'eloigne du sentier du vice ; Rien ne troublera son repos. Mais vous, mediants, race vouee Aux encbantements monstrueux, Race de la prostituee, Sorlis d'un rang incestueux ; Ignorez-vous, fils detestables, Contrequi, dans vos jeux coupables, Ose blasphemer votre voix, — 175 — Vous qui consommez l'adultere, Couches a l'ombre seculaire Des chenes sacres de vos bois ? Dans vos cavernes tenebreuses, Quoi ! vous egorgez vos enfants Devant les pierres odieusos Que vous prcnez dans les torrents ! Elles seront voire parlnge, Puisque vous leur rendez horamage En versanl le vin sous vos pas. Dans vos pratiques criiuinelles, Vous vous prosternez devant elles , Et je ne me vengerais pas! Au sommet des plus bautes cimes Tu places ton lit effronte, Et pour immoler des vie times , Tu vas dans ce lieu deleste. Derriere la porte, une idole A recu ton culte frivolo ; Dans ton egaremenl fatal, Oubliant ma gloire offensee , Tu me chasses de la pensee , Tu m'oses donner un rival ! De loin leur etalant ta couche, Tu Touvres aux rois, tes amants , Epouse infidele, et ta bouche Leur fait d'execrables sermenls ! Avec eux faisant alliance , Tu t'es livree a leur licence , En tout lieu tu les as soufferts ; Leur envoyant par tes esclaves Tous tes parfums les plus suaves, Tu t'abaissas jusqu'aux enfers ! - 170 - Lasse de celte triste voie , Vivant de ce honteux metier, Tu n'as point dit : Je suis sans joie ; J'ai tout perdu ; je veux prier. Que craignais-tu, femrae parjure ? Pourquoi me faire cette injure ? De ton coeur pourquoi me bannir? Qu'esperais-tu dans ta demence ? Est-ce a cause de mon silence Que tu bravais mon souvenir? Je publierai, dans ma justice, Tes vertus et ton equite ; Et les ceuvres de ton caprice Neseront plus que vanite. De les amis, pour ta defense , Tu reclameras l'assistance , Et le vent les emportera ! Mais quiconque en moi seul espere, Un jour, possedera la terre , Et dans mon saint temple entrera. - 177 — FABLES Par M. F. Clicquot, membre litulaire. LE PLUMET. Dans Grenade, un matin, entrait une princesse, Et de beaux cavaliers un escadron fringant Troltait, caracolait aulour de Son Allesse, Que fieremenl porlait un mulet castillan. Sur le front du mulet un panache ondoyant Descendait a grands flots et couronnait sa tete, Qu'il penchait avec grace, en faisant la courbelte ; Et, d'un ton prolecteur, aux chevaux andaloux 11 s'en allait disant : — « C'est ici voLre place. Venez, nobles coursiers, rangez-vous pres de nous; Vous etes de nos gens, et notre est voire race. Ma mere me l'a dit et redit bien souvent, Comme nous, l'Andalou descend directement De la noble Sarah, cette jument parfaite Qui jusque dans Medine a porte le Prophele ! » 11 en eut dit plus, mais un Grenadin, jaloux De lui voir cajoler ainsi les andaloux , En hennissant, lui dit : — « C'est parler a merveille ; Mais pourlant m'est avis que pour vous mieux vaudrait Ne pas tant secouer ce gloneux plumet Qui, dans ses bonds, decouvre un certain bout d'oreille , Ou, sans egard pour la jument de Mahomet, Du vulgaire indiscret la vanite jalouse xxxi. 12 — 178 — Pourrait bien nc pas voir une oreille andalouse , Mais simplement, mon cher, l'oreille d'un baudet. » Que de gens nous voyons faire les personnages, Et qui, s'ils ont du sort recu quelque faveur , Accouplenl a leur nom le nom de leurs villages , Et se donnent un train et des airs de seigneur! II en est d'autres qui, reniant leurs vieux peres, Des noms parlicules de mesdames leurs meres Se font des titres sans facon , En vertu d'un ancien volume Qu'en terme de pratique on a nomme Coulume , Lequel contient certains dictons Que, par respect pour vous, chers lecteurs, nous lairons. LA NOISETTE. Un rat deja bianehi par 1'age, Dans les flancs d'un reduit profond, Gardait ample provision De ble, de fruits, de grains et de fromage. 11 n'en faisait pour lui que peu d'usage, Pour autrui moins encor, pour quelque pret, selon Que lui semblait profitable le gage, Mais jamais pour le plus pietre don. Et cependant par les rats de son entourage II etait recherche, cajole, venere ; On le regardait comme un sage : II etait riche,.... et c'est un avantage Qui, chez le peuple rat, est fort considere ! Or, un matin, ce personnage Ferma sa porte avec attention, Et s'en ful dansle voisinage, - 170 - Pour voir si dame Occasion No lui livrerait pas quelque bon lucre a faire. I! avait le nez fin, et ne revenait guere La griffe nelte a la maison. Dans cette honnete intention, En rat devot, ayant fait sa priere Au Ills de Mai'a, patron des gens d'affaire, II dirigea sa course avec precaution ; Et, traversant le mur de la maison voisine, II se mil a roder autour de la cuisine, Puis, appliquant son ceil aux fentes d'un lambris, II decouvrit bientot, parmi quelques debris, Sur l'email brise d'une assiette, Pres d'une blondine noisette, Une tranche de jambonneau. Affriande par cc galant tableau, 11 se glisse en rampant au bord de sa cachelte, Et, regardant partout et n'apercevant rien Qui put troublerson entreprise, II saute sur la tranche, il la prend et revienl , Comme une fleche, avec sa prise : II la loge dans son reduit, II lajjtouche, il l'admire, il la (laire, El d'un Ion de gourmet, il dit : E'est un morceau de roi, nous pourrions en faire Un souper fin ; mais, helas! si je n'erre, Mon bon docteur disait naguere : Le jambon est pesant, indigeste, malsain. Soyons prudent, gardons-le pour demain ; Gontentons-nous, ce soir, de la noisette. Ce disant, il retourne, il la voit, la saisit. Mais voila que, soudain, luibarrantla relraile, Un matou sur son dos bondit, Et dc son ongle aigu lui saisissant la tete, 11 lui dil a l'oreille : — « Assez, maitre larroiij Me semble, pour un jour, d'avoir pris du jambon — 180 — V Ne pouvais-tu laisser a d'autres la noisette ? Vouloir tout pour soi seul n'est pas seant du tout ; Car, ainsi que disait un vieux rheteur de Crete Chez un certain Pyrrhus, grand coureur de conquete : L'imprudence veut tout, la sagesse s'arrete A propos ; elle sait se moderer en tout. Le prince qui s'obstine a prendre une bicoque, Ainsi qu'on a pu voir en Suede, en Anjou, Le plus souvent, miserablement troque Son litre de lion contre un brevet de fou ; Le trafiquant qui risque lout pour tout, Le joueur qui sans cesse fait va-tout, Semblablement au rat qui prend une noisette Quand il a du jambon, font un acle de fou, Car tous ils ont risque leur honneur el leur con, Je te le dis, foi de matou ! » LE SANGLIER. On a dit el redil souvent que le pourceau Etait un etre abject, et sans genie ; Qu'il n'etait propre, habile a rien pendant sa vie, Qu'a s'engraisser et qu'a mourir ainsi qu'un sot. A ce superbe arret que repond le pourceau ? Mais il ne repond rien : il aurait trop a dire ; Jl n'est pas le plus fort, il nous laisse medire, Et quand arrive son bourreau , Philosophiquement, il souffre son marlyre, Endisant simplement, commeun Turc: II le faut ! S'il avait eu, le pauvre here, Le droit de se choisir un pere, 11 n'eiit pas pris le pore, mais bien le sanglier, Et tapis dans sa bauge, intrepide el sauvage, — 181 A Phomme il eut rendu carnage pour carnage ; El cet homme, son meurtrier, Qui le devore et qui 1'outrage, Eut respect^ sa force, eut chanle son courage ; Car l'homme est ainsi fait : a qui lui fait du bien, 11 prodigue 1'injure et meme le dedain ; Mais a qui sans pitie le dechire, le tue, II dresse un piedestal, il taille une statue, Et son poete vient, en vers adulateurs, Ecrire sur la base : Au vainqueur des vainqueurs LE BALAI. Un jour, la prudente Jeannette, Sur son dressoir, au rayon le plus haul, Posa dans une blanche assietle Une tranche de jambonneau, Et puis apres, a la riviere, En caquelant avec une commere, Elle s'en fut cbercher de l'eau, Sans se douter qu'un chat, cache sous son fourneau, Sournoisement la voyait faire. Quand elle fut sortie et sitot qu'il se crut Seul au logis, le chat saute sur le bahut, Et. de la se dressant, s'allongeant vers l'assiette, II fit tant des pattes et de la tete, Qu'il la fit choir avec le jambonneau. L'assiette avec fracas se brisa sur la terre. Lechat eut peur, croyant ouir la menagere ; 11 s'enfuit et, soudain, s'en alia ventre a terre Se recacher sous le fourneau. Mais voila qu'un vieux rat, du bord de sa retraite, Parmi les debris de 1'assiclle - m — Pies d'une friande noisellc, Vit la tranche de jambonneau ; 11 accourt, il la prend, et s'enfuit an galop , Puis apres, hardiment, pour prendre la noisellc, 11 revient ; mais voila que le chat, qui le guette, Sur lui se jetle, Et l'apprehende au cou, En lui tlisant : — « Maitre, c'est trop d'un coup. Passe pourle jambon, mais prendre une noisette Effrontement, sous le nez d'un matou, Vous l'avouerez, moil maitre, c'est trop fou. » Le rat veut repliquer, mais le malou l'arrete, El prenant la parole, il lui fait un sermon Si profond, si savant, si long, Qu'a la fin, pour de bon, Revient la cuisiniere Qui, voyant les morceaux de son assiette a terre, Attrape son balai et, rouge de colere, Tape sur le precheur, en s'ecriant : « Maraud, Tiens, voici pour l'assiette ! Tiens, voici pour le jambonneau ! Maroufle, abominable bete, Affreux matou, je te tuerai, foi de Jeannelte ! El pour faire un manchon, j'ecorcherai ta peau! Comme a la fin de toule historietle II faut une morale, en deux points la voici : C'est que par un voleur, comme en ce conte-ci, Un voleur est vole souvent ; c'est qu'en affaire, II nefaut dire que le simple necessaire, Car d'un voleur vole le monde rit ; El, pour lout dire cnfin, c'est que trop parler nuit! 183 BEAUX-ARTS. BOBA, dit Maitre George PEINTRE (X V I e S I E C L E ) . Lecture de M. Sutaine, memlji'c titulaire. En remontant le cours des ages, on rencontre souvenl cerlaines individualites dont la biographic donne lieu a des incertitudes qu'il n'est pas loujours possible a l'hislorien d'ecarter completement. Ces difficutes sc presenlen! , surlout , (juand les indivi- dualites en question n'ont pas briile d'un de ces eclats exlraordinaires qui commandent lc souvenir ct rendent leur memoire imperissable. L'artiste dont nous nous occupons aujourd'hui , Boba, dit Maitre George, opparticnt a celte calegorie, et , si nous ne possedions des temoignages serieux sur lesquels il nous est permis de nous appuyer avec securito , nous pourrions hesiter a le ranger an nombrc de nos compalriotes. Chesneau , aussi connu sous le nom de Quo- - 18i — mlus (I), lui donne souvent, dans ses poesies latines, l'epitbete do Flandrus (lc Flamand), et celte denomi- nation serail de nature a jeler quelque doule dans notre esprit, si, d'un autre cote, un ecrivain qui -s'est beaucoup occupe de l'liisloire de Reims , Maillefer , dans son Abrege de Dom Harlot, n'affirmait qu'il etait remois. Nous sommes parfaitement dispose a adopter cette opinion, et l'origine que lui donne Chesneau ne peut, selon nous, 1'infirmer en aucune maniere. Un voyage de noire artiste en Flandre a pu suffire a un poete pour orner son nom d'une epithete qui rappelail cette excursion. N'avons-nous pas vu, dans une circonstance analogue, el a peu pres a la memeepoque, la ville d'Angouleme nous disputer une de nos pricipales illustrations, le celebre sculp- leur Pierre Jacques , et, parce qu'il avait execute quelques travaux dans cette ville , pretendre nous 1'enlever, tandis que nous le revendiquons a bon droit comme un des plus dignes enfants de notre vieille cite? Nous tenons done Boba bien et dument pour remois (2). Ne vers 1550, il est certainement l'un des plus anciens represenlants de Fecole francaise, qui n'avait pas encore pris son rang et preludait par de timides essais aux brillantes deslinees qu'elle devait con- querir plus tard. II etait contemporain de Clouet, dit Janet, le plus ancien peintre francais a l'buile (l) Nicolas Chesneau (en latin Querculus), doyen de l'eglise de Saint-Symphorien de Reims, en 1580. (-2) Suivant M. Tarbe (Essais historiques sur Rcirns, par MM Tarbe et Maquart), son veritable nom scrait Bobo, et non Boba. Nous ne savons sur quels U'moignages s'appuie cette opinion — 185 — inscrit au livret du musec du Louvre, et preceda Stella, Laurent dc Laliyre el le Poussin. 11 fut ainsi Tun des rares adeptes que les etincelles du feu sacre qui rayonnait de l'ltalie vinrent em- braser, et qui frayerent une route toute nouvelle a leurs successeurs. Considerees a ce point de vue, les ceuvres, en tres- petit nombre, qui nous restent de lui, offrent un inleret serieux que leur merite reel n'eveilierait peul- etre pas au ineme degre. Si i'on en croit Maillefer, que nous citions au commencement de celte notice, Boba, dit Maitre George, aurait execute beaucoup de tableaux d'bis- toire inconnus maintenant, et, sans doute aussi, bon nombre de peintures religieuses qui ont aussi completemenl disparu ; du moins, on ne parait lui atlribuer d'une maniere cerlaine aucune de celles qui decorent nos eglises. En revanche, tous les ecrivains qui se sont occu- pes de Reims s'accordent sur ce point, que trois portraits qui existent encore, et dont deux, surlout, ont un certain inleret pour noire liistoire locale, sont dus au pinceau de Boba. Nous voulons parler de Julien Pillois (i), de Copillon (2) et d'un troi- sieme que nous decrirons plus tard, et dont le per- sonnage est reste inconnu. Tous trois sont la pro- priete du musee de la ville. Pillois et Copillon apparienaient a cette classe (l; Julien Pillois, sieur de la Metz, prcs Attigny, conseiller et receveur des tailles, en 1592. (Almanack de Reims, 1776.) (2) II avait appartenu precedemment a M. Bidet, auteur d'une histoire manuscrite de Reims. - 180 — d'ambilicux sans valeur, d'autant plus dangereux qu'ilsne prcnnent conseil que dc leur orgueil et dc leurs deplorables instincts. Tous deux etaient ligueurs, el ligueurs fougueux, ear chez les envieux de bas etage, que le trouble et le desordre peuvent seuls faire monter a la surface, la fureur el l'exageration remplacent le merite per- sonnel. La folle vanite de Pillois ne se contenta bientot plus de declamations de carrefour : elle le poussa au crime, el au crime le plus odieux ; il devint traitre a son pays. Lieutenant des habitants et charge, en celle qualile, de vciller a la securite el a Fhonncur de la ville, il la livra lacbement, en Decembre 1595, pendant la nuit de la Saint-Thomas, a un parti espa- gnol commande par le marechal de Saint-Paul, qui tenait pour la Ligue. Le fouel de l'hisloire n'aura pas de lanieres assez acerees pour fletrir et fustiger la memoire du mise- rable qui, pour satisfaire une coupable ambition, et aussi, sans doute, quelques vengeances personnelles, n'hesila pas a forfaire a son devoir et a abandonncr ses conciloyens aux fureurs d'une soldatesque elran- gere et a loules les horreurs de la guerre civile. A peine, en effet, Pillois et ses complices eurent-ils ac- compli leur abominable trabison, qu'ils demanderent l'expulsion des notables de la ville qui leur por- laienl ombrage. Sur leur lisle de proscription figu- raienl les noms des Maillefer, des Lespagnol, d'Eus- tache La Salle, qui devint lui-meme lieutenant des habilants en 1607, et d'un grand nombre de ci- toyens honorables donl la loyaute bien connue au- rail gene les projets des trailres. — 187 - Pour en rcvenir a noire peinlre, nous devons dire f|iie, dans les deux portraits que nous venons de meniionner, la valour hislorique l'emporte beaucoup surle merile reel. lis ne manqucnt pas d'energie et d'une cerlaine expression de physionomie ; mais la louche en est crue et trop uniformement bitumi- neuse. Nous n'y trouvons pas ces Ions rompus et de Iransilion qui modelent et font (ourner les chairs. Peul-elre des operations successives de vernissage cxeculees sans soin et des neltoyages ininlelligents on!-ils fail disparaitre les glacis primitil's, cela est possible; mais lellcs qu'elles sont mainlenanl, ces loiles laissent a desirer. Le mnsee de la ville possede encore de Mailre George un troisieme portrait dont le modele, ainsi que nous le disions tout-a-1'heure, est reste inconnu. Le personnage represente lient de la main droile un compas a l'aide duquel il trace des figures sur une table. En haul du tableau, 6 droile, on lit : M. T. George pinxit aiatis suae 39 , et derriere est ecrit : Anno 1593 fecit 16 Decembris. Les uns ont voulu voir dans cette toile, assez me- diocre du reste, l'effigie du peintre lui-memc ; d'autres prelendent qu'elle represente Jean Pussol, le mailre charpentier ecrivain donl Messieurs Henri et Loriquet ont publie les Memoires. II est evident que le compas dont se serl le personnage joue un grand role dans celle derniere supposition, qui ne serait pas denude de vraisemblance, s'il n'y avail dissidence enlre les deux dales. En effet, Pussot, ne en 1544, anrait cu 49 ans en 1593 , tandis que le portrait indiquc sculement .19 ans. Nous nous bor- nons done, ;'i enregistrcr cette opinion, sans nous rendre garanl do son exactitude. — 188 - Nicolas Cliesneau, que nous avons cite plus haul, etail contemporain de Boba, dont il fait souvent dans ses poesies lalines un pompeux eloge ; il l'appelle le premier peintre de son epoque : Pictorum nostra cetatis prcestantissinius . Les oeuvres de notre artiste ont, en effet, plusieurs fois eveille sa verve, el nous voyons figurer dans son recueil une strophe des plus louangeuses inspiree par un portrait de Pierre Remi , archidiacre de l'eglise de Reims, execute par Maitre George. II a meme consacre a ce dernier une longue piece de vers, avec ce titre , Georgio Boba, pictori nobilissimo , et dont voici le debut : Inviilet tibi Jupiter, deorum Et potens hominum sator, Georgi ; Nam quos finxit, eos manu diserta Pingis tarn bene tamque. perpolite, Ut ille invideat tibi taam artem. Le poete et le peintre etaient lies d'amitie, et les eloges de Cliesneau ont pu, sans doute, se ressentir de cette affection ; mais son admiration cerlainement elait sincere. N'oublions pas, en effet, que l'ecole frangaise, comme nous le disions plus haut, commen- cait a naitre, et que ces essais, si imparfaits qu'ils pussent etre encore, devaient exciter un legitime en- thousiasme. Nous possedons, d'ailleurs, en faveur de George, un autre temoignage d'autant plus precieux qu'il emane, cette fois, d'un artiste egalement son con- temporain, et plus a meme, sans doute, que le poete d'apprecier le merile d'un confrere : nous voulons parlor de notre compatriolc Baussonnel, dont la hi- - 189 — bliotbeque tic lieims poss6de tin important rccucil de dessins. Dans le nombre figure un petit croquis representant une tete d'ange, iiu-dessus de laquelle nous lisons : Autre peinlure imitce apres le grand peintre M. George Bobas. II est bors de doute pour nous que notre artiste, a dii produire des ceuvres plus importanles et d'un merile moins contestable que les trois portraits qui nous restenl de lui, et qui n'auraient pu suftire a justifier 1'admiralion donl il a ele l'objet. Malbeu- reusernent, le temps, qui brise Fun apres l'autre les anneaux de la cbaine dc souvenirs qui rat la die le passe au present ct a l'avenir, a egalement aneanli ou bien a fait oublier les ouvrages de notre plus ancien peinlre remois. La difficulte de relier entrc eux lesdiffercnts ages a l'aide des jalons dresses par nos devanciers, devient surloul plus grande pour les provinces on la rarete des grandes collections rend ces lacunes plus sensibles encore. II v a parfois quelque cbose de profondement trisle dans l'etude retrospective des siecles ecoules. En reportant les regards en arriere, on decouvrc un nom dans le lointain ; on chercbe, on s'informe, on apprend que celui qui portait ce nom a ele peintre, slatuaire, poete ; on fondle encore, on espere trouver quelque souvenir de lui, quelque oeuvre qui lemoigne de sa valour : rien ; tout a disparu ; le temps a com- mence la destruction, rindifference et l'oubli 1'ont completee. Grace aux trois loilesque nous avons mcntionnees, il n'en a pas etc tout-a-fait ainsi pour Boba ; cepen- danl, il est permis do deplorer sinceremenl la perte de ses omvres principalis. Les regrets soront plus - 190 - vifs encore; si Ton s'en rapporte a l'assertion de Mail- lefer, qui pretend, dans son Abrege de Dam Marl&t, qu'il fut elcve du Tilien. On comprend quel inleret nous offriraient aujour- d'liui des ouvrages dont l'auteur avail pu s'inspircr du genie du grand peintre veniiien, et dont quelques- uns, peul-etre, onl ete executes dans son atelier ct sous ses jeux. Quoiqu'il en soil, Boba, dit Maitre George, a etc, ainsi que nous le faisions remarquer, l'un des plus anciens represenlants de notre ccole, et ce litre seul sufiirait, a nos yeux, pour que Reims se glorifiat de lui avoir donne le jour. Les peintres frangais n'etaient pas nombreux a cette epoque, et il n'esl pas donne a beaucoup d'autres villes d'en citer un parmi leurs enfanls au XVIe siecle. — 191 — HIST01RE ET ARCHEOLOlilE. REPONSE M. l'abbe Clerc, Professeur a Luxeuil, Membre correspondent , SUR CES DEUX QUESTIONS : i° Quel eiail le costume lies nioines de Luxeuil ? 2° En quoi la tonsure irlaitdaise differait-elle de la forme generate des tonsures ? Toutes ies questions qui se rallachent an culle calho- lique sonl du plus haut interet, surlout quand onre- monte aux sources premieres des riles et des usages qu'il consacre. Rien n'egale, en effet, les richesses du symbolisme de noire religion, et il serait a desirer qu'il y eut dans les petils seminaires quelques per- sonnes qui fussent chargees d'expliquer l'objet des ceremonies de l'Eglise, pourmonlrer aux jeunes gens loutes les beanies et tons les genres d'interet que recelenl les diverges parties du culte catholique. Ce cours serait a lo fois precieux pour leur esprit et pour letir cceur, et pourrail leur donncr 1c gout de Peru- — 192 — dition Iilurgique. La, les moindres details se relienl a des mysteres louchanls, a de§ pensees graves, su- blimes, el s'il est permis d'employer une comparaison, les plus humbles notes de cet immense clavier suffi- sent pour nous rappeler quel est le souffle divin qui met en mouvement tous les ressorls de cette belle harmonie qu'on appelle le chrislianisme. C'est. ainsi que la question du vetement des religieux et les re- cherche? historiques sur la forme de la tonsure suffi- sent pour nous ret rarer des usages precieux de la primitive Eglise. En e\aminanl la premiere question, on n'a pas de peine a reconnaitre que les couleurs que I'Eglise a adoptees pour les vetements de ses minislres et de ses religieux se rapporlent a des pen- sees mystiques el sont l'expression des divers senti- ments que lui ont inspires les phases si variees qu'elle ■a deja traversers dans la vallee des larmes. Lamy, dans son livre de erudiend. Apost., prouve (jue les anciens Chretiens, et surlout les ecclesiasti- ques, faisaienl habituellement usage de la tunique blanche de laine. Fleury confirmc cette assertion par un temoignage; seulement , il fait observer que les pretres avaient des robes plus blanches pour le ser- vice des autels (Mceurs des Chretiens, page 143). La couleur blanche avait quelque chose de distingue aux yeux de la societe romaine. Les jours de fete, les citoyens portaienl des robes plus blanches qu'a l'or- dinaire , et Ton disait alors qu'ils etaient albati. Mais I'Eglise altacha de bonne heure une idee myste- rieuse a la couleur blanche, comme on le voit par les vetements blancsdes nouveaux baptises. Les Chretiens, surtout quand cette couleur eut ete abandonne"e par les autres citoyens , durent la preferer meme dans 193 - leurs habits ordinaires, pour signifier qu'ils formaient une nation candide et pure, sortie des tenebres do la corruption du paganismc. Plus lard, lorsquc la distinction des deux veteraents du clerge diflerencies par les coulcurs se fut elablie, on conserva encore le vetement de couleur blanche pour les nouveaux baptises , el ceux qui l'av'aient etc le jour de Paques porlaient cette robe blanche pen- dant loute lc semaine de Paques, qui, pour cette raison, etait appelee«^«, tandis que le Dimanche qui la ler- rninail etait appele Dominica in a! bis depositis, nom qu'il a retenu aujourd'hui. Mais dans le symbolisine adopte graduellement par l'Eglise, il devait y avoir pour l'hommc un genre de vetement correspondant a l'etatde sa chute, au travail, a la lulte, an cote penible et sombre de la vie humaine, et c'est ce vetement que Ton peut appeler vetement penitenliaire. Or, dans les principes de la lilurgie, I'habit blanc est l'ex- pression de la joie, et, le noir, celle de la tristesse. Saint Jerome, s'adressant a un Chretien, s'estcxprime ainsi : Noun voyons que le peuple pecheur a toujour* pleure en habits de couleur sombre ; pour vous, re- vetez la couleur de la lumiere (Saint Jerome ad ne- pot.). Suivant Pierre le Venerable, l'ancienne sagesse des Peres a pense que la couleur noire convient, mieux a l'humilite, a la penitence, au deuil (Petr. Gler. ad sanct. Bernard.). Mais dans le sacrement de la regeneration, le pretre dit au neophvte : Recevez la robe blanche et portez-la immaeulee devant le tri- bunal de Jesus-Christ. La soutane que le pape porte journellement est blanche comme l'aube qu'il prend a l'autel; la couleur propre de rehabilitation vient s'empreindre pour lui dans la robe du travail. L'habit xxxi. \i\ — 494 — qui est le synabole candide dc la lumiere, de la joie^ de la paix de Dieu, est son velement habituel, parce que le souverain pontife est comme le type le plus Sieve de l'humanite atYranchie et relevee par Jesus- Christ. La robe blanche ayanl done on sens mystique dans I'Eglise, il n'esl pas surprenant tjue, dans les monasleres, les religieux, heri tiers des vieux usages, aient conserve le costume blanc, au moiris pendant une epoque assez longue. Dans un manuscrit de Saint-Remi de Reims, cite par le P. Mabiilon, on voit un portrait de Baron ; il y est represente avec une soutane blanche et un scapulaire tirant sur le noir, qui ne lui vient que jusqu'aux genoux et dont les cotes sont joints par des bandes, comme le scapu- laire des charlreux. On a sujet de croire, disent les auteurs de l'Histoire gallicane, que e'etait la le cos- tume general des moines de cette epoque. Dans la savante histoire des ordres monasliques, religieux et militaires, on lit ces paroles a l'article de l'ordre des religieux de Saint-Colomban (1) : « Les religieux de Saint-Colomban etaient habilles de blanc. Nous donnons ici la figure d'un de ces religieux, telle que l'a donnee Abraham Brun, et telle qu'elle a ete copiee dans l'ouvrage de Schooncbec et dans celui cYHelyot, et voyez meme tome, page 75, le portrait d'unc reli- gieuse de Saint-Colomban. » Vers l'an 1052, Girard, abbe de Luxeuil, fit tra- vailler, et travailla sans doute lui-memc aussi, a un Evangeliaire, qui fut conserve a 1'abbaye jusqu'a la Revolution. On voyait, a la Cm de eel ouvrage, le por- (i)ToraeV, p. 7fi — 105 - t ru it de rabbi' Girard, pii'-s.ja tant son manuscrit a saint Pierre. Dom Galmet, cite par D. G-rappin, scmblc conclure de 1'habillemenl do I'abbe Girard, que les moines de Luxeuil portaienf: encore un ba- bit blanc dans le IXe siecle, parce qu'il a ran que ['habit de rabbi: Girard elait blanc. Du resfe, D. Cal- met a exactement dicrit l'exterieur d le costume de cct abbe: les cheveux et la couronne assez longs et eouvrant les oreilles ; la barbe longue de deux on (rots lignes, des sonlicrs noirs pointus, sans talons et sans courroics. L'Evangeliaire dont il a etc question plus baut doit se trouver dans la collection du docletfr Kcvillon, collection qui elait autrefois celfe du doc- teur Leclerc. Le colonel de Fa be it a laisse deux peliles esquisses d'nn religieux et d'nnc religreuse colombanistes, en indiqnant la robe brune pour le religieux, et pour la religiense la robe egalement brune, claire, voile ct gaimpes blancs, IX(' siecle. On lit dans une note du meme auteur, qui avail vu le pillage de 1'abbaye pendant la Revolution : « D. Grappin dit qu'un ecfat do pierre enleve acci- dentclleinent au sarcophage d'Angolonno, en 1652, uyant permis de regarder dans l'inlerieur de ce tombeau , on y trouva des ossements cnveloppes dans du satin rouge. Pour moi, lorsque je vis ce meme tombeau d'Angelonne, brise on 1795, je re- marquai que les os qu'il renfermait so trouvaient enveloppes de cbiffons de Iaine brune, debris d'une nncienne robede religieux. Parmi ces os, il yen avail de grands comme des os de bras et de jambes. Je crois que tons ces debris respectables, que j'ai vu fouler aux |)iods sur le pave do la nef ou ils elaienl — 196 — aparpilles, furent ensuite jetes dans undes charniers de l'eglise. » La deuxieme question proposee est relative a la tonsure irlandaise. II n'est pas facile d'assigner l'ori- gine de la tonsure. Les auleurs sont parlages. Plu- sieurs, parmi lesquels se range le fameux Bergier, pensent que I' usage de la tonsure ne remonte pas au-dela du lVe siecle. Selon eux , a l'epoque ou les barbares du Nord se repandirent dans tout l'Occident , au commencement du Vc siecle, ils portaient des cheveux longs , un habit court et militaire , au lieu que les Romains portaient un habit long et des cheveux courts. Les clercs, la plupart nes sous la domination romaine , conserverent leur ancien usage, et se trouverent ainsi distingues des barbares. Lorsqu'un de ces derniers etait admis a la clerica- ture , on commengait par lui couper les cheveux et par le revelir de l'habit long ; il est probable que l'usagc de la tonsure a commence en meme temps. On sait qu'avant la naissance du christianisme , les Grecs et les Romains portaient leurs cheveux tres- courts. Saint Paul faisait allusion a cet usage, lorsqu'il ecrivait aux Corinthiens qu'il etait ignominieux a un homme de porter de longs cheveux : les longs che- veux etaient l'ornement des femmes (1). Mais d'autres savants ont embrasse un sentiment tout different. S'appuyant sur un lemoignage de saint Isidore de Seville , ils pretendent que l'usage de la tonsure a commence par les Nazareens, qui , apres avoir pris soin pendant quelque temps de conserver (I) Dictiimnaire da iheologie, (par I'abbe Bergier, torn. VIII, page 16S. — 197 — leur chevelure etgarde unc austerile toutc purticuliere, les rasaient ensuite el les offraienl au temple pour elre brules dans le feu du sacrifice , pour lemoigner, en consacrant ainsi leurs cheveux a Dieu, qu'ils ac- complissaient parfaitenient la promesse solennelle par laquelle ils s'elaienl voues a son service. Les apotres introduisent ensuite dans l'Eglise ce memo usage, a Timitation des Nazareens , aim que ceux qui sont parliculierement dedies el consacres au culle de Dieu, soient en quelque manicro renouveles, comme des Nazareens, c'est-a-dire des personnes consacrees a Dieu par le retranchement de leurs cheveux. Et nous voyons que cela a etc premieremenl pratique chez les chreliens parPriscille et Aguillas, dont il est parle dans les Actes des Aputres (1), oil nous lisons aussi que saint Paul et quelques disciples de noire Sauveur s'allirercnt l'admiration des premiers Chre- tiens par la fidelite qu'ils mirenl a observer cetle sainle pratique. Or la tonsure des clercs est unsigne- qui parait au-dehors , mais qui ne s'accomplil que dans Finterieur; c'est un signe qui denote que les ecclesiasliques doivent renoncer a loutes sorles de vices et se depouiller des convoilises criminclies de la chair comme de leurs cheveux, et qu'ainsi renouveles inlerieurement par les vertus qu'ils ont cinhrassees , comme ils le sont exterieurement par les cheveux courts, ils doivent paraitreeclatanlsparn)ilesfideles,se depouillant du vieil homrae etde ses ceuvres, selon le langage de l'apotre, et se revelanl du nouveauparla connaissancc de Dieu. Or, il hint non-seulement (jue ce renouvellemcnt se fasse dans l'ame , mais on doit (l) Actes des Apotres, chap XVIII, v. IS. — 198 — nussi le faire connailre sur la (etc, qui en est le prin- cipal siege. El jo j)ensc que Ton se contenlc de rascr le haul de la tele, ct qu'on laisse au has uu cerclc , (jui forme uneespece de couronne, pour raarquer en la personne des ccclesiasliques le sacerdoce el le rfrgne sacre de l'Eglise (1). Cependant la tonsure n'a pas ele praliquec dc la meme maniere chez tons les peuples Chretiens. Ainsi, les moines de Sainl-Colomban difleraien! des autres religieux dans la tonsure, en ce qu'ils la por- taicnl a la maniere des Irlandais. Or, il esl a re- niarqucr que les Irlandais ne se I'asaient que par- devanl, en demi-cercle, c'esl-a-dirc d'une oreiile a l'aulre, le dessousde la tele ne l'etant point. Ge qu'ils faisaient, disaient-ils, pour imiler l'apolrc saint Jean, au lieu que les Romains, qui prelendaient imiler l'a- polrc saint Pierre, se rasaientla tele et laissaienl au has des cheveux en forme de cercle. Les (Irecs se rasaicnl toule la tele, sans y laisser de cheveux, vou- lant clrc semhlahles, disaient-ils, a saint Jacques, frere de Jesus-Christ, el a l'apotrc saint Paul ; mais apparemment ceux-ci onl change de senlimcnls dans la suite, puisqu'ils ne serasen! plus et laissenlcroilre entierement leurs cheveux. Dans le concile de Macon, le moine Agrestin se plaignil devanl saint Eustache, qVuxieme abhe de Luxcuil, de ce que les religieux de cetle ahhaye dif- leraient des autres moines pour la forme de la Ion- sure, et de ce qu'ils avaienl plusieurs singularites dans la celebration de la messe et dans !<• chant de 1'office. (I) Sanctus Isidores, de ecchsiat. Officii s, ]il>. 11, cap. 4, in concil. Aquisgranensi, rap. i. — 199 — Mais le concile de Macon n'eut point d'egard a ce reproche d'Agreslin, et les prelats, qui s'etaient laisses surprendre par son faux zele. ayanl ete des- abuscs, l'obligerent de se reconcilier avec son abbe, qui l'embrassa et lui donna le baiser de paix (1). Les Irlandais etaienl en dissidencc avec les catbo- liques des autres pays sur trois points : la forme de la tonsure, les ceremonies accessoires du bapteme, et l'epoque ou Ton devait celebrer la fete de Paques. Mais ces dissidences si faibles s'effacerenl quand les percs du concile de Sens, tenu en 630, ayant rccouru, disent-ils, a la capitale des villes cbreliennes comme des fils a leur mere, se confoj'merent a l'usage uni- versel de la cbretienle (2). (1) Ordres religieux et militaires, tome V, page 74. [i] Ozanam, Civilisation ohretienne chcz les Francs. — 200 NOTE s-ur LES M0NNAIE3 FRAPPEES A PROVINS DE 1125 A 1270, PAR LES CONITES DE CHAMPAGNE, Par M. Ch. Robert, niembre correspondant. Aucun lype monetaire n'a donne lieu a plus de dissertations que le type provinois, designe dans la plupart des collections sous le nom de peigne el de rdteau. Mais le sens reel que eel embleme bizarre cache sous ses diverses transformations, esl loin encore d'etre completement revelc. Resumer le debat et signaler les points qui ne sont point neltement eclaircis, m'a paru le meilleur moyen de baler la solution. Voici sommairement l'avis des divers ecrivains qui ont traite la question. Duby (1) decril bs monnaies aux noms de Tbi- baut el de Henri, sans les interpreter, et se borne a dire que le senat de Home les a co'piees (2), afin de (1) Monn. des prelats et barons de France , t. II, page 42. (2) Les imitations dont parte Duby appartiennent a la republique ephemere etablie par Arnaud tie Bresse (1147-1154). YoiiLinun, Dissert sur les monn. du duche de Frioul, el Cartikis, Rente nu- - 501 — facililcr L'acbat des draps tie Provins dont I'llalic faisait, a celtc epoque, une grande consommalion. Lelewel (1) remarque que les provinois emis du XIe au XIIIe siecle porlent, les una, un monogramme, les aulres , une sorte tie peigne. Suivant lui , ce dernier type aurait ete une imitation in forme d'une tele de face (2) , dans laquelle les chcveux etaienl representee par des lignes verlicales, le nez par une lettrc cruciforme, el les yeux, soit par desnnnelets, soil par un croissant et un astre ; enfin des raleaux, tournesen has, auraienl, en dernier lieu, remplace les (rails du visage (3). M. Bourquelot (4), apres avoir rappele que la rnon- naie seigneuriale de Provins est cilee dans les trans- actions des le milieu du XIIe siecle, ajoute : « Les monnaies des comles de Champagne pre- sentent, toules, stir Tunc de leurs faces, un peigne, image, sans doule, du travail de la laine, dont il y avait une grande fabrication el un grand commerce a Provins, au Moyen-Age ; cc peigne est accompagne tanlot d'une sorte de monogramme variable, tantoi d'un petit soleil et d'une petite lunc, etc... » mismatique, 1839 Dans ces copies, les traits ou l'on a cm voir des dents de peigne sont courbes , au lieu d'etre droits et verti- caux. (1) Numism. du Moyen-Age, torn. Ier, pages 171 et suivantcs. Bruxelles, 185 j. (2) La tete tie (ace se voit sur les monnaies remoises du comte Eudes (1019-10571. (3) Lelewel classe, avec raison, aux derniers temps de l'auto- nomie de la Champagne, les deniers qui portent non-seulement un peigne, mais ce qu'il appelle des rateaux ; ces deniers out ete, en ell'et, copies par Louis 1"'' de Flandre, comte de Hethel (1277- 1322). 1 Rev. num., 1838, pag, 35 et suiv. — 202 — Get auleur, reproduit, en 1839, les memesdonnees dans son Histoire de Provins (1), et ajoule que : ( plusieurs corates dn meme nora s'etant succede en Champagne , il n'y a pas de raison d'altribuer les medailles aux uns plutot qu'aux autres. » M. Hiver (2) partage l'avis de M. Bourquelof , et considerc le type qui nous occupe comme constituant un embleme significatif, faisant allusion au travail de la laine. 11 pense egalement qu'i! est difficile d'en repartir les varietes enlre les comles du memenom. M. Cartier, dans les observations dont il fait suivre l'article de M. Hiver, admet que les barres verticales sont bien les dents d'un peigne. Suivant lui , les exemplaires oil cet embleme est surmonte d'un crois- sant et d'une eloile sont les plus anciens. Quant aux trois traits convergents , oil Lelewel voyait un nez, ils figurent un T, initiate du nom de Thibaut. M. Ducbalais (3) fait connailre un provinois qui apparlient evidemment a Thibaut IV (1125-1152), puisqu'il pend encore, en maniere de sceau, a un litre de 11 38, au has duquel il avait ete attache pour preuve de l'execution d'un jugement par lequel le roi Louis le Jeune avait condamne le vicomte de Melun a payer un denier de Provins a l'abbe de Saint- Maur. Le type de cette piece consiste en une large barre horizonlale, de laquelle descendent des traits paralleles, et que surmontent deux annelets et une figure ressemblant a un T on a unY; designe par l'auteur sous le nom de peigne, il ne lui semble pas, (t)Tom. 1", chap. XVII, pag. Ail et i43. (2) Rev. num., 1839, pag. 30. (3) Extrait de la Bibliothequc deVEcole des Charles, deuxieme serie, torn I*r et note supplcmentaire. Tari;-. 18;j. — 203 conimc a la plupart de sea devanciers , avoir le caractere d'un embleme industriel ; il faut seule- ment y voir une degeneration du monogramme des grands provinois du XIe siecle, monogramme forme lui-meme, en souvenir de celui du roi Eudes, d'une barre horizonlale au-dessus de laquello se trouve un 0 cruciforme enlre deux annelels, landis que deux E places, l'un verlicalemenl, l'autre horizonlalemenf, occupent la parlie inferieure du champ. Duchalais elablil ensuite : 1° que des rnonnaies semblables a celles deTbibaulIV, raaisau nora de Henri, el oiiles* annelels qui accoslent ce qui rcssembie aim T, sont remplacespar un aslre el un croissant, ont etc l'rap- pees successiveraenl par ies deux comics de ce nom, auxquels Provins a apparlenu, de 1152 a 1197 ; — 2° qu'une piece analogue a ces dernieres est de Tbibaut V (1197-1201) ; — 3° que les provinois oil 1c T et ses accessoires sont remplaces par des objets a ressemblanl a trois petiles lours crenelees » unl ele frappes par Tbibaut VI (1201-1253); — 4° enfin, que les pieces oil les trois petiles tours ne sont plus placees sur un peigne, mais sur un crois- sant (1), sont de Tliibaut VII, roi de Navarre, ainsi que le prouve la legende DE NAVA1UE. M. De Longperier (2) approuve la maniere de voir de M. Duchalais sur le grand denier au monogramme, et semble dispose a y reconnaitre le prototype de toutes les pieces au peigne. M. de Barthelemy (3) est aussi d'avis que le mo- (i) Voir le dessin de ces pieces : Rev. num.. 1839, pi. II, fig. 2. Art. ileM. Carlier. (2) 1847. Monnaies frauc. de la Collection Rousseau, n" 501. (3) Manuel de numismalique, p. 140. _ 204 — nogramme du roi Elides etait devenu, apres sa mort, un signe convenlionnel , que les monetaires de Provins transformerent, an XIC siecle, en nne espece de peigne. M. Poey d'Avanl. reprenant, a son tour, cette ques- tion (1), pensc qu'il ne faut chercher l'origine du peigne ni dans la tele , corame le veut Lelewel, ni dans le type odonique , mais dans le monogramme d'un grand denier de sa collection (2), qu'il considere comme plus expliciteque ceux decrits par M. Ducha- lais el M. de Longperier (3). Enfin, quelques archeologues moins serieux ont voulu voir dans le peigne des armoiries parlantes, peigne dans le champ, rebus du nom de la province oil ces pieces avaient cours (4). ll resulle des opinions qui viennent d'etre cilees que les numismalisles , sans parler de Lelewel , onl dil, les uns, que le peigne avait ete adopte avec in- tention, comme emblemc du commerce des laines ; les autres, qu'il etait une Iransforrnation sans signi- fication d'un type epigraphique provenant.lui-meme d'un ancien monogramme royal. Plus tard, ce peigne aurait ete surmonte de rateaux ou de tourelles ; enfin, le peigne aurait disparu, el il ne serait reste que (1) 1853.— Description d'une collection de mommies seigneuriales frangaiseSj page 324, n° 1490. (2) Lor. cit., pi. XX, 11° 12. (3) Le denier figure par M. Poey (t'Avant differe, en eil'et. de celui que M. de Longperier a fait graver ilaus son texte {Catalo- gue Rousseau, n" 50I), mais il parait identique a celui qu'indique Duehalais (Note supplementaire au memoire precite, n° !•)• (4) Journal des Debuts, 10 Avril 1816. — 205 — les raleaux , sous lesquels aurait ele place un croissant. Ce qu'on sait aujourd'hui de la filiation des types au Moyen-Age (1) et du soin avec lequel on conser- vait a la monnaie, pour en faciliter le cours, son aspect general, tout en substituant un nouvel em- bleme a l'cmblcmc primitif, ne permet plus de con- tester l'opinion de MM. Duchalais, de Longperier et de Barthelcmy , a savoir que le type des grands deniers du XIC siecle a ete cmprunle au mono- gramme odonique (2). On doit done admeltre que l'un des deux E places en sens conlraire sous la barre horizonlalc de ces deniers a fait un quart de revolution et donne nais- sance aux lignes paralleles, ressemblant a des dents de peigne, qui se voient sur les deniers et les oboles dont nous nous occupons ; mais reste a savoirce que signifient ces pretendues dents tcrminees comme ci- dessous, en 4138, par unc large barre borizontale, et surmontees d'une leltre cruciforme entrc deux an- nelets (3). (1) Voir 1c memoire de M. Cartier sur la monnaie chartraine. (2) Le monogramnie des grands deniers frappes collectivement, au XI" sieele, par Sens ct Provins, a la menie origine. (3) Ce dessin a ete pris sur le denier de la charte de 1138. Je le dois a t'obligeance de M. Lallemand, employe aux archives de Pempire. — C20G - Est-ce bicn un peigne a carder la laine? Les anli- ((uaires de Champagne decideront petft-elre la ques- tion au moyen de recherches faites stir la forme des outils et des instruments donl on se servail [tour la preparation des laincs ; mais j'avoue, pour mon compte, qu'un embleme industriel sur les monnaies leodales du XIIe siecle me semblerait une anoma- lie, et que j'aimerais mieux une autre explication. L'obscurile me parait moins grande au commen- cement du XlIIe siecle, sous Thibaut VI ; en effet , qu'on connut ou non l'origine du provinois, il est certain pour moi qu'on a modifie, a cette epoque, le type en porfaite connaissance de cause, et. que, sans trop en changer le disposilif, on en a fait tin embleme tout feodal , un chateau (I), CASTRVM PRVVINS (2), comme le dit la legendc. La figure suivante, qui rcproduit un provinois de ma collection, au flom de Thibaut VI, presente, en effet, une plate-forme surmonlee de trois tours cre- nelees ; celle du milieu est, suivant l'usagc, plus elevee que les autres. Les barres paralleles sont les palissades ou, si Ton veut, la herse, dont les dimen- sions ont ete exagerees, comme le sont souvent celles de la porte dans la representation des edifices au (l)Une foule de villes seigaeuriales n'ayant pas, comme Pro- Tins, un chateau celebre qu'on fait remonter a Cesar, mcttaient, a cette epoque, des tours sur leurs monnaies. Get usage s'etendait jusqu'en Orient, ou l'empereur Michel VIII (1266-1282) decretait que des fortifications seraient figurees sur la monnaie f rappee dans les atetiers de Constantinople. ("2) La legcmle est au genitif, puree que le mot bloneta est sous- entendu. II en est de meiiie dans les deniers do Cateau-Camhresis, frappes sons l'eveque Nicolas (H 18-127-2), et portant egalement un chateau au revers. — 207 - Moyen-Age, Duchalais et M. Poey d'Avant n'ont, du reste, pas hesite h reconnoitre des lourclies dans ce que lenrs devanciers appelaient des raleaux ; its etaienl done bien prels do noire interpretation, ear qu'eut signifie un peigne supportant des tours? Ajoulons que les sceaux de Provins representaient un chateau des l'annee 4268 (1). Or, on ne conteste plus la connexile etroile qui a le plus souvent regne entre le type de la monnaie d'une ville et celui de ses sceaux (2) ; Tun sert a interpreter l'aulre. (1) L'edifice u trois lours, qui figure au centre du sceati du maire de Provins en 1*271, a memo quelque analogie avec le type de notre monnaie (Uodrqdelot, Uistoire de Provins, torn. II, pi . des sceaux, fig 7). Plus tard, lorsque la science heraldiquc se i'ut formee, l'aulique emblemede Provins recut des accessoires et des eruaux, et blasoniia comme ci-apres : « D'azura un chateau rond, compose d'une enceinte sommee de trois tourelles lenl'ermaut une grosse tour plus elcvee et pavillonnee, le tout d'argent ma- conne de sable; le milieu a la premiere enceinte ouverte en porte aussi d'argent et chargee d'un lion de sable. » (Armorial general, Ms. Bibliotheque Imperiale, volume de la generality de Paris, page 298.) Le lion n'existait pas primitivement dans l'em- bleme adopte par Provins, ainsi que le constate un sceau de 12C8, conserve aux Archives imperiales. (2j Cette connexito a ete parfaitement demon tree par M. Piot (liev. num. beige, 1818, pi. 1 a 48], qui a peut-etre eu le tort sett- lement de considercr d'une maniere trop absoluc le sceau comme ayant servi de prototype a la monnaie. II n'en a pastoujours ete ainsi, du moins en Fiance, temoin le crocodile de Nimes et les cinq ceils de Perigueux, qui ont paru sur les Hans monetaires avant d'etre imprimes sur les sceaux. — 208 — En resume, le type de la monnaie de Thibaut IV (1125 -11 32) me parait deriver des grands pro- vinois du Xl0 siecle, plutot que d'une tele, comme le voulait Lelewel. Sa signification est encore a deter- miner, elrce ne serait qu'apres production de preuves concluantes qu'il faudrait reconnaitre un peigne ; mais plus lard , des le commencement dn XIIIe siecle , c'est un chateau, et non des rateaux que l'on a eu l'intention d'y figurer. Enfin , sous Thibaut VII (1253 - 1 270*) , lorsque les i'nseaux paralleles onl disparu, c'est encore le chateau qui persiste , et Ton doit voir dans la combe qui les remplace , ou un signe accessoire, ou une porte d'entree. - c209 - LETTRE A ML Ch. ROBERT sur L'ORIGINE DU TYPE des MONNAIES DE PROVINS, Par M. Maxe, membre lilulaire. Monsieur , M. Duquenelle se Irouvant dans l'impossibilile de presenter a l'Acadcmie Ic travail quo vous lui aviez adresse , il m'a prie de le remplaccr en cetle cir- conslance, etj'ailu, dans une des dernieres seances, voire memoire sur les monnaies frappeesa Provins. Les raisons que vous donnez pour expliquer ee qui jusqu'alors avail ele designe par les numismatisles sous le nora de peigne me paraissent fortingenieuses, mais je ne puis les admeltre, el je viens vous sou- meltre mes obiections. Pour reconnailre la veritable origine des cmblemes et des differentes figures qui occupent le champ des monnaies au Moyen-Age, il faut souvent re- monter a des temps anterieurs, etudier la filiation des types les plus usites, et suivre pas a pas les differentes transformations par lesquellcs ces types ont du passer. La proposition faite par Lelewel de voir dans le xxxi. 14 — 210 — iype dc Provins la degenerescence tl'une tele barbure, n'a pu elrc acceptee , et il est admis que le peignc provient du monogramme odonique qui avait subi plusieurs transformations. L'examen de ces differentes modifications peut nous eclairer a ce sujet, et peut- etre trouverons-nous une raison a quelques-uns des signes principaux que nous rencontrerons sur les monnaies dont nous nous occupons. M. A. de Barthelemy, dans son Manuel de numis- matiquc, donne le dessin d'un denier d'Eudes frappe a Paris, a la legende ODO REX. Les leltres sont placces symetriquement autour de la leltre D. (Planche, n° /.) Je considere ce denier comme devant etre notre point de depart, et j'arrive a la description des monnaies de ce prince frappees a Orleans. M. A. de Longperier cite, sous le n° 495 du cata- logue Rousseau, un denier ayant un monogramme different. ( N° 2.) Dans ce type nous reconnaissons la meme disposi- tion des leltres qui figurent sur la piece precedente ; la seule difference consiste dans la barre perpendicu- laire qui relie les leltres D, E, R, etqui leur est indis- pensable. Sous le n" 497 du meme catalogue, frappe egale- ment a Orleans, nous relrouvons le meme mono- gramme avec une disposition differenle ; les leltres R, E, X se sont retournees. ( N° 3.) Sous le n° 501, frappe a Provins, la forme a completement change ; le trail perpendiculaire est remplace par une barre transversale qui, devenue inutile a la lettre D , ne sert plus qu'a la leltre E el sur laquelle se repose l'R. (N° 4.) Type Provmois Une legcre transformation, quo nous Irouvons sur un denier de la collodion de M. Poey d'Avant (pi. XX, n° -12), vient nousdonner l'explicalion du type qui figure sur les monnaies tie Provins. (N° 5.) La diposition du nom d'Eudes est la meme, la lettre R disparait, ne laissant plus de trace que le petit croissant qui figure a gauche, au-dessous de la barre. Les trois traits perpendiculaires qui , sur le monogramme precedent, formaienl l'E. se sont con- serves et allonges; mais ils perdent ici leur signifi- cation, puisque nous voyons figurer cetle lettre a la place qu'occupait la lettre R. Nous arrivons sans autre transition an type du peigne. M. Saubinet possedc dans sa collection une obole aux legendes RILDVMIS GATO — SEEOEMIS CM. (N- 6.) Le monogramme odonique est conserve dans luule sa purete, le D a conserve la meme forme; seulement, ainsi que vous le failes remarquer, l'E qui figure sur le denier precedent a pris une autre position, et, venant se placer sur la meme ligne que les trois traits perpendiculaires , il a donne naissance a des lignes paralleles qui se sont allongees et ont forme le type provinois. Lelewel cite egalement un denier aux memes le- gendes ; la seule difference que nous y remarquons est dans la forme de la lettre D, qui s'esl resserree et qui est devenue une croiselle. ( N° 7.) Dans la collection de M. Saubinet, j'ai rencontre une obole du XIle siccle, sans legendes, sur laquelle le peigne est mieux accentue ; sa forme est plus - 212 — complete, et ce type figurera desormais sur les monnaies de Provins jusqu'a Thibaut VII , roi de Navarre. (N° 8.) Sur un denier publie par Lelewel, les dents du peigne sont recourbces. (N° 9.) Le D qui, sur le denier de Sens, elait devenu une croisette, a ici change de nouveau. Les branches late- rales se sont effacees, celle du pied s'esl. grossie, et celle du sommet, en se divisant, a forme la letlre Y, on plus probablement la letlre T, initiale du nom de Thibaut. A celte epoque, le monogramme a subi une transformation qui a denature le mot ODO, et plus nous avancerons , plus nous rencontrerons d'exemples de ces transformations singulieres qui se produisent, au Moyen-Age, sur les monnaies dont les types elaient en faveur. Sur les monnaies au nom de Henri, l'etoile rem- place TO ou annelet. ( N° 10.) Puis ensuite, sur les monnaies du meme prince, l'annelet de droite se denature et nous rcpresente un croissant. (Nv il.) Les deux annelels sont remplaces par deux crois- sants sur un denier de la collection de M. Saubinet. (Na i2.) Sur les deniers qui appartiennent a la republique etablie par Arnaud de Brcsse (1147-H54), l'S rem- place la croisette et se trouve accoste d'un croissant et d'une etoile. ( Nn i3.) Puis enfin , sur un denier de Charles d'Anjou, comme compeliteur de la couronne de Sicile (1265), — 21.3 — public par M. B. Fillion, la lellre S demeure seule surun peigne penclie. (N° 14.) Pendant tout le temps qu'il a fallu au type pro- vinois pour se denaturer d'une facon aussi complete, le seul objet qui n'a point varie est le peigne, et nous arrivons, cnfin, a l'epoque ou le monogramme odo- nique disparait complelemenl. Sur les monnaies de Thibaut VI apparait un type nouveou dans lequel, snivant MM. Duchalais, A. de Barjhelemy et vous, on doit reconnaitre les Irois tourelles d'un chateau. Los raisons que vous donnez pour demontrer la juslesse de votre attribution s'ap- puient sur la representation des armoiries de Pro- vins. Que peuvent elre, dites-vous, les barres paral- lels qui figurent au-dessous des Irois tcurs, si ce nc sont les palissades qui protegent le chateau ou la herse (]ui en defend la porte ? A cetle supposition j'opposerai ceci : Que signifienl, sur les deniers d'unc cpoque anlerieure, les palissades ou la herse au-dessous du monogramme odonique ? Des relranchements et des fortifications ont une raison d'etre devant unc forte- resse, un chateau, mais celte raison nc pent exister dans la representation de tels emblemes au-dessous d'un nom, et jusqu'h cettc epoque, malgre ses trans- formations, le monogramme odonique n'avait pu si- gnifier (ju'une chose, le nom d'Eudes. Quant au type des trois tourelles, j'en trouvel'ori- gine dans les armoiries de Bethel. Suivant Lclewel, sur les monnaies d'Henri le Gros, roi de Navarre (1294), les yeux etle nez se changent en trois rateaux tournes en bas. Sans approuver ce systeme quant a la transformation de la tele, j'ad- — 214 - mellrai, en me servant des dessins que j'ai repro- d nits, (|iic sur les monnaies de Relliel, le mono- gramme, parmisesnumbreuses transformations, avail pu sedenalurer au point de representee trois rateaux, en supposanl que le T ou Y s'etait reproduit trois ibis au lieu d'une, en remplacanl les annelets qui iigurent sur les monnaies d'Henri de Champagne. Nous retrouvons ce type sur les deniers de Louis, comte de Flandre (1290 1352). Duby rapporle que leRethelois passa, en 4290, dans la maison de Flandre par !e mariage de Jeanne, fille unique de HugucslY, avec Louis de Flandre, tils aine de Robert III ; et que. en 1315, par l'ordonnance de Lagny, le roi Louis X permit au comte de Retbel, alors Louis Ier, de frapper monnaie blanche, et ordonna qu'elle serait faile a trois deniers, seize grains de loi, argent le roi, etc. Voici ce qu'on y trouve : LVDOV1CVS COMES. Croix canlonnee de trois crois- sants et d'un alpha.— REGITESTENSIS. Peigne dc Champagne surmontede trois rateaux. Je n'ai point vu en nature ces deniers , mais , d'apres les dessins qu'en donne Lelewcl, je suis porle a croire que le type de Provins aux trois lourelles et celui de Retbel aux trois rateaux n'avaienl qu'une seule et memo origine; que e'est le meme type qui est represents sur les deniers de ces deux villes, et qu'il nc faut pas voir sur les monnaies do Provins les trois tours d'un chateau. Prenons un denier de Thibaut YI et un de Louis de Rethel, et laissons isole pour un moment, sur eha- cune de ces monnaies, le peigne qui est clranger a notre sujet. Que trouvons-nous de chaque cole? Un ralcau a Irois branches reliees par une meme lignc transversale. (Nu 15.) — 215 -- Quant a l'explicalion du peigne, jo no repelerai pas les raisons qui ont ele- donnees pour trouver le mot Champagne clans peigne dans le champ; je crois que le type odonique denature devint, par la suite, les amies parlanles de la Champagne, et je donnerai, corame preuves a l'appui de ma conviction a ce sujet, l'apparition, a cette epoque, des bars ou bar- beaux sur les^monnaies des comtes de Bar, du raleau ou retel sur les monnaies de Rethel, du dauphin sur celles du Dauphine, de la tour sur les monnaies de Tournay, de la roue de inoulin sur celles de Mul- house (Muhle-Haus), et entin, au XVe siecle, les ar- moiries parlantes de quanlile de villes et de sei- gneurs. « Quand, au XIC siecle, l'imaginalion revint a l'ar- tiste, il se prit a examiner les types a lui legues par leXe; il crut voir clair dans ces degenerescences, defigurees, reduites a l'etal de squelettes, bizarre- ment dechiquetees par la main dc la barbarie, qui, comme celle du hasard, etait arrivee parfois a leur donner, a son insu, un aspect vivant, mais nouveau; et, liompe par son imagination redevenue active, il fit sorlir la vie de la mort et crea une empreinte ori- ginale, en pensant etre le continuateur de l'idee de ses devanciers (1). » (1) B. Fillion, Monnaies j'eod. (rancaises , collect, llous.-eau , p. XXII. — 210 — LETTRE DE ffl. ROBERT (1) Monsieur, J'ai lu avec le plus gran J inleret la leltre que vous avez bien voulu m'ec'nrc, le 16 Fevrier. Pcrsonne mieux que vous n'a, jusqu'a ce jour, developpe la chaine non interrompue qui relie le monogramme odonique au lype du provinois, el les diverses modi- fications de celui-ci, les unes aux autres. Vos figures sont charmanles et font connailre, enlre aulres, un denier bien curieux de la collection Saubinet, celui qui porle au revers, 1'L el l'w. Nous sommes d'accord sur cc fail (devenu^ du resle, classique), que le monogramme d'Eudes est l'origine des emblemes qui se rnonlrent sur le pro- vinois; mais vous adineltez, conliairement a mon opinion, que ce lype a regu, avec intention, dans sa partie inferieure, la forme d'un peigne, afinde servir d'armes parlantes a la province de Champagne. Enfin, suivant vous, les raleaux de Relhel auraient, sous Thibaut VI, sui monle le peigne qui, lui-meme, aurait disparu sous Thibaut VII, pour laisser ces derniers mailres du champ de la piece. Permeltez-moi, d'abord, de vous faire remarquer que je n'ai point preiendu que les banes paralleles ont, en lout temps, et avant Thibaut VI, represenle (i) Cettelettre etait adressce a M. Maxe. — 217 — une herso ou les palissades cl'un chateau ; c'est done a toil que vous m'objectez que ces emblemes tie defense militaire n'auraient eu aucune signification possible avant ('apparition de ce que je considere comme des tours. J'ai constate , comme vous, que les debris du monogramme odonique qui occupaienl le bas de la piece avaient aflecle, sous Thibaut IV (1125-1152), une figure dans le bas de laquelle on a vu des dents de peigne ; mais, considerant cet embleme comme insolile sur la monnaie d'un baron, j'ai soumis a l'A- cademie de Reims des doutes sur la signification reclle du type provinois depuis la deformation du monogramme jusqu'au temps de Thibaut VI. Ce n'est qu'a parlir de ce prince, lorsque des tourelles sont venues remplacer, au-dessusde ce qui ressemble a un peigne, lcs derniers debris du monogramme, que la figure m'a semble s'etre completee. avec in- tention, de maniere ') representor le chateau de Pro- vins qui se voil aussi sur le sceau de la ville, et a meltre ainsi l'embleme monctaire en harmonic avec la legende : Castrum Pruvins. Vous contcstez cette signification donnee a l'avanl- derniere transformation provinoise du monogramme d'Eudes, et vous y voycz une imitation faile a Pro- vins de la monnaie de Rethel. Mais Louis de Flandre n'a pu frapper a Rethel que de 1290 a 1322; il est done materiellement impossible que Thibaut VI et Thibaut VII (1201 a 1270) aient imile le rateau de Rethel ; le contraire a eu lieu, et e'est Louis qui, ainsi que l'a depuis longtemps demontre Lelewel, a copie le provinois et fait, si vous le voulez, de ce qui signifiait des lours a Provins, des rateaux a Rethel. — 218 — En resume, il est aujourd'hui ad mis par tous les numismatistes que l'avanlage dc conserver au signe de l'echange le type sous lequel il etait accredite dans le public, a souvent fait reproduire, pendant des siecles, une meme monnaie, non d'une maniere complete, mais en introduisant dans sa figure des differences suecessives qui, a une epoque donnee, avaient assez denature le prototype pour donner naissance a une representation significative, d'un in- teret local. Suivant vous, dans celle transformation, les barres paralleles, surmontees de divers signes provenant aussi du monogramme odonique, auraient represent^ un peigne, embleme parlant de la Gbam- pagne; mais que faire de la syllabe Champ? En outre, comment expliquer que le sceau de Provins representait un chateau, lorsqu'il est connu que les emblemes parlanls des villes se trouvaient a la fois surle sceau et sur la monnaie, par exemple a Bar, que vous me citez? Je vous soumets ces nouvelles explications. Vous jugerez, je l'espere, que, meme en admetlant le pei- gne jusqu'a Thibaut VI, il font reconnaitre la pre- sence du chateau sous ce prince et sous Thibaut VII. Je vous remercie d'avoir bien voulu m'entretenir de la monnaie de Toul, que vous possedez. G'est une rarete que j'ai eu aussi la bonne fortune d'acquerir il y a quelques mois. Agreez, Monsieur, etc. Paris, le 7 Mars 1860. — 210 — DEUXIEME LETTRE DE M. MAXE A ffl. ROBERT. J'ai compris la valeur du raisonnement qui vous fait voir trois tourelles sur les deniers de Thibaut VI. La legende etant Castrum Pruvins, vous avez du reconnailre dans les debris du monogramme odo- nique enlierement altere a celte epoquc la repre- sentation de trois tours plutot que celle de trois raleaux ; en cela, vous n'avez fait que suivre l'avis de MM. de Barthelemy, Duchalais, etc., etc. L'ana- logie qui existe enlre le type de ees deniers et celui du sceau de la ville de Provins a du donner plus de force a voire conviction. Permettez-moi , Monsieur, de ne pas partager voire opinion a cet egard , et memo de la com- batlre. Je disais dans ma leltre precedente que je voyais l'origine de trois tourelles dans les armoiries de Rethel, et apres la comparaison que j'etablissais enlre un denier de Thibaut VI et un de Louis de Flandre, je ne voulais trouver sur chacune de ces monnaies que l'image du rateau. En effet, Louis de Flandre, qui frappait monnaie en 1290-1322, n'a pu creer un type tpic se serait approprie Thibaut VI ou Thibaul VII (1201-1270); mais il no s'ensuil pas que ce soil Louis qui ait copie 520 )e type provinois, et fait des trois tourelles les trois rateaux qui Ggurent sur ses monnaies. Longtemps avant Thibaut VI, les armes de Rethel se corapo- saient de trois rateaux, et les armoiries de Beaudoin de Rethel, dit du Bourg,