^'. :-^^mS N TME CUSTODY OF ThE BOSTON PUBLIC LIBRÀRY. SHELF"N° '^âK //'Ji \ V^K UVRES D E MAUPERTUIS, Digitized by the Internet Archive in 2010 Iittp://www.archive.org/details/uvresdemaupertui02maup ŒUVRES D E MAUPERTUIS. No u V ELLE Edition corrigée & augmentée, TOME SECOND. ^ i r o N , Chez JEAN-MARIE BRUYSET, Imprimeur-Libraire , rue S. Dominique. M. DÇC. Lxyiii» ^yec Approbation & Privilège du Roi. 0 ^^ A M O N S I E U'R z Seigneur de Plenguen,, Capitaine général Garde-côte ^ Chevalier de l'Ordre militaire de St. Louis 5 &c. Es amu à qui Val dédié les différens va- fe^^flJ] lûmes de ce recueil de mes Ouvrages fe font tous dtjl'in- gués par des fucces éclatans : /oit que portant leurs talens dans les régions les plus éloignées , ils y ayent trouvé la récompenje de Œuv. de Maiip. Tom^ II, a ij E P I T R Eo leur courage & de leurs travaux : fou que par une étude ajjidue dans leur cabinet , ils ayent enrichi les Sciences & les Lettres d'excel- lens ouvrages. Il ejî un autre genre de gloire plus réelle & plus tranquille y que mon expérience aujourd'hui , ji j'avois le choix ^ me feroit préférer a toutes. C'ef celle d'un Citoyen qui joui iï^ant dans fa ville de la plus grande conf dération , n'a point cherché de conf dération étrangère ; qui né avec toutes les fortes d'efpnt ^ & capable de parvenir à tout y a vu tout de r œil du fage , na donné que fa jufe valeur à cette eflime quori accorde aux talens & qu'on refufe quelquefois à la perfonne y & na voulu d'autres emplois que ceux E P I T P. E. iij que U amour de la Patrie ne lui permettoit point de refufer. Il neft pas pojjihle de vous méconnoitre a cette peinture. Si cétoit ICI une Epître dédicatoire , & que vous ne fujjie\ qu'un de ceux à qui on les adrejje ^ j'irois dans une famille au(Ji ancienne que notre ville chercher dits noms qui lui ont fait honneur dans tous les temps. Je par le roi s de cet homme illufre qui après nous avoir frayé dans des mers incon- nues la route par laquelle les tri- fors du Pérou apportés en Europe foutinrent F État ^ p^f^ l^ T^fl^ de fa vie a rendre la jufice à fes Concitoyens ; de ce Héros dont la France rep'retterafi long- temps la perte ^ & dont la mé- . /noire m'ejl fi chère : mais ces iv E P I T R E. grands hommes , quelque proches qu'ils vous fuffcnt ^ ne Jeroient pour vous qu'une gloire étrangère y & vous 71 en ave^ pas hefoin. Je ne les rappellerai donc point Ici : je ne parlerai pas même des qualités perjonnelles qui m' atta- chent a vous depuis fi long-temps. Mais je ne faurois taire le plaifîr & r honneur que je reiïens d'avoir un ami tel aue vous. VÉNUS VENUS PHYSIQUE. Qiccs hgat ipfa Lycoris, Virg. Eclog. X. a— ——nain I Ml 111^— ———M— ——^■^■^■^—— (Euv, de Maup, Tom. II, f :]^^»T»'- ^=^!^ 'TK^ V É U S PHYSIQUE. + iSWfc i*. èf, îS *jw ^ **w ;>*i *fi, >A Wv i^ifw >«i ;*, SS. ^^U^î» PREMIERE PARTIE, SUR rORIGINE DES ANIMAUX. ajMiJt»*:.>jaMJBJHr^J!>.M»JIWH»l.»JM!f ■Mf.CTM» CHAPITRE PREMIER. Expojition de cet Ouvrage, Se OU S n'avons reçu que depuis peu de temps une vie que nous ^^ allons perdre. Placés entre deux inftans ^ dont l'un nous a vus naître , l'autre nous va voir mourir , nous A il 4 VENUS tâchons en va.m d'étendre notre être au-delà de ces deux termes : nous fe- rions plus fages 5 fi nous ne nous appli- quions qu'à en bien remplir l'intervalle. Ne pouvant rendre plus long le temps de notre vie , l'amour propre & la curiofiîé veulent y fuppléer , en nous appropriant les temps qui vien- dront lorfque nous ne ferons plus , & ceux qui s'écouloient lorfque nous n''étions pas encore. Vainefpoir! auquel fe joint une nouvelle illufion : nous nous im^aginons que l'un de ces temps nous appartient plus que l'autre. Peu curieux fur le paffé , nous interrogeons avec avidité ceux qui nous promettent de nous apprendre quelque chofe de l'avenir. Les homm.es fe font plus facilement perfuadés qu'après leur mort ils dé- voient comparoître au tribunal d'un Rhadamante , qu'ils ne croiroient qu'avant leur naiffance ils auroienf combattu contre Ménélas au fiege de Troye (a), ( a ) Pytha^ore fe rejfouvenoît des différens états par lefquds il avoit paffé avant que d'être Pythagore, Il P H Y s r (l U E. ^ Cependant robfcurité eft la même fur l'avenir & fur le paffé : & fi l'on re- garde les chofes avec une tranquillité philoibphique , l'intérêt devroit être le même auffi : il eit aufiî peu rai- fonnabie d'être fâché de mourir trop toi , qu'il feroit ridicule de fe plaindre d'être né trop tard. Sans les lumières de la Relig-ion , par rapport à notre être , ce tem.ps où nous n'avons pas vécu , & celui où nous ne vivrons plus , font deux abymes impénétrables , & dont les plus grands Philofophes n'ont pas plus percé les ténèbres que le peuple le plus groffier. Ce n'eft donc paint en Métaphyficien que je veux toucher à ces queftions , ce n'eft qu'en Naturalifte. Je laiffe à des efprits plus fublimes à vous dire , s'ils peuvent , ce que c'eft que votre ame , quand & comment elle eft venue vous éclairer. Je tâcherai feulement de vous faire connoître l'origine de votre avoît été d'abord ^îalide , puis Euphorbe bleffé par Mènélas au fitge de Troye , Hennothne , le Pêcheur Fyrrhih , 6* enfin. Pyiha^ore» A ii j 6 V à N V s corps , & les différens états par leiquels vous avez pafl'é avant que d'être dans Fétat où vous êtes* Ne vous fâchez pas fî je vous dis que vous avez été un ver ou un œuf, ou une efpecê de boue : mais ne croyez pas non plus tout perdu , lorfque vous perdrez cette forme que vous avez maintenant \ & que ce corps , qui charme tout le monde , fera réduit en pouffiere. Neuf mois après qu'une fem,me s'eft livrée au plaifir qui perpétue le genre humain , elle met au jour une petite créature qui ne diffère de l'homme que par la différente proportion & la foibleffe de (es parties. Dans les fem- mes mortes avant ce terme , on trouve l'enfant enveloppé d'une double micm- brane , attaché par un cordon au ventre de la mère. Plus le temps auquel l'enfant devoit naître eft éloigné , plus fa grandeur & fa figure s'écartent de celle de l'homme. Sept ou huit mois avant on découvre dans l'embryon la figure hu- maine : & les mères attentives fentent cju'il a déjà quelque mouvement» PHYSI-.iMaimaiLuit-«^.-MCTq CHAPITRE IL Syjtime des Anciens fur la génération» U fond d'un canal que les Ana- tomiftes appellent vagin , du mot latin qui fignifie gaine , on trouve la matrice : c'eft une efpece de bourfe fermée au fond , mais qui préfente au vagin un petit orifice qui peut s'ouvrir & fe fermer , & qui reffemble PHYSI(IUE. II ajfTez au bec d'une tanche , dont quel- ques Anatomiiles lui ont donné le nom. Le fond de la bourfe eft tapiffé d'une membrane qui forme plufieurs rides qui lui permettent de s'étendre à mefure que le fœtus s'accroît , & qui eft pariemée de petits trous , par lëfquels yraifemblabiemenr fort cette liqueur que la femelle répand dans raccouplement. Les Anciens croyoient que le fœtus étoit formé du mélange des liqueurs que chacun des fexes répand. La liqueur féminale du mâle , dardée julques dans la matrice , s'y mêloit avec la liqueur féminale de la femelle : & après ce mélange , les Anciens ne trouvoient plus de difficulté à com- prendre comment il en réfultoit un anim.aL Tout étoit opéré par une /a- cult é gén éra îrice. Ariftote , comme on le peut croire , ne fut pas plus embarraffé <^ç^ les au- tres fur la génération : il différa d'eux feulement en ce qu'il crut que le principe de la génération ne ré fi doit que dans la liqueur que le mâle répand y î 2 VÉNUS & que celle que répand la femelle ne fervoit qu'à la nutrition & à l'accroif- fement du foetus. La dernière de ces liqueurs , pour s'expliquer en fes ter- mes , fourniffoit la matière , & l'autre la forme ( a ). CHAPITRE III. Syjlême des œufs contenant le fœtuso. Endak^t une longue fuite de fiecles ce fyftême fatisfit les Phi- lofophes ; car , malgré quelque diver- fité fur ce que les uns prétendoient qu'une feule des deux liqueurs ' étoit la véritable matière prolifique , & que Fautre ne fervoit que pour la nourri- ture du fœtus 5 tous s'arrêtoient à ces deux liqueurs , & attribuoient à leur mélange le grand ouvrage de la gêné- ration. De nouvelles recherches dans l'Ana* tomie firent découvrir autour de la (a) ArïJÎQt, de générât» animal, lib. IL cap, IK PHYSIQUE. I^ matrice deux corps blanchâtres formés de plufieurs véficules rondes , remplies & déjà toutes formées , étoient la fource des générations à l'infini. Car toutes les femelles contenues ainfi les unes dans les autres , & de gran- deurs toujours diminuantes dans le rapport de la première à fon œuf , n'alarment que l'imagination. La ma- tière , divifible à l'infini , forme aufîi diftinftement dans fon œuf le fœtus P H Y s I (l U E. 15 qui doit naître dans mille ans , que celui qui doit naître dans neuf mois. Sa petiteffe , qui le cache à nos yeux , ne le dérobe point aux loix lliivant lef- quelles le chêne , qu'on voit dans le gland , fe développe ^ & couvre la terre de (qs branches. Cependant quoique tous les hom- mes foient déjà formés dans les œufs de mère en mère , ils j font fans vie : ce ne font que de petites ftatues ren- fermées les unes dans les autres , comme ces ouvrages du tour , où l'ouvrier s'eft plu à faire admirer l'adreffe de fon cifeau , en formant cent boîtes qui fe contenant les unes les autres , font toutes contenues dans la dernière. 11 faut , pour faire de ces petites ftatues des hommes 5 quelque matière nouvelle , quelqu'efprit fubtil , qui s'iniinuant dans leurs membres , leur donne le mouvement , la végé- tation & la vie. Cet efprit féminal eit fourni par le mâle , & eft contenu dans cette liqueur quil répand avec tant de plaiiir. N'eft-ce pas ce feu que les Poètes ont feint que Promethée i6 Venus avoit volé du Ciel pour donner l'ame à des hommes , qui n'étoient aupara- vant que des automates ? Et les Dieux ne dévoient -ils pas être jaloux de ce larcin ? Pour expliquer maintenant comment cette liqueur dardée dans le vagin va féconder l'œuf , l'idée la plus com- mune , & celle qui fe préfente d'abord , eft qu'elle entre jufques dans la ma- trice y dont la bouche alors s'ouvre pour la recevoir : que de la matrice , une partie , du moins ce qu'il y a de plus fpiritueux , s'élevant dans les tuyaux des trompes , eft portée juf- qu'aux ovaires , que chaque trompe embrafle alors , & pénètre l'ceuf qu'elle doit féconder. Cette opinion , quoiqu'affez vrai- femblable ^ eft cependant fujette à plufieurs difficultés. La liqueur verfée dans le vagin , loin de paroitre deftinée à pénétrer plus avant , en retombe auffi - tôt , comme tout le monde fait. On raconte plufieurs hîftoires de filles devenues enceintes fans l'intro- duftion P il Y s i tl t7 E. ti lâuftîon même de ce qui doit verfe^ la femence du mâle dans le vagin ^ pour avoir feulement iaifle répandre cette liqueur fur its bords. On peut révoquer en doute ces faits , que la vue du Phyficien ne peut guère cons- tater , & fur lefquels il faudroit eiî croire les femmes , toujours peu fince- res fur cet article. Mais il femble qu'il y ait dès preu* ves plus fortes qu'il n'eft pas nécelfaire que la femence du mâle entre dans la matrice pour rendre la femme féconde^ Dans les matrices de femelles de plu- fîeurs animaux difféquées après l'accou- plement 5 on n'a point trouvé de cette liqueur. On ne fauroit cependant nier qu elle n'y entre quelquefois. Un fameux Anatomifte ( a ) en a trouvé en abon- dance dans la matrice d'une genifle qui venoit de recevoir le taureau. Et quoiqu'il y ait peu de ces exemples ^ im feul cas où l'on a trouvé la femence dans la matrice prouve mieux qu'elle y entre , que la multitude des cas où ( a ) Verheyen» Œuv, de Maup, Tom, IL B i8 Venus l'on n'y en a point trouvé ne prouve qu'elle n'y entre pas. Ceux qui prétendent que la femence n'entre pas dans la matrice , croient que verfée dans le vagin , ou feulement répandue fur fes bords , elle s'infinue dans les vaiiTeaux , dont les petites bou- ches la reçoivent & la répandent dans les veines de la femelle. Elle eft bien- tôt m.êlée dans toute la maife du fang j elle y excite tous les ravages qui tour- mentent les femmes nouvellement en- ceintes : mais enfin la circulation du fang la porte jufqu'à l'ovaire , & l'œuf n'eft rendu fécond qu'après que tout le fang de la femelle a été , pour ainfi dire , fécondé. De quelque manière que l'œuf foit fécondé \ foit que la femence du mâle , portée immédiatement jufqu'à lui , le pénètre ; foit que y délayée dans la mafle du fang , elle n'y parvienne que par les routes de la circulation : cette femence , ou cet efprit féminal mettant en mouvement les parties du petit fœtus qui font déjà toutes formées dans l'œuf 5 les difpofe à fe développer. Uœuf jufques - là fixement attaché à l'ovaire , s'en détache y il tombe dans la cavité de la trompe , dont l'extré- mité ^ appellée le pavillon ^ embraffe alors l'ovaire pour le recevoir. L'œuf parcourt , foit par fa feule pefanteur ^ foit plus vraifemblablement par quel- que mouvement périftaltique de la trompe , toute la longueur du canal qui le conduit enfin dans la matrice» Semblable aux^ graines des plantes ou des arbres , lorfquelles font reçues dans une terre propre à les faire vé- géter , l'œuf pouiTe des racines ^ qui pénétrant jufques dans la fubftance de la matrice , forment une maffe qui lui èft intimement attachée , ap-» pellée le placenta, Au-defliis elles né forment plus qu'un long cordon , qui allant aboutir au nombril du fœtus ^ lui porte les fucs deftinés à fon accroiA fement. Il vit ainfi du fang de fa mère , jufqu'à ce que n'ayant plus befoin de cette communication ., les VaiiTeaux qui attachent le placenta à la matrice fe deffechent ^ & s'en fé- parent* B ij lO VÉNUS L'enfant alors plus fort , & prêt â paroître au jour ^ déchire la double membrane dans laquelle il étoit enve- loppé , comme on voit le poulet par- venu au terme de fa naiffance brifer la coquille de l'œuf qui le tenoit renfer- mé. Qu'une efpece de dureté qui efl: dans la coquille des œufs des oifeaux n'empêche pas de comparer à leurs oeufs l'enfant renfermé dans fon enve- loppe : les œufs de plusieurs animaux , des ferpens , des lézards , & des poif- fons ^ n'ont point cette dureté y Se ne font recouverts que d'une enveloppe moUaffe & flexible. Quelques animaux confirment cette analogie , & rapprochent encore la génération des animaux qu'on appelle vivipares de celle des ovipares. On trouve dans le corps de leurs femelles , en même temps , des œufs incontefta- Hes , & des petits déjà débarraflés de leur enveloppe ( a ). Les œufs de plu- lîeurs animaux n'éclofent que long- temps après qu'ils font fortis du corps de la femelle : les œufs de plufieurs (a) Mém, de VAcad» des Scienc^ an, z/^/. ^.^2, P Ti Y s î (l V Ê\ Il autres éclofent auparavant. La Nature ne femble-t-elle pas annoncer par-là qu'il y a des efpeces où l'œuf n'éclôt qu'en fortant de la mère ; mais que toutes ces générations reviennent au même r CHAPITRE IV. Syjlême des animaux fpermatiques» LE s Phyficiens & les Anatomiftes ^ qui en fait de fyftême font tou- jours faciles à contenter , étoient con- tens de celui-ci : ils croy oient ^ comme s'ils l'a voient vu ^ le petit fœtus formé dans l'œuf de la femelle avant aucune opération du mâle. Mais ce que l'ima- gination voyoit ainfi dans l'œuf , les yeux l'apperçurent ailleurs. Un jeune Phyficien {a) s'avifa d'examiner au microfcope cette liqueur , qui nQ& pas d'ordinaire l'objet des yeux atten- tifs & tranquilles. Mais quel fpeélacle merveilleux, lorfquil y découvrit des {a) Hartfoehr»^ B iii %t V È N V s animaux vivans ! Une goutte étoît un océan où nageoit une multitude in- nombrable de petits poiffons dans mille direftions différentes. Il mit au même microfcope des li- queurs femblables forties de différens animaux , & toujours même merveille : foule d'animaux vivans , de figures feu- lement différentes. On chercha dans le fang , & dans toutes les autres liqueurs du corps , quelque chofe de fembla- ble : mais on n'y découvrit rien , quelle que îviX. la force du microfcope j tou- jours des mers défertes , dans lefquelles; on n'appercevoit pas le moindre figne de vie. On ne put guère s'empêcher de penfer que ces animaux découverts dans la liqueur féminale du mâle étoient ceux qui dévoient un jour le repro-* duire : car malgré leur petiteffe infinie ^ & leur forme de poiffons, le change- ment de grandeur & de figure coûte peu à concevoir au Phyficien , & ne coûte pas plus à exécuter à la Nature. Mille exemples de l'un & de l'autre font fous. uo$ yeux ^ d'animaux dont te dernier accroiffement ne femble avoir aucune proportion avec leur état au temps de leur nailTance , & dont les figures fe perdent totalement dans des figures nouvelles. Qui pourroit recon- noître le même animal , fi l'on n'avoit fuivi bien attentivement le petit ver , & le hanneton , fous la forme duquel il paroît enfuite ? Et qui croiroit que la plupart de ces mouches parées des plus îuperbes couleurs euffent été aupara- vant de petits infeftes rampans dans la boue , ou nageans dans les eaux ? Voilà donc toute la fécondité qui avoir été attribuée aux femelles rendue aux mâles. Ce petit ver qui nage dans la liqueur féminale contient une infinité de générations de père en père j il a ia liqueur féminale , dans laquelle na- gent des animaux d'autant plus petits que lui , qu'il efl: plus petit que le père dont il eft forti : & il en efl: ainfi de chacun de ceux-là à l'infini. Mais quel prodige ^ fi Ton confidere le nombre & la petiteiTe de ces animaux ! Un homme qui a ébauché fur cela un calcul, trouva dans la liqueur féminale d'un brochet y, B iv 14 Venus dès la première génération ^ plus de brochets qu'il n'y auroit d'hommes fur la Terre , quand elle feroit par -tout auffi habitée que la Hollande ( a ). Mais fi l'on confidere les générations fuivantes , quel abyme de nombre & de petiteffe ! D'une génération à l'autre les Gorps de ces animaux diminuent dans la proportion de la grandeur d'un homme à celle de cet atome qu'on ne découvre qu'au meilleur microfcope ^ leur nombre augmente dans la propor- tion de l'unité au nombre prodigieux d'animaux répandus dans cette liqueur^ Richefîe imm^enfe , fécondité fans bornes de la Nature, n'êtes -vous pas ici une prodigalité ? & ne peut-on pas vous reprocher trop d'appareil & de dépenfe ? De cette multitude prodi- gieufe de petits animaux qui nagent dans la liqueur fémin aie un feul par- vient à l'humanité : rarement la femme la mieux enceinte met deux enfans au jour , prefque jamais trois. Et quoique les femelles des autres animaux en por-^ tent un plus grand nombre ^ ce nombre (a) Lewenkûë-kf, ip ir Y s I (^ tr s^ 25 n'eft prefque rien en comparaifon de la multitude des animaux qui nageoient dans la liqueur que le mâle a répan- due. Quelle deftruftion , quelle inuti- lité paroît ici ! Sans difcuter lequel fait le plus d'hon- neur à la Nature , d'une économie pré- cife 5 ou d'une profufion fuperfîue j queftion qui demanderoit qu'on connût mieux fes vues , ou plutôt les vues de celui qui la gouverne ; nous avons fous nos yeux des exemples d'une pareille conduite , dans la production des arbres & des plantes. Combien de milliers de glands tombent d'un chêne ^ fe defîe- chent ou pourrifîent , pour un très- petit nombre qui germera , & produira un arbre ! Mais ne voit-on pas par-là^ même que ce grand nombre de glands n'étoit pas inutile , puifque iî celui qui a germé n'y eût pas été , il n'y auroit eu aucune produftion nouvelle , au- cune génération } C'ell fur cette multitude d'animaux iliperflus qu'un Phyficien chafte & re- ligieux (a) a, fait un grand nombre {a) ff^enhoeki %6 V È i^ V s d'expériences , dont aucune , à ce qu'il nous aflure , n'a jamais été faite aux dépens de fa poftérité. Ces animaux ont une queue , & font d'une figure affez fembiable à celle qu'a la grenouille en nailTant , lorfqu'elle eft encore fous la forme de ce petit poiffon noir appelle têtard ^ dont les eaux fourmillent au printemps. On les voit d'abord dans un grand mouvement : mais il fe rallentit bientôt ; & la liqueur dans laquelle ils nagent fe refroidiffant , ou s'éva- porant , ils périffent. Il en périt bien d'autres dans les lieux mêmes où ils font dépofés : ils fe perdent dans ces labyrinthes. Mais celui qui eft deftiné à devenir un homme , quelle route prend-il ? comment fe métamorphofe- t-il en foetus } Quelques lieux imperceptibles de la membrane intérieure de la matrice feront les feuls propres à recevoir le petit animal , & à lui procurer les fucs néceffaires pour fon accroiffement. Ces lieux , dans la matrice de la femme , feront plus rares que dans les matrices des animaux qui portent plufieurs petits* p n T s I n V E* ly Le feul animal , ou les feuls animaux ipermatiques qui rencontreront quel- qu'un de ces lieux , s'y fixeront , s'y attacheront par des filets qui formeront le placenta , & qui l'uniffant au corps de la mère , lui portent la nourriture dont il a befoin : les autres périront comme les grains femés dans une terre aride. Car la matrice eft d'une étendue immenfe pour ces animalcules : plufieurs milliers périflent fans pouvoir trouver aucun de ces lieux , ou de ces petites foffes deftinées à les recevoir. La membrane dans laquelle le fœtus fe trouve fera femblable à une de ces enveloppes qui tiennent différentes for- tes d'infeftes fous la forme de chryfa^ lides y dans le paffage d'une forme à une autre. Pour comprendre les changemens qui peuvent arriver au petit animai renfermé dans la matrice , nous pou- vons le comparer à d'autres animaux qui éprouvent d'auffi grands change- mens , & dont ces changemens fe paffent fous nos yeux. Si ces métamor- phofes méritent encore notre admira- 18 V È n V s tion , elles ne doivent plus du moîn^ nous caufer de furprife. Le papillon , & plufieurs efpeces d'animaux pareils , font d'abord une efpece de ver : l'un vit des feuilles des plantes j l'autre caché fous terre , en ronge les racines. Après qu'il eft parvenu à un certain accroiffement fous cette forme , il en prend une nou- velle ; il paroît fous une enveloppe qui refferrant & cachant les différentes par- ties de fon corps , le tient dans un état fi peu femblable à celui d'un animal , que ceux qui élèvent des vers à foie l'appellent fève ; les Naturaliftes l'ap- pellent chryfalide , à caufe de quelques taches dorées dont il eft quelquefois parfemé. Il eft alors dans une immobilité parfaite , dans une léthargie profonde qui tient toutes les fondions de fa vie fufpendues. Mais dès que le terme où il doit revivre eft venu , il déchire la membrane qui le tenoit enveloppé j iî étend fes membres , déploie fes ailes ^ & fait voir un papillon y ou quelqu'au- tre animal femblable. Quelques-uns de c€S animaux ^ ceux ^uî font fi redoutables aux jeunes beau- tés qui fe promènent dans les bois , & ceux qu'on voit voltiger fur le bord des ruiffeaux avec de longues ailes , ont été auparavant de petits poiffons ; ils ont paffé la première partie de leur vie dans les eaux , & ils n'en font fortis que lorfqu'ils font parvenus à leur dernière forme. Toutes ces formes 5 que quelques Phyiiciens mal-habiles ont prifes pour de véritables métamorphofes , ne font cependant que des changemens de peau. Le papillon étoit tout formé , & tel qu'on le voit voler dans nos jardins , fous le déguifement de la chenille. Peut-on comparer le petit animal qui nage dans la liqueur féminale à la che- nille , ou au ver ? Le fœtus dans le ven- tre de la mère , enveloppé de fa double membrane , eft-il une efpece de chry- falide ? & en fort-il , comme l'infefte , pour paroître fous fa dernière forme ? Depuis la chenille jufqu au papillon , depuis le ver fpermatique jufqu'à l'hom- me 5 il femble qu'il y ait quelqu'ana- logie. Mais le premier état du papillon 30 Venus n'étoit pas celui de chenille : la chenille étoit déjà fortie d'un œuf, & cet œuf n'étoit peut-être déjà lui-même qu'une efpece de chryfalide. Si l'on vouloit donc pouffer cette analogie en remon- tant , il faudroit que le petit animal (permatique fût déjà forti d'un œuf : mais quel œuf ! de quelle petiteffe devroit-il être ! Quoi qu'il en foit j, ce n eft ni le grand ni le petit qui doit ici caufer de l'embarras. wam. >nàHiiÊ34«^iiii^u-smt.)iiirsnm»aM,^ CHAPITRE V. Syftême mixte des œufs , & des animaux fpermadques. A plupart des Anatomiftes ont em- braffé un autre fyftême , qui tient des deux fyftêmes précédens , & qui allie les animaux fpermatiques avec les œufs. Voici comment ils expliquent la chofe. Tout le principe de vie réfidant dans le petit animal , l'homme entier y étant contenu , l'œuf eft encore néceffaire : P H Y s 1 (l U E. 31 c'eft une maffe de matière propre à lui fournir fa nourriture & fon accroiC- fement. Dans cette foule d'animaux dépofés dans le vagin , ou lancés d'a- bord dans la matrice y un plus heureux , ou plus à plaindre que les autres ^ na- geant 5 rampant dans les fluides dont toutes ces parties font mouillées , par- vient à l'embouchure de la trompe , qui le conduit jufqu'à l'ovaire : là , trou- vant un œuf propre à le recevoir, & à le nourrir , il le perce , il s'y loge , & y reçoit les premiers degrés de fon ac- croiilement. C'efl ainfi qu'on voit diffé- rentes fortes d'infeftes s'infinuer dans les fruits dont ils fe nourriffent. L'œuf piqué fe détache de l'ovaire , tomibe par la trompe dans la matrice ^ où le petit animal s'attache par les vaiffeaux qui forment le placenta. E N V s CHAPITRE VI. Ohfervadons favorables & contraires aux œufs. .trouve dans les Mémoires de l'Académie Royale des Sciences (a) des obfervations qui paroijfTent très-favorablés au fyftême des œufs ; foit qu'on les confidere comme conte- nans le fœtus , avant même la fécon- dation ; foit comme deftinés à fervir d'aliment & de premier afyle au fœtus. La defcription que M. Littre nous donne d'un ovaire qu'il difféqua , mé- rite beaucoup d'attention. 11 trouva un œuf dans la trompe ; il obferva une cicatrice fur la furface de Fovaire , qu'il prétend avoir été faite par la for- tie d'un œuf. Mais rien de tout cela n'eft fi remarquable que le fœtus qu'il prétend avoir pu dillinguer dans un œuf encore attaché à l'ovaire. Si cette obfervation étoit bien sûre , (a) Année ijoh elle PHYSIilUE. 33 elle prouveroit beaucoup pour les œufs. Mais l'hiftoire même de TAcadémie de la même amiée la rend fufpefte , Se lui oppofe avec équité des obfervations de M. Mery qui lui font perdre beau- coup de ia force. Celui-ci , pour une cicatrice que M. Littre avoir trouvée fur la furface de l'ovaire ^ en trouva un fi grand nombre fur l'ovaire d'une femme , que fi on les avoit regardées comme caufées par la fortie des œufs , elles aur oient fuppofé une fécondité inouie. Mais , ce qui eft bien plus fort contre les œufs , il trouva dans l'épaiffeur même de la matrice une véficule toute pareille à celles qu'on prend pour des œufs. Quelques obfervations de M. Littre j & d'autres Anatomiftes , qui ont trou- vé quelquefois des fœtus dans les trompes y ne prouvent rien pour les œufs : le fœtus ^ de quelque manière qu'il foit formé ^ doit fe trouver dans la cavité de la m,atrice ^ & les trom- pes ne font qu'une partie de cette cavité. (S>uv. d^ Maup, Tom, ÎL C 34 VENUS M. Mery n'eft pas le feul Anato- mifte qui ait. eu des doutes fur les œufs de la femme , & des autres animaux ^ vivipares : pluneurs Phyficiens les re- gardent comme une chimère. Ils ne veulent point reconnoître pour de vé- ritables œufs ces véficules dont eft formée la maffe que les autres pren- nent pour un ovaire : ces œufs qu'on a trouvés quelquefois dans les trom- pes , fiv même dans la matrice , ne font, à ce qu'ils prétendent , que des elpeces d'hydatides. Des expériences devroient avoir décidé cette queftion , fi en Phyfique il y avoiî jamais rien de décidé. Un Anatomifte qui a fait beaucoup d'ob- fervaîions fur les femelles des lapins , GraaF qui les a difféquées après plufieurs intervalles de temps écoulés depuis qu'elles avoient reçu le mâle _, prétend avoir trouvé au bout de vinp-t - quatre heures des changemens dans l'ovaire , après un intervalle plus long , avoir trouvé les œufs plus al- térés ; quelque temps après , des œufs dans la trompe 3 dans les fem.elles p H r s I il u E. 35f diflequées un peu plus tard , des œufs dans la matrice. Enfin il prétend qu'il a toujours trouvé aux ovaires les ver- tiges d'autant d'œufs détachés qu'il en trouvoit dans les trompes ou dans la matrice (^). Mais un autre Anatomifte auffi exaft , & tout au moins auffi fidèle , quoique prévenu du lyftême des œufs , & même des œufs prolifiques , conte- liants déjà le fœtus avant la féconda- tion 5 Ver HE YEN a voulu faire les înêmes expériences , & ne leur a point trouvé le m.eme fuccès. Il a vu des altérations ou des cicatrices à l'ovaire : mais il s'eft trompé lorfqu'il a voulu juger par elles du nombre des fœtus qui étoient dans la matrice. ( a ) Regnerus de Graaf, de mulierum organisi ^J^ C i) 3(5 VÉNUS eanaanaBSB CHAPITRE VII. Expériences de Harvey, O u S ces fyftêmes fi brillans , & même fi vraifemblables , que nous venons d'expofer , paroiffent détruits par des obfervations qui avoient été faites auparavant , & auxquelles il femble qu'on ne fauroit donner trop Ae poids : ce font celles de ce grand homme à qui l'Anatomie devroit plus qu'à tous les autres , par fa feule dé- couverte de la circulation du fang. Charles I. Roi d'Angleterre , Prince curieux , amateur des Sciences ^ pour mettre fon Anatomifte à portée de découvrir le myftere de la génération , lui abandonna toutes les biches & les daimes de fes parcs. Harvey en fit un maffacre favant : mais fes expériences nous ont-elles donné quelque lumière fur la génération ? ou n'ont - elles pas plutôt répandu fur cette matière des ténèbres plus épailTes ? PHTSIQ^VE. 37 Harvey immolant tous les jours au progrès de la Phyfique quelque biche , dans le temps ou elles reçoivent le mâle ; difféquant leurs matrices , & examinant tout avec les yeux les plus attentifs , n'y trouva rien qui reffemblât à ce que Graaf prétend avoir obfervé ^ ni avec quoi les fyftêmes dont nous venons de parler paroiffent pouvoir s'accorder. Jamais il ne trouva dans la matrice de liqueur féminale du mâle ; jamais d'œuf dans les trompes , jamais d'altéra- tion au prétendu ovaire , qu'il appelle , comme plufieurs autres Anatomiftes , le tejlicule de la femelle. Les premiers changemens qu'il ap- perçut dans les organes de la généra- tion , furent à la matrice : il trouva cette partie enflée & plus molle qu'à l'ordinaire. Dans les quadrupèdes elle paroît double ^ quoiqu'elle n'ait qu'une feule cavité y fon fond forme comme deux réduits ^ que les Anatomiftes appellent fes cornes , dans lefqu elles fe trouvent les fœtus. Ce furent ces en- droits principalement qui parurent les plus altérés, Harvey obferva plusieurs C iii 38 VENUS çxcroiîTances fpongieufes , qu'ail com-. pare aux bouts des tétons des femmes». Il en coupa quelques - unes , qu'il trouva parieniées de petits points blancs enduits d'une matière vifqueufe. Le fond de la matrice qui formoit leurs parois étoit gonflé & tuméfié comme les lèvres des enfans , lorf- qu'eiles ont été piquées par des abeil- les , & teîiem.ent moilaffe ^ qu'il pa-^ roiiToit d'une coniiitance femblable à celle du cerveau. Pendant les deux mois de Septembre & d'Oftobre , temps auquel les biches reçoivent le cerf tous les jours , & par des expériences de plufieurs années , voilà tout ce que Harvey découvrit , fans jamais appercevoir dans toutes ces matrices une feule goutte de liqueur féminale : car il prétend s'être affuré qu'une matière purulente qu'il trouva dans la matrice de quelque biche , féparée du cerf depuis vingt jours , n'en étoit- point. Ceux à qui il fit part de fes obfer-. yations , prétendirent, & peut-être le craignit -il lui-m.ême , que les biches qu'il dîfïéquoit n'avoient pas été cou- vertes. Pour les convaincre , ou s'en affurer , il en fit renfermer douze après le rut dans un parc particulier ; il en difféqua quelques-unes , dans lef- auelies il ne trouva pas plus de vefti- ges de la femence du mâle qu'aupa- ravant ; les autres portèrent des faons. De toutes ces expériences , & de plu- fieurs autres faites fur des femelles de lapins 5 de chiens , & autres animaux , Harvey conclut que la femence du mâle ne féjourne ni même n'entre dans la matrice. Au mois de Novembre la tumeur de la matrice étoit diminuée , les caroncules fpongieufes devenues flaf- ques. Mais , ce qui fut un nouveau fpeftacle , des filets déliés étendus d'une corne à l'autre de la miatrice , formoient une efpece de réfeau femblabie aux toiles d'araignée ; & s'infinuant entre les rides de la membrane interne de la matrice , ils s'entrelaçoient autour des caroncules , à peu près comme on voit la pie-mere fuivre & embralTer les con^. tours du cerveau, C iv 40 Venus Ce réfeau forma bientôt une po- che 5 dont les dehors étoient enduits d'une matière fétide : le dedans , Uffe & poli , contenoit une hqueur fem- blable au blanc d'œut , dans laquelle nageoit une autre enveloppe fphéri- que remplie d'une liaueur plus claire & cryftallme. Ce fut dans cette liqueur qu'on apperçut un nouveau prodige. Ce ne fut point m animal tout orga- nifé j comme on. le devroit attendre des fyftêmes précedens : ce fut le principe d'un animal , un point vivant {a) avant qu'aucune des autres parties fuffent formées. On le voit dans la liqueur cryftalline fauter & battre , ti- rant fon accroiffement d'une veine qui fe perd dans la liqueur où il nage : il battoit encore lorfqu'expofé aux rayons du Soleil , Harvey le fit voir au Roi. Les parties du corps viennent bien- tôt s'y joindre ; m^ais en diiïérent or- dre , & en différens temps. Ce n'eft d'abord qu'un mucilage divifé en deux petites malles , dont Tune forme la { û ) PunElum falkns^ pirrsiqt/E. 4ï tête ^ l'autre le tronc. Vers la fin de Novembre le fœtus eu formé ; & tout cet admirable ouvrage , lorfqu'il pa- roît une fois commencé y s'achève fort promptement. Huit jours après la première apparence du point vivant l'animal eft tellement avancé , qu'on peut diftinguer fon fexe. Mais encore un coup cet ouvrage ne fe fait que par parties : celles du dedans font formées avant celles du dehors ; les vifceres & les inteftins font formés avant que d'être couverts du thorax & de X abdomen ; & ces dernières par- ties , deftinées à mettre les autres à couvert , ne paroiffent ajoutées que comme un toit à l'édifice. Jufqu'ici l'on n'obferve aucune ad- hérence du fœtus au corps de la mère. La membrane qui contient la liqueur cryftalline dans laquelle il nage , que les Anatomifies appellent Xamnios ^ nage elle - même dans la liqueur que contient le chorion , qui efl: cette poche que nous avons vue fe former d'abord ; & le tout eft dans la matrice fans au- cune adhérence. 41 Venus Au commencement de Décembre on découvre Fufage des caroncules fpongieufes dont nous avons parlé , qu'on obferve à la lurface interne de la matrice ^ & que nous avons com- parées aux bouts des mamelles des femelles. Ces caroncules ne font encore collées contre Fenveloppe du fœtus que par le mucilage dont elles font remplies : mais elles s'y unifient bientôt plus intimement en recevant les vaif- feaux que le fœtus pouffe , & fervent de bafe au placenta. Tout le refte n'eft plus que différens degrés d'accroiiTement que le fœtus reçoit chaque jour. Enfin , le terme où il doit naître étant venu ;, il rompt les membranes dans lefquelîes il étoit enveloppé j le placenta fe détache de la matrice ; & l'animal fortant du corps de la mère , paroît au jour. Les femelles des animaux m.âchant elles - mêmes le cordon des vaiffeaux qui attachoient le fœtus au placenta , détruifent une communication devenue inutile ; les Sages-femmes font une ligature à ce cordon , & le coupent. Voilà quelles furent les obfervations de Harvey. Elles paroiffent iî peu compatibles avec le fyftême des œufs , & avec celui des animaux fpermati- aues 5 que fi je les avois rapportées avant que d'expofer ces fyftêmes , j'aurois craint qu'elles ne prévinffent trop contr'eux , & n'empêchaffent de les écouter. Au lieu de voir croître l'animal par V intus'fufcepnon d'une nouvelle matiè- re , comme il devroit arriver s'il étoit formé dans l'œuf de la femelle , ou fi c'étoit le petit ver qui nage dans la femence du mâle ; ici c'eil un ani- mal qui fe forme par la luxta-poÇiÙGn de nouvelles parties. Harvey voit * d'abord fe former le fac qui le doit contenir : & ce fac , au lieu d'être la membrane d'un œuf qui fe dilate- roit , fe fait fous fes yeux comme une toile dont il obferve les progrès. Ce ne font d'abord que des filets tendus d'un bout âi l'autre de la matrice ; ces filets fe multiplient , fe ferrent y & forment enfin une véritable mem- brane. La formation de ce fac eil 44 VENUS une merveille qui doit accoutumer aux autres. Harvey ne parle point de la for- mation du fac intérieur , dont , fans doute , il n'a pas été témoin : mais il a vu Tanimal qui y nage fe former. Ce n'eft d'abord qu'un point ; mais un point qui a la vie , & autour duquel toutes les autres parties venant s'arran- ger forment bientôt un animal {ci). CHAPITRE VIII. Sentiment de Harvey fur la génération. OuTES ces expériences , fi oppo- ièes aux fyftêmes des œufs & des animaux fpermatiques , parurent à Harvey détruire même le iyftême du mélange des deux femences , parce que ces liqueurs ne fe trouv oient point dans la matrice. Ce grand homme défefpé- rant de donner une explication claire & diftinfte de la- génération , eft réduit (a) GuiLLELM. Harvey, de cervarum & dama^^ rum coïtu, Exercit. LXVI. PHYSIQUE. 45 à s'en tirer par des comparaifons : il dit que la femelle eft rendue féconde par le mâle , comme le fer y après qu'il a été touché par l'aimant , acquiert la vertu magnétique : il fait fur cette im- prégnation une differtation plus fcho- laflique que phyfique ; & finit par comparer la matrice fécondée au cer- veau 5 dont elle imite alors la fubf- tance. Uune conçoit le fœtus , comme Vautre les idées qui s^y forment ; expli- cation étrange , qui doit bien humilier ceux qui veulent pénétrer les fecrets de la Nature ! C'efl: prefque toujours à de pareils réfultats que les recherches les plus approfondies conduifent. On fe fait un fyftême fatisfaifant , pendant qu'on ignore les, fymptomes du phénomène qu'on veut expliquer : dès qu'on les découvre , on voit Finfuffifance des raifons qu'on donnoit , & le fyftême s'évanouit. Si nous croyons favoir quel- que chofe , ce n'eft que parce que nous fommes fort ignorans. Notre efprit ne paroît defliné qu'à raifonner fur les chofes que nos fens 46 Venus découvrent. Les microfcopes & les tu« nettes nous ont ^ pour amfi dire , donné des fens au - deffus de notre portée , tels qu'ils appartiendroient à des intel- ligences fupérieures , & qui mettent fans ceffe la nôtre en défaut. n'ijmgiiawFigjtmaa^^ CHAPITRE IX. Tentatives -pour accorder ces obfervationâ avec le fyjîême des œufs» Aïs feroit-il permis d'altérer un peu les obfervations de Harvey ? Pourroit-on les interpréter d'une manière qui les rapprochât du fyilême des œufs , ou des vers Iper- matiques ? Pourroit - on fuppofer que quelque fait eût échappé à ce grand homme ? Ce feroit , par exemple , qu'un œuf détaché de l'ovaire fut tombé dans la m.atrice , dans le temps que la première enveloppe fe forme , & s'y fût renfermée ; que la féconde enveloppe ne fût que la membr^me propre de cet œuf , dans lequel feroie P H y s I Q^ V E. renfermé le petit foetus , foit que l'œuf le contînt avant même la fécondation , comme le prétendent ceux qui croient les œufs prolifiques j foit que le petit fœtus y fût entré fous la forme de ver. Pourroit-on croire enfin que Harvey fe fut trompé dans tout ce qu'il nous raconte de la formation du fœtus ; que des membres déjà tout formés lui euffent échappé , à caufe de leur mol- leffe & de leur tranfparence , & qu'il les eût pris pour des parties nouvelle- ment ajoutées , lorfqu'ils ne faifoient que devenir plus fenfibles par leur ac- croifl^ement ? La première enveloppe , cette poche que Harvey vit fe former de la manière qu'il le raconte , feroit encore fort embarraffante. Son orga- nifation primitive auroit- elle' échappé à l'Anatomifte , ou fe feroit -- elle for- mée de la feule matière vifqueufe qui fort des mamelons de la matrice , comm.e les peaux qui fe forment fur le lait ? VENUS JilBIlllllllllllll imiBUMIll JiatllWiVir.«i!MI«JiMJHMIMiUaiUMajUA!-'.|^"»J'''"*"J""»g% CHAPITRE X. Tentatives pour accorder ces observations avec le Jyfiéme des animaux ffcrma- tiques, I l'on vouloit rapprocher les obfer- vations de Harvey du fyftême des petits vers ^ quand même , comme il le prétend , la liqueur qui les porte ne feroit pas entrée dans la matrice , il feroit affez facile à quelqu'un d'eux de s'y être introduit , puifque fon orifice s'ouvre dans le vagin. Pourroit- on maintenant propofer une conjec- ture qui pourra paroître trop hardie aux Anat'Omiftes ordinaires , mais qui n'étonnera pas ceux qui font accoutu- més à obferver les procédés des infec- tes , qui font ceux qui font les plus appUcables ici ? Le petit ver introduit dans la matrice n'auroit - il point tiffu la membrane qui forme la première enveloppe ? foit qu'il eût tiré de lui- même les fils que Haryey obferva d'abord * p H Y s I q^ V E. 49 d'abord , & qui étoient tendus d'un bout à l'autre de la matrice ; foit qu'il eût feulement arrangé fous cette forme la matière vifqueufe qu'il y trouvoit. Nous avons des exemples qui femblent favorifer cette idée. Plufieurs infeftes , lorfqu'ils font fur le point de fe mé- tamorphofer , commencent par filer ou former de quelque matière étrangère une enveloppe dans laquelle ils fe ren- ferment. C'eft ainfi que le ver à foie forme fa coque : il quitte bientôt fa peau de ver j & celle qui lui fuccede eft celle de fève , ou de chryfalide , fous laquelle tous fes m^embres font comme emmaillottés , & dont il ne fort que pour paroître fous la forme de papillon. Notre ver fpermatique , après avoir tiflli fa première enveloppe , qui ré- pond à la coque de foie , s'y renfer- meroit , s'y dépouilleroit , & feroit alors fous la forme de chryfalide , c'efl:- à-dire , fous une féconde enveloppe , qui ne feroit qu'une de (es peaux. Cette liqueur cryftalline renfermiée dans cette féconde enveloppe , dans (Euv, di Maup, Tom. II. £) 50 Venus laquelle paroît le point animé , feroit le corps même de l'animal ; mais tranf- parent com.me le cryftal , & mou jufqu'à la fluidité ^ & dans lequel Harvey auroit méconnu Torganifa- tion. La mer jette fouvent fur fes bords des matières glaireufes &^tranfparentes , qui ne paroifient pas beaucoup plus organifées que la matière dont nous parlons , & qui font cependant de vrais animaux. La première enveloppe du fœtus 9 le chorion , feroit fon ouvrage 5 la féconde , Tamnios ^ feroit fa peau. Mais eft - on en droit de porter de pareilles atteintes à des observations aulîî authentiques , & de les facrifier ainfi à des analogies & à des fyfl:êmes ? Mais auffi , dans des chofes qui font il difficiles à obferver ^ ne peut - on pas fuppofer que quelques circonflan- ces foient échappées au meilleur Ob- fervateur ? physiq^Ue. 5;i CHAPITRE XL Variétés dans les animaux. 'Analogie nous délivre de la peine d'imaginer des chofes nou- velles ; & d'une peine encore plus grande , qui eft de demeurer dans l'incertitude. Elle plaît à notre efprit : mais plaît-elle à la Nature ? Il y a fans doute quelqu'analogie dans les moyens que les différentes efpeces d'animaux emploient pour ie perpétuer : car , malgré la variété in- finie qui eft dans la Nature , les chan- gemens n'y font jamais fubits. Mais , dans l'ignorance oii nous fomm.es , nous courons toujours nique de pren- dre pour des efpeces voifines des efpe- ces fi éloignées , que cette analogie ^ qui d'une efpece à l'autre ne change que par des nuances infenfibles ^ fe perd 5 ou du mioi^is eft méconnoiflabie dans les efpeces que nous voulons comoarer. A 52 Venus En effets quelles variétés n'obfefve- t-on pas dans la manière dont diffé- rentes efpeces d'animaux fe perpétuent ! L'impétueux taureau , fier de fa force , ne s'amufe point aux carefTes : il s'élance à l'inflant fur la genifle y il pénètre profondément dans fes en- trailles 5 & y verfe à grands flots la liqueur qui doit la rendre féconde. La tourterelle , par de tendres gé- mifTemens , annonce fon amour : mille baifers , mille plaifirs précèdent le dernier plaifir. Un infefte à longues ailes ( a ) pour- fuit fa femelle dans les airs : il l'attrape ; ils s'embrafTent , ils s'attachent l'un à l'autre , & peu embarraffés alors de ce qu'ils deviennent , les deux amans volent enfemble , & fe laiffent empor- ter aux vents. Des animaux (/^) qu'on a long-temps méconnus 5 qu'on a pris pour des galles , font bien éloignés de promener ainfî leurs amours. La femelle , fous cette forme fi peu reffemblante à celle d'un (a) Ztf demoifelle , perla en latin. (b) Hifi. des infeâes de Aï. de Reaumur , tome IF", p n Y s I (i V E. j5 animal , paffe la plus grande partie de fa vie immobile & fixée contre Fécorce d'un arbre : elle eft couverte d'une efpece d'écaillé qui cache fon corps de tous côtés ; une fente prefqu'impercep- tible eft pour cet animal la feule porte ouverte à la vie. Le mâle de cette étrange créature ne lui reifemble en rien : c'eft un moucheron , dont elle ne fauroit voir les infidélités , & dont elle attend patiemment les careiTes. Aorès aue rinfefte ailé a introduit fon aiguillon dans la fente , la femelle de- vient d'une telle fécondité , qu'il fem.ble que {on écaille & fa peau ne foient plus qu'un fac rempli d'une multitude innombrable de petits, La galle -infefte n'eft pas la feule efpece d'animaux dont le mâle vole dans les airs , pendant que la femelle fans ailes , & de figure toute diffé- rente , rampe fur la terre. Ces dia- mans dont brillent les buiffons pendant les nuits d'autom.ne , les vers luifans , font les femelles d'infeftes ailés , qui les> perdroient vraifemblablement dans l'ob- fcurité de la nuit , s'ils n'étoient cou- D ii) 54 VÉNUS doits par le petit flambeau quelles portent ( ^ ). Parlerai-je d'animaux dont la figure infpire le mépris & Thorreur ? Oui : la Nature n'en a traité aucun en marâ- tre. Le crapaud tient fa femelle em- braffée pendant des mois entiers. Pendant que piufieurs animaux font fi empreflés dans leurs amours , le ti- mide poiiTofi ^n ufe avec une retenue extrême : fans ofer rien entreprendre fur fa femelle , ni fe permettre le moindre attouchement , il fe morfond à la fuivre dans les eaux ; & fe trouve trop heureux d'y féconder fes œufs ^ après qu'elle les y a jetés. Ces animaux travaillent-ils à la géné- ration d'une manière fi défintéreffée ? ou la délie ateffe de leurs fentimens fupplée-t-elle à ce qui paroît leur man- quer ? Oui 5 fans doute ; un regard peut être une jouifTance , tout peut faire le bonheur de celui Qui aime. La Nature a le miême intérêt à per- pétuer toutes les efpeces : elle aura infoiré à chacune le même motif ; & (a) Hïfi» de. l'Acad^ des Scienc* an, iy2j. p H r s I (i u E, 5;^ ce motif , dans toutes , eft le plaifir. Ceil lui qui , dans refpece humaine , fait tout difparoître devant lui ; qui , malpré mille obiracles qui s'oppofent à l'union de deux cœurs , mille tour- mens qui doivent la iiiivre ^ conduit les amans "au but que la Nature s'eil propoië {a). Si les poiffons femblent mettre tant de délicateffe dans leur amour , d'au- tres animaux pouffent le leur jufqu'à la débauche la plus eurénée. La Reine abeille a un férail d'amans , & les fatisfait tous. Elle cache en vain la vie qu'elle mené dans l'intérieur de fes mu- railles j en vain elle en avoit impofé même au favant Swarmerdam : un illuftre Obfervateur {b) s'eft convaincu par fes yeux de fes proftitutions. Sa fécondité eft proportionnée à fon in- tempérance 5 elle devient mère de 3 a & 40 mille enfans. (iz) . . . . . Ita capta lepore , Illecebrifque tuis omnls natura animantum ^ Te fequiîur cupide, quo quamque inducere pergis«. Lucret, lib» I, ( b ) Hîji, des infe^i. de M, de Reaumur^ t. V. p. /04». D iv 5<5 Venus Mais la multitude de ce peuple n'eft pas ce qu'il y a de plus merveilleux \ c'eft de n'être point reilreint à deux fexes , comme les autres animaux. La famille de l'abeille eft compofée d'un très-petit nombre de femelles , deftinées chacune à être Reine , comme elle ^ d'un nouvel effaim ^ d'environ deux mille mâles , & d'un nombre prodigieux de neutres , de mouches fans aucun fexe , efclaves malheureux qui ne font deftinés qu'à faire le miel , nourrir les petits dès qu'ils font éclos , & entrete» nir par leur travail le luxe 5^ l'abon- dance dans la ruche. Cependant il vient un temps où ces efclaves fe révoltent contre ceux qu'ils ont il bien fervis. Dès que les mâles ont affouvi la paflîon de la Reine ^ il femble qu'elle ordonne leur mort , & qu'elle les abandonne à la fureur des neutres. Plus nombreux de beaucoup que les mâles 5 ils en font un carnage horrible : & cette guerre ne finit point que le dernier miâle de l'efl'aim n'ait été exterminé. Voilà une efpece d'animaux bien PHYSIQUE. 57 différens de tous ceux dont nous avons jufqu'ici parlé. Dans ceux-là deux in- dividus formoient la famille ^ s'occu- poient & fuffifoient à perpétuer i'efpece : ici la famille n'a qu'une feule femelle ; mais le fexe çu mâle paroît partagé entre des milliers d'individus ; & des milliers encore beaucoup plus nom- breux manquent de fexe abfolument. Dans d'autres efpeces , au contraire , les deux fexes fe trouvent réunis dans chaque individu. Chaque limaçon a tout à la fois les parties du mâle & celles de la femelle : ces animaux s'at- tachent l'un à l'autre , s'entrelacent par de longs cordons , qui font leurs orga- nes de la génération 3 & après ce dou- ble accouplement , chaque limaçon pond fes œufs. Je ne puis om.ettre une fingularité qui fe trouve dans ces animaux. Vers le temps de leur accouplement la Na- ture les arme chacun d'un petit dard formé d'une matière dure & crufta- cée (a). Quelque temps après ce dard tombe de lui-miême , fans doute après ( a ) Heifier de cochlcis^ 58 VENUS l'ufage auquel il a fervi. Mais quel efl cet ufage , quel eft Tofiice de cet organe paffager ? Peut-être cet animal fi froid & fi lent dans toutes fes opérations a-t-il befoin d'être excité par ces pi- qûres ? Des gens glacés par Fâge , ou dont les fens étoient émouffés , ont eu quelquefois recours à des moyens aufii violens , pour réveiller en eux l'amour. Malheureux ! qui tâchez par la douleur d'exciter des fentimens qui ne doivent naître que de la volupté , reftez dans la létharg;ie & la mort : épargnez-vous des tourmens inutiles : ce n eft pas de votre fang que Tibulle a dit que Vénus étoit née (a). Il falloit profiter dans le temps des moyens que la Nature vous avoit donnés pour être heureux : ou fi vous en avez profité , n'en pouffez pas l'ufage au-delà des termes qu'elle a prefcrits , au lieu d'irri- ter les fibres de votre corps , confolez votre ame de ce qu'elle a perdu. Vous feriez cependant plus excufable (jV .,.,,... Is fanguine natar Is Venerem , & rapido fentiat effe mari. TmlU lib, L £%. IL encore que ce jeune homme qui, dans un mélange bizarre de fuperftition & de galanterie , fe déchire la peau de mille coups aux yeux de fa maîtreffe ^ pour lui donner des preuves des tourmens qu'il peut foufFrir pour elle ^ & des aiTurances des plaifirs qu'il lui fera goûter. On ne finiroit point fi Ton parloit de tout ce que Fattrait de cette paffion a fait imaginer aux hommes pour leur en faire excéder ou prolonger l'ufage. Innocent limaçon , vous êtes peut-être le feul pour qui ces mioyens ne foient pas criminels j parce qu'ils ne font chez vous que les ^&^is de Tordre de la j. Nature, R^ecevez & rendez mille fois les coups de ces dards dont elle vous a armés. Ceux qu'elle a réfervés pour nous font des foins & des regards. Malgré ce privilège qu'a le limaçon de pofféder tout à la fois les deux k\ç,% , la Nature n'a pas voulu qu'ils puffent fe paffer les uns des autres % deux font néceffaires pour perpétuer l'efpece (a). Mais voici un hermaphrodite bien ( <2 ) Mutuis animis amant , amantur. CatulL Carm» XLIlh 6o Venus plus parfait. C'eft un petit infefte trop commun dans nos jardins ^ que les Na- turalises appellent ^//cdAc/z. Sans aucun accouplement il produit fon femblable , accouche d'un autre puceron vivant. Ce fait merveilleux ne devroit pas être cru s'il n'avoit été vu par les Natura- liftes les plus fidèles , (S^ s'il n'étoit cons- taté par M. de Reaumur , à qui rien n'échappe de ce qui eft dans la Nature ^ mais qui n'y voit jamais que ce qui y eft. On a pris un puceron fortant du ventre de fa mère ou de fon père ; on l'a foigneufement féparé de tout com- merce avec aucun autre , & on l'a nourri dans un vafe de verre bien fermé : on l'a vu accoucher d'un grand nombre de pucerons. Un de ceux-ci a été pris fortant du ventre du premier , & ren- fermé comme fa mère : il a bientôt fait comme elle d'autres pucerons. On a eu de la forte cinq générations bien conf- tatées fans aucun accouplement. Mais ce qui peut paroître une merveille auffi grande que celle-ci , c'eftque les mêmes pucerons qui peuvent engendrer fans accouplement s'accouplent auffi fort bien quand ils veulent {a). Ces animaux , qui en produifent d'autres étant féparés de tout animal de leur efpece , fe lëroient-ils accouplés dans le ventre de leur mère ? ou lorf- qu'un puceron en s'accouplant en fé- conde un autre , féconderoit-il à la fois plufieurs générations ? Quelque parti qu'on prenne , quelque chofe qu'on imagine ^ toute analogie efl: ici violée. Un ver aquatique , appelle polype y a des moyens encore plus furprenans pour ■ fe multiplier. Comme un arbre pouffe des branches , un polype pouffe de jeunes polypes : ceux-ci , lorfqu'ils font parvenus à une certaine grandeur , fe détachent du tronc qui les a pro- duits : miais fouvent , avant que de s'en détacher , ils en ont poufle eux-mêmes de nouveaux ; & tous ces defcendans de différens ordres tiennent à la fois au polype aïeul. L'Auteur de ces dé- couvertes a voulu examiner n la géné- ration naturelle des polypes fe réduifoit { a ) Hïfl, des infecl, d& M, de Reaumur , tom, VL 6i Venus à cela y & s'ils ne s'étoient point ac- couples auparavant. Il a employé , pour s'en affarer , les moyens les plus ingé- nieux & les plus affidus : il s'eft pré- cautionné contre toutes les rufes d'a- mour , que les animaux les plus ftupides fa vent quelquefois mettre en ufage auiîx bien & mieux que les plus fins. Le réfultat de toutes fes obfervations a été que la génération de ces animaux fe fait fans aucune efpece d'accouple- ment. Mais cela pourroit-il furprendre , lorfqu'on faura quelle ell: l'autre ma- nière dont les polypes fe multiplient ? Parlerai-je de ce prodige ? & le croira- t-on ? Oui , il eft conitant par des ex- périences & des témoignages qui ne permettent pas d'en douter. Cet animal pour fe multiplier n'a befoin que d'être coupé par morceaux : le tronçon au- quel tient la xè^to^ reproduit une queue , celui auquel la queue eft reftée repro- duit une th^ , & les tronçons fans tête & fans queue reproduifent l'un & l'au- tre. Hydre plus merveilleufe que celle de la fable ^ on peut le fendre dans fa longueur , le mutiler de toutes les fa- çons ; tout eft bientôt réparé ; S:z cha- que partie eft un animal nouveau {a). Que peut-on penfer de cette étrange efpece de génération 5 de ce principe de vie répandu dans chaque partie de l'animal ? Ces animaux ne feroient-ils que des amas d'embryons tout prêts à fe développer dès qu'on leur feroit jour ? ou des moyens inconnus repro- duifent-ils tout ce qui manque aux par- ties mutilées ? La Nature y qui dans tous les autres animaux a attaché le plaifir à l'afte qui les multiplie , feroit-elle fentir à ceux-ci quelque efpece de volupté lorfqu'on les coupe par morceaux l ( a ) Philofûph. tranfdSî. N°. ^ây. L'ouvrage va paraître , dans lequel M. TREMBLEY donne au Public toutes fes découvertes fur ces animaux. \s. 04 V E N V s CHAPITRE XI L Réflexions fur les fyflêmes de dévelcp* peme?îs, A plupart des Phyficiens modernes, conduits par l'analogie de ce qui fe paffe dans les plantes , où la production apparente des parties n'eft que le dé-- veloppement de ces parties , déjà for- mées dans la graine ou dans l'oignon ; & ne pouvant comprendre comment un corps organifé feroit produit ; ces Phy- fîciens veulent réduire toutes les géné- rations à de fimples développemens. Ils croient plus fimple de fuppofer que tous les animaux de chaque efpece étoient contenus déjà tous formés dans un feul père , ou une feule mère , que d'admet- tre aucune produftion nouvelle. Ce n'eft point la petiteffe extrême dont devroient être les parties de ces animaux ^ ni la jfluidité des liqueurs qui y devroient circuler , que je leur ob- jefterai : mais je leur demande la per- miiTion PHYSIQUE. (ÎJ ïîiiffion d'approfondir un peu plus ieur fentiment, & d'examiner, i^. fi ce qu'on voit dans la produétion apparente des plantes eft applicable à la génération des animaux ; i^, fi le fyitême du développement rend la Phyfique plus claire qu'elle ne feroit en admettant des produftions nouvelles. Quant à la première queftion j il efi: vrai qu'on apperçoit dans l'oignon de la tulipe les feuilles & la fleur déjà tou- tes formées ^ & que fa production ap- parente n'eft qu'un véritable dévelop- pement de ces parties : mais à quoi cela eil-il applicable , fi l'on veut comparer les animaux aux plantes ? Ce ne fera qu'à l'animal déjà formé. L'oignon ne fera que la tulipe mem.e , & comment pourroit-on prouver que toutes les tu- lipes qui doivent naître de celle - ci y font contenues ? Cet exemple donc des plantes , liir lequel ces Phyficiens com- ptent tant , ne prouve autre chofe ii ce n'eft qu'il y a un état pour la plante où fa forme n'eft pas encore fenfible à nos yeux , mais où elle n'a befoin que du développement & de Fa-ccroiffement Œuv. de Maup» Tom. lî, £ 66 VÉNUS de fes parties pour paroître. Les ani- maux ont bien un état pareil : mais c'eft avant cet état qu'il faudroit favoir ce qu'Us étoient. Enfin quelle certitude a-t-on ici de l'analogie entre les plantes & les animaux ? Quant à la féconde queftion , fi le fyftême du développement rend la Phy- fique plus lumineufe qu'elle ne feroit en admettant de nouvelles produ fiions ; il eft vrai qu'on ne comprend point comment , à chaque génération , un corps organifé y un animal fe peut for- mer : mais comprend -on mieux corn- ment cette fuite infinie d'animaux con- tenus les uns dans les autres auroit été formiée tout à la fois ? Il me femble qu'on fe fait ici une illufion , & qu'on croit réfoudre la difficulté en l'éloi- gnant. Mais la difficulté demeure la même , à moins qu'on n'en trouve une plus grande à concevoir comment tous ces corps crganifés auroient été formés les uns dans les autres , &z tous dans un feul 5 qu'à croire qu'ils ne font for- més que fucceffivement. Descartes a cru comme les Anciens PHYSIQUE, 67 que l'homme etoit formé du mélange des liqueurs que répandent les deux fexes. Ce grand Phiiofophe , dans fon traité de l'homme ^ a cru pouvoir ex- pliquer comment , par les feules loix du mouvement & de la ferm.entation 5, il fe formoit un cœur , un cerveau 3 un nez , des yeux , &c. (a) Le fentiment de Defcartes fur la formation du fœtus par le mélange de ces deux femences a quelque chofe de remarquable , & qui préviendroit en fa faveur , fi les raifons morales pouvoient entrer ici pour quelque chofe : car on ne croira pas qu'il l'ait embraffé par complaifance pour les Anciens , ni faute de pouvoir imaginer d'autres fyftêmes. Mais fi l'on croit que l'Auteur de îa Nature n'abandonne pas aux feules loix du mouvement la formation des animaux; fi l'on croit qu'il faille qu'il y mette immédiatement la main , & qu'il ait créé d'abord tous ces animaux contenus les uns dans les autres : que ( a ) L'homme de D ESC ART ES , & la formation dit fotus* E ij ^8 VÉNUS gagnera-t-on à croire qu'il les a tous formés en même temps ? Et que perdra la Phynque , fi l'on penfe que les ani- maux ne font formés que fucceflîve- ment ? Y a-t-il même pour Dieu quel- que différence entre le temps que nous regardons comme le même , & celui qui fe fuccede ? CHAPITRE XIIL Raifons qui prouvent que le fœtus parti' cipe également du père & de la mère. I Ton ne voit aucun avantage , au- cune fimplicité plus grande à croire que les animaux , avant la génération , étoient déjà tous formés les uns dans les autres , qu'à penfer qu'ils fe for- ment à chaque génération 3 fi le fond de la chofe , la formation de l'animal demeure pour nous égalem.ent inexpli- cable : des raifons très-fortes font voir que chaque fexe y contribue également. L'enfant naît tantôt avec les traits du père 9 tantôt avec ceux de la mère , i! îiaît avec leurs défauts & leurs habi- tudes , & paroît tenir d'eux jufqu'aux inclinations & aux qualités de l'efprit. Quoique ces reflemblances ne s'obfer- vent pas toujours , elles s'obfervent trop fou vent pour qu'on puifle les attribuer à un effet du hafard : & fans doute elles ont lieu plus fouvent qu'on ne peut le remarquer. Dans des efpeces diftérentes ces ref- femblances font plus fenfibles. Qu'un homme noir époufe une femme blan- che y il femble que les deux couleurs foient mêlées ; l'enfant naît olivâtre , & eft mi - parti avec les traits de la mère & ceux du père. Mais dans des efpeces plus différentes l'altération de l'animal qui en naît eft encore plus grande. L'âne & la jument forment un animal qui n'eft ni cheval ni âne , mais qui eft vifiblement un compofé des deux : & l'altération eft fî grande , que les organes du mulet font inutiles pour la génération. Des expériences plus pouffées , & fur des efpeces plus différentes , feroient voir encore vraifembîablement de nou- Êiij =fo Venus veaux monflres. Tout concourt à faire croire que ranimai qui naît ell: un coinpofé des deux femences. Si tous les animaux d'une efpece éîoient déjà fonp-és & contenus dans un feul père ou une feule mère , foit fous la forme de vers , foit fous la forme d'oeufs 3 obferveroit- on ces al- ternatives de rellemblances? Si le fœtus étoit le ver qui nage dans la liqueur féminale du père , pourquoi relîemble- roit il quelquefois à la mère ? S'il n'étoit que Fœuf de la micre , que fa figure auroit-eile de comimiun avec celle du père ? Le petit cheval déjà tout formé dans l'œuf de la jument prendroit-il des oreilles d'âne , parce qu'un âne auroit mis les parties de Fœuf en mouverrient ? Croira-t-on, pourra-î-cn imaginer que le ver fperm.atique , parce qu'il aura été nourri chez la mère , prendra fa refi'emblance & fes traits ? Cela fe- roit-il beaucoup plus ridicule qu'il ne le feroit de croire que les animaux duffent reffembler aux alim.ens dont ils fe font nourris 5 ou aux lieux qu'ils ont habités } P H Y s I q^ U E, 71 g»rjto»jtuHiaja«jg»tai.'sgaJs:g^'-^*^aM^^ CHAPITRE XIV. Syjlême fur les monjlres. N trouve dans les Mémoires de l'Académie des Sciences de Paris une longue difpute entre deux hom- mes célèbres , qui , à la manière dont ils com.battoient , n'auroit jamais été terminée fans la mort d'un des com- battans. La queftion étoit fur les xnonftres. Dans toutes les efpeces on voit fouvent naître des animaux con- trefaits 5 des animaux à qui il manque quelques parties 5 ou qui ont quelques parties de trop. Les deux Anatomiftes convenoient du fyftême des œufs : mais l'un vouloit que les monftres ne fuf- fent jamais que l'effet de quelqu'acci- dent arrivé aux œufs : l'autre préten- doit qu'il j avoit des œufs originaire- ment monftrueux y qui contenoient des monftres auffi-bien formés que les autres œufs contenaient des animaux parfaits. E iv 72 Venus L'un expliquoit aiiTez claîremenî comment les défordres arrivés dans les œufs faifoient naître des monftres : il fufFiibit que quelques parties , dans le temps de leur mollelîe , euffent été détruites dans l'œuf par quelque acci- dent , pour qu'il naquît un monfcre par défaut 5 un enfant mutilé. L'union ou la confufion de deux œufs , ou de deux germes d\m même œuf, pro- duifoit les monjîres par excès \ les en- fans qui naiffent avec des parties fuperfîues. Le premier degré de monf- tres feroit deux gem.eaux fimplement adhérens l'un à l'autre , comme on en a vu quelquefois. Dans ceux - là aucune partie principale des œufs n'auroit été détruite : quelques parties fuperficielles des fœtus déchirées dans quelque endroit , & reprifes l'une avec l'autre , auroient caufé l'adhérence des deux corps. Les monftres à deux têtes fur un feul corps , ou à deux corps fous une feule th^ , ne différeroient des premiers que parce que plus de parties dans l'un des œufs auroient été détruites : dans l'un 5 toutes celles P H Y s I (l U El 73 qui formoient un des corps ; dans l'autre , celles qui formoient une des têtes. Enfin un enfant qui a un doigt de trop eft un monftre compofé de deux œufs , dans l'un defquels toutes les parties , excepté ce doigt ^ ont été détruites. L'adverfaire , plus Anatomifle que raifonneur , fans fe laiffer éblouir d'une efpece de lumière que ce fyftême ré- pand y n'objeftoit à cela que des mons- tres dont il avoit lui - même difféqué la plupart , & dans lefquels il avoit trouvé des m.onftruofités , qui lui pa- roifîbient inexplicables par aucun dé- fordre accidentel. Les raifonnemens de l'un tentèrent d'expliquer ces défordres : les monflres de l'autre fe multiplièrent ; à chaque raifon que M. de Lemery alléguoit , c'étoit toujours quelque nouveau monf- tre à combattre que lui produifoit M. "Winfslow. Enfin on en vint aux raifons mé- taphyfiques. L'un trouvoit du fcandale à penfer que Dieu eût créé des ger- mes originairement monftrueux : l'autre 74 VÉNUS croyoît que c'étok limiter la puîfTance de Dieu , que de la reftreindre à une régularité & une uniformité trop grande. Ceux qui voudroient voir ce qui a été dit fur cette difpute le trouveroient dans les Mémoires de F Académie (a). Un fameux Auteur Danois a eu une autre opinion fur les monftres : il en attribuoit la produftion aux Comètes. C'eiî: une chofe curie ufe , mais bien honteufe pour l'efprit humain , que de voir ce grand Médecin traiter les Comètes comme des abcès du Ciel , & prefcrire un régime pour fe préferver de leur contagion {h), (a) Mém, de V Acad. Roy ah des Sciences , années 17^4 5 '733 » '734 » '73^ ^ '740- ( b ) Th. Bartholini de Cometa confuium medicum ^ cum monfirorum in Danïa natorum hifioria. .*M p ir r s I Q, u E. 7y moEExzB^Kmmtmià,-!;^ CHAPITRE XV. I?es accidens caufés par V imaginatioii des mères. N phénomène p!us difficile en- core , ce me femble , à expliquer que les monilres dont nous venons de parler ^ ce feroit cette efpece de mons- tres caufés par Fimagination des mères, ces enfans auxquels les mères auroient imprimé la figure de l'objet de leur frayeur , de leur admiration, ou de leur defir. On craint d'ordinaire qu'un nègre, qu'un finge , ou tout autre animal dont la vue peut furprendre ou effrayer , ne fe préfenre aux yeux d'une femme enceinte. On craint qu'une fem^me en cet état defire de manger quelque fruit , ou qu'elle ait quelqu'appétit qu'elle ne puuTe pas fatisfaire. On ra- conte mille hiftoires d'enf^ms qui por- tent les marques de tels accidens. Il me femble que ceux qui ont rai- fonné fur ces phénomènes en ont con- y 6 Venus- fondu deux fortes abfolument difFérentes.' Qu'une femme troublée par quelque paffion violente , qui fe trouve dans un grand péril , qui a été épouvantée par vxi animal affreux ^ accouche d'un enfant contrefait ; il n'y a rien que de très -facile à comprendre. Il y a certainement entre le fœtus & fa mère une communication aifez intime pour qu'une violente agitation dans les efprits ou dans le fan g de la mère fe tranfmette dans le foetus , & y caufe des défor- dres auxquels les parties de la mère pou- voient rélifter , mais auxquels les parties trop délicates du fœtus fuccombent. Tous les jours nous voyons ou éprou- vons de ces mouvemens involontaires qui fe communiquent de bien plus loin que de la mère à l'enfant qu'elle porte. Qu'un homme qui marche devant moi faffe un faux pas 5 mon corps prend naturellement l'attitude que devroit prendre cet homme pour s'empêcher de tomber. Nous ne faurions guère voir foufFrir les autres fans reffentir une partie de leurs douleurs , fans éprouver des révolutions quelquefois pirysiQ,t/E. 77 plus violentes que n'éprouve celui fur lequel le fer & le feu agifTent, Ceft un lien par lequel la Nature a attaché les hommes les uns aux autres. Elle ne les rend d'ordinaire compatiffans , qu'en leur faifant fentir les mêmes maux. Le plaifir & la douleur font les deux maîtres du Monde. Sans l'un ^ peu de gens s'embarrafferoient de per- pétuer Tefpece des hommes : fi l'on ne craignoit Tautre , plufieurs ne vou- droient pas vivre. Si donc ce fait tant rapporté eil vrai , qu'une femme foit accouchée d'un enfant dont les membres étoient rompus aux mêmes endroits où elle les avoit vu rompre à un criminel ^ il n^ a rien , ce me femble , qui doive beau- coup furprendre , non plus que dans tous les autres faits de cette efpece. Mais il ne faut pas confondre ces faits avec ceux où l'on prétend que l'imagination de la micre imprime au fœtus la figure de l'objet qui l'a épou- vantée , ou du fruit qu'elle a defiré de manger. La frayeur peut caufer de grands défordres dans les parties molles 78 Venus du fœtus : mais elle ne reiTemble point à l'objet qui l'a caufée. Je croirois plutôt que la peur qu'une femme a d'un tigre fera périr entièrement fon enfant , ou le fera naître avec les plus grandes difformités , qu'on ne me fera croire que l'enfant puiffe naître mou- cheté , ou avec des griffes , à moins que ce ne foit un effet du hafard qui n'ait rien de commun avec la frayeur du tigre. De même l'enfant qui naquit roué eft bien moins prodige que ne le feroit celui qui naîtroit avec l'em- preinte de la cerife qu'auroit voulu manger fa mère ; parce que le fenti- ment qu'une femme éprouve par le defir ou par la vue d'un fruit ne ref- fernble en rien à l'objet qui excite ce fentiment. Cependant rien n'eft fi fréquent que de rencontrer de ces fignes qu'on pré- tend formés par les envies des mères : tantôt c'eft une cerife , tantôt c'eft un raifin, tantôt c'eft un poiffon. J'en ai obfervé un grand nombre : mais j'avoue que je n'en ai jamais vu qui ne pût être facilement réduit à queiqu'excroif- P H Y s I E LA Nature. kî j peut-être encore avec le temps , mais à laquelle peut-être la fuite des iiecles -îî'apporte que des accroiffemèns im- perceptibles. X L V I. Des moyens différens des moyens ordinaires que la Nature emploie pour la production des animaux , loin d'être des objeftions contre ce fyltême , lui font indifférens , ou lui feroient plutôt favorables. On connok des infeftes dont chaque individu fuffit pour fa re- produfrion-: on en a découvert qui fe reproduifent par la feftion des parties de leurs corps. Ni l'un ni l'autre de jces phénomènes n'apporte à notre lyf- terne aucune difîîcuité nouvelle. Et s'il eil: vrai , comme quelques-uns des plus fameux obfervateurs le préten- dent 5 qu'il y ait des animaux qui fans père ni mère naiffent de matières dans lefquelles on ne foupçonnoit aucune de leurs femences , le fait ne fera pas plus difficile à expHquer : car les vé- ritables femences d'un animal font les élémens propres à s'unir d'une cer- Lii] ï66 Système taine manière : & ces élémens , quoi- que , pour la plupart des aniip.aux , ils ne fe trouvent dans la quantité fuffi- fante , ou dans les circonftances pro- pres à leur union , que dans le mé- lange des liqueurs que les deux fexes répandent , peuvent cependant , pour la génération d'autres efpeces , fe trou- ver dans un feul individu ; enfin ail- leurs que dans l'individu m^ême qu'ils doivent produire. X L V ï I. Mais le fyftême que nous propo- fons fe borneroit - il aux animaux ? & pourquoi s'y borneroit-il ? Les végétaux^ les minéraux ^ les métaux mêmes , nont- iîs pas de femblables origines ? Leur produftion ne nous conduit -elle pas à la produélion des autres corps les plus organifés ? Ne voyons - nous pas fous nos yeux quelque chofe de femblable à ce qui fe paffe dans les germes des plantes , & dans les matrices des ani- maux ; lorfque les parties les plus fub- tiles d'un fel , répandues dans quelque fluide qui leur permette de fe mou- DE LA Nature. î^j voir & de s'unir , s'uniiTent en eflet , & forment ces corps réguliers ;, cubi- ques , pyramidaux , &c. qui appartien- nent à la nature de chaque fe[ ? Bro- yez ces corps , réduifez-les en poudre , rompez le lien qui eiï entre leurs par- ties 5 ces parties divifées nageant dans le même fluide auront bientôt repris leur premier arrangement , ces corps réguliers feront bientôt reproduits* Mais fi la figure trop fimple de ces corps vous empêche d'appercevoir Fa- nalcgie qui fe trouve entre leur pro- duftion & celle des plantes & des animaux ^ mêlez enfembîe des par- ties d'argent , de nitre & de mer- cure , & vous verrez naître cette plante merveilleufe que les Chymiftes appel- lent arère de Diane ; dont la produc- tion ne diffère peut-être de celle des arbres ordinaires qu'en ce qu'elle fe fait plus à découvert. Cette efpece . d'arbre femble être aux autres arbres ce que font aux autres animaux ceux qui fe produifent hors des générations ordinaires , comme les polypes , comb- ine peut-être les te^nias ^ les afcarides ^ L iv i68 Système les anguilles de farine délayée ; s'il eft vrai que ces derniers animaux ne foient que des affemblages de parties qui n'ont point encore appartenu à des animaux de la même efpece (a). X L V I I I. Ce n'eft point ici le lieu de racon- ter les changemens qui paroiffent être arrivés à notre globe , ni les caufes qui ont pu les produire. Il a pu fe trouver fubmergé dans l'athmofphere de quelque corps célelle : il a pu fe trouver brûlé par Tapproche de quel- qu' autre : il a pu fe trouver beaucoup plus près du Soleil qu'il n'ell: aujour- d'hui j, fondu ou vitrifié par les ra- yons de cet aftre. On voit afTez que dans les combinaifons d'un grand nom- bre de globes dont les uns traverfent les routes des autres , tous ces acci- dens font poffibles. ( a ) Hîfl, natur, de M. de Buffbn , tome II, chap* $ & p , pages ^0^ & ^22 5 édition du Louvre^ DE LA Nature. 169 X L I X. Mais on peut partir du fait : tout nous fait connoitre que toutes les ma- tières que nous voyons fur la fuperfi- cie de notre Terre ont été fluides , foit qu'elles ayent été difToutes dans les eaux , foit qu'elles ayent été fondues par le feu. Or^ dans cet état de flui- dité où les matières de notre globe ont été , elles fe font trouvées dans le même cas que ces liqueurs dans lefquelles nagent les élémens qui doivent pro- duire les animaux : & les métaux , les minéraux , les pierres précieufes , ont été bien plus faciles à former que l'infefte le moins organifé. Les parties les moins aftives de la matière auront formé les métaux & les marbres ^ les plus aftives les animaux & l'homme. Toute la différence qui eil entre ces produftions , eft que les unes fe conti- nuent par la fl.uidité des matières où fe trouvent leurs élémens , & que l'endur- ciiîem.ent des m.atieres où fe trouvent les élémens des autres ïie leur permet plus de produttions nouvelles. ïjo Système L. Mais il ne feroit pas impoffible que fi norre Terre le retrouvoit encore dans quelqu'un des états dont nous avons parié § XLviii , après un tel déluge , ou un tel incendie , de nouvelles unions d'élémens', de nouveaux amm^:^ux , de nouvelles plantes , ou plutôt des choies toutes nouvelles , fe reprodui- iilïent, L L C'eft ainfi qu'on expMqueroît par un même principe toutes ces produc- tions auxquelles nous ne faurions au- jourd'hui rien comprendre. Dans l'état de fluidité où étoit la matière , chaque élément aura été fe placer de la ma- nière convenable pour form.er ces corps dans lefquels on ne reconnoît plus de veftige de leur formation. C'eft ainfî quune armée , vue d'une certaine dif- tance , pourroit ne paroître à nos yeux que comme un grand animal : c'eft ainiî qu'un eiîaîm d'abeilles , lorfqu'elles fe font alTembiées & unies autour de DELA N A T V R E. I7I la branche de quelqu arbre , n'offre plus à nos yeux qu'un corps qui n'a aucune reffemblance avec les indivi- dus qui l'ont formé. L I I. Mais chaque élément ;, en dépofant fa forme S< s'accumulant au corps qu'il va former , dépoferoit-il auffi fa perception? perdroit-il, affoibliroit - il le petit degré de fentiment qu'il avoir ; ou i'augmenteroit-il par fon union avec les autres 5 pour le profit du tout ? L I I L La perception étant une propriété effentielle des élémens , il ne paroît pas qu'elle puiffe périr , diminuer , ni s'accroître. Elle peut bien recevoir dif- férentes modifications par les différen- tes combinaifons des élémens ; mais elle doit toujours y dans l'Univers , for- mer une même fomrae ^ quoique nous ne puiffions ni la fuivre ni la recon- noître. 172 Système L I V. Il ne nous eft pas poffible de favoîr par l'expérience ce qui fe paffe fur cela dans les efpeces différentes de la nôtre , nous n'en pourrons tout au plus juger que par l'analogie : & i'expénence de ce qui fe paffe en nous-mêmes , qui feroit néceffaire pour cette analogie , ne nous inilruit pas encore fufîiram- ment. Mais chez nous, il femble que de toutes les perceptions des élémens raffemblées il en réiulte une percep- tion unique , beaucoup plus forte 5 beaucouD dIus oarfaite , au'aucune des perceptions élémentaires , & qui eft peut-être à chacune de ces perceptions dans le même rapport que le corps or- ganifé eft à l'élément. Chaque élé- ment , dans fon union avec les autres , ayant confondu fa perception avec les leurs ^ & perdu le fentiment particu- lier du foi , le fouvenir de l'état pri- mitif des élémens nous manque , & notre origine doit être entièrement perdue pour nous.. Au refte , lorfque nous parlons de DELA Nature. 173 cette réunion des perceptions des élé- xnens dans une perception unique , il ne faut pas croire que chaque partie de FalTemblage d'élémens qui forme notre corps contribue également & uni- formément à cette perception : l'ex- périence nous fait voir ici des diffé- rences extrêmes , foit que les élé- mens foient originairement doués de perceptions de différens genres , foit que leur différente difpoiition , dans leurs différens affemblages , produife ces différences. Quelque partie de no- tre corps femble contenir l'affemblage des élémens dont les perceptions font la penfée ; les autres parties ne paroii- fent renfermer que des affemblages d'élémens deftinés à la fenfation j dans d'autres enfin il ne paroît aucune réu- nion de perceptions élémentaires qui puiffe former pour nous aucun genre de perception. C'eft d'où vient que des changemens imperceptibles dans la difpofition des élémens de certaines parties caufent de fi étranges altéra- tions fur la faculté intellerave , tan- dis que la perte d'un bras ou d'une 174 Système jambe n'a pas fur elle plus d'influence que le retranchement des cheveux ou des ongles. L V. Dans les animaux dont les corps ont le plus de rapport avec le nôtre ^ il eft vraifemblable qu'il fe paffe quelque chofe y je ne dis pas de pareil , mais d'analogue. Cette analogie , en dimi- nuant toujours , peut s'étendre jufqu'aux zoophytes , aux plantes , juiqu aux mi- néraux , aux métaux j & je ne fais pas. oii elle doit s'arrêter. Quant à la ma- nière dont fe fait cette réunion de perce- ptions , c'eft vraifemblablement un myt tere^ que nous ne pénétrerons jamais. L V L Par la réunion des perceptions élé- mentaires on expliquera facilement des faits inexolicables dans tout autre fyftême : pourquoi les paillons & les talens deviennent héréditaires dans les hommes & dans les animaux. Com- ment les qualités de l'ame du père fe retrouvent- elles dans l'amiC du fils? DELA Nature. 175 Pourquoi ces familles de Géomètres , de Muficiens , &ic. ? Com.ment le chien tranfmet-il à fa race fon habileté pour la chaffe ? Ces phénom_enes inconceva- bles 5 mais ordinaires , & qui peut-être feroient encore plus conftans fi les gé- néalogies étoient bien fuivies ^ s'expli- quent avec la plus grande facilité dans notre fyftême. D'une même quantité , d'un même affemblage de parties élé- mentaires , doivent réfulter les mêmes concours de perceptions ^ les mêmes inclinations , les mêmes averfions , les m.êmes talens , les mêmes défauts , dans les individus qui naiffent de ceux qui les ont. Et fi au lieu de contrarier ces habitudes par l'éducation , comme iî n'arrive que trop fouvent , on les for- tifioit par une éducation analogue , qu'on defl:inât pendant plufieurs géné- rations les enfans au métier de leur père , on verroit peut-être les talens s'élever à un point de perfeftion au- quel ils ne font point encore parvenus, L V I I. Jufqu'ici , parlant en Phyficiens , ij6 Système nous n'avons coniidéré que ces intelli- gences néceiiaires pour la formation des corps ; & c'eft ce que Fliomme a de commun avec les bêtes , les plantes , & en quelque forte avec tous les êtres organifés. Mais il a de plus qu'eux un prmcipe qui rend fa condition bien différente de la leur , qui lui fait con- noitre Dieu , & dans lequel il trouve les idées morales de fes devoirs. Les perceptions particulières des élémens n'ayant pour objet que la figure & le mouvement des parties de la matière , l'intelligence qui en réfulte refte dans le m.ême genre _, avec quelque degré de plus feulement de perfeftion. Elle s'exerce fur les propriétés phyfiques , & peut-être s'étend jusqu'aux fpécula- tions de l'Arithmétique & de la Géo- métrie : mais elle ne fauroit s'élever à ces connoiffances d'un tout autre ordre , dont la fource n'exiite point dans les perceptions élémentaires. Je n'entre- prendrai pas d'expliquer quelle efpece de commerce peut fe trouver entre le principe moral , & l'intelligence qui réfulte des perceptions réunies des élé- mens : 2> je: la N a t u r e. 177 înens : il fuffit que nous fâchions que nous avons une ame indivi/îble , im- mortelle , entièrement diftinfte du corps y & capable de mériter des peines ou des récompenfes éternelles* L V 1 1 L Mais quelqu' autre fyftême qu^on em- braffe , n'y aura-t-il pas des difficultés pour le moins auffi grandes ? Dans le fyftême du développement, l'animal- cule qui doit former l'homme , ou plutôt' qui eft déjà l'homme tout for- mé, a-t-il déjà reçu ce don célefte qui doit conduire ks aftions lorfqu'il vivra parmi nous ? S'il l'a déjà y cha- que animalcule contenu à l'infini doit l'avoir auffi : & toutes ces âmes conte- nues , pour ainfi dire , les unes dans les autres feront - elles plus faciles à concevoir , que la réunion des perce- ptions élémentaires ? Chaque ame , quoique toutes produites au moment de la création du premier homme , aura eu fa création particulière : & n'aura-ce pas encore été de nouveaux miracles , que d'avoir fufpendu pen- Œuv. de Maiip. Tom. II. ^I ijS Système dant tant de fiecles les opérations de tant d'ames , dont la nature eft de fe connoître & de penfer ? L I X. Si y comme c'efl: la commune opi- nion , mais l'opinion la moins phiîofo- phique , Famé ne commence à exiiter , & ne vient animer l'embryon que lort qu'il eft parvenu à un certam terme d'accroiflement dans le ventre de la mère , les difficultés ne feront pas moin- dres. Le foetus ne fe développe & ne s'accroît que par des degrés infenfibles , & qui , pour ainfi dire , fe touchent tous : auquel de ces degrés pafTera-t-il fubitement de l'état de n'avoir point d'ame à celui d'en avoir? Li A.» Malgré tout ce que j'ai dit au com- mencement de cet effai , je crains en- core qu'on ne renouvelle le murmure contre ce que je propofe. J'ai cepen- dant fait voir d'une manière qui me paroît inconteftable qu'il n'y avoit pas plus de péril à admettre dans les parties • DELA Nature. 179 de la matière quelque degré d'intelli- gence , qu'à l'accorder aux animaux que nous regardons comme les plus parfaits. Dira-t-on que ce n'eft qu'un injîi/iclqxi oi\ accorde à ceux-ci? Inftinft foit ; qu'on l'appelle ainfi , fi l'on veut : cet inftinft qui rend les animaux capa- bles d'une fi nombreufe multitude & d'une fi grande variété d'opérations , fuffira bien pour arranger & unir les parties de la matière. Enfin , qu'on ap- pelle encore , fi l'on veut , les élémens des animaux , ( car je ne fais plus ce qu'il faut pour faire un animal ) & qu'on me îaiffe dire que tous ces petits animaux par leurs inftinfts particuliers s'affem- blent & s'unifient pour former les corps« L X I. Dans quelle admiration , & combien loin de toute explication ne nous jet- teroient pas les ouvrages de l'araignée', de la chenille , de l'abeille , fi nous ne les voyions pas fe former fous nos yeux ? L'on a pris long-temps pour des plan- tes 5 ou pour des pierres , les coraulx , les madrépores , & plufieurs corps de M. ij iSo S y s T Ê M E cette efpece , qui ne font que les ouvrages de quelques infeéîes marins qu'on n'avoit point apperçus. Je me fuis aflez expliqué pour qu'on ne con- fonde pas ces dernières formations avec celles dont nous avons jufqu'ici parlé : elles en différent effentielîement. Dans les unes , les ouvriers bâtiffent avec des matériaux étrangers ; dans les au- tres , les matériaux font les ouvriers eux-mêmes. Je ne cite ces fortes d'ou- vrages que comme des exemples de ce dont l'inftinft de quelques infeftes eft capable. J'abandonne , fi l'on veut , les termes de delir , d'averfion , de mémoire , celui d'inftinft même -: qu'on donne le nom qu'on voudra aux pro- priétés qui font exécuter à des infefîes ces merveilleux ouvrages ; mais qu'on me dife s'il eft plus difficile de conce- voir que des animaux moins animaux que ceux-là , par quelque propriété du même genre ^ foient capables de fe pla- cer & de s'unir dans un certain ordre. L X I I. Au fond toute la répugnance qu'on DE LA Nature. i8i a à accorder à la matière un principe d'intelligence , ne vient que de ce que Ton croit toujours que ce doit être une intelligence femblable à la nôtre : mais c'eft de quoi il faut bien fe donner de garde. Si l'on réuéchit fur Tintelligence humaine , on y découvre une infinité de degrés tous difïerens ent r'eux ^ dont la totalité forme fa perfe61ion. Le pre- mier inftant où Tame s'apperçoit , le moment où Thomme ie réveille , font aflurément des états où (on intellio;ence eft très -peu de chofe; le moment où il s'endort n'eft pas plus lumineux ; & dans la journée même il fe trouve encore bien des inflians où il n'eil occupé que de fentimens bien légers & bien confus. Tous ces états appar- tiennent à une intelligence dont ils ne font que difiérens degrés : cependant û l'homme étoit toujours dans des états femblables à ceux que je viens de ci- ter ^ je doute que fon intelligence fut fort préférable à celle des animaux ; & qu'on pût lui demander de ks aftions ce compte qui rend fa condition fi différente de la leur, M iij îSz Système L X 1 1 I. Parlerons - nous ici de ce fyftême abliirde , & eft-ce un fyftême , que celui qu'un Philofophe impie im^agina , qu'un grand Poète orna de toutes les richeffes de fon art , &z que les liber- tins de nos jours voudroient reproduire ? Ce fyftême n'admet pour principes dans rUnivers que des atomes éternels , fans fentiment & fans intelligence , dont les rencontres fortuites ont formé toutes chofes : une organifation accidentelle fait l'ame , qui eft détruite dès que Torganifation ceffe. L X I V. Pour renverfer un tel fyftême , il fuftlroit de demander à ceux qui le foutiennent , commicnt il feroit poffible que des atomes fans intelligence pro- duififfent une intelligence. Ces efprits forts qui refufent de croire qu'une puif- fance infinie ait pu tirer le Monde du néant , croient-ils que l'intelligence fe tire du néant elle-même ? Car elle naî- îroit du néant j fi , fans qu'il y eût aucun DE LA Nature, i8j être qui contînt rien de fa nature , elle fe trou voit tout-à-coup dans l'Univers» L X V. L'intelligence que nous éprouvons en nous-mêmes indique né cefi "aire ment une fource d'où émane . dans le degré qui convient à chacun , l'intelligence de l'homme , des animaux , & de tous les êtres , jufqu'aux derniers élémens. LXVL Dieu en créant le Monde , doua chaque partie de la matière de cette propriété , par laquelle il voulut que les individus qu'il avoit formés fe re- produinfîent. Et puifque l'intelligence eft néceflaire pour la formation des corps organifés , il paroît plus grand & plus digne de la Divinité qu'ils fe for- ment par les propriétés qu'elle a une fois répandues dans les élémens , que fi ces corps étoient à chaque fois des produérions im^miédiates de fa puiffance, L X V I L Tous les fyftêmes fur la formatioiï M iv 1S4 s y s T É M E , &C. des corps organifés fe réduifent donc à trois ;• & ne paroiffent pas pouvoir s'é- tendre à un plus grand nombre. 1. Celui ou les élémens bruts Ù fans intelligence , -par le feul hafard de leurs rencontres , auroient formé r Univers. 2. Celui dans lequel l'Etre fuprême , ou des êtres fuh ordonnés à lui , diflincls de la matière , auroient employé les élé-' mens , comme V Architecle emploie les pierres dans la conflruction des édifices^ 3. Enfin celui où les élémens eux- mêmes doués d'intelligence s^ arrangent & s'uniffent pour rcm^plir les vues dît Créateur^ k-'ik- k- '> I^ RÉPONSE AUX OBJECTIONS i D E M. D I D E ROT. Orfque je me propofai de laifTer paffer au Public quelques-unes de mes penfées , je me promis , en cas qu'on m'attaquât , de ne pas employer mon temps à défendre des chofes qui ne mé- riteroient peut-être pas d'être défendues, mais qui fùrement ne vaudr oient pas le repos qu'on perd dans les difputes. Les opinions philofophiques intéref- kwt fi peu le bien public , que ce n eft guère que par amour propre qu'on les foutient 5 ou qu'on y veut affujettir les autres. Ni donc l'injuftice des critiques , ni même le cas que je pouvois faire de quelques-unes , ne m'ont fait chan- ger de réfolution. 11 n'eft qu'un feul genre d'objeftions auxquelles on foit obligé de répondre , & iur lefquelles le liience feroit une faute ou contre l8(î RÉPONSE la fociété ou contre foi : ce font celles qui pourroient donner des impreffions flicheufes de notre religion ou de nos mœurs. Cefl: manquer à la fociété , que laiffer penfer que la Philofophie conduife à Fim piété ou au vice ; ce feroit manquer à foi-même , que laiffer croire qu'elle nous y auroit conduits. Je me trouve donc ici dans la né- ceffité de jullifier des chofes que j'au- rois abandonnées : mais une peine plus grande encore , c'eft d'avoir à foutenir une ccntroverfe contre un homme pour qm je fuis rempli d'eftimie , contre un Auteur qui fait tant d'honneur à notre Nation , qui l'a éclairée par tant d'écrits où fefprit & l'invention bril- lent de toutes parts. Il efl: vrai que nous retirerons un avantage d'avoir un tel adverfaire : c'eft qu'il fait dilparoî- tre à nos yeux , & aux yeux du Public éclairé , tous les autres que nous pour- rions avoir ; & que lorfque nous lui aurons répondu , nous nous mettrons peu en peme de répondre aux autres. M. Diderot après avoir répandu des louanges peut-être prodiguées fur le AUX O B J E CTI 0 N s. 187 petit écrit intitulé : DiJJertatio inaiigu- ralis inetaphyfica de univeifali Natures fyjîemate ^ ajoute des réflexions capa- bles de mortifier ou d'alarmer l'Au- teur. Cependant loin de diffimuler les réflexions de M. Diderot ^ nous les rap- porterons dans les propres termes : nous y ferons une réponfe qui étoit apparem- ment pour l'ouvrage un éclairciiTement néceiîaire y ou qui l'eft devenue. Voici commuent M. Diderot s'expli- que dans fpn interprétation de la JSfa^ tare , § L. « Pour ébranler une hypothefe , il » ne faut quelquefois que la pouffer » aulîi loin qu'elle peut aller. Nous » allons faire FeiTai de ce moyen fur >> celle du Dofteur d'Erlang ^ dont » l'ouvrage , rempli d'idées iingulieres » & neuves , donnera bien de la tor- » rare à nos Philofophes. Son objet eil » le plus grand que l'inteUigence hu- » maine puiffe fe propofer , c'eft le ÇyC- » terne univerfel de la Nature. L'Au- » teur comm.ence par expofer rapider >? m.ent les fentimens de ceux c[ui Font » précédé j & ImfufEfance de leurs î88 Réponse >> principes poi^r le développement gé- » néral des phénomènes. Les uns n'ont » demandé que Vétendue & le rnouve- » ment : d'autres ont cru devoir ajou- » ter à l'étendue Vimvénétrabilité . la » mobilité & V inertie, L'obfervation des » corps céleftes , ou plus généralement » la Phyfique de grands corps , a dé- » montré la néceffité d'une force par >> laquelle toutes les parties tendiffent M ou pefaffent les unes vers les autres » félon une certaine loi , & l'on a admis » Vattraclion en raifon limple de la ^> maffe , & en raifon réciproque du » quarré de la diftance. Les opérations » les plus /impies de la Chymie , ou » la Phyfique élémentaire des petits » corps , a fait recourir à des attrac- n lions qui fuivent d'autres loix ; & » l'impoliibilité d'expliquer la formation >> d'une plante ou d'un animal avec les » attraftions , l'inertie , la mobilité , » l'impénétrabilité , le mouvement , la » matière ou l'étendue , a conduit le » Philo fophe Baumann à fuoDofer en- » core d'autres propriétés dans la Nature. ^> Mécontent aes Natures plajliques y à AUX Objections. 189 M qui l'on fait exécuter toutes les mer- » veilles de la Nature , fans matière & » fans intelligence ; des [ubjlaiices inteU » ligentes jubaltcrnes , qui agiffent fur la » matière d'une manière inintelligible j » de Xdcjimultanéhé de la création ^^ delà ^> formation des fubjîances qui , contenues » les unes dans les autres , fe dévelop- » pent dans le temps , par la continuation » d'un premier miracle ; & de Vextem- ^> poranéité de leur -production , qui n'eft » qu'un enchaînement de miracles réité- » rés à chaque inftant de la durée ; il a » penfé que tous ces fyftêmes peu philo- » fophiques n'auroient point eu lieu , >> fans la crainte mal fondée d'attri- » buer des modifications très-connues à » un être dont l'efTence nous étant in- » connue , peut être par cette raifon » même , & malgré notre préjugé , très- >> compatible avec ces modifications, w Mais quel eft cet être ? quelles font >> ces modifications ? le dirai- je ? fans » doute , répond le Dofteur Baumann. » L'être corporel eft cet être , ces mo- v> difications font le defir^^averjion ^ la •» mémoire & X intelligence , en un mot ipo Réponse » toutes les qualités que nous reconnolA » fons dans les animaux , que les anciens » comprenoient fous le nom ôiamefenji- » tlve 5 & que le Dofteur Baumann ad^ » met, proportion gardée des formes & >} des m.ades, dans la particule la plus pe- » tite de matière comme dans le plus gros » animal. S'il y avoir ^ dit-il , du péril à » accorder aux molécules de la matière » quelques degrés d'intelligence , ce pé- » ril feroit auîTi grand à les fuppofer dans » un éléphant ou dans un finge , qu'à les » reconooitre dans un grain de fable. Ici » le Philofophe de l'Académie d'Erlang » emploie les derniers efforts pour écar- » ter de lui tout foupçon d'Athéifme ; & » il eft évident qu'il ne foutient fon hy- » pothefe avec quelque chaleur que par- » ce qu'elle lui paroit fatisfaire aux phé- » nomenes les plus difficiles , fans que le » Matérialifme en foit une conféquence. » Il faut lire fon ouvrage pour apprendre >> à concilier les idées philofophiques les >> plus hardies avec le plus profond ref » peft pour la Rehgion. Dieu a créé le » Monde 5 dit le Dofteur Baumann , & n c'eft à nous à trouver , s'il eft poffible , Avx Objections. 191 » les loix par lefqiielles il a voulu qu'il » fe confervât ^ & les moyens qu'il a » deflinés à la reproduction des indivi- » dus. Nous avons le champ libre de » ce côté ; nous pouvons propofer nos » idées : & voici les principales idées » du Dofteur. » L'élément féminal extrait d'une » partie fembîable à celle qu'il doit » formiCr dans l'animal ^ fentant & pen- » fant 5 aura quelque mémoire de fa » fituation première : delà la conferva- » tion des efpeces , & la reffemblancè » des parens. » Il peut arriver que le fluide fémi- ^> nal furabonde^ ou manque de certains » élémens j que ces élémens ne puif- » fent s'unir par oublia ou qu'il fe falTe » des réunions bizarres d'élémens fur- » numéraires ; delà , ou l'impoffibilité » de la génération , ou toutes les géné- » rations monftrueufes poffibles. » Certains élémens auront pris nécef- >> fairement une facilité prodigieufe à » s'unir conftamment de la même ma- » niere : delà , s'ils font différens , une » formation d'animaujc microfcopiques 1^1 R È P 0 N s E » variée à l'infini : delà , s'ils font fem- » blables , les polypes , qu'on peut com- » parer à une grappe d'abeilles infini- » ment petites , qui n'ayant la mémoire » vive que d'une feule fituation , s'ac- » crocheroient & demeureroient accro- » chées félon cette fituation qui leur » feroit la plus familière. » Quand Fimpreffion d'une fituation » préfente balancera ou éteindra la mé- » moire d'une fituation paflee , en forte » qu'il y ait indifférence à toute fitua- » tion , il y aura llérilité : delà la fté- » rilité des mulets. » Qui empêchera des parties élé- » mentaires intelligentes & fenfibles » de s'écarter à l'infini de l'ordre qui » conftitue l'efoece ? Delà une infinité » d'efpeces d'animaux fortis d'un pre- » mier animal , une infinité d'êtres éma- » nés d'un premier être j un feul afte y> dans la Nature. » Mais chaque élément perdra-t-il, » en s'accumulant & en fe combinant , » fon petit degré de fentiment & de per- >^ ception ?. Nullement ^ dit le Dofteur >> Baumann : ces qualités lui font effen- tieiles. AUX Objections, 195 ^* tîelles. Qu'arrivera - 1 - il donc ? Le » voici : De ces perceptions d'éiémens >^ raffemblés & combinés il en réllil- » tera une perception unique propor- n tionnée à la maffe & à la difpofition j » & ce fyftême de perceptions dans le- » quel chaque élément aura perdu la >> mémoire du foi , & concourra à » form.er la confcience du tout ^ fera » l'ame de l'animal. Omnes elementorum >> perceptiones co?ifpirare , & in unam y^ fortiore7n & magis perfeclam perception '» nem coalefcere videntur, Hcec forte ad if unamquamque ex aliis perceptionihus >> fe habet in eadem ratione y quâ corpus >> organifatuni ad elementum, Elenientwn >^ quodvis ^ pofl fuam cum aliis copula-- '>>\tionem , cîun fuani perceptionem illa- » rum perceptionihus confudit y & fui » confcientiam perdidit ^ primi elementO" ^> rum fiatûs memoria nulla fuperefl _, & ^> nofira nohis origo omnino abdita ma- » net, ( a ) » C'eft ici que nous fommes furpris (^) Voyez à la porition 54 ce morceau, & dans ies pages antérieures & podérieures , des applications très fines & très-vrairemblabies des mêmes principes à d'autres phénomènes.' Œuv, d& Maiip, Toiîi. îî. îf 194 R E P 0 N s E » que l'Auteur ou n'ait pas apperçu les » terribles conféquences de Ion hypo- » thefe ; ou que , s'il a apperçu les » conféquences , il n'ait pas abandonné » l'hypothefe. C'eft maintenant qu'il » faut appliquer notre méthode à l'exa- >^ men de fes principes. Je lui demande- » rai donc fi TL'nivers , ou la colieftion >> générale de toutes les molécules fenfi- » blés & penfantes , formée un tout ^ ou » non. S'il me répond qu'elle ne forme » point un tout ; il ébranlera d'un feul » mot l'exiHence de Dieu , en intrcdui- » fant le défordre dans la Nature ; & il n détruira la bafe de la Phiîofophie , en » rompant la chaîne qui lie tous les êtres. » S'il convient que c'eft un tout où les >> élémens ne font pas moins ordonnés 4 » que les portions ^ ou réellement diC » tinfles , ou feulem.ent intelligibles , le » font dans un élément , & les élémens » dans un anim.al ; il faudra qu'il avoue >^ qu'en conféquence de cette copula- » tion univerfelle , le Monde , fembla- » ble à un grand animal , a une ame ^ » que le Monde pouvant être infini ^ » cette ame du Monde , je ne dis pas >^ ti:i 5 mais peut être un fyftême infini AV X O B J E CT I 0 N s. Î95 » de peixeptions , & que le Monde » peut être Dieu. Qu'il protefte tant » qu'il voudra contre ces conféquences , » elles n'en feront pas moins vraies ; & » quelque lumière que fes fublimes idées >> puiflent jeter dans les profondeurs » de la Nature , ces idées n'en ièront » pas moins effrayantes. Il ne s'agiffoit » que de les généralifer pour s'en ap- » percevoir. L'afte de la généralifation » eft pour les hypothefes du Métapliv- » ficien ce que les obfervations & les Y) expériences réitérées font pour les » conjeftures du Phyficien. Les con- » jeftures font-elles jufles ? plus on fait » d'expériences , plus les conjeftures fe » vérifient. Les hypothefes font - elles >> vraies ?^plus on étend les conféquen- » ces 5 plus elles embraffent de vérités ^ » plus elles acquièrent d'évidence & » de force. Au contraire , fi les conjec- » tures 8r les hypothefes font frêles & >^ mal fondées \ ou l'on découvre un » fait , ou l'on aboutit à une vérité » contre laquelle elles échouent. L'hy- » pothefe du Dofteur Baumann déve- » loppera 5 fi l'on veut , le myftere le »> plus incompréhenfible de la Nature ^ N ij 1^6 RÉPONSE » la formation des animaux , ou plus » généralement , celle de tous les corps » organifés -, la colieftion univerfelie » des phénomènes & l'exillence de Dieu » feront fes écueils. Mais quoique nous » rejetions les idées du Dofteur d'Er- » lang , nous aurions bien mal conçu » l'obfcurité des phénomènes qu'il s'é- » toit propofé d'expliquer , la fécondité » de fon hypothefe , les conféquences » furprenantes qu'on en peut tirer , le » mérite des conjeftures nouvelles fur » un fujet dont fe font occupés les pre- » miers hommes dans tous les fiecles , » & la difficulté de combattre les fien- » nés avec fuccès , fi nous ne les regar- » dions pas comme le fruit d'une m.édita- >> tion, profonde , une entreprife hardie » fur le fyitême univerfel de la Nature , » & la tentative d'un grand Philofophe. Avant que de répondre direftement aux objeftions de M. Diderot , qu'il nous foit permis de faire quelques ré- flexions fur la méthode dont il fe fert. Nous avons propofé une hypothefe qui répandroit quelque jour fur une ma- tière oii les rayons de la nouvelle Philo- AUX Objections. 197 fophie n'avoient pu encore pénétrer. Nous nous applaudiffons fur le cas que M. Diderot femble faire de cette liypo- thefe j mais en même temps nous pour- rions nous plaindre de la manière dont il prétend la combattre. Nous commen- cerons par examiner la fiifFifance ou l'infuffifance de cette méthode. M. Diderot après avoir loué excefîî- vement la thefe d'Erlangen , prétend qu'on en peut tirer de terribles conséquen- ces ^ tâche en effet de mettre ces con- féquences dans le plus grand jour , & conclut delà contre Fhypothefe. Si l'on étoit moins perfuadé de la religion de l'Auteur de l'interprétation de la Nature , on pourroit foupçonner que fon deiTein n'eft pas tant de détruire rhypotliefe , que d'en tirer ces confé- quences qu'il appelle terribles. Mais C{uoi qu'il en foir ^ pour nous prêter à la ma- nière dont il femble argumenter contre nous 5 je lui demanderai s'il y a c[uei- qu'hypothefe philofophique dont on ne puiffe fi l'on veut tirer des conféquen- ces terribles. Pour ne citer aucun Au- teur vivant , & ne citer que ceux dont on refpe6le le plus la mémoire , qu'oa ■ N iij 19? Réponse ouvre le livre de Defcartes , qu'on voie de quelle manière il explique la for- îPadon du Monde , & ce qui s'en en- fuivroit pour l'hiftoire de la Genefe. Qu'on life Malebranche , qu'on exa- mine cette étendue intelligible arché- type de tous les êtres , ou plutôt tous les êtres mêmes , que l'ame humaine n'ap- perçoit qu'en s'appliquant à cette éten- due 'j qu'on fuive cette idée, qu'on en tire les conféquences , & qu'on me dife ce que tout devient , ce que deviennent les corps 9 ce que devient la Bible : qu'on prenne le fyftême qu'on voudra fur la liberté & la puiffance de Dieu j qu'on tire des conféquences , je ne dis pas fort éloignées , mais les premières & les plus voifines ; & l'on verra où l'on en eft. Ce n'eft donc point un moyen ni légitime ni reçu pour renverfer une hypoîhefe , que de la combattre par des conféquences éloignées qu'on en peut tirer ; ou du moins ceux qui l'attaquent ainfi devroient avouer qu'il n'y a peut- être pas une hypoîhefe qui ne puiffe être attaquée de la forte. Mais après nous être défendus en mettant les plus grands hommes entre AUX Objections. i9c> nous & notre adverfaire , nous ferons encore quelques réflexions générales fur cette méthode , qu'il regarde comme deftructive des fyftêmes. Notre efprit , aufli borné qu'il eft , trouvera-t-il jamais aucun fyftême où toutes les conféquences s'accordent ? Un tel fyftême feroit l'explication de tout : & croit- on jamais j parvenir ? Tous nos fyftêmes , même les plus éten- dus y n'embralTent qu'une petite partie du plan qu'a fuivi la fuprême Intelli- gence ; nous ne voyons ni le rapport des parties entr'elles ;, ni leur rapport avec le tout : & iî nous voulons pouffer trop loin le fyftême d'une de ces parties, & jufques dans les confins d^une autre , nous nous trouvons arrêtés par des diffi- cultés qui nous paroiflent infurmonta- bles , & qui le font peut-être en effet \ mais qui auffi ne font peut-être que des lacunes , &- ne fauroient rien prouver contre la vérité du fyftême ; elles ne font que nous avertir de ce que nous de- vions aft'ez favoir , que nous ne voyions pas tout. Dès qu'on a expliqué un phé- nomène , les uns crient auffi -tôt que tout eft découvert , les autres arrêtés N iv 200 RÉPONSE par quelque difficulté abandonnent l'ex- plication. Il y a chez les uns & chez les autres \xne égale précipitation , & peut-être un tort égal. Voyons maintenant quel effet la mé- thode de M. Diderot doit produire fur les différens eiprits. i^. Il en eii que des conféquences oppofées aux dogmes théologiques n'a- larmeront point ; qui ne croiront point C\i\Q FimpoffibiHté d'accorder la Phiiofo- phie avec la révélation doive faire reje- ter une hypothefe qui d'ailleurs s'ac- corde bien avec la Nature. Pour ceux- là il eft évident que les objeâions de M. Diderot iont fans force. x^. Il en eft d'autres qui ne regarde- ront point les conféquences fâcheufes qu'on peut tirer d'une hypothefe com- me des preuves décisives contre. Ils pen- leront, ou que ces conféquences ne font pas des fuites néceffaires de Thypothefe , ou qu'elles ne font point en efet contra- dictoires à ce que nous devons croire ; que la Religion & la Philofophie ont des diftrifts fi difFérens ^ que nous ne pouvons pafTer de l'une à l'autre : que l'Etre fuprême voit la chaîne qui les AUX Objections. 201 unit , mais que cette chaîne eft au defilis de notre portée. Ceux qui pen- {em ainiî ne feront que médiocrement ébranlés par les objeâions de M. Di- derot ; & pour les ralTurer ^ il ne feroit pas néceffaire de faire aucune autre réponfe que ce que nous difons ici. 3 ^. Pour le petit nombre de ceux que tour alarme ^ qui dès cu\ine propcii- tion phiiofophique leur eft préfentée , vont la porter au temple pour en juger à la lueur de la lamoe ; ce {ont apparem- ment ceux-là que FAuteur de l'inter- prétation de la Nature a eu en vue , c'eft à eux c|ue fes obj estions paroiffeiit adreflees , c'eilpour eux que nous allons les examiner. La principale objePcion que fait M. Diderot contre la îhefe d'Erlangen eft la conféquence qu'il veut tirer de la poiition L 1 1 , ou plutôt des pofitions Lïî , LUI & Liv^ de cette îhefe. Le Dofteur Baumann après avoir doué les plus petites parties de la maîiere , les éiémens , de fentimienî ou de perce- ption , pourfLiit: ainfi : Lorfque les éîé- m.ens s'uniffent pour former un corps organiféj cha,que élément en dépofant ja 101 R È P O N s E jonne , & s' accumulant au corps qu'il va former , dépoferoit-il aufji fa perce^ ptiGîî ? perdroit'il , affoibliroit-il le petit degré de fentiment quil avoit _, ou V aug- menter oit - il par jon union avec les au- tres , pour le profit du tout ? La percep" lion étant une propriété effentielle des élé- mens ^ il ne paroît pas quelle puife pé- rir ^ diminuer^ ni s'accroître. Elle peut bien recevoir différentes modifications par les différentes comhinaifons des éléniens , mais elle doit toujours dans VUnivers former une même fomme ^ quoique nous ne puiffions ni la fuivre ni la reconnoi- tre. Il ne nous efl pas pojjible de Javoir par r expérience ce qui fe paffe fur cela dans les efpeces différentes de la notre , nous n en pouvons tout au plus juger que par l'analogie : & V expérience de ce qui fe pafle en nous-mêmes ^ qui feroit né- cejj aire pour cette analogie ^ ne nous inf truit pas encore fuffifamment. Mais che^ nous ^il femble que de toutes les perceptiorus des élémens rajfemblés il en réfulte une perception unique beaucoup plus forte ^ beaucoup plus par jatte qu'aucune des per- ceptions élémentaires , & qui efl peut- être à chacune de ces perceptions dans AUX Objections, 203 le même rapport que le corps organifé ejl à r élément. Chaque élément iav.s fon union avec les autres ayant confondu fa perce- ption avec les leurs , & perdu lefentnnent particulier du foi ^ le Convenir de l'état primitif des élémens nous manque , & notre origine doit être entièrement perdue pour nous. Par la manière dont le Dofteiir Baii- mann propofe ceci on ne peut le re- garder que comme un doute ou une conjefture , qui ne tient point même à fon fyftême phyfique de la formation des corps : cependant M. Diderot part de là comme d'une propoiition affirmée qui contiendroit tout le fyftême ; pré- tend que cette propofîtion ébranleroit l'exiftence de Dieu ^ ou confondroit Dieu avec le Monde. « Il demande au Dofteur d'Erlangen » il l'Univers ou la colleftion générale » de toutes les molécules fenfibles forme » un tout ou non. Si le Docteur , dit-il , » répond qu'elle ne forme point un tout 5 » il ébranlera d'un feul^mot Fexiftence » de Dieu, en introduifant le défordre >> dans la Nature ; & il détruira la bafe » de la Phiîofophie^ en rompant la chaîne 204 Réponse » qui lie les êtres. S'il convient que c'eit » un tout 5 où les élémens ne font pas » moins ordonnés que les portions , ou » réellement diftinftes , ou feulement » intelligibles , le font dans un élément , » & les élémens dans un animal ^ il fau- » dra qu'il avoue qu'en conféquence de » cette copulation univerfelle , le Mon- » de y femblable à un grand animal , a » une ame ;. que le Monde pouvant être » infini, cette ame du Monde , je ne » dis pas eft , mais peut être un fyftême » infini de perceptions y & que le » Monde peut être Dieu. Pour qu'un dilemme foit jufte , il faut que le terme qu'on emploie dans l'une & l'autre partie du dilemme , non feulement foit le même , mais ait pré- cifément le même fens^ & que ce fens foit clair & bien défini : fans cela le di- lemme n'eft qu'une furprife y ou ne con- clut rien. L'Univers eft-il un tout ^ oui ou non ? Dans la négative , M. Diderot ne définit point le terme tout , & le lanie dans le fens le plus vague ; dans l'affirmative , il lui donne un fens déter- min é 5 & le fens qu'il lui plaît pour con- duire le Dofïeur Baumann à une cou- 'AUX Objections. 20 j cluiîon fâcheufe. Le Dofteiir pourroit fe plaindre de ce piège qu'il femble qu'on ait voulu lui tendre , mais il aime mieux s'attacher à faire voir qu'il n'y eft pas pris. Pour cela , il lui fufîira d'examiner ce qu'on peut entendre par le terme toi/t. Si par le tout on entendoit ce qui ne laijfe rien au delà ; demander fi l'Uni- vers eft un tout ou non , feroit une ques- tion indifférente à notre lu] et , ou du moins qui ne s'adrefferoit pas plus au Dofteur Baumann qu'à tous les autres Philofophes : auffi n'eft-ce pas là le fens que M. Diderot paroît y donner. Si par un tout on entend un édifice régulier , un affemblage de parties pro- portionnées 5 & toutes chacune à leur place 5 lorfque M. Diderot demande fî l'Univers eft un tout ou non , le Dofteur peut répondre le non ou le oui , comme M. Diderot voudra. S'il répond que non , il ne courra pas plus de rifque , & ne craindra pas plus d'ébranler l'exif- tence de Dieu , que ne Font craint des Auteurs de la plus haute piété , (a) qui loin de prendre FUniver^ pour un lout régulier , ne le regardent que ( a ) MaUhranche , &c^ 2o6 Réponse comme un amas de ruines ^ dans lequel à chaque pas fe trouve le défordre de toute efpece , défordre dans le physi- que , dans le métaphyfique , dans le moral Si le Dofteur veut répondre que l'Univers fonne un tout j il ne s'en liiivra point de ce que dans quelques corps particuliers , tels que ceux des animaux , les perceptions élémentaires confpirent à form.er une perception unique , il ne s'en fuivra point , dis-je , que cette copulation de perceptions s'étende nécelîairement à l'Univers en- tier. Cette manière de raifonner , que M. Diderot appelle Fafte de la géné- raiifation , &<. qu'il regarde comme la pierre de touche des fyitêmes , n'efl: qu'une efpece d'analogie , qu'on eft en droit d'arrêter où l'on veut ; incapable de prouver ni la faufleté ni la vérité d'un fyftême. Quelques Philofophes modernes , pour faire valoir un de leurs princi- pes 5 que la Nature nagit point par fauts , font de la totalité de la matière un feul bloc , une feule pièce , un con- tinu , fans aucune interruption entre (es parties. Si c'étoit ce continu que M, AUX Objections. 207 Diderot entendît par fon tout , on lui rcpondroit premièrement que la raifon. & l'expérience prouvent qu'il y a du vidde dans la Nature , & que les corps ne font que parfemés dans Fefpace. Mais quand on fe prêteroit jufqu'à admettre le plein , il leroit facile de réduire ce continu à l'édifice de l'ar- ticle précédent , &Z. d'appliquer à l'ob- jeâion de M. Diderot la même réponfe qu'on y a déjà faite. Car qu'il y ait du Yuide ou qu'il n'y e» ait pas ; les par- ties de la matière étant toujours diilinc- tes , & l'une ne pouvant jamais être l'autre , quelque rapprochées qu'elles foient_,quelqu'intimement qu'elles foient unies , elles ne feront jamais de l'Uni- vers qu'un continu apparent. La diffé- rence entre ce continu & le di^^éminé ne confîftera que dans le plus ou le moins de diftance entre les parties , ne fera que l'effet de cette diftance fur nos fens : les parties du diamant ou du plus pefant des métaux font plus rap- prochées que celles du corps le plus rare , mais ne font pas plus continues : les microfcopes font parvenus ou peu- vent parvenir à nous faire appercevoir 208 RÉPONSE des diftances entre les parties des corps les plus compaéles ; notre vue èi notre toucher peuvent sy méprendre , mais pour notre efprit ^ aucune fubilance matérielle n'eft continue. Ce que nous pouvons prendre pour un tout ne peut donc être qu'un aiTemblap-e plus ou moins compoie de parties formant un édifice plus ou moins régulier ; mais dans lequel il ne fera jamais né ce flaire que ce qui dépend de l'organifation de telle ou telle partie s'étende à l'édifice entier. Cette manière de confidérer le tout revient donc néceffairement à la manière de l'article précédent , & tout ce que nous y avons dit s'applique ici. Mais (i pour le mot de tout on admet- toit le développement que M. Diderot en fait , & la définition qu'il en donne dans la i"'"'* partie de fon dilemme ^ fi l'on entendoit par un tout le Dieu de Spinofa 5 M. Baumann aflurément niera cjue l'Univers foit un tout ; & le niera fans qu'on puiffe jamais foutenir que fon fyftême renferme cette idée. Nous croyons fi peu que la réu- nion de perceptions des parties élé- mentaires qui forment les corps des animaux AV X Objections. 209 animaux entraîne des conféquences pé- rilleufes , que nous ne craindrions point de l'admettre , ou d'admettre quelque chofe de femblable , dans des parties plus confidérabies de l'Univers 5 de donner à ces grands corps quelque es- pèce d'inftinft ou d'intelligence , fans qu'il s'en fuivît que nous en fiffions des Dieux. Combien de Philofophes dans tous les temps , dans toutes les fefîes , & dans le fein du Chriftianifme ; com- bien de Théologiens même ne citerions- nous pas qui ont admis des âmes dans les étoiles & dans les planètes ! fans parler de ceux qui en ont fait de véri- tables Divinités. ( a ) Telles font les réflexions qu'on peut (fl) Les Egyptiens en firent des Dieux : & parmi les Grecs , les Stoïciens leur attribuèrent des âmes divines» Anaxagoras fut condamné comme un impie pour avoir nié î'ame du Soleil. CUanthe & Platon furent fur cela plus orthodoxes. Philon donne aux aftres , non feulement des âmes , mais des âmes très-pures. Origen.cs étoit dans la même opinion : il a cru que les âmes de ces corps ne leur avoient pas toujours appartenu , & qu'elles viendroient un jour à en étxQ féparées, Aviccnne a donné aux ailres une ame intelleftuelle & fen» fitive. Simplicius les croit doués de la vue , de l'ouie & du îa£l. Tycho & Kepler admettent des âmes dans les étoiles & dans les planètes. Baran-^anus , Religieux Barnabite ,' Aftro- nome & Théologien , leur attribue une certaine ame moyenne entre PintellsiftueUe & la brute. A la vérité St. Thomas , qui dans différens endroits de i'às ouvrages leur avoit accordé aiTez libéralement des âmes intellectuelles , femble dans fon feptieme chapitre contra gsntes s'être rétratlé , & ne vouloiE plus leur donner que des âmes fenfitives, Œuv, ds Maup, Toin. II, ^ O ÎIO RÉPONSE faire fur la méthode qu'a fuîvi M. Diderot pour réfuter la thefe d'Erian- gen. S'il interprète la Nature comme il a interprété cette thefe , il y trou- vera à tout moment de ces. conféquen- ces terribles , qui ne font terribles que parce que nous avons plus de curioiîté que de pénétration. Nous parvenons à découvrir quelques parties du Syftême de l'Univers , nos vues ne font point afiez étendues pour voir le rapport qu'elles ont avec le tout j nous croyons îîiîême quelquefois voir entr'elles des Contradictions : nous ne devrions voir que notre témérité & notre infuffifance. M. Diderot après avoir attaqué ainfi le fyftême du Dofteur Baumann , lui fait dans le paragraphe fuivant un repro- che encore plus injufte. Voici ce para- graphe Lî. de rimpidfioii d'une fenjation. « Si le DoSeur Baumann eût renfer- » mé fon fyftême dans de juftes bornes , » & n'eût appliqué fes idées qu'à la for- » mation des animaux ^ fans les étendre » à la nature de l'âme ; d'où je crois avoir » démontré contre lui qu'on pouvoir les » porter jufqu'à Fexiftence de Dieu ; il » ne fe feroit point précipité dans l'ef- À U X O B J Ê C f ï 0 N s. lïî ^y pece de Matérialifme la plus fédui-^ >> lante , en attribuant aux molécules » organiques le deiir , Faverfion , le >> fentiment & la penfée. Il falloif fe » contenter d'y fuppofer une fenfibilité » mille fois moindre que celle que le >^ Tout - puiffant a accordée aux ani- » maux les plus ftupides & les plus ^> voiims de la matière morte. En con- » féquence de cette fenfibilité fourde ^ » & de la différence des configurations , » il n'y auroit eu pour une molécule or- >> ganique quelconque qu'une fituation » la plus commode de toutes , qu'elle » auroit fans ceiTe cherchée par une in^ »> quiétude automate , comme il arrivé » aux anim^aux de s'agiter dans le fom- ^> meil , lorfque l'ufage de prefque tou- )» tes leurs facultés eft fufpendu , jufqu'à ?> ce qu'ils ayent trouvé la difpofition la » plus convenable au repos. Ce feul .» principe eût fatisfait d'une manière » affez (impie ^ & fans aucune confé- » quence dangereufe , aux phénomènes » qu'il fe propofoit d'expliquer, &.à ces » merveilles fans nombre qui tiennent » fi ftupéfaits tous nos obfervateurs d'in- #> feftes ; & il eût défini l'animal en géné-^ Oij 112 Réponse » rai , unfyjlême de différentes molécules » organiques ^ qui par Uimpuljion d'une ^> fenfation Jemblahle à un toucher obtus » & fourd , que celui qui a créé la matière a en général leur a donné , fe font combi- » nées jufquà ce que chacune ait rencon- v> tré la place la plus convenable à ja figure » & àfon repos. L'Auteur de l'interprétation de la Na- ture reproche ict au Dofteur Baumann comme un principe du Matérialifme d'a- voir donné aux parties élémentaires quel- que degré de perception , & confent à y admettre unejenjationfemblable à un tou- cher obtus & fourd. Il ne veut pas que la perceptionpuiffe appartenir àla matière j & croit que la fenfation peut lui appar- tenir : comme fi la perception & la fen- fation étoient d'un genre différent : comme fi. le plus ou le moins de degrés de perfeftion dans la perception en chaq- geroit la nature. Eft-ce férieufement qu6 *M. Diderot propofe cette différence ? Ceux qui refufent la perception à la matière fe fondent fur la diftinclion de deux fiabftances. Ils ont défini l'ame une fubfl:ance penfante & indivifible ; ils prétendent qu'elle n eft que cela ^ & fe AUX O B J E CTI 0 N si llj croient en droit d'en bannir l'étendue, & toutes les autres propriétés du corps. Ils définiffent la matière une fimple éten- due , & croient en avoir une idée affez complette pour en rejeter toutes les pro- priétés qui nj paroiffent pas néceffaires, ou qu'ils n'y apperçoivent pas : & lapen- fée en efl: une. Mais quelle eft cette pen-- fée _, que ceux dont nous parlons regar- dent comme incompatible avec l'éten- due ? N'eft'Ce que la faculté de conce- voir les chofes les plus fublimes ? Non , c'efl: la penfée en général ^ c'eft la fimple faculté d'appercevoir ou de fentir ; c'eft le moindre fentiment du foi ^ l^fenfation la plus obfcure & la plus fourde y qui ne fe trouve pas plus dans l'idée qu'ils ont de la matière , que les méditations de Locke ou de Newton. Ce n'efl: pas ici le lieu de faire voir le défaut de ce raifonnement ; d'expli- quer comment ne connoiffant que des propriétés, & ne voyant point le rapport de quelques-unes avec les autres , ces Philofophes , pour raflembler celles qui leur paroilToient le plus s'accorder en- femble , en ont fait deux colleftions ^ leur ont fuppofé deux fujets qu'ils ont O iij iî4 RÉPONSE appelles fubjlances y excluant de f une toutes les propriétés qu'ils avoient attri- buées à l'autre. Il feroit facile de faire voir combien ces fujets en eux-mêmes nous font inconnus ; & combien d'une fubftance ainfi forgée nous fommes peu en droit d'exclure aucune propriété dont nous ne voyons pas la contradiftion ma- îiifefte avec les autres. Mais au point où eft aujourd'hui la Philofophie ^ tout cela feroit fuperflu. Je reviens à l'objeftion de l'Auteur de l'interprétation de la Nature ; & je crois qu'après ce que nous venons de dire , on verra que lorfqu'il propofe de fubftituer à la peixeption élémentaire du Dofteur ^2ium.zm\ U7ie fenfadon fembla- ble à un toucher obtus & fourd ^ c'eft un vrai jeu de mots pour gagner ou furprendre le Leâeur ; une fenfation étant une vraie perception. Ceci fiiffiroit fans doute pour fervir de réponfe au paragraphe li. de l'in- terprétation de la Nature , & l'on trou- vera peut-être que la réponfe étoit facile : mais on aura lieu de s'étonner , ii en exa- minant les pofitions de la thefe d'Erlan- gen 3 & les comparant à ce paragraphe 3 ^AU X 0 B JE CTIO N S. î ï 5 ôn trouve que M, Baumann n'a pas dit autre chofe que ce que M. Diderot vouloir qu'il dît^ Le Dofteur Baumann a expliqué en plus d'un endroit (a) ce qu'il entendoit par {es perceptions élémentaires , & ne les a jamais confondues "avec les perce- ptions claires & diiHnftes de notre ame. En parlant des ouvrages de quelques infeftes , voici ( pofit. Lxi. de la thefe ) comment il s'exprime fur les facultés qui les leur font exécuter ; voici l'idée qu'il donne des perceptions élémentaires ^ qu'il met encore bien au deffous de ces lacultés. J'abandonne , fi l'on veut , les termes de dejir^ cTaverJion^ de mémGÎre ^ celui d* injlinci înême : quon donne le nom quon voudra aux propriétés qui font exé^ çuter à des infeBes ces merveilleux ouvra-- g€s ; mais quon me dife s'il ejl plus facile de concevoir que des animaux , moins ani- maux que ceux-là ^ par quelque propriété de même genre ^ foient capables de Je pla--^ cer & de s unir dans un certain ordre. Qu'on compare l'idée des perceptions élémentaires que donne ici le Dofteur ( a ) Au fond toute la répugnance qu'on a à accorder à la matière un principe d'intelligence ne vient que de ce que l'on, croit toujours que ce doit être une intelligence femblable à la nôtre : mais c'eft de quoi il faut bien fq donner de garda» 21 6 Réponse, &ci Baumann avec celle de lafenfation d\m toucher obtus & fourd , que M. Diderot vouloit qu'il donnât , & qu'on voie fi entre les deux il fe trouve cette diffé- rence que M. Diderot prétend qui eût diftingué le vrai du faux. J'en reviens au point principal de cette réponfe, à ce qui nous l'a fait entrepren- dre. M. Diderot n'a peut-être pas rendu juftice à notre ouvrage , mais il a rendu juftice à nos fentimens , lorfqu'il a dit : // faut lire f 071 ouvrage pour apprendre à con- cilier les idées philo jophiijues les plus har^ dies avec le plus profond refpeclpourla Re- ligion. En effet nous fommes fi remplis de ce refpeft , que nous n'héfiterions ja- mais à lui facrifier notre hypothefe _, & mille hypothef es fërnblables , fi l'on nous faifoit voir qu'elles continffent rien qui fût oppofé aux vérités de la Foi , ou fi ceue autorité à laquelle tout Chrétien doit être fournis les défapprouvoit. Mais nous regarderions comme un outrage fait à la ReIigion,fi l'on penfoit que quel- que conjefture philofophique , qu'on ne prr ^,v.,xe ou'en chancelant,mt capable de porter préjudice à des vérités d'un autre ordre & d'une tout autre certitude. LETTRES. Ncc mïhï 5 Ji aliter fentias , molejlum» 119 AVERTISSEMENT. 'Es Lettres nétoient pas encore répandues dans le Public ^ que la haine s'étoit déchaînée de la manière la plus indigne. Si l'on a lu ce fameux libelle imprimé tout à la fois en plufieurs endroits y on verra quil efl bien plus fait contre moi que comte mon ouvrage j qu'on ny repréfente quavec la plus grande in^ juflice la plupart des chofes qui fe trou-^ vent dans ces Lettres ^ qiion na rien du tout compris aux autres ; que le refîe nejl quun torrent d'injures. Si mon ouvrage eût été véritablement attaqué _, je ne fais ft j'^tffe été tenté de répondre : mais on attaquoit ma perfonne ^ & le Roi le plus jufle a pris ma défenfe. 220 AVERTISSEMENT; Ce Monarque , qui accorde au bel efprit une protection fi marquée _, met avant tout ce qu il doit à l'homme. Tandis que d'une main il récompenfoit magnifiquement les talens , de l'autre il fignoit la fentence contre l'abus criminel qu'on enfaifoit (a). (^) Le libelle fut brûlé le 24 Décembre 1752 l par la main du Bourreau , dans toutes les places pu- bliques de Berlin» 221 LETTRES. LETTRE PREMIERE. îîl''^^^ A fituation préfente ne me per- j^ M -^ met point d'ouvrage de longue itl^t^d haleine : je vais écrire des Let- tres. Chacune fera affez longue pour contenir (ur chaque matière tout ce que je fais , & il y en aura de fort courtes. Je m'affranchis d'une gêne à laquelle je n'aurois pu me foumettre : je ne fui- vrai aucun ordre j je parcourrai les fujets comme ils fe préfenteront à mon efprit : je me permettrai peut-être jyf- qu'aux contradiftions, Lorfqu'on fait un livre , on n'em- ploie que ce qui fert à prouver un fyilême qu'on s'eft formé , on rejette 222 Lettre L plufieurs penfées qui valoient celles dont on fe fert , & qui auroient établi le contraire : c'eft une efpece de mau- vaife foi. Mes Lettres feront le journal de mes penfées : je dirai fur chaque fujet ce que je penfe au moment où j'écris ; & quelles font les chofes fur lefquelles on doive toujours penfer de la même manière ? Elles font en bien petit nombre : & je ne parlerai guère de celles-là. ^■-^J--"^^"T"T^r!«fl'll^TI"-i'"i^ i-"-!-! .■'"■^^•^■■■■^^«■MfcJ'EE^n LETTRE IL Sur le fouvenir & la prévijion. O T R E efprit , cet être dont la principale propriété eft de s'ap- percevoir lui-même , & d'appercevoir ce qui lui eft préfent , a encore deux autres facultés ^ le fouvenir & la prévis Jion. L'une eft un retour fur le paffé , l'autre une anticipation fur l'avenir. Il femble que c'eft par ces deux facultés que l'efprit de l'homme diffère le plus de celui de la bête. Ce n'eft pas que Lettre IL 225 les bêtes en foient entièrement dépour- vues : mais elles ne paroiflent point en faire un ufage ni fi fréquent ni fi étendu que nous ; toute leur vie eft beaucoup plus remplie du préfent que du paffé ou de l'avenir. Celle de l'homme au contraire paroît plus occupée de ces deux états que du préfent. Eft - ce une prérogative dont nous devions nous glorifier & remercier la Nature , ou un malheur dont il faille nous humilier & nous plaindre ? L'une & l'autre de ces facultés paroifTent don- nées à l'homme pour régler fa con- duite y & par là rendre fa condition meilleure : eft- ce l'abus qu'il en fait , ou la nature des chofes ^ qui la rend pire ? Si le paffé nous étoit fidèlement re- préfenté , il femble qu'ayant le choix de nous en rappeller telle ou telle partie , nous pourrions par là n'exciter dans notre ame que des fentimens agréables. Mais la chofe n'eft pas ainfi : le paffé ne fe repréfente jamais qu'avec quelque fentiment qui l'altère 5 & qui le défigure toujours à notre déjfavan- 224 Lettre IL tage. Le fouvenir d'un mal n'a rien d'agréable ; & le fouvenir d'un bien , toujours accompagné de regret , efl: une peine. La mémoire nous fait donc plus perdre que gagner. Quant à la prévifion , elle efl: encore bien plus éloignée du vrai ; & le don paroît encore plus funefl:e. Elle exagère le mal qu'on craint , & repréfente avec inquiétude le bien qu'on defire. C'efl: par cç^'b erreurs que des facul- tés qui femblent données à l'homme pour le conduire , Fégarent prefque toujours. Ne voyant jamais dans ces deux miroirs les objets tels qu'ils font , il ne fauroit proportionner les moyens pour les obtenir ou pour les éviter. Il y a long -temps qu'on a dit que le préfent efl: notre feul bien : & cela efl: beaucoup plus vrai qu'on ne penfe. Si du préfent on pouvoit retrancher le poifon dont le fouvenir & la prévi- fion l'infeclent j ce feroit un état aflTez heureux. LETTRE 22^ LETTRE III. Sur le bonheur. E S hommes pafîent leur vie à cher- cher le bonheur : les uns le pla- cent dans la volupté , les autres dans les honneurs ou les richeffes ^ & tous courent après ces objets. On fait allez qu après bien des efforts ^ ils n'ont ja- mais trouvé ce qu'ils cherchent : c'efl: que le bonheur n'étoit pas où ils le croy oient. Mais tout le monde peut- être n'a pas fait cette obfervation : que pour chaque homme il y a une certaine fomme de bonheur peu dépendante de la bonne ni de la mauvaije jortune. Ceci paroîtra fans doute bien para-* doxe ; & je^ne faurois guère le prou- ver que par l'expérience. Mais qu'on m'écoute , qu'on s'examine ^ & peut- être ne le trouvera -t- on plus éloigné du vrai. Qu'on repafTe fur les différens états de fon ame j qu'on examine fi , dans les iîtuations qu'on a regardées comme Œuv, de Maup, Tom. II, p . 2i6 Lettre ///. les plus heureufes ^ on ne s'eft pas fait des peines d'objets auxquels , dans d'au- tres fituations moins fatisfaifantes , on ne donnoit pas la moindre attention ; fi , dans les fituations qu'on a craint comme les plus fàcheufes , on n'a pas trouvé des reffources , on ne s'eft pas fait des plaifirs qui dans les temps plus heureux n'auroient pas touché l'ame. Il y a pour chaque homme une certaine me- îure de contentemiCnt & de chagrin , que l'imagination remplit toujours. Je ne prétends pas dire que celui qui vient de perdre la perfonne qu'il aim.e , que Fambitieux qui obtient ce qu'il fouhaite n'éprouvent alors des fen- timens fort différens de ceux où ils avoient coutume d'être : mais je dis que bientôt après l'événement profpere ou fâcheux , ils retomberont dans leur état ordinaire. S'il eft permis de comparer une fubf- tance fpirituelle avec les corps , je di- rois que comme pour les machmes en mouvement il y a un certain état au- quel elles reviennent toujours , quel que foij: l'effet des niouvemens étran- Lettre 111. 227 gers qu'on peut leur avoir imprimés , ce que les Mathématiciens appellent jlatum permanentem. ; de même Tame , quelles que foient les fecouffes extra- ordinaires qui Fayent agitée , revient bientôt à un certain état de conten- tement ou de détreffe , qui eft propre- ment fo7i état permanent. J'excepte ici certains cas extraordi- naires , oii Tame reçoit de fi violentes fecouffes que l'impreffion en dure quel- quefois fort long-temps. Il en eft même qui peuvent altérer pour toujours fes fonftions. Ces mialheurs dépendent de la force du coup , ou de la foibleffe de celui qui le reçoit. Ils font de dif- férens genres , & portent des noms différens. Quelquefois la fecouffe a ébranlé l'ame de telle manière qu'elle a mis toutes fes idées dans un défordre irréparable , & l'homme eft fou. D'au- tres fois il fembie qu'elle ait détruit toutes les idées pour en conferver une feule dans fa plus grande force ; & l'homme eft mélancolique. Mais ce font ici des accidens finguliers , & pour lefquels il y a une remarque P ij aiS Lettre III. affligeante à faire ; c'eft que , comme ce n'eft jamais le plailir qui les cauiè , mais la douleur , ils portent toujours le caraftere de la caufe qui les a pro- duits. Tous les fous font malheureux ; tous les mélancoliques le font encore ^davantage. LETTRE IV. Sur La manière dont nous appercevons. L'aies perceptions entrent dans 1 1 notre ame par les itns , l'odorat , Fouie , le goût , le toucher & la vue. Chacun nous fait éprouver des perce- ptions différentes , & tous nous trom- pent y fi nous n'y prenons garde. Une fleur croît dans mon jardin : il en exhale des parties fubtiles qui vien- nent frapper les nerfs de mon nez , & j'éprouve le fentiment que j'appelle odeur. Mais ce fentiment à qui appar- tient-il } A mon ame fans doute. Le choc de quelques corps peut bien en être la caufe ou l'occafion , mais il Lettre IV. 229 eft évident que tout le phyfique de ce phénomène n'a rien de commun avec le fentiment d'odeur , n'a rien qui lui reffemble , ni qui puiffe lui reffembler ; car comment une perception reffem- bleroit-eile à un mouvement ? C'eft là de quoi tous les Philofophes convien- nent 5 & de quoi conviendront tous ceux qui y auront penfé. Je pince la corde d'un luth : elle fait des vibrations qui impriment à l'air un mouvement par lequel il frappe le tympan de mon oreille , & j'éprouve le fentiment du fon. Maisqu'eft-ce que le mouvement de la corde & de l'air peut avoir de commun avec le fenti- ment que j'éprouve ? Je dirai la même chofe du fruit que je mange : le mouvement de fes parties contre les nerfs de ma bouche ne ref- femble point affurément au fentiment du goût. Les fens dont nous venons de par- ler ne nous jettent guère dans l'erreur : ils ne trompent que le vulgaire le moins attentif , qui , fans examen , dit que l'odeur efl: dans la fleur , le fon dans P iij 230 Lettre IV. le luth , le goût dans le fruit. Mais fî l'on interroge ceux mêmes qui parlent ainfi , on verra que leurs idées ne diffé- rent pas beaucoup des nôtres j & il fera facile de leur apprendre à ne pas confondre ce qui dans ces occafions appartient aux corps extérieurs , & ce qui appartient à nous-mêmes. 11 n'en eft pas ainfi des deux autres fens. lis caufent des illufions plus diffi- ciles à appercevoir: je veux parler du toucher & de la vue. Ceux-ci , fi nous n'y prenons garde ^ & fi l'exemple des autres ne nous conduit , peuvent nous jeter dans de grandes erreurs* Je touche un corps : le fentimient de dureté femble déjà lui appartenir plus que ne faifoient les fentimens A' odeur ^ de fon & de goût ^ aux objets qui les excitoient. Je le retouche encore , je le parcours de la main : j'acquiers un fenîiment qui paroît encore plus à. lui ; c'efi: le fenîiment de difîance entre fes extrémités , c'efl: V étendue. Cependant fi je réfléchis attentivement fur ce que c'eft que la dureté & V étendue , je n'y trouve rien qui me faffe croire qu'elles Lettre IV. t't^t foient d'un autre genre que Vodeur , \efon & le goût. J'en acquiers la per- ception d'une manière femblaîole , je n'en ai pas une idée plus diiiinfle j & rien ne me porte véritablement à croire que ce fentiment appartienne plus au corps que je touche qu à moi-même ^ ni à croire qu'il reffemble au corps que je touche. -Le cinquième de mes fens paroît cependant confirmer le rapport de ce- lui-ci. Mes yeux me font appercevoir un corps : & quoiqu'ils ne me faflent point juger de fa dureté , ils me font diftmguer difierentes diftances entre fes limites , & me donnent le fentiment détendue. Voilà toute la prérogative qu'a l'éten- due fur la dureté , le goût , le fon , Fodeur ; c'eft que la perception que j'en acquiers m'eft procurée de deux manières , par deux fens différens. Pour un aveugle , ou pour celui qui manqueroit du fens du taft , elle feroit précifément dans le même cas que ces autres perceptions. Cette prérogative que femble avoir Piv l'^i Lettre JV. la perception de l'étendue lui a ce- pendant donné dans mon efprit une réalité qu'elle tranfporte aux corps ex- térieurs 5 bien plus que ne font toutes les perceptions précédentes. On en a fait la bafe & le fondement de toutes les autres perceptions. Ce font toujours des parties étendues qui excitent les fentimens de l'odeur , du fon ^ du goût & de la dureté. Mais fi l'on croit que dans cette prétendue effence des corps , dans l'é- tendue 5 il y ait plus de réalité appar- tenante aux corps mêmes , que dans l'odeur , le fon , le goût , la dureté ^ c'efl: une illufion. L'étendue , comme ces autres , n'eft qu'une perception de mon ame tranfportée à un objet exté- rieur , fans qu'il y ait dans l'objet rien qui puifTe reffembler à ce que mon ame apperçoit. Les diftances , qu'on fuppofe diftin- guer les différentes parties de l'éten- due ^ n'ont donc pas une autre réalité que les différens fons de la mufique , les différences qu'on apperçoit dans les odeurs , dans les faveurs , & Lettre IV. 233 dans les différens degrés de dureté. Ainfi il n'eft pas furprenant qu'on tombe dans de fi grands embarras , & même dans des contradiftions , lorf- qu'on veut diftinguer ou confondre l'étendue avec refpace ^ lorfqu'on veut la pouiïer à l'mfini , ou la décompofer dans {ç.s> derniers éiemens. Réfléchiffant donc fur ce qu'il n'jr a aucune reffemblance , aucun rapport entre nos perceptions & les objets ex- térieurs , on conviendra que tous ces objets ne font que de fimples phéno- mènes : l'étendue , que nous avons prife pour la bafe de tous ces objets , pour ce qui en concerne l'effence , l'étendue elle - même ne fera rien de plus qu'un phénomène. Mais qu'eft-ce qui produit ces phé- nomènes ; comment font-ils apperçus ? Dire que c'eft par des parties corpo- relles , n'efl: rien avancer , puilque les corps eux-mêmes ne font que des phé- nomènes. 11 faut que nos perceptions foient caufées par quelques autres êtres , qui ayent une force ou une puiiTance pour les exciter. 254 Lettre IV. Voilà où nous en fommes : nous vivons dans un Monde où rien de ce que nous appercevons ne relie mbie à ce que nous appercevons. Des êtres inconnus excitent dans notre ame tous les fentimens , toutes les perceptions qu'elle éprouve ; & fans refiembler à aucune des chofes que nous apperce- vons , nous les repréfentent toutes. II. Voilà le premier pas que m'ont fait faire mes réflexions : je vis envi- ronné d'objets dont aucun n'eft tel que je me le repréfente : c'eiî ainfi que , pendant un fommeil profond , l'ame efl: le jouet de vains fonges qui lui repréfentent mille chofes qui au réveil perdent toute leur réalité. 11 faut ce- pendant , 1°, ou m'en tenir à cela : qu'il y a dans la Nature des êtres im- perceptibles à tous mes fens , qui ont la puiffance de me repréfenter les ob- jets que i'apperçois : 2^, ou que l'Etre £iprême lui-même me les repréfente , foit en excitant dans mon ame toutes les perceptions que j'ai prifes pour des objets , foit en m'empreignant de fon effence , qui contient tout ce qui eft Lettre IV. 235 appercevable : 3^. ou enfin que mon ame par fa propre nature contient en foi toutes les perceptions fucceffives qu'elle éprouve indépendamment de tout autre être fuppofé hors d'elle. Voilà , ce me lemble , à quoi fe réduifent les trois fyftêmes fur lefquels on a fait de fi gros livres. Pour vous dire ce que je penfe de chacun , il me femble que i^. Retrancher les êtres fenfibîes , pour leur en fubfiituer d'autres aux- quels on donne la puiffance de les re- préfenter , c'eft plutôt furprendre quint truire. Et conçoit -on mieux que les êtres imperceptibles qu'on fuppofe puifîent agir fur notre ame , & lui porter les repréfentations qu'elle apper- çoit , qu'on ne conçoit que les êtres fenfibîes eux-mêmes le puiTent faire } • 2*^. Dire que toutes nos perceptions viennent immédiatement de Dieu ^ que tout ce que nous appercevons n'eft que fa fubftance même , qui con- tient les modèles éternels de toutes chofes ; eft une idée plus fimple , plus grande & plus philofophique. L'Auteur 1-^6 Lettre IF. de ce fyftême , ou du moins celui qui l'a reproduit dans ces- derniers temps , (a) ( car tout ce qu'on peut dire fur ces queflions avoit été imaginé par les plus anciens Philofophes ) cet Auteur, dis-je , en craignant les conféquences , y apporta un tempérament , qu'il crut nécelTaire. Quoique cette vue de la fubftance divine {ufRfe à l'ame pour lui procurer toutes les perceptions des objets extérieurs , & que ces objets y deviennent tout-à-fait inutiles , il admit cependant l'exiflence de ces objets ; & mêmie telle que ces perceptions nous la repréfentent : mais il ne l'admit que fur la foi de la révélation ; ce ne fut que parce qu'il lifoit la Bible ^ qu'il crut qu'il y avoit des livres. 3"^. Enfin réduire tout aux fimples perceptions de mon ame ; dire que fon exiftence eft telle , qu'elle éprouve par elle-même une fuite de modifications par lefquelles elle attribue l'exiftence à des êtres qui n'exiftent point ; refier feul dans l'Univers , c'eft une idée bien trifte. (a) MaUhr anche. Lettre IV. 237 Si l'on regarde comme une objec- tion contre ce dernier fyftême la dif- ficulté d'affigner la caufe de la fuc- ceffion & de l'ordre des perceptions , on peut répondre que cette caufe eft dans la nature même de, l'ame. Mais quand on diroit qu'on n'en fait rien _, vous remarquerez qu'en fuppofant des êtres matériels ou des êtres invifibles pour exciter les perceptions que nous éprouvons , ou l'intuition de la fubf- tance divine , la caufe de la fucceffion & de l'ordre de nos perceptions n'en feroit pas mieux connue. Car pourquoi les objets qui les excitent fe trouve- roient-ils prefcrits dans cette fuite & dans cet ordre ? ou pourquoi notre ame , en s'appliquant à la fubftance divine , recevroit - elle telle ou telle perception plutôt que telle ou telle autre ? IIL Je ne faurois quitter cette ma- tière fans examiner ce que c'eft que Savoir une ame & de nen point avoir. Peut-être même trouverez- vous que je devois commencer par là. Cette queftion prife en général feroit 238 Lettre IV. trop vague : reftreignons - la , ou du moins fixons les termes dans lefquels nous Talions examiner. Nous parlons aux Philofophes qui définiirent Famé ^dnQ fukj']:ance penfante , (impie & indivijible ; le corps mie fubf tance étendue , impénétroMe & mobile. Aucune de ces dernières propriétés n'appartient à l'ame : aucune des pre- mières n'appartient au corps. L'homme çA compofé d'un corps & d'une arne : mais d'après ces défini- tions 5 que peut - on entendre par ce compofé ? Quelle efpece d'union fe peut -il trouver entre deux fubftances qui n'ont aucune propriété commune ? Croira-t-on , comme le vulgaire , que Famé eft renfermée dans le corps comme une efience ou comme un ef- prit dans un vafe ? L'ame , fimple & indivifible , n'exifte point à la manière des corps ; elle ne fauroit occuper au- cun lieu : & la placer dans le plus petit efpace ^ eft une auffi grande ab- furdité que la croire répandue dans la planète de Saturne. De quelle efpece peut donc être Lettre IV. 239 runion entre l'ame & le corps ? Voici ce que penfent fur cela les deux plus grandes feftes de Philofophes moder- nes. L'une & l'autre regardent le corps comme une machine dans ' laquelle mille nerfs , comme mille cordes ten- dues , & toutes aboutiiTant au cerveau , y portent tous les ébranlemens que les objets extérieurs leur caufent , & tranf- mettent jufqu'à lui leurs mouvemens. Selon l'une de ces feftes , les mou- vemens tranfmis jufqu'à une certaine partie du cerveau qu'on peut appeller \q fenforium , font les caufes ^ feulement occajionnelles , des perceptions de l'ame j comme réciproquement les perceptions de l'ame font les caufes occafionnelles des ébranlemens du fenforium , qui tranfmis par les nerfs aux parties les plus éloignées caufent les mouvemens du corps. On fera furpris maintenant de voir l'inconféquence où eft tombé l'Auteur de ce fyftême ; lui qui a fi exaftement défini les deux fubilances , & oui en a fi rigoureufement décidé l'incompa- tibilité, Defcanes obfervant que tous 2,40 Lettre IV. les nerfs venoient fe rendre dans le cerveau , où la mollefTe de cet organe ne permettoit plus de les fuivre j voyant que pendant que toutes les parties du cerveau- étoient doubles , une petite glande de forme conique fe trouvoit iîmple 5 il prit cette partie pour le fiege de Famé. Ce grand Philofophe oubliant fes principes parut croire qu'il fuffifoit de diminuer la mafle de la matière pour y pouvoir placer un efprit. Mais comment ne vit-il pas que cette partie avoit encore une infinité d'autres par- ties auffi peu fufcepîibles quelle de commerce avec un être fimple ? Com- ment ne vit-il pas qu'il étoit auffi ab- furde de faire réfîder Famé dans la plus petite partie du cerveau , que de la croire répandue dans tous les mem- bres , ou coulant dans les veines avec le fang ? L'autre feâe de Philofophes n'admet pas même les mouvemens du corps comme caufes occafionnelles des per- ceptions de l'ame , ni les perceptions de l'ame comme caufes occafionnelles de$ mouvemens du corps. Ceux - ci veulent Lettre IV. 141 veulent que le corps & l'ame , fans aucune efpece de rapport de l'un à l'autre 5 foient deux fubllances telle- ment conftituées , que ^ par leur pro- pre nature , l'une exerce une certaine fuite de perceptions , l'autre une cer- taine fuite de mouvemens ; & que la fageffe du Créateur les^ ait tellement conftruites , que , par une harmonie qu'ils appellent préétablie , les mouve- mens de l'une fe faflent précifément lorfque les perceptions de l'autre fem- blent l'exiger ; & que les perceptions iemblent dépendre des mouvemens. Leibnit^ a avancé ce fyfteme ; & preC que tous les Philofophes d'Allemagne l'ont adopté. Leur perfuafion va fî loin , qu'un des plus célèbres difciples de Leibnitz s'eft cru obligé d'avertir que , par un efprit de condefcendance, il vouloir bien permettre aux efprits foibles de fuivre un autre fyfteme j mais pourvu j dit -il ^ que ce foit fans malice (<2)* ( <î ) Si quîs hebetior fuerit ^ quàm ut pîiilofophî- cam fcientiam capere poffit , vel infirmior , quàm ut^ inoffensâ pietate > fyftemati harmonise prseftabilit^ (Euv. de Maup^ Tom* Ih Q 24^ Lettre IV. Voilà quelles font les idées de deux grandes itOtts, de Philofophes modernes for l'union de Famé avec le corps ; voilà comme elles expliquent le com- merce des deux fubftances. Les autres , moins favans fur cette matière , & peut-être plus raifonnables , admettent une influence de l'ame fur le corps & du corps fur l'ame 3 & ne favent ce que c'elL LETTRE V. Sur Vamc des bêtes. E S c A R T E S femble avoir cru de bonne foi que les bêtes n'ont point d'ame 5 & , ce qui eft encore plus furprenant , il l'a perfuadé à fes difci- ples. Un principe trop pouffé & mal entendu le conduifit à cette idée. Il croyoit connoître toute la nature de l'ame ; & la définiffoit un être penfant y affentiatur ; is fyftema influxûs phyfici ample^atur ; & fyftema harmoniae prseftabilitée , fi velit , damnet, ïiiodo fibi temperet à malitia. IVolff* PfychoL ration^ Lettre V. 245 îndlvifihle & immortel : admettre une telle ame dans les bêtes lui fembloit les faire participer à l'éternité , aux châtimens dont l'homme efl: menacé après fa mort , aux récompenfes qui lui font promifes. Defcartes effrayé de telles conféquences , fe détermina à priver d'ame les bêtes , à les réduire à être de pures machines. Car il ne faut pas croire qu'il ne les ait privées que des opérations qu'on appelle in- telleéluelles : il leur a ôté toute per- ception & tout fentiment. Le fenti- ment le plus groffier ou le plus confus îie peut pas plus appartenir à des au- tomates que l'idée la plus fublime. Il n'établiffoit peut - être un fyftême £1 paradoxe que pour plaire aux Théo- logiens : il arriva tout le contraire. Ils craignirent que fi l'on admettoit un tel méchanifme pour caufe de toutes les aftions des bêtes , on ne pût fou- tenir auffi qu'il fuffiroit pour celles des hommes j & que les bêtes n'ayant point d'ame ,,les hommes ne puifent auffi s'en paffer : on cria au fcandale & à l'impiété. 144 Lettre V. C'étoit une injuftice : ce n'eft point par nos aftions que nous connoiffons que nous avons une ame ; de pures machines pourroient exécuter tous nos mouvemens , & peut-être encore de plus compliqués : c'eft par ce fentiment intérieur que nous éprouvons en nous- mêmes 9 & qui ne fauroit appartenir au méchanifme. Il eft vrai que n'ayant d'autre preuve de Fexiftence de notre ame que ce fentiment , cette preuve n'eft que pour nous-mêmes \ nous ne faurions l'éten- dre aux autres hommes. Auffi ceux qui ont adopté & pouffé le fyftême aulîî loin qu'il doit aller, ont -ils été réduits à la révélation , pour s'affarer de l'ame de celui qui leur parle. Pour philofopher à notre aife fur cette grande queftion _, il faut voir fi elle tient en effet aux dogmes de la Théologie , ou fi l'on peut l'en féparer. Les uns regardent Fadmiffion de l'ame des bêtes comme contraire à la Reli- gion j les autres croient que l'automa- tifme eft capable de la détruire. De deux fentimens auffi oppofés que peut- Lettre V, 24J on conclure ? finon que cette queftion lui efl: indifférente , ou du moins qu'on peut prendre dans cette diipute le parti qu'on voudra. En effet , quand nous aurions de l'ame une idée affez diftinfte & affez complette pour être affurés que toute fa nature confiile dans la penfée & dans i'indivifibilité , comment conclu- rions-nous de là qu'il faut que toutes les âmes foient éternelles , & dignes du Paradis ou de FEnfer ? Des êtres qui , de l'aveu de tous ceux qui agitent cette difpute 5 ont eu un commencement , ne peuvent -ils pas avoir une fin ? Ne femble-t-il pas même qu'ils duffent l'avoir ? & ne l'auroient-ils pas en effet y fi Dieu ceffoit de vouloir leur exiftence ? Quant au mérita des récompenfes. ou des châtimens , ce n'eft ni I'indi- vifibilité , ni la faculté de penfer qui l'entraîne 5 c'eft un certain ordre d'i- dées 5 & une certaine liaifon entre ces idées 5 dont une ame d'ailleurs très- éclairée pourroit manquer. Elle pour- roit , par exemple , contempler & dé- Q H 146 Lettre V. couvrir avec une grande facilité les rapports des nombres , & les propriétés de l'étendue : fi elle manquoit d'idées morales , ou fi elle perdoit le fouvenir de {ç,^ aftions aufli-tôt qu'elles font commifes , elle ne mériteroit ni les ré- compenfes promifes à ceux qui vivent conformément à ces idées , ni les châ- timens deftinés à ceux qui s'en écar- tent. Mais quand même on voudroit foutenir que les bêtes ont des idées de devoirs , ce n'eft qu'un certain degré de clarté dans l'idée de ces devoirs qui peut en rendre l'accompliffement ou l'infraélion dignes de récompenfes ou de châtimens éternels. La queftion de l'ame des bêtes n'in- téreffant en rien les vérités que nous devons croire , nous pouvons la difcuter philofophiquement. Mais auparavant examinons un m.oment l'opinion de quelques Philofophes qui voudroient dans cette difpute prendre un parti mitoyen. Ils voudroient tellement dis- tinguer la penfée & la fenfation , qu'ils accorderoient aux bêtes une ame fenjî^ tive , réfervant pour les hommes Vame Lettre V. 147 penfante. Cette diftinftion n'eft fondée que fur les idées les plus confufes. Ils re- gardent apparemment la fenfation com- me pouvant appartenir au corps, comme pouvant n'être que l'effet de l'organi^ fation & du mouvement des parties j pendant qu'ils conviennent que la pen- fée ne peut appartenir qu'à une lubf- tance (impie & indivifible. L'une feroit détruite à la féparation des parties du corps , à la mort : l'autre fubfifteroit inaltérable. C'eft n'avoir pas affez réfléchi fiir ce qui caraftérife Famé , que d'admettre une telle diftinâion. Tout fentiment , toute perception eft une penfée : elle eft néceffairement accompagnée au fen- timent du foi y de ce que les Philofophes appellent confcience ; ou plutôt n'eft que ce fentiment même modifié diffé- remment , fuivant les différens objets auxquels il eft appliqué. Or c'eft ce fentiment du foi qui caraftérife la fim-^ plicité & l'indivifîbilité de la fubftance à laquelle il appartient : ainfi le fenti-^ ment le plus léger ou le plus confus , qii'auroit une huître , fuppofe autant 14^ Lettre V. une fubftance fimple & indivifible que les rpéculations les plus fublimes & les plus compliquées de Newton. Les argumens dont fe font fervis , tant ceux qui veulent priver d'ame les bêtes , que ceux qui leur en accordent , me femblent donc également foibles^ Les premiers ne fe fondent que fur le danger des conféquences ^ fur l'immor- talité de telles âmes ^ & fur le fcandale de les alTocier à des récompenfes ou à des châtimens éternels. Nous avons TU combien il eft facile de répondre à ces objeéHons. Les autres , pour prou- ver que les bêtes ont une ame , étalent & exagèrent toute leur induftrie \ leur habileté pour chercher leur nourriture , leurs rufes dans les combats qu'elles ont à foutenir contre leurs ennemis , leurs foins pour l'éducation de leurs petits ; l'adrefTe des oifeaux pour faire leurs nids , la géométrie des abeilles dans la conftruftion de leurs alvéoles ^ la police & l'économie qu'elles obfervent dans leur république ; la fidélité du chien , la fagacité du finge ^ &c. Mais tout cela ne prouve abfolument rien. Nous Lettre V. 249 Pavons dit , & il eft aflez évident ; des machines peuvent être tellement cons- truites , qu'elles feroient toutes ces chofes fans aucun fentiment intérieur : & qui a vu le Joueur de flûte de Vau- canfon s'étonneroit peut-être que des automates formés par la Divinité ne fiffent que ce que nous voyons faire aux bêtes. Les affions des animaux qui nous paroiflent les plus fpirituelles , les aftions des hommes mêmes , ne prou- vent donc point la préfence d'une ame : ni l'immobilité qui nous paroît la plus ftupide n'en prouve Tabfence. Ce aui conftitue Famé , c'eft le fenti- ment du foi , dont nous ne pouvons juger que pour nous. Il nous eft donc impoiîible de prouver direftement que les bêtes ont une ame , ou de prouver qu'elles n'en ont point : nous n'en pou- vons juger qu'obliquement , & par ana- logie , comme nous jugeons des habi- tans des planètes. Notre Terre eft habitée ^ nous ju- geons de là que les planètes , qui font des efpeces de Terres commue la nôtre 5 ijo Lettre V. ont auffi comme elle leurs habîtans.' Mon corps eft animé d'un efprit qui s'apperçoit lui-même j je juge de là que d'autres corps femblables au mien le {ont auffi. Je ferois ridicule fi une taille un peu plus haute ou un peu plus baffe , il des traits un peu différens _, me fai- foient refufer une ame aux autres hom- mes de mon efpece : des traits plus dif- férens encore , une peau noire , ne m'autoriferont pas plus à priver d'ame les habitans de l'Afrique. J'apperçois encore de plus grandes variétés ; je vois des efpeces d'hommes plus difformes & plus velus : leur voix ne forme plus des fons articulés comme les miens : je puis peut-être conclure qu'ils ne font pas faits pour vivre en fociété avec moi 'j mais je n'en dois pas conclure qu'ils n'ayent pas d'ames ; ni qu'il y ait dans la Nature un faut auffi énorme que le feroit celui qu'il faudroit fup- pofer y fi d'un Nègre ou d'un Lappon animé d'un efprit qui s'apperçoit , & qui eft capable de bien d'autres con- noiffances, on paffoit tout- à- coup à une efpece affez femblable à lui , mais Lettre V. i^i brute & incapable de fentiment ; & qu'y ayant enfuite une infinité d'efpe- ces telles que celle-ci , il ne s'en trou- vât aucune autre telle que l'homme. Tout ce que je puis donc penfer , & peut - être même fans grande raifon , c'eft que ces efpeces ont moins d'idées ou moms de facilité pour les compa- rer que je tlO-xs. ai. Je pafTe du finge au chien , au renard , & par des degrés imperceptibles je defcends jufqu'à Thuî- tre , & peut-être jufqu'à la plante , qui n'eft qu'une efpece d'animal plus im- mobile encore que l'huître , fans avoir aucune raifon pour m'arrêter nulle part. Une idée qui paroît affez naturelle , c'eft que , dans toutes ces efpeces qui defcendent par des degrés infenfibles , les âmes aulli fuivent en quelque forte le même ordre , & différent entr'elles par des nuances infenfibles de perfec- tion. Qui fait cependant fi toutes ces âmes fuivent une gradation femblable à celle que nous croyons voir dans les diffé- rens corps qu'elles animent ? Qui fait 252 Lettre V. même fi elles ne diiFerent que par le plus ou le moins de perfeftion dans le même genre ? fi certaines formes d'ani- maux qui s'écartent entièrement de la nôtre , comme celles des coquillages & des infeftes , annoncent des âmes moins parfaites , ou feulement d'une nature fort différente ? Il y a des animaux dont la vie commence & finit dans quelques jours ; il en efi; vraifemblablement dont la vie eft plus longue que la mienne. Si tous éprouvent le même nombre de perceptions pendant leur vie , com- bien les uns doivent "ils l'emporter fur moi pour la vivacité de l'efprit ! com- bien les autres , fixés fur chaque idée bien plus long-temps qu'il ne nous eft permis de nous y arrêter , doivent-ils avoir d'avantage pour en examiner les rapports ! -%: 253 LETTRE VL Du droit fur les bêtes, P R. È S ce que je viens de dire des bêtes , on ne me demandera pas , je penie , fi je crois qu'il foit permis de les tourmenter : mais on s'étonnera peut-être de voir tant de gens les tourmenter fans néceiîité & fans fcrupule. Dans l'Afie l'on trouve des hôpitaux fondés pour elles. Des nations entières ne vivent que de fruits , pour ne pas tuer d'animaux : on n'ofe marcher fans prendre les plus grandes précautions , de crainte d'écraler le moindre infefte. Dans notre Europe on ne voit que meurtres , les enfans s'exercent à tuer des mouches , dans un âge plus avancé Ton crevé un cheval pour mettre un cerf aux abois. Les hommes peuvent tuer les ani- maux , puifque Dieu leur a permis expreffément de s'en nourrir ; m.ai$ 2J4 Lettre VI. cette permiffion même prouve que dans l'état naturel ils ne le devroient pas faire ; & la même révélation dans plufieurs autres endroits impofe cer- tains devoirs envers les bêtes , qui font voir que Dieu ne les a pas aban- données au caprice & à la cruauté des hommes. Je ne parle pas ici. des ani- maux nuifîbles : le droit que nous avons fur eux n'eft pas douteux , nous pouvons les traiter comme des aflaffins & des voleurs. Mais tuer les animaux de fang froid , fans aucune néceffité , & par une efpece de plaifir , cela eft-il permis ? Des Auteurs célèbres , qui ont écrit de gros commentaires fur le droit na- turel & fur la morale , ont traité cette queftion : c'eft une chofe plaifante de voir comment ils l'ont envifagée ^ & l'adrefTe avec laquelle il femble qu'ils ayent évité tout ce qu'il y avoit de raifonnable à dire. Les Pythagoriciens & quelques Phi- lofophes de l'antiquité , qui paroiffent avoir mieux raifonné fur cette matière -, ne femblent cependant s'être fait un Lettre VI. 1^5 fcrupule de tuer les bêtes qu'à caufe de l'opinion où ils étoient fur la mé- tempfycofe : l'ame de leur père ou de leur fils fe trouvoit peut-être aftuelle- ment dans le corps de la bête qu'ils auroient égorgée. Seneque , cet hom- me fi raifonnable & fi fubtil , nous apprend qu'il avoit été long -temps attaché à cette opinion , fans vouloir fe nourrir de la chair des animaux, (a) Il ajoute fur cela un dilemme fin- guUer 5 qu'uî! grand homme de nos jours a tranfporté à une matière beau- coup plus importante. Dans le doute , dit-il 5 où l'on eft , le plus fur eft tou- jours de s'abilenir de cette nourriture : fi la métempfycofe a Heu ^ c'eft devoir j fi elle ne l'a pas ^ c'efl: fobriété. Mais il me femble qu'on a une rai- fon plus décifive pour ne point croire permis de tuer ou de tourmenter les bêtes : il fuffit de croire , comme on ne peut guère s'en empêcher , qu'elles font capables de fentiment. Faut - il qu'une ame foit précifément celle de tel ou tel homme , ou celle d'un homme ( a ) £. Annal Seneas epiji, CVIIL i<^6 Lettre V L en général , pour qu'il ne faille pas l'affliger d'un fentimenr douloureux ? Ceux qui raifonneroient de la forte ne pourroient'ils pas par degrés aller juf- qu'à tuer ou tourmenter fans fcrupule tout ce qui ne feroit pas de leurs pa- rens ou de leurs amis ? Si les bêtes étoient de pures machi- nes , les tuer feroit un a6te moralement indifférent , mais ridicule : ce feroit brifer une montre. Si elles ont , je ne dis' pas une ame fort raifonnable , capable d'un grand nombre d'idées , mais le moindre (e\\- timent ; leur caufer fans néceffité de la douleur , eft une cruauté & une injuftice. Ceft peut-être l'exemple le plus fort de ce que peuvent fur nous l'habitude & la coutume , que , dans la plupart des hommes , elles ayent fur cela étouffé tout remords. T^ P^ LETTRE 257 LETTRE VIL Sur les SyJIémes. Es fyftêmes font de vrais mal- heurs pour le progrès des Scien- ces : un Auteur fyftématique ne voit plus la Nature ^ ne voit que fon ou- vrage propre. Tout ce qui n'eft pas abfolument contraire à fon fyftême le confirme : les phénomènes qui lui (ont les plus oppofés ne font que quelques exceptions. Ceux qui le lifent , char- més d'acquérir tant de fcience à fi peu de frais , joignent leur intérêt au fien. Il faut qu'un tel édifice fubfiflie , parce que TArchitefte & tous ceux qui l'ha- bitent feroient enfevelis fous fes ruines. Quelquefois, fans faire de fyfl:êmes , des hommes célèbres n'ont pas , fait moins de tort aux Sciences. Toutes leurs paroles ont été prifes par des fec- tateurs trop zélés , pour des oracles : des unes on a fait des principes nouveaux^ des autres des fyftêmes complets. Œuv, de Maup, Tom. il. K ijS Lettre VIL Depuis les anciens Philofophes nul peut - être n'a tant joui de cette for- tune que Leibnitz : grand efprit fans doute , mais idolâtré par fes difciples» Après une réputation juftement acqui- fe y il hafarda quelques penfées qui auroient fait tort à un homme médio- cre : elles firent la plus grande fortune , préfenîées par un homme qu'on admi- roit déjà. Il avoit dit que rien nétoit fans rai^ fon fuffifante. Gela fignifie qu'il y a toujours quelque caufe pour laquelle une chofe eft telle qu'elle eft : & je ne crois pas que perfonne en ait jamais douté. On fit de la raifon fufflfante une nouvelle découverte ; un principe fé- cond qui conduifoit à mille vérités jufques-là inconnues. Car les Allemands croient encore bonnement que par là ils ont gagné plufîeurs fiecles fur les François & fiir les Anglois. Leibnitz ^ pour expliquer le com- merce entre le corps & l'âme , ne voulant point adopter le fyftême des caufes occafîonnelles ^ dit que le corps étant une pure machine ^ cette machine Lettre VIL 259 une fois montée exécutoit une certaine fuite de mouvemens j que l'ame par fa nature avoit une certaine fuite de perceptions ; & que par une harmonie qu'il dip^eWdi préétablie ^ les mouvemens de l'une & les perceptions de l'autre fembloient toujours fe correfpondre , quoiqu'il n'y eût rien de commun en- tre ces opératicms que d'arriver aux mêmes inftans. Cela , qui pouvoir être dit dans quelques lignes , enfanta des volumes , & devint le fameux fyftême de l'harmonie préétablie. Il échappa à notre Philofophe de dire ^ dans quelque accès de métaphy- fique , que toute la Nature étoit rem- plie à^ entelechies , d'êtres fimples , dont chacun doué d'une force aftive fe re- préfentoit lui - même , & repréfentoit tout l'Univers. Ceci fît encore plus de fortune. Le fyftême des monades eft aujourd'hui regardé dans toutes les Univerfités d'Allemagne comme la plus heureufe produftion de Tefprit humain. Je voudrois pouvoir vous donner une connoiffance plus parfaite de ce fyftême : mais comme ceux qui le foutiennent ne Ri; s6o Lettre Vlh l'ont jamais expofé d'une manière in- telligible , & qu'ils ne s'accordent point entr'eux fur plufieurs points princi- paux , je n'entreprendrai point d'ex- pliquer ceux qui ne peuvent pas s'ex- pliquer eux-mêmes. Un des plus grands efprits de notre nation , dans un ouvrage excellent qui parut il y a trois ans ( ^ ) , fit l'expofi- tion la plus équitable de ce fyftême , & en fit voir î'inconhftance & les dé- fauts. Les Philofophes Allemands fe contentèrent de dire qu'il n'y avoit rien compris. Quel cjue foit le fyftême des mona- des , il y a apparence qu'il durera auffi long-temps qu'il y aura des Fhilo: ophes en Allemagne. Car comme il eft fondé fur des êtres invifibles , qui ne fe raa- nifeftent ni ne font démentis par au- cuns phénomènes , il fera tQujours impoflible de démontrer qu'il n'y a pas dans la Nature de tels êtres ; & le refpeft pour Leibnitz perfuadera qu'ils y font. Jetons maintenant un coup d'oeil (a) Traité des fyjîêmes de Af. l'Abbé de Condillac^ Lettre VII. i6i fur ce qui fe paffoit en France & en Angleterre , pendant qu'en Allemagne on faifoit de tels progrès. Malebranche fur les traces de Defcar- tes avoit mis fes idées métaphyfiques dans un ordre fyilématique : tout Fef- prit , toute l'imagination d^un homme qui avoit beaucoup de l'un & de l'autre , produifirent à peine un fyftême , qu'il perfuada à peu de fes contemporains , & qui n'eut plus un feftateur à fa mort. Locke paiTa fa vie à chercher quel- ques vérités : & tout fon travail aboutir à trouver Texcufe de nos erreurs. Quelques penfées de Leibnitr^ ont' produit des volumes immenfes , & des fyftêmes éternels. Les Anglois dans la Métaphyfique ne voient que ténèbres r les François ont entrevu quelque lu- mière : les difciples de Leibnitz voient à découvert la nature des chofes. R / i6z LETTRE VIII. Sur les monades, N a emharrafle les partifans àa fyftême des monades en leur demandant combien il falloit de mo- nades pour faire un corps. Ils ne favoient pas , ou ne fe fouvenoient plus que les corps ne font point com- pofés de monades ; que le fentiment que nous avons de leur préfence n'efl: que la perception d'une monade , qui a la force de fe les repréfenter. Peut-être l'Auteur de ce fyftême a-t- il lui - même contribué à jeter dans cet embarras fes difciples : qui fait m.ême fi Leibnitz avoit déjà de fes monades l'idée qui pouvoit les mettre à l'abri de ces difficultés ? Du moins en plu- fieurs occafîons il s'eft expliqué de manière à en pouvoir faire douter. Quand il difoit , par exemple , que dans fa taffe de café il y avoit peut- être une foule de monades qui feroient Lettre VI I L i6% un jour des âmes humaines (a) , ne fembloit-il pas les regarder comme des êtres nageans dans Ion c^fé , ou com- me le fucre lorfqu'il y eft diffous ? S'il avoir dit : Mon café n'eft qu'un phé- nomène dont la perception eft excitée par quelque être qui n'eft point du café ; fes difciples n'auroient pas été •en peine pour répondre à la queftion , combien faut-il de monades pour faire un corps ? Il y a apparence que quand Leibnitz forma & propofa fes premières idées fur les monades , il n'avoit pas prévu jufqu'oii elles dévoient le conduire : & je crois qu'il n'y a guère de fyftême métaphyfîque dont l'Auteur n'ait été dans le même cas. Un homme célèbre propofe quelques idées ; fes feftateurs & (qs adverfaires travaillent également à en former un fyftême ; les uns en l'attaquant , les autres en fuppléant ce qui peut le mettre à l'abri des atta- ques : & le fyftême à la fin prend le tour que lui donne le concours ( a ) Leibnit:^ princip. philof. more geom, demonfin tHcor, LXXXVI. fchoL j. R iy 204 Lettre VIIL fortuit des objeftions & des défenfes. Il en eft amfi fur -tout du fyitême des monades : elles pouvoient n'être dans leur principe que les premiers éiémens de la matière , doués de per- ception & de force. Des adverfaires opiniâtres ont obligé les Monadiftes à dire que les monades font d^es êtres invifibles , mais repréfentatifs de tout ce que nous voyons dans l'Univers , qui n'eft plus qu'un afîémbîage de phé- nomènes ; & les ont réduits jufqu'à fe réfugier eux - mêmes dans leurs monades. [LETTRE IX. Sur la nature des corps. A première propriété qui diftingue le corps de l'efpace , eft l'impéné- trabilité. C'eft par elle que deux parties de matière ne îauroient fe trouver l'une dans l'autre ; & que fi l'une vient à occuper le lieu que l'autre occupoit , ce ne peut être qu'en la déplaçant. , Lettre IX. 16^ Cette propriété eft appellée par quel- ques Vh\\o{o^\\es folidité ^ dureté ^ & elt regardée de tous comme la propriété fondamentale de la matière. Lors donc qu'un corps efl poufle vers un autre qui peut céder à fon mouvement , il faut que celui-ci fe meuve ^ & lui cède la place. C'eft fur cela que font fondés tous les phénomènes du mou- vement que les corps confidérés com- me individus fe communiquent les uns aux autres. Si les parties mêmes dont les corps font compofés peuvent changer de dif- tance les unes par rapport aux autres , fans être entièrement féparées , les phé- nomènes du mouvement des corps qui fe choquent ne font plus fi fimples : une partie eft employée ou cachée dans l'effet de la flexion de ks parties , & dans le changement de forme des corps. Mais ce changement de forme , cette flexion des parties n'auroit jamais lieu , fl entre ces parties il ne fe trouvoit des efpaces qu'elles peuvent remplir , ou tout"à-fait vuides ou remohs d'une i66 Lettre IX. matière qu'elles en peuvent chaflerj Si un corps étoit parfaitement folide , dès qu'il feroit pouffé par quelqu'autre corps y il lui céderoit fa place à l'inf- tant , fans aucun changement dans la fîtuation de fes parties : ou s'il ne pou- voit être déplacé , il éteindroit à l'inf- tant le mouvement de l'autre. Il eft vrai qu'on a peine à affigner des corps d'une grandeur confidérable entière- ment maffifs , à caufe du mélange & de la combinaifon des élémens dans les corps de l'Univers : mais il faut cepen- dant en venir à des parties d'une par- faite folidité qui les compofent , à ces parties qui n'admettant aucun pore , font dune dureté parfaite. C'eft dans ces corps élémentaires qu'il faut cher- cher les propriétés générales de la ma- tière ; les corps compofés nous les déguifent. Dans quelques-uns les par- ties pliées reftent pliées j & l'on appelle ceux-là corps mous : dans quelques autres les parties pliées fe reftituent ^ & l'on appelle ceux-là corps élajliques. Mais les uns & les autres ne font réellement que des fyftêmes ou des Lettre IX. i6f afiemblages de corps inflexibles , atta- chés les uns aux autres. L'impénétrabi- lité , la folidité , l'inflexibilité , la dureté , n'eft qu'une même propriété attachée aux corps primitifs. Aufîi les plus favantes Académies ont-elles cherché , & propofé aux re- cherches des favans , la caufe phyfique de l'élafliicité : & tous ceux qui ont tenté d'expliquer ce phénomène ont eu recours à une matière fubtile placée dans les interfl:ices du corps. Si le ren- fort étoit une propriété de la matière , on n'en demanderoit pas l'expHcation , & il feroit ridicule de la demander. Malgré cela , quelques Philofophes , féduits par un principe qu'ils ne pou- voient appliquer aux mouvemens des corps parfaitement folides , ou parfai- tement durs , fe portèrent à la fingu- liere extrémité de dire que tous les corps étoient élafl:iques , & foutinrent par des fubtilités l'impoiïïbilité de l'exiC- tence des corps durs. L'Académie des Sciences de Paris ayant propofé pour fujet de fon prix les loix de la communication du 268 Lettre IX. mouvement des corps durs , le célèbre M. Jean BernouUi , dans la pièce qu'il envoya à cette Académie , commença par combattre l'exiilence de ces corps , & vouloir reftifier la propoiition que l'Académie avoit faite , en lui faifant entendre des corps élaftiques ce qu'elle avoit dit des corps durs : cela lui fit manquer le prix. L'Académie ne crut pas qu'il eût fatisfait à fa queftion ; & crut encore moins devoir y déroger elle-même , en admettant l'impoidibiTité des. corps dont elle avoit demandé les loix. La nièce de M. Bernoulli étoit d'ail- leurs remplie d'excellentes chofes ; &: l'Académie , qui n'avoit pu la couron- ner , fe reprochoit de ne l'avoir pas couronnée. Elle donna le prix à M. Maclaurin plus docile à fe conformer à fes vues : mais pour offrir à M. Ber- noulli fa revanche , elle propofa pour le fujet du prix fuivant les loix du mouvement des corps élaftiques ^ avec une explication de la caufe phyfique du reffort. M. Bernoulli , plus attaché à fes Lettre IX. i6<) opinions qu'à l'objet du prix , concou- rut encore , & ne voulut rien changer à ce qu'il avoir dit 3 il foutint toujours que c'étoit des corps élaftiques que l'Académie prenoit pour des corps durs : il manqua encore le prix. Mais ce qui , à mon avis , le fit manquer à fon fyf- tême , c'eft qu'il entreprit de donner une explication phyfique de la caufe du reflbrt que l'Académie demandoit , & qu'il ne devoit point admettre qui fût demandable. En effet expliquer la caufe phyfique du reffort , la tirer de l'organifation intérieure des corps ^ des vuides qui fe rencontrent entré leurs parties , des fluides qui occupent ces vuides j c'eft confidérer les corps élafti- ques comme des machines^ c'eft avouer que leurs dernières parties font des corps durs. ^Jt ^ 270 LETTRE X. Sur les lolx du mouvement. LE S corps étant mobiles , il falloît qu'ils fe rencontraflent dans leur mouvement : & étant impénétrables , il falloit , lorfqu'ils fe rencontrent , qu'il arrivât quelques phénomènes qui con- ciliaffent enfemble ces deux propriétés. Tous les Philofophes s'accordèrent à penfer que ces phénomènes dévoient partir de quelque principe général : mais après s'être divifés fur ce prin- cipe y ils eurent les uns & les autres la mortification de voir que la Nature n adoptoit aucun de ceux qu'ils avoient choifis. Defcartes & fa fefte alTurent que , dans tous les phénomènes qui fuivent le choc des corps , une certaine quan- tité , qu'ils appellent la quantité de mouvement , avant & après le choc fe confervoit toujours la même : cette quantité étoit le produit de chaque corp$ multiplié par fa vîteffe. On leur L E T T É. E X, 27Î fit bientôt voir que fi cttte quantité fe conferve dans quelques cas , elle aug- mente , elle diminue , elle s'anéantit dans d'autres. Leibnitz & fes difciples prirent un autre principe. Ils crurent que dans le choc des corps il y avoit une quantité qui fe confervoit inalté- rable : mais ils prirent pour cette quan- tité le produit de chaque corps multi- plié par le quarré de fa vîteffe , & l'ap peller ent la force vive. L'un & l'autre de ces principes avoient quelque chofe de fpécieux , & de capable de féduire. Le mouvement & la force font des réalités dans la Nature , qu'on ne conçoit pas facile- ment qui puiflent être produites ni anéanties. D'ailleurs la durée du Mon- de , & la pérfévérance de fes mouve- mens pouvoient faire penfer que le mouvement ou la force denieuroient toujours dans l'Univers ^ toujours capa- bles de conferver ou de reproduire les mêmes effets. Newton , plus attentif à obferver la Nature qu'à bâtir des fyftêmes , voyant qu'à la rencontre des différentes parties 27i Lettre X. de la matière , le mouvement fe dé- truifoit plus fouvent qu'il ne recevoit d'augmentation , crut qu'à la fin il s'a- néantiroit tout-à-fait , fi Dieu n'impri- moit de temps en temps à la machine du Monde de nouvelles forces. Cette idée parut peu philofophique à ceux qui vouloient foultraire le Monde à l'empire de la Divinité. Les Leibnitziens fur -tout s'en moquèrent , & crurent mettre les chofes à l'abri de ce péril par leur force vive , qui devoir fe conferver inaltérablement la même. On leur montra que cette force ne fe confervoit que dans le mouvement des corps élafliques y qu'elle devoit fou- vent fe détruire dans le mouvement des corps fans reffort , qu'on appelle corps durs. Ils aimèrent mieux dire que tous les corps étoient élaftiques , & qu'il n'y avoit point de corps durs dans la Nature , que d'abandonner un prin- cipe fi utile. Et pour conferver un fyf- tême hafardé , ils tombèrent dans une abfurdité manifefle. Car loin que tous les corps foient élafl:iques , on pour- roit bien plutôt foutenir que tous les . corps L E T T B. E X. 273 corps font durs : c'eft- à-dire que \e^ corps primitifs font inflexibles ; & que le refîort qu'on obferve dans quelques- uns n'eft que l'effet de l'arrangement des parties de ces corps , & d'une organifation particulière. Mais ayant de la matière une idée plus jufte , & admettant des corps durs & des corps élaftiques dans la Nature , foit que les uns foient les principes , foit que les autres foient les compo- fés ; ni la quantité du mouvem^ent , ni la quantité de la force vive ne fe con- fervent inaltérables. Cette prétendue confervation ne fauroit donc être le principe fur lequel font fondées les loix générales du mouvement. Il eft un principe véritablement uni verfel , d'où partent ces loix , qui a lieu dans le mouvement des corps durs , des corps élaftiques , de la lumière , & de toutes les fubftances corporelles ; c'eft que , dans tous les changemens qui arrivent dans l'Univers , la fomme des produits de chaque corps multiplié par Fefpace qu il parcourt _, & par la vite [Te avec laquelle il le parcourt ( ce au" on (Euv. de^Maiip, Tom^ IL S 174 Lettre X. appelle la quantité d'aftion ) ejl toujours la plus petite qu il foit pojjihle. Malgré la différence qui fe trouve entre notre principe & ceux de M. Defcartes & de M. de Leibnitz , il eft affez étonnant qu'un partifan de M. de Leibnitz ait voulu lui attribuer le nôtre. On peut voir ce qui s'eil paffé à cette occafion dans les Mémoires de TAcadémie Royale des Sciences de Berlin, années 1750 & 1751. L'un ou l'autre des prétendus prin- cipes de Defcartes & de Leibnitz ^ la confervation de la quantité du mouve^ ment , ou la confervation de la force vive ^ attribueroient l'éternité & l'indépen- dance aux mouvemens de l'Univers. Le dernier , que la Nature avoue , fait voir que ces mouvemens ne font ni éternels ni indépendans ; qu'ils font fournis à une puiflance qui les produit i& les augmente ^ les diminue & les détruit ^ de la manière la plus écono- & la plus fage. i Î75 LETTRE XI. Sur ce qui s'ejl paffé à Voccafion du pri/i- cive de la nioindj'e quantité d^aclion, ^UoiQu'iL ne faille guère entre- tenir le Public de lès affaires , en^oici une qui a fait affez de bruit pour exciter la curionte ; ou du moins qui fervira peut-être d'anecdote pour Fhiitoire de l'elprit humain. On y verra comment un fait littéraire produifit d'abord des difputes , eniuite des in- ve6Hves , enfin des horreurs. J'avois donné le principe de la moin- dre action dans quelques ouvrages qui ont paru en difFérens temps : M» Kœnig Profefleur à la Haye s'avifa d'in= férer dans les aftes de Leiplick \xr\^ differtation , dans laquelle il avoit en vue deux objets , affez contradictoires pour un partifan auffi zélé qu'il l'eft de M. de Leibnitz , mais qu'il avoit trouvé le moyen de réunir. Il attaquoit dans toute cette diîlertation m.on prin- s :; iLj6 Lettre XL cipe ; & finilToit par vouloir Tattribiier à ce grand homme : c'eft que le zele qu'on a pour ceux qu'on révère le plus n'eft pas fi puiffant que le moin- dre degré de haine ou d'envie. Je ne devois pourtant rien foupçonner de ces deux motifs dans M. Kœnig : la manière dont j'en a vois toujours ufé avec lui devoir me raffiirer fur l'un , & je ne devois pas craindre que mon peu de réputation excitât l'autre. Quoi cfu'il en foit , il attaqua de toutes fes forces mon principe \ & pour ceux à qui il n'auroit pas pu perfuader qu'il étoit faux , il cita un fragment de lettre de Leibnitz d'où l'on pou- voit déduire qu'il lui appartenoit. C'é- toit la conduite la plus étrange , mais elle n'en fut pas moins la conduite de M. Kœnig. Ce fragment de lettre ne contenoit pas feulement l'idée de mon principe ; on pouvoir encore en inférer que Lei- bnitz avoiî réfolu des problèmes qui ne l'ont été par M. Euier que quarante ans après , & que M. Euler n'a pu réfoudre que par des méthodes qui Lettre XL 277 n'étoient pas inventées du temps de Leibnitz, La première chofe que nous fimes , fut de demander à M. Kœnig où le trouvoit cette lettre inconnue à tout le monde , dont il avoit cité le frag- ment. Il nous renvoya à un homme à qui l'on avoit coupe la tête ^ qiîi lui àvoit fourni une, copie de cette lettre ^ & qui devoit en avoir eu un grand nombre d'autres du même Leibnitz. Mais cet homme , qui étoit Henzi de^ BernC;, ayant été condamné comme con- jurateur dans fa patrie , tous, fes papiers recueillis & vifés avec foin j avoienr été confervés. Je priai donc M. ie^ Mar- quis de Paulmy , alors Am.baffadeur de France en SuiiTe , de me procurer une copie de ce recueil : miais la réponiè de M. i'Ambafladeur ayant confirmé nos foupçons , je rendis compte de tout à l'Académie. Le P^oi , comme fbn pro- tecteur , voulut bien s'intéreffer dans cette affaire ; & MM* les Magiftrats de Berne ^ à la requifîtiop. de Sa Majefté , firent faire dans les papiers de Henzi la recherche la plus exafte de la lettre S iii 278 Lettre XL de Leibnitz : elle ne s'y trouva point. Comme elle devoir avoir été adreflée au Profeffeur Hermann de Bafle , le R.oi voulut bien encore prier MM. de Bafie de la faire chercher dans les pa- piers d'Hermann reftes chez fon frère après fa mort. Cette recherche n'eut pas plus de faccès que l'autre : & iinutilité de toutes ces démarches , & les procédés de M. Kœnig avec l'Académie , dont alors il étoit Mem- bre , achevèrent de rendre fa caufe fafoefte. L'Académie l'ayant fommé plufieurs % fois de produire l'original de la lettre qu'il avoir citée , ou d'indiquer le lieu où il fe trouvoiî ; après de longs délais , & plufieurs fubterfuges , il avoua au'il ne pouvoir faire ni l'un ni l'autre : & i'Académiie ayant examiné toutes les ™ raifons qui rendoient d'ailleurs ce frag- I ment fufpeft , déclara qu'il ne méri- i toit aucune créance. M. Kœnig cria comme fi on lui avoir fair la plus grande injuffice. La cou- tume de ceux qui perdent leur procès eil de s'en prendre à leurs Juges ; mais Lettre XL ijc^ ici M. Kœnig paffa de beaucoup les bornes ordinaires de la feniibilité. En attendant un ouvrage qu'il promettoit , nous vîmes voler de toutes parts les injures anonymes : bientôt après , l'ou- vrage annoncé parut fous le nom d'ap- pel au Public , & ne fut guère qu'une répétition plus méthodique de toutes les inventives qu'il avoir d'abord jetées à la hâte. Nos plus célèbres Académiciens ré- pondirent à l'appel , & firent voir com- bien l'Académie , à qui M. Kœnig re- fuioit la coniDétence dans cette affaire , avoit été en droit d'en juger y les rai- fons qu'elle avoit eues pour décider comme elle avoit fait , & la modération dont elle avoit ufé envers M. Kœnig. Mais il n'étoit plus queftion de raifons : M. Kœnig & fes partifans n'y répon- doient que par des injures. Enfin ils en vinrent aux libelles ^ & toutes les armes parurent bonnes , dès qu'elles parurent propres à offenfer. Ce qu'il y eut de plus iinguîier , ce fut de voir paroître comme auxiliaire dans cette difpute un homme qui n'avoir aucua S IV iSo Lettre XL titre pour y prendre part. Non content de décider à tort & à travers fur une matière qui demandoit beaucoup de connoiffances qu'il n'avoir pas ^ il faiiît cette occafion pour vomir contre moi les injures les plus groffieres , & y mit bientôt le comble par (a Diatribe. Je laiiîbis précipiter ce torrent de fiel & de fange , lorfque je me vis défendu tout à la fois de la même main par la plume & par le fceptre : tandis que la plume la plus éloquente foudroyoit ces libelles {a) ^ la Juftice faifoit brû- ler fous le gibet & dans ^les places publiques de Berlin l'ouvrage de la calomnie. Voilà jufqu'cù les chofes furent con- duites par la fureur de gens contre les- quels je n'avois jamais écrit un mot y & avec lefquels je n'avois aucun autre tort que celui d'avoir découvert un principe qui faifoit quelque bruit. Ce- pendant M. Kœnig & fes partifans di- Ibient encore que ce principe n'étoit { a ) Voye^ V écrit de Sa Majejlé le Roi de Prujfe , imprimé par [on ordre fous le titre de Lettre d'un Académiciin de Berlin à un Académicien de Paris-, Lettre XL 28 r qu'une chimère , & qu'on feroit bien mieux d'en examiner la valeur , (moyen ordinaire de tergiverfer fur le fait ) que de difcuter à qui il appartenoit. L'A- cadémie les faîisfit , ou plutôt acheva de les confondre en faifant ce qu'ils de- mandoient ; car s'il étoit encore poffi- ble d'ajouter quelque chofe aux droits de l'éloquence , & au pouvoir des loix , ce n'étoit plus que l'évidence de la Géométrie. M. Euler , Direfteur de l'Académie , entreprit donc l'examen de la valeur &: de l'étendue du principe de la moin- dre quantité d'action. Le réfultat de cet examen me fait trop d'honneur pour qu'il me convienne de l'expliquer ici. ( a ) Ce grand Géomètre non feulement a établi le principe plus folidement que je ne l'avois fait 5 m^ais fa vue , plus étendue & plus pénétrante que la mienne ^ y a découvert des conféquen- ces que je n'en aurois pas tirées. Après tant de droits acquis fur le principe même , revenant à la difcuiiion de ( a ) On peut le voir dans les Mémoires de. V Aca^ demie de Berlin , tome VIL 282 Lettre XL celui à qui il appartenoit , il a démontré avec la même évidence que j'étois le feul à qui Ton pût en attribuer la dé- couverte. S'il étoit décent d'ajouter à k% avan- tages le malheur de fes ennemis , je dirois ici que dans le même ouvrage , cil M. Euier a démontré toutes ces chofes , il a démontré auili que toutes les propoiltions géométriques ou dyna- miques que M. Kœnig avoir avancées ^comme Fort fûres & fort importantes , dans cette pièce qui avoir donné lieu à la difpute , étoient des paralogiimes & des erreurs ; & qu'il n'y avoit pas plus de folidité dans fes raifonnemens que d'authenticité dans its, anecdotes, Ceoendant , fans vouloir ou fans pouvoir foutenir de fi grandes difpu- tes avec de tels adverfaires , j'aurois volontiers laiffé M. Kœnig & i€s> par- tifans fuppofer que Leibnitz ^ ou tels autres qu'ils euffent voulu , connoif- foient le principe de la moindre quan- tité d'aftion : car M. Kœnig en étoit venu à donner libéralement ce prin- cipe 5 non plus feulement à Leibnitz j Lettre XL 283 mais à Malebranche , à s'Gravefande , à WolS ^ à un M. Engelhard affez peu connu d'ailleurs , & je ne fais plus à qui. Si de telles foppofitions étoient rilibles ^ il étoit du moins fur qu'aucun de ces Auteurs n'avoit trouvé dans la moindre aftion un iirincioe des loix univerfelles du mouvement Qui s'éten- dît à tous les corps de la Nature , tant aux corps durs qu'aux corps élajtiques ; &z que , faute de ce principe , ils s'é- toient jetés dans i'abfurdité de nier les corps dont rexiflence efl la plus afTurée. Je me ferois donc contenté d'être le feul qui eût déduit d'un principe uni- que toutes les loix du mouvement ; & c'eût été peut-être , comme Je l'ai déjà dit ailleurs , quelque chofe de plus flatteur pour mon amour propre , de m'être fervi plus heureufement que Leibnitz d'un inftrument qu'il avoit eu comme moi fous la miain , & d'avoir vu ce qui avoit échappé à la pénétra- tion d'un fi grand homme. 284 LETTRE X I L Sur l' Attraction, IL a fallu plus d'un demi-fiecle pour apprivoifer les Académies du conti- nent avec l'attraftion. Elle demeuroit renfermée dans fon ifle ; ou fi elle paffoiî la mer ^ elle ne paroiiToit que la reproduftion d'un monilre qui venoit d être profcrit : on s'applaudiffoit tant d'avoir banni de la Philofopliie les qua- lités occultes , on avoit tant de peur qu'elles revinffent , que tout ce qu'on croyoit avoir avec elles la moindre ref- femblance efïrayoit : on étoit fi charmé d'avoir introduit dans l'explication de la Nature une apparence de mécha- nifme , qu'on rejetoit fans l'écouter le méclianifme véritable , qui venoit s'offrir. Ce n'étoit pas une grande gloire de venir préfenter à fes compatriotes une découverte faite par d'autres depuis 50 ans : ainfi je puis dire que je fus le premier qui ofai en France propofer Lettre XII. 28 j Tattraftion , du moins comme un prin- cipe à examiner j ce fut dans le Dif- cours fur la figure des aftres. On y peut voir avec quelle circonfpection je préfentois ce principe , la timidité avec laquelle j'ofois à peine le compa-* rer à l'impulfion , la crainte où j'étois en faifant fentir les raifons qui avoient porté les Anglois à abondonner le Car- téfianifme. Tout cela fut inutile ^ & fi ce Difcours fit quelque fortune dans les pays étrangers , il me fit des ennemis perfonnels dans ma patrie. J'entrepris cependant de donner dans l'Académie même Tanalyfe des propo- fitions de M. Newton qui concernent l'attraélion ; mais fans m'écarter du refpefi: que je devois aux anciennes opinions , & proteftant toujours que je ne traitois cette matière qu'hypothéti- quement & en Géomètre, Les chofes depuis ce temps -là font bien changées : l'attraftion s'eft telle- ment établie qu'il n'eft à craindre au- jourd'hui que de lui voir un trop uni- verfel empire. Newton Tappella pour expliquer des phénomènes pour lef-- 1Î6 Lettre XI I. quels l'impulnon éîoit inftiffifante , au- jourd'hui l'on s'en fert quelquefois pour expliquer des phénomènes qui n'ont pas befoin d'elle. Telle eil: la vicifîitude des chofes humaines , entre lefquelles je mets les fyftêmes de Philofophie , où il y a toujours beaucoup (T humanité. Aujourd'hui donc il feroit fuperflu de repréfenter les raifons qu'on a d'ad- mettre l'attraftion. Qu'on relife les ou- vrages des Eulers , des d'Alemberts , des Ciairauîs , & qu'on juge du prin- cipe par i'ufage que ces grands Géo- mètres en ont fait. L'attraélion paroît démontrée par l'accord parfait de tou- tes les conféquences qu'on en tire avec les phénomènes de la Nature. Mais il eft un autre genre de fpé- culations à faire fur ce lijjet ^ c'eft: d'approfondir la nature de l'attraftion , d'examiner les différens phénomènes qui fuivroient de fes difFérentes loix , de rechercher fi aux yeux de celui qui a voulu que la matière fût douée de cette propriété , toutes ces loix étoient égales , ou s'il y a eu quelque raifon de préférence qui ait pu déterminer Lettre X 1 L fon choix. J'ai hafardé quelques recher- ches fur cette matière , qu'on trouve à la fin de mon Effai de Cofmologie, On me dira peut-être encore qu'il faudroit être plus afTuré que Dieu eût voulu établir l'attraftion dans la Na- ture , avant que de rechercher pour- quoi il l'auroiî voulu établir telle ou telle. Sans répondre ici c[ue la réalité de l'attraffion en raifon renverfée du quarré des diftances paroît incontefta- blement établie , je puis dire que j'ai affez prévenu cette objeftion , & que je m/en fuis mis à couvert autant qu'il étoit po/îible. Si on lit avec équité ce que j'ai dit far cela , on verra avec combien de circonfpeftion j'ai propofé mes conjeâures , combien je m'y fuis peu fié moi-même. Si j'ai voulu faire quelques pas de plus que Nev/ton , ce n'a été qu'en trem.blant & en chan- celant dans cette plaine immenfe de fable. , La Géométrie , à la vérité , nous donne quelque hardieffe. Elle ne nous apprend point {i les chofes font , mais elle nous dit toujours commicnt ^ fi 288 Lettre XII. elles font ^ elles doivent être , ou peu- vent être : &i lorfque nous trouvons fes rapports conformes à ce que nous ti- rons d'autres fources , nous ne pouvons nous empêcher de leur donner c|uel- que poids. Voici une des plus grandes merveilles de cette efpece que la Géo- métrie préfente à nos fpéculations , & que je ne puis paffer fous filence. Nous avons fait voir que toutes les loix du mouvement étoient fondées fiir le principe de la moindre quantité d'aftion : Newton a démontré que tous les corps céleiles fe meuvent par une attraftion vers le Soleil : & M, Euler a trouvé que fi des corps fe meuvent par une force qui les attire continuellement vers un centre _, ils emploient dans leurs routes la moindre quantité d'aftion qu'il foit poffible. Peut -on refufer ici fon admiration ? peut-on n'être pas frappé de l'accord de ces différentes loix ? Si l'on ne voit point que l'atîraftion elle - même dé- pende du principe de la moindre quan- tité d'aftion , les effets du moins lui font fournis : elle fait mouvoir les corps comme Lettre XI IL 289 comme il faut qu'ils fe meuvent pour obéir à cette loi univerfelle de la Nature. ■■Ml II Mil iij^-i.jMivaa#,^iy.^ii».»,-^wj-w«iii-iK'Ai-«LW;jj».i'»amMijajM«g*.«i«-t,t^ " ' ■ ' lu» LETTRE XIII. Sur la figure de la Terre. Elui qui du milieu des campa- gnes ou des mers contemple la furface de la Terre , la croit plate ; car on n'a pas ici d'égard aux petites inéga- lités que les montagnes & les vallées peuvent caufer à cette furface. Dans quelque lieu que foit le fpeftateur , fi l'horizon efl: découvert^ il fe trouve toujours au centre d'un cercle dont la fuperficie paroît plane , & dont les bor- nes ne lui femblent cachées que par là foibleffe de. fa vue. Le voyageur qui découvrit le fom- met d'une montagne , ou le haut d'une tour , avant que d'en appercevoir le pied , commença à croire que cette figure plane n'étoit point celle qui ao- partenoit à la Terrô , que fa furface (Euv, de Maup. Tom, IL X 290 Lettre XI IL devoir être courbe , & que fa rondeur cachoit des objets qu'on n'appercevoit que fucceffivement en parcourant cette furface. En s' avançant au nord on remarqua -Cfueles Étoiles fituées vers cette partie du Monde devenoient plus élevées fur l'horizon , tandis que celles qui étoient fituées du côté oppofé s'abaiffoient de la même Quantité , & enfin difoaroif- foient tout-à-fait ; & l'on jugea encore mieux que la Terre étoit convexe. Et comme on ne connoiflbit guère alors d'autre courbe que le cercle , ou qu'on regardoit le cercle comme la courbe la plus parfaite , & celle que la Nature nous préfente le plus fou- vent , les Géographes & les Aftronomes ne manquèrent pas de conclure que la courbure de la Terre étoit celle d'un cercle , & que la Terre étoit un globe fufpendu dans les airs. Son ombre (Qn- fiblement circulaire dans les éclipfes acheva de les confirmer dans cette opinion. ^ Voilà les différens degrés par les- quels on parvint à donner à la Terre Lettre XI IL 29 c îa fieure fDhériaue. Des raifonnemens plus lubtils réfervés à ces derniers temps en firent douter , ou plutôt firent per- dre à la Terre cette figure. On doutoit encore du mouvement de la Terre , tant de celui par lequel elle décrit fon orbite autour du Soleil , que de celui qu'elle a en tournant fijr elle-même. Un Aftronome obferva qu'à Cayenne la pefanteur n'étoit pas fi grande qu'à Paris. A fon retour tous les Géomètres en cherchèrent la rai- fon , & on la trouva dans le mouve- ment de révolution qu'a la Terre au- tour de fon axe : en effet , tout corps forcé de décrire un cercle fait un con- tinuel effort pour s'écarter du centre de fon mouvement ; & cet effort eft d'autant plus grand que le cercle décrit eft d'un plus grand diamètre. Pendant la révolution de la Terre , toutes fes parties , hors celles qui fe trouvent fituées aux deux extrémités de l'axe , parcourent des cercles ; & celles qui parcourent les cercles les plus grands acquièrent plus de cet effort qu'on appelle force centrifuge y T ij 292. Lettre XI IL qui tend en effet à écarter chaque partie de la Terre du centre du cercle qu'elle décrit. La force centrifuge efl; oppofée à celle de la pefanteur , cette autre force par laquelle toutes les parties de la Terre tendent vers un même point , ou plus exactement tendent les unes vers les autres j & la première de ces deux forces , toujours beaucoup plus petite que la féconde ^ en retranche feulement une partie. Sous récjuateur , qui eft le plus grand des cercles que la Terre décrit par fon mouvement de révolution , la force centrifuge y plus grande que par- tout ailleurs , retranche donc plus que par-tout ailleurs quelque chofe de la pefanteur , la pefanteur , fî elle a été primitivement par - tout la même , doit donc fous Téquateur être moindre que par-tout ailleurs , & aller croiilant vers les pôles. Ce raifonne- ment étoit confirmé par l'obfervation de Cayenne , qui n'eft éloignée de Féquateur que de cinq degrés. Newton en déduiiit une nouvelle conféquence j ce fut que la Terre n'étoit Lettre XIII. 293 point fphérique. Cette figure qui ré- lultoit de la pefanteur de toutes {q^ parties les unes vers les autres ne pou- voir plus fubiifter y (i l'égalité de la pefanteur étoit détruite. L'équilibre né- ceffaire entre les parties de la Terre rendoît les lignes tirées de fon centre à Féquateur plus longues que celles qui étoient tirées du même centre aux pôles ; par conféquent applatiiibit vers les pôles le fphéroïde de la Terre , qui vers l'équateur fe trouvoit plus élevé. On calcula les différens degrés de cette élévation : mais comme , pour ce cal- cul 5 il falloir faire fur la pefanteur primitive quelques hypothefes fur lef-- quelles 011 n'étoit pas d'accord , divers- grands Géom.etres trouvèrent des élé- vations différentes. C'étoit là tout ce aue i'efprit humain pouvoit imaginer de plus fubtil pour découvrir la figure de ta Terre. Mais il Y avoir quelque chofe déplus fim. pie & de plus sûr , c'étoit de la mefurer , c'étoit de déterminer par des mefures- aftuelles & précifes la longueur de fes différens desrrés. Gar fi la Terr^ étoit^ r-r» T ii} 294 Lettre XIII. fubérique , fî Tes méridiens étoient des cercles parfaits , tous leurs degrés de- voierxt être égaux ; & iî on ne les trouvoit pas tels , l'inégalité entre ces degrés devoit faire connoître combien la Terre s'écartoit de cette fis;ure. On avoit cru avoir beaucoup fait , en donnant à la Terre la figure d'un globe ; & en déterminant fon diam.e- tre , comme i'avoient fait les anciens Phiiofophes , par la m.efure d'un feul de fes degrés , dans la luppolition que tous ces degrés étoient égaux. Newton & Huygens crurent avoir fait davan- tage , en déterminant par les loix de l'équilibre l'inégalité qui devoit fe trouver entre l'axe de la Terre & le diamètre de Féquateur. Mais ce ne fut que lorfqu'on mefura qu'on put dire qu'on réfolvoit le problême : ce ne fut que lorfque le Roi envoya aux extré- mités de la Terre deux troupes nom- breufes d'habiles Mathématiciens me- furer les deux degrés qui doivent être les plus difi^érens , celui du pôle & celui de Féquateur. C'efl: là fans doute la plus fameufe Lettre XII L i()f époque que jamais les Sciences ayent eue. Laifferons-nous voir ici des circonf- tances qui en obfcurciirent en quelque forte la gloire ? Oui, elles ne diminuent rien de la grandeur de la choie , de la magnificence du Prince c[ui l'ordon- na , ni du fuccès de Fentreprifè ; elles ne tombent que fur ce qu'il y avoir d'humain dans Fopération : ce font nos torts que je vais révéler ; & j'en ai d'autant plus le droit que je les partage avec les autres qui ont travaillé au même ouvrage. J'eus Thonneur d'être chargé de l'opération du pôle : nous. fumes affez heureux pour vaincre les horreurs de ce cUmat , & pour j me- furer en 1736 , avec la plus grande exaûitude le degré du méridien qui eoupe le cercle polaire. Mais avant notre départ l'Académie' des Sciences a voit en quelque forte pris parti dans cette affaire. Les mefu- res du méridien qui traverfe la France avoient donné quelque diminution en^ tre fes degrés du midi vers le nord y & de là , au lieu d'un applatiffement vers les pôles ^ s'enfuivoit un ailonge» i IV 2c^6 Lettre XI IL ment : rAcadémie fembloit avoir ado- pté ces mefures , qui donnoient à la Terre la figure d'un fphéroïde allongé au lieu de celle d'un fphéroïde applati. Notre mefure donna le contraire , & fit la Terre applatie. Nous trouvâmes donc en arrivant de grandes contra- diftîons : Paris , dont les habitans ne fauroieut fiir rien demeurer dans l'in- différence , fe divifa en deux partis ; les uns prirent le nôtre , les autres crurent qu'il y ail oit de l'honneur de la nation à ne pas laiffer donner à la Terre une figure étrangère , une fi- gure qui avoir été imaginée par un An- glois & un HoUandois. On chercha à répandre des doutes fur notre mefure : nous la foutinmes peut-être avec un peu trop d'ardeur ; nous attaquâmes à notre tour les mefures qu'on avoir fai- tes en France : les difputes s'élevèrent , & des difputes naquirent bientôt des injuftices & des inimitiés. Le Minif- tere , qui avoir fait de grandes dépenfes pour les mefures du méridien de la France ^ ne vouîoit croire ces micfures inutiles qu'à la dernière extrémité. Lettre XI I L 297 Cependant ceux qui avoient ancienne- ment mefuré le méridien en France recommencèrent leur ouvrage en 1 740, & trouvèrent les degrés du méridien croiffans à contre - lens de ce qu'ils avoient trouvé autrefois ( ^ ) ; ce qui confirmoit la plus grande longueur des degrés que nous avions obfervée vers le pôle. Enfin deux des Mathématiciens du Pérou revinrent en 1744 5 & leurs nieflires s'accordoient encore avec les nôtres : en forte que toutes tendoient à prouver l'applatiiTement de notre globe vers les pôles. La figure de la Terre fe trouva donc décidée par Taccord des opérations exécutées fous les trois zones : il n'y eut plus de diverfités de fentimens que fur la part que chacun voulut y avoir. Revenus les premiers avec les premières mefures qui s'accordaffent avec la figure que donnoient le^ loix de l'équihbre , nous voulûmes avoir réfolu le problême : ceux qui avoient ( a ) Voye!^ la méridienne vérifiée dans toute l'étendue du Royaume ^ &c^ par M, CaJJîni de Thury, 29S Lettre XI I L réformé en France leur ancienne me- fiire voulurent partager l'honneur de la folution. Enfin les Mathématiciens de l'équateur , par les obuacles qu'ils avoient eus à vaincre , par les foins qu'ils y avoient apportés , par le long temps qu'avoir duré leur opération , prétendirent que la décifion de la quef- tion étoit due à leurs travaux. Ils ne pouvoient guère en difputer l'honneur à ceux qui les avoient précédés : ils fe le difputerent entr'eux. Uun , par la pubhcation de l'ouvrage commun , pré- vint fes compagnons j, & fembloit s'ap- proprier prefque tout le mérite de l'opération j l'autre eut bien de la peine à fe faire écouter, & ne parvint que tard à faire connoître la grande part qu'il y avoir. Le dernier arrivé , fans montrer feulement à l'Académie fes obfervations , alla enrichir l'EfiDagne de fes connoiffances & de fes taiens^ 299 t»ji-iiMW -iJii.tM-tMug.'jjaji'. ajsggMMLwaiMWjiu.M'agiiBaawa LETTRE XIV. Sur la fyinération des animaux. Es Anciens croyoient que l'homme & la femme av oient une part égale à l'ouvrage de la génération ; que le foetus fe tiouvoit form.e dans la matrice du m.éiange des liqueurs féminales des deux fexes , fans qu'ils fuffent S^ fans qu'ils s'embarraiTaffent trop de chercher commuent la chofe fe faifoit. La difficulté de com.prendre com^- ment un corps organifé fe pouvoir for- mer, fit croire aux Phyficiens m.odernes que tous les animaux , toutes les plan- tes ^ tous les corps organifés étoient auffi anciens que le Monde : que tous formés en petit dès le temps de la création , n'avoient fait depuis èz ne feroient plus dans la fuite que fe dé- velopper & croître. Je n'examine point fi ce fentiment a en effet quelque chofe de plus phi- lofophique que celui qui admet des formations nouvelles j fi , reconnoiffant 300 Lettre XIV. Faftion de Dieu néceffaire pour la for- mation des animaux , il eil plus fimple de concevoir qu'il eût créé au même inilant tous les individus , que de penfer qu'il les créât dans des temps fucceffifs ; fi même l'on peut dire qu'il y ait pour Dieu quelque lucceffion de temps. On verroit , je crois , en exa- minant ces queftions , que le fyftême des développemens na aucun avan- tage réel: fans parler de la difficulté qui fe trouve à fupporter tant d'ordres inconcevables de petiteffe aftuelle de tous ces êtres organifés contenus à l'in- fini les uns dans les autres» Partant cependant de ce principe , d'une formation fimultanée de tous les individus , les Philofophes modernes fe partagèrent en deux opinions , & for- mèrent deux fyftêmes. Les uns conhdérant que tout un genre d'animaux fortoit de l'œuf , cru- rent que tous les animaux dévoient avoir la même origine : & des yeux prévenus par cette idée virent des œufs dans ce qui jufques-là n'avoit paffé que pour les tefticules de la femme ^ Lettre XIV. 301 & des femelles des animaux quadru- pèdes. Les autres ayant découvert au inicrofcope de petits corps animés dans la femence des mâles , ne doutèrent point que ces corps ne fuffent les ani- maux mêmes qui dévoient naître. Quel- ques-uns de ces derniers admettant en- core les œufs 5 ne les regardèrent que comme le domicile & l'aliment du petit animal qui s'y loge ; les autres nièrent abfolument les œufs , & cru- rent que l'animalcule dépofé dans la matrice y trouvoit tout l'aliment dont il avoit befoin. Voilà donc ^ dans un de ces fyftê- mes 5 tous les hommes contenus de mère en mère dans l'ovaire de la pre- mière femme : dans l'autre , les voilà tous contenus de père en père dans la femence du premier homme. Toutes les générations , depuis ces auteurs ou ces magafins du genre humain , n'ont été & ne feront que des déve- loppemens. On fe trouve aujourd'hui forcé d'a- bandonner ces deux fyflêmes , que des raifonnemens précipités & des expé- 302 Lettre XIV. riences faites à demi avoient fait em- braffer. Un Auteur , aulîî grand Phyfi- cien qu efprit vafte & profond , vient de prouver par des obfervations incon- teftables que l'œuf de la femme & des quadrupèdes étoit une chimère ^ & que l'animalcule fpermatique ne | pouvoit être le fœtus. Ce prétendu œuf qui après la fé- condation de voit fe détacher de l'ovai» re , & être conduit par les trompes de Fallope dans la matrice ; M. de BufFon , après l'avoir cherché de cet œil à qui rien n'échappe , a vu qu'il n'exifioit point , & a découvert un autre phénomène. Dans le temps où les femelles entrent en chaleur ^ il a vu fur leur tefticule ce corps glandu- leux que quelques Anatomiftes avoient pris pour l'œuf ^ fe former , croître , s'ouvrir , & laiffer couler une liqueur dans laquelle il apperçut les mêmes animalcules , ou les mêmes globules animés qu'on avoit pris pour des ani- maux dans la femence du mâle. Mais , ce qui eft encore plus mer- veilleux 5 ces mêmes corps , ou d'abfo- Lettre XIV. 303 lument femblables , il les a retrouvés dans des femences d'animaux différens , dans des infufions de plantes , de grai- nes 5 enfin dans des jus de viandes cuites , où le feu n'auroit laiffé aucun animal vivant. De là M. de Buffon conclut avec beaucoup de raifon que ces prétendus animaux ne font point les animaux futurs de l'efpece du père. Il ne les prend pas même pour des animaux véritables : il les reo;arde comme auel- que chofe de moyen entre la matière brute & l'animal , comme des parties déjà organiques & animées , dont Taf- femblage doit former le fœtus. Quant à la manière dont le fœtus fe forme ^ il croit que chaque partie du corps de l'un & de l'autre fexe ayant fourni fes molécules organiques , dont les réfervoirs font les liqueurs féminales des deux fexes , ces molé- cules après le mélange des liqueurs s'arrangent & s'uniffent par des at- trapions dans des moules intérieurs , d'une manière que nous n'expliquerons point ici. 11 faut voir le détail des 304 Lettre XIV. obfervations de M. de BufFon , & les conféquences qu'il en tire ^ dans le fameux ouvrage qu'il vient de mettre au jour. Ce feroit trop faire perdre au Lefteur que de vouloir qu'il s'en tînt à cet extrait. J'avois donné quelques années au- paravant un ouvrage ( a ) dans lequel j'expofois un fyfrême affez femblable à celui de M. de Buffon ; & auquel il ne manquoit peut-être que i^^ expé- riences pour lui être plus femblable encore. Cependant je n'y refufois point le nom d'animaux à ces petits corps qu'on voit fe mouvoir dans la liqueur féminale : je niois feulement que ce fuifent des animaux de l'efpece du père , ou propres à le reproduire : j'en regardois l'ufage comme inconnu , ou croyois qu'il coniifte peut-être à agiter les liqueurs féminales , pour donner lieu aux parties qui doivent former le fœtus de s'arranger & de s'unir plus facilement. Mais le fyftême des œufs y & celui des animalcules fpermatiques , fe trou- ( a ) Ca ouvrage fc trouve dans ce volume. vent^ Lettre XIV. 305 vent y & par la Vénus , & par l'ouvrage de M. de Buffon , également détruits : car les prétendues obfervations de ceux qui ont vu des œufs dans les trompes , des fœtus tout formés dans des œufs , des fœtus dans la liqueur féminale du mâle y font fabuleufes , & ne méritent pas qu'on y faffe attention. L'ancien fyftême refte le feul qu'on puilTe rai- fonnablement admettre. N'eft-ce pas là un réfultat afTez or- dinaire de nos progrès , que de foibles connoiflances ^ que nous n'acquérons qu'avec beaucoup de temps &de peine , nous ayant écartés des opinions com- munes y de meilleures expériences & des raifonnemens plus approfondis nous y ramènent ? Si ces raifonnemens & les derniè- res découvertes prouvent que le fœtus n'appartient point au père feul , ni à la mère feule , mais que , dans les gé- nérations les plus ordinaires ( <^ ) , il eft l'ouvrage des deux , & le produit des ( a ) /^ dis ici , dans les générations les plus ordi- naires ; parce qu'il y a des génératiGns auxquelles un feul individu Jujfit , comme celles des pucerons & des polypes, Œuv, de Maup. Tom, II, Y 3o5 Lettre XIV. parties que chaque fexe y met du fien ; des obier varions communes dévoient avoir démontré cette vérité, comimie : la refTemblance manifelle de Tenfant tantôt au père , tantôt à la mère , fé- lon que les parties de l'un ou de l'au- tre auront dommé dans fa génération : la naiffance de ces animiaux mixtes , qui portent toujours les carafteres des différentes efpeces dont ils font nés. Un grand Phyficien propofe dans un ouvrage utile & curieux ( ^ ) des expériences à faire fur cette matière. Dans le genre des poules il ii'eft pas rare de voir des races qui portent cinq doigts à chaque patte : il ne Teft guère davantage d'en voir qui naifTent fans croupion. M. de Réaumur propofe d'apparier une poule à cinq doigts avec un coq à quatre doigts , une poule à quatre doigts avec un coq à cinq ; la même e> périence à faire fur les coqs & les poules fans croupion : & regarde ces expériences comme pou- vant décider fi le foetus eft le produit '( <2 ) Vart de faire éclorre des oifeaux domejliques , par M. de Réaumur , /, //. mém, 4. Lettre XIV. 307 du père feul , de la mère feule , ou de l'un & de l'autre enlèmble. Je fuis furpris que cet habile Natu- ralise , qui a fans doute fait ces expé- riences , ne nous en apprenne pas le réfultat. Mais une expérience plus fûre & plus déciiive fe trouve toute faite. Cette fingularité de doigts furnumé- raires fe trouve dans l'efpece humaine , s'étend à des races entières j & l'on voit qu'elle y elt également tranfmife par les pères & par les mères. Jacob Ruhe , Chirurgien à Berlin , eft d'une de ces races. Né avec fix doigts à chaque main & à chaque pied , il tient cette fingularité de fa mère Elifabeth Ruhen , qui la tenoit de fa m.ere Elijaheth HoTJlmami y de Pvoftock. Elifabeth Ruhen la tranfmit à quatre enfans de huit qu'elle eut de Jean Chriftian Ruhe , qui n'avoit rien d'extraordinaire aux pieds ni aux mains. Jacob Ruhe y l'un de ces en- fans fexdigitaires , époufa à Dantzic en 1733 y Sophie-Louife de Thiingen , qui n'avoit rien d'extraordinaire : il V ij 3o8 Lettre XIV. en a eu fix enfans ; deux garçons ont été fexdigitaires. L'un d'eux , Jacob Emeji , a fix doigts au pied gauche & cinq au droit : il avoit à la main droite un fixieme doigt , qu'on lui a coupé ; à la gauche il n'a à la place du fixieme doigt qu'une verrue. On voit par cette généalogie , que j'ai fiiivie avec exaftitude , que le/ex- digitifme fe tranfinet également par le père & par la mère : on voit qu'il s'altère par l'alliance des quindigitai- res. Par ces alliances répétées il doit vraifemblablement s'éteindre \ & fe per- pétuer par des alliances où il feroit commun aux deux fexes. Je ne crois pas que perfonne prenne la continuation du fexdigitifme pour un effet du pur hafard : mais fi on la regardoit ainfi dans les hom^mes , on ne devroit pas la regarder autrement dans les animaux ; & les expériences propofées par M. de Réaumur ne fe- roient pas plus décifives que celles dont je parle. Je veux bien croire que ces doigts fiirnuméraires dans leur première origine ne font que des va- Lettre XIV, 309 riétés accidentelles , dont j'ai effayé de donner la produftion dans la Vénus phyfique : mais ces variétés une fois confirmées par un nombre fuffifant de générations où les deux fexes les ont eues y fondent des efpeces 5 & c'efl: peut - être ainiî que toutes les efpeces fe font multipliées. Mais fi l'on vouloit regarder la con- tinuation du fexdigitifine comme un effet du pur hafard , il faut voir quelle efl: la probabilité que cette variété ac- cidentelle dans un premier parent ne fe répétera pas dans fes defcendans. Après une recherche que j'ai faite dans une ville qui a cent mille habi- tans , j'ai trouvé deux hommes qui avoient cette fingularité. Suppofons y ce qui eft difficile , que trois autres me foient échappés j & que far 20000 homm^es on puiiTe compter i fexdigi- taire : la probabilité que fon fils ou fa fille ne naîtra point avec le fexdigitif- me eft de 20000 à i r & celle que fon fils & fon petit- fils ne feront point fexdigitaires efl de 20000 fois 20000 , ou de 400000000 à I : enfin la. V iij. 310 Lettre XIV. probabilité que cette fingularité ne fe continueroit pas pendant trois générations confécutives feroit de 8000000000000 à I ; nombres fi grands que la certitude des chofes les mieux démontrées en Phyfique n'ap- proche pas de ces probabilités. J'ai dit que j'avois trouvé dans Ber- lin deux fexdigitaires ; 8^ j'ai donné la généalogie de l'un. Je n'ai pas pu fui- vre avec affez d'exaftitude la généalo- gie dé' l'autre , qui eft étranger , & qui me l'a cachée : mais il a des en- fans fexdigitaires ; & l'on m'a affuré que ce fexdigitifme étoit depuis long- . temps héréditaire dans fa famille. Un Savant illultre en Allemagne ^ i>c Mi- niftre du Duc de Wurtemberg , M. de Bulfinger étoit d'une telle famille , & né avec un fixieme doigt y que fes parens lui avoient fait couper comme une monftruofité. Le hafard me fit rencontrer une chienne fort finguliere ^ de cette efpece qu'on appelle à Berlin chiens d'Illande : elle avoit tout le corps couleur d'ar- doife 5 & la xèXQ entièrement jaune 3 Lettre XIV. 311 fingularité que ceux qui obferveront la manière dont les couleurs font clif- tribuées fur ce genre d'animaux trou- veront peut-être plus rare que celle des doigts furnuméraires. Je voulus la perpétuer j & après trois portées de chiens de différens pères , qui n'en tenoient rien , à la quatrième portée il m'en naquit un qui l'a voit, La mère m.ourut ; & de ce chien , après olufieurs accouplemens avec différentes chien- nes , en naquit un autre qui lui éroit entièrement femblable. J'ai aftueile- ment les deux. îl n'y a point d'anitnaux à qui les doigts furnuméraires paroilTent plus fréquens qu'aux chiens, Ceft une chofe remarquable qu'ils ont d'ordi- naire \xù. doigt de moins aux pieds de derrière qu'à ceux de devant , où ils en ont cmq. Cependant il n'efl pas rare de trouver des chiens qui ont un cinquième doigt aux pieds de derrière y quoique le plus fouvent détaché de l'os , & fans articulation. Ce cinquiè- me doigt des pieds de derrière eil-il alors un doigt furnuméraire ; ou n'eft- V iv 312 Lettre XIV. il y dans l'ordre ordinaire , qu'un doigt perdu de race en race dans toute l'ef- pece , & qui tend de temps en temps à reparoître ? Car les mutilations peu- vent être devenues héréditaires comme les iliperfluités. Pour revenir à ces petits corps ani- més qu'on voit dans les liqueurs iemi- nales , ceux qui les découvrirent les premiers les prirent pour des animaux. La manière dont ils paroiffent végéter, la promptitude avec laquelle ils chan- gent de figure & de groffeur , fe com- pofent & fë décompofent , enfin la di- verfité des matières dans lefquelles on les rencontre , toutes ces circonfcances ont déterminé M. de Buffon à leur refufer le nom ^animaux ; & les lui ont fait plutôt regarder comme des parties animées d'animaux futurs ^ ou comme des affemblages déjà commen- ces de ces parties. Dans la femence d'un certain poif- fon ( du calma,r ) on voit des corps d'une ftrufture plus finguliere , & plus Singulière peut - être feulement parce qu'on la voit mieux. Ce font des ef- Lettre XIV. 313 peces de pompes animées , qui après s'être remplies du fluide dans lequel elles nagent , fe vuident par une prom- pte éjaculation {a). Ces corps ne ref- femblent ni aux molécules de M. de BufFon , ni à l'animal dans lequel ils fe trouvent. Mais merveille plus grande encore ! Dans la farine délayée on trouve aufG-tôt des anguilles affez gran- des pour être apperçues à la vue fim- ple : ces anguilles font remplies d'autres petites anguilles dont elles accouchent. On voit des grains de blé niellé fe féparer dans l'eau par filets , dont cha- cun aufîi-tôt s'anime , & préfente aux yeux un petit poifTon , qui lailTé à ièc & fans vie pendant des années entières , efl: toujours prêt à fe ranimer dès qu'on lui rend fon élément {b). Où en fom- lîies-nous ? Tout ceci ne replonge-t-il pas le myflere de la génération dans des ténèbres plus profondes que celles dont on l'avoit voulu tirer ? (a) Nouvelles obfervatîons mîcrofcopîques de M, Needham. (b) Hifioire nat. de M. de Buffon ^ tom, IL chap» IX» & obfervatîons microfc, de M» Needham » 314 Lettre XIV. Si ces corps animés font les parties qui doivent former le corps de quel- que animal futur , dira - 1 - on que des parties animées chacune d'une vie pro- pre viennent s'unir pour ne former qu'un feui corps animé d'une feule vie ? La vie , diviiible comme la matière , fera-t-eile réumffable comme elle ? Mais cette union comment fe fera-t-elie ? Des forces & des attractions , telles que celles qui font mouvoir les grands corps de l'Univers , les planètes & les Comètes ; celles même qui agiffent dans ces admirables produftions que la Chy- mie nous fait voir fuffiront- elles ? ou ne faudra-t-il pas encore quelque chofe de plus ? LETTRE X V. Sur la Médecine. E grand intérêt dont eft une Scien- ce pour le genre humain ^ fait qu'un grand nombre d'hommes s'y ap- plique j & devroit y faire efpérer de Lettre XV. 31J grands progrès. Cependant la Méde- cine n'en fait prelque aucun depuis deux mille ans ; tandis que d'autres Sciences , dont l'objet nous intéreffe peu , ont été en moins d'un fiecle pouflées au plus haut point de perfec- tion. Ce n'eft pas que dans le nom- bre de ceux qui s'appliquent à la Mé- decine il ne s'en trouve piufieurs qui auroient de grands talens : & c'eft une remarque judicieufe du Chancelier Ba- con , qu'on trouve parmi les Médecins beaucoup plus d'hommes qui excellent dans les autres Sciences , qu'on n'en trouve qui excellent dans la leur. Eft- ce la faute de ceux qui s'y appliquent y ou la faute de la Science ? L'objet de la Médecine eii la con- fervation & la réparation du corps hu- main. Laiffant à part l'influence que dans quelques occafions rares l'ame fem.ble avoir fur l'économie animale , on peut bien dire que notre corps eii une pure machine ^ dans laquelle tout fe paffe félon les loix de la méchani- que ordinaire : mais quelle merveilleufe machine ! quel nombre , quelle com- 3i6 Lettre XV. plication de parties ! quelle diverfité dans les matières dont elles font for- mées , dans les liqueurs qui y circu- lent ^ ou qui les baignent 1 Je fuppofe qu'un homme infatigable fût parvenu à connoître toutes les par- ties de cette machine qui peuvent être apperçues par les fens j je vais plus loin , qu'il connût encore toutes celles que les meilleurs microfcopes lui peu- vent découvrir : l'effet de ces micros- copes eil: limité , & celle à un certairt degré de petiteffe ; au delà de ce point il y a encore infiniment plus de parties à découvrir qu'il n'en auroit découvert. Quelques connoiffances qu'il peut acquérir fur les qualités des liqueurs ceffent peut-être encore plutôt ; & voilà où fe termine toute fa fcience poffible. Cette réflexion devroit fufïire pour faire défefpérer à tout bon efprit de parvenir à favoir ce qu'il faut faire pour réparer les défordres d'une telle machine. Ils viendront le plus fouvent de quelques-unes de ces parties qu'il n'a pu appercevoir , ou de ces liqueurs dont il ne connoît point la nature. L E T T H E XV. 317 Les remèdes dont il fe fert , quoi- qu'en apparence plus fimples & plus expofés à fes fens , ne lui font guère mieux connus : & c'eft de l'effet de ces matières inconnues , fur une machine plus inconnue encore , que le Médecin attend la guérifon d'une maladie dont il ignore la nature & la caufe. Un Hottentot feroit auffi capable de rac- commoder une montre de Graham , que le Médecin le plus habile de guérir par fa théorie un malade. Il eft une méthode plus raifonnable ' & plus négligée ; tombée dans ces der- niers temps dans un fi grand mépris , que le mot à^ empirique eft devenu une injure pour le petit nombre de Méde- cins qui la fuivent. Il eft vrai que la plupart ne le font que parce qu'ils n'ont pas la fublimité de leurs confrè- res pour raifonner fur les maladies & les remèdes : mais ce défaut feroit un bonheur pour eux , & plus encore pour ceux qu'ils traitent , s'ils pratiquoient bien cette méthode. C'eft peut-être un paradoxe de dire que le progrès qu'ont fait les Sciences 3i8 Lettre XV. dans ces derniers fiecles a été préjudî- ciabie à quelques-unes : mais la chofe n'en eft pas moins vraie. Frappé des avantages des Sciences miathématiques , on a voulu les porter jufques dans celles qui n'en étoient pas llifceptibles , ou qui n'en étoient pas encore fufcep- tibles. On avoir appliqué fort heureufement les calculs de la Géométrie aux plus grands phénomènes de la Nature. Lorf^ qu'on a voulu defcendre à une Phyfî- que plus particulière , on n'a pas eu le même fuccès : mais dans la Médecine on a encore m.oins réuffi. J'ai connu un Médecin fameux qui avoit calculé mathématiquement tous les effets des différentes fortes de fai- gnées ; les nouvelles diftributions du fang qui doivent fe faire , & les diffé- rens degrés de vîteffe qu'il acquiert ou perd dans chaque artère & dans chaaue veine. Son livre alloit être donné à l'Imprimeur , lorfque , fur quelque petit fcrupule , l'Auteur me pria de l'examiner : je fentis bientôt mon infuffifance , & remis la chofe à Lettre XV. 319 un grand Géomètre qui venoit de pu- blier un ouvrage excellent fur le mou- vement des fluides. Il lut le livre fur la faignée : il y trouva réfolus une in- finité de problêmes infolubles , dont l'Auteur n'avoit pas foupçonné la diffi- culté ; & démontra qu'il n'y avoit pas une propoiition qui pût fubMer. Le Médecin jeta fon livre au feu , & n'en continua pas moins de faire faigner fes malades fuivant fa théorie. C'eft une erreur prefque univerfelle de croire que le plus habile Anatomifle eft le meilleur Médecin. Hippocrate ne penfoit pas ainfî , lorfqu il a dit que l'Anatomie étoit moins utile au Méde- cin qu'au Peintre. Et fi la chofe avoit befoin d'une autre autorité , THippo- crate de nos jours , Sydenham en a porté le même jugement ( a ). J'ai parlé ici des inconvéniens qui réfultent de croire qu'on puilTe appli- quer le calcul mathématique à la ma- chine du corps humain : la connoil- fance imparfaite de cette machine peut plus fouvent égarer le Médecin ( a ) Sydenham , traSi» de hydrope. 320 Lettre XV. que le conduire. Une autre fource d'erreur vient de ce qui lui manque dans la connoiffance des remèdes. Lifez les livres qui en traitent , vous ne croi- rez pas qu'aucune maladie puiffe échap- per à leurs vertus ; obfervez l'effet de chacun , vous verrez qu'à l'exception du quinquina , de l'opium & du mer- cure , toutes ces vertus font imagi- naires. Je ne voudrois pas qu'on crût par tout ce que je viens de dire ;, que , fî j'étois malade , je méprifaffe abfolument le fecours des Médecins. J'ai déjà in- diqué ceux dont je préférerois la mé- thode : en effet , fi j'en trouvois un qui opposât un filence modefte aux dis- cours de fes confrères ; qui obfervât tout , & n'exphquât rien- ; qui recon- nût bien fon ignorance 3 je le croirois le plus habile de tous. Pour revenir aux caufes du peu de progrès qu'a fait la Médecine , je crois que nous trouverons la prmcipale dans le but que fe propofent ceux qui la pratiquent , & dans la manière dont ils parviennent à ce but. Dans tous les Lettre XV, 321 les autres arts les bons fuccès font feuls récompenfés ; le Peintre qui a fait un mauvais tableau , le Poète qui fait une mauvaife comédie , ont perdu leur peine & leur temps : ici les mauvais iiîccès comme les bons font également payés ; la fortune du Médecin ne dépend que du nombre de vilîtes qu'il a faites , & de la quantité de remèdes qu'il a ordonnés. vtiêmf^!a^e^kài^'^^^ititsfii!»!fi^i^iimt\ LETTRE XVI. Sur la Maladie. |Uelques Auteurs , par un goût peu fenfé du paradoxe , ou pour faire briller mal-à-propos leur efprit , fe font avifés de faire l'éloge de la goutte , de la fièvre & de la pierre : je ne les imiterai point ici. Je n'en- treprendrai point de faire l'éloge d'un état que tout le monde regarde com- me très - malheureux ; je veux feule- ment examiner s'il n'y a pas dans la maladie des avantages réels capables luv. de Maup, Tom, IL X 322 Lettre XVL de nous confoler , capables même de nous y procurer des plaifirs. Je parle ici d'après ma propre expérience ; je rap- f)orte quelques réflexions qu'une ma- adie de poitrine longue & défefpérée m'a fait faire. Le véritable mal indépendant des circonftances j, des troubles , de la crain- te y des inquétudes & de l'efpérance , c'eft la douleur. Il n'y a point de ma- ladie qui ne la faffe reffentir : vouloir donc faire l'éloge de la fièvre ou de la goutte 5 eft quelque chofe d'auffi ridi- cule que de foutenir avec quelques Stoï- ciens que la douleur n'eft pas un mal. A la vérité il eft des maux qu'on fupporte avec joie ^ & qui deviennent des efpeces de biens par l'efpérance d'un état meilleur qui les accompagne ou qui les fuit. La douleur d'une opé- ration qui nous délivre des douleurs de la pierre au du dégoût d'un ulcère eft de ce genre ; & l'on y peut rappor- ter toutes les crifes qu'on éprouve dans le cours d'une maladie : un redouble- ment qui doit confumer la matière d'une lîevre ^ un mouvement doulou- Lettre XVL 323 reux qui doit procurer la dépuration d'une humeur 'nuifible ^ ces accidens doivent être regardés par le malade comme de vrais biens. Ce n'eft pas de ces cas trop évidens 5 où l'augmentation du mal eft une es- pèce de rem.ede , que je parle ; c'eft des maladies mêmes : & je dis aue quelquefois on y peut trouver de véri- tables avantages. Je nen excepte que celles qui caulent de grandes douleurs : mais celles-là ne font pas de longue durée ; & même , pendant qu'elles du- rent , quelque petit changement qui arrive , une fituation nouvelle , une boiflbn rafraîchiiTante , peuvent faire des momens délicieux. Il en eft de ces plaiiîrs comme de plufieurs autres , dont on n'a point l'idée fi on ne les a goûtés : il n'y a que les malades qui connoiffent ceux-ci. Dans les longues maladies on fouîTre peu 5 ou même quelquefois on ne fouf- fre point du tout: & c'eft de cet état que je dis qu'il y a des avantages à retirer pour quelqu'un qui n appréhende pas la mort, Xij 324 L E T T p. E XV L Si le malade fe trouve dans Faî- fance , avec un nombre fuffifant de Do- meftiques , entouré d'amis qui ne foient ni trop attendris ni trop peu fenfibles à fon état ^ il fera délivré de bien des gênes auxquelles il eft rare que les gens en fanté ne foient pas affujettis y pour peu de plaifirs qu'il aura perdus , il aura trouvé beaucoup de repos. Une infinité d'objets qui troubloient fon ame ne l'effleureront plus ; tous fes de- firs fe réduiront à un petit nombre de befoins , qu'il peut chaque jour fatis- faire. Il lui falloir des palais ^ des jar- dins & des parcs : il borne bientôt fes domaines à fa chambre ^ & quel- ques petits arrangemens qu'il y fait lui caufent autant de plaifir que de grands bâtimens que dans d'autres temps il auroit fait élever. J'ai connu un hom- me refpeftable cju'une maladie fembla- ble à la mienne avoir conduit à ce point. J'ai vu cet homme qui occupoit une vaile maifon , trop petite aupara- vant pour lui 5 réduit dans la pius petite de fes chambres , fe faire une occupation agréable de l'arrangemeuî Lettre XV T, 32 j de quelques eftampes ; & cet efprit , auparavant rempli des plus grands ob- jets qui occupailent l'Europe , trouver de véritables amufemens dans des jeux à peine capables d'amufer des enfans qui fe portent bien. Tels font les premiers avantages : il en eft d'autres plus grands , qu'une longue maladie procure. Elle fait per- dre aux objets cette réalité qu'ils ne tiennent que d'une imagination trop vigoureufe ; elle tient toutes les pai- fions dans le filence. L'amour n'excite plus de tumulte dans un cœur dont le mouvement fe ralentit. La haine eil: détruite lorfque les bras ont perdu leur force. L'am.our propre , la plus diffi.- cile à fatisfaire de toutes nos paiiions y s'éteint , ou fe contente de l'efpéranca d'une épitaphe. Dans cette dîfpoiitîon le Giel offre fes biens au malade 5 il trouve ici des plaifirs qu'il n'avoit point encore con- nus : fes forces diminuent , l'amie fe re- tire peu à peu de tout ce qui lui devient inutile ; & la m.ort vient faire ceffer toutes les iiluiions.& toutes les peines^ X il] 326 LETTRE XVI L Sur la Religion, Oicï la chofe de toutes la plus importante, & celle pour laquelle les foins qu'on fe donne font le moins proportionnés à la grandeur de l'objet. Je parle de la Religion , dont les uns fe moquent fans l'entendre , que les autres adorent fans l'avoir examinée , & dont un fi petit nombre obferve les véritables préceptes. Il paroîtra peut-être fuperflu de re- lever un préjugé qui fe préfente ici : mais j'en ai vu faire tant de parade , que je ne crois pas inutile de nous y arrêter un moment. Les uns penfent que Fefprit confifte à fecouer le joug de la Religion , Se qu'il n'y a que les fots qui n'ofënt s'en affranchir : les autres croient que tous ceux dont le fjffrage m.érite d'être com.pté font periuadés de la vérité de fes dogmics. Si l'on vouloit faire fur cela quelque calcul 5 il faudroit d'une part retran- Lettre XV IL '^ij cher tout le peuple , de l'autre tous les Philofophes auxquels les vérités de la Religion n'ont point été connues : faire entrer enfuite en confidération l'inté- rêt de ceux qui écrivent ou qui par* lent fur ces matières ; car on peut dire qu'il n'y a que des étourdis qui , s'ils en penfent défavantageufement , ofent ie laiffer voir. Mais je crois tout ce calcul inutile : la Religion ne tient point aux autres parties de nos con- noiffances , elle n'eft appuyée , ni fur les principes des Mathématiques , ni fur ceux de la Philofophie : {es dogmes font d'un ordre qui n'a aucune liaifon avec aucun autre ordre de nos idées ^ & forment dans notre èfprit une Science entièrement à part , qu'on ne fauroit dire qui s'accorde ni qui répugne avec nos autres Sciences» La queftion , fi le nombre des Phi- lofophes qui rejettent la P^eligion eil plus grand ou plus petit que le nom- bre de ceux qui Fadmetîent , eft donc indifférente pour décider s'il faut l'ad- mettre ou la rejeter. 11 y a eu fans doute de grands génies qui n'en ont Xiy 328 Lettre XV IJ, pas eu une opinion affez. favorable : je crois cependant que le plus grand nombre des grands hommes fe trouve- roit dans le parti religieux. : mais en- core un coup je ne crois pas que ce parti puiffe en tirer un grand avantage. Je fuis bien éloigné d'accorder ici rien aux incrédules : cependant il faut avouer que {i le libertinage fait tenir à quelques gens des difcours injurieux contre la Religion j ce n efl: que par îiypocrifie , ou par une folle préfom- ption 5 que d'autres fe vantent de la démontrer rigoureufement : l'homme fage fe tiendra également éloigné de deux extrémités qui ^ bien qu'inégale- ment dangereufes ^ font également éloi- gnées du vrai. Il n'eft pas néceffaire que la vérité de la Religion foit démontrée pour condamner l'impie , il fuffit qu'elle foit poiTible ; le moindre degré de poffibilité rend infenfé tout ce qu'on dit contre. Or quels font les efprits affez bornés ou affez faux pour croire l'impoffibilité de la Religion démontrée ? Ses dogmes nous révoltent : mais la Lettre XV IL 329 Nature n'ofFre-t-elle pas à notre rai- fort des chofes révoltantes ? Les vérités mathématiques même ne nous préfen- tent- elles pas des faces par lefquelles elles nous fcandalifent , & fous lef- quelles elles paroîtroient fauffes à tous ceux qui' ne font pas affez Géomètres ? Quel efl: l'homme qui au premier abord ne rejettera pas tout ce qu'on lui dit des incommenfiirables , qu'il y a des quantités telles que y divifées en parties fi petites qu'on voudra , jamais les par- ties de l'une ne pourront mefiirer l'au- tre exaftement ; qu'il y a des lignes qui^ s'approchant toujours , ne par- viendront jamais à fe rencontrer ; qu'il y a des fuites infinies de nombres dont tous les termes ajoutés enfemble ne font qu'une fom.me finie ? Cependant ces merveilles ne font que les fuites néceffaires de la nature de l'étendue y dont l'idée eft la plus fimple & la plus claire de toutes celles qui appartien- nent à l'efprit humain. Que devons- nous penfer des phénomènes qui dé- pendront d'un Etre dont nous fommes û éloignés d'avoir l'idée complette ? 53o' Lettre XVII. C'eft n'être pas Philofophe que de nier ce qui n eft pas impoffible ; c'efl: n'être pas homme que de braver un fi grand péril. LETTRE XVIII. Sur la divination^ Homme jeté dans le fleuve du temps 5 entraîné par le courant comme tout le refte , contemple, ce qui flotte autour de lui dans le petit efpace où s'étend fa vue ; ce qui efl trop éloigné , tant au deffous de lui qu'au deffus , lui échappe. Cependant les deux parties du fleuve ne lui échappent pas de la même ma- nière : par la chaîne de fes perceptions il lie avec le préfent quelque partie du paflTé 9 qui par làfe repréfente à lui ; il ne paroît avoir aucun droit fur l'avenin Si l'homme n'avoit que ce mo^^^en de fe repréfenter le paffé , fes connoif fances fe réduiroient à bien peu de x' Lettre XVI IL 331 chofe. Mais chez les nations les plus fauvages on trouve déjà quelque chofe de plus que la fuite des événemens vus par le même homme : toutes ont une efpece de tradition par laquelle chaque homme voit une partie du paiTé par les yeux de ceux qui ont vécu avant lui. Cette tradition eft une efpece d'inf- trument par le moyen duquel l'homme aggrandit fon être : mais un inftru- ment bien plus parfait fe trouve dans les fignes durables qu'il a inventés pour marquer les événemens paffés. Cet inftrum.ent lui rappelle les fiecies les plus reculés avec plus de fureté que ne pourroit faire la mémoire la plus heureufe ^ ni la tradition la plus iuivie. Mais au fond la connoiffance de ces temps ne lui appartient point en pro- pre 5 il n'y eft parvenu que par induf- trie. Ce qui proprement lui appartient eft ce qu'il auroit quand il feroit feui fur la Terre : & alors toute la fcience des événemens fe réduiroit à la petite partie qu'il voit , & à la partie plus 332 Lettre XVI IL petite encore qui eft reftée dans fa mémoire. L'afte par lequel la mémoire nous rappelle le paffé eft peut-être le phé- nomène le plus merveilleux de notre ame , peut-être même plus incompré- heniîbie encore que la perception des objets préfens. Et li nous n'en avions pas l'expérience , & qu'on nous dît qu'il y a des hommes qui fe repréfen- tent le paffé , nous ne croirions peut- être pas la chofe plus poffible que fi l'on nous difoit qu'il y en a qui voient l'avenir. Ge n'eft pas que tout étant lié dans la Nature , un efprit affez vafte ne pût , par la petite partie qu'il apperçoit de l'état préfent de l'Univers , décou- vrir tous les états qui l'ont précédé , & tous ceux qui doivent le fuivre : mais nos efprits font bien éloignés de ce degré d'étendue. La mémoire ne nous repréfente point le paffé par la vue de la connexion qu'il a avec le tout : elle ne nous le rappelle que par des rapports particuliers qu'il a avec notre percep- tion préfente. Lettre XVI IL 333 Des liaifons arbitraires font ce qu'on appelle la mémoire artificielle y les récits des autres hommes forment la tradition : récriture eft de tous les moyens d'inf- truftion le plus univerfel & le plus fur. Cependant , comme je l'ai déjà dit , tous ces moyens ne font que des inftrumens en quelque forte étrangers à l'homme. Des peuples entiers font privés du plus utile : & tous les hom- mes différent extrêmement par les dif- férens degrés de perfeftion où ils les ont pouffes. On peut dire que la foience du paffé eft un art né de l'induftrie humaine , & qui auroit pu n'être jamais connu. De tout temps on a cherché l'art oppofé y celui de prévoir l'avenir. Le premier moyen qui fe préfente eft de tirer de l'état préfent les conféquences les plus probables pour l'état futur : mais ceci ne va pas loin , & ne peut s'appeller que prudence. Nous venons de voir combien nous fommes peu en état de parvenir par cette voie à une fcience afiurée. Quant à cet art 3 qu'on peut appeller 334 Lettre XVI IL dlvmation , comme nous ne trouvons en nous-mêmes rien qui puifîe nous en faciliter les moyens , on en a cherché ailleurs de tous côtés les principes , & fouvent dans les rapports les plus fan- tafques. Des nations d'ailleurs très-éclai- rées ont voulu découvrir l'événement d'une bataille dans le vol des oifeaux , dans les entrailles d'un bœuf ^ dans la manière dont des poulets mangeoient. D'autres ont cherché dans les Cieux ce qui devoit arriver fur la Terre : ils ont cru pouvoir découvrir des rapports entre les événemens , & les configura- tions des aftres ; ils en ont formé une fcience chimérique , long-temps culti- vée en Europe , & qui eft encore dans l'Afie la première de toutes. Tandis que les Amériquains manquent de Fart de fe rappeller le paffé , les peuples de l'Afie fe flattent de pofféder celui de découvrir l'avenir. Les Européens ont été long-temps prefque auffi. ignorans que les uns , & auffi préfomptueux que les autres. Je fuis bien éloigné de croire qu'on fâche prévoir les événemens futurs par Lettre XVI IL 335 les différens afpefts des corps céleftes , ni par aucun des moyens que les De- vins mettent en ufage : cependant j'a- voue que la plupart des objeâions de ceux qui ont attaqué cet art ne me paroifîent guère plus fortes que les raifons de ceux qui le foutiennent. De ce qu'on ne voit point l'influence que les corps céleflies auroient fur les chofes de la Terre on veut décider hardiment qu'il eft impoffible qu'ils en ayent : ja- mais on ne le prouvera. Mais accor- dons que ce ne foit point une vérita- ble influence : il efl: du moins plus que vraifemblable qu'il y a un rapport mu- tuel & néceflfaire entre toutes les parties de l'Univers , dont les événemens ne font que les fuites. Et fi l'on avoit vu un certain nombre de fois qu'un homme né fous une certaine configu- ration des planètes a toujours éprouvé quelque grand malheur , je crois qu'il y a peu de Philofophes qui , fe trouvant dans de telles circonfl:ances , n'en re- doutaflfent l'augure. Je le répète ^ ce n'efl: pas que je croie qu'il y ait jamais leu aiTez d'obfe^rvations faites pour qu'on 33^ Lettre XVIII. y pût fonder les règles de l'Aftrologîe : mais on emploie contre elle les raifon- nemens d'une Philofophie qui n'eft guère plus aflurée. Je reviens à l'efpece d'égalité où le pafle & l'avenir font pour nous : il n'y a proprement que le préfent qui nous appartienne. Cependant un art fans lequel on a fi long - temps vécu , & dont la découverte ne paroît que l'effet du hafard , la trace de certains carafte- res 5 nous met à portée de voir tous les événemens arrivés dans ks temps les plus éloignés de nous : pourroit-on affurer qu'aucun art ne foit poffible qui nous dévoilât les événemens qui arriveront ? Ces événemens font contenus dans chaque état aftuel de l'Univers : pour les en tirer il ne faudroit qu'affez de lumières; mais des lumières peut-être telles qu'elles ne font pas à efpérer pour l'humanité. La voie de l'expérience paroît plus à notre portée ; & c'eft à cette mé- thode que les Aftrologues prétendent devoir leurs règles. Mais quand il y aujroit Lettre XVIIU 357 auroit certains rapports toujours les mê- mes entre les événemens & les confi- gurations céleftes ^ quel nombre d'ex- périences faudroit - il , quelle fuite de fîecles faudroit -il y employer pour découvrir ces règles ? L'art par lequel on étend la mé- xnoire , les fecours par iefquels on for- tifie l'imagination , les moyens par Ief- quels on la détruit ou on la fufpend -y t©us ces phénomènes , fi l'on y réflé- chit avec afTez d'attention , pourront faire douter fi , par quelque art fem- blable ^ on ne pourroit pas porter l'ima- gination jufqu'à des repréfentations anticipées. Si notre induftrie" ne le peut ^ n'y a-t-il pas eu des hommes privilégiés à qui la connoiffance de l'avenir a été accordée ? Il femble que les perceptions du paffé 5 du préfent & de l'avenir , ne différent que par le degré d'aftivité où fe trouve l'âme : appefantie par la fuite de fes perceptions ^ elle voit le paffé ; fon état ordinaire lui montre le préfent , un état plus exalté lui feroit peut-être découvrir l'avenir. Et cela Œiiv, di Maiip, Te m. II. Y 338 Lettre XVIII. ne feroit peut - être pas fi merveilleux que de la voir fe repréfenter des chofes qui rfont exifté , qui n'exiftent point , & qui n'exifteront jamais : nous avons befoin de toute notre expérience pour ne pas ajouter de foi à nos fonges. Si l'on examine philofophiquement les fyftêm.es auxquels il faut avoir re- cours pour expliquer comment nous appercevons les objets , peut-être tout ce que nous venons de dire ne paroî- tra-t-il plus aufii étrange qu'il peut l'avoir paru d'abord. S'il n'y a aucun rapport réel entre les objets & cette fubftance fpiritueile qui les apperçoit ^ fi nos perceptions ont dans l'ame leur propre caufe , & ne fe rapportent aux objets que par concomitance , ou par une harmonie préétablie ^ ou fi les ob- jets ne font que les caufes occafion- nelles de la manifeftation que Dieu veut bien faire à l'ame d'une fubftance où s'en trouvent tous les archétypes ^ la perception du paffé ni celle de l'a- venir ne feront guère plus difficiles à ^comprendre que celle du préfent. 339 LETTRE XIX. Sur Cart de prolonger la vie. LusîEURS fameux problêmes flat- tent & tourmentent bien des e(- prits. Pour les ranger félon leur im- portance plus que dans Tordre de leur poffibilité 5 on doit citer : i^. le fecret de prolonger la vie ^ ou même de parve^ nir à F immortalité i 2^. la pierre philo Co- phale _, ou le fecret de faire de l'or; 3^. la découverte des longitudes ; 4^. le mou^ y ement perpétuel ; j^. enfin la quadra-- îure du cercle. Comme des gens de toute trempe fe font appliqués à ces recherches , mille erreurs fe font accumulées ; on a rem- pli de mauvais livres d'hiftoires fabu- leufes. Les uns croient tous ces prc- blêmics également poffibles , les autres également défefpérés. Tout le monde en parle ^ prefque perfonne ne fait en quoi ils confîftent. Le peu dont les plus longues vies Yij 1 340 Lettre XIX. différent chez tous les habitans de la Terre doit faire croire qu'il eft pour la vie humaine un terme qu'il eft inu- tile de chercher à reculer. Cependant , fans remonter à ces temps où la vie de nos pères étoit de huit à neuf fie- cles 5 nous trouvons des exemples ré- cens qui peuvent faire penfer qu'il y a dans l'homme quelque fource de vie plus longue que la vie ordinaire. Des Médecins , des Philofophes mê- me ont travaillé à la découvrir ; & le grand Defcartes , & le grand Bacon , n'ont cru la chofe ni impoffible ni trop forte pour leurs recherches. Il n'y a guère d'apparence que ce foit par une certaine nourriture qu'on y puiffe parvenir : depuis que la mulp^:ude im- menfe des hommes eft répandue fur la Terre , & a effayé tant de différen- tes fortes d'alimens que produifent fes différentes régions , il ne feroit guère poffible que quelqu'un n'eût trouvé celui qui prolongeroit nos jours ; & fi quelqu'un Favoit trouvé , il feroit connu de tous. Il ne paroît pas non plus qu'on puiffe elpérer grand'chofe Lettré XIX. 341 d^un certain régime : tout l'art de nos cuifiniers , ni tant de divers fyftêmes de nourriture ^ que la religion ou la fuperftition ont inventés , ne produi- fent pas une différence bien fenfîble dans la durée de la vie. Chercher le fecret de la prolonger dans les minéraux & les métaux , pa- roît une injure faite à la Nature. Elle auroit renfermé dans les entrailles de la Terre un tréfor fi utile ! Elle , qui veut que tout vive , auroit caché dans des matières fi peu propres à être nos alimens ce qui doit prolonger la vie î Et ce ne feroit que par les opérations les plus fubtiles de la Chymie qu'on parviendroit à fuivre le deffein de la Nature le plus marqué î C'eft 5 je crois, encore pIusTintérêt que l'ignorance qui a fait fuppofer dans For le remède univeifel ; inventer Vor potable ^ & toutes fes quime^ences dont on raconte tant de merveilles. Outre une certaine illufion que l'or peut avoir faite à l'efprit des Chy- miftes ; en tirant leurs remèdes de la matière la plus précieufe , ils fe Y iij 342. Lettre XIX. font mis en droit de les mieux vendre* D'autres ccnlidérant le fang comme la fource de la vie , ont cru pouvoir rajeunir le vieillard en faifant couler dans fes veines le fang d'un homme jeune & vigoureux. On a pouffé la chofe jufqu'à en faire des efîais , qui ont démontré combien elle étoit ex- travag;ante. La première idée qui fe préfente , c'eft que le corps humain étant une véritable machine , Faftion Tufe infen- fiblem^ent , & une certaine quantité de mouvement la détruit. Cependant H Von réfléchit fur ce que les défordres qui lui arrivent fe réparent d'eux- mêmes 5 ou tendent à fe réparer , on ne peut plus la comparer aux machi- nes ordinaires. C'efl: une machine vé- gétante , c'eft- à-dire ^ dont les parties font fufceptibles de développement & d'augmentation ^ & qui , dès qu'elle a été une fois mife en mouvement , tend continuellement à un certain point de maturité. Cette maturité n'eft point l'âge de la force , n'eft point l'âge vi- ril ; c'eft la mort. Le dernier accroiffe- Lettre XIX. 343 ment ferme le paffage aux fluides fub- tils qui dévoient couler dans les plus petits vaiffeaux , durcit les parties dont la fouplelTe entretenoit la vie ^ la vé- gétation eft accomplie : le dernier effet de la végétation & de la vie , eil la mort. Le feul moyen donc par lequel on pourroit peut-être prolonger nos jours y feroit de fulpendre ou de ralentir cette végétation. Et ce qui fe paffe dans les plantes èi dans quelques animaux pa- roît confirmer cette idée. Le ralentiffement ou Faccélératioîi du mouvement de la fève prolonge ou abrège feniiblement la durée des plan- tes. Des oignons , dans des caves dont le froid empêche leur développement , fe confervent bien plus long - temps qu'ils ne feront fi la chaleur ou les fucs de la terre mettent leurs parties enaflivité. Au contraire, d'autes plan- tes y ou des arbres accoutumés au repos de l'hiver , durent peu fi la chaleur des ferres les force à végéter dans toutes les faifons. Les œufs des oifeaux ^ & de diffé- Yiv 344 Lettre XIX. rentes fortes d'infeftes , font ces ani- maux mêmes renfermés dans la co- quille. Ils y ont déjà une efpece de vie : ôr l'on peut la prolonger long- temps 5 en leur faifant éviter la cha- leur , qui feule conduit cette vie à fa maturité. Plufîeurs Infeftes ont leur vie par- tagée en diflerentes périodes. Sans par- ler de celle qu'ils ont dans l'œuf, & de celle qu'ils ont peut-être eue aupa- ravant ; fortis de l'œuf ^ ils végètent & croifTent jufqu'à un certain terme , où perdant tout-à-coup le mouvement ^ ils fe retrouvent dans une autre efpece d'œuf ^ fous les enveloppes de la chry- falide , qu'au bout de quelque temps ils brifent pour recommencer à vivre de nouveau* Or non feulement on peut prolonger ou retarder la vie de ces in- fefies pendant qu'ils font dans le premier œuf, en empêchant cet œuf d'éclorre ; mais on peut encore la prolonger ou la retarder lorfqu'ils font fous la forme de chryfalide , en les tenant feulement dans un lieu froid , c'eft - à - dire en diminuant ou fufpendant i'adivité du Lettre XIX. 345 mouvement de leurs parties. Et n'allez pas croire que cette prolongation ou ce délai qu'on peut caufer à la vie de ces inleâes foit peu confidérable , elle peut aller jufqu'à des années : & fur une vie dont la durée ordinaire n'eft que de quelques jours ^ des années font plus que ne feroient pour nous plufieurs iiecles. Si donc on trouvoit l'art de ralentir la végétation de nos corps ^ peut - être parviendroit-on à augmenter de beau- coup ta durée de notre vie. Ou iî l'on pouvoit les tenir dans une fufpenfion plus parfaite de leurs fonftions , peut- être parviendroit-on à remettre diffé- rentes périodes de notre vie à des temps fort éloignés. Je ferois auffi chimérique que ceux qui cherchent le fecret de l'immortalité , fi je donnois ceci comme des m.oyens aftueîlement applicables pour prolon- ger la vie humaine : m.ais je ne fjis pas non plus il timide que je n'ofe croire poffible quelque chofe de plus que ce qui s'obferve dans le cours or- dinaire. La Nature donne à tous mo- 34^ Lettre XIX. mens des preuves qu elle obferve dans^ toutes fes opérations une grande ana- logie j & qu'elle a traité i'efpece hu- maine & celle des animaux avec affez; d'égalité. LETTRE XX. Sur la pierre philofophale, 'O N traite de fous ceux qui cher- chent la pierre philofophale , & l'on a raifon. Il eft trop peu probable qu'on la trouve , & il l'eft trop qu'on fe ruinera à la chercher. On raconte , il eft vrai , mille hiftoires m.erveilleufes fur cette matière , & même des per- fonnes qui n'ont aucun intérêt à trom- per , les racontent. Un Prince d'Alle- magne , homme d'efprit , m'affuroit un jour qu'ayant reçu chez lui un Adepte à qui il n'avoit donné que la nourri- ture & le charbon ^ il vit cet homme au bout de quelques mois venir prendre congé de lui , en lui faifant préfent de quinze marcs d'or. Le fecret du Lettre XX. 3 47 remède univerfel marche d'ordinaire avec celui-ci , comme fi l'un fans l'au- tre n'étoit pas affez précieux. Prefque tous ceux qui favent faire l'or favent aufii prolonger la vie jufqu'à pluiieurs fiecles. Quand ils ont exercé leur art quelques centaines d'années en Europe , ils fe retirent chez le Mogol , parcou- rant & enrichiiTant fous des haillons toutes les régions de la Terre. Je ne m'amuferai pas à raconter toutes les hiftoires de cette efpece , ni tous les procédés merveilleux dont les livres des Alchymiftesfont remplis: mais je remarquerai que parmi les plus ha- biles Chymiftes , pendant que les uns paffent leur vie dans cette recherche, les autres s'en moquent , & croient la chofe impoffible. Il eft d'un Philofo- phe d'examiner la poffibilité de ce pro- blême , fans beaucoup s'embarralTer de le ré foudre. La Phyfique le réduira à ceci. Ou i^. toute la matière eft homogène : & alors les diftérens corps de la Na- ture ne différent que par les diffé- rentes figures & les différents arran- E T T R E ^ A. gemens des parties de cette matière.' Ou 2^. toutes les parties de la ma- tière fe réduifent à un certain nombre de genres ^ qui font les élémens de tous les corps , tels à peu près que les Chymiftes les fuppofent , quoiqu'ils ne foient pas d'accord , ni fur le nombre , ni lur la nature de leurs élémens : & alors les corps ne différent que par les différentes dofes & combinaifons de ces ingrédiens. Ou 3^. toutes les parties de la ma- tière font auffi variées elles - mêmes que tous les différens corps de la Na- ti^re : & alors chacun de ces corps fera compofé de parties primitivement fem- blables à lui , l'or ne fera formé que de parties d'or , le fer que de parties de fer , le bois que de parties de bois , &c. Dans la première fuppofition , il fe- roit téméraire de dire qu'il fût im- poffible de donner dans quelques corps aux parties de la matière une autre figure & un autre • arrangement que ceux qu'elles ont ; & il n'en faudroit pas davantage pour changer le plomb ou la laine en or. Lettre XX. 349 Dans la féconde , on ne peut pas dire qu'on ne pût parvenir à trouver les dofes & les combinaifons des in- grédiens élémentaires néceffaires pour la produftion de l'or. Dans la troifieme , on feroit encore moins fondé à affurer qu'aucun corps de la Nature , excepté For , ne contient des parties orifîques ; & qu'il fût im- poffible de les en tirer. Sous quelque afpeft donc qu'on confidere la pierre philofophale , on n'en peut prouver l'impoffibilité. Il eft aifé de voir la folie de ceux qui em- ploient leur temps & leurs biens à la chercher : c'eft que fon prix n'eft pas encore affez grand pour contrebalan- cer le peu de probabilité qu'il y a qu'on la trouve. 35° LETTRE XXI. Sur la Lono-'itude, D A découverte des longitudes fur i mer peut être mife immédiate- ment après celles dont nous venons de parler. Pour vous donner une jufte idée de ce problême , il faut vous rappel- 1er quelques principes de la fphere. La Terre eft , comme tout le monde fait j, un globe y ou un fphéroïde fi peu applati qu'on peut la confidérer ici comme un globe. Sa révolution fur fon axe fait paroître à fes habitans que tous les corps céleiles avec le Ciel entier , excepté les deux points qui répondent aux extrémités de l'axe , tournent autour d'elle dans l'elpace de vingt-quatre heures. Le cercle égale- ment éloigné des deux pôles , qui par- tage la Terre en deux hémifpheres , s'appelle Vécjuateur : & tous les cercles perpendiculaires à celui-là qui vont fe Lettre XXL 351 rendre aux pôles font les méridiens. Celui de ces derniers cercles qui pafie par le lieu où fe trouve chaque habi- tant de la Terre eft Ion méridien : c'eft dans fon plan que le Soleil fe trouve tous les jours lorfqu'il eft midi pour lui. C'eft dans le même plan que fe trouve fucceffivement chaque Étoile dans Fefpace de vingt - quatre heures* Chaque peuple placé fous le même méridien voit le même aftre y arriver au même inftant : mais tous ne l'y voient pas de la même hauteur. Un aftre placé au pôle ^ par exem- ple y paroît perpendiculairemxCnt élevé îwt la tête de celui qui feroit placé à Fextrémité du méridien qui répond au pôle ; & paroît dans l'horizon à celui qui feroit au point du méridien qui coupe l'équateur. Tous les peuples qui fe trouvent entre ces deux points du méridien verront l'aftre à différentes hauteurs j & par la hauteur où chacun le verra , il connoîtra la diftance où il eft de l'équateur , ou la hauteur du pôle 5 qu'on appelle la latitude. Il faura qu'il eft dans un cercle parallèle à 35^ Lettre XXL i'équateur , qui en eft éloigné d'une diftance connue : mais il ne fait point encore dans quel point de ce cercle il eil 5 fous quel méridien il fe trouve. Le mouvement uniforme de la ré- volution de la Terre en vingt -quatre heures fait que fi l'on fuppofe fes mé- ridiens tracés à égales diftances , 3 60 par exemple à un degré de diftance l'un de l'autre , chacun de ces méri- diens fe préfentera fucceffivement au Soleil 5 ou à quelque aftre fuppofé fixe dans les Cieux , à quatre minutes d'in- tervalle l'un de l'autre. Si donc on connoît le temps écoulé entre les deux midis fous deux méridiens différens , par ce temps écoulé entre les deux midis l'on connoîtra la dillance dont ces deux méridiens font éloignés ; ce qui s'appelle la différence en longitude. Si , par exemple , il y a une heure de difïérence entre les deux midis , il y aura quinze degrés de différence en longitu- de , parce qu'une heure eil: la vingt-qua- trième partie du temps de la révolution de la Terre , comme quinze degrés font îa vingt- quatrième partie de 360. Le Lettre XXI. 353 Le terme d'où l'on compte la latitude eft fixe 5 & donné fur le globe par la pofition d'un cercle unique , qui eft l'équateur. Mais il n'y a aucun terme naturel qui foit l'origine de la longitude : chaque méridien a le miême droit d'être pris pour ce terme. Cependant' prefque toutes les nations font convenues de faire paffer le terme de la longitude , ou le premier méridien , par Inle de Fer aux Canaries. C'eft de là qu'on trouve la longitude comptée fur prefque toutes les cartes. Si donc , en partant d'un certain lieu , Ton emportoit une horloge réglée fur le midi de ce lieu , & dont le mouve- ment , malgré l'agitation du vaiffeau , fe confervât auffi uniforme que lorfaue l'horloge demeure fixe j obfervant le midi fur la mer , on connoîtroit , par la différence des temps du midi dans chaque lieu qu'on parcourroit , la dif- férence en longitude de ce lieu & du lieu du départ. Voilà donc un des moyens , & celui qui fe préfente le premier , pour trouver la longitude. " 'ais jufqu'ici l'on n'a point d'horloge (Eiiv, dt Maup, Tom» ïî. 2 354 Lettre XXL qui conferve fur mer fon mouvement alTez uniforme. Si l'on pouvoit obferver fur mer certains phénomènes qui arrivent pour tous les fpeélateurs au même inftant , qui font les immerfions & les émer- fions des fatellites de Jupiter , lorfqu'ils difparoiffent en entrant dans l'ombre de cette planète , & lorfqu'ils reparoif- fent en en fortant : comme par la théorie on connoit pour chaque lieu îe moment de ces apparitions & difpa- ritions , par la différence des temps où ces phénomènes feroient apperçus on connoîtroit la différence des lieux en longitude. Mais pour obferver ces phénomènes , il faut de longues lunet- tes j & le mouvement du vaiffeau , qui fait perdre à chaque inftant de tels objets ^ en rend l'ufage imprati- cablev Il eft au Ciel un autre . genre de phénomènes 5 qui s'appercevroit avec des lunettes afîez courtes , ou même à la fimple vue : c'eft l'occultation des Étoiles du zodiaque ^ lorfque la Lune paffant par deffus , nous les cache ^ & Lettre XXL 355 leur émerfion , lorfqu'elle les laifle re- paroître. L'on pourroit fe fervir de ces phénomènes pour trouver la différence des lieux en longitude : mais- il fau- droit connoître allez exaftement le mouvement de la Lune pour détermi- ner les momens où ces phénomènes doivent être apperçus ; & jufqu'ici aucune théorie de la Lune n'a été aflez exafte pour en pouvoir faire cet ufage. Voici donc à quoi tient la décou- verte des longitudes fur mer : car fur la terre on les a avec affez de préci- iîon. i^. A une horloge dont le mou- vement ne feroit point altéré par le îranfport : il fufRroit que l'uniformité de fon mouvement fur mer approchât de celle que confervent à terre des horloges affez communes. 2^. A une lunette qui grofsit affez les objets pour appercevoir les fatelli- tes de Jupiter , & qui découvrît un affez grand champ pour que l'agitation du vaiffeau ne les fît pas fortir de ce champ pendant Fobfervation. 3^. A une théorie du mouvement de la Lune affez parfaite pour que par Z ij 35^ Lettre XXI. le calcul on fût sûr de fon lieu au Ciel. On eft parvenu en Angleterre à conftruire des horloges fort au deffus des horloges ordinaires , pour confer- ver l'égalité de leur mouvement mal- gré l'agitation de la mer : & un nou- veau degré de perfection dans ces horloges acheveroit la folution du pro- blême. Newton a fait faire de fi grands progrès à l'Optique ; il a tellement augmenté la force des lunettes , qu'on peut croire qu'un faut moins confidé- rable que feroit cet art nous mettroit à portée d'obferver commodément à la mer les phénomènes des fatellites. Le même homme , admirable en tout 5 nous a donné une théorie de la Lune 5 qui répond fi bien à (qs mou- vemens , que le navigateur habile & €xaâ: en peut déjà profiter pour ne pas commettre- liir fa longitude d'erreurs qui furpaffent un degré. Et en com- binant la théorie avec de bonnes ob- fervations , on fera vraifemblablement bientôt en état d'approcher encore plus Lettre XXL 357 près de la connoiiTance de la longi- tude , c'eft-à-dire , de réfoudre entière- ment le problême : car on pourra le tenir pour réfolu dès qu'on ^ura la longitude fur mer aufîî exaftement qu'on y a la latitude ^ c'eft-à-dire , à un quart ou un fixieme de degré près. Peut-être encore y a-t-il d'autres moyens pour parvenir à la folution de ce problême : mais ceux-ci fufEfent pour faire voir que , quoiqu'on n'y foit pas encore parvenu , on n'en doit pas défefpérer ; & combien fe trompent ceux qui regardent la découverte de la Iong;itude comme une chimère , ou qui la mettent au rang des problêmes précédens. rsmvmmmmmM>mjijssjBià!&xtJiisB^'iiia>.jiesBBsmn L E T T R E XXIL Sur le mouvement perpétueL A première machine dont les hom- mes fe fervirent fut très - fimple. Ils fenîirent qu'en augmentant la lon- gueur d'un pieu avec lequel ils voa- 'Z iij 358 Lettre XXI L loient remuer quelque fardeau , l'effet de la force qu'ils y appliquoient de- venoit plus grand : ce fut là l'origine du levier. Le temps & l'expérience en traniportant le principe à d'autres ufa- ges , firent rrouver le cabejlan y Id. pou- lie 5 le coin & la vis , long-temps avant qu'on en fût calculer les effets : & l'on appliqua fans doute bientôt à ces ma- chines la force des bœufs & des che- vaux pour épargner celle des hommes. On vit enfuite qu'il y avoit dans la Nature d'autres agens qu'on pouvoit fabflituer aux hommes & aux animaux : on fe fervit des forces de l'eau & du vent pour traîner ou lever des far- deaux y pour moudre le blé , pour fcier le bois , &c. Enfin , ajoutant à ces forces celles du reffort & de la pe- fanteur , on parvint à ces machines qui fuppléent fi utilement à la miémoire des hommes , à ces merveilleux inf- trumens qui mefurent le temps de leur vie , & leur tiennent compte de tous leurs momens. Toutes ces machines n'ont qu'un certain exercice limité ^ dépendant de Lettre XXII. 359 la force qui les fait mouvoir. Tout ce que peut faire le plus habile artifte , c'ell d'employer le plus utilement cette force , & d'en prolonger le plus long- temps l'effet ; qui ceffe enfin plutôt ou plus tard , lorfque la force eft épuifée , ou ceffe d'être appliquée. Les gens raifonnabies fe contentèrent de cela , & avoient bien de quoi s'en contenter : les autres cherchèrent des machines dans lefquelles un mouve- ment une fois imprimé fe confervât toujours ; & c'eft ce qu'ils appellerent le mouvement perpétueL L'eau & l'air ne furent pas des agens ^fTez à leur gré , ni affez continuement durables pour donner à une machine im tel mouvement ; ceux qui la cher- chent excluent des forces qui la doi- vent faire mouvoir , non feulement l'air & l'eau , mais encore quelques autres agens naturels qu'on y pourroit employer. Un mouvement perpétuel produit par les changemens de poids de l'ath- mofphere , ou par les raccourciiTemens & les allongemens que caufent le froid Z iv 360 Lettre XXI L & le chaud y ne feroit pas pour ces efpeces de Philofophes le véritable mouvement perpétueL Il efl: dans la Nature deux forces univerfelles & confiantes , qui appar- tiennent à toutes les parties de la ma- tière 9 & dont les effets , dans les mêmes circonftances , font toujours les mêmes: c'eft V inertie & la pefanteur. L'une efl: cette force qu'ont tous les corps pour perfévérer dans l'état d^ repos ou de mouvement où ils (ont une fois 5 l'autre efl: la force qui les tire ou les pouflTe continuellement vers la terre : ce {ont feulement ces deux forces que ceux qui cherchent le mou- vement pex*pétuel ont prifes pour prin- cipes de ce mouvement. Je ne fais même fi les Rigoriftes fe- roient contens dun mouvement per- pétuel dont la pefanteur feroit le prin- cipe y car cette force agiffant conti- nuellement fur les corps qu'elle fait mouvoir , on en pourroit confidérer l'effet à chaque inflant comme une nouvelle addition de mouvement : & ceux qui croient que la pefanteur efl: Lettre XX IL '^61 l'effet de quelque matière* qui pouiTe les corps vers la terre pourroient fur- tout la rejeter ^ & la mettre dans la claffe des forces du vent & de l'eau. Quoi qu'il en foit , fe restreignant aux forces de la pefanteur & de l'iner- tie 5 on peut affyrer que toutes les ma- chines qui auront ces forces pour prin- cipes 5 dans la conftruftion la plus avan- tageufe qu'on leur puiffe donner , fe réduiront , ou à conferver , par des tranfmiffions d'un corps à l'autre , le mouvement qui leur a été imprimé , -OU à prolonger la durée de ce mouve- ment en faifant remonter des corps par la defcente d'autres corps. Toutes les roues , toutes les poulies , tous les le- viers , tout ce qui compliquera la ma- chine 5 ne fera que déguifer la chofe 5 & en égarant l'imagination du Machi- nifte , la lui faire croire poffible par cela même qui en diminue encore la poflibiliîé : car plus les machines font compofées , plus le frottement de leurs parties en détruit le mouvement. La queftion du mouvement perpé- tuel fe réduit donc à favoir fi l'on peut 3(32 Lettre XXIL prolonger à l'infini la durée du mouve- ment par l'alternative de defcente & d'afcenfion des corps , ou par le choc de corps qui en rencontrent d'autres j par la pefanteur , ou par l'inertie. Si c'eft par la pefanteur qu'on veut obtenir un mouvement perpétuel ^ il eft démontré que la fomme des corps multipliés chacun par la hauteur dont la pefanteur le peut faire defcendre , eft toujours égale à la fomme des mêmes corps multipliés chacun par la hauteur où il pourra remonter. On ne pourroit donc par cette voie parvenir à un mouvement perpétuel , qu'autant <|ue les corps qui tombent & s'élèvent conferveroient pour eux tout le mou- vement que la pefanteur leur peut donner , & n'en perdroient rien par le frottement des parties de la machine , ni en communiquant à l'air aucune par- tie de ce mouvement. Ainfi le mouve- ment perpétuel produit par la pefanteur eft impollîble. Si c'eft par l'inertie qu'on y veuille parvenir , il eft démontré que fi les corps font parfaitement durs , c'eft-à- Lettre XXI L 363 dire que leurs parties à la rencontre les uns des autres foient abfolument inflexibles ; il eft démontré , dis - je , que 5 dans les différentes combinaifons de leur mouvement, fouvent une par- tie de ce mouvement périt , & jamais il ne s'augmente : il ne peut donc man- quer de diminuer , & de s'éteindre à la fin tout-à-fait. Si les corps font parfaitement élas- tiques; c'eft-à-dire qu'après que leurs parties ont été pliées par le choc , elles fe redrelTent , & reprennent pré- cifément leur, première figure ; il eft démontré qu'à leur rencontre la quan- tité du mouvement peut bien quel- quefois s'accroître , ( quoiqu'elle puilTe auflî quelquefois diminuer : ) mais qu'il y a une certaine quantité dont le mou- vement dépend , qui relie toujours inaltérablement la même : c'eft celle de ce qu'on appelle force vive. Et quoi- que 5 par la combinaifon des différens mouvemens des corps qui fe choquent , on puiffe faire que la quantité du mou- vement foit augmentée ; l'effet réel & abfolu de ce mouvement ne fera 3^4 Lettre XXI L jamais que proportionné à la forcé vîve^' & ne pourra jamais devenir plus grand , puifque cette force eft confiante. S'il paroît donc ici d'abord qu'on pût de KiQiie manière efpérer un mouvement perpétuel , il faudroit pour cela i^. que les corps employés dans la ma- chine fuffent parfaitement élaftiques ; & oii trouver des corps pareils ? 2^. Il faudroit de plus que tous ces mouve- mens s'exécutaffent dans un vuide par- fait 5 toute la force communiquée à Fair par les parties de la machine qui le frappent étant autant de perdu pour elle. On ne fauroit donc efpérer un mou- vement perpétuel fondé fur la force d'inertie. En voilà aiTez , ce me femble , pour défabufer de la poffibilité du mouve- ment perpétuel ceux qui ont quelque teinture de Philofophie. Les autres ap- paremment le chercheront toujours ^ & il n'y aura pas grand mal à cela. 3^ï LETTRE XXIIL Sur la quadrature du cercle. Resque tous ceux qui cherchent la quadrature du cercle croient que la découverte des longitudes en dépend , & qu'il y a de grandes ré- compenfes promifes pour celui qui la trouvera. Cependant l'un de ces pro- blêmes n'a aucun rapport à l'autre ^ le dernier feroit de la plus grande utilité , l'autre feroit tout-à-fait inutile : mais voici en quoi il confifte. Les premiers Géomètres trouvèrent fans grande peine la mefure des efpa- ces renfermés par des lignes droites. Ils connurent peu d'autres lignes cour- bes que le cercle : & lorfqu'ils voulu- rent mefurer l'efpace circulaire , ils vi- rent facilement qu'il feroit égal au produit de la circonférence multipliée par le quart du diamètre. Il n'étoit donc queftion que d'avoir cette circon- férence : on pouvoir bien l'envelopper d'un fil ou de queiqu'autre ligue flexible j ^66 Lettre XXIIL puis l'étendre , & c'etoit fa longueur % on pouvoir faire rouler un cercle fur une ligne droite , & mefurer la partie de cette ligne parcourue par la circon- férence ^ à laquelle elle étoit égale : mais la Géométrie ne fe contente pas de ces moyens méchaniques ; il falloir ^ par la nature du cercle , déduire à priori de la longueur de fon diamètre celle de fa circonférence. Différentes tenta- tives firent voir qu'on ne pouvoit qu'en approcher : & par des raifonnemens affez fubtils on parvint à voir que le diamètre étant 7 , la circonférence fe- roit à peu près 22 , ce qui donneroit pour l'efpace circulaire 22 X \ ou 387. On jugea peut-être alors la quadra- ture exafte de tout efpace curviligne împoffible : car je ne cite pas ici com- me une véritable quadrature celle que découvrit Hippocrate de Chio d'un efpace terminé par des arcs de cercles , qui retranchent d'un côté d'un efpace reftiligne ce qu'ils y avoient ajouté de l'autre ; cette quadrature , & d'autres femblables qu'on a données depuis , ne Lettre XXII L 367 font que des efpeces de tours de paiîe- paffe. Mais Afchimede trouva un efpace curviligne véritable quarrable. C'étoit Tefpace parabolique , dont il détermina exaftement la mefure. On avoir déjà pafTé du cercle à la confidération d'au- tres courbes ^ qui fe forment par les différentes feftions du cône : & ce fut une de ces ferions qu'Archimede quarra. Il y a dans chaque courbe deux problêmes à réfoudre ^ qu'il femble jufqu'ici que nous ayons confondus ^ mais qui cependant font fort différens l'un de l'autre. C'efl: la quadrature & la reclification. Le premier confifte à déterminer l'efpace que la courbe ren- ferme j le fécond à déterminer la lon- gueur de la courbe. Dans le cercle ces deux problêmes fe réduifent au même. Si l'on avoit la longueur de la circon- férence 5 on auroit la grandeur de l'efpace : fi l'on avoit la grandeur de l'efpace , on auroit la longueur de la circonférence. Mais ceci eft une pré- rogative particulière de cette courbe , 368 Lettre XXI IL qui vient de fa grande uniformité : dans toutes les autres , la mefure de l'efpace n'eft point liée avec la mefure de la longueur. Si l'on infcrit un quarré dans un cercle , on déterminera fans peine la grandeur de l'aire de ce quarré : mais l'on voit encore plus facilement que cette aire fera plus petite que celle du cercle. Si au lieu d'un quarré l'on infcrit un oftogone , l'on aura l'aire de l'oftogone plus grande que celle du Quarré , mais plus petite que celle du cercle , dont elle différera moins que ne faifoit celle du quarré. Si l'on in- fcrit un polygone de feize côtés , l'on aura fon aire plus grande que celle de l'oftogone 3 plus petite encore que celle du cercle , mais dont elle approchera davantage. Enfin, augmentant toujours le nombre des côtés du polygone y il eft évident que fon aire approchera toujours plus de celle du cercle ; & Gu'elle lui feroit enfin égale , fi l'on pou voit pouiTer cette augmentation jui- qu'à l'infini. Ce fut par un tel artifice que les anciens Géomètres parvinrent à Lettre XXIII. ^69 à leurs approximations de la quadrature du cercle. Nev/ton vint ^ & la Géométrie chan- gea de face. Au lieu de ces opérations lentes , laborieufes ^ & répétées pour chaque degré d'approximation , il trou- va , par une feule opération , des nom- bres qui exprimoient la jufle grandeur de l'aire du cercle. Mais ces nombres ne font point des nombres finis : ce font des fuites infinies de termes décroif- fans 5 dont la fomme donne l'aire du cercle , d'autant plus exaftement qu'on prend un plus grand nombre de ces termes. Il apprit , & d'autres qui font venus après lui ont encore perfeftionné fa découverte , il apprit à rendre ces fuites fi convergentes , à faire que leurs termes diminuent fi fort , qu'il n'en faille ajouter qu'un petit nombre pour approcher extrêmement de ce qu'on cherche : car ce font ces petits termes de la fin de la fuite infinie qui empê- chent que Fon n'ait exaftement la quadrature. On a poulTé fi loin l'ap- proximation , que fur des nombres de cent chiffres , qui pour un diamètre (Euv, de Maiip^ Toni. II, A a 370 Lettre XXI IL donné doivent exprimer la circonfé- rence du cercle , il ne manque pas une feule unité ^ & qu'on peut facilement pouffer le calcul autant au delà qu'on voudra. Découverte merveilleufe , fi fort au delà de tous nos befoins , la dernière peut-être qui foit permife à refprit hu- main ! Car de croire déterminer la cir- conférence du cercle , en difant que c'efl: un certain terme qui occupe une place inafîignable ^ ou inaffignable lui- même entre deux termes d'une fuite connue j établir , comme ont fait quel- ques Géomètres , un caraÊlere pour repréfenter ce terme inconnu & incon- noiffable ; découvrir , comme a décou- vert le fubtil Bernoulîi ^ que la circon- férence du cercle eft à fon diamètre comme une quantité imaginaire (a) efl: à une autre quantité imaginaire : ( ^ ) ce ne font que des jeux d'efprit , qui nous rejettent dans des abymes plus profonds que ceux dont nous vou- lions fortir. Car l'homme le moins ( a) Ze logarithme de moins un» (b) £^ racine quareée de moim un» Lettre XXllL 371 Géomètre a plus d'idée du rapport de la circonférence du cercle à fon dia- mètre 5 que le Géomètre la plus habile n'en peut avoir de ces fortes de quan- tités. Deicartes , à qui la Géométrie doit îant , fut qu'il y avoit des courbes dont on dérerminoit les aires : mais il crut qu'il n'y en avoit aucune dont on pût déterminer la longueur ; & affura l'impoffibilité de toute reâiiica- îion ( a )• Cependant un Géomètre , .qui n'étoit pas à lui comparer , reâifia une courbe qui porte encore fon nom j ( ^ ) & bientôt après une injfinité d'autres courbes furent reâifiées. Fâ- cheux exemple des erreurs auxquelles l'humanité eft expofée ! puifqu'un des plus grands hommes du Monde s'eft trompé dans la fcience de toutes la plus iûre. Revenons au cercle. Sur un cercle grand comme l'orbe que la Terre dé- crit autour du Soleil , le Géomètre ne fe trompera pas de TépaiiTeur d'un î a) Géom, liv. IL b) La parahoU cubique de NeiL Aa ij 37i Lettre XXIIL cheveu : & fi cette erreur lui paroît trop grande , il peut facilem€nt la di- minuer mille & mille fois. De quelle utilité feroit une mefure plus précife ? Mais le problême eft - il réfoluble l eft-il poffible de déterminer la longueur exafte d'un cercle dont on a le diamè- tre ? Puifque Newton n'a pu qu'en approcher , je ferois tenté d'affurer qu'on n'y fauroit parvenir : mais puif- que Defcartes s'eft trompé dans une femblable décifion , je n'oferois m'y liafarder. J'ai connu d'habiles Géomè- tres qui cherchoient la quadrature du cercle j j'en connois de fages qui l'ont abandonnée. ^in d€s Leùires fur divers fujets^ L E T T SUR LE PROGRÈS DES SCIENCES. A a ii) i 37f W^ "l^^^^t^ ^^^^^ *iï:*^^*$'' :^ ^ LETTRE SUR LE PROGRÈS Z)E5 SCIENCES. =IIë'OuvRAGE le plus confidéra- ble du Chancelier Bacon eft le ^ traité de augmentis Scientiarum, qu'il dédia à fon Roi , comme au Prince de ce temps -là le plus capable d'en faire ufage. Je n'ai garde de vouloir comparer ce petit nombre de pages à ce qu'a fait ce grand homme , auquel dans les ouvrages les plus longs on ne peut pas reprocher la prolixité. Ce que je me propofe eft bien diffé- rent de ce qu'il s'étoit propofé. Il confidéra toute la connoiffance humai- ne comme un édifice dont les Sciences dévoient former les différentes par- ties 3 il rangea chaque partie dans foii A a iv 37'^ Lettre sur le progrès ordre , & fit voir fa dépendance avec les autres & avec le tout. Examinant enfuite ce qui pouvoir manquer à cha- cune , il le fit avec toute la profondeur de fon efprit , mais dans toute la gé- néralité qui convenoiî à la gratideur de fon plan. Je ne veux ici que fixer vos regards fur quelques recherches utiles pour le genre humain , curieufes pour les Savans , & dans lefquelles l'état où font aftuellement les^ Sciences femble nous mettre à portée de réufiir. Comme perfonne ne fait mieux que vous jufqu où s'étendent nos connoif- fances , perfonne auffi ne jugeroit mieux de ce qui y manque , & des moyens pour remplir ce vuide ^ fi des foins encore plus importans permet- toient à votre vue de fe tourner de ce côté -là : mais puifqu'un efprit tel que le vôtre fe doit à tout , & ne fe doit à chaque chofe qu'à proportion du degré d'utilité dont elle eft , per- mettez-moi de vous envoyer ces réfle- xions fur les progrès dont il me femble qu'aftuellem.ent les Sciences auroient le plus de befoin 3 afin que fi vous porter DES Sciences. 377 fut' les chofes que je propofe le même jugement que moi ^ vous puiffiez en mettre quelques-unes en exécution. Quel temps pour cela feroit le plus propre que celui où le plus grand Monarque , après tant de viâoires rem- portées fur fes ennemis , fait jouir (qs peuples du repos & de l'abondance de la paix , & les a comblés de tant de fortes de bonheur j, que déformais rien ne peut être ajouté à fa gloire que par des moyens dont la nature eft d'être inépuifables } Il y a des Sciences fur lefquelles la volonté des Rois n'a point d'influence immédiate : elle n'y peut procurer d'avancement qu'autant que les avan- tages qu'elle attache à leur étude peu- vent multiplier le nombre & les efforts de ceux qui s'y appliquent. Mais il eft d'autres Sciences qui pour leur progrès ont un befoin néceffaire du pouvoir des Souverains ; ce font toutes celles qui exigent de plus grandes dépenfes que n'en peuvent faire les particuliers , ou des expériences qui dans l'ordre ordinaire ne feroient pas praticables. 378 Lettre svit le proches Ceft ce que je crois qu'on poutroit faire pour le progrès de ces Sciences , que je prends la liberté de vous pro- pofer. §. I. Terres Aujlrales. Tout le monde fait que dans l'hé- mifphere méridional il y a un efpace inconnu où pourroit être placée une nouvelle partie du Monde plus grande qu'aucune des quatre autres : & aucun Prince n'a la curiofité de faire décou- vrir {1 ce font des terres ou des mers qui rempliffent cet efpace , dans un fiecle où la navigation eft portée à un fi haut point de perfeftion. Voici quelques réflexions à faire fur cette matière. Comme dans tout ce qui efl: connu du globe il n'y a aucun efpace d'une suffi vafte étendue que cette plage inconnue , qui foit tout occupé par la mer , il y a beaucoup plus de pro- babilité qu'on y trouvera des terres , qu'une mer continue. A cette réflexion générale on pourroit ajouter les rela- tions de tous ceux qui navigeant dans DES Sciences. 379 rhémifphere auftral ont apperçu des pointes , des caps & des fignes certains d'un continent dont ils n'étoient pas éloignés. Le nombre des Journaux qui en font mention eft trop grand pour les citer ici j quelques-uns de ces caps les plus avancés font déjà marqués fur les cartes. L^ Compagnie des Indes de France envoya il y a quelques années chercher des terres auftrales entre l'Amérique & l'Afrique. Le Capitaine Lozier Bouvet , qui étoit chargé de cette expédition ,• navigeant vers i'eft entre ces deux par- ties du Monde , trouva pendant une route de quarante -huit degrés des fi- gnes continuels de terres voifines {a) ^ & apperçut enfin vers le cinquante- deuxième degré de latitude un cap où \qs glaces l'empêchèrent de débarquer., ( a ) Nous avons la r dation du voyage d'un certain. Oonneville de Honfleur , qui en i^oj , ayant été pris par une tempête vers le cap de Bonne Efpérance , fut jeté fur un continent oh ilpajfa fix mois , oii il trouva, une terre fertile , des peuples civiUfés , & foumis à un Roi dont il emmena en France un fils nommé EJfomerick. Cette relation , vraie ou fabuleufe , ne con- tribua pas peu à faire entreprendre au Capitaine Lozier fin voyage» 380 Letthe svn le progrès Si l'on ne cherchoit des terres auftra- les que dans la vue d'y trouver un port pour la navigation des Indes orienta- les , comme c étoit l'objet de la Com- pagnie , on pourroit faire voir qu'on n'avoit pas pris les mefures les plus juftes pour cette entreprife ; qu'on l'a trop toi abandonnée j & l'on pourroit auffi donner quelques confeils pour mieux réuffir : mais comme on ne doit pas borner la découverte des terres auf- trales à l'utilité d'un tel port , & que je crois même que ce feroit un des moindres objets qui devroit la faire en- treprendre y les terres fituées à l'efl: du cap de Bonne Efpérance mériteroient beaucoup plus d'être cherchées que celles qui font entre l'Amérique & l'Afrique. En effet , on voit , par les caps qui ont été apperçus , que les terres auf- îrales à Tell de l'Afrique s'approchent beaucoup plus de l'équateur , & qu'elles s'étendent jufqu'à ces climats où l'on trouve les productions les plus précieu- fes de la Nature. Il feroit difficile de faire des con- DES Sciences. 381 |e£rures un peu fondées fur les produc- tions & fur les habitans de ces terres : mais il y a une remarque bien capable de piquer la curiofité , qui pourroit faire foupçonner qu'on y trouveroit des chofes fort différentes de celles qu'on trouve dans les quatre autres parties du Monde. On eft affuré que trois de ces parties , l'Europe , l'Afrique & l'A- fie , ne forment qu'un feul continent. L'Amérique y eft peut-être jointe : mais û elle en eft féparée , & que ce ne foit que par quelque détroit , il aura tou- jours pu y avoir une communication entre ces quatre parties du Monde , les mêmes plantes ^ les mêmes animaux , les mêmes hommes auront dû s'y étern dre de proche en proche , autant que îa différence des climats leur aura per- mis de vivre & de fe multiplier , & n'auront reçu d'altération que celles que cette différence aura pu leur eau- fer. Mais il n'en eft pas de même des efpeces qui peuvent fe trouver dans les terres auftrales , elles n'ont pu fortir de leur continent. On a fait plufieurs fois le tour du globe ^ & l'on a toujours. 5S2 Lettre sur le progrès laiffé ces terres du même côté : il eft certain qu'elles font abfolument ifolées , & qu'elles forment pour ainfi dire un Monde à part , dans lequel on ne peut prévoir ce qui fe trouveroit. La décou- verte de ces terres pourroit donc offrir de grandes utilités pour le Commerce , & de merveilleux fpeftacles pour la Phyfîque. Au refte , les terres auftrales ne fe bornent pas à ce grand continent fitué dans riiémifphere auftral : il y a vrai- femblablemerrt entre le Japon & l'Amé- rique un grand nombre d'illes dont la découverte pourroit être bien impor- tante. Croira-t-on que ces précieufes épices , devenues néceffaires à toute l'Europe , ne croiflent que dans quel- ques-unes de ces ifles dont une feule nation s'eft emparée ? Elle-même peut- être en connoît bien d'autres qui les produifent également , mais qu'elle a grand intérêt de ne pas faire connoître. C'eft dans les ifles de cette mer que les voyageurs nous aflurent avoir vu des hommes fauvages , des hommes velus , portant des queues j une efpece i> é s Sciences. 385 mitoyenne entre les finges & nous. J'aimerois mieux une heure de conver- fation avec eux qu'avec le plus bel elprit de l'Europe. Mais fî la Compagnie des Indes s'at- tachoit à chercher pour fa navigation quelque port dans les terres auftrales , entre l'Amérique & l'Afrique j je ne crois pas qu'elle dût être rebutée par le peu de fuccès de la première en- treprife : il me femble au contraire que la relation du voyage du Capi- taine Lozier pourroit engager la Com- pagnie à la pourfuivre. Car il s'eft affuré ce l'exiftence de ces terres , il les a vues j s'il n'en a pu approcher de plus près 5 c'a été par des obftacles qui pou- voient être évités ou vaincus. Ce furent les glaces qui l'empêchè- rent d'atterrir. Il fut furpris d'en trou- ver au cinquantième degré de latitude pendant le folftice d'été. Il de voit fa- voir que , toutes chofes d'ailleurs égales , dans l'hémifphere auftral le froid eft plus grand en hiver que dans l'hémifphere feptentrional j parce que quoique fous une même latitude^ pour 3§4 Lettre sur le progrès l'un & l'autre hémifphere , ïa pofition de la fphere foit la même , les diftan- ces de la Terre au Soleil ne font pas les mêmes dans les faifons correfpon- dantes. Dans notre hémifphere ^ l'hiver arrive lorfque la Terre ell à fa plus pe- tite diftance du Soleil ; & cette circonf- tance diminue la force du froid. Dans rhémifphere auftral au contraire , on a l'hiver lorfque la Terre eft à fon plus grand éloignement du Soleil j & cette circonftance augmente la force du froid; ajoutez-y que , dans l'Lémifphere auf- tral , l'hiver eft plus long de huit jours que dans l'hémifphere feptentrionaL Mais il eût été encore plus néceffaire de penfer que , dans tous les lieux où la fphere eft oblique , les temps les plus chauds n'arrivent qu'après le folftice d'été j & qu'ils arrivent d'autant plus tard que les climats font plus froids. Cela eft connu de tous les Phyficiens ^ & de tous ceux qui ont voyagé vers les pôles. Dans l'hémifphere feptentrio- nal , on voit fouvent en plein folftice la glace couvrir encore des mers où un mois après on n'ea trouveroit pas un DES Sciences. 385 un atome j on j reffent même de grandes chaleurs ; & c'eft dans ce temps< là , c'eft-à-dire au temps du plus grand froid dans riiémifphere oppofé , qu'il faut entreprendre d'approcher des ter- re's voifines des pôles. Dans ces climats , dès que les glaces commencent une fois à fondre , elles fondent très-vite , & en peu de jours la mer en eft dé- livrée. Si donc au lieu d'arriver au temps du folftice aux latitudes où M. Lozier cherchoit fes terres , il fût arrivé un mois plus tard , il y a toute appa- rence qu'il n'eût trouvé aucune glace. Au refte , en abordant une terre , les glaces ne fomt point des obftacles in- vincibles au débarquement. Si elles font flottantes ^ les pêcheurs de baleines , &c tous ceux qui ont fait des navigations dans le nord , favent qu'elles n'empé* chent pas de naviguer : & quant aux: glaces qui tiennent aux terres , les ha- bitans des bords des golfes de Fin- lande & de Botnie ont tout l'hiver des routes fur les glaces , & y pratiquent fouvent des chemins par préférence à ceux qu'ils pourroient fe faire far la Œuv, de Maup, Tom. II. B b ^86 Lettre sur le progrès terre. Les peuples du nord ont encore une pratique allez fimple & affez sûre lorfqu ils font obligés de féjourner fur des glaces qui commencent à fe brifer ; c'eft d'y tranfporter des bateaux légers ^ qu'ils traînent par-tout où ils vont , & dans lefquels ils peuvent aller d'une glace à l'autre. Toutes ces chofes font fort connues dans les pays du nord. Et fi ceux que la Compagnie des Indes avoit envoyés chercher les terres auftrales euffent eu plus de connoiffance du phyfique des climats froids , & des reffources qu'on y emploie , il eft à croire qu'en arrivant plus tard ils n'auroient point trouvé de glaces , ou que les glaces qu'ils trouvèrent ne les auroient pas empê- chés d'aborder une terre qui ^ félon leur relation , n'etoit éloignée d'eux que d'une ou deux lieues. §. IL Patagons» Ce n'eft point donner dans les vi- vons ni dans une curiofité ridicule que de dire que cette terre des Pata- gons fituée à l'extréraité auftrale de DES Sciences, 387 rAmérique mériteroit d'être examinée. Tant de relations dio-nes de foi nous parlent de ces Géants ^ qu'on ne fau- roit guère raiibnnablement douter qu'il n'y ait dans cette région des hommes dont' la taille eft fort différente de la nôtre. Les tranfa6Hons philofophiques de la Société Royale de Londres par- lent d'un crâne qui devoir avoir ap- partenu à un de ces Géants , dont la taille , par une comparaifon très-exafte de fon crâne avec les nôtres , devoir être de dix ou douze pieds {a). A examiner philofophiquement la chofe , on peut s'étonner qu'on ne trouve pa^ entre tous les hommes que nous con- noiffons la m^êmie variété de grandeur qu'on obferve dans pluiieurs autres ei- peces : pour ne s'écarter que le moins qu'il eft poffible de la nôtre , d'un fapaiou à un gros finge il y a plus de différence que du plus petit Lappon au plus grand de ces Géants dont les voyageurs nous ont parlé. Ces hommes mériteroient fans doute d'être connus : la grandeur de leurs (a) TranfaB» philof, n. 168 6,' 16 q, Bb ij 388 Lettre sur le progrès corps feroit peut-être la moindre chofe à obferver : leurs idées , leurs connoit fances , leurs hilloires , feroient bien encore d'une autre curiofité. §. 1 1 1. Pcijfage par le Nord. Après la découverte des terres aus- trales , il en eft une autre tout oppo- fée qui feroit à faire dans les mers du nord ^ c'eft celle de quelque paf- fage qui rendroit le chemin des Indes beaucoup plus court que celui que tiennent les vaiffeaux ^ qui font juf- qu'ici obligés de doubler les pointes méridionales de l'Afrique ou de l'Amé- rique. Les Anglois , les HoUandois , les Danois y ont fouvent tenté de dé- couvrir ce pafTage , dont l'utilité n'efl: pas douteufe , mais dont la poffibilité eft encore indécife. On l'a cherché au nord-eft & au nord-oueft fans l'avoir pu trouver : cependant ces tentatives , infruftueufes pour ceux qui les ont faites 5 ne le font pas pour ceux qui voudroient pourfuivre cette recherche. Elfes ont appris que s'il y a un paffage par l'un ou l'autre de ces côtés pu on DES Sciences. 389 l'a cherché , il doit être extrêmement difficile. Il faudroit que ce fût par des détroits , qui dans ces mers feptentrio- nales font prefque toujours bouchés par les glaces» L'opinion à laquelle font revenus ceux qui ont cherché ce paffage , eft que ce feroit par le nord même qu'il le faudroit tenter. Dans la crainte d'un trop grand froid fi l'on s'élevoit trop vers le pôle , on ne s'eft pas affez éloigné des terres ^ & l'on a trouvé les mers fermées par les glaces : foit que les lieux par où l'on vouloit paffer ne fuffent en effet que des golfes , foit que ce fulTent de véritables détroits. C'eft une efpece de paradoxe de dire que plus près du pôle on eût trouvé moins de glaces & un climat plus doux : mais outre quelques relations qui affu- rent que les Hollandois s'étant fort approchés du pôle ^ avoient en effet trouvé une mer ouverte & tranquille y & un air tempéré , la Phyfique & l'Aftronomie le peuvent faire croire. Si ce font de vaftes mers qui occupent les régions du pôle ^ on y trouvera B b iij 390 Lettre sur le progrès moins de glaces que dans des lieux moins feptentrionaux , où les mers fe- ront reffer-rées par les terres : & la préfence continuelle du Soleil fur l'ho- rizon pendant fix mois peut caufer plus de chaleur , que fcn peu d'élévation n'en fait perdre. Je croirois donc que ce feroit par le pôle même qu'il faudroit tenter ce palîage. Et dans le même temps qu'on pourroit efpérer de faire une décou- verte d'une grande utilité pour le Com- merce , c'en feroit une curieufe pour la connoiffance du globe , que de fa- voir fi ce point autour duquel il tourne eft fur la terre ou fur la mer j d'y obferver les phénomènes de l'aimant dans la fource d'où ils femblent partir ; ai Y décider fi les aurores boréales font caufées par une matière lumineufe qui s'échappe du pôle ^ ou du moins fi le Dole eft toujours inondé de la matière de ces aurores. Je ne parle point ici de certaines difficultés attachées à cette navigation. Plus on approche du pôle ^ plus les fecours qu'ofire la fcience du Pilote n E s Sciences. 391 diminuent -, & au pôle même plufieurs ceffent tout-à-fait. On pourroit donc éviter ce point fatal : mais fi l'on y étoit arrivé , il faudroit commencer fa route en quelque forte au hafard jufqu'à ce qu'on s'en fût éloigné d'une diftance qui permît de reprendre l'ufage des règles de la navigation. Je ne m'étends pas fur cela , je ne me fuis propofë que de vous parler des découvertes qui m'ont paru les plus importantes : c'eft après le choix que vous en ferez qu'on pourroit difcuter les moyens qu'on croi- roit les plus convenables pour l'exécu- tion. Mais fi un grand Prince deftinoit tous les ans deux ou trois vaifTeaux à ces entreprifes , la dépenfe feroit peu confi- dérable ; indépendamment du fiiccès ^ elle feroit utile pour former les Capi- taines & les Pilotes à tous les événe- mens de la navigation : & il ne feroit guère poffible qu'entre tant de chofes qui reftent inconnues fur notre globe ^ on ne parvînt à quelque grande décou- verte. Ebi IV 39 2 Lettre sttr le progrès §. IV. OhfervatiGJîs fur les variations de l'aimant. Quand on confidere Fufage qu'on fait de la direftion de l'aimant vers le pôle , on ne peut guère s'empêcher de croire que cette merveilleufe pro- priété lui a été donnée pour conduire le navigateur. Mais puifque cette pro- priété , qui n'eil: encore connue qu'im- parfaitement \, nous procure déjà tant d'utilité , il y a grande apparence qu'elle nous en procureroit encore da- vantage fi elle étoit entièrement con- nue. La direftion de l'aimant en général vers le pôle fert à diriger nos routes : mais les écarts de cette direftion , fou- rnis fans doute à quelque loi encore peu connue , feront vraifemblablement de nouveaux moyems que la Nature réferve au navigateur pour lui faire connoître le point du globe où il fe trouve. L'Angleterre donna autrefois à M. Halley le commandement d'un vaiffeau dePdné aux progrès des Sciences ma- DES Sciences. 395 rîtimes. Après une navigation dans tes deux hémifpheres , ce grand Aftrono- me ébaucha fur le globe le trait d'une ligne dans laquelle toutes les aiguilles aimantées fe dirigeoient exaftement au nord , & en s'écartant de laquelle on voyoit croître leurs déclinaifons. Une telle ligne bien conftatée pourroit en quelque forte fuppléer à ce qui nous manque pour la connoiffance des lon- gitudes fur mer : par la déclinaifon de l'aiguille obfervée dans chaque lieu , l'on jugeroit de la pofition orientale ou occidentale de ce lieu. D'autres Géographes ont cru que la ligne de M. Halley n'étoit pas unique fur le globe 5 qu'il s'en trouvoit encore quelqu'autre qui avoir le même avan- tage. Comme la déclinaifon de l'aimant varie dans un même lieu , ces lignes fans déclinaifon ne doivent pas dem.eu- rer dans une pofition confiante. Mais il y comme il eft vraifemblable , leur mouvement eft régulier ^ & fi nous parvenons à le connoître , leur utilité fera toujours la même. Il faut avouer 394 Lettre sur le progrès que les travaux de M. Halley n'ont pas amené la chofe à fa perfeftion : mais peut-on efpérer que de fi grandes en- treprifes s'achèvent dans une première tentative ? Et pour une découverte d'une telle importance peut -on épar- gner les moyens ? On ne fauroit donc trop recomman- der aux navigateurs de faire par - tout où ils pourront les obfervations les plus exaftes fur la déclinaifon de l'aiguille aimantée. Ces obfervations leur font déjà néceffaires pour connoître la vraie direâion de leur route ^ & ils les font : inais ils ne les font pas avec le foin îiécelTaire , ni avec d'aflez bons inftru- mens. Les différentes inclinaifons de l'ai- guille aimantée en différens lieux ont fait penfer à d'habiles Hydrographes qu'on en pourroit encore tirer quel- que nouveau moyen pour connoître fur mer les lieux où l'on eft. Ces ob- fervations , qui ont donné lieu à de fa- vantes recherches , font encore plus difficiles à exécuter que celles de la déclinaifon ^ & ne peuvent guère fe DES Sciences. 395 faire en mer avec une certaine exac- titude : mais il faudroit les faire fur la terre , dans toutes les différentes ré- gions. Car autre chofe eft de faire des obfervations pour découvrir une théo- rie , ou d'en faire pour fe fervir d'une théorie déjà connue. §. V. Continent de [''Afrique. Telles font les principales découver- tes à tenter par mer. Il en eft d'autres dans les terres qui mériteroient auffi qu'on les entreprît. Ce continent im- menfe de l'Afrique fitué dans les plus beaux cUmats du Monde , autrefois habité par les nations les plus nom- breufes & les plus puiffantes , rempli des plus fuperbes villes ; tout ce vafte continent nous eft prefqu'auffi peu connu que les terres auftrales : nous arrivons fur les bords , nous n'avons jamais pénétré dans l'intérieur du pays. Cependant (î l'on confidere fa position , dans les mêmes climats que les lieux de l'Amérique les plus fertiles en or & en argent ; fi l'on penfe aux grandes richeffes de l'ancien Monde qui en 39^ Lettre sur le progrès étoient tirées, à For même que quelques Sauvages fans induftrie en tirent encore, on pourra croire que les découvertes qui fe feroient dans le continent de l'Afri- que ne feroient pas infruftueufes pour le Commerce. Si on lit ce que les an- ciennes hifloires nous rapportent des Sciences & des Arts des peuples qui riiabitoient j fi l'on confidere les mer- veilleux monumens qu'on en voit en- core dès qu'on aborde aux rivages de l'Egypte , on ne pourra douter que ce pays ne fût bien digne de notre curiofité. §. VI. Pyramides & Cavités. Ce n'eft pas fans raifon qu'on a compté parmi les merveilles du Monde ces maffes prodigieufes de terre & de pierre ., dont l'ufage pourtant paroît fi frivole , ou du moins nous eft refté fi inconnu. Les Egyptiens , au lieu de vouloir inftruire les autres peuples , femblent n'avoir jamais penfé qu'à les étonner. Il n'eft cependant guère vrai- femblable que ces pyramides énormes n'ayent été deftinées qu'à renfermer un cadavre 3 elles cachent peut-être les DES Sciences. 35)7 monumens les plus finguliers de l'Hif- toire & des Sciences de l'Egypte. On raconte qu'il y a 900 ans qu'un Calife curieux (a) fit tant travailler pour en ouvrir une , qu'on parvint à y décou- vrir une petite route qui conduit à une falle , dans laquelle on voit encore un coffre de marbre ou une efpece de cercueil. Mais quelle partie ce qu'on a découvert occupe-t-il d'un tel édifice l N'eft-il pas fort probable que bien d'au- tres chofes y font renfermées ? L'ufage de la poudre rendroit aujourd'hui facile le boule verfement total d'une de ces pyramides : & le Grand - Seigneur les abandonneroit fans peine à la moindre curiofité d'un Roi de France. J'aimerois cependant bien mieux que les Rois d'Egypte euffent employé ces millions d'hommes qui ont élevé les pyramides dans les airs , à creufer dans la terre des cavités dont la pro- fondeur répondît à ce que les ouvra- ges de ces Princes avoient de gigan- tefque. Nous ne connoiffons rien de la Terre intérieure : nos plus profon- ( a ) Almamo/i j dans le IX^, /îcck^ 398 Lettre SUR LE PROGRES des mines entament à peine fa première écorce. Si Ton pouvoit parvenir au noyau , il eft à croire qu'on trouveroit des matières fort différentes de celles que nous connoiffons , & des phénomè- nes bien finguliers. Cette force tant dif- putée , qui répandue dans tous les corps explique fi bien toute la Nature , n'eft encore connue que par des expériences faites à la fuperficie de la Terre ; il feroit à fouhaiter qu'on pût en exami- ner les phénomènes dans ces profondes cavités* §. VIL Collège des Sciences étrangères. Nous ne pouvons guère douter que plufieurs nations des plus éloignées n'ayent bien des connoiffances qui nous feroient utiles. Quand on confidere cette longue fuite de fiecles pendant lefquels les Chinois , les Indiens , les Egyptiens ont cultivé les Sciences , & les ouvrages qui nous viennent de leur pays , on ne peut s'empêcher de re- gretter qu'il n'y ait pas plus de com- munication entr'eux & nous. Un Col- lège où l'on trouveroit raffemblés des DES Sciences. 399 hommes de ces nations , bien inftruits dans les Sciences de leur pays , qu'on inftruiroit dans la Langue du nôtre , feroit fans doute un bel établiffement ^ & ne feroit pas fort difficile. Peut-être n'en faudroit-il pas exclure les nations les plus fauvages. §. VIII. Faille latine. Toutes les nations de l'Europe con- viennent de la néceffité de cultiver une Langue qui , quoique morte depuis long-temps , le trouve encore aujour- d'hui la Langue de toutes la plus uni- verfelle ; mais qu'il faut aller chercher le plus fouvent chez un Prêtre ou chez un Médecin. Si quelque Prince vouloit , il lui feroit facile de la faire revivre* Il ne faudroit que confiner dans une même ville tout le Latin de fon pays ^ ordonner qu'on n'y prêchât , qu'on n'y plaidât , qu'on n'y jouât la comédie qu'en latin. Je crois bien que le latin qu'on y parleroit ne feroit pas celui de la Cour d'Augufte , mais auffi ce ne feroit pas celui des Polonois. Et la jeuneffe qui viendroit de bien des pays 400 Lettre SUR LE PROGRÈS de l'Europe dans cette ville , y appren- droit dans un an plus de latin qu'elle n'en apprend en cinq ou lix ans dans les Collèges. §. I X. AJironomie, Il femble qu'on ne tire point affez d'avantages de ces magnifiques obfer- vatoires , de ces excellens inftrumens , de ce grand nombre d'obfervateurs habiles qu'on a dans différens lieux de l'Europe. On diroit que la plupart des Aftronomes croient leur Art fini ; & ne font plus que répéter par une efpece de routine les obfervations des hauteurs du Soleil , de la Lune & de quelque Étoile , avec leurs paffages par le méridien. Ces obfervations ont bien leur utilité : mais il feroit à fou- haiter que les Aftronomes fortifient de ces limites. On croyoit que les Étoiles qu'on 2i^^e\\e fixes étoient toujours vues dans les mêmes points du Ciel : des obfer- vations plus foigneufes & plus exaèles , faites dans ces derniers temps , nous ont appris qu'outre l'apparence du mouvement r> E s Sciences. 401 mouvement qui refaite de la précef- fîon des équmoxes , les Étoiles avoient encore un autre mouvement apparent* Quelque Aftronome précipité en con- clut une parallaxe pour l'orbe annuel : un plus habile , celui-là même qui avoit découvert ce mouvement , fit voir qu'il étoit indépendant de la parallaxe ; & en trouva la véritable caufe dans la combinaifon du mouvement de la lu- mière avec le mouvement de la Terre. Le même M, Bradley a découvert en- core l'apparence d'un nouveau mouve- ment à peine fenfible , qu'il attribue avec beaucoup de probabilité à Taélion de la Lune fur le fpliéroide terreftre. Mais n'y a-t-il point un mouvement réel dans quelques Étoiles ? Quelques Aftronomes en ont déjà découvert ou foupçonné un j & il eft à croire que fi l'on s'appliquoit davantage à cette recherche , on découvriroit quelque chofe de plus : foit que ces Étoiles foient affez déplacées par les planètes ou les Comètes qui peuvent faire leurs révolutions autour d'elles , foit que quelques-unes de ces Étoiles foient. (Eiiv, de Maup^ Tom. lî. Ce 401 Lettre sur le progrès elles-mêmes des planètes lumineufes qui font leur révolution autour de quelque corps central opaque ou invi- iîble pour nous. Enfin n'y auroit-il point quelque Étoile réellement fixe , dont le mou- vement apparent nous découvriroit la parallaxe de l'orbe annuel ? La trop grande difliance où les Étoiles font de la Terre cache cette parallaxe dans celles que Ton a obfervées : mais eft-ce une preuve qu'aucune des autres ne la pourroit laijGTer appercevoir ? On s'eft attaché aux Étoiles les plus lumineufes comme à celtes qui étant les plus pro- ches de la Terre , feroient les plus propres à cette découverte : mais pour- quoi les a-t-on cru les plus proches ? ce nePc que parce qu'on les a toutes fuppofées de la mêm.e grandeur & de la même matière : mais qui nous a dit que leur matière & leur grandeur fuffent les mêmes pour toutes ? L'Étoile la plus petite ou la moins brillante pourroit être celle qui eft la plus pro- che de nous. Si dans ces pays oii il y a un nombre DES Sciences. 403 fiiffifant d'obfervateurs , on diftribuoit à chacun un certain efpace du Ciel , une zone de deux ou trois degrés , parallèle à l'équateur 5 dans laquelle chacun examinât bien toutes les Étoi- les qui s y trouvent : vraifemblablement on découvriroit bien des phénomènes inattendus. Rapprachons- nous de notre Soleil. Nous voyons Saturne avec cinq fatel- lites , Jupiter avec quatre , la Terre avec un : il eft affez probable que fur lîx planètes , trois ayant des fatellites , les trois autres n'en font pas abfolument dépourvues. On a déjà cru en apper- cevoir quelqu'un autour de Vénus : ces obfervations n'ont point eu de fuite 5 mais on ne devroit pas les aban- donner. Rien n'avanceroit plus ces découver- tes que la perfeftion des télefcopes. Je ne crois pas qu'on pût promettre de trop grandes récompenfes à ceux qui parviendroient à en faire de fupérieurs à ceux que l'on a déjà. On a fi fouvent fait voir que la connoiflance de la lon- gitude fur mer dépendroit d'un tel Ce ij 404 Lettre sur le progrès télefcope , ou dîme horloge qui con- ferveroit l'égalité de fon mouvement malgré l'agitation du vaifleau , ou d'une théorie exafte de la Lune , qu'il me paroît fuperflu d'en parler encore : mais je ne faurois m'empêcher de dire qu'on ne peut trop encourager ceux qui fe- roient en état de perfeftionner quel- qu'un de ces difFérens moyens. §. X. Parallaxe de la Lune ^ & fon ufage pour connoître la figure de la Terre, La France a exécuté la plus grande chofe qui ait jamais été faite pour les Sciences , lorsqu'elle a envoyé à l'équd!- teur & au pôle des troupes de Mathé- maticiens pour découvrir la figure de la Terre. La dernière entreprife pour déterminer la parallaxe de la Lune , par des obfervations faites en même temps à l'extrémité méridionale de l'A- frique & dans les parties feptentriona- les de l'Europe , peut être comparée à la première. Mais il eft à fouhaiter qu'on ne manque pas cette occafion de lier enfemble les foluîions de ces deux grands problêmes , qui en effet DES Sciences. 405 ont entre eux un rapport très - immé- diat. Les mefures des degrés du méridien , prifes en- France à de trop petites dis- tances les unes des autres , n'avoient pu faire connoître la figure de la Terre , parce qu'outre qu'elles ne pouv oient donner que les courbures du méridien aux lieux obfervés , les différences qui s'y trouvoient étoient trop peu confi- dérables pour qu'on y pût compter. Les mefures qu'on a prifes des degrés du méridien féparés par de grandes diftances y comme de la France au Pé- rou ou en Lapponie , n'ont pas à la vérité ce dernier défaut : mais elles ont une partie de la même infufRfance. Elles n'ont donné avec certitude que les différentes courbures du méridien dans ces lieux ; & ne fauroient nous affurer que , dans les intervalles qui les féparent 5 cette courbure fuive au- cune des loix qu'on a fuppofées. Enfin on ne fauroit par les obferva- tions pratiquées jufqu'ici connoître les cordes des arcs aux extrémités defquels elles ont été faites : ce qui pourtant C c iiî 4o6 Lettre sur le progrès elT: néceffaire , fî l'on veut être aflliré de la figure de la Terre. Car le méri- dien pourroit avoir telle figure , que quoiqu'à des latitudes données les cour- bures fuflent telles qu'on les a trouvées , les cordes des arcs compris entre ces latitudes fuflent pourtant fort difteren- tes de ce qu'on a conclu. Et après toutes les opérations faites au Pérou , en France & en Lapponie , il fe pour- roit faire que la corde de l'arc compris entre Quito & Paris , & celle de l'arc entre Paris & Peilo , euflent un rapport û différent de celui qu'on a fuppofé d'après les courbures , que la figure de la Terre s'écarteroit beaucoup de celle qu'on croit qu'elle a. Il y a plus : c'eft qu'aucune mefure n'ayant été prife dans l'hémifphere aut tral , on pourroit douter que cet hé- mifphere fût femblable à l'autre ; 8c fi. la Terre ne feroit point formée de deux demi-fphéroïdes inégaux appuyés fur une même bafe. Les obfervations de la parallaxe de la Lune peuvent lever tous ces doutes , en déterminant le rapport des cordes n E s Sciences. 407 des différens arcs du méridien : car ces cordes étant les bafes des triangles formés par les deux lignes tirées de deux points de la Terre à la Lune , des obfervations de la Lune faites dans trois points du même méridien don- neront immédiatement le rapport de ces cordes. Un obfervateur étant au cap de Bonne Efpérance , & l'autre à Pello 5 il en faudroit un troifieme en Afrique vers Tripoli ou plus au fud. Et je crois qu'il ne faudroit pas man- quer cette circonftance , qui , dans le même temps qu'elle feroit fort utile pour confirmer la parallaxe de la Lune , ferviroit à faire connoître la figure de la Terre mieux qu'on ne l'a encore connue. §. XL Utilités dufupplice des criminels^ C'eft une chofe qu'on a déjà fouyent propofée , qui a eu même l'approbation de quelques Souverains , & qui cepen- dant n'a prefque jamais eu d'exécu- tion ; que dans le châtiment des cri- minels 5 dont l'objet jufqu'ici n'eft que de rendre les hommes meilleurs , ou C c iy 4o8 Lettre sur le progrès peut - être feulement plus fournis aux loix 5 on fe proposât des utilités d'un autre genre. Ce ne feroit que remplir plus complètement l'objet de ces châ- timens , qui eft en général le bien de la fociété. On pourroit par là s'inftruire fur la poffibiiité ou Fimpoffibilité de plusieurs opérations que l'Art n'ofe entrepren- dre : & de quelle utilité n'eft pas la découverte d'une opération qui fauve toute une efpece d'hommes abandon- nés fans efpérance à de longues dou- leurs & à la mort ? Pour tenter ces nouvelles opérations, il faudroiî que le criminel en préférât rex|:jérience au genre de mort qu'il auroit mérité. 11 paroîtroit jufte d'ac- corder la grâce à celui qui y furvivroit ^ fon crime étant en quelque maniera expié par l'utilité qu'il auroit pro- curée. Il y a peu d'hommes condamnés à la mort qui ne lui préférafTent l'opé- ration la plus douloureufe , & celle même où il y auroit le moins d'efpé- rance. Cependant le fuccès de l'opé- DES Science S". 409^ ration & rhumanité exigeant qu'on diminuât les douleurs & le péril le plus qu'il feroit pofîîble , il faudroit qu'on s'exerçât d'abord fur des cada- vres j enfui te fur des animaux , fur- tout fur ceux dbni les parties ont le plus de conformité avec celles de l'homme j enfin fur le criminel. Je ne prefcris point ici les opéra- tions par lefquelles on devroit com- mencer : ce feroit fans doute par celles auxquelles la Nature ne fupplée ja- mais 5 & pour lefquelles jufqu'ici l'Art n'a point de remède. Un rein pier- reux , par exemple , caufe les douleurs les plus cruelles , que la Nature ni l'Art ne peuvent guérir : l'ulcère d'une autre partie fait fouffrir aux femmes des maux affreux , & jufqu'à ce jour incurables. Que ne feroit -il pas alors permis de tenter ? ne pourroit-on pas même effayer d'ôter ces parties ? On délivreroit ces infortunés de leurs maux 5 ou on ne leur feroit perdre qu'une vie pire que la mort , en leur laiffant jufqu'à la fin l'efpérance ^ qui eft le plus grand bien de la vie. 410 Lettre sur le progrès Je fais quelles oppofîtions trouvent toutes les nouveautés : on aime mieux croire l'Art parfait , que de travailler à le perfectionner. Peut-être les gens de l'Art eux-mêmes traiteront-ils d'im- poffibles toutes les opérations qu'ils n'ont pas faites , ou qu'ils n'ont pas vu décrites dans leurs livres. Mais qu'ils entreprennent ; & ils pourront fe trouver bien plus heureux ou même plus habiles qu'ils ne croient : la Na- ture par des moyens qu'ils ignorent travaillera toujours de concert avec eux. Je ferai moins étonné de leur timi- dité que je ne le fuis de l'audace de celui qui le premier ouvrit la veffie pour y aller chercher la pierre ; de celui qui fit le premier un trou au crâne j de celui qui ofa percer l'œil. Je verrois volontiers la vie des cri- minels fervir à ces opérations , quelque peu qu'il y eût d'efpérance d'y réuffir : mais je croirois même qu'on pourroit fans fcrupule l'expofer pour des con- noiffances d'une utilité .plus éloignée. Peut-être feroit-on bien des dicouver» DES Sciences, 411 tes fur cette merveilleufe union de l'ame & du corps , iî l'on ofoit en aller chercher les liens dans le cerveau d'un homme vivant. Qu'on ne fe laiffe point émouvoir par l'air de cruauté qu'on pourroit croire trouver ici : un homme n'efl rien ^ comparé à l'efpece humai- ne ; un criminel efl: encore moins que rien (a). ;, Il y a dans le royaume des fcorpions y ^• des araignées , des falamandres , des crapauds , & plufieurs efpeces de fer- pens. On redoute également ces ani- maux. Cependant il efl: très - vraifem- blable qu'ils ne font pas tous également à craindre : mais il efl: vrai auffi qu'on n'a point afléz d'expériences fur ief- quelles on puifl^e compter pour difl:in- guer ceux qui font nuifibles de ceux qui ne le font pas. Il en efl: ainfi des plantes : plufieurs paflTent pour des poi- fons y qui ne feroient peut-être que des ( a ) Quelque hlfloîre parle , mais fans ajfe:^ de dé" tait , d'une opération que Louis XI fit tenter fur un criminel. On a dit quen Angleterre on en avoit fait tenter une autre fur l'oreille d'un homme condamné à mort. Tout cela nefi ni ^Jf^l connu , ni pratiqué comme il devrait l'être^ 412 Lettre sur le progrès alimens ou des remèdes ; mais fur les- quelles on demeure dans l'incertitude. On ne fait point encore fi l'opium , pris dans la plus forte dofe , fait mourir ou dormir. On ignore fi cette plante qu'on voit croître dans nos champs fous le nom de ciguë eft ce poifon doux & favori des anciens , fi propre à terminer les jours de ceux qu'il falloit retrancher de la fociété fans qu'ils mé- ritaffent d'être punis. Rien ne caufe plus de terreur que la morfure d'un chien enragé : cependant les remèdes qu'on y em_pIoie , & dont on croit avoir éprouvé le fuccès , peuvent très- raifonnablement faire douter de la réalité de ce poifon , dont la frayeur peut-être a caufé les effets les plus fu- neftes. La vie des criminels ne feroit- elle pas bien employée à des expérien- ces qui ferviffent , dans tous ces cas , à raffurer ou préferver ou guérir } Nous nous moquons y avec raifon , de quelques nations qu'un refpeft mal entendu pour l'humanité a privées des connoiffances qu'elles pouvoient tirer de la diffeftion des cadavres ; nous r>ES Sciences. 413 fommes peut-être encore moins raifon- nables , de ne pas mettre à profit une peine dont le Public pourroit retirer une grande utilité , & qui pourroit devenir avantageufe même à celui qui la fouffriroit. §. X 1 1. Ohfervations fur la Médecine. On reproche fouvent aux Médecins d'être trop téméraires : moi je leur re- procherois de manquer de hardieffe. Ils ne fortent point affez d'un petit cercle de médicamens qui n'ont point les vertus qu'ils leur fuppofent 5 & n'en éprouvent jamais d'autres qui peut- être les auroient, C'eft au hafard & aux nations fauvages qu'on doit les feuls fpécifiques qui foient connus ; nous n'en devons pas un leul à la fcience des Médecins. Quelques remèdes finguliers , qui paroilTent avoir eu quelquefois de bons îuccès 5 ne femblent point avoir été affez pratiqués. On prétend avoir guéri des malades en les arrofant d'eau gla- cée j on en guériroit peut-être en les 4Î4 Lettre sur le progrès expofant au plus grand degré de cha- leur. On cherche ici à les faire tranfpi- rer ; en Egypte on les couvre de poix pour empêcher la tranfpiration. * Tout cela mériteroit d'être épouvé. Un Géomètre propofoit une fois que pour dégager quelque partie où le fang fe trouveroit en trop grande abondance ^ ou pour le faire cou- ler dans d'autres parties , on fe fer- vît de la force centrifuge : le pirouet- tement & la machine qu'il falloit pour cela firent rire une grave affemblée , & fur-tout les Médecins qui s'y trou- voient ; il auroit mieux valu en faire l'expérience. Les Japonois ont un genre de Mé- decine fort différente de la nôtre. Au lieu de ces poudres & de ces pilules dont nos Médecins farciffent leurs ma- lades , les Médecins Japonois tantôt les percent d'une longue aiguille , tan- tôt leur brûlent différentes parties du corps : & un homme d'efprit , bon obfervateur , & qui s'entendoit à la * Voye^ Mémoires pour f er vira THiftoire des Infères ^ par M, de Réaumur , tome XI 3 J^\ mémoire. nES Sciences. 415 Médecine * , avoue qu'il a vu ces remè- des opérer des cures merveilleufes. On a fait en Europe quelques effais du moxa y ou de la brûlure : mais ces ex- périences ne me paroilTent pas avoir été affez iuivies ; & ^ dans l'état où eft la Médecine , je crois que celle du Japon mériteroit autant d'être expéri- mentée que la nôtre. J'avouerai que les cas font rares 011 le Médecin devroit éprouver fur un malade des moyens de guérir nouveaux & dangereux : mais il eft des cas pour-» tant où il le faudroit. Dans ces mala- dies qui attaquent toute une province , ou toute une nation, qu'eft-ce que le Médecin ne pourroit pas entreprendre ? Il faudroit qu'il tentât les remèdes & les traitemens les plus finguliers & les plus hafardeux : mais il faudroit que ce ne fût qu'avec la permiiBon d'un Ma- giftrat éclairé , qui auroit égard à l'état phyfique & moral du malade fur lequel fe feroit l'expérience. Je croirois fort avantageux que cha-* que efpece de maladie fût affignée à 4i<5 Lettre sur le progrès certains Médecins , qui ne s'occupafîent que de celle-là. Chaque partie de nos befoins les plus greffiers a un certain nombre d'ouvriers , qui ne travaillent que pour elle : la confervation & le rétabliflement de nos corps dépendent d'un Art plus difficile & plus compli- qué que ne le font enfemble tous les autres Arts ; & toutes les parties en font confiées à un feul ! Différens Médecins qui traitent la petite vérole tout différemment , ont à peu près le même nombre de bon^ & de mauvais fuccès j & ce nombre eft encore alTez le même lorfque la mala- die eft abandonnée à la Nature : n'eft- ce pas une preuve certaine que non- feulement on n'a point de remède fpé- cifique pour cette maladie ^ mais qu'on n'a pas encore trouvé de traitement qui y foit certainement utile ? N'eft-ce pas la preuve que ces cures que le Médecin croit obtenir de fon Art ne font dues qu'à la Nature , qui a guéri le malade de quelque manière qu'il ait été traité ? Je fais que les Médecins diront que les DES Sciences. 417 les maladies recevant des variétés du tempérament & de plulîeurs circonftan- ces particulières du malade , la même ne doit pas toujours être traitée de la même manière. Cela peut être vrai dans quelques cas rares : mais en gé- néral ce n'eft qu'une excufe pour ca- cher l'incertitude de l'Art. Quelles font les variétés du tempérament qui chan- gent les effets du quinquina fur la fiè- vre , & qui rendent un autre remède préférable ? La Médecine eft bien éloi- gnée d'être au point où l'on pourroit déduire le traitement des maladies de la connoiffance des caufes & des effets : jufqu'ici le meilleur Médecin eft celui qui raifonne le moins & qui obferve le plus. §. XIII. Expériences fur tes Animaux . Après ces expériences qui intéreffent immédiatement l'efpece humaine , en voici d'autres qui peuvent encore y avoir quelque rapport ^ qu'on pourroit faire fur les animaux. On ne regardera pas fans doute cette partie de l'Hiftoire naturelle comme indigne de l'attention (^«v. di Maup, Tom. IL D d 4i8 Lettre sur le progrès d'un Prince , ni des recherches d'un Philofophe , lorfqu'on penfera au goût qu'Alexandre eut pour elle , & à l'hom- me qu'il chargea de la perfeftionner. Nous avons encore le réfultat de ce travail : mais on peut dire qu'il ne répond guère à la grandeur du Prince ni à celle du Philofophe. Quelques Na- turaliftes m.odernes ont mieux réufii : ils nous ont donné des defcriptions plus exaftes ^ & ont rangé dans un meilleur ordre les claffes des anim^aux. Ce n'eft donc pas là ce qui manque aujourd'hui à FHiftoire naturelle : & quand cela y manqueroit , ce ne feroit pas ce que je fouhaiterois le plus qu'on y fuppléât. Tous ces traités des ani- maux que nous avons , les plus mé- thodiques mêmes , ne forment que des tableaux agréables à la vue : pour faire de FHiftoire naturelle une véritable Science , il faudroit qu'on s'appliquât à des recherches qui nous fiifent con- noître , non la figure particulière de tel ou tel animal , mais les procédés généraux de la Nature dans fa produc- tion & fa confervation» DES Sciences. 419 Ce travail à la vérité n'eft pas ab- folument de ceux qui ne peuvent être entrepris fans la proteftion & les bien- faits du Souverain. Pluiieurs de ces ex- périences ne feroient pas au deffus de la portée des fimples particuliers ^ & nous avons quelques ouvrages qui l'ont bien fait voir : cependant il y a de ces ex- périences qui exigeroient de grandes dépenfes ; & toutes peut-être auroient befoin d'être dirigées d'une manière à ne pas laiffer les Phyiîciens dans un vague qui eft le plus grand obilacle aux découvertes. Les ménageries des Princes , dans lefquelles fe trouvent des animaux d'un grand nombre d'elpeces , font déjà pour ce genre de Science un fonds dont il feroit facile de tirer beaucoup d'utilité. Il ne faudroit qu'en donner la direftion à d'habiles Naturaliftes , & leur pref- crire des expériences. On pourroit éprouver dans ces mé- nageries ce qu'on raconte des troupes de différens animaux , qui raffemblés par la foif fur les bords des fleuves de l'Afrique , y font , dit-on , ces alliances Ddij 420 Lettre sur le progrès bizarres d'où réfultent fréquemment des monllres. Rien ne feroit plus curieux que ces expériences : cependant la né- gligence fur cela eft fi grande ^ qu'il eft encore douteux fi le taureau s'eft jamais joint avec une âneffe ^ malgré tout ce qu'on dit àts jumars. Les foins d'un Naturalifte laborieux & éclairé feroient naître bien des curio- fités en ce genre , en faifant perdre aux animaux , par l'éducation , l'habitude & le befoin , la répugnance que les efpeces différentes ont d'ordinaire les unes pour les autres. Peut-être même parviendroit-on à rendre poffibles des générations forcées , qui feroient voir bien des merveilles. On pourroit d'a- bord tenter fur une même efpece ces unions artificielles ; & peut-être dès le premier pas rendroit-on en quelque forte la fécondité à des individus qui par les moyens ordinaires paroiflent ftériles. Mais on pourroit encore pouffer plus loin les expériences , & jufques fur les efoeces que la Nature porte le moins à s'unir. On verroit peut-être de là naître bien des monilres ^ des animaux DES Sciences. 421 nouveaux , peut-être même des efpeces entières que la Nature n'a pas encore produites. Il y a des monftres de deux fortes : l'une eft le réfultat* de femences de différentes efpeces qui fe font mêlées y l'autre de parties toutes formées qui fe font unies aux parties d'un individu d'une efpece différente. Les monftres de la première forte fe trouvent parmi les animaux ; les monftres de la fécon- de ne fe trouvent jufqu'ici que parmi les arbres. Quelques Botaniftes préten- dent être parvenus à faire parmi les végétaux des monftres de la première forte: feroit-il impoflible de parvenir à faire fur les animaux des monftres de la féconde ? On connoît la reproduftion des pattes de l'écreviffe , de la queue du lézard , de toutes les parties du polype : eft-il probable que cette merveilleufe pro- priété n'appartienne qu'au petit nom- bre d'animaux dans lefquels on la con- noît ? On ne fauroit trop multiplier fur cela les expériences : peut-être ne dépend-il que de la manière de féparet- 422 Lettre sur le progrès les parties de plufîeurs autres animaux pour les voir fe reproduire. §, XIV. Objervations micro fcopiqiies^ Les obfervations microfcopiques de M. de Buffon Sz: de M. Néedliam nous ont découvert une nouvelle Nature ; & femblent nous mettre en droit d'et pérer bien de nouvelles merveilles. Elles font fi curieufes & fi importantes , que quoique l'expérience ait fait voir qu'elles n'étoient pas au defTus de la portée des particuliers , elles mérite- roient cependant d'être encouragées par le Gouvernement ; qu'on y appli- quât plufieurs Obfervateurs ^ qu'on leur difiribuât les différentes matières à ob- ferver ; & qu'on propofât un prix pour r Opticien qui leur auroit fourni le meilleur microfcope. §. XV. Miroirs hrûlans. Avec nos bois , nos charbons ^ toutes nos matières les plus combuftibles , nous ne pouvons augmenter les effets du feu que jufqu'à un certain degré ^ qui n'efi: que peu de chofe , fi on le com« DES Sciences. 423 pare aux degrés de chaleur que la Terre femble avoir éprouvés , ou à celui que quelques Comètes éprouvent dans leur périhélie. Les feux les plus vio- lens de nos Chymiftes ne font peut- être que de trop foibles agens pour for- mer & pour décompofer les corps. Et de là viendroit que nous prendrions pour l'union la plus intime , ou pour la dernière décomposition poffible , ce qui ne feroit que des mélanges im- parfaits , ou des féparations groffieres de quelques parties. La découverte du miroir d'Archimede que vient de faire M. de Buffon , nous fait voir qu'on pourroit conftruire des tours brûlantes ^ ou des amphithéâtres chargés de mi- roirs 5 qui produiroient un feu dont la violence n'auroit pour ainfi dire d'au» très limites que celles qu'a le Soleil même. §. XVL Eleclricité. Que dirons -nous de cet autre feu caché dans tous les corps , qu'on a eu dans ces derniers temps Fadreffe d'y découvrir , d'en tirer 5 &deraffembler Dd iv 424 Lettre sur le progrès pour ainfi dire là où l'on veut , pour lui faire faire tous ces prodiges qu'on voit dans les expériences de l'éleftri- cité ? Ces expériences font fi merveil- ieufes , les événemens ont fi peu de rapport avec les préparatifs , que nous ne (avons quelle route propofer pour les fuivre , ni que prefcrire fur une matière auffi délicate & auffi nouvelle. Tout ce qu'on peut faire maintenant , c'eft d'accumuler le plus qu'on pourra d'ex- périences. Fuiîent - elles faites au ha- fard .^ elles pourront répandre du jour fiir cette Phyfique. Parmi tous les phénomènes de Fé- leftricité il fera difficile d'en trouver un auffi merveilleux que celui que M. Franklin a découvert , s'il efl: vrai que ce nouveau Promethée ait appris à tirer le feu du Ciel , à faire tomber fur la Terre la foudre en gouttes impercep- tibles. A peine les premiers miracles de l'é- leftricité étoient-ils découverts , qu'on voulut par eux accélérer la végétation des plantes , faire pafler les vertus d'un médicament dans nos corps , guérir les DES Sciences. 425 paralytiques: quelques-uns crurent y être parvenus. Il ne paroît pas que les effets ayent répondu à ce qu'on avoit annonce. L'admiration & le tranfport que caufent des chofes auffi furpre- nantes , ou le defîr de les faire encore plus valoir en les appliquant à ce qui nous intéteffe le plus , peuvent excu- fer cette précipitation : mais n'efl: - ce pas nous procurer d'affez grandes uti- lités 5 que d'augmenter nos connoif- fances , & d'humilier notre efprit } Il eft encore un autre feu dans les Cieux 5 plus paifible & plus rare dans ces contrées ; je parle de ce feu ou de cette lumière connue fous le nom d'au- rore boréale. Nous ne fommes pas peut- être placés avantageufement pour faire des expériences fur cette lumière , que nous ne voyons guère ici qu'affez peu élevée fur l'horizon : mais on en pour- roit tenter dans ces régions qu'il fem- ble qu'elle inonde , dans ces heux voi- fins du pôle où elle' paroît au zénith , (& où on la voit embraffer tout l'hé- mifphere. On pourroit effayer d'exer- cer fur cette matière le même pouvoir 4i6 Lettre sur le progrès qu'on exerce fur la foudre , avec la- quelle elle a peut-être affez d'affinité. Je recommanderois ces expériences aux habitans de ces contrées que j'ai vues , aux habitans de Torneo & de Pello qui jouilTent du fpetlacle de ^e mer- veilleux phénomène toutes les nuits où la férénité du Ciel leur permet de Fappercevoir, §. XVII. Expériences métaphyjiques. Les expériences précédentes ne re- gardent que les corps : il en eft d'autres à faire fur les efprits , plus curieufes encore & plus intéreffantes. Le fommeil eft une partie de notre être , le plus fouvent en pure perte pour nous : quelquefois pourtant les fonges rendent cet état auffi vif que la veille. Ne pourroit-on point trou- ver l'art de procurer de ces fonges ? L'opium remplit d'ordinaire l'efprit d'images agréables ; on raconte de plus grandes merveilles encore de cer- tains breuvages des Indes : ne pourroit- on pas faire fur cela des expériences ? N'y auroit - il pas encore d'autres DES Sciences. 427 moyens de modifier l'ame , foit dans les temps où elle eft abfolument privée du commerce des objets extérieurs , foit dans les inftans où ce commerce eft affoibli fans être entièrement inter- rompu ? Dans ces momens qui n'appartiens nent ni à la veille ni au fommeii , où la plus légère cîrconftance change l'état de Famé , où elle {ent encore & ne raifonne plus , ne pourroit - on pas lui caufer des illufîons qui répandroient peut-être du jour fur la manière dont elle eft unie au corps ? Nos expériences ordinaires commen- cent par les fens , c'eft-à-dire par les extrémités de ces filets merveilleux qui portent leurs impreffions au cerveau. Des expériences qui partiroient de l'ori- gine de ces filets , faites fur le cer- veau même , feroient vraifemblable- ment plus inftruftives. Des blefiures fingulieres en ont fourni quelques- unes 'y mais il ne femble pas qu'on ait beaucoup profité de ces occafions rares: & Ton auroit plus de moyens de pouf^ fer les expériences , fi l'on y faifoit 428 Lettre sur le progrès fervir ces hommes condamnés à une mort douloureufe & certaine _, pour qui elles feroient une efpece de grâce. On trouveroit peut-être par là le moyen , s'il en ell quelqu'un , de guérir les fous. On verroit peut-être des conftruc- tions de cerveau bien différentes des nôtres , fi l'on pouvoit avoir quelque commerce avec ces Géants des terres auftrales , ou avec ces hommes velus portant des queues ^ dont nous avons parlé. On voit affez en général comment les Langues fe font formées. Des be- foins mutuels entre des hommes qui avoient les mêmes organes ont produit des fignes communs pour fe les faire comprendre. Mais les différences ex- trêmes qu'on trouve aujourd'hui dans ces manières de s'exprimer viennent- elles des altérations que chaque père de famille a introduites dans une Lan- gue d'abord commune à tous ? ou ces manières de s'exprimer ont - elles été originairement différentes ? Deux ou trois enfans élevés enfemble dès le DES Sciences. 429 plus bas âge , fans aucun commerce avec les autres hommes , fe feroient affurément une Langue , quelque bor- née qu'elle fût. Ce feroit une chofe capable d'apporter de grandes lumières fur la queftion précédente , que d'ob- ferver fi cette nouvelle Langue reffem- bleroit à quelqu'une de celles qu'on parle aujourd'hui -, & de voir avec la- quelle elle paroîtroit avoir le plus de conformité. Pour que l'expérience fût complette , il faudroit former plufieurs fociétés pareilles , & les former d'en- fans de différentes nations , & dont les parens parlaffent les Langues les plus différentes 5 car la naiffance eft déjà une efpece d'éducation ; voir fi les Langues de ces différentes fociétés auroient quelque chofe de commun , & à quel point elles fe reffemibleroient. Il faudroit fur-tout éviter que ces petits peuples appriffent aucune autre Lan- gue j & faire en forte que ceux qui s'appliqueroient à cette recherche ap- priffent la leur. Cette expérience ne fe borneroit pas à nous inftruire fur l'origine dqs Lan- 430 Lettre sur le progrès gués ; elle pourroit nous apprendre bien d'autres chofes fur l'origine des idées mêmes , & fur les notions fon- damentales de l'efprit humain. Il y a affez long - temps que nous écoutons des Phiiofophes , dont la fcience n'eft qu'une habitude & un certain pli de l'efprit , fans que nous en foyons de- venus plus habiles : des Phiiofophes naturels nous inftruiroient peut - être mieux ; ils nous donneroient du moins leurs connoiffances fans les avoir fo- phifliquées. Après tant de fiecles écoulés , pen- dans lefquels , malgré les efforts des plus grands hommes , nos connoiffan- ces métaphysiques n'ont pas fait le moindre progrès , il eff à croire que s'il efl: dans la Nature qu'elles en puif- fent faire quelqu'un , ce ne fauroit être que par des moyens nouveaux & auffi extraordinaires que ceux-ci. §. XVÎII. Recherches à interdire. Après vous avoir parlé de ce qu'on pourroit faire pour le progrès des Scien- ces ^ je dirai un mot de ce qu'il feroit DES Sciences. 431 peut-être auffi à propos d'empêcher. Un grand nombre de gens deftitués des connoiffances néceffaires pour juger des moyens & du but de ce qu'ils en- treprennent , mais flattés par des ré- compenfes imaginaires , paffent leur vie fur trois problèmes , qui font les chimères des Sciences ; je parle de la pierre philofophale , de la quadrature du cercle &: du mouvement perpétuel. Les Académies favent le tem.ps qu'elles per- dent à examiner les prétendues décou- vertes de ces pauvres gens : mais ce n'eft rien au prix de celui qu'ils per- dent eux-mêmes , de la dépenfe qu'ils font 5 & des peines qu'ils fe donnent. On pourroit leur défendre la recher- che de la pierre philofophale comme leur ruine , les avertir que la quadra- ture du cercle poulTée au delà de ce qu'on a feroit inutile , & qu'il n'v a aucune récompenfe promife à celui qui la trouveroit : & les affurer que le mouvement perpétuel eil impoffible. Fin du Tome fécond. T A B L DES OUVRAGE S CONTENUS DANS CE VOLUME. PREMIERE PARTIE. SUR L'ORIGINE DES ANIMAUX Ch AP. I, r^ Xpojition de cet Ouvrage], page 3 Chap, il Syjîeme des anciens fur là génération , i O Chap. IIL Syjlémedes œufs contenant le fœtus , 12 Chap. IV. Syftéme des animaux fperma- tiques , 21 Ghap. V, Syfléme mixte des œufs & des animaux fpermatiques , 30 (Suv. de Maup. ToiUo II, Ee TABLE. ChaP. VI. Ohfervations favorables & contraires aux œufs , 3 2 Ch AP. VIL Expériences de Harvey ^36 Chap. VÎIL Sentiment de Harvey fur la génération , 4^ Chap. IX. Tentatives pour accorder ces ohfervations avec lefyjîême des œujs^ 46 Chap. X. Tentatives pour accorder ces ohfervations avec le fyjlême des ani- maux Jpermatiaues 5 48 Chap. XL Variétés dans les animaux ^ 5 i Chap. XIL Réflexions fur les fyfîêmes de développemens ^ 64 Chap. XIIL Raifons qui prouvent que le fœtus participe également du père & de la mère , 6 S Chap. XIV. Syfiéme furies monflres ^ 7 1 Chap. XV. Des accidens caufés par r imagination des mères , yj Chap. XVL Difficultés fur les fyjlémes des œuf , & des animaux fpermati^ ques y 80 Chap. XVII. Conjectures fur la forma- tion du fœtus y 8 j Chap. XVIIL Conjechires fur Tufage des animaux fpermatiques ^ 94 TABLE. " I I I. . ■■ I . II. ,„, ul .1 II- I I I g SECONDE PARTIE. VARIÉTÉS DANS L'ESPECE HUMAINE. Chap, I. J~^ Iflrihution des diféren^ M..^ tes races d'hommes félon les différentes parties de la Terre , 97 Chap. il Explication du phénomène des différentes couleurs dans les fyjièmes des œufs & des vers , 106 Chap. III. P roduciions de nouvelles efpe- ces y 108 Chap. IV. Des Negres-blancs , 1 1 j Chap. V. Effai d"* explication des phéno- mènes précédens , 1 1 c^ Chap. VI. Qu'il ejl beaucoup plus rare^ qiiil naiffe des enfans noirs de parens blancs y que de voir naître des enfans blancs de parens noirs. Que les pre- miers parens du genre humain étoient blancs. Difficulté fur U origine des Noirs levée , 1 2 5 Chap. VIL Conjectures pourquoi les Noirs ne fe trouvent que dans la ^om îorride , & les Nains & les Géants ycrs les pôles ^ 129 Ee ij T A B L E. Chap. dernier. Conclujion de cet ou- vrage : doutes & quejlions y 130 SYSTÈME DE LA NATURE. VeRTI s SEMENT^ I37 Ejfai fur la formation des corps orga- nifés y 13^ .Réponfe aux objections de M. Diderot , 185 E T T R E S. VeRTI S SEMENT^ 21^ Lettre I, 221 îî . Sur le fouvenir & la prêvijîon , 2 2 2 IIL Sur le bonheur y 22 y IV. Sur la manière dont nous apperce^ vons j 228 V. Sur Came des bêtes , 242 VI. Du droit fur les bêtes y 253 W\. Sur les fyfîêmes y 257 VIII. Sur les monades ^ z6i IX, Sur la nature des corps , 264 T A B L E. X. Sur les lolx du mouvement , p. ijo XI. Sur ce qui s^ejl pajfé à Voccafion du principe de la moindre quantité d'action , 275 XII. Sur r attraction , 284 XIII. Sur la figure de la Terre , 289 XIV. Sur la génération des animaux ^z^^ XV. Sur la Médecine y 314 XVI. Sur la Maladie y 321 XVII. Sur la Religion _, 326 XVIII. Sur la Divination , 330 XIX. Sur l'art de prolonger la vie , 339 XX. Sur la pierre philojophale , 3 46 XXI. Sur la Longitude , 3 j O XXII. Sur le Mouvement perpétuel y 357 XXIII. Sur la quadrature du Cercle 5 365 LETTRE SUR LE PROGRÈS DES SCIENCES, _^ P^S^ 375 $ i* J. Erres aufirales ^ 378 § 2. Patagons , 38(3 S 3 • P^Jf^S^ P^^ ^^ Nord^ 388 TABLE. § 4. Ohfervations fur les variations de t aimant , 592 § 5. Continent de V Afrique > 3C)j § 6. Pyramides & Cavités y 3^5 ^ 7, Collège des Sciences étrangères y 30)8 § 8. /^i//^ latine ^ 30^9 ^ ^, Aflronomie y 400 §10. Parallaxe de la Lune , &fon ufage pour connoitre la figure de la Terre^^o^ § 1 1. Utilités dufupplice des criminels , 407 § 1 2. Ohfervations fur la Médecine ,413 §13. Expériences fur les animaux ^ 417 §14. Ohfervations microfcopiques ^ 422 §15. Miroirs hrûlans , ibid. § 1 6. Electricité , 423 §17, Expériences métaphyfiques ^ 416 § 1 8. Recherches à interdire , 430 Fin de la Table du Tome fécond. 'C^ M / "^S^k-^BPSPr' '^ y> ■