>rsitr
UNIVERSITY of
CONNECTICUT
LIBRARY
s
B
fi fi
S
n
a
S I
S
G
a s s a
s
S
fi
£&*f*~ dïl
R
CD
[ 3
3 ^153 DDÛ33nti 1
>
S
LES
GRANDS ÉCRIVAINS
DE LA FRANCE
A LA MÊME LIBRAIRIE
Pascal (Biaise) : OEuvres complètes, édition des Grands Ecrivains de la France, publiées suivant l'ordre chronologique, avec docu- ments, introductions et notes. i4 vol. in-8° brochés. Chaque volume 7 fr. 5o
II a été tiré 200 exemplaires de chaque volume sur papier grand vélin, à 20 francs le volume.
PREMIÈRE SÉRIE :
Œuvres jusqu'au Mémorial de i654, par MM. Léon Brunschvicg et Pierre Boutroux, 3 vol. Chaque vol. in-8°, br., 7 fr. 5o.
I : Biographies. — Pascal jusqu'à son arrivée à Paris (1647). II : Pascal depuis son arrivée à Paris (16^7) jusqu'à l'entrée de Jacqueline à Port- Royal (1 65a).
III : Pascal depuis l'entrée de Jacqueline à Port-Royal (i652) jus- qu'au Mémorial (iG54).
DEUXIÈME SÉRIE :
Œuvres depuis le Mémorial de i654. Lettres provinciales. Traité de la Rou- lette, etc., par MM. Léon Brunschvicg, Pierre Boutroux et Félix Gazier, 8 vol. Chaque vol. in-8°, br., 7 fr. 5o.
IV : Depuis le mémorial du 23 novembre 1 654 jusqu'au miracle de la Sainte-Épine (fin mars i656).
V : Depuis le 10 avril i656 (sixième Provinciale) jusqu'à la fin de septembre 1 656.
VI : Depuis le 3o septembre i656 (treizième Provinciale) jusqu'en février 1657.
VII : Depuis le 2k mars 1657 (dix-huitième Provinciale) jusqu'en
juin i658. VIII : Depuis juin i658 jusqu'en décembre i658. IX : Depuis décembre i658 jusqu'en mai 1660. X : Pascal depuis juillet 1660 jusqu'à sa mort (19 août 1662). XI : Abrégé de la vie de Jésus-Christ et écrits sur la grâce.
TROISIÈME SÉKIE :
Pensées, par M. Léon Brunschvicg, 3 vol. Chaque vol. in-8°, br., 7 fr. 5o. XII : Sections I et IL
XIII : Sections III à VIL
XIV : Sections VIII à XIV.
Pascal : Pensées et Opuscules, publiés avec une introduction, des notices et des notes, par M. Brunschvicg. — 1 vol. petit in-16, cartonné 3 fr. 5o
Édition couronnée par l'Académie française.
Reproduction en photottpie du Manuscrit des Pensées de Blaise Pascal. N° 9202 fonds français de la Bibliothèque Natio- nale (Paris) avec le texte imprimé en regard et des notes, par M. Léon Brunschvicg. — Un volume in-folio (45 X 32) com- prenant environ 260 planches en phototypie et 260 pages de texte et variantes : 200 fr.
Pascal, par M. E. Boutroux, membre de l'Institut (Collection des Grands Ecrivains français). — 1 vol. in-16, broché. . 2 fr
ŒUVRES
DE
BLAISE PASCAL
CHARTRES, IMPRIMERIE DURAND rue Fulbert, 9
OE
UVRES
DE
BLAISE gASCAL
PUBLIÉES
SUIVANT L'ORDRE CHRONOLOGIQUE
AVEC DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES, INTRODUCTIONS ET NOTES,
Léon BRUNSCHVICG, Pierre BOUTROUX et Félix GAZIER
X
depuis juillet 1660 jusqu'à la mort de blaise pascal (19 août 1662),
PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET Gie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1(9.1,4 Tous droits réservés.
o
"T" ■
<0
OEUVRES
DE BLAISE PASCAL x
PASCAL DEPUIS JUILLET 1660 JUSQU'À SA MORT
(19 AOÛT 1662)
CLVIII
LETTRES DE FERMAT A PASCAL
ET DE
PASCAL A FERMAT
a5 juillet et 10 août 1660.
I. — Copie au premier recueil manuscrit du Père Guerrier,
p. LXXXXVIII.
II. — Varia Opéra Mathematica D. Pétri de Fermât, Toulouse,
1679, p. 200.
2e série. VII
I
LETTRE DE FERMAT A PASCAL
A Tolose le î5. Juillet 1660.
Monsieur, Des que j'ay sçeu que nous sommes plus proches l'un de l'autre que nous n'estions auparavant, jen'ay pu résister à un dessein d'amitié dont j'ay prié Monsieur de Carcavy d'estre le médiateur: en un mot je pretens vous embras- ser, et converser quelques jours avec vous ; mais parce que ma santé n'est guère plus forte que la vostre, j'ose espérer qu'en cette considération vous rne ferez la grâce de la moitié du chemin, et que vous m'obligerez de me marquer un lieu entre Glermont et Tolose, où je ne manqueray pas de me rendre vers la fin de Septembre ou le commencement d'Octobre. Si vous ne prenez pas ce parti, vous courez hasard de me voir chez vous, et d'y avoir deux malades en mesme temps. J'attends de vos nouvelles avec impatience, et suis de tout mon cœur, tout à vous...
Fermât.
II
LETTRE DE PASCAL A FERMAT
De Bienassis le 10. Aoust 1660.
Monsieur, Vous êtes le plus galant homme du monde, et je suis assurément un de ceux qui sçay le mieux recon- noistre ces qualitez là et les admirer infiniment, sur tout quand elles sont jointes aux talens qui se trou- vent singulièrement en vous : tout cela m'oblige à vous témoigner de ma main ma reconnoissancepour l'offre que vous me faites, quelque peine que j'aye encore d'écrire et de lire moyméme: mais l'honneur que vous me faites m'est si cher, que je ne puis trop me hâter d'y répondre. Je vous diray donc, Monsieur, que si j'étois en santé, je serois volé à Toiose, et que je n'auroispas souffert qu'un homme comme vous eût fait un pas pour un homme comme moy. Je vous diray aussi que, quoy que vous soyez celuy de toute l'Europe que je tiens pour le plus grand Géomètre, ce ne seroit pas cette qualité là qui m'auroit attiré ; mais que je me figure tant d'esprit et d'honéteté en vôtre conversation que c'est pour cela que je vous rechercherois. Car pour vous parler franchement de la Géométrie, je la trouve le plus haut exercice de l'esprit, mais en même temps je la
LETTRE DE PASCAL A FERMAT
connois pour si inutile, que je fais peu de différence entre un homme qui n'est que Géomètre et un habile artisan. Aussi je l'appelle le plus beau métier du monde, mais enfin ce n'est qu'un métier : et j'ay dit souvent qu'elle est bonne pour faire l'essay, mais non pas l'emploi de nôtre force : de sorte que je ne ferois pas deux pas pour la Géométrie, et je m'assure que vous êtes fort de mon humeur1. Mais il y a main- tenant cecy de plus en moy, que je suis dans des études si éloignées de cet esprit-là, qu'à peine me souviens-je qu'il y en ayt. Je m'y étois mis il y a un an ou deux par une raison tout à fait singulière, à laquelle ayant satisfait2, je suis en hazard de n'y plus penser jamais, outre que ma santé n'est pas encore assez forte ; car je suis si foible que je ne puis marcher sansbaston ny me tenir à cheval. Je ne puis même faire que trois ou quatre lieues au plus en carrosse ; c'est ainsi que je suis venu de Paris icy en vingt-deux jours. Les Médecins m'ordonnent les eaux de Bourbon pour le mois de Septembre, et je suis engagé autant que je puis l'être, depuis deux mois, d'aller de là en Poitou par eau jusqu'à Saumur, pour demeurer jusqu'à Noël avec Monsieur le Duc de Roanes, Gouverneur de Poitou3, qui a pour moy des sentimens que je ne vaus pas. Mais comme je passeray par Orléans en allant à Saumur par la
i. Cf. Pensées, fr. 36, T. I, p. 46, et fr. i44, T. II, p. 70.
2. Vide supra T. VII, p. 33g et suiv.
3. Nous n'avons aucun document qui nous fasse connaître si ce projet fut mis à exécution.
ŒUVRES
rivière, si ma santé ne me permet pas de passer outre, j'iray de là à Paris. Voilà, monsieur, tout l'état de ma vie présente, dont je suis obligé de vous rendre compte, pour vous asseurer de l'impossibilité où je suis de recevoir l'honneur que vous daignez m'ofïrir, et que je souhaite de tout mon cœur de pouvoir un jour reconnoître ou en vous, ou en Messieurs vos enfans, ausquels je suis tout dévoué, ayant une véné- ration particulière pour ceux qui portent le nom du premier homme du monde. Je suis, etc.
CLIX
LETTRE
DE JACQUELINE PASCAL
A LA MÈRE ANGÉLIQUE
Ier septembre 1660. Copie à la Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. 17790, f°. 307.
INTRODUCTION
Aux lettres déjà publiées, supra T. IX, p. 377 sqq., nous devons joindre ici cette lettre de la Mère Angélique, adressée à la prieure de Port-Royal des Champs et à la sous-prieure, Jacqueline de Sainte Euphémie (Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. 17790, f°. 3og):
Du Vendredy 27. Février 1660.
Ma très chère Mère Nous arrivasmes hyer à trois heures et demie sans aucune peine. Les chemins n'estoient pas encore rompus, les glaces n'estant pas fondues, de sorte que nous allions aussi viste qu'au beau temps. J'eus moins froid que dans nôtre chambre, mais le grand brouillard qui nous reprit dés Voisin m'obligeant à laisser tous nos voiles baissez j'eus fort mal à la teste jusqu'à proche de Paris que je fus obligée de les lever etc. Je n'ay pas laissé de dormir quoy que ma teste ne soit pas encore bien, ni mon corps délassé. Au reste je ne suis pas encore icy n'en ayant pas pris les idées, mais à P. R. proche de vous, de ma Sr Euphemie et de tout nôtre monde ; Dieu me fasse la grâce de vous avoir toujours présente devant luy, et d'aller sans cesse à luy avec vous pour y trouver tous nos besoins et la force pour luy rendre ce que nous luy devons. Je vous suplie, ma chère Mère, de saluer toutes nos Sœurs et de les assurer que je ne m'éloigne d'elles que de corps. Je les suplie très humblement de renouveller leur attention à la pénitence véritable et essentielle du Caresme contenue dans la première partie du chapitre de nostre Règle. Je suis fâchée de n'avoir point dit adieu à ma Sr N. je vous suplie de luy dire, et que cela m'oblige de prier plus particulièrement pour elle. Je vous
10 ŒUVRES
conjure, ma chère Mère, de tenir vôtre esprit fortement atta- ché à Dieu, de le regarder par tout et en toutes choses, invo- quant son secours avec un désir entier que ce soit son esprit et non pas le vôtre qui agisse. J'en dis autant à ma Sœur Euphemie, parlez ensemble autant qu'il sera nécessaire et que vous en aurez le temps pour vous entre-soutenir, et concerter les choses, mais toujours sérieusement, s'il est possible, et donnant le moins de part que vous pourrez à la satisfaction de la nature. Ayez soin de vos santez pour le service de la maison, et soyez simples à prendre vos besoins tant pour la nourriture que pour le repos. Veillez surtout, sans négliger les petites choses, puisque les moindres se doivent référer à Dieu comme les plus grandes, c'est pourquoy il faut que toutes soient bien réglées et ordonnées. A Dieu, ma très chère Mère, et ma très chère Sœur.
n
LETTRE DE LA SOEUR JACQUELINE DE SAINTE- EUPHEV1IE PASCAL A LA MERE ANGELIQUE, ACCOMPAGNÉE DE LA RÉPONSE1.
Ce icr Sept. 1660.
Ma très chère Mère, Mp Singlin m'a ordonné de vous dire que nous nous accommoderons fort bien de sœur N. si petite et man- chote soit elle. Il y a une infinité de choses où elle nous sera bien utile, et en vérité nous sommes si cour- tes de monde avec toutes nos malades que nous ne sommes pas en état de refuser aucun secours.
Du 2. Septembre.
Ma très chère Sœur, Vous n'avez pas considéré qu'en acceptant cette fille pour le très petit secours que vous en pourrez recevoir vous vous engagez à la garder toute sa vie et à la faire Rse. Car si estant dehors c'est une impor- tunité continuelle qu'elle fait à M. S., si une fois elle est dedans on ne pourra jamais s'en défaire, et on aura sur les bras tous les Rx de N. qui ont importuné pour elle avec une violence, s'il faut ainsi dire, aussi grande que si on y eut esté vraiment obligé. Je ne doute pas de vos besoins, mais certes ils ne diminueront gueres, et ils pourront estre se- courus par d'autres voyes. Il en sera pourtant tout ce qu'il plai-
1. Cette lettre, encore inédite, est disposée sur deux colonnes. A la demande de la Mère Angélique, les religieuses laissaient une moitié de la page libre pour la réponse.
12
OEUVRES
J'ay admiré, ma chère Mère, combien la charité et l'humilité sont ingénieuses dans le moien que vous trouvez de vous loger au Parloir. Mais vous pouvez penser, ma chère Mère, que cela n'a levé aucun des obs- tacles de vôtre retour, je le souhaite de tout mon cœur, et avec impatience, mais neantmoins je ne le demande point encore, Dieu veut que nous soions privées de cette consolation et de cet appuy dans nôtre besoin. Si neant- moins vous dormiez mieux icy ce seroit une grande ten- tation, et en ce cas vôtre ch [ambre] seroit bientôt vui-
ra à M. S. , estant preste de re- noncer à la répugnance que j 'ay à cette fille pour luy obéir. Notre Mère et ma Sr Angélique n'y en ont pas moins que moy. Vraiment, ma chère Sœur, je vous admire bien plus, et avec plus de raison de ce que vous estimez que ce seroit humilité à moy de coucher au Parloir qui est une des meil- leures chambres de la maison, et de ce que vous prenez cela pour un sujet que je ne retour- ne pas. Je ne suis point du tout sujette à gagner la fièvre, et puis, je ne verrois point les malades si on ne vouloit. Mais je laisse cela à la volonté de Mr Singl. en tout.
que
Dieu conduit
CLX
ARRÊT DU CONSEIL D'ÉTAT
CONDAMNANT L'ÉDITION LATINE DES PROVINCIALES
23 septembre 1660. Archives Nationales, E 171 1, f° 129.
m
INTRODUCTION
La traduction des Provinciales par Wendrock obtint aussitôt un grand succès; une seconde édition parut en octobre i658 et fut vite épuisée : (deux mille exemplaires en avaient été débités en septembre i65g); la préface de la troisième est datée du i5 mars 1660; celle de la quatrième, du 27 août. En vain, pour arrêter le cours de ce livre, fit-on un procès criminel au libraire Le Petit, et à l'imprimeur Préveray qui, conduit au Châtelet et à la Bastille en octobre i658, ne fut relâché qu'en janvier 1660.
On profita aussi du séjour que le roi fit à Bordeaux au moment de la paix des Pyrénées pour dénoncer le livre de Wendrock au Parlement de cette ville. Le 5 septembre t65q, l'ouvrage fut déféré par l'avocat général, au nom du roi, afin qu'il lût brûlé par la main du bourreau. La discussion fut très vive, et l'affaire fut remise à une nouvelle session. Le 3 mai 1660, à la majorité des voix, on repoussa les accusations de crimes de scandale et de lèse-majesté; pour l'examen de la doctrine, on renvoya le livre à la Faculté de Théologie de Bordeaux. Le 6 juin, trois professeurs, dans un rapport approuvé par toute l'Université, conclurent qu'il n'y avait aucune trace d'hérésie. Ces trois professeurs furent vivement pris à partie; Arnauld et Nicole les défendirent dans deux écrits publiés en juillet et en août. Le 5 novembre, le Conseil du Roi leur interdit d'exercer leurs fonctions dans la Faculté de Théologie et ils furent suspendus jusqu'en 1662 *.
1. Sur cette affaire, cf. Paul Courteault, Les Provinciales au Parle- ment de Bordeaux {Revue historique de Bordeaux, mars-avril 1909, p. i3i).
16 ŒUVRES
Malgré cet échec à Bordeaux, on n'abandonna pas l'affaire : au moment où l'Assemblée du Clergé s'apprêtait à pousser à bout les jansénistes et parlait à nouveau du Formulaire, le Conseil du Roi, par un arrêt du 12 août 1660, désigna des commissaires ecclésiastiques pour examiner le livre de Wendrock ; leur rapport fut remis le 7 septembre; le 23, le Conseil condamna le livre, qui fut brûlé sur la place publique, le A octobre *.
Voici l'ordonnance préliminaire du Conseil {Archives Nationales, E 171 1, f° 106) et le jugement des commissaires ecclésiastiques {Bibliothèque Mazarine, A. i5g45) :
1. A cette occasion Arnauld écrit, le 19 octobre 1660, à Florin Perier (2e recueil du Père Guerrier, p. 62) : « J'ay reçu celle que vous m'avez fait l'honneur de m 'envoyer avec les papiers qui regar- dent l'affaire de ce pauvre homme, mais comme il y a des raisons qui m'obligent de me tenir plus caché que jamais, je me trouve dans l'impuissance de pouvoir presque faire aucune affaire qui demande quelque sollicitation, et ainsi M. Pascal a eu la bonté de s'en charger, et ne pouvant voir la Marquise a cause de la petite vérole qui a esté chez luy, il verra Mr le Nain avec qui il concertera de tout ce qu'il faudra faire.
«Vous pourrez apprendre par la Gazette de samedy dernier qu'enfin le pauvre Wendrock a esté condamné par des Commissaires du Conseil, qui est une nouvelle forme de faire juger des livres, surtout en matière d'heresie. S'il y avoit quelque vigueur dans l'Assemblée, elle ne souffriroit pas l'introduction d'une nouveauté si dangereuse, mais il n'y a que de la lâcheté et de la faiblesse à attendre de la part des hommes. Cependant la deffense des Professeurs de Bordeaux que vous avez vue (et dont nous vous envoierons un autre exemplaire, quand nous le pourrons joindre avec un second écrit sur le meame sujet), est fort bien reçue, et ainsi le jugement de ces Commissaires dévoués au P. Annat se trouve ruiné avant que de l'avoir rendu. On nous mande aussi de Bordeaux que cet Ecrit y fait des merveilles, et que les Pro- fesseurs se mocquent de ce nouveau jugement, et n'en sont que plus fermes dans le leur. Je suis tout à vous; mes recommandations s'il vous plaist à M le vostre femme, à la bonne Mlle Baudoin, et je vous suplie d'assurer Mr Domat, quand vous le verrez, que je ne l'ay pas oublié, mais il faut un peu de tems pour lui pouvoir rendre réponse de l'affaire qu'il m'a recommandée. »
ARRÊT DU CONSEIL D ÉTAT 17
Ordonnance du Conseil d'État.
12 Août 1660.
Le Roi en son Conseil, ayant receu plusieurs plaintes qu'encor que les Constitutions des Papes Innocent X. et Alexandre VII. condemnent la doctrine de Jansenius, Evesque d'Ypre, contenue dans le livre intitulé A ugustinus, et queles- dites Constitutions aient été receuës par l'Assemblée générale du Clergé de France, publiées par les prelatz dans leurs diocezes, exécutées par les Universitez et mesme confirmées par les déclarations de Sa Majesté, lesquelles ont esté regis- trées dans les Cours de Parlement ; néanmoins, on veoid tous les jours dans le public de nouveaux ecritz et imprimez qui tendent à soutenir ladite doctrine condamnée et un entr'autre sous le titre de Ludovioi Montaltii LiAterœ Provinciales, etc., lequel, outre les propositions hérétiques qu'il contient, est outrageux à la réputation du feu Roy Louis 1 3e de glorieuse mémoire, et à celle des principaux ministres qui ont eu la direction de ses affaires, à quoy estant nécessaire de pourvoir incessamment, afin d'en prévenir les mauvaises suites, Sa Majesté, estant en son Conseil, a ordonné et ordonne que ledit livre intitulé Ludovici Montaltii Litterœ Provinciales, etc., sera remis pardevers le sieur Baltazar, commissaire à ce député, pour estre vu et examiné par les sieurs evesques de Rennes, Rodez, Amiens et Soissons, assistez des sieurs Grandin, Lestoc, Morel, Bail, Chapellas1, Chamillard, du Saussoy, et des Pères Nicolaï et Gaugy, docteurs en Théologie de la Fa- culté de Sorbonne, que Sadite Majesté a commis à cet effet, pour donner leur avis, et être dressé procez-verbal, et le tout rapporté à Sadite Majesté, y estre pourveu ainsi qu'il appartiendra par raison. Signé: Seguier, Baltazar.
1. Les noms des cinq derniers docteurs ont été ajoutés sur la minute par une apostille signée de Séguier.
2e série. VII 2
18 ŒUVRES
Avis et Jugement des Prélats et autres Docteurs et Professeurs de la Sacrée Faculté de Théologie de Paris.
Nous soub-signez, qui avons esté nommez par Arrest du Conseil de sa Majesté, pour porter jugement d'un Livre inti- tulé : Les Lettres au Provincial, par Louis de Montalte, etc. ; après avoir diligemment examiné ledit Livre, déclarons que les hérésies de Jansenius condamnées par l'Eglise y sont con- tenues et défendues, tant dans les Lettres dudit Louis de Mon- talte, que dans les Notes de Guillaume Wendrock sur les- dites Lettres, comme aussi dans les Disquisitions de Paul Irenée, qui y sont jointes. Ce qui est si manifeste, que, si quelqu'un le nie, il faut nécessairement ou qu'il n'ait pas lu ledit Livre, ou qu'il ne l'ait pas entendu; ou ce qui pis est, qu'il ne croie pas hérétique ce qui est condamné comme héré- tique par le Souverain Pontife, par l'Eglise Gallicane, et par la sacrée Faculté de Paris. Nous déclarons en outre, que ces trois Autheurs sont si insolens et si hardis à médire, que, si l'on en excepte les Jansénistes, ils n'épargnent la condition de personne, non pas mesme du Souverain Pontife, ni des Evesques, ni du Roy, ni des principaux Ministres du Royaume, ni la sacrée Faculté de Paris, ni les Ordres Religieux ; et que par ainsi ledit Livre est digne de la peine ordonnée de droit contre les Libelles diffamatoires, et les Livres hérétiques. Fait à Paris, le 7. Sept. 1660.
Henry de La Mothe, E. de Rennes; Harduin, E. de Rodez; François,/?. d'Amiens; Charles, E. de Soissons; Chapelas, Curé de S. Jacques; C. Morel; L. Bail; Fr. Jean Nicolaï, de l'Ordre des FF. Presch. ; M. Grandin ; Saussoy ; Fr. Matthieu de Gaugy, Carme; Chamillard ; G. de Lestocq.
19
ARRÊT DU CONSEIL D'ÉTAT CONTRE LES LETTRES AU PROVINCIAL
23. Septembre 16G0.
Veu par le Roy estant en son Conseil, l'Arrest donné en iceluy le 12. aoust dernier, sur le subjet de plusieurs plainctes rendues à sa Majesté, de ce qu'encor que les constitutions des Papes Innocent X. et Alexandre VIIme condemnent la doctrine de Jansenius Evesque d'Ipre, contenue dans le livre intitulé A ugastinus, et que lesdites conclusions ayant esté receuës par l'assemblée generalle du clergé de France, publiées par les prelatz dans leurs diocezes, exécutées par les Universitez, mesmes confir- mées par les déclarations de Sa Majesté, lesquelles ont esté registrées dans les cours du parlement. Neantmoins on voioit tous les jours dans le public de nouveaux écrits et imprimez, qui tendoient à soustenir laditte Doctrine con- damnée : et un entr'autres soubz le titre de Ludovici Montaltii Litterœ Provinciales, etc., lequel, outre les pro- positions héréticques qu'il contient, est outrageux à la ré- putation du feu Roy Louis i3me de glorieuse mémoire, et à celle des principaux ministres qui ont eu la direction de ses affaires ; par lequel arrest Sa Majesté, pour y pourveoir incessemment, à fin d'en prévenir les mau- vaises suittes, a ordonné que ledit livre, intitulé Ludovici Montaltii Litterœ Provinciales, etc., seroit remis par de- vers le sieur Baltazar, commissaire à ce deputté, pour estre veu et examiné et avoir le sentiment des sieurs eves-
20 ŒUVRES
ques de Rennes, Rodez, Amiens et Soissons, ensemble des Srs Grandin, L'Estocq, Morel, Bail, Chapelas, Chamillard, du Saussoy, et des peres Nicolaï et Gaugy, docteurs en théologie de la Faculté de Sorbonne, que Sa Majesté a commis à cet effet pour donner leur advis, et estre dressé procez- verbal, et le tout rapporté à Sa Ma- jesté, et y estre pourveu ainsi qu'il appartiendra ; le procez- verbal desdits commissaires du 7me du présent mois de septembre, par lequel, aprez avoir diligemment examiné ledit livre, ils déclarent que les hérésies de Jansenius,con- demnées par l'Eglise sont soustenues et défendues tant dans lesdites Lettres de Louis Montalte et dans les Notes de Guillaume Wendrok, que dans les Disquisitions ad- jointes de Paul Irenée; que cela est si manifeste, que, si quelqu'un le nye, il faut nécessairement, ou qu'il n'ait pas leu ledit livre, ou qu'il ne l'ait pas entendu, ou, ce qui pis est, qu'il ne croye point hereticque ce qui a esté comme hereticque condemné par les sainctz pontifes, par l'Eglise gallicane, et par la sacrée Faculté de théologie de Paris ; que la detraction et pétulance est tellement fa- milière à ces trois Auteurs, qu'ils ne pardonnent à la con- dition de personne, et non pas mesme au souverain pon- tife, aux ^ois, aux evesques, 2et aux principaux ministres du royaume, à la sacrée Faculté de théologie de Paris, ny aux familles religieuses; et que ledit livre est digne de la peyne ordonnée de droit pour les libelles diffamatoires et livres hereticques.
Ouy le rapport du sieur Baltazar : Et tout considéré, Sa Majesté estant en son conseil, a ordonné et ordonne que ledit livre, intitulé Ludovici Montaltii Litterœ Pro-
i. rois, aux, addition autographe. î. et, addition autographe.
ARRÊT DU CONSEIL D'ÉTAT 21
\inciales, etc., sera remis par devers le sieur D'Aubray, lieutenant civil au Ghastelet de Paris, pour, à la diligence du procureur gênerai de Sa Majesté, le faire lacérer et brusler à la Croix du Tirouër par les mains de l'exécuteur de la haulte justice, dont Sadite Majesté sera certifiée dans huictaine. Faisant cependant tres-expresses inhibi- tions et défenses à tous imprimeurs, libraires, colporteurs et autres, de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'imprimer, vendre et débiter, ny mesme retenir ledit livre sans notes, ou avec les notes, additions et disquisi- tions desdits Wendrock et Paul Irenée, sur peine de pu- nition exemplaire. Et sera le présent arrêt exécuté nonob- stant oppositions ou appellations quelconques, dont si aucunes interviennent, Sadite Majesté s'est réservé la cognoissance dicelle, interdite à tous autres juges. Fait au conseil d'Etat du roi, Sa Majesté y estant, tenu à Paris, le vingt- troisième de septembre mil six cent soixante. Signé : Seguier, Baltazar, Phelippeaux.
22
APPENDICE
Exécution de l1 arrêt du Conseil.
A. — Ordonnance royale.
Louis par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre, à nostre amé et féal Conseiller en nos Conseils, le sieur Dau- bray, Lieutenant Civil au Chastelet de Paris : Salut. Nous vous mandons et ordonnons par ces présentes signées de nostre main, que l'arrest de nostre Conseil d'Estat, dont l'extrait est cy-attaché sous le contrescel de nostre Chancellerie, vous ayez à mettre à deuë et entière exécution, selon sa forme et teneur. De ce faire vous donnons pouvoir, commission et mandement spécial par cesdites présentes. Commandons au premier nos- tre Huissier ou Sergent sur ce requis signifier ledit arrest à tous Libraires, Colporteurs et autres que besoin sera, et leur faire les défenses y contenues sur les peines y déclarées, sans demander autre permission : Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris le 23. jour de Septembre l'an de grâce 1660. et de nostre Règne le dix-huitieme. Signé. Louis, et plus bas, Par le Roy, Phelyppeaux, et scellé.
B. — Extrait des Registres du Châtelet.
A tous ceux qui ces présentes Lettres verront, Pierre Se guier Chevalier Marquis de S. Brisson, Conseiller du Roy, Gentilhomme ordinaire de sa Chambre, et Garde de la Ville, Prévôté et Vicomte de Paris : Salut. Sçavoir faisons, Que veu l' Arrest du Conseil d'Estat du Roy du vingt-troisième Sep- tembre dernier : portant que le livre intitulé, Ludovici Mon- taltii Litterœ Provinciales, seroit remis pardevers Nous, pour à la requeste du Procureur du Roy en cette Cour, estre lacéré et bruslé à la Croix du Tiroir par les mains de l'Exécuteur de
ARRÊT DU CONSEIL D'ÉTAT 23
la haute Justice, dont sa Majesté seroit certifiée huitaine après et défenses à tous Imprimeurs, Libraires, Colporteurs et autres de quelque qualité et condition qu'ils soient d'impri- mer, vendre ni débiter, ni mesme retenir ledit livre sans Notes ou avec les Notes, Additions et Disquisitions de Guillaume Wendrok, et Paul Irenée, sur peine de punition exemplaire ; ledit Arrest signé Phelyppeaux. La Commission de la grande Chancellerie attachée audit Arrest sous le contre-scel d'icelle, dudit jour 23. dudit mois de Septembre, signée Louis, et plus bas, Par le Roy, Phelyppeaux, et scellée du grand seau de cire jaune. Les Conclusions dudit Procureur du Roy tendantes à ce que pour l'exécution dudit Arrest il fust informé à sa requeste par un Commissaire de cette Cour, tant contre les Auteurs dudit Livre, qu'Imprimeurs qui l'auront imprimé, et Colpor- teurs, qui se trouveront l'avoir débité, lequel Commissaire se transportera es maisons des Libraires, Imprimeurs, et Col- porteurs de cette Ville et Faux-bourgs, et par tout où besoin sera, pour à sa requeste saisir et arrester tous les exemplaires dudit Livre qui se trouveront, pour estre le procès fait et par- fait aux coupables, suivant la rigueur des Ordonnances, et cependant le Livre en question bruslé par l'Exécuteur de la haute Justice à la Croix du Tiroir ; Nous, oiiy sur ce le Pro- cureur du Roy, auquel le tout a esté monstre et communi- qué, et tout veu et considéré, avons déclaré qu'il sera informé à la requeste dudit Procureur du Roy par le premier Commissaire de cette Cour sur ce requis, tant contre les Au- teurs du livre intitulé, Ludovici Montaltii Litterse Provinciales, qu'Imprimeurs qui l'auront imprimé, et Colporteurs qui se trouveront l'avoir débité ; lequel Commissaire se transportera es maisons des Libraires, Imprimeurs, et Colporteurs de cette Ville et Faux-bourgs, et par tout où besoin sera, pour à la requeste dudit Procureur du Roy, saisir et arrester tous les exemplaires dudit Livre qui se trouveront, pour estre le pro- cès fait et parfait aux coupables suivant la rigueur des Ordon- nances ; et cependant que ledit Livre en question sera bruslé à la Croix du Tiroir par les mains de l'Exécuteur de la haute
24 ŒUVRES
Justice; et défenses à tous Imprimeurs, Libraires, Colpor- teurs, et autres de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'imprimer, vendre ni débiter, ni mesme retenir ledit Livre sans Notes ou avec les Notes, Additions ou Disquisitions de Guillaume de Wendrok, et Paul Irenée, sur peine de puni- tion exemplaire. En tesmoin de ce avons fait sceller ces pré- sentes. Ce fut fait et donné audit Chastelet par Messire Dreux- Daubray, Conseiller d'Estat, et Lieutenant Civil, le 8. Octobre 1660. Signé, Berthelot.
L'an mil six cens soixante, le quatorzième Octobre, Nous soubs-signé Greffier de la Chambre Civile, Tournelle, et Po- lice du Chastelet de Paris, en conséquence de l'Arrest du Con- seil du Roy du vingt-troisième Septembre dernier, Signé : Phelyppeaux, et scellé, portant entre autres choses que le Livre intitulé, Ludovici Montaltii Litterœ Provinciales, etc., seroit bruslé par les mains de l'Exécuteur de la haute Justice, à la Croix du Tiroir; avec défenses à tous Imprimeurs, Li- braires, Colporteurs, et autres de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'imprimer, vendre et débiter, ni mesme rete- nir ledit Livre; pour l'exécution duquel Arrest sa Majesté a renvoyé pardevant Monsieur le Lieutenant Civil, pour à la diligence de Monsieur son Procureur audit Chastelet, estre exécuté; auquel Arrest est attachée la Commission dudit jour, avec contrescel; et en vertu de la Sentence rendue par mon- dit sieur le Lieutenant Civil le huictiéme du présent mois, sur les remonstrances et Conclusions de mondit sieur Procureur de sa Majesté, portant que ledit Livre cy-dessus mentionné seroit brûlé audit lieu de la Croix du Tiroir par l'Exécuteur de la haute Justice, conformément audit Arrest : Et que pour sçavoir les autheurs, ceux qui ont fait iceluy, imprimé, et vendu, qu'il en seroit informé à la requeste dudit sieur Pro- cureur de sa Majesté, saisir et arrester les exemplaires dudit Livre, pour estre le procès fait aux coupables, suivant la rigueur des Ordonnances, et icelle Sentence leuë, publiée, et affichée à son de trompe et cry public, es lieux et places
ARRÊT DU CONSEIL D'ÉTAT 25
accoustumées : Nous sommes transportez sur l'heure de midy au carrefour de ladite Croix du Tiroir, où estant, et après avoir fait allumer un feu par ledit Exécuteur de la haute Jus- tice, aurions par la bouche d'iceluy, à haute et intelligible voix fait repeter tout le contenu en ladite Sentence cy-dessus dattée, et ensuite fait mettre dans le feu ledit Livre intitulé, Ludovici Montaltii Litterœ Provinciales, par les mains dudit Exécuteur, lequel après avoir esté converty en cendre, nous serions retiré. Dont et de ce que dessus avons dressé le présent nostre procès- verbal, pour servir et valoir ainsi que de rai- son. Signé, Berthelot.
CLXI
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL
A LA SOEUR ANGÉLIQUE
DE SAINT-JEAN
7 octobre 1660. Copie à la Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. 17797, f° 5^7.
29
RELATION DE MA SŒUR EUPHEMIE,
SUR LA MORT DE MA SOEUR
ANNE-MARIE DE SAINTE-EUGENIE ARNAULD1
[7. Octobre 1660].
Ma très chère Sœur,
Vous auriez sujet de vous plaindre de moy si je ne vous allois trouver pour me consoler avec vous de la perte commune de nostre pauvre Enfant. Je vous puis asseurer que peu de choses sont plus capables de me toucher, et que j'ay vivement ressenti les souffrances de sa maladie, et encore plus sa séparation, quoy que je vous avoue que l'un et l'autre sont accompagnées de tant de sujets de consolation, que je ne sçay en vérité lequel est le plus grand et le plus juste de la douleur que je sens en per- dant une personne à qui j'estois bien plus unie, ce me semble, que par la chair et le sang, ou de la joie et de la reconnoissance des grâces que Dieu a faites à une per- sonne à qui j'estois si obligée d'en désirer. Sa bonne dis- position a paru principalement au plus fort de son mal, et il semble que Dieu n'ait soutenu sa vie durant ces derniers huit jours, contre toute apparence, que pour nous faire connoistre ce qu'il a fait en sa faveur. Elle n'a
1. Jacqueline fait ici la relation de la mort de la Sœur Anne Marie de Sainte-Eugénie, fille d'Arnauld d'Andilly, morte au monas- tère des Champs, le 7 octobre 1660. Cette lettre a été imprimée, avec d'assez nombreuses modifications, dans les Mémoires pour servir à l'histoire de P. R., 17^2, T. III, p. 5o6.
30 ŒUVRES
esté pleinement persuadée qu'elle ^ourroit que deux heures avant sa mort; et cela fait mieux voir que ces bonnes dispositions estoient solides, et qu'elles ne nais- soient pas de cette crainte que donne un péril que l'on void présent. Car elle a toujours espéré d'en revenir: mais elle ne l'a point souhaité ; et particulièrement de- puis le dernier voyage de M. Singlin elle a eu plus d'envie que de crainte de la mort. La pauvre Enfant se trouvant fort mal le jour de la Ste-Croix, alla communier comme en Viatique, avec un peu de crainte pour le succès d'un mal qui commençoit violemment, mais d'ailleurs bien disposée principalement en ce qu'elle avoit de la joie d'estre malade, regardant la maladie comme une pénitence, et sa plus grande crainte après celle de la mort, estoit de n'user pas bien de sa maladie et de ne souffrir pas assez patiemment. Dieu luy a fait la grâce dans la suite de luy oster entièrement la première, et tout le sujet qu'elle avoit de l'autre. Car elle a esté si douce et si bonne malade qu'elle a donné une édification générale à toutes celles qui l'ont servie. Et ce qui nous donne sujet de croire qu'elle ne le faisoit que par vertu, et que c'estoit plus un ouvrage de la grâce qu'un effet de l'abbattement de la nature, c'est que m'estant apperceue, il y eut lundy huit jours, qu'elle faisoit grande difficulté de prendre une tisanne à qui selon toutes les apparences l'on doit le reste de sa vie depuis ce jour là jusques à aujourd'huy, et qu'au lieu qu'elle beuvoitson eau ordinaire avec empressement pour se rafraichir, elle ne prenoit celle-cy que goutte à goutte, je luy dis doucement néanmoins que puis que Dieu luy avoit envoyé cette maladie comme une pénitence, elle devoit y
i. Une copie faite au xvne siècle pour Mlle de Théméricourt porte : mourait.
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 31
contribuer en prenant de bon cœur tous les remèdes qui en estoient des suites nécessaires. Cela fit tant d'impression sur son esprit, que depuis ce temps, elle a pris tout ce qu'on luy a donné, et Dieu luy a fait la grâce de luy donner un si grand sentiment de pénitence, qu'elle ne pouvoit souffrir qu'on la plaignît sans faire violence à la grande difficulté qu'elle avoit à parler, pour dire qu'elle ne souf- froit rien, et pour comparer son mal à celuy de quelques autres qu'elle croyoit estre plus grand, pour dire que le sien n'estoit rien. Elle a témoigné jusqu'à la fin une grande reconnoissance des services qu'on luy rendoit, et cela par esprit d'humilité et de pénitence ; elle regardoit vraye- ment cela comme une chose qui ne luy estoit pas deiïe. Elle se plaignoit souvent de ce que son abbattement l'em- peschoit de s'appliquer assez à Dieu, et hier elle me dit avec grand scrupule : « Mais ne diray-je donc pas une heure d'office? » Je luy dis que sa maladie luy tenoit lieu de tout ; elle me dit en soupirant : « Cela seroit vray si je la souffrois comme il faut; mais j'y fais bien des fautes. » Et sur cela elle me dit quelque impatience qui n'estoit rien. Je luy dis que le mesme mal qui luy faisoit faire ces sortes de fautes en estoit le remède, et que pour son office il suffiroit qu'elle fît le signe de la Croix quand elle auroit l'esprit assez présent pour penser qu'il est heure de le dire. Cela la mit en paix, ou plustost cela la laissa en paix, car par la grâce de Dieu elle ne l'a jamais perdue. Elle se confessa hier au soir par occasion, car nous ne la croyions pas si proche de sa fin, et je crois qu'elle le fit avec une présence d'esprit toute entière, car mesme la dernière fois qu'elle vit M. Singlin, elle luy parla avec autant d'estenduë et de lumière qu'elle ait jamais fait, et ce matin elle en avoit tant et parloit si librement que rien ne m'a plus surprise que lors que l'on
32 ŒUVRES
nous a dit en sortant de la grande Messe qu'elle com- mençoit à rasler. Nous y avons couru et nous l'avons trouvée commençant son agonie, mais avec tant de con- noissance que j'en ay eu grand peur, craignant que la veuë et l'approche de la mort ne la troublât, mais Dieu luy a fait bien plus de grâce que je n'eusse osé espérer. Depuis cela je ne l'ay plus quittée ny la Mère prieure aussi, ce qui la consoloit beaucoup, parceque nous luy disions de fois à autres quelques paroles pour la faire pensera Dieu. Sur le midy elle s'est tournée vers moy, connoissant bien que j'estois touchée de son estât, elle m'a dit : « Voila vostre pauvre Enfant bien mal. » Je luy ay dit : « Il est vray, elle souffre beaucoup, » car elle estoit dans une grande agitation. « Ouy, ce m'a t'elle dit, mais cela n'est rien, pourvu que je puisse espérer de pouvoir satisfaire à Dieu. » J'ay tasché sur cela de luy donner confiance, et un peu après elle m'a dit : « Que je suis consolée de mourir entre vos mains ! » Gela m'ayant fait voir qu'elle connoissoit Testât où elle estoit, je luy ay dit que la Mère prieure estoit allée quérir M. de Sacy. Elle en a eu grande joye, et quelque temps après elle nous a dit : « M. de Sacy ne vient point; » et puis aussitost elle s'est reprise et nous a dit qu'il ne falloit pas le presser de peur de l'incommoder. Je l'ay pourtant fait, voyant qu'elle abbaissoit tousjours. Pendant qu'on Falloit avertir, elle m'a dit : « Commencez toujours les prières », ce que j'ay fait. La pauvre Enfant y a tousjours répondu, baisant tousjours la Croix qu'elle tenoit. Le poux luy estant revenu plus fort, on a creu que cela pourroit encore durer, de sorte que M. de Sacy et la Communauté se sont retirez. Apres cela je luy ay demandé si elle n'avoit pas grande confiance en la miséricorde de Dieu. Elle m'a repondu avec un grand sentiment : « Je ne sçay si je suis digne de
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 33
l'avoir. » Je luy ay dit que l'on ne pouvoit en avoir trop puisqu'elle estoit infinie. Elle Fa bien compris. Et en suite je luy ay demandé si elle n'avoit pas grande joye de mourir Religieuse, elle a fait effort pour témoigner com- bien elle reconnoissoit cette grâce. Peu de temps après, la Mère Prieure a dit auprès d'elle une oraison qu'elle a ecouttée fort attentivement. La voyant en cet estât, nous avons creu devoir luy faire encore recevoir le Saint Via- tique, qu'elle avoit déjà receu avec l'Extrême Onction le quatorsiemejour de sa maladie. Elle en a témoigné grand désir, et je crois que ce sont les dernières paroles qu'elle a dites. Car aussitost après, comme on apprestoit la chambre pour cela, elle s'est tournée à la mort si viste qu'on n'a eu le loisir que d'appeller M. de Sacy et la Communauté, qui n'ont pas plustost esté dans la chambre qu'elle est expirée si doucement qu'on ne l'a presque pas apperceu. Voila, Ma chère sœur, ce me semble, de grands sujets de consolation. Je ne puis vous en dire davantage parce qu'on attend les lettres. De Port-Royal-des-Ghamps, ce 7. Octobre 1660.
2e série. Vil
GLXII
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL A BLAISE PASCAL
16 novembre 1660.- Copie au deuxième recueil manuscrit du Père Guerrier, p. £7.
:\7
LETTRE DE LA SOEUR JACQUELINE DE SAINTE- EUPHEMIE PASCAL A M. PASCAL SON FRERE
Gloire à Jésus au Très Saint Sacrement.
Ce 16. Novembre 16601.
Bonjour et bon an2, montres cher Frère ; vous ne doutez pas que je ne vous Paye souhaité de bon cœur dés le commencement, quoy que je n'aye peu vous le dire qu'à la fin. Je m'asseure que vous vous estonnez d'estre prévenu; mais il estoit raisonnable que le vœu
1. Pascal était à Paris le 19 février 16605 le 23 juin, il se trou- vait à Bien-Assis depuis un mois ou deux, et il y était encore le 10 août; le 19 octobre, il était à Paris (Cf. la lettre d'Arnauld à Perier, supra p. 16, n. 1). Un manuscrit de la bibliothèque de Troyes date cette lettre du 26 novembre i653 (Cf. Ch.-H. Boudhors, Pascal et Mère, Revue de l'Histoire littéraire de la France, janvier-mars 19 13, p. k 1) ; mais cette indication d'une copie des manuscrits Guerrier n'a pas d'autorité. — Les neveux de Pascal étaient élèves de Wallon de Beaupuis aux Petites Ecoles du Ghesnay ; après la dispersion de mars 1660, Pascal prit chez lui l'aîné, Etienne, et lui fit faire sa philosophie au collège d'Harcourt. Wallon de Beaupuis, vers 1661, continua à diriger leur instruction à Paris, où Perier était venu de- meurer à la fin de 1660 (Cf. la vie de Wallon de Beaupuis dans les Vies intéressantes, 1761, T. V, p. i3o). — Pascal avait déjà eu en i658 à s'occuper de son neveu, Louis, très ignorant malgré ses sept ans et sachant à peine son Pater : « Ma chère mère, écrit Marguerite Perier, le mena à Paris en i658, à mon oncle, à qui elle dit qu'elle ne pouvoit rien luy apprendre. Mon oncle se chargea de son éducation, et cet enfant devint en peu de temps fort sérieux » (Cf. Faugère, Lettres, Opuscules et Mémoires, p. 438).
2. Formule courante que l'on retrouve au début d'une lettre de Gui Patin à Spon du 6 janvier i654.
38 ŒUVRES
finist par où il avoit commencé, et que je vous asseu- rasse que cette année, que j'ay donnée à Dieu de bon cœur, ne vous a rien osté de tout ce que vous pourriez attendre de moy devant luy. Mon Dieu! quand je pense combien cette séparation1, qu'il sembloit que la nature devoit appréhender, s'est passée doucement, et com- bien cette année a esté tost passée, je ne puis m'empes- cher de désirer l'éternité, car en vérité le temps est peu de chose. Mais je ne veux pas m'engager dans un discours qui nous meneroit bien loin, et où je suis entrée sans y penser, car je ne vous escris ny pour cela ny mesme pour me donner cette consolation, puis qu'elle seroit bien indigne d'une Religieuse, qui n'en doit cher- cher qu'en Dieu, ny aussi pour vous donner quelque satisfaction, car je ne croy pas estre digne de cela ; mais c'est seulement et uniquement pour vous congra- tuler de ce que vous estes devenu père de famille, en une des manières dont Dieu mesme est nostre père, et pour vous demander pardon en mesme temps de la peine que je vous ay donnée en cela; car c'est moy qui vous l'ay procuré, et j'ay bien peur que vous en soyez incommodé. Je l'ay fait dans l'asseurance que j'avois que vous en auriez bien de la jo\e, et que le soin et l'in- commodité que vous en auriez ne dureroit pas, parce que M. R.2 seroit bientost en estât de reprendre ces en- fans ; et en effet je croy que vous pouvez les renvoyer quand vous voudrez, pourveu seulement que vous luy en donniez avis. Je vous supplie très humblement de
i. Jacqueline fut envoyée à Port-Royal-des-Champs le 6 ou le 7 novembre i65g.
2. Victor Cousin croit qu'il s'agit de Charles deRebergues; mais Rebergues n'avait que seize ans en 1660, et Marguerite Perier nous dit qu'il ne s'occupa de ses frères qu'en i664.
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 39
les saluer de ma part et M. du Lac1 aussi. Pour vous, je ne vous dis rien; vous devez juger de mes senti- mens par les vostres, et vous asseurer que je suis toute à vous en celuy qui nous a plus unis par sa grâce que par la nature.
i. François Akakia du Lac, frère d'Akakia du Mont qui fut confes- seur de Port-Royal; après la dispersion des Solitaires en i656 il vint loger à Paris, rue des Postes, avec son frère et Thomas du Fossé (Cf. le Supplément au Nécrologe, p. 522).
CLXIII
LETTRE DE PASCAL A MADAME DE SABLÉ
date présumée : fin 1660.
Lettre originale, Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. 17045 (2e Portefeuille Vallant), f° 234-
43
INTRODUCTION
Pascal, avant et après sa conversion de 1 654, a fréquenté le salon de Madame de Sablé ; nous ne possédons malheu- reusement que très peu de renseignements sur ces relations. Nous entrevoyons par les consolations que la Mère Agnès après la mort de Pascal adresse à la marquise, quelle influence Pascal exerçait sur elle (cf. infra, p. 325 sq.). La lettre écrite le 19 octobre 1660 à Perier par Arnauld (cf. sujorap. 16, n. 1.) nous montre Pascal transmettant une recommandation à la marquise, mais refusant d'aller la voir, de crainte de lui transmettre le germe de la petite vérole ; Mme de Sablé était en effet fameuse au xvne siècle par sa peur de la contagion.
Le billet qui suit, original, mais non pas autographe, n'est ni signé, ni daté; il nous a été conservé dans les Portefeuilles de Vallant1. Ce médecin, attaché à la personne de la mar- quise, a recueilli tous les billets qu'il avait trouvés; les let- tres conservées ont été annotées de sa main, et il a écrit en tête de celle -ci : « Mr Pascal sur Mons. Menjot. » Après la mort de Pascal, qu'il avait soigné dans sa dernière maladie, il resta longtemps encore le correspondant fidèle de Madame Perier (cf. cette correspondance infra T. XI, Ier supplément).
Menjot était un médecin protestant. Nous le connaissons en particulier par une discussion théologique que Madame Perier soutint un jour avec lui, et dont nous reproduisons le récit d'après une note ajoutée par Marguerite Perier au Nécrologe de Port Royal (Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. 1891 3, p. 266) : « ... Il arriva quelques années après que Mme Perier, sœur
1. Sur Vallant et sur Menjot, cf. l'étude du docteur Potel : Noël Vallant (France médicale du 10 octobre ic)i3).
44 ŒUVRES
de M. Pascal se rencontra chez Madame la marquise de Sablé, laquelle avoit un médecin M. Menjot qui estoit huguenot, homme très habile et fort estimé à Charenton qui s'y trouva aussi. Me de Sablé qui estoit pleine de pieté, entra en ma- tière avec luy sur la Religion ; il soutenoit très fort son opi- nion sur la présence réelle. Madame de Sablé et Madame Perier le combattoient. M. Menjot enfin leur dit : Si on me fait voir que c'est la foy des t\. premiers siècles, je me ren- dray. Mme Perier qui avoit connoissance de l'écrit de M. Arnauld, luy dit qu'elle croyoit qu'elle pourroit luy faire voir un écrit qui prouveroit cette vérité, et estant sortie elle alla trouver M. Arnauld et luy raconta cela. M. Arnauld crut qu'il devoit porter cet écrit pour gagner cet homme-là ; mais comme il n'avoit pas dessein de s'engager à une contro- verse, il exigea de Mme Perier de ne le porter à M. Menjot qu'à condition qu'il n'en prendroit point de copie et qu'il le rendroit dans tel temps.
« Mme Perier luy donna cet écrit chez Mme de Sablé, à ces con- ditions qu'il accepta. Le temps passé et au jour marqué, il revint et rapporta l'écrit, mais il ne tint pas sa parole, car il dit qu'il est vray que cet écrit prouvoit bien que c'estoit la créance des quatre premiers siècles ; mais qu'il falloit prouver que c'estoit la créance des Apostres. Mme Perier luy dit qu'on ne pouvoit pas mieux faire voir la créance des Apostres que par celle de leurs disciples ; mais il ne se rendit pas. 11 assura qu'il n'avoit point pris de copie de l'écrit. Mme Perier le rendit à M. Arnauld1.... »
Menjot publia en 1660 un écrit intitulé: Febrium mali- gnarum historia et curatio. Accesserunt dissertationes patholo-
gicœ : ...de delirio in génère Parisiis, apud G. Meturas,
1660. cum privilegio régis (le privilège a été registre le
1 . Dans la suite de cette note, Marguerite Perier explique comment fut publié le livre De la Perpétuité de la Foy, cf. Faugère, Pensées, 1897, T. I, p. 436.
LETTRE DE PASCAL A MADAME DE SABLÉ 4o
26 mai 1660) *; et, comme l'a noté M. Potel, Vallant a recueilli au ms. f. fr. 17047, p. 37, un Discours du délire en
1. Dans les Opuscules posthumes de Mr Menjot, conseiller et médecin ordinaire du Roy à Paris, contenant des discours et des lettres sur divers sujets tant de Physique et de Médecine que de Religion, publiés à Amsterdam, chez Desbordes en 1697, ire partie, p. 1 15, dans une lettre de Menjot à son confrère Puerari, se trouve cette indication : « Feu M. Paschal appeloit la philosophie cartésienne le Roman de la Nature, semblable à l'histoire de Don Quichot » (cf. Ch.-H. Boudhors, Notes sur Pascal et son temps, Revue de l'Ensei- gnement secondaire, Ier décembre 1909, p. 388). — La seconde partie de ce recueil contient, à la page 221, une lettre qui, en raison de sa suscription et de certains détails de son contenu, devait arrêter l'at- tention des éditeurs de Pascal. Elle est adressée à Monsieur P...; Menjot y fait allusion à un billet qu'il écrivait à Monsieur de R...; de plus, continuant une discussion qu'il eut avec son correspondant sur l'Eucharistie, il fait cette citation remarquable : « Le texte que vous alléguez que Dieu révéla par fois aux petits et aux simples les choses du salut, en mesme temps qu'il les cacha aux sages et aux entendus de la terre... » Enfin, passant à une consultation médicale qui parait lui avoir été demandée, il prescrit que l'on évite les « veilles, les jeûnes et les applications d'esprit. » L'hypothèse que Pascal serait le destinataire de cette lettre se présente d'elle-même. — Pourtant, l'examen de l'ensemble de la lettre ne nous a point paru de nature à confirmer cette supposition. Il y a dans le ton de Menjot une rudesse qui va jusqu'à la brutalité à l'égard de « l'Eglise romaine »,et il n'est pas vraisemblable qu'il ait pu prendre une pareille attitude en s'adres- sant à Pascal. En outre, si les discussions théologiques qui mirent aux prises, vers 1664, Menjot et Àrnauld avaient commencé du vivant de Pascal, on devrait s'attendre à ce que Menjot fît au moins allusion aux personnes qui l'auraient mis en rapport avec Pascal, Madame Perier, Vallant, ou Madame de Sablé; or, à la différence du billet cité à la page suivante, la lettre à Monsieur P..., ne nous offre rien de pareil. D'autre part, Menjot dit que son correspondant lui avait fait « le panégyrique de l'esprit de vin « et lui avait donné le conseil « d'ajouter à la fin de chaque dissertation, un renvoi aux Médecins célèbres, tant Anciens que Modernes, qui ont le mieux écrit de la cure des maladies... » (conseil que Menjot suivit d'ailleurs lorsqu'il réimprima ses Dissertationes en i665) ; il est bien douteux que ce panégyrique et ce conseil viennent de Pascal : le livre de Menjot, si on en juge par le billet adressé à Madame de Sablé, l'intéressait à un tout autre point de vue.
46 ŒUVRES
gênerai, qui est la traduction légèrement modifiée de la dis- sertation latine, et qui a été réimprimée dans les Opuscules posthumes. D'autre part les recueils de Vallant renferment une lettre d'un médecin de Lyon écrite sur le même ouvrage, et datée du 25 décembre 1660. Ces indications permettent de dater de façon approximative la lettre de Pascal.
Menjot remercia Madame de Sablé par ce billet qu'a con- servé le même recueil, à la page 243 : « Dimanche matin. J'eus le bonheur, Madame, de rencontrer il y a trois ou quatre jours Monsieur Valan duquel j'appris avec bien de la joie la continuation de vostre santé. Je souhaite de tout mon cœur que l'occasion de vous servir manque tousjours à mon zèle, mais le contraire arrivant, je vous supplie, Madame, de croire que mon zèle ne manquera jamais à l'occasion. Monsieur Valan me fit voir la lettre de Monsieur Paschal laquelle est la plus obligeante du monde; Mais, Madame, je ne sçay que penser d'un tesmoignage si advan- tageux, car si je considère d'une part la sincérité et le sçavoir sublime de ce grand homme, de l'autre aussi je sçay que la charité est la première des vertus chrestiennes, de sorte que j'ay de la peine à distinguer entre la justice et la grâce prin- cipalement en une personne qui sans doute la met en pra- tique avec autant de chaleur qu'il la soustient. Quoy qu'il en soit, je luy suis extrêmement obligé d'avoir daigné jetter les yeux sur un ouvrage si peu considérable, et je vous rends très humbles grâces, Madame, de m'avoir procuré cet hon- neur. J'espère au commencement de cette semaine vous aller tesmoigner ma gratitude de toutes les bontés que vous avés eues pour moy pendant ma maladie et lesquelles je n'ou- blieray jamais. »
M
LETTRE DE MONSIEUR PASCAL A MADAME DE SABLÉ SUR MONSIEUR MENJOT
Encore que je sois bien embarrassé je ne puis dif- férer davantage à vous rendre mille grâces de m'a- voir procuré la connoissance de Mr Menjot, car c'est à vous sans doute Madame que je la dois ; et comme je l'estimois desja beaucoup par les choses que ma sœur m'en avoit dittes, je ne puis vous dire avec combien de joye j'ay receu la grâce qu'il m'a voulu faire, il ne faut que lire son espistre pour voir com- bien il a d'esprit et de jugement ; et quoyque je ne sois pas capable d'entendre le fonds des matières qu'il traitte dans son livre je vous diray néanmoins madame que j'y ai beaucoup apris par la manière dont il acorde en peu de mots l'imaterialité de l'ame avec le pouvoir qu'a la matière d'altérer ses fonc- tions et de causer le délire1, j'ay bien de l'impatience d'avoir l'honneur de vous en entretenir.
(Pour Madame de Sablé.)
i. Voici ce que Menjot écrit sur ce sujet dans sa Dissertatio patho- logica de delirio in génère: « Mens... penitus obbrutescit in amenda; hebescit in fatuitate, corrumpitur in delirio. E limine difficultas gra- vissima venit enodanda, quo pacto ratio violari queat. Impium esset opinari delirii causas migrare in mentem, hancque corporeis telis atque ictibus esse vulnerabilem... Credendum ergo Rationem per se, ac instrument sui invaletudine utpote quod nullum sit, more caeterarum facultatum non laborare, sed accidentariô tantum et ob errorem
48 ŒUVRES
externum, id est objecti, scilicet phantasmatis culpâ .. Proindeque nonnisi per svmpathiam sensuum ceu exploratorum, testiumve infidelium Ratio offendit; ac eclipsin patitur non verè, sed per acci- dens, instar Solis deficientis non Lunae. Sicuti Duces sapientissimi multa temerè aggrediuntur falsô, nec opportune moniti, ita mens a phantasià hallucinante seducitur; excipit enim quod offertur, at offeruntur vitiosa. » (op. cit. p. 225-229).
CLXIV
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL A MADAME PERIER
24 mars 1661. Copie au deuxième recueil manuscrit du Père Guerrier, p. 2Ï\.
2e série. VII
:>i
LETTRE DE LA SŒUR
JACQUELINE DE SAINTE-EUPHEMIE PASCAL
A MADAME PER1ER, SA SŒUR
Gloire à Jésus au Très Saint Sacrement.
A Port-Royal d s Champs, ce i!\. Mars i66r. La retraite de ce temps1 peut bien m'empescher de vous faire une ample lettre, ma chère Sœur, mais elle ne peut pas me dispenser de vous escrire, puisque je n'ay rien à vous mander que de saint et des effets de la grâce de Dieu, dont il nous a donné les arrhes en un tel jour qu'aujourd'huy ; car vous sçavez que la guerison des corps n'est que comme un morceau, pour parler ainsi, qui nous promet infiniment plus que ce qu'il vaut. Cela commence à se trouver vray en deux manières, car au lieu que par cet espouvantable miracle il n'y a eu qu'une de vos filles guérie, nous avons sujet d'espérer que toutes les deux seront préservées de la corruption du monde. L'ainée2 a fort bien parlé à M. de Rebours ; et pour la jeune3, elle est si fervente que si cela continue on ne pourra pas se dispenser de la mettre au noviciat devant l'âge, si vous avez tous deux dessein de la donner à Dieu comme je le croy. Elle dit que son miracle est un privi- lège particulier, et en effet difficilement cela tirera-t-il à
i. Pâques tombait le 17 avril en 1661.
2. Jacqueline, née en i64/j.
3. Marguerite, née en i646, guérie en i656 par le miracle dont la lettre de Jacqueline Pascal rappelle l'anniversaire.
52 OEUVRES
conséquence. Et pour vostre fils aine1, il a esté trouver M. de S2... à qui il a déclaré son cœur, et luy a tesmoigné qu'il a un eloignement entier du monde et qu'il ne pense qu'à se donner à Dieu. M. S... fit tout ce qu'il put pour le tenter, jusques à luy dire que M. son Père estant si honneste homme et si grand justicier, ilyavoit tout sujet d'espérer qu'il l'imiteroit, et que ce n'estoit pas un service peu agréable à Dieu que de rendre bien la justice; tout cela ne l'ebranla point, et il le fut encore moins après ; car M. S... le voyant si ferme se mit de son costé, et le confirma autant qu'il put dans son dessein qui est fort bon, car sa veue est de se joindre à M. de Tillemont et à M. du Fossé3, qui sont deux aussi hon- nestes gens qu'il s'en puisse voir. M. S... m'a ordonné de vous mander cela nonobstant le Carême, pour vous réjouir tous deux, et vous porter à rendre grâces à Dieu, etc.
i. Etienne Perier, né en i6/(2.
2. Singlin.
3. Le Nain de Tillemont (1687-1698) et Thomas du Fossé (i634- 1698) étaient alors au château des Troux, non loin de Port-Royal des Champs.
CLXV
LETTRE DE BLAISE PASCAL A MADAME PERIER
date présumée : 1661
Lettre autographe, apud Victor Cousin : Études sur Pascal, 5e édition, Paris, Didier, 1857, p. 456.
LETTRE DE BLAISE PASCAL A MADAME PERIER, SA SŒUR1
Ma chère sœur,
Je ne croypas que ce soit tout de bon que tu sois faschée ; car si tu ne l'es que de ce que nous t'avons oubliée, tu ne dois point l'estre du tout. Je ne te dis point de nouvelles, parce que les générales le sont trop et les particulières le doivent toujours estre. J'en aurois beaucoup à te dire qui se passent dans un entier secret, mais je tiens inutile de te les man- der ; tout ce que je te prie est de mesler les actions de grâces aux prières que tu fais pour moy, et que je te prie de multiplier en ce temps. J'ay moy-mesme avec l'aide de Dieu porté ta lettre, afin qu'on la fist tenir à Madame de Maubuisson2. Ils m'ont donné un
i. Cette lettre, dont la trace a été perdue, a été publiée par Victor Cousin d'après l'autographe qui appartenait à la famille Hecquet d'Orval, descendant de Hecquet, le médecin janséniste du xvne siècle. Une annotation manuscrite, assez réce'te, portait : « M. Pascal entend ici ce qui se traitait à Paris dans les Assemblées qui s'y tenaient sur la signature du Formulaire. » L'indication nous paraît assez suspecte ; en 1661, Madame Perier demeurait à Paris avec ses enfants, et elle ne semble pas avoir été en Auvergne. Le ton même de Pascal semble- rait, d'autre part, fort peu convenir. Ne pourrait-on penser que cette lettre fait allusion aux progrès accomplis par Pascal en i654 dans la voie de la conversion ?
2. En 1661, l'abbesse de Maubuisson est Catherine Angélique d'Orléans. — Si la date de i654 était admise, Pascal désignerait peut- être ici la Mère Marie des Anges Suyreau, ancienne abbesse de Mau-
56 ŒUVRES
petit livre où j'ay trouvé cette sentence écrite à la main. Je ne sçay si elle est dans le petit livre des sentences1, mais elle est belle. On me presse telle- ment que je ne puis plus rien dire. Ne manque pas à tes jeudis. Adieu, ma chère.
A Mademoiselle Perier à Clermont (en Auvergne).
buisson, qui en i6/j8 revint comme simple religieuse à Port-Royal, fut nommée abbesse en novembre i654 et mourut en i658. L'année même de sa mort, elle avait été réélue abbesse, et à cette occa- sion la Relation àe la Mère Marie des Anges, p. 276, rapporte un propos de Jacqueline Pascal : « Quelques sœurs qui remarquoient ses actions virent une si extrême douleur dans la Mère quand on luy annonça qu'elle etoit continuée dans la charge d'Abbesse, qu'il leur sembloit, selon l'expression de quelques-unes et surtout de la sœur S. Euphemie, que c'etoit une criminelle à qui on avoit signifié sa sentence. »
1. En 1675 et en 1680 le duc de Luynes, sous le pseudonyme du sieur de Laval, publia deux livres intitulés : Sentences, Prières et Instructions Chrestiennes tirées de l'Ancien et du Nouveau Testament. — Sentences et Instructions Chrestiennes tirées des anciens Pères de l'Eglise. Ces livres, composés longtemps auparavant, avaient peut-être été déjà imprimés ou distribués en manuscrit (cf. supra T. VI, p. 2i5, n. 3).
CLXVI
EXTRAITS DE LETTRES D'ANTOINE ARNAULD
i5 avril 1661. Œuvres d'Arnauld, édition de Paris-Lausanne, T. I, pp. 233 et 23a.
INTRODUCTION
La correspondance d'Arnauld contient deux lettres du i5 avril 1661, intéressantes pour la vie intérieure de Port- Royal, et pour les rapports de Pascal avec les « Messieurs ». Il y est fait allusion à des contestations auxquelles celui-ci ne fut pas étranger et dont nous avons à faire connaître le détail.
Deux différends survinrent en effet vers cette époque entre Barcos et Singlin d'une part, Arnauld et Nicole de l'autre. La relation que nous reproduisons ici en fait l'historique; elle se trouve dans le 3e recueil manuscrit du Père Guerrier; elle a été publiée en grande partie par l'abbé Goujet, dans la Vie de S ngJin qui parut en 1736. Attribuée à tort par les éditeurs d'Arnauld à Marguerite Perier, elle ne peut être l'œuvre que d'un ami et d'un collaborateur immédiat de Nicole; elle a été écrite vers 169/i.
La première contestation entre les « Messieurs » eut lieu en novembre i65g; Pascal ne semble pas y avoir été mêlé. Mais il joua un rôle décisif dans la seconde, en intervenant vivement en faveur d'Arnauld. Il est malaisé de déterminer la date de cette nouvelle discussion, soulevée à propos d'un écrit que demandait à Singlin la duchesse de Longueville. La relation semble la reporter vers mai 1660. Mais, dans un des écrits qu'Arnauld compose à cette occasion, il parle du jugement porté sur Wendrock par les Théologiens de Bordeaux le 6 juin 1660; d'autre part, en 1660, Pascal séjourna en Auvergne, sans doute depuis avril jusqu'en août. Faut-il admettre avec les éditeurs d'Arnauld, qui s'appuient sur les Mémoires de Fontaine, que Mme de Longueville ne se mit sous la direction de Singlin qu'après sa sortie de Port-Royal, le 8 mai 1 661, et peut-être seulement au mois de septembre? ce
60 ŒUVRES
serait reporter la querelle au moment de toutes les discus- sions soulevées par le mandement des Grands vicaires : la date paraît bien invraisemblable. Nous penserions que tous les écrits dont il est question doivent être datés ou de la fin de 1660, ou plutôt du début de 1 66 1 ; les deux lettres écrites par Arnauld, le i5 avril 1661, pourraient bien en ce cas faire allusion à ces dissensions apaisées depuis peu.
Mémoire sur les contestations de Port-Royal1.
Je ne suis nullement déterminé à laisser aucun mémoire à la postérité de cette contestation, qu'on a eue avec M. l'abbé de Saint Cyran ni d'aucune autre, pour ce que je doute s'il n'est point meilleur d'en abolir absolument la mémoire; ainsi ma pensée est de n'en juger pas par moi-mesme et de laisser seulement ces écrits à des personnes de conscience et d'esprit, en me remettant à eux de résoudre, s'il est meilleur de les abolir entièrement, ou de les garder ou mesme de les publier.
Je ferai seulement ici une histoire abrégée de certains écrits, afin que ceux qui en jugeront, n'en ignorent pas entièrement le sujet.
Il arriva une fois que M. Singlin directeur des deux monas- tères du Port-Royal (l'un qui est aux Champs proche de Che- vreuse, l'autre qui est dans Paris au faubourg S1 Jacques) homme sage, spirituel et de bon sens, qui cherchoit Dieu véritablement, et qui gouvernoit la conscience non seulement des Religieuses, mais aussi celle de tous ceux qui estoient reti- rez à Port-Royal, et mesme de ceux qui s'appliquoient à écrire des matières ecclésiastiques, et mesme de M. Arnauld, allant un jour à P. R. des Champs de P. R. de Paris fut rencontré
1. Copie au troisième recueil manuscrit du Père Guerrier, Biblio- thèque Nationale, ms. f. fr. i()i3, p. 2o4, avec cette note : « Je n'ai trouvé que cette préface dans mon manuscrit ; les ouvrages dont il est parlé sont perdus, au moins ne les ai je pas encore pu trouver. J'ai copié cet écrit aussi bien que les précédents sur des mss. de la biblioth. des PP. de l'Orat. de Clermont. »
LETTRES D ARNAULD 61
[environ i658 ou i65g]i par M. le Marquis de Sourdis, sei- gneur de qualité qui le pria de monter dans son carosse en quittant une charrette où il estoit ; il le fit par civilité ; et leur entretien s'estant porté sur les matières du tems, dont la plus ordinaire etoit alors la dispute emuë sur les 5. proposi- tions que des Evoques de France avoient défini estre de Jan- senius, et que des théologiens soutenoient n'y estre pas, M. de Sourdis blâma les théologiens qui avoient soutenu qu'elles n'y estoient pas. M. Singlin dit que ces théologiens croyoient avoir de bonnes raisons sur cela. M. Sourdis s'olïrit de les convaincre qu'elles y estoient ellectivement. En effet il ne fut pas si tost à Paris qu'il fit un écrit de k- pages in folio rempli de passages de Jansenius, qu'il pretendoit contenir les 5. pro- positions, et l'envoya à M. Singlin.
Cet écrit fut apporté peu de jours après à P. R. des Chams, où M. Arnauld demeuroit avec M. Nicole. Il le donna à ce dernier, et le pria d'y repondre. Il le fit en peu de tems, et sa réponse2 fut approuvée par M. Arnauld, qui conclut à la donner à M. de Sourdis; mais ayant esté montrée à M. de Barcos abbé de S1 Gyran, il la condamna pour deux rai- sons. La première parce qu'il crut qu'on y oublioit le princi- pal moyen de défendre Jansenius ; la 2e parce qu'on defen- doit Jansenius comme conforme aux Thomistes, et de la mesme manière que l'autheur qui a pris le nom de Denis Raimond l'a fait ; et de plus parce qu'on y citoit rarement S* Augustin, ce qu'il jugeoit honteux à l'Eglise. M. Singlin qui avoit une déférence entière à l'authorité de M. de S. Gy- ran, ne doutant pas qu'il n'eut raison, luy repondit qu'il ne falloit point se servir de la réponse qu'on luy avoit fournie pour M. de Sourdis ; mais qu'il le prioit donc de le dégager
i. Addition ajoutée en note dans le manuscrit.
2. Cette réponse avait pour titre : Réponse au Mémoire d'une per- sonne de grande condition par lequel il prétend montrer que les V. Pro- positions sont dans Jansenius, 1 15 pages in-4° de grosse écriture; elle est demeurée manuscrite (note des éditeurs d' Arnauld, 1778, T. XXI, p. cxx). Cf. ibid. un résumé de cet écrit.
62 ŒUVRES
de cet embaras en faisant luy mesme une réponse telle qu'il jugeroit à propos. M. de S. Cyran trouvant cette demande raisonnable s'y rendit, fit une réponse en l'espace de 10. ou 12. jours; après quoy M. Singlin l'apporta à P. R. des Ghams pour la faire voir à M. Arnauld et à M. Nicole1.
Il crut de bonne foy qu'ils la trouveroient admirable, comme il l'avoit luy-mesme trouvée. Et en effet ils estoient très dis- posez à en juger ainsi, l'authorité de M. de S. Cyran n'estant encore en aucune sorte affoiblie dans leur esprit. Mais la lec- ture de cet écrit fit un très grand fracas dont je rapporteray icy quelques suites.
M. Nicole qui le vit le premier fut aussi celuy qui en fut le premier choqué.
Il estoit divisé en 2. parties, la première contenoit à peu près les mesmes choses qui sont refutées dans l'écrit auquel ce discours sert de préface. C'est-à-dire que M. de S. Cyran montroit que les propositions n'estoient pas dans Jansenius, parce qu'il n'avoit eu dessein que de rapporter historique- ment les sentimens de S. Augustin, et qu'ainsi il n'y avoit aucune proposition dogmatique dans son livre ; cette partie estoit divisée en 7. conclusions qui rouloient sur ce principe. Dans la 2. partie il passoit plus avant et entreprenoit de prou- ver par S. Augustin que les 5. propositions n'estoient point en effet contenues dans le livre de Jansenius.
Le jugement que M. Arnauld et M. Nicole avant luy firent de cet écrit est que la première partie qui estoit réduite comme j'ay dit à 7. conclusions dépendantes du mesme principe estoit toute fausse ; et que la seconde où il y avoit de bonnes choses ne laissoit pas d'estre dangereuse, parce que M. de S. Cyran n'avoit pas eu soin d'y éviter des propositions que les adver- saires accusent d'erreur, et de les exprimer dans les termes de S. x\ugustin, au lieu qu'estant exprimées d'une manière
1. Singlin envoya cet écrit à Saci le 22 novembre (ou octobre?) 1669 (cf. une lettre d'Arnauld à Singlin, OEavres d'Arnauld, T. XXII, p. 672).
LETTRES D'ARNAULD 63
scolastique, ils les jugent eux-mesmes orthodoxes, et c'est de quoy M. de S. Cyran retiré depuis longtems n'estoit pas assez instruit.
Ce jugement répandu dans P. R. parmi les religieuses et les ascètes y causa un grand scandale. On accusa M. Nicole d'avoir gâté l'esprit de M. Arnauld, de l'avoir rendu tout scolastique, de l'avoir éloigné de citer les Pères pour se défen- dre par lesscolastiques. Ce fut ce qui luy donna sujet de faire l'écrit intitulé Examen des deux méthodes1. Mais cet écrit ne suffit pas pour appaiser le scandale.
11 fit ensuite un autre écrit intitulé Difficultez qui conte- noit ce qu'il trouvoit à redire dans l'écrit de M. de S. Cyran, et cela dans l'intention de l'examiner en un autre tems lors qu'il ne pourroit avoir aucun soupçon que la passion l'eut pu éblouir dans le jugement qu'il a voit porté de l'écrit de M. de S. Cyran. Ces difficultez estoient au nombre de 29. et M. Arnauld les ayant vues les approuva toutes, et y en ajouta encore 20. autres de sorte qu'il s'en fit un écrit composé de 4q. difficultez2.
Le bruit de ce différent estant venu aux oreilles de M. Sin- glin, il crut qu'il devoit aller à P. R. des Champs pour y remédier et dans ce dessein il y mena avec luy un docteur de Sorbonne qui avoit autrefois enseigné la philosophie à Paris avec grand éclat3, et qui demeuroit depuis longtems avec M. de S. Cyran. C'estoit un homme d'une pieté eminente, et très édifiant dans toute sa conduite.
11 vint donc à P. R., y eut conférence avec M. Arnauld, et
1. Examen des deux méthodes qu'on peut prendre pour justifier Jan- senius, 48 p. in-4° ; cet écrit, demeuré manuscrit, est résumé dans l'édition des Œuvres d'Arnauld, T. XXI, p. cxxm.
1. Difficultez sur une Response de M. de Barcos abbé de S. Cyran, à un Ecrit de quatre pages de M. le Marquis de Sourdis, touchant les cinq Propositions. Cf. cet écrit dans les Œuvres d'Arnauld, T. XXII, p. 678.
3. « N'est-ce pas M. Bourgeois? » (note marginale du manuscrit). Il s'agit en réalité de Guillebert.
64 OEUVRES
comme on ne Je persuada pas dans la conférence de vive voix, on se réduisit à luv communiquer l'écrit des 4a. diffi- cultez, qui fut lu, examiné et condamné par 4- personnes, sçavoir M. [Guillebert], M. Singlin, M. de Sacy et M. du Mont frère de Messieurs Akakia, sur cette seule raison que si M. de S. Cvran avoit fait 4o- fautes dans un petit écrit, il ne seroit pas le plus habile homme de l'Eglise ; or qu'on ne pouvoit nier qu'il ne le fut, et par conséquent que les au- theurs de ces difficultez avoienttort.
M. Arnauld repondit que si de ces 4o- difficultez il y en avoit une de fausse, il les abandonnoit toutes, mais que si elles estoient toutes vraves cette réponse n'estoitpas raisonna- ble. Enfin jamais gens ne se persuadèrent moins les uns les autres. M. Arnauld et M. Nicole demeurèrent persuadez que M. de S. Cvran et ceux qui avoient approuvé son écrit avoient non seulement tort, mais évidemment tort, que cet écrit estoit insoutenable, et qu'il seroit jugé tel par tous les théologiens de l'Eglise. Et ces autres messieurs demeurèrent persuadez que M. Arnauld et M. Nicole s'estoient gâté l'esprit par la scholastique et comme on attribuoit cet effet à M. Ni- cole pour soulager M. Arnauld, il demeura odieux à plu- sieurs personnes, et ne s'en est jamais relevé à leur égard. Ce qui luy fit prendre la resolution de ne plus se mêler d'une querelle qu'il n'avoit point emuë, et à laquelle il n'estoit point obligé de prendre part. De sorte que depuis ce tems là il s'abstint autant qu'il put d'écrire sur les matières de la grâce, et il ne s'en dispensa que lors qu'on eut enfermé les religieuses de P. R. en divers monastères, et encore ne fut-ce que pour assez peu de tems. x\pres quoy il se sépara abso- lument de cet employ pour s'appliquer à d'autres matières.
On convint neantmoins pour satisfaire M. Arnauld qu'on ne donneroit à M. de Sourdis ny l'une ny l'autre de ces 2. réponses. Mais les menagemens que M. Singlin gardoit allèrent jusques à ne montrer point à M. de S. Cvran nv T écrit des Difficultez ny celuy de Y Examen des deux méthodes qui faisoient voir clairement les fausses mesures que M. de
LETTRES D'ARNAULD 65
S. Cyran prenoit pour la défense de Jansenius. Les choses en demeurèrent là environ 5. ou 6. mois pendant lesquels chacun demeura dans son sentiment, ceux que l'authorité de M. de S. Cyran entrainoit parlant assez librement au desa- vantage de M. Nicole, que l'on faisoit autheur de toute cette contrariété de sentimens, jusques là qu'un des ascètes luy dit un jour quily avoit deux cent personnes qui gemissoient de sa vanité ; et luy faisant depuis satisfaction de cette espèce d'em- portement, sa satisfaction consista à luy dire, que ce qu'il luy avoit dit estoit très vray, mais qu'il n'avoit pas dû le luy dire.
Quelques mois après il arriva un incident qui renouvella cette dispute, non plus avec M. Nicole (car il ne voulut plus s'en mêler aïant esté si mal traité la première fois qu'il n'a jamais voulu depuis avoir part dans aucune contestation avec M. de S. Cyran) mais entre M. Arnauld et M. de S. Cyran. En voicy le sujet.
Madame de Longueville se mit en ce temps là, c'est-à- dire en 1659. sous la direction de M. Singlin, et comme elle estoit très timide touchant la foy, elle luy demanda quelque éclaircissement sur cette dispute du fait de Jansenius. M. Sin- glin pensa incontinent qu'il ne falloit plus l'adresser à ces gens scolastiques, parce qu'ils ne sçavoient pas écrire d'une manière proportionnée aux gens du monde. C'estoit son im- pression ; ainsi il eut recours d'abord à M. de S. Cyran, comme beaucoup plus capable de traiter cette matière d'une manière plausible.
En effet M. de S. Cyran fit un assez gros écrit1 à sa ma- nière et cette manière fut de repeter 14. fois l'argument, que Jansenius, n'ayant avancé aucune proposition dogmatique ne pouvoit avoir avancé les 5. propositions ; et d'y joindre plu- sieurs autres prétentions, comme que le pape Alexandre
1. « Ecrit de 52 p. in-4° qui débute par La question dont on parle tant aujourd'hui touchant les V. Propositions de... » (note des éditeurs d'Arnauld).
2e série. VII 5
66 ŒUVRES
n'avoit point jugé du fait, et quil falloit le faire juger de nou- veau. Cet écrit avant que d'estre livré à celle à qui il estoit des- tiné fut montré en passant à M. Arnauld, sans presque luy en demander son sentiment. M. Arnauld y voïant tout ce qui l'avoit si fort choqué dans l'autre écrit, le desapprouva fort, mais n'osa s'y opposer. Ce fut M. Pascal, qui l'estant venu voir, et ayant appris le procédé de M. Singlin ne le put souf- frir, et résolut d'empêcher que cet écrit ne fut donné ; il alla voir pour cela Madame de Sablé qui en estoit la dépositaire, retira d'elle cet écrit, et remontra très fortement à M. Sin- glin, qu'ayant aussi peu d'intelligence dans ces matières qu'il en avoit, il n'avoit pu sans témérité donner dans une cause commune des écrits desapprouvez par des personnes plus intelligentes que luy dans ces matières. M. Singlin homme fort sage souffrit très patiemment cette remontrance d'un jeune homme qui avoit esté son pénitent1. Mais en estant tou- ché il fit remontrer à M. Arnauld qu'il falloit donc qu'il écrivit ses raisons afin qu'on les put examiner. M. Arnauld le fit2, mais si amplement que M. Singlin n'osa encore les donner à M. de S. Gyran ; et ainsi M. de S. Cyran ne les vit point. Au lieu de cela il pria M. Nicole de le venir voir ; il luy fit des plaintes de la longueur de ces écrits, et voulut à toute force qu'il entreprit de les réduire à 4- pages. M. Nicole
i . Le fils de Racine, dans les Diverses Particularités concernant P. R. recueillies par mon père de ses conversations avec M. Nicole, rapporte ainsi cette entrevue « ...M. Arnauld fit un écrit... M. de S1 Gyran fit une réponse... M. Pascal leva l'embarras : il prit le mémoire de M. de S. Gyran, alla trouver M. Singlin et luy dit que jamais il ne rendroit ce mémoire qu'il traita de ridicule. — M. Pascal étoit res- pecté parce qu'il parloit fortement, et M. Singlin se rendoit lors qu'on luy parloit avec force » (Cf. Racine, Abrégé de l'Histoire de Port- Royal, édition A. Gazier, p. 200).
2. Cet écrit a pour titre : Remarques sur un Ecrit composé par M. de Barcos, abbé de S. Cyran pour Madame la duchesse de Longueville (cf. OEuvres d'Arnauld, T. XXII, p. 7 10). A la fin de cet opuscule, Arnauld exprime la crainte que la tactique suivie lors de la 18e Provinciale ne soit ruinée.
LETTRES D'ARNAULD 67
luy remontra qu'il ne le pouvoit faire sans en oter toute la force ; que ce n'estoit pas assez aimer la vérité que de ne la pouvoir souffrir quand elle estoit étendue et dans sa force. Mais il fut contraint de contenter M. Singlin et réduisit ces preuves du grand écrit de M. Arnauld à 4- pages, et c'est à ces 4- pages que M. de S. Cyran entreprit de repondre dans l'écrit intitulé Réponse à ce qui est rapporté icy.
On jugea par cette réponse que sa prévention estoit irré- médiable, et que l'on perdoit le tems de contester avec luy. Ainsi M. Arnauld n'y repondit pas ; l'écrit demeura entre les mains de M. Nicole qui y fit une réplique qu'il supprima pour ne se pas commettre inutilement avec M. de S. Cyran. C'est cette réplique qu'on a transcrite ici environ 34- ans de- puis qu'elle a esté faite.
Cette contestation finit par la suppression de l'écrit fait pour madame de Longueville. Ensuite vinrent les conférences avec le P. Ferrier qui produisirent d'autres contestations entre M. Arnauld et M. de S. Cyran, entre autres une sur la signification du mot subjicimus ; une autre sur la signature des constitutions d'Innocent X. et d'Alexandre VII. que M. de S. Cyran conseilloit. Il se fit de part et d'autre divers écrits, où M. Nicole ne voulut avoir aucune part, pour ne pas s'attirer M. de S. Cyran sur les bras.
L'écrit que fit M. Arnauld sur la signature des constitu- tions pour repondre à un écrit de M. de S. Cyran est très beau et il est entre les mains de M. [un blanc au ms.] avec tous ceux qui ont esté faits pour Madame de Longueville. M. de S. Cyran repondit depuis à ces écrits de M. Arnauld, et mit cette réponse entre les mains de Messieurs Akakia qui le [sic] montrè- rent à diverses personnes. On ne doit pas s'étonner que M. Arnauld n'y ait point repondu, car il ne l'a point vu, et ne l'a pas voulu voir. Je scay bien qu'en ayant lu une partie je l'ay trouvé très aigre et qu'il me parut que M. Arnauld s'en seroit démêlé très facilement. Il estoit entre autres tout fondé sur le principe qu'il y a un langage de l'Eglise dans les signatures tout différent du langage commun, que les en-
68 ŒUVRES
fans de l'Eglise le doivent sçavoir et qu'ils estoient obligez de parler à l'Eglise ce langage, quoy qu'il parût faux selon le lan- gage commun. A quoy il estoit ce me semble facile de repon- dre que ce langage extraordinaire de l'Eglise estoit peu prouvé et peu connu, mais que quand cela seroit vray, si les choses estoient venues en un état auquel ce langage porteroit une fausse idée dans l'esprit de la pluspart du monde, on ne pourroit obliger les gens à s'en servir, sans l'expliquer, ou sans que l'Eglise en eut expliqué le sens.
Les écrits qui suivent cette préface sont :
i. Examen des deux méthodes qu'on peut prendre pour justifier Jansenius. Il contient 48. pages.
2. Réponse de M. de S. Cyran à des difficultez qu'on luy avoit envoyées par ordre de M. Singlin.
Gela est entremêlé par articles des répliques faites par M. Nicole à cette réponse, et le tout contient 26. pages. L'écrit de M. Nicole estoit sous le nom de Constant.
3. Réflexions sur l'écrit pour la justification de M. Janse- nius eveque d'Ypres. Gela est de M. Arnauld et contient 6. pages.
4. Ecrit de M. Nicole à la prière de M. Arnauld pour ser- vir de réponse aux preuves de M. de Sourdis envoyé à M. Singlin. Cet écrit fut fait sous le nom de Constant. On m'en a fait voir il\. pages écrites de ma main ; il faut qu'il y ait plus de 3o. ans. Je ne scay pas encore où en est la suite. M. Nicole y a mis récemment, si je ne me trompe, un aver- tissement aux termes suivans :
Avertissement.
Cet écrit est le commencement de la réponse que le sieur Constant fit à M. de Sourdis par ordre de M. Singlin. Mais la première partie n'y estoit pas quand il fut vu et con- damné par M. de S. Cyran. Il l'y a depuis ajoutée ad duri- tiam cordis afin qu'on ne dit plus que l'on n'y parloit point de S. Augustin ; mais on en parle d'une manière fort diffé- rente de celle dont on se sert ordinairement en alléguant les
LETTRES D'ARNAULD 69
passages de ce S. Docteur. On prouve que Jansenius est con- forme aux expressions de S. Augustin et l'on en conclud, non qu'on ne peut condamner Jansenius, mais qu'on ne le peut condamner sans avoir des preuves qu'il ait pris ces expressions qui luysont communes avec S. Augustin, ce qui est bien conclu.
I
EXTRAIT D'UNE LETTRE D'ARNAULD A X***
[i5. Avril 1661.] .... Je vous suis bien obligé de ce que vous avez eu la bonté de faire pour lever les petits sujets de mécontente- ment qu'on avoit pris de nostre conduite. . . Mais ayant com- mencé à vous ouvrir mon cœur, je ne vous puis cacher que je suis fort blessé d'un nouveau sujet de plainte qu'on a pris, sur la chose du monde la plus innocente. Nous entretenant avec M.* sur les violences qu'on pourroit faire, il nous vint en pensée que ce n'estoit pas une chose impos- sible, que si l'on avoit changé les personnes qui sont au- dehors à P.-R-, et peut-estre mesme la Supérieure, on n'arretast la pension qu'elles me doivent ; d'où nous con- clusmes qu'il ne seroit pas inutile de voir si on ne pour- roit point prendre quelque précaution contre une violence semblable. Et ainsi je priay M. Pascal d'en parler à M. Singlin, ce qu'il fit; et il en parla aussi à ma nièce, qui trouva cette pensée fort bonne. Je ne sçay mesme si on ne vous en a point parlé. Car je ne sçaurois dire si vous estiez encore à Paris lorsqu'il fut à Port-Royal pour cela. Mais il est vray que M. Singlin ne trouva pas cette pré- caution nécessaire, ne croyant pas qu'on en pust jamais venir là. Mais comme les gens d'affaires sont plus intelli- gens dans ces choses, M. Pascal crut que M. Gallois1 estant aussi homme de bien et aussi lié à Port-Royal qu'il est, il ne pouvoit manquer de luy en parler, ce qu'il fit ; et
1 . Sur ce notaire et sur cette question, cf. les Mémoires de Fontaine, T. II, p. 187 sqq.
LETTRES D ARNAULD 71
M. Gallois témoigna que cette précaution luy paroissoit raisonnable. Voilà dans la vérité comment la chose s'est passée. Je n'ay jamais vu et je ne vois pas encore que j'eusse sujet d'appréhender qu'on ne se blessast de ce pro- cédé. Cependant M. Singlin m'en fit faire hier des plaintes par M. de Beaupuys; et tout ce que j'en ay pu compren- dre est, qu'il a trouvé mauvais que j'aie dit à M. Pascal ce qu'il auroit trouvé bon que j'eusse dit à M. Akakia1. Or je vous avoue que cela ne m'entre point dans l'esprit, et que je suis horriblement choqué, pour vous dire les choses comme elles sont, du traitement que l'on fait en cela à M. Pascal, après toutes les bontez qu'il a eues et qu'il a encore pour la maison, de vouloir qu'on ait pour luy des reserves en des affaires mesme purement extérieures, qu'on ne prétend pas qu'on doive avoir pour M. Akakia. Je n'en- tens point tous ces mystères, et je croirois blesser la cha- rité et l'amitié chrétienne, si j'estois dans ces pensées de cachette et de défiance en ce qui me regarde, et non les secrets des autres. J'en ay écrit à M. Singlin avec toute la douceur qu'il m'a esté possible. Mais pour vous, j'ay cru que vous deviez sçavoir tout ce que j'ay dans le cœur, et je ne trouveray point mauvais que vous me disiez franche- ment si fay eu tort d'avoir parlé à M. Pascal de cette affaire. Je suis tout à vous. J'ay pensé que je devois vous envoyer la copie de la lettre que j'ay écrite à M. Singlin. Je vous prie de me la renvoyer quand vous l'aurez lue. Il me fâche bien d'avoir esté réduit à tant écrire en ce jour, mais j'ay cru que la charité m'y obligeoit, et que je ne devois pas différer plus long tems à remédier à ce qui pou- voit avoir blessé M. Singlin.
t Siméon du Plcssis Akakia s'occupait des affaires de Port-Royal.
72
II
EXTRAIT D'UNE LETTRE D'ARNAULD A SINGLIN
[i5. Avril 1661.]
....Pour la lettre à laquelle vous vous étonnez que je n'aie pas repondu, je ne vous dissimuleray point que ce qui m'en a empesché, a esté le trouble où elle m'a mis, ne pouvant d'une part l'attribuer qu'à un effet de la cha- rité que Dieu vous a donnée pour moy, et ne pouvant de l'autre me persuader que ny ma conduite, ny celle de M. N. fussent aussi reprehensibles que vous les représentez. Ainsi ne croyant pas vous devoir parler qu'avec toute sorte de sincérité, je n'ay pu trouver le moyen de le faire en cette rencontre, parce que je ne me sentois pas disposé à reconnoistre que nous eussions tant de tort, et que je craignois d'entrer en de nouvelles justifications, dans l'ap- préhension que j'avois, qu'estant prises encore pour des contestations, elles ne servissent plutost à aigrir les cho- ses qu'à les adoucir. Mais de plus m'ayant marqué expres- sément que je pouvois ouvrir mon cœur à M. d'Andilly, et l'ayant fait en partie le jour mesme que je receus vostre lettre, je m'estois imaginé que m'ayant promis de vous entretenir de ce que je luy avois dit, cela valoit bien une réponse ; et l'assurance qu'il m'a donnée depuis par divers billets, qu'il vous avoit parlé, et que ce n'avoit esté que faute de se voir et de se pouvoir eclaircir de vive voix, que toute cette petite mésintelligence estoit arrivée, m'avoit un peu remis l'esprit en repos.
LETTRES D ARNAULD 73
Mais je vous avoue que la nouvelle plainte que M. de Beaupuys me fît hier de vostre part, touchant ce qui a esté dit à M. Gallois, m'a rejette dans une nouvelle peine, estant impossible que je ne sois pas dans une gêne conti- nuelle, et dans la crainte de blesser les personnes pour qui j'ay le plus de respect, par des actions si innocentes, qu'il n'y a rien que je ne pusse penser plustost que de me figu- rer qu'on en pût estre offensé. Il faut donner des combats pour se voir en deux mois une fois, et encore plus pour aller à P. R. Et il est vray que je me rebute à demander ce que je vois qu'on ne m'accorde qu'avec tant de peine. Je ne puis donc proposer les choses par moy-mesme ; et il est fort importun de faire par escrit des propositions, sur lesquelles il faut s'entretenir pour se bien entendre. Ainsi j'ay cru que je le pouvois faire par l'entremise de ceux qui me viennent voir. Et comme il n'y vient personne qui ne soit dans la dernière confiance avec nous, il ne m'est jamais venu en la pensée de mettre entr'eux aucune différence en ce qui regarde des affaires extérieures, telle qu'est celle dont on a parlé à M. Gallois. C'est pourquoy je ne puis encore trouver de raison pourquoy on se soit plustost blessé de ce que j'en ay parlé à M. Pascal, que si j'en avois parlé à M. Akakia ; et je ne vois pas aussi ce qu'on peut trouver à redire en la manière dont M. Pascal a agi dans cette affaire. Il en a esté parler à P. R. selon que je l'en avois prié. N'ayant pu vous voir le premier, il en a parlé à ma nièce, qui entra tout-à-fait dans cette propo- sition; et vous en ayant parlé depuis, il est vray que vous luy temoignastes que ce qu'on craignoit ne vous sembloit pas à appréhender. Mais comme il s'agissoit d'une chose où les gens d'affaire sont plus intelligens, il crut que M. Gal- lois, estant aussi homme de bien et aussi lié à la maison qu'il est, il ne pouvoit faillir en luy en parlant, et j'ay sceu
74 ŒUVRES
que M. Gallois avait Irouvé la proposition fort raisonnable, et qu'il s'estoit étonné qu'on n'y eust pas pensé plus- tost. Si c'est là un sujet de s'offenser de mon procédé, il faut que je sois dans une continuelle inquiétude, et une continuelle appréhension que l'on ne se blesse de ce que je feray le plus simplement.... Mais ce qui me touche est de voir qu'on se soit choqué de ce que j'en ay fait dire par une personne qui ne mérite pas, ce me semble, qu'on la mette au rang de celles à qui il ne seroit pas bon de communiquer ces sortes d'affaires, et que je m'es- tois imaginé estre propre à parler d'une chose qu'il eust esté assez difficile d'expliquer par lettres. Si j'ay fait en cela une faute, elle m'est tout-à-fait cachée, et je prie Dieu que je n'en fasse jamais de plus grande. J'agis fort sim- plement, et je voudrois que tout le monde agit de mesme, ne croyant point que l'amitié chrétienne demande tant de reserve et tant d'égards. Si je me trompe en cela, j'espère que Dieu éclairera mes ténèbres, et sur-tout qu'il ne souf- frira point que de si petits sujets altèrent en rien l'union qu'il a mise entre nous, et que je suis résolu à conserver aux dépens de tout ce que j'aurois de plus cher en cette vie.
CLXVII
ORDONNANCE
DES VICAIRES GÉNÉRAUX
POUR LA SIGNATURE DU FORMULAIRE
ATTRIBUÉE A BLAISE PASCAL 8 juin 1661.
Ordonnance in-f° affichée en 1661.
77
INTRODUCTION
I. — LA SOUSCRIPTION DU FORMULAIRE
Depuis la séparation de l'Assemblée du Clergé, on n'avait plus guère parlé du formulaire, dressé le 17 mars 1657 (cf. supra T. Vil, p. 4). Mazarin, après avoir obtenu l'enre- gistrement de la bulle, le 19 décembre de la même année (cf. supra T. VII, p. 221) n'avait pas paru se préoccuper davantage de la question des signatures. La plupart des évêques n'avaient pas tenu compte des prescriptions arrêtées en commun; Hermant pouvait écrire à Arnauld le 19 mai i658 : « Ceux qui ont voulu faire passer l'Assemblée du Clergé pour un Concile national quand ils estoient à Paris avec les autres ne font rien eux-mesmes dans leurs diocèses de ce qu'ils avoient résolu. » En juillet 1659, quatre ou cinq pré- lats tout au plus avaient demandé des signatures dans leurs diocèses ; le général de l'Oratoire avait fait souscrire les mem- bres de son ordre ; mais seuls quelques chanoines de Beauvais, malgré la protection déclarée de leur évêque et les arrêts du Parlement, furent pour ce motif persécutés et privés de leurs prébendes.
La question fut reprise au début de 1660 dans les Assem- blées Provinciales préparatoires à l'Assemblée générale du Clergé. L'archevêque de Rouen notamment, jusque-là pour- tant favorable aux Jansénistes, se montra très ardent, et il prit la résolution de faire signer le formulaire dans son dio- cèse. Sous son inspiration, l'Assemblée, réunie à Pontoise à la fin de mai et transférée le 23 septembre à Paris, délibéra aussitôt sur ce sujet. Le roi d'ailleurs exigeait que l'on prît des mesures énergiques ; le i3 décembre, faisant pour la première fois acte d'autorité personnelle, il convoqua chez Mazarin malade les trois présidents de l'Assemblée et leur fit savoir que sa conscience, le soin de son honneur et du bien
78 ŒUVRES
de l'État l'obligeaient à exterminer le Jansénisme. L'arche- vêque de Rouen désigna aussitôt douze commissaires ; le 10 janvier 1661, l'archevêque de Toulouse, Marca, lut son rapport à l'Assemblée ; le Ier février, on acheva de voter les quinze articles du règlement préparé : tous les ecclésiastiques et maîtres d'école du royaume devront souscrire le formu- laire de i656, sous peine d'être taxés d'hérésie et châtiés; les évêques devront signer et faire signer en diligence la for- mule et, s'il y a lieu, une rétractation des écrits publiés; ils devront rendre compte de ce qu'ils auront fait à l'As- semblée qui transmettra au roi les avis reçus. Des peines rigoureuses étaient prévues contre les réfractaires. Le roi en outre était prié d'interdire les appels comme d'abus, de dis- soudre les communautés ou écoles où l'on enseignait la doctrine du Jansénisme, et de faire supprimer tous les écrits suspects de favoriser la doctrine. Enfin toute personne était contrainte de dénoncer secrètement aux évêques ce qui, à sa connaissance, aurait été dit ou fait au préjudice des Consti- tutions. L'Assemblée rédigea une ordonnance à laquelle tous les évêques devaient se conformer pour publier ces décisions. Toutes ces résolutions furent transmises au roi, lorsque, après la mort de Mazarin (9 mars 1661), il administra direc- tement les affaires d'après les délibérations des quatre mem- bres de son Conseil de conscience (le grand aumônier, Marca, Péréfixe et le Père Annat) ; il fit sanctionner par un arrêt du Conseil d'État du i3 avril et par des lettres de cachet envoyées aux évêques tout ce qui avait été fait. La première de ces lettres fut adressée à la Faculté de Théologie qui, le 2 mai, décida de souscrire le formulaire dressé.
II. — ATTITUDE D'ARNAULD ET DE SES AMIS
Port-Royal s'attendait aux plus rudes persécutions; l'année précédente, les quelques élèves des Petites Écoles du Chesnay et des Troux avaient été dispersés ; le 7 avril 1 66 1 , de Bernières devait partir en exil, et Taignier l'infatigable agent des Jan-
ORDONNANCE DES VICAIRES GÉNÉRAUX. 79
senistes était contraint de se cacher ; le 23, le lieutenant-civil allait porter à l'abbesse de Port-Royal l'ordre de renvoyer toutes les pensionnaires et postulantes des deux maisons, au nom- bre de près de soixante-dix ; peu après il revenait exiger que l'on enlevât le voile à sept novices qui venaient de le rece- voir. On semblait interdire au monastère de se recruter dans l'avenir ; c'était la ruine décidée, contre laquelle la Mère Agnès proteste avec douleur dans une lettre qu'elle écrit au roi; le 17 mai, en violation des privilèges octroyés à l'abbaye, Singlin était remplacé comme directeur et réduit lui aussi à s'éloigner en secret, pour éviter une lettre de cachet. Depuis ï658, Arnauld avait pour ainsi dire été contraint par ses amis au silence ; mais quand il vit que cette attitude n'avait point été utile, que Port-Royal n'en était pas moins condamné, que les persécutions allaient atteindre tous les ecclésiastiques, et surtout que quelques-uns faiblissaient, il reprit la plume, rédigea plusieurs Mémoires pour les évêques, revit et augmenta le livre de Denis Raymond, fit paraître des Difficultés proposées à l'Assemblée du Clergé et à la Faculté de Théologie. On envisagea ensuite la situation dans laquelle allaient se trouver ceux à qui le formulaire serait présenté. Déjà l'évêque d'Orléans, sur la fermeté de qui l'on comptait, avait, l'un des premiers, exécuté les ordres de l'Assemblée, et tous les ecclésiastiques de son diocèse avaient signé. Déjà même quelques amis de la première heure, et qui avaient été frap- pés depuis longtemps, Duhamel, curé de S'-Merry, Sainte- Beuve, professeur de Sorbonne, le Père Séguenot, de l'Ora- toire, avaient signé ; leur attitude remplissait de douleur les Jansénistes. Arnauld et tous ses amis étaient unanimement opposés à une signature pure et simple, les lettres nom- breuses qu'ils écrivirent alors, d'avril à juin, en font foi. Ils voulurent aussi réfuter publiquement les <x donneurs de con- seils affaiblissants». Le 6 juin 1661, Arnauld termina un long opuscule intitulé : De la Signature du Formulaire, où Von montre : I. Que ceux qui ne croyenl point le fait de Jansenius contenu dans le Formulaire, ne peuvent le signer sans restric-
80 ŒUVRES
tions. II. Qu'on n'est point obligé de croire? ce fait. III. Qu'on ne peut empescher sans injustice la distinction du droit et du fait dans la signature du Formulaire. Pour servir d'Apologie à ceux qui refusent de signer le Formulaire sans restriction.
Mais si tous s'accordaient à refuser une signature pure et simple, la plupart d'entre eux, et Arnauld en particulier, acceptaient de souscrire un mandement avec restriction. Dès le 27 mai, Arnauld écrivait à Hermant qu'il s'était resigné à ce un mandement où on declarast nettement et clairement qu'on ne demande la signature du formulaire que pour ce qui regarde la foy et qu'on se contente pour le fait du silence res- pectueux ». Le 6 juin, il écrivait dans la préface de l'opus- cule cité plus haut : « Il faut observer avant toutes choses, que, lors que, dans cet Ecrit, l'on parle contre ceux qui ne crovant pas le point de fait contenu dans le Formulaire, ne laissent pas de le signer, l'on n'entend que ceux qui le signent sans explication ny restriction. Et par cette expli- cation, l'on entend celle qui seroit marquée par l'Evesque qui, proposant le Formulaire à signer tel qu'il est distingue- roit dans son mandement ou dans quelque autre acte public et écrit le droit d'avec le fait, en déclarant expressément qu'il demande la créance sur le droit, et le respect deu au Pape sur
le fait Et par la restriction, l'on entend celle qui seroit
faite par ceux ausquels le Formulaire seroit proposé tel qu'il est, sans qu'il y eust d'explication ou distinction expresse, faite par l'Eveque, et qui en signant ajouteroient quelque clause, par laquelle ils temoigneroient, qu'ils croyent et re- connoissent que les cinq Propositions sont hérétiques ; mais non pas qu'elles soient contenues dans le livre de Jansenius, ny que cet auteur en ait enseigné le sens condamné »
III. — LE MANDEMENT DES GRANDS-VICAIRES
On espérait bien alors obtenir un mandement favorable des Grands-vicaires de Paris. Tout le monde en effet avait les yeux tournés de leur côté ; l'Assemblée du Clergé les soupçonnait de n'être pas hostiles aux Jansénistes, et le
ORDONNANCE DES VICAIRES GÉNÉRAUX 81
roi était préoccupé au plus haut point de l'attitude du cardi- nal de Retz, l'archevêque fugitif. De leur côté, les Grands- vicaires qui avaient été en conflit avec l'Assemblée à propos de la traduction française du missel, — approuvée par eux et qu'elle avait censurée, — ne se pressaient pas de donner l'exemple de l'obéissance aux injonctions des évêques. Enfin, le 8 juin, ils achevèrent un mandement prescrivant de signer le formulaire, mais établissant aussi la distinction désirée entre le droit et le fait. Cette ordonnance fut publiée le 19 juin.
Ce premier mandement avait été concerté et rédigé par les « Messieurs » de Port-Royal. Arnauld reconnut plus tard, dans un mémoire secret adressé aux religieuses de Port-Royal en octobre 1668, « que l'on [c'est-à-dire : lai et ses amis] l'avoit fait, approuvé et soutenu». Il a même été dit que Pascal l'avoit rédigé. Le recueil d'Utrecht de 1740 écrit, p. 3n : « on croit que M. Paschal l'a dressé ». Le catalogue de Fouillou note en marge: « Pascal », comme il le fait d'ailleurs aussi pour la Déclaration signée par les Curés de Paris le 20 juillet, pièce très courte qu'il est bien difficile d'attribuer à Pascal ou même àArnauld. Clémencetdonnedesindicationssemblables. D'autre part, quand Jacqueline écrit à Arnauld le 23 juin, en parlant d'un écrit qu'elle lui adresse (infra p. 1 14) ' « vous verrez, mon Père, bien fulminer contre ce qui a esté fait ; il m'a semblé, outre qu'en ces matières chacun abonde en son sens et appuie ses raisons comme il peut, que je le pouvois faire plus li- brement qu'un autre à cause de celuy qui y a eu bonne part. Je suis dans une joye incroyable de son zèle, et je croy après tout, que c'est Dieu qui le luy a fait faire pour mettre en seureté la conscience d'une infinité de personnes — », — et
elle ajoute : « ma sœur est capable de voir [ces lettres] et
peut-estre mon frère, s'il se porte bien », — il semble que l'allusion ne peut convenir qu'à ce frère à qui elle vou- drait épargner, s'il est malade, la douleur de lire une protes- tation « fulminante ».
Il ?rfct>
82
Ordonnance de Messieurs les Vicaires Généraux de Monseigneur l'Emiinentissime et Reveren- dissime Cardinal de Retz, Archevesque de Paris.
Pour la signature du Formulaire de Foy, dressé en exécution des Constitutions de nos SS. Pères les Papes Innocent X. et Alexandre VIL
Jean Baptiste de Contes, Prestre, Docteur es Droits, Doyen de l'Eglise Métropolitaine de Paris, Conseiller ordi- naire du Roy en ses Conseils d'Estat et Privé, et Alexan- dre de Hodencq, aussi Prestre Docteur en Théologie de la Société de Sorbonne, Curé, et Archiprestre de S. Seve- rin, Conseiller du Roy en sesdits Conseils, Vicaires Géné- raux de Monseigneur rEminentissime et Reverendissime Cardinal de Retz, Archevesque de Paris. A tous ceux qui ces présentes Lettres verront ; Salut en nostre Seigneur. Comme il est impossible de plaire à Dieu sans la Foy, et de vivre de la vie d'un véritable Chrestien sans cette vertu, qui est le fondement de ce qu'on espère, et la démonstra- tion des choses qu'on ne voit pas : Aussi est-il très-im- portant que les Prélats de l'Eglise veillent de telle sorte sur ceux que Dieu a commis à leur conduite, que cette Foy de laquelle ils sont les principaux dépositaires ne puisse estre aucunement altérée par des contentions de doctrine, qui souvent ne blessent pas moins la Foy qu'elles détruisent la charité; Laquelle, comme dit S. Paul, est la fin du précepte, et procède d'un cœur pur, d'une bonne conscience, et d'une Foy non feinte, adjoûtant que ceux
ORDONNANCE DES VICAIRES GÉNÉRAUX 83
qui s'en départent s'emportent à des discours de vanité, et des questions inutiles, qui ne produisent que des que- relles, de l'envie, de la médisance et des mauvais soup- çons : Et quand il arrive de telles contentions dans l'Eglise, il n'est pas moins du devoir Episcopal d'en arrester le cours de bonne heure, et reprimer la témérité de ceux qui en sont les autheurs, ou qui entreprennent de les sou- tenir, qu'il est de la pieté et charité chrestienne de tascher par tous moyens de les réunir en un mesme esprit dans le centre de l'unité Catholique, qui est l'Eglise Romaine. C'est ce que le Pape Innocent X. d'heureuse mémoire a voulu faire au sujet des cinq Propositions concernant la matière de la Grâce, qui luy avoient esté présentées de la part de plusieurs Evesques de France, par sa Constitution du dernier May i653. après la publication de laquelle Nous espérions que chacun demeureroit dans le respect et la soumission deuë au S. Siège; Et que toutes ces conten- tions et disputes touchant lesdites Propositions cesseroient. Mais le malin esprit qui envie toujours la paix de l'Eglise, et s'efforce d'y entretenir la division a renouvelé ces dis- putes : Et quoy qu'il ne s'agist du temps d'iNNocENT X. que de sçavoir si lesdites Propositions estoient véritables et Catholiques, ou si elles estoient fausses et hérétiques ; Et que ce Pape les ayant condamnées comme hérétiques, il n'y eust plus rien à désirer, et que chacun dust se sou- mettre à la décision qu'il en avoit faitte par sadite Cons- titution. Néanmoins on auroit meû une autre question de fait, et prétendu que ces Propositions n'estoient pas de Cornélius Jansenius Evesque dYpre, et n'avoient point esté condamnées au sens de cet Autheur; Ce qui ayant de nouveau troublé la tranquilité de l'Eglise auroit donné sujet à N. S. P. Alexandre VIL de prononcer sur cette question par sa Bulle du 16. Octobre i656. Laquelle nous
84 ŒUVRES
aurions fait publier en cette ville et dioceze de Paris par nostre Mandement du douzième Avril 1657. Et ordonné de la recevoir avec tout l'honneur et révérence qui est deue au S. Siège Apostolique, et de l'observer de point en point selon sa forme et teneur sous les peines y portées ; Ce qui eust deii entièrement calmer les esprits. Néanmoins le contraire est arrivé, et les disputes ont continué comme auparavant, ce qui a obligé le Roy par sa pieté accous- tumée, et le zèle qu'il a pour procurer et maintenir la paix et l'union dans l'Eglise ainsi que dans son Estât, de dési- rer que Messieurs les Evesques advisassent entr'eux à trou- ver des moyens convenables pour faire cesser toutes ces divisions, et restablir la paix en l'Eglise sur le sujet des- dites cinq Propositions. A quoy lesdits Sieurs Evesques ayant travaillé, et proposé à sa Majesté de faire signer un Formulaire de profession de Foy ; Sa Majesté auroit iceluy authorisé par Arrest de son Conseil d'Estat du treizième du mois d'Avril dernier; Et nous auroit fait l'honneur de nous escrire le vingtième du mesme mois, et exhorté de nous conformer à ce moyen proposé. A ces causes, Desi- rans satisfaire aux bonnes intentions de sa Majesté, et contribuer autant qu'il nous est possible à ses pieux et louables desseins, Nous avons ordonné et ordonnons par ces Présentes que ledit Formulaire cy-apres transcrit sera signé par tous les Doyens, Chanoines, Chapitres, Abbez, Prieurs, Convents, Communautez Séculières et Réguliè- res, Monastères de Religieux et Religieuses, Curez, Vi- caires, Prestres, Habituez, Beneficiers et généralement de tous Ecclésiastiques, Principaux des Collèges, Docteurs, Régents, Professeurs et Maistres d'Escoles de cette Ville, Faux- bourgs et Diocèse de Paris, soy-disans exemts et non exemts, ou de nul Diocèse; et ceux qui composent lesdits corps Ecclésiastiques Séculiers ou Réguliers, feront
ORDONNANCE DES VICAIRES GÉNÉRAUX 85
mettre sur leur Registre nostre présente Ordonnance, et ledit Formulaire, et y souscriront, et nous rapporteront un acte original et authentique de leurs soubscriptions au bas des Présentes, dans quinze jours après la publication et signification d'icelles. Et quant aux autres particuliers Ecclésiastiques qui ne font Corps ou Communauté, et autres cy-dessus exprimez; Ils viendront signer dans ledit temps au Secrétariat de l'Archevesché de Paris, autrement à faute de ce faire et ledit temps passé, sera procédé contr'eux par les voyes de droit, conformément auxdites Constitu- tions et Arrest, sans néanmoins que par ledit Formulaire et la signature d'iceluy il soit innové ausdites Constitu- tions ; Et pour oster tout prétexte de dispute et de conten- tion à Fadvenir sur ces questions, et tâcher par toutes voyes de réunir les esprits : Nous ordonnons et enjoi- gnons qu'à l'égard mesme des faits décidez par lesdites Constitutions et contenus audit Formulaire, tous demeu- rent dans le respect entier et sincère qui est deû ausdites Constitutions, sans prescher, escrire et disputer au con- traire, et que la signature que chacun fera dudit Formu- laire en soit un témoignage, promesse et asseurance publi- que et inviolable, par laquelle ils s'y engagent, comme de leur croyance pour la décision de Foy, après laquelle signa- ture, la foy de chacun estant reconnue, Nous faisons très expresses inhibitions et défenses à tous les Diocezains de Mondit Seigneur l'Archevesque, sous peine d'Excommu- nication de se diffamer l'un l'autre du nom de Janséniste et de Semipelagien ; Et leur enjoignons de Nous advertir de ce qu'ils sçauront avoir esté dit ou fait au préjudice des- dites Constitutions et de nostre présente Ordonnance, pour y estre pourveu ainsi que de raison. Si mandons à l'Archi- prestre de sainte Marie Magdelaine, aux Doyens ruraux de ce Diocèse, au premier Prestre ou Appariteur sur ce
86 ŒUVRES
requis, que ces Présentes ils signifient à tous Doyens, Cha- noines..., à ce qu'ils n'en prétendent cause d'ignorance, et ayent à y satisfaire dans le temps y porté sous lesdites peines, de ce faire leur donnons pouvoir. Et seront les Présentes publiées au Prône des Messes Parroissiales, et affichées aux Portes des Eglises, et ailleurs où besoin sera. Donné à Paris sous le Sceau des Armes de Mondit Sei- gneur l'Archevesque, le huitième jour de Juin mille six cent soixante-un. Signé, de Contes, et de Hodencq.
Ensuit ledit Formulaire.
Je me soumets sincèrement à la Constitution du Pape Innocent X. du 3i . May i653. selon son véritable sens, qui a esté déterminé par la Constitution de nostre saint-Pere le Pape Alexandre VIL du 16. Octobre 1606. Je reconnois que je suis obligé en conscience d'obéïr à ces Constitutions : Et je condamne de cœur et de bouche la doctrine des cinq Propositions de Cornélius Jansenius, contenues dans son Livre intitulé Augustinus, que ces deux Papes et les Eves- ques ont condamnées ; laquelle doctrine n'est point celle de saint Augustin, que Jansenius a mal expliquée contre le vray sens de ce saint Docteur (Signé.) Baudouyn.
CLXVIII
LETTRE
DE JACQUELINE PASCAL
A MESDEMOISELLES PERIER
17 juin 1661 . Copie au premier recueil manuscrit du Père Guerrier, p. 390.
INTRODUCTION
Au temps où Port-Royal se sentit à nouveau menacé, la Mère Angélique écrivit souvent à la prieure et à la sous- prieure du monastère des Champs. Les lettres que nous pu- blions ci-dessous, avant celle que Jacqueline Pascal adresse à ses nièces, sont données d'après le ms. 17792, p. 388 sq. de la Bibliothèque Nationale ; une copie faite au xvme siècle pour Mlle de Théméricourt indique que les billets du 29 avril et du 2 mai étaient particulièrement adressés à Sœur de Sainte-Euphémie * .
Extraits de Lettres de la Mère Angélique à la Maîtresse des Novices de Port Royal des Champs.
29 avril 1661.
J'ay une pensée, que si nous nous convertissions vrayment à Dieu, en quittant tout amusement pour vouloir vivre comme des personnes qui veulent mourir entièrement au monde, Dieu fera un miracle en nostre faveur, et sur tout, qu'il conservera M. Sing. . . et c'est tout pour nous, le reste qui ne nous sert pas pour nous conduire à Dieu n'est rien. Re- doublons nos prières, ma très chère [Sœur], et nostre confiance en la miséricorde de Dieu.
2 may 1661.
C'est une nouvelle affliction que vostre maladie ; il la faut porter come tout le reste dans la paix, et la soumission à Dieu. Enfin ma chère [Sœar], jusques à ce temps nous n'avons point porté la croix, sans quoy pourtant, on n'est point vray disciple de J.-G. Ne devons-nous pas nous resjouir de ce que
1. Les mêmes recueils donnent encore d'autres lettres du même ton, adressées du 3 au 11 mai à la Mère du Fargis, mais qui étaient aussi, semble-t-il, destinées à Jacqueline Pascal.
90 ŒUVRES
Dieu nous l'envoyé, et estimer comme dit saint Jacques à grande joye d'avoir beaucoup de diverses tentations. Nous ne sommes pas assez avancées pour quecette joye aillejusque dans les sens, mais prions Dieu que cette joye soit au fond de nostre cœur.
4 niay 1661. Mr N. 1 vous va voir, s'il n'arive rien qui l'en empêche. S'il y peut aller, je m'en rejouïs pour l'amour de vous, s'il ne le peut, il ne faut pas s'en fascher, mais donner cela à Dieu comme tout le reste. Dans la tristesse naturelle où nos- tre état nous met, je voy dans des momens une si grande grâce de Dieu, de nous y réduire, et une dignité si au-dessus de nous, d'estre traittées de sa divine majesté comme l'a esté son Fils, que j'en demeure confuse, et dans la crainte de n'estre pas fidelle à correspondre à cette faveur. Il me semble que nous devrions souvent nous dire : hodie si vocem Domini audieritis, etc. et que nous aurions besoin de cette visite et espreuve de Dieu. Il me semble, ma très chère sœur, que jus- qu'à cette heure nous n'avons fait que nous jouer et amuser dans les grâces que Dieu nous a faittes et jouir d'un faux repos dans l'abondance des veritez qui ne servoient qu'à sa- tisfaire nos esprits, et que nous ne nous appliquions point à les mortifier, et cependant c'est pour cela que Dieu nous les donnoit. Nous avons esté comme les avaricieux qui ne son- gent qu'à amasser de l'argent, sans en faire usage. Nous desi- rions toujours de nouvelles lumières, et ne pensions point à accroistre la charité, et diminuer la cupidité, au moins autant que nous le devions. Il y a long tems que je vois avec peine que nous n'estions point appliquées ni fidelles à retrancher les inutilitez, curiositez, espanchemens d'esprit, et tout ce qui donne la vie et entretient le vieil homme, et qui afîoiblit le nouveau qui par ce moyen estoit si foible en nous, que la moindre tentation le faisoit tomber. Je voiois dans les au- tres et dans moy plus que dans pas une, des esprits si distraits,
1. Singlin, qui dut se cacher le 17 mai.
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 91
qu'ils estoient toujours prêts à estre surpris par les occasions que la cupidité et le démon offre sans cesse pour nous trom- per. Enfin bien de la foiblesse et peu de vray zèle à recourir à Dieu pour demander plus de force. Et ce qui est pis une certaine malheureuse crainte d'entreprendre tout de bon à retrancher toutes les satisfactions de la nature, n'estant pas assez persuadées de l'obligation indispensable que nous y avons. Dieu soit beny, ma très chère sœur, de nous obliger de telle sorte que nous ne sçaurions plus reculer, nous réduisant en tel estât que nous ne devons plus attendre que toutes sor- tes de privations des biens temporels et spirituels pour le corps et pour l'esprit. Bienheureuses seront celles qui les em- brasseront de tout leur cœur, comme une médecine que la mi- séricorde leur donnera, pour le remède de leurs âmes, et très malheureuses celles auxquelles elles sembleront trop dures et qui prendront cette faveur de Dieu pour une disgrâce. Dieu visite sa vigne ; il arrachera celle qui ne porte point de fruit et taillera celle qui en porte, afin qu'elle en porte davantage. J'ay moins peur de la mort que je n'avois, dans la pensée que l'infinie bonté de Dieu m'envoie cette affliction pour m'y préparer. Je vous supplie, ma très chère sœur, de le prier qu'il soit ainsi et que je coresponde tidellement à sa miséricorde. Attachons-nous à Dieu inséparablement et nous le serons en- tre nous, quoy que le démon et le monde puisse faire pour nous en séparer. Nous sommes la fable et le mespris du monde, n'est-ce pas un heureux estât qui nous rendra sem- blables à J.-G. si nous l'acceptons pour l'amour de luy ; nous n'avons pas esté assez heureuses pour désirer d'estre baptisées de ce baptesme. Priez sa divine bonté qu'au moins nous le re- cevions avec une parfaite soumission. Ne vous amusez point à m'ecrire que ce qui est absolument nécessaire; ne songeons qu'au retranchement de toutes satisfactions. A Dieu, ma très chère mère et sœur. Mère et sœur, je ne vous sépare point l'une de l'autre. Je suis plus à vous que jamais. Soyons toutes à Dieu au-dessus des sens.
92
LETTRE DE LA SŒUR JACQUELINE
DE SAINTE-EUPHEMIE PASCAL,
A MESDEMOISELLES PERIER, SES NIECES1
Gloire à Jésus au Très Saint Sacrement.
Ce 17. [Juin 1661].
Mes très chères Sœurs, Je ne sépare point ma lettre parce que Dieu me donne cette consolation dans ma douleur de vous voir parfaite- ment unies dans le dessein d'estre entièrement à Dieu. Je le supplie de tout mon cœur de vous affermir de plus en plus dans cette disposition; mais, mes chères Sœurs, vos actions et vostre fidélité à suivre les lumières que vous avez receues doivent estre les plus efficaces prières de toutes, et il est sans doute que sans celles-là les nostres seront peu écoutées de Dieu. Je sens une joye extraordi- naire quand je me souviens des bonnes dispositions qui sont marquées dans vos lettres, et comme je ne souhaite aucuns biens ny aucuns avantages à mes amis que les éternels, j'ay une grande joye quand je les y vois tendre. Mais, mon Dieu, mes chères Sœurs, qu'il y a encore peu que vous estes dans le monde ! Je loue Dieu de ce que le peu que vous en avez déjà veu vous deplaist ; mais si vous n'y prenez garde et si vous ne vous armez d'une prière et d'une vigilance continuelle, vous vous trouverez insensiblement déchues des sentimens où vous estes à
1 . Jacqueline et Marguerite Perier avaient dû quitter le monastère de Paris le 23 avril, en même temps que les autres pensionnaires.
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 93
présent. C'est pourquoy, mes chères Sœurs, separez-vous du monde le plus qu'il vous sera possible. Vous estes avec des personnes si remplies de pieté et qui sont si affec- tionnées à Saint Bernard, qu'elles ne s'offenseront pas que vous suiviez son conseil. Il avertit les âmes qui veulent estres vrayes épouses de J.-G. de ne pas se con- tenter de fuir le monde, mais mesme leurs amis et ceux delà mesme maison, et enfin toutes les créatures, par ce que le fils de Dieu veut nous trouver dans la solitude pour parler à nostre cœur. Je n'entends pas néanmoins que vous deveniez farouches et que vous fuyiez tout le monde, mais que vous soyez fidelles à le faire aussitost que la né- cessité absolue ne vous y retiendra plus ; et que dans le tems que vous serez dans les compagnies, vous y dérobiez souvent de petits moments pour parler à Dieu, comme il est dit si admirablement dans le Cœur nouveau1. Je ne m'aperçois pas, mes chères Sœurs, que je fais une chose bien estrange de vous donner des advis au lieu où vous estes; je n'y viens que de penser. Profitez bien des advis et des secours que vous recevez de monsieur vostrehoste ; c'est le meilleur que je puisse vous donner dans le lieu où vous estes. Priez Dieu pour moy, je vous en supplie, mes chers enfans, et vous asseurez que je suis de tout mon cœur toute à vous. La mère prieure vous salue et vous asseure qu'elle ne vous oubliera point devant Dieu. Saluez M. Perier de ma part, je vous en supplie.
(Pour mes chères sœurs Perier, à Paris.)
i. Traité de S{ Cyran, publié à la suite de la Théologie Familière. Voici le passage auquel Jacqueline fait allusion (p. 1 1 8 de la 1 3e édition , i6g3) : « ... [La personne convertie] se résoudra à faire tous les jours quelque chose facile pour fortifier son amour ; comme une petite lecture, une Oraison, une retraite, un silence dérobé au milieu d'une compagnie, avec un saint artifice et déguisement... »
CLXIX
LETTRES
DE JACQUELINE PASCAL
A LA SOEUR ANGÉLIQUE DE SAINT-JEAN
ET A ANTOINE ARNAULD
22-23 juin 1661. Copies au deuxième recueil manuscrit du Père Guerrier, pp. igSet 201 .
97
INTRODUCTION
Le premier mandement des Grands-vicaires fut publié aux prônes le 19 juin, et accueilli de façon très diverse par les amis de Port-Royal. Arnauld, qui avait protesté avec tant d'énergie contre ceux qui signaient purement et simplement le formulaire, trouvait satisfaisante V explication donnée par le mandement : le fait et le droit, pensait-il, y étaient assez clairement distingués pour permettre aux religieuses de Port- Royal et aux ecclésiastiques directement exposés à la persécu- tion de signer, sans trahir la vérité. Il conseillait par conséquent à ses amis une signature « sans restriction ni explication », de façon à éviter les commentaires fâcheux : « car s'il y en a qui ne signent qu'avec restriction, ils témoignent par là qu'ils ne jugent pas le mandement assez clair. Et ainsi ce sera comme un préjugé contre ceux qui auront signé simplement, qu'ils donneront occasion par là de les mettre au rang de ceux qui auront condamné Jansenius, ce qui seroit très préjudiciable à la réputation de ce prélat » (Lettre à Le Roy de Hautefontaine, du 22 juin). Singlin, Hermant, Noël de la Lane et Girard pensaient de même. Arnauld d'Andilly et Taignier considé- raient ce mandement comme un « miracle » qui donnait inopi- nément la paix à l'Église. Les signataires affluaient à l'arche- vêché pour apporter leur adhésion. — D'autres pourtant protestaient avec passion. Perrault et Varet, absents de Paris, ne pouvaient se résigner à céder à la tyrannie des évêques qui, en exigeant une signature, s'attribuaient une autorité qu'ils n'avaient pas. Plus que tous les autres, Le Roy, abbé de Haute- fontaine, accablait Arnauld de lettres pressantes, demandait qu'on ne signât qu'avec une restriction formelle. Hermant 2e série. VII 7
98 ŒUVRES
a conservé les lettres pathétiques qu'il écrivit alors: «... J'ay considéré toutes choses en elles-mesmes, et sans vouloir faire tomber mes pensées et mes sentimens sur personne; mais en voulant écrire moy-mesme la condamnation que je crois que je meriterois devant Dieu et devant les hommes si j'avois signé sans restriction, je me trouve si fortement persuadé que c'est une très grande et très épouvantable tentation que les sentimens que l'on a sur cette signature, et d'un autre coté j'ay tant de respect, d'estime et de déférence pour les personnes qui déclarent ces sentimens, que je pense qu'il faudra que je m'aille cacher au bout du monde si Dieu n'apporte un changement à l'état où les choses sont maintenant... Je vous conjure, Monsieur, en me prosternant à vos pieds en esprit, et ayant le cœur tout plein de larmes, je vous conjure de nou- veau de vous mettre encore de nouveau en prière sur cette affaire, de considérer si c'est une justification d'une profession publique de foy que ce mandement. Mais il faut que Dieu vous le fasse voir luy-mesme : maneat fidei robur immobile. Renon- çons à tous les accommodemens humains; ne trahissons point nostre foy, sous des couleurs et des prétextes qui se dis- siperont et qui ne nous laisseront que la douleur et la honte d'avoir fait ce que nous avons fait... » (Lettre du 24 juin, apud Hermant, Mémoires, T. V, p. 54)-
La première signature qu'il fallait obtenir était celle des religieuses de P. R., atteintes déjà par la persécution. Sainte- Marthe, l'un des confesseurs qui avaient dû se retirer le 12 juin, et qui voyait tout le monastère « prêt de souffrir pour l'innocence et la vérité », n'approuvait guère le mandement. Les religieuses se montraient fort embarrassées ; elles envoyaient des lettres fréquentes aux docteurs amis, qui se réunirent pour étudier en commun la réponse qu'il fallait transmettre. Enfin, le 22 juin, les religieuses de Port-Royal de Paris signè- rent, mais en faisant précéder leur signature d'une « tête où elles déclaroient qu'elles embrassoient absolument et sans réserve la foi de l'Eglise catholique, qu'elles condamnoient
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 99
toutes les erreurs qu'elle condamne, et que leur signature étoit un témoignage de cette disposition ».
Le résumé de cette explication est emprunté à l'Apologie pour les Religieuses de Port-Royal du S* Sacrement, contre les injustices et les violences du procédé dont on a usé envers ce monastère, 2e partie, i665, que rédigèrent Arnauld, Nicole et Sainte-Marthe. Le même livre nous fait connaître la résis- tance plus vive encore de Port-Royal des Champs (p. t3 et i4).
« [Ce mandement] produisit bien encore d'autres agitations à Port- Royal des Champs. Quoy que les Religieuses de Paris eussent grand soin de les avertir de tout, et de respondre à toutes leurs difficultez, je ne sçay néanmoins comment il estoit arrivé qu'on avoit esté plus négligent qu'à l'ordinaire. Elles receurent donc le mandement par une autre voie. Elles ap- prirent que tout le monde le signoit et qu'on les vouloit obli- ger à le signer tel qu'il estoit. On leur dit que c'estoit l'avis de leurs principaux amis sans leur donner aucun éclaircisse- ment sur les doutes qui s'esleverent en foule dans leur esprit. Cela les mit en des peines si extrêmes et si violentes qu'on peut juger par là quel crime c'est que d'inquiéter les filles consacrées à Dieu et de gesner leurs consciences en les mes- lant sans raison en des affaires qui ne les regardent point...
« ... [Loicy] ce que je me sens obligé de rapporter de la peine que ce mandement fit à une Religieuse qui est morte présentement, qui estoit alors Sousprieure à Port-Royal des Champs. Elle estoit sœur de feu Monsieur Paschal et s'appel- loit en Religion la sœur Euphemie. Ceux qui l'ont connue dans le monde sçavent qu'elle avoit un esprit si éminent qu'il a passé avec raison pour un espèce de prodige... Mais ceux qui l'ont connue dans la Religion ont encore beaucoup plus admiré la grandeur de sa pieté que celle de son esprit, y ayant esté dés le commencement un modèle parfait de toutes les vertus Religieuses. Sur tout il n'y a jamais rien eu de plus édifiant que sa douceur, son humilité, sa soumission, son obéissance, sa modestie. Tous les talens de son esprit estoient tellement couverts de l'éclat de ces vertus qu'on avoit peine à les apper-
100 ŒUVRES
cevoir. Ses Supérieurs et ses Confesseurs n'ont jamais éprouvé en elle aucune contradiction, quelque chose qu'il leur ait pieu de luy commander, ce qui doit faire juger combien violente devoit estre la douleur qui la poussa à écrire la lettre dont je m'en vais rapporter l'extrait. Elle avoit dessein en l'écrivant de l'addresser à la sœur Angélique de S. Jean, et c'est à elle à qui elle parle. Mais ensuite elle crut la devoir envoyer à Mr A[rnauld] luy-mesme dans l'asseurance qu'elle avoit qu'il ne se blesseroit pas de la dureté des termes dont elle se ser- voit, quoy qu'ils le regardassent plus que personne. Elle l'ac- compagna néanmoins d'une lettre fort obligeante dans laquelle elle témoignoit qu'elle l'avoit écrite tout de suite dans le transport d'une douleur excessive dont elle avoit esté saisie après la Communion par la pensée que la Signature à laquelle on les vouloit obliger estoit contraire à la sincérité Chrestienne. On ne peut bien juger de cette lettre qu'en supposant qu'elle a esté écrite par une fille qui estoit naturellement tres-éloi- gnée de toute sorte d'emportement, et on ne doit pas s'eston- ner qu'elle paroisse fort instruite de toutes ces contestations, parce qu'elle estoit entrée assez âgée dans la Religion, et qu'elle avoit leu dans le monde une partie des livres qui ont esté faits en nostre langue sur ces matières, qui avoient beaucoup
contribué à luy donner le désir de la vie Religieuse1
« La Prieure de Port-Royal des Champs [la Mère du Fargis] qui ne souffroit point de moindres peines qu'elle sur la Signa- ture, envoyant cette lettre à Mr A. l'accompagna d'une des siennes dont voicy la copie2 : « ... Mais je vous ennûirois peut- estre si je vous disois toutes mes pensées sur ce sujet, qui ne
i . La même Apologie publie un long extrait de la première lettre de Jacqueline; en 1725, la lettre fut donnée en entier dans les Divers Actes, Lettres et Relations des Religieuses de P. R. du S1 Sacrement, mais ces deux imprimés atténuent souvent la pensée, ou corrigent le style de Jacqueline. Nous donnons les deux lettres d'après le texte que Guer- rier a transcrit.
2. Nous avons rectifié le texte de cette lettre d'après le premier recueil manuscrit du Père Guerrier.
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL dOi
sont autres que celles de ma sœur Euphemic a marquées dans la lettre qu'elle vous envoie, à laquelle je ne trouve rien à redire sinon qu'il semble en quelques endroits qu'elle parle un peu trop librement de ceux pour qui nous devons avoir toute sorte de respect. Mais sans doute Mr vous pardonnerez à son zèle puisqu'il n'y a que cela qui la porte à parler en cette manière. Je croy qu'on luy peut attribuer la parole de S. Paul: sive mente excedimus Deo, sive sobrii sumus vobis. Car en vérité elle est tellement pénétrée de l'amour de la sin- cérité, que c'est ce qui l'empesche de se modérer dans une occasion où il semble qu'on nous veut obliger à ne la pas confesser aussi librement que nous le devrions.
« ... M. A. à qui ces lettres furent envoyées, bien loin de se blesser de la dureté apparente des termes de la sœur Euphe- mie, connoissant parfaitement l'extrême modération de son esprit, jugea par là de l'excez de sa douleur. Et quoy qu'il crust que l'une et l'autre se choquoit trop de ce mandement, il admira leur disposition qui paroissoit en ces lettres, et cet ardent amour pour la sincérité qu'elles y témoignoient. Il leur récrivit donc avec le plus d'humilité et de netteté qu'il pût pour les éclaircir sur les doutes qu'elles avoient sur ce man- dement. Mais avant qu'elles eussent receu sa réponse, elles s'estoient dé-jà délivrées de cet embarras en signant le man- dement avec la teste qu'on y avoit mise à Port-Royal de Paris, et qui leur fut envoyée lors qu'on leur en demanda la signa- ture, et y ajoutant encore à la fin une queue pour plus grand éclaircissement. La réponse de M. A. ne fut pas néanmoins inutile ; et elle servit à leur lever plusieurs difiBcultez.
« On eut donc pour lors le bon-heur de remettre dans le calme l'esprit de ces deux Religieuses, et de quelques autres qui n'avoient pas de moindres peines qu'elles sur ce mande- ment, en les satisfaisant par les raisons les plus solides que l'on pût. Mais on ne pût pas empescher que la santé de leur corps ne fust tellement ébranslée par la violence de la peine que leur avoit causé cette signature, qu'elles tombèrent toutes deux en mesme temps dangereusement malades, en sorte que
102 ŒUVRES
la Mère Prieure de Port-Royal ayant esté jusques aux portes de la mort, et n'en estant revenue qu'avec une extrême peine, la sœur Euphemie fut emportée par la violence de son mal, comme elle l'avoit bien prédit dans sa lettre que nous avons rapportée, ayant esté ainsi la première victime de la Signature, ce qui doit causer à tous ceux qui ont connu la vertu tres- extraordinaire de cette religieuse une juste indignation contre les auteurs de cette cruelle invention qui luy a causé la mort. »
103
I
LETTRE DE LA SŒUR JACQUELINE
DE SAINTE EUPHEMIE PASCAL
A LA SOEUR ANGELIQUE DE SAINT JEAN l
[22-23. Juin 1661.]
Ma très chère Sœur, Le peu (Testât qu'on a fait jusqu'icy de nos difficultez sur toutes les affaires qui se passent m'empescheroit de les proposer encore à présent, voïant combien peu on s'entend de loin, si la chose pouvoit se différer. Je croy estre obligée de vous dire que toutes celles que j'écrivis à nostre Mère ne regardoient que le mandement qui nous estoit tombé entre les mains par le plus grand hazard du monde, et je dirois par un effet de la providence de Dieu, si on avoit quelque égard à nos peines et si cela eust eu quelque effet; car tout le monde se trouve présentement dans le mesme sentiment, encore que nous entendions fort bien que l'on prétend que nostre Signature ne nous demande que le respect, c'est à dire le silence pour le fait, et la croyance pour ce qui est de la foy2, mais il n'est plus temps, et la pluspart 3desiroient de tout leur cœur qu'il fust pire,
1. « J'ay transcrit cette lettre sur une copie assez difficile à déchif- frer » (note du Père Guerrier).
1. Le manuscrit de Troyes, n° 2 2o3, ajoute : « ce que nous avions toujours été prêtes de témoigner; nous voyons néanmoins que cela est exprimé en termes ambigus et indignes de la sincérité chrétienne. Ainsi la plupart désireroient... . » (note de Victor Cousin).
3. Édition de i665 : [désireroient].
lui ŒUVRES
sçachant bien qu'il n'en falloit pas espérer, dans le temps où nous sommes, un meilleur, parce que néanmoins on le rejetteroit avec une entière liberté ; au lieu que plusieurs seront comme contraints de le recevoir, et qu'une fausse prudence et une véritable lascheté le fera embrasser à plusieurs autres comme un moyen favorable de mettre aussi bien leur personne que leur conscience en seureté; mais pour moy je suis persuadée que ny l'une ny l'autre n'y sera par ce moïen. Il n'y a que la vérité qui délivre véritablement, et il est sans doute qu'elle ne délivre que ceux qui la mettent elle-mesme en liberté en la confessant avec tant de fidélité qu'ils méritent d'estre confessez eux- mesmes et reconnus pour de vrais enfans de Dieu.
Je ne puis plus dissimuler la douleur qui me perce jusques au fond du cœur de voir que les seules personnes à qui Dieu a confié sa vérité luy soient si infidelles, si je l'ose dire, que de n'avoir pas le courage de s'exposer à souffrir quand ce devroit estre la mort mesme, pour la confesser haute- ment.
Je sçay le respect qui est deu aux puissances de l'Eglise ; je mourrois d'aussi bon cœur pour le conserver invio- lable, comme je suis preste à mourir, avec l'aide de Dieu pour la confession de ma foy dans les affaires présentes ; mais je ne voy rien de plus aisé que d'allier l'un à l'autre. Qui nous empesche et qui empesche tous les Ecclésias- tiques qui connoissent la vérité, lors qu'on leur présente le Formulaire à signer de répondre : Je sçay le respect que je dois à MM. les Evesques, mais ma conscience ne me permet pas de signer qu'une chose est dans un livre où je ne l'ay pas veùe ; et après cela attendre ce qui en arrivera? Que craignons -nous? Le bannissement1 et la dis-
i. L'édition de i665 ajoute : [pour les Séculiers].
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 40'i
persion pour les Religieuses, la saisie du temporel, la prison et la mort si vous voulez : Mais n'est-ce pas nostre gloire et ne doit-ce pas estre nostre joye?
Renonçons à l'Evangile, ou suivons les maximes de l'Evangile et estimons-nous heureuses de souffrir quel- que chose pour la justice. Mais peut-estre on nous re- tranchera de l'Eglise? Mais qui ne sçait que personne n'en peut estre retranché malgré soy, et que l'Esprit de Jesus-Christ estant le lien qui unit ses membres à luy et entre eux, nous pouvons bien estre privez des marques, mais non jamais de l'effet de cette union, tant que nous conserverons la charité sans laquelle nul n'est un membre vivant de ce saint Corps? Et ainsi ne voit-on pas quêtant que nous n'érigerons point Autel contre Autel, que nous ne serons pas assez malheureuses pour faire une Eglise séparée, et que nous demeurerons dans les termes du simple gémissement, et de la douceur avec laquelle nous porterons nostre persécution, la charité qui nous fera em- brasser nos ennemis nous attachera inviolablement à l'Eglise, et qu'il n'y aura qu'eux qui en seront séparez en rompant par la division qu'ils voudront faire, le lien delà charité qui les unissoit à Jesus-Christ et les rendoit membres de son Corps? Hélas, ma chère Sœur, que nous devrions avoir de joye si nous avions mérité de souffrir quelque notable confusion pour Jesus-Christ. Mais on donne trop bon ordre pour l'empêcher, lorsqu'on peint avec tant d'addresse la vérité des couleurs du men- songe qu'elle ne peut estre reconnue, et que les plus ha- biles ont de la peine à la voir. J'admire la subtilité de l'esprit, et je vous avoue qu'il n'y a rien de mieux fait que le mandement. Je croy qu'il est bien difficile de trouver une pièce aussi adroite et faite avec tant d'art. Je louerois très-fort un Hérétique en la manière qu'un Père de famille
106 OEUVRES
loiïoit son dépensier s'il estoit aussi finement échappé de la condamnation sans désavouer son erreur, que nous con- sentons par là au mensonge sans nier la vérité. Mais des Fidelles, des gens qui connoissent et qui soutiennent la vérité et l'Eglise Catholique user de déguisement et biaiser, je ne croy pas que cela se soit jamais veu dans les siècles passez. Et je prie Dieu de nous faire mourir tous aujour d'huy plustost que de souffrir qu'une telle abomination s'introduise dans l'Eglise. En vérité, ma chère Sœur, j'ay bien de la peine à croire que cette sagesse vienne du Père des lumières, mais plustost je croy que c'est une révé- lation de la chair et du sang. Pardonnez-moy, je vous en supplie, ma chère Sœur ; je parle dans l'excez d'une dou- leur à quoy je sens bien qu'il faudra que je succombe, si je n'ay la consolation de voir au moins quelques per- sonnes se rendre volontairement victimes de la vérité, et protester par une vraye fermeté ou par une fuitte de bonne grâce contre tout ce que les autres feront, et con- server la vérité en leur personne. Ce n'est pas que je vou- lusse, dans l'aigreur et le pouvoir où l'on voit les ennemis de la vérité, que l'on se declarast trop expressément ; car par parenthèse, je croy que vous ne sçavez que trop qu'il ne s'agit pas icy seulement de la condamnation d'un saint Evesque, mais que sa condamnation enferme formellement celle de la grâce de Jesus-Christ, et qu'ainsi si nostre siècle est si malheureux qu'il ne se trouve personne qui ose mourir pour deffendre l'honneur d'un juste, c'est le comble de ne trouver personne qui le veuille pour la justice mesme. Je ne voudrois pourtant pas que l'on fist hau- tement une profession de foy ; car, en Testât où sont les choses et les personnes que Dieu a livrées à leur sens et à leurs passions, il est indubitable à moins que d'un mi- racle que la vérité seroit condamnée : et plus on se seroit
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 107
clairement expliqué, plus on feroit de tort à ceux qui con- damneroient une vérité si claire. Mais je voudrois que, demeurant tousjours dans les termes du respect pour ce qui est de ne point dire d'injures ny faire des reproches, on demeurast ferme à ne donner aucun sujet de croire qu'on eust ou condamné ou fait semblant de condamner la vérité: car je vous demande, ma tres-chere Sœur, au nom de Dieu, dites-moy quelle différence vous trouvez entre ces deguisemens et donner de l'encens à une idole sous prétexte d'une croix qu'on a dans sa manche.
Vous me direz peut-estre que cela ne nous regarde point, à cause de nostre petit Formulaire particulier ; mais je vous diray deux choses sur cela : l'une que saint Bernard nous apprend, dans ses manières admirables de parler, que la moindre personne de l'Eglise non-seulement peut, mais doit crier de toutes ses forces lorsqu'elle voit les Evesques et les Pasteurs de l'Eglise dans Testât où nous les voyons, quand il dit, Qui peut trouver mauvais que je crie moy qui suis une petite brebis, pourtascher d'éveiller mon Pasteur que je voy endormi et prest à estre dévoré par une beste cruelle? Quand je serois assez ingrate pour ne le pas faire par l'amour que je luy porte et la reconnoissance que je lui doy, ne doy-je pas le faire par la crainte de mon propre péril? Car qui me défendra quand mon pasteur sera dévoré? Ce que je ne dis pas pour nos pères et pour nos amis, je sçay qu'ils ont autant d'horreur que moy des deguisemens pour eux-mesmes; mais je le dis pour Testât gênerai où est l'Eglise et pour me justifier envers vous et envers moy-mesme de Tinterest que je prens à cela.
L'autre chose que je vous répons est que je n'ay pu jusques icy approuver entièrement vostre Formulaire tel qu'il est et que j'y voudrois quelque changement en deux
108 ŒUVRES
endroits. Le premier est au commencement ; car il semble dur, estant ce que nous sommes, de nous offrir si librement à rendre compte de nostre foy. Je le voudrois faire néan- moins avec un petit préambule qui en ostast la consé- quence et le scandale ; car ne doutez pas que le procédé de signature et de déclaration de foy est une usurpation de puissance d'une conséquence tres-dangereuse, principale- ment cela se faisant par l'autorité du Roy ; à quoy pourtant les particuliers ne doivent, je croy, pas résister ; mais au moins faut- il qu'il y ait quelque marque que l'on ne le fait pas, nesçachant ce que l'on fait ou comme chose deue, mais que c'est une violence à quoy l'on se rend pour éviter le scan- dale. Le second est sur la fin, où je ne voudrois pas que nous parlassions des décisions du Saint-Siège ; car encore qu'il soit vray que nous nous soumettions à ses décisions en ce qui regarde la foy, le commun confond tellement par ignorance, et les intéressez veulent tellement confondre par passion, le fait et le droit, que vous sçavez qu'on n'en fait qu'une mesme chose. Quel est donc l'effet de vostre Formulaire sinon de faire croire aux ignorans et de donner sujet aux malicieux d'asseurer que nous sommes demeurez d'accord de tout, et que nous condamnons la doctrine de Jansenius, qui est clairement condamnée dans la dernière Bulle ?
Je sçay bien que ce n'est pas à des filles à deffendre la vérité, quoy que l'on peut dire, par une triste rencontre que puis que les Evesques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d' Evesques; mais si ce n'est pas à nous à deffendre la vérité, c'est à nous à mourir pour la vérité et à souffrir plustost toutes choses que de l'abandonner.
Pour vous expliquer mieux ma pensée sur ces décisions du Saint-Siège, voicy une comparaison qui me vient en
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 109
l'esprit. Quoy que tout le monde sçache que le Mystère delà Sainte-Trinité est un des principaux points de nostre foy et que Saint Augustin confesseroit sans doute et si- gneroit très-librement, néanmoins si son pays estoit occupé par un prince infidelle qui voulust faire nier l'unité de Dieu et faire croire la pluralité des dieux, et que quelques-uns des fidelles pour pacifier les troubles que cela exciteroit faisant un formulaire de foy sur ce point où il y eust, Je croy qu'il y a plusieurs personnes à qui l'on peut donner le nom de Dieu et leur rendre les ado- rations etc. sans autre explication, Saint Augustin le si- gneroit-il ? Certainement, je ne le croy pas, et je croy encore moins qu'il le dust faire, quoy que ce soit une vérité qu'il n'y a point de fidelle qui puisse mettre en doute ; mais il ne seroit pas le temps de le dire en cette manière. Vous faites aisément l'application de la comparaison. On dira peut estre que notre authorité n'est pas du poids de celle de Saint Augustin, et qu'elle estnulle. Je reponsà cela premièrement que je n'ay parlé de Saint Augustin que par réponse à la seule que vous fîtes ces jours passez à toutes mes difficultez, qui estoit que l'on se rioit de nos craintes, et que Saint Augustin signeroit ce que nous craignons. Mais ce que je dis de Saint Augustin, je le dis de vous et de moy et des moindres personnes de l'Eglise, car le peu de poids de leur authorité ne les rend pas moins cou- pables, s'ils l'emploient contre la vérité. Chacun sçait, et M. de Saint-Cyran le dit en mille lieux, que la moindre vérité de la foy doit estre deffendue avec autant de fidélité que Jesus-Christ. Qui est le fidelle qui n'auroit point d'horreur de soy-mesme, s'il se pouvoit faire qu'il se fust trouvé présent au conseil de Pilate où il auroit esté question de condamner Jesus-Christ à la mort, s'il s'estoit contenté d'une manière d'opiner ambiguë par
110 ŒUVRES
laquelle on eust pu croire qu'il estoit de l'avis de ceux qui le condamnèrent, quoy qu'en sa conscience et selon son sens ses paroles tendissent à le délivrer?
Le péché de Saint Pierre n'est-il pas infiniment moindre que ne seroit une si extresme timidité; et cependant de quelle manière l'a-t-il regardé durant le reste de sa vie? Et ce qui est bien considérable, c'est qu'encore qu'il fust destiné pour estre le chef de l'Eglise, il ne l'estoit pas encore. Ce n'est donc que le péché d'un simple fidelle qui ne dit pas comme à présent: C'est un méchant, il est digne de mort, cru- cifiez le, et qui ne fait pas mesme semblant de le dire, mais simplement : Je ne connay point cet homme. Poussez la comparaison jusques au bout, je vous en sup- plie. Ma lettre n'est déjà que trop longue. Ainsi, ma chère Sœur, voilà ma pensée pour le Formulaire que je voudrois clair en tout ce qu'il contiendra, quoy que je voie bien qu'il ne doit pas tout contenir. « Comme dans l'igno- rance où nous sommes, tout ce qu'on peut désirer de nous pour la signature qu'on nous propose est un témoignage de la sincérité denostrefoy et denostre parfaite soumission à l'Eglise, au Pape qui en estleChefet à M. l'Archevesque de Paris qui est nostre Supérieur; quoy que nous ne croions pas qu'on ait droit de demander en cette Matière raison de leur foy à des personnes qui n'ont jamais donné aucun sujet d'en douter, néanmoins pour éviter le scan- dale et les soupçons que nostre refus pourroit faire naistre, nous témoignons, par cet acte que n'estimant rien de si précieux que le thresor de la foy pure et sans meslange que nous voudrions conserver aux despens de nostre vie, nous voulons vivre et mourir humbles filles de l'Eglise
i. Edition de i665 : [manière].
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL lii
Catholique, croiant tout ce qu'elle croit, et estant prestes de mourir pour la confession de la moindre de ses veri- tez. »
Si on s'en contente, à la bonne heure; si non, pour moy, je ne feray jamais autre chose s'il plaist à Dieu. C'est ce me semble tout ce que nous pouvons accorder; du reste arrive ce qui pourra, la pauvreté, la dispersion, la prison, la mort; tout cela me semble rien en comparaison de l'angoisse où je passerois le reste de ma vie si j'avois esté assez mal heureuse pour faire alliance avec la mort en une si belle occasion de rendre à Dieu les vœux de fi- délité que nos lèvres ont prononcez.
Prions Dieu, ma chère Sœur, les unes pour les autres qu'il nous fortifie et nous humilie de plus en plus, puis- que la force sans humilité et l'humilité sans force sont aussi pernicieuses l'une que l'autre. C'est icy plus que jamais le temps de se souvenir que les timides sont mis au mesme rang que les parjures et les exécrables.
Ne vous scandalisez pas de mes reproches sur le peu d'estat qu'on a fait de nos difficultez. Je n'en ay pas eu la moindre peine ; je suis accoutumée à estre traittée en enfant et Dieu veuille que je le sois toute ma vie. Mais le discours m'y a portée sans dessein et je n'en ay pas esté faschée afin que s'il arrivoit jamais quelque chose de semblable, on sçache qu'on ne sous satisfait pas en disant qu'on se rit de nos difficultez, sans en alléguer aucune raison. Adieu, ma chère Sœur, en Testât où est nostre chère malade1, si la chose ne pressoit autant qu'elle le fait, je n'en aurois pas dit un mot.
Je croy, ma chère Sœur, n'avoir pas besoin de vous dire, que je ne m'arreste nullement aux parolles de nostre
1. Il s'agit de la Mère Angélique.
112 ŒUVRES
Formulaire, et qu'il m'est indiffèrent de quels termes on use, pourveu qu'on ne donne nul sujet de penser que nous condamnons ny la grâce de Jesus-Christ ny celuy qui l'a si bien expliquée.
C'est pour cela qu'en mettant ces mots, croire tout ce que l'Eglise croit, j'ay omis, et condamner tout ce qu'elle condamne, quoy qu'il soit vray que je condamne tout ce que l'Eglise condamne; mais je croy qu'il n'est pas le temps de le dire, de peur qu'on ne confonde l'Eglise avec les décisions présentes, comme feu M. de Saint-Gyran dit que les payens ayant mis une idole au mesme lieu où estoit la croix de Notre-Seigneur, les fidelles ne l'alloient point adorer, de peur qu'il ne semblast qu'ils adoroient l'idole.
113
II
LETTRE DE LA
SOEUR JACQUELINE DE SAINTE-EUPHEMIE PASCAL
A M. [ARNAULD] •
Gloire à Jésus au Très- Saint Sacrement.
Ce 23. au soir [juin 1661].
Mon Père,
Selon l'ordre ordinaire de la civilité, je devrois vous faire bien des complimens et vous tesmoigner ma joye de ce que j'ay une occasion de vous escrire, qui est, comme vous sçavez, une grâce bien rare; mais, en vérité, Testât de l'Eglise et celuy de la chère Mère m'en ostent le cou- rage et puis, mon Père, je feray grand tort à vostre cha- rité de penser que vous me puissiez croire changée à vostre égard. L'ordre que vous nous avez donné par vostre billet qui nous a esté rendu ce matin, est venu fort à propos me donner mission pour une chose à quoy je n'en avois que par un mouvement intérieur qui n'est pas une chose bien seure : c'est, mon Père, qu'hier, après avoir communié dans une grande amertume de cœur sur tout ce qui se passe, tandis que je faisois mon action de grâces, ou plustot que je gemissois devant Dieu, il me
1. « J'ay transcrit cette lettre sur une copie de la mesme main que la précédente. Je ne sçay à qui elle s'adresse » (note du Père Guerrier).
2e série. VII 8
114 ŒUVRES
vint une forte pensée d'escrire toutes mes pensées sur ce sujet ou au moins les principalles, car plusieurs mains de papier ne suffiroient pas ; et ne sçachant à qui je m'ad- dresserois, je jettay les yeux sur ma Sœur Angélique à qui j'escrivis dés le moment cette longue lettre, après avoir invoqué Dieu et son Saint-Esprit pour les per- sonnes qui dévoient y respondre, sans après cela pres- que penser à ce que j'avois à dire que j'ay mis tout du cours de la plume. Je l'ay achevée aujourd'huy avec plus d'asseurance depuis vostre billet et je vous l'envoie, mon Père, parce que je n'ay pas pu prendre le temps de la récrire pour vous l'addresser.
Vous verrez qu'elle est escrite en marge. Si vous avez la bonté d'y respondre à chaque article sur la marge mesme je vous en seray bien obligée; mais si vous aimez mieux faire une response à part, si vous jugez à propos de l'envoyer à ma Sœur Angélique quand vous l'aurez veue, je luy mande que je vous en supplie. Si néanmoins vous mettez les responses sur la lettre mesme, renvoyez- la moy tout droit à moy-mesme s'il vous plaist, car je ne désire qu'elle l'ayt qu'au cas qu'elle ne soit pas respon- due, afin qu'elle y mette ses responses ; et pour celles que vous me ferez, mon Père, soit sur la lettre ou à part, je les luy enverray si vous me le permettez, mais je seray bien ayse que nous les voyions les premières. Vous ver- rez, mon Père, bien fulminer contre ce qui a esté fait; il m'a semblé, outre qu'en ces matières chacun abonde en son sens et appuyé ses raisons comme il peut, que je le pouvois faire plus librement qu'un autre à cause de celuy qui y a eu bonne part. Je suis dans une joye incroyable de son zèle, et je croy après tout, que c'est Dieu qui le luy a fait faire pour mettre en seureté la conscience d'une infinité de personnes qui se laissent conduire à la bou-
LETTRE DE JACQUELINE PASCAL H5
chérie comme des agneaux ; et que, dans un temps où il ne falloit pas espérer que ceux qui ont l'authorité de l'Eglise de Paris eussent assez de force pour exhorter par leur exemple tous leurs diocésains au martyre, c'a esté une chose digne de leur pieté de leur donner moyen, sans mesme que la pluspart d'entre eux le sçachent, de ne rien faire directement contraire à la vérité ; et qu'ils ont fait comme un père sage qui émousse le tranchant d'un couteau qu'il donne à son enfant; enfin, pour dire ma pensée en un mot, on a empesché par cette voye de faire tout le mal qu'on pouvoit, et c'est une grande louange puisque l'Eglise mesme la donne aux Saints, Qui potest transgrecU et non est transgressus. Mais il me semble, mon Père, que ce qui est assez pour les uns, seroit un horrible défaut aux autres. A la bonne heure que les choses soyent de celte sorte, pourveu que l'on permette à ceux qui en auront le courage d'aller plus avant et que l'on ne pré- tende pas que nous nous sauverons en voilant la vérité, et en nous contentant de ne la pas condamner en effet, quoy que nous semblions la condamner en apparence. En vérité, mon Père, il semble que c'est un peu faire en cette matière comme ceux qui disent qu'on n'est pas obligé d'aimer Dieu, et qu'il suffit qu'on ne le haïsse pas. Mais si je me remets en discours, je n'en sortiray pas ayse- ment ; pardonnez-le moy, mon Père, et ne croyez pas, je vous en supplie, quelque forte que je paroisse, que la na- ture n'appréhende beaucoup toutes les suittes ; maisj'espere que la grâce me soustiendra, et ilestvray qu'il me semble quasi que je la sens. Je vous supplie tres-humblement, mon Père, de la demander pour moy. Je me remets entière- ment à vostre discrétion pour ces lettres : mon inclination seroit qu'elles ne fussent veues que de vous, mon Père, et de ma sœur Angélique. Néanmoins, si vous jugez à pro-
116 ŒUVRES
pas de les faire voir à M. de Gournay1, vous le pouvez, mon Père. Ma sœur aussi est capable de les voir, et peut- estre mon frère, s'il se porte bien. Je vous demande vos prières, mon Père, au nom de Dieu.
Pseudonyme de Le Maître de Saci
GLXX
RELATION
DE JACQUELINE PASCAL
CONCERNANT LA MÈRE ANGÉLIQUE
date présumée : août 1661. Copie manuscrite à la Bibliothèque Nationale ms. f. fr. 17797, ^°* 66.
119
RELATION DE LA SOEUR JACQUELINE
DE SAINTE EUPHEMIE PASCAL
CONCERNANT LA MERE MARIE ANGELIQUE1
(Addition au récit de quelques discours que la sœur Euphemie a entendu tenir à la Mère Angélique en diffé- rentes occasions.)
Parlant une fois à la Mère Angélique d'une personne dont le père avoit exercé la vacation de faire joiïer, elle me dit avec sa force ordinaire que le bien de cette per- sonne estoit plus mal acquis et plus sujet à restitution que celuy des voleurs de grands chemins ; et la raison en est que les voleurs ne sont auteurs que du mal qu'ils font aux passans, mais ces brelandiers sont auteurs des péchez innombrables que font ceux qui jouent, des blasphèmes, des tromperies, de la ruine des familles et de tous les de- sordres qui s'en suivent, des querelles, des meurtres,
i. La Mère Angélique, après une assez longue maladie, mourut le 6 août 1661 : « Aussitôt après [sa] mort.... la mère Agnes, sa sœur, ordonna que toutes les Sœurs écrivissent chacune à part ce qu'elles auroient pu sçavoir de particulier, afin que cela servit de mé- moires lorsqu'il plairoit à Dieu de donner à quelqu'un la pensée d'en composer une Histoire toute entière, et c'est ce qui fut fait, et l'on a conservé toutes ces Relations » (Note de la Mère Angélique de S* Jean, écrite à Port-Royal des Champs le 26 février 1673, et impri- mée en tête des Relations sur la Vie de la Mère Angélique, 1787, p. vi). La relation de Jacqueline Pascal a été imprimée dans les Mé- moires pour servir à l'histoire de P. R. et à la vie de la Révérende Mère Marie Angélique de Ste Magdeleine Arnould... Utrecht, 17/12, T. III, p. io5; une copie se trouve dans le ms. f. fr. 17797 ^e ^a Bibliothèque Nationale, manuscrit qui provient de Port-Royal.
120 ŒUVRES
souvent enfin d'une infinité de crimes. Ils sont cause de tout cela, et si cette personne ne s'humilie d'avoir un tel père, elle est aussy coupable que luy, et doit estre regardée comme luy; car il est vray que les enfans ne doi- vent pas porter l'iniquité de leurs pères, mais c'est pour- veu qu'ils en ayent de l'aversion, car s'ils ne s'en humi- lient, s'ils ne le condamnent dans leur cœur, s'ils n'en ontuneextresme confusion, cela leur sera imputé comme au père mesme.
C'est une chose terrible que les jugemens de Dieu, on n'y pense point assez; on ne les redoute point assez, et c'est pour cela qu'on ne tasche point de les éviter. Voyez- vous, ma fille, il n'y a point d'autre moyen pour les éviter que de s'humilier, mais profondement devant Dieu, pour toutes choses, mais principalement pour les taches qui sont dans sa famille; et au lieu de cela, combien s'en eleve-t-on? On ne devroit penser qu'à ce qui peut nous humilier, soit dans la nature ou dans la fortune ou dans la grâce; et au lieu de cela, s'il y a quelque petit avan- tage dans sa famille, s'il y a quelque petite chose un peu considérable on sçait fort bien prendre son temps pour le dire et pour le faire sçavoir; et au contraire, s'il y quelque chose qui fasse honte, comme il y en a tousjours, on sçait fort bien s'en taire, et souvent mesme le déguiser, et les plus stupides ont assez d'esprit pour cela. Qu'est- ce que cela? N'est-ce pas un fonds d'orgueil insupporta- ble? Ce n'est pas qu'il faille décrier sa maison, personne n'est obligé à cela, ce seroit une folie de le dire. Mais aussi ne faut-il pas vouloir publier le peu de bien qu'il y a, en cachant le mal : il faut s'en taire tout à fait, mais s'en taire de telle sorte qu'on ne le fasse pas à cause de la con- fusion qu'on auroit à dire ce qui en est, et comme n'osant en parler autrement ; on penseroit faire grande chose en
RELATION DE JACQUELINE PASCAL 121
ne disant rien du tout, au lieu que ce n'est rien faire que son devoir tout simplement.
Une fois, parlant d'une personne qui estoit prévenue d'une fausse dévotion, dont il seroit difficile de la dé- tromper, la Mère Angélique me dit : Il n'est pas seule- ment difficile, il est tout à fait impossible si Dieu mesme ne le fait, et il ne le fera que dans ses temps et dans ses momens. Ce n'est pas qu'on ne doive faire ce qu'on peut, parce qu'on ne sçait pas s'il ne voudra point se servir de ces moiens-là pour exécuter ce qu'il a résolu ; mais de s'empresser de s'ingérer par soy-mesme, de vouloir faire comprendre les veritez aux âmes qui ne sont pas encore meures, c'est vouloir faire luire le soleil à une heure in- due au milieu de la nuit. Tous les princes et tous les plus puissans Rois de la terre joints ensemble n'ont pas le pou- voir de faire lever le soleil à une heure plus matin qu'il ne doit et tous les hommes ensemble avec toute l'élo- quence et toutes les persuasions qu'on se peut imaginer, ne sçauroient faire voir la vérité à une personne qui n'est pas encore éclairée de Dieu.
Une personne ayant dit, en sa présence, qu'elle ne vou- loit point prendre connoissance d'une affaire qui se pre- sentoit, où une personne affligée, mais qui estoit suspecte de défauts notables, demandoit qu'on la retirast, elle re- leva beaucoup cette parole, et dit qu'elle ne voyoit pres- que personne qui ne se délivrast autant qu'il pouvoit du soin des choses où il y avoit quelque péril à courir, et qu'excepté M. Singlin, elle en voyoit fort peu qui n'en fist autant que cette personne. Quelqu'un luy dit qu'il falloit qu'elle s'exceptastaussy elle-mesme, puisque jamais il ne luy arrivoit de refuser d'entendre ny de soulager personne. Non, dit elle, pourmoyje ne suis qu'une mi- sérable qui ne fait jamais aucun bien. Mais il est vray
12-2 ŒUVRES
que dans ces occasions-là je me représente que si une per- sonne que nous aimassions beaucoup estoit perdue, qu'on ne sceust si elle est morte ou vivante, ny en quel lieu elle est, par exemple ma sœur Catherine de Saint Jean, voyez, je vous prie, quand il viendroit comme cela une personne inconnue et misérable nous demander, si nous ne courrions pas pour la voir, et si nous ne dirions pas: Helas! mon Dieu, c'est peut-estre ma pauvre sœur; mais avec quelle affection, avec quel empressement, j'en suis seulement toute emeuë d'y penser ; hé bien ! si c'est une personne qui est à Dieu, et qui est persécutée in- justement, n'est-ce point une chose qui nous doit autant toucher que si c'estoit nostre sœur? et que sçavons- nous si ce n'est point une de nos sœurs que J. G. nous envoyé, c'est à dire une personne pour qui il veut que nous ayons charité, et que nous assistions en ce que nous pourrons? C'est pourquoy il ne faut jamais refuser devoir ny de s'instruire des choses. Ce n'est pas que cela fasse faire des folies, et se charger de tout le monde sans dis- tinction ; car si nostre sœur estoit perdue, nous ne pren- drions pas pour cela la première venue pour elle, mais nous aurions grand empressement pour voir si ce ne la seroit point, et c'est ce que je demande qu'on ait désir et affection de sçavoir et de connoistre, si ce n'est point quelque personne que Dieu nous envoyé, et non pas qu'on s'y engage inconsidérément.
On luy fit entendre que la personne qui avoit témoi- gné ne vouloir point prendre part à cette affaire ne le fai- soit pas par dureté, mais qu'elle s'en dechargeoit sur elle, et que, ne s'y croyant pas nécessaire, elle fuyoit de s'y entremettre pour éviter les affaires superflues. La Mère l'aprouva beaucoup, et dit qu'il estoit tres-bon de le faire par ce motif-là, pourveu qu'on fut tout prest
RELATION DE JACQUELINE PASCAL 123
de s'y engager au cas qu'il fut nécessaire, comme elle sçavoit que c'estoit l'esprit dans lequel elle le faisoit.
Une sœur ayant tiré dans l'Evangile une parole qui l'effrayoit, la Mère luy dit, pour la consoler ; Toutes les fois que Dieu menace, c'est à dessein que l'on s'humilie; et lorsqu'on le fait, on évite tousjours ses menaces, jus- ques aux plus mechans ; cela se voit par les Ninivites qui receurent le pardon de Dieu et l'empescherent d'exécuter ses menaces, parce qu'ils firent pénitence. Il est vray que ce fut un pardon temporel ; mais ils ne desiroient pas autre chose. Dieu vous menace, humiliez-vous, et priez le qu'il vous donne des grâces qui soient éternelles ; il vous l'accordera.
124
APPENDICE
Histoires écrites par la Mère Angélique de Sf Jean de quel- ques actions faites par la Révérende Mère Angélique sa tante (ms. du xvne siècle, intitulé : Extraits de quelques lettres de la R. M. Marie Angélique Arnauld, p. 1981, communiqué par M. A. Gazier).
La sœur de Monsieur Pascal, qui devoit avoir vingt cinq mille écus en mariage, quitta le monde pour aller à Port- Roïal, se fit Religieuse, et estant pressée de faire profession, témoigna à la Mère Angélique pour lors Abbesse, qu'elle eust bien souhaitté donner vingt mille francs à la Maison ; qu'elle ne feroit pas de tort à ses parens. puisqu'il luy écheooit beau- coup plus par son partage. L'Abbesse luy demanda si ses parens y consentoient. La sœur Euphemie luy répondit, qu'elle n'estoit pas obligée de demander leur consentement ; que c'estoit sa légitime, qu'ils ne pouvoient pas la luy refuser. La Mère Angélique luy dit, Qu'elle ne connoissoit pas l'esprit de la Maison, et qu'elle ne prendroit rien sans le consente- ment de ses parens. Elle leur en parla donc et fut bien tou- chée de voir qu'ils n'y donnèrent point leur consentement. Sur quoy la Mère Angélique luy dit : Quoy ! ma fille, vous n'estes pas touchée de toutes les injustices qu'on nous fait tous les jours, et vous Testes d'un consentement qu'on refuse de donner, sur un don que vous voulez faire ? Reconnoissez que vous avez encore de l'orgueil, que vous voulez entrer icy comme riche, et que vous n'avez pas l'humilité d'y vouloir estre receùe comme pauvre. Oh bien ! vous y entrerez comme
1. Ce document qui offre l'intérêt particulier de nous faire connaître la dot de Jacqueline Pascal doit être rapproché de la Rela- tion imprimée supra T. III, p. 5i sqq.
RELATION DE JACQUELINE PASCAL. — APPENDICE 125
pauvre, car je ne recevray pas une obole de vos parens. De sorte que la fille fit profession, et on ne demanda rien aux parens. C'est ainsi qu'on en use à l'égard de toutes les autres, en qui on ne regarde ny le bien ny la naissance, mais la vocation.
Les parens furent tellement touchez de cette conduite, qu'ils voulurent donner ensuite, plus mesme que la fille n'avoit proposé. Mais on se contenta de recevoir sa première volonté.
CLXXI
INTERROGATOIRE DE JACQUELINE PASCAL
22 août 1661
Copie dans un manuscrit intitulé : Interrogatoire des Religieuses de Port-Royal des deux Monastères, 1661, p. 36g; communiqué par M. A. Gazier.
129
XIe INTERROGATOIRE ■
SŒUR JACQUELINE DE SAINTE-EUPHEMIE (PASGHAL) SOUS-PRIEURE ET MAITRESSE DES NOVICES.
Apres m'avoir demandé mon nom, et fort loué Ste Eu- phemie, il me demanda si depuis que j'estois dans la Maison je n'avois point veu quelque changement dans la doctrine. Je luy dis qu'il n'y avoit pas bien long- temps que j'y estois, mais que tout ce que je pouvois luy dire, estoit que l'on ne m'avoit rien dit icy touchant la Foy, que je n'eusse appris dés mon enfance.
Demande. Avez-vous appris en vostre enfance que Jesus- Christ est mort pour tous les hommes?
Réponse. Il ne me souvient pas que cela fut dans mon Catéchisme.
D. Depuis que vous estes icy, ne vous a-t-on rien en- seigné là-dessus?
i . Singlin avait dû se retirer, le 8 mai , pour éviter une lettre de cachet ; le roi fit présenter aux Grands-vicaires une liste de sept personnes, parmi lesquelles ils désignèrent un nouveau supérieur de Port-Royal : le docteur Bail, sous-pénitencier de Notre-Dame ; ils vinrent l'instal- ler le 17 mai. Accompagné du Grand-vicaire de Contes, il commença, le 11 juillet, une visite des deux monastères, et interrogea successi- vement toutes les religieuses. La visite fut achevée le 2 septembre, et les enquêteurs s'en déclarèrent satisfaits. Les religieuses écrivirent aussitôt les relations de leurs interrogatoires ; ces pièces ont été im- primées dans l'Histoire des persécutions des religieuses de Port Royal, Villefranche, 1753, in-4°. Nous reproduisons la relation de Jacque- line Pascal d'après une copie faite au début du xvme siècle pour Mlle de Théméricourt et annotée par elle ; de légères modifications ont été apportées par les éditeurs de 1753.
2e série. VII 9
130 ŒUVRES
R. Non.
D. Qu'en pensez-vous?
R. Je n'ay pas accoustumé d'approfondir ces matières, qui ne vont point à la pratique ; néanmoins il me semble que l'on doit croire que N. S. est mort pour tout le monde: car je me souviens de deux vers qui sont dans des Heures quej'avois estant au monde, et que j'ay gardées long-temps depuis que je suis icy, où il y a en parlant à N. S.:
Tu n'as pas desdaigné, pour sauver tout le monde, D'entrer dans l'humble sein d'une vierge féconde.
Il se sourit un peu à cela, et me dit: Voilà qui est bien. Mais d'où vient donc qu'il y en a tant qui se perdent éternellement ?
R. Je vous avoue, Monsieur, que cela me met souvent en peine, et que d'ordinaire que je suis à la prière, et particulièrement quand c'est devant un Crucifix, cela me vient à l'esprit, et je dis à N. S. en moy mesme : Mon Dieu, comment se peut-il faire après tout ce que vous avez fait pour nous, que tant de personnes périssent misé- rablement? Mais quand ces pensées-là me viennent, je les rejette, parce que je ne croy pas que je doive sonder les secrets de Dieu : C'est pourquoy je me contente de prier pour les pécheurs. Il répliqua : Cela est fort bien, ma Fille ; quels livres lisez- vous?
R. Présentement c'est les Morales de S1 Basile qui est traduit depuis peu1, et le plus souvent ma Règle.
D. Quel employ avez-vous ?
R. Avant qu'on eust fait sortir les Novices et les Pos-
i. Les règles de la morale chrétienne recueillies du Nouveau Testa- ment par S' Basile — et accompagnées d'explications (par Guillaume Le Roy), Paris, Savreux, 1661, 517 p. in-16.
INTERROGATOIRE DE JACQUELINE PASCAL 131
tulantes, j'avois le soin de celles qui estoient icy. Mais pour à cette heure, il n'y a au Noviciat que quelques Pro- fesses, une Novice et quelques Sœurs Converses.
D. C'a esté une rude espreuve pour vous, de vous oster vos Novices P
Pour reponce, je m'estendis beaucoup là dessus, sans pourtant paroistre aigrie, mais seulement touchée de la douleur qu'elles avoient eue et du danger où elles estoient dans le monde.
Il en parut aussy attendry, et en suite il me dit : Aprenez vous aux Novices que N. S. est mort pour tous les hommes, et pourquoy il y a des bons et des mes- chans ?
R. Comme je ne m'embarasse point de ces choses-là, je n'ay garde d'en embarasser les Novices. Je tasche, au contraire, à les tenir le plus que je puis dans la simpli- cité.
Il répliqua : Cela est fort bien : Mais ne leur dittes-vous pas que quand on pèche c'est par sa faute? et ne le croyez- vous pas?
R. Ouy, Monsieur, et je le sens bien par ma propre expérience ; je vous assure que quand je fais des fautes, je ne m'en prends qu'à moy seule, et c'est pourquoy je tasche d'en faire pénitence.
Il dit : Voilà qui est fort bien, Dieu soit beny, car je croy que vous parlés sincèrement.
R. Oui, Monsieur, comme devant Dieu.
D. Je le croy, j'en suis assuré. Dieu soit beny, ma Fille, demeurez toujours dans cette Foy-là, quoy qu'on vous dise, et aprenez bien cela aux Novices. Je remercie Dieu de tout mon cœur de vous avoir préservée de toute erreur: car cela est horrible, qu'il y en a qui disent que Dieu tire les uns de la Masse corrompue et qu'il y laisse périr les
132 ŒUVRES
autres, selon qu'il luy plaist, cela est horrible. Mais Dieu soit loué de vous avoir garentie d'une si grande erreur. N'avez- vous point de plaintes à faire?
R. Non, Monsieur, par la grâce de Dieu, je suis parfai- tement contente.
Il me dit : mais cela est estrange, quand je vais quelque fois voir des Religieuses, elles me tiennent des deux heures de suite à me faire des plaintes, et je ne trouve point cela icy.
R. Il est vray, Monsieur, que par la grâce de Dieu nous vivons dans une très grande paix et une grande union. Je croy que cela vient de ce que chacune fait son devoir sans se mesler des autres.
Il s'escria sur cela : Ha I que cela est bien ! Dieu en soit beny, ma Fille! faites-moy venir celle qui vous suit.
INTERROGATOIRE DE LA MERE MARIE DE SAINTE MAGDELEINE DU FARGIS PRIEURE DE P. R. DES CHAMPS.
.... Ma Sœur Euphemie a oublié de mettre dans sa re- lation qu'il [Mr Bail] luy demanda fort si on alloit souvent à confesse. Elle repondit : autant qu'on en a besoin, et il fut content de cela. Apres il luy demanda, en son parti- culier si on ne luy donnoit point quelques fois pour péni- tence d'estre plusieurs mois sans communier. Elle luy repondit un grand, Jésus ! non, Monsieur, dont il de- meura satisfait. Il luy demanda beaucoup aussi si on ne differoit point de luy donner l'Absolution jusqu'à ce qu'elle eut fait la pénitence qu'on luy avoit donnée. Elle luy dit que non, et il ne l'interrogea pas davantage là dessus.
CLXXII
LETTRES ÉCRITES
A L'OCCASION DE LA MORT
DE JACQUELINE PASCAL
(l\ octobre 1661).
135
I
LETTRE DE NICOLE A MADEMOISELLE PERIER, A PARIS1
C'est assurément, Mademoiselle, une preuve convain- cante que je suis dans une entière impuissance de sortir, de ce que je n'ay pas accepté l'offre que vous m'avez faite de vous pouvoir voir chez vous avant vostre départ et vous témoigner les sentimens que j'en ay. Mais il y a certaines nécessitez qui ne reçoivent point de dispense, et la mienne estoit alors de ce genre. Les choses estant néanmoins un peu changées cette nuit, je ne perds pas l'espérance de vous voir demain, et je vas pour cela me procurer lieu de dîner chez M"e de La Faye (?), si ce peut-estre un moyen de vous voir après. Cependant, Mademoiselle, je ne sçay si vous trouverez bon que je vous dise qu'il me paroist tant de sujets de consolation dans la mort de mademoiselle vostre sœur, que je suppose morte comme vous en parlez, que je ne sçay si la pieté permet de s'en affliger. Il y a certaines personnes pour lesquelles il y a toujours beau- coup à craindre ; mais entre les asseurances que l'on peut avoir en ce monde de la prédestination d'une personne, je ne sçache point de plus grande que celle que nous fournit une pieté non discontinue, et qui n'a point eu d'in- terruption, une dévotion sans éclat et toute solide, accom- pagnée de la plus austère pénitence, et d'une pénitence
t . Cette lettre a été publiée par Victor Cousin : Jacqueline Pascal, 3e édition, i856, p. 335, d'après l'autographe que possédait M. Hecquet d'Orval. Elle semble bien répondre à un billet où Madame Perier annonçait à Nicole l'état désespéré de sa sœur, et son départ pro- chain pour Port-Royal des Champs.
136 ŒUVRES
toute volontaire et couverte mesme du voile de régime. Ce qui me la fait encore plus estimer sont les biens que Dieu donne à ses élus et à ceux d'entre ses élus qu'il daigne le plus favoriser. Ainsi je ne sçay presque si Ton doit souhaiter que vous la retrouviez encore en vie plutost que le sacrifice déjà consommé. La foy, ce me semble, nous doit partager là-dessus. Mais je souhaite beaucoup que vous serviez à consoler monsieur vostre frère, à qui la nature aura fait sentir ce coup, malgré qu'il en ait, et que vous succédiez à une si chère sœur dans les offices de charité qu'elle luy rendoit et qu'elle recevoit de luy. Il y a tant de marques de la bénédiction de Dieu sur vostre famille que je mets entre les grâces qu'il m'a faites de l'avoir connue et de ce que vous m'avez mis au nombre de vos amis. C'est une qua- lité, Mademoiselle, que je conserveray chèrement toute ma vie de ma part et dont je vous demande instamment la continuation de la vostre.
II
LETTRE DE LA MÈRE ANGÉLIQUE
DE SAINT-JEAN A MADAME PERIER
SUR LA MORT
DE LA SŒUR DE SAINTE-EUPHÉM1E PASCAL
ARRIVÉE LE 4 OCTOBRE 1661 1
[5. Octobre 1661.]
Je n'ay point de paroles encore, ma très chère sœur, pour vous entretenir de nostre douleur commune. Vérita- blement vostre billet d'hier me donna un coup dans le
1. Victor Cousin a publié cette lettre (Jacqueline Pascal, Paris, Didier, 3e édition, p. 33 1), d'après l'autographe que possédait M. Hecquet d'Orval, et dont la trace est aujourd'hui perdue.
MORT DE JACQUELINE PASCAL 137
cœur que j'attendois aussi peu que je me suis attendue infailliblement ce matin à la dernière nouvelle qui comble toutes nos afflictions passées. Je viens de voir M. Perier, à qui je n'ay rien osé dire que ce qu'il sçavoit par vostre billet d'hier au matin, parce qu'Hilaire m'a dit que vous vouliez qu'on en usât ainsi. Il en est si touché que je le plains d'avoir à en apprendre davantage, et la trop grande espérance dont il voudroit quasi se flatter encore ne servira qu'à luy rendre le coup plus sensible. Il n'avoit rien dit à M. Pas.... M. de Rouanez est icy ; j'en suis bien aise; mais néanmoins, si la consolation ne vient de Dieu et de la foy dans ces rencontres, il est bien impos- sible d'en prendre en quoy que ce soit et en qui que ce soit au monde. Helas! je le dis comme je le sens avec trop de douleur; car j'en attendois beaucoup dans toutes nos afflictions présentes et futures de celle que Dieu nous oste de peur que nous eussions encore cet appuy. Qu'il soit loué éternellement de ses miséricordes ! Il sçait pourquoy il fait toutes choses, et tout réussit au bien de ses eslus, qui doivent adorer ses ordres sans pénétrer ses desseins. Je ne puis dire combien je ressens vostre douleur, ma très chère sœur, ny à quel point je me sens plus que jamais unie et liée avec vous par cette triste séparation.
III
LETTRE DE SINGLIN AUX RELIGIEUSES DE PORT ROYAL1
5. Octobre 1661.
Il me seroit bien difficile de vous rien dire sur un sujet qui vous est sans doute très sensible, aussi bien qu'à ma sœur Angélique de S*- Jean, à toutes celles qui la connois-
1. Cette lettre a été publiée dans le Recueil d'Utrecht, 17^0, p. 3i3, et
138 ŒUVRES
soient, et à toute la Maison. Je n'en suis touché que pour l'amour de vous ; car pour elle on s'en doit rejouir, et pour moy je ne m'en dois pas attrister. Elleavoit, comme vous le sçavez, beaucoup de confiance en moy. Je crains toujours pour ceux et celles qui s'y confient. Mais quand Dieu les prend dans une bonne et sainte disposition, telle qu'a esté la sienne, j'ay sujet d'en louer Dieu, et par conséquent de m'en rejouir. Je n'en ay de la tristesse que parce que je sçay qu'il s'est fait un vuide dans vostre Mai- son qu'il est difficile de remplir. Mais rien n'est impossi- ble à Dieu, qui sçait mieux ce qu'il nous faut que nous- mesmes. Il y a quelques jours que je suis frappé d'une pensée dont je ne sçay si je la diray bien. C'est sur nostre impertinence de désirer une chose, d'en craindre une autre, de souhaiter que cela arrive ou n'arrive pas, que celles-cy vivent, que celles-là ne vivent pas. Gomme si la souve- raine sagesse et équité ne voyent pas toutes choses, et si nous avions des lumières et des vues particulières dont Dieu auroit besoin pour bien régler et disposer toutes choses dans une parfaite justice. Tout est si bien com- passé en luy et hors de luy que nous n'avons qu'à l'ado- rer dans les choses où nous ne voyons goutte, et où nous ne voyons pas cette harmonie merveilleuse qui se trouve jusque dans la vie et les actions des mechans, qui est le sujet de l'admiration et de l'adoration de tous les Esprits bienheureux. Cette pensée m'arreste tout court dans tant de vues de ce que nous pensons qu'il seroit à désirer que Dieu fist ou ne fist pas. La mort des bons et des mechans y entre : l'édification et la destruction des meilleurs des- seins pour son service y sont renfermées, et nous tous
dans V Histoire des Persécutions des Religieuses de Port-Royal, écrites par elles-mêmes, 1 753, p. 3i. C'est ce dernier texte que nous avons suivi.
MORT DE JACQUELINE PASCAL 139
ensemble pour ce qu'il luy plaira faire et disposer de nous. Nous n'avons donc qu'à luy dire que sa sainte volonté soit faite en toutes choses, se soumettre à toutes sortes d'eve- nemens : le consulter pour connoistre cette volonté et ce qu'il désire de nous ; ne trouvant de peine qu'en ce que nous devons prendre part et agir par nostre charge ou par la charité, dans la crainte d'y mettre du nôtre et de nostre Providence par-dessus celle de Dieu. Heureux celuy qui n'a qu'à souffrir et à adorer Dieu en toutes choses, sans y prendre autre part que de le bénir en tout ce qui arrive et en tout temps, aussi bien dans les maux que dans les biens, qui ne sont très souvent maux que dans nostre ima- gination et nostre ignorance I II faut finir pour donner les lettres et pour prier Dieu pour Vostre défunte, quoy qu'elle en ait encore moins besoin que moy des siennes. Car je m'estimerois très heureux d'estre avec elle, et j'es- pererois de pouvoir assister ceux que je laisserois après moy mieux que je ne le sçaurois faire durant ma vie. Nous sommes à Dieu à la vie et à la mort, il disposera comme il luy plaira de nous tous.
IV
EXTRAIT D'UNE LETTRE
DE L'ABBÉ LE ROI DE HAUTE FONTAINE
AUX RELIGIEUSES DE PORT-ROYAL2
5. Octobre 1661. Mes Révérendes Mères et mes très chères Sœurs, Je ne sçaurois vous exprimer combien je sens la perte que vous avés faite, et combien la liaison que nostre Sei- gneur me fait avoir avec vostre sainte Communauté me
1. Recueil d'Utrecht : [nostre].
2. Publiée en 1754 dans le Recueil de Pièces, qui n'ont pas encore
140 OEUVRES
fait prendre de part à toutes vos peines. Mais n'est-ce point parler trop humainement, et suivre trop les mouve- mens de la nature, que d'appeller une perte la mort Sainte et heureuse par laquelle Jesus-Christ retire ses Servantes et ses Epouses des misères de cette vie pour les establir dans son bienheureux repos?...
LETTRE DE LA MERE AGNES A M. PASCAL SUR LA MORT DE SA SOEUR1
Gloire à Jésus au Très Saint Sacrement.
7. Octobre 1661. Monsieur,
Encore que les consolations soyent importunes dans une grande affliction comme est la vostre, j e me promets que vous recevrez ce billet comme une marque du respect qui me porte à vous rendre mes très humbles devoirs dans une occasion où il est impossible que vous ne croyiez pas que je suis extraordinairement touchée, nostre perte nous es- tant commune, et, si je l'ose dire, plus grande pour les per- sonnes qui avoient à passer leur vie avec cette chère sœur. Feu nostre mère l'eust extrêmement regrettée, et cependant elle l'aura receue avec joie, parce que ses pensées ne sont plus nos pensées, et qu'elle regarde nos interests d'une
paru, sur le Formulaire, les Bulles, et les Constitutions des Papes dont on exige des Fidèles l'Acceptation. A Avignon, chez Pierre Verax, à l'Enseigne de la Sincérité, 1754 (composé par Leclerc et imprimé en Hollande), 6e pièce.
1 . La copie de cette lettre se trouve au second recueil manuscrit du Père Guerrier, p. 29.
MORT DE JACQUELINE PASCAL 141
autre manière qu'elle ne faisoit estant avec nous, et cette mesme chère sœur que nous pleurons ne peut plus pleurer nos pertes, mais elle désire seulement que nous nous per- dions entièrement dans la volonté de Dieu comme elle a fait. L'Evangile que l'on disoit le jour de sa mort1 nous a marqué ce que nous devons faire dans cet événement et dans tous les autres qui sont si contraires à nostre raison, dans les atta- ches les plus justes qu'on puisse avoir, quand Jesus- Ghrist nous apprend à consentir à tout ce que Dieu fait, parce qu'il luy a semblé bon d'en user de la sorte. C'est la seule parole que nous avons à dire en cette occasion, et pour rendre à cette chère défunte ce que nous devons à l'extresme charité qu'elle a eue pour nous de remercier Dieu, pour elle et avec elle, de ce qu'il luy avoit fait con- noistre le mystère de l'humilité de Jesus-Christ; en sorte qu'elle fust dans ses qualitez naturelles du nombre des sages, Dieu luy ayant fait la grâce de renoncer entière- ment à tout ce qu'il avoit mis d'excellent en elle, et de ne s'en servir que pour l'abaisser plus que toutes celles qui n'avoient pas tant de connoissance de Dieu et de soy- mesme qu'elle en avoit2. Vous connoissiez son mérite, Mon- sieur, beaucoup mieux que nous ne le faisions ; et, estant aussi chrétien que vous Testes, vous ferez un présent à Dieu, qui sera tout volontaire, encore que vous soyez tout prévenu de la nécessité que Dieu nous impose, afin que nous ne nous éloignions pas de l'acceptation de ses desseins. Je le supplie, Monsieur, qu'il vous donne tout ce qu'il vous demande, et qu'il me rende digne de vous rendre devant luy tout ce que je dois à vostre charité et à
i. Matth. XI, 26. Évangile de la fête de S1 François d'Assise (Note de l'édition Gillet-Faugere , T. II, p. 12).
2. Rapprocher cette pensée de celle qu'exprimait la Mère Agnès dans sa lettre du 20 mai i65i, cf. supra, T. II, p. 45o.
142 ŒUVRES
la mémoire d'une personne qui vous estoit si intime comme à nous.
C'est, Monsieur, vostre très humble et très obéissante servante en Jesus-Christ,
Soeur Catherine Agnes de Saint Paul, Religieuse indigne.
VI
EXTRAIT D'UNE LETTRE DE M. PAULON1 A LA Rde MERE ABBESSE DE PORT-ROYAL DE PARIS
Ce i3. Octobre 1661.
... Si je n'estois convaincu de ces veritez, je serois beau- coup plus affligé que je ne suis de la perte (si je la puis appeler aynsi) de ma sœur Euphemie. Je puis vous dire que j'ay désiré si ardemment qu'il pleut à Dieu nous la con- server, qu'il ne me paroit rien de difficile que je n'eusse bien voulu faire pour obtenir cette faveur ; mais Dieu qui a voulu faire sa volonté et non pas la nostre, a trouvé bon de recompenser dans le ciel celle que sa bonté très libe- ralle avoit chargée de mérites sur la terre. Je crois, ma Mère, que vous avez apris tout ce qui arriva de particulier à l'extrémité de sa maladie. J'ay la consolation de l'avoir reconciliée et communiée pour la deuxiesme fois une heure devant sa mort.
1. Paulon, établi en 1661 comme confesseur des religieuses de Port-Royal par le Grand- vicaire de Contes, traita les religieuses avec beaucoup de douceur. Cette lettre se trouve à la Bibliothèque Natio- nale, ms. f. fr. 17808, f° 80.
MORT DE JACQUELINE PASCAL 143
VII
EXTRAIT D'UNE LETTRE DE LA MERE AGNES l A LA MERE RENEE DE SAINT-PAUL, A SAUMUR
21. [Octobre] 1661.
... Depuis cette privation, qui tiendra toujours le pre- mier lieu de toutes2, nous avons fait une seconde perte qui nous a beaucoup affligées, c'est la mort de ma chère sœur de Sainte-Euphemie, qui estoit sous-prieure et maitresse des novices à Port-Royal-des-Champs, et que nous regardions comme une personne qui devoit quelque jour remplir les premières places. Nous avons eu en mesme temps la peur de perdre la mère prieure, qui est ma sœur Marie de Sainte Madeleine3, et nous ne sommes pas encore hors d'appréhension que la grande maladie qui luy a commencée il y a trois mois, et dans laquelle elle est retombée depuis six semaines, ne l'emporte enfin. Jugez après cela, très chère sœur, où nous en serions, et le besoin que nous avons que Dieu nous regarde en sa miséricorde, comme je vous supplie très humblement de luy demander. Je fais en toute humilité mes excuses à la révérende mère prieure de ce que je ne me donne pas
1. Nous donnons cette lettre d'après l'édition Gillet-Faugère, T. II, p. 16.
2. La mort de la Mère Angélique.
3. Le i4 septembre, la Mère Agnès écrivait à Madame de Foix,
coadjutrice de Saintes: « Nous sommes dans la crainte de perdre
la mère prieure et la sous-prieure de Port-Royal-des-Champs, qui sont fort malades depuis quelque temps et toujours en péril : que si Dieu nous les ostoit, je ne vois personne qui puisse remplir la place aussi dignement qu'elle l'est par ces deux filles, qui sont excellentes en vérité. »
144 ŒUVRES
l'honneur de luy écrire pour recommander à ses prières cette chère défunte...
VIII
EXTRAIT D'UNE LETTRE DE Mlle DE VERTUS A MADAME DE SABLÉ1
[Octobre 1661.]
... Je suis faschée de la mort de ma sœur Eufemie, comme si elle m'estoit quelque chose de bien proche. Et il me semble que j'ay fait une vraye perte, tant je me suis liée aux personnes qui en sont à la mort. Si j'osois, je vous supplierois de dire un petit mot de moy à M. Pascal et à Mlle Perié, je l'y rois voir si j'estois dans autre estât. Je suis toute à vous, ma bonne Madame, et à nos Mères s'il vous plaist.
1. Cette lettre a été publiée par Victor Cousin, Madame de Sablé, p. 370. Elle se trouve à la Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. i^oôo (portefeuilles Vallant), p. 71.
CLXXIII ACTE NOTARIÉ
SIGNÉ PAR
BLAISE PASCAL
6 novembre 1661.
Publié par M. Ch. Samaran, Journal des Débats du 2 janvier 1912, d'après les archives de Me Blanchet, notaire, successeur de Gallois.
2e série. VII 10
147
CONVENTION RELATIVE
A L'ENTREPRISE DES CARROSSES PUBLICS
A ETABLIR A PARIS
Nous soussignés duc de Rouannez et marquis de Cre- nan, reconnoisons qu'ayant esté depuis deux ou trois ans trouvé par ledit seigneur duc de Rouannez et le sieur Pascal l'invention d'establir des carrosses à l'instar des coches dans la ville et fauxbourgs de Paris, où chacun ne payera que sa place pour un prix tout à fait modique allans incessament d'un quartier à l'autre, et ayant esté par eux pensé à plusieurs et divers moyens pour rendre plus utile cette invention, l'ayant pour cet effet considé- rée ensemble en grand nombre de manières et estant enfin arrivez à celle qu'ils ont jugé la plus parfaitte, ledit seigneur duc de Rouannez proposa cette pensée à Monsieur le marquis de Sourches, grand prevost de l'hostel, et audit seigneur marquis de Crenan, et leur offrit de leur y donner part, à quoy ayant consenti1 nous susnommez reconnoissons et déclarons avoir convenu, traitté et ac- cordé entre nous et ledit sieur Pascal que dudit droit, s'il plaist au roy nous l'accorder, il en appartiendra par cy après au marquis de Sourches six mille livres par an (sui- vant la convention précédemment résumée), et que le surplus appartiendra sçavoir trois sixiesmes parties fai-
i. Cette convention avait été passée le 29 octobre 1661, à Fontai- nebleau, entre le duc de Rouannez et le marquis de Crenan, d'une part, contractant au nom de tous les intéressés — et le marquis de Sourches. Le marquis de Sourches ne devait être engagé en aucun frais, ni dans le présent, ni dans l'avenir.
148 OEUVRES
sant la moitié au dit seigneur duc de Rouannez, ses suc- cesseurs et ayant-cause, une sixiesme partie audit seigneur marquis de Crenan, ses successeurs et, ayant cause, et une autre sixiesme partie audit sieur Pascal, ses succes- seurs, etc., etc., l'autre sixiesme partie estant réservée au sieur Arnauld de Pomponne avec lequel en sera fait un traitté particulier, à la charge qu'il sera fourny par ledit seigneur duc de Rouannez et par lesdits sieurs marquis de Grenan, Pomponne et Pascal chacun leur part et portion des frais et avances qu'il conviendra faire pour ledit es- tablissement à proportion de la part et portion qu'a cha- cun d'eux audit droit, et a esté de plus convenu entre nous que les originaux de toutes pièces concernant cette affaire seront mis es mains dudit seigneur duc de Rouannez, dont il sera tenu d'en donner des copies colla- tionnées auxdits sieurs intéressez, mesme et par exprès leur en représenter les originaux quand ils en auront be- soin, comme aussy de l'accord fait avec ledit seigneur marquis de Sourches, dont la copie est cy-dessus et de ceux qu'il pourra passer en conséquence d'icely par de- vant notaires. Fait à Paris le sixiesme de novembre mil six cent soixante et un. Fait triple celuy cy pour ledit sieur Pascal. Signé: Artus Gouffier duc de Rouannez, Pierre de Perrien, Pascal1.
i. Le i^ juillet 1661, Pascal signa les reçus des sommes prêtées auparavant aux religieuses de Port- Royal. A ce moment on craignait la persécution, et on voulait éviter sans doute que les amis delà mai- son ne fussent privés de leurs rentes. Arnauld et Nicole reprirent leurs fonds et les placèrent dans l'île de Nord-Strand (cf infra p. 33o, n. 3.); Saci les mit aux Incurables ; Pascal put les engager dans l'entre- prise des carrosses. Nicole mentionne aussi dans son testament qu'il possède une « petite part dans l'affaire des Garosses » sous le nom de M. de Nainvilliers, demeurant dans la rue Ste Croix de la Bretonnerie.
CLXXIV
FRAGMENT D'UNE LETTRE
DE BLAISE PASCAL
A UN AMI DE CLERMONT
date présumée : 1661. Copie au deuxième recueil manuscrit du Père Guerrier, p. 210.
1S1
INTRODUCTION
Le Père Guerrier, après avoir copié le fragment qui suit, ajoute : « J'ai transcrit cette lettre sur l'original écrit de la main de M. Pascal. Le dernier feuillet est perdu. Il y a trois mots que je n'ai pu déchiffrer, et j'ai eu bien de la peine à lire les autres. » Nous ne savons pas à quelle date cette lettre a été écrite ni à qui elle était adressée. On a conjecturé que l'ami de Clermont était ou Perier, ou Domat; que les « frondes » de Paris dont parle Pascal pourraient être les querelles qu'il soutenait contre Arnauld et Nicole au sujet de la signature ; que les luttes de Clermont seraient celles que le chapitre de la cathédrale et les amis de Pascal avaient engagées contre les jésuites du collège de Montferrand, luttes dont on parlait déjà en i656, et qui se prolongeaient encore en 1662.
Ces diverses hypothèses sont vraisemblables ; il faut cepen- dant noter que Domat se trouvait à Paris à la fin de 1661 et en 1662, et que Perier semble y avoir séjourné aussi en novembre 1661 *.
En 1661 (après le mois d'avril) fut écrite une Relation de Vétat présent du Jansénisme dont nous donnons un extrait. Le Père Guerrier l'a trouvée dans les papiers de Marguerite Perier,
1 . Ne pourrait-on supposer aussi que cette lettre fait allusion aux difficultés que Perier eut en 1657 avec quelques Sulpiciens du sémi- naire de Clermont, et qu'il raconte dans des lettres écrites le 25 mai et le 8 juin 1657 (cf. le sommaire qu'en fait Hermant, Mémoires, T. III, p. £52 sqq.)? Dans ce cas, nous retrouverions ici l'écho de la colère qui dictait à Pascal les notes très vives écrites en marge de sa 19e Provinciale (cf. supra T. VII, p. 173).
i52 OEUVRES
et croit qu'elle a été composée par un jésuite de Montfer- rand. Elle se trouve dans le ms. f. fr. 1891 3 de la Bibliothèque Nationale (3e recueil Guerrier), p. J98 sqq. ; elle a été publiée en extrait dans la seconde édition Faugère des Pensées, 1897, T. I, p. 437; et in-extenso dans Jovy, Pascal in édit, T. I, p. 345.
Extrait d'une « Relation de l'état présent du Jansénisme dans la ville de Clermont en 1661 ».
La secte est composée de plusieurs laïques des deux
sexes. Les plus considérables sont les sieurs Montorcier, Pré- sident en la Cour des Aydes, le sieur Perier, Conseiller en ladite Cour, et la demoiselle Pascal sa femme, le sieur Guer- rier, avocat, et la nommée Baudoin sage-femme, mais le plus signalé est le sieur Domat, avocat du Roy au Presidial dudit Clermont, lequel ayant quelque vivacité d'esprit et s'estant employé uniquement à l'étude de ces matières, passe pour le plus habile, fait leçon à ses confederez, et corrompt une partie de la jeunesse qui fréquente le palais. Il ne paroist pas que les Ecclésiastiques soient engagez dans ce parti à la reserve du sieur Courtin, Doyen de l'Eglise Collégiale de S1 Amable àRiom, lequel est un fameux janséniste et qui vient souvent à Clermont pour rendre ses assistances à la cabale. Il faut taire quelques communautés ecclésiastiques dont plu- sieurs particuliers donnent un juste sujet de soupçon — Ils tiennent ces discours non seulement dans les compagnies et dans les cercles, mais encore dans les places publiques, dans le palais et presque sur les fleurs de lys.
Pour fomenter leur liaison factieuse, ils font beaucoup d'assemblées secrètes dans leurs maisons et dans celles de quel- ques communautés suspectes, mais le lieu des conventicules ordinaires et réglez est la maison de Bienassis, hors et à 200. pas des murailles de la ville, appartenant audit Perier. C'est là où ils s'assemblent, hommes et femmes, les dimanches et jours de festes. On n'a pas pu découvrir jusques icy quels sont leurs exercices. L'assiduité neantmoins des personnes, le
LETTRE DE BLAISE PASCAL 153
temps qu'ils y emploient, et les précautions qu'ils prennent pour le secret, font conjecturer quelque mystère d'iniquité. Il est à croire qu'on y débite les plus belles maximes de la cabale, et que, pour délasser les esprits, on fait lecture de certaines gazettes écrites à la main qui leur viennent règle- ment deux fois la semaine de la part de leurs Confrères de Paris et qui contiennent les récits avantageux au party. Par cette correspondance ils amusent la crédulité des foibles et se liguent plus fortement contre l'unité de l'Eglise...
154
EXTRAIT D'UNE LETTRE DE BLAISE PASCAL
Vous me faites plaisir de me mander tout le détail de vos frondes, et principalement puisque vous y estes intéressez. Car je m'imagine que vous n'imitez pas nos frondeurs de ce païs-cy qui usent si mal, au moins en ce qui m'en paroist, de l'avan- tage que Dieu leur offre de souffrir quelque chose pour l'establissement de ses veritez. Car, quand ce seroitpourl'establissement de leurs veritez, ilsn'agi- roient pas autrement ; et il semble qu'ils ignorent que la mesme Providence qui a inspiré les lumières aux uns, les refuse aux autres ; et il semble qu'en travaillant à les persuader, ils servent un autre Dieu que celuy qui permet que des obstacles s'opposent à leur progrés. Ils croient rendre service à Dieu en murmurant contre les empeschemens, comme si c'estoit une autre puissance qui excitast leur pieté, et une autre qui donnast vigueur à ceux qui s'y opposent.
C'est ce que fait l'esprit propre. Quand nous vou- lons par nostre propre mouvement que quelque chose réussisse, nous nous irritons contre les obsta- cles, parce que nous sentons dans ces empeschemens ce que le motif qui nous fait agir n'y a pas mis, et nous y trouvons des choses que l'esprit propre qui nous fait agir n'y a pas formées.
Mais quand Dieu fait agir véritablement, nous ne
LETTRE DE BLAISE PASCAL 155
sentons jamais rien au dehors qui ne vienne du mesme principe qui nous fait agir ; il n'y a point d'opposition au motif qui nous presse ; le mesme moteur qui nous porte à agir en porte d'autres à nous résister, au moins il le permet ; de sorte que, comme nous n'y trouvons point de différence et que ce n'est pas nostre esprit qui combat les evenemens étrangers, mais un mesme esprit qui produit le bien et qui permet le mal, cette uniformité ne trouble point la paix d'une ame et est une des meilleures marques qu'on agit par l'esprit de Dieu, puisqu'il est bien plus certain que Dieu permet le mal, quel- que grand qu'il soit, que non pas que Dieu fait le bien en nous (et non pas quelque autre motif se- cret) quelque grand qu'il nous paroisse ; de sorte que pour bien reconnoistre si c'est Dieu qui nous fait agir, il vaut bien mieux s'examiner par nos com- portemens au dehors que par nos motifs au dedans, puisque si nous n'examinons que le dedans, quoy que nous n'y trouvions que du bien, nous ne pouvons pas nous asseurer que ce bien vienne véri- tablement de Dieu. Mais quand nous nous exami- nons au dehors, c'est-à-dire quand nous considérons si nous souffrons les empechemens extérieurs avec patience, cela signifie qu'il y a une uniformité d'es- prit entre le moteur qui inspire nos passions et ce- luy qui permet les résistances à nos passions ; et comme il est sans doute que c'est Dieu qui permet les unes, on a droit d'espérer humblement que c'est Dieu qui produit les autres.
156 ŒUVRES
Mais quoy ! on agit comme si on avoit mission pour faire triompher la vérité, au lieu que nous n'avons mission que pour combattre pour elle. Le désir de vaincre est si naturel que quand il se cou- vre du désir de faire triompher la vérité, on prend souvent l'un pour l'autre et on croit rechercher la gloire de Dieu, en cherchant en effet la sienne1. Il me semble que la manière dont nous supportons les empeschemensenestlaplus seure marque ; car enfin si nous ne voulons que l'ordre de Dieu, il est sans doute que nous souhaiterons autant le triomphe de sa justice que celuy de sa miséricorde, et que, quand il n'y aura point de nostre négligence, nous serons dans une égalité d'esprit, soit que la vérité soit con- nue, soit qu'elle soit combattue, puisqu'en l'un la miséricorde de Dieu triomphe et en l'autre sa justice.
Pater juste, mundus te non cognovit2. Père juste, le monde ne t'a pas connu. Sur quoy Saint Augus- tin dit que c'est un effet de sa justice qu'il ne soit point connu du monde3. Prions et travaillons et re- jouissons-nous de tout, comme dit saint Paul *.
i. Cf. la lettre écrite à Jacqueline Pascal par la Mère Agnès, supra T. II, p. 45 1, et la note.
2. Joan. XVII, 25.
3. In Joan. Evang. Tr. CXI, n. 5. ...Quia justus es, ideo te non cognovit. Mundus quippe ille damnationi prœdestinatus merito non cognovit: mundus vero quem per Christum reconciliavit sibi, non merito, sed gratiâ cognovit. Quid est enim eum cognoscere, nisi vita seterna ?
k. I Thess. V, i5-i8: Sed semper quod bonum est sectamini in in- vicem, et in omnes. Semper gaudete. Sine intermissione orate. In omni- bus gratias agite.
LETTRE DE BLAISE PASCAL 157
Si vous m'aviez repris dans mes premières fautes, je n'aurois pas fait celle-cy, et je me serois modéré. Mais je n'efïâceray non plus celle-cy que l'autre : vous l'effacerez bien vous mesme si vous voulez. Je n'ay pum'enempescher tant je suis en colère contre ceux qui veulent absolument que l'on croye la vérité lorsqu'ils la démontrent, ce que Jesus-Christ n'a pas fait en son humanité créée. C'est une moquerie et c'est ce me semble traiter le. . .
Je suis bien fasché de la maladie de M. de La- porte *. Je vous asseure que je l'honore de tout mon cœur. Je etc.
i. Laporte, ami de la famille Perier et ami de Port-Royal, médecin à Glermont, mourut en 1681. Il est question de lui dans les lettres de Madame Perier (cf. infra T. XI, Ier supplément).
CLXXV ÉCRIT DE PASCAL
SUR
LA SIGNATURE DU FORMULAIRE
fin novembre ou décembre 1661.
Copie à la bibliothèque municipale de Glermont-Ferrand, ms. 120, pp. 1 à 8.
161
INTRODUCTION
I. — LE SECOND MANDEMENT DES GRANDS-VICAIRES
Les discussions soulevées entre les amis de Port-Royal à l'occasion du premier mandement des Grands-vicaires du car- dinal de Relz (cf. supra p. 77 sqq.) se trouvèrent arrêtées court ; car les partisans les plus actifs du formulaire attaquèrent vigou- reusement cette ordonnance. Le Conseil du Roi, saisi dès le il\ juin, décidait qu'il fallait surseoir à la signature ; le 26 juin, une assemblée d'évêques tenue à Fontainebleau concluait à la nullité du mandement ; le 29, les Grands- vicaires mandés à la cour voyaient leurs explications re- poussées; le i4 juillet, le Conseil supprimait le mandement par un arrêt, et décidait de demander au pape un bref de condamnation. En vain les curés de Paris réunis le 20 juillet déclarèrent-ils que cette ordonnance avait édifié les fidèles1. Le Ier août, un bref fut expédié de Rome, enjoignant aux Grands-vicaires de révoquer leur mandement, sous peine de déposition. Le bref fut remis au roi par le nonce, le 21 août.
Voici une traduction qui en fut faite à cette époque :
A nos chers fils Jean Baptiste de Contes et Alexandre de Ho- dencq, Vicaires généraux de l'archevêque de Paris. Alexandre PP. VII.
Nos chers fils, salut et bénédiction Apostolique. Nous avons leû le Mandement qui a esté publié sous vostre nom le 8. de Juin de cette année, avec un très-grand estonnement et avec
1. On a parfois pensé que Pascal avait rédigé cette déclaration, mais cette attribution n'a aucune valeur; il s'agit ici d'un court acte notarié où l'on ne trouve que des clauses de style, et qui fut dressé, au sortir même d'une réunion, par les curés délégués.
2e série. VII 11
162 ŒUVRES
une juste douleur de nostre ame qui a meû entièrement les affections que nous avons de Père : dans lequel il est exposé par une narration qui n'est pas moins téméraire que fausse, que du temps d'Innocent X. d'heureuse mémoire on n'avoit traité d'autre chose que de rechercher si l'on devoit tenir les Cinq Propositions de la Grâce vrayes et Catholiques, ou bien fausses et hérétiques. Au lieu qu'en ce temps-là on ne jugea pas seulement avec connoissance de cause de ces Cinq Propo- sitions, mais aussi qu'elles estoient extraites du livre de Jan- senius, intitulé Augustinus et que par mesme moyen elles estoient condamnées au sens que Jansenius les entendoit, comme nous mesme l'avons déclaré nettement et expressé- ment par nostre Constitution en date du 16. Octobre i656. C'est pourquoy comme vous n'avez pas eu honte de soustenir un si faux et si évident mensonge en une matière de cette importance, vous estes manifestement coupables de semer de mauvaises yvroyes dans le champ du Seigneur, de troubler l'Eglise Catholique, etd'estre auteurs, autant qu'il est en vous d'un très vilain schisme. Et quoy que l'on reconnoisse en vous une très-grande outrecuidance, qui s'oppose par des cavil- lations et chicanes trompeuses, et par des circuits et détours, aux définitions de l'Eglise, qui sont appuyées par l'obéis- sance, et le zèle des Evesques de toute la France et proté- gées si vigoureusement par la pieté singulière du Roy tres- Chrestien ; Néanmoins nous, estant meus par la douceur et la charité que nostre charge désire, n'avons point voulu encore procéder par la voie de droict, mais nous avons trouvé bon d'employer plustost nostre clémence et bonté paternelle, espé- rant qu'il arrivera que vous écouterez à tout le moins la voix du Pasteur Universel et qu'après avoir receu ces lettres, vous révoquerez incontinent vostre Mandement; afin que vous n'expérimentiez point la juste indignation et la vigueur de l'autorité de ce saint Siège, vous ressouvenant des paroles du Seigneur : Celuy qui tombera sur cette pierre, sera froissé; et elle brisera celuy sur lequel elle tombera. Au surplus, nous prions Dieu qu'il vous donne l'esprit d'entendement, et de
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — INTRODUCTION 163
résipiscence ; et à cet effet nous vous départons nostre béné- diction Apostolique. Donné à Rome à Sainte Marie-Majeure, sous l'anneau du Pescheur, le premier d'Aoust mil six cens soixante-un, l'année septième de nostre Pontificat.
Les Grands-vicaires résistèrent d'abord avec énergie; mais, se voyant abandonnés par le cardinal de Retz, qui se récon- ciliait alors avec le roi, ils cédèrent ; le 3i octobre, ils signaient un second mandement que l'archevêque de Toulouse Marca avait rédigé, et que le nonce leur avait enjoint de publier.
Extrait du second mandement des Grands Vicaires. — Parce que les paroles de notre Ordonnance publiée le 8. jour de Juin de cette présente année, ont été entendues contre notre intention, qu'Innocent X. d'heureuse mémoire a condamné seulement comme hérétiques les 5. Propositions de la grâce, qui lui ont été présentées par plusieurs Evêques de France; et qu'au tems dudit Souverain Pontife on ne fit autre chose que rechercher si lesdites 5. Propositions étoient véritables et catholiques ou bien fausses et hérétiques: et de plus qu'il a voit été meû une question, à sçavoir, si elles etoient ou n'etoient pas de Jansenius, laquelle a été définie par notre saint Père le Pape Alexandre VII. par sa Consti- tution du 16. Octobre de l'année i656. et qu'encore par d'autres circuits, notredit Mandement est opposé ausdites définitions de l'Eglise, ainsi que Notre très-Saint Père le Pape Alexandre VII. nous l'a fait entendre avec une remontrance paternelle, par ses Lettres en forme de Bref, du premier jour d'Août de la présente année, quoique pourtant il soit très- certain qu'au tems dudit Pape Innocent X. on n'a pas seu- lement pris connoissance des 5. Propositions, mais encore qu'elles étoient extraites du Livre de Jansenius intitulé, Augustinus, et condamnées comme hérétiques dans le sens entendu parle même Jansenius, parla Constitution du même Innocent X. du dernier jour de Mai de l'année i653. comme encore nous l'a déclaré par exprès et plus clairement N. -S. P. le
164 ŒUVRES
Pape Alexandre VII. dans sadite Constitution du 16. Octobre de l'an i656. A ces causes, afin que nous donnions un bon exemple de notre obéissance et soumission d'esprit, que doivent tous les Catholiques à semblables déclarations apostoliques sans avoir aucun égard à notre Ordonnance ci-dessus mentionnée, laquelle nous cassons comme con- traire ausdites Constitutions des Souverains Pontifes et révoquons avec tout ce qui s'en est ensuivi, ainsi que pareil- lement Sa Sainteté nous a avertis et admonetés de faire par sondit Bref. Nous ordonnons par ces présentes à tous Doyens — dans quinze jours après la signification desdites présentes, de souscrire sincèrement et de cœur ausdites deux Consti- tutions Apostoliques, en usant de la formule mise au bas de ce Mandement, lequel, ceux qui composent lesdits Corps Ecclésiastiques Séculiers ou Réguliers, feront mettre sur leur Registre avec lesdites Constitutions, et y souscriront en usant de ladite formule, et nous rapporteront un Acte original et authentique de leurs souscriptions dans ledit tems Autre- ment et à faute de ce faire, et ledit temps passé, sera procédé contre eux par les voyes de droit, conformément ausdites Constitutions....
II. — LA SIGNATURE DES RELIGIEUSES DE PORT-ROYAL
Le mandement fut connu aussitôt, mais ne fut publié au prône que le 20 novembre. A nouveau se posa la question de savoir si les religieuses de Port-Royal pouvaient signer. Tous les amis du monastère, sauf Le Roi, admettaient encore que l'on fît une signature expliquée, mais ils ne s'entendaient pas sur les termes de l'explication. Les religieuses ne crai- gnaient pas la persécution, mais elles avaient peur d'altérer la vérité ; les discussions durèrent un mois ; les lettres nom- breuses de la Mère Angélique de S1 Jean montrent combien elles furent animées 1 . Enfin les religieuses de Port-Royal de
1 . Perier est indiqué dans une de ses lettres comme servant d'in-
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — INTRODUCTION 105
Paris, le 28 novembre, celles de Port-Royal des Champs, le 29, se resignèrent à signer avec cette déclaration :
« Nous, Abbesse, Prieures et Religieuses des deux monastères de Port-Royal de Paris et des Champs assemblées capitulaire- ment en chacune des deux Maisons pour satisfaire à l'ordon- nance de Messieurs les Vicaires généraux de Monseigneur le Cardinal de Retz du dernier octobre de la présente année 1661. Considérant que dans l'ignorance où nous sommes de toutes les choses qui sont au-dessus de nostre profession et de nostre sexe, tout ce que nous pouvons faire est de rendre té- moignage de la pureté de nostre foy, déclarons tres-volontiers par nostre Signature qu'estant soumises avec un très-profond respect à nostre Saint Père le Pape, et n'ayant rien de si pré- cieux que la foy, nous embrassons sincèrement et de cœur tout ce que Sa Sainteté et le Pape Innocent X. en ont décidé, et rejettons toutes les erreurs qu'ils ont jugé y estre con- traires. »
Beaucoup regrettèrent aussitôt cette signature : « ma sœur Flavie — écrit, le 2 décembre 1661, la Sr Angélique de S* Jean — pleure nuit et jour depuis qu'elle a signé et si les larmes estoient tombées sur sa signature, elle seroit bien lavée et il n'en resteroit point de trace assurément ». Cette signature fut tenue secrète jusqu'au 3o décembre; en janvier 1662,
termédiaire entre Arnauld et sa nièce (Hermant, Mémoires, T. V, p. 347> Le 24 décembre 1661, la Mère Magdeleine de Ste Agnès de Ligny, abbesse, écrivait encore à Perier (ier recueil Guerrier, p. 6 1 4) : « Monsieur, M. le Doyen vient d'envoyer présentement nous prier d'envoyer quelque personne de confiance à qui il pourroit communiquer une affaire qui nous regarde. Nous avons cru, Mon- sieur, que vous auriez bien la bonté de vouloir prendre la peine de l'aller trouver, vostre charité et vostre affection vous rendant infa- tigable pour tout ce qui nous peut servir. C'est ce qui me donne la liberté de vous faire cette très humble supplication. M. le Doyen désire que ce soit cette apres-disnée, ou demain au matin sur les 8. heures, désirant de ne pas perdre l'Office. Nous croyons que cette heure du matin vous sera la plus commode, estant bien tard après Vêpres. Je suis avec respect, Monsieur vostre — »
166 ŒUVRES
la cour déclara ne pas s'en contenter, et exigea, mais en vain, une addition à la déclaration. Sur ces entrefaites, fut soulevée la grosse affaire de la thèse des jésuites sur l'infaillibilité du pape ; Relz donna sa démission d'archevêque ; Marca, désigné pour le remplacer, mourut le 29 juin sans avoir reçu ses bulles. Le 3o, les six ^caires généraux nommés par le cha- pitre firent un troisième mandement prescrivant la signature pure et simple du formulaire qu'avait exigée un arrêt du Ier mai. Ce nouveau mandement, porté à Port-Royal le 7 juil- let, fut repoussé par les religieuses, et attaqué de nullité par de nombreux écrits. L'affaire en demeura là jusqu'en 1664.
III. - LE ROLE DE PASCAL
Pascal prit une part active aux luttes appelées les « guerres civiles » de Port-Royal. Lui qui venait de soutenir Arnauld et Nicole dans leurs discussions avec Barcos et Singlin (cf. supra p. 5g sqq.) proteste avec véhémence à un moment donné contre la signature qu' Arnauld et Nicole avait conseillée aux reli- gieuses, et composa même un écrit à ce sujet. A quel mo- ment prit-il cette attitude? Avant le mandement du 8 juin, il acceptait (comme tous les amis de Port-Royal, à très peu d'exceptions près) que l'on signât avec restriction ; nous en avons une preuve dans la lettre écrite, le 24 juin 1661, par Girard, docteur de Sorbonne, à Varet, vicaire général de Sens et au docteur Perrault, tous deux hostiles à la signature pure et simple du premier mandement. A la fin de ce long écrit de 181 pages qu'Adrien Le Paige a résumé et reproduit en partie dans ses manuscrits1, Girard écrivait : «... En attendant je diray à Mr N. [Varet oa Perrault] qu'il est le seul de son avis.
1. Cette copie que possède M. A. Gazier a été faite par l'avocat Le Paige d'après un manuscrit communiqué par Mr L. R .(sic); la plupart des autres pièces signalées par Le Paige ont été imprimées dans le Recueil de pièces de Leclerc, 1754, cité supra p. i3g, n. 3
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. - INTRODUCTION 167
Car y ayant en tout, parmi les disciples de S. Augustin, deux personnes qui ne sont pas contents du mandement, ils ne demandent autre chose, sinon qu'on leur permette de signer avec une restriction plus expresse que celle qui est portée par la clause. Ces personnes ont peu de nom, ce sont MM.1 ... M. Arnauld a écrit deux belles lettres pour cette signature; l'une à M. l'abbé [Le Roi], l'autre aux filles de Port-Royal. J'ay vu la première et non la deuxième. Pre- nons garde de ne pas nous diviser. Je vous assure que j'ay autant d'eloignement que vous pour toute signature, et que je ne me determineray qu'après avoir prié et fait prier Dieu longtemps et avoir écouté tout le monde. Mr N. [Varet ou Perrault] ne se souvient pas, lorsqu'il m'écrit que je l'ay assuré que nos amis ne signeroient quoy que ce soit.
« Il me fera justice quand il se souviendra que je luy ay témoigné que tout le Port-Royal, S* Cyran, et MM. Pascal et de Lalane, estoient pour la signature avec restriction, et mesme on s'est offert 2 à signer le formulaire pourvu que les Evesques l'interprétassent eux-mesmes, ou qu'ils permissent aux parti- culiers de l'interpréter par leurs restrictions... A Dieu, nos très chers... on me demande vos deux lettres de la part de nos amis ; je croy qu'il n'y a pas de mal à les leur communi- quer. Je pars après midi pour Méranci [Meranlais] et le Port- Royal des Champs3... »
i. Sans doute, Sainte-Marthe et peut-être l'abbé Le Roi.
2. « Dans l'écrit des Difficultés » (note de Le Paige, ou du premier copiste).
3. Varet ne répondit pas par écrit ; il fit, avec Perrault sans doute, un voyage à Paris et s'entretint avec Girard. Mais le recueil de 1754 (16e pièce) publie une lettre de Varet au P. de Moissey, de l'Oratoire, du i5 juillet 1661 (date indiquée par le manuscrit de Le Paige), où il réfute point par point la longue lettre de Girard. Sans discuter l'indication précise qui concerne Pascal, il se borne à dire « je sou- tiens qu'il y a beaucoup plus de personnes qui sont du sentiment
qu'on ne doit point signer, que non pas deceluy qu'on le doit faire
Je ne vous nomme point un grand nombre de personnes fort pieuses
168 ŒUVRES
Il semble aussi très probable, quoique le fait ne soit pas certain, que Pascal avait pris part à la rédaction du premier mandement, et Jacqueline paraissait s'en plaindre dans la lettre du 23 juin; vide supra p. 81.
On a cependant pensé que l'écrit que nous donnons ci- dessous avait été composé aussitôt après le premier mande- ment. Une lettre de décembre 1 665, qui semble être de Noël de La Lane (cf. infra p. 180 sqq.) dit, sans autre explication, que cet opuscule fut fait après la « première signature » des reli- gieuses; et Ghamillard, en 1667, reprend cette expression. Hermant, d'ailleurs absent de Paris et qui ne paraît pas avoir pris directement part à ces querelles, dit dans ses Mémoires, T. V, p. 5i4, que l'écrit dont il s'agit avait été fait « vers la fin du mois de juin » ; mais cette indication a été barrée par lui ou par le reviseur de son manuscrit. Dans un autre passage, T. V,p. 3o2, ce même Hermant place la dispute secrète entre
et fort éclairées que je sçay d'original estre dans la resolution de ne point signer ». — Ce même Varet, en son nom et au nom d'un ami qui doit être Perrault, écrivait à Girard avant le premier mandement, vers la fin de mai ou le début de juin 1661, au moment où Arnauld et tous ses amis protestaient contre la signature pure et simple : « Si on ne peut se tenir d'écrire, il semble qu'on devroit se servir du moyen qui a déjà réussi en pareille occasion, qui seroit de ne faire les Ecrits que d'une feuille seulement sur la seule matière de la signature du Formulaire, en y mêlant les maximes de la morale des Jésuites, sur lesquelles cette intrigue de la signature est fondée.... » Et il don- nait un canevas détaillé de cinq lettres ou « Ecrits qui soient assez courts pour être lus et achetés de tout le monde » {Recueil de 1754, i5e pièce). Perrault avait le premier suggéré à Arnauld et à ses amis l'idée d'écrire les Petites Lettres (cf. supra T VII, p. 59). Ne pourrait-on croire que Pascal faisait allusion à ce projet nouveau lorsqu'il déclarait, au dire de Beurrier qui a pu mal interpréter ses paroles, « qu'on l'avoit voulu engager dans ces disputes, mais que (depuis deux ans) il s'en etoit retiré prudemment — et qu'ainsy n'ayant point estudié la scolastique — il avoit jugé qu'il se devoit retirer de ces disputes et contestations qu'il croyoit préjudiciables et dangereuses, car il auroit pu errer en disant trop ou trop peu — » ? (cf. infra p. 387 sq.).
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — INTRODUCTION 169
Arnauld et Pascal au milieu des événements de septembre de cette même année, sans indiquer la date avec précision.
A ces indications bien vagues s'opposent les affirmations formelles de tous Jes amis de Port-Royal, de ceux qui secondè- rent Pascal comme de ceux qui le combattirent, notamment de Madame Perier, de Marguerite Perier, de La Lane (qui est très affirmatif dans un second écrit), de Nicole et de Domat. Il faut remarquer aussi que les paroles de Pascal dans cet écrit et celles de Nicole et d'Arnauld dans leurs réponses ne peuvent s'appliquer qu'au second mandement des Grands- Vicaires, où n'était plus faite la distinction du droit et du fait1.
L'Écrit sur la Signature nous a été transmis par deux voies. La sœur Flavie Passart se l'était fait remettre par les nièces de Pascal (cf. infra p. 1 95 sqq.). Quand elle fit sa soumis- sion à l'archevêque Peréfixe, elle remit sa copie entre les mains de Ghamillard, le directeur imposé à Port-Royal ; celui- ci la publia en partie, en 1667, dans sa Déclaration de la con- duite... (cf. infra p. 355). D'autre part Nicole lit précéder chaque partie de sa réponse manuscrite, du texte même de Pascal auquel il répliquait, et il semble bien que l'écrit ainsi reproduit soit complet. Nous avons trois copies de la réponse de Nicole : l'une est à Clermont-Ferrand (bibliothèque muni- cipale ms. i4o). Ce manuscrit, où les noms des auteurs ont été ajoutés par un correcteur, où le nom de Pascal ne figure même pas, paraît bien être celui que Marguerite Perier a donné aux Oratoriens de Clermont et qu'a transcrit Guerrier dans le ms. f. fr. i3gi3 de la Bibliothèque Nationale (f°. 1 à 21), avec cette note : « J'ai copié cet écrit sur un ms. qui se trouve parmi ceux que Mlle Perier a donné à la bibliothèque des PP. de l'Oratoire de Clermont. Cet écrit est de M. Nicole
1. Pour l'interprétation de cet écrit, cf. Petitot : Pascal. Sa vie religieuse et son Apologie du Christianisme, Paris, Beauchesne, 191 1,
p. 123.
170 ŒUVRES
et celui qui est refuté, de M. Pascal. » Une troisième copie enfin, prise manifestement sur la précédente pour Domat, est au ms. 2477 de la Bibliothèque Mazarine. Nous suivons ici le texte de la bibliothèque de Clermont, en donnant en note les variantes tirées de la publication partielle faite par Cha- millard.
171
ECRIT
Sur la signature de ceux qui souscrivent aux consti- tutions en cette manière : Je ne souscris à ces constitutions qu'en ce qui regarde la foy, ou simple- ment : Je souscris aux constitutions touchant lu foy, quoad dogmata.
Toute la question d'aujourd'huy estant sur ces pa- roles, Je condamne les cinq propositions au sens de Jansenius, ou la doctrine de Jansenius sur les cinq propositions ; il est d'une extrême importance de voir de quelle manière on y souscrit.
Il faut premièrement sçavoir que dans la vérité des choses, il n'y a point de différence entre condamner la doctrine de Jansenius sur les cinq propositions, et condamner la grâce efficace, S1 Augustin, S1 Paul.
C'est pour cette seule raison que les ennemis de cette grâce s'efforcent de faire passer cette clause.
Il faut sçavoir encore que la manière dont on s'est pris pour se défendre contre les décisions du Pape et des Evesques qui ont condamné cette doctrine et ce sens de Jansenius, a esté tellement subtille, qu'encore qu'elle soit véritable dans le fonds, elle a esté si peu nette et si timide, qu'elle ne paroit pas digne des vrais défenseurs de l'Eglise.
*Le fondement de cette manière de se défendre,
i . Chamillard n'avait fait que résumer ce qui précède. Il commence ci ses citations : « Le fondement de cette Signature a esté la
172 ŒUVRES
a esté de dire qu'il y a dans ces expressions un fait et un droit ; et qu'on promet la créance pour l'un, et le respect pour l'autre.
1 Toute la dispute est de sçavoir si il y a un fait et un droit séparé, ou s'il n'y a qu'un droit ; c'est-à- dire si le sens de Jansenius qui y est exprimé, ne fait autre chose que marquer le droit.
Le Pape et les Evesques sont 2 d'un costé, et préten- dent que c'est un point de droit et de foy de dire, que les cinq propositions sont hérétiques au sens de Jansenius ; et Alexandre VII, a déclaré dans sa con- stitution, que pour estre dans la véritable foy, il faut dire *que les mots de sens de Jansenius ne font qu'ex- primer le sens hérétique des propositions, et qu'ainsi c'est un fait qui emporte un droit, et qui 4fait une portion essentielle de la profession de foy, comme qui diroit, le sens de Calvin sur l'Eucharistie est héré- tique*, ce qui, certainement, est un point de foy.
distinction que l'on a faite du Droit d'avec le Fait, lorsqu'on a promis
la créance
i. Ch. : Or la dispute est de sçavoir s'il y a en ce ta un Fait et un Droit; c'est-à-dire si le Fait qui y est ne fait autre chose que déterminer et marquer un Droit.
2. Gh. : tous d'un côté.... de Foy et de Droit.... et Alexandre VII déclare.... vraye foy.
3. Ch. : que les cinq Propositions sont hérétiques au sens de Jansenius ; en sorte que les mots, au sens de Jansenius, —
4. Ch. est proprement un Droit luy-mesme, et qui fait lapartie essen- tielle....
5. Ch. ou le sens de Nestorius sur l'Incarnation, ce qui est assuré- ment un point de Foy. Les autres sont en petit nombre des personnes
inconnues, qui font à toute heure où ils disent que ce fait est de sa
nature séparé du Droit, et qu'il n'en fait pas une partie. — Chamillard ajoute ici : « Ce sont ses termes », puis il interrompt ses citations jusqu'à : Les uns prétendent....
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE 173
Et un très petit nombre de personnes, qui font à toute heure des petits escrits volans, disent que ce fait est de sa nature séparé du droit.
Il faut enfin remarquer que ces mots défait et de droit ne se trouvent, ny dans le mandement, ny dans les constitutions, ny dans le formulaire, mais seu- lement dans quelques escrits qui n'ont nulle relation nécessaire avec cette signature ; et sur tout cela exa- miner la signature que peuvent faire en conscience ceux qui croyent estre obligez en conscience à ne point condamner le sens de Jansenius.
Mon sentiment est, pour cela que comme le sens de Jansenius a esté exprimé dans le mandement, dans les bulles et dans le formulaire, il faut nécessaire- ment l'exclurre formellement par sa signature ; sans quoy on ne satisfait point à son devoir. Car de pré- tendre qu'il suffit de dire qu'on ne croit que ce qui est de la foy, pour prétendre avoir assez marqué par là qu'on ne condamne point le sens de Jansenius, par cette seule raison qu'on s'imagine qu'il y a en cela un fait qui est séparé du droit ; c'est une pure illusion : on en peut donner bien des preuves.
Celle-cy suffit , Que le fait et le droit estant des choses dont on ne parle en aucune manière en tout ce qu'on signe, ces deux mots n'ont nullement assez de rela- tion l'un à l'autre, pour faire qu'il soit nécessaire que l'expression de l'un emporte l'exclusion de l'autre.
S'il estoit dit dans le Mandement, ou dans les con- stitutions, ou dans le formulaire qu'il faut non seu- lement croire la foy, mais aussy le fait ; ou que le
174 ŒUVRES
fait et le droit fussent proposez egallement à sous- crire ; et qu'enfin ces deux mots de fait et de droit y fussent bien formellement marquez : on pourroit peut-estre dire qu'en mettant simplement que l'on se soumet au droit, on marque assez que l'on ne se sou- met point à l'autre. Mais comme ces deux mots ne se regardent que dans nos entretiens, et dans quel- ques escrits tout à fait séparez des constitutions, les- quels peuvent périr, et la signature subsister ; et qu'ils ne sont relatifs, ny opposez l'un à l'autre, ny dans la nature de la chose, où la foy n'est pas natu- rellement opposée au fait, mais à l'erreur ; ny dans ce qu'on fait signer: il est impossible de prétendre que l'expression de la foy emporte nécessairement l'exclusion du fait.
Car encore qu'en disant qu'on ne reçoit que la foy, on marque par là qu'il y a quelque autre chose qu'on ne reçoit pas, il ne s'ensuit pas que cette autre chose qu'on ne reçoit pas soit nécessairement le sens de Jansenius ; et cela se peut entendre de beaucoup d'autres choses, comme des récits qui sont faits dans l'exposé, et des deflPenses de lire et d'escrire.
Il y a cela de plus, que le mot de foy estant icy extrêmement équivoque, Ues uns prétendant que la doctrine de Jansenius emporte un point de foy, et les autres que ce n'est qu'un pur fait, il est indubi- table qu'en disant simplement qu'on reçoit la foy,
i. Gh. : Les uns prétendent ... en disant simplement que Ton reçoit
la Foy que Von ne reçoit pas la condamnation de la doclrine de
Jansenius,.... la reçoit mais on marque plustost qu'on la reçoit.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE 175
sans dire qu'on ne reçoit point le point de la doctrine de Jansenius, on ne marque pas par là qu'on ne le reçoit pas, mais on marque plustostparlà qu'on le re- çoit ; puisque l'intention publique du Pape et des Evesques est de faire ' recevoir la condamnation de Jansenius, comme une chose de foy, tout le monde le disant publiquement, et personne n'osant dire pu- bliquement le contraire.
Il est hors de doute que cette profession de foy est au moins équivoque et ambiguë, et par con- séquent meschante.
D'où je conclus que ceux qui signent purement le formulaire sans restriction signent la condamna- tion de Jansenius, de S1 Augustin, de la grâce efficace.
Je conclus en second lieu que qui excepte la doc- trine de Jansenius en termes formels, sauve de con- damnation, et Jansenius, et la grâce efficace.
Je conclus en troisiesme lieu que ceux qui signent en ne parlant que de la foy, n'excluant pas for- mellement la doctrine de Jansenius, prennent une voye moyenne, qui est abominable devant Dieu, mesprisable devant les hommes, et entièrement inu- tile à ceux qu'on veut perdre personnellement.
i. Gh. : rejetter le sens de Jansenius, sous ce nom, d'une chose de
Foy contraire. El quelques-uns le disant seulement en secret, qui
n'est rien en matière de Foy ou la lumière doit estre mise en évidence devant les hommes, au dire de Jesus-Christ, et nonpas sous le boisseau.
Et ainsi il est hors de doute au moins ambiguë, et par conséquent
méchante, puisque toute ambiguité est horrible en matière de Foy.
176 ŒUVRES
APPENDICE Discussions sur la signature.
(décembre i66i-juin(?) 1662).
Nous donnons ci-dessous : i° les documents qui peuvent nous faire connaître les détails de la querelle qu'avait soulevée Pascal par son Écrit sur la signature ; 20 l'analyse des écrits que d'une part Domat approuvé par Pascal, d'autre part Arnauld secondé par Nicole écrivirent à cette occasion, à la fin de 1661 et au début de 1662. Le dernier écrit, qui était composé par Pascal, a complètement disparu.
I Documents sur le débat1.
i° Lettre de la Mère Angélique de S1 Jean à Arnauld (?) (6 avril 1662).
20 Lettre de Nicole à Taignier sur l'attitude de Pascal (3 juin i663).
3° Écrit de Ghamillard, où il parle de l'écrit de Pascal sur la signature (fin i665).
4° Réponse de Noël de la Lane (?) à Ghamillard (décembre i665).
5° Mémoire anonyme sur cette querelle (vers 1669).
1 . Il faut rapprocher de ces documents quelques-uns de ceux que nous reproduisons plus loin, parce qu'ils ont eu pour occasion les déclarations de Pascal à Beurrier (vide infra p. 384 sqq.) ; notamment la Lettre d'un Théologien de Nicole, du i5 juillet 1666 (p. 34o sqq.),
la Déclaration de la conduite deChamillard(mars 1667) (p. 354 sqq.),
le Mémoire de Marguerite Perier (p. 3o5 sqq.).
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 177
6° Mémoires de Rapin, rédigés d'après les indications de Chamillard.
7° Lettres de Pavillon sur les manuscrits de Pascal (1676).
8" Mémoires de Marguerite Perier sur le rôle joué par la sœur Flavie (écrit vers 1723).
i° Extrait d'une lettre de la Mère Angélique de S1 Jean à Ar- nauld (?), du jeudi saint 6 avril 1662 1 (Copie clans un recueil manuscrit appartenant à M. A. Gazier).
Je crois que mon frère de Luzancy vous aura dit tout ce que je n'ay osé vous écrire sur ce que nous avons encore entre les mains et que nous vous renvoierons bien tost. J'avois voulu vous en mander mes sentimens, mais l'alarme dont il vous a parlé estant survenue, je retins ma lettre et creus que de peur d'accident, le plus seur estoit de ne rien confier au papier, et qu'il suffisoit qu'il vous temoignast nos- tre extrême reconnoissance, comme je m'asseure qu'il l'aura fait ; elle va plus loin que je ne vous le pourois dire quand j'oserois m'en expliquer. Mais vous sçavez néanmoins qu'afin que vous ajoustiez une preuve tout à fait convaincante que vous avez fait cela par une pure charité et tout à fait pour l'amour de nous, il faut que vostre présent soit tout à fait à nous et incommunicable à tout autre. Car autrement nous le per- drons et il nous perdra. Vous le voiez assez ; je ne m'expli- que pas davantage. Nous sommes donc attaquées à droit et à gauche. On nous a appris que nous passerons par les mains du provincial qui ne nous épargnera pas plus du costé qu'il nous entreprend, que l'on a fait de l'autre, nous deffendrez- vous aussy bien ? Je le veux croire ; mais selon mon peu de lumière, les raisons ne sont pas si fortes d'une part qu'elles sont de l'autre, et la vérité est si puissante que lorsque l'on voit seulement son ombre dans un zèle peut-être indiscret de
1. Dans cette lettre de ton mystérieux, le « provincial » au « zèle peut-estre indiscret » pour défendre les intérêts de la vérité semble bien être Pascal. Une lettre écrite par la même à Madame de Sablé, à la fin de mars, montre qu'à cette date on s'occupait encore de la signature des religieuses.
2e série. Vil 12
178 ŒUVRES
deffendre ses intérêts, on ne peut s'empêcher que la con- science ne tremble et qu'on n'ait peur : mais on s'appuye sur vous pour justifier vostre conseil, et vous ne nous abandonne- rez pas...
2° Extrait d'une lettre adressée par Nicole à Taignier le 3 juin 1663 ».
L'aigreur de Louis de Montalte a esté en effet très vio- lente et très mal fondée ; mais elle venoit néanmoins d'un bon fond, et d'une passion très sincère pour la vérité, jointe à quelques légèreté qui le faisoit juger très vite et sans s'in- former du détail. Mais quoy qu'il n'ait pas changé de senti- mens à la mort, il a néanmoins changé son aigreur appa- rente en tesmoignage d'affection, et cela s'est fort bien passé.
Il y a plus à craindre sur la division qui peut naistre sur les temperamens des signatures parce qu'au lieu que Louis de Montalte avoit la multitude contre luy 2, et ne pouvoit nuire en ne reprochant qu'un excès de condescendance, ceux-cy au contraire auront le monde pour eux et tous les amis laïques, et ne manqueront pas de prétextes pour spiritualiser terri- blement leur conduite —
3° Ghamillard. — Response aux raisons que les Religieuses de Port-Royal... proposent contre la signature du Formu- laire, avec leurs maximes et leur Esprit, par Monsieur Gha- millard, Docteur de Sorbonne. Paris, i665, 54 p- in-4° (achevé d'imprimer du g décembre i665).
i. Cette lettre se trouve dans les Mémoires d'Hermant, T. VI, p. 263. Nicole se plaint de l'opiniâtreté de Barcos, de Singlin, de La Lane, de Girard, et de ceux qui, malgré Arnauld et quelques autres, se sont prêtés aux propositions d'accommodement et de soumission faites par l'évêque de Gomminges.
2. Arnauld, dans un écrit où il réfute les arguments de Domat, parle de l'opposition faite par trois ou quatre personnes : Pascal, Domat, sans doute aussi le duc de Rouannez, à qui Pascal confia une copie de ses écrits, et peut-être le fils Perier.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 179
Ch. m. Réponse à la troisième Raison des Religieuses de Port-Roial, qui disent, qu'elles signeront le Formulaire, pourveu qu'on leur permette de le signer avec restriction.
p. 22.... S'ils [les Amis de P. R.] ne signent ce Formu- laire simplement, clairement et pleinement, comme parle saint Léon, c'est-à-dire, sans restriction, leur Foi sera tou- jours suspecte.
Ce n'est pas seulement la conduite ordinaire de l'Eglise qui nous oblige de le croire ; c'est le témoignage mesme de ceux de leur parti. Je laisse à ceux qui se voudront donner la peine de lire tous leurs écrits ; d'en remarquer les con- tradictions, qui font voir que le mensonge ne peut jamais se soutenir, et de prouver qu'eux-mesmes ont reconnu que les Cinq Propositions estoient dans le Livre de Jansenius, au mesme sens que le Saint Siège les condamne. Je me contente de ce que j'ai appris de plus particulier dans la conduite de cette affaire, et rapporte seulement le témoignage de ceux de leur parti qui ont esté plus sincères que les autres, pour dé- couvrir ce qu'ils tiennent caché depuis plusieurs années sous cette restriction, qui abuse les simples, et plusieurs autres qui ne les connoissent pas. L'une des Religieuses qui ont signé, qui avoit autrefois beaucoup de part au secret du parti, et qui présentement est soumise à l'Eglise, a eu deux manu- scrits. J'en ai veu un, où l'autheurqui ne pouvoit souffrir cet artifice, leur reproche que la Restriction dont ils se servent, quand ils promettent la Foi divine pour le Droit, le respect etle silence pour le Fait, est une invention de leur esprit, ou, pour mieux dire, une foiblesse de leur courage qui leur fait aban- donner honteusement la vérité, lors qu'ils dissimulent ce qu'ils en pensent. Ces écrits, qui sont de feu M. Pasqual1, et quelques autres semblables, que les Religieuses, qui ont signé, nous ont communiquez, et qu'elles ont mis entre les mains de Monseigneur l'Archevesque de Paris, font voir la peine que
i. Ghamillard, dans son écrit de 1667, cite la plus grande partie de l'écrit de Pascal (cf. infra p. 355).
180 OEUVRES
ces personnes, qui sça voient le secret du parti, et qui estoient plus sincères que les autres, avoient de voir la mauvaise foi de leurs Confrères, qui se servoient de cette restriction, pour dissimuler au public leurs véritables sentimens.
4° [Noël de la Lane.] — Lettre d'un Théologien à un de ses amis, sur le livre de M. Chamillard contre les Religieuses de Port-Royal, 22 décembre i665, 22 p. iiWj0 (attribué à de la Lane par Fouillou et par Dom Clémencet).
p. 3 N'admirez-vous pas, Monsieur, qu'après avoir
avancé par une imposture, qui a esté tant de fois refutée, que les Jansénistes prétendus ont reconnu que les cinq proposi- tions sont dans le livre de Jansenius au mesme sens que le S. Siège les condamne, et qu'ainsi ils agissent de mauvaise foy, sans en rapporter aucune preuve comme il ne le sçauroit faire, il ne s'arreste qu'à ces contes, qu'il en fasse des preuves capitales, et qu'une histoire de feu M. Paschal rapportée tout de travers et tres-infîdelement, et un discours prétendu de la sœur Angélique de S. Jean, attesté par la seule sœur Fia- vie, soit toute la preuve que la restriction ne se doit pas souffrir comme n'estant pas sincère, Secondement, dit-il, parce qu'elle n'est pas sincère selon le tesmoignage de ceux de leur parti, et ce tesmoignage se réduit à cette histoire et à ce discours. Mais si ces choses sont faussement rapportées, la restriction est sincère puisqu'il ne se fonde que sur la vérité de ces faits pour monstrer qu'elle ne l'est pas. Or voicy la vérité de l'histoire de M. Paschal.
Les Religieuses dans leur première signature tesmoigne- rent simplement qu'elles recevoient tout ce qui avoit esté défini de la foy. M. Paschal dit qu'il y avoit de la foiblesse, de la timidité, et de l'équivoque à signer ainsi, parceque les propositions pouvant estre prises dans le sens de la grâce efficace par elle-mesme, et estant condamnées dans le sens de Jansenius qui n'avoit enseigné que ce sens de la grâce effi- cace par elle-mesme, souscrire simplement à ce qui avoit esté deûni de la foy, c'estoit s'exposer au péril de condamner la
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 181
grâce efficace par elle-mesme, et n'agir pas assés sincèrement, puisqu'on ne vouloit donner aucune atteinte à cette doctrine, et que par conséquent les Religieuses n'avoient pas deu signer ainsi dans des termes généraux, mais excepter en signant le dogme de la grâce efficace par elle mesme qui faisoit le sens de Jansenius.
Les Docteurs qui avoient approuvé la signature des Reli- gieuses en ces termes, soutenoient au contraire, qu'il n'y avoit ny foiblesse ny équivoque, ny péril ; parce que le sens de la grâce efficace par elle-mesme ayant esté excepté par le Pape mesme dans un Décret, et par le consentement gênerai de toute l'Eglise, il n'y avoit nulle nécessité et nulle raison aux inférieurs de l'excepter dans la signature, et qu'il y avoit mesme du péril, parce que c'estoit donner occasion de dire que tous ceux qui ne l'avoient pas excepté en signant avoient consenti à la condamnation de cette sainte doctrine, Que si Jansenius n'avoit enseigné que ce sens sur cette matière comme on le croioit, on ne devoit point craindre qu'on put tirer de la condamnation que le Pape avoit faite du sens de Jansenius la condamnation de ce sens, parce que le Pape n'avoit condamné que le sens propre et naturel des cinq propositions entièrement différent de ce sens de la grâce effi- cace par elle-mesme, comme les Jésuites mesmes le recon- noissoient, et qu'il n'avoit condamné ces propositions dans le sens de Jansenius, que parce qu'il avoit cru que Jansenius avoit enseigné le sens propre et naturel de ces propositions, ce qui n'estoit qu'un fait, et qu'ainsi on ne pouvoit pas pré- tendre que les Religieuses eussent aucunement consenti à la condamnation du sens de la grâce efficace par elle-mesme, ny qu'elles eussent rien fait contre la sincérité, encore qu'elles n'eussent point fait d'exception formelle du sens de Jansenius, et que tout ce qu'on pouvoit dire estoit qu'elles avoient condamné les propositions dans leur sens propre et naturel, et qu'elles n'avoient rien signé sur le fait, et qu'ainsi elles ne l'avoient point reconnu, et n'en avoient porté au- cun jugement, ce qui suffisoit. Voila tout le sujet de cédille-
182 ŒUVRES
rent qu'on eut avec M. Paschal, et des escrits qui furent faits de part et d'autre ausquels sa maladie l'empeschant de s'appliquer assez il demeura dans son sentiment1, sans toute- fois s'éloigner en aucune sorte de l'union qu'il avoit avec ces Théologiens. Car non seulement ils continuèrent aie voir mais dans la pensée qu'il avoit de mourir, outre les devoirs qu'il rendit à son Curé en recevant de luy les derniers Sacre- mens avec une dévotion exemplaire, il n'eut point de plus grande consolation pendant sa maladie que d'estre assisté de l'un d'entr'eux, entre les bras duquel il mourut.
C'est pourquoy ou M. Chamillard n'entend point ce qu'il lit, ou il le rapporte tres-malicieusement et de très-mauvaise foy. Car il n'a point veu dans ces manuscrits de M. Pascal que la sœur Flavie a donnez, et que M. de Paris garde, qu'il y ait eu d'autre question que celle-là Et ainsi cette his- toire de M. Paschal rapportée fidèlement et sans falsifi- cation, prouve tout le contraire de ce que M. Chamillard en conclut.
Il paroist que la sœur Flavie qui avoit ces escrits de
M. Pascal avoit eu part à ses pensées et à ses entretiens sur ce sujet.... C'est pourquoy préférant le jugement d'un Laïque, quoy que très grand homme à celuy des Docteurs et de tous leurs Directeurs, elle avoit grande peine de cette première signature. Or la sœur Angélique de S. Jean estoit dans un sentiment tout opposé qui estoit celuy de M. Arnauld et de tous les Théologiens : car aucun d'eux n'entra dans le senti- ment de M. Pascal....
5° Extraits d'un mémoire anonyme sur la question de la signature2. (Bibliothèque Nationale, ms. f-fr. i3gi3, 3e Recueil Guerrier, p. 168.)
i. Dans la 2e partie du même ouvrage p. 3o, l'auteur dit « que M. Pascal est mort dans son sentiment ».
2. « Je ne sçai qui est auteur de cet écrit; je l'ai trouvé parmi les papiers donnez à la maison de l'Oratoire de Clermont par Mademoi- selle Marguerite Perier nièce de M. Pascal » (Note du Père Guerrier).
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 183
Ensuite du second mandement des grands Vicaires de M. le Cardinal de Rets, Archevêque de Paris, les Religieuses de P. R. ayant offert de signer qu'elles souscrivoient les constitu- tions en ce qui regarde la foy, M. Pascal s'éleva contre cette signature, prétendant qu'elle estoit obscure et ambiguë, qu'elle manquoit de sincérité, et que, le sens de Jansenius n'estant autre dans la vérité que celuy de la grâce efficace, cette sous- cription retomboit sur la grâce efficace et sur la personne de Jansenius, à moins qu'on exceptast formellement l'une et l'au- tre, ce que les Religieuses ne faisoient pas.
On repondit par deux écrits que, quoy que le sens de Jan- senius ne fut pas différent dans la vérité de celuy de la grâce efficace, il en estoit pourtant très différent dans l'esprit du Pape, des Evesques et généralement de tous ceux qui avoient receu les Bulles ; que tout le monde sçavoit qu'il y avoit un décret de l'Inquisition signé du Pape, par lequel il declaroit avoir laissé les disputes au mesme état où elles estoient sous Clément VIII. et Paul V. que dans un bref adressé à la Fa- culté de Louvain il appeloit les dogmes de Saint Augustin et de Saint Thomas sanissima et tutissima dogmala ; que par toute l'Eglise il souffroit qu'on enseignast cette doctrine ou qu'on la soutint mesme dans les ordres qui estoient soumis aux constitutions; qu'il avoit fait deffense aux Jésuites d'en prendre avantage contre la grâce efficace ; que le P. Annat, dans des écrits publics sur cette matière, avouoit qu'elle n'avoit point esté condamnée et que, par conséquent, le sens de la grâce efficace estant exclu du consentement de toute l'Eglise du sens condamné dans les propositions, il estoit clair que le
— C'est là un mémoire composé sans doute en 1669. Ce mémoire historique et polémique était peut-être adressé à Etienne Perier; on l'avait déjà consulté en juin i665 dans un cas semblable, parce que l'on savait « qu'il étoit très au fait des sentiments qu'avoit eus Mon- sieur Paschal son Oncle sur la matière des signatures ». Dans la réponse qu'il avait faite alors, Perier reprenait les arguments de Pascal, et se montrait partisan résolu de la résistance ouverte (cf. le Recueil d'Utrecht, 17^0, p. 3/|i).
iSi ŒUVRES
Pape et toute l'Eglise avoient eu en vue un autre sens qu'ils croyoient estre de Jansenius, et qu'ils appeloient pour cela le sens de Jansenius ; que les Religieuses en se soumettant au droit, rejettoient cette doctrine différente de la grâce efficace et condamnée dans les propositions, et qu'en ne recevant que le droit, elles marquoient assez ne vouloir pas prendre part au fait, leur ignorance ne le permettant pas.
M. Domat voulut prouver que le Pape et les Evesques ayant défini expressément que les propositions avoient esté condam- nées au sens de Jansenius, et non dans l'idée qu'ils en avoient eue, il falloit chercher quel estoit ce dogme condamné.
Tous ces raisonnemens furent réfutez par un autre écrit où l'on fit voir que le Pape ayant appliqué la qualité particu- lière d'heretique au sens de Jansenius qui est un terme gêne- rai, il falloit qu'il eust l'idée particulière d'un dogme distinc- tement énoncé auquel il auroit jugé que convenoit la qualité d'heretique.
M. V. 1 attaqua la signature par un autre endroit. Il preten- doit qu'elle estoit un abus intolérable, un asservissement de l'Eglise, un avilissement de l'episcopat, etc..
Le Pape et les Evesques vouloient donc que Ton signast, et que l'on signast sans restriction.
M. Arnauld et M. Nicole vouloient bien une signature, mais ils vouloient une restriction et approuvoient celle des religieuses.
M. Pascal approuvoit la signature avec restriction, mais il condamnoit celle des Religieuses.
J'ay dit que M. Pascal approuvoit la signature avec res- triction et n'improuYoit que celle des Religieuses : c'est ce qu'il est aisé de juger par les écrits que l'on a entre les mains.
i. M. P. ne reproche jamais aux Religieuses et à leurs
i. « Mlle Perier m'a dit qu'elle croyoit que c'est de M. Varet dont on parle icy et qu'on désigne par la lettre V. » (Note du Père Guerrier). — Il s'agit en effet de Varet, qui avait déjà présenté des objections après la publication du premier mandement.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 18o
directeurs la signature en gênerai, mais seulement les mau- vaises qualitez de leur signature particulière : Elle est équivo- que, dit-il, ambiguë, et, par conséquent, méchante.
2. M. Arn. et M. Nie. repondant à M. P. ne disent pas un seul mot pour la signature en gênerai, mais tous leurs efforts tendent à justifier la signature particulière des religieuses comme le point en question, et M. D[omat] leur réplique de mesme, supposant qu'ils prenoient fort bien le sentiment de M. P.
3. M. P. avoue luy-mesme en termes exprès qu'on pou- voit signer, pourvu qu'on le fit avec certaines conditions. Mon sentiment est, dit-il dans le premier écrit, que, comme le sens de Jansenius est exprimé dans le mandement, dans les bulles et dans le formulaire, il faut l'exclure formellement par sa signa- ture, sans quoy on ne fer oit pas son devoir.
On feroit donc son devoir en signant, selon M. P., si par sa signature on excluoit formellement le sens de Janse- nius; et un peu plus bas, après avoir fait quelques raisonne- mens : D'où je conclus, continue- t-il, que ceux qui exceptent la doctrine de Jansenius en termes formels sauvent la condamna- tion de J. et la grâce efficace. Et dans le grand écrit, ayant fait voir que les Jésuites n'avoient obtenu la bulle et ne l'avoient signée que pour faire condamner la grâce efficace, il ajoute : On ne peut se mesler à cette foule en ne se discernant par aucune marque extérieure et sensible. On retrouve presque la mesme chose en deux ou trois autres endroits du mesme écrit, et M. Domat conclut le sien par ces paroles : Il y a une voye meilleure pour défendre la vérité, ou en refusant la signature, ou en la faisant telle qu'elle sauve expressément et sans quon en puisse douter, et la doctrine et la personne de Jansenius.
Ces passages justifient que M. P. n'estoit pas contraire à la signature, pourveu qu'elle eust certaines conditions et ces conditions sont aussi renfermées dans ces passages, sçavoir d'exclure formellement le sens de Jansenius, ou, ce qui revient au mesme, excepter la doctrine de Jansenius en termes formels. Avec ces deux qualitez, non seulement une signature seroit
186 ŒUVRES
permise, mais mesme, selon M. P., elle sauveroit la grâce efficace en la personne de Jans. Examinons sur cette règle les formulaires des Evesques et commençons à voir si la grâce efficace y est à couvert
(Suit une longue citation de passages tirés des mandements des quatre Evesques publiés en i665.)
Que pouvoit souhaiter M. P. après cette déclaration ? Ce n'est pas icy une exception de la grâce efficace sous les noms obscurs et équivoques de sens et de doctrine de Janse- nius ; ce n'est pas une simple exclusion faite par quelques par- ticuliers sans nom et sans conséquence. Ce n'est pas une res- triction cachée dans l'obscurité d'un greffe et d'un registre, connue de quelques personnes seulement. C'est une exception de la grâce efficace par son nom propre et singulier de grâce efficace par elle-mesme, nom sous lequel elle ne peut estre méconnue, ny l'exception qu'on en fait détournée aux sens étrangers de quelque autre grâce que ce puisse estre
Pour ce qui est de la personne de Jansenius, on peut l'ex- cepter en deux manières, ou en contredisant formellement le Pape, et niant en propres termes que les propositions soient dans son livre, ou en le niant en termes équivalents qui diroient la mesme chose nettement, clairement, et sans que per- sonne en pust douter, mais pourtant d'une manière plus hon- neste et plus proportionnée au respect qu'on doit à l'Eglise et à l'autorité du Saint-Siège d'où les constitutions sont éma- nées.
La première voie de sauver Jansenius n'est ny possible, ny permise. L'Eglise ne le souffriroit jamais, car quoy qu'elle n'ait pas droit d'exiger une créance intérieure sur les faits non révélez, elle a pourtant droit d'exiger qu'on ne s'eleve point contre la décision qui en a esté faite, et que l'on con- serve l'ordre et la discipline, en demeurant dans le respect et le silence au moins pour le temps où les questions sont agitées.
M. Pascal estoit trop instruit des règles de l'Eglise pour le prétendre autrement, et, par conséquent, quand il a voulu que l'on sauvast la personne de Jansenius, il l'a voulu sans
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 187
doute en la manière que ces mesmes règles le permettent, et voicy comme les /j. Evesques ont cru le devoir faire.
i° Us ont déclaré que l'Eglise n'estoit pas infaillible dans les faits.
2° Qu'elle ne pretendoit point obliger par sa seule autorité à les croire.
3° Qu'à l'égard du fait contenu dans le Formulaire, on estoit seulement obligé à une soumission de respect et de dis- cipline.
à0 Que ce respect consiste à ne se point élever contre la décision qui a esté faite et à demeurer dans le silence pour conserver l'ordre et la paix1
6° Rapin. — Mémoires, édition Aubineau, T. II, p. 2^82.
Ce fut aussi à l'occasion de cette prétendue soumission [à la
bulle d'Innocent X] dont ce docteur [Arnauld] faisoit de si
i. Arnauld, dans un mémoire secret adressé en octobre 1668 aux religieuses de Port Royal (cf. Œuvres d'Arnauld, édition de Paris-Lau- sanne,T. XXIV, p. 56) écrivait: « .... Il est remarquable qu'encore que M. Pascal se soit porté à de grands excès sur le sujet de la signature, et qu'il ait condamné tres-durement celle que les Religieuses avoient faite durant sa vie, il ne s'est jamais néanmoins fondé sur cette raison, qu'un proces-verbal ou Mandement ne pouvoit pas déterminer le sens du Formulaire. Mais tout ce qu'il objectoit estoit, que le sens de Jansenius (qui est, disoit-il, la grâce efficace) estant condamné par le Formulaire, il falloit excepter formellement la grâce efficace, afin qu'on ne pust pas dire que l'on consentoit à sa condamnation. De sorte que les proces-verbaux satisfaisant à cette condition qu'il jugeoit essentielle, et qui estoit l'unique qui l'arrestoit, on le peut compter entre les Approbateurs des signatures faites ensuite des procés-verbaux, pareils à ceux dont il s'agit. »
2. Le Père Rapin tire tous ces renseignements deChamillard et de la sœur Flavie. Il n'y a pas lieu de relever les affirmations inexactes qui s'y trouvent : par exemple, Rapin prétend que Pascal était brouillé avec Arnauld dès février i655, deux mois après sa conversion, parce qu'il ne retrouvait plus alors dans les déclarations qu'il entendait « la doctrine dont on lui avoit tant de fois rempli l'esprit » (Le Père Rapin parle ailleurs encore, T. II, p. 36o, de cette brouille qui ne cessa qu'au jour où Pascal, après les trois premières Provinciales
188 ŒUVRES
grands trophées en sa lettre [Lettre à une personne de con- dition], que la division se mit à Port-Royal; car, sur l'avance qu'il avoit faite en sa lettre qu'on y tenoit les cinq proposi- tions bien condamnées, Pascal luy résista en face d'une force qui l'etonna plus que tout le reste, se croyant assez fort pour repondre à tout ce qu'on luy objectoit dans les écrits qui ve- noient de paroître contre luy. Mais il ne s'attendoit pas de trouver parmy les siens de la résistance en la démarche qu'il avoit faite de convenir de la censure de cette doctrine, et la desunion dans les chefs sur la conduite qu'on avoit à prendre luy paroissoit plus à craindre que toutes les forces de ceux qui l'attaquoient. Ce fut à la vérité la première fois qu'on enten- dit d'une bouche de Port-Royal et de la bouche du chef de party qu'on y condamnoit les cinq propositions. On ne doute pas que cette resolution ne fût bien violente ; mais, dans l'état présent des affaires, il n'y en avoit point d'autre à prendre, à moins de lever le masque pour soutenir un schisme déclaré. On ne sait pas bien précisément si ce fut dans une conférence réglée et dans une délibération des principaux chefs que l'on prit cette resolution, ou si elle ne fut concertée qu'avec Sin- glin, Bourzeys, Le Maistre et ceux qu'on croyoit y devoir être favorables, lesquels jugèrent sagement qu'on pouvoit aban- donner en apparence la doctrine qu'on avoit tenue jusques à présent, pour amuser les esprits de ceux qu'il falloit ménager et s'accommoder au temps. Ce fut en effet le seul tempéra- ment qu'il y avoit à prendre dans la conjoncture présente, car sans cela tout etoit perdu : et l'on trouvoit dans cet expédient le moyen de sauver un reste de bienséance qu'il y avoit à gar- der avec Rome, pour ne pas effaroucher les esprits qui n'au-
d'Arnauld, acheva de poursuivre l'œuvre commencée). Mais si l'on reporte la scène de i655 à 1662, et si l'on fait la part de toutes les er- reurs accumulées peu à peu par tous les intermédiaires et par la fan- taisie ordinaire de Rapin, on retrouve ici l'écho des luttes soutenues par Pascal, lorsqu'il écrivit à la fin de sa vie le « grand écrit » aujour- d'hui perdu. La version de Rapin est celle que Fénelon reprit en 171 1, et que railla Quesnel.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 189
roient pu se résoudre à une séparation d'éclat avec l'Eglise.
Un pas si hardy, où il s'agissoit d'approuver le jugement du Saint-Siège dans un party où l'on ne pensoit dans le fond qu'à se révolter contre, fut soutenu de tout l'art et de toute la politique dont la cabale estoit capable ; car il estoit question de changer de langage sans changer de sentiment, qui est un des artifices les plus ordinaires de l'erreur : ce qui se fit dans la resolution qu'on avoit prise de convenir que les propositions estoient bien condamnées et de le publier hautement. Car, selon le plan qu'on avoit dressé des trois colonnes, on avoit donné à ces propositions trois sens diflerens : un sens calvi- niste, un sens pelagien et un troisième sens conforme à la doctrine de l'evesque d'Ipres ; on avouoit qu'elles estoient bien condamnées dans le sens de Calvin ou dans celuy de Pelage, sans penser à celuy de l'evesque d'Ipres, à quoyon ne touchoit pas, pour n'y rien changer. Ainsy ce fut par le seul déguise- ment qu'on se tira d'affaire dans un party dont on pronoit tant la morale. On ne pensa qu'à imposer au public, et tout le procédé qu'on y garda fut de parler d'une autre manière sans changer de sentiment.
Mais ce party n'estoit pas encore si corrompu qu'il ne s'y trouvât quelque reste d'honneur et de conscience ; Pascal fut des premiers à trouver à redire à un expédient si peu hon- nête. C'estoit un homme d'un sens droit, nullement accou- tumé à ces biais honteux dont la nécessité oblige quelquefois les gens de cabale à se servir pour se soutenir dans les occa- sions où l'on les presse. Le génie admirable qu'il avoit pour toutes les mathématiques en gênerai, et surtout pour la géo- métrie, luy avoit imprimé dans l'esprit un caractère de soli- dité et de droiture qui luy faisoit rechercher la vérité en toutes choses, ne pouvant la connoître sans l'embrasser, ny l'aban- donner quand une fois il l'avoit reconnue. «Pourquoy, dit-il au docteur Arnault, changer de langage? IN'eat-ce pas la doc- trine qu'on a toujours enseignée à Port-Royal que celle des cinq propositions ? Ne sont-ce pas les principes où nous avons esté élevés ? Car pour moy qui n'ay pas coutume de me trom-
190 ŒUVRES
per ou de prendre le change dans les choses qu'une fois j'ay trouvées établies, j'avoue que ce sont les premières impres- sions que j'ay prises icy parmy vous, que c'est ce que j'ay entendu prêcher à vos prédicateurs et enseigner à vos théolo- giens ; c'est ce que je vous ay souvent ouy dire à vous-mesme quand vous nous expliquiez ce que nous devions croire. C'est la doctrine que vous nous disiez que l'evesque d'Ipres avoit puisée dans la lecture qu'il avoit faite toute sa vie de saint Augustin ; que la grâce du Sauveur estoit toujours efficace par elle-mesme, et qu'ainsy la grâce suffisante qu'on enseignoit dans l'école estoit une grâce tout-à-fait vaine et chimérique ; que les commandemens de Dieu estoient quel- quefois impossibles, mesme aux justes, en certaines circons- tances où ils n'accomplissoient pas le précepte ; et qu'enfin Jesus-Christ n'estoit pas mort pour tous les hommes. Et c'est là tellement la doctrine de l'evesque d'Ipres qu'il ne faut que lire les seuls titres des trois volumes de l'apologie de Jansenius pour en estre entièrement persuadé. » Ilajoutoit à cela le der- nier livre cte la Grâce victorieuse par elle-mesme, fait par l'abbé de Lalane, dont tout le dessein ne rouloit que sur les cinq propositions; que cet auteur avoit écrit dans ce livre, en ter- mes formels, que ces propositions estoient tres-vrayes, tres- orthodoxes, dans le sens auquel les disciples de saint Augus- tin les soutiennent; que l'abbé de Boursays convenoit, dans un écrit contre l'extrait des cinq propositions qui devoit estre examinées en Sorbonne l'année 1648, qu'elles estoient tirées du livre de l'evesque d'Ipres, et que ce n'estoit que pour sou- tenir ces propositions qu'on avoit envoyé à Rome Saint-Amour avec les autres députés ; que, si cette doctrine qu'on avoit toujours tenue à Port-Royal comme la vraye doctrine de saint Augustin estoit bonne, pourquoy pensoit-on à la desavouer? Si elle estoit mauvaise, pourquoy la soutenir? «Agissons, dit-il, avec plus de franchise, et ne renonçons jamais à la sin- cérité, toute desavantageuse qu'elle nous puisse estre. »
La force de ce discours eût peut-être ébranlé le docteur Arnault, si d'ailleurs il n'eût esté persuadé que le party qu'il
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 191
avoit pris estoitle seul qu'il y avoit à prendre ; qu'on ne pou- voit plus retenir les esprits que par la déclaration qu'il avoit faite de la soumission à la bulle, sans laquelle le Port-Royal alloit entièrement se déserter ; que le sentiment des chefs estoitd'en user delà sorte par la nécessité qu'il y avoit de se ménager avec Rome, et qu'enfin, n'y ayant pas d'apparence de se révolter contre le pape et de se séparer de l'Eglise par un schisme, l'un menant à l'autre, il n'y avoit plus à délibé- rer. Pascal entra dans son sentiment sur le schisme qu'il falloit éviter sur toutes choses ; mais il n'entra pas dans ses autres raisons, qui estoient de se ménager avec Rome et de s'accommoder au temps ; il déclara qu'il n'entendoit point ce langage dans une affaire où il s'agissoit de la religion ; qu'ainsy il estoit d'avis que, les propositions estant bien con- damnées, comme Arnault en convenoit, il falloit tout-à-fait renoncer à la doctrine de l'evesque d'ipres, puisque les pro- positions condamnées estoient sa véritable opinion. Mais Ar- nault qui avoit d'autres intérêts que luy en cette affaire, parce qu'il estoit le chef, n'en convenant pas, il se tint un conseil des importans du party à Saint-Merry, où l'on mit en délibération la resolution qu'il y avoit à prendre dans la pré- sente conjoncture. Il y en eut qui furent d'avis de ne rien précipiter, qu'en temporisant on trouveroit des ouvertures. Les uns opinèrent qu'il falloit s'en tenir à la doctrine de saint Augustin, qui ne pourroit jamais courir de risques ; d'autres qu'il falloit s'arrester au party qu'avoit pris Arnault. 11 y en eut qui s'avancèrent de dire qu'il ne seroit pas im- possible d'obtenir une bulle de Rome contraire à celle d'In- nocent, et que, moyennant cinquante mille ecus, on en vien- droit à bout. Pour Pascal qui avoit l'esprit plus droit, non seulement il ne changea point de sentiment, mais il fit un écrit fort ample pour soutenir son avis, et quoyqu'il ne soit resté aucun vestige de cet écrit, la sœur de Sainte-Flavie qui fut une des religieuses des plus zélées de Port-Royal pour la nouvelle doctrine et une de celles qui se convertit des pre- mières, m'a souvent assuré que cet écrit de Pascal luy avoit
192 OEUVRES
passé par les mains, qu'elle l'avoit copié de sa main, et qu'elle donna cette copie à l'abbé de Chamillart, docteur de Sor- bonne, que l'archevêque de Paris, Hardouin de Perefixe, avoit nommé supérieur à Port-Royal quand le changement se fit en l'année 1666, ce que ce docteur m'a confirmé depuis m'assurant qu'il l'avoit longtemps gardé, mais qu'il le brûla avec d'autres papiers qu'il croyoit devoir luy estre inutiles. Il m'ajouta que, selon les idées qui luy restoient de cet écrit, il alloit à faire voir qu'il seroit honteux de changer de senti- ment par politique pour s'accommoder au temps dans une affaire de cette nature où il s'agissoit de la foy ; qu'il estoit indigne de la générosité des disciples de Saint Augustin de faire paroistre de la légèreté dans la chose du monde qui doit estre la plus inébranlable, qui estoit la religion ; qu'au reste la doctrine des cinq propositions, qu'on s'avisoit présentement de condamner, estoit celle dont on luy avoit tant de fois rem- ply l'esprit, et qu'on n'en avoit jamais enseigné d'autre à Port-Royal depuis qu'il y estoit ; que tout ce qu'on avoit im- primé depuis dix ans pour la défense de l'evesque d'Ipres pouvoit servir de preuves à ce qu'il disoit ; que pour luy il ne voyoit pas quel inconvénient il y auroit de dire que le pape s'estoit trompé dans le jugement qu'il venoit de faire des pro- positions, après l'affaire du pape Honorius qui estoit connue à toute la terre. Enfin, zélé qu'il estoit pour la gloire de Port- Royal, qu'il croyoit intéressée par un procédé si peu droit et si peu sincère, il ne pouvoit estre du sentiment d'Arnault, ny consentir que dans un party ou l'on faisoit profession d'une sincérité si austère, on eust si peu d'égard à la bonne foy que de parler autrement qu'on ne pensoit et, quoy qu'on fit, il eut toujours tant d'honneur luy-mesme et tant de zèle pour l'honneur du party qu'on ne put jamais luy faire changer d'opinion. Il blâma le reste de ses jours la resolution qu'on avoit prise de convenir que les propositions estoient bien con- damnées. Et il avoit raison, car il est si vray qu'on ne le croyoit pas qu'il ne s'imprima rien depuis à Port-Royal qui n'allât à les défendre....
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 193
Cette résistance que fit Pascal avec tant de vigueur au procédé d'Arnault n'étoit donc pas sans raison ; elle fut aussy secondée de ceux qui ne pouvoient se résoudre à déguiser et qui a voient de la droiture comme Pascal, entre lesquels se signala davantage un ecclésiastique nommé Giroust, qui avoit esté gagné des premiers au party par les airs affirmatifs de Singlin en ses sermons : car c'estoit en cela que consistoit toute son éloquence. Ce Giroust estoit un homme tout d'une pièce comme on dit, ne biaisant jamais, allant droit où il croyoit que son devoir l'appeloit et d'un zèle outré en tout ; ce qui le faisoit souvent se plaindre des relâchemens de Port- Royal, disant que le premier esprit s'y affoiblissoit de jour en jour, que les anciens disciples de Saint-Cyran comparés aux derniers n'estoient pas reconnaissables ; et comme il en gemis- soit, on l'appeloit le Jeremie de Port-Royal
70 Extrait d'une lettre de Pavillon à Domat ' (copie au 2* re- cueil manuscrit du Père Guerrier, p. 244)-
26. 7bre 1676. ... Il y a encore un autre point qui n'a rien de commun avec cette affaire, et qui peut néanmoins beaucoup nuire ou beaucoup contribuer à vostre parfaite reconciliation. C'est tou- chant certains écrits de feu M. Pascal qui vous ont esté confiez. On croit par la qualité de ces écrits et vu Testât de vostre fa- mille2 qu'il y a beaucoup d'inconvénient que vous les gardiez
1 . De faux rapports avaient donné occasion à des difficultés graves entre Madame Perier et Domat (Cf. les lettres de Madame Perier à Vallant, infra T. XI,ier supplément). Pavillon s'entremit, et Domat était « parfaitement réuni » avec la famille Perier le 2 août 1677, comme le montre une nouvelle lettre que Pavillon lui écrivit alors ;
il signa comme témoin l'acte de décès de Mrae Perier en 1687.
2. Domat avait un frère jésuite à Clermont (cf. la lettre qu'il lui adressa, apud Faugère, Pensées, 1897, T. II, p. 523). Dans un mémoire manuscrit sur Domat, reproduit dans le 2e recueil du Père Guerrier, p. 2 33, il est écrit: «Personne ne fut plus parfaitement uni desentimens avec M. Pascal sur les affaires de la Religion que M. Domat. C'est sans doute ce qui engagea M. Pascal à lui confier preferablement à tout autre quelques écrits qu'il avoit faits sur la signature du formu-
2e série. VII i3
194 ŒUVRES
et comme on ne voit pas quelle utilité on en pourroit tirer à l'avenir, et qu'il y a au contraire tout sujet de craindre qu'on en abusât d'une manière préjudiciable à la vérité et à la mé- moire de M. Pascal, on pense que vous estes dans l'obligation de les remettre à ses parens entre les mains desquels ils ne courent pas le mesme risque, ou de les brûler en leur pré- sence, sans en retenir de copie, comme a fait une personne de qualité et de mérite, amy de M. Pascal, qui avoit une copie des mêmes écrits1. C'est, Monsieur, ce que je crois que vous devez faire par principe de conscience et d'honneur, et mesme vous servir de cette occasion comme d'un moyen pour faciliter et affirmer vostre reconciliation ; je prie Dieu de tout mon cœur qu'il vous remplisse les uns et les autres de l'esprit de paix, de douceur et de charité, et qu'il soit luy-mesme le principe de vostre reconciliation et du renouvellement de vostre amitié. C'est la grâce que je continuera)- à luy demander pour vous dans mes prières, et je n'auray pas peu dejoyeetde consola- tion si j 'apprend que vous soyez dans la mesme union et la mesme familiarité que cy-devant. Je suis en son amour avec beaucoup d'estime et de cordialité....
8° [Marguerite Perier]. — Additions au Necrologe de Port-Royal (Bibliothèque Nationale, ms.f.fr. i3gi3, 3e Recueil Guerrier, p. 2$i, écrites vers ij23).
Environ dans ce tems là [août 1664] une Religieuse nom-
laire. Mademoiselle Perier m'a dit que son oncle avoit prié M. Domat, en luy remettant ces papiers de les brûler si les religieuses de P. R. se soutenoient dans la persécution qu'elles souffroient à ce sujet, et de les rendre publics si elles plioient. M. Domat fut aussi tres-lié avec la famille de M. Pascal, et avec Messieurs de P. R. qui l'estimoient beaucoup et prenoient ses avis sur des matières de théologie M. Do- mat s'étant trouvé à Paris durant la dernière maladie de M.Pascal, après luy avoir rendu les devoirs d'un ami sincère, il reçut ses derniers soupirs. » Le Recueil d'Utrecht deiy4o, p. 322, suppose que ces pa- piers furent brûlés. Dès cette époque on ne connaissait aucune copie du second écrit de Pascal. Sur Domat, cf. infra p. 370, note 1. 1. Le duc de Rouannez.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 195
mée sœur Catherine de Ste Flavie Passart fille d'un tanneur de la Ferté Milon, qui avoit esté religieuse à Gif et qui estoit venue à P. R. pour se mettre dans la grande règle de S1 Be- noit, y avoit esté reçue gratuitement et estoit si aimée qu'on l'avoit établie maîtresse principale des pensionnaires ; Cette religieuse forma le dessein de trahir la vérité et sa commu- nauté pour parvenir à y estre supérieure, et pour cela elle en- tra en liaison avec Mr Chamillard, mais si secrètement que personne ne s'en aperceut ni dedans ni dehors, et voulant se rendre recommandable à Mr de Perefixe, elle s'avisa de luy dire qu'il en falloit retirer 12. des plus fermes, et qu'elle viendroit bien au bout des autres ; mais voyant que cela n'avoit pas réussi, elle demanda qu'on en ôtat encore 4 ; c'est ce qui fait la différence du manuscrit qui porte 16. et de l'imprimé [Nécrologe de P. R.] qui porte £2. Elle ne put cependant en gagner que 9. ou 10. mais elle fut fort surprise lorsqu'on enleva d'abord les 12. le 26. août 1664. Car elle croyoitque pour les services qu'elle rendoit a Mr de Perefixe, il la feroit supérieure à la place de celle qui estoit sortie. Cependant elle fut fort étonnée de voir qu'il y établit 6. Reli- gieuses de la Visitation pour gouverner la maison. Elle avoit commencé sa trahison dès la fin de 1661 . ou au commen- cement de 1662 : Et comme 2. demoiselles nièces de M1 Pascal avoient esté élevées dans la maison et mestne entre ses mains elles alloient la voir très souvent ; elle leur faisoit des confi- dences sur la crainte qu'elle feignoit d'avoir que les Reli- gieuses ne se laissassent aller à consentir de signer le formu- laire, et les prioit de parler à Mr Pascal pour luy demander ce qu'elle leur devoit dire pour les soutenir et les fortifier, elles le faisoient de bonne foy et luy alloient porter les réponses. Enfin un jour elle leur dit qu'elle avoit ouï dire que M' Pascal avoit fait là dessus un petit écrit et les pria avec instance de le prier de le luy prêter afin de se bien instruire là dessus pour elle et pour les autres. Elles le demandèrent à Mr Pascal qui eut bien de la répugnance à le luy prêter ; il y consentit cependant sur l'assurance qu'elles luy donne-
196 ŒUVRES
rent que non seulement elle n'en prendroit point de copie, mais mesme qu'elle ne le montreroit à personne et le leur rendroit dans six semaines. Elle le rendit en effet, mais elle le fit voir à Mr Chamillart et en garda une copie. Ce fut en 1662. et il parut en i665. un écrit du Père Annat où cet écrit estoit rapporté, non pas en entier, mais par extrait. Alors ces Demlles allèrent la voir. Elle vint au parloir et fut très hon- teuse de les voir, elles luy firent reproche de toutes ses trahi- sons, et sur tout de celle qu'elle leur a voit faite au sujet de cet écrit ; elle n'osa le désavouer ; elles luy reprochèrent aussi qu'elle a voit trahi la maison et fait sortir 16. Religieuses. Et comme on commencoit alors de projetter la séparation des 2. Abbayes, elles luy dirent qu'on connoissoit bien qu'elle vou- loit estre Abbesse de celle de Paris, mais que Dieu ne le permet- troit pas. Elle estoit fort embarassée parce qu'elles elevoient leurs voix, et elle les pria de parler bas, à cause que ce parloir n'avoit qu'une cloison de bois et qu'elle craignoit qu'on ne les entendit ; mais elles luy dirent que c'estoit tout ce qu'elles souhaitoient, qu elle fut connue de toute la mai- son comme une traitre. Là dessus elles luy reprochèrent une trahison qu'elle avoit faite à Madelle de Roûannez qui fut depuis Made de la Feuillade. Et voicy ce que c'estoit : MeIle de Roûannez avoit une Demlle à son service qui s'appeloit Madlle Ratier ; cette demoiselle avoit pris l'habit avant les 7. que l'on fit sortir en 1661. elle estoit donc restée dans la maison. Elle envoya prier Madlle de Roûannez de la retirer lorsqu'on enleva les 12. premières Religieuses au mois d'août 1664. Madlle de Roûannez pria les deux demlles Perier d'y venir avec elle, et elles demandèrent d'abord la sœur Flavie qu'elles croyoient fort affligée de cet enlèvement. Elle vint toute en pleurs au parloir témoignant sa douleur dont elles ne sçavoient pas la cause ; c'est qu'elle estoit au desespoir de ce qu'on avoit mis des filles de Ste Marie, et elles pen- soient qu'elle fust affligée de ce qu'on avoit fait sortir les 12. Religieuses. Mad1,e de Roûannez luy dit : Ma sœur, je vous prie de dire à la sœur Anastasie (c'estoit le nom de sa de-
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 197
moiselle), que je ne veux pas la retirer sitôt, parcequ'il est bon qu'elle reste icy encore quelque tems pour observer tout ce qui s'y passera, et par ce moyen nous sçaurons par elle bien des choses que nous ne pourrions sçavoir autrement. Enfin après bien des pleurs, Madlle de Roùannez et ces demlles pleuroient aussi avec elle, elles se retirèrent. Huit jours après il vint un Exempt des Gardes du corps qui porta à Madlle de Roùannez une lettre de cachet pour se retirer en Poitou. Mr de Roùannez fut fort surpris de cela et alla voir Mr l'Archevêque pour sçavoir de luy d'où estoit venue cette disgrâce à Madlle sa sœur. Mr de Paris repondit, Monsieur, Madlle vostre sœur se mesle de choses dont elle ne devroit pas se mesler ; elle a une Demue à P. R. qui est Novice et qui l'a priée de la retirer, elle luy a fait dire d'y rester pour observer tout ce qui se passera et en rendre compte. Mr de Roùannez fort surpris, pria Mr de Paris de faire révoquer l'ordre et il l'obtint. Ensuite il vint raporter tout cela aux demoiselles Perier et lorsqu'elles allèrent en i665. luy faire les repro- ches dont j'ay parlé cy-dessus, elles luy reprochèrent cela, qu'elle n'osa nier, elles ne la virent plus depuis et elles sçu- rent qu'elle avoit signé, et en avoit fait signer 8. ou 10. Mais ce qu'elles luy avoient prédit arriva qu'elle ne seroit point Abbesse. Ce fut la sœur Dorothée que Mr l'Archevesque fit élire par les Religieuses qui avoient signé, et qu'il fit ensuite nommer par le Roy, lorsqu'il eut séparé les deux maisons et repris son droit de nomination sur celle de Paris en 1669, elle mourut l'année d'après1.
II
Écrits de 1661-1662.
i° Nicole. — « Examen d'un Écrit sur la signature »
(demeuré manuscrit).
20 Arnauld. — « De la véritable intelligence » (publié
1. Les dernières phrases de ce texte ne se trouvent pas dans le ms. i3gi3; nous les citons d'après une copie faite pour Mlle de Théméricourt.
198 ŒUVRES
dans l'édition des Œuvres, de Paris-Lausanne, T. XXII, p. ,35).
3° Domal. — « Raisons qui empêchent....» (publié dans Jovy, Pascal inédit, T. I. p. 234).
4° Arnauld. — Réfutation de l'écrit de Domat, du 7 jan- vier 1662 (?) (publié dans l'édition de Paris-Lausanne, T. XXII, p. 759).
5° Arnauld. — « Écrit contenant quelques considérations générales... » (publié ibid.,T. XXII, p. 820).
6° Nicole. — « Petit écrit de M. Constant... » (publié ibid., T. XXII, p. 83i).
70 Pascal. — « Grand écrit » sur les variations des défenseurs de Jansénius (perdu).
I
Nicole. — Examen d'un «Ecrit sur la signature etc. * »
(Écrit de Pascal : « Toute la question d'aujourdliuy estant sur ces paroles : Je condamne les cinq propositions au sens de Jansénius, ou la doctrine de Jansénius sur les cinq proposi- tions; il est d'une extrême importance de voir de quelle manière on y souscrit. »)
Response. Il est bon de remarquer en passant que ces termes ne sont point dans le formulaire selon lequel on souscrit, comme on le dit en deux ou trois endroits de cet écrit. On les tire seulement par conséquence des constitutions où le Pape Alexandre déclare que les propositions sont extraites de Jansé- nius et condamnées dans son sens, d'où l'onconclud qu'en sous- crivant aux constitutions, on souscrit à cette clause : mais cette clause dans les constitutions n'est pas à beaucoup près si équi- voque que si on l'en detachoit, et qu'on obligeastde dire sim- plement qu'on condamne la doctrine et le sens de Jansénius. La
1. Bibliothèque municipale de Clermont-Ferrand, ms. i/jo, p. I. Dans cette réponse, demeurée manuscrite, Nicole reproduit phrase par phrase l'écrit de Pascal (cf. supra p. 171 sqq.).
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 199
raison en est qu'en disant comme le Pape fait dans sa Bulle, que les Propositions sont extraites de Jansenius, avant que de dire qu'elles sont condamnées en son sens, on porte l'esprit à une chose qui est certainement un fait, sçavoir, ces proposi- tions sont extraites de Jansenius. Et on luy donne lieu d'envi- sager cette autre clause, qu'elles sont condamnées dans son sens, comme un autre fait qui resuite et qui suit du premier; puis- que l'Eglise n'extrait point des propositions d'un autheurpour les condamner en un autre sens que celuy de cetautheur. Mais quand on dit simplement qu'on condamne les propositions au sens de Jansenius, on suppose plus facilement que ces paroles marquent un droit et un dogme.
Cette remarque néanmoins n'est pas décisive ; car on veut bien supposer qu'il y ait dans le mandement, dans le formu- laire et dans les constitutions, qu'on condamne les cinq propo- sitions au sens de Jansenius.
(Pascal: ail faut premièrement sçavoir que dans la vérité des choses il ny a point de différence entre condamner la doctrine de Jansenius sur les cinq propositions, et condamner la grâce efficace, S1 Augustin, S1 Paul, etc. »)
Response. On ne comprend pas bien quel est le sens de ce principe sur lequel néanmoins on establit ensuite toutes les conclusions qu'on tire dans cet escrit.
Car si l'on a prétendu dire, que quiconque dit, Je condamne le sens de Jansenius, condamne la grâce efficace dans la vérité, il n'y a rien de moins véritable que ce prétendu principe.
Le Père Amelote dit qu'il condamne le sens de Jansenius et il ne condamne pas la grâce efficace.
Tous les Dominicains, les Pères de l'Oratoire, les Carmes deschaussez, les chanoines réguliers disent qu'ils condam- nent le sens de Jansenius ; et ne condamnent point en vérité la grâce efficace, puisqu'on la soutient tous les jours dans leurs Echoles.
Tous les Evesques disent qu'ils condamnent le sens de Jan~
200 OEUVRES
senius, et ne condamnent pas la grâce efficace, que l'on sous- tient tous les jours avec leur approbation.
Que si on réplique qu'il faut bien qu'ils la condamnent en effet puisque le sens de Jansenius n'est rien en effet et dans la vérité des choses que la grâce efficace, on fera un faux rai- sonnement fondé sur une équivoque ; car encore qu'il soit vray que le sens de Jansenius n'est rien que la grâce efficace dans la vérité des choses, il ne s'ensuit pas que celuy qui dit, Je condamne le sens de Jansenius, condamne la grâce efficace, parce qu'il ne s'ensuit pas qu'il entende Jansenius dans la vé- rité des choses, et qu'il s'en est pu former une fausse idée à laquelle il donne le nom de sens de Jansenius, comme tous les interprètes de S* Paul donnent le nom de sens de S1 Paul à toutes les interprétations qu'ils luy donnent, qui ne lais- sent pas d'estre souvent fausses et éloignées de la pensée de l'Apostre.
Ainsi ce raisonnement est à peu près semblable à celuy d'une personne1 qui prouvoit que Jansenius estoit incapable d'erreur, parce qu'il faisoit profession de ne rapporter que les sentimens de S1 Augustin, qui sont exempts d'erreur. Car comme il ne s'ensuit pas qu'un homme qui dit: Je ne rap- porte que les sentimens de S1 Augustin, n'en rapporte et n'en approuve point d'autres en effet, parce qu'il peut entendre mal S1 Augustin ; ainsi il ne s'ensuit pas que celuy qui dit, Je condamne le sens de Jansenius, condamne en effet son sens véritable qui est la grâce efficace ; parce qu'il peut mal enten- dre Jansenius.
Si ce raisonnement avoit lieu on prouveroit sans peine que tous les Molinistes sont deffenseurs de la grâce. Car il n'y au- roit qu'à faire cet argument : il n'y a point de différence dans la vérité des choses entre le sens de S1 Augustin et la grâce efficace. Or tous les Molinistes font profession d'approuver le
i. « M. de Barcos, abbé de S. Cyran » (Note de la copie Guerrier) Vide supra p. 61 sqq.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 201
sens de S* Augustin. Donc ils font profession d'approuver la grâce efficace.
Mais pour eclaircir davantage toute cette matière, il est bon d'examiner quel est le sens de ces paroles dans la bouche du Pape : Je condamne les propositions au sens de Jansenius ; ou Je condamne le sens de Jansenius, et si l'on peut dire que la grâce efficace soit comprise dans la condamnation que le Pape fait de ce sens de Jansenius.
Et premièrement on doit supposer comme constant que le Pape en disant, Je condamne le sens de Jansenius, a deu conce- voir quelque dogme distinct et déterminé sous ces mots. Au- trement cette définition seroit ridicule et extravagante.
Il n'est donc question que de sçavoir quel est ce dogme qu'il a appelle sens de Jansenius, si c'est la grâce efficace, ou quel- qu'autre dogme auquel il ait donné ce nom.
Or pour reconnoistre le sens des paroles d'une constitution on se peut servir de deux principes.
i° De l'usage et de l'intelligence commune de l'Eglise, qui est extrêmement considérable dans les Constitutions des Papes, parce que tirant leur principale authorité de l'accep- tation de l'Eglise elles n'ont de force qu'estant prises dans le sens auquel l'Eglise les a receuës.
2° Par diverses circonstances qui font voir l'intention que le Pape a eue dans sa Constitution.
Si l'on examine le sens de ces paroles, Je condamne le sens de Jansenius, par l'usage et l'intelligence de l'Eglise, il est visible que le dogme de la grâce efficace n'y est point com- pris ; puisqu'au mesme temps que l'on condamne partout le sens de Jansenius, l'on soutient partout la grâce efficace : d'où il est clair, que l'Eglise recevant la condamnation du sens de Jansenius, n'a point prétendu s'obliger à condamner la grâce efficace.
Et cette notoriété publique est aussi forte pour prouver qu'on ne condamne point la grâce efficace en condamnant le sens de Jansenius, que si l'on faisoit dire à ceux qui signent : Je condamne le sens de Jansenius qui n'est pas la grâce efficace.
202 ŒUVRES
Et partant il est clair que l'Eglise se peut bien tromper en expliquant mal Jansenius ; mais qu'on ne peut pas dire qu'elle condamne la grâce efficace sans la vouloir condamner ; puisque ne la vouloir pas condamner, c'est ne la condamner pas.
Cette vérité est si constante que les Jésuites mesmes en de- meurent d'accord. Ce qui a fait faire cet argument au Père Annat dans ses Cavilli : Le sens de Jansenius est condamné : la grâce efficace n'est pas condamnée : donc la grâce efficace n'est pas le sens de Jansenius ; ce qu'il entend de la vraye grâce efficace telle qu'elle est soustenuë par les Thomistes.
Cela suffit pour montrer que ceux qui signent les Constitu- tions des Papes, ne condamnent point en effet la grâce effi- cace, parce qu'ils ne les signent que dans le sens auquel l'Eglise les a receuës, selon lequel elles ne blessent point cette doctrine.
Si l'on examine de mesme ces mesmes paroles des Constitu- tions par les diverses circonstances qui marquent l'intention du Pape, on n'en conclura pas avec moins de certitude, que le dogme condamné sous le nom de sens de Jansenius n'est point la grâce efficace.
Entre ces circonstances, les unes sont connues de toute l'Eglise ; et les autres seulement de toute la ville de Rome. Celles qui sont connues de toute l'Eglise sont : i°. que le Pape a déclaré par un décret de l'Inquisition, signé de luy, qu'il avoit laissé les disputes au mesme estât qu'elles estoient sous le Pape Clément 8. et Paul 5. où non seulement la grâce effi- cace n'estoit pas condamnée, mais où elle estoit triomphante et victorieuse. 2° Que dans un autre Bref adressé à la Faculté de Louvain il appelle les dogmes de S1 Thomas, sanissima tutissi- maque dogmala. 3° Que par toute l'Eglise il souffre que l'on enseigne cette doctrine sans inquiéter personne sur ce sujet. Celles qui sont connues de toute la ville de Rome, et mesme de tous ceux qui ont eu soin de s'instruire de ces matières, sont : Premièrement, Que le Pape ne s'est point engagé dans l'examen des propositions que sur l'assurance qu'on luy donna
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 203
qu'elles ne regardoient point la grâce efficace. Secondement, Que tous ceux qui ont accusé les propositions à Rome, ne l'ont fait qu'en protestant en tous leurs escrits et mémoriaux, Qu'ils n'attaquoient point la grâce efficace. Troisièmement, qu'ils ont protesté au contraire à toute la ville de Rome qu'ils la deffendoient. Quatriesmement, Que le Pape dans toutes les Congrégations a déclaré qu'il n'y vouloit point toucher. Cin- quièmement, Qu'il n'a refusé d'écouter les Dominicains qui luy demandèrent dix sept fois audience, que sur l'assurance qu'il leur donna qu'il estoit bien esloigné de vouloir donner atteinte à cette doctrine. Sixièmement, Qu'il l'a déclaré de vive voix après la constitution et aux Docteurs Augustiniens, et à M. l'Ambassadeur de France qui l'aescrit à la Cour. Septies- mement, Qu'il fit deffense aux Jésuites de tirer aucun advan- tage des Constitutions contre la grâce efficace. Et de là il est aisé de conclure que la grâce efficace n'est point ce dogme qu'il a voulu condamner sous le nom du sens de Jansenius.
Mais on dira peut-estre que ceux qui ignoreront cet usage de l'Eglise et toutes ces circonstances et qui ne prendront le sens des Constitutions que des paroles mesmes des Constitu- tions expliquées selon leur sens naturel, en doivent conclure que la grâce efficace y est condamnée, puisque le Pape con- damne le sens de Jansenius et que ces mots de sens de Jan- senius signifient le véritable sens de Jansenius, c'est-à-dire la grâce efficace.
Voilà tout ce qu'on peut dire de plus fort. Et cependant il est visible que ce n'est qu'une pure illusion, et pour le développer, il faut sçavoir que le Pape en condamnant le sens de Jansenius a eu nécessairement dans l'esprit un dogme distinct et distinctement connu, et qu'il n'a condamné que ce dogme, et non celuy qu'il n'a pas conceu. Ainsi on ne peut estre assuré qu'il ait condamné le véritable sens de Jan- senius, qu'on ne soit assuré qu'il a connu le véritable sens de Jansenius.
De mesme quand un homme dit, J'approuve le sentiment de Tertullien; j'approuve la doctrine de S1 Augustin sur la grâce;
204 ŒUVRES
je condamne le sens dHonorius ; on ne peut estre assuré ny [sic] que ces approbations, ou ces condamnations tombent sur la véritable doctrine de Tertullien, de S* Augustin, et d'Honorius, à moins qu'on ne soit asseuré que ceux qui parlent de la sorte entendent bien Tertullien, S1 Augustin et Honorius. Or on a quelquefois cette asseurance ; et quelque- fois on ne l'a pas. On l'a, quand par l'usage constant de l'Eglise, nous sommes assurés que tout le monde a la mesme idée de la doctrine d'un autheur, comme tout le monde entend de mesme sorte la doctrine de Calvin sur la transsubstantia- tion. Et on ne l'a pas, quand nous n'avons pas cette certitude et que la chose est de soy obscure et difficile.
C'est pourquoy si l'on veut suivre exactement la raison on ne peut jamais tirer de ces propositions des conclusions abso- lues, mais seulement des conclusions alternatives.
Si un homme dit, J'approuve la doctrine de S1 Augustin, en concevant un certain dogme par cette doctrine, il n'en faut pas conclure précisément : donc il approuve la grâce effi- cace ; mais alternativement : donc il approuve la grâce effi- cace, ou il entend d'une autre manière la doctrine de S1 Au- gustin. Et de mesme le Pape disant qu'il condamne le sens de Jansenius, c'est conclure témérairement que de tirer cette conséquence : donc la grâce efficace est condamnée. L'on ne peut conclure qu'alternativement, Ou il a condamné la grâce efficace, ou il a entendu quelqu'autre dogme sous le mot de sens de Jansenius.
Ainsi la raison en ne regardant mesme que le sens propre des paroles des Constitutions ne porte point à condamner la grâce efficace, mais elle forme seulement un doute qui oblige à en chercher l'esclaircissement dans l'usage et l'intelligence commune de l'Eglise, par laquelle on apprendra incontinent que ce dogme condamné sous le mot de sens de Jansenius n'est point la grâce efficace.
Et ce qui engage encore davantage dans cet examen, est que ce doute paroist tout formé par l'Acte mesme que l'on signe, qui est les Constitutions, où il est marqué qu'il y a des per-
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 205
sonnes qui disent que ces Propositions ne sont point tirées de Jansenius ny condamnées dans son sens.
Et par la manière mesme de la signature dont il est question, qui marque qu'on ne s'engage qu'à ce qui est de foy dans les Constitutions, et qu'on exclud ainsi nettement tout ce qui n'est pas de foy.
Que s'il plaist à une personne de supposer que le Pape a bien entendu le sens de Jansenius, et qu'il a enfermé sous ce nom la grâce efficace, pour en conclure qu'elle est condamnée ; comme il fera des suppositions téméraires, on ne repond pas de la témérité de ses conclusions.
Mais de plus c'est un cas si métaphysique, qu'une personne assez habile pour sçavoir que le sens de Jansenius est la grâce efficace, ne sçache pas que l'on soustient communément dans l'Eglise que le dogme condamné sous ces mots de sens de Jansenius n'est pas la grâce efficace, qu'il est fort inutile de le prévoir.
Et de tout cela il s'ensuit que soit qu'on examine le sens de ces paroles : Je condamne le sens de Jansenius, par l'intelligence commune de l'Eglise, ou par les circonstances qui font voir l'intention du Pape, ou par les paroles mesmes qui conduisant au doute obligent à en chercher l'esclaircissement, on doit conclure que la grâce efficace n'est point ce dogme que le Pape a prétendu condamner sous ces mots, et qu'ainsi que celuy qui dit qu'il condamne le dogme condamné par le Pape, ne condamne pas la grâce efficace.
(Pascal : « C'est pour cette seule raison que les ennemis de cette grâce s'efforcent de faire passer cette clause. »)
Response. On peut bien dire cela parce qu'il y a quelque vérité dans ce discours en l'entendant des Jésuites ; mais on n'en peut pas faire un fondement bien solide ; car outre qu'il y a un très grand nombre de personnes qui s'efforcent de faire passer cette clause, sans estre ennemis de cette grâce, ceux mesme que l'on regarde comme en estant ennemis, desa-
206 OEUVRES
vouent cette intention, et protestent qu'ils n'ont point des- sein de ruiner la grâce efficace.
(Pascal : « 71 faut sçavoir encore que la manière dont on sest pris pour se défendre contre les décisions du Pape et des Evesques qui ont condamné cette doctrine et ce sens de Jansenius, a esté tellement subtille, qu'encore quelle soit véritable dans le fonds, elle a esté si peu nette et si timide, quelle ne paroit pas digne des vrais défenseurs de l'Eglise. »)
Response. Il est facile d'entrer dans ces pensées quand on ne considère toutes ces choses que par des veuës superficielles, et qu'on n'envisage pas toutes les circonstances auxquelles il a fallu proportionner la voye de se deffendre que l'on a choi- sie. Mais l'on croit que lorsqu'on les considérera bien, on n'en trouvera gueres de plus propre pour sauver tout ensemble la vérité et l'unité de l'Eglise et le respect que l'on doit à ses ministres.
On peut voir ce qu'on a dit sur ce sujet à la fin de cet escrit qui fait voir que la conduite qu'on a tenue n'est ti- mide qu'en apparence, et qu'on l'a deu couvrir de cette appa- rence de timidité, qui n'est en effet qu'une générosité humble et respectueuse envers l'Eglise.
(Pascal : « Le fondement de cette manière de se défendre a esté de dire qu'il y a dans les expressions un fait et un droit ; et qu'on promet la créance pour l'un, et le respect pour l'autre. »)
Response. On ne distingue pas asses dans ce discours la ma- nière dont l'on s'est servi pour deffendre la vérité de celle qu'on a prise pour deffendre les personnes.
Pour la vérité qui est celle de la grâce efficace on l'a def- fenduë en publiant hautement que cette doctrine estoit celle de l'Eglise, et en faisant entendre partout que le Pape ne l'avoit point blessée par sa Constitution, en forçant mesme les ennemis de l'avouer.
Pour les personnes, on les a deffendûes en la manière qu'on
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 207
a pu pour éviter tout ensemble le reproche d'heresie, et n'a- bandonner pas l'innocence de Jansenius.
Il a fallu repondre à cet argument: Lesens de Jansenius est hérétique par le jugement du Pape : vous soustenez le sens de Jan- senius. Donc vous soustenez une hérésie. Et il n'estoit pas pos- sible de le faire autrement qu'en faisant voir que le Pape et les Evesques par le sens de Jansenius qu'ils ont condamné n'ont pas entendu son véritable sens, qui est la grâce efficace; mais quelqu'autre sens qu'ils luy ont attribué; et qu'ainsi c'est une question de fait que de sçavoir si ce dogme con- damné est ou n'est pas de Jansenius.
(Pascal : « Toute la dispute est de sçavoir si il y a un fait et un droit séparé, ou s'il n'y a quun droit ; c'est-à-dire, si le sens de Jansenius qui y est exprimé, ne fait autre chose que marquer le droit. »)
Response. On ne pouvoit pas représenter la question d'une manière moins juste et moins claire.
On dispute bien si le sens de Jansenius est attributif, ou déterminant, c'est à dire, si ces mots ne font que marquer que les propositions sont dans Jansenius ; ou s'ils marquent dans la Constitution le dogme que le Pape veut qu'on con- damne : mais on dispute de cela comme d'une question peu importante et qui ne décide nullement le différent.
Car quand il seroit vray que le Pape et les Evesques se seroient servis de ces mots, sens de Jansenius, pour marquer un droit et un dogme, comme il est d'ailleurs certain que ce dogme quel qu'il soit n'est pas la grâce efficace, il nous importe très peu qu'ils l'ayent pris ou ne Payent pas pris de cette sorte.
Et de plus il ne s'ensuivroit pas de là qu'il n'y eust qu'un droit enfermé dans ces mots ; parce que encore que l'on prenne les mots de sens de Jansenius comme marquant un certain dogme, c'est toujours une question de fait, si ce certain dogme est dans Jansenius, et l'on ne sçauroit nier que ce fait ne soit séparé du droit.
208 ŒUVRES
Ainsi il ne faut point establir d'estat de question où il n'y a point proprement de question. On escrit et l'on parle d'un costé sans qu'on fasse aucune réponse à ces paroles et à ces escrits, et l'on condamne de l'autre sans avoir égard à ces escrits ny à ces paroles en faisant telles suppositions que l'on veut, sans considérer si elles sont véritables ou non.
Les suppositions de ceux qui ont dressé le formulaire sont Premièrement, Que le sens de Jansenius qu'ils n'expliquent point, et qui est selon eux quelque chose de différent de la grâce efficace, est un certain dogme clair et connu qu'il suffit de nommer pour le faire entendre. Secondement, Que qui- conque soustient le sens de Jansenius ou qui refuse de le condamner, soustient en effet ce dogme comme différent de la grâce efficace. D'où ils concluent qu'il les faut traittercomme hérétiques.
Et quoy qu'on proteste de ne sçavoir pas quel est ce certain dogme, quoy qu'on proteste de le condamner quel qu'il soit, ils n'escoutent aucune de ces remonstrances, et ne font pas sem- blant de les entendre ; mais ils demeurent dans leurs suppo- sitions, que quiconque ne dit pas Je condamne le sens de Jan- senius tient en effet ce certain dogme condamné.
Voila le véritable état de la contestation présente dans laquelle il ne faut pas chercher des oppositions d'opinions : parce que ceux qu'on persécute n'ont point véritablement d'opinions que ceux qui ont dressé le formulaire n'approu- vent ; mais supposer qu'il y a des raisons évidentes et non contestées d'un costé, et de l'autre des voyes de fait et des suppositions fausses et arbitraires.
Ces autheurs du formulaire ne nient pas ce que disent ces personnes ; et ces personnes ne voyent pas ce que les autheurs du Formulaire leur attribuent ; mais les auteurs du Formu- laire ne veulent pas écouter, et ils veulent condamner.
(Pascal : « Le Pape et les Evesques sont d'un costé, et pré- tendent que c'est un point de droit et de foy de dire, que les cinq propositions sont hérétiques au sens de Jansenius ; et Alexandre
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 209
\ II. adeclaré dans sa constitution, que pour estre dans la véritable foy , il faut dire que les mots de sens de Jansenius ne font qu'ex primer le sens hérétique des propositions, et qu'ainsi c'est un fait qui emporte un droit et qui fait une portion essentielle de la profes- sion de foy, comme qui diroit, le sens de Calvin sur l'Eucharistie est hérétique, ce qui, certainement, est un point de foy. Et un très petit nombre de personnes, qui font à toute heure des petits escrits volans, disent que ce fait est de sa nature séparé du droit. »)
Response. Tout cela n'est pas bien représenté. Quand les mots de sens de Jansenius enfermeroient un droit et mar- queroient un dogme, il y auroit néanmoins en cela un point de fait séparé du droit, qui est de sçavoir si ce dogme est dans Jansenius, ce que les Molinistes ne nient pas. Comme dans cette proposition qui marque un droit : Le sens de Calvin est hérétique, il y a un fait qui est séparé du droit, qui est, que cette doctrine hérétique est de Calvin.
Et ces faiseurs d'escrits volans ne s'amusent pas à prouver que ce sens de Jansenius n'est pas déterminant et qu'il ne marque pas un droit, ce qui leur est fort indiffèrent, mais ils soustiennent que ce droit et ce dogme quel qu'il soit n'est pas la grâce efficace, ce que tout le monde leur accorde ; et que ce dogme déterminant quel qu'il soit n'est pas dans Jansenius, ce qui n'est qu'un fait, comme tout le monde l'avoue. Et ainsi ils ne disent rien qui soit contesté. Cependant ils ne laissent pas d' estre condamnés, parce que le principe des autheurs du Formulaire est que quiconque ne signe pas sans restriction, doit estre traité d'heretique, quoy qu'il dise et qu'il croye.
(Pascal : « // faut enfin remarquer que ces mots de fait et de droit ne se trouvent, ny dans le mandement, ny dans les consti- tutions, ny dans le formulaire, mais seulement dans quelques escrits qui n'ont nulle relation nécessaire avec cette signature ; et sur tout cela examiner la signature que peuvent faire en con- science ceux qui croyent estre obligez en conscience de ne point condamner le sens de Jansenius. »)
2e série. VII i4
210 ŒUVRES
Response. Il n'est pas question des mots ; il est question des choses. Or les choses de droit et les choses de fait se trouvent dans le Mandement, dans les Constitutions, et dans le Formu- laire: et celuyqui limite sa signature aux choses de droit et de foy, exclud par là tout ce qui n'est pas de foy : et par con- séquent toutes les choses de fait, lesquelles certainement ne sont point de foy.
Et en second lieu, les mots défait et de droit ne sont pas seulement dans des escrits; ils sont dans l'esprit de tous ceux qui ontleuces escrits et qui sont tant soit peu informez de ces questions; et tous ces personnes entendent parfaitement bien qu'en disant qu'on ne soutient que la foy, on ne souscrit point aux faits. Or la signature n'a pas véritablement relation à ces escrits dont on parle; mais elle a relation à l'intelligence commune que ces escrits ont pu préparer.
(Pascal : « Mon sentiment est, pour cela, que comme le sens de Jansenius a esté exprimé dans le mandement, dans les bulles et dans le formulaire, il faut nécessairement ïexclurre formelle- ment par sa signature ; sans quoy on ne satisfait point à son devoir. Car de prétendre quil suffit de dire quon ne croit que ce qui est de la foy, pour prétendre avoir assez marqué par là qu'on ne condamne point le sens de Jansenius, par cette seule raison qu'on s'imagine quil y a en cela un fait qui est séparé du droit ; c'est une pure illusion : on en peut donner bien des preuves. »
Response. On verra par l'examen de ces preuves si c'est une illusion.
(Pascal: « Celle-cy suffit, Que le fait et le droit estant des choses dont on ne parle en aucune manière en tout ce qu'on signe, ces deux mots n'ont nullement assez de relation l'un à l'autre, pour faire qu'il soit nécessaire que l'expression de l'un emporte l'exclusion de Vautre. »)
Response. Geluy qui signe qu'il ne croit que ce qui est de ioy exclud certainement tout ce qui n'est pas de foy ; parce
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 211
que cette proposition, Je ne croy que lafoy signifie qu'on croit tout ce qui est de foy, et qu'on ne croit pas tout ce qui n'est pas de foy.
Il n'est donc pas nécessaire que les mots défait et de droit ou de foy soyentdans le Formulaire et les Constitutions ; mais il suffit qu'il y ait dans les Constitutions et le Formulaire des choses qui ne soient pas de foy, pour en conclure que celuy qui tesmoigne ne recevoir dans ces actes que ce qui est de foy exclud par cette sorte de signature ce qui, dans son opinion et dans celle de tout le monde, n'est pas de foy.
Ainsi cette raison prise de ce que les mots de fait et de droit ne sont point exprimez dans les actes que l'on signe, ne conclud rien du tout; puisque l'exclusion n'est pas fondée sur les mots, mais sur les choses.
(Pascal : « S'il estoit dit dans le mandement, ou dans les cons- titutions, ou dans le formulaire, qu'il faut non seulement croire la foy, mais aussy le fait, ou que le fait et le droit fussent pro- posez egallement à souscrire ; et qu'enfin ces deux mots de fait et de droit y fussent bien formellement marquez : on pourroit peut- estre dire qu'en mettant simplement que l'on se soumet au droit, on marque assez que l'on ne se soûmetpoint à l'autre. Mais comme ces deux mots ne se regardent que dans nos entretiens, et dans quelques escrits tout à fait séparez des constitutions, lesquels peuvent périr, et la signature subsister ; et qu'ils ne sont relatifs, ny opposez l'un à l'autre, ny dans la nature de la chose, où lafoy n'est pas naturellement opposée au fait, mais à l'erreur, ny dans ce qu'on fait signer, il est impossible de prétendre que l'expres- sion de lafoy emporte nécessairement l'exclusion du fait. »)
Response. Ce n'est point seulement dans nos entretiens» mais dans la nature des choses que foy est opposée à tout ce qui n'est pas de foy, par la plus grande, la plus commune, et la plus connue de toutes les oppositions qui est la contra- dictoire. Or le membre de non foy comprend certainement tous les faits, selon l'opinion de tout le monde ; et par con-
212 ŒUVRES
sequent, en disant qu'on ne souscrit qu'à la foy, on exclud aussi formellement tous les faits que si on disoit qu'on ne souscrit point aux faits.
(Pascal : « Car encore qu'en disant qu'on ne reçoit que la foy, on marque par là qu'il y a quelque autre chose qu'on ne reçoit pas, il ne s'ensuit pas que cette autre chose qu'on ne reçoit pas soit nécessairement le sens de Jansenius, et cela se peut en- tendre de beaucoup d'autres choses, comme des récits qui sont faits dans l'exposé, et des dépenses de lire et d'escrire. »)
Response. Il s'ensuit très bien de ce qu'on ne reçoit que la foy, qu'on ne reçoit pas tout ce qui n'est point de foy dans ce que l'on signe. Donc on ne reçoit point que les cinq pro- positions soyent extraittes de Jansenius (ce qui est porté par les Constitutions et le Formulaire), parce que cela n'est pas de foy. Donc on ne reçoit point aussy que les dogmes con- damnez et exprimez ou par les propositions, ou par le sens de Jansenius soient effectivement de Jansenius, ce qui est encore un fait qui resuite des Constitutions et du Formulaire. Car il est clair par le sentiment commun de tous les Théologiens, que cela n'appartient pas à la foy.
Que si l'on dit que l'on n'excepte pas le sens de Jansenius dans l'opinion de ceux qui disent qu'il enferme un dogme, on repond : i ° Qu'on ne l'exclud pas davantage en disant excepta quœstione facti, parce qu'on n'exclud par là que les faits, et ainsi on n'excluroit pas ce qui ne seroit pas un fait, mais un droit; i° ceux qui disent qu'il y a un dogme enfermé dans ces paroles de sens de Jansenius, ne disent pas qu'il n'y a qu'un dogme, comme on le suppose toujours dans cet escrit, mais ils disent qu'il y a un dogme et un fait. Or à l'égard du dogme, il n'est pas besoin de l'exclure, parce qu'il est notoire que ce dogme quel qu'il soit, entendu sous les mots de sens de Jansenius par le Pape et l'Eglise, n'est pas la grâce efficace, et par conséquent on le peut condamner et souscrire à la condamnation que le Pape en fait, pourveu qu'on ne
ÉCRIT SUR SIGNATURE. — APPENDICE 213
connoisse pas qu'il soit de Jansenius, ce qui n'estant qu'un fait est exclu par la déclaration qu'on fait de ne recevoir que la foy.
(Pascal : « Il y a cela de plus, que le mot de foy estant icy extrêmement équivoque, les uns prétendant que la doctrine de Jansenius emporte un point de foy, et les autres que ce n'est qu'un pur fait, il est indubitable qu'en disant simplement qu'on reçoit la foy, sans dire qu'on ne reçoit point le point de la doctrine de Jansenius, on ne marque pas par là qu'on ne le reçoit pas, mais on marque plustost par là qu'on le reçoit ; puisque l'intention publique du Pape et des Evesques est de faire recevoir la condam- nation de Jansenius, comme une chose de foy, tout le monde le disant publiquement, et personne n'osant dire publiquement le contraire. »)
Response. On n'a pas besoin d'expliquer l'équivoque d'un mot, lors qu'il nous est indiffèrent en quel sens on le prenne. Si on prend le sens de Jansenius comme un pur fait, ce fait est exclu par la clause qui dit qu'on ne reçoit que la foy. Et si on le prend pour un dogme et un fait, selon l'intention de quelques Evesques, on condamne ce dogme avec le Pape ; parce qu'il est certain que ce n'est point la grâce efficace ; et le fait qui reste si ce dogme est de Jansenius, est enfermé dans l'exclusion générale de tout ce qui n'est pas de foy.
(Pascal : « 77 est Jiors de doute que celte profession de foy est au moins équivoque et ambiguë, et par conséquent meschante.)
Response. Le sens de la grâce efficace estant exclu par le con- sentement de toute l'Eglise de l'idée du sens de Jansenius condamné par le Pape, il n'y aucune équivoque à dire qu'on condamne le dogme que le Pape a entendu sous ces mots ; parce que ces mots ne sont point équivoques à l'égard de la grâce efficace ; parce qu'elle en est excluse dans l'intelligence com- mune de l'Eglise.
Mais déplus je croy qu'on abuse beaucoup de cette maxime
214 ŒUVRES
qu'une confession de foy ne doit point estre équivoque : car elle est vraye de la signature qui doit marquer clairement quelle est la nature du consentement que l'on donne à l'acte que l'on signe, la sincérité demandant qu'on ne trompe pas l'Eglise, et qu'on ne luy rende pas un respect purement extérieur, lorsqu'elle croit qu'on luy en rend un intérieur et véritable. Mais elle ne paroist pas vraye generallement à l'égard de la chose qu'on signe.
Car il s'ensuivroit de là qu'on ne pourroit souscrire le Con- cile de Trente qui est équivoque en plusieurs définitions, comme dans celles qui regardent l'attrition et la contrition, l'intention nécessaire aux sacremens, et tous les articles delà grâce: ce qui n'est pas seulement arrivé par hazard, mais de dessein; ces articles ayant esté communiquez aux théologiens de differens sentimens pour choisir des expressions équi- voques que chacun expliquast à son avantage, comme il est remarqué dans l'histoire du Concile. Ainsy les Jésuites pré- tendent que la grâce efficace est condamnée par le Concile de Trente; et les Dominicains qu'elle y est establie. Les Jésuites prétendent que le Concile définit que l'attrition sans amour suffit avec le sacrement ; et d'autres prétendent qu'il deffinit le contraire ; et estant les uns et les autres en des sentimens si differens, ils signent egallement le concile.
On peut dire la mesme chose de tous les autres conciles, y en ayant peu qui ne soyent équivoques à l'esgard des articles qu'ils n'ont pas voulu décider, et sur tout le concile d'Ephese, où les Anathematismes de S1 Cyrille furent approuvez, dont les Eutichiens ont estrangement abusé.
Cette maxime a donc besoin de distinction, et il semble que la véritable est qu'il faut distinguer entre les erreurs compatibles avec la communion de l'Eglise, et les erreurs in- compatibles avec cette communion. Les erreurs compatibles avec la communion de l'Eglise sont celles qui sont véritable- ment erreurs, mais pour lesquelles l'Eglise ne retranche pas de sa communion, comme l'erreur de l'attrition, l'erreur de la supériorité du Pape sur les Conciles, et ainsi des autres.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 215
Les erreurs incompatibles sont de deux sortes ; car les unes sont incompatibles par leur nature mesme, et ce sont celles qui regardent les points fondamentaux sans lesquels creus de foy distincte on ne peut estre sauvé, comme l'Arianisme qui destruisoit la divinité du Fils de Dieu, ou le Manichéisme qui destruisoit l'unité et la nature de Dieu, et plusieurs autres de cette nature.
Mais il y en a d'autres qui ne sont criminelles que parce que l'Eglise a décidé expressément le contraire, et qu'elle a retranché de son corps ceux qui les tiennent ; comme pouvoit estre la question du baptesme des hérétiques.
Dans les uns et dans les autres il ne faut pas souffrir de définition équivoque, et la raison en est claire, parce que le propre d'une confession de foy estant d'unir dans la mesme communion ceux qui la signent, si elle est équivoque à l'égard de ces erreurs incompatibles avec la communion de l'Eglise, elle uniroit à l'Eglise tous ces membres retranchés sans leur faire changer de sentiment. C'est pourquoy on n'a point dû signer ny le concile de Rimini, ny l'Enoticon de Ze- non, ny le Type de Constant, ny l'Ecthese d'Heraclius, parce que c'estoient des professions de foy équivoques à l'esgard de ces erreurs incompatibles avec la communion de l'Eglise, et qui faisoient régner la vérité et des erreurs formellement condamnées generallement dans l'Eglise.
Mais quand l'Eglise ne retranche pas de son corps ceux qui tiennent certaines erreurs, elle n'evitte pasaussy que les défi- nitions de foy qu'elle fait ne soyent équivoques à l'égard de ces erreurs; pourveu qu'elle ne les favorise pas. Ainsy le Concile de Trente n'a pas évité les expressions équivoques à l'égard de l'attrition et de la grâce soumise au libre arbitre ; et dans ces rencontres ces équivoques ne doivent pas empescher les fidelles de signer la profession de foy qu'on leur propose ; parce qu'ils doivent souffrir dans la communion de l'Eglise ceux qui tiennent l'erreur opposée ; et il leur suffit qu'ils ayent lieu de se deffendre quand on les voudra rendre approbateurs de cette erreur. Ainsi encore qu'on puisse
216 ŒUVRES
faire cet argument contre ceux qui signent le Concile de Trente :
Geluy qui signe le Concile de Trente, signe la doctrine qu'il contient ; Or le Concile de Trente enseigne que l'at- trition suffit sans amour; Donc celuy qui signe le Concile de Trente signe cette doctrine de l'attrition ;
On ne doit pas, dis-je, estre empesché de signer le Concile de Trente par cet argument, parce qu'on y peut repondre en niant la mineure, et en soutenant que le Concile de Trente ne contient point cette erreur de l'attrition sans amour.
Il est facile de conclure de là qu'encore que les Constitu- tions du Pape fussent équivoques à l'égard delà grâce efficace, et que l'on peut faire cet argument : Le Pape condamne le sens de Jansenius : le sens de Jansenius est la grâce efficace: donc il condamne la grâce efficace,
Ce ne seroit pas une raison de ne le pas signer, parce qu'on peut repondre très raisonnablement à la mineure, que le sens de Jansenius n'est pas la grâce efficace, dans le sens auquel le Pape et l'Eglise entendent ces mots.
(Pascal : « D'où je conclus que ceux qui signent purement le formulaire sans restriction signent la condamnation de Jansenius, de Saint Augustin, de la grâce efficace. »)
Response. Cette conclusion est notoirement contraire à la vérité puisque des Ordres entiers signent la condamnation de ce sens en soustenant la grâce efficace.
Elle est calomnieuse contre le Pape et les Evesques à qui elle impose de condamner la grâce efficace contre la protes- tation qu'ils en font.
Elle est préjudiciable à la grâce efficace, puisqu'elle suppose qu'elle est condamnée presque par toute l'Eglise, ce qui seroit une très grande preuve de fausseté.
Elle est scandaleuse à l'égard des hérétiques à qui elle donne sujet d'accuser l'Eglise d'erreur en la foy.
Et à l'égard des catholiques, parce qu'elle les porte à con-
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 217
damner la grâce efficace, en leur faisant croire qu'elle est condamnée par ceux qui condamnent simplement le sens de Jansenius, c'est-à-dire presque par toute l'Eglise.
Ainsi le mal de la signature simple n'est pas qu'elle con- damne la foy, mais qu'elle condamne un innocent, ce qui est exclu par la restriction : quant à la foy.
(Pascal : « Je conclus en second lieu que qui excepte la doc- trine de Jansenius en termes formels, sauve de condamnation, et Jansenius, et la grâce efficace. »)
Response. Si l'on ne le fait que par ces termes ordinaires salva quœstione facti, on a tort de tirer cette conclusion sui- vant les principes de cet escrit. Car cette exception n'exclud que les faits, et il reste en question si le sens de Jansenius est un fait ou un droit. Il est donc vray en mesme tems et que cette sorte de signature est bonne selon les principes véritables, et qu'on n'a pas deu la juger bonne suivant ceux de cet escrit.
(Pascal : « Je conclus en troisiesme lieu, que ceux qui signent en ne parlant que de la foy n'excluant pas formellement la doctrine de Jansenius, prennent une voye moyenne, qui est abominable devant Dieu, mesprisable devant les hommes, et entièrement inutile à ceux quon veut perdre personnellement. »)
Response. Cette conclusion est aussy fausse que tous les principes sur lesquels elle est establie.
Quant à ces hommes à l'égard desquels cette signature est méprisable, peut estre seront-ils en plus petit nombre qu'on ne pense, et qu'il y en aura bien plus qui en seront édifiez, ou qui la blasmeront moins que si on avoit voulu expliquer en détail des choses que des Religieuses doivent ignorer.
Mais à ces fausses conclusions on en peut opposer de véri- tables. Car on conclud des principes establis en cette response :
218 ŒUVRES
Premièrement, que cette restriction qui tesmoigne qu'on ne reçoit les Constitutions que quant à la foy est bonne et légitime.
i°, Parce qu'elle exclue! réellement tout ce qui n'est pas de foy comme le sont les faits que ces propositions soyent conte- nues dans Jansenius et que le sens condamné de ces propo- sitions soit dans son livre.
2°, parce qu'elle est très aisée à soustenir, ne pouvant estre combattue que par cet argument :
Le sens de Jansenius pris pour un dogme déterminant est la grâce efficace : Or cette signature engage à condamner le sens de Jansenius pris pour un dogme déterminant; puisque le Pape le condamne ainsi, et que l'on condamne par la signa- ture tous les dogmes condamnez par le Pape : Donc elle engage à condamner la grâce efficace. Or en cet argument la majeure est certainement fausse, et la mineure incer- taine.
3°, parce qu'elle exprime parfaitement la disposition des Religieuses en ce qu'elles sçavent et doivent sçavoir de cette contestation. Car que sçavent-elles autre chose sinon qu'on demeure d'accord de part et d'autre que le Pape n'a point blessé la foy de l'Eglise par sa Constitution, et que l'on dispute s'il n'y a point meslé des faits qui soyent faux ? Et que peuvent elles faire de mieux suivant cette connoissance que de déclarer en gênerai qu'elles reçoivent la Constitution du Pape tou- chant la foy, puisque toute l'Eglise en convient ; et qu'elles ne prennent part qu'à la foy, pour s'exempter de prendre part dans ces autres disputes qui ne les regardent pas ?
4°, parce que tous les Catholiques et principalement les Religieuses devant un grand respect à l'authorité de l'Eglise, il est de leur devoir d'exprimer cette résistance qu'elles font à un ordre qui les engage à prendre part à des choses qui ne les regardent point, dans les termes les plus respec- tueux qu'il est possible; ce qu'on ne pouvoit gueres mieux faire que par les termes de cette signature.
On conclud en second lieu que cette sorte de signature est
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 219
meilleure que celle où l'on diroit salva quœstione facti; parce que cette exception salva quœstione facti a tous les mesmes inconveniens que ceux qu'on a proposés contre celle-cy, et qu'elle n'a pas l'avantage de n'engager pas mesme au silence à l'égard du fait ce qui est assez considérable.
On conclud en troisiesme lieu qu'elle est meilleure que celle où l'on diroit salua doctrina Jansenii; parce que cette sorte d'exception rend suspects ceux qui la font, de tenir ce que le Pape entend par la doctrine de Jansenius; et comme c'est une erreur, elle les rend suspecls d'erreur, et donne lieu de les pousser avec plus d'apparence de raison.
On conclud en quatriesme lieu qu'elle est meilleure que si l'on meltoit salua doctrina gratiœ efficacis ; parce que cette exception en marquant que l'on ne condamne pas la grâce efficace, marque en mesme tems indirectement que ceux qui ne l'exceptent pas la condamnent; et ainsi, en donnant un tesmoin à cette grâce, elle luy en oste cent mille.
Que si on objecte qu'on pourroit dire la même chose à l'égard de Jansenius, on repond que non, parce que l'on n'a pas les mesmes raisons de prétendre que la signature que l'on fait n'enferme pas la condamnation de Jansenius, qu'on en a de croire qu'elle n'enferme pas la grâce efficace ; et ainsi l'ex- ception de Jansenius est nécessaire, et non libre; parce qu'il n'est pas permis de témoigner par des paroles le contraire de ce que l'on a dans le cœur, quand nous en pourrions espérer de l'avantage.
Toutes les restrictions devant estre apparamment con- damnées, celles qui engagent la vérité davantage sont les plus mauvaises, et celles qui l'engagent moins sont les meilleures. Quand on verra condamner une signature où l'on aura excepté la grâce efficace, n'aura-t-on pas quelque sujet d'en conclure que l'on veut donc que l'on condamne cette grâce efficace? Mais quand on condamnera ceux qui ont mis pour restriction qu'ils recevoient les Constitutions quant à la foy, on ne pourra conclure raisonnablement autre chose, si non qu'on lésa voulu obliger de les recevoir aussy en ce qui
220 ŒUVRES
n'est pas de foy, ce qui n'engage point la vérité dans leur condamnation.
C'est ce qui donne lieu de remarquer icy la différence extresme qu'il y a entre souffrir pour la vérité de la part des ministres de l'Eglise, et souffrir pour la vérité de la part des ennemis déclarez de l'Eglise.
Car les souffrances pour la vérité qui arrivent de la part des ennemis de l'Eglise sont toutes glorieuses et utiles à l'Eglise, parce qu'elles rendent la vérité pour laquelle on souffre plus éclatante et en quelque manière plus cer- taine ; puis qu'on conclud qu'il faut bien que cette vérité soit bien constante puisque ces personnes se sont exposées à la persécution pour la soustenir. Mais quand on souffre de la part de l'Eglise mesme, le tesmoignage qu'on rend par la souf- france est souvent plus contraire à la vérité qu'il ne luy est avantageux ; parce qu'au lieu d'en conclure qu'il faut bien qu'une opinion qu'on a soustenue au péril de tant de souf- frances soit véritable, on en conclud au contraire qu'il faut qu'elle soit fausse, puisque l'Eglise a tant fait souffrir ceux qui la soustenoient.
Ainsi ceux qui n'ont pour but ou dans les souffrances ou dans la recherche de leur seureté que l'avantage de la vérité ne doivent pas garder la mesme conduite en des rencontres si différentes.
Quand il s'agit de deffendre la vérité contre les ennemis de l'Eglise, ils ont toute liberté de le faire avec force sans appréhender les persécutions ; parce que ces persécutions ne sçauroient qu'estre utiles à la vérité ; mais quand il s'agit de la défendre contre les ministres de l'Eglise, l'interest mesme de la vérité les oblige de prendre une conduite plus tempérée, de peur que se faisant condamner, leur condamnation ne retombe sur la vérité qu'ils soustiennent, et ils ne doivent pas éviter de couvrir leur générosité d'une apparence de timidité, si cette timidité est en effet utile à la vérité, en prenant pour devise cette parole de S. Paul, cum infirmor, tune polens sum : au lieu qu'en suivant impétueusement les mouvemens de son
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 221
esprit, on s'engage quelques fois en des maux infructueux pour ceux qui les souffrent et préjudiciables à la vérité, pour laquelle on s'imagine de les souffrir.
II
Arnauld. — (Analyse de récrit intitulé) : Si on a droit de supposer que les mots de sens de Jansenius dans la Bulle d'A- lexandre VIL signifient plus naturellement la grâce efficace que toute autre chose ; de sorte que ce soit donner un juste soupçon qu'on la condamne, que de souscrire à cette Bulle sans l'excepter, quand mesme on diroit qu'on ne la souscrit que quant à la foy l.
« Il y a des personnes de fort bon esprit qui se le sont ima- giné sur des raisons qu'ils estiment très solides, mais que je crois n'estre que de purs sophismes.
« Je ne proposeray point ces raisons, de peur qu'ils ne se plaignent qu'on ne les représente pas dans toute leur force; mais je me contenteray d'establir des maximes qui feront voir, si je ne me trompe, très évidemment, que tous les argumens qu'on peut faire pour appuyer cette prétention ne sçauroient estre que sophistiques.
« Et comme il ne s'agit icy que de la sincérité d'une signa- ture, qui dépend de la signification des termes de l'acte que l'on souscrit, il ne faut pas s'estonner si pour débrouiller cette matière, qui est assez embarrassée, j'établis avant toutes choses des règles certaines pour juger de la véritable signifi- cation des mots. »
i. La copie de cet écrit d' Arnauld se trouve dans le ms. i4o de la bibliothèque de Glermont-Ferrand, p. n. — Il a été publié en 1696 par Quesnel dans la Tradition de l'Éylise Romaine sur la grâce, et réimprimé dans la grande édition d' Arnauld de Paris-Lausanne, T. XXII, p. 735. En tête du manuscrit se trouve cette note d'Arnauld : « On prétend qu'il n'y a que le deffaut d'attention qui puisse empêcher un esprit raisonnable de se rendre à ces raisons. »
222 ŒUVRES
Première maxime.
« Les mots généraux ne signifient proprement et litteralle- ment que les idées générales des choses, et n'en peuvent signi- fier de plus distincte et plus particulière, qu'estant détermi- nez ou par d'autres mots, ou par la suite du discours, ou par d'autres circonstances. »
(Ainsi les mots de sens de Jansênius tout seuls ne peuvent marquer que la doctrine de Jansênius en général ' .)
Seconde maxime.
« Si [un homme] voit clairement que l'attribut [d'une
proposition] ne peut convenir au sujet pris generallement, il est impossible qu'il fasse cette proposition en laissant ce sujet dans son idée generalle ; mais il faut nécessairement qu'il ter- mine dans son esprit cette idée generalle à une idée plus dis- tincte et plus particulière, qui le rende capable de cet attri- but, soit qu'il marque cette nouvelle idée par d'autres mots, soit qu'il ne la marque pas. »
(C'est ainsi que dans cette proposition : le sens de Jansênius est hérétique, les mots sens de Jansênius sont nécessairement, dans la pensée de celui qui parle, déterminés et liés à une idée distincte et particulière de quelque dogme.)
Troisième maxime.
« La détermination d'une idée générale à une idée plus distincte se peut former en deux manières : ou par une con- noissance claire de cette idée distincte, ou par une connois- sance confuse. »
(Ainsi cette proposition : le sens de Jansênius est hérétique, ne peut pas ne pas être déterminée ; elle peut l'être par ceux qui n'en jugent que par déférence aux lumières des autres
i. Voir la Logique de Port-Royal, première édition, 1662, part. I, chap. vu : Des termes complexes, et de leur universalité ou parti- cularité.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 223
avec cette signification : Il y a un dogme particulier que je ne connais point et que le Pape connaît, qui a été enseigné par Jan- sénius et qui est hérétique. Elle peut l'être aussi, par ceux qui jugent par leur propre lumière avec cette signification : un tel dogme qui a été enseigné par Jansénius est hérétique, et voilà nécessairement comment l'ont comprise le pape et ses officiers qui l'ont dressée.)
Quatrième maxime.
« Dans toutes les propositions où on attribue à un terme gênerai ce qu'on sçait bien ne luy convenir pas généralement, ce terme gênerai estant alors déterminé par une idée distincte, se doit résoudre en deux termes: l'un conceu et non exprimé, qui marque cette idée distincte ; l'autre exprimé, qui marque cette idée générale, en tant qu'elle comprend, ou qu'elle est jugée comprendre cette idée distincte. Et de là il s'ensuit, que ces propositions sont de celles qu'on peut appeller complexes, au moins dans le sens, dont le sujet enferme une proposition incidente1. »
(Ainsi quand le pape dit: Le sens de Jansénius est hérétique, cela veut dire nécessairement : Un certain dogme en particu- lier, lequel a été enseigné par Jansénius, est hérétique.)
Cinquième maxime.
(Toute proposition de cette sorte : Le sens d'un tel auteur est hérétique, contient deux propositions : l'une qui est enfermée dans le sujet, par laquelle l'idée générale du sujet est affir- mée de l'idée distincte, c'est-à-dire d'un tel dogme en parti- culier ; l'autre qui affirme de cette idée distincte qu'elle est hérétique. La dernière seule appartient à la foi et contient un droit ; la première contient un fait, sans nécessaire- ment contenir une question de fait, car ce fait peut être
i. Cf. la Logique de Port-Royal, part. II, chap. iv : De la nature des propositions incidentes, qui font partie des propositions com- plexes.
224 ŒUVRES
indiscutable. Ainsi cette proposition : la doctrine d'Arius est hérétique, veut dire : La doctrine qui nie la consubslantia- lité du Verbe, doctrine qu'Arius a enseignée, est hérétique, ce qui enferme deux propositions.)
UXIEME MAXIME.
(De ce qui précède, il resuite que) « quiconque dit qu'il ne reçoit ces sortes de propositions: Le sens d'un tel Auteur est hérétique que quant au dogme et quant à la foy, tesmoigne assez par là qu'il ne s'engage point à croire le fait qui y est enfermé. »
Septième maxime.
a Lors qu'un mot gênerai est pris pour une idée distincte et particulière, la signification de ce mot pris pour cette idée particulière, ne dépend point de la vérité des choses comme vérité ; mais de l'opinion des hommes, ou particulière quand c est un seul homme qui détermine cette idée générale, ou publique si plusieurs autres se sont accordés à la déterminer de la mesme sorte. »
(Ainsi l'expression de Prince des Philosophes désigne Aristote, même pour ceux qui considèrent Descartes comme le plus excellent de tous *.)
« Mais quand c'est la première fois qu'un mot gênerai a esté déterminé à une idée distincte, ce qui le détermine alors ne peut estre autre chose que l'opinion de celuy qui le déter- mine, et non la vérité de ce que cette idée générale com- prend, ou ne comprend pas. »
(Il en est ainsi de l'expression sens de Jansénius qui ne peut être déterminée que par l'opinion du pape. Or on a des preuves très fortes que le pape n'a pas entendu par ces mots la grâce efficace.)
i. Dans la Logique de Port-Royal, part. II, chap. vin (De la jausseté qui se peut trouver dans les termes complexes, et dans les pro- positions incidentes, p. i49), le même exemple est repris; mais c'est Gassendi qui est mis en parallèle avec Aristote.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 225
D
IXIEME MAXIME
ou la Première des générales, qui servent de fondement aux précédentes.
... « La signification des mots ne dépend point de la vérité des choses, mais de l'opinion des hommes : de sorte qu'on est en danger de faire beaucoup de sophismes, lors qu'on argu- mente de la vérité des choses à la signification des mots, en pré- tendant que la dernière doit estre conforme à la première. »
(Arnauld donne quelques exemples des sophismes que l'on pourrait faire ainsi.)
Onzième maxime ou Seconde des générales.
« L'imposition des noms est publique ou particulière, et comme la signification des mots dépend de l'opinion publi- que, quand l'imposition en a esté publique; ainsi elle dépend de l'opinion particulière, quand l'imposition en a esté parti- culière et cette imposition particulière est plus commune
qu'on ne pense. »
(Les géomètres indiquent par leurs définitions l'idée qu'ils joignent aux mots ; mais dans d'autres circonstances on ne peut souvent connaître cette idée que par la suite du dis- cours. Arnauld cite l'exemple d'un grand seigneur qui di- sait : Le cardinal Mazarin a ici ses hémisphères au lieu d'émissaires.
De là on peut tirer quatre règles) :
« i° Quand on est suffisamment averty que celuy qui parle ne donne pas à un mot sa signification ordinaire, mais une particulière, on doit juger de la vérité, et de la fausseté de son discours, non par la signification ordinaire de ce mot, mais par sa signification particulière
« 2° Si on est suffisamment averty que celuy qui parle ne prend pas les mots dans leur signification ordinaire, et que neantmoins on nesçache pas quelle est la signification parti- culière qu'il leur donne, il ne faut pas pour cela les vouloir 2e série. VII i5
226 ŒUVRES
entendre dans la signification ordinaire ; mais avouer qu'on ne sçait pas ce qu'il a voulu dire.
« 3° Que s'il nous est important desçavoirle sens des mots de cet homme, nous ne le pouvons rechercher, qu'en devi- nant sa pensée
« 4° Si dans cette recherche il se trouve une chose que celuy qui parle n'a point eu certainement dans l'esprit, nous devons estre certains que ce n'est point ce que ces termes signi- fient, quoique nous ne sçussions pas encore ce qu'ils signifient en particulier.
« L'application de ces règles au sujet présent se fera mieux en repondant à quelques difficultés que peuvent faire ceux pour qui cet écrit a esté fait. »....
Réponse à quelques difficultés.
i° « On dira peut-estre : Mais si c'est de l'opinion du Pape, et non de ce que Jansenius a enseigné en effet, que dépend la signification des mots de sens de Jansenius dans la Bulle du Pape, d'où pourray-je connoistre ce que le Pape en a crû, puisqu'il ne me le tesmoignepas, et qu'il me dit seule- ment que le sens de Jansenius est hérétique, sans s'expliquer davantage ?
« Je reponds que cela vous donne plus de droit de vous plaindre du Pape, de ce qu'il a parlé trop obscurément dans sa Bulle, et non pas de remettre en doute des choses aussi constantes que sont celles qui sont establies par ces maximes, et qui comprennent tous les fondemens de la parole. »
(Arnauld répond qu'on peut, par la voie positive, voir ce que le pape a voulu condamner et il ajoute :)
cr Cette voye est très bonne et très raisonnable, mais à cause de l'ambiguïté des Propositions, elle n'est pas si seure que la négative, quoy qu'elle suffise, au moins à l'égard de beaucoup de propositions, pour montrer que ce que le pape a entendu sous le mot de sens de Janse- nius, n'est pas le vray sens de Jansenius ; parce que le vray
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 227
sens de Jansenius n'est point conforme à celuy des Proposi- tions, puisque Jansenius enseigne formellement le contraire, surtout de la 2e, de la 3e et de la 4e- »
(Par la voie négative, on voit clairement, d'après de nom- breux faits non discutés, que le pape n'a pas voulu por- ter atteinte à la grâce efficace en condamnant le sens de Jansenius « encore que [la grâce efficace] puisse estre ce que M. d'Ypre a effectivement et uniquement enseigné ».)
Seconde difficulté.
« — Pourquoy, dit-on, ne se pourra-t-il pas faire que
le Pape n'ait pas en effet voulu condamner la grâce efficace, et que neantmoins il l'ait condamnée par ignorance, en con- damnant la doctrine de M. d'Ypre, qui n'est en effet que la grâce efficace. »
(Arnauld répond que, des maximes établies au début de son écrit, il résulte qu'on ne peut en aucune façon avoir la volonté d'approuver un dogme et néanmoins le condamner.)
Troisième difficulté.
« Si cela est, dira-t'on, pourquoy donc a-t'on tant crié et dit tant de fois que les Jésuites abuseroient de cette Bulle pour faire condamner la grâce efficace, en disant que c'est tout ce que Jansenius a enseigné, et que ce que Jansenius a enseigné a esté condamné par toute l'Eglise. »
(Arnauld répond que cette crainte a été et est encore très légitime, mais cela n'empêche pas le raisonnement des Jé- suites d'être un pur sophisme, et il conclut ainsi tout son écrit :)
« Voilà ce qui a fait craindre avec sujet que les Jésuites ne se serviroient de ce sophisme, pour faire condamner la grâce efficace ; mais il n'en est pas moins sophisme pour cela, comme on espère que ceux qui l'ont jugé solide le reconnoistront par cet écrit : de sorte que c'est icy l'un des exemples du monde le plus propre à leur faire voir que la vraye Logique n'est pas si inutile qu'ils se l'imaginent; puisqu'elle lesauroit empeschez d'estre éblouis par des raisons sophistiques, qui les ont portez
228 ŒUVRES
ensuite à deux maux considérables. L'un de condamner trop facilement de lascheté et de prévarication ceux qu'ils dévoient croire n'avoir pas moins de zèle qu'eux pour la vérité ; mais qui prétendent avoir eu plus de lumières en cette rencontre, pour discerner ce qui la blesse de ce qui ne la blesse pas. L'autre, de faire cette injure à toute l'Eglise, que de vou- loir que, hors quatre ou cinq personnes, elle soit toute enga- gée, si non dans la créance, au moins dans la profession exté- rieure et publique de la condamnation de la grâce efficace, c'est-à-dire de l'erreur et de l'heresie, ce qui est seulement horrible à penser, et qui engageroit plus que toutes choses les fidelles à croire que cette grâce est vrayement hérétique. « Je scay bien qu'on pourra répondre que c'est au contraire icy une occasion à faire voir que la Logique gaste le jugement ; mais il y aura cette différence entre cette réponse, et ce qu'on a dit, que l'on n'a avancé que la Logique estoit utile, qu'après l'avoir fait voir par tout cet escrit, au lieu que l'on ne dira jamais qu'en l'air, qu'elle est préjudiciable en cette occasion, à moins qu'on ne prenne la peine de marquer en particulier sur chaque raison de cet escrit, en quoy on prétend que l'on s'est trompé. On avoue que l'on ne le voit pas, et il est cer- tain au moins que jamais on ne se trompa de meilleure foy ; puisqu'on n'a pas le moindre doute que tout ce que l'on a dit icy, ne soit très certain et très véritable. »
III
Domat. — Raisons qui empeschent que je ne me rende à Vescrit intitulé « Si on a droit de supposer, etc. »*.
Sur la première maxime de cet escrit.
Je demeure d'accord que ces mots seuls : le sens de Janse- nius, sans autre addition expresse ou sous-entenduë, ne
I. Bibliothèque municipale de Clermont-Ferrand, ms. i£o, p. a3. Cette réponse à l'ouvrage d'Arnauld a été composée par Domat et approuvée par Pascal.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 229
signifient et ne marquent aucune doctrine en particulier, mais je prétends de faire voir par la suite, que pour déterminer cette proposition, il n'est pas nécessaire de spécifier aucune doctrine en particulier et qu'il suffit de marquer un endroit de Jansenius ou une matière qu'il ait traitée.
Sur la deuxième maxime de Vescrit.
Je fais la mesme remarque sur cette deuxième maxime que sur la première et, quoy que l'une ny l'autre ne soit pas déci- sive du différent, je crois qu'il est nécessaire d'observer sur celle-ci qu'il est vray que le sens d'aucun autheur n'est essen- tiellement hérétique, ny mesme catholique hors des autheurs canoniques, mais que cela n'empesche pas qu'on ne puisse faire hypothèse d'un autheur mort qui n'auroit enseigné que quelques propositions, qui toutes, seroient hérétiques, et que dans cette hypothèse on ne puisse dire avec vérité : Le sens, et mesme tout sens d'un tel autheur est hérétique, comme on peut aussi dire avec vérité et dans une hypothèse réelle : Tout sens de saint Thomas, tout sens de saint Bernard est catholique, quoy que l'un ny l'autre ne le soient essen- tiellement, mais parce qu'ils sont l'un et l'autre dans la vérité.
Sur la troisième maxime.
Cette maxime n'est qu'une division de la manière de dé- terminer une idée générale à une idée plus distincte et cette division ne me semble pas entière. Ainsi je ne la juge pas vraye : car il y a une manière de déterminer très détermi- nante, qui n'enveloppe aucune connoissance, et non pas mesme aucune veue de l'idée distincte, en prenant ces mots d'idée distincte et de connoissance au sens de l'autheur de l'écrit, c'est-à-dire en prenant l'idée distincte pour l'objet particu- lier ou particularisé pour ainsi dire dans son individu regardé
230 ŒUVRES
clairement ou confusément. C'est ainsi que l'autheur entend ces termes. Il s'en explique dans l'hypothèse dont il se sert, car il veut que, pour déterminer cette idée générale : Le sens de Jansenius est hérétique à une idée plus distincte, on appli- que cette idée générale à l'idée particulière d'un tel dogme dans l'individu connu clairement ou confusément.
En prenant donc ces deux mots d'idée distincte, et de con- noissance claire ou confuse au sens de l'autheur, je dis que sa division est imparfaite, car il y a une autre manière de dé- terminer, qui n'a aucune veue de l'individu, de l'objet parti- culier déterminé, qui est ce que l'autheur appelle Vidée dis- tincte, mais qui regarde un autre objet qui est le déterminant et qui le regarde comme tel ; et cet autre objet peut estre appelle Vidée distinguante, pour user de ce terme. En voicy un exemple : Cette proposition-cy: La gazette est fausse est une idée générale. La voici déterminée : La Gazette de Marseille d'un tel jour est fausse. Par cette dernière proposition la pre- mière est déterminée à une idée plus distincte, puisque cette dernière arreste l'esprit et le restreint de toute l'estenduë, du temps, et des lieux de la gazette à l'endroit de Marseille et à un tel jour, et cela sans doute c'est déterminer. Cependant cette proposition déterminante ne donne aucune veue de la fausseté individuelle, qui est dans cette gazette, non pas mesme de la chose dont il est parlé.
On pourroit encore donner beaucoup d'autres exemples semblables, celuy-là suffit avec l'application qui en est faite à nostre hypothèse. Cette proposition : Le sens de Jansenius est hérétique, est une proposition générale et indéterminée; nous en sommes d'accord, si rien de plus n'est joint à cette propo- sition, mais l'autheur prétend que cette proposition générale ne peut estre déterminée que par l'une ou l'autre des deux propositions qui suivent ou leurs équivalentes. La première qui est propre à celuy qui connoist le dogme de Jansenius et qui est ainsi : Un tel dogme de jansenius est hérétique. La seconde qui est propre à celuy qui ne connoist point le dogme de Jan- senius et qui dit ainsi : Il y a un dogme de Jansenius que je
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 231
ne connois point et que le Pape connoist qui a esté enseigné par Jansenius et qui est hérétique. Or je dis que cette mesme pro- position, Le sens de Jansenius est hérétique, peut estre détermi- née par une autre toute différente des deux de l'autheur : et ce qui est remarquable, c'est que cette autre proposition dé- terminante sera commune et à celuy qui ne connoist pas et à celuy qui connoist la doctrine de Jansenius, ce qui découvre en particulier le vice que je crois estre dans la division de l'au- theur. Voicy cette proposition déterminante et commune à celuy qui sçait et à celuy qui ignore. La doctrine de Janse- senius, et mesme la doctrine qu'on prend pour celle de Jansenius, sur une telle matière, ou en un tel endroit, est hérétique.
Cette proposition est déterminante de l'autre, puisqu'[e//e] forme une idée plus distincte et borne indubitablement l'es- prit à quelque chose de moins estendu, cependant elle ne parle nullement du dogme particulier de Jansenius, ny d'aucun autre.
Non seulement cette proposition est déterminante, mais elle est déterminante dans l'esprit de qui que ce soit qui l'entende, [soit] qu'il sçache ou ne sçache pas la doctrine de Jansenius, et soit aussi qu'il ayt ou n'ayt pas aucun dogme en veuë, ce qui suffit pour faire voir que la division de l'au- theur n'est pas juste.
Non seulement cette proposition est déterminante de cette autre : Le sens de Jansenius est hérétique dans l'esprit de qui que ce soit, mais je crois pouvoir encore montrer qu'elle seule ou autres équivalentes en sont déterminantes dans l'esprit encore de qui que ce soit, ou de ceux qui ne connoissent pas clairement et avec certitude quel est en particulier le sens de Jansenius en soy-mesme et dans la vérité, ou de ceux mesme qui le sçavent. Car dans l'esprit mesme de ceux qui le sçavent, cette proposition : Un tel dogme de Jansenius est hérétique ne termine celle-cy : Le sens de Jansenius est hérétique que par la liaison nécessaire qu'ils font de ces deux propositions : Ce dogme est hérétique, et ce dogme est dans la vérité de Jansenius et il se trouve dans son livre.
232 OEUVRES
Tout cela se verra plus clairement par les preuves, mais auparavant je répète encore ma thèse. Je prétends prouver que cette proposition : Le sens de Jansenias est hérétique ne peut jamais estre déterminée par aucune autre proposition, que par celle-cy, ou autres semblables et équivalentes. Ce que dit Jansenius en un tel endroit ou sur un tel sujet est héré- tique, et je dis qu'elle n'est nullement déterminée par l'indi- cation de quelque dogme particulier que ce puisse estre, fut-il celuy de Jansenius, si l'indication n'est accompagnée de la vérité en soy-mesme et de la connoissance qui en soit donnée à celuy que l'on prétend déterminer, en sorte qu'on luy fasse voir que le sens indiqué soit celuy de Jansenius, ou qu'on le mette en estât de le voir luy-mesme. Je prétends qu'à moins de cela nostre proposition générale demeure indéterminée, mais qu'elle sera déterminée par l'indication du livre de Jansenius ou de la matière qu'il a traitée. Il est vray que je ne nie pas que cette proposition : Un tel dogme est hérétique ne détermine à un dogme, mais elle ne détermine pas cette proposition : Le sens de Jansenius est hérétique. C'est ce que je prouveray.
Il s'ensuivra de ma preuve que cette proposition du Pape et des Evesques : Le sens de Jansenius est hérétique sur la ma- tière des cinq propositions est une proposition très déterminée; et en deuxième lieu qu'elle est uniquement déterminée par le sens et au sens véritable de Jansenius. Voicy mes preuves :
Une proposition ne peut estre bien déterminée que lors qu'on la détermine dans le point ou dans le terme précis dans lequel elle estoit indéterminée : car si on ne détermine pas précisément ce qui estoit indéterminé, il est évident qu'on le laisse indéterminé. Voyons en quoy est indéterminée cette proposition : Le sens de Jansenius est hérétique.
Une proposition peut estre indéterminée ou dans le sujet ou dans l'attribut ou dans l'un et l'autre. Par exemple nostre proposition : Le sens de Jansenius est hérétique, responduë à ce- luy qui demanderoit de quelle hérésie, ou de Calvin ou de Pelage est accusé le sens de Jansenius, seroit une proposition
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 233
déterminée dans le sujet, et indéterminée dans l'attribut. La mesme proposition responduë à celuy qui demanderoit ce qu'il y a d'heretique dans Jansenius, seroit une proposition déterminée dans l'attribut et indéterminée dans le sujet. Et la mesme proposition enfin responduë à celuy qui demande- roit de quelle sorte d'heresie est accusé Jansenius, et en quoy, seroit une proposition indéterminée et dans le sujet et dans l'attribut.
Dans nostre hypothèse, cette mesme proposition qui est celle dont il s'agit, est assez déterminée quant à l'attribut; car nous ne sommes pas en peine de sçavoir de quelle sorte d'heresie Jansenius est accusé : de Pelagianisme ou de Calvinisme, ou autre. Elle est donc seulement indéterminée dans le sujet, et entre nous, et mesme dans toute l'Eglise. Donc pour la dé- terminer, il en faut déterminer le sujet : ce qui est indéter- miné dans le sujet de cette proposition, n'est pas le mot de Jansenius qui en fait partie ; ce mot est dans l'individu, et ne sçauroit estre plus déterminé; il ne reste donc que le mot de sens qui se trouve indéterminé ; il faut voir comment et en quoy. Il est certain qu'il n'est pas indéterminé quant à son autheur, car la proposition qui le détermine est en si propres termes qu'elle ne sçauroit estre plus expresse qu'en ces deux mots : sens de Jansenius, qui signifient en bonne grammaire, et en bonne logique, et selon la notion connue : le sens qui est de Jansenius.
Tout ce qui se pourra dire de ce qui signifie le mot de sens dans cette proposition se pourra dire de ce qui est le sens de Jansenius.
Il ne peut donc rester, dans cette proposition, aucune au- tre chose indéterminée que ces deux mots ensemble: le sens de Jansenius, qui ne peuvent plus estre séparés l'un de l'autre. Et ces deux mots, ou ce mot de sens de Jansenius en quoy est il indéterminé? Est-ce, comme prétend l'autheur de l'escrit, en ce qu'on ne marque pas un sens, ou une doctrine particu- lière, un tel dogme? Non seulement ce n'est pas cela, mais ce ne le peut estre, car quand on aura marqué un certain
234 OEUVRES
dogme et qu'on aura dit : Un tel dogme est hérétique, aura-t-on déterminé par là ces mots icy : Le sens de Jansenius est héré- tique ? On aura bien déterminé le mot de dogme en gênerai à un dogme particulier, mais on n'aura pas déterminé le sens de Jansenius en particulier, à moins qu'on adjoute à cette pro- position icy, qui est celle qui semble la plus déterminante : Un tel dogme de Jansenius est hérétique, que l'on suppose que ce tel dogme que l'on exprime, soit constament et dans l'esprit de celuy qui entend la proposition et encore dans la vérité, un dogme enseigné par Jansenius ; car puisque la proposition générale est déjà déterminée au sens d'un tel au- theur, qui est Jansenius, et qu'il faut de nécessité que la pro- position déterminante soit comprise dans la déterminée, comme l'espèce dans le genre, ou l'individu dans [l'espèce, il faut que] le prétendu déterminant du sens ou du dogme de Jansenius, soit l'un des sens ou des dogmes de Jansenius; et cela est d'autant plus certain en cette rencontre que le mot de sens est un mot dont le rapport est bien plus précis à estre d'un tel autheur que n'est pas le mot de dogme, doctrine, ny autre ; parce que ce mot de sens enferme dans sa notion, la pensée d'un tel sur un tel sujet. Quoy qu'il en soit, il n'y a rien qu'un véritable sens ou une véritable doctrine de Janse- nius dont on puisse [dire] que l'esprit s'y puisse et arrester et déterminer, le connoissant tel, lorsqu'il cherche non quelque sens et quelque doctrine, mais un sens et une doctrine de Jansenius.
Je veux bien demeurer d'accord qu'à la vérité cette propo- sition : Un tel dogme de Jansenius est hérétique, détermine l'esprit à quelque chose, mais je soutiens qu'elle ne le déter- mine pas en ce qu'il y a précisément d'indéterminé dans nostre proposition générale : Le sens de Jansenius est héré- tique : car, après ce que je viens d'observer, l'indétermination, pour ainsi dire, qui est dans cette proposition générale, ne consiste plus qu'en ce que Jansenius a plusieurs sens, et pour le déterminer, il faut marquer précisément, non un certain dogme que l'on attribue à Jansenius, mais un certain sens,
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 235
c'est-à-dire sa pensée sur un tel sujet, sur une telle proposi- tion que l'on indique dans la multitude de celles qui sont dans son livre, et c'est ce qu'a fait ma proposition détermi- nante ; car je suis dans une certitude infaillible, qu'elle me restreint à un véritable dogme et à un véritable sens de Jan- senius, puisqu'elle m'indique, non un tel sens qu'elle me propose, qui pourroit n'estre pas de Jansenius, mais le sens propre de Jansenius qui ne peut pas n'estre pas de luy.
Mais pour mieux entendre cecy, il faut remarquer la diffé- rence de ces deux mots de serin, et de dogme et que, quand on dit qu'il y a plusieurs sens dans Jansenius, ce n'est pas de mesmeque quand on dit qu'il y a plusieurs dogmes. Car Jan- senius peut bien avoir plusieurs dogmes sur une mesme pro- position ; mais il n'y peut avoir plusieurs sens. Par exemple sur cette proposition : Dans Vestat de la nature corrompue, on ne résiste jamais à la grâce, Jansenius n'a qu'un seul sens qui est que toutes les grâces intérieures qui sont données à l'homme après le péché d'Adam produisent infailliblement l'effet pour lequel Dieu les donne, quoy que toutes ne sur- montent pas toute la résistance de la volonté, Dieu ne les donnant pas pour cela. Et sur cette mesme proposition, Janse- nius a plusieurs dogmes ; un dogme de la toute-puissance de Dieu sur la volonté ; un dogme de la nécessité de cette grâce, à cause de la foiblesse de la volonté, un dogme de la nature de la grâce intérieure, et médicinale, un dogme de la différence de cette grâce d'avec l'extérieure, un dogme de la concupis- cence.
Cette remarque confirme en passant ce que j'ay dit de la différence de ces deux mots de sens et de dogme, mais elle sert aussi pour faire voir que quand on dit : Le sens de Jan- senius est hérétique, cela ne s'entend pas de l'un de plusieurs sens que Jansenius pourroit avoir sur une mesme proposition, comme quand on dit : Le dogme de Jansenius est hérétique, cela se peut entendre de l'un de plusieurs dogmes que Janse- nius peut avoir sur une mesme proposition ; mais que cela s'entend par nécessité d'un sens unique sur une certaine pro-
236 OEUVRES
position ou une certaine matière qui peut bien estre meslée dans le grand nombre de plusieurs propositions ou de plu- sieurs matières de Jansenius, mais qui n'est qu'une. D'où il s'ensuit que, si le Pape dit : Le dogme de Jansenius sur la troi- sième proposition est hérétique, on pourroit prétendre que cela ne seroit pas assez déterminé, parce qu'il y a, comme j'ay fait voir, plusieurs dogmes de Jansenius sur cette troisième pro- position, mais quand il a dit que le sens de Jansenius sur la troisième proposition est hérétique, il a déterminé ce qu'il con- damnoit jusqu'au dernier point dans l'individu, puisque Jan- senius n'a et ne peut avoir qu'un sens unique sur cette troi- sième proposition. Et pour confirmer encore ce raisonnement, il faut considérer que l'esprit cherche naturellement à se déterminer sur ce qui luy paroist indéterminé. Il en cherche luy-mesme d'abord le point déterminant. Ainsi, pour sçavoir ce qu'il y a d'indéterminé dans ces paroles seules et détachées de toute autre proposition, et de tout discours : Le sens de Jansenius est hérétique, il ne faut que voir ce que l'esprit de- mande naturellement, et quelle question il formera d'abord sur cette proposition, or il est sans doute que si l'on dit sim- plement à quelqu'un : le sens de Jansenius est hérétique, il ne demandera point quel dogme de Jansenius est héréti- que, et on ne le satisferoit nullement en luy assignant un cer- tain dogme particulier, mais il demandera sur quoy le sens de Jansenius est hérétique, sur quelle matière, sur quel su- jet, sur quelle proposition, et la seule manière de luy satis- faire est de luy repondre : Sur une telle proposition en un tel endroit : car alors il ne demandera plus en quoy le sens de Jansenius est hérétique, pourveu qu'il ait la liberté de voir le livre : car, sçachant que le sens de Jansenius est hérétique dans ce livre, il luy suffit de sçavoir sur quelle matière il est hérétique, ou en quel endroit, puisqu'alors il verra par soy- mesme et trouvera par sa lecture cet unique sens qui est héré- tique et déterminé, et il se rendra luy-mesme le juge avec une détermination bien plus grande que si, pour détermi- ner ce sens de Jansenius, on luy avoit assigné un certain
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 237
dogme qu'on attribuast à Jansenius, sans luy donner ce livre de Jansenius. Car alors il ne pourroit juger de ce dogme, si ce seroit un sens de Jansenius, qu'en le rapportant aux paro- les et aux propres termes de Jansenius, puisque le mot de sens enferme dans sa notion, non seulement telle pensée d'un tel auteur en gênerai, mais sa pensée sur un tel sujet, sur une telle proposition dont il a parlé.
Il s'ensuit donc de la différence de ces deux mots de sens et de dogme que cette proposition : Un tel dogme de Jansenius est hérétique, laquelle l'autheur prétend estre déterminante de nostre proposition générale, ne l'est point du tout dans la vérité ; car le mot de dogme est un mot qui n'est pas uni- voque deceluy de sens. Ny tout sens n'est pas dogme, ny tout dogme n'est pas sens. Ainsi il est certain que, quand on assi- gne un dogme de Jansenius, on n'indique pas pour cela un sens de Jansenius, et de mesme quand on indique un sens de Jansenius, on n'indique pas pour cela un dogme. Car on pourra, par exemple, indiquer le sens de Jansenius sur une définition ou sur une hypothèse qu'il prendroit, ce qui ne seroit pas un dogme, et par conséquent cette proposition : Un tel dogme de Jansenius est hérétique ne détermine point du tout nostre proposition générale et ne la détermine non plus que cette proposition icy : Une telle hypothèse que fait Jansenius est fausse, ou celle-cy : Le sens de Jansenius sur une telle hypothèse est faux, détermine cette autre : Les dogmes ou les maximes de Jansenius sont fausses, ou mesmes celle-cy : Le dogme de Jansenius est faux.
Ce n'est pas sans raison que je me suis un peu étendu sur la différence de ces deux mots de sens et de dogme, d'où je pourrois bien encore tirer d'autres conséquences sur nostre sujet. Car encore qu'on dira peut estre que c'est subtiliser sur les mots, il est certain qu'il est d'une extresme importance en cette rencontre de bien prendre la signification propre des mots des bulles et des formulaires. Ce sont des définitions de foy, des condamnations de doctrine: il faut donc bien voir et bien examiner et leurs bornes et leur étendue. Ainsi il est
238 ŒUVRES
de la dernière importance d'y prendre chaque mot en parti- culier dans son sens propre, naturel et littéral ; cecy pourroit s'étendre et s'appliquer, mais les personnes à qui je parle verront bien jusques où cela va et que, quand le Pape a dit qu'il condamnoit le sens de Jansenius, il faut de nécessité qu'il ait condamné son vray sens, ou qu'il n'ait rien fait si ce mot de sens est pris comme il faut le prendre, selon ce que j'en ay marqué, c'est-à-dire selon la notion universelle de tout le monde.
Je voudrois bien icy demander à ces Messieurs en quoy consiste la force de leur argument qui estoit à la vérité très touchant quand ils disoient dans tous leurs escrits : « Les Papes et les Conciles ont déclaré que la doctrine de S. Augustin sur la grâce et sur la prédestination estoit catholique ; donc cette doctrine de S. Augustin, telle qu'elle est en elle-mesme et dans ses livres, est catholique » ; quoy qu'en ce temps elle fût aussi diversement et bien plus odieusement expliquée, et par plus de personnes que n'estoit le sens de Jansenius, lorsque les Papes l'ont condamné ; n'estoit-cepasen ce que le mot de doctrine de S. Augustin dans la bouche de ces Papes et de ces Conciles, non seulement ne signifioit, mais ne pouvoit signi- fier autre chose que la réelle et véritable doctrine de S. Au- gustin ? Car, si ce mot eût pu signifier quelque autre chose, leur argument estoit vitieux. Qu'est-ii donc arrivé depuis à cet argument, qu'il ne vaille plus rien aujourd'huy ? Car je m'en vais le faire voir très vitieux, selon les principes mesmes de ces MM" qui le faisoient, qui sont les mesmes à qui je parle. Je n'ay qu'à leur dire qu'il est très certain et démontré par eux dans l'écrit, que ces Papes et ces Conciles, lorsqu'ils ap- prouvoient la doctrine de S. Augustin, a voient certains dogmes en vue, lesquels ils jugeoient catholiques, et attri- buoient à S. Augustin, sçavoir, par exemple, la grâce de prière de M. Le Moine ou quelque autre dogme, mais non aucun de ceux que ces MMrs attribuent aujourd'huy à S. Au- gustin, c'est-à-dire de ceux qui sont véritablement de luy. Par cette voye je renverseray avec seureté toutes les décisions
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 239
de la foy, quelles qu'elles soient, hors celles qu'on me fera voir en propres termes dans les autheurs canoniques; car pour les Papes et les Conciles, je n'ay qu'à leur mettre un dogme en veuë tel qu'il me plaira, partout où ils n'exprimeront point autrement la doctrine qu'ils approuvent, ou qu'ils condamnent que par ses autheurs. Je ne m'etendray pas davantage sur cette raison. Je serois trop long, je n'en ay pas le temps et je m'as- seure qu'on en fera de bonne foy toute l'application entière à nostre sujet.
Mais auparavant qu'on la fasse, je supplie ces Messieurs de prendre la peine de lire et d'examiner les termes des Bulles et du Formulaire en ce qui regarde Jansenius, et particuliè- rement la Bulle d'Alexandre VII. La question sur laquelle cette bulle est intervenue, estoitde sçavoir : premièrement, si les cinq propositions estoientde Jansenius ; et, en second lieu, si elles estoient condamnées au sens auquel cet autheurles sou- tient. Il meriteroit une réflexion particulière que je n'ay pas le temps défaire. Cet estât de la question est establi en propres termes dans la bulle d'Alexandre VII. Que fait le Pape sur ces deux questions? Sur la première il décide, déclare, définit que ces cinq propositions ont esté tirées du livre de Jansenius : voila une définition et une déclaration. Sur la deuxième, il déclare aussy et définit qu'elles ont esté condamnées dans le sens auquel cet autheur les a expliquées. Voila une autre dé- claration, et définition. Gela, me semble, pouvoit suffire pour faire entendre l'intention et la pensée du Pape, aussi bien et beaucoup plus encore que les approbations d'Innocent, de Bo- niface, d'Hormisdas suffisoient pour faire entendre ce qu'ils vouloient dire de la doctrine de S. Augustin sur la grâce et sur la prédestination. On prendra la peine d'en faire le paral- lèle; et on trouvera que ce Pape s'est bien plus nettement, plus particulièrement et plus determinement expliqué sur la condamnation de Jansenius que n'ont fait les autres sur l'ap- probation de S. Augustin. Cependant on ne se contente pas de cette explication du Pape. On fait naistre encore une nou- velle question, et l'on a demandé si le Pape ne faisoit qu'at-
240 ŒUVRES
tribuer à Jansenius un sens hérétique ou s'il determinoit un sens équivoque des cinq propositions au sens unique de Jan- senius.
Il me semble encore une fois que le Pape s'estoit assez expli- qué sur cela mesme, mais je trouve encore, non seulement dans le Formulaire, mais aussi dans la Bulle d'Alexandre, la détermination en bien propres termes. Est-il question de sçavoir quel est le sens hérétique des propositions ? Le Pape a dit une fois dans sa Bulle que c'est celuy que leur donne Jan- senius. Que faut-il de plus précis et de plus exprès, et, selon mes preuves, de plus déterminant ? Qu'on lise ce qu'a dit Jansenius sur la première proposition au i3. chapitre d'un tel livre, on trouvera à point nommé ce que le Pape a con- damné dans cette proposition. N'est-ce pas assez? Voicy le mot de détermination que l'on demande. Qu'on prenne la peine de lire le dernier article de la Bulle commençant par ces mots : C'est pourquoy ; on y verra que le Pape ordonne qu'on fasse observer la Bulle d'Innocent selon sa présente dé- termination de luy Alexandre VII. et que l'on chastie etc. les desobéissans et les rebelles. A quoy rebelles ? A la définition d'Innocent. Selon quoy? Selon la détermination d'Alexandre, et c'est cette détermination d'Alexandre qu'il a faite, et qu'il a dit qu'il faisoit, lorsqu'il a non seulement déterminé, mais qu'il a dit qu'il determinoit, c'est cela, dis-je, qui a fait que l'Assemblée du Clergé, et dans ses actes, et encore dans le Formulaire, a déclaré que le sens d'Innocent X. estoit déter- miné par celle d'Alexandre VII.
Je ne crois pas après tout cela qu'il en faille davantage pour dire que la condamnation est déterminée au sens de Janse- nius et qu'il n'y a plus rien au monde où il faille chercher l'heresie condamnée que là ; et je crois aussy qu'il n'en faut pas d'avantage pour repondre à toutes les maximes de l'escrit. J'ajousteray neantmoins, mais succinctement et en passant, quelques petites reflexions sur le reste de cette troisième maxime del'autheur et sur les autres : mais auparavant il faut que je dise un mot d'une objection qu'on a desjà faite et que
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 241
l'on pourroit faire encore, quoy qu'elle soit tout-à-fait détruite par ce que j'ay dit: Le Pape, dit-on, ayant un certain dogme enveuequi n'estoit pas celuy de Jansenius, n'a pas, à la vérité, déterminé le sens de Jansenius véritablement, mais il l'a dé- terminé faussement. Gela encore une fois ne meritoit pas de réponse après ce que j'ay dit. Mais il n'y a qu'à remarquer qu'une fausse détermination n'est pas une détermination, et ne détermine pas, et que d'ailleurs il n'y a icy aucune fausse détermination au sens mesme que l'on l'entend ; car le Pape n'a indiqué aucun dogme, qu'il ait pris mesme faussement pour celuy de Jansenius. Ainsi il n'a rien déterminé mesme faussement, mais il a déterminé véritablement sa condam- nation au véritable sens de Jansenius.
L'autheur met en parenthèse sur la fin de cette troisiesme maxime qu'i7 ne sépare jamais la Bulle da Pape de l'avis de ceux qui luy ont servi à la dresser. Ce terme qu'on prend en passant, ne peut estre accordé. La Bulle est publique, authen- tique, et ne peut être désavouée, et l'avis de ceux qui l'ont dressée, est inconnu, sujet à [es/re] desavoué, sans authorité et déclaré apocryphe et condamné par le Pape, et il faut encore remarquer sur ces avis qu'ils sont tous differens entre eux, de sorte qu'il faut bien les séparer de la Bulle par nécessité. Que s'il y avoit quelque manière d'expliquer la Bulle, il est certain que ce ne pourroit estre que celuy qui l'a faite qui l'expliquast ; or il n'en fait rien, encore qu'il sçache fort bien les difficultez qu'on y fait, puisqu'il en est averty par les Evesques et les grands vicaires. Aussi il veut que tout le monde demeure persuadé de la véritable signification des termes, dont il s'est servy selon la notion commune.
Sur la quatrième maxime.
Il se pourroit faire que le Pape eût mal entendu Janse- nius, mais cela n'importe. Que ne disoit-il ce qu'il entendoit? Toujours est-il bien certain qu'il a voulu que l'on crût qu'il avoit condamné Jansenius et le vray sens de cet autheur bien 2e série. VII 16
242 ŒUVRES
pris, bien entendu, bien examiné ; car il ne prétend pas qu'on juge de luy, qu'il a voulu condamner le sens de Janse- nius bien ou mal examiné. Il a parlé un langage que tout le monde entend fort bien, et les Jésuites à mon sens mieux que personne. Mais il se pourroit faire aussy que le Pape ayt voulu condamner Jansenius, quelque sens qu'il eût et qu'il n'en voulût qu'à sa personne. J'avoue que cette hypothèse est fort dure, et même je croy bien que cela n'est pas, mais cela pour- roit estre, supposant, comme nous en sommes d'accord, que le Pape n'est pas infaillible, qu'il n'aime gueres Jansenius, qu'il aime les Jésuites, et que leurs maximes de morale ne luy déplaisent pas beaucoup. Au moins est-il bien certain que le Pape n'a rien condamné, et n'oblige personne à rien condam- ner; S'il n'a pas condamné, et n'oblige pas à condamner le véritable sens de Jansenius tel qu'il est dans son livre et qu'il y subsistera éternellement, puisque non seulement il n'ex- plique, mais n'indique pas mesme aucune autre chose à quoy il soit possible d'appliquer sa condamnation : car encore que l'on puisse demeurer d'accoid de ce que l'autheur conclut dans cette quatrième maxime, que le Pape a attribué la qualité d'heretique à une certaine doctrine en particulier qu'il a jugée estre de Jansenius, il ne s'ensuit nullement qu'il ait pensé, ny qu'on ait aucune liberté de croire qu'il ait pensé autre doctrine que la véritable de Jansenius et son vray sens : car, comme il est vray qu'on feroit un grand tort aux deux Papes de prétendre qu'ils n'eussent eu aucun dogme en veùe, on leur en fera aussy un très grand de prendre la liberté de s'imaginer qu'ils n'auroient pas entendu ny sceu prendre le vray sens de Jansenius, après qu'Alexandre déclare contre cette prétention en termes exprès, que cette mesme cause a esté en vérité examinée avec la plus grande diligence qu'on put souhaiter.
Que si l'autheur fait cette hypothèse, comme il faut qu'il la fasse de nécessité, qu'avec toute cette diligence et toute cette exactitude avec laquelle le Pape déclare qu'il a estudié, re- cherché et examiné le vray sens de Jansenius, il n'a sceu pren-
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 243
dre que tout le contraire de son vray sens, non seulement sur une matière et sur une proposition, mais sur plusieurs et en plusieurs endroits de son livre, sans qu'en aucun d'eux il ait pu l'entendre, ny rencontrer son sens véritable, cette hypothèse est d'une part très injurieuse au Pape, mais de l'autre elle l'est encore plus à Jansenius. Car on ne peut supposer qu'une personne que tout le monde croit aussy raisonnable qu'on croit le Pape, n'ayt pu comprendre le vray sens d'un auteur en une matière de théologie, après l'avoir examiné avec toute la dili- gence et toute l'exactitude possible, quel'on neconcluëenmesme temps que cet autheur n'a sceu luy-mesme ce qu'il vouloit dire et que la seule obscurité qui donne lieu à si mal prendre sa doctrine dans l'esprit des juges les plus équitables, suffit pour en fonder la condamnation ; et il y aura sans comparai- son bien plus de sujet d'accuser ceux qui soutiennent cet autheur comme catholique, de l'entendre mal lorsqu'ils luy donnent un autre sens, eux qui sont partie, et sans aucune a uthorité dans l'esprit universellement de tous les fidelles, que de prétendre qu'un juge, et un juge tel que le Pape, l'ayt mal entendu après un si grand soin pour l'examiner.
Et encore que, dansla vérité, les choses puissent estre ainsy: que le Pape eût mal entendu Jansenius, comme il n'y a qu'un très petit nombre de personnes qui puissent le croire et que tout le reste se rendroit comme on se rend effectivement et avec raison au party du Pape, en soutenant qu'il a fort bien entendu le vray sens de Jansenius, ne s'ensuit-il pas que ceux qui prétendent que le véritable sens de Jansenius n'a point esté l'objet du Pape, ne peuvent le sauver de condam- nation dans le public, qu'en déclarant que le Pape l'a mal entendu ?
Mais il est important de remarquer en ce lieu l'excès ter- rible des conséquences pernicieuses qui s'ensuivroient de cette hypothèse. Jamais on ne pourra s'asseureravec vérité d'aucun autheur, hors les canoniques, qu'il fut catholique, ny d'aucun autre, qu'il fut hérétique, quelques approbations et quelques condamnations de Papes et de Conciles qu'il y en eut.
244 ŒUVRES
Je dis bien plus : On ne sçauroit dire d'aucune doctrine qu'elle fut ny catholique, ny hérétique. Il n'y auroit qu'à dire que, par les termes dont on se serviroit pour énoncer cette doctrine, les Papes ou les Conciles, qui l'auroient ou approu- vée ou condamnée, auroient entendu un certain sens qui ne seroit pas le véritable, comme on dit que le Pape Alexandre n'a point entendu le véritable sens de Jansenius sur la pre- mière proposition, quoyqu'expliqué très au long dans le lieu de son livre où il en parle.
On mettra partout des faits, partout des chicannes, partout de l'obscurité et du mal entendu.
On mettra les Papes et les Conciles dans l'impossibilité ab- solue et métaphysique de condamner jamais la doctrine d'au- cun autheur ; s'ils disent qu'ils condamnent une telle doctrine qui est de luy en la rapportant, on dira, et avec fondement, que ce n'est qu'une attribution, et qu'ils ont mis un fait dans leur décision; mais si, sans la marquer, ils disent qu'ils ont bien examiné la doctrine de cet autheur avec toute sorte de diligence et qu'ils condamnent son sens tel qu'il l'a expliqué et soutenu (ce sont les paroles de la Bulle), alors on dira qu'ils n'ont pas laissé de le mal entendre, qu'ils ont condamné quelque autre chose, quelle qu'elle soit, mais nullement le sens véritable de cet autheur.
Qu'on s'imagine donc, si l'on peut, quelqu'autre voye par laquelle les Papes et les Conciles puissent mettre en repos l'es- prit des fidèles sur la doctrine de chaque autheur, c'est ce que je soutiens impossible, et si ce qu'a fait Alexandre ne suffit pas pour condamner Jansenius, et le faire passer dans toute l'Eglise pour condamné, je soutiens encore une fois qu'il est impossible de toute impossibilité à toutes les puissances, et à toute l'authorité de l'Eglise de faire jamais passer aucun au- theur pour condamné véritablement, car on ne sçauroit faire, et j'oserois dire que jamais il ne s'est fait une sentence et une condamnation plus claire, plus nette, plus précise, plus ex- presse, plus décisive, plus contradictoire, plus arrestée, plus exprimée et plus entendue que la condamnation de Jansenius
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 245
et de sa doctrine dans les Bulles et le Formulaire. Et j'ose dire qu'on ne sçauroit trouver aucun moyen de condamner un au- theur et sa doctrine, auquel l'on ne reponde aussy raisonnable- ment qu'on fait dans l'écrit pour Jansenius, aux Bulles et au Formulaire.
Sur la cinquième maxime.
L'exemple de la doctrine d'Arius ne se peut rapporter à nostre sujet. Quand il a esté condamné, il l'a esté pour une telle doctrine expliquée, et qu'il avouoit sienne. Ainsi il n'y a qu'à dire cette doctrine pour marquer et ce qui est d'Arius et ce qui est condamné; mais pour dire ce qui a esté condamné par Alexandre, il n'y a point d'autre clef que le sens de Janse- nius, et ce mot de sens de Jansenius ne peut indiquer que sa véritable doctrine qui est celle de la grâce efficace.
On peut demeurer d'accord que cette proposition du Pape : Le sens de Jansenius sur les cinq propositions est hérétique, ou celle-cy qui est la mesme : Les propositions sont hérétiques au sens auquel Jansenius les soutient, ou si l'on veut encore, celle- cy : Le sens de Jansenius est hérétique, sont des propositions qui enferment un fait; mais quel est ce fait? Est-ce que Jansenius enseigne une telle doctrine qu'on voudra luy attribuer? Nul- lement, ces propositions ne luy attribuant quoy que ce soit que deux choses, l'une qu'il a un sens, et qu'il a un sens sur tel sujet, c'est-à-dire qu'il en a parlé. Voilà tout le fait que l'on peut trouver dans ces propositions. L'autre chose qu'elles attribuent à Jansenius, c'est l'heresie, attribuée non à un cer- tain sens qui ne seroit pas celuy de Jansenius (cela change- roit les propositions), mais au sens véritable de Jansenius. Je dis que pour mettre dans ces propositions ce fait icy : Janse- nius enseigne un tel dogme qui seroit autre que le sien, il faudroit les changer de nécessité et dire ces paroles, non le sens de Jansenius, car son sens est celuy qui est de luy et qu'il a enseigné dans la vérité, et il ne peut estre autre, mais il fau- droit dire ainsy nettement et expressément : Jansenius enseigne un tel dogme, et ce tel dogme est hérétique. On prendra la peine
246 OEUVRES
de marquer icy l'exemple que j'ay rapporté de la proposi- tion des Papes et des Conciles qui ont approuvé la doctrine de Saint Augustin. L'on verra qu'il faudra aussy mettre un fait dans cette proposition de ces papes : La doctrine de saint Au- gustin est catholique ; ce qui fera abandonner à l'hérésie la ve- table doctrine de Saint Augustin. On entendra assez mon ex- plication.
Sur la sixième maxime.
Geluy qui dit qu'il ne croit que le dogme des Bulles, en reçoit tout, si ce n'est, suivant ce que je viens de dire, qu'il ne voulût pas demeurer d'accord que Jansenius eût un sens, mais, comme personne, en cela, ne pourroit l'entendre, il faudroit qu'il s'en expliquast.
Il faut remarquer icy que, dans la maxime précédente que l'on lie avec celle-cy, on a donné pour faire un exemple du fait, et du droit qui se trouve dans ces sortes de proposition, cette proposition-cy : La doctrine d'Arius qui est celle qui nie la consubstantialité, est hérétique. Et dans cette sixiesme maxime, on met seulement cette proposition icy : Le sens d'un tel au- theur est hérétique. La différence est essentielle. La première proposition qui parle d'Arius, luy attribue une doctrine expri- mée, dont tout le monde est informé, et dont on convient. Dans la deuxiesme, on n'attribue quoy que ce soit à l'autheur que son propre sens, avec l'heresie.
Quand on a voulu dire qu'il y avoit un fait dans la con- damnation d'Honorius, estoit-on dans cette hypothèse : Le concile a condamné le sens d'Honorius? Point du tout. Mais voicy l'hypothèse d'Honorius : Honorais a enseigné Vheresie des Monothelites, etc. On entend bien ce que je veux dire.
Je feray voir sur la dixiesme et onziesme maxime que celuy qui signe le dogme de la proposition en question, signe la condamnation particulière de Jansenius, et que sa signature ne peut estre prise en un autre sens que par luy seul et des amis preocupez.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 247
Sur la septième maxime.
L'autheur suppose toujours que le Pape a eu en pensée un autre sens que celuy de Jansenius. Il a esté suffisamment re- pondu pour faire voir que cette hypothèse n'est pas vraye. On n'a aucune raison de prétendre que le Pape n'ait pas voulu condamner la véritable grâce efficace. Il n'y a qu'à dire pour le prouver contre la preuve qui resuite de la condamnation de Jansenius que le Pape peut avoir entendu par la grâce ef- ficace celle de M. Le Moine précédée de la grâce suffisante de prier, ou quelqu'autre grâce efficace que ce soit, hors la véri- table : car ce mot de grâce efficace est commun à tous les par- tis jusques aux Molinistes.
Je puis encore ajouterque si ce que dit 1 autheur dans cette maxime est véritable, ce ne sera pas par la vérité de la doc- trine de Saint Augustin en elle-mesme qu'il faudra juger de ce que les Papes ont approuvé, mais il faudra chercher comme l'on pourra quel estoit le dogme ou quels estoient les dogmes qu'ils avoient en veuë.
Sur la huitième maxime.
Il n'y a rien dans cette maxime à quoy ce que j'ay dit ne reponde suffisamment.
Il est bon, quoy que peu nécessaire, de remarquer en pas- sant que cet argument de l'écrit : « Le Pape a deffendu la lec- ture de Jansenius; donc il n'a pas déterminé sa condamna- tion au sens de Jansenius, qu'il ne veut pas que l'on voye », est un argument qui ne conclut pas, car le Pape permet à certaines personnes de lire les livres deffendus. Ce livre a esté assez lu avant les bulles; on ne laisse pas de le lire après, et il en est de mesme de tous les autheurs condamnez.
Neuvième maxime.
Il n'y a rien dans cette maxime qui mérite de nouvelle ré- ponse.
248 ŒUVRES
Dizieme et onzième maxime.
Si le Pape, voulant dire le sens de Jansenius, avoit dit par exemple : Le sang de Jansenius sur les propositions est héréti- que, ce qui se rapporte tout à fait aux exemples qu'on allègue dans cet écrit, alors la suite expliqueroit fort bien ce que le Pape avoit voulu dire, et ce ne seroit pas esîre sincère de pré- tendre qu'il auroit voulu dire : le sang, et non pas : le sens. Tout le monde entendroit aussi bien le mot de sens que celuy de sang, que l'on faisoit émissaire par hémisphère; car de la mesme sorte que si on eut dû si bien entendre : émissaire qu'on devoit mesme l'entendre par hémisphère : de mesme, quand le Pape a dit : le sens de Jansenius, on doit tellement entendre le sens qu'on devroit mesme l'entendre quand il au- roit dit le sang de Jansenius, puis qu'il a usé d'un mot univer- sellement connu et entendu de toat le monde : de la mesme sorte il a indubitablement entendu le mot de sens comme tout le monde et nous l'entendons. Que si l'on prétend qu'il a mal entendu ce sens de Jansenius, que s'ensuit-il? Que son ex- pression estant contraire à son sentiment, il ne faut ny ap- prouver, ny souscrire son expression qu'en luy donnant l'interprétation du sens que l'on croit que le Pape a eu.
Mais je dis qu'il n'y a nullement à douter de l'intention du Pape, et je soutiens que son intention formelle (s'il m'est permis d'user de ce terme) a esté de condamner le vray sens de Jansenius, jusques-là qu'il en a fait un dogme exprès. De sorte que, puisqu'on demeure d'accord qu'il n'est permis de signer quant au dogme, que parce qu'on prétend que cette manière excepte Jansenius, je dis qu'on ne peut signer mesme quant au dogme, puisque la condamnation de Janse- nius est un vray dogme dans la Bulle. Et voicy comment le Pape Alexandre ordonne pour réunir tous les fidèles dans une mesme foy : Que Von observe la condamnation d'Innocent X. selon sa détermination de luy Alexandre et qu'on chastie les desobeissans comme hérétiques. Donc il fait des hérétiques de
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 249
ceux qui veulent sauver le sens de Jansenius. Il seroit facile d'en faire des argumens en forme.
Et il n'importe pas que, dans la vérité de la chose, ce ne soit pas un dogme que Jansenius est hérétique comme l'au- theur de l'écrit a fort bien dit qu'il ne faut pas regarder la vé- rité des choses, mais la signification des mots de ceux qui nous parlent, telle qu'elle est dans leur bouche, et dans leur esprit pour entendre ce qu'ils veulent dire, mais il suffit dans notre sujet de sçavoir que le Pape a appelle dogme dans son langage que tout le monde voit et entend, la condamnation du véritable sens de Jansenius; car, puisqu'il faut repondre naïvement et sans équivoque selon l'intention de ceux qui nous parlent, il faut dire au Pape que, signant son dogme, on n'entend pas comme luy que c'en soit que la doctrine de Jansenius soit condamnée. Et l'on y est d'autant plus obligé en cette rencontre qu'avec la vérité de la chose que je viens de monstrer, on sçait fort bien quelle est la prétention publi- que et notoire de ceux qui exigent la signature qui est de la faire tomber sur Jansenius, et non seulement sur Jansenius, maissur sa doctrine qu'ils entendent fort bien en elle-mesme, telle qu'elle est; au moins on le peut dire ainsy de ce dernier fait, de beaucoup des leurs.
Réplique à la réponse sur la première objection.
Quand on supposeroit que ce que je viens de prouver n'estre pas vray, que le Pape a parlé obscurément, il ne faudroitpas parler du tout, au moins sans s'expliquer, de la chose qu'on entend condamner. Autrement on se mettroit en péril de condamner la vérité ; car il se pourrait faire que le Pape qu'on suppose n'estre pas infaillible, auroit voulu condamner une vérité de foy.
Et quand on demeurerait aussy d'accord de ce qui n'est pas vray non plus, que le Pape n'aurait pas voulu condamner la grâce efficace, je dis mesme la véritable grâce efficace, il ne s'ensuivrait pas qu'il n'eust point condamné le sens de Janse-
250 ŒUVRES
nius sur la dernière proposition ; car encore que le véritable sens de Jansenius sur cette proposition ait une liaison néces- saire avec la doctrine de la grâce efficace, neantmoins cette dernière proposition n'enferme pas précisément la notion de grâce efficace.
Et dans la mesme hypothèse que le Pape n'ayt pas voulu con- damner la véritable grâce il ne s'ensuit pas qu'il ne l'ayt pas condamnée effectivement. Voicy un exemple qui fera voir ce que je dis : Tous les Juges ont esté d'avis de condamner le def- fendeur, et par megarde ils ont signé la sentence [de] l'arrêt qui prononce hors de cour sur la demande. Voilà le deman- deur condamné, quoyque contre leur intention, et il faut de nécessité retracter la condamnation, ou l'interpréter. On voit où va l'application de cet exemple.
Au reste il n'y a rien qui me semble si faible que toutes les preuves qu'on prétend tirer de l'intention du Pape pour dire qu'il n'a point voulu condamner la grâce efficace, surtout si on les met en parallèle des Bulles et de tout ce que nous voyons qui se passe dans l'Eglise sur ce sujet, et si l'on consi- dère, ce qu'il me semble qu'on ne considère pas, que ce mot de grâce efficace est commun à tous les partis; car il n'y a pas jusques aux Molinistes les plus éloignez de la vérité qui n'admettent la grâce efficace. L'on verra bien évidemment que l'on peut supposer, et supposer raisonnablement, que le Pape ayt voulu sauver la grâce efficace opposée à toute autre, à laquelle on donne faussement ce nom.
Réplique à la réponse sur la deuxième difficulté.
L'exemple que j'ay rapporté dans l'Article précèdent de l'Arrêt qui condamne celuy [ga'ori] vouloit absoudre, sert de réplique à cette réponse et fait voir qu'une personne, ou un dogme ne laisse pas d'estre condamné dans le public, et mesme dans la vérité, encore que ce soit contre l'intention de celuy qui l'a condamné par megarde, ou par ignorance, surtout quand on ne découvre pas cette megarde et qu'on n'a aucunes
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 251
preuves pour la découvrir, comme il arrive dans nostre hypo- thèse, et que, d'ailleurs, le Juge mesme ne l'explique pas, quoy qu'on se soit adressé à luy.
Réplique à la réponse sur la troisième difficulté.
L'argument des Jésuites qui conclud la condamnation de la grâce efficace par la condamnation de Jansenius, est assuré- ment un bon argument, et, quand on souscrira quant au dogme, on leur dira dans leur langage qu'on condamne la grâce efficace suivant ce que j'ay desjà prouvé et, si on pré- tend qu'il y ait un fait dans le Formulaire et dans les Bulles, les Jésuites ne seront nullement en peine de faire voir d'une part, que c'est un dogme dans l'esprit du Pape que le véri- table sens de Jansenius est condamné, et de l'autre qu'il y a plusieurs autres faits et dans les Bulles et dans le Formu- laire auxquels on pourra appliquer l'exception de fait, quand mesme il seroit vray que ce seroit excepter le fait que de dire que l'on signe quant au dogme.
Et quand ce raisonnement des Jésuites seroit douteux, au lieu qu'il ne l'est nullement, est-ce dans les occasions de cette importance qu'il faut dissimuler ses sentimens, et ne faut-il pas an contraire parler hardiment et faire sa confession ? Que ne dit-on sincèrement et comme on le pense : Je crains que cette condamnation qu'on me fait signer ne tombe sur la grâce de Jesus-Ghrist, de laquelle je trouve le sens et dans les propositions condamnées et dans la doctrine de Jansenius. Qu'on m'explique le dogme qu'on a condamné ; car dans le doute où je suis que le témoignage qu'on me demande ne se tourne contre la grâce de Jesus-Ghrist par ses adversaires et ses ennemis, j'aime mieux mourir que de rien signer qui fasse juger ou mesme douter que j'aye condamné la grâce efficace. Je la croy dans le cœur pour ma justification, je veux la confesser de- vant tout le monde pour mon salut, et non pas me contenter de la justifier dans le secret en la croyant dans mon cœur ou
252 OEUVRES
dans mon esprit, et me sauver devant les hommes en confes- sant ce qu'ils me demandent ou quelque chose qui les satis- fasse, et qui déguise, ou qui reserve la moindre partie de mes sentimens.
Pour moy, puisqu'on me donne la liberté de proposer mes sentimens en cette rencontre, je déclare que je ne suis nulle- ment persuadé de l'écrit, quoy que je l'aye entendu comme je pense, et que je l'aye lu et relu avec toute l'attention qui m'a esté possible et que je devois à l'au- teur, par le très profond respect que j'ay pour lui et par la très grande estime que j'ay de son jugement, et de sa doc- trine ; et je le supplie de considérer que quand il croiroit que son écrit auroit prouvé que, signant le dogme des constitu- tions on ne signe pas pour cela la condamnation de Janse- nius ny de sa doctrine, la voye dont il s'est servy f/?o«r] en persuader des personnes qu'il juge luy-mesme très raison- nables est une voye si recherchée, si abstruse, si métaphy- sique, si pleine de subtilitez, et si difficile à entendre que, si l'on ne peut sauver Jansenius et sa doctrine qu'en cette ma- nière, il doit estre persuadé que cet autheur et cette doctrine demeureront toujours condamnez, et dans l'esprit de tous ceux qui ne voyent pas ces raisons ou qui ne peuvent les en- tendre, qui font la plus grande partie du monde, et encore dans l'esprit de ceux qui les entendent, et n'en sont pas per- suadez, et qu'ainsi toutes les raisons de l'écrit vont et à expo- ser la réputation de Jansenius et la vérité, du moins selon le jugement de la plus grande partie du monde, qui n'entend point autre chose par les Bulles et le Formulaire que la con- damnation de Jansenius et de sa doctrine ; d'où l'on doit craindre qu'il n'arrive beaucoup de scandale. Et quand il n'y en auroit point d'autre que celuy que je déclare que je sen- tirois, et d'autres aussy, il me semble que cette considération doit retenir ceux qui sont avertis du scandale qu'ils peuvent causer, surtout puisqu'ils reconnoissent, comme on en est de- meuré d'accord, qu'il y a une autre voye meilleure pour dé- fendre la vérité, ou en refusant la signature, ou en la faisant
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 253
telle qu'elle sauve expressément, et sans que personne en puisse douter, et la doctrine, et la personne de Jansenius *.
IV
Arnauld. — (Extraits d'un écrit intitulé) : Réplique ou réfu- tation de la réponse à un écrit touchant la véritable intelligence des mots de sens de Jansenius dans la constitution du Pape2.
i . Dans sa réponse, Arnauld cite plusieurs passages de l'écrit de Domat, et ses citations présentent avec ce texte de nombreuses variantes. Il semble mêmeque le mémoire qu'Arnauldavaitsousles yeux était plus complet. Ainsi, au Second défaut général (T . XXII, p. 769 de l'édition de Paris-Lausanne), Arnauld cite cet exemple « que ces Messieurs jugent si propre à nostre sujet» et que ne donnent point les copies manuscrites : « Si un père, disent-ils, laisse par son Testament à son fils aîné le diamant qui est dans sa cassette rouge, et à son puîné le diamant qui est dans sa cassette noire, qu'a-t-on autre chose à faire que d'ouvrir ces cassettes, et donner à chacun le diamant qui se trouvera dans ces cassettes, selon que le père les a marqués PEtneseroit-cepasune chose ridicule, d'avoir recours à l'intention du père, pourne pasdonner au cadet le diamant qui se trouveroit dans la cassette noire, parce qu'il seroit plus beau que l'autre ? Le Pape de même a dit, que le sens de Jansenius sur une telle Proposition contenoit une hérésie : je n'ai besoin que d'ouvrir la cassette, d'examiner ce que dit Janse- nius sur cette Proposition 5 et n'aurai-je pas sujet de croire, que le sens que j'y trouveray sera celui que le Pape dit être hérétique ? Donc si je n'y trouve que la grâce efficace, j'auray sujet de dire que le Pape a condamné la grâce efficace. » Arnauld ajoute un peu plus loin : « Ils rapportent encore l'exemple d'un homme qui, ayant fondé un Hôpital, auroit ordonné qu'il seroit conduit selon les statuts de l'Hô- pital gênerai de Lyon. Y auroit-il, disent-ils, autre chose à faire, que de consulter ces statuts, et de juger de la volonté de cet homme par la véritable intelligence de ces statuts ? » (ibid, p. 770).
2. Cet écrit est sans doute du 7 janvier 1662. Arnauld par deux fois donne cette date en reprenant un « exemple » choisi par Domat dans sa discussion : « La gazette de Marseille d'un tel jour est fausse, » et en le développant sous cette forme plaisante : « Je vous parle de la Ga- zelle de Bruxelles du 7. janvier 1662, en la quatrième page où il est
parlé de ce qui se passe à Paris, dites-moisi elle est fausse Et alors
si vous luy disiez, qu'elle contient que M. de Guise a esté fait Chevalier de l'Ordre du S. Esprit, il vous repondroit avec assurance qu'elle est
254 ŒUVRES
ire Partie.
Je ne puis dissimuler qu'avant que d'avoir vu cette ré- ponse, ayant ouï dire que des personnes, dont j'estime beau- coup l'esprit, en faisoient un jugement fort avantageux, et qu'ils pretendoient qu'elle ruinoit l'Ecrit sans ressource, et qu'elle en faisoit voir la fausseté par des preuves convain- quantes, et démonstratives, je me suis trouvé dans une dispo- sition d'esprit assez extraordinaire. Car ne pouvant d'une part m'imaginer que je me fusse trompé en des choses qui me parroissoient très claires, et qui avoient paru telles à des personnes intelligentes ; je ne pouvois de l'autre comprendre comment il se pouvoit faire, que d'autres personnes très ha- biles, et qui sçavent fort bien ce que c'est qu'une véritable démonstration, eussent pu donner ce nom à des raisons fausses ou peu solides. Tout ce que je fis donc dans ce double eton- nement, fut de me disposer à céder à la vérité, si on me la decouvroit contre mon attente, et de sçavoir gré à ceux qui m'auroient servy à me retirer de l'erreur, s'il se trouvoit que j'y fusse sans y penser.
Je n'eus pas peine à me mettre dans cette disposition, pouvant dire avec vérité, que je me suis toujours senty très porté à changer de sentiment, pour en embrasser un meilleur; mais la lecture de cette réponse ne m'a pas donné lieu de pratiquer une resolution, dont il me semble que Dieu m'avoit donné un mouvement très sincère.
Je l'ai leuë une fois, deux fois, trois fois ; etcommejecroirois faire tort à ceux qui l'ont faite, ou approuvée, de m'imaginer qu'ils pussent trouver mauvais que je leur en dise ma pensée
fausse, supposant qu'elle contient cette nouvelle. » Aucune raison n'explique le choix de cette date, qui ne peut être que celle du jour où Arnauld écrivait. (Dans La Logique de Port-Royal, 1662, part. II, chap. iv, p. 1 43, le même exemple est repris, avec la date du \[\ janvier 1662.) Il n'y a pas de nouvelles de Bruxelles dans les Gazettes du 7 et du il\ janvier 1662; il y avait eu grande promo- tion de chevaliers du S1 Esprit le 3i décembre 1661.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 255
avec toute sorte de liberté, je ne craindray point de les offenser, en leur disant franchement, que plus je l'ay leuë, moins je l'ay trouvée solide, et plus je me suis persuadé que l'escrit qu'on y a voulu réfuter ne contient que des veritez certaines et manifestes.
Ainsi des deux etonnemens où j'estois avant cette lecture, l'un a entièrement cessé, n'ayant plus à rechercher, comment il se seroit pu faire que j'eusse pris pour des veritez claires, des faussetez évidentes : mais l'autre a redoublé, me trouvant plus que jamais dans la difficulté de concevoir ce qui pouvoit estre cause, que des personnes d'ailleurs éclairées , prissent pour vray ce qui estoit évidemment faux, et pour faux, ce qui estoit évidemment vray. C'est ce que j'ay tasché de découvrir, en re- marquant les principaux défauts qui régnent dans cette ré- ponse, et qu'on peut dire, selon la parole de l'Evangile, avoir esté comme un œil ténébreux, qui a répandu des ténèbres sur tout le corps de cet ouvrage.
Premier défaut de cette réponse.
De n'avoir pas compris quelle est la détermination d'une idée générale à une idée plus distincte, dont il est parlé dans la seconde maxime de VEcrit.
(Reprenant les exemples donnés par Domat, Arnauld éta- blit que seule peut être utile la détermination qui précise ce qui est obscur dans l'idée générale, et que l'on ne détermine pas utilement la proposition : Le sens de Jansénius est héré- tique, quand on dit : Ce que dit Jansénius en un tel endroit, ou sur telle matière est hérétique, et il conclut :)
«... J'avoue seulement icy que la cause de l'erreur de ces Messieurs est sans doute que, faute d'attention, ils n'ont pas pris garde que la détermination que l'on cherche n'est pas la détermination du sens de Jansénius, auquel cas les détermi- nations qu'ils apportent ne seroient pas mauvaises ; mais la détermination du sens de Jansénius comme hérétique ; c'est- à-dire qu'on cherche une idée à laquelle le mot de sens soit
256 ŒUVRES
lié, et qui donne moyen de juger qu'il est hérétique. Sur quoy l'on pense avoir monstre invinciblement, que tout ce qu'ils allèguent n'est point une \eritable et suffisante déter- mination à cet égard, et qu'il est impossible de s'en imaginer d'autre, que l'idée d'un tel dogme en particulier, que l'on croit avoir esté enseigné par Jansenius. Cette seule observa- tion auroit pu suffire pour faire reconnoistre que tout ce dis- cours qui est le fondement de toute la réponse, n'est qu'un perpétuel égarement : car il n'est pas estrange que plus on marche, plus on s'égare, lors qu'on ne sçait où l'on doit aller. De sorte que le premier défaut se peut rapporter à cette espèce de sophisme, qui est appellée par Aristote, ïgnoratio elenchi, l'ignorance de ce qu'on a à montrer. »
Second défaut gênerai.
De n'avoir pas compris que, quoy qu'un terme marque une chose individuelle, s'il ne le marque [que] coufusement, il ne laisse pas d'estre capable d'une généralité équivoque, qui auroit nécessairement besoin d'eslre déterminée par une idée plus dis- tincte, quand on le voudra joindre à de certains attributs.
« Voicy des exemples plus propres. Si un homme laissoit
dix mil escus au plus grand Géomètre de Paris, ou comme a fait Ramus, fondoit une chaire pour le plus habile Géomètre, il est certain que cela se devroit entendre de celuy qui seroit en effet le plus habile Géomètre, autant que les hommes en pourroient juger ; parce que cela auroit esté affecté au plus habile géomètre comme tel et non pas comme une telle per- sonne : mais si un homme disoit : le plus grand Géomètre de Paris est l'homme du monde le plus désagréable dans la conver- sation, je soutiens qu'alors, comme il auroit esté nécessaire que celuy qui auroit parlé de la sorte, eût [eu] dans l'esprit une personne particulière, qu'il auroit designée par ces mots, de plus grand Géomètre de Paris; parce qu'il ne convient point à un habile Géomètre , comme Géomètre , d'estre désagréa- ble dans la conversation , ce ne seroit point par la vérité des
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 257
choses qu'on devroit juger de celuy qu'il auroit estimé estre désagréable dans la conversation, mais par l'opinion de cette personne. De sorte [que] que si je sçavois d'ailleurs que cette personne ou ne connust pas M. Pascal, ou l'eust en estime d'un homme d'un entretien fort agréable, quoy que je lusse persuadé que M. P. est dans la vérité le plus grand géomètre de Paris, je ne croirois point que cet homme eust mal parlé de M. Pascal; Mais si je connoissois Roberval, et que jesceusse que cette personne le connoist aussy, je croirois sans peine que c'est de luy qu'il a voulu parler, quelque inférieur que je le crusse à M. P. dans la science de la Géométrie, et le jugement que je porterois de cette proposition est, qu'elle seroit vraye dans le fond, parce qu'il n'auroit pas mal jugé de la personne qu'il auroit eu dans l'esprit, mais qu'elle seroit fausse dans l'attribution qu'il auroit laite à cette personne, d'estre le plus grand Géomètre de Paris1. »
(Arnauld donne ensuite un second exemple tiré de l'Héra- clius de Corneille : « Quand Phocas se plaignoit que son fils ne vouloit pas épouser la fille de Maurice, cela s'entendoit et se devoit entendre d'Heraclius, par ceux mesmes qui sça- voient qu'Heraclius n'estoit pas son fils. »)
Troisiesme défaut gênerai.
Qui consiste en la fausse et imaginaire distinction qu'on a voulu eslablir entre les mots de sens et de dogme.
(Pris dans leur usage courant, en théologie, les mots de sens, dogme, doctrine, opinion, sont synonymes, et à ce pro- pos Arnauld reprend les règles de logique sur la définition des mots.)
Quatrième défaut gênerai.
Pétition de principe, en ce qu'on suppose par- tout, sans le prouver nulle part au moins à dessein, ce qui fait tout le sujet
i. Même exemple, mais sans désignation de personnalités, dans la Logique de Port-Royal, part. I, chap. vm.
2e série. YII 17
258 OEUVRES
de la dispute, qui est ; que la signification des mots de sens de Jansenius dans la Bulle du Pape, dépend uniquement de la vérité des choses, et non de la pensée et de l'intention du Pape.
« Tous les philosophes remarquent qu'il n'y a point de plus grand vice dans les discours de raisonnement et de con- testation, que celuy qu'ils appellent Pétition de principe
C'est le vice qui règne par tout cet Ecrit.
« N'est-il donc pas visible que c'est faute d'attention
que ces Messieurs ont mal pris le point du différend, s'amu- sant à prouver beaucoup de choses tort inutiles, et ne prou- vant point ce qu'ils avoient uniquement à établir ? »
Cinquième défaut gênerai.
De s'estre imaginé qu'une fausse détermination n'est pas une détermination: ce qui est la mesme chose que siondisoil, qu'une fausse proposition n'est pas une proposition : d'où ils s'ensui- vroit que les hommes ne se tromperoient jamais
Sixième défaut gênerai
Renversement de l'ordre par lequel on doit juger que le sens d'un aulheur est hérétique
Septième défaut gênerai.
De n'avoir pas compris la différence qu'il y a entre juger d'une vérité de Mathématiques et juger d'une vérité de fait.
(Arnauld veut prouver que la vraisemblance et la possi- bilité peuvent permettre de juger d'une vérité de fait, par exemple que le Pape a bien approuvé la vraie doctrine de S1 Augustin.)
Maxime posée: « Pour juger de la vérité d'un fait, et nous déterminer à le croire ou à ne le pas croire, il ne le faut pas considérer nuement, et en luy-mesme, comme on feroit une
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 259
proposition de géométrie; mais il le faut prendre avec toutes les circonstances qui l'accompagnent, tant intérieures qu'ex- térieures. J'appelle circonstances intérieures, celles qui appar- tiennent au l'ait mesme; et extérieures, celles qui regardent les personnes par le témoignage desquelles nous sommes portez à le croire. »
(Arnauld prend comme exemple le miracle de la Ste Épine.)
Huitième défaut gênerai.
Peu d'exactitude à repondre précisément à ce qu'on a entre- pris de réfuter.
Conclusion.
Il y auroit bien d'autres choses à reprendre dans cette
Réponse Mais on s'est contenté d'en remarquer les
principaux défauts; c'est-à-dire ceux qu'on a crû tels. Car quelque persuadé que l'on soit qu'on n'avoit rien avancé dans l'Ecrit, qui ne fût très évident, et que l'autheur de la Réponse n'y a rien opposé qui ne soit ruiné par cette répli- que, néanmoins on est encore très disposé à écouter ses nou- velles instances, s'il n'en est convaincu ; et on le supplie de croire que si l'on ne se peut empescher de désirer, que faisant plus d'attention à des raisons qui nous paroissent si claires, il change de sentiment, on ne prétend pas toutefois qu'il le fasse autrement que par la lumière, et on ne trouvera jamais mauvais que s'il luy reste encore quelque obscurcissement dans l'esprit, il propose de nouveau ses dilficultez et ses doutes, quand mesme il les proposeroit, non comme de simples diffi- cultez, mais comme une nouvelle conviction de l'erreur, dans laquelle il supposeroit que nous soyons demeurez. On n'a- jouste point que cette diversité d'opinions peut bien partager les esprits, mais qu'elle ne sera point capable de diviser les cœurs, puisqu'on ne le pourroit appréhender sans faire un jugement bien desavantageux des uns ou des autres.
260 ŒUVRES
Seconde Partie. Responses à quelques objections.
Art. IeT. Que l'argument tiré de V approbation de S. Augustin est bon ; mais qu'il nest pas fondé sur ce qu'on s'est imaginé. Comme il n'y a rien de plus important dans l'Ecrit de ces Mes- sieurs que l'argument qu'on y tire de l'approbation de S. Augus- tin, on a cru y devoir repondre avec plus de soin.
Art. II. Quand on peut supposer, et quand on ne doit pas sup- poser qu'un auteur a esté bien entendu.
Art. III. Que si les mesmes circonstances que l'on remarque dans la condamnation de Jansenius estoient arrivées dans l'appro- bation de S. Augustin, on devroit juger que l'approbation que des Papes en auroient faite, ne tombe point sur sa véritable doc- trine, et qu'ainsy l'on doit juger que la condamnation du sens de Jansenius ne tombe point sur son véritable sens.
Art. IV. Que ces preuves non seulement sont bonnes, mais qu'elles sont démonstratives.
Art. V. Réponse à quelques autres objections à cette objection.
(Arnauld oppose ici ce qui est dit dans cet écrit et ce qui est dit dans la 18e Provinciale.)
Art. VI. Réfutation de ce qu'on dit, que cette justification du sens de Jansenius est abstraite, et qu'elle ne peut servir qu'à un petit nombre de personnes ; et qu'ainsi si on na point d'autre manière de le deffendre, que celle-là, il demeurera condamné dans l'esprit de la pluspart du monde.
(Reprise de l'objection tirée de ce qu'a bien fait comprendre l'auteur de la 18e Provinciale.)
Art. VII. Du scandale que l'Auteur tesmoigne du sentiment oà l'on est, et quel égard on y doit avoir.
« .... De plus [l'auteur de cet Écrit] doit considérer que ce scandale est réciproque, et que s'il est scandalisé de ce qu'il luy semble qu'on a abandonné la grâce efficace en signant les Constitutions quant aux dogmes, on est aussy scandalisé de voir
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. - APPENDICE 2G1
qu'ayant travaillé tant qu'on a pu à persuader à tout le monde que la grâce efficace n'est pas condamnée, ceux qui sont dans son sentiment veulent au contraire prouver et établir qu'elle l'est, et donner lieu aux Jésuites de les citer comme tesmoins de la condamnation de cette grâce : ce qui est sans doute faire un tort extrême à la vérité et à l'Eglise, et qui est plus grand en quelque sens que celuy que les Jésuites font; puisqu'en combattant cette grâce, ils reconnoissent néanmoins qu'elle n'est pas condamnée, et que ces Messieurs, en prétendant la deffendre de cette sorte, veulent faire croire que toute l'Eglise la condamne d'heresie : non tali auxilio nec defensori- bus istis tempus eget.
« .... L'on doit considérer que l'on n'a pas seulement deux ou trois personnes à satisfaire; mais que la charité oblige d'étendre ses vues plus loin, et d'avoir encore plus de soin de ne scandaliser pas les personnes foibles, que les personnes plus fortes et plus éclairées. Or si on avoit suivi une autre conduite, il y auroit eu [un] beaucoup plus grand nombre de personnes qui s'en seroient scandalisées, qu'il n'y en a qui le soient de celle que l'on a suivie. Et l'on peut dire de plus que celles qui ont signé de la sorte, estant assez fortes pour se soustenir dans ce milieu, ne Festoient peut-estre pas assez pour aller plus avant ; non par faute de courage, mais parce que leur lumière n'alloit qu'à faire ce qu'elles ont fait ; c'est- à-dire, qu'à protester de n'avoir point d'autre foy touchant ces questions, que celle de l'Eglise Catholique, et à ne prendre point de part à tout le reste. Or je ne sçay si ces Messieurs approuveroient que l'on detournast des personnes d'un chemin que l'on croit bon, et dans lequel elles entrent d'elles-mesmes et par leur propre lumière, pour les faire entrer dans une autre voye que l'on croit plus dangereuse, non seulement pour les personnes, mais pour la vérité mesme, avec un très grand sujet de se deffier qu'elles pussent subsis- ter, et qu'elles ne se plaignissent peut-estre qu'on les avoit poussées trop avant, sans en avoir d'autre raison, sinon que cet avis n'est pas approuvé par trois ou quatre personnes. »
262 ŒUVRES
Arnauld. — (Extraits d'un écrit intitulé) : Petit Ecrit conte- nant quelques considérations générales1.
« On supplie ces Messieurs pour abréger le temps, pour traiter solidement la matière dont il s'agit, et pour rendre leurs escrits plus capables de persuader, d'avoir égard aux considérations suivantes.
« La première est ; qu'il est impossible que des personnes qui ont pensé dix ans durant à une mesme matière avec quelque application, n'ayent formé diverses pensées qu'ils ont rejet- tées ensuite, en ne les jugeant pas solides.
« Or encore qu'elles se soyent pu tromper dans le discerne- ment de ces raisons et de ces pensées, en jugeant solides celles qui ne l'estoient pas, et rejettant au contraire celles qui estoient véritablement solides ; néanmoins il est certain qu'elles ne sont pas en estât d'estre persuadées, si l'on ne fait que leur pro- poser les pensées qu'elles ont rejettées, à moins qu'on ne des- truise en mesme temps les raisons par lesquelles ils les ont rejettées.
« On ne peut néanmoins obliger avec justice ces Messieurs de prévoir quelles sont ces pensées qu'on a déjà rejettées, à moins qu'ils n'ayent eu lieu de le juger par les divers escrits qu'on a desjà faits sur ce point.
« Mais il semble juste d'exiger d'eux que, quand ils propo- seront une raison, et qu'ils auront lieu de juger quelle est la réponse qu'on y peut faire, suivant les principes où l'on est, ils prennent la peine en mesme temps de réfuter cette réponse. Car il y a sans doute du deflaut à ne pas prévoir une réponse
i. Bibliothèque municipale de Clermond-Ferrand, ms. i^o, p. 67, imprimé dans les Œuvres d'Arnauld, éd. cit., T. XXII, p. 820. Il semble qu'Arnauld répond ici à un nouvel écrit de Domat et de Pascal, écrit perdu et dont les historiens de cette querelle ne parlent pas d'une façon précise.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 263
naturelle qui nait des principes de celuy que l'on combat, comme il y en a eu sans doute à ne pas prévenir celle que l'on a faite à l'argument tiré de l'approbation de S. Augustin dans la seconde partie de la réponse, quand mesme cette response ne seroit pas bonne. Ils doivent donc prendre pour principe, que les raisons qu'ils produiront seront jugées justement dé- fectueuses, si elles souffrent des réponses qu'ils ayent dû pré- voir, et qu'ils n'ayent pas refutées.
« La seconde considération est ; que la pensée qu'ils ont, con- forme à M. de Thoulouse et aux Jésuites dans la manière dont ils prouvent que le sens de Jansenius est un droit, ne nous paroist pas véritable, et qu'il nous semble qu'ils n'ont pu entrer dans cette pensée, que parce qu'ils ne comprennent pas assez le sentiment de M. de Toulouse ny des Jésuites.
« Car il est vray qu'ils sont conformes en apparence dans la conclusion ; mais c'est par des principes si differens, que ces Messieurs doivent juger ceux des Jésuites et de M. de Tou- louse très faux ; comme les Jésuites et M. de Toulouse juge- roient très faux ceux dont ces Messieurs se servent pour la tirer »
(Arnauld fait l'examen des principes de Marca et des Jésuites.)
« Mais de supposer, comme font ces Messieurs que le Pape s'est pu tromper dans l'intelligence de Jansenius ; que son sens n'est pas évident, et qu'on l'explique en diverses maniè- res, et qu'il y a mesme de l'apparence que le Pape ne l'a pas entendu ; et d'en conclure néanmoins, que soit qu'il l'ait bien ou mal entendu, on doit croire qu'il a condamné le véritable sens de Jansenius, parce qu'il a dit qu'il condamnoit le sens de Jansenius, et que ces paroles ne peuvent signifier que le véritable sens de Jansenius ; c'est une manière de raisonner qui leur est si particulière, qu'on ne croit pas qu'ils puissent produire une seule personne qui ait raisonné sur ces prin- cipes....
« Pour faire comprendre à ceux qui croyent que l'interest de
261 ŒUVRES
la vérité les oblige de dire que la grâce efficace est condamnée par les constitutions et par la signature des constitutions, les dangereuses suites de ce sentiment, que l'on croit d'ail- leurs très faux en soy, on les supplie de considérer Testât pré- sent de l'Eglise
« 4° Il n'y a que trois voyes présentement, de soustenir que la grâce efficace n'est pas une doctrine hérétique, mais que c'est au contraire une vérité de foy.
« i° En disant qu'il est très vray que cette doctrine est ortho- doxe, et qu'il est très vray aussy que le Pape a condamné le sens de Jansenius ; mais que ce sens est très différent de la grâce efficace.
(C'est là la voie embrassée par les Dominicains, etc. etc.)
« La seconde consiste à dire que la grâce efficace est une doc- trine très orthodoxe, que Jansenius n'en a point enseigné d'autre, mais que ses ennemis luy en ayant imputé une autre, le Pape a suivi leurs sentimens, et a condamné son sens, en supposant qu'il avoit eu véritablement les opinions qui luy estoient attribuées, ces personnes reconnoissent dans la Bulle une erreur de fait; mais nulle de droit.
« La troisième voye est de dire que la grâce efficace est une doctrine tres-orthodoxe, que Jansenius n'en a point eu d'autre, en quoy ceux qui suivent cette voye conviennent avec ceux de la seconde opinion que le Pape condamne la grâce efficace par sa Constitution, en condamnant le sens de Jansenius qui n'est autre que la grâce efficace puisqu'il n'a point eu d'autre sens que celuy-là ; ces personnes ne connois- sent dans la Bulle du Pape aucune erreur de fait, mais ils pré- tendent qu'elle en contient une de droit, qui est la condam- nation de la grâce efficace. Cette opinion n'est suivie que par trois ou quatre personnes, dont nulle n'a encore publié son sentiment. »
(Ceux de la première opinion sont très applaudis dans l'Eglise ; ceux de la seconde, quand ils croient pouvoir signer sim- plement sont laissés en repos ; quand ils signent avec restric- tion ils sont parfois persécutés, mais sur la foi ils se sentent
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 265
d'accord avec toute l'Église et peuvent espérer qu'on rendra justice un jour au scrupule qui les retient. — Ceux de la troisième ne défendent la grâce efficace qu'en accusant le pape de l'avoir condamnée et toute l'Église d'avoir paru en rece- voir la condamnation ; et c'est là compromettre à tout jamais cette grâce, puisque tous les théologiens affirment l'infaillibi- lité de l'Église et que le plus grand nombre tient l'infaillibi- lité du pape sur les questions de droit.)
« Ainsy il est clair que cette manière n'est pas un moyen de defïendre la grâce efficace, mais un moyen de la destruire et de l'étouffer, et de ruiner, et cette doctrine, et ceux qui la soutiendront de cette sorte.
« Que c'est le plus grand avantage qu'on puisse donner aux Jésuites, que de l'embrasser ; puisque c'est le moyen de leur faire dire avec vérité ce qu'ils n'ont pas la hardiesse de dire présentement ; que les propres deffenseurs de la grâce efficace ont reconnu qu'elle estoit condamnée par l'Eglise; et ainsy ils transféreront la question de ce point à la thèse géné- rale de l'infaillibilité non du Pape, mais de l'Eglise, dans la question de droit, dans laquelle ils auront toute l'Eglise pour eux.
« Si ces Messieurs ne trouvent rien d'horrible dans ces con- séquences, j'avoue que je ne sçay ce qu'ils appellent horrible ; et je ne vois qu'un seul exemple dans l'antiquité qui est ecluy de Facundus, l'un des plus grands esprits de l'antiquité, et qui a soustenu au commencement une très bonne cause, contre le procédé le plus injuste et le plus violent qui fût jamais ; mais la haine de l'injustice l'emporta ensuite en des opinions excessives qui estoient non seulement opposées à la vérité, mais aussi à luy-mesme
« Il me semble qu'il arrive quelque chose de semblable en cette occasion. Car après avoir soustenu dans la dix-septieme et la dix-huitieme Lettre, que les mots de sens de Jansenius estoient équivoques, et que des personnes estant dans les mesmes sentimens touchant la foy, et condamnant les mesmes erreurs, il se pouvoit faire néanmoins que les uns disoient qu'ils ap-
266 ŒUVRES
prouvoient le sens de Jansenius, et les autres qu'ils le con- damnoient sans estre diïïerens que dans les termes ; on sous- tient présentement que tous ceux qui disent : Je condamne le sens de Jansenius, condamnent réellement la mesme doctrine individuelle, qui seroit approuvée par celuy qui diroit: j'ap- prouve le sens de Jansenius ; et qu'ainsy ils sont differens dans la chose mesme.
« On les supplie de remarquer qu'on ne leur impute pas de dire que le corps de l'Eglise soit hérétique ; mais seulement qu'il y a dans l'Eglise une profession de foy vrayement héré- tique, approuvée par le Pape et tous les Evesques sans contra- diction ; et c'est ce que je soustiens que tous les Théologiens déclareront contraire à l'infaillibilité de l'Eglise, et ce qui certainement n'est jamais arrivé. »
(Apres cette sorte de préface, Arnauld fait trois rapides raisonnements avec principes, démonstrations, et corollaires.)
(Le premier, « pour monstrer que ces mots: le sens de Jansenius est hérétique, contiennent un fait et un droit et que ce fait qui est un certain dogme hérétique est de Janse- nius ».
(Le second, « pour monstrer que celles qui ont signé qu'elles ne recevoient les constitutions que quant à la foy, ont excepté ce fait, que le dogme condamné soit de Jansenius ».
(Le troisième « où l'on monstre que l'on doit croire que ces paroles : le sens de Jansenius est hérétique, ne signifient point que la grâce efficace soit hérétique ».)
VI
A l'opuscule d' Arnauld qui précède est joint un « Petit Ecrit de Monsieur Constant » [Nicole], publié dans la grande édition de Paris-Lausanne, T. XXII, p. 83 r-833. Il renferme quelques définitions de logique et montre, par un tableau, en quel endroit apparaît la faute de raisonnement trouvée dans l'argumentation de Domat et de Pascal.
ÉCRIT SUR LA SIGNATURE. — APPENDICE 267
VII
Le « grand écrit » que Pascal a composé alors, d'après des mémoires fournis par ses amis, est perdu (cf. les lettres de Pavillon, supra p. io,3 sq.). On retrouve quelques indications sur ce qu'il renfermait dans Nicole, Lettre d'un théologien, 1666 (cf. infra p. 344 sqq-) ; — dans le mémoire anonyme écrit vers 1669 (cf. supra p. i85); — et même dans les Mémoires du Père Rapin qui recueillit les souvenirs de Chamillard (cf. supra p. f 92).
CLXXVI
LETTRE DE MADAME PERIER A ARNAULD DE POMPONNE
21 mars 1662. Lettre autographe, Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 66 13, f°. 186.
271
INTRODUCTION
Après avoir intéressé à l'entreprise des carrosses publics le marquis de Sourches, et réglé les droits de chacun par l'acte du 6 novembre 1661 (cf. supra p. 147), les quatre associés firent accorder par le Conseil du roi un privilège à leur compagnie. Les lettres patentes furent enregistrées au Parlement le 7 février 1662. Les deux pièces que nous don- nons ci-dessous sont empruntées à l'étude très attentive que Monmerqué a publiée sur cette question : Les Carrosses à cinq sols ou les Omnibus du dix-septième siècle. Paris, F. Didot, 1828, 74 p. '.
Extrait des registres du Parlement. — Établissement des Carrosses en la ville de Paris en faveur des sieurs ducs de Roanès, marquis de Sourches, et marquis de Crenan.
Louis, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre, à tous presens et à venir, salut. Nostre très cher et bien amé cousin, le duc de Roanes, pair de France, gouverneur et nostre lieutenant gênerai de nostre province du Poitou, et nos chers et amez les marquis de Sourches, chevalier de nos ordres, grand prevost de nostre hostel, chevalier et marquis de Crenan, grand echanson de France, nous ayant tres-hum- blement supplié de leur vouloir accorder la permission de faire un establissement dans la ville et faubourgs de Paris, pour la commodité d'un grand nombre de personnes peu
1. Cf. aussi un intéressant article, paru le 16 août 1907, dans le journal Le Temps : Véhicules d'aujourd'hui et véhicules d'autrefois.
272 ŒUVRES
accommodées, comme plaideurs, gens infirmes et autres qui, n'ayant pas le moyen d'aller en chaises ou en carrosse, à cause qu'il en couste une pistole ou deux ecus pour le moins par jour, pourront estre menez en carrosse pour un prix tout à fait modique, par le moyen de l'establissement des carros- ses qui feroient tousjours les mesmes trajets de Paris d'un quartier à autre : sçavoir les plus grands pour cinq sols marquez, et les autres à moins, et pour les fauxbourgs à proportion, et partiroient toujours à heures réglées, quelque petit nombre de personnes qui s'y trouvassent auxdites heures, et mesme à vuide, quand il ne s'y presenteroit per- sonne, sans que ceux qui se serviroient de ladite commodité fussent obligez de payer plus que leurs places ; nous aurions sur le placet qu'ils nous en auroient présenté, renvoyé l'affaire à nostre conseil, le vingt-cinquiesme novembre der- nier, pour donner son avi* sur le contenu en iceluy, surquoy nostre dit conseil ayant par son résultat du dix-neuf- viesme janvier, mois présent, cy attaché sous nostre contre scel, déclaré que nous pouvons accorder à nostre dit cousin le duc de Roanès et auxdits marquis de Sourches et de Grenan la permission et concession d'establir des carrosses publics dans la ville et fauxbourgs de Paris, à l'instar des coches de la campagne, et que à cet effet toutes lettres nécessaires peuvent estre expédiées. A ces causes desirans reconnoistre les services de nostre dit cousin le duc de Roanès et desdits marquis de Sourches et de Grenan, qui nous sont en très particulière recommandation, et faciliter autant qu'il nous est possible la commodité de nos sujets, de nostre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, nous avons donné et octroyé, donnons et octroyons à nostre dit cousin le duc de Roanès et auxdits marquis de Sourches et de Grenan, par ces présentes signées de notre main, la faculté et permission d'establir en nostre dite ville et faux- bourgs de Paris, et autres de nostre obéissance, tel nombre de carrosses qu'ils jugeront à propos, et aux lieux qu'ils trouveront le plus commode, qui partiront à heures réglées
LETTRE DE MADAME PERIER 273
pour aller continuellement d'un quartier à autre, où chacun de ceux qui se trouveront auxdites heures ne payera que sa place, pour un prix modique comme il est dit cy-dessus ; pour jouir dudit privilège par nostre dit cousin le duc de Roanès et marquis de Sourches et de Crenan, leurs succes- seurs et ayant cause, pleinement et paisiblement et à tous- jours ; faisant très expresses inhibitions et défenses à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient, de faire, ni souffrir estre fait aucun establissement de carrosses, coches, ou autres voitures différentes, sous prétexte qu'elles fussent d'autre forme, figure, nombre de chevaux, et autres différences, ni de toutes autres sortes de voitures roulantes généralement quelconques, qu'on voudroit faire aller à l'instar des coches de la campagne, et à l'imitation du présent establissement, dans nostre bonne ville de Paris et autres, sans la permission de nostre dit cousin le duc de Roanès, et des dits marquis de Sourches et de Crenan, ou de ceux qui se trouveront estre valablement autorisez d'eux ou de leurs successeurs et ayant cause, à peine contre les contrevenans de trois mil livres d'amende et de confiscation de leurs chevaux, carrosses et autres voitures. Si donnons en mandement à nos amez et féaux conseillers, les gens tenant nostre cour de Parlement de Paris, et autres qu'il appartiendra, que ces présentes ils fassent enregistrer et du contenu en icelles jouir et user nostre dit cousin le duc de Roanès et lesdits marquis de Sourches et de Crenan, leurs successeurs et ayant cause, pleinement et paisiblement et à toujours, cessant et faisant cesser tous troubles et empeschemens au contraire, car tel est nostre plaisir ; et afin que ce soit chose ferme et stable, nous avons fait mettre nostre scel à ces présentes, sauf en autres choses nostre droit et l'autruy en toutes. Donné à Paris, au mois de janvier l'an de grâce mil six cent soixante deux et de nostre règne le dix-neufviesme. Signé Louis et sur le reply, de par le Roy, de Lomenie, et scellé du grand sceau de cire verte.
Registrées, ouy et ce consentant le procureur gênerai du 2e série. VII 18
274 OEUVRES
Roy, pour jouir par les impetrans de l'effet et contenu en icelles aux modifications portées par l'arrest de ce jour, à Paris, en Parlement, le sept février mil six cent soixante deux. Gollationné à son original. Signé : Du Tillet.
Du mardi sept février mil six cens soixante deux.
Veu par la Cour, les lettres patentes du Roy, données à Paris au mois de janvier 1662. signées Louis, et sur le reply, par le Roy, de Lomenie, et scellées sur laz de soie du grand sceau de cire verte, obtenues par messire Artus Gouffier duc de Roanès, etc., Jean de Bouschet, chevalier des ordres du Roy, marquis de Sourches, grand prevost de l'hôtel, et Pierre de Perrien, chevalier, marquis de Grenan, grand eschaason de France, par lesquelles et pour les causes y contenues, ledit seigneur leur auroit donné et octroyé la faculté de... (suit l'extrait des lettres patentes)
Requête présentée à la Cour par lesdits impetrans à fin d'enregistrement des dites lettres, conclusions du procureur gênerai du Roy, ouy le rapport de M. Pierre de Brilhac, conseiller du Roy en la Cour, tout considéré, la cour a ordonné et ordonne que lesdites lettres seront registrées au greffe d'icelle pour estre exécutées, et jouir par les impetrans de l'effet et contenu en icelles à la charge que les soldats, pages, laquais et autres gens de livrées, mesmes les manœu- vres et gens de bras, ne pourront entrer esdits carrosses, et sans que lesdites lettres puissent nuire ni prejudicier à la liberté de ceux qui louent des carrosses dans la ville et fauxbourgs de Paris, et sans préjudice des voitures bien et duement establies en icelle, ny de celles qui pourront estre establies à l'avenir.
Dans les papiers provenant d'Arnauld de Pomponne que possède la Bibliothèque de V Arsenal, ms. 661 3, p. 190, se trouve, à côté de la lettre de Madame Perier, ce billet qui
LETTRE DE MADAME PERIER 278
est, comme l'indique une note manuscrite, écrit par le mar- quis de Grenan.
Ce 26. février [1662].
Nous avons creu que vous seriez bien ayse de sçavoir l'essay que nous avons fait de la force des chevaux de louage. Nous en avons loué deus, deus jours de suitte, qui ont parti à six heures du matin et ont fait leurs huit routes gaillardement, quatre le matin et finissant devant unze heures n'allant qu'au pas et ayant mesme rencontré des ambaras, l' après dinée ils commençoient à deus heures et demie et finissoient à six. G'estoit un mesme carosse de louage et les mesmes chevaux qui ont travaillé tous les deus jours et n'estoient point harassés, de là vous jugerés du reste ; nous avons fait marché à huit tours à cent escus par mois pour une route laquelle seroit desja establie sans la raison principale... [ici une rature]. Nous espérons y remédier dans peu de jours. Nous sommes persécutés de tout le monde pour l'establir où un chacun dit qu'il ira, et nostre affaire est maintenant creûe aussi bonne qu'elle passoit au commen- cement pour ridicule. Nous la tenons tous maintenant indu- bitable. Mandés nous je vous supplie des nouvelles de vostre santé et nous croyez absolument à vous ' .
1 . Au bas de cette lettre se trouvent trois signatures par initiales : R. — C.V. — et aussi peut-être, d'une écriture toute tremblée : B. P.
276
LETTRE DE MADAME PERIER A ARNAULD DE POMPONNE1
A Paris, ce 21e Mars 1662.
Gomme chacun s'est chargé d'un employ particulier dans l'affaire des carrosses j'ay brigué avec empressement celuy de vous faire sçavoir les bons succez et j'ay eu assez de faveur pour l'obtenir. Ainsy Monsieur toutes les fois que vous verrez de mon escriture vous pourrez vous asseurer qu'il y a de bonnes nouvelles. L'establissement commencea samedy 2 à 3sept heures du matin mais avec un esclat et une pompe merveilleuse. On distribua les sept carrosses dont on a fourny cette première route. On en envoya trois à la porte S1 Antoine et quatre devant Luxembourg où se trouvèrent en mesme tems deux commissaires du Chas- telet en robe, quatre gardes de Monsieur le grand prevost, dix ou douze archers de la ville et autant d'hommes à cheval. Quand toutes les choses furent en estât Mrs les commissaires proclamèrent l'establissement et en ayant remontré les utilitez ils exortherent les bourgeois de tenir mainforte et déclarèrent à tout le petit peuple que si on faisoit le moindre insuit la punition seroit rigoureuse et dirent tout cela de la part du Roy. En suitte ils desli- vrerent aux cochers chacun 4leur casaques (qui sont
1 . Arnauld de Pomponne atteint dans la disgrâce de Fouquet était alors exilé à Verdun.
2. Le 18 mars.
3. [huict], barré au manuscrit.
4. sic dans le manuscrit.
LETTRE DE MADAME PERIER 277
bleues des couleurs du Roy et de la ville aveques les armes du Roy et de la ville en broderie sur l'estomac) puis ils commandèrent la marche. Alors il partit un car- rosse avec un garde de Monsieur le grand prevost dedans, *un demy quart d'heure après on en fit partir un autre et puis les deux autres dans des distances pareilles ayans chacun un garde qui y demeurèrent tout ce jour là. En mesme tems les archers de la ville et les gens de cheval se répandirent dans toute la route. Du costé de la porte S1 Antoine on pratiqua les mesmes cérémonies à la mesme heure pour les trois carrosses qui s'y estoyent rendus et on observa les mesmes choses qu'à l'autre costé pour les gardes, pour les archers et pour les gens de cheval. Enfin la chose a esté si bien conduitte qu'il n'est pas arrivé le moindre desordre et ces carrosses là marchent aussy pai- siblement comme les autres. Cependant la chose a reussy si heureusement que des la première matinée il y eust quantité de carrosses pleins et il y alla mesme plusieurs femmes, mais l'apres disnée ce fut une si grande foule qu'on ne pouvoit en aprocher et les autres jours ont esté pareils, de sorte qu'on voit par expérience que le plus grand incon- vénient qui s'y trouve c'est celuy que vous aviez apre- hendé, car on voit le monde dans les rues qui attend un carrosse pour se mettre dedans, mais quand il arrive il se trouve plein; cela est fascheux mais on se console, car on sçait qu'il en viendra un autre dans un demy quart d'heure. Cependant quand cet autre arrive, il se trouve qu'il est encore plein et ainsy quand cela est arrivé plusieurs fois on est contraint de s'en aller à pié et afin que vous ne croyiez pas que je dis cela par hyperbole c'est que cela m'est arrivé à moy mesme. J'attendois à la
i. [et], barré au manuscrit.
278 ŒUVRES
porte de S1 Merry dans la rue de la Verrerie ayant grand envie de m'en retourner en carrosse, parceque la traitte est un peu longue de là chez mon frère, mais j'eus le de- plaisir d'en voir passer cinq devant moy sans pouvoir y avoir place parcequ'ils estoyent tous pleins et pendant ce tems là j'entendois les bénédictions qu'on donnoit aux autheurs d'un establissement si avantageux et si utile au public et comme chacun disoit son sentiment il y en avoit qui disoyent que cela estoit parfaittement bien inventé mais que c'estoit une grande faute de n'avoir mis que sept carrosses sur une route et qu'il n'y en avoit pas pour la moitié du monde qui en avoit besoin et qu'il falloit y en avoir mis pour le moins vingt. J'escoutois tout cela et j'estois si en mauvaise humeur d'avoir manqué cinq car- rosses que j'estois presque de leur sentiment dans ce moment là; enfin c'est un aplaudissement si universel que l'on peut dire que jamais rien n'a si bien commencé. Le premier et le second jour le monde estoit rangé sur le pont neuf et dans toutes les rues pour les voir passer comme le mardy gras pour voir passer et c'estoit une chose plaisante de voir tous les artisans cesser leur ou- vrage pour les regarder en sorte que l'on ne fit rien sa- medy dans toute la route non plus que si c'eust esté une feste. On ne voyoit par tout que des visages riants mais ce n'estoit pas un rire de moquerie mais un rire d'agrément et de joye et cette commodité se trouve si grande que tout le monde la souhaitte chacun dans son quartier : les marchands de la rue S1 Denis demandent une route aveques tant d'instance qu'ils parloyent mesme de présenter re- queste. On se disposoit de leur en donner une dans huict jours mais hyer au matin Monsieur de Rouanez Monsieur de Crenan et Monsieur le grand prevost estants tous trois au Louvre, le Roy s'entretint de cette nouvelle avec beau-
LETTRE DE MADAME PERIER 279
coup d'agrément et en s'adressant à ces Messieurs il leur dit : Et nostre route ne l'establirez vous pas bien tost. Cette parole du Roy les oblige de penser à celle de la rue S1 honnoré1 et de différer de quelques jours celle de la rue S1 Denis. Au reste le Roy en parlant de cela dit qu'il vou- loit qu'on punit rigoureusement ceux qui feroyent la moindre insolence et qu'il ne vouloit point qu'on trou- blast en rien cet establissement. Voila en quel estât est présentement l'affaire. Je m'asseure que vous ne serez pas moins surpris que nous de ce grand succez ; il a surpassé de beaucoup toutes nos espérances. Je ne manqueray pas de vous mander exactement tout ce qui arrivera de bon suivant la charge qu'on m'en a donnée pour supléer au défaut de mon frère qui s'en seroit chargé avec beaucoup de joye s'il pouvoit escrire. Je souhaitte de tout mon cœur d'avoir 2matiere pour vous entretenir toutes les se- maines pour vostre satisfaction et pour d'autres raisons que vous pouvez bien deviner. Je suis Vostre très obéis- sante servante.
G. Pascal.
3Ce mecredi 22.
J'adjousteray à ce que dessus qu'avant hyer au petit couché du roy une baterie dangereuse fut entreprise contre nous par deux personnes de la Cour les plus eslevées en
1. Le n avril, fut établie une seconde lirjne, « de la rue Saint-An- toine à la rue Saint-Honoré » ; le 22 mai, une autre fut organisée « de la rue Montmartre à Luxembourg». Monmerqué, op. cit., publie les placards qui furent affichés alors pour en informer le public, et pour lui faire connaître les améliorations apportées au service.
2. [sujet de], barré au manuscrit.
3. En comparant l'écriture de cette apostille avec celle de la lettre citée supra p. 275, on voit que cette addition est du marquis de Grenan ; Monmerqué avait cru qu'elle était de Pascal.
280 ŒUVRES
qualité et esprit et qui alloit à la ruine, en la tournant en ridicule et qui eust donné lieu d'entreprendre tout, mais le roy y repondit si obligemment et si sèchement [?] pour la beauté de l'affaire et pour nous, qu'on rengaigna et promptement. Je n'ay plus de papier. Adieu je suis tout à vous.
(Pour Monsieur de Pomponne. A Verdun.)
1 ^ 4y
s
5 «&
-282
APPENDICE
La correspondance de Huygens permet de compléter l'his- toire des inventions pour lesquelles Pascal s'était associé avec le duc de Rouannez. Dans une lettre du 18 septembre i665, il écrit à R. Moray : « Pour ce qui est de la pensée de Monsieur Hook, dont il a pieu me faire part, d'appliquer dans les horologes un ressort au lieu de pendule, je vous diray qu'estant en 1660 à Paris Monsieur le Duc de Roanais me parla de la mesme chose et mesme me mena chez l'horologer à qui luy et Monsieur Pascal avoient commu- niqué cette invention, mais soubs serment et promesse devant Notaire de ne le point révéler ni se l'attribuer1, mais je ne trouvay leur manière d'application nullement bonne... » (Œuvres, T. V, p. 465). D'autre part, on voit que quelque temps avant la mort de Pascal, le duc de Rouannez avait proposé à Huygens de demander privilège afin d'organiser un service de carrosses publics à Amsterdam (Lettre de Huygens, du 20 juillet 1662, Œuvres, T. IV, p. 180). Huygens déclina l'offre ; en revanche, pendant un nouveau séjour fait à Paris au cours de l'hiver 1 663-1 664, il manifeste un grand intérêt pour les essais d'une chaise de poste à un cheval qu'il appelle la « machine roanesque'2 ». Huygens parle
1. La précaution était dictée à Pascal par le souvenir des « ouvriers » qui avaient tenté de contrefaire la machine arithmétique (vide supra T. I, p. 3 10, et T. II, p. /402).
2. Plus tard, le duc de Rouannez prit une part importante à l'en- treprise de la navigation de la Seine (privilège concédé en novembre 1676), et dans la concession du remontage des bateaux sur toutes les rivières de France dont le privilège avait été donné à M. de Feu- quières, en i65i. M. A. de Boislisle mentionne à cet égard un contrat passé le 26 juin 1696, quelques mois avant la mort du duc, survenue
LETTRE DE MADAME PERIER 283
tantôt des « inventeurs » (ibid, T. V, p. 6), tantôt de « l'inventeur et de ses associez » (p. 28) ou de « Messieurs les intéressez » (p. 61). Parmi ces derniers, se retrouve le marquis de Crenan, qui envoie à Huygens une longue lettre sur les perfectionnements de la machine (p. 90) !. L'idée première de cette chaise est-elle due à Pascal ? En tout cas il doit y avoir un lien entre la nouvelle entreprise de Rouannez et la tradition recueillie par Bossut : « Je finis, écrit-il dans Y Avertissement de son édition de Pascal (1779, T. I, p. 127), par une anecdote que je viens d'apprendre, l'impression de tous les volumes de cette édition étant achevée.
« M. le Roy, de l'Académie Royale des Sciences, tient du célèbre M. Julien le Roy, son père, qui connoissoit bien l'histoire des Arts et des inventions méchaniques, que Pascal est l'inventeur de deux machines très-simples et très-usuelles. La première est cette espèce de chaise roulante, traînée à bras d'homme, que l'on appelle Brouette ou Vinaigrette, et dont la suspension est fort commode. La seconde est le Haquet, charrette à longs brancards, sans ridelle, qui font bascule, quand on veut : à l'extrémité antérieure est placé un moulinet qui sert à faire glisser par le moyen d'un cable, des tonneaux pleins, des ballots pesants, etc., le long des brancards, qui forment alors des plans inclinés. Il y a d'autres espèces de Haquets : celle-là est la principale ; elle contient, comme on voit, une combinaison ingénieuse du tour et du plan incliné.
« On trouve dans la Vie de Pascal, par Madame Périer, sa sœur, le trait suivant, qui semble faire allusion à la première de ces inventions : Des que Vaffaire des Carrosses (qui est de son invention, ajoute une copie manuscrite) fut établie, mon frère me dit quil vouloit demander mille francs par avance sur sa part à des Fermiers Pascal avoit aussi inventé une
le 4 octobre (Note à l'édition de Saint-Simon, T III, p. 3 16, n. 5 et ibid. p. 535).
1. Cf. d'Avenel, Revue des Deux Mondes, i5 décembre 191 3, p. 819.
284 ŒUVRES
machine fort simple pour le puits de Port-Royal-des-Champs qu'on appelloit par cette raison, le Puils de Pascal ; mais nous n'avons pas pu nous procurer une description de cette machine. »
Le puits est mentionné en ces termes dans la Préface du Nécrologe de 1723, p. lxv : « Au milieu étoit un grand puits aux sources de vingt sept toises de profondeur avec une machine de l'invention de M. Pascal parle moïen de laquelle un garçon de douze ans pouvoit monter un volume d'eau pesant deux cens soixante et dix livres, sans compter le poids du seau. »
CLXXVII ACTES NOTARIES
SIGNÉS PAR BLAISE PASCAL
[\ avril et 23 juillet 1662.
Minutier de Me Blanchet, notaire, successeur de Me Gallois (commu- nication de M. Gh. Samaran) ; et minutier de Me Mouchet, suc- cesseur de Me Guneau.
287
ELECTION DE DOMICILE DES QUATRE CONTRACTANTS DE L'AFFAIRE DES CARROSSES
Aujourd'hui sont comparus par devant les notaires garde nottes du roy nostre sire au Châtelet de Paris soussignez hault et puissant seigneur messire Artus Goufier, duc de Roannez, pair de France, gouverneur et lieutenant gênerai pour sa majesté du haut et bas Poictou, demeurant à Paris Cloistre et paroisse S1 Mederic, Messire Pierre de Perrien chevalier, marquis de Crenan, grand eschanson de France, demeurant à S1 Germain des Prez lez Paris, rue S1 Dominique, parroisse S1 Sulpice, et Biaise Pascal escuyer demeurant hors et proche la Porte S1 Michel, parroisse S1 Gosme, lesquels ont reconnu et confessé avoir signé les traittez et conventions cy devant escrittes dont ils sont demeurez d'accord1, promettant respectivement l'entretenir, y satisfaire et n'y contrevenir, eslisants leurs domicilies en cette ville de Paris sçavoir ledit seigneur duc de Roannez en la maison deMe Jacques Le Vassor procureur en Parlement, rue et devant l'Eglise S1 Anthoine ; le dit seigneur marquis de Crenan, en la
i. La minute renvoie ici aux conventions du 6 novembre 1661 (cf. supra p. i4 5).
288 ŒUVRES
maison de Me Travers, procureur en Parlement rue
de la Parcheminerie, et le dit sieur Pascal en la maison de Me de Paris procureur au Chatelet, rue de Sor-
bonne, et ledit sieur de Pomponne en la maison de Me Hubert de Vignes, procureur au Chatelet rue de la Verrerie, ausquels lieux, etc. mettant etc. procurant etc., chacun endroit son etc. Fait et passé à Paris en la maison du dit sieur Pascal devant déclarée le quatrième jour d'avril après midi Tan mil six cent soixante deux, et ont signé ces présentes quatruplées, ceste présente pour le dict sieur Pascal.
Signé : Artus Gouffier, duc de Rouannes, Pierre de Perrien G. Ladvocat
Lecaron Pascal Galloys.
Aussy par ces mesmes présentes les dits seigneur, duc de Roannés, seigneur marquis de Crenan et Sr Pascal en execut- tant ce qui est porté par le dict traicté concernant le dit Sr de Pomponne y nommé, ont déclaré qu'il appartient un sixiesme du dit don et establissement au dit Sr de Pom- ponne, ses successeurs et ayant cause pour les raisons y desduites et à la charge de contribuer pour ledit sisiesme à tous les fraiz etadvances et d'acomplir touttesles charges et conditions dudit traicté, ce qui a esté accepté par dame Cat- terine Ladvocat, espouze et procuratrice du dit Mre Symon Arnault, Sr de Pomponne, conseiller du roy en ses con- seils, fondée de sa procuration generalle pour agir en touttes les affaires demeurant à Paris rue de la Verrerie paroisse S1 Medericq, laquelle a promis et s'est obligée audit nom de procuratrice de satisfaire pour le dit sisiesme à tout ce qui est porté par le dit traicté duquel elle a eu communication et d'abondant lecture, et de faire le tout
ACTE NOTARIÉ
ratiffier par ledit Sr de Pomponne incessamment et au surplus lesdites partyes1.
i. La note suivante a été ajoutée à cet acte : « Le présent original a esté rapporté à Galloys l'un desdits notaires soubsignés par M. Me Florin Perier, conr du Roy en la cour des aydes de Clermont- Ferrand, pour garder en ses minuttes et luy en deslivrer expédition le vingt deuxième jour de décembre Mvie soixante deux et a signé : Perrier, Lecaron, Galloys. »
2e série. VII
290
II
ENGAGEMENT LOCATIF CONSENTI PAR PASCAL AU NOM DE M. PERIER
Fut présent en sa personne Messire Michel Bonnart, chevalier, seigneur de Fourquaux, Conseiller du Roy en ses conseils et en sa cour de Parlement de Paris, y de- meurant, hors et près la porte Saint Michel, paroisse Saint-Cosme, lequel a recongneu et confessé avoir baillé, et délaissé à titre de loyer et prix d'argent à partir de la Saint-Remy prochain, pour trois années aussi prochaine- ment finir et accomplir pendant le dit temps, à M. Florin Perrier, Seigneur de Bien-Assis, Conseiller du Roy en sa Cour des Aydes de Clermont-Ferrand, et dame Gilberte Pascal, sa femme, lesdits preneurs absents, et acceptant pour eux audit titre, ledit temps durant, M. Biaise Pascal, ecuyer, demeurant hors et près la porte Saint-Michel, sus- dite paroisse, et ladite dame Pascal, demeurant sur le fossé de la porte Saint-Victor, paroisse Saint-Etienne-du-Mont, à ce présent du nom et comme se disant avoir charge du sieur Perier en cette partie, auquel il promet faire ratifier,
etc s'oblige au payement... Une maison à porte co-
chere, audit bailleur appartenant, sise hors et près la porte Saint-Michel, appelée l'Hôtel Saint Denisjoignantet atte- nant la maison où demeure ledit bailleur, consistant en cave, sallette, cour, quatre chambres au premier étage, quatre chambres lambrissées au second étage, et grenier au-dessus, sans autre déclaration, ladite dame l'ayant vi-
ACTE NOTARIÉ
291
sitée à loisir... moyennant le prix de sepl cent livres que ledit preneur payera avec quatre termes accoutumez à partir de Noël prochain...
îkJ^pr^rJTr*
Fait et passé à Paris... en la maison de ladite dame Perier, le vingt-troisième de juillet mil six cent soixante deux et pour le dit sr bailleur aussy en sa maison le vingt six... et ont signé :
BoNNART DE FoURQUAUX G. P ASC AL
Pascal Guneau1.
De Saint- Waast
i . Le 25 janvier 1 663, la maison est louée par le même propriétaire à un autre locataire ; ce qui prouve que les Perier ne s'y sont pas installés. Le 27 septembre 1662, ils signent un autre bail à dater de la Saint-Rémy (ier octobre) pour une maison sise au faubourg S1 Marcel, rue Neuve, paroisse S1 Etienne-du-Mont.
CLXXVIII
TESTAMENT DE PASCAL
3 août 1662. Minutier de Me Mouchct, notaire à Paris, successeur de Me Guneau.
295
TESTAMENT DE PASCAL
Fut présent en sa personne Biaise Pascal, escuier, demeurant ordinairement à Paris, hors et près la porte S1 Michel, paroisse S1 Cosme ; de présent es- tant au lict, mallade de corps, en une chambre au second étage d'une maison sise à Paris, sur le fossé d'entre les portes S* Marcel et S1 Victor, paroisse S1 Etienne du Mont, en laquelle est demeurant Mre Florin Perier, conseiller du roi en sa cour des aides de Clermont-Ferrand, en Auvergne ; touttefois, sain d'esprit, mémoire et entendement, comme il est apparu aux notaires soussignez, par ses parolles, gestes et maintien ; lequel considérant qu'il n'y a rien plus certain que la mort, ny chose plus incertaine que le jour et heure d'icelle, ne désirant en estre prévenu sans tester, pour ces causes et autres, à ce le mouvant, a fait, dicté et nommé aux notaires sous- signez son testament et ordonnance de dernière vo- lonté, en la forme et manière qui en suit.
Premièrement, comme bon chrétien, catholique, apostolique et romain, a recommandé et recom- mande son ame à Dieu, le suppliant que, par le me- ritte du précieux sang de nostre Sauveur et Ré- dempteur Jesus-Christ, il luy plaise luy pardonner ses faulteset colloquer son ame, quand elle partira de ce monde, au nombre des bienheureux, implorant
296 ŒUVRES
pour cet effet les intercessions de la glorieuse Vierge Marie et de tous les saints et saintes du paradis.
Item, veult et ordonne ses debtes estre payées et toutes faultes, sy aucune y a, reparées et amendées par le sieur son exécuteur testamentaire soubs nommé.
Item, désire son corps mort estre enterré en ladite église Saint Etienne du Mont de cette dite Ville de Paris. Pour le regard des cérémonies de son convoi, service et enterrement, ensemble pour les messes, prières et aulmosnes à faire pour le repos de lame dudit sieur testateur, s'en remet et repose de tout à la discrétion et volonté de son dit exécuteur soubs nommé, ou s'il estoit lors absent de cette ville de Paris, à la discrétion de damoiselle Gilberte Pascal, sa femme, et sœur du dit sieur testateur.
Item, donne et lègue à Françoise Delfante1 (sic), femme du sieur Pinel, la somme de douze cents li- vres, une fois payée.
Item, donne et lègue à Anne Polycarpe2, femme de chambre de ladite damoiselle, la somme de mille livres, aussy une fois payée.
Item, donne et lègue à la nommée Esdune, ser- vante de cuisine dudit sieur testateur, la somme de cent livres tz. de pension par chacun an, la vie du- rant d'icelle Esdune.
i. Françoise Delfaut, sœur de Louise Delfaut dont Pascal fut l'exé- cuteur testamentaire (cf. supra T. IX, p. 207 sq.).
2. Par son testament du 5 août i663, Madame Perier faisait aussi un legs à cette servante (cf. infra T. XI, Ier supplément).
TESTAMENT DE PASCAL 297
Item, donne et lègue à la nourrice qui a nourry de mamelle Estienne Perier, nepveu du dit sieur testateur, la somme de trente livres de pension par chacun an, la vie durant d'icelle nourrice, demeu- rant en Normandie.
Item, donne et lègue à Biaise Bardout1, fdleul du dit sieur testateur, la somme de trois cents livres pour estre employée à luy faire apprendre mestier, et jusques à ce demeurera es mains du dit sieur exé- cuteur testamentaire, qui luy en fera intérêt.
Item, donne et lègue au dit Etienne Perier, son neveu, la somme de deux mil livres tz. une fois payée.
Item, donne et lègue le dit sieur testateur, à l'hô- pital gênerai de cette ville de Paris, un quart du droit appartenant au dit sieur testateur, sur les carrosses publiques, établies depuis peu en la dite ville de Paris2, à la charge néanmoins de consentir, s'il y eschet, qu'au lieu de la part appartenant de présent à M. le grand prevot sur lesdites carrosses, il appartienne à l'avenir au dit sieur grand prevot un sixième au total d'iceux, en telle sorte qu'au
i. Dans son testament de i663, Madame Perier léguait à « Biaise Musnier, filleul du défunt Biaise Pascal son frère, la somme de 3oo 1. t. qui produira interest, laquelle demeurera entre les mains du sieur Perier pour estre payée lorsqu'il aura atteint l'âge de majo- rité, pour luy faire apprendre mestier »
2. « aprez que le traitté deffinitif qui est à faire pour raison des dites carrosses entre Monsieur le duc de Rouannais, Monsieur le Grand Prévost et Monsieur le Marquis de Grenan auroist esté conclu et arresté — la présente apostille rayée du testament du sieur testateur » (apostille commencée, puis rayée).
298 ŒUVRES
lieu d'un pareil sixième, qui appartient à présent au dit sieur testateur, au total des dites carrosses, il ne luy appartiendra plus qu'un sixième aux cinq sixiè- mes restants ; ou à condition de contribuer par le- dit hôpital, proportion aux mesmes frais, charges, clauses et conditions dont le dit sieur testateur est tenu.
Item, donne et lègue le dit sieur testateur (aux conditions dessus énoncées pour l'hôpital gênerai de Paris) à l'hôpital gênerai de la ville de Clermont en Auvergne, un autre quart du mesme droit, sy mieux n'aime le dit hospital de Clermont, dans trois ans prochains du jour du deces du dit sieur testateur, prendre la somme de trois mille livres (une fois payée), pour ladite portion, laquelle en ce faisant, retournera à la dite damoiselle, sœur du dit sr testa- teur, qui ne pourra rien prétendre à la jouissance qu'aura eu le dit hôpital de la dite portion pendant le dit temps1.
Item, donne et lègue le dit sieur testateur aux con-
i . Perier écrivit aux administrateurs de l'hôpital de Clermont la lettre suivante, qu'a publiée Faugère : Lettres Opuscules et Mémoires, i845, p. 48i :
De Paris, ce 5. septembre [1662]. Monsieur [sic]
Je m'adresse à vous comme ayant une connoissance particulière de l'honneur de vostre amitié, et ayant aussi celuy d'estre vostre con- frère, pour vous pryer de porter au premier bureau de messieurs les administrateurs de l'hospital gênerai l'extrait du testament de feu M. Pascal, que je vous envoyé, affin qu'ils poursuive [sic] le légat qu'il a fait à cet hospital gênerai et qu'ils y mettent tel ordre qu'ils adviseront. Son droit aux carosses consistoit en un sixième des cinq sixièmes, c'est-à-dire en ung septième du total. Il a disposé d'autres
TESTAMENT DE PASCAL 299
ditions devant énoncées pour l'hôpital de la ville de Paris, à Mre Jean Domat, avocat du roy au presidial du dit Glermont, un autre quart du sus dit droit pour en jouir sa vie durant, et après son deces le dit quart retournera à la dite damoiselle.
Item, désire le dit sieur testateur qu'il soit fait restitution pour les deux tiers, dont il pourroit estre tenu 1 (à cause des biens de feu monsieur son père) des arrérages et intérêts reçus sans juste titre par le dit feu sieur son père (et pour le total de ceux qui ont esté ainsi reçus par ledit sieur testateur), le tout selon qu'il sera convenu et réglé, tant pour la somme que pour les personnes à qui elle doibt estre distri- buée, par le dit sieur Florin Perier, la dite damoi- selle sa femme, et par le dit sieur Daumat (sic). Ce qui sera réglé dans six mois au plus tard par eux tous ou au moins par ceux qui se trouveront en vie dans ledit temps et exécuté par le dit sieur exécuteur testamentaire soubs nommé, au plus tard dans un an après le deces du dit sieur testateur.
deux quarts en d'autres œuvres pies, et en a laissé le quatrième quart à ma femme. J'ay creu, messieurs, estre obligé de vous donner cet advis tant en qualité de son héritier des biens qu'il a laissé et de son exécuteur testamentaire qu'en celle que j'ay l'honneur d'avoir, quoy- que je m'en acquitte tres-mal, d'administrateur aussy de vostre hos- pital gênerai. Si je puis contribuer quelque chose pour le service des pauvres et pour le vostre, messieurs, en particulier, je vous prye de disposer en toute liberté de Messieurs,
Vostre tres-humble et tres-obeissant serviteur et confrère. Perier. i. « Gomme héritier de feu monsieur son père » (mots rayés).
F
TESTAMENT DE PASCAL 301
Et pour executter et accomplir le dit présent tes- tament, le dit sieur testateur a nommé et esleu le dit sieur Florin Perier, son beau-frere, qu'il prie en voul- loir prendre la peine, revocant, par le dit sieur testateur, tous autres testaments et codicilles qu'il pourroit avoir fait auparavant cestuy auquel seul il sarreste, comme estant son intention et dernière vollonté ; et fut ainsy fait, dicté et nommé par le dit sieur testateur, aux sus dits notaires, puis à luy par l'un d'iceux notaires présents, leu et releu, qu'il a dist bien entendre, en la dite chambre, le troisiesme jour d'aoust seize cent soixante-deux, avant midy, et a signé :
Pascal.
QuARRÉ. GUNEAU.
CLXXIX
LETTRES ÉCRITES A L'OCCASION DE LA MORT DE PASCAL
(19 août 16G2.)
PS
%
s
i
• ' ^""W^ÉF''^:;fr*nt -■■■■ ' ■ ■*! 'fes^HC4"' ■
Pli
»f^
" ;- ^ ■» » - rw _^^ ■''-"■' <t n
30S
INTRODUCTION
Avant de publier les lettres qui furent écrites après la mort de Pascal par Wallon de Beaupuis, la Mère Agnès, l'abbé de la Lane, Arnauld d'Andilly, Saci, la Mère Angélique de S* Jean, Nicole, le duc de Rouannez et Chapelain, nous ras- semblons les divers documents qui nous ont été transmis sur la maladie et sur l'inhumation de Pascal ; — nous y joignons les éloges composés alors pour honorer sa mémoire, — une courte notice iconographique, — enfin les indications que nous avons pu recueillir sur la bibliothèque de Pascal. Nous reproduisons en appendice tous les documents qui se rap- portent aux déclarations que Pascal mourant fit au curé Beurrier. Le plan ci-contre montre où se trouvaient la maison, voisine de la porte Saint-Michel (cf. supraT. VII, p. 61 , n. i), que Pascal quitta le 29 juin, et celle de sa sœur, où il mourut le 19 août (rue des Fossés-Saint- Victor).
I. — DOCUMENTS RELATIFS A LA MALADIE DE PASCAL
Dans les Portefeuilles du médecin Vallant (Bibliothèque Natio- nale, ms. f. fr. 17047, f° 65; 17053, f°35o; 17054, f° nosqq. ; 17055, f° 3i4) se trouvent des fragments de cahiers écrits par Vallant lui-même ; ce sont des recueils de recettes variées, avec l'indication des cures opérées par ces remèdes sur divers malades . Parmi les notes, dont beaucoup sont de i663, quelques-unes concernent Mlle Perier, « Mlle Jacqueline », Mr Perier fils, « Mlle Margot», Mlle Gadeau, M. Domat, etc. On rencontre di- verses consultations tenues au sujet de Pascal entre les méde- cins Hommets, Brayer, Guenaut, Eusèbe Renaudot et Valot. Nicolas Brayer (1 605-1678) était alors également renommé 2e série. VII 20
306 ŒUVRES
pour son habileté de praticien et pour sa charité ; en 1 67 1 , il re- fusa la place de médecin du roi. Gui Patin parle dans ses lettres de Pierre Hommets, oncle de Hamon, qui mourut en 1666 ; il fut le beau père du fils de Gui Patin. Antoine Valot (1 596-1 671) fut premier médecin du roi ; Gui Patin le men- tionne souvent. Eusèbe Renaudot (16 18-1679) fut premier médecin de la dauphine. François Guenaut qui mourut en 1667, fut premier médecin de la reine.
Nous classons les divers documents qui concernent Pascal1, d'après l'ordre chronologique indiqué par le D1' Maurice Potel dans l'étude très complète et très pénétrante qu'il a consacrée à la maladie de Pascal au cours de ses articles sur Noël Vallant, France médicale, à partir du 2 5 juillet iqi3 2.
Mr Pascal laborat, selon M. Guenaut3, infarctu viscerum ab humore melancolico ; qui humor, dum fermentatur, va- pores emittit, symptomata producentes varia, prout partes quas attingunt, diversse sunt; ideo fermentantur, quia ebul- liunt et a calore fit hœc ebullitio ; ideo mittendus sanguis ex utroque brachio, postea purgandus sicut in magna quantitate jusculifol[ionim]senn[ae] infundantur jûj [2 drachmes] cumjfi [//5c?rac/ime]cremor[is]tartar[i]donectincturaextractasit,cole- tur postea et detur mane per sex dies vel infundantur ^ij [2 gros] senn[ae] in îbij [2 livres] aquae ; facta infusione, addantur pruna accidaadîbjS [1/2 Hure]; coquantur ad médias, colentur et utatur
1. Ces documents ont été publiés dans E. Jovy, Pascal inédit, T. V, Vitry-le-François, 191 2, p. i5i sqq. et dans l'étude citée du Dr Potel.
2. Cf. le remarquable travail du Dr Just-Navarre : la Maladie de Pascal, étude médicale et psychologique, Lyon, 191 1, I24p- in-4° et Deux notes additionnelles au chapitre de la psychologie de Pascal, Brignais, 191 2. Voir aussi du même auteur, les Médecins de Pascal, Lyon, 191^.
3. En interprétant le récit que Mme Perier nous a laissé des der- nières semaines de la vie de Pascal (supra T. I, p. io5 et suiv.), M. le Dr Potel montre que « la date de la consultation » de Guenaut « doit être bien voisine du 3 juillet » (France médicale, 25 août 191 3, p. 20I1).
MORT DE BLAISE PASCAL 307
ad coclearia decem per sex dies mane ; hoc peracto mittatur sanguis ex pede ; deinde purgetur, ut supra, ter aut quater et tandem utatur aquis mineralibus vitriolatis inter quas prsefert aquas S11 Mion reliquis.
Colique de M. Pascal de trente jours : les lavements d'huille et de vin au commencement l'un (?) luy osta entièrement la douleur, mais elle revint sur le soir, trois ou 4 heures après, trois saignées rien pour la douleur pour régler le pouls, la seconde fit cet effet. (Ceci paraît noté dans une con- versation avec Domat.^)
Lavement de [V hôpital de] la Charité pour la colique. ...M. Ho- mes l'a fort conseillé à M. Pascal, 10 grains ou douze avec demy once de diaphœnic ou bien six grains de scamonnée et X. de mercure doux dans la conserve de rose et un verre de ptisane de senne par dessus
— M. Pascal a été saigné cinq fois des bras pour sa colique.
M. Brayer a proposé de le purger avec trois 5mes [3 drachmes] de senne infusées dans une chopine d'eau de veau fort légère, c'est-à-dire l'eau de veau ou bien l'eau de casse l .
M. Renodot est d'avis qu'on le purge avec deux ou trois drachmes de senne dans une décoction de tamarind et de ci- chorrée, c'est-à-dire chopine, et dissoudre dedans lamoesle et les pépins d'un quarteron de casse pour deux prises, une à six heures, un bouillon à 8. et l'autre à midy.
M. Homes, de le purger dans une infusion de deux drachmes de senne et dissoudre dedans six drachmes de catholicon double pour une prise
M. Pascal a esté purgé avec trois drachmes de senne, une once de tamarind infusées dans une chopine d'eau de ci- chorée dans laquelle on faisoit dissoudre deux onces de manne. Il en prit une prise dans de grandes douleurs, qui osta les douleurs comme un enchantement, l'autre une heure après,
i. Le a3 décembre 1666, Brayer disait à Vallant qu'il ne se souve- nait plus d'avoir vu M. Pascal.
308 ŒUVRES
et cela le purgea bien. (Les douleurs revindrent1.) On changea et on donna la première prise sans manne et une heure après l'autre avec une once de manne seulement. Gela fit plus faire
de glaires
Pour la colique, M. Homes a dit chez M. Pascal qu'une once de lenitif fraichement prise dans la boutique du frère apotiquaire des Minimes par un Minime qui avoit une coli- que depuis longtemps très violente fut guary. [Il a proposé pour Mr Pascal i o grains (barré)] ... un verre de petit laict dans lequel on avait dissous six drachmes de syrop de nénuphar et autant de syrop violât guérit un homme de la colique...
M. Pascal sera demain 8 aoust(?) purgé avec ?ij [2 drachmes] senn[œ], Hi [/ once] medull[œ ]cass[iœ] cam acinis infus[is] in cyato ptysanœ : in colatura diss[olve] mann[œ] jvj [6 drachmes]; il a esté purgé 4 fois avec cela avec quelques tranchées.
(Lettre d'Eusèbe Renaudot.) 11 n'y a aucun risque à faire rece- voir à Monsieur Pascal un lavement avec deux onces de vin eme- tique, une once de lenitif fin et deux onces de miel de nenu- far dans la décoction cy devant ordonnée, mais je prefererois le purgatif sans lequel vous n'aurez jamais raison de l'im- monde de tout le bas-ventre qui ne demande qu'à estre éva- cué par vostre médecine demain matin en deux prises dans quatre heures d'intervalle entre la première et la seconde. Il faut qu'il y ait de notables obstacles pour vous empescher de le donner comme nous avons résolu. Et vous n'en demeurerez pas là ; si besoin est, nous l'aiguiserons mesme aux autres fois avec quelques onces de nostre vin. Je suis tout à vous et vostre très obéissant serviteur. E. Renaudot.
(Lettre d'Hommets 2.) Si les douleurs continuent et empeschent le dessain de la purgation, il est nécessaire que les lavemens la supléent, mais j'aurois peur dans les grandes douleurs d'y
1. Cette indication est donnée en surcharge.
2. Cette lettre d'Hommets serait, selon le Dr Potel, une réponse à l'avis de Renaudot.
MORT DE BLAISE PASCAL 309
mettre le vin emetique, car le dessain doit estre seullement(?) en ce tems la de les adoucir : si n'estoit dans quelque intervalle plus doux, auquel cas on pourroit y en adjouster deux ou trois onces. Homes. (Au dos : Pour l'emetique : M. Homes et M. Rcnodot sur le sujet de M. Pascal.)
La médecine que Mr Valot ordonna à Mr Pascal, le vin et la poudre emetique n'ayant rien fait dans son transport ^iij [3 drachmes] de senne, le poids d'un escu de crème de tartre et autan de cristal minerai ; mettre cela dans un bouillon ordi- naire, le faire boullir après deux ou trois bouillons ; et y dissoudre en suitte deux onces de manne et en donner au malade deux ou trois comme cela dans le jour1.
II. — DOCUMENTS RELATIFS A L'INHUMATION DE PASCAL ET ÉLOGES FUNÈBRES
io CARTE D'ENTERREMENT DE PASCAL*
Vous êtes priés d'assister au Convoi, Service et Enterrement de défunt Biaise Pascal, vivant Escuyer, fds de feu messire Estienne Pascal, conseiller d'Estat et Président en la Cour des Aydes de Clermond-Ferrand ; decedé en la maison de M. Perier son beau-frere et Conseiller du Roy en ladite Cour des Aydes, sur les fosses de la porte Saint Marcel, près les Pères de la doctrine Chrétienne; qui se fera lundy 21e jour
1. Cette consultation date, semble-t-il, du 17 août. La note manus- crite suivante écrite sur un exemplaire des Pensées, édition de 1670, qu'a signalé l' Intermédiaire des chercheurs et curieux, 1875, T. VIII, col. 383 (cité par Jovy, Pascal inédit, T. I. p. 267) indique que l'au- topsie fut faite par Vallant. « Monsieur Pascal estant mort, M. Val- land, médecin de Mme la princesse de Conti (sic), fit la dissection de sa teste. Il la trouva sans suture, comme le sont celles des femmes, ce que j'ai appris de Monsieur Perier, beau-frere de feu M. Pascal. » — Sur cette autopsie cf. la Vie de Me Perier, supra T. I, p. i35 sq.
2. Ce billet, qui se trouvait mis sous verre « dans le Cabinet d'un Magistrat » avec le billet d'enterrement de Descartes, fut publié poui la première fois dans le Journal de Paris du 4 avril 1783 (n° 9/1).
3i0 ŒUVRES
d'Aoust 1662 à dix heures du matin en l'Esglise de Saint- Estienne-du-Mont sa Paroisse et lieu de sa sépulture, où les Dames se trouveront s'il leur plait.
a» ACTE D'INHUMATION DE PASCAL 1
Le lundi 21. d'aoust 1662 fut inhumé dans l'église deffu net Biaise Pascal, vivant Escuyer fds de feu Me Etienne Pascal, conseiller d' Estât et président de la Cour des Aydes de Cler- mond-Ferrand. 5o prêtres. Reçu : 20 francs (Saint-Etienne- du-Mont, Etat civil de l'Hôtel de Ville de Paris).
3o ÉPITAPHES A. — Copie de l'épitaphe qui est sur le tombeau de M. Pas- cal, gravée sur une tombe de marbre, dans l'Eglise de Saint- Etienne-du-Mont, à Paris (Bibliothèque Nationale, ms. f. fr.
12449, P- 9'9)-
Hic jacet Blasius Pascal Glaromontanus, Stephani Pas- cal, in suprema apud Arvernos subsidiorum Curia Praesidis, filius, post aliquot annos in severiori secessu et divinse legis meditatione transactos féliciter et religiose in pace Ghristi vita functus, anno 1662. aetatis 3g. die 19. Augusti. Optas- set ille quidem prse paupertatis et humilitatis studio etiam his sepulchri honoribus carere, mortuusque etiamnum latere qui vivus semper latere voluerat. Verum ejus hac in parte votis cedere non potuit Florinus Perier, in eadem Subsidio- rum Curia Gonsiliarius ac sorori Gilbert^: Pascal matrimo- nio junctus, qui hanc ipse tabulam posuit, indicem sepulchri et suae in illum pietatis. Parcet tamen laudibus quas ille summopere semper aversatus est, et Christianos ad Christiana precum officia, et sibi, et defuncto profutura, cohortari satis habebit.
Cette épitaphe n'était sans doute pas encore gravée, le
1. Note 7019 de Rochebilière, Bibliothèque Nationale, ms. n. acq. f. 3621, apud Jovy, Pascal inédit, T. I, p. 436.
MORT DE BLAISE PASCAL 311
5 août i663!. A cette date, dans son testament, MmePerier prie son mari de faire poser à Sl-Étienne-du-Mont « une tombe de pierre où sera mis le nom du défunt sieur son frère, en la manière qu'il sera avisé par ledit sieur Perier, sans qu'il soit fait aucune mention de ladite testatrice ». Mais l'inscription était en place à la fin de i665, puisque ce fut à cette occasion que l'archevêque de Paris fit une enquête auprès de Beurrier. En 1684, l'édition des Pensées dit que Pascal est enterré « près la Chapelle de la Vierge à main droite, près du coin du Pi- lier de la mesme Chapelle : l'Epitaphe est à terre, mais elle est effacée ».
B. — Bossutdonne le texte d'une autre épitaphe, légèrement différente de celle-ci et qui paraît avoir été apposée plus tard. Elle était d'abord appliquée au pilier de la chapelle de la Vierge ; elle fut placée ensuite au bas de l'église, au-dessus de la porte latérale, à droite :
Pro columnâ superiori, Sub tumulo marmoreo,
Jacet Blasius Pascal Claromontanus, Stephani Pascal in Supremâ apud Arvernos Subsidiorum Curiâ Praesidis films,
1. Sur l'histoire de ces épitaphes, cf. Raunié, L'epitaphier du Vieux Paris, igoi,T. III, p. 633; et Jovy, Pascal inédit, T. I, pp. 4i2 et 56o. — Le 2 ventôse an VIII, l'administration municipale du 12e ar- rondissement de Paris écrivit à l'administration centrale du départe- ment : « Citoyens, votre temple décadaire, ci-devant l'église S t-E tienne du Mont, renferme les restes de Biaise Pascal et de Jean Racine. Le citoyen Lenoir, conservateur des monuments français, nous a demandé le 24 pluviôse dernier l'autorisation d'exhumer ces deux hommes cé- lèbres et de les placer dans le jardin Elysée destiné à cet usage par l'arrêté du Directoire exécutif du iï\ germinal an VII. Le motif est trop respectable pour ne pas mériter votre assentiment, dès que nous l'aurons obtenu nous nous empresserons de nous rendre au vœu du
citoyen Lenoir. Salut et fraternité » Le i4 septembre 181 7, le
ministre de l'Intérieur ordonna que la pierre tumulaire de Biaise Pascal fût retirée du dépôt des Petits-Augustins « pour être relevée
312 ŒUVRES
post aliquot annos in severiori secessu et divinae legis me ditatione transactos, féliciter et religiosè in pace Christi vitâ functus anno 1662. aetatis 39, die 19. Augusti. Optasset ille quidem pra3 paupertatis et humilitatis studio etiam his sepulchri honoribus carere, mortuusqueetiamnùmlatere, qui vivus semper latere voluerat. Verùm ejus hac in parte votis cùm cedere non posset Florinus Perier in eâdem Subsidiorum Curiâ Consiliarius, ac Gilbertae Pascal, Blasii Pascal sororis, conjux amantissimus, hanc tabulam posuit, quâ et suam in illum pietatem significaret, et Christianos ad Ghristiana pre- cum officia sibi et defuncto profutura cohortaretur.
G. — D'autres épitaphes ont été composées, qui ne furent pas gravées sur la pierre. Celle qui suit a été imprimée en 1662, puis réimprimée dans l'édition des Pensées de 1684. Elle a été composée par Aimonius (ou Aimé) Proust de Ghambourg, professeur de droit à l'Université d'Orléans, mort en 1706.
NOBILISSIMI SCUTARII BlASII PaSCALIS TuMULUS.
D. 0. M.
Blasius Pascalis Scutarius Nobilis,
Hic jacet. Pietas si non moritur, seterne vivet :
Vir Gonjugii nescius, Religione sanctus, virtute clarus,
Doctrinâ celebris, Ingenio acutus, Sanguine et animo pariter illustris,
dans l'Eglise de Sf-Etienne du Mont où reposent les cendres de cet illustre écrivain » (Bibliothèque municipale du XVIe arrondissement, ms. 61, pp. 96 et 97, collection Parent de Rosan, copies prises dans les Archives de l'Hôtel de Ville, carton 1574).
MORT DE BLAISE PASCAL 313
Doctus, non Doctor, ^Equitatis amator, Veritatis deflensor, Virginum ultor, Christianae Moralis Corruptorum acerrimus hostis. Hune Rhetores amant facundum, Hune Scriptores norunt elegantem, Hune Mathematici stupent profundum, Hune Philosophi quœrunt sapientem, Hune Doctores laudant Theologum, Hune Pii venerantur austerum, Hune Omnes mirantur, Omnibus Ignotum
Omnibus licet Notum: Quid plura viator, quem perdidimus Pascalem, Is Ludov. erat Montaltius ! Heu! Satis dixi, urgent lacrymae, Sileo. Ei, qui bene precaberis, bene tibi eveniat, Et vivo et mortuo.
Vixit an. 3g. m. 2. obiit an. rep. sal. 1662. 14. Kal. Sept. Qasto nasxocAtoç ; Osu ; «peu; nevxoç ogov.
Posuit A. P. D. G. mœrens Aurelian. Ganonista.
D. — Hermant attribuait à tort l'épitaphe qui précède à un lyonnais, Costar, chevalier d'Ossari. Peut-être Costar est-il auteur de cette autre épitaphe que nous a transmise le ms. f. fr. 12449 de la Bibliothèque Nationale, f° A.
D. 0. M. Epitaphium. Siste gradum Viator, Attende, Lege, Profitere.
314 ŒUVRES
Heu ! jacet in tenui monumento Blasius ille
Pascalis, Saecli gloria, honorque sui. Invida Mors vita?, qua? debuit esse perennis,
Ultima prsecipiti stamina falce scidit ; Auratam avulsit Linguam, vocemque repressit,
Gui fandi semper copia danda fuit ; In tenebras jecit Lumen, quod ubique micare
Debuit, et radios pandere ubique suos ; Quem nibil in tota potuit corrumpere vita,
jVIox tandem in cineres ipsa redegit Eum. Si qua movet pietas, hic paulum siste, Viator, Te precor, et tanti tu memor esto Viri !
h° ÉLOGES FUNÈBRES
A. — Nicole. Elogium D. Blasii Paschalii (ier Recueil Guerrier, p. 70)*.
Ingenium Paschalii etsi communis eruditorum fama cele- braverit, quale tamen et quantum esset paucis omninô notum fuit. Non enim eruditione multiplici laborisque diligentiâ censendum est ; sit doctorum vulgaris illa laus, non ejus sane qui ad inveniendas potius quam ad discendas scientias natus erat : quippe quod aliis ex antiquorum monumentis haurien- dum est, ex uberrimo proprii ingenii fonte patebat.
Valuit quidem memorià ad prodigium usque, sedeàrerum potius quam verborum, ut niliil unquam semel ratione com- prehensum sibi excidisse non jactanter diceret. Propria ergo Paschalii praestantia in mente sita est, quamita vastam, luci- dam et sagacem habuit, ut haud scias an ullum fais animi
1. « J'ai transcrit cet éloge sur le ms. de M. Nicole où il y a plu- sieurs ratures ; j'en ai trouvé une copie où on lit ce que j'ai écrit à la marge de la page précédente. La traduction française de cet éloge que j'ai trouvée parmi les papiers de Mlle Perier s'accorde avec cette copie. Je l'ai transcrite dans un autre caver. » (Note de Guerrier.) — Un texte plus court se trouve au ms. 12^9 de la Bibliothèque Natio- nale.
MORT DE BLAISE PASCAL 315
dotibusparemhabuerit, superiorem certe non habuit. Ilinc illa existcbat incredibilis pcrspicacia et stupendus in indaganda veritate et penetrandis rei cujusque recessibus sensus acutus adeo exquisitus ut quantum alios videtur fugere, tantum se veritas illi facilem et nudam ultro prœbere videretur. Hinc illa in explicandis seu voce seu scripto scnsibus eloquentia ardens et incitata non contentione quadarn, sed ipsa vi et luce veritatis exquisitis item ac vividis verbis et sententiis abundans, iisdemque sponte fluentibus et naturœ potius facilitatem quam artis industriam redolentibus.
Nec deerant tamen artis prœcepta, non illa quidem vul- garia qua3 in libris exlant, sedalia longe severiora et recon- ditiora quœ sibi ipse ex ipsâ naturâ expressa formaverat, qui- busque in dijudicandis et suis et aliorum scriptis féliciter utebatur. Atque adeô eum in nonnullorum scripta qua3 pro elegantibus circumferuntur, severius libebat inquirere, tôt in illis nsevos ad oculum demonstrabat ut judicium ultrô suum reprehenderent quibus illa nimiùm placuerant. Sed quam rarô in alienis operibus, liane in suis semper adhibebat severita- tem, uteamdem saspe scriptionem, quam vel ab initio abso- lutam undique casteri judicaverant, sexies ac decies facere de integro non cunctaretur : adeô ex fecundissimae mentis sinu novae subinde cogitationes alias aliis ornatiores efïlorescebant.
Geometriam ac cœteras Matheseos partes cum puerulus sine magistro didicisset, et pêne dixerim excogitasset, ado- lescens supra omnes magistros excoluit, nec impari gradu pro- vehebatur in Physicis, ni illarum disciplinarum inanitatem pertœsus, earum studia juvenis penitus abjecisset, exinde se totum in Theologiam morumque disciplinam contulit, quam unam Christiano, immo homine, dignam esse censebat. Nec verô in illa aut ostentationem doctrinae aut curiositatis vo- luptatem quœsivit, sed vivendi tantum normam et caritatis alimcntum. In Sacris Litteris tractandis ac meditandis sic assiduus fuit, ut illas pêne memoriter teneret. Supplente vires imbecillocorpori Religionis amore, quam unam habe- bat in animo, colebat, amplectebatur. Eam quantum mente
316 ŒUVRES
penetravit, tam sedulo moribus exprimere conatus est : quos ipsa natura ingenuitate mire suaves, sinceros, castos, in pro- clivi fecit, aspirante gratiâ habere Ghristianos.
Quanquam autem post relictas vigesimo quinto aetatis anno saeculares litteras, ad quindecim insuper annos vitam pro- traxerit, vix tamen tribus aut quatuor tolerabili valetudine usus est, atque in iis lucubrationibus collocavit, quas nullum licet auctoris nomen praeferentes, ipsi tamen non ambiguus doctorum consensus asseruit : ita proprio nec ullis imitabili dicendi caractère insignitae sunt. Sed longe majora ad Pieli- gionis gloriam moliebatur, cum praematura morte intercep- tus, anno 1662. aetatis 4o. ingens bonis omnibus sui deside- rium reliquit.
B. — Excerpta ex » Heroum poemate » encomia l (Biblio- thèque Nationale, ms. 12449, P- 9*7Y-
Nunc aperi, Montalte, diu ignoravimus omnes,
Et nomen, patriamque ; tuos dicemus honores.
Te lepidus cselo tollit jocus. Aspera tractas
Molliter, insanos doctus suspendere naso
Doctorum mores risuque retexere fraudes.
Nam tibi quam nitida est, felix, simplexque venustas !
Plaudite nunc, nomen, novus incola misit ab astris
Nil sibi jam metuens Pascalius. Ille, magister
Et dux ipse sui, totas in se invenit artes.
Non illum docuere anni, non improba cura,
Sedulitasque, laborque. Ànimis vulgaribus illa est
Débita laus. Gognata altse sapientia menti
Effudit sese, caelestis prodiga doni.
Posterior doctrina venit, nam sponte latentes
Explicuit natura sinus, non ausa repostas
Glaudere opes ; illi sese ultro cuncta profundunt.
1. Nous ignorons l'origine de cette pièce, que reproduit aussi le Ier recueil Guerrier, p. 5o.
MORT DE BLAISE PASCAL 3i7
Religio blandis dudum velata sub umbris Sese nudam aperit veteremque agnoscit alumnum. Quin quoque deposito Mathesis penetralia vélo Exhibuit, variae inde artes et mille stupendi Prodigia ingenii, priscis incognita sœclis. Tum mihi musa inquit : « Nil vidi doctius unquam. Nam totos hausit nostro sine numine libros. Sed me, quandoquidem docuisti plura, docebis Quid vult illa recens operosae fabrica mentis. Hanctenet in manibus. » — « Parva est ea machina, dixi, Sed longe Archimedem superat, licet ille figura iEmulus in parva totum collegerit orbem. Artis majus opus fuit ultima meta laborum. Machina mille rôtis implexa, et mille caducis Ponderibus, numéros facili motu exprimit omnes Sunt propriae sedes numerorum, sedibus illis Respondet rota, quse motum, si postulet ordo, Omnibus aut paucis, dextra vertente, ministrat ; Nam diversa omnes faciunt commercia gyri. Si tibi centenis collecta pecunia surgat Jugeribus, poteris totam tibi sistere summam. In sphœra moti orbiculi sua puncta révélant. Quosque nequit toties cruciatus calculus, implet Difficiles numéros, et temporis amputât omnes Prompta moras, domino semper secura rotanti. Bisdenos juvenis nondum compleverat annos, Cum mentis locuplete sinu illas eruit artes. Mens tandem ruptis solvit se libéra vinclis, Corporis impatiens, et sese reddidit astris.
III. — LES PORTRAITS ET LA BIBLIOTHÈQUE DE PASCAL
Iconographie de Pascal. — Aussitôt après la mort de Pas- cal, on prit un moulage de ses traits, aujourd'hui encore con- servé, grâce auquel fut fait le portrait du peintre Quesnel,
318 ŒUVRES
souvent reproduit. Ce portrait appartient aujourd'hui à M. le marquis Doria1. Edelinck en fit la gravure. On connaît encore un dessin à la sanguine, fait par Domat sur la couverture inté- rieure d'un Digeste et une peinture d'Aurillac qui porte sur la toile la date de i658 (cf. A. Gazier, Port-Royal au xvne siècle. Paris, Hachette, 1909, et Albert Ojardias : Divers portraits de Pascal et des siens, Paris, Champion, 19 10).
Bibliothèque de Pascal. — Cette bibliothèque avait été transmise à Marguerite Perier et elle fut donnée par elle, sans doute vers 1 7 1 5, au bénédictin dom Jean Guerrier, prieur de l'abbaye de Saint-Jean-d'Angély. Il envoya tous les manu- scrits de Pascal à Saint-Germain-des-Prés, à l'exception de la première copie des Pensées, qu'il ne donna qu'en 1731 2. Il fit relier les brochures et les feuilles volantes, et installer les livres dans des bâtiments qu'il fit construire. Là fut trans- portée aussi en 1744 la bibliothèque de Fénelon. Vers i855, Faugère rechercha ce qu'avaient pu devenir les livres de Sf Jean-d'Angély ; il apprit qu'au début de la Révolution ils
1. Le Père Guerrier, dans son 3e recueil, p. 2g3, note une con- versation qu'il eut, vers 1782, avec Marguerite Perier : « Mademoi- selle Perier m'a dit que M. Pascal, son oncle, portoit toujours une montre attachée à son poignet gauche. Quand M. Quesnel, frère du Père Quesnel, eut fait le portrait de M. Pascal qui estoit mort depuis plusieurs années, on montra ce portrait à un grand nombre de personnes qui avoient connu ce grand homme. Tous le trou- vèrent parfaitement ressemblant. MUe Perier le fit voir à un horloger de Paris qui avoit travaillé assez souvent pour son oncle, et lui de- manda s'il reconnoissoit ce portrait. C'est, dit l'ouvrier, le portrait d'un monsieur qui venoit icy fort souvent faire raccommoder sa mon- tre, mais je ne sçai pas son nom. »
2. Cf. domTassin, Histoire littéraire delà Congrégation de S1 Maur, Bruxelles, 1770, p. 786 : « Il se réserva le manuscrit des Pensées de M. Pascal, parce qu'il en contenoit qui n'avoient pas pu être imprimées. Il envoya ce recueil à Dom Alaydon Général de la Congrégation, quelques jours avant sa mort ». Il s'agit évidemment de la première copie des Pensées que, dès 1723, dom Guerrier entendait léguer à S1 Germain des Prés (cf. Pensées, T. I, p. iv, et la note).
MORT DE BLAISE PASCAL 319
avaient été transportés, les uns à Saintes, quelques autres à La Rochelle. Il se fit même donner alors par l'évêque de La Rochelle treize ou quatorze recueils de pièces provenant de l'ancienne abbaye, qui étaient considérés comme ayant appar- tenu à Pascal et qui se trouvaient alors dans la « Salle infer- nale » du grand séminaire. Le plus grand nombre des livres de Pascal fut sans doute transporté à la bibliothèque municipale de Saintes, détruite en grande partie par un incendie en 1871. De très nombreux livres de théologie ont été sauvés des flammes, et il est probable qu'il y a encore là quelques débris du dépôt de 1710 ; mais les recherches qu'ont bien voulu faire M. A. Perrot et le bibliothécaire de Saintes, M. Dangibeaud, n'ont permis de relever aucune indication d'origine sur les volumes, examinés d'après les indications du catalogue dressé en i885.
320
1 LETTRE DE WALLON DE BEAUPUIS A HERMANT i
[19. Août 1662.]
Le malade que nous avions icy a quitté ce monde envi- ron une heure après minuit, ayant esté vingt-quatre heures en léthargie, dans laquelle il estoit tombé lors qu'on ne s'en defioit nullement, les médecins ayant avoué qu'ils n'avoient jamais esté plus surpris, quoy que plu- sieurs des plus habiles l'eussent veu le soir mesme avant que cela arrivast. Elle commença par une horrible convul- sion, qui luy prit hier après minuit, une heure ou deux après que ceux qui avoient accoutumé d'estre auprès de luy se furent couchez, hors deux personnes qui estoient restées pour le garder. Ces personnes, merveilleusement étonnées d'un accident si épouvantable, et si inopiné, éveillèrent toute la maison en sursaut. On y entendit aussi- tost de grands cris et des gemissemens tout à fait pitoya- bles. Je m'eveillay à ce bruit, et estant descendu au plus vite, je vis tout le monde dans la plus grande désolation que l'on se puisse imaginer. Je m'approchay du malade, que l'on tourmentoit pour tascher de le reveiller de son assoupissement. Cela réussit. Je luy dis quelque parole et 2envoyay aussi-tost quérir M. le Curé..., qui l'avoit déjà
1. La copie de cette lettre se trouve dans les Mémoires d'Hermant, T. V, p. 5i5. Wallon de Beaupuis, revenu à Paris après la dispersion des Petites Ecoles de Port-Royal, s'était chargé de l'éducation des deux plus jeunes enfants de Madame Perier, et demeurait chez elle.
2. Variante de la copie ancienne des Mémoires d'Hermant : II envoya chercher.
MORT DE BLAISE PASCAL 321
vu et à qui il s'estoit confessé plusieurs fois durant sa maladie, pour luy apporter les sacremens. Il les luy apporta incontinent, et le malade les ayant receus avec connois- sance et beaucoup de dévotion, il perdit un quart d'heure après la parole et la connoissance, et n'en a point eu depuis. Ce qui nous a donné lieu de croire que Dieu ne les luy avoit rendues durant ce petit intervalle que pour luy faire recevoir les sacremens, qu'il avoit commencé de demander, au moins celuy de la Sainte-Eucharistie, plus de quinze jours auparavant, et que les médecins avoient tousjours empesché de luy donner, ne jugeant pas qu'il y eust rien qui pressast. M. le Curé a tesmoigné avoir esté extraordinairement édifié de sa mort, aussi bien que M. de Sainte-Marthe, qui l'a vu quelques fois durant sa maladie. C'est un grand sujet de se consoler de sa mort; mais cela n'empesche pas que sa sœur n'en soit touchée à un point que je ne puis exprimer. G est encore une personne d'im- portance que Dieu nous a enlevée. Il n'est pas aisé de comprendre ses desseins ; mais il faut estre persuadé qu'ils sont très justes et les adorer.
II
LETTRE DE LA MÈRE AGNÈS À MADAME PERIER 2
Gloire à Jésus au Saint- Sacrement.
[Ce 20. Août 1662.] Je desirerois que vous vissiez mon cœur ; vous y ver- riez, ma tres-chere sœur, les sentimens de douleur que je dois avoir de la perte que nous avons faite, et l'extrême compassion que j'ay de la vostre qui est incomparable.
1 . Leçon de l'autographe d'Hermant ; la copie ancienne donne devant.
2 . La copie de cette lettre se trouve dans le premier recueil manu- scrit du Père Guerrier, p. 625.
2e série. VII 21
322 ŒUVRES
J'aurois sujet de croire que ce billet vous seroit plustost une peine qu'un soulagement, n'ayant que des paroles foibles et trop inégales au sujet pour lequel je vous le fais, si je n'avois prié Dieu auparavant de vous le rendre agréable, et de souffrir que je vous représente ce que vostre foy vous met devant les yeux, mais qu'ils ne peuvent voir parce qu'ils sont trop offusquez de larmes qui noyent en vous toutes ces consolations que vous pourriez prendre dans une mort aussi heureuse que celle que nous pleu- rons. Mais je n'ay garde de croire que le fond de vostre cœur ne soit dans la soumission que vous devez à Dieu, qu'ainsi vous ayant fait luy-mesme une si grande et si profonde plaie, il ne trouve moyen de la guérir, en vous faisant profiter d'une occasion aussi extraordinaire et aussi unique que celle-cy. Ce sera, ma chère sœur, lorsque par un effet de sa grâce, qui est aussi puissante qu'elle est incompréhensible, il changera vostre trouble en une paix, en considérant que l'affection que vous aviez pour ce cher frère, quelque grande et extrême qu'elle fut, ne pouvoit aller jusques à luy procurer autant de bonheur que celuy qu'il a receu en immolant sa vie à Dieu dans des disposi- tions toutes chrestiennes et toutes saintes. Ces pensées, ma chère sœur, n'empeschent pas que la nature ne souffre, puisqu'il est impossible qu'elle ne soit déchirée par une si rude séparation ; mais elles calment l'esprit et empes- chent les raisonnemens qui se présentent, quiproduiroient toujours de nouvelles douleurs. Et c'est encore ce qui oblige une ame qui écoute Dieu dans ces rencontres, de luy dire avec le prophète : Je me suis tu, et je n'ay point ouvert la bouche, parce que vous l'avez j ait.
Vous estes seule, ma chère sœur, à recueillir la succes- sion d'un frère et d'une sœur qui estoient riches des biens de Dieu, qui sans doute les fera passer en vous, si vous
MORT DE BLAISE PASCAL 323
voulez bien les acheter au prix de vostre solitude, et de la privation où il vous met de ces chères personnes ; si ce n'est qu'on ne peut appeler une privation, ny un vérita- ble eloignement, une absence qui vous les rend plus pre- sens qu'ils ne pourroient estre estant dans le monde, puis- que Dieu estant partout, vous les trouverez toujours en luy dans lequel ils vivent. Et de mesme que vous tiendrez la place de ces deux personnes qui nous ont esté si intimes, c'est ce qui nous obligera de recueillir en vous tous les senti- mens d'affection et de respect que nous avions pour elles. Faites-nous l'honneur, ma chère sœur, d'accepter l'offre que je vous en fais, et de croire que je seray tousjours, avec une entière sincérité, ma chère sœur, vostre... en J. G.
Sœur Agnes, Rse ind.
III
LETTRE DE M' DE LALANE ABBÉ DE VALGROISSANT A MUe PERIER, SOEUR DE M' PASCAL i
ce 20. d'Aoust^
Mademoiselle, Si j'avois la liberté de sortir, et que je ne fusse pas maintenant si éloigné de vostre quartier, je ne manque- rois pas d'aller pleurer avec vous la perte si affligeante de M. Pascal, et vous tesmoigner combien je suis touché d'un si terrible accident et pour vous et pour nous tous. Je n'y puis penser, ny vous en écrire que les larmes à l'œil. C'est peu de le regretter pour ses proches et ses amis, il le faut regretter pour toute l'Eglise. Tous ceux qui sçavent ce qu'il avoit fait et ce qu'il pouvoit faire et auroit fait, ne peuvent s'en consoler qu'en adorant la
1 . Copie au deuxième recueil manuscrit du Père Guerrier, avec cette note : « copié sur l'original » .
3i4 ŒUVRES
Providence de Dieu, qui l'a voulu oster de ce monde pour sa gloire, et pour recompenser sa pieté et ses travaux. Je vois, Mademoiselle, que toute autre veue que celle-là ne peut que vous accabler, et qu'on ne peut avoir plus de raison que vous d'estre affligée. Dieu nous sépare tous et nous sépare de tout. C'est luy seul que nous devons re- garder pour posséder tout en perdant tout. Je le prie d'estre vostre consolateur et vostre appuy. Disposez de moy et de tout ce qui est en moy. Je vous asseure que rien ne peut m'estre plus cher que la mémoire de Mon- sieur vostre frère et l'interest de tous les siens. Je n'avois point besoin de lettre pour vous le faire connoistre ; vous connoissez mon cœur, et ne pouvez pas ignorer que je suis et seray toute ma vie, vostre, etc.
IV
EXTRAIT D'UNE LETTRE DE LA MÈRE AGNÈS À MADAME DE FOIX, COADJUTRIGE DE SAINTES »
[Ce 20. Août 1Ô62.]
Nous sommes d'ailleurs dans une douleur sensible
de la mort d'un de nos meilleurs amis que nous perdis- mes hier. G'estoit un vray serviteur de Dieu, fort zélé pour la vérité, encore qu'il ne fust que laïque ; Dieu luy a fait des grâces singulières en sa mort dont le Curé, qui l'a assisté est dans l'admiration, encore qu'il ne soit pas janséniste, comme on appelle les gens de bien. Nous recommandons tres-humblement à vos prières le deffunt, qui en a besoin pour effacer ses taches, afin qu'il soit digne de se présenter devant Dieu : et une sœur qu'il laisse dans une affliction inconsolable parce qu'elle i'ai- moit uniquement
1. Copie à la Bibliothèque de l'Arsenal, n° 3544, lettre 271.
MORT DE BLAISE PASCAL 325
EXTRAIT D'UNE LETTRE DE LA MÈRE AGNÈS À MADAME LA MARQUISE DE SABLÉ i
Gloire à Jésus au Tres-Saint-Sacrement .
Ce mardi 22. Août [1662].
Pourriez-vous croire, ma tres-chere sœur, que je fusse insensible à la perte que vous avez faite et qu'en pleurant la nostre propre et celle que l'Eglise a faite d'un de ses plus fidèles défenseurs, je ne me fusse pas représenté le regret que vous auriez de vous trouver privée d'une con- solation si douce comme celle que vous receviez d'une personne qui vous honoroit, non pas comme tant d'autres qui ne considèrent que ce que vous méritez par des qua- lités singulières, mais qui vous regardoit par les yeux de la foy, ce qui luy donnoit un zèle et un amour pour vostre ame qu'il auroit voulu servir aux dépens de sa vie? Et c'est ce qui vous fait ressentir cette solitude terrible, de vous voir délaissée d'un ami si fidèle qui ne laisse point son semblable après luy, excepté les autres qui ont le ca- ractère aussi bien que la charité et l'affection pour vostre salut. Je prie Dieu ma chère sœur, qu'il remplisse ce vide, et qu'il fasse par luy-meme ce qu'il faisoit par cet instrument de sa grâce et de sa miséricorde sur vous...
1. Lettre donnée d'après l'édition Gillet-Faugère, T. II, p. 68. — L'abbessede S1 Àmand de Rouen, Eléonore de Souvré, nièce de la marquise de Sablé, lui écrivait, peu de jours après la mort de Pascal : « J'ay apris avec douleur la mort de M. Pascal, parce que je n'ay point douté qu'elle ne vous touchât » (Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. 17048, f. 60, apud Potel, op. cit. p. 32/i).
326 ŒUVRES
VI
LETTRE DE M. DE SACY A MADEMOISELLE PERIER »
Ce 24. Août 1662.
Mademoiselle, si nous estions en un autre temps que celuy-cy, je n'oserois pas me donner l'honneur de vous dire ce que je vous escris dans cette lettre. L'affliction qui vous est arrivée, Mademoiselle, est si grande, que les paroles des hommes sont sans doute peu utiles pour la soulager ; car encore qu'il y ait quelque satisfaction dans nostre douleur de voir qu'elle soit sensible à beaucoup d'autres, néanmoins lorsqu'elle est aussi grande et aussi juste qu'est la vostre, il est bien difficile, sur tout dans les commencemens que l'esprit s'occupe d'aucune autre chose : les circonstances mesme d'une si grande perte sont encore pénibles et affligeantes ; car la mort d'une Sœur qui vous estoit chère pour tant de raisons, et dont la vie pouvoit estre si utile, a esté suivie de bien près de celle d'un frère que tant d'excellentes qualités avoient rendu digne de l'estime et de l'amitié que vous avez eue toujours pour luy. Je ne doute pas, Mademoiselle, que vous n'ayez éprouvé en cette rencontre l'avantage que Dieu vous a donné de vous avoir attirée à luy depuis si long temps. A moins de cela il vous auroit esté bien difficile de trouver quelque soulagement à un si grand mal ; mais Dieu vous ayant fait la grâce de vous donner toute à luy, vous luy
1. Copie au deuxième recueil du Père Guerrier, p. 108 ; avec cette note : « copié sur l'original ». Le 17 mars 1678, Saci écrivait encore à M> Perier : « Je vous supplie, Madame, d'estre persuadée que je crois devoir à la mémoire de Mr Pascal et de feu Mr Perier qui ont tant aimé la vérité et ceux qu'ils ont crû l'aimer, tout ce qui peut dépendre de moy »
MORT DE BLAISE PASCAL 327
avez donné en mesme temps celuy qui ne vous estoit pas moins cher que vous-mesme ; et quoy que les ressentimens de la nature étouffent d'abord ceux de la foy, néanmoins je ne doute pas que Dieu ne devienne vostre consolateur, selon que l'Ecriture dit qu'il guérit lui-mesme la playe qu'il a faite : il aimoit celuy que vous aimés et c'en est mesme une marque que de l'avoir tiré à luy par une fin si chres- tienne, en un tems où ceux qui le connoissent véritable- ment ne voyent presque rien que de pénible ou de dan- gereux dans le monde, il l'a traité en cela comme d'autres que vous connoissiez, dont la mort est bien affligeante pour les leurs et heureuse pour eux-mesmes. J'espère, Made- moiselle, que Dieu recevant la soumission avec laquelle vous luy avez fait un si grand sacrifice, vous donnera part à la grâce qu'il a faite à celuy que vous regrettez, et qu'il remplira luy-mesme le vuide que la privation d'une per- sonne si chère fait dans vostre cœur. C'est ce que nous continuerons à luy demander pour vous et pour luy, afin que Dieu achevé de luy donner le parfait repos, et à vous cette paix et cette consolation qui n'est connue que de ceux qui l'aiment. Je suis en luy de tout mon cœur, Made- moiselle, vostre etc.
Signé, Sacy.
VII
LETTRE DE M' D'ANDILLY A M? PERIER, BEAU-FRÈRE DE M' PASCAL *
Ce 28. Aoûst.
Je vous escris de Paris où je suis venu pour voir Mlle vostre femme, et Mr et MUe Roanez sur le sujet de nos- tre commune perte. En vérité je puis bien la nommer
1. Copie au deuxième recueil du Père Guerrier, p. 88, avec cette note : « copié sur l'original » .
328 OEUVRES
ainsi, puis que quelque douloureuse qu'elle vous soit, je ne sçay lequel de nous tous la ressent le plus ; et quoy que ce que je dis semble d'abord assez étrange, il n'y a pas lieu néanmoins de s'en étonner ; un homme aussi extraordinaire qu'estoit celuy-là devant estre regretté d'une manière toute extraordinaire par ceux qui connoissent comme nous la grandeur presque incroïable de son mé- rite, sans mesurer nostre affection par les sentimens du sang et de la nature, comme l'on feroit pour un homme d'un esprit et d'une vertu ordinaire. La sienne a si fort paru telle, aussi bien dans les dernières heures de sa vie que dans le temps qui les avoit précédées, que nous ne l'aurions pas aimé véritablement, si nous ne répandions des larmes de joye aussi bien que de douleur dans la veuë de la félicité dont nous avons sujet de croire qu'il jouit maintenant. J'ay tant de choses à vous dire sur cela, et touchant son extrême amour pour la vérité qui luy estoit, comme vous sçavez, plus chère que sa vie, que je ne sçaurois assez vous tesmoigner quelle est mon impatience de vous voir, de vous embrasser, de pleurer avec vous ; et de me consoler avec vous ; les larmes et les consola- tions s'accordent fort bien ensemble en de semblables ren- contres. Hatez-vous donc, s'il vous plaist, M., de venir, et si lorsque vous serez arrivé, j'estois retourné dans le désert, je vous supplie, ne pensez pas vous pouvoir dis- penser de m'y donner une visite. Car, comment que ce soit, je ne puis du tout me passer de vous voir, estant aussi absolument à vous et du fond du cœur que j'y suis.
MORT DE BLAISE PASCAL 329
VIII
EXRAIT D'UNE LETTRE DE LA MERE ANGÉLIQUE DE St JEAN [A ARNAULD DE POMPONNE, SON FRÈRE, EXILÉ A VERDUN*]
29. Août 1662. Puisque nous vivons encore, il est juste que nous nous consolions ensemble, mon cher frère, de la mort de nos amis2. Je n'ay pas douté que vous ne Payez d'autant plus ressentie que Testât où vous estes ne favorise que trop la tristesse que des pertes semblables causeroient aux plus heureux. Mais il faut bien vouloir que Dieu comble de tout ce qui luy plaira la mesure de nos souffrances et de nos douleurs, puisqu'elle fera la proportion de ses conso- lations et de ses recompenses qu'il a promis d'y égaler, si l'on peut appeller égalité de nous donner cent pour un; et la vie bienheureuse et éternelle pour une affliction légère et d'un moment. Tout ce que je trouve d'avantageux à vostre solitude dans ces tristes occasions, est qu'elle vous donne lieu d'y faire plus de reflexion que vous ne pour- riez faire au milieu des occupations et des amusemens de la vie du monde, qui emportent d'ordinaire de l'esprit la semence que Dieu y jette par ces rencontres où il nous parle plus intelligiblement si nous l'ecoutions qu'il ne fait par la voix extérieure de l'Ecriture et des Sermons, qui ne frappent d'ordinaire que l'oreille; mais les afflictions touchent le cœur et frappent à sa porte, il ne reste qu'à l'ouvrir afin que Dieu y entre, et qu'il [le] remplisse de la joye et de la consolation qu'il a promise aux larmes. Il faut que je vous avoue que j'ay si fort souhaitté ce bon- heur pour vous en vous voyant dans l'accablement où il
1. Copie dans un manuscrit du xvine siècle ayant appartenu à Mlle de Théméricourt.
a. Maignard de Bernières, mort le 3i juillet, et Pascal.
330 ŒUVRES
est facile que vous vous trouviez quelque fois, que lisant un Ecrit de 80 *. en 55. pages qu'il avoit fait au com- mencement qu'il fut touché dans une grande maladie, il m'a semblé que c'estoit une peinture de Testât où vous estes, pourvu que Dieu y achevé les derniers traits qui est de vous y donner les mesmes sentimens. J'ay cru que l'es- time que vous faisiez de l'auteur, et l'utilité du sujet vous donneroit de la consolation de pouvoir vous entretenir avec luy mesme après sa mort, et l'entendre vous ouvrir le fonds de son cœur; c'est pourquoy je vous l'envoyé, et vous le pouvez garder si vous voulez, quoyque 900. - m'eust dit que quand vous l'auriez vu, il seroit bien aise que vous luy envoyassiez ; mais je croy que ce n'est que pour ne m'en pas demander une copie qu'il m'a dit cela, et il est facile de luy en faire. Il a esté cinq ou six jours pour ce triste sujet, et en s'en retournant hier il me laissa ce petit bil- let pour vous, que je luy dis que je mettrois dans mon pa- quet... Dans ce retardement Dieu vous peut délivrer aussi bien que nos deux amis qu'il a retirez dans le secret de sa face du trouble des hommes, et il n'y a de véritable repos que celuy où l'on entre par la mort qui est la porte d'une vie exempte des troubles et des changemensde celle-cy...
IX
LETTRE DE M. NICOLE A M. DE SAINT-CALAIS3.
Ce 3 Septembre [1662].
Il n'y a rien de plus extraordinaire que ma paresse. Je pense six fois le jour que je vous dois une response, et
1 . Le numéro 80 désigne Pascal ; il s'agit de l'écrit sur le Bon usage des maladies, cf. supra T. IX, p. 32 1.
2. Numéro qui désigne Arnauld d'Andilly, leur père.
3. Apud dom Denis, Lettres autographes de la collection de Troussures, 191 2, p. 58o, n° 592. 11 nous paraît très probable que tous les
MORT DE BLAISE PASCAL 331
ainsi ce n'est pas par oubli : j'ay peu d'affaires depuis nostre retour, et ainsi ce n'est pas manque de loisir; c'est donc une paresse toute pure et un abatement où me mettent tant d'estranges accidens, qui fait que je ne sçau- rois presque m'appliquer à rien : le dernier mort sera regretté de moins de personnes, parce qu'il estoit moins connu, mais il sera encore plus regretté de ceux qui le con- noissoient. Enfin l'on peut dire avec vérité que l'on a perdu un des plus grans esprits qui ait peut estre jamais esté. Je n'en voy point de comparables à luy : Pic de la Mirancle et tous ces gens que le monde a admirez estoient des niais auprès de luy. Vous sçavez comment il a vescu depuis sa retraitte, mais il n'y a rien de plus édifiant que sa mala- die. Sa patience dans des douleurs extraordinaires a esté tout à fait admirable, il a fait de grandes charitez durant sa maladie et a presque tout donné son bien à sa mort. Il sera peu connu dans la postérité, ce qui nous reste d'ou- vrages de luy n'estant pas capables de faire connoistre la vaste estendue de cet esprit ; mais il n'y pert pas grande chose en vérité : c'est bien peu de chose que les hommes, leur réputation et leur jugement. Quand je voi disparoistre en un moment ceux que nous avons le plus admiré, il me semble que ce sont de ces vagues que nous venons de voir en nostre voyage qui s'estendent et se dissipent en un
noms cités dans cette lettre — à l'exception de celui de Conrart — sont des pseudonymes, et que le destinataire en est un ami très intime de Nicole, peut-être Arnauld. L'ouvrage dont il est question semble être la Logique qui parut en juillet 1662, chez Savreux. A la fin de la lettre, il faut sans doute lire Pérou (et non Sérou). Le Pérou dési- gnerait l'île de Nord-Strand dont Arnauld, Nicole, Saint-Amour, Lalane, Pontchâteau, Angran étaient actionnaires {Vide supra p. 1^8, n. 1, et cf. Sainte-Beuve, Port-Royal, 5e édition, 1888, T. IV, p. 374, 378, 379). L'affaire des Gardes Corses dont il est question est du 20 août 1662.
332 ŒUVRES
moment, avec cette seule différence que les vagues après s'estre abaissées se peuvent élever encore une fois, au lieu que les hommes, après avoir paru dans la vie, rentrent par la mort dans Testât d'une éternelle stabilité. Pardonnez cette comparaison à un homme qui vient de voir la mer et qui a passé deux jours sur le rivage à admirer ces montagnes d'eaux qui se fondent en un moment, dans lesquelles il luy sembloit voir l'image des grandeurs du monde, aussi bien de l'esprit que de la fortune. Geluy que nous regrettons estoit Roy dans le royaume des esprits et, s'il y avoit quelque chose d'estimable dans le monde, cette Royauté le seroit sans doute davantage que celle des Roys de la terre. Cependant que reste-t-il de ce grand esprit que deux ou trois petits ouvrages dont il y en a de fort inutiles : mais ce qui nous doit consoler est qu'il emporte avec luy un très grand nombre de bonnes œuvres, de charitez, de soufrances qu'il a beaucoup aimées, c'est ce qui luy reste et qui luy demeurera éternel- lement, ce qui nous fait bien voir qu'il n'y a que cela de solide et de véritablement estimable1
i. Voici la fin de cette lettre : « Pour la lettre de M. Conrart, je l'ay égarée. Je me paye peu de ces fanfares. J'aimerois mieux que le monde louast moins cet ouvrage et l'achetast davantage ; néanmoins j'espère que nous en aurons bientost retiré nos frais. Je vous prie de mander à Saurien que je me suis loué de luy envers vous et que je suis très content du soin qu'il a de débiter, et en mesme temps y adjouster quelque petit mot pour l'encourager à se défaire bientost de cette impression.
a J'oubliois à vous parler du Sérou ; celuy qui a passé la mer pour y aller doit revenir dans cinq ou six jours, plein d'espérances très grandes, mais au cas que ce tesmoin oculaire fasse un rapport aussi avantageux que ses lettres et qu'il y ait quelque chose à y mettre, pour combien vous contez-vous. M. Lautrec y met 12 mil livres ou mesme i/iooo. M. Marsigni y voudroit bien mettre 3oooo francs, Maubert cherche à y mettre ce qu'il a sur Lion ; enfin il ne croit rien de plus
MORT DE BLAISE PASCAL 333
X
LETTRE DU DUC DE ROUANNEZ A MONSIEUR DE POMPONNE i
[10. Septembre 1662.]
Je n'ay pas douté que vous n'aies esté bien touché de la mort de Mr Pascal. Vous y aves asurement beau- coup perdu, car il vous estimoit très particulièrement et dans les entretiens que j'ay eu avec luy sur vostre sujet il temoignoit prendre plaisir à dire du bien de vous. Je vous avoue que cette perte est un coup pour moy au- quel je n'etois point préparé et dont je ne me puis consoler. La bonté que vous aves de me plaindre et les témoignages d'amitié que j'ay rescu de Mr vostre père en cette occasion sont assurément les choses du monde qui me pouvoient autant soulager dans ma douleur.
J'ay bien de l'impatience de voir la fin de vostre exil. Je soueteres fort de vous trouver icy à mon retour de Poitou. Je pars dans huit jours pour y aler. J'espère que je seray ases à tant pour voir jujer le procès que nous avons avec MrdeGuitaut2. Mr deCrenan demeure icy qui aura soin de nos affaires. Je vous prie de croire qu'il n'y a persone qui vous soit plus aquis que moy ny désire plus mériter l'honneur de vostre amitié.
Ce 10 septembre
(A Monsieur, Monsieur de Pomponne.)
assuré. Mais que dittes-vous du différent entre le Roy et le Pape, et que vous en mande-t-on ? On parle encore d'une lettre du pape à M. de Reims touchant M. Dalet, qui est assez bonne, je veux dire très bien ; mais tous ces gens s'accorderont tousjours à nos despens à leur ordinaire. Je suis tout à vous, (pour Monsieur de Saint-Calais) »
1. Lettre autographe à la Bibliothèque Mazarine, ms. 455i, dans les papiers légués par Faugère.
2. Ce procès était relatif à l'affaire des carrosses.
334 ŒUVRES
XI
EXTRAIT D'UNE LETTRE DE CHAPELAIN A M' BERNIER, MÉDECIN DU GRAND MOGOL *
De Paris, ce g. novembre 1662.
... Nous avons perdu, l'esté passé, un de nos compa- triotes qui n'excelloit pas moins que le Hollandois entre les géomètres et les machinistes. Vous le connoissés au moins de réputation : l'admirable Mr Paschal, qu'une colique mortelle nous a enlevé dans la fleur de son âge et lorsqu'on avoit sujet d'attendre des choses dans les mathématiques et dans la métaphysique que personne n'avoit encore imaginées que luy.
XII
EXTRAIT D'UNE LETTRE DE M' ARNAULD D'ANDILLY A Me PERIER 2
Ce 7. Décembre [1662].
Je vous suis très obligé, Mlle, de la bonté que vous avez eue de vouloir bien me dire à Dieu d'une manière si obli- geante, quoy que j'aurois fort souhaité, si la saison l'eust permis, que c'eust esté d'une autre sorte, afin de vous pou- voir entretenir de vive voix de tant de choses que nous avions à dire, et qui seront comme je l'espère de la grâce de Dieu, le sujet de nos consolations à venir, comme elles le sont de nos déplaisirs et de nos peines présentes. Mon- sieur vostre frère dont le souvenir est si fortement gravé dans mon coeur, voit maintenant avec joye du haut du
1. Lettre donnée d'après l'édition Tamizey de Laroque.
2. Copie au deuxième recueil du Père Guerrier, p. 69.
MORT DE BIAISE PASCAL 335
ciel ce qui nous fait répandre des larmes, et nous devons espérer de la miséricorde de celuy qui a recompensé son ardent amour pour la vérité, qu'il nous fera la mesme grâce, si nous luy sommes fidèles, et la préférons à toutes choses. Je le prie de tout mon cœur d'ajouter à cette grâce celle de répandre ses bénédictions sur toute vostre famille que je seray ravy de pouvoir servir, et de vous témoigner au moins en cette manière combien j'estime vostre mérite et vostre vertu. Mes fils et ma fille vous ren- dent mille remercimens de la faveur de vostre souvenir, et Made Hippolyte a peine à se consoler de n'avoir pas pu vous dire adieu, et à mesdemoiselles vos filles. Je salue, Mademoiselle, de tout mon cœur, Monsieur vostre mary, et suis plus à luy et à vous que nulles paroles ne sont capables de vous l'exprimer.
336
APPENDICE Discussions sur les déclarations de Pascal mourant.
Les déclarations faites par Pascal mourant sur le différend qu'il avait eu avec les a Messieurs » de Port-Royal, — sur sa soumission au pape, — sur le jugement qu'il portait de sa conduite lors des Provinciales, — ont été interprétées de façon très diverse peu après sa mort, et ont donné lieu à des discus- sions qui se sont poursuivies jusqu'à nos jours1. Nous avons réservé pour notre Introduction l'éclaircissement et le jugement de ces discussions. Conformément au principe de notre édition, nous donnons ici, en suivant, autant qu'il est possible, l'ordre chronologique, les différents documents de sources diverses, tirés des déclarations faites par sa famille, par ses amis, par les amis d'Arnauld, par le Père Beurrier, et par les amis des Jésuites.
I. La discussion fut reprise en i6g5 dans l'Histoire des cinq Pro- positions de Dumas; en 171 1, par Fénelon dans ses Lettres au P. Quesnel, que celui-ci réfuta. — Cf. aussi Jovy, Pascal inédit, T. I et II, 1908, 1910; Henri Brémond, Notes et aperçus: Le secret de Port- Royal, La pauvresse de Pascal (Correspondant des 10 septembre 19 10 et a5 août 191 1); E. Jaloustre, Le vrai Pascal (Bulletin historique et scientifique de l'Auvergne, novembre 1910); Petitot, Pascal, sa vie religieuse et son Apologie du Christianisme, Paris, Beauchesne, 191 1 ; A. Gazier, Les derniers jours de Biaise Pascal, étude historique et critique, Paris, Champion, 191 1 ; E. Faguet, La Rétractation de Pascal (Revue du Ier février 191 1, p. 358); A. Hallays, Pascal a-t-il abjuré le Jansénisme? (Journal des Débats du 10 mars 191 1); Ch. Urbain, D'une récente controverse touchant Pascal (Revue du Clergé français, i5 ivril 191 1) ; l'abbé Monbrun, Les derniers sentiments de Pascal (Bulletin de littérature ecclésiastique, Institut catholique de Toulouse, avril-mai 191 1) ; Ch.-H. Boudhors, Pascal et le P. Beurrier (l'Enseignement secon- daire, août et octobre 1911); A. Ojardias, Le vrai Pascal — et le jaux Pascal (Bulletin historique et scientifique de l'Auvergne, juillet 191 1); Yves de la Brière, L'Apologétique de Pascal et la mort de Pascal (Études, 5 décembre 1911)-
MORT DE BLAISE PASCAL 337
LISTE DES DOCUMENTS CITÉS
i. Déclaration de Beurrier à l'archevêque Péréfixe (7 jan- vier 1660).
2. Annat. — Lettre de M. Jansénius (avril [?] 1666).
3. Nicole. — Lettre d'un théologien... (1 5 juillet 1666).
4. Lettre de Mme Perier à Beurrier (i665 ou 1666).
5. Lettre de Florin Perier à l'archevêque Péréfixe.
6. Ghamillard. --Déclaration de la conduite (mars 1667).
7. Sainte-Marthe. — Défense des Religieuses. . .(1667).
8. De la Lane. — Défense de la foi (8 mai 1667).
g. Bouhours. — Lettre à un seigneur de la cour... (1668). Renvoi à diverses pièces de Perier et de Péréfixe ( 1 669 et 1 670).
10. Lettre de Beurrier à Me Perier (12 juin 167 1).
11. Lettre d'Etienne Perier à Beurrier (17 novembre i673).
12. Lettre de Rebergues à Etienne Perier (27 novembre .6,3).
i3. Lettre de Beurrier à Etienne Perier (27 novembre ,6,3).
i4- Mme Perier — Addition à la vie de Pascal (1677). Renvoi à diverses lettres de Mme Perier et de Domat (1682).
i5. Déposition de Nicole (19 août 1684).
16. Autre attestation de Nicole.
17. Déposition de Domat (3 septembre 1684).
18. Déposition de Rouannez (4 septembre 1684).
19. Déposition d'Arnauld (21 décembre 1684).
20. Lettre de Sainte-Marthe à Louis Perier (4 déc. 1688).
21. Lettre du P. Coquebert à Marguerite Perier (25 mars 1701).
22. Relation anonyme.
23. Mémoires de Rapin.
24. Mémoires de Beurrier.
25. Mémoire de Marguerite Perier.
26. Autre récit de Marguerite Perier.
2e série. Vil 22
338 ŒUVRES
I . Déclaration faite à M. de Perefixe, Archevesque de Pa- ris, par le Révérend Père Beurrier, Chanoine-Régulier, Curé de St-Etienne du Mont, au sujet de: la mort de M. Pascal (3e Recueil Guerrier, p. i83).
[7 janvier i665].
Aujourd'hui 7. Janvier i665. Nous Hardoùin de Perefixe, Archevesque de Paris ; sur ce que Nous aurions apris que Mr Pascal, lequel avoit la réputation d'avoir esté fort attaché au parti des Jansénistes, estoit decedé dans la Paroisse de S1 Etienne, et qu'il y estoit mort sans recevoir les Sacremens, avons désiré sçavoir de Mr Paul Beurrier, Religieux de Ste Geneviève et Curé de Sc Etienne, si ce qu'on Nous en avoit rapporté estoit véritable, et s'il estoit vray qu'il fut mort atta- ché au parti des Jansénistes. Sur quoy aïant interrogé ledit Sieur Curé de ST Etienne et sommé de dire la vérité ; après l'avoir promis a repondu : Qu'il avoit connu ledit Sr Pascal six semaines avant son deces ; qu'il l'avoit confessé plusieurs fois, et administré le saint Viatique et le S1 Sacrement d'Ex- trême-Onction ; et que dans toutes les conversations qu'il a eues avec luy pendant sa maladie, il a remarqué que ses sen- timens estoient toujours fort orthodoxes, et soumis parfaite- ment à l'Eglise et à Nostre Saint Père le Pape. De plus il luy a tesmoigné dans une conversation familière, qu'on l'avoit au- trefois embarassé dans le parti de ces Messieurs, mais que depuis deux ans1 il s'en estoit retiré, parce qu'il avoit remar-
1 . Dans les écrits qui suivent, revient souvent cette même indication « depuis deux ans » qu'il semble difficile, au premier abord, de con- cilier avec les faits de la vie de Pascal. M. Petitot estime qu'il faut comprendre non pas « depuis une durée de 24 mois » mais « dans les deux dernières années, 1661 et 1662, c'est-à-dire depuis novembre 16Ô1 jusqu'en juillet 1662 ». Il est à remarquer d'ailleurs que, pour calculer la période de la dernière maladie de Pascal (mars i65û- aoùt 1662), on dit toujours, suivant le même procédé : quatre ans (cf. sapra T. I, p 83 ; et Pensées, T. I, p. clxxxix). — Cette explication est évidemment la seule qui puisse rendre compte de cette expression lorsqu'il s'agit de la querelle sur le formulaire. Maison peut l'interpréter
MORT DE BLAISE PASCAL 339
que qu'ils alloient trop avant dans les matières de la Grâce, et qu'ils paroissoient avoir moins de soumission qu'ils ne dévoient pour Nostre Saint Père le Pape; que néanmoins il gemissoit aussi de ce qu'on relâchoit si fort la Morale Chré- tienne, et que depuis deux ans il s'estoit tout-à-fait attaché aux affaires de son Salut, et à un dessein qu'il avoit contre les Athées et Politiques de ce tems en matière de Religion. Enfin a déclaré qu'il estoit mort en fort bon Catholique ; et après que lecture luy a esté faite de ce que dessus, a signé sa déclaration contenant vérité. Donné à Paris le jour et an que dessus. Ainsi signé avec paraphe.
F. P. Beurrier.
2. Annat. — Lettre de Monsieur Jansenius au pape
Urbain VIII. Contenant la dédicace de son livre intitulé Au- gustinus, supprimée par ceux qui eurent soin de la première édition de ce Livre, et quelques autres pièces, qui peuvent décider la question de fait. Le tout avec les Reflexions du P. François Annat, de la Cie de Jésus. Paris, Cramoisy, 1666 (privilège du 6 avril), 122 p. in-4°«
Remarques sur la quatrième partie de V Apologie des Filles révoltées de Port-Royal.
p. 96... Et pourquoy donc enfin le Secrétaire du Port- Royal a-t-il escrit tant de boufonneries dans les premières lettres au Provincial pour se jouer de la doctrine des Tho- mistes, touchant la Grâce suffisante, et le pouvoir prochain ? Mais pour cetui-cy, il faut que je luy rende cette justice, de publier ce qu'il dit hors de confession à celuy qui l'assista en la maladie, dont il mourut, Que depuis environ deux ans, il s'estoit retiré de ce parti, pour avoir reconnu que ces Théolo- giens alloient trop avant dans les matières de la Grâce, et n'avoient pas assez de soumission et de respect pour le S. Siège
aussi en disant que depuis deux ans complets, c'est-à-dire depuis l'année 1660, Pascal a renoncé à traiter, dans des écrits publics, les matières de la grâce.
340 ŒUVRES
et pour l'Eglise. Monseigneur l'Archevesque en a la déclara- tion escrite et signée de la main de ce Directeur, et j'en ay une copie signée de la main de Monseigneur l'Archevesque.
3. [Nicole]. — Lettre d'un Théologien à un de ses amis, sur le sujet de la Déclaration de M. le Curé de S. Estienne rapportée par le P. Annat dans son livre intitulé, Lettre de M. Jansenius Evesque d'Ipre, etc. i5. Juillet 1666 (Cette lettre est publiée p. 78, à la suite de la Réfutation du Livre du P. Annat contenant des Reflexions sur le Mandement de M. l'Evesque d'Alet et sur divers écrits, où l'on défend contre ce Père les Mandemens et les Procez verbaux de plu- sieurs Prélats qui ont distingué le fait et le droit sans exiger la créance du l'ait. 1666, in-4°).
Monsieur,
Ce n'est pas une chose fort extraordinaire de voir répandre dans le monde des histoires qui ont à la vérité quelque fon- dement, mais dont on change tellement les circonstances, qu'elles donnent des impressions toutes contraires à ce qu'elles auroient fait si on les avoit rapportées avec une entière fidé- lité Cependant c'est ce qui arrive sur le sujet de la con- testation que M. Pascal eut avec MIS de Port-Royal les deux dernières années de sa vie.
11 y a plusieurs personnes de qualité qui sont témoins de ce qui s'est passé dans cette contestation. Les écrits qui ont esté faits de part et d'autre subsistent encore qui en peuvent faire connoistre le véritable sujet. Et néanmoins non seule- ment M. Ghamillard et les Jésuites ont eu la hardiesse de la rapporter d'une manière toute fausse1, mais mesme M. le Curé de S. Estienne que l'on ne peut nier estre une personne sincère et exempte de passion en a donné une attestation à M. l'Archevesque de Paris, qui ne peut pas estre plus oppo- sée à la vérité qu'elle l'est, puisqu'elle attribue et à M. Pascal
1. Vide supra p. 178 sqq.
MORT DE BLAISE PASCAL 341
et à Mrs de Port-Royal tout le contraire de leurs sentimens.
Cette attestation est citée dans le nouveau livre du P. An- nat [Suit la citation.]
Que pensez-vous qu'il y ait de vrav en tout cela? Rien autre chose si ce n'est qu'il y a eu en effet de la contestation entre M. Pascal et Mrs de Port-Royal. Mais pour trouver la vérité de tout le reste vous n'avez qu'à prendre justement tout le contraire de ce qui est porté dans cette attestation. Il y est dit que M. Pascal s'estoit retiré d'avec Mrs de Port- Royal, parce qu'ils n'avoient pas assez de soumission pour le S. Siège et pour l'Eglise. Et au contraire l'unique sujet de cette dispute estoit que M. Pascal trouvoit de l'excès dans la soumission qu'ils avoient pour le Pape et pour les Evesques, et qu'il croioit que cette soumission les avoit fait relascher dans ce qu'ils dévoient à la sincérité chrestienne. Il y est dit qu'il croyoit qu'ils alloient trop avant dans les matières de la grâce ; Et la vérité est que le seul reproche qu'il leur faisoit, estoit qu'ils n'en parloient pas assez fortement, et que la con- descendance leur faisoit trop accorder aux ennemis de la grâce non dans le fond des opinions, mais dans les expressions dont ils se servoient dans leurs signatures.
Pour vous convaincre de tout cela je n'ay qu'à vous faire l'histoire de la naissance et de la suitte de ce différend. Ce qui y donna occasion fut la signature que firent les Reli- gieuses de Port-Royal en suitte du second Mandement des grands Vicaires de M. le Cardinal de Rets, dont voicy les
termes1 Mais l'idée que M. Pascal avoit de la sincérité
chrestienne leur [sic] fit trouver de la difficulté dans les pa- roles qui estoient également bien entendues de part et d'autre. Il se persuada que la disposition des Religieuses n'y estoit pas assez clairement marquée; et comme il estoit ex- traordinairement exact pour tout ce qui regarde la Religion, il commença non seulement à blasmer librement cette signa- ture, mais mesme il fit un écrit où il pretendoit prouver
i. Voir ce Second mandement, supra p. 160 sq.
342 ŒUVRES
qu'elle manquoit de sincérité, et qu'elle ne mettoit pas la vérité assez à couvert. Cet écrit est fondé sur ce qu'il prétend que comme dans la vérité le sens de Jansenius n'est autre chose que la grâce efficace, le Pape Alexandre VII. ayant condamné ce sens de Jansenius, on ne pou voit empescher que cette condamnation ne tombast sur la grâce efficace, ny mesme se défendre d'y avoir consenti en la souscrivant, à moins que d'excepter formellement et la grâce efficace, et le sens de Jansenius, d'où il concluoit que les Religieuses ne l'ayant pas fait et s'estant contentées de marquer qu'elles ne souscri- voient qu'à la foy, leur signature pouvoit estre prise pour une condamnation de la véritable grâce1.
On repondit à cet écrit que quoyque dans la vérité le sens de Jansenius fut la mesme chose que la grâce efficace, néan- moins il estoit clair que ce n'estoit point la mesme chose ny dans l'esprit du Pape qui le condamnoit, ny dans l'esprit des Evesques qui reçoivent cette condamnation : qu'il estoit no- toire au contraire de toutes les manières dont une chose le peut estre, que le Pape et les Evesques en condamnant le sens de Jansenius n'entendoient pas la grâce efficace, mais un autre dogme qu'ils supposoient estre dans Jansenius, et qu'ils appelloient par cette raison le sens de Jansenius. Que c'estoit un point de droit de sçavoir si ce dogme estoit catho- lique ou hérétique, mais que c'estoit un point de fait de sçavoir s'il estoit effectivement de Jansenius.
Qu'estant donc certain que par ce dogme condamné le Pape et les Evesques n'avoient point entendu la grâce effi- cace, on pouvoit recevoir leur jugement quant au droit et quant à la foy, et que c'estoit ce que les Religieuses avoient fait; mais qu'estant faux que ce dogme fût de Jansenius, on ne le pouvoit recevoir quant au fait ; qu'aussi les Religieuses ne l'avoient point receu en cette manière, puisqu'elles avoient déclaré que leur ignorance ne leur permettoit de prendre part qu'à ce qui regarde la foy.
i. Vide supra cet écrit de Pascal et ceux qui suivirent p. 171 sqq.
MORT DE BLAISE PASCAL 343
La dispute ne fut point terminée par cette réponse ny mesme par un autre écrit encore plus fort, où l'on prouvoit qu'en disant, Je souscris aux Constitutions quant à la foy, on ne s'engageoit nullement à condamner la grâce efficace.
Un ami de M. Pascal estant entré dans ses sentimens en- treprit de réfuter ces écrits pour soulager son arny que ses maux avoient alors réduit dans une faiblesse extrême. Il se fit encore de part et d'autre divers écrits dont tout le succez fut que chacun demeura dans ses sentimens.
Mrs de Port-Royal crûrent toujours que M. Pascal alloit trop avant, et que la grande crainte qu'il avoit de blesser la sincérité l'empeschoit de voir non seulement qu'il ne rendoit pas au Pape et aux Evesqucs le respect qui leur est deu, mais mesme que c'estoit leur faire une injure que de donner lieu de les accuser d'avoir condamné la grâce efficace, et qu'il n'y avoit rien de plus desavantageux à cette sainte doctrine que de laisser les peuples dans cette impression, qu'elle fust réduite à un petit nombre de défenseurs, et qu'elle eust esté abandonnée de la plus grande partie des Pasteurs de l'Eglise.
M. Pascal au contraire apprehendoit que ce ne fust le désir de conserver la maison de Port-Royal qui eust réduit ces Messieurs à ce qu'il appelloit du nom de relaschement, et qui les eust portez à ces condescendances qu'il ne pouvoit ap- prouver1. Il crut mesme que ce n'estoit pas seulement dans cette occasion de la signature des filles de Port-Royal qu'on avoit paru peu sincère, mais qu'on pourroit encore trouver le mesme défaut dans les divers écrits qui avoient esté faits dans la suitte de l'affaire qui trouble la paix de l'Eglise depuis si longtemps : Qu'on avoit eu égard en écrivant à l'utilité présente, et que comme elle avoit changé selon les divers temps, les écrits ne paroissoient pas tout-à-fait conformes. Ainsi il luy sembla qu'il eût esté à propos de les revoir tous, et de les réduire à une parfaite conformité d'expressions.
i. Cf. Pascal, Pensées, fr. 920, T. III, p. 344 : « Le Port-Royal craint... »
344 ŒUVRES
Pour y exciter plus fortement Messieurs de Port-Royal il fit un autre écrit dans lequel il pretendoit leur faire voir l'avantage qu'ils donnoient à leurs ennemis par cette diver- sité, et qu'on les pourroit convaincre d'avoir parlé plus foi- blement depuis les Bulles qu'auparavant.
Je croy, Monsieur, qu'en voilà assez pour vous faire voir combien l'attestation rapportée par le P. Annat est éloignée de la vérité, et que bien loin qu'on puisse croire que M. Pas- cal eût rompu avec Messieurs de Port-Royal sur ce qu'ils alloient trop avant dans les matières de la grâce, et qu'ils n'avoient pas assez de soumission pour le Pape, il est visible au contraire qu'il n'y a eu de contestation entre eux que parce qu'il les accusoit de relaschement et de trop de con- descendance.
Mais comme je ne voudrois pas que vous demeurassiez dans cette impression que Mrs de Port-Royal fussent effective- ment coupables de ce que M. Pascal leur reprochoit, il est à propos de vous dire que comme il n'avoit pas fait cet écrit pour estre publié, et que tout son but n'estoit que de repré- senter ce que l'on auroit pu dire, et le tour fascheux que l'on pourroit donner à certaines choses, il ne s'estoit pas mis en peine d'y garder une fort grande exactitude, et que sans consulter luy-mesme les écrits dont il tire les preuves de ce qu'il avance, ce qui luy eût esté fort difficile dans la foiblesse où il estoit qui le rendoit presque incapable de lire, il se contenta des mémoires que luy fournissoient quelques-uns de ses amis, qui ne regardèrent pas assez prés aux passages dont ils les composoient.
Ainsi quoyque l'addresse de son esprit a mettre les choses dans leur jour paroisse dans cet écrit comme dans tous ses autres ouvrages, comme il n'est pas possible que l'ouvrier quelque habile qu'il soit supplée au défaut de la matière, il n'a pu éviter de tomber dans un assez grand nombre de mé- prises, dont je crov qu'il ne sera pas inutile de marquer icy quelques causes principales.
Premièrement ceux qui luy fournissoient ces mémoires ont
MORT DE BLAISE PASCAL 345
eu si peu de soin de s'informer du temps où chaque écrit a esté fait, que les extraits qu'ils ont donnez à M. Pascal pour faire voir qu'on a parlé plus foiblement depuis les Bulles sont tirez la pluspart des écrits qui se trouvent faits avant les Bulles, et que ceux où ils ont trouvé cette fermeté dans la- quelle ils vouloient qu'on demeurast sont pris des écrits faits depuis les Bulles, c'est à dire dans le temps où ils prétendent qu'on estoit déjà aflbibly.
Secondement, ils ne sçavoient presque rien de la manière dont les choses s'estoient passées à Rome (le Journal de M. de S. Amour n'estant pas encore imprimé) ny mesme de ce qui s'estoit fait à Paris où ils n'avoient eu aucune part, ce qui leur a donné lieu d'en faire des histoires toutes fabuleuses qui ser- vent de fondement à ces prétendues contrarietez, et de com- poser des dialogues où l'on fait dire aux gens de part et d'autre des choses dont il n'a jamais esté parlé.
3. Comme ils ne sçavoient pas les temps ausquels les écrits avoient esté faits, ou qu'ils n'y prenoient pas garde, et que d'ailleurs ils ignoroient qui en estoient les auteurs, ils les regardent tous comme ayant esté faits de concert, et comme si chacun devoit répondre pour tous les autres. De sorte qu'ils attribuent le peu de conformité qu'on y trouve dans quelques expressions à la diversité des temps, au lieu qu'elle ne vient pour l'ordinaire que de la diversité des auteurs.
Pour en donner un exemple sensible sur un point où ceux qui ont dressé ces mémoires croyoient avoir trouvé les plus grandes contrarietez, il faut remarquer que les Propositions que Mr Cornet avoit dressées pour les faire censurer estant sus- ceptibles de divers sens, elles furent aussi diversement regar- dées dés le temps mesme qu'elles commencèrent à paroistre
Car ils soutenoient tous la mesme doctrine de la grâce efficace par elle-mesme, enseignée par S. Augustin, par S. Thomas, et par Jansenius.
Ils condamnoient tous les erreurs enfermées dans le sens littéral des propositions.
Mais les uns les réduisant au sens de la grâce efficace les
346 ŒUVRES
appelloient bonnes, et ils disoient qu'elles estoient de S. Au- gustin et de Jansenius : les autres considérant le mauvais sens les appelloient mauvaises, et soutenoient qu'elles n'estoient point de S. Augustin, ny de Jansenius : et les autres les rap- portant à tous leurs sens les appelloient bonnes et mauvaises, et disoient qu'elles estoient et n'estoient pas de Jansenius.
Il est vray que toutes ces personnes sont convenues depuis la Bulle de les appeller mauvaises ; parce qu'ils ont veu que le Pape et l'Eglise convenoient de ne point, rapporter ces propositions à la grâce efficace : Et de là il s'ensuit que ne pouvant estre attribuées à Jansenius que dans ce sens de la grâce efficace, elles ne luy peuvent plus estre attribuées, parce qu'elles sont déterminées par le consentement de l'Eglise à un autre sens.
Il ne faut qu'une médiocre intelligence pour démesler ainsi ces petites équivoques et plusieurs autres semblables dont ces mémoires estoient remplis. Mais on ne doit pas néan- moins s'étonner que M. Pascal s'en soit servy dans cet écrit; puisque, comme j'ay dit, non seulement il n'estoit plus en estât de rien examiner avec soin, mais qu'elles luy estoient utiles pour son dessein, qui estoit plustost de représenter la manière dont un homme plus habile que les Jésuites pour- roit tourner les choses, que non pas celle dont un homme sincère les doit entendre. Et c'est pourquoy il a toujours tenu cet écrit secret, et il avoit mesme ordonné à ses amis de le supprimer.
Les soupçons mesmes qu'il avoit conceus du relaschement de Mrs de Port-Royal se dissipèrent entièrement avant sa mort, et la fermeté que les Religieuses firent paroître en refusant le troisième Mandement dressé par les grands Vi- caires du Chapitre1, l'obligea de reconnoître qu'il n'avoit point
i. Ce mandement fut publié le 2 juillet 1662 ; il exigeait la signa- ture sans aucune explication ; il fut porté le 7 aux Religieuses, qui refusèrent de signer ; Arnauld et Nicole firent plusieurs écrits pour démontrer la nullité de cette ordonnance.
MORT DE BLA1SE PASCAL 347
deu les accuser de foiblesse. Aussi quoyque cette diversité de sentimens n'ait jamais interrompu le commerce d'amitié qu'il avoit avec ces Messieurs, leur union parut néanmoins d'une manière toute particulière durant sa dernière maladie. M. Arnauld qui estoit alors à Paris luy rendit visite, et M. Pascal le receut avec toute sorte de témoignage de ten- dresse et d'affection. Il se confessa plusieurs fois à M. de Sainte Marthe durant le cours de son mal, et la veille mesme de sa mort, n'ayant pas cru en ce temps où l'on a moins d'égard que jamais à toutes les considérations humaines, pouvoir choisir une personne qui luy pust estre plus utile pour le bien de sa conscience.
Voilà, Monsieur, un récit abrégé de toute cette histoire; je ne m'arreste pas à vous en produire des preuves ; parce que je n'ay qu'à vous renvoyer pour cela aux amis particu- liers de M. Pascal qui vous en confirmeront la vérité. Il est vray qu'il paroist par là qu'il n'y eut jamais rien de pris plus à contresens que ce que M. le Curé de S. Estienne a rapporté de sa disposition : mais il paroist en mesme temps qu'il luy a esté très-facile de tomber innocemment dans cette surprise. Car ayant oùy dire à M. Paschal qu'il avoit eu depuis deux ans quelque contestation avec ces Messieurs sur les matières de la grâce, et sur le respect qui estoit deu au Pape, comme le commun du monde les accuse plûtost de manquer de soumission que d'en avoir trop, il a pu croire aisément que c'estoit ce que M. Pascal reprenoit en eux, au lieu qu'il ne les a jamais blasmez que d'un excès de con- descendance envers le Pape et les Evesques, qui sont des dé- fauts dont le reproche mesme leur est glorieux ; puisqu'estant accusez par d'autres d'un défaut contraire, c'est une grande marque qu'ils sont demeurez en ce point-là dans les bornes d'une juste modération. Je suis, etc.
348 OEUVRES
[\. Lettre de Madame Perier à M. Beurrier, Curé de Saint- Etienne du Mont, à Paris l.
Monsieur,
Si je n'avois tout sujet de croire que vous estes persuadé du profond respect que j'ay pour vous, et de la reconnois- sance que je conserve des obligations sensibles que nous vous avons, je n'oserois pas prendre la liberté de vous écrire en cette occasion. C'est, Monsieur, sur le sujet de l'entretien que vous avez eu avec M. l'Archevesque de Paris, touchant la disposition de feu mon frère sur les contestations présentes. Je ne suis pas surprise, Monsieur, de ce que mon frère vous ayant témoigné qu'il estoit mal satisfait de la conduite de MM. de P. R., vous en avez conclu qu'il n'approuvoit pas leur doctrine ; tous ceux à qui il a fait le mesme discours qu'à vous, et qui ne sçavoient pas ce qui leportoità en parler de la sorte, en ont fait un pareil jugement.
Cela m'oblige, Monsieur, de vous eclaircir de la vérité de toutes choses. Mon frère a toujours eu une estime très parti- culière pour ces messieurs ; il les a toujours regardez comme des personnes non-seulement tres-catholiques, mais encore tout a fait zélées pour la défense des principales veritez de la morale et de la foy, et il est toujours demeuré parfaitement uni avec eux jusqu'au mois de novembre de l'année 1661. que les religieuses ayant signé le second mandement de MM. les grands vicaires avec une restriction, mon frère trouva qu'elle n'estoit pas assez claire, parce qu'elles n'y avoient pas mis en termes exprès qu'elle ne condamnoient
1. La copie de cette lettre se trouve dans le premier recueil du Père Guerrier, p. 118, avec cette note. « Copié sur l'original écrit de la main de Me Perier » « J'ai transcrit toutes les pièces qui sont dans ce caïer sur les originaux et même cette dernière lettre dont Me Perier avoit gardé une copie écrite de sa main. » — Cette lettre fut sans doute transmise à Beurrier par le fils Perier. Elle a été écrite quatre ans après la mort de Jacqueline ; elle est donc de i665 (ou peut-être seulement de 1666).
MORT DE BLAISE PASCAL 349
pas le sens de Jansenius, ou la grâce efficace, ce qu'il voyoit estre la même chose, et ces messieurs soutenant qu'il n'estoit pas nécessaire de faire cette exception. La diversité de leurs sentimens en cette rencontre produisit entre eux une con- testation qui alla si avant, qu'il y eut des écrits de part et d'autre; dont je ne vous puis rapporter autre chose, sinon que tous ceux qui furent laits par mon frère se reduisoient à ce point; que quiconque est persuadé que le sens de Jan- senius et la grâce efficace sont la mesme chose, ne peut, en conscience, signer la condamnation de Jansenius, parce que cette condamnation enferme celle de la grâce efficace. Et ces messieurs s'estant toujours tenu fermes dans leur première pensée, qu'il n'estoit pas nécessaire de s'expliquer là-dessus, mon frère en fut extrêmement touché ; et comme il avoit un amour et un zèle extraordinaire pour la vérité et pour la sin- cérité, il ne put s'empescher de s'en plaindre à tous ses amis, et il se servoit mesme de paroles si fortes, comme de dire qu'il estoit fâché de s'estre engagé si avant dans les affaires de ces messieurs, et autres discours semblables, que cela faisoit croire à ceux à qui il en parloit toute autre chose que ce qu'il vouloit dire. Cependant il est certain, et il est aisé de le juger parle récit que je viens de faire du sujet de leur différent, qu'il n'a jamais douté de la sincérité de leur foy, et ne les a jamais soupçonnez d'aucune erreur contre la foy ; mais qu'il a cru que la tendresse qu'ils avoient pour les religieuses de P. R., et la crainte de les voir exposées à tous les périls dont on les menaçoit les portoit à consentir à ces teinperamens pour sauver la maison.
Voila, Monsieur, le véritable sujet des plaintes que mon frère a faites contre ces Messieurs. Vous sçavez que je n'ay plus en cela d'autre interest que celuy de la vérité, puisque ma sœur, qui estoit religieuse, est morte il y a quatre ans, et que mes filles, qui n'y estoient que pensionnaires, en sont sorties avec toutes les autres; d'ailleurs, Monsieur, je croy qu'ayant l'honneur d' estre connue de vous autant que je le suis, vous me faites bien la justice de croire que je ne suis pas capable
350 ŒUVRES
d'avancer un fait de cette importance contre la vérité. Il y a cent personnes d'honneur et de toutes les conditions qui peuvent vous dire la mesme chose ; et je suis certaine que la sœur Flavie mesme, qui meconnoist et qui a sçu tous les sen- timens de mon frère pendant ce différent, ayant lu une partie des écrits, ne sçauroit dire que mon frère ait accusé ces Messieurs d'aucun sentiment hérétique, mais seulement de s'estre relâchez dans leurs expressions, et de ne pas soutenir présentement les choses avec la mesme vigueur qu'ils avoient fait autrefois. Au reste, Monsieur, je vous assure que ces contestations n'ont jamais altéré la charité entre ces Mes- sieurs et mon frère. M. Arnauld le vint voir pendant sa ma- ladie, à qui il fit toutes sortes de protestations d'amitié ; et la veille de sa mort, vous ayant demandé plusieurs fois, on luy dit que vous estiez à Nanterre ; et comme il vit qu'il estoit tard, et que vous ne veniez point, il envoya quérir M. de Sainte-Marthe à qui il se confessa, et vous luy donnâtes les sacremens la nuit suivante. Ce procédé vous doit faire juger combien il estoit éloigné de la pensée que ces Messieurs fus- sent engagez dans des sentimens hérétiques, puisqu'il mettoit sa conscience entre leurs mains lorsqu'il se voyoit prest de mourir. J'ay cru, Monsieur, estre obligée en conscience de vous donner ces eclaircissemens, parce que j'ay sçu qu'on pretendoit de se prévaloir de ces differens contre ces Mes- sieurs qui ne manqueront pas d'alléguer pour leur justifica- tion tout ce que je viens de vous dire, parce que c'est la vérité. Et je serois faschée que cela arrivast sans que je vous en eusse averti. Je puis vous assurer, Monsieur, que mon frère ne les a jamais accusez d'aucune mauvaise doctrine, mais seulement d'un trop grand amour pour la paix et d'un excès de rabaissement dans l'approbation qu'ils ont donnée pour les signatures; et je dis que je puis vous en asseurer, parce que mon frère m'a tousjours fait la grâce de vivre avec moy sans aucune reserve, et de me communiquer les plus secrets sentimens de son cœur. Ainsi, Monsieur, je vous supplie très humblement d'avoir la bonté de repasser dans
MORT DE BLA1SE PASCAL 3ol
vostre mémoire toutes les paroles que mon frère vous a dites, et vous verrez que, quoy que la conséquence que vous en avez tirée que mon frère croyoit que ces Messieurs alloient trop avant dans les matières de la grâce, soit tout a fait juste à cause des expressions dont il se servoit, néanmoins il avoit dessein de vous faire entendre le contraire, et qu'il vouloit dire qu'ils reculoient et qu'ils n'y alloient plus si avant qu'au- trefois, ses paroles estant aussi capables d'un sens que de l'autre, quand on sçait ce qui s'estoit passé entre eux.
J'abuse longtemps de vostre patience, Monsieur, mais j'ay cru que l'importance du sujet me serviroit d'excuse, et que vous ne trouveriez pas mauvais que je vous ouvrisse mon cœur en cette occasion comme à une des personnes du monde pour qui j'ay plus de respect et d'estime, et que je me serve de cette occasion pour vous demander la continuation de vostre souvenir dans vos saintes prières, pour moy et pour toute ma famille qui vous est très parfaitement acquise. Je suis, etc.
5. Lettre de M. Perier, Conseiller à la Cour des Aides de Clermont-Ferrand à M. de Perefixe, archevêque de Paris1.
Monseigneur,
Nous avons appris que M. le Curé de S1 Etienne vous avoit déclaré que M. Pascal luy avoit témoigné avant que de mou- rir qu'il s'estoit séparé de ces MM. de Port-Royal, parce qu'il avoit reconnu qu'ils alloient trop avant sur la matière de la grâce et de la soumission que l'on doit au pape. C'est une chose M. qui a tout-à-fait surpris tous ceux qui ont connu Mr Pascal, et qui ont eu quelque habitude particulière avec
i. Copie au troisième recueil du Père Guerrier, p. 178, avec cette note : « Le ms. sur lequel j'ay copié cette lettre est écrit de la main de M. Perier, beau-frere de M. Pascal. Elle n'est point datée ». — Dans son récit, Marguerite Perier ne parle pas de cette lettre. Selon le Recueil d'Utrecht, p. 368, ce doit être là un « projet dressé vers le tems que l'Ecrit du P. Annat parut, et dont M. Perier n'aura pas cru devoir faire usage. »
352 ŒUVRES
luy ; parce qu'ils ont toujours vu en luy, et particulièrement dans les dernières années de sa vie une disposition toute con- traire et toute opposée à cette déclaration qu'on luy fait faire. Mais comme Mr le Curé de S1 Etienne est une personne de vertu et de probité, et que l'on ne peut pas soupçonner d'avoir voulu dire une chose si peu vraisemblable et si éloi- gnée de la vérité, il est nécessaire d'expliquer toutes choses et ce qui a pu donner sujet à Mr le Curé de S1 Etienne de croire ce qu'il vous a déclaré, et d'interpréter les paroles de M. Pascal au sens qu'il vous les a rapportées. 11 est vray, M., qu'il y avoit eu depuis 2. ans avant la mort de M. Pascal quelque peu de division et quelque petite diversité de senti- mens entre ces MM. de Port-Royal et luy, et qu'il leur avoit mesme témoigné quelque mécontentement de leur conduite, et comme la pluspart du monde croit qu'ils vont trop avant sur ces matières, et qu'ils pèchent plustost par excez que par défaut en demeurant trop attachez à leurs sentimens, c'estoit une chose si ^difficile] à s'imaginer qu'il y eut encore des personnes qui les trouvassent trop relâchez, qu'il n'est pas étrange que l'on ait cru que ceux qui n'approuvoient pas tout à fait leur conduite, ne le faisoient que parce qu'ils estoient trop attachez à soutenir leur doctrine sur la grâce et qu'ils resistoient trop au pape etauxevesques, et que M. Pas- cal ayant peut estre témoigné quelque chose de sa disposition à M. le Curé de S1 Etienne, il l'ait entendu dans le mesme sens. Cependant, Monseigneur, il n'y a rien de plus vray que c'estoit là tout le contraire de ce qu'il trouvoit à redire à leur conduite, et qu'il ne l'improuvoit que parce qu'elle ne luy sembloit pas assez conforme à la simplicité et à la sin- cérité chrétienne et qu'il jugeoit qu'ils s'estoient trop relâchez dans la défense des veritez qu'ils soutenoient, quoy qu'ils le fissent à bonne intention et pour procurer autant qu'il estoit en eux la paix de l'Eglise par cette condescendance qu'il
On lit au manuscrit : [facile].
MORT DE BLAISE PASCAL 353
trouvoit trop excessive. Il avoit pour principe que pour dé- fendre la vérité d'une manière digne d'elle, il falloit le faire sans aucune considération humaine, et n'en estre détourné par la crainte d'aucune puissance qui soit sur la terre, non pas mesme de celle du pape, quoyqueson autorité soit la plus grande de l'Eglise, parce qu'il est homme, et par conséquent sujet à faillir et à se tromper comme les autres; c'estoit là l'idée qu'il avoit des véritables défenseurs de la vérité, et comme il ne voïoit pas, ce luy sembloit, cette vigueur et cette fermeté inébranlable dans ces MM. à soutenir la doctrine de la grâce, et qu'il luy sembloit au contraire qu'ils accordoient trop aux puissances de la terre, il ne pouvoit s'empescher de leur en témoigner son mécontentement, en sorte mesme qu'il y a eu quelques petits écrits de part et d'autre sur ce sujet; et ces MM. luy soutenant qu'estant les seuls défenseurs de la vérité, on ne pouvoit rien trouver à redire à leur conduite, pourvu qu'ils la missent à couvert, et qu'il parust dans les siècles à venir qu'elle avoit toujours esté défendue, il leur vou- lut montrer dans un écrit qu'il fit pour cela, que ce n'estoit pas assez, et que Dieu pouvoit susciter un jour des delenseurs plus généreux de la vérité qui leur reprocberoient leur relâche- ment, et toutes les fautes qu'ils faisoient dans leur conduite. Quelques amis de M. Pascal estant fâchez de le voir dans cette petite division avec ces MM. voulurent tacher de le détourner d'avoir d'eux ces sentimens là, en luy représentant leur sincérité, et que s'ils se trompoient en croyant pouvoir agir comme ils agissoient, leur cœur estoit toujours droit et porté à faire tout ce qu'ils croiroient devoir faire selon Dieu et selon leur conscience: il repondit à cela que l'expeiience s'en pouvoit faire bientost ; qu'il estoit bien certain qu'on ne recevroit point leurs restrictions, et qu'on les voudroit obli- ger de s'expliquer plus clairement, et qu'on verroit alors s'ils souffriroient plustost la persécution que de rien faire qui put blesser la vérité ; que si cela estoit ils seroient d'accord et les meilleurs amis du monde. Et en effet il commençoit déjà lors qu'il mourut à estre fort satisfait des Religieuses de Port- 2e série. VII a3
35i ŒUVRES
Royal, voïant la manière dont ils [sic] en avoient usé au Mandement des Grands Vicaires du chapitre en refusant ab- solument de le signer. Et ainsi il n'y a point de doute que s'il estoit vivant, il approuveroit de tout son cœur leur con- duite présente sur le sujet de la signature; puis qu'elle est entièrement conforme à ses sentimens; et qu'il seroit plus uni que jamais avec les MM. de P. R. voyant la manière si généreuse dont ils défendent la vérité dans un tems où ils se voyent menacez de la plus grande persécution qu'on leur ait encore fait souffrir.
Voilà la vérité de toutes choses, et voilà la véritable dispo- sition dans laquelle M. Pascal a tousjours esté, particulière- ment dans les dernières années de sa vie, et dans laquelle il est mort. L'on n'en manque pas de preuves pour le montrer si clairement que personne n'en pourra douter, et l'on pro- duira cent témoins et des personnes les moins suspectes et les plus attachées aux Jésuites, qui rendront témoignage de cette disposition. M. le Curé de S1 Etienne a peut estre pu interpréter en la manière qu'il a fait les paroles de M. Pascal ; l'on ne le peut point croire capable de déguiser et de falsifier à dessein une chose de cette importance, et qui ayant esté dite en confession devoit mesme estre gardée sous un secret inviolable, à moins que M. Pascal luy eut donné une charge expresse de la divulguer. Mais il a pu se tromper dans cette interprétation, et particulièrement ne sçachant pas la dispo- sition où il estoit. Il estoit bien plus naturel de les expliquer en cette manière qu'en l'autre. Mais comme il est difficile qu'il se souvienne des propres termes de M. Pascal, il ne les peut plus rapporter à présent que dans le sens qu'il les a entendu, etc.
6. Chamillard. — Déclaration de la conduite que Mgr. l'Archevesque de Paris a tenue contre le Monastère de Port- Royal..., par M. Chamillard, Docteur de Sorhonne, Paris 1667 {achevé d'imprimer le 3o mars) \il\ p- in-4°.
4e Contradiction, p. 120. Monsieur Pasqual a reconnu qu'il
MORT DE BLAISE PASCAL 355
ne s'agissoit pas d'un Fait, mais d'un Droit selon V intention publique du Pape et des Evesques : Les Jansénistes disent le contraire présentement.
Monsieur Pasqual parlant de la première signature des Religieuses de Port Royal, dit dans un manuscrit que nous avons entre les mains que cette manière de signer pour se deffendre contre les définitions du Pape et des Evesques qui ont condamné la doctrine de Jansenius, est si peu franche et si peu sincère, qu'elle est indigne de la grandeur du courage
des vrais deffenseurs de l'Eglise. — Et après il adjoute
[ici Chamillard copie les 2J3 environ de l'écrit de Pascal]1. Ce sont les paroles de feu Monsieur Pasqual, qui prouvent ce que j'ay dit de luy dans mon premier écrit : Car il reconnoist que selon l'intention publique du Pape et des Evesques, le Fait dont il s'agit n'est pas un pur Fait, mais un Fait qui détermine et qui marque un Droit, et qui est un Droit luy- mesme : Il reconnoist encore que la restriction dont les Reli- gieuses de Port-Royal s'estoient servies dans leur première signature, et dont les Jansénistes se servent encore présente- ment, n'est pas sincère.
Je ne sçay pas si le différent que les Jansénistes eurent sur ce sujet avec Monsieur Pasqual rompit entièrement l'union qu'il avoit avec eux : Mais je sçay bien que M. le Curé de Saint Estienne a déclaré juridiquement dans une déposition qu'il a faite entre les mains de Monseigneur l'Archevesque de Paris, que M. Pasqual son Paroissien luy avoit déclaré avant que de mourir qu'on l'avoit autresfois embarassé dans le party des Jansénistes ; mais que depuis deux ans, il s'en estoit re- tiré, parce qu'il avoit remarqué qu'ils alloient trop avant dans les matières de la grâce, et qu'ils paroissoient avoir moins de soumission qu'ils ne dévoient pour N. S. P. le Pape; J'ay veu l'original de cette déposition, qui est entre les mains de Mgr. l'archevesque de Paris, signée Beurier et datée du sep- tième de Janvier i665.
I. Vide supra p. 169.
356 ŒUVRES
7. [Sainte-Marthe], — Deffense des Religieuses de Port- Royal et de leurs directeurs sur tous les faits alléguez par M. Chamillard Docteur de Sorbonne dans ses deux libelles contre les Religieuses, adressée au mesme M. Chamillard. s. 1. 1667. 176 p. in-4° f.
p. 3o. ... Je vous dis cela à l'occasion du fait de M. Paschal que vous renouveliez encore, comme si on n'y avoit point ré- pondu. Je ne prétend point que M. le Curé de S. Estienne que vous nommez ait manqué de sincérité, il est vrai pour- tant qu'il a pris tout ce que luy a dit M. Paschal à contre sens, puis qu'il estoit si éloigné de nous regarder comme un parti, que pour me donner des marques de sa [sic] parfaite confiance qu'il avoit en moy, il m'envoya quérir plusieurs fois dans sa dernière maladie, et me communiqua les plus secrets mouvemens de sa conscience. Si je temoignois une chose et M. le Curé de S. Estienne une autre, il y auroit de la peine à discerner lequel de nous deux se tromperoit, mais je produis des faits dont on ne peut douter, puis que les pro- ches et les amis de M. Paschal sont témoins du désir qu'il eut de me parler, et ils sont asseurez par eux mesmes et par des écrits qu'ils ont en main que ses dispositions estoient tou- tes contraires à ce qui est rapporté de luy dans cette Déclara- tion que vous alléguez.
8. [De Lalane]. — Défense de la foy des Religieuses de Port Royal et de leurs directeurs. Contre le Libelle scandaleux et diffamatoire de M. Chamillard intitulé : Déclaration de la conduite, etc. (ire partie 23 p., 26 avril 1667. — 2e partie 34 p., 8 may 1667).
2e Partie p. 3o-3i. Réfutation de la 4- Contradiction — La 4. et dernière contradiction objectée par M. Chamillard est une impertinence insigne. Il la fonde sur un discours de feu
1. Cf. infra p. 373 sq. une lettre de Sainte-Marthe à Perier, du 4 décembre 1688.
MORT DE BLAISE PASCAL 357
M. Pascal touchant la première signature des Religieuses. M. Pascal a reconnu, dit-il, que dans le sens de Jansenius il ne s'agissoit pas d'un fait mais d'un droit, et les Jansénistes disent présentement le contraire. Mais si ces prétendus Jansénistes ont esté en cela entièrement opposez à M. Pascal, et s'ils ont sou- tenu contre luy qu'il ne s'agissoit que d'un fait, et non d'un droit, comme ils le disent encore maintenant, et comme ils l'ont toujours dit, où sera la contradiction ? Car la contradic- tion doit estre des mesmes personnes qui disent en un temps ce qu'ils nient en un autre. Or par ce Manuscrit mesme de M. Pascal que M. Chamillard cite il est évident qu'il avoit sur ce sujet une opinion singulière opposée à tous les Théo- logiens qui estoient à Port-Royal et qui y avoyent quelque liaison : qu'il a fait quelque escrit pour son opinion et que ces Théologiens en ont fait d'autres pour la réfuter. L'histoire de ce différent a esté parfaitement éclaircie dans une lettre faite exprés par un Théologien à un de ses amis qui est à la fin de la réfutation du livre du P. Annat contre le Mande- ment de M. d'Alet. Il n'y eut donc jamais moins de lieu à reprocher une contradiction puis que M. Pascal est mort dans son sentiment, et que ces Théologiens ont toujours eu celuy qu'ils ont.
M. Chamillard avoit déjà parlé de cette histoire dans son premier escrit, on a refuté ce qu'il en a dit, il ne respond rien à tout cela.
Le P. Annat ayant rapporté une certaine déclaration de M. le Curé de S1 Estienne sur ce sujet, on a fait voir évidem- ment dans le récit de ce différent que ce Curé avoit pris dans un sens tout contraire ce que M. Pascal luy en avoit dit. M. Chamillard ne laisse pas encore de rapporter froidement cette déclaration, comme si on n'y avoit pas respondu. Mais la malice ou l'aveuglement de M. Chamillard paroit davantage en ce que ce Manuscrit mesme de M. Pascal qu'il cite, fait connoître que c'esloit M. Pascal qui accusoit Messieurs de Port-Royal d'avoir trop de soumission et trop de condes- cendance pour le Pape et pour les Evesques ; Et qu'ainsi il
358 ŒUVRES
n'avoit eu garde de dire à M. le Curé de S1 Estienne qu'ils alloient trop avant dans les matières de la grâce, et qu'ils ne paroissoient pas avoir assez de soumission pour le Pape. C'est ce qu'on voit tres-clairement dans le récit de ce diflerend.
M. Chamillard voit encore dans ce Manuscrit de M. Pascal qu'il cite et qu'il dit avoir entre les mains, qu'il croioit que Jansenius n'avoit enseigné sur le sujet des cinq propositions que le dogme de la grâce efficace par elle-mesme, qu'on ne pouvoit souscrire au Formulaire qui contenoit la condamna- tion du sens de Jansenius, et qu'on ne devoit mesme sous- crire à la condamnation des propositions qu'on exceptast la grâce efficace, ou au moins le sens de Jansenius, et M. Pascal n'avoit fait cet escrit que quelque temps avant sa mort, puis qu'il ne l'avoit fait qu'après la signature des Religieuses qui est du mois de novembre 1661. et qu'il est mort neuf mois après. Comment donc ce que M. Chamillard dit estre dans cette déclaration de M. le Curé de S1. Estienne pourroit-il estre vray, sçavoir que M. Pascal luy avoit déclaré avant que de mourir qu'on Vavoit autrefois embarassé dans le parti des Jan- sénistes, mais que depuis deux ans il s'en estoit retiré, parce qu'il avoit remarqué qu'ils alloient trop avant dans les matières de la grâce. Car est-ce estre retiré de ce parti prétendu que de croire que Jansenius n'a enseigné que le dogme de la grâce efficace par elle-mesme sur le sujet des cinq propositions? Est-ce en estre retiré que de croire qu'on ne peut souscrire au Formu- laire en ce qu'il contient la condamnation du sens de Janse- nius? Et n'est-ce pas aller plus avant que les Théologiens dans cette matière que de croire qu'on ne puisse souscrire simplement à la condamnation des propositions sans excepter la grâce efficace ou au moins le sens de Jansenius? Il n'y eut jamais rien de si visiblement contraire à la vérité que ce que M. Chamillard rapporte de cette déclaration. Mais ce qui a esté une pure méprise dans M. le Curé de S1 Estienne qui a mal entendu ce que M. Pascal luy a dit, est en M. Chamil- lard une très-mauvaise foy, puis que voyant dans ce Manu- scrit les véritables sentimens de M. Pascal avant sa maladie,
MORT DE BLAISE PASCAL 359
il ne peut pas douter que ce qui est dans cotte déclaration n'y
soit contraire, et qu'ainsi il ne soit manifestement faux
J'adjoûterai encore ici à tout ce qui a esté rapporté de cette histoire que quand M. Pascal disoit que dans la question du fait et du sens de Jansenius il s'agissoit d'un droit, il le pre- noit en un sens différent de celuy des Jésuites et de M. Gha- millard. Car il supposoit, ce qui est tres-vray, que le sens de Jansenius n'estoit que celuy de la grâce efficace par elle-mesme, d'où il concluoit que le Pape ayant condamné le sens de Jan- senius, on ne pouvoit empescher en souscrivant à la condam- nation du droit que cette condamnation ne tombast sur cette doctrine de la grâce efficace par elle-mesme, à moins que d'ex- cepter formellement la grâce efficace, ou le sens de Janse-
9. [Bouhours]. — Lettre écrite à un Seigneur de la Cour sur la Requeste présentée au Roy par les Ecclésiastiques qui ont esté à Port-Royal. Paris, 1668, in- 4° (ire édition p. 21-22).
Qui ne sçait présentement que Mr Paschal est l'Auteur des Provinciales, et qu'il estoit engagé dans le parti lors qu'il ecrivoit? Si quelqu'un doutoit d'une vérité aussi constante que celle-là, il seroit aisé de l'en convaincre par le témoignage de Mr Paschal mesme, que nous sçavons de bonne part avoir abjuré le Jansénisme à sa mort.
(En note à la marge.) Cela est attesté par un Ecrit signé de la main de M. le Curé de S. Estienne du Mont, qui assista M. Paschal à la mort. Cet Ecrit est entre les mains de M. l'Archevesque de Paris1.
1 . Cette nouvelle affirmation fut repoussée à nouveau par Arnauld dans sa Réfutation de la lettre à un Seigneur de la Cour, 4 août 1668, 60 p. in-4°, p. 48. Lorsque Bouhours inséra sa Lettre à un Sei- gneur de la Cour dans ses Opuscules sur divers sujets, en i684, p. 76, il supprima le passage qui concernait Pascal. — Au moment où allait paraître l'édition des Pensées, l'archevêque de Paris, au cours d'un entretien qu'il eut avec le libraire Desprez, le 24 décembre 1669, lui montra la déclaration de Beurrier. Desprez envoya à Madame
360 ŒUVRES
10. Lettre du Père Beurrier, à Madame Perier (3e Recueil Guerrier, p. 189).
A Paris, le 12. Juin 167 1 . Madame,
Ayant apris de Mr Perier que vous estiez fort touchée de l'abus qu'on a fait d'une Déclaration que feu Monsei- gneur l'Archevesque avoit tirée de moy sur le sujet de feu Mr. vostre Frère, et que vous seriez bien aise de sçavoir au vray ce qu'il m'avoit dit dans sa dernière maladie, qui avoit donné lieu à l'explication de sa pensée, telle que je luy donnay alors; il est vray, Madame, que quand je parlay à M1* de Paris, je crus de très-bonne foy qu'il m'avoit fait en- tendre ce que j'ay mis dans ma Déclaration, aïant pris en ce sens ce qu'il m'avoit dit dans une conversation particulière, qu'il avoit eu quelque diférent avec ces Messieurs sur le sujet des matières du tems, et qu'il n'estoit pas entièrement dans leurs sentimens. Mais sur ce que j'ay apris des disposi- tions de Mr. vostre Frère, par ceux qui l'ont connu très par- ticulièrement et par quelques Ecrits du sujet de la dispute qu'il avoit eue avec eux quelque tems avant sa mort; j'ay bien reconnu que ses paroles pouvoient avoir un autre sens que celuy que je leur avois donné : comme aussi je croy qu'elles l'avoient, puisque le sujet de leur contestation estoit tout diférent de ce que je m'estois imaginé. Voilà, Madame, tout ce que je vous diray de cette Déclaration, que je souhai- terois de bon cœur n'avoir jamais donnée, puisqu'elle ne pa- roist pas conforme à la vérité de ses sentimens, et qu'on en abuse contre mon intention et contre la parole qu'on m'avoit donnée, pour décrier des personnes pour qui j'ay beaucoup
Perier la relation de cette entrevue, en lui décrivant cette pièce (cf. Pensées, T. I, p. clxiii). — Perier écrivit une lettre que nous n'avons pas. L'archevêque répondit le 2 mars 1670. Perier lui écrivit à nouveau le 12, et Arnauld adressa sur ce sujet à Perier une lettre, datée du a3 mars 1670 (cf. ces pièces, Pensées, T. I p. clxx sqq.).
MORT DE BLATSE PASCAL 361
d'estime, aussi bien que de vostre chère Famille, de laquelle je seray à jamais, Madame,
Le tres-humble et tres-obeissant Serviteur, P. Beurier, Curé de S1. Etienne.
il. Lettre écrite [par Etienne Perier] à M? le Curé de S1 Etienne du Mont à Paris (Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. 2og45, p. 27 4).
Le 17. Novembre 1673. Monsieur,
Il y a ici un ecclésiastique nommé Mr Pourrat qui est de ce pays-cy, lequel a demeuré quelque temps à Paris et qui en est revenu depuis peu. Estant un jour en conversation avec une personne de qualité de cette ville, et le discours estant tombé sur le sujet de feu mon oncle et de ses Ecrits, cet Ec- clésiastique dit qu'il s'estoit rétracté de tout cela avant que de mourir, et que vous en aviez donné vostre déclaration à feu Mr de Paris; et voyant que la personne à qui il raportoit cela avoit de la peine à croire que mon oncle eut changé de sentimens et qu'il trouvoit plus d'apparence qu'il se fut mal expliqué en vous parlant ou que vous aviez pu prendre les choses qu'il vous avoit dites dans un autre sens que celuy auquel il les avoit voulu dire, il soutint toujours que cela estoit très véritable, et que pour s'en assurer davantage il s'estoit donné l'honneur de vous aller voir luy mesme avec un Ecclésiastique que l'on dit avoir esté autrefois de S1 Sulpice nommé Mr Ghenart ; que vous leur aviez confirmé à l'un et à l'autre tout ce qui est porté par vostre déclaration et que vous leur aviez ajouté que mon oncle estoit venu luy mesme chez vous pour faire entre vos mains sa retractation. Cette dernière circonstance qui est certainement fausse puisque mon oncle n'a eu le bien de vous voir qu'en sa dernière ma- ladie et lorsqu'il gardoit le lict, nous fit juger qu'apparem- ment tout le reste de l'histoire n'estoit pas plus véritable, et mesme il nous eut esté facile d'en détromper tous ceux ausquels
362 ŒUVRES
le discours de cet Ecclésiastique avoit donné des impressions assez desavantageuses pour la mémoire de mon oncle en leur faisant voir la lettre que vous eustes la bonté d'écrire à ma mère sur ce sujet il y a environ 2. ou 3. ans, dans laquelle vous vous expliquez d'une manière bien différente de celle dont cet Ecclésiastique vous fait parler. Mais nous n'avons pas voulu, Monsieur, nous servir de cet avantage et divul- guer vostre lettre sans sçavoir auparavant si cela ne vous feroit point quelque peine, quoy que nous ayons sujet de croire que depuis la mort de feu M. l'Archevesque cela ne vous en doit pas tant faire qu'auparavant et ce n'est pas là la seule occasion dans laquelle il nous eut esté avantageux d'avoir cette liberté. Il nous en est arrivé depuis 2. ou 3. mois dans lesquelles des personnes fort considérables nous ont objecté cette prétendue retractation et entr'autres Mgr l'Evesque de Tulle qui passa par cette ville il y a quelque tems et lequel nous desabusasmes le mieux qu'il nous fut possible en luy expliquant le sujet de la contestation qui estoit entre mon oncle et ces MM. et en luy faisant voir les Ecrits qui avoient esté faits de part et d'autre sur ce sujet là. Tout cela, Mon- sieur, nous fait beaucoup de peine, et nous souhaiterions bien pouvoir fermer la bouche à tous ceux qui font de semblables discours. Sur tout vous nous obligerez extrêmement si vous voulez bien prendre la peine de nous mander si le discours fait par Mr Pourrat a quelque fondement ou s'il n'en a point, et s'il est vray qu'il vous ait esté trouver, ainsi qu'il dit, avec Mr Ghenard pour vous parler de cette affaire. Ma mère, Mon- sieur, qui a tout cela fort à cœur auroit bien voulu pouvoir se donner l'honneur de vous en écrire elle mesme ; mais il y a environ six semaines qu'elle a une fièvre quarte dont les accès sont longs et violens et qui ne luy laisse pas des inter- valles assez bons et asses libres pour cela. Ainsi elle m'a chargé de le faire pour elle, et de vous prier de sa part de luy vouloir continuer et à toute la famille la bonté dont vous nous avez toujours donné des marques dans toutes sortes d'occa- sions, et de l'assister de vos prières dans l'Etat où elle est
MORT DE BLAISE PASCAL 363
12. Lettre de M. de Rebergues à Mr Etienne Perier1.
A Paris, ce lundy 27. Novembre 1673.
Enfin, Monsieur, j'ay rencontré M. le Curé de Saint- Etienne et je luy ay rendu vostre lettre en main propre, n'ayant pas voulu la confier à un autre. Apres m'avoir de- mandé de vos nouvelles et de toute vostre famille, il lut vostre lettre en ma présence tout de suitte sans y faire aucune ré- flexion et à peu près avec le mesme visage qu'il l'avoit receue lors que je la luy avois présentée. Mais à peine eut-il achevé de lire que, m'ayant demandé si je sçavois le sujet de cette lettre, et moy luy ayant tesmoigné que je sçavois biendequoy il s'agissoit, il me dit fortement que tout ce qu'elle conte- noit estoit absolument faux, et me fit connoistre qu'il estoit impossible qu'il eut jamais dit ce que cet ecclésiastique dont vous luy parliez avoit voulu faire croire ; qu'à la vérité il ne pouvoit asseurer que M. Pourrat et M. Chenard ne fussent venus chez luy, mais qu'il ne s'en souvenoit pas, et que mesme il ne les connoissoit ny l'un ny l'autre; que, quand ils y seroient venus, il ne se pouvoit pas faire qu'il leur eust dit sur le sujet de M. Pascal les choses qu'ils avoient avan- cées, puisqu'elles estoient très fausses ; qu'à l'égard de cette prétendue retractation il avoit esté bien éloigné de leur pou- voir dire que M. Pascal en ait jamais fait puisqu'il ne l'avoit pas dit mesme à M. de Paris, et que cela n'estoit pas non plus dans l'écrit que l'on avoit tiré de luy par surprise ; qu'enfin il estoit tellement faux que M. Paschal fût venu chez luy quelque tems avant sa mort pour y faire une retractation, que, tout au contraire, il estoit très constant qu'il n'y avoit jamais mis le pied en quelque tems que ce fut. Il me dit de vous mander tout cela, parce qu'estant accablé d'affaires, sur-
1. Ier recueil Guerrier, p. 5/j, avec cette note : « copié sur l'ori- ginal. » — Claude de Rebergues fut, après Wallon de Beaupuis, le maître d<-s enfants Perier, jusqu'en mars 1673. Il se relira ensuite à Sb Lambert auprès de Tillemont, et mourut en 1676.
364 OEUVRES
tout depuis que le P. General est fort mal, il n'estoit gueres en état de vous faire réponse, mais il ajouta que la lettre qu'il avoit ecritte autrefois à Mme Perier sur cette matière est suffisante pour détromper le monde, et que vous pou- viez la montrer à qui il vous plaira puisqu'il ne l'avoit escrite que pour cela. Ainsi vous ne devés faire aucune difficulté de vous en servir selon le besoin que vous en aurés, puisque c'est l'intention mesme de M. le Curé de Saint-Etienne. Estant sur le point de le quitter, et m'ayant fait entendre qu'il tache- roit de prendre le tems de vous escrire, je pris cette occasion de luy témoigner qu'il vous feroit un très-grand plaisir. En un mot, je ne me separay d'avec luy qu'après qu'il m'eut dit qu'il se donneroit l'honneur de vous faire réponse, mais qu'il ne pouvoit pas dire quand ce pourroit estre et qu'il auroit soin luy-mesme de vous envoyer la lettre. Je crus qu'il n'estoit pas à propos de luy en demander davantage, et je ne doute pas qu'il ne le fasse. Il me chargea de vous faire ses compli- mens en attendant et à Madame Perier. Voilà, Monsieur, de quelle manière je me suis acquité le mieux qu'il m'a esté possible de la commission que vous m'avez donnée. J'eusse souhaité le pouvoir faire dés la semaine passée, mais je vous ay déjà mandé que je ne l'avois pu, parce que j'avois man- qué M. le Curé toutes les fois que j'y avois esté. Je suis, Mon- sieur, vostre très humble et très obéissant serviteur. — Signé : De Rebergues.
i3. Lettre du Père Beurrier, à Monsieur Perier le fils (3* recueil Guerrier, Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. i3gi3, p.33i).
à Paris ce 27. Novembre 1673. Monsieur,
J'ay douleur de la maladie de Madame vostre mère, et prie Dieu de luy rendre la santé et à Mademoiselle vostre Sœur, et qu'il conserve vostre sainte Famille pour sa gloire. Pour repondre à la vôtre, tout ce qu'on vous a dit est asseurement
MORT DE RLAISE PASCAL 3G;>
contre la vérité : car, i° Je ne connois point ces Ecclésiasti- ques ; 2° Jamais je n'ay avancé ny dit que feu Mr Pascal se soit retracté ; 3° Jamais il n'est venu chez moy, mais je l'ay esté voir plusieurs fois durant sa maladie; 4° Jamais je ne l'ay bien connu comme Auteur des Lettres au Provincial qu'à sa mort, et ce fut par le feu Père l'Allemand1 ; 5° Tout ce que j'ay dit, c'est qu'il est mort tres-bon Catholique après avoir receu les Sacremens, et qu'il avoit une patience consommée et une très-grande soumission à l'Eglise, et à nostre Saint Père le Pape ; et que depuis deux ans devant sa mort il avoit voulu se retirer pour songer à son salut et travailler contre les Athées. Tout ce détail est expliqué dans la lettre que j'ay eu l'honneur d'escrire à Madame vostreMere, que vous pouvez faire voir à qui il vous plaira. Je suis pour jamais,
Monsieur, vostre tres-humble et tres-obeissant serviteur, F. P. Beurrier, Curé de S1 Etienne.
i4- Gilberte Perier. — Addition à la vie de Pascal. 1611 2.
Apres avoir parlé de sa maladie, de sa mort, et du lieu où il est enterré, l'on voudroit parler de l'affaire dont il s'agit, environ de cette manière.
Monsieur le Curé de S1 Etienne le recommanda le dimanche suivant à son prosne aux prières des assistans, et il en fît un éloge qui marquoit l'estime qu'il faisoit de sa pieté et com- bien il regrettoit la perte que l'on avoit faite à sa mort. Il en parla de la mesme manière à feu Mr l'Archevêque de Paris qui luy en demanda des nouvelles ayant sceu qu'il l'avoit as- sisté à la mort. Et quoy que ce qu'il luy rapporta dans la mesme occasion d'une conversation qu'il avoit eue avec mon frère dans sa maladie ait donné lieu à quelques personnes qui auroient voulu, s'ils avoient pu, noircir sa mémoire et sa
1. Lallemant, chanoine régulier de Ste Geneviève.
2. Copie à la Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. 200,45, p. 275. Cf. sur cette addition la lettre adressée à Madame Perier par ses fils Louis et Biaise, le 8 mars 1677 (supra T. I, p. 4i)-
366 ŒUVRES
réputation de faire courir le bruit qu'il avoit fait avant que de mourir une retractation entre les mains de M. le Curé de S1 Etienne, neantmoins il y a peu de gens à présent qui ne soient entièrement desabuzez de cette calomnie, dont Mr le Curé de S1 Etienne luy mesme qui est encore vivant et qui est présentement abbé et gênerai de cet ordre pourra détromper tous ceux qui ne le seroient pas encore suffisamment et qui luy en voudront demander l'éclaircissement. 11 s'en est déjà asses expliqué par avance dans plusieurs lettres qu'il nous a fait l'honneur de nous escrire sur ce sujet et que nous avons en nos mains par lesquelles il déclare qu'il n'a jamais dit de bouche ni par escrit à qui que ce soit que Mr Pascal se fut retracté comme en effet cela estoit très faux ; et il demeura mesme d'accord qu'il avoit pris dans un sens contraire ce que M. Pascal luy avoit dit dans cet entretien duquel il avoit fait rapport à M. l'Archevesque et qui avoit donné sujet à ce faux bruit, quoy que neantmoins il ne contienne rien d'approchant de cela. J'ay crû qu'il estoit nécessaire d'en faire connoistre la fausseté, et de justifier la mémoire d'une personne qui n'a jamais eu des sentimens qui ne fussent très catholiques et dont il ait eu besoin de se retracter, qui a tousjours eu un très grand respect et une très parfaite soumission pour toutes les veritez de la foy, et dont l'entière application et l'unique travail pendant les cinq ou six dernières années de sa vie a esté de combattre les ennemis de la Religion et de la morale chrestienne1.
i. Toujours préoccupée de cette « calomnie » selon laquelle Pascal se serait rétracté, Madame Perier écrivit en 1682 sur ce sujet deux lettres à Audigier et à M. de la Taitière; et Domat écrivit de son côté le i5 janvier 1682 à Audigier une lettre où il disait: « per- sonne au monde n'a jamais sçu mieux que moy les sentiments de M. Pascal sur ce sujet et pendant sa maladie et à sa mort » (Cf. supra T. I, pp. 43, 45 et 46).
MORT DE BLAISE PASCAL 367
i5. Déposition de M. Nicole1.
[19. Août 168/i.l
Gomme j'ay esté témoin de tout ce qui s'est passé dans le différent que feu M. Pascal a eu avec Messieurs de Port- Royal les deux dernières années de sa vie, que je l'en ay entretenu plusieurs fois, que j'ay eu part aux divers escritsqui ont esté faits de part et d'autre, que je l'ay veu mesmedans sa dernière maladie, et qu'il m'a tousjours parlé de la mesme sorte, je puis rendre un témoignage certain et assuré que ce qui est dit du sujet de ce différent dans la Lettre d'un Théo- logien à un de ses amis du quinzième juillet mil six cent soixante et six sur la déclaration de M. le Curé de S1 Etienne est exactement véritable, et que M. le Curé de S1 Etienne quoy qu'à bonne intention, a pris néanmoins tout le contraire du sens de M. Pascal, ayant compris qu'il blasmoit Messieurs de Port-Royal d'estre trop peu respec- tueux envers le pape, au lieu qu'il ne les a jamais accusez que de porter ce respect trop loin, et de s'estre servi de quel- ques termes qui luy paroissoient équivoques, et que Messieurs de Port-Royal soutenoient ne l'estre en aucune sorte, comme ils n'ont point paru tels en effet au commun de l'Eglise. C'est ce que je déclare avec une entière sincérité par forme de codicille et disposition de vérité. Signé : P. Nicole.
Fait à Paris ce dix neuviesme Aoust mil six cent quatre vingt quatre. Signé : P. Nicole.
Opisthographe de l 'attestation donnée par Mr Nicole tou- chant Mr Pascal (/er recueil ms. Guerrier, p. 120).
Aujourd'huy 22. Aoust l'an 1684. est comparu par devant
1. La copie de cette déposition se trouve au troisième recueil du Père Guerrier, pp. 328 avec cette note : « J'ai transcrit ceci sur l'ori- ginal. Ceci est signé de la main de M. Nicole, cacheté de [\ cachets et signé par deux notaires ». Dijà en 1677, le duc de Rouannez avait pensé à faire dresser devant notaire des actes authentiques sur le sujet du différend qui sépara Pascal et ses amis de Port-Royal (Cf. supra T. I, p. £2).
368 ŒUVRES
les notaires au Chatelet de Paris soussignez en l'étude de Galloys l'un d'eux Mr Pierre Nicole bachelier en théologie demeurant rue Copeau faux bourg S1 Marcel paroisse Saint Medard, lequel a déclaré et reconnu avoir escrit et signé le contenu de cette feuille de papier cacheté sur la première page qu'il a déclaré être un codicille. Et ont signé P. Nicole. Galloys. Gaillet.
16. Autre Attestation de Nicole1.
La liaison intime que j'ay eue avec feu M. Pascal pendant les 9. ou 10. dernières années de sa vie m'ayant donné lieu d'estre parfaitement informé de ses sentimens sur les matières qui estoient agitées dans l'Eglise en ce tems là, je n'ay pu supporter qu'avec indignation les bruits que l'on a fait cou- rir de son prétendu changement sur ce sujet, à l'occasion d'une certaine déclaration que Mr Beurrier curé de S Etienne du Mont donna à feu M' de Perefixe arche vesque de Paris. Car je scay que rien n'est plus opposé à la vérité que ce qui est dit dans cette déclaration touchant le différent qui fut entre M' Pascal et Messieurs de Port-Royal deux ans avant sa mort, dont le sujet estoit tout contraire à celuy que M' Beur- rier s'estoit imaginé, comme il l'aluy mesme reconnu depuis. Ainsi je n'ay pas eu de répugnance, et mesme je me suis porté volontiers à accorder à madame Perier sœur de M1 Pascal l'attestation qu'elle m'a demandée instamment de ce qui est de ma connoissance sur ce fait, afin de pouvoir se servir de mon tesmoignage pour dissiper ces mauvais bruits.
Je déclare donc et je proteste avec la mesme sincérité que si j'estois prest à paroitre devant Dieu, que je puis attester les circonstances suivantes comme en ayant esté tesmoin avec plu- sieurs amis de M. Pascal.
r° Que ce qui donna occasion à la dispute qu'il eut avec Messieurs de Port Royal fut une signature des religieuses de
1. Copie au 3ft recueil Guerrier, p. 177, avec cette note « Sur l'original signé de la main de M. Nicole. »
MORT DE BLAISE PASCAL 369
ce monastère, dont il ne fut pas satisfait, parce qu'il preten- doit qu'elle manquoit de sincérité en ce qu'elle ne marquoit pas bien clairement leur disposition, et qu'il trouvoit qu'elle ne mettoit pas la vérité assez à couvert, n'exprimant pas net- tement qu'elles ne condamnoient pas la grâce efficace ny le sens de Jansenius, qui n'estoit autre chose que la grâce effi- cace.
2° Sur cela M. Pascal fit quelques escrits dans lesquels il reprochoit à ces MM. de s'estre relâchez, non pas dans le fond des opinions, ce qu'il ne leur a jamais imputé, mais dans les termes par lesquels ils l'exprimoient dans leurs escrits et leurs signatures, et d'avoir parlé plus faiblement depuis les bulles qu'auparavant, attribuant ce changement et ces condescen- dances au désir qu'ils avoient de conserver la maison de Port-Royal. A quoy ces MM. repondoient par d'autres escrits que je ne rapporte pas icy, parce qu'il ne s'agit pas de juger du différent, mais seulement d'en marquer le sujet.
Aussi, bien loin que M. Pascal blamast ces MM. de man- quer de soumission au pape et d'aller trop avant dans les matières de la grâce, comme M. Beurrier ledit dans sa décla- ration, il trouvoit au contraire que la soumission qu'ils vou- loient rendre au S1 Siège les avoit fait relâcher de ce qu'ils dévoient à la sincérité chrestienne, en accordant trop aux ennemis de la grâce, par les expressions dont ils se servoient dans leurs signatures.
Enfin cette contestation ne regardoit nullement le fond des matières, sur quoy ils etoient parfaitement d'accord, et comme elle n'avoit point d'autre principe que la charité et l'amour de la vérité, elle n'a jamais aussi altéré l'union que M. Pascal a eue avec ces MM. jusqu'à la mort ; en sorte que M. Arnauld le vint voir pendant sa dernière maladie et M. de Ste Marthe aussi à qui il se confessa plusieurs fois durant ce tems là, leur tesmoignant à l'un et à l'autre une confiance entière et une sincère estime, et les regardant comme les défenseurs de la véritable doctrine. Signé : P. Nicole.
2e série. VII 2 4
370 ŒUVRES
17. Déposition de M. Bornât sur le même sujet1.
[3. Septembre 1684.] Je soussigné Jean Domat Conseiller et Avocat du Roy en la sénéchaussée et Siège Presidial de Clermont ayant esté prié de la part de Made Perier sœur de deffunt Monsieur Pascal, de donner mon tesmoignage par escrit de la vérité des faits qui sont de ma connoissance sur le sujet d'une déclaration qui fut faite par M. Beurrier Curé de S1 Etienne du Mont à défunt Monsieur l'archevesque de Paris en l'année 1660. con- tenant que M. Pascal luy avoit tesmoigné dans une conversa- tion, pendant la maladie dont il mourut, qu'il s'estoit retiré delà compagnie des Ecclésiastiques de Port-Royal, parce qu'il avait remarqué qu'ils alloient trop avant dans les matières de la grâce et qu'ils paroissoient avoir moins de soumission qu'ils ne dévoient pour le Pape, déclare et atteste qu'ayant eu l'honneur d'estre lié d'une amitié très étroite avec M. Pascal
1. Copie au 3e recueil Guerrier, p. 33o, avec cette note : « Ecrit et signé de sa main sur du papier marqué. » Au xvuie siècle, le juris- consulte Prévôt de la Jannès, professeur de droit français à l'Univer- sité des lois d'Orléans et prédécesseur de Pothier, écrivit une Histoire de la vie et des ouvrages de J. Domat, avocat du roi au siège Presidial de Clermont. Il voulut la faire imprimer en 17^2, mais le censeur royal Hardion s'y opposa, voulant obtenir de l'auteur le retranche- ment absolu de tout ce qui, dans cet écrit, avait trait à Pascal. Le manuscrit qui contenait cette Vie et quelques autres ouvrages de jurisprudence fut déposé à la bibliothèque d'Orléans, et figure sur le catalogue dressé en 1777; il y était encore en 1789. Il disparut à cette époque, ainsi que quelques autres manuscrits de jurisprudence, et n'est plus mentionné sur le catalogue de 1820 (Cf. Biographie Universelle de Michaut, art. Prévôt de la Jannès). — Cousin, à la suite de son livre Jacqueline Pascal, a consacré une étude impor- tante à Domat et publié un mémoire sur sa vie, écrit semble-t-il par Guerrier. Domat, né à Clermont le 3o novembre 1625, fut lié de bonne heure avec Pascal et fit avec lui des expériences sur la pesanteur de l'air, vide supraT. II, p. 478, n. 1. Il faut rapprocher de la dé- position donnée ci-dessus les termes très précis de sa lettre à Audi- gier du 25 janvier 1682 (Cf. supra T. I, p. 46).
MORT DE BLAISE PASCAL 371
et m'estant rencontré en cette ville de Paris à la fin de Tannée 1661. et dans le tems du différent qui a donné sujet à cette déclaration de M. Beurrier, j'eus une connoissance très particulière de ce qui se passa dans ce différent dont le sujet estoit une signature des Religieuses de Port-Royal après la Bulle du Pape Alexandre septième, laquelle signature avoit esté faite de l'avis de ces ecclésiastiques et que M. Pascal n'approuvoit pas, parce qu'il estimoit qu'elle n'estoit pas assez nette pour la défense de Jansenius et de la doctrine de la grâce efficace. Sur quoy il fut fait quelques escrits de part et d'autre dont j'eus aussi connoissance. Et ayant continué mon séjour à Paris jusqu'à la mort de M. Pascal et l'ayant vu presque tous les jours pendant ce temps là et tous les jours pendant la maladie dont il mourut, j'atteste aussi que je l'ay vu persévérer dans le mesme sentiment jusqu'à sa mort, de sorte qu'il est très certain que M. Beurrier a pris en un autre sens ce que M. Pascal peut luy avoir dit sur ce diffé- rent, et aussi M. Beurrier luy mesme l'a reconnu par une lettre qu'il a depuis escrite à Me Perier. C'est le tesmoignage que je dois rendre à la vérité et le mesme que je rendrois si j'en avois fait le serment en justice. Fait à Paris le troisiesme septembre 1684. Signé : Domat.
18. Déposition de M. le duc de RouannezK
[4- Septembre i684.]
Nous soussigné Artus GoufïierDuc de Rouannez ayant esté prié par Madame Perier sœur de deffunt Mon s. Pascal de vou- loir bien luy donner nôtre témoignage de ce que nous sçavons touchant une déclaration donnée en l'année i665. par Mon- sieur Beurrier alors Curé de S1 Etienne du Mont à feu Mon- sieur de Perefixe Archevesque de Paris, par laquelle il decla- roit que ledit S1 Pascal luy avoit dit, pendant la maladie dont
1 . Copie au 3e recueil Guerrier, p. 32g, avec ces notes : « Ecrit sur du papier marqué et signé de sa main; — ou Roiïanez, car la signa- ture est difficile à lire » .
372 ŒUVRES
il estoit decedé, que depuis deux ans il s'esloit séparé des Ecclésiastiques de Port-Royal, parce qu'il avoit remarqué qu'ils alloient trop avant dans les matières de la grâce et qu'ils paroissoient avoir moins de soumission qu'ils ne dévoient pour le Pape, déclarons qu'aiant eu une liaison intime avec ledit feu sieur Pascal jusqu'à sa mort, nous avons eu une connoissance particulière de ses sentimens sur ce sujet, et pouvons attester qu'il ne peut y avoir de déclara- tion plus contraire à la vérité que celle de M. le Curé de S1 Etienne qu'on ne peut imputer qu'à une mesprise. Il est vray que le sujet de ce différend estoit de ce que M. Pascal n'approuvoit pas une signature qui fut faite, de l'avis de ces Ecclésiastiques, par les Religieuses de Port-Royal, sur le sujet de la doctrine de Jansenius après la bulle du pape Alexandre septième. Mais au lieu que M. le Curé de S1 Etienne a cru que M. Pascal les blamoit d'aller trop avant dans les matières de la Grâce, et de manquer de soumission au Pape, il disoit au contraire qu'ils en avoient trop et que les termes dont ils se servoient pour la marquer pouvoient estre pris par des personnes qui n'entendroient pas leur sens, pour une condamnation de Jansenius. C'est ce que nous attes- tons estre véritable. Fait à Paris le quatrième septembre mil six cent quatre vingt-quatre. Signé : Artus Gouffier de Roannez.
19. Déposition de Mr Arnauld le docteur1.
[21. Décembre 1684.] Gomme je suis parfaitement informé de tout ce qui s'est passé dans le différent que feu M. Pascal a eu avec MM. de
1. Copie au 3e recueil Guerrier, p. 328, avec cette note : « J'ai pris ceci sur l'original écrit et signé de la main de M. Arnauld. » Cette dé- position était accompagnée de ce billet adressé à l'abbé Louis Perier (2e recueil ms. Guerrier, p. 63): «C'est de grand cœur, Monsieur, que je vous envoie l'attestation que vous me demandez : mais je ne vois pas de quelle utilité il seroit qu'elle fut reconnue par devant Notaires : car ces Notaires ne pourroient pas attester de la vérité du fait, n'en sçachant rien; et pour ce qui est de ma signature, elle est plus connue
MORT DE BLAISE PASCAL 373
Port-Royal, les deux dernières années de sa vie, que nous nous en sommes entretenus plusieurs fois, et que j'ay eu part à divers escrits qui se sont faits sur ce sujet, que je l'ai vu mesme pendant sa dernière maladie, et qu'il m'en a tousjours parlé de la mesme sorte: je puis rendre tesmoignage que ce qui est dit du sujet de ce différent dans la Lettre d'un Théo- logien à un de ses amis du i5. Juillet 1666. sur la déclaration de M. le Curé de Saint Etienne du Mont, est exactement véri- table. Et ainsi je puis assurer, aussi bien que l'Auteur de cette lettre, que M. le Curé de S. Etienne aiant mal compris ce que luy disoit un malade, qui avoit beaucoup de peine à parler, a déclaré de bonne foy ce qu'il s'est imaginé qu'il luy avoit dit ; mais qu'il avoit pris tout le contraire du sens de M. Pascal, aiant compris qu'il blamoit MM. de Port- Royal d'estre trop peu respectueux envers le Pape, au lieu qu'il ne les a jamais repris que de porter ce respect trop loin, et de s'estre servi de quelques termes qui luy paroissoient équi- voques, et que MM. de Port-Royal soutenoient ne l'estre en aucune sorte, comme ils n'ont point paru tels en effet au commun de l'Eglise. C'est ce que je déclare avec une entière sincérité. Fait ce 21. Décembre 1684. Signé: Antoine Ar- nauld, Docteur de Sorbonne.
20. Lettre de M' de <Ste Marthe à MT Louis Perier (Biblio- thèque Nationale, ms. f. fr. 20940, f° 262).
Ce [\. Décembre 1688.
Monsieur, il y a maintenant plus de 20. années que me trouvant engagé à deffendre les Religieuses de P. R. contre
que ne seroit la leur, qui mesme ne feroit pas foy en France, si elle n'estoit légalisée par le magistrat. Tout cela de plus seroit inutile ; car les reconnoissances par devant Notaires, servent principalement pour arrester la date des Actes, et pour empescher qu'on ne les puisse
antidater. Or la date ne fait rien du tout à celuy-cy » Voir encore
un passage d'une lettre écrite par Arnauld en mai 1688, supra T. I, p. 4i, n. 1.
374 OEUVRES
les libelles de Mr de Chamillard, je fus obligé de parler de Monsieur Pascal vostre oncle sur ce que ce docteur produisoit une relation du P. Beurrier Curé de S1 Etienne dans laquelle il exposoit que M. Pascal luy avoit déclaré avant de mourir qu'on l'avoit autrefois embarrassé dans le parti des Jansé- nistes, etc.. Je soutins à ce Docteur que ledit Sr Curé avoit pris à contre sens ce que M. Pascal luy avoit dit, puisqu'il estoit si peu vray qu'il se fut retiré des prétendus Jansénistes, qu'il m' avoit.... [cf. cet écrit de i66y,suprap. 356]... Voila, Mon- sieur, ce que j'escrivois alors pour rendre tesmoignage à une vérité très constante. M. le Curé de S1 Etienne n'a eu garde de contester un fait dont on avoit des preuves convaincantes. Je croymesme qu'il a retracté l'escrit qu'on luy avoit fait signer par surprise. Pour moy au contraire j'atteste et je confirme les choses que j'écrivis alors. Elles me sont très présentes, et je les assure avec la mesme sincérité. Ce qui est une fois vray, l'est tousjours, et nous luy devons le mesme tesmoignage. Mais avant de finir ma lettre, vous voulez bien que je vous rap- porte les dernières paroles de M. Pascal. Il avoit un si grand mouvement de mourir en Pénitent qu'après m'avoir tesmoi- gné qu'il estoit assisté avec un très grand soin, et qu'il ne manquoit d'aucun secours ny d'aucun soulagement, il me proposa le dessein qu'il avoit de se faire portera l'Hôtel Dieu pour y souffrir et y mourir avec les pauvres. C'est très vo- lontiers, Monsieur, que j'atteste ces faits, il ne me reste plus qu'à vous assurer que je suis tout à vous et à Mesdelles vos Sœurs. Signé : C. de Ste Marthe.
P. S. Il y a un autre escrit fait par Mr l'abbé de la Lane en mesme tems que le mien qui a pour titre Défense de la foy des Religieuses de P. R. où il est parlé de cette mesme dé- claration de M. le Curé de S1 Etienne et où elle est refutée en ces termes pp. 3o et 3i. « Le P. Annat ayant rapporté — [suit la citation, cf. supra p. 35j\ Je suis, Monsieur, vostre très humble et obéissant serviteur. Signé : C. de Sainte Marthe.
MORT DE BLAISE PASCAL 375
2 1 . Lettre de M. P. Coquebert, prieur de S^-Foy de Char- tres à M"e Periert.
A Chartres, ce 25. Mars 1701.
Mademoiselle,
J'aurois repondu il y a longtems à celle que vous m'avez fait l'honneur de m'escrire, si j 'a vois esté bien seur des choses dont vous desirez eslre instruite : mais n'estant pas tout à fait assuré d'avoir entendu de la bouche du P. Beurrier Curé de S. Etienne, tout ce que vostre lettre marque estre arrivé à la mort de feu M. Pascal, j'ay voulu m'en eclaircir et m'en as- surer davantage. J'ay donc parlé à plusieurs de nos Pères qui autrefois ont connu plus particulièrement le Père Beur- rier. J'ay mesme escrit sur cela à Ste Geneviève, et j'ay appris que les personnes ausquelles je me suis adressé ont eu recours à vous. Après toutes ces enquêtes je ne me suis trouvé ny mieux instruit ny plus seur qu'auparavant. Ainsi tout ce que je puis vous dire est que je me souviens d'avoir fait le récit de ce qui s'est passé à la mort de M. Pascal au sujet des Pro- vinciales à peu prés tel qu'il est dans vostre lettre fondé sur ce que j'avois entendu raconter partie au Père Beurrier, partie à d'autres à qui il en avoit aussi parlé, sçavoir qu'après l'avoir confessé au tems de sa maladie, ayant appris qu'il estoit l'au- teur des Provinciales il retourna le voir et luy en ayant parlé, et demandé s'il n'avoit rien à se reprocher là dessus, M. Pascal luy repondit qu'il pouvoit l'asseurer comme estant sur le point d'aller rendre compte à Dieu qu'il n'avoit eu dans cet ouvrage aucun mauvais motif, ne l'ayant composé que pour l'interest de la gloire de Dieu et la deffence de la vé- rité sans jamais y avoir esté poussé par aucune passion contre la Société et que sa conscience ne luy reprochoit rien sur cet article. Voilà autant que je m'en puis souvenir ce que j'ay entendu du Père Beurrier et de quelques autres de nos Pères
i. Copie au Ier recueil Guerrier, p. 4o, avec ces notes : « Je ne sçay s'il faut lire Coquevert ou Coquebert. — Copié sur l'original. »
376 ŒUVRES
à qui il en avoit aussi parlé. Comme cela n'a esté dit qu'en conversation et qu'il y a du tems, on n'est plus si certain. Qui auroit cru avoir un jour à en repondre, y auroit fait plus d'attention. Au reste c'a esté avec plaisir quej'ay rendu ce témoignage à feu M. Pascal. Et jevoudroisen sçavoir davan- tage et estre mieux informé de toutes les circonstances de ce fait pour pouvoir satisfaire à vos justes désirs et vous témoi- gner l'estime et la considération avec laquelle je suis, Made- moiselle, vostretres humble et très obéissant serviteur. Signé : Coquebert, prieur de Ste Foy de Chartres et cy devant de S1 Léger de Soissons.
22. Relation anonyme sur les déclarations du P. Beurrier (Bibliothèque Nationale, ras. f.fr. 12449-, p- 8g5).
Le bruit qui s'est répandu dans le monde que M. Pascal a fait une retractation quelque tems avant sa mort est absolu- ment faux.
Ce qui a donné lieu à ce bruit est une déclaration que M. Beurrier, Curé de Sb Etienne-du-Mont, donna en i665. à feu Monsr l'Archevesque de Paris qui le fit venir pour sçavoir de luy dans quelles dispositions M. Pascal estoit mort 3. ans auparavant en 1662. parce qu'il l'avoit assisté pendant sa dernière maladie.
Cette déclaration est citée dans un livre du P. Annat inti- tulé: Lettre de M. Jansenius, Evesque d'Ypres, au Pape Ur- bain VIII. etc. Voicy comme il est parlé, p. 96. « Mais pour cettui-cy.... »
11 est vray que ce sont là à peu près les termes de la décla- ration et que cette déclaration est signée de la main de M. Beurrier Curé de S1 Etienne.
Mais il y a bien des reflexions à faire là-dessus :
i° Ce n'est pas agir de bonne foy que de vouloir faire passer cette déclaration pour une retractation de M. Pascal, puisque ce n'est au plus qu'une interprétation de ses senti- mens, M. Beurrier reconnoissant luy-mesme qu'il n'a pas dit à M. de Paris que M. Pascal eust fait une retractation et que
MORT DE BLAISE PASCAL 377
cela n'estoit pas non plus dans l'escrit que l'on avoit tiré de luy par surprise. C'est ce qu'il a dit à celuy qui luy porta une lettre de M. Perier le fds, comme on le peut voir dans la ré- ponse de cet ami à M. Perier du 27. Novembre 1673
20 Ces paroles de M. Beurrier, que l'on avoit tiré de luy cet escrit par surprise, et ces autres qu'il dit encore dans sa lettre à M. Perier du 12. Juin 1671. « qu'on abuse de cette déclaration contre son intention et contre la parole qu'on luy avoit donnée, pour décrier des personnes pour qui il a beau- coup d'estime », marquent assez qu'on l'a engagé à cela mal- gré luy, et qu'il ne l'a pas fait avec une entière liberté.
3° M. Beurrier n'ayant pas dicté luy-mesme cette déclara- tion, mais l'ayant seulement signée, et ayant esté dressée par des personnes qui avoient peut-estre dés ce temps-là le des- sein de s'en servir comme ils ont fait depuis, on pourroit craindre qu'ils n'eussent tourné la réponse de M. Beurrier d'une manière qui favorise davantage leurs desseins.
4° Mais, supposant que ce soit les mesmes paroles que M. Beurrier a dites à M. FArchevesque, comme cela peut estre, puisqu'il semble luy-mesme en demeurer d'accord dans sa lettre à Me Perier, il est au moins très constant que ce ne sont les mesmes paroles que M. Pascal luy a dites, mais l'explication qu'il leur a donnée, puis qu'il déclare dans sa lettre à Me Perier qu'il a pris en ce sens ce que M. Pascal luy avoit dit dans une conversation particulière, sçavoir qu'il avoit eu quelque différend avec ces Messieurs sur le sujet des matières du temps et qu'il n'estoit pas entièrement de leur senti- ment. Or qui ne voit que ces paroles sont fort différentes de celles qui se trouvent dans la déclaration, puis que ce sont des termes généraux qui ne déterminent rien et qui peu- vent estre pris dans un sens tout contraire à celuy que la déclaration fait entendre d'abord, comme en effet M. Pascal les entendoit en ce sens là et ceux qui sçavent les dispositions où estoit M. Pascal et les différends qu'il y avoit eu entre luy et ces Messieurs n'en peuvent douter. Ce qu'on a fait voir clairement dans un escrit du i5. juillet 1666. qui fut fait
378 ŒUVRES
pour servir de response à ce que le P. Annat en avoit publié, où l'on rapporte l'origine et la suite de ce différend.
Mais comme M. Beurrier n'estoit pas instruit de tout cela, il n'y a pas lieu de s'estonner qu'il ait donné à ces paroles un sens tout différent, surtout si l'on considère qu'il croyoit en cela rendre service à M. Pascal dont la mémoire luy estoit chère, parce qu'il avoit connu sa pieté et son mérite. Mais il n'eust pas eu garde de parler de la sorte s'il eust esté mieux instruit. Et en effet, après qu'on luy eust expliqué les choses et qu'on luy eust fait voir les escrits qui avoient esté faits sur le sujet de ce différend, il en demeura tellement persuadé que, dans sa lettre à Me Perier, il déclare qu'il a bien reconnu que ces paroles pouvoient avoir un autre sens que celuy qu'il leur avoit donné, comme aussi il croit qu'elles l'avoient, puisque le sujet de leur contestation estoit tout différent de celuy qu'il s'estoit imaginé.
5° Enfin il faut ajouter encore que cette diversité de senti- mens n'a jamais interrompu le commerce d'amitié qu'il avoit avec Messieurs de Port-Royal, leur union ayant paru encore d'une manière toute particulière mesme durant sa dernière maladie. Car M. Arnaud qui estoit alors à Paris luy rendit visite, et M. Pascal le reçut avec toute sorte de témoignages de tendresse et d'affection. Il se confessa plusieurs fois à M. de Sainte-Marthe durant le cours de son mal et la veille mesme de sa mort, n'ayant pas cru en ce temps-là où l'on a moins d'esgard que jamais à toutes les considérations hu- maines, pouvoir choisir une personne qui luy pustestre plus utile pour le bien de sa conscience.
23. Rapin. — Mémoires, édition Aubineau.
T. II, p. 395. — Il n'y eut pas mesme jusqu'à la
Marquise de Sablé qui se trouvant dans les interests de Port- Royal plutôt par l'estime qu'elle avoit pour les personnes qui en estoient que pour la doctrine, qu'elle n'entendoit pas comme les autres femmes du party, ne put toutefois s'empêcher de reprocher à Pascal, qui l'estoit allé voir, la liberté qu'il
MORT DE BLAISE PASCAL 379
prenoit de décrier une compagnie célèbre, qui servoit bien l'Eglise. « Car que seroit-ce, luy dit-elle, si ce que vous leur reprochez estoit faux, comme on le dit depuis que les Impos- tures que le P. Nouet, jésuite, a commencé à donner au public ont détrompé le monde? » Pascal luy repondit que c' estoit à ceux qui luy fournissoient les mémoires sur quoy il travailloit à y prendre garde et non pas à luy, qui ne faisoit que les arranger. C'est une particularité que j'ay apprise de cette marquise, dans les dernières années de sa vie, la voyant assez souvent *.
— Rien ne diminua davantage le grand crédit des jésuites ny ne decredita plus leur morale que cette sanglante satire qu'en fit cet auteur, qui le sentit tellement par luy-mesme et par les avis que luy en donnèrent la plupart des gens de bien, qui avoient reconnu ses impostures et ses faussetés par les escrits du P. Annat, qu'il en eut d'étranges remords de con- science, dont il s'expliqua à une des amies de la marquise du Vigean, de qui je l'appris ; qu'il l'avoua à la marquise de Sablé, comme elle mêle dit elle-mesme ; qu'il en ouvrit son cœur à une demoiselle, son amie, nommée de Periqués 2, cé- lèbre alors à Paris parmy les beaux-esprits, l'ayant elle mesme très-beau, et qu'en mourant il s'en déclara au Curé de Saint- Etienne-du-Mont, religieux de Sainte-Geneviève, nommé Paul Beurrier.
1. Le P. Daniel, qui reproduit ce passage parfois dans les mêmes termes (il dit un peu plus haut qu'il a vu « certains mémoires ma- nuscrits ») ajoute : « Je scay ce point en particulier de deux per- sonnes très dignes de foy, à qui la Marquise de Sablé l'a raconté plus d'une fois elle-mesme les dernières années de sa vie » (Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, 1696, p. 19).
2. Marie Perriquet, née en 1624, précieuse, amie de Me de Sablé ; elle se mit en 1669 sous la direction de Vincent de Meur, l'un des membres de la Cabale des Dévots et adversaire du Jansénisme, fon- dateur du séminaire de Missions étrangères. Elle mourut, semble- t-il, vers 1669 (Voir Jovy, Pascal inédit, II, 19 10, p. 355 et suiv. et Boudhors, L'Enseignement secondaire, Ier mai 191 1, p. i55b).
380 ŒUVRES
Ce bon père, qui n'estoit pas fâché de voir les jésuites hu- miliez par ces lettres, en ménagea un peu l'auteur, son péni- tent, et il ne luy fit pas sentir toute la grandeur de son crime d'avoir calomnié sans raison et avec tant d'amertume et tant d'aigreur une compagnie célèbre dans le monde, qui ne l'avoit jamais offensé. Car si une calomnie faite à un particu- lier, qu'on deshonore injustement est un grand crime, quel jugement doit-on faire d'un particulier qui viole tous les principes delà probité, de la bonne foy et de la charité chres- tienne, pour diffamer un ordre de religieux tout entier ; qui falsifie des citations d'auteurs ; qui impute des opinions odieu- ses à des gens d'une réputation établie dans le monde pour la doctrine et pour les sentimens; qui les fait auteurs d'une morale que les dominicains et les sorbonistes ont enseignée longtemps avant leur naissance ; enfin qui ne cherche qu'à les deshonorer par toutes sortes de calomnies et de faussetés, parce qu'ils ont eu assez de zèle pour s'opposer aux erreurs de l'Evesque d'Ipres et de Saint-Cyran? Ce fut en effet là Testât où se trouva l'auteur des Lettres au Provincial à l'article de la mort ; et dans ces derniers momens, où il se preparoit à aller rendre compte à Dieu de sa vie, il en fut effrayé luy- mesme par les reproches que luy en fit sa conscience, comme il s'en expliqua à ses amis quelques années avant que de mourir, car on sut alors, à n'en pas douter, que ce confesseur ne luy fit aucun scrupule sur un procédé si injuste, ny ne l'obligea à aucune réparation, ny mesme à aucune ombre d'excuse, qui auroit du moins esté une espèce de satisfaction à ceux qu'il avoit si cruellement outragez ; ce qui paroist par un acte public dont Hardouin de Perefixe, alors archevesque de Paris, me mit l'original entre les mains pour marquer les sentimens dans lesquels mourut Pascal quelques années après. Voici la copie de cet acte
En quoy il paroist ou que le curé se soucia peu de l'interest des jésuites, à qui il ne procura aucune satisfaction qu'il pou- voit aysement tirer de son pénitent par quelque honnesteté dont il se fust chargé ou qu'il savoit peu son mestier de laisser
MORT DE BLAISE PASCAL 381
mourir un si grand calomniateur, après tant d'impostures et de faussetés, sans luy parler de satisfaction, en luy admi- nistrant les derniers sacremens.
Au reste je laisse à juger aux desintéressés si ce grand
réformateur de morale, abjurant le jansénisme en mourant, comme nous dit son confesseur, est mort en bonne conscience, après avoir volé l'honneur de son prochain sans aucun vestige de réparation, et si l'absolution est bonne dans une confes- sion où il ne paroist aucun signe de reconciliation après tant d'inimitié et de vengeance, ny aucune apparence de restitution après tant de calomnies et tant d'impostures. Quoy que c'en soit, ce fut là la fin de Pascal, qui s'alla cacher dans le fau- bourg Saint-Marceau, après s'estre assuré d'un curé pour ne pas tomber entre des mains qui luy auroient fait de la peine sur ses outrages et ses médisances, et pour mourir plus tran- quillement dans l'obscurité qu'il cherchoit pour y mettre à couvert les desordres d'une conscience qui devoit estre bien embarrassée. Il y eut en cela de la providence qu'il fut trompé par la molle complaisance de ce directeur, luy qui n'avoit dé- clamé contre le relâchement des casuistes que par un esprit faux, pour soutenir une hérésie. Au reste on n'a point su précisément pourquoy il renonça à Port-Royal, où il a voit une sœur qu'il aymoit fort et qui fut celle qui l'engagea dans le party. Le bruit courut qu'il ne s'accommodoit pas de l'esprit d'Arnault, ny de ses deguisemens. On peut après tout s'en tenir au tesmoignage du confesseur, qui déclare que deux ans avant sa mort, il avoit quitté ce party, trouvant à redire au peu de soumission qu'on y avoit pour le pape et pour ses dé- cisions
T. III, p. 186. — Vers le mois d'août de cette année 1662. le célèbre auteur des Lettres au Provincial tomba malade au faubourg Saint-Germain 1 . L'affaire de Feydeau estoit si récente,
1 . Pascal demeurait paroisse S* Corne ; le curé de cette paroisse avait signé les Écrits des curés, comme Beurrier l'avait fait ; peu de temps avant la mort de Pascal, Madame Perier avait loué une maison pour aller demeurer près de son frère.
382 ŒUVRES
à qui on contesta les sacremensdans la paroisse de Saint-Sulpice, une des plus pures de Paris sur les opinions nouvelles et la seule presque zélée contre les jansénistes par un attachement sin- cère au Saint-Siège, que les amis de Pascal, crainte qu'on ne l'inquietast en cette paroisse si la maladie devenoit considéra- ble, le firent transporter en la paroisse de Saint-Etienne, sur le fossé de Saint-Marceau, dont on esperoit meilleure compo- sition que de Saint-Sulpice ; car le curé, Paul Beurrier, reli- gieux de Sainte-Geneviève, quoyque non janséniste, ne lais- soit pas d'estre gouverné par leurs amis, sans toutefois s'embarrasser de leurs maximes. Il couroit alors un bruit secret à Paris que Pascal estoit mécontent du party, qu'il n'avoit, depuis deux ans ou environ, eu aucun commerce avec le doc- teur Arnault, son amy, et j'ai su du curé de Saint-Etienne qu'il se plaignoit de luy et de Port-Royal de ce qu'ils avoient porté trop loin leur dispute sur la grâce, qu'ils avoient passé les bornes et qu'il ne pouvoit leur pardonner, les louant d'ailleurs d'avoir fait leur devoir parle zèle qu'ils avoient fait paroistre contre la morale relaschée, qu'on ne pouvoit assez décrier, tant elle estoit pernicieuse aux mœurs. En quoy il se flattoit un peu ; car, comme il avoit pris le party d'attaquer cette morale par les Lettres an provincial, que c' estoit son ou- vrage, et qu'il croyoit y avoir reussy, l'amour-propre luy fit croire qu'il n'y avoit que luy qui eust bienservy dans les con- troverses présentes, blasmantles autres de leurs emportemens sur la doctrine et sur leur mauvaise foy à nier que les propo- sitions condamnées par les papes Innocent et Alexandre fus- sent de Jansenius, et prétendant ou qu'on devoit soutenir les propositions de cet auteur si la doctrine estoit bonne, ou se soumettre au pape si elle ne l'estoit pas. Quoy que c'en soit, il mourut environ ce temps-cy, peu visité, à ce qu'on dit, des gens du party, dont il estoit mal satisfait, et il mourut avec tous ses sacremens, âgé seulement de trente-six ans. On pré- tend que, quelques années avant sa mort, il s'estoit tellement desséché le cerveau par un problème de mathématique, où il estoit fort savant, qu'il appela depuis la RonUette ou un moyen
MORT DE BLAISE PASCAL 383
de trouver toute sorte de combinaisons de nombres par un seul tourde roue, ce qui n'avoit jamais esté imaginé avant luy, qu'il abrégea ses jours par ce travail, qui l'epuisa. Fier qu'il estoit d'y avoir reussy, il proposa, à ce qu'on dit, ce problème à tous les savants de l'Europe ; et ayant envoyé à Fermât, grand mathématicien, conseiller du parlement de Toulouse, son intime amy, ce problème à proposer aux savants de ce pays-là avec une promesse de cinq cents ecus à celuy qui le devineroit, il se trouva qu'un jésuite d'une grande réputa- tion en Languedoc et dans toute la France pour les mathéma- tiques, nommé de la Louvere, ayant deviné son problème, et son amy Fermât luy ayant mandé à Paris, il en conçut tant de dépit, que pour mettre à couvert sa honte, il taschade pré- venir la démonstration du jésuite par un effort extraordinaire d'étude et d'application pour produire la sienne. Ainsy il acheva de ruiner tout à l'ait sa santé, et peu de temps après il tomba malade d'une lièvre chaude qui luy brûla les entrailles en luy altérant notablement le cerveau ; c'est ce qui se disoit alors, parmy les savants, de sa maladie et de sa mort. Il est vray que, du tempérament ardent dont il estoit, il ne pouvoitpas soutenir tout le poids d'une si grande confusion où l'exposa la bonne opinion qu'il avoit de luy-mesme. Il avoit eu la pré- somption de défier toute la terre avec un orgueil de savant sur son problème qu'il jugeoit inexplicable à d'autres qu'à luy; et il se trouve un jésuite, c'est-à-dire un homme de cette compagnie qu'il avoit traitée d'un si grand mépris dans ses Lettres au provincial, qui s'offre à le déchiffrer du pre- mier coup d'œil qu'iljetta sur cet escrit. Pascal ne croyoitrien de plus impénétrable dans la géométrie, ny de plus caché aux anciens mathématiciens et aux modernes, comme en parle Carcavy dans la lettre qu'il luy en escrit sous le nom du sieur Dettonville, et comme parle Pascal luy-mesme sous le mesme nom en sa réponse, imprimées l'une et l'autre, l'année i65q. à Paris, chez des Prés.
Ce fut ainsi que mourut ce fameux escrivain de Port-Royal, qui, après avoir en quelque façon abjuré le jansénisme quel-
384 ŒUVRES
ques années avant sa mort, fut obligé de se cacher dans un trou de faubourg et de chercher un curé commode pour mourir avec ses sacremens, craignant que son nom ne fît peur en cette occasion à des gens aussy bien intentionnez que les prestres de Saint-Suipice, tout épuré qu'il se trouvoit du jansénisme, par l'eloignement de ses anciens amis qui en estoient à la teste et qu'il ne pouvoit plus souffrir parce qu'il avoit le cœur plus droit qu'eux; car il avoit commencé à s'en défier, les appelant des brouillons, et on luy a entendu dire quelquefois, quand on le pressoit de dire ses sentimens sur la grâce de l'evesque d'Ipres, que, dans les principes de cette doctrine, quand on nous parle de la miséricorde de Dieu, que l'Ancien et le Nouveau Testament épuisent leur éloquence pour nous jeter dans l'illusion : les entrailles du Sauveur se sont émues de bonté et de miséricorde à la vue d'un scélérat qu'il couronne à la croix, et M. d'Ipres nous dit qu'il prend plaisir de nous perdre avant que de connoistre si nous avons mérité. G'estoit là le fond de son cœur.
i[\. Beurrier. — Mémoires1. T. II, p. i5og.
Livre 3. Des choses les plus Remarquables qui se sont pas- sées en vingt et deux ans que fay esté Curé de Saint Eslienne, que fay veu, ou qui sont arrivées dans la parroisse et dont j'ay eu. une connoissance certaine. Ch. 4o. De la maladie et de la mort de Monsr Paschal et de ce qui s'est passé à cette occasion.
i. Jesus-Christ nous apprend par ses exemples, et par ses parolles, que nous sommes obligez de rendre témoignage à la vérité, quand nous en sommes requis par nos supérieurs ; ainsi que luy-meme l'a pratiqué à l'endroit de Pilate ; lors qu'il l'a interrogé sur sa royauté, en luy disant : Vous estes donc roy, Jesus-Christ luy respondit : Vous le dittes, je suis
i. Bibliothèque Ste Geneviève, ms. 1886, publié pour la première fois par E. Jovy, Pascal inédit, T. II, p. 486. Le manuscrit est une copie où se trouvent çà et là des corrections, sans doute autographes. La première partie des mémoires de Beurrier fut écrite en 1681. Ce chapitre semble avoir été écrit vers 1 69 1 -
MORT DE BLAISE PASCAL 385
roy, c'est pour cela que je suis né, et que je suis venu dans le monde affin de rendre témoignage à la vérité.
Or comme après la mort de monsieur Paschal, que j'avois assisté dans sa maladie qui dura six sepmeines entières, et luy avois rendu les derniers devoirs chrestiens après son deces, comme à mon paroissien, monsieur de Perefixe Archevesque de Paris, m'envoia quérir, et m'interrogea sur la manière de sa mort, et sur les sentimens qu'il avoit tou- chant la religion, et les matières du temps qui faisoient tant de bruit, et de division entre les catholiques, m'adjoustant que plusieurs personnes luy avoient dit, qu'il etoit mort sans sacremens, et d'une manière peu chrestienne, et j'appris d'autre part, qu'il etoit fort pressé par les ennemis du deffunt, de faire lever la tombe qui estoit sur son corps, ou au moins de faire effacer l'epithafe qui estoit dessus ; ce qui fut cause que je creu être obligé de luy faire sçavoir tout ce qu'il m'avoit dit sur ce sujet, et ce qui s'estoit passé dans sa maladie, et à sa mort, ainsy que je le raporteray en ce cha- pitre par ordre pour satisfaire au désir que plusieurs m'ont fait paroistre en avoir, m'interrogeant sur cette matière, qui a fait du bruit, non seulement à Paris, mais par tout le roiaume, et jusques à Rome, comme je le remarqueray incon- tinent. Voicy ce qui en est.
2. Je n'ay point connu monsieur Paschal, que six semei- nes avant sa mort, lors qu'estant tombé malade (dans la maison que monsieur Perier Conseiller à la Cour des Aides de Glermont en Auvergne son beau frère, qui avoit épousé sa sœur, avoit loué dans ma paroisse au fauxbourg Saint Marcel), il m'envoia quérir pour me consulter sur les affai- res de sa conscience, et après le salut mutuel, il me dit qu'ayant eu tousjours bien de l'amour pour l'ordre que Dieu avoit estably dans son église1, il m'avoit fait prier de le venir
i. Les règlements, rappelés par l'Assemblée du Clergé de i656, recommandaient de se confesser, en cas de maladie, au curé de la pa- roisse (Cf. Hermant, Mémoires, T. III, p. 333).
2e série. YII a5
386 ŒUVRES
voir, pour remettre sonameet sa conscience entre mes mains, puisque j'estois son pasteur, et après quelque entretien sur Testât de sa maladie, qui etoit une colique billieuse et nefre- tique, qui luy causoit de très grandes douleurs avec des accès de fièvre qui n'estoit pas encore bien réglée, il me demanda conseil s'il se disposeroit à faire une confession générale, ou s'il en feroit seulement une ordinaire, à quoy je luy respondis que cela dependoit de sa conscience, et de sa dévotion, et que s'il avoit fait depuis peu quelque confession générale qui fut entière, accompagnée des conditions requi- ses, et suivie de l'amendement de ses fautes, et de change- ment de vie en une plus sainte, et qu'il sentit la véritable paix en Dieu, je ne luy conseillois pas d'en faire une nou- velle, veu Testât de sa maladie, qui estoit très aiguë, qui ne luydonnoit aucun relâche, et que la recherche, et l'examen sérieux qu'il feroit pour cognoitre le détail de toute sa vie passée, pourroit notablement augmenter son mal, et qu'il luy suffisoit de faire une reveùe depuis sa confession géné- rale.
3. Il me repartit à cela qu'il y avoit deux ans qu'il avoit fait une retraitte spirituelle, et une confession générale fort exacte, en suitte de laquelle il avoit entièrement changé de vie, et pris resolution de fuir toutes les compagnies, pour ne plus songer qu'à son salut, et à combattre fortement les impies et les athées, qui estoient en grand nombre dans Paris, comme pareillement les véritables hérétiques ; qu'il avoit desja ramassé des matereaux et des armes très puis- santes pour les convaincre de la vérité de la religion Catho- lique ; qu'il sçavoit par expérience, ayant conversé et conféré autrefois avec les plus opiniâtres, il connoissoit leur fort et leur foible, qu'ils avoient croyance en luy, et qu'il sçavoit comme il falloit les prendre et les convaincre : que ces mate- reaux estoient diverses pensées, argumens, et raisons qu'il avoit couché par escrit en peu de mots en divers temps et sans ordre, mais selon qu'il les avoit formez dans son esprit, dans le dessein qu'il avoit d'en faire un livre entier en les
MORT DE BLAISK PASCAL 387
exposant par ordre, et les expliquant fort clairement, et leur donnant toute la force qu'il pourroit, espérant que ce livre seroit très utile, et que Dieu y donneroit sa bénédiction, veu la pureté de ses intensions, qui n'estoient autres que de rame- ner au bercail de l'Eglise tant de brebis égarez, et ainsi étendre le royaume de Jésus Christ, et de procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Il me mit en suitte sur les matières du temps, qui faisoient tant de bruit entre les doctes Catholiques sur la doctrine de la grâce, de la puissance et authorité du pape, sur les cas de conscience, et la morale chrestienne ; et me dit qu'il gemis- soit avec douleur de voir cette division entre les fidèles, qui s'echaufîoient si fort dans leurs disputes soit de vive voix, soit par escrit, qu'ils se decrioient mutuellement les uns les autres, avec tant de chaleur, que cela prejudicioit à l'union et à la charité, qui les devoit porter plus tost à join- dre leurs armes spirituelles contre les véritables infidèles et hérétiques, que de se battre ainsy les uns les autres, m'ad- joustant qu'on l'avoit voulu engager dans ces disputes, mais que depuis 2. ans il s'en etoit retiré prudemment, veu la grande difficulté de ces questions si difficiles de la grâce et de la prédestination selon l'adveu même de Saint Paul qui s'écrie : 0 altitudo divitiarum sapientiœ et scientiœ Dei, quam incomprehensibilia sunt judicia ejus, et investigabiles viœ ejus. Quis novit sensum Domini, etc. Rom, XI, 33, etc. 0 pro- fondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugemens sont impénétrables et ses voies incompréhensibles ! car qui a cognu les desseins de Dieu, ou qui est entré dans le secret de ses conseils ?
Et, pour la question de l'autorité du pape, il l'estimoit aussi de conséquence, et très difficile à vouloir cognoistre ses bornes ; et qu'ainsy n'ayant point estudié la scolastique, et n'ayant point eu d'austre maistre, tant dans les humanités que dans la philosophie et dans la théologie, que son propre père qui l'avoit instruit et dirigé dans la lecture de la bible, des conciles, des saints pères, et de l'histoire ecclésiastique, il
388 OEUVRES
avoit jugé qu'il se devoit retirer de ces disputes et contesta- tions, qu'il croioit prœjudiciables et dangereuses, carilauroit pu errer en disant trop ou trop peu, et ainsy qu'il se tenoit au sentiment de l'Eglise touchant ces grandes questions et qu'il vouloit avoir une parfaite soumission au vicaire de Jesus-Christ, qui est le souverain pontife. Je luy respondis qu'il avoit agy fort sagement et que ces questions difficiles ne contribuoient point à la sanctification des fidèles, et des peuples, et qu'il suffit de crere, et de parler comme l'écriture et le commun des saints pères et comme parle l'Eglise.
4. Il adjousta que, pour ce qui est de la morale nouvelle, et relâchée, qu'elle n'estoit point conforme à l'Evangile, aux canons des conciles, et aux sentimens des pères de l'Eglise et qu'il la falloit asseurement condamner ; qu'elle estoit très dangereuse, parce qu'elle favorisoit la lâcheté, le vice, le liber- tinage, et la corruption des mœurs, qu'elle etoit très pré- judiciable à l'Eglise et qu'il en avoit une très grande horreur.
J'entray dans ses sentimens, que j'estimois très justes ; enfin il me dit que depuis deux ans, il avoit commencé à mettre par escrit ses pensées pour combattre toutes sortes d'impies, et pour monstrer clairement la vérité de la religion catholique apostolique et romaine, pour les estendre au long dans le livre qu'il avoit dessein de composer, si Dieu luy rendoit la santé, et luy prolongeoit la vie à laquelle il n'avoit point d'attache, qu'autant qu'il plairoit à Dieu, et dans cette seulle veùe de travailler à la conversion des impies, si Dieu l'agreeoit, en le priant de vouloir appaiser ces contestations fâcheuses entre des personnes doctes, et de probité pour se joindre ensemble dans son même dessein de détruire l'infi- délité et l'hérésie ; en suitte il me demanda plusieurs avis que je luy donné pour se disposer à recevoir saintement les sacremens de pénitence, et de la sainte Eucharistie, qu'il souhaittoit ardemment, et cette conférence finit par la prière qu'il me fit de le bien offrir à Dieu, et de demander à sa divine majesté qu'il luy fist la grâce de vivre et de mourir
MORT DE BLAISE PASCAL 38£
en bon chrestien, et en toutes choses d'accomplir sa sainte volonté, ce qu'il desiroit uniquement. Le lendemain je le fus confesser et il me fist une reveuë depuis sa dernière con- fession générale, qu'il avoit fait durant sa retraitte ; et le jour suivant je luy porté le saint sacrement, qu'il receut avec une singulière dévotion.
5. Comme j'eù l'honneur de cognoitre mademoiselle Per- rier la sœur propre de monsieur Paschal, et sa famille que j'ay confessée plusieurs années au sortir du Port-Royal, aussi bien que quelques novices de ce monastère qui furent obligez d'en sortir avec toutes les pensionnaires par ordre du roy, et louèrent une maison dans ma paroisse assez près de l'église pour avoir plus de commodité d'assister au service, et aux autres exercices qui se faisoient dans ma paroisse : elle me fist mieux cognoistre quelques particularités de la vie de monsieur Paschal, son frère1. J'appris doncde cette vertueuse damoiselle et de son filz aisné, qui estoit aussi mon pénitent, qui estudioit en philosophie, que monsieur son père estoit Mre Estienne Paschal président de la cour des Aides de Gler- monten Auvergne lieu de sa naissance, qui avoit un si excel- lent esprit qu'il avoit appris par son propre père, sans avoir eu autre maistre, les langues grecque, et latine, la philosophie, les mathématiques, l'histoire, le droit canonique et civil, et sur tout la théologie positive par la lecture de la Bible et des Saints Pères, et fist la même charité à son filz aisné nommé Blaize Paschal duquel nous écrivons, de l'instruire luy même, et de luy enseigner toutes les mêmes sciences, sans qu'il l'ait envoie aux escholles et aux collèges, pour luy oster l'occasion des desbauches communes aux escolliers, qui souvent se gas- tent les uns les autres : aussi toute sa famille estoit aussi bien réglée comme si c'eust été une maison religieuse sous la
i. Dans ce qui suit, il y a de manifestes réminiscences de la Vie écrite par Madame Perier, et de la Préface mise en tête des Pensées en 1670. Parfois même on retrouve dans le texte de Beurrier des expressions et des phrases exactement reproduites.
390 ŒUVRES
conduitte de Monsieur le président qui faisoit l'office d'un bon père, et d'un bon supérieur Chrestien ; aussi sesenfans ont très bien profité sous un si bon maistre, et particulière- ment son filz qui avoit un très bon esprit, un fort bon natu- rel, et une mémoire si heureuse, qu'il n'a jamais rien oublié de ce qu'il avoit appris.
6. Pendant sa jeunesse Dieu l'a préservé par une particu- lière providence des vices où tombent la plus part des jeunes gens1, et, ce qui est surprenant pour un esprit aussi curieux que le sien, il ne s'est jamais porté au libertinage d'esprit, en ce qui regarde la religion, ayant toujours borné sa curiosité aux choses naturelles, et a dit souvent qu'il en avoit obliga- tion à monsieur son père, qui ayant luy même un très grand respect pour la religion, [le] luy avoit inspiré des son enfance, en luy donnant pour maxime, que tout ce qui est l'objet de la foy ne devoit pas être soumis à la raison naturelle, comme estant bien au-dessus.
Dès l'aage de onze à douze ans, il apprit d'une manière sur- prenante la géométrie et les mathématiques faisant de petits ouvrages qui surpassoient beaucoup la portée des en fans de cet aage, mais l'effort de son esprit, et de son imagination parut singulièrement dans une machine d'arithmétique, qu'il inventa à l'aage de dix-neuf à vingt ans, et chacun admira les belles expériences du vuide, qu'il fist à Rouen en présence des personnes les plus considérables de la ville, pendant que mon- sieur le président Paschal son père y faisoit la fonction d'in- tendant de la part du Roy, mais les dix dernières années de sa vie, il a plus fait paretre la grandeur, et la solidité de sa vertu et de sa pieté, qu'il n'a monstre auparavant la force, l'estendue, et l'admirable pénétration de son esprit, car après avoir passé sa jeunesse dans des occu pations et des divertisse- mens, qui paroissoient assez innocens aux yeux du monde, il fut si fortement touché de Dieu qui luy fist connoitre parfai- tement que la religion chrestienne nous oblige à ne vivre que
i. Cf. la Vie de Pascal, par Madame Perier, supra T. I, p. 5g.
MORT DE BLAISE PASCAL 391
pour luy, et à l'aimer uniquement comme nostre souverain bien, de toute l'estendue de nostre ame et de tout nostre cœur, ce qui luy parut si clairement vray, utile et absolument néces- saire, qu'il prist une ferme resolution de se dégager de toutes les choses visibles et corruptibles, et de soy même autant qu'il le pourroit.
Cela luy fist quitter entièrement l'estude des sciences pro- phanes, pour ne s'appliquer plus qu'à celles qui pouvoient contribuer à son salut, et à celuy des autres : il avoit alors trente ans, quand il rompit tous les liens, qui le pouvoient empêcher d'estre et de vivre tout à Dieu ; il changea pour cela de quartier pour perdre les habitudes qu'il avoit au monde, et en suitte il se retira à la campagne où il demeura quelque temps, d'où estant de retour, il tesmoigna si bien qu'il vou- loit quitter le monde, qu'enfin le monde le quitta1.
7. Il fist une seconde retraitte bien plus parfaitte que la première deux ans devant sa mort, Dieu le voulant par là disposer à la pretieuse mort des saints, car il passa plusieurs semeines dans les grands exercices spirituels, dans la péni- tence, la mortification, le silence, et l'examen ou reveuë très exacte de toute sa vie, et en suitte il fist une confession géné- rale, il fist de grandes aumosnes, et vendit son carosse, ses chevaux, ses tapisseries, ses beaux meubles, son argenterie, et même sa biblioteque ; à la reserve de la Bible, de saint Augustin, et fort peu d'autres livres, et en donna tout l'argent aux pauvres ; il renvoia tous ses domestiques, et se mit en pen- sion chez sa sœur mademoiselle Perrier 2 pour n'avoir plus de soin d'un mesnage, je le sçay d'elle-mesme. Il fonda le règle- ment de sa vie sur les principes evangeliques, qui sont i° de renoncer à soy même, à tout plaisir, à toute superfluité, et à la vaine gloire , i° de faire tout ce qu'on peut faire de bien dans une pure veùe de Dieu, pour son amour, et pour nous
1. Cf. la Vie de Pascal, par Madame Perier, supra T. I, p. 65.
2. Pascal ne vint habiter chez sa sœur que le 27 juin 1662. Cf. supra T. I, p. 106, note 1.
392 ŒUVRES
perfectionner; 3° d'aymer son prochain, et sa propre ame d'un amour désintéressé dans la veûe de Dieu.
Il les a voit sans cesse devant les yeux, et tachoit de s'y per- fectionner tousjours de plus en plus, comme je l'ay remarqué dans tout le temps de sa dernière maladie, qui dura six semei- nes, que je le voiois très souvent, aussi estoit-ce là les entre- tiens que nous avions ensemble. Cette application continuelle de son esprit à ces grandes vérités1, luy faisoit témoigner une si grande patience dans ses maux qui estoient très aigus et qui ne Font presque jamais laissé sans douleur, principale- ment pendant les deux dernières années de sa vie, et encor bien plus dans sa dernière maladie.
Elle le conservoit encor dans une grande soumission aux ordres de Dieu, et une indiference pour la vie et pour la mort ; il me disoit qu'il n'avoit aucune affection de vivre davantage, que pour rachever le dessein qu'il a voit com- mencé, de mettre en ordre dans un livre les pensées que Dieu luy avoit donné pour combattre les athées, les libertins, et les hérétiques, et neantmoins qu'il ne le desiroit qu'autant que Dieu le voudra.
Depuis sa retraitte il fist plusieurs mortifications corpo- relles, et refusoit à ses sens tout ce qui pou voit leur être agréable, et prenoit avec joye tout ce qu'on luy faisoit pren- dre, ce qui luy deplaisoit, il se retranchoit tous les jours de plus en plus tout ce qu'il ne jugeoit pas luy être absolument nécessaire pour le vestement, pour la nourriture, pour les meubles et pour tout le reste. Il avoit un amour tout parti- culier pour la pauvreté qu'il tachoit de pratiquer en toute occasion, et il aimoit si tendrement les pauvres qu'il ne leur a jamais rien refusé 2. Il ne pouvoit souffrir qu'on cherchât avec soin toutes ses commodités, disant que c'estoit une déli- catesse opposée aux sentimens de l'Evangile.
Enfin j'ay admiré la patience, l'humilité, la charité et le
h Cf. pour ce qui suit, la préface des Pensées, T. I, p. cxcviii. i. Cf. la Vie de Pascal, par Madame Perier, supra T. I, p. 85.
MORT DE BLAISE PASCAL 393
grand dégagement que je remarquois en monsieur Pascal toutes les fois que je l'ay été voir durant les six dernières semeines de sa maladie et de sa vie. Je l'ay confessé plusieurs fois durant ce temps là et luy ay administré ses derniers sacremens de viatique, et d'extreme-onction qu'il a receu avec de grands sentimens de pieté et de dévotion : et après qu'il les eut receu, il tomba dans un transport d'esprit, et dans l'agonie qui luy dura jusques à sa mort.
8. Monsieur Paschal deceda le samedy 19. du mois d'aoust 1662., aagé de 39. ans, et fut inhumé dans notre église par- roissiale de Saint-Estienne du Mont derrière le cœur, devant le sépulcre de Notre-Seigneur ; il fut regretté de tous les gens de lettres ses amis. Il avoit prié monsieur Perier, son beau frère, et sa sœur qu'on l'enterast sans cérémonie, et sans pompe comme un pauvre et qu'on ne mit aucune epitaphe sur sa fosse voulant être incognû des hommes aussi bien après sa mort comme il avoit fait son possible pour l'estre durant les dernières années de sa vie depuis sa retraitte, par principe d'humilité. Ce qui n'a pas pourtant empêché, que Monsieur son beau frère ne l'ait fait enterrer avec honneur, et n'ait fait graver sur une tombe de marbre noir cet epitaphe qui est sur sa fosse : . . .
9. Cet epitaphe donna de la jalousie à ses ennemis qui furent trouver monsieur l'Archevesque, et luy dirent ce qu'ils voulurent, pour le persuader de faire lever la tombe de mon- sieur Paschal ou de faire effacer son epitaphe ; ce qui fut cause que monsieur l'Archevesque m'envoia quérir pour sça- voir de moy ce qui s'estoit passé à sa maladie, et à sa mort; s'il avoit receu tous ses sacremens, et estoit decedé en bon catholique dans la soumission qu'il devoit à l'Eglise, et dans sa communion, aiant ouy dire qu'il estoit mort sans sacre- mens, et d'une manière peu chrestienne. Je le desabusé, et luy dis qu'il etoit mort en très bon chrestien, qu'il etoit très soumis au Souverain Pontife et à l'Eglise ; que je Pavois plu- sieurs fois confessé, et luy avois donné la sainte communion, le viatique et l'extrême onction, qu'il avoit receus avec beau-
394 OEUVRES
coup de sentimens de pieté, et de dévotion, et que j'estois tesmoin et admirateur de sa patience, de sa charité, de son humilité, et du zèle qu'il avoit pour la conversion des athées et des hérétiques ; et pour ce qui est des matières du temps, je luy dis qu'en la première conférence que j'eus avec luy, il m'avoit tesmoigné bien de la douleur de voir la division entre les enfans de l'Eglise sur ces matières de la grâce, de la pré- destination, et de l'authorité du Pape ; qu'on l'avoit voulu engager dans ces partis et que prudemment il s'en estoit retiré, pour travailler à son salut et à la conversion des impies, et des hérétiques, s'excusant sur la difficulté de ces matières, et sur ce que n'ayant point estudié la scolastique, il pourroit en dire trop ou trop peu, qu'il se soumettoit parfaittement à l'Eglise, et au Souverain Pontife, vicaire de Jesus-Christ, mais que pour l'Apologie des casuistes et la morale relâchée, il ne la pouvoit souffrir disant qu'il la falloit condamner, et même la hrusler, puisqu'elle etoit très contraire à l'Evangile et très préjudiciable.
10. Monsieur l'Archevesque m'obligea de luy donner ma responce par escrit signée de ma main, et comme j'y faisois quelque difficulté pour les conséquences, veu que n'ayant point pris aucun party dans toutes ces disputes, je tachois, autant qu'il m'estoit possible, de reunir, et d'accorder ceux de l'un et de l'autre party, qui estoient mes paroissiens,
Monsieur l'Archevesque me jura qu'il ne feroit voir mon escrit qu'aux filles religieuses de Port-Roial, qui avoient bien de l'estime pour monsieur Paschal, et suivroient son exemple et sa soumission, ce qui fut cause que je luy donné, mais un mois après, il m'envoia monsieur Chamillart vicaire de Saint- Nicolas pour me prier et presser fortement que mon escrit fut publié, ce que je refusé pour bonne raison, parce que j'avois donné jour et parolle pour une conférence dans laquelle se dévoient trouver les plus intéressez, pour terminer à l'amia- ble ce grand différent, et pour pacifier toutes ces disputes, ce qui fut empêché par la publication de mon escrit, qui fut même envoie à Rome, parce que les personnes des deux par-
MORT DE BLAISE PASCAL 395
tis se mirent à glozer sur mon escrit, un chacun l'expliquant à sa mode et selon son sentiment, et plusieurs me vinrent voir pour me demander si c'estoit la responce de Monsieur Paschal et l'expression de son sentiment; et je respondis que ouy asseurement; plusieurs me dirent que j'avois mal pris sa pensée en me priant de ne pas trouver mauvais, si ils l'expli- quoient d'une autre manière que je le faisois. Je leur res- pondis qu'ils le pou voient faire, et que je me contentois d'avoir escrit ce que j'avois escrit: quod scripsi, scripsi, que je ne respondrois à aucun escrit qui paroistroit contraire à l'expli- cation et au sens que j'avois ouy moy mesme de la bouche de monsieur Paschal, que j'aymois et estimois beaucoup, et plus pour sa charité, son humilité, sa modestie, et sa soumission à l'Eglise et au Souverain Pontife, que pour la grandeur de son esprit, veu que comme luy mesme le dit, la distance inGnie des corps aux esprits, figure la distance infiniment plus infi- nie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle ; et c'est par elle que les saints ont leur empire, leur esclat, leur gran- deur, leurs victoires, et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles, qui ne sont pas de leur ordre, et qui n'adjoustent, n'y n'ostent rien à la grandeur qu'ils désirent, Dieu leur suffisant avec grande raison, car il est tout bien: ostendam tibi omne bonum. Gen. Requiescat in pace —
25. Marguerite Perier. — Sur M. Pascal1.
On a fait courir un faux bruit que M, Pascal s'estoit re- tracté avant sa mort et avoit déclaré qu'il s'estoit entièrement séparé de M. Arnauld et de MM. de P. R.
Cela est fondé sur une déclaration que feu M. Beurrier
i. Copie au troisième recueil Guerrier, p. 248. Ce mémoire, écrit après 1696, se trouvait sans doute dans les Additions au Nécrologe que Marguerite Perier écrivit en 1723. Le Père Guerrier ajoute à la fin de sa copie : « Tout ce qui est dans ce recueil depuis la page 221 a été transcrit sur le manuscrit de Mlle Perier.» Aussitôt après, il note « Mlle Perier m'a dit aujourd'hui 27 février 1782.... »
396 ŒUVRES
curé de S. Etienne donna à feu M. de Perefixe archevesque de Paris, et voicy comment il la donna.
M. Pascal qui demeuroit dans la paroisse de S* Cosme, se trouva obligé de sortir de chez luy par les raisons qui sont marquées dans sa Vie escrite par Made Perier sa sœur ; il mourut chez elle le 19. Août 1662. et sa maison estoitdans la paroisse de S1 Etienne du Mont.
Deux ans et demi après la mort de M. Pascal, le 7. Jan- vier i665. M. F Archevesque envoya quérir M. Beurrier et luy dit : « Est-il vray que M. Pascal est mort dans vostre paroisse, et qu'il est mort sans sacremens. » M. Beurrier luy dit qu'il estoit vray qu'il estoit mort dans sa paroisse, mais qu'il n'estoit pas vray qu'il fut mort sans sacremens, qu'il les luy avoit administrez luy-mesme: M. l' Archevesque luy dit: « Gomment les luy aves-vous administré, ne scaviez-vous pas que c'estoit un Janséniste? » M. Beurrier fut effrayé et crut qu'on alloit luy faire une affaire là-dessus et que peut estre on feroit déterrer le corps de M. Pascal (c'est ce qu'il dit luy-mesme à M. Perier le fils). Là dessus M. Beurrier se souvint que dans une con- versation qu'il avoit eue avec M. Pascal, il luy avoit marqué qu'il n'estoit pas tout-à-fait d'accord avec M. Arnauld au sujet de la signature du formulaire, et comme il n'estoit pas fort instruit du fonds de ces matières, et qu'il croyoit que M. Ar- nauld estoit de tous ces MM. celuy qui estoit le plus ferme, il ne croyoit pas qu'il put y avoir différence de sentiment, qu'en pensant qu'il estoit trop ferme. Cette idée le porta à dire ce qu'il pensoit là-dessus : que M. Pascal blamoit M. Arnauld et ces MM., et qu'il croyoit qu'ils alloient trop avant dans les matière de la grâce ; et qu'ils paroissoient avoir moins de soumission qu'ils ne dévoient pour Nostre S. P. le Pape; M. l'Archevesque aussitost dressa une déclaration qu'il obligea M. Beurrier de signer; il résista un peu, ne voulant pas la signer ; mais M. l'Archevesque luy dit que cela estoit ou que cela n'estoit pas, que si cela n'estoit pas, il ne devoit pas le dire, et que si cela estoit, il ne devoit pas faire difficulté de le signer, que d'ailleurs il luy promettoit que cela resteroit
MORT DE BLA1SE PASCAL 397
dans son cabinet, et qu'on ne le verroit jamais, il la signa donc et n'y pensa plus. Un an après il parut un écrit du P. Annat intitulé : Lettre de M. Jansenius Evesque d'Ypres au Pape Urbain VIII. et dans laquelle cette déclaration estoit em- ployée. Voicy comme il en parle
MM. de P. R. repondirent à cet écrit du P. Annat par un autre sous le titre : Lettre d'un Théologien à un de ses amis, qui eclaircit cela et explique le différent qui estoit entre M. Pascal et ces MM. et dans lemesme temsM. et Made Perier ayant eu connoissance de l'écrit du P. Annat mandèrent à M. Perier leur fils aine qui estoit à Paris alors, d'aller voir M. Beurrier et de luy faire voir les écrits qui avoient esté faits de part et d'autre ; là dessus il connut bien qu'il s'estoit trompé et en demeura d'accord * : on ne poussa pas cela plus loin, parce qu'on sçavoit que M. Beurrier estoit un homme fort timide. Depuis cela M. l'Archevesque de Paris escrivit à M. Perier le père, pour le remercier de ce qu'il luy avoit fait faire un présent du livre des Pensées de M. Pascal, et en mesme tems il luy offrit de donner son approbation pour une nouvelle édition, pour y insérer une chose, disoit-il, qui luy feroit beaucoup d'honneur, qui estoit une déclaration du Curé de S. Etienne contenant etc.2. M. Perier luy repondit fort respectueusement et le remercia de cette déclaration, disant que M. Pascal n'avoit jamais donné lieu de douter de sa foy, et que ce seroit en quelque façon la faire révoquer en doute d'y insérer cela. La chose en demeura là.
L'année suivante 1671. M. l'Archevesque estant mort,
1. Hermant (Mémoires, T. V, p. 5i4) dit que Beurrier remit à l'archevêque une nouvelle déclaration, contraire à celle de 166 5. Racine, dans les notes qu'il recueillit auprès de Nicole, dit aussi que Beurrier « voulut en vain revenir contre sa signature. M.l'ar- chevesque se moqua de luy » (Cf. Abrégé de l'Histoire de Port-Royal, édition A. Gazier, p. 202). Ce renseignement semble inexact.
2. Guerrier renvoie aux pièces qu'il avait recopiées aupara- vant, et que le mémoire de Marguerite Perier reproduisait.
398 ŒUVRES
M. Perier le père alla à Paris pour des affaires au mois d'avril et comme le bruit de cette retractation continuoit tous- jours à se répandre, M. Perier crut qu'il devoit voir M. Beur- rier, et luy représenter la peine et l'affliction où estoit Made Perier de voir répandre ces bruits si peu conformes à la vérité; luy faisant l'aire attention sur les escrits qu'on luy avoit montré, qui faisoient connoistre combien les sentimens qu'il avoit attribué à M. Pascal estoient différons de ses véritables sentimens, et l'abus qu'on faisoit de sa déclaration. M. Beur- rier, qui alors ne craignoit plus les reproches que M. l'Ar- chevesque auroit pu luy faire escrivit à Madame Perier la lettre
dont voicy la copie Deux ans après, c'est à dire en 1673.
deux Ecclésiastiques de cette province nommés M. Pourrat et M. Chenard venant de Paris débitèrent encore cette nou- velle déclaration de M. Pascal et avancèrent que c' estoit M. Beurrier Curé de S1 Etienne qui le leur avoit dit, et mesme que M. Pascal avoit esté chez luy pour faire cette retrac- tation. M. Perier le fils, M. son père estant malade, escrivit là-dessus à M. Beurrier et envoya sa lettre à Paris à un de ses amis pour la porter luy-mesme à M. Beurrier. Cet ami y alla plusieurs fois, et après l'avoir vu il escrivit à M. Perier et M. Beurrier écrivit aussi au mesme M. Perier i.
Mais pour faire voir en quoy consistoit cette différence de sentimens, il faut expliquer ce qui donna lieu a ce différent entre M. Arnauld, MM. de Port-Royal et M. Pascal2....
... M. Pascal, qui estoit extrêmement exact pour tout ce qui regarde la religion, desapprouva beaucoup cette restriction, disant qu'elle n'estoit point suffisante ; qu'elle manquoit de sincérité et qu'elle ne mettoit pas la vérité assez à couvert.
1. Ici Guerrier écrit en note: « J'ay vu ces 2. lettres qui disent en substance la même chose que celle du même M. Beurier page 181, mais comme je ne les ai pas actuellement entre les mains, et qu'elles ne sont pas transcrites dans la relation écrite de la main de Mlle Perier je ne puis les insérer ici ».
2. Ici Marguerite Perier reproduit en partie le récit fait par Nicole dans sa Lettre d'un Théologien, en 1666 ; cf. supra p. 34i-
MORT DE 13LAISE PASCAL 399
Il fit mesme un petit escrit par lequel ilmonstroit que comme dans la vérité le sens de Jansenius n'est autre chose que la grâce efficace, le pape Alexandre VIL ayant condamné le sens de Jansenius et le formulaire l'exprimant ainsi, on ne pou- voit empescher que cette condamnation ne tombast sur la grâce efficace ny mesme se défendre d'y avoir consenti en le sous- crivant, à moins que d'excepter formellement la grâce effi- cace et le sens de Jansenius ; d'où il concluoit que les reli- gieuses ne l'ayant pas fait et s'estant contentées de marquer qu'elles ne souscrivoient qu'à la foy, leur signature pouvoit estre prise pour une condamnation de la grâce efficace, puis- qu'elles se soumettoient à tout ce que les papes en ont décidé; et il disoit que les papes ayant condamné le sens de Jansenius sans l'expliquer, et le sens de Jansenius estant certaine- ment le sens de la grâce efficace, il falloit nécessairement excepter formellement le sens de la grâce efficace et celuy de Jansenius.
Ces MM. firent aussi un petit escrit pour combattre celuy de M. Pascal, où ils disoient entre autres choses que les papes, en condamnant les 5. propositions, n'avoient point eu inten- tion de condamner la grâce efficace; qu'ils l'avoient mesme déclaré ; qu'il estoit certain que le pape et les evesques, en condamnant le sens de Jansenius, n'entendoient pas la grâce efficace, mais un autre dogme qu'ils supposoient estre dans Jansenius et qu'ils appelloient pour cette raison le sens de Jansenius. M. Pascal disoit qu'il falloit donc expliquer quel estoit ce dogme qu'ils condamnoient pour ne point laisser un doute que ce fut le sens de Jansenius, qui contient la grâce efficace, qui fut condamné; et il disoit : « Je veux bien croire que les papes n'ont point eu intention de condamner la grâce efficace et mesme qu'ils l'ont déclaré, mais comme il n'y a point d'acte authentique qui atteste cela, et que le formulaire qui est un acte authentique condamne le sens de Jansenius sans expliquer quel est ce mauvais dogme qu'on luy attribue, le sens de Jansenius estant certainement le sens de la grâce efficace, on ne peut point signer le formulaire, mesme pour
400 ŒUVRES
ce qui regarde la foy, sans excepter formellement le sens de
la grâce efficace et celuy de Jansenius. »
Ces MM. de leur costé disoient que c'estoit faire injure au pape et aux evesques que de donner lieu de les accuser d'avoir condamné la grâce efficace, et qu'il n'y avoit rien de plus désavantageux à cette doctrine que de laisser croire qu'elle fut réduite à un petit nombre de défenseurs, et qu'elle fut abandonnée de la plus part des evesques.
M. Pascal soustenoit tousjours qu'il ne falloit point laisser de doutes et rien d'équivoque dans ce qui regarde la foy, comme paroissoit estre la condamnation du sens de Jansenius, et qu'il falloit lever ce doute, sur tout pour les personnes ignorantes, dont le nombre est plus grand que celuy des per- sonnes sçavantes; et qu'il falloit absolument excepter le sens delà grâce efficace par elle-mesme. M. Arnauld disoit : «Si on fait cela, ils condamneront la grâce efficace. » M. Pascal repon- doit : « Ils y regarderont à trois fois avant que de la condam- ner, et enfin s'ils la condamnent, ce sera leur faute et non pas celle de ceux qui l'auront soutenue. Ainsi il le faut faire. »
Ces MM. ayant donc fait ainsi quelques petits escrits pour prouver chacun la vérité de son opinion, M. Arnauld, M. Ni- cole et quelques uns de ces MM. s'assemblèrent un jour chez M. Pascal pour examiner cela. Chacun expliqua son senti- ment. M. Pascal représenta l'importance du sien, et que l'amour que l'on devoit avoir pour la vérité ne permettoit pas de laisser ce doute dans une signature ; que dire n'ayant rien de si précieux que la foy nous embrassons sincèrement et de cœur tout ce que les papes en ont décidé, c'est dire nous con- damnons les propositions au sens de Jansenius, puisque les papes le prononcent ainsi dans le formulaire. Or, le sens de Jan- senius estant le sens de la grâce efficace, c'estoit tacitement condamner la grâce efficace, et il soutint toujours très for- tement qu'il falloit nécessairement mettre cette exception ; que sans cela on ne pouvoit signer en conscience, et que c'estoit abandonner la vérité.
MORT DE BLAISE PASCAL 401
1 II arriva à M. Pascal dans cette occasion une chose fort extraordinaire. Tous ces MM. qui estoient là dont je ne puis pas dire les noms, car je ne les sçay pas sûrement, sinon M. Arnauld et M. Nicole ; tous ces MM. donc, après avoir entendu les raisons de part et d'autre, par déférence ou par conviction se rendirent au sentiment de M. Arnauld et de M. Nicole ; car c'estoient eux qui avoient trouvé cette restric- tion. M. Pascal, qui aimoit la vérité par-dessus toute chose, qui d'ailleurs estoit accablé d'un mal de teste qui ne le quittoit point, qui s'estoit efforcé pour leur faire sentir ce qu'il sen- toit luy-meme, et qui s'estoit exprimé très vivement malgré sa foiblesse, fut si pénétré de douleur qu'il se trouva mal, perdit la parole et la connoissance. Tout le monde fut surpris. On s'empressa pour le faire revenir ; ensuite tous ces MM. se retirèrent. Il ne resta que M. de Roùannez, Madame Perier, M. Perier le fils et M. Domat, qui avoient esté presens à la conversation. Lorsqu'il fut tout-à-fait remis, Madame Perier luy demanda ce qui luy avoit causé cet accident; il repondit: « Quand j'ay vu toutes ces personnes là que je regardois comme estant ceux à qui Dieu avoit fait connoistre la vérité et qui dévoient enestre les défenseurs, s'ébranler et succomber, je vous avoue que j'ay esté si saisi de douleur que je n'ay pas pu le soutenir, et il a fallu y succomber. »
i. Voici le texte que donne le manuscrit d'Adry (Bibliothèque Maza- rine, ms. 4552, p. 8) : « Il luy arriva environ deux mois avant sa mort qu'ayant assemblé chez luy plusieurs personnes pour conférer sur l'état présent des affaires de l'hlglise, après leur avoir représenté des difficultez sur certaines choses il trouva que ces personnes-là n'alloient pas aussi droit qu'il avoit voulu, et lachoientle pied, sur quelque chose qu'il croyoit important pour la vérité ; cela le pénétra de telle sorte qu'il tomba evanouy et perdit la connoissance et la parole, il demeura assez longtems en cet état et quand on l'eut fait revenir avec bien de la peine, et que ma mère qui y etoit présente luy demanda ce qui luy avoit causé cela, il luy dit : quand j'ay vu toutes ces personnes, que je regardois comme les colonnes de la vérité, qui fléchissoient et qui man- quoient à ce qu'elles dévoient à la vérité, cela m'a saisi, je n'ay pas pu le supporter ; il a fallu succombera la douleur que j'ay ressentie. »
2e série. VII 26
402 ŒUVRES
Depuis néanmoins il ne laissa pas de voir ces MM. comme auparavant, chacun soutenant son sentiment, mais sans aigreur. Peu de temps après, il ne fut plus question de ce qui avoit causé leur diiTerent, car on ne lut pas content de cette restriction. On vouloit que les Religieuses signassent pure- ment et simplement sans aucune restriction. Cette diversité de sentimens ne rompit nullement l'union qui estoit entre eux ; M. Pascal, à la vérité, apprehendoit que ce ne fut le désir de conserver la maison de Port- Royal qu'ils croy oient fort utile à l'Eglise, comme en effet elle l'estoit, qui les por- toit à ces condescendances qu'il appeloit du nom de relâche- ment. Ces MM. au contraire pretendoient que ce qu'ils vou- loient accorder ne faisoit point de tort à la vérité.
L'union de ces MM. avec M. Pascal parut encore dans sa dernière maladie dune manière toute particulière, car M. Arnauld, quoy qu'il fut alors caché, ne laissa pas de l'aller voir plusieurs fois incognito. M. Nicole y alla aussi plusieurs fois, et M. Pascal les receut toujours avec toute sorte de mar- ques de tendresse et d'affection. Il se confessa plusieurs fois à M. de Sainte-Marthe qui estoit un de ces MM., et mesme la veille de sa mort, etc.
26. Marguerite Perier. — Récit de ce que j'ay ouï dire par M. Pascal, mon Oncle, non pas à moy, mais à des personnes de ses amis en ma présence. J'avois alors 16 ans 1/2 l.
i° On me demande si je ne me repens pas d'avoir fait les Provinciales. Je respons que bien loin de m'en repentir, si j'avois à les faire présentement je les ferois encore plus fortes.
20 On me demande pourquoy j'ay nommé les noms des auteurs où j'ay pris toutes les propositions abominables que j'y ay cité. Je respons que si j'estois dans une ville où il y eust 12. fontaines, et que je sceusse certainement qu'il y en a
1. Copie au troisième recueil Guerrier, p. 260, avec cette note: «J'ai copié ceci sur un manuscrit delà main de Mlle Marguerite Perier». — Marguerite Perier naquit le 5 avril i646 ; la scène qu'elle raconte se passa donc très peu de temps avant la mort de Pascal.
MORT DE BLAISE PASCAL 403
une qui est empoisonnée, je serois obligé d'avertir tout le monde de n'aller point puiser de l'eau à cette fontaine ; et comme on pourroit croire que c'est une pure imagination de ma part, je serois obligé de nommer celuy qui l'a empoi- sonnée, plustost que d'exposer toute une ville à s'empoisonner.
3° On me demande pourquoy j'ay employé un style agréa- ble, railleur et divertissant. Je respons que si j'avois escrit d'un style dogmatique il n'y auroit eu que les sçavans qui l'auroient lu, et ceux-là n'en avoient pas besoin, en sçachant autant que moy là-dessus. Ainsi j'ay creu qu'il lalloit escrire d'une manière propre à faire lire mes lettres par les femmes et les gens du monde, afin qu'ils connussent le danger de toutes ces maximes et de toutes ces propositions qui se repan- doient alors partout, et ausquelles on se laissoit facilement persuader.
4° On me demande si j'ay leu moy-mesme tous les livres que je cite. Je respons que non : certainement il auroit fallu que j'eusse passé ma vie à lire de très mauvais livres : mais j'ay leu deux fois Escobar tout entier ; et pour les autres, je lesay fait lire par de mes amis ; mais je n'en ay pas employé un seul passage sans l'avoir leu moy-mesme dans le livre cité et sans avoir examiné la matière sur laquelle il est avancé, et sans avoir leu ce qui précède et ce qui suit, pour ne point hazarder de citer une objection pour une response ; ce qui auroit esté reprochable et injuste.
OPUSCULES DE PASCAL NON DATÉS
CLXXX
COMPARAISON DES CHRÉTIENS
DES PREMIERS TEMPS
AVEC CEUX D AUJOURD'HUI
Copie à la Bibliothèque Nationale, ms. f. fr. 12/1/19, f° ^99-
409
INTRODUCTION
Cet écrit, dont on ignore la date, a été publié pour la pre- mière fois dans l'édition de l'abbé Bossut, 1779, T. II, p. 5 10 et suiv. ; il nous a été transmis par quatre manuscrits :
i° Le ms. 12449 ^u f°nds français de la Bibliothèque Na- tionale, qui, avec la seconde copie des Pensées, renferme des pièces plus anciennes et même des autographes de Pascal. A la fin de l'opuscule, se trouve cette note « On pourroit donner à cet écrit un titre semblable à celui-cy : Quelles sont les causes de la nonchalance et du peu d'instruction des chrétiens d'aujourd'huy *. »
20 Le premier recueil manuscrit du Père Guerrier, p. 227, qui le fait précéder de cette indication : « Autre écrit de M. Pascal », et suivre de cette note : « J'ai transcrit ce petit écrit sur deux copies très peu lisibles et presque pourries. »
3° Le petit manuscrit in-8° que Sainte-Beuve a communi- qué à Faugère, mais que nous n'avons pu retrouver. Cette copie, peu correcte au dire de Faugère, porte le titre : « Reflexions sur la manière dont on estoit autrefois receu dans l'Eglise ; comme on y vivoit ; comme on y entre et comme on y vit aujourd'huy. »
4° Dom Clémencet recopie cet écrit en entier dans son Histoire littéraire manuscrite ; il le divise en i5 parties et lui donne le même titre que le manuscrit de Sainte-Beuve2.
1. Faugère a pensé que cet opuscule était l'un de ceux dont parle le bénédictin dom Touttée dans une lettre adressée à l'abbé Perier, le 12 juin 171 1, cf. supra T. IX, p. 23 1, n. 3.
2. En marge, il a noté cet autre titre: Différence des chrétiens d'autrefois et de ceux d'aujourd'hui. Cette copie présente de nom-
410 ŒUVRES
Nous suivons le texte du ms. i244g, le plus ancien, que nous désignons par P. Nous avons donné les variantes du ms. Guerrier en les désignant par G.
breuses interversions et transformations- elle est plus récente crue les autres, et n'a pas grande autorité.
411
[COMPARAISON DES CHRETIENS DES PREMIERS TEMPS AVEC CEUX D'AUJOURD'HUI] »
2 [A la naissance de l'Eglise] on ne voyoit que des Chrestiens parfaitement consommés dans tous les points nécessaires à salut.
Au lieu que l'on voit aujourd'huy une ignorance si grossière qu'elle fait gémir tous ceux qui ont des sentimens de tendresse pour l'Eglise.
On n'entroit alors dans l'Eglise qu'après de grands travaux et de longs désirs.
On s'y trouve maintenant sans aucune peine, sans soin et sans travail.
On n'y estoit admis qu'après un examen très-exact.
On y est receu maintenant avant qu'on soit en état d'estre examiné.
On n'y estoit receu alors qu'après avoir abjuré sa vie passée, qu'après avoir renoncé au monde, 3et à la chair, et au Diable.
On y entre maintenant avant qu'on soit en état de faire aucune de ces choses.
i. Ce titre, généralement adopté depuis Bossut, ne se trouve dans aucune des copies ; le manuscrit original n'avait aucun titre.
2. Mots mis en surcharge par un correcteur de P. ; G. [Dans les premiers tems] les chrétiens estoient parfaitement [instruits] dans tous les points nécessaires [au] salut.
3. G. et, manque.
412 ŒUVRES
Enfin il falloit autrefois sortir du monde pour estre receu dans l'Eglise.
Au lieu qu'on entre aujourd'huy dans l'Eglise au mesme tems que dans le monde.
On connoissoit alors par ce procédé une distinc- tion essentielle du monde avec l'Eglise.
On les consideroit comme deux contraires, comme deux ennemis irréconciliables, dont l'un persécute l'autre sans discontinuation, et dont le plus foible en apparence doit un jour triompher du plus fort. En sorte que1 [de] ces deux partis contraires on quit- toit l'un pour entier dans l'autre ; on abandonnoit les maximes de l'un, pour embrasser les maximes de l'autre ; on se devestoit des sentimens de l'un, pour se revestir des sentimens de l'autre.
Enfin on quittoit, on renonçoit, on abjuroit le monde où l'on avoit receu sa première naissance, pour se vouer totalement à l'Eglise où l'on prenoit comme sa seconde naissance : et ainsy on concevoit une différence épouvantable entre l'un et l'autre, au lieu qu'on se trouve maintenant presque au mesme 2 moment dans l'un et dans l'autre; et le mesme moment qui nous fait naistre au monde, nous fait renaistre dans l'Eglise, De sorte que la raison survenant ne fait plus de distinction de ces deux mondes si contraires. Elle Veleve dans l'un, et dans l'autre tout ensemble. On fréquente les
i. Leçon de G. ; manque dans P.
2. G. [temps].
3. G. [est élevée].
COMPARAISON DES CHRÉTIENS 413
Sacremens, et on jouit des plaisirs de ce monde, 'etc.
Et ainsy, au lieu qu'autrefois on voyoit une dis- tinction essentielle entre l'un et l'autre, on les voit maintenant confondus et meslez, en sorte qu'on ne les discerne quasi plus.
De là vient qu'on ne voyoit autrefois entre les Chrestiens que des personnes très instruites.
Au lieu qu'elles sont maintenant dans une igno- rance qui fait horreur.
De là vient qu'autrefois ceux qui avoient esté 2renez par le baptesme, et qui avoient quitté les vices du monde, pour entrer dans la pieté de l'Eglise, retomboient si rarement de l'Eglise dans le monde ; au lieu qu'on ne voit maintenant rien de plus ordi- naire que les 3[vices] du monde dans le cœur des Chrestiens.
L'Eglise des Saints se trouve 4tant souillée par le mélange des mechans ; et ses enfans, qu'elle a con- ceus et portez des l'enfance dans 5ses flancs, sont ceux- là mesme qui portent dans son cœur, c'est-à-dire jusqu'à la participation de ses plus augustes mis- teres, le plus cruel de ses ennemis, c'est à dire l'es- prit du monde, l'esprit d'ambition, l'esprit de ven- gence, l'esprit d'impureté, l'esprit de concupiscence.
i. G. etc., manque.
2. G. [régénérez].
3. Ici au ms. I2A49 une ligne, coupée par le relieur du recueil, est rétablie en surcharge; une déchirure se trouve à la place du mot vices.
[\. G. [maintenant toute] souillée. 5. G. [son sein].
414 ŒUVRES
Et l'amour qu'elle a pour ses enfans l'oblige d'ad- mettre jusques dans ses entrailles le plus cruel de ses persécuteurs.
Mais ce n'est pas *à l'Eglise à qui l'on doit impu- ter les malheurs qui ont suivi un changement de discipline si salutaire, car 2 comme elle a veu que la 3dilationdubaptesmelaissoit un grand nombre d'en- fans dans la malédiction d'Adam, elle a voulu les délivrer de cette masse de perdition, en précipitant le secours qu'elle leur donne. Et cette bonne mère ne voit qu'avec un regret extrême que ce qu'elle a procuré pour le salut de ses enfans 4 devienne l'oc- casion de la perte des adultes.
Son véritable esprit est que ceux quelle retire dans un âge si tendre de la contagion du monde 3 s'écartent bien loin des sentimens du monde. Elle prévient l'usage de la Raison, pour prévenir les vices où la raison corrompue les entraisneroit; et avant que leur esprit puisse agir, elle les remplit de son esprit, afin qu'ils vivent dans 6 l'ignorance du monde et dans un état d'autant plus éloigné du vice qu'ils ne l'auroient jamais connu.
i. G. à, manque.
2. G. [elle n'a pas changé d'esprit, quoiqu'elle ait changé de con- duite. Ayant donc] vu que. ... — Cf. la Fréquente Communion d'Arnauld, part. II, ch. xviii : « Il est certain que l'Eglise peut bien quelquesfois changer d'usages et d'actions extérieures ; mais il est aussi peu possible qu'elle change de sentimens, qu'il est impossible qu'elle cesse d'estre la colonne de la vérité. »
3. Dans le ms P., un correcteur a écrit : le [delay] — 4- G. [est devenu].
5. G. [prennent] des sentimens [tout opposez à ceux] du monde.
6. G. [une] ignorance.
COMPARAISON DES CHRÉTIENS 415
Gela paroist par les cérémonies du baptesme, car elle n'accorde le baptesme aux enfans qu'après qu'ils ont déclaré, par la bouche des parains, qu'ils le désirent, qu'ils croyent, qu'ils renoncent au monde et à Satan. Et comme elle veut qu'ils con- servent ces dispositions dans toute la suite de leur vie, elle leur commande expressément de les garder inviolablement, et ordonne par un commandement indispensable aux parains d'instruire les enfans de toutes ces choses. Car elle ne souhaitte pas que ceux qu'elle a nourris dans son sein 'depuis l'enfance soient aujourd'huy moins instruits et moins zelez que 2 ceux quelle admettoit autrefois au nombre des siens. Elle ne désire pas une moindre perfec- tion dans ceux qu'elle nourrit que dans ceux qu'elle reçoit
Cependant on en use d'une façon si contraire à l'in- tention de l'Eglise qu'on n'y peut penser sans hor- reur. On ne fait quasi plus de réflexion sur un 3aussi grand bienfait, parce qu'on ne l'a jamais 4 demandé, parce qu'on ne se souvient pas mesme de l'avoir receu
Mais comme il est évident que l'Eglise ne de- mande pas moins de zèle dans ceux qui ont esté élevez domestiques de la foy5 que dans ceux qui
i. G. depuis l'enfance, manque.
2. G. [les adultes] qu'elle admettoit.
3. G. [si].
4. G. [souhaité].
5. Paul. Galat. VI, io: Ad domesticos Jîdei.
416 ŒUVRES
aspirent à le devenir, il faut se mettre devant Hes yeux l'exemple des catéchumènes, considérer leur ardeur, leur dévotion, leur horreur pour le monde, leur généreux renoncement au monde; et si on ne lesjugeoit pas dignes de recevoir le haptesme sans ces dispositions, ceux qui ne les trouvent pas en eux2
Il faut donc qu'ils se soumettent à recevoir l'ins- truction qu'ils auroient eue s'ils commençoient à entrer dans la communion de l'Eglise 3et il faut de plus qu'ils se soumettent à une pénitence 4telle qu'ils n'ayent plus envie de la rejetter et qu'ils ayent moins d'aversion pour l'austérité de la mortification "° [des sens] qu'ils ne trouvent de charmes dans l'usage des délices vicieux du péché6.
Pour les disposer à s'instruire, il faut leur faire entendre la différence des coustumes qui ont esté pratiquées dans l'Eglise suivant la diversité des temps.
i. Ici encore une ligne coupée par le relieur a été rétablie en sur- charge.
2. Tel est le texte de P. et de G. Un correcteur ancien de P. a réuni ainsi les deux paragraphes : « ceux qui ne se trouvent pas en eux doivent donc se soumettre. »
3. G. et, manque.
k. G. [continuelle] et qu'ils aient moins d'aversion pour l'austérité de [leur] mortification, qu'ils ne trouvent de charmes dans l'usage des délices [empoisonnez] du péché. — Il semble, d'après l'édition de Faugère, que le manuscrit de Sainte Beuve donne la leçon de P.
5. P. des sens, en surcharge.
6. Ecclesiastic. XXVII, i4 : Narratio peccantium odiosa et risus illorum in deliciis peceati.
COMPARAISON DES CHRÉTIENS 417
Qu'en l'Eglise naissante on enseignoit les caté- chumènes, c'est à dire ceux qui pretendoient au baptesme, avant que de leur conférer; et on ne les y admettoit qu'après une pleine instruction des mystères de la Religion, qu'après une pénitence de leur vie passée, qu'après une grande connoissance de la grandeur et de l'excellence de la profession de la foy et des maximes chrestiennes où ils desiroient entrer pour jamais, qu'après des marques eminentes d'une conversion véritable du cœur, et qu'après un extrême désir du baptesme. Ces choses estant connues de toute l'Eglise, on leur conferoit le Sacre- ment d'incorporation par lequel ils devenoient mem- bres de l'Eglise.
Au lieu qu'en ces temps le baptesme ayant esté accordé aux enfans avant l'usage de raison, par des considérations très importantes, il arrive que la né- gligence des parens laisse vieillir les Ghrestiens sans aucune connoissance de la grandeur de nostre Reli- gion.
Quand l'instruction precedoit le baptesme, tous estoient instruits ; mais maintenant que le baptesme précède l'instruction, l'enseignement qui estoit né- cessaire pour le Sacrement est devenu volontaire, et ensuite négligé et enfin presque aboli.
La véritable raison *est qu'on est persuadé de la nécessité 2[du baptesme, et on ne l'est pas de la ne-
i. G. [de cette conduite].
2. Ce membre de phrase donné par G. est omis dans P. 2 e série. VII 27
418 ŒUVRES
cessité] de l'instr action. De sorte que quand l'ins- truction precedoit le baptesme, la nécessité de l'un faisoit que l'on avoit recours à l'autre nécessaire- ment; au lieu que le baptesme précédant aujour- d'huy l'instruction, comme on a esté fait Chrétien sans avoir esté instruit, on croit pouvoir demeurer Ghrestien sans se faire instruire et qu'au lieu que les premiers Chrestiens temoignoient tant de reconnoissance'fpour une grâce qu'elle n'accordoit qu'à leurs longues prières], ils témoignent aujour- d'huy tant d'ingratitude pour cette mesme grâce, qu'elle leur accorde avant mesme qu'ils ayentesté en estât de la demander.
Et si elle detestoit si fort les chutes des premiers, quoy que si rares, combien doit-elle avoir en abomi- nation les chutes et les rechutes continuelles des derniers, quoy qu'ils luy soyent beaucoup plus rede- vables, puis qu'elle les a tirez bien plus tost et bien plus libéralement de la damnation où ils estoient engagez par leur première naissance.
Elle ne peut voir, sans gémir, abuser de la plus grande de ses grâces, et que ce qu'elle a fait pour assurer leur salut devienne l'occasion presque assu- rée de leur perte, car elle n'a pas 2
i. G. [envers l'Eglise]. — Ici dans P. une ligne rétablie en surcharge.
2. Dans G. la phrase est inachevée. — Un correcteur de P. a ajouté : changé d'esprit, quoiqu'elle ait changé de coutume, phrase déjà énoncée plus haut, et qui se retrouve, comme les deux corrections déjà signa- lées, dans le texte de l'édition Bossut.
CLXXXI
ÉCRIT SUR LA CONVERSION DU PÉCHEUR
ATTRIBUÉ A BLAISE OU A JACQUELINE PASCAL
Copie au troisième recueil manuscrit du Père Guerrier, Bibliothèque Nationale, ms. f. fr.i3c)i3, p. 3oo.
421
INTRODUCTION
Cet opuscule nous a été transmis par le Père Guerrier dans son troisième recueil, avec cette note de sa main : « J'ai transcrit ceci sur une copie qui est parmi les papiers que M1Ie Perier a donnez aux PP. de l'Orat. de Glermont. J'y ai trouvé les lacunes telles que je les ai marquées. Je ne sçayde qui est cet écrit. » Le ms. f. fr. 12988 de la Bibliothèque Natio- nale, copie faite d'après Guerrier, le reproduit, p. 3o8, et ajoute « Cet écrit a esté transcrit sur une copie qui est parmi les papiers que MUe Perier a laissés — on y a trouvé les lacunes telles qu'elles sont marquées, le nom de l'autheur n'y est pas. Je le crois de Mlle Pascal avant qu'elle se fist Religieuse. » Il figure enfin dans le ms. in-8° que possédait Sainte-Beuve et dont nous n'avons pas retrouvé la trace; selon Faugère, qui en a eu communication, ce manuscrit ne contiendrait que des écrits de Pascal. Clémencet, d'autre part, ne signale pas cet opuscule dans le Catalogue des écrits de Pascal qu'il a dressé dans son Histoire littéraire de Port-Royal.
Malgré toutes ces incertitudes, Bossut a, sans autre expli- cation, inséré cet écrit dans son édition de 1779. La plupart des critiques qui ont suivi ont estimé avec Faugère que c'était bien « la pensée et le style de Pascal » ; ils ont émis diverses hypothèses sur la date à laquelle il avait été composé, les uns le rapportant à l'époque de la première conversion (1647 ou I^48), les autres croyant y retrouver les sentiments que Pascal décrivait à sa sœur Jacqueline au cours de l'année i654- Ces hypothèses demeurent bien fragiles, et il semble prudent d'imiter la réserve du Père Guerrier.
n
422
SUR LA CONVERSION DU PECHEUR
La première chose que Dieu inspire à l'ame qu'il dai- gne toucher véritablement, est une connoissance et une vue toute extraordinaire par laquelle l'ame considère les choses et elle-mesme d'une façon toute nouvelle.
Cette nouvelle lumière luy donne de la crainte, et luy apporte un trouble qui traverse le repos qu'elle trouvoit dans les choses qui faisoient ses délices.
Elle ne peut plus goûter avec tranquillité les choses qui la charmoient. Un scrupule continuel la combat dans cette jouissance, et cette vue intérieure ne luy fait plus trouver cette douceur accoutumée parmi les choses où elle s'abandonnoit avec une pleine effusion de son cœur.
Mais elle trouve encore plus d'amertume dans les exer- cices de pieté que dans les vanitez du monde. D'une part, la présence des objets visibles la touche plus que l'espérance des invisibles, et de l'autre la solidité des invi- sibles la touche plus que la vanité des visibles. Et ainsi la présence des uns et la solidité des autres disputent son affection ; et la vanité des uns et l'absence des autres exci- tent son aversion ; de sorte qu'il naît dans elle un desordre et une confusion qu [deux lignes en blanc].
Elle considère les choses périssables comme périssantes et mesme déjà peries ; et dans la vue certaine de l'anéan- tissement de tout ce qu'elle aime, elle s'effraye dans cette considération, en voïant que chaque instant luy arrache la jouissance de son bien, et que ce qui luy est le plus cher s'écoule à tout moment, et qu'enfin un jour certain
SUR LA CONVERSION DU PÉCHEUR 423
viendra auquel elle se trouvera dénuée de toutes les choses auxquelles elle avoit mis son espérance. De sorte qu'elle comprend parfaitement que son cœur ne s'estant attaché qu'à des choses fragiles et vaines, son ame se doit trouver seule et abandonnée au sortir de cette vie, puisqu'elle n'a pas eu soin de se joindre à un bien véritable et subsis- tant par luy-mesme, qui pust la soutenir et durant et après cette vie.
De là vient qu'elle commence à considérer comme un néant tout ce qui doit retourner dans le néant, le ciel, la terre, son esprit, son corps, ses parens, ses amis, ses en- nemis, les biens, la pauvreté, la disgrâce, la prospérité, l'honneur, l'ignominie, l'estime, le mépris, l'authorité, l'indigence, la santé, la maladie et la vie mesme ; enfin tout ce qui doit moins durer que son ame est incapable de satisfaire le dessein de cette ame qui recherche sérieu- sement à l'establir dans une félicité aussi durable qu'elle- mesme.
Elle commence à s'étonner de l'aveuglement où elle a vécu ; et quand elle considère d'une part le long temps qu'elle a vécu sans faire ces réflexions et le grand nom- bre de personnes qui vivent de la sorte, et de l'autre com- bien il est constant que l'ame, estant immortelle comme elle est, ne peut trouver sa félicité parmi des choses pé- rissables, et qui luy seront ostées au moins à la mort, elle entre dans une sainte confusion et dans un etonne- ment qui luy porte un trouble bien salutaire.
Car elle considère que quelque grand que soit le nom- bre de ceux qui vieillissent dans les maximes du monde, et quelque autorité que puisse avoir cette multitude d'exemples de ceux qui posent leur félicité au monde, il est constant néanmoins que quand les choses du monde auroient quelque plaisir solide, ce qui est reconnu pour
424 ŒUVRES
faux par un nombre infini d'expériences si funestes et si continuelles, il est inévitable que la perte de ces choses, ou que la mort enfin nous en prive, de sorte que l'ame s'estant amassé des trésors de biens temporels de quelque nature qu'ils soyent, soit or, soit science, soit réputation, c'est une nécessité indispensable qu'elle se trouve dénuée de tous ces objets de sa félicité ; et qu'ainsi, s'ils ont eu de quoy la satisfaire, ils n'auront pas de quoy la satis- faire tousjours ; et que si c'est se procurer un bonheur véritable, ce n'est pas se proposer un bonheur bien dura- ble, puisqu'il doit estre borné avec le cours de cette vie.
De sorte que par une sainte humilité, que Dieu relevé au-dessus de la superbe, elle commence à s'élever au- dessus du commun des hommes ; elle condamne leur conduite, elle déteste leurs maximes, elle pleure leur aveu- glement, elle se porte à la recherche du véritable bien : elle comprend qu'il faut qu'il ait ces deux qualitez, l'une qu'il dure autant qu'elle, et qu'il ne puisse luy estre osté que de son consentement, et l'autre qu'il n'y ait rien de plus aimable1.
Elle voit que dans l'amour qu'elle a eu pour le monde elle trouvoit en luy cette seconde qualité dans son aveu- glement, car elle ne reconnoissoit rien de plus aimable ; mais comme elle n'y voit pas la première, elle connoist que ce n'est pas le souverain bien. Elle le cherche donc ailleurs, et connoissant par une lumière toute pure qu'il n'est point dans les choses qui sont en elle, ny hors d'elle, ny devant elle (rien donc en elle, rien à ses costez), elle commence de le chercher au-dessus d'elle.
Cette élévation est si eminente et si transcendante,
i. Pensée prise de S1 Augustin, de Mor. Eccl. cath. I. 3. (note de Havef).
SUR LA CONVERSION DU PÊCHEUR 425
qu'elle ne s'arreste pas au ciel (il n'a pas de quoy la satis- faire) ny au-dessus du ciel, ny aux anges, ny aux es très les plus parfaits. Elle traverse toutes les créatures, et ne peut arrester son cœur qu'elle ne se soit rendue jusqu'au trône de Dieu, dans lequel elle commence à trouver son repos et ce bien qui est tel qu'il n'y a rien de plus aimable, et qu'il ne peut luy estre osté que par son propre consen- tement.
Car encore qu'elle ne sente pas ces charmes dont Dieu recompense l'habitude dans la pieté, elle comprend néan- moins que les créatures ne peuvent estre plus aimables que le Créateur, et sa raison aidée de la lumière de la grâce luy fait connoistre qu'il n'y a rien de plus aimable que Dieu et qu'il ne peut estre osté qu'à ceux qui le re- jettent, puisque c'est le posséder que de le désirer, et que le refuser c'est le perdre.
Ainsi elle se rejouit d'avoir trouvé un bien qui ne peut luy estre ravi tant qu'elle le désirera, et qui n'a rien au- dessus de soy. Et dans ces reflexions nouvelles elle entre dans la vue des grandeurs de son Créateur, et dans des humiliations et des adorations profondes. Elle s'anéantit en conséquence et ne pouvant former d'elle- mesme une idée assez basse, ny en concevoir une assez relevée de ce bien souverain, elle fait de nouveaux efforts pour se ra- baisser jusqu'aux derniers abimes du néant, en considé- rant Dieu dans des immensitez qu'elle multiplie sans cesse; enfin dans cette conception, qui épuise ses forces, elle l'adore en silence, elle se considère comme sa vile et inutile créature, et par ses respects réitérez l'adore et le bénit, et voudroit à jamais le bénir et l'adorer. Ensuite elle reconnoist la grâce qu'il luy a faite de manifester son infinie majesté à un si chetif vermisseau ; et après une ferme resolution d'en estre éternellement reconnoissante,
426 ŒUVRES
elle entre en confusion d'avoir préféré tant de vanitez à ce divin maistre, et dans un esprit de componction et de pénitence, elle a recours à sa pitié, pour arrester sa colère dont l'effet luy paroist épouvantable. Dans la vue de ces immensitez [5 lignes en blanc].
Elle fait d'ardentes prières à Dieu pour obtenir de sa miséricorde que comme il luy a plu de se découvrir à elle, il luy plaise la conduire i et luy faire connoistre les moyens d'y arriver. Car comme c'est à Dieu qu'elle aspire, elle aspire encore à n'y arriver que par des moïens qui vien- nent de Dieu mesme, parce qu'elle veut qu'il soit luy- mesme son chemin, son objet et sa dernière fin. Ensuite de ces prières, elle commence d'agir, et cherche entre ceux [5 lignes en blanc].
Elle commence à connoistre Dieu, et désire d'y arriver ; mais comme elle ignore les moïens d'y parvenir, si son désir est sincère et véritable, elle fait la mesme chose qu'une personne qui désirant arriver en quelque lieu, aïant perdu le chemin, et connoissant son égarement, auroit recours à ceux qui sçauroient parfaitement ce che- min et [4 lignes en blanc].
Elle se résout de conformer à ses volontez le reste de sa vie ; mais comme sa foiblesse naturelle, avec l'habitude qu'elle a aux péchez où elle a vécu, l'ont réduite dans l'impuissance d'arriver à cette félicité, elle implore de sa miséricorde les moïens d'arriver à luy, de s'attacher à luy, d'y adhérer éternellement [7 lignes en blanc].
Ainsi elle reconnoist qu'elle doit adorer Dieu comme créature, luy rendre grâce comme redevable, luy satisfaire comme coupable, le prier comme indigente.
1. ms. : à luy, barré.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
CL VIII. Lettres de Fermât à Pascal et de Pascal à Fermât
(25 juillet-10 août 1660) 1
GLIX. Lettre de Jacqueline Pascal à la Mère Angélique
(ier septembre 1660) 7
GLK. Arrêt du Conseil d'Etat condamnant l'édition
latine des Provinciales (23 septembre 1660). . i3
CLXI. Lettre de Jacqueline Pascal à la Sœur Angélique
de Saint-Jean (7 octobre 1660) 27
GLXII. Lettre de Jacqueline Pascal à Biaise Pascal
(16 novembre 1660) 35
CLXIII. Lettre de Pascal à Mme de Sablé (fin 1660 ?). . 4i GLXIV. Lettre de Jacqueline Pascal à Mme perier (24
mars 166 1) 49
GLXV. Lettre de Biaise Pascal à Mme perier (1661 ?). . 53 GLXVI. Lettres d'Antoine Arnauld (i5 avril 1661). . . 57 CLXVII. Ordonnance des Vicaires-généraux pour la signa- ture du formulaire (8 juin 166 1) 75
GLXVIII. Lettre de Jacqueline Pascal à Mlles Perier (17
juin 1661) 87
GLXIX. Lettres de Jacqueline Pascal à la Sœur Angé- lique de Saint-Jean et à Arnauld (2 2-23 juin
1661) 95
GLXX. Relation de Jacqueline Pascal concernant la
Mère Angélique (août 1661 ?) 117
GLXXI. Interrogatoire de Jacqueline Pascal (22 août 1661). 127 GLXXII. Lettres écrites à l'occasion de la mort de Jac- queline Pascal (4 octobre 1661) i33
CLXXTII. Acte notarié (6 novembre 1661) i45
428
GLXXIV. CLXXV.
GLXXVI.
CLXXVIL
GLXXVIII.
GLXXIX.
CLXXX. GLXXXI.
TABLE DES MATIÈRES
Lettre de Pascal à un ami de Clermont (1661 ?). 149 Ecrit de Pascal sur la signature du formulaire
(fin novembre ou décembre 1661) i5g
Appendice : Discussions sur la signature (dé- cembre i66i-juin(?) 1662) 176
Lettre de Madame Perier à Arnauld de Pom- ponne (21 mars 1662) 269
Actes notariés (4 avril-23 juillet 1662). . . . 285
Testament de Pascal (3 août 1662) 293
Lettres écrites à l'occasion de la mort de Pascal
(19 août 1662) . 3o3
Appendice sur les déclarations de Pascal mourant. 336
Comparaison des chrétiens £07
Écrit sur la conversion du pécheur 4 19
CHARTRES.
IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.
University of Connecticut
Libraries
s
ki s
ÏT