SOCIETE
ANCIENS TEXTES FRANÇAIS
ŒUVRES
GUILLAUME DE MACHAUT
TOME PREMIER
Le Puy, imp. Marohessou. — Peyrillcr, Rouchon et Garuon. successeurs.
OEUVRES
DE
GUILLAUME DE MACHAUT
PUBLIEES PAR
Ernest HŒPFFNER
TOME PREMIER
PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN-DIDOT ET O
RUE JACOB, 56
M DCCCCVIII
m 1 7 1956
873/
Publication proposée à la Société le 3o mai 1906.
Approuvée par le Conseil dans sa séance du 14 décembre 1906,
sur le rapport d'une Commission composée de MM. Meyer, Raynaud
et Thomas.
Commissaire responsable : M. G. Raynaud.
PQ
I4-Ô3 .G- 5 1908
INTRODUCTION
TRAVAUX RELATIFS A GUILLAUME DÉ MACHAUT
L'avènement des Valois, en i328> ouvre une nou- velle phase dans l'histoire de la littérature française, « longue période de transition qui va du vrai moyen âge à la Renaissance ' ». Le premier nom marquant qui se présente ici est celui du poète Guillaume de Machaut. Son œuvre exerce une influence puis- sante et durable sur le développement littéraire du xive siècle. Poète lyrique, il fait triompher, s'il ne les crée pas lui-même, les genres à formes fixes, la ballade, le chant royal, le virelai, le rondeau et le lai, qui, avec quelques variations et certaines modifications, régne- ront jusqu'au xvie siècle. C'est donc lui qui inaugure véritablement ce nouvel art lyrique, tout différent de la production poétique des siècles précédents. Musi- cien et compositeur, il introduit des changements non
i. G. Paris, La littérature française au moyen âge (1890}, p. in.
Tome I. ai
II INTRODUCTION
moins considérables dans la musique dont il accom- pagne une partie de ses poésies. Dans ses œuvres de longue haleine, dans les dits, poèmes didactiques et narratifs, il subit, il est vrai, comme tous ses contem- porains, l'influence profonde du Roman de la Rose : il lui emprunte le cadre de ses fictions ; il se sert des éléments allégoriques dont avaient usé Guillaume de Lorris et Jean de Meun; comme ce dernier surtout, il aime à faire montre d'une érudition aussi vaste que superficielle; et enfin, il reprend encore pour son compte les principaux sujets mis à la mode par ses illustres devanciers. Mais, s'il lui a été impos- sible de se soustraire complètement à la domination que le Roman de la Rose exerça sur toute cette époque, il a cependant réussi à se créer une certaine originalité qui lui appartient en propre et qu'il ne tient que de lui-même, en ce qu'il a mêlé à la fiction abstraite et générale des éléments tout personnels et individuels. Pas un seul parmi ses dits où il ne joue lui-même un rôle ; même dans le Confort d'ami, où il prodigue ses conseils et ses consolations au roi Charles II de Na- varre, même dans la Prise d'Alexandrie', chronique rimée qui raconte la vie de Pierre Ier de Lusignan, roi de Chypre, il trouve moyen de nous entretenir de sa propre personne et de donner quelques détails biogra- phiques sur lui-même. Dans ses premières œuvres, la tendance à se mettre en scène est encore peu marquée : le poète se montre déjà en personne, mais son rôle est modeste et effacé. A mesure que son renom s'établit plus solidement et qu'en raison de ses succès littéraires le sentiment de sa propre valeur
i. Le poème est appelédans tous les manuscrits Prise d'Alixandre.
INTRODUCTION III
s'affirme en lui, il devient plus hardi et s'attribue le premier rôle dans les récits qu'il nous conte. Pres- que aussitôt, on voit Froissart le suivre dans cette voie1 ; peu après lui, Eustache Deschamps qui se proclame son disciple2, produit des poésies toutes per- sonnelles et subjectives, et les poètes et auteurs du xve siècle, Christine de Pisan en tête 3, écrivent dans ce qu'on peut appeler sa manière. Ils lui empruntent encore certain genre littéraire, dont Machaut est le véri- table créateur : ce sont les « débats » ou « jugements d'amour », qui sont en quelque sorte le prolongement et le développement de l'ancien « jeu parti », où le poète seul, dans des pièces d'une certaine étendue empruntant les formes des « dits », expose, tant au moyen de person- nages fictifs que par sa propre bouche, les deux aspects d'une question, tranchée finalement par le jugement d'un tiers. Ce genre eut une vogue considérable, si bien que les auteurs contemporains autant que les poètes postérieurs du xve siècle s'empressèrent de l'imiter de leur mieux.
On n'hésita pas, d'ailleurs, à reconnaître en Guil- laume de Machaut comme un chef d'école, un maître, et on lui donna, pendant plus d'un siècle, sa place
i . Certains détails du Dit dou bleu chevalier ou du Traittié de la prison amoureuse, détails absolument extérieurs, sont déjà suffisants pour démontrer l'influence directe que Machaut a exercée sur Froissart, quoique celui-ci ne l'ait avoué nulle part; ce fait ressortira mieux encore d'une étude plus appro- fondie que nous nous réservons de faire paraître plus tard. Notons aussi que toute la production lyrique de Froissart adopte les formes consacrées par Guillaume.
2. Œuvres complètes, III, 25g (N. 447, v. 5) : « Machaut. . . qui m'a nourry et fait maintes douçours. »
3. Romania, XXI II (1894), 58 1-586.
IV INTRODUCTION
parmi les meilleurs poètes et musiciens de l'époque. Gillon le Muisit, dans ses Méditations, nomme parmi ceux qui a or sont vivant biaus dis faisant», en pre- mière ligne « de Machau le boin Willaume », en ajou- tant que « si fait (= poésies) redolent si que bausme ' ». Ëustache Deschamps, énumérant les grands hommes de sa province natale, la Champagne, cite « Vittry, Machault, de haulte emprise, poètes que Musique ot chier 2 ». Il consacre deux ballades à « la mort Machaut, le noble rethorique » qui était la « fleur des fleurs de toute mélodie », le « très doulz maistre qui tant fu adrois », le « mondain dieu d'armonie », et qui « com- plains sera de princes et de roys », car « sa chanterie a moult pleii aus grans seigneurs, a dames et bour- gois 3 ». Ceci, il l'avait déjà proclamé du vivant même du maître. Il vient de remettre à Louis de Maie, comte de Flandre, au nom de l'auteur un exemplaire du Voir Dit) et c'est sous l'impression immédiate de l'accueil fait à l'ouvrage, qu'il envoie à Guillaume ces lignes :
....... Tous voz faiz moult honourablement
Chascuns reçoit en maint païs estrange,
Et si n'y a nul, a mon jugement,
Qui en die fors qu'a vostre louenge.
Les grans seigneurs, Guillaume, vous ont chicr,
En voz choses prannent esbatemcnt ''.
i. Édit. Kcrvyn de Lettenhove, I (1882), 88. La pièce est de i35o; Machaut avait alors produit quelques-unes de ses meil- leures œuvres et jouissait déjà sans doute d'une réputation con- sidérable.
2. Œuvres complètes, VIII, 178 (Bail. 1474).
3. Loc. cit., I, 243-46 (Bail. 123 et 124).
4. Loc. cit., I, 249 (Bail. 127). Ces vers sont postérieurs a l'année 1364 où Machaut termina son poème. Datent-ils réelle- ment, comme lèvent M.Gaston Raynaud {lbid.,Xl, 22 et 224) de
INTRODUCTION V
L'éloge de Deschamps, disciple et peut-être neveu de Machaut, pourra paraître suspect. Mais d'autres témoignages viennent s'y ajouter auxquels on peut, nous semble-t-il, hardiment se fier. Une courte pièce latine, écrite environ au milieu du xive siècle, dont l'auteur est inconnu, cite parmi les musiciens de l'époque de Mâchait Gnillelmo* . L'auteur anonyme des Règles de seconde rhétorique, faisant précéder son traité de versification de quelques brèves notices sur ceux qu'il considère comme les meilleurs auteurs depuis Guillaume de Lorris, mentionne après Phi- lippe de Vitry « maistre Guillaume de Machault, le grant rethorique de nouvelle fourme, qui commencha toutes tailles nouvelles, et les parfais lays d'amours 2 ». Martin Le Franc, dans le Livre du Champion des dames, cite « Machaut, grant rhethorique », dont « les facteurs amoureux lamentent » la mort, avec Froissart, Christine de Pisan, Alain Chartier et d'autres 3. Achille Caulier accorde à « Machaut, poethe renommé » une place dans son Ospital d'amour à côté d'Alain Chartier, de Boccace et de Pétrarque '. Le
l'année i3y5, ce qui les placerait deux ans avant la mort de Guillaume et onze ans après la rédaction du Voir Dit? Nous n'osons l'affirmer trop catégoriquement. La question, d'ailleurs, dans ce cas particulier, est sans importance.
i . Voy. la notice de P. Meyer dans le Bulletin de la Société des anciens textes franc., XXXIV (1908), 46 ss.
2. E. Langlois, Recueil des arts de seconde rhétorique (1903), p. 12. L'ouvrage a été écrit entre 141 1 et 1432.
3. Voy. G. Paris, Romania, XVI (1887), 415. La pièce fut ter- minée vers 1442.
4. Edit. des Œuvres du Roi René par le comte de Quatrebarbe (1846), p. 128. Sur l'attribution de ce poème à Achille Caulier, voy. A. Piaget, dans la Romania, XXXIV (1905), 563-5f>4.
VI INTRODUCTION
poème étant daté de l'année 1457, on trouve donc encore vivants le souvenir et le renom de Guillaume quatre-vingts ans après sa mort. Pour le moyen âge où les gloires littéraires sombrent si rapidement, c'est une longue survivance.
Mais il ressort clairement des vers donnés dans ce dernier ouvrage comme épitaphe de la tombe de Machaut ', que, si le nom du poète et le titre de l'un de ses plus célèbres poèmes sont encore connus, ses œuvres ne sont plus lues et que la tradition seule a conservé son souvenir de grand poète et d'amant malheureux. Par contre, dans les œuvres des poètes antérieurs on trouve bien des traces d'une connais- sance sérieuse des pièces de notre auteur. Frois- sart, nous l'avons dit, l'a imité, sans toutefois le nommer. Eustache Deschamps lui doit beaucoup. La preuve la plus sûre en est que, dans Y Art de dictier, les rondeaux donnés comme modèles du genre, sont em- pruntés à l'œuvre de Machaut. Christine de Pisan reprend dans le Dit de Poissy le débat soulevé tout d'abord par Guillaume dans le Jugement dou Roy de Behaingne, tandis que son Livre des vrais amans « pré- sente plus d'une ressemblance avec le Voir Dit de Guil- laume 2 »; mais, non plus que Froissart, elle n'indique
1. J'eus le renom
D'estrc fort embrasé de penser amoureux
Pour l'amour d'une Voir, dont pas ne fus heureux
Ma vie, seulement tant que la peusse voir •>. (loc. cit.)
L'auteur fait évidemment allusion au Voir Dit ; mais en commet- tant la singulière méprise de prendre l'adjectif Voir pour le nom de la dame du poète, il prouve bien qu'il ne connaissait du poème que le titre.
2. Annie Reese Pugh, Roman ia, XXIII (1894), 586.
INTRODUCTION VII
la source de son inspiration. Oton de Granson, dans son Lai de désir en complainte, invoque directement l'autorité' du vieux maître :
Maistre Guillaume de Machault
Dit bien que revengier n'y vault, etc. ',
et dans une Complainte de Van nouvel il reproduit une situation imaginée par Machaut dans la Fontaine amou- reuse,dont Froissart s'était déjà inspiré dans \e Dit dou bleu chevalier. Martin le Franc déclare qu'il n'est pas d'accord avec Machaut sur la décision du débat qui fait l'objet du Jugement dou Roy de Behaingne : « Je ne m'accorde au jugement Machaut 2 ». On trouve encore une mention de notre poète dans le Débat du Reveille matin d'Alain Chartier qui lui emprunte éga- lement le cadre et le fond du Livre des quatre dames \ Les œuvres de Guillaume étaient connues même au delà du domaine de la langue française. Chaucer, le grand poète anglais, s'est inspiré du Dit de la Fon- taine amoureuse pour son Boke qf the Duchesse et a fait des emprunts encore à d'autres poèmes de Ma- chaut 4. Sa vogue dans les pays catalans est déjà attestée en i36j par la mention d'un manuscrit « Méchant ô
i. Edit. Schirer (igo5), p. 3j. L'éditeur, de même que M. Pia- get {Romania, XIX, 424 et 426), trompé par le manuscrit, a vu deux lais là où il n'y en a qu'un seul. Ce n'est qu'en réu- nissant les deux pièces qu'on obtient le nombre réglementaire de douze strophes, dont la dernière est pareille à la première, sui- vant la théorie du lai.
2. G. Paris, Romania, XVI, 409.
3. A. Piaget, Romania, XXI, 616-617; G. Paris, Villon, p. 9?.
4. Sandras, Étude sur Chaucer (1859), p. 75 ss.; 89-95; tcn Brink, Chaucer-Studien, I (1870), 7-1 1.
VIII INTRODUCTION
Mechaud », et par un billet de la reine Yolande (du 18 juin 1389) qui remercie son cousin, le comte de Foix, de l'envoi d'un « libre molt bell é bo de Guillem Maixant ' ». En 1449, le marquis de Santillane, dans sa fameuse lettre au « Condestable de Portugal »,cite le poète parmi les cinq grands auteurs français en compa- gnie de Guillaume de Lorris, Jean de Meun, Oton de Granson et Alain Chartier 2. En Italie, Ugolino d'Orvieto, aux environs de 1400, fait son éloge en tant que musicien et chef d'école 3, et ce témoignage est confirmé par des manuscrits italiens qui contiennent en effet des compositions musicales du maître français". Quant à ses poésies, elles ne pouvaient dans la Pénin- sule soutenir la comparaison avec celles des grands poètes contemporains comme Pétrarque et Boccace. Dans la seconde moitié du xve siècle, Machaut est oublié. Après le roi René qui ne paraît déjà plus con-
1. Morel-Fatio, Remania, XXII, 275-76.
2. Obras (publ. par A. de los Rios, i852), p. 9 : Michaute
escriviô asymesmo un grand libro de baladas, canciones, ron- deles, lays, virolays, é asonô muchos dellos ». Cela répond bien à Machaut, malgré la forme « Michaute » qui semble s'appli- quer plutôt à Pierre Michaul. M. Piaget a fort bien établi que les manuscrits du xve siècle ont plusieurs fois substitué «Michaut» à « Machaut r>{Romania, XXI, 616-17).
3. Le chapitre qu'il lui consacre est intitulé Ratio dicti Guil- lelmi et suoriim sequaciitm. L'auteur, auparavant, s'exprime ainsi : « Iste Guilielmus in musicis disciplinis fuit singularis et multa in ea arte optime composuit, cujus cantibus temporibus nostris usi sumus benepoliteque compositis ac dulcissimis harmoniarum mclodiis ornatis ». Ambros, Geschichte der Musik, III (1891), 26.
4. Voy. F. Ludwig, Die mehrstimmige Musik des 14. Jahr- hunderts, dans Sammelbânde der internationalen Musikgesell- schaft, IV (1902-03), 37-38.
INTRODUCTION IX
naître ses œuvres, on ne trouve aucune mention du poète. Ce n'est qu'au xvme siècle que l'abbé Lebeuf découvre un manuscrit de Machaut, sur lequel il rédige une « notice sommaire '» . Le comte de Caylus a et l'abbé Rive 3 , à leur tour, essaient de fixer la bio- graphie et la physionomie littéraire du vieil auteur, mais ils n'y réussissent qu'imparfaitement. Roquefort, dans son étude sur l'Etat de la Poésie franchise dans les xne et xme siècles (i8o5)4 et Amaury Duval, dans V Histoire littéraire de la France^ le mentionnent. En 1849, Prosper Tarbé publie un choix des poé- sies de Machaut0; l'essai biographique dont il fait pré- céder cette édition constitue un sérieux progrès sur toutes les études précédentes \ Dans un volume, con- sacré à Agnès de Navarre, il fait paraître encore d'autres œuvres du poète 8. Les erreurs commises par l'éditeur dans la préface de cette dernière publication sont redressées par Paulin Paris dans l'édition qu'il donne
1 . Mémoires de V Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, XX (1753), 377-98.
2. Ibid., p. 399-439.
3. De la Borde, Essai sur la musique, IV (1780), Appendice.
4. P. io5 ss.
5. Tome XVI (1824), 272, 274, 275, note 2.
6. Les Œuvres de Guillaume de Machaut, t. III delà Collection des poètes de Champagne antérieurs auxvr siècle, (1849).
7. Ce travail semble avoir passé à peu près inaperçu. Les arti- cles consacrés à Machaut, dans la Nouvelle biographie générale (XXI, 71 2-1 3), dans le Grand Dictionnaire universel de La- rousse (VIII, 1625), dans la Biographie universelle des musi- ciens de Fétis et autres, se basent tous sur les essais du xvine siècle et ignorent les résultats des recherches de Tarbé. Celui-ci n'est pas même cité dans le Dictionnaire universel des Littératures de Vapereau (1884).
8. Les Poésies d'Agnès de Navarre (i856).
X INTRODUCTION
du Voir Dit de Machaut '. Mas Latrie, en 1877, publie la Prise d'Alexandrie 2 ; sa préface, malheureusement, en tant qu'elle s'occupe de l'auteur du poème, contient de nombreuses et graves erreurs. Quelques nouvelles dates pour la biographie du poète ont été données par les heureuses découvertes de M. A. Thomas au Vati- can 3 . Notre poète a désormais sa place dans les traités d'histoire littéraire de la France, de Lanson, Faguet, Petit de Julleville, Gaston Paris, Grôber, Suchier, etc.; Molinier, dans les Sources de V Histoire de France (IV, 1 10-12), en donne une courte notice biogra- phique. Au moment de publier les œuvres de Machaut, il peut être utile de fixer, comme point de départ pour des recherches ultérieures, les renseignements biogra- phiques que nous possédons aujourd'hui sur lui.
1 . Le Livre du Voir Dit, publié pour la Société des bibliophiles françois [par Paulin Paris], (1875).
2. La Prise d'Alexandrie, publiée pour la Société de l'Orient Latin, par M. L. de Mas Latrie (1877).
3. Romania, XfiSSi), 325-33; Mélanges d'archéologie et d'his- toire de l'École Française de Rome, IV (1884), 36-46.
INTRODUCTION XI
II
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR GUILLAUME DE MACHAUT
Guillaume de Machaut, qu'Eustache Deschamps nomme parmi les grands hommes de la Champagne, tire son origine et son nom du village de Machault, actuellement chef-lieu de canton du département des Ardennes. Les documents latins l'appellent de Mascau- dio, de Machandio ou de Machaudo. Par là, il se dis- tingue de plusieurs homonymes contemporains avec lesquels on l'a longtemps confondu. Ceux-ci se nom- ment de Machello ou de Macholio, du village de Ma- chault en Brie (dép. de Seine-et-Marne); ce serait en français Macheau ou Machiau ', tandis que le nom du poète était bien de Mâchant (orthographié Machault au xve siècle), comme l'attestent des vers où il rime avec chaut {= calet, Jug. dou Roy de Nav., 373-74, 1499- i5oo) et les anagrammes de ses poèmes \ Il faut écarter, par conséquent, certain Guillelmus de Ma-
1 . Cette forme Machiau existe en effet dans un document de l'année i3io, relevé par M.Antoine Thomas, qui, après Gaston Paris (Revue crit., IV, 216), a nettement séparé le nom du poète de celui de ses homonymes (Romania, X, 327, note 4). Le raison- nement de G. Paris, en tant qu'il s'appuie sur la prononciation du t final dans Machaut, n'est pas absolument décisif, car l'un des meilleurs manuscrits, écrit encore du vivant de Guillaume et sans doute même revu par lui, donne toujours Mâchait, sauf à la rime. Le t ne se faisait donc plus entendre que devant une voyelle ou à la pause.
2. Voy. Zcitschr.fiir roman. Phil., XXX (1906), 404 ss.
XII INTRODUCTION
chello, valet de chambre de Philippe-le-Bel, un Guil- lelmus de Macholio, valet de chambre de la reine Jeanne de Navarre en i3oi, et un Guillaume, fils de Pierre de Machau, encore mineur en 1 3 1 8 '. Par cela même, toutes les hypothèses qui s'appuyaient sur ces personnages pour déterminer la date de naissance du poète doivent être rejetées2. Cependant, il est permis de fixer sa nais- sance aux environs de i3oo; nous en donnerons les raisons dans la suite. Nous ignorons tout de sa famille; et l'on ne saurait dire s'il appartenait vraiment à la noblesse, comme l'ont admis Tarbé, P. Paris et M. Suchier 3, ou s'il était d'une origine plus modeste, comme le veulent l'abbé Rive et Mas Latrie. Le fait est que le poète, dans aucun document, n'est qua- lifié de «fidelis, dominus, miles, armiger »4; ce qui dénote plutôt une extraction roturière. Par contre, il est qualifié de « clerc » et de « maître ». Il a donc fait ses études de théologie, puisqu'il devient plus tard cha- noine, et a obtenu le grade universitaire de « magis- ter ». S'il a vécu dans l'intimité des grands seigneurs, il le doit, sans doute, non à son origine, mais à l'habit ecclésiastique devant lequel s'effaçaient les différences de caste et de naissance. Lui-même, en s'adressant au roi de Navarre, qu'il traite d' « ami » — ce dont il
i. Dans les études de l'abbé Lebeuf, de Tarbé, de Mas Latrie, signalées plus haut, ces différents personnages sont plusieurs fois confondus avec notre poète.
2. L'abbé Rive et, après lui, Mas Latrie fixent la naissance de Machaut en 1282 ou 1284; Tarbé, que suit P. Paris, se décide pour l'année 1295, croyant le poète encore mineur en i3i8.
3. Geschichtc der fran-xàsischen Littcratur (1900), p. 235.
4: Ce raisonnement de Mas Latrie, quoiqu'appliqué à des docu- ments où il n'est pas question du poète, n'en subsiste pas moins pour les pièces qui se rapportent en eflet à notre auteur.
INTRODUCTION XIII
s'excuse d'ailleurs — déclare n'être ni des meilleurs ni des pires '. En sa qualité de clerc lettré il occupait, en effet, un rang intermédiaire entre la haute noblesse et les simples serviteurs et valets. A la question posée dans les derniers vers du Dit de l'Alerion,
Se cils est clers ou damoisiaus Qui fist ce Dit des quatre Oisiaus,
Guillaume lui-même donne la réponse dans le Livre de la Fontaine amoureuse : il s'y qualifie, avec cette fausse modestie qui était alors de rigueur, de clers rudes, nices et malapers (v. 139-140).
Machaut ne parle jamais de ses études. Nous ne savons ni où, ni comment il les fit. Il obtint le grade de maître-es-arts 3, et prit sans doute ses inscriptions à la Faculté de théologie. Y poussa-t-il ses études très loin ? On peut en douter. Nulle part, on ne trouve men- tionné quelque autre grade universitaire. D'ailleurs, le voilà bientôt loin de l'Université. C'est aux environs de 1 323 qu'il entra au service de Jean de Luxembourg, roi de Bohême. A en croire le poète, il aurait été atta- ché à la personne du roi pendant plus de trente ans "'.
1. Confort d'ami, v. 23-25 :
Car bien sçay que tu yes mes sires, Et je des mieudres ne des pires Ne suis...
2. Machaut, dans ses poésies, ne se donne jamais ce titre qui ne figure pas non plus dans les manuscrits de ses œuvres. Mais il est qualifié de maître dans un document de l'année 1 36 r (voy. p.xxv),dans un autre document de l'année 1 3y 1 (voy. p.xxxix) et par l'auteur anonyme des Règles de seconde rhétorique (voy. p. v).
S. Prise d'Alexandrie, v. 785 : « Je fu [l. fui) ses clers ans plus de trente ».
XIV INTRODUCTION
Jean étant mort à Crécy en 1346, c'est en î 3 16 au plus tard qu'il aurait retenu Guillaume à ses gages. Mais l'affirmation de Machaut qui date des dernières années de sa vie et qui est postérieure à la mort de Jean de plus d'un quart de siècle, est formellement contredite par un document officiel, plus digne de confiance que le vers du poète \ En i335, Jean de Luxembourg de- mande au pape Benoît XII la confirmation d'une prébende pour son serviteur qu'il a à son service depuis une douzaine d'années 2, donc depuis environ 1 323. Il serait intéressant de savoir comment Guil- laume fut mis en relation avec le roi de Bohême; mais, en vérité, nous l'ignorons. Tant qu'on avait pu le croire d'abord au service de Philippe-le-Bel ou de sa femme, on pouvait admettre que Jean l'eût rencontré à la cour de France \ Mais cette hypothèse s'applique à un autre personnage; nous le savons aujourd'hui. Peut-être est-ce par l'entremise de l'Eglise que le roi entra en rapport avec le poète. Guillaume, en effet, à cette date, appartenait sans doute déjà au vaste monde ecclésiastique où, seul alors, toutes les ambitions pou- vaient encore être satisfaites, où la valeur personnelle pouvait, jusqu'à un certain point, corriger les diffé- rences d'origine et permettre d'arriver même aux hommes de la plus basse condition. Machaut faisait partie du clergé du diocèse de Reims, où il était né.
1. C'est probablement le souci de trouver un vers bien frappe et une rime facile qui est la cause de cette affirmation inexacte et exagérée du poète.
2. A. Thomas, Romania, X, 332 : « ... clerico suo secretario et familiari domestico quem asserit duodecim annis vel circa suis obsequiis institiss» ».
3. C'est l'opinion de Tarbé et de Mas Latrie.
INTRODUCTION XV
En effet, quand, en 1324, Guillaume de Trie devient archevêque de Reims, Machaut compose un motet en l'honneur du nouveau dignitaire; celui-ci était probablement son chef dans l'ordre hiérarchique '. Parmi les œuvres de Guillaume, c'est la plus ancienne poésie qu'on puisse dater avec certitude. On peut admettre que ses talents de poète et de musicien, révélés à cette occasion, le signalèrent à l'attention de ses supérieurs et lui valurent leur recommandation auprès du roi de Bohême qui, on le sait, était en rapports suivis avec le royaume de France 2.
Machaut remplissait auprès de Jean de Luxembourg les fonctions d'aumônier et de secrétaire 3. Comme
1. Le motet Boue pastor Guillenne (inédit). Le personnage dont il s'agit y est clairement désigné dans les vers suivants : « O Guillcrme, te decenter Ornatum, rex qui potenter Cuncta régit. Sue domus ad decorem Remensium in pastorem Preelegit. » La dissertation sur la mitre et la crosse que le poète a mise à la suite ne laisse pas le moindre doute à cet égard. Or, à l'époque de Ma- chaut, il n'y eut à Reims qu'un seul archevêque du nom de Guillaume, Guillaume de Trie, nommé le 28 mars 1324 et mort le 26 septembre i334; il ne prit possession du siège épiscopal qu'en juin \Zi\{Gallia christiana, IX, 123-4).
2. En i322, Jean de Luxembourg, occupé par les affaires d'Allemagne, ne paraît pas avoir été en France. En i323, il y fut peut-être au commencement de l'année (pèlerinage à Roca- madour, contesté par A. Leroux, Relations politiques de la France avec VAllemagne de i2Q2 à i3y8 1882, p. 162, note) et sûre- ment en mai et en juin, à l'occasion du couronnement de la reine Marie, sa sœur (i5 mai 1 323) ; en 1324, en février, avec le roi Charles IV à Toulouse, et en mars à Paris, pour les obsèques de la reine (voy. J. Schôtter, Johann Graf von Luxemburg und Kônig von Bôlimen, I, 263 ss.; 283-84; Th. de Puymaigre, Jean l'Aveugle en France, dans la Revue des questions histo- riques, LU, 400 ss.).
3. Dans les documents publiés par M. A. Thomas, Machaut est
XVI INTRODUCTION
tel, il était étroitement attaché à la personne du souve- verain. Celui-ci le qualifie volontiers de domesticus et familiaris ' ; c'est dire qu'il l'avait admis dans son entourage immédiat. Or, le roi Jean était un person- nage extrêmement remuant et turbulent, toujours en route, qu'il s'agît d'entreprendre quelque expédition guerrière, d'assister à quelque tournoi ou simplement de visiter ses domaines disséminés dans toute l'Europe. Guillaume dut l'accompagner le plus souvent dans ces folles équipées et ces courses vagabondes qui le me- naient en France ou dans l'Empire allemand, en Italie, en Pologne ou en Prusse. Mais, contrairement à ce qu'on voit chez son disciple Eustache Deschamps, ses voyages à travers l'Europe n'ont laissé que très peu de traces dans la vaste production littéraire de Machaut. Cependant, certains passages de ses œuvres contiennent des témoignages directs ou indirects de la part qu'il prit aux déplacements et aux expéditions aventureuses de son maître. Dans le Jugement dou Roy de Behaingne il nous parle d'un séjour qu'il fit avec le roi au château de Durbuy dans le comté de Luxembourg, château dont il donne une description exacte et minutieuse *.
qualifié en i33o de clericus elemosinarius, en 1 33s de notarius, en 1 333 de notarius secretavius, en 1 335 de secretavius . Dans la Prise d'Alexandrie il déclare lui-même avoir été le clerc(v. 785) ou le se* cretaire (v. 789) du roi. Plus de cinquante fois il a distribué de l'argent au nom de son maître (Confort d'ami, v. 2946 ss.).
1. Documents de i33o, i332, 1 333, 1 335 [Romania X).
2. V. 1 365-67 '•
Car vraiement, je mangay ver et bui
Avec ses gens (se. du roi) en chastiau de Durbui,
Et il (le roi) y est.
Durbuy, aujourd'hui dans la province belge de Luxembourg.
INTRODUCTION XVII
Dans le Confort d'ami, il nous apprend qu'il a été au château de Bruguelis, où « n'a fleur de lis, car il y fait froit en esté ' », preuve, de ses séjours en Bohême \ Il fait avec le roi la campagne de Silésie en i32j et assiste à la prise de Breslau et à la soumission de qua- torze seigneurs du pays3. Pendant l'hiver de 1328-29, il l'accompagne contre les païens, en Lithuanie, où l'on s'empare de Medonagle et où Ion fait « crestienner des mescrëans plus de sis mille4 ». « Je fui, dit le poète, pre-
était la « résidence favorite de Jean de Luxembourg » (Puy- maigre, Revue des questions historiques XLII, 174).
1. Confort d'ami, v. 30:4-1 5 ; 3oi6 : « Bien le sçay, car j'y ay esté. » C'est le château de Bûrglitz, en Bohême, où le roi Jean, comme dit Machaut (ibid.), avait tenu prisonnier son adversaire, le duc Henri d'Autriche.
2. D'après P. Paris [Voir Dit, p. xv, n. 1), une autre preuve des séjours de Guillaume en Bohême serait donnée dans ce même Confort d'ami (v. 3969-70), où il est question de Burglost, « châ- teau des rois de Borjême, à six lieues de Prague », d'après le savant éditeur. Mais cette explication doit être écartée, car les manuscrits donnent Glurvost, Gluvost, Gluroust, et c'est, en effet, Glurvost seul qui peut fournir les éléments nécessaires à l'ana- gramme où Machaut se nomme avec le roi de Navarre. Ce Glur* vost que nous n'avons pas réussi à identifier est, au dire du poète, « une villette en l'Empire qui n'est gueres dou Bourget pires » (vv. 3971-72). C'est évidemment le nom estropié et devenu méconnaissable de quelque petite localité allemande ou autri- chienne que Machaut — et voilà ce qu'il faut retenir — a connue jadis.
3. Confort d'ami, v. 3027 : « Je le vi ; pour ce le tes- moing. »
4. Ibid., v. 3o33-34< La forteresse de Medewageln, forme recons- tituée d'après les documents contemporains par Voigt (Geschichte Preussens, IV [i83o], 365, n. 4 et 429, n. 3) n'est, d'après les éditeurs des Script, reriim Frussicarum, I f 1861], 182, n.4)« nicht uâher nachweisbar ». La chronique de Petrus von Dusburg dit en effet : « VI. milia hominum dicti castri sunt in nominc dominî
Tome I. h
XVIII INTRODUCTION
sens a ceste feste; Je le vi des yeus de ma teste '. » A l'en croire, il suivait son maître jusqu'au plus fort de la bataille, brave malgré lui, ajoute-t-il, car la fuite dans ce pays sauvage et étranger eût été plus dangereuse que le combat lui-même2. Prit-il part, en i33i, à la guerre d'Italie, à la rencontre avec les Hongrois devant Laa et à la seconde campagne de Prusse à la fin de la même année? Il parle de ces événements, sans affir- mer qu'il en ait été témoin3. Dans l'énumération des hauts faits de son maître, il ne va d'ailleurs pas plus loin que celte année 1 33 1, quoique le poème où il en est parlé ait été écrit en 1 3 57, une dizaine d'années après la mort du roi Jean. Mais on ne peut rien conclure de ce silence, car c'est précisément des années i33o à 1 335 que datent les documents qui le montrent au service du roi. Si le poète s'arrête là, c'est qu'il ne pourrait « dire ou compter en jour et demi » toutes les prouesses de ce modèle des rois. Enfin, la description minutieuse de l'entrée en Quaranteinne (Carinthie) « par deus destrois Qui sont rostes, longs et estrois 4 » pourrait bien avoir pour bases des souvenirs person- nels : c'est à Trente par exemple que Jean prépare en
baptizati » {Script, rerum Pruss., I, 21 5), et c'est le roi de Bohême qui leur a sauvé la vie, tandis que le grand-maître de l'ordre teutonique voulait tous les massacrer.
1. Confort d'ami, vv. 3049-50.
2. Fontaine amoureuse, v. 141 ss. Au lieu de : « S'ay je esté par mes deus fois » (v. 141), Caylus a lu : « S'ay j'este prisonés deus fois » et en a conclu à une double captivité du poète et de son maître. Or, Jean de Luxembourg n'a jamais été fait prison- nier. Déjà Tarbé avait reconnu en ce passage une mauvaise lec- ture de Caylus.
3. Confort d'ami, vv. 3o5i ss.
4. Prise d'Alexandrie, vv. 1518-19.
INTRODUCTION XIX
1 33 1 son expédition en Italie, et Ton sait que la pos- session de la Carinthie et du Tirol était alors l'objet de longues et laborieuses négociations, les maisons de Luxembourg et de Habsbourg ayant jeté toutes deux leur dévolu sur ces provinces. Enfin, plus tard Machaut se plaît à rappeler l'insécurité qui régnait autrefois dans l'Empire et dont il a été témoin '.
Tout en étant au service du roi de Bohême, Machaut avait soin de rester en relation avec l'Église de France. Les bulles découvertes par M. A. Thomas fournissent là-dessus des renseignements précieux. On y apprend qu'avant i33o, Guillaume était déjà pourvu d'un béné- fice ecclésiastique et possédait la chapellenie perpé- tuelle de l'hôpital de Houdain (Pas de Calais) \ Le 3o juillet 1 33o, il se fait donner une provision de cano- nicat, en expectative de prébende, dans la cathédrale de Verdun 3 ; le 17 avril i33a une autre dans la cathédrale d'Arras 4; le 4 janvier 1 3 3 3, une troisième à Reims \ L'avènement du pape Benoît XII, en 1 3 3 5, renversa toutes ces espérances : désireux de réformer les abus
1. Prise d'Alexandrie, vv. 1044 ss. : actuellement, en 1 364, « on y porte (dans l'Empire) Seûrement l'or en la main... Et je vi que nuls n'i savoit Aler, se grant conduit n'avoit. »
2. Bulle du 3o juillet i33o: ... « liberam perpetuam capella- niam hospitalis béate Marie de Husdinio, Atrebatensis diocesis, nosceris obtinere. » Les bulles de i332, 1 333 et 1 335 répètent le même fait. Voy. A. Thomas, Mélanges d'arcliéol. et d'hist. (de l'Ecole française de Rome), IV (1884), 43 ss.
3. Bulle du 3o juillet i33o : ... « canonicatum ecclesie Vir- dunensis... tibi conferimus » (/. c, p. 43).
4 « canonicatum ecclesie Atrebatensis... tibi conferimus »
(/. c, p. 43-44).
5. ... « canonicatum ecclesie Remensis... tibi conferimus » (/. c, p. 44).
XX INTRODUCTION
introduits dans l'Eglise sous ses prédécesseurs, le nou- veau pape tenta de supprimer entre autres le singulier abus des « expectatives ». Guillaume n'était encore entré en possession d'aucun de ses bénéfices. Le pape lui supprima ceux de Verdun et d'Arras, et ne main- tint que celui de Reims. Il lui laissa aussi la chapelle- nie de Houdain jusqu'au moment où il aurait effecti- vement pris possession du canonicat promis '. On voit à cette occasion que Guillaume était encore chanoine à Saint-Quentin en Vermandois \ Ce bénéfice lui resta, n'étant pas dû à la faveur pontificale. Nous ne savons, ni quand, ni comment Machaut l'obtint. Faut-il con- clure du silence qu'observent là-dessus les bulles des années précédentes, dont aucune cependant n'omet la chapellenie de Houdain, que le canonicat de Saint- Quentin ne lui échut qu'après le 4 janvier i333?3 Peut-être dut-il cette place, comme cela est certain pour toutes celles que nous venons d'énumérer, à l'influence de son maître Jean de Luxembourg. Pour celui-ci c'était évidemment une façon de récompenser son clerc que de lui faire obtenir quelque canonicat lucratif. D'ailleurs, d'après ce que nous savons du roi de Bohème, le service auprès de lui ne pouvait être que
1 < canonicatum ejusdem ecclcsie Remeneis ... tibi con-
ferimus; .... volumus quod, quamprimum vigore presentis gra- tic hujusmodi prebendam pacilicc fueris assecutus, prcdictam pcrpetuam capellaniam, quem obtines, ut fertur, quamquc ex- tunc vacare decernimus, omnino dimitterc tcncaris » (/. c, p. 45-4G).
2. ...« nonobstantc ... in Sancti Quintini in Viromandia eccle- sia canonicatum et prebendam nosceris obtinere » (/. c, p. 45).
3. Machaut a composé un motet en l'honneur de saint Quentin [Martyrum gemma latria). Malheureusement; on ne peut rien en tirer pour la biographie du compositeur.
INTRODUCTION* XXI
largement rémunérateur. Les auteurs de l'époque ne savent assez vanter sa « largesse», autrement dit sa folle prodigalité, qui l'a rendu presque légendaire. Machaut lui-même, avec quelque exagération sans doute, nous fait savoir qu'il lui est arrivé plus de cin- quante fois de distribuer, au nom de son maître, en un seul jour quelque 200,000 livres '. Il a bien dû béné- ficier, lui aussi, de cette pluie d'or. La preuve s'en pourrait peut-être trouver dans ce fait qu'en 1 3 33 Jean de Machaut, frère cadet de Guillaume, est également aumônier du roi; c'est probablement Guillaume qui l'avait engagé à venir auprès de lui 2.
En i337, Machaut obtient enfin son canonicat à Reims; il prend possession de sa charge par procura- tion; il était sans doute encore retenu au loin par son service auprès du roi de Bohême \ On a admis que le
1. Confort d'ami, vv. 2g3o ss.
2. Le 4 janvier 1 333, le pape accorde, en même temps qu'à Guillaume, un bénéfice ecclésiastique « Johanni de Machaudio, clerico diocesis Remensis a, également sur la demande du roi Jean qui l'appelle « dilectum familiarem et domesticum elemo- sinarium suura » (A. Thomas, Romania, X, 32g). N'étant alors que simple clerc sans bénéfice, Jean devait être le cadet de Guil- laume, comme le suppose M. A. Thomas (f. c).
3. Dans le Livre ronge du chapitre de Reims, qui donne la liste des prébendes et des chanoines, dressée depuis le commen- cement du xive siècle (Archives de Reims, cartulaire A), on trouve au f° 54 r°, d'une écriture du temps, la mention suivante : « Nunc Guillermus de Machaudio; receptus fuit per procuratio- nem anno domini 1 337, feria quarta post Conversionem sancti Pauli. » Cette notice a été reproduite par le chanoine de Reims, Jean Herman Weyen (mort vers 1732), dans un recueil manus- crit de notices sur les archevêques et les dignitaires du chapitre d« Reims, sur les chanoines et sur les diverses prébendes dont ils étaient titulaires (Ribl. de Reims. n° 1773). L'ouvrage fait
XXII INTRODUCTION
poète n'est rentré en France qu'après la mort de son maître, en 1346. Il n'en est rien, car on le trouve à Reims longtemps avant cette date. Dans les comptes de l'échevinage de la ville (1 340-1 341) on lit parmi les dépenses de 1340 : « Item, .xxiv. livres, pour un cheval acheté a Guillaume de Machaut, pour ce que on ne peust recouvrer de cheval a louier, pour porter la malle Hue le Large, quant il fust en l'ost devant Escaudeuvre, pour parler au roy '. » La valeur du double d'or ayant augmenté de deux sous, il fallut plus tard rembourser « .xvm. sols pour frais de neuf doubles d'or a Hue le Large, qu'il presta pour un cheval acheté a Guillaume de Machaut 2 ». Il est fort probable que ce Guillaume de Machaut est notre chanoine, bien qu'il n'ait ici aucune qualification permettant de l'identifier d'une façon cer- taine et de le distinguer sûrement de quelque homo- nyme. Le personnage devait être assez important pour- qu'on pût le reconnaître sans peine \ Il serait donc
avec soin d'après les sources originales est digne de confiance, mais non exempt d'erreurs. Weyen donne, par exemple, feria 5 au lieu de feria qaarta. C'est ainsi que Tarbé a reproduit cette notice (/. c, p. ix). Weyen ajoute que Guillaume « legitur jam receptus 1 33 1 et 1 335 in praebendis. » Je suppose qu'il s'agit là des expectatives de prébendes accordées au poète par les papes Jean XXII et Benoît XII, dont Weyen a eu connaissance; au lieu de 1 33 1 il faut lire i333. — Nous devons la plupart de ces renseignements ainsi que quelques-uns de ceux qui suivront à l'obligeance de M. L. Demaison; nous tenons à lui en exprimer ici tous nos remerciements.
1. Archives communales de Reims, compte de l'échevinage 1340-1341, fol. 25 v°, reproduit par Varin, Archives administra- tives de Reims, II, 833.
2. Varin, /. c, p. 834.
3. Du manque même de toute qualification, on peut déduire que Guillaume devait être seul de son nom à Reims; autrement
INTRODUCTION XXIII
venu occuper personnellement sa place de chanoine à Reims et résider dans cette ville au plus tard trois ans après sa nomination, probablement même plus tôt '. Il
on l'aurait sans doute distingué de quelque homonyme par son titre de maître ou de chanoine. Les documents de l'époque con- naissent plusieurs personnages du nom de Machaut à Reims; mais aucun d'eux n'a le prénom de Guillaume : il y a Jean de Mâchant, le frère du poète, devenu chanoine le i3 septembre 1 355, Johannes Raulini de Machaudio, chanoine depuis le der- nier février 1 354 (manuscrit de Weycn, fol. 291 r°); le cordier Guiot de Mâchant (Compte de l'échevinage de 1340-41, f" 9 V0; Toy. Varin, Arch. administr. de Reims, II, 824).
1. Un poème de Machaut, la Complainte a Henri, semble tout d'abord confirmer ce fait. Guillaume s'adresse à un ami que nous ne connaissons pas, du nom de Henri. On peut écarter les différentes tentatives faites pour identifier ce personnage (Henri de Navarre, d'après Caylus; Henri de Brabant et Henri de Trans- tamare sont écartés par Tarbé, p. 179, s. v. Henry). L'auteur est à Reims; il se plaint amèrement des nombreuses vexations qu'il a à subir : « Il m'estuet mettre aus murs de la ville; Et si vuet on que je veille a la porte Et qu'en mon dos la cote de fer porte. » Ensuite il y a « maletoste et subside et gabelle, flebe monnoie et imposition et dou pape la Visitation » ; puis il « faut paier pour huit ans les trentismes et sans delay pour le roi trois disismes ». L'Eglise est détruite et a perdu sa franchise; et pour comble « dit on que li rois d'Angleterre vient le seurplus de ma subs- tance querre. » 11 est malade et sans argent; son frère de même; et de son « borgne oueil » il aperçoit « qu'a court de roy chas- cuns y est pour soy. » Aussi est-il décidé à quitter cette ville où il est « comme uns prestres et lais et en main de commun » et, à s'en aller « demourer en l'Empire, en essil. » Ce poème, d'après P. Paris [Voir Dit, p. 383) fut écrit en 1340. Machaut, dans les premiers vers, se plaint de ne plus courir « ne mont ne plain », car « a piet sui sans cheval et sans selle ». Ce serait une allu- sion à l'achat de son cheval par l'échevinage de Reims en 1340.
Il faut avancer la date de cette complainte de près de vingt ans. Tarbé la place entre i35G et 1 358, après la bataille de Poitiers et avant le siège de Reims par les Anglais. On peut mc*me aller
XXIV INTRODtyCTION
n'y a pas lieu d'admettre qu'il ait pour cela abandonné ses fonctions auprès du roi de Bohême; car ces béné- fices n'obligeaient pas à la résidence, et Machaut n'avait même pas besoin d'une dispense particulière à ce sujet, le roi de Bohême, comme *ous les souverains, ayant
jusqu'en 1 35g, car la menace d'une invasion anglaise ne put se produire qu'après le 25 mai 1 35g, quand les Etats-Généraux repoussèrent le projet de traité passé à Londres entre les rois Jean et Edouard. Reims, plus menacée qu'aucune autre ville de France, déploya une activité infatigable pour se mettre en état de défense. Les travaux étaient dirigés par un conseil de six bourgeois à qui l'archevêque Jean de Craon avait dû abandon- ner, depuis i356, le soin de « prendre garde des ouvrages et autres nécessités, sûreté et tuition de la ville », et qui fut con- firmé par le régent, le 9 septembre 1 358. Voilà sans doute ce que Machaut appelle être « en main de commun ». Ce conseil avait été autorisé à imposer l'obligation de contribuer à la défense de la ville atout le monde, « de quelque estât ou condicion qu'il soient» ; et il n'avait sans doute pas ménagé le clergé. Le 12 mars de la même année, les seigneurs hauts justiciers de Reims avaient con- senti à la levée d'une gabelle pour un an, cet impôt détesté entre tous et qui fut étendu aussi « aux gens d'église et aux clercs. » (Voy. Varin, Arclt. administr. de Reims, III, pass.). Aux Etats Généraux de mai 1 35g, à Paris, le clergé avait accepté les mêmes impôts que les deux autres états, et d'un autre côté, jamais la valeur de l'argent, par suite des mutations de monnaie, n'était tombée aussi bas. Quant à la menace du poète de quitter Reims et d'aller en exil dans l'Empire, ce n'est sans doute qu'une simple boutade qu'on ne prendra pas au sérieux. Enfin, Guillaume parle de son frère malade et pauvre comme lui. Nous ne lui con- naissons comme frère que Jean de Machaut. Or, celui-ci devient chanoine à Reims, auprès de son frère, le i3 sept. 1 35 5 (Livre ronge du chapitre, fol. 29 r°). Tout concorde donc à assigner à cette pièce une date assez tardive, peut-être la seconde moitié de l'année i35g, entre les mois de mai et de novembre. Par suite, elle ne peut témoigner de la présence de Machaut à Reims en 1340, présence qui cependant est assurée par l'acte de l'éche- vinage.
INTRODUCTION XXV
obtenu du pape ce privilège pour les clercs de son en- tourage. Le poète pouvait encore partager son temps entre le service du roi et le service de l'Église, résider à Reims et ne s'absenter que pour un certain laps de temps qu'il passait auprès de son seigneur. Nous igno- rons, par conséquent, le moment où il quitta le roi. Lui resta-t-il attaché jusqu'à la funeste journée de Crécy qui vit la mort de Jean l'Aveugle sur le champ de bataille? On peut en douter. Cette année-là (1346), Guillermus de Machaudio figure parmi les chanoines de Reims et est taxé à 60 sous pour sa prébende. D'un autre côté, il est bien surprenant qu'on ne trouve dans ses œuvres aucun écho de la fin glorieuse de son maître, tandis qu'il n'a pas manqué de déplorer la cap- tivité du roi Jean après la bataille de Poitiers et de consoler le roi de Navarre, quand il fut fait prisonnier par le duc de Normandie. Ce silence est assez signifi- catif; il permet, nous semble-t-il, de conclure que le poète avait définitivement quitté le roi avant l'année de sa mort.
A partir de 1340, on rencontre de temps en temps le nom de notre poète dans des actes relatifs à la ville ou au chapitre de Reims. Nous avons déjà cité celui de 1346. Il figure dans un acte capitulaire du 18 août 1 352 accordant au chanoine Hugues de Châ- tillon la permission « de almutia et sindone portandis in choro et extra » '. Lorsqu'au mois de décembre 1 36 1 , Charles V, alors duc de Normandie, est à Reims, il mande « les eschevins dudict Reims l'aller veoir en son logis chez maistre Guillyaume de Machault » 2.
1. Varin, Arch. administr. de Reims, III, 3i.
2. Mémoires manuscrits de Jean Rogier, Rib!. de Reims, ras. 1629, f° 1 55 V; Varin. /. c, p. 206,
XXVI INTRODUCTION
Dans une sentence arbitrale du 23 mai 1372, énumé- rant les maisons canoniales extra-claustrales qui exis- taient alors, paraît la maison « in qua inhabitat Guil- lermus de Machaudio sitam prope Pourcelettam » '. C'est donc à Reims que Machaut avait sa résidence ordinaire. On est même arrivé à déterminer exacte- ment l'emplacement de la maison qu'il habitait, le n» 4 actuel de la rue d'Anjou \
Machaut, dans ses œuvres mêmes, ne fait jamais la moindre allusion, ni à son canonicat, ni à Reims ; cela n'était guère de mise dans des poèmes où il n'est ques- tion que d'amour et de galanterie. Par contre, il nous renseigne assez exactement et avec une certaine com- plaisance sur ses relations avec les princes et les grands seigneurs de son époque. Comme ses contem- porains, Froissart ou Deschamps, notre poète se plai- sait dans la société des grands, tant pour l'honneur que pour le profit matériel qui en résultait. Et les princes, de leur côté, amateurs de belles-lettres, favorisaient volontiers les travaux de l'esprit et aimaient déjà à jouer le rôle de protecteurs des poètes. Guillaume leur accorde une place dans ses poèmes, dans le Jugement dou Roy de Behaingne, dans le Jugement dou Roy de Navarre, dans la Fontaine amoureuse, profitant de cette occasion pour faire leur éloge; ou bien il associe leur nom au sien dans des anagrammes qui révèlent au public contemporain et conservent à la postérité les noms de l'auteur et de celui à qui l'ouvrage est destiné; ou encore il fait exécuter de superbes copies de ses œuvres pour les leur offrir. Lui-même, dans le Voir
1. Archives de Reims, G. 3 18, n° 5; Varin, /. c, p. 3(59 .
2. Voyez la note de M. L. Demaison dans la Revue de Cham- pagne et de Brie, XIX (i885), 93 ss.
INTRODUCTION XXVII
Dit, écrit à sa dame qu'il lui eût porté son livre « ou toutes les choses sont que je fis onques ; mais il est en plus de .xx. pièces ; car je l'ay fait faire pour aucun de mes seigneurs » '. Eustache Deschamps nous fait savoir qu'il a remis de la part de l'auteur un exemplaire du Voir Dit à Louis de Maie, comte de Flandre, ajou- tant à ce propos cette précieuse remarque que les grands seigneurs chérissent notre poète et prennent « esbate- ment »en ses « choses », c'est-à-dire en ses poèmes2. Amé- dée VI, comte de Savoie, fait remettre à Machaut une somme de 3oo écu> pour un poème (nous ne savons lequel) que celui-ci lui a dédié 3. C'est donc à ses talents de musicien et de poète que Guillaume doit ses rela- tions avec les plus hauts personnages de son époque. De temps en temps, sans doute, il quitte sa paisible retraite de Reims pour se rendre auprès de l'un ou de l'autre de ces seigneurs qui l'admettent dans leur inti- mité et font appel à ses bons services. Il nous dit encore dans son Voir Dit, que son départ de certaine ville qu'il ne nomme pas (ce n'est pas Reims, dans ce cas particulier) est motivé par le « commandement d'un seigneur qu'en France n'a point de greigneur fors un 4 ». Il ne peut s'agir que de Charles V, alors duc de Normandie, qui le mande auprès de lui et qui lui fit « grant honneur et grant feste * ». Et, ajoute le poète, « moult de biaus dons me donna et le sien moult
i. Livre du Voir Dit (éd. P. Paris), p. 69.
2. Œuvres complètes d' Eustache Deschamps, 1,87-88 (voy. plus haut, p. iv).
3. Oton de Granson and seine Dichtungen, von L. Schirer (jgoS;, p. XIV.
4. Livre du Voir Dit, p. 71. b. Ibid.,p. i3i.
XXVIII INTRODUCTION
m'abandonna '. » Il est inutile de chercher à détermi- ner les charges que le poète aurait occupées auprès des princes dans l'entourage desquels on le rencontre ; il ne paraît en vérité avoir eu d'autre emploi que celui de divertir et de glorifier ses maîtres dans les poèmes qui faisaient sa gloire. On verra pourtant qu'il portait encore auprès d'un autre souverain ce titre de secré- taire qu'il avait eu chez le roi de Bohême, ce qui n'était probablement qu'une manière honorable de se faire rémunérer ses services.
Sa renommée de poète remonte certainement encore à l'époque où il se trouvait au service du roi de Bohême. A vrai dire, parmi ses dits, le plus ancien qu'on puisse dater sûrement est le Dit dou Lion, écrit en 1342. A cette date, nous l'avons vu, il avait sans doute déjà quitté son premier maître. Mais ce poème n'occupe que la quatrième place dans la série des œuvres du poète \ Or, nous espérons démontrer ailleurs que ses longs dits au moins se succèdent dans l'ordre chrono- logique. Le Dit dou Vergier, le Jugement doit Rcy de Behaingne et le Remède de Fortune sont, par conséquent, antérieurs à l'année 1342. Parmi ceux-ci, le Jugement dou Roy de Behaingne qui contient un éloge pompeux de ce souverain est évidemment écrit à l'époque où le poète était encore son secrétaire, puisque Guillaume y déclare expressément séjourner avec son maître au château de Durbuy. Et c'est précisément ce poème qui a établi la renommée littéraire de son auteur. Le problème que
1. Livre du Voir Dit, p. i3s.
2. Il se trouve, en réalité, à la cinquième place; mais le Juge- ment dou Roy de Navarre, qui est plus récent, a été placé immé- diatement après le Jugement dou Roy de Behaingne qu'il com- plète et corrige et auquel il est intimement lié.
INTRODUCTION XXIX
Machaut y traite a soulevé des discussions et des cri- tiques qui eurent pour conse'quence de faire revenir plus tard notre poète sur le même sujet et qui l'enga- gèrent à donner au débat une solution exactement opposée à sa première décision (Jugement dou Roy de Navarre) C'est aussi de tous les dits de Machaut celui qui a été reproduit le plus souvent, et nous avons rappelé plus haut que Christine de Pisan et Martin Le Franc avaient repris le même débat. Enfin, ici le poète, pour la première fois, cache son nom sous un ana- gramme, ce qui fait présumer qu'il jouissait déjà d'une certaine notoriété. A partir de ce moment sa réputation de poète est consacrée, et sa faveur auprès des grands seigneurs solidement établie.
Machaut ne paraît pas avoir conservé de relations avec Charles, fils de Jean de Luxembourg et empereur d'Allemagne. Il fait cependant de lui un éloge pom- peux dans la Prise d'Alexandrie ' ; mais ces vers, dans leur froide banalité, ne révèlent aucune trace de rap- ports plus intimes ou de souvenirs personnels. Et si, dans la suite, le poète donne des détails minutieux et précis sur l'accueil fait au roi de Chypre par l'empe- reur et sur leurs délibérations, il peut les devoir, comme presque toute la « matière » de son poème, aux témoins oculaires qu'à d'autres occasions il invoque à plusieurs reprises 2. Eût-il assisté en personne à ces événements, il est à peu près certain qu'il aurait pris soin de nous le faire savoir. Il faut donc supposer que Machaut, après avoir quitté le service du roi de
i. Prise d'Alex. , v. 987 ss.
2. L. c, v. 2427 : « le me dist uns chevaliers »; v. 3228-29 : « si com dire Poy celi qui y esloit »; v. 5937 ss. : « Cils Jehans... m'aprent et m'enseingne et m'esaole et m'amenistre ma matière. »
XXX INTRODUCTION
Bohême, ne sortit plus de France, où nous devons dès lors rechercher les seigneurs qu'il servit et qui devinrent ses bienfaiteurs.
Son attachement à la maison de Luxembourg, Machaut pouvait le manifester en France même; car depuis 1 332, Bonne, fille de Jean de Bohême, était l'épouse de Jean, duc de Normandie, le futur roi de France. Guillaume, en effet, fut au service de cette dame, « la milleur qu'on peust trouver en ce monde ' ». « Moult la servi », nous fait-il savoir dans la Prise d'Alexandrie 2. Bonne mourut en 1349. Le service du poète auprès d'elle se place donc, soit en même temps que ses fonctions auprès de Jean de Luxembourg, soit immédiatement après.
En 1349, un autre personnage apparaît dans la vie de Machaut, Charles le Mauvais, roi de Navarre. On sait les terribles fléaux qui venaient de s'abattre sur la France : la persécution des Juifs, la folie religieuse des Flagellants, enfin la terrible peste qui ravagea toute l'Europe chrétienne. Guillaume vit de près toutes ces misères. Dans l'introduction du Jugement doit Roy de Navarre, il en donne des détails nombreux et très précis, très exacts aussi, comme le fait voir la comparaison avec les chroniques contemporaines. Lui-même, nous raconte-t-il, a passé le terrible hiver de 1 348-1 349 enfermé dans sa maison, sans en sortir, sans voir per- sonne, sans trop savoir ce qui se passait autour de lui. Il ne nous dit pas où il était alors : probablement dans sa maison canoniale de Reims, où il se cloîtrait ainsi, loin de la cour et du service des princes. C'est
r, L. c, v. 764-65- 2. L. c, v. 769.
INTRODUCTION XXXI
immédiatement à la suite de ces événements que le poète place sa fiction du Jugement dou Roy de Navarre. Le débat porte sur le même sujet que dans le Jugement dou Roy de Behaingne, avec la différence qu'ici la décision première est renversée et que le juge- gement est placé dans la bouche du roi de Navarre. Or, c'est précisément en 1349 que ce prince qui n'avait pas encore vingt ans fut déclaré majeur par Jean le Bon et qu'il prit possession de son royaume. Le poème où Guillaume ne manque pas de chanter les louanges du « roi des Navarrois », est évidemment un hom- mage du poète au nouveau souverain. Quoique Ma- chaut ne nous en dise rien, il y avait peut-être à ce moment déjà entre le jeune roi et notre Guillaume des rapports plus étroits de seigneur à serviteur. Ces rela- tions remontent-elles, comme le pense M. A. Thomas *, à l'année 1346, après la mort du roi Jean? C'est ce qu'on ne saurait, ni affirmer, ni nier avec certitude. Mais du moment que ce n'est pas nécessairement la mort du roi qui a rendu à Guillaume sa liberté, il n'y a pas lieu de dater de cet événement son entrée au service du roi de Navarre qui alors n'avait que 14 ans. Il nous paraît plus probable, d'accord en cela avec M. Suchier3, d'ad- mettre que ces rapports ne s'établirent pas avant 1349, alors que Charles devint roi de Navarre ; peut-être même furent-ils la conséquence du poème composé en son honneur. Machaut resta fidèle au roi pendant de longues années. Lorsqu'en 1 3 56 Charles devint prisonnier du
1. Romania, X, 329, n. 1.
2. Geschichte der fran\. Lit., p. a35. M. Suchier songe aussi à 1 353, année où Charles de Navarre devint le gendre de Jean le Bon ; mais la date du Jugement don Roy de Navarre nous reporte plus haut.
XXXII INTRODUCTION
roi de France et fut tenu en captivité pendant près de deux ans, Guillaume composa pour lui un long poème destiné à donner au captif royal courage et patience, le Confort d'ami. Le poète y confirme en toutes lettres son attachement au roi : « sans riens retenir suis tiens » (v. 24), et cela malgré les accusations qui pèsent sur son maître, accusations que Guillaume taxe de calomnies. Le roi était en prison depuis dix-huit mois, quand le poème lui parvint. Celui-ci doit donc se dater du mois d'octobre 1357. Entre les deux dates de 1349 et ^e ! 35j se place un document qui, sans se rapporter à Guillaume lui-même, peut cependant fournir une preuve indirecte de son service auprès de Charles de Navarre : le 14 octobre 1 354, Jean de Machaut, le frère du poète, obtient un canonicat à Toul sur la demande de Charles, roi de Navarre ' . Il avait donc passé, lui aussi, au service du roi. Ces deux frères qu'on trouve ensemble chez le roi de Bohême, qui plus tard sont l'un et l'autre chanoines à Reims *, qui sont enterrés dans la même tombe et dont les noms sont réunis de nouveau dans Tépitaphe, qui, par consé- quent, dans leur vie et jusque dans leur mort, sont intimement liés l'un à l'autre, ont dû évidemment servir ensemble ce roi de Navarre qui, dans le document conservé, récompense au moins l'un d'eux. Tout nous permet de supposer que Guillaume, aussi bien que Jean, servaient alors le même souverain. Après i35j, il n'est plus fait aucune mention de
1. A. Thomas, lue. cit., p. 329, n. t.
2. Le i3 septembre 1 355, Johannes de Macimudio prend pos- session in propria de la prébende 44 du chapitre de Reims (Livre rouge du chapitre. f° 291 r°). En février 1 358 il figure parmi les membres du chapitre (Varin, Arçli. admin. de Reims, 111, io3).
INTRODUCTION XXXIII
Charles le Mauvais dans les œuvres de Machaut. Par contre, on y voit apparaître désormais des membres de la famille royale de France. Le silence du poète sur le roi de Navarre, — Guillaume ne lui accorde pas même un souvenir, lui qui jusque dans son dernier poème rappelle encore la mémoire de Jean de Bohême, de sa fille Bonne, du roi Charles V, — ce silence est-il l'œuvre d'un simple et pur hasard? Et l'apparition de Charles et de Jean, fils de Jean le Bon, à la place de Charles le Mauvais, est-elle toute fortuite? Charles de Navarre, bientôt après avoir repris sa liberté, s'était mis en guerre ouverte contre Charles, duc de Normandie, régent du royaume de France en l'absence de son père, et ce n'est qu'au mois de mars 1 365 qu'un traité défini- tif fut conclu entre eux à Avignon. Or, c'est précisé- ment durant la période de 1 3 58 à i 365 que se placent les poèmes en question, où figurent les princes de la maison de France. Le fait est assez significatif pour permettre de supposer que Guillaume, fidèle au Navar- rais tant qu'on ignorait encore ses menées hostiles et funestes et qu'on pouvait croire à sa bonne foi, se détacha de son protecteur, quand celui-ci décou- vrit son jeu et se rallia ouvertement aux adversaires de la royauté française. Guillaume alors s'attache à ses seigneurs légitimes de la maison royale de France. Ce n'est pas que le sentiment patriotique du poète ait été ardent et vivace. On ne rencontre pas, en effet, dans l'immense étendue des œuvres de Machaut d'accent ému au spectacle des malheurs de la France que le poète pourtant a vus de bien près; on n'y trouve pas la moindre trace d'une joie causée par les exploits d'un du Guesclin ou par le relèvement du royaume, auxquels Deschamps s'est associé dans des vers vigou-
Toine I. c
XXXIV INTRODUCTION
reux et presque éloquents. Dans le Confort d'ami, Guil- laume ne va-t-il pas jusqu'à féliciter le roi de Navarre de son emprisonnement lors de la bataille de Poitiers qui ne lui aurait valu que la mort, la captivité ou la honte de la fuite? Et lui-même, ne songe-t-il pas à quit- ter Reims devant la menace d'une invasion anglaise et ne se plaint-il pas des charges onéreuses que nécessite la défense de la ville? Les malheurs que Guillaume déplore, ce sont ceux dont il a à souffrir personnelle- ment : la peste de 1349 qui le menace de mort, ou les exactions des routiers qui désolent les campagnes fran- çaises et qui l'empêchent, lui, de voyager à sa guise. Nous avons bien un lai où il maudit Fortune qui a livré le roi de France aux mains des Anglais ; mais il est peu probable que ce poème qui ne figure que dans un seul manuscrit, notre ms. E, et qui manque dans les exemplaires les plus complets, A et F-G, soit l'œuvre de Machaut. Guillaume, rimeur aimable et galant, ne se soucie guère plus de la politique que ne le fait un siècle plus tard le plus fameux et le plus doué de ses disciples, Charles d'Orléans. Mais la rupture survenue entre les rois de Navarre et de France mit le poète dans la nécessité d'opter pour l'un des deux par- tis ; il se décida pour la maison de France à qui appar- tenaient Reims et la Champagne.
Il est assez probable que Machaut ayant été au ser- vice de Bonne de Luxembourg a eu des rapports person- nels avec son mari, le roi Jean le Bon; cependant nous n'en avons pas de preuves certaines. L'abbé Lebeuf, et d'autres après lui, attribuent à Guillaume la charge de secrétaire de ce roi '. Mais dans les vers de la Prise
1. Mèm. de l'Acad. des luscr. et Belles-Lettres, XX, 39S.
INTRODUCTION XXXV
d'Alexandrie1 , sur lesquels se base cette affirmation, Machaut a certainement en vue le roi Jean de Bohême, et non Jean II de France. Dans un passage du Voir Dit où il est question du duc de Normandie 2, il s'agit du futur roi Charles V, puisque le poème prend sa date aux environs de 1364, et non de Jean, son père, comme le suppose Tarbé qui place la pièce en 1348. On a encore cité un autre témoignage d'où il ressortirait avec toute l'évidence désirable que Machaut avait en effet été nommé secrétaire du roi Jean le Bon. C'est une complainte de Guillaume. L'abbé Lebeuf, le pre- mier, s'en est servi dans ce sens ; Tarbé a reproduit cette hypothèse et Mas Latrie l'a adoptée sans discussion 3. Machaut, s'adressant à un roi dont il est le secrétaire, se plaint à lui du comte de Tancarville qui lui a envoyé un cheval aveugle et boiteux. Cette « clameur » ne peut avoir été écrite qu'après 1 352, car à cette date seulement Jean II de Melun, souverain maître de l'hôtel du roi, devient comte de Tancarville. Mais il n'est pas néces- saire d'admettre qu'elle ait été composée avant 1 3 56, comme le veut Tarbé, par la raison que le comte fut Jait prisonnier à Poitiers. Après son retour d'Angle- terre, Jean continua à jouer un rôle brillant à la cour jusqu'à sa mort survenue en 1 382. La pièce peut donc aussi avoir été écrite après la captivité du comte. Le poète s'y plaint de la goutte qui le tourmente et de l'affaiblis- sement de sa vue. C'est exactement son portrait du Voir
1. V. 83 1 ss. Machaut y parle, sans préciser, du bon roi qui le nourrit, « dont les os sont pieça pourris et dont l'ame est en paradis ».
2. Voir Dit, p. 1 36.
3. Lebeuf, loc. cit., p. 38t; Tarbé, p. xxvi et 197; Mas Latrie) Prise d'Alexandrie, p. xvi, n. 2.
XXXVI INTRODUCTION
Dit, qui se place aux environs de 1364. Comme ici encore l'insécurité des routes due aux violences et aux exactions des « pilleurs » est pour lui une des raisons de ne pas se risquer hors de chez lui, ce fait place la com- plainte vers la même époque. Sans aller aussi loin que P. Paris qui, dans une note manuscrite (ms. ^4), adopte franchement la date de 1 365, on peut en tout cas consi- dérer la complainte comme écrite à peu près vers le même temps que le Voir Dit. Mais quel est le roi rési- dant à Paris à qui s'adresse le poète et qu'il veut aller rejoindre en France? On peut écarter Charles de Navarre, l'un des seigneurs de Guillaume : à cette époque, ses rapports avec la maison de France étaient trop tendus pour permettre de supposer que, dans ce cas, il ait pu faire obtenir un cheval à Machaut par l'entremise du roi de France, seul autorisé à donner des ordres au comte de Tancarville '. Mais en France même, on a le choix entre Jean le Bon, revenu d'An- gleterre, et son fils qui lui succède en 1364; la pièce peut être écrite aussi bien avant qu'après cette date, de sorte que la complainte, malgré les renseignements qu'elle fournit sur la personne du poète et sur ses rap- ports avec ses seigneurs, nous laisse dans l'incertitude sur le personnage royal dont il déclare ici avoir été le secrétaire. Il n'est pas permis, par conséquent, d'y trou- ver une preuve sûre des relations de Machaut avec Jean
1. L'autre supposition de P. Paris, à savoir que la complainte a été adressée au roi de Navarre en r 358, est insoutenable parla raison que le comte de Tancarville é'. ait à cette époque avec le roi Jean en;Angleterre d'où il ne revint une première fois que pour peu de temps, au mois de mai 1 359, et définitivement avec son maître à la fin de l'année i36o, pour retourner de nouveau avec lui à Londres en janvier 1364.
INTRODUCTION XXXVII
le Bon. Ces relations ont sans doute existé; mais la seule preuve qu'on en puisse vraiment invoquer, le lai où le poète déplore la défaite de Poitiers et la captivité du roi, est un témoignage de médiocre valeur, comme nous l'avons fait voir plus haut.
Par contre, Machaut a fourni des preuves certaines de ses rapports avec au moins deux des fils du roi Jean, Charles, le futur roi de France, et Jean, duc de Berry. A différentes reprises, Guillaume, dans le Voir Dit, nous parle du duc de Normandie qui le mande auprès de lui, chez lequel il séjourne pendant quelque temps, qui lui fait fête et honneur et le comble de beaux dons. « Fais suis », déclare-t-il, « de sa nourreture Et suis sa droite créature » ; il qualifie le duc de « mon droit seigneur. » Aussi, lorsque le régent, en i36i, se rend à Reims pour trancher le différend survenu entre les bourgeois de la ville et l'archevêque, il prend logis dans la maison canoniale de Machaut et c'est là qu'il convoque « les eschevins dudict Reims ' ». Ce sont ces rapports intimes du futur héritier de la couronne de France avec le poète qui font supposer que la plainte dirigée contre le comte de Tancarville a, en effet, été adressée à Charles après son avènement au trône. Machaut, naturellement, a dû assister au sacre de son maître à Reims « le jour de la Trinité, l'an mil trois cens soissante et quatre 2 ». C'est à cette occasion qu'on aurait chanté la messe conservée parmi les œu- vres de Guillaume. L'abbé Rive, le premier, a fait cette supposition 3, sans malheureusement nous
i. Voyez plus haut, p. xxv.
2. Prise d'Alexandrie, v. 806-07.
3. « Une messe en musique... que l'on croit avoir été chantée au sacre de Charles V »(loc. cit. p. 11).
XXXVIII INTRODUCTION
faire connaître les données sur lesquelles il s'appuie. Celles-ci existent-elles seulement? Et n'est-ce pas là tout simplement une hypothèse hasardée sans aucun fondement? D'autres auteurs, Fétis, Mas Latrie, l'ont répété d'après lui, sans fournir la moindre preuve. Il s'agit donc ici d'un fait dont rien ne prouve l'exacti- tude et qu'on ne peut accueillir que sous toutes réserves. Ce sont encore des suppositions gratuites que celles de Tarbé prétendant que ses ennemis firent bannir le poète de la cour1, ou que celle de Mas Latrie, prétendant qu'à l'époque où Charles devint roi de France, Machaut « prit le parti de fixer sa résidence loin de Paris et de vivre le plus qu'il pourrait dans ses propriétés de Champagne ou du Gâtinais 2 ». En vérité, rien ne nous autorise à avancer des hypothèses de ce genre, qu'il faut définitivement écarter de la biographie du poète. Machaut, on l'a vu, jouissait de la faveur de Charles, duc de Normandie. Pourquoi n'aurait-il pas continué à en jouir après l'avènement de Charles au trône, même s'il ne nous en parle pas expressément?
Ce que nous savons des relations de Guillaume avec Jean de Berry, le frère du roi, peut confirmer ce que nous avançons ici. Ce prince ne paraît qu'une seule fois dans l'œuvre de Machaut : avec le poète, il est le per- sonnage principal du Livre de la Fontaine amoureuse . Ce poème ne peut avoir été commencé avant la fin de l'année i36o \ Nous y assistons au départ d'un grand seigneur qui se rend comme otage en Angleterre, et ce
i. Loc. cit., p. xxvin, à cause des vers : « a mon borgne oucil perçoi Qu'a court de roi chascuns y est pour soi «, dans la Com- plainte à Henri.
2. Loc. cit., p. xvi.
3. Voy. P. Paris, dans le Voir Dit, p. 53, n. 3 et p. 69, n. 1.
INTRODUCTION XXXIX
seigneur, l'anagramme à la fin de l'œuvre nous le révèle, est Jean, duc de Berry et d'Auvergne, qui alla à Londres au mois de novembre de l'année i36o. Jean vient de recevoir son titre de duc ; ce fut évidemment pour Machaut la raison d'écrire son poème à cette occasion. D'un autre côté, rien ne fait encore prévoir le retour du duc qui eut lieu vers la fin de l'année i3Ô2. C'est donc entre la fin de 1 36o et la fin de 1 362 que fut écrite la Fontaine amoureuse en l'honneur de Jean de Berry. Celui-ci ne paraît plus désormais dans les œuvres de Guillaume. Et pourtant leurs relations n'ont pas dû s'en tenir là; car dix ans plus tard, dans un document du i5 octobre 1 37 1 , « mestre » Guillaume de Machaut figure parmi les nombreux créanciers du duc '. Il s'agit très probablement de la gratification que Jean avait nécessairement dû allouer au poète pour son œuvre et qui n'aurait jamais été payée. Le plus beau des manus- crits des œuvres de Machaut, le manuscrit E (B. N. fr. 9221), a été exécuté pour ce même duc de Berry, grand amateur de livres et d'objets d'art. L'exemplaire, il est vrai, est trop fautif pour qu'on puisse supposer que Guillaume lui-même le lui ait offert; mais il remonte à une source plus ancienne, et c'est ce premier manuscrit que Guillaume peut avoir fait faire pour ce prince.
D'autres seigneurs encore paraissent dans l'œuvre de Machaut, sans qu'il soit possible d'établir si et quand le poète a eu avec eux des relations personnelles. Il devait forcément au moins les rencontrer dans l'en- tourage de ses protecteurs royaux, tel le comte de Tancarville dont il a déjà été question voy. p. xxxv),
1. Prise d'Alexandrie, p, xvn, n. 2.
XL INTRODUCTION
tel monseigneur le duc de Bar qui, avec plusieurs autres seigneurs, logea à Reims dans la maison de Machaut lors d'un passage du roi Jean dans cette ville, sans doute en 1 363 % tel aussi monseigneur de Loupy,aubon sou- venir duquel le poète se fait rappeler par l'entremise de dames qu'il prétend n'avoir jamais vues et qu'il a cepen- dant longtemps servies, honorées et chéries2. Il s'agit ici sans doute de Raoul de Vienne, sire de Loupy, qui fut gouverneur du Dauphiné d'octobre 1 36 1 à septem- bre 1369. Le Voir Dit, si riche en renseignements sur les rapports de Machaut avec la haute aristocratie, nous fait encore connaître un autre genre de relations qui, de la part d'un chanoine, peuvent paraître surpre- nantes. Le poète y raconte l'histoire de ses amours avec une jeune fille de haute et noble extraction. Un ana- gramme nous donne son prénom : Peronne ou Peron- 7ielle,ce qui est confirmé par Deschamps \ Il faut donc écarter le nom d'Agnès de Navarre, proposé par de Caylus et Tarbé. D'un second anagramme P. Paris 4 a cru pouvoir dégager le nom d'origine ou de famille i d'Armentières. Malgré les contestations de M. Su- chier \ dont la solution est peu satisfaisante fi, et de
1. Voir Dit, p. 262 : Machaut à sa dame : « Monseigneur le duc de Bar et pluseurs autres seigneurs ont esté en ma maison. » Ibid., p. 2 5q : « Monseigneur le duc de Bar qui a geu en ma maison. »
2. Bal. 191 : « Mes dames qu'onques ne vi, Je vous pri Qu?a mon signeur de Loupy Faciez depri Qu'il li souveingne de mi... Car lonc temps vous ai servi Et oubeï Et honnouré et chieri De cuer d'ami. »
3. Œuvres complètes, III 259-60.
4. Voir Dit, p. xx ss.
5. Zeitschrift filv rom. Philologie, XXI. 541-45.
6. Cf. Romani». XXVII, i6a-3.
INTRODUCTION XLI
M.Hanf1 qui ne voit dans le poème qu'une pure fiction sans fond réel, l'identification proposée par P.Paris est sans contredit jusqu'ici la meilleure et la plus accep- table. D'après ce poème, l'habit ecclésiastique n'em- pêche pas Machaut d'avoir aussi des relations avec des dames, et même, à en croire l'auteur, des relations très intimes. D'autres encore ont dû se partager le cœur du poète : il nous parle à diverses reprises de ses anciennes amours, et un anagramme dans une ballade nous donne le nom de Jehanne9. Enfin, le dernier grand poème de Guillaume est entièrement consacré à la mémoire de Pierre Ier de Lusignan, roi de Chypre et de Jérusalem. La Prise d'Alexandrie n'est autre chose que le récit minutieux et détaillé de la vie de ce seigneur depuis sa naissance jusqu'à sa mort et particulièrement de ses hauts faits d'armes en Orient dans ses guerres contre les Musulmans- A plusieurs reprises, Pierre était venu en France ; il avait assisté au sacre de Charles V à Reims en 1364, fait que Machaut relève spécialement, et à cette occa- sion le poète l'avait peut-être approché. Mais il serait bien surprenant que Guillaume, dans ce long poème, ne nous eût pas clairement parlé de ses relations person- nelles avec Pierre, si elles avaient réellement existé. La carrière aventureuse et quelque peu romanesque de ce roi oriental et surtout sa mort tragique, un régicide, l'un des crimes les plus odieux et les plus atroces pour les consciences du moyen âge et qui causa dans l'Eu- rope chrétienne une émotion profonde, c'étaient là pour le poète des raisons suffisantes pour écrire un
i. Zeitschrift fur rom. Philologie, XXII, 145-96. 2. Zeitschrift fur rom. Philologie, XXX. 409.
XLII INTRODUCTION
poème à la justification et à la gloire du roi. Si d'ail- leurs Machaut n'était pas directement en rapport avec Pierre lui-même, il connaissait au moins l'un ou l'autre de ses officiers et de ses serviteurs : il dit de Bermond de la Voulte, chevalier du Vivarais, chambellan du roi de Chypre, que chacun l'aimait et que lui, Machaut, l'aimait aussi ' ; Perceval de Cologne, autre chambellan du roi, était, d'après notre auteur, bien connu à Paris2, ce qui implique évidemment que Machaut le connais- sait également. Tarbé et P. Paris ont émis l'hypothèse que le Dit de la Marguerite a été composé par Machaut pour le roi de Chypre, le premier rappelant que Pierre de Lusignan fit bâtir dans l'île de Chypre une maison de plaisance qu'il nomma La Marguerite \ l'autre inscrivant cette note sur un manuscrit de Machaut, sans dire ses raisons. Mais aucun des poètes de l'époque n'a manqué de chanter la marguerite, Froissart aussi bien que Deschamps, unissant dans ce même nom l'éloge et de la fleur et de leur dame qui s'appelait ainsi; Machaut lui-même, dans le Dit de la Fleur de Lis et de la Marguerite, traite une seconde fois ce sujet. Il n'y a donc là rien qui vise tout particu- lièrement le roi de Chypre. Mais dans le corps même du poème, il est dit qu'alors même que le poète est en Chypre ou en Egypte, son cœur continue à habiter en sa marguerite. Pierre de Lusignan pourrait, en effet, s'exprimer ainsi; mais il nous semble que ce n'est là qu'un lieu commun de la poésie amoureuse, et l'on aurait tort d'attribuer à ces mots un sens plus précis et
i. Prise d'Alexandrie, v. 3668.
2. Ibid., v. 7612.
3. Loc. cit., p. xxix, n. 1.
INTRODUCTION XLIII
une signification littérale, et de voir, par conséquent, dans ce poème la preuve de relations personnelles entre le roi de Chypre et le chanoine de Reims.
Le 17 janvier 1369, eut lieu l'assassinat de Pierre de Lusignan qui inspira à Machaut sa Prise d'Alexandrie. C'est son dernier poème de longue haleine. En 1372, le poète habitait encore sa maison canoniale à Reims. Il mourut au mois d'avril de l'année 1 377', et fut enterré dans son église, la cathédrale de Reims ; son frère Jean partagea sa tombe fans qu'on sache s'il mourut le premier. C'est ce que nous fait savoir leur épitaphe, gravée sur une plaque de cuivre, fixée à un pilier de la cathédrale et disparue sans doute à l'époque de la Révolution. Elle débute par ces vers :
Guillermus de Machaudio Suusque Johannes frater Sunt in loco concordio Juncti, sicut ad os crater etc. '.
1. Manuscrit de J. Weyen, f. 284 r° : « Obiit canonicus remensis april. 1377 » (Tarbé, p. xxxiv).
2. Le texte en est donné par J. Weyen dans son manuscrit. Il a été publié par Tarbé, p. 184-85, et depuis par le Dr H. Vincent, Les inscriptions anciennes de V arrondissement de Vou^iers (Reims, 1892), p. 266-68 (avec un commentaire) et par H. Jadart, Les inscriptions de Notre-Dame de Reims (Reims, 1907), p. 255- 56 (Communication de M. Demaison).
XLIV INTRODUCTION
III
LES MANUSCRITS
La présente édition des œuvres de Guillaume de Machaut est faite d'après les manuscrits suivants :
Paris, Bibl. Nat. f. fr. 1584 = 4 (xive siècle).
— — — i585=J3 (xive s.). _ _ _ l586 = C (xv s.). _ _ _ l587 = jD (xve s^
— — — 9221 = ir (xive s.).
— — — 22545= F (xive s.).
— — — 22546 = G (xivc s.) '.
— 843 = M (xv« s.).
Berne, 218 = K (xive s.).
Paris, Bibl. de l'Arsenal 52o3 . . = «7 (xive s.).
Tous ces manuscrits dont nous nous réservons de donner une description détaillée plus tard, contiennent exclusivement des œuvres de Machaut. Nous n'avons pas consulté un autre manuscrit qui appartient à la famille de Vogué et dont Mas Latrie a donné une courte description dans son édition de la Prise d'Alexandrie (p. xvm-xix). Nous le désignons par la lettre V.
Des œuvres isolées de notre poète, mêlées à des pro-
1. Les deux manuscrits F et G ne forment en réalité qu'un seul et mûme manuscrit, divisé en deux volumes. L'abbé Rive (dans Laborde, Essai sur la musique, IV) en a donné une description assez exacte et suffisamment complète.
INTRODUCTION XLV
ductions étrangères, se trouvent encore dans les manus- crits suivants :
Paris, Bibl. Nat. f. fr. 88 1 — H (xv« s.) : une partie du recueil des ballades sans musique.
Paris, Bibl. Nat. f. fr. 2166 = P (xvc s.) : Le Juge- ment dou Roy de Behaingne.
Paris, Bibl. Nat. f. fr. 223o = R (xve s.) : Le Juge- ment dou Roy de Behaingne.
Berne, A g5 = S : fragment du Confort d'ami.
Clermont-Ferrand, 249 = T : Dit de la Harpe '.
L'examen complet des rapports qu'ont ces manuscrits entre eux ne pourra être fait en détail qu'après la publi- cation de l'œuvre entière de Machaut. Pour le moment, nous nous bornerons à exposer brièvement la filia- tion de ces manuscrits telle qu'elle résulte des textes publiés dans ce premier volume, nous réservant de faire connaître plus tard, dans l'étude d'ensemble, les faits sur lesquels se base notre classification.
Le Prologue ne se trouve en entier que dans les manuscrits A et F ; la première partie, c'est-à-dire les quatre ballades, existe seule dans E et H.
Le Dit dou Vergier paraît dans les manuscrits ABC DEFMKJV.
Le Jugement dou Roy de Behaingne figure dans les mêmes manuscrits que le Dit dou Vergier, et, en plus, dans P et R.
1. Signalé par M. P. Meyer dans le Bulletin de la Société des anciens textes, XV (1899), 1 14. Des refrains, publiés par le même savant (ibid., I, 1874, 25 ss.), l'ont supposer qu'il y a encore quelques poésies lyriques de Machaut dans un manuscrit français de Westminster Abbey sur lequel nous n'avons pu obtenir de renseignements plus précis.
XLVI INTRODUCTION
Le Jugement doit Roy de Navarre ne se trouve que dans les manuscrits ABDEFMV.
Un premier groupe (a) est formé par les trois manus- crits A, F-G et M. Les manuscrits A et F-G sont les plus riches et les plus complets de tous; leurs leçons sont d'ordinaire les meilleures; ils semblent avoir été écrits l'un et l'autre du vivant du poète, peut-être même sous sa surveillance. Ils forment, par conséquent, la base de toute édition des œuvres de Machaut. Indépen- dants l'un de l'autre, ils remontent nécessairement à une source commune (a) qui pourrait bien être le manuscrit personnel de Machaut dont le poète nous parle dans le Voir Dit, c'est à-dire O, le manuscrit ori- ginal. M oscille entre les deux, sans dépendre plus directement de l'un que de l'autre; dans quelques rares cas il s'écarte même complètement du groupe a et offre les leçons du second grand groupe (P), formant ainsi en quelque sorte un intermédiaire entre a et p. Il ne sau- rait, dans ces conditions, dériver directement de l'ori- ginal; il ne pourrait en provenir que par l'intermédiaire d'un manuscrit perdu, m.
Les autres manuscrits BDEKJ forment ensemble le groupe (3. Parmi eux, les deux manuscrits B et D sont plus étroitement apparentés, sans cependant dériver l'un de l'autre. Ils ont une source commune \b) qui, quoique généralement d'accord avec EKJ, s'accorde aussi quel- quefois avec le groupe a contre les autres manuscrits du groupe p. Gomme m, b joue donc un rôle d'intermé- diaire entre a et jî, mais, différent en cela de m, il est plus près de (3. Le manuscrit B a subi plus tard, au xve siècle, des corrections de seconde main ; nous les désignons par B1. On les reconnaît à l'encre plus foncée. Ces corrections ne tendent généralement qu'à un rajeu-
INTRODUCTION XLVH
nissement de l'orthographe et de la flexion; rarement, la leçon primitive a été changée, sauf dans le cas de fautes évidentes '.
K et J, de leur côté, sont étroitement apparentés l'un à l'autre. J dérive directement de K. Pour l'établisse- ment du texte, ils peuvent compter pour un seul manus- crit, puisque / n'est que la reproduction pure et simple de K.
E est le plus complet des manuscrits du groupe fi et, comme exécution, le plus beau de tous nos manus- crits; malheureusement, il est loin d'être le meilleur; ses leçons sont souvent mauvaises, sa valeur pour la constitution du texte est médiocre. Dans l'ordre des pièces, il s'écarte parfois et de [3 et de a; dans ses leçons, il se rapproche beaucoup de K et de J. Il offre une parenté plus étroite encore avec le manuscrit//, dont il ne nous est resté qu'un fragment. E et H ne dérivent pas l'un de l'autre; ils exigent l'admission d'une source commune (e). C'est cet e qui devait déjà offrir des leçons communes avec Ket J; aussi e etK(J) font-ils supposer une source commune (k). Ce sont donc les groupes b et k avec leurs dérivés qui forment ensemble le groupe p.
Enfin le manuscrit C ne rentre dans aucun des deux groupes. Dans certaines parties il s'accorde avec a, dans d'autres avec p. Dans l'ordre des pièces, il diffère abso- lument de tous les autres manuscrits; il ne remonte en tout cas pas directement à l'original. Il ne semble pas avoir été copié d'après un seul manuscrit, mais plutôt avoir été composé de pièces isolées qui ont dû exister à
i. Le manuscrit F doit rentrer dans le groupe 6, à en juger par le contenu et l'ordre des pièces donnés par Mas Latrie. Il est en cela en tous points d'accord avec B.
XLVIII INTRODUCTION
côté des œuvres complètes de Machaut (les manuscrits P et R en fournissent la preuve) et qui ont été réunies par quelque amateur de poésie dans un recueil c, d'où C est dérivé; car l'uniformité d'exécution de C ne permet guère d'admettre que ce soit ce manuscrit lui-même qui ait été le premier recueil de ce genre.
Parmi les manuscrits qui ne contiennent que des œuvres isolées de Machaut, H est tout près de if, comme nous l'avons établi plus haut déjà. R est apparenté à EKJ, sans toutefois dériver de l'un de ces manuscrits. Nous devons, par conséquent, le rattacher à leur source commune k, peut-être, vu sa date assez récente, par un intermédiaire r. P se montre assez étroitement lié à C; mais des divergences assez sérieuses l'en éloignent suffi- samment, pour nous obliger à admettre pour eux une source commune c, ce qui confirme le résultat de nos recherches sur C. Voici donc le tableau généalogique des manuscrits de Machaut :
m b
jf Bt&)~pVQ) c (>■■) K C (P)
E (H) (R)
Les signes x et [i ne désignent pas nécessairement quelque manuscrit perdu qui serait la source commune des manuscrits conservés que nous plaçons sous ces lettres; ils servent plutôt à faire voir d'une façon plus nette les deux grands groupes de manuscrits que nous avons cru pouvoir reconnaître. De môme a, comme nous l'avons déjà dit, source d'où dérivent A et F-G,
INTRODUCTION XLIX
n'est peut-être tout simplement rien autre que l'ori- ginal lui-même dans la dernière phase de son déve- loppement. Par conséquent, comme manuscrits pro- cédant immédiatement du manuscrit original, nous comptons ceux que nous avons désignés par les lettres m, b et k (manuscrits perdus), A et F-G (manus- crits conservés); quant à c, la question reste pendante. Mais si ces manuscrits si différents l'un de l'autre remontent tous au même original, comment expliquer leurs divergences? En voici l'explication dont nous aurons à donner les raisons plus tard : O, l'original, était sans doute le manuscrit qui appartenait à Machaut lui-même et où il mettait « toute ses choses », comme il nous le fait savoir dans le Voir Dit. Or, ce manuscrit, naturellement, ne fut constitué que peu à peu, au fur et à mesure que le poète achevait ses poèmes et les insérait dans la collection de ses œuvres. C'est d'après son propre manuscrit que Machaut lui-même, à diverses reprises, fit exécuter des copies destinées à ses protec- teurs et seigneurs ; telle la copie dont il nous parle au début du Voir Dit et qui, par conséquent, ne pouvait contenir que des œuvres antérieures à 1364. Il existait donc du vivant même du poète des manuscrits qui ne contenaient qu'une partie de ses œuvres, partie plus ou moins considérable selon l'époque où ils furent écrits, d'après l'état plus ou moins avancé de l'original de Guillaume. Ces copies présentaient les œuvres de Machaut dans les différentes phases de leur déve- loppement, et les manuscrits que nous possédons encore aujourd'hui reproduisent en quelque sorte quelques-unes au moins de ces étapes dans le progrès de l'œuvre du poète. La première de ces étapes est représentée par le manuscrit C, une seconde par le
Tome I. d
L INTRODUCTION
groupe p ', une troisième par M, enfin la dernière par A et F-G. Nous avons là comme plusieurs éditions d'un même recueil, des éditions considérablement aug- mentées l'une par rapport à l'autre, et aussi revues et corrigées par le poète lui-même dans le texte qu'elles offrent.
Pour la constitution du texte, il faut, par conséquent, s'attacher aux manuscrits les plus complets, qui con- tiennent en quelque sorte la dernière rédaction des œuvres de Machaut, la forme définitive que l'auteur voulait leur donner : ce sont A et F-G. Aux leçons com- munes à ces deux manuscrits on donnera la préférence sur toutes les autres; non pas que celles-ci soient néces- sairement fautives ou moins bonnes (comme celles de A et de F-G, elles peuvent être dues à Machaut lui- même); mais le poète, dans les éditions plus récentes, les a rejetées et remplacées par d'autres qui lui parais- saient préférables. Y a-t-il par contre désaccord entre A et F-G, c'est la leçon commune à l'un de ces deux ma- nuscrits et aux manuscrits du groupe p qui prévaudra généralement, les copistes de A et de F-G n'étant pas infaillibles. Quelquefois même la leçon que donne l'en- semble des manuscrits demande à être corrigée. Dans le groupe p, ce sont B et D qui donnent les leçons les plus sûres; dans E [H) et K (J) les copistes ont très souvent introduit des leçons qui leur sont personnelles et qu'on a le droit de rejeter sans examen. L'accord
i. Dans le groupe p, les manuscrits E et H paraissent s'opposer à ce que nous avançons ici, car ils contiennent plus de matière qu'il ne pouvait s'en trouver dans b ou /t (par exemple, une partie du Prologue). Mais ce sont là des manuscrits plus récents, écrits après la mort de Guillaume; les parties plus nouvelles ont été ajoutées plus tard d'après d'autres manuscrits plus complets.
INTRODUCTION LI
entre A F-G et B D nous offre la garantie de la bonne leçon ; en cas de désaccord, A -f- BD prévaudront géné- ralement contre F-G, F-G -\- BD contre ,4, A -\-F-G contre BD. Ce n'est là qu'une règle générale qui, comme toute règle, a ses exceptions.
Pour l'orthographe, nous avons, comme pour le texte, suivi les manuscrits A et F-G datant de la seconde moite du xive siècle et ayant été écrits du vivant du poète qui en a sans doute surveillé l'exécu- tion. Nous n'avons pas tenté l'essai inutile et in- fructueux d'unifier la graphie de notre texte; mais nous avons donné dans les variantes les graphies d\A ou de F-G, quand pour quelque raison nous avons cru devoir nous en écarter. Quant aux autres manuscrits, nous n'en donnons que les variantes de sens; les parti- cularités de leur orthographe seront relevées en détail dans la description que nous donnerons plus tard de ces manuscrits. C'est ailleurs aussi que nous présente- rons le résultat de notre étude sur la langue du poète.
LU INTRODUCTION
IV
LES ŒUVRES
Ce n'est ici ni le lieu ni le moment de juger dans son ensemble l'œuvre de Machaut et de déterminer la place qui lui revient dans l'histoire littéraire. Les œuvres de Guillaume de Machaut que nous nous proposons de publier, à l'exception du Voir Dit et de la Prise d'Alexandrie qui ont fait l'objet de publications séparées facilement abordables, occupent dans la littéra- ture française du moyen âge une place considérable ; elles se partagent nettement en deux catégories différentes : les poésies lyriques, comprenant les ballades, rondeaux, virelais, lais, complaintes et motets, et les poésies nar- ratives et didactiques, c'est-à-dire les dits. C'est par ceux-ci que doit commencer l'édition des œuvres de Machaut d'après « l'ordenance que Guillaume de Ma- chaut vuet qu'il ait en son livre » '. Nous nous bor- nons en tête de ce premier tome à faire figurer les notices des poèmes qui y sont publiés. On retrouvera de même dans chacun des volumes suivants les obser- vations nécessaires relatives aux pièces qu'ils contien- dront.
/. — Le Prologue.
Dans les meilleurs manuscrits, qui sont en même temps les plus complets, les manuscrits A etF-G2, le
i. Termes de la rubrique qui précède la Table de notre ma- nuscrit A.
2. Les manuscrits E et H ne contiennent du Prologue que les ballades, et non la partie en rimes plates.
INTRODUCTION LUI
recueil des poésies de Machaut est précédé de plusieurs pièces en vers, dont l'ensemble forme comme la pré- face, le Prologue, des œuvres complètes du poète ' . Ce Prologue comprend quatre ballades et une courte pièce de 184 vers octosyllabiques en rimes plates. Les ballades forment deux groupes : dans le premier, Nature offre à Guillaume ses enfants Scens, Retorique ex Musique, afin de lui faciliter son œuvre de poète, et Machaut répond en la remerciant; dans l'autre, Amours lui présente Doits Penser, Plaisance et Espérance qui lui fourniront la matière de ses chants, et Guillaume remercie encore de cet autre don. Dans la partie en rimes , plates, le poète, s'étendant sur la valeur des dons de | Nature et d'Amours, en profite pour exposer ses théo- ries littéraires : il énumère les différents genres poé- tiques qu'il cultive (v. 11- 18); il prouve que la pratique de la poésie rend l'homme bon et joyeux (v. 26-84); il vante les mérites de Musique, citant à l'appui des exemples bibliques et mythologiques (v. 85-146); il dénombre les variétés de rimes que lui enseigne Rhétorique (v. 147-158); et finalement, pour obéira Nature et à. Amours, et pour plaire aux dames, il annonce qu'il va commencer le Dit dou Vergier. Ces derniers vers paraissent rattacher le Prologue au Dit dou Vergier qui est, comme nous le ferons voir ail- leurs, le premier et le plus ancien des dits de Machaut. Dans ce cas, cette introduction aurait été écrite, avant
1. Tarbé avait déjà donné ce titre de Prologue à l'ensemble de ces premières poésies qui ouvrent l'œuvre de Machaut. Le mot ne se trouve que dans la Table du manuscrit E : Cy fine le pro- logue. C'est là que nous nous sommes permis de prendre cette désignation aussi exacte que commode qui n'a qu'un défaut celui de ne pas provenir de Machaut lui-même.
UV INTRODUCTION
même que le poète n'ait commencé son véritable travail littéraire. Or, cela ne peut être; au contraire, l'auteur, lorsqu'il écrivait ces vers, avait sous les yeux son œuvre poétique tout entière, ou au moins à peu près terminée, et c'est sur l'ensemble de ses productions ly- riques, sur ses dits, sur ses compositions musicales, que porte le jugement qu'il émet dans le Prologue. La preuve matérielle de ce fait est donnée dans notre manuscrit A. D'après l'ancienne pagination, ce ma- nuscrit commençait par le Dit doit Vergier ; lorsqu'il fut complètement terminé, on en dressa la table, qui fut placée en tête du volume. Mais le même cahier, qui par suite n'a pu être écrit qu'après la constitution définitive du manuscrit, contient aussi le Prologue. Celui-ci, par conséquent, a été composé, comme la table, au moment où l'activité littéraire et poétique de Ma- chaut touchait à sa fin. Cela est confirmé par l'absence du Prologue dans les manuscrits BDVKJ : les sources d'où dérivent ces manuscrits remontent à une époque où Machaut n'avait pas encore écrit son Prologue, comme le prouve aussi l'état incomplet de ces manus- crits, où manquent les dernières œuvres du poète. Une autre raison qui empêche encore d'admettre entre le Prologue et le Dit dou Vergier une relation plus étroite est que dans le Dit dou Vergier il n'existe ni poésie lyrique, ni musique, tandis que le Prologue s'étend longuement sur ces deux points. En écrivant son Pro- logue, Machaut n'a donc pas eu en vue ce Dit dou Vergier, mais bien l'ensemble de ses œuvres.
Ce Prologue est comme un raccourci de toute l'œuvre du poète, tant dans la forme que dans le fond : les ballades représentent sa poésie lyrique, la partie en rimes plates sa poésie narrative et didactique ; on
INTRODUCTION LV
y trouve des allégories empruntées au Roman de la Rose et des « exemples » tirés de la Bible ou des auteurs an- ciens, qui servent à instruire le lecteur et à prouver les assertions de l'auteur ; et c'est le poète lui-même, nommé en toutes lettres, qui occupe le premier plan de l'action et qui nous entretient de ses idées et de ses sentiments personnels. Or, ce sont bien là les trois éléments prin- cipaux de la poésie de Machaut : l'allégorie, le récit biblique ou mythologique, et l'attribution du rôle principal à la propre personne du poète en un bizarre mélange de fiction et de réalité. Ainsi, le Prologue suffit déjà à nous faire connaître dans ses grandes lignes le poète et son œuvre.
//. — Le Dit don Vergier.
Le Prologue datant des dernières années de Machaut, c'est le Dit dou Vergier qui ouvre la série de ses dits. Le poète lui-même, d'après les derniers vers du Pro- logue, veut que ce dit soit placé en tête de ses œuvres, et c'est bien, en effet, une œuvre de jeunesse, sans doute le premier essai littéraire de longue haleine du jeune poète '. La place qu'il occupe 2, l'absence de l'ana- gramme habituel où le poète se nomme 3, l'infériorité
i. Ge n'était pas l'avis de Tarbé qui dit expressément (/. c, p. xi) : « Le Dit du Vergier ne nous paraît pas une œuvre de jeunesse; c'est un second prologue ».
2. Nous espérons démontrer ailleurs que les dits — et sans doute aussi les poésies lyriques de Machaut — se succèdent dans l'ordre chronologique. Le Dit doit Vergier occupant la première place serait donc le plus ancien des dits du poète.
3. L'anagramme ne pouvait avoir une raison d'être qu'à partir du moment où le poète avait acquis un certain renom. Il est
LVI INTRODUCTION
technique de ce poème par comparaison avec les autres dits1, enfin son contenu auquel manque presque com- plètement la note personnelle et originale qu'on trouve par tout ailleurs, tout cela contribue à nous confirmer dans cette pensée que le Dit doit Vergier marque le début littéraire de Machaut.
Comme tous les poètes de son époque, Guillaume de Machaut a subi l'influence profonde du Roman de la Rose. Son Dit doit Vergier n'est qu'une imitation ser- ville du chef-d'œuvre de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun; il lui emprunte et ses principaux éléments et sa donnée fondamentale. C'est, de même que dans son grand modèle, une vision que le poète raconte. Cette vision, il l'a eue dans ce merveilleux verger d'Amours où se passait aussi l'action du Roman de la Rose. Guil- laume y rencontre le Dieu d'Amours accompagné de les servantes et servants que lui avait déjà attribués Guillaume de Lorris : Franchise, Pitié, etc. Le dieu lui énumère toutes ses qualités et dépeint sa puis- sance, en expliquant les attributs symboliques dont
assez probable que dans son premier poème cette façon de se déclarer Fauteur de la pièce n'a pas dû venir à Guillaume , alors inconnu.
i. C'est notamment par la pauvreté des rimes que le Dit doit Vergier se distingue des autres poèmes de Machaut. La propor- tion des rimes léonines dans le Dit doit Vergier est de 19 0/0, dans le Roy de Navarre de 35 o/o, dans le Remède de Fortune de 3i 0/0, dans le Dit doit Lion de 34 0/0. Ajoute-t-on les rimes féminines, considérées comme léonines par les poètes du moyen âge, leur nombre n'atteint cp.c 5o 0/0 dans le Dit doit Vergier contre une moyenne de 71 à 840/0 partout ailleurs, Les rimes suffisantes dans le Dit doit Vergier sont de 14 0/0 dans le Remède de Fortune de 3 0/0, dans le Roy de Navarre et le Dit doit Lion de 0,4 et 0,6 0/0.
INTRODUCTION LVII
il était déjà revêtu longtemps avant notre poète. Le sujet principal du récit est la description de la lutte de ses partisans contre ses ennemis bien connus: Danger, Peur, Honte, et la victoire finale du dieu. Tous ces éléments — et c'est là à peu près tout le poème — , Machaut les a empruntés au Roman de la Rose \ Mais, en les combinant, il est resté inférieur au modèle dont il s'inspirait. L'heureuse idée de Guillaume de Lorris, de remplacer un exposé froid et morne par une action vivante et mouvementée, Machaut l'a abandonnée : tout son poème n'est, sauf l'introduction et le dénouement, qu'un seul et interminable discours du Dieu d'Amours, une simple énumération de règles et de préceptes, véri- table œuvre d'école sans originalité, sans note intime, ni personnelle. Nulle part ailleurs, Machaut ne se mon- trera, comme ici, simple et médiocre imitateur d'un remarquable modèle.
Cependant, quelques rares changements introduits dans les emprunts faits au Roman de la Rose, déno- tent déjà les traits caractéristiques de Machaut. A la place du personnage abstrait de l'Amant, créé par Guil- laume de Lorris, le poète du xive siècle met sa propre
i. Certains vers du Dit don Vergier sont presque des emprunts directs au Roman de la Rose, p. ex. les vers 65-66 : « Je ne say que ce pôoit estre Fors que le paradis terrestre», qui répètent ces vers de Guillaume de Lorris : « Et sachiez que je cuiday estre Pour voir en paradis terrestre », ou bien les vers 38-3g : « ..tous seus, sans conduit M'en alay parmi le vergier », dans le Romande la Rose: « Si m'en alay seus esbatant Par le vergier de ça en la ». Ailleurs, dans son Dit de la Rose, Machaut résume en 106 vers la donnée fondamentale du roman de Guillaume de Lorris, dont il conserve alors l'allégorie, abandonnée dans le Dit dou Ver- gier. Il nous montre par là, ce qu'on devait supposer a priori, qu'il avait étudié à fond ce roman.
LVIII INTRODUCTION
personne : c'est avec Guillaume lui-même que s'en- tretient le Dieu d'Amours, et ce sont les questions du poète qui provoquent les explications du dieu. Ce n'est pas là précisément une innovation de Machaut; déjà d'autres poètes avant lui s'étaient ainsi mis eux-mêmes en avant en des œuvres qui gravitaient également dans l'orbite du Roman de la Rose. Mais le fait mérite d'être signalé, parce qu'il répond à cette tendance si parti- culière de notre poète de s'attribuer à lui-même un rôle, et le plus souvent le rôle principal, dans ses poèmes. Le but que Machaut poursuivait ainsi était de donner à ses fictions poétiques une plus grande apparence de réalité. C'est le même souci qui l'incite à émailler ses poèmes de traits empruntés à la vie réelle, de petits dé- tails propres à donner à ses inventions le caractère de quelque chose de vrai, de vécu. Le Dit dou Ver- gier nous en offre un exemple dans la façon dont Machaut raconte son réveil après sa conversation avec le Dieu d'Amours. Celui-ci, qui, pendant la conversa- tion avec le poète, était perché sur un arbrisseau, dispa- raît finalement, en s'élançant dans les airs. Le mouve- ment est assez violent pour ébranler tout l'arbre, si bien que la rosée en tombe sur le visage du dormeur et le tire de son rêve, du « transissement » où il avait été si longtemps. Il est tout étonné de ne plus rien trouver de ce qu'il avait vu et entendu; heureusement, il lui reste les leçons et les exhortations du dieu. Qu'on compare ce réveil de Machaut au brusque dénouement que Jean de Meun donne au Roman de la Rose, et l'on verra sans peine qu'ici notre auteur est supérieur à son modèle. L'étude des œuvres suivantes prouvera que ce mélange de fantaisie et de réalisme, comme on le rencontre ici déjà, est l'un des traits caractéristiques du génie poé-
INTRODUCTION LIX
tique de Machaut, et qu'il lui doit parfois des effets heureux et charmants.
III. — Le Jugement dou Roy de Behaingne.
D'après la place qu'il occupe dans tous nos bons manuscrits, le Jugement dou Roy de Behaingne est le deuxième en date des grands poèmes de Machaut. Il fut composé du vivant de Jean de Luxembourg^ roi de Bohême, c'est-à-dire avant 1346 '. Le quatrième dit de Guillaume, le Dit dou Lion, étant écrit en 1342, il faut placer notre Jugement avant cette date 2. Cette date se trouve confirmée, assez vaguement du reste, par ce fait que le poète nomme Jeunesse parmi les personnages allégoriques qui entourent le roi et qui personnifient ses qualités. Or, le roi Jean est né en 1296; par consé- quent, le poème peut parfaitement remonter encore à quelques années avant 1342, peut-être même avant 1 340, année où Machaut est en possession de son cano- nicat et réside à Reims, loin du roi.
L'étude des rimes, d'un secours si utile pour le Dit dou Vergier, ne peut rien nous apprendre ici; carie poème n'est pas écrit dans la forme ordinaire des dits de Machaut, en vers octosyllabiques à rimes plates, mais dans une forme demi-strophique 3 qui ne reparaît
1. Seul notre manuscrit M semble s'opposer à cette hypothèse; car le titre porte dans ce manuscrit : Jugement dou Roi de Be- haingne dont Dieus ait l'ame. Mais le manuscrit date du xve siè- cle, et le titre doit être mis au compte du copiste. Tarbé, cependant, s'est laissé induire en erreur et place le poème entre 1 347 et 1349.
2. Voyez plus haut, p. xxvm.
3. C'est la forme que M. Grôber (Grundriss, II, 1, 706) appelle Privilegstrophe, et M. Suchier, Richeutform (Geschichte der franc. Literatur, p. 21 5).
LX INTRODUCTION
plus ailleurs sous la plume du poète, sauf, avec quelques modifications, dans certaines pièces lyriques, les Com- plaintes '. La strophe se compose de quatre vers : les trois premiers, de dix syllabes, sont reliés entre eux par la même rime; le quatrième n'a que quatre syllabes et introduit une nouvelle rime qui est reprise par les trois grands vers de la strophe suivante ; et puis le quatrième vers, plus court, amène de nouveau une autre rime répétée dans les vers décasyllabiques qui lui succèdent, etc., (ajoaioaio d^. — bio bjo bioC^. ~~ ~Cio CioCiou^, etc.}. L,es strophes, de cette façon, sont indissolublement enchaî- nées l'une à l'autre en une suite ininterrompue d'après le principe qui préside au système plus ingénieux encore de la ter\a rima de la Divine Comédie 2. La même rime paraît quatre fois de suite; il était donc bien plus malaisé pour le poète de construire des vers à rime riche, et on ne saurait raisonnablement comparer les rimes de ce poème à celles des autres dits.
Le Jugement dou Roy de Behaingne rentre dans la catégorie des débats amoureux, « sortes de développe- ment tout nouveau des anciens jeux-partis » 3. Une dame dont l'amant vient d'être enlevé par la mort, et un seigneur, trahi et délaissé par son amie, prétendent chacun avoir plus à souffrir que l'autre. La querelle, sur le conseil de Guillaume, est portée devant le roi de Bohême et tranchée en faveur du chevalier. Dans les
i . Le Dit dou Cerf blanc écrit dans la même forme ne peut être l'œuvre de Machaut. Il ne se trouve que dans notre manus- crit J et manque dans nos bons manuscrits.
2. Si l'on ne retrouve plus cette forme chez Machaut, on la rencontre chez Froissart, chez Christine de Pisan et ailleurs ; elle a donc évidemment joui d'une certaine faveur auprès des poètes de cette époque.
3. G. Paris, François Villon (1901), p. 92.
INTRODUCTION LXI
Cercles courtois du moyen âge, on raffolait de ces pro- blèmes de casuistique amoureuse ; on ne les traitait pas seulement en jeux-partis, on leur consacrait aussi des poèmes de plus d'étendue et de caractère narratif. Le cas le plus fameux et le plus souvent débattu était celui de savoir si, pour une dame, il était préférable de don- ner son amour à un clerc ou à un chevalier. Cette question était discutée en langue latine dès le commen- cement du xiie siècle (notamment dans YAltercaiio Phillidis et Florae et dans l'ouvrage d'André le Chape- lain) ; elle se retrouve dans plusieurs poèmes français {Florence et Blanche/Ior, Haeline et Aiglantine, Me- lior et Idoine)1 . Dans VAltercatio et dans les œuvres françaises, le sujet est toujours traité de la même manière : la discussion naît entre deux dames, dont l'une aime un clerc, l'autre un chevalier; la décision est donnée à la cour du Dieu d'Amours, soit immédiate- ment parle dieu lui-même, soit à la suite d'un duel ju- diciaire entre deux oiseaux de la cour ; le poète, le plus souvent, assiste ou rêve d'assister en cachette aux événements. Machaut a fidèlement suivi ces données fondamentales dans son poème. Il n'a donc pas inau- guré ce genre, comme l'a dit G. Paris3; mais il y a introduit certaines innovations, et c'est certainement lui qui l'a en quelque sorte rajeuni.
Ces modifications sont un nouveau trait bien carac- téristique de l'œuvre de Guillaume. Il ne reste pas témoin impassible de l'aventure ; il prend lui-même part à l'action : c'est lui qui propose l'arbitrage du roi de Bohême, après avoir entendu dans sa cachette toute
i . Voy. Romani a, XXXVII; 221 ss. 2. Loc.'cit., p. 92.
LX1I INTRODUCTION
la discussion, et qui introduit auprès de son maître les deux parties adverses. Au lieu du Dieu d'Amours, c'est le roi Jean de Luxembourg, personnage historique, réel et vivant, qui prononce le jugement. L'élément allégorique passe au second plan ; on ne le retrouve plus que dans les personnages dont se compose la cour du roi, dans lesquels le poète a personnifié les qualités et les vertus qu'il attribue à son seigneur (Amours, Jeu- nesse, Hardiesse, etc.). Les deux principaux interlocu- teurs, la dame et le chevalier, ne sont, eux aussi, que de pures abstractions, comme l'Amant de Guillaume de Lorris. Mais les personnages du roi de Bohême et de son secrétaire placent le poème en pleine réalité. De même, le théâtre de l'action est transporté du royaume imaginaire du Dieu d'Amours dans le site bien réel de Durbuy, domaine appartenant au roi Jean, dont le poète donne une description très exacte. Dans de nombreux détails de mise en scène, on retrouve toujours le même souci de donner au récit une apparence de vérité et de réalité. C'est par exemple le cas pour la façon dont Machaut fait s'engager la discussion entre la dame et le chevalier : les deux personnages se rencontrent par hasard ; le chevalier, plein de courtoisie, salue la dame, mais celle-ci ne lui rend pas son salut. « Mise à rai- son » par le seigneur, elle s'excuse en alléguant le noir chagrin dans lequel elle est plongée au point de ne pas avoir remarqué l'acte poli de son interlocuteur. « Quelle que soit votre peine, madame, elle ne saurait égaler la mienne », lui répond l'autre, et la discussion s'engage tout naturellement. Plus loin, c'est la manière dont le poète entre lui-même en scène. Caché dans le « breuil » , il a entendu toute la conversation; voyant que les deux parties n'arrivent pas à se mettre d'accord, il aimerait
INTRODUCTION LXIII
bien leur proposer l'arbitrage de son maître, mais il ne sait comment les aborder, un peu honteux de son indis- crétion. Or, voilà qu'un petit chien qui accompagnait la dame l'aperçoit et se précipite vers lui en aboyant. Aussitôt, le poète s'en empare et va le rendre à sa maî- tresse; c'est l'occasion cherchée pour se mêler à l'entre- tien. Le chevalier, alors, à voix basse, exprime à la dame sa crainte que ce clerc n'ait tout entendu, et Guil- laume confirme en effet ses soupçons. Il peut donc tout de suite leur conseiller de soumettre leur différend au roi de Bohême. Le nombre de traits analogues est con- sidérable; et tous, ils contribuent à donner au poème le caractère d'une aventure vraie et vécue.
Une autre qualité qui distingue encore à son avan- tage Machautde la plupart de ses confrères du moyen âge, c'est l'unité de composition dans la plupart de ses poèmes. Les longues digressions intercalées par Jean de Meun dans le Roman de la Rose avaient précisé- ment été l'une des causes du succès prodigieux de cette œuvre, et cet exemple a nécessairement dû exercer une influence considérable sur les auteurs des générations suivantes. D'autant plus grand est le mérite de Machaut d'avoir su résister, quelquefois du moins, à cette habi- tude si commune aux poètes de son temps et d'avoir observé dans quelques-uns de ses dits une parfaite unité d'action et de pensée, qui n'apparaît que rarement dans les productions littéraires du moyen âge. Le Juge- ment dou Roy de Behaingne est du nombre. La thèse une fois énoncée, la discussion se poursuit continue, serrée, sans jamais perdre de vue son objet et sans s'égarer en d'inutiles détours ; tout est naturellement motivé et un enchaînement logique réunit entre elles les différentes parties du débat. Seules, quelques des-
&!^
INTRODUCTION
criptions entraînent Fauteur parfois trop loin et en- travent le développement régulier de l'action et de la discussion. Celle-ci même, un moment, semble vouloir dévier de son but : on abandonne la question fonda- mentale pour discuter cet autre problème, à savoir si l'amant trahi doit malgré cela rester fidèle à la dame volage. Mais Guillaume fait presque aussitôt constater cette digression par le juge, et il ramène l'entretien à son véritable sujet.
Ce sont sans doute moins les qualités que nous ve- nons d'énumérer que l'heureux chois du problème discuté, qui firent le grand succès de ce débat. Ce succès est attesté de différentes manières : c'est le seul dit de Machaut qui soit reproduit encore au xve siècle dans des manuscrits contenant un choix d'œuvres de différents auteurs; Guillaume lui-même, dans le Jugement dou Roy de Navarre, reprend le débat sur la même ques- tion ; au xve siècle, Christine de Pisan, dans le Dit de Poissy, discute à peu près le même problème, et vers la même époque Martin le Franc déclare ne pas s'accorder au jugement de Machaut. Quant aux qualités de forme qu'on y rencontre, l'unité de l'action et la recherche de la vraisemblance qui, réunies, contribuent à donner au poème une allure presque dramatique, je ne crois pas que les contemporains et les imitateurs s'en soient beaucoup souciés.
IV. — Le Jugement dou Roy de Navarre.
Dans tous les manuscrits, le Jugement dou Roy de Navarre suit immédiatement le Jugement dou Roy de Behaingne. Chronologiquement, cependant, ils sont séparés l'un de l'autre par un intervalle de temps assez
INTRODUCTION LXV
considérable, car le Jugement dou Roy de Navarre ne peut avoir été écrit avant 1349; nous >' voyons que la peste noire qui désolait l'Europe en 1348 et 1349 vient de prendre fin et que Charles le Mauvais occupe le trône de Navarre. Or, Charles devient roi en 1349 après la mort de sa mère, et il semble bien que c'est à l'occasion même de cet événement que Guillaume composa ce poème où il rend hommage au jeune souverain. D'un autre côté, nous savons qu'entre les deux Jugements Machauta écrit au moinsdeux autres dits, leRemede de Fortune, dont nous ne connaissons pas la date d'origine, et le Dit dou Lion, composé en 1342. Ces deux poèmes, dans nos manuscrits, suivent les deux Jugements . L'or- dre chronologique dans lequel doivent se succéder les dits est donc ici interverti, et c'est le Jugement dou Roy de Navarre qui a abandonné la place qui lui revenait après le Dit dou Lion, peut-être même après le Dit de VAlerion \ Car, si les deux pièces qui se placent entre nos Jugements avaient été antérieures au Jugement dou Roy de Behaingne, il n'y avait aucune raison pour ne pas leur donner dans les manuscrits la place qui leur
1. Dans les manuscrits, le Dit de VAlerion se place entre le Dit doit Lion (de 1342) et le Confort d'ami (de 1 357), sans qu'aucun indice positif nous fasse savoir s'il fut écrit avant ou après l'année 1349. Nous avons cependant une raison pour considérer ce dit comme antérieur au Jugement dou Roy de Navarre : le manus- crit C offre cette particularité de ne contenir que les premières pièces de chaque genre poétique cultivé par Machaut. Or, ce ma- nuscrit donne les dits depuis le Dit don Vergier jusqu'au Dit de VAlerion ; mais il ne donne ni le Jugement dou Roy de Navarre, ni les dits postérieurs. L'original du manuscrit remonte donc à une époque où ce Jugement n'existait pas encore. Le Dit de VAlerion, alors, était déjà écrit ; il est donc antérieur au Juge- ment dou Roy de Navarre.
Tora« L e
LXVI INTRODUCTION
convenait. Par contre, il y avait une raison puis- sante pour mettre le Jugement dou Roy de Navarre immédiatement à la suite du Jugement dou Roy de Behaingne : c'est que le second de ces deux poèmes est exactement la contre-partie, la palinodie, du premier. Machaut lui-même, dans le corps du dit, résume à di- verses reprises le premier débat auquel il renvoie plu- sieurs fois ; dans quelques manuscrits, le titre du Jugement dou Roy de Navarre, est complété par cette indication : contre le Jugement dou Roy de Behaingne, et le manuscrit D fait même se suivre les deux pièces sans aucun intervalle, comme si elles n'en faisaient qu'une. C'est évidemment cette relation étroite entre les deux débats qui, en cette occasion, a fait renoncer le poète à l'ordre chronologique de ses dits.
Le poème commence par une longue introduction de 43o vers, où Guillaume, faisant œuvre de chroniqueur, raconte en détail les terribles événements des années 1348 et 1349: la persécution des Juifs, le mouvement religieux des « Flagellants » et les effets désastreux de la peste noire. En retraçant ce tableau aux sombres cou- leurs, Machaut se montre historien sobre, fidèle et exact. Une comparaison minutieuse de son récit avec les chroniques contemporaines nous a permis de cons- tater que chaque détail, donné parle poète, est en effet confirmé parlesrenseignements de nos sources histori- ques. Ce sont en partie ses souvenirs personnels que le poète a consignés ici : il a dû voir de près les ravages de l'épidémie à laquelle il échappa, en se tenant soi- gneusementenfermé chez lui, sans doute dans sa maison canoniale de Reims; en partie, il tient ses rensei- gnements de récits oraux de témoins oculaires : « Ce dient pluseurs qui ce virent » (v. 173). Ces vers fu-
INTRODUCTION LXVII
rent écrits sous l'impression immédiate de ces événe- ments même qui avaient frappé de stupeur et d'effroi le monde chrétien tout entier '. Mettre ce tableau en tête de son poème, c'était placer sa fiction dans un cadre bien vivant et bien réel; sur ce fond sombre et tragique, la gracieuse aventure allait se détacher en couleurs d'autant plus vives. Guillaume, en cela, s'est rencontré avec l'un des plus grands poètes de son temps, avec Boccace, dont le Décaméron, comme on sait, débute également par la peinture de la peste à Florence. Si la description de notre Champenois n'est pas comparable pour l'éloquente énergie au célèbre préambule des cent nouvelles italiennes, comme l'a prétendu un autre Champenois, P. Paris 3, l'idée au moins, conçue par chacun des deux contemporains, indépendamment l'un de l'autre, est assurément d'un vrai poète.
Cette introduction historique reste sans aucune rela- tion avec ce qui fait le véritable sujet du poème, le débat amoureux. Il existe même entre ces deux parties du poème une certaine contradiction. C'est au com- mencement de l'hiver de l'année 1349, plus exactement le 9 novembre, que notre poète, retenu dans sa chambre par le froid et les brouillards de l'automne, se laisse aller à ses lugubres méditations sur les misères dont Dieu semble poursuivre l'humanité. Nous avons là sans
1. Les traces si nombreuses que ces événements ont laissées dans la littérature de l'époque en font foi. En France seule, oh peut citer un poème latin du médecin Simon de Couvin, des vers latins et français de Gillon le Muisit, une chanson française des « Flagellants », une allusion à la peste noire au début du poème anonyme, Le Songe Vert, sans parler des traités scientifiques et des récits des chroniqueurs.
2. Notice sur le poème du Voir Dit^ p. xxvhi.
LXVIII INTRODUCTION
doute la date où fut commencé le poème. La fiction elle- même, par contre, se place au printemps, quand l'épi- démie a enfin disparu et que l'air doux et chaud engage notre auteur, enfermé chez lui pendant toute la froide saison, à se risquer de nouveau au dehors et à s'adonner à sa passion pour la chasse aux lièvres. Il n'est guère admissible que Machaut, ici, nous renseigne exacte- ment et reste dans la stricte vérité. Lui qui était capable d'écrire une centaine de vers par jour — son Voir Dit nous le fait savoir ' — ne peut avoir mis des mois à com- poser cette introduction de 430 vers. Restent deux hypothèses : ou bien cette chronique rimée et le débat amoureux étaient d'abord indépendants l'un de l'autre et n'ont été soudés ensemble qu'ultérieurement, ou bien, ce qui est beaucoup plus probable, le poème entier, introduction historique et débat proprement dit, exis- tait tel quel dès l'origine; mais avec les motifs du renouveau de la nature et de sa sortie dans la campagne le poète a déjà quitté le sol de la réalité et se trouve en pleine fiction poétique; à ce moment, il a perdu de vue la donnée première de son poème et a oublié le point de départ qu'il lui avait fixé et qui sans doute s'était trouvé répondre à la réalité.
Les deux personnages entre lesquels s'engage la nou- velle discussion sont encore des représentants des deux sexes. L'un d'eux au moins est un personnage réel et vivant, le poète lui-même, Guillaume de Machaut. Après le rôle effacé qu'il s'était donné dans le premier Jugement, le voici qui passe au tout premier plan et qui occupe la place principale dans ce second débat. Il
1 . Lettre xxvn de Machaut à sa dame (p. 202) : « Vostres livres se fait et est bien avanciés ; car j'en fais tous les jours .c. vers ».
INTRODUCTION LXIX
n'essaie pas de nous faire prendre le change: à diverses reprises, il se nomme en toutes lettres dans le corps même de la pièce, contre son habitude qui est de ne donner son nom que par anagramme. Pourquoi ici cette exception? Il faut encore l'expliquer par le rapport qui relie ce poème au Jugement dou Roy de Behaingne. Le jugement attribué au roi Jean, mais qui eh réalité était de Machaut lui-même, a dû se heurter à des critiques violentes et nombreuses, surtout de la part des dames ; le poète, dans sa pièce même, nous l'a bien fait entrevoir '• C'est pour leur plaire et se concilier de nouveau leurs bonnes grâces qu'il a composé ce nouveau poème, où, tout en ayant l'air de défendre son premier jugement, il finit par se prononcer dans le sens exactement con- traire 2. Or, afin de faire savoir nettement à tout le monde que c'est lui, Guillaume, qui se soumet ainsi au bon plaisir des dames, il importait d'éviter toute équi- voque : un anagramme aurait pu laisser subsister des doutes; force lui était donc de se nommer clairement, comme il l'a fait.
C'est un portrait bien vivant et finement nuancé que Guillaume donne ici de lui-même, se montrant d'abord soucieux des maux dont est frappée l'humanité autour de lui et inquiet pour sa propre vie au milieu des ravages
i. Cela ressort clairement du vers 8 r ï : « Vers les dames estes forfais ». On a vu que plus tard Martin Le Franc proteste égale- ment contre la décision de Machaut. Un siècle après Guillaume, ja Belle dame sans merci d'Alain Chartier eut absolument le même sort.
2. Ce n'est pas là un fait isolé à cette époque : avant Machaut, Nicole Bozon écrit De la bonté des femmes, pour atténuer son Char d'orgueil; et plus tard, Jean Le Fevre, après avoir traduit en vers français les Lamentations de Matheolus, réfute point pour point cet ouvrage dans un nouveau poème, le Livre de Leesce.
LXX INTRODUCTION
de la peste, puis, le danger passé, oublieux de ses soucis et de ses angoisses et passionné de la chasse au point de négliger le plus élémentaire de ses devoirs d'homme galant et courtois qui était de présenter ses hommages à la haute dame qui passe tout près de lui. Dans la dis- cussion même, il défend avec acharnement et opiniâ- treté ses positions; il avoue cependant qu'à la vue de la noble société qui entoure son adversaire, il a un instant l'idée d'abandonner sa cause, mais Raison l'exhorte à persister, et désormais il ne fléchira plus. Au début, il s'efforce de ne pas se départir de cette cour- toisie qu'on doit toujours observer vis-à-vis des dames; mais peu à peu il se laisse emporter par l'impatience et la colère; il devient ironique, moqueur, et finalement franchement injuste et méchant, en osant accuser Fran- chise de mensonge et de déloyauté, et en lançant des pa- roles sacrilèges contre le sexe féminin, lui, connu jus- qu'ici comme l'humble serviteur d'A moars et des dames. Enfin, quand la condamnation du poète est prononcée, il fait bonne mine à mauvais jeu et se tire avec autant de bonne grâce que possible de la position délicate où il s'était mis. Ce portrait, esquissé ici dans ses grandes lignes, est complété par de nombreux traits de détail qui donnent au personnage une individualité nettement marquée et en font un personnage réel et vivant. Nous n'avons pas lieu de douter que ce ne soit là en effet un portrait assez ressemblant du poète lui-même. Ses adversaires, par contre, Machaut les emprunte de nouveau à ce monde de l'allégorie évoqué par le Roman de la Rose; mais il a su leur prêter des traits qui leur donnent l'air d'être vivants. Cela est vrai surtout de la dame qui provoque le nouveau débat. Machaut nous l'a peinte de telle façon que nous
INTRODUCTION LXXI
croyons voir devant nous quelque personnage histo- rique de l'époque. De bons juges, comme P. Paris, ont pu s'y laisser tromper '. Ce n'est que tout à la fin que l'on apprend qu'il s'agit ici de dame Beneilrté, c'est-à- dire d'une simple allégorie. Les demoiselles qui cons- tituent son entourage et qui remplacent leur maîtresse à tour de rôle, sont caractérisées par leur nom comme personnifications de pures abstractions : Connoissafice, Avis, Raison, etc. Même ici, l'auteur s'est visiblement efforcé de leur attribuer à chacune un rôle individuel selon le caractère qu'elles devaient avoir : Foy, par exemple, est chargée d'examiner l'exactitude des faits avancés par Guillaume; c'est à Charité qu'incombe la tâche difficile d'excuser la femme qui a manqué de parole à son fiancé, et c'est le devoir d'Honnesté de blâmer la vie honteuse du clerc d'Orléans. Leurs façons d'agir sont celles de personnes vivantes : elles grondent, elles menacent, elles s'emportent, et quand finalement le poète lance sa fameuse accusation contre les femmes et, en se moquant d'elles, les engage à parler toutes à la fois, pour en avoir fini d'autant plus vite, elles se mettent en effet toutes à pérorer en même temps, de sorte que le juge, en souriant, doit leur imposer silence.
Enfin, le poème tout entier est émaillé de nombreux traits de ce genre, empruntés à la vie quotidienne et
i. Dans la Notice sur le poème du Voir Dit (p. xv, note i), P. Paris déclare que cette dame était Béatrix de Bourbon, veuve du roi de Bohême. Mais le savant éditeur a commis ici une sin- gulière erreur : l'anagramme sur lequel il se base est celui du Confort d'ami qui n'a avec le Jugement don Roy de Navarre d'autre rapport que celui d'être dédié au même personnage, le roi Charles de Navarre. On ne saurait donc en tirer aucune indi- cation relative à la dame du débat amoureux.
T.XXII INTRODUCTION
aux coutumes de l'époque, qui servent à donner au récit un caractère vraisemblable et pittoresque. C'est, par exemple, l'écuyer qui doit appeler Guillaume auprès de la dame et qui, pour l'effrayer, s'amuse à lui annoncer qu'il aura à faire un voyage de trois jours, alors que sa maîtresse se trouve à quelques pas de là; ce sont les assauts de politesse entre Guillaume et la dame, et plus tard entre la dame et le roi de Navarre; c'est encore la gradation savante avec laquelle la dame fait entendre à Guillaume les reproches qu'il a encourus, le remplis- sant d'une vague inquiétude; c'est l'attitude des inter- locuteurs qui se parlent à l'oreille ou se coupent brus- quement la parole, etc. Tout cela donne à cette fiction le caractère d'une aventure réelle.
La question litigieuse, dans le Jugement don Roy de Navarre, est débattue avec plus d'ampleur que dans le Jugement dou Roy de Behaingne qui est plus court de moitié. Malgré son étendue, le dit offre, comme le précédent, une unité d'idée et d'action pres- que complète. Les digressions inutiles et n'ayant pas de rapport avec ce qui est l'objet même du débat sont rares, sans toutefois faire complètement défaut. Ce sont encore à notre avis les descriptions qui ont entraîné le poète au delà des limites permises. Mais il faut se rappeler que le public de l'époque en jugeait autre- ment et goûtait fort des digressions de ce genre. D'un autre côté, Machaut semble avoir mis un soin tout par- ticulier à préparer et à motiver les événements dont il nous entretient, ayant surtout à cœur de justifier sa défaite finale. C'est ainsi que, presque dès le début, il fait prévoir l'issue du procès qui tournera à son désa- vantage, en déclarant : « Je ne sui mie si fors... que je ne puisse estre veincus;... se je ne puis (vaincre), je
INTRODUCTION LXXIII
soufferray » ; ou bien il a soin de nous faire savoir que le clerc d'Orléans n'a pas lu à haute voix la lettre qui causa sa folie, lettre qui contenait plusieurs secrets sur lesquels il ne nous renseigne pas; or, ce sera là un des principaux arguments de ses adversaires et la cause de l'une de ses condamnations. Comme les auteurs dramatiques, Machaut se montre maître consommé dans l'art des préparations. L'unité de composition du poème n'en est que plus solide.
Dans la discussion même, Machaut fait entrer un nouvel élément, inconnu au dit précédent : ce sont les « exemples », c'est-à-dire des récits, empruntés de pré- férence à la Bible ou à la littérature gréco-romaine, destinés à servir de preuves aux assertions du poète. C'est dans le Dit de l'Alerion que Guillaume en use pour la première fois; depuis lors, il n'écrira plus de poème où ces exemples n'occupent une place considé- rable ; on a vu qu'on les retrouve jusque dans le Pro- logue. Des poètes contemporains de Machaut nous ren- seignent sur l'importance qu'on accordait alors à ces récits aussi amusants qu'instructifs, qui, dans les dis- cussions et disputes, étaient des arguments de haute valeur '. Machaut tire ses exemples de sources diverses : La plupart en sont empruntées à la mythologie et à l'histoire de l'antiquité. Ce sont les récits suivants :
i. Voy. par exemple Watriquet de Couvin, dans le Dit de la Noix (v. 3-4) :
On doit touz jours son sens moustrer Par biaux examples demoustrer,
et Jehan Le Fevre, dans les Lamentations de Matheolus (II, v. 2675-76) :
Pour ce, qui veult a droit plaidier, D'exemples se convient aidier.
LXXIV INTRODUCTION
i° L'abandon et la mort de Didon (v. 2095-2 i3o). Grâce au Roman d'Enéas, l'histoire des amours d'Énée et de Didon était assez connue dans la société élégante du temps, pour que notre poète pût se dispenser de la raconter dans tous ses détails. Il se contente donc de la résumer en quelques vers et ne s'étend longuement que sur le suicide de la reine. Il reproduit la scène avec les détails tels qu'il a pu les trouver dans le Ro- man d'Enéas " et, plus près de lui, dans le Roman de la Rose 2, Didon se frappant avec l'épée de son amant et expirant dans les flammes d'un bûcher. Mais Machaut ajoute au récit traditionnel un trait que ne lui fournis- sait, ni l'épopée latine ni, autant que je sache, aucun auteur de langue française avant lui, c'est que Didon
..ne morutpas seule,
Einsois a deus copa la gueule,
Car d'Eneas estoit enceinte (v. 21 19-21) 3.
Cependant ce détail d'un goût plutôt douteux n'est pas de l'invention de notre poète. Il paraît déjà dans les Héroïdes d'Ovide, Didon, écrivant avant sa mort à Enée, qu'elle est peut-être enceinte de lui4. Or, les Héroïdes n'étaient pas inconnues aux poètes fran-
1. Enêas, (éd. Salverda De Grave, 1890), v. 2025 ss.
2. Roman de la Rose (éd. F. Michel, 1864), II, v. 141 35 ss.
3. Virgile {En., IV, 327-30) et son traducteur français (Ene'as, v. 1739-46) admettent plutôt le contraire; les autres poètes fran- çais avant Machaut n'en disent rien Par contre, peu après lui, Jehan Le Fevre, dans son Livre de Leesce (éd. Van Hamel, igo5, v. 2435-60) reproduit ce détail qu'il a sans doute directement em- prunté à Machaut.
4. Ovide, Héroïdes, VII, 1 33-38.
INTRODUCTION LXXV
çais du moyen âge'; Machaut peut avoir puisé directe- ment à cette source, en transformant en fait réel ce qui n'était qu'une supposition chez le poète latin.
2° L'histoire de Thésée et d'Ariane (v. 2707-69 et 2805-08). Les aventures de Thésée, son combat avec le Minotaure, le rapt et l'abandon d'Ariane, ne paraissent pas avoir été traitées en langue française avant Machaut \ Aussi le poète se voit-il dans la nécessité d'en donner un récit complet et détaillé. Il reproduit fidèlement les données essentielles de la tradition gréco-romaine : Androgeus, fils du roi de Crète, Minos, est tué par les Athéniens. Son père impose à la ville vaincue un tribut de victimes humaines qui sont dévorées « par un mous- tre trop mervilleus » (le Minotaure que Machaut ne désigne pas par son nom). Theseus, fils du roi d'Athènes, va combattre le monstre et remporte la victoire, grâce au secours d'Adriane, la fille de Minos, à qui il pro- met le mariage. Il l'enlève, mais l'abandonne en route,
1. G. Paris, Histoire littéraire de la France, XXIX (i885), 488-89.
2. R. Dernedde, dans son étude, malheureusement fort incom- plète, Ueber die den altfran^. Dichtern bekannten epischen Stoffe ans dem Altertum (1887, p. 96), relève une allusion à ce récit pour la première fois dans les Œuvres du roi René (éd. Quatre- barbe, III, 108), un siècle après Machaut. Jean de Meun [Roman de la Rose, v. 8898-8904) avait parlé de la descente de Thésée aux enfers, empruntant probablement ses renseignements aux mythographes latins (voy. Langlois, Origines et sources du Roman de la Rose, 1890, p. 134). Rappelons aussi que certains traits de la légende de Tristan offrent une analogie si frappante avec la légende de Thésée qu'il est difficile d'écarter l'hypothèse d'emprunts directs faits par quelque poète médiéval à la légende grecque (voy. Bédier, Le Roman de Tristan, par Thomas, II, 135-140). Nous ignorons si le récit ne figure pas déjà dans YOvide moralisé (voy . plus bas, p. lxxix ss.).
LXXVI INTRODUCTION
pendant qu'elle dort « seulette en estrange contrée », et épouse la sœur cadette, Phedra. Ariane devient l'épouse de Bacus et roïne couronnée. Machaut, on le voit, a supprimé quelques détails. Il n'explique pas comment Ariane secourt Thésée, en lui donnant le moyen de sortir du Labyrinthe; peut-être, le poète français n'avait-il pas compris ce trait de la légende et n'avait-il su qu'en faire. Il ne dit rien non plus de l'his- toire de la voile blanche et noire ; ce détail pouvait paraître inutile, quoiqu'il ne fût guère dans les habi- tudes de notre poète de s'arrêtera des scrupules de ce genre. Sur d'autres points il s'écarte nettement des don- nées traditionnelles, communes aux auteurs anciens : au lieu du tribut annuel de sept jeunes gens et d'autant de jeunes filles, les Athéniens, d'après Guillaume, n'en- voyaient qu'un homme tous les ans. Ce qui est plus significatif, c'est que Thésée, dans Machaut, est désigné par le sort pour se rendre en Crète, ce qui provoque l'étonnement de ses concitoyens, fait sur lequel le poète insiste tout particulièrement, quand au contraire les au- teurs gréco-romains sont d'accord pour présenter le sa- crifice de Thésée comme volontaire, à la suite du mécon- tentement du peuple athénien. Enfin, dans les textes latins, le dieu qui épouse Ariane est unanimement dési- gné par le surnom de Liber. On admettra difficilement que Guillaume ait été assez versé dans la mythologie ro- maine,pour substituer Bacus à Liber; il a déjà dû trouver ce nom dans la source où il a puisé. Cette source, nous ne la connaissons pas : parmi les anciens, aucun auteur ne présente les faits tels que les donne Machaut1.
i. Il est évident que seuls les auteurs latins peuvent être pris en considération. Les brèves allusions des œuvres d'Ovide (Me-
INTRODUCTION LXXVU
C'est donc dans la littérature latine du moyen âge qu'il aura trouvé son récit des aventures de Thésée. Cependant, Ovide, dans laxe lettre des Héroïdes, traite de l'abandon d'Ariane par Thésée. Il est possible, par conséquent, que pour cet exemple encore, Machaut ait puisé à la source qui lui avait déjà fourni l'histoire de Didon et d'Énée.
3° Jason et Médée (v. 2770-2804). Benoît de Sainte- More, dans l'introduction de son Roman de Troie \ avait le premier en France fait connaître les aventures merveilleuses de Jason à la quête de la Toison d'or ; mais, pressé d'arriver à son véritable sujet, il avait interrompu le récit avant le dénouement tragique des amours de Jason et de Médée, se contentant d'en faire vaguement entrevoir la lamentable issue. Plus tard, Jean de Meun à son tour avait raconté les exploits de Jason qui « conquit par l'art de Médée
tamorph., VIII, 02 ss.\ Fastes, III, 45g ss.)ne pouvaient suffire à nos poètes du moyen âge. On trouve des récits plus détaillés chez les mythographes (Mythographi Vaticani, éd. Bode, 1834, I> 4-3; II, 124), dans le commentaire de Servius sur l'Enéide (III, 74; VI, 14; 28 ss.), dans les Fables d'Hygin (N. 41 et 42). C'est delà version de ce dernier que le récit de Guillaume se rapproche le plus, quoiqu'il y ait entre les deux quelques notables différences. Il faut remarquer que les Fables d'Hygin n'étaient pas tout à fait inconnues aux poèt&s français du moyen âge : l'auteur du Roman de Thèbes pourrait avoir exploité les fables 66 ss. et Benoît de Sainte-More paraît avoir puisé à la fable 92 des détails que ne lui fournissait pas sa source principale (voy. Grôber, Grundviss der roman. Phil., II, 1, 583 et 84); Risop, dans Florimont, constate des emprunts faits à la fable 192 (Abhandlungen fur Tobler, p. 441, n. 2). Cependant, il n'est pas certain qu'il s'agisse là d'emprunts directs aux œuvres d'Hygin ; ils pourraient bien avoir passé par quelque intermédiaire médiéval. 1. V. 715-2060 (éd. I... Constans, I, 1904).
LXXVIII INTRODUCTION
en Colcos la toison dorée ' ». Machaut a donc pu se contenter pour ce fait d'un court résumé de quel- ques vers. Par contre, il s'étend plus longuement, comme l'exigeait son sujet, sur la trahison de Jason et l'atroce vengeance de Médée que Benoît avait passées sous silence et que Jean de Meun n'avait traitées que très sommairement. C'est encore Ovide qui a fourni à Machaut tous les éléments de son récit : la xne épître des Héroïdes (Médée à Jason) rappelle le meurtre du frère de la magicienne (v. 1 1 3- 1 1 6) et de Pélie (v. 1 29-130); elle cite le nom de Creusa (v. 53) ; elle fait connaître l'existence des deux enfants de Jason (v. 192) et signale leur grande ressemblance avec leur père (v. 189). Le vne livre des Métamorphoses complète l'histoire : le meurtre des enfants (v. 396), l'incendie du palais (v. 395), la fuite de la magicienne à l'aide de ses dragons ailés (v. 398), ses secondes noces avec Egée, roi d'Athènes, qui est « déçu » par elle, allusion évi- dente au meurtre que le roi, à l'instigation de Médée, allait commettre sur la personne de Thésée, son fils inconnu (v. 402 ss.j. C'est de la combinaison de ces deux œuvres du poète latin qu'est entièrement sorti F « exemple » de Guillaume.
40 Pyrame et Thisbê (v. 3171-79). L'histoire des deux amants de Babylone, telle que la raconte Ovide dans les Métamorphoses (IV, v. 5 5- 166), avait été tra- duite en vers français longtemps avant Machaut \ Elle
t. Roman de la Rose, v. 14170-203.
2. Voyez Barbazan-Méon, Fabliaux et Contes, IV (1808), 326-54; Histoire littéraire de la France, XIX, 765-67. G. Paris, dans La littérature française au moyen âge (3e éd. ,1905, p. 273), assigne au poème le troisième tiers du xne siècle; M. Grôber, dans leGrun- driss der roman. Philologie, (II, i, 5o3), ne le place guère avant 'a première moitié du xme siècle.
INTRODUCTION LXXIX
formait un gracieux petit poème, bien connu encore à l'époque de Guillaume, car c'est précisément un peu avant ce temps-là qu'un certain Chrétien (Legouais?) l'inséra dans la vaste compilation de Y Ovide moralisé \ Notre poète, en effet, rappelle en quelques lignes seule- ment la triste aventure qu'il peut supposer connue de de la plupart de ses auditeurs et lecteurs.
5° Héro et Léandre (v. 3221-98). Le roman de Fla- menca nous fait savoir qu'on chantait « d'Ero e de Leandri » déjà au xme siècle, au moins dans le Midi de la France 2. Dans la littérature du Nord, le sujet ne paraît pas avant l'époque de Machaut 3. Peu avant notre poète, Chrétien Legouais avait raconté l'histoire des deux amants, bien qu'elle ne figurât pas dans les Méta- morphoses d'Ovide, dans le quatrième livre de YOvide moralisé \ Mais cette œuvre n'était sans doute pas en-
1. G.Paris, Histoire littéraire de la France, XXIX (1 885), 497-498; Grôber, /. c, p. 5g2.
2. Le Roman de Flamenca, p. p. P. Meyer (2* éd., 1901, I, 25) : « L'autre (comtet) d'Ero e de Leandri ».
3. Dernedde (/. c, p. u3), ne connaît aucune allusion à l'his- toire de Héro et de Léandre avant Froissart qui est postérieur à Machaut et qui doit à celui-ci sans doute sa connaissance de la légende. La Cantilena de Leandrico, citée dans le Verbum abbre- viatum de Pierre le Chantre de Paris, ne se rapporte pas néces- sairement à la légende grecque (voy. G.Paris, Hist. litt., XXIX, 765). L'auteur du Roman de Tlièbes a supprimé dans son adap- tation française le passage de la Thébaïde (VI, 535 sà.J, où Stace rappelait brièvement cette aventure. Mais le roman d'Ider cite Ero parmi les grandes amoureuses de l'antiquité, et le couple d'amants qu'il appelle Eco (lisez Ero) et Leander quel- ques vers après désigne évidemment les amants d'Abydos (Hist. litt. de la France, XXX, 212).
4. G. Paris, Hist. litt. de la France, XXIX, 516-17. Le passage en question, faussement attribué à Philippe de Vitry, a été
LXXX INTRODUCTION
core très répandue au moment où Machaut écrivit son Jugement doit Roy de Navarre, car Guillaume se voit dans la nécessité de narrer l'aventure dans tous ses dé- tails. Elle était donc inconnue au public auquel il s'adressait, et lui-même peut-être alors ne connaissait- il pas non plus la vaste compilation de Chrétien '. C'est, par conséquent, un récit original que donne Machaut, et c'est de nouveau dans Ovide qu'il en trouve les données principales. Les épitres xvm et xix des Héroïdes, apocryphes en réalité, mais attri- buées à Ovide par les auteurs médiévaux, contenaient presque tous les éléments de son « exemple » : les noms de Hero, de Leandre devenu Leandus, et d"Abidois, la nourrice qui seule est initiée au secret de leur amour (xvm, 97 ; 1 1 5 ; xix, 19), Leandre traversant, « tous nus »,le bras de mer à la nage (xxm, 57-58) et Hero l'attendant sur sa tour et le guidant par la lueur d' « un sierge ardant » (xvm, 3i; io5-io6; xix, 33 ss.), puis la mer en colère (xvm, 7-8; 26), la lutte de l'amant entre son amour et la crainte du danger (xvm pass.), les angoisses, le désespoir et les prières de l'amante (xix pass.) \ Cependant le dénouement
publié par P. Tarbé dans la Collection des poètes de Champagne antérieurs au XVI' siècle, VIII (i85o), p. 46-62.
1. Il existe entre le long récit de Chrétien et le passage plus court de Guillaume certaines différences qui témoignent de l'in- dépendance de ce dernier vis-à-vis de l'Ovide moralisé. Le fait est d'autant plus significatif qu'ils ont puisé l'un et l'autre à la même source, aux Hèroides d'Ovide.
2. Certains vers de Machaut rapnellent d'assez près les termes même du poète latin : p. ex. la mer démontée (v. 3249-52) les « fréta ventis turbida » d'Ovide (xvm, 7-8), les vers 3263-4 le vers i3y de l'Epître xvm : « Fluctibus immodicis Athaman* tidos aequora canunt ».
INTRODUCTION LXXXI
même n'y est que vaguement indiqué (xvin, 196 ss. ; xix, 193 ss.), et c'est ailleurs que notre poète a dû se rensei- gner. On peut songer avec G. Paris à quelque commen- taire explicatif, accompagnant le texte des Héroïdes, ignoré ou perdu aujourd'hui1; mais cette supposition est inutile : le commentaire bien connu des auteurs du moyen âge que Servius a joint aux œuvres de Virgile2 donne en quelques mots le dénouement tel que le raconte Machaut3. Il est pour le moins très possible que Guillaume ait trouvé là toute la fin de son récit.
Il est aisé de reconnaître le procédé dont use Machaut dans l'emploi de ces « exemples», tirés de la littérature gréco-romaine. Le poète poursuit un double but: d'un côté, il y cherche des preuves et des arguments capables de démontrer la justesse de ses opinions ou de celles de ses adversaires; de l'autre, il s'agit pour lui d'inté- resser et d'instruire ses lecteurs, en leur offrant des récits amusants et inédits. Telle de ces narrations [Pyrame et Thisbé) était-elle connue de son public par des versions françaises antérieures : Guillaume se contente d'un simple renvoi. D'autres (Énée etDidon, JasonetMédéé) avaient au moins partiellement été traitées en langue française avant lui : il résume ces parties en quelques lignes et ne s'étend longuement que sur la partie moins connue, celle qui en même temps importait le
1. G. Paris, /. c, p. 489.
2. Voy., sur Servius au moyen âge, Bédier, Le Roman de Tris' tan par Thomas, II, 1 3g.
3. Commentaires sur les Géorgiques, III, 258 «.... cum ...juve- nis oppressi tempestate cadaver ad puellam delatum fuisset, illa se praecipitavit e turri ». Machaut (v. 3292-3) fait également Héro se jeter du haut de sa tour sur le cadavre de son amant, tan- dis que Chrétien se sépare précisémeut ici de Guillaume et donne une version légèrement modifiée.
Tome I /
LXXXII INTRODUCTION
plus à son sujet, le dénouement. D'autres fois enfin, il les présente ou croit les présenter pour la première fois à des auditeurs français [Thésée et Ariane, Héro et Léandre) ; il en donne un récit complet et détaillé. De cette façon, il nous renseigne assez exactement sur l'état des connaissances du public français contemporain en matière de légendes antiques. Il a rigoureusement appli- qué le même procédé aux autres récits tirés de l'an- tiquité qui sont intercalés dans les poèmes sui- vants; là encore nous puiserons de précieux ren- seignements sur la vogue que pouvait avoir certaines productions littéraires d'auteurs anciens dans les cercles courtois de la France du xive siècle.
Pour ses histoires inédites, ainsi que pour les nou- veaux détails qu'il ajoute aux récits antérieurs, Machaut a puisé directement aux sources latines. Chacun de ces « exemples » nous ramène à Ovide. Ce ne peut être un pur hasard que les quatre récits qui contiennent des données nouvelles aient tous pour base les Héroïdes de ce poète et que Machaut ait rappelé tous les prin- cipaux éléments de ses « exemples ». Il ressort de là avec beaucoup d'évidence que Guillaume, à la quête d'exemples d'amour malheureux, s'est inspiré de cette œuvre du poète latin, connue pour fournir le nom- bre le plus considérable de couples d'amants infor- tunés, avec leurs noms et leurs aventures, nouvelle preuve ajoutée aux autres que les Héroïdes d'Ovide, augmentées peut-être de quelque commentaire médié- val ayant puisé encore à d'autres ouvrages latins (Hygin, Servius), étaient connues des poètes savants du xive siècle aussi bien que les Métamorphoses et le traité sur V Art d'aimer.
Fidèle à son principe de ne s'étendre longuement que
INTRODUCTION LXXXIII
sur les sujets qui étaient vraiment neufs et inédits pour ses lecteurs, Machaut ne s'arrête guère aux poèmes français du moyen âge qu'il a l'occasion de citer dans son œuvre. Il lui suffit de nommer simplement Lancelot et Tristan (v.2841) qui étaient pour tout le monde alors les types du parfait amant et dont nul n'ignorait les exploits héroïques et galants. S'il insiste sur le gracieux roman de la Chastelaine de Vergy, dont d'ailleurs « chascuns scet bien ce qu'il avint » (v. 2836), c'est pour critiquer certaines conclusions qu'on pouvait en tirer, non pour en racontei l'aventure. On a là, s'il en était besoin, une preuve de plus de la vogue dont jouissaient ces œuvres vers le milieu du xive siècle dans les cercles aristocratiques de la société française.
D'autres « exemples » encore sont tirés de la vie des animaux, telle que la présentaient aux lecteurs du moyen âge les Bestiaires, qui mêlaient d'une façon si bizarre à des données exactes les inventions les plus extravagantes, et établissaient des rapports étroits entre les mœurs des bêtes et les habitudes humaines. Notre poète trouve également dans des traits qu'il croit pro- pres à certaines espèces animales des analogies frap- pantes avec la vie physique et morale des hommes, et y puise des arguments sérieux à l'appui des thèses qu'il soutient. La douleur que cause à la femme la mort de l'époux ou de l'amant ne saurait être démontrée d'une façon plus décisive que par les souffrances de la tour- terelle qui a perdu son mâle (v. i635-52). La fidélité de la tourterelle était proverbiale, les bestiaires en parlent tous, et on rencontre ce trait jusque dans une chanson populaire du xve siècle'; il avait donc
1. Chansons françaises du XV' siècle, p.p. G. Paris (Soc. des anc. textes], N. 1 3q, p. 142.
LXXXIV INTRODUCTION
passé dans le domaine des croyances populaires, et on ne saurait indiquer exactement où Machaut a pu le trouver. L' « exemple » suivant, la cigogne trompée assou- vissant sa colère en condamnant et en mettant à mort la femelle coupable (v. 1671-88), se rencontre bien moins souvent. Nous ne l'avons pas trouvé dans les bestiaires français ; seuls Alexandre Neckam " et Bru- netto Latini 2 relatent le fait, mais non comme une chose généralement admise; au contraire, ils sont d'ac- cord pour ne le présenter que comme un phénomène singulier, observé une fois seulement par quelque indi- vidu particulier. Cependant, plus près de Machaut, le poète Watriquet de Couvin, dans son Dit de la Cigo- gne, écrit en 1 327% avait rapporté cette particularité de la vie de la cigogne. Rien ne nous permet d'admettre qu'il y ait eu entre les deux poètes quelque relation, et nous ne croyons pas que Watriquet ait été la source de Guillaume. Le fait permet du moins de supposer que c'est encore là une croyance qui, nous ignorons com- ment, s'était assez répandue au début du xive siècle et était admise dans le monde des savants de l'époque. C'est également sur une opinion accréditée auprès des érudits du moyen âge que repose 1' « exemple » donné par Guillaume en réponse aux arguments de dame Honncsté (v. 2657-85). Les douleurs d'un homme
1. De naturis rerunt, éd. Wright (i863), p. 11?.
2. Li Livres dou Trésor, éd. Chabaille (i863), p. 212.
3. Voy. les Œuvres de Watriquet de Couvin, éd. Scheler (1868), p. 283 ss. Ces poèmes étaient assez répandus dans les cours princières du commencement du .ave siècle (voy. Grôber, Grund- riss der roman. Phil., II 1, 85 1), et Machaut pouvait les con- naître. Mais on ne saurait relever dans l'œuvre de Guillaume aucun rapport direct avec celle de Watriquet dont les tendances littéraires suivaient une tout autre direction.
INTRODUCTION LXXXV
qui est frappé de folie ne se sentent-elles vraiment que pendant le court instant qui marque la transition de l'état de santé à l'état de la maladie? Non, réplique le poète, la cause première, celle qui occasionne la maladie, est bien plus terrible et plus douloureuse. Et, comme preuve, il cite le cas du chien enragé dont la maladie est causée par un ver qui « la langue li perse ». Les bestiaires, ici encore, font défaut, et ce n'est que dans un passage interpolé d'un manuscrit de Brunetto Latini qu'on lit : « Par dessous la langue dou chien gist aucuns vermissiaus qui le fait enragier, et qui le puet oster, il le garist de la rage » * . C'était bien là une opi- nion répandue autrefois notamment dans les cercles de chasseurs que certaine partie cartilagineuse de la langue du chien, de la forme d'un ver, était la cause de la rage, et on croyait en effet préserver les chiens de l'a- troce maladie, en leur enlevant cette partie que le langage populaire appelle le ver sublingal. Or Ma- chaut, précisément dans notre poème, se présente comme versé dans l'art de la vénerie, de même que dans le Dit de l'Alerion, il se montre connaisseur delà chasse au vol. Habitué des cours, il fréquentait le monde des chasseurs et était au courant de leurs usages. C'est donc ainsi qu'il a eu connaissance de la croyance qui lui sert d'argument contre ses adversaires. Quant à l'histoire même qu'il raconte à ce propos, du chien instantanément guéri par l'opération et léchant les mains de l'opérateur en signe de reconnaissance, il l'a peut-être trouvée dans quelque ouvrage de médecine ou de vénerie; mais il se pourrait aussi qu'il s'agît là de quelque anecdote qui circulait oralement dans les milieux où se mouvait le poète.
i. Li Livres dou Trésor, p. 23y.
LXXXVI INTRODUCTION
L'« exemple » de la jeune pousse, Vente, qui, après quelques années, devient arbre et porte fleurs et fruits à la surprise et satisfaction du maître du jardin (v. 2434- 70), n'est en réalité pas autre chose qu'une comparai- son, une image un peu développée et mise dans un cadre particulier. C'est évidemment dans sa propre imagination que Guillaume a trouvé cette parabole pré- sentée par lui sous forme de récit détaché.
C'est également le cas pour l'histoire du clerc d'Or- léans que sa fiancée trahit et qui de douleur perd la raison (v. 2215-2307). Ce récit est si intimement lié au développement ultérieur du poème, il joue dans la con- damnation finale de Guillaume un rôle si important, qu'il ne peut être qu'une invention du poète, ayant dou- ble but : fournir la preuve de ce qu'il a avancé et ame- ner et motiver l'une de ses condamnations. On cher- cherait sans doute en vain la source de cette anecdote ailleurs que dans l'esprit de l'auteur.
Faut-il en dire autant de l'épisode de la jeune fille dont l'amant est enlevé par la mort et qui en meurt malgré l'art des médecins et la tendresse d'une mère angoissée (v.i863-2oi2)? Le poète en commençant son récit par les mots : « Il n'a pas lonc temps qu'il avint », veut nous donner ce fait comme une chose réelle, arri- vée de son temps, et en effet il pourrait bien s'agir de quelque fait divers dont il aurait entendu parler. Le contenu, en tout cas, en est trop mince pour avoir jamais pu constituer quelque conte indépendant. Mais l'histoire s'adapte si bien à la thèse qui forme le sujet du débat qu'elle semble plutôt avoir été forgée par Guillaume lui-même pour les besoins de sa cause. La façon détaillée et minutieusement exacte dont elle est présentée prouve suffisamment que ce conte était in-
INTRODUCTION LXXXVII
connu et inédit pour le public du poète, ce qui ne peut que confirmer la supposition qu'il a été inventé par Guillaume. On a vu déjà et on verra dans la suite combien Machaut cherchait précisément à donner aux récits qu'il inventait un air de vérité et de réalité.
Enfin, un dernier récit est relatif à l'action folle et chevaleresque du seigneur qui, prié par sa dame de lui rendre une bague qu'elle lui avait donnée, lui envoie avec l'anneau le doigt qui le portait, afin de ne pas man- quer à la promesse faite que jamais la bague ne quitte- rait son doigt (v. 285 1-98). Cette fois-ci encore, Machaut s'étend longuement et complaisamment sur tous les détails du conte. C'est donc de nouveau un récit neuf et inédit qu'il offre à ses lecteurs. S'il se fût agi de quel- que aventure connue et répandue, Guillaume l'aurait traitée tout aussi brièvement et succinctement que celle par exemple de la Chastelaine de Vergy. Si par consé- quent, ce n'est pas là une nouvelle que quelque poème antérieur avait fait déjà connaître, il est probable que nous avons de nouveau devant nous une histoire inventée de toutes pièces par Guillaume lui-même.
Le Jugement dou Roy de Navarre mérite donc d'atti- rer l'attention à un plus haut degré que les pièces pré- cédentes, non seulement pour ses qualités littéraires, mais encore pour l'intérêt tout particulier qu'il offre en nous permettant d'entrevoir en quoiconsistait le bagage littéraire d'un poète savant vers le milieu du xive siècle et quelles pouvaient être lesconnaissances littéraires des cercles courtois et cultivés de cette même époque. Les dits suivants permettront de compléter le tableau.
V. — Le Lai de Plour. Par jugement du roi de Navarre, Guillaume de Ma-
LXXXVIII INTRODUCTION
chaut a été condamné aune triple amende ;'elle consiste en un lai, une chanson et une ballade qu'il doit compo- ser. Pour payer son amende, le poète va commencer sans délai « un amoureus lay » ; c'est le poème qu'il intitule Le Lai de Plour. Cette poésie, en effet, se rattache étroi- tement au dit qui la précède: elle contient les plain- tes d'une dame à qui la mort vient d'arracher son ami. Le sujet répond exactement à l'une des données du dé- bat précédent. Nous pouvons donc ajouter foi au dire du poète, quand, dans les derniers vers du Jugement dou Roy de Navarre, il nous fait savoir que le lai a été composé immédiatement à la suite de ce dit. Il a été fait en 1349 ou ï35o, si vraiment, d'après les ren- seignements de Froissart, la confection d'un poème de ce genre était un travail de quelques mois. Nous aurons à examiner les lais de Machaut, quand nous publierons ses poésies lyriques. Ici nous voulons nous borner à faire remarquer que cette pièce répond tout-à-fait aux règles du genre, telles que Deschamps les énoncera plus tard dans Y Art de dictier. Elle se compose de douze strophes dont chacune diffère des autres dans le choix et la succession des rimes et dans la forme des vers, sauf la dernière strophe qui doit être exactement pareille à la première. Chaque strophe par contre est formée de deux parties identiques.
Le rapport intime qui relie le Lai de Plour au Juge- ment dou Roy de Navarre justifie suffisamment la place que nous lui donnons dans cette publication. C'est à ce même endroit, à la suite du Jugement dou Roy de Na- varre, que le lai est placé dans les manuscrits B, E et M ; et dans KetJ, qui ne possèdent pas le débat en ques- tion, il suit le dit précédent, le Jugement dou Roy de Behaingne. Sauf M, ce sont là, les manuscrits de
INTRODUCTION LXXXIX
notre groupe [3. Dans les manuscrits du groupe a, A, F-G et M, l'ordre des pièces est différent : dans F-G, le lai manque complètement ; dans A, il se trouve au milieu du recueil des lais; dans M, il existe deux fois, une fois mêlé aux autres lais comme dans A, une seconde fois à la suite du Jugement dou Roy de Navarre, comme dans les manuscrits du groupe p. Cela s'explique par ce fait que le lai qui en quel- que sorte faisait encore partie du Jugement, venait primitivement immédiatement à la suite de ce poème ; l'état de choses ancien s'est conservé dans les ma- nuscrits du groupe [3. Plus tard, Machaut eut l'idée de réunir ce lai aux autres productions de ce genre qui formaient toutes ensemble le recueil de ses lais. Le manuscrit M dont la source est plus ancienne que celle de A et F-G, marque une étape intermédiaire : le lai y occupe encore la place primitive, mais il repa- raît une seconde fois à la nouvelle place que Guillaume lui avait fixée. A donne le fait accompli: le lai ne se trouve plus que dans le recueil des lais. F-G devaient lui donner la même place que A : ils le suppriment à la suite du débat, seulement ils oublient de l'ajouter au groupe des lais, de sorte que la pièce manque^complè- tement dans ces manuscrits. Quoique nous suivions en règle générale les manuscrits A et F-G, nous avons dans ce cas particulier donné la préférence au groupe (3 et réuni ce lai au dit auquel il se rattache si étroitement et que les derniers vers de la pièce annoncent en toutes lettres.
Nous ne voulons pas terminer cette introduction partielle que compléteront successivement des notices placées en tête de chacun de nos volumes suivants, sans
XC INTRODUCTION
remercier M. Gaston Raynaud, notre commissaire res- ponsable, du précieux secours qu'il a bien voulu nous accorder au cours de ce travail, nous aidant gracieuse- ment de ses conseils et de sa longue expérience, et se prêtant avec une patience inlassable et souriante aux nombreuses vérifications des leçons de nos manuscrits qu'exigeait l'établissement du texte.
PROLOGUE
i
Comment Nature, volant orendroit plus que onques mais révéler et ' faire essaucier les biens et honneurs qui sont en Amours, vient a Guillaume de Machaut et li ordonne 2 et encharge a faire seur ce nouviaus dis amoureus, et li baille pour lui conseillier et aidier s a ce faire trois de ses enfans, c'est assavoir Scens, Retorique et Musique. Et li dit 4 par ceste manière :
Je, Nature, par qui tout est fourme Quanqu'a ça jus et seur terre et en mer, Vien ci a toy, Guillaume, qui fourme 4 T'ay a part, pour faire par toy fourmer
Nouviaus dis amoureus plaisans. Pour ce te bail ci trois de mes enfans
Qui t'en donront la pratique, Et, se tu n'ies d'euls trois bien congnoissans, g Nommé sont Scens, Retorique et Musique.
I.— i. A a — 2. AF ordene — 3. EH aduiser — 4. E dist. 2 AF ca vis — 3 ci manque dans FEH —8/1 nés; H diaus. Tome I. 1
2 PROLOGUE
Par Scensaras ton engin enfourmé De tout ce que tu vorras confourmer; Retorique n'ara riens enfermé i3 Que ne t'envoit en mètre et en rimer;
Et Musique te donra chans, Tant que vorras, divers et deduisans.
Einsi ti fait seront frique, N'a ce faire ne pues estre faillans, 18 Car tu as Scens, Retorique et Musique.
Ti fait seront plus qu'autre renommé, Qu'il n'i ara riens qui face a blasmer, Et si seront de toutes gens amé, 22 Soutis, loyaus, jolis et sans amer.
Pour ce vueil que soies engrans D'en faire assez, petis, moiens et grans.
Or fay tost, si t'i aplique ! Tu ne m'en dois pas estre refusans, 27 Qui te bail Scens, Retorique et Musique.
II
Comment Guillaume de Machaut respont ' a Nature :
Riens ne me doit excuser ne deffendre Que ne face le bon commandement De vous, dame, se je vous say entendre, 4 Par qui j'ay corps, vie et entendement.
II. — î. H respont doucement a N.
10 F P. ceuls — 1 1 EH enfourmer — i3 EH Qui; E tenoit — 14 F M. qui te d. des ch. — i5 EH T. quen; A deduians — 16 F seront foy que — 17 A A — 19 A autres — 21 H toute gent nomme — 22 A Soutieus leaulz — 23 F vueil je que tu s. e.
PROLOGUE 6
Dont drois est, quant vous m'ordenez A faire dis amoureus ordenez,
Qu'a ce faire je me soutive. Et je vueil bien estre a ce fait donnez, 9 Tant qu'en ce mont vous plaira que je vive.
Mais si grant fait n'oseroie entreprendre, Se je n'avoie avec moy prestement Vos trois enfans pour moy duire et aprendre, i3 Com dit m'avez ici présentement.
Et de ce qu'einsi m'onnourez, Grâces de moy que de vos biens n'arez,
Qu'avis n'autre chose soutive N'ay ne n'aray, se ne m'en pourveez, 18 Tant qu'en ce mont vous plaira que je vive.
Si me vueil dont dou tout mettre et entendre A ces dittez faire amoureusement Et de pluseurs l'un grant et l'autre mendre, 22 Et les aucuns chanter bien plaisanment.
Et certes, se ne me cassez Vos trois enfans, des dis feray assez,
Car mes voloirs a ce s'avive, Ne dou faire ne seray ja lassez, 27 Tant qu'en ce mont vous plaira que je vive.
III
Comment Amours qui a oy Nature vient a Guillaume de Machaut et li ameinne trois de ses enfans, c'est assavoir Doits Penser, Plaisance et Espérance, pour
8 F Mais; H f. mené — 9 F// monde — 10-18 La strophe man- que dans H — 10 E fais — 16 F Quamours — 20 F ce ditie — 21 F pluseur; E pluiseurs — 22 A chantez; H très pi. — 24 F Les — 27 H monde.
4 PROLOGUE
lui • donner matere 2 a faire ce que Nature li a en- char gié. Et li dit par ceste manière 3 :
Je sui Amours qui maint cuer esbaudi
Et fai mener douce et joieuse vie.
Si ay oy, Guillaume, je te di, 4 Que Nature, qui tout fait par maistrie,
T'a dit qu'a part t'a volu faire
Pour faire dis nouviaus de mon affaire.
Pour ce t'ameinne ici en pourvéance,
Pour toy donner matere a ce parfaire,
Mes trois enfans en douce contenance : 10 C'est Dous Penser, Plaisance et Espérance.
Seur Dous Penser tout premiers t'estudi :
C'est li premiers qui mes biens signefie.
A Plaisance t'estude n'escondi, 14 Car c'est celle qui plus les multeplie; Et Espérance fait atraire
Joie en mes gens et mon service plaire.
Or pues tu ci prendre grande sustance
Dont tu porras figurer et retraire
Moult de biaus dis, et par mainte ordenance, 20 Seur Dous Penser, Plaisance et Espérance.
Mais garde bien, sur tout ne t'enhardi A faire chose ou il ait villenie, N'aucunement des dames ne mesdi ; 24 Mais en tous cas les loe et magnefie. Saches, se tu fais le contraire, Je te feray très cruelment detraire. Mais en honneur fay tout et si t'avance :
III. — 1. A li — 2. F voie — 3. Et li dit p. c. m. manquent dans E.
1 cuer esb. manque dans E — 10 F pensers — 1 1 F Leur; A premier — 14 FH le; F monteplie — 17 FT/grant — 26 A cruele- ment.
PROLOGUE
Aide as assez, matere et exemplaire.
Il ne te faut qu'avoir persévérance
3o En Dous Penser, Plaisance et Espérance,
IV
Comment Guillaume ' de Machaut respont 2 a Amours :
Grâces ne say, loange ne merci N'autre chose qu'on sceiist proposer Dont vous, Amours, assez gracier ci
4 Vous pelisse, n'a mon voloir loer,
Car vos trois enfans vis a vis Ci m'amenez pour moy donner avis Et matere dont ç'ordener porray Dont Nature de vous m'a fait devis, Et par son gré je m'y emploieray
10 A mon pooir, tant comme je vivray.
Et nientmeins humblement vous merci Par plus de fois qu'on neporroit nombrer, Car vous et vos enfans moult esclarci
14 M'avez ces fais que j'ay a ordener, Pour lesquels arrière tous mis Seront autres, puis qu'a ce sui commis, N'a autres fais jamais jour n'entendray, N'onques amans, tant fust bien vos amis, Ne vous servi mieus que vous serviray
20 A mon pooir, tant comme je vivray.
IV. — 1. F guillaumes — 2. H r. doucement a a. — H ajoute la rubrique Autre balade.
i F mérite — 2 H quen ; F peust — 5 A Qui; H deux enf. vis aduis — 6 F Que ; moy manque dans H — io.Fcomje viueray {de même aux v. 20 et 3o) — 1 1 EH neantmoins — i3 F enf. mont esclarci — 14. F Mains de ces f. — 17 H autres fins ; FE ne tendray — 18 EH amant.
6 PROLOGUE
Ne plus n'aray riens triste n'oscurci, Mais lié et gay me vorray démener Et faire que maint dur cuer adouci
24 Soit par mos dous et plaisans aûner
Des biens qui en vous sont compris, Qui me seront par vos enfans apris. Et des dames blasmer me garderay, Ne, se Dieu plaist, ja n'en seray repris, Mais honnourer et loer les vorray
3o A mon pooir, tant comme je vivray.
Puisque Nature Retorique
Me présente, Scens et Musique,
Et li dieus d'Amours, qui mes sires
4 Est et des maus amoureus mires,
Vuet que j'aie bonne Espérance, Dous Penser et douce Plaisance En faisant son très dous service
8 Bonnement, sans penser a vice,
Et leur commande travillier Pour moy aidier et consillier A faire dis et chansonnettes
12 Pleinnes d'onneur et d'amourettes,
Doubles hoquès et plaisans lais, Motès, rondiaus et virelais Qu'on claimme chansons baladées,
16 Complaintes, balades entées,
A l'onneur et a la loange De toutes dames sans losange,
V. — 2 F Ay — 10 F a c. — i3 F pluseurs lais.
21 FEHDq — 22 F liez et gais — 23 EH Et faire tant que maint cuer a. — 24 F pi. amer; EH pi. rimer — 25 F sont en vous — 28 F dieus; F je nen s.
PROLOGUE
Et ne doy mie desvoloir
20 Leur plaisant gracieus voloir,
Einsois y doy mon sentement Mettre et tout mon entendement, Cuer, corps, pooir et quanque j'ay.
24 Ne je ne pris un bec de jay
Ceuls qui s'en vorroient ruser, Car je ne puis mon temps user En milleur n'en plus bel usage
28 Pour avoir noble et lié corage
Et pour estre gais et jolis, Gens, joins, apers, cointes, polis. Car tout homme qui ad ce pense,
32 II ne riote ne ne tense
N'il ne porroit penser a chose Ou villenie fust enclose, Haine, baras ou mesdis. 36 Je le say trop bien par mes dis,
Car quant je sui en ce penser, Je ne porroie a riens penser Fors que seulement au propos 40 Dont faire dit ou chant propos;
Et s'a autre chose pensoie, Toute mon ouevre defferoie.
Et s'on fait de triste matière, 44 Si est joieuse la manière
Dou fait, car ja bien ne fera
Ne gaiement ne chantera
Li cuers qui est pleins de tristesse, 48 Pour ce qu'il het et fuit leesse.
Mais quant li cuers est pleins de joie,
Il se délite et se resjoie,
En faisant son chant et son dit
35 AF barat; F ne m. — 42 A Certes.
8 PROLOGUE
52 En douce Plaisance; et s'on dit
Que li tristes cuers doit mieus faire Que li joieus, c'est fort a faire, Ne je ne m'y puis acorder.
56 Car quant Souvenirs recorder
Fait l'amant par douce pensée La très belle et la bien amée A qui il est mis et donnez
6o Et ligement abandonnez,
Plaisant ymagination Met en son cuer l'impression De sa douce plaisant figure
64 Et dous Pensers qui la figure,
Dont son fait cent fois embelist : Sages est qui tel vie eslist.
Mais quant li tristes ymagine
68 La grant biauté, la douceur fine
De celle qui n'a de li cure, Dont li venroit envoiseùre, Que elle aimme un autre que li?
72 Je ne me tien pas a celi,
Qu'il a tant de dueil et de rage Que c'est merveille qu'il n'enrage, Ou qu'il ne se tue ou se pent,
76 Ou que d'amer ne se repent ;
Si qu'il ne porroit nullement Riens faire si joliement De sa matière dolereuse
80 Com li joieus de sa joieuse,
Pour ce qu'il n'a riens qui l'esgaie Ne matière lie ne gale, Et s'a désir et povre espoir
66 eslist omis dans A — 71 A Ou — 74 A merueilles — 79 F De la m. — 82 A matere — 83 F et pour cespoir.
PROLOGUE 9
84 Qui sa doleur empire, espoir.
Et Musique est une science
Qui vuet qu'on rie et chante et dance.
Cure n'a de merencolie 88 Ne d'homme qui merencolie
A chose qui ne puet valoir,
Eins met tels gens en nonchaloir.
Partout ou elle est, joie y porte ; 92 Les desconfortez reconforte,
Et nés seulement de Foïr
Fait elle les gens resjoïr.
N'instrument n'a en tout le monde 96 Qui seur musique ne se fonde,
Ne qui ait souffle ou touche ou corde
Qui par musique ne s'acorde.
Tous ses fais plus a point mesure 100 Que ne fait nulle autre mesure.
Elle fait toutes les karoles
Par bours, par citez, par escoles,
Ou on fait l'office divin 104 Qui est fais de pain et de vin.
Puet on penser chose plus digne
Ne faire plus gracieus signe
Com d'essaucier Dieu et sa gloire, 108 Loer, servir, amer et croire,
Et sa douce mère, en chantant,
Qui de grâce et de bien a tant
Que le ciel et toute la terre 112 Et quanque li mondes enserre,
Grant, petit, moien et menu
En sont gardé et soustenu?
J'ay oy dire que li angles, 116 Li saint, les saintes, les archangles,
98 F seur musique — io3 A Ou en fait — 116 F archanges.
I O PROLOGUE
De vois délie, seinne et clere,
Loent en chantant Dieu le père,
Pour ce qu'en gloire les a mis 120 Com justes et parfais amis,
Et pour ç'aussi que de sa grâce
Le voient adès face a face.
Or ne puelent li saint chanter, 124 Qu'il n'ait musique en leur chanter :
Donc est Musique en paradis.
David li prophètes jadis,
Quant il voloit apaisier l'ire 128 De Dieu, il acordoit sa lire,
Dont il harpoit si proprement
Et chantoit si dévotement
Hympnes, psautiers et orisons, i32 Einsi comme nous le lisons,
Que sa harpe a Dieu tant plaisoit
Et son chant qu'il se rapaisoit.
Orpheiis mist hors Erudice 1 36 D'enfer, la cointe, la faitice,
Par sa harpe et par son dous chant.
Cils poètes dont je vous chant
Harpoit si très joliement 140 Et si chantoit si doucement
Que les grans arbres s'abaissoient
Et les rivières retournoient
Pour li oïr et escouter, 144 Si qu'on doit croire sans doubter
Que ce sont miracles apertes
Que Musique fait. C'est voir, certes.
Retorique versefier 148 Fait l'amant et metrefîer,
145 F soit — • 147 AF Théorique ; dans A corrigé en Reto- rique.
PROLOGUE I I
Et si fait faire jolis vers
Nouviaus et de mètres divers :
L'un est de rime serpentine, i52 L'autre équivoque ou léonine,
L'autre croisie ou rétrograde,
Lay, chanson, rondel ou balade;
Aucune fois rime sonant 1 56 Et, quant il li plaist, consonant ;
Et li aourne son langage
Par manière plaisant et sage.
Car Scens y est qui tout gouverne 160 En chambre, en salle et en taverne;
Dous Penser et bonne Espérance
Li font avoir douce Plaisance
Et li amenistrent matière, 164 Dont il fait a plus lie chiere
Et de plus joli sentement
Que cils qui vit dolentement;
Car joie et doleur, ce me samble, 168 Puelent petitement ensamble.
Et quant Nature me commande
Et li dieus d'Amours, que j'entende
Aus choses dessus proposées, 172 Seur l'onneur des dames fondées,
Bien est raison que je m'aplique
A faire leur bon plaisir, si que
Je n'i mesprengne ne mefface. 176 Or pri a Dieu qu'il me doint grâce
De faire chose qui bien plaise
149 F Et li f. — i5o F mètre — i52 AF leolime — 173-175 Dans F le commencement de ces vers est enlevé; un bout de par- chemin, ajouté plus tard, donne les leçons suivantes : 173 Me donne r. — 174 A sa amor bon pi. — 175 Je ne meprengne — 176 AF dieu qui me d.
I 2 PROLOGUE
Aus dames; car, par saint Nichaise A mon pooir, quanque diray,
180 A l'onneur d'elles le feray.
Car vraiement trop mefferoie
En cas qu'einsi ne le feroie.
Et pour ce vueil, sans plus targier,
184 Gommencier le Dit don Vergier.
LE DIT DOU VERGIER
12
16
Quant la douce saison repaire D'esté qui maint amant esclaire, Que prez et bois sont en verdour Et cil oisillon par baudour Chantent et par envoiseiire Chascuns le chant de sa nature, Pour la douçour dou temps seri, Ou dous mois d'avril le joli, Me levay par un matinet Et entray en un jardinet Ou il avoit arbres pluseurs, Flouris de diverses coleurs. Si trouvay une sentelette Pleinne de rousée et d'erbette, Par ou j'alay sans atargier, Tant qu'a l'entrée d'un vergier Me list aventure aporter.
4 M Et si — 5 et 6 intervertis dans C — 6 le manque dans E 7 E Pour lamour — 16 E du v.
14 LE DIT DOU VERGIER
S'entray ens pour moy déporter, Pleins d'amoureuse maladie,
20 Et pour oïr la mélodie
Des oisillons qui ens estoient Qui si très doucement chantoient Que bouche ne le porroit dire,
24 N'onques homs vivans n'ot tant d'ire
Que, s'il peust leur chant oïr, Qu'il ne s'en deiist resjoïr En son cuer et que sans séjour
28 N'entroubliast toute dolour,
Tant avoit en euls de delis. Et dessus une flour de lis Li dous rossignolès estoit
32 Qui renvoisiement chantoit
Et s'efforçoit si de chanter Que par dessus tout le chanter Des autres oisillons l'oï,
36 Dont mes cuers moult se resjoï.
Et quant j'eus oï le déduit
Des oisiaus, tous seus, sans conduit,
M'en alay parmi le vergier,
40 Pour ce qu'onques, a droit jugier,
Nul si très bel veu n'avoie ; Car il n'i avoit lieu ne voie Qui ne fust semez de flourettes
44 Blanches, jaunes et vermillettes
Ou d'aucune estrange colour. Si m'abeli tant le demour Ou vergier par la grant planté
23 £ Que bonté — 26 ABDEKJ Qui — 29 K aroit — 3i D Estoit li doulz roussignolot ; C roussignoulz — 32 K Qui par r.; J Qui par renuoisement — 34 D tous — 36 £ sen ; J me r. — 43 KJ sumez — 46 M li d. — 47 B" Du.
LE DIT DOU VERGIER l5
48 Des arbres qu'on y ot planté
Qui estoient vert et flouri,
Qu'en un praielet m'embati.
S'ot en mi lieu un arbrissel 52 De fleurs et de fueilles si bel,
Si bel, si gent, si aggreable,
Si très plaisant, si delitable
Et plein de si très bonne odour 56 Que nuls n'en aroit la savour,
Tant fust ses cuers desconfortez,
Qu'il ne fust tous reconfortez ;
Et tant estoit de joie pleins 60 Li lieus dont il estoit enseins
Et a vëoir si gracieus,
Si nobles et si amoureus,
Car, quant je l'os par bon loisir 64 Resgardé tout a mon désir,
Je ne say que ce pooit estre
Fors que le paradis terrestre.
Et comment que li lieus fust gens, 68 Assis en sus de toutes gens,
Delitables et pleins de joie,
Certes, nul solas n'i avoie;
Car a ma gracieuse dame, 72 Qui a mon cuer, mon corps et m'ame,
Me fist Amours adès penser
Loyaument, sans vilein penser.
Et ce fu drois, qu'onques Nature 76 En créer nulle créature
Ne mist si trestoute s'entente,
Comme a sa douce façon gente.
48 DKJ quen ; C que — 49 et manque dans E — 5i B'DEJKC ou milieu; KJ arbretel — 53 F Si dous {correction de seconde main) — 54 J si agréable — 58 AEKJD Qui — 60 £ ou ile. en- tains — 68 M toute — 70 M nulz; K aroie — 76 C En corps de n. — 78 E fachon.
10 LE DIT DOU VERGIER
Car souvereinne est de biauté, 80 Enrichie de loiauté,
De haute noblesse parée,
De scens, d'onneur enluminée ;
Fine douçour, grâce, pité, 84 Franchise et debonnaireté
Rengnent en li ; bonté l'affine
Et loyal amour la doctrine
Avec raison et courtoisie. 88 Ces trois vertus l'ont si norrie
Qu'elle est de trestoute valour
Entre les mieudres la millour ;
De tous est seur toutes prisie, 92 Et c'est drois, que je ne cuit mie
Que Nature qui tout conçoit
Soutieument si soutive soit
Qu'onques figurer la sceiïst, 96 Se Dieus proprement n'i eiist
Mis la main a la figurer ;
Car Dieus la volt faire sans per
Seur toute créature humeinne. 100 De toutes bonnes meurs est pleinne,
De dous regart, de simple chiere
Et de gracieuse manière.
Dieus et Nature l'ont si faite, 1 04 Car elle est en tous biens parfaite,
Seur toutes plaisant, nette et pure
Fors tant qu'elle est vers moy trop dure.
80 D Encheric — 83 BDEKJ pitié — 85 K la fine — 86 D En — 88 M Des; si omis dans D — 89 KJ très douce — 90 A micudre ; KJ mendres — 91 KJ De t. fais — 92 C car je ; D omet que — g3 E Que créature — 94 FM Soustieument; CE Soutiuement ; KJ Soutilment ; D Subtilment (de même dans la suite) — g5 B Nonques — 97 D sa main — 98 BDE veult; C voust; KJ vost (de même dans la suite) — io5 MEplaisans — 106 BD si dure.
LE DIT DOU VERGIER 17
Vraiement, c'est tout le deffaut 108 Qui en son gentil corps deffaut.
Einsi longuement, sans doubtance,
Pensay, qu'onques je n'os plaisance
A chose qu'où vergier veïsse, 1 12 Par quoy mon penser y tenisse;
Car par pensée remiroie
La grant biauté qui me maistroie,
Le scens, la valeur et le pris 1 16 Par qui je sui d'amer espris,
Et le pk.isant viaire dous
De ma dame a qui je sui tous.
S'estoit mes cuers certeinnement 120 Seurpris si amoureusement
De joie, quant penser pooie
Et quant appertement vëoie
Qu'Amours, pour moy plus amender, 124 Me fait servir et honnourer
Loyaument, sans penser folour,
De toutes les dames la flour,
Que nuls cuers penser ne porroit 128 La joie que li miens avoit.
Mais quant je pensay ensement
Comment je l'aim très loyaument,
Et elle n'a cure de moy, 1 32 Einsois me fait peinne et anoy
Et me fait en dolour languir,
Pour ce que je l'aim et désir,
Et qu'elle me deust par droit 1 36 Des biens amoureus orendroit
107 M sest; D le meffait — 108 D deffait — 1 1 1 KJ qui ou — 112 DE Pourquoi — 1 1 3 D Par p. je r. — 119 MBDE Cestoit- D mon cuer — 1 25 manque dans J — 127 KJ Nuls — 128 KJ reçoit — 129 C jai pensai ; KJ jo pense — i32£'asnoy— 1 33 BDEKJ ad.— i36 FM ci endroit.
Tome I. 2
l8 LE DIT DOU VERG1ER
Faire aucune joie espérer,
Et elle me fait desperer,
Et s'est a tous de dous acueil 140 Fors a moy qui pour li me dueil,
J'eus tel doleur, a dire voir,
Que nuls n'en porroit concevoir
La moitié toute ne demie, 144 Non pas la centisme partie ;
Car tant fui en mon mal pensis
Que je fui en doleur transis,
Si que je ne sos ou j'estoie, 148 Ne bien ne mal je ne sentoie.
Einsi fui transis longuement
Sans avoir joie ne tourment,
Fors tant qu'une joie me vint 1D2 D'une vision qui m'avint
Si très plaisant, a grant merveille,
Qu'onques mais ne vi sa pareille.
Car il m'iert vis que je vêoie 1 56 Ou joli praiel ou j'estoie
La plus très belle compaingnie
Qu'onques fust veûe n'oie.
La avoit il sis damoisiaus 160 Juenes, jolis, gentils et biaus;
Et si avoit sis damoiselles
Qu'a merveilles estoient belles ;
Et dessus le bel arbrissel 164 Qui estoit en mi le praiel
1 38 CDE désespérer— 1I-Î9 M cest a t. le d. a.; D de tous déduis a.; KJ Et fait (K a corrigé sest en fest) a tous si d. a. — 142 D nul — 144 C centiesme — 140 KJ sui ; D fu — 146 KJ jen sui ; E sui ; D f u — 147 BDEKJ sceus ; M soy ; C sai — 149 -D Ainsois; CDJ fu; E sui — 1.S4 K Que o.; mais manque dans KJ ; DE la par. — 1 56 A En; FM prael — 160 D genlis jolis; KJ J . gentilz plaisans et b . — 1 62 D Qui m. — 1 63 M aubrissel ; C arbruissel ; KJ a rb recel.
LE DIT DOU VERGIER IQ
Se sëoit une créature
De trop mervilleuse figure ;
Car nulle goûte ne vëoit; 168 Et en sa destre main tenoit
Un dart qui bien estoit ferré
De fer tranchant et acéré ;
Et en l'autre avoit un brandon 172 De feu qui getoit grant randon ;
Et s'avoit pour voler deus eles
Si belles qu'onques ne vi teles.
La face avoit clere et moult belle 176 Et la coulour fresche et nouvelle,
Et tout le remenant de li
Estoit de maintien si joli,
Car on ne porroit souhaidier 180 Un aussi bel, a mon cuidier.
S'ot un chappellet de rosettes,
De muguet et de violettes,
Par cointise mis en son chief. 184 Mais encor vi je derechief
Que tuit li gentil damoisel,
Qui estoient plein de revel,
Et les damoiselles aussi, 188 Tous ensamble et chascun par h,
Li faisoient feste et honnour Comme a leur souverein signour, Grâce et loange li rendoient 192 Et comme leur Dieu l'aouroient.
Et quant j'eus tout cela veù,
i65 K Ce — 166 BD très (B' rétablit trop) — 171 BD Et en lau- tre main un b. ; F comble une lacune au commencement du vers par Et de feu en 1. — 173 E voloir — 175 E a. belle et moult clere — 176 MKJ et vermeille — 178 KJ E. douurage — i83 D mise — 184 A vis; D encore vi d. — 186 Ce vers dans B a été ajouté au bas de la colonne — 188 MJ chascuns — 191 et 192 intervertis dans AM ; AMJ Grâces ; C et loyauté — 192 K Si ; M corn.
20 LE DIT DOU VERGIER
Ymaginé et conceii,
J'en os en moy moult grant frëour
196 Pour le feu, doubtance et paour,
Qu'adès vraiement me sambloit Que vers moy lancier le voloit. Pour ce ne savoie que faire,
200 D'aler avant ou d'arrier traire.
Mais je m'avisay toute voie Que vers la compaingnie iroie, Pour ce que savoir de leur estre
204 Voloie, et que ce pooit estre
Dou damoisel qui se séoit Seur l'arbre et goûte ne véoit.
Adont ne demouray je pas,
208 Einsois vers euls le petit pas
Tout couvertement m'en alay. Et quant je vin près, je parlay Et les saluay sans demeure.
212 Mais cils qui sëoit au deseure
Seur l'arbre entreprist le parler Et encommença a parler, Et me rendi si doucement
216 Mon salu, que le hardement
Qui estoit en moy tous perdus Me fu par son parler rendus. Lors li priay je sans attendre
220 Qu'il me vosist dire et apprendre
Comment appeller le saroie, Car durement le desiroie, Et pourquoy il ne véoit goûte,
5 K Jeus en moy — 200 K ou arrier — 210 KJ si parlay — 212 D qui se seoit d. — 214 £ Et commença ; D Et commençai; KJ Et corn. lors a p. — 2i5 FM moult d. — 216 E hardiemcnt — 217 Dtout — 218 ./fut.
LE DIT DOU VERGIER 21
224 Et la signefiance toute
Dou brandon de feu qui ardoit
Et dou dart qui ferrez estoit,
Et de quoy ses eles servoient, 228 Et pourquoy cil qui la estoient,
Qui estoient bel a devis
De corps, de façon et de vis,
Li darrein et li premerein, 232 Comme a leur signour souverein,
Feste, honneur et grant révérence
Li faisoient de leur puissance.
Et quant je li eus ma prière 236 Toute ditte en tele manière,
Moult doucement me respondi
Tantost, que plus n'i attendi,
Que moult volentiers me diroit 240 Tout ce, ne ja n'en mentiroit.
Si me commanda que j'oïsse
Ce qu'il diroit et retenisse;
Car se retenir le voloie, 244 A honneur venir en porroie.
Lors parla gracieusement
Et dist einsi premièrement :
« Je sui cils qui a le pooir 248 De faire le riche doloir
Et de lui faire dolouser,
Plaindre, plourer et souspirer
Et de lui tenir en dangier, 252 Si que riens ne li puet aidier,
Ors, ne argens, ne grant richesse,
Donner, promettre, ne noblesse,
225 E du feu — 226 D ferre — 227-8 manquent dans J — 227 A ces — 228 B' cilz — 23 1 A Le d. et le p. — 235 C proiere — 247 D Je suis cil — 253 BDEKJ Or ne areent.
22 LE DIT DOU VERG1ER
Grant force ne pooir d1amis. 256 Ja pour cela ne sera mis
Hors de mes las, quoy qu'il aveingne ;
Einsois couvient que de moy veingne
Sa joie et son aligement. 260 Et quant il est miens ligement,
Sachiez que je puis de legier
Toutes ses dolours aligier;
Et si puis le povre acomplir 264 Son désir et lui enrichir
De ce dont li riches mendie.
Et s'ay si noble signourie
Qu'au monde n'a prince ne roy, 268 Tant soit ses cuers de grant desroy,
Durs ou hauteins ou pleins d'orgueil,
Que ne le face, se je vueil,
De fin cuer loial sans amer 272 Cent fois mendre de lui amer,
Sans ce qu'il en ait ja solas ;
Eins sera loiez en ses las,
Ne ja pour scens ne pour avoir 276 Ne porra de li joie avoir,
Se de moy ne vient proprement.
Et si sachiez certeinnement
Qu'il n'est royne ne contesse 280 Ne dame de si grant noblesse,
Que je ne la fasse doloir
Et resjoïr a mon voloir,
Et que, s'il me vient a plaisir, 284 Que son penser et son désir,
2 59 C En joie — 260 DJ mien — 261 BDJ Saches — 263 C li poure — 264 M en lui — 265 M Et de ce — 266 J compaignie — 267 K Queu ; J Qucn; J roys — 268 D son cuer ; C en gr. d.; J desroys — 269 KJ Deurs — 272 KJ mendres ; FM de li — 273 B Sans quil; B' ja ses solas — 274 C liée ; M mes las — 278 D Et se sache ; B' J saches ; E Et se face.
LE DIT DOU VERGIER 23
Son corps, s'amour et tout son cner A un homme de petit fuer Ne li face dou tout donner 288 Et ligement abandonner.
« J'ay seur tous cuers humeins puissance;
Il sont tuit en m'obeïssance;
Je les donne, vueil haut, vueil bas, 292 Sans garder raison ne compas.
Il ne pueent riens contredire
Que je vueille faire ne dire.
De deus cuers puis et de deus corps 296 Qui seront plein de tous descors
Et en tous cas seront contraire :
Feray tant l'un a l'autre plaire
Que c'iert toute une volenté, 3oo Une doleur, une santé,
Uns cuers, uns corps et une vie,
Une mort, une maladie,
Uns désirs et une pensée, 304 Par moy conjointe et année.
« Je puis faire d'un fol un sage,
Se je le met en mon servage;
Car nuls n'iert ja si desapris, 3o8 Se jel pren, qu'il ne soit apris
De scens, d'onneur, de courtoisie,
Et que ne mette s'estudie
En bien et en toute valeur, 3i2 Et qu'il ne tende a haute honneur,
Et que deshonneur enhaïr
290 C tous; BD mobedience — 293 D II ne le pueuent c; C rien — 295 cuers manque dans M; et manque dans C — 299 MBDEKJ tout — 3oi ABDEKJ Un cuer — 3o3 ABDEKJ Un désir — 304 D coniointer a vnee: C et muée — 3o6 K Se il ce met — 3o8 DE Se le ; K Se la ; E qui.
24 LE DIT DOU VERGIER
Ne vueille et tous vices fuir.
Einsi d'un fol desmesuré 3 1 6 Fais un sage homme amesuré.
Et si fais le sage mesure
Trespasser, raison et droiture ;
Car si tost com je le vueil prendre, 320 II ne se puet vers moy deffendre
Qu'il ne face ma volenté,
Tant soit pleins de soutiveté ;
Et de tant qu'il iert plus soutis, 324 Haus, nobles, puissans ou gentils,
De tant sera il plus batus,
S'il est en mes las embatus,
Et plus estroitement laciez, 328 Ne sans moy n'en iert deslaciez.
« Je suis comparez a la mort,
Car je pren le foible et le fort,
Que nuls ne m'en puet eschaper, 332 Qu'il ne le couveingne passer
Par mes las ou par mi mes mains.
Mais de cela soiez certeins
Que j'y ay un bel avantage, 336 Que j'ay par droit et par usage ;
Car adès pren je li premiers,
Et de ce suis je coustumiers,
Et puis la mort si prent après 340 Sans riens espargnier loin ne près.
Mais je ne pren pas a tel guise
314 A tout vice — 3 1 5 BD du fol — 3 16 homme manque dans D — 3 17 et 3 18 intervertis dans D — 3 17 D s. meisme — 3 18 D et dottrine — 322 A soustiuete — 323 D tant comme est ; C quil pert — 324 £ Hault ; J et gentil/ — 325 D sera plus tost batus — 33o J prenge ; D ricble — 33 1 D me — 332 D ne me c; J li — 335 C Que jay; K Que je ay — 336 manque dans D — 340 C Sans e. boys ne prez — 341 B en tel g. ; M a la g.
LE DIT DOU VERGIER 2 5
Com fait la mort qui riens ne prise;
Car puis que j'ay pris mon prison, 344 Je le met dedens ma prison
Qui est appellée joieuse ;
Delitable est et gracieuse.
La aprent il sans mespresure 348 De tous biens la bonne apresure,
Et la parfaite congnoissance
D'onneur et de toute vaillance.
Car je le met en la maistrie 352 De Science qui le maistrie;
Cremour et Honte de meffaire
Et Congnoissance, a lui parfaire,
Sont ordené et establi. 356 Ces quatre vertus en oubli
Ne sont pas pour lui detrier.
Et encor, pour lui affermer.
Met j'en son cuer un desirier 36o Qui d'onneur le met en sentier,
Et une volenté jolie
Qui tousjours le semont et prie
Qu'il soit jolis et pleins de joie. 364 Biaus dous amis, que te diroie?
Einsi les prisons que je preng
En joie et en solas maintieng
Et les fais a honneur venir; 368 Mais la mort prent sans revenir.
Or t'ay je dit, se Dieus me gart,
De ma puissance une grant part.
Mais encor te diray je plus,
342 mort manque dans E — 346 est manque dans E — 348 K esprisure; J espresture ; D présure — 35 1 BDE en ma maistrise — 352 BDE maistrise — 353 D bonté; KJ mal faire — 35y CKJ doctriner — 359 EJ Mais; E désir; AEBDKJ désirer — 36 1 D En — 364 C diroie je — 365 M Einsis — 368 F mors — 369 C Or te dirai.
26 LE DIT DOU VERGIER
372 Se tu vues oïr le seurplus.
Et si te diray de mon nom, Se tu le vues savoir ou non, Je ne te le quier ja celer :
376 Dieus d'Amours me fais appeller. »
Quant je vi que c'estoit mes sires, Qui des maus amoureus est mires, Onques de lui ne m'esloingnay,
38o Mais devant lui m'ageloingnay,
Et li requis en souspirant, A mains jointes et en plourant, Qu'il me vosist reconforter
384 Dou mal que j'avoie a porter,
Et que donner meilleur espoir, Me vosist, ou de desespoir Estoie près ou de morir,
388 Et qu'il me feïst remerir,
Se j'avoie riens desservi, Ad ce que j'avoie servi Ma douce dame simple et coie.
392 Mais einsi comme a lui parloie,
Moult doucement me respondi Li dieus, que plus n'i attendi, Que de ce me responderoit,
396 Quant li lieus et li temps seroit.
Lors ne me volt plus escouter, Pour ce qu'il me yoloit compter De tous les autres l'ordenance
400 Et de lui la signefiance.
Après me dist : « Scez tu pour quoy
374 KJ tu veulz le s. ; FD nom — 3y5 D Ne je ne le te quier c. ; C le te — 38o KJ Mais humblement li suppliay — 383 M resconforter ; E conforter — 384 K Ou — 386 KJ car de d. ; de manque dans E — 3q5 KJ Qua ce ; D respondroit.
LE DIT DOU VERGIER 27
Sans yeus sui et goûte ne voy?
C'est pour ce que, quant il avient 404 Qu'un cuer assener me couvient,
Nulle goûte ne doy vëoir
Au donner ne a l'asseoir;
Nulle raison n'i doy garder 408 Ne nulle chose regarder,
Biauté, richesse, ne lignage,
Scens, manière, ne cuer volage.
Car s'a tels choses regardoie, 412 Certes trop grant pechié feroie;
Car li meins bel et li meins riche,
Li povre d'amis et li nice,
Cil qui ont volenté legiere 416 Et cil qui ont po de manière,
Dou tout en tout honni seroient,
Se de moy oublié estoient;
Et s'en seroit trop meins prisie 420 Ma signourie et amenrie,
Dont j'aroie damage grant :
Car vraiement, d'ore en avant,
Jamais povres homs n'ameroit 424 Hautement, car il n'oseroit,
Dont ce seroit trop grans dommages ;
Car de tous, quanque j'ay d'ommages,
Tant soient haut, a mon devis, 428 Je ne suis gueres mieus servis
Com dou povre qui aimme haut;
Car de riens qui soit ne li chaut,
402 CS. y. fai; Cni — 404 D asseir — 40 5 FDKJ m;D garder — 406-7 manquent dans D — 408 manque dans KJ — 410 D de cuer — 41 1 D Que; M chose; KJ entendoie — 414 BDEKJ damours; D li riche — 419 £> trop mieus — 42 1 AFC jauroie ; BDEK dom- mage — 422 FM or; DE doresenauant — 424 D et il — 426 CE tout — 428 K guieres — 429 M Com dun — 43o E quil.
28 LE DIT DOU VERGIER
Fors que d'adès considérer 432 Comment il me puist honnourer.
Et c'est drois, quant il recongnoit
Que de li nulle riens n'estoit,
Quant premièrement je le pris, 436 Pour le tenir en mon pourpris ;
Et d'autre part, il scet moult bien
Que toute l'onneur et le bien
Qu'il a li vient toute de moy . 440 Pour ce te di en bonne foy,
Car il me sert, croit, aimme et crient
Et fait tout ce qu'a gré me vient
A son pooir de cuer loial, 444 Honneur quiert et si fuit tout mal.
« Je nel di pas pour faire pires
Les biaus, les sages, ne les riches,
Car on ne les puet esprisier, 448 Puis que les vueille tant prisier
Qu'en mon service les maintieng,
Ne nuls n'est de si fol maintieng
Que bon nel face devenir, 452 S'avec moy le vueil retenir.
Mais je l'ay dit, pour mon propos
Ravoir, car trop seroie sos,
Se li sages, riches et biaus 456 Sus les povres, nices, loiaus
Avoient pooir, ne maistrie,
N'avantage de don d'amie.
Mais je te fais bien assavoir, 460 Que tu saches de ce le voir,
43 1 DEK que ades — 482 D Comme — 433 E Car ; M sest — 434 D nulles riens — 436 AV a mon p. — 439 DJ toute li vient — 441 D Que ; et manque dans KJ — 445 M ne dis — 446 D b. et sages — 447 B le — 451 DE ne — 454 E fos — 455 E les — 457 D maistrisc — 460 K sachies.
LE DIT DOU VERGIER 29
Que, puis que ce vient a amer, Je vueil chascun mon serf clamer, Quel qu'il soit, soit contes ou rois;
464 Et se sachiez tant de mes drois
Que tout tel droit a li petis Comme li haus et li gentils. Mais cils qui sert plus loiaument,
468 Cils a le milleur paiement.
Et pour cela point ne regarde, Quant je preng un cuer en ma garde, S'il est parfais ou non parfais.
472 Mais je te diray que je fais :
Je regarde la grant franchise Qui en li est mise et assise, Et comment il vuet sans fausser
476 En moy servir sa vie user;
Et puis, selonc ce qu'amer vuet, Soit bas, soit haut mettre Testuet, Car raison n'y iert ja gardée,
480 Puis que mise y iert sa pensée.
Lors le m'estuet énamourer Et puis baillier sans demourer A ceaus que la voy qui le prennent,
484 Qui dou tout en tout li aprennent
Comment il se doit maintenir, Puis qu'il vuet a honneur venir. Et s'il est povres de biauté,
488 Je l'enrichi de loiauté,
De douceur, et li donne grâce Qui pluseurs biautez veint et passe. Grâce et douceur, ces deus ensamble,
461 KJ p. reuient a — 462 D pour serf — 463 F Quelz; D quil soient ; ./soit ou c. ou r. — 464 BDEJ saches — 466 KJ t. tant d. — 477 KJ amours — 478 M mestre — 483 B'DKJ vois — 491 D Grâce doucour.
3o LE DIT DOU VERG1ER
492 Valent bien biauté, ce me samble.
Et s'il est po riches d'avoir
Ou d'amis ou de grant savoir,
Je l'enrichi de loiauté 496 Et de grant debonnaireté.
Volenté li doing d'entreprendre
Quanque cuers oseroit atendre ;
Force, hardement d'achever 5oo Li doing pour s'onneur eslever.
Par ces cinc vertus puet conquerre
Grant avoir et amis acquerre,
Et par ce science conquiert
504 De retenir ce qu'il acquiert; Dont li cuers li est revestus De ces cinc très nobles vertus. Par moy n'est pas trop empirez,
5o8 Car bien puet estre comparez
A celui qui tant est puissans
D'avoir, de lignage et de scens.
Et s'il a en lui cuer muable 5 12 Ou manière descouvenable,
Fine amour le dottrinera,
Et tout son cuer li muera
Honte et grant désirer de plaire 5 16 A s'amie, pour grâce attraire.
Cil troi le feront par nature
Ferme, de manière meure.
Or as tu oi grant partie 520 Pour quoy c'est que je ne voy mie.
Mais encor vueil que tu escoutes :
Dire te vueil mes vertus toutes.
493 BDEKJ est trop pourcs da. — 493 E en surcharge dumilité
— 499 M escheuer — 5oi C .vi. vertus — 5o2 C Grant amis —
505 CDEK cuers (D cuer) qui est — 5o6 C Par ; Mss. ces .vi. t. n. v. — 5og KJ luissans — 5u M si — 5i2 BD En — 5 1 3 E la
— 5 1 5 KJ Bonté ; DK désir — 5 18 M F. et de ; C et meure.
LE DIT DOU VERGIER 3l
Or met t'entente au retenir, 524 Car je ne t'en quier ja mentir.
« Je te di que celle saiette,
Que je tien, en pluseurs cuers gette.
Mais nuls cuers ateins ne férus 528 N'en sont qui ne soient tenus
Et mis en ma prison joieuse,
Delitable est et gracieuse,
Et qu'amer tous ne les couveingne, 532 Soit tors, soit drois, comment qu'il prengne.
Et comment que li fers tranchans
En soit devers les fins amans,
Si n'est mie le cop mortel, 536 Einsois le tesmoingne pour tel
Que nuls n'en voit la blesseiire ;
On y sent sans plaie pointure
Douce, plaisant a soustenir 540 Et delitable a maintenir ;
Com plus fort point, et plus agrée.
C'est fins déduis, joie esmerée,
Qui vient d'une douceur parfaite 544 Qui tous en déduit les affaite,
Jusques a tant qu'une chaleur,
Qui naist d'une amoureuse ardeur,
De ceste pointure s'engendre 548 Es cuers qui aimment sans mesprendre ;
Car chascun d'euls d'amer esprent
Par Désir qui ce leur aprent.
Et quant Désirs si les a pris
523 E mes ; BD a — 324 D Car nen quier ja a toy m. — 535 M li cops mortelz — 537 C voie — 538 CE Ou il; A' On en; J Ou en — 539 BDE D. et p. — 540 KJ P'esant tout amant resioir — 542 A fins désirs; KJ Cest aus amans j. (K avait fins, corr. en aus) — 546 K odour — 549 C Car saucuns — 55 1 D qu. dessus; K ci.
32 LE DIT DOU VERGIER
552 Qu'il sont de la chaleur espris,
Souvent leur fait coleur muer, Taindre, pâlir et souspirer. Et lorsqu'il sont mis en tel point,
556 Sachiés que je n'y aten point,
Einsois laisse aler le brandon, Que tu ci vois, par abandon, Que tout leur esprent doublement
56o Cuer et corps amoureusement.
Cils brandons les tient et destreint, Le cuer leur art, le corps leur teint, Si que raison est oubliée
564 Et mesure s'en est alée.
Adont sont il en tel ardure
Et en pensée si obscure,
Car uns chascuns d'euls tous vorroit
568 Sa joie eschever, s'il pooit.
Mais cils feus ne s'en puet partir, Tant que je l'en fais départir ; Et quant je voy que li temps vient
572 Qu'a euls revenir appartient,
Pour joie d'amours recouvrer, Je lais Grâce et Franchise ouvrer Et Pitié la très débonnaire.
5j6 Ces trois leur donnent tel salaire
Qu'il reçoivent de jour en jour Cent joies pour une dolour. Or t'ay je moustré la raison
58o De la saiette et dou brandon.
552 D de grant chaleur — 555 BDEKJ est mis — 556 DKJ Saches ; M entens — 558 ci manque dans M — 55g C tout ce leur — 56 1 F le; D dcffraint — 5Ô2 E le corps estaint — 567 A un chascun ; C Car chascuns deulz deulz vous v. ; tous manque dans E; D verroit — 568 AD acheuer — 569 D foulz ; E pot — 571 D Et que je; J vois — 577 M recouuient.
LE DIT DOU VERGIER 33
« Et de mes eles que tu vois
Dire t'en vueil a ceste fois
Par quoy tu en soies certeins. 584 Saches qu'il n'est nuls si lonteins
Pais, règne ne région
Que tuit en ma subjection
Ne soient souvereinnement 588 Pour faire mon commandement.
Si que, quant j'ay les amans pris
Et dou mal amoureus espris,
Je les doy souvent viseter 592 Et de leur: maus reconforter,
Sans plus faire de guerre don,
Mais de joie et de guerredon,
Quant bien et loiaument me servent : 596 Faire le doy, s'il le desservent.
Et quant devers euls vueil aler,
Telement y vois par voler
Qu'en une heure et en un moment 600 Vois tout par tout le firmament,
Pour reconforter mes amis
Qui en moy tous leurs cuers ont mis.
Or t'ay de mes eles compté 604 Le pooir et la vérité.
Mais de ces nobles damoisiaus
Qui jouent parmi ces praiaus,
Et de ces damoiselles gentes 608 Qui mettent toutes leur ententes
A moy honnourer et servir
Te vueil je les noms descouvrir,
582 DK te v. — 583 D Pour — 584 K qui — 5g2 CKJ leur — 5g3 et 594 manquent dans C — 594 KJ de j. les guerredon — 5g5 et 5g6 manquent dans F — 596 MK le don; M si le; K sil me d. — 598 C pour — 600 C tout entour — 602 KJ tout leur cuer — 606 K joient; A preaus — 608 BDE leurs — 610 K Je te vueil les n. ; D les mains.
Tome I. 3
34 LE DIT DOU VERGIER
Car ja ne te seront celé. 612 Je te di qu'il sont appelle
Voloir, Penser et Dous Plaisir,
Loiauté, Celer et Désir.
Or t'ay dit les noms sans demour 616 Des damoisiaus de noble atour.
Mais je te vueil aussi nommer
Les noms qui tant font a amer
Des damoiselles honnourées. 620 Saches qu'elles sont appellées
Grâce, Pitié et Espérance,
Souvenir, Franchise, Attemprance.
Par ces douze nobles vertus 624 Sui j'honnourez et soustenus.
C'est mes avoirs, c'est mes trésors,
C'est mes chastiaus, c'est mes ressors.
Par euls sui sires de mon règne, 628 Si que par tout le monde règne.
Or te vueil dire brief et court
De quoy il servent a ma court.
« Je te di tout premièrement 632 Que, quant li homs nouvellement
Entreprent l'amoureuse vie, Il couvient, quoy que nuls en die, Que Franche Volenté contreingne 636 Son cuer, par quoy l'amer empreingne.
Et quant Frans Voloirs l'a contreint, Très Dous Pensers en li empreint Par sa force et par sa contrainte 640 De ce qu'il vuet amer l'emprainte
611 D ten — 61 3 FMC Voloirs pensers — 614 FMC Celers — 618 E sont — 620 FMC Sachiez — 620 KJ Cest mes chas- tiaux — 626 KJ Cest mes auoirs ; D et m. r. — 627 A resne — 634 quoy manque dans M — 635 C Que franchise v. — 636 man- que dans D — 638 E cmpaint — 640 F qui.
LE DIT DOÙ VERGIEk 35
Qui le justice main et tart.
Adont un amoureus regart
Et un très dous ris li présent, 644 Qu'il tient a moult noble présent.
Lors le tien pris com mon prison
Dedens ma joieuse prison.
La ne fait il fors que penser 648 A sa dame au viaire cler,
Et la ramembrance a toudis
Dou regart et dou très dous ris
Par quoy il a l'amoureus fais 652 Empris, sans ja estre retrais.
Et cils Dous Regars en li double
S'amour et son voloir adouble.
Einsi Penser et Franc Voloir 656 Font l'amant d'amer esmouoir.
Et Dous Regars en fait la prise,
Dont je l'aim durement et prise.
Mais Plaisance qui maint cuer maire 600 Fait que riens ne li puet desplaire
Qu'en mon service puist sentir;
N'il ne se porroit assentir
Que nuls amis en amer sente 664 Amer ne riens qui le tourmente ;
Einsois tient a fine douceur
Ce qu'uns autres tient a doleur.
Einsi Plaisance le soustient 668 Et en mon service le tient
Et fait en lui monteplier
Voloir, Penser et Desirier;
641 D qui le contraint et m. — 644 E Qui — 647 il manque dans D — 649 a manque dans D — 65o D A dou r. et du doulz ris — 65 1 D Pour — 652 E E. et a estre r. — 653 M Et si; KJ la — 654 C au double — 655 F Pensers et frans voloir — 657 D Et fait le doulz regart lemprise — 658 D doucement — 660 D puist — 663 J amans — 667 D Aincois — 670 J pensée; AFDK désirer.
36 LE DIT DOU VERGIER
Car si plaisanment assaveure 672 Mes biens que Désirs li court seure.
« Lors Désirs petit a petit
Voloir li donne et appétit
De plus grant joie recouvrer, 676 S'en dame le pooit trouver.
Mais einsois la faut desservir
Et lui laissier moult asservir.
Car vraiement, ja desservie, 680 Tant peiist dame estre servie,
Ne seroit de tous les servans
Qui en ce monde sont vivans.
Et si est de moult près gardée 684 Et en moult fort lieu enserrée
Ceste joie, sans nul séjour,
Car adès, de nuit et de jour,
Gardée est de sis adversaires 688 Qui tuit au donner sont contraires :
Ce sont Dangier, Paour et Honte,
Durté et Cruauté, qui donte
Mains cuers et fait mainte laidure, 692 Et Doubtance de mespresure.
Ce sont li sis grief annemi
Qui sont contraire a l'ami.
« Or te diray je de Désir, 696 Quant il vient l'amant assaillir,
672 biens manque dans C ; D que dessus li — 673 D Lors desus
— 674 et manque dans E — 677 C le; KJ fait d. — 678 D Et soi lessier — 680 Mss. puet; BDEKJ estre dame ; E desseruie — 683 C de moult riches gardes — 684 C enserres — 688 KJ Qui trop sont a donner c; C Qui tout ; BDE sont au donner — 689 C Cest
— 690 BD Loyauté; EKJ Loyautez; D qui doubte — 691 CE Maint ; D Maint cuer et mainte l'ait 1. — 6g3 C Cest; D ennemis
— 694 M sont au contr.; D sont contraires aux vrais amis.
LE DIT DOU VERGIER Z']
Comme il le demeinne et debrise,
Et comment il l'art et atise.
Désirs l'esprent, Désirs l'assaut, 700 Désirs li fait maint divers saut ;
Sans froidure le fait trembler
Et sans chaleur le fait suer;
Souspirer li fait maint souspir; 704 Dementer le fait et gémir ;
Il l'art, il l'alume, il l'esprent,
Et puis d'autre part le reprent,
Car il le fait pâlir et teindre ; 708 En ardeur le tient, sans esteindre,
Qui de plus en plus monteplie;
Comme mort le tient a la fie,
Ne ja il ne l'ara si chier 712 Qu'il ne le face tout sechier
Et qu'il ne li toille vigour
Par sa force et par sa rigour.
Dont il avient auques souvent 716 Qu'il le presse si durement
Que tous désespérez morroit,
S'Espoirs ou Souvenirs n'estoit.
Mais Souvenirs li va aidier 720 Et moult très humblement prier
Et ramentevoir qu'il repreingne
Dous Penser, et qu'il li souveingne
De la très noble biauté fine 724 Qui toutes autres veint et fine,
697 A Com ; KJ Comment ; KJ et brise — 698 C comme; 1 manque dans M — 699 D Dessus [deux fois) — 700 C m. dur assaut; E assaut — 701 D fraidure — 703 D le — 705 CJ 1 man- que les trois fois — 708 D estraindre — 709 K Et ; D de plus monteplie en plus — 710 E la ; D tient ou partus — 71 1 D il naura si ch. — 712 D se face ; E la — yi3 E qui ; D que — 716 D Qui — 718 A souuenir — 720 J treshonorablement — 722 K qui.
38 LE DIT DOU VERGIER
Et dou très gracieus viaire
Qui dou dous regart le vint traire,
Et de la manière jolie 728 Qui en loial amour le lie,
Si qu'il met dou tout en oubli
Le désir qui l'a assailli.
Car Souvenirs l'en met en voie 732 Par Dous Penser, qui le ravoie
De penser a la ramembrance
De la gracieuse samblance
De celle a cui il est donnez 736 Ligement et abandonnez.
Lors y pense si doucement
Et de si parfait sentement,
Quant einsi puet bien remirer 740 Sa dame et li en lui mirer,
Qu'une gracieuse espérance
Pour son bien et pour s'aligence
S'engendre de ceste pensée 744 Que Souvenirs li a moustrée.
Et quant il est d'espoir garnis,
Sachiez qu'il est sains et garis
Et tous de joie repeiis 748 Pour les maus qu'il a receiis.
Car Espérance, la seiire,
Li promet et bien l'asseiire
Qu'onques biauté si affinée 752 Ne pot estre sans Pitié née ;
Et puis que douceur est en li,
Franchise y doit bien estre aussi ;
726 KJ Qui dun d. ; le manque dans E — 780 D quil la — 73 1 C le; E les met — 7^2 E la, D reuoie — 734 CBDEKJ De la tresdouce saoulance — 740 M Sa dame en lui et li m. ; AFMKJE et lui en li ; BD et lui en lui — 743 M celle — 745 BDE garis — 746 BD Saches — 747 D tout; E Et de toute joie r. — 74g DE lasseure — 750 K la seure.
LE DIT DOU VERGIER 3g
Pour ce ne croiroit a nul fuer 756 Que Pitié ne fust en son cuer.
Einsi Espoir le reconforte,
Qui moult doucement li enorte
Qu'il soit pleins de bon reconfort, 760 Car il ara joie et confort,
Mais qu'il soit loiaus et secrez,
Dous, humbles, courtois et discrez,
Et qu'il endure en pacience 764 Tout ce qui iert a la plaisance
De sa dame pour qui il vuet
Auques valoir, se valoir puet.
Einsi Dous Espoir le garit, 768 Si qu'en joie et en solas vit.
« Mais quant einsi énamourez Est et d'espoir asseiïrez, Et il a servi longuement 772 Et obeï desiranment,
Ja soit ce qu'en bon espoir vive, Adès Désirs en lui s'avive Et Volenté de recouvrer 776 La joie qu'il ne scet rouver.
Si que, quant je le voy couart, S'il a desservi nulle part Des amoureus biens que je doin 780 Aus fins amans et abandoin,
Voloirs de joie savourer Et très grans désirs d'achever, Et ce qu'il ne puet plus attendre 784 Li font la requeste entreprendre
Et li donnent le hardement
755 BDEKJM croiroie — 756 D soit — 764 BD est; D Tout quil est a la p. — 770 E Et desespoir ass. — 773 boa manque dayis E — 776 D soit trouuer; J qui ne soit r. — 777 E la — 779 BDEKJ Des biens amoureus — 781 M Doloir — 783 D De ce.
40 LE DIT DOU VERGIER
De requérir couardement. Mais quant il a le don requis
788 A celle a qui il est acquis,
Certes, désespérez seroit, Si que jamais joie n'aroit, Se ces damoiselles n'estoient
792 Qui par leur force le resjoient.
Car cil qui la joie ont en garde De ce se prennent si près garde Que nuls ne te saroit despondre
796 Le débat qui est au respondre :
Car Dangiers orguilleusement Respont et despiteusement Tout premiers que celle requeste
800 N'est bonne, belle, ne honneste,
Eins est outrages et folie; Et dit que moult bien emploiie Seroit une très grant vergoingne
804 A celui qui point ne ressoingne
Si haute joie a demander Com celle qu'il devroit garder ; Et moult est ore outrecuidiez,
808 Quant il est de lui tant cuidiez
Que tels cuide estre et tant valoir Çom pour la joie recevoir; Et dit qu'assez mieus ameroit,
812 Qui de ce a chois le mettroit,
Qu'on le pendist ou traïnast, Qu'on l'ardist vif ou escorchast, Que ce qu'il fust en la saisine
816 De la joie qui tant est fine.
787 E acquis — 791 M ses — 795 D respondre — 796 D Le délit — 800 D bonne ne belle — ■ 802 KJ dist — 807 DE ores; E entrecuidies — 809 K Car — 811 M dist — 812 BM met- teroit — 81 3 E Que Ion (sur rature).
LE DIT DOU VERGIER 41
« Après ce Cruautez respont,
Qui son parler point ne repont,
Einsois se débat et raisonne 820 Si que tous les autres estonne,
Et dit qu'onques ne fu veue
Tel merveille n'aperceiie
Com dou chetif maleureus 824 Qui par son cuidier est si preus
Qu'il cuide la joie emporter
Que nuls ne porroit raporter;
Il a ou corps la rage esprise 828 Que tors les gardiens si po prise
Qu'il cuide que, par son parler,
On li laisse la joie aler ;
Et jure que, se li gardien 832 A ce tuit s'assentoient bien
Qu'il eiist le don et l'ottroy
De la grant joie, ja par soy
Ne li iert li dons ottroiez, 836 Mieus ameroit estre noiez.
Après ce Durtez durement
Respont et moult crueusement
Le honteus amant despita, 840 Car en li dueil et despit a
De la joie qu'il a rouvée,
Et dit que, s'elle avoit trouvée
Tel mille joies a denier, 844 Que, se ja Dieus li puist aidier
Ne s'il ne puist estre enroez,
N'iert il ja saisis ne doez
818 BDC respont — 822 E Telle — 828 DKJ Qui les gardiens — 829 D Qui c. — 83oJEn — 83 1 K jurt — 832 A' A ce tint; M assentoient — 835 BDEJ est — 836 ACE ameroie — 841 D joie qua demandée — 843 D Telles mil j.; BEKJM millier — 844 D ja se d. — 845 MDKJ Et; E Se il; ne manque dans KJ ; M en puist; KJ honnourez — 846 K et doez.
42 LE DIT DOU VERGIER
De la plus mendre qu'il aroit,
848 Se tout le monde li donnoit;
Et au plus chetif de ce monde La joie qu'en douceur abonde Ameroit mieus cent fois donner,
852 Ce dit, qu'a celui la moustrer.
« Après, Doubtance de meffaire
Dit qu'a nul fuer de tel affaire
Entremettre ne se vorroit, 856 Et que mieus mourir ameroit
Que ce qu'elle fust consentans
Que nuls en la joie partans
Fust, qui seur toutes est loée 860 Douce, plaisant et affinée.
Et vraiement, trop mefferoit
Qui au donner s'assentiroit,
Dont empirie estre y deiist, 864 Puisque rescousse estre peiist;
Car la joie qui n'a grigneur
Est de si très haute valeur
Qu'on n'en porroit si po oster 868 Qu'on ne la feïst empirer
Et que la flour n'en fust perie.
Pour ce Doubtance ne vuet mie
Que nuls homs y doie partir, 872 Car la flour en feroit partir.
« Après dient isnellement Honte et Paour couardement Que deshonnourées seroient,
852 ACBD que celui — 824 D de celle aff". — 860 FKJC plai- sans — 861 KJ mefferont — 862 À7a donner sassentiront — 863 BD Donc an pitié; y manque dans KJ — 865 na manque dans J — 866 KJ Et — 867 D ne pourroit — 868 C len — 869 M ne — 873 C die — 875 M deshonnourez.
LE DIT DOU VERGIER /\.3
876 S'a ce faire se consentoient;
Car vraiement on le saroit;
Si qu'einsi la joie seroit
De tous a tousjours meins prisie, 880 Et s'en seroit la flour perie;
N'il n'a ou monde si grant honte,
Qui bien saroit a quoy ce monte,
Com de la joie abandonner. 884 Pour ce ne vuelent accorder
Que la joie soit ottroiie
Au fin amant qui en mendie.
Einsi Paour de révéler 888 Et Honte de joie donner,
Duriez, Cruautez et Dangier
Et Doubtance font eslongier
L'ami de joie qu'il atent, 892 Pour qui peinne et doleur a tant.
Mais quant il ont tuit debatu
Le don de toute leur vertu
Et il ont l'amant villené 896 Villeinnement et ramposné
Et despité par leur envie
Com villeins pleins de villenie,
Sachiez que ces sis damoiselles, 900 Qui sont juenes, gentis et belles,
Sont champions et advocas
Pour l'amant qui est si très mas
Qu'il est de toute doleur pleins 904 Pour la doubtance des villeins.
Car Grâce, ma très chiere amie,
Va a Dangier, et se li prie
Qu'il ne soit pas si dongereus
880 D Si en s. — 883 K la ja ab. — 886 D A — 891 D de la joie; M qui — 8g3 C tout; E tant — 899 BKJ Saches — 901 AC champion — 903 D Qui; M toutes doleurs.
44 LE DIT DOU VERGIER
908 Au fin amant qui est honteus,
Et qu'atant se vueille souffrir De lui ramposner et laidir, Et que plus ne li soit contraires,
912 Car il est dous et débonnaires,
Et s'a servi moult humblement Et enduré pacienment; Et pour le bien qui est en li,
916 Dit elle, qu'il a desservi
De la joie moult grant partie, Et que mieus seroit emploiie En lui qui vuet vivre toudis
920 Amoureus en fais et en dis
Qu'en celui qui d'amours porroit Son cuer oster, quant il vorroit. Einsi de Dangier desloial
924 Deffent Grâce l'ami loial.
« Après Grâce, Pitié revient
Qui moult doucement se maintient,
Et dit que Cruautez a tort
928 Qui l'amant vuet mettre a la mort,
Pour ce qu'il a rouvé le don De la joie, car en pardon Ne doit mie tousjours servir,
932 Et qu'il fait mal de retenir
Son guerredon et son salaire;
Et encor dit la débonnaire
Que ce seroit trop grans péchiez,
936 S'uns amis si bien entechiez
Com cils est morroit par deffaut De la joie qui si to?t faut;
908 C amant qui en mendie — 909 MBDEKJ sen vueille — 919 C vueil — 926 C sagement — 928 E a mort — 929 D quil refuse le don — g32 D qui.
LE DIT DOU VERGIER 4b
Car la joie n'est ordenée 940 Sans plus que pour estre donnée
Aus amans qui de cuer entier
Aimment pour leurs corps avancier;
Et s'il aimme sans décevoir, 944 Si doit la joie recevoir.
Einsi encontre Cruauté
Deffent l'amant douce Pité.
« Mais Franchise, la très courtoise, 948 Dit a Durté sans faire noise
Qu'il ne se doit point entremettre
De retolir ne de promettre
Les dous biens plaisans, savoureus, 952 Qui sont fait pour les amoureus ;
Car par Franchise sont acquis
Et par Franchise départis.
Et quant départir on les vuet, 956 Ja Durté venir n'i estuet,
Cruauté, Dangier ne Paour,
Honte ne Doubtance d'errour,
N'on n'i doit nelui appeller 960 Qui la joie puist destourner,
Ne par quoy li très dous delis
De la joie soit amenris.
Einsi Durté fait foie emprise 964 De ce faire, ce dit Franchise.
« Après ce revient Attemprance Et Hardemens devers Doubtance Qui li dient, sans arrester, 968 Que nulle riens ne doit doubter
943 M cil — g5 1 D amoureus — g53 D Quer — g58 D Honte doubtance ne reour ; KJ H. et d. — 959 E Nen — 961 C Et; E pourquoy; D le tr. d. — 962 BDEKJC soient; E anientis — 964 D Pour — 965 ce manque dans E ; J reuint.
46 LE DIT DOU VERGIER
A faire le don de la joie ;
Car puis que li amis ottroie
Cuer et corps tout entièrement 972 Pour faire le commandement
De celle en qui la joie maint,
Et Amours a ce le destraint,
On li puet donner sans mesprendre 976 Et doit la joie, sans attendre.
Mais on la doit celéement
Donner et attempréement,
Quant li lieus et li temps eschiet; 980 Car cils de s'onneur trop dechiet
Qui par trop folement parler,
Ou par mauvaisement celer,
Ou par sa hastiveté pert 984 La joie et le bien qu'il dessert.
« Après, Loyauté sans demour
Et Celers vers Honte et Paour
Viennent moult debonnairement 988 Et leur dient courtoisement
Qu'il ne font mie bien a point
De tenir l'amant en tel point ;
Car puis qu'il est d'amer espris, 992 Si qu'il n'en vuet estre despris,
Et il a tousjours loiaument
Servi et celé sagement,
On ne doit point paour avoir 996 De faire vers lui son devoir,
Ne ce n'est mie honte aussi,
S'on li donne joie et merci ;
Eins est honneur et grans vertus,
969 M le bon — 975 A Et; BD le — 976 AFB doint — 979 KJ li temps et li lieus y chiet — 980 FD cil ; D de souuenir — 982 KJ Trop souuent venir ou aler — g83 sa manque dans F — 992 M Et; MBDKJ ne — 999 FDEKJ grant.
LE DIT DOU VERGIER 47
iooo Quant on est au faire tenus.
Et cestui toudis a esté
Secrez et pleins de loyauté :
Si ne li devez faire anui 1004 Ne de riens estre contre lui,
Eins li devez la joie tendre
Que vous volez vers lui deffendre ;
Car nous le tesmoingnons pour digne 1008 En tous cas, sans nul mauvais signe.
Einsi te di je vraiement
Que Grâce a Dangierse deffent
Et Pitié ^ontre Cruauté, 1012 Si que sachiez en vérité
Que Cruautez n'a tant pooir
Qu'il ne le couveingne chëoir.
Et Franchise ra grant débat 1016 Qui contre Durté se combat.
Et si appertement le tient
Que Durtez point ne se soustient.
Et Attemprance et Hardement 1020 Tiennent Doubtance fermement,
Loyauté, Celers a Paour
Et a Honte font tel estour
Qu'il ne se pueent plus tenir, 1024 Qu'il ne les couveingne obéir
Au voloir de ces damoiselles
Que tu vois gentes et isnelles.
Lors ces damoiselles leur font 1028 Jurer que jamais ne seront
A nul loial ami contraire,
Ne ne feront riens qui desplaire
1007 D le tenons — 1008 nul manque dans M — 1012 D ques; DKJ saches — 10 1 5 KJ Fr. y met grant d. — 10 16 E Encontre — 1018 ne manque dans D; BDEKJ le soustient — 1021 M et paour — 1023 A puelent — 1026 C veiz ; C et belles — 1029 E A my loial.
48 LE DIT DOU VERGIER
Leurdoie, ne doleur ne peinne io'32 Ne que la joie souvereinne
Jamais ne leur deffenderont.
Et quant li villein einsi sont
Vaincu par leur maie aventure io36 Et tourné a desconfiture,
Ces damoiselles devant mi
Viennent et m'ameinnent l'ami,
Et aussi tuit cil damoisel 1040 Qui sont juene, gent et isnel.
Si me viennent trestuit prier
Que la joie vueille ottrier
A l'ami ; et si le tesmoingnent 1044 Pour tel qu'en lui riens ne ressoingnent
Qu'il ne soit secrez et loyaus,
Pleins de tous biens, vuis de tous maus.
Et quant je puis apercevoir 1048 Qu'il est dignes de recevoir
La joie qui est nompareille,
Sachiez que, qui vueille ou ne vueille,
Moult très liement li ottroy io52 De la joie don et ottroy.
Mais c'est toudis sauve l'onneur
Des dames et sans deshonneur ;
Car a nul fuer n'ottrieroie io56 Joie a nul amant ne donroie
Dont dame fust deshonnourée;
Eins vueil que l'onneur soit sauvée
Des dames, quel part que ce soit. 1060 Et s'aucuns autrement faisoit,
io3i D doloir — io33 KJ deffendront, D detf'ront — io35 E leur noble au. — 1037 M Ses — io38 E maintiennent — 1040 J gentil ynel — 1042 joie manque dans F — 1043 E Que laim — 1044 D Pour lui que riens — io5i D Mon; E Mon cuer tresliement — io53 E saine Ion. — io56 E deuroie — io58 A gardée.
LE DIT DOU VERGIER 49
Ja ne seroit tant mes privez Qu'il ne fust de ma court privez.
« Or t'ay je dont tout descouvert, 1064 Que je ne t'y ay riens couvert,
De ceuls que vois en ma présence,
Qui tuit me font obéissance,
Les noms, la force, le servise, 1068 Et si t'ay dit toute la guise
De moy, et comment li amis
Est de joie par moy saisis.»
Quant li dieus m'ot tout cela dit 1072 Et moustré sans nul contredit,
Rien me souvint de la prière
Que faite avoie darreniere,
Si qu'encor li renouvelay, 1076 Et humblement prié li ay
Pour Dieu qu'il me vosist aidier
Et de mes doleurs aligier,
Et qu'il vosist le cuer muer 1080 De ma dame au viaire cler,
Par quoy j'eusse aucune aïe
De li qui me toldra la vie,
S'endurer me fait longuement 1084 Ma doleur sans aligement,
Et qu'il li vosist anoncier
Comment je l'aim de cuer entier
Et comment je n'ay nul pooir 1088 Ne que je ne puis riens valoir,
io63 BDEKJ du tout — 1064 KJ Ne je nen ay riens c; D ni ti — io65 M voy — 1067 D lafaire; EKJ et le — 1071 K mot ce dit, corrigé en ot cela dit — 107J KJ souuient ; K de la première — 1074 M fait — 1081 D Pour; D aide — 1082 E tandra — 1086 D du — 1087-8 intervertis dans BDEKJ — 1087 K nul espoir — 1088 A rien.
Tome I. 4
DÛ LÉ DÎT DOU VËRGIER
Se de li proprement ne vient Qui a son voloir me maintient. Et pour ce que dous le trouvay,
1092 Encor humblement li priay
Qu'il me vosist dire le voir Que c'est, ne que je puis avoir, Quant je vueil faire ma clamour
1096 A ma dame de ma dolour,
Je ne la puis araisonner Ne je ne puis un mot sonner, Einsois pers toute contenance,
1 100 Scens, vigour, manière et puissance,
Tant sui dou vëoir esperdus, Et tout aussi comme homs perdus Sui, ne je ne li puis gehir
1 104 Les maus qu'elle me fait sentir.
Adont li dieus me respondi, Tantost que plus n'i attendi, Que il m'aideroit et diroit
I 108 Tout ce, que ja n'en mentiroit.
Lors me dist que, se je voloie Des haus biens amoureus la joie, Qu'il me couvenoit loyauté
I I 1 2 Maintenir par neccessité.
Ne ja li homs qui se mainteingne Loyaument, comment qu'il aveingne, Ne puet faillir qu'il n'ait secours 11 16 De dame, d'amie et d'Amours ;
Mais il couvient que secrez soit, Pour celer les biens qu'il reçoit, Et qu'il soit secrez esprouvez,
1 100 E vig. maide et p.; et manque dans KJ — 1 102 FM tout ainssi — 1 io3 E Suis je ne le puis g. ; je manque dans KJ — 1 109 FD dit — 1 1 1 1 K conuenroit — 1 1 1 3 C ce — 1 1 14 D L. quoi quil en a. — m5 K quil nest s.
LE Dit DOU VERGIÈR !) t
î 1 20 Eins qu'il ait les biens savourez;
Et cils qui en son cuer norrit
Loyauté, Celer, le délit
Puet avoir moult legierement 1 124 Qu'il a désiré longuement.
Lors me commanda que je fusse Loyaus, secrez, et que j'eusse
Mémoire des autres vertus 1 128 Qu'il m'avoit moustré par dessus,
Se je voloie ja joir
De ce que j'aim tant et désir;
Et dist que, s'einsi le faisoie, 1 1 32 Que de riens ne me mefferoie,
Et que, se loyal esprouver
Me pooit et secret trouver,
Que de ma dame couvertir 11 36 Feroit le cuer et adoucir,
Si que ma doleur cesseroit
Et ma grant joie doubleroit,
Et que je seroie aligiez 1 140 Des maus dont mes cuers est chargiez.
Mais encor dist il, sans attendre,
Qu'il me voloit dire et aprendre
Comment einsi perdus estoie, 1 144 Quant ma douce dame vëoie.
Lors me dist qu'il n'est nuls vivans
Qui soit amis, s'il n'est doubtans ;
Car on doit sa dame doubter, 1 1 48 Et li de courrous eschever,
N'on ne li doit dire ne faire
Chose qui li puisse desplaire.
ii2o Z) ait secret sau. — 1 123 E moult auoir — 1 124 E Ce quil ad. — 1 125 K que feusse — 1 129 E ja oir — 1 i3o D jaim ja tant — 1 1 3 1 que manque dans KJ — 1 1 36 E Feroie — 1 1 38 A grant dolour — 1141 A Mais einsois — 1146 D Quil.
02 LE DIT DOU VERGIER
« Et pour c'iés tu einsi péris 1 1 52 De scens et de force amenris
Et perdus de manière toute,
Quant tu la vois, car tu as doubte
Que tu ne doies faire ou dire 1 1 56 Chose qui ta besoingne empire.
Et d'autre part ton grant désir,
Quant tu pues sa douceur veïr,
Te navre, t'assaut et destreint, 1 160 Et le pooir de toy si vaint
Qu'il te couvient ou cuer couvrir
Ce que tu cuides descouvrir.
Et Biautez dont elle est garnie 1 164 Et Amours qui t'a en baillie
Te font la chose entroublier
Que tu li voloies compter.
Et quant tu la pues vis a vis 1 168 Regarder tout a ton devis,
Tu ne scez qu'il t'est avenu
Pour la biauté qui t'a féru,
Ne tu ne scez quel part tu iés 1 172 Pour l'amour dont tu iés loiés.
Et avec ce tant iés honteus
Devant li et si paoureus
Qu'aucune personne ne sache 1 176 L'amour qui en ton cuer s'atache,
Et que ne soies perceùs,
Dont estre puisses deceus,
Que cela dou tout bestourner 1 180 Fait ton voloir et destourner
Le hardcment que tu avoies
1 1 3 1 A.' ainsi pris — 1 1 5g ^4 tassaut te destraint — 1 160 CDE KJ Qui... sen vaint — 1162 AMCEKJ Et — 1 i63 BD De — 1 i65 KJ tel chose — 1 169 t manque dans K — 1 170 C sa biauie — 1 1 75 E Chascune — 1 1 76 F en son cuer — 1 1 77 KJ Que ne s.; CBDEKJ apperceus — 1 180 FBK Fait tout voloir; C bestourner.
LE DIT DOIT VKIU'.IKR 53
Ou cuer, quant dire li voloies;
Car Bontez, Biautez et Amour, ii 84 Honte, Paour et Grant Douçour
Te font par leur noble victoire
Perdre scens, manière et mémoire.
Or t'ay je dit et devisé 1 188 Tout ce que tu m'as demandé.
Maintenant plus ne t'en diray.
Tu demourras; je m'en iray;
Mais je t'apenray au partir, 1 192 Se tu vues aus dous biens partir
Et estre garis de tes maus,
Que secrez soies et loiaus».
Einsi li dieus se départi, 1 196 Qui de joie me reparti,
Pour ce qu'il me moustra la voie
Comment maintenir me dévoie.
Et einsi comme il s'en vola, 1200 Tous li biaus arbrissiaus crosla,
Si qu'adont la froide rousée
Est seur mon visage avalée,
Que li dieus y fist dechéoir 1204 Par la force de son mouvoir.
Et quant je senti la froidure
Qui chut de dessus la verdure,
Elle me fist tout tressaillir, 1208 Si qu'a moy me fist revenir
Et mist hors dou transissement
Ou j'avoie esté longuement.
1 1S2 RDEKJ En ; D le — 1 183 E Car biaute hontes et a. — 1 188 F corrige en mas deuise — 1 ig3 A M de telz m.; D de tous m. — 1 194 F soiez — 1 197 me manque dans D — 1201 D Quer adonc; E Si que dont — 1202 DE Et — i2o3 y manque dans D; KJ dieus il fit — 1206 JK cheoit dessus; C chuit — 1*209 KJ hors de t.
54 LE DIT DOU VERGIER
Et quant a moy fui revenus, 1212 Certes, je fui tous esperdus
Et si fui en moult grant effroy,
Car je regarday entour moy
Et de tout cela riens ne vi 1 2 1 6 Que veù avoie et oy.
Mais adès bien me ramembroie
Que li dieus dist, se je voloie
Venir a mon entendement, 1220 Que toudis souvereinnement
Loiaus, secrez en tous cas fusse
Et que bonté en moy eusse.
Et pour ce toudis maintenir 1224 Vueil bonté et moy maintenir
Loyaument, tant com je vivray,
Car mis en Amours mon vivre ay
D'une volenté si très vraie 1228 Que ja, pour nul mal que j'en traie
Ne pour nul bien, n'en partiray :
Plus chier mon cuer a partir ay.
Et quant mes cuers en partiroit, 1232 Helas! li las, quel part iroit?
Certes, il le faudroit partir,
Se de li se vëoit partir,
Car autre nulle en li ne part 1*36 Fors celle qui en tous biens part.
Pour ce n'en quier faire partie,
Car trop seroit grief départie
De ma très douce dame chiere 1240 Qui par sa gracieuse chiere
Me fait amer très chierement
12 14 C regardoy — 1 2 1 5 AC rien; E vey — 12 16 C Quauoie veu et oy — 12 18 D dit que se v. — 1221 KJ en tous temps — 1222 C loyauté — 1224 AFM et ma main t.; C et mon cuer t. — 1226 D mise; E amour — 1237 A ce ne q. — 1 238 manque dans D,
LE DIT DOU VERGIER 55
De loial cuer si chierement Qu'elle est vers moy seul enchierie, 1244 Et s'est seur tous de moy chierie,
Qui tant l'aim, pris, serf et tien chier Que ja ne m'en quier destachier. Et vraiement, se bien savoie 1 248 Qu'en son dous service morroie,
Et que bien peùsse garir D'un autre, s'aim je mieus morir Dessous son gracieus voloir 1252 Que de nulle autre joie avoir.
Or est a ce faire ordenée Ma volenté et atournée, Et j'aussi sui a ce tournez, 12 56 Q'envers Amours sui si tournez
Que nulle riens ne me destourne Que tousjours, quel part que je tourne, Mes cuers ne preingne son retour 1260 Vers ma dame au plaisant atour
Qui fait mon cuer mettre et tourner A li servir, sans retourner. Pour ce l'ameray loyaument 1264 Et serviray celéement
Com vrais amis loyaus, parfais, Qui vueil et par dis et par fais Dou tout en tout son voloir faire 1268 Et li honnourer sans meffaire
Jusques a mon definement De bon cuer si très finement
1245 C Que — 1246 K dastachier — i25o K Dune — 1 25 r RDEKJ grac. dangier; B' corrige en voloir — 1202 KJ Que dune (A' dame) autre joie espérer; D nul; E autre acointier — 1 253 C Ore — 1 255 j manque dans KJ ; D Et aussi je sui — 1 256 manque dans D — 1 257 E mi — 1258 KJ que je soie — 1 262 Afss. lui — 1264 D secrètement — 1266 BD veult — 12G8 J ennou- rer — 1270 E De mon cuer.
56 LE DIT DOU VERGIER
Qu'einsois sera mes corps finez 1272 Et mes cuers li très affinez
Partis en deus pars, que je fine
D'amer de loyal amour fine
Li et s'onneur, de cuer si fin 1276 Qu'elle me mettra a ma fin,
S'elle n'est de tele fin née
Et par Pitié si affinée
Que le mal face definer, 1280 Qui Paour me fait definer.
Einsi jamais ne fineray;
Car plus chier a definer ay,
Et toudis je vueil endurer, 1284 Tant comme je porray durer,
Son très dous voloir, sans mesprendre,
Humblement, et de cuer attendre
Le don qui m'a esté promis 1288 Dou dieu, se je sui vrais amis,
Qui dessus tous est pleins d'onnour.
Pour c'en doubtance et en cremour
Vueil ma douce dame obéir, 1292 Servir, celer, et sans partir
Vivre en son amoureus dangier.
Cifenist le Dit dou Vergier.
1272 MB'E si tresaff. — 1275 KJ et honnour — 1 278 AFMDEK Que — 1 280 manque dans J ; B defuier — 1 282 D a finer — 1 286 E H. de cuer et at. — 1289 D et plain.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE1
Au temps pascour que toute riens s'esgaie, Que la terre de mainte colour gaie <a<r— m>- Se cqintoie, dont pointure sans plaie
4 Sous la mamelle
Fait Bonne Amour a mainte dame belle, A maint amant et a mainte pucelle, Dont il ont puis mainte lie nouvelle
8 Et maint esmay,
A ce dous temps, contre le mois de may, Par un matin cointement m'acesmay, Com cils qui très parfaitement amay
12 D'amour seùre.
i. F.... du bon roy de b.; M.... dou bon roy de beghaigne dont dieus ait lame; B Le temps pascour. Le titre manque dans R, mais on lit à VExplicit Jugement damours.
i D En; E Ou; R toute gent ; les vers 1-325 .manquent dans K — 2 E Et que — 4 R Sus — 7 R ont prins; D ont pis; J mainte joie n. —9 B'EJR En; FME de moy — 10 C mache- minai; R massenay — 11 R Comme celui qui parf. amay.
M (s/~
58 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Et li jours fu attemprez par mesure,
Biaus, clers, luisans, nés et purs, sans froidure.
La rousée par dessus la verdure 16 Resplendissoit
Si clerement que tout m'esbloïssoit,
Quant mes regars celle part guenchissoit,
Pour le soleil qui dessus reluisoit. 20 Et cil oisel,
Pour la douceur dou joli temps nouvel,
Si liement et de si grant revel
Chantoient tuit que j'alay a l'appel 24 De leur dous chant.
Si en choisi en l'air un voletant
Qui dessus tous s'en aloit glatissant :
« Oci! oci ! » Et je le sieui tant 28 Qu'en un destour,
Sus un ruissel, près d'une belle tour,
Ou il avoit maint arbre et mainte flour
Souéf flairant, de diverse colour, 32 S'ala seoir.
Lors me laissay tout bellement chéoir
Et me coiti si bien, a mon pooir,
Sous les arbres, qu'il ne me pot vëoir, 36 Pour escouter
Le très dous son de son joli chanter.
Si me plut tant en oïr déliter
i3 E attrempre — 14 C Biaus clers nés luisans sans fr. ; E sans ordure ; P purs et nez — 1 5 E Et la — 17 J me bleuissoit — 18 J regardoit — 20 FMC Et si ; DJR Et li — 2 1 J joli chant n. — 22 P Si doucement — 2 3-2 3 effacés dans F — 25 E ch. un en my lair volant — 26 tous manque dans D; J ajoute (d'une autre main) : A haulte vois en son duulz chant disant — 27 J et le sui tant - 3i i' diuerses — 32 D Salay veir — 33 D cheir — 34 E Et moy couuri ; B'J quati; R boute — 35 E Dessoubz ; FM aubres; D quon — 37 EJ tresdous chant — 38 E Si me pris lors si fort a d.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
59
Son dous chanter, que jamais raconter 40 Ne le porroie.
Mais tout einsi, com je me delitoie
En son très dous chanter que j'escoutoie,
Je vi venir par une estroite voie,
44 Pleinne d'erbette,
Une dame pensant, toute seulette Fors d'un chiennet et d'une pucelette ; Mais bien sambloit sa manière simplette
48 Pleinne d'anoy.
Et d'autre par, un petit loing de moy, Uns chevaliers de moult très noble arroy Tout le chemin venoit encontre soy
52 Sans compaingnie ;
Si me pensay qu'amis yert et amie. Lors me boutay par dedens la fueillie Si embrunchiez qu'il ne me virent mie.
56 Mais quant amis,
En qui Nature assez de biens a mis, Fu aprochiez de la dame de pris, Com gracieus, sages et bien apris
60 La salua .
Et la dame que pensée argua,
Sans riens respondre a li, le trespassa.
Et cils tantost arrière rappassa,
64 Et se la prist
Par le giron, et doucement li dist :
« Très douce dame, avez vous en despit
r\ov^-
2*
3g E En son doulz ch... recorder — 41 FD aussi — 42 A jes- coute — 47 £ s. a sa chiere simpl.; C m. seulete — 5o A Un cheualiers ; E tresbel — 53 R Lors mauisay ; P mapensai — 54 R Si ; J par dessouz — 55 AF embunchiez ; BR embuschez ; CDP embuschiez ; E embuschie — b-; J n. hut assez de b. mis; E des b. ot mis ; BDP bien — 58 J dame gentilz — 5g E Comme courtois — 60 P Le — 61 AFBE qui — 62 E riens rendre a lui — 63 R cellui ; J arr. tantost si r. — 64 P le — 66 J Douce.
60 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Le mien salut ? » Et quant elle le vit,
68 Se respondi
En souspirant, que plus n'i attendi : « Certes, sire, pas ne vous entendi Pour mon penser qui le me deffendi ;
72 Mais se j'ay fait
Riens ou il ait villenie ou meffait, Vueilliez le moy pardonner, s'il vous plait. » Li chevaliers, sans faire plus de plait,
76 Dist doucement :
« Dame, il n'affiert ci nul pardonnement, Car il n'y a meffait ne mautalent; Mais je vous pri que vostre pensement
80 Me vueilliez dire. »
Et la dame parfondement souspire
Et dist : « Pour Dieu, laissiez m'en pais, biau sire;
Car mestier n'ay que me faciez plus d'ire
84 Ne de contraire
Que j'en reçoy ». Et cils se prist a traire Plus près de li, pour sa pensée attraire, Et li a dit : « Très douce débonnaire,
88 Triste vous voy.
Mais je vous jur et promet par ma foy, S'a moy volez descouvrir vostre anoy, Que je feray tout le pooir de moy
92 De l'adrecier ».
Et la dame l'en prist a mercier,
Et dist : « Sire, nuls ne m'en puet aidier,
67 J elle loyt — 71 E P. le penser — j3 J Chose; A villonnie — 78 P a courrous ne — 79 E quen — 82 B' C moy en paix ; J 1. mestre ; biau effacé dans B' — 83 J Que nay mestier; E que plus me f.j dire manque dans D — 84 C du — 85 CEP je rec; C prent — 86 R Près délie pour; FM de soy ; E pour son pense; F pense — 87 R Et si lui dist — 90 D Se vous veulles ; R Se me voulez — 94 E me ; C puist.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 6l
Ne nuls fors Dieus ne porroit alegier 96 La grief dolour
Qui fait pâlir et teindre ma colour,
Qui tient mon cuer en tristesse et en plour,
Et qui me met en si dure langour 100 Qu'a dire voir
Nuls cuers qui soit n'en porroit plus avoir ».
— « Dame, et quels maus vous fait si fort doloir ? Dites le moy; que je cuit recevoir
104 Si très grief peinne,
Si dolereuse, si dure, si greveinne,
Si amere, que soiez bien certeinne,
Il n'est dame, ne créature humeinne, 108 Ne n'iert jamais,
Qui tele peinne endurast onques mais ».
— « Certes, sire, je croy bien que tel fais Ne portez pas a vo cuer que je fais.
1 12 Pour ce sarez
Ma pensée qu'a savoir desirez.
Mais tout avant, vous me promènerez
Que sans mentir la vostre me direz ».
116 — « Tenez, ma dame :
Je vous promet par ma foy et par m'ame Que le penser qui m'esprent et enflame Et qui souvent mon cuer mort et entame
120 Vous gehiray
De chief en chief, ne ja n'en mentiray ».
95 EJ ne me (J men) puet; FC aligier — 96 DJ grant — 99 me manque dans D — 101 R Nuls corps; AE ne — 102 D que maulz; C font — io3 BPR car — 104 D tresgrant — io5 MDEJ et si gr. — 106 P Et si ; E Si tresamere ; EJ que bien soyes — 107 CPR Quil ; J ame — 1 10 J je say bien — 1 1 1 J en cuer comme je f.; EPR com — 1 1 3 JPR que — 1 14 J auant ce vous me prometres; me manque dans D — 11 5-6 manquent dans F (parchemin déchiré/ — n5 E moy — 1 19 C mon cuer souuent; J mort mon cuer — 121 P De mot en mot.
02 LE JUGEMENT DOÙ ROY DE BEHAÎNGNÉ
— « Certes, sire, et je le vous diray ».
— « Or dites donc ; je vous escouteray 124 Moult volentiers ».
— « Sire, il a bien set ans ou huit entiers, Que mes cuers a esté sers et rentiers
A Bonne Amour, si qu'apris ses sentiers
128 Ay très m'enfance.
Car dès premiers que j'eus sa congnoissance, Cuer, corps, pooir, vie, avoir et puissance Et quanqu'il fu de moy, mis par plaisance
1 32 En son servage.
Et elle me retint en son hommage Et me donna de très loial corage A bel et bon, dous, gracieus et sage,
1 36 Qui de valour,
De courtoisie et de parfaite honnour Et de plaisant maintien avoit la flour, Et des très bons estoit tout le millour.
140 Et s'ot en li
Gent corps faitis, cointe, apert et joli, Juene, gentil, de manière garni, Plein de tout ce qu'il faut a vray ami ;
144 Et d'estre amez
iî3 M et je vous e.; P et je lesc. — 12b D .vu. ou .vin. ans — 127 F que après; BDEJC si qua ses s.; B' corrige en si qua- prans ses s. — 129 D de premier: E depuis ce; J je oy — i3o C Cuers; P Mon cuer mon cors vie...; pooir manque dans J ; auoir manque dans C; EJ auoir vie (J et) puissance — 1 3 1 J quanque fu; C mais par pi. — 1 33 J me reçut; J seruage, corr. en hommage — 1 35 E A bon et bel ; D a bon a gr. — 1 38 et 1 3g intervertis dans C — 1 38 F auoir la 1. — 1 3g manque dans J (la lacune est indiquée avant le vers i38); R Entre les bons estoit tous dis meliour; E de tresbon ; tout manque dans D — 140 R Et sont en lui — 140-143 manquent dans J — 142 E Jeusne joieux — 143 P Et de tout; E que ; MCDP qui.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 63
Par dessus tous estoit dignes clamez,
Car il estoit vrais, loiaus et secrez,
Et en trestous fais amoureus discrez, 148 Et je l'amoie
Si loiaument que tout mon cuer mettoie
En li amer, n'autre entente n'avoie ;
Qu'en li estoit m'esperance, ma joie i52 Et mon plaisir,
Mon cuer, m'amour, mon penser, mon désir.
De tous les biens pooit mes cuers joïr
Par li vëoir seulement et oïr. 1 56 Tcus mes confors
Estoit en li ; c'estoit tous mes depors,
Tous mes solas, mes déduis, mes trésors;
C'estoit mes murs, mes chastiaus, mes ressors. 160 Et il m'amoit,
Par dessus tout me servoit et cremoit ;
Son cuer, s'amour, sa dame me clamoit ;
Tous estoit miens ; mes cuers bien le savoit; 164 Ne riens desplaire
Ne li peust qui a moy deiist plaire.
De nos deus cuers estoit si juste paire
Qu'onques ne fu l'un a l'autre contraire; 168 Einsois estoient
Tuit d'un acort; une pensée avoient ;
De volenté, de désir se sambloient;
Un bien, un mal, une joie sentoient 172 Conjointement,
145 B tout; tous manque dans M — 146 C vrais et loyaus — 147 D En ; CEJ en tous fais; P en tous cas; FMB et discrez (B' a effacé et) — i5o M amer autre — 1 5 1 J En lui; CBDJP et ma joie — 1 53 J mi désir — 154 E De trestous biens — 07 J E. trestous cest. — i58 J Touz mes déduis cestoit tous mes trésors; D Tout ; D mon déport — i5o. C mes murs ma tour et mon resors — 161 CEKJ tous ; P toutes — 1 63 JKP siens — 166 E est. tout une p. — 169 Tuit manque dans M ; DP Tout — 170 KJ de dit ce ressambl.; P sassembloient.
64 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
N'onques ne fu entre eaus deus autrement,
Mais c'a toudis esté si loiaument
Qu'il n'ot onques un villein pensement 176 En nos amours.
Lasse, dolente ! Or est bien a rebours ;
Car mes douceurs sont dolereus labours,
Et mes joies sont ameres dolours, 180 Et mi penser,
En qui mes cuers se soloit déliter
Et doucement de tous maus conforter,
Sont et seront dolent, triste et amer; 184 En obscurté
Seront mi jour, plein de maleurté,
Et mi espoir sans nulle seurté,
Et ma douceur sera dure durté ; 188 Car sans faillir
Teindre, trambler, muer et tressaillir,
Pleindre, plourer, souspirer et gémir,
Et en paour de desespoir frémir 192 Me couvendra;
N'a mon las cuer jamais bien ne vendra,
N'a nul confort n'a joie n'ateindra,
Jusques atant que la mort me prendra, 196 Qui a grant tort
Par devers moy, quant elle ne s'amort
173 E ne furent eux deux — 174 KJ Ains a este ; P Ainz a tou- diz este; AKJ este toudis ; D tousiours; E M. a t. — 175 manque dans KJ, ajouté plus tard dans J (par une seconde main) — 177 EJ au reb. — 179 J joie ; E mes grans joies ; KJ agues dolours — 180 D mon — 182 KJ de ses maus — i83 C Souuent se- ront; ME seront dolour — 1 85 C Seront un jour — 186 K securte — 187 KJ ma dolour; KJ dure adurte — 189 E Crain- dre tr. muet — 191 E paour de sc^poir — 192 E Moy — ig"3 E Ne jamaiz bien en mon cuer ne v. ; D Namais du cuer ja mes bien ne v.; KPR nauendra — 194 KJ Ne nul confort de joie nat- tendra; P Ne., ne; E Ne. . ma joie nattendra ; DP nattendra — 195 la manque dans J.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
65
A moy mordre de son dolereus mort, Quant elle m'a dou tout tollu et mort
200 Mon dous ami
Que j'amoie de fin cuer et il mi. Mais après li, lasse! dolente! eimy ! Ne quier jamais vivre jour ne demi
204 En si grief dueil,
Eins vueil mourir dou mal dont je me dueil. Et je qui fui boutez dedens le brueil Vi qu'a ce mot la dame au dous acueil
208 Cheï com morte.
Mais cils qui fu de noble et gentil sorte Souventes fois li deprie et enorte Moult doucement qu'elle se reconforte ;
212 Mais riens ne vaut,
Car la dame que grief doleur assaut Pour son ami sent un si dur assaut Qu'en li vigour et aleinne deffaut.
216 Et quant il voit
Que la dame pas ne l'entent ne oit,
Tant fu dolens qu'estre plus ne pooit;
Mais nonpourquant tant fait que bien perçoit
220 Qu'elle est pasmée.
Lors en sa main cueilli de la rousée Sus l'erbe vert ; si l'en a arrousée En tous les lieus de sa face esplourée
224 Si doucement
199 manque dans R — 201 KJ que )a. loiaument — 202 li man que dans D — 2o3 E vivre jamais — 204 si manque dans F; EKJ grant — 2o5 manque dans KJ — 206 P fui répons; J dessouz le br. — 207 C cest mot; D de bel acueil ; KJ ajoutent : De descon- fort de doleur et de dueil — 209 et manque dans BC, rétabli par B' ; KJ et gente force — 212 EK ni — 21 3 CDE qui — 214 manque dans C; E font — 2i5 C Qui la vigour; E si faut — 217 E ooit — 218 KJ porroit — 219 K Et; D non obstant; KJ fait (J et) appercoit — 220 D paumée — 222 a manque dans D — 223 KP Par; KJ yeus.
Tome I. 5
8T. NUCHAEL'8 COLLEGE
66 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Que la dame qui avoit longuement Perdu vigour, scens et entendement Ouvri les yeus et prist parfondement 228 A souspirer,
En regretant celui qui désirer
Li fait la mort par loiaument amer.
Mais cils qui ot le cuer franc sans amer
232 Dist : « Dame chiere, Pour Dieu merci, reprenez vo manière, Vous vous tuez de faire tele chiere,
Car je voy bien que moult comparez chiere
236 L'amour de li.
Si n'aiez pas le cuer einsi failli,
Car ce n'est pas preus, ne honneur aussi. »
— « Vous dites voir, sire ; mais trop mar vi
240 L'eure et le jour
Qu'onques amay de si parfaite amour, Car je n'en puis eschaper par nul tour; Eins y congnois ma mort sans nul retour. »
244 — « Dame, or oiez
Ce que diray et a mal ne l'aiez : N'est merveille se vous vous esmaiez, Car bien est drois que dolente soiez.
248 Mais vraiement
On trouveroit plus tost aligement En vostre mal qu'en mien ». — « Sire, et com- ment? Dites le moy, et de vo sairement
252 Vous aquitez. »
229 KJ qui souspirer — 23o KJ par lardanment amer —
233 C dieu a mercy; P refrénez — 235 KJ que trop comp.; D que vous comp. — i"h~] M ainssi le cuer — 238 KJ nest preux bien ni honneur — 239 DEKJ mal vi — 243 nul manque dans E — 245 KJ ne soiez — 246 CBDEKJR Nest pas meru. — 247 KE Ains est bien drois — 249 KJ En ; D Ou — 2 5o E quou mien; KJ sire comment — 25 1 E vostre; R vostre serment.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 67
— « Moult voulentiers, mais que vous m'escoutez, Et que vo cuer de tristesse gettez, Par quoy toute vostre entente mettez 2 56 A moy oïr. »
— « Certes, sire, po me puis resjoïr. Mais j'en feray mon pouoir, sans mentir.»
— « Dont vous diray quels maus j'ay a sentir, 260 Sans plus attendre :
Dame, très dont que je me sos entendre, Et que mes cuers pot sentir et comprendre Que c'est amsr, je ne finay de tendre 264 A estre amez ;
Si que lonc temps, pour estre amis clamez, Eins que mes cuers fust assis ne donnez N'a dame nulle ottroiez n'assenez,
268 A Bonne Amour
Par maintes fois fis dévote clamour
Qu'elle mon cuer asseïst a l'onnour
De celle en qui il feroit son séjour, 272 Et que ce fust
Si que loange et gloire en receiist
Et que, se ja mes cuers faire peiist
Chose de quoy souvenir li deûst 276 Ou desservir
253 D mes se vous — 2J4 KJ Dame et vo cuer de tr. ostez — 255 D Pour; KJ Affin que toute; E trestoute — 256 CP En — 25y C raen; M esjoir — 258 C je feray — 25g E diray je; C quel mal; D quel; E que — 261 E D. depuis; P treslors — 262 C sot; P savoir et c; FMBDK ne compr. — 263 P Questoit amer ; KJ ciert; DEKJ damer; KJ datendre ; R Quest vraye amour mes mon cuer sans reprendre — 267 C Na nulle dame; KJ A; D ne donnes; KJ nagraiez — 268 C Na —
269 E Fis m. f. devottement cl. — 271 D mon séjour; son man- que dans C — 273 E et grâce — 274 que manque dans R; BD se jamais cuers (D cuer; B' corrige en que jamais mes cuers); KJ que mon cuer se ja f. sceust; R si peust — 275 KJ Chose a son vueil qui plaire li deust — 276 E En ; KJ Ne.
68 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Nul guerredon de dame par servir, Qu'en aucun temps li deingnast souvenir De moy qui vueil estre siens, sans partir,
280 Toute ma vie.
Tant qu'il avint qu'en une compaingnie Ou il avoit mainte dame jolie, Juene, gentil, joieuse et envoisie,
284 Vins par Fortune,
Qui de mentir a tous est trop commune. Si en choisi entre les autres l'une Qui, tout aussi com li solaus la lune
288 Veint de clarté,
Avoit elle les autres seurmonté
De pris, d'onneur, de grâce et de biauté,
Et tant estoit humble et simple, a mon gré,
292 Car, a voir dire,
On ne porroit en tout le monde eslire Sa pareille, ne tous li mons souffire Ne porroit pas, pour sa biauté descrire
296 Parfaitement.
Car je la vi dancier si cointement Et puis chanter si très joliement, Rire et jouer si gracieusement,
3oo Qu'onques encor
Ne fu veù plus gracieus trésor. Car si cheveus ressambloient fil d'or Et n'estoient ne trop blont ne trop sor ;
278 P En; AV li deust s. — 281 qu manque dans E — 283 KJ J. g. de manière garnie — 285 EP est a tous — 286 M autre; CDEKP une — 287 EKJ ainsi — 288 ABD V. la cl. ; R Veu que de cl. — 28g E Par auoit ; K celle ; D toutes les autres — 290 E do. de senz; et manque dans KJ — 291 £ Tant fu h. — 292 EKJP Quau voir dire — 293 AV En — 294 C La; E par. très- tout le m. ; D eslire — 295 AV a sa b. — 298 très manque dans E — 3o2 Car manque dans KJ ; F cil ch. ; B' cilz ch.; KJ nlz ; E a rin or — 3o3 E Et si ne. ; D blanc.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 69
304 Son front estoit
Blanc et poli, ne fronce n'i avoit, Sans vice nul compassé si a droit Que trop large n'estoit, ne trop estroit ;
3o8 Et si sorcil
Qui estoient de taille très gentil Dessus le blanc sambloient un noir fil, Dont il fussent prisié entre cent mil.
3i 2 Mais si dui oueil
Qui de mon cuer vorrent passer le sueil Par leur rigour et par leur bel accueil, Pour moy donner le mal dont je me dueil,
3 1 6 Furent riant,
Nom pas moult vair, pour estre plus poingnant Et plus agu, dous, humble et attraiant, Tous pleins de las pour loier un amant
320 En amour pure;
Et s"estoient clungnetant par mesure, Fendus a point, sans trop grant ouverture, Tout acquérant par leur douce pointure ;
324 N'a l'entrouvrir
Ne se peiist nuls homs qui soit couvrir Qu'en mi le cuer ne l'alassent ferir, S'il leur pleûst, et pour euls retenir.
328 Mais leurs regars,
Merci donnant par samblant, aus musars N'estoit mie folettement espars ;
307 manque dans J ; E Que point trop 1. ; FMB larges — 309 E x\ussi est.; C taille si gentil — 3 10 D sembloit ; C sembloient bien voir fil — 3i 1 D furent — 3 1 2 J Et — 3 1 3 D vouloient — 3 14 D Pour 1. acueil et pour leur rigour; KJ Par leur regart — 3 1 7 JKP trop veir; D pou vair; E pour plus estre — 3 19 P pour lacier — 32 1 D clinans tant; K clinent et p. m.; J clinet et p. m. — 323 KJ Tous — 325 KJ Ne saperceust— 326 D Que mi; le manque dans E — 327 B' remplace la leçon de B eux par lui — 329 KJ au — 33o CB'DEKJPR Nestoient; KJ pas.
70 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Car quant lancier voloit un de ses dars, 332 Si sagement
Le savoit faire et si soutivement
Que nuls savoir nel peiist bonnement,
Fors cils seur qui il chéoit proprement. 336 Net, odorant,
Lonc et traitif, de taille bien séant
Avoit le nés au viaire afferant ;
Car il n'estoit trop petit, ne trop grant. 340 Mais sa bouchette,
Petite a droit, vermillette, grossette,
Toudis riant, savoreuse, doucette,
Me fait languir, quant mes cuers la regrette.
344 Car qui l'oïst Parler a point, et rire la veïst,
Et les douceurs par saveur recueillist, Il la prisast seur toutes et deïst;
348 Que deus fossettes
En sousriant faisoient ses joettes Qui estoient blanches et vermillettes Pour embelir, et un petit grassettes.
352 Et encor plus :
Les dens avoit blans, sarrez et menus, Et ses mentons estoit un po fendus, Votis dessous et rondez par dessus.
356 Mais a merveille
33 1 D vouloit lancer — 333 KJ Le voloit; EKJ si tressubtil- ment — 335 KJ il venoit — 336 KJ Et; DE Nés; B'P Nez; M Nef eudourant — 33j CEKJP traitiz; KJ bien faisant — 338 C aufferrant — 33g B ne trop petit — IÎ41 CDEP et gross. — 342 E samoreuse ; CDP et doue. — 342 et 343 intervertis dans E —
345 a point manque dans D; D ou rire; C et si ne la veist —
346 P la douceur; AV par sauoir — 34g E En son riant; K En soulz riant — 35o E Qui moult est. ; M blanche — 35 1 et man- que dans EP; P petitet : CJP grossetez ; E crassetes — 352 KJ Encore — 353 C ot blans; D blanches; E et serrez; C serrez et menues — 354 & Son mentonnet; C un petit f.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 7 I
Fu sa couleur, des autres nompareille,
Car elle fu vive, fresche et vermeille,
Plus que la rose en may, eins qu'on la cueille,
36o Et, a briés mos,
Blanche com noif, polie, de biau gros
Fu sa gorge, n'i ot fronce ne os ;
Et s'ot biau col dont je la pris et los.
364 Aussi est drois
Que je parle de ses bras Ions et drois Qui estoient bien fais en tous endrois ; Car elle avoit blanches mains et Ions dois.
368 A mon devis
Avoit le sein blanc, dur et haut assis, Poingnant, rondet, et si estoit petis, Selonc le corps, gracieus et faitis.
372 Sans nul mestret
Avoit le corps par mesure pourtret, Gent, joint, joli, juene, gentil, grasset, Lonc, droit, faitis, cointe, apert et graillet.
376 Très bien tailliez
Hanches, cuisses, jambes ot, et les piez Votis, grossez, bien et bel enjointiez, Par maistrise mignotement chauciez.
38o Dou remenant
Que pas ne vi, dame, vous di je tant Qu'a nature tout estoit respondant,
357 C autre separeille ; P despareille — 35c KJ en moy quant on la c. — 3Ô2 KJ Ot la gorgete ; E gueorgete — 363 C biau corps; C le — 364 M Aussis — 365 E parole — 366 KJ Quelle auoit; E estoient faiz en trestous endrois; J en t. droiz — 367 MCEKJ Et si — 369 blanc effacé dans D; dur manque dans C — 372 CDKJ mal trait — 373 KJ joli rondelet et crasset — 374 apert manque dans E; et manque dans D — 377 CBDR Blanches; R cuissettes; C et jambes ; E Auoit les jambes et autressi les pies — 378 E gras- ses ; KJP bel et bien entailliez; C entailliez — 379 E Et par maistrie; KJ Par mesure — 38 1 EKJ vous diray t. {KJ dire) — 382 B' Que par nature; C toute; KJ estoit tant r.; P estoit fait r.
72 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Bien fassonné et de taille excellent.
384 Et ce seurplus
Dont je ne vueil maintenant dire plus
Devoit estre sans comparer tenus
A plus très dous et a plus biaus que nuls.
388 Délié cuirien
Blanc et souèf avoit, sus toute rien Resplendissant, si qu'on si mirast bien ; Vice, tache n'i avoit fors que bien.
392 Douce et serrée
Avoit la char, tendrette de rousée, Mais de manière humble et asseùrée Et de très biau maintien estoit parée.
396 Et vraiement,
Tant fu belle, que je croy fermement, Se Nature qui tout fait soutilment En voloit faire une aussi proprement,
400 Qu'elle y faurroit
Et que jamais assener n'i saroit, Se l'exemple de ceste ci n'avoit Qui de biauté toutes autres passoit.
404 Et se vous di Qu'onques encor en ma vie ne vi Corps de dame si très bien assevi. Mais elle avoit quatorze ans et demi
408 Ou environ.
Si que, dame, quant je vi sa façon
383 KJ De la {K sa) façon et de t. plaisant — 384 DEdes.; EKJ Et du s. — 385 ne manque dans F — 387 DE Au; D au; KJ doulz que veoir peust nus. — 3g 1 E Vilte chaste ny; P ne tache — 392 E sucrée — 3g3 D plus tendre que r. ; EKJ tendre comme {KJ com); P com — 3g4 C simple et acesmee — 397 E Tant par fu — 398 K Que; J Que se ; D tant — 3qg C une faire — 400 B' Elle — 401 KJ Ne; E pourroit — 402 E lexemplaire —
405 E encores —406 E Si gentilz corps ne si bien asseruy — 409 E ma dame.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE *j?>
Qui tant estoit belle sans meffaçon, Dedens mon cuer la douce impression
412 De sa ligure
Fu telement empreinte qu'elle y dure, Ne onques puis n'en parti, dont j'endure Meinte doleur et meinte durté dure.
416 Et sans doutance,
Eins que partis fusse de sa présence, Dedens mon cuer se ficha si Plaisance, En remirant sa douce contenance,
420 Que sachiez bien,
Se j'eusse l'avoir Othevién, Et sceûsse le scens de Galién, Et avec ce tuit li bien fussent mien,
424 Je tout eusse
Guerpi par si, que vèoir la peiisse A mon voloir ou que faire sceiisse Chose a son vueil, dont plaire li deusse.
428 Mais Fine Amour
Qui vit que pris estoie par le tour De Plaisance qui m'ot mis en sa tour, En remirant son gracieus atour,
432 Sans menacier
Un dous regart riant me fist lancier
Par mi le cuer, et moy si enlacier,
Qu'il me sousmist en son très dous dangier,
436 Sans repentir.
Si me plut tant cils dangiers a sentir,
410 manque dans J — 412 KJ De sa douce f. — 41 3 C que el dure; y manque dans E — 415 KJ peine dure — 421 D Que se; KJ otinien ; M dothonien — 422 P Et si; E Et se eusse ; CK tout le sens galien; J Et avec ce sceusse tout le sens galien — 423 E tous les biens; CP tout; J Et tuit li bien du monde f. — 427 et 428 effacés dans F — 427 D De chose faire donc, peusse ; C mon vueil; KJ que plaire; M li pleusse — 43o E Et ; E si mot — 43 1 CKP En regardant; K precieus — 437 E ce dan- gier; C li dangier; DKJ son dangier.
74 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Quant cils regars se deingnoit assentir A descendre seur moy, que, sans mentir,
440 Je ne savoie
Qu'il m'avenoit ne quele part j'estoie ; Car scens, vigour et manière perdoie, Si durement par ses yeus me sentoie
444 Enamourez.
Adont désirs d'estre de li amez
En mon cuer fu si très fort enflamez
Que puis m'en suis cent fois chetis clamez
448 En souspirant ;
Car tel doleur sentoie en désirant Que ma vigour en aloit empirant Et meint penser avoie, en remirant
452 Son dous viaire ;
Car volentiers li alasse retraire Comment de cuer l'amoie, sans retraire. Mais la paour d'escondire ce faire
456 Me deffendoit;
Et d'autre part Bel Acueil m'appelloit, Son Dous Regart riant m'asseùroit, Et Dous Espoirs doucement me disoit
460 En loiauté
Et m'affermoit qu'onques si grant biauté Ne pot estre, qu'il n'i eust pité. Si m'ont cil troi tant dit et enorté
464 Que toutevoie
438 D Que; E son regart; KJP ses regars; M me d. ; D dai gnast — 489 E car s. m. — 441 C Qui me menoit; E quelque part ; M quel part ou jest. — 442 D manière et vigour — 443 K Tant; D ces — 445 C Adonc cuiday estre de li amez — 446 C Et; E fui — 447 P Que men sui puiz — 449 E doucour — 460 E aloie; D aloit en empirant — 45 1 E en désirant — 454 KJP du cuer — 455 D desconfire — 457 E maccueilloit — 458 AV masa- uouroit — 439 E moy — 462 E Si ne pourroit estre qui ny — 463 C Si moult; K si troy ; E les trois.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAJNGNE 7 5
Je m'acorday que m'amour li diroie. Helas ! einsi tous seuls me debatoie. Mais quant mes maus retraire li cuidoie,
468 Si paoureus,
Si veins, si mas, si las, si engoisseus, Si desconris, si tramblans, si honteus Estoit mes cuers et dou mal amoureus
472 Si fort espris,
Qu'en li n'avoit scens, manière, n'avis, Einsois estoit com transis et ravis, Quant bien vëoir pooie vis a vis
476 Sa biauté pure.
Lors estoit mors d'amoureuse morsure Mes cuers et poins de joieuse pointure Et repeùs de douce nourreture
480 Par Dous Penser
Qui ma doleur faisoit toute cesser Et garison me faisoit espérer. Einsi souvent avoie pour amer
484 Joie et tourment.
Si demouray en ce point longuement, Une heure liez et l'autre heure dolent, Qu'onques n'osay requerre aligement
488 De ma dolour.
Mais nompourquant grant destresse d'amour, Ardant désir, la crueuse langour, Ou j'avoie demouré par maint jour,
465 EP donroie — 466 PJ tous seulz ainsi — 467 E vouloie
— 469 P Si vils; E si mas si mors; P dolereus — 478 DKJ Quen moy ; CP sens mesure na. — 474 K estoie — 475 K Que
— 477 C Lors yere — 478 E damoureuse — 479 et 480 effa- cés dans F — 481 J Que — 483 E Ains; D auoir — 485 K La ; C demourra — 486 CP et autre ; E et une autre dolent ; KJ et une autre en tourment; D lautre h. tresdolent — 487 D Onques; CKJ ne soy ; D acquerre — 489 KJ la destr. — 490 E Dardant; KP désir et crueuse 1. — 491 j manque dans C.
76 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHA.INGNE
492 Son bel acueil,
Espérance de terminer mon dueil,
Sa grant biauté, si dous riant vair oueil,
Et ce qu'en li n'avoit goûte d'orgueil,
496 Le hardement
De requerre merci couardement Me donnèrent ; si li dis humblement, Moult tresmuez et paoureusement :
5oo « Ma chiere dame,
Vostre biauté mon cuer art et enflame,
Si que seur tout vous aim, sans penser blâme,
De cuer, de corps, de vray désir et d'ame.
504 Si vous depri,
Douce dame, qu'aiez de moy merci; Car vraiement, je morray d'amer ci, Se de vo cuer, qui a le mien nerci,
5o8 N'ay aligence. »
Et quant einsi li os dit ma grevance, Un pou muer vi sa douce samblance, Ce me fu vis; dont je fui en doubtance
5i2 D'estre escondis;
Mais ses regars m'asseùroit toudis, Et sa douceur, et son gracïeus ris, Si que par euls encor fui enhardis
5 16 De dire : « Helas!
Gentil dame, pour Dieu, n'ocièz pas Vostre loial ami, qui en vos las
492 F Mon — 493 KJP vueil — 494 D La ; E vert — 495 D Et pour ce que li — 497 A requérir — 499 K cresmeuz ; J tres- meuz — 5oi KJ art mon cuer ; P entame — 5o2 E Si que seruir vous vueil sanz p. bl. ; DKJP tous — 5o5 KJ Gentilz dame aiez — 5o6 E damour — 507 de manque dans D; KJ nourri — 5 1 1 AFM je fu; E je sui; vis manque dans KJ — 5 14 CK vis — 5 1 5 AFDKJ fu; E sui — 517 BD nohliez.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 77
Est si laciez qu'il en pert tout solas 520 Et toute joie. »
Lors se treï vers moy la simple et coie,
Pour qui Amours me destreint et maistroie,
Et dist : « Amis, certes, riens ne vorroie 524 Faire a nelui,
Dont il eiist grevance ne anui;
Ne l'en ne doit faire chose a autrui
Qu'on ne vosist que l'en feïst a lui. 528 Et, biaus amis,
Il n'est nuls biens qui ne soit remeris,
N'il n'est aussi maus qui ne soit punis.
Si que, s'Amours vous a d'amer espris, 532 Son guerredon
Vous en rendra en temps et en saison,
Se vous l'amez sans penser traïson.
Et s'elle vous trouvoit autre que bon, 536 Ne doubtez mie
Qu'elle ne fust vo mortel anémie,
Ne que jamais garison ne aïe
Vous fust par li donnée, n'ottroïe 540 De vos dolours.
Si que, biau sire, alez devers Amours,
Si li faites vos plains et vos clamours;
Car en li gist vos mors et vos secours, 544 Nom pas en moy,
5 ig D Est enlacies ; MEKJP tous — 52i C Et lors se traist; KJP traist (J treist); M traihi — 522 P Par; EKJ amour— 525 J ny — 526 KJE Ne on; C doit riens faire a a. — 527 E Que on voudroit; EP que on — 53o KJ aussi nul mal ne soit p. — 53 1 D que damours — 532 MCKJP Bon — 533 E rendre — 534 P Se le seruez; KJ lamer — 535 J Et elle; C trueue ; D trouuast — 538 £ garnison — 53g. CDE donne — 540 BD amours ; C dolour — 541 CP Pour ce — 542 E Et si li f.; K Et li f. ; P plaintes et cl. — 543 A vos mort; P vo mort; KJ vo maux; FMC ou vos sec; J ou v. dolours.
78 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Et pas ne sui cause de vostre anoy, Ce m'est avis, si que souffrir m'en doy. Plus ne vous say que dire, en bonne foy : 548 Adieu vous di. »
Adont de moy la belle se parti
Qui de si grant doleur me reparti
Que par un po que mes cuers ne parti 552 De son départ.
Mais la douceur de son plaisant regart
Par son dous art fist que j'en os regart ;
Qu'au départir de moy, se Dieus me gart, 556 Si doucement
Me regarda qu'il m'iert vis proprement
Que ses regars me disoit vraiement :
« Amis, je t'aim très amoureusement. » 56o Si que je fu
Tous confortez par la noble vertu
De ce regart qui puis m'a tant valu
Qu'il m'a toudis norri et soustenu 564 En bon espoir.
Et s'il ne fust, certeinnement j'espoir
Que je fusse cheiis en desespoir,
Mais riens qui soit ne me feïst doloir, 568 Quant ses regars
Estoit seur moy en sousriant espars,
D45 C Ne; E Qui; F suis — 546 E pour ce souffrir — 547 CP Rien ne v. say plus dire — 55o E Qui si très grant; D men parti ; CP départi — 55 1 £ po le mien cuer; KJ po li cuers (J le cuer) ne me parti — 554 ^D fis ; C fist que vostre regart — 555 E Au partir; C Que au partir; KJ Quant départi — 556 E Car si d. — 557 J met vis — 558 D proprement — 56o D jen — 56s C qui tant ma puis valu; EP q .i puiz ma tant valu: KJ trop valu — 563 E Que toudis ma n.; P tous jours — 567 KJ PC qui fust; P fist tant d. — 568 ses manque dans D ; CP espars — 56q KJ Estoient; P Quant sur moy ert ; KJ moy et souucnt et csp.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 79
Si que, ma dame, einsi de toutes pars Me confortoit et aidoit ses regars 572 De ma dolour.
La demouray tous seuls en grant fréour, Si qu'en pensant commensay son atour, Sa grant douçour, sa colour, sa valour
576 A remirer,
Son biau maintieng, son venir, son aler, Son gentil corps, son gracieus parler, Son noble port, son plaisant regarder,
58o Et son viaire
Qui tant estoit dous, humble et débonnaire Que de toute biauté fu l'exemplaire. Et quant j'eus tout remiré son affaire,
584 Certes, j'avoie
Moult grant déduit et moult parfaite joie,
Et pour très boneiireus me tenoie,
Pour ce, sans plus, que loiaument l'amoie.
588 Si que depuis
A li servir sui si tournez et duis,
Qu'en li servir s'est mis tous mes déduis,
N'autre labour ailleurs faire ne puis.
392 Si la servi,
Amay, celay, doubtay et obeï
Moult longuement, que riens ne me meri.
Mais en la fin tant l'amay et chieri
570 et 571 intervertis dans KJ — 570 K aussi ; M toute — by 1 D et ait ses r. ; K ardoit — by3 J errour — 374 E en penser — 575 KJ gr. valour sa douceur sa colour — 58 1 dous manque dans E ; D humble douz; et manque dans J — 582 E Et; KJ bonté; P fust; 1 manque dans KJ — 583 E retraitie — 585 D Mon — 586 KJ a tresbien eureuz; D tresbien — 587 D ce que sans plus loy. — 589 KJ A lui amer ; K fu; JP fui — 590 KJ fu mis ; E ay mis; P seruir estoit tous — 592 P le — 5g3 CP doubtay celay — 594 KJ men.
80 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
596 Qu'elle vit bien
Que je tendoie a s'onneur et son bien, Et que mes cuers l'amoit seur toute rien ; Si que tant fis qu'elle me tint pour sien
600 En tel manière
Que de bon cuer riant, a lie chiere, Me dist : « Amis, vesci t'amie chiere Qui plus ne vuet envers toy estre fiere;
604 Qu'Amours le vuet,
Qui de bon cuer ad ce faire m'esmuet. Et vraiement, estre autrement ne puet; Car moult grant chose a en faire l'estuet.
608 Pour ce m'amour
Avec mon cuer vous doin, sans nul retour; Si vous depri que vous gardez m'onnour, Car je vous aim dessus tous ethonnour. »
612 Et quant je vi
Que ma dame m'appelloit son ami Si doucement, et que le dous ottri M'avoit donné de s'amour, sans nul si,
616 Se je fui liez,
Douce dame, ne vous en mervilliez. Car j'estoie devant desconsilliez, Povres, perdus, despris, et essilliez,
620 Sans nul ressort,
Quant je failloie a son très dous confort. Mais recouvrez, ressuscitez de mort, Riche au dessus, pleins de grant reconfort,
597 CEKJ son. a son bien — 601 C Que de moi riant; E du bon C.J P cuer loyal a lie ch.; E a bonne chiere — 6o5 KJ me sueust — 606 E Et pour ce questre — 607 E Et quainsi faire le mesteut; KJ a ce faire — 608 E Du tout mamour — 610 et 611 intervertis dans D — 6io£)pri — 611 D sus — 61 5 de manque dans D ; D fi — 616 AFMBDC Si ; C Si fu moult liez ; R Je fu 1. — 618 J Car estoie — 621 D son dous — Ô23 D confort ; MJ des- confort.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHA1NGNE 8l
624 Et sans anoy
Fui, quant me dist : « Amis, a ti m'ottroy De très bon cuer. » Et ce très dous ottroy Cent mille fois me fist plus grant qu'un roy ;
628 Si que la joie
Ne porroit nuls raconter que j'avoie. Car tant fui liez que je ne l'en pooie Remercier ne parler ne savoie. '
632 Mais en la fin,
Com fins loiaus amoureus, de cuer fin Espris d'amer, sans penser mal engin, Moult humblement li dis, le chief enclin,
636 Et sans effroy :
« Dame que j'aim plus qu'autre, ne que moy, En qui sens, temps, cuer, vie, amour employ, Tant com je puis, nom pas tant com je doy,
640 Vous remerci
Dou noble don de vo douce merci. Car tant m'avez puisamment enrichi, Tant resjoï, si gari, tant meri,
644 Que vraiement,
Se quanqu'il a dessous le firmament Et quanqu'il fu et sera, quittement Me fust donnez pour faire mon talent, 648 Je ne l'amasse
Tant de cent pars, que je fais vostre grâce. Si pri a Dieu que jamais ne metface
623 DEP toy; C a ce — 626 DEK et de ; KJ tresbon arroy — 627 KJ fist greigneur quains roy ; D que roy — 63o P sauoie — 63 1 P pooie — 533 KJ Com fu loial — 634 et 635 intervertis dans E — 635 P doucement — 636 ./esroy — 637 M autrui — 638 E c. bien a.; P vie et amour; cuer manque dans KJ; KJ vie a mort employ — 640 D Tant; KJ Je vous mercy — 641 M noble merci — 642 E richement ; J noblement — 643 KJ si ame si gari —
645 a manque dans D, P il est — 646 KJ quanque fu — 647 E Mestoit donne — 649 P cent tans; MBEK com je fais — 65o CM prie; C que je jamais ne face; P que jamez rien ne face.
Tome I. 6
82 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Chose envers vous qui nostre amour efface,
652 Et que vo vueil
Puisse acomplir, einsi com je le vueil Faire, humblement, sans hautesse, n'orgueil. Car, se je puis, assez mieus que ne sueil,
656 Vous serviray
Très loiaument de cuer et ameray,
Et vostre honneur en tous cas garderay,
N'en dit, n'en fait, n'en penser ne feray
66o Chose envers vous,
N'envers autrui dont vous aiez courrous ; Einsois serez ma dame et mes cuers dous, Mes dieus terriens, aourez dessus tous;
664 Et sans doubtance,
Se je fais riens contre vostre plaisance,
Ne dont vos cuers ait courrous ne grevance,
Sachiez de voir que c'iert par négligence.
668 Ma dame, einsi
La merciay com vous avez oï, Dou noble don de sa douce merci. Et elle aussi me jura et plevi
672 Moult durement
Qu'a tous jours mais m'ameroit loiaument, Sans moy guerpiret sans département. Einsi regnay en joie longuement,
676 Que je n'avoie
Nulle chose qui fust contraire a joie,
65 1 manque dans J; E que; CDEK vostre ; K meftacc — 652 E Si — 653 C aussi com je sueil — 654 P dorgueil — 657 E et de cuer a. — 65g E diz nen fais — 661 D autre; KJ aucun — 663 K Mais; KJ dieux en terre; C dieus humains; E honnoures; KJ orez par dessus tous — 665 KJ Se je meffais encontre vo pi.
— 666 P Dont ; E ait doulour ; D ait ne doulour ; P ne courrous
— 667 DE vray; KJ cest; KJ ignorance — 669 E Len; P Le; D comme — 671 D ainssi ; P a pleui — 672 MC doucement; KJ humblement— 675 A resnay — 677 C Quelle.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 83
Mais envoisiez et reveleus estoie, Jolis et gais, trop plus que ne soloie;
680 Et c'estoit drois
Qu'a mon pooir fusse gens et adrois, Car par cuidier estoie en tous endrois Li mieus amez des amans et li rois.
684 Mais quant Fortune,
La desloial, qui n'est pas a tous une, M'ot si haut mis, com mauvaise et enfrune, Moy ne mes biens ne prisa une prune;
688 Eins fist la moe,
Moy renoia et me tourna la joe, Quant elle m'ot assis dessus sa roe, Puis la tourna, si cheï en la boe.
692 Mais ce fist elle,
La traître, toudis preste et isnelle
De ceaus traïr qu'elle met dessous s'elle,
Pour ce que Dieus et Nature la belle,
696 Quant il formèrent
Celle que j'aim, si fort se délitèrent
En la très grant biauté qu'il li donnèrent
Que loyauté a mettre y oublièrent.
700 Et bien y pert ;
Que je say bien et voy tout en apert
Que ma dame, qui tant a corps apert,
Que mes cuers crient, aimme, obeïst et sert,
704 A fait ami
Nouvellement, sans cause, autre que mi.
678 EKJP renuoisiez; CP et resueilliez; KJ et amoureux; D et enuoieus — 680 M Et sest. — 681 KJ fusse {K feisse) jeux esbanois ; E et drois — 685 E que — 686 E comme mauuaise enfrune; D enfronne — 689 D roe — 691 K Plus ; E et chei — 693 E Le traitre conduis prest et ynele; F traite; P tous jours — 694 K met dessoulz sesselle; J met souz sesselle ; B' dessuz elle — 697 E si bien ; KJ si del. — 699 E Car — 701 CK Car — 7o5 E de my.
84 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHA1NGNE
Si que, dame, se je pleure et gémi Parfondement et di souvent : « Aimy! »,
708 N'est pas merveille,
Quant sa fine biauté qui n'a pareille Et sa colour vive, fresche et vermeille, Et son très dous regart qui me traveille,
712 M'ont eslongié,
Et qu'elle m'a dou tout donné congié Et de tous biens privé et estrangié. Helas ! comment aroie je cuer lié?
716 Et a grant tort
M'a retollu ma joie et mon confort, Et si m'a mis en si grant desconfort Que je say bien que j'en aray la mort;
720 Ne riens deffendre
Ne m'en porroit, nés un seul confort rendre. Mais ce qui fait mon cuer partir et fendre, C'est ce que je ne me say a qui prendre
724 De mon anui.
Car il m'est vis, se par Fortune sui Jus dou degré ou jadis montez fui Par li en qui je ne me fi, n'apui,
728 A dire voir,
Que nul mal gré ne li en doy savoir, Car elle fist dou faire son devoir, N'elle ne doit autre mestier avoir
732 Fors de traïr
Ceaus qu'elle voit monter et enrichir,
706 E ma Jame — 707 E et souucnt dy — 709 M Que — 710 KJ Las et corn.; CDKJP a. le cuer; M je le cuer — 716 C Car — 717 C Ma tolu ; KJ Ma joie ma tolu; E déport — 718 et 719 intervertis dans KJ — 721 BD ne; P non; KJ ne nul bon con- seil rendre — 722 E que ; D quil ; KJ pâlir et frandre {J frein- dre); C rendre — 723 KJ plaindre — 723 P que par f. — 726 A" du dangier; Dsui — 727 KJ je me ne et apui — 728 K Au — 732 KJ Que — 733 CDKJP fait monter.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 85
Et de faire le bas en haut venir,
N'elle ne puet personne tant chierir 736 Que seurté
Li face avoir de sa bonneûrté,
Soit de joie, soit de maleùrté,
Que sus ou jus ne l'ait moult tost hurté. 740 C'est sa nature :
Si bien ne sont fors que droite aventure;
Ce n'est qu'uns vens, une fausse estature;
Une joie est qui po vaut et po dure ; 744 C'est fols s'i fie !
Chascun déçoit et nelui ne deffie.
Et se je di que la mort qui m'aigrie
Puis demander a ma dame jolie, 748 Par quel raison
Le feray je, ne par quel occoison?
Elle s'est mise en la subjection
D'Amours a qui elle a fait de li don 752 Entièrement,
Et vuet qu'elle ait très souvereinnement,
Com ses souvreins, seur li commandement
Si qu'el ne puet contrester nullement 756 A son plaisir,
Eins li couvient en tous cas obeïr.
Dont, se ma dame a plaisance et désir
De moy laissier pour un autre enchierir,
7I14 CKJ en haut les bas; E les bas — 736 E securte — 739 K J sus an {J au) niant; M laist; K heurte — 742 E Si; DE que; KJ qun veux; P quune; KJ estadure — 743 est manque dans EKJ — 746 E Et si di je; D Et si dit; KJ Et se di; BDEKJ magrie — 747 KJ Vueil d. a dame — 748 E Pour — 749 P et par ; B'DKJP achoison — 750 KJ Quelle soit; E sub- mission — 753 KJ quil — 754 KJ Com ses seruans; P Com souuerainnc; A souuereins — 755 CDE quelle — 757 KJ Qui — 757 et 758 intervertis dans KJ — jbg KJP chierir (J chérir); DE enrichir.
86 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
760 Ce fait Amour,
Nom pas ma dame, en qui tout a valour; Car elle fait son devoir et s'onnour D'obeïr a son souverein signour.
764 Si qu'il m'est vis,
Quant par Amour d'amer estoie espris, Qu'en ce faisant Amours a plus mespris Par devers moy que ma dame de pris,
768 C'est a entendre,
S'Amours pooit par devers moy mesprendre. Mais nullement je ne puis ce comprendre; Car longuement, com douce mère et tendre,
772 M'a repeû
De ses dous biens au mieus qu'elle a peu, Ne je n'ay pas encor aperceû, Pour nul meschief que j'aie receii,
776 Que tout adès
Elle ne m'ait com amie esté près
Et qu'el ne m'ait servi de tous mes mes,
De plours devant et de souspirs après.
780 C'est ma viande ;
Mes appetis plus ne vuet ne demande, Ne, par m'ame, riens n'est a quoy je tende Fors seulement a ce que mes cuers fende.
784 Einsi Amour
Croist en mon cuer au fuer de ma dolour, Ne ne s'en part, ne de nuit, ne de jour,
760 J amours — 761 CDEP tant; KJ toute v. - 762 KJ Maint quelle ; E son désir — 763 FM souurein — 764 E auis — 7C5 M dame jestoie; E estoit — 766 E Quay — 769 KJ entendre — 770 C puis recomprendre — 771 E mère tendre — 77? M ces — 775 KJ Par; FM meschies; D jai; E apperceu — 778 BDCE elle ; KJ met — 779 D auant — 781 EKJP vueil — 782 C Ne ma vie rien nest; E a qui jentende; D a quoy entende — 783 KJ tende — 785 en manque dans E ; D a fuer de d.; KJ cuer moult crueuse d.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 87
Eins me compaingne en mon dolereus plour 788 Par sa bonté;
Si que je di que c'est grant amisté
Qui m1a esté mère en prospérité,
Et encor est en mon adversité. 792 Si ne me puis
Plaindre de li, se trop mauvais ne suis,
Car sans partir de moy toudis la truis.
Ne je ne suis mie par li destruis; 796 Qu'elle ne puet
Muer les cuers, puis que Dieus ne le vuet.
Car quant Dieus fist ma dame qui me suet
Clamer ami, dont li cuers trop me duet, 800 S'il et Nature,
Quant il rirent sa biauté fine et pure,
Plaisant a tous seur toute créature,
Eussent lors en sa douce figure 804 Loyauté mis,
Je fusse encor appeliez ses amis,
Et ses cuers qui tant bien m'avoit promis
N'eust jamais esté mes anemis. 808 Pour ce di qu'en ce
Nature et Dieus feïrent ignorance,
Sauve l'onneur d'eaus et leur révérence, ■
Quant il rirent si très belle samblance 812 Sans loyauté.
787 KJP macompaingne ; D me comprent en moy d. — 790 KJP Quel — 791 E est encore — 792 M Je ne men p. — 793 KJ si tresmauuais — 794 KJ Quamie et près de moy — 797 C le cuer ; KJ depuis que dieux (./dieu) le veult — 798 KJ mestuet — 800 KJ Quil; D est — 801 KJ f. samblance — 802 E PI. sur toutes a toute cr. — 806 E tant des biens; CKJP qui maint (K moût; J mont) bien mauoit pr. — 808 KJ Si di ; E quausse — 809 C si firent ; EKJP firent grant ign. {KJ oubliance) ; D furent en ign. — 810 D et de leur — 811 P il fourmerent si très douce s.; E tresnoble.
88 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Car s'elle eust cent fois meins de biauté, Et elle fust loial, la grant bonté De loiauté l'etist plus honnouré 816 Que s'elle fust
Cent mille fois plus belle et mieus pleiist; Et en tous cas trop mieus plaire deùst, Pour ce qu'en li riens a dire n'eûst. 820 Si que je croy
Qu'a bonne Amour, a Fortune, n'a soy Riens demander de mes dolours ne doy. Et en puis je riens demander a moy? 824 Certes oïl !
Car je me mis de richesse en essil, De seiïrté en un mortel péril, De joie en dueil, par son regart soutil, 828 Et de franchise
En servitute ou on n'aimme, ne prise Moy, ne m'onnour, m'amour, ne mon servise, Ne ma vie vaillant une cerise. 832 Et nompourquant,
Il m'est avis que pas ne mespris, quant Je l'enamay, qu'en ce monde vivant N'avoit dame qui fust si excellent, 836 Ce disoit on.
Si devins siens en bonne entention, Ne jamais n'i cuidasse, se bien non, Pour la grandeur de son très bon renon 840 Qui m'a destruit.
81 5 J Sa; P amonte — 817 E Mil cent foiz; M mil — 818 KJ En irctous ; D Car ; J et mieus; E faire — 819 D que — KJ ajou- tent après le v. Si g les vers 848-855 — 821 E Car; DEP na f. — 823 KJ Et puis — 825 C a essil — 827 C par un reg.; KJ son engin — 828 KJ servise — 829 KJ en; C en aimme — 83o A ne mes biens; C ne mon cuer — 833 CE tant — 834 KJ ce siècle — 835 ME fu; E plus exe; AV si suffisant — 836 D Et — 83g KJ tresgrant.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 89
Mais ce n'est pas tout d'or quanque reluit, N'on ne doit pas tant amer son déduit Qu'on ne s'en puist retraire, quant il cuit.
844 Et se je fusse
Tous li mieudres dou mont, je n'esleusse Autre que li, ne mieus je ne peiïsse, Se loyauté en li trouvé eusse.
848 Si ne m'en say
Que demander et a qui m'en penray
Des griés doleurs et des meschiés que j'ay.
S'on m'en demande, a tous responderay
852 Qu~ c'a fait Dieus
Et Nature; dont c'est meschiés et dieus, Quant il firent son corps en trestous lieus Si bel, si gent, si dous, qu'on ne puet mieus,
856 S'il fust loiaus.
Si me penray a eaus deus de mes maus? Je non feray, car il me sont trop haus, Eins soufferray, c'est mes milleurs consaus,
860 D'ore en avant.
Or vous ay dit la manière comment Amours me flst estre loial amant, L'estat, la guise et tout le couvenant, 864 Ce qui m'avint,
Gomment pris fui, comment on me retint,
841 CKJP tout or; AFMC quanqui; Jluist— 842 COn;E tout
— 843 manque dans F {parchemin déchiré); C se; C on cuit; KJ est cuit ; E ains quil cuit— 844-847 manquent dans KJ — 845 E Com le meilleur du; C ou mont ; D monde; E ne eusse — 848 KJ Ainsi nen say — 84g D ne a qui ; KJ ne a qui men plaindray
— 85o KJ grans ; E du meschief — 85 1 D me ; B'DEP je respon- dray; C en respondray; KJ a trestous respondray — 852 J la; P ce f. — 854 D en tous lieu — 855 BDE si dous si gent; P Si bel si bon si gent — 857 M men ; E a tous ; D a cez — 858 D nen 859 K Mes — 860 manque dans J; D Doresenauant — 865 D Comme prins sui ; CEKJ tu.
90 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Comment de moy ma dame ne souvint, Les biens, les maus qu'endurer me couvint
868 Jusqu'au jour d'ui,
Comment je n'ay aïe de nelui, Comment vengier ne puis mon grief anui, Dont a par mi me mourdri et destrui;
872 Si que je di,
Se bien m'avez entendu et oy,
Que la doleur dont en morant langui,
Qui mon viaire a desteint et pâli
876 Par sa rigour,
Est de vos maus cent mille fois gringnour; Car fine joie et parfaite douçour Sont vostre mal encontre la dolour
880 Qui me martire ».
— « Certes, sire, pas ne vous vueil desdire Que vous n'aiez moult de dolour et d'ire, S'einsi perdez ce que vos cuers désire.
884 Mais toute voie,
Il m'est avis, et dire l'oseroie,
Considéré vo dolour et la moie,
Qu'il a en vous meins dolour et plus joie
888 Qu'il n'ait en moy.
Si vous en vueil dire raison pourquoy : Vous m'avez dit que vous amez en foy Ceste dame qui tant vous fait d'anoy,
892 Et amerez
866 BD ma dame de moy; B' ajoute rien entre moy et ne — 868 A a — 869 MDKJP aide — Dans C l'ordre des vers est le suivant : 871, 870, 869, 872; dans P 869, 871, le vers 870 man- que; après le vers 871 on lit : Et si ny voy ne secours ne refui — 870 E grant — 871 A mourdris: me manque dans D — 87b J destraint; C destruit — 876 KJ vigour — 881 C biau sire; M pas je ne; E veul dire — 883 J Ainssi — 887 D maint doulour — 888 DEKJP na — 889 D veul rendre — 890 vous manque dans M; D vous amee; en foy manque dans B.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE CI
De loial cuer, tant comme vis serez. Et puisqu'il est einsi que vous Tamez, Certes, je croy que s'amour desirez.
896 Car avenir
Voy po souvent qu'amours soit sans désir, Ne que désirs d'amours se puist souffrir D'espérance; et s'avez souvenir
900 Aucune fois.
Dont, quant vos cuers est par désir destrois, Il vous souvient de la belle aus crins blois, Dont vous avez des pensers plus de trois.
904 Si ne puet estre
Que vous n'aiez aucun penser qui nestre Aucune joie face en vous, qui remestre Fait la dolour qui si vous tient a mestre,
908 Si qu'a la fie
Par souvenir avez pensée lie
Qui vo dolour espart et entroublie.
Mais la mienne jour et nuit monteplie
912 Sans nul séjour,
Et toudis croist li ruissiaus de mon plour, N'avoir ne puis pensée par nul tour, N'esperance de recouvrer m'amour.
916 Mais par servir,
Par honnourer, par celer, par cremir,
8g3 KJ comme vous viurez — 8g5 manque dans F (parchemin déchiré) — 897 KJ Voit on s. que mort; P quamans; D sont — 901 M désirs — 902 la manque dans J; FM as ,* E clins ; F blons — 9o3 P auez pensées — 904 E peust — go5 A que — 906 KJ Aucune fois en vous faut qua remetre (K que remerte) ; C en vous fait ; BD fait ; qui manque dans E — 906 et 907 intervertis dans KJ — 907 Fait manque dans E ; E ci ; si manque dans D; B' qui vous tient comme mestre ; KJ tient et mètre — 911 KJP la moie ; ME KJP nuit et jour — 912 P Et sanz s. — 91 3 E lui ruisseaux — 914 K par ma tour — 917 manque dans P; KJ Par bien amer et du cuer obéir; D honnour ; DE par seruir par cr.
92 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Par endurer liement et souffrir,
Par bien amer de cuer et obeïr 920 Très humblement
Pouez encore avoir aligement,
Joie et l'amour de celle ou vos cuers tent.
Si que je di que j'ay plus de tourment. 924 Et moult visible
Est la raison, ce m'est vis, et sensible :
Car de ravoir vo dame, c'est possible;
Mais mon ami ravoir, c'est impossible 928 Selonc nature ».
— « Dame, d'onneur, de sens et de mesure
A plus en vous qu'en autre créature;
Car par vo sens mis a desconfiture 932 Moult tost seroie,
S'a vos raisons respondre ne pooie.
Car vraiement, faire ne le saroie
Si sagement, com mestier en aroie. 936 Mais repeter
Vueil vos raisons, se j'y puis assener.
Vous arguez que j'aimme sans fausser
Et ameray, tant com porray durer, 940 Sans repentir;
Et puis que j'aim, il faut qu'aie désir
Qui ne se puet déporter ne souffrir
D'espérance ; et si ay souvenir
918 C et par s. — 919 KJ Et par franchise cuer et corps H {K lui) offrir; A oubeir — Après le vers 919 P ajoute : Et de vo dame faire tout le plaisir. — 921 D auoir encore — 922 E et amour — 923 D Si di je que ; E jay moult — 924 D Tretout v. — 925 E est ; M visible — 926 E vostre dame est — 927 c man- que dans KJ — g3o P nulle créature — 933 MCBDKJ sauoie — 934 DK Et; le manque dans J ; C pourroie — g33 C comme — 937 D se puis y ass.; E se je puis; KJP jy scay ass. — 939 C puisse — 940 KJ repartir — 941 P Et puis quil faut que je aie désir; EKJ que je désir ;D que jaie.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 93
944 Qui esmouvoir
Me fait souvent a maint penser avoir. Certes, dame, ce vous ottroi pour voir, Fors seulement que je n'ay point d'espoir.
948 Mais sachiez bien,
Dame, comment qu'il n'ait partout que bien, Qu'en ce vostre entendement et le mien Ne se joingnent, ne acordent en rien,
962 Eins sont contraire,
Einsi com je le vous pense a retraire, Quant poins sera. Mais ce ne vueil pas taire Que vous dites qu'encor puis je tant faire
936 Par honnourer,
Par bien servir, par souffrir, par doubter, Par obéir, par loiaument amer, Qu'en joie puis ma dame recouvrer.
960 Maisceseroit
Moult grant maistrie au garder qui l'aroit. Car en un lieu son cuer n'arresteroit Nés que feroit un estuef seur un toit.
964 Et vostre amour,
Qui tant avoit de pris et de valour, Ne pouez mais recouvrer par nul tour, Dont vous avez veinne et pale colour.
968 Si qu'einsi dites
Que mes dolours sont assez plus petites Que les vostres, dont je ne sui pas quites,
945 KJP et maint — 946 P je vous — 950 D Que se ; E Quen vostre — 951 DP de rien — 953 P les ; vous manque dans E a manque dans C — 9^4 EP Quant temps ; C mais pas ce ne v. t., P mais ne me v. pas t.; E pas atraire — 957 D A ; E par celler
— 958 E Pour o. et 1. — 95g P Quencores ; D de mamour rec.
— 961 KJ gr. chose ; P maistrise ; DEKJ a g. — 962 D en bon lieu ; KJ ne sesteroit — 96? DK Ne ; P estuet ; C doit — 969 E doulcours.
94 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Ne que pas n'ay acquis par mes mérites. 972 Si respondray
A ces raisons au mieus que je porray,
Et sus chascune un po m'arresteray ;
Si en diray ce que j'en sens et say 976 De sentement.
Dame, il est voirs que j'aim très loiaument Ce qui me het, c'est ma dame au corps gent, Qui est ma mort et mon destruisement,
980 Quant je li voy
Autrui amer, et n'a cure de moy
Qu'elle deust amer en bonne foy,
Si qu'a peinne que tout ne me marvoy
984 De ceste amour.
Car, s'elle amast ma vie, ne m'onnour, • En la doleur ou je vif et demour Ne me laissast languir l'eure d'un jour
988 Pour tout le monde;
Mais en vertu font monteplier l'onde De la doleur qui en mon cuer habonde Amours premiers et ma dame seconde.
992 Pour ç'ay désir.
Mais quels est il? Il est de tost morir, Car il n'est riens qui me peiist venir Dont je pelisse espérer le garir.
996 Et se j'avoie
971 D pas nen ay ; K apris ; par manque dans E ; mes manque dans C — 973 KJ ses; K saray — 975 K Et; KP je sens — 977 E yray ; KJ jaimc loyaument — 979 KJ est mamour ; C deffine- ment — 980-983 Ces vers ne se trouvent que dans CEKJPR — 983 E painez ; me manque dans E ; R que tout mort ne me voy — 985 P et ma vie; CP et mo.; D mon honnour — 989 P en dolour, à la marge en vertu; RJ vertus; E fait — 990 manque dans KJ — Après le vers 991 KJ ajoutent : Corps joint joli jeune deue faconde — 992 D cy — 993 E Et: EKJ fenir — 994 KJ r. dont il me puist v. — 995 J puisse.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 95
L'amour de li mieus que je ne soloie,
Ne say je pas, se je m'i fieroie.
Certes, nennil ! Pourquoy ? Je n'oseroie. iooo Car nourreture,
Si com on dit, veint et passe nature,
Et toudis va, s'il ne se desnature,
Li leus au bois; c'est la vérité pure. 1004 Et par ce point
En mon désir d'espérance n'a point,
Mais en li gist desespoir si apoint
Que je seray matez en l'angle point 1008 Dou souvenir
Que vous dites, qui fait en moy venir
La pensée qui me fait resjoïr.
Certes, de lui ne puis jamais joïr, 1012 Ne n'en joï,
Ne ne le vi, ne senti, ne oi,
Puis que ma dame ot fait nouvel ami ;
Car adonques se parti il de mi. 1016 Si vueil prouver
Que c'est la riens qui plus me puet grever
Et qui plus fait mon cuer désespérer
Que souvenir. Vous savez, et est cler, 1020 Chascuns le voit,
Que, se jamais il ne me souvenoit
997 EKJ de lui (K li) ainsi com je soloie — 999 D C. je nen- nil; F nanil; KJ je ne pourroie — Les vers 1000- 1047 ne se trou- vent que dans CEKJPR — 1001 Ce. len ; on manque dans J — 1002 C tousjours — ioo3 KJ ou ; P de sa propre nature, à la marge cest la vérité pure; la manque dans C — ioo5 E Eus — 1006 PR a li {R lui) joint d.; C a lui tout d. — 1007 KP jen ; R mat ou aueugle a p. — 1008 KJ Dont — 1009 R quil — 1010 C ma — 101 1 C ne puisse mais ; P ne puiz je mes joir — 1012 P 3e;KJ Ne ne — ioi3 C Ne uere (sic); KJ ne oy ne senti— ioi5 KJ adont; KJ p. el demi — 1019 E s. cest tout cler; KJ que cest cler ; R vous le veez au cler.
96 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAIXGNE
De ma dame qui me tient si destroit,
Que ma doleur oubliée seroit. 1024 Et s'elle estoit
Oubliée, Poubliance feroit
Qu'elle dou tout morroit ou cesseroit;
Et ce garir de tous maus me porroit. 1028 Mais qu'avient il ?
Cils souvenirs, par son engin soubtil,
Me ramentoit le viaire gentil
Et le gent corps pour qui mon cuer essil, io32 Mes engendrez,
Nez et fenis est et continuez
Tous en doleur. Pour quoy? Pour ce qu'amez
Cuiday estre, quant amis fui clamez io36 Très doucement.
Helas! dolens ! or est bien autrement,
Quant ma dame aimme autre nouvellement.
Et puet on pis, dame, s'on ne se pent?
1040 Certes, nennil !
Car c'est pour mettre un amant a essil ; N'eschaper hors de si mortel péril N'en devroit pas un d'entre cinq cent mil. 1044 Dont il avient
Par maintes fois, quant de ce me souvient,
1022 E qui moult me t. destr.; KJP t. moult destroit; R moult estroit — 1023 PMa grant dolour; E ma dame — 1023 C loyauté feroit; KJR seroit — 1026 KJ moctroit ou seleroit — 1027 R Ainsi; P ne p. ; CPR pouoit — 1029 R Se — io3o R la manière — io3i Et manque dans R: P le corps gent ; KP par qui; P mon corps; KJ au cuer; R p. quoi le mien en exil — io32 E Met; KJ Maist; R Mest— io33 R Naist — 1034 E do- lours; pourquoi manque dans E — io35 C Cuidoie ; KJ bien estre — io36 EKJ humblement — 1037 CP d. et ore est a. — io38 KJP Que — io3g manque dans A'./; R qui ne se p. — Les vers 1041-1043 dans KJ sont remplaces par les vers 1805-7 —
1041 P en exil — 1042 P dun tel mortel — 1043 E Ne; EPR entre; cinq manque dans R — 1044 KJ Et.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 97
Que mes las cuers dedens mon corps devient Si dolereus que pasmer me couvient.
1048 Et se pensée
Par souvenir est en moy engendrée, Quelle est elle? Elle est desconfortée, Triste, mourne, lasse et désespérée.
io52 Et, par ma foy,
Je n'ay penser qui ne soit contre moy ; Et si le pren au pis. Savez pour quoy ? Pour ce qu'aler ma dame en change voy.
io56 Et se la joie
Que j'avoie, quant en sa grâce estoie, Ne fust plus grant que dire ne saroie, N'ymaginer ne penser ne porroie,
1060 La grief dolour
Qui me destreint en fust assez menour. Mais de tant plus que j'eus joie grignour, De tant est plus crueuse ma langour.
1064 Et que ravoir
Puisse ma dame, ou je n'ay nul espoir,
Ymaginer ne le puis, ne vëoir.
Se vous diray ce qui m'i fait doloir :
1068 Dame, il me samble
Qu'une chose qui se part et assamble En pluseurs lieus, et avec c'elle tramble Et n'arreste ne que fueille de tramble,
1072 Et n'est estable,
1046 AV sesteint — 1049 M Par mo>' — io5i CP T. lasse mourne (C morte) — io53 E pensée — 10^4 A se; BD se je le — io55 FMCJ au change — 1060 E Ma — 1061 C destruit ; E destaint; EKJ et fait assez — 1062 D tant pris; E corn jay; KJ com la joie iert — io63 C cruelle; E dolour — io65 P dame je ny ai nul e. — 1066 BDFJK la — 1067 KJP me; CP mouuoir — 1069 D Se une — 1070 et manque dans D\ c manque dans P ; C el; E ce il me semble; KJ ce se change — 1071 MBEKP Ne; P sarr. ; M nés; C neiz ; E qui tramble — 1072 J Ne.
l'ome 1 . 7
98 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGXE
Eins est toudis changant et variable, Puis ci, puis la, or au feu, a la table, Et puis ailleurs, c'est chose moult doubtable,
1076 Car nullement
On ne la puet avoir seurement :
C'est droitement li gieus d'enchantement,
Que ce qu'on cuide avoir certeinnement,
1080 On ne l'a mie.
Einsi est il, dame, quoy que nuls die, De ma dame qui se change et varie, Donne et retolt, or het, or est amie,
1084 N'en une part
N'est tous ses cuers, et s'aucuns y repart, Certes, je croy qu'il en a povre part. Et que de li celle part tost se part.
1088 N'a droit jugier,
Amans ne puet avoir homme si chier
Qu'il le vosist avoir a parsonnier
En ses amours, sans plus, nés par cuidier.
1092 Et pour c'a plein
Ne puis avoir son cuer, dont je me plain ; Car cuers qui va einsi de main en main, S'on l'a ennuit, on ne l'a pas demain ;
1096 Et toute voie
Est vrais amans li drois oisiaus de proie, Car il ne vuet avoir pour toute joie
1073 P E. est ch. muant et v. — r <"■ 7 4 CKJ ca ; or manque dans C; EKJ ore a [E au) table; P et a la t. — 1078 ADEKJP le gieu — 1079 EJ Car; EKJ seurement — 1082 EKJ Dune dame — io83 E Puis rit puis pleure puis het — 1086 M ait — 1087 E de celi; C dautre part; KJ de lui tantost celle se [K ce) part; P tost départ — 1089 CP Au mains ; P puet elle home auoir si ch. — 1090 P Quel ne vaù&ist auoir .1. p. — 1091 KJ Aincois am. et vers li parconnier; E am. et neys par cuidier — 1092 EKJ Pour ce; C pou a pi. — 1098 C Puet on a. — 1095 FEKJ a nuit — 1097 KJ drois (K droit) am.; P drois amez ; KJ li uns oys. ; P li dous ; E li vrais — 1098 F puet ; ./ proie.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 99
Fors tout le cuer de celle ou il s'otroie.
1 100 Si que je di
Que vous rariez aussi tost vostre ami, Comme on aroit mué le cuer de li Ad ce qu'il fust entièrement en mi
1104 Mis sans retraire ;
Car on ne puet le leu de sa piau traire,
Sans l'escorchier, n'on ne puet d'un buef faire
Un esprivier, ne aussi le contraire.
1108 Et, douce dame,
La coustume est partout, d'omme et de famé, Que, quant dou corps s'est départie l'ame Et li corps est en terre sous la lame,
1 1 1 2 Qu'en petit d'eure
Est oubliez, ja soit ce qu'on en pleure. Car nul n'en voy ne nulle qui demeure Tant en son pleur qu'a joie ne requeure,
1 1 16 Eins que li ans
Soit acomplis, tant soit loiaus amans, Ne excepter n'en vueil petis ne grans. Et vraiement, je croy que ce soit sens.
1 120 Si en ferez
La coustume ; pas ne la briserez, Car ja de nul reprise n'en serez, Et de bon cuer pour l'ame prierez.
1 124 Mais en oubli
Ne puis mettre celle que pas n'oubli.
1099 D celle a qui — 1101 P raurez — 1 102 J Com ; C Que on nauroit — 1 io3 DE ami — 1 104 D Et — 1 io5 K Mais — 1 106 1 manque dans EKJ ; C nen; P ne con puet; C de buef; E du buef — 1107 C Bon; KJP et aussi — nog C est domme hu- main et de f. — 1 1 10 CDEKJP c. est — 1 1 1 1 P gist ; E enter- rez — 11 14 AFMBKJ nuls — 1 1 1 5 EKJ que joie; E que je ne recueure — 1 1 18 D ne vuel ; DK petit — 1 122 et ua3 inter- vertis dans EKJ — 1122 KJ de moy ; M nulz — 1 1 23 C cuer dieu pour lui pr.
IOO LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Car Souvenir Ja tient moult près de mi Sans départir jour, heure, ne demi,
1 1 28 Et si la voy
Assez souvent, dont tous vis me desvoy, Quant longuement de mes yeus la convoy Et je n'en ay joie, ne bien, n'avoy,
1 1 32 Eins vov autrui
Qui joie en a. C'est ce dont me destrui ; Car s'elle amer ne vosist moy ne lui, Les maus que j'ay ne pleingnisse a nelui,
11 36 Eins les portasse
Dedens mon cuer humblement et celasse,
El en espoir de joie demourasse,
Si que meschief ne doleur ne doubtasse.
1 140 Ne départir
N'en vueil mon cuer, pour doubte dou partir, Qui trop demeure en vie, et, sans mentir, Je ne saroie amer a repentir.
1 144 Et si seroie
Faus amoureus, se je m'en departoie ; Car sans nul si li donnay l'amour moie. Si l'ameray, que qu'avenir m'en doic ;
1 148 Et, par ma foy,
Si loiaument l'aim que j'ay plus d'anoy Cent fois pour li que je n'aie pour moy, Quant s'onneur voy amenrir ; car au doy
1 126 moult manque dans D; B' trop près — 1 127 DP repen- tir ; DK heure jour — 112g EKJ dcsroy — u3i EKJ ay bien ne joie nen (E ny) voy; B nen nay ; C bien nen ay; FD nanoy
— 11 32 P Et — 1 1 34 M moy nautrui — 11 35 C nen — 11 38 C Si — 11 3g P dolour ne meschief — 1141 C Ne; KJ den — 1 142 et manque dans J ; KJ partir — 1 143 A.' Ne ; M Ja; E pour rep. — 1 1 45 P me; EKJP repentoie — 1 146 D sans si nul — 1147 C Et; D quil qua.; MKP quoy qua. — n5o MCBDEKJ His; E que nay une pour moy ; D na] : KJ de moy
— n5i C voy sonnour; /•.' Quar souuent voy auenir et au doy.
LE JUGEMENT HOU ROY DE BEHAINGNE 101
1 1 52 La mousterront
Ceuls et celles qui ceste ouevre saront, Et meins assez en tous cas la croiront, Qu'a tous jours mais pour fausse la tenront.
i i 56 Car de meffait
C'est un vice si villein et si lait, Car qui le fait, ja de pooir qu'il ait, N'iert de tous poins effacié ne deffait.
ii 60 Pour ce conclus,
Dame, que j'ay de doleur assez plus, El que plus tost a garison venus Seroitvos maus que cils dont sui tenus.
1 164 Et jugement
En oseroie attendre vraiement, Se nous aviens juge qui loiaument Vosist jugier, et véritablement. »
1 168 — « Par m'ame, sire,
Et de ma part jevueil et ose dire Que de mon cuer le jugement désire. Or regardons qui nous volons eslire
1 172 Qui sans déport
Sache jugier li quels de nous a tort;
Car avis m'est que li maus que je port
Est si crueus qu'on ne puet plus sans mort. »
1 176 — « Dame, je vueil
Que li juges soit fais tout a vo vueil. » — « Mais au vostre, biau sire, et si conseil Qu'il ne soit fais fors par vostre conseil,
1 1 55 manque dans F (parchemin déchiré); EK Et — 1 1 56 E de mes fait — 1 1 58 E Que quil ; KJ ja pour pouoir — 1 i5g E Nest — 1 161 P Qui jay dame — 1 1 65 E entendre — 1 166 C vous auez; E auons; À' veons; J voions — 1 169 EKJ Et de mon cuer — 1 170 D Qui de bon cuer; EKJ Que brief mon c. — 1 171 EKJP regardez ; E que; EKJ vous voudrez — 1 174 E Or mest il vis — 11 75 D Et — 1176-9 manquent dans KJ — 1 1 77 E le juge- mens: fait tout manquent dans D — 1 1 79 MBEPC fais que par.
102 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHA.INGNE
1 180 Car vous l'avez
Premiers requis; pour ce dire devez ». — « Certes, dame, or ne vous en lavez, Mais, vous, dites, pour ce que plus savez
i 184 Que je ne fais. »
Et quant je vi qu'il voloient que fais Fust jugemens de leurs dolereus fais, Mes cuers en fu de joie tous refais.
1 1 88 Si ne savoie
De deus choses la quelle je feroie, D'aler vers eaus, ou se je m'en tenroie. Car volentiers mis les eusse en voie
1 192 De juge prendre
Tel qu'a jugier leurs fais peiist entendre, Si souffissant qu'il n'i eiist qu'aprendre, Et qu'après lui n'i eûst que reprendre.
1 196 Si m'avisay
Moult longuement, et pris mon avis ay Que j'iroie a eaus. Lors sans delay Je me levay et devers eaus alay
1200 Tout le couvert
Parmi l'erbe qui estoit drue et vert ;
Et quant je vins si près d'eaus qu'en apert
Les pos vëoir et tout a descouvert,
1204 Le petit chien
Prist a glatir qui ne me congnut rien, Dont la dame qui moult savoit de bien
1180 KJ Et — 1181 CDEKJP Premier; C si que dire — 1 182 C dame mais vous lottroy auez — 1 1 83 dites manque dans D; E direz; CP le dittes — 1 185 £" vouloie — 11 86 KJ de si dol. — 1 187 D c. si fu — 1 189 D lesqueile — 1 19 3 E que; J qui; CDKJ leur; B' peut — 1194 C Et; DEKJ qua {KJ que) reprendre — 1 195 manque dans D; KJ Et après — 1 197 E Lon- guettement; D long prins après auis; CKP et puis — 1198 BD lors a eulz — 1201 J dure et v. — 1202 KJ Et que — i2o3 M po; C pou; KJP poy — 1205 C conneust.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHA1NGNE IC>3
En tressailli — je m'en aperçu bien ; — i 208 Si l'appella.
Mais moult petit prisié son appel a,
Qu'en abaiant li chiennes m'aprocha,
Tant que ses dens a ma robe acrocha. 1 212 Si le hapay,
Dont il laissa de paour son abay.
Mais en mon cuer forment m'en deportay,
Pour ce qu'a sa dame le reportay, 12 16 Pour avoir voie
Et occoison d'aler ou je voloie ;
Si que toudis son poil aplanioie.
Mais quant je vins ou estre desiroie, 1 220 Je ne fui mie
Mus, n'esbahis; einsois a chiere lie
A y salué toute la compaingnie,
Si corn faire le sos de ma partie. 1224 Li chevaliers
Qui sages fu, courtois, et biaus parliers,
Grans, Ions, et drois, biaus, et gens, etlcgiers,
Et d'onneur faire apris et coustumiers, 1228 Sans plus atendre,
Courtoisement me vint mon salut rendre.
Et la dame ou Nature volt entendre,
Si qu'on ne puet sa grant biauté comprendre, 1232 Vers moy se trait
Moult humblement, doucement, et a trait.
1209 EKJ prisa son appella {K apel a) — 12 10 L Quant; J chenet — 121 1 D qua ses dens ma; C en ma robe — 1 2 1 4 EKJP me — 12 15 E De; Ï)EKJ raportay ; C portay — 1218 C Et; CEKJP son poil toudis — 1220 D fus mis — 1222 KJ Jay — 1223 KJ say — 1223 DKJ Qui fu sage; D parleur — 1226 C G. bons; K G. homs et dr. ; R 1. et bel droit; D beaus et lonc : Pb. gentilz et I. ; £ Beaux Ions et droiz grans et gros et 1. — i23i EP pot ; D la gr. b. — 12^2 A traist — 1233 MCBDEKJP M. bellement; Mss. attrait.
104 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Car elle avoit moult gracieus attrait
Et le maintien humble, dous et parfait, ia36 Et cheveus blons,
Les yeus rians, plus vairs que nuls faucons ;
Et ses corps fu gens, joins, gentils, et Ions,
Et plusapers que nuls esmerillons. 1240 Et s'ot l'entrueil
Grandet a point, manière et dous acueil,
Mais son attrait et son gent appareil
Qui simples fu n'avoit point de pareil; 1244 Et si fu blanche
Plus que la noif, quant elle est sus la branche,
Sage, loial, courtoise, et de cuer franche,
Et si parfaite en toute contenance 1248 Qu'en loiauté
Estoit assez plus belle que biauté;
N'en li n'avoit orgueil, ne cruauté,
Ne riens qui fust contraire a amisté. 1252 Mais esplourée
Fu moult forment sa face coulourée ;
Et nompourquant de coulour esmerée
Et de fine douçour estoit parée. 1256 Si m'appella
La dame, et puis m'enquist et aparla
Moult sagement dont jevenoie la.
Et je qui fui desirans d'oïr la, 1260 La vérité
De chief en chief li ay dit et conté,
1235 CD doulz et humble — 1237 CDEKJ vers — 1238 KJ Son c; D gentil et joint et 1. ; KJ joint droit g. ; gentils manque dans E — 1 2 3g CKJ espers — 1242 EKJPR atour ; C doulz a. — 1246 et manque dans C— 1247 D congnoissance — 1249 manque dans F ; E KJ que clarté — 12.i1 A ar ite — I252-I255 manquent dans KJ — 1253 E Estoit f. ; C souuent — 1 255 Et manque dans E— 1257 m manque dans KJ ; C emparla; EKJP demanda — 12 5g je manque dans Ë; D qui je tu.
LE JUGEMENT HOU ROY DE BEHAINGNE Iû5
Comment la vins et ou j'avoie esté, En tant qu'il ont leur meschief raconté.
1264 Lors dist en bas
Li chevaliers par manière de gas :
« Je croy qu'il ait oy tous nos debas. »
Et je li dis : « Sire, n'en doubtez pas,
1268 Que voirement
Les ay j'ois moult ententivement
Et volentiers ; mais n'aiez pensement
Que j'y pense fors bien ; car vraiement
1 272 Venus estoie
Sus un ruissel, par une herbue voie,
En ce vergier ou je me delitoie
Es oisillons que chanter escoutoie.
1276 Et quant einsi
Y fui venus, sire, je vous choisi, Et d'autre part ma dame venir vi. Si vousdiray, comment je me chevi :
1280 Je regarday
Le plus fueillu dou brueil; si m'i boutay, Car de vous faire anui moult me doubtay ; Et la vos biens et vos maus escoutay
1284 De chief en chief.
Or m'est avis que de vostre meschief, Et ma dame qui tient enclin son chief Dou sien, sariez volentiers le plus grief
1288 Par jugement.
1262 E C . je vins ; C ou auoie — 1 26'i J Et ; C out — 1 267 D KJE ne — 1268 CCar; CKJ vraiement — 1269 j manque dans FM; E aie ; D bien ent. ; F ententieuement — 1270 B na. pas p. — 127 iy manque dans J; EKJ que; AVetvr. — 1275BDAUS — 1277 E sui — 1279 BD men — l2$° KJ Et — 1281 M feilli du bois; E nie — 1282 moult manque dans KJ — 1285 EKJ Si — 1280 CD de ma d. ; EKJ du ma d. — 1287 Dou sien manque dans C; D Vous en scaures; EKJ Des deus sariez [E sauriez).
IOÔ LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Si ne volez penre premièrement Vostre juge, ne ma dame ensement. Pour ce venus sui aviséement,
1292 Pour vous nommer
Un chevalier qui moult fait a amer; Car de ça mer n'a pas, ne de la mer, Plus gentil cuer, plus franc, n'a meins d'amer;
1296 Car de largesse
Passe Alixandre et Hector de prouesse. C'est li estos de toute gentillesse, N'il ne vit pas corn sers a sa richesse,
1 3oo Eins ne vuet rien
Fors que l'onneur de tout le bien terrien,
Et s'est plus liés, quant il puet dire : « Tien »
Qu'uns couvoiteus n'est de penre dou sien.
1 304 Dieu et l'église
Et loyauté aimme, et si bien justise Qu'on le claimme l'Espée de justise. Humbles et dous est et pleins de franchise
1 3o8 A ses amis,
Fiers et crueus contre ses anemis.
Et, a briés mos, de sens, d'onneur, de pris
En porte adès au dit des bons le pris,
i3i2 Quel part qu'il veingne.
Et s'il avient que son anemi teingne A son dessous, Nature li enseingne Et ses bons cuers que pité li en prengne.
1289 K vostes ; J voustes — 1291 J venus si a. ; E a aduisc- ment — 129? EKJ a loer — 1295 CE ne m.; C amer: KJ et sanz amer — 1297 D hestor — 1298 C Cest lestoc ; D estour ; KJ escoz — I299 Pas manque dans M; CE en sa r. — i3oi manque dans E; le manque dans CBDP: R de tous biens ter- riens — i3o2 CDEKJPR Et est — i3o5 E ayme quoy que non dise; si manque dans C — 1 3oG manque dans P, remplacé après le v. i3oj par : N.l ne vaurroit mesprendre en nulle guise — 1307 B' ajoute gr;:n devant franchise — 1 3o8 P Vers — 1 309 C Ici — 1 3 1 2 D qui — 1 3 1 3 E lin ; J lie.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I 07
1 3 1 6 C'est noble sorte,
Car Prouesse partout s'espée porte, Hardiesse le conduit et enorte. Et Largesse si li ouevre la porte
i32o De tous les cuers.
A ceaus qui sont bon (je n'en met nuls fuers), Avec euls est com sont frères et suers, Grans et petis, moiens, et a tous fuers.
1 324 Sire, et d'Amours
Congnoist il tous les assaus, les estours. Les biens, les maus, les plaintes et les plours Mieus qu'Ovides qui en sot tous les tours.
1 3 28 Et s2 son nom
Qui tant est bons et de noble renom Volez savoir, dites le moy, ou non. » — « Certes, amis, dou savoir vous prion,
1 332 Car onques mais,
Si com je croy, ne fu, ne n'iert jamais Homme qui fust en tous cas si parfais, Comme cils est, et par dis et par fais. » —
1 336 — « Sire, s'enseingne
Crie Lembourc, et est roys de Behaingne, Fils de Henry, le bon roy d'Alemaingne, Qui par force d'armes, qui que s'en plaingne,
i3qo Comme emperere
Fu couronnez a Romme avec sa mère.
Dont s'il est bons, c'est bien drois qu'il appere :
i3i8AVla — 1 32 1 D A tous les bons je nen ment nul fuers; EKJ huers — i322 D Auant; CEKJ Auec lui (C li) sont — 1 3^3 D Gr. petis; M moien ; EKJ G. et moyens loyaux (KJ et) a tous f. — 1324 D est — 1 325 D C. aussi tous; CP il les as- saus; D et tours; CEKJP et les tours — 1327 FM scct —
1329 EKJ beaux [K biaux) — 1 334 FM Hommes; CP soit — 1 335 KJ en dis et en f. — i33- D Et crie Iembrut; C brehen- gne — 1 3 38 F roy de behaingne — 1 339 M que qui; P qui qui — 1340 DKJ emperiere — 1 341 KJ auant sa m. — 1342 s manque dans J ; A" cil; CEKJP cest raison : EKJ qu'il y pcre.
T08 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Car il le doit ei de mère et de père.
1344 Si que, biau sire,
Uns tels juges seroit bons a eslire
Qui vous saroit bien moustrer et descrire
Li quels de vous suerTre plus de martire ;
1348 Si le prenez. »
Li chevaliers respondi com senez :
« Je croy que Dieus nous ait ci amenez. »
Et dist : « Dame, s'a juge le tenez,
1 352 Je m'i ottroy. »
Et la dame respondi sans desroy : « Sire, tant oy dire de bien dou roy, Tant est sages, preus et de bon arroy,
1 356 Que je l'acort. »
— « Grant merci, dame; or sommes en acort.
Si pri a Dieu que le bon roy confort
Et qu'il nous maint temprement a bon port,
i36o Si que parler
Puissiens a lui, ou il nous faut aler. » Je respondi : « Bien vous say assener La ou il est et, s'il vous plaist, mener.
1 3Ô4 Certeins en sui,
Car vraiement, je mengay ver et bui Avec ses gens en chastiau de Durbui. Et il y est, ne n'en partira hui ;
1 368 Ne ce n'est mie
Loing, qu'il n'i a ne lieue ne demie,
1343 A doit de: FCDEKJ père et de mère — 1345 KJ Tel juge vous s. — 1346 KJ Qui bien s. vous m.; D mouster — 1 348 i4 Et — 1 35o CEKJ vous a ci ; P a ci — 1 354 D tant av °y — 1 355 D Et tant; preus manque dans D; P de bel arroy; EKJ sages et plains (KJ plain; de b. a. — i35y A mercis ; CEP a acort; KJ dun a. — 1 35g D qui n. muine bien briefment — i36i BDEKJPR Puissons , C Puisson — i362 K resp. je vous; KJ vueil a. — 1 363 C est s. v. p. et mener — 1 365 EKJ hier o lui : C et hui — 1 366 E sa gent ; BDEKJ ou — 1 367 D et nen.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 1 09
Nom pas de ci le quart d'une huchie. » Li chevaliers d'aler la dame en prie
\'}-j2 Sans plus attendre.
La dame dist : « Je ne m'en quier delîendre, Mais je ne say quel part la voie prendre. » Je dis : « Dame, bien le vous vueil aprendre.
1376 Venez adès.
J'iray devant et vous vêtirez après. » Si qu'au chemin me mis, d'aler engrès. Et quant il ont veù Durbui de près,
i38o Si s'arrestoient ,
Et dou vëoir forment se mervilloient, Car onques mais en leur" vie n'avoient Veiï si bel, ne si gent, ce disoient.
i38q Et, sans doubtance,
Il est moult fors et de très grant plaisance,
Biaus et jolis et de po de deffence.
Car se li rois d'Alemaingne et de France
1 388 Devant estoient,
Cil de dedens ja pour ce ne lairoient Qu'il n'alassent hors et ens, s'il voloient, Toutes les fois qu'a besoingnier aroient
i3o,2 En la contrée.
C'est une roche en mi une valée
i3jo KJ archie; E haschie — i3yi E la dame daler; on manque dans CKJP — 072 E Et sans a. — i3j3 EKJ Et elle
— i3j5 CKJ la — 1377 K Siray ; E vous yres — 1378 A en ch. ; K aler en paiz; J aler empres — ^79 EKJP quant durbui orent veu de près ; C durbui veu — 1 38 1 CE sesmervilloient — i382 mais manque dans C ; J naient — 1 383 M se dis. ; E et dis.
— 1 385 A* Il yert; EP beaus ; KJ bel et de moult grant pi.; C poissance — i386 manque dans KJ ; E Gays; B' et de forte detïense — 1387 DKJ ou de f. — i38g EKJ Ycil dedans; de manque dans CDP ; KJ pour riens — i3qo et i3gi inter- vertis dans M — i3go M ou ens — i3qi D que besoing en a.: EKJ que mesticr en a. — 1393 une manque dans C ; E au mi.
110 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Qui tout entour est cTiaue environnée, Grande, bruiant, parfonde, roide etlée;
i 396 Et li vergier
Sont tout entour si bel qu'a droit jugier, On ne porroit nuls plus biaus souhaidier. Mais d'oisillons y a si grant frapier
1400 Que jour et nuit
La valée retentist de leur bruit ; Et Tiaue aussi seriement y bruit, Si qu'on ne puet en nul milleur déduit.
1404 Et puis après
A grans roches tout entour, nom pas près, Eins sont si loing dou chastel qu'il n'est fers, Engiens, ne ars qui y getast jamès.
1408 Mais la maison
Sus la roche est si bien qu'onques mais hom Ne vit autre de plus belle façon; Car il n'y a nesune meffaçon.
141 2 Et la fonteinne
Est en la court, qui n'est mie villeinne, Eins est vive, de roche clere et seinne, Froide corn glace et plus douce que Seinne.
141 6 Mais le vaissel
Ou elle chiet est tailliez a cisel
1IÎ94 MP auironnee — i?q5 manque dans D ; B' et roide; C ronde ; EKJ longue et lee — 1 ^97 C Est; si bel manque dans E ; qu manque dans C — 1398 C Quon ; CDEKJ nul pi. beau (EKJ bel) — 1 399 B'D y ot — 1401 E retantir — 1402 D fièrement ; C souefuement ; P serreement; E si br. — 140'j EKJP puet oir {E ouir) m. d.; C puet estre en m. d. — 1405 D roches enuiron non — 1406 D Ainssi sont il loing; DK qui ; E quil ne f. — 1407 C Nengin ; EKJ qui y treist (K traistj — 1409 E A sur la roche et; mais manque dans EK ' — 1410 ME si belle — 141 1 KJ Et si ; E Et si ne veis une malc façon ; K malfaçon — 141 3 KJ tour — 1414 manque dans KJ ; E est muée — 141 5 D douce plus — 1417 manque dans KJ ; E siet.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I I I
D'un marbre fin, blanc et bis et si bel Que tels ne fu depuis le temps Abel.
1420 Sus la rivière
Est la prée large, longue et pleniere, Ou on trueve d'erbes mainte manière. Mais revenir m'estuet a ma matière :
1424 Quant la maison
Orent veii, je les mis a raison
Et si leur dis : « De l'aler est saison.
Alons nous en; car ci riens ne faison. »
1428 Si en alames
Tout le chemin et le pont trespassames, Ne ça ne la nulle part n'arrestames Jusques a tant qu'a la porte hurtames.
1432 Mais li portiers
La porte ouvri de cuer et volentiers. Je qui hurtay et qui fui li premiers Et de laiens estre assez coustumiers
iq36 Parlay cinsi :
« Cils chevaliers et ceste dame aussi Viennent parler au roy, s'il est yci. » Et li portiers tantost me respondi
1440 Qu'il y estoit.
Je dis : >< Amis, pren garde, s'on porroit Parler a li. » Et il dist qu'il iroit. Mais tout einsi com de nous se partoit
1444 Pour aler sus,
141 S KJ marbre tu ; et [entre blanc et bis) manque dans BDE, ajouté par B' ; C bl. et vif — 14:9 KJ Que puis; F albel — 142 1 CBDEKJ longe large — 1422 E\on; CMBDKJ P derbe ; E darbez; D de mainte m. — 1423 E mestoit — 1425 CP veue — 1427 A rien; K riens ci — 143 1 KJ quan (J que) la porte entras- mes — 1432 E Et — 1433 E de gre ; KJ et bien et vol. — 1435 Et manque dans KJ ; CEKJP iere [E ère) assez c. — 1437 EKJ dame cy — 143N KJ Veullent — 1439 KJ Et cil ; A t. li resp. — 1440 ^4CQui; C il est. — 1443 C aussi; P que.
112 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Uns chevaliers, biaus et gens et corsus, Jolis et gais, en est a nous venus; Honneur ot nom, et s'en sot plus que nuls.
1448 N'il ne vint mie
Tous seuls a nous, eins li fist compaingnie Une dame belle, gaie et jolie ; Si ot a nom la dame Courtoisie.
1452 Bien y parut ;
Car aussi tost qu'elle nous aperçut, Nous salua, et puis biau nous recul. Si fist Honneur, si com faire le dut.
1456 Adont andoy
Courtoisement, en riant, sans effroy, Prirent chascun l'un des deus par le doy. Mais Courtoisie, einsi com dire doy,
1460 Le chevalier
Acompaingnà liement, sans dangier,
Et Honneur volt la dame acompaingnicr ;
Lors se prirent ensamble a desraisnier.
1464 Si s'en alerent,
Tout en parlant, la ou il les menèrent,
Par les degrez de marbre qu'il montèrent,
Tant qu'en la chambre au bon roy s'en entrèrent.
1468 Et li bons rois,
Qui moult estoit sages en tous endrois,
Loiaus, vaillans, liberaus et adrois,
Et envers tous dous, humbles et courtois,
1445 et [entre biaus et gens' manque dans C — '44-6 D sen ; KJ auant venus — 1447 K senz ; .7 cens — '449 KJ A nous tous seulz — 1460 DE belle et gaie: C gaie et bcle — 1401 D Qui ot en nom; B Si a ; D belle court. — 1453 KJ ainssi; D comme — 1454 EKJ et moult bel — 1435 D corne ; EKJ ainsi com faire dut — 1456 MDE au doy: A en doy; C eulz doy — 1458 A deaus deus ; D de deus — j 45g C aussi — 1462 C vint; CKJ com- paingnier — 1463 K au d. — 1467 D du bon roy ; bon manque dans M: C se montèrent — '471 Clifiz h.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I 1 3
1472 En moult grant joie
Estoit assis sur un tapis de soie, Et ot un clerc que nommer ne saroie Qui li lisoit la bataille de Troie.
1476 Mais Hardiesse
L'acompaingnoit, et sa fille Prouesse, Et doucement tint par la main Largesse, Une dame de moult grant gentillesse.
1480 S'i fu Richesse,
Amour, Biauté, Loiauté et Leësse, Désirs, Pensers, Volenté et Noblesse, Franchise, Honneur, Courtoisie, Juenesse.
1484 Cil seize estoient
Avec le roy, n'onques ne s'en partoient.
Dieus et Nature ottroié li avoient,
Dès qu'il fu nez; pour ce tout le servoient.
1488 C'estoit grant grâce.
Et s'il y a nul ne nulle qui face Chose dont nuls puist dire qu'il mefface, Raisons y est qui le meffait efface.
1492 Einsi se sist
Li gentils rois. Et quant la dame vit, Il se leva, et par la main la prist, Car Courtoisie a faire li aprist.
1496 Après pris a
Le chevalier, et forment l'esprisa
1472 EKJ A — 1473 EKJ les tapis — H74 EKJ Si — H77 KJ Le comp. — 1478 manque dans BD, remplacé après le vers 147g par: Honnour ot nom qui de tous fu mestresse — 1478 C en sa main — 147g grant manque dans D — 1482 manque dans 2s, remplacé après le vers 1483 par : Et puis raison qui de tous fu maistresse; A Désir penser — 1483 CDEP et j.; A largesse — 1485 C ne point sen p. — 1487 C Des que; CDKJP tous; E *uit — 1488-91 manquent dans E — 1489 y a manquent dans D; MP nulz — 1492 CD fist — 1493 A vist — 1494 KJ Si — 1497 CBDKJ le prisa.
Tome li «
114 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHA1NGNE
Dedens son cuer, et puis leur demanda
Moult sagement dont il venoient la, i5oo Et leur enquist
De leur estre qui moult li abelist.
Li chevaliers a la dame requist
Qu'elle li vosist dire; et elle dist i 5o4 Que non feroit,
Einsois deïst, que mieus li afferoit.
Il respondi adont qu'il li diroit
De chief en chief tout einsi qu'il estoit, i 5o8 Jusqu'à la fin.
« Sire, » dist il, « ci près a un jardin
Vert et flouri ou il a grant tintin
De rossignols ; s'i vins hui a matin, i 5i2 Pour escouter
Leur biau service et leur joli chanter,
Comment que po s'i peiist déporter
Mon cuer que riens ne porroit conforter. 1 5 1 6 Mais toute voie
Einsi venus d'aventure y estoie,
Pleins et pensis des maus qu'Amours m'envoie.
Si vi venir par une estroite voie i 520 Verde et herbue
Ceste dame qu'avec moy est venue.
Si me sambla de manière esperdue,
Si que tantost pris parmi l'erbe drue
1498 C li dem. — 1499 C venoit — i5oi E estât; C et moult; KJ leur ab. — i5o3 EKJP elle {KJ el) li d. — i5o5 J dist ; P li dist; E quar: C dist elle que miulz li a. — i5o6 D adonques quil diroit — i5o8 D Jusques; CKJP en la fin — i5io EKJ et foillu ; KJ hutin — 1 5 1 1 FM rossignos ; EKJ si y vins (EJ viens) hui m.; MCB'P au — i5i4 CMEKJP se; EJ déliter — i5i5 KJ pooit — 1 5 16 £■ Et — i5i7y manque dans K — 1 5 1 8 KJ des biens — i52o EKJ Vert — 1 52 1 C quauant ; EKJ qui est o moy v. — i523 KJ ques; pris manque dans CEKJ ; C parmi lerbette drue; E tout parmi ; KJ tout par tout.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I I 0
i 524 Mon adresse ay,
Et mon chemin droit vers li adressay.
Et quant je fui près, je la saluay,
Mais mot ne dist, dont je me mervillay, 1528 Ne onques chiere
Ne fist de moy, ne d'oueil, ne de manière.
Et je qui fui mervilleus pour quoy c'iere,
Dis bellement : « Très douce dame chiere, 1 5 32 Pour quel raison
Ne volez vous entendre a ma raison? »
Et la tiray par le pan dou giron.
S'en tressailli, dont sa belle façon 1 536 Coulour mua.
Si respondi, que plus n'i arresta,
Et durement envers moy s'escusa
De son penser a quoy elle musa. 1540 Et li enquis
Pourquoy son cuer estoit einsi pensis.
Finablement tant parlay et tant fis
Qu'elle me dist tout ce que je li quis, 1 544 Voire par si
Que par ma foi li juray et plevi,
Quant elle aroit son parler assevi,
Que le penser li diroie de mi. ID48 Et dist einsi
Qu'elle soloit avoir loial ami
Ô24 EKJ Men adrecay; D La moie adresse; F adera ay — 1 525 dans KJ vient après 1527 — 1 5 25 EKJ chemin enuers li (AU lui) — Ô26 P le — îD2j E di; E mesmeru. — Ô29 MK moy de oeil; CD ne deul; E ne doel — i53o A fu; CKP raer- ueilliez; C chiere — 1 53 1 D Dit; EKJ humblement — i534 KJ latray — 1 535 P Dont la dame qui a clere façon; dont manque dans KJ ; KJ sa trcsbelle f. — 1 538 DEKJ doucement — i53o. EKJ Pour — 1540 CEKJ Si; M requis — 1041 FM si fort p. — 043 P que li requis — Ô46 manque dans E ; M parle; C affeni — Après 1 547 E ajoute : Sanz aler contre et je li ay promis — 1348 C Si; P Lors.
Il6 LE JUGEMExXT DOU ROY DE BEHAINGNE
Qui loiaument l'amoit, et elle li. Mais la mort l'a de ce siècle parti, i 552 Et la valour,
Le sens, le pris, la prouesse, l'onnour, Qui fu en li, si comme elle dist, flour, Le fîst des bons estre tout le millour. 1 556 Pour ce pensoit
Parfondement, ne onques ne cessoit, Et en pensant le plouroit et plaingnoit, Si que son vis en larmes se baingnoit. i 56o Pour ce maintient
Que la dolour est plus griés qui li vient Pour son ami que celle qui me tient. Sire, et je di, faire le me couvient, 064 Tout le contraire.
J'aim loiaument de cuer et sans retraire La plus très belle et le plus dous viaire Qu'onques encor Nature peiïst faire, 1 568 Qui me donna
Jadis son cuer tout et abandonna. Son cuer, s'amour, son ami me clama Et par son dit seur tous autres m'ama. I 572 Or est einsi,
Sire, qu'elle n'a mais cure de mi, Eins m'a guerpi, et fait nouvel ami. Et, par m'ame, pas ne l'ay desservi. 1576 Et d'autre part,
Mon guerredon ailleurs donne et départ,
1 55 1 manque dans KJ ; P mors; C cest — 1 553 CEKJP Le pris le scens ; EKJ et Ion — i554 K com el dit aor; J si comme dit or— 1 555 AB estre des bons — 1 558 le manque dans KJ; KJ et se pi. — i56i P plus grieue est — 1 563 EKJ que faire me c.
— 1 565 J Jamay — 1 566 très manque dans D — 1567 EK encore
— 1 56g tout manque dans E; et manque dans M — 1570 EKJ Auec samour ; C Auuec son cuer et ami ; P Amant — 1 575 B mon ame — 1577 C Bon; CBDP gu. a li donne; E gu. donne a li et d.; KJ gu. lui donne.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I I ~
Ne je n'en puis avoir ne part ne hart : C'est ce, sire, pour quoy li cuers me part.
i58o Si m'est avis,
Considéré mes raisons, que j'ay pis Que la dame, comment que ses amis Soit trespassez, Dieus l'ait en paradis !
i 584 Sire, et cils clers
Qui me samble gais, jolis et apers,
Fu atapis ou jardin et couvers
En plus espès dou brueil qui est tous vers.
1 588 Si sailli hors,
Quant il ot bien oy tous nos descors. Si nous loa que li drois et li tors Fust mis seur vous, et ce fu nos acors.
092 Car longuement
Avoit duré de nous le parlement,
Et si aviens fait maint arguement,
Si comme il est escript plus pleinnement
1596 Ici dessus.
Or sommes ci par devers vous venus, Par quoy li drois soit jugiez et sceiis, Et que vos dis soit de nous deus tenus.
1600 Si que ce plait
Pouez tantost terminer, s'il vous plaist; Car nous avons de vous no juge fait. Sire, or avez oy tout nostre fait
1604 Entièrement;
Si en vueilliez faire le jugement,
1579 CP pourquoy sire; KJ ce dire pour quoy — i58i EKJ ces — i583 P dieus li face mercis — 1584 M et si cl. — 1 585 KJ samble gens j.; C et jolis; K espars; J espers — 1 586 et Ô87 intervertis dans C — 1 586 EKJP Se fu tapis — 1587 C est ouuers — 1589 bien manque dans D — 1590 KJ Et — \bgi P sur vous mis — 1594 CD argument — i5g5 KJ com ; E comme yci il est plus pi.; escript manque dans D — Ô99 KJ noz diz soient — 1600 C cest — 1601 MDK si — 1602 D Et.
I 1 8 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Car nous l'avons désiré longuement, Et ceste dame et moy dévotement 1608 Vous en prions. »
Quant cils li ot moustrées leurs raisons, Qui bien le sot faire corn sages homs, Li gentils rois qui moult estoit preudons 161 2 Li respondi :
« Se Dieus me gart, vous avez pris en mi Juge ignorant et de sens desgarni, Ne onques mais je n'oy, ne ne vi 1616 Tel jugement :
S'en saroie jugier petitement. Mais nompourquant le conseil de ma gent En vueil avoir; car je l'ay bel et gent. » 1620 Lorsappella
En sousriant Loiauté qui fu la, Amour, Juenesse et Raison, qui parla Premièrement, et puis leur demanda 1624 Li gentils roys :
« Que diriez vous qui savez tous les drois? Cils chevaliers qui gens est et adrois Et ceste dame aussi a ces crins blois 1628 Sont venu ci
Par devers moy, dont je les remerci, Et jugement vuelent oïr de mi, Li quels a plus de mal et de sousci : 1 632 La dame avoit
Ami loial qui l'amoit et servoit, Et elle lui, tant comme elle pooit.
1608 D Nous vous pr. — 1609 C moustre; C les r. ; DEKJP ses r. — 161 5 EKJ mes en ma vie noy ; D ne vi ne oy — 161 7 EP Si en; KJ Si nen; K présentement — 16 18 EKJ Et — 1620 B Si — 1622 CE Amours — 1625 CDEKJP dittes (K ditez) — 1626 CE qui est gens; KJ qui est gentilz et drois — 1627 C dame icy a ; F ses ; EKJ dame qui porte ses crins [EJ clins) bl . — i63o EKJ v. auoir — 1634 C tant que plus ne pouoit.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I 1 9
Or est einsi que Mors qui tout reçoit 1 636 Li a tollu.
S'en a le cuer dolent et irascu,
Car a son temps ot il si grant vertu
Que nul milleur, ne nul plus bel ne fu. 1640 Le chevalier
Sans repentir aimme de cuer entier
La plus belle qui vive, a son cuidier ;
Et elle foy sans muer, ne changier 1644 Li a promis,
Et retenus fu de li comme amis
Et bien amez ; il en estoit tous fis.
Or a la dame en autre son cuer mis 1648 Et li guerpi
Dou tout en tout, et n'a cure de li.
Et a ses yeus voit la belle et celi
Qui les dous biens a qu'il a desservi. i652 Or vous ay dit
Pour quoy il sont venu oir mon dit.
Et sans doubte, cuers qui einsi languit
Se destruit moult et a grant doleur vit. 1 656 Si m'en devez
Donner conseil au mieus que vous poez;
Car chascuns est mes drus et mes privez,
Et moult me fi en vous, bien le savez. 1660 Dites, Raison.
Premiers oïr vueil vostre entention;
Car vous m'avez maint conseil donné bon. »
Raisons, qui fu belle et de bon renom, 1664 Einsi respont :
i638 B'KJ Car en — i63g KJ nulz — 1643 BDC elle soy; EKJ elle lui [E li); P elle aussi sanz — 1644 K a ymis {sic); J ay — 1646 KJ tout — 1649 D lui — l65° CDKJ celui — 1654 J doubter — 1 655 et manque dans J ; KJ en gr. — i636 DP me — 1657 M a mieus; EKJ sauez — i65g KJ men — 1660 KJ Si est r. — 1661 C veuil oir.
I 20 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
« Sire, je di que cil dui amant sont Moult engoisseus, quant einsi perdu ont Ce qu'il aimment, et que li cuers leur font,
1668 Si com la cire
Devant le feu se degaste et empire. Mais qu'il soient tuit pareil de martire Et de meschief, ce ne vueil je pas dire.
1672 Ce qui me muet
Vous vueil dire, puisque faire l'estuet : Ceste dame jamais vëoir ne puet Son ami vray, einsi comme elle suet.
1676 Si avenra
Einsi que, puisque plus ne le verra, Je feray tant qu'elle l'oubliera. Car li cuers ja tant chose n'amera
1680 Qu'il ne l'oublie
Par eslongier. Certes, je ne di mie Qu'une pièce n'en ait peinne et hachie; Mais Juenesse qui tant est gaie et lie
1684 Ne soufferroit
Pour nulle riens qu'entroubliez ne soit. Car Juenesse, sire, comment qu'il voit, Met en oubli moult tost ce que ne voit.
1688 Après je di
Qu'Amours n'a pas tant de pooir en li Que soustenir se peiist sans ami L'eure d'un jour, ne sans amie aussi.
i665 AFMBD amans — 1667 E amoient; KJ et qui; P les cuers; leur manque dans E — 1669 se manque dans A; FM ce; KJ gaste — 1670 tuit manque dans M; KJ dun mart. — 1671 EKJ Ne — 1672 E Et ce qui men muet; KJ mesmeut — 1673 D vueil je dire ce que f . ; E dire lest.; KJ pourquoi dire lest.
— 1675 vray manque dans D; P com; K sceust — 1676-1 71 5 manquent dans D — 1677 K puis plus; P la; KJ reuerra —
1681 KJ certes ne dire mie; P certes ne di je mie — 1682 ÀVp. on ait; E hastie — i683 E gay — 1686 P soit — 1687 EKJ qui!
— 1689 E o li — 1691 ACD du jour.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I 2 I
1692 Et se l'un faut
Des trois, li dui autres aront deffaut ; Qu'Amours, ami et amie estre faut Tout ensamble, ou l'amour riens ne vaut.
1696 Et puisqu'amie
Et Amours ont perdu la compaingnie D'ami, certes, je ne donroie mie De leur amour une pomme porrie,
1700 C'est assavoir,
Quant a l'amour, qui est mondeinne, avoir. Car c'est très bon de faire son devoir, Si que l'ame s'en puist apercevoir.
1704 Mais il n'est ame,
N'homme vivant qui aimme si sans blâme,
S'il est tapez de l'amoureuse flame,
Qu'il n'aimme mieus assez le corps que l'ame.
1708 Pour quel raison ?
Amour vient de charnel affection, Et si désir et sa condition Sont tuit enclin a délectation.
1712 Si ne se puet
Nuls, ne nulle garder qui amer vuet Qu'il n'i ait vice ou pechié ; il l'estuet ; Et c'est contraire a l'ame qui s'en duet.
1716 Et d'autre part,
Tout aussi tost com l'ame se départ
Dou corps, l'amour s'en eslonge et espart.
169? EKJ en aront (E auront; K ont) — 1694 EKJ Car tous trois {E tout troy) estre en une amour leur faut — 1695 EKJ Tous; C ou amours — 1697 CEKJ leur c. — 1698 EKJ Dame — 1701 KJ est ma dame auoir — 1702 KJ trop bon — 1704 KJ famé — 1705 CEKJ Ne homs viuans ; P Domme — 1708-11 manquent dans P — 1708 CKJ Par; E quelle — 1709 M effection — 1711 C tout; B eslit; E en del. — 1713 E qui amour — 1714 M pechier; MK il estuet — 171 5 E a la dame; KJ se deust — 1717 KJ ainsi ; C autressi com — 1718 KJ départ.
122 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Einsi le voy partout, se Dieus me gart. 1720 Si que l'amour
De ceste dame ou tant a de valour
Apetise toudis de jour en jour;
Et aussi fait a ce fuer la dolour. 1724 Mais cils amis
Qui folement s'est d'amer entremis
Sans mon conseil, et se s'i est si mis,
Li dolereus, qu'il en est tous remis, 1728 Les maus d'amer
Sont en son cuer qui li sont trop amer ;
Qu'Amours le fait nuit et jour enflamer,
N'il ne vorroit, ne porroit oublier 1732 Son anémie.
Savez pourquoy? Pour ce que Compaingnie,
Amour, Biauté et Juenesse la lie,
Et Loiauté, qu'oublier ne vueil mie, 1736 En grant folie,
En rage, en dueil et en forcenerie
Le font languir, et en grant jalousie,
Et en péril de l'ame et de la vie. 1740 Car main et tart
Son dolent cuer de sa dame ne part,
Eins la compaingne en tous lieus sans départ ;
Et cils qui est plus près dou feu, plus s'art. 1744 Et Loiauté
Si li deffent a faire fausseté.
Mais s'il eiist par mon conseil ouvré,
Quant sa dame ot nuef ami recouvré,
1720 D ques — 1721 CEKJ moult a — 1722 KJ tous jours — 1723 C cel ; D feu — 1725 P damer sest; K entrepris — 172G se manque dans D — 1729 KJ font; J damer — '734 C le — 1735 qu manque dans CP — 1736 ZP Et — 1740 EJP ne — 1742 EKJ Mais; AFMEKJ le comp. ; F déport — 1743 P plus est près; MEKJ pi. art. — 1745 Si manque dans M; KJ d. de f. — 1747 C Q. ot la dame ; nuef manque dans D.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE 123
i 748 II n'eiist pas
Continué l'amour ; car, en tel cas,
Se la dame chante en haut ou en bas,
On doit aler ou le trot ou le pas. ij52 Après li dist
Biauté qu'il fait mieus assez, s'il languist,
Pour li amer, que se d'autre joïst.
Si fait Amour. Juenesse le norrist 17 56 Avec folour
En ce meschief, en celle foie errour;
Car il en pert le sens et la vigour.
Einsi languist li dolens en dolour; 1760 Car quant il voit
Que de s'amour, présent li, autres joit,
Qui son ami appeler le soloit,
Il a le cuer si jalous, si destroit, 1764 Que c'est merveille
Qu'il ne s'occist, ou qu'il ne s'apareille
D'occirre ce qui einsi le traveille ;
Et ce li met jalousie en l'oreille. 1768 Et s'il avoit
L'amour de li, einsi comme il soloit,
Qu'en feroit il ? Certes, riens n'en feroit.
Car jamais jour il ne s'i fieroit. 1772 Et pour c'espoir
N'a de jamais autre solas avoir,
1749 E C. amour; EKJ quant; D quer — 1750 EKJ Car se; M ou en haut; C ch. haut ou bas; KJ ch. ou haut ou bas — 1762 D A. il dit — 1753 DKJ qui; CKJ assez mieus; KJ qui languist — 1755 CEKJ faite; C la; KJ jouuencelle nourr. — 1757 C cest; K que celle; en manque dans D — 1758 E il em- porte — 1759 EKJ cilz dolens; EKJ langour — 1763 C et si d. — 1767 E Et si li — 1769 K si comme— 1 770-1 dans KJ : Ne sai je pas se (K ce) il si fieroit. Certes nennil pourquoy il nose- roit — 1770 D ne — 1771 P Car jamaiz en li ne se fieroit; C ne se firoit — 1772 J Pour — 1773 E Ne.
I 24 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAIXGNE
Puisque mettre ne puet en nonchaloir Geste dame qui tant le fait doloir.
1776 Si que je di
Qu'il a plus mal que ceste dame ci,
Et que son cuer est en plus grant sousci,
Par les raisons que vous avez oï.
1780 Et, a mon gré,
Cils chevaliers en a moult bien parlé — Car en escript l'ay ci dessus trouvé — Et par raison s'entention prouvé,
1784 Ce m'est avis. »
Quant Raisons ot conté tout son avis, Amours parla qui fu biaus a devis, Et gracieus de manière et de vis,
1788 Et dist : « Raison,
Moult bien avez moustrée vo raison. Si m'i ottroy, fors tant que mesprison Feroit d'oster son cuer de la prison
1792 A la très belle
Pour qui il sent l'amoureuse estincelle. Si vueil qu'il l'aint et serve comme celle Dont eu a mainte lie nouvelle.
1796 Car s'il pooit
Vivre mil ans, et toudis la servoit,
Ja par servir il ne desserviroit
Les grans douceurs que faire li soloit.
1774 KJ Puisquil ne puet mètre ; E en un chaloir — 1775 D Celle; E qui trop — 1778 EKJ en greignour s. — 1781 C Cest; BD moult haut p. — 1782 EK la cy — 1785 A ot moustre — 1 786 C b. et a lis ; fu manque dans J — 1 787 D et vis ; P et de diz — 1789 CBDEJ moustre vostre r. — 1790 que manque dans D— 1791 J Seroit — 1792 E Qua — 1793 BD Pour ce quil sent; EKJ Pour quil aimt sceust xauoureuse est. (estincelle man- que dans J) — 1794 E Maiz; 1 manque dans K; P laime; E et aime; KJ et quil serue {K serre) ycelle — 1795 EKJ a eu; D en a eu; C eue ; D liée — 1797 P le — 1798 DEP pour.
LE JUGEMENT DOtl ROY DE BEHAINGNE 1 25
1800 Et se Plaisance
Qui faire fait mainte estrange muance Li fait estre de sa dame en doubtance, Doit il estre pour c"en désespérance?
1804 Certes! nannil!
Qu'en mon service en a encor cent mil Qui aimment tuit près aussi fort comme il, Et si n'en ont la monte d'un fusil.
1808 Et s'ay pouoir
De li garir et de li desdoloir.
Mais il n'a mais fiance, ne espoir,
En moy ; c'est ce qui plus le fait doloir. »
181 2 — « Comment, Amours? »
Ce dist Raisons, « est ce dont de vos tours Qu'il amera, sans avoir nul secours, Celle qui a donné son cuer aillours ?
18 16 Et qui vous sert,
Il n'a mie le loier qu'il dessert ?
Certes, fols est qui a servir s'aert
Si fait maistre, quant son guerredon pert. »
1820 Après ce fait
Devers Amours Loiauté se retrait, Et dist einsi, que riens n'eùst meffait, Se d'autel pain li eiist soupe fait.
1824 « N'il n'est raisons
Pour ce, s'il est vrais, loiaus et preudons,
1801 EKJ fait faire — 1802 D Lui fait faire; MEJ Le; en manque dans D — i8o3 MD pour ce estre — 1806 près manque dans KJ ; CD daussi ; M cil — 1807 E Et sil; E le — 1809 C ou; E doloir; KJ redoloir — 181 3 Ce dist raisons manquent dans D; KJ dist amours; P sont ce — 1814 MK nulz; E recours; KJ retours — 1 81 5 C Que elle; donne manque dans D — Les vers i8i6-g ne figurent que dans CEKJP — 18 16 C nous — 1817 C Quil — 1819 E Si f< mestier ; KJ que; C quant gu. y pert — 1822 C que de rien — 1828 E souppes — 1825 B et loyaux; D loyal et vray prodoms: E loyaux vrais.
12b LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Qu'il soit de ceuls qui bâtent les buissons Dont li autre prennent les oisillons.
1828 Car se la dame
Que je repren moult durement et blâme, — Et c'est bien drois, car elle acuet grant blâme De muance faire en la fausse game, —
i832 Premièrement
N'eiist osté son cuer de cest amant Qui tous estoit en son commandement, Amours, Amours, je parlasse autrement.
1 836 Mais sans doubtance,
Quant il l'aimme de toute sa puissance,
Et sans cause le met en oubliance,
Il doit dancier einsi comme elle dance,
1840 Nom pas qu'il face
Chose de quoy il puist perdre ma grâce; Car s'il la laist, et ailleurs se pourchace, Je ne tien pas qu'envers moy se mcfface.
1844 Et si m'acort
Dou tout en tout de Raison a l'acort,
(Car elle fait bon et loial raport)
Que cils a droit, et ceste dame a tort. »
1848 Et quant Juenesse
Qui moult fu gaie et pleinne de lëesse, Et qui n'aconte a don, ne a promesse, Fors seulement que ses voloirs adresse,
i852 Ot escouté
Ce que Raisons ot dit et raconté
1829 M doucement — i83o KJP elle acquiert; E je acquier un gr. bl.; grant manque dans D — 1 83 1 C De la muance; D faire muance; ADEKJC haute game — 1834 EP a son -1- i835 KJ A mon auis je parlasse (J je parlaisse) — i83y 1 manque dans KJ — 1841 E par quoi y puct; LP sa (C ca) grâce — 1842 KJ sel le laist; P le laist; D lcsse — 1843 EKJ ne di pas — 1846 D De; C a raison — 1846 KJ elle a fait — i85o KJ a veu ny a pr. — 1 85 1 K qui son vouloir adr. — 18D2 J Et.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAIN'GNE I 27
Et Loiauté, pou y a aconté,
Car moult pleinne fu de sa volenté,
1 856 Et dist en haut :
« Certes, Raison, vostre science faut, Et Loiauté, sachiez, riens ne vous vaut. Car cils amis, pour mal, ne pour assaut
1860 Qu'Amours li face,
N'iert ja partis de la belle topasse Qui de biauté et de douceur tout passe, Et de fine colour; ja Dieu ne place
1864 Qu'il li aveingne
Que ja d'amer la belle se refreingne !
Car s'a présent ne le vuet, ne n'adaingne,
Au moins l'aimme il, et son cuer la compaingne.
1868 Dont n'est ce assez ?
Doit il estre de li amer lassez ? Certes, nennil ! Car on n'est pas amez, Ne conjoïs toudis, n'amis clamez :
1872 Non est, sans doute.
Raison, fols est amans qui vous escoute, Ne qui ensuit vos dis, ne vostre route. Et qui le fait, je di qu'il ne voit goûte.
1876 Et par ma foy,
Nous ferons tant, Amours, ma dame et moy, Que son cuer yert si pris, et en tel ploy,
1854 M y a po — 1 855 E Car pleine fu moult de sa v. ; P Car moult fu plaine et de sa v. — i856 CP Si — i858 et 1859 inter- vertis dans KJ — i858 DEKJ certes riens; vous manque dans C — i85g C cest ami — 1861-84 ne se trouvent que dans EKJR — 1861 E compassé — 1862 manque dans R — i863 E ne dieu — i865 R sestreingne — 1866 KJ Car son penser; R ne lui vault; KJ ne daingne; n manque dans R — 1871 KJ Ne conjoinz; R Ne comme roy; R mauez cl. — 1872 KJ N. et s.; R s. doubtance — 1873 R Raison raison fols est; amans manque dans ER — 1874 K vous dis — 1877 tant manque dans R — 1878 R cuer y est; R a tel pi.
128 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHA1NGNE
Que nuit, ne jour ne partira de soy. 1880 Ne vos effors,
Ne doubtez pas, ne sera ja si fors Que li fins cuers de cest amant soit hors De la très belle ou po treuve confors. 1884 Qu'Amour, ma dame,
Qui son cuer art, teint, bruit et enflame, Et moy qui sui encor a tout ma flame, En ceste amour le tenrons ; car, par m'ame, 1888 II le couvient.
Et se des maus dolereus plus li vient Qu'a la dame qui dalez lui se tient, Fors est assez; bien les porte et soustient. » 1892 Lors s'avisa
Li gentils rois, et bonnement ris a De Juenesse qui einsi devisa ; Mais onques meins pour ce ne l'en prisa, 1896 Qu'elle faisoit
Tout son devoir de ce qu'elle disoit, Et de son vueil plus chier denrée avoit, Que dis livres de son profit n'amoit. 1900 Si dist : « Juenesse,
Belle dame, vous estes grant maistresse Qui cest amant tenez en grant destresse, En povreté, en misère, en tristesse, 1904 Vous et Amours.
1881 E seroit; si manque dans J — 1882 et i883 intervertis dans R — 1 882 R Qui le sien cuer ; R soit fort — 1 885 KJ mon cuer ; K art tant; C et bruit; P cuer taint et bruit et entache — 1886 et 1887 dans P : Ne guerpira sa dame ne sa fâche Et je di bien et voeil que chascun sache — 1887 C cest — 1888 P Quil — 1889 EP Et de ses maux {P malx) ; BD de maux (D maulz) — 1890 E Car; KJ Par— 1891 D Forte; C le — 1892 F sacusa — 1894 D qui a d. — i8g5 DE le — 1897 KJ faisoit — 1898 C amoit
— 1899 KJ Qui .xv. de ; CBDEKJ auoit; P aroit — 1900 C Et
— 1902 KJ Quant; EKJ en tel d.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I 2Q
Vez que li las a perdu tout secours, Ne ses cuers n'a refuge, ne recours, Fors a la mort qui a li vient le cours.
1908 Car travillier
Le volez trop, et dou tout essillier. Or a trouve, s'il vous plaist, consillier Bon et loial ; laissiez le consillier;
1912 Si ferez bien.
Car il est pris en si estroit lien
Qu'il n'i scet tour d'eschaper, ne engien. »
— « Certes, sire, de ce ne faire rien .
1916 Eins amera
La très belle pour qui tant d'amer a. Et, s'il y muert, chascuns le clamera Martir d'amours, et honneur li sera,
1920 S'il muert pourli. »
Quant Juenesse ot son parler assevi, Li rois parla a euls et dist einsi : « Nous ne sommes pas assemblé ici
1924 Pour desputer
S'il doit amer sa dame ou non amer. Mais pour savoir li quels a plus d'amer, Et qui plus sent crueus les maus d'amer,
1928 Si com moy samble.
1905 D Vees li las ; C tous ; P p. son secours; KJ tout le cours — 1906 D Que; KJ Nen son cuer; BDE secours — 1907 C vient a li ; M qui li vient tout le cours — 1910 M si ; D se — 191 3 C destroit — 1914 DEKJP Quil ne scet ; E tout; d manque dans D; KJ ni engien — 191 5 KJ feray ; P ferons — 1918 KJ en muert — 19 19 DKJP fera — 1921 E son penser; KJ feni — 1922 a euls manque dans D; D aussi — 192? DE ci — 1924 D discuter — 1925 EKJ sa (KJ la) dame amer; D doit ou nom sa dame amer — 1927 D Et li quel sent plus cruelz mal damer; C qui sont plus; J qui plus sont cr. — 1928 C Si comme sem- ble; D qui me; P me.
Tome I. ,,
IOO LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Or estes vous en acort tout ensamble Que plus de mal en cest amant s'assamble Qu'en la dame; ne pas ne me dessamble
ig32 De cest acort,
Einsois m'i tieng dou tout et m'i acort, Que cils amans est plus loing de confort Que la dame ne soit, que Dieus confort.
1936 Si en feray
Le jugement einsi com je saray. Car tel chose pas acoustumé n'ay, Et uns autres, vraiement, bien le say,
1940 Mieus le feroit.
Je di einsi : Considéré a droit
L/entention de Raison ci endroit,
Et les raisons de vous qui volez droit,
1944 Et Loiauté
Qui en a dit la pure vérité, Ne n'i chasse barat ne fausseté, D'Amours aussi qui en a bien parlé,
1948 Et de Juenesse,
Que cils amans sueffre plus de tristesse. Et que li maus d'amours plus fort le blesse Que la dame, ou moult a de noblesse,
1952 Et que plus loing
Est de confort, dont il ont bon besoing, Et pour ce di mon jugement et doing. Qu'il a plus mal qu'elle n'a, plus de soing
192g P dun acort tuit eus. ; C a acort; EKJ ac. ce me semble
— 1930 s manque dans J — 1933 EKJ du tout mi tieng [E tiens); D et du tout — 1934 EKJ cest amant — 1935 manque dans J : D comport — 1937 EKJ an mieus que je s. — 1938 E Qua — 1939 KJ vous autres — 1941 KJ Si; C et cons. — 1942 C cy a ilroit — 1945 D Qui a ditte — 1949 EKJ Que cest amant est plus près de tr. — 19.S0 CP uamer — 1931 a manque dans M
— 1953 K il a ; CDP bien — 1954 E dit — 1955 C plus de mal; DP et plus (P de) soing; C na de besoing ; KJ et grant soing.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE I D I
1956 Et de grevance. »
Quant li bons rois ot rendu sa sentence
Dont par Raison fu faite l'ordenance,
Li chevaliers iluec, en sa présence, 1960 L'en mercia.
Et en pensant, la dame s'oublia
Si durement que nul mot dit n'i a.
Mais nompourquant en la fin ottria 1964 Qu'elle tenoit
Le jugement que li rois fait avoit;
Car si sages et si loiaus estoit
Qu'envers nelui fors raison ne feroit. 1968 Adont li rois
En sousriant les a pris par les dois
Et les assist seur le tapis norois,
Loing des autres, si qu'il n'i ot qu'euls trois. 1972 Si leur enorte
Et deprie chascun qu'il se conforte ;
Car se le cuer longuement tel mal porte,
Il en porroit mors estre, et elle morte, 1976 Que ja n'aveingne,
Mais chascuns d'eaus bon corage reprengne.
Car li cuers trop se destruit et mehaingne
Qui en tel pleur et tel doleur se baingne ; 1980 Et recorder
Voit on souvent qu'on doit tout oublier
Ce qu'on voit bien qu'on ne puet amender,
1967 C donne — 1969 KJ ch. se lieue en — i960 KJ Le — 1961 KJ loublia — 1963 KJ Et; J loctroia — 1964 C venoit — 196D C Li jugemens — 1967 E Que pournului; C Que vers nulz; KJ faisoit (J t fesoit) — ]9'39 a manque dans J — '97° E sous; CDEKJP les tapis ; C noirois — 1971 D qui ni ot que .m. — 1973 C déporte — '974 K ce; KJ leur cuer; E leurs cuers; CP tel mal longuement — 1975 P porra estre mors elle m. — 1978 C tr. le destraint; D mehaine — 1979 CP et en tel; se manque dans P — 1981 EKJ Ot ; CP tost — 1982 C quen.
I 32 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Ne recouvrer par pleindre ne plourer. 1984 S'einsi le font,
Vers Loiauté, ce dist, pas ne meffont; Mais s'en ce plour pour amer se meffont, Homicides de leur âmes se font 1988 Et de leur vie.
Après li rois appella sa maisnie ; Si vint Franchise, Honneur et Courtoisie, Biauté, Désir, Leësse l'envoisie, 1992 Et Hardiesse,
Prouesse, Amour, Loiauté et Largesse, Voloir, Penser, Richesse avec Juenesse, Et puis Raison qui de tous fu maistresse. 1996 Si leur commande
Que chascuns d'eaus a honnourer entende Ces deus amans, et qu'Amour leur deffende Merencolie. Après, que la viande 2000 Soit aprestée,
Car il estoit ja près de la vesprée. Et il ont fait son vueil sans demourée, Com bonne gent et bien endoctrinée. 2004 Lors se sont trait
Vers les amans, sans faire plus de plait; Et chascuns d'eaus a son pooir a fait Ce qu'il pense qui leur agrée et plait, 2008 Qu'entalenté
En estoient de bonne volenté.
ig83 M ne par pi.; C par plaint ne par pi. — ig8b EKJ pas ce dist {KJ dit) — 1986 K tel plour; pour manque dans D; EKJ deffbnt — 1987 D armes; CKJP seront; E feront — 1988 D vies — 1991 P Loyauté et désir; C renuoisie — 1993 BD Pr. honneur; P souuenirs et larg. ; D et leesce — 1994 C et jonesse — 1994 et 1995 intervertis dans KJ — 1995 P qui sur tous est m. — 1996 E demande — 1998 C que amer; KJ et (K et que) moult leur deff. — 20o3 E bonnes gens — 2007 E quilz pen- sent; D pensent — 2008 C atalante — 2009 En manque dans EKJ.
LE JUGEMENT DOU ROY DE REHAINGNE I 33
Et li amant ont congié demandé. Mais on leur a baudement refusé, 20 12 Car Courtoisie,
Franchise, Honneur, et Largesse s'amie,
Li gentils rois qui pas ne s'i oublie,
Et chascuns d'eaus moult duremeut les prie 2016 De demourer.
Et il estoit près heure de souper.
Et a ce mot on prist l'iaue a corner
Par le chastel, et forment a tromper ; 2020 Si se levèrent,
Et deus et deus en la sale en alerent ;
Après leurs mains courtoisement lavèrent;
Puis s'assirent, si burent et mengierent, 2024 Selonc raison,
Car il y ot planté et a foison
De quanqu'on puet dire n'avoir de bon.
Après mengier, les prist par le giron 2028 Li gentils rois,
Et si leur dist : « Vous n'en irez des mois,
Car je vous vueil oster a ceste fois
Les pensées qui vous font moult d'anois. » 20 3 2 Le chevalier
Moult humblement l'en prist a mercier,
Et aussi fist la dame qui targier
Ne pooit plus, ce dist, de repairier. 2o36 Et finalment
201 1 A partir de ce vers la fin manque dans K — 201 1 C aban- donneraient — 2oi5 CEJP doucement; BD len ; P leur — 2017 DJ près deure ; P prez de leure — 2018 C cest; J leaus — 2020 D lauerent — 2021 M 11 a 11.; en manque dans C — 2023 EJ et burent; D bugent — 202 5 M ot a plante ; E faison ; D Quan- ques y fu fu plante et foison — 2026 P De quanque len porroit auoir de bon; E quanqui on ; CfcVpot; C dire et auoir — 2027 F le; E les gieron; D geron — 2o3i EJP qui moult vous font; J destrois — m3? P Ne se pot plus ; J rapairier — 2o36 EJ Finablement.
] 34 LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE
Li rois les tint huit jours moult liement Et au partir leur donna largement Chevaus, harnois, joiaus, or et argent.
2040 Si se partirent
Au chief d'huit jours et dou roy congié prirent, Ou tant orent trouvé d'onneur qu'il dirent Qu'ains si bon roy ne si gentil ne virent.
2044 Mais compaingnie
Leur fist Honneur; aussi fist Courtoisie,
Juenesse, Amour, Richesse l'aaisie,
Et meint autre que nommer ne say mie.
2048 Car il montèrent
Sus les chevaus et tant les convoierent Que chascun d'eaus en son hostel menèrent, Et puis au roy a Durbui retournèrent.
2o52 Ci fineray
Ma matière, ne plus n'en rimeray ; Car autre part assez a rimer ay. Mais en la fin de ce livret feray
2o56 Que qui savoir
Vorra mon nom et mon seurnom de voir, Il le porra clcrement percevoir En darrein ver dou livret et vëoir,
2060 Mais qu'il dessamble
Les premières set sillabes d'ensamble Et les lettres d'autre guise rassamble.
2o3g C hernois — 2040 C Et — 2041 E des . vin. : P A .vin. jours et au roy — 2042 D damour — 2043 A Queinc ; PD Quonc > J roys ; J gentilz — 2045 C et si fist — 2046 B' et rich. ; C li aisiee ; EJ lenuoisie ; B la lie; F la vie; D et liesce la lie; P leece lenuoisie — 2o5o D et en lostel; J en leur h.; P en leurs chastel — 2o53 MBD et plus; J ne r. — 2034 et 2o35 intervertis dans D — 2054 EP dautre part ; D assez en rimeray — 2o55 C cest; BD liure — 2057 P pour voir — 2059 CBEJ Ou; D V; P Au derrcnier ; E derrenier; ver manque dans P ; M liure — 3061 P s'arrête ici; E premiers; E desamble.
LE JUGEMENT DOU ROY DE BEHAIXGXE 1 33
Si que nulle n'en oublie ne emble.
2064 Einsi porra
Mon nom savoir qui savoir le vorra. Mais ja pour ce mieus ne m'en prisera. Et nompourquant ja pour ce ne sera
2068 Que je ne soie
Loiaus amis, jolis et pleins de joie ; Car se riens plus en ce monde n'avoie Fors ce que j'aim ma dame simple et coie
2072 Contre son gré,
Si ay j'assez, qu'Amours m'a honnouré Et richement mon mal guerredonné, Quant a ma dane einsi mon cuer donné
2076 Ay a tous jours.
Et ce mon cuer conforte en ses dolours
Que, quant premiers senti les maus d'amours,
A gentil mal cuide humble secours.
Explicit le Jugement doit Roy de Behaingne'.
i. L'Explicit manque dans D ; FMBC du bon roy ; B boeme; C Ci fenist le temps pascour; E Explicit.
2o63 M nen emble — 2067 E Maiz — 2069 J amans joieux ; E joiaux — 2072 E Outre; J Et de son gre — 2076 a manque dans E — 2077 MBDE se ; F ces ; BD amours — 2078 E Quant au premier; J le mal ; D le mau — 2079 EJ Ou; EJ cuiday.
m
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
CONTRE LE.
JUGEMENT DOU ROY DE BEHAINGNE '
Au départir dou bel esté
Qui a gais et jolis esté,
De fleurs, de fueilles faillolez,
Et d'arbrissiaus emmaillolez,
Arrousez de douce rousée,
Séchiez par chaleur ordenée
Que le soleil li amenistre,
Et qu'oisillons ont leur chapitre
Tenu de sons et de hoquès,
Par plains, par aunois, par bosquès,
Pour li servir et honnourer,
i. MBE Ci commence le jugement du roy de nauarre; F du bon roy de B. ; D n'a pas de titre, ce Dit y étant considéré comme la continuation immédiate du Dit précédent.
1 E Ou — 3 D flour ; DE feulles feulloles — 7 D leur — 8 D tiennent ch.; B chapistre — 9 D T. desouz — 10 E annoys et par bocques.
I 38 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
12 Que tout ce couvient demourer Pour le temps qui, de sa nature, Mue sa chaleur en froidure, Un po après le temps d'autonne
)6 Que chascuns vandange et entonne Qui a vingnes a vandangier, Et qu'on a a petit dangier Pesches, moust, poires et roisins,
20 Dont on présente a ses voisins, Que li blez en la terre germe Et que la fueille chiet dou cherme, Par nature, ou dou vent qui vente,
24 L'an mil trois cens nuef et quarante, Le novisme jour de novembre, M'en aloie par mi ma chambre. Et se li airs fust clers et purs,
28 Je fusse ailleurs ; mais si obscurs Estoit, que montaingnes et plains Estoient de bruines pleins. Pour ce me tenoie a couvert ;
32 Car ce qu'estre soloit tout vert Estoit mué en autre teint, Car bise l'avoit tout desteint Qui mainte fleur a decopée
36 Par la froidure de s'espée.
Si que la merencolioie Tous seuls en ma chambre et pensoie Comment par conseil de taverne 40 Li mondes par tout se gouverne ;
12 D se — 18 F dongier — 19 E moult; D pesches et raisins
— 21 D Que ble ; FB bief — ~i B chierme; D chiesne ; E chcnnc — 2 3 D out — 2 5 Mss. Le .ix*. j. — 26 E alay — 27 D tu — j>2 D Que ce quaistre — 33 D Estre — 35 D deserpee
— 38 £ ceulz; et manque dans D — 3g D Comme.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I ÔO,
Comment justice et vérité
Sont mortes par l'iniquité
D'avarice qui en maint règne 44 Com dame souvereinne règne,
Com maistresse, comme royne, —
Qu'avarice engendre haine,
Et largesse donne et rent gloire, 48 Vraiement, c'est parole voire,
Qu'on le scet et voit clerement
Par vray et juste experiment, —
Comment nuls ne fait son devoir, 52 Comment chascuns quiert décevoir
Son proisme; car je ne voy père,
Fil, ne fille, ne suer, ne frère,
Mère, marrastre, ne cousine, 56 Tante, oncle, voisin, ne voisine,
Mari, mouillier, amy, n'amie
Que li uns l'autre ne cunchie ;
Et s'un en y a qui s'en garde, 60 Chascuns de travers le regarde,
Et dit on qu'il est ypocrites,
Et fust sains Jehans li Ermites ;
Com li signeur leur subgiez pillent, 64 Roubent, raembent et essillent
Et mettent a destruction
Sans pitié ne compation,
Si que grans meschiés, ce me samble, 68 Est de vice et pooir ensamble.
Et on le voit assez de fait,
Ne riens tant cuer félon ne fait
41 D Comme — 43 A aduarice; M main — 44 ME Comme; D royne — 45 et 46 intervertis dans BDE — 45 E Comme; D et com — 48 FM Voirement — 49 -E Quen li scet — 5o DE vraie — 5i et 52 D Comme — 53 A peire — 34 ne {devant suer) manque dans M — 63 E subget — 64 F raembrent ; M raiembrent ; D rnon«nent — 67 F se — 68 D de vies.
I40 LI JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Com grant pooir qui mal en use. 72 Or voy que chascuns en abuse,
Car je ne voy homme puissant
Qui n'ait puis dis, puis vint, puis cent
Tours, manières, engiens ou ars 76 Pour pillier hardis et couars.
Car couvoitise les atrape,
Si que nuls de leurs mains n'eschape,
S'il n'est dont tels qu'il n'ait que perdre. 80 A tels ne s'ont cure d'aërdre :
Car qui riens n'a, riens ne li chiet ;
De tels gens riens ne leur eschiet.
Mais couvoiteus ont tel défaut 84 Que quant plus ont, plus leur deffaut,
Et quant plus sont puissamment riche.
Tant sont il plus aver et chiche;
Qu'avarice ardant qui d'euls vist, 88 Com plus vivent, plus rajonnist.
Et de ce la vient la tempeste
Qui destruit le monde et tempeste.
Les merveilles et les fortunes 92 Qui au jour d'ui sont si communes
Qu'on n'oit de nulle part nouvelle
Qui soit aggreable ne belle;
Car il a plus grant différence 96 Dou temps que je vi en m'enfance
A cestui qui trop est divers,
Qu'il n'ait des estez aus vvers.
Mais la chose qui plus m'est grieve
j5 E maniers — 76 D Poures pillars hardis couars — 79 D Si ; D qui — 84 D et plus leur fault — 85 D quant il sont; A puis- sant et r. — 86 D Tant plus sont il — 87 FM nist;D vit — 88 E plus muet plus remuist — go manque dans DE ; dans E au bas de la colonne : Qui maint lieux deront et degueste — 93 D Com voit; MD nouuelles — 94 D et belle — 98 DE nest ; B na; FM as — 99 A plus me grieue; E qui pou mest griefue.
LE JUGEMENT DOU KOY DE NAVARRE 141
100 A souffrir, et qui plus me grieve,
C'est rendre a Dieu po révérence,
Et ce qu'en riens n'a ordenance,
Et qu'au jour d'ui chascuns se père 104 De ce qu'on claimme vitupère.
Pour c'en moy, plus que dire n'ose,
Estoit merencolie enclose.
Car qui le scetist a demi, 108 Assez meins en tenist de mi.
Et pour ce que merencolie
Esteint toute pensée lie,
Et aussi que je bien vëoie 112 Que mettre conseil n'i pooie,
Et que, s'on sceùst mon muser,
On ne s'en feïst que ruser,
Laissay le merencolicr 116 Et pris ailleurs a colier,
En pensant que s'a Dieu plaisoit
Qui pour le milleur le faisoit.
Si cheï en autre pensée, 1 20 Pour ce que folie esprouvée
Est en tout homme qui se duet
De chose qu'amender ne puet ;
Et me pensai que, se li temps 124 Estoit encor pires dis tans,
Voire cent fois, voire cent mil,
N'i a il conseil si soutil
Comme de tout laissier ester, 128 Puis qu'on ne le puet contrester,
Et de faire selonc le sage
100 A mest grieue — 102 D ordrenance — io3 D Car au jour — io5 ME plus dire — 109 que manque dans E — u3 E moy muser — 114 D se — 124 AB encore; E encores ; D pires encores; A .x. temps — 126 il manque dans D — 127 E du tout.
I4'2 I-E JUGEMENT D0U ROY DE NAVARRE
Qui dit et demoustre en sa page
Que, quant il a tout conceù, 1 32 Tout ymaginé, tout veii,
Esprouvé, serchié, viseté
Le monde, c'est tout vanité,
Et qu'il n'i a autre salaire 1 36 Fors d'estre liez et de bien faire.
Et tout einsi com je cuidoie
Laissier le penser ou j'estoie,
Il me sourvint une pensée 140 Plus diverse, plus effreée,
Plus enuieuse la moitié,
Et de plus grant merencolie.
Ce fu des orribles merveilles,
144 Seur toutes autres despareilles,
Dont homme puet avoir mémoire, Car je ne truis pas en histoire Lisant nulles si mervilleuses,
148 Si dures, ne si périlleuses
De quatre pars, non de dis tans, Comme elles ont esté de mon temps. Car ce fu chose assez commune
1 52 Qu'on vit le soleil et la lune, Les estoiles, le ciel, la terre, En signefiance de guerre, De doleurs et de pestilences,
1 56 Faire signes et demoustrances. Car chascuns pot vëoir a l'ueil
i3i D Que tant que il a conceu — i32 D et tout — 134 D ta. est toute v. — 140 A et plus; M effraee — 143 E Se; D Et — \$b D puist — 146 E ne le tr. : D listoire — 147 FM Lisans ; BD nulle si merueilleuse — 148 MDE dure; D perileuse — 149 D ou de ; AF temps — i5o DE elle; B' elles furent — i5i E se — 1 56 E F. figures — i r»7 BD puet.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 1 4 J
De lune esclipce et de soleil,
Plus grant et plus obscur assez 160 Qu'esté n'avoit mains ans passez,
Et perdre en signe de douleur
Longuement clarté et couleur.
Aussi fu l'estoile coumée, 164 En semblance de feu couée,
Qui de feu et d'occision
Faisoit prenostication.
Li ciel qui de leur haut vëoient 168 Les meschiés qu'a venir estoient
Au monde, en pluseurs lieus plourerent
De pitié sanc et dégoûtèrent,
Si que de leur mervilleus plour
172 La terre trembla de paour,
Ce dient pluseurs qui ce virent,
Dont villes et citez fondirent
En Alemaingne, en Quarenteinne, 176 Assez plus d'une quaranteinne,
Dont je n'en say mie la somme ;
Mais on le scet moult bien a Romme,
Car il y a une abeïe 180 De Saint Pol qui en fu perie.
Mais li sires qui tout a fait Par expérience de fait, Com sires souvereins et dignes 184 Seur tous, de ces mervilleus signes Nous moustra la signetiance, Et nous en mist hors de doubtance Si a point et si proprement
j 58 et manque dans D ; F dou — i5g D obscure — 160 B' moins — 1 63 F tournée; BDE journée — 1G4 D tournée — 167 qui effacé dans B' — 168 i Li — 169 D et pi. ; D ploroient —
173 E dirent — 175 D quarantomme — 177 D ne sces — 184 BD ses.
144 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
1 88 Que chascuns le vit clerement.
Car les batailles et les guerres
Furent si grans par toutes terres,
Qu'on ne savoit en tout le monde, 192 Tant comme il tient a la rëonde,
Pais, règne, ne région,
Qu'il n'i eust discention;
Dont cinc cent mil hommes et femmes 196 Perdirent les corps et les âmes,
Se cils qui a tous biens s'acorde
Ne les prent a miséricorde ;
Et maint pais destruit en furent, 200 Dont encor les traces en durent;
Et des prises et des outrages
Et des occisions sauvages
De barons et de chevaliers, 204 De clers, de bourgois, d'escuiers,
Et de la povre gent menue
Qui morte y fu et confondue,
De rois, de duz, de bers, de contes 208 Seroit Ions a dire li contes.
Car tant en y ot de perdus
Qu'on en estoit tous esperdus,
L'un par feu, l'autre par bataille. 212 Après ce, vint une merdaille
Fausse, traître et renoïc :
Ce fu Judée la honnie,
La mauvaise, la desloyal, 216 Qui bien het et aimme tout mal,
Qui tant donna d'or et d'argent
190 D F. plus par — 191 D par tout — 192 BE ronde — 194 F Qui — 19D D mille; E milles — 196 M le cors — 197 D tout bien — 198 F print; MBDE prist — 200 D les tr. encore durent — 207 E pers — 208 D Seront; A a faire — 209 AM desperdus; F ost _ 210 E Con on e. tout esp. — 2 1 3 FMB traite — 214 B' fu la honnie judee; D li h. — 2 i5 E et la — 21G A het bien.
LE JUGEMENT D0U ROY DE NAVARRE I4D
Et promist a crestienne gent,
Que puis, rivières et fonteinnes 220 Qui estoient cleres et seinnes
En pluseurs lieus empoisonnèrent,
Dont pluseurs leurs vies finerent ;
Car trestuit cil qui en usoient 224 Assez soudeinnement moroient.
Dont, certes, par dis fois cent mille
En morurent, qu'a champ, qu'a ville,
Einsois que fust aperceiie 228 Geste mortel descouvenue.
Mais cils qui hiut siet et loing voit,
Qui tout gouverne et tout pourvoit,
Ceste traïson plus celer 232 Ne volt, eins la fist révéler
Et si generaument savoir
Qu'il perdirent corps et avoir.
Car tuit Juif furent destruit, 236 Li uns pendus, li autres cuit,
L'autre noie, l'autre ot copée
La teste de hache ou d'espée.
Et meint crestien ensement 240 En morurent honteusement.
En ce temps vint une maisnie De par leur dame Ypocrisie Qui de courgies se batoient 244 Et adens se crucefioient,
En chantant de la lopinelle
Ne say quelle chanson nouvelle,
222 M lors ; F leur vie; E vie — 223 M trestous olz; D tres- tuit ceulz — 228 FCest; D descongneue — 229 D Maiz cil qui loing siet et bas voit; A long — 232 D Ne se voult ains nst r. — 236/1 Li un pendu li autre c.; E tuit — 237 ot manque dans D — 243 B'DE descourgies — 244 D as dcns.
Tome I. 10
I46 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Et valoient mieus, par leurs dis, 248 Que sains qui soit en paradis.
Mais l'Eglise les entendi
Qui le batre leur deffendi,
Et si condempna leur chanson 252 Que chantoient li enfançon,
Et tous les escommenia
Dou pooir que Dieus donné li a,
Pour itant que leur baterie 25 6 Et leurs chans estoit herisie.
Et quant Nature vit ce fait Que son oeuvre einsi se desfait Et que li homme se tuoient,
200 Et les yaues empoisonnoient
Pour destruire humeinne lignie Par couvoitise et par envie, Moult en desplut la belle et gente,
264 Moult se coursa, moult fu dolente. Lors s'en ala sans atargier A Jupiter, et fist forgier Foudres, tonnoirres et tempestes
268 Par jours ouvrables et par festes. Car ceste ouevre tant li tardoit Que jour, ne feste n'i gardoit.
Après Nature commanda 272 Aus quatre vens qu'elle manda Que chascuns fust aparilliez Pour tost courir, et abilliez, Et qu'il issent de leurs cavernes
247 E leur — 248 DE quil — 2*4 li manque dans D — 256 E champs — 259 M hommes — 263 et manque dans FM — 264 E courousa — 265 F sens ala — 267 D Tonnerres foudres — 268 M ouurales — 269 D Tant ceste lui atardoit.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 1 47
276 Et facent leurs mervilleus cernes,
Si qu'il n'i ait resne tenue,
En ciel, en terre, en mer, n'en nue,
Qu'il ne soient a l'air contraire 280 Et facent pis qu'il porront faire.
Car quant ses ouevres voit derompre,
Elle vuet aussi l'air corrumpre.
Et quant li vent orent congié, 284 Et Jupiter ot tout forgié,
Foudres, tempestes et espars,
Qui lors veïst de toutes pars
Espartir mervilleusement 288 Et tonner très horriblement,
Venter, gresler, et fort plouvoir,
Les nues, la mer esmouvoir,
Bois trambler, rivières courir, 292 Et, pour doubtance de morir,
Tout ce qui a vie seur terre
Recept pour li garentir querre,
C'estoit chose trop mervilleuse, 296 Trop doubtable et trop périlleuse !
Car les pierres dou ciel chëoient
Pour tuer quanqu'elles ataingnoient,
Les hommes, les bestes, les famés ; 3oo Et en pluseurs lieus a grans fiâmes
Cheï li tempes et la foudre
Qui mainte ville mist en poudre ;
N'au monde n'avoit si hardi 304 Qui n'eùst cuer acouardi ;
Car il sambloit que décliner
Vosist li mondes et finer.
277 E qui ny ait règne t. — 279 Mss. Qui — 280 F qui — 281 B vit — 282 D voult — 294 D Reçoit; DE guerre — 3oo M
grant; D plames — Soi A Cheirentli temps; DE le temps — 3oa BDE maintes villes — 3o3 E Ne m. — 3o4 E Quil.
148 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Mais nuls endurer ne peiist, 3o8 S'auques durer cils temps deust.
Si que ces tempestes cessèrent,
Mais tels bruines engendrèrent,
Tels ordures et tels fumées 3 1 2 Qui ne furent gaires amées ;
Car l'air qui estoit nés et purs
Fu ors et vils, noirs et obscurs,
Lais et puans, troubles et pus, 3 16 Si qu'il devint tous corrompus,
Si que de sa corruption
Eurent les gens opinion
Que corrumpu en devenoient 320 Et que leur couleur en perdoient.
Car tuit estoient mal traitié,
Descoulouré et deshaitié :
Boces avoient et grans clos 324 Dont on moroit, et a briés mos,
Po osoient a l'air aler.
Ne de près ensamble parler.
Car leurs corrumpues alainnes 328 Corrompoient les autres sainnes-
Et s'aucuns malades estoit,
S'uns siens amis le visetoit,
Il estoit en pareil péril ; 332 Dont il en morut cinc cent mil ;
Si que li fils failloit au père,
La fille failloit a la mère,
La mère au fil et a la fille 336 Pour doubtance de la morille;
JÎ07 E ne le peust — 3o8 D Se longuement dure cust; B deust, corrigé en eus par B' — 309 FM ques — 3 12 E âmes — 3i3 E nest — 3 14 D ort vil — 3 1 5 D L;'it puant: E prus — 3i6 FFu il de nuit — 3 17 BE Et de sa grant c. ; D De sa grande c. — 322 D dehaitie — 324 M Et: E en m. — 325 D aler a lair — 327 F leur — 335 M et la ri lie .
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 149
N'il n'estoit nuls si vrais amis,
Qui ne fust adont arrier mis
Et qui n'eiist petit d'aïe, 340 S'il fust cheùs en maladie.
Ne fusicien n'estoit, ne mire
Qui bien sceiist la cause dire
Dont ce venoit, ne que c'estoit 344 (Ne nuls remède n'i metoit),
Fors tant que c'estoit maladie
Qu'on appelloit epydimie.
Quant Dieus vit de sa mansion 348 Dou monde la corruption
Qui tout partout estoit si grans,
N'est merveilles s'il fu engrans
De penre crueuse vengence 3 52 De ceste grant desordenance ;
Si que tantost, sans plus attendre,
Pour justice et vengence prendre,
Fist la mort issir de sa cage, 356 Pleinne de forsen et de rage,
Sans frein, sans bride, sans loien,
Sans foy, sans amour, sans moien,
Si très fiere et si orguilleuse, 36o Si gloute et si familleuse,
Que ne se pooit saouler
Pour riens que peûst engouler.
Et par tout le munde couroit, 364 Tout tuoit et tout acouroit,
Quanqu'il li venoit a rencontre,
337 D Quil — 338 DE Quil; M adonque — 33o, ME quil; D neust donc — 341 D Fusicien — 342 D sccuent — 344 F mes- toit; Destoit — 347 D voult; E mention — 35o D si fu; M fust — 355 BD la cage — 356 M foursen; D forson; E forfeu — 357 D et sans lien — 36 1 B' Quel
l5o LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Non ne pooit résister contre.
Et briefment tant en acoura, 368 Tant en occist et devoura,
Que tous les jours a grans monciaus
Trouvoit on dames, jouvenciaus,
Juenes, viels et de toutes guises, 3j2 Gisans mors parmi les églises ;
Et les gettoit on en grans fosses
Tous ensamble, et tous mors de boces,
Car on trouvoit les cimatieres 376 Si pleinnes de corps et de bières
Qu'il couvint faire des nouvelles.
Ci a mervilleuses nouvelles.
Et si ot mainte bonne ville 38o Qu'on n'i vëoit, ne filz, ne fille,
Femme, n'homme venir n'aler,
N'on n'i trouvoit a qui parler,
Pour ce qu'il estoient tuit mort 384 De celle mervilleuse mort.
Et ne gisoient que trois jours
Ou meins ; c'estoit petis séjours.
Et maint en y ot vraiement 388 Qui mouroient soudeinnement;
Car ceuls meismes qui les portoient
Au moustier, pas ne revenoient
— Souvent le vit on avenir — , 392 Eins les couvenoit la morir.
Et qui se vorroit entremettre
De savoir ou d'en escript mettre
Le nombre de ceuls qui moururent,
366 E Nen — 369 E morccaus — 370 E en — 074 FM en- sambles — 376 E plains — 377 M Qui; des manque dans D — 378 D Ci tresmerueilleusement lees — 379 E si y ot; D ont — 38o AB fil — 38 1 ne (h.) manque dans BD — 382 BE Quon — 386.4 secours — 388 DE moururent — 392 B' la a mourir — 3y3 D vouloit — 3g5 D mouroient.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 1DI
3q6 Tous ceuls qui sunt et ceuls qui furent
Et tous ceuls qui sont a venir
Jamais n'i porroient venir,
Tant s'en sceiissent encombrer; 400 Car nuls ne les porroit nombrer,
Ymaginer, penser, ne dire,
Figurer, moustrer, ne escrire.
Car pluseurs fois certeinnement 404 Oy dire et communément
Que, mil trois cent quarante et nuef,
De cent n'en demouroit que nuef.
Dont on vit par deffaut de gent 408 Que maint bel héritage et gent
Demouroient a labourer.
Nuls ne faisoit les chans arer,
Les blez soier, ne vignes faire, 412 Qui en donnast triple salaire,
Non, certes, pour un denier vint,
Tant estoient mort; et s'avint
Que par les champs les bestes mues 416 Gisoient toutes esperdues,
Es blez et es vignes paissoient,
Tout partout ou elles voloient,
N'avoient signeur, ne pastour, 420 N'homme qui leur alast entour,
N'estoit nuls qui les reclamast,
Ne qui pour siennes les clamast.
Héritages y ot pluseurs 424 Qui demouroient sans signeurs;
Ne li vif n'osoient manoir
Nullement dedens le manoir
390 D et qui estoient — 400 D ne pouoit — 406 A demorroit ; DE demoura — 407 F D. vint; M D. auint — 409 JE Demouroit ; B' Demouroit sans point 1. — 410 E erer — 41 1 D vigne — 412 D treble — 419 D ne seigneur — 420 leur manque dans D, effacé dans B' — 424 D demourerent — 42 5 M vis— 426 D leur.
I D2 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Ou li mort avoient esté, 428 Fust en yver, fust en esté ;
Et s'aucuns fust qui le feïst.
En péril de mort se meist.
Et quant je vi ces aventures 432 Si diverses et si obscures,
Je ne fui mie si hardis
Que moult ne fusse acouardis.
Car tuit li plus hardi trambloient 436 De paour de mort qu'il avoient.
Si que très bien me confessay
De tous les péchiez que fais ay,
Et me mis en estât de grâce 440 Pour recevoir mort en la place,
S'il pleiist a Nostrc Signeur.
Si qu'en doubtance et en cremeur
Dedens ma maison m'enfermav 444 Et en ma pensée fermay
Fermement que n'en partiroie
Jusques a tant que je saroie
A quel fin ce porroit venir ; 44.8 Si lairoie Dieu couvenir.
Si que lonc temps, se Dieus me voie,
Fui einsi que petit savoic
De ce qu'on faisoit en la ville, 452 Et s'en morut plus de vint mille,
Cependant que je ne sceus mie,
Dont j'eus meins de merencolie ;
Car riens n'en voloie savoir, 436 Pour meins de pensées avoir,
433 D fu; E suy — 434 D Que mont ne f. acordis — 435 D estoient — 436 M Pour ; D Tremblans de la poour quil auoient — 437 FM ques — 442 D Si que d. — 443 M ma chambre; D monte moy — 449 FM ques — 45o D Fu ; E Fut — 452 D mou- rust — 453 FA/sceu — 454 de manque dans D, effacé dans B' — 455 E ne — 456 DE pensée auoir; B' pensée en auoir.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I DÔ
Comment qu'assez de mes amis Fussent mors et en terre mis.
Si qu'einsi fui lonc temps en mue, 460 Si comme un esprevier qu'on mue,
Et tant qu'une fois entroy
— Dont moult forment me resjoy —
Cornemuses, trompes, naquaires, 464 Et d'instrumens plus de set paires.
Lors me mis a une fenestre
Et enquis que ce pooit estre ;
Si que tantost me respondi 468 Uns miens amis qui m'entendi
Que ceuls qui demouré estoient
Einsi com tuit se marioient
Et faisoient festes et noces; 472 Car la mortalité des boces
Qu'on appelloit epydemie
Estoit de tous poins estanchie ;
Et que les gens plus ne moroient. 476 Et quant je vi qu'il festioient
A bonne chiere et liement
Et tout aussi joliement
Com s'il n'eussent riens perdu, 480 Je n'os mie cueresperdu,
Eins repris tantost ma manière
Et ouvri mes yeus et ma chiere
Devers l'air qui si dous estoit 484 Et si clers qu'il m'amonnestoit
Que hors ississe de prison
Ou j'avoie esté la saison.
460 un manque dans D — 461 D entray oy — 464 D .vi.; E dune paires — 467 et 468 intervertis dans D — 467 D Tantost me dit et r. — 476 DE qui {E quil) festoient — 477 et manque dans D— 478 D ainssi — 479 D Comment — 483 F que — 485 A lors ; D sausisse.
ID4 *-E JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Lors fui hors d'esmay et d'effroy, 488 Se montay seur mon palefroy
Grisart qui portoit Tambleure
Moult souëf et de sa nature.
S'alay aus chans isnellement 492 Chevauchier par esbatement,
Pour moy jouer et soulacier
Et la douceur a moy lacier
Qui vient de pais et de déduit, 496 Ou cuers volentiers se déduit
Qui n'a cure de cusançon
Qui touche a noise, n'a tenson,
Mais bien vorroit cusançonner 5oo Ad ce qui puet honneur donner.
En celle cusançon estoie
Pour honneur a quoy je tendoie.
Cusançon avoie et désir 504 Que je peùsse, a mon loisir,
Aucuns lièvres a point sousprendre,
Par quoy je les peusse prendre.
Or porroit aucuns enquester 5o8 Se c'est honneur de levreter.
A ce point ci responderoie
Que c'est honneur, solas et joie ;
C'est uns fais que noblesse prise, 5 1 2 Qui est de gracieuse emprise,
Et très honneste a commencier,
Dont il s'en fait bel avancier;
S'est en faisant plaisans a faire.
487 D fu h. dennoy et deffray — 490 M souez — 492 M pour — 494 E laissier — 495 E et déduit — 496 D Qui ammoneste tout délit — 497 D Et — 498 D et a t. — 499 D verroit ensensonner — 5oi D entencion nestoie; M ou jestoie — 5o2 D Fors pour h.; je manque dans D — 504 E je pesé — 5o5 E liures — 5o6 E les pense — 307 D Ou — 5o8 D Se nest; E leurester — D09 FE respondroie ; D je respondroic — 1 55 D Cesr, M affaire.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I 33
5 1 6 Et li honneurs gist ou parfaire.
Dont en celle perfection
Avoie si m'entencion
Qu'a autre chose ne pensoie. 52o Et li bon lévrier que j'avoie
Renforçoient si mon solas
Que je n'en peusse estre las,
Quant je les os mis en conroy, 524 Et je les vi de bel arroy
De courir a point sus les chans,
Et puis des oisillons les chans
Qui estoient melodieus, 528 Et li airs dou temps gracïeus
Qui tout le corps m'adoucissoit.
On puet bien croire qu'einsi soit
Que, se pluseurs gens chevauchassent, 532 A fin que point ne m'araisnassent,
Et aucuns bien en congneiisse,
Que ja ne m'en aperceiisse,
Tant y avoie mis ma cure. 536 Se m'en avint une aventure
Qui me fu un petit doubteuse,
Mais briefment me fu gracieuse,
Si comme tantost le diray 540 Ci après; point n'en mentiray.
Tandis que la m'esbanioie Qui en moy oublié avoie Toutes autres merencolies, 544 Tant les dolentes, com les lies, Une dame de grant noblesse,
5 16 li effacé dans B' ; B' a le part'.; D au ; M on — 5 18 M cy
— 52 1 M ci — 522 E pense — 523 D meut — 524 A change tel en bel — 526 manque dans D — 53o bien manque dans D — 532 ne manque dans F; E narrainassent — 533 M aucun; E biens
— 539 E c. briefment le d. — 540 DE ne m. — 542 A Que.
1 56 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Bien acesmée de richesse.
Venoit a belle compaingnie. 548 Mais je ne les vèoie mie,
Car dou chemin estoie arrière,
Et, d'autre part, pour la manière
De ce que j'estoie entendus 552 Et tous mes engins estendus
A ma queste tout seulement.
Mais la dame premièrement
Me vit, eins que nuls me veïst, 556 Ne que nuls semblant en feïst,
C'est assavoir d'icelle gent
Qui conduisoient son corps gent.
Lors un escuier appella 56o Et li dist : « Vois tu celui la
Qui bel se déduit et déporte?
Va a lui, et si me raporte
Qui il est, et revien en l'eure, 564 Sans la faire point de demeure. »
Li escuiers n'en failli pas,
Eins vint a moy plus que le pas
Et hautement me salua. 568 Mes propos de riens n'en mua.
Si li dis : « Bien veingniez, biau sire. »
Cils s'en retourna, sans plus dire,
Au plus tost qu'il pot a la dame : 572 « Dame », dist cils, « foy que doy m'ame,
C'est la Guillaumes de Macbaut.
Et sachiez bien qu'il ne li chaut
De rien fors que de ce qu'il chace, 5j6 Tant est entendus a sa chace.
546 D atournee — 548 M la — 649 E estoit; D derrière — 552 E entendus — 553 M tant — 55 5 D vist — 56o li manque dans M — 56i M ce — 565 D ne — 567 D humblement — 572 M dist il ; B fois; D dois; M que je doy — bjl D li guill'e de loris — 574 D qui — 575 F fors de ce; E qui — 576 B entendens ; D entendant.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 1 5y
Bien croy qu'il n'entent a nelui
Fors qu'a ses lévriers et a lui. »
Quant la dame ces mos oy, 58o Samblant fist de cuer esjoy,
Nom pas samblant tant seulement,
Mais de fait entérinement,
De cuer joiant, a chiere lie, 584 Comme dame gaie et jolie.
Nom pour moy, ce ne di je point;
Eins y avoit un autre point,
Pour aucune cause certeinne, 588 Dont sa volenté estoit pleinne.
Si le me voloit prononcier
Pour li déduire et soulacier
Et moy mettre en merencolie. 592 A ce point ne failli je mie,
Car je fui de li galïez,
Ramposnez et contralïez,
Aussi com se j'eusse fait 596 Encontre li un grant meffait.
Quant li escuiers ot compté
De moy toute sa volenté,
La dame dist tout hautement : 600 « Or vëons un petit, comment
Guillaumes est faitis et cointes.
Il m'est avis qu'il soit acointes
De trestoute jolieté 604 Apartenant a honnesté.
De nuit, en estudiant, veille,
D78 E leuries — 579 BE ses — 582 D entièrement — 583 D et chiere — 584 D d. joiant et lie — 585 B' Mais; AFM Nom pourquant; BDE Nom pourquoy; D ce ne vi point; E si ne — 586 D vne — 588 PE volentes — 58g B la — 5g3 E sui — 5g5 MD comme — 6o3 MD joliuetc — 6o5 E vueille.
I 58 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Et puis de jour, son corps traveille
En travail ou li bons s'atire 608 Qui a honneur traveille et tire.
Einsi va son corps déduisant
Toutes heures en bien faisant.
Si fais estas donne couleur 612 De maintenir homme en valeur.
Mais je li osteray briefment
Grant part de son esbatement ;
Car je li donray a ruser, 616 Pour li bonne pièce muser.
Lonc temps a que je le désir :
S'en acompliray mon désir.
Or t'en rêva a li tantost,
620 Car je me merveil qui li tost A ci venir. Si li diras Par plus briés mos que tu porras Qu'il veingne ci apertement.
624 Et se li di hardiement
Que ce soit sans quérir essoingnes, Non contrestant toutes besoingnes, Et que c'est a mon mandement. »
628 — « Dame, a vostre commandement, » Dist li escuiers, « sans nul si, Je li vois dire tout einsi Com vous dites, ou au plus près
632 Que je porray; j'en sui tous près. »
606 manque dans D; A jours — 607 B' Ou; E bons sa cure — 609 D le corps — 611 E Sa faiz e. donner c. — 612 D Quen li en habonde honnour — Gi3 D lui ottrie — 614 D G. paine sans esb. — 616 D auiser — G17 D lui — 619 D ten va a celui t. — 620 je manque dans D; D merueille; E je ne m. que li t. — 622 M brief — 623 et 624 intervertis dans D — 623 D cnsoignes; E esloignes — 626 manque dans D — 628 a manque dans F — 629 M cy — 63o E voy — 632 D tout au pi' p's p's (sic).
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I 5o,
Lors li escuiers chevaucha
Devers moy, tant qu'il m'aprocha.
Et quant il me vint aprochant, 636 II m'appeila en chevauchant,
En galopant d'uns pas menus,
Tant qu'il fu près de moy venus.
Et si tost com j'oy sa vois, 640 Erraument devers lui m'en vois,
Car de lonc temps le congnoissoie.
Et il, en signe de grant joie,
Me salua de Dieu le père 644 Et de sa douce chiere mère;
Et je li respondi briefment
En saluant courtoisement.
Puis li demanday quels nouvelles 648 Pour moy seront bonnes et belles,
Se ma dame est preus et haitie,
En pais, sans estre courrecie.
« Guillaume, de riens n'en doubtez ; 652 Car ma dame est de tous costez
En pais, preus, et haitie, et seinne ;
Et que ce soit chose certeinne,
Assez tost savoir le porrez, 656 Selonc ce que dire m'orrez :
Il est bien voirs qu'elle vous mande,
Nom pas qu'elle le vous commande,
Mais d'un mandement par tel guise 660 Qu'il vaut auques près commandise;
Non prier et non commander,
Einsi li plaist il a mander,
«33-4- M qui — 635 D vit — 638 D fust — 640 men effacé dans B' — 642 E enseigne — 647 D quel; E quelles — 648 BD Pourquoy; B' soient — 649 F et pr. ; D est saine et; et manque dans E — 65o E courcie — 65 1 D ne — 653 DE pr. haitie (D hatic) — 657 M que vous — 658 le manque dans E — 660 ABDE Qui — 662 M pi. elle amander.
lC>0 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Entre le vert et le meùr. 664 Mais tenez ce point pour seiir,
Que c'est bien de s'entencion
Que, sans point d'excusation,
Venrez a li moult liement ; 668 Elle le croit fiablement.
Dont, s'il vous plaist, vous y venrez,
Ou vo plaisir responderez. »
Après ces mos li respondi : 672 « Très chiers amis, itant vous di
Qu'a ma dame, ne quars, ne tiers
Ne sui, mais mes pooirs entiers
Est tous siens, sans riens retenir. 6y6 Se ne me porroie tenir
D'aler a li, ne ne vorroie,
Pour tant que de vray sentiroie
Que ma dame le penseroit ; 680 Dont, quant elle me manderoit,
Ce seroit bien folie a croire
Que point en vosisse recroire.
Mais un po vous vueil demander, 684 Afin qu'il n'i ait qu'amender,
Combien ma dame est loin de ci? »
— « Guillaume, je respon einsi,
Qu'il n'i a pas bien trois journées.
688 Bel soient elles ajournées ! » Dis je : « Or alons sans séjour, Si chevauchons et nuit et jour Pour les bons ma dame acomplir.
664^4 t. ceci pour — 667 A Verrez; D Venes a lui — 668 ME croist — 670 D vous respondres — 672 E amis et tant — 674 F Ne fu; E mes trestous entiers — 675 EF Et — 678 que man- que dans D — 682 D retraire — 684 D que mander — 686 F respont — 688 manque dans D: B' Selles estoient adiournees —
689 FM or en alons — 690 B'D Et.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 101
692 Je ne me puis mieus raemplir
De joie qu'en son plaisir faire;
Se n'useray point dou contraire. »
— « Guillaume, j'ay bien entendu 696 Ce que vous avez respondu.
Je vous vueil un po apaisier
D'autre chose que de baisier.
Resgardez en celle grant pleinne 700 Un po delà celle verseinne :
C'est ma dame a grant chevauchie
Qui pour vous s' est la adressie.
La vous atent, soiez certeins. 704 Or ne soit point vostres cuers teins
De piiour pour trop loing aler;
Car la porrez a li parler. »
A ces mos ma chiere dressay, 708 Et puis mon regart adressay
D'icelle part ou cils disoit.
Et quant je vi qu'einsi gisoit,
Que mes chemins yert acourciez, 712 Je n'en fui mie courreciez,
Eins en fui liez ; s'en pris a rire,
Et puis a celui pris a dire :
« Biaus amis, par merencolie 716 M'avez tenté de moquerie
De bourde, et de parole voire,
Quant vous me donnastes a croire
Madame loing par bel mentir. 720 II me plut moult bien a sentir
692 E mcn ; E ranplir — 693 A que — 694 D Si ni mcttrey p. de c. — 696 BE Que vous mauez ce (E si) r. — 701 D com- paignie — 702 FBE cest; D est — 705 D De pour pour — 707 D leuay — 709 DE De celle — 711 D ch . y acourcics ; E atour- nes — 71 3 D 1. et prins ; B sans prins — 714 D pui — 717 FMD bourdes; FME paroles; E vuires — 718 E croires — 719 D tel - 720 .4F Y.
Tome I 1 1
It>2 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Le vray de ce que vous mentistes,
En ce qu'après le voir déistes,
Que ma dame estoit assez près. 724 Je m'en vois ; or venez après,
Ou vous demourrez, s'il vous plaist. »
— « Guillaume, bien heure de plait
Est encor ; ne vous hastez point. 728 Vous y venrez assez a point,
Se ma dame y puet adrecier.
Se vous saviez un po tencier.
Bon seroit et pour certein cas 7'32 Ou vous devenez avocas ;
Car on vous porra bien sousprendre,
Se vous ne vous savez deffendre. »
De si fais mos nous debatiens, 7'36 Par gieu si nous en esbatiens;
Dont tant en parlant chevauchâmes
Que la gent la dame aprochames.
Lors m'avansay, et quant je vi 740 Son gentil corps amanevi
D'onneur, de grâce et de science,
En signe de grant révérence
Vos jus de mon cheval descendre ; 744 Mais tantost le me va deffendre,
En disant debonnairement :
« Hola, Guillaume, nullement,
Pour certein, ni descenderez. 748 A cheval a moy parlerez. »
Quant je l'oy, je m'en souffri,
725 M si — 726 M bien li heure — 727 M Nest; DE encore
— 728 DE venes — 730 E Da vous parler et raisonner — 732 A aduoeas — 735 D debation; E debations — 736 D debation; E esbations — 737 AED tout — 738 M ma dame — 740 FM amc- neui ; BD ame ne vi (B neuy) ; E a nienneny — 744 E le mala d.
— 747 D ne; £ descendres — 748 F pallerez — 749 D Et quant loy.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 1 63
Et si bel salu li otfri,
Comme je pooie et savoie, -52 Et comme faire le dévoie,
Einsi comme j'avoie apris
A honnourer gens de tel pris.
Et elle aussi, sans contrefaire, 756 Sceut moult bien le seurplus parfaire,
En respondant par amisté,
Gardant honneur et honnesté.
Puis me dist moult rassisement : La Dame. 760 « Guillaume, mervilleusement
Estes estranges devenus.
Vous ne fussiez pas ça venus,
Se ce ne fust par mes messages. 764 Je croy que vous estes trop sages
Devenus, ou trop alentis,
Mausoingneus et mautalentis,
De vos déduis apetisiez, 768 Ou trop po les dames prisiez.
Quant je fui la dessus montée
En celle plus haute montée,
Mon chemin tenoie sus destre, 772 Et je regarday vers senestre.
Tout de plain vous vi chevauchier,
Vos lévriers siffler et huchier.
Tels ouevres faire vous ôoie, 776 Tout aussi bien com je vëoie
Vous et vostre contenement.
Dont je croy bien certeinnement,
Guillaume, que vous nous veistes.
756 D Sceust; FMBDE faire— 768 D sonneur et soneste — 762 A sa ; M ci — j63 D mon message — 766 D moult tal . — 768 D âmes — 772 M resgardoie ; E regarde — 774 E Les; FB sifflier — 775 D oyaye — 776 E comme — 779 D vous me v.
164 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
780 Et pour quoy dont, quant vous oistes
Nos chevaus passer et hennir,
Et si ne deingnastes venir,
Jusqu'à tant que je vous manday 784 Einsi com je le commanday ?
Dont je vous merci tellement
Com je doy, et non autrement. » Guillaume.
Lors li dis je : « Pour Dieu merci, 788 Ma dame, ne dites ceci.
Je respon, sauve vostre honneur,
Car foy que doy Nostre Signeur,
Je ne vi riens, ne riens n'oy, 792 Tant avoie cuer esjoy
De ma chace a quoy je pensoie,
Pour la fin a quoy je tendoie ;
S'estoie einsi comme ravis. 796 Ma dame, je feroie envis
Riens encontre vostre voloir.
Et que me porroient valoir
A faire tels menuz despis ? 800 Bien say que j'en vaurroie pis.
Si m'en devez bien escuser. » La Dame.
« Guillaume, plus n'en vueil ruser.
Puis qu'einsi va, mes cuers vous croit.
804 Mais d'une autre partie croit Moult durement une autre chose Encontre vous qui porte glose.
Se vous donray assez a faire, 808 Et se vous feray maint contraire,
780 FBE nous; A corrige nous en vous — 782 A daingnies — 788 BE ce si — 796 E Dame — 797 DE contre; D volunte — 800 D vendroie — 802 D ne — 8o3 E voit — 804 manque dans D —
805 D Mais.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l65
Se pour confus ne vous rendez.
Guillaume, oëz et entendez :
Vers les dames estes forfais, 812 S'en avez enchargié tel fais
Que soustenir ne le porrez,
Ne mettre jus, quant vous vorrez. »
Avec ces paroles diverses, 816 En leurs diversetez perverses,
Me moustra elle une manière
Aspre, crueuse, maie et fiere,
En signe de grant mautalent, 820 Pour moy faire le cuer dolent
Et mettre ma pensée toute
En effroy, en soing et en doubte.
De ce se mettoit en grant peinne, 824 Qu'elle se tenoit pour certeinne,
Que de tant bien la priseroie
Que son courrous moult doubteroie.
Et si fis je; je le doubtay, 828 Quant ces paroles escoutay,
Nom pas pour cause de meffait
Qu'endroit de moy eusse fait,
Mais je doubtay pour mesdisans 832 Qui sont aucunes fois nuisans
Par fausseté et par envie
Aus bons qui mainnent bonne vie.
Si doubtay si faite aventure; 836 Mais seiïrs fui qu'enforfaiture
N'avoie fait en ma vie onques
Envers nulles dames quelsquonques.
Se li respondi par avis.
812 D aures ; M telz — 814 D Ne meittre jusqua tant voul- dres — 818 E Apres — 824 D ne tenoit ; B ce tenoit — 825 de manque dans F — 83o M eusse meffait — 832 BDE aucune — 835 E si fause a. — 836 MBE sui; D sunre ; B' que forf. — 838 FMBDE quelconques — 839 D deuisai.
l66 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Guillaume.
840 « Dame, fait avez un devis
Ou ma grant deshonneur moustrez,
Mais li procès n'est pas outrez,
Ne mis en fourme justement. 844 Pour faire certein jugement,
Vous me deussiez dire en quoy
J'ay forfait, et tout le pourquoy
Amener a conclusion. 848 Or est en vostre entention
Secrètement mis et enclos.
S'il ne m'est autrement desclos,
Je n'en saveroie respondre. 852 Or vueilliez, s'il vous plaist, espondre
Le fait de quoy vous vous dolez ;
Et s'einsi faire le volez
Vous ensieurez la juste voie 856 De droit, ou je ne saveroie
Le fait congnoistre ne nier.
Se non, vous devez ottriér
Que je m'en voise frans et quittes 860 De ce forfait que vous me dites ;
J'en atenderoie bien droit. »
La Dame.
« Guillaume, sachiez, orendroit N'en arez plus de ma partie. 864 Car la chose est einsi partie : Se je le say, vous le savez, Car le fait devers vous avez
85 1 E saroie ; D scaroie que r. ; que ajouté aussi dans B' — 852 D Or vous plest a le moy e. ; E respondre — 854 s manque dans D — 855 D ensuiues ; E suiures; A la droite voie — 856 DE saroie — 858 D Si; AE Ce — 860 D déistes — 86 1 DE atten- droie ; BD le droit; le effacé dans B' — Après ce vos on lit dans E lacteur au lieu de la dame — 863 E aues — 865 D Se ne le.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 1 67
En l'un de vos livres escript, 868 Bien devisié et bien descript :
Si resgardez dedens vos livres.
Bien say que vous n'estes pas ivres,
Quant vos fais amoureus ditez. 872 Dont bien savez de vos ditez,
Quant vous les faites et parfaites,
Se vous faites bien ou forfaites,
Dès qu'il sont fait de sanc assis 876 Autant a un mot comme a sis.
S'il vous plaist, vous y garderez,
Qu'autre chose n'emporterez
De moy, quant a l'eure présente. 880 Soiez certeins que c'est m'entente. »
Guillaume.
« Dame, qu'est ce que dit avez?
Selonc le bien que vous savez,
Trop mieus savez que vous ne dites : 884 J'ay bien de besoingnes escriptes
Devers moy, de pluseurs manières,
De moult de diverses matières,
Dont l'une l'autre ne ressamble. 888 Considéré toutes ensamble,
Et chascune bien mise a point,
D'ordre en ordre et de point en point,
Dès le premier commencement 892 Jusques au darrein finement.
Se tout voloie regarder
— Dont je me vorray bien garder —
Trop longuement y metteroie ;
868 D escript — 869 B' Si y r. ; BDE a vos 1. — 872 manque dans D — 874 E et f. ; A parfaites — 877 D Si — 884 D des — 886 E materes — 888 FBD Considérer— 889 D Est — 890 et manque dans D — 892 M damier; BDE derrenier — 894 man- que dans D; B verray, corrigé en vauray dans B' — 8g5 FD mettroie .
T 68 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
8q6 Et d'autre part, je ne porroie
Trouver ce que vous demandez,
S'a vos paroles n'amendez.
Pour tel chose ne quier ja lire, qoo Dame, nom pas pour vous desdire.
Mais ce n'est pas chose sensible
Que vostre pensée invisible
Puist venir a ma congnoissance, 904 Fors que par la clef d'ordenance
Dont vostres cuers soit deffermez,
Et que si en soie enfourmez
Que vostre bouche le me die. 908 Lorsqu'à respondre contredie,
Quant de bouche le m'arez dit,
J'en vueil moult bien, a vostre dit,
Estre blasmez et corrigiez. 912 Dame, s'il vous plaist, or jugiez
Selonc la vostre opinion,
Se j'ay tort a m'entencion. »
La Dame.
« Guillaume, puis qu'il est einsi, 916 Je m'acort bien a ce point ci.
Orendroit me ren je vaincue;
Mais de vostre descouvenue,
Qui est contre dames si grande, 920 Afferroit bien crueuse amende,
S'il estoit qui la vosist prendre.
Or vueilllez dès or mais entendre
Ad ce que je diray de bouche ; 924 Car moult forment au cuer me touche.
Et quant dit le vous averay,
902 FMB nuisible; B' inuysible — 903 il/55. Peust; B' Puet
— 912 FE si ; plaist manque dans M — gi3 la manque dans D
— 918 D descongneue ; E esconuenue — 919 MD dame — 92 5 MBDE dit ce v.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
I()Q
En tel lieu le reprocheray Que vous en serez moult blasmez 928 Et vers les dames diffamez.
Une question fu jadis
Mise en termes par moult biaus dis,
Belle et courtoisement baillie,
982 Mais après fu trop mal taillie : Premièrement fu supposé, Et en supposant proposé, Qu'une dame de grant vaillance
9 36 Par très amiable fiance Ameroit un loial amant. Si que toudis, en bien amant, Seroit de cuer loial amie;
940 Et il, en gardant courtoisie, Toudis de bon cuer l'ameroit Et son pooir estenderoit En li chierir et honnourer ;
944 Et pour li mieus énamourer Il maintenroit toute noblesse, Honneur, courtoisie et largesse. Biaus homs seroit, a grant devis,
948 De membres, de corps et de vis Renommez, de grâce parfais, Et si bien esprouvez par fais D'armes, comme nuls homs puet estre
952 Qui a mis sa vie et son estre En sieuir joustes et tournois Et tous amoureus esbanois.
927 D Que moût v. en s. bl. — 929 E Que — 930 E Cause: FDE terme — 93 1 F Bel — 937 E .1. loy amant — g3g A Feroit — 940 A Se — 941 D que bon — 942 D Tout en son pouoir estendroit — 945 D maintenoit — 947 D Biau seroit homme — 95o manque dans D — 95i ME corn; homs manque dans E — 953 D A.
IJO LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Cependant qu'einsi s'ameront 956 Et toudis bien se garderont
Les courtois poins de loiauté
En raison et en vérité,
Leur avenroit tele aventure, 960 Par violence ou par nature,
Que li amans devieroit;
Et celle, quant le saveroit,
Demorroit lasse et esgarée, 964 Loial amie non amée.
Car ses cuers demorroit espris,
Et li cuers de l'amant de pris
Seroit selonc nature esteins, 968 Dont li siens cuers seroit plus teins
Pour cause de la départie.
Plus n'en di de ceste partie,
Eins vorray d'une autre conter 972 Pour a ceste ci adjouster,
En faisant ma comparison.
Guillaume, or entendez raison :
Uns autres amans débonnaires, 976 Aussi vaillans en ses affaires
Comme cils de qui j'ay conté,
Tant en grâce comme en bonté,
Et de toutes autres parties 980 En honneur a point départies,
Amera aussi une dame
Sans mal penser et sans diffame ;
Et se li fera a savoir.
955 D sameroit — 956 D garderoit; E Et que t. b. garderont — 958 D et en loyauté — 962 D quant elle le scaroit — g63 A Demouroit — 965 F fos cuers; BE folz c. ; D faulz c. ; E de mouuoir espris — 966 E a. espris — 971 FME dun — 976 FMBDE a ses a. ; B' rétablit en ses a. — 977 DE Coin — 98? BDE ce.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I ~ I
984 Et quant elle en sara le voir,
Volentiers le recevera
Et s'amour li ottriera
Lieraient, sans faire dangier. 988 Pas ne vueil ce ci prolongier;
Car cils l'amera loiaument
Et se la croira fermement
Sans erreur et sans nulle doubte, 992 Car il cuidera s'amour toute
Avoir acquis toute sa vie,
Sans jamais faire départie.
Mais il ira bien autrement ; 996 Quant il sera plus liement
Conjoins a li et affermez
En la fiance d'estre amez,
Elle li jouera d'un tour 1000 Outréement, sans nul retour,
Ou il trouvera fausseté
Contre lui, et desloiauté,
Et se ne le porra nier. 1004 Si doit bien celui anuiër,
Ce n'est mie moult grant merveille.
Mais ce n'est pas chose pareille
Au fait d'amours qui me remort, 1008 Qui se defenist parla mort.
Guillaume, s'entendu m'avez,
Assez legierement devez
Vostre meffaçon recongnoistre i©i2 Pour vostre deshonneur descroistre.
Vous avez dit et devisié
Et jugié de fait avisié
985 D Tresuolentiers le receura — 987 FB dongier — 988 E ce sy — 989 D Car cil le scaura — 990 D Et cela; E Et cil la
— 996 Z)bien liement — ioo3 BDE Et ce; £ amer — 1004 E Ce
— ioo5 moult manque dans D — 1007 FMDE Aus fais — 1008 E pour — [oi? E diuisie — 1014 manque dans D.
I72 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Par diffinitif jugement, 1016 Que cils a trop plus malement
Grieté, tourment, mal et souffraite
Qui trueve sa dame forfaite
Contre lui en fausse manière, 1020 Que la très douce dame chiere
Qui avéra son dous amy
Conjoint a son cuer, sans demy,
Par amours, sans autre moien, 1024 Puis le savera en loien
De la mort ou il demourra,
Si que jamais ne le verra.
Et comment l'osastes vous dire, 1028 Ne dedens vos livres escrire ?
Il est voirs qu'einsi l'avez fait,
Dont vous avez griefment merîait.
Si vous lo que vous tant faciez io32 Que ce jugement effaciez,
Et que briefment le rapellez.
Guillaume, se vous tant valez,
Vous le pouez bien einsi faire io36 Par soustenir tout le contraire.
Car li contraires, c'est li drois
En tous bons amoureus endrois. »
— « Dame, foy que doy sainte Eglise 1040 En qui ma foy est toute assise,
Pour nulle rien ne le feroie;
Eins iray tout outre la voie
Dou fait, puisque j'y suis entrez. 1044 Dès que mes jugemens outrez
1017 M Grietez; D Tristece; mal manque dans D — 1022 BE C. en; B sans annuy ; E sans ami ; D c. son ami — io23 D autre lai — 1024 D scaura de bon cuer vrai — 1025 D Que la mort le deuourera — 1028 F liurez — io3 1 D los — io33 D les appel- les — io38 E bons amours en drois — 1040 F cui; ME toute mise — 1044 Jaques.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 178
Est de moy, je le soustenray,
Tant com soustenir le porray.
Mais qui vorroit avant venir 1048 Pour le contraire soustenir,
Moult volentiers oubeiroie
A quanqu'oubeïr deveroie.
Car je ne suis mie si fors, io52 Ne si grans n'est pas mes effors,
Ne de science mes escus,
Que je ne puisse estre veincus.
Mais se je puis, je veinqueray; io56 Se je ne puis, je sourferray.
Or voit einsi, com puet aler;
Je n'en quier autrement parler.
Et nompourquant, ma dame douce, 1060 Que vostres cuers ne se courrouce
A moy, nous ferons une chose
Ouvertement, nom pas enclose,
Ou vostre pais soit contenue, 1064 Et m'onneur y soit soustenue.
Car ce seroit a ma grant honte,
Selonc vostre meïsme conte,
S'endroit de moy contredisoie 1068 Le fait que jugié averoie,
De mon bon droit, tel et si fait
Que tout par moy aroie fait.
Nous penrons un juge puissant, 1072 De renommée souffissant,
Qui soit sages homs et discrez.
Se li soit comptez li secrez
Entièrement de la besoingne
1045 E Et; D en moy; le ajouté par B' — 1046 A T. que — 1047 F pourroit — io5y A quon — 1060 se manque dans D — 1062 E Couuertement — 1064 D mon honneur... tenue — 10G8 A qua iugie; D que tout iugie auroie — 1069 D bel — 1070 E pour — 1071 D pourrons — 1074 M Sil soit; E les secres.
174 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
1076 Qui a vous et a moy besoingne.
Or soit einsi fait par acort ;
Mais vous en ferez le recort
Dou prendre tel que vous vorrez. 1080 Contredire ne le m'orrez,
Eins y sui acordans dès ci
A vostre plaisir, sans nul si.
Mes cuers y est ja tous entiers, 1084 Car ce sera uns biaus mestiers
D'oïr les raisons repeter
Et les parties desputer
Soutilment, par biaus arguinens, 1088 Qui vaurront auques jugemens. »
La Dame.
A ces moz prist la dame a rire
Et en riant tantost a dire :
« Guillaume, bien suis acordans 1092 Ad ce qu'estes ci recordans;
S'en parleray, comment qu'il aille.
Et nompourquant, vaille que vaille,
Je nomme et pren celui qui rois 1096 Est appeliez des Navarrois.
C'est uns princes qui aimme honnour
Et qui het toute deshonnour,
Sages, loiaus et véritables, 1 100 Et en tous ses fais raisonnables.
Il scet tant et vaut, qu'a droit dire,
Nul milleur ne porroie eslire.
Li fais li sera savoureus, 1 104 Pour ce qu'il est moult amoureus,
Sages, courtois et bien apris.
Il aimme l'onneur et le pris
1076 M et moy — 1079 M tel com — 1082 E cy — 1086 F despitter — 108g E Asses prinst — 1092 D A ces mos que aies comptant — 1 102 B pourroit; D esluire.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I7D
Des armes, d'amours et des dames. 1 108 C'est li rois par cui uns diffames Ne seroit jamais soustenus ; De toute villenie est nus Et garnis de toute noblesse
I 1 12 Qui apartient a gentillesse.
Trop de biens dire n'en porroie, S'ui mais tout adès en parloie. »
Einsi fumes nous acordé, 11 16 Gomme devant est recordé.
Dont puis d'amours assez parlâmes, Et en parlant tant chevauchâmes Que nous entrâmes es drois las
I I 20 De pais, de joie et de solas,
C'est assavoir en un dous estre
Ou il faisoit si très bel estre
Qu'on ne porroit mieus, a mon gré : 1 124 C'estoit en souverein degré,
A mon avis, de bon propos,
De déduit et de bon repos,
Ou uns cuers se puet reposer 1 1 28 Qui a point se vuet disposer.
La avoit il un bel manoir
Ou elle voloit remanoir.
Assez fu qui la descendi 11 32 Et qui entour li entendi ; Et, sans atendre, fu menée Dedens une chambre aournée Si bien, si bel, si cointement
1 1 1 1 D Garnis est — 1 1 1 3 DDE bien; E ne — 1 1 14 D Sun mois; E Se vmais; M Sumais — 1 1 16 M Coin ci d. — 1 1 17 D puis après damours parlamz — 11 24 DDE ou s. — 1 129 il maii- que dans D — 1 i3o E Quelle vouloir, la r.
1/6 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
1 1 36 Et de tout si très richement,
Qu'onques mais, dont j'eus grant merveille,
N'avoie veu la pareille.
Et briefment tuit, grant et meneur, i 140 Li faisoient feste et honneur.
Mais bien sambloit estre maistrcsse,
Car elle fu par grant noblesse
Entre coussins de soie assise. 1 144 Mais moult estoit sage et rassise,
Et fu d'aiige si seùr
Qu'entre le vert et le meiïr
Estoit sa très douce jouvente,
I 148 Plus qu'autre simple, aperte et gente.
Moult bien estoit acompaingnie De belle et bonne compaingnie. N'i fu Margot ne Agnesot,
I I 52 Mais douze damoiselles ot
Qui jour et nuit la norrissoient, Servoient et endoctrinoient.
La première estoit Congnoissance 11 56 Qui li moustroit la différence
D'entre les vertus et les vices
Et des biens fais aus maléfices,
Par Avis qui la conduisoit 11 60 Jusqu'à un miroir qui luisoit,
Si qu'onques plus cler mirëoir
Ne pot on tenir ne vêoir.
Raisons le tenoit en sa destre, 11 64 Une balance en sa senestre,
1 1 36 D de trestout si rich. — 1 1 38 DE veuc — 1 i3o, tuit man- que dans F — 1 143 B'DE coissins — 1 147 manque dans D — 1 i5i B annesot ; E amelot — 1 1 58 M au — 1 1 5g E lui — 1 1G0 A mi- roir; F.\fB mireoir; £ mireour; D mirouer; id. 1161 et 1180 — 1162 FM post on (M vn) — 1 1 63 Mss. la.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 177
Si que la dame s'i miroit
Plus souvent qu'on ne vous diroit.
La vëoit elle clerement
I 168 Sans obscurté n'empeschement,
Quanque Dicus et Nature donne A bonne eùreuse personne. C'est le mal laissier et bien faire,
I I 72 Et non voloir autrui contraire ;
Car fols est qui autrui pourchace
Chose qu'il ne vuet qu'on li face.
Et s'il eiist en son atour, 1 1 jb En son gentil corps, fait a tour,
Et en son cuer tache ne vice
Ou pensée d'aucun malice,
Ja ne fust si fort reponnue 1 180 Qu'en mirëoir ne fust veiie.
Et la vëoit elle, sans doubte,
La guise et la manière toute,
Comment Raison justement règle 1 184 Par belle et bonne et loial règle;
Si que la prenoit exemplaire
De tout ce qu'elle devoit faire.
Et aussi la juste balance 1 1 88 Li demoustroit signefiance
. Qu'elle devoit en tous cas vivre
Aussi justement com la livre
Ou on ne puet, par nulle voie, 1 192 Mettre n'oster, qu'on ne le voie.
La tierce avoit nom Attemprance
1 164 DE a sa — 1 1 65 FM ques — 1 168 A empecchoment — 1 171 M et le b. — 1 17IÎ DE qui a autrui —11 74 Z) quon ne v.; MB Ch. qui — 1 176 manque dans D — 1 1 77 MDE Ou — 1 178 D daucune — 11S0 B'D Quou; E Quen au — 1181 E veist — n83 F rieugle — 1184 D P. bonne et belle; F rieugle — 1188 ABDE demoustrent — n 89 D deuroit — 1191 BE Ou en — H92 FM Mestre; E la.
Tome 1. 12
Il8 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Qui un chapelet de souffrance
Avoir sus son chief par cointise ; 1 196 Et avec ce, dont mieus la prise,
Estoit de manière seure
Et, en parlant, sage et meure,
N'en fait, n'en port, n'en contenence 1200 N'ot vice, ne desordenance.
La quarte, se bien m'en recorde,
Estoit Pais qui tenoit Concorde
Par le doy, amiablement, 1204 Et li disoit moult doucement,
De cuer riant, a chiere lie :
« Ma douce suer, ma chiere amie,
Se nous volons vivre en leësse, 1208 En pais, en repos, en richesse,
De tout ce qu'on puet faire et dire,
N'en mettons a nos cuers point d'ire,
Et ne nous chaille dou dangier 121 2 Qu'on appelle contrevangier,
Car tels cuide vangier sa honte
Qui l'acroist et qui plus s'ahonte.
Tenons les bons en amitié, 1216 Et des mauvais aions pitié,
Car onques homs ne fu parfais
Qui volt vangier tous ses tors fais. »
La cinquisme fu appellée 1220 Foy, qui richement endestrée Estoit de Constance la ferme Qui si l'affermoit et afferme
1 199 E ne poir — 1201 DE si — i2o5 M de ch.; EBD et ch. — 12 10 DE Ne; BD en nos — 12 1 1 E vous — 1212 E contredan- gCr — 12 14 AE lahonte — 121? E a amistie — 1218 A vost — 1219 A cincisme — 1220 E au destree — 1221 D forme — 1222 D cnfourmc.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I 79
Que riens ne la branle n'esloche, 1224 Eins estoit corn chastiaus sus roche, Fort et ferme et seiirement, Sans variable mouvement.
La setisme fu Charité 1228 Qui avoit si très grant pité
Des besoingneus qu'elle savoit
Que leur donnoit quanqu'elle avoit.
Mais ja tant donner ne sceiist 123 2 Qu'assez plus a donner n'eûst.
Après, Honncstez doucement Se séoit moult honnestement, Qui parée par grant noblesse 1236 Estoit d'un mantel de simplesse.
Mais nette estoit, sans nul reprouche, De cuer, de corps, de main, de bouche.
La novisme estoit Prudence ; 1240 En son cuer portoit Sapience,
Et si fermement la gardoit
Qu'après li d'amours toute ardoit.
Bien savoit la cause des choses 1244 Qui sont ou firmament encloses,
Pourquoy li solaus en ardure
Se tient, et la lune en froidure,
Des estoiles et des planettes 1248 Et des douze signes les mettes,
Pourquoy Dieus par nature assamble
1223. -1 bransle; DE ne loche — 1227 Mss. sisieme (.vi.); M fu chante — 1228 D si grant; E poeste — 1229 A besongnes — i23o B'D Quel ; Dce quelle — 1 236 FM Cestoit; D du — 1237 SE nés; D net; M ncste ; FM nulz — 1239 D si fu — 1242 E tout — 1244 M en — 1249 E ensemble.
l8o LE JUGEMENT DOU KOY DE NAVARRE
Humeur, sec, froit et chaut ensamble,
Et pourquoy li quatre élément 1252 Furent ordené tellement
Qu'adès se tient en bas la terre,
Et l'iaue près de li se serre,
Li feus se trait haut a toute heure, 1256 Et li airs en moien demeure.
Brief des ouevres celestiennes
Et aussi des choses terriennes
Savoit tant qu'elle estoit experte, 1260 D'engin si vive et si aperte,
Que nuls ne le porroit despondre ;
Car a chascun savoit respondre
De quanqu'on voloit demander,. 1264 Si qu'on n'i sceùst qu'amender.
Après Prudence se séoit
Largesse qui riens ne vëoit,
Einsois donnoit a toutes mains, 1 268 A l'un plus et a l'autre meins,
Or, argent, destriers, oisiaus, terre,
Et quanqu'elle pooit acquerre,
Contez, duchiez et baronnies. 1 272 A héritages et a vies.
De tout ce riens ne retenoit,
Fors l'onneur. Ad ce se tenoit :
Noblesse li avoit apris. 1276 Et avec ce, dont mieus la pris.
Elle reprenoit Advarice
12.Î0 E HoniKiur et IV. : sec manque dans IlDE, ajoute par B' et manque dans B — 1 2 5 3 /•,' tiennent., en terre — 1 255 E tout — 1256 BD ou — 1258 D Aussi — I25g E Sauoir — 1361 D espondre — 1263 D on lui v. — 1264 qu manque dans A — 1266 AFBD que — 1267 E donne — 12Ù9 /) destries — 1270 F quan- ques elle — 1272 héritage — \i~'h D receuoit — 127G E Auec- ques ce.
LE JUGEMENT DOU ROY HE NAVARRE I 8 I
Comme de tout le pieur vice.
L'autre, dont pas ne me vueil taire, 1280 Estoit Doubtance de meffaire,
Qui tant se doubtoit de mesprendre
Qu'a peinne pooit elle entendre
A riens, fors estre sus sa garde. 1 284 En tous ses fais estoit couarde ;
Car Honte et Pàour la gardoient,
Qui en tous lieus l'acompaingnoient.
La dousisme estoit Souffissance 1288 Qui de très humble pacience
Estoit richement aournée
Et abondanment saoulée
Et pleinne de tous biens terriens. 1292 Elle n'avoit besoing de riens,
Ne li failloit chose nesune ;
Hors estoit des mains de Fortune
Et de son perilleus dangier. 1 296 De po se paissoit au mengier,
Car plus refaite estoit d'un ouef
Que ne fust un autre d'un buef.
Tant par estoit bonne eûreuse 1 3oo Et parfaitement vertueuse ;
Encor est et toudis sera,
Tant corn li siècles durera ;
Que c'est, a droit considérer, 1304 Li biens qu'on doit plus désirer.
Mais aussi com pluseurs rivières Arrousent, et pluseurs lumières
1278 M Com; D tous; D pire — 1286 AIDE t. biens — 1287 A douzième — 1291 D Plaine — 129D M dongier — 1296 FMBDE passoit : D a m. — i3oi E Encores est toudis et s. — î3o2 A li mondes — i3o3 BD Cest; B' Qui est — i3o4 D bien.
Iô2 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Radient et leur clarté rendent i3o8 En tous lieus ou elles s'estendent,
Ces douse nobles damoiselles
Qui de tous biens furent ancelles,
Chascune selonc sa nature, 1 3 1 2 En meurs, en maintieng, en figure,
Embelissoient ceste dame
De cuer, de corps, d'onneur et d'ame.
Car tant estoit d'elles parée, 1 3 1 6 Arrousée et enluminée,
Que chascune l'embelissoit
De quanque de li bel issoit,
Et chascune la repartoit i32o De la vertu qu'elle portoit.
Et encor des biens de nature
Avoit la noble créature
Gente manière, loiauté, 1324 Faitis port, debonnaireté,
Grâce, douceur et courtoisie,
Dont elle estoit moult embelie.
Mais sa souvereinne bonté 1 3 28 De trop loing passoit sa biauté.
Quant je la vi si hautement
Assise, et si très noblement
De grans richesses acesmée, 1 33s Et si servie et honnourée
Chierement de tous et de toutes,
Dedens mon cuer venirent doubtes
Qui y entrèrent par folie 1 336 Et par droite merencolie.
Car j'estoie trop esbahis
1JS07 A leurs — 1 3 1 9 D repparoit — 1 32 3 E G. maintenant — 1 3^5 .EG.donnour — 1 3 2G M est — 1 32<S sa manque dans BE, ajouté par B' — 1 33 1 BD asseuree — 1 3 3 4 E me vinrent d. — 1 3 3 7 D tous csb.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l8!
Et aussi com tous estahis
Et d'erreur telement temptez, i 340 Que je cuiday estre enchantez.
Mais en si fait amusement
Ne demouray pas longuement;
Car j'usay dou conseil d'Avis 1 344 Qui fist retourner mon avis
Justement par devers Raison,
Qui est tout adcs en saison
Des loiaus cuers remettre a point 1348 Qui sont issu hors de leur point.
Adont Raison me resgarda,
Si que depuis en sa garde a
Mon cuer, mon sens et mon penser, i352 Pour résister et pour tenser
Aus fausses cogitations,
Et oster les temptations
Qui cuidoient avoir victoire 1 356 A moy faire faussement croire.
Or fui hors de celle pensée. Mais la dame bien apensée Moult sagement m'araisonna, i36o Et en parlant sens me donna De respondre après son parler; Se sceus mieus et plus biau parler.
La Dame.
Se me dist : « Guillaume, biau sire, 1364 Or prime fust il temps de dire
1 338 M comme — 1 339 F temprez — \Z\\ E en cy f. ; F an- nuisement — i344 B' Qui me f.; M recouurer; B mon vis — 1348 manque dans D — 1 352 D penser — 1 355 M cuident — 1 357 E Sy sui ; D fu — 1 36o D temps me d. — 1 362 F Sen ; BE En; D sceut ; E Si sens — 1 363 FMBDE dit— 1 364 A Au primes.
184 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Ce que sus les champs avons dit. S'en rafreschissons nostre dit, Présent ces douse damoiselles i368 Qui sont sages, bonnes et belles. Et pluseurs gens qui y seront : Volentiers nous escouteront. »
Guillaume.
Je ne ris pas longue demeure. 1 372 Einsois m'agenoillay en l'eurc.
Et humblement li respondi :
« Ma chiere dame, tant vous di :
Pletist a Dieu de paradis 1376 Que cils qui doit oir nos dis
Fust ci endroit présentement,
Li bons rois qui si sagement
Saveroit oïr et entendre, i38o Faire a point, et puis raison rendre.
Quant il averoit escouté
Ce qu'on li averoit compte' ;
Bien saveroit examiner 1384 Et encor mieus déterminer.
Et si croy bien qu'il jugeroit
Selonc les parlers qu'il orroit.
Et non pour quant, puisqu'il vous plait, 1 388 Bien en poez dire hors plait,
En supposant sans préjudice.
Et je qui point n'i pens malice.
Volentiers vous escouteray, 1 3q2 Et, se bon m'est, j'en parlerav. »
1 365 E Et que., a vous dit — 1 366 B rafreschirons ; D refre- chirons — 1367 M ses: E douces — 1 368 D sages sont; A belle
— 1 37 1 D demoure — i3y2 AB agelongnai — i3-]^ DE Sauroit ; D et oir ent. — i382 E quen — 1 385 E qui — 1 386 D le parler
— 1387 D non pourtant — 1 388 E pourres dire vo plaist.
le jugement hou roy de navarre l85
La Dame.
« Guillaume, moult bel respondez.
Mais un bien petit m'entendez.
Levez vous, car il plaist a nous 1396 Que plus ne parlez a genous.
Et se plus ci après parlez,
Parlez einsi, corn vous volez,
Ou en séant, ou en estant, 1400 Car il nous souffist bien a tant. »
Guillaume.
Lors me levay hastivement
Pour faire son commandement,
Quant elle ot sa parole dite ; 1404 Et puis tout droit a l'opposite
De li m'en alay asseoir,
Pour li en la face vëoir.
Car qui voit personne en la face 1408 Qui de parler doit avoir grâce,
Le parler trop mieus en entent
A quel fin sa parole tent.
Lors prist la dame une manière 141 2 Able, diligent et manière
De parler par si bel devis
Qu'il estoit a chascun avis
Qu'elle veïst tout en escript 141 6 Ce qu'elle disoit et descript.
Dont mieus diter nuls ne porroit,
Nés que ses parlers atiroit.
Elle ordena son parlement
i3g3 E responnes — 1 3g5 A L. vos yeus il pi. — 1398 DE vouldres — 1403 FM eust — 1405 E Deles lui men a. — 1408 grâce manque dans D — 140g BE De ; B on — 1410 A la — 141 2 manque dans D; E et legiere ; FMB meniere — 141 3 par manque dans E — 1416 AFD Et — 1417 M saroit — 1418 B'DE Ne ; FM ques ; BE ces; E paroles — 1419 D ordrena.
I 86 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
1420 Dès le premier commancement,
Qu'elle m'avoit envoie querre,
Et puis secondement requerre,
Et comment j'alay devers li, 1424 Et comment elle m'assailli
De parole cusansonneuse.
Et comment elle fu crueuse
De moy rudement ramposner, 1428 Pour moy seulement agoner
Et en merencolie mettre,
Dont bel se savoit entremettre.
Que vous iroie je comptant ? 1432 Elle y mist de biaus parlers tant
Qu'elle mena l'entention
Dou fait a déclaration,
De point en point, de tire a tire, 1436 Si bien qu'il n'i ot que redire.
Par quoy les damoiselles toutes
Furent tantost, sans nulles doubtes,
Dou fait sages et avisées
1440 Et entièrement enfourmées De quanqu'on avoit recordé Dessus les chans et acordé.
Après ces paroles moustrées,
1444 Bien dites et bien ordenées, Eus tantost le cuer esjoy, Car tant escoutay que j'oy Chevaus venir et gens debatre;
1448 Dont en l'eure se vint embatre
Devers nous cils bons rois de pris
1426 FM fust — 1427 E durement — 1428 D anguer — 1430 M sen — 143 1 D ir. plus c. — '482 D beau — h34 manque dans D — 1435 M en tire — 1436 D qui ot — 1437 D Pour —
1441 D quanque a.; E quanque len a. — 1442 E le champ —
1445 FBE Eux — 1447 D esbatre — 1448 M sen.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 1 87
Que nous aviens a juge pris.
Et la dame qui resgardoit 1452 Devers l'uis et ne s'en gardoit,
Le vit et congnut a l'entrée ;
Se s'est tantost en piez levée ;
S'ala a rencontre de lui, 1456 Et se n'i atendi nelui.
Quant il la vit, il s'avansa
Et un bien petit l'embrassa,
Et elle lui moult humblement, 1460 En saluant courtoisement,
Liement et a bonne chiere.
Et il li dist : « Ma dame chiere,
Moult me poise, quant sa venistes. 1464 Pour quel cause ne vous tenistes
En vostre siège toute coie? »
— « Très chiers sires, se Dieus me voie,
Jamais ne l'eusse einsi fait, 1468 Car trop pensasse avoir meffait.
Car on dit — et c'est chose voire
Qu'il est assez legier a croire —
Qu'entre les grans et les meneurs 1472 A tous seigneurs toutes honneurs.
Mais laissons ces parlers ester,
Petit y devons arrester,
S'alons en cest siège seoir. 1476 La me vorray je pourvëoir
De vous compter une merveille,
D'autres merveilles nom pareille.
Alez devant; j'iray après. 1480 De vous me tenray assez près. »
1450 F Cui ; DE auions — 1452 D lui — 1455 D Si ala enc. ; B en lenc. — 1463 D que ca v. — 1473 E cest parler; D ce par ester — 1473 D Alons; M ses sièges — 1476 D Puis nie vouldrai — 1478 D nom pareilles.
I 88 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
— « Par Dieu, madame, non ferav.
Aussi tost com j'y monteray,
Tout d'encoste moy monterez. 1484 Ja a ce point ne me menrez
Qu'embedeus n'en alons ensamble.
Encor fais je trop, ce me samble. »
De ce point si bien s'acorderent, 1488 Si qu'ensamble tous deus montèrent.
Et quant il furent haut monté,
Encor, par grant humilité,
D'asseoir moult se debatirent. 1492 Toutes voies il se seïrent.
Et quant il furent la assis,
La dame dist de sens rassis :
« Sire, entendez un bien petit, 1496 Et se prenez vostre apetit
A diligenment escouter
Ce que je vous vorray compter.
Vez la Guillaume de Machaut. 1 5oo C'est uns homs a cui il ne chaut
A tort ou a droit soustenir;
Tout aussi chier s'a il tenir
Vers le tort comme vers le droit, 1504 Si com vous orrez orendroit.
En un débat sommes entré
Dont nous devons de fait outré.
Sire, devant vous plaidïer, 1 5o8 Mais qu'il ne vous doie anuier.
Moy bien meiie et il meus,
148 1 D Pour — 1482 D je monterai; E je monsterray — 148? FBDE decoste ; BDE monsteres — 1484 D merrez — 148D D Que nous deus; M aillons — i486 E feray ; je manque dans E — 1487 D Ad — 1488 F deulz • E monsterent — 1491 D Au seoir — 1492 D sasseirent — 1493 A rassis — H99 BEVeez ; D Vêla — i5o2 s manque dans D — i5o3 F tors — if>o8 F qui — 1509 E bien meus; D cil.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 1 89
Pour juges estes esleiis ;
Dont c'est pour nous belle avenue, 1 5 1 2 Biau sire, de vostre venue.
Et vous en estes eùreus,
Se de riens estes amoureus.
Car de cause avons nostre plait 1 5 1 6 Fourme qui aus amoureus plaist :
C'est d'amours, d'amant et d'amie,
Et de leur noble signourie.
Guillaumes dit, tient et afferme 1 520 Pour vray et que c'est chose ferme,
Quant homs qui a tout son cuer mis
En dame, tant qu'il est amis
Et celle s'amour li ottrie, 1 524 Si qu'il la tient pour vraie amie,
Puis est de lui si esprouvée
Qu'il la trueve fausse prouvée,
Qu'il a de ce plus de grieté 1528 Qu'une dame qui loiauté
En son vray ami trouvera ;
Et elle aussi tant l'amera
Comme dame puet homme amer, i5?2 Entièrement, sans point d'amer.
Or avenra il que la mort
Qui soutilment sus la gent mort.
Torra a son ami la vie. 1 536 Et quant elle scet qu'il dévie,
Ou qu'il est dou tout deviez,
Il est a la mort mariez,
Lors est rinée leur querelle, 1 540 Aroit cils aussi grief corn celle?
1 5 10 jF juge — 1 d 1 1 BD venue — 1 5 1 3 en manque dans D ; E este — 1 5 1 5 A plest — i5i(5 D amours — i52t> et manque dans D — Ô23 E ottroye — 1324 M qui ; D que; E p. amie vraie — 102b A li — 1627 E Qui; de (gr.) manque dansBE, ajouté par B' — i??oE celle — 1 536 E qui — Ô40 M gries.
I90 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Nennil ! Il ne puet avenir ;
Cils poins ne se puet soustenir.
Dont j'ay fait, et fais, et vueil faire 1 544 Protestation dou contraire.
C'est auques nostres plaidiez.
Pour ce volons que vous soiez
Juges; si en ordonnerez 1 548 Selonc le plait que vous orrez . »
Le Juge.
« Je vous respons, ma chiere dame,
Par la foy que doy Dieu et m'ame,
Selonc la mienne entention, 1 5 52 Que d'estre en la perfection
De juge est moult noble chose,
Voire qui entrepenre l'ose
Si hautement comme en Amours. 1 5 56 Mais pour les très douces clamours
Qui y sont, j'entrepren l'office,
Sans mal penser et sans malice.
Se j'ay petit sens, j'apenray i56o Parmi les parlers que j'orray;
Et s'estre puis bien consilliez,
Je ne seroie pas si liez
D'avoir acquis cinq cens mars d'or. 1564 Et pour tant vous di je desor,
Chiere dame, que j'esliray
Tel Conseil, comme je vorray,
De vostre belle compaingnie 1 568 Qui a vous est acompaingnie.
Car a un bon juge apartient
1 541 FB y — 1 541-2 manquent dans M — i5_p F vostre; D tout nostre plaidie — i55o E marmc — i553 D ccst — 1 555 M com — 1 55(j D p. temps je prendrai — 1 56o E parolles ; BD Par les paroles — 1 565 D jesluirai — 1 566 F com — 1 568 E et a.; D t'ait; BD compaingnie.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE Ii)I
Qui jugemens en sa part tient
Qu'il ait conseil en tous endrois. i 572 Prenons, qu'il soit ou non soit drois.
Se vous requier je qu'on le face,
Soit par courtoisie ou par grâce.
Et d'autre part, quoy que nuls die, 1 576 Bons drois a bon mestier d'aïe,
Par quoy grâce ait adès son cours,
Pour aidier droit en toutes cours. »
La Dame. « Biau sire, de vostre recort, 1 58o Que ce soit drois, bien m'i acort. Or prenez cui que vous volez, Par quoy de riens ne vous dolez. »
Le Juge.
« Ma dame, je pren Congnoissance 1 584 Qui est de bon conseil sustance;
Avecques li sera Avis
Li quels n'i sera pas envis,
Pour ce que c'est sa bonne amie ; 1 588 Volentiers li tient compaingnie.
Et se me plaist, qu'aussi y soit
Raison qui nelui ne déçoit,
Eins est adès en sa partie 1592 De bon conseil apareillie.
Si entendra les parlemens
Pour raporter aus jugemens.
La me sara bien consillier : i5gô Pas ne m'en faurra resveillier.
1570 B'D jugement; FM par — i5y2 FMD qui — ibfi A Je vous requier je; FB nous — 1579 & Cher; FM nostre — i58i D vouldres — 1682 Après ce vers D met Le roy — 1 586 manque dans F — 1 5g3 F Sen tendra; B' Sentendera; D Si entendes — i5g4 BD reporter — 1 5g5 M moy — i5g6 D scaura.
IQ2 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Avecques li sera Mesure;
Car qui jugemens ne mesure,
Il ne puelent venir a point, 1600 Afin qu "il soient en bon point
Pour les parties délivrer
Et chascune son droit livrer. »
La dame bien sï acorda 1604 Et hautement li recorda :
« Biau sire, bien avez ouvré
D'avoir bon conseil recouvré. » Le Juge.
« C'est bon pour moy, ma dame gente; 1608 Dont a mon cuer bien entalente
Que j'en soie einsi bien garnis :
Qui n'est garnis, il est honnis.
Juges sui par commun acort 161 2 Especiaument d'un descort
Qui est ci entre deus parties,
Pour atendre droit de parties.
Or est la court garnie et pleinne; 1616 Se puet on bien par voie pleinne,
Ce m'est avis, aler avant.
Dame, vous parlerez devant,
Se fourmerez vostre demande, 1620 Nom pas pour ce que je demande
Que li fais me soit refourmez,
Car j'en suis assez enfourniez ;
Mais d'aucuns membres dou procès 1624 Me moustreroient les excès
i5rj7 Mss. Aucc, B' donne seul Aueques lui — i5<)8 D juste- ment mes.; E jug. par mes. — 1600 AF qui; BDE que; E soyc
— ]6û3-4 manquent dans D — 1604 E accorda — i6o5 D Chier
— 1606 Après ce versD met Le roy — 1609 D aussi — 161 o E Quil — 1612 D du — i6i3 F deulz — 1Ô14 E entendre; B'D des — 161 5 F cours — 1617 FBDE Se— 16 19 F nostre — 1624 E monsterront.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I fp
Qui vous en font doloir et pleindre,
Et aussi pour Guillaume ateindre En son tort, se tort doit avoir ; 1628 Autrement ne le puis savoir. » La Dame.
« Sire, ceste raison me plait.
Dès qu'entamé en avons plait,
Mon fait moustreray par figure i632 Selonc les ouevres de Nature,
Tout pour Guillaume qui se ton
De vérité dont il a tort.
Vous savez que la turterelle, 1 636 Qui est faitice, gente et belle,
Gointe, gaie, douce et jolie,
Tant com ses maies est en vie,
Et s'il avient qu'elle le pert 1640 Par mort, on scet tout en appert
Que jamais joie n'avéra,
Et par signes le moustrera.
Tant est li siens cuers pleins d'ardeur, 1644 Jamais ne serra sus verdeur;
Eins quiert tout adès obscurtez,
Divers lieus et pleins de durtez,
Aubres ses, verseinnes et trieges ; 1648 En tels lieus est souvent ses sièges,
Quant elle se vuet reposer.
Autrement ne vuet disposer
Son cuer qu'en vie dolereuse, i652 Tant est de son maie grieteuse.
1626 D attendre — 1628 manque dans D — i63o F enterme; E entérines — i63i E mousteray — i635 manque dans F — 1 61>7 D douce gaie — i638 B ces — 1640 FMBDE ou soit ; B' corrige en scet — 1642 F moustera; E monsterra — 1644 B sera; M saserra — 164D tout manque dans D — 1647 B verseingnes; D versenges; E nesainnes; DE tierges — 1648 DE tel lieu — i65a D mal ; F regrieteuse ; BDE regreteuse.
Tome I. i3
194 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Tout autel d'une dame di ge
Qui est rendue a Amours lige :
Quant elle a son amy perdu 1 656 Par mort, le cuer si esperdu
A, que jamais n'avéra joie,
Eins quiert lieu, temps, et gens, et voie,
Ou il ait tout adès tristesse, 1660 Humble habit en lieu de richesse,
Ténèbres en lieu de clarté,
Et en lieu de joliveté
Pour porter chapelès de flours 1664 Ist de son chief larmes et plours;
Et s'elle quiert aucun repos,
Il est pris en humble propos.
Einsi la dame se maintient 1668 Qui le dueil de son amy tient,
En cas qu'elle soit vraie amie.
Or diray de l'autre partie.
« Quant la segoingne se fourfait, 1672 Et ses maies en scet le fait,
Je croy bien que moult s'en aire
Et qu'il en a au cuer grant ire ;
Mais trouver en puet aligence 1676 En ce qu'il en atent vengence.
Car il s'en va tantost en serche ;
Par les nis des oisiaus reverche
A ceuls qui sont de sa samblance, 1680 Tant qu'il en a grant habondance;
Puis entour son nif les assamble,
1 656 D a le cuer si perdu — 16.S7 A Na;£ namera;D Que jamais elle naura j. — i658 et (gens) manque dans E — 1659 tout manque dans E — 1660 D au — 1 665 se trouve après le vers 1666 dans E; FME celle — 166g D Ou; E Quou; E seroit — 1671 B' sygne; E signe ; D singesse; D méfiait — 1674 .4 ait; M en hai — 1676 A veingance — 1681 DE ni.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE I g5
Et quant il sont la tuit ensamble,
Il y tiennent un grant concire, 1684 Puis metent celui a martire
De mort qui l'a, ce dit, forfaite ;
La est devourée et deffaite.
Or a cils ses maus alegiés 1688 Qui en ce point en est vengiés.
Tout autel di je que li homs
Doit estre fiers com uns lions
Contre aucun tort, s'il li est fais. 1692 Et cils puet trouver moult de fais
Aus quels il se puet encliner
Pour son mal faire terminer,
Par pluseurs manières de tours. 1696 Mais la dame n'a nuls recours
Es quels elle se puist garir,
Qui son a m y verra morir.
Dont elle sent pour un mal cent 1700 Que cils autres amans ne sent.
Guillaume, après moy respondez ;
Se tort avez, si l'amendez.»
Guillaume.
Après ces raisons me dressay 1704 Et mes paroles adressay
Au juge qui bien entendi
Ce qu'elle ot dit et que je di .
Et je li dis : « Sire, sans faille 1708 Ma dame a bien, comment qu'il aille,
Son fait moustré, et sagement,
i683 y manque dans FBE ; B' Hz tiennent la vn ; E II treuue vn gr. contire; D concilie — 1684 D mettront — 1 685 D qui a; FE se — 1686 DE demource — 1690 FE comme — 1691 FM sil y est; D si lui — 1692 D Et si — 1696 D nul secours — 1697 FM peust — 1706 B Et — 1708 D a dit — 1709 D et moustre s.
I96 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Et de soutil entendement
Bien baillié par vives raisons, 1712 Pour fourmer ses comparisons
Bien faites et bien devisées
Et si justement exposées,
Que qui amender y vorroit, 1716 Je croy moult bien qu'on ne porroit.
Et ce qu'elle en a devisé,
Vous l'avez très bien avisé,
Oy, senti et entendu. 1720 Car de sa bouche est descendu
En vostre cuer par escouter ;
Si ne le faut pas repeter.
Et si croy bien certeinnement 1724 Que c'est de droit vray sentement
Ce qu'elle en a yci compté,
Gardant sa grâce et sa bonté,
Sans point de vainne entention. 1728 Et j'ay une autre oppinion
Qu'elle n'a; s'en diray m'entente.
S'il li plaist et il vous talente,
Nom pas pour le sien fait punir, 1732 Mais pour ma cause soustenir.
On puet bien sa cause prisier,
Sans autrui fait apetisier. » Le Jtîgi: .
« Guillaume, ne vueil contredire. 1736 Dites ce qu'il vous plaist a dire.
Hastivement ou a loisir;
Ouvrez en a vostre plaisir.
1712 E fermer — 171 3 A diuisees — 171 5 £ Car qui amende y voiroit — 1717 E Et de ce — 1718 A auisie — 171g D sentu
— 1722 E fait — 1725 en manque dans D — 1 727 D de maie c.
— 1728 E joy; D vn — 1729 B sr .is — 17^0 MDE Si — 1734 Apres ce vers D met Guillaume l.c roy — 1737 manque dans D — J738 a manque dans E.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 197
Je vueil bien oïr et entendre, 1740 Et s'ay assez loisir d'atendre. »
Guillaume.
« Grant merci, sire ! Je diray,
Et croy que point ne mentiray.
Je vous di que la forfaiture 1744 De dame est si aspre et si dure
En cuer d'amant, et si perverse,
Que, quant elle y est bien aherse,
Jamais jour ne s'en partira. 1748 Or ne scet cils quel part ira
Pour quérir son aligement :
Se prendre en voloit vengement
Par mort, et bien le peûst faire, 1752 II trouveroit tout son contraire
En la fourme de grant folour,
En l'attrait de toute dolour,
Un feu pour toute ardeur ateindre, 1756 Une yaue pour douceur esteindre,
Norrissemens de tous meschiez;
Car dou faire seroit péchiez.
Et péchiez qui en cuer remort 1760 Est uns commencemens de mort,
De mort qu'on claimme mortel vie.
Car qui languist, il ne vit mie.
En mon fait que ci vous présent 1764 Maintenant, en vostre présent,
A plus de griés et plus d'ardure
Qu'en l'autre fait, et trop plus dure.
1741 BE je vous diray — 1742 AME nen — 1744 E De ma dame — 1743 E est si p. — 1762 AFME Y — 1755 E atendre . D estaindre — 1756 D .1. autre eaue; E Une cause; E estandre — 1757 D et tous — 1739 D qui encor r. — 1760 D Cest — 1766 FD grief.
I g8 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Dont je vous requier orendroit 1768 Sus ce point ci que j'aie droit.»
Attemprance.
Adont se leva Attemprance
Qui tenoit par la main Souffrance.
Si parla attempréement 1772 En disant : a Guillaume, comment
Droit pour vous demander osastes ?
Je me merveil que vous pensastes,
Quant vous en fustes si hastis. 1776 Ou vostres scens est trop petis,
Ou outrecuidiers vous demeinne.
Ne savez vous pas bien qui meinne
Le droit, quant parties y tendent 1 780 Qui le désirent et attendent ?
Je vueil moult bien que vous sachiez
Que Raisons en est li drois chiez
Et avec li sa compaingnie ; 1784 Chascune y a bonne partie
D'entre nous damoiselles toutes.
De ce ne faites nulles doubtes,
Que drois ne se puet délivrer, 1788 Se toutes ne sont au livrer,
Afin que fait soit bonnement,
Se cils qui fist les drois ne ment.
Je meïsmes y ay office 1792 Pour résister a tout malice,
Qui maintes fois le droit destourne ;
Et je d'office le retourne.
Quant uns bons procès vient en fourme,
1770 B' tint; la manque dans D; BDE souffissance — !77? FBDE vous oser (D aisier) demandastes — 1777 D Oultrecui- dance; E autrecuidiers — 1778 bien manque dans D; Mss. quil — 1779 D les parties — 1780 E li — 1782 D Que ma dame est sages asses — 1784 DE Chascun — 1785 FBE noz.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 1 99
1796 Et je perçoy qu'on l'en deffourme,
J'y puis bien tellement ouvrer
Qu'il puet sa fourme recouvrer.
Se trop y a, j'en puis oster. 1800 (Or vueilliez bien ce point noter!)
Et se po y a, j'y puis mettre,
Quant je m'en vueil bien entremettre.
Et se la chose est en bon point, 1804 Je la puis garder en ce point.
C'est d'Attemprance li mestiers,
Toutes fois qu'il en est mestiers.
Or vueil je dire d'autre chose 1808 Qui contre vostre fait s'oppose.
« Vous avez un point soustenu
Dont po d'onneur vous est venu,
En ce que ma dame de pris 181 2 Avoit seur la segoingne pris,
Comment elle est a la mort traite,
Quant envers son maie est forfaite.
Cuidiez vous qu'elle vosist dire 18 16 Qu'on meïst la dame a martyre
De la mort, qui se mefferoit
Envers celui qui l'ameroit ?
Nennil ! voir ! ce seroit folie. 1820 Ne ma dame ne maintient mie
Qu'il la face tuer ne tue;
Mais elle tient qu'il s'esvertue
Encontre les temptations 1824 Des fausses cogitations
Qui porroient en lui venir.
1796 FE le— 1797 D Je puis — 1798 FM Qui — 1802 DE me — i8o3 la manque dans E — 1806 est ajouté par B au bas du feuillet — 1808 DE nostre — 1809 D Tous — 1812 D besoigne
— 181 3 la manque dans FBE — 1821 FB Qui; AFMB facent
— 1824 BDE De.
2 00 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Encor s'el pooit avenir,
Qu'elle fust de bonne mort morte, 1828 Se vaurroit il mieus, drois la porte,
Qu'elle demourast toute vive.
Car tant com la personne vive
Qui se mefferoit par folour, 1 832 On n'en a peinne, ne dolour,
Grieté, souffrance, ne meschief,
Dont on ne veingne bien a chief.
Quant il sent aucune grieté, 1 836 II doit penser par vérité,
Dès qu'il a loiaument servi,
Qu'il ne l'a mie desservi.
C'est une pensée valable, 1840 Pour lui conforter profitable.
Que vous iroie je comptant ?
De remèdes y a autant
En amours, com de griés pointures, 1844 Soient aspres, poingnans ou dures.
Chascune son remède enseingne ;
Or en fait bon quérir Tenseingne.
Mais une dame qui verra 1848 Que ses très dous amis morra
En cui en nul jour de sa vie
N'ara trouvé que courtoisie,
Estre porra si fort férue, 1 852 Si griefment, et si abatue,
Que jamais n'en porra garir,
Einsois la couvendra morir.
En l'escripture est contenu
1828 B dieux; D dieu; FME le — i832 DE ne a p.; D na doulour — i833 M souffraite ; D souffrete; E souffisance — i836 FBDE pour — i838 D Qui — 1839 D vaillable — 1841 vous manque dans E — 1842 E remède ; D en y a tant — 1843 D grief — 1844 BD après; F et dure — 1846 A querre — 1847 B' M. joyne — 1 855 1 manque dans D.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 20 1
1 856 Que pluseurs fois est avenu.
S'en compteray un petit compte
Qui vous fera avoir grant honte,
Et a ma dame grant honnour, 1860 Et grant clarté a mon signour,
Dont il verra plus clerement
Comment vous errez folement.
« Il n'a pas lonc temps qu'il avint 1864 Qu'une grant dame a Paris vint,
S'amena une sienne fille
Qui, sans penser barat ne guille,
Amoit un chevalier gentil, 1868 Sage, courtois, gay et soutil,
Preus aus armes, fort et puissant,
De toutes grâces soufhssant.
De lui nouvelles li venirent 1872 Qui forment au cuer la poingnirent
Qu'il estoit a un tournoy mors.
« Lasse ! » dist elle, « quel remors
Puis avoir de ceste nouvelle ! » 1876 A cest mot chey la pucelle
A la terre, toute estendue.
Adont sa mère y est venue
Acourant moult dolentement; 1880 S'en prist a plourer tenrement
Et la fist porter en un lit.
La prist elle povre délit;
Car au cuer estoit fort ateinte 1884 Et ou viaire pale et teinte
Et si de son corps amatie
Et de ses membres amortie,
i856 F fais — 1862 D Comme — 1864 grant manque dans E — 1869 A Preu — 1872 B li; DE lui — 1874 M quelz — 1876 DE ce — 1880 E Se — 1882 manque dans D — i883 BE esteinte
202 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Qu'einc puis ne s'en pot soustenir, 1888 Ne des mains nulle riens tenir;
Et n'ot einc puis tant de victoire
Qu'elle peust mengier ne boire.
Fusicien furent mandé, 1892 Et la leur fu il demandé
S'elle averoit de la mort garde,
Et que chascuns y prenist garde,
S'on li porroit donner santé, 1896 Et qu'il demandassent planté
Hardiement de leur avoir,
Tant comme il en vorront avoir.
Et il en peinne s'en meïrent 1900 Et moult volentiers le feïrent
Pour trouver son aligement,
S'il peûssent, diligenment.
Premiers, s'orine resgarderent, 1904 Et puis après si la tasterent ;
Li uns après l'autre tastoient
Partout ou taster la dévoient,
Les piez, le pous, et puis les temples; 1908 Et puis si moustroient exemples
Des cures qu'il avoient faites
En pluseurs lieus et bien parfaites.
Et que plus d'exemples moustroient, 191 2 De tant plus esbahi estoient.
L'orine la jugoit haitie,
Et li tasters ne jugoit mie
Cause froide, ne de chalour, 19 16 En quoy il prenissent coulour
1887 D Que puis; FMBE Queins; FDE se — 1889 FMBE eins; D depuis — 1891 FB Fisicien — 1898 FM corn ; E il len; FMBE vorroient — 1899 MBDE se — 1900 D Et moût tresuo- lentiers le firent — 1908 DE Premier — 1907 E les pous; D poins — 1908 AB li; D monstrerent — 1 g 1 3 A jugent; D la monstroit haitiee — 1916 D poyssent.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2û3
D'où ne de quoy cils maus venoit,
Ne quel remède y couvenoit,
Pour li un po assouagier 1920 Ou dou tout ses maus aligier,
Fors tant que li uns s'avisa
Et sagement le devisa :
« Signeurs, j'ay veû en s'orine 1924 Einssi comme un po de racine
Qu'elle est en l'esperit troublée.
Or nous est la science emblée
De ce point, s'on ne s'en avise. 1928 Et nous savons une devise
Que li bons philosophes dist ;
Il afferme, et je croy son dit,
Que les maladies quelconques — 1932 Et qu'autrement il n'avint onques —
Sont curées par leur contraire.
Or ne pôons a ce point traire
De ceste maladie ci 1936 Tant seulement que par un si.
Car si hastives maladies
Puelent venir de deus parties :
C'est assavoir, se Dieus me voie, 1940 De grant dueil ou de trop grant joie.
Et cause de joie désire
Qu'on la courresse et qu'on l'aire,
Et celle de dueil autrement : 1944 Faire couvenra liement,
Présent li, ce qu'elle vorra
Et quanqu'elle commandera,
1917 D Donc — 1918 A il — 1921 E que lui vn — 1924 AE Aussi — 1926 BDM yert; E (à la marge) le dont quelle soit sanc mellee — iq3o M lafferme; F la ferme ; A dist — ig3 1 A quelconques — 1982 BDE il naient — ig33 D le c. — 1938 BDE trois p. — 1942 FBD courrouce; F con la ire; E la com- mence non layre — 1 943 D De.
204 LE JUGEMENT HOU ROY DE NAVARRE
Et qu'on li ait admenistrez,
1948 Pour faire feste, menestrés. Or couvenra il qu'elle die Dou quel li vient sa maladie, Pour li donner certein conseil.
1952 Je le lo einsi et conseil.
Se voit li uns tout simplement Parler a li secrètement. » Seur ce point furent acordans;
1956 Dont li uns li fu demandans Ce que devant avez oy. Point n'en ot le cuer esjoy, Eins en respondi moult envis,
i960 Et toute voie vis a vis Pure vérité l'en conta, Si bien que point n'i arresta. Lors li fist cils une requeste
1964 Au mieus qu'il pot par voie honneste : « Fille, respondez moy d'un point Que je vous diray bien a point : Vorriez vous de ci en avant
1 968 Que vous le veïssiez vivant,
Mais que ce fust par tel manière Que jamais ne vous moustrast chiere, Parole, ne samblant d'ami? »
1972 Et elle respondi : « Aymi!
Sire, se Dieus me doint santé, Que c'est bien de ma volenté Que volentiers le reverroie
1 976 Vivant, et fust par tele voie
Qu'il eiist fait une autre amie,
1948 E festes; D menestries; E menestriers — 1949 E Et ; il manque dans BE ; B' quelle nous die — 1950 D vint; A la — 1953 A voist — 1955 D riner accordant — ig58 FE ne — 1961 E Pour; F leur; B' lui enconta — 1974 Car— 1976 E celle.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 20D
La quele fust de moy servie,
Mon vivant, jusqu'au deschaucier. 1980 Ne m'en vueilliez plus enchaucier;
Car tous li cuers de dueil me font
Si aigrement et si parfont,
Toutes fois que j'en oy parole. 1984 Si ne vueil plus qu'on m'en parole. »
Après ce mot, cils s'en départ
Et s'en ala de celle part
Ou cil estient qui l'atendoient, 1988 Qui desiroient et tendoient
Savoir quel fin celle feroit.
Et il leur dist qu'elle morroit :
« Je n'y puis vëoir nul retour. 1992 Ses cuers est fermez en la tour
D'Amours, sous la clef de Tristesse,
Ou elle sueffre grant destresse,
Si que morir la couvenra 1996 Briefment ; ja n'en eschapera.
Pour quoy nous nous départirons
De ci; plus n'i arresterons. »
En l'eure de la se partirent, 2000 Et puis a la mère deïrent :
« Ma dame, on n'y puet conseil mettre.
Mais vueilliez vous bien entremettre
De li garder et tenir près. » 2004 Euls départis, tantost après
Elle cria a haute vois :
197g FM jusques a'u — 1980 E cnchantier — 1981 E tùit — ig83 FM Toute; A os ; M paroles; D parler — 1984 F Se ; D Si nen vueil plus oir parler — U)85 FDsi.sen; B ci scn — .1986 F Se; D Si; E Cil — 1987 DE estoient — 1988 E et attendoicnt 1993 A Damour — !997 FD Par; nous manque dans D une fois — 2000 D le deirent — 2001 E Dame — 2oo3 D Tresbien g. ; E la — 2004-5 D Euls d. a haulte vois {le texte entre ces deux moitiés de vers est omis).
2o6 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
« Hé! douce mère, je m'en vois.
A Dieu vous commant, douce dame! » 2008 Et droit a ce point rendi l'âme.
Elle fut de la gent criée,
Et sa mère en fu tourmentée.
De ce ne tieng je pas mon compte, 2012 Car a mon propos riens n'en monte.
'( Guillaume, ou porrez vous trouver
Comment vous peiïssiez prouver
Qu'uns homs seroit a mort menez 2016 De ce point que vous soustenez,
Dou forfait de sa bien amée,
Et que ce fust chose prouvée
Qu'elle eiist fait la villenie, 2020 Et qu'adès demourast en vie?
De la pucelle est chose voire.
Mais ce seroit trop fort a croire
Que plus grans fust li siens meschiez 2024 Que de celle. Bien le sachiez! »
Guillaume.
« Attemprance, moult bel parlez
Toutes les fois que vous volez.
Ci endroit especiaument 2028 Avez parlé moult sagement.
Et quanqu'avez ci dit, je croy,
Ne dou croire point ne recroy.
Car c'est pour moy en aucun point 2032 Qui vient a mon propos a point,
Quant celle damoiselle gente
Ot mis ou chevalier s'entente,
2006 D Cria ma mère — 2008 E larme — 2009 BE Celle — 201 1 E tiengne pas — 2012 ME en mon p.; Z) nem.;£ conte — 201 3 E pouez — 2014 A trouuer — 2017 D Donc; BD et de bien a. — 2018 D Que ce — 2o3o F recroire — 2034 A en.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 20J
Et il estoit ses vrais amis, 2o36 Et puis se fu a la mort mis,
Dont Amours si fort l'atrapa
Que la mort tantost la hapa.
Amours en fist pour li assez; 2040 Car cils cops fu tantost passez.
Aussi a morir avoit elle :
Nuls contre ce point ne rebelle,
Cui la mort ne veingne haper ; 2044 Nuls ne li porroit eschaper.
Quant uns homs est grieteusement
Tauxez a mort par jugement
D'un bon juge sans mesprison,
2048 Et il le met en grief prison D'enfermeté en lieus divers, Ou estre puet rungiez de vers Et de planté d'autre vermine,
2052 Et il y est un lonc termine, Chargié col et les bras de fers Et les jambes, c'est bien enfers. La est il de foy en destour,
2o5ô Pour renoier son creatour ;
Volentiers lerenieroit
Qui de la le delivreroit.
Mais en celle heure qu'il est pris, 2060 Jugiez a mort par juste pris,
Trop mieus li vaut qu'on l'en délivre
Par la mort, qu'en tel dolour vivre.
Einsi est il d'un vray amant
2o35 B ces — 2o36 A si fu; D fust — 2o38 D latrappa — 2040 FE corps; D fust — 2043 D Que — 2045 D est trop griefment; E griefensement — 2046 BD Traitties ; E Traittes — 2048 F gries —
2049 AM Denfermetez; D lieu — 2o5o A mengiez; D mengie — 2o5i D Et dautre plautre de vermine — 2o52 E est par I. —
2053 BDE fer — 2054 BE enfer; D cest vn enfer — 2o55 E au destour— 2057 F renienroit — 2o58 FM deliueroit; D deliuroit.
2o8 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
2064 Qui est trahis en dame amant,
A tel tin com devant est dit.
J'afferme et se di en mon dit
Que nuls meschiez ne s'apartient 2068 Aus grietez que ses cuers soustient,
Tant comme il dure et elle dure.
Et si say moult bien que Nature
A de son bon droit establi 2072 Qu'on mette celui en oubli
Qui est mors et n'en puet ravoir
Pour grant peinne, ne pour avoir.
Seur ce point droit atenderoie; 2076 Mieus estre jugiez ne vorroie. »
Pais.
Après ces mos s'est Pais levée
Et dist, comme bien avisée :
« Guillaume, assez souffissanment, 2080 Selonc le vostre entendement,
Avez vostre propos baillié ;
Mais vous l'avez trop court taillié
Pour avoir droit pour vous si tost ; 2084 Car uns autres poins le vous tost.
Vous avez de Nature trait,
Pour prouver, un assez biau trait,
Lequel on a bien entendu. 2088 Mais j'ay un autre las tendu
Contre celui, de plus grant pris,
Par lequel vous serez soupris,
D'un exemple ancien de fait 2092 Qui bien a ramentevoir fait.
2o65 F comme; E ay dit; D dîtte — 2066 si manque dans B'E — 2068 E griestes — 2069 E nelle — 2070 E Et je say moult manque dans D — 2071 A manque dans D — 2072 E Quen ; D Quem — 207? E et non ne p. — 2076 D verroic — 2080 F nostre; E S. nostre ent. — 2090 A sourpris — 2091 Mss. aucun, corr. en ancien par B' — 2092 M ramentoiure.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 209
Et pour ceci le vous propos. Car il sert bien a mon propos.
« Dydo, roïne de Cartage, 2096 Ot si grant dueil et si grant rage
Pour l'amour qu'elle ot a Enée
Qui li avoit sa foy donnée
Qu'a mouillier l'aroit et a femme; 2100 Et li faus l'appelloit sa dame,
Son cuer, s'amour, et sa déesse,
Et sa souvereinne maistresse.
Puis s'en ala par mer nagent 2104 En larrecin, lui et sa gent,
Qu'onques puis Dydo ne le vit.
Oiez, comme elle se chevit :
Quant failli li ot dou couvent 2i 08 Qu'eu li avoit en couvent,
Einsi corn pluseurs amans font
Qui l'amant loial contrefont,
La désespérée, la foie, 2 1 1 2 Qu'amours honnist, qu'amours afole,
L'espée d'Eneas trouva
Et en son corps si l'esprouva
Qu'onques ne se pot espargnier 21 16 Qu'en soy ne la feïst baingnier.
Dont elle morut a dolour
Pour amer, et par sa folour.
Mais elle ne morut pas seule, 2120 Einsois a deus copa la gueule,
Car d'Eneas estoit enceinte,
2097 a manque dans E; D onnee — 2098 E a. samour d. — 2099 -^ lamoit ; E et sa f. — 2100 D Et lui i'aulz — 2101 M dicucsse — 2io5 M Quonque; E pis — 2106 AME comment; M el — 2107 D le conuent — 2108 D Qui en lui a. ; E Que on lui a. — 2109 E que pi. — 21 17 E mourust — 21 18 D Par; E et pour — 21 19 ME mourust.
Tome I 14
210 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Dont moult fu regretée et plainte.
Mains einsois qu'elle s'oceist, 2 1 24 Elle commanda qu'on feïst
Un ardant feu en sa présence.
Et quant en sa désespérance
S'ocist, si forment s'envay 2128 Qu'avec le cop en feu chay,
Dont tantost fu arse et bruïe.
Einsi fina Dydo sa vie.
Bien croy que ce fu chose voire, 21 32 Car einsi le truis j'en histoire.
« Si que, Guillaume, vraiement,
Il me samble tout autrement,
Veiies et considérées 21 36 Mes raisons devant devisées.
Car on puet vëoir clerement
Que grieté, peinne, ne tourment
Ne se porroient comparer 2140 Ad ce que celle comparer
Volt pour le grief de son amy.
Et fust uns homs trestout enmy
Grant planté de ses annemis, 2144 Qui tuit li eussent promis
La mort, et tuer le porroient
A leur plaisir, quant il vorroient,
Lui vivant en celle pàour, 2148 Non obstant grieté ne frëour,
Se trouveroit il reconfort.
Encor y a un point plus fort :
2123 MB que soceist — 2126 D desperance — 2127 E si fort; FBDE senhay — 212S BDE ou — 21 32 j manque dans A; A listoire — 2i36 E diuisees — 2i38 E grieste ; D et tourment — 2140 D a comparer; E ce quelle ot a comp. — 2141 E veult le grief — 2142 E Ce feust ; E onny — 2144 M tant — 2145 E poierent.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 211
Qui le menroit aus fourches pendre 21 52 En celle heure, sans plus attendre,
Si seroit il reconfortez
Et soustenus et déportez
En esperence d'eschaper ; 21 56 Lors ne le porroient taper
Maie errour, ne desesperence,
Tant comme il aroit esperence ;
Qu'esperence le conduiroit 2160 Jusqu'à tant qu'il trespasseroit.
« Aussi avez vous dit d'un point
Encontre Amour trop mal a point :
C'est que Nature a commandise 2164 Seur la gent d'Amours a sa guise,
Et se Nature le commande,
Nuls n'obeïst a sa commande.
Elle commande qu'on oublie 2168 Et mort d'amant et mort d'amie,
Pour ce qu'on n'i puet recouvrer
Par grant avoir, ne par ouvrer.
Commande; assez nous le volons. 2172 De ce point pas ne nous dolons,
Qu'a ami riens n'en apartient;
Car Bonne Amour en sa part tient
Un cuer d'amant tant seulement 2176 Sans naturel commandement.
Qui ne vuet, nuls n'i est contrains;
Mais on est d'Amours si estrains,
Qu'obéir y couvient par force ; 2180 S'est fols qui contre li s'efforce.
21 5i D merroit; FM as ; Z) a — 21 52 E A — 2137 E Mai ncucur — 2161 vous manque dans E — 2164 damours manque dans E — 2167 Z) et on — 2172 D doubtons — 2173 AM Que a moy; BDE amis; nen manque dans E — 2174 D Que — 2178 E M. en; D damis — 2180 D Folx est.
2 12 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Guillaume, se vous loeroie
A laissier ceste povre voie
De dire que Nature ait grâce 2184 Que propre commandement face
En amours, qui soit de valeur.
Nature donne bien couleur
A ami d'un plaisant cuidier 2188 Qui li fait folement cuidier
Acomplir ce qu'Amours desprise.
Et par si faite foie emprise
Sont fait maint incouvenient 2192 Qui valent trop meins que nient.
Plus desclairier ne m'en couvient
Pour ce que point d'onneur n'en vient.
Pais sui qui volentiers feroie 2196 Adès bien, et si defferoie
Le mal ; aussi feroit Concorde ;
Car quanque je vueil, elle acorde,
Toutes heures, et soir et main. 2200 Pour ce la tien je par la main,
Et pour faire ce qu'il li plait.
Alez avant en vostre plait,
Guillaume, par voie deue,
2204 Sans naturel descouvenue. S'ensieuez d'avis les usages,
Par mon los, si ferez que sages. »
Guillaume. « Pais, damoiselle, pour vous croire 2208 Viennent tous biens, c'est chose voire.
21 83 £ est grâce — 2187 BD En amis; E A aucuns — Après le vers 2188 D intercale les vers 2205-2208 — 2189 FMBDE quamis — 2191-2 manquent dans D — 2191 E maint mal inno- renment — 2192 E Quil ne vaillent auques nient — 2195 A Pas — 2196 D Tousiours — 2201 MBD qui ; E que — 2202 AF a vostre; M A. quant av. — 2204 D S. nature descongneuc —
2205 E Soustcnez; D damis — 2208 E Vraiement.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2 I 3
Si me garderay de mesprendre. Mais je vueil ma cause deffendre Tant avant, comme je porray. 2212 Dont un exemple compteray
Qui s'ensieut, a mon fait prouver Et a vostre tort reprouver.
« A Orliens ot un clerc jadis 22i 6 Qui estoit renommez et dis
Nobles clers, vaillans homs et riches,
Et si n'estoit avers ne chiches,
Sires de lois, et de decrez 2220 Maistres, et uns homs bien discrez
De bien moustrer ce qu'il savoit
Et la vaillance qu'il avoit.
S'avoit esté nez en Prouvence, 2224 Et bien enlignagiez en France
Estoit de princes et de contes,
Que véritables soit mes contes.
De gentils gens estoit servis, 2228 Preus et apers a grant devis,
Et avoit en sa compaingnie
De moult noble chevalerie,
A qui riches robes donnoit. 2232 Cils poins moult bien li avenoit,
Car pour sa grâce desservir
Se penoient de lui servir.
Or estoit moult d'amer espris 2236 D'une damoiselle de pris
Qui demouroit vers Montpeslier,
Fille d'un vaillant chevalier,
Attrait de moult noble lignie.
22i3 A fait premier — 2214 E tout — 2218 D siches — 2236 BDE Une — 2237 F mon paillier ; B' monpeillier — 223g FME Aurais; D Extrait.
214 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
2240 S'estoit la besoingne lignie
D'entr'eus deus si entièrement Qu'on ne peûst mieus autrement. Il s'estoient entrepromis, 2244 II comme ses loiaus amis, Et elle comme vraie amie : A tousjours mais, toute leur vie, Maintenroient en vérité 2248 Les courtois poins de loiauté. Mais si loin devint leur loiens Qu'il s'en vint manoir a Orliens, Et elle en Prouvence manoit. 2252 Mais si bien, comme il couvenoit, Les secrez d'amours maintenoient De lettres qu'il s'entr'envoioient Par leurs especiaus messages, 2256 Honnestes gens, secrez et sages. Einsi le feïrent grant pièce. Mais Fortune qui tost depiece Maint honneur aval le pais 2260 Fist tant que cils fu esbahis,
Plus qu'a perdre .v .c. mars d'or, Si comme je diray dès or.
« Il avint a une journée, 2264 Maie pour celui adjournée,
Qu'a lui s'en vint uns messagiers De Prouvence, preus et legiers,
2242 D pouoit; E peut — 2243 E Hz e. en ce promis — -2244 E comment — 2245 E comment vrais amie — 2247 DE Main- tenoient — 2249 F si Ions; BD leurs; DE liens; A loien — 225o sen manque dans E ; F vient — 225 1 E Et celle ou primiers m. — 2264 AMD Des; E qui sentrenuoient — 2255 D messa- giers — 2256 D H. sages et secres ; E H. et secres et s. — 22bj D tirent il — 2258 DE tout; BDE despiece — 2259 BE Mainte; D autel le p. — 2265 A li.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 21 5
Qui li aportoit lettres closes, 2268 En un petit coffret encloses.
Il les prist, si les resgarda
Et de haut lire se garda;
Car pluseurs secrez devisoient. 2272 Et ou darrein point contenoient
Que s'amie estoit mariée
Au plus vaillant de la contrée,
Et estoit ja grosse d'enfant. 2276 « Haro ! » dist il, « li cuers me fent.
« Hé! Mors, que ne me viens tu prendre?
« A po que je ne me vois pendre! »
Lors prist ses cheveus a tirer, 2280 Et puis sa robe a dessirer.
Quant sa gent einsi le veïrent,
Isnelement avant saillirent,
Dont chascuns forment l'agrapa; 2284 Mais par force leur eschapa.
Aval la ville s'en fui;
Il devint sours et amuï;
Car dès lors qu'il parti de la, 2288 Aine puis de bouche ne parla
Parole qu'entendre peùst
Homs vivans, tant le congneiist;
Ne dès lors que ce li avint, 2292 Onques puis a li ne revint.
Et ne dormoit que sus fumiers,
Et de ce estoit coustumiers.
Et quant si ami le prenoient 2296 Qui en aucun lieu le lioient,
2271 E contenoient — 2272 FMD en — 2277 FBD mort — 2278 E prendre — 2279 F ces — 2283 MB lacrappa; FD latrappa ; E letrappa — 2285 E Au my la v.; A se — 2287 D Des lors qui se p. — 2288 FMBE Eins; D One — 2291 E de lors — 2293 E furmiers — 2296 E a aucun.
2l6 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Jamais n'i beùst ne menjast, Eins est certein qu'il enrajast, Si qu'il le laissoient de plain
23oo A son voloir aler a plain. Mais il ne faisoit a nelui Nul mal, fors seulement a lui. En ce point fu vint ans tous plains :
2304 S'estoit moult regretez et plains De la gent qui le congnoissoient Dont li pluseur forment plouroient. Si fu bien mis de haut au bas.
23o8 Se n'afferroit pas grans debas A jugier vérité certeinne, Qu'il ot de grieté et de peinne Plus que cent dames n'averoient
23 12 Qui leurs amans mourir verroient. Quant il vous plaist, si resgardez, Et de mesjugier vous gardez ! »
Foy.
Adont s'est Foy en piez drecie 23 16 Comme sage et bien adrecie
De droit, de coustume et d'usage ;
S'a dit : « Guillaume, le musage
Avez bien paie ci endroit, 2320 Par dehors la voie de droit,
Au mains en aucune partie.
S'en vorray faire départie,
C'est assavoir, devisîon
2297 E ne me m. — 2298 M certains — 2299 D Si que; E laissierent — 23oo D valoir — 2 3o3 D tout — 2304 M regrette — 23o6 FE pluseurs; D plusieurs — 2307 B Ce ; DE du haut — 23o8 BDE gens debas — 2309 D De — 23 10 D Qui; M giette — 23 12 E Quil; ME leur; MDL amis — 23 1 3 E Quant vous plaira — 2114 D de menseigner; E du mesagier — 23i6 DE auisee — 232i D Amours — 2322 D verray — 2323 DE diuision.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2 I 7
2324 Par voie de distinction
Des choses qui ne font a croire
Et d'aucunes qui la victoire
Puelent avoir d'estre creûes 2328 Ou pour possibles soustenues,
Dont les unes essausseray
Et les autres confonderay,
Au los de m'amie Constance 2332 Qui a tous mes contraires tense
Et me soustient et fortefie
Vers chascun qui en moy se fie.
Que cils clers fust de grant vaillance, 2336 Gentils homs, et de grant puissance,
Renommez de haute noblesse,
Et de temporelle richesse
Très habondanment assasez, 2340 Espris d'amours et embrasez,
Amis de cuer, amez d'amie,
Et en Testât de courtoisie
Eussent fait leur aliance 2344 Par très amiable fiance,
Si que les secrez garderoient
D'amours, tant comme il viveroient,
Qu'a Orliens fust amainnagiez, 2348 En France bien enlignagiez
De gens si honnourablement
Qu'on ne peûst plus hautement,
Ce sont toutes choses possibles. 2352 Et dou mal qui fu si horribles,
Qui si soudeinnement li vint,
2324 F distraction; E discrétion — 2325 E De ; E sont — 2328 AM possible; D paisibles — 2332 E mes cointains — 2334 M chascuns — 2335 D fu ; E puissance — 2336 E vaillance — 2338 M temporelez — 233g D Habondanment; E Tresabandon- nement — 2341 D amis damie — 2346 tant manque dans E — 2347 E en mesnagez — 235 1 D Et — 2352 E fust.
2l8 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Qu'en lisant lettres li avint,
Et si grandement li dura, 2356 Que vint ans entiers l'endura,
Encor di je qu'il pot bien estre.
Car Dieusence siècle terrestre
A mains jugemens si enclos 236o Qu'estre ne porroient esclos
D'omme mortel par sa science.
Aussi de vostre conscience
Avez vous présentement dit 2364 De ces lettres par vostre dit,
Que pluseurs secrez contenoient.
Or ne scet on dont il venoient.
Dont j'ay en droit un point trouvé 2368 Que vous n'avez mie prouvé,
Que de s'amie li venist.
Geste raison ci defenist
Qu'on n'en puet faire nullement 2372 A vostre proufit jugement.
Et se say bien des autres choses
Qui seront, se je puis, escloses,
Pour vous dou tout suppediter, 2376 S'il est qui le sache diter. »
Guillaume.
« Damoiselle, vueilliez laissier, S'il vous plaist, vostre menassier; Car ce ne vous puet riens valoir, 2 38o Et il me fait le cuer doloir. »
2 355 si manque dans BE; B' Et moult gr. — 2 358 D cest — 2359 B' moins — 236o E desclos — 236i D De mortel homme par science — 2368 D esprouue — 2370 D deffine — 2371 E peust f. jugement — 2372 E A nostre pourrit nullement — 2378 E Si — Ordre des vers dans D : 2378. 238i. 238o. 2379. 2382. — 2379 D Ne ne vous puet de riens v. — 238o D Car il nest fait de cuer d.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2 10,
Charité.
Charitez adont s'avança, Si a dit : « Foy, entendez sa! Je vous vueil dire une merveille. » 2384 Lors li conseilla en l'oreille Ce qu'elle volt, secrètement. De quoy Foy debonnairement Prist un bien petit a sousrire, 2388 Et en sousriant prist a dire : « Charité, damoiselle chiere, Liement, de bonne manière, Ceste besoingne conterez. 2392 Trop mieus conter la saverez, Pour certein, que je ne feroie. Vous en estes ja en la voie ; Car en vous en sentez le fait, 2396 Se vous pri qu'il soit einsi fait. »
— « Foy, ma très douce chiere amie, De ce ne vous fauray je mie, Eins en diray ce qu'il m'en samble. 2400 Car de deus personnes ensamble Les oppinions en sont bonnes, Quant loiaus sont les deus personnes. Si qu'a Guillaume en parleray 2404 Et tel chose li moustreray
Qu'il se tenra pour recrëans, S'il n'est trop fols ou mescréans.
« Guillaume, or entendez, amis : 2408 La puissance qui m'a commis
238i ABD Charité; A sauisa — 2384 D se cons. — 2387 D Se print vn petit — 2388 D En souriant si print — 2392 D le scares — 2395 DE Car vous; E saues — 2396 D prie quainssi soit fait — 2399 F qui — 2400 M personne — 2404 E De; E monsterray — 2405 D sentendra — 2408 E que.
2 20 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
A estre Charité nommée
Fait que par ouevre sui prouvée,
Dont on en voit les apparans 2412 En tous mes plus prochains parans.
Ce sont li gentil cuer loial
Qui entrent en la court roial
De Bonne Amour qui n'a nul per. 2416 Or entendez en quoy j'aper :
J'aper en souffissans promesses
Et en raisonnables largesses,
Especiaument par donner 2420 Et d'aucuns meffais pardonner;
Dont eiireus sont cil qui donnent,
Et aussi sont cil qui pardonnent.
Or regardons qu'Amours demande 2424 Qu'on li doint, et plus ne commande :
Elle demande expressément
Les cuers des bons entièrement ;
Ce demande elle qu'on li doint. 2428 Et se vuet aussi qu'on pardoint
Aucuns fais, selonc le propos
Pourquoy ces raisons ci propos.
Se le moustreray par figure 2432 Que Bonne Amour en moy figure,
Assez briefment, sans prolongiez
« Uns riches homs a un vergier Ou il a arbres grant planté. 2436 Enseurquetout y a planté
Une moult très gracieuse ente
2410 D que leuure soit pr. ; M prouue — 241 1 E nen — 2412 mes manque dans D — 2416 E a quoy ; j manque dans D — 2417 D Aper — 2423 E esgardons — 2424.E demande — 2426 E de — 2427 AE Se — 2430 Fr. a propos — 2431 F monste- ray; E monsterray — 2434 E ot — 2435 a manque dans D; D abres — 2436 D En fin que tout; E En fur que tout.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 22 1
Qui au riche homme mieus talente
Et li est trop plus avenans 2440 Que ne soit tous li remenans ;
Et est einsi de lui amée,
Tant comme elle est ente clamée.
Or avient que li temps trespasse 2444 Tant que li petis jouvens passe;
Se montent ses branches au vent
Pour entrer en secont jouvent
Qui est moiens temps appeliez. 2448 S'estent ses branches de tous lez,
En eslargissant sa biauté
Et en acroissant sa bonté,
Pour traire a la conclusion 2452 Qui est dite perfection,
Pour li déduire et déporter,
Fleurs, fueilles et bon fruit porter.
Or dij'einsi qu'il avenra 2456 Que li sires demandera
Comment celle ente se maintient
Et quel qualité elle tient.
Li jardiniers puet dire : « Sire, 2460 Pour vérité, vous en puis dire,
Ce m'est avis, bonne nouvelle.
Ne demandez plus que fait elle,
Mais demandez me bien qu'il fait, 2464 Car vostre ente un aubre parfait,
Et en tel guise se déporte Que fiours, fueilles et bon fruit porte. Dont perdu a d'ente le nom, 2468 Et d'aubre a recouvré le nom,
2441 D aussi — 2444 D li p. jenne — 2446 £ ou — 2448 A Se sent; D Sesteut — 2450 manque dans D — 2453 D dédire — 2458 E quelle — 2461 E bonnes — 2463 D moi; M que f. — 2464 AIE arbre; D abre — 2466 E fueille — 2468 manque dans D; E darbre; F renon.
2 22 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Sous qui on se puet ombroier Plaisanment et esbanoier. »
Or vueil je chanter et respondre, 2472 Pour mieus m'entencion espondre :
Dont je vueil faire une demande,
Se de la chose qui amende
On doit avoir cuer esperdu, 2476 S'elle a un petit nom perdu
Pour un plus grant nom recouvrer,
Par nature ou par bien ouvrer ?
Je respon qu'einsi n'est il mie ; 2480 Car ce seroit grant derverie.
Mais ce qu'on aimme chierement
Ou a acheté chierement,
Qui le verroit dou tout périr, 2484 Si que ja ne peûst garir,
Venir en porroit tel meschief
Qu'on y metteroit bien le chief
Et tout le corps entièrement. 2488 Je le say bien certeinnement,
Que pluseurs einsi l'i ont mis,
Tant amie com vrais amis.
Or vueil dou propre fait parler 2492 Pour quoy j'ay meû mon parler :
Celle damoiselle jolie
Qui es&oit a ce clerc amie,
C'estoit li ente faitissete 2496 Comme une douce pucelette,
Ou grant vergier d'Amours plantée.
La pot estre si eslevée
Et de branches si estendue
2470 .4F esbanier — 2472 D Pou —'2476 Mss. Celle — 2477 D Pour faire p.; nom manque dans D — 2479 FMBDE respons — 2480 D reuerie — 2482 D On acheté; E On lâcheté moult grandement — 2483 D pourir — 2489 E einsi lui ont — 2491 BD dun — 2497 AMB En — 2499 M branche.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2 23
25oo Et de fueilles si bien vestue,
De fleurs si cointement parée,
Comme estre aus milleurs comparée.
Si me vueil un po aviser 2504 Pour les parties deviser :
Branches de bonne renommée,
Fueilles d'estre bel emparlée,
Fleurs d'avoir la condition 25o8 D'onneste conversation,
Tant d'abit comme de maintien.
En cest estât dist : « Amis, tien ;
Je te doing, pour toy déporter, 25 12 Grâce dou fruit d'onneur porter. »
Lors pluseurs pensées li viennent
Qui de neccessité couviennent,
Pour li entrer en mariage 25 16 Par le conseil de son lignage.
S'elle le fait, ce n'est pas fais
Dont cils doie enchargier tel fais
Comme de lui désespérer ; 2520 Eins doit penser et espérer
Qu'elle y a profit et honneur,
Quant en la grâce d'un signeur
Seroit de droit nommée dame. 2524 Ceste raison bon cuer enflame
D'amer mieus assez que devant.
Pourquoy je di d'ore en avant
Que cils ne l'amoit pas pour bien. 2528 Vraiement, il y parut bien,
Quant bonne amour li volt souffrir
25oi D fleur — 25o2 F as nullis c. ; E a nullys c; D aus lis c; B' a uns lins {B illisible) — 2 5o6 E bien — 2507 D Fleur — a5io D dis — 25i2 D G. de fruit damour p. — 2514 manque dans D — 25i8£ au chargier — 2622 M a la gr. ; E en grâce ; A dou s. — 2 D26 FM dor ; E dores — 2629 D Que ; Mie ; E lui font s.
2 24 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Son corps a tel martir offrir. Plus n'en di, Guillaume, biau sire. 2532 Dites ce qu'il vous plaist a dire. »
Guillaume.
« Charité, se Dieus me doint joie, Bien avez par soutille voie Pluseurs propos par biaus mos dis.
2536 Mais je ne voy pas en vos dis Que vous m'aiez de riens puni. J'ay mon procès aussi uni Gomme devant et aussi ferme
2540 En son estât; par quoy j'afferme Que ja ne sera abatus, Se d'autres mos ne suis batus. Un point y a qui gist en prueve,
2544 Par quoy il convenra qu'on prueve Le contraire de mes paroles, Ou je ne tenray qu'a frivoles Ce que devant avez compté,
2548 Nonobstant vostre grant bonté,
Et que pour grant bien l'avez fait, Pour auctorisier vostre fait Et pour le mien suppediter.
2552 Se vueil un petit reciter
De ce clerc qui fu vrais amis Et puis en tel grieté sousmis, Comme j'ay dit, vint ans entiers.
2556 Or prouvez seulement le tiers
Qu'onques nulle dame souffrist,
253o FM martire — 253 1 E ne — 2532 F qui — 2536 F vois — 2538 D propos... fourni — 253g JE est — 2541 D serai — 2542 M Se dautre mos nest si b. — 2043 E prcuure — 2544 D Pour : E preuure — 2548 grant manque dans E — 204g que manque dans E — 2552 M Sen ; E résister — 2554 M cel — 2556 D On- ques nulle ame ne seuffri ; ME nulles dames.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 220
Tant son cuer a la mort offrist ; Prouvez ce point tant seulement. 256o Mais vous ne porriez nullement. »
L'Acteur.
Charitez vout après parler,
Et pour apointier son parler,
Elle avoit ja la bouche ouverte. 2564 Mais Honnesté fu si aperte
Que tantost fu aparillie
Et dist : « Charité, douce amie,
Que je die, mais qu'il vous plaise ; 2568 Que je ne seray jamais aise,
Se n'aie dit je mon talent
Pour lui faire le cuer dolent. »
Charitez bien s'i acorda, 2572 Et puis Honnesté recorda
S'entention par voie honnesté,
Dont toute la court fist grant feste.
Honnesté.
S'a dit : « Guillaume, or entendez : 2576 Pour la fin a quoy vous tendez,
Fondez estes petitement ;
Se vous diray raison comment.
Voirs est que grans griés li avint 258o Et en petit d'eure li vint.
Mais tantost, celle heure passée,
Sa grant grieté fu trespassée.
Car combien que lonc temps dura, 258q Onques puis grieté n'endura
Qui point feïst a son cuer touche.
2358 D offri — 256o M porrez — 256o Agrès ce v. D met guil- laumc ; M met lamant — 2262 D apporter — 2664 BE cy — 2568 A aaise — 256g E Sen aray; D aie tout dit — 2072 D répéta — 25y5 £ lia- 25yg D Vrais; ADE grant grief — 2582 E fust.
Tome I. 15
2 26 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Et s'aucuns griés au cuer li touche, Il n'i a point de sentement,
2588 Dès qu'il n'i a consentement ;
C'est chose assez legiere a croire. Il avoit perdu sa mémoire, Sens, manière et entendement;
2592 Dont on puet vèoir clerement Qu'il n'avoit point de volenté, Fors que le cuer entalente' Des grans soties qu'il faisoit.
2596 Quant en un fumier se gisoit, C'estoit sa pais; c'estoit ses lis; C'estoit de tous poins ses delis, Ou il dormoit a grant repos.
2600 Encor y a autre propos
Que vous meïsmes dit avez. C'est certein, et bien le savez, Que, quant si ami le prenoient
2604 Et en aucuns lieus l'enfermoient, Jamais n'i beiist ne mengast, Einsois trestous vis enragast, Qui le retenist malgré lui ;
2608 II n'en feïst rien pour nelui
Et vivoit a plain comme beste. C'estoit vie trop deshonneste, Honteuse, s'il en tenist conte ;
2612 Mais point ne congnoissoit de honte. Dont j'ay assez mon fait prouvé Et vostre tort bien reprouvé Par un seul point qui me remort.
2586 E couche — 25gi D m. dentendement — 2594 E auta- lente — 25g5 E soitiez — 2596 D femier — 2598 E C. sa joie et ces delis — 2600 D repos — 2604 MD aucun lieu — 26o5 E ne b.; A ne ne m. — 2606 D arragast — 2607 E Quil le; D maugre — 261 1 D H. il nen t. — 2614 £ csprouue.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 227
2616 De dame qui savera mort
Son ami, sera plus cent tans
En un jour, que cils en cent ans,
De grieté par un si fait trait, 2620 Com ci devant avez retrait.
Guillaume, se vous soufferrez,
Ou d'un autre point parlerez ;
Car de cestui estes vaincus, 2624 Ne vous y puet valoir escus. »
Guillaume.
« Honnesté, pour voir, non feray.
Encor un po en parleray,
Car je m'ay bien de quoy deffendre, 2628 Mais que vous le vueilliez entendre.
Quant tout le sens de lui perdi
Pour le mal qu'a lui s'aërdi,
Qui dou tout le deshonnoura, 2632 Plus perdi, meins li demoura.
Vous dites que mal ne sentoit,
Pour ce que desvoiez estoit
De manière et d'entendement; 2Ô36 Mais il est bien tout autrement :
Car avant que homs son sens perde,
Ne que forsens a lui s'aërde,
Le prent et seurprent maladie 2640 Qui le trait a forcenerie.
Si vueil faire un po d'argument
Qui vous moustrera vivement
Comment m'entente prouvera}' 2644 Dou droit que pour moy trouveray.
Quant deus causes sont assamblées
2616 E qui aura mort — 2617 £ temps — 2621 D souffreres — 2628 A me v. — 2629 D tous les sens — 2Ô3o E sahardi — 2632 D parti — 26I-Î9 M et le s. ,D souprent — 2641 A vn argue- raient; M darguement.
2 28 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Qui se sont a un corps fermées, Celle qui vient premièrement,
2648 Elle attrait le commencement
Dès ce point par la premerainne, Pour ce que c'est la souvereinne ; Et qui la première osteroit,
2652 La seconde s'en partiroit. Or puelent dire tel y a : « Guillaume, verbi gracia, A entendre si comme quoy? »
2656 Vesci en l'eure le pourquoy :
Nous vëons un chien qui enrage, De quel cause li vient la rage? D'un ver qui la langue li perse.
2660 Or est la cause si desperse
Qu'il pert le boire et le mengier, Et puis le couvient enragier. Or est dont li commencemens
2664 De quoy vient li enragemens. Et quant il en pert l'abaier, Adont se puet on esmaier Dès ce point, que la gent ne morde.
2668 Et que de ce mieus nous remorde, Je vous en diray qu'il avint D'un chien qui enragiez devint, Amez en l'ostel d'un riche homme.
2672 Or entendez, s'orrez la somme . Li riches homs ot oy dire Dont venoient si fait martire ; S'en vout vëoir l'expérience
2646 E cop — 2647 E qui muet — 2649 D De: Par manque dans E — 2Ô53 E pouent ; D pueut — 2655 E Antendre — 2660 B' disperse — 2662 D li — 2666 D en — 2667 E De — 2668 que manque dans D; D remordre — 2670 F enrachiez — 2674 D venoit ; Mss. (sauf E) matire — 2675 M sauoir.
LE JUGEMENT HOU ROY DE NAVARRE 220,
2676 Pour mieus avoir en congnoissance.
Se fist son chien par force prendre,
Loier, bersillier et estendre
Et sa langue sachier a plain, 2680 Tant qu'on vit le ver tout a plain.
Lors fu li vers fors esrachiez ;
Et quant il fu a plain sachiez,
Les mains celui prist a lechier 2684 Cui il ot senti esrachier ;
Et fu la garis de tous poins.
Aussi di je que cils clers poins
Fu d'une maladie obscure; 2688 Dont je vous di que la pointure
Dou grant mal que ses corps sentoit
Le tenoit en point qu'il estoit.
Dont mes drois est assez prouvez 2692 Et vostres grans tors reprouvez. » L'Acteur.
Après s'est Franchise levée
Qui ne fu pas trop effraée;
Et s'ot bon vueil et bonne chiere 2696 Et très gracieuse manière.
Si encommensa a parler
Et dist einsi en son parler.
Franchise. « On a veu generaument 2700 Toudis en amer loiaument
Que les dames se sont portées
2676 D en auoir c. — 2678 B bresillier ; E bressillier ; D bes- silier — 2680 M de pi. — 2681 DE hors — 2Ô83 M lichier — 2684 FM il lot; F arrachier; A atouchier — 2686 E si clers — 2690 BDE oue.;Z) ou il — 2692 Après ce v. D met guillaume — 269D F bon oueil; MB bon vent; E bon veult; AD bon voult (corr. en A de vent) — 2696 manque dans D — 2697 D a com- mence ; E a commansa.
230 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Micus et plus loiaument gardées Que les hommes en tous endrois. 2704 Je le vueil prouver — et c'est drois — Par exemples que je vueil dire, Pour ce qu'il font a ma matire.
« Quant cil d'Athennes eurent mort 2708 Androgeûs, si grant remort
En ot Minos, li rois de Crète,
Que par voie sage et discrète,
Par force d'armes et de guerre 2712 Fist essillier toute leur terre;
Et les mist tous pour cest outrage
Minos en si mortel servage,
Que tous les ans li envoioient 2716 Un homme ; mais il sortissoient,
Et cils seur qui li sors chéoit,
Trop mortelment li meschëoit;
Car li rois Minos devourer 2720 Le faisoit la, sans demourer,
Par un moustre trop mf rvilleus,
Trop félon et trop perilleus.
Mais nuls ne se doit mervillier, 2724 Se Minos vout ad ce veillier,
Ne s'il en fu fort esmeûs,
Car pères fu Androgeûs.
Or avint que li sors cheï 2728 Seur Theseûs, qui esbahi
Pluseurs; car il fu fils le roy,
Preuz, vaillans, et de bel arroy.
Mais pour la mort Androgeûs
2705 E example — 2707 E furent — 2708 D andiogens ; M grans — 2709 D .1. roy de grece ; BE crece — 2710 D Qui — 2715 E enuoient — 2720 la manque dans D — 2721 BD tous meru. — 2722 D orgueilleus — 2723 D fust — 2726 D endiogeus — 2731 D andiogeus.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 23 1
2732 Ala en Crète Theseiis,
Pour lui faire estrangler au moustre,
Se sa prouesse ne li moustre,
Si qu'envers lui se puist deffendre; 2j36 Autrement puet la mort attendre.
Et se Dieus li donne victoire,
Il acquerra honneur et gloire;
Car ceuls d'Athennes franchira 2740 Et le servage acquitera.
Mais riens n'i vausist fer ne fust,
Se belle Adriane ne fust,
Qui oublia Minos, son père, 2744 Et Androgeûs, son chier frère,
Sa terre et sej charnels amis,
Pour Theseiis, ou elle a mis
Son cuer, si qu'elle li moustra 2748 Comment occis le fier moustre a,
Pour lui délivrer dou servage ;
Et li donna son pucelage
Par si qu'a femme la penroit 2752 Et qu'en son pais l'en menroit
Avec Phedra, sa chiere suer,
Qu'elle ne lairoit a nul fuer.
Theseiis qui se parjura 2756 Ses dieus et sa loy li jura
Que jamais ne li fausseroit
Et qu'envers li loiaus seroit.
Il se menti, li renoiez. 2760 Pour quoy ne fu en mer noiez?
Quant sa besongne ot assevie,
Il les charga en sa navie.
2732 D grece; E crece — 2748 D C. le moustre occira — 2749 M de — 27^1 F cy — 2732 D la merroit; E la mauroit — 2753 D sedra — 2756 E Et ses d.; li manque dans E — 2760 ne fu manquent dans D — 2762 M le.
232 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Mais vers li mesprist si forment 2764 Qu'Adriane laissa dormant
Seulette en estrange contrée,
Lasse, dolente et esgarée,
Et en mena la juene touse, 2768 Phedra sa suer, s'en fist s'espouse.
Ci a trop mortel traïson.
Aussi diray je de Jason
Qui conquist par l'art de Medée 2772 En Colcos la toison dorée,
Et sormonta, li bourderiaus,
L'ardant soufflement des toriaus,
S'endormi le serpent veillable, 2776 Seur toute beste espouentable,
Et desconfist les chevaliers
Armez, a cens et a milliers.
Mais nuls ce faire ne peiïst, 2780 Se Medea fait ne l'eùst.
Son pais laissa et son père,
Et fist decoper son chier frère.
Pelie occist a grant desroy, 2784 Et tout, pour Jason faire roy.
Quanqu'elle ot, li abandonna ;
S'amour et s'onneur li donna.
Mais Jason Medea laissa 2788 Pour Creusa, dont moult s'abaissa,
Et mervilleusement mesprist,
Quant la laissa et autre prist.
Et quant elle sot la nouvelle,
276.S li manque dans D — 2767 E amena; M enuoya — 2768 BD Phedais; E f. espouse — 2769 FMDE Si ; D raison — 2770 D jasson — 2772 D calos — 2778 E les; A bourdereaus — 2774 D de; A toreaus — 2776 D toutes bestes — 2779 FM. uns — 2780 D medee — 2783 D derroi — 2786 manque dans D ; ajouté dans M au bas du feuillet — 2787 D medeas.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2 33
2792 Qui ne li fu plaisant ne belle,
Elle fu si désespérée,
Si hors dou sens, si forcenée,
Que deus enfans qui sien estoient, 2796 Pour ce que Jason ressambloient,
Occist en despit de Jason,
Puis mist le feu en sa maison.
Après s'en ala la chetive 2800 O ses dragons par l'air fuitive.
Mais puis en estranges contrées
Furent roïnes couronnées.
Car rois d'Athennes Egeiis 2804 Fu de Medée deceus ;
Bacus Adriane nonnoura
Fort, car en li grant amour a.
Cil dui les dames espouserent 2808 En leur pais et coronnerent.
Si que, Guillaume, c'est la somme,
On ne porroit trouver en homme
Si grant loyauté comme en femme, 2812 Ne jamais d'amoureuse flame
Ne seroient si fort espris,
Comme seroit dame de pris.
Car quant il y a meins d'amour, 2816 II y a tant meins de dolour,
Puis que ce vient a mal sentir.
Ne je ne me puis assentir
Qu'en endurant les maus d'amer 2820 Qu'homs ait tant com dame d'amer ;
Et si a de remèdes cent
2792 fu manque dans D — 2795 D Pour; FMDE siens — 2796 D qua — 2799 F chestiue — 2800 FM fuistiue — 2801 D puis que — 2806 D Fors; MDE a (li; D lui) — 2807 FB Ci — 28i3 D seroit — 2816 E tuit — 2817 D souffrir — 2818 E ab- sentir — 2820 E Que homs est t. — 2821 AD remède; £ si a des r.
234 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Li homs tels que famé ne sent. » Guillaume.
« Damoiselle, la traïson 2824 De Theseiis ne de Jason
Ne fait riens a nostre matière,
Ne ce n'est mie la première
Ne la darreinne fausseté 2828 Qui es amoureus a esté,
Autant es famés comme es hommes.
Ne je ne donroie deus pommes
De vostre entention prouver 2832 Par si fais exemples trouver.
Car se mon fait prouver voloie
Par exemples, j'en trouveroie
Plus de dis, voire plus de vint. 2836 Chascuns scet bien ce qu'il avint
De l'ami a la Chasteleinne
De Vergi : d'amours si certeinne
L'ama qu'il s'ocist sans demour, 2840 Quant morte la vit pour s'amour.
« Li bons Lancelos et Tristans
Eurent plus de peinne dis tans
Que femme ne porroit souffrir, 2844 Tant se peûst a peinne offrir,
Et cent fois furent plus loiaus
Que Jason ne fu desloiaus,
Ne Theseiis qui trop mesprist 2848 D'Adriane, quant Phedra prist.
2822 tels manque dans M — 2824 F Ne de th. — 2828-9 manquent dans D — 283 1 F nostre— 2836 D mauint — 2838 BDE De uergi {effacés par B') — 2839 M qui — 2841 M tritans — 2842 D poine — 2845 D plus tarent — 2846 E feust — 2847 D moult mesprint — 2848 B Dadrienne; E Dadreanne ; D cedra print.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 235
Encor vueil d'un autre compter, Se vous me volez escouter.
« Une dame sans villenie 2852 D'un chevalier estoit amie,
Si li donna un anelet
Trop gent (ne fu villein ne let),
Par si qu'adès le porteroit 2856 Et que jamais ne l'osteroit
De son doy, s'elle ne l'ostoit.
Et li chevaliers, qui estoit
Tous siens, bonnement li promist, 2860 Et la dame en son doy le mist.
Or avint qu'elle avoit mari
Qui ot le cuer triste et mari;
Car l'anel a recongnëu 2864 Pour ce qu'autre fois l'ot véu.
Si l'ala tantost demander
A la dame et li comander
Qu'elle li baille en la place 2868 Seur peinne de perdre sa grâce.
La dame dist qu'elle l'avoit,
Mais ou, pas bien ne le savoit.
Si fist samblant de l'aler querre 2872 Et, en deffermant une serre,
Comme dame avisée et sage,
Dist a un sien privé message :
« Va sans arrest a mon ami 2876 Et si li di que mal pour mi,
Se mon anel ne me renvoie.
Et ne demeure pas seur voie,
2854 M Tresgent ; FE gens; F villains — 2855 F Pour; E Pour ce ; D si si — 2857-8 manquent dans D — 2860 manque dans D; E li — 2870 D Mis et ou pas ne sauoit ; le manque dans BDE — 2873 M auise — 2876 D pour lui.
2 36 LE JUGEMENT HOU ROY DE NAVARRE
Car mon signeur le vuet avoir, 2880 Sans nul essoinne recevoir.
Di li bien qu'il n'en faille mie ;
Car s'il en faut, je sui honnie
Et en péril de perdre honneur 2884 Et la grâce de mon signeur. »
Li messages n'atendi pas,
Eins s'en ala plus que le pas
Au chevalier et tout li conte 2888 Ce que devant ay dit en conte.
Quant li chevaliers Tentendi,
A po li cuers ne li fendi,
Car il ot pùour que sa dame 2892 Honte pour li n'eùst ou blasme.
Si dist : « Amis, foy que li doy,
Avuec l'anel ara mon doy,
Car ja par moy n'en partira. » 2896 Si que lors un coutel tira,
Son doy copa et li tramist
Aveques l'anel qu'elle y mist.
Puet on faire plus loiaument 2900 Riens, ne plus amoureusement?
Certes, nennil ! Ce m'est avis.
Car trop fu loiaus ses amis.
Si que bien oseroie attendre 2904 Vray jugement, sans plus contendre,
Qu'on les doit plus auctorisier
Et en tous estas plus prisier
Que les dames, de qui parole 2908 Tenez que je tien a frivole,
Qu'on dit — et vous le savez bien —
2887 M tost — 2891 D Quer — 2893 M que ie doy — 2894 A A. sanel; E aras — 2896 A couatel — 2898 lanel manque dans M — 2899 D Peust — 2904 AID attendre — 2905 E li; A aucto- riser: D attoriser.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE l'i'j
Que par tout doit veincre le bien.
Et cil furent bon et loial 2912 Tenu en toute court roial,
Comment que les dames feïssent
Moult pour leurs amis et souffrissent.
Mais on dit — et c'est veritez — 2916 Qu'adès les deus extermitez,
C'est trop et po. Einsi l'enten ge :
Ne doivent recevoir loange ;
Mais qui en Tamoureus loien 2920 Est loiez, s'il tient le moicn,
Il ouevre bien et sagement.
Et li sages dist qui ne ment
Qu'adès li bonneùreus tiennent 2924 Le moien partout ou il viennent. »
L'Acteur.
A ce Prudence respondi,
Qui riens n'enclôt ne repondi
A la matière appartenant, 2928 Et dist : « Guillaume, maintenant
Voy je bien vostre entention ;
Mais j'ay contraire opinion
Qui de la vostre est trop lonteinne. 2932 On scet bien que la Chastelainne
Fu morte pour un bacheler,
Pour ce qu'il ne la sot celer.
Car il dist toute leur besoingne 2930 A la duchesse de Bourgoingne ;
Et la duchesse moult mesprist,
2914 FM leur — 2916 D extrémités — 2917 D C. pièce et pou; A lentens — 291g D lyen — 2920 D Ces voies cy tien — 2922 D quil ne vient — 2924 E Li — 2924 Après ce v. D met pru- dence; Lacteur mq. dans A — 292G D Que; FMB r. enclos; £ E r. au clos; AE respondi ; D r. nauoit espondi — 2927 Afapper- tement — 2g3o jay manque dans E — 2931 FE lointeinne.
2 38 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Qu'a une feste li reprist
Qu'elle savoit bien le mestier 2940 Dou petit chiennet afaitier.
S'en morut en disant : aymi !
Par le deffaut de son ami.
Et quant li amis vit s'amie 2944 Par sa gengle morte et perie,
S'il s'ocist, il fist son devoir,
Qu'autre mort deùst recevoir,
N*il ne fist fors meins que justice, 2948 S'il s'ocist pour punir son vice ;
Qu'avoir le deiissent detrait
Chevaus enragiez pour ce trait.
Si m'est vis que la Chastelainne 2952 Ot plus de meschief et de peinne,
Quant sans cause reçut la mort,
Que n'ot cils qui se fu la mort
Qui avoit desservi le pendre ; 2956 Et pour c'en fu sa dolour mendre.
« Et se Tristans ou Lancelos
Furent vaillans, bien dire l'os
Que leur vaillance et leur prouesse 2960 Leur fu gloire, honneur et richesse ;
N'il n'est homs qui peust acquerre
Tels biens, sans avoir peinne en terre.
Si que, Guillaume, j'ose dire 2964 Que plus de peinne et de martire
Cent fois les dames soustenoient
29^8 B'D la— 2940 M Dun p. chienne — 2941 M morust; E ami — 2943 D Et li amis quant vi s.; A vi — 2944 E sa gueulle — 2947 D 11; D fors miex; M de just. — 2950 D arra- gies ; D fait — 295 1 ME Ce; D auis — 2g52 M mcschies ; D poine — 2966 en manque dans D ; BD la d. — 2957 FM tritans; BD et 1. — 2960 E fust — 2961 E quil — 2962 et 2964 D poine.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2^9
Que leurs amis qu'elles faisoient, Qu'elles avoient les griés pensées 2968 Et les piiours desordenées, Les paroles de mesdisans. Et s'il demourassent dis ans, Ja n'eussent parfaite joie;
2972 Car qui atent, trop li anoie,
N'a cuer humain riens tant ne grieve Gom mesdis et pensée grieve. Ne autre bienfait n'en portoient 2976 Qu'un po de joie qu'elles avoient. Einsi est il de pluseurs dames Qui mettent les corps et les âmes Et quanqu'elles ont en leurs amis,
2980 Et quant tant chascune y a mis Qu'il sont en vaillance parfait, Apparent par ouevre et par fait, Elles n'en ont autre salaire
2984 Fors un petit de gloire au faire.
Il ont le grain ; elles ont la paille ;
Car l'onneur ont, comment qu'il aille.
Et s'aucune fois leur meschiet, 2988 Tout premiers seur les dames chiet.
Certes, c'est mauvais guerredon,
Quant pour bien ont de guerre don.
« De l'autre qui son doy copa,
2966 D quelle — 2967 M Quelle ; B' Quelz; les manque dans A — 2g68 D Puis paours — 2969 FDE des — 2972 D ennuie —
2973 riens manque dans D — 2974 manque dans D — 2975 MDE Nautre ; E nen emp. — 2976 de manque dans D; A quelle; D quil; B' quelz — 2978 A les cuers; E armes — 2979 B' quan- quelz; D quanquil; M quanque elle — 2980 D chascun —
2981 DE Qui — 2982 A Appert, corrigé en Appert; D Ou apparent ou deuure en fait; M ou par oeuure; MB ou par f. — 2984 au faire manquent dans F — 2g85 B1 elz ; FMD elle — 2988 BD premier.
2^0 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
2992 Vraiement fait un let cop a.
Car Guillaume, quoy que nuls die,
Je le tien a grant cornardie,
Si m'en pense po a debatre. 2996 Car il y avoit trois ou quatre
Voies qui deùssent souffire.
Et il prist de toutes la pire.
Et d'autre part, je ne croy mie 3ooo Que celle qui estoit s'amie,
S'elle l'amoit d'amour seiïre,
N'eùst trop plus chier l'aventure
De son mari et son courrous, 3004 Et deiist estre entr' eaus deus rous
Li festus jusqu'à une pièce,
Qu'oster de son ami tel pièce,
Qu'a tous jours fu desfigurez, 3oo8 Meins prisiez et plus empirez. » Guillaume.
« Certes, Franchise, vous avez
Bien dit, que bien dire savez.
Mais je say sans nulle doubtance 3oi2 Que c'est contre vo conscience,
Et que dit avez le contraire
De ce qui en vo cuer repaire.
Mais je vous requier, s'il vous plaist, 3oi6 Que nous abregons nostre plait,
Car trop esloingnons la matière
Qui meiie a esté première.
Il est certain — et je l'afferme —
2993 D Guillaume car quoi — 2994 DE couardie — 2998 E toute — 2999 part manque dans M — 3ooi E Elle — 3004 F Et deulz; deus manque dans BDE — 3oo5 E jusques a — 3oo6 E Quauoir receu de lui tel p. — 3007 D Car a ; F j. si d. ; fu manque dans BDE — 3oo8 D et bien empires — 3oi5 BE si — 3017 A alongons; BD eslongons — 3oi8 F Qui mené a ; D Qui maine a ceste pr.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 24 1
3o2o Qu'en cuer de femme n'a riens ferme,
Rien seiir, rien d'estableté,
Fors toute variableté.
Et puis qu'elle est si variable 3024 Qu'elle en rien n'est ferme n'estable
Et que de petit se varie,
Il faut que de po pleure et rie.
Dont grant joie et grant tourment 3028 N'i puelent estre longuement,
Car sa nature li enseingne
Que tost rie et de po se pleingne;
Tost ottroie, tost escondit; 3o32 Elle a son dit et son desdit,
Et s'oublie certainement
Ce que ne voit, legicrement.
Et puis qu'elle ne puet ravoir 3o36 Jamais son ami pour avoir,
Pour pleindre, ne crier, ne braire,
Ne pour chose qu'elle puist faire,
Et aussi que de sa nature 3oqo Oublie toute créature
Legierement, quant ne la voit,
On puet bien penser, s'elle avoit
De ses amis damage ou perte, 3044 Que briefment seroit si aperte
Que d'un perdu deus retrouvez
Li seroit encor reprouvez.
Mais cuers d'omme est fermes, seùrs, 3048 Sages, esprouvez et meurs,
3o2i D R. sur — 3o23 manque dans D — 3o26 M de petit — 3027 M ne gr. — 3o2<S F Ne ; D pueut — 3o3i E escon- duit; F escondie — 3o33 D Et semble; A entérinement — 3o34 E voy ; D veult — 3o35 D auoir — 3o37 ne (crier) man- que dans M — 3041 D quant que la v. ; E le — 3042 M Ou pour b. — 3o45 FBDE recouurez — 3046 D seroient; E en- core ; D recouures — 3047 ^ ferme et s.
Tome 1. ié
242 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Vertueus et fors pour durer.
Et humbles pour mal endurer.
Et quant de l'amoureuse ardure 3o52 Est espris, tellement l'endure
Qu'einsois morroit dessous l'escu
Qu'on le veïst mat ne veincu.
Ce que je di n'est pas contrueve, 3o56 Car chascuns le dit et apprueve ;
Et pour ce que chascuns le dit,
L'ay je recordé en mon dit.
Si di en ma conclusion 3o6o Que, vëu la condicion
D'omme et de femme, nullement
Femme ne puet avoir tourment,
Tant braie ne se desconforte, 3064 Comme uns homs en son cuer le porte,
Qu'estre ne puet en sa nature.
Raison s'i acorde et droiture.
Et aussi li maus qui termine 3oô8 Est mendres que cils qui ne hne,
Einsois dure jusqu'à la mort,
Tant qu'il a son malade mort. »
Largesse.
Largesse qui après sèoit 3072 Parla, car moult bien li sëoit,
Et dist : « Guillaume, vraiement,
Je sui mervilleuse, comment
Vous osez des dames mesdire ; 3076 Car ce ne deiïssiez pas dire.
Et de ce qu'avez dit, li blâmes
Est plus seur vous que seur les dames.
3o5o FMBDE humble — ?o?4 E Qucn; D mate; M mast et v. — 3064 BE Comme {B' Corn) tel homme; D Tel comme homme en son cuer porte — 3o68 D Cest — 3069 D jusques a — 3072 D P. et moult — 3074 B' merueillee — 3078 M Et : D Cest.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 24.D
Vous avez dit en vostre dit — 3o8o Dont, certes, vous avez mal dit —
Que chascuns tient pour véritable
Que toute dame est variable,
Et que ce n'est de leur couvent 3084 Nés que d'un cochelet au vent.
Mais toute ceste compaingnie
Tient le contraire et le vous nie.
Et pour ce bien dire pouez 3o88 Que vous n'estes pas avouez;
Si devez paier la lamproie.
De ce plus dire ne saroie,
Qu'on ne puet bon argùement 3092 Faire seur mauvais fondement. »
Doubtance.
« Et je ne m'en porroie taire, »
Ce dist Doubtance de meffaire,
« Eins en diray ce qu'il m'en samble; 3096 Car tous li cuers me frit et tramble,
Quant einsi sans cause blâmer
Oy les dames et diffamer.
Or entendez a ma demande : 3 100 Biau Guillaume, je vous demande,
Se celle change ne varie
Qui est tous les jours de sa vie
Loial amie, sans fausser, 3104 N'en fait, n'en désir, n'en penser? »
Guillaume.
« Certes, damoiselle, nennil ! Mais je croy qu'entre cinq cent mil
3o8u D mesdit — 3087 D Quer pour voir dire poes — ^089 D Que paier deues — 3og5 FBE qui — 3og6 E nst — 3097 D blâmes — 3oq8 D Toutes dames et diffames — 3ioi F na v»
244 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
N'en seroit pas une trouvée ; 3 108 Car tel greinne est trop cler semée. »
DOUBTANCE.
<c Mon biau sire, se Dieus me gart,
Moult avez estrange regart,
Et s'avez diverse parole ; 3ii2 Et s'avez esté a l'cscole,
Si com je croy, d'aler en change ;
Et pour ce que li cuers vous change,
Vous cuidiez que chascuns le face 3i 16 Si com vous; mais ja Dieu ne place;
Car je prouveray le contraire
De fait, cui qu'il doie desplaire. »
Guillaume.
« Damoiseile, ne vous desplaise, 3 120 Se je vous resgarde a mon aise,
Car pas ne vous hé si forment
Com je vous regart laidement;
Et se ma parole est diverse, 3 1 24 Bons cherretons est qui ne verse.
Mais je cuide vérité dire,
Comment que m'en vueilliez desdire;
Si me sui ci mal emhatus, 3 128 Se pour voir dire sui batus. »
SOUFFISSANCE.
Adont se leva Souffissance Et dist : « Guillaume, sans doubtance, Vous estes or mal empariez. 3 1 32 Resgardez comment vous parlez;
Car nuls homs qui vueillc voir dire
3 1 1 2 F Vous auez — 3 1 1 3 MliDE au ch . — 3 1 1 5 E li — 3 1 1 8 D qui qucn d. ; E ce qui d. — 3 120 A aaise — 3 124 FM char- rctons ; D Bon charretier; E quil — 3127 FBE si — 3i3i F
csic.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2_p
Ne porroit des dames mesdire.
Qu'en elles est, ce scet on bien, 3 1 36 Tant quanqu'on puet dire de bien.
Si que je vous lo et conseil
Que plus ne parlez sans conseil;
Car vous estes trop juenes homs 3140 Pour dire si faites raisons. »
Guillaume.
Lors entroy une murmure,
Que chascune d'elles murmure
De ce que si fort soustenoie 3144 Ce que des dames dit avoie ;
Et vi que chascune faisoit
Samblant, qu'il li en desplaisoit.
Et quant j'apcrçu la manière 3148 De leur parler et de leur chiere,
Et que meiïes furent toutes,
Pour bouter le feu es estoupes,
Au juge fis une requeste 3 1 52 Qui me sambloit assez honneste,
Et humblement li depriay
Et requis en mon depri ay
Qu'elles parlassent tout a fait, 3i56 Si averoient plus tost fait.
Si firent elles, ce me samble;
Qu'elles parloient tout ensamble,
Dont li juges prist a sousrire 3i6o Qui vit que chascune s'aïre.
Et certes, j'en eus moult grant joie,
Quant en tel estât les veoie.
Mais li juges qui sagement
3 1 35 MBDE Car en — 3r36 FBE Tout — 3 07 M loe — 1m 38 M nen — 3 141 DE L. entrai en vne m. — 3 145 D voy : E vis — 3146 MD qui — 3147 FBE ja perceu — 3 1 53 F h. il d. — 3 1 54 D r. et moult depriai — 3i 57 manque dans D — 3 162 D le.
246 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
3 1 64 Voloit faire son jugement
Tantost leur imposa silence, Fors seulement a Souffissance Et a Doubtance de meffaire.
3 168 Et lors prist Doubtance a retraire Un conte propre a sa matière, Et commensa par tel manière.
Doubtance.
« Que fist Tisbé pour Piramus? 3172 Quant elle vit que mors et nus
Estoit pour li, sans nul retour,
A doloir s'en prist par tel tour,
Que d'une espée s'acoura 3 1 yô Seur le corps et la demoura ;
Car après li ne volt pas vivre,
Eins tîna s'amour et son vivre
En pleins, en piours et en clamours. 3 180 Certes, ce fu parfaite amours;
Car il n'est dolour ne remort
Qu'on puist comparer a la mort.
Ne riens ne me feroit entendre 3184 Que nuls homs vosist son cuer fendre
Si crueusement, n'entamer,
Comme Tisbé fist pour amer.
Et qui diroit uns homs est fors 3 188 Pour souffrir d'amours les effors,
Et s'a cuer plus dur qu'aymant
Ou que ne soit un diamant,
Je ne donroie de sa force
3 169 matière dans D pour nature — 8171 Ftibe; M tysbes : B' tisbee — 3174Z) A douleur — 3 178 D Ainssi; et manque dans D — 3 [79 F En pleurs en piours: D A plains a pi. et a cl.: FBE clftmour — 3 180 FBD amour — 3 1 8 1 F doleurs — 3i82 FMBDE peust; B' peut; BDE a mort — 3i83 A Ne nuls — 5j86 M Coni — 3iSi| fi p|. doulz — 3 [go D nu que ce s.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 247
3192 Le quart d'une pourrie escorce,
Ne je ne pris riens sa durté,
Sa vertu, ne sa mëurté,
Ne chose qu'il endure aussi. 3 1 96 Mais quant une dame a soussi
Qu'en son cuer secrètement cuevre.
Par tel guise le met a ouevre
Qu'elle y met le corps et la vie. 3200 Mais, Guillaume, je ne croy mie
Que on veist onques morir
Homme par deffaut de merir
Et qui tost ne fu confortez, 3204 Tant fust ses cuers desconfortez ;
N'il n'est doleur qui se compère
A mort, corn grieve qu'elle appere,
Ne que li feus, fais en peinture, 3208 Encontre le feu de Nature.
Car Nature ne puet pas faire,
Tant soit a corps humain contraire.
Ne cuers ne puet riens endurer 3212 Qu'on peùst a mort comparer. »
Souffissanck . « Doubtance, laissiez le plaidier, Car un petit vous vueil aidier, Pour mettre vostre entencion 32i6 A plus vraie conclusion,
Comment qu'aiez si bien conclus Selonc raison, qu'on ne puet plus. »
3192 E dune petite esc. — 3 1 93 et 3194 intervertis dans BDE, rétablis par B' — 3200 E croiz — 3201 E Quon ; B' Que len; D Quil v. — 32o3 E feust — 3204 £ fu — 32o5 M qui si c. ; D compare — 32o6 D appare — 3207 M pointure — 32 10 A a cuer; Al humains — 32 12 Après ce vers on lit dans AB souffrance ; [B en marge ajoute souffisance — Les vers 32i3-20 manquent dans D; 32 1 5 A — nnstre.
248 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Adont commensa Souffissance 3220 Et dist ainsi en audiance :
« Leandus, li biaus et li cointes, D'une pucelle estoit acointes Qui belle Hero fu nommée;
3224 N'avoit en toute la contrée Nulle si cointe damoiselle. De trop si gente, ne si belle ; N'en Abidois n'avoit, n'en Crète
3228 Nulle amour qui fust si secrète, Car nuls ne savoit leur couvine. Fors seulement une meschine Qui belle Hero norrie avoit;
3232 Celle seulement le savoit.
De moult parfaite amour s'amoient : Mais a grant peinne se vëoient, Qu'entre Hero et Leandus
3236 Fu uns bras de mer espandus Qui estoit larges et parfons, Si qu'on n'i preist jamais fons ; Et ce leur faisoit trop d'anuis.
3240 Mais Leandus, toutes les nuis, Passoit le bras de mer au large, Tous nus, seuls, sans nef et sans barge. Belle Hero au gent atour
3244 Ot en sa maison une tour
Ou toutes les nuis l'atendoit, Et un sierge ardant la tendoit, Auquel Leandus se ravoie
322i B' Leander; et manque dans M — 3227 E crece — 3228 AM fu — 323 1 E haro; BE norri — 3232 E Elle — 3234 D poine — 3235 D est leaueduz — 3242 D Nu tout seul; seuls manque dans E; D ne sans b. — 3246 E Et la vn s. a. tenoit; D y auoit ; B y ardoit.
LE JUGEMENT HOU ROY DE NAVARRE 249
3248 Souvent, quant la mer le desvoie.
Or avint que la mer s'enfla
Pour le fort vent qui y souffla,
Si qu'elle en devint toute trouble 3252 Pour le vent qui l'esmuet et trouble.
Leandus se tient a la rive,
Qui fort contre son cuer estrive :
Qu'Amours li enjoint et commande 3256 Et ses cuers, qu'a passer entende,
Et la plus belle de ce mont
Voit d'autre part qui l'en semont ;
Si que li las ne sot que faire, 3260 N'il ne voit goûte en son affaire.
Car il voit la mer si orrible
Que de passer est impossible ;
Et de sa tempeste et son bruit 3264 Toute la région en bruit.
Mais finalment tant l'assailli
Amours, que en la mer sailli,
Dont briefment le couvint noier; 3268 Car a li ne pot forsoier.
Et certes, ce fu grans damages,
Car moult estoit vaillans et sages.
« Belle Hero ne scet que dire; 3272 Tant a de meschief, tant a d'ire, Qu'en nulle riens ne se conforte. Elle vorroit bien estre morte, Quant son dous amis tant demeure.
.1249 A tourbla — 325o y manque dans D — 325 1 AM tourble
— 3255 B' a. le semont — 3256 D Que son cuer a p. — 325y de manque dans M — 32 58 D Est ; E de lautre part; D le — 32 5g M sceit; DE scet — 3260 E veoit — 3263 MBE en son bruit
— 3264 E religion — 3265 D Finalement — 3268 D Car il ne puet— 3269 E dommages — 3271 E Celle; D que faire — 3272 D meschief et de haire.
2 DO LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
3276 Dou cuer souspire, des yeus pleure ;
La nuit ot plus de mil pensées,
Par cinq cent mille fois doublées.
Elle ne fait que reclamer 3280 Nepturnus, le dieu de la mer,
Et ii promet veaus et genices,
Oblations et sacrefices,
Mais que la mer face cesser, 3284 Par quoy Leandus puist passer.
Einsi toute nuit se maintint
Et Tardant sierge en sa main tint,
Jusqu'à tant qu'il fu adjourné. 3288 Mais mar vit pour li ce jour né,
Qu'entre les flos vit Leandon
Qui fioteloit a abandon.
Et quant de près le pot vèoir, 3292 Seur le corps se laissa chëoir
Au pié de sa tour droitement ;
Si l'embrassoit estroitement,
Forcenée et criant : « Haro ! » 3296 Einsi fina belle Hero,
Qui de dueil fu noie en mer
Avec son ami, pour amer.
Si qu'il n'est doleurs ne meschiez 33oo Dont cuers d'amans soit entechiez,
Qui soit de si triste marrien
Com celle qui n'espargna rien
Que Hero ne meïst a mort
3278 E mil — 3284 E puisse — 3286 E serge — 3287 E Jusques a ; D qui — 3288 DE mal — 3289 AB leandont; D leandus — 3290 D fl. la mer dessus — 3291 D Quant elle pot de près veoir; Ce vers et le suivant sont intervertis dans D — 3293 A piet ; D doucement — 3294 M lembrassa- D lembracha — 3296 Hero manque dans D — 3297 D se noya — 33oo manque dans D; FM damant; M entechief — 33oi BDE merrien — 33o2 manque dans D ; B nespargne; E nespairgne.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 23 I
33o4 Pour son ami qu'elle vit mort,
Ne nuls n'en porroit par raison
Faire juste comparison,
Ne que de fiel encontre baume. 3 3o8 Et pour ce je vous lo, Guillaume,
Que cils debas soit en déport ;
Car vraiement, vous avez tort. »
Guillaume.
« Damoiselle, se tort avoie, 33 12 Bien say que condempnez seroie
Nom pas par vous ; car l'ordenance
Ne doit pas de ceste sentence
Estre couchie en vostre bouche, 33 16 Pour ce que la chose vous touche;
Eins la doit pronuncier le juge
Qui a point et loyaument juge.
Mais j'ay le cuer moult esjoy 3320 De ce que j'ay de vous oy ;
Car c'est tout pour moy, vraiement. »
SOUFFISSANCE.
« Pour vous, biau Guillaume? Et comment? »
Guillaume.
« Damoiselle, or vueilliez entendre, 3324 Et je le diray, sans attendre: Quant Amours si fort enlassoit Leandus, que la mer passoit A no, sans batel n'aviron,
33o5 D ne — 3307 D Ne quel fiel ; BDE basme — 33o8 D v. pri — 33 1 3 D lordrenance — 33 1 5 FMDE touchie — 3 3 16 F nous — 33 1 7 D E. le — 33 1 8 et manque dans D — 332o E que je de vous oy — 332i manque dans D — 332 2 Et manque dans D — 3325 E en laissoit ; D lenlachoit — 3326 M Leandon ; MDE qui.
.252 LE JUGEMENT HOU ROY DE NAVARRE
3328 A la minuit ou environ,
Li fols qui tant y trespassa Que d'amer en mer trespassa, Il fist trop plus et plus souffri
3332 Que Hero qui a mort s'offii, Considérés les grans péris, Ou il fu en la fin péris, Que ne fist Hero pours'amour,
3336 Non contrestant mort ne clamour. Car cils qui fait premièrement Honneur, on dit communément Qu'il a la grâce dou bien fait,
3340 Nom pas cils a qui on le fait; Et plus va a amour tirant- Cils qui preste que cils qui rant. Einsi est il de tous services
3344 Et aussi de tous maléfices :
Car qui d'autrui grever se peinne, Certes, il doit porter la peinne. Si que, ma chiere damoiselle,
3348 Qui moult amez honneur la belle, Vous devez bien, a dire voir, De ce cop ci honneur avoir. Car bien et bel et sagement
3352 L'avez dit; et certeinnement,
Dieus pour moy dire le vous fit, Car j'en averay le profit.
« Si que, gentils dame de pris, 3356 Je croy que bien avez compris L'entention des deus parties.
332.S A mienuit — 3332 E souflri — 3338/) On di honneur c. : A dist — 333g D Qui la grâce — 334! M plus na — 3342 D ou cil — 3345 D poine ; id. 33^6 — 335o ce manque dans F; BDE De ce coste h. — 3354 FM pourfit — 3357 E de.
LE JUGEMENT DOU -ROY DE NAVARRE UJ
Et se celles qui ci parties
Sont contre moy vuelent plus dire, 336o Ce ne vueil je pas contredire.
Mais j'en ay dit ce qu'il m'en samble,
Présent elles toutes ensamble,
Et tant, que je ne doubte mie 33Ô4 Que n'aie droit de ma partie. »
La Dame.
Adont la dame souvereinne,
Des douze droite cheveteinne
Qui avoient parlé pour li, 3368 Dont au juge moult abelli,
Prist a dire tout en oiant :
« De riens ne me va anoiant
Ce qui est fait de nostre plait, 3372 Mais moult souffissanment me plait,
Et bien m'en vueil passer atant.
Sires juges, jugiez atant
Que sentence sera rendue. 3376 Je suis de moult bonne attendue
Pour attendre vo»tre jugier,
Quant il vous en plaira jugier.
Bon conseil avez et seiir, 338o Bien attempré et bien meur.
S'alez, s'il vous plaist, a conseil,
Je le lo einsi et conseil,
Et vous consilliez tout a trait. 3384 Faire ne pouez plus biau trait
Que de traitablement attraire
335g M veillent — 336o D Si; BE Se — 336i FMBDE qui
— 3363 M ne me doute — 3366 F douzes — 3370 D men ; H vat — 3371 Ai vostre — 33j2 E souffissant — 3374 MBDE S. juges jusques atant — 3377 FD nostre; E vo jugement
— 3378 E Que faire deuez bonnement — 338 1 D pi. con- seiller.
2 54 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Bon conseil, et puis de retraire
Les articles dou jugement, 3388 Selonc le vostre entendement,
En gardant toudis vostre honneur.
Faire le devez, mon signeur.
Et vous estes bien si vaillans 33p2 Que point n'en serez defaillans. »
L'Acteur.
Li juges qui bien l'escouta
Ses paroles si bien nota
Qu'a entendre pas ne failli. 3396 Tantost son conseil acueilli,
Et puis de la se départirent.
Or ne sceus je pas qu'il deïrcnt
En leur secret, quant a présent, 3400 Mais assez tost m'en fist présent
Uns amis qui tant bien m'ama
Que de tous poins m'en enfourma,
Nom pas par favourableté, 3404 Mais de sa debonnaireté,
Afin que point ne variasse
Et que de riens ne m'esmaiasse,
Par quoy je preïsse manière 3408 Uniement toudis entière;
Qu'autel samblant dévoie faire
Dou droit pour moy com dou contraire.
Or me fonday seur ce propos ; 3412 S'en fu mes cuers plus a repos.
3386 BDE Son ; FMBDE le r. ; À le contraire — 3388 A nostre — 338g AB nostre — 33gi D si bien — 33g2 Après ce vers on lit dans AFMBE le juge, D Guillaume — 3394 E Les — 33g5 M Quen; DE point — 3396 E a accueilli — 3398 FB sceu; E ne ses je pas ; D que il dirent — 33gg BD en pr. — 3401 M auis; ABD amans — 3402 D Qui — 3404 E Jebonncurete — ^407 M pre* nisse — 3408 DE Viuement et t.; B toudis et eut. — 3412 Après ce vers on lit dans D Le juge.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2 DO
Quant a conseil se furent mis,
Li juges dist : « Je suis commis
A estre bons juges fiables, 3416 Aus deus parties amiables
Justement a point, sans cliner.
Si doy moult bien examiner
Trestout le fait par ordenence 3420 Qui appert en vostre audience,
Afin que loiaument en juge.
Einsi doivent faire bon juge.
Et vous vous devez travillier 3424 De moy loiaument consillier.
S'en die chascuns son plaisir,
Tandis corn nous avons loisir. »
Dont Avis dist tantost après, 3428 Qui fu de Congnoissance près :
« Avis sui qui doy bien viser
Comment je vous puisse aviser.
Car on puet faire trop envis 3432 Bon jugement sans bon avis.
« Je vous avis que bien faciez
Et que le contraire effaciez.
S'il vient par devant vostre face, 3436 Afin que point ne se parface,
En avisant seur quatre choses
Qui ne sont mie si encloses
Qu'on ne les puist assez véoir, 3440 Qui un po s'en vuet pourvëoir :
3415 E vos juges feables ; D vo juges; F hnables — 341 7 D Jugement; D s. cheir — 3418 E Si vous doy — 3420 A nostre — 3423 Vun des deux vous manque dans D; F vous nous; E nous nous — 3426 AB Toudis com non; D que nous; Après ce vers on lil dans D Auis — J427 Dont manque dans D; D en après — 343 1 D bien cnuis — 3432 DE Son — 3434 que manque dans D; E affacies — 3435 A Si bien; F Si vien — 3438 FD ci.
2 DO LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Se jugement avez a rendre,
Premièrement devez entendre
De savoir quels est li meffais 3444 Et a qui il a esté fais.
Et si devez aussi savoir
Et enquérir, par grant savoir,
Quant vous saverez le forfait 3448 Et a cui cils l'avera fait,
Que vous sachiez dou tout l'affaire,
Quel cause l'esmuet ad ce faire.
Or avez d : quatre les trois. 3452 Et li quars est li plus estrois
Auquel on doit bien regarder,
Comment on le puist bien garder :
C'est que vous metez vostre cure 3456 En sieuir les poins de droiture
Ou coustume attraite de droit ;
Si jugerez en bon endroit.
Plus n'en di. Qui vuet, si en die. 3460 J'en ay assez dit ma partie. »
CONGNOISSANCE.
Congnoissance qui avisa Les poins qu'Avis bien devisa Dist en haut : « Avis, mes amis, 3464 A orendroit en termes mis
Aucuns poins qu'il a devisé, Les quels j'ay moult bien avisé, Pour quoy dont je sui Congnoissance
3443 ADE Ce — 3445 D aussauoir voir — 3446 M Ou; D Enquérir et par — 3447 D Et quant v. scaures — 3448 D Et a qui il aura este fait — 3430 E Que cause les muet — 3453 MBDE micx reg. — 3^b^BDE les ; D pueut — 3435 D cuer — 3456 A A; ED suir; M Densuir; 6E11 ensuir ; E En ensuiuir; A nature — 3457 BDE atlroitte — 3409 D d\ siveult— 3463 Dauis mest auis — 3464 D Orendroit a; E Orendroit en t.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARR
3468 Qui donne a bon avis substance
Pour deviser ce qu'il devise,
De quoy la bonne gent avise.
Je fais le sens d'Avis congnoistre, 3472 Et il fait Congnoissance croistre
Par le courtois avis qu'il donne
De son droit a mainte personne.
Juges, se vous apointerez 3476 Comment seûrement tenrez
D'avis les poins et les usages.
Faites le, si ferez que sages.
Et de moy qui sui sa compaingne 3480 Entendez que je vous enseingne :
On a ci ce plait démené,
Tant qu'on l'a par poins amené
Jusques au jugement oïr. 3484 Resgardez qui en doit joïr.
Jugiez selonc le plaidïé
Qu'on a devant vous plaidïé.
Par ce point ne poez mesprendre; 3488 Car s'on vous en voloit reprendre,
Li plaidïers aprenderoit
Le scens qui vous deffenderoit.
Jugiez einsi hardiement 3492 Et le faites congnoissanment
Au condempné bien amender;
Vous le pouez bien commander.
Je, Congnoissance, m'i acort ; 3496 Et s'en preng aussi le recort
De Mesure qui la se siet
3468 a bon manque dans E — 3471 E foiz — 3472 D Et si fai — 3475 ^4FJugiez — 3477 D Auis — 3478 D les — 3481 D le plait — 3485 FM J. en s. — 3486 E Nom pas selon le demene {en marge) — 3488 vous manque dans D — 3489 D Le plaidie les apprendroit — 3490 D qui vous en deftendroit; E deffau- droit.
Tome I.
«7
2 38 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Lez Raison, et moult bien li siet, Et Raison aussi en dira 35uo Ce qui bon li en semblera. »
Mesure.
Adont s'est Mesure levée,
En disant : « Ma tresbien amée
Congnoissance, dire ne vueil 35o4 Riens qui soit contre vostre vueil,
Eins sui moult très bien acordans
Ad ce qu'estes ci recordans.
S'en parleray a vostre honneur 35o8 Au juge, ce noble signeur,
Qui est courtois et amiables,
Sages, vaillans et honnourables. »
Lors tourna devers li sa chiere 35 12 De si amoureuse manière,
Qu'il ne s'en pot tenir de rire.
Et Mesure li prist a dire :
« Biau sire, bien eùreus fustes 35 1 6 Dou conseil que vous esleiistes.
Vous avez tout premièrement
A Avis bel commencement,
Qu'on faurroit bien en court roial 352o D'avoir conseil aussi loial.
Je ne di pas qu'aucune gent
Ne moustrassent bien aussi gent
Conseil et aussi bien baillié 3524 Et d'aussi bel parler taillié.
Mais vëons la condition
D'Avis selonc s'entention :
Il donne conseil franc et quitte
3498 BDE i sict — 35oo MD que — 35o6 E si — 35o8 F de noble — 35 11 BDE lui — 35 12 D matière — 35i8 A Auis ; M Dauis; Mss. si bel (E ci bel) — 35io, E sauroit — 3522 M monstrasse.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 209
3528 Et n'en attent autre mérite,
Fors ce que li juges tant face
Qu'il en ait pais, honneur et grâce.
Et Congnoissance, sa compaingne, 3532 A tel salaire s'acompaingne,
Sans demander nulle autre chose.
Dont loiaus juges se repose
Qui de tels gens est consilliez. 3536 Sire, s'en devez estre liez.
Comment qu'il aient dit a point,
Se passeray j'outre d'un point
Qu'Avis avoit bien avisé — 3540 Et se ne l'a pas devisé —
Et Congnoissance congnëu.
Mais il s'en sont en cas dëu
Pour moy porter honneur, souffert; 3544 Dont de moy vous sera offert,
Pour ce que j'ay bien entendu
Qu'il s'en sont a moy attendu.
Mais einsois averay ditté 3548 D'un petit de ma qualité.
« Je sui Mesure mesurée,
En tous bons fais amesurée,
Et aussi sui je mesurans, 355 2 Ferme, seure, et bien durans
A ceuls qui vuelent sans ruser
Justement de mesure user ;
Et qui non, aveingne qu'aveingne, 3556 De son damage li souveingne.
Dont uns maistres de grant science
352g D Fors tant que — 3537 -F" qui ; E ait — 3544 M moy veu sera — 3546 E en moy — 3547 D e. maura d. ; E auoie — 3552 E seurs — 3553 Mss. Et — 3554 D ouurer — 3555 E quamenne.
260 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Et de très bonne conscience A un sien deciple enseingne 356o Et li moustre de moy l'enseingne, Disant : « Amis, je te chastoy : Se tu ne mes Mesure en toy, Elle s'i mettra maugré tien. 3564 Geste parole bien retien. S'elle s'i met, tu es péris ; Se tu l'i mes, tu es garis. » Or vueil passer les poins tout outre 3568 Qu'Avis et Congnoissance moustre. Il ont servi courtoisement De leur bon conseil largement, Si comme on sert a un mengier, 3572 Sans rien d'especïal jugier; Et de ce qu'il ont bien servi, Dont il ont grâce desservi, J'en vorray l'escot assener, 3576 Et a chascun son droit donner. Guillaumes qui en ses affaires Soloitestre si débonnaires, Si honnestes et si courtois, 358o Enclins aus amoureus chastois, A attenté contre Franchise, Et tout de sa première assise, Quant ma dame a point l'aprocha 3584 Dou fait qu'elle li reprocha, Et il s'en senti aprochiez A juste cause et reprochiez. Il ala avant par rigueur, 3588 Et se mist toute sa vigueur
3559 MBDE Un sien disciple <D deciple) lensaigne (BM li cns.) — 356i Z)chatay — 3563 D m. toy — 3565 FD honnie — 356K D a congn. — 35yi E c. len — 35j2 M mengier — 35j5 E le sort ass. — 358o DE enam. — 358i D Atcnte.
LE JUGEMENT HOU ROY DE NAVARRE 2Ôl
Pour lui deffendre encontre li.
Cils poins fort me desabeli,
Pour ce qu'il se desmesura : 3592 Par ces raisons de Mesure a
Les règles et les poins perdus,
Dont il sera moult esperdus,
Quant a moy le retourneray; 3596 Car d'onneur le destourneray,
Quant Congnoissance li dira
Le meffait que fait avéra.
Il deùst avoir mesuré 36oo L'estat dou gent corps honnouré
De celle dame souvereinne ;
Qu'en tout le crestïen demeinne
N'a homme, s'il la congnoissoit, 3604 — C'est bon a croire qu'einsi soit —
Qui hautement ne l'onnourast
Et qui de lui ne mesurast
Humble et courtoise petitesse 36o8 Au resgart de sa grant noblesse.
Dont Guillaumes est deceiis,
Quant il ne s'en est perceus.
Car trop hautement commensa, 36 12 Dont petitement s'avansa,
Pour bien sa cause soustenir;
Eins est assez pour lui punir.
Or vëons au fait proprement 36 16 Dès le premier commencement,
Pour bien deviser les parties,
Comment elles sont départies,
A savoir la quele se tort :
3590 A poins ci me d. — 3591 E desmeursa — 3592 D Par raisons desmesurees a; BM ses; Bl desmesure — 35g6 D lui descouurerai — 36o3 MBDE si la — 3604 E quauise — 36o5 M lenclinast — 36o6 A de li; D mesmat — 3607 E et courtoisie p. — 36 12 M sauisa — 3614 A li — 36i5 D ou — 3619 D a tort.
2Ô2 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
3620 Je di que Guillaumes a tort;
Car de tous les crueus meschiez
La mort en est li propres chiez ;
A dire est que tous meschiez passe, 3624 Et pour ce que nuls n'en respasse ;
Car on se puet trop mieus passer
De ce dont on puet respasser.
Plus ne vueil de ce fait espondre, 3628 Car j'ay assez, pour lui confondre,
D'autres choses trop plus greveinnes,
Simples, foies, vuides et veinnes.
<( Sires juges, or m'entendez : 3632 Pour la fin a quoy vous tendez,
De rendre loial jugement,
Je vueil un po viser, comment
On a alligué de ce plait. 3636 Et vous meïsmes, s'il vous plait.
Un petit y resgarderez,
Si que mieus vous en garderez
De jugier autrement qu'a point. 3640 Car vous congnoisterez le point
De quoy justice est a point pointe,
Quant juges sus bon droit s'apointe.
Je vueil que vous soiez certeins 3644 Que Guillaumes doit estre attains
De son plait en celle partie
Ou sa cause est mal plaidoïe,
Non obstant ce qu'en tous endrois 3648 Par tout est contre lui li drois;
3621 M le — 3623 est manque dans MBD — 3624 .£) râpasse — 3625-6 manquent dans E — 3625 D on ne p. — 362b FD rapasser — 3627 B nen — 3629 F greueingnes — 3635 D On a la ligne; E Ou a aligne; FMB allègue — 3636 M si — 3641 M et a point — 3642 E sus bon point ; D sur lcndroit — 3645 E ceste — 3646 FM plaidie — 3648 De. lui roys.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 200
Dont ma dame a tout sormonté,
Tant dou plait com de la bonté
De sa querelle qui est toute 3652 Mise en clarté et hors de doute.
Ma dame, par ses damoiselles,
A alligué raisons très bêles
Et toutes choses véritables, 3656 Fermes, seùres et estables,
Toutes traites de l'escripture
Et ramenées a droiture.
Mais qui toutvorroit deviser, 366o Trop y averoit a viser.
Et d'autre part, chose est certeinne,
Que la court en est assez pleinne
De tout ce qu'on a volu dire 3664 De par ma dame, sans mesdire ;
Si que de ma dame me tais.
Et de Guillaume, qui entais
A esté d'alliguer s'entente, 3668 Parleray — car il me talente — ,
De son plaidié seulement,
Et se m'en passeray briefment,
Foy que devez tous vos amis. 3672 Vëons qu'il a en terme mis :
Dou clerc qui hors dou scens devint,
A il prouvé dont ce li vint,
Que ce li venist de sa dame? 3676 Sires juges, foy que doy m'ame,
Il n'en a nulle riens prouvé;
Se li doit estre reprouvé.
Et dou chevalier qui par ire,
3652 D M. au cler — 3654 D A aligne; M alligner — 366o D auroit a auiser — 3662 en manque dans D — 3663 E quen — 3667 D Este a dalignier ; E sentence — 3668 D Par le roy — 367 1 Tatous les vos amis — 3672 MBD termes — 3677 E nulles — 3678 M Ce ; D Celui d.
264 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
368o Pour ce qu'il ne se volt desdire,
Copa son doy a tout l'anel,
Il fist en s'onneur un crenel
De honte pleinne de sotie 3684 Avec très grant forcenerie,
Quant a sa dame l'envoia.
Car bien croy qu'il li enuia ;
Au mains li dut il ennuier 3688 D'un si fait présent envoier.
Car quant dame son ami aimme,
Dou droit d'Amours pour sien le claimme
Et puet clamer, ce m'est avis. 3692 Or resgardons sus ce devis,
Comment li chevaliers meffist :
Ce qu'elle amoit, il le deffist,
Quiestoit sien dou droit d'Amour. 3696 Dont je fais ci une clamour
Contre Guillaume de ce fait,
Que avis m'est qu'il n'a riens fait,
Car cils poins qu'il a mis en prueve 3joo Sa cause punist et reprueve.
Et aussi de la Chastelainne
De Vergi, a petite peinne
Assez reprouver le porray 3704 Par les raisons que je diray :
Li fais que Guillaumes soustient,
Sire, vous savez qu'il contient
Qu'amans, garnis de loiauté, 3708 Truist en sa dame fausseté.
Et sus ceste devision
3682 BEï. ensouuenir .1. cruel; D f. souuenir en son treul
— 3683 MD et de s. — 3686 DE qui lui — 3687 FMBDE deust
— 36gi M puest; E peust — 3694 M elle deffit; E la d.; D meffit — 3698 MBDE Car — 3702 D poine — 3703 M A assez ; A li — 3704 DPour — 3707 D Quamours — 3708 E Prinst — 0709 FBDE diuision.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 265
Il fait une allégation,
Pour prouver par un fait contraire : 3712 La Ghasteleinne débonnaire
N'avoit son ami riens meffait;
Mais il meïsmes fist le fait,
Pour quoy elle se mist a mort. 3ji6 Quant il le sceut, il se remort
Et se mist en la congnoissance
Qu'il y apartenoit vengence ;
Dont il meïsmes se juga, 3720 Punist dou tout et corriga.
Dont Guillaumes a par son dit
Pour son profit meins que nient dit.
Plus n'en di ; mais Raisons dira 3724 Ci après ce qu'il li plaira. »
L'Acteur.
A ces mos s'est Raisons drecie, Comme sage et bien adrecie,
Raison.
Disant : « Râlons en consistoire. 3728 La porrons par parole voire/
Ce m'est vis, bon jugement rendre,
S'il est qui bien le sache entendre. »
Atant de la se départirent. 3732 Es propres lieus se rasseïrent
Ou il avoient devant sis.
Lors dist Raisons par mos rassis:
« Sires juges, certeinnement 3736 Chose n'a sous le firmament
3710 D Li fist — 371 1 un manque dans D — 3716 M Qu. il se il sceust; D sot — 3718 FB Qui ly ; E Qui lui ; D Quil lui — 3723 £ di mains r. — 3724 B qui li ; DE qui lui. Après ce vers on lit dans D Raison — 3725 D drecee — 3726 D auisee — 3729 E auis — 3730 E quil le s. — 3732 D Et es... rassirent — 3735 ABDE Sire.
266 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Qui ne tende a conclusion :
Les unes a perfection
Pour pluseurs cas de leur droit tendent ; 3740 Et si a autres qui descendent
De haut ou elles ont esté
En déclinant d'un temps d'esté
En l'iver qu'on dit anientir. 3744 Dont cils plais désire a sentir
De droit conclusion hastive
Par sentence diffinitive,
Pour ce qui est bien pris parfaire 3748 Et ce qui est mal pris deffaire.
Et il est temps, vous le savez,
Que désormais dire en devez,
Ou ordener qu'on en dira. »
Le Juge.
3752 « Raison, dame, ne m'avenra
Que j'en die, quant ad présent.
Mais je reçoy bien le présent
D'ordener. Et de m'ordenance, 3736 Mais qu'il soit a vostre plaisance,
Dites en et tant en faciez
Que le tort dou tout effaciez,
Et metez le droit en couleur 3760 De toute honnourable honneur,
Qui savez en tels couleurs teindre
Ou nuls, fors vous, ne puet ateindre. »
Guillaume. Lors Raisons un po s'arresta
3742 Ma. le temps— 3743 £ amentir; D anientis — 3744 E Du — 3745 M droite — 3747 D bien pour faire — 3748 D quil — 3749 A bien le s. — 3750 Que effacé par B' ; BF desores mais; E De desores maiz — 3753 j manque dans E — 3754 BD je croy; E je crois — 3757 BDE en de tant — 3761 MBDE tel couleur.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 267
3764 Et puis sus destre s'acota,
En regardant devers senestre, Pour mieus aviser de mon estre.
Raison.
Se me dist : « Guillaume, biau sire, 3768 Vous avez piessa oy dire
Que c'est folie d'entreprendre
Plus que pooirs ne puet estendre.
Et toute voie, s'on emprent 3772 Aucun fait de quoy on mesprent,
S'on s'en repent au moien point,
Encor y vient il bien a point.
Mais qui son forfait continue 3776 Et dou parfaire s'esvertue
Jusqu'à tant qu'il vient au derrièn,
Et a ce point ne trueve rien
Fors que son dueil et son damage, 3780 Se lors recongnoist son outrage,
Il vient trop tart au repentir.
Guillaume, sachiez sans mentir,
Qu'ensement avez vous ouvré. 3784 S'en avez un dueil recouvré
Qui vous venra procheinnement,
Et se vous durra longuement,
Voire, se ne vous repentez. 3788 Mais je croy que vous estes telz
Que vous ne le deingneriez faire.
Car trop fustes de rude affaire,
Quant la dame vous aprocha 3792 D'un fait qu'elle vous reprocha
3764 BDE sur coste sacosta (D saconta) ; F saconta — 3767 ^iFbiaus — 3774 D Encore ; MD il vient; B' , v. on b. — 3776 D du parfait; A continue — 3777 E Jusques; M viengne; A dar- rain ; DE derrain — 3780 D courage — 3786 F duerra — 3787 DE se vous vous r. — 3789 ne manque dans D — 3792 D Du.
268 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Que fait aviez ou temps passé.
Se vous eussiez compassé
En vous aucune congnoissance 3796 Qui fust signes de repentence
De ce que vous aviez mespris
Contre les dames de haut pris,
Vous eussiez fait moult que sages. 38oo Car d'Amours est tels li usages
Que s'aucuns des dames mesdit,
S'il ne s'en refreint et desdit,
Amender le doit hautement 3804 Ou comparer moult chierement.
Or de ce meffait premerein
Vous di de par le souverain
Amours, qui est maistres et sires, 38o8 Des plaies amoureuses mires:
Jugemens en est ordenez
Dou quel vous estez condempnez,
Si qu'amender le vous couvient: 38 12 Hastivement li termes vient.
Encor vous puis je commander
Si qu'il vous couvient amender
Un autre fait qui me desplait, 38 16 De ce que vous prenistes plait
Contre dame de tel vaillance
Et de si très noble puissance,
Que je ne say haute personne, 3820 Tant com li siècles environne,
Prince ne duc, conte ne roy,
Qui osast faire tel desroy,
3794 F eussez; D eussiez bien c. — 3795 F nous — -$799 manque dans B, ajouté par B' ; D f. bien que — 38oo D est tout li vs. — 38o2 MBE Si — 38o6 D Vous di je par — 3807 D Amant — 38o8 F amoureus — 38io M Enquel — 38i3 D demander — 3814 Af Ce ; -BE Se — 38 1 6 D prenes le pi.; F prenitez; E preintes.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2bg
Guillaume, comme vous feïstes 3824 Dou plait qu'a li entrepreïstes,
Et meïstes force et vigueur
En aler avant par rigueur.
Einsi l'avez continué ; 3828 S'avez vostre sens desnué
De courtoisie et d'ordenance.
Se ce ne fust la pacience
Qui est en li, vous perdissiez 3832 Tant qu'a meschief le portissiez. »
Guillaume.
Quant j'oy ce, je fui dolens; Mais je ne fui feintis ne lens De li demander humblement 3836 Qu'elle me devisast briefment De la dame la vérité D'un petit de sa poësté.
Raison.
Lors dist : « Guillaume, volenticrs. 3840 Mais je n'en diray hui le tiers,
Non mie, par Dieu, le centisme.
Car dès le ciel jusques en bisme
Ses puissances par tout s'espandent, 3844 Et de ses puissances descendent
Circonstances trop mervilleuses,
Et sont a dire périlleuses,
Qui s'apruevent par leur contraire. 3848 Par ces raisons s'en couvient taire
3825 E Et me feistes — 0826 D En alant — 3829 D dordre- nancc — 383o E Et se ne feust — 3832 F porrissies — 3838 D pooste; BE poète — 3839 E G. moult v. — 3841 FMBDE la c. [B' rétablit le); A centiesme — 3842 D Que ; B' jusquen abisme ; D en abisme — 3843 D sestendent — 3844 B ces — 3846 manque dans B, ajouté par B' — 3847 BD Qui sapprennent — 3848 i?£ ses.
•1~(J LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Pour les entendemens divers Qui sont aucune fois pervers. La dame a nom Bonneiirté 3852 Qui tient en sa main Seûrté En la partie de Fortune ; Car il n'est personne nesune Cui Fortune peust abatre, 3856 Se la dame le vuet debatre. Et quant elle vuet en Nature Ouvrer par especial cure, La la voit on sans nul moien, 386o Voire, li astronomien
Qui congnoissent les nacions Parmi les constellations, C'est assavoir es enfans nestre 3864 De quel couvine il doivent estre. Dont, quant la chiere dame règne Et uns enfes naist en son règne, Se Bonneurtez l'entreprent, 3868 Nature point ne l'en reprent,
Eins l'en laist moult bien couvenir, Comment qu'il en doie avenir. Voirs est que Nature norrit 3872 Par quoy li enfes vit et rit ; Et Bonneurtez le demeinne Tout parmi l'eureus demainne, Tant qu'il est temps qu'en lui appere 38j6 Que de Bonneiirté se père.
« Or sont celle gent si patent, Dont elle est en euls apparent
385o DE aucunes — 3854 F y ncst — 3855 B' Que; E peut — 3859 F nu's — 386 1 D mocions — 3868 E le — 3869 moult manque dans E — 3870 manque dans BD: E Et faire du tout son plaisir — 3873 manque dans B, ajouté par B' — 3874 E le meus {sic) — 3875 MBE qua ; D apparc — 3876 D pare.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 27 I
Parmi le bien qu'il en reçoivent, 388o Arin que ne lui n'en déçoivent.
Or vous vueil je dire en appert
En quels manières elle appert,
En aucunes, nom pas en toutes ; 3884 Et si ne faites nulles doubtes
Des paroles que j'en diray;
Car de riens ne vous mentiray.
Elle appert en prospérité 3888 Et en issir de povreté;
Elle appert en acquerre amis
Et en punir ses anemis
Par victoire, sans nul tort faire ; 3892 Elle appert en tout bon affaire :
Et quant elle appert en amours,
C'est quant amans, par reclamours,
Par servir ou par ses prières 3896 Et en toutes bonnes manières,
Puet en pais de dame joïr
Dou droit especial joïr
Qu'amours donne de sa franchise. 3goo La est Bonneiirtez assise
Entre ami et loial amie
Qui ne vuelent que courtoisie
Et ont par certeinne affiance 3904 Li uns a l'autre grant fiance.
La les tient elle en moult grant point.
Elle est a tous biens mettre a point;
S'en est moult plus gaie et plus cointe ; 3908 Elle est de tous les bons acointe.
Elle appert en mains esbanois,
3878 D Quant ; E celle — 388o E deceuoient — 3882 BM quel manière ; E Comment elle euure de son art — 3884 FME Et ce; BD De ce — 3887 et 388g Mss. Il — 38gi BF nulz tort ; A sans accort f. — 3897 DE ou pais ; A dames — 3<jo4 D Lun a 1. tresgrant f. — 3908 A les biens.
■Zf-l
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Tant en joustes comme en tournois,
Pour chevalerie essaucier 3g 12 Et les fais des bons avancier
A la congnoissance des dames.
La croist honneurs ; la chiet diffames.
Car tels a esté diffamez 3916 Qui puis est chieris et amez
De ceuls qui ains le diffamoient,
Pour ce qu'apertement vëoient
Qu'il met son corps en aventure ; 3920 Dont tels fois est qu'il aventure
Dou fait d'armes qu'il a empris,
Tant qu'il vient au souverein pris.
Einsi Bonneûrtez avance 3924 Les siens de sa haute puissance.
« Se Bonneiirtez par nature,
Par fortune ou selonc droiture,
Appert en la chevalerie, 3928 Elle appert aussi en clergie :
La tient elle honneur en ses mains.
A l'un plus et a l'autre meins
En fait ses larges départies ; 3932 S'en donne les plus grans parties
A ceuls qui tiennent mieus l'adresse
Ou Bonneûrtez les adresse.
Aussi appert elle en science, 3936 Et se s'enclôt en conscience,
Pour garder ceuls aucune fois
En cui est pais et bonne fois,
390g ajouté par B' dans B — 3910^/com — ^914 A cr. hon- neur; D la het d — Sgiô^/Qui plus— 3917 E la — 3918 BDE Pour ce (ce manque dans BD) que congnoissaument v. (E voient) — 3925 BD Le;E Debonneuretes — 3g32 E donnes — 3934 FE En — 3g35 B Enssi ; E Ainssi — 3g37 EB aucunes — 3g38 E bonnes foiz.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 27D
Qui n'ont pas par voie autcntique 3940 Mis leur scens en fourme publique,
Eins sont sage secrètement.
La se tient elle closement ;
La li tiennent grant compaingnic 3944 Loiaus secrez et bonne vie.
La se vuet elle reposer
Et les cuers a point disposer
En la vie contemplative. 3948 Or revient par la voie active
Pour esmouvoir ceuls de parler
Qui tiennent volentiers parler
Des biens de contemplation ; 3q52 Dont maint, par bonne entention,
S'enclinent si a sa doctrine
Que chascuns par soy se doctrine
D'estre diligens et hastis 3956 De devenir contemplatis.
Que vous iroie je contant?
Bonneiirtez a de bien tant
Que jamais n'aroie compté 3960 Le centisme de sa bonté.
Dont au monde n'a grant signeur
Ne dame, tant aient d'onneur,
Qu'il ne leur fust et bel et gent, 3964 S'estre pooient de sa gent.
Atant m'en tais; je n'en di plus,
Mais que venir vueil au seurplus
3r)3g BDE antiquité ; B' corr. en autcntique — 3940 BE leurs — 3g43 li manque dans E — 3g44 B a bonne vie : E cest b. vie — 394.S F voult — 0946 a manque dans D — 3948 A la vie a. — 3g53 B Enclincnt; E Enclinoient; M ci — 3g58 Mss. En bon. [B En ben.) ; AM biens — 3g6o D La; BE centiesme — 3962 D dames; B' aie — 3963 AFBD Qui — 3964-5 sont intervertis dans D — 3965 D di meut — 3g66 D Mais au seurplus venir je tent.J
Tome I. 1*
274 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Des deus poins dont condempnez estes; 3968 Et s'ay mes raisons toutes prestes Dou tiers point que je vous diray, Dou quel je vous condempneray.
« Il est bien véritable chose 3972 Que, s'aucuns a un plait s'oppose,
S'il se trait a production
Et il vient a probation,
Se s'entention bien ne prueve, 3976 Vérité de droit li reprueve
Qu'il en doit estre condempnez.
Cils drois est de si lonc temps nez,
Qu'il n'est mémoire dou contraire. 3980 Or vëons a quoy je vucil traire,
Et s'entendez bien a mon dit :
De quanque la dame vous dit
De son fait, vous vous opposastes 3984 Et dou prouver vous avansastes.
Mais vous avez si mal prouvé
Qu'il vous doit estre reprouvé
A vostre condempnation, 3988 Selonc la mienne entention.
Vous n'avez ci dit que paroles
Qui sont aussi comme frivoles.
Belles sont a conter en chambre, 3992 Mais elles ne contiennent membre
Dont pourris vous peiist venir
Pour vostre prueve soustenir.
Et si avons si bien gardé 3996 Com nous poons, et regardé,
Pour quérir loyal jugement.
3968 D jai — 3973 E producion — 3975 DE Et — 3976 MBDE le — 3980 M veoions — 3984 A dou premier; D annun- castes — 3988 D moie — 3992 D nombre — 3993 D p. en peust — 3996 D Que.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 2"jb
S'il vous plaist a savoir comment, On vous en dira les parties, 4000 Comment elles sont départies,
Et de vostre erreur tous les poins. Et se vous veëz qu'il soit poins Qu'on vous die vostre sentence,
4004 Se nous dites que vos cuers pense; Qu'il vous en plaist, on le fera
Si a point que bien souffira. »
Guillaume.
« Dame, bien vous ay entendu, 4008 Et s'ay bonne pièce attendu
Que je fusse sentenciez.
Se vous pri que vous en soiez
Diligens de moy délivrer, 4012 Quant a ma sentence livrer.
Dès que mes fais est si estrois
Que je doy des amendes trois
Et qu'autrement ne puet aler, 4016 Je n'en quier plus faire parler. »
Raison.
« Guillaume, soiez tous certeins
Que de droit y estes ateins ;
Se n'en serons point negligens. 4020 Or soiez aussi diligens,
Et puis maintenant vous levez
Pour faire ce que vous devez
Vers celui qui pour juge siet. 4024 S'en fera ce que bon l'en siet.
3998 BE assauoir — 3999 en manque dans E — 4001 D tous le point — 4002 D Et se vees tous les poins — 4oo3 E Quen —
4005 D Qui., on lessera — 401 1 F Deligens — 4015 M nen — 4016 D pas f. — 4018 D en estes — 4019 M Sen nen — 4020 F deligens — 4024 D bon lui siet.
27O LE JUGEMENT DOU ROT DE NAVARRE
Dès or mais a lui appartient,
Car tout le droit en sa main tient. »
Guillaume.
A ce mot au juge en alay 4028 Et d'un genouil m'agenouillay.
La li presentay je mon corps
Par si couvenable recors,
Comme je peus et li sceus dire; 4032 Dont il prist un petit a rire.
Lors pris mes gans, si li tendi;
Dont il qui bien y entendi
Les prist, et puis si les laissa ; 4o36 Après un po se rabaissa,
Si que secondement les prist,
Puis les laissa, puis les reprist,
En signe de moy moustrer voie 4040 Que trois amendes li dévoie.
Moult bien le me signefia,
Et pour vérité m'affia
Qu'il les me couvenroit paier. 4044 Lors me dist il, sans delaier,
Que je me râlasse sëoirT
Car il se voloit pourvëoir
Quel pénitence il me donroit, 4048 Et que brief m'en delivreroit.
Lors près de la dame se trait, Et Raison aussi, tout a trait, A leur secret conseil se mist 4052 Et de bas parler s'entremist.
4028 D du — 4029 D A lui ; E présente — 4o3o FME couuena- blés — 4o3i F Com... et le sceu d. ; D et sceu dire — 4o33 E si les tendi — 4o36 E rebaissa — 4043 FMD Qui ; M conuenra ; E conuenoit — 4044 E dcloicr — 4048 D que bien men; M deliueroit ; BE deliuerroit -*- 4o5o Dt. adroit.
LE JUGEMENT DQU ROY DE NAVARRE 277
Mais a leur parler bassement
Pris un petit d'aligement, 1 Pour ce que je bien percevoie 4<d56 Que leurs consaus estoit de joie;
Car d'eures en autres rioient.
Et a ce droit point qu'il estoient
Au plus estroit de leur conseil, 4060 Avis me dist : « Je vous conseil
Que ceste dame resgardez
Et songneusement entendez
Aus drois poins de sa qualité. 4064 La verrez vous grant quantité
De sa grâce et de son effort.
S'en avérez le cuer plus fort
Pour endurer et pour souffrir 4068 Ce que drois vous vorra offrir. »
Lors li dis je : « Biaus dous amis,
Mais vous m'en faites le devis
Qui congnoissez de moult de choses
4072 Les apparans et les encloses ; Souvent en estes a l'essay, C'est une chose que bien say. » Adont dist Avis : « Ce vaut fait.
4076 Or entendez bien tout a fait :
Quant aus parties deviser,
Se bien vous volez aviser,
Elle a vestu une chemise 4080 Qui est appellée Franchise
Pour secrés amans afranchir
Et de Sobreté enrichir
En la partie de Silence
4057 D deuers lun lautre; E demes en autres — 4062 F soi- gneusement — 4067-8 sont intervertis dansE—^o68D quadroit —
4073 FM lassay — 4074 D chose bien le say — 4076 E tout le fait (sur rature) — 4078 D vous en voules — 4079 a manque dans FB, ajouté par B'\ A ot — 4082 D afranchir.
2~b LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
4084 Parmi Façon de Congnoissance.
Car pour tant qu'elle n'est veue,
Sa cause doit estre teiie.
Et sa pelice, c'est Simplesse 4088 Si souef que point ne la blesse,
Car elle est de Beniveillance,
Orfroisie de Souffissance,
A pelles de douce Plaisance 4092 Qui bons cuers en tous biens avance.
Et li changes qu'elle a vestu
Par très honnourable vertu
Fu fais de loial Acointance 4096 Et ridez de Continuance
A pointes de Persévérance
Egalment, sans desordenance.
Or est cils changes biaus et lez 4100 Et est de son droit appeliez
Pour certeinne condicion
Honneste Conversation.
Et la sainture qu'elle a sainte 4104 N'est pas en amours chose fainte,
C'est propre loial Couvenance,
Cloée de ferme Fiance.
Car qui couvenances affie, 4108 Neccessitez est qu'on s'i fie.
Et li mordans, pour ce qu'il poise,
Sert d'abaissier tençon et noise,
Si que jusqu'à ses piez li bat.
4086 BDE tenue — 4087 Fceste; D est — 4088 la manque dans M — 4089 A bniueillance (sic) ; F beniuellance ; ME bie- nueillance; BD bienuaillance — 4090 A/Orfroisiez; D Orfresie — 4091 FMBDE Appelles; A Appelle; B' Aperles ; D de souef p. — 4092 D bon cuer; D bien — 4093 BE chainses; D les chaus- ses., vestues — 4096 D continence — 4099 BDE chainses; Bl chainse ; M si chainges — 4108 qu manque dans FBE — 41 10 F Ser; Z)Sest; FM tensons — 41 1 1 A/qucs; FME jusquesa; FB ces.
LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE 279
41 12 Et si piet deffont maint débat
Entre amie et loial ami,
Quant aucuns amans dit : « Aimy !
De ma dame sui refusez; 41 16 Mais mes drois n'est pas abusez,
Car je croy bien qu'elle le fit
A s'onneur et a mon profit. »
Einsi si piet la gent demainne, 4120 Cui elle tient en son demainne ;
Car il sont chaucié d'Aligence,
Lacié a laz de Diligence.
Et s'a mis blans gans en ses mains, 4124 Li quel sont fait ne plus ne mains
Entre Charité et Largesse,
Dont elle départ la richesse
D'Amours qu'on ne puet espuisier 4128 Ne par nul jour apetisier.
Plus en prent on, plus en demeure
De jour en jour et d'heure en heure.
Dou mantel vous vueil aviser 4132 Comme il est biaus a deviser,
Et mieudres que biaus qui s'en cuevre
Par dit, par maintien et par ouevre.
Lainne de bons Appensemens 41 36 Avecques courtois Parlemens,
Scienteuse Introduction
Et amiable Entention
4112D dcffent — 411 3 D E. ami — 41 iG D nest mie — 41 17 le manque dans F — 4118 D A souuenir de mon proutit
— 41 19 D cil pie; BE silz piez; FM piez — 4121 A chauciet
— 4122 F deligence — 4123 FM sa uns bl., coi-r. dans M en mis — 4124 DE moins — 4126 D sa r. — 4127 BDE esprisier; Bl espuisier — 4129 A prent et plus — 4i3i F Son — 4132 M Com ; D il bien bcauz est d. — 41 33 D mendre... qui en c ; E qui son c. — 137 D Sentente introductions — 41 38 D entéri- nons.
280 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
Furent ensamble compilées, 4140 De Bonté proprement drapées;
Et de ces choses asamblant
Fu fais li dras de bon samblant,
Tains en une gaie couleur 4144 De très honnourable valeur
Qui est appellée Noblesse,
Et est fourrez de Gentillesse.
Or est Bonneurtez couverte 4148 Dou mantel, et est chose apcrte
Que par dessous tous biens enclôt.
Mais véritablement esclot
Quanqu"il a sous la couverture 41 52 Li apparans de sa figure,
Si comme, en sa fisonomie,
Li bien de toute courtoisie
Très souffissanment y apperent, 41 56 Dont ses damoiselles se perent.
Et elle est aussi bien parce
D'elles, sans estre séparée
D'elles et de leur bon arroy; 4160 Car elles souflissent pour roy
Et pour souvereinne royne.
Pour ces raisons vous détermine
Que Bonneurtez dou tout passe 4164 Toutes roynes et' trespasse.
Se je voloie sa coronne
Deviser qui est belle et bonne,
4109 FMBE compellces — 4141 AFMBE ses ; D en sam- blant — 4142 manque dans D — 4143 DE gente c; B goutee c. — 4144 BE Et de treshon. : D Et de hon. — 4148 et manque dans D; M m. qui est — 4149 E tous les biens — 41 5r D Quanque a dessous; MBDE sa couuerture — 41 53 BE phinosomic; D en la filosomie — 4167 D ninssi — 408 E Delez — 4160 F toy — 4162 A raison — 41G4 F royne — 416G F Deuisier.
LE JUGEMENT I>OU ROY DE NAVARRE 28 1
Trop longuement vous en tenroie ; 4168 Car je voy bien la droite voie Que leur consaus va a déclin. Atant pais de ce vous déclin. »
Guillaume.
Quant leur consaus fu affinez, 4172 Li juges s'est vers moy tournez,
Le Juge.
En disant : « Guillaume, par m'ame,
Itant vous di de par ma dame
Et de par raison ensement, 4176 Et je sui en l'acordement,
Que de trois amendes devez
Devisées, et eslevez,
Lesqueles vous devez sans faille 4180 Par jugement, comment qu'il aille.
Il vous couvient, chose est certeinne,
Faire un lay pour la premereinne
Amiablement, sans tenson; 4184 Pour la seconde une chanson
De trois vers et a un refrein
— Oëz, comment je le refrein —
Qui par le refrein se commense, 4188 Si comme on doit chanter a danse;
Et pour la tierce, une balade.
Or n'en faites pas le malade,
Eins respondez haitiement 4192 Après nostre commandement
4167 Dv. entendroie — 4168 E vois — 4169 ME leurs con- saulz — 4171 -FSE1 leurs ; £ asinez — 4172 s manque dans D ; ME cest — 4174 Mx. di je; par manque dans D — 4*7^ D Et de par mamie raison — 4176 Z) en accordoison — 41 81 Bch. et c. — 4185 a manque dans D — 4186 manque dans M — 41871e manque dans D — 4188 M DE en dance — 4190 DE ne — 419 1 M hastiuement.
28'2 LE JUGEMENT DOU ROY DE NAVARRE
De tous poins vostre entention ; Je fais ci ma conclusion. »
Guillaume.
Et pour ce que trop fort mespris, 4196 Quant a dame de si haut pris
M'osay nullement aastir
De plaît encontre li bastir,
Je, Guillaumes dessus nommez, 4200 Qui de Machau sui seurnommez,
Pour mieus congnoistre mon meffait,
Ay ce livret rimé et fait.
S'en feray ma dame présent, 4204 Et mon service li présent,
Li priant que tout me pardoint.
Et Dieus pais et honneur li doint
Et de paradis la grant joie 4208 Tele que pour moy la voudroie.
Mais pour ce que je ne vueil mie
Que m'amende ne soit paie,
Pour la paier vueil sans delay 4212 Gommencier un amoureus lay.
Explicit le Jugement dou Roy de Navarre contre le Jugement dou Roy de Behaingne.
4193 M nostre — 4197 B Mose; E Nose; F aestir — 4198 M contre — 4200 DE Machaut — 4202 D liure; M rimeyt — 4203 D Sen fais a ma dame pr. — 4208 D T. com — 4210 D Que marne ; F paiee — 42 1 1 F le.
Explicit : D Ci fenist; E Cy fine ; A leroy de n. ; M encon- tre; FBE du [B dou) bon roy de b. ; M au bon roy de b.
— «+»tH-'
LE LAY DE PLOUR
i
12
16
Qui bien aimme a tart oublie, Et cuers qui oublie a tart Ressamble le feu qui art Qui de legier n'esteint mie. Aussi qui a maladie Qui plaist, envis se départ. En ce point, se Dieus me gart, Me tient Amours et maistrie. Car Plaisence si me lie Que jamais l'amoureus dart N'iert hors trait, a tiers n'a quart, De mon cuer, quoy que nuls die. Car tant m'a fait compaingnie, Que c'est niant dou départ, Ne que jamais, par nul art, Soit sa pointure garie.
Les vers 1-71 manquent dans K avec le feuillet — 2 B cuer; Mss. en oublie — 5 C Ainsi — 6 E sen — 11 MCJ na tiers; E na tier — 1 3 E de comp. — 14 E Que ce nest nient du d. ; J Qui néant mains du d. — 16 .7 la.
284 LE LAV DE PLOTJR
II
Qu'envis puet on déraciner Un grant arbre, sansdemourer De la racine, 20 Qu'on voit puis flourir et porter Et ses branches croistre et geter,
En brief termine. Certes, einsi est il d'amer : 24 Car quant uns cucrs se vuet enter En amour fine, - Envis puet s'amour oublier, Einsois adès, par ramembrer, 28 A li s'encline.
III
Car l'iaue qui chiet desseure
La racine qui demeure
Fait renverdir et florir 3 2 Et porter fruit :
Tout einsi mes cuers qui pleure
Parfondement a toute heure
Acroistre mon souvenir 36 Fait jour et nuit.
Et c'est ce qui me deveure ;
C'est ce qui mon vis espleure ;
C'est ce pour quoy je soupir; 40 A ce me duit
Vraie Amour qui me court seure
20 C Quon port — 23 E aussi — 27 J sanz remembrer — 3i BEJ reuerdir — 41 J Vo vraie a. ; CEJ queurt.
LE LAY DE PLOUR 2<S5
Et Bonté qui l'assaveure : Qu'en moy ne puissent venir, 44 Ce me destruit.
IV
Raisons et Droiture, Plaisence et Nature Font par leur pooir
48 Toute créature
De volenté pure Tendre a mieus valoir. Et je m'asseiire.
52 Que, tant corn je dure,
Ne porray vëoir Amour si seùre, Bonté si meure
56 N'a tant de savoir.
Aussi voit on clerement Que li cuer qui loyaument Et sans folour 60 Aimment de très fine amour
Cuident souvent Qu'en milleur et en plus gent Aient séjour ; 64 Car plaisence et sa rigour
Ce leur aprent :
42 CEJ que {E qui) si saueure; MB qui sa saueure — 43 EJ pcuent ; M puellent; B puit ; C pueut ; J nourrir; MCE mourir — 44 M destrait — 5o E T amer auoir ; MBJ auoir — 36 J Ne tant — 58 CE cuers — 39 E Est — Go J tresbonne.
286
LE LAY DE PLOUR
Or say je certeinnement
Que mienne estoit ligement 68 La droite flour
De ceaus qui ont plus d'onnour ; Car toute gent
Disoient communément, 72 Et li millour,
Qu'il avoit toute valour 74 Entièrement.
VI
Et quant si bon ne millour ne plus cointe N'est, ne si bel, ne d'onneur si acointe, A droit jugier, 78 Mervillier
Ne se doit 80 Nulz, se ne vueil par l'amoureuse pointe Nouvellement d'autre amour estre pointe. Pour ce changier Ne me quier, 84 Et j'ay droit ;
Qu'en mon cuer est si très ferme et si jointe L'amour de li qu'estre n'en puet desjointe; Car cuer entier 88 Qui trichier
Ne saroit Par souvenir vuet que dou tout m'apointe, Si qu'autre amour n'entrepreingne, n'acointe ; 92 Qu'autre acointier
Empirier 94 Me feroit.
67 E moie; J mien — 70 J toutes — 72 KJ la — 79 KJ sen — 80 A vuet — 83 KJ men — 85 KJ Quen moy est — 86 M ne — 90 KJ que doucement macointe*
LE LA Y DE PLOUR 287
VII
Dont le bon recort 96 Que de li recort
Fait qu'a ce m'acort Que ja ne soie en acort
D'avoir autre amy ; 100 Mais en desconfort,
Sans nul reconfort
De tout mon effort Vueil pleindre et plourer sa mort, 104 En disant einsi :
« Amis, mi confort,
Mi joieus déport,
Ma pais, mi ressort, 108 Et tuit mi amoureus sort
Estoient en ty.
O ray un remort
De toy qui me mort 112 Et point si très fort
Qu'o toy sont tuit mi bien mort 1 14 Et ensevely.
VIII
Dous amis, tant fort me dueil ; 1 16 Tant te plaint,
Tant te complaint Le cuer de moy,
Tant ay grief que, par ma foy,
g6 KJ Qui — 101 M nulz — 108 manque dans KJ — n3 KJ Qua toy; E tout — * 1 16 EK ce ; CJ se — 1 17 id>
120 124 128 132
i36
140
142
LE LAY DE l'LOUR
Tout mal recueil ;
Dont mi oueil Que souvent mueil, Et cuer estreint, Viaire pâli et taint. Garni d'effroy
Et d'anoy, Sans esbanoy ; Moustrent mon dueil. Dous amis, seur ton sarcueil Sont mi plaint Et mi complaint ; La m'esbanoy, Par pensée la te voy ; Plus que ne sueil
La me vueil ; La sont mi vueil; La mes cuers maint. La mort pri que la me maint, Car la m'ottroy.
La, ce croy, De la mort doy Passer le sueil.
IX
148
La souspire, La s'aïre Mes cuers qui tant a martire Et de mortel peinne Et tant d'ire, Qu'a voir dire
123 KJ estaint — 126 manque dans KJ — 129 K serqueil : E saqueil — 1 36 J La me vueil — 140 KJ se — 141 De manque dans C.
LE LAY DE PLOUR 289
Son mal ne porroit descrire Créature humeinne. La s'empire 1 52 Tire a tire;
La ne fait que fondre et frire ; La son dueil demeinnc ; La, sans rire, 1 56 Se martire ;
La se mourdrist; la désire 1 58 Qu'il ait mort procheinne.
Dous amis, tant ay grevance, 1 60 Tant ay grief souffrance,
Tant ay dueil, tant ay pesance,
Quant jamais ne te verray,
Que doleur me point et lance 164 De si mortel lance
Au cuer qu'en désespérance
Pour toy mes jours fineray.
En toy estoit m'esperance 168 Toute et ma fiance,
Ma joie, ma soustenance.
Lassette ! or perdu les ay.
Bien pert a ma contenance 172 Et a m'a loquence,
Car manière ne puissance 174 N'ay, tant me dueil et esmay.
1 5 1 KJ soupire — 1 52 J Tir a tir — 1 53 B Le — îôy KJ dessire; E la se désire — 164 manque dans KJ — 169 K et ma s. — 170 C Lasse te., perdus; B les ray — 170-1 manquent dans KJ — iy3 C et p.; E en p.
Tome I. 19
290 LE LAY DE PLOUR
XI
A cuer pensis 176 Regret et devis
Ton haut pris Que tant pris. Einsi le couvient ; 180 Et vis a vis
Te voy, ce m'est vis, Dous amis, Et toudis 184 De toy me souvient.
Mes esperis Et mes paradis Estient mis 188 Et assis
En toy ; s'apartient
Que soit fenis Mes cuers et péris, 192 Qu'est chetis
Et remis, 194 Quant vie le tient.
XII
Amis, je fusse moult lie, 196 S'eusses cuer plus couart ;
Mieus vausist a mon esgart Que volenté si hardie.
175 KJ Ha; E cuers — 176 KJ R. a deuis — 187 CKJ Estoient — 191 MBEKJ partis — 192 KJ Qui est — 193 KJ ramis — 194 KJ Quautre — 19S J Mes; KJ liée — 196 EKJ
Sceussez (./ -iez) — 197 KJ regart.
291
LE LAY DE PLOUR
Mais honneur, chevalerie 200 Et tes renons qui s'espart
Par le monde en mainte part
Ont fait de nous départie.
Ta mort tant me contralie 204 Et tant de maus me repart,
Amis, que li cuers me part ;
Mais einsois que je dévie,
Humblement mes cuers supplie 208 Au vray Dieu qu'il nous regart
De si amoureus regart 210 Qu'en livre soiens de vie.
Explicit le Lay de Plour.
2o3 KJ Tamour — 204 KJ départ — 208 Mss. qui — 209 manque dans KJ — 210 BKJ Quou; E Quevliure; CBEK soions; KJ ajoutent : Qui bien aime a tart oublie.
TABLE DES MATIERES
DU PREMIER VOLUME
Introduction i
Chapitre premier. — Travaux relatifs à Guillaume
de Machaut i
Chapitre second. — Notice biographique xi
Chapitre troisième. — Les Manuscrits xliv
Chapitre quatrième. — Les Œuvres :
Le Prologue lu
Le Dit don Vergier lv
Le Jugement doit Roy de Behaingne lix
Le Jugement dou Roy de Navarre lxiv
Le Lay de Plour i.xxxvn
Prologue i
Le Dit dou Vergier 1 3
Le Jugement dou Roy de Behaingne 5/
Le Jugement dou Roy de Navarre i3j
Le Lay de Plour 283
Table des matières du premier volume -m 3
"m
'<ë^r
'V
Publications de la Société des Anciens Textes Français [En vente à la librairie Firmin-Didot et Cie, 56, rue Jacob, à Paris.)
Bulletin de la Société des Anciens Textes Français (années 1875 à 1908). N'est vendu qu'aux membres de la Société' au prix de 3 fr. par année, en papier de Hollande, et de 6 fr. en papier Whatman.
Chansons françaises du xv« siècle publiées d'après le manuscrit de la Biblio- thèque nationale de Paris par Gaston Paris, et accompagnées de la musi- que transcrite en notation moderne par Auguste Gevaert (1875). Epuisé.
Les plus anciens Monuments de la langue française ^x", x° siècles) pu- bliés par Gaston Paris. Album de neuf planchés exécutées par la photo- gravure (1875) 3o fr.
Brun de la Montaigne, roman d'aventure publié pour la première fois, d'a- près le manuscrit unique de Paris, par Paul Meyer (1875) 5 fr.
Miracles de Nostre Dame par personnages publiés d'après le manuscrit de la Bibliothèque nationale par Gaston Paris et Ulysse Robert; texte com- plet t. I à VII (1876, 1877, 1878, 1879, 1880, 1881, i883), le vol. . 10 fr.
Le t. VIII, dû à M. François Bonnardot, comprend le vocabulaire, la table des noms et celle des citations bibliques (1893) i5 fr.
Guillaume de Palerne publié d'après le manuscrit, de la bibliothèque de l'Ar- senal à Paris, par Henri Michelant (1876). Epuisé sur papier ordinaire. L'ouvrage sur papier Wathman 20 fr.
Deux Rédactions du Roman des Sept Sages de Rome publiées par Gaston
Paris (1876) Epuisé sur papier ordinaire.
L'ouvrage sur papier Wathman 16 fr.
Aiol, chanson de geste publiée d'après le manuscrit unique de Paris par
Jacques Normand et Gaston Raynaud (1877). Épuisé sur papier ordinaire.
L'ouvrage sur papier Whatman 24 fr.
Le Débat des Hérauts de France et d'Angleterre, suivi de The Debate be- Ureen the Heralds of England and France, by John Coke, édition commen- cée par L. Pannier et achevée par Paul Meyer (1877) 10 fr.
Œuvres complètes d'Eustache Deschamps publiées d'après le manuscrit de la Bibliothèque nationale par le marquis de Queux de Saint-Hilaire, t. I à VI, et par Gaston Raynaud, t. VII à XI (1878, 1880, 1882, 1884, 1887, 1889, 1891, 1893, 1894, 1901, igo3), ouvrage terminé, le vol. 12 fr.
Le saint Voyage de Jherusalem du seigneur d'Anglure publié par François Bonnardot et Auguste Longnon (1878) 10 fr.
Chronique du Mont-Saint-Michel (1343-1468) publiée avec notes et pièces diverses par Siméon Luce, t. I et II (1879, i883), le vol 12 fr.
Elie de Saint-Gille, chanson de geste publiée avec introduction, glossaire et index, par Gaston Raynaud, accompagnée de la rédaction norvégienne traduite par Eugène Koelbing (1879) 8 fr.
Daurel et Béton, chanson de geste provençale publiée pour la première fois
d'après le manuscrit unique appartenant à M. F. Didot par Paul Meyer
. (1880) ... . 8 fr.
La Vie de saint Gilles, par Guillaume de Berneville, poème du xn» siècle publié d'après le manuscrit unique de Florence par Gaston Paris et Alpnonse Bos (1881) 10 fr.
L'Amant rendu cordelier à l'observance d'amour, poème attribué à Martial cTAuvergne, publié d'après les mss. et les anciennes éditions par A. de
MoNTAIGLON (l88l) 10 fr.
Raoul de Cambrai, chanson de geste publiée par Paul Meyer et Auguste Longnon (1882) i5 fr.
Le Dit de la Panthère d'Amours, par Nicole de Margival, poème du xiip siè- cle publié par Henry A. Todd ( 1 883) 6 fr.
Les Œuvres poétiques de Philippe de Rémi, sire de Beaumanoir , publiées par
H. Suchier, t. I et II (1884-85) 23 fr.
Le premier volume ne se vend pas séparément; le second volume seul i5 fr.
La Mort Aymeri de Narbonne, chanson de geste publiée par J. Couraye du Parc (1884) 10 fr.
Trois Versions rimées de l'Évangile de Nicodême publiées par G. Paris et A. Bos (i885) 8 fr.
Fragments d'une Vie de saint Thomas de Cantorbéry publiés pour la première fois d'après les feuillets appartenant à la collection Goethals Vercruysse, avec fac-similé en héliogravure de l'original, par Paul Meyer (i885). 10 fr.
Œuvres poétiques de Christine de Pisan publiées par Maurice Roy, 1. 1, II et III (1886, 1891, 1896), le vol 10 fr.
Merlin, roman en prose du xm» siècle publié d'après le ms. appartenant à M. A. Huth, par G. Paris et J. Ulrich, t. I et II (1886) 20 fr.
Aymeri de Narbonne, chanson de geste publiée par Louis Demaison, t. I et II (1887) 20 fr.
Le Mystère de saint Bernard de Menthon publié d'après le ms. unique appar- tenant à M. le comte de Menlhon par A. Lecoy de la Marche (1888). 8 fr.
Les quatre Ages de l'homme, traité moral de Philippe de Navarre, publié par Marcel de Fréville (1888) 7 fr.
Le Couronnement de Louis, chanson de geste, publiée par E. Langlois,
(1888). Épuisé sur papier ordinaire.
L'ouvrage sur papier Whatman 3o fr.
Les Contes moralises de Nicole Bo\on publiés par Miss L. Toulmin Smith et M. Paul Meyer (1889) i5 fr.
Rondeaux et autres Poésies du XV" siècle publiés d'après le manuscrit de la Bibliothèque nationale, par Gaston Raynaud (1889} 8 fr.
Le Roman de Thèbes, édition critique d'après tous les manuscrits connus,
par Léopold Constans, t. I et II (1890) 3o fr.
Ces deux volumes ne se vendent pas séparément.
Le Chansonnier français de Saint-Germain-des-Prés (Bibl. nat. fr. 2oo5o), reproduction phototypique avec transcription, par Paul Meyer et Gaston Raynaud, t. I (1892) 40 fr.
Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole publié d'après le manuscrit du Vatican par G. Servois (1893) 10 fr.
L'Escoufle, roman d'aventure, publié pour la première fois d'après le manus- crit unique de l'Arsenal, par H. Michelant et P. Meyer (1894). . 1 5 fr.
Guillaume de la Barre, roman d'aventures, par Arnaut Vidal de Castel- naudari, publié par Paul Meyer (189D) 10 fr.
Meliador, par Jean Froissart, publié par A. Longnon, t. I, II et III (1895-1899), le vol 10 fr.
La Prise de Cordres et de Sebille, chanson de geste publiée, d'après le ms. unique de la Bibliothèque nationale, par Ovide Densusianu (1896) 10 fr.
Œuvres poétiques de Guillaume Alexis, prieur de Bucy, publiées par Arthur Piaget et Emile Picot, t. I, II et III (1896-1908), le vo- lume 10 fr.
L'Art de Chevalerie, traduction du De rv militari de Végèce par Jean de Meun, publié, avec une étude sur cette traduction et sur Li Abrejance de l'Ordre de Chevalerie de Jean Priorat, par Ulysse Robert (1897). 10 fr.
Li Abrejance de l'Ordre de Chevalerie, mise en vers de la traduction de Végèce par Jean de Meun, par Jean Priorat de Besançon, publiée avec un glossaire par Ulysse Robert (1897) 10 fr.
La Chirurgie de Maître Henri de Mondeville, traduction contemporaine de l'auteur, publiée d'après le ms. unique de la Bibliothèque nationale par le Docteur A. Bos, t. I et II (1897, 1898) 20 fr.
Les Narbonnais, chanson de geste publiée pour la première fois par Her- mann Suchier, t. I et II (1898) 20 fr.
Orson de Beauvais, chanson de geste du xne siècle publiée d'après le ma- nuscrit unique de Cheltenham par Gaston Paris (1899) 10 fr.
L'Apocalypse en français au XIII" siècle (Bibl. nat. fr. 4o3), publiée par
L. Delisle et P. Meyer. Reproduction phototypique (1900) 40 fr.
— Texte et introduction (1901) i5 fr.
Les Chansons de Gace Brûlé, publiées par G. Huet (1902) 10 fr.
Le Roman de Tristan, par Thomas, poème du xn° siècle publié par Joseph Bédier, t. I.et II (1902-1905), le vol 12 fr.
Recueil général des Sotties, publié par Era. Picot, t. I et 11(1902, 1904), le vol 10 fr.
Robert le Diable, roman d'aventures publié par E. Lôseth (1903). . . 10 fr.
Le Roman de Tristan, par Béroul et un anonyme, poème du xn° siècle, publié par Ernest Muret (1903) 10 fr.
Maistre Pierre Pathelin hystorié, reproduction en fac-similé de l'édition imprimée vers i5oo par M irion de Malaunoy, veuve de Pierre Le Caron (1904) 6 fr.
Le Roman de Troie, par Benoit de Sainte-Maure, publié d'après tous les manuscrits connus, par L. Constans, t. I, II et III (1904, 1906, 1907), le volume 1 3 fr.
Les Vers de la Mort, par Hélinant, moine de Froidmont, publiés d'après tous les manuscrits connus, par Fr. Wulff et Em. Walberg (1905) 6 fr.
Les Cent Ballades, poème du xiv° siècle, publié avec deux reproductions phototypiques, par Gaston Ravnaud (1905) 10 fr.
Le Montage Guillaume, chanson de geste du xn° siècle, publiée par W. Cloetta, t. I (1906) i5 fr.
Florence de Rome, chanson d'aventure du premier quart du xin» siècle, publiée par A. Wallenskôld, t. II (1907) 12 fr.
Les deux Poèmes de La Folie Tristan, publiés par Joseph Bédier (1907). 5 fr.
Les œuvres de Guillaume de Machaut, publiées par E. Hœpffner, t. I (1908) 12 fr.
Le Mistère du Viel Testament, publié avec introduction, notes et glossaire, par le baron James de Rothschild, t. I-VI (1878-1891), ouvrage terminé, le vol 10 fr.
(Ouvrage imprimé aux frais du baron James de Rothschild et offert aux membres de la Société.)
Tous ces ouvrages sont in-8°, excepté Les plus anciens Monuments de la langue française et la reproduction de l'Apocalypse, qui sont grand in-folio.
Il a été fait de chaque ouvrage un tirage à petit nombre sur papier Wliat- man. Le prix des exemplaires sur ce papier est double de celui des exemplaires en papier ordinaire.
Les membres de la Société ont droit à une remise de 25 p. 100 sur tous les prix indiqués ci-dessus.
La Société des Anciens Textes français a obtenu pour ses pu- blications le prix Archon-Despérouse, à l'Académie française, en 18S2, et le prix La Grange, à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, en i883, i8g5, igoi et igo8.
Le Puy, imp. R. Marchessou. — Peyriller, Rouchon et Gamon, successeurs.
<$SL&
l^t^C^*-»^tC^-»^i'^ »■*
THE INSTITUTE OF MED1AEVAL STUD1E3
10 ELMSLEY PLACE TORONTO 5, OANADA.
2731