V0, #) /, 4, LAS, / LL, 0, 0 LE HU, 0, LL LU, 1, 9 W, #, 7, # # /) / 0, 09 LIL VE LL, # 1 V4 “1, W 4 , F2 ÿ 7 0 1 " 7 4 W, C0 VE À # b Le W 00) 1 L CAL / L 9, # LL LIN, PÉLTR, OP 7 7 1 1 777 0, 7 LL 7770 7 ) 00, WU, 1) Digitized by the Internet Archive in 2011 with funding from University of Toronto http://www.archive.org/details/unproblmedelOOvial A UN PROBLÈME La EVOLUTION , J Len DE s MONTPELLIER — IMPRIMERIE SERRE ET ROUMÉGOUS 5, rue Vieille-Intendance, 5 4 TRAVAUX ET MÉMOIRES DE MONTPELLIER SÉRIE SCIENTIFIQUE — VI UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION DES FORMES ANCESTRALES AU COURS DU DÉVELOPPEMENT EMBRYONNAIRE (Loi biogénétique fondamentale de Haeckel) PAR LE VERELE ON PROFESSEUR À LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE MONTPELLIER Avec 4 Planches hors texte MONTPELLIER CODLET ET FILS, ÉDITEURS Libraires de l'Université 5, Grand'Rue, 5 1908 ST. MICHAEL'A | COLLEGE AVANT-PROPOS Ce travail renferme la substance et la documenta- tion de conférences faites, cet hiver, à la Faculté des Lettres de Montpellier, aux-étudiants‘én philosophie. Lorsque M. le professeur MiLHAUD voulut bien me demander de traiter devant ses élèves quelque sujet rentrant dans le cadre de mes études, je lui proposai d'examiner un des problèmes que soulève l’évolution comprise à la manière de HAECKEL, et en parti- culier celui de savoir si réellement, comme le dit cet auteur, le développement de l'individu répète celui de l’espèce, les formes successives que revêt embryon n'étant autre chose que l’image, plus ou moins effacée, des formes ancestrales sous lesquelles l'espèce s’est graduellement développée dans letemps (Théorie de la récapitulation ou loi biogénétique fon- damentale, HAECKEL). Ce sujet me paraissait tout indiqué par les travaux récents dont il a été l’objet et notamment par l’importante étude qu’en a faite Oscar HERTWIG. Il m'a semblé bon d’exposer les idées que professe cet éminent biologiste sur les rapports qui existent entre l’anatomie et l’embryo- logie comparées, et de faire connaître la correction essentielle qu’il apporte à la loi biogénétique, cor- VyALLETON. Problème évolution. 1 G AVANT-PROPOS rection qui ne tend à rien moins qu’à changer toute sa signification, ou, comme l’a dit KEIBEL, à faire disparaître la loi elle-même. Désirant présenter, autant qu'il était en mon pou- voir, un exposé fidèle de la théorie de la récapitula- tion, j'ai réuni de nombreux renseignements biblio- graphiques, empruntés aussi bien aux fondateurs de cette théorie qu'à ses partisans ou à ses adversaires de l’heure actuelle. Tous ces documents n’ont été que partiellement utilisés au cours de mes conféren- ces. Les citations exactes qu’ils exigent pour être par- faitement compris, la comparaison et la discussion des textes souvent nécessaires, ne peuvent guère être faites dans un exposé oral et demandent le secours du livre, qui permet de revoir à loisir les points litigieux ou les cas difficiles et d’avoir toutes les pièces sous les yeux. C’est pour cela que je me suis décidé à livrer mes notes à l'impression. Les auditeurs de mes conféren- ces, les étudiants en philosophie, les étudiants en médecine, et les esprits curieux des choses de la nature qui m'ont fait l'honneur de m’écouter, y trou- veront bien des faits laissés de côté dans un exposé oral forcément rapide. Mes autres lecteurs pourront y prendre une idée de la fragilité d’une formule retentissante, douée d’une vraisemblance assez grande pour avoir trouvé place dans les manuels du bacca- lauréat; ils y trouveront aussi, je l'espère, la convic- tion que la recherche des « lois du développement » est un champ immense ouvert à l’activité humaine, da. n- D de be FPT € : d'un. 426 AVANT-PROPOS donnera des résultats autrement ns de UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION L'idée d'évolution et le transformisme. — L'évolution pour HAECKEL et pour DARWIN.— La loi biogénétique fondamen- tale. — Plan de ce travail. Si par évolution l’on entend l’ensemble des lois naturelles qui ont présidé à la formation des êtres vivants, tout homme de science doit être évolution- niste. Comme le monde vivant ne s’est pas formé tout d’un coup, mais que de nombreuses espèces ont apparu historiquement à des époques où la face de notre globe n’était guère différente de ce qu'elle est aujourd’hui et où les conditions de toute nature, au milieu desquelles se joue la vie, étaient sensiblement les mêmes que de nos jours. il est évident que l’on doit considérer ces espèces comme un produit natu- rel de facteurs alors en présence (êtres vivants et 10 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION milieu) et des lois de l’organisation. Que parmi ces lois le principe de la descendance ait une valeur considérable, c’est-à-dire que l’on doive regarder un grand nombre des formes comme liées génétique- ment entre elles et dérivées les unes des autres, cela paraît aussi évident. Bien des faits ne peuvent s’ex- pliquer que par la descendance des espèces actuelles d’autres espèces plus ou moins voisines d’elles qui les ont précédées dans le cours des temps. Lorsque DARWIN étudiait les couches fossilifères de l'Amérique du Sud, il fut vivement frappé d’y ren- contrer des squelettes d'Édentés à cuirasse dermique appartenant au même groupe que les Édentés vivant actuellement dans le même pays, et cette observation fut pour lui untrait de lumière.Cette succession, dans le même endroit, de formes peu répandues ailleurs, lui paraissait une preuve de l'existence de liens génétiques entre elles. Il médita longuement sur ce fait qui, uni à bien d’autres, détermina peu à peu sa croyance à la descendance des êtres. Depuis lors, l’étude de la distribution géographique des ani- maux et des plantes a montré que la localisation actuelle des espèces ne peut être expliquée autrement que par la théorie de la descendance de DARWIN. D'autres faits viennent encore à l’appui de cette théorie : on observe souvent dans les genres para- sites, lorsqu'ils ont plusieurs espèces, que chaque espèce habite une forme particulière d’un même genre ou d’une même famille, de telle sorte qu’il est bien difficile d'expliquer ces relations autrement que 3 4 « : * | CHAPITRE PREMIER 11 par une évolution parallèle de l'hôte et de son para- site. Ces faits et bien d’autres, que je ne puis citer, ne permettent pas de douter qu’au moins dans les limites des groupes naturels, tous les membres de ces groupes ne soient liés génétiquement entre eux. Mais si maintenant on entend par évolution les idées soutenues par HAECKEL qui, partant d’une cel- lule primitive simple, en fait dériver les êtres les plus compliqués et lie tous les animaux dans un arbre généalogique unique, en supposant connus les causes et le mécanisme de ces transformations, il est permis de rester sceptique, car l’évolution, ainsi comprise, renferme encore beaucoup plus d’hypo- thèses et de problèmes que de vérités démontrées. Il s’en faut, d’ailleurs, que l’évolutionnisme hæcké- lien ait été celui du véritable fondateur du transfor- misme.DARWIN resta jusqu’à la fin très réservé sur la question des origines de la vie et des premiers êtres vivants. Dans son édition définitive de l’'Origine des espèces comme dans la première, il disait encore: « je crois que tous les animaux descendent de quatre ou cinq formes primitives tout au plus et toutes les plantes d’un nombre égal ou même moindre» [p. 569]. Il pensait, en 1859, que ses arguments n'étaient bons: « que pour chaque embranchement pris séparément » (Wie et Correspondance, t. Il, p. 44). Il espérait cependant que ses explications pourraient servir aussi pour l’origine de ces derniers, car ilne voudrait pas « qu’elles soient bonnes jusqu’à ce point seule- ment et pas plus loin », mais, pour le moment, il con- 12 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION venait que nous ne savons rien de l’apparition de l'ancêtre des Vertébrés (1bid.), et il ajoutait en d’au- tres endroits, que «c’est de la bêtise que de penser actuellement à l’origine de la vie ; on pourrait tout aussi bien penser à l’origine de la matière» (Vze et Correspondance, t. II, p. 306). Je ne sais s’il a été parfois ébranlé par le brillant succès de HAECKEL, mais, pour bien montrer la posi- tion qu'il prenait encore à la fin de sa vie dans toutes ces questions, on peut citer avec la phrase rapportée plus haut sur les quatre ou cinq formes primitives d'animaux, cette pensée qui se trouve, comme la phrase précédente, dans l’édition définitive de l’Ori- gine des Espèces : « nous n’avons pas à considérer ici comment les corps de quelques animaux sont primi- tivement divisés en séries de segments ou en côtés droit et gauche avec des organes correspondants, car cette question dépasse presque la limite de toute investigation » [p. 516]. Malgré ces réserves de DARWIN, le transformisme hæckélien a rencontré, à un moment donné, une adhésion très générale. On avait comme oublié les difficultés et on adoptait sans y prendre garde ce principe : qui peut le moins peut le plus. En d’autres termes on admettait couramment que les causes capables de différencier une forme donnée en une infinité d’espèces ou de genres plus ou moins rap- prochés, étaient aussi celles qui avaient engendré les formes les plus distinctes, les plus écartées les unes des autres et dont beaucoup se trouvent cependant CHAPITRE PREMIER 116: côte à côte dès les plus anciennes formations fossi- lifères, comme si elles avaient toujours coexisté. Cependant, le développement des connaissances a fait surgir bien des incertitudes et soulevé des pro- blèmes dont on ne soupçonnait pas l’existence : pro- blèmes généraux comme ceux des causes et du mécanisme des transformations, problèmes particu- liers se présentant en si grand nombre, qu’il est impossible à un homme de les embrasser tous et que nous voyons reprendre, en sous-main, par une foule de travailleurs, — chacun dans sa spécialité — l’étude de questions que l’on avait cru tranchées et dont on commence seulement à apercevoir la complexité et la difficulté croissantes. | Parmi ces problèmes, l’un des plus intéressants est celui des rapports qui existent entre les embryons des animaux supérieurs et les animaux inférieurs, ou la théorie de la récapitulation des formes ancestrales dans le cours du développement des animaux supé- rieurs. Dèsles débuts du dix-neuvième siècle, on s’efforça de montrer qu’il existe un parallélisme remarquable entre les formes successives que revêtent les embryons des animaux supérieurs et celles des ani- maux inférieurs à l’état achevé. HAECKEL s’est emparé de cette théorie, qu’il a développée d’une manière saisissante — distinguant, au milieu du chaos des formes embryonnaires, certains types qui se retrouvent dans tous les groupes — et il en a fait 14 UN PROBLÈME DE L ÉVOLUTION une loi essentielle de la biologie qu’il appelle la Loi biogénétique fondamentale. La loi biogénétique a pris une place considérable dans la science contemporaine et a joué un grand rôle dans l'interprétation des phénomènes embryologi- ques. Cependant déjà en 1828, Von BAER dirigeait con- tre la théorie du parallélisme des objections dont Osc. HERTWIG a fait ressortir, il y a peu de temps, toute l’importance. Tout près de nous, et en plein triomphe de la doctrine de HAECKEL, les contradic- teurs ne manquèrent pas à la théorie de la récapitula- tion. Des embryologistes comme KOELLIKER, HENSEN, OPPEL, MEHNERT, KEIBEL se prononçaient plus ou moins explicitement contre elle. Son emploi donnait lieu à des difficultés considérables soulignées par Doxrx et par KEIBEL. ED. PERRIER y apportait, par la théorie de la tachygenèse, une modification si grave qu'elle n’en laissait presque rien subsister ; enfin Osc. HERTWIG en faisait l’objet d’une étude prolongée dont les premiers résultats parurent, en 1808, dans son Anatomie et Physiologie générales, qu’il continua en 1901 dans le Traité d’Embryologie expérimentale et comparée des Vertébrés dont il a dirigé la publication et qu’il termina enfin, en 1906, dans le chapitre qui clot cet ouvrage. Dans ce dernier travail, Osc. HERTWIG montre, en se fondant sur la constitution de l’œuf, d’après les données de la cyto- logie actuelle, que la loi biogénétique n’est pas exacte et que les embryons ne reproduisent en n 2 - ds dite CHAPITRE PREMIER 45 réalité aucune des formes ancestrales sous lesquelles l'espèce s’est perpétuée dans le temps. À cause de l’importance des données nouvelles d'Osc. HERTWIG, le moment m’asemblé venu deréunir les documents anciens et récents se rapportant à la théorie de la récapitulation et d’en faire un exposé permettant de se rendre compte de l’état de la ques- tion. Cet exposé est divisé en plusieurs chapitres. Les deux premiers sont consacrés à l’historique de la théorie du parallélisme depuis HARvEY jusqu’à nos jours. Ils renferment de nombreuses citations, parce que dans ces questions difficiles où les nuances de la pensée et de son expression ont une grande impor- tance, il m’a semblé bon de faïre parler le plus possi- ble les auteurs eux-mêmes. Il aurait peut-être suffi de faire suivre ces deux chapitres de l’exposédesidées d’'Osc. HERTWIG,cepen- dant je ne l’ai pas fait. Ce n’est pas que j'aie la prétention de rien ajouter à ce que dit l’éminent auteur, mais il s'adresse à des lecteurs très avertis, à ceux de son 7raité et il peut par suite être bref. Il m'a semblé préférable d’insister davantage et de développer, dans quelques chapitres distincts, nom- bre de faits considérés comme rentrant dans la théo- rie du parallélisme, de manière à donner une série de vues successives prises sur certains points de cette théorie. La table des matières et le sommaire placé en tête de chaque chapitre me dispensent d’entrer à ces me il sera plus facile au Rs de se. x _ familiariser avec la théorie de la récapitulation et de = comprendre les critiques qui en ont été faites. © 4 CHAPITRE II HISTORIQUE Les précurseurs : HARVEY, KIELMEYER, ETIENNE GEOFFROY SAINT-HILAIRE.— Le fondateur de la théorie du parallélisme, Jon.-FRIED. MECKEL. — , Développement des idées de FR MECKEL. — SERRES. — L'œuvre de C.-ERNST Von BAER, ses critiques de la théorie du parallélisme, ses principes. — De Von BAER à DARWIN. La théorie du parallélisme ne s’est pas formée en un Jour, elle a eu des commencements loin- tains et modestes, et sans rechercher si vraiment, comme le prétend MECKEL, elle avait été pressentie par ARISTOTE, on peut, sans conteste, citer l’illus- tre HARVEY comme son premier parrain. Il devait d’ailleurs en être ainsi ; le rapprochement des stades embryonnaires et des formes animales inférieures ne pouvait échapper à l’observateur qui, le premier, vit le développement de l'embryon s'effectuer par des adjonctions et par des transformations successives, bien différentes du simple accroissement dans lequel on le faisait consister jusqu'alors. Aussi, en 1628, HaARvEY, dans son Traité des mouvements du cœur, s'exprime d’une manière très nette sur ce sujet : « Ainsi la divine nature, dit-il, ne faisant rien en vain, n’a pas donné de cœur aux animaux qui n’en 18 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION avaient pas besoin, et ne l’a pas créé avant que ses fonctions n’aient éténécessaires. Passant toujours par les mêmes degrés, chaque animal se forme en traver- sant pour ainsi dire les différentes organisations de l'échelle animale, devenant tour à tour œuf, ver, fœtus, et dans chacune de ces phases, arrivant à la perfection | p. 119] (1). (Sic natura perfecta et divina nihil faciens frustra, nec cuipiam animali cor addidit, ubi non erat opus, neque priusquam esset ejus usus, fecit, sed iisdeim gradibus in formatione cujuscunque animalis, transiens per omnium animalium constitu- tiones (ut ita dicam) ovum, vermem, fœtum, perfec- tionem in singulis acquirit. » Ces vues ne rencontrèrent d’abord aucun écho. L'idée que le développement comporte une série de transformations profondes, ou s’effectue par épigenèse comme le comprenait HARVEY, avait besoin des tra- vaux de G.-F. WoLrF pour prendre le rang qu’elle méritait. L’épigenèse une fois admise, la théorie du parallélisme devait nécessairement reparaître. Dès la fin du dix-huitième siècle, l’idée que les animaux supé- rieurs traversent, avant d'arriver à l’état adulte, les formes demeurées permanentes chez les animaux inférieurs, était professée en Allemagne par KiEL- MEYER, qui voyait dans le tétard du Batracien le représentant d’un Poisson. (1) Harvey. T'railé des mouvements du cœur el du sang chez les animaux (Trad. Charles RicHEeT, Paris, G. Masson, 1892). ‘“S 4 _ ; Li CHAPITRE II 19 A la même époque, en France, ETIENNE GEOFFROY SAINT-HILAIRE cherchait à rapprocher les différentes formes animales les unes des autres, et doit être considéré sans conteste comme un des plus brillants précurseurs des doctrines transformistes. À vrai dire, il n’a pas développé et exposé, comme l’a fait un peu plus tard MECKEL, la théorie du paral- lélisme, mais il admettait si bien une étroite corres- pondance entre les embryons des animaux supérieurs et les animaux inférieurs, qu'il s’est servi des pre- miers pour déterminer certaines parties des seconds. De plus, il a si bien compris l’importance du dévelop- pement pour expliquer les différences anatomiques des êtres, qu’il mérite à tous égards d’être cité comme un partisan convaincu des idées auxquelles se ratta- che si étroitement la théorie du parallélisme. Aussi le citerons-nous longuement. Dès ses premiers travaux, en 1706, il avait conçu l’idée de l’unité de plan desêtres vivants (1) : «Il sem- ble que la nature s’est renfermée dans de certaines limites, et n’a formé tous les êtres vivants que sur un plan unique, essentiellement le même dans son prin- cipe, mais qu’elle a varié de mille manières dans tou- tes ses parties accessoires. Si nous considérons parti- culièrement une classe d'animaux, c’est là surtout que (1) Toutes les citations de GEOFFROY SAINT-HILAIRE faites sans autre indication, sont empruntées au livre de son fils, Vie, travaux el doctrine scientifique d'Etienne Geoffroy Saint- Hilaire, par ISsIDORE GEOFFROY SAINT-HILAIRE, 20 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION son plan nous paraîtra évident : nous trouverons que les formes diverses sous lesquelles elle s’est plu a faire exister chaque espèce, dérivent toutes les unes. des autres ; 11 lui suffit de changer quelques-unes des proportions des organes, pour les rendre propres à de nouvelles fonctions, ou pour en étendre ou res- treindre les usages. Ainsi les formes, dans chaque classe d'animaux, quelque variées qu’elles soient, résultent toutes, au fond, d'organes communs à tous : la nature se refuse à en employer de nouveaux. Ainsi {outes les différences les plus essentielles qui affectent chaque famille dépendant d’une même classe, viennent seulement d’un autre arrangement, d’une complication, d’une modijication enfin de ces mêmes organes » [p. 134-135]. Ce passage ne suffirait pas pour faire admettre chez GEOFFROY SAINT-HILAIRE l’idée d’une transformation des espèces les unes dans les autres; il pourrait exprimer simplement l’idée du développement par la nature d’un plan: qui ne se modifierait plus une fois réalisé, mais nous verrons plus loin des citations bien plus explicites. En attendant nous exposerons d’autres idées anato- miques intéressantes du même auteur. Dans son Exposition d’un plan d'expériences, lu à l’Institut du Caire en 1800, GEOFFROY SAINT-HILAIRE se déclare convaincu : « que les germes de tous les organes que l’on observe, par exemple, dans les différentes familles d'animaux à respiration pulmo- naire, existent à la fois dans toutes les espèces, et que la cause de la diversité infinie des formes qui sont CHAPITRE II 21 propres à chacun, et de l’existence de tant d'organes à demi effacés ou totalement oblitérés, doit se rap- porter au développement plus considérable de quel- ques-uns ; développement qui ne s’opère toujours qu’aux dépens de ceux qui se trouvent dans le voi- sinage» [p.137]. Il revient plus tard sur le même sujet : il a observé, en 1806, « dans les gencives (chez un fœtus de Baleine) des germes de dents qui m'ont paru distribuées comme les dents elles- mêmes des Cachalots... On sait cependant que les Baleines adultes n’ont point de dents... J’airapporté cette observation pour donner une nouvelle preuve de la tendance de la nature à faire reparaître partout les mêmes organes, et pour faire voir que si quel- ques-uns de ceux qui appartiennent à des classes, manquent quelquefois dans certaines espèces, on en doit chercher la cause dans le développement exces- sif d'organes contigus ou voisins » [p. 157]. Et dans ce même mémoire, voulant déterminer les os du crâne des Poissons, il affirme, pour un cas particulier seulement il est vrai, sa croyance au parallélisme lorsqu'il dit : « Ayant imaginé de compter autant d’os (dans le crâne de l'Homme) qu’il y a de centres d’os- sification distincts et ayant essayé de suite cette manière de faire, j'ai eu lieu d’apprécier la justesse de cette idée : les Poissons, dans leur premier âge, étant dans les mêmes conditions relativement à leur développement que le fœtus des Mammifères, la théorie n’offrait rien de contraire à cette supposition » [p. 160]. On trouve aussi, dans GEOFFROY SAINT- VIALLETON. Problème évolution. 2 212 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION HILAIRE, une idée très précise de l’importance des organes rudimentaires, qui seront plus tard une des colonnes de l’œuvre de DarwIN. La notion de ces organes est déjà implicitement contenue dans la citation, rapportée plus haut, de son mémoire de 1800 ; il y insiste de nouveau en 1806. « On la voit (la nature) tendre toujours à faire reparaître les éléments, en même nombre, dans les mêmes circons- tances, et avec les mêmes connexions. S'il arrive qu’un organe prenne un accroissementextraordinaire, l'influence en devient sensible sur les parties voisines, qui, dès lors, ne parviennent plus à leur développe- ment habituel... , elles deviennent comme autant de rudiments, qui témoignent en quelque sorte de la permanence du plan général » [p. 156]. GEOFFROY revient encore sur les organes rudimentaires dans sa Philosophie anatomique, t. TI. p. 51-55. Enfin, il considère certains faits tératologiques comme une répétition de dispositions existant chez certaines espèces. Une anomalie de l’appareil repro- ducteur est expliquée comme l’état normal du Loris. « Une anomalie pour une espèce, dit-il, retombe dans ce qui est la règle pour une autre » [p. 257]. Toutes les modifications du plan unique d’organi- sation qu'il concevait, GEOFFROY SAINT-HILAIRE les attribuait à l’action du temps, des milieux et du fonctionnement. Il disait en effet dans sa Philosophie zoologique [p. 22]: «II n’est qu’un même mode de formation pour engendrer les faits organiques, soit que son action s’arrêtant de bonne heure donne les CHAPITRE II 23 animaux les plus simples, soit que cette action, per- sévérant jusqu’au terme de toute sa capacité possi- ble, amène la plus grande complication des organes, effectivement il ne saurait être ici question de mer- veille, mais de l’action du temps, mais de progrès dans le rapport de moins à plus ». Ailleurs, dans l’étude des diverses parties de l’ap- pareil de la respiration, il essaye de montrer (Philo- sophie zoologique, p. 130-131) comment elles sont modifiées et accommodées sur la nature diverse des deux milieux, l’air et l’eau, où elles sont appelées à entrer en exercice. Enfin l’histoire d’un hyoïde anor- mal témoigne de l’importance qu’il attribue au fonc- tionnement dans la transformation des organes : « Averti (dit-il dans sa Philosophie anatomique, t. I, p. 185, note) par l’histoire de l’organisation que des os n’acquièrent jamais un développement extra- ordinaire qu'il ne soit occasionné par un violent exercice des muscles qui y ont leur attache, je me persuadais que les dimensions de l’hyoïde que j'avais sous les yeux pouvaient tenir à la profession de l’in- dividu qui avait fourni cette préparation » on s’in- forma, et la réponse qu'il s'agissait d’un marchand d’habits criant sa marchandise dans les rues « m’ap- prit que je ne m'étais point abusé dans mon pressen- timent ». (/bid.) Enfin je citerai pour terminer un témoignage important qui précise la part de GEOFFROY SAINT- HiLaiRE dans la théorie du parallélisme, celui de SERRES son élève : « Au moment, dit SERRES (Aa- 24 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION tomie comparée du cerveau, 1824, t. I, p. 188) où l’idée que les Poissons sont pour un grand nombre de leurs organes des embryons permanents des classes supérieures devient en quelque sorte clas- sique parmi les zootomistes, la justice nous fait un devoir de rappeler que M.le professeur GEOFFROY SAINT-HILAIRE a le premier émis cette grande vérité» ; (etilcite la phrase rapportée plus haut p.21). Quand à la place qui revient à GEOFFROY SAINT- HILAIRE parmi les précurseurs du transformisme, elle est reconnue par tous les auteurs ; HAECKEL l’a bien mise en lumière dans son istoire de la création naturelle, 1874 [p. 103-104]. De neuf ans plus jeune qu'ÉTIENNE GEOFFROY SAINT-HILAIRE, JOH. FRIEDRICH MECKEL prenait le grade de docteur en 1802, puis venait à Paris, comme le firent, à cette époque et dans les années qui sui- virent, plusieurs de ses compatriotes, voyageait en Italie et rentrait en Allemagne au bout de peu d'années. Dès 1811,il indiquait, dans un mémoire spécial, Essai sur les ressemblances qui existent _entre l’état embryonnaire, etc., le parallélisme en- tre les phases embryonnaires des animaux supérieurs etles dispositions permanentes des êtres inférieurs (1). (1) N'ayant pu me procurer le travail de MECKEL, je fais cette citation d'après l'important mémoire de KEIBEL (1898). CHAPITRE Il 95 «Le même animal, disait-il, appartient, dans les différentes époques de son existence, par la disposi- tion de ses principaux organes, non seulement à des genres différents, mais même à des classes différen- tes ». Peu après, il donnait à cette théorie tout son développement et une publicité plus efficace en l’exposant explicitement dans son Manuel d’ Anatomie humaine, publié en Allemagne en 1815, traduit en français en 1825. Dans les règles générales de formation des orga- nismes, qui constituent la première partie de l’ana- tomie générale par laquelle commence le Manuel, il formule ainsi la règle VIII: « Aucun organe n’a exactement les mêmes qualités à toutes les époques de son existence. Nul ne ressemble parfaitement à lui-même dans toutes les phases de sa vie. Chaque organe, et par suite l'organisme entier, par- _ court certaines périodes qui lui sont assignées dans l’ordre normal et régulier » [p.43] (1). Il développe cette loi à laquelle il donne le nom de /o1 de déveloÿ- pement, dans diverses propositions secondaires, dont la 142 renferme l'exposé complet de la théorie du parallélisme. Elle est ainsi conçue: « Les degrés de développement que l'Homme parcourt depuis son ori- _gine première jusqu'au moment de sa maturité par- (1) Cette citation et toutes les autres du même auteur sont faites d'après la traduction française du Manuel d'Anatomie, par JoURDAN et BRESCHET. 926 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION faite, correspondent à des formations constantes dans la série animale » |[p. 491. Il appuie d’abord cette proposition sur des considé- rations générales: l’analogie plus grande des diverses parties et des diverses régions, le nombre moins considérable des organes, l’uniformité de couleur, la mollesse plus grande, la texture moins prononcée, la différence de volume relatif, la naissance des organes due à la réunion de plusieurs parties d’abord isolées [p.50]; puis il emprunte des exemples par- ticuliers aux différents systèmes organiques. Dans le système vasculaire, la veine omphalo-mésen- térique, qui se développe la première chez l'embryon, rappelle ce qu’on observe dans les Méduses. Le cœur qui, au début, se montre simplement sous la forme d’un point peu dilaté, peu musculeux, oblong du système vasculaire, est comparable à celui de la plupart des Vers. La séparation des oreillettes d'avec les veines caves représente le cœur de la plupart des Mollusques. Plus tard, la communication des deux ventricules rappelle ce qui existe chez la plu- part des Reptiles [p. 51]. Le système nerveux naît par l’adossement de deux cordons rappelant les deux cordons des Invertébrés. La moelle est plus longue dans le principe et descend plus bas dans le canal vertébral, chez l'Homme, de même que la moelle dorsale de la plupart des Poissons, des Reptiles, de tous les Oiseaux et de presque tousles Mammifères se porte jusqu’à l’extrémité postérieure du corps. Le peu d'épaisseur des parois des ventri- CHAPITRE I 21 cules et l’absence de circonvolutions à la surface du cerveau rappellent l’état de choses qui persiste chez les Vertébrés inférieurs [p. 52-53]. L’extrémité postérieure du canal intestinal demeure close plus longtemps que l’antérieure, comme on voit chez plusieurs Zoophytes la bouche faire en même temps fonction d’anus. Le canal intestinal est beaucoup plus simple durant les premières périodes de la vie fœtale, l'intestin grêle et le gros intestin ne sont pas encore séparés et l’estomac se distingue à peine. Les cavités nasale et buccale sont d’abord réunies, leur séparation est graduelle, on en trouve les étapes chez divers animaux [p. 53]. Les organes sexuels sont d’abord construits d’après un même type et leur forme primitive est celle des organes femelles. Les testicules du mâle restent longtemps cachés dans l’abdomen, disposition qui persiste chez la plupart des animaux. La matrice parcourt, en se développant, des formes perma- nentes dans la série animale. Elle a d’abord de lon- gœues cornes qui font songer aux oviductes séparés des Reptiles et des Poissons [p. 54-55]. Le système urinaire-est d’abord formé de deux reins, les deux reins sont réunis primitivement comme chez les Poissons et certains Reptiles, ils sont lobés comme chez la plupart des Vertébrés inférieurs à l'Homme [p 55]. Le thymus apparaît tard, mais il prend ensuite un orand développement et le fœtus ressemble à cet égard aux Rongeurs, aux Amphibies, et à plusieurs 28 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION plantigrades chez lesquels le thymus persiste toute la vie. dans son entier développement. La thyroïde est d’abord formée de deux lobes parfaitement distincts, comme chez la plupart des Mammifères [p. 55-56|. Le système osseux présente des analogies très remarquables, d’abord par son apparition tardive, puis par son évolution qui nécessite un passage à l’état cartilagineux, conservé chez certains Poissons. Enfin il n’y a pour ainsi dire pas un os quine passe, dans son développement, par plusieurs des formes qu’on sait être permanentes chez les animaux ; les vertèbres et les os du crâne sont formés chez l’em- bryon de pièces distinctes, qui restent séparées chez la plupart des animaux inférieurs jusqu’à l'Homme [p. 56-571. La forme extérieure de l’embryon parcourt aussi plusieurs formations inférieures. Le défaut de dis- tinction entre la tête et le tronc, dépourvu lui-même de membres, rappelle ce quia lieu dans les Vers et les Mollusques. Là où les membres paraissent pour la première fois dans la série animale, ils ne représen- tent que des moignons courts, sans doigts, tels que dans l'embryon. Dans beaucoup d'animaux les orteils sont jusqu’à un certain point réunis par une mem- brane natatoire, ce qui rappelle les doigts d’abord confondus dans l’embryon humain. Enfin la colonne vertébrale de ce dernier se terminesensiblement, dans le principe, par un petit prolongement analogue à une queue [p. 57-58]. Ces développements montrent qu'il est très légitime CHAPITRE II 29 de considérer J. FR. MECKEL comme le véritable créateur de la théorie du parallélisme. En même temps ils nous permettent de signaler un défaut de la théorie du parallélisme, très sensible dans l'exposé de MECKEL, mais qui se retrouvera plus ou moins marqué dans tous les auteurs qui développeront plus tard cette théorie. Ce défaut consiste en ce qu’elle est fondée sur le développe- ment des organes pris en particulier, car ainsi que le dit MECKEL lui-même, le même animal appartient «par la disposition de ses principaux organes» à des classes ou à des genres différents. Par la dispo- sition de ses principaux organes, c’est peut-être vrai, mais il n’en serait plus de même si l’on envisageait l’ensemble de l'embryon. À la même époque, E. KR. A. SERRES, en France, donnait un grand développement à la théorie du parallélisme. Il lui attribua un rôle important dans son Anatomie comparée du cerveau (1824), puis il la développa dans une série d’écrits qui se succédè- rent à de longs intervalles, de sorte que, chronolo- giquement, une partie de son œuvre devrait être exposée après celle de Von BAER, si une telle ma- nière de faire n’offrait des inconvénients tels qu’elle doit être abandonnée. Le livre qui renferme la doc- trine de SERRES est un volume extrait de l’Encyclo- pédie nouvelle, et intitulé «Précis d’'Anatomie trans- cendante appliquée à la physiologie» (1842). Dans cet ouvrage SERRES résume ainsi les rapports des 30 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION stades embryonnaires et des formes permanentes. « Considérée sous le rapport de l’organogénie, dit- il [p. 96], la série animale répète donc la série em- bryonnaire, l’une est la reproduction de l’autre; de telle sorte encore que les organismes de l’embryon revêtent transitoirement des caractères que ceux des animaux nous offrent en permanence, tandis que la série animale, à son tour, nous présente une succes- sion d’organismes fixes dont nous retrouvons passa- gèrement le type dans le cours de la vie embryon- naire». En unmot «/l’organogénie humaine est une anatomie comparée transitoire, comme à son tour l'anatomie comparée est l’état fixe et permanent de l'organogénie de l'Homme » [ibid. p.90]. Cette for- mule saisissante est souvent désignée en France sous le nom de loi de Serres. Le succès de la théorie du parallélisme fut en France très vif et très prompt comme l’indiquent les traducteurs du Manuel d’Anatomie de MECKEL, qui ajoutent, d’ailleurs avec beaucoup de sens, que ces idées ne reposent que sur des analogies éloignées [p. 50 note]. Leur témoignage montre que l’on était bien préparé dans notre pays à accueillir cette théo- rie puisqu'elle avait un si grand succès avant même l’apparition de la traduction française de MECKEL. On ne peut douter que cette préparation soit due à l’enseignement de GEOFFROY SAINT-HILAIRE et de SERRES. SERRES s’appuyait sur des recherches embryolo- giques défectueuses, de même ses connaissances sur CHAPITRE Il 31 les animaux Invertébrés étaient peu profondes; néanmoins il entrevit un fait qui devait plus tard, sous la plume de HAECKEL, prendre une portée considérable, c’est l'importance du tube digestif dans l'édification de l’organisme. « On voit donc, en premier lieu, dit-il en 1842, dans son Précis, comment le canal intestinal devient le régulateur des orga- nismes dans l’ébauche première de l’embryogénie» [p.191]. Et beaucoup plus tard, en 1860 (Mémoires de l’Institut) il développa ainsi cette pensée : « Chez l'embryon des animaux supérieurs, c’est le système digestif rudimentaire et le système sanguin composé de veines et d’artères, qui viennent s’ajouter à la masse animale qui le compose. La membrane ombi- licale vasculaire et la vésicule ombilicale serviront, la dernière d’estomac et la première de branchie. Dans cet état, l'embryon ne nous représente-t-il pas les Méduses, les Oursins et les Astéries ? L’essence de ces animaux réside en effet dans w#ne poche stomacale, dont les diverticules se prolongent dans l’animal, comme le fait la vésicule ombilicale par son pédicule dans l’embryon.. L’embryon et les Invertébrés ne sont-ils pas des animaux stomacaux?> (1) [p. 354]. Sans doute on ne peut comparer ces vagues indica- tions de SERRES au développement que donnera plus tard HAECKEL à cette pensée que le tube digestif est comme le centre autour duquelse dispose l’organisme, (1) Non souligné dans l'original. 32 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION mais il n’en est pas moins vrai qu’un rapprochement s'impose entre le terme «animaux stomacaux » et celui de gastræa. A la suite des généralisations de MECKEL et de SERRES, l’idée du parallélisme del’embryologie et de l'anatomie comparée se répandit très rapidement dans les écoles où elle était acceptée avec enthousiasme et aveuglement suivie. Nous avons déjà vu ce que l’on en pensait en France, d’un autre côté, le témoi- gnage de Von BAER que nous rapporterons bientôt montre qu’en Allemagne l'engouement pour elle n’était pas moins vif. Le grand ouvrage de VON BAER : Sur l’embryologie des animaux, observation et réflexion, t.1, 1828; t. II, 1837, est, suivant l'expression de KOELLIKER (1882, p. 13) «ce que la littérature embryologique de tous les temps et de tous les peuples peut offrir de meil- leur », de sorte que Vox BAER mérite d’être considéré comme le « véritable fondateur de l’embryologie com- parée» (ibid.); sa prééminence dans les sciences em- bryologiques est, d’ailleurs, en quelque sorte consa- crée par ce fait qu'Oscar HERTwIG place son portrait au frontispice du Traité d’'Embryologie expérimentale el comparée. Vox BAER divise en scolies et corollaires ses con- clusions générales sur le développement. On peut, d’après Oscar HERTWIG (1901, p. 41) distribuer les résultats obtenus par lui en trois catégories: 1° son > . opinion sur l’évolution et l’épigenèse; 2° la création CHAPITRE I 33 de types animaux d’après le développement ; 3° sa manière d’être vis-à-vis de la théorie du parallélisme. Nous développerons un peu ces trois points de vue de Von BAER en faisant de larges emprunts à son livre. 1° Il n’est partisan ni de l’évolution ni de l’épigé- nèse, mais prend une position moyenne entre les deux. Les corps organisés ne sont pas préformés, mais ils ne naissent pas non plus d’une masse informe; de quelque chose d’homogène et de com- mun sort peu à peu lhétérogène et le spécial, ou, en d’autres termes, tout ce qui est particulier a été d’abord contenu dans quelque chose de plus général. Chaque organe est ainsi une partie modifiée d’un organe plus général et on peut dire qu’il est déjà contenu avec toutes ses parties dans les organes fon- damentaux. Ainsi l’appareil respiratoire est une partie d’abord très petite, issue du tube digestif. Il était donc contenu dans ce dernier. Les différences entre les embryons au stade de la ligne primitive sont beaucoup plus grandes qu’entre adultes, et l’on a de la peine à comprendre comment des débuts si diffé- rents aboutissent au même résultat. Par conséquent, chaque état de l'embryon envisagé en lui-même ne gouverne pasl’avenir, mais est gouverné, et « l'essence (l'idée d’après la nouvelle école) de la forme pro- créante gouverne le développement du fruit» (Von BAER 1828, p. 148). 2° VON BAER décrit (1828, p. 259) quatre types fondamentaux d’après leur évolution : 1° le type 3/ UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION radié, dérivé d’un développement qui répète péri- phériquement des évolutions identiques à partir d'un point central (evolutio radiata); 2° le type mollusque dont le développement (evolutio contorta) enroule en une sphère des parties semblables; 3° le type articulé à développement symétrique (evolutio gemina) qui dispose les choses semblables surles deux côtés d’un axe en les conduisant à une ligne de fer- meture opposée à cet axe; 4° le type vertébré, à évo- lution bisymétrique (evolutio bigemina) qui dispose les parties identiques des deux côtés d’un axe et les ferme en dessus et en dessous de ce dernier, suivant deux lignes de clôture, de sorte que la couche interne du germe est fermée en dessous, la couche externe en dessus. En dehors du type, VON BAER distingue le degré de perfectionnement qui peut consister en un degré plus ou moins grand de différenciation morphologique et histologique. La différenciation morphologique re- pose sur une différence d’accroissement des organes primitifs en des portions d’inégale valeur et de fonc- tions diverses, par exemple celle du tubeintestinal en estomac, gros intestin, intestin grêle, poumon, foie, pancréas; celle du tube médullaire en moelle et cer- veau. La différenciation histologique consiste en ce que, de la substance d’abord uniforme des organes embryonnaires, sortent les différents tissus. La diffé- renciation morphologique diffère de l’histologique en ce qu’elle donne des différences relatives, tandis que ii CHAPITRE II 35 les différences histologiques sont antagonistes (1828, p. 153-159). 3° Pour ce qui regarde la théorie du parallélisme, Von BAER la considère comme injustifiée. Il com- mence d’abord par montrer l'influence qu'avait prise cette doctrine. Non seulement, écrit-il (1828, p. 199), on admettait couramment que les animaux supérieurs dans chaque stade du développement de leur indi- vidu, depuis leur origine jusqu’à leur .achèvement correspondent aux formes permanentes de la série animale, mais encore on ajoutait qu’il ne s'agissait pas là seulement d’une ressemblance générale, mais d’une véritable identité, comme si la concordance était parfaite même dans les détails. Puis on en vint facilement à penser, étant donné l’absence de Verté- brés dans les couches anciennes de la terre, qu’une telle transformation avait réellement un fondement historique, enfin on narra sérieusement et dans les détails comment ils étaient dérivés les uns des autres. Rien n'était plus facile. Un Poisson gagne la terre ferme, il irait volontiers se promener, mais il ne peut y employer ses nageoires. Elles se réduisent en largeur par manque d'usage et croissent en longueur. Cela se transmet aux enfants et petits enfants pendant quelques milliers d'années Alors il n’y a rien d’éton- nant à ce que les nageoires deviennent enfin des pattes. Ilest encore plus naturel que, comme le Pois- son ne trouve pas d’eau sur les prés, il cherche à aspirer de l'air. Par suite il arrive enfin, dans le même long intervalle, à posséder des poumons; il 36 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION suffit pour cela que quelques générations aient vécu sans respirer. — Le long cou des Hérons vient de ce que leurs ancêtres étendaient souvent cette partie pour chercher des Poissons. Les jeunes venaient au monde avec un cou un peu plus long, et cultivaient cette mauvaise habitude qui donnait un cou encore plus long à leurs descendants, de sorte qu'il est à espérer que lorsque la terre sera devenue bien vieille, le cou des Hérons n’aura plus de mesure [p. 200].— L'auteur raille et sa raillerie porte un peu à faux, car si elle montre l’impossibilité de faire venir un Vertébré terrestre d’un véritable Poisson, elle ne serait plus aussi justifiée si le point de départ se trou- vait être un de ces Poissons pulmonés découverts peu après cette époque, un Dipneuste, ou simple- ment un Amphibien Urodèle. Mais ce n’est pas pour prendre en faute le grand embryologiste que nous rapportons le passage ci-dessus, c’est pour bien faire voir, d’après un des témoins les plus autorisés, l’état où se trouvaient à cette époque les doctrines trans- formistes. L'adaptation, les effets de l’usage ou du non usage des parties, la transmission des caractè- res acquis et le temps étaient déjà connus comme facteurs essentiels des transformations. Après avoir exposé ce qu’il appelle l’opinion domi- nante, VON BAER en fait la critique. Il lui reproche d’abord [p. 201], de ramener à l’idée fausse de l'échelle animale, conception absolument insuffisante, parce qu’elle ne laisse ouverte au développement qu’une seule voie de transformation, alors qu’il en CHAPITRE II o1 existe de si diverses. Ensuite, après avoir rappelé la brillante découverte des fentes branchiales chez les embryons des Vertébrés supérieurs, que venait de faire RATHKE, et qui semblait donner à la théorie du parallélisme une si éclatante confirmation, il exa- mine les objections que l’on peut faire à cette théorie. Qu'il y ait quelque concordance entre les étapes embryonnaires de certains animaux et l’état définitif d’autres animaux, cela est tout à fait nécessaire et n’a pas la signification qu’on a voulu lui donner. De telles ressemblances ne peuvent manquer, car les embryons ne sont pas hors de la sphère du monde animal et les variations dont le corps est capable sont limitées pour chaque forme, par le rapport interne et l’action réciproque des organes, quelques répétitions sont donc nécessaires [p. 203]. Examinant ensuite les objections une à une, il fait remarquer d’abord [p. 204] que : 19 Si le développement individuel passe par les formes inférieures permanentes, on ne devrait rien trouver chez les embryons qui n’existe au moins dans quelque animal adulte; cependant aucun ani- mal ne porte avec lui sa nourriture dans un sac appendu à l'intestin. 20 Tous les embryons sont entourés d’eau, et ne respirent pas d’air directement. Ils ne peuvent donc répéter les insectes, qui ont avec l'air des rapports si directs et les embryons de Mammifères ne répètent pas non plus un Oiseau adulte. (Ces deux objections n’ont plus guère de valeur, ViALLETON. Problème évolution. 3 38 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION les dispositions auxquelles elles font allusion étant liées à l’adaptation de l'embryon à son milieu, on peut les regarder comme des acquisitions nouvelles indispensables, mais il n’en est pas de même de la suivante qui garde encore aujourd’hui toute sa force). 3° L’embryon des animaux supérieurs, à ses diffé- rents stades, ne devrait pas coïncider, dit VON BAER, avec les formes inférieures seulement par quelques particularités, mais par son ensemble. Mais cela n’est pas. Si l’on veut chercher l’organisation d’un Pois- son dans un embryon humain dont le cœur a une oreillette et un ventricule encore uniques et dont les doigts ne sont pas encore séparés, on ne lui trouve pas cette queue aplatie, ni mille autres choses qui appa- raissent bientôt chez tous les Poissons [p. 204-205]. II en est de même si l’on veut comparer une forme per- manente à un embryon d'animal supérieur. On dit que les Cétacés ont des caractères fœtaux, parce que leurs testicules sont dansl’abdomen, que certains n’ont pas de vraies dents, que leur sphénoïde est divisé en deux, etc. Mais les autres os du crâne des Cétacés se soudent bientôt et donnent ainsi une apparence de vieillesse. Leurs mâchoires sont longues quoiqu’elles soient d'autant plus courtes chez tous les Mammifères que l'embryon est plus jeune. La concordance avec le Poisson ou avec le Cétacé n’est donc pas la cause de l’organisation de l'embryon. 4° Il ne devrait y avoir, dans la formation de cer- tains animaux, aucun état qui se trouve seulement à l’état permanent dans les plus hautes formes. Et CHAPITRE II 3) pourtant cela est, non pas chez l'Homme, car il n’y a pas d'organisation plus haute, mais chez les Mam- mifères. Dans tous ceux-ciles mâchoires sont à l’ori- gine aussi courtes qu’à l’état définitif chez l'Homme. D'autre part un embryon d’Oiseau coïncide sous divers rapports avec un Mammifère achevé: il n’a pas de bec, ses membres sont semblables entre eux, son corps n’a pas de plumes, mais seulement un vrai duvet, il n’a pas de sacs aériens et ses poumons sont peu développés. Le cerveau des Oiseaux est beau- coup plus semblable à celui des Mammifères dans le premier tiers de la vie qu’à l’état adulte. Les yeux du petit Poulet sont plus rapprochés que plus tard et lui donnent un visage humain. Les jeunes Lézards possèdent un très gros cerveau. La larve de Gre- nouille a un véritable bec et un intestin très long qui ne se retrouve avec une telle longueur que chez certains Mammifères. Elle est d’abord sans queue, disposition des Mammifères supérieurs et pourtant la Grenouille achevée a une queue interne, le coccyx HD: 260 |: 5° Nous devrions voir naître les organes dans les différentes classes de la même manière qu’ils se for- ment dans l’embryon des animaux supérieurs, ce n’est pas toujours le cas. Le membre postérieur de beaucoup de Poissons ne consiste qu’en son segment terminal; dans l’embryon des animaux supérieurs c'est toujours la racine du membre qui apparaît la première. 6 Enfin les parties qui n’existent que chez les ani- 40 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION maux supérieurs devraient apparaître tard. Or, le tronc de la colonne vertébrale apparaît chez le Pou- let avant toute autre partie, comment le Poulet peut-il ressembler à un Invertébré ? [p. 206]. (Cette dernière objection ne porte plus aujourd’hui parce que les progrès de la science ont permis de trouver dans le développement du Poulet, avant la formation des protovertèbres, un stade gastrula représentant une forme appartenant au groupe des Invertébrés, mais le reste de l'argumentation de VON BAER n'est pas diminué par cela et demeure intact comme on va le voir). Pour avoir une idée nette des rapports des êtres entre eux il faut, dit VON BAER [p. 207], distinguer le degré de perfectionnement du corps — qui dépend d’une plus grande différenciation histologique et mor- phologique — du type d'organisation qui est donné par les rapports de la position des organes. Or l’em- bryon atteint peu à peu un degré de perfection tou- jours plus élevé, mais un type ne passe pas dans un autre [p. 219|. Le type fondamental se forme d’abord, puis, après, les variations subordonnées. Pour le prouver, VON _ BAER cite l'exemple bien des fois repris depuis de la grande ressemblance que présentent entre eux les embryons des Vertébrés supérieurs: «Les embryons des Mammifères, des Oiseaux, des Lézards, des Ser- pents et probablement aussi ceux des Tortues, se ressemblent beaucoup pendant les premières phases de leur développement tant dans leur ensemble que CHAPITRE II A par le mode d’évolution des parties. Cette ressem- blance est même si parfaite, que nous ne pouvons les distinguer que par leur grandeur. Je possède conservés dans l’alcool deux petits embryons dont j'ai omis d'inscrire le nom, et il me serait actuelle- ment impossible de dire à quelle classe ils appar- tiennent Ce sont peut-être des Lézards, des petits Oiseaux, ou de très jeunes Mammifères, tant est grande la similitude du mode de formation de la tête et du tronc chez ces animaux. Les extrémités, il est vrai, manquent encore, mais eussent-elles été dans la première phase de leur développement qu’elles ne nous auraient encore rien appris; car les pieds des Lézards et des Mammifères, les ailes et les pieds des Oiseaux, et même les mains et les pieds de l'Homme, partent tous de la même forme fonda- mentale » [p. 221]. On voit donc, dit-il (b1d.), que d’un type plus général dérive un type plus spécial. Ainsi embryon de Poulet est, d’abord par son rachis un Vertébré, rien de plus. Avec l’allantoïde, c’est un Vertébré non aquatique, plus tard les sacs aériens indiquent l’Oiseau dont les caractères s’accusent encore par les ailes; la membrane qui reliait les doigts disparaît de sorte que le petit Poulet se carac- térise comme un Oiseau terrestre ; son bec, ses pattes vont d’une forme générale à une plus particulière, enfin il prend les caractères d’un Poulet domestique. Moins le développement estavancé, plus se ressem- blent des animaux très hétérogènes. Plus deux for- mes sont différentes, plus il faut remonter haut dans a RE de 49 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION leur développement pour trouver une concordance. Von BAER résume toute sa discussion par cette phrase : « le développement individuel des animaux supérieurs ne traverse pas les formes permanentes des animaux inférieurs » [p. 224] et il développe cette idée dans les quatre propositions suivantes : 1. Ce qui est commun à un plus grand groupe d'animaux se développe plus tôt dans l'embryon que ce qui est particulier. 2. Des dispositions les plus générales dérive quel- que chose de moins général, et ainsi de suite jusqu’à ce qu'enfin arrive ce qui est le plus spécialisé. 3. Chaque embryon d’un animal donné, au lieu de traverser les autres formes déterminées, se distin- vue au contraire de celles-ci. 4. Au fond, l'embryon d’une forme supérieure ne ressemble jamais à un autre animal, mais seulement à l'embryon de ce dernier [p. 224|. Ces principes ont une importance capitale Ils ont subi l'épreuve du temps sans rien perdre de leur exactitude ni de leur force comme on le verra plus loin, et ils condamnent absolument la théorie du pa- rallélisme. Cependant ils sont peu connus ; HAECKEL, dans l’historique des doctrines embryologiques qu’il a donné dans ses livres, et qui est pour beaucoup l'unique source de renseignements sur ce sujet, n’a mis en évidence qu’une partie des idées de Vox BAER, oubliant celles qui n’étaient pas favora- bles à ses vues. Pour que l’on en puisse juger je donnerai ici, après les citations textuelles de * CHAPITRE II 43 l’'Embryologie des animaux rapportées plus haut, l’ex- posé de ce que HAECKEL appelle «la loi de Vox BAER» (Anthropogénie, trad. française, 1877, p. 390). « Le développement d’un individu appartenant à une classe zoologique quelconque s’opère conformément à deux données générales : premièrement, il y a perfectionnement continu du corps animal par l’effet d’une différenciation histologique et morphologique toujours croissante ; secondement, la forme générale du type se modifie en une forme plus spéciale. Le degré de perfection du corps animal est déterminé par le plus ou le moins d’hétérogénéité des éléments et des diverses parties d’un appareil complexe, en un mot par le plus ou le moins de différenciation histo- logique et morphologique. Le type, au contraire, dépend de la position relative des éléments orga- niques et des organes. Le type est absolument indé- pendant du degré de perfection : un même type peut se retrouver à divers degrés de perfection et, inver- sement,un même degré de perfection peut être atteint dans les divers types.» (1) Toutes ces idées sont bien de VON BAER, maiselles n’expriment pas toute sa pensée ; 1l faut, pour l’avoir tout entière, y ajouter les conclusions rapportées ci- dessus et qui ne les contredisent point, mais les com- (1) HAECKEL donne exactement le même exposé de la « loi de Vox BAER » dans la IVe édition de son Anthropogénie, 1891, | F 1 P- 47-48, 44 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION plètent naturellement comme on peut le voir par l’analyse détaillée que nous avons donnée de l’Em- bryologie des animaux. Les vigoureuses critiques de Von BAER paraissent avoir modéré l'enthousiasme pour la théorie du paral- lélisme. Toujours professée par quelques savants, cettethéorie quitta la place privilégiée qu’elle avait occupée et passa au rang d'opinion individuelle assez répandue évidemment (1), mais discutée, ne s’impo- sant pas, sort qu’elle partagea avec les idées transfor- mistes si fortement exprimées dans les premières années du siècle, comme on l’a vu plus haut. Et cela se comprend aisément ; VON BAER confirmait, par l’embryologie, l’existence des types établis d’après l’anatomie comparée par Cuvier. Or, toutes les fois que l’idée de type devient prédominante, celle de la dérivation généalogique des êtres les uns des autres s’affaiblit. Cependant, les théories embryologiques et les idées transformistes, qui avaient passionné les esprits, n'étaient pas oubliées, mais elles ne tenaient plus le (1) Un précieux témoignage de l'influence qu'avait conservée la théorie du parallélisme nous est fourni par H. Miine- EDWaARDS, qui croit devoir la combattre longuement [p. 89- 115] dans son /ntroduction à la Zoologie générale (1851) et plus tard (1857) dans le tome Itde ses Lecons sur la Physiologie, etc. [p.28 et suivantes]. Le soin qu'il apporte à sa réfutation prouve que cette théorie gardait encore à cette époque des partisans convaincus, CHAPITRE II 45 premier rang, parce qu’elles manquaient de preuves convaincantes, aussi bien d’ailleurs que l'opinion adverse, ce qui laissait la carrière largement ouverte aux discussions des polémistes et permettait à HUXLEY, par exemple, dese déclarer transformiste lorsqu'il se trouvait en présence de partisans de la fixité de l'espèce, et convaincu de cette dernière, au con- traire, s’il discutait avec des transformistes, comme il le raconte lui-même dans la Vie et Correspondance de Darwin, t. II, p. 22. Les choses changèrent avec le livre de DARWIN. L’'immense quantité d'observations accumulées par lui, sa trouvaille de la sélection naturelle, qui em- pruntait à sa comparaison avec la sélection artifi- cielle des éleveurs une valeur presque expérimentale, enfin les notions bien étudiées de l’adaptation et de Phérédité semblèrent donner la cause et le méca- nisme des transformations qui avaient échappé jus- qu’alors, et la position du transformisme fut profon- dément changée. L’idée que le monde vivant n’est pas le résultat d’une création une fois donnée, mais d’une évolution prolongée, s'installa peu à peu dans les esprits et n’en sortira plus, même si les facteurs et le mécanisme invoqués par DaARwIN doivent faire place à d’autres, et si l’idée d'évolution élargie perd de la précision et aussi de l’étroitesse qu’elle avait dans les conceptions de l’illustre savant anglais. CHAPITRE III HISTORIQUE (suite) DARWIN, la part qu'il fait à l'embryologie. — FriTrz MüLLER, l'embryon récapitule le développement de l'espèce, mais cette récapitulation est falsifiée et abrégée. — HAECKEL (Morphologie générale des organismes, 1866), la théorie de la récapitulation est acceptée comme thèse, non comme loi. — HAECKkEL (Histoire de la création naturelle, 1868). — Théorie de la Gastræa (1873), distinction des principales formes embryonnaires. — Giarp, embryogénies dilatées et embryogénies condensées. — HAECKEL, la théorie de la récapitulation est élevée à la hauteur de « loi biogénétique fondamentale ». La Palingenèse et la Cénogenèse. La «Phy- logénie systématique des Vertébrés».— Coup d'œil sur l'état de la question après les premières publications de HAECKEL jusqu'à nos jours. — Les critiques de la loi biogénétique, KOELLIKER, HENSEN, OPPEL, MEHNERT, KEIBEL, OsC. HERT- WI1G.— ED. PERRIER et la tachygenèse. DARwIN n’accorda pas une grande place dans son livre à l’embryologie. Il se servit (1862, p. 614) de la mésaventure de Von BAER ne pouvant plus recon- naître des embryons non étiquetés, pour affirmer la similitude initiale d’êtres plus tard très distincts. Il fit remarquer en outre, qu’ « on retrouve des traces de la loi de ressemblance embryonnaire, parfois jus- qu’à une phase avancée de la vie de l’animal; ainsi CHAPITRE II 41 des Oiseaux du même genre, ou de genres proche- alliés, ont souvent leur premier et mêmeleur second plumage semblables, ainsi que nous le voyons dans les plumes tachetées du groupe des Merles. Dans la tribu des Chats, la plupart des espèces sont rayées ou tachetées par lignes ; et la fourrure des Lionceaux ou des jeunes Pumas est parfois très distinctement rayée ou tachetée » [p. 614]. Si l’on peut considérer chaque embryon «comme un portrait plus ou moins effacé de la commune forme-mère de chaque grande classe d’animaux » [p. 628] c’est que les «variations survenues à une phase quelconque de la vie de l’indi- vidu sont héritées par sa postérité à un âge corres- pondant»[p. 613]. Quelques années plus tard (1864), FRiTz MüL- LER(1) fut amené à reprendre la question du paral- lélisme des formes embryonnaires et des états adul- tes des animaux inférieurs, et trouva l’importante correction qu’il convenait d'apporter à l’absolutisme de cette loi, correction qui seule pouvait lui per- mettre de persister en face des progrès des connais- sances embryologiques. Désirant éprouver la justesse des vues de DarwIiN en les appliquant à un groupe déterminé d’animaux, et en essayant d’établir l’arbre (1( Frirz MüLLer. Für Darwin (1864). — Les citations que nous donnons de cet ouvrage sont empruntées à la traduction française de DeBray in Bulletin scient, du département du Nord, t. XV, 1883, 48 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION généalogique de ce groupe, il choisit pour cela les Crustacés. Après avoir étudié leur développement et leurs formes larvaires, il les considère au point de vue dela théorie de DARWIN, estimant que sice dernier avait déjà examiné les conclusions qui résultent de ses hypothèses pour le domaine de l’embryologie, il était cependant nécessaire de poursuivre les choses un peu plus loin qu'ilne l’avait fait. Il fit remarquer d’abord que les modifications par lesquelles les jeunes s’éloignent de leurs parents peuvent se produire à un âge plus ou moins avancé. Les descendants atteignent un nouveau but, soit en s’'écartant tôt ou tard du chemin qui mène à la forme paternelle, soit en parcourant ce chemin, à la vérité sans le quitter, mais au lieu de s'arrêter à la forme paternelle, en continuant à s'avancer au delà » [p. 29]. « Dans le premier cas, l’histoire du dévelop- pement des descendants ne coïncidera avec celle des parents que jusqu’au point où leurs chemins se séparent, elle n’apprendra rien sur leur organisation à l’état adulte. Dans le second cas, le développement des parents tout entier sera parcouru aussi par leurs descendants, et tant que l’origine d’une espèce reposera sur ce second mode de perfectionnement, le développe- ment historique de l'espèce sera représenté dans son histoire de développement ». Ainsi, « dans le court laps de temps de quelques semaines ou moins, les formes changeantes des embryons et des larves repro- duiront devant nous, plus ou moins complètement, plus ou moins fidèlement, l’image des variations par CHAPITRE III 49 lesquelles l'espèce, dans le cours d'innombrables siè- cles, s’est élevée, en luttant, à sa position actuelle » [p. 29]. La théorie de la récapitulation est ainsi exposée d’une manière générale, mais FRITZ MüLLER insiste encore sur le degré d’exactitude que peut présenter cette récapitulation. L’ordre chronologique du déve- loppement peut être modifié; l’arrivée précoce de caractères acquis plus tard est un avantage qui, con- servé par la sélection naturelle, imprime un raccour- cissement au développement. D'autre part, les témoi- gnages ancestraux déposés dans l’histoire du déve- loppement peuvent être altérés par la lutte pour Pexistence, qui agit sur les larves en les transformant et en leur apportant de nouveaux caractères. Toutes ces perturbations peuvent être résumées dans la phrase suivante: « le témoignage historique conservé dans l'histoire du développement s’efface progressive- ment, le développement prenant un chemin de plus en plus direct de l'œuf à l'animal achevé et ce témoignage est souvent altéré par la lutte pour l'existence que les larves libres ont à soutenir » [p. 31]. En résumé, les rapports embryologiques des êtres peuvent être formulés ainsi: « l’histoire ancestrale de l'espèce sera conservée dans l’histoire de son dévelop- pement, d'autant plus complètement que la succession des stades de jeunesse qu’elle parcourt d’un pas uni- forme sera plus longue, et d'autant plus fidèlement que la manière de vivre des jeunes s'éloignera moins de celle des adultes, que les caractères des siades particu- 50 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION liers de jeunesse paraîtront moins résulter, soit d'un transport d'une époque postérieure à une époque anté- rieure de la vie, soit d’une acquisition indépendante » [p. 351: Comme on le voit, FRriTz MüLLER transformait la théorie du parallélisme en celle de larécapitulation II faisait du même coup de l’embryologie une des sources principales pour la recherche et pour la démonstra- tion des liens génétiques quirelient lesdifférents êtres. En même temps il apportait à cette théorie l’ingé- nieuse correction de la falsification qui lui a permis de franchir sans encombre, malgré des contradictions sans cesse renouvelées, la longue période qui s’étend de 1864 à ces toutes dernières années. Et maintenant arrivons à l’auteur qui a le plus con- tribué à étendre et à vulgariser la théorie de la récapi- tulation, à celui qui a voulu en faire une loi biologique de premier ordre et en réalité la «loi biogénétique fondamentale », à ERNST HAECKEL. Dans son grand ouvrage intitulé Morphologie géné- rale des organismes (1866), HAECKEL, cherchant à éta- blir les rapports qui existent entre le développement - de l'individu et celui de l’espèce, formula [t.Il, p.300] les propositions suivantes, pour lesquelles il crée toute une terminologie très propre à exprimer les idées nouvelles issues des méditations de FRITz MüLLER et des siennes propres: « 40. L’ontogenèse ou le développement de l’indi- vidu organique, comme la série de changements de Dre © 7 CHAPITRE III 51 forme que chaque organisme parcourt pendant le temps de son existence, est directement causée par la phylogenèse ou le développement du tronc organi- que (phylon) auquel il appartient. 41. L’ontogenèse est une récapitulation courte et rapide de la phylogenèse causée par les fonctions physiologiques de l’hérédité (reproduction) et l’adap- tation (nutrition). 42. L’individu organique (comme lindividu morphologique du 1°r jusqu’au 6€ ordre) répète, pen- dant son court développement individuel, les plus importants changements de forme que ses ancêtres ont traversés, d’après les lois de l’hérédité et de l’adaptation, pendant le long temps de leur dévelop- pement paléontologique. 43. La répétition complète et fidèle du dévelop- pement phylétique par l’ontogénétique est effacée et raccourcie par contractions secondaires, car l’onto- genèse suit un chemin toujours plus court. Par consé- quent la répétition est d’autant plus complète que la série des états jeunes parcourus est plus longue. 44. La répétition fidèle et complète du dévelop- pement phylétique est falsifiée et changée par desadap- tations secondaires, parce que l’être (bion) s'adapte à de nouveaux rapports pendant son développement individuel. Par conséquent, la répétition est d’autant plus fidèle que les conditions d’existence du bion et de ses ancêtres sont plus semblables. » Tout d’abord HAECKEL ne prétend pas donner ces propositions comme des lois de la morphologie 1# 2 fi ci sie UE 592 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION organique, mais seulement comme une impulsion et une indication pour la recherche de ces lois, et il insiste sur ce qu'il ne les intitule pas théories ou lois, mais simplement thèses, qu’il espère bien voir déve- lopper en lois par l’œuvre de ses successeurs [t. II, bp: 205, rnoterr|: La morphologie générale des organismes fut bien- tôt suivie de conférences faites par son auteur sur « la Création expliquée par les lois naturelles ». Ces leçons furent réunies en 1868 en un volume: Natür- liche Schôpfungsgeschichte, qui eut un grand reten- tissement et fut le premier des écrits de vulgarisa- tion par lesquels HAECKEL rendit les doctrines trans- formistes accessibles à tous. Bientôt après 1l dévelop- pait et complétait la loi de la récapitulation, d’abord dans sa monographie des Eponges calcaires (1872), et surtout dans sa célèbre théorie de la Gastræa (1873), dans laquelle, utilisant les travaux embryologiques de ses devanciers, il distinguait une série de formes lar- vaires typiques, représentant chacune un stade de l’évolution phylogénétique. Nous les citerons en empruntant leur description à la première édition française de l’Histoire de la Création, qui parut l’an- - née suivante (1874). Dans le règne animal, le premier degré de la vie organique est représenté, — je cite presque textuel- lement, en abrégeant seulement un peu — d’après HAECKEL, par de simples monères nées par généra- tion spontanée. Un fait nous atteste encore aujour- d’hui l’existence de cette forme organisée, c’est la CHAPITRE III 53 disparition du noyau dans la cellule ovulaire après la fécondation. Par suite de cette disparition, l’ovule n’est plus qu’une cytode sans noyau ; il ressemble à une monère [p.438] Ce fait indique un retour phylo- génétique de la forme cellulaire à la cytode primitive. Cet œuf, cytode sans noyau, peut recevoir le nom de Monerula. La seconde phase ontogénétique consiste en ce qu’un nouveau noyau se forme dans la monerula, et l'œuf regagne son rang de vraie cellule, stade Ovulum (devenu dans les ouvrages ultérieurs de HAECKkEL, le stade Cyfula) La cellule simple à noyau ou l'animal primitif monocellulaire, dont les amibes actuelles nous présentent encore des spéci- mens, constituent donc la deuxième forme ances- trale. Cette forme consistait, par conséquent, en un organisme primitif semblable à une amibe, et d’où le règne animal tout entier est provenu. L'état monocellulaire servit de base à un état poly- cellulaire aussi simple que possible, à une collection, à une association de cellules simples et homogènes. Cette association nous est montrée dans l'œuf segmenté formant un amas sphérique de cellules nues, homogènes, ressemblant dans son ensemble à une mure (stade Morula) [p. 439]. L'association primitive d’amibes que la morula représente transitoirement peut s'appeler Synamæba. De la synamæba sortit, au commencement de la période Laurentienne, un quatrième type morpholo- gique, la Planæa, composée de deux sortes de cellu- VIALLETON. Problème évolution. 4 54 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION les, les unes amœæboïdes, les autres externes et ciliées. Dans l’ontogenèse des animaux inférieurs on observe la transformation de la morula en une larve ciliée, la Planula. De la planula dérive dans l’ontogenèse une Gas- trula qui ressemble à la planula, mais s’en distingue parce qu’elle renferme une cavité communiquant avec l'extérieur par un orifice [p. 440]. La cavité est le premier rudiment de l’intestin et de l’estomac, c’est le progaster (ou aussi archenteron, dans les éditions suivantes), son orifice est le rudiment de la bouche, c’est le prostoma (ou, plus tard, le blastopore).La paroi de cette cavité digestive, qui est en même temps celle de la gastrula tout entière, est constituée par deux couches de cellules : une externe ciliée (exoderme), une interne non ciliée (entoderme). « La gastrula est si commune dans l’ontogénie des groupes zoologiques les plus divers, depuis les Zoo- phytes jusqu'aux Vertébrés, que les grandes lois biogénétiques nous autorisent à en déduire l’exis- tence durant la période Laurentienne d’un type primitif ayant servi de souche commune aux six grands groupes zoologiques. Nous donnerons à cette forme primitive le nom de Gastræa » [p. 441]. La théorie de la Gastræa eut une grande impor- tance pour la diffusion des doctrines transformistes, parce qu’elle apportait un lien entre des formes profondément séparées et parce qu’elle fournissait, comme base aux spéculations morphologiques du transformisme, un type concret quileur avait un peu RE OT +40 2-1 L _ - : Æ EX. CHAPITRE III 59 manqué au début.Il est facile de se rendre compte des services rendus par HAECKEL à ce point de vue. La lecture de l’Origine des espèces n’est pas pré- cisément très facile. Ce n’est point, en effet, un livre de vulgarisation, « c’est un résumé très serré, trop serré peut-être pour les profanes», écrivait LYELL à DARwWIN (Vie et Correspondance de Darwin, t. TI, p. 36). «dans une prochaine édition, vous pourrez çà et là insérer quelque exemple réel pour alléger le nombre des propositions abstraites». Les écrits de HAECKEL, en apportant les schémas anatomiques dont la gastrula est un des plus typiques, fournirent ces exemples que demandait LYELL, aussi leur suc- cès fut-il très vif auprès du grand public, et les lecteurs de l’Origine des espèces sont peut-être beaucoup plus faciles à compter que ceux de l’AHis- toire de la Création et de l’Anthropogénie, qui vint ensuite. La première traduction française de l’Ais- toire de la Création naturelle (1874), qui renferme un abrégé de la théorie de la gastræa, eut un retentisse- ment considérable. On me permettra pour en don- ner un témoignage — qui confirme en même temps ce que je disais plus haut du rôle de HAECKEL dans la vulgarisation du transformisme — de citer l’opinion d’un grand écrivain français, bien qu’il ne s’agisse pas du tout d’un naturaliste. FLAUBERT écrivait à GEORGES SAND, en juillet 1874 (1): « Je viens de lire (1) Lettres de G. Flaubert à G. Sand, précédées d'une étude par Guy DE MAUPASSANT Paris, 1874, Charpentier. SRE RS AL DS tt CORTE N 1 4 La Rè D UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION la Création naturelle de HAECKEL, joli bouquin, joli bouquin ! Le darwinisme m'y semble plus clairement exposé que dans les livres de DARWIN même » [p. 255]. Cependant après l’apparition de la Gastræatheorie les idées de HAECKEL continuaient à évoluer. Mais avant d’entrer dans l'exposition de ses vues nouvel- les, il convient, pour respecter l’ordre chronologi- que, d'indiquer la part qui revient à un zoologiste français dans le développement de la théorie de la récapitulation. Très familiarisé avec la lecture des œuvres étran- cères, À. GIARD fut un des premiers à propager en France les idées de FRiTz MüLLER et de HAECKEL. De très bonne heure il avait compris toute la portée du principe de la récapitulation du développement et il lui avait donné une place importante dans la direction des études zoologiques. «Dans presque tous les groupes du règne animal, disait-1il dès 1874 (Em- bryogénie des Ascidies) [Association française, 3° ses- sion, p. 451], à côté d’espèces dont l’embryogénie suit un cours régulier et présente successivement la répétition explicite de toutes les formes ancestrales, on rencontre d’autres types parfois très voisins et à peine distincts au point de vue anatomique, dont le développement est, au contraire, abrégé et condensé de façon à laisser peu de place à ce qu’on appelle de vraies métamorphoses ». Il ajoutait plus loin [p. 452]: «Je pense donc qu’il existe dans le groupe 2 À CHAPITRE JT 57 des Tuniciers, comme dans bien des autres branches de l’arbre zoologique : 1° des formes qui ne sont que la continuation ou l’exagération de l’état larvaire de la classe (Appendicularia); 2° des formes à embryo- génie explicite et régulière (Ascidia); 3° des formes à embryogénie abrégée et condensée (certaines Mol- gœula) ; ou, d’une façon plus générale, chez les Ver- tébrés : 1° Téléostéens, 2° Batraciens, 3° Sauroïdes et Mammifères ». Dès ce moment, A. Giarb employait donc des termes spéciaux bien choisis pour distinguer les diffé- rentes formes d’embryogénies, et désignait comme embryogénie explicite ou « dilatée » [p. 457] et em- bryogénie condensée, les formes du développement que HAECKEL ne caractérisera que bien plus tard sous les noms de palingenèse et cénogenèse. Les idées de GIARD se propagèrent très vite en France, grâce à ses travaux et à son enseignement, puis aussi au court mais substantiel chapitre: « Principes géné- raux de la biologie», qu’il publia comme introduction a la traduction française des «Eléments d'anatomie comparée des animaux Invertébrés, par HUXLEY » (1877). Ce livre répandit parmi les étudiants d’alors la notion d’embryogénie dilatée et d'embryogénie con- densée qui devint ainsi classique en France, bien avant l’introduction des mots cénogenèse et palin- genèse (1). (1) Voyez aussi, pour le développement des idées de A. GIARD 8 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION Comme on l’a dit plus haut, HAECKEL développa constamment la théorie de la récapitulation à laquelle il attribua une valeur de plus en plus grande et dont il fit bientôt la «/oi biogénétique fondamentale » (2) (Natürliche Schôpfungstheorie, 7e édition, 1889). La 4° édition de son Anthropogénie, 1891, contient l’ex- posé détaillé de ses idées, que nous résumerons fidè- lement. L’ontogénie et la phylogénie, dit HAECKEL (An- thropogenie, IVe édit. allemande, p. 6 et suivantes), sont dans la plus étroite dépendance et l’une ne peut être comprise sans l’autre. Ce n’est que par l’union intime et par le complément réciproque que se prêé- tent ces deux divisions de la science, que la biogénie ou histoire du développement organique s'élève au rang d’une science naturelle philosophique. Car leur connexion n’est pas simplement extérieure et super- ficielle, mais profondément intime et causale. Cette importante connaissance est une acquisition récente sur toutes ces questions, Controverses transformistes, par A. GIARD, Paris 1904. (2) L'expression «loi biogénétique fondamentale » se trouve déjà dans différents passages des œuvres de HAECKkEL anté- rieures à 1889, et notamment en tête de la page 5 de l'édition française de l'Anthropogénie (1877), et dans l'Histoire de la Créalion naturelle, p. 441, mais c'est seulement en 1889 que HAECKEL lui accorda toute sa valeur et en fit la loi essentielle du développement. CHAPITRE III 59 et trouve son expression la plus claire et la plus pré- cise dans la loi générale que j'ai appelée loi fonda- mentale du développement organique ou, briève- ment, « loi biogénétique fondamentale ». Cette loi peut être exprimée ainsi: L’histoire du germe est un abrégé de l’histoire de l'espèce; ou en d’autres termes, l’ontogénie est une récapitulation de la phylogénie..... La nature causale du lien qui unit le développement du genre à celui de l’espèce est fondée sur les faits d’hérédité et d’adaptation. Quand on a bien compris cette proposition et quand on a saisi son importance pour la formation des organismes, on peut faire un pas de plus et dire: La phylogenèse est la cause mécanique de l’ontogenèse. La chaîne des formes qui constitue la série des ancêtres des animaux supérieurs et de l’homme est toujours un tout bien lié que l’on peut représenter par les lettres de l’alphabet A,B, C, D, E, etc. jusqu’à Z. Cependant, par une contradiction apparente, le développement individuel ou l’ontogénie de la plupart des organismes ne nous présente que des fragments de cette série, si bien que l'on pourrait représenter l’'enchaînement lacunaire des formes par A, B, D, E, H, K, M, etc. ou, dans d’autres cas, par B, D, H, L, M,N, etc. Souvent encore, pour conserver l’image de l'alphabet répété, nous verrons une ou plusieurs lettres des formes souches remplacées par des lettres d’un même son, mais appartenant à un autre alpha- bet, un & ou à à la place des lettres romaines corres- pondantes. Ici l'expression de la loi biogénétique a 60 UN PROBLÈME DE L ÉVOLUTION été changée ou faussée, tandis que dans les cas précédents elle était raccourcie [p. 7-8]. En fait, il existe toujours un certain parallélisme entre les deux séries de développement, mais il est troublé parce que la plupart du temps, dans le cours de l’ontogénie, beaucoup de choses disparaissent, qui ont existé dans la chaîne et réellement vécu... Cette reproduction de la phylogénie dans l’ontogénie est rarement complète et correspond rarement à toute la série des lettres de l’alphabet. Dans la plupart des cas ce résumé est très incomplet et changé, troublé ou faussé par des causes que nous apprendrons plus tard à connaître. À cause de cela, nous ne sommes pas en état de donner, avec le seul concours de l’ontogénie, une description détaillée de toutes les formes qu’ont traversées les ancêtres de chaque orga- nisme. Mais l’anatomie comparée permet de jeter un pont par dessus ceslacunes. Aussi est-il très précieux de connaître un grand nombre de formesinférieures, qui sont reproduites encore maintenant dans le développement de l'Homme {p. 8]. (Ici l’auteur énu- mère certaines de ces formes, mais comme nous les citerons plus loin toutes, nous passons et nous arri- vons aux définitions suivantes). Nous appelons processus palingénétiques (ou répé- titions de l’histoire des germes) tous les phéno- mènes qui, dans le développement individuel, ont été fidèlement transmis de génération en génération par l’hérédité conservatrice et qui permettent par consé- quent de conclure à l'existence de processus corres- CHAPITRE II 61 pondants dans l’histoire phylogénétique des êtres Cp. 91- Nous appellerons par contre processus cénogéné- tiques (ou troubles de l’histoire du germe), tous les phénomènes de cette évolution que l’on ne peut pas ramener à un semblable héritage de très anciennes formes de la souche, et qui au contraire sont survenus plus tard par adaptation des embryons ou des formes jeunes à certaines conditions de leur développement. Ces phénomènes cénogénétiques sont des apports étrangers, qui ne permettent aucune conclusion immédiate à des processus correspondants dans l’his- toire de l'espèce, et bien plus masquent et faussent la reconnaissance de celle-ci [p. 10]. Nous devons regarder comme palingénétiques: la formation des deux feuillets germinatifs primaires et de l’intestin primitif, l’'ébauche insegmentée du tube nerveux dorsal, l'apparition d’une corde dorsale sim- ple, la formation passagère des arcs branchiaux et des fentes branchiales, des reins primitifs, etc. [p. 10]. Sont au contraire cénogénétiques: la formation du sac vitellin, de l’allantoïde et du placenta, de lamnios et du chorion, en général des différentes enveloppes de l’œuf et de leurs vaisseaux, en outre Pébauche paire du cœur, la séparation précoce de la plaque vertébrale et de la plaque latérale, la fermeture secondaire de la paroi ventrale et de la paroi intes- tinale, la formation du cordon ombilical, etc. [p.11]. Nous devrons donc donner à notre loi biogénéti- que fondamentale cette signification plus précise : Tu rt - SNA, OU PTS PET SEMI 62 UN PROBLÈME DE L ÉVOLUTION « le développement du germe (ontogenèse) est une répétition resserrée et abrégée du développement de l'espèce (phylogenèse). Cette répétition est d'autant plus complète que le résumé originaire du dévelop- pement (palingenèse), a été mieux conservé par une hérédité constante, par contre la répétition est d'autant plus imparfaite que, par l’adaptation, un trouble du développement a été introduit plus tard (cénogenèse) ». Les troubles cénogénétiques ou fal- sifications reposent, pour la plus grande part, sur un déplacement des phénomènes, qui a été causé lente- ment par l'adaptation aux conditions d’existence des embryons, lesquelles ont été changées dans le cours de plusieurs milliers d'années. Ce déplacement peut affecter aussi bien le lieu où se produisent les phé- nomènes que l’époque de leur apparition (hétérotopie et hétérochronie) [p. 11]. Comme exemples d’hétérotopie on peut citer le fait des cellule sexuelles qui, nées d’abord dans l’un des feuillets primaires, émigrent dans le mésoderme chez les animaux supérieurs de même que les canaux de Wolff situés originairement dans la peau. Les hétérochronies changent l’ordre d'apparition des organes, l’accélèrent ou le retardent. Comme exemples d'accélération ou d’augmentation de pré- cocité, on peut citer l'apparition précoce du cœur, du cerveau, des fentes branchiales, de l’œil; comme modèles de retard, la formation tardive du canal intestinal de la cavité du corps, des organes sexuels [PS 'TS# é HAECKEL a rassemblé ses idées sur les rapports des CHAPITRE III 63 TABLEAU I FORMES SOUCHES INVERTÉBRÉES D ES VERTÉBRÉS (d'après HAECKEL) Les huit premières formes essentielles de l’ontogénie et de la phylogénie correspondante I— Etat primitif unicellulaire (d'abord une monère sans noyau, puis une cellule nucléée). Il.— Etat primitif pluricellulaire agrégat sphérique ou discoïde de cellules identiques. III— Vésicule, dont la paroi est un épithéhum simple (feuillet germinatif| original) ; blastoderme. (Cavité du germe — blastocæle). . IV.-— Vésicule invaginée, vésicule en calotte avec deux cavités embryon- naires, blastocæle et intestin primitif). V.— Embryon bifolié ou dider- mique. Germe en coupe (avec deux blas- tophyles ou feuillets primaires: ectoblaste et endoblaste), avec intestin primitif et bouche primitive. VI.— Embryon quadrifolié létra- dermique avec quatre lames embryon- naires (ou feuillets secondaires) avec une paire de poches cælomiques. VII. - Embryon Chordonien avec six organes primitifs: 1 épiderme: 2, tube médullaire; 3 intestin primitif; 4, chorde ; 5, 6, une paire de poches cœlo- miques chacune avec deux mésoblastes. VIII— Embryon des Vertébrés avec les mêmes six organes primitifs, | mais avec segmentation des poches cœ- lomiques, avec vraie métamérie du méso- derme, Formes Formes embryonnaires | souches phylo- palingénétiques ver de tous les génétiques Vertébrés correspondantes ER 1. Cytula 1. Cytæa cellule originelle (1r° sphère de seg- (Protozoaires mentation) unicellulaires) 2. Morula 2 Moræa agrégat de sphères de segmentation (colonie de proto- égales zoaires) 3. Blastula 3. Blastæa vésicule embryon-| vésicule avec un _ naire épithélium simple (vesicule blasto- cilié (Volvocina dermique) Catallacta) 4. Depula 4. Depæa Passage des Blastæa aux Gastræa germe en Calotte (Blastula invagi- nata) 5. Gastræa comparez (Olynthus Hydra ei les plus an- ciens Cælentérés- souches) 5. Gastrula Germe en coupe (à deux feuillets) 6. Cæœlomæa (comp. Sagilla, As- cidia et les ancêtres des Helminthes). 6. Cæœlomula Germe à poches cœlomiques (tétradermique) 7. Chordula 7. Chordæa Larve chordée non! (comp. Copelata, segmentée, em- larves d’Ascidies, bryon avec six or-|Prochordonia et lar- ganes primitifs | ves d’Amphiotus) / 8. Spondula |8. Prospondylus (Vertebrella) Protovertebrata chordula avec diffé-|Vertébrés primitifs renciation Com- acräniens d'une mençante des pro-| simplicité palingé- tovertèbres (seg- nétique. mentation du méso- derme) 64 TABLE UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION AU I PARALLÉLISME DES STADES AVANCÉS DE L'EMBRYON HUMAIN ET DES FORMES ANIMALES PERMANENTES {SCHÉMA) Formes essentielles de l’ontogénie et de laphylogénie correspondante IX.— Embryon craniote, 3 vésicules cérébrales, 3 organes dessens supérieurs, | fentes branchiales, cœur, pas de mem- bres pairs. X. —- Embryon pourvu de membres pairs (en forme de nageoires), 5 vési- cules cérébrales, ares branchiaux. XI. - Même Embryon, branchies permanentes et poumons. XII. — Embryon à membres pen- tadactyles, branchies transitoires, pou- mons. XIII. —- Embryon avec amnios, membr. séreuse lisse, allantoïde. .XIV.— Amnios, membr. séreuse lisse, allantoïde, transformation carac- téristique de l'appareil masticateur os coracoïide distinct. Cloaque. .XV.— Amnios, membr. séreuse lisse, allantoïde, pas d'os coracoïde dis- tinct. Séparation des conduits urogénital et intestinal. Périnée. à XVI— Amnios, membr. séreuse pourvue de villosités, placenta diffus pas de caduque — Clavicule. XVII.— /d. placenta diffus ou en dôme, première apparition d’une caduque,. XVIII.— /4. Placenta discoïde, ca- duque vraie, embryon de forme pithé- coïde, cloison du nez mince — Queue. XIX.—/4. Placentadiscoïde, cadu- que vraie et caduque réfléchie, pédi-| Cule ventral, pas de queue, poils cutanés! permanents. | XX.— 14. Placenta discoïde, cadu-| que vraie, caduque réfléchie, pas de] queue, poils cutanés transitoires, cart. Stades embryonnaires 9. Archicranula crane primordial pas de mem- bres pairs 10. Propoisson 11. Prodipneuste 12. Protamphi- bien 13. Protamniote 14. Promammi- fère 15. Prodidelphe 16. Prochorié 17. Prosimien 18.Cynopithèque Formes-souche phylogéniques correspondantes 9. Archicrania (comp. Cyclosto- l mata) 10. Proselachii (comp. Pleuracan- thus) (silurien) 11.Paladipneusta Qt Ceratodus\ (dévonien) 12. Stegocephala (comp. Salamandri- na) (carbonifère) 13. Proreptilia (comp. Hatteria) (permien) 14. Architherium (Monotrème) (Trias) 15. Marsupiaux primitifs (COmp. Didelphys (jurassi- que) 16. Placentaires primitifs (Comp.Eri- naceus) (crétacé) | 17. Prosimiens (comp. Sfenops) (eocène) 18. Singes de l’an- cien continent (comp CebusSemno- pithecus (miocène) 19. Anthropo- | morphe 20. Homme 19.Singesanthro- pomorphes (comp. Hylobates) (miocène) 20. Homme Eu. (umhan) — DPDIA OUOI] (zupduy)) — Sn2oypdodoupquy a10D) — so]DQ0) hi (snooyndouuas) — Sn29y71d02427 (Sngo9) — Sn90y71d70liN (sdoua]Ss) — DUObOANUIT (Snoomui ) DA1OQNJI9SU] (sliydiama) — Dpuhiydpapia DUIYTUAO (uopouayds) — DI10)]DI] (napumumns) — DTIOUDAYOAIUDY (24978407) — ShpPO)D49) (asuadi99p) — SOUOLUUS (snyouvydol|) — SOPIUDPION (uozluoua4) — Dujpouriqodsatppl-ouexg np à (Sazomdup) — SnABJe utJOiq SNpO)\9q )UBIY 3 D) eplino[dorouttq JB) [d “u0z Ut BAR] *SUXO (oSvS ue] ap Sono psouruop) SeUWOH ‘1 (Sourtuoy-so$uts) sndorqjuesegita ‘£a (Suatuty1e7e") eydiomodoiqquwy ‘2 (Suatutyie7en) eoogyrdou£) ‘18 (su 1Âutd) eoogtdomus£q ‘08 (SUalUrIS014) BPIABINWONT 6} 7 (SUOH9OITN) JETIOU20Id ‘'8F (Xaeidnsien) seud[eprpotd ‘LI (s JJOUO) PIIPWUEMOIL ‘9[ (Suarineso)0 [) ermderord ‘6j (suarqyduy) epeyde,035e1s ‘#] (Soysnoudiq) exsnoudiperea ‘1 (soprour) soproues0lId4 ‘&| )E12S) Hy9e[es0rd ‘FF (Saw107S01049) BIUBIOIUI9IW ‘0 (SUdIUL19Y) 2U2990/S19[d 9U9901[4 OU990IN eu2901H ( 1e Sol -10ZOu%09 39 senb1oz -OSQU) SAWIIINKVN SOp sHeqos ne OSSEI9 EI 9P S91}90UV ‘819$ °AI 2u2904 9987919 enbrsseing enbiseriL | I U9IUI9 4 919Ftu0q1e9 \ UOIUOA9Q (G7-6 SOpES) (senbrozoofed) sax UOIINIIS |-HLUAIA SOP SAINOTIOJUI SOSSE[9 S9p SOU “Oti9S -III ueunits | à ueriquie) Dipaunoo)dor|-WV,| op OUBAIE, à err{puodsora ‘6 éuerqueg | (S22pPaoSp,p SaaunT) — (a1es10p apiouo D10)od09 aun,p 2nA4nOd oA4E]) E[NpAOU) IUOPIOU20I4 ‘8 (Snssoybounyng) — (sonbrtuor (8-& Sap}s) Disnaudotaoqua |-09 Ssoyood 9948 uoÂ1q SHUAMHILUHANT S8P ejuut SaJUTUIOH ‘L | ednoxs np sexjaouv ‘OH9S ‘II DW9211078D1) — Sqrund ut D)D90PQDYH Sapo}eId ‘9 DAIPlH — snyruñ10 tædisSen ‘0 DLIDYASOBDI — 000 A EÆISEIH ‘7 Sa7S1JO4(l ap Sa1u0)09 EÆIOMN ‘€ atu930quo,T 9p S9il} ‘Sul / =nyisoid sno} SALD)N})aDUN S27S1JO0d] eæJ49 ‘& = Se[ISSO} uou { OI-I S9Pe]S SYLSILOUX S9P Diou 7 iou Subs euSei np sa1}eouv Diouowoyliy Ed PIOUON | *OI19S 1] xXne4JS9oue Sape}s Sap (or-1) OUUOH,I 9P sopejs sop | sapezs oxrœuuo£Ique uot} | sepyooiddez snyd ser |-epnirde929u no ‘(pg-11) soxyooue sop ortos e| ep| onbi$01095 | 9p sayonos sodnois SOJUBATA SOUIOM SOp SOTISSOJ S9JS0W sayonos sodnoi 93V saodnors oxjend l | = EEE (III AVAIAVI) TANOAVE SAUAV A ANNOHT AA SHUIJINV SIA HIUYS CHAPITRE III 65 êtres dans une série d'ouvrages, publiés sous le nom d’Essais d’une phylogénie systématique. Celui qui est consacré aux Vertébrés (Systematische Phylo- genie der Wirbelthiere, 1895) contient un exposé très détaillé de leur phylogenèse et renferme une série de données précieuses pour la connaissance des grands groupes et même des familles de cette importante subdivision du règne animal. Dans cet ouvrage, HAECKkEL donne à la fois des arbres généalogiques, et des tableaux montrant le parallélisme des phases embryonnaires avec certains états adultes. C’est à ce point de vue surtout que nous devons en parler ici. Pour permettre d’embrasser d’un seul coup d'œil le parallélisme des formes embryonnaires et adultes, je donne ici deux tableaux. Le premier est copié textuellement de HAECKEL. Le second a été composé en utilisant l'exposé des formes ancestrales de l'Homme, tel qu'il est donné dans le $ 446 [p. 610- 621] de la Phylogénie des Vertébrés Il est présenté de façon à concorder parfaitement avec le premier et à former avec lui une seule et même série con- tinue des formes ancestrales et des formes embryon- _naires. Il est loin d’avoir la valeur du premier, la plupart des stades qu’il représente sont mal éta- blis et très discutables; maisil forme le pendant du tableau I et permet de saisir facilement le parallélisme des formes. C’est pourquoi j'ai cru devoir le dresser. Toutefois pour reproduire exactement la pensée de HAECKEL, je donne aussi la copie de son « System des Progonotaxis», (Phylogénie des Vertébrés p.631), qui HE UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION représente les 24 formes ancestrales attribuées par lui à l'espèce humaine et qui permet, rapproché du tableau n° 1, d’avoir la représentation exacte de ses idées à ce sujet. = La Phylogénie systématique des Vertébrés est une source précieuse de renseignements pour l’anato- mie et pour la classification de ces animaux, mais malgré la richesse de sa documentation, elle conserve encore le caractère d’essai que HAECKEL lui-même lui assigne (Systematische Phylogenie, Entwurfeines natürlichen Systems der Organismen). On ne peut donc s'étonner d’y trouver un certain flottement de la pensée, très frappant dans la compo- sition des tableaux et des arbres généalogiques qui ne concordent pas toujours complètement entre eux, même pour un groupe déterminé. Le parallélisme du développement ontogénique n’est pas établi une fois pour toutes et suivi fidèlement dans tout le cours du livre. L'auteur donne un tableau complet de ce paral- lélisme pour les premières phases (celui que nous avons reproduit en 1), mais il ne fait pas le même travail pour les phases suivantes, et nous avons dû essayer de le faire dans notre deuxième tableau. Dans l'exposé des phases embryonnaires, il ne dénomme pas les stades avancés conformément à la règle employée par lui pour désigner les plus pré- coces, c’est-à-dire en formant un nom terminé par la désinence ula (cytula, blastula, gastrula) ou s’il le fait encore pour l’un des premiers stades appartenant à la série des Vertébrés, celui qui répète le type Cyclos- | VOS. T7 mnt MC 1124, LL oÉ'ten (2 CHAPITRE III 67 tome (archicranula), il ne conserve pas partout ce terme et ne le reproduit pas dans son grand tableau d'ensemble (II). HAECKEL, il est vrai, ne s'occupe pas tant de déve- lopper la théorie du parallélisme et d’en donner la formule définitive pour les Vertébrés, que d’établir la généalogie de ces êtres. Ces deux choses coïnci- dent bien évidemment au fond, mais pas cependant -dans leurs moindres détails. Pour l’ontogénie, il est [æ) , des phases transitoires que l’auteur ne considère pas -comme absolument nécessaires et qu’il fait figurer dans certains de ses schémas, mais non dans tous. Telles sont la phase monera (réunie avec la phase cytula en un premier stade unique (tableau I), sépa- rée au contraire et distincte dans le tableau d’en- semble), la phase depula intermédiaire à la blastula et à la g'astrula, etc. De même il existe dans la phylogénie bien des phases discutées et qui tantôt trouvent place dans les arbres généalogiques de l’auteur, tantôt en son exclues. Le stade Proganoïde (12° du tableau n° INT) doit-il être maintenu ? L’auteur ne le men- tionne pas dans l’exposé du $ 446 qui distingue quinze stades seulement dans la phylogénie humaine au lieu des vingt-quatre du tableau général. Il en est de même d’autres phases plus avancées. Doit-on séparer la phase « Prosimienne » de la phase « Pro- choriée » ? Les Prosimiens forment dans la généalogie détaillée le 19° stade, dans l’exposé du $ 446, ils sont confondus avec les Prochoriés dans le stade XII. 68 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION Dans cet exposé, les Singes Platyrhiniens ne figurent pas non plus, tandis qu'ils représentent le 20° stade de la généalogie. Ces incertitudes ou ces contradictions — qui excu- sent lecaractère très schématique du II: tableau —s’ex- pliquent aisément; bien des phases phylogénétiques sont établies seulement sur des caractères quise déve- loppent assez tard et ne peuvent être observés dans l'embryon ou le fœtus ; d’autres sont trop peu diffé- renciées anatomiquement pour être représentées dans l’ontogenèse, bien imparfaite encore, que nous con- naissons. Lorsque, par exemple, HAECKEL intercale entre les Singes Anthropomorphes et l'Homme, le Singe-homme (Pithecanthropus) et l'Homme primitif (Protanthropus), il est évidemment difficile de penser trouver dans l’ontogénie humaine quelque stade qui rappelle ces deux dernières étapes hypothétiques de l'humanité, parce qu’en dehors du développement du cerveau, qui pourrait peut-être donner les stades cherchés, les autres caractères apparaissent trop tard pour pouvoir être employés à cette distinction, ils ne se manifestent guère en effet qu'après la nais- sance. _ A côté de ces hésitations, que la difficulté du sujet explique suffisamment, on trouve dans la nomencla- ture des flottements que l’on comprend moins bien et qui paraissent tenir à la surabondance du vocabu- laire de l’auteur, à une hypertrophie de cette faculté de former des mots, qui lui a si heureusement servi à exposer ses doctrines, mais qui déborde et devient Te TT PE Te SA ee dde 17 ve vx + LS: A 2 CHAPITRE IIT 69 manifestement encombrante dans maints passages de la Phylogénie systématique. Quels termes choisi- rons-nous, par exemple, pour désigner nos ancêtres hypothétiques les plus immédiats ? Dirons-nous pour nommer le plus éloigné, Pithecanthropus alalus [p. 601] ou Pithecanthropus atavus [p. 631] ou enfin Pithecanthropus erectus avec Eu. DuBois [p. 632]. Et l’autre chaînon plus voisin de nous, doit-il être désigné comme Protanthropus atavus [p. 617] ou comme Homo primigenius [p. 617]? Toutes ces variations montrent évidemment que HAECKEL ne prétend pas fournir un tableau définitif des formes ancestrales, et que l’on ne doit pas non plus accepter sans discussion tout ce qui est contenu dans la Phylogénie systématique des Vertébrés. I m'a semblé néanmoins utile d'exposer largement les idées du grand morphologiste, qui a médité depuis plus de trente ans, sur le parallélisme des développements ontogénétique et phylogénétique et sur la généa- logie des êtres vivants. Les principales formes embryonnaires initiales dis- tinguées par HAECKEL, morula, blastula, gastrula sont généralement admises par les embryologistes ; les suivantes sont moins fidèlement acceptées, bien que l’on emploie souvent les termes de Propoisson, Pro- tamniote, Promammifère; mais peu d’auteurs don- nent la longue série de formes décrites par le natu- raliste d’Iéna. D'autre part, on a de bonne heure cherché d’autres caractéristiques que celles de HAECKEL pour certaines formes embryonnaires. VIALLETON. Problème évolution. 9 10 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION Ainsi RAUBER (1877) a désigné sous le nom de neu- rula la phase de l'embryon dans laquelle le système nerveux s’ébauche sous la forme d’une large plaque étalée à la face dorsale du germe. Ce terme est main- tenant accepté d’une manière générale, il sert à dési- gner une phase qui succède chez les Vertébrés à la gastrula, et qui remplace les trois stades cœlomula, chordula, spondula de HAECKEL. De très bonne heure, c’est-à-dire aussitôt après l'apparition des livres de FriTrzMüLLERetde HAECKEL, on fit passer la théorie de la récapitulation dans le domaine des applications et on l’employa dans l’inter- prétation des ontogénies particulières, mais on s’aper- çut bientôt aussi des difficultés qu’elle présentait. On ne fut pas toujours d’accord pour déterminer quels phénomènes devaient être regardés comme une répétition des dispositions ancestrales, quels autres étaient secondairement acquis. Chacun «s’en tira un peu comme il put » (KEIBEL 1897, p. 730) et cela ne doit pas étonner, car déjà plusieurs années aupa- ravant, DOHRN disait (Studie IX, 1886, p. 411) en parlant de la loi biogénétique que, «juste en principe _cette loi doit être suivie seulement dans le même sens que, jadis, les oracles de Delphes ». Autant valait dire que cette loin’en était pas une et que son emploi était laissé à l’appréciation de chacun. À partir d’un certain moment, les critiques se firent plus vives ; KOELLIKER, HENSEN, EMERY, BEARD, OPPEL, MEHNERT, KEIBEL, apportèrent des objec- CHAPITRE III A tions ou des restrictions que nous examinerons plus loin. Plus récemment (1902-1903), une nouvelle modi- fication apportée à la conception primitive du paral- lélisme, l'introduction par Ed. PERRIER de la tachy- genèse (de =», rapide) porta un coup sensible à la théorie de la récapitulation. Pour Ep. PERRIER et CH. GRAVIER, la distinction faite par GIARD et HAECKEL des phénomènes embryogéniques en palingénétiques et cénogénétiques est insuffisante, parce qu'il s’agit de phénomènes nombreux qui s’enchaînent d’une manière continue, tandis que ces termes, en établis- sant une opposition entre certains de ces phénomè- nes, les disjoignent et rompent leur continuité. La tachygenèse est « une cause ou un ensemble de causes accélératrices des phénomènes embryogéniques » [p. 150] qui agit d’une manière continue. « Tandis que les expressions cénogénies, embryogénies con- * densées font naître dans l'esprit et expriment in- contestablement l’idée d’une opposition aux palin- génies dans le système de HAECKEL, aux em- bryogénies dilatées dans celui de Gtarp, la tachy- genèse doit être entendue comme une force sans cesse agissante, ayant déterminé à partir des onto- génies patrogéniques [palingéniques]|, une série con- tinue d’ontogénies de plus en plus accélérées, dont les résultats, quels qu’ils soient, sont désignés sous le nom de tachygénies » [p. 150-151]. « La tachygenèse, propriélé essentielle que possède l’hérédité d'accélérer les phénomènes embryogéniques, 12 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION fait de celte force un élément des plus importants de transformation spontanée des formes organiques » [p. 351]. Elle a pris une part importante à la réalisa- tion du type Vertébré (ibid.) « Aussi bien chez les larves que chez les adultes, elle a créé des organes nouveaux dont le plus important est la corde dorsale des Vertébrés » [p. 352]. L'origine de la corde s’expli- querait pour ces auteurs par ses relations morpholo- giques. La région de l’entoderme, qui l’engendre chez ’'Amphioxus et chez les Vertébrés primitifs, tout au moins, est placée au-dessous de la gouttière médul- laire et entre les sacs cæœlomiques «trois régions d’ac- croissement rapide qui puisent dans la plage ento- dermique avec laquelle elles sont en rapport, tous leurs matériaux nutritifs. Les cellules de cette plage sont donc rapidement vidées, entrent en modifica- tion après quelques transformations secondaires, soit de la plage qu’elles forment, soit de leur propre constitution, et c’est cette plage mortifiée, dont l’existence est la conséquence directe de la for- mation tachygénétique de l’exoderme et du méso- derme, qui devient la corde dorsale » [p. 320]. . S'il en est ainsi, si des organes comme la corde peu- vent se former d'emblée aux dépens d’une partie d’un feuillet placé dans des conditions nouvelles, et sans devoir être précédés par un organe distinct ayant fonctionné soit de la même manière, soit d’une autre façon (changement de fonction de Doxrx) que l’or- gane qui lui succédera,ilest clair que la récapitulation ne pourra plus guère se rencontrer que dans des cas CHAPITRE II 19 particuliers, dans les cas les plus palingénétiques, et qu'il sera même inutile d’en chercher des traces dans les premiers stades du développement d'êtres aussi tachygénétiques que le seraient les Vertébrés. Enfin vinrent les études de Oscar HERTWIG (1906), qui semblent avoir renversé complètement la théorie de la récapitu'ation prise dans son sens strict. Nous n'en parlerons pas ici parce que nous leur avons réservé un chapitre entier, auquel nous renvoyons (Voy. chapitre IX). CHAPITRE IV LES FORMES ACHEVÉES Séries anatomiques. — Organes à développement progressif (squelette axial, système nerveux central, etc.). Valeur purement idéale de ces séries ; elles représentent le déve- loppement fonctionnel d'un organe, non celui de l'espèce à laquelle il est emprunté. — Organes à développement direct (œil, branchies).— Les modes principaux de transformation des organes : différenciation, substitution, corrélation. — Les différentes sortes de corrélations. — Corrélations archi- tecturales. On a vu que lathéorie de la récapitulation est basée sur le parallélisme relatif que l’on observe entre les états successifs des organes chez les embryons des animaux supérieurs et les formes définitives des mêmes organes chez des animaux adultes de complica- tion croissante. En d’autres termes on rencontre dans le développement des séries de formes (séries embryologiques) dont on retrouve le pendant dans des séries anatomiques constituées à l'aide des mêmes organes pris chez des adultes appartenant à des sroupes divers. Il est nécessaire, pour bien saisir les questions que nous étudions ici, d'examiner de plus près ces séries. Nous commencerons par les derniè- res (séries anatomiques). CHAPITRE IV 75 Depuis longtemps l'anatomie comparée s'occupe de sérier les organes des animaux vivants ou fossiles, en tenant compte des différents degrés de complica- tion qu’ils peuventprésenter. De telles séries peuvent être établies aussi bien pour les appareils ou les sys- tèmes que pour les organes isolés. Ainsi, le squelette axial, le système nerveux, les organes urinaires don- nent lieu à des séries anatomiques de ce genre tout aussi bien que le cœur, l’oreille interne ou même des organes d'importance beaucoup moindre.Nous appel- lerons organes à développement progressif ceux qui permettent de dresser de semblables séries, dont nous donnerons brièvement quelques exemples. Le squelette axial de l'Amphioxus est constitué uniquement par une corde dorsale élastique, sur laquelle s’appuie un système de membranes formant du côté dorsal une gaine pour le système nerveux central (canal rachidien), et du côté opposé une gaine semblable pour la cavité viscérale ou les vaisseaux _ (canal hæmal). Cette disposition constitue ce que l’on appelle un squelette membraneux. Chez les Cyclostomes des pièces cartilagineuses apparaissent à des intervalles réguliers, dans la paroi du canal rachidien, au point où elle s’attache à la corde Chez d’autres Poissons des pièces analogues se développent aussi du côté ventral de la corde, mais les pièces ventrales et les pièces dorsales du même côté restent séparées les unes des autres par un intervalle totalement dépourvu de carti- lage et où la corde se montre seule. Le squelette LR Lt. A, 76 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION axial est alors formé simplement par la corde sur laquelle les cartilages représentent des rudiments d’arcs vertébraux, qui précèdent ainsi le corps de la vertèbre. Cette disposition s’observe chez les Ganoï- des cartilagineux et chez les Dipneustes. Chez les Sélaciens le cartilage partant des arcs vertébraux rudimentaires s’étend tout autour de la corde, qu’il revêt d’anneaux successifs métamériques comme les arcs eux-mêmes. Chacun de ces anneaux forme le corps d’une vertèbre. La corde s’atrophie plus ou moins complètement au niveau du corps vertébral, mais persiste entre les vertèbres, et comme l’étran- clement qu’elle subit du fait du corps est plus marqué au centre de ce dernier qu’à ses extrémités, les corps des vertèbres ont la forme de sabliers. Sous cet état, le squelette est dit squelette cartilagineux. Chezles Amphibiens, le corps des vertèbres devient osseux de bonne heure (squelette osseux), des apo- physes articulaires naissent sur les arcs dorsaux, mais la corde persiste longtemps et a toujours une grande importance Chezles Amniotes au contraire la corde disparaît de très bonne heure, l’ébauche cartilagineuse de la ver- tèbre l’emporte de beaucoup sur elle et les vertèbres ossifiées offrent une complication très grande. Pour- tant, si l’on examine les corps vertébraux des Reptiles fossiles on voit que la corde y garde encore une grande importance, de même que dans le curieux Reptile actuel Hatteria, et l’on peut en somme dresser une série très complète de colonnes présentant les degrés CHAPITRE IV 11 les plus réguliers de transformations, depuis les Ver- tébrés primitifs jusqu'aux Mammifères actuels. Le système nerveux central présente de même un perfectionnement graduel dans sa partie céphalique. Le cerveau antérieur des Poissons osseux a une voûte purement épithéliale, ne renfermant point de tissu nerveux. Chez les Amphibiens ce tissu y appa- raît, mais les hémisphères cérébraux sont encore peu développés. Il en est de même chez les Reptiles où ces hémisphères ne reçoivent et n’émettent que des fibres en rapport avecles fonctions olfactives, formant un cerveau purement olfactif. Chez les Mammifères l'écorce cérébrale est infiniment plus compliquée et renferme toujours des centres pour chacun des sens spéciaux, tact, ouïe, vue, en dehors de ses parties olfactives encore très développées chez les inférieurs. La surface cérébrale s’accroît beaucoup et se plisse pour pourvoir à cette augmentation. Les associations entre les hémisphères se multiplient graduellementet la voie par laquelle elles s’établissent constitue une commissure importante, le corps calleux, quigrandit progressivement des Marsupiaux jusqu’à l'Homme,en passant par une série d’étapes intermédiaires, bien établies par les auteurs. L'appareil urinaire est représenté d’abord par un petit nombre de tubes glandulaires ouverts dans la cavité générale, c’est le pronéphros, qui fonctionne chez les larves des Cyclostomes, des Amphibiens et même à l’état adulte chez certains Téléostéens. Plus tard, il est suivi par un organe plus volumineux dont 178 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION les tubes ne communiquent plus avec la cavité du corps, au moins pour la plupart d’entre eux, le corps de Wolff ou mésonéphros, qui fonctionne toute la vie chez les Ichthyopsidés. Enfin, le mésonéphros est remplacé à son tour chez les Amniotes par le rein définitif, dont aucun tube ne communique plus avec la cavité générale et qui a tout à fait perdu la cons- titution segmentaire que le mésonéphros présente à son origine. Les mêmes gradations s’observent dans des organes isolés. Le cœur des Vertébrés est d’abord tubulaire, en forme d’anse, comprenant deux cavités ou cham- bres principales successives, l'oreillette et le ventri- cule. Chezles Amphibiens l'oreillette se divise en deux cavités bien distinctes, au moins chez les Anoures, et destinées l’une à recevoir le sang venu du pou- mon, l’autre celui du reste du corps. Chez les Reptiles le ventricule commence à se diviser et se divise même chez les Crocodiles en deux ventricules séparés. Il en est de même chez les Oiseaux et chez les Mammifères, où il y a toujours, chez l’adulte, deux oreillettes et deux ventricules distincts. L’oreille interne présente chez les Myxinoïdes un seul, chez les Pétromyzontes deux, chez touslesautres Craniotes trois canaux semi-circulaires: un antérieur sagittal, un postérieur frontal, un externe horizontal. Chezles Poissonsla vésicule auditive simple sesépare enunutricule portant les canaux semi-circulaireset un saccule avec un petit renflement, la lagena. Celle-ci devient plus grande et mieux individualisée chez les POTTER CHAPITRE IV 719 Amphibiens. Dans la paroi externe de la capsule osseuse auditive apparaît la fenêtre ovale. La lagena s'étenden un tube plus large, mieux séparé du saccule chez les Sauropsides, elle devient la cochlée avec conduit cochléaire, rampe vestibulaire et rampe tym- panique dans la paroi de laquelle apparaît la fenêtre ronde. Enfin, chez les Mammifères, la cochlées’étend en un long tube décrivant de deux à quatre tours de spire, et où l’épithélium donne naissance à l’organe de-Cortt. Les séries anatomiques ainsi formées ont-elles une valeur objective et généalogique, c’est-à-dire repré- sentent-elles l’évolution réelle des organes considé- rés ou des êtres chez qui on les observe ? Evidem- ment non. Ce sont comme la dit Osc. HERTWIG des séries artificielles ou, si l’on veut, subjectives, dontla formation dépend beaucoup de l’état de la science au moment où elles sont dressées, et de l’état d’esprit des chercheurs qui les établissent. Bien plus, il n’est même pas prouvé qu’une série anatomique progressive bien faite réponde à unesérie généalogique vraie, c’est-à-dire nous permette de conclure, sans autre preuve, à la descendance réelle des animaux qui la fournissent. On a confondu, re- marque DEPÉRET(1907) «l’évolution réelle d’un groupe naturel d'animaux fossiles, avec ce qui n’est effecti- vement que l’évolution fonctionnelle d’un organe dans une série de genres appartenant à des rameaux natu- rels différents et n’ayant entre eux aucun rapport de parenté directe » [p. 106]. DEPÉRET donne comme 80 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION exemple de ce fait la généalogie classique du cheval. Envisageons la série européenne des chevaux, cette série partant du Palaeotherium et du Paloplotherium aboutirait au cheval par l'intermédiaire de l’Anchi- therium et de l’Hipparion. Ces genres forment, en effet, une série très remarquable au point de vue de l’atrophie graduelle des deuxième et quatrième doigts et de la prédominance définitive du troisième doigt dans la patte solipède du Cheval. Cependant divers auteurs ont prouvé que nile Palaeotherium ni l’Hip- parion, et DEPÉRET ajouterait volontiers ni l’Anchi- therium, ne sauraient être compris dans la filiation directe du Cheval. Ce sont des rameaux distincts et parallèles, éteints sans laisser de rejetons et le dernier Palaeotherium était éteint depuis longtemps sans se transformer, lorsqu’est apparu le premier Anchi- therium, et ce dernier avait à son tour disparu sans modification avant d’être brusquement remplacé par l'invasion des Hipparions. «La prétendue filiation des Equidés est une apparence trompeuse, qui nous donne seulement le procédé général par lequel une patte tridactyle d'Ongulé peut se transformer, dans des groupes divers, en une patte monodactyle, en vue d’une adaptation à la course ; mais elle ne nous éclaire nullement sur l’origine paléontologique des Chevaux» [p. 107]. DEPÉRET cite encore d’autres exemples analo- gues, mais il n’en est pas besoin pour montrer avec quelle prudence il convient d’envisager les ques- tions de généalogie, et pour bien faire retenir CHAPITRE IV 81 qu’il ne faut pas conclure d’une série anatomique, même très bien faite, à une série phylogénique. C’est une faute que l’on commet souvent lorsqu'on étudie un organe dans ce que l’on appelle si improprement « la série » et de là dérivent ces arbres généalogiques discordants dont l’effet est si déplorable si on les juxtapose dans une vue d’ensemble, comme l’a fait BASHFORD DEAN (18953) pour ce qui concerne les Poissons |p. 282-283]. A coté des organes à développement progressif dont nous venonsde parler, il en existe d’autres qui, au contraire, changent peu dans les différentes clas- ses et, en tous cas, ne montrent guère d’apparences de perfectionnement. On pourrait les appeler des organes fixes ou à structure fixe, ou encore organes à développement direct. Les organes à développement progressif peuvent exister sous des formes très diverses et fonctionner aussi bien sous leur état le plus simple que sous la forme la plus développée. Ainsi la corde de l’Am- _ phioxus est, pour cet animal, un organe de soutien aussi ferme et un appareil de réaction vis-à-vis de ses mouvements musculaires aussi parfait que la colonne vertébrale d’un Mammifère considérée comme soutien du corps et comme point d'applica- tion des forces musculaires. Les organes de la seconde catégorie constituent au contraire un groupe bien particulier, comme vont le montrer deux exempl s. L’œil ne présente chez les Vertébrés absolument 89 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION pas de traces d’un développement progressif. Sans doute on trouve des yeux plus ou moins parfaits, ou plutôt doués d’un pouvoir visuel très inégal, mais leur structure n'offre point de différences compara- bles à celles que l’on trouve entre les termes extré- mes des organes à développement progressif. Le perfectionnement de leur fonction tient plutôt à la délicatesse des éléments récepteurs de la lumière (cônes et bâtonnets) et aux connexions des éléments percepteurs cérébraux qu’à la structure des parties qui relient ces deux pôles de l’appareil visuel (cou- ches de la rétine et voies optiques). S'il est vrai que les yeux des Amphibiens sont bien inférieurs à ceux des Oiseaux et de l'Homme, au point de vue de leur acuité visuelle, il n’est pas moins certain que leur structure ne diffère qu’à peine de celle des yeux de ces animaux. On ne peut donc pas du tout les considé- rer comme un étatinitial ayant dû précéder forcément l'œil plus parfait des Vertébrés supérieurs, pas plus qu’on ne trouve d'indication de l'apparition d’un œil semblable à celui des Vertébrés chez aucun des groupes où l’on cherche l’origine de ces derniers, au moins parmi les formes actuelles. Comme le reconnaît HAECKEL lui-même (Phylogénie systema- tique des Vertébrés. p. 129), la paléontologie et l’ana- tomie comparée ne nous fournissent aucune donnée sur la phylogenèse de l’œil. Sans doute l’adaptation de l’œil aux conditions de vie desdifférents Vertébrés entraîne quelques différences dans ses parties acces- soires, mais l'appareil dioptrique et la rétine sont dès Pr NT CHAPITRE IV 83 le début donnés et leurs variations ne peuvent en rien être comparées äu perfectionnement graduel observé dans les organes de la première catégorie. Les branchies des Vertébrés se comportent comme leurs yeux, c’est-à-dire offrent d'emblée, dès les for- mes les plus inférieures, une structure aussi com- pliquée que chez les formes supérieures, et là encore, il ne peut être parlé de développement pro- cressif. Elles consistent essentiellement en lamelles renfermant un réseau vasculaire très serré dont les mailles ont partout la même forme arrondie, et qui sert à l’hématose. Les lamelles occupent par rapport aux arcs branchiaux des positions très diver- ses. Tantôt elles forment deux séries de petites lan- guettestriangulaires,implantées perpendiculairement sur la face externe de l’arc, qui reste lui-même en forme de côte (Téléostéens); tantôt le bord externe des arcs s’étire en forme de larges lames ou septa, qui, se soudant les unes aux autres sur une partie de leur étendue, déterminent la formation de poches branchiales sur les parois desquelles les lamelles respiratoires sont implantées (Sélaciens); d’autres fois encore (Cyclostomes) ces poches branchiales, de structure un peu différente, sont profondément enfoncées dans l’épaisseur du corps, de chaque côté d’un pharynx réduit par adaptation à la vie parasi- taire. Dans chaque poche la muqueuse qui porte les lamelles respiratoires forme un sac branchial séparé de l’arc par une fente comparable à une cavité pleu- rale (espace péribranchial des auteurs, plèvre de 84 UN PROBLÈME DE L ÉVOLUTION J. MüLrer). L’arc est réduit à un mince cartilage externe qui court sous la paroi de la cavité bran- chiale, et à une mince lame ou septum tendue entre deux sacs branchiaux consécutifs dont le séparent les espaces péribranchiaux. (Voyez fig. 6, pl. IV) (1). Chez les Amphibiens les lamelles respiratoires sont d’abord portées sur un tronc unique pour chaque arc et implanté sur l’extrémité dorsale de ce dernier, ce sont les branchies externes, auxquelles peuvent succéder chez les Anoures les branchies internes, qui. se développent en dessous de l’opercule, sur le bord convexe de l’arc. Les relations de ces lamelles respiratoires avec les feuillets primordiaux entoderme et ectoderme sont encore discutées et prêtent à des considérations multiples, mais quelles que soient leur valeur em- bryologique ou même leurs homologies, il estimpossi- ble de les sérier graduellement et de placer l’une quel- conque de ces formes de branchies à l’origine d’une ou de plusieurs autres, ou de la regarder comme la condi- tion indispensable de celles-ci. Comme l’œil, les bran- chies sont des organes dont le développement a été en quelque sorte atteint d'emblée chez les Vertébrés. Les variations de leur forme extérieure et de leurs rapports sont toutefois bien plus considérables que (1) Pour plus de détails sur l'appareil branchial, voyez L. VIALLETON : Sur les arcs viscéraux, etc. Archives d'Anat. micr., t. X, 1908, < 4 3 4 4 il uth Lu: L'INFINI T FE CHAPITRE IV 85 celles de l’œil et prêtent à des considérations sur les- quelles nous reviendrons plus loin. Après avoir distingué les organes à développe- ment progressif et ceux dont le développement est direct, il faut maintenant rechercher comment et par quel procédé se font les changements orga- niques, qu’ils soient progressifs ou simplement diver- gents dans une foule de directions, comme c’est le cas pour les organes qui viennent d’être étudiés en dernier lieu. Une telle analyse est particulière- ment difficile et toujours jusqu’à un certain point fautive, parce que les causes de ces changements n’agissent jamais seules, mais combinées, et que c’est déjà une faute que de les séparer dans leur action. Ces réserves préalables faites, il estavantageux d'examiner à part, et en les séparant artificiellement, les proces- sus qui sont entrés en jeu. Il faut ajouter encore, cependant, que les différents modes d’action que nous allons étudier ne doivent pas être considérés comme des facteurs opposés et contraires, ils ne se montrent ainsi que dans leurs degrés ultimes, c’est- à-dire lorsqu'on les envisage au moment maximum de leur action, le seul qui puisse être bien distingué, parce que dans leurs modes inférieurs ils se confon- dent avec les autres processus mis en jeu. En un mot il s’agit de phénomènes connexes simultanés, et en quelque sorte continus, qu’on ne peut séparer les uns des autres que lorsqu'ils atteignent leur point culminant. VIALLETON. Problème évolution. 6 86 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION Le mode de perfectionnement le plus simple est celui de la différenciation consécutive à une division du travail plus accentuée. La différenciation se ren- contre, par exemple, dansla formation du tube digestif où elle amène la division de l’estomac en plusieurs poches distinctes, la distinction de l’intestin en deux parties, etc., etc. Elle se montre aussi, avec une orande netteté, dans la formation de l'oreille interne. Ce mode est le plus compatible avec le perfection- nement progressif, et les organes qui le présentent se laissent aisément grouper en séries graduellement ascendantes. Les détails donnés par VON BAER sur la nature et les divers modes de différenciation, détails que l’on trouvera dans le chap. IT, nous permettent de ne pas insister davantage ici sur ce qu’il faut en- tendre par le mot différenciation. La différenciation se montre rarement seule et se combine le plus souvent avec des phénomènes de substitution. KLEINENBERG (1882) a fait remarquer qu’il y a dans la théorie de l’évolution une tendance marquée à construire le développement phylogé- nique d'un organe déterminé au moyen d’une série ininterrompue de transformations et de différen- ciations d’un organe préexistant, mais que si ces transformations ont certainement une grande impor- tance, il y a évidemment des cas où le processus phy- logénique a été tout autre. Souvent le perfection- nement dérive de l’apparition de nouveaux organes qui se substituent peu à peu à celui qui les a précédés, de sorte que la fonction, bien qu’un peu modifiée, É Lu un à tite dt nb à ns de de L s. > CHAPITRE IV 87 reste essentiellement la même, mais est transportée à une autre partie du corps. Il y a, en quelque sorte, permutation ou substitution des organes. La corde dorsale, par exemple, constitue à elle seule tout le squelette axial chez les Chordés primitifs, tandis qu’elle disparaît entièrement dans les formes supé- rieures. Aucune partie de la colonne vertébrale ne naît directement de la corde dorsale. Il n’y a donc pas homologie entre ces deux états du squelette, mais comme la formation d’un squelette vertébral n’était pas possible indépendamment de la corde, dans le développement du squelette axial, la corde représente l’organe initial qui a permis la formation de la colonne vertébrale et que nous appellerons par conséquent, avec KLENIENBERG, l'organe médiateur ; tandis que la colonne définitive représente l’organe de substitution. Dans le cas du squelette axial la substitution est complète, et il ne reste rien chez les animaux supé- rieurs de l'organe médiateur qui a permis la formation de la colonne osseuse. Mais il est des cas où il n’en est pas de même et où la substitution se combine avec la différenciation d’une manière très intime. Le système nerveux central en fournit un bon exemple. Mais avant de montrer les substitutions qui s’y pas- sent, il faut remarquer d’abord que cet appareil ne présente point — au moins pour ce qui est fondamental dans sa structure et se manifeste dès les Vertébrés inférieurs — d’états initiaux très simples, et se rap- proche par là des organes à structure fixe étudiés 88 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION plus haut. D’emblée et chez les Vertébrés les plus primitifs il se montre composé de parties essen- tielles que l’on rencontre chez les plus développés. La structure de ses parties est, du reste, dès le début assez compliquée pour que les perfectionnements que l’on y pourra trouver dans les espèces supérieures soient loin d’avoir une importance capitale, c’est-à- dire d’entraîner des différences morphologiques très orandes par rapport aux états initiaux. La structure de la moelle d’un Mammifère ressemble beaucoup plus à celle de la moelle d’un Poisson que celle-ci ne ressemble au système nerveux de n'importe quel Inver- tébré, si élevé soit-il. Toutefois la partie encéphalique du système nerveux se développe beaucoup et montre véritablement, dans les différents groupes, un per- fectionnement croissant. Mais, et c’est là que nous allons voir intervenir de nouveau les substitutions, tandis qu’il se développe dans sa partie cérébrale, le névraxe régresse partiellement dans sa partie mé- dullaire qui est en partie remplacée dans ses fonctions et, par suite, dans sa structure. L'un des anatomistes qui se sont le plus occupés de l'anatomie comparée du système nerveux central, ‘EDINGER, a beaucoup insisté pour montrer qu'il ne peut être question d’un simple développement progressif de ce système. « Des portions isolées du cerveau, dit-il (1900), sont plus développées tantôt ici, tantôt là, et cela ne dépend pas de la position phylogénique de l'animal, mais de ses besoins personnels et de ses qualités. Aïnsi, les a tab a A =" CHAPITRE IV 89 Téléostéens n’ont pas d’hémisphères cérébraux, mais ils possèdent, dans leur cerveau moyen et dans leur moelle allongée des noyaux infiniment plus compli- qués que ceux des Mammifères » [p. 86-87]. Le cer- veau moyen des Vertébrés inférieurs subit donc une certaine régression, lorsqu'une partie de ses fonctions passe à l’écorce cérébrale, comme celà arrive chez les Mammifères. De même le grand développement de l’écorce et celui des voies pyramidales qui en dé- coule, amènent chez l'Homme une diminution sen- sible du rôle et du volume de la moelle. Le cerveau antérieur se substitue donc jusqu’à un certain point à la moelle et aux centres encéphaliques inférieurs, dont la structure ne se transmet pas des animaux inférieurs aux supérieurs telle que, mais au contraire quelque peu changée. L'évolution du système urinaire montre de même une série d'organes se substituant les uns aux autres, le long d’un canal excréteur qui est la seule pièce du système commune à tous. Le système vasculaire présente de son côté une série de substitutions sem- blables, soit dans quelques-uns de ses rameaux peu importants, soit dans des troncs essentiels, comme par exemple la substitution de la veine cave infé- rieure aux veines cardinales postérieures. Ces exemples suffisent à faire comprendre le rôle énorme des substitutions dans les transformations organiques, et l’on peut parfaitement admettre, avec KLEINENBERG, que si la substitution a réellement agi sur une vaste échelle «il serait théoriquement pos- 90 UN PROBLÈME DE L ÉVOLUTION sible que dans telle forme animale ou végétale tous les organes médiateurs fussent représentés par des néoformations qu'ils auraient eux-mêmes provoqués. Alors l'anatomie comparée serait impuissante à expli- quer les rapports d’origine et il ne nous resterait d'autre ressource que l’embryologie. Mais si les organes médiateurs avaient disparu même dans l’on- togénie, nous n’aurions plus aucun moyen de re- trouver l'origine d’un organisme reniant avec tant d’insistance sa parenté.» (KLEINENBERG, P. 14-15.) Comme on le voit, la substitution est un mode de perfectionnement qui ne donne pas des organes faciles à sérier en chaînes ininterrompues. Enfin, un dernier principe intervient à son tour dans les transformations organiques, c’est celui des corrélations architecturales. Ceci demande quelque développement car le mot corrélation a été pris dans des sens un peu différents et il importe, avant tout, de bien définir ce que l’on entend par là. Cuvier le premier fit remarquer l'importance des corrélations dans l’organisme des Vertébrés et se servit de ce principe avec le succès que l’on connaît, pour la détermination des ossements fossiles. Il faut. citer largement car aucune des données de CUVIER n’a perdu de son importance, et, chez les Vertébrés surtout, ces machines si compliquées dont les pièces doivent être par suite soumises à une certaine har- monie, ou à une coordination réciproque, le principe des corrélations est d’une application constante. Il suffit, pour donner à ces corrélations leur valeur CHAPITRE IV JE réelle, de les considérer non plus comme l’expression d’un finalisme inadmissible, mais comme celle d’une adaptation parfaite de l’animal à son genre de vie et à son milieu, ou bien comme le résultat d’une sélec- tion rigoureuse qui a éliminé tous les cas dans les- quels elles n'étaient pas parfaitement réalisées. « Tout être organisé, dit CUVIER dans son Discours sur les Révolutions du Globe (1830) (1), forme un en- semble, un système unique et clos, dont les parties correspondent mutuellement et concourent à la même action définitive par une réaction réciproque. Aucune de ces parties ne peut changer sans que les autres changent aussi; et, par conséquent, chacune d'elles prise séparément indique et donne toutes les autres ». « Ainsi, comme je l’ai dit ailleurs, si les intestins d’un animal sont organisés de manière à ne digérer que de la chair récente, il faut aussi que ses machoires soient construites pour dévorer une proie ; ses griffes pour la saisir et la déchirer; - ses dents pour la couper et la diviser ; le système entier de ses organes du mouvement pour la pour- (1) Les citations sont faites d'après la 6* édition du Discours sur les Révolulions du Globe (1839), mais les idées qu'elles ren- ferment remontent à une date bien plus ancienne. On les trouve notamment dans le discours préliminaire qui sert d'introduction à l'un des ouvrages fondamentaux de CUVIER : Les Recherches sur Les ossements fossiles. Le Discours sur les Révolutions est simplement une impression séparée du discours préliminaire placé en tête de ce livre. 92 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION suivre et pour l’atteindre ; ses organes des sens pour l’apercevoir de loin ; il faut même que la nature ait placé dans son cerveau l'instinct nécessaire pour savoir se cacher et tendre des pièges à ses victimes. Telles seront les conditions générales du régime carnivore ; tout animal destiné pour ce régime les réunira infailliblement, car sa race n'aurait pu sub- sister sans elles; mais sous ces conditions générales il en existe de particulières, relatives à la grandeur, à l’espèce, au séjour de la proie, pour laquelle l'animal est disposé; et de chacune de ces condi- tions particulières résultent des modifications de détail dans les formes qui dérivent des conditions générales : ainsi, non seulement la classe, mais l’ordre, mais le genre, et jusqu’à l’espèce, se trou- vent exprimés dans la forme de chaque partie. » En effet, pour que la machoire puisse saisir, il lui faut une certaine forme de condyle, un certain rap- port entre la position de la résistance et celle de la puissance avec le point d'appui, un certain volume dans le muscle crotaphite, qui exige une certaine étendue dans la fosse qui le reçoit, et une certaine convexité de l’arcade zygomatique sous laquelle il passe ; cette arcade zygomatique doit aussi avoir une certaine force pour donner appui au muscle masséter. > Pour que l’animal puisse emporter sa proie, il lui faut une certaine vigueur dans les muscles qui sou- lèvent la tête, d’où il résulte une forme déterminée PE CHAPITRE IV 93 dans les vertèbres où ces muscles ont leurs attaches, et dans l’occiput où ils s’insèrent. » Pour que les dents puissent couper la chair, ilfaut qu’elles soient tranchantes, et qu’elles le soient plus ou moins, selon qu’elles auront plus ou moins exclu- sivement de la chair à couper. Leur base devra être d’autant plus solide, qu’elles auront plus d’os, et de plus gros os à briser. Toutes cescirconstances influe- ront aussi sur le développement de toutes les parties qui servent à mouvoir la mâchoire. » Pour que les griffes puissent saisir cette proie, il faudra une certaine mobilité dans les doigts, une certaine force dans les ongles, d’où résulteront des formes déterminées dans toutes les phalanges, et des distributions nécessaires de muscles et de tendons; il faudra que l’avant-bras ait une certaine facilité à se tourner, d’où résulteront encore des formes dé- terminées dans les os qui le composent ; mais les os de l’avant-bras, s’articulant sur l’humérus, ne peu- vent changer de forme sans entraîner des change- ments dans celui-ci. Les os de l’épaule devront avoir un certain degré de fermeté dans les animaux qui emploient leurs bras pour saisir, il en résultera encore pour eux des formes particulières. Le jeu de toutes ces parties exigera dans tous leurs muscles de certaines proportions et les impressions de ces muscles ainsi proportionnés, détermineront encore plus particulièrement les formes des os. » Il est aisé de voir que l’on peut tirer des conclu- sions semblables pour les extrémités postérieures 94 UN PROBLÈME DE L ÉVOLUTION qui contribuent à la rapidité des mouvements géné- raux, pour la composition du tronc et les formes des vertèbres, qui influent sur la facilité, la flexibilité de ces mouvements ; pour les formes des os du nez, de l'orbite, de l’oreille, dont les rapports avec la per- fection des sens, de l’odorat, de la vue, de l’ouïe sont évidents. En un mot, la forme de la dent entraîne la forme du condyle, celle de l’omoplate, celles des ongles, tout comme l'équation d’une courbe en- traîne toutes ses propriétés ; et de même qu’en prenant chaque propriété séparément pour base d'une équation particulière, on retrouverait, et l'équation ordinaire, et toutes les autres propriétés quelconques, de même l’ongle, l’omoplate, le con- dyle, le fémur, et tous les autres os, pris chacun séparément, donnent la dent ou se donnent récipro- quement, et en commençant par chacun d’eux, celui qui possèderait rationnellement les lois de l’économie organique pourraitrefaire tout l’animal»[p.98-102](1). (1) Il ne faut pas oublier cependant que les corrélations, si étroites qu'elles soient, ne sont pas absolues et nécessaires jusque dans les moindres détails. Elles comportent des degrés, la coordination est plus ou moins parfaite, il y a une certaine laxité dans le type d'«animal fonction » réalisé ; et cela se com- prend aisément, car une corrélation trop serrée, une diffé- renciation poussée à l'extrême, ne seraient guère compatibles avec les multiples conditions de vie que rencontre tout être vivant, même très spécialisé. Mais ces réserves, jointes à celles indiquées plus haut (p. 91), étant faites, l'idée de corre- bél sGies ide CHAPITRE IV 95 Dans les pages que nous venons derapporter, les corrélations décrites par CuviEr sont exclusivement des corrélations fonctionnelles, c’est-à-dire des adap- tations de plus en plus parfaites et de mieux en mieux harmonisées entre elles pour le perfectionne- ment des fonctions, et cela ne doit point nous éton- ner étant donné la nature de son esprit et la conception qu’il se faisait du rôle de l’anatomie comparée, aussi propre disait-il àexpliquer la physio- logie des animaux et à donner « la théorie générale de leur fonction » qu’à nous faire connaître leur propre nature (Rapport histor., etc., p. 301). Les cor- rélations ainsi comprises n’exigent point un nou- veau mode de transformation des organes, elles résultent de différenciations ordinaires, mais qui, au lieu d’être indépendantes les unes des autres et 1so- lées, sont liées entre elles et se déterminent récipro- quement. Mais à côté de ces corrélations il en existe d’autres, d’une tout autre nature, et que la définition donnée par HAECKEL dans sa Morphologie générale, permet de prévoir. « De même que dans un organisme, dit-il (t. I, p. 158), toutes les parties ont entre elles et avec le tout des rapports fixes déterminés par la forme lation doit être conservée, car elle est des plus fécondes, et permet seule de comprendre d’une façon complète, ces modè- les d'organisation par excellence que représentent les Verté brés, 96 UN PROBLÈME DE L ÉVOLUTION de l'organisme, de même dans les cristaux les parties élémentaires sont disposées entre elles et par rapport au tout dans des rapports fixes réglés par des différences de cohésion dans certains axes. Ce rapport nécessaire des parties entre elles et au tout est causé, dans l’organisme comme dans le cristal, par les fonctions physiques et la constitution chimique de ces matériaux ». L'importance de la forme de l’organisme pour la détermination de celle des parties est ici bien mise en lumière, et la com- paraison avec les cristaux fait encore mieux com- prendre ce que l’on peut entendre par corrélations architecturales. Mais avant d'entrer dans l'examen de ces dernières, il faut encore signaler d’autres accep- tions, très employées aujourd’hui, mais d’une façon peu heureuse, du terme corrélation. Déjà CuviER avait remarqué des corrélations dont il ne pouvait saisir la raison fonctionnelle. « Je doute qu’on eût deviné, dit-il (1830, p. 104), si l'observation ne l’avait appris, que les Ruminants auraient le pied fourchu et qu’ils seraient les seuls qui l’auraient: je doute que l’on eût deviné qu’il n’y aurait de cornes au front que dans cette seule classe; que ceux d’entre eux qui auraient des canines aiguës manqueraient pour la plupart de cornes, etc. ». Depuis, ces exemples de corrélations inexpliquées se sont beaucoup multipliés. DARWIN a fait remar- quer que les chats blancs pourvus d’yeux bleus sont généralement sourds; que les chiens sans poils ont la dentition imparfaite ; les pigeons pattus ont une À né mn à à ci 1 dé TP CHAPITRE TV 07 membrane entre leurs orteils extérieurs; ceux qui ont le bec court ont de petits pieds et ceux qui ont un long bec de grands pieds (Origine des Espèces, éd. fr. définitive, 1882, p. 12-13). Des faits analogues considérés comme des corrélations sont journellement signalés par les observateurs et ils forment actuelle- ment un chapitre important de la biologie. Mais beaucoup de ces prétendues corrélations ne méritent peut-être pas ce titre. « Autre chose, dit BERGSON (L'évolution créatrice, p.72), est un ensemble de changements solidaires, autre chose un système de changements complémentaires, c’est-à-dire coordon- nés les uns aux autres de manière à maintenir et même à perfectionner le fonctionnement d’un organe dans des conditions plus compliquées ». Toutefois, quelque difficulté que l’on puisse ren- contrer pour décider dans certains cas si des phéno- mènes relèvent bien des corrélations, ilexiste d’autres cas où la réponse est facile et où la marque de la corrélation est indéniable. Aïnsi la tête, la région branchiale et la cavité viscé- rale des Vertébrés offrent entre elles des relations différentes suivant les groupes et ces relations,que l’on peut considérer comme un des traits caractéristiques de l’architecture générale des Vertébrés, entrainent dans la constitution des différents organes des modi- fications très importantes et qui ne relèvent que d'elles. On pourrait penser que cette architecture elle-même dépend du fonctionnement, et que par suite les corrélations que nous lui attribuons rentrent 98 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION ainsi dans le cadre des corrélations fonctionnelles. Mais il ne paraît pas en être ainsi et cette architec- ture ne se laisse pas assez facilement relier à des changements de fonction pour qu’on puisse accepter cette dernière idée et combattre notre thèse. L’ar- chitecture de l'être futur se dessine, en effet, de si bonne heure chez l'embryon, elle est en rapport avec tant de modifications simultanées qu’on ne peut aisément chercher son origine dans un simple changement fonctionnel, et qu’elle paraît avant tout liée à une série de phénomènes embryolo- giques dont, il est difficile de déterminer les cau- ses et l’enchaînement. Aussi ne parlerons-nous pas plus longuement ici de cette architecture des Vertébrés et des raisons qui nous la font admettre, renvoyant pour cela à un prochain chapitre spéciale- ment consacré à l’embryologie, et nous nous con- tenterons de donner deux exemples typiques de Pinfluence de l'architecture d’un organisme sur la forme de certains organes. Le cœur des Cyclostomes est constitué uniquement, comme celui des véritables Poissons, par un sinus veineux, une oreillette et un ventricule uniques, mais ces parties sont tout autrement disposées que chez les Poissons, et cette différence morphologique ne peut être attribuée ni à un perfectionnement, ni à une régression, mais uniquement à des conditions nouvelles dans la disposition de la loge où se trouve enfermé le cœur. Chez les Poissons, le cœur est placé dans une 1 À it in be de CHAPITRE IV 99 cavité péricardique située sous la face vèéntrale du pharynx et qui a la forme d’un demi-cône dont la face plane répond au plancher du pharynx, le sommet à l'artère branchiale, la base à la cloison qui sépare le cœur du reste de la cavité viscérale. Le cœur comprend essentiellement un sinus veineux, une Fig. 1. — Cœur d'un Squale (Acanthias vulgaris). A. vu par la face ventrale. — B. vu par la face dorsale. — 4. b. artère branchiale. — c.a. cône artériel. — c.Cur. canal de Cuvier. — or. oreillette, — $s ». sinus veineux. — #. ventricule oreillette et un ventricule. Le sinus veineux, trans- versal, est placé sur la face ventrale du pharynx ou de l’œsophage et prolongé latéralement par deux vaisseaux, également transverses, les canaux de Cuvier, qui passent sur les côtés du tube digestif et atteignent les parois de la cavité viscérale, dans lesquelles ils rencontrent les veines jugulaires venues de la tête et les cardinales appartenant au tronc (voy. fig 1 du texte). Sur son bord caudal le sinus veineux reçoit les deux veines hépatiques paires qui lui viennent du foie; du côté crânial il se continue 100 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION par l'oreillette dont le sépare une paire de valvules. L’oreillette est placée immédiatement au-dessous de la paroi ventrale du pharynx, dans la portion dorsale de la cavité péricardique. Au début, lorsque le cœur a la forme d’un simple tube en anse (voy. fig. 1, pl. I), l'oreillette, toujours dorsale, occupe le côté gauche du péricarde, tandis que le ventricule placé ventralement est dans la partie droite de ce dernier Mais avec le développement du cœur cette asymétrie primitive est masquée plus ou moins complètement, et l'oreillette occupe toutela partie dorsale du péricarde, recouvrant le ventricule qu’elle déborde plus ou moins sur les côtés et qui occupe la partie ventrale du péricarde. Cette égalisation des deux parties d’abord opposées de l’anse cardiaque tient évidemment à la situation antagoniste (dorsale d’une part, ventrale de l’autre) du point fixe que chacune d’elles présente sur le plan sagittal, c’est-à-dire du sinus veineux placé dorsale- ment, pour l'oreillette, et de l’artère branchiale située sur le côté ventral, pour le ventricule. Chez les Lamproies le cœur est tout autrement placé; la cavité péricardique n’a pas du tout la forme d’un cône dont la pointe s’engage sous le pharynx, c’est tout simplement une tranche de la cavité géné- rale du corps, limitée en avant par la paroi posté- rieure de la dernière poche branchiale, en arrière par lefoie, ou chezl’adulte parla lame cartilagineuse appe- lée improprement le péricarde (voy. fig. 6, pl. IV). L’œsophage, très peu développé et appliqué con- tre l’un des côtés de la colonne vertébrale occupe LIBEAEN æ CHAPITRE IV 101 une faible étendue, de sorte que la loge péricardique, au lieu d’être entièrement comprise à la face ventrale du tube digestif, s'étend dorsalement jusqu’à la colonne. Dans ce péricarde est situé un sinus veineux bien singulier et non plus transversal comme chez les Poissons, mais vertical, allant de la face inférieure de la colonne où il reçoit le sang des veines jugu- laires et cardinales jusque sur la face ventrale de la cavité cæœlomique, sur laquelle il s'étend en se cour- bant, fixé à sa paroi en avant par un tronc veineux énorme qui le prolonge (veine jugulaire impaire), en arrière par une veine plus petite, mais bien déve- loppée cependant, la veine hépatique ventrale (voy. fig. 5, pl. IT). Ce sinus veineux vertical s’en- fonce entre l’oreillette et le ventricule qu'il sépare l’un de l’autre dans leur partie caudale et qui, au lieu d’être superposés l’un à l’autre comme ils le sont chez les Poissons, sont situés côte à côte, l’un à gauche (l'oreillette), l’autre à droite (le ventri- cule), comme deux hémisphères accolés par leur face plane qui coïnciderait à peu près avec le plan sagittal. Chez ces animaux, l’asymétrie primitive de l’anse cardiaque est donc non seulement conservée, mais exagérée, car chacune des deux chambres cardia- ques occupe toute la moitié correspondante, gau- che ou droite, du péricarde. Et cependant, par le seul fait du fonctionnement, la symétrie devrait tendre à se produire, le ventricule tiré vers l'insertion de l’artère branchiale à chaque systole devrait être par VIALLETON. Problèrne.étolntion. 2... 1 102 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION là-même insensiblement amené dans la moitié ven- trale du péricarde. Mais un ligament particulier l’attache à la paroi droite du corps et empêche cette torsion qui aurait eu pour résultat de comprimer plus ou moins la partie ventrale du sinus veineux déviée de la ligne médiane par le développement du ventricule, et de gêner ou même d'empêcher le cours du sang (1). La disposition particulière du cœur des Lamproies résulte d’un mélange complexe de corrélations phy- siologiques d’une part et architecturales d'autre part. En effet, la situation de l'oreillette et du ventricule de chaque côté du plan sagittal est évidemment commandée parla position verticale du sinus veineux, car elle est la seule qui permette à ce dernier de fonctionner convenablement, c'est-à-dire de n'être pas comprimé ou tordu par le déplacement du ven- tricule. Mais cette disposition du sinus relève elle- même de détails de structure sans importance phy- siologique, ou plutôt dont la présence ou l’absence ne changent rien à la fonction des parties qui les pré- sentent. Ce sont : premièrement la formation d’une veine hépatique ventrale et d’une veine branchiale impaires, soudées à la paroi ventrale du corps et en partie enfoncées dans son épaisseur; secondement la disparition d’un des canaux de Cuvier, laissant (1) Voyez pour plus de détails L. VrazLETOoN. Étude sur le cœur des Lamproies, etc. Arch. d'anat. microse., t. VI, 1903. an À D D d' nnte Ne EE |, à CHAPITRE IV 103 l'autre former la partie dorsale du sinus. Or, si la disparition d’un canal de Cuvier s’explique peut-être par le rapprochement des deux veines jugulaires l’une de l’autre du côté dorsal, — rapprochement per- mettant l'établissement entre elles d’une anastomose, qui rend possible l’atrophie d’un des canaux de Cuvier — et si ce rapprochement est plus ou moins corrélatif de la régression du tube pharyngien, conséquence de la vie parasitaire de ces animaux, de sorte qu’en somme la raison du changement réside dans une modification de fonction, il y a d’autres facteurs qui ne relèvent pas de la même cause. Ainsi l’attache de la veine hépatique à la paroi ventrale, qui force le sinus à s’étendre jusqu’à cette dernière, s’observe uniquement chez les Cyclostomes et ne paraît pas dépendre de raisons physiologiques car, dès le début, avant que les modifications qui accom- pagnent la régression de l’æsophage existent, la veine hépatique ventrale est attachée à la paroi abdominale. L’adhérence de cette veine à la paroi ventrale paraît donc un fait purement morphologique, et il en est de même pour celle de la veine branchiale impaire. Un autre exemple de corrélations architecturales est fourni par les viscères des Amniotes. Chez tous ces animaux, la partie initiale des poumons occupe, avec le péricarde, la partie crâniale de la cavité vis- cérale dans laquelle le foie ne s’avance jamais. Or, cette disposition qui rend possible la formation d’une cavité thoracique distincte chez les Mammife- 104 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION res, est liée à des rapports spéciaux de la région branchiale et du sinus veineux qui s’observent de très bonne heure chez les embryons des Amniotes et ne peuvent aucunement dépendre de change- ments fonctionnels. On trouvera au chap. VI des détails permettant de comprendre la corrélation architecturale qui relie la formation d’un thorax aux rapports primitifs du sinus veineux, et qui ne pourrait être expliquée ici sans faire double emploi avec ce chapitre. Il suffit pour le moment d’avoir indiqué, à propos des modes de transformation des organes, le fait que des changements de forme des parties de l’animal, sans importance fonctionnelle aucune, entraînent dans la structure des organes, des modifications importantes que l’on peut dési- gner sous le nom de corrélations architecturales. Lite EUR n° EU él dt” *. + “à VE La UT SE, F fs CHAPTERE SV LES FORMES EMBRYONNAIRES Comparaisons de la forme extérieure des embryons. — Séries embryologiques, (ex.: squelette axial, cœur, système Iym- phatique).— Leur caractère artificiel et leur manque de pré- cision. — Les organes des embryons sont «devenus embryon- naires» (Osc. HERTWIG) ou comme le dit Von BAER, les embryons des animaux supérieurs ressemblent seulement aux embryons des animaux inférieurs, ex.: cerveau, cœur, arcs viscéraux, protovertèbres. — L'importance des hétéro- chronies dans la comparaison des embryons. | Nous ne parlerons que brièvement de la forme extérieure des embryons. À un moment donné on a beaucoup exagéré la ressemblance que cette forme présenterait chez des animaux assez éloignés. HAEC- KEL, dans les premières éditions de l'Histoire de la création naturelle, avait représenté d’une manière très peu exacte les embryons de divers Amniotes, et leur avait attribué une ressemblance qu'ils n’ont point, ce qui lui valut les critiques fortement moti- vées de His (1874, p. 168-171). Depuis cette époque et en grande partie grâce à l'impulsion donnée par His, on a appris à mieux distinguer les formes primi- tives des embryons-et l’on sait parfaitement combien elles peuvent différer selon les espèces. La mésaven- 106 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION ture arrivée à VON BAER avec ses embryons non éti- quetés, et dont on s’est si souvent servi contre son intention pour parler de l'identité de forme des em- bryons d'animaux très différents, était due à ce qu'il avait conservé le corps seulement de ses embryons, mais n’avait gardé ni leurs annexes ni leurs envelop- pes, sans quoi il n’aurait jamais confondu un embryon de Mammifère avec celui d’un Oiseau ou d’un Reptile. En réalité les embryons diffèrent beaucoup les uns des autres dans leurs premiers stades, et c’est ce dont s'était déjà aperçu Von BAER lorsqu'il fait remarquer que les différences entre les embryons au stade de la ligne primitive sont beaucoup plus grandes qu’entre les adultes et que l’on a peine à comprendre comment des débuts si différents aboutissent au même résultat (1828, p. 147-148). Ils diffèrent alors par leurs propor- tions, par leur situation sur le blastoderme, par leur forme même, puis par la manière dont se forment leurs enveloppes et leurs annexes. À un moment donné cependant, lorsque apparaissent les arcs bran- chiaux et un peu plus tard la courbure nuchale, les corps des embryons des différents Amniotes présen- tent une ressemblance assez grande et se distin- guent mal les uns des autres faute de caractères sail- lants. Leur peau lisse et nue ne possède aucun des caractères qu’elle aura plus tard. Ils n’ont que des rudiments de membres présentant chez tous la même forme ; ilsne possèdent pas de dents et leur face courte et cachée sous le cerveau prédominant ne présente aucun des caractères qu’elle offrira chez F4 | gt ins eh «5 er RE Le auf are RS TS É NPC, Lx v LS è CHAPITRE V 107 l'adulte. Cependant plus les connaissances embryolo- giques s'étendent, plus il devient ffacile de distin- guer les embryons des diverses espèces, et les diffé- rences spécifiques s’établissent en réalité d’assez bonne heure, comme le montre la citation sui- vante de KEIBEL (1904) : « Bien qu’il y ait d’étroites ressemblances entre les embryons des Singes et ceux de l'Homme, quand ils sont au même stade (comme SELENKA l’a montré), un examen approfondi fait voir diverses différences — même laissant de côté celle de la queue — et cela non seulement entre les embryons de l'Homme et ceux des Singes, mais encore entre les différentes espèces de ces derniers, si bien que les diverses espèces de Singes peuvent être classées sans difficulté chez des embryons de de quatre ou de cinq semaines » [p. 340]. Ces quelques mots suffisent pour indiquer où en est maintenant la question de la ressemblance exté- rieure des embryons. Trop communément admise à - une période, cette ressemblance n’est vraie d’une manière générale que pour les embryons des Amniotes et pendant une courte période de leur développement (celle qui précède immédiatement la formation de la courbure nuchale et qui se continue encore peu de temps après la formation de cette courbure). Les embryons des Vertébrés inférieurs diffèrent énormé- ment les uns des autres et de ceux des Amniotes, et BASHFORD DEAN fait remarquer (1895, p.180), qu’ «il y a des différences beaucoup plus grandes dans les plans du développement d’un Ganoïde et d’un Téléostéen, 108 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION étroitement voisins l’un de l’autre, que dans ceux d’un Reptile et d’un Oiseau; et même, parmi les mem- bres du seul groupe des Téléostéens, il y a des diffé- rences embryologiques plus frappantes que celles que l’on observe entre Reptiles et Mammifères ». Nous n'insisterons pas davantage sur la forme extérieure et nous passerons à l’étude des organes pris isolément. Le développement ontogénique de certains orga- nes offre une série d’étapes qui, suivant les expres- sions de Osc. HERTWIG [p. 155], forment le pendant des séries montrées par l’anatomie comparée, de sorte que l’on peut admettre avec HAECKEL, et d’autres, un parallèle entre les résultats de l’anatomie comparée et ceux de l’embryologie.Mais, ajoute HERTWIG,onne peut tirer de ce parallélisme, si l’on veut l’utiliser pour les questions de descendance, aucune conclusion plus profonde, car s’il offre un appui à cette vue spécula- tive des morphologistes que les organes plus élevés procèdent de plus simples, les résultats de l’embryo- logie comparée se refusent, aussi bien que ceux de l'anatomie comparée à nous montrer l’image réelle de la série des ancêtres d’une espèce actuelle. En effet, ces séries embryologiques ne concordent avec les séries anatomiques que d’une manière très générale. Elles ne répètent point toutes les étapes que l’anato- mie comparée permet d'établir, mais reproduisent simplement des dispositions générales dépourvues de caractères morphologiques précis permettant de retrouver en elles des formes déterminées. De plus, Lis or. CHAPITRE V 109 beaucoup d’entre elles sont établies d’une manière très superficielle et ne résistent pas à un examen un peu attentif. Bien que ce ne soit pas là unargument décisif con- tre la théorie de la récapitulation, car on pourrait espérer améliorer avec le temps nos connaissances et arriver à posséder des séries bien faites, vraiment irréprochables, il me semble cependant nécessaire d’insister un peu sur la défectuosité de certaines interprétations généralement admises en faveur du parallélisme. Les séries embryologiques progressives ne se rencontrent. comme on peut le penser, que dans les organes à développement progressif, tels que le squelette axial, le système nerveux central, appareil circulatoire, etc., etc. Ilne faut pas s’atten- dre a en trouver pour les autres organes, et l’œil notamment n'offre, dans aucune des étapes de son développement, une forme observée à l’état perma- nent chez un animal inférieur; on peut même ajouter qu'il revêt dans ses premiers stades une dispo- sition absolument incompatible avec la fonction qu’il doit remplir; mais nous n’en parlerons pas pour le moment et nous porterons toute notre attention sur les organes à développement progressif. Il n’est pas difficile de voir que, même pour ces derniers, les séries sont beaucoup plus idéales que réelles. Quel- ques exemples le montreront amplement. Prenons d’abord le squelette axial, c'est un des appareilsles plus souvent cités à ce propos. L’embryon 110 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION d’un Mammifère a d’abord une corde dorsale et rien de plus, puis le mésenchyme l'enveloppe et s'étend au-dessus et au-dessous d’elle formant un rachis membraneux ; bientôt apparaissent au sein du mé- senchyme des vertèbres cartilagineuses qui enfin s’ossifient plus tard. On a donc dans cette évolution un parallèle avec l’évolution phylogénique montrée par les squelettes de l’Amphioxus, d’un Sélacien, d’un Amphibien ou d’un Reptile. Mais il faut remarquer que le parallèle ne peut être établi rigoureusement qu'entre les idées que nous nous faisons des deux développements ontogénique et phylogénique, idées que nous résumons dans ces mots : squelette pure- ment cordal, puis membraneux, cartilagineux et osseux. Mais si, ne nous contentant plus de ces expressions générales schématiques, nous passons aux faits, nous voyons qu’ils ne concordent plus aussi exactement. Dans les premiers stades, lors- qu’existent seulement les protovertèbres et la corde, personne ne peut confondre l’embryon d’un Amniote avec celui d’un Sélacien, par exemple. En effet, sur les coupes transversales nécessaires pour étudier le développement du squelette, on voit facilement que la protovertèbre du premier a une forme diffé- rente de celle du second; elle est carrée au lieu d’être rectangulaire, et toute sa lame médiale, ou mieux sa moitié interne, va serésoudre en une grande quantité de mésenchyme destinée à former le sque- lette membraneux, tandis que l’ébauche de ce mésen- chyme naît chez les Sélaciens d’une autre partie J'ÉR, P i CHAPITRE V 111 du mésoderme (le néphrotome pour RaBL) et forme des bourgeons d’abord bien distincts, les scléroto- mes, qui se placent d'emblée en dedans de la pro- tovertèbre dont la lame médiale se transforme tout entière en muscles. Chez les Amniotes, l’évolution de la protovertèbre est donc un peu différente de ce qu’elle est chez les Poissons. Il se forme en outre chez eux de très bonne heure une quantité de mésenchyme énorme par rapport à ce qu’elle est chez les Poissons, — faisant prévoir limportance future du squelette mésenchymateux par opposition à celle de la corde. — En un mot le développement des deux squelettes montre, dès le début, des différences frappantes et elles ne font que s’accentuer avec l’âge. Toutes ces différences sont dues à la céno- genèse, dirat-on? Soit, mais alors le parallélisme n’est qu'idéal, les termes seuls qui désignent les dif- férents stades en les schématisant se correspondent, les stades eux-mêmes ne se répètent point. Nous ver- rons d’ailleurs plus loin que la succession de ces stades a sa raison d’être dans la nature même et dans les propriétés des tissus quilescaractérisent, et qu’elle peut s'expliquer tout naturellement sans la moindre répétition de la phylogenèse. Mais voici un autre exemple; on sait que le cœur de l'Homme est d’abord représenté comme celui des Poissons par un simple tube courbé en anse et sub- divisé en trois loges consécutives, l’oreillette qui reçoit le sang du sinus veineux, le ventricule et le bulbe. Chez les Amniotes, le cœur se dédouble par 112 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION cloisonnement de ses cavités et comprend un cœur droit et un cœur gauche. Le cloisonnement commence à s’opérer chez les Poissons pulmonés (Dipneustes) et chez les Amphibiens, il porte d’abordsur l'oreillette. Chez les Reptiles, le ventriculecommence à se diviser à son tour par une cloison. Cette cloison achevée, le ventricule unique primitif est partagé en deux ventricules complètement distincts. Dans la plupart des Reptiles, la cloison ne se développe pas complè- tement et les deux ventricules communiquent plus ou moins largement entre eux par un orifice appelé orifice interventriculaire. Or, dansle développement ducœur des Mammifères on observe un stade où les deux ventricules communiquent entre eux par un orifice interventriculaire. Naturellement on a regardé cette disposition comme représentant le stade reptilien du cœur des Mammifères, mais c’est une comparaison bien superficielle, comme vont le faire voir les obser- vations suivantes, empruntées aux belles études de À. SABATIER (1873). Il y a bien chez les Reptiles un orifice interventri- culaire, mais leur cœur est en même temps disposé d’une manière particulière. Tandis que chez les Mammifères, le bulbe se divise seulement en deux troncs continuant l’un le ventricule droit (artère pulmonaire), l’autre le ventricule gauche (aorte), il se divise en trois chez les Reptiles : une artère pulmo- naire et deux crosses aortiques, l’une droite et l’autre gauche. L’extrémité ventriculaire de ces cros- ses s'ouvre pour toutes deux dans la partie droite CHAPITRE V 113 de la loge ventriculaire imparfaitement divisée en deux ventricules, mais elle est croisée de telle façon que celle de droite vient s’ouvrir un peu à gauche, celle de gauche un peu à droite, à côté de l’origine de l'artère pulmonaire. La crosse droite porte seule, chez la plupart des Reptiles, les artères de la tête et des membres antérieurs; la gauche ne fournit point de vaisseaux à ces régions, et vient s’unir à la droite vers le milieu du corps. Bien que les deux ventricules communiquent, à l’état normal leurs sangs se mêlent peu. Le sang contenu dans la partie droite, trouvant dans le large orifice de l’artère pulmonaire et dans celui de la crosse gauche une issue facike s’y engage tout d’abord. Ainsi au début de la systole, le sang noir s'engage d’abord dans l’artère pulmonaire et dans la crosse gauche dont l’orifice se ferme bientôt par un mécanisme particulier, de sorte que le sang artériel pur arrivé maintenant vers les orifices aorti- ques pénètre forcément dans la crosse droite. Toute- fois une certaine quantité de sang artériel pénètre dans la crosse gauche par une fente interaortique placée entre les deux aortes, de sorte que finalement l’aorte droite contient du sang artériel pur, la crosse gauche du sang mixte. Mais comme l’a fait remarquer SABATIER, il est des cas où ilen estautrement. Lorsque la respiration est suspendue, le cœur droit se remplit de sang, qui le distend, la pression augmente dans la crosse gauche et le sang veineux passe alors dans la crosse droite, qui joue ainsi le rôle de soupape de sûreté vis-à-vis du cœur droit. Les deux crosses aorti- 114 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION ques renferment alors du sang mixte, mais cet état dure peu.Le sang noir,amené au cerveau parles carotides, excite ce dernier et provoque des réflexes par les- quels l’animal cherche à se soustraire aux conditions où il se trouve, y réussit, et tout rentre dans l’ordre, la pression diminuant dans le cœur droit, et les deux crosses aortiques recevant un sang différent. Il est probable que la possibilité d'une semblable commu- nication plus ou moins directe entre les deux ven- tricules a une grande importance chez les Reptiles, car elle se rencontre même chez les Crocodiles, dont les deux ventricules sont entièrement séparés. La crosse droite.s’ouvre alors dans le ventricule gauche, la gauche dans le ventricule droit, mais une commu- nication prochaine, bien qu'’indirecte, des ventricules est conservée, car il existe au-dessus des valvules aortiques un trou percé dans la cloison qui sépare les deux crosses aortiques l’une de l’autre ; c’est le pertuis de Panizza. Lorsque la pression augmente dans le ventricule droit par suite d’asphyxie (plongées de l’animal) le sang noir de la crosse gauche atteint une pression suffisante pour passer par le pertuis dans la crosse droite, et lorsqu'il y est arrivé en assez grande quantité, les réflexes libérateurs dont nous avons parlé interviennent pour tout remettre en ordre. Telles sont les dispositions des Reptiles. Chez les Oiseaux, il y a une seule crosse aortique droite qui s'ouvre dans le ventricule gauche, et une artère pulmonaire. GREIL a observé, chez l’em- AM CHAPITRE V 415 bryon, un rudiment de crosse gauche (1),il y aurait donc ici un rappel de l’état reptilien, mais les cho- ses ne sont pas aussi simples qu’elles le paraissent, si l’on veut continuer la comparaison. En effet, chez les Oiseaux où il y a deux ventricules, la crosse aortique droite s’ouvrant dans le gauche, l'artère pul- monaire dans le droit, cette disposition peut très bien se déduire de celle des Reptiles avec la disparition de la crosse aortique gauche. Mais chez les Mammifères, où les deux ventricules sont également distincts, l'aorte qui représente la crosse gauche s’ouvre également dans le ventricule de même nom, de sorte que son orifice ventriculaire a dû se transposer, ou bien la cloison ventriculaire des Oiseaux n’est pas homologue à celle des Mammifères, et celle-ci est une formation nouvelle, ne dérivant pas directe- ment de celle des Sauropsidés. On voit combien les choses sont plus compliquées qu’on ne l’imagine, et cependant les rapprochements opérés sont si peu approfondis, que l’on compare généralement le trou interventriculaire au pertuis de Panizza qui n’est pas interventriculaire mais interaortique. Cette confusion soigneusement évitée il y a longtemps déjà par SABATIER, qui a longue- ment établi les homologies de l’orifice interaortique et signalée récemment par HOCHSTETTER (1901, p. 37) se retrouve encore dans le Précis d’embryologie de (1) Voyez HocnsTETTER 1901-03, p. 102. 116 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION Osc. HERTWIG (1906) et dans le Traité d’embryologie de R. BONNET (1907). En réalité, il n’y a point dans l’évolution du cœur des Mammifères de répétition du cœur reptilien. Le cœur d’un Mammifère n’est pas un cœur de Reptile complètement cloisonné, mais un autre cœur, il n’a Jamais deux crosses aortiques et la ressemblance apparente que ses deux ventricules imparfaitement séparés présentent momentanément avec les ventri- cules communiquants des Reptiles est due simple- ment au mode de développement de la cloison, qui ne se fait pas brusquement et d’un seul coup, mais d’une manière progressive. Un dernier exemple fera bien voir combien le parallélisme est souvent insuffisamment établi. Il y a quelques années (1902), Miss FLORENCE SABIN a décrit le développement du système lymphatique des Mam- mifères de la manière suivante: en quatre points du système veineux, à l'embouchure des veines des mem- bres sur les veines cardinales, se forment des diverti- cules creux qui émettent un certain nombre de {troncs lymphatiques lesquels se ramifient abondam- ment et fournissent tous les vaisseaux lymphatiques de l’économie. L'auteur n’a pas hésité à regarder ces diverticules initiaux comme représentant les cœurs lymphatiques antérieurs et postérieurs de la Gre- nouille et leur conserve ce nom bien qu’il reconnaisse dans un travail plus récent (1905, p. 356) qu’à aucun moment de leur développement ils ne possèdent de paroi musculaire ! Pourquoi cette dénomination ? Li -48f. ge PE age DEEE CHAPITRE V 117 Parce que lorsque FL. SABIN a cru observer l’origine du système lymphatique sur quatre points distincts du système veineux placés à peu près comme les cœurs des Batraciens anoures, pleine de confiance dans la loi biogénétique, elle a conclu que ce devait bien être la véritable origine de ces vaisseaux, puisque ce stade du développement reproduisait l’état perma- nent d’un Vertébré inférieur. Et une fois entrée dans ce cercle vicieux, la théorie confirmant les obser- vations embryologiques qui à leur tour venaient à l’appui de la théorie, elle n’a plus aperçu les points faibles d’une observation qui paraissait concorder si bien avec les idées régnantes. Naturellement ses lec- teurs ont fait comme elle et cité cette ontogenèse du système lymphatique comme une nouvelle preuve, inutile d’ailleurs, tant on en voyait partout, de cette grande vérité que l’ontogenèse répète la phylogenèse. Moi-même j'ai répété cet exemple comme d’autres, dans le résumé d’Embryologie de l’Anatomie humaine de TESTUT. Si nousrevenons à notre exemple, voyons — sans nous préoccuper d’ailleurs de l'exactitude des données de FL. SABIN et sans exposer les recherches ulté- rieures très discordantes de LEwWIS (1906) qui nie [p. 110] la présence de cœurs lymphatiques chez les Mammifères, — jusqu’à quel point on était fondé à chercher dans les premiers stades du développe- ment du système lymphatique des Mammifères une disposition semblable à celle des Grenouilles. On peut d’abord supposer que le système lympha- VIALLETON. Problème évolution. 8 118 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION tique ne s’est pas formé d’emblée avec les caractères qu’il offre aujourd’hui chezles Batraciens, il a dû être précédé par des formes plus simples que l’on peut entrevoir en songeant au système lymphatique des Sélaciens. Ensuite, il faut remarquer que la présence de cœurs lymphatiques antérieurs paraît très parti- culière aux Amphibiens anoures; elle ne se rencon- tre pas chez les Reptiles dont la majeure partie des lymphatiques débouchent directement dans les jugulaires sans l’intermédiaire des cœurs axillaires, tandis qu’il existe en arrière des cœurs postérieurs. L'existence de cœurs axillaires n’est donc pas un fait général, une propriété fondamentale du système lymphatique, elle est peut-être en rapport chez les Anoures avec la forme irrégulière des vaisseaux lym- phatiques qui est très défavorable à la circulation de la lymphe et nécessite des organes propulseurs parti- culiers. Voici donc encore un cas de parallélisme qui, vu de près, se montre absolument sans valeur. La vraie nature de ces séries embryologiques sera mieux comprise sinous examinons maintenant quelle signification il convient d’attribuer aux organes em- bryonnaires des animaux supérieurs, comparati- vement aux mêmes organes développés dans les ani- maux inférieurs. OscAR HERTWIG a insisté sur ce sujet dans son article déjà cité (1906). « Les généalogies, dit-il[p 168], comprennent un nombre d’autant plus grand de stades qu’elles sont plus éloignées de leur point de départ ; par conséquent, les formes finales ATP TS ONE AN TT QE her ed bé 07 VPN OPUS CHAPITRE V 419 ou ancestrales des anneaux antérieurs de la chaîne deviennent simplement des formes de passage dans les ontogénies suivantes Elles étaient d’abord les ébauches développées d’un œuf plus ancien phylogé- nétiquement, maintenant elles ne sont plus que les conditions préalables pour l'obtention de formes terminales plus hautement organisées, ou seulement encore le moyen pour la réalisation des ébauches, devenues plus compliquées, d’un œuf changépendant le cours du développement phylogénique. Avec la perte de leur signification primitive, elles doivent aussi subir des changements de forme et de contenu ; elles héritent de nouvelles propriétés, elles en perdent d’autres qui étaient nécessaires pour les états anté- rieurs, mais qui ne le sont plus pour une forme em- bryonnaire de transition. » Oscar HERTWIG caractérise par le nom d’organes devenus embryonnaires les organes de l'embryon, modifiés comme il vient d’être dit. Ainsi la corde des Mammifères est un pur organe embryonnaire sans fonction de soutien, l'anatomie comparée seule peut nous montrer qu’elle représente une espèce de squelette axial. De même, les arcs branchiaux des Amniotes ne sont que des formes de passage embryon- naires, qui sont destinées à un tout autre but que les arcs branchiaux homologues des Vertébrés inférieurs. Oscar HERTWIG cite seulement la corde et les arcs branchiaux, mais, en réalité, ce qu'il dit s’applique à tous les organes de l'embryon des Vertébrés supé- rieurs; tous sont devenus embryonnaires et ne peu- 120 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION vent aucunement être comparés à des organes ayant jamais fonctionné chez quelque animal que ce soit, sous la forme qu'ils présentent. Cette vérité avait parfaitement été comprise par Von BAER, et c’est elle qu'il exprimait dans le quatrième principe général, rapporté plus haut, en disant que «l'embryon d’une forme supérieure ne ressemble jamais à un autre animal, mais seule- ment à l'embryon de ce dernier» (VON BAER, I, p. 224). Il est bien évident que dans cette phrase Von BAER a en vue non pas la forme extérieure des embryons, mais bien leurs organes, car il fait remar- quér lui-même que des différences de forme impor- tantes peuvent s’observer de très bonne heure chez des embryons appartenant à des types très voisins (Lézard, Serpent), mais qu’elles n’entraînent pas une dissemblance dans le type et sont très superficielles (VON BAER, I, p. 229). Du même coup, il répond d'avance à une objection qui a été faite bien plus tard à son principe, celle que les embryons des diffé- rents Vertébrés sont très faciles à distinguer dès le début les uns des autres (A. SEDGwICK). Ces diffé- rences de formes ne lui avaient pas échappé, mais ce n’est pas à elles qu’il voulait s'arrêter pour caracté- riser les embryons, et il s’adressait pour le faire à la structure des organes et à leurs rapports. Ainsi, comme l'avait déjà indiqué Von BAER, et comme l’a précisé O. HERTWIG, les organes embryon- naires des Vertébrés supérieurs diffèrent profondé- ment des mêmes organes chez les Vertébrés les plus CHAPITRE V 121 inférieurs achevés. Mais ces organes débutent aussi dans l’embryon des Vertébrés inférieurs par une forme simple comparable à celle qu'ils offrent dans embryon des animaux supérieurs. Toujours, même dans les animaux les plus inférieurs, les organes ont au début une forme embryonnaire. La corde dorsale d’un embryon trèsjeune de Sélacien n’est pas plus que celle d'un Mammifère un squelette axial, c’est une ébauche autour de laquelle le squelette axial se complètera. Il est vrai que dans le squelette axial des Vertébrés inférieurs la corde pourra jouer un rôle, tandis qu’elle ne le fait plus chez les Vertébrés supérieurs, mais la corde d’un embryon de Sélacien au stade J, par exemple, est aussi bien un organe embryonnaire que celle d’un embryon d’Homme long de 4 millimètres. Il faut insister sur le fait que les organes embryon- naires des Amniotes ressemblent seulement aux organes similaires des embryons de Vertébrés infé- rieurs parce que c’est une des objections fondamenta- les à la théorie de la récapitulation. Lorsqu'on observe dans l’embryon des Mammi- fères un cerveau formé de vésicules rappelant celles que l’on trouve chez les Poissons à l’état adulte, il ne faut pas pour cela dire que ce cerveau reproduit celui d’un Poisson, car il ne renferme proprement rien de ce que l’on trouve dans les vésicules cérébrales du Poisson développé ; il consiste simplement en une ébauche épithéliale qui se répète à peu près la même chez tous les Vertébrés, et dans cette ébauche se 122 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION développeront plus tard des parties très différentes, suivant les groupes. Les vésicules formeront chacune ce qui appartient en propre à l'espèce considérée et qui diffèrera plus ou moins, suivant que l’on s’adres- sera à des espèces plus ou moins rapprochées; mais une seule chose est commune, c’est l’ébauche primi- tive épithéliale, qui ne fonctionne pas comme organe nerveux, et qui est le moule commun d’où sortiront, par une série de développements particuliers, une infinité de formes continues ou divergentes. Le cœur en anse d’un embryon de Mammifère ne rappelle pas celui d’un Poisson achevé, bien qu’il soit simple comme lui et possède une oreillette et un ventricule uniques, car le cœur des Poissons perd de très bonne heure cette forme d’anse pour devenir globuleux et compact, adapté à la forme du péricarde et à une foule d’autres conditions qui l’éloignent énormément du cœur embryonnaire des Mammifères. Celui-ci ressemble simplement au cœur embryon- naire des Poissons, dont il se distingue d’ailleurs déjà par la forte courbure de l’anse qu’il décrit, par. sa longueur et par son développement relatif bien plus grand. _ Les arcs viscéraux des embryons des Amniotes ne rappellent pas du tout les arcs branchiaux des Pois- sons. Ils sont très peu développés en longueur et ne jouent point le rôle topographique qui leur incombe chez ces animaux ; de plus, leur vaisseau (arc aorti- que) est unique et non divisé en artère et veine branchiales, comme il l’est toujours chez les animaux à ro boéastmble HS URSS LOS sd de nn à si th 2” ds Sn à à on» CHAPITRE V 123 branchiés. Ils ne portent point non plus de lamelles respiratoires, en un mot ils ressemblent aux arcs embryonnaires des Poissons, rien de plus (1). Les protovertèbres, au début de leur apparition, lorsqu'elles présentent leur régularité la plus grande, ne répondent point à des organes pouvant fonction- ner sous cette forme; ce sont de simples ébauches. Aïnsi les organes des embryons des animaux supérieurs ressemblent simplement aux organes correspondants desembryons des animauxinférieurs, et c'est dans ce sens que doit être entendu le qua- trième principe de Von BAER. Les développements qui viennent d’être donnés permettent aussi de comprendre la différence impor- tante qui existe entre les embryons des animaux de complexité diverse. Si l’on songe au degré de per- fectionnement que présentent les appareils des ani- maux supérieurs et à cette remarque d’'Osc. HERTWIG que les organes embryonnaires ne sont que des formes transitoires pour les atteindre, on verra facilement que les premiers organes embryonnaires des Vertébrés supérieurs doivent en quelque sorte être plus embryonnaires que ceux des Vertébrés inférieurs ou, en d’autres termes, que les embryons (1) Voyez pour le développement de la comparaison des arcs branchiaux chez les différents Vertébrés L. VIALLETON. Arch. d'anat. microse, t. X, 1908 p. 59, p. 105 et suivantes. 124 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION des Amniotes s’offriront toujours sous la forme d'êtres non viables, par opposition à ce que l’on observe chez les Vertébrés inférieurs, qui peuventnaî- tre sous un état très simple, mais sont déjà capables de se suffire à eux-mêmes. En dehors de cette différence, il est évident que les embryons des Vertébrés, cons- titués au début par des organes « devenus embryon- naires » ne peuvent représenter aucune forme ances- trale ayant jamais vécu et, par conséquent, ne donnent aucun appui à la théorie de la récapitulation: Il faut mentionner maintenant les hétérochro- nies qui se montrent dans un grand nombre d’or- ganes. Ces hétérochronies ont bien été reconnues par HAECKEL, qui les attribue à la cénogenèse. Comme telles, elles ne paraissent donc pas, à pre- mière vue, pouvoir être invoquées contre la loi biogénétique, cependant elles sont si marquées, elles apportent à la structure de l’embryon des modifica- tions si profondes, qu’un embryologiste tel que KEIBEL leur accorde une grande valeur comme arguments contraires à cette loi. Elles ont été surtout étudiées par OPPEL (1891) et par KEIBEL (1898) auquel nous en empruntons de nombreux exemples. Les hétérochronies jouent un si grand rôle dans le développement, que chez les Mammifères, suivant l’expression de KEIBEL, la loi biogénétique n’est «affirmée que par des exceptions » [p. 747]. L'amnios, remarque KEIBEL [p. 749], se présente chez les Mammifères, en partie avant n'importe quel CHAPITRE V 4925 autre organe, mais l’époque de son apparition peut être très différente chez des espèces voisines (Cobaye, Lapin). Ceci prouve que l’amnios ne peut être pris en considération pour des spéculations phylogénéti- ques, si l’on n’est pas déjà effrayé de l’apparition si précoce d’un organe si tardif phylogénétiquement. L'apparition de l’allantoïde peut se faire à des stades très différents, elle est toujours très primitive malgré la phylogenèse. Souvent l’ébauche mésodermique de l’allantoïde se montre avant son ébauche entodermi- que, offrant l'exemple d’une hétérochronie des parties d’un même organe. KEIBEL [p. 750] explique cette apparition précoce de la partie mésodermique de l'allantoïde par la fonction qui incombe à ses vais- seaux (formation du placenta) ; chez l’Opossum lal- lantoïde qui fonctionne tardivement apparaît tard. Le commencement de la fermeture de la gouttière médullaire a lieu à des époques très diverses. Chez la Brebis, la formation de l’œil et de l'oreille est beau- coup plus tardive que chez le Cochon, son voisin. Les Mammifères sont aussi remarquables vis-à-vis des autres Vertébrés par le développement tardif de leur cristallin. La rupture de la membrane pharyngienne qui crée la bouche secondaire (successeur du blastopore primitif) se fait plus tardivement qu’elle ne le devrait si l’ontogénie répétait chronologiquement la phylo- génie. L’estomac et le foie se sont développés phy- logénétiquement plus tard que la bouche secondaire, cependant ils apparaissent avant celle-ci. De même, 196 UN PROBLÈME DE L' ÉVOLUTION remarque Osc. HERTWIG (1906, p. 174) les pou- mons des Mammifères se développent plus vite que leurs dents et cependant celles-ci ont bien dû les précéder phylogénétiquement puisqu’elles existent déjà chez des animaux non pulmonés. En somme, chez les Mammifères, l’ordre d’appari- tion des organes est pour KEIBEL «si peu lié avec la phylogenèse, qu’il ne peut être question d’une valeur de la loi biogénétique » [p. 754]. Dans le même travail KEIBEL exprime aussi une idée qui doit être mise en relief. « Sans mépriser dit- il p. 745 la valeur de l’embryologie comparée, on peut dire que chaque être, dans son développement, est un tout qui repose en soi et se conditionne en soi, dans lequel chaque partie influence l’autre». On re- trouvera la même pensée formulée par Osc. HERTWIG d’une manière encore plus précise lorsqu'il dit [p.160|, «dans chaque ontogenèse, chaque individu ne fait au sens littéral que son propre développement». Cette phrase caractérise très bien, me semble-t-1l, les rapports qu’il y a entre le développement individuel de l’espèce et le développement général du phylum. Ilfaut remarquer aussi qu'un Mammifère n'offre pas dans son développement de stade Poisson puisqu'il présente, en même temps que ses arcs viscéraux caractéristiques des animaux aquatiques, une allan- toïde absolument distinctive des animaux terrestres. En effet la présence de cette dernière est bien autre chose qu’une simple hétérochronie. La combinaison de ces deux organes, arçs viscéraux et allantoïde, ui TT k CHAPITRE V 127 montre déjà, sans compter une infinité d’autres faits que nous signalerons plus loin, que l'embryon d’un Amniote n’est plus un Poisson si simple qu’on voudra l’imaginer, mais tout autre chose. Et si nous nous rappelons que tous les organes d’un embryon sont « devenus embryonnaires», que les arcs viscé- raux de l’embryon d’un Mammifère, par exemple, ne sont pas des arcs de Poisson, mais des rudiments, des ébauches d’arcs, nous comprendrons clairement que seule l’idée schématique, la conception que l’on se fait des embryons permet d'établir un parallé- lisme avec les animaux inférieurs, mais que les êtres concrets, envisagés tels qu'ils sont, ne se pré- tent point à cette manière de voir. CHAPITRE VI LES FORMES EMBRYONNAIRES /Swite) L'architecture des Vertébrés.— La limite antérieure du cœlome et ses rapports avec la région branchiale: /a) chez les Séla- ciens ; (b) chez les Amniotes (cou); {e) chez les Cyclostomes — Résumé de larchitecture. — L'architecture de la face d'après His. — L'architecture établit des distinctions nettes entre les groupes et les isole les uns des autres. — Hypo- thèse du développement brusque dans l'œuf (KoELLIKER).— Les mutations. S1au lieu d'envisager les organes sans tenir compte de leurs rapports avec les différentes régions du corps, on examine leurs connexions avec ces régions, on voit qu’il existe parmi les Vertébrés un certain nombre de types distincts que l’on ne peut faire passer de l’un à l’autre et qui se laissent reconnaître de très bonne heure dans l'embryon. Ces dispositions topogra- phiques forment ce que l’on peut appeler l’archi- tecture des Vertébrés. Ce terme prête sans doute à quelques objections; on peut dire notamment que l'architecture se confond avec Le type, et que nous n’exprimons sous ce terme nouveau que des choses déjà bien connues. Cependant l'architecture peut se distinguer du type comme une modification secon- daire de ce dernier. D’autre part, cette modification RG CHAPITRE VI 129 ne se confond pas avec une simple adaptation fonc- tionnelle parce qu’elle n’entraîne pas, au moins au début et dès son apparition, des changements de fonction en rapport avec sa haute portée morpho- logique. Lorsque, par exemple, apparaît le cou chez les Amniotes, cette région spéciale qui prendra chez les Oiseaux et chez la plupart des Mammifères une si grande importance est si restreinte chez les Rep- tiles inférieurs qu’elle ne leur donne sûrement pas un nouvel avantage. Mais cependant elle a une valeur morphologique de premier ordre, parce qu’elle est liée à une foule d’autres dispositions que nous expo- serons plus loin. D'ailleurs, le type Vertébré n’est pas changé parce qu’un cou est apparu; la structure des appareils et leurs rapports essentiels restent les mêmes, mais l’ensemble de l’organisme présente un groupement nouveau de ses différentes parties. L'ordre de su- perposition des systèmes nerveux, squelettique et digestif reste ce qu’il était, rien n’est pour ainsi dire changé dans les rapports des organes vus sur une coupe transversale, mais il n’en est plus de même si l’on regarde la distribution, le long de l’axe longitu- dinal du corps, des viscères contenus dans la cavité générale et la disposition corrélative des diverses sec- tions de cette dernière. Les subdivisions du cœlome (péricarde et péritoine) sont autrement disposées chez les Amniotes que chez les Ichthyopsidés, et cet arrangement nouveau des parties internes entraîne des modifications importantes dans leur structure, en 130 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION même temps qu’il permet la formation de régions mieux séparées les unes des autres, plus indépen- dantes et douées par suite d’une plus haute valeur fonctionnelle. (a) Pour étudier l’architecture des Vertébrés, exa- minons d’abord un embryon de Sélacien, de Torpille par exemple, au stade K de BALFOUR, c’est-à-dire au moment où toutes les fentes branchiales sont for- mées (voy. fig. 1, pl. I). Le choix de cet exemple se justifie par les caractères mêmes de ce groupe, qui est évidemment très primitif. Cet embryon pos- sède une tête dans laquelle les vésicules cérébrales sont déjà bien indiquées, une bouche, une région branchiale, un tronc et une queue. Immédiatement en arrière de la région branchiale et à la face ventrale du tronc est attaché un large conduit qui mène sur la vésicule ombilicale (cordon ombilical). Voyons sur ce petit animal les rapports de la cavité viscérale avec l'extrémité antérieure. Celle-ci est constituée essen- tiellement par le cerveau et par les arcs branchiaux. Le cerveau présente déjà la courbure apicale; les organes des sens, œil et oreille, sont encore très peu développés. Les arcs branchiaux sont limités stricte- ment à la paroi latérale de l'extrémité céphalique. Ils forment comme des bandes successives découpées dans l'épaisseur de cette paroi par les fentes bran- chiales. Les deux moitiés, droite et gauche, du pre- mier arc semblent se réunir entre elles sur la ligne médiane ventrale et former ainsi la paroi ventrale du corps en arrière de la bouche, mais en réalité cette * CHAPITRE VI 131 paroi est constituée par un tissu indépendant des arcs et dans lequel est logée l’ébauche thyroïdienne. C’est une masse pleine que le cœlome ne divise pas et qui a pour paroi dorsale l’épithélium pharyngien, pour paroi ventrale l’ectoderme, pour contenu l'ébauche thyroïdienne et les vaisseaux du premier arc ainsi que son ébauche musculaire. Tous ces organes sont plongés dans du mésenchyme qui forme le fond de cette région. Cette portion de la paroi ventrale pri- mitive peut être appelée paroi ventrale prépéricar- dique. Elle est en effet située en avant de l’extrémité antérieure du péricarde, entre cette dernière et le bord postérieur de la bouche. Au stade K, chez les Sélaciens — et la même dis- position se retrouvera dans la plupart des embryons de Vertébrés — l’extrémité antérieure de la cavité vis- cérale, ou brièvement le péricarde, s’avance donctrès loin sous le pharynx branchial et la paroi prépéri- cardique est très courte, elle dépasse à peine le bord postérieur du premier arc viscéral. Le péricarde a la forme d’une cavité conique placée en dessous du pharynx qui en constitue la paroi dorsale, tandis que sa paroi ventrale est représentée par la somato- pleure ou paroi propre de l'embryon, comprise entre la paroi prépéricardique et le cordon ombilical. Le péricarde n’est pas isolé pour le moment du reste de la cavité viscérale, cependant, la place de la cloison qui l’en séparera plus tard est facile à reconnaître dès maintenant, grâce à la présence d’un épaississe- ment mésodermique (e.". h., fig. 1, pl. D rudiment de 132 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION la future cloison et qui fait saillie à la face ventrale du sinus veineux. Le péricarde est donc constitué essentiellement à cette époque par la grande cavité placée en dessous de l'intestin branchial et de l’œsophage qui lui fait suite. Cette cavité se prolonge dorsalement, de chaque côté de l’œsophage, par un diverticule compris entre la dernière poche branchiale et le canal de Cuvier.Ces diverticules, peu développés chez les Sélaciens, ne tardent pas à disparaître par fusion des parois de l’œsophage avec celles du corps. Mais ils sont très importants au point de vue de la morphologie géné- rale, parce qu’ils se retrouvent toujours plus ou moins développés chez tous les Vertébrés. Au début, on observe aussi entre l’œsophage et les canaux de Cuvier ou le sinus veineux qui les continue en dedans, un passage conduisant du péricarde dans le péritoine ; c’est le passage sus-cardiaque, qui ne tarde pas à s’oblitérer par rapprochement des parties. Du côté ventral existe un espace large entre le cœur et la paroi du corps, c'est le passage sous-cardiaque. Ce passage ventral se ferme bientôt par la formation d’une lame mésodermique, descendant du bord cau- dal du sinus veineux et de la face crâniale de l’ébau- che hépatique sur la paroi ventrale (méso-hépatique antérieur de HOCHSTETTER) (1901-1903). Mais con- trairement à ce que croit cet auteur, ce méso ne s'attache pas au bord antérieur du cordon ombilical (ombilic cutané) ; il est situé crânialement à ce der- NC ER DT PRES ANS Le b NCA E 270 927 : cs CHAPITRE VI 133 nier. L’achèvement delacloison péricardique s’opère par l'intervention des replis latéraux de fermeture qui s'étendent des parois latérales du corps à la face crâ- niale de l’ébauche hépatique. Ensuite une communi- cation sus-cardiaque secondaire s'établit de nouveau entre le péricarde et la cavité abdominale, par la formation d’un canal placé à la partie dorsale de la cavité péricardique, au-dessous de l’œsophage, mais ce canal est une néoformation et pas du tout le reste du passage sus-cardiaque préexistant qui a été entiè- rement oblitéré. Pendant que ces changements s’effectuaient, l’em- bryon s’est accru et la forme de son extrémité cépha- lique a un peu changé. La paroi prépéricardique est devenue beaucoup plus longue, comme si l’extrémité artérielle du cœur avait reculé en arrière (voy. fig. 2, pl. I), mais, en réalité, il n’en est rien, il n’y a pas eu recul du cœur ; seule la paroi prépéricardique s’est _ allongée intercalairement, et les extrémités ventrales des premières paires d’arcs, entraînées dans ce mou- vement, au lieu de tomber sur les côtés de la cavité péricardique, comme elles le faisaient au stade précé- dent, tombent maintenant sur la paroi prépéricardi- que, si bien quechez l’adulte,celle-ci s'étend en arrière jusqu’au niveau du quatrième ou du cinquième arc viscéral. Ce changement de situation accompagne le changement de forme des arcs, et lui est étroitement lié. C’est lui qui est exprimé en définitive par la pli- cature en V des arcs et le fort accroissement de la VIiALLETON, Problème évolution. 9 RON TS 134 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION branche ventrale du V réunie à la paroi ventrale prépéricardique (1). Chez l'adulte, la cavité péricardique se trouve donc, comme chez l'embryon, exclusivement à la face ventrale du pharynx ; son extrémité crâniale s’avance sous le pharynx jusqu’au niveau du cinquième arc viscéral. Elle est limitée en arrière par le diaphragme péricardiaco-péritonéal, qui est placé transversale- ment au niveau du bord caudal du sinus veineux, de sorte que toute la cavité péricardique est antérieure à la cavité abdominale et, en même temps, occupe une situation très crâniale dans l’organisme. Cette disposition se retrouve à peu près sans modification chez tous les Poissons véritables, c’est-à-dire les Sélaciens, les Téléostéens et les Dipneustes. Nous verrons plus tard par quoi elle est remplacée chez les Cyclostomes, mais, pour le moment, il est préfé- rable d'examiner un embryon d’un Amniote qui se laisse rattacher mieux que ces Poissons singuliers, à la disposition que nous venons de décrire chez les Sélaciens. (b) Un embryon de Lapin de dix jours offre une structure qui, par beaucoup de points, se rapproche de celle de l'embryon de Torpille, au stade K. C’est même à ce stade que la comparaison entre ces deux 4) Voyez pour plus de détails sur le développement de ces parties L. ViALLETON. Sur les arcs viscéraux, etc. Arch. d'anat. microsc, t. X, fase. 1, 1908 p. 21 et suivantes. Fo . è “ L | CHAPITRE VI 135 animaux est la plus naturelle et la plus complète (voy. fig 3 pl. I). Comme l'embryon de Torpille, celui du Lapin offre une extrémité céphalique dans laquelle le cerveau présente sa première courbure (courbure apicale). Les arcs viscéraux sont égale- ment visibles, bien qu’en nombre plus réduit, le cœur a la forme d’un tube en S, le corps ne pré- sente pas encore les fortes courbures qu'il offrira plus tard, bien que la queue soit déjà tordue en spirale. La plus grande différence consiste, en dehors de la présence de l’allantoïde, dans la largeur extrême du cordon ombilical, et dans d’autres dispo- sitions anato miques corrélatives de celle-ci. L’ombilic cutané au lieu de s’insérer comme dans l'embryon de Torpille en arrière de la région branchiale, s’attache immédiatement derrière le premier arc viscéral, et le péricarde, au lieu d’être limité en dessous par la paroi ventrale du corps, l’est par une membrane de toute autre nature, la coiffe cardiaque(coi.fig 3, pl. D). La coiffe cardiaque est constituée histologiquement par deux couches : l’entoderme du sac vitellin et une lame mésodermique. Plus tard, la coiffe cardiaque sera clivée en deux lames superposées, par l’enfonce- ment à la manière d’un coin de l’ectoderme del’ombilic cutané qui, se glissant peu à peu d’avant en arrière, (voy. TOURNEUX, 1902) détachera la vésicule ombi- licale de la coiffe cardiaque et transformera cette dernière en une paroi ventrale identique à celle que nous avons observée chez les Sélaciens. Mais il y a cependant une différence capitale entre ces der- 136 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION niers et les Mammifères, et cette différence, qui date du moment même de la formation de la cavité péri- cardique primitive, porte sur les rapports des orga- nes intra-cœlomiques avec la paroi ventrale, En effet, le clivage de la coiffe cardiaque s’étend jusqu’au dessous du bourgeon hépatique, lequel est revêtu d’une épaisse calotte mésodermique répondant en partie au méso-hépatique antérieur, de sorte que . lorsque la paroi ventrale de l'embryon est formée par l’arrivée de l’ectoderme jusqu’à ce niveau, l’ébauche hépatique lui est rattachée par son revêtement méso- dermique. Cette ébauche est donc liée pour ainsi dire de tout temps à la paroi ventrale, puisque le méso- hépatique antérieur qui vient chez les Sélaciens, s'attacher secondairement à la paroi ventrale, est chez les Amniotes, dès le début, en rapport avec cette dernière, étant constitué par le mésoderme de lébauche hépatique continu de tout temps avec celui de la coiffe cardiaque qui passe directement dans la constitution de la paroi ventrale. Ce rapport du méso-hépatique antérieur et de la paroi ven- trale existe chez tous les Amniotes; il a une im- portance extrême, car il constitue un des caractères les plus marquants de ces animaux. Par rapport à l’ensemble de l’animal, le méso-hépatique antérieur des Amniotes est situé beaucoup plus caudalement que celui des Sélaciens ; il est beaucoup plus rappro- ché du centre du corps de ces animaux et cela nous permet déjà de saisir pourquoi le cœur est bien plus CHAPITRE VI 137 reculé chez tous les Amniotes que chez les Poissons. Mais voyons les phénomènes consécutifs. Comme chez les Sélaciens, le péricarde des Amnio- tes est placé sous le pharynx branchial et le bulbe du cœur s’insère très en avant, vis-à-vis du second arc branchial. Il y a un sinus veineux et des canaux de Cuvier, mais les diverticules péri-æsophagiens du péricarde sont beaucoup plus importants que chez les Poissons. Les canaux de Cuvier ne sont pas non plus étroitement accolés à l’æœsophage, mais laissent entre ce dernier et eux-mêmes de larges passages sus-cardiaques qui font communiquer librement le péricarde avec le reste du cœlome. C’est dans ces passages que s’engageront plus tard les ébauches pulmonaires (p. fig. 4, pl. II. D'autre part l'accroissement ultérieur de l'embryon s'effectue d’une manière bien différente de celle des Sélaciens et change considérablement la forme du corps. Par suite du développement prépondérant et précoce du système nerveux central qui occupe le côté dorsal de l’embryon, ce côté s’accroît beaucoup plus que le côté ventral, de sorte que l’embryon se courbe fortement autour de sa face ventrale (voy. fig. 4, pl. IT). A la courbure apicale du cerveau s’ajoute la courbure nuchale. Cette courbure détermine sur la face ventrale de l'extrémité céphalique la produc- tion d’un angle (l’angle cervico-ventral) qui se forme dans la paroi prépéricardique vis-à-vis du bord pos- térieur du premier arc, et la face ventrale de la partie antérieure de la paroï prépéricardique située en avant 138 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION de cet angle au lieu de prolonger en avant la paroi ventrale du corps, se courbe en dessous et vient s'appliquer contre cette dernière. Comme chez l’em- bryon de Torpille, nous avons une paroi prépéri- cardique, mais elle comprend deux parties : la por- tion coudée dont nous venons de parler et une petite portion postérieure à celle-ci, située derrière l’angle ê Fig. 2.— Coupe sagittale d'un embryon de Lapin de 12 jours, grossie environ 32 fois. — &. ao. 3. troisième arc aortique. — b, bouche. — bul. bulbe cardiaque. c. cœur. — /. orifice laryngé (la coupe est tan- gentielle à cet orifice).— æs. œsophage.— per.péricarde.— fr. trachée. cervico-ventral. En outre, par suite de la formation -de la courbure nuchale, les extrémités ventrales des arcs branchiaux postérieurs sont dirigées contre la large cavité péricardique, sur les côtés de laquelle les arcs s’étalent en formant deux séries divergentes. À partir de ce moment des changements consi- dérables se produisent. Comme l’a montré His (1885) pour l'embryon humain, la colonne des proto- CHAPITRE VI 139 vertèbres qui se termine d’abord assez loin en arrière de l’extrémité céphalique, puisqu’elle n’atteint pas encore la partie antérieure du péricarde, glisse en avant de manière à dépasser beaucoup cette dernière. Ce glissement est la cause de la formation du cou. En effet, 1l doit entraîner forcément l'allongement de la paroi ventrale comprise entre l’angle cervico-ventral Fig. 3. — Coupe sagittale d’un embryon de Lapin de 13 jours, grossie environ 18 fois. — a. ao. 4. quatrième arc aortique. — &. c. v. angle cervico-ventral. — b. bouche.— co. cou. — {. orifice laryngé. — æs. œsophage.— per. péricarde. — fr. trachée. et la cavité péricardique, sans quoi il aurait pour résultat un enroulement plus prononcé d: l'embryon sur lui-même (1). Du reste, on voit cet allongement se produire (comparez les fig. 2 et 3 du texte); il (1) Pour de plus amples renseignements sur le développe- ment du cou, je prie le lecteur de se reporter à mon mémoire des Archives d'anatomie microscopique, de mars 1908, t. X, fasc. 1 p. 91 et suivantes. 140 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION s'effectue dans une zone transversale de la paroi pré- péricardique située derrière l’angle cervico ventral, et il entraîne une dislocation des arcs viscéraux et de leurs parties constituantes, surtout de leurs arcs vasculaires. Dans un embryon assez jeune la cavité péricardique se prolonge, au voisinage de la ligne médiane, jusque au devant des trois derniers arcs aortiques, ou plus exactement des arcs vasculaires appartenant aux troisième, quatrième et sixième arcs viscéraux. L’accroissement de la paroi prépéricardi- que se produit chez les différents Amniotes en des places un peu différentes, et que l’on peut recon- naître par les rapports qu’elles offrent avec les arcs aortiques. Il se fait chez les Mammifères entre le troi- sième arc aortique et le quatrième, chez les Oiseaux et la plupart des Reptiles entre le deuxième arc et le troisième. Il en résulte que chez ces derniers, le cou formé, les trois derniers arcs aortiques passent dans le thorax, tandis que les deux premiers sont consacrés à la tête et au cou. Chez les Mammifères, au contraire, les trois premiers restent dans le cou et dans la tête, les deux derniers seulement sont affec- tés au thorax. Les arcs viscéraux postérieurs, à partir du troisième, s’effacent en même temps que leurs parties constituantes, poches et arcs vasculaires, sont séparées les unes des autres et entraînées en des points différents du corps. Voici donc une première particularité très carac- téristique des Amniotes : la formation d’un cou et, corrélativement, la dislocation ou le démembrement PR RP, DE Up le LE. 1 NC > p CHAPITRE VI LA des arcs viscéraux qui ne passent plus directement dans la constitution d’une partie déterminée du corps. Une autre particularité propre aux Amniotes, c’est la situation très caudale des canaux de Cuvier et du sinus veineux, en même temps que leur écartement des parois latérales de l’œsophage, faits qui rendent compte de la largeur et de l'importance des passages sus-cardiaques du péricarde dans l’abdomen. Corré- lativement au développement de ces passages, l’ap- pareil pulmonaire s’y loge dès qu’il apparaît. Comme d'autre part en même temps que s’est produite la courbure nuchale les poches branchiales ont con- vergé en avant et se sont beaucoup rapprochées entre elles sur le plancher de la bouche, l'insertion de la trachée les a suivies et tout l’appareil respi- ratoire, trachée et bourgeons pulmonaires, est logé avec le cœur dans la partie antérieure du cœlome qui leur est commune au moins pendant un certain temps. Chez les Amniotes, la partie crâniale du cœlome héberge donc deux appareils : le cœur et les poumons, et on peut voir là l'indication de la formation future d’une région renfermant à la fois ces deux organes — séparés d’ailleurs l’un de l’autre par une cloison membraneuse — la région thoracique ou le thorax. Cette région, si rudimentaire soit-elle, est bien caractéristique des Amniotes. Ce sont les seuls animaux montrant la présence simultanée dans une même tranche du cœlome du péricarde et d’une partie ou même de la totalité des poumons. Rien de 142 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION pareil ne s’observe chez les Poissons pulmonés, ni même chez les Amphibiens, où les passages sus-car- diaques s’oblitèrent de très bonne heure, de telle façon que lorsqu’un appareil pulmonaire apparaîtra — postérieurement à cette fermeture, — il se trou- vera d'emblée en dehors du péricarde, qui est déjà à ce moment parfaitement distinct de la cavité périto- néale, contrairement à ce qui se passe chez les Amniotes. Chez les Dipneustes, l’orifice glottique est situé en arrière de la paroi caudale du péricarde. Chez les Amphibiens cet orifice est bien placé en avant de cette paroi du péricarde, mais la portion médiane de celle-ci a été tirée en arrière secondairement, ce qui fait pénétrer en quelque sorte le péricarde dans la cavité du tronc. Aussi, comme chez les Dipneustes, le foie s'étend aussi loin en avant que les poumons eux-mêmes, ou, en d’autres termes, le péricarde s’en- fonce entre les deux lobes hépatiques, tandis que chez les Amniotes et même chez les plus inférieurs d’entre eux, les Reptiles, le foie n'atteint que la partie la plus caudale du péricarde, qui est, au contraire, entouré dans la plus grande partie de son étendue par les deux poumons. On peut prendre une bonne idée de cette disposition en comparant les fig. 265 et 206 de WIEDERSHEIM (1902), qui montrent à mer- veille l'opposition existant sous ce rapport entre les viscères de la Grenouille et ceux du Lézard. Si le péricarde de la Grenouille comparé à celui des Poissons est plus caudal et s'enfonce dans la cavité du tronc, cette disposition s’est produite secondai- D dr than anis ‘7 à reslieu RE 7 = - 7 CHAPITRE VI 143 rement après que le péricarde était déjà clos en arrière d’une façon complète, et elle n’a rien de commun avec ce que l’on observe chez les Amniotes. Ainsi larchitecture des Poissons et celle des Amniotes diffèrent profondément. Chez les Amniotes seuls se forme un cou véritable, qu’il soit long ou court cela ne change rien, et les deux dimensions extrêmes peuvent se rencontrer chez des animaux assez voisins. Mais le cou est quelque chose de très particulier, c’est une région formée dans sa partie dorsale par une portion du rachis poussée en avant, dans sa partie ventrale par l’étirement d’une tranche de la paroi prépéricardique, étirement qui amène la dislocation des arcs aortiques en deux groupes. Le groupe antérieur de ces arcs est toujours séparé du cœlome et plongé dans l’épaisseur des parois de la tête ou du cou; le groupe postérieur reste en rapport de voisinage avec le cœlome, pendant toute la durée de la vie. En même temps ces arcs aortiques se trans- forment directement en les artères définitives qui leur succèdent, sans s’être au préalable scindés en une artère et une veine branchiales, comme cela arrive chez tous les animaux qui ont respiré par des branchies, ne fut-ce que pendant un temps très court. Chez les Amphibiens par exemple, qui se trouvent dans ce cas, la carotide externe naît toujours de l’ex- trémité ventrale de la veine branchiale du troisième arc, et lorsque les branchies se sont atrophiées, c’est toujours par l'intermédiaire du réseau capillaire allant de l’artère à la veine branchiale qu’elle est reliée au 144 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION tronc aortique ventral venu du cœur, tandis que chez tous les Amniotes cette carotide naît d'emblée et directement de la portion ventrale du troisième arc aortique. La carotide externe des Amniotes n’est donc pas entièrement homologue à celle des Amphi- biens et c’est un caractère qui distingue bien ces deux groupes (c) Si maintenant nous examinons un embryon de Cyclostome et en particulier de Lamproie, nous trou- vons des dispositions nouvelles et bien singulières. Chez cet animal, le péricarde ne s'étend pas sous la région branchiale. Cette dernière comprend un grand nombre de poches, huit primitivement, sept en dernier lieu, placées les unes en arrière des autres et qui diffèrent profondément de celles des autres Vertébrés. Au lieu de s'ouvrir largement à l’extérieur par une fente étendue dans le sens dorso-ventral, elles ne possèdent qu’un petit orifice arrondi, dans lequel elles débouchent par un canal court et étroit, puis elles s’enfoncent profondément dans l’épaisseur du corps de chaque côté d’un tube pharyngien très étroit et bien différent du large pharynx des Poissons ordinaires. Elles perdent du reste chez l’adulte tout rapport direct avec le pharynx et s'ouvrent par des orifices branchiaux internes dans un canal longitu- dinal commun qui, placé en dessous du pharynx, se termine en arrière en cul de sac, au niveau de la dernière paire de poches, tandis qu’il s'ouvre en avant dans la bouche. Les poches branchiales sont en somme, comme le dit DoHRN, profondément enfon- ad ac din nt » nd MCE RE SANS ri »" 10 CHAPITRE IV 145 cées dans le corps. Corrélativement à cette disposi- tion, les muscles des myotomes qui chez les autres Poissons sont très réduits dans l’étendue de l’appa- reil branchial, se développent ici en deux rangées longitudinales, situées l’une en dessus, l’autre en dessous des orifices branchiaux externes et qui se continuent en arrière avec les muscles latéraux du COTpS. Dans ces animaux, la paroi prépéricardique est très particulière ; elle ne constitue pas une région limitée qui sera le siège d’un accroissement spécial, un peu différent de celui des parties voisines. Elle est, dès le début, aussi longue que la région branchiale elle- même et s’accroîtra plus tard dans les mêmes pro- portions que cette dernière, c’est-à-dire sans rien changer à la forme du corps qui reste la même dans la partie antérieure de l’animal, à partir du moment où la dernière poche branchiale est formée. Cette disposition, qui se rapproche de celle de la même région chez l’'Amphioxus, est un trait caractéristique des Cyclostomes et les isole nettement des autres Poissons. La paroi prépéricardique des Cyclostomes s'étend jusqu’à la dernière poche branchiale, et elle forme, à ce niveau, la partie médiane de la paroi antérieure du péricarde. Les parties latérales de cette paroi sont constituées par la paroi postérieure de la der- nière poche de chaque côté (voy. fig. 5, pl. II, et 6, pl.IV) ; comme ces poches sont très développées dans le sens dorso-ventral, leur paroi postérieure 146 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION forme donc la majeure partie de la limite crâniale du péricarde (1). Ce dernier, au lieu de se prolonger en pointe sous la paroi pharyngienne, est coupé perpen- diculairement à l’axe du corps. En outre, ilne s'étend plus seulement sous la face ventrale du pharynx comme il le faisait chez les Poissons, mais sur toute la hauteur de la cavité cœlomique, dans laquelle l’æœsophage, très réduit en diamètre, n’occupe qu’une partie insignifiante. Les diverticules péri-æsopha- giens du péricarde si réduits chez les vrais Poissons, plus grands chez les Amniotes, sont ici considéra- bles (2); aussi un nouvel organe, le pronéphros, peut-il prendre place et par une conséquence très curieuse de cette architecture, cet organe présente chez les Cyclostomes des rapports vasculaires inattendus. Chez les Poissons et chez les Amphibiens, le proné- phross’unitavec les veines cardinales dans lesquelles ilenfonce ses tubes sécréteurs, formant un entrelace- ment de canaux glandulaires et de vaisseaux capillai- (1) Pour plus de détails sur le péricarde des Cyclostomes, voyez mon mémoire de 1903, dans les Archives d'Anatomie microscopique, t. VI, p.339 et suivantes. (2) I1 peut paraître étrange de parler du grand développe- ment des diverticules péri-æsophagiens alors que l'æœsophage est lui-même réduit; mais il faut se rappeler que ces diverti- cules représentent la partie dorsale du cœlome. Or cette partie dorsale du cœlome, très réduite chez les Sélaciens où l'œsophage est très développé, est au contraire très grande chez les Cyclostomes, à cause même de la réduction de cette portion du tube digestif. CHAPITRE VI 147 res, de forme irrégulière et de grande taille, auxquels SEDGWICK MINOT (1905, p. 246) a donné le nom de sinusoïdes. Chez les Cyclostomes, à cause du grand développement de cette partie dorsale du péricarde, le pronéphros qui s’y engage vient se mettre en rap- port non plus avec les cardinales, mais avec les jugu- laires, ainsi que l’a fait remarquer GOETTE(1800, p.80), et nous trouvons dans ce fait un nouveau cas bien net des corrélations architecturales, dont il a été question au chapitre IV. D’autres corrélations de même ordre ont déjà été indiquées dans ce même chapitre à propos du cœur.Nous avons vu que la hau- teur du sinus veineux et sa situation sagittale s’expli- quaient par la disposition de la loge qui renferme le cœur en même temps que par l’attache de la veine hépatique à la paroi ventrale. Cette dernière con- nexion, établie de très bonneheure et même d'emblée, dès le clivage du cœlome dans l'embryon de la Lam- proie, détermine la production d’un méso-hépatique antérieur qui diffère de celui de tous les autres Verté- brés, par son mode de formation et par la présence, dans son épaisseur, de la veine hépatique qu’il relie à la paroi ventrale du corps, en lui imposant une situa- tion ventrale contraire à la position dorsale qu’occu- pent les veines correspondantes dans tous les autres Vertébrés. Cette architecture du corps des Cyclostomes est absolument spéciale. Peut-elle être dérivée de celle des Sélaciens ? Sans doute, elle est dominée par un fait capital, la réduction du pharynx due à la vie 148 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION parasitaire de ces animaux, et on peut supposer que cette réduction, entraînant l’enfoncement des poches branchiales, pourrait s’opérer graduellement. Mais cela suffit-il pour expliquer toutes les dispositions que nous rencontrons? Evidemment non. L'insertion ventrale de la veine hépatique qui exerce tant d’in- fluence sur la forme du sinus veineux et par suite sur celle du cœur, ne paraît pas avoir de corrélation directe avec l’atrophie du pharynx. Mais c’est encore la moindre des choses. La disposition de la paroï pré- péricardique a bien une autre valeur. Elle est en rap- port avec la nature des arcs branchiaux et elle a un retentissement énorme sur leur structure. Si les po- ches ne sont pas pliées en V,comme chez les Sélaciens, c’est que d'emblée la paroi prépéricardique s’étend sur toute la longueur qu’elles occupent. De sorte que là encore nous nous trouvons en présence de dispo- sitions établies d'emblée — autant du moins que nous pouvons en juger d’après l’ontogenèse —. Ces dispo- sitions ne sont ni une régression, ni un perfection- nement d’une structure existant chez d’autrestypes et elles ont une influence considérable sur l’organisa- tion définitive des animaux. Nous avons vu que le cou peut caractériser un Amniote aussi bien que le fait son amnios. De même l’enfoncement des branchies caractérise les Cyclos- tomes et explique une des particularités les plus frappantes de ces animaux, à savoir la possession d’un nombre variable et parfois assez élevé de poches Laté > 2e D | 5 CHAPITRE VI 149 branchiales. Ces poches devenues internes ne pren- nent plus guère de part à la constitution des parois latérales de l’animal, elles sont en effet recouvertes par les muscles du corps qui prolongent jusque sur elles la structure et les propriétés de ces parois, c’est-à-dire permettent à la région branchiale d'acquérir à la fois la raideur et les mouvements nécessaires pour la locomotion de l’animal. Les bran- chies passées à l’état d'organes viscéraux internes peuvent, comme ces derniers, présenter des varia- tions plus grandes, d’où leur nombre variable. Là au contraire où, comme chez les Poissons, les branchies forment une partie importante de la paroi latérale du corps, comme elles prennent la place des muscles de cette paroi, elles ne peuvent se multiplier au delà de certaines limites sans créer une région de structure spéciale qui pourrait nuire à l’animal, si ses dimen- sions étaient plus grandes et la régression corréla- tive des muscles du corps plus étendue (1). On voit qu’il n’est pas difficile de tracer parmi les Vertébrés, en s’appuyant sur leur architecture, des divisions d’autant plus naturelles et vraisemblables, qu’elles coïncident entièrement avec celles obtenues d’après les autres caractères de ces animaux. Les rapports de la tête, de la région branchiale et du péricarde permettent aussi sûrement que la struc- (1) Voyez L. ViALLETON. Sur les arcs viscéraux, etc. Archives d'anat. microsc., t. X, fasc. 1., 1908 p. 70-71. VIALLETON. Problème évolution. 10 150 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION ture des grands appareils et des annexes de l’em- bryon, de séparer les Vertébrés en Cyclostomes, Poissons vrais, dont se rapprochent les Amphibiens et enfin en Amniotes. La paroi prépéricardique est une pièce de l’archi- tecture des Vertébrés qui se comporte différemment dans les grands groupes de ces derniers, et dont le développement donne une des caractéristiques les plus importantes de ces groupes. Chez les Cyclos- tomes elle est aussi longue que la région branchiale et s’accroît dans le développement exactement dans les mêmes proportions que cette dernière. La forme des poches et des arcs qui leur sont interposés ne subit donc pas de changements importants, et les poches restent des cavités à peu près rectangulaires, placées les unes derrière les autres comme des paral- lélipipèdes rectangles dirigés dorso-ventralement, ainsi que le montre la disposition des septa bran- chaux (Go."6, pl. M). Chez les Sélaciens, la paroi prépéricardique est d’abord très restreinte par rapport à la région bran- chiale. Elle s’accroît ensuite intercalairement d’une manière toute spéciale, attirant à elle les extrémités ventrales des arcs qui sont ainsi coudés en V, et qui limitent dès lors des poches non plus rectangulaires, mais formées de deux losanges réunis au sommet du V. Chez les Amphibiens, la paroi prépéricardique s'accroît sans changer de direction, mais cet accrois- sement est faible. Il a peu d'influence sur la forme CHAPITRE VI 151 des arcs, à cause du faible développement de ces der- niers et des métamorphoses dont ils sont le siège au moment où l’allongement de la paroi se produit. Cet allongement est en rapport, chez les Anoures, avec l’allongement crânial de la tête qui distingue si fortement l’adulte du têtard. Chez les Amniotes la paroi ventrale prépéricardi- que est constituée au début comme chez les Sélaciens, mais son accroissement ultérieur est bien différent. Au lieu de s’allonger parallèlement à l’axe du corps, comme elle le fait chez les Ichthyopsidés, elle est coudée en deux parties par la formation de la cour- bure nuchale entraînant celle de l’angle cervico- ventral. La partie de paroi prépéricardique située en avant de cet angle passera dans la tête et en parti- culier dans la région infra-maxillaire ; la partie pos- térieure subira un accroissement intercalaire plus ou moins intense, suivant l’étendue de la colonne cervi- cale qui se glisse en avant, et fournira les parties ventrales et latérales du cou. Le sinus veineux est comme le point nodal autour duquel s’opère la distribution du cœlome et la partie médiane de la paroi caudale du péricarde (méso- hépatique antérieur) qui présente avec lui des rap- ports si étroits, forme de bonne heure, par son attache à la paroi ventrale du corps, un point fixe de la plus haute importance. Là où sera placé au début le sinus veineux, là se trouvera plus tard la limite caudale du péricarde, dont la position est un trait caractéristique de l’architecture des Vertébrés. Le 152 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION sinus est-il placé immédiatement en arrière de la région branchiale ? le cœur sera très antérieur, isolé du reste des viscères comme chez les Poissons vrais, par une cloison péricardique transversale. Le sinus est-il au contraire très postérieur? le cœur sera lui- même éloigné de la région céphalique et logé avec les poumons dans la portion antérieure du cœlome ; un cou se formera et nous aurons le type des Am- niotes. A l'appui de cette importance accordée à l’archi- tecture des Vertébrés, il est bon d'indiquer que His a déjà, en 1892, attiré l’attention sur des faits analo- vues, lorsque, envisageant les rapports de la bouche avec les fossettes olfactives chez les différents Vertébrés, 1l a distingué parmi eux diverses formes spéciales. Si l’on donne le nom de lèvre au bord rostral de la bouche, on peut observer d’après His, [p. 410] : 1° des lèvres faciales nées de l’union du bourgeon frontal avec le prolongement maxillaire supérieur et situées devant l’orifice interne des fosses nasales primitives, ce sont celles des Amniotes ; 2° des lèvres palatines qui, n’ayantaucun rapportavec les fosses nasales, peuvent être considérées comme plus postérieures que les précédentes, ce sont celles des Téléostéens et des Sélaciens ; enfin 3°, des lèvres pharyngiennes, ce sont celles des Cyclostomes, chez lesquels le bord crânial de la bouche naît tout entier derrière l’hypophyse, immédiatement en avant de la membrane pharyngienne. L'architecture faciale n’est peut-être pas définitivement établie par la formule es CHAPITRE VI 153 de His, à laquelle KEIBEL (1803) a déjà apporté quel- ques corrections, mais la tentative du célèbre em- bryologiste de Leipzig montre bien que la connais- sance de l’architecture s'impose pour comprendre les relations réelles des êtres entre eux. Elle montre en outre que ces êtres forment bien des groupes dis- tincts, et que l’on ne saurait passer de l’un à l’autre, lors même que certains de leurs organes, pris isolé- ment,pourraient présenter entre eux une série de tran- sitions insensibles. Par conséquent, lorsque pour faire une série organique quelconque on groupera dans une seule et même rangée progressive ou régressive des organes pris indifféremment dans ces groupes distincts, cette sériation n’aura aucune valeur au point de vue généalogique. Les subdivisions faites dans les Vertébrés d’après leur architecture constituent autant de sous-types, auxquels peuvent s'appliquer toutes les remarques faites par Von BAER à propos des types fondamen- taux (voyez chap. Il). De même que cet auteur mon- trait l'impossibilité de passer d’un type à l’autre et de faire dériver un Vertébré d’un Invertébré caracté- risé, de même les sous-types indiqués plus haut sont, par leur ontogénie, absolument distincts et disconti- nus. En effet, toute leur organisation définitive découle directement de celle de leurs embryons, et il n’est pas plus possible de faire un Cyclostome avec les organes et les régions d’un embryon de Sélacien que de revenir à un Poissonen partant de l'embryon d’un Amniote, car la situation reculée du sinus vei- 154 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION neux chez ce dernier, entraîne une subdivision de la cavité viscérale incompatible avec l’organisation d’un Poisson. Si maintenant, essayant de trouver les formes sou- ches des animaux supérieurs, nous cherchons quelle forme ancestrale peut représenter un embryon d’Am- niote envisagé comme nous venons de le faire sous le rapport des connexions topographiques de ses dif- férentes parties, nous voyons que cet embryon ne représente effectivement aucun animal ayant pu exis- ter sous la forme qu’il revêt. On peut ajouter même que son développement proteste vivement contre l’idée de faire dériver directement et par de simples perfectionnements progressifs, l’organisation d'un Amniote de celle de Vertébrés inférieurs. En effet, une région très importante du corps, le cou, se déve- loppe par un procédé qui ne peut en aucune manière rappeler quoi que ce soit de phylogénétique. La for- mation du cou est liée au glissement en avant d’une partie du rachis, or un semblable phénomène ne peut s’accomplir dans un animal achevé, On dira sans doute que c’est là un phénomène cénogénétique et je le veux bien, mais il nous est impossible de concevoir comment le cou aurait pu se former d’une autre manière et par conséquent d’avoir même l’idée äu processus palingénétique que nous devrions mettre, dans le développement phylogénique des Amniotes, à la place de celui que nous connaissons dans leur développement ontogénique. À CHAPITRE VI 155 Il est impossible d'affirmer que les représentants des différents groupes de Vertébrés n’ont entre eux aucun lien généalogique, et ne dérivent pas phylo- génétiquement d’une forme commune, mais leur ontogenèse les montre, dès qu’apparaissent les pre- miers linéaments de l’animal, séparés les uns des autres et pourvus au moins de deux caractères fon- damentaux, la disposition de la paroi prépéricardi- que et la position du sinus veineux, qui affirment dès ce moment leur rang et fixent en quelque sorte leur organisation future. L'observation des phénomènes cénogénétiques intenses rencontrés chez les Amniotes nous conduit encore à parler d’une hypothèse en apparence très paradoxale sur l’origine de certaines formes animales et qui trouve naturellement place ici. Comme l’orga- nisation de l’animal achevé se laisse tirer directement du mécanisme de l’ontogenèse, je ne puis m’empé- cher de faire remarquer que, si l’on s’en rapporte à cette dernière, non seulement les Vertébrés supé- rieurs ne paraissent pas provenir d'êtres semblables aux animaux inférieurs actuels adultes, mais sem- blent bien plutôt s’être formés dans l’œuf, sous l'influence de causes internes qui auraient fait appa- raître brusquement des formesnouvelles bien différen- tes de celles qui leur avaient donné naissance (généra- tion hétérogène, KOELLIKER). L'opinion de KOELLIKER (1872, p. 231) qu’un Reptile a pu sortir directement de l'œuf d’un Amphibien, n’est peut-être pas aussi 156 UN PROBLÈME DE L ÉVOLUTION paradoxale qu’on le croit volontiers. Il me semble qu'un Amniote a pu prendre naissance dans l'œuf d'un ancêtre pourvu de branchies comme un Am- phibien, à la suite du développement précoce du système nerveux central, amenant d’abord la produc- tion d’une courbure nuchale qui empêcha l’accrois- sement des arcs branchiaux, et qui fut suivie d’un glis- sement en avant de la colonne cervicale produit par la simple augmentation du volume de toute la zone rachidienne, encore très réduite lorsque s’est formée . la courbure nuchale. L’allantoïde précocement déve- loppée remplaçant de bonne heure les arcs branchiaux dans leur fonction respiratoire, ceux-ci n’auraient pas eu à développer de lamelles branchiales et auraient pu garder leur arc vasculaire unique, tandis que l’orifice externe des poches branchiales étant devenu inutile ne se serait pas formé, permettant la con- fluence du mésoderme des derniers arcs, premier pas dans leur dislocation future, lors de la formation du cou. La situation reculée du cœur, en avant duquel se forment toute la tête et le cou, s’explique- rait aisément par la nécessité de trouver de bonne heure une loge assez spacieuse pour l'organe central de la circulation qui doit accomplir un travail impor- tant à cause du grand développement de la vésicule ombilicale sur laquelle se forme le sang, et cette loge ne peut trouver place ailleurs que dans le méso- derme de la face ventrale du pharynx. Il faut ajouter, d’ailleurs, que la première condition pour que tout ce développement puisse se réaliser, résiderait dans CHAPITRE VI j 157 la présence d’œufs méroblastiques, c’est-à-dire don- nant un sac ombilical volumineux par rapport à l'embryon, et sur lequel se développerait le sang. Il est vrai que l’on n’assiste jamais à rien de pareil actuellement et que l’on voit toujours sortir d’un œuf un être semblable à celui qui l’a produit. Dans les mutations observées par les botanistes on voit bien naître d’une graine une plante spécifiquement différente de celle qui a produit la graine, seulement les différences dont il s’agit sont de très faible impor- tance. Mais il n’en a peut-être pas toujours été ainsi, et notamment dans les premiers âges de la terre, lorsque les premiers Vertébrés apparaissaient au sein des eaux. On admet généralement que nous nous trouvons à une époque de repos dans l’activité créa- trice de la nature, et devant les difficultés insurmon- tables que l’on rencontre pour faire dériver les formes actuelles les unes des autres, par de simples modifi- cations graduelles, il est permis de se demander si le processus cénogénétique indiqué ci-dessus ne pour- rait pas avoir joué un rôle. CHAPITRE VII LES FORMES EMBRYONNAIRES suite) Les organes à développement direct (œil, branchies). — Ce développement n'est pas contraire à l'idée d'évolution. — H. BERGSON et sa conception du développement direct. L'ontogenèse et les explications de HENSEN. — Les stades répétés sont des phases indispensables. — Signification des stades embryonnaires : 1° rôle fonctionnel (premiers ares aortiques, prétendu stade monerula) ; 2? rôle topographique (corde dorsale, germes dentaires, rudiments de membres, etc.) ; 3° rôle histologique (stades membraneux, cartilagi- neux, osseux du squelette axial). Les séries embryologiques et les séries anatomi- ques qui ont été étudiées dans les deux chapitres précédents sont empruntées aux organes à dévelop- pement progressif. Il faut envisager maintenant au point de vue de la loi biogénétique les organes qui ne présentent point un semblable développement ; nous examinerons d’abord l’œil qui en constitue le type le plus frappant. Le développement de l’œil des Vertébrés com- mence par la formation d’une vésicule, évagination latérale de la paroi épithéliale de la première vésicule cérébrale. Cette vésicule (vésicule optique primaire) reste rattachée définitivement au cerveau intermédiaire par un pédicule d’abord creux, qui den PR CHAPITRE VII 159 formera le nerf optique. A la suite de l’apparition du cristallin — qui naît comme une petite fossette de l’ectoderme de la tête, puis devient indépendant plus tard, sous la forme d’une sphère creuse, — la vési- cule optique primaire se transforme en une vésicule optique secondaire ou cupule optique. La cupule optique est, comme l’indique son nom, une coupe, dans l’ouverture de laquelle est enchassé le cristallin. Elle ne se forme pas simplement, comme on pourrait le croire, par refoulement de l’hémisphère antérieur de la vésicule dans son hémisphère postérieur— refou- lement plus ou moins directement dépendant du cris- tallin— mais parunprocédé infiniment pluscompliqué. Que l’on imaginele cristallin venant se placer non dans l'axe même de la vésicule primaire, donné par le pro- longement de son pédicule, mais en dessous de lui. La vésicule optique, qui était d’abord assez petite, se développe graduellement du côté inférieur par ses deux bords latéraux, qui s’accroissent de manière à embrasser le cristallin en-dessous, tandis que la vé- sicule se déprime d’autre part, sa moitié antérieure se rapprochant de la postérieure en se moulant pour ainsi dire sur le cristallin. Ilen résulte que la cupule optique est d’abord incomplète et largement ouverte en des- sous ; c’est une simple gouttière à double paroi appli- quée sur la moitié supérieure du cristallin. Mais ses deux bords se rapprochent peu à peu l’un de l’autre et viennent enfin se souder sur la ligne médiane au- dessous du cristallin. Jusqu'à ce moment, ils avaient laissé entre eux une fente (fente choroïdienne) qui se 160 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION prolonge sur le pédicule de la cupule par une gout- tière qui le suit sur toute sa longueur. À la fente succède ensuite la soudure choroïdienne. Ce développement achevé, le pôle antérieur de la vésicule optique primitive est pour ainsi dire invaginé dans son pôle postérieur auquel il s’accole. Il va former toute la rétine, ou plus exactement toute sa partie non pigmentée, depuis les cônes et les bâtonnets jusqu’à la limitante interne. L’épithélium du pôle postérieur de la vésicule optique primitive restera simple et deviendra l’épithélium pigmenté de larétine, pourvu, du côté du centre de l’œil, de franges pigmentaires entre lesquelles s’insinueront les cônes et les bâton- nets qui resteront d’ailleurs toujours indépendants morphologiquement de cette membrane pigmentaire. La formation dela fente choroïdienne, se prolongeant comme on l’a vu en gouttière sur le pédicule optique, permet au feuillet interne de la cupule (rétine) de se continuer directement dans le pédicule optique et cette relation est d’une importance capitale, parce qu’elle constitue la voie que suivront plus tard les fibres optiques. Ce simple schéma du développement de l'œil montre que, sans conteste, aucun des stades de cette évolution ne reproduit l’image d’un œil plus simple d’animal inférieur. La vésicule optique primitive rap- pelle d'autant moins un œil, que si sa forme globu- leuse n’est pas contraire à la structure de certains yeux, elle offre cette particularité que sa partie ré- ceptrice forme la moitié externe de la sphère, et non tr vi CHAPITRE VII 161 l’interne comme elle le devrait si ce stade représentait quelque œil globuleux d’Invertébré. Les stades dans lesquels existe la fente choroïdienne sont absolument incompatibles avec un fonctionnement quelconque de l’œil et ne semblent amenés que pour permettre la continuité permanente de la rétine avec le pédi- cule optique. En effet, si le fond de la vésicule pri- mitive se déprimait simplement dans son pôleinterne, le faisceau des fibres optiques devrait chercher, sans guide préétabli, son chemin vers le cerveau, tandis qu’il trouve naturellement ce guide grâce à la conti- nuité de la lame rétinienne avec la gouttière choroï- dienne du pédicule optique. Le développement de l'œil est donc particulière- ment intéressant parce qu’il nous montre un organe se formant pour ainsi dire par des voies toutes par- ticulières et indépendantes de celles de la phyloge- nèse ; il est bien clair en effet qu'aucun animal n’a pu voir avec une vésicule optique largement fendue en dessous par la fente choroïdienne. L'œil des Vertébrés se montre en même temps pourvu d’une structure très particulière difficilement réductible à d’autres plus simples observées ailleurs. Sans doute on trouve dans le monde animal des cellules visuelles qui font déjà prévoir les cônes et les bâtonnets, mais l’arrangement de ces cellules en une rétine est tout autre que chez les Vertébrés, et notamment les cellules pigmentaires qui entourent, au moins en partie, les cellules visuelles, appartien- nent toujours, chez les Invertébrés, à la même for- 162 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION mation que ces dernières, font partie de la même membrane et sont simplement un peu plus profondes que les extrémités réceptrices des éléments senso- riels. Elles sont confondues avec les autres éléments rétiniens — et même dans certains cas le bâtonnet rétinien et le pigment sont deux parties d'une seule et même cellule — tandis que les cellules pigmen- taires de la rétine des Vertébrés forment une couche absolument distincte de la rétine à laquelle elles ne s’accolent que secondairement et sans jamais s’unir réellement avec elle. En un mot, tandis qu’éléments sensoriels et éléments pigmentaires sont étroitement méêlés et disposés côte à côte dans le premier cas, on observe dans le second deux plages bien distinctes dans l’ébauche de la cupule optique, l’une (l’hémis- phère externe) donnera toute la partie non pigmentée, l’autre (l'hémisphère interne) engendrera exclusive- ment les cellules pigmentaires. Cette séparation ne peut s'être effectuée progressivement, car elle n’au- rait pu donner, pendant sa formation, un organe capable de fonctionner; elle a dû, pour avoir un effet utile, se produire dans les déterminants histo- logiques au moment même où, dans l’embryon, se formait la vésicule primaire avec ses deux pôles, chaque catégorie de cellules se produisant exclusi- vement dans l’un d’eux. On rencontre bien, chez certains Invertébrés, une disposition analogue à celle de l’œil des Vertébrés, celle que l’on observe dans les yeux palléaux du Pec- CHAPITRE VII 163 ten. Là aussi la rétine est distincte de l’épithélium pigmenté qui forme une coupe dans laquelle celle-ci s'enfonce et, par une analogie encore plus prononcée, les éléments récepteurs, pour se mettre en rapport avec cetépithélium,tournent le dosà la lumièrecomme chez les Vertébrés et contrairement à ce qu’ils font partout ailleurs, mais il y a tant de distance entre un Pecten et un Vertébré, les deux organisations diffè- rent si profondément par tous les autres détails, que l’on ne peut penser à une transmission quelconque de cette disposition de l’un aux autres. L’œil offre donc l’exemple très net d’un organe ne présentant pas d’états intermédiaires entre les formes inférieures et les supérieures, et dans lequel le paral- lélisme des stades embryonnaires et des structures permanentes plus simples ne s’observe pas. Les arcs branchiaux appartiennent aussi comme on l'a vu, à la catégorie des organes à développement direct, c’est-à-dire que l’anatomie comparée ne peut faire, avec eux, une série ascendante en allant des Vertébrés les plus simples à d’autres plus compliqués. Ils se montrent, au contraire, sous des formes diver- gentes qui ne présentent aucun état de transition des unes aux autres. Il y a trois formes principales d’arcs branchiaux que l’on observe chez l’'Amphioxus, chez les Cyclostomes et chez les Poissons vrais auxquels on peut joindre les Amphibiens. Chez l’Amphioxus les parois latérales du pharynx qui forment les arcs sont excessivement minces, les fentes branchiales y sont très nombreuses et 164 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION dirigées toutes dans le même sens, d'avant en arrière et du dos vers le ventre. Les arcs compris entre ces fentes sont très grêles, immobiles, et forment, par leur réunion, une cage branchiale analogue à un tamis. La paroi prépéricardique est très longue et s'étend sur toute la longueur de l’appareil bran- chial. La cage branchiale est beaucoup trop délicate pour pouvoir former la paroi du corps. Elle est recouverte par le repli cutané pourvu de muscles, qui limite latéralement le corps et crée autour d’elle l’espace péribranchial. Chez les Cyclostomes les arcs sont moins nom- breux, plus développés que chez l’Amphioxus et pourvus d’un squelette cartilagineux en même temps que de muscles. Mais ces arcs ont une disposition tout à fait particulière et ne peuvent être directe- ment comparés à ceux des Poissons. En effet, ils sont placés très profondément sous les téguments de l'animal, n’arrivant au contact de la paroi externe du corps qu’en un point très limité de leur parcours, et au lieu de former des arceaux plus ou moins cou- dés, ils constituent des lames verticales, tendues entre les poches branchiales successives qu’ils limi- tent et qui, chez l'adulte, se détachent d’eux et acquièrent une certaine indépendance (voy. p. 83 et fig. 6 pl. IV). La paroi prépéricardique s’étend jusqu’au septum postérieur de la dernière poche branchiale. En dehors des évaginations de l’ento- derme pharyngien qui forment le premier rudiment des poches branchiales, il n’y a presque plus rien de CHAPITRE VIl 165 commun entre l’appareil respiratoire d’un Cyclos- tome et celui d’un Sélacien, et même, dès le début, la forme et l’évolution de ces poches permettent de distinguer aisément les embryons des deux types. L’arc branchial vrai n’apparaît que chez les Pois- sons où 1l a toujours la forme d’une côte, plus ou moins fortement pliée à sa partie moyenne et formant un V ouvert en avant. Cette côte comprend en dedans de son épithélium de revêtement : 1° un sque- lette ; 20 un vaisseau (arc aortique) qui se dédouble très rapidement en une artère et une ou deux veines ; 3° des muscles qui meuvent les pièces du squelette de l’arcles unes sur les autres, ou l’arc entier sur ses voi- sins ; enfin, 4° des lamelles branchiales implantées sur la face externe de l’arc, suivant deux rangées séparées par un septum très court (Téléostomes) ou très long et qui les dépasse en dehors (Sélaciens). Toutes ces parties ont une importance variable, sui- vant la place qu’occupe l'arc ou suivant les espèces, et certaines d’entre elles peuvent même manquer dans certains arcs, mais jamais elles ne montrent dans leur développement une progression réguliè- rement ascendante(1). Ainsi la disposition des lamelles respiratoires diffère dans les principaux groupes d’une manière complète, et loin de se rattacher à un type (1) Voyez pour plus de détails sur l'appareil branchial des Poissons L. VIALLETON Archives d'Anal. microsc. 1908, t. X, p. 55 et suivantes. VIALLETON. Problème évolution. 11 i. Rod. p ee. 166 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION unique plus ou moins perfectionné suivant les cas, elle paraît uniquement déterminée par la forme des parties voisines et par la nécessité de remplir le plus tôt possible le rôle d’organes respiratoires. Les filaments branchiaux externes des embryons des Sélaciens se forment les premiers sur le bord externe des arcs, parce qu'ils sont ainsi mis directement en contact avec le liquide qui baigne l’embryon, et qui ne peut circuler pour le moment entre les arcs où les lamelles branchiales se développeront plus tard, lorsque par accroissement des fentes, élargissement du pharynx et aussi par l’existence de quelques mouve- ments, cette circulation sera devenuepossible. La bran- chie externe desembryons d’Amphibiensparaît devoir son existence à l’étroitesse de la cavité branchiale recouverte par l’opercule et à l’impossibilité d’y faire circuler l’eau au début de la vie embryonnaire. Lors- que plus tard la chambre branchiale se sera beaucoup accrue chez les Anoures, par suite du développe- ment énorme du sac viscéral dont l’opercule suit le contour externe, et que le passage de l’eau dans cette chambre sera devenu possible, des feuillets respira- toires se développeront sur ces arcs, tandis que les branchies externes s’atrophieront. En un mot, la forme et la distribution des lamelles branchiales, au lieu d’obéir simplement à un déve- loppement sérié à partir d’une forme unique, dépen- dent simplement de corrélations fonctionnelles et architecturales. | Nous avons cité comme organes à développement CHAPITRE VII 167 direct, l’œil et l'appareil branchial, mais il y en a bien d’autres qui rentrent plus ou moins complètement dans cette catégorie. Ainsi les membres — qui ne peuvent être rattachés d’une manière certaine à aucun des appendices des Invertébrés — n’offrent point un simple développement graduel, en allant des Vertébrés inférieurs aux supérieurs, mais consti- tuent deux formes difficilement réductibles l’une à l’autre, au moins jusqu'ici, la nageoire vraie des Poissons et la patte pourvue de doigts des animaux terrestres. Chacun de ces deux types peut présenter une foule de variations qui donnent lieu à des séries partielles parfaitement régulières, mais jamais à une série unique continue dans l’ensemble des Vertébrés. La plupart des organes qui, chez les Vertébrés, pré- sentent un développement progressif ne continuent pas non plus les formes plus simples des organes équi- valents chez les Invertébrés, mais se présentent avec des caractères très particuliers qui en font jusqu’à un certain point comme des créations nouvelles. Et cela est vrai aussi bien pour des systèmes généraux de valeur primordiale comme le système nerveux central, que pour des organes de bien moindre importance, comme les dents. En somme, et tout en disant bien haut que l’on ne doit pas se lasser de chercher des transitions entre Invertébrés et Verté- brés, qu’il faut pousser les investigations dans ce sens aussi loin que possible, et que l’on peut espé- rer des recherches ultérieures la découverte de for- mes de transition qui ont encore échappé jusqu'ici, il 168 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION faut bien reconnaître cependant que jusqu’à aujour- d'huiles efforts faits pour relier ces êtres les uns aux autres ont donné peu de résultats satisfaisants et qu’en dehors de quelques faits très frappants et d'une haute valeur, comme la ressemblance des néphridies des Annélides avec les premiers éléments du rein des Vertébrés, on trouve entre l’organisation de ces derniers et celle des Invertébrés une lacune infranchissable. L'existence d'organes à développement direct n’est d’ailleurs pas contraire à l’idée d’évolution. L'évolution est, nous l’avons dit dans l’introduction, la seule explication possible du monde vivant. Des formes innombrables ont apparu dans le cours des temps etne peuvent avoir pris naissance que d’après les lois naturelles ; d’autre part, les rapports spécif- ques de certains parasites avec leurs hôtes, la distri- bution géographique des êtres vivants parlent plus éloquemment encore que les ressemblances de struc- ture — parfois explicables autrement — en faveur de liens généalogiques réels entre des êtres peu diffé- rentsles uns des autres. Ce qui est en question seule- ment, c’est le mécanisme de cette évolution. Jusqu'ici la majorité des évolutionnistes a cru que l’évolution ne pouvait être que lente et continue, que les grandes différences observées résultaient simple- ment de l’accumulation de modifications presque insensibles. Les faits de mutations mis en lumière par DE VRIES, et qui vont en se multipliantà mesure CHAPITRE VIL 169 que l’on observe mieux, ont montré que ce n’était pas toujours vrai. Il y a donc dans la nature des changements brus- ques ; ceux que l’on connaît jusqu'ici ont, il est vrai, une faible amplitude et ne dépassent pas la valeur de caractères spécifiques, mais c’est beaucoup déjà de les connaitre, parce qu’ils montrent la création brus- que de formes nouvelles. Si ces faits se multiplient, si les mutations se montrent plus amples et plus for- tes et deviennentainsi l’origine de formes assez diffé- rentes, 1l semble que leur apparition rentrerait bien dans une conception de l’évolution un peu différente de celle couramment admise, et telle que l’expose H BERGSON dansle livre déjà cité. Cherchant à expliquer la formation d’un organe aussi compliqué que l'œil, l’auteur fait remarquer d’abord la complexité de sa structure opposée à la simplicité de son fonctionnement. Si compliqué que soit l'œil, la vision est un fait simple. Dès que l’œil s'ouvre elle s’opère. Le contraste entre la complexité de l’organe et l’unité de la fonction déconcerte l’es- prit [p.96]. L'acte de la nature, pour faire l’œil, s’est divisé automatiquement en une infinité d’éléments qu’on trouvera coordonnés à une même idée [p. 100]. « Mais c’est ce que nous avons beaucoup de peine a comprendre, parce que nous ne pouvons nous empêcher de nous représenter l’organisation comme une fabrication. Autre chose est pourtant fabriquer, autre chose organiser. La première opération est propre à l'Homme. Elle consiste à assembler des par- 170 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION ties de matière qu’on a taillées de telle façon qu’on puisse les insérer les unes dans les autres et obtenir d'elles une action commune. On les dispose pour ainsi dire autour de l’action qui en est déjà le centre idéal. La fabrication va donc de la périphérie au centre ou, comme diraient les philosophes, du multiple à l’un. Au contraire, le travail d'organisation va du centre à la périphérie. Il commence en un point qui est presque un point mathématique, et se propage autour de ce point par ondes concentriques qui vont toujours s’élargissant. Le travail de fabrication est d'autant plus efficace qu’il dispose d'une plus grande quantité de matière. Il procède par concentration et compression. Au contraire, l'acte d'organisation a quelque chose d’explosif » [p. 100] et comme le dit ailleurs l’auteur [p.97]. « Le développement ne pro- cède pas par association et addition d'éléments, mais par dissociation et dédoublement ». Dans la création de l’œil «selon que l’acte indivisé qui constitue la vision s’avance plus ou moins loin, la matérialité de l'organe est faite d’un nombre plus ou moins considé- rable d'éléments coordonnés entre eux, mais l’ordre est nécessairement complet et parfait. Il ne saurait être partiel, parce que, encore une fois, le processus réel qui lui donne naissance n’a pas de parties. C’est de quoi, ni le mécanisme, ni le finalisme ne tiennent compte, et c’est à quoi nous ne prenons pas garde non plus quand nous nous étonnons de la merveil- leuse structure d’un instrument comme l’œil. Au fond de notre étonnement il y a toujours cette idée, qu’une CHAPITRE VII 171 partie seulement de cet ordre aurait pu être réalisée, que sa réalisation complète est une espèce de grâce. Cette grâce, les finalistes se la font dispenser en une seule fois par la cause finale ; les mécanistes préten- dent l’obtenir petit à petit par l’effet de la sélection naturelle ; mais les uns et les autres voient dans cet ordre quelque chose de positif, et dans sa cause, par conséquent, quelque chose de fractionnable, qui com- porte tous les degrés possible d'achèvement. En réa- lité, la cause est plus ou moins intense, mais elle ne peut produire son effet qu’en bloc et d’une manière achevée. Selon qu’elle ira plus ou moins loin dans le sens de la vision, elle donnera les simples amas pig- mentaires d’un organisme inférieur, ou l’œil rudi- mentaire d’une Serpule, ou l’œil déjà différencié de l'Alciope, ou l’œil merveilleusement perfectionné d’un Oiseau, mais tous ces organes de complication très inégale, présenteront nécessairement une égale coordination » [p. 103-104]. Cet exposé de BERGSON mérite d’être retenu, parce qu’il met en lumière des faits de premier ordre trop souvent méconnus, et notamment la coordination précoce et d'emblée des parties dès qu’elles apparaissent, coordination d’autant plus nécessaire, que, sans elle, la fonction ne peut s’exer- cer ni l’être vivre. Et ces coordinations n’exis- tent pas seulement pour les organes formés d’un grand nombre de parties ou de cellules, elles sont aussi indispensables dans une simple cellule où elles s’ob- servent entre les espèces chimiques qui la composent 172 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION et où elles constituent l’organisation cellulaire, base de la vie. Il y a aussi loin de la cellule au simple mélange de ses composants chimiques, que d’un organe à sa représentation figurée. L'existence de ces coordinations ne veut pas dire qu’il y ait finalité, car, dit encore H. BERGSON, «le sens de cette action (de la vie) n’est sans doute pas prédéterminé, de là l’impré- visible variété des formes que la vie en évoluant sème sur son chemin » [p. 105]. Mais il s’est produit autre- fois et il se produit sans doute encore aujourd’hui une infinité de combinaisons d’organisation tentées par la nature. Les combinaisons heureuses ont per- sisté, quelques-unes, susceptibles de développements variés, ont donné naissance à ces riches floraisons de formes affines que l’on retrouve dans les groupes les plus divers, d’autres restées simples et comme stéri- les forment encore les types isolés, d’autres enfin, malvenues et imparfaites n’ont pu résister et ont bien vite disparu, si même elles ont pu arriver jusqu’à une existence éphémère, c’est-à-dire atteindre jusqu’à l’'éclosion de l’œuf dans lequel elles se sont essayées. On peut donc imaginer avec BERGSON qu’un organe très compliqué n’est pas forcément produit par des adjonctions successives et graduelles, mais “peut aussi apparaître brusquement avec tous les éléments de sa structure quelque compliquée qu’elle soit. Ily a là, me semble-t-il, une indication à rechercher et à étudier de plus près bien des faits un peu négligés. L’aphorisme bäen connu, natura non facit saltus, pèse ore lourdement et pour CHAPITRE VII 173 nombre de cas d’une manière injustifiée, sur les conceptions que l’on se fait de l’évolution. Que dans beaucoup de groupes les transitions les plus ménagées s’observent entre des extrêmes assez éloignés, cela est incontestable; mais il ne fau- drait pas ériger ce fait limité en axiome général et l’étendre au delà des bornes où on l’observe. On ne prend pas assez garde que souvent ces séries gra- duelles, que l’on aime tant à former, aboutiraient à un moment donné à des impossibilités physiolo- giques et à l’anéantissement de l’être hybride qui les réaliserait. Nous verrons plus loin les critiques for- mulées par divers auteurs contre l’origine monophy- létique du règne animal, qui exprime justement ce développement graduel et continu en une série, ramifiée sans doute à son extrémité terminale, mais toujours issue d’une souche unique. On peut se demander si vraiment la vie a été jamais possible à la surface du globe avec une seule forme d’êtres vivants, et il est bien probable qu’il n’en a pas été ainsi, que dès le début il y a eu des végétaux et des animaux, des mangeurs et des mangés, comme des destructeurs de la matière organisée morte. Il existe parmi les êtres vivants certaines formes fondamentales qui ont un rôle dans l’ensemble et qui sont aussi utiles au développement général de la vie que les milieux cos- miques eux-mêmes; mais les formes moins impor- tantes ont aussi leurs fonctions, et c’est pour cela qu’on les trouve « représentées », comme disait CUVIER, par des organismes souvent sans aucune 174 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION affinité entre eux, aux divers âges de la terre. Si ce n'est là qu’une hypothèse, aussi fragile que l’on voudra, il faut bien se rappeler cependant que dans les plus anciennes couches fossilifères on retrouve, côte à côte, des représentants des divers embran- chements des Invertébrés, et que les Vertébrés ne tardent pas à apparaître au milieu d’eux. Il y a déjà longtemps que Louis AGassiz a insisté sur la coexis- tence précoce des formes les plus diverses, mais c’est un fait sur lequel on ne s'arrête généralement pas assez. Les organes dont le développement ontogénique direct ne répète point des formes inférieures se perfectionnant graduellement, nous conduisent à parler de la conception que se fait de l’ontogenèse un physiologiste et embryologiste allemand, le pro- fesseur HENSEN, de Kiel. Dans son livre, intitulé L'expédition du plancton et le darwinisme de Haeckel, HENSEN regarde toute la loi biogénétique «comme injustifiée, même en tenant compte des falsifications» p.56. La ressemblance générale que l’on observe dans l’embryogénie des Vertébrés ne prouve rien en faveur de cette loi. Tous les Vertébrés ont un cœur, un intestin, une moelle, des organes visuels, auditifs, olfactifs, et tout cela doit bien se développer à un moment donné chez les jeunes. Ce sont leurs produits sexuels qui engendrent, et ils ne peuvent engendrer que suivant les lois auxquelles est soumise l'espèce envisagée, et com- NN pr CHAPITRE VII 175 ment pourraient-ils se développer d’après d’autres lois ? Chez les embryons, toutes les parties sus- indiquées sont beaucoup plus petites que chez l'adulte, par conséquent elles apparaissent chez lui avec une plus grande simplicité et semblables entre elles. Du reste, les embryons ne sont pas aussi sem- blables qu’on l’a dit (voyez His) et ce ne sont pas les embryons qui sont cénogénétiques, mais la loi elle- même [p. 56|. Mais, ajoute HENSEN, n’y a-t-il pas des cas que l’on pourrait regarder comme la récapitulation du déve- loppement phylogénétique ; par exemple, la présence chez les Vertébrés supérieurs d’arcs branchiaux, de la glande pinéale, de l’hypophyse, de la corde dor- sale, c’est-à-dire des organes qui n’ont plus de fonc- tion chez l’adulte ou qui régressent chez lui. L’exis- tence de ces faits est indubitable, mais l'explication suivante est plus juste que la loi biogénétique : les organes ne naissent pas à la place où on les trouve, à la manière d’un cristal, mais il se forment à la suite de déplacements et d’entrelacements réciproques des tissus du corps. Ils naissent de parties empruntées le plus souvent aux trois feuillets embryonnaires. Le procédé que suit la nature en cela doit être le meil- leur, conformément à la loi de DARWIN, parce que les autres seraient éliminés [p.57] Ainsi l’œil doit arriver à la surface pour recevoir la lumière, maisil doit avoir une certaine profondeur pour que la lumière puisse traverser les milieux réfringents et former une image optique. La couche nerveuse sera donc tirée du cer- 176 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION veau en forme de vésicule primaire qui atteindra ainsi l'extérieur, puis apparaîtra la vésicule secondaire. Il n’y a pas de procédé pour faire une chose aussi com- pliquée avec des moyens plus simples que ceux qui sont employés. Ce développement paraît réglé par lui-même et nous n’avons pas besoin d’invoquer une hérédité fabuleuse du tronc phylétique [p. 57-58]. Lorsque les osselets de l’ouïe se développent d’un arc branchial, nous n’avons pas le moyen de démon:- trer la nécessité de leur développement par des rai- sons analogues, mais personne ne peut démontrer que l’on pouvait faire mieux les choses. Il est donc probable que là aussi la meilleure voie est suivie et nous avons à étudier comment cette voie est la meilleure. Il y en aurait autant à dire pour les gros vaisseaux [p. 58]. Lorsque, comme la corde, un organe paraît puis régresse, cela veut dire que d’abord certaines cellu- les, dans la lutte pour l’existence(W. Roux), enserrent la corde pour la remplacer bientôt d’une manière plus parfaite. Que la corde apparaisse encore, cela veut dire simplement, pour HENSEN qu’à son ori- gine il y a besoin de séparations de cellules pour le développement de leurs propriétés histologiques, et il vaut mieux chercher dans ce sens que se con- tenter de l’explication apparente de HAECKEL [p.58]. « La loi biogénétique veut que la marche du déve- loppement soit héritée de nos ancêtres paléonto- logiques; elle se heurte contre ce principe de DARWIN qui n’admet que le chemin le plus facile, et renvoie la CHAPITRE VII 177 solution du problème à celle du problème de l’héré- dité, qui ne peut nous servir à rien. Notre explication du développement est en général celle-ci: 1° le développement doit conduire à la formation des formes ancestrales, parce que les produits sexuels doivent se développer suivant les règles qui ont pré- sidé à la constitution et à la combinaison de l’espèce; 29 nous regardons le processus actuel du dévelop- pement comme le plus exact et le seul possible. Cela ne laisse pas place pour la loi biogénétique. Mais le rejet de celle-ci n'empêche pas la spéculation phy- logénétique » [p. 59]. Il y a déjà longtemps, KOELLIKER (1882) a fait allusion à l’absence, dans l’ontogenèse, d’un grand nombre de stades ancestraux qui devraient s’y ren- COntrer €... à supposer que l'Homme ait eu parmi ses ancêtres les formes citées tout à l'heure et d’autres encore, nous ne savons pas plus qu'auparavant pour- quoi il ne reproduit, dans son évolution, que quelques étapes du développement généalogique qu’on lui attribue et non les autres. Qu’on nous explique donc comment l'Homme, de toutes les formes inférieures par lesquelles ses ancêtres ont du passer, ne repro- duit, dans son développement embryologique, que celle d'organisme unicellulaire (Monères, amœæbes), quand il est à l’état d'œuf; celle de colonies cellu- laires simples (Syrzamæbium, HAECKEL) quand, après la segmentation, il acquiert l’état de masse fram- boisée (Morula, HAECKEL), et celle de Planula H., 178 UN PROBLÈMÉ DE L'ÉVOLUTION quand il se convertit en vésicule blastodermique (Blastula H.) et comment, dès que paraît la ligne pri- mitive dérivant de l’ectoderme, et que l’on n’a, sans aucun doute, rencontrée sous cette forme dans aucun Invertébré, tout d’un coup le voilà devenu Vertébré! Ou bien encore qu’on nous démontre pourquoi l’em- bryon humain n’a jamais un crâne cartilagineux com- plet comme le Poisson, pourquoi pas de branchies externes et internes, comme le Poisson et les Amphi- bies, pourquoi pas tant d’autres attributs qu'ont possédé ses ancêtres ? Si on ne peut le faire, qu’on cesse donc aussi de nous représenter la prétendue loi biogénétique comme un lumineux flambeau ! » [p. 408-400. ] KOELLIKER n'avait pas tort de critiquer ceux qui prétendent trouver dans l’hérédité l'explication cau- sale, la raison suffisante de tous les phénomènes accomplis au cours de l’ontogenèse. L'idée physio- logique introduite par HENSEN permet de comprendre le pourquoi demandé par KOELLIKER : pourquoi cer- tains stades seulement sont répétés parmi tant d’autres disparus. Ce sont ceux là seulement qui ont une signification physiologique, en prenant ce mot dans le sens le plus large, c’est-à-dire tous ceux qui d’une manière quelconque, sont nécessaires pour arriver à la forme finale cherchée. Ainsi seront conservés les stades ayant un carac- tère de généralité qui les rend indispensables (ce qui est plus général précédant toujours ce qui est plus spécial, VOx BAER) ou d’utilité immédiate. On trou- CHAPITRE VII 179 vera plus loin, dansl’exposé des vues d’Osc. HERTWIG, des exemples très nets de la nécessité absolue de certaines dispositions embryonnaires, mais nous essayerons d’en indiquer ici quelques autres cas. On est encore loin de connaître l’utilité que telle ou telle disposition embryonnaire peut présenter pour le développement ultérieur, et par conséquent ce qui suit ne peut être considéréque comme très impar- fait et comme une simple indication de la nécessité de recherches nouvelles sur les causes réelles des phases de l’ontogenèse. Mais, s’il est impossible de donner maintenant autant de réponses satisfaisantes qu’il faudrait pour résoudre tous les problèmes, 1l est bon cependant d’examiner quelques faits qui jettent un peu de lumière sur certaines des illusions qui ont conduit à la théorie de la récapitulation. Les différents organes d’un embryon remplissent, dans ce dernier, un rôle qui est parfois très différent de celui qu’ils auront à jouer plus tard. Sans doute il est périlleux de prétendre indiquer tout ce que fait dans un embryon une ébauche déterminée. Souvent aussi il est arbitraire et peu justifié de donner la pré- pondérance à l’une plutôt qu’à l’autre des fonctions simultanées qu’elle peut remplir. Cependant, en gar- dant bien présentes à l'esprit les réserves qui vien- nent d'être faites, on peut distinger aux organes em- bryonnaires trois sortes de fonctions principales, ou si l’on veut, on peut dire que les stades évolutifs des organes répondent à trois sortes de nécessités : 1° nécessités fonctionnelles; 2° nécessités topogra- 180 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION phiques; 3° nécessités histologiques, étant bien entendu d’avance que tous les organes participent plus ou moins à ces trois sortes de fonctions. Par nécessités fonctionnelles on peut entendre celles qui ressortissent aux organes jouant un rôle actif pendant le développement, c’est-à-dire partici- pant à une fonction qui s’exécute durant ce dernier. Les premiers arcs aortiques transitoires de l'embryon rentrent dans cette catégorie. Ces vaisseaux allant de l’extrémité artérielle du cœur placée sur la face ventrale de l'intestin, à l’aorte reposant sur la face dorsale de celui-ci et qui est l’origine du système artériel, mettent en relation le cœur avec l’aorte ; ils sont par suite absolument indispensables à l'embryon et doivent exister de très bonne heure chez toutes les espèces, puisque la circulation est aussi la première fonction qui s’accomplisse. Si maintenant on se rap- pelle que les arcs aortiques, compris dans l’épaisseur des arcs viscéraux, se forment comme ces derniers d'avant en arrière, et que le premier arc viscéral existe seul avant que les autres ne soient développés, on comprendra aisément pourquoi le premier arc aortique qui disparaît cependant plus tard dans la majeure partie de son étendue chez tous les Verté- brés, se retrouve pourtant sans exception dans les embryons de tous ces animaux. Sa présence n’est pas un rappel ancestral — aucun Vertébré, si inférieur qu’il soit, ne présente à l’état d’adulte un premier arc aortique complet — c’est une nécessité physiolo- gique. CHAPITRE VII 181 Un autre exemple de nécessité physiologique, se substituant dans les interprétations correctes à une répétition de la phylogenèse, est fourni par le pré- tendu stade monerula de HAECKEL. Lorsque cet auteur écrivait l'Histoire de la création, on croyait que la vésicule germinative disparaissait dans l’œuf au début del’ontogenèse, etil voulut voir danscette disparition la reproduction de cette phase de la phylogenèse dans laquelle les organismes étaient de simples masses protoplasmiques dépourvues de noyaux, les monères. Mais on apprit peu de temps après que cette prétendue disparition cachait simplement une modification du noyau d’une importance physiolo- gique considérable et indispensable à la maturation de lovule. Le stade monerula n’est donc pas un stade ancestral, il ne signifie rien au point de vue atavique — même en laissant de côté l’existence douteuse de vraies monères — et il doit faire place au stade phy- siologique inéluctable de la maturation. | Viennent en second lieu, parmi les attributions des organes embryonnaires, celles que l’on peut ranger dans l’ordre des nécessités topographiques Un grand nombre de faits rentrent dans cette catégorie. Telles sont la présence de la corde dorsale, celle de germes dentaires chez des Mammifères qui manquent plus tard de dents, ou l’existence de rudiments de mem- bres chez les animaux qui n’en possèdent pas à l’état adulte, telles sont enfin certaines formes extérieures de l’embryon qui diffèrent profondément de celles de l’adulte de la même espèce. ViALLETON, Problème évolution. 12 LR. sé. À FIST ES "8 1! pbs - 182 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION La corde dorsale des Mammifères ne joue évidem- ment aucun rôle de soutien et ne forme non plus aucune partie de l’adulte, on l’a donc considérée parfois comme un organe ayant simplement la valeur d’un souvenir ancestral. Mais lorsqu'on lui refuse toute valeur propre, se demande-t-on ce qu'il arriverait si elle manquait? Où se trouverait le centre de rassemblement du mésenchyme qui doit former la colonne du squelette axial ? Comment se compor- terait le système nerveux central, mis par son absence en rapport immédiat avec la gouttière intestinale et les deux aortes qui la suivent de chaque côté? L’in- vagination de la gouttière médullaire serait-elle pos- sible ou simplement pourrait-elle s'effectuer suivant son mécanisme habituel sans la présence de la corde? Ces questions suffisent à montrer que la corde joue en réalité un rôle considérable dans l'embryon, bien qu’elle ne soutienne rien et qu'aucune de ses parties ne passe dans le squelette définitif. Elle sert à don- ner dès le début, aux organes essentiels, leurs rap- ports principaux, à les écarter les uns des autres et à permettre par là au mésenchyme qui doit former le squelette membraneux, de se placer là où ce der- nier doit exister conformément au type Vertébré. Les germes dentaires jouent chez les Mammifères un rôle incontestable dans le développement des maxillaires; ils forment comme le moule sur lequel s’édifient tout d’abord ces derniers. On comprend donc qu’ils existent même lorsque des dents parfai- tes n’en doivent pas sortir plus tard (maxillaire \ Le # CE SE PE ES DRE d ee CHAPITRE VII 183 inférieur des Cétacés mysticètes), car ils fournissent la première impulsion nécessaire à la formation de cet os et plus tard, à mesure que l'embryon croît et meut sa mâchoire, les muscles qui s’y insèrent con- tinueront ce rôle et deviendront les agents du déve- loppement et du maintien de cet organe. De même l'utilité de rudiments de membres chez l'embryon est indiscutable bien qu’ils ne doivent pas évoluer eux-mêmes en membres parfaits, parce que le squelette des ceintures naît comme un prolonge- ment interne de celui des membres et que les cein- tures persistent plus généralement que les membres eux-mêmes, étant rendues nécessaires par d’autres fonctions secondaires qui leur incombent. Certains animaux qui possèdent, à l’état adulte, une forme très différente de celle des autres espèces du même groupe, s’en rapprochent beaucoup au con- traire à l’état embryonnaire. Tels sont, par exemple, les embryons de la famille des Raïes, semblables au début à ceux des Sélaciens typiques, et les embryons des Pleuronectes qui ont d’abord leurs deux yeux symétriquement placés par rapport au plan sagittal comme les Poissons ordinaires, avant de les avoir tous les deux sur le même côté du corps. Ces deux cas, qui ont souvent été invoqués en faveur de la loi bio- génétique, reçoivent chacun une explication tout à fait indépendante de cette dernière. Les Raies diffèrent des Squales principalement par ce que leurs membres antérieurs — qui gardent toujours leur situation primitive dans le plan horizontal du 0 184 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION corps — se développent énormément et poussent un prolongement crânial qui passe sur les côtés des arcs branchiaux, pour aller jusqu’au rostre et pour se souder finalement aux tissus qu’il rencontre dans toute cette étendue. Cette modification du membre antérieur entraîne une série de corrélations sur lesquelles ce n’est pas le moment d’insister, mais elle ne peut se produire que tard, c’est-à-dire après que les membres — organes eux-mêmes peu précoces dans le développement — ont déjà acquis une cer- taine taille. Tant qu’il n’en est pas ainsi, l’embryon d’une Raie ou d’une Torpille ressemble à celui d’un Squale et il n’est pas besoin d’invoquer pour cela la loi biogénétique. D'abord il faut bien remarquer que la Raie embryonnaire ne ressemble pas à un Squale, mais à un embryon de Squale, ensuite il suffit de se rappeler simplement que le facteur essentiel de la différence qui existe plus tard entre les deux formes n’est pas encore apparu et que par conséquent cette dernière ne peut, en aucune façon, être exprimée. L’embryon des Raïes ne présente pas une disposi- tion ancestrale, mais une disposition générale. Pour les Pleuronectes, il est clair que le déplace- ment secondaire d’un œil sur le côté du corps où l’autre est déjà placé ne peut s’effectuer qu'après que le crâne s’est déjà développé pour fournir l’espace au travers duquel cette migration peut se produire. Chez l'embryon très jeune, le crâne n'existe pour ainsi dire pas ; il n’est représenté que par la mince enveloppe membraneuse du cerveau, et comme ce US. à - DL Là tn CHAPITRE VII 185 dernier est symétrique le crâne est au début lui- même symétrique et les deux yeux occupent la position ordinaire. Lorsque la voûte du crâne aura grandi en hauteur, s’écartant plus ou moins du cer- veau dont la sépare une épaisse masse séro-grais- seuse, les disymétries pourront se produire dans cette masse osseuse sans retentir sur la structure cérébrale qui doit rester intacte. Là encore la symé- trie primitive n’est qu'une condition topographique inévitable et non une phase ancestrale récapitulée. Les prétendus rappels phylogénétiques des embryons de Raies et de ceux de Pleuronectes sont donc tout simplement des nécessités topographiques du déve- loppement de ces embryons et ne prouvent rien en faveur de la loi biogénétique. Enfin la troisième catégorie des nécessités aux- quelles doivent se plier les organes embryonnaires est celle des nécessités histologiques. Il va de soi que l’état cartilagineux doit être forcément précédé de l’état membraneux, car le cartilage est un stade avancé du développement du mésenchyme et partout ce dernier le précède. De mêmele tissu osseux estune évolution plus complète du tissu mésenchymateux ou du cartilage, et si l’on voit dans nombre de cas, chez les Poissons, un tissu osseux précoce prendre nais- sance sans changements histologiques préalables par simple ossification directe du tissu conjonctif, il n’en est pas moins vrai que dans tous les os épais et d’un certain volume, l’ossification enchondrale qui suit le stade cartilagineux par lequel ont débuté ces 186 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION pièces est un processus très compliqué et qui néces- site l'intervention très active des vaisseaux sanguins. La dernière étape de la formation du squelette, l’ossi- fication, ne peut donc se produire que dans des em- bryons assez avancés, lorsque l'individu possède déjà de nombreux vaisseaux sanguins, tandis que le sque- lette cartilagineux peut exister bien plus tôt à un moment où les vaisseaux sont encore rares, puisqu'il n’a pas besoin de vaisseaux propres pour se déve- lopper. Il n’y a donc pas lieu d’invoquer pour expli- quer la présence des trois stades bien connus de l’évolution du squelette un rappel de formes ances- trales contre lequel proteste l’ensemble de l’organi- sation des animaux aux stades correspondants. Cette évolution s'explique par les propriétés fondamentales et l’ordre de développement des tissus de soutien qui le constituent, tissus appartenant tous au groupe conjonctif. En somme l’embryon qui fait un squelette cartilagineux réalise une économie, pour le moment où ilse trouve, et procède de la manière la plus simple. On dira peut-être que s’il se forme toujours une corde dorsale, si les différences observées entre les Raies et les Squales ne s’établissent que tard après que le développement a suivi jusqu'alors dansles deux cas une marche identique, si l’os ne se produit qu'après l’achèvement des tissus conjonctifs ou car- tilagineux, tout cela et une foule d’autres faits analo- gues c’est ce que l’on entend par la loi biogénétique. En effet, au lieu d’une corde dorsale il pourrait y CHAPITRE VII 187 avoir simplement un tissu informe, séparant le tube médullaire des aortes ; au lieu d’un embryon squali- forme, les Raies pourraient avoir un embryon tout différent, chez lequel un prolongement latéral de la région céphalique s’étalerait pour former l’aile. Mais si au lieu d’un tissu informe on trouve une corde comparable à celle des Vertébrés inférieurs, si au lieu d’un organe nouveau pour former l'aile des Raies, on observe une disposition d’abord sembla- ble à celle des Squales, c’est parce que les em- bryons, au lieu de se former n'importe comment au mieux de leur structure définitive, se constituent d’après des règles fixes, reproduisant toujours les mêmes stades fondamentaux, et rien n'empêche de considérer l’ensemble de ces règles comme répon- dant à la loi biogénétique fondamentale de HAECKEL. Il importe cependant de remarquer que la plupart de ces stades ne représentant pas des êtres ayant vécu, la loi biogénétique doit alors être prise dans un sens figuré et métaphorique, comme l'ont déjà fait remarquer certains auteurs (EMERY, MEHNERT). Mais peut-on vraiment parler de sens figuré à pro- pos d’une loi comme celle-ci, et n'est-ce pas lui enlever toute sa signification? Rien n’est moins métaphorique qu’une généalogie; elle est, ou elle n’est pas, et ne vaut-il pas mieux, si l’on ne trouve plus dans la loi l'expression de liens géné- tiques véritables, de faits héréditaires directs, la for- muler comme HERTWIG, lorsqu'il dit qu’il existe non pas une récapitulation des formes ancestrales, mais 188 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION simplement wne récapitulation des formes qui obéis- sent aux lois du développement organique et vont du simple au compliqué. Cette formule s’applique à merveille aux cas sus-indiqués. S’il existe une corde chez l'embryon des êtres qui n’en conserveront rien dans leurs états ultérieurs et non pas un tissu informe quelconque, c’est que la corde, organe très primitif, dérive directement du feuillet entodermique qui a une structure épithéliale, et par conséquent, en tant qu'organe épithélial elle-même, elle doit avoir une forme régulière et une limite nette. C’est à cause des propriétés histologiques qu’elle tient de son origine blastodermique que la corde n’est pas une masse informe comme on pourrait l’imaginer. De même le dé- veloppement symétrique de l’œil des embryons de Pleuronectes n’est qu’un cas particulier de cette loi générale, que l’œuf, origine de tout développement, étant un organisme de forme régulière ne peut donner lieu d’abord qu’à des individus également réguliers ou symétriques, sur lesquels les irrégularités et les asymétries ne pourront apparaître que plus tard. Les faits que nous avons signalés dans ce chapitre sont donc bien causés par les lois générales du dévelop- pement et ne constituent aucunement des répétitions ancestrales, contre lequelles parlent aussi bien la stucture des parties en cause, que celle de l’ensem- ble des organismes dans lesquels on les observe. CHAPITRE VII _ LES FORMES EMBRYONNAIRES in) Disparition d'ébauches au cours du développement, protover- tèbres céphaliques et caudales. — Formation de la queue de cheval. —- De fdispositions plus générales (égalité des ébau- ches) dérivent des dispositions particulières (VON BAER). — Le développement des organes génitaux et la loi biogéné- tique. Il faut étudier maintenant un certain nombre de faits embryologiques qui ne rentrent pas dans les catégories examinées jusqu'ici, c’est-à-dire ne sont pas simplement des développements progressifs comme celui du squelette axial, ou directs comme celui de l’œ1l, mais comportent cependant des trans- formations profondes. Lorsqu'un système apparait dans l'embryon sous la forme d’ébauches multiples toutes égales entre elles et se répétant métamériquement, il est fréquent de voir que ces ébauches sont au début plus nom- breuses qu’elles ne le restent par la suite. Ainsi l’on compte chez desembryons appartenant à des groupes divers, un nombre de protovertèbres plus grand que celui des segments définitifs qui leur succèderont. Un certain nombre de protovertèbres disparaissent donc ou s’atrophient au cours de l’évolution et cela 190 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION s’observe aussi bien à l’extrémité céphalique qu’à l'extrémité caudale. A l'extrémité céphalique la disparition d’un certain nombre de protovertèbres est un fait très général. Nous rapporterons un cas ou cette disparition a été très soigneusement suivie. FRORIEP (1902) a montré qu’un très Jeune embryon de Torpille, long de 2 millimètres, présente des protovertèbres jusqu’au dessous de la vé- sicule auditive en un point où la corde, jusqu'alors droite, se courbe, perd sa cuticule et devient formée de cellules disposéesen petits amas lâchesaulieu d’être ordonnées en piles de monnaie comme dans le reste de son étendue. Cette partie de la corde est caduque et ne tarde pas à disparaître. Entre l’extrémité de la corde persistante, flanquée de chaque côté par la première paire de protovertèbres et le fond de l'in- testin primitif, il existe une partie mésodermique qui s’accroît puissamment, mais ne se sesmente ni en protovertèbres, ni en une zone dorsale et en une zone ventrale. Ce mésoblaste céphalique insegmenté forme la partie branchiale de la tête (partie cérébrale ou préspinale) qui est la matrice de tous les arcs branchiaux (FRORIEP, 1901!, p. 43). La partie qui est en arrière et qui répond à la plus grande longueur de l’embryon est la partie spinale ou protoverté- brale. La limite entre les deux passe justement par le point où cesse la corde rigide et persistante. Chez l'embryon de 2 millimètres, cette portion bran- chiale étant très courte, car il n’y a pas encore de poches formées, nous avons un véritable stade CHAPITRE VIIT 191 acranien, l’animal tout entier est réduit à une colonne vertébrale. Mais le territoire céphalique (plaque médullaire et mésoblaste céphalique),si petit d’abord, grandit vite : les ailes latérales de la plaque médul- laire se développent beaucoup et la premièreébauche de la vésicule optique se forme La partie mésoblas- tique s’étend elle-même à son tour aux dépens de la partie spinale qui se détruit partiellement. On peut suivre pas à pas la disparition de l'extrémité rostrale de la série des protovertèbres, où celles-ci se réduisent en mésenchyme l’une après l’autre ; jusqu’au stade ] où ce mouvement s'arrête, dix protovertèbres ros- trales ont disparu. Mais la partie de la corde correspondant aux protovertèbres détruites ne dis- paraît pas avec elles, elle persiste et demeure après qu’elle a perdu les segments mésoblastiques spinaux qui lui appartenaient génétiquement ; elle passe au service du mésoblaste céphalique pré- spinal ou branchial et remplace pour lui le soutien axial disparu avec la partie caduque de la corde. Le mésoblaste céphalique préspinal suit pas à pas le matériel protovertébral se résolvant en mésen- chyme et pénètre ainsi dans un territoire qui était occupé auparavant par des protovertèbres. Il n’y a pas de limites précises entre ces deux com- plexes mésoblastiques, et la formation de la tête résulte par suite du conflit de deux ébauches diffé- rentes, dont l’une se substitue en partie à l’autre, n’en gardant que le squelette axial et l’'ébauche ner- veuse, tandis qu’elle supplante les ébauches proto- 192 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION vertébrales les plus rostrales qui MISDÉRASARRS devant elle (ibid., p. 44) (1). A l’autre extrémité du corps on observe aussi une différence plus ou moins grande entre le nombre des protovertèbres quiexistentchez l'embryon etceluides segments que l’on observe dans la même région chez l'adulte La queue présente, en effet, chez les divers animaux, des dimensions très variables et peut même manquer chez l’adulte, mais elle existe chez tous les embryons. Si l’on considère seulement les Am- niotes, groupe très naturel et qui présente une em- bryologie assez uniforme, on remarque que la queue existe toujours chez tous les embryons à partir d’un certain moment. Elle se montre chez tous comme un petit tubercule conique, saillant à l'extrémité posté- rieure du corps. Ce tubercule continue le rachis et est constitué comme lui par le tube médullaire, la corde, les protovertèbres avec une quantité variable de mésoderme inseogmenté qui leur fait suite et un cordon entodermique plein ou un tube épithélial qui représentent l'intestin postanal. La segmentation du mésoderme de ce bourgeon caudal se continue pendant quelque temps, de sorte qu'il s’accroît toujours un peu, au moins pendant une certaine période, mais son avenir est très différent suivant les cas. Si l'animal est destiné à avoir une longue (1) Voyez aussi pour cette question FRORIEP, Einige Bemer- kungen zur Kopffrage. Analom. Anzeiger B1 XXI, 1902. | ; | | | | Li. CHAPITRE VIII 193 queue, le petit tubercule caudal continue de s’ac- croître et peut même atteindre une grande lon- œueur, le forçant à s’enrouler sur lui-même comme on le voit chez les Lézards et les Crocodiles. Si au contraire la queue doit s’atrophier, ce tubercule reste petit, le nombre de ses protovertèbres n’aug- mente pas, mais celles qui existaient s’atrophient et la queue régresse tout à fait. Il y a donc eu dans ce cas, comme pour la tête, plus d’ébauches qu'il n’en devait être employé en définitive. Des faits analogues s’observent pour des ébauches un peu plus spéciales que les protovertèbres et par suite moins nombreuses qu’elles, comme les néphro- tomes. _ Les néphrotomes se développent entre les proto- vertèbres et la plaque latérale. Théoriquement, il existe un néphrotome pour chaque somite, mais en réalité la présence des néphrotomes n’est constante que dans la longueur du cœlome. Dans cette étendue seulement les néphrotomes existent, ils ne se ren- contrent ni dans les protovertèbres céphaliques, ni dans celles qui siègent en arrière du cloaque en un point où la cavité générale est fort réduite si même elle existe. Mais le nombre primitif des néphrotomes ainsi formés est encore beaucoup plus grandque celui d’entre eux susceptibles d’atteindre leur complet développement. Dans la suite du développement les néphrotomes produisent des tubes sécréteurs secon- daires qui forment avec les premiers le corps de Woff. Or les néphrotomes siégeant dans la partie crà- 194 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION niale du cœlome s’atrophient sans donner de tubes secondaires, ou en donnent très peu, et à mesure que les animaux se perfectionnent,le nombre des néphro- tomes antérieurs ainsi voués à une disparition précoce est plus grand. Déjà chez les Sélaciens les néphro- tomes les plus postérieurs seuls forment le rein fonc- tionnant et chez les Amniotes le rein définitif est une formation nouvelle encore plus postérieure. Là où des organes comme les poumons par exemple prendront place dans les parties latérales de la voûte du cœlome, ils en expulseront pour ainsi dire le rein. Ce ne sont pas seulement les organes métamériques qui présentent au début un nombre d’ébauches plus grand que celui des organes définitifs qui en dérivent, d’autres organes représentés par une ébauche conti- nue, bien que divisible cependant en métamères, au moins théoriquement, subissent aussi certaines régres- sions. Ainsi le névraxe s'étend au début jusqu’à l'extrémité caudale du corps, et il est à ce niveau aussi développé tout d’abord que dans les régions placées plus en avant. Mais chez tous les animaux la partie terminale de la moelle ne poursuit jamais son évolution comme celles qui la précèdent; déjà chez les Sélaciens où la queue est si puissante et si longue on observe des signes marqués de régression dans la partie terminale de la moelle. Des ganglions spinaux peuvent manquer dans un ou plusieurs segments consécutifs, les paires rachidiennes aussi, le diamètre de la moelle va diminuant graduellement; mais ceci n’est rien à côté de la régression que peut présenter ue Es ON) dl dd DS, DS RS RC | | ROIS CPR CON CHAPITRE VIII 195 la partie terminale de la moelle dans les cas où se forme ce que l’on appelle la queue de cheval. La, toute la portion caudale de la moelle constituée d’abord comme le reste du névraxe par un tube épi- thélial à parois assez épaisses ne se différencie pas davantage, tandis que la moelle, complètement déve- loppée au devant d’elle, semble émigrer dans la partie crâniale du canal rachidien, étirant après elle en un #7 terminal plus ou moins long cette partie du névraxe primitivement semblable à elle, mais qui ne dépasse pas le stade du tube neuraxial formé de cellules épi- théliales. On a considéré quelquefois la formation de la queue de cheval comme corrélative à la régression de la queue, mais les choses ne sont pas aussi simples. On observe des animaux à queue longue comme le Rat qui ont cependant une queue de cheval (CARUs. Anatomie comparée, PI. XIX, fig. 4), d’autres à queue courte ou nulle, comme le Hérisson, ont une moelle qui «se prolonge plus que ne le comporte cette briè- veté du prolongement caudal» (SERRES. Anat. comp. du cerveau, t I, p.117). Enfin la formation d’une queue de cheval s’observe chez beaucoup de Pois- sons (Baudroie, Lamproie, Esturgeon) (SERRES. /bid. P. 118), qui ont une queue bien développée. La même chose se rencontre chez le Trigle, et le Poisson lune qui n'a pas de queue bien différenciée il est vrai, montre la moelle la plus réduite que l’on puisse ima- giner. En effet, Ussow a noté dans un de ces animaux long de un mètre, une moelle réduite à. douze millimètres de longueur et donnant naissance, sur ce 196 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION trajet, à dix huit paires nerveuses disposées en queue de cheval. Quant à la prétendue queue de cheval de la Grenouille, elle résulte d’un tout autre mécanisme que celle des Mammifères. Nous ne pouvons entrer dans de plus longs détails à ce sujet, mais ce que nous en avons dit suffit pour faire voir que le tube nerveux initial est plus long que ne le sera plus tard le névraxe définitif, ou que l’ébauche de ce dernier est plus étendue qu’il ne le sera lui-même. Faut-il voir dans les dispositions qui viennent d’être indiquées des récapitulations ancestrales? Faut- il penser qu’au début chez nos ancêtres les proto- vertèbres s’étendaient jusqu’auprès des vésicules optiques? Lorsque FRORIEP (1902! p. 43) appelle stade acränien celui dans lequel cette disposition est observée, cette expression est exacte au sens littéral, cet embryon n’a pas de crâne, mais elle n’est pas juste zoologiquement, car cet embryon n’a pas encore de région branchiale et l’acrânien typique vivant encore dans nos mers, l’'Amphioxus, a une région branchiale très développée. Si nous considérons qu’initialement le rachis d’un embryon montre partout le même degré de développement, présente des ébauches de mêmes dimensions dans toute son étendue — aussi bien là où ces ébauches prendront un développement con- sidérable que là où elles s’atrophieront — au lieu d'admettre que cette disposition primitive rappelle un ancêtre qui aurait été singulièrement peu différencié, ne présentant même pas des régions distinctes, CHAPITRE VIIf 197 n'est-il pas plus naturel de penser que l'embryon réalise d’abord la disposition générale typique d’où dériveront les différents états définitifs par un sim- ple développement se faisant ici et pas là, com- pliqué ici d’adjonctions, là de suppressions. Les ébauches primitives que nous connaissons, protovertèbres, névraxe, néphrotomes, sont la pre- mière différenciation d’un feuillet embryonnaire ou d’une ébauche d’ordre plus général qu’elles-mêmes. Le névraxe est le premier produit de l’ectoderme ; les protovertèbres sont la première différencia- tion du mésoderme axial, partout où s'étend ce feuillet il ne peut faire autre chose que de donner des protovertèbreset celles-ci apparaissent aussi bien dans la région céphalique que dans l’extrémitécaudale, mais elles disparaîtront plus tard par suite de ce que l’on peut appeler, d’une manière un peu imagée, la lutte ou la concurrence des parties. Les néphrotomes sont des différenciations d’ordre moins général que les protovertèbres parce qu’ils suivent la formation de ces dernières, et comme leur production paraît exiger la présence du cœlome leur nombre est moins grand que celui des protovertèbres; il sera encore réduit par la concurrence que ces ébauches rencontreront dans leur propre domaine. Mais ce qui fait un Vertébré, c’est justement que les différentes parties des ébau- ches ou même toutes les ébauches contenues dans un métamère, ne se développent pas toutes également. DOHRN (1884, p. 168) avait exprimé autrefois cela d’une manière très frappante: «La queue des Verté- VIALLETON, Problème évolution. 13 198 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION brés représente la partie dorsale aujourd’hui prépon- dérante (du métamère qui est l’élément de la compo- sition du Vertébré), seule la veine caudale est un reste de la partie ventrale. Inversement la tête re- présente la partie ventrale prépondérante, le cerveau et la moelle restent seuls des parties dorsales. Le tronc compris entre les nageoires pectorales et ventrales renferme seul les deux parties». Cette formule peut être discutée, mais il n’en est pas moins vrai que c’est le développement différent des parties qui permet la constitution d’un organisme tel que nous le connaissons. Si donc cet organisme débute par une chaine d’ébauches métamériques toutes égales, cela ne veutpas dire qu’il ait jamais eu un ancêtre formé uniquement par des métamères tous pareils, ce qui n’est pas vrai même pour les Annélides, mais cela indique que, suivant les. lois du développement, des ébauches ainsi disposées sont nécessaires pour faire un Vertébré. Le matériel indispensable pour faire toutes les parties d’un méta- mère de Vertébré est présent dans la plus grande partie de la longueur de son embryon, mais c’est le développement des unes ou des autres isolément qui donnelesrégionscaractéristiques de l’être et quiles fait cequ’ellessont.D’une disposition plusgénérale comme disait VON BAER, sort unétat plus particulier, mais l’étatinitial a des caractères si indéterminés ou sigéné- raux que l’on ne peut parler de répétition ancestrale. Un ancêtre c’est quelque chose de précis, c’est un être qui a vécu. Un embryon à ses débuts ne présente CHAPITRE VIII 199 aucune forme capable de vivre, c’est uniquement un composé d'organes devenus embryonnaires comme le dit Osc. HERTWIG, et ces organes ne reproduisent même pas des formes spécialesapparentées àungroupe donné, ils sont disposés d’une manière uniforme, commune à un trop grand nombre d’êtres pour que l’on puisse y voir autre chose que le matériel général d’où sortiront les différenciations particulières. Un autre fait du même ordre est présenté par les organes génitaux, ou même plus largement chez les Mammifères, par l’appareil reproducteur entier comprenant les mamelles. On a souvent dit que les embryons étaient hermaphrodites, c’est-à-dire possé- daient les organes des deux sexes (1), mais cela n’est pas absolument exact et demande à être précisé. La glande sexuelle est au début indifférente, mais pas hermaphrodite, pas double; il n’y a pas à la fois un ovaire et un testicule, et si la glande indiffé- rente peut donner ultérieurement dans certains cas à la fois des éléments mâles et des éléments femelles, c’est excessivement rare. Un hermaphrodisme glan- dulaire effectif (STÉPHAN), c’est-à-dire donnant des produits capables de fonctionner ne se rencontre (1) Cette question de l'hermaphrodisme est extrèmement confuse parce que l'on a désigné sous ce nom des choses très différentes, nous ne pouvons pas même l’effleurer ici et nous renvoyons pour en prendre une idée conforme à l'état présent de la science à l'excellent travail de P. SrÉPHAN [1902]. 200 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION que chez certains Téléostéens, partout ailleursce n’est qu’un hermaphrodisme incomplet ou rudimentaire. Les conduits sexuels sont à la vérité doubles et l’on trouve toujours chez l'embryon des Vertébrés supé- rieurs un canal de Müller susceptible de se dévelop- per en un oviducte si l’embryon devient une femelle, de s’atrophier plus ou moins complètement dans le cas contraire, et un canal de Wolff qui devient le spermiducte du mâle ou disparaît chez la femelle. Sous ce rapport l'embryon peut être dit hermaphro- dite, mais il faut bien remarquer que cet herma- phrodisme ne s’observe que lorsque les conduits génitaux sont dans les premiers stades de leur déve- loppement. Jamais il ne se rencontre après ces pre- miers stades dans lesquels ces canaux sont incapables de fonctionner. L’embryon ne possède donc point les voies génitales des deux sexes mais les rudiments capables de les former. 3 Pour leurs organes génitaux externes les em- bryons des Mammifères ne sont pas non plus herma- phrodites, car la formation de l’organe mâle ou de l’organe femelle ne peut se produire que par l’ex- clusion de l’autre sexe. L’urèthre du mâle ne peut être donné que par une transformation profonde de l’orifice génital femelle. Dans certains cas où cet ori- fice ne se ferme pas tandisque le tubercule génital se développe beaucoup, on a cru voir un hermaphro- disme externe, en réalité ce n’est qu’une malforma- tion incapable de fonctionnement. A côté de l’hermaphrodisme incomplet ou rudi- si sé sé L D ARE. | CHAPITRE VIII 9201 mentaire de l’embryon il faut signaler ce fait curieux que chez tous lesembryons des Mammifères, quel que soit leur sexe futur, la glande mammaire est repré- sentée par une ébauche, et que cette ébauche conti- nue à se développer longtemps après que le sexe est déterminé puisqu'il existe chez l'Homme une ma- melle. On a naturellement pensé que dans ces dispo- sitions l’embryon répétait les formes d'animaux infé- rieurs et qu’il nous rappelait un ancêtre hermaphro- dite. Mais l’anatomie comparée n’est aucunement favo- rable à cette manière de voir. Il n’est pas du tout certain que l’hermaphrodisme soit l’état primitif de l'appareil génital (voyez P. STÉPHAN, chapitre VII). Pour nous limiter aux Vertébrés, on ne connaît, parmi ce groupe, aucun type primitif qui soit herma- phrodite effectif. Les quelques hermaphrodites effec- tifs sont ou la Myxine (sans voies génitales différen- ciées) ou des Poissons osseux, Serrans, Daurade, c’est-à-dire des êtres spécialisés qui ne sont pas du tout sur la lignée des Mammifères et qui du reste ont des voies génitales construites sur un tout autre type que les nôtres. En effet, leurs conduits génitaux qui chez nous contractent toujours des rapports très étroits avec le rein primitif — et peuvent même em- prunter son canal excréteur tout entier chez le mâle — en sont absolument indépendants chez les Téléos- téens. Comme le dit P. STÉPHAN « en somme, toutes les notions zoologiques que nous pouvons appeler à notre aide nous montrent ceci : si l’hermaphrodisme existe chez quelques-uns des Vertébrés inférieurs, il 202 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION n’est pas certain qu'il soit le reliquat d’un état pri- mitif tout à fait général chez les ancêtres de ces Ver- tébrés » [p. 144]. Et il ajoute plus loin [p 145-146]. « On a encore moins de droit de parler d’herma- phrodisme primitif en ce qui concerne les Vertébrés supérieurs; c’est surtout l’histoire du dévelop- pement de leurs conduits génitaux qui est la cause d’une croyance si généralement répandue. Je me suis suffisamment étendu déjà sur l'insuffisance des preuves qui permettraient d'admettre cet herma- phrodisme dans leur développement ontogénétique. Mais la phylogénie reste encore plus muette à cet égard. Si les Vertébrés primitifs peuvent à la rigueur être hermaphrodites, c’est un état limité à ceux qui n’ont pas de voies génitales différenciées, nous n’avons aucune preuve que les deux sortes de voies génitales aient coexisté d’une façon active chez un Vertébré quelconque. Chez les Sélaciens eux-mêmes, l’hermaphrodisme n’existe pas et rien ne prouve qu'il ait jamais existé avec leur plan d’organisation ». Ainsi, la disposition de l'appareil génital propre- ment dit ne paraît guère en faveur d’un hermaphro disme primitif et par conséquent d’une répétition de la phylogenèse. Il en est de même de la présence simultanée des ébauches mammaires dans les deux sexes, elles ne peuvent indiquer un stade ancestral où tous les individus auraient eu des mamelles, car, comme le dit encore STÉPHAN «si les ancêtres des Mammifères ont jamais été hermaphrodites, ils ont CHAPITRE VIII 205 cessé de l’être longtemps avant d’avoir commencé à allaiter leurs petits » [p. 135]. Il est donc probable que la présence d’un canal de Wolff et d’un canal de Müller en même temps que d’ébauches mammaires dans les embryons de tous les Mammifères n’est qu’un cas particulier de ce principe de Vox BAER, que l’état initial des appareils présente d’abord la forme la plus générale possible. En déve- loppant certains points, différents suivant les cas, de cette ébauche générale, l’ontogenèse produit finale- ment les diverses formes très différentes que l’on observe chez les adultes. CHAPITRE IX LES IDÉES D'OSCAR HERTWIG Premières critiques (1898-1901). — Derniers travaux (1906). — Rapports de l'anatomie et de [l’embryologie comparées. — — L'idée d'homologie. — Le parallélisme des séries embryo- logiques et des séries anatomiques ne prouve rien pour la généalogie. — Schémas de laphylogenèse pour HAECKEL et pour Oscar HERTWIG. — L'œuf d'un animal ne correspond pas au premier anneau de la chaîne phylogénétique qui a engendré cet animal. — L'ontogenèse s'effectue plutôt suivant le mode de l’évolution, la phylogenèse suivant celui de l'épigenèse. — Loi ontogénique causale ou parallélisme entre l’'ébauche et le produit de cette ébauche (Oscar HERT- WiG). - Les stades embryonnaires ne répondent pas à des formes ancestrales réelles. — Descendance et morphologie. Déjà en 1808 à la fin de ses Éléments d'anatomie et de physiologie générale, Oscar HERTWIG propo- sait des modifications importantes à l'énoncé de la loi biogénétique fondamentale. « Nous devons remplacer, disait-il [p. 368], l’expression récapitulation de for- mes ancestrales éteintes, par récapitulation de formes qui obéissent aux lois du développement organique et vont du simple au complexe ». Comme le faisait alors remarquer KEIBEL (98, p.792), avec les modifi- cations que comporte ce nouvel énoncé, la loi bio- génétique est perdue. CHAPITRE IX 205 En 1901, dans /l’Introduction du Traité d’embryo- logie comparée et expérimentale des Vertébrés, Os- cAR HERTWIG parlant de la loi biogénétique repro- duit la nouvelle formule qu’il propose de substituer à celle de HAECKEL; enfin, en 1906, à la fin de ce Traité, il revient encore sur la loi biogénétique et expose lon- guement la position qu'il prend vis-à-vis d’elle (1). Il examine d’abord la situation de l’embryologie comparée par rapport à l’anatomie comparée, à la systématique et à la théorie de la descendance. L’anatomie et l’embryologie comparéessont, pour lui, deux sciences sœurs étroitement liées entre elles, qui se complètent l’une par l’autre et concourent au même but. On a discuté laquelle avait la prééminence et fournissait la solution des problèmes les plus impor- tants. Cette discussion est inutile, car chacune doit résoudre des problèmes qui lui sont particuliers et contribue ainsi à sa manière à l’accomplissement d’un tout qui, sans elle, resterait incomplet [p. 150]. Le rôle des anatomistes est d’établir des homolo- gies, mais tous les caractères qui servent à cela ont quelque chose de flottant, la grosseur, la forme et la (1) Ce qui suit, jusqu'à la page 217 est un résumé presque textuel d'Oscar HERTWIG; beaucoup de phrases sont littéra- lement traduites, l'ordre suivi par l’auteur est respecté. Grâce aux indications souvent répétées de la pagination il est facile de se reporter au texte lui-même. Je n'ai mis entre guil- lemets que les phrases essentielles, mais la plupart des autres sont aussi une traduction littérale du texte, 206 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION constitution des organes varient, leur développement peut présenter des modifications et leur fonction peut changer dans des cas exceptionnels.Il y a donc divers degrés d’homologies ou bien des homologies com- plètes ou incomplètes. On a voulu souvent lier l’idée d’homologie avec celle de descendance ; on ne considérerait donc comme homologues que les organes que l’on pourrait regarder comme hérités d’ancêtres communs. Mais cela constitue plutôt une difficulté qu’un avantage pour l'établissement des homologies, car la démons- tration d’une origine commune est, dans la pratique extraordinairement difficile à obtenir. L’anatomie et l’embryologie comparées fournissent seules le matériel scientifique qui permet de construire un système naturel des animaux et de présenter des hypothèses sur leurs rapports génétiques. L’ho- mologie est un résultat de la réflexion acquis à la suite de comparaisons, et qui persiste toujours, que l’'homologie trouve son explication dans une dériva- tion commune ou dans les lois qui président à la formation des organismes [p. 151]. Les organes homologues se laissent ranger en séries régulières dont les termes sont reliés par maints passages, tels par exemple les différents états membraneux, cartilagineux et osseux du squelette axial. Il n’est pas difficile en pensée de conduire d’un deces états à l’autre et de faire ainsi « d’une série obte- nue par un arrangement artificiel d'organes homo- logues, une série apparemment génétique » [p. 152]. CHAPITRE IX 207 L’'anatomie comparée permet ainsi de construire un grand nombre de séries de développement (intestin, cœur, organes rénaux). L’anatomiste désigne la forme la plus simple comme forme primitive et en tire les autres par progression, transformation ou même régression. Il se demande si ces formes ne sont pas dérivées réellement de la première et il con- clut avec tout le monde que oui, car c’est la seule théorie scientifique acceptable [p. 153]. Cependant il ne faut pas oublier que les formes des organes étudiés par l’anatomie comparée ne cor- respondent pas aux séries génétiques formées histo- riquement, mais ont été seulement arrangées par nous en une série génétique.Il ne faut pas oublier que ces séries ne représentent que jusqu’à un certain degré l’image réelle de la série historique dans laquelle la transformation d’un organe s’est accomplie dans une espèce donnée. Il est clair par exemple que les organes correspondants d'un Mammifère ne dérivent pas de la colonne cartilagineuse, du cœur, du mésonéphros d’un Sélacien. Comme l’a dit GE- GENBAUR, on ne peut rechercher les ancêtres d’une famille ou d’un peuple dans leurs contemporains, et les animaux actuels ne donnent pas les formes véritables d’où sont sorties telle ou telle différencia- tion [p.153]. D'autre part l’embryologie montre que le dévelop- pement de chaque organe offre une série d’étapes qui forment le pendant des séries montrées par l’anato- mie comparée, de sorte que l’on peut parler avec 208 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION HAECKEL et d’autres d’un parallèle qui existe entre les résultats de l’anatomie comparée et de l’embryo- logie des organismes. Mais il est interdit de tirer de ce parallélisme, si l’on veut l’utiliser pour les ques- tions de descendance, aucune conclusion plus éten- due, car s’il offre un appui à cette vue spéculative des anatomistes que les organes plus élevés procèdent de plus simples, cependant les résultats de l’embryo- logie comparée se refusent, aussi bien que ceux de l'anatomie comparée, à nous montrer la réelle image de la série d’ancêtres d’une espèce actuelle (p. 155- 156). Aucun stade embryonnaire ne nous donne, en réalité, l’image exacte de l’aspect et des propriétés d’une forme ancestrale reculée. « La chaîne ancestrale d’une espèce se laisse aussi peu construire par l’onto- genèse que par le mode d'observation de l’anatomie comparée, lorsque celle-ci lie entre elles dans des séries génétiques idéales des formes qui en réalité ne sont pas descendues les unes des autres» [p. 1561]. Entrant maintenant en plein dans l’examen de la loi biogénétique, voici comment Osc. HERTWIG développe ses vues : La phylogenèse est comparable a une chaîne formée d'innombrables anneaux. Ces anneaux sont les ontogénies particulières dont cha- cune commence par un œuf et se termine par un organisme capable de se reproduire. Un anneau engendre le suivant, car à la fin d’une ontogenèse se produit l’œuf qui recommence un nouveau cycle. La phylogenèse est donc un processus décomposable CHAPITRE IX 209 en une infinité de cycles de développements. Comme la partie ne peut pas égaler le tout, chaque onto- génie ne peut être comparée à la chaîne, mais seule- ment aux autres anneaux. Supposons l’espèce fixe, chaque anneau serait semblable aux autres et le processus ontogénétique se serait effectué dans le premier anneau comme dans le dernier (actuel). Un Mammifère aurait passé par les stades À œuf fécondé, B germe pluricellulaire, € vésicule blastodermique, D gastrula, E neurula...., Z sa forme finale. Le der- nier comme le premier anneau aurait la formule % BC, D, E;.... Z: L'œuf de la première onto- genèse d’un Vertébré aurait donc la même consti- tution que celui du descendant actuellement vivant [p. 156-157]. Pour les partisans des variations, dont est HERTWIG, il peut y avoir deux points de vue. Pour la plupart d’entre eux la manière de voir est la suivante: l’ontogenèse d’un Mammifère par exemple, commençant avec l’œuf et conduisant par une suite de stades de développement devenant toujours plus compliqués au produit terminal si extraordinairement complexe, nous donne jusqu’à un certain point l’image de l’évolution de l’espèce, mais à la vérité imparfaite et avec de nombreux traits effacés. Pour avoir la représentation des formes ancestrales disparues, nous n’avons, en partant de l’état actuel des choses, qu’à raccourcir chaque onto- genèse d’un stade final, de telle manière que le stade précédant devient la forme finale qui correspond à 210 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION peu près à un ancêtre disparu, et nous devons pro- longer en pensée cette opération jusqu’à l’œuf. Par conséquent le premier stade de l’ontogenèse d’un Mamnmifère, la cellule œuf, nous représente les états les plus simples sous lesquels l’espèce a vécu à une époque démesurément éloignée. De même des stades phylogénétiques correspondent à chacun des stades blastula, gastrula, neurula, etc.. que l’on observe dans l’ontogénie. Dans chaque ontogenèse le processus phylogénétique de la formation de l’espèce est sim- plement récapitulé [p.157] Pour représenter la chaîne phylogénétique on peut employer la formule : A... A°..AÀ..nA7.. AN. ete. jusqu as à PE 2 à PA = PA —— — B GS SCA . DD x E ; — Z (1) | (1) Dans cette formule les lignes verticales lues de haut en bas donnent la série des stades successifs de l'ontogenèse, tandis que la ligne oblique de gauche à droite et de haut en bas formée par les lettres grasses représente les stades de la phylogénèse. Comme on le voit les différents termes de ces deux séries se correspondent exactement ; dans la quatrième ligne par exemple, les stades de l'ontogenèse A, B, C. D, E ré- pètent rigoureusement ceux de la phylogenèse A,B, C, D, E, la différence typographique des lettres n'indiquant pas une différence correspondante des stades. En d'autres termes, en partant d'une forme quelconque E, par ex., on peut remonter dans les deux sens vertical et oblique en rencontrant les mêmes états. L [ « : CHAPITRE IX 244 qui signifie: la plus vieille forme ancestrale d’un Mammifère était primitivement une simple cellule qui se séparait en nouvelles cellules par division, les premiers anneaux de la chaîne phylogénétique consistaient simplement en une série unique de cellules À A A... :.. À dérivées les unes des autres par division. Puis survint un progrès, les cellules nées par la division de À demeurèrent réunies en colonies et fournirent ainsi la nouvelle forme ances- trale B, de laquelle quelques cellules À se détachè- rent en vue de la reproduction. Les anneaux de la chaîne phylogénétique furent donc allongés d’un stade, car dans chacun A se transforma en B. Pen- dant que dans une troisième période la colonie se transformait en blastosphère, l’ontogenèse fut à son tour allongée du stade blastula et ainsi de suite, chaque progrès dans le développement de l’espèce conduit à un allongement correspondant des proces- sus ontogénétiques [p. 158]. Cette formule exprime les vues dominantes à une époque et que HAECKEL a précisées dans la loi bio- génétique, mais HERTWIG pense un peu autrement. Lorsque dans la phylogenèse, dit-il [p. 158], l’état unicellulaire de l’espèce À, À, A... A doit se trans- former en un état plus compliqué, quelques causes inconnues doivent bien avoir changé les propriétés de À, de manière que les cellules filles au lieu de demeurer séparées se groupent en colonies. De même et pour les mêmes raisons, la cellule A doit être de- venue autre lorsque les cellules qui en naissent ont 212 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION acquis la propriété de s’arranger en blastula, et de même sa nature est encore changée quand le processus ontogénétique se termine par une gastrula ou par une neurula. « On appelle ébauche le fonds qui se forme dans un œuf pour un changement qui doit se pro- duire dans le développement et nous pouvons dire : la cellule qui dans chaque anneau de la chaîne phylo- génétique forme le commencement de nouvelles onto- genèses devient toujours plus riche en nouvelles ébauches et par là même toujours plus différente de la cellule souche initialement donnée» [p. 159]. Les pre- miers anneaux de la chaîne phylogénétique pourront donc être représentés par les lettres À, A!, A?, A3... AT, et comme l’on peut en dire autant pour chacun des autres stades, la formule deviendra : AAA AR GAS AE "te AS Bi pare? CG GC D D! E Cette nouvelle formule montre que « dans chaque nouvel anneau de la chaîne, le développement ne commence jamais au point de départ d’un dévelop- pement précédent, à aucune place n’a lieu un mou- vement rétrograde. Plus compliqué est le produit final de l’ontogenèse, d'autant plus l’est aussi l’ébauche qui lui correspond [p. 159]. » En dehors de modifications minimes produites par des influences extérieures, rien ne peut apparaître : . [ k 4 : i ” 4 # b CHAPITRE IX 913 dans le développement qui n'ait été à l’état d’ébauche dans l’œuf. Pour qu’un stade neurulaait pu naître, il faut d’abord que la forme ancestrale A soit arrivée à l’état At avec ses ébauches compliquées. «La cellule œuf comme ébauche et l'organisme achevé se conditionnent l'un et l’autre de la même manière ». L’œuf n’est que l'individu non formé ou, comme -disait VON BAER, l’animal lui-même «non développé » (unausgebildet) [p. 159]. «Dans chaque ontogenèse, chaque individu ne fait au sens littéral que son propre développement. IT est toujours un seul et même individu à l’état d'œuf, de gastrula ou de tout autre stade» [p. 160]. À cause de cela, au fond, jamais l'embryon d’une forme élevée n’est semblable à une autre forme animale pour parler le langage de Vox Bar. L'œuf du Poulet cor- respond aussi peu que le Poulet lui-même à un anneau initial de la chaîne phylogénétique. L'acceptation de la loi évolutive générale qu’un Oiseau s’est formé dans le cours des temps d’indivi- dus plus simples et enfin d’un être tout à fait simple, la cellule, force à admettre que la cellule œuf, comme substance ébauche de l'organisme né d'elle, a subi un semblable développement. Pour produire un œuf d’Oiseau avec ses ébauches compliquées, il est nécessaire qu'ily ait eu le processus génétique de l'espèce qui s’est déroulé en chaîne généalogi- que. En lui une cellule primitive vide d’ébauches de Pespèce A s’est peu à peu transformée en A!.... Atet dans l’espèce cellulaire riche en ébauches A° (p. 160). VIALLETON. Problème évolution. 1% 214 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION Si l’on appelle avec NAEGLI idioplasma la subs- tance des ébauches, on peut dire que parallèlement avec la complication croissante de l’organisme déve- loppé, le système idioplasmique primitivement très simple s’est compliqué pas à pas et est enfin devenu compliqué à l'infini [p. 160]. Chaque organisme commence comme une cellule dans l’ontogenèse, mais non pas parce qu’il répète le stade par lequel la phylogenèse de l’espèce cor- respondante a commencé; cette représentation ne convient plus parce que l’œuf AT diffère autant par ses ébauches du point initial hypothétique de la chaîne que l’animal achevé dans lequel il se trans- forme. L’ontogenèse commence avec la cellule parce que celle-ci est la forme élémentaire fondamentale, à laquelle la vie est liée dans le processus de repro- duction, parce qu’elle représente en soi, par ses ébauches, les propriétés de l’espèce, et que séparée de l’individualité supérieure à laquelle elle a appar- tenu, elle est en état de reproduire le tout. L’œuf actuel et ses prédécesseurs unicellulaires dans l’his- … toire du développement ne sont comparables entre eux qu’autant qu'ils tombent sous le concept géné- ral de cellules, et comme stades initiaux correspon- dants de processus ontogénétiques isolés, pour le reste ils diffèrent extraordinairement dans leur idio- plasma [p. 161]. L’œuf d'Oiseau et l’Oiseau sont donc deux produits. naturels hautement constitués chacun dans son espèce; l’œuf d’une manière qui échappe à notre. CHAPITRE IX 215 observation maintenant et pour longtemps sans doute, l'Oiseau d’une manière beaucoup plus visible parce qu'il se laisse décomposer en tissus et en orga- nes dont nous pouvons étudier la genèse aux dépens de l'œuf. Des deux, l’œuf est pour nous le plus mys- térieux et le plus énigmatique et au fond nous ne le connaissons pas beaucoup plus maintenant que les savants du moyen âge et de l'antiquité classi- que [p. 161|. Le processus ontogénétique ne peut pas être regardé comme une simple répétition même abrégée du processus phylogénétique, car ce dernier consiste en d'innombrables ontogenèses. On pourrait seule- ment dire que la dernière ontogenèse d’une chaîne répète l’ontogenèse précédente et pas même dans tous ses détails, mais avec un haut degré de ressem- blance. Processus ontogénétique et processus phylo- génétique ont tous deux un devoir différent à rem- plir. L’ontogénétique n’a en quelque sorte qu’à mettre au jour seulement ce que l’autre a préparé dans une suite indéfinie de temps. Pendant l’onto- genèse se réaliseront seulement de la manière la plus rapide possible les ébauches reposant dans l’œuf, et cela peut se faire rapidement parce que tout est disposé d’avance pour ce résultat final. Par la phylogenèse, au contraire, les ébauches ont été formées dans l’œuf, mais c’est un tout autre proces- sus qui s’est joué très lentement dans les chaînons sans nombre de la généalogie. L’un des processus se fait plutôt par évolution (préformation) l’autre par 216 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION épigenèse (1). Pour avoir une compréhension réelle, causale des processus du développement, il faudrait montrer d’abord : 1° comment le cours de l'ontoge- nèse avec ses stades particuliers est causé par la qua- lité des ébauches et par la structure de l’œuf et de son idioplasma, et 2° il faudrait rechercher comment, dans le processus phylogénétique, les propriétés et les ébauches ont pris naissance dans la cellule œuf. Les travaux de NAEGL1I, de WEISSMANN et les miens (Osc. HERTWIG) montrent combien cette entreprise est incomparablement difficile [p. 162]. Il y a dans le développement des espèces deux séries différentes de processus : 1° le développement de la cellule reproductrice (cellule spécifique) qui s’accomplit dans une direction constante progressive, d’une organisation simple à une plus compliquée de son idioplasma ; 2° le développement répété d’un individu pluricellulaire aux dépens des représentants unicellulaires de l’espèce, ou l’ontogenèse indivi- duelle, qui, en général, se poursuit d’après les mêmes règles que les ontogenèses qui l’ont précédée, mais cependant un peu modifiée chaque fois, suivant la quantité dont s’est modifiée la cellule spécifique elle-même [p. 162]. (1) Cette phrase est très importante, elle explique bien l'atti- tude de von BAER ne prenant partie ni pour l’épigenèse ni pour l’évolution {voy. p. 33); en mème temps elle fait com- prendre comment l’ontogenèse a, d'une manière si marquée, 1 le caractère de la préformation. _#, Vi ed : DS CHAPITRE IX 217 Il y a un parallélisme complet entre ces deuxséries de développements, car tous deux sont dépendants lun de l’autre. En effet, chaque changement dans Pidioplasma de l’œuf ou dans ses ébauches a néces- sairement pour suite une modification correspon- dante du cours de l’ontogenèse; et inversement un changement dans l’ontogenèse, qui ne dépend pas de l’œuf et dérive de causes externes, ne deviendra une acquisition durable de l'espèce et par suite ne se répètera qu'autant que l’idioplasma de l’œuf aura été changé d’une manière correspondante pour la pro- chaine génération, [p. 162]. Osc. HERTwIG appelle loi causale ontogénétique et parallélisme entre l’ébauche et le produit de cette ébauche, cette dépendance qui existe entre l’état de l'œuf d’une part, le cours et le résultat de l'ontoge- nèse d’autre part [p. 163|. Telle est la démonstration générale de l’auteur: après l’avoir faite, il revient sur certains stades, pour montrer commentils ne peuvent être regardés comme de simples répétitions de la chaîne ancestrale. De ce que l’ontogenèse commence par une cellule, et de lhypothèse que la phylogenèse a commencé par des êtres unicellulaires, il ne faut pas conclure que le dé- veloppement des organismes actuels commence au même point où ils ont pris leur origine dans la phylogenèse. La cellule comporte dans son organi- sation des différences de degrés très considérables. Les œufs fécondés des différents êtres diffèrent beau- coup les uns des autres, et sont aussi bien les d..à TRE cependant conclure avec une grande certitude que … t MAG ANT UE: oran PPT TS PRE AN ATEN Pl e ; 218 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION porteurs des différences spécifiques de l’espèce, que l’est à la fin de l’ontogenèse l’individu achevé. L'’œuf n’est aucunement la récapitulation du vieil état pri- mitif au temps où il n’y avait que des amibes, mais le prolongement immédiat du plus haut point où est arrivé le développement organique de l'espèce consi- dérée [p. 164]. De même que l’œuf ne répète pas le stade initial de la chaîne, les stades blastula, gastrula, neurula d’un Vertébré ne récapitulent pas simplement chacun une forme ancestrale commune à de nombreuses généa- logies divergentes, car si les blastula et les gastrula d’un Echinoderme, d’un Cœlentéré, d’un Brachio- pode, d’un Amphioxus se ressemblent extraordinai- rement par leur forme extérieure, elles diffèrent cependant d’autre part car elles renferment les ébau- ches, invisibles pour nous, des caractères de leur embranchement et de leur classe [p. 165]. Les stades embryonnaires appartenant à des phases plus avancées ne correspondent pas non plus à des formes ancestrales réelles. WEISSMANN dit à propos des fentes branchiales des embryons de . Mammifères, «on peut contester qu'il y ait aujour- - d’hui dans l’ontogénie humaine un stade Poisson, . mais on ne peut contester que les ébauches d’arcset … fentes branchiales de l’embryon humain ne laissent nous avons eu des ancêtres pisciformes ». HERTWIG ne pense pas, malgré cela, que embryon pourvu de - fentes branchiales répète un stade ancestral. Appelons. CHAPITRE IX 219 S7, dit-il, le stade ontogénétique des Mammifères dans lequel existent les fentes branchiales et désignons par la lettre S l'ancêtre correspondant dans lequel l’onto- genèse se termina par la formation des fentes bran- chiales. Cet ancêtre aurait donc eu comme forme achevée des fentes et des arcs branchiaux et une vie aquatique. « Mais avec cela ést-ce que le probléma- tique S nous est suffisamment connu pour que nous puissions nous faire de lui une image nous per- mettant de le classer ? Je ne le crois pas. Il est seule- ment clair que la forme permanente correspondante n’a pu exister sous l’état dans lequel notre embryon de Mammifère possède des fentes et des arcs bran- chiaux, S° ne ressemble donc pas à S » [p. 167]. Il nesuffit pas de dire que S était un être pisci- forme. En dehors des Poissons il existe beaucoup de Vertébrés branchiés, Dipneustes et Pérennibranches, qui pourraient aussi bien être rapprochés de cet ancêtre hypothétique, mais 1l a pu se rencontrer en outre des êtres qui n'étaient ni des Poissons, ni des Dipneustes, ni des Amphibiens et qui n’existent plus maintenant, soit que leur descendance ait disparu, soit simplement parce qu'ils se sont développés en Mammifères [p. 168]. Les fentes et les arcs branchiaux d’un embryon de Mammifère, de même que sa corde dorsale ne peu- vent rien nous apprendre sur la forme ancestrale réelle d’où dérive cet animal, parce que ce ne sont pas des organes capables de fonctionner, mais des organes devenus embryonnaires (voyez le développe- 290 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION ment de cette idée ch. V p. 118) et que l’animal qui les possède ne peut en conséquence représenter aucune forme permanente si simple qu’elle soit. Les arcs et les fentes branchiales d’un embryon n’ont «aucun rapport avec des fentes branchiales, et les pièces squelettiques nées dansleurs environs ne sont | | | | pas plus que leurs vaisseaux des arcs ou des vaisseaux branchiaux, car des branchies ne se forment jamais. Ce sont des ébauches embryonnaires d’où sortira plus tard quelque chose de tout à fait différent. Ce sont des formes de passage embryonnaires, qui sont destinées chez les Mammifères a un but tout autre que les arcs branchiaux homologues des Vertébrés infé- rieurs » [p. 160]. HERTWIG polémique à différents endroits contre l'hypothèse de l’origine monophylétique des êtres vivants qui est au fond la pensée de beaucoup de transformistes. Lorsque, dit-il [p. 165], la nature a le pouvoir de former différentes espèces d’hydrocarbu- res, de graisses, de protéines, pourquoi aurait-elle dû se limiter à la création de cellules d’une seule espèce; alors que la cellule est une forme de vie qui com- porte d'innombrables différences. Les formes embryonnaires communes ne prouvent pas non plus l’hypothèse monophylétique, car certai- nes ressemblances peuvent être dues à de tout autres causes qu’à la descendance. « Ainsi, dans le règne végétal, la nécessité de recevoir l’action de la lumière a conduit à diriger toute la forme des plantes en organes déployés au dehors, feuilles et rameaux, et al CHAPITRE IX 291 au contraire le fait de prendre des substances orga- niques déjà créées pour les digérer a conduit à la formation d’une cavité intestinale primitive, dont la formation oppose le développement animal au végé- tal. Il n’y a donc rien d'étonnant à rencontrer dans les différentes branches du règne animal (Vertébrés et Invertébrés) une morula, une blastula et une gas- trula. Mais si ces processus de développement sont fondés sur la nature même de la cellule animale, il n’y a pas de prétexte pour conclure de la répétition de toutes ces formes à la dérivation unique d’un seul tronc gastréiforme. Bien plus nous voyons dans les premiers stades consécutifs du développement animal, seulement l’activité d’une loi particulière qui condi- tionne les formes animales en opposition aux formes végétales » [p. 178]. Enfin HERTWIG revient encore sur le rôle et les rapports réciproques de l’anatomie et de l’embryolo- gie comparées. Nous ne pouvons guère insister là- dessus, parce qu'il faudrait tout citer, et nous donne- rons seulement ses conclusions sur la signification et la valeur qu’il faut attribuer à l’homologie parce qu’elles complètent bien ce qui a été développé dans ce chapitre. Il se joint à ceux qui voient dans l’homologie seu- lement l'expression de lois de l’organisation des êtres quimontrent cette homologie,et laisse ouverte la ques- tion de savoir jusqu’à quel point l’homologie démon- trée doit s'expliquer par une dérivation commune ou de toute autre manière. Il pense là-dessus comme 222 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION JoH.MüLLER, VON BAER, ALEXANDRE BRAUN, NAEGLI et d’autres et souscrit à cette opinion de À. BRAUN. « Ce n’est pas la descendance qui décide en morpho- logie, mais au contraire la morphologie qui doit décider sur la possibilité de la descendance ». C’est méconnaître la signification indépendante de la notion d'évolution, de celle de morphologie que de dire qu’il ne peut être question d’homologie d’orga- nes, sans la supposition d’une dérivation commune ou comme dit STRASSBÜRGER « que la comparai- son est déjà de la phylogenèse, car elle ne vaut qu’autant qu’on a à faire à des choses de la même origine ». Il faudrait alors savoir ce que l’on entend par même origine. Pour les cristaux de chlorure de sodium on ne peut pas douter de leur même origine, mais on ne parlera cependant pas de leur descen- dance commune, d’un précristal. De même dans le domaine de l’organisation on pourrait se représenter un semblable mode d’origine de formes typiquement concordantes, sans lien extérieur du développement [p. 181]. L’exposé d'Oscar HERTWIG synthétise les objec- tions faites à la loi biogénétique, et groupe d’une manière très frappante des arguments de détail déjà présentés isolément par divers auteurs. Pour une grande part il se joint à Von BAER, qu'il cite si sou- vent et auquel il a rendu l'hommage significatif de placer son portrait au frontispice du Traité d’em- bryologie expérimentale et comparée. L'idée que l’œuf n’est que l'individu non développé est directement _… 0 Seées Fi D CHAPITRE IX 223 de Von BAER, et la conception des organes devenus embryonnaires a des rapports très étroits avec le quatrième principe de cet auteur. Il est facile de signaler d’autres points où il se rencontre avec d’au- tres biologistes. BEARD par exemple (1896) avait insisté sur l'importance des principes de Von BAER comme l’a fait KEIBEL peu de temps après (1808). EMERY avait déjà indiqué que la constitution de lidioplasma telle qu’on peut la concevoir d’après les travaux de WEISSMANN ne permet pas de parler d’une réelle récapitulation de la phylogenèse, pas plus que de cénogenèse et de palingenèse dans le sens littéral, ces expressions ne peuvent être em- ployées qu'au sens figuré (1896, p. 351). MEHNERT avait déjà fait ressortir le caractère évolutionniste de l'ontogenèse et montré qu'’épigenèse et évolution ne sont pas en opposition (1) Quand aux idées d’'Osc. HERTWIG sur les rapports qui existent entre morphologie et descendance, elles ont été déja formulées par des auteurs autres que ceux auxquels il fait allusion. DELAGE y est revenu à diverses reprises, et dans sa Zoologie concrète t. II, 1901, après avoir longuement exposé les théories poly-organiques ou poly-personnelles de l'organisme siphonophore, il conclut : « Pour nous, il nous semble plus rationnel de voir dans le Siphonophore le produit de l’évolution d’un (1) N'ayant pu me procurer l'ouvrage de MENNERT je le cite d'après KE1BEL, 1898 p. 771. 224 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION plasma ovospermique, apte à former d'emblée, avec leconcours nécessaire des conditions qu’il rencontre, un organisme présentant, avec les autres Hydro- méduses, des ressemblances et des différences. Ses ressemblances, il les doit à sa parenté phylogénétique avec celui des Hydroméduses: il forme des parties semblablement (mais non identiquement) conformées (des nématoblastes, des noyaux médusaires, des ombrelles, des manubriums, des polypes, des dacty- lozoïdes, des tentacules, etc.,etc.) parce que, dans sa constitution physico-chimique, il reste fondamenta- lement semblable à celui de ses ancêtres Hydromé- duses. Ses différences il les doit aux modifications qu'il a subies par rapport à ce dernier. Quant à savoir comment ces modifications se sont produites, si elles ont été graduelles, si elles sont dues à une action sur l'adulte, dont le retentissement sur le plasma ger- minal est pour le moment incompréhensible, ou si elles sont le produit de certaines variations directes du plasma germinal, cela est pour le moment impos- sible. Dire qu'il y a correspondance objective entre telles parties du Siphonophore et telles autres de l’'Hydraire ou de la Méduse, c’est trancher la question dans le premier sens, car si la seconde hypothèse est la vraie, tout est neuf dans le Siphonophore par rapport aux formes parentes ; ce bouclier ressemble à une ombrelle, mais il n’a jamais été ombrelle, et ne dérive pas plus d’une ombrelle que la forme cris- talline du soufre octaédrique n’a dérivé graduellement de celle du soufre prismatique » (p. 293). CONCLUSIONS Il existe évidemment un certain parallélisme entre le développement des organes dans l’ontogenèse des animaux supérieurs, et celui de ces mêmes organes tel qu’il est montré par l'anatomie comparée dans les formes permanentes graduellement compliquées des différents êtres. Si c’est cela que l’on veut dire par loi biogénétique, il n’y a rien àobjecter. Mais il faut bien préciser qu’il ne s’agit que d’un parallélisme idéal, expression de lois générales du développement et non pas de la ré- pétition de faits héréditaires comme cela serait si l’on acceptait la loi biogénétique dans son sensstrict et le plus communément adopté. Que le développement ne reproduise point des structures ancestrales, que l’ontogenèse ne récapitule point réellement la phylogenèse, cela est indubitable pour beaucoup de raisons. 1° La composition de l’œuf, avec les ébauches accumulées dans son idioplasma, en fait quelque chose de tout à fait différent de la cellule primitive, vide d’ébauches, d’où l’espèce est sortie en effectuant son long développement à travers les âges (OSCAR HERTWIG). L’œuf est bien une cellule et ne peut 226 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION être classé autrement que comme cellule, mais cette cellule ne ressemble pas du tout à celle qui a donné naissance à l’espèce, parce qu’elle a acquis graduellement au cours du développement de celle-ci des ébauches innombrables qui en font en définitive un produit aussi compliqué à sa manière que l’être lui-même qui en sortira. L’œuf du Poulet correspond aussi peu que le Poulet lui-même à une forme initiale de la chaîne phylogénétique (Oscar HERTwIG). Le premier des échelons du parallélisme si souvent invoqué, échelon constitué par l’œuf répétant la cel- lule ancestrale, est ainsi renversé et l’on peut en dire autant pour les stades qui suivent. 2° Les organes des embryons sont devenus 'embryon- naires (Osc. HERTWIG), ce ne sont plus que des formes de passage ayant perdu beaucoup des carac- tères que possédaient — lorsqu'ils fonctionnaient dans les ancêtres — les organes correspondants, en ayant acquis de nouveaux, mais en définitive très dif- férents des organes quiont existé à un moment donné. Ils ne peuvent être rapportés à aucun ancêtre déter- miné etne permettent aucune conclusion précise au point de vue généalogique. Les arcs branchiaux d’un embryon de Mammifère, par exemple, ne sont que des rudiments d’arcs; ils ne peuvent indiquer en au- cune manière l’ancêtre d’où sont sortis les Mammifè- - res. Ils ne rappellent pas des arcs branchiaux de Ver- tébrés inférieurs, mais ceux des embryons de ces animaux conformément au quatrième principe de Vox BaAER. Loin de permettre de reconstituer leur Le. 4 CONCLUSIONS 2927 ancêtre, les embryons de Mammifères pourvus d’arcs branchiaux montrent simplement que des animaux conformés comme ils le sont auraient été incapables de vivre (Osc. HERTWIG). 3° Les embryons des Vertébrés supérieurs, si on les considère dans leur ensemble et non plus seulement dans leurs organes pris séparément, ne ressemblent jamais à des animaux inférieurs. Ils sont déterminés de très bonne heure comme membres de leur classe ou de leur groupe (sous-embranchement) etse distin- guent des Vertébrés appartenant aux autres groupes. Et ceci n’est pas seulement le fait d’hétérochronies quipourraient encore être admises comme des falsi- fications du développement; en réalité l'embryon d’un Amniote n’est pas un embryon de Poisson possédant déjà une allantoïde développée avant son heure par hétérochronie, c’est un Amniote par tous les rapports que ses parties présentent entre elles. Les faits essentiels de son architecture sont déjà donnés et permettent de le reconnaître. Le cou — et lesimportantes modifications du système aortique qui accompagnent sa présence — ne peuvent se produire qu'après la courbure nuchale qui suppose elle-même un processus particulier dans le développement du systèmenerveux central et des protovertèbres, ou plus brièvement dans le bourgeonnement du corps sur la ligne primitive. Aussi peut-on dire avec Osc. HERT- WiG que l'embryon, loin d’imiter ou de répéter d’autres formes, ne fait, au sens littéral du mot, que son propre développement. 228 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION 4° Ceci est d'autant plus vrai qu’un Vertébré — à cause de son haut développement et de son organisation d’animal dépensant dans des mou- vements bien coordonnés l’énergie accumulée par son alimentation — n’est pas un assemblage quel- conque d'organes empruntés à diverses formes du même groupe, mais un tout cohérent, un «sys- tème unique et clos», comme disait CUVIER, c’est-à- dire un ensemble de parties coordonnées entre elles et s’influençant toutes réciproquement. Sans doute la corrélation des parties n’est pas faite strictement en vue d’un but unique étroitement déterminé (1), elle admet une certaine laxité, et cela est indispen- sable, autrement l’existence de l’espèce ainsi limitée dans son genre de vie pourrait être compromise, mais cette coordination existe beaucoup plus qu’on ne l’imagine d’habitude et il n’y a pas un organe, chez les Mammifères, qui ne se distingue de l’organe correspondant des autres Vertébrés par des carac- tères propres, en rapport avec le haut développement qu’atteignent dans cette classe aussi bien les organes végétatifs que ceux de la vie de relation. 5° Un autre fait montre encore que, dans le paral- lélisme signalé plus haut, il s’agit bien plus de lois générales que de faits héréditaires, c’est la limitation du nombre des stades conservés. Certains stades 4) Pour les corrections que demande le finalisme apparemment contenu dans celle proposition (voy. chap. IV, p. 94). A ER AT LT - ne LT CONCLUSIONS 225 seulement sont maintenus, un grand nombre d’autres manquent, de sorte que l’on a bien plus sous les yeux le schéma du développement phylogénétique, lPidée abstraite de celui-ci, que la série réelle des étapes parcourues. Ainsi dans le squelette axial les trois états membraneux, cartilagineux, osseux répondent idéalement à la progression du dévelop- pement de ce système, mais à aucun des stades concrets que ce développement a réalisé parmi les différents êtres. Une vertèbre cartilagineuse de Mam- mifère est tout autre chose qu’une vertèbre de Séla- cien. Elle n’a de commun avec celle-ci que sa subs- tance, ou que sa constitution histologique, de valeur très générale, tandis que sa constitution morpho- logique, d’une portée beaucoup plus grande pour la détermination spécifique de l’être, est entièrement différente. 6° Dans l’ontogenèse tous les organes ne présentent pas un développement progressif, beaucoup (œil, branchies) ne montrent aucune étape réalisée dans la série des formes permanentes et cela peut éveiller des doutes sur la valeur qu’il convient d’attribuer au développement régulièrement progressif dans la marche générale de l’évolution. D’autre part les nom- breux cas de substitution s'opposent souvent à ce qu'il y ait réellement une répétition des formes infé- rieures de certains organes dans le cours du déve- loppement des animaux supérieurs. 7° Enfin — et ceci n’est pas une objection, mais une remarque nécessaire pour bien comprendre VIALLETON. Problème évolution. 15 230 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION l’ensemble des développements réalisés — Ja théorie de la récapitulation n’envisage guère qu’une série de développements, la série progres- sive aboutissant à l'Homme. Comme le faisait remar- quer VON BAER, elle conduit inconsciemment à la conception erronnée de l'échelle animale, qui cent fois combattue et renversée, reparaît encore aujourd’hui modernisée dans ce que l’on appelle la série animale. Il est bien clair qu’une telle série n’a aucune existence réelle et ne peut en avoir une dans l’état de nos connaissances ; c’est une pure abstrac- tion. D’autre part il n’est pas du tout certain que le développement de l'Homme se soit effectué suivant des échelons comparables à ceux que nous pouvons imaginer d’après l’ensemble des êtres actuellement vivants, Comme l’a dit KOELLIKER (1872, p. 217 et suivantes), si le développement monophylétique est le plus simple à comprendre, cela ne veut pas dire qu’il soit le plus vrai, et il est d’autres manières d'envisager les choses. En tous cas, il faut se garder de confondre le développement fonctionnel d’un organe avec le développement généalogique des êtres qui le possèdent. En somme, l’embryologie et l'anatomie comparées montrent que les êtres vivants se forment d’après des lois régulières et en allant du simple au com- plexe, mais il y a loin de là à parler d’une répétition des formes ancestrales au cours du développement ontogénique, car les structures reproduites pendant ad fiat te 2 dd 10 ve Ah ADR, :, À RAS UE ft. 1 soit Ge lue dés. ai Elta RÉ AN ES Le mn. Gotta. e EL CONCLUSIONS 231 ce dernier sont trop générales et d’un caractère trop indéterminé pour permettre de reconstruire, d’après elles, les ancêtres réels de l’espèce. Et cependant c’est bien ainsi que l’entendent les partisans de la loi bio- génétique lorsqu'ils expliquent maintes structures de embryon par un rappel ancestral, lorsqu'ils inter- prètent la plupart des faits embryologiques comme la reproduction de structures ancestrales hypothé- tiques que ne justifient pas même, le plus souvent, les données paléontologiques. C’est pourquoi la loi biogénétique doit être rejetée dans son sens strict et comme permettant de reconstituer par l'étude de l’on- togénie la série réelle des ancêtres d’une espèce. Si l’on veut la conserver dans un sens métaphorique pour exprimer le parallélisme qui, dans un certain sens, existe entre le développement d’un animal supé- rieur et celui des formes inférieures du même groupe, il vaut mieux substituer à la formule de HAECKEL c«récapitulation des formes ancestrales éteintes» celle d'Osc. HERTWIG «récapitulation des formes qui obéissent aux lois du développement organique et vont du simple au complexe ». Mais il est incontestable qu'avec cette nouvelle formule la loi biogénétique est perdue, comme le disait KEIBEL, car elle ne prétendait pas exprimer une loi générale du développement organique indépendante de l’idée de filiation et d’hérédité, mais elle croyait trouver dans cette dernière (l’hérédité) la raison même du développement ontogénique tel qu'il est et la cause des formes qui s’y succèdent. 232 UN PROBLÈME DE L'ÉVOLUTION L'adoption de la formule d’Osc. HERTWIG n’en- traîne pas du tout le rejet des spéculations phylogé- nétiques ; la réalité de l’évolution n’est pas mise en cause, seulement Osc. HERTWIG fait remarquer qu’en raison de la transmission à l’œuf des propriétés acquises par l'espèce, une répétition réelle des formes ancestrales est absolument impossible et que l'embryon ne peut aucunement nous révéler les formés que son espèce a traversées dans le cours du temps. Nous voyons, du même coup, combien est difficile le problème de l’évolution des organismes qui avait pu paraître à un moment donné très sim- plifié par la loi biogénétique fondamentale. L’abandon de la loi bivgénétique n’est pas un retour en arrière, un recul dela science, c’est au con- traire une conquête nouvelle. En écartant les inter- prétations simplistes de répétitions ancestrales, la formule d’'Osc. HERTwIG force à chercher les lois du développement organique et substitue à des expli- cations apparentes — qui reculaient simplement les difficultés jusqu’à l’ancêtre supposé — des explications plus exactes, faisant reposer les lois de la formation et du développement des organismes sur la nature même des organes, et sur les rapports qui relient entre elles les différentes parties d’un même indi- vidu. ” " è LÉ r * re y addle à lité dd alt dt Re dE CR dd Éd D. ut. ni d ct Sn Eee Co ie bus | | da. nds ; 1828. 1896. 1907. 1835. 1820. 1830. 1895. INDEX BIBLIOGRAPHIQUE" Von Baer. — Ueber Entwickelungsgeschichte der Thiere. Beobachtung und Reflexion, Theil I. 1828. ÉRRE1837: Beard. — On certain Problems of Vertebrate Em- bryology. Iena, Gustav Fischer, 1896. Bergson. — L'Évolution créatrice. 1907. Paris, Félix Alcan. >arus. — Traité élémentaire d'anatomie comparée. 3 vol. et un atlas. Traduct. franc. de Jourdan. 1835. J.-B. Baillière. 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