XJ3Sr OH-A-FITPtE DE GRAMMAIRE A L USAGE DES BOTANISTES PAR Le SAINT-LAGER PARIS LIBRAIRIE J. -B. BAILLIÈRE ET FILS 19, RUE HAÜTEFEUILLE, 19 1892 M i 4 I r>>'M A l’usage DES B O T J^lSri STSS PAR LE SAINT-LAGER \ Dans une précédente note, j’ai soumis à l’attention des bota¬ nistes quelques remarques orthog-raphiques sur plusieurs noms de genre, en partant de ce principe « que les règles de la langue latine sont depuis longtemps établies et ne sauraient être changées au gré de qui que ce soit, de sorte que, lorsque nous voulons enrichir le vocabulaire scientifique de néologismes des¬ tines à 1 expression d idees autrefois inconnues, nous devons former les nouveaux noms comme auraient fait les anciens auteurs latins, et en nous inspirant des modèles qu’ils nous ont laissés, particulièrement en ce qui concerne la création des mots com¬ posés. » {Bulletin Soc. hotan. Lijon, IX, 1891, p. 32.) Dans la susdite note, j ai rappelé que dans la transcription des mots grecs en lang’ue latine, les diphthongues ai., oi^ ci sont remplacés par œ (achaina = achæna), par ce (dioicos = diœcus), par ^ (potamogeitôn = potamogiton). A cette occasion, j’ai si¬ gnalé l’altération, déjà fort ancienne, du mot Onothera (âne sauvage, onagre), en OEnothera (vin-bête sauvage!!!) J’ai expliqué ensuite le mécanisme de la formation des noms composés dont le premier membre est un substantif à radical variable (Leonturus, Gerontopog’on, Dracontocephalum). Actuellement, je me propose d’examiner la question des ad¬ jectifs latins composés dont l’emploi, comme épithètes spécifi¬ ques, est très fréquent dans la nomenclature. 4 UN CHAPITRE DE GRAMMAIRE Ayant été souvent consulté à cet égard par plusieurs botanis¬ tes qui s’étonnaient à bon droit de la discordance des auteurs de Flores, j’ai pensé qu’il serait utile d’établir, une fois pour toutes, les règles précises de la composition des adjectifs de cette caté¬ gorie. On sait que Linné, mettant en pratique le précepte de Tour- nefort « nomina plantarum brévia sint », a systématiquement réduit les noms de plantes à la plus simple expression, c’est-à- dire à un nom générique suivi d’une épithète spécifique, laquelle, en raison de sa forme adjective, s’accorde grammaticalement avec le substantif, ainsi que le prescrit une des règles fonda¬ mentales de la langue latine. C’est ce que montre le tableau suivant où se trouvent, d’un côté quelques phrases diagnostiques usitées dans l’ancienne no¬ menclature, de l’autre côté les noms simplifiés que l’illustre réformateur appelait nomina trivialia, Thalictrum alpinum, Aquilegiæ foliis, florum staminibus purpurascentibus Tourn . T. aquileg-i-folium. Draba palustris siliquosa majoralpina, Bursæ pastoris folio Cup . Sisymbrium burs-i-folium. Cardaminealpina minor, Tourû. C. resed-i-folia. Cistus fœmina folio Salviæ C. B . C. salv-i-folius. Althæa frutescens Bryoniæ folio C. B . Malva bryon-i-folia. Abutilon Periplocœ folio^ fructu stellato Dil- len . Sida periploc-i-folia. Hermania frutescens, folio Lavendulæ la- tiore et obtuso Boerh . H. lavendul-i-folia. Genista africana Evicœ folio, floribus parvis luteis in capitula congestis Ray . Borbonia eric-i-folia. Astragalus orientalis altissimus, Galegœ fo- liis angustioribus, flore minimo Tourn. . . A. galeg-i-formis. Oüobrychis maderasp. Nummulariœ folio, Ornithopodii siliquis Petiv . Hedysarum nummular-i-folium. Rosa pumila spinosissinaa, /b?!0 Pimpinellæ glabro, florealboJ. B . R. pimpiuell-i-folia. Opuntia arbor spinosissiina, foliis Portulacæ cordatis Plum . Cactus portulac-i-folius. Aster flore luteo, ][/b/îO Cymbalariœ Ray. . . Gineraria cymbalar-i-folia. Stoebe major foliis\Erucœ mollibus lanugi- nosis C. B . Centaurea eruc-i-folia. Quamoclit Hederœ folio trifido Plum . Ipomæa heder-i-folia. Horminum virginianum erectum, Urticœ folio Morison . Salvia urtic-i-folia. Urtica UTQXis pilulas ferens C. B . U. pilul-i-fera. Bermudiana Palmœ folio, radice bulbosa Plum . Sisyrynchium palm-i folium. Afin de bien faire comprendre le mécanisme de la formation des adjectifs composés qui remplacent les deux mots principaux des anciennes phrases diag^nostiques, j’ai eu soin de disséquer en trois parties chacun de ces adjectifs. On reconnaît ainsi de la manière la plus évidente qu’ils se composent : 1® du radical d’un substantif féminin de la première déclinaison, abstraction faite de la désinence casuelle a, ce, am; — 2“ de la voyelle de liaison — S"* d’un suffixe folius, folia, folium, ou formis, forme, ou enfin fer, fera, ferum. Tels sont, en effet, les trois éléments constitutifs des adjectifs de l’ancienne latinité qui ont servi de modèle. Dans le but de rendre plus exacte la comparaison, je me borne présentement à citer ceux dont l’élément initial est le radical d’un substantif féminin de la première déclinaison, comme dans les adjectifs de la nomenclature Linnéenne ci-dessus énumérés : baccifer, uvifer, herbifer, spicifer, sag’ittifer, spumifer, g*emmifer, marg-aritifer, aquilifer, stellifer, flammifer, umbrifer; — lanig’er, barbig*er, setig*er, plumig-er, pennig’er, aliger, claviger, squamiger, spi- niger, urniger, famiger; — palmipes, plumipes; — silvicola, terricola, terrigena; — arenivagus, herbigradus, undivagus; — caprimulgus, caprigenus, capricornus, caprificus, lanificus, causidicus, tubicen, tibicen (1); — le substantif stillicidium (2). C’est aussi d’après les mêmes modèles qu’ont été composés les adjectifs suivants de la nomenclature Linnéenne, dans les¬ quels entre pareillement, comme élément initial, le radical d’un substantif féminin de la première déclinaison. Ranunculus parnass-i-folius. Viola primul-i-folia. Hermannia grossular-i-folia. — altbæ-i-folia. Géranium hermann-i folium. Trifolium frag-i-ferum. Aspalatbus eric-i-folia. Gassia galeg-i-folia. Saxifraga ajug-i-folia. Mesembrianthemum lingu-i-forme. Lantana salv-i-folia. Athanasia genist-i-folia, Senecio persic-i-folius. Senecio eruc-i-folius. laula spiræ-i-folia. Xeranthemum eruc-i-folium. Ambrosia artemis-i folia. Ghironia bacc-i-fera. (1) Cen est un suffixe dérivé du verbe cano, cecini = tuba canens, tibia canens. (2) Cidium est un suffixe dérivé du verbe cado, cecidi = stilla cadens, et non stillæ casus, comme le croyait Madvig (Grammaire latine). 6 UN CHAPITTÎE DE GRVJrMAIRE Scrofularia betonic-i -folia. Antirrhinum genist-i-folium. Veronica heder i-folia (1). Scutellaria hast-i-folia. Salix phylic-i-folia. Sagittaria sagitt i-folia. Alisma parnass-i-folium. Arum cann-i-folium. Globba uv-i-formis. Avena stip-i-formis. C’est encore suivant le même mécanisme qu’ont été composés les adjectifs suivants de la nomenclature Linnéenne dont le premier membre est le radical d’un substantif masculin ou celui d’un substantif neutre de la seconde déclinaison. Radical masculin. Anemone narciss-i-flora. Cistus laur-i-folius. Ranunculus platan-i-folius. Sideritis hyssop-i-folia. Radical neutre. DESINENCE Um AU NOMINATIF Ranunculus aconit-i-folius. Arenaria serpyll-i-folia. Cistus mar-i-folius. Sisymbrium tanacet-i-folium. Cardamine asar-i-folia. Spiræa hyperic-i-folia. Centaurea lin-i-folia. Polygonum lapath-i-folium. DÉSINENCE ium AU NOMINATIF Ervsimura hierac-i-folium. Cistus pol-i-folius. Senecio pol-i-folius. — hierac-i-folius. Campanula lil-i-folia. — limon-i-füiia. Andromeda pol-i-folia. Gerardia delphin-i-folia. Polypodium asplen-i-foliura. Par ces exemples, on voit que, quelles que soient les dési¬ nences casuelles o, um des substantifs masculins, wm, 2, O, um., ou ium., n, ium des substantifs neutres, c est le radical seul qui entre dans la composition des susdits adjectifs. Cette constatation est de la plus haute importance dans le cas particulier dont il s’agit actuellement, parce que, comme Usera expliqué plus loin, la plupart des botanistes, ignorant le véri¬ table rôle de la vovelle de liaison 2, ont faussement cru que, dans les adjectifs ci-dessus mentionnés celle-ci est la marque de la flexion génitive des substantifs JS avcissus., Platonus^ Aconiium^ Serpy l lum, etc. Une simple coïncidence a donné lieu, comme on le verra, à de nombreuses erreurs. C’est pourquoi il ne sera pas superflu de démontrer, à 1 aide (1) 2* édition du Species plantnrum., t. 1, p. 19. Dans la premièro édition de cet ouvrage, Linné avait écrit V. hederœfoUa. Un grand nombre de botanistes ont adopté cette graphie manifestement lauüve. A l'usage des botanistes. 7 d’exemples tirés de rancienne latinité, que la véritable formule des adjectifs de cette catégorie est bien Narciss-i-fîorus et non narcissi-flonis Aconit-i-folius et non aconit i-folius . A cet effet, il suffit d’examiner la structure des adjectifs suivants: vin-i-fer, pom-i-fer, let-i-fer, soinn-i-fer; — ov-i- parus, viv-i-parus; — grand-i-loquus, brev-i-loquus, magn-i- dcus. Il est clair que puisque les verbes fero, 'pario, loquor, fado gouvernent l’accusatif, l’addition de la désinence de flexion aurait produit les adjectifs vinuinfer, vivumparas, grandialo- quus, magnaficus. La même remarque est applicable aux adjectifs précédem¬ ment cités à propos des substantifs féminins de la première déclinaison : baccifer (baccamfer), caprimulgus (caprammulgus), causidicus (causamdicus). Il a été aussi expliqué que dans les mots tubicen (tubâcen), tibicen (tibiâcen), auxquels on pour¬ rait ajouter quelques autres, tels que fîdicen (fidecen), cornicen (cornucen), le suffixe du verbe cano régit l’ablatif. Enfin, dans plusieurs mots composés dont le premier membre est un adjectif, la désinencede flexion ne pourrait être que celle du nominatif, de sorte qu’on aurait ; latusfolius, multusflorus, longuspes, unuscolor, altuscomus, multuscaulis. Cependant il est bien connu que jamais pareille association n’a été faite et que dans tous les adjectifs de cette catégorie les deux mots composants sont unis invariablement par la voyelle de liaison L comme on le voit dans: rotundifolius, latifolius; — multicaulis, multifidus, multiflorus; — longipes, fissipes, palmipes, nudipes; — parvicollis; — iinicolor, versicolor, auri- color; — aiiricomus, alticomus; — cornifrons, corniceps; — breviloquus, grandiloquus, suaviloquens (1). De ce qui précède il ressort manifestement que la voyelle de liaison i a précisément pour fonction de remplacer les désinen¬ ces casuelles (nominatif, génitif, accusatif, ablatif) qui varient (1) La voyelle de liaisoa i suivie de la désinence nus existe aussi dans un grand nombre d’adjectifs simples, tels que : laurinus, cupressinus, piperi- nus, quercinus ; — caninus, vulpinus, felinus, tigrinus, pantherinus, porci- nus, hircinus, ursinus, cervinus, equinus, colurnbinus, anserinus, olorinus, aquilinus, colubrinus, anguinus, formicinus; — marinus, cerinus, colli- nus, etc., etc. 8 UN CHAPITRE DE GRAMMAIRE suivant les exigences du suffixe, et d’établir ainsi runiformité de structure des adjectifs composés. Narciss-i-florus est cons¬ truit de la manière que mult-i-florus. Dans tous les exemples précédemment cités, le premier mot de l’épithète spécifique est un substantif de la première ou de la seconde déclinaison dans lequel le radical est le même à tous les cas {Salv-ia, Resed-a, Hierac-inm, Aconit-um, Nar- ciss-us). Lorsque le premier mot est un substantif de la troi¬ sième déclinaison dans lequel le radical du nominatif est différent de celui des autres cas, dits obliques, c’est le radical de ces derniers qui entre dans les mots composés. Du reste, la règle énoncée ci-dessus à propos des substantifs de la première et de la seconde déclinaison s’applique aussi aux mots compo¬ sés d’un substantif?àdical ^ variable de la troisième déclinaison : c’est encore la voyelle i qui sert à lier les deux mots, ainsi qu’on le voit dans les exemples suivants tirés du Species fjlan- tarum de Linné. Actæa cimic-i-fuga (ciraex). Lepidium gramin-i-folium (gramen). Arabis bellid-i-folia (bellis). Silene noct-i-flora (nox). Arenaria laric-i-folia (larix). Hedysarum styrac-i-folium (styrax). Buphtbalmura salic-i-folium (salix). Gacalia atriplic-i-folia (atriplex). Gnaphalium plantagin-i-folium (plantago). Globularia cord-i-folia (cor). Cliffortia ilic-i-folia (ilex). Bigaonia cruc-i-gera (crux). Verbena stœchad-i-folia (stoechas). Taxus nuc-i-fera (nux). Les adjectifs ci-dessus énumérés ont été construits conformé¬ ment aux modèles que nous ont laissés les écrivains de l’anti¬ quité : Raricola, agricola, monticola, paludicola; — falcifer, glan- difer, lucifer, mellifer; — matricida, fratricida, parricida (altération de patricida) (1); — montivagus, nemorivagus, noc- tivagus; — fioricomus, florilegus, sortilegus, pacificus, juridi- cus; — artifex, carnifex. — Les substantifs raatrirnonium, plebiscitum et sacrificium sont construits de la même manière. C’est aussi en ajoutant au radical des cas obliques de certains substantifs la voyelle de liaison i, puis les désinences us^ nus, duSy lis qu’ont été formés les adjectifs suivants en usage dans l’ancienne latinité : (1) L’exception présentée par homicida (pour hominicida) vient, suivant Brôal et Bailly, de ce que la déclinaison du substantif /lomo était irrégulière /fdans l’ancien latin. La même explication s’applique-t-elle à lapicida (pour Zapidicida), ou ce mot est-il une abréviation faite dans le langage populaire ? A l’usage des botanistes. 9 Réglas, joviiis, martius; — arietinus, leporinus, rnurinus, iîbrinus, apriaus, cora;inas, bombycinus, styracinus, onychi- nus; — floridus, roridus; — genûlis, fabrilis (1). Les explications qui précèdent paraîtront sans doute trop long'ues aux philologues habitués à se servir de l’analyse gram¬ maticale. Le mécanisme des noms et adjectifs composés est d’ailleurs d’une simplicité telle que le dernier des écoliers le comprendrait aussitôt, si on avait soin do le lui démontrer au moyen de quelques exemples, ainsi que l’a fait, quoique trop brièvement, Madvig’ dans sa grammaire latine (2). Toutefois, puisque les botanistes auxquels « le présent dis¬ cours s’adresse particulièrement » semblent, la plupart du moins, igmorer le mode de construction des mots composés dont ils font un très fréquent usage, j’ai pensé que mon Chapitre de grammaire ne serait pas dépourvu d’utilité. Je ne crois pas me tromper en disant que parmi ceux qui auront la patience de le lire, il eu est be.iiicoup, me no parmi les plus savants, pour lesquels la dissection des adjectifs composés en trois éléments (radical du premier terme, voyelle de liaison, suffixe) sera chose nouvelle. Comme dit La Fontaine, On a souvent besoin d’un plus petit que soi. (1) N’ayant pas à m’occuper dans la présente étude des autres voyelles de liaison a, 'àiovi)\ resque publica, jurisque jurandi, Senalusve consulium (Cicérou); reive publicœ, Senatusve consultis (J. Cæ- sar) ; — quelquefois l’ordre a été interverti : jurando ]ure (Plaute). Il est d’ailleurs certain que dans un grand nombre de manuscrits anciens, les susdits mots ont été séparés, et que pa¬ reille juxtaposition n’a jamais été faite dans plusieurs expres¬ sions similaires, telles que Res herbaria (Botanique), Resmili- taris (Art militaire), Res navalis (Art naval). Res rustica (Agriculture), Res metrica (Métrique poétique). Res dicina (Culte religieux). Quelques grammairiens ont maintenu Respublica, Jusjuran- dum^ Senatûsconsultum, J urisconsultus, dans la classe des mots composés, mais ils les ont rangés dans une catégorie par¬ ticulière, sous la dénomination de composés .‘^viitactiques, c’est-à-dire réciproquement régis par les lois de la syntaxe (Guardia et Wierzeyski, 1876, Gramm. latine, ch. X, p. 306), ou de composés u:irathétique.s, c’est-à-dire formés de mots sim- A l’usagi^ des botanistes. ]9 plement juxtaposés sans soudure (Kühner, 1877, ausführliche Grammatik der latinischen Sprache, t. I, p. 696). D’après ces définitions, Jurisprudentia est syntactique ou parathétique, tandis juridicus est asyntactique ou synthé¬ tique. Dans cette dernière catégorie se trouvent aussi tous les adjectifs composés dont on fait un si fréquent usage dans la nomenclature botanique. 11 me paraît préférable de réserver à ces derniers la qualification de mots composés, et d’appeler les ïiutYes mots juxtaposés. C’est du reste l’avis de Bréal et Bailly (Dictionn. étymol., p. 15 et 143). La précision du langage a, dans ce cas, une utilité incontestable. Les considérations ci-dessus exposées étaient nécessaires pour faire comprendre l’origine des erreurs commises par les botanis¬ tes, relativement à la formation des mots composés. En premier lieu, les grammairiens ont négligé, durant les siècles antérieurs et jusque vers la moitié de notre siècle, de s’occuper de cette ques¬ tion, et secondement, les botanistes contemporains n’ont pas eu la curiosité de chercher dans les grammaires publiées à notre époque les enseignements qui leur auraient été fournis par l’analvse des mots de l’ancienne langue latine. Il est fort dési- rable qu’à l’avenir les grammairiens, prenant en considération les nouveaux besoins du langage scientifique, donnent un plus grand développement à cet important chapitre de linguistique, et ne laissent pas aux naturalistes, peu compétents en cette ma¬ tière, le soin de formuler les règles de la fiibrication des mots composés. En attendant le complément d’information qui sera donné par des maîtres jouissant d’une autorité incontestée, il est d’ores et déjà prouvé qu’une multitude d’adjectifs employés comme épi¬ thètes spécifiques dans la nomenclature ont été composés con¬ trairement à l’usage de la langue latine. Puisque les botanistes admettent unanimement que « les noms scientifiques des plantes sont en langue latine » (article 6 des Lois), il est clair qu’ils s’engagent implicitement à observer les règles depuis longtemps établies dans cette langue. Par con¬ séquent, toute expression qui viole les susdites règles peut et doit être corrigée. Dans tous les exemples précédemment cités, la correction est extrêmement facile, puisqu’il suffit de changer la lettre œ en i. Il n’y a donc pas lieu, dans ce cas particulier, d’alléguer que ce 20 UN CHAPITUlî DE GUAMMAIRE minuscule changement apporterait « une profonde perturbation aux usages adoptés ». Bien plus, il est permis d’affirmer que cette modification sera considérée comme un bienfait par tous ceux qui, ayant mission de corriger les épreuves d’imprimerie, se trouveront ainsi débarrassés, au moins pour une grosse part, du souci que leur donne la distinction des lettres œ et œ, sou¬ vent mal dessinées dans les manuscrits des auteurs. Il existe encore un autre motif pour adopter exclusivement la forme normale des adjectifs composés dont il estactuellement question, ce motif est tiré de l’avantage que présente l’unifor- rnité des termes appartenant à la même famille grammaticale. Cet avantage est si évident que, lors même que les deux formes seraient licites (ce qui n’est pas vrai), il serait incontestable¬ ment préférable d’employer l'une d’elles à l’exclusion de l’au¬ tre, et dans cette alternative, le choix ne saurait être douteux. Comment se peut-il que les botanistes n’aient pas été depuis longtemps choqués de voir dans les Flores, tantôt les adjectifs hastifolia, hedey^i folia ^ eruciformis, tantôt hastæfolia, hederæ- folia, erucæformis ? (1) Malgré sa légitimité sous le rapport orthographique et les avantages pratiques qu’elle présente, ma proposition de réforme rencontrera une vive résistance de la part des doctrinaires qui, voulant avant tout obtenir la fixité des noms de plantes et d’ani¬ maux, ont établi comme loi fondamentale de la nomenclature des êtres vivants ce qu’ils appellent la règle inviolable de priorité. Quelques-uns, préoccupés à l’excès des inconvénients de la mobilité des noms et n’ayant pas la notion exacte de l’esprit conservateur des Lois, ont confondu le moyen avec le but et ont poussé la rigueur de la règle de priorité jusqu’à déclarer qu un (1) Il est regrettable que les législateurs de la nomenclature botanique aient manqué de fermeté dans l’application d’un principe dont ils avaient reconnu l’utilité lorsque, après avoir proclamé, par les articles 21 et 24 des Lois, que la désinence normale des noms de familles est acece et des noms de tribus eæ^ ils ont, à cause de l’usage, admis par l’article 23 les exceptions suivantes : Salicineæ, Tamaricincæ, Berberideæ, Violarieæ, Lythrarieæ, Lru- ciferæ, Urnbelliferæ, Aroideæ, Gramineæ, etc. ^ . 11 convenait de déctarer, sans égard pouria routine, qu on devra écrire dorénavant : Salicaceæ, Violaceæ, Lythraceæ, Cruciaceæ, Umbellaceæ, Gra- minaceæ, Araceæ, Ce dernier nom a du reste été bravement adopté par hngler dans le tome 11 des suites du Frodromits. ^ , Il importe qu’on soit aussitôt informé parla désinence s il s agit dune famille ou d’une tribu. A l’usage des botanistes. 21 nom doit être religieusement conservé sous la forme, fût-elle même manifestement vicieuse, que lui a donné son inventeur, lien est même, Staudinger entre 'àwives [V orioort des Catalog dey' Lepidopteren, 1871), qui ont prétendu que l’auteur d’un nom n’a pas le droit de corriger celui-ci dans une seconde édi¬ tion de son ouvrage. Ainsi, par exemple, Linné avait écrit, dans la première édition àxi Species plant arwn, Veronica hede- rœfolia, puisdansla seconde édition V. hederifolia. — V. hede- rœfolia est, d’après le susdit principe, la forme légitime, la seule que doivent employer les botanistes présents et futurs, sinon la porte sera ouverte à la licence, à l’anarchie, et enverra l’abomination de la désolation régner dans le saint temple de la Science ! Pareilles exagérations auraient peut-être été évitées si les législateurs avaient eu soin de définir nettement le but visé par les Lois de la nomenclature. Ce but suprême est évidemment l’unité de langage, condition essentielle de la clarté. Afin d’obtenir cette unité si désirable, il est convenu que chaque plante ne portera qu’un nom, lequel sera tantôt le plus ancien, tantôt le plus usité si le nom ancien est tombé en désuétude. Il est d’ailleurs bien entendu que le nom le plus ancien ou le plus usité peuvent être changés s’ils sont entachés de quelque grave défaut, et notamment s’ils expri¬ ment une idée fausse (Specularia hybrida, Asclepias syriaca), s’ils donnent lieu à une ambig-uïté par similitude de sens (Me- lampyrum nemorosum, faisant confusion avec M. silvaticum), s’ils sont vicieux par pléonasme (Sagittaria sagitiifolia au lieu de Sagittaria aquatica Lobel), par union d’un mot latin avec un mot grec (Carex hordeistichos pour C. hordeiformis), enfin, par erreur de graphie (Amaranthus pour Amarantus, Lathyrus cirrhosus yo\u L. cirrosus, Cucubalus bacciferus au lieu de C. baccifer,Ca^an<2nc/ieaulieu deCatanance, Meseynbryanthemurn pour Mesembrianthemum, Zanthoxylum pour Xanthoxylum, Euphorbia au lieu deE. pityusa, Ranunculus rutœfo- h'MS pour R. rutifolius, etc.). Il est hors de doute que si Linné avait consulté un philolo¬ gue connaissant mieux que lui les langues grecque et latine, il aurait corrigé les susdites graphies fautives et, en outre, qu’il n’aurait pas joint des épithètes neutres à des noms mascu¬ lins, tels que Andropogon, Gerontopogon, Tragopogon, Leon- UN CHAPITUE DE GRAMMAlllE tüdon, Erig'eron, Potamogiton, Croton, SisoD, Styrax et Pa- nax *, — ni des épithètes féminines à Bideos, Stachys, Orchis et Scorpiurus qui sont certainement du genre masculin. — Enfin, il n'aurait pas adjoint des épithètes féminines à des noms neu¬ tres, tels que Alisma, Camphorosma, Onosma, Phyteuma et Polygala (1). Il est permis d’affirmer que l’illustre auteur du Prodromes regni vegetahilis n’aurait pas été moins docile que le grand réformateur aux enseignements de la linguistique, puisqu’il a dit : « il est une autre règle si simple qu’elle mérite à peine d’être signalée, c’est qu’il faut que les noms soient formés d’a¬ près les règles de la Grammaire » Théorie èlém, de la Botani¬ que, p. 258. Ce serait d’ailleurs se tromper gravement que d’assimiler la mention d’un nom de plante à la citation d’un texte. Assuré¬ ment, lorsqu’on cite une phrase diagnostique tirée du Species plantarum, du Prodroinus ou de tout autre ouvrage, en vue d’une discussion historique ou phytologique, il convient de re¬ produire fidèlement le texte original, mais il faut rejeter bien loin ce scrupule d’exactitude quand il s’agit simplement de la graphie des noms déplantés mentionnés dans une Flore ou dans un récit d’herborisation. C’est précisément cette superstition d’exactitude déplacée qui a perpétué une multitude d’erreurs. Il importe qu’il soit bien entendu que nous avons accepté « sous bénéfice d’inventaire » cette partie de l’héritage de nos devan¬ ciers, en nous réservant expressément la faculté d’y apporter tous les changements qu’exigent présentement, et qu’exigeront à l’avenir les besoins de la science. Les corrections grammatica¬ les et orthographiques s’imposent immédiatement, surtout quand il s’agit de celles qui concernent la langue latine dont les règles, depuis longtemps établies, ne sont pas sujettes à une évolution ultérieure comme celles des langues dites vivantes. Tant de verbiage, dira-t-on, pour obtenir le changement d’une lettre! La réforme demandée paraîtjen effet d’une simpli¬ cité enfantine après qu’elle a été clairement expliquée. Cependant, puisque les grammairiens ont négligé de s’occu- (1) Pour plus amples détails sur cette question, on pourra consulter Toil¬ age intitulé: Réforme de la nomenclature botanique^ p. 38 à 60, Lyon, vrage 18SU. A l’usage des botanistes. 23 per des applications de leur science au lang’ag'e pliytologique et que les botanistes, entièrement absorbés par leurs intéressantes observations, n’ont pas le loisird’étudier d’une manière appro¬ fondie la grammaire latine, il fallait bien, pour sortir de cette fausse situation, que l’un de ceux-ci acceptât la tâche ingrate et en apparence pédantesque d’élucider une question de lin¬ guistique peu connue de la plupart de ses confrères. Afin de vaincre l’indifférence des uns et l’obstination des autres, il a cru devoir apporter un motîceau de preuves décisives à l’appui de la thèse qu’il a soutenue. Toutefois, ne se faisant aucune illusion sur le sort réservé à sa longue et fastidieuse élucubration, il prévoit « qu’il pas¬ sera encore beaucoup d’eau sous le pont de la Guillotière », comme disent les gens de son gros village, avant que le dernier œ soit remplacé par un i légitime, à l’attitude droite et noble. Il espère que le triomphe définitif de celui-ci sera vivement désiré par tous les hommes de bon goût qu’offusquait depuis longtemps l’aspect contourné et hypocrite de l’usurpateur. Enfin, il ose affirmer que quiconque, après avoir été informé, s’obstinera à continuer les errements antérieurs, n’aura plus le droit de dire qu’il se sert de la langue latine pour la dénomination des plan¬ tes. En cette affaire, il ne s’agit pas d’élégance Cicéronienne, mais simplement d’une règle grammaticale qui s’impose d’elle- même et dont la violation serait d’ailleurs sans profit pour la science. Lyon. Assoc. typ., rue de la Barre, 12. — F. Plan, directeur. y ‘' . V' X:-^'ïW >lr;V ■£ • . :;:■••?' ? î:; l'i'y-.'vi-v : ■ ■ ' ■ ,' ^ 'i — / il»* ■. ) ■t-T ' -f" - - - •■;; -»■•'. ' 4<- •■;tv ^ ’ • . >? ' * '.• •<» ^Pat* '• . . v . 4 c ... < ■'Ait' ;.' • .V' ■ - ■ -'i/’ V î^&i' 'fë "■