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PAR ALGIDE D'ORBICNY, CHEVALIER DE L'ORDRE ROYAL DE LA LÉGION D'HONNEUR, OFFICIER DE LA LÉGION D'HONNEUR DE LA RÉPUBLIQUE BOLIVIENNE, MEMBRE DE PLUSIEURS ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS SAVANTES NATIONALES ET ÉTRANGÈRES. (uvrage dé au Pot et publié sous Les auspices de SM. Le Sinistre de l’Instruction publique (commencé sous M. Guizor). TOME QUATRIÈME. PARIS, CHEZ PITOIS-LEVRAULT ET C., LIBRAIRES-ÉDITEURS, RUE DE LA HARPE, N.° 81; STRASBOURG, CHEZ V: LEVRAULT, RUE DES JUIFS, N.° 33. ALGER OUEN 1 tt RAR un ELLE LL LL: . A EC L 1 | 1 | daté HN . dom | Le MMÉTRTÉ 0 M0 oo . | AN Ld RAT, LR CHERE CR Ah 15 IMPARE PUR 2ILI LA Va | NE Re ne | CAMGRIDGE. MA USA ne Qi TAGS 1 SN Le | 1 PARTIE HISTORIQUE DU VOYAGE L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE, ALCIDE D'ORBIGNY. F699: l CR D L e Rues L'HOMME AMERICAIN de l'Amérique méridionale |. | CONSIDÉRÉ NOUS NES RAPPORTS PHYMIOLOGIQUES ET MORAUX: ALCIDE D'ORBIGNY. TS 4 © —— 16361899; és VAT NS + Dé ae il Le lé À D -g,ps{rtet 1 +. e fl sir NH pr Au rh = ” | . je A re sa + "1 de see A cute y defa ES a. à e Le à ; r PRE EEE d: -. # 1 M Le: , ». T: ñ » L 4 [2 Fe. U e . . 2: , ay d' ral eo sé ou as "134 CAL VOYAGE DANS L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE. RAAAAAAA AAA RAAAAA RAA AAA RAA AAA AAA AAA RAA RAA RAA RAA AAA AAA ANA RAA AA AAARARAARAA AAA RAARAARAAAAAAAAAAAAAAAAA AAA AAA AM AAA L'HOMME AMÉRICAIN. INTRODUCTION. Los l'Administration du Muséum d'histoire naturelle voulut bien jeter Homme les yeux sur nous et nous proposer de faire, dans l'intérêt des sciences, un “Es voyage dans l'Amérique méridionale, nous acceptâmes cette proposition avec —— d'autant plus d’empressement qu’elle nous mettait à portée de réaliser un projet conçu et médité depuis long-temps et à l’exécution duquel nous nous préparions depuis plusieurs années. Nous sentions que notre étude spéciale, celle des 4nimaux mollusques et rayonnés, à laquelle nous nous étions livré, après avoir étudié les autres branches de la zoologie, ne pouvait nous suflire dans une semblable circon- stance; et que, pour tirer tout le parti possible d'un voyage à l'entière réus- site duquel nous étions disposé à consacrer le temps convenable, en y vouant, au besoin , toute notre existence, nous devions embrasser non-seulement len- semble de la zoologie et de la botanique, mais encore plusieurs autres sciences qui s’y rattachent intimement. La géographie, par exemple, des plus indispen- sable à toutes recherches d'histoire naturelle, une fois que nous aurions acquis une connaissance entière de la configuration des pays que nous avions à par- courir, nous permettrait d'étudier, sous tous leurs points de vue, les effets, les causes des grandes lois et des modifications de distribution des êtres, sur les- quelles la composition et les accidens géologiques n’ont pas une moindre influence. Nous avons demandé encore une année avant de partir pour ce IV. Homme. 2 Homme iméri- (1 in, (ij) voyage, afin de nous livrer à de nouvelles études et d'acquérir de nouveaux moyens d'observation, pour remplir une si honorable mission dans toute l'étendue que lui donnait notre pensée, Cependant la zoologie, ses applica- tions et ses dépendances, devaient tenir le premier rang dans nos recherches ; ainsi, tout naturellement, FHouwe, le plus parfait des êtres, demandait des observations d'autant plus spéciales, qu'alors (en 4825) l'immortel Cuvier’, regardant encore les peuples américains comme trop peu connus pour se croire autorisé à les faire entrer dans lune de ses trois grandes races, les laissait tout à fait en dehors. On peut même le dire; on n'avait encore de notions exactes sur les habitans du nouveau monde, ils n’avaient encore été envisagés sous un véritable point de vue philosophique que dans les savantes publications de M. le baron Alexandre de Humboldt*? ; malheureusement, cet illustre voyageur ayant parcouru seulement lextrémité nord de Amérique méridionale, que nous étions appelé à visiter, tout le reste de ce vaste conti- nent et surtout les parties australes, restaient presqu'entièrement inconnus sous ce rapport; car Azara”, le seul auteur qui en eût parlé comme observateur, wa décrit que les naturels du Paraguay ou du voisinage de cette contrée, sans en approfondir le langage ni les caractères physiologiques. Une partie du Brésil, les vastes Pampas du Sud de la république Argentine, les montagnes du Chili, les plateaux des Andes boliviennes, leurs versans orientaux, ainsi que toutes les plaines et collines des provinces de Moxos et Chiquitos, au centre de l'Amérique méridionale , restaient toujours vierges d'observations immédiates et précises, propres à jeter quelques lumières sur ce chaos de nations souvent nominales, dont le nombre, croissant chaque jour par la corruption de Porthographe, devenait, de plus en plus, difficile à débrouiller. Nous communiquämes notre projet à MM. Cuvier et de Humboldt, qui, appréciant toute l'importance d'observations dirigées dans ce but, vou- lurent bien nous honorer de leurs conseils. Nous obtinmes plusieurs confé- rences avec le premier de ces savans, qui nous accordait quelqu’estime, et nous dûmes à la protection toute particulière que M. de Humboldt à tou- jours accordée aux personnes qui cherchent à être utiles aux sciences, de pré- cieuses instructions sur ce sujet, comme sur la géographie américaine. C’est dans le but de réaliser nos projets et de répondre aux diverses questions qui mnt 1. Règne animal, t. 1, p. 84, nouv. édit. Ainsi en 1829, il pensait encore de même. 2. Voyage aux régions équinoxiales du nouveau monde. 3. Voyage dans l'Amérique méridionale, t. IL. (üij) nous étaient posées, qu'au commencement de 1826 nous avons abandonné Homme le sol européen. F4 Nous avons touché le continent d'Amérique à Rio de Janeiro. La guerre avec la république Argentine ayant forcé d’augmenter les troupes, cette circonstance nous mit à portée de voir réunis un assez grand nombre de Guaranis, habi- tans primitifs de la capitale du Brésil, et de les comparer à quelques Boto- cudos amenés captifs des parties plus septentrionales ; mais le Brésil, exploré par des savans de toutes les nations, ne nous eût offert qu’à glaner sur les traces de MM. Auguste Saint-Hilaire, Spix et Martius, le prince Maximilien de Neuwied, etc. Nous labandonnâmes donc pour nous rendre à Montevideo, à l'embouchure de la Plata, et de là à Buenos-AÂyres, où nous avons vu les premiers Araucanos des Pampas, vaincus dans une rencontre avec les Argentins. Ce n’était pas au sein des capitales que nous devions observer l’homme du nouveau monde, et que nous pouvions nous occuper de recherches fruc- tueuses sur les autres parties de la science; en conséquence , nous avons remonté le Parana jusqu'aux frontières du Paraguay, afin de voir, chez elles, quel- ques-unes des nations décrites par Azara et de les observer avec soin. À Corrientes, où nous avions fixé notre centre d'observations, ainsi qu’au Para- guay et aux Missions, on ne parle, presque partout, que le guarani ; aussi, un séjour de près d’une année nous mit-il à portée de prendre, de cette langue, une connaissance assez étendue pour la reconnaître dans tous les lieux où nous la retrouverions ultérieurement; connaissance qui devait plus tard nous permettre de découvrir les migrations éloignées de cette nation, et éclaircir, pour nous, beaucoup de points douteux de histoire de homme du continent méridional. Sur les restes des célèbres établissemens des Jésuites, qui ont motivé tant d’écrits plus exagérés que vrais, le voyage de M. de Humboldt pour guide, nous nous plaisions à comparer ses judicieuses obser- vations relatives à l’indigene des Missions de lOrénoque, avecle Guarani, placé dans les mêmes conditions; nous retrouvions, en tout, le même état social, les mêmes modifications de coutumes, de mœurs, de facultés morales et intel- léctuelles ; mais, quel ne fut pas notre étonnement, lorsque cette comparaison nous démontra que des mots évidemment guaranis, qui ne pouvaient avoir été communiqués que par le contact, se trouvaient au nombre des mots cités par le savant voyageur, dans les langues des nations Caribes, Omaguas, Maïpures, Tamanaques, Parenis et Chaïmas, de l’Orénoque et de Cumana ! Il en fallait conclure que les Guaranis s'étaient étendus sur presque toute la Homme améri- cain. (iv) longueur de l'Amérique méridionale; observation qui nous parut des plus curieuse, et nous nous promimes dès-lors de pousser plus loin ce genre de recherches, à notre retour en Europe. Nous étudiàèmes scrupuleusement la nation guarani, ses mélanges avec la race blanche et la race africaine; nous visitämes les fiers T'obas et les Len- guas du grand Chaco, dont les traits, la couleur, les mœurs sont si diffé- rens de ceux des Guaranis ; puis, revenant sur nos pas vers Buenos-Ayres, nous pümes observer les restes de la grande nation des Æbipones, ainsi que les Abocobis, guerriers des plaines occidentales du Rio Parana, près de Santa-Fe. Nous avions déjà constaté de grandes différences entre ces nations; néanmoins nous voulions poursuivre nos observations, avant d’asseoir notre jugement. C’est dans ce but, autant que dans l'intérêt de nos autres recherches, que, malgré des obstacles de tous genres, nous nous sommes décidé à nous aller établir en Patagonie, sur les rives du Rio negro, où nous savions devoir rencontrer toutes les nations australes ; d’ailleurs, il s'agissait aussi de résoudre la fameuse question des grands et des petits Patagons, et cette tâche était assez importante pour nous déterminer. Entouré, huit mois, de tribus des Patagons, des Puelches, des Arauca- nos et même de quelques Fuégiens, amenés, par les Patagons, des rives du détroit de Magellan , nous avons pu les observer tous comparativement non- seulement au physique, mais encore dans leurs mœurs, dans leurs coutumes, dans leur religion; recueillir, sur leurs langues respectives, des notions tres- étendues et former des vocabulaires de leurs termes usuels. Tout le temps que nous ne passions pas en excursions était employé à réunir chez nous ou à visiter chez elles, ces diverses nations, à les questionner au moyen de bons interprètes; car nous nous étions aperçu déjà que des observations superfi- cielles ou faites trop à la hâte, nuisent à la science plus qu’elles ne la servent; aussi nous croyons pouvoir assurer, sans rien hasarder, que lorsque nous avons quitté la Patagonie, pour retourner à Buenos-AÂyres, nous connaissions assez à fond les nations australes, pour nous trouver à portée d’éclaircir un point important de discussion sur l’homme. Avant de passer sur les rives du grand Océan, nous retournâmes à Mon- tevideo, où nous avons observé un assez grand nombre de Charruas, qui s'étaient incorporés dans l’armée des Indépendans; de ces Charruas guerriers, qui, de même que les nations que nous venions de visiter, se sont toujours fait décimer par les armes espagnoles, plutôt que de perdre leur liberté sauvage; puis, doublant le cap Horn, nous allâmes au Chili, continuer (sr) nos observations; mais, comme là nous ne trouvions que les Araucanos, avec lesquels nous avions vécu assez long-temps sur la côte orientale du continent, nous nous embarquâmes et nous arrêtâmes à Cobija, pour étudier les Indiens pêcheurs Changos, des rives du désert d'Atacama; puis, passant promptement au Pérou ou gravissant la pente occidentale des Andes, nous nous rendimes sur les plateaux élevés de la Bolivia, afin d’y observer la nation Aymara, dont les vastes monumens annoncent l'antique civilisation. Près de ces ruines colossales , dans les reliefs symboliques de leurs portiques, nous crûmes reconnaître le berceau du culte et de la monarchie des Incas : c'était, au reste, la première fois que l’histoire nous était nécessaire pour expliquer des faits; c'était la première fois que, dans les cérémonies de la religion catholique, professée par ces indigènes, nous devions rechercher des traces des anciennes croyances. Après plusieurs mois de séjour parmi les Aymaras des plateaux des Andes, nous allâmes les retrouver encore sur le versant oriental de la chaîne, dans les provinces de Yungas et de Sicasica. Bientôt nous quittâmes cette nation pour passer dans la province d’'Ayu- paya, au sein de celle des Quichuas, la même qui peuple le Cuzco, où les Incas avaient le siège de leur gouvernement : nous létudiämes successivement dans plusieurs villages; puis, descendant au milieu de la vallée de Cocha- bamba, nous trouvâmes là partout la langue quichua, devenue Pidiome du pays, même au sein des villes, comme nous avions vu, dans PAymara , la langue usuelle de la Paz et des campagnes environnantes. Nous aimions à retrouver encore, dans les provinces de Cochabamba, de Clisa et de Misque, les hommes soumis jadis aux Incas, dans leurs cabanes en tout semblables à ce qu'elles étaient avant la conquête, avec des mœurs si peu différentes de celles qui lui étaient antérieures. À mesure que nous descendions sur le versant oriental des Andes, vers ses derniers contreforts, les traces des Quichuas disparaissaient par le mélange avec les Espagnols, et bientôt nous n’en rencontrâmes aucun vestige, dans les plaines chaudes et humides de Santa-Cruz de la Sierra. À notre arrivée dans la capitale de cette province, nous fûmes frappé de la grande ressemblance que nous remarquions entre ses habitans et ceux de la frontière du Paraguay. Même accent dans leur parler espagnol, même tournure, même ensemble de belles formes, de traits agréables et caractéristiques. Nous nous demandions 8 encore quelle pouvait être la cause de ces rapports si intimes, lorsque nous rencontrâmes un Indien chiriguano, dont les traits nous rappelèrent les Gua- ranis de Corrientes : nous lui parlâmes en cette langue, et nous aperçûmes Homme améri- cain. (xj) Homme qu'en effet il appartenait à cette nation; dès-lors nous nous expliquämes faci- améri- vain. lement la ressemblance des habitans de ces deux localités éloignées. Nous étudièmes de nouveau les Guaranis à Porongo, à Bibosi; nous reconnûmes, dans cette dernière Mission, que les sauvages Szrionos des forêts du Nord sont encore une tribu de cette grande nation, ainsi que la nombreuse population des Chiriguanos. Nous retrouvions donc, au pied des Andes, non-seulement des Guaranis, provenant de migrations très-anciennes, mais encore ceux qui, en 1541, traversèrent le grand Chaco, pour venir habiter ces contrées. Nous étions déjà au sein des plaines du centre de PAmérique ; nous avions, au Nord, la vaste province de Moxos, à PEst celle de Chiquitos, habitées seulement par des indigènes ; c'était un bien beau champ d’obser- vations pour l'étude de homme. Nous voulûmes, en conséquence, y con- sacrer tout le temps convenable, pour nous rendre un compte exact des nations, de leurs caractères physiologiques et moraux. Leur étude, jointe aux grandes distances à parcourir, malgré les obstacles naturels, nous occupa dix- huit mois, pendant lesquels, à exception d’une couple d'employés par Mis- sion, nous ne vimes que des Américains de race pure, que les Jésuites avaient convertis au christianisme. Nous commençämes par Chiquitos, que nous avons parcouru jusqu'aux rives du Rio Paraguay et aux frontières du Brésil. Là, secondé par M. le gouverneur Don Marcelino de la Peña, que nous nous plaisons à nommer ici, ainsi que par les curés, non-seulement nous avons pu faire toutes les observations qui nous convenaient, mais encore nous avons obtenu les ren- seignemens les plus certains, les plus curieux, sur le mouvement de la popu- lation, sur la statistique indigène de cette partie du monde. Après avoir visité toutes les Missions, interrogé soigneusement les tribus qui composent chacune d'elles, nous reconnûmes que la masse de la population appartenait à la nation des Chiquitos ; mais la différence des langues nous fit encore recon- naître évidemment dix autres nations distinctes : les Samucus, les Payconé- cas, les Saravécas, les Otukes, les Curuminacas, les Curares, les Covarécas, les Corabécas, les Tapis et les Curucanécas, sur lesquelles nous avons recueilli avec soin toutes les notions qu’il nous a été possible d'obtenir. Pour aller de la province de Chiquitos à celle de Moxos, nous avions à traverser près de cent lieues de forêts : au sein de cette belle végétation nous rencontrâämes plusieurs hameaux d’indigènes, presqu’à leur état primitif; mais quel ne fut pas notre étonnement, quand, à la première parole que lun d’eux pr'ononça, nous reconnûümes encore des Guaranis, qui vivent en ces lieux, | (vi) sous le nom de Guarayos! Nous avions donc retrouvé, depuis la Plata jus- nomme qu'au 15.° degré sud , et en longitude, depuis les rives de locéan atlantique 4 jusqu’au pied des Andes boliviennes, cette nation, si peu connue en Europe! —— Ayant reconnu que les Guarayos avaient en tout conservé leur religion , leurs mœurs primitives, nous voulümes les étudier à fond; nous passämes un mois et plus parmi eux, témoin de leurs cérémonies religieuses, à portée d'observer leurs habitudes tout à fait patriarchales, et nous identifiant d'autant plus facilement avec eux, que nous entendions un peu leur langage. Nous arrivâmes ensuite à Moxos, où, toujours en pirogue, en voyage et dans les villages avec les indigènes, nous les avons étudiés successivement dans tous les détails de leurs mœurs, de leurs coutumes, recueillant les mêmes ren- seignemens statistiques que pour la province de Chiquitos, et recherchant, par la comparaison des langues et des traits, les différences, les rapports entre les nations. Après un assez long séjour, nous avons distingué huit langues tout à fait différentes, parlées par autant de nations : les Moxos, avec leur tribu des Baures, formant à peu près la moitié de la population de la province; puis les Chapacuras, les Itonamas, les Canichanas, les Movimas , les Cayuvavas, les Pacaguaras et les Iténès, vivant séparés les uns des autres, sans mélange, depuis des siècles, et conservant ainsi, chacun, son caractère national. Entre les plaines inondées de Moxos et les plateaux élevés de la Bolivia, vivent, à ce que nous apprimes , quelques nations indigènes, qui, d’après les Maropas, venus à Moxos pendant notre séjour, nous parurent distinctes de celles des plaines. Nous savions d’ailleurs combien la géographie, la zoologie et la botanique de ces contrées encore vierges, pouvaient être importantes. Nous remontâmes donc le Rio Chaparé, jusqu'au pied des dernières mon- tagnes , où, dans les plus belles forêts du monde, nous rencontrâmes la nation Yuracares, lune des plus curieuses à observer, autant par ses caractères phy- siologiques que par la rudesse de ses mœurs sauvages, par sa complète indé- pendance, par la complication de sa mythologie. Nous Pétudiâmes quelque temps; puis, gravissant la Cordillère orientale jusqu’à Cochabamba, pour redescendre dans une autre direction, nous foulâmes le premier une terre inconnue, afin d'arriver encore parmi d’autres tribus sauvages des Yuracarès. Dans ce dernier voyage nous avons aussi rencontré des indigènes Mocéténes, habitant au milieu des plus affreux précipices des contreforts des Andes. Chez ces derniers Yuracarès nous nous fimes construire une pirogue, et nous nous embarquâmes pour revenir à Moxos, d’où, avec des indigènes de cette province, nous remontâmes le Rio Piray, pour gagner Santa-Cruz de Homme améri- ain. ( vi) la Sierra. Ayant terminé, non sans peine, nos observations au centre du continent, nous ne pensâmes plus qu'à gravir de nouveau les montagnes, nous proposant de suivre nos recherches sur les parties de la Bolivia que nous ne connaissions pas encore. Nous revimes bientôt et continuâmes à étudier, dans les provinces de la Laguna, de Tomina, de Yamparais, aux environs de Chuquisaca et de Potosi, les Indiens quichuas, qui forment, avec leurs mélanges, la plus grande partie de la population de ces provinces. Nous retrou- vâmes la nation Aymara aux provinces d'Oruro, de Carangas, de Sicasica , de la Paz, ainsi que sur les rives du lac de Titicaca. Nous reprimes nos recherches sur ses antiquités, sur son état actuel; enfin, après avoir observé les indigènes à Islay et aux environs de Lima, nous nous embarquâmes pour la France, emportant le produit de huit années de recherches et dobser- vations. , Chaque nation avait été étudiée avec une scrupuleuse attention dans tous ses caractères physiologiques, dans les plus petits détails de ses mœurs , de ses coutumes, de sa religion, de son langage; dans les modifications apportées à son état primitif par la civilisation. Nous lavions revue plusieurs fois com- parativement avec celles qui Pentourent, afin de juger de ses différences caractéristiques ; nous avons recueilli, sur chacune, assez de renseigne- mens pour la bien faire connaître; nous avions, enfin, observé l’homme sous toutes les températures, sous toutes les latitudes, à tous les degrés d’élévation sur les montagnes ; au milieu de la plus riche végétation du monde, comme au sein des déserts les plus stériles. Éclairées par la comparaison, nos idées, d'abord confuses, avaient peu à peu classé ces faits isolés, en les groupant suivant leur plus ou moins d'analogie. Nous avions commencé dès-lors à distinguer chaque groupe de formes, de traits, de teintes; trouvé les points où vient s'arrêter chaque grande division, basée sur les caractères physiolo- giques; établi des subdivisions, toujours en rapport avec la composition géographique des lieux. I nous avait été facile de juger que, pour une question aussi délicate que celle de l'homme, on avait peut-être marché beaucoup trop vite, et qu’elle demandait, au contraire, plus que toute autre, des faits exacts, dont la réunion , l'ensemble, permettrait un jour de classer l’homme non plus d’une manière arbitraire, mais d’après des déductions rigoureusement tirées d’un grand nombre observations faites dans un but aussi philosophique que zoologique. Nous sommes loin, d'après ce que nous avons vu, d’avoir la prétention de connaître les hommes décrits par d’autres observateurs, sur (ix) celles des contrées américaines qui nous sont inconnues; nous sommes loin de nomme vouloir décider qu'ils appartiennent positivement à telle ou telle de nos 2. divisions, et de vouloir les faire entrer dans nos groupes, ce qui aurait le désavantage de mêler aux faits dont nous pouvons répondre et dont lobser- vation nous est personnelle, des faits empruntés à des ouvrages étrangers, dont nous ne pouvons garantir lexactitude; aussi nous sommes-nous déter- miné à ne comprendre, dans le travail sur lPespèce humaine, que nous méditions depuis notre retour en France, que les fuits recueillis pendant notre voyage, sans négliger néanmoins de suivre chacune des nations obser- vées dans son extension accidentelle, en dehors des limites géographiques que nous avons parcourues; car une telle suite est indispensable à l'ensemble de sa description, de son histoire. Résolu à nous borner à nos observations personnelles, nous ne pouvions cependant leur refuser un complément indispensable. Nous avons pu, sur les lieux, étudier les nations dans leur état actuel; recueillir des notions pré- cieuses sur beaucoup de points de leur histoire, de leur état à époque de la conquête, de leurs migrations ; mais, pour plusieurs d’entrelles , ces rensei- gnemens nous manquant totalement ou se trouvant altérés par les traditions, il nous devenait indispensable de relever tout ce qui a été écrit sur les pre- miers temps de la découverte du nouveau monde, afin de comparer Pétat primitif à l’état moderne, et de constater les modifications apportées par le contact de la civilisation ; les rapports historiques qui peuvent concorder avec les monumens existans ; les faits qui permettent de suivre, d’une manière certaine, les migrations lointaines des nations. Il nous devenait indispen- sable aussi de consulter tous les auteurs plus modernes, qui ont parlé de ces mêmes hommes, afin de détruire les idées fausses qu'ils ont pu en donner ou de les confirmer, lorsqu'ils se sont renfermés dans les limites de la vérité. Quelqu'étendues que fussent ces recherches, nous ne nous en sommes pas effrayé : la connaissance des langues importées de notre Europe au nouveau monde, espagnol et le portugais, dans lesquelles sont écrits la plupart de ces ouvrages, nous facilitait ce travail; nous avions d’ailleurs rapporté d'Amé- rique des manuscrits historiques précieux, un grand nombre de vocabulaires et quelques-uns des principaux ouvrages des historiens espagnols ; néanmoins nos recherches seraient encore restées incomplètes, si M. Ternaux Compans, auquel Phistoire américaine doit la connaissance d’une foule de documens des plus importans, n'avait mis à notre disposition, avec une obligeance toute particulière, sa riche et précieuse collection d'ouvrages sur PAmérique ; IV. Homme. b (x) . [2 d , . lomme collection réellement unique dans son genre et sans laquelle nous w’aurions améri- cain. pu nous procurer en France plusieurs renseignemens très-rares des 15.°, 16.° et 17. siècles. Nous nous estimons heureux de pouvoir lui témoigner ici publiquement notre reconnaissance, tout en signalant sa bibliothèque comme indispensable à consulter pour toutes les personnes qui s'occupent de étude du nouveau monde. Nous devons adresser les mêmes remercimens au savant M. Evyries, à qui la géographie est redevable de tant de publications impor- tantes, pour la bonté avec laquelle il a bien voulu nous confier plusieurs des ouvrages de sa riche bibliothèque. En résumé, après avoir, pendant huit années, étudié les Américains sur leur sol; après avoir coordonné, classé méthodiquement nos observations et les avoir complétées par quatre années de recherches historiques dans les auteurs anciens et modernes ‘qui ont parlé des mêmes hommes, nous offrons comme fruit de tant délucubrations les faits que nous avons recueillis, avec les déductions générales que nos études géographiques locales nous permettent d'en tirer, Si des recherches aussi délicates, aussi pénibles, apportent quel- ques résultats nouveaux, quelques considérations importantes ; si nous indi- quons un point de vue plus spécial, sous lequel on puisse envisager l'étude de l'homme; si ensemble de ce travail, jugé utile à la science, est accueilli avec bienveillance : heureux d'avoir osé lentreprendre, trop payé de nos efforts, nous ne regretterons ni les fatigues, ni les veilles , ni le temps qu'il nous aura coûtés. PREMIÈRE PARTIE. GÉNÉRALITÉS. AAA AA MAMA CHAPITRE PREMIER. Considérations géographiques et statistiques. Classificati on. Nous ne chercherons pas à discuter les diverses méthodes appliquées à la classification de l’homme en général; car nous ne voulons nous occuper ici 1. En 1684, un anonyme le divise en quatre races, dans la première desquelles il réunit l'Américain à Européen, et à une petite partie des peuples de l’Asie et de l'Afrique. (Journal des savans, 1684, p. 133.) En 1766, Linné le divise en quatre races, selon les quatre parties du monde, séparant entiè- rement l’homme rouge de l'Amérique. (Syst. nat., ed. 12, Homo.) Gmelin, en 1788, divise l’homme, suivant sa couleur , en quatre variétés : le blanc, le basané, le noir, le cuivré, composant toutes les races américaines. (Syst. nat., ed. 13, Homo.) Buffon forme de l’homme six variétés, et laisse les Américains entièrement séparés. Herder suit le même système. (Zur Philosophie der Geschichte der Menschheit, 1. IL, p. 4 et 68.) Pownal le divise en trois races, des trois fils de Noé. Les Américains et les Mongoles sont placés entre la race blanche et la race rouge. (New collect. of voyages, t. II, p.273.) Kant, en 1788, en fait quatre variétés d’après la couleur, l’une d’elles étant consacrée à l'américaine cuivrée. (Engel, Philos. für die Welt, 1. II.) Hunter, en 1775, divise l’homme en sept variétés, au nombre desquelles l'américaine rouge reste distincte. ( Disput. de hominum varietatibus, p. 9.) Zimmermann, en 1783, reconnait quatre variétés dans le genre humain et réunit, dans la seconde, l'Asie boréale à l'Amérique. (Geographische Geschichte des Menschen, 1. 1.) Meiners, en 1793, ne forme du genre humain que deux races, la belle et la laide : la pre- mière comprend la race blanche; la seconde le reste du monde. (Grundriss der Geschichte der Menschheit.) Klügel ne trouve que quatre variétés : dans la première il réunit les peuples d'Asie, d'Europe, des parties septentrionales de l'Afrique et de PAmérique. (Encyclopädie, t. 1, p. 23.) Blumenbach , en 1795, dans un travail important, forme cinq variétés : la quatrième, composée des Américains ferrugineux , ÿ est regardée comme entièrement distincte. (De gen. hum. var. nat.) Lawrence, en 1822, publie un intéressant ouvrage, plein de recherches curieuses, et dans lequel il divise comme Blumenbach , l’homme en cinq variétés, conservant les 4méricains seuls IV. Homme. 1 Homme améri- cain. (2) Homme que de celui d’une partie de FAmérique long-temps soumise à nos investigations. améri- ain. Avant tout, néanmoins, sil nous est permis d'exprimer, en ce qui concerne dans sa quatrième. (Lectures on physiology, zoology and the natural history of man, p. 488.) Cuvier, en 1829, divise l'homme en trois races; mais laisse les Américains en dehors, sans les placer dans aucune. (Règne animal, 2. édit., t. [, p. 84.) M. Duméril, en 1806, sépare l’homme en six races, en ne composant la quatrième que d’Amé- ricains. ( Zoologie analytique. ) Maltebrun , à qui les sciences géographiques doivent de si beaux travaux, avait, dès 1816 , divisé l'homme en seize races; dans sa seizième , il laisse tous les Américains, moins ceux des parties les plus septentrionales, qu’il suppose provenir des autres continens. (Géogr. univers., Paris, 1816.) Jusqu'alors il n'avait été question que de races, de variétés parmi les hommes, et les Américains avaient été généralement considérés comme formant une section distincte des autres; mais les coupes changent de valeur. M. Virey en forme deux espèces, d’après l'angle facial; dans sa pre- mière espèce viennent, comme troisième race , les Américains ou race cuivreuse. Presque simultanément, en 1821 , deux savans ont suivi, dans leurs travaux, un système à peu près analogue, et qui, si l’on ne tient pas compte de la valeur des divisions, ont beaucoup de rapports avec celui de Maltebrun. M. Bory de Saint-Vincent sépare le genre humain en quinze espèces. Dans sa VI*, l’hyperbo- réenne , il comprend tout le nord de l'Amérique et une partie de PAsie russe; dans sa VIL, la neplunienne, il réunit les Américains de la Californie au Chili, ainsi que les Mexicains et les Péru- viens des côtes occidentales de l'Amérique , les naturels d’une partie de Madagascar et de presque toutes les iles de l'Océanie et de la Polynésie; dans sa IX, la colombique , il rassemble les habi- tans de la Floride, les Caraïbes des Antilles, les naturels d’une partie du Mexique, de la Terre- Ferme et des Guyanes; dans sa X.°, l'américaine , il place tous les habitans de l'Amérique méri- dionale, moins ceux de la partie orientale et des parties déjà citées; dans sa XI.°, la patagone, il ne conserve que les Patagons; dans sa XIV, la mélanienne , viennent se ranger les habitans de la Terre- du-Feu, ceux de Diémen et de beaucoup de points, de Formose, des Philippines, des Moluques, etc. (L'Homme, Homo , Essai zoologique sur le genre humain.) M. Desmoulins divise le genre humain en seize espèces : sa XV, la colombienne, comprend les habitans de l'Amérique du Nord, de toutes les Andes, du Chili à Cumana, et de l'archipel Caraïbe ; sa XVI, l'américaine, comprend les Guaranis, les Omaguas, dans une première race; les Botocu- dos, les Guaïcas, dans une seconde ; les Mbayas, les Charruas, dans une troisième; les Araucanos, les Puelches, les Patagons , dans une quatrième; et les Pescheraies ou les Fuégiens , dans une cinquième. Nous n’entreprendrons point de discuter ici la valeur absolue ou comparative de ces diverses classifications , l'Amérique méridionale étant la seule partie du monde dont nous ayons bien approfondi l'étude; aussi, tout en faisant remarquer que ces divisions diffèrent en tout point des nôtres, basées sur l'observation immédiate, nous croyons devoir ajouter que, sans avoir vu de près les nations qui les composent, il était tout à fait impossible de tirer quelque parti avan- tageux de la multitude des écrits publiés sur les Américains par les auteurs anciens et modernes; écrits présentant souvent des contradictions qui ne sont qu’apparentes, et cette observation explique, mieux que tout ce que nous pourrions dire, les grandes dissemblances de classification. M. Garnot, en 1837, dans son article Homme du Dictionnaire d'histoire naturelle, in-4., divise, comme Cuvier, les hommes en trois races, tout en réunissant les Américains à la race jaune ou mongolique. (3) la délimitation des êtres, une opinion fondée sur vingt années d’observations Homme améri- cain. immédiates et de recherches relatives aux différentes branches de la zoologie maritime et terrestre; recherches poursuivies avec constance par toutes les latitudes et sous toutes les températures, nous commencerons par déclarer que notre conviction intime est que, parmi les hommes, il n’y a qu'une seule et même espèce.” Cette base une fois arrêtée, sans chercher comment ni d’où l’homme est venu sur les différens points qu'il habite; en le prenant tel qu'il s'y présente actuellement, ou, du moins, en ne remontant pas au-delà des limites des traditions historiques, on trouvera que les principales formes en sont plus ou moins rigoureusement circonscrites dans des bornes géographiques presque généralement admises, et qui paraissent en rapport avec les faits. En vertu de ce principe, Fhomme du nouveau monde a recu légitimement, d’après le lieu de sa demeure, le nom d’homme américain”; et, bien loin de vouloir changer cette dénomination d’une des grandes sections de l'espèce humaine, nous l’adoptons avec empressement pour celle dont nous allons nous occuper. En parlant des Américains , presque tous les auteurs anciens et modernes ont établi, sur leur origine, quelque hypothèse plus où moins probable; chacun d’eux, abandonnant les traditions, a, sur ce vaste sujet, donné carrière à son imagination , en des limites plus ou moins larges, plus ou moins ration- nelles. Les uns, doués d’un génie supérieur et rassemblant les renseignemens incomplets épars dans les voyageurs, ont exposé un système qui ne manque pas de vraisemblance ; tandis que les autres, au contraire, se laissant entrainer par des préoccupations religieuses peut-être trop exclusives, ont tenté dy ramener absolument tous les faits. Nous n’entamerons pas des discussions purement gratuites ; et, laissant de côté une question toujours hypothétique, indifférente aux progres de la science, nous nous renfermerons dans le cercle de lobservation positive. D'ailleurs, pourquoi chercher au loin, pour les Amé- ricains, une origine commune, quand on voit, sur leur sol même, leurs carac- tères physiologiques et moraux si variés, si différens les uns des autres? Il nous semble qu'il faut s'efforcer de faire connaître les Américains, de les grouper selon leur plus ou moins danalogie, pour constater si tous appar- tiennent à une même souche ou à plusieurs souches distinctes. Tel est objet que nous nous sommes proposé. 1. Il serait trop long de développer ici ce que nous entendons par le mot espèce : ce point de vue sera exposé dans la zoologie de notre voyage, à chaque série d'animaux. 2. Voyez la note de la page 1. Homme améri ain ——__—_—_—_ (4) Surface occupée; répartition géographique. Comme nous ne voulons parler que des peuples que nous avons vus par nous-même, nous nexamineérons que ceux qui habitent une surface comprise entre le 12.° degré de latitude sud et lextrémité méridionale du continent américain, sur presque toute sa largeur, ne franchissant ces limites qu'autant que le peuple dont il sera question les aura lui-même franchies; car alors nous le suivrons dans ses migrations jusqu'au point où il s’est arrêté. La superficie de Amérique dont nous allons étudier les habitans primi- tifs, peut être comparée à plus de la moitié de notre Europe : elle s'étend depuis la zone torride jusqu'aux régions glacées de la Terre-du-Feu. Sa consti- tution orographique élève du niveau de la mer aux neiges perpétuelles ; son sol est on ne peut plus varié dans ses formes, dans son aspect. À Pocci- dent, une vaste chaîne de montagnes s'élève jusqu'aux nues, suit les rives du grand Océan; glacée à son extrémité méridionale, sous la zone torride, elle offre partout les climats les plus divers : stérile, sèche et brûlante sur les pentes abruptes de son versant ouest; tempérée ou froide sur ses immenses plateaux; couverte d'une végétation active sur les pentes légèrement incli- nées de son versant est. À lorient, des collines basses, chaudes, boisées, bornées par l’océan atlantique, offrent une uniformité remarquable aspect, de composition, de formes. Au milieu de ces terrains si distincts, des plaines immenses, d'abord froides, arides et sèches sur les parties méridionales, puis tempérées, verdoyantes, avec un horizon sans bornes sur les Pampas ; brû- lantes , enfin, et couvertes de forêts, sous la zone torride... Tels sont les traits généraux de la nature dans les lieux dont nous parlons. Nous verrons plus tard linfluence qu'ils peuvent exercer sur les caractères physiques et moraux des hommes qui peuplent ces diverses parties. Nous appelons nation, toute réunion d'hommes parlant une langue émanée d'une source commune, et {ribu, toute réunion d'hommes parlant les diffé- rens dialectes dérivés de cette même langue, Nous allons énumérer les nations que nous avons observées; mais, anticipant un peu sur les faits, nous les présenterons classés méthodiquement, selon leurs races® et leurs rameaux”, 1. Voyez, à la partie géographique de notre voyage, une description plus détaillée de cette surface. 2. Nous appelons race, toute réunion de nations que rapproche l'identité de leurs caractères physiques généraux (voyez plus loin ces caractères) ; prenant aussi ce mot dans un sens plus res- treint que les auteurs, 3. Nous appelons rameau, un groupe plus ou moins nombreux de nations distinctes, qui offrent, dans les races, des caractères soit physiques, soit moraux, propres à motiver ces divisions, pres- que loujours en rapport avec la géographie locale. (5) dont nous établirons plus tard les caractères distinctifs, d’abord pour les Homme rendre familiers au lecteur, puis afin de simplifier les nombreuses citations ss spéciales ou collectives auxquelles nous oblige la nature de ces considérations générales. Nous présenterons aussi comparativement, en regard, les limites d'extension en latitude et en longitude que ces diverses nations occupaient avant la conquête ou qu’elles occupent encore aujourd’hui. LIMITES D'HABITATION DES NATIONS : en longitude ouest de Paris. —_——————— NOMS RACES. RAMEAUX. DES NATIONS. en lalitude australe. 1.7 Rameau. Quichua, ou Inca ... 0° au 28° 65° au 83° Pranven es. 0. l'AVIMATA. on osesess 15° au 20° 69au 75° Changons si. en 22° au 24° 72° 30/ 1.:° Race. ATACAMA eee ie eee 19° au 22° 122307 7 MurACanes er res 16° au 17° 66° : 9° DOCEEREMENNE 2.° Rameau. Men 25: 16° ' 2 Le … Le ANTISIEN, .......... MACANT RTS eee 13° au 15° 70° au 71° Maropar. . CC SR Mascul. | Fémin, | Torat. À Mascul. | Fémin. Torac. À Mascul. | Fémin. | Torar. Mascul. Fémin. Toraz. ————— | a — A Janvier...e.. £ 5! 105 62 62 124 46 51 97 158 168 326 Février 4! ! 88 55 42 97 44 56 | 100 | 148 137 | 285 ‘ 5 127 | 66 52 | 118 67 53 120 | 205 160 | 365 126 | 64 69 133 72 | #1 153 196 | 216 | 412 175 79 71 150 | 59 | 65 124 | 219 | 230 | 449 130 | 68 50 11816321. 661 1291141950 182410377 139 | 93 79 172 16.| 67. |. 143 | 258 | 216 | 454 | Août je 133 67 55 122 91 76 167 | 228 194 422 | Septembre..| 61 160 | 81 | 88 | 169 | 90 | 79! 169 | 240 | 258 | 498 Octobre .... j 141 59 63 122 71 68 139 | 197 | 205 | 402 Novembre... . j j: 124 63 61 124 | 65 65 | 130 | 189 | 189 | 378 | Décembre... 5! j( 124 50 A1 91 63 57 120 168 167 339 1,572 7133 | 1,540 | 807 | 784 | 1,591 | 2,381 | 2,322 T'ABLEAU COMPARATIF des Naissances par mois de la province de Chiquitos, pendant les années 1828, 1829 et 1830. SOMMES RÉUNIES Maseul. ! Fémin. | Torac. | Mascul.| Fémin. | Torar. | Mascul. | Fémin. | Torar. Mascul. Fémin. | Torar. Janvier.....] 54 48 102 35 36°|”" #4 54 53 107 143 137 280 Février... .. 31 51 62 46 43 | 89 61 39 100 138 113 251 MES er ven 39 46 85 45 47 92 53 42 95 137 135 272 ANTILLES as de 50 48 98 42 45 87 44 44 88 136 137 273 | Mai........ 50 37 87 43 49 | 92 34 36 70 127 122 249 RL ERA T 53 30 83 75 47 | 122 37 44 81 165 121 286 JDE ee 34 38 72 49 58 | 107 36 A1 rl 119 137 256 ROUE es sure 34 39 69 49 45 94 40 49 89 123 129 252 Septembre ..| 39 35 74 39 54 93 42 41 83 120 130 250 Octobre ....1 39 40 79 52 42 | 94 41 40 84 135 122 257 | Novembre... |] 38 46 84 39 50 89 39 31 70 116 127 243 | Décembre...| 41 37 78 26 43 69 29 28 57 96 108 204 s02 | 471 | 073 | 540 | 550 1,009 | 513 | 188 | 1,001 | 1,555 |1,518 | 3,073 Comme nous avons toujours trouvé une concordance assez exacte entre les mois de maximum et de minimum des naissances masculines et des naissances féminines, nous croyons inutile de rechercher des causes diffé- rentes pour les unes et pour les autres; mais, afin de pouvoir démontrer quelles sont les influences que nous paraissent exercer les saisons sur le plus ou moins grand nombre de naissances, nous allons présenter, en regard et par années, les maximum et les minimum des naissances mensuelles. ( 29 ) MOIS DU MAXIMUM | MOIS DU MINIMUM PROVINCES. Des DES NAISSANCES. DES NAISSANCES. Février . 1828.... Septembre... Janvier Octobre 4 Décembre .... i Décembre .... 1329... xs Février MOXOS...... Septembre.... 169 | Janvier 1830... Février Décembre... es © Septembre.... 498 | Février... Ed SJtillet-.. à 454: |! Janvier saone) LUZ 1830... Décembre . ... RÉSUMÉ 5 LÉ , des trois années Novembre .... LTÉE NORME 249 Janvier Juillet". - bé naoccous Décembre ( Juilel "1. 107 Janvier ï Février CHIQUITOS... RS me PER à |: Quoique la température soit relativement peu variable, dans les pays dont nous nous occupons, on y sent néanmoins très-vivement les influences des saisons, qui dépendent de l'état météorologique des lieux. L'une, la saison sèche, commence en automne, c’est-à-dire au mois d'Avril, et finit au prin- temps, en Septembre : la nature change alors d'aspect; les arbres se revêtent de feuilles nouvelles, de fleurs brillantes ; la végétation la plus active vient couvrir partout un sol qu'avaient brûlé les sécheresses de l'hiver; il commence à pleuvoir. À Pinstant où la nature entière sort de cette espèce de léthargie et prend une vie nouvelle, comment lhomme Homme améri- cain. (30 ) Homme n'en ressentirait-il pas les puissans effets? Si nous cherchons une preuve améri- de cette action des saisons sur le nombre des enfans nés neuf mois après, nous la trouverons des plus concluante, et nous verrons, par le tableau précédent, qu'à Moxos, pendant trois années, les maximum sont toujours restés entre les mois de Mai et d'Octobre, c’est-à-dire que les enfans ont été conçus d'Août en Novembre, où au printemps, instant des premières pluies, au moment où celles-ci deviennent trop abondantes et inondent le pays. La moyenne des trois années sur lesquelles roulent nos observations, donne pour maximum, à Moxos, Septembre, Juillet, Mai, qui corres- pondent, pour les conceptions, à Janvier, Novembre et Septembre (prin- temps et été)". À Chiquitos, nous trouvons moins de régularité dans lin- fluence des saisons; néanmoins les maximum se trouvent présque toujours dans les mêmes limites , et il n’y a d'exception que pour Janvier. Le mois de conception est Mai, Pinstant le plus froid de Pannée, où quelquefois un vent sec du Sud raffermit la fibre et tempère la chaleur étouffante de la latitude de Chiquitos. Le plus où moins d’abondance d’alimens ne paraît pas influer toujours directement sur le nombre des naissances; car, à la saison des récoltes (Février, Mars, Avril), correspondent les minimum des naissances de Moxos ; il pourrait tout au plus exercer quelque influence à Chiquitos, lorsque les maximum ont eu lieu en Mai et en Juin, correspondant, pour la conception, à Janvier et à Février, l'instant où les premières récoltes commencent dans cette province. L'explication que nous venons de donner pour les maximum, répond, en quelque sorte, à ce que nous pouvons dire pour les minimum; néan- moins nous pouvons encore en trouver des causes plus spéciales. À Moxos on ne doit pas attribuer d'influence au défaut d’abondance, puisque nous trouvons le maximum des conceptions précisément à l'époque des semences, l'instant le plus éloigné des récoltes; tandis que les minimum ont lieu toujours en Décembre, en Janvier, en Février, qui correspondent, pour les conceptions, aux mois d'Avril, de Mai, de Juin, qui suivent les récoltes. Nous croyons y trouver deux influences distinctes : Pune, qui tient peut-être to id 2 © ui ae M RE RES 1. L'époque du maximum en Belgique, selon M. Quetelet, Loc. cit., t. Il, pag. 319, est en Février; ainsi les conceplions y auraient lieu en Mai et Juin, précisément au printemps , comme dans les pays que nous avons visités. Nos résultats seraient alors différens de ceux obtenus par M. de la Sagra, qui dit qu’à la Havane (loc. cit., p. 35) les mois de froid ont été plus favorables aux conceplions que ceux de grande chaleur, ce qui peut tenir à des causes locales. (34) F _à la température, puisque les conceptions ont eu lieu dans les mois les Homme plus froids de année’, temps où des émanations putrides s'élèvent d’une 4 immense surface desséchée®; mais aussi n’y pourrait-on pas voir les effets de ces jeûnes austères, de ces sanglantes pénitences, que les croyances religieuses, portées jusqu'au fanatisme, imposent tous les ans, dans le carême, à tous les habitans de Moxos°? Le changement de température étant peu sensible, nous pencherions à penser que le carême, et surtout les maladies qui le suivent, doivent être les causes les plus réelles de labaissement de nombre. On pourrait y appliquer les mêmes réflexions à Chiquitos, quoi- qu'avec moins de régularité. Il ne nous reste plus qu'à voir, si, comme résumé de nos connaissances locales, les deux tableaux qui suivent, nous donneront quelque explication sur l’époque annuelle du maximum et du minimum des décès dans les deux provinces qui nous occupent. 1. Selon M. Quetelet (Loc. cit., t. 11, p. 319), le minimum des naissances aurait lieu, en Bel- gique, au mois de Juillet, ce qui correspond , pour les conceptions, au commencement des froids de l’hiver et se trouve encore en rapport avec ce que nous avons observé sous la zone torride. 2. M. Villermé, dans ses importans travaux sur les naissances (Annales d'hygiène, Janvier 1831 ), avait trouvé que les émanations marécageuses influaient sur le chiffre des conceptions: observation encore en rapport avec les faits, dans la province de Moxos. 3. Ils jeünent rigoureusement du mercredi saint au dimanche de Pâques et se couvrent le corps de blessures par suite de flagellations. (32) MOIS. anvier... Février... . Mars. .... Avril. .>.. His... un. Juillet. . RO - di Octobre. . | Novembre Décembre. Homme améri- ain TABLEAU COMPARATIF des Décés par mois de la province 1829 et 1830. 403 où 80:5901334| 90! 67 EL. 5001090 3951117! 62/57413211117| 63 jh 417,111), 34 562 ME | | de Moxos, pendant les années 1828, RE SOMMES RÉUNIES | | | "+. 169 1828. 1829. 1830. des trois années. PR CS PC CCC lÉÉÉÉÉN Q Décès masculins. | Décès féminins. Décès masculins. | Décès féminins. Décès masculins. | Décès féminins. Décès masculins. Décès féminins. 2 TT, 2, ne | D 2121. 2131, 2121512 EAU PCA ARS [LE ne NS SL Sns N glSs) | a Re el SA) re De Ve hs ipe ls ls ans es ee A ets ls) à.) à Peel AE PER) ADS pe) CIN le SES IElé él sal el éslalelele ARE: “re se 7 “a a age de SEE 4 ER re 2 4 2 < i < 2 £ E 4 À < < < £ i 33| 7| 6| 46] 31| 9! 3] 43] 89] 24] 8] 5] 37] 24] 12] 5] 41| 78] 25| 4] 2] 31 14| 17| = | 311 62] 82| 19| 13| 1141 69! 38! S8| 115! 229 37| 6! 81511 22] 51 3130l 811 37! 11! 6] 54] 28] 9! 41 411 951 31! 51 6! 42] 23] 10] 3136] 78] 105] 22] 20} 147] 73] 24} 10] 107| 254 44l 6! 8! 581 34l 71 41 45! 1031 31! 51 11! 471 25] 141 51 441 91! 341 81 2] 441 31] 7] 1139] 83] 109| 19] 21} 149] 90! 28! 10] 128] 277 35| 10! 4! 491 311 9! 8! 48! 971 39l 8! 41 511 26| 81 51 39] 9ol 29! 13] 2] 441 36! 8} 6] 50{ 94) 103] 31] 10} 144] 93! 25| 19] 137| 281 39! 6! 71 521 341 6G| 2| 42] 941 36! 13] 31 52] 22] 101 31 351 871 41| 151 11 57] 32] 17| 5] 54| 111] 116] 34! 11} 161] 88| 33] 10] 131] 292 51| 22! 8! 811 43| 12] 10! 65! 146! 491 9! 71 651 341 12] 101 56] 1211 32! 9! 2! 43] 35] 12] 4] 49] 92! 132] 40] 17] 189] 110] 36| 24] 170| 359 341 12] 11! 571 37| 7| 6! 50! 107! 35! 11| 4] 501 36] 15| 2] 531 1031 29] 11 11 411 35! 12! 2] 49] 90! 98! 34! 16! 148] 1081 34] 10] 152! 300 33| 8| 6! 471 20! 5| 4129! 761 21| 51 6! 321 19] 8! 10! 37| 691 47| 6] 2] 55] 38] 6] 7| 51] 106] 101| 19 14! 1341 771 19] 21] 117| 251 34; 11 4! 39] 24| 12] 101 46! 851 35! 17| 2] 54) 21! 101 7| 38] 92] 39! 8| 41511 31] 13] 4] 48] 99] 108! 26| 10! 144] 76] 35! 21 132] 276 15! 2 3 211 23| 12 7| 42| 631 29| 16! 2] 471 31| 6! 4| 41| 88] 40] 13] 3] 56] 30] 15] 1| 46] 102] 84! 31 9] 124] 84| 33| 12| 129] 253 0 13] 7! 501 10] 9! 1| 20! 70] 36| 11 4] 511 36[ 8! G! 50! 101! 40! 10 4| 541 42] 12] 2] 56] 110 106! 34| 15, 1551 88] 29|/ 9 5 281 “ 14 À 39] 25] 6! 9] 40! 79! 23] 3! 8] 341 19] 5| 2] 26] 60! 30! 9|] 5]! 441 39] 8] 4/51] 95! 71 26| 20, 117] 83| 19] 15 117) 234 D 3841137! 39 560/1122/1215 335 176 1726 1039 1561 [3287 ( 55 ) TABLEAU COMPARATIF des Décès par mois de la province de Chiquitos, pendant les années 1828, 1829 et 1830. MOIS. Janvier Février ..... ss... ….,... Septembre... Octobre..... Novembre... Décembre... 1828. —— , 22.426 +2 gè +2 ToraL. 7 ms | MU l Mars... Jun 0e Juillet... Novembre .... 1829... ON des JUN... RÉSUMÉ Juillet... Mai... Jums. ec -0146 Juillet... 107 Races 109 Novembre .... | AOUE rte. 121 MINIMUM. Octobre. ..... Novembre .... Décembre .... Août. Janvier... .:.. Janvier... ... 106 359 300 se. 292 Février. .. . .. Mars rest: Janvier... 229 Décembre .... 234 Août. SoéSoece ail Qt Homme améri- ain. Homme améri- cain. PROVINCE. ANNÉES, |, —— MAXIMUM, MINIMUM, Février....... 163 Octobre. ..... 1828....! Janvier. ...... 147 | Août......... Mai... 7010. Novembre. .:: Février....... 85 | Novembre.... ua. Janviér:.…..... USA NuNLEE Eee Septembre.... 75 | Aoùût......... CHIQUITOS..... Décembre .... 164 | Février....... 1830"... Août. ....... 123 | Octobre... Septembre.... 122 | Juin......... 91 Février... .... 329 Octobre...... 195 RESUME { Janvier....... 327 | Novembre .... 204 des trois années Décembre... 2074 Juin........ 214 Dans la province de Moxos, les maximum des décès ont toujours lieu pendant les mois de Mai, de Juin et de Juillet, c’est-à-dire durant les trois mois les plus secs, les plus froids de l'année, époque subséquente à celle où les eaux qui couvrent la province s'évaporent, en laissant des surfaces immenses couvertes de marais, de mares stagnantes et putréfiées. On pour- rait conséquemment attribuer le maximum des décès, pendant la saison sèche : 1.” aux vents de lhiver, relativement froids pour des hommes presque nus, habitués à une température brûlante; et 2.” aux maladies (fièvres intermittentes) que déterminent les miasmes délétères dont l'air se trouve alors surchargé. Dans la province de Chiquitos les maximum ont lieu, pour les années normales, pendant les mois de Décembre, de Janvier, de Février, c’est-à-dire à linstant qui précède les récoltes, temps de disette, moment où les pluies viennent inonder par torrents toutes les vallées. C’est, nous en sommes persuadé, à ces deux causes qu'il faut attribuer la multi- 1. Il est évident que l’année 1830 a présenté une mortalité plus grande, et dès-lors un chan- gement des résultats normaux, que nous attribuons avec certitude à la petite vérole, qui exerçait ses ravages à cette même époque. 2. Il est curieux de trouver, en Europe, comme sous la zone torride, le maximum des décès placé dans la saison la plus froide (voyez Quetelet, Loc. cit., t. I, p. 310 ,ett. I, p.188); ainsi, abstraction faite des influences locales que nous signalons, les choses se passeraient chez nous comme en Amérique, (35) plicité des décès; ainsi ces deux provinces, si voisines lune de Pautre, homme éprouveraient leffet d’influences tout à fait différentes de surcroît de mortalité. L'époque du minimum des décès à Moxos correspond à Pinstant de l'abondance des pluies, époque à laquelle les travaux du navigateur sont simplifiés par des communications plus courtes, et où cessent toutes les exhalaisons putrides des marais. À Chiquitos, quoiqu'il y ait moins de régu- larité, il est facile de juger que le minimum correspond au printemps, à l'instant où des pluies d’abord peu fortes viennent rendre la vie à toute la nature et tempérer l’ardeur d’un sol brûlant et desséché. améri- ain. Homme améri- cain. — ———— (56) CHAPITRE IL. Considérations physiologiques. Couleur de la peau. L'étude du principe colorant de la peau des Américains ne peut entrer dans notre travail : elle rentre dans le domaine de la physiologie générale de l'homme; et cette question importante ayant été approfondie dans les savans mémoires de M. Flourens”, de manière à ne rien laisser à désirer, nous croyons rendre un vrai service à nos lecteurs en les renvoyant à une aussi bonne source. Notre tâche, à nous, est d'étudier les caractères zoologiques, sans empiéter sur ce qui appartient à l'anatomie spéciale. On à bien souvent indiqué la couleur des Américains comme uniforme et toujours cuivrée * ; néanmoins il est peu de parties du monde où la couleur de lhomme varie plus dans son intensité, dans le mélange de ses teintes, selon les rameaux, selon les nations; aussi, loi d'admettre cette uniformité trop systématique de Pauteur espagnol et de beaucoup d'autres, nous débutons en disant que, sur la surface parcourue, nous wavons Jamais rencontré un seul Américain cuivré. Nous croyons pouvoir trouver Porigine de cette erreur dans l'étude plus approfondie des peuples de l'Amérique septentrionale, tous caractérisés par cette teinte, appliquée 1. Recherches anatomiques sur le corps muqueux ou appareil pigmental de la peau, dans l’In- dien Charrua, etc. (Annales des sciences naturelles , 1, VI, p.156, 1837.) 2. Los Indios son de un color que tira a rojo, y afuerza de tortarse con el sol y con el viento, toman otro que obscurece ; Ulloa, Noticias americanas, p. 252 et 253 : Visto un Indio de qualquier region, se puede decir que sehan visto todos en quanto el color y contestura. (Lorsqu'on a vu un Indien de n'importe quelle région, on peut dire qu’on les a tous vus pour la couleur et pour les formes). M. de Humboldt dit avec raison (Voy. in-8.°,t. III, p.278) : « La dénomination d’hommes « rouges-cuivrés n'aurait jamais pris naissance dans l'Amérique équinoxiale pour désigner les « indigènes. » Nous pouvons en dire autant des parties méridionales. Buflon, Histoire de l’homme (édit. de Sonnini, t. II, p. 378 ), a suivi exactement Ulloa, pour l'uniformité supposée des Américains, p. 434; Blumenbach à tort met des noirs au Brésil, p.147, trad. franç. : ce sont, sans doute, des nègres amenés de la côte d'Afrique. Home, S/etches of the history of man, t.1, p.13, met aussi tous les Américains d’une même couleur. Il en est de même de Robertson, Histoire d'Amérique (Bordeaux , 1827, liv. 4, p- 6 ); et de Pedro Cieça de Leon, Cronica del Peru, part 1, cap. 19. (37) sans distinction, aux aborigènes des parties méridionales du nouveau monde, Homme sur lesquels on n'avait, le plus souvent, que des notions vagues ou recueillies “in. dans un but différent de celui qui nous occupe. La couleur des Américains qui font le sujet de nos observations ne nous présente que deux teintes distinctes, le brun-olivätre et le jaune, puis toutes les nuances intermédiaires; mais nous voyons le jaune dominer chez tous les peuples orientaux, tandis que cest le brun qui l'emporte chez tous les occidentaux et parmi ceux du centre du continent. Les Péruviens, les Pampéens, les Araucaniens, les Chiquitéens et les Moxéens ont tous une couleur brun-olivâtre, plus ou moins intense; tandis que tous les peuples brasilio-guaraniens sont jaunâtres; et c’est même la différence de ces nuances, jointe à l’ensemble des autres caractères, qui nous a servi de base pour nos divisions. Voyons maintenant quels changements d'intensité éprouve chacune de ces teintes générales. Dans la première (le brun-olivâtre) nous trouvons que les rameaux les plus foncés de tous sont les Pampéens et les Péruviens, dont la teinte res- semble beaucoup à celle des mulâtres. Les Araucaniens sont plus pâles, tandis que chez les Moxéens et chez les Chiquitéens, la teinte non-seulement est moins foncée, mais encore contient un peu de jaune. Il existe d’autres nations, que nous regardons comme des exceptions et comme des variétés locales, les Yuracarès et les Mocéténès, du rameau antisien, par exemple, presque aussi blancs que les plus basanés des Européens du midi; mais nous reviendrons sur ces variétés exceptionnelles. Dans notre seconde teinte (le jaunâtre) nous trouvons beaucoup duni- formité chez les Guaraniens; néanmoins il y a plus ou moins de mélange au rougeâtre très-pâle, ou au brun, selon les nations, et même selon les tribus. IL en est même quelques-unes dont la teinte très-pâle forme anomalie, sans qu'on puisse attribuer cette différence à d’autres causes qu'à des influences locales ; ainsi nos races ando-péruviennes et pampéennes ont évidemment une même temte brun-olivâtre, tandis que celle des races brasilio-guaraniennes est constamment Jaunâtre. Ces différences tranchées, unies aux autres carac- tères physiques et moraux, nous porteraient à croire qu'il y à une cause purement nationale. Autre question : Quelle influence peut-on attribuer aux circonstances de latitude, d’élévation, de nature des lieux? Les nations les plus foncées de toutes sont celles du rameau péruvien, qui habite la zone torride, et celles du rameau pampéen, qui s'étend depuis les Homme ameri- cain. ee (58 ) plaines glacées de la Patagonie jusqu'aux régions chaudes. L'influence de la latitude sur la teinte plus où moins intense serait donc d'autant moins admissible, que les nations les plus foncées se trouvent dans la zone tropi- cale, comme dans les plus méridionales; que, d’un autre côté, les plus claires de toutes, celles du rameau antisien, les Yuracarès et les Mocéténès, les tribus des Guaranis, les Guarayos, sont des régions chaudes, et qu’enfin les Fuégiens, habitants les plus rapprochés du pôle austral, sont beaucoup moins foncés que les Péruviens ; ainsi rien ne prouve que le plus ou moins de chaleur de la latitude exerce la moindre influence sur la coloration, pâle ou intense, de la même teinte, chez les peuples américains. * L’élévation des montagnes ne nous paraît pas non plus produire un effet sensible sur la teinte, sauf ce qui peut dépendre de causes secondaires, comme nous le verrons tout à l'heure. Nous trouvons, il est vrai, sur les plateaux des Andes, notre rameau péruvien le plus foncé de la race ando- péruvienne*; mais ne voyons-nous pas aussi le rameau pampéen, le plus coloré des races pampéennes, toujours au sein des plaines du littoral mari- time ou du moins dans celles qui s'élèvent peu au-dessus, tandis que les nations les plus pâles dans cette race, celle des Chiquitéens, vivent sur des collines, et, par la même raison, sur le point culminant de la superficie qu'habite la race pampéenne? Nous croyons pouvoir conclure de ces faits que l'élévation n’a réellement d'influence sur Pintensité de la teinte des peu- ples qu'autant qu'il sy joint des causes qui tiennent à l’état météorologique du lieu. Si nous n'avons rien observé qui puisse faire croire que la latitude et l'élévation du lieu d'habitation de homme ait une influence directe sur lin- tensité de la teinte des nations qui nous occupent, il n’en est pas ainsi des circonstances atmosphériques : tout, au contraire, nous démontre que le plus ou moins d'humidité dune région influe, on ne peut davantage, sur cette intensité relative. Notre race ando-péruvienne nous en offre une preuve évidente : les plus 1. Pauw, Recherches sur les Américains, p. 227, 236, 237, assure que la chaleur est la seule cause de l'intensité de teinte, Blumenbach, De generis humani, p. 151, pensait de même que la chaleur déterminait la teinte foncée. 2. Buflon croyait que la couleur tenait à la chaleur (édit. de Sonnini, t. I, p. 303, 454, 449, 314) : il dit, en suivant ce système (p. 378), que les habitans des plateaux des Andes sont pres- que blancs, ce qui est tout à fait le contraire de la vérité. (39 ) foncées des nations qui la composent, les Quichuas et les Aymaras, habitent les plateaux élevés des Andes, où il ne pleut que deux mois de l’année, où règne constamment la plus grande sécheresse”, où le sol est dépourvu d'ombre. Sur le versant occidental, où jamais il ne pleut, les peuples du littoral sont aussi foncés que ceux des plateaux; mais descend-on sur le versant oriental, couvert de la végétation la plus active ? à mesure qu’on abandonne les régions les moins humides, pour arriver, enfin, chez les Yuracarès, où il pleut pres- que toute l’année, où de vastes forêts interceptent constamment les rayons solaires, on voit décroître la teinte, en passant des Apolistas aux Mocéténès et aux Yuracarès : les derniers surtout témoignent pour nous du fait de la manière la plus positive. Par leurs traits, ils appartiennent à la race ando- péruvienne; mais leur teinte, au lieu d’être brun-olivâtre, est moins basanée et presque blanche, comparativement à tous les autres Américains?. Ne devons- nous pas attribuer cette teinte beaucoup plus claire à leur séjour prolongé dans une température chaude et humide, à lombre perpétuelle sous laquelle ils vivent”, qui aura depuis un grand nombre de siècles altéré peu à peu leur couleur primitive? Avant de nous prononcer définitivement, accumulons les faits : voyons si la même race ne nous fournira pas quelques autres argu- mens en faveur de cette observation. Si nous suivons les montagnes, vers le Sud, nous trouvons les Araucanos légèrement moins foncés que les Péru- viens : leur sol, dans les parties méridionales, est humide et couvert de végé- tation; leur caractère coïnciderait avec ce que nous avons dit; mais les Fuégiens, perdus au sein des régions brumeuses des pays boisés à l'ouest du détroit, sont plus pâles encore, et leur teinte appuyerait directement ce que nous avons avancé. 1. Nous aurions voulu pouvoir indiquer, par des observations, l’état hygrométrique de Pair; mais, ne possédant pas d’instrumens propres à évaluer mathématiquement les sommes d’humidité et de sécheresse, nous avons eu recours à un hygromètre qui ne nous a jamais fait défaut, la préparation des plantes. Sur le plateau des Andes et en Patagonie, les plantes placées entre des feuilles de papier se desséchaient sans qu’on eût besoin de les changer une seule fois; ce qui devait nous porter à croire, quand d’ailleurs tout venait nous le prouver , que la somme d'humidité était très-minime; tandis que, chez les Yuracarès et chez les Guarayos, nos plantes pourrissaient, quoi- que nous les changeassions deux fois par jour avec du” papier séché au four; ce qui nous a donné la certitude que l'humidité était extrême. 2. Les Guaharibos, les Gainarès, les Guaiïcas, les Maquiritarès, décrits par M. de Humboldt, Voy., t VIT, p. 209 et suiv., pourraient être dans le même cas. 3. Gumilla (Histoire de l’Orénoque, wad., Avignon, 1752,t. I, p. 108 ) avait aussi remarqué que les peuples qui vivent dans les bois sont presque blancs, tandis que ceux des plaines sont basanés; ce qui corroborerait d’autant notre thèse. Homme améri- calin. —— Homme améri- ain. — ( 40 ) La race pampéenne nous offre des exemples non moins concluans : les nations les plus foncées en couleur, les Patagons, les Puelches, ete., habitent les régions les plus sèches du territoire occupé par la race; leurs plaines sont arides et dépourvues de végétation. S'avance-t-on vers le Nord? à mesure que la végétation prend le dessus, à mesure que Phumidité augmente par le voisinage des plaines noyées du centre de Amérique, on voit la teinte diminuer graduellement et devenir beaucoup plus pâle, chez les Chiquitéens, habitans de collines boisées et chaudes et chez les Moxéens, du milieu des plaines inondées. La race brasilio-guaranienne nous fournit aussi des preuves irrécusables : nous les chercherons ici, non plus en comparant les nations entrelles, mais en étudiant les tribus d’une même nation, en étudiant des hommes qui parlent, en tout, la même langue, et dès-lors appartenant à une souche commune, Les Guaranis de la province de Corrientes, habitans de plaines en partie découvertes, les Guaranis du pied des Andes, connus sous le nom de Chiriguanos, vivant sur la lisière des vastes plaines du grand Chaco, dans un pays peu boisé, ont une teinte assez foncée; tandis que les tribus des Guarayos” et des Sirionos, qui résident, depuis au moins quatre siècles, au sein des forêts chaudes et humides, impénétrables aux rayons du soleil, sont presque aussi peu foncées que l'Européen de nos contrées méridionales. De tous ces faits, qu'on ne peut révoquer en doute, ne doit-on pas conclure que Paction prolongée de humidité influe beaucoup sur les limites d'intensité de la couleur de l'homme en général, puisque nous trouvons une si énorme différence entre les Yuracarès et les Quichuas, dont les traits sont les mêmes, et dont, par conséquent, Porigine pourrait être rapprochée; quand, surtout chez les Guarayos et chez les Chiriguanos, deux tribus d’une même nation, toutes deux encore sauvages, el dont, par conséquent , l'altération de teinte ne peut être attribuée à aucun mélange ; quand, disons-nous, chez ces deux tribus, on trouve une si grande disparité ? Pour nous, nous en sommes convaincu; mais nous soumettons nos remarques au jugement des hommes spéciaux, satisfait d’avoir soulevé une question nou- velle qui peut faire avancer la science. L'action prolongée des rayons du soleil sur les Américains, produit aussi 1. Les Guayanas de l’Uruguay, décrits par Azara (Voy. dans l'Amér. mérid., 1. I, p. 76), se trouvent peut-être dans les mêmes circonstances que les Guarayos : ce n’est aussi , au reste, qu’une tribu des Guaranis. (4H) chez eux quelques changemens momentanés. Ainsi, quoique le Péruvien et le Chiquitéen aient, sous leurs vêtemens , une couleur foncée qui tient à leur race, cette couleur devient beaucoup plus intense sur celles des parties de leur corps qui sont exposées à l’ardeur du soleil; mais ces mêmes parties brûlées, quand on les tient quelque temps à Pombre, reprennent par degrés leur teinte naturelle. Nous avons reconnu un fait assez curieux chez les Chiquitéens qui se sont soumis à lexpérience que nous avons faite à cet égard : c’est qu'après trois mois, pendant lesquels ils ne s'étaient jamais exposés au soleil sans se couvrir, la partie du corps qui devenait la moins foncée, quoiqu’elle eût été, depuis lenfance, la plus exposée à Pair, c'était la figure; à tel point que, si lon eût pu mesurer la différence d'intensité, on eût trouvé une distance énorme; et cependant le corps avait été presque toujours couvert depuis la naissance des individus. Nous avons cherché à multiplier les exemples de ce phénomène, et nous avons reconnu que chez les Guarayos, et en général chez tous les Américains, la face, dans sa teinte normale, était toujours la partie la moins foncée, tandis que le bout du sein, chez les femmes, était celle où la teinte plus obscure se montrait dans toute sa force. Les enfans naissent toujours avec la teinte propre à la race: cette teinte, d’abord plus pâle, est, dès lâge de huit ou dix ans, presque aussi intense que dans l’âge adulte. L'opinion établie que les races américaines ne manifestent point, par la coloration instantanée du système dermoïdal (la rougeur) de la figure, les sensations vives qu'elles éprouvent, ne nous paraît pas juste, du moins quant à la partie que nous avons étudiée; car nous avons successivement reconnu que, chez toutes les nations, Pexpression extérieure de sensations vives était tout aussi naïve et non moins énergique que dans la race blanche; seulement, comme la teinte est plus foncée, l'effet mécanique est moins ostensible. En résumé, l’on a vu que les deux grandes divisions de teintes, le brun olivâtre et le jaunâtre, sont parfaitement en rapport avec nos divisions de races, et qu’elles tiennent évidemment aux caractères physiques propres à chaque souche première; tandis que des faits que nous avons fait connaître, on peut induire que Pintensité de couleur dans chaque race, et même dans chaque nation, varie en raison du plus où moins d'humidité des lieux qu'elles habitent. Nous terminerons ces recherches spéciales sur les teintes naturelles des peuples, en faisant remarquer que la couleur de la race bra- silio-guaranienne est, à peu de chose près, la même que celle des peuples IV. Homme, 6 Homme améri- cain. —— (42) lumme des îles océaniennes; mais qu'en conclure, lorsque toute la largeur des amrerit- lieux habités par les races pampéennes et ando-péruviennes la sépare du crand Océan? comment admettre des rapprochemens d'origine, quand il ny a pas de possibilités g céographiques ? Il nous reste à parler des couleurs qui, partielles ou générales, nous paraissent appartenir à des causes accidentelles. Notre rameau antisien nous a montré, pour presque tous les individus des nations mocéténès, tacanas { yuracarès, sur tout le corps, sur la figure, aux extrémités, de larges taches irrégulières, presque blanches’, à contours peu arrêtés; nous avons, en même temps, remarqué que ces taches occupaient surtout les parties saillantes des articulations; mais aucune n’avait Paspect farineux des mala- dies cutanées; au contraire, Pépiderme était aussi lisse dans ces parties que partout ailleurs. Néanmoins, après avoir reconnu que les enfans n'avaient point ces taches, nous avons dû les attribuer à des causes artificielles ou les regarder comme la suite d’affections cutanées. Il est curieux toutefois de voir trois nations présenter simultanément cette anomalie, qui ne laisse pas d'être étrange et d’étonner quiconque observe pour la première fois. Malgré toutes nos recherches locales, nous n'avons trouvé que deux fois des cas d’al- binisme : Pun chez la nation des Moxos, l'autre parmi les Patagons; encore le premier seul était-il pour nous bien avéré, tandis que le second nous a laissé quelques doutes. Contexture de la peau. Jamais nous n'avons vu, dans les régions chaudes de PAmérique, des hommes ou des femmes presque nus, sans être frappé de Pextrême finesse de leur peau. Elle ne présente Jamais cette légère villosité de celle des hommes de l'ancien monde; elle est lisse, polie, brillante même, aussi douce que du satin, et bien loin d’être inégale, comme Passure l'ennemi de la race améri- caine, Don Antonio Ulloa; nous Pavons toujours vue telle que nous venons de 1. Ce caractère singulier a été remarqué par tous les habitans des lieux rapprochés des nations qui nous occupent; ce qui vaut à ces derniers, de la part des Espagnols, le nom d’hombres overos, hommes tachetés. Blumenbach, De l'unité du genre humain, p. 171 (trad.) , parle de nègres tachetés, mais comme exception, tandis qu'ici le fait est général. 2. Noticias americanas ; Madrid, 1772, p. 313. (45) la décrire, surtout parmi les Chiquitéens, les Moxéens, les Guaranis'; et, Homme quoique ces qualités de la peau soient encore assez développées parmi les nations des montagnes et parmi celles des parties méridionales du continent, on ne peut en comparer l'intensité à celle qu’elle acquiert sous la zone torride. Odeur de la peau. Nous avons reconnu que partout sur le sol de l'Amérique les naturels ont en général une odeur différente de celle des Européens et un peu plus pro- noncée; odeur que, du reste, il nous serait bien difficile de décrire. Nous avons tous la nôtre, et les animaux doués d'un odorat très-délicat, comme le chien, distinguent de suite, à l’odeur seule, les vêtemens de leur maître d'avec ceux d’autres individus; mais tenter de rendre la sensation qu'a produite sur nous cette odeur sw generis, ce serait beaucoup hasarder; car chacun pour- rait, ce nous semble, lexprimer à sa maniere. Tout ce que nous pouvons dire avec certitude à ce sujet, c’est que les Américains ont une odeur par- ticulière différente de celle du nègre et un peu moins forte. * T'aille. Il est peu de parties du monde où lon ait plus exagéré la taille qu'en Amé- rique : on à vu tour à tour, au nouveau monde, des géans, des colosses de trois mètres”, à côté de nains, de pygmées de cinq à six palmes“ seulement. Qu'on se soit si fort écarté de la vérité dans un siècle où le vrai n’aurait paru que vulgaire, dans un siècle ami du merveilleux, nous n’en sommes pas surpris ; mais ce dont on pourrait s'étonner, cest que de pareilles fables, tout au plus un peu modifiées, se soient maintenues jusqu’à nos jours. Après avoir par nous-même reconnu la fausseté de tout ce qui avait été dit, le désir de remonter aux sources, de découvrir les causes de Perreur, nous a donné le 1. Diet, Voyage dans la France équinoxiale, p. 352, avait aussi reconnu ce caractère chez les Caribes, appartenant toujours, selon nous, aux Guaranis : 4 Leur chair est basanée et fort douce; il semble que ce soit du satin, quand on touche leur peau. » 2. Thibault de Chanvalon, Voyage à la Martinique, p. 44, dit, en parlant des Caribes des Antilles : «Ils ont tous une odeur forte et désagréable,” mais il éprouve le même embarras que nous pour la spécifier, 3. Sarmiento, dans Argensola , Conquista de las Molucas, lib. 3, p. 117, 125 , dit {res varas, mot qu’on a traduit par {rois aunes, ce qui présentait de suite une augmentation de plus d’un tiers. 4. Expédition de Cavendish en 1592, par Knivet, Collection de Purchas, t. IV, lib. VI, c. 7. améri- cain Homme améri- rain, (#1) courage de fouiller ce chaos de matériaux incohérens; et de longues, de labo- rieuses recherches nous font espérer que les renseignemens par nous offerts sur les Patagons ‘et sur les Fuégiens dispenseront à lPavenir de remonter aux anciennes sources, la question que les philosophes et les savans ont si long- temps agitée, se trouvant enfin à jamais résolue. Si ces deux nations des par- üies les plus australes de PAmérique ont fixé Pattention des observateurs, il n’en est malheureusement pas de même du reste de la surface qui nous occupe. Azara seul a donné, sur ce sujet, quelques vagues renseignemens, sans les appuyer de mesures; aussi n'avons-nous réellement à cet égard d'autre garant que nos observations personnelles. Avant de nous livrer à aucune considération de détail, nous croyons devoir présenter, dans un tableau comparatif, nos observations relatives à la taille moyenne des hommes par nation; puis dans leur ensemble, par rameaux, et par coupes plus générales encore, par races, afin que, nous suivant avec moins de peine dans les développemens que nous allons donner, on puisse mieux en apprécier la valeur.* 1. Voyez notre Coup d’œil historique sur les Patagons, et le tableau dans lequel nous avons présenté en regard toutes les tailles données par les différens auteurs aux Patagons et aux Fuégiens. ù 2. Toutes les mesures indiquées sont celles que nous avons prises dans chaque nation, sur un plus ou moins grand nombre d'individus. (Voir les spécialités.) (45 ) Homme TABLEAU COMPARATIF de la taille moyenne par nations, par rameaux, par races. améri- TAILLE TAILLE TAILLE NOMS RACES. RAMEAUX. ER PRO GT EnNE DES NATIONS. pas DaUotre par par races. en metre. rameaux. OCR ER 1.600 PÉRUVIEN. ........) AyYmara....i. oc 1.600 Gango seesceues | 1.590 | Le Atacama see 22: 1.600 , MITAGATES ses meee 1.660 ANDO-PERUVIENNE. Mocéténès. ...,..., 1.650 1.6272 ANTISIEN....... NT CANA Tee ces 1.649 1.6454 | Maropar re 1.650 Apobsta. 1-2. 1.620 CAMIEN 50 0. | APAUCANO sers vecs 1.620 l : DE" Fuégien. ,." | 1.663 HA ÉMAVOR Reese 1.730 Puelcheñ.#82.:5 4 .700 ; Charrua:........,.|l. 1.680 PAMPÉEN. ......... Mboeobfei- ir. 1.680 1.6884 Mataguayo ........] 1.670 ADIPOHCS eee êus e 1.680 Lengua ...... so...) 1.680 SAMNEUS es 6 02 à 1.663 Ghiqiifo). ch... 1.663 D'ATAVÉCAS ss 1.663 Otuker..…. scott 1.663 p Curuminaca ..::... 1.663 PAMPÉENNE. .; ..»{ CHQUITÉEN. ..... 4 .( Covaréca…. "| 1663 V 1.6630 | 1.6732 rave este 2 1.663 TAPIS see ss... 1.663 Curucanéca. ....... 1.663 Paiconéca. .... re Ê Corabéca..,..... 5e 1.663 Moxo..... 36608806 1.677 Chapacura........ .| 1.663 Itonama ses ce. 1.649 MOXEEN 2002 -2/NCanichana....... 10 1.677 : Re PODEN PURRON Mon. US Cayuvava ..... has e 1.677 Patagüaras:24r 6 1.670 ITENES ss ccc ete 1.677 Guarant Ler.:e 1.620 BRASILIO-GUARANIENNE . . ......sosese en Fr 1620 | 1.6200 | 1.6200 Si nous voulons considérer la taille moyenne dans l’ensemble des nations, selon ses limites, nous trouvons, par exemple, que la plus grande est, sans contredit, la nation patagone, atteignant, suivant nous”, À mètre 730 milli- mètres (5 pieds 4 pouces), tandis que les plus petites de toutes, les nations 1. Notre moyenne, prise sur un grand nombre d'individus, est bien différente de tout ce qui avait été dit, cain. (46) Homme chango et quichua, n’atteignent que 4 mètre 590 à 600 millimètres (4 pieds 8 I , gnent q Ï ameri- vain. 9 pouces); ainsi, entre ces deux limites extrêmes, il y aurait l'énorme diffé- rence de 440 millimètres (plus de 5 pouces), ce qui prouve péremptoire- ment qu'il n'y a point unité de taille parmi les Américains pris en général. [s'agit de voir maintenant quels rapports d'uniformité nous trouverons avec nos divisions par rameaux ou par races. Commençons par notre race ando-péruvienne. Parmi les quatre nations qui composent le rameau péruvien, nous reconnaissons une grande égalité de taille; et si les Changos font exception, cela tient, peut-être, à des causes particulières; car toutes les autres nous ont donné, pour taille moyenne, 1 'imètre 600 millimètres (un peu plus de 4 pieds 9 pouces). Le rameau antisien est loin de nous offrir la même uniformité : entre les Yuracarès, les plus grands de tous, de 4 mètre 660 millimètres (5 pieds 4 pouce et demi), elles Tacanas, les plus petits, de 4 mètre 649 millimètres, il y a 11 milli- metres de différence, et la taille moyenne du rameau est de 4 mètre 645 millimètres, c’est-à-dire de 48 millimètres plus élevée que celle des Péruviens. Nous chercherons, plus tard, les causes de cette différence. Pour le rameau araucanien, nous lui trouvons, en terme moyen, À mètre 641 millimètres, c'est-à-dire un peu moins que le rameau antisien, mais il est plus élevé de 47 millimètres que le rameau péruvien; ainsi les différences qui existent entre toutes les nations ando-péruviennes disparaissent, et se groupent par- faitement selon les rameaux. La taille moyenne de la race entière est de 1 mètre 627 millimètres. La race pampéenne offre, dans son rameau pampéen, les plus grands de tous nos Américains. Les Patagons, comme nous lavons dit, ont À mètre 750 millimètres; les Mataguayos, les plus petits, ont encore 4 mètre 670 millimètres. La différence est donc entr'eux de 60 millimètres, ce qui est énorme; mais ne nous paraît pas extraordinaire, quand, dans les comparai- sons, on fait entrer les influences locales. La taille moyenne du rameau est de 4 mètre 688 millimètres. Le rameau chiquitéen est d'une uniformité par- laite de taille; sa moyenne est de 4 mètre 663 millimètres, c’est-à-dire de 25 millimètres au-dessous de celle des Pampéens. Si, dans le rameau moxéen, nous écartons de la comparaison la nation itonama, qui forme anomalie, nous trouverons que la nation la moins grande après elle est la chapacura, qui conserve la taille des Chiquitéens, tandis que les Movimas présentent {mètre 690 millimètres, ou 27 mitlimètres de différence. La taille moyenne sera de 1 mètre 670 millimètres, ou intermédiaire entre celles des Pampéens (47) et des Chiquitéens. Enfin , notre somme moyenne de taille de la race pam- péenne nous donne À mètre 673 millimètres, ou 46 millimètres au-dessus de la race ando-péruvienne. Pour la race brasilio-guaranienne, elle nous a paru avoir 4 mètre 620 milli- mètres, en ne tenant pas compte de ses exceptions"; ainsi elle serait au-des- sous des deux autres, tout en restant supérieure à notre rameau péruvien. On voit, néanmoins, par ce qui précède, que les moyennes des tailles rela- tives sont parfaitement en rapport avec les divisions établies; ainsi la taille, comme la couleur, paraîtrait dépendre dun caractère primitif propre à chaque nation en particulier. Voyons cependant si lon ne devrait pas attribuer quelques effets des différences signalées à l'influence de la latitude, de Péléva- tion au-dessus du niveau des mers ou de la nature des lieux. Les hommes les plus grands, les Patagons, habitent les régions froides comprises entre le 39.° et le 53.° degré de latitude australe, tandis que les plus petits, les Péruviens, vivent sous la zone torride. Îl ne faudrait pas con- clure trop vite de ces premiers faits que la région chaude est moins favorable à l'accroissement de homme, puisque les Movimas de Moxos nous offrent une moyenne peu inférieure à celle des Puelches, voisins des Patagons, comme taille et comme habitation; et que, d’ailleurs, en nous écartant de nos limites, nous voyons d’autres peuples des régions plus chaudes?, rivaliser encore avec la nation patagone. En comparant soigneusement tous les matériaux que nous possédons, nous ne trouvons rien qui puisse prouver que la chaleur ait la moindre influence sur la taille ?. Tout nous porterait à croire qu’au moins dans orande influence; car, bien o) qu’on ait voulu, systématiquement, faire des Fuégiens des nains, pour trouver, l'Amérique australe le froid n’a pas non plus une au pôle sud la décroissance observée vers le pôle nord, cette opinion reste sans fondement, puisque, d’après nos observations personnelles et d'après le témoi- gnage des voyageurs, cette nation offre encore une taille moyenne de 1 mètre 663 millimètres (ou près de 5 pieds 4 pouce et demi ). L'influence de l'élévation, de l'habitation permanente sur les montagnes, nous paraît entrer pour beaucoup dans la taille moyenne relative de l’homme EEE ELLE EEE 1. Celle de la tribu des Guarayos (voyez sa description spéciale à l'article Guarani). 2, Les Caribes, décrits par M. de Humboldt, dans son Voyage aux régions équinoxiales (in-8., t I, p. 355), n’appartiennent peut-être pas à la nation qui habitait les Antilles et qu’on dési- gnait par le même nom. Voyez nos recherchés à cet égard, article des Guaranis. 3. Buffon croyait que le froid rapetissait l’homme (édit. de Sonnini, Homme, 1. IH, p. 303). . Homme améri- cain. ————— Homme améri- cain. — (18 ) américain : nous voyons, par exemple, tous nos Péruviens rester les plus petits entre les nations que nous comparons ; ils habitent plus particulière- ment des plateaux compris entre les limites d’élévation, de 2,000 à plus de 4,700 mètres’ au-dessus du niveau de la mer, où l'air est fortement raréfié. Si nous suivons les autres peuples montagnards, nous les voyons, en nous avançant vers le Sud, à mesure que la latitude plus froide les force de des- cendre des plateaux sur des points moins élevés; nous les voyons, disons-nous, prendre une taille plus élevée; les Araucanos sont plus grands que les Péru- viens ; et les Fuégiens, qui, au milieu de leurs montagnes glacées, en suivent le littoral seulement, sont plus grands que les Araucanos. Sous les zones chaudes nous trouvons les mêmes circonstances, en descendant des plateaux sur le versant oriental des Andes : les Apolistas du rameau antisien sont les plus petits, tandis que les autres nations qui en dépendent ont une taille, en quelque sorte, relative à la hauteur du lieu où elles sont fixées; ainsi, en passant des Apolistas aux Tacanas et aux Mocéténès, la taille augmente; aussi les Yuracarès du pied de la chaîne sont les plus grands de tous. Deux faits curieux viendraient confirmer cette influence : dans les vallées chaudes et humides de la Bolivia la taille des Quichuas est plus avantageuse que sur les plateaux. La nation araucana nous offre le même phénomène : la plus petite de toutes ses tribus est celle des Péhuenches?, habitans des montagnes, tandis que les Ranqueles, bien plus hauts de taille, sont fixés, depuis des siècles, dans les plaines voisines des Andes. Les observations que nous avons faites sur les peuples composant la race pampéenne, confirment aussi notre allégation : le point le plus élevé de sa circonscription géographique, est la province de Chiquitos, formée des collines granitiques servant de partage entre les grands systèmes des versans de PAma- zone et de la Plata. Il est curieux de trouver là les hommes de plus petite taille, tandis que la taille moyenne augmente à mesure qu’on s'éloigne de ce centre, en descendant vers les plaines du Sud jusqu'à ce qu'on arrive aux Patagons du littoral maritime ou du côté du Nord, en se dirigeant vers les plaines de la province de Moxos. On en conviendra sans doute avec nous... De tout ce qui précède, il est difficile de ne pas conclure que Paction pro- longée de la raréfaction de Pair sur les plateaux peut influer sur le rapetisse- 1. Voyez ce que nous avons dit à l’article des Quichuas et des Aymaras. 2. Voyez notre description spéciale et la partie historique, & II, chap. XXI, pour les détails dans lesquels nous sommes entré relativement à cette nation. ( 49 ) ment de la taille moyenne de l’homme, puisque ce fait est démontré, non- Homme seulement par l’ensemble des peuples, mais encore par les preuves qu’en offre Fa le lieu même où vivent les tribus d’une même nation. Pour nous trouver à portée de distinguer nettement si l'effet que nous venons de décrire ne se combine pas avec l'état de Patmosphère, ou s’il n’est réellement dû qu'à linfluence des montagnes, il nous reste à considérer l'influence des lieux sur la taille. Le parallèle que nous pouvons établir entre les Patagons et les Péruviens viendrait détruire toutes les objections présentées en faveur des seules influences atmosphériques. En effet, comme nous lont fait connaître la végétation et la zoologie propres aux plaines qu'habitent les Patagons, au bord de la mer, du 41° au 50.° degré de lati- tude'; ces plaines se trouvent absolument dans les mêmes conditions que les plateaux des Andes, du 15.° au 20.° degré de latitude, entre les limites d'élévation de 2,700 à 4,700 mètres au-dessus du niveau de la mer. Non-seu- lement on y trouve les mêmes familles, les mêmes genres de plantes et d’ani- maux, mais encore ces derniers présentent absolument les mêmes espèces: la sécheresse y est analogue; laspect en est en tout semblable; et cependant les plaines nourrissent les plus grands de nos Américains, tandis que les pla- teaux ne sont habités que par de petits hommes. Cette comparaison seule, prouvera que linfluence d’une température froide et sèche ne suflit pas pour altérer la taille, et qu'il faut qu'il s'y joigne une autre cause inhérente au séjour des montagnes plus ou moins élevées. D’un autre côté, toutefois, il ne faudrait pas nier absolument l'influence des localités ; car, si nous pouvons attribuer la différence de taille entre les Yuracarès et les Péruviens à celle de Pélévation des cantons qu'ils habitent, on y pourrait Joindre encore Pin- fluence d’une température bénigne, d’un sol le plus fertile du monde, de la chaleur et de lhumidité constantes des belles forêts habitées par les premiers ; et, à l'appui de cette dernière considération, nous citerons la différence de taille observée entre les Guaranis en général, et leur tribu des Guarayos placés absolument dans les mêmes circonstances atmosphériques que les Yuracarès, la taille moyenne des Guaranis étant de 1 mètre 620 millimètres, tandis que celle des Guarayos est de 1 mètre 660 millimètres. * Si nous cherchons les effets produits sur la taille des Américains par Pabon- dance ou par la disette d’alimens, nous ne trouvons que des faits négatifs. 1. Voyez ce que nous en disons aux généralités sur les Passereaux, Oiseaux, p. 141 et suiv., et sur les Mammifères. 2. Voyez les articles spéciaux. IV. Homme, -3 Homme ameri- on. (50 ) Les Péruviens, qui, de tous temps, ont eu des troupeaux et ont poussé très- loin l'art de l'agriculture, les Chiquitéens, toujours cultivateurs et chasseurs, les premiers parmi notre race ando-péruvienne, les seconds parmi notre race pampéenne, sont les plus petits. De toutes les nations de leur race respective, les Fuégiens et les Yuracarès, chasseurs et pêcheurs montagnards, les Patagons chasseurs sur les plaines, sont au contraire les plus grands de tous, et Pon sait de combien de privations momentanées est entourée la vie nomade et hasardeuse du chasseur, surtout dans la Patagonie, le pays le plus stérile du monde”. De ces considérations et de beaucoup d’autres, inutiles à repro- duire ici, qu'avons-nous conclu ? Que parmi nos peuples américains cette influence est entièrement nulle. Le rapprochement de l'influence des lieux sur la taille moyenne comparée à celle que cette influence exerce sur la couleur, est assez singulier : d'un côté, sur les montagnes, la couleur diminue d'intensité, en descendant des plateaux élevés vers les plaines où en abandonnant les régions sèches des Andes, pour marcher vers le pôle; ce qui est précisément lopposé de ce que nous venons de dire de la taille comparative due à Pélévation ; de Pautre, sur les plaines, intensité de teinte augmente avec la sécheresse des régions chaudes vers le Sud, et la taille suit presque une marche égale, puisque des collines des Chiquitos, elle augmente jusque chez les Patagons; ainsi, sur les plaines il y a concordance, tandis que, sur les montagnes, la marche est tout à fait opposée. Îl ny a lieu ici à aucune espèce de parallèle, puisque ces deux décroissances tiennent à des causes distinctes; mais nous n'avons pas cru devoir passer ce fait sous silence. Avant d'aborder de nouvelles considérations sur la taille, nous présentons dans un tableau, pour Pun et pour Pautre sexe, la décroissance moyenne par nation, comparée à la plus haute taille qu'ils atteignent”; et nous y plaçons l'élévation et la nature des terrains sur lesquels chaque nation est fixée, pour compléter, autant que possible, nos observations à ce sujet. 1. Voyez notre description de la Patagonie, partie historique, t IT, chap. XVIII et chap. XX. 2. Nous ne parlons que des résultats qui nous appartiennent en propre. ( 51 ) Homme RACES |RAMEAUX | ‘2671- NATURE cain. auxquelles | auxquels DES TERRAINS elles elles appar- appar- HABITÉS. ) : tiennent. tiennent. Plaines sèches, arides|Pampéenne.| Pampéen. et froides. 2 TAILLE LIMITES D'HABITATION ET nous | | —] — 2 DES NATIONS. | moyenne | extrême | moyenne en É $ des des des latitude Ms j = hommes. | hommes. | femmes. ; méridionale A iK Mitre. Mitre. Mètre. | 1}Patagon....| 1.730 | 1.920 | 1.620 39°au 53° 2] Puelche....| 1.700 | 1.800 | 1.620 34°au 41° 3|Movima....l 1.690, 1.740 | 1.6201 14° 4 | Charrua ...1 1.680 | 1.760 | 1.600 :31° au 35° 5| Mbocobi...1 1.680 | 1.730 | 1.590 {21° au 32° 6| Abipones...| 1.680 | 1.000 z |28”au30° 7|Lengua ....| 1.680 Ê = 27° 8|Moxo .....1 1.677| 1.785| 1.552 13°au16° 9! Canichana..| 1.677 | 1.785 | 1.550 {13° au 14° 10 | Cayuvava ..| 1.677] 1.785 | 1.552 [12°au13° diilTténés 1.677 Ê z [12°au13° 12| Pacaguara..| 1.670 £ z 10° 13 | Mataguayo .| 1.670 | 1.720 z |22°au28° Chapacura .| 1.663 | 1.760! 1.535] 15° Samucu....1 1.663 | 1.760 | 1.535 [18° au 20° Chiquito ...| 1.663 | 1.000 | 1.535 |16°au18° Saravéca .… .| 1.663 z 1099 16° md el el He 1 D Où à Brno 1.663 2 1599117 auts Curuminaca | 1.663 2 1585 16° Covaréca.. .| 1.663 z 1.535 17 Curavès ...] 1.663 z 1595 19° 221 Tapns .…...| 1.663 : LE TE 23 | Curucanéca.| 1.663 z 17539 16° Paiconéca. .| 1.663 2 1.535 16° LD CS 25 | Fuégiens. . .| 1.663 £ 1.540 50° au 56° 26 27 | Mocéténés..| 1.650 | 1.680 z 16° 1000 ? 28| Maropa....| 1.650 = Ê 13° 29|Tacana ....| 1,649 .700 z |13’au15°| 1200? Itonama....| 1.649 Guarani....| 1,620 Botocudo ..| 1.620 .730 | 1.550 |13°au 14° © [=] _ = .000 z Ê | co NO ND ei mi _ mn © © © © æ = F @ co LEO) bb nb ei 1 © =} _ à Le] [=] 33 | Apolistas. ..| 1.620 z Ê 49° 34| Araucano ..| 1,620 | 1.730 | 1.460 [30° au 50° £ 35 | Quichua . ..| 1.600 | 1.700 | 1.460 | O°au 28°/2500 à 5000 36| Aymara....| 1.600! 1.650 | 1.460 [15° au 20°/2500 à 5000 37 | Atacama ...] 1.600 z 2010 Pau221 2500)? 38 | Chango....| 1.590 | 1.650 | 1.455 [22° au 24° “ [Plaines sèches , arides.| idem. idem. Plaines humides et idem. Moxéen. chaudes. Plaines tempérées. idem. Pampéen. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. | Plaines chaudes et idem. Moxéen. humides, idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. Plaines chaudes. idem. Pampéen. Plaines inondées, idem. Moxéen. chaudes. Collines basses, idem. Chiquitéen. chaudes. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. Littoral de montagnes|Ando-péru-|Araucanien. froides et basses. vienne. Yuracarès. .1 1.660! 1.760 1.530 16° au 17° 600 à 1000! Pie des montagnes idem. Antisien. boisées, chaudes. Montagnes boisées, idem. idem. chaudes, Pied des montagnes. idem. idem. Montagnes boisées. idem. idem. Plaines inondées, |Pampéenne.| Moxéen. chaudes. Collines boisées. |Brasilio-gua- z ranienne. idem. idem. z Montagnes tempérées.| Ando-péru-| Antisien. vienne. idem. idem. Araucanien, Montagnes sèches , idem. Péruvien. arides , froides, idem. idem. idem. idem. idem. idem. Littoral des montagnes idem. idem. a ———————— | Homme améri- Cain, (52 ) Le tableau précédent présente les nations suivant ordre de la moyenne de leur taille, ce qui permet de reconnaître de prime abord : 1.7 Que la décroissance est tellement en rapport avec nos divisions de races et de rameaux, qu'à peine y a-t-il quelques exceptions dans chacun de ces groupes; ainsi, jusqu'à présent, nous voyons la couleur et la taille offrir des caractères distinctifs, selon ces mêmes groupes ; 2,° Que cette décroissance ne coïncide nullement avec les limites de la lati- tude où vivent les nations; 5.° Qu'au contraire cette décroissance est tout à fait en rapport avec le niveau d'habitation, c’est-à-dire qu'à mesure qu’on s'élève sur les montagnes, la taille diminue ; 4.° Enfin, que, si la nature des terrains influe plus ou moins, suivant que ceux-ci sont composés de plaines ou de montagnes, on voit en même temps que ces mêmes plaines, soit qu’elles s'étendent sous la zone froide ou sous la zone chaude, soit qu'elles se montrent sèches et arides, ou qu’elles présentent des terrains inondés, ne font pas sensiblement varier la taille, au moins dans l'ensemble des nations. La taille la plus élevée à laquelle parviennent les individus d’une même nation au-dessus de la moyenne, n'offre pas, comme nous le montre le tableau , une marche bien régulière, et les rapports sont loin d’être les mêmes ; néanmoins, l’ensemble des faits réunis nous paraît prouver qu'entre la taille moyenne et la taille extrême, il y a, pour chaque nation, beaucoup moins de différences qu'en Europe. Les savans travaux de MM. Villermé' et Quetelet', démontreraient, que si l'accroissement est plus prompt au sein des villes d'Eu- rope que dans les campagnes, la différence de la taille n’est plus sensible, quand une fois elle a atteint tout son développement; ainsi, Pon ne pourrait employer cet argument; mais il en existe un autre inattaquable; c’est qu'il y a d'autant plus d’uniformité dans les dimensions des mammifères d’une même espèce, qu'ils sont plus éloignés de Pinfluence de la domesticité. Ne pourrait-on pas regarder, par analogie, état plus rapproché de la nature dans lequel vivent les Américains, comme la cause la plus admissible de ce peu de différence ? Jamais, relativement à la taille moyenne propre à chaque nation, nous n'avons trouvé, parmi les indigènes purs, ni géant, ni nain. Ce fait négatif ne viendrait-il pas encore à l’appui de notre hypothèse ? 1. Annales d'hygiène, cahiers n° 2 et n.° 5. 2. Sur l'homme et le développement de ses facultés, ete. (Paris, 1835),t. II, p. 11. (55) Nous n'avons pas encore parlé de la taille moyenne des femmes comparée à celle des hommes ; mais tous les renseignemens que nous avons pu obtenir à cet égard sont consignés dans le même tableau et pourront prouver égale- ment, par la comparaison, qu'il y a peu d'uniformité dans les rapports; mais que ces rapports suivent néanmoins une marche régulière, lorsqu'on les con- sidère séparément pour chacun des groupes. On trouve alors que, chez toutes les nations du rameau pampéen, les Patagons, les Puelches, Les Char- ruas, les Mbocobis, et chez les Moxéens, les Movimas, les femmes ont des proportions relativement plus grandes que celles qui existent en Europe entre les hommes et les femmes’; tandis qu'au contraire, parmi les peuples mon- tagnards, les Péruviens, les Araucaniens, les femmes ont des proportions relatives plus petites que celles des Européennes*?. Une autre déduction curieuse peut être tirée de la comparaison de la proportion relativement plus élevée chez les femmes des nations de haute stature que chez celles de petite taille; c’est que cette proportion serait, pour les nations américaines que nous avons observées, tout à fait contraire à ce qui existe en Europe. M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire dit, dans ses savantes recherches? : . Les « femmes sont beaucoup plus petites, proportion gardée avec les hommes, « dans les contrées où ceux-ci atteignent une taille très-élevée. ” Ainsi, en Amérique, la différence que nous venons de signaler serait anomale et pour- rait tenir à des causes locales ou plutôt à d’autres causes, tirées des coutumes des peuples. En Europe, les femmes exercent beaucoup moins que les hommes leurs forces physiques, tandis qu’au contraire, parmi les nations les plus rap- prochées de la nature, et principalement chez celles qui vivent exclusive- ment de chasse, les femmes se livrent beaucoup plus que les individus de l'autre sexe à des exercices variés, sans que, néanmoins, cet exercice soit forcé; toujours modéré, il ne fatigue Jamais Penfance, parce qu'il ne com- mence qu'après l’âge dela nubilité. Ne pourrait-on pas trouver, dans ce genre 1. Dans un des intéressans tableaux donnés par M. Quetelet, Loc. cit., t. IE, p. 42 et 43, nous trouvons que les limites d’accroissement de l’homme sont de 1 mètre 722 millimètres, tandis que celles de la femme sont de 1 mètre 579 millimètres : la différence serait de 143 millimètres, ou un peu plus d’un cinquième, tandis que nous ne trouvons, chez les Patagons, que 110 milli- mètres de différence, et 80 millimètres seulement chez les Puelches, c’est-à-dire à peu près du sixième au huitième. 2, La différence entre la taille moyenne des Quichuas et des femmes de la même nation, est de 140 millimètres, ou moins d’un cinquième de la taille moyenne des hommes. 3. Histoire générale et particulière des anomalies de l'organisation, 1. 1°, p. 256. Homme améri- cain. a Homme améri- cain. (54) de vie si distinct de celui de l'Europe, la cause immédiate de la moindre différence qui existe entre les limites comparatives de la taille moyenne des deux sexes en Amérique ? Formes générales. A Si nous avons trouvé de grandes différences dans la couleur et dans la taille des Américains, leurs formes sont loin de nous offrir les mêmes résul- tats : elles varient sans doute, mais en des proportions peu considérables, eu égard à la taille comparative propre à chaque nation. Nous allons d’abord décrire ces formes en général, puis nous signalerons les exceptions, en recher- chant, en même temps, les causes qui nous paraissent les avoir déterminées. Malgré les volumes écrits pour démontrer la dégénérescence et Paffaiblis- sement des Américains’, nous pouvons dire, en thèse générale, qu'ils pré- sentent tous les caractères assignés à la force. Comparée au reste du corps, leur tête est plutôt grosse que petite; leur tronc est large , robuste, presque égal sur sa longueur; leur poitrine bombée ; leurs épaules sont effacées, élargies; leurs hanches rarement très-saillantes. Leurs membres sont quel- quefois un peu courts, comparés au tronc; mais replets, le plus souvent arrondis, rarement pourvus de muscles saillans. Leurs extrémités supérieures, Jamais amaigries , sont d'ordinaire bien dessinées, dans le sens artistique, quoique parfois trop fortes; leurs mains sont petites, comparées aux bras. Leurs extrémités inférieures sont presque toujours bien proportionnées et dans de belles formes, très-rarement maigres; leurs articulations peu sou- vent grosses ; leurs cuisses et leurs jambes replètes; leurs pieds petits, quoique larges. La forme générale, chez les Américains, est done moins belle qu'hercu- léenne. Les femmes participent à la vigueur de cette complexion ; aussi ne présentent-elles qu’exceptionnellement des formes gracieuses : avec tous les signes de la force, elles sont trop robustes, trop larges pour être bien faites, dans le sens que nous donnons à ce mot en Europe. La nature les a douces, en revanche, de tous les avantages désirables pour le genre d’existence auquel elles sont appelées : larges épaules, poitrine effacée, la gorge plutôt bien pro- 1. Pauw, Recherches sur les Américains. Don Antonio Ulloa, Noticias americanas , p.320, les appelle animaux, parce qu’ils sont robustes et supportent facilement la fatigue et les intempéries. Robertson , Histoire d'Amérique, édit. espagn., liv. #, p. 57, 58, etc. Tout ce qu'il écrit tend 4 prouver, comme Ulloa , non-seulement que les Américains sont dégénérés, mais encore que le pays même et tous les êtres qui l’habitent se trouvent dans le même cas. (55) portionnée que volumineuse ou petite; bassin large; aussi Pacte de Paccou- Homme chement, toujours facile, n’a-t-il jamais, pour elles, de suites fâcheuses; ‘ain. mains et pieds petits. Telles sont les formes générales des deux sexes parmi les nations américaines que nous avons visitées. Voyons, selon nos rameaux et nos races, si les influences typiques ou celles des localités ne les ont pas souvent modifiées. Dans la race ando-péruvienne, les Péruviens nous montrent des formes très-massives : en général, ils ont le tronc plus large que les autres Améri- cains, et surtout un peu plus long, proportion gardée avec les extrémités. Ces proportions sortent même de la ligne normale et doivent être attribuées à des causes que nous examinerons tout à l’heure. Les extrémités sont replètes et courtes. Les femmes ont beaucoup de gorge. Les Araucaniens ont, en tout, les mêmes caractères que les Péruviens ; cependant, quoique long, leur tronc ne l’est pas autant que chez les premiers : chez eux, les articulations sont grosses et la démarche gênée’. Les Antisiens w’offrent plus d’uniformité de formes : ils sont bien également robustes, mais leur tronc n’est plus dispro- portionné avec les extrémités, surtout chez les Yuracarès; et, de tous les peuples de la race ando-péruvienne, ce sont les seuls chez lesquels on trouve des proportions analogues à celles que nous admirons dans lancien monde ; nous en trouverons bientôt les causes dans les influences locales. Comparons maintenant les rameaux de notre race pampéenne : chez les Pampéens, proportion gardée avec leur taille, nous trouvons le vrai type des caractères des Américains, c’est-à-dire la réunion de l'élévation de la taille à celle de toutes les formes propres à la force. Le tronc, quoique des plus robuste, est toujours proportionné aux extrémités. Les femmes sont pres- qu'aussi grandes que les hommes et ont les mêmes formes; les seins médiocres. Les Chiquitéens montrent seulement moins de vigueur. Les Moxéens, avec les mêmes caractères, sont en général moins massifs, mieux dessinés, et l'extérieur de leurs femmes s'éloigne moins de celui des Européennes. La race brasilio-guaranienne tient le juste milieu, sous ce rapport, entre la race ando-péruvienne et la race pampéenne : moins disproportionnés que les Péruviens, les hommes ont néanmoins le corps plus large que les Pampéens; et si, à la première vue, on reconnaît un Péruvien montagnard au plus de longueur de son corps, proportionnellement avec les extrémités, on distingue 1. Ce que nous avons attribué à leur manière de s’asseoir à terre. Voy. partie historique, t. IF, chap. XXI. Homme améri- ain. — (56) aussi un Guarani d’un habitant des plaines à la grande largeur du tronc, peu proportionnée à la taille. C’est dans cette nation que nous trouvons encore, comme anomalie locale, une tribu plus belle, plus élancée, celle des Guarayos. En résumé, lon voit que les caractères de formes, quoique différens entre les trois races, par la largeur et par la longueur comparatives du tronc aux extrémités, sont néanmoins loin d’être bien tranchés. En général, la force relative paraît suivre celle de la taille”, Les peuples montagnards font seuls exception, montrant des proportions plus robustes que leur taille ne devrait le comporter. La latitude plus où moins chaude ou plus où moins froide ne nous à montré aucune influence. Il n’en est pas ainsi de l'élévation du lieu d’habi- tation au-dessus du niveau de la mer, qui en exerce une très-positive sur les peuples montagnards ; aussi tous ces peuples sont-ils, comme nous avons vu, les plus petits, sans que la taille, néanmoins, influe généralement sur toutes leurs parties; car nous voyons, chez eux, le tronc beaucoup plus large, proportion gardée, que chez les peuples des plaines. Il est même un caractère qui nous paraît tenir essentiellement à la raréfaction de Pair : nous voulons parler du grand développement de la poitrine, influant sur la lon- gueur du tronc et lui donnant un peu plus de longueur relative que chez les autres hommes. Nous avons dit que les plateaux qu'habitent les peuples péruviens sont compris entre les limites d’élévation de 2,000 à 5,000 mètres au-dessus du niveau de la mer. L'air y est plus ou moins raréfié, selon le niveau; mais, sur les plateaux, nul doute qu'il n’en faille une bien plus grande quantité qu'au niveau de POcéan, pour que homme y trouve les élémens de la vie. Il en résulte que, par la plus grande dilatation de leurs cellules, les poumons prennent un développement énorme, et que la cavité qui les contient est plus vaste que dans Pétat normal, ce qui allonge d'autant plus le tronc, en détruisant un peu les rapports harmoniques avec les extrémités. Des tribus des mêmes nations, descendues depuis long-temps dans les plaines, nous offrent une preuve de cette influence : elles sont bien toujours larges de corps, caractère qui tient aux formes de la race; mais elles ne présentent plus de disproportions dans la longueur du tronc comparé aux extrémités. Cette anomalie disparaît aussi peu à peu, à mesure que le trop grand abais- sement de la température ne permet plus aux montagnards d’habiter des 1. Privé d’instrument qui nous eût permis d’éprouver la force relative des nations, suivant leur taille et leurs formes , nous sommes obligé de garder le silence à cet égard. (57 ) régions aussi élevées, comme on le remarque chez les Araucanos : une de Homme améri- cain. leurs tribus, les Ranqueles, nous en offre une preuve évidente; car, des- cendue depuis long-temps sur les plaines, cette tribu est beaucoup moins massive dans ses formes. Les nations qui composent le rameau antisien nous démontrent encore évidemment linfluence de la raréfaction de Pair : à mesure qu'on descend des montagnes vers les plaines chaudes, on voit les formes s’allonger, la poitrine diminuer d’ampleur; et les Yuracarès, qui habitent les plaines du pied des Andes, au sein des forêts les plus belles, les plus chaudes, comme les plus humides, non-seulement ont la teinte plus pâle, la taille plus élevée, comme nous l'avons vu, mais aussi les propor- tions sont plus belles, plus sveltes, en eux, que chez aucune des autres nations américaines que nous connaissons. Dans ce dernier cas, nous croyons que deux influences distinctes déterminent les changemens de cette nature : la première, peut-être la plus puissante, est le manque de raréfaction de Pair; la seconde, à laquelle il est diflicile de ne pas reconnaître une grande action, est la chaleur humide des contrées habitées par les Yuracarès ; et, à l'appui de ce fait, nous pouvons encore citer la tribu des Guarayos, qui se trouve dans les mêmes circonstances locales que les Yuracarès, et qui, au lieu d’avoir les formes un peu massives du reste de la nation guarani, sont plus sveltes et en général constituent aussi anomalie parmi les peuples américains. D'ailleurs, placé au milieu des plaines chaudes et constamment inondées, le rameau moxéen ne nous montre-t-il pas encore, dans toute la race pampéenne, les seules nations chez lesquelles les formes sont les moins massives? Nous croyons donc pouvoir conclure de ces observa- tions que la raréfaction de Pair amène des proportions plus larges, tandis que l'humidité chaude tend au contraire à les allonger et à les rapprocher de celles de la race caucasienne. Nous croyons reconnaître aussi dans humidité une influence tout à fait locale sur obésité plus ou moins fréquente. Nous n'avons jamais rencontré l'obésité ni sur les plateaux élevés, ni sur les plaines méridionales, où Pair est très-sec; tandis que, dans les plaines inondées et brülantes de la province de Moxos, chez les Guarayos, au sein des forêts humides et chaudes , ainsi que sur les collines boisées qu'habitent les Guaranis, on trouve fréquemment des hommes et des femmes qui en sont atteints. Ces observations seraient peut-être en rapport avec les observations faites sur PEurope, où Pobésité est plus commune en Angleterre qu'en Italie; mais cela tient peut-être aussi à des dispositions particulières des nations étudiées. IV. Homme. 8 Homme améri ain, (58 ) Nous avons été à portée de faire, sur le jeune âge, chez les nations amé- ricaines, une remarque assez curieuse, indistinctement applicable à toutes; c'est que, depuis l'enfance jusqu’à lâge adulte, on n’y voit jamais ces formes élancées, ces membres amaigris, ce corps étroit des enfans en Europe; tous, au contraire, conservent, depuis la naissance jusqu’à la mort, la même lar- geur du tronc, les mêmes extrémités pleines et charnues, ce qui prouverait peut-être d'autant que ces formes tiennent essentiellement aux caractères pri- mitifs des Américains. Les coutumes, dans quelques circonstances , influent aussi sur les formes: les Araucanos, les Patagons , les Puelches, nous en ont offert une preuve évidente, En général, les Américains marchent droit, ont une tournure aisée, beaucoup d’agilité, beaucoup de souplesse; néanmoins, les nations indiquées ont une démarche gênée, les jambes arquées, les genoux trop en dehors, les articulations grosses, les pieds un peu en dedans. Surpris d’abord, nous avons cru trouver plus tard Pexplication de ces faits dans l'habitude qu’elles ont de s'asseoir toujours par terre, les jambes repliées comme les Orien- aux, de rester dans cette posture au moins le quart de leur vie; il faut y Joindre et citer surtout leur coutume constante, pour les deux sexes, d'aller dès Penfance à cheval, ce qui les force à porter sans cesse les genoux en dehors. * Il ne se trouve jamais, parmi les Américains, de personnes difformes; ce qu'on a voulu attribuer à habitude dans laquelle auraient été tous ces peuples, de détruire ceux de leurs enfans qui montrent des dispositions à sortir de l’état normal. Nous sommes loin de nier qu'il ne puisse en être ainsi chez les nations tout à fait sauvages; mais chez les Péruviens, qui, en général, tiennent à leurs enfans plus peut-être que les Européens eux-mêmes (en y comprenant les classes inférieures de la société); chez les Péruviens, qui les soignent avec la plus vive sollicitude; chez les nations chiquitéenne et moxéenne, où il est facile d’avoir des renseignemens précis à cet égard ; non plus que dans aucune des autres régions de PAmérique que nous avons parcourues, nous n'avons jamais rencontré que des infirmités accidentelles. Cet avantage ne tiendrait-il pas au peu dentraves qu'on met au développement physique , les enfans étant 1. Forster, Voyage autour du globe, t. I, p. 480, cite cette même observation, que nous avons bien souvent faite, Pallas, Ueber die mongolischen Vôllerschaften, t. 1, p. 98, trouve la même chose en Asie. 2. Robertson, Histoire d'Amérique, édit. espagn. , IT, liv. 4, p. 67 ; Gumilla, II, p. 234; Padre Techo, Histoire du Paraguay. (59) presque toujours nus? Nous serions tenté de le croire; et C’est aussi, sans Homme doute, à ce même motif qu'on peut attribuer cette uniformité de détails dans chaque nation, le corps à aucun âge n’étant gêné par aucun lien et pouvant prendre, sur tous les points, ses contours naturels. * Formes de la téte. Il serait aussi difficile d'établir que la forme de la tête est une chez les Américains, que de montrer rigoureusement les caractères toujours existans , qui peuvent servir à distinguer celles des diverses nations; car, sur un grand nombre d'individus que nous avons examinés pour quelques peuples, nous avons trouvé une telle variété de formes que nous avons dû nous en tenir aux termes généraux, sans jamais spécifier ?. Nous ne doutons pas que, sur quelques milliers de crânes d’une race quelconque, dans l’ancien comme dans le nouveau continent, l’on ne trouve des têtes que leurs caractères rapportent à toutes les autres, celle des nègres exceptée. On sentira dès-lors Pextrême difficulté de donner quelque chose de bien positif sur ce point. Nous avons cru remarquer que, dans notre race ando-péruvienne, les Péruviens ont la tête le plus souvent oblongue, d'avant en arrière, un peu comprimée latéra- lement ; le front peu bombé, court et fuyant un peu en arrière. Les Antisiens et les Araucaniens ont à peu près les mêmes formes de tête. Dans la race pampéenne”, on voit la tête des Pampéens généralement arrondie, à peine 1. M. de Humboldt (oy., édit. in-8.°, t. III, p. 291) cite le manque de difformité chez les Caribes, les Muiscas, les Mexicains, ce qui prouve la généralité du fait. 2. Comme on peut le voir dans notre planche IT bris, le crâne peut être épais aussi parmi les Américains, et non très-léger, comme le dit Blumenbach, trad. franç., p. 218. Lawrence, Lectures on physiology, zoology and the natural history of man, London, 1828, de même que Blumenbach, regarde les cränes américains comme ayant le front aplati. Notre planche 1 des mammifères prouve, au moins pour les Puelches , que cette règle n’est pas géné- rale , et qu'en Amérique, ainsi qu'ailleurs, le crâne varie on ne peut plus. Le même auteur regarde le crâne américain comme analogue, pour la forme, à celui des Mongols, quoique plus petit. Les observations de M. Parchappe, Recherches sur l'encéphale, p. 50, constatent que, sur le petit nombre de ceux qu’il a mesurés, le volume des têtes américaines est, au contraire, supérieur à celui des têtes de la race malaye. La difficulté de se procurer des crànes, même sur les lieux, ne nous à pas toujours permis d’en rapporter de chaque nation; mais l'aspect des indigènes et l’in- spection d’un grand nombre de crânes que nous avons vus, nous ont convaincu qu’en Amérique ils varient non-seulement selon les races et les nations, mais encore d’individu à individu dans un même peuple. 3. Voyez Mammifères, planche I, fig. à, la tête d’un Puelche des Pampas. améri- “ain, ( 60 ) lumme ellipsoïde, raccourcie d'avant en arrière, peu comprimée latéralement; le ameri- ain. front médiocrement bombé, mais non fuyant. Chez les Chiquitéens, ce carac- (ère est plus outré, la tête étant presque circulaire; tandis que chez les Moxéens, elle est plus oblongue. La race guaranienne à une forme de tête très-voisine de celle des Moxéens. Tout en donnant ces caractères, nous sommes loin de vouloir leur assigner une valeur rigoureuse; car, dans chacune des nations, on trouve plus où moins d’exceptions ; c’est seulement le caractère dominant que nous avons cru apercevoir, IL est un genre de difformité purement artificielle qui a frappé les physio- logistes : nous voulons parler de la difformité de la tête, que nous avons ren- contrée à son plus haut degré dans les restes des anciens Aymaras', tandis que leurs descendans ont le crâne conformé comme les autres Péruviens. Par les détails dans lesquels nous sommes entré à cet égard”, nous croyons avoir assez clairement expliqué le mode de pression exercée d'avant en arrière et circulairement, ce qui repoussait la masse du cerveau et donnait une très- grande largeur aux parties postérieures, au détriment des parties antérieures, de sorte que les pariétaux formaient deux mamelons très-remarquables, tan- dis que le front était presque horizontal au-dessus des arcades sourcilières. Nous avons tout lieu de croire que, dans ce cas, il n’y avait que déplacement de parties et non altération, et les facultés intellectuelles devaient en être peu affectées. ? 1. Voyez notre planche Mammifères I, fig. 2; planche IT, fig. 1 et 2, et planche II bis. 2, Voyez l’article Aymara. 3. Les considérations relatives à ces crânes nous ont paru trop spéciales aux Aymaras pour que nous pussions les regarder comme faisant partie des généralités; nous les renvoyons donc à notre article Aymara, rameau péruvien. Les savantes observations de M. Parchappe (Recherches sur l’encéphale, etc., Paris, 1836) éclairent plusieurs points curieux du rapport du volume du crâne avec les facultés; ce qui peut prouver , jusqu'à un certain point, que la forme plus ou moins variable du crâne chez les hommes des diverses contrées, ne saurait avoir une influence directe sur leurs facultés. Il dit, page 28: « La différence de volume entre les individus sains d'esprit et les têtes des aliénés, serait à l’avan- « lage des insensés.” — Page 34 : « L’intelligence peut se manifester à son degré normal dans une « tête dont le volume est inférieur , égal ou à peine supérieur au volume des têtes d’idiots. — Page 35 : « Le volume de la tête n’influe pas sur les facultés parmi les imbécilles. » — Et page 45 : « La plus grande somme d’intelligence ne coïncide pas toujours avec le plus grand volume de la a Lôle, » (61) Traits ; physionomie. On sait combien les traits sont variables au sein de nos cités ; combien il est facile d'y trouver les différens types des pays les plus éloignés. Nous ne nous demandons pas si cette diversité de formes et de physionomie tient au mélange des races, ou sil ne faudrait pas y faire entrer pour beaucoup l'influence de la civilisation; question étrangère à notre sujet actuel. Nous énoncons ce fait seulement dans le but de prouver que, si, parmi les nations américaines, nous avions trouvé des limites aussi larges, nous n’aurions jamais pu arriver à distinguer nettement les groupes d'hommes qui forment les élémens de la population du nouveau monde. Heureusement il n’en a pas été ainsi; et, en thèse générale, on peut regarder chaque nation comme ayant un air de famille qui, la distinguant nettement de ses voisines, permet à l'œil exercé du zoologiste de reconnaître, dans une grande réunion, tous les types, sans presque jamais les confondre. Un Péruvien diffère plus d’un Pata- gon, et celui-ci d'un Guarani, qu'un Grec ne diffère d’un Éthiopien ou d’un Mongol. Un auteur a dit naïvement que quiconque a vu un Américain, les a tous vus’, témoignage superficiel, malheureusement beaucoup trop accrédité, et qui devait arrêter les recherches; mais nous pouvons aflirmer avec la plus grande certitude, comme nous allons chercher à le prouver, qu'il est, au contraire, peu de peuples moins uniformes dans les détails comme dans l’ensemble de leurs traits; il en est, au reste , de ce dernier caractère comme de ceux de couleur et de taille, que nous avons vus varier on ne peut plus, selon les races et même selon les nations. Pour démontrer ce que nous venons d'avancer, nous allons passer succes- sivement en revue toutes les limites de variations des parties constitutives des traits, pour arriver ensuite à l’ensemble de la figure.* Le front, nous venons de le voir, est un peu fuyant et comprimé latéra- 1. Ulloa, MNoticias americanas. Entretenimiento XVII, p. 253. Robertson, History of America, 1. I, p. 404, note 47. Kant, /m teutschen Mercur, 1788 ,t. 1”, p. 119. Molina, Sulla storia naturale del Chili, p. 336. 2. Quoiqu'il y ait moins de variation qu’en Europe dans les traits des individus d’une même nation entre les peuples qui nous occupent, parce qu’ils se mêlent peu entr'eux, il en existe néanmoins quelques-unes, et nous avons dù prendre pour modèle le type général, non les exceptions. Homme ameéri- «ain. a — (62) Homme lement chez les Péruviens; légèrement bombé, sans compression, chez les améri- ain. autres nations. Le nez est long, saillant, fortement aquilin et comme recourbé à son extré- mité chez les Péruviens; court, légèrement épaté chez les Araucaniens, les Moxéens , les Chiquitéens , presque tous les Antisiens ; très-court, très-épaté, très-large chez les Pampéens ; court, étroit, chez les Guaranis. Les narines, très-ouvertes chez les Pampéens, le sont un peu moins chez les Péruviens, moins encore chez les Araucaniens, les Antisiens, les Moxéens et les Chiquitéens ; tandis qu’elles le sont à peine chez les Guaranis. La bouche a aussi ses modifications : très-grande, à lèvres grosses et sail- lantes, chez les Pampéens; assez grande encore, à lèvres médiocres et peu saillantes, chez les Péruviens; de même dimension, mais avec les lèvres grosses chez les Moxéens; moyenne, à lèvres minces, peu saillantes chez les Chiqui- téens; plus petite, mais d’ailleurs semblable, chez les Guaranis. Les yeux, toujours petits et noirs chez toutes les nations, sont tout à fait horizontaux parmi la race ando-péruvienne, le rameau moxéen , les Pata- gons, les Puelches; mais, chez la nation Mbocobi du grand Chaco, et parmi les Chiquitéens , quoique la masse de la population les ait encore horizon- taux , quelques individus les ont bridés extérieurement, ce qui établit la tran- sition à ceux des Guaranis, toujours relevés à l'angle extérieur, comme on le voit chez les Mongols. Les Péruviens nous ont montré un autre caractère constant, celui d’avoir toujours la cornée Jaunâtre. Les pommettes, saillantes chez les Pampéens, les Araucaniens, ne com- mencent à se montrer que dans l’âge plus qu'adulte, chez les Péruviens, les Moxéens, ne saillant ni chez les Chiquitéens, ni chez les Guaraniens, à moins que ce ne soit dans l'extrême vieillesse. Le menton a plus duniformité : chez tous les Américains, il est court et rond ; les Araucaniens Pont un peu élargi, et chez les Péruviens et les Gua- ranis seuls on le remarque un peu plus saillant, sans qu'il soit jamais com- parable à celui de la race du Caucase. On à enfin abandonné la croyance systématique qui refusait entierement la barbe aux Américains”, parce qu'on prenait pour caractère général ce qui n'est dù qu’à la coutume de l'épilation. La barbe chez tous les peuples amé- ricains constamment droite ou non frisée, est noire, pousse tard et couvre 1. Pauw, Recherches sur les Américains, t. W, p. 184. Robertson, Histoire d'Amérique, édit. espagn., t. IF, liv. 4, p. 56. (65) plus particulièrement les côtés de la lèvre supérieure et le milieu du menton; Homme ameri- encore se réduit-elle, le plus souvent, à quelques poils rares. À ces caractères “in. nous avons rencontré qu'une seule exception pour une tribu des Guaranis, les Guarayos", qui, quoiqu'appartenant à la même nation, portent une barbe longue, couvrant non-seulement le menton et la lèvre supérieure, mais encore les côtés de la figure : cette barbe se distingue de celle de notre race en ce qu'elle est droite; ainsi toute supposition qui tendrait à prouver que cette tribu tient ce caractère exceptionnel de son mélange avec la race blanche, tomberait d'elle-même, quand d’ailleurs nous n’aurions pas acquis, sur les lieux, la certitude que cette tribu n’a pu jamais éprouver de mélange, étant toujours restée sauvage et éloignée de plus de cent lieues de la population européenne la plus voisine. Nous avons cherché à nous expliquer cette ano- malie; et si, comme pour la dégradation de teinte de cette même tribu, et sa taille anomale, relativement au reste de sa nation, nous n’y voyons pas encore la suite des influences locales que nous avons signalées, peut-être serait-il impossible d'y en trouver d’autres causes. Les sourcils nous ont montré une grande uniformité parmi les nations qui ne connaissent pas l’épilation : ils sont constamment étroits, très-arqués et très-noirs. Les cheveux sont aussi caractéristiques et semblables chez toutes les nations: ils descendent bas sur le front, sont noirs, gros, épais, très-droits et lisses ; mais un fait des plus remarquable, qui paraît propre à la race américaine, cest qu'ils ne tombent jamais chez elle, même dans la vieillesse la plus avancée. Nous n’avons pas rencontré un seul chauve qui appartint aux indi- genes purs, ni même à leur mélange, et ce n’est que dans le plus grand âge, et encore seulement chez quelques individus, qu'on voit des cheveux jaunà- tres remplacer la couleur normale. Les dents nous offrent aussi beaucoup d'uniformité : elles sont belles, bien rangées, presque verticales et persistantes, c’est-à-dire que la carie en est très-rare; nous avons vu un grand nombre de vieillards dont les dents étaient usées presque jusqu’à la racine par la mastication, sans qu'il leur en manquät une seule. Ne pourrions-nous pas demander à Pauw” si ce caractère et . . L4 r r r celui de la persistance des cheveux annoncent une race dégénérée et mala- dive ? 1. Voyez notre article sur les Guaranis et nos observations sur leur tribu des Guarayos. 2. Recherches sur les Américains. M en fait des êtres maladifs et faibles. Homme amer ain. ( 64 ) Passons maintenant à la comparaison des caractères qui tiennent à Pensemble des parties que nous venons de passer en revue. La face est loin d’être uniforme dans ses contours : nous la voyons pres- que circulaire chez les Guaranis et chez les Chiquitéens; un peu plus ellip- tique chez les Araucaniens, les Péruviens, les Moxéens, les Antisiens; presque carrée et longue chez les Pampéens, surtout chez les Patagons. L'angle facial est peu variable : en général la bouche est saillante, chez toutes les nations, sans que, pour cela, Pangle soit très-aigu; les maxillaires avancent par la même raison; mais le profil n’approche néanmoins jamais de celui des Éthiopiens ; au contraire, les Patagons montrent une belle courbe et celle des Péruviens est loin d’avoir rien d’exagéré. On à dit, en généralisant encore beaucoup trop les caractères des Améri- cains, que leur physionomie était toujours sérieuse, triste, abattue ". Nous sommes loin de nier que ce ne soit en effet l'aspect de quelques-unes de leurs nations; mais il s’en faut de beaucoup que nous layons trouvé chez toutes. Rien de plus variable que la physionomie; aussi, tout en donnant la descrip- tion générale de chaque groupe de peuples, signalerons-nous quelques faits relatifs aux modifications qu'apporte à leur extérieur leur état moral ou physique. Le Péruvien , de tout temps soumis à la plus étroite servitude”, a la physionomie grave, réfléchie, triste même; on dirait qu'il renferme en lui toutes ses pensées, qu'il cache aussi soigneusement ses plaisirs que ses peines sous une apparence d’insensibilité, qui n’est rien moins que réelle. Les Araucaniens libres, mais toujours en guerre, sont aussi réfléchis, sérieux, froids, mais non plus tristes : Cest du mépris envers tout homme étranger à leur nation qui se manifeste dans leur être. Les Pampéens présentent la même apparence de froideur et peut-être d'indifférence*. Si, chez les Pata- gons, on voit encore percer un peu de douceur au travers de leur physio- nomie froide, il n’en est pas de même chez les Mbocobis, des traits desquels l'ensemble est repoussant et va jusqu'a peindre la férocité. Les Moxéens, quoique généralement gais, ont au milieu d'eux, des nations dont la physio- nomie est triste, froide, comme les Canichanas, tandis que les Moxos ont les traits les plus doux, les plus ouverts. Remonte-t-on sur les collines habitées par les Chiquitéens ? On rencontre la physionomie la plus ouverte, la plus A RS SP ne te TT 1. Azara, Voyage dans l'Amérique méridionale, t. , à chacune de ses descriptions d’Indiens. 2, Même du temps des Incas. 3. Voyez notre description des Tobas. Partie historique, 1. 1, p. 305, et des Patagons, t. IF, chap. XVIII. Li (65) franche, la plus gaie, une physionomie remplie de vivacité. Tout en ayant remarqué que l'expression des traits est presque toujours la même dans chaque nation; et quoique nous puissions croire qu'elle tient, le plus souvent, au caractère national, nous avons néanmoins une preuve que la position morale peut influer beaucoup sur Paspect extérieur. Nous en chercherons des exemples dans les tribus différentes d’un même peuple. Les Guaranis du Paraguay, de Corrientes et de la Bolivia, soumis, presqu’en esclaves, aux colons, ont Pair triste, abattu; lindifférence se peint sur leurs traits; et ils ne semblent ni penser, ni sentir; tandis que les Guaranis libres (les Guarayos) nous montrent une figure douce, intéressante, pleine de fierté; leur aspect dénote des hommes spirituels. Les Sirionos et les Chiriguanos ont bien la fierté, mais non la douceur des Guarayos. La com- paraison de ces trois tribus encore à l’état primitif de liberté avec celles des tribus qui sont entièrement assujetties au régime des Missions, lequel y étouffe tout sentiment d’amour-propre et de dignité nationale, prouvera sans doute l'influence de Pétat social ; mais, peut-on se fier à l'extérieur d'hommes asservis ? et, sous ce masque d’insensibilité, ces hommes, rendus à eux-mêmes, ne retrouvent-ils pas toujours leur caractère naturel? D’après des observations fréquentes, nous croyons pouvoir répondre aflirmativement à cette question. En résumé, après avoir comparé entr’elles toutes les parties qui composent la physionomie, et la physionomie elle-même; après avoir montré les modi- fications de formes de chacune de ces parties, selon les nations, il ne nous reste plus qu'à signaler, au contraire, chez les Américains, les caractères généraux, uniformes et pouvant être considérés comme type des peuples du nouveau monde. Ce sont, dans leur ordre d'importance, 1.° les cheveux, épais, gros, noirs, lisses et longs, descendant bas sur le front, résistant à l’âge; 2.” la barbe, rare, grosse, noire, toujours lisse, poussant très-tard, et seulement sur le menton et aux côtés de la moustache ; 3.” le menton court ; 4..° les yeux petits, enfoncés; 5.” les mâächoires sailiantes, les dents belles, presque verticales, persistantes, malgré la vieillesse; 6.” les sourcils étroits, très-arqués. On voit que, malgré les nombreuses exceptions que nous avons signalées, il reste encore aux Américains des caractères typiques comparables à ceux des peuples des autres parties du globe. La beauté est purement idéale, purement conventionnelle; chaque peuple a la sienne : le nègre voit peut-être le beau dans son nez épaté, dans ses grosses lèvres; le Mongole dans ses yeux inclinés ; aussi, vouloir ne trouver IV. Homme, 9 Homme améri- “ain. a ——— Homme améri- “ain. —_— (66 ) bien que ce qui se rapproche du type de notre race, ce serait se montrer trop exclusif; ce serait, tout au moins, s’exposer au reproche d’égoïsme. Il ne nous est donc pas permis de nous prononcer à cet égard , et la comparaison seule nous reste. Parmi les races américaines pures, on trouve rarement des traits analogues à ceux de la race blanche; néanmoins, dans chaque nation, nous avons ren- contré de ces figures qu'en Europe on eût regardées comme agréables : les unes appartenant au type ando-péruvien, les autres au type brasilio-guara- nien où à celui de la race pampéenne; mais il y avait assurément fort peu de rapports entr’elles ; et ne pouvant pas considérer le beau comparative- ment à notre race, nous manquons absolument de données pour le spécifier ici. Un autre genre d'aspect particulier aux nations américaines est l'air mâle ou efféminé des hommes. Nous avons trouvé le caractère mâle très-prononcé chez les Péruviens, chez les Pampéens, un peu moins chez les Moxéens; tandis que les Chiquitéens, les Antisiens, les Araucaniens (ces derniers pourtant si belliqueux) et les Brasilio-Guaraniens ont toujours les traits efféminés ; à un tel point que, parmi les Mocéténès et les Araucanos, il est difficile de reconnaître le sexe aux traits, et que nous serions souvent resté dans Pindé- cision, si le costume n'avait pas levé nos doutes. Chez presque toutes les nations, dans le jeune âge, les hommes ressemblent aux femmes : il en est chez lesquelles le sexe, au contraire, amène de grands changemens; par exemple, les nations péruviennes, où les hommes ont le nez long; et ces différences subsistent tout le temps de Pexistence, tandis que, parmi la plu- part des autres nations, dès que les femmes ont atteint trente ans, elles perdent leurs traits caractéristiques, et sont alors tout à fait semblables aux hommes. Dans Penfance, chez toutes les nations sans distinction, la face est entièrement ronde, caractère qui change chez les hommes à lâge de la puberté, se maintenant chez les femmes long-temps après qu’elles sont devenues nubiles, et continuant quelquefois jusqu’à l’âge de vingt ou vingt-cinq ans, selon les nations, mais disparaissant totalement ensuite. Nous avons remarqué dans chaque tribu un air de famille, qui se repro- duisait entre tous les membres de chaque nation, double fait dont on doit chercher la cause dans le concours de diverses circonstances. Il west pas étonnant que chaque type reste le même, aucune famille presque ne Ssunissant qu'avec des parentes, ou tout au moins, les alliances m’ayant jamais lieu qu'entre les indigènes d’une même nation; de là vient qu’on remarque partout, chez elles, une plus grande uniformité qu'en Europe, (67 ) uniformité qui se perpétue depuis des siècles, et restera sans doute inva- Homme riablement la même, tant que se maintiendra le système suivi; uniformité ne modifiée seulement alors que ces peuples, abandonnant les coutumes de leur état primitif, renoncent à leur genre de vie pour adopter celui qu'amène la civilisation; car nous croyons qu'il y a toujours des rapports intimes entre les coutumes et les traits; aussi les peuples agriculteurs ont toujours la physionomie douce, ouverte, tandis que les peuples chasseurs et guerriers sont fiers, tristes et réfléchis. Nous croyons aussi qu'avec Phérédité des traits par l'alliance, par la perpétuité des mêmes coutumes, il y a encore la cause que nous avons déjà indiquée, c’est-à-dire que tous ces peuples, se rapprochant davantage de l'état de nature, doivent plus se ressembler que s'ils participaient à la civili- sation, qui détruit luniformité de moyens d'existence, de commodités sociales, et amène de si grands changemens dans la position respective de chaque membre d’une nation, par rapport aux autres. Complexion; longévité. Pour compléter l'exposé des caractères physiques des Américains, nous n'avons plus qu’à présenter quelques réflexions sur la vigueur de leur com- G ÉRST M À PEN LR . plexion, sur leur longévité. En parlant des décès, nous avons déjà dit com- bien, dénués, en général, de tous les secours de la médecine, ces peuples r Lé DJ r LA r r A . FAN échappent rarement aux épidémies. Dévoré par la fièvre ardente qui précède Péruption de la petite vérole, un indigène ne connaît pas d'autre moyen P ) 5 I y curatif, que de se trainer au ruisseau le plus frais et de s’y baigner avec délices, sans que personne sy oppose. On prévoit qu'il en résulte une réper- ) q Ï cussion subite et la mort presque certaine du malade. D’un autre côté, leurs seuls remèdes, quand ce ne sont pas simplement des pratiques superstitieuses, consistent en une diète si rigoureuse, qu'ils meurent souvent d’inanition. La civilisation répandue en certaines parties de PAmérique pourra peut-être prévenir le tiers du chiffre actuel des décès, surtout dans les provinces de Moxos et de Chiquitos. La complexion des Américains est très-vigoureuse : ils résistent aux plus rudes travaux’, sont des plus sobres, et supportent long-temps la soif et la faim, sans paraître en souffrir. Ils sont rarement malades, et cependant ; [! , Ï ne prennent aucune précaution pour prévenir les maladies, bravant avec 1. C’est pourquoi Ulloa (Loc. cit, p. 314) les traite de brutes. Il nomme aussi insensibilité le courage avec lequel ils supportent les souffrances. ( 68 ) Homme intrépidité la chaleur et le froid. On s'étonne de voir, chez eux, des vieil- ameri= can. lards ignorer les maux de la décrépitude, et posséder tous leurs sens, comme dans la jeunesse; les dents intactes, la tête jamais chauve, les cheveux grison- nant à peine chez les plus âgés, la vue, louïe, lodorat les plus fins, les mouvemens les plus libres, la figure peu ridée”. I serait difficile de fixer bien précisément l’âge de ces vieillards; car peu d’entr'eux sont capables de compter, et d’ailleurs jamais eux-mêmes ne le savent exactement, ne fixant leurs souvenirs, à cet égard, que par les événemens historiques gravés dans leur mémoire, Les recherches faites sur ce sujet nous ont donné la certitude que la durée de l'existence est moindre dans les pays chauds que dans les lieux tempérés; et, dans lune comme dans l'autre région, nous navons pas vu d'Américains passer la centaine. On peut dire même que peu d’entreux vivent plus de quatre-vingts ans. La preuve la plus convaincante que nous puissions donner de la force de leur constitution, c’est la coutume presque générale parmi les femmes indigènes, d'aller accoucher près d’un ruisseau, de sy baigner immédiatement avec leur enfant, puis de venir reprendre leurs travaux domestiques du jour avec autant de tranquillité que si rien ne se fût passé d’extraordinaire; et nous n’avons jamais entendu dire qu’elles en éprou- vassent le moindre inconvénient. Il y a loin de là, sans doute, aux soins nombreux et délicats dont on entoure en Europe une nouvelle accouchée. Mélange des races. Nous navons vu que très-peu de cas bien avérés de croisement entre diffé- rentes nations des races américaines; mais ils nous ont toujours montré des produits supérieurs aux deux types mélangés : par exemple, les Guaranis et les Chiquitos donnent des hommes plus grands que leurs nations respectives, et généralement beaucoup plus beaux; le mélange des Mbocobis du Chaco avec les Guaranis nous à montré le même résultat; mais nous n’avons pu recueillir un assez grand nombre de faits pour nous croire autorisé à porter un jugement à cet égard. Il n’en est pas ainsi du croisement avec la race blanche ou la race nègre. Partout nous avons pu en observer les produits et en suivre les modifications. Commençons par les mélanges avec la race blanche. Nous avons trouvé qu'ils 1. Ulloa l’a également reconnu. Woticias americanas , p. 324. ( 69 ) étaient lom d'offrir indistinctement les mêmes résultats : celui des Guara- nies avec les Espagnols” donne des hommes de belle taille, presque blancs, et ayant de beaux traits, dès la première génération. À Corrientes, à Santa- Cruz de la Sierra, où ce mélange est le plus commun, on est frappé de la beauté, de la noblesse de leur extérieur : les yeux sont grands, le teint très- clair, le nez espagnol, ainsi que la plus grande partie des traits; la barbe néanmoins reste rare, et ne devient qu’à la troisième génération presqu'’aussi forte que dans la race blanche. C’est, de tous les croisemens, celui qui nous a paru le plus satisfaisant; il rivalise presque avec la race blanche. Les Chiquitéennes avec les blancs produisent des hommes peu différens de la forme primitive indigène. Quant aux traits, la face reste encore arrondie, et ce caractère ne change qu’à la seconde génération, qui déjà, par la cou- leur, ne diffère presque plus des Espagnols. Les Moxéennes avec les blancs donnent des résultats à peu près semblables, à cette seule différence près, que les formes sont bien plus belles dans le mélange avec les Moxéennes que dans le mélange avec les Chiquitéennes ; mais, dans ces deux rameaux, les yeux restent souvent petits, tandis qu'avec les Guaranies ils changeaient, de suite, de dimensions. Les Araucaniennes donnent des hommes qui conservent, jusqu'à la troi- sième génération, la face arrondie, caractère de la nation; c’est surtout chez les femmes que ce caractère se maintient, ainsi que celui de la petite taille. Nous avons, au contraire, remarqué qu'au Chili souvent les traits des hommes produits d'un premier croisement étaient plus rapprochés du type espagnol, et qu'il en était de même de la taille. Les nations des Pampas sont loin de donner un mélange comparable à celui des Moxéens: les traits restent aussi durs, aussi sérieux; et la face con- serve, au moins deux générations, les grosses lèvres et le nez caractéristiques. La race péruvienne est, peut-être, celle qui produit le mélange à la fois le moins beau et le plus tenace : on y trouve encore, à la quatrième génération, des traces des Quichuas, et surtout ce caractère singulier de la cornée des yeux jJaunâtre au lieu d’être blanche. À la première génération, la couleur diminue peu, les traits changent à peine; la taille reste presque toujours la même. Cette différence dans le produit du mélange, dépend-elle des races qui se croisent ou des lieux du croisement? Nous serions porté à croire que lune 1. Voyez ce que nous en avons dit, partie historique, t. I”, chap. XI, p. 367. Homme améri- cain. —— (70) Homme et l'autre cause peuvent avoir part aux effets. Quoi qu'il en soit, le mélange améri- can produit, en général, des hommes beaucoup mieux constitués sur les plaines chaudes que sur les montagnes; ce qui, au moins quant à la taille, pourrait être considéré comme une preuve des influences locales déjà signalées ”. Une remarque, qui n’est peut-être pas sans intérêt, cest que tous les mélanges dont nous venons de parler, sont toujours les produits d’Espagnols avec les femmes indigènes, et jamais du contraire. Si nous avons vu des différences marquées entre les mélanges, selon les nations et selon les lieux, sous le rapport physique, la plus grande uniformité règne quant aux facultés intellectuelles : les hommes qui en proviennent sont doués d’une extrême facilité, et ne le cèdent en rien, sous ce rapport, à la race blanche, Le mélange des nègres avec les femmes indigènes, le seul qui existe, pro- duit des hommes supérieurs pour les traits, aux deux races mélangées ; C’est surtout chez les Guaranis que lon est étonné des résultats : on dirait que la race américaine gagne en beauté, tandis que tout ce qui caractérise la race africaine disparaît, quant aux traits, pour ne laisser quelquefois d’autres traces que des cheveux crépus; encore est-il fréquent de voir, dans le premier croisement, les cheveux devenir presque plats, tandis qu’à la troisième géné- ration le croisement du nègre avec le blanc donne toujours des cheveux crépus. Avec les Guaranis, le nez, dès la première génération, n’est presque plus épaté, les lèvres épaisses s’effacent presqu’en entier. Nous avons aussi remarqué que le mélange ne produisait pas également partout des change- mens aussi remarquables, et tout nous prouverait encore qu’on doit Pattribuer à des causes purement locales. D'ailleurs, un fait que peuvent attester tous les habitans des colonies américaines, cest que les nègres nés sur le sol du nouveau monde ne ressemblent plus à ceux de la même nation qu'on amène de la côte. Un nègre créole, né d’un père et d’une mère venus d'Afrique, n'a plus les traits outrés de ses parens, et se distingue de suite parmi beau- coup d'autres nègres”; ce qui prouverait évidemment qu’il y a, sur les traits comme sur les formes, une influence locale dont on est encore loin d’avoir déterminé les causes. 1. La raréfaction de l'air, ete.; voy. p- 48 et p. 49. 2. Nous ne poussons pourtant pas, sur ce point, les conséquences du principe aussi loin que > 1 x . . . . 4 ‘ 1 Blumenbach, qui (De generis humani var., trad. franç., p. 198) prétend qu’aux Antilles des Anglais ont pris la figure des Américains. (71) CHAPITRE III. Considérations morales. Langues. Il est peu d’études plus difficiles et qui demandent plus de réflexion que celle de la philologie. Nous sommes loin de nous abuser sur ce point; aussi les langues ne jouent-elles pas un premier rôle dans cet ouvrage. Nous nous bor- nerons ici à quelques généralités, renvoyant à un travail spécial et étendu les détails et les développemens que comporte ce sujet, sur lequel nous avons recueilli beaucoup de matériaux tout à fait neufs. Après les savantes recherches de M. le baron Alexandre de Humboldt, sur les langues américaines”, après les recherches plus générales encore de M. Vater® et de M. Guillaume de Humboldt#, on nous trouvera peut-être bien hardi de chercher à dire un mot sur les idiomes des nations que nous avons observées; mais, tout en reconnaissant la difficulté de cette tâche, qui sort du cercle de nos études habituelles, nous n’avons pas cru devoir nous dispenser de traiter ce sujet pour lequel nous réclamons d'avance lindulgence de nos lecteurs. L'illustre voyageur avait reconnu la justesse des travaux de M. Vater 3 lorsqu'il dit° : « En Amérique, depuis le pays des Esquimaux jusqu'aux rives « de lOrénoque, et depuis ces rives brûlantes jusqu'aux glaces du détroit de « Magellan, des langues meres, entierement différentes par leurs racines, « ont pour ainsi dire une méme physionomie. On reconnaît des analogies « frappantes de structure grammaticale, non-seulement dans les langues per- « fectionnées, comme la langue de lInca, Paymara, le guarani, le mexicain et 1. Voyez la partie spéciale de la Philologie, dans notre Voyage. 2. Dans son Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent. 3. Mithridates, et Bevôlkerung von Amerika. 4. Sur les monographies des langues. 5. Mithridates, t. WI, part. II, p. 385 et 409; Bevülkerung von Amerika, p. 207. 6. Humboldt, Voyage aux régions équinoxiales, édit. im-8.°, t. III, p. 306; et 1. IX, p. 26. Il dit encore : « C’est une disparité totaie des mots à côté d’une grande analogie dans la structure « qui caractérise les langues américaines. Ce sont comme des matières différentes, revêtues de « formes analogues. » Homme améri- cain. (72) Homme 1e cora, mais aussi dans des langues extrêmement grossières.” Nous avons ameri- cain. comparé les nombreux vocabulaires des langues américaines recueillis dans le cours de notre voyage, et dont presque tous sont inconnus aux philologues. Cette comparaison nous a convaincu de la vérité du principe d’uniformité entre les idiomes du nouveau monde; mais si des langues, dont les racines ne se ressemblent nullement, ont un mécanisme intérieur analogue; si elles présentent un caractère général de ressemblance, celui de se composer de parti- cules agrégées plus ou moins complexes que Peuphonie a dénaturées; si, enfin, les règles grammaticales sont presque toujours si voisines pour toutes, ce genre de recherche n’aura pas une importance exclusive. Pour reconnaître les limites où s'arrête la distinction des langues mères d'avec les dialectes qui en dérivent, la comparaison des racines composantes et des mots deviendra d'autant plus nécessaire, que les règles grammaticales y seront plus uniformes ; car dès-lors ces règles ne pourront plus seules établir les limites que donnent au moins, Jusqu'à un certain point, les racines. Nous avons dù nous étendre à cet égard, afin de prouver que les vocabulaires auxquels on attache peu d'importance, lorsqu'ils ne sont pas accompagnés de gram- maires, ont, en Amérique, bien plus de valeur que dans les autres parties du globe; et les rapprochemens comparatifs des mots composés deviendront d'autant plus indispensables, que beaucoup des auteurs de grammaires américaines ont, le plus souvent, voulu subordonner les règles des langues de PAmérique à celles de la langue latine, qu'ils prennent pour point de départ de leur théorie; d'ailleurs, Peuphonie, la prononciation, ainsi que lanalogie des sons, nous paraissent ne devoir pas être négligées dans la comparaison. Toutes les langues américaines sont composées de parties agrégées, de particules merveilleusement calculées, pour rendre toutes les combinaisons possibles, le jeu des substantifs avec les verbes, les pronoms, les adjec- ufs, les pensées qui peuvent $y attacher, et les nombreuses modifications que le mode d'action y détermine; néanmoins, comme Peuphonie a fait, 1. Le savant M. W. Edwards dit très à propos à ce sujet : « Le peuple qui aura changé de « langue transmettra donc en partie à ses descendans son accent et sa prononciation primitifs; « el, quoique tout Saltère à la longue, nous ne voyons pas de raison pour qu'il n’en subsiste « pas de traces évidentes dans ce nouvel idiome pendant des siècles. ” Des caractères physiques des races humaines, p. 101 et suiv., surtout p. 106, pour ce qui a rapport aux sons transmis ; ainsi l’on ne s’étonnera pas que nous ayons cru devoir nous étendre sur certains sons particuliers des langues américaines. (73) selon les circonstances, supprimer ou ajouter des lettres, la décompo- nomme sition de ces particules n’est pas toujours facile; car, dans la jonction de deux Re substantifs pour en former un composé, presque toutes les langues usent de la contraction, mais sous des formes si larges, que quelquefois une seule voyelle représente le mot entier. Dans beaucoup d’entr’elles les pronoms sont si intimement unis aux substantifs, qu'ils n’en sont presque jamais séparés: il en est de même de ceux qui se joignent aux verbes; et le plus souvent, le radical se réduit à une seule lettre, précédant ou suivant, soit le sujet, soit le verbe qu'il accompagne. L’union des substantifs aux adjectifs participe à la même règle, mais généralement subit des réductions considérables de lettres. Ce qui caractérise surtout les langues américaines, éest la complication des temps de verbes, le grand nombre de modifications de ces temps, selon le genre de l’action auquel ils se rattachent, et le défaut complet de Particle. M. de Humboldt dit, avec une bien grande vérité, en parlant des langues du nouveau monde’ : « On reconnaît une multiplicité de formes et de temps « dans les verbes, une industrie artificieuse, pour indiquer d'avance, soit par la flexion des pronoms personnels qui forment la désinence des verbes, soit par un suffirum intercalé, la nature et les rapports du régime et du sujet, pour distinguer si le régime est animé ou inanimé, du genre masculin « ou féminin, unique ou en nombre complexe.” Dans quelques langues, les adjectifs ne varient point selon les genres et selon les cas, comme dans celle des Quichuas, des Aymaras, etc., ils pré- cèdent les substantifs; mais, dans le guarani, quoiqu'aussi invariables, ils suivent souvent le sujet; en un mot, bien que les principes généraux y soient les mêmes, pour les inversions, ils diffèrent tellement dans les détails, qu'il nous faudrait beaucoup plus de place que nous n’en pouvons ici consacrer à ce sujet, pour rendre sensible seulement une partie des nom- breuses nuances caractéristiques de chaque langage, sous le rapport de arrangement des particules composantes, comme sous celui de leu- phonie. Toutes les langues américaines sont fortement accentuées, ce qui leur donne un caractère très-arrêté : les unes ont une forte gutturation, ou des sons pro- noncés du nez; les autres sont douces et euphoniques. Dans quelques-unes, des redondances ou des combinaisons de consonnes fort dures choquent loreille, tandis que d’autres sont, au contraire, remplies de voyelles ou de formes on 1. Voyage aux régions équinoxiales, in-8, t. IF, p. 306. IV. Homme. 10 Homme améri= cain. ——— (74) ne peut plus agréables. Chez les unes, on ne trouve que les sons pleins de la langue latine, chez les autres se présentent fréquemment nos diphthongues, nos lettres françaises, comme Pu, le z, et d’autres sons propres à notre langue. Les langues que nous connaissons sont toutes étrangères à l'usage de telle ou telle lettre. L’f, par exemple, se trouve dans la langue araucana; mais elle manque dans toutes les autres; dans la quichua, c’est le b, le d, le g; dans le guarani, FZ, le w, etc., etc. Le système de numération est en rapport avec les besoins d'échange, le commerce et la civilisation des peuples : les Quichuas, les peuples des Pampas, étendent le leur jusqu'à cent mille’, en suivant des divisions décimales on ne peut plus claires; tandis que beaucoup d’autres nations de chasseurs ne connaissent que des termes de comparaison, et non des quantités absolues, ou s'arrêtent à cing, à dix où à vingt, d'après le nombre des doigts des mains et des pieds; cest là même, quoiqu'il n’en resté pas toujours des traces, qu'il faut chercher la source des formes décimales adoptées par les peuples. Plusieurs langues, principalement celles de la race pampéenne, nous ont présenté une anomalie, relativement aux noms des parties du corps. Ces noms commencent ou finissent d’une manière uniforme, par une ou plusieurs lettres toujours les mêmes. Nous avons cru trouver lexplication de ce fait singulier dans l'existence d’un pronom possessif qui y serait constamment joint; mais nous n'avons pas toujours eu-la preuve positive de cette existence; d’ailleurs, il est des langues (la canichana, par exemple) où cette anomalie s'étend à tout objet matériel appartenant à la nature, de sorte que tous les substantifs y commencent seulement par deux lettres distinctes, tandis que les mots explicatifs des qualités, d’une action ou d’une pensée, varient seuls dans les premieres lettres dont ils se composent. Un autre genre d’exception a donné lieu à beaucoup de réflexions : dans telle langue, les mots employés par lhomme sont, en majeure partie, différens de ceux qu'emploie la femme, où chaque mot, en passant par la bouche de cette dernière, prend une terminaison distincte. La langue des Chiquitos offre, au plus haut degré, ce caractère; mais dans les autres il se réduit, lorsqu'il 1. Pauw, Recherches sur les Américains, dit (t. II, p. 266) : «IL n’y a aucune de ces langues « dans lesquelles on puisse compter au-delà de trois. On voit avec quelle justesse il juge d’un peuple qu’il n’a pas vu. Robertson, Hist. de l’Amér. (édit. esp. , t. II, p. 84), partage son erreur sur ce point. (7%) s'y trouve, aux titres de parenté. Depuis bien long-temps” on a expliqué cette Homme anomalie, par l'habitude de certains peuples conquérans (des Guaranis sur- “ain. tout), de tuer les hommes et de garder les femmes, supposition qui nous paraît assez probable. On a quelquefois supposé*, faute de connaissances positives, que presque toutes les langues américaines étaient peu étendues, grossières, et qu’elles manquaient entièrement de termes pour exprimer une pensée, une idée fine, ou même la passion; mais, sous ce rapport, comme sous tant d’autres, on était entièrement dans l'erreur; car, si les Quichuas et les Aymaras civilisés ont une langue étendue, pleine de figures élégantes, de comparaisons naïves, de poésie, surtout lorsqu'il s'agit d'amour”, il ne faut pas croire qu'isolés au sein des forêts sauvages ou jetés au milieu des plaines sans bornes, les peu- ples chasseurs, agriculteurs et guerriers soient privés de formes élégantes de langage, de figures riches et variées. Les volumineux vocabulaires chiquitos nous en donnent une preuve; d'ailleurs, s'il n’en était ainsi, que pourraient dire ces infatigables orateurs que nous avons vus parmi les Patagons, les Puelches, les Yuracarès, les Araucanos, émouvoir leur auditoire et animer de leurs discours? De quoi se composeraient ces hymnes religieux et allé- goriques, si riches en figures, des Guarayos (tribu des Guaranis)°? Plus nous pénétrons dans le génie des langues, plus nous les concevons, et plus nous reconnaissons qu’elles sont, en général, extrêmement riches, abondantes. Si lon pouvait étudier à fond le guarani, le quichua, le chiquitos , comme on étudie le grec, le latin, on pourrait se convaincre du fait. On juge souvent une nation sur quelques individus qui en font partie, réduits, soumis, presqu’esclaves dans les Missions, individus chez qui Pesprit national cède à l'influence de la servilité ; 1. Père Raymond Breton, Dictionnaire caraïbe, p.229, publié en 1665. 2. Robertson, Histoire de l’ Amérique. 3. Il n’est aucun voyageur qui ne puisse attester la vérité dé ce fait; car au Pérou, ce sera, dans les sociétés, la première chose qu’il apprendra des habitans. 4. Nous possédons un dictionnaire chiquitos manuscrit, in-folio, de 600 pages, qui peut le prouver de reste. M. de Humboldt avait déjà remarqué ce fait, lorsqu'il a dit : « On reconnaît que presque « partout les idiomes offrent plus de richesses, des nuances plus fines qu’on ne devrait le sup- « poser d’après l’état d’inculture des peuples qui les parlent, » ( Voyage aux régions équinoxiales, édit. in-8.°, t. IL, p. 302.) - 5. Ulloa dit que ces discours manquent de fond (Noticias americanas , p. 334). Nous en con- cluons qu’il n’a jamais étudié une langue américaine et ne s’est jamais fait traduire ces harangues. 6. Il est impossible de trouver rien de plus gracieux. Voyez partie historique. (76) Homme Mais ces individus sont totalement abrutis’. C’est dans homme libre, sui- a méri- cain. vant encore les usages primitifs, qu'il faut chercher cet état de l'esprit, cette exaltation de sentimens qui tiennent réellement à la nation. Nous avons voulu expliquer la dureté où Peuphonie des langues par des inductions tirées des coutumes, du genre de vie, plus ou moins rapprochés de la nature; mais nous n'avons rien trouvé qui pût autoriser ces inductions : la nation la plus civilisée, celle des Quichuas, parle la langue fa plus dure, tandis que des chasseurs sauvages ont une langue douce et harmonieuse. Nous pouvons dire aussi que si nous avons pris, dans les langues, le carac- tère qui limite et distingue les nations entr’elles, nous sommes loin de trouver, dans leur ensemble, par rameaux, des différences aussi tranchées que celles que nous ont offertes les caractères physiques. Nulle part aucune règle cir- conscrite; et, sauf les racines distinctes par races, tous les autres caractères grammaticaux sont loin de se montrer constamment en rapport avec nos divisions. Ainsi, d’après nos observations, les langues ne seraient pas le moyen le plus sûr d'arriver à une solution de la question sur Porigine des peuples, et sur leur classement en groupes plus ou moins étendus; mais, chez les peuples sans annales, elles remplaceront toujours exactement Phistoire, pour faire connaître leurs anciennes migrations et pour en suivre les traces au travers des continens*; car, s’il est de ces mots que le hasard seul fait retrouver chez des peuples éloignés, il en est d’autres qui tiennent aux usages particuliers, aux coutumes intimes, à la croyance religieuse d’une nation, et qui ne peuvent Sy transmettre que par un contact bien prouvé. Ÿ Un savant géographe * a dit avec raison : Dans l'étude philosophique de la structure des langues, l'analogie de quelques racines n'acquiert de la valeur que lorsqu'on peut les enchaïner géographiquement. Nous sommes tout à fait de son avis. Pour nous, le rapport de quelques mots, de ceux même que lon considère comme radicaux, ne peut, entre deux peuples, avoir d'importance et faire supposer des filiations, qu'autant qu’il y a possibilité 1. Ilest certain que, dans les Missions, les indigènes cherchent toujours à deviner votre pensée avant de répondre à la question que vous leur faites, ou qu’ils tâchent de se ménager le moyen de vous plaire par des réponses évasives; mais cela tient à leur état de servilité. Un Indien libre répond avec justesse et sans jamais tergiverser. 2. Voyez à l’article -Guarani les faits curieux ignorés jusqu’à nous que nous ont dévoilés nos recherches sur les langues relativement aux anciennes migrations des peuples. 3. Par exemple ceux que nous citons pour les Caribes, 4, Maltebrun, Géographie universelle. (7%) 210) Ta hi ue. Il est certainement très-curieux d'établir des com aralsons : Homme 2 améri- de se dévouer, dans cet intérêt, à des recherches fastidieuses et difficiles sur ‘un. les peuples de continens divers; mais en vouloir conclure qu'il y a eu des communications récentes, serait outrer peut-être les conséquences d’un prin- cipe au moins contestable. Plus on amoncellera les rapports entre un plus grand nombre de nations éloignées les unes des autres et dispersées sur des points distans de nos hémisphères, plus, à notre avis, on prouvera lim- possibilité matérielle que ces rapports soient le résultat de contact; car, si des analogies de construction grammaticale ou de racines existant entre deux peuples placés sur deux régions éloignées du globe, peuvent laisser encore de Pincertitude sur leur origine commune, que sera-ce des analogies s'étendant en même temps, à plusieurs contrées prises chacune dans une partie différente du monde, comme, par exemple, celles que trouve M. de Paravey', entre la nation Muisca du plateau de Bogota en Amérique, les peuples japonais de l'est de PAsie, les Arabes de la partie ouest du même continent et les Basques de l'Europe occidentale? Ne paraïîtra-t-il pas difficile de supposer que, de contrées si éloignées, des peuples franchissant les mers, les continens, toutes les impossibilités locales, soient venus à la fois peupler le sommet d’une montagne de la Colombie, et former un centre de civilisation on ne peut plus restreint, au milieu des nations sauvages qui lenclavent? Avec un peu de bonne volonté, et sans changer beaucoup de lettres dans les racines des langues, on pourrait trouver de l’analogie entre les langues du monde entier. Si nous demandons lexplication de ce fait à la nature même des choses, peut-être la trouverons-nous dans la conformation des organes de la voix. Malgré sa flexibilité, malgré la grande multiplicité de sons que lexercice lui permet de rendre, la voix humaine ne saurait sortir des limites assignées à sa conformation, et dès-lors, en comparant toutes les langues entr'elles, on trouve partout les mêmes sons, diversement combinés et plus ou moins modi- fiés par l'usage, il est vrai; mais exprimant des choses le plus souvent distinctes dans les langues éloignées, le plus souvent identiques dans les langues voi- sines ou qui se sont trouvées en contact. Plus une langue est étendue, plus dans ses racines presque constamment réduites à une émission de sons”, et 1. Mémoire sur l’origine japonaise, arabe et basque de la civilisation des peuples du plateau de Bogota. (Extrait du n.° 56 des Annales de philosophie chrétienne. ) 2, Le nombre des voyelles est limité : elles sont invariablement les mêmes dans toutes les langues; lorsqu'on y joint une consonne radicale, quoique le chiffre des consonnes en soit plus grand, il (78) Homme par conséquent bien plus limitées que le reste du langage, on pourra trouver améri- ain. de sons semblables, tandis que tous les mots seront distincts; mais en tirera- t-on nécessairement la conséquence qu'il y a eu communication, quand, en effet, ce ne sera qu'un rapport fortuit qui, nous le répétons, paraît tenir à la nature intime de l’homme? Un exemple frappant de ce que nous venons d'avancer se trouve dans le résultat des premiers efforts de Penfant pour articuler des sons. Comme il ne rend que ceux qui tiennent essen- tiellement à lespèce, et qui sont, en même temps, les plus faciles à pro- férer, sans que laltération et les modifications apportées par le génie et par la tournure propre à chaque langue y ait encore rien changé, les mots qu’il produit sont presque partout les mêmes. De même que ses premiers regards, les premiers sons que lui arrache la plus impérieuse des nécessités, il les adresse à sa mère, en lui demandant instinctivement le premier aliment; aussi ceux-là doivent-ils se ressembler davantage; puis il les adresse à son père, l'être qui, naturellement, se présente ensuite le plus souvent à ses yeux. Or, en comparant ces mots entr’eux dans un grand nombre de langues, nous les avons retrouvés d'autant plus fréquemment identiques, que le cercle en est plus restreint. Le nom de la mère est le premier, celui du père vient le second et chacun d'eux se retrouve le même sur presque tout le globe; ce qui nous a prouvé que l'enfant a presque partout le même langage. est encore facile d’en calculer les combinaisons, qui, comparativement à celles d’une langue entière, se réduisent à un nombre peu élevé. Il n’est donc pas étonnant de voir très-souvent des racines dues à la jonction d’une consonne et d’une voyelle, identiques chez deux nations qui n’ont jamais eu de contact constaté par l’histoire. À l’inverse, plus les sons se compliquent, plus les rap- ports deviennent rares, en finissant par disparaitre en raison proportionnelle de la plus grande complication de ces mêmes sons. FA Premiers mots de l'enfance dans les principales langues du monde. (79) = phitie sou MÈRE. | PÈRE. HRRTIE nos MÈRE. | PÈRE. DU MONDE. |DE LA NATION. DU MONDE. |DE LA NATION. Patagon. Yama. Yaca. Taigi. Emme. Ê Puelche. Mama. £ Chinois. Mama. 2 Araucano. |Papai. Chachaï. As N.E. /Qasiqumucq| Ninu. z Guarani. Mama. Papa. Tchetchem. | Nana. Dada. Galibi. Bibi. Baba. Turcs, Ana. Ata. Moxo. Meme. Tata. Khiva. Ana. Baba. Quichua. Mama. Yaya. Estonien. Omma. £ AMÉRIQUE Aymara. Mama-tai. | Tata. Carélien. Mamo. Tuata. MÉRIDIONALE. Cayuvava. |Apipi. Apapa. EUROPE RUSSE. { Olonetz. Mamo. Tato. Kitemoca. |Mama. Tatia. Slavon Mammo. |Bata. Yuracarès. | Meme. Tata. Votiak Mumy. z Chapacura. | Mama. Tiatia. Allemand. |Mama. Papa. Itonama. Amete. Amima. Anglais. Mama. Papa. Yaios. Immer. Pape. Europe Latin. Mamma. |Papa. Paunaca. Mimi. Tata. SEPTENTRIONALE, /Espagnol. | Mama. Papa. Cumanagota. | Mama. z _ “en ml Portugais. Mamai. |Pai. Delawares. | Anna. z Français. Maman. |Papa. AMÉRIQUE Ca Nanna. Nosach. Italien Mamma. |Babbo. SEPTENTRIONALE) Meh. Grec Mamma. |Pappas. Pensylvanie. | Anna. Ê Madecasse. |Nini. Baba. De Viti. Ti nana. |Tama. Loango. Mama. |Tata. De Ticopua.|Ti nana. |Pa. Camba. Mama. Tate. D'O-Taiti. |Moana. |Papa. Congo. Mama. [Tata me. Océane. 4 De Malaco. | Mama. Bapa. Arrique. Tembu. Ma. z De Guaham. | Nana. Tata. Foula. Hamma. |Baba. PortDalrym- | Ble-mana. | Mena. Mangrée. Mina. Atia. ple. Berber. lemma, [Baba. Jukaguir. Ama. z Bambara. Mba. Fa. AstE N.E. !Koriak. Memme. |Pepe. Renan À Paba. Samoyède. | Amma. 2 Il en est de même de toutes les racines dans lesquelles on trouve plus sou- vent des ressemblances, parce qu’elles sont moins compliquées, tandis que le xapprochement dun grand nombre de mots n'existe réellement que lorsqu'il ya eu contact ou souche commune, ce qui dépend toujours des possibilités géographiques; ainsi, autant les recherches sur les langues, par lPanalogie 1. Les mots de l'Amérique méridionale sont tirés de nos vocabulaires manuscrits, ainsi que des vocabulaires imprimés : ceux de l'Amérique septentrionale de Barton (New views of the orig., etc.); ceux de l'Océanie, de la Philologie de PAstrolabe par M. d’'Urville ; ceux de l'Asie et de la Russie, de Klaproth (4sia polyglotta); ceux de l'Europe, des dictionnaires; ceux de l'Afrique, d’Oldendorp. Le mot chinois nous a été communiqué par M. Stanislas Julien. Homme améri- cain, (80) des constructions, par l'identité des racines, pour celle des mots intimement liés aux coutumes, à la religion d’un peuple, auront d'importance, et prou- veront les filiations, lorsqu'on pourra les suivre, de proche en proche, au travers des continents, où démontrer la route que Phomme à pu parcourir ; autant ces mêmes recherches en auront peu, quand elles w’établiront les relations que de quelques racines isolées, entre deux peuples placés dans des circonstances d'éloignement difficiles à franchir, surtout lorsque les caractères physiques ne se rapprocheront pas. Pour remplir le cadre de ce que nous avons à dire ici des langues améri- caines, nous présenterons en regard, dans le tableau ci-contre, les mêmes mots dans les langues des diverses nations qui font l'objet de ce travail, afin qu'on puisse juger du peu de rapport qui existe entr’elles, quoique toutes appar- tiennent à un même continent. Facultés intellectuelles. Presque tous les auteurs du siècle dernier s'accordent à refuser aux Amé- ricains l'intelligence. Antonio Ulloa, pour justifier, autant que possible, la conduite souvent barbare de cette troupe d’aventuriers intrépides qui fit la conquête du nouveau monde, ou parce qu'il n’a pas voulu descendre jus- qu'aux indigènes américains, afin de les comprendre, dit, sous toutes les formes, qu'ils sont dépourvus de facultés intellectuelles"; et comme il avait vu les Américains sur un grand nombre de points du continent, son ouvrage, ainsi que ceux de MM. Bouguer* et de La Condamine”, à qui sans doute son contact avait fait, à peu de chose près, adopter son système, ont servi de thème à ceux qui ont écrit après eux sur les Américains, sans recourir aux anciens auteurs“, certainement moins passionnés. Pauw” poussa, dans ce sens, 1. Noticias americanas , Madrid ,1772, p. 321: il les compare à des brutes ; p. 322: il dit qu’ils ne pensent pas; p. 308 : En la raza de Indios es necesario distinguir los actos y operaciones del enten- dimiento de los que son de pura manipulacion 0 industria..…… En los primeros son totalmente nega- dos, torpisimos y sin descernimiento, ni comprehension. (Ulloa, dans ses écrits, a puisé, sans citer, un grand nombre de faits pris dans la Miscellania austral de Diego d’Avalos y Figuroa; Lima, 1602.) 2. Voyage au Pérou, in-4°, 1749, p. 102. 3. Relation abrégée d'un voyage, etc. 4. Garcilaso de la Vega, Padre Acosta, etc. 5. Recherches sur les Américains. W ne fait qu’un de tous les Américains; ainsi, prenant toujours, dans tous les auteurs et pour chaque nation, les détails qui concordent mieux avec sa pensée pré- dominante, il finit par avoir, comme portrait des Américains, l'assemblage le plus monstrueux des vices, des défauts, de la barbarie, RACE PAMPÉENNE. RACE ANDO-PÉRUVIENNE. né sc nn LOUE bre séle | srasimo- RAMEAU PÉRUVIEN. ee. le RAMEAU PAMPÉEN. RAMEAU CHIQUITÉEN. RAMEAU MOXÉEN. GUARANIENNE. Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation | Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation Nation Quichua.' | Aymara.” | Yuracarës.5| Araucana.* | Patagone.* | Puelche.® | Mbocobi. * |Mataguaya.*| Samucu.* | Chiquito.* | Sarabéca.* | Otukè.* |Païconéca.*| Moxa.‘ |Chapacura.*| Ionama. ? | Canichana.’| Movima.® | Cayuvava.” Pacaguara.?| Iténès.? | Guarani.’ | Botocuda.? h ne Homme. Runa. 5 Hake. Suüe. Che. Nuca. Chia. Yova. Inoon. Vairiguè. Noñich.7 [Echeena. |Vuani. UchanenuvelAchane, [Kiritian. Umo. © [Enacu. [tilacua. |Cratasi. FRS Huataki. |Aba. z Femme. Huarmi. Marmi. Yee. Malgen. Nacuna. Yameat. Alo. Kiteis. Yacotea. Païch. Acunechu. |Vuaneti. Esenunuve. Eseno. Yamake. |Caneca. Ikegahui. |Cucha. Cratalorane.|Yucha. Tana. Cuña. z Uma. Ppekeña. |[Dala. Lonco. Dil. Cacaa. Carcaic. Litec. Yatodo. Taanys. Noeve, Ikitao. Ipe. Nuchuti. Upachi. Uchu. Eucucu. Bamacua. |Nahuaraca- [Mapo. - |Mahui. Acang. z ma. Ccaklla. Nauna. Puñe. Tavuun. Capencoe. . |Yacalere. z =. |Yudé. Nochosté. [Nunaapa. |Irenara. Ipiki. Numiro. Urutarachi. [Papapana. |Eicokena. |Kinto. Iribuju. Tamo. Buca. Tatipi. Chamton. Nahui. Nayra. Tanti. Ge. Guter. Yatitco. Jacte, Notelo. Yedoy. Nosuto. Nol. Ichaa. Ihuikis. Nuuki. Tucuchi. {Icachi. Eutot. Sora. Niyoco. | Huiro. To. : ÎTesa. Kectom. Rinri. Inchu. Meye. Pilun. Jene. Yazyerke. |Iketela. Nokiote, Yagoronè. [Noñémosu. |[Nuniije. Ichaparara. |Iseñoki. Nuchoca. |Taitatachi. |Mochtodo. |[Eucomete. [Lototo. Iradike. Paoki. Iniri. Apiçaqua. |Aismon. Maki. |Ampara. |Bana. Cuu. Cheme. Yapaye. Kenoc. Noguec. Ymanaetio. [Panaucos. |Aniquaichi. |Seni. Ivuaki. Nubupe. [Umichi. Malaca. Eutijle. Sojpan. Daru. Muipata. [Uru. Mbo. Jomton. Inti. Inti (villca).|Puine. Antu. Chuina. Apiucuc. |[Nalaoïc. Ijuaba. Yede. Zuuch. Caame. Neri. Isèsè. Saache. Huapuito. |Apache. - Nicojli. Tinno. Naraman. |Vari. Mapito. Quaraci. = Killa. Phakhsi. |Subi. Cuyen. Chuina. Pioo. Caaboïc. |Guela. Etosia. Vaach. Cache. Ari. Kejerè. Coje. Panato. Tiacaca. (Nimilacu. |Yetso. au [Oche. Panevo. [Yaci. = Yacu. Uma. Sama. Co. Ara. Yagup. Netrat. Guag. Yod: Tuuch. Une. Ouru. Ina. Une. Acum. Huanuve. |Nese. . [Touni. Ikita. |Jene. Como. d'a Miñan. Nina. Nina. Aima. Cutal. Maja. Aquacake, |Anorec. Itag. Pioc. Pacs | Tikiai. Rera. Chaki. Yucu. Isse. Bari. Nichucu. |Véé. Idore. Chi. Iche. - |Tata. Chumbake. x ontagne. Orcco. Collo. Monono. [Mahuida. |Yuilhuana. [Atecq. = Lcsug. Cucanat. [Yirituch. |Uti. Batari. lyepè. Mari. Pecun. It Coméé. Champandi. |Iruretui. [Machiva. [Pico. Ibiti. Itacluc. A c. Picta. Micchi. Mumuta. [Tugud. Chuita. Aeke. Nectikena. |[Luchang. |Acho. Kimomes. |[Echote. Vevica. Tibopo. Eziporocu. |Parami. Hualichkit. [Niescutop. |Tanilo. Iraupui. |[Canati. [Pari Guirapa. |Kekenem. Flèche. Huachhi. |Micchi. Tometc. Pulki. Aje. Guit. Nectikenap. |Lotec. Diojic. Cokikich. |Maji. Tehua. Coriruco. [Takirikirè. |Chininie. |Chere. Ichuhuera. |[Julpaendi. [Irabibiki. |Pia. Kivo. Hui. Clocochi. Jeune, adject. [Huaina. [Yacana. |Schebonto. [Hueche. [Naken. Yapelgue. |Nesoc. Magse. Nacar. Naukich. |Inipia. Ichaoro. |Umono. Amoperu. |Isohuem. |Tiètié. Ecokelege. |Ovenionca. |[Mamihuasi. [Huakehue. |lroco. Cunumbu- z 4 L) u. Y eux, adject. |Machu. Achachi. |Calasuñe. [Vucha. Kikcken. |Ictza. Iraïc. Chuit. - |Chokinap. [Poostii. Vuchijari. |Eadi. Ectia, Echasi. ltaracun. |Viayachne. |Enimara. |Bijau. Jratakasi. |Chaita. Ucuti. Ho = LE moi, pron. [Noca. Na. Se. Inche. Yaja. Kia. é Aam. Yam. Oyu. Ny (gny). [Nato. Iki chaocho.|Neti. Nuti. Huaya. Achni. Ojale. Incla. Areai. Ea. Miti. Ndi ni. Ê | si, Sle;pron. |Pay. Hupas Lati. Vei. Toja. Sas. Aam. Atachi. Uuta. Tu. Echeche. |Iki chaano. |Piti. Ema. Aricau. Oni. Enjale. Icolo. Are. Aa. Comari. |4e. = or ie-moi, v. [Koay. £ Tim buche. z Tasja. Chutaca. Ahuaenoc. |Maletuec. |Asigue. Aifanauzo. |Ichamunaziillyura. Pipanira. Pecracano."|Miapachi. |Macuno. Sichite. Caiïjleca. Piboloire. |Eki ahue. |Huiti. Emboocho. = Me ager, verbe. [Miccuni. |Mankatha. |Tiai. In. Ket. Akencc. Sckea. Tec. Agu. lchaca. Iniicha. Oaketa. Ninico. Pinike. Cahuara. |Ape. Alema. Caiki. Panii. Pihue. * |Caorc. Acaru. £ Dormir, verbe. IPuñuni. Ikita. Atesei. Umaugtun. |Coote. Meplamum. |Sooti. Nobina. Amo. Nanoca. ltiemeca. |Anutake. |Pimoco. Migue. Huachiaé. |Conejna. |Agaja. Oroki. Pibili.… Ochahuan. |Upuüra. }Ake. 2 e veux, verbe.|Munani. Chicatha. |Cusu. Anay. Venengui. |Kemo. Ain ain. 2 Aimese. Noñemaca. it Ivia sike. (|Nikikino. |Pivoro. Mosi cha- |Ichavaneve. [Huarehua. |Jirampana. A Akekia, Imirè. Potari. 2 . cum. . D Munanichu. (Chicahani. INis eusu. |Pilan. Chactengui. |Canoa. z Ykite. lcachimess Miñoñema- Hal 4 Oracbie Isiñi kinovo.|Voi-pivoro. |Masi cha- |Huachich- Nolmach Cai-jiram- |Yeichuen- |Oje amakia.|Inimire. Ndaypotari. < à cait. Jari. scate. cum. vaco. éhua-éréhua| pana-aca. hua. A da see Dre, pe Lane Rene o qe hu 0 dl Unes, par Gonrsler@ gun; Lima 1508. RS A pe re A pe en, 1 “4 nue le a D Pue ques ones. nous avons placé en lettres italiques toutes celles qui doivent se pHoNOuer la Française, comme : chum QU line) en RALAEON , & ca an Je Len) , nee de : f 2 Q : 7 Cest notre ch sans voyelle finale, ayant seulement le son de la voyelle qui précède, el non (ch, que représente la jonction pag ME lens Guareni,:compuesto por. el Padre-Antonio Ruiz; Madrid , 1639. p'ement rendu par un æ dans les dictionnaires manuscrits de la langue des Chiquitos: s D ! * } CS “RL — Re nm Mt . $ PAP] La NT LUE (M1 : « . : , + LPS Fe LL . (81) lexagération et la mauvaise foi aussi loin qu'il était possible de le faire, éten- dant son système des hommes aux plantes, et enfin au sol américain. Robertson‘ y puisa ses idées, bien éloignées d’être conformes à la vérité; aussi ces deux écrivains, qui ne connaissaient les Américains que d’après de faux rapports, ou qui ne prirent, dans les auteurs par eux cités, que ce qui coïnci- dait avec leurs idées, dépouillèrent-ils peu à peu les indigènes du nouveau monde de tous les dons de la nature, jusqu'à en faire des hommes faibles, dégénérés au physique comme au moral, et doués tout au plus de l'instinct des animaux de l’ancien monde. Si en France on prenait pour type les paysans Poitevins ou les Bas-Bretons, par exemple, que pourrait-on dire de la civi- lisation de la nation? Cest donc dans les capitales, près des centres des gouvernemens, des grandes sociétés, qu'il faut aller chercher le degré de facultés intellectuelles d'un peuple, et non parmi les classes les moins éclai- rées de la société, comme l'ont fait les auteurs que nous citons. Ce que nous avons dit de la richesse, de Pélégance des langues”, a déjà donné une idée plus juste et plus avantageuse des Américains. Poursuivons ce genre de recherches, pour ce qui a rapport à la pensée, aux réflexions, à la poésie. Les Quichuas, les Araucanos avaient leurs poëtes, chargés de retracer les belles actions de leurs rois”. Des idiomes qu'animent tant de comparaisons si naïves, de tours si élégans, la clarté d’élocution de tous les peuples orateurs, Quichuas‘, Patagons, Puelches, Araucanos, Yuracarès, sont-ce là des preuves de la faiblesse de la pensée, de la stérilité de Pesprit? Cent fois nous avons entendu ces hommes, traités de brutes, haranguer les 1. Histoire de l’ Amérique. W est évident que Robertson avait aussi, lui, une idée préconçue, lorsqu'il entreprit l’histoire de l'Amérique; car, de même que Pauw, il confond tous les Améri- cains ; et, avec moins d’exagération, avec plus d’érudition, arrive aux mêmes résultats ; il a suivi le même système que Pauw et n’est pas plus conséquent dans ses conclusions. Rien de plus faux que les généralités dans lesquelles on ne tient pas compte des spécialités, des motifs, des causes ; car alors on prend les exceptions pour des règles. Herrera, Decadas IT, lib. II, p. 15. On à élevé la question de savoir si les Américains étaient des hommes ou des animaux. L'auteur du Choix des lettres édifiantes, t. VII (Missions d'Amérique, 1. 1, p. 14), dans ses réflexions générales sur les Américains, a copié en tout les idées défavorables aux Américains, professées par Robertson. 2. Voyez page 72. 3. Voyez Garcilaso, Coment. de los Incas, p. 34, 37,67, 77, 261, etc. Voyez partie historique, t. IT, chap. XXI, p. 264. 4. Ulloa, loc. cit., p. 334, cite leurs longues harangues et pourtant leur refuse la pensée. 1V. Homme. 2 Homme améri- cain. ( 82 ) lune leurs des heures entières, sans hésiter un seul instant. Leurs intonations sont améri= ain. des plus variées, et tour à tour attendrissent ou exaltent leur auditoire, Est-ce —— Jà le fait d'êtres qui ne pensent pas? L’Américain n’est privé d'aucune des facultés que possèdent les autres peuples; il ne lui manque que Poccasion de les développer. Quand les nations étaient libres, elles montraient beau- coup plus de facilité en tout genre, et si plusieurs ne sont aujourd’hui que l'ombre d'elles -mêmes, la faute en est seulement à leur position sociale actuelle. Quelques -unes, comme la guarani et la yuracarès, avaient une mytho- logie remplie de fictions des plus gracieuses. Les Patagons et les peuples ambulans des plaines ont un système de constellation très-ingénieux”. Les Quichuas avaient calculé Pannée solaire, les révolutions lunaires; chez eux et chez les Aymaras, l'architecture était assez avancée, ce que prouvent les restes de leurs immenses monumens, souvent ornés de reliefs plats*?; leur dessin n’était pas toujours aussi grossier qu'on pourrait le croire, et nous possédons des Quichuas une tête qui annonce, au contraire, un sentiment d'imitation des traits fort remarquable. Les historiens des Moxos avaient encore, dans le siècle dernier, une écriture consistant en raies tracées sur de petites planchettes‘; ceux de la nation quichua conservaient, par des signes symboliques”, par des assemblages de nœuds et de fils, les annales de la nation; aussi leur fallait-il de la mémoire. Quant à leurs poëtes, le charme avec lequel ils peignent amour, annonce, certainement en eux, une intelligence développée et autant d'esprit que de sensibilité. Nous avons pu juger de l'extrême aptitude que tous les Américains, même ceux dont Pesprit est le plus inculte, montrent pour apprendre ce qu’on veut leur enseigner. La perception est chez eux très-prompte, et il west pas rare de trouver des individus parlant jusqu’à trois ou quatre langues, aussi distinctes entr’elles que le français et l’allemand°. En résumé, sans vouloir comparer le dévelop- pement des facultés intellectuelles des Américains à celui des habitans de 1. Voyez partie historique, t. II, p. 93. 2. Voyez nos planches d’Antiquités, n.” 4, 6,7. 3. Voyez Antiquités, pl. 15. 4. Voyez Viedma, /nforme general de la provincia de Santa-Cruz (1787), p. 89; manuscrit dont nous possédons l’original. 5. Voyez notre description spéciale des Quichuas. 6. Ce fait est général, et M. de Humboldt l’a observé comme nous (Voy. aux rég. trop., t. NI, p. 308, édit. in-8.”). (83) l'Europe, nous les croyons des plus capables de former un peuple éclairé; et nul doute que, tôt ou tard, la marche de la civilisation ne démontre ce que nous avançons, d’après des faits bien établis et d’après nos observa- tions personnelles. Entre toutes les nations que nous avons vues, on peut mettre au premier rang, pour l'intelligence, les peuples montagnards et ceux des régions tem- pérées des plaines. Ceux des régions chaudes sont, en général, plus doux, plus affables ; ils ont, peut-être, plus de légèreté dans la pensée, mais moins de profondeur dans le jugement. Les Incas étaient les plus avancés, parce que, seuls soumis à un gouvernement régulier, ils formaient, dés-lors, une société organisée, pourvue d’un centre de lumières, d’où rayonnaient des idées de grandeur , de luxe, nourries et vivifiées là, comme toujours et par- tout dans la classe aristocratique, qui les répandait parmi le peuple; tandis que, divisées en tribus nombreuses , vivant dans l'isolement et se fuyant, pour ainsi dire, les autres nations ne portaient jamais leur attention au- dela du cercle étroit de leurs intérêts du moment, et les plus immé- diats. Ce qui est arrivé de la civilisation péruvienne, anéantie d’un seul coup, avec les connaissances des Incas, par le massacre que Pusurpateur Atahualpa fit faire de ces derniers, au premier temps de la conquête, explique Pétat actuel des Péruviens, comparé à ce qu’ils étaient. Caractere. Quoique le caractère de l’homme soit des plus variable selon les individus, on ne saurait nier qu'il n’ait des nuances qui tiennent à la souche. En jugeant d’une nation, d’une race par son ensemble, comparé à celui de telle autre, on pourra se convaincre que celle-ci penche vers la douceur, celle-là vers la férocité; que lune est disposée à se soumettre à tout ce qu’on lui prescrira, tandis que l’autre préférera la mort à la soumission; et, sans sortir du cercle de nos observations, nous trouvons toutes les nuances que nous venons d'indiquer. Les Quichuas et les Aymaras civilisés des Andes sont d’un caractère doux, paisible, on ne peut plus sociable. Ils recurent les Espagnols avec une hospi- talité franche, et se soumirent aveuglément à la religion, ainsi qu'aux nouvelles lois qu'on leur imposait : ils sont sobres, patiens dans la souffrance; labo- rieux et persévérans dans le travail. Les Guaranis sauvages des collines boisées du Brésil sont généralement doux, affables, francs et hospitaliers; ils accueil- Homme améri- ain. Homme améri- vain, ( 84) lirent, presqu’en tous lieux, les Espagnols et les Portugais avec joie, les aidèrent même, et se soumirent à leur religion, à leur joug. Il en est de même des peuples de nos rameaux chiquitéen et moxéen, que le zèle religieux suflit pour réduire, pour convertir au christianisme; tandis que, fiers et indomp- tables guerriers, les peuples les plus méridionaux des montagnes et ceux des plaines, les Araucanos, les Patagons, les Puelches, les Charruas, les Mboco- bis, ete., combattirent avec acharnement les Européens à leur arrivée; et, depuis trois siècles, ont mieux aimé se voir sans cesse décimer par les Espa- gnols”, que d’en jamais reconnaître les lois, la religion; de sorte que leurs coutumes, leur culte, sont encore aujourd’hui les mêmes qu'au temps de la conquête. Des contrastes si frappans entre des hommes que leurs caractères physiques distinguent d’ailleurs nettement les uns des autres, ne prouve- raient-ils pas évidemment que chaque race, chaque nation peut avoir dans le caractère, des nuances, qui, sans Jamais changer en rien, semblent se perpétuer, de génération en génération, parmi les membres d’un même peuple? Les Péruviens, les Chiquitéens, les Moxéens seront toujours doux, toujours soumis ; les Araucaniens et les Pampéens, toujours fiers, toujours indomp- tables. Chacune de nos divisions offre, dans son caractère, les nuances les plus tranchées. Parmi les Ando-Péruviens, les Péruviens sont doux, affables, hospitaliers, sociables, soumis jusqu'à la servilité, superstitieux à lextrême; ils s'amusent sans paraître gais, dansent sans quitter leur taciturnité , leur froideur. Ils sont tous chrétiens. Les Antisiens présentent peu duniformité et servent, par leur caractère comme par leur position géographique, de passage entre les Péru- viens et les peuples des plaines : les uns, peu différens des Quichuas pour les bonnes qualités, sont réduits au christianisme; tandis que les autres (les Yura- carès) présentent le vrai type du sauvage livré à lui-même, réunissant tous les vices à l'égoisme le plus complet; fiers, insociables, indépendans, cruels, insen- sibles pour eux, comme pour les autres; ils sont encore libres. Les Araucaniens ressemblent beaucoup aux Yuracarès, altiers, indociles comme eux, dissimulés, rancuneux, peu gais, souvent taciturnes ; guerriers intrépides, voyageurs des plus infatigables , tous indépendans.* La race pampéenne offre à peu près, par rameaux, les mêmes contrastes. 1. Pauw attribue aux localités ce qu'il ne peut citer comme preuve de faiblesse (4. 1, p. 99). 2. Voyez leur description très-étendue, partie historique, t. IF, chap. XXT, p. 225. ( S& ) Les Pampéens ressemblent en tout aux Araucaniens : fiers, mdomptables , nomme infatigables guerriers, ils voyagent sans cesse et portent parlout leur incon- “ain. stance ; ils sont tristes, sérieux, réservés, froids, quelquefois féroces ; jamais un seul ne se fit chrétien sans contrainte... Tous sont libres. Les Chiqui- téens en différent en tous points : doux, soumis, ils se rangèrent volontiers aux lois des missionnaires, sans presque faire de difficultés. Constans dans leurs goûts, ils présentent le type de la gaîté la plus frivole, de la sociabi- lité, de la bonté, de l'esprit communicatif; tous sont chrétiens. Les Moxéens, avec moins de gaîté, sont, pour le caractère, les mêmes que les Chiquitéens; comme ceux-ci, ils aiment peu le changement : tous ont aussi embrassé le christianisme. La race brasilio-guaranienne tient le milieu entre les Péruviens et les Chiquitéens. Généralement bons, affables, francs, hospitaliers, faciles à con- vaincre, quand une fois les hommes de cette race ont admis un principe, ils le suivent aveuglément. Ils reçurent létranger parmi eux, se soumirent aux conquérans, comme au zèle religieux des missionnaires; guerriers et voya- geurs, ils étaient courageux et poussaient quelquefois la vengeance contre l'ennemi vaincu jusqu'à lanthropophagie, tout en le traitant préalablement avec beaucoup d'humanité”. Réfléchis, sérieux dans leurs discours, ils parlent peu ; presque tous sont chrétiens. D’après cet aperçu rapide des nuances du caractère moral, on peut se con- vaincre qu’elles sont presque toujours en rapport avec nos divisions, basées sur les caractères physiologiques; ce qui fournit une nouvelle preuve que le carac- tère est le plus souvent national, et tient essentiellement à des dispositions physiques prédominantes, particulières à chaque nation ou à chaque groupe de nation. On pourrait encore déduire de ce fait une autre conséquence non moins importante : c’est qu'une énigme restée Jusqu'à ce Jour inexplicable pour ceux qui ont scruté l’histoire de cette époque singulière, la conquête du Pérou et de certaines autres parties de l'Amérique, faite par une poignée d'hommes, au milieu de peuples nombreux; cette conquête, disons-nous, ne fut qu'une conséquence inévitable des dispositions naturelles, du caractère 1. Pero Magalhanes de Gandavo, Historia de Santa-Cruz, Lisboa, 1576, en a donné plusieurs preuves évidentes. Voyez aussi la traduction française que M. Ternaux Compans a donnée de cet ouvrage dans son intéressante Collection de voyages, relations et mémoires originaux, pour servir à l’histoire de la découverte de l'Amérique. Robertson, Hist. de l’Amér., édit. esp., & IT, p. 151, dit tout à fait à tort que les Péruviens connaissaient Panthropophagie. ( 86 ) lumme des peuples conquis; car les Espagnols n’ont mis ni moins de bravoure, ni améri- cain. moins de persévérance dans leur lutte guerrière ou religieuse contre les Arau- canos, contre les peuples des Pampas et du grand Chaco; et cependant, ni le fer, ni la persuasion n’ont pu rien obtenir de ces dernières nations, demeu- rées, jusqu'à nos jours, en religion comme en politique, ce qu'elles étaient avant la découverte du nouveau monde. Si, comme nous l'avons fait des caractères physiologiques des Américains, nous comparons leur caractère moral à leur genre de vie, nous arrivons à des résultats curieux. Les plus doux, les plus hospitaliers de tous, les Quichuas et les Aymaras, sont, par la nature du lieu qu'ils habitent, tous pasteurs, tous agriculteurs , seulement, ne s’occupant presque jamais de chasse. Ceux qui leur ressem- blent le plus par ces qualités, les Chiquitéens, les Moxéens, les Brasilio- Guaraniens, sont simultanément, suivant les localités, agriculteurs, pêcheurs et chasseurs, tandis que les plus indomptables, les plus cruels, les plus fiers, les Araucanos, les Patagons, les Puelches, les Mbocobis, sont chas- seurs par essence. Est-ce le caractère qui influe sur les mœurs? sont-ce les mœurs qui influent sur le caractère? Cette double question peut paraître toute hypothétique; mais nous n’en pensons pas moins qu'on doit croire à l'influence des mœurs sur le caractère; car il est évident qu'une coutume qui d'abord nous répugne et nous inspire de lhorreur, lhabitude finit par nous la rendre naturelle. Tous les peuples agriculteurs et pasteurs, presque tous les peuples agriculteurs et chasseurs à la fois, se sont soumis aux Espa- gnols et sont chrétiens. Les peuples exclusivement chasseurs ne se sont Jamais soumis : tous, au contraire, sont libres, tant dans Amérique du Nord que dans Amérique du Sud. Les rapports du caractère avec les localités habitées par les peuples amé- ricains , offrent aussi des rapprochemens intéressans. Les nations les plus civi- lisées, les plus sociables, habitaient les plateaux élevés et tempérés : les Péruviens sur les Andes, les Muiscas sur le plateau de Bogota, les Mexicains sur celui du Mexique; pourtant, si lesprit de sociabilité se développait sur les montagnes, la bonté, la douceur ne s’y trouvaient pas toujours. Les Péru- viens , les Muiscas avaient des mœurs douces; mais les Mexicains étaient bar- bares, cruels dans leurs croyances religieuses, ce qui, du reste, tenait peut- être à leur fanatisme plutôt qu'à leur caractère propre. Sur les collines chaudes, plus de ces caractères sociaux ; beaucoup de bonté, de douceur quelquefois, comme chez les Chiquitéens, chez les Guaranis; mais des familles dispersées (87 ) et isolées les unes des autres, ce qui probablement tenait aux exigences impé- Homme rieuses de la vie du chasseur; sur les plaines froides et tempérées, les peuples “ain. les plus insociables, les plus intraitables, les plus fiers, comme les Patagons, les Puelches, les habitans du grand Chaco. Quoiqu'il semble résulter de ce que nous venons de dire que influence des montagnes amène plus d’aménité dans les mœurs et que les plaines produisent Peffet contraire, il ne faudrait pas trop se hâter de prononcer; car les Moxéens, d’un caractère très-doux, habitent des plaines ; tandis que les fiers Araucanos vivent sur des montagnes; aussi reste-t-il encore bien des doutes à lever, avant d’asseoir un jugement, surtout quand on ne saurait se refuser à reconnaître qu'il est des nuances de caractère intimement liées à la race. L'examen des grandes masses de la population américaine atteste l'influence de la latitude et de la température sur le caractère. Les peuples les plus intrai- tables vivent, dans l'Amérique du Sud, vers son extrémité méridionale; dans l'Amérique du Nord, vers son extrémité septentrionale. On pourrait, de prime abord, en conclure que linfluence est évidente; mais ne pourrait-on pas, avec autant de raison, attribuer cette identité de caractère à la similitude des mœurs ? Viendraient ensuite ces questions : ces mœurs sont-elles déterminées par les localités, comme il arrive évidemment pour les Patagons ? sont-elles la conséquence de la latitude? Nous voyons, il est vrai, les peuples les plus doux, les plus gais, vers les régions chaudes; les plus sombres, les plus réflé- chis, les plus indomptables, vers les régions tempérées et froides, mais cela seulement quand la température est due à la latitude seule; car les Péruviens de la zone torride, en conséquence de l'élévation des plateaux qu'ils habitent, peuplent, par le fait, les régions froides et tempérées, et sont, comme nous avons vu, les plus doux de tous les Américains. Quelques auteurs, que nous nous dispensons de nommer, car ils l'ont été beaucoup trop souvent déjà dans ce travail, ont voulu refuser les passions aux Américains : ils les croient incapables d'amour, sentiment si vif chez les habitans de l'ancien monde. Néanmoins, d’après nos observations propres, nous pouvons aflirmer qu'ils sont tout aussi susceptibles que nous d’éprouver des passions ardentes; nous pourrions en citer plusieurs exemples dont nous avons été témoin; mais nous nous contenterons de renvoyer aux historiens narrateurs de faits qui le démontrent sans réplique. Au seizième siècle”, la 1. Tous les auteurs qui ont écrit sur la Plata citent ce fait. Lozano, Historia del Paraguay, 1. 1, p. 29. Funes, Ensayo de la historia civil del Paraguay, t. 1, chap. 2, p. 26. Homme améri- ain. ———— (88 ) ruine du fort de Santi-Espiritu , fondé par Gaboto, fut amenée par l'amour d'un Guarani pour une femme espagnole. Plus tard M. Lesson a recueilli un autre fait qui faillit entraîner d'aussi tragiques résultats chez les Araucanos du Chili.’ Maœurs. Les mœurs des peuples dépendent toujours des ressources et des possibilités locales. Vouloir attribuer les différences qui existent, à cet égard, entre les nations, à la seule influence de la civilisation, serait tout à fait injuste, puis- qu'au contraire ce sont ces ressources locales qui entravent ou accélèrent l'extension numérique des peuples et leur réunion en société, première source de la civilisation. La surface que nous étudions, nous en offre un exemple. I ne $y trouvait qu'une seule nation civilisée, celle des Quichuas des Andes ; mais leur civilisation, à quelles circonstances la devaient-ils? Rien n’em- pêche de attribuer à la présence, sur leurs plateaux, du Ilama et de lalpaca, qu'ils ont réduits à l'état de domesticité, autant qu’à la culture de la pomme de terre, naturelle sur leurs montagnes, et remplaçant le grain de lPancien monde, auquel celui-ci doit, sans doute, ses premiers centres de civilisation. Vivant dans l'abondance, ils purent se réunir en grand nombre, et même constituer une puissante monarchie. Partout ailleurs, aucun animal propre au pays ne pouvait être réduit à l’état domestique *. Quelques contrées avaient le manioc, qui manque souvent, et qui ne peut pas se conserver dans les migrations; le maïs, que la grande chaleur, l'humidité et les nombreux insectes destructeurs ne permettent pas de garder toujours comme provi- sion”, D’autres ne possédaient aucunes racines, ni graines cultivables*; et, d'ailleurs, leur terrain n’en aurait point permis la culture*; dès-lors les uns, en des momens de fréquentes disettes, les autres par nécessité, durent nécessairement devenir chasseurs. À mesure que le gibier devint plus rare, les hommes s’étendirent au loin pour le poursuivre; ils devinrent vagabonds, voyageurs. Le goût de la chasse, au lieu de tendre à les réunir, les porte à 1. Lesson, Complément des Œuvres de Buffon, t. H, races humaines, p. 166. 2. On pourrait demander à Robertson, qui (édit. espagn., & IT, p. 114) critique les Américains sous ce point de vue, quel animal il aurait voulu qu’on réduisit à l’état domestique, au Brésil, par exemple ? 3. Il en est ainsi dans toutes les contrées chaudes. 4. Les Patagons, les Puelches. FR dar ç- , s h 5. Par sa grande sécheresse et le manque de pluie. (89) s'isoler, pour s'assurer une meilleure chance, pour éviter des rivalités nuisibles. Homme Leurs ressources diminuaient donc à mesure qu'ils se trouvaient en plus grand “a. nombre sur un lieu; aussi durent-ils se diviser par petites tribus. Ces tribus ——— étaient souvent en concurrence ouverte sur le droit de chasser dans les endroits qu’elles habitaient; de là, rixes entr’elles, haines entre les familles, habitude de se faire la guerre ou de se disperser sur les plaines et au sein d’épaisses forêts. Telle est, en peu de mots, l'histoire des mœurs compara- tives des peuples américains. Voyons maintenant si, selon les lieux, selon les possibilités, les mœurs des peuples sont toujours conformes à ce que nous avons dit. Les grandes troupes de Ilamas et d’alpacas, que les Péruviens avaient réduites à l’état domestique, sur le plateau des Andes, avaient fait de ces lieux, avant la conquête, les seuls points où les peuples fussent pasteurs. Partout ailleurs aucun animal n’était propre à la domesticité; aussi les autres nations manquaient-elles de ce genre de ressource. L'agriculture existait chez presque tous les peuples; les Péruviens Pavaient poussée au dernier degré de perfection relative, et y avaient appliqué les arts*; les Chiquitéens, les Moxéens, les Gua- ranis de la zone torride, s’y livraient à lenvi; mais comme beaucoup de causes détruisaient leurs récoltes ou les empêchaient de se conserver , ils étaient en même temps, suivant les localités, pêcheurs et chasseurs. Pour eux, Pagri- culture était un moyen constant d'existence, tandis qu'ils ne voyaient dans la chasse, dans la pêche, qu’une ressource momentanée, qu'un amusement. Les Pampéens, au contraire, habitant des plaines sèches, arides, manquant d'ailleurs de graines propres à la culture, ou ne la connaissaient qu'aux points de contact avec les autres nations de cultivateurs, ou, pour la plu- part, Pignoraient complétement. La chasse devait donc être générale sur toutes les contrées chaudes et à l'extrémité sud de l'Amérique méridio- nale; aussi les Pampéens, les Araucaniens, en faisaient-ils leur seule res- source, tandis que les Guaranis, les Chiquitéens, les Moxéens, ne s’en occupaient que secondairement. La pêche, comme la chasse, amène sou- vent le goût, la nécessité du changement de lieu, témoins les Fuégiens?, seuls exclusivement pêcheurs, les autres ne létant que par circonstance. Les peuples du littoral du Pérou létaient aussi, de même que les Guaranis des côtes du Brésil; les autres peuples ne pêchaient que dans les saisons propices, 1. Voyez l’article Quichua. 2. Voyez notre description spéciale. IV. Homme. 12 Homme amtri- ain ( 90 ) ou lorsque les conjonctures les placaient accidentellement en des conditions favorables. Les grandes sociétés n’existaient donc que parmi les Péruviens du plateau des Andes, agriculteurs et pasteurs, attachés à des habitations fixes; les autres nations se divisaient et subdivisaient à Pinfini par tribus. Les peuples agriculteurs et chasseurs restaient souvent stationnaires, comme les Moxéens, les Chiquitéens, quelques Guaranis, quelques-uns des Antisiens; mais ils changeaient aussi fréquemment de résidence, et faisaient momentanément des courses à des distances médiocres. Les peuples chasseurs et pêcheurs, comme les Araucaniens et les Pampéens, étaient et sont toujours ambulans. Ce qui précède a pu démontrer que les grandes divisions de mœurs sont souvent en rapport avec celles que nous avons établies d'après les caractères physiques, et le sont toujours, surtout, avec les possibilités locales. Voyons maintenant les modifications apportées aux mœurs des Américains, par l’in- troduction au milieu d'eux du cheval, du bœuf, des autres animaux domes- tiques, ainsi que par celle des céréales. Les Péruviens, restés ce qu'ils étaient, ont continué à élever les animaux propres au sol; seulement ils y ont joint nos moutons, nos ânes, enrichissant leur culture de celle du froment et de l'orge. Dans les contrées chaudes, où le grain ne croît point, les animaux domestiques ont sufli pour amener de plus grands changemens; les indigènes les ont adoptés dans beaucoup de contrées, renonçant dès-lors aux voyages et à la chasse. Les tribus encore sauvages, errant au milieu des forêts, sont les seules qui souvent, par le manque de pâturages, ne se soient pas prévalues de ce bienfait. Dans les plaines tempérées du grand Chaco, l'homme a cessé d'être ambulant; il possède des troupeaux; il ne fait plus de la chasse qu'un amusement. Sur les montagnes du Chili, les Arauca- nos ont aussi des troupeaux et sement le froment; ils sont souvent séden- taires ; mais, dans les Pampas et sur les plaines de la Patagonie, les Araucanos, les Puelches, les Patagons surtout, maîtres aujourd’hui du cheval, qu'ils préfèrent à tout, sont, au lieu de se fixer, devenus plus ambulans encore, plus chasseurs, en raison de la faculté qui leur est donnée de fran- chir rapidement de grandes distances, et de se nourrir de la chair de leurs coursiers. Peut-être la stérilité de leurs plaines, qui les a forcés, comme chas- seurs, à la vie nomade, les aura-t-elle obligés à continuer, comme pasteurs, le même genre de vie, par suite du défaut de pâturages. (M) Coutumes et usages. Si les mœurs des peuples dépendent des ressources locales, les coutumes et les usages sont presque toujours en rapport avec les mœurs, mais souvent encore modifiés par les localités. Les Quichuas et les autres Péruviens, rassem- blés en de grandes villes, en de nombreux villages, durent bâtir de vastes édifices pour Paristocratie de leur nation, pour son culte; des maisons solides en pierre pour les simples particuliers; car ils ne voyageaient point. Les hommes des rameaux moxéens fixés, par la religion, près des lacs, près des grandes rivières, dont ils croyaient descendre”, groupèrent en villages des cabanes de troncs de palmiers; les Chiquitéens, les Guaraniens et les Antisiens, quoique ne manquant pas de pierres, comme les Moxéens, ne se bâtirent que des cabanes de roseaux, soutenues par des troncs d'arbres, et ne vécurent qu’en grandes familles. Nomade par goût et par nécessité, Phabitant pampéen du grand Chaco n’a pour demeure que des nattes, dont à chaque halte il se fait un abri contre les intempéries de la saison; tandis que le Patagon, le Puelche, l'Araucano des Pampas, plus ambulans encore, non-seulement ne se con- struisent pas de maisons, mais se contentent de former, avec les peaux des animaux qu'ils ont tués, des tentes, qu'ils transportent partout avec eux. Les mœurs et les possibilités locales influent beaucoup sur le genre de construction des demeures des Américains. Chez les Péruviens, chaque ménage ayant sa maison séparée, celle-ci est petite; chez les Guaranis, où une famille entière vit sous le même toit, chacune représente presque la contenance d’un hameau ; chez les Moxéens, chez les Guaranis, chez les Chiquitos, outre les habitations privées, il y a, dans chaque hameau, une vaste maison commune, destinée à recevoir les étrangers, les visiteurs; et, chez le dernier de ces peu- ples, les jeunes gens des deux sexes qui se séparent de leurs familles respec- tives pour vivre en commun Jusqu'à leur mariage. L'ameublement de lhabitation est en raison des coutumes : les Péruviens ne connaissaient le luxe, les ornemens, que pour leurs temples, pour leurs Incas; les simples particuliers avaient et ont encore des peaux sur lesquelles ils se couchent, et auxquelles ils joignent seulement leurs instrumens aratoires, les outils nécessaires à l'exercice de leur industrie personnelle, les ustensiles de leur ménage. L’Antisien yuracarès ne possède que ses armes, pour lit des feuilles de palmier, une mousticaire d’écorce de müûrier pour se garantir des insectes ; 1. Voyez la partie spéciale. Homme améri- cain. (92) Homme Le Moxéen, le Guarani, ont leur hamac pour se coucher; le Chiquitéen améri- catn, possède encore le hamac pour les hommes, mais une simple natte pour les femmes; les Pampéens du Chaco n’ont aussi pour lit que des nattes; le Patagon, le Puelche, lAraucano , se contentent de peaux d'animaux sau- vages. Les armes, qui partout ornent les habitations, varient suivant les nations : le Péruvien, l'Araucanien, le Fuégien, se servent de la fronde; la massue est propre à toutes les nations des rameaux guaranien, chiquitéen, moxéen, antisien, péruvien, ainsi qu'à une partie des Pampéens ; la lance appartient aux Péruviens, aux Araucaniens, aux Pampéens; les bolas, arme des plus terrible, sont spéciales aux Pampéens et aux Araucaniens; mais on trouve chez toutes les nations, sans distinction, Parc et la flèche, attributs certains du chasseur et souvent du guerrier. Pour mieux faire connaître les coutumes, selon les diverses époques de la vie, nous allons parcourir, successivement, le cours de lexistence des Amé- ricains, en en comparant les rapports et les dissemblances. Chez presque toutes les nations, pendant sa grossesse, la femme ne change en rien ses occupations ordinaires; comme nous l'avons déjà fait remarquer, elle va le plus souvent, sous toutes les latitudes, accoucher près d’un ruis- seau, sy baigne ensuite, y lave son enfant et revient chez elle reprendre ses habitudes journalières. Parmi quelques nations seulement (les Quichuas, les Araucanos"), l'époque de la naissance des enfans est marquée par des fêtes et par quelques cérémonies. Les enfans sont élevés avec une tendre sollicitude : les mères les allaitent deux ou trois ans de suite, et leur prodiguent les soins les plus minutieux; plus tard, elles deviennent leurs esclaves, supportent tous leurs caprices, sans Jamais leur adresser de reproches. Le père en fait autant; et, chez les Yuracarès, la moindre remontrance serait regardée comme un crime, On a vu des Araucanos abandonner un lieu d'habitation par suite du simple caprice d’un enfant”. L'éducation des deux sexes se borne à limita- üon des exercices de leurs parens : les garcons s'occupent de la chasse, les filles des devoirs du ménage et des travaux affectés à leur sexe. L'époque de la nubilité des femmes est, chez la plupart des Américains, l’occasion de cérémonies compliquées, de pratiques barbares, qui, sous diverses formes, se retrouvent chez les Antisiens, chez les Araucaniens, chez les Pam- péens, chez les Chiquitéens, chez les Moxos, chez les Brasilio-Guaraniens, ou, 1. Voyez partie historique, t. IT, chap. XXI, p- 244. 2. Falkner, Descriplion des terres magellaniques (édit. de Lausanne, 1787, t. II, p. 109). (95) pour mieux dire, sur toute la superficie de l'Amérique méridionale. C’est un Homme . s = . : améri- jeûne rigoureux, ce sont des ablutions de la jeune fille, le tatouage d’une partie de ‘ain. sa figure ou de ses bras, des cicatrices profondes sur sa poitrine, qui témoignent extérieurement de son passage de lenfance stérile à l’âge de la fécondité, L'époque du mariage est moins solennisée : l'alliance se fait presque par- tout entre les plus proches parens ou du moins entre les membres d’une même tribu. Chez les Quichuas, Punion était consacrée par un des Incas; parmi les autres nations américaines ce n’est, le plus souvent, qu’une affaire de convention, de convenance. L’homme doit préalablement donner des preuves de son adresse à la chasse, de sa valeur comme guerrier; puis il faut qu'il obtienne l'agrément de la famille. Chez les peuples du Sud, le mariage n’est que l'achat d’une femme au plus haut prix; aussi trouvent- ils souvent plus facile de conquérir une esclave sur l'ennemi, que de se procurer une femme de leur tribu. La polygamie n’était pas admise chez les peuples quichuas, ou n’y était qu'un privilége de Paristocratie; tandis que, chez presque toutes les autres nations à leur état primitif, Cest une coutume générale qui dépend de la richesse, de la bravoure, de la position sociale des hommes, et qu'on y considère comme un grand honneur. Dans les maladies, les moyens curatifs se bornent, presqu’en tous lieux, à des Jongleries superstitieuses, ou à quelques saignées locales. Les peuples chasseurs (Araucanos, Patagons, Puelches et Yuracarès) fuient le lieu du mal et abandonnent leurs malades, dans la crainte de la contagion”. A la mort, les coutumes sont presque partout les mêmes. Quand on enterre le défunt, les jambes sont reployées, les genoux appuyés sur la poitrine, les bras croisés, de manière à ce que le corps se trouve exactement, au tom- beau, dans la position qu’il occupait au sein de sa mère avant sa naissance; comme si ces peuples, à qui lon a refusé la pensée, voulaient, par ce rap- prochement philosophique de la tombe au berceau, joindre les deux termes extrêmes de la vie de l’homme, en lui rappelant qu'il naît seulement pour mourir. Le corps ainsi ployé se place dans un monument individuel, qu'élève chaque famille, en un lieu commun, chez les Aymaras; dans des comparti- mens par étages, sur un tertre consacré à chaque village, chez les Quichuas. Les Guaranis placent leur mort dans sa propre cabane, soit au fond d’une tombe tapissée de branchages, soit en un vase de terre cuite, spécialement 1. Voyez les détails dans lesquels nous entrons à cet égard, partie historique, t. I, chap. XX, p- 190. (9%) Homme destiné à cet usage. Les Antisiens yuracarès le déposent aussi dans sa cabane, améri- qu'ils ferment ensuite, sans plus cueillir un seul fruit au champ qu'il avait planté. Les Araucanos des Pampas, les Patagons, les Puelches, enterrent le défunt, brûlent sur sa tombe tout ce qui lui appartenait, sacrifient à ses mânes tous ses animaux domestiques, ses chevaux, ses chiens, pour qu'ils l'accompagnent dans une autre vie, dont la croyance universelle fait qu’on entoure partout les trépassés de leurs vêtemens, de leurs armes, et qu'on place toujours des vivres à leur côté; ce qui semblerait venir à Pappui de certains rapprochemens ethnologiques, sur la valeur desquels nous nous expliquerons ailleurs. Le deuil est modéré chez les Péruviens, chez les Yuracarès, et consiste à fuir le voisinage du lieu où Pindividu est décédé. Parmi les Araucanos, les Patagons, les Puelches, il est marqué par des vêtemens sombres ou par des teintes noires, dont on se barbouille le corps. Chez les nations du Chaco, chez les Charruas, les parens, surtout les femmes et les enfans, sont soumis à des jeûnes sévères, et non-seulement se couvrent de blessures, mais encore la femme se coupe une articulation dun doigt, à la mort de chaque proche parent. À la naissance du jour on entend chaque nation pleurer ses morts, avec gémissemens, se rappeler leurs vertus, raconter leurs bonnes actions, exalter leur courage. La condition respective des deux sexes dépend toujours du degré de la civilisation : celle de la femme sera d'autant plus douce chez tel ou tel peuple qu'il aura fait plus de progrès. Chez une nation civilisée, on lentoure de tous les égards, de tous les ménagemens dus à la faiblesse de son sexe ; les hommes se vouent aux travaux les plus pénibles, pour les épargner à leurs compagnes. Chez un peuple sauvage, quel contraste! L'homme, le plus fort des deux, se regarde, pour ainsi dire, comme d’une nature différente; il se croirait déshonoré, sil faisait autre chose que chasser et pêcher. Dans les courses lointaines, il marche, portant seulement son are, ses flèches’, tandis que la femme se charge des bagages, de ses enfans, des vivres; et encore, quand on s'arrête, doit-elle, au lieu de se reposer, aller chercher du bois, faire la cuisine?, pendant que lhomme est mollement couché dans 1. Nous avons souvent demandé aux hommes pourquoi ils ne portaient que leurs armes, tan- dis que les femmes étaient aussi chargées; ils nous ont toujours répondu qu'il fallait qu'il en fût ainsi, pour qu’ils pussent être toujours prêts à défendre leurs compagnes de l'attaque imprévue d'un jaguar. 2. M. Walkenaër, Essai sur l'histoire de l'espèce humaine, 1198, p+ 79, a bien peint la con- dition de la femme du chasseur sauvage, (95 ) son hamac, ou nonchalamment étendu par terre. Dans l’intérieur des Homme villages, l’homme s’'absente souvent pour chasser, pour aller au sein des 4 forêts chercher le miel des abeilles sauvages; et il y va toujours seul. Il abat les arbres des lieux où il veut établir un champ de culture, confectionne ses armes, se creuse une pirogue, tandis que la femme élève ses enfans, fait des vêtemens, s’occupe de l’intérieur, cultive le champ, cueille les fruits, récolte les racines et prépare les alimens. Telle est, du plus au moins, la condition respective des deux sexes, chez presque tous les Américains. Les Péruviens seuls avaient déjà, dans leur demi-civilisation, modifié partiellement ces cou- tumes; car l’homme chez eux partageait les fatigues de Pautre sexe ou se chargeait des travaux les plus pénibles. Depuis le plus civilisé, le Péruvien, par exemple, jusqu’au plus sauvage, tous les Américains aiment les boissons fermentées, dont la consommation est même la base de leurs fêtes, de leurs amusemens, de leurs jeux. Chez les Moxéens, chez les Chiquitéens, chez les Guaranis, chez les Antisiens, où chaque nation est divisée en un grand nombre de tribus, l’habitude est de se faire de fréquentes visites qui déterminent toujours des réjouissances. Les femmes vont de suite aux champs, apportent du manioc ou écrasent du maïs, et préparent une boisson agréable pour recevoir les visiteurs. Alors ont lieu ces danses monotones, où les danseurs ne semblent pas toujours s'amuser; cette musique peu harmonieuse, ce jeu de balle des Chiquitos, qui s'exécute avec la tête, mettant des villages entiers en rivalité d'adresse? ; et celui des Patagons, où les mains et la poitrine sont également en action. Le plaisir de se réunir et de boire attire encore les Péruviens modernes aux fêtes du christianisme, où ils exécutent les danses réservées jadis à la grande fête du Raimi (la fête du soleil). C’est même en multipliant, pour les nations péruvienne, chiquitéenne, moxéenne, guaranienne, les cérémonies reli- gieuses, en les entourant de danses et de divers ornemens pleins déclat, qui plaisent surtout aux Américains, que les Jésuites sont parvenus à les convertir au christianisme et à les attacher à cette nouvelle religion. Chez les peuples 1. La condition de la femme par rapport au travail est donc on ne peut plus pénible; mais aussi, jamais on ne lui fait le moindre reproche sur sa manière de tenir son ménage; jamais l'Américain, même le plus barbare, ne bat sa femme, il la traite au contraire toujours avec la plus grande douceur. Cela étant, ne pourrait-on pas se demander si, malgré les charges qu’elles sup- portent, les femmes de ces hommes dits sauvages ne sont pas moins malheureuses que beaucoup de celles de nos classes ouvrières d'Europe, souvent si maltraitées par leurs maris ? 2. Voyez partie historique. Homme améri- ain, — ( 96 ) du Sud (les Patagons, les Puelches, les Araucanos), l'ivresse est le bonheur suprême; et cette passion, ils la poussent si loin, que nous avons vu une Indienne vendre son fils, pour s'assurer trois Jours d’orgie, à elle et à sa famille. Plusieurs changemens remarquables se sont opérés dans les mœurs et dans les coutumes des Américains soumis aux Espagnols : tous sont chrétiens, ce qui a beaucoup modifié leurs usages. Le sort des femmes s’est amélioré, et les hommes ont partagé les travaux, en imitant leurs nouveaux maîtres. La religion a rendu bien des services à humanité; elle a, par exemple, détruit l’'anthropophagie des Guaranis; elle a fait cesser ces coutumes superstitieuses qui portaient les Moxéens à sacrifier la femme qui avortait ou celle qui mettait au monde des jumeaux; mais il ne faudrait pas croire qu’elle ait effacé toutes les traces de l'état primitif. Les Américains ont conservé presque tous leurs anciens usages, leurs jeux, leurs amusemens, jusqu'aux superstitions de leur état sauvage. Les seules nations qui les aient entièrement abandonnés, sont celles qui se sont fondues dans la population des colons. Quant aux nations restées libres, elles wont rien adopté de la civilisation qui les entoure, et sont ce qu'elles étaient au temps de la conquête. Les peuples du Sud se montrent toujours barbares, indomptables; les Yuracarès, circon- scrits au sein de leurs forêts par des nations soumises, immolent encore souvent leurs enfans, pour s’épargner la peine de les élever; conservent tou- Jours ces fêtes sanglantes, où chacun, pour montrer son courage, se couvre de blessures; et seuls connaissent le suicide et le duel. Toutes les nations non soumises usent plus ou moins largement de la polygamie. Industrie; arts. Les progrès de l’industrie et des arts chez les peuples dépendent toujours de ceux de leur civilisation ; comme les facultés intellectuelles, industrie, les arts, les manufactures, ne sauraient se développer, se perfectionner, qu’au sein des grandes sociétés et sous empire des gouvernemens stables. Nous pourrions, sous ce point de vue, diviser les nations américaines en deux séries : une, où ces avantages commencent à se faire sentir, et qui ne nous présentera que les nations péruviennes ; l'autre, où l'industrie est tout à fait au berceau, et dans laquelle viendront se grouper, avec toutes les Les ne nn À 1. Voyez partie historique, t, II, chap. XVIII, p. 108. (97) nations des régions chaudes, celles des parties méridionales du continent. Homme Quoique chaque nation, pour ne pas dire chaque tribu, ait son industrie par- ‘an. ticulière, dépendant des ressources locales, il est évident que, dans Pensemble, il y a, sous ce rapport, une distance considérable entre les Péruviens consti- tués en corps de nation régulier et les autres Américains plus ou moins sauvages, fractionnés en innombrables tribus. Nous allons passer rapidement en revue l’état de l’industrie, des arts amé- ricains, en prenant séparément chaque genre, pour en donner le tableau comparatif. | Nous avons vu que, chez la plupart des Américains, l'architecture est encore bien peu avancée, puisqu'ils se contentent de cabanes ou même de tentes. Les Péruviens seuls ont laissé des ruines qu'on chercherait en vain dans tout le reste des parties de l'Amérique méridionale dont nous nous occu- pons; et, sans connaître la théorie de la voûte, ils ont construit des monu- mens immenses, entr'autres des temples et les palais de leurs souverains : ces monumens sont, au premier âge des Incas, ainsi que dans l'enfance de tous les peuples, bâtis de blocs cyclopéens, en parallélipipèdes, chez les Ayma- ras, plus anciens’, et les Quichuas plus modernes. Ils ont beaucoup plus de solidité, de grandeur, que d'élégance, quoique peu hardis. Des portes à pans inclinés chez les Quichuas, droits chez les Aymaras, décorent les temples, souvent monolithes, et ornés seulement, chez les Aymaras, de reliefs plats des plus réguliers, de grecques variées”, bien que le dessin en soit grossier. Toutes les maisons des simples individus sont petites, circulaires”, couvertes en terre; et, chez ces peuples, les tombeaux“, les temples, les autres monumens élevés à la religion, s’écartent seuls des formes mesquines. Les Quichuas avaient des ponts en corde suspendus sur les torrents, des grands chemins tracés sur des centaines de lieues, au travers du sol le plus accidenté, des canaux d'irrigation d’une étendue extraordinaire. La sculpture, réduite, chez les peuples sauvages, à quelques figures en bois ou aux ornemens de leurs armes, était relativement perfectionnée chez les Incas, quoiqu'a la manière des anciens Égyptiens, les bras de leurs statues adhérassent au corps. Nous croyons que cela tenait au manque 1. Voyez, dans notre Voyage dans l'Amérique méridionale, Antiquités, pl. 4, 5, 6. C’est ce qu’on peut répondre à Pauw, qui (t. IT, p. 229) niait que les Péruviens eussent des monumens. 2. Voyez Antiquités, pl. 6. 3. Voyez partie historique (Vues, pl. 12); celles des Quichuas de la vallée de Cochabamba. 4. Voyez Antiquités, pl. 3. IV. Homme. 1 3 Homme amer! can. (98 ) d'outils, de moyens d'exécution; car des vases de terre nous montrent le sentiment du modelé et une certaine connaissance du dessin”. Les statues de la première civilisation des Aymaras sont remarquables par leurs formes si diffé- rentes de la nature, et d’un caractère qui annonce des idées arrêtées, sévères”, plutôt que le désir d'imiter. À l'époque des Incas, au contraire, il y à tendance manifeste à limitation, et leurs statues signalent un premier progrès. j Le dessin était beaucoup plus avancé chez les Quichuas que partout ailleurs : il retraçait quelquefois l'image des rois, des dieux; le plus souvent, néanmoins, il se bornait aux grecques, ornemens de leurs vases, de leurs temples, ou à des figures régulières, composées de lignes diversement croisées, mais toujours anguleuses, qui décorent leurs vases* et leurs vêtemens. On retrouve ce genre de dessin chez tous les Américains, même les plus sauvages. Les Pata- sons, les Araucanos, les Puelches, le reproduisent en couleurs sur leurs manteaux de tissus, sur leurs vêtemens”; les Moxéens en ornent leurs cale- basses; les Yuracarès le modifient en lignes courbes, régulières, qu’ils impriment sur leurs chemises d’écorce d'arbre °, au moyen de planches de bois sculptées, et les Tacanas les imitent en plumes de couleurs variées, témoins les orne- mens de leurs ceintures. Chose singulière! Les Américains, qui tous exécutent des grecques régulières, n’ont que bien rarement cherché à imiter une fleur, un animal ou quelqu'autre objet de la nature organique; au moins n’en avons-nous Jamais vu en peinture, tandis que tous en essayent limitation dans la forme de leurs vases.7 La fabrication de la poterie est connue de toutes les hordes américaines, les peuples pampéens exceptés; et, dans mille endroits, où l’on ne rencontre Jamais la moindre trace de monument, au milieu des forêts les plus épaisses, des plus vastes plaines, on trouve des fragmens de vase. Les anciens Péru- viens surtout excellaient dans ce genre de fabrication, presque partout le domaine exclusif des femmes. Leurs vases, des plus variés, représentent sou- + Voyez Antiquités, pl. 15. . Idem, pl. 8 et 11. . Idem, pl. 9. . Idem, pl. 19 , 20. . Coutumes et Usages, pl. 1. . Idem, pl. 11. 7. Antiquités, pl. 16, 17, 18, 19, 20. © Or sn © ND = ( 99 ) veiit nos forres étrusques ‘; quelquefois aussi des animaux, des fruits, des jeux Homme hydrauliques ingénieux : ces vases , élégans de forme, sont d'une belle exécu- pi tion et d’une régularité parfaite, quoique modelés seulement avec la main, sans le secours du tour à poterie. Les Guaranis également en fabriquent de remarquables par leurs dimensions, par leur régularité”, La cuisson a lieu , chez tous les peuples, à lair libre ou dans une fosse peu profonde, creusée dans lesol. L'emploi des métaux n’était pas général, en Amérique, avant la conquête. Le fer m'était pas connu; le cuivre, lor, l'argent, étaient seuls mis en œuvre, encore surtout chez les Péruviens. Le cuivre s’'employait aux armes, aux outils; l'or et l'argent, aux ornemens. Les anciens Quichuas excellaient dans le martelage de lun et de Pautre; ils fabriquaient ainsi des vases, les ornemens sans nombre de leurs temples, et des figures creuses, représentant des hommes et des femmes. Toutes les autres nations, excepté celles qui se sont trouvées en rapport avec les Incas, n'avaient que quelques ornemens en or, et pour seuls outils des pierres. Telles étaient les haches des Guaranis, des Chiquitéens, des Moxéens, l'extrémité des flèches et des lances des Arauca- nos, des Patagons , des Fuégiens, des Puelches, des Charruas, avant qu’on leur apportât le fer. ? Le tissage est plus général en Amérique que les autres industries manu- facturières. Les anciens Péruviens, avec leurs métiers, consistant simplement en deux bâtons attachés à des pieux fichés en terre, ont atteint un assez haut degré de perfection; nous avons trouvé, dans leurs tombeaux, des tissus de laine et de coton très-fins et d’une régularité parfaite. C'est probablement à leur contact avec les Péruviens que les Araucanos en doivent la connaissance ; mais la même probabilité n'existe pas relative- ment aux Moxéens, aux Chiquitéens, aux Guaranis, qui, avant larrivée des Espagnols, savaient aussi tisser le coton, non-seulement pour leur hamac, mais encore quelquefois pour leurs vétemens. Toutes les autres nations igno- raient complétement cet art et lignorent encore. Les Yuracarès et quel- ques-uns des Guaranis utilisent l'écorce des arbres; les autres (les Pata- gons, les Fuégiens, les Puelches et les habitans du grand Chaco), la fourrure des animaux. Avec l'art du tissage, les Péruviens possédaient celui des tein- 1. Antiquités, pl. 20. 2. On peut voir, indépendamment de la collection que nous en possédons, ceux que nous avons envoyés , des divers points du continent américain, au Musée céramitique de Sèvres. 3. On trouve même en France de ces anciennes haches de pierre, communes à tous les peuples. Homme améri - ain. — ( 100 ) tures solides : et nous avons trouvé des restes de vêtemens qui, enfouis dans leurs tombeaux, depuis au moins quatre à cinq siècles, ont cependant con- servé de magnifiques couleurs rouges et jaunes. Inconnue aux Fuégiens, aux Patagons, aux Puelches, aux Charruas, aux nations du grand Chaco , l'agriculture était au berceau chez les Guaranis, les Chiquitéens, les Moxéens, les Antisiens, parmi lesquels, aujourd’hui encore, abattre des arbres, y mettre le feu, gratter une terre des plus fertile, y semer du maïs, du manioc et les récolter, constitue tout Part agricole’; mais, sur les plateaux des Andes, où une population considérable avait besoin d'économiser le terrain, afin dy trouver les ressources nécessaires à l'existence de tous ses membres; sur un sol des plus accidenté, où très-peu de points sont cultivables, il leur fallait, souvent, amener leau de très-loin par des canaux d'irrigation, qui fertilisaient, en se divisant et subdivisant à l'infini, des vallées étendues, jusqu'alors restées incultes. Ce procédé seul rend habitables celles du versant occidental des Andes, où il ne pleut jamais. Sur les pentes les plus abruptes, des murailles disposées par gradins, de manière à retenir les terres, purent encore augmenter les ressources du Péruvien, et lui permirent de semer, dans les parties froides, la pomme de terre (papa) et la quinua, le maïs, dans les parties tempérées et chaudes. Il dut encore à son génie agricole l’idée de faire geler, puis de sécher les pommes de terre, qui, sous le nom de chuno, constituent la base de ses provisions annuelles.” Les Péruviens seuls, avant la conquête, étaient pasteurs, élevaient des animaux domestiques, qui, tout en leur fournissant la laine nécessaire pour leurs vêtemens, les aidaient encore dans le transport de leurs récoltes. Les [lamas, les alpacas de leurs montagnes, ont probablement influé sur la civi- lisation de leurs plateaux élevés; mais, comme ces animaux ne peuvent pas vivre dans les plaines chaudes, les points culminans des Andes purent seuls profiter de ce bienfait de la nature. Les Péruviens traitent leurs animaux domestiques avec une extrême douceur. Dans aucune autre partie de lAmé- rique, aucun autre mammifère que le chien cosmopolite, fidèle compagnon 1. La fertilité est telle que quelques journées de travail pourvoient surabondamment aux besoins de plusieurs familles. On accuse PAméricain de paresse; mais, lorsqu'il lui faut si peu de temps pour se procurer le superflu, pourquoi voudrait-on qu'il s’imposât sans besoin un travail inutile? La différence des conditions, le commerce, peuvent exciter l’agriculteur européen , en lui suggérant l’idée de s'élever par la fortune; mais l’homme libre des forêts, quel serait son stimulant ? 2. Voyez les descriptions spéciales. ( 101 ) de homme civilisé, comme du sauvage, n'avait été soumis à la domesticité; Homme à peine, chez les Péruviens, y pouvait-on joindre le coboye (notre cochon ‘in. d'Inde); chez les Guaranis, chez les Chiquitéens, quelques oiseaux, si on doit, sur ce point, en croire les historiens”. Aujourd’hui tous les Américains, sauf quelques tribus sauvages des forêts, ont nos chevaux, nos bœufs, nos moutons. Le cheval, surtout, que les Patagons, les Puelches, les Araucanos, les Charruas, les nations du Chaco, se sont approprié, et qui leur est devenu indispensable, n’a pas toujours amené, chez eux, comme il serait pourtant naturel de le croire, des progrès réels dans la civilisation. Maintenant tous ceux de ces peuples qui sont sédentaires, possèdent des poules. La chasse, seule ressource des nations pampéennes, délassement des Chi- quitéens, des Moxéens, des Guaranis, se borne, chez les Péruviens, à faire le chacu”, C'est-à-dire à se réunir, d’après les ordres de leurs souverains, pour cerner, au nombre de quelques milliers, un espace déterminé de terrain, et à forcer, en se rapprochant peu à peu, tous les animaux renfermés dans le cercle, soit à entrer dans une enceinte formée de pieux et de fils attachés de lun à lautre, soit à se laisser prendre au milieu deux. Les Araucanos, les Patagons et les Puelches, se joignent aussi, mais en petit nombre, pour chasser plus facilement avec leurs terribles bolas, ou à Parc et à la flèche, tandis que les autres nations chassent généralement à Pare, chaque individu étant seul pour son compte particulier. L'adresse des Américains est pro- verbiale; aussi n’en dirons-nous rien; seulement nous avons été étonné de ne trouver chez eux que très-peu de ruses de chasse, qui nous sembleraient devoir être d'autant plus multipliées, que leurs moyens directs de succès sont en plus petit nombre. En tout cas, nous avons remarqué que, de tous les objets à leur usage, les armes sont, même chez les plus sauvages, ceux qu'ils chargent de plus d’ornemens, et dont ils varient le plus les formes, comme signes distinctifs entre les nations. La pêche, inconnue aux Patagons, aux Puelches et à quelques autres nations pampéennes, se fait, presque partout, soit avec un petit harpon, comme chez les habitans des côtes du Chili, du Pérou, du Brésil; soit avec des hame- 1. Commentario de Nuñez Cabeza de Baca; Barcia, Historiadoros primitivos de las Indias, p. 6, 9,30, 43, et le Voyage de Schmiedel; Collection de obras y documentos, etc., de Pedro de Angelis, p. 43, parlent, à chaque page, de canards et de poules domestiques. Les premiers existaient réellement ; mais pour les secondes, doit-on croire à leur existence ? 2. Garcilaso de la Vega, Comment. de los Incas. Zarate, Histoire de la conquête du Pérou, p. 43. (102) Homme CONS grossiers, ce qui est plus général sur les côtes brésiliennes; soit encore, améri- cain. et cest le mode le plus répandu chez tous les peuples des bords des rivières du centre du continent, avec Parc et la flèche, et de Pintérieur de leurs pirogues. On les voit aussi entrant dans Peau jusqu’à la ceinture, pour y guet- ter, d’un œil exercé, le poisson qu'ils veulent percer de leurs traits. Très-peu de nations se servent de filets, tandis que les Guaranis et les Chiquitéens pratiquent une autre méthode plus facile, consistant à écraser et à Jeter dans l'eau certaine plante dont le suc enivre momentanément le poisson, de manière à ce qu'on puisse le saisir à la main. La nécessité de pêcher ou de traverser un large fleuve, un bras de mer, a souvent engagé PAméricain à s'occuper de navigation; néanmoins, en thèse générale, on peut dire qu'à Pinstant de la conquête, cet art était encore moins avancé que les autres. Les Pampéens et les Chiquitéens n’ont Jamais pensé à s’'aider d’un moyen quelconque pour passer une rivière. Les Guaranis et les Moxéens, au contraire, pour monter et descendre leurs fleuves, avaient tous de vastes pirogues faites d'un seul tronc d'arbre creusé au moyen de la hache et du feu. Ils suivirent ainsi, les premiers, les côtes maritimes du Brésil, et s'aventurèrent non seulement sur le cours majestueux de lPAmazone et de lOrénoque, mais encore sur la mer, pour conquérir les Antilles. Les Fuégiens, même quand il sagit de traverser leur détroit, malgré les écueils et les orages, se contentent de leurs fréles nacelles d’é- corce d'arbres cousue. Les Araucaniens, de même que les Péruviens, n'eurent sur la côte que d’informes radeaux, composés de troncs d'arbres attachés ensemble ; mais, au sommet des Andes, où le bois manquait abso- lument, les Aymaras inventèrent des bateaux formés de rouleaux de joncs solidement liés ensemble”; sur les côtes sèches du désert d’Atacama, ils imagi- nerent de confectionner avec des peaux de phoque deux immenses outres remplies d'air? et attachées ensemble, formant une nacelle légère, ressource actuelle du pêcheur. La grande facilité avec laquelle, dans les Missions de Chiquitos et de Moxos, les Jésuites enseignèrent aux naturels un tissage plus avancé, des peintures plus compliquées et un grand nombre d’autres procédés industriels, dont les produits constituent les exportations de ces deux provinces; l'aptitude qu'ont 1. Voyez Vues, pl. n.° 16. 2. Coutumes et Usages, pl. 8. d Idem, pl. 9. ( 103) montrée les indigènes des autres parties de Amérique à apprendre, des Homme Espagnols et des Portugais, tous les arts mécaniques, prouvent évidemment ‘ar qu'ils pourront, dès qu’on voudra les instruire, se perfectionner sous ce rap- port, et suivre, peu à peu, les pas immenses que fait journellement notre Europe dans l’incommensurable carrière de industrie artistique et manu- facturière. Costume. Le costume des peuples dépend ordinairement, dans sa nature, de la température du lieu habité; mais son élégance, sa beauté, sa complication, tiennent, soit au degré de civilisation qu'ils ont atteint, soit à leurs goûts plus ou moins frivoles. En Amérique il y a quelquefois, dans la toilette même du sauvage entièrement nu, une extrême recherche attestée par la coquetterie des peintures dont il se pare’; mais nulle part on na de ces costumes si riches et si élégans qui caractérisent quelques-uns des habitans de l’ancien monde; et l'influence de la température n’a pas toujours amené les nations américaines à s'assurer un préservatif contre les rigueurs du froid ou du chaud. Sous la zone torride, les Guaranis vont nus par principe de religion, les Chiquitéens par goût; les Moxéens ont des tuniques tissues ou des chemises d’écorce d'arbre; les Yuracarès, le même costume ; mais, s’avance-t-on des régions chaudes vers les régions tempérées, sur le territoire des Pampéens? Tous indistinctement ne portent, outre le petit tablier propre à presque tous les peuples, qu'un manteau” formé du pelage des animaux qu'ils tuent à la chasse; et ce même manteau, réduit à quel- ques peaux de loups marins, est le seul costume qui couvre les Fuégiens , sur leurs roches glacées. Les Péruviens exclusivement avaient un costume rap- proché, jusqu’à un certain point, de celui des peuples de Pancien monde, et consistant en diverses pièces de tissus de laine %, fabriqués par eux, et en ornemens d'argent et d’or. Quoique le costume des Américains soit bien simple, il varie beaucoup dans ses détails, comme le prouvera la description comparative que nous allons en donner en peu de mots. Depuis le Patagon des régions froides jusqu'a l'habitant des parties les plus brülantes , aucuns ne se couvrent la tête, excepté 1. Voyez Costumes, pl. 9. 2. Idem, pl. 1. 3. Idem, pl. 4, dans laquelle, sauf la coiffure, tout tient à l’ancien costume des habitans. Homme améri- ain. ( 104 ) lors des fêtes et à la guerre. I faut pourtant excepter de cette négative les Péru- viens, qui portaient et portent encore un bonnet de laine tombant en arrière; leurs rois avaient la toque royale. Les cheveux, longs chez les Péruviens, les Araucaniens, les Patagons, les Puelches, les Moxéens, sont coupés en avant chez les Antisiens et chez quelques Guaranis ; rasés, en partie, chez quelques tribus de cette même nation, ainsi que parmi les peuples du grand Chaco ou Pampéens septentrionaux. Chez presque toutes les nations, non seulement on s'épilait la barbe, ce qui a donné lieu à la fausse idée que les Américains sont entièrement imberbes; mais quelquefois encore on s’épile les sourcils, comme le font les Pampéens pour les deux sexes. La face est souvent cou- verte de couleur, de lignes régulières, comme parmi les Pampéens, les Arau- caniens, les Guaraniens, les Moxéens et les Antisiens ; on peut même dire que les seuls Péruviens restent étrangers à cette coutume. Le tatouage, si commun parmi les peuples de Océanie, se réduit en Amérique, par suite de croyances religieuses propres à ce continent, à quelques lignes tracées sur la figure des femmes des petites tribus des Guaranis ou des Pampéens septen- trionaux, pour indiquer le moment où elles deviennent nubiles. Toutes les nations se percent les oreilles et y placent divers ornemens plus où moins bizarres : les anciens Péruviens, ainsi que les Botocudos et les Lenguas actuels, regardaient comme une beauté de les faire s’'allonger jusqu’à tomber sur les épaules et les surchargeaient de poids ou de morceaux de bois très-volumi- neux. Les Guaranis, les Botocudos, les habitans du Chaco, tels que les Tobas et les Lenguas, ne se bornent pas à ces mutilations. Plus ils sont guerriers, plus ils se défigurent, afin d'intimider ennemi : ils se percent les côtés des narines , la cloison du nez, surtout la lèvre inférieure, dans le but d'y intro- duire divers ornemens et quelquefois des morceaux de bois très-gros, comme chez les Botocudos et les Lenguas, ce qui les rend affreux. Presque toutes Les nations portent le collier dans les deux sexes. Le corps, entièrement nu chez les Guaranis, chez les Chiquitos (hommes) sauvages , est néanmoins orné de peintures , de dessins ; celui de leurs femmes, couvert seulement du tablier, est également peint de lignes diverses très-régu- lières ou de teintes différentes par larges parties, s'étendant aussi aux jambes et aux pieds. L'usage des bracelets est à peu près commun à toutes les nations sauvages, et le Guarani, litonama, le Yuracarès, portent les jarretières sans bas. Les femmes chiquitéennes, les Moxéens, les Antisiens, quelques Guara- nis usent de la tunique sans manche d’écorce de ficus ou de tissu de coton. Quant à ces plumes dont on $obstine toujours, en Europe, à faire l’habille- (105 ) ment des Américains, elles n’appartiennent jamais à leur costume habituel nomme et sont loin d’être d’un usage général. Nous les avons trouvées en ceintures “ain. brillantes chez les seuls Tacanas, tandis que la tête en est ornée chez les Guaranis, chez les Antisiens et chez quelques Pampéens, seulement dans leurs fêtes religieuses, pendant leurs danses ; car une fois ces cérémonies achevées, ces ornemens sont serrés avec soin : ils ne servent pas plus d’une ou deux fois par an. Les costumes que nous venons de décrire existent encore aujourd’hui chez toutes les nations libres, et se retrouvent, plus ou moins modifiés par la décence, dans les anciennes Missions des Jésuites, à Moxos, à Chiquitos. Il n’y a réellement que les nations voisines des grandes villes qui aient tout à fait abandonné leur costume national. Centres de civilisation; gouvernement. Nous avons déjà dit que, sur la superficie de PAmérique méridionale dont nous nous occupons, il n’y avait, avant la conquête, qu’un seul centre de civilisation, celui des Péruviens, tandis que toutes les autres nations, plus ou moins sauvages, ne présentaient aucun corps politique, aucun centre plus cultivé que le reste’; ainsi, d’un côté existait un peuple chez lequel tout marchait vers les lumières, de l’autre se montraient des sociétés informes , dans légalité presque complète de homme primitif. Nous avons cherché les causes de ce contraste dans les possibilités locales”, dans les mœurs ; et main- tenant que, pour compléter le tableau des Américains, il ne nous reste plus qu'à traiter ce qui a rapport aux gouvernemens et à la religion, nous croyons utile de dire préalablement un mot de ce que les monumens , les traditions, les recherches sur les langues, peuvent nous faire penser des lieux où se sont formés les premiers centres de civilisation. Nos recherches à cet égard, comme on pourra le reconnaître aux spécia- lités sur les Quichuas et sur les Aymaras, prouvent évidemment que la civilisation des Péruviens a commencé sur les rives du lac Titicaca, au sem de la nation Aymara, et qu’elle doit être la souche première de la civilisation du plateau des Andes; au moins est-ce bien elle qui en occupe le point cen- tral, où la vie agricole et pastorale paraît s'être d’abord développée, où les 1. Voyez p. 90-96. 2. Page 9. IV. Homme. 1 4 Homme améri- t in, ( 106 ) idées sociales ont germé , où le premier gouvernement monarchique et reli- gieux a pris naissance. Cette société, antérieurement aux Incas, à une époque bien ancienne, perdue dans la nuit des temps’, était parvenue à une civilisation assez avancée, ce que prouvent les monumens. Transportées par Mancocapac des rives du lac de Titicaca vers le Cuzco, sa dernière splendeur, sa religion, son industrie, ont commencé la monarchie des Incas, laquelle, bien que le peuple en eût presque oublié le berceau, montre que ses rois eux-mêmes en gardaient le souvenir. Ce dernier fait nous semble prouvé par l'espèce de prédilection que les Incas conservèrent toujours pour les îles du lac de Titicaca, celle du Soleil et celle de la Lune, où ils firent bâtir des temples en mémoire de leur ancienne origine; qui empécherait de croire que leur langue sacrée, parlée seulement entr'eux, ne fût aussi l'aymara ? Établie sur des bases solides, mais bornées, réduite à un cercle étroit sous Mancocapac, la monarchie des Incas s’étendit, au Nord et au Sud, dune manière rapide, sous les onze rois qui le suivirent. À Parrivée des Espagnols, les lois des Incas étaient reconnues, d’un côté, jusqu’à la ligne, à Quito ; de Pautre, jusqu'au 35.° degré de latitude sud, au Rio Maule (Chili ), toujours sur les montagnes ; car Jamais elles ne régnèrent au sein des plaines chaudes situées à lest des Andes. À côté de cette civilisation déve- loppée, nous voyons des peuples privés de toute civilisation; à côté de ce gouvernement monarchique, de petites tribus éparses, disséminées, ennemies les unes des autres et wayant pas toujours un chef; ainsi, en Amérique, l'extension des gouvernemens est loin de pouvoir se comparer à celle des nations distinguées par la langue; ainsi le degré de civilisation ne suit pas toujours non plus une marche relative à leur importance numérique ; mais elle se rattache à Pétendue, à la stabilité des sociétés. Le gouvernement monarchique des Incas était de tous peut-être le plus solidement établi, puisque les chefs héréditaires commandaient, en même temps, comme dieux, fils du soleil, comme rois tout-puissans ; puis- qu'ils réunissaient le pouvoir religieux au pouvoir civil, obtenant à la fois l’adoration et lobéissance des peuples qui leur furent soumis; aussi leur 1. Ulloa, Noticias americanas, page 341, ne donne aux Américains que 250 ans de civili- sation avant l’arrivée des Espagnols, ce qui est évidemment erroné. Buffon, Histoire de l’homme , édit. de Sonnini, LIT, p. 426, ne leur en donne que 300. L'Amérique est, à son avis (p. 428 ) une terre nouvellement habitée, ( 107 ) autorité était-elle sans limites; et l'aristocratie, composée seulement des mem- Homme bres d’une même famille divine, était là si fort au-dessus des sujets, qu’elle pe se réservait exclusivement toutes les branches de Padministration, qu’elle pos- sédait toutes les lumières scientifiques, industrielles, intellectuelles, et profitait de tous les progrès sociaux, tandis que la masse de la nation, contenue par des lois douces et paternelles en pratique, quoique des plus sévères en théorie, se voyait condamnée à ne jamais changer de sort, tous les états, toutes les professions y étant toujours héréditaires", toutes les terres appartenant à l'État. C’est probablement une des causes qui avaient entravé la marche de la civili- sation, et l'avaient rendue plus stationnaire; car, en paralysant l'ambition des individus, on tarit infailliblement toute source de progrès pour la nation qu'ils composent. Fractionnée par divisions parcellaires de dix, de cent, de mille, de dix mille individus, ayant chacune son chef, la population entière était répartie en d'immenses provinces dépendant du Cuzco, la capitale. Les terres, labourées en commun par le peuple, se divisaient en trois parties , dont l’une affectée aux besoins de la nation, l'autre à l'entretien des cultes, la troisième mise en réserve pour les besoins de la guerre. Les autres parties de l'Amérique dont nous nous occupons, ne présentaient pas de corps national, morcelées qu’elles étaient en une foule de petites tribus, ayant chacune son chef momentané ou rarement héréditaire, armé seulement d’un pouvoir toujours très-limité, et cessant quelquefois avec la guerre qui l'en avait fait revêtir. Il y avait encore, parmi ces chefs, plus d’un genre d'activité : chez les Chiquitos, nommés par le conseil des vieillards, ils cumulaient les fonctions de médecins, de sorciers ; et par conséquent, Joignaient à leurs fonctions politiques, des fonctions religieuses qui leur donnaient de la prépondérance. Chez les Guaranis, ils étaient héréditaires, ayant souvent des subalternes sous leurs ordres. Chez les Araucanos, les Patagons, les Puelches, la bravoure militaire et le talent oratoire décidaient et décident 1. Comme toutes les lumières résidaient dans la classe noble, anéantie en quelque sorte par le cruel Atahualpa , pour détrôner son frère (Garcilaso, Comentario de los Incas, p. 28, 330, 345, etc.), ainsi que par les Espagnols, qui ne pouvaient souffrir de rivalités de pouvoir, les connaissances que la civilisalion avait procurées durent disparaitre tout à coup avec les Incas, et la population conservée par les Espagnols ne se trouve plus en rapport avec le tableau que les historiens tracent de l’état de son gouvernement et de sa civilisation, du temps des Incas. Ce fait nous semble résoudre la question si souvent agitée par les écrivains, sur la vérité des faits avancés el en apparence contradictoires avec ce que chacun d’eux a vu des Péruviens de son siècle. Homme ameri- ain. (108 ) encore du choix qu'on en fait, et leur autorité se réduit à rien en temps de paix; il en était de même chez les Moxéens. Chez les Charruas, les Tobas et autres nations du Chaco, les vieillards nomment les chefs temporaires qui doivent diriger l'attaque préméditée. Chez les Yuracarès, enfin, on ne reconnait encore aucun chef, et la liberté individuelle est respectée au point qu'un fils même n’est jamais contraint d’obéir à son père. Malgré son despotisme, le gouvernement des Incas, par cela seul qu’il for- mait une grande société, un centre des connaissances, était parvenu à une demi-civilisation. On sent que, dans toutes les autres parties de l'Amérique, le fractionnement du pouvoir, les querelles continuelles des chefs, tendirent au contraire à perpétuer cet état d’anarchie sauvage, qui devait durer autant que leur système de gouvernement et fait comprendre au mieux comment ils n'étaient pas plus avancés, lors de la conquête de PAmérique; ainsi, cette imperfection de la civilisation, regardée, par quelques auteurs, comme résul- tant de ce que PAmérique est un pays beaucoup plus moderne que le reste du monde”, s'explique, on le voit, par le morcellement de Pautorité, par le défaut d'extension, par le peu de stabilité des gouvernemens. Les Quichuas, qu'on pourrait comparer, sous ce rapport, aux Arabes de Mahomet, faisaient la guerre dans un esprit de prosélytisme pour augmenter le nombre des adhérens au culte du soleil. Ils ne furent jamais cruels, n'ayant recours aux armes que lorsque la persuasion restait sans action. Ils combattaient franchement, loyalement, annonçant toujours leur attaque; et n'exigeaient du vaincu que sa soumission aux lois du vainqueur. Les autres nations , divisées par tribus, étaient toujours en armes soit entr’elles, soit contre les nations voisines. Leur véritable motif, leur motif le plus fréquent, celui qui porta les Guaranis ou Caribes, par exemple, à conquérir la moitié de l'Amérique méridionale, était le désir d'enlever des femmes, pour s’en faire des concubines; leurs prétextes étaient une querelle de famille, des droits de chasse contestés pour une partie de terrain, ou, plus souvent encore, Pinsti- gation des agens religieux, des prêtres ou des sorciers”. La tactique militaire se bornait à la ruse, à la surprise; mais, toujours cruels, les hommes souvent étaient massacrés sans pitié ou même dévorés par les vainqueurs, qui n’épar- gnaient que les femmes et les enfans, pour les réduire en esclavage. 1. Ulloa, Noticias americanas, p. 428. 2. Chez les Chiquitos, les Araucanos, les Patagons, la mort d’un chef que le médecin n’a pu sauver, est attribuée à certains individus d’une famille éloignée; ce qui détermine souvent la guerre. Voyez nos articles spéciaux et partie historique, t. II, chap. XXI. ( 109 ) Aujourd’hui, les peuples non soumis aux gouvernemens républicains qui nomme régissent l'Amérique méridionale, n’ont en rien changé leurs coutumes et améri- «ain. surtout leur système de division par tribus nombreuses; aussi ne sont-ils pas plus civilisés qu'au temps de la conquête. Religion. La religion a toujours un rapport intime avec l'état de la civilisation des peuples ou l'extension des sociétés. Les hommes rapprochés de Pétat de nature et divisés en petites tribus, ont une religion simple, qu’ils ne cherchent pres- que Jamais à propager. À mesure que les sociétés se développent, s'étendent, leur religion se complique de plus en plus; et, de cette complication même, naît l'esprit de prosélytisme, du moins dans les religions dont cet esprit de propagation est en quelque sorte l'essence et la vie. L'Amérique (dans la partie qui nous occupe) le prouve autant que tout autre pays du monde. D'un côté, de petites tribus éparses avaient une religion si peu compliquée, qu'on est allé jusqu’à leur en refuser une, et jamais leur conviction religieuse ou l'envie d’en étendre l'empire ne fut le but de leurs guerres; de autre, une seule nation était civilisée; une seule aussi nous montre un système de reli- gion étendu, compliqué de rites nombreux, et le seul qui fût animé de Pesprit de prosélytisme. Quoique plusieurs auteurs aient refusé toute religion aux Américains”, il est évident pour nous que toutes les nations, même les plus sauvages, en avaient une quelconque. L'homme, en naissant, n’apporte-t-il pas avec lui cette idée consolante qui laccompagne durant son séjour plus où moins pénible sur la terre, qu’à la fin de sa carrière terrestre il ne périra pas tout entier, et qu’à la mort commencera, pour la plus noble partie de lui-même, une seconde existence, mais sans terme et plus heureuse? Or, cette idée consolante, cette foi instinctive en une autre vie, sont générales chez les nations améri- caines, et se manifestaient ou se manifestent encore sous différentes formes, dans la coutume d’ensevelir, avec les morts, des vivres et tout ce qui leur appartenait. Les Incas allaient près de leur père, le soleil; les vassaux conti- nuaient à servir leurs maîtres ; le Guarani, dans l’autre monde, retrouve, avec une chasse abondante, toutes ses femmes redevenues jeunes; PAntisien, le 1. Azara, Voyage dans l'Amérique méridionale; Pauw, Recherches sur les Américains ; Robert- son, Histoire de l'Amérique, édit. espagn., t. IF, p. 178. (110) Homme Chiquitéen, le Moxéen, le Pampéen, PAraucano, y rencontrent beaucoup de améri cain. gibier, y revoient toute leur famille. Quelques tribus des Pampas y éprouvent les délices d’une ivresse de tous les instans; ainsi chacun, selon son goût domi- nant, se crée ou se créait une béatitude en rapport avec ses jouissances actuelles. En comparant les religions entrelles, nous trouvons, comme pour le gou- vernement, une différence énorme entre celle des Péruviens civilisés et celles des autres nations. En effet, les Quichuas croyaient que le Pachacamac, dieu invisible, créateur de toutes choses”, avait le pouvoir suprême, comman- dait au soleil, à la lune sa femme, puisque ceux-ci sont assujettis à une marche régulière et invariable; mais, comme ils ne connaissaient pas la forme du dieu créateur, ils ladoraient en plein air, sans vouloir le figurer; tandis que le soleil, sa création visible, avait des temples spacieux, remplis de richesses, des vierges consacrées, et pour prêtres, pour interprètes sur la terre, les Incas, ses fils, auxquels le peuple pouvait recourir, dans ses besoins et dans ses maux. On offrait au soleil, fécondateur de la terre, des fruits que sa cha- leur avait müris; on lui sacrifiait quelques paisibles Ilamas; on le fêtait encore à léquinoxe de Septembre, dans la grande réunion du Raimi. Le plus proche parent de lInca était premier sacerdote; les autres membres de la famille royale administraient les temples nombreux répandus dans le royaume. À côté de la religion des Incas nous n’avons plus, chez les autres peuples, qu'une simplicité de croyance tout à fait en rapport avec leurs subdivisions : les Guaranis, depuis le Rio de la Plata jusqu'aux Antilles, et des côtes du Brésil jusqu'au pied des Andes boliviennes, révéraient, sans le craindre, un être bienfaisant, leur premier père, le T'amoï ou vieux du. ciel, qui avait vécu parmi eux, leur avait enseigné l’agriculture, et ensuite avait disparu à l'Orient, d'où il les protégeait. On lui adresse encore (chez les Guarayos) des pricres en des cabanes octogones, mais jamais d’offrandes, ni de sacrifices ; les Payes où Piaches, sorciers, sont ses devins, ses interprètes. Toutes les nations pampéennes et celles du rameau araucanien professent une croyance calquée sur ce principe : elles redoutent plutôt qu’elles n'aiment un génie bon par nécessité, malfaisant sans motifs, cause de tout ce qui leur arrive de mal; de vieilles femmes en sont les interprètes, cumulant l'art de guérir avec les fonctions sacerdotales. Les Chiquitéens croyaient aussi à des influences malignes, dont leurs chefs étaient les interprètes, en même temps que médecins. — 1. Robertson, Histoire de l'Amérique, édit. espagn., t. IV, p. 56, ne reconnait à tort que le culte du soleil aux Incas. Voyez à la partie spéciale les auteurs qui ont parlé du Pachacamac. (111) Les Moxéens n'avaient aucune uniformité: chez quelques-uns, un dieu présidait à la culture, à la chasse, dirigeait les nuages, le tonnerre; mais le culte le plus général était celui que la crainte avait fait vouer au jaguar (Feks onca), auquel on érigeait des autels ou consacrait des offrandes, en se vouant à des jeûnes rigoureux, pour obtenir sa prêtrise, à laquelle on joignait la pro- fession de médecm, comme chez les Chiquitos. Les Yuracarès, qui possèdent une mythologie compliquée, n’adorent néanmoins ni ne craignent aucun être spécial ; ils n’attendent rien de l'avenir et ne conservent aucune reconnaissance du passé, véritable type de l’homme superstitieux, dont le plus ignoble égoisme brise tous les liens de parenté. Cette comparaison rapide montre : 1.° que la religion des Américains était fort éloignée d’avoir pour base, comme on la pensé, le culte seul du soleil et de la lune; 2.° que ce dernier culte n’existait même que secondaire- ment chez les Incas, tandis qu'il était tout à fait imconnu chez les autres nations, dont la foi avait bien plutôt pour principe l'espérance du bien d’un côté, la crainte du mal de Pautre; mais ce système supposait une association d'idées, de réflexions, que n’aurait pas exigée le culte d’un objet visible pour tous, et des abstractions regardées comme au-dessus de la capacité intellectuelle des Américains, qu’on croyait, sous ce rapport, comme infé- rieure à celle du reste de humanité. Indépendamment de leur croyance fondamentale, tous les peuples améri- cains, ainsi que tous ceux qui sont peu civilisés, accordaient beaucoup d’in- fluence aux choses naturelles, à la rencontre d’un animal dans telle circon- stance donnée, au cri de tel autre, aux éclipses de lune et de soleil, aux rêves ; mais les peuples chasseurs surtout avaient, à cet égard, des préjugés sans nombre, et leurs repas, leurs chasses, étaient soumis à une foule de pratiques superstitieuses qui, variant à l'infini, suivant les nations, étaient toujours appliquées par les devins ou interprètes de la divinité. On a vu ces prêtres dieux et rois en même temps chez les Incas, chefs et prêtres chez les Chiquitos, tandis que, parmi les autres nations, ils sont seulement devins ou interprètes de la divinité. On les craint, dans ce dernier cas, beaucoup plus qu'on ne les aime, et ils ne jouissent pas toujours d’une grande considération, surtout parmi les peuples pampéens et guaranis. Auprès des magnifiques monumens des Incas, pompeusement ornés d’or et d'argent, à peme voit-on s'élever, chez les autres nations, une simple cabane, couverte de feuilles de palmier et consacrée à ladoration de lêtre suprême. À côté de ces fêtes somptueuses du Raïmi où, chez les Incas, on accou- Homme améri- cain. — — Homme améri- ain. (112) rait de toutes les parties du royaume, on ne voit que des orgies plus ou moins barbares, plus ou moins sanglantes, presque toujours déterminées par les diverses phases de l'existence des individus. À la naissance des Incas, souvent des réjouissances, des fêtes, que l’on ne retrouve, mais beaucoup plus simples, que chez les Araucanos. La nubilité des femmes est, excepté chez les Péru- viens , généralement signalée et solennisée au sein des nations les plus distinctes. Chez les Guaranis, des jeûnes rigoureux, des stigmates sanglans sur la poitrine, le tatouage dune petite partie du bras ou de la figure, sont ordonnés aux jeunes filles; chez les Pampéens et chez les Araucanos, des jeûnes, le tatouage, ou diverses cérémonies plus ou moins compliquées; chez les Yuracarès, encore des jeûnes; puis la jeune fille, tous ses parens se couvrent de blessures les bras et les jambes; et, pour mieux célébrer son entrée dans le monde, chez toutes les nations, on termine la cérémo- nie par des libations. Le mariage demeure affaire de commerce ou de con- vention privée, presque étranger à la religion. Il n’en est pas ainsi de la grossesse dune femme, qui amène toujours beaucoup de pusillanimité chez le mari, dont les actions peuvent influer sur Pétat de Penfant, et sur Paccouchement qui, traité indifféremment pour la femme, oblige quel- quefois le mari à prendre des mesures hygiéniques. Les prêtres, les devins sont consultés dans les maladies : quelquefois ils appliquent des remèdes, font des saignées locales; mais, presque toujours, se bornent à des jongle- ries, Surtout à la succion des parties malades, comme chez les Pampéens, les Araucanos, les Guaranis, les Chiquitéens, les Moxéens; ou bien à des cérémonies plus ou moins compliquées. À la mort, depuis le Quichua civilisé jusqu'au plus sauvage des Américains, la croyance d’une autre vie conduit à parer le cadavre de ce qu'il avait de meilleurs habits, et à placer à son côté ses armes et des vivres pour faire le voyage. Chez les Araucanos, les Patagons, les Puelches, les Charruas, on brûle ce qui appartenait au défunt; on tue, sur sa tombe, tous les animaux domestiques qui Pont servi; et, de plus chez les Charruas, chez les peuples du Chaco, les parens, pour mieux exprimer leur douleur, se couvrent les bras, les flancs, la poitrine de blessures profondes; les femmes se coupent articulation d’un doigt, et tous se livrent aux jeûnes les plus rigoureux. L'histoire mythologique des peuples, quelquefois en rapport avec les monumens qui témoignent de leur antique civilisation, peut alors faciliter les recherches de l'historien. Celui-ci, en dégageant les fictions de cet entou- rage mystérieux, dont l'imagination de l'homme s’est plu à les envelopper, ( 113 ) en fera quelquefois jaillir des traits de lumière propres à éclaircir, pour lui, des faits dont il demanderait en vain la manifestation à des traditions natio- nales d’une autre espèce; ainsi, par exemple, la coïncidence du lieu de la naissance de Mancocapac, fils du soleil, au bord du lac de Titicaca, avec les monumens de ces mêmes rivages, nous a découvert le berceau du premier centre de civilisation des peuples péruviens'. Malheureusement, des renseigne- mens semblables sont bien difficiles à obtenir des autres peuples, de la langue desquels on connaît à peine quelques mots; et leur mythologie, d’ailleurs, remonte si loin dans l'antiquité, qu'on ne peut y retrouver qu’une analogie remarquable avec certains faits généraux appartenant au monde entier. Nous voulons parler de la création, et des époques qui remplacent, sur certains points de l'Amérique, le déluge répandu non-seulement sur l'ancien monde, mais encore sur le nouveau *. Si la croyance au déluge, qu’on retrouve chez les Araucanos, obligés de se réfugier au sommet des Andes”; si, disons-nous, cette croyance est, comme on pourrait le supposer, suggérée par la présence des coquilles fossiles sur la terre et jusque sur les montagnes, il n’en est pas ainsi d’un renouvellement général de la race humaine, que nous retrouvons chez les Yuracarès et chez les Mbocobis, enveloppés, non par une inonda- tion, mais par un incendie général des forêts, auquel échappent seuls des êtres privilégiés qui repeuplent la terre‘. Les Guaranis ont l’arrivée du Tamoï, qui ranima les peuples, en leur enseignant l'agriculture; tandis que les Moxéens sont fils des lacs, des grands fleuves, dont les poissons les nourrissent. Les rapports des grandes divisions religieuses des peuples américains avec ceux que les caractères physiques nous ont fait établir, sont évidens : les Péruviens avaient tous le culte du soleil, régi par le Pachacamac; les Arau- caniens et les Pampéens, la croyance d’un être bon par nécessité, méchant sans but, ainsi que les mêmes coutumes religieuses; les Guaranis, une grande uniformité de religion; les Chiquitéens, les influences de la nature; les Moxéens, la crainte d'êtres vivans. L’analogie avec les mœurs, les coutumes, n’est pas 1. Voyez partie spéciale. 2. Chez les Mexicains (voyez M. de Humboldt, Vues des Cordillères, etc., t. 1, p. 102), et sur le plateau de Cundinamarca (Humboldt, Vues des Cordillères et Monumens des peuples ind. de l’Amér., 1. II, p. 256, etc.). 3. Voyez partie historique, t. IT, p. 259. 4. Les Yuracarès ont une mythologie très-étendue et des plus curieuse. Voyez, dans ce travail, l’article spécial des Yuracarès (rameau antisien), et, partie historique, la description de cette nation. 4 1V. Homme. 19 Homme améri- Cain. (114) Homme moins remarquable : les Péruviens, agriculteurs et pasteurs, les plus civilisés Aer I Cain des Américains du sud, ont la religion la plus compliquée, la plus douce ; les Guaranis, agriculteurs et chasseurs, ainsi que les Chiquitéens et les Moxéens, ont des croyances simples, plus où moins douces; tandis que, chez les chasseurs araucaniens et pampéens surtout, indépendance de leur genre de vie se retrouve dans lobligation qu'ils imposent à l'être suprême de les protéger, sans se soumettre eux-mêmes à aucun châtiment, quand ils ont violé ses lois. Leurs coutumes sanglantes sont aussi en rapport avec leur mode d'existence. Il nous reste à établir un dernier genre de comparaison, celui de la tem- pérature du lieu avec le système de religion des peuples. Le culte du soleil aurait-il pu naître sous la zone torride, dont les feux dévorans contraignent incessamment lhomme à chercher lombre; sous la zone torride, où le matin et le soir sont les seuls instans de vie pour la nature? Nous ne le pensons pas; mais était-il pas tout naturel que ce culte devint un besoin pour des peuples habitant des plateaux élevés, n’ayant de chaleur qu’alors que Pastre les éclaire, la nature se glaçant autour d'eux dès qu'il se cache; aussi trouve- t-on le même principe religieux sur le plateau du Pérou et sur celui de Cundinamarca’”, placés dans les mêmes conditions, tandis que rien, chez les peuples des régions chaudes, n’annonce le culte du soleil. Si nous considérons, dans leur état de liberté primitive, les croyances reli- gieuses actuelles de Américain, nous les trouverons telles qu’elles étaient avant larrivée des Espagnols, sans que la civilisation qui les entoure ait rien changé aux rites, aux cérémonies dont elles sont accompagnées. L’Amé- ricain qui à embrassé la religion chrétienne, offre encore, avec beaucoup des superstitions de sa position première, soit l'indifférence qu'il montrait dans ses forêts, comme chez les Guaranis, soit un fanatisme porté à son comble, comme à Moxos : à Moxos, où l’homme qui jadis immolait, par superstition, sa femme et ses enfans ; Phomme qui, par crainte des jaguars, s’astreignait aux Jeûnes les plus rigoureux, se punit aujourd’hui de ses péchés, non-seulement en Jeûnant outre mesure, mais en se couvrant de blessures dans la semaine sainte, En un mot, quoique les Américains suivent avec exactitude la religion chrétienne, nos observations nous font croire qu'ils n’en ont, pour la plu- part, que les cérémonies extérieures, sans en avoir la véritable conviction, ou sans l'envisager sous le point de vue de sa morale. 1. Piedra Hita, Conquesta, p. 17 ; Herrera, Decada V1, lib. F, cap. VI. (415 ) RACES AMÉRICAINES. Caractères. Couleur variable du jaune au brun et au rouge cuivré. Taille variable. Formes : tête grosse comparativement au tronc; tronc large, robuste, poitrine bombée, membres replets, arrondis, mains et pieds petits ; cheveux épais", gros, noirs, lisses, longs, descendant très-bas sur le front et résistant à l’âge. Barbe rare, grosse, noire, toujours lisse ou non frisée, poussant très-tard, et seulement sur le menton et aux côtés de la moustache. Menton court. Yeux petits, enfoncés. Mâchoires saillantes. Dents belles, presque ver- ticales, sourcils très-marqués. Ces caractères généraux, les seuls que nous ayons retrouvés chez tous les Américains que nous avons vus, sont en conséquence ceux qu'on pourrait mettre en parallèle dans la comparaison qu'on en voudrait faire avec les hommes des autres parties du monde. Nous insistons particulièrement sur celui de la barbe lisse et poussant tres-tard, que nous signalons aujourd’hui pour la première fois, parce qu'il nous paraît distinguer, d’une manière tranchée, l’homme américain des autres sections de lespèce humaine. Avec les coupes que les caractères physiques nous ont forcé d'établir parmi les Américains que nous avons vus, nous présentons, dans le tableau suivant, les différences qui distinguent ses divisions les unes des autres. Nous ne doutons pas d’ailleurs, qu’en suivant cette marche pour Pétude des autres parties du nouveau monde, le nombre des races ne dût nécessairement s’augmenter. * 1. Blumenbach avait eu de faux renseignemens, lorsqu'il donna pour caractère aux Américains d’avoir peu de cheveux; ils les ont, au contraire, très -abondans. 2. Peut-être les habitans de Cundinamarca et les Mexicains rentreraient-ils dans notre race ando- péruvienne; mais nous ne doutons pas que les Américains du Nord de la partie septentrionale ne constituent une quatrième race, tout à fait distincte. Homme améri- ain. —— (116) Homme vméri 1," RACE : ANDO-PÉRUVIENNE. Couleur brun-olivâtre plus ou moins foncé. Taille petite. Front peu élevé ou fuyant; yeux hori- zontaux, jamais bridés à leur angle extérieur. HOMME AMÉRICAIN. TL RACE : PAMPÉENNE. Couleur brun-olivatre. Taille souvent très-élevée ; front bombé non fuyant; yeux horizontaux, quelquefois bridés à leur angle extérieur. 11. ° RACE : BRASILIO-GUARANIENNE. Couleur jaunätre.Taillemoyen- ne; front peu bombé; yeux obli- | ques, relevés à l’angle extérieur, À \ 1.7 Rameau : PÉRUVIEN. Couleur brun-olivâtre foncé. Taille moyenne, 1 mètre 597 millimètres. Formes massives ; tronc très-long com- parativement à l’ensemble. Front fuyant; face large, ovale; nez long, très-aquilin, élargi à la base; bouche assez grande; lèvres médiocres ; yeux horizontaux, à cornée jaunâtre ; pommettes non saillantes ; traits pro- noncés ; physionomie sérieuse, réfléchie, triste. 2.° Rameau : ANTISIEN. Couleur variable du brun-olivâtre foncé à une teinte très-claire. Taille variable ; moyenne, { mètre 645 milli- mètres. Formes peu massives ; tronc dans les proportions ordinaires. Front non fuyant; face ovale; nez variable ; bouche moyenne, yeux horizontaux; traits efféminés ; physionomie vive, douce. 3.° Rameau : ARAUCANIEN. Couleur brun-olivätre peu foncé. Taille moyenne, 1 mètre 641 millimètres. Formes massives; tronc un peu long comparativement à l’ensemble. Front peu élevé; face presque circulaire ; nez très-court, épaté ; yeux hori- zontaux, bouche médiocre, lèvres minces; pommettes saillantes; traits efféminés ; physionomie sérieuse, froide. 1.® Rameau : PAMPÉEN. Couleur brun-olivätre ou marron foncé. Taille moyenne, { mètre 688 millimètres. Formes hercu- léennes. Front bombé; face large, aplatie, oblongue ; nez très-court, très-épaté, à narines larges , ouvertes ; bouche très-grande; lèvres grosses, très-saillantes ; yeux horizontaux, quelquefois bridés à leur angle exté- rieur; pommettes saillantes; traits prononcés, mâles; physionomie froide, souvent féroce. 2.° Rameau : CHIQUITÉEN. Couleur brun-olivâtre clair. Taille moyenne, 1 mètre 663 millimètres. Formes médiocrement robustes; face circulaire pleine ; front bombé; nez court, peu épaté; bouche moyenne ; lèvres minces , peu saillantes ; yeux horizontaux, quelquefois légèrement bridés extérieure- ment; pommettes non saillantes; traits efféminés ; phy- sionomie enjouée, vive, gaie. 3.° Rameau : MOXÉEN. Couleur brun-olivätre peu foncé. Taille moyenne, 1 mètre 670 millimètres. Formes robustes, front peu bombé; face ovale circulaire; nez court, peu large; bouche médiocre; lèvres un peu saillantes; yeux hori- zontaux non bridés; pommettes peu saillantes; phy- sionomie un peu enjouée, douce. à Rameau unique. Couleur jaunâtre, mélangée d’un peu de rouge très- pâle. Taille moyenne, 1 mètre 620 millimètres. Formes très-massives ; front non fuyant; face circulaire pleine ; nez court, étroit; narines étroites ; bouche moyenne, peu saillante; lèvres minces; yeux souvent obliques, toujours relevés à l'angle extérieur; pommettes peu saillantes ; traits efféminés ; physionomie douce. (417) PREMIÈRE RACE. ANDO-PÉRUVIENNE. CARACTÈRES GÉNÉRAUX. Covieur BRUN-OLIVATRE PLUS OU MOINS FONCÉ. Tauze PETITE. FRONT PEU ÉLEVÉ OU FUYANT. VEUX HORIZONTAUX, JAMAIS BRIDÉS A LEUR ANGLE EXTÉRIEUR. PREMIER RAMEAU. PÉRUVIEN. Couleur : brun-olivâtre foncé. Taille moyenne : 1 mètre 597 millimètres. Formes massives; tronc très-long comparativement à l'ensemble. Front fuyant; face large, ovale. Nez long, très-aquilin, élargi à sa base. Bouche assez grande; levres médiocres. Yeux horizontaux, à cornée Jaunâtre. Pommettes non sallantes. Traits prononcés. Physionomie sérieuse, réfléchie, triste. Le rameau auquel nous avons donné le nom de Péruvien, du lieu qu'il habite, s'étend sur la plus grande partie de ancienne domination des Incas, avant la conquête, c’est-à-dire sur les Andes et sur leurs versans, depuis la ligne jusqu’à Santiago del Estero, au 28.° degré de latitude australe. Cette domina- tion comprenait, sur les montagnes seulement, toute la république actuelle du Pérou, celle de Bolivia et une partie de la république Argentine. Elle était bornée à l'Ouest par le grand Océan, au Nord par des nations qui appar- tiennent peut-être encore au même rameau, au-delà de Quito; à PEst, vers le Nord, par les nations de notre rameau Antisien; vers le Sud, par les nations pampéennes du grand Chaco; au Sud, par les Araucanos. Le pays des Péruviens est uniforme dans sa composition orographique, autant que dans sa sécheresse. Partout des plateaux élevés, voisins des neiges perpétuelles, des vallées plus où moins chaudes, toujours sèches, peu ou point boisées, toujours dépourvues d'ombrage; des pics déchirés, des ravins profonds, des plaines stériles, où lagriculteur industrieux peut seul trouver les ressources que le force à rechercher le manque de pâturages dans les lieux 1. Nous ne trouvons aucun caractère qui puisse rapprocher les Péruviens des peuples de l'Océanie. Ils en diffèrent par Lous leurs caractères physiologiques, et de plus par leurs mœurs. Venus des iles, comme on la dit, ils auraient une idée quelconque de la navigation, si avancée parmi les Océaniens; tandis que, de tous les peuples, ce sont les plus arriérés sur ce point. Les Péruviens diffèrent tout à fait des autres races du monde. Homme améri- cain. Homme smeéri- ‘ain. (118) tempérés. Là, jamais cette imposante végétation du versant oriental des Andes ne réjouit la vue des habitans; partout Paspect le plus triste; et, d'abord, préoccupé du nom pompeux de Pérou, qui rappelle tant d'idées de richesses, l'Européen s'étonne qu'au milieu d'une nature si aride, si accidentée, se trouve le centre de la plus parfaite civilisation de PAmérique méridionale; mais lors- qu'il aperçoit, sur les plateaux, les paisibles troupeaux d’alpacas et de Ilamas, accompagnés de leurs bergers, son étonnement cesse; car il en reconnaît la source. Parmi les peuples que nous avons observés, les nations qui se rattachent naturellement à ce rameau, sont au nombre de quatre : la première, celle des Quichuas (ou Incas), renfermant seule toute la civilisation, du temps de la conquête, était la nation souveraine; la seconde, celle des Aymaras, des plateaux élevés, quoique la plus anciennement civilisée, et malgré son importance numérique, était soumise aux Quichuas, dont dépendaient aussi les deux autres, les Atacamas et les Changos, du littoral occidental, réduites à une faible population. Le tableau suivant indiquera la population respective de ces quatre nations. NOMBRE, DANS CHAQUE NATION, des NOMS DES NATIONS. INDIVIDUS DE RACE PURE: PR CHRÉTIENS. SAUVAGES. MÉTIS. 458,572 188,237 2,170 = Quichuas ou Incas, .., 934,707 Aymaras....... ACEMÉER ES ec 372,397 Alacamas 7,348 Changos Pa 1,000 MO Ou 4 648,979 1,315,452 Ainsi, dans le rameau Péruvien il n’existe plus aujourd’hui d'hommes à l'état sauvage; leur civilisation ancienne, leur soumission religieuse envers les chefs, les ont tous portés à se faire chrétiens. Nous ne poussons pas plus loin nos généralités sur les Péruviens. La description de la nation Quichua, comme la plus étendue, la plus civilisée, devant, d'un côté, renfermer tous les détails de caractères physiologiques et moraux que nous pourrions reproduire ici, nous y renvoyons, afin d'éviter de fastidieuses redites, si difficiles à éviter dans ce genre de travail; d'autre part, les détails spéciaux sur la nation Aymara, n’en différant qu’en ce qui concerne la coutume de cette nation de s’aplatir la tête, et les renseignemens propres à leur histoire ancienne, à leur origine, nous prions nos lecteurs de regarder les renseignemens sur les Quichuas comme généralités sur le rameau, en tenant compte du coup d'œil historique particulier aux Aymaras. (119) NATION QUICHUA OU INCA. Le nom de Quichua, sous lequel on connait à présent, dans le pays, la nation qui nous occupe, m'était autrefois, à ce qu'il paraît, que la dénomination d’une de ses tribus'; et nous croyons même qu’il n’a été généralisé que par les Espagnols. Celui d’/nca, plus connu en Europe, n’était appliqué qu'aux hommes de la famille royale, et signifiait, plus particulièrement, ro, chef 2. Nous ne chercherons pas à reproduire ici les noms primitifs de chacune des tribus qui formaient l'empire des Incas, ce qui serait empiéter sur le domaine exclusif de l’histoire; car aujourd’hui les noms qui distinguaient les provinces, et en même temps les tribus qui les habitaient, sont tout à fait oubliés ou se confondent en un seul, celui de Quichua. A l'instant de la conquête de l'Amérique, les Incas avaient sous leur domination, depuis le Rio Ancasmayoÿ, au nord de Quito, un peu au septentrion de la ligne, jusqu’au Rio Maule du Chili, au 35° degré de latitude sud, c’est-à-dire une étendue de plus de 700 lieues marines4. À l’est, leurs limites étaient les plaines chaudes et boisées, ou même les pentes orientales des montagnes des Andes, dès qu’elles se couvraient d’une végétation active ou qu’elles devenaient trop chaudes pour qu’on püt élever des Ilamas; aussi n’avaient-ils point pour bornes, de ce côté, les Andes mêmes, malgré ce qu'ont dit les anciens écrivains, puisque partout nous en avons trouvé jusqu’à près de 100 lieues plus loin à l’est. Vers l’ouest, les Quichuas étaient bornés par la mer; aussi occupaient-ils toute la largeur des Andes et une partie de leurs versans, sur une étendue variable, de 140 lieues (au 18° degré), dans sa plus grande extension, et de 50 lieues dans sa partie la plus étroite (au 16° degré). Après avoir indiqué cette surface comme soumise aux Incas, nous allons distinguer le territoire où vivait la nation Quichua, qui nous occupe en ce moment, et qui était loin d’y être la seule. Vers le nord, elle s’étendait sur le plateau peut-être jusqu’à Quito même; car, aujourd’hui, l’on y parle encore la langue quichua, 1. Garcilaso de la Vega (édition de 1723), Comentario real de los Incas, lib. IF, cap. 23, p. 129, 87. 2. Ibidem, p. 28 , 30. 3. Ibidem, p. 9. Padre Acosta, Historia natural y moral de las Indias. Barcelona (1591), &b. VI, cap. 19, p. 280. 4. Il ya loin encore de là aux 1300 lieues indiquées par Garcilaso, Com. de los Incas, p. 9. 5. Garcilaso , Com. de los Incas, p. 10, ne connaissait pas leurs limites orientales, lorsqu'il leur donne pour bornes les Andes neigeuses. Il y avait au moins autant de population quichua à l’est que sur les plateaux. Cochabamba , Chuquisaca sont à l’est de la chaine. 6. Don Jorge Juan et Ulloa, Relacion historica del viage à la America meridional, Madrid, 1748, 1. I, &b. V, cap. V, p. 377, l’annoncent à chaque page de leur ouvrage; d’ailleurs M. de Martigny nous l’a confirmé encore pour aujourd’hui. Homme améri- cain, Homme ameri- can, ( 120 ) ce qui n'aurait pas eu lieu, s'il y eût eu primitivement une nation différente; de là, en S'avançant vers le sud, elle s'étendait et s'étend encore sur tout le plateau des Andes du Pérou et sur une petite partie du versant oriental, jusqu'au 15.° degré sud, où elle cesse tout à coup, pour laisser un large espace compris entre les deux chaines et la côte occupée par la nation Aymara, dont nous traiterons séparément. Elle reprend ensuite au sud des Aymaras, sur toutes les provinces de Cochabamba, de Chuquisaca, de Chayanta et de Potosi; puis de là ne remonte plus les plateaux, mais vit seule- ment sur le versant oriental, jusqu’à Tucma? (Tucuman) et jusqu’à Santiago del Estero, au 28. degré de latitude, où l’on parle encore maintenant la quichua 5. A la côte, sur le versant occidental, Aréquipa, habitée par les Aymaras, et au-delà, les Atacamas, qui peuplaient la province de ce nom, bornaient les Quichuas , lesquels n’avaient, sur tout le littoral du sud, que des peuples subjugués, mais d’une autre origines ; ainsi les Quichuas occupaient une longue bande de terrain suivant, du nord au sud, la forme de la chaîne des Andes, de Quito jusque près du lac de Titicaca; puis repre- nait, au sud-est de la nation Aymara, enclavée au milieu d’eux, pour occuper encore une lisière du versant oriental, depuis Cochabamba jusqu’à Santiago del Estero”,' bornés alors, vers l’ouest aux Andes, vers l’est aux plaines chaudes et boisées. Leur voisinage à l’est se compose d’une foule de petites nations constituant, depuis Quito jusqu'a Santa-Cruz de la Sierra, notre rameau Antisien, les Quixos, par exemple, les Chayaritos, les Chuchos du Rio Paro; puis, sur les parties que nous décrivons, les Apolistas, les Maropas, les Tacanas, les Mocéténès, et enfin les Furacarès. Au-delà, vers le sud, les Quichuas avaient pour voisins les Chiriguanos, tribu des Guaranis du Para- guay, et, plus au sud encore, des nations appartenant au rameau Pampéen, telles que les Matacos, les Mbocobis, les premières tribus des Araucanos des Pampas, étant aussi séparés alors, par la chaîne des Andes, des tribus de cette nation guerrière de Copiapo et de Coquimbo. Au nord, ils confinaient avec des nations appartenant, probablement, aux Muiscas du plateau de Cundinamarca; au sud-ouest, les Aymaras les bornaient sur la côte. 1. La tribu du plateau de Quito portait un nom différent; mais nous croyons qu’elle faisait partie de la nation Quichua; car les tribus subjuguées parlant des langues distinctes, ont encore leur idiome primitif, témoin les Aymaras. | 2, Garcilaso, Com. de los Incas, p. 164, 240, 309. 3. Voyez les limites des Quichuas, sur la carte des races humaines, où elles se feront mieux saisir que par une description. Ces limites sont celles que nous avons vérifiées nous-même pendant trois années de séjour dans les pays qu’habite la race ando-péruvienne; limites réellement incon- nues jusqu’à nous. 4. Nous avons trouvé, dans la langue des peuples du Sud (les Araucanos, les Puelches) des mots qui appartiennent à la quichua et introduits lors des conquêtes des Incas, sous Yupanqui, en 1400 (Garcilaso, Com. de los Incas, p. 216 ); aussi est-il prouvé que tous les mots introduits dans une langue différente, annoncent des communications positives. (12 ) x Il est évident que les lieux habités par les Quichuas étaient, à l’époque de la pre- Homme mière arrivée des Espagnols, beaucoup plus peuplés qu'aujourd'hui; car on sait qu’un grand nombre d’entr'eux fut massacré à Caxamarca ! ; que beaucoup plus encore périrent ensuite dans les expéditions des premiers aventuriers?, dans les guerres civiles 5, ainsi que par les travaux des mines, où ils étaient conduits de force4. On sait encore qu’un grand . nombre se sont méêlés aux Espagnols et n’ont pas conservé leur race pure; néanmoins, des recherches fastidieuses nous ont conduit à pouvoir présenter le tableau suivant de la population actuelle de cette nation, toute chrétienne. : Quichuas Métis a Quichuas | purs. et d’Espagnols. Quichuas de la ville de Cochabamba (Bolivia). . . . . .. …. 11825 _12,9805 de la province de Sacava, départ.‘ de Cochabamba. 3,8055 2,290 5 de la province d’Ayopaya, — _ — 1,585 1,4625 de la province de Tacapari, : — = . 14,7805 8,090 5 de la province d’Arque, _ _ . 13,4915 4,7415 de la province de Clisa, _ = 10,900. 111925 de la province de Mizqué, — = . -8:0915 5,6025 de la province de Yamparais, dép.* de Chuquisaca . 12,440 6 6,220 6 de la province de Tomina, ns . 148536 9,426 6 de la province de Sinu, ne — = . 13,6366 6,818 6 ANTÉpOrtET Eee ee 103,158 68,821 1. Garcilaso, Comentario real del Peru, lib. 1, cap. XXVIL, p. 35. Ulloa, Noticias amer., p. 345, décrit beaucoup de ruines de nombreux villages dans des vallées inhabitées aujourd’hui; et p. 352, 353, il attribue la diminution de la population aux excès des boissons et non aux mines, 345. . 2. Dans l'expédition de Gonzalo Pizarro, à la conquête de la province de la Canela (Garcilaso, Com. del Peru, lib. IT, cap. LIL, p. 140); dans celle d’Almagro au Chili (Loc. cit., lib. IT, cap. XX, po) 3. Les guerres entre Diego Almagro et Francisco Pizarro , lors de la conquête du Cuzco (Garcil., Com. del Peru, lib. II, p. 112, etc.). 4. Ulloa, Noticias americanas, p. 329, prétend que le travail des mines ne pouvait pas leur faire de mal. Robertson, Histoire de l'Amérique, édition espagnole, t. IV, P- 102, croit le contraire, | E 5. Sommes prises dans l’excellent travail statistique de Francisco Viedma , intendant des pro- vinces de Cochabamba et de Santa-Cruz de la Sierra , et communiqué au vice-roi de Buenos-Ayres, dans son /nforme general, en 1793. (Manuscrit important dont nous possédons l’original. ) 6. Comme dans le recensement de 1835 (Calendario y guia de forastero de la republica Boli- viana), imprimé à la Paz, il n’y a pas de distinction de castes, nous avons dû, par comparaison avec les sommes données par Viedma , prendre la moitié du total pour les naturels purs et le quart pour les métis. IV. Homme. 1 6 améri- cain. Homme améri ain. (122) Quichuas Métis de Quichuas purs. ét d'Espagnols. Report . . . . . 103,158 68,821 —— Quichuas de la ville de Chuquisaca, département de Chuquisaca 1,312 3,282: de la province de Potosi, département de Potosi . . 1,365 6,825 : de la province de Chayanta, — _ . 39,2682 19,634? des provinces de Porco, Chichas, Lipez, — . 67,0662 33,533? de la province de Valle-Grande , département de Santa-Cruz. . 5 PO RUN st MA 3175 4,239 5 de la province du Cuzco (Pérou). . . ...... + 14,2544 6994 . de la province de Paucartambo ........... 11,229 4 957 4 de la province d’Abancay, département du Cuzco . 18,4194 4,739 4 de la province de Calca y Lares, — — . polo 320 4 de la province d'Urubamba, _ _ + 5; 1044 3,1944 de la province de Cotabamba, — — + 18:297%4 1,382 4 de la province de Paruro, — —_ . 15,0344 27334 de la province de Chabibilcas, — _ + 11,4754 £ de la province de Tinta, _ — . 29,0454 5,420 4 de la province de Quispicanchi, — _— . 19,9474 4,306 4 du département de Lima (Pérou). . . ....... 63,1814 13,3474 du département d’Ayacucho (Pérou) . . ...... 99,1834 34,1584 du département de Junin (Pérou). . . . . . . . .. 105,1874 78,6844 du département de la Libertad (Pérou). . . . . .. 115,6474 76,9494 du département de Guayaquil, Ecuador . : . . .. 153,9005 76,9505 du département de Quito, Ecuador. .. . . .. .. 36,8005 18,4005 934,707 458,572 1. Ces sommes, comparées à celles de Viedma, sont, d’après ce que nous avons vu, la moitié de la population générale des villes, comme métis, et le dixième comme Indiens purs, pour Potosi (et le quart de métis et un dixième pour les Indiens purs de Chuquisaca ), des chiffres indiqués dans le Calendario y guia de forastero de la republica Boliviana, 1835. 2. Voyez la note 6, à la page précédente. 3. Voyez la note 5, à la page précédente. 4. Sommes prises dans l’excellente statistique de 1795, publiée à Lima dans le Guia politica, eclesiastica y militar del vireinato del Peru, par les ordres du vice-roi, où la population est divisée comme nous l’indiquons. Nous avons dû l’adopter avec d’autant plus de confiance qu’il n'y a pas eu de recensement postérieur, et que, dans un recueil publié à Lima en 1833 sous le nom de Calendario y guia de forastero de Lima, p. 6, on prend encore pour base le recensement de 1795. 9. Des sommes de la population totale des départemens de Guayaquil et de Quito, selon le recensement de 1830 (Précis de la Géographie universelle, par Maltebrun, édition de M. Huot, LT, p. 549), nous avons pris, de même que pour la Bolivia, la moitié comme naturels purs et le quart comme métis. (125) Passons maintenant aux caractères physiologiques des Quichuas : leur couleur, Homme améri- comme nous l’avons observé sur des milliers d'individus, n’a en rien la teinte cuivrée GE qu’on assigne aux nations de l'Amérique septentrionale, ni le fond jaune de celles de la race brasilio-guaranienne; c’est la même intensité, le même mélange de brun-olivätre foncé qu’on retrouve dans notre race pampéenne. En effet, la couleur des Quichuas est celle des mulâtres, et l’uniformité est très-remarquable parmi tous les hommes de race pure. Ulloa, dans sa description des Américains, confond souvent les nations; il parle comme s’il n’y en avait qu’une seule'; et, mêlant ainsi les souvenirs qu’il a gardés des habitans de l'Amérique septentrionale, il les donne tous comme rougeàtres?, ce qui n'est pas; néanmoins on voit qu'il attribuait à l’ardeur du soleil et à l’action de Pair la couleur plus foncée des Péruviens, que M. de Humboldt indique avec raison comme bronzés. 5 La taille est très-peu élevée chez les Quichuas; jamais nous n’en avons rencontrés qui atteignissent { mètre 70 centimètres (5 pieds 3 pouces). Le grand nombre de mesures que nous avons prises, nous autorise à croire que leur taille moyenne est de 1 mètre 60 centimètres (4 pieds 9 pouces); et nous pensons même qu’elle reste souvent au-dessous, dans beaucoup de provinces, surtout sur les plateaux élevés, où la raréfaction de Pair est plus grande, tandis que ceux qui nous ont montré une stature plus élevée, vivaient principalement dans les vallées chaudes et humides de la province d’Ayupaya; différence dont nous avons déduit les causes dans nos généralités5, en Pattribuant à la raréfaction de l’air. Les femmes sont plus petites encore et peut-être au-dessous de la proportion relative qui existe ailleurs dans la race blanche (1 mètre 460 millimètres). Les formes sont plus massives chez les Quichuas que chez les autres nations des mon- tagnes; nous pouvons les présenter comme caractéristiques. Les Quichuas ont les épaules très-larges, carrées, la poitrine excessivement volumineuse , très-bombée et plus longue qu’à l'ordinaire, ce qui augmente le tronc; aussi le rapport normal de longueur respective de celui-ci avec les extrémités ne paraît-il pas être le même chez les Quichuas que dans nos races européennes, et diffère-t-il également de celui des autres rameaux américains. 1. Noticias americanas, Entr. XVI, p. 253. Visio un Indio de qualquier region, se puede decir que se han visto todos en quanto el color y contestura. (Lorsqu'on à vu un Indien de quelque région que ce soit, on peut dire qu’on les a tous vus, pour la couleur et la conformation.) 2. Loc. cit., p. 252: Los Indios son de un color que tira à roxo, y afuerza de tostar se con el sol y con el viento, toman otro que obscurece. (Les Indiens sont d’une couleur rougeâtre, et à force d’être brûlés par le soleil et le vent, ils deviennent plus foncés.) 3. Voyage aux régions, etc., t. II, p. 364. On reconnait que le savant voyageur avait vu les Péruviens comme nous. 4. Ulloa, loc. cit., p. 253, avait remarqué aussi que les Péruviens étaient petits. Los (/ndios) de la tierra alta del Peru son de mediana estatura. «Ceux (les Indiens) des régions élevées du Pérou sont de moyenne taille.” Cette taille est toujours relative à celle des Espagnols, inférieure à celle des Français. 5. Voyez p. 47. (124) llomme Nous voyons même que, sous ce rapport, il sort tout à fait des règles observées, étant ner can plus long à proportion que les extrémités, qui n’en sont pas moins bien fournies, bien musclées: et annoncent beaucoup de force. La tête est plutôt grosse que moyenne, proportion gardée avec l'ensemble. Les mains et les pieds sont toujours petits; les arti- culations, quoiqu'un peu grosses, ne le sont pas extraordinairement. Les femmes pré- sentent les mêmes caractères : leur gorge est toujours volumineuse. Nous venons de dire que le tronc est plus long à proportion que chez les autres Amé- ricains; et que, par la mème raison, les extrémités sont, au contraire, plus courtes : nous chercherons maintenant à expliquer ce fait par le grand développement anormal de la poitrine. Nous croyons que telle partie déterminée d’un corps peut prendre plus d’exten- sion, par suite d’une cause quelconque, sans que les autres parties cessent de suivre la marche ordinaire. Nous en avons une preuve évidente dans le cas tout à fait opposé à celui que nous voulons établir : celui, par exemple, où telle partie du corps, par suite d'une difformité, ne prend pas, en apparence extérieure, tout son développement naturel, comme on le voit dans le tronc des bossus; ce qui n'empêche pas les extrémités d’ac- quérir les proportions qu'elles auraient eues, si le tronc eût reçu tout son accroisse- ment. De là, ce défaut d'harmonie dans leur personne, de là cette longueur des membres supérieurs el inférieurs, démesurée comparativement au tronc. Si l’on admet ce fait, difficile à contester, pourquoi, dans le cas dont il s’agit, n’admettrait-on pas aussi bien que la poitrine, par une cause que nous allons tenter de déterminer, ayant acquis une extension plus qu'ordinaire, peut naturellement allonger le tronc, sans que les extrémités perdent rien de leurs proportions normales, ce qui le fera paraître, comme en effet il le sera, plus long que chez les autres hommes, où nul accident n’est venu altérer les formes propres à l'espèce? Ces considérations pourraient faire le sujet d'un mémoire spécial, mais ne comportent pas ici plus de détails. Revenons aux causes qui déterminent, dans les Quichuas, le grand volume de la poitrine que nous y avons observé : beaucoup de recherches ont dû nous le faire attri- buer à l'influence des régions élevées sur lesquelles ils vivent et aux modifications apportées par l’extrème dilatation de l'air. Les plateaux qu'ils habitent sont toujours compris entre les limites de 7,500 à 15,000 pieds, ou de 2,500: à 5,000 2 mètres d’élé- valion au-dessus du niveau de la mer; aussi l'air y est-il si raréfié, qu’il en faut ‘une plus grande quantité qu’au niveau de l'Océan, pour que l’homme y trouve les élémens de la vie. Les poumons ayant besoin, par suite de leur grand volume nécessaire, et de leur plus grande dilatation dans l'inspiration, d’une cavité plus large qu’aux régions basses, celte cavité reçoit, dès l'enfance et pendant toute la durée de accroissement, un grand développement, tout à fait indépendant de celui des autres parties. Nous avons voulu 1. C'est l'élévation de la vallée de Cochabamba, l’une des plus basses entre les vallées qu’ha- bitent les Quichuas de la Bolivia. 2. La ville de Potosi s'élève à 4,166 mètres au-dessus du niveau de la mer; un grand nombre d’autres lieux habités sont beaucoup plus élevés encore. (1%) nous assurer si, comme nous devions le supposer à priori, les poumons eux-mêmes, Homme améri- par suite de leur plus grande extension, n'avaient pas subi de modifications notables. “in. Habitant la ville de la Paz, élevée de 3,717 mètres au-dessus du niveau de l'Océan, et informé qu'à l'hôpital il y avait constamment des Indiens des plateaux très-populeux plus élevés encore (3,900 à 4,400 mètres), nous avons eu recours à la complaisance de notre compatriote M. Burnier, médecin de cet hôpital; nous l’avons prié de vouloir bien nous permettre de faire l’autopsie du cadavre de quelques-uns des Indiens des plus hautes régions , et nous avons, comme nous nous y attendions, reconnu avec lui, aux poumons des dimensions extraordinaires, ce qu’'indiquait la forme extérieure de la poitrine. Nous avons remarqué que les cellules sont plus grandes que celles des poumons que nous avions disséqués en France; condition aussi nécessaire pour aug- menter la surface en contact avec le fluide ambiant. En résumé,. nous avons cru reconnaitre, 1. que les cellules sont plus dilatées; 2.° que leur dilatation augmente notablement le volume des poumons; 3.° que par suite il faut à ceux-ci, pour les con- tenir, une cavité plus vaste; 4.° que, dès-lors, la poitrine a une capacité plus grande que dans l’état normal; 5.°, enfin, que ce grand développement de la poitrine allonge le tronc un peu au-delà des proportions ordinaires, et le met presque en désharmonie avec la longueur des extrémités, restées ce qu’elles auraient dü être, si la poitrine avait conservé ses dimensions naturelles. 2 Les traits des Quichuas sont bien caractérisés, et ne ressemblent en rien à ceux des nations de nos races pampéennes et brasilio-guaraniennes : c’est un type tout à fait distinct, qui ne se rapproche que des peuples mexicains. Leur tête est oblongue d’avant en arrière, un peu comprimée latéralement; le front est peu bombé, court, fuyant un peu en arrière; néanmoins le crâne est souvent volumineux, et annonce un assez grand développement du cerveau. Leur face est généralement large; et, sans être arrondie, son ellipse approche beaucoup plus du cercle que de l’ovale. Leur nez, remarquable, est tou- Jours saillant, assez long, fortement aquilin, comme recourbé à son extrémité, sur la lèvre supérieureÿ, le haut renfoncé, les narines larges, épatées, très-ouvertes. Leur bouche est plutôt grande que moyenne, et saille, sans que les lèvres soient très-grosses; les dents sont toujours belles, persistantes dans la vieillesse. Leur menton est assez court, {. M. Burnier nous fit remarquer, en outre, que les poumons paraissaient divisés en cellules beaucoup plus nombreuses qu’à l’ordinaire. Ce fait nous paraissant étrange et difficile à admettre, nous avons prié M. Burnier de répéter ces observations sur un plus grand nombre de sujets, et lorsqu’après quelques années nous avons revu ce médecin instruit, il nous l’a de nouveau com- plétement confirmé. 2, Tout en signalant cette différence de proportions relatives, nous sommes loin de les donner comme très-exagérées; il faut plutôt l'œil de l'observateur que celui de tout le monde pour la reconnaitre chez chaque individu. 3. Ulloa, Noticias americanas, Madrid, 1792, Entret. XVII, p. 253, dit de même: Mariz delgada, pequeña y encorvado hacia el labio superior. On voit néanmoins qu’il mêle encore les nations pour les formes , les Péruviens étant loin d’avoir le nez étroit. ( 126 ) Homme sans être fuyant, quelquefois même assez saillant. Les joues sont médiocrement élevées, améri- ain, et seulement dans l’âge avancé; les yeux, de dimension moyenne, et même souvent petits, toujours horizontaux, ne sont jamais bridés ni relevés à leur angle extérieur. Jamais la cornée n’est d'un beau blanc; elle est invariablement un peu jaune. Les sourcils sont très-arqués, étroits, peu fournis; les cheveux, épais, longs, très-lisses, très-droits, gros, toujours d’un beau noir, descendent très-bas sur les côtés du front. La barbe se réduit, chez tous les Quichuas, sans exception, à quelques poils droits et rares, poussant fort tard, couvrant la lèvre supérieure, les côtés de la moustache et la partie culmi- nante du menton. La nation Quichua est même, peut-être, des nations indigènes, celle qui en a le moins. Le profil des Quichuas forme un angle très-obtus et peu différent du nôtre; seulement les maxillaires avancent plus que dans la race caucasienne; les arcades sourcilières sont saillantes; la base du nez est très-profonde. Leur physionomie est, à peu de choses près, uniforme, sérieuse, réfléchie, triste mème, sans cependant montrer d’'indifférence : elle dénoterait plutôt de la pénétration sans franchise. On dirait qu'ils veulent cacher leur pensée sous l’aspect d’uniformité qu’on remarque dans leurs traits, où les sensations se peignent rarement à l'extérieur, et encore jamais avec la vivacité qui les trahit chez certains peuples. L'ensemble des traits reste toujours dans le médiocre : rarement voit-on , chez les femmes, une figure relativement jolie; néanmoins elles n’ont pas le nez aussi saillant et aussi courbé que celui des hommes. Ceux-ci, quoiqu'ils ne portent pas de barbe, doivent un aspect mäle à la saillie de leur nez. Un vase ancien, qui présente, avec une vérité frappante, l’image des traits des Quichuas d'aujourd'hui, nous donne la certitude, que, depuis quatre à cinq siècles, les traits n'ont éprouvé aucune altération sensible. ! La langue quichua (gquichua) est très-riche; elle répond tout à fait à la civilisation du peuple qui la parlait et la parle encore. Elle peut, par la combinaison des particules qui la composent, exprimer non-seulement des idées concrètes, mais encore des abstractions. Pleine de figures élégantes, de comparaisons naïves; il est d'autant plus facheux que ce soit une des langues les plus dures à l'oreille comme à la pronon- clation. Elle a tels sons d’une gutturation qui passe toutes les bornes connues, et d’un croassement difficile à rendre; elle est chargée en outre des consonnes les plus rudes, de fréquentes redondances; elle est aussi fortement accentuée, la pénultième syllabe étant toujours longue. Il y a complication de consonnes, mais dans un sens que nos caractères ordinaires d'Europe peuvent difficilement faire comprendre; par exemple, dans gquichua, celle des deux q, dont le premier se prononce du fond de la gorge comme un croassement?, ou celle du double cc, ou de sec, de tcc, de tto, etc. Les mots 1. Antiquités, planche 15. Il ne faut pas s’en étonner; car, dans ses savantes recherches, M. Edwards a reconnu, sur le tombeau d’un ancien roi d'Égypte, la figure caractéristique des juifs actuels, qui n’a pas changé depuis trois mille ans. (Des caractères physiologiques des races humaines , Paris, 1829, p. 19.) 2. On ne peut se rendre compte de la prononciation d’une langue qu’en l’entendant parler ; ( 127 ) se terminent presque toujours par des voyelles en a et en 7; mais, lorsqu'ils finissent par une consonne, ils offrent, le plus souvent, les sons #p, ac, ak, et, quelquefois, aussi les sons am, an. Les Quichuas n’emploient ni diphthongues, ni notre &; le j, avec la prononciation espagnole gutturale, se répète fréquemment. Les sons du b, du d, de l’f, du g, de lz, manquent entièrement. Les noms des parties du corps n’ont pas d’ano- malie, comme on peut le voir par ccaklla, joue; Aavi (ñakui)', yeux; rinri (rigri)\, oreille. Les adjectifs ne varient point selon les genres et les cas, tandis que les substantifs suivent toutes les modifications qu’exigent le singulier et le pluriel. Leur numération est décimale et très-étendue; elle va jusqu’à cent mille, et les nombres n'ont aucun rapport avec le nom des doigts. La construction des phrases se fait ainsi: « Quilla imakina (jinac) muyu uya;” de quilla, la lune; imahina ( jinac), comme; muyu, arrondie; ya, figure. Traduction littérale : La lune comme arrondie figure ; ou, mieux : Figure arrondie comme la lune; et encore : Munaï cucuhay, munaï cucuscaihi, de munat, temps du verbe aimer, dont le pronom personnel, cucuhay, moi, gouverne le sens; zunaï, même temps du verbe aimer, gouverné par le pronom personnel, cucur- cayki, toi. Traduction littérale : 4ime-moti, aimerai toi; ou, mieux : Aime-moi, si tu veux que je l'aime. D’après ce que disent les anciens auteurs?, on ne peut douter que les Incas (ceux de la famille royale) n’aient eu, parmi eux, un langage particulier, différent de la langue générale; langage qu’a fait entièrement oublier extinction des principaux d’entr'eux. Le caractère des Quichuas est un fond de douceur à toute épreuve, de sociabilité poussée jusqu’à la servilité, d’obéissance et de soumission aveugles à leurs chefs, de fixité dans les idées, de stabilité dans les goûts. On sait avec quelle exactitude des centaines, des milliers d'hommes de cette nation exécutaient, même à une distance considérable, les moindres ordres de leur Inca; l’on sait encore avec quel empressement ils reçurent les premiers Espagnols qui se montrèrent au milieu d’euxÿ; et comment , malgré les cruautés aussi les dictionnaires sont-ils loin de faire deviner la véritable prononciation des Quichuas. Un long séjour au milieu d’eux a pu seul nous permettre de faire ces remarques. Voyez aussi le Vocabulario y arte de la lengua general de todo el Peru, llamada Qquichua, o del Inca; par le père Diego Gonçalez Holguin, Lima, 1608 ; et Arte y vocabulario de la lengua general del Peru, Lima, 1614; deux ouvrages très-rares et que nous possédons. 1. Les mots entre deux parenthèses sont ceux de la prononciation actuelle, recueillie de la bouche des indigènes. 2. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. VII, cap. IL, p. 222. 3. C’est à tort qu'Ulloa les accuse de férocité (Noticias americanas, p. 312) envers les ani- maux : nous avons vu des Indiens pleurer de la nécessité de tuer un de leurs Ilamas. 4. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. VI, cap. XXXV1I, p. 218. 5. Témoins ces deux Espagnols qui, avant la mort d’Atahualpa, parcoururent tout le Pérou, de Caxamarca au Cuzco, Voyez Garcilaso, Com. del Peru, lib. I, cap. XXXII, p. 40 et p. 158. Homme améri- cain. ( 128 ) Homme dont ils étaient l'objet, ils se dévouaient aux conquérans que le sort de la guerre: et pe les superstitions religieuses? leur faisaient recevoir comme des maîtres et révérer comme D des dieux. On en a encore une preuve dans la manière dont tous, sans exception, se soumirent au nouveau culte qu’on leur apportait5, aux exigences despotiques que leur imposaient leurs nouveaux dominateurs, le scrupule avec lequel des milliers d'hommes obéissaient à un seul Espagnol, tandis qu'il leur eût été si facile de s’en défaire, ce qui a été souvent attribué à leur lcheté, à leur faiblesse4. Bien éloigné de vouloir expliquer ainsi le fait (car, en d’autres circonstances, ils ont montré qu'ils pouvaient combattre avec bravouref, et qu’ils ne craignaient pas la mort); nous croyons qu'il faut l’attribuer plutôt à une cause tout à fait religieuse, et non au manque de force morale, au défaut de couragef. L’obéissance passive était pour les Quichuas un des devoirs que leur imposait le culte qu’ils rendaient à leurs Incas; et ils se crurent soumis à la même loi relativement aux hommes extraordinaires qui se présentaient la foudre à la main7, avan- tage que les fils du soleil même ne possédaient pas. Ils se montrent reconnaissans des bons procédés, et vont jusqu’à se sacrifier pour un bienfaiteur 8; ce que prouvent non-seule- ment l'histoire de la conquête, mais encore les observations que nous avons recueillies nous-même dans le cours de nos voyages. Ils sont hospitaliers envers les étrangers; et si l'opinion du pays n’est pas généralement pour eux, nous expliquons cette défaveur, moins par la faute des Indiens, que par les exigences de quelques propriétaires9. Ils sont bons pères, bons maris; ils aiment la société, vivent toujours par hameaux, et cherchent des motifs de réunion et d’amusemens : c’est même par ce faible que les religieux 1. Garcilaso, Com. del Peru, lib. 1, cap. XLI, p. 55 et p. 99. 2. On sait que la prédiction de Huaina capac (Garcilaso, Com. de los Incas, lib. IX, cap. XP, p. 321 et suiv.) avait ordonné aux Quichuas d’obéir aux étrangers barbus. 3. Dès l’arrivée des Espagnols, les Quichuas se firent chrétiens; aussi n’en reste-t-il pas un seul à l’état sauvage. 4. Pauw, Recherches sur les Américains, t. 1, p. 95, 96; Robertson, Histoire de l'Amérique, édit. espagn., t. IV, p. 102. 5. On en trouve la démonstration dans les épreuves auxquelles les soumettait leur éducation guerrière. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. VI, cap. XXIV, p. 202. Voyez aussi Garcilaso, Com. del Peru, p.69, 70,97,104. 6. L’acharnement qu'Ulloa met à démontrer que les Américains pèchent par tous les points est tel, qu'il explique par un défaut absolu de sensibilité la fermeté manifestée par un Indien dans le cours d’une opération douloureuse, pendant laquelle il n’avait proféré aucune plainte. Noticias americanas , p. 313. 7. Voyez Garcilaso, Com. del Peru , lib. IT, cap. IV, p. 62. 8. Ibidem, p. 144, 331. 9. Ulloa, dans son injuste prévention contre les Américains, trouve étrange (AWoticias ame- ricanas, p. 320) que les Péruviens supportassent avec peine le service des mines, auquel on les assujellissait. (129) adroits: les ont amenés au christianisme, en leur créant des motifs de réunion, et par conséquent de plaisir; néanmoins, au milieu de ces fêtes, ils s'amusent sans être gais; leur taciturnité, leur froideur disparaissent rarement en entier; mais aussi, dans l'ivresse même, ils se querellent rarement, et plus rarement encore en viennent à se battre. S'ils sont vindicatifs, s'ils oublient difficilement une offense, ils ne cherchent guère à s'en venger, et peut-être n'est-il pas au monde de pays où se commettent moins d’assassinats que dans les lieux habités seulement par les Quichuas. En résumé, ce sont des hommes doux, paisibles, sociaux, soumis aux lois, remplissant tous leurs devoirs de famille, très-sobres, patiens dans les souffrances, laborieux? et des plus discrets. 5 Sous le rapport des facultés intellectuelles, nous croyons que les Quichuas ne sont pas au-dessous des peuples des autres continens#; ils ont la conception vive, apprennent avec facilité ce qu’on veut leur enseigner , et diverses observations ne nous permettent pas de douter qu'ils n’aient tout ce qu'il faut pour faire un peuple éclairé. Des hommes qui s'étaient rendu compte de l’année solaire 5, qui connaissaient l'architecture 6, qui avaient fait d'assez grands progrès dans l’art de la sculpture7; des hommes capables de reproduire les souvenirs de leur his- toire au moyen de signes symboliques, et de leurs quipusf; qui avaient des lois si 1. Les fêtes religieuses du catholicisme sont on ne peut plus nombreuses; et toujours, comme nous l’avons vu plusieurs fois, un grand nombre d’Indiens, affublés d’habits grotesques, dansent devant les processions, comme ils dansaient lors des fêtes du soleil, surtout lors de celle du Raimi. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. VI, cap. XX, p. 195, et Acosta, Historia natural y moral de las Indias, Barcelona, 1591, Xb. V, cap. XXVI, p. 245. 2. Don Antonio Ulloa, Noticias americanas, Entret. VIT, p. 311, part. 7, dit à tort que les Péru- viens sont paresseux. 3. Voyage d’Ulloa, IT, p. 309. Un complot s’est tramé trente ans, sans qu’il y ait eu un dénon- ciateur. 4. On voit que nous sommes loin de penser comme Pauw, ni comme Ulloa, qui, Noticias amer. (p. 321,366), les regarde comme des brutes sans idées, mais seulement plus adroites que les autres. 5. Acosta, Historia natural de las Indias, 1591, lib. VI, cap. LI, p. 249, dit que l’année solaire des Incas commençait en Janvier, comme la nôtre. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. IL, cap. XXII, p. 61. 6. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. LIL, cap. XX, p. 98 , 99. Voyez nos planches d’Antiquités, 35% 4,6, 12%et 13: 7. Si du moins nous en jugeons par le vase que nous représentons dans la partie historique, Antiquités, n.° 15. 8. Acosta, Hist. nat. de las Indias, 1591, üib. VI, cap. VIII, p. 266, dit que les Quichuas avaient des peintures hiéroglyphiques, et, à propos des quipos, il écrit : Porque para diversos generos como guerra de gobierno, de tributos, de ceremonias, de tierra, avia diversos quipos o ramales. F en cada manojo destos tantos Rudos y Audicos, y luülillos atados, unos colorados, otros verdes, otros azules, otros blancos, y finalmente tantas deferencias, que asi como nosotros de veinte y quatro letras quisandolas en deferentes maneras sacamos tanta infinidad de vocablos, asi estos de sus Rudus, y colores sacavan innumerables significaciones de cosas, (Pour les différentes IV. Homme. 1 7, Homme améri- «ain. ———— Homme omrer i - can, ( 150 ) sages, le gouvernement le mieux organisé?, des idées de médecine$; de tels hommes ne montraient-ils pas autant de dispositions qu'on peut en attendre d’un peuple isolé, qui ne doit qu'à ses propres forces une civilisation nécessairement lente dans sa marche, en raison de son isolement même? On sait que les Incas étaient orateurs, qu'ils savaient agir sur les masses par l’éloquence; on sait encore que leurs historiens devaient avoir de la mémoire et du jugement; leurs poëtes, leurs musiciens, de lin- spiration, du génie 5; leur langue est remplie de figures gracieuses, de comparaisons justes, de proverbes naïfs, et peint avec force et élégance les passions vives, l'amour surtout, la plus entrainante de toutes... Tant de faits ne prouvent-ils pas surabon- damment que les Quichuas ne manquaient ni d'esprit naturel, ni d’une certaine élévation de pensées, qui sont loin d'exister au même degré chez tous les peuples américains ? Il est vrai que beaucoup d’entr'eux, vivant plus isolés dans les campagnes, et manquant souvent de centre de lumières, sont maintenant, à peu près, au même point que nos paysans bas-bretons, par exemple. La nation quichua est, sans contredit, celle qui nous fournirait le plus de détails sur ses mœurs, sur ses coutumes, sur ses usages ayant la conquête; mais, forcé de nous renfermer dans un cercle étroit, il nous suflira d’en offrir un aperçu rapide.'Tous les Quichuas, suivant les lieux qu’ils habitaient, étaient et sont encore pasteurs et agriculteurs sur les plateaux élevés6, agriculteurs seulement dans les vallées chaudes7, pêcheurs et quelquefois agriculteurs sur les rivages de la mer8. Ils étaient tous fixés sur affaires de guerre, de gouvernement, de tributs, de cérémonie , de terre, il y avait divers quipos, et, dans chaque paquet de ceux-ci, beaucoup de nœuds et de fils attachés : les uns rouges, verts, bleus, blancs, et autant de différences que nous en trouvons dans nos vingt-quatre lettres, en les plaçant de diverses manières, pour tirer une si grande quantité de sons; de même les Indiens, de leurs nœuds et couleurs, tiraient un grand nombre de significations de choses.) On voit donc qu’ils ne se servaient pas des quipos seulement comme série de nombres, mais comme Annales historiques. Voyez Garcilaso, Com. del Peru, p. 26, 32. Les dictionnaires écrivent qquipus. 1. Acosta, Gb. VIT, cap. XVII, p. 277; Garcilaso , Com. de los Incas, lib. II, cap. XIII, p. 49. 2, Ils s’occupaient même de la statistique annuelle, et les Incas se faisaient tous les ans rendre compte du nombre des naissances et des décès. Garcilaso de la Vega, Com. real de los Incas, lib. IT, cap. XIV, p. 51. 3. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. IT, cap. XXI, p. 63. 4. Acosta, Hist. nat. y mor. de las Indias, 1591 , lb. VI, cap. VIII, p. 266, et Garcilaso, etc. 5. Garcilaso, Com. de los Incas, p. 34, 37, 67,77, 261, 321, etc. 6. Ils le sont encore, et les anciens auteurs citent comme la plus grande richesse de ces peuples leurs nombreux troupeaux. Garcilaso, Com. de los Incas, p. 57, 185, 285, 242 , etc. 7. Celles du Rimac, par exemple, celle de Cochabamba, celle de Chuquisaca , où la douceur de la température leur permet une culture abondante. 8. Au Callao et sur tous les points de la côte où les eaux arrivent jusqu’à la mer, sur un sol où il ne pleut jamais. . (4151 ) le sol natal, sans qu'aucun d’eux püût changer de condition’; et, comme nous l'avons Homme améri- vu, ils sont encore bien plus nombreux sur les plateaux élevés que dans les plaines. “7 IL leur était, il est vrai, sur ces plateaux, bien plus facile de se livrer à la culture?, et leurs troupeaux y trouvaient une bien meilleure nourriture; aussi était-ce au sommet de la chaine des Andes que se trouvait le siège de la civilisation et du gouvernement. Tous étaient soumis à un seul chef, leur Inca; tous, réunis par villes, par villages, par nom- breux hameaux, mettaient à se rallier en sociétés autant de soin que les peuples chas- seurs en mettent à se fuir. Ils avaient des monumens spacieux pour leurs souverains; des temples superbes pour leurs divinités; mais eux-mêmes se contentaient de petites huttes arrondies en dôme, couvertes de branchages et de terre, habitations dont les formes sont encore identiques aujourd’hui5, ou vers le Nord, de vastes maisons de forme, oblongue4. Chaque famille vivait à part, élevait ses enfans avec beaucoup de douceur, en les habituant, de bonne heure, au travail, et à se soumettre aux exigences de la société, d’autant plus nombreuses que les Quichuas étaient dépendans et n'avaient point de propriétés. Les hommes ne se mariaient qu'après vingt ans5 : ils ne pouvaient avoir qu’une femme, qu'ils prenaient toujours du consentement de leurs pères parmi leurs plus proches parens6, sans pouvoir jamais changer de famille. Les Incas unissaient les prétendus; puis la famille et les voisins donnaient au nouveau couple le nécessaire du ménage, et bâtissaient la maison qu’il devait habiter 7; ainsi jamais de mélange entre les diverses tribus. Plus ils avaient d’enfans, plus ils étaient respectés. Les Incas seuls pouvaient user de la polygamie, non en se mariant deux fois, mais avec des concubines. Les femmes étaient dans l’usage d’accoucher seules et de se laver immé- diatement dans l’eau des ruisseaux8. A la mort d’un Quichua, on lui reployait les mem- bres dans l'attitude d’un homme assis9; puis on le renfermait, avec tous ses vêtemens, soit dans une tombe creusée garnie de murailles en pierres sèches, et couverte de terre, soit, comme sur la côte du Pérou, en un lieu commun de sépulture où chaque famille avait, par étage, un asyle disposé pour ses morts, soit encore dans un caveau de la maison habitée par la famille même1°, Là, entouré de ce qui lui avait appartenu et de 1. Non-seulement un individu ne pouvait changer de lieu qu’autant qu’il convenait aux chefs, mais encore les professions étaient héréditaires. 2. Ils trouvaient plus d'avantage à cultiver les plateaux, parce qu’ils pouvaient là, plus que partout ailleurs, cultiver la pomme de terre et la quinua, plus estimées que le maïs même. 3. Voyez partie historique, Vues, pl. 12, celles que nous avons dessinées dans la vallée de Cochabamba. Ulloa les a retrouvées aussi au Pérou, Noticias americanas, p. 328. 4. Ulloa, loc. cit., p. 354. 5. Garcilaso de la Vega, Com. de los Incas, p. 25, 218, 113. 6. Ibidem, lib. ILI, cap. VII, p. 113, et kb. I, cap. XXI, p. 25. 7. Ibidem. 8. lbidem, lib. IV, cap. XII, p.116. 9. Voyez Antiquités, pl. 14. 10. Ulloa, Loc. cit., p. 354, 340. On plaçait jusqu’à trente corps dans chacun. Homme ameri- “ain. (132) vases remplis de boissons, le corps se desséchait complétement; et nous en avons ren- contré un grand nombre encore très-bien conservés 1. Le plus souvent, les lieux de sépulture étaient communs ; toute une nation plaçant ses morts les uns près des autres, et séparément. Voilà ce qui concernait le peuple; pour les Incas, les coutumes étaient différentes; mais comme ce qui les regarde se rattache à la religion ou au gou- vernement, puisqu'ils réunissaient les qualités de souverains et de prêtres-dieux, nous en parlerons en trailant ces deux points de vue. L'industrie était assez avancée chez les Quichuas : comme agriculteurs, ils avaient fait des travaux immenses pour amener de très-loin, par des canaux d'irrigation les mieux conduits, l’eau nécessaire à la fertilisation des vallées incultes faute d'humidité. Ces canaux sont, soit par le niveau qu'ils conservent, soit par les difficultés vaincues pour les établir, réellement extraordinaires?. Il en était de même des gradins en pierres sèches, destinés à retenir les terres sur un pays si accidentéÿ, Les Quichuas cultivaient dans les régions froides la quinua et la pomme de terre que nous avons reçues d'eux; dans les vallées plus chaudes, le maïs et la occa (oæalis). Ils savaient, par la gelée, conserver les provisions de pommes de terre sèches. Comme pasteurs, ils conduisaient leurs trou- peaux de Ilamas et d’alpacas4 dans les lieux qui leur sont propices, en les séparant par sexes, afin d'éviter les accidens. Ils ne se servaient et ne se servent encore, comme bêtes de somme, que des màles des Ilamas, qu’ils ont toujours traités avec une extrême douceur. Industriels, ils ont poussé le tissage à un point de perfection d'autant plus remar- quable, que leurs métiers sont plus grossiers5. La finesse de leurs tissus de laine était réellement étonnante, et aurait pu rivaliser avec les produits de nos manufactures. Ils n'élaient pas moins avancés dans la teinture de ces mêmes tissus : les couleurs les plus vives, le rouge, le jaune, surtout, étaient tellement fixes, que nous en avons trouvé qui, bien que renfermés depuis des siècles dans les tombeaux, avaient conservé leur fraicheur primitive. Parmi les métaux, ils employaient l'or, l'argent, le cuivre et le plomb. L'or et l'argent servaient aux ornemens des temples, à ceux des maisons de leurs Incas. Ils avaient poussé assez loin l’art du martelage, malgré l’imperfection des pierres 1. C’est dans ces tombeaux que nous avons recueilli beaucoup des vases que nous avons figurés. 2. Nous en-avons vu, sur les montagnes de Cochabamba, des restes qui témoignent d’un tra- vail réellement inoui. Zarate, Conquista del Peru, Anvers, 1555, lb. 1, cap. IV; et Garcilaso de la Vega , Com. de los Incas, lib. V, cap. 1, 24, parlent de ces canaux. 3. Garcilaso de la Vega , Com. real, p. 132. Nous avons vu l'ile entière de Coati (Antiquités, n° 13), toutes les provinces de Yungas, cultivées de cette manière, la seule possible dans ces montagnes. 4. Garcilaso , Com. de los Incas, p. 140. Il dit qu’à l’époque des Incas le pays était peuplé au point que les troupeaux n’y trouvaient plus de place. Ils sont encore très-nombreux. 5. Nous avons trouvé, dans les tombeaux, des tissus magnifiques, bien qu’on ne puisse pas les comparer à ceux que tissaient les vierges du soleil (Garcilaso, Com. de los Incas, lib. IV, cap. IT, p- 108). Leurs métiers consistent en deux bâtons placés horizontalement à terre et auxquels la trame est attachée. (135 ) dont ils se servaient comme outils, et beaucoup de leurs ouvrages étaient creux. On se rappelle la description des jardins d’arbres factices de Tumbez et du Cuzco, faits avec des métaux2. Beaucoup de leurs vases étaient de même nature. .Le cuivre, mélangé d’étain 5, devenait plus dur et remplaçait chez eux, pour leurs armes, le fer, qui leur était inconnu.4 En architecture, ils ne connaissaient pas la voûte; cependant leurs monumens annoncent déjà de grandes idées. Quelques-uns, comme dans l'enfance des peuples, sont composés de blocs énormes de roche, souvent irrégulièrement taillés à la manière des constructions cyclopéennes, d’autres fois taillés en parallélipipèdes et convexes en dehorsé, mais très-réguliers dans leur ensemble. Ils avaient de vastes temples, sans fenêtres, et dont les portes étaient à pans inclinés7; des forts spacieux 8, de vastes maisons pour les vierges et pour les Incas9. Leur sculpture était dans l'enfance, puisque souvent les membres de leurs statues n'étaient pas détachés du corps'°; mais on s'étonne de trouver, dans leurs vases, des figures qui annoncent l’entente du dessin, un degré réelle- ment extraordinaire de vérité, de perfection, de finesse dans les traits'1, surtout quand on les compare aux statues, ce qui pourrait faire croire qu’il ne leur manquait que les moyens d'exécution. Aucun de leurs monumens n’a de reliefs semblables à ceux qu'on 1. Nous possédons de petites figurines en or soufflées, assez bien exécutées. Antonio Ulloa en parle aussi, Noticias americanas, p. 376. 2. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. III, cap. XXIV, p. 103; Zarate, Conq. del Peru, cap. VI, et trad. franç: (1775), p. 25. 3. Humboldt, Vues et monumens, in-8.°, t. 1, p. 314. Nous possédons plusieurs haches et autres instrumens de ce mélange assez dur. 4. Nous possédons de ces armes , recueillies dans les tombeaux du Pérou. Ulloa, Loc. cit., p. 375, en parle aussi. | 5. Acosta, loc. cit., lib. VI, cap. XIV, p. 272; Garcilaso , Com. de los Incas, lib. VII, cap. XXIX, p. 261, 257. 6. Tels sont tous les temples de Cuzco, dont nous avons vu des dessins. Il en est de même des tambos et des monumens plus septentrionaux. Humboldt, Vues des Cordillères, in-8.°, t. I, p.311; La Condamine,; Mém. de l Acad. de Berlin, 1746, p. 443, et Don Jorge Juan et D. Antonio Ulloa, Relacion del viage a la America merid., Madrid, 1748, t. 2, Lib. VI, cap. XI, p. 626, pl. 17. 7. Don Jorge Juan y Ulloa, Loc. cit., t. I, liv. VI, p. 626, p. 17; Humboldt, Vues, t. I, p- 312, ett. II, p. 100 et suiv. Voyez nos planches d’Antiquités, n° 12, le temple de Titicaca. 8. Celui du Cuzco, décrit par Garcilaso, Com. de los Incas, lib. VI, cap. XXVII, p.256, et plusieurs que nous avons rencontrés sur le sommet des montagnes de Carangas, etc. Ulloa en décrit aussi. Voyez Noticias americanas , p. 354 ; de même que Jorge Juan y Ulloa, loc. «it., t. IT, p. 629, pl. 18 et 19. 9. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. IV, cap. I, p. 106; Don Jorge Juan ÿ Ulloa, Loc. cit., 1. Il, p.626, pl. 17. 10. Voyez Antiquités, pl. 10, fig. 4, 5, 6; pl. 9, fig. 5, partie historique. 11. Partie historique, Antiquités, pl. 15; vase trouvé dans un tombeau non loin de Chuqui- saca, et que nous possédons. Homme ameri- (134) trouve à Tiaguanaco, chez les Aymaras. Ils connaissaient aussi la peinture. Les auteurs anciens nous ont conservé la description de leurs voies, de leurs chemins, tracés au milieu des inégalités des Andes, sur une longueur de quelques centaines de lieues! ; des tambos ou lieux de refuge, qu'ils avaient bätis, de distance en distance, sur les routes pour le repos des voyageurs; de leurs ponts suspendus sur les torrens?, genre de con- struction qu'ils ont connu quelques siècles avant nous. Cependant ils n’ont jamais eu le luxe des meubles; à peine possédaient-ils les plus nécessaires et encore étaient-ils très-grossiers. Tout ce qui tient aux commodités de la vie, leur était, pour ainsi dire, étranger : à l’Inca seul était réservé un siège ou une litière dorée sur laquelle on le portait5, Ils avaient des orateurs, des poëtes, des historiens, chargés de conserver les annales de la nation; mais ils ne connaissaient point l'écriture. Beaucoup de renseigne- mens recueillis par les auteurs, rendent presque certain le fait qu’ils avaient des carac- rères symboliques 4 en peinture, outre leurs quipus, assemblage de nœuds et de fils de diverses couleurs, différemment espacés ou variés dans leurs nuances, qui étaient aussi leurs manuscrits les plus usités 5. Ils avaient: calculé l’année solaire par le passage du soleil, L'art militaire était chez eux dans l'enfance; ils se servaient, comme armes, de frondes, de massues, de piques, de rondelles6, se construisaient des forts, toujours au sommet des montagnes isolées7, afin d’apercevoir constamment l'ennemi; et non- seulement se faisaient des signaux au moyen de feux8, mais avaient encore un système 1. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. IX, cap. XIII, p. 317; Agustin de Zarate, Conq. del Peru, lib. 1, cap. XIII, XIV ; Pedro Cieça, Chronica del Peru, 1554, cap. XXXVII et LX; Xerez, p. 189, 101; Ulloa en a encore vu des restes, Noticias americanas, p. 365, et Bouguer, Voy., p. 105. 2. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. HI, cap. VII, p. 80, 1; Zarate, loc. cit., lib. I, cap. XIV; Herrera, Dec. Ÿ, lib. IV, cap. LI, IF ; Ramusio , INT, p. 375; Ulloa, Viage al Peru, 1.1, p. 358; Humboldt, Vues des Cordillères, t. HW, p. 186. 3. Garcilaso, Com. del Peru, lib. 1, cap. XXV LI, p. 37 et p. 51. 4. Acosta, loc. cit., lib. VI, cap. VII, p. 266. 5. 1bidem; Garcilaso , Com. de los Incas, lib. VI, cap. VI, p. 179. Diego d’Avalos, y figuroa, Lima, 1602, Miscellanea austral, p.151, dit qu’il a trouvé, chez un vieil Indien, un quipus que celui-ci avait formé de tout ce qui s’était passé dans sa province, pour en rendre compte à l’Inca. El corejedor tomo y quemo sus quentas, y castigo el Indio. (Le corregidor prit et brûla tout après avoir fait châtier Indien.) C’est ainsi qu’on encourageait l’industrie indigène. 6. Voyez Garcilaso, Com. real de los Incas, lib. VI, cap. XXV, p. 202. La rondelle était de pierre ou de cuivre et se plaçait à l'extrémité d’un bâton flexible. Ulloa, Loc. cit., p. 378 , en parle; et nous en possédons plusieurs. 7. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. 11, cap. XVI, p. 54. Ils se nommaient Pucara. Nous en avons rencontré plusieurs dans la province de Carangas. Don Jorge Juan y Ulloa, Relacion del viage a la Amer. mer., les trouve aussi à Quito, t. II, p- 632, pl. XVI. 8. Ce sont eux qui ont enseigné ce genre de télégraphes aux Araucanos, qui s’en servent encore aujourd’hui. Voyez notre partie historique, t. II, p. 221. ( 135 ) de courriers, des chasquis?, dont la diligence à franchir la courte traite que chacun avait Homme à faire sur la ligne établie, leur permettait d’avoir très-promptement des nouvelles des points les plus éloignés. Quant à la navigation, elle était moins avancée que les autres arts, ce qui tient probablement au manque d'arbres près de la mer; aussi se servaient- ils, sur les lacs des plateaux des Andes, de bateaux construits avec des rouleaux de joncs attachés en forme de nacelle?, ayant une voile de même nature, et pour rame une simple perche. Sur le littoral maritime, où cette matière première leur manquait, ils ont eu recours à un autre genre d'industrie : ils font usage de bateaux formés de deux outres de peaux de loup marin, cousues et réunies au moyen de cordes, qu'ils rem- plissent d’air avec un tube placé à l'extrémité de chaque outre5. À Guayaquil, l’an- cien Tumpis (Tumbez), quoique le bois y abonde, ils ne fabriquent jamais que des radeaux grossiersä. Un genre d'industrie, dans lequel les Quichuas excellaient, est celui de la fabrication des vases : on s'étonne de la variété autant que de la régularité des formes qu’ils leur donnaient; et nous dirons même de l'élégance de leur exécution5. Sur la côte nord, depuis Lima jusqu’à Quito, c'étaient, presque toujours, soit des jeux hydrauliques, formés de compartimens doubles ou quadruples, soit des animaux, des fruits, des hommes ou des figures, offrant le sentiment du dessin, du goût et surtout une originalité singulière. Sur les plateaux élevés, les formes étaient plus sévères; des vases étrusques, souvent d’une grande dimension, étaient quelquefois ornés de peintures ou d’arabesques régulières. Les métiers, comme le gouvernement, étaient héréditaires. 7 Les vêtemens du peuple étaient faits avec la laine des alpacas. Ils consistaient en une tunique qui descendait jusqu’à mi-jambe, et en un pantalon tombant également jusqu’au genou. Ils portaient un bonnet sur la têteë et des sandales (wsutas, actuellement ojotas) aux pieds; mais le tout de couleur sombre et de tissus assez grossiers; leurs cheveux longs tombaient en tresses par derrière. Le costume des femmes se composait d’une chemise de laine; par dessus, une tunique sans manches, non cousue en haut, les deux pièces étant réunies au moyen de deux {upu ou épinglettes d’argent et recouvertes d’une pièce 1. Voyez Garcilaso, Com. de los Incas, lib. VI, cap. VIT, p. 180; Zolarzano, Politica indiana, 2.° édit., 1736,t.1, b. IT, cap. XIV, p. 119, part. 9. 2. Nous avons parcouru le lac de Titicaca sur des bateaux de cette espèce. Voyez Coutumes et Usages, pl. 8, partie historique. ; 3. Les indigènes d’une partie de la côte du Pérou n’ont pas encore aujourd’hui d’autres embar- cations. Voyez Coutumes et Usages, pl. 9, partie historique. 4. Garcilaso, Com. de los Incas, lib. III, cap. XVI, p. 94, dit qu’on s’en servait aussi aux envi- rons du Cuzco; Zarate , Hist. de la conq. du Pérou, ch. VI, p. 23; Jorge Juan y Ulloa, Relacion, 1. 1, liv. IV, ch. IX, p. 266. 5. Voyez partie historique, Antiquités, pl. 17, 18, 19, 20, 21; Jorge Juan y Ulloa, Loc. cit., t IT, ch. XI, p. 621, 624, pl. 15, en a trouvé à Quito de semblables à ceux des environs de Lima. 6. Voyez Antiquités, pl. 20, fig. 2. Ulloa en avait aussi vu (MNoticias americanas, p. 319). 7. Acosta, loc. cit., liv. VI, ch. XVI, p. 276. 8. Voyez Antiquités, planche n.° 15. améri- calin. Homme améri- «ain. ( 156 ) d'étoffe carrée, qui vient se réunir sur la poitrine au moyen d’un autre tupu. Leurs cheveux tombaient sur leurs épaules; leurs seuls ornemens étaient des colliers de pierres. Les Incas portaient des vêtemens on ne peut plus fins, tissés par les vierges. du soleil; à eux seuls étaient réservés les ornemens de plumes et la couleur rouge et jaune. Par une concession des Incas, les habitans de certaine province portaient, comme leur roi, les oreilles longues et tombantes sur les épaules; la longueur était limitée et pro- portionnée aux rangs'. Point de tatouage ni de peintures sur la peau. Avant de parler du gouvernement des Quichuas, nous ne pouvons nous dispenser de dire quelques mots de lhistoire de cette nation, afin d’éclaircir certains faits importans relatifs à la migration des peuples et aux centres de civilisation. Comme on le verra dans la description spéciale des Aymaras?, les bords du lac de Titicaca sont couverts de monumens5 d’une architecture différente de celle des Quichuas, et qui annoncent une époque bien plus reculée. N’est-il pas curieux de voir les Incas, dans leurs annales, faire venir leur premier roi, fils du soleil, des bords même de ce lacä, et transporter une civilisation inconnue, une langue particulière$, au Cuzco, où il fonda la monarchie péruvienne6? N’est-il pas curieux encore de voir, plus tard, les Incas conserver, de cette origine, une telle reconnaissance, qu’ils dédient deux îles de ce lac, une, celle de Titicaca7, au soleil, et l’autre à la lune, et viennent y bâtir des temples somptueux, où, tous les ans, ils remercient le soleil de les avoir fait naître en ces lieux®? La concordance de ces faits, de ces souvenirs avec les restes des monumens, ne viendrait-elle pas prouver que Mancocapac n’était peut-être qu’un dernier déposi- taire de cette civilisation presqu’éteinte à laquelle appartenaient ces ruines ? et le langage sacré que parlaient exclusivement les membres de la famille des Incas9, ne serait-il pas la langue aymara, que ce premier souverain aurait conservée dans sa famille ? Quoiqu’elle ne soit appuyée du témoignage d’aucun historien, cette hypothèse ne paraît pas impro- 1. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. 1, ch. XXII, p. 26, et ch. XXV, p. 30. Les habitans des iles Carolines portent le même ornement. Quoy et Gaim., Zool. de l’'Astrol., t. 1, p. 25 et 36. 2, À la suite de l’article des Quichuas. 3. Voyez partie historique, Antiquités, planches n.* 4, 5, 6, 7. 4. Padre Acosta, Hist. nat. y mor. de las Indias, Barcelona, 1591, liv. 1, ch. XXV, p. 54. Gar- cilaso de la Vega, Com. de los Incas, liv. 1, ch. XV, p. 18, dit: Puzo nuestro padre el sol (cest l’Inca qui parle) estos dos hijos suyos, en la laguna de Titicaca. (Notre père le soleil plaça ses deux enfans à la lagune de Titicaca.) Francisco Lopez de Gomara, Gener. hist. de las Indias, ch. XX; Zarate, ch. XIII. 5. Garcilaso, Com. de los Incas, iv. 1, ch. XVI, p. 19. 6. Jbidem. Ulloa, Noticias americanas, p. 341, ne fait, à tort, remonter la monarchie des Incas qu’à 250 ans avant la conquête. 7. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. III, ch. XXV, p. 104. 8. Ibidem, p.114. 9. 1bidem, liv. VIT, ch. I, p. 221. (437 ) bable, et nous pourrions la fonder sur bien d’autres faits que nous signalerons le Homme améri- premier et que nous exposerons plus tard dans un travail spécial. oi Mancocapac vivait vers le onzième siècle de notre ère. Douze Incas se succèdent jusqu’à la conquête. Le royaume, borné dans son origine à un cercle de vingt lieues autour du Cuzco!, s'agrandit peu à peu; sous le règne du quatrième Inca, Maitacapac, il s’étendait déjà, au sud , jusqu’à Choque apu (la Paz) et jusqu’à Paria (Oruro); vers la côte, jusqu’à Arequepa (Aréquipa). Le cinquième, Capac Yupanqur, fait la conquête de Colchapampa (Cochabamba); le sixième, celle de Charcas (Chuquisaca); et, vers le nord, s’avance jusqu'aux Chancas. Sous le dixième Inca, Yupanqui, l'empire est porté jusqu’aux Chiriguanos, à l’est de la Bolivia, et jusqu’au Rio Maule au Chili; mais ce n’est que sous le douzième, Æuaina capac, que, vers le nord, Quito y est encore réuni. Alors cesse la tranquillité. Le royaume ne s'accroît plus : les Espagnols ont déjà paru sur la côte?. D’après ce qu’on vient de voir, la civilisation du plateau ando-péruvien aurait pris naissance sur les bords du lac de Titicaca; de là elle se serait étendue, d’abord, vers le nord, jusqu’au Cuzco, et aurait ensuite rayonné au sud jusqu’au Chili, et au nord jusqu’à Quito. Le gouvernement des Quichuas est remarquable dans son ensemble et dans ses détails. Le premier législateur, se disant fils du soleil, avait donné ordre à ses descen- dans en ligne directe et fils du soleil comme lui, d’épouser leurs sœurs légitimes, afin de ne pas altérer leur sang et de mériter toujours le même respect 5. Sous le nom d’Incas héréditaires, ils exerçaient une autorité d'autant plus illimitée qu’ils commandaient comme dieux et comme rois, en cumulant tous les pouvoirs religieux et politiques #; ouerre. Le 5 Cuzco pris pour centre de leur royaume, ils divisaient celui-ci en quatre grandes aussi dirigeaient-ils, en même temps, le culte, l'administration civile et la portions : Colla-suyo, celle du sud; Chincha-suyo, celle du nord; Cunti-suyo, celle de l’ouest, et Anti-suyo, celle de l’est. Chaque province avait pour chef un membre de la famille des Incas, prêtre et gouverneur à la fois, qui devait rendre compte de son admi- nistration à l’Inca suprême. Dans chaque gouvernement, tout le peuple était subdivisé, sous autant de chefs distincts, par dix mille6, par mille, par cent et enfin par dix habitans, dont chacun ne devait s’entendre qu'avec son chef le plus immédiat, et ainsi par échelons, de sorte que l’Inca était instruit des moindres détails sur tous ses sujets. Tous les emplois, toutes les professions étaient héréditaires. Les terres, propriété 1. Acosta, liv. VI, ch. XX, p. 280, dit qu’il y avait eu deux lignages d’Incas : le second com- mence à l’Inca Roca, qui renouvela les lois et donna de nouveaux réglemens au royaume; mais la chose ne parait pas prouvée. 2. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. IX, ch. XIV, p. 322. 3. Idem , liv. IV, ch. IX, p. 113. 4. Ils avaient toujours pour souverain pontife leur oncle ou du moins leur plus proche parent, qui dépendait entièrement d’eux. Garcilaso , Com, de los Incas, liv. 1, ch. IX, p. 44. 5. Acosta, liv. VI, ch. XIIT, p. 272 ; Garcilaso, Com. de los Incas, liv. II, ch. XI, p. 47. 6. Acosta, p. 271; Garcilaso, ch. XIV, p. 51. L'ordre de division est réellement admirable. 1V. Homme. 1 8 Homme améri- ain. (158 ) exclusive de l'État?, étaient réparties tous les ans, suivant le besoin des familles et divisées en trois parties? : la première pour le soleil, avec abandon de ses produits aux per- sonnes employées à la construction des temples; la seconde pour l’Inca, comme réserve de guerre, et la troisième, la plus considérable, pour tous les habitans qui la cultivaient ensemble en chantant”. Après les terres du soleil, les premières cultivées étaient celles des veuves et des orphelins 4. Les lois étaient sévères et entrainaient toujours la mort du coupable; mais elles ne s’'appliquaient qu'à des crimes odieux, au vol, à l’homicide, à l'adultère, au sacrilège, etc. La police était on ne peut mieux faite et l’aveugle sou- mission des vassaux rendait facile l'exécution du moindre réglement ; aussi le plus grand ordre régnait-il partout; et, comme chaque individu avait le droit de se plaindre directe- ment au chef suprême, la justice se rendait équitablement et d’une manière toute paternelle6. Les guerres se faisaient au nom du soleil, dans le but d'augmenter le nombre de ses adorateurs. Les conquêtes armées étaient toujours accompagnées de la plus grande clémence; et lon n’avait recours à la force que lorsque la persuasion restait sans pouvoir7. Les peuples soumis étaient bien traités, on portait leurs idoles au temple du soleil du Cuzcoë. L’Inca dirigeait souvent lui-même l’armée ou s’y faisait remplacer par son plus proche parent. Le système décimal, existant pour le gouvernement poli- tique, s’appliquait également aux troupes, soumises à beaucoup de discipline; et, pour que lInca, lorsqu'il ne commandait pas en personne, apprit, d’instans en instans, les moindres détails, on avait établi un système ingénieux de courriers, les chasquis), placés de distance en distance sur toute la route à parcourir , et toujours prêts à fran- chir, à la course, l’espace peu étendu qui les séparait les uns des autres, pour faire ainsi parvenir le quipu contenant les nouvelles. Nous croyons que si le gouvernement des Incas était d’un côté on ne peut mieux entendu dans l'intérêt de la stabilité des choses et du bonheur individuel des sujets; de l'autre, l’hérédité des emplois et de l’in- dustrie, ainsi que le manque de propriété personnelle, devaient entraver les progrès de la civilisation et les laisser stationnaires, en neutralisant l'ambition et l’émulation, sources premières de l'avancement des sociétés. 1. Acosta, liv. VI, ch. XV, p. 275; Garcilaso, Com. de los Incas, liv. V, ch. I, p. 131. 2. Acosta, loc. cit., p. 275 ; Garcilaso, loc. cit., p. 132. 3. Garcilaso, Comm. de los Incas, iv. V, ch. II, p. 133. 4. Idem, ibidem. 5. Acosta, liv. VI, ch. XVIII, p. 277 ; Garcilaso, Com. de los Incas, liv. II, ch. XIII, p. 49. 6. Acosta, liv. VI, ch. XII, p. 271. | 7. Garcilaso, Com. de los Incas, Liv. 1, ch. XXV, p. 29 : c'était une loi dictée par Mancocapac, et liv. V, ch. XII, p. 144. 8. Les Incas conservaient dans le temple du soleil les idoles des peuples conquis (Garcilaso, de la Vega, Com. de los Incas, liv. V, ch. XIL). Les Espagnols ont commencé par détruire toutes ces richesses historiques. On pourrait se demander si ces premiers conquérans ne montraient pas plus de barbarie, plus de vandalisme, que les Incas ? 9. Acosta, liv. VI, ch. X, p. 268 , et ch. XVII, p. 277; Garcilaso, Com. de los Incas, liv. VI, ch. VII, p. 180. | ( 439 ) La religion des Quichuas était plus complexe que ne le pensent beaucoup d'auteurs. 1 Homme Nous avons vu que l’Inca, fils du soleil, envoyé par lui pour civiliser les peuples, était 4 investi des pouvoirs politiques et religieux; pourtant on ne le regardait pas comme dieu, et moins encore comme le moteur de toutes choses, le créateur du monde; ce n’était pas même le soleil son père, mais bien Pachacamac?, le dieu invisible, révéré en cette qualité; toutefois , ne s’étant jamais montré, on l’adorait en plein air, sans lui consacrer d’imageÿ. Le soleil, sa créature, soumis, ainsi que la lune sa femme, à la loi d’une marche uniforme, était dès-lors son représentant visible. C’était au soleil qu’on élevait des autels, et qu’on avait voué un culte d'autant plus immédiat, que les Incas, ses fils et ses prêtres, servaient d’intermédiaires entre le peuple et la divinité. Au soleil donc étaient dédiés les fameux temples du Cuzco et celui de Tumbez4, ainsi que tous ceux qui couvraient les lieux habités par les Incas; au soleil, source de la lumière, fécondateur de la terre, se faisait l’oblation des premiers fruits dus à sa chaleur mème; au soleil, enfin, étaient immolés quelques paisibles Ilamas6. C'était pour lui qu'au Cuzco des femmes se vouaient à la virginité perpétuelle7; c'était pour devenir ses épouses que des jeunes filles se ren- fermaient en des monastères, bâtis sur tous les points du royaume; monastères qui lui étaient consacrés, mais où l’Inca, son fils, avait seul le droit d’entrer et de choisir ses concubines 5. L’Inca avait son oncle ou son frère pour souverain pontife; les membres de sa famille pouvaient seuls exercer les fonctions subalternes dans toute l'étendue du royaume. À la naissance d’un Inca, l’on célébrait, à üitre de culte, des fêtes magnifiques °; et, plus tard, pour le rendre digne de commander, on l’élevait avec beaucoup de soin, lui faisant subir des épreuves d'instruction et de courage!!. Quand 1. On a dit généralement qu’ils n’adoraient que le soleil. Robertson, Hist. de l'Amér., édit. esp., t. IV, p. 56. 2. Padre Acosta, liv. V. ch. Il, p. 198, et ch. XIT, p. 215 ; Garcilaso, Com. de los Incas, liv. I, ch. IV, p. 37, 34; Ulloa, Noticias americanas, Entreten. XX, p. 300, 377, 356. 3. Son temple était dans la vallée du Rimac, près de Lima; Garcilaso, p. 37 et p. 209; Ulloa, loc. cit., p. 356. 4. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. IT, ch. XX, p. 98 et 99. Celui qui était situé à Herbay et qui a été décrit par Ulloa, Loc. cit., p. 365 ; Pedro Cieça, ch. LIV; Garcilaso, Com. del Peru, liv. I, ch. XI, p. 14. 5. Acosta, liv. V, ch. XXVI, p. 244, dit qu'il y avait au Cuzco seulement plus de trois cents oratoires, et liv. VI, ch. XV, p. 273; Garcilaso, Com. real de los Incas, liv. HT, ch. XXIV, p. 103. 6. Acosta, Liv. V, ch. XVIII, p. 224. Diego d’Avalos de Figuroa, Micellanea austral, etc. Lima, 1602, p. 150; Colloquio XXXIV ; Garcilaso, Com. de los Incas, liv. I, ch. IV, p. 38, et liv. VI, ch. XXI, p. 196. 7. Padre Acosta, liv. V, ch. XV, p. 219 ; Garcilaso, Com. de los Incas, lv. IV, ch. I, p- 106. 8. Garcilaso de la Vega, Com. de los Incas, liv. IV, ch. IV, p. 109. 9. Ibidem, liv. 1, ch. IX, p. 44. 10. Témoin celle qui eut lieu à occasion de la naissance de Huainacapac, et où l’on fabriqua cette fameuse chaine d’or. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. IX, ch. I, p. 302. 11. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. VI, ch. XXIV, p. 200. ( 140 ) lomme mourait l'Inca régnant, on l'embaumait, on prenait le deuil'; puis, au couronnement améri vain, de son successeur, à l'instant où celui-ci se couvrait de la toque rouge, signe de son autorité, les fêtes recommençaient, et des réjouissances avaient lieu dans toutes les parties du royaume; mais la solennité la plus importante était celle du Raymi, célébrée à l'équinoxe de Septembres. Rien n'était épargné pour qu'elle fût brillante; et dans celle occasion on distribuait au peuple le pain sacré, pétri de la main des vierges.4 Les Quichuas croyaient aux augures, consultaient les entrailles des animaux immolésÿ, étaient crédules et fanatiques à l’extrème. Ils révéraient la lune comme femme et sœur du soleil6; regardaient les orages, le tonnerre comme les agens du grand astre7; et, dans leurs voyages, faisaient au sommet de chaque gorge ou défilé (apachitas), quel- qu'offrande au vent$. À leur mort, les Incas allaient retrouver leur père le soleil9, tandis que les plébéiens, tout en admettant une autre vie, n’avaient d’autre espoir que celui de sy revoir ensemble et d'y servir les Incas leurs maïîtres1. En résumé, la religion des Incas était fort douce, se bornant à l'exécution des lois transmises par leurs prèêtres-législateurs. Si nous résumons ce que nous avons dit des Quichuas, nous verrons que leur couleur les place dans la même série d’hommes que la race pampéenne; que leur taille les met, au contraire, en rapport avec toutes les autres nations des montagnes, comme les Araucanos; tandis que, par leur nez aquilin, par le reste de leurs traits, ils constituent un type différent des autres peuples du Sud, rapprochés seulement, sous ce rapport, des Aymaras, que nous allons décrire, et chez lesquels nous retrouvons des caractères identiques, sauf la couleur , à ceux de tous les peuples des plateaux mexicains. Cette analogie est-elle le résultat d'une communauté de souche avec ce dernier peuple? ce dont on pourrait douter, en com- parant leur langage et leur civilisation; ou n'est-elle plutôt qu’une suite de la conformité du lieu d'habitation chez les deux premières nations de l'Amérique? Cette question, se trouvant en dehors des faits que nous avons observés, échappe à notre domaine. De tous les peuples de l'Amérique méridionale, les Quichuas étaient, sans contredit, les plus avancés en civilisation, mais non pas ceux qui couvraient la plus grande étendue de terrain. 1. Acosta, liv. VI, ch. XVIIT, p. 278; Garcilaso, Com. de los Incas, liv. VI, ch. VI, p. 178. 2. Acosta, liv. VI, ch. XII, p. 270; Garcilaso, Loc. cit., liv. I, ch. HIT, p. 28. 3. Acosta, liv. V, ch. XXVI, p. 245; Garcilaso, Loc. cit., liv. IT, ch. XXIIE, p. 101. 4. Acosta , liv. V, ch. XXIIT, p. 234; Garcilaso, Loc. cit, iv. IV, ch. III, p. 109. 5. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. VI, ch. XXII, p. 198. 6. Padre Acosta, liv. V, ch. IT, p. 198 ; Garcilaso, Com. de los Incas, liv. 1, p. 33, ch. IV, p. 37 ; lv. IT, ch. XXIIT, p. 62, et surtout liv. HIT, ch. XXI, p. 99 et suiv. 7. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. II, ch. XXI, p. 99. 8. Padre Acosta, liv. V, ch. IV, p. 204. Cette coutume existe encore aujourd’hui dans toute la Bolivia, malgré le christianisme. Voyez partie historique. Garcilaso, Com. de los Incas, p. 38 ; Ulloa, p. 337. 9. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. 1, ch. XXV, p. 29. 10. Padre Acosta , liv. V, ch. VIT, p. 207 ; Micellanea austral, de Don Diego d’Avalos y Figuroa, Lima, 1602, p. 149; ouvrage très-rare, que M. Ternaux a bien voulu nous communiquer. (141 ) NATION AYMARA. La nation dont nous allons nous occuper, bien que son nom même soit à peine connu en Europe, est, sans aucun doute, celle qui mérite le plus notre attention; cest, à notre avis, la première qui ait joué un rôle dans la civilisation de l'Amérique méridionale : chez elle, en effet, il faut chercher le berceau de ce peuple religieux et conquérant, qui forma l'empire des Incas; mais n’anticipons pas sur les faits, et suivons une marche comparative avec les autres nations déjà décrites. Le nom d’Aymara était celui que portait, antérieurement même à l'existence de l'empire des Incas', un peuple habitant non loin des rives du lac de Titicaca, centre le plus ancien de la civilisation du plateau des Andes. Là Mancocapac?, le fondateur de la monarchie péruvienne, sortit du sein de l’onde; et, marchant vers le nord, courut au loin appeler les peuples encore sauvages, et les réunir pour former la ville du Cuzcoÿ, qui bientôt devait faire complétement oublier la source de sa grandeur. Quoique le troisième roi, Lloque Fupanqui4, eùt commencé à soumettre les Aymaras, les Incas ne revirent les monumens de Tiaguanaco, d’où, sans aucun doute, leurs ancêtres étaient descendus, que sous Maytacapacÿ, son successeur; et l'entière soumission de la nation des Aymaras à la domination péruvienne eut lieu seulement sous le règne de Fahuar Huacac, septième Inca6. La dénomination d’Aymara, d’abord restreinte à une province, s'étendit bientôt à toute la nation qui parlait le même langage, différent de celui des Incas; et c'est ainsi que l’appliquent maintenant, dans le pays, les indigènes et les descen- dans des premiers Espagnols. Si la nation aymara avait été peu nombreuse, si elle n’eüt pas couvert une très- grande surface, son langage se serait mêlé à celui des conquérans, dont le principe était d'établir l'unité d’idiome dans leur empire7; et il ne nous resterait peut-être qu’un nom à citer, comme pour une multitude d’autres peuples qu’on trouve dans les premiers histo- riens de la conquête; mais des plus populeuse, au contraire, et couvrant tout le plateau des Andes du 15.° au 20. degré de latitude sud, cette nation a dù conserver son langage 1. Garcilaso de la Vega, Com. real de los Incas, liv. II, ch. X, p. 84. 2. Padre Acosta, Hist. nat. de las Indias, Barcelona (1591), liv. 1, ch. XXV, p. 4; Garcilaso, Com. de los Incas, liv. 1, ch. XV, p. 18; Francisco Lopez de Gomarra, Hist. gen. de las Indias (1552), ch. CXX; Zarate, Hist. de la conq. del Peru (1555), ch. XIII. 3. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. 1, ch. XVI, p. 19. . Jbidem, iv. II, ch. XX, p. 58. . Ibidem, Liv. HE, ch. I, p. 73. . 1bidem, liv. IV, p. 125. C’est lui qui conquit Carangas, etc. . Jbidem, liv. VII, ch. I, p. 221. NN OS Or à Homme améri- cain. Homme iméri- rain, (142 ) jusqu'à nos jours. Les Aymaras s’étendaient et s'étendent encore, du nord au sud, du 15.° au 20. degré de latitude méridionale, de la province de Tinta et de celle d’Aré- quipa, en suivant le plateau des Andes, jusque sur tout le bassin de Paria et d’Oruro. De l’est à l'ouest, ils habitent du 69.° au 75.° degré de longitude ouest de Paris, ou, pour mieux dire, une surface irrégulière occupant tout le plateau des Andes, et son versant occidental, depuis la chaîne orientale jusqu’à la mer; et plus exactement, enfin , d’après les divisions actuelles, presque tout le département d’Aréquipa, les provinces d’Aymaras et de Paucartambo, du Cuzco, tout le département de la Paz et celui d’Oruro. Leurs voisins sont, au nord-ouest, les Quichuas; à l’est, les nations du rameau antisien, telles que les Tacanas, les Apolistas, les Mocéténès; au sud-est et au sud, les Quichuas de Cochabamba, de Chayanta, de Potosi; puis, sur la côte au sud, les Atacamas et les Changos. Ils forment ainsi, géographiquement, un centre, autour duquel rayonnent les Quichuas. Les régions qu'ils habitent sont principalement comprises entre les limites de la hauteur de 2,000 à 4,792 mètres 2? au-dessus du niveau de la mer. Si nous en jugeons par les immenses monumens de Tiaguanaco, par la dimension des blocs qui les composent5, par le grand nombre de restes d’habitations des rivages du lac de Titicaca4 ou par les groupes de nombreux tombeaux ÿ qu’on retrouve encore au sein de lieux aujourd’hui déserts, la population des Aymaras était on ne peut plus considérable, et leurs provinces devaient être les plus peuplées des plateaux. Aucune tradition ne peut nous fixer sur leur nombre, même approximatif, au temps de la conquête; mais voici, d’après tous les renseignemens dispersés que nous avons pu recueillir dans le pays, le tableau de leur population actuelle, toute chrétienne, et soumise aux différens gouvernemens américains. 1. Aujourd'hui laymara se parle non-seulement dans tous les lieux habités par les Indiens, mais encore dans les villes de la Paz et d’Oruro. Tous les descendans d’Espagnols même la savent; ainsi l'aymara est, en ces lieux, la langue la plus usitée, la langue naturelle. On ne parle espagnol qu'avec les étrangers. 2. C’est surtout sur le plateau élevé (terme moyen) de 4,000 mètres que la république de Boli- via est la plus peuplée : partout ce sont des villes, des villages populeux et nombreux; partout un grand nombre d'habitations dispersées. IL y a même, sur le plateau particulier des Andes occi- dentales, des points habités plus élevés que ceux que nous indiquons. É 3. Garcilaso de la Vega, Com. de los Incas, liv. I, ch. I, p. 73; Acosta, liv. VI, ch. XIV, p. 272. Voyez Antiquités, pl. 4, 5, 6, 7. 3 4. Il n'est pas, dans les deux républiques actuelles du Pérou et de Bolivia, de partie plus peuplée que les rives du lac de Titicaca : partout ce sont des villages, partout aussi des restes d’une ancienne population. 5. Cest surtout dans la province de Carangas que nous avons trouvé, au milieu de lieux inha- bités, des groupes nombreux de tombeaux ; témoin notre vue d’Antiquités de Pataca chulpa (les cent tombeaux ). (143) Aymaras Métis d’Aymaras purs. et d’Espagnols. Aymaras de la province d’Aymaras , départ.‘ du Cuzco (Pérou). . 10,782: 2,255 1 de la province d’Aréquipa, départ. d’Aréquipa (Pérou). 5,929 1 4,908 de la province de Camana, _ _— ds m:249;1 1,021 : de la province de Condesuyos, — _ « 12,011: 4,358 de la province de Cellaguàs, — _ . 11,872: 1,417 : de la province de Moquegna, — — sot7:2128 2,916: de la province d’Arica, — _ 1128701 1,977 : du département de Puno (Pérou). ........... 78,0002 39,00072 de la province de la Paz (Bolivia). . . . . . . . . . .. 3,1405 15,7015 de la province de Pacages, département de la Paz. . . . 30,6794 15,3394 de la province de Muñecas, — — stiu 20929%4s «10:148 4 de la province de Larecaja, — — road. 4554 7,727 4 de la province d'Omasuyos, —_ — .:. 39,6384 19,8194 de la province de Sicasica, _ — 212002020714 ed 4 627 4 de la province de Yungas, . — +. 24,4494.. 12,224 de la province d’Oruro, département d’Oruro . . . .. 10,650 4 5,325 4 de la province de Poopo, — + dé etettt 29,8004 19,9504 de la province de Carangas, — en ua: 19,050 4 9,525 4 Torux er 972,997. 188,231. 1. Ces chiffres sont ceux qu’indique le recensement de 1795, publié à Lima, par ordre du vice- roi, dans La guia politica, eclesiastica y militar del virreynato del Peru; p. 84 et suiv. Ils sont encore cités comme les seuls dans le Calendario y guia de forastero de Lima, Para elaño 1833, p. 6; c’est pourquoi nous avons dù les conserver ; et cela même avec d'autant plus de raison, que cet ouvrage donne les distinctions de castes dans la population. Les chiffres fournis par La guia de forastero del Cuzco, Para el año de 1833 , ne diffèrent que peu de ceux que présente le recensement de 1795; mais ils ne sont pas divisés par castes. ; 2. La population du département de Puno est de 156,000 habitans, selon Æ calendario y guia de forastero de Lima, 1833, p. 6. Nous avons cru, sans crainte d’être au-dessus de la vérité, et d’après la comparaison faite des pays voisins, sur lesquels nous avons des renseignemens précis, divisés par castes, pouvoir prendre la moitié de cette somme pour celle des Indiens purs et le quart pour celle des métis. 3. La population de 31,402 ames de la ville de la Paz (Culendario y guia de forastero de la republica boliviana, 1835, p. 78), n'étant pas divisée par castes, par la comparaison des villes voisines pour lesquelles nous avons des renseignemens posilifs, et d’après nos observations, nous avons pris la moitié comme étant celle des métis, et le dixième pour le chiffre des Indiens purs. C'était aussi l'opinion de l’auteur des premiers renseignemens statistiques publiés dans l/ris de la Paz, en 1829. 4. Comme dans le recensement de 1835 (Calendario y guia de forastero de la republica boli- viana, La Paz), il n’y a pas de distinctions de castes indiquées, par comparaison avec les provinces voisines, el d’après ce que nous avons vu, nous avons pris la moitié de chacun des chiffres pour Homme améri- cain. ————— Homme améri- can. ( 144 ) Le tableau précédent, quoique nous soyons resté au-dessous du nombre réel des Aymaras , donne encore le chiffre total de 372,397 pour ceux de race pure, et celui de 188,237, pour ceux qui se sont mêlés avec la race espagnole. On peut voir dès-lors quel était le rôle que devait jouer une nation de cette importance au milieu de celles qui l'entouraient, avant d’avoir été décimée par ces guerres cruelles du commencement de la conquête, à l'époque des différens survenus entre Gonzalo Pizarro et Diego Centeno en 15471; par le service des mines qui, chaque année, moissonnait tant de ses membres; par la révolution sanglante de Tupac Amaro, en 1780, quand les Indiens essayèrent de recouvrer leur liberté?; et, enfin, par la guerre de l’indépendance des colons qui, pendant quatorze ans, ravagea successivement leurs campagnes, et les obligea au service militaire 5, comme moyens de transport. Pour les caractères physiques, les Aymaras ne diffèrent en rien des Quichuas : ils ont absolument la même teinte, la même taille médiocre, les mêmes formes raccourcies; et, comme ils habitent des plateaux encore plus élevés, c’est chez eux principalement que se remarque la longueur et la largeur de la poitrine. Leurs traits sont aussi en tout ceux des Quichuas, avec lesquels ils partagent le caractère du nez aquilin et de tous les autres détails de la figure; en un mot, il est impossible de rencontrer une similitude plus complète que celle que présentent ces deux nations, qui ne diffèrent réellement que par leurs langages, lesquels néanmoins, comme on le verra, nous paraissent sortir. d’une souche commune. Les Aymaras actuels ont la même forme de tête que les Quichuas, c’est-à-dire qu'elle est souvent volumineuse, oblongue d'avant en arrière, ou légèrement comprimée latéralement. Leur front légèrement bombé fuit un peu; mais aucun n’a la tête aplatie comme les cranes que nous avons rencontrés dans les tombeaux de leurs ancêtres des iles du lac de Titicaca, dans ceux de la province de Muñecas, dans ceux des parties les plus sauvages de la province de Carangas, ainsi que dans les vallées de Tacna; ce qui annonce que, sur toute la surface habitée par les Aymaras, on retrouvait ce même fait, que nous ne pouvons attribuer qu’à une déformation de la tête par des moyens arüficiels; car, ayant rencontré dans les mêmes tombeaux, avec les têtes déprimées, un plus grand nombre de têtes qui ne le sont pas, nous avons dû, tout naturellement, en inférer que cet aplatissement n’était pas normal, qu'il ne caractérisait pas la nation, mais tenait évidemment à une opération mécanique. Cette première observation, que la somme de la population d’indigènes purs et le quart pour les métis. Tout en approchant de la vérité, nous restons au-dessous plutôt que nous ne sommes au-dessus du nombre réel; car il y a beaucoup de bourgs où, sauf le curé, tous les habitans sont indigènes. 1. Agustin de Zarate, liv. VII, ch. IT ; Garcilaso de la Vega, Com. real del Peru, lv. V,ch. XVIII, p. 301. 2. Nous possédons les annales originales de cette révolution : il s’y trouve des renseignemens bien précienx et tout à fait inconnus. 3. Le premier cri de liberté fut jeté à Buenos-Ayres en 1810, et la dernière bataille décisive, celle d’Ayacucho, a eu lieu en 1824. (15) la coutume n’était pas générale pour tous les individus, nous a fait reconnaitre que les têtes chez lesquelles l’aplatissement était le plus extraordinaire, appartenaient toutes à des hommes, tandis que les corps dont l’état de conservation permettait de reconnaitre des corps de femmes, avaient la tète dans l’état normal. Aucun historien ne nous a laissé la moindre notion sur la coutume des Aymaras de s’aplatir le crâne, et, par con- séquent, sur les moyens qu'ils employaient pour atteindre ce résultat; mais cette habi- tude, commune à beaucoup d’autres peuples, a été décrite, par un grand nombre d’au- teurs anciens et modernes?, avec assez de détails pour que nous ne doutions pas que la forme exagérée de celle des Aymaras résulte d’une cause identique. D'ailleurs, si nous en cherchons des preuves sur les têtes mêmes, il nous sera facile de les trouver. Nous voyons, dans l’aplatissement du coronal, dans la saillie qu’il forme sur les parié- taux à sa partie supérieure (comme on peut s’en convaincre par l'inspection de nos planches 5), qu'évidemment il y a eu pression d’avant en arrière, ce qui a forcé la masse du cerveau de se porter en arrière, en déterminant une espèce de chevauchement du coronal sur les pariétaux. La tête d’un jeune sujet que nous possédons#, atteste plus 1. Voyez nos planches de Mammifères, n.° 1, 2 et 2 bis. 2. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. IX, ch. VIIE, p. 312 , dit, en parlant des Apichiquis de la côte près de Quito : Deformavan las cabezas à los niños en naciendo, poniendoles una tablillu en la frente y otra en el colodrillo, y se las apretavan de dia en dia hasta que eran de quatro 6 cinco años, paraque la cabeza quedace dncha del uno lado al otro, y angosta de la frente al colodrillo. Rochefort, Histoire des Antilles, 1665 ,p. 437, dit qu’on déformait la tête des Caraïbes des Antilles. Barrère en décrit à la Guyane (p. 239), chez les Tapoyranas. Gomara, Histoire des Indiens, fol. XLV. - Dans la Corrografia Brazilica, ch. 11, p. 326, on voit que les Omaguas du Maranham s’apla- üssaient la tête entre deux planches. M. John Scouler , Zoo!. Journal, 1829, p. 304, art. 38, non-seulement indique cette coutume chez les Américains du nord de la Colombie, mais encore, dans un savant mémoire, il décrit par- faitement l’appareil dont on se sert pour déprimer la tête au moyen de tablettes. La Condamine, Voy., 1745, p.72, pour ce qui a rapport aux Omaguas, et Mém. de l Acad. des sciences , 1745, p. 427. Manuel Rodriguez, Marañon y Amazonas, 1684, liv. II, ch. X, p. 124. Ulloa,, For; 1", p.329: 7 Acuña, Relac. del Rio de las Amaz., WU, p. 83. Lawson, Voy. to Carolina, p. 33. Jorge Juan et Ulloa, Relacion del viage à la America meridional, t. W, liv. VI, ch. V, p. 534, donnent aussi la description des tablettes avec lesquelles les Omaguas aplatissent la tête de leurs enfans. D'ailleurs, d’après l’intéressant mémoire de M. Achille Foville, Sur l'influence des vétemens sur les organes, et la déformation du crâne, il est évident que ces déformations existent même au milieu de nous, dans le sein même de la France. (Voyez p. 20, et enfin tout le mémoire.) 3. Voyez Mammifères, pl. 1, fig. 2; pl. 2, fig. 1,2; pl. 2 bis. 4. Voyez partie historique, Antiquités, pl. 14. IV. Homme. 19 Homme améri- cartni. ( 146 ) Homme positivement encore, par un pli longitudinal, qui existe à la partie supérieure médiane ner! rain, du coronal, par la forte saillie du coronal sur les pariétaux, par la saillie non moins forte de la partie supérieure de loccipital sur ces pariétaux, que la pression a dû être exercée circulairement, dès la plus tendre enfance, sans douté même au moyen d’une large ligature. Cette supposition parait d'autant plus admissible que, refoulée en arrière, non-seulement la masse du cerveau a donné une très-grande largeur aux parties posté- rieures, au détriment des parties antérieures, mais encore que, la pression ayant de beaucoup augmenté la convexité des lobes postérieurs du cerveau, les pariétaux ont dû nécessairement suivre les mêmes contours, en se modelant sur ceux-ci; aussi les pariélaux forment-ils toujours deux convexités latéro-postérieures, légèrement séparées par une dépression évidente. Nous trouvons, enfin, une preuve de plus de cette pression dans loblitération des sutures, que nous avons remarquée sur tous les points pressés, même sur les têtes de jeunes sujets. È Nous croyons avoir prouvé que la forme déprimée ou allongée de ces têtes n’est pas, comme on l’a cru, le caractère propre aux crânes des Aymaras, mais bien une exception due évidemment à l'intervention de l’art. Cherchons maintenant à démontrer à quelle antiquité remontait cet usage de l’aplatissement de la tête et quelle influence il a pu exercer sur l'intelligence des sujets chez lesquels il se trouvait le plus marqué. Quant à l'antiquité, nous voyons, par le profil de la tête d’une statue colossale!, antérieure à l'époque des Incas, que la leur n’était pas alors déprimée; car les anciens peuples, qui cherchaient toujours à exagérer les caractères existans, n’auraient pas manqué de le faire sentir; aussi nous croyons cette coutume contemporaine de la suze- rainelé des Incas; et même l'allongement des oreilles d’un des sujets à tête compri- mée que nous possédons, peut nous conduire à déterminer à peu près le siècle où 1l a vécu. Îl a été trouvé dans la province de Carangas , à l’ouest d’Oruro. On sait que cette province fut conquise seulement sous le règne du septième Inca, Yahuar Hucac?, qui, selon toutes les probabilités , vivait vers le treizième siècle; aussi comme les Incas n'accordaient l'honneur du prolongement des oreilles5 que par grâce spéciale et pour récompenser une nation vaincue de sa prompte soumission à leurs lois; comme cette concession devait nécessairement venir à la suite de l'établissement des coutumes des conquérans, nous devons supposer qu’elle ne put se généraliser chez les Aymaras que vers le quatorzième ou le quinzième siècle. Les statues montrent, enfin, que l'usage d’allonger les oreilles4 était inconnu lors de la première civilisation du plateau des Andes. Rien absolument ne vient nous éclairer relativement à l'influence que devait avoir, sur les facultés intellectuelles des Aymaras, la déformation artificielle de leur tête, puisque les anciens historiens n’en ont pas parlé; mais nous sommes tenté de croire RC D M NE 2e: © og 0 + 4 1. Voyez Antiquités, pl. 8 et pl. 11. 2. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. IV, ch. XX, p-. 125. 3. Îdem, liv. 1, ch. XVII, p. 26 et p. 30, 271. 4. Voyez Antiquités, pl. 8. (147) qu'il n’y avait que déplacement des parties constitutives du cerveau, sans disparition ni même lésion de ces dernières :, On admettra que, par la nature de leurs occupations, les chefs de ces nations devaient avoir des facultés intellectuelles plus étendues que leurs vassaux. Ne pourrait-on pas, de ce fait, tirer un argument en faveur de notre opinion? car les têtes les plus déprimées que nous ayons rencontrées, se trouvaient toujours dans les tombeaux dont la construction de plus d'apparence annonçait qu'ils appartenaient à des chefs. La langue aymara, par sa richesse, par ses combinaisons, par la variété de ses formes pour exprimer la même pensée, ressemble tout à fait à celle des Quichuas ; elle est élégante, poétique, mais aussi, peut-être, l’une des plus dures du monde; sa gutturation, sortant de toutes les bornes connues, vient tout à fait du fond de la gorge, et ne cède en rien à la langue quichua pour le nombre de ses consonnes, pour leur redondance rude et saccadée. Elle est également très-accentuée; la complication de ses consonnes est à peu près identique à celle que présente la langue quichua; ce sont encore des gg, des ce, des kk, des tt, des pp, qu'il faut tirer du gosier ou par d’énergiques aspi- rations; mais ces sons ne se présentent qu’au commencement ou au milieu des mots, et jamais à la fin, les finales étant toujours des voyelles, surtout des voyelles en a, qui forment les sept huitièmes des mots; les autres sont le, li, lo, lu, remplacées, mais très-rarement ; par la seule consonne £. Les diphthongues y sont inconnues, ainsi que le son de notre z français. Le j espagnol y est fréquent avec toute sa gutturation. Les lettres b, d, f,r, x, n’y sont pas employées; le son du g est toujours doux, rendu dans ies vocabulaires?, devant les voyelles, par ua, qui doit être prononcé wa. Les noms des par- ties du corps n’ont pas d’anomalie, comme on peut le voir par nauna, joue; nayra, yeux; inchu, oreilles. Les adjectifs ne varient point selon le genre ni le cas. Leur numération est décimale et on ne peut plus étendue; elle est susceptible de rendre jusqu’à un mil- lion, et les nombres n’ont pas de rapports avec les noms des doigts. Cette numération, pour les chiffres 3, 6, 8,100 et 1000, découle évidemment de la même source que la quichua, tandis que les autres sont tout à fait différens. La langue est riche en syno- nymes 5 pour les substantifs; et, souvent , il y a contraction pour les mots com- posés , sans doute dans l’intérèt de l’euphonie. Dans les phrases, le sujet précède toujours le verbe et les adjectifs les substantifs, comme on peut le voir par kuyata nayra-nt; de kuyata (petit), nayra (yeux), ni (celui qui a), ou, mieux : celui qui à les yeux petits4. En résumé, la langue aymara, par ses formes, par sa composition, 1. M. John Scouler, Zool. Journal, 1829, p. 304 et suiv., dit, que la pression de la tête n’influe en rien sur les facultés intellectuelles; ainsi son observation serait dans notre sens. 2. Voyez Ludovico Bertonio, V’ocabulario de la lengua aymara, imprimé à Juli, petit village du plateau des Andes, en 1612; ouvrage très-rare, que nous possédons. 3. Canal d'irrigation se dit en même temps : Larca, Pincha, Irpu; faire un canal d'irrigation, larcachatha, pinchachatha , etc. 4. Voyez Ludovico Bertonio, Vocabulario de la lengua aymara. Juli, 1612, p. 528. Homme améri- “ain. ( 148 ) Homme par sa dureté, par son étendue, ressemble beaucoup à celle des Quichuas. On retrouve ameri- cain, même à peu près un vingtième des mots qui ont évidemment la même origine, sur- tout ceux qui expriment Îles idées religieuses; aussi, tout en y reconnaissant une foule d'autres dont la racine est différente, et qui par conséquent dénotent une langue distincte, nous sommes porté à croire que la langue aymara est la source de la langue quichua, qui l'entoure de tous côtés et que le temps a pu altérer. Cette hypothèse serait en rapport avec la position géographique du plateau .de Titicaca, où vivent les \ymaras, et, plus encore, avec les monumens de celte nation, qui paraissent être le point central de la civilisation primitive. On pourrait se demander encore, si la langue sacrée que les Incas transportèrent des rives du lac de Titicaca vers le Cuzco', et qu'ils conservèrent dans leur famille, ne serait pas la langue aymara. Pour le caractère, pour les facultés intellectuelles, pour les mœurs, pour les cou- tumes, pour les: usages privés et de société, pour l'industrie agricole et manufac- turière, pour les vêtemens, les Aymaras ressemblaient et ressemblent encore en tout aux Quichuas, auxquels, du reste, ils étaient soumis; mais si nous voulons jeter un coup d'œil rapide sur le mode d'architecture de leurs monumens, dont l'origine se perd dans la nuit des temps, nous y trouverons de suite une grande différence avec ceux des Incas. Nous voulons parler des monumens de Tiaguanaco, situés au centre de la ualion, près du lac de Titicaca; monumens dont beaucoup d’auteurs anciens ont parlé?, et dont l’origine leur était tellement'inconnue, que l'un d'eux a dit naïvement, en prenant au propre une expression figurée, qu'ils avaient été bâtis avant que le soleil n'éclairàt la terre5. Ces monumens, retrouvés par nous, annoncent une civilisation plus avancée peut-être que celle mème de Palenqué; ils se composent d’un tumulus élevé de près de 100 pieds, entouré de pilastres; de temples de 100 à 200 mètres de longueur, bien orientés à l’est, ornés de suites de colonnes anguleuses, colossales, de portiques monolithes, que recouvrent des grecques élégantes, des reliefs plats d’une exécution régulière, quoique d’un dessin grossier, représentant des allégories religieuses du soleil et du condor son messager; des statues colossales de basalte chargées de reliefs plats, dont le dessin à tête carrée est demi-égyptien 4; et, enfin, d’un intérieur de palais 1. Garcilaso , Com. real de los Incas, liv. VII, ch. I”, p. 221. 2. Garcilaso, Com. de los Incas, Gv. I, ch. 1, p. 74; Diego d’Avalos y Figuroa, Colloquio, XAXIIT, p. 145; Cieça de Leon, Chronica del Peru. Anvers, 1554, p. 254. 3. Don Diego d’Avalos y Figuroa, Micelanea austral, Lima, 1602, dit, p. 145, que les Indiens racontaient : Ser obra de antes que hwviese sol en el cielo (être une œuvre d'avant qu’il y eût un soleil dans le ciel). Ce qui peut se prendre figurément pour l’époque antérieure à celle où le culte du soleil vint éclairer la terre. Nous avons dessiné soigneusement tous ces monumens, et l'on peut en voir les détails dans nos planches d’Antiquités, n° 4,5, 6,7, 8 et 11. Nous avons retrouvé tout ce qui est indiqué dans Cieça de Leon, ch. CV, et dans Garcilaso, Com. de los Incas, p. T4, mais beaucoup plus altéré; toutes les églises des environs ayant été bâties avec les pierres qu'on en à enlevées, les masses trop lourdes sont les seules qui restent aujourd’hui. 4. Voyez planches d’Antiquités, n° 8. ( 149 ) formé d'énormes blocs de roche parfaitement taillés', dont les dimensions ont souvent Homme améri- ain. jusqu’à 7 mètres 80 centimètres de longueur, sur 4 mètres de largeur et 2 d’épaisseur.? Dans les temples et dans les palais les pans des portes sont non pas inclinés comme dans ceux des Incas, mais perpendiculaires, et leur vaste dimension, les masses imposantes dont ils se composent, dépassent de beaucoup, en beauté comme en grandeur, tout ce qui posté- rieurement a été bâti par les Incas. D’ailleurs, on ne connaît aucune sculpture, aucuns reliefs plats dans les monumens des Quichuas du Cuzco, tandis que tous en sont ornés à Tiaguanaco. La présence de ces restes évidens d’une civilisation antique sur le point même d’où est sorti le premier Inca, pour fonder celle du Cuzco, n’offrirait-elle pas une preuve de plus que de là furent transportés, avec Mancocapac, les derniers sou- venirs d’une grandeur éteinte sur la terre classique des Incas? Les tombeaux des Aymaras sont bien différens de ceux des Quichuas : au lieu d’être souterrains, tantôt c’étaient de grands bâtimens carrésÿ avec une simple ouverture par laquelle on introduisait les morts, qu’on rangeait autour d’une cavité restreinte, assis, avec leurs vêtemens, et, en d’autres cas, recouverts d’une espèce de tissu de paille enveloppant le corps4; tantôt de petites maisons en briques non cuites, de la même forme, à toit incliné, à ouverture également dirigée vers l'est5; ou bien encore des espèces de tours carrées, à divers étages, contenant chacun des corps, comme dans les îles de Quebaya® et autres, sur les rives du lac de Titicaca; mais ces tombeaux, quelquefois très-vastes, sont toujours réunis par groupes nombreux, et forment sou- vent comme de vastes villages. À l’époque de la conquête de l'Amérique, les Aymaras dépendaient de l’empire des Incas. Quoique nous n’ayons aucune notion sur leur gouvernement antérieur, nous pouvons juger, par l'étendue de leurs monumens, par le grand concours de bras qu’ils ont du réunir pour en transporter les masses constituantes, qu’ils formaient un peuple nombreux sous une puissante monarchie, antérieure à celle des Incas; si la nation avait été disséminée par petites tribus, ainsi que l’indique le naïf historien des Incas, Garcilaso de la Vega7, elle n'aurait pu arriver à un tel degré de civilisation, et ses forces n'auraient pu suflire à des constructions aussi colossales. 1. Voyez partie historique, planches d’Antiquités, n.° 5. 2. C’est le même bloc que le Père Acosta, liv. VI, ch. 14, p. 272, dit avoir 38 pieds de lon- gueur, 18 de largeur et 6 d’épaisseur. Ses moyens de mesurer n'étaient sans doute pas bien justes; car un bloc de celte dimension n’aurait pu être emporté; et celui que nous avons mesuré est le plus grand de tous. 3. Voyez notre planche d’Antiquités, n° 3, où nous avons représenté un magnifique tombeau de construction demi-cyclopéenne, situé dans la partie la plus isolée des déserts de la province de Carangas. 4. Voyez partie historique, planche d’Antiquités, n° 14. ; QT . Voyez Vues, n.° 8. : . Certaines parties des îles de Quebaya sont couvertes d’un grand nombre de tombeaux. 7. Garcilaso, Com. de los Incas, liv. IL", ch. IX, p. 12; Robertson, Hist. de l’Amér., t. IV, p. 53. er] Homme améri vain, (160) ” Aucune preuve, autre que les monumen$, ne nous reste pour retrouver les traces de l'ancienne religion des Aymaras; mais ces monumens nous fournissent des argumens péremptoires en faveur de l'opinion, que le culte du soleil, l'industrie et la civilisa- tion des Incas, ont pris naissance sur les rives du lac de Titicaca. Ne le voit-on pas, en effet, dans l'orientation de tous les temples à l’est vrai', du côté où l’astre apparaît ? N'est-il pas écrit dans les reliefs allégoriques de ces portiques monolithes?, qui repré- sentent le soleil, la tête entourée de rayons, sous la figure d'hommes tenant deux sceptres, signes du double pouvoir, religieux et séculier$, occupant le centre du tableau, tandis que, de chaque côté, marchent vers lui les rois couronnés4 et les condors, regardés peut-être comme ses messagers 5, et dans leur vol élevé, contemplant de plus près sa gloire? En résumé, la nation aymara, par tous ses caractères physiques et moraux, parait évidemment appartenir à la même souche que celle des Quichuas. Elle n’en diffère que par un langage dont la plus grande partie des mots n’ont pas d’analogie avec les leurs, quoique, d’un autre côté, la prononciation et les règles grammaticales soient les mêmes; elle n’en diffère que par l'usage singulier de s’aplatir la tête, et, enfin, par la construction de ses tombeaux; mais ce que nous avons dit de la concordance de la langue sacrée des Incas, avec l’origine de Mancocapac; le lieu où gisent les ruines des monumens des Aymaras, comparé à celui d’où les traditions font sortir le premier Inca, et surtout la forte présomption d’une source commune de religion tirée des bas- reliefs de Tiaguanaco : ces déductions n’établiraient-elles pas pour tous, comme pour nous, la presque-certitude que les Aymaras sont la souche première de la civilisation du plateau des Andes ? qu’ils occupaient le point central où la vie agricole et pastorale s'est d’abord développée ? où les idées sociales ont germé? où le premier gouvernement monarchique et religieux a pris naissance, au sein de cette société, parvenue bien anciennement peut-être, à un degré de civilisation avancé, dont la dernière splendeur, la religion, l'industrie, transportées, par Mancocapac, des rives du lac de Titicaca vers le Cuzco, ont fini par créer la monarchie des Incas, qui, plus tard, fit tout à fait oublier son berceau ? —h . Voyez partie historique, les plans que nous en avons donnés, Antiquités, pl. 2. Voyez nos planches d’Antiquités, n° 6, fig. 2. Ibidem, n°7, fig. 1. Ibidem, et surtout pl. 7, fig. 2. Ibidem, pl. 7, fig. 3. > 1 ©r (151 ) NATION ATACAMA. Nous avons moins de renseignemens sur cette nation que sur celle des Changos , dont elle est voisine; 1l paraïîtrait qu’elle-même prend la dénomination sous laquelle nous la présentons, et que ses ancêtres se nommaient encore Olipes ou Llipi?. Les Atacamas occupent, à ce que nous croyons, tout le versant occidental des Andes, depuis le 19.° jusqu'au 22.° degré de latitude sud, c’est-à-dire depuis le sud d’Arica jusqu'aux Changos, qui, avec les Aymaras, les entourent de toutes parts et sont leurs seuls voisins. Si nous avons été bien informé, ils habitent toute la province de Tarapaca et celle d’Atacama, et leur population, toute chrétienne, serait : Purs de race. Métis. Pour ceux de la province de Tarapaca, de. . . . . . . 5,4062 1,200? Pour ceux de la province d’Atacama, de. . . . . . .. 1,9425 9705 : Horus. 1048 2,170. Nous n’avons vu que très-peu d’Atacamas : autant que nous en avons pu juger, ils ont absolument les mêmes caractères physiques que les Quichuas; mais si nous en croyons ce qu’on nous a dit, leur langage diffère du chango, du quichua et de l’aymara. Au moral, ils ressemblent aux Changos; néanmoins, comme ils habitent, en même temps, la côte et les vallées, ils sont pêcheurs et agriculteurs; aussi avancés, sous ce rapport, que les Aymaras actuels. Réunis en villages, leurs habitudes sont sédentaires; du reste, ils paraissent avoir les coutumes et les usages des Aymaras. Nous ignorons complétement ce qu'ils étaient avant la conquête; seulement par leurs tombeaux, toujours souter- rains, ils se distinguent des Aymaras et se rapprochent des Quichuas : comme chez ces derniers, les membres repliés sur eux-mêmes, dans la position qu’occupe l’homme ._ avant de naître, leurs morts étaient déposés dans des fosses verticales, revêtues de mu- railles en pierres sèches; ils étaient entourés de vases, de leurs vêtemens, de tous leurs ustensiles de ménage, tels que paniers et jattes de paille tressés avec art; fuseaux, fil, métiers de tissage même, si c'était une femme; de la nourriture et des armes, si c'était un homme. Le tout, recouvert de branchages ou de pierres, l’étant ensuite de terre par dessus, rien ne paraissait en dehors du sol. Les lieux de sépulture étaient communs; car où l’on trouve un tombeau, il y en a toujours beaucoup d’autres. Nous pensons que, de même que pour les Changos, les Atacamas, tout en appartenant positivement au rameau péruvien, peuvent établir une transition avecles peuples araucanos. 1. Aujourd’hui on dit Lipes; mais du temps de Garcilaso, p. 125, on disait Llipi. 2. Renseignemens tirés du Guia politica, eclesiastica y muülitar del vireynato del Peru, pour 1795. Cest le recensement donné en 1833 à Lima comme le meilleur. 3. D’après les recensemens publiés en Bolivia. 4. Nous possédons plusieurs de ces restes, trouvés dans un tombeau. Ilomme améri- cain. Homme ameri on. (152 ) NATION CHANGO. Le nom par lequel nous désignons cette nation, est usité aujourd’hui pour indiquer quelques Indiens, reste, sans doute, d’une nation plus puissante, et qui habitent seule- ment le littoral de l'océan Pacifique, entre le 22." et le 24.° degré de latitude australe, prin- cipalement aux environs du port de Cobija, en Bolivia. Ils ont pour voisins actuels, au nord et à l’est, les Atatamas et au sud, les premiers Araucanos, dont ils sont séparés par le fameux désert d’Atacama. Jadis ils étaient assez nombreux pour qu’on eût pu établir une Mission à Cobija!; mais aujourd’hui, dispersés sur la côte, nous ne croyons pas que leur nombre puisse s'élever au-delà de 1000 âmes; néanmoins ce n’est qu’une supposition, uniquement basée sur le rapport verbal que nous a fait un des gouverneurs de Cobija, en 18322; car nous en avons à peine vu une centaine durant notre séjour dans ce port. Les Changos habitent plus particulièrement à deux lieues nord de l'établissement. La couleur des Changos est identique à celle des Quichuas, quoique peut-être plus foncée, en bistre noirätre. Leur taille est aussi, à peu de chose près, la même, si elle n'est pas plus petite encore : d’après ceux que nous avons vus, nous pouvons croire qu'elle n'arrive pas, en terme moyen, à 1 mètre 60 centimètres (4 pieds 9 pouces), tandis que nous n’en avons pas vu qui dépassassent 5 pieds { pouce (1 mètre 65 cen- timètres). En général, nous croyons pouvoir dire que c’est la plus petite des nations ando-péruviennes. Les femmes sont à proportion plus petites encore que les hommes (1 mètre 455 millimètres). Pour les formes, ils ressemblent aux Quichuas : ils sont larges et courts, sans que néanmoins la poitrine ait chez eux autant de développement; leur ensemble est le même. Les traits des Changos sont encore ceux des Aymaras et des Quichuas, à cette seule différence près, qu’avec la face semblable, et les yeux hori- ztaux, leur nez est médiocre, presque jamais aquilin. Il est, au contraire, étroit à son extrémité, quoiqu’un peu élargi aux narines. Leur physionomie est également sombre et triste, de même que celle des peuples que nous venons de citer. Tout ce que nous avons appris de leur langage, c’est qu’eux-mêmes assurent qu’il diffère de celui des Atacamas, autant que du quichua et de l’aymara; mais comme nous n’en avons pas pu recueillir de vocabulaires, les Indiens auxquels nous nous étions adressé ayant, pour ainsi dire, oublié leur langue primitive, nous ne pouvons rien spécifier sur ce point. Leur caractère paraît doux, affable; ils sont obligeans, dévoués, hospitaliers, et, en mème temps, on ne peut plus soumis aux lois du pays; ils paraissent très-unis dans l'intérieur de leur famille. Is vivent constamment sur les bords de la mer, où ils Re AR En in. ur on à”. 0 1. Une inscription gravée sur l’église porte le millésime 1777, comme époque de sa construc- tion. Ainsi l’on doit supposer que c’est vers le commencement du dix-huitième siècle qu’on com- mença à réduire les Changos. 2. Lors du voyage de Frézier, en 1719, il y avait plus de cinquante maisons réunies. (Relation du voyage de la mer du Sud. Paris, 1716, p. 130.) (153 ) sont souvent ambulans. Comme il ne pleut jamais dans les lieux qu’ils habitent, trois Homme améri- cain. à quatre piquets fichés en terre près des rivages et sur lesquels ils jettent des peaux de loups marins, des algues marines, forment leurs maisons !. Toute la famille y couche pêle-mêle sur des algues sèches, sur quelques tissus de laine ou sur des peaux de mouton. Leur mobilier consiste en quelques coquilles, en quelques vases, en instru- mens de pêche, qui sont des petits harpons, ingénieusement confectionnés. La pêche étant leur seul moyen d’existence, tout leur art se porte sur ce point; leurs barques sont ces mêmes bateaux formés de deux outres de peau de loup marin soufflées et attachées ensemble, dont nous avons parlé à l’article des Aymaras?. Ces bateaux sont formés de deux outres cylindriques, relevées et acuminées aux deux extrémités, frottées d'huile de phoque, et remplies d’air au moyen d’un tuyau : une fois bien gonflées, les Indiens les attachent fortement ensemble, les serrant plus d’un bout que de l’autre, afin d’en faire la proue; ils les lancent à l’eau, malgré la vague, et à genoux sur le devant, ils les dirigent au moyen d’une rame à deux bouts, qu’on change alternativement de côté; c’est sur cette légère embarcation qu’ils vont chasser les loups marins sur les rochers et qu’ils gagnent le large pour épier le poisson, qu'ils harponnent avec une adresse toute particulière. Ils ont actuellement le monopole de la fraude commerciale de la côte. On ne peut plus agiles, ils servent souvent de guides au milieu des déserts qui séparent la côte des premiers points habités dans l’intérieur. Dans les voyages, leurs femmes portent les fardeaux; elles se servent de hottes coniques formées de six bätons, réunis à leur base et retenus, sur la moitié de leur longueur, par un tissage assez régulier. Soutenues par une sangle qu’elles portent sur le front, ces hottes ne sont qu'appuyées sur le dosÿ et servent à transporter les enfans et les provisions. Les Changos savent tisser assez régulièrement. Leur costume est celui des habitans actuels des environs. Anciennement, d’après ce que nous en avons vu dans leurs tombeaux, ce costume était le mème que celui des Quichuas. Nous n'avons rien appris touchant leur gouvernement et leur religion ancienne. À Cobija, en 1830, on fit une excavation qui mit à découvert un grand nombre de corps d'Indiens, lesquels, à en juger par l'énorme couche de terre qui les recouvrait (3 à 4 mètres), devaient être enfouis depuis l’antiquité la plus reculée; ils étaient rangés séparé- ment par sexe et par àge, enveloppés dans leurs vêtemens, tissus de laine assez fins4; ils avaient encore leurs cheveux, et étaient couchés en long, coutume que nous n’avons retrouvée chez aucune autre des nations américaines, qui ordinairement reploient les corps de manière à les remettre dans la position naturelle à l'homme avant sa naissance. En résumé, nous pensons que, d’après leurs caractères physiques et moraux, les Changos appartiennent tout à fait au rameau péruvien; mais que leur nez peu long et non aquilin établit la transition des Aymaras et des Quichuas aux Araucanos du Chili. 1. Frézier les avait vues comme nous. (Relation du voyage de la mer du Sud, p. 130.) 2. Voyez partie historique, Coutumes et usages’, p. 9; et notre ami, M. Mœrenhout, dans son intéressant Voyage aux îles du grand Océan, 1. 17, p. 15. 3. Voy. Coutumes et Usages, pl. 6. — 4. Nous avons apporté en France des échantillons de ces tissus. IV. Homme. 20 Homme améri “ain. (154) DEUXIÈME RAMEAU. ANTISIEN. Couleur : variable du brun-olivätre foncé à une teinte tres-claire. Taille variable moyenne, | mètre 645 mullimètres. Formes peu massives ; tronc dans les proportions ordinaires. Front non fuyant; face ovale; nez variable; bouche moyenne; yeux horizontaux; traits efféminés ; physionomie vive, douce. Le rameau des races ando-péruviennes , que nous avons nommé Antisien, parce qu'ilest confiné dans le pays que les Incas nommaïent Antis’, est réparti sur les régions chaudes et humides du versant oriental des Andes boliviennes et péruviennes , depuis ses derniers contreforts, près de Santa-Cruz de la Sierra, au 47.° degré de latitude sud, en remontant vers le nord, jusqu'au-delà du 15. degré, dans une largeur qui n’a pas plus de 20 à 50 lieues marines. Le pays qu'habite ce rameau est uniforme dans ses détails. Là, plus de plateaux élevés dénués d’ombrages, où des plaines étendues, des montagnes froides, couvertes de graminées croissant au - dessous des neiges perpé- tuelles, permettent au pasteur aymara et quichua de vivre tranquille du produit de sa culture, de ses troupeaux, au sein de son antique civilisation et des ruines de ses monumens; là, plus de ces terrains moins accidentés, nus en partie ou couverts de buissons, semblables à ceux que peuplent les guerriers araucanos. Le pays des sauvages antisiens paraît inhabitable au premier aperçu : partout des montagnes déchirées ou aiguës, sur lesquelles se développe néanmoins la végétation la plus active, la plus grandiose; partout de sombres et profondes vallées, où roulent avec fracas des torrens furieux, parmi d’épouvantables précipices. Cest au bord de ces torrens, de ces cascades sans cesse renaissantes, au pied de ces ‘rochers suspendus sur sa tête, que l’homme antisien a fixé sa demeure, sous des arbres énormes, dont les rameaux élevés vers le ciel forment une voûte impénétrable aux rayons du soleil?, où ombre protége toujours la végétation la plus fraîche et la plus 1. Les Incas appelaient Antis (Garcilaso de la Vega, Com. de los Incas, iv. H, ch. XI, p. 47), les pays situés à l’est des montagnes du Cuzco, et de là ils nommèrent la chaine orientale Anis, dont les Espagnols ont fait 4ndes, en l’appliquant à tort aux deux chaînes des Andes, changeant ainsi le nom primitif. 2. Voyez Bulletin de la Société de géographie, Mars 1838. (455 ) variée. C’est au sein de cette imposante nature que l’homme des montagnes Homme a dû modifier ses caractères physiques et ses mœurs. Pouvait-il rester le même ‘in. que celui des régions élevées, avec lesquelles contraste si fort sa demeure ? Nous allons examiner cette question dans les généralités suivantes. * Les nations que nous rattachons à ce rameau, sont au nombre de cinq. 4. La première dont nous parlerons est celle des Yuracares, qui occupe l'extrémité orientale du territoire assigné au rameau, sur tous les petits affluens du Rio Ibabo, du Rio Chimoré, du Rio Marmoré et du Rio Securi*, depuis Santa-Cruz de la Sierra jusqu’au-delà de Cochabamba, dans les forêts les plus épaisses du pied oriental des Andes boliviennes. En marchant vers le le nord, on rencontre, 2.” les Mocéténes des premiers affluens du Rio Béni à l’est, dans les vallées les plus sombres et les plus humides; 3. les Tacanas de la rive occidentale du Rio Béni; 4° les Maropas de la rive orientale de la même rivière, vis-à-vis des derniers Tacanas; et, enfin, 5." les Æpodistas de la vallée du Rio d’Apolo, bien plus à l’ouest que les autres nations, sur les contreforts plus élevés des Andes péruviennes. Ÿ Le tableau suivant donnera une idée de la population relative de chacune d’elles. NOMBRE DES INDIVIDUS NOMS DES NATIONS. | RÉDUITS ENCORE TOTAL. AU CHRISTIANISME, SAUVAGES. Yuracarès 1,000 1,337 Mocéténès 800 2,400 Tacanas .. .., stsie siaise 1,000 6,304 Maropas...... . 900 Apolistas ..., 3,616 Toraux...| 11,757 14,557 4 1. Voyez notre Carte spéciale de la Bolivia et celle des nations. 2. Aucune relation, aucun ouvrage imprimé ne parle des nations que nous allons décrire. La difficulté de pénétrer dans les régions qu’elles habitent, explique le peu de connaissances qu’on en a, même dans les provinces voisines. 3. Comme nous l’indiquons, à la suite des descriptions spéciales des nations de ce rameau, nous ne doutons pas qu’on ne puisse y en adjoindre plusieurs autres qui se trouvent beaucoup plus au nord, en des pays entièrement analogues à ceux qu’occupent celles que nous avons pu étudier par nous-même. 4. Le chiffre des individus convertis au christianisme résulte de recensemens faits en 1832, etsur lesquels on peut compter; quant à celui des indigènes encore sauvages, il n’est à peu près positif que pour la nation yuracarès; les autres sont approximatifs et donnés par les nations elles-mêmes. Homme \méri- “ain. ( 156 ) On s'étonnera peut-être de voir nos généralités rapportées seulement à un total de 44,557 individus, sur lesquels 2,800 encore sauvages; mais ce chiffre est celui des habitans des pays que nous connaissons, c’est-à-dire de la république de Bolivia, et non le chiffre entier du rameau auquel un grand nombre d’au- tres nations viendront, sans doute, se réunir, quand les voyageurs voudront poursuivre le travail que nous commençons. Ce petit nombre n’en offre pas moins les faits les plus curieux, relativement à Pinfluence des localités sur les caractères physiques et moraux de homme. La couleur du rameau des Antisiens nous présente une première preuve de celte influence des circonstances locales. Les nations qui le composent vivant toujours à l'ombre de forêts épaisses, chaudes et humides, où il pleut presque continuellement, leur teinte devait naturellement être moins foncée que celle des habitans de ces montagnes sèches, de ces plateaux élevés, dépourvus d’une végétation active et de ombre des forêts. Les nations de ce rameau sont en effet presque blanches, comparativement aux Aymaras, aux Quichuas, aux autres montagnards des plateaux élevés, et même comparativement aux habitans des plaines de Moxos. Un fait viendrait encore appuyer notre hypothèse ; parmi ces nations, les plus foncées en couleur sont les Maro- pas, depuis long-temps transportés au sein des plaines, et les Apolistas, qui habitent des montagnes plus élevées et moins humides; tandis que les Yuracarès', les Mocéténès, les Tacanas*, qui vivent au sein des forêts les plus impénétrables aux rayons du soleil, sont les plus blancs de tous. La couleur des Antisiens, beaucoup plus claire que celle de tous les autres Ando-Péruviens, est légèrement basanée, et contient peu de jaune. Un autre caractère, qui paraît néanmoins avoir pour cause quelque maladie cutanée, ainsi que nous avons pu le reconnaître, mais’ qui n’en est pas moins presque général, parmi les individus de ce rameau, c’est d’avoir la figure et tout le corps couverts de larges taches plus päles, ce qui les rend comme tapirés. Cette singularité se manifeste surtout généralement chez les Mocéténès, chez les Tacanas et chez les Yuracarès des parties les plus septentrionales de leur territoire. La taille nous fournit une seconde preuve de Pinfluence des localités : les 1. Les Incas les nommaient Furak kari, de yurak, blanc, et de kari, homme; ce qui prou- verait qu'ils avaient remarqué cette anomalie de teinte. 2. Le rédacteur d’un court manuscrit sur la province de Caupolican, adressé au président- de Bolivia, et dont nous avons une copie, dit, p. 15, en parlant des Tacanas : Ils sont d’une cou- leur blanc pâle (color blanco palido). (157 ) montagnards des Andes, tels que les Aymaras et les Quichuas, sont d’une Homme taille au-dessous de la médiocre ,-tandis que les ÂAntisiens sont plutôt grands A que petits. Les Yuracarès, qui vivent tout à fait au pied du versant oriental des Andes, sont les plus hauts de tous; ils ont, en terme moyen, jusqu’à 4 mètre 66 centimètres (5 pieds 1 7 pouce), tandis que les Mocéténès, les Tacanas et les Maropas sont un peu moins grands et ne passent pas À mètre 65 centimètres (5 pieds À pouce). Les Apolistas sont les plus petits, se rapprochant, sous ce rapport, des autres montagnards des plateaux élevés; dont ils sont les plus voisins des hautes montagnes. La taille moyenne de ce rameau est donc de À mètre 645 millimètres. Les formes suivent les mêmes modifications que les autres caractères : chez les Antisiens, plus de ces hommes larges et courts, dont le tronc n’est pas toujours en harmonie avec les extrémités, comme on le remarque chez les habitans des plateaux élevés, où la raréfaction de Pair se fait puissamment sentir. Les Antisiens offrent, au contraire, de belles formes, des proportions mâles et gracieuses à la fois; leur corps est robuste, un peu élancé, ressem- blant à celui des Européens. Les mieux faits de tous sont les Yuracarès; les autres nations sont généralement plus massives. Les membres annoncent la vigueur; ils sont replets, bien fournis et accusent quelquefois les muscles à l'extérieur. Les traits des Antisiens présentent deux caractères bien distincts, qui prouvent peut-être encore l'influence des localités. Ceux des Yuracarès, à face ovale, au nez assez long et souvent aquilin, sont les mêmes que ceux des nations aymara et quichua des plateaux élevés, dont les Yuracarès different d’ailleurs si fort par la couleur, par la taille, par les formes. Si l’on ne prenait que les traits pour caractères de types, on pourrait supposer que les Yuracarès des- cendent de ces peuples montagnards dont ils ont lextérieur; mais que la chaleur et lhumidité ont peu à peu changé leur couleur, en la rendant plus claire, tandis que la non-raréfaction de l'air de leurs belles vallées permettait au corps de se développer et de prendre de belles formes. On sent que ces conjectures sont fort hypothétiques, quelque bien fondées qu’elles puissent paraître. Pour les autres nations de ce rameau, les Mocéténès, les Tacanas, les Maropas, les Apolistas, qui ont aussi la teinte pâle, il serait difficile d'établir la même supposition; car ils n’ont pas les traits des montagnards : leur face est arrondie, toujours efféminée. Leur nez court, épaté, jamais aquilin, les rapprocherait des Aymaras ou des peuples des plaines. 11 devient alors pro- Homme améri- Cain, ( 158 ) bable qu'ils ont subi les mêmes influences de changement de teintes en remon- tant de la région des plaines, d'où ils sont, peut-être, originaires, vers les régions des montagnes. Les langues des Antisiens n’offrent aucun caractère qui les distingue d’une manière bien tranchée de celles des autres rameaux. Les langues des Yura- carès, des Mocéténès, des Maropas, des Apolistas, sont douces et euphoniques, et ne ressemblent nullement, sous ce rapport, à celles des Aymaras et des Quichuas. La seule qui s’en rapproche, par sa dureté, est la langue des Tacanas. Au reste, nous ne connaissons bien, de toutes ces langues, que la yuracarès, qui, comme on peut le voir à la description de cette nation, n’a pas d'anomalies et possède un système de numération décimal. Il existe peu d’uniformité dans le caractère moral des Antisiens : le Yuracarès, au milieu de ses belles forêts, s’est toujours cru le premier des hommes ; aussi se montre-til fier, insoumis, insociable, indépendant, au-dessus de tout, entre- prenant, méchant, cruel, insensible pour lui comme pour les autres; c’est, en un mot, le véritable type du sauvage livré à lui-même. II réunit tous les vices à l'égoisme le plus complet. Le Tacana , également fier, s'est pourtant soumis au christianisme; et, même à Pétat sauvage, il est moins dur, moins insociable. Pour les autres nations, toutes ont un caractere mêlé de fierté et de douceur, toutes ont facilement changé de croyances religieuses. Les Yuracarès, les Mocéténès, les Tacanas, les Maropas, n’ont pas de gaîté; ils dansent sans paraître s'amuser; le sourire vient rarement effleurer leurs lèvres. La seule- nation des Apolistas fait exception, sans avoir toutefois Philarité presque continuelle des Chiquitos. En général, comme tous les montagnards, les Anti- siens connaissent peu de véritable gaîté. Pour les mœurs, il y a plus d’uniformité parmi les nations de ce rameau, ce qui tient, sans doute, à leur habitation sur des localités semblables. Tous les Antisiens sont par goût chasseurs et pêcheurs passionnés, agriculteurs par nécessité. Quelques-uns seulement se fixent le long d’une rivière, tandis que les autres (les Yuracarès) sont les plus inconstans des peuples chasseurs, toujours vagabonds et nomades, ne restant jamais dans le même lieu plus de deux années de suite. Tous aiment la guerre, et sont divisés par petites tibus. Le christianisme à pu en réunir quelques-uns par grands villages. Seul parmi ces nations, le Yuracarès est cruel par insensibilité; il a des mœurs barbares, des fêtes où chacun se couvre de blessures pour montrer son cou- rage; il connaît le duel, le suicide; en lui point de douceur pour sa com- pagne, de respect pour son père, qu'il abandonne dans sa vieillesse, de tendresse ( 459 ) pour ses enfans, qu'il sacrifie à l’ennui de les élever ou à de nombreuses Homme superstitions. Avant leur réduction, ces peuples étaient guerriers, ce qui ‘ain. tient aux habitudes de la chasse; mais, sous ce rapport, leur contact avec les Chrétiens a beaucoup modifié leurs mœurs. Ils sont tous amis des boissons fermentées et ne dansent que dans leurs orgies. L'industrie est peu avancée chez les Antisiens. Les hommes font leurs armes, qui consistent en arcs et en flèches souvent artistement ornées de plumes de couleurs; ils cultivent la terre, construisent les radeaux qui leur servent à naviguer, pêchent et chassent à l'arc, bâtissent leurs maisons couvertes en feuilles de palmiers; et, chez les Yuracarès, les hommes aussi font leurs chemises d’écorce et les couvrent de dessins, représentant des courbes régulières, mais jamais des formes imitatives. Ceux-ci connaissent, à l’état sauvage, l'impression au moyen de planches en bois, qu'ils sculptent pour orner leurs tuniques de figures diverses. Aux femmes sont réservés le trans- port des effets en voyage, le tracas de l’intérieur, la fabrication de la poterie, souvent accompagnée de pratiques superstitieuses. Celles qui filent et tissent le coton et la laine ont appris cet art des Incas leurs voisins. Beaucoup de petits ouvrages que confectionnent aujourd’hui divers Indiens de ces nations, les feraient croire capables d'apprendre facilement tout ce qu'on voudrait leur enseigner de travaux manuels. Le costume de ceux qui ne vont pas entièrement nus, se réduit à des tuniques sans manches, plus ou moins longues, et souvent ornées de teintes vives ; les unes sont en tissus de. coton et de laine, les autres en écorce d'arbre. Ils vont les pieds nus et ne se couvrent jamais la tête, à moins que ce ne soit de plumes de couleurs, pour danser dans leurs jours de fêtes. Tous portent les cheveux longs, attachés par derrière. Aucun ne se tatoue; mais les Yuracarès et les Mocéténès se peignent presque toujours la figure de raies rouges et noires. Les premiers s’épilent les sourcils et la barbe. Les femmes s’ornent de verreries le cou et les épaules, et quelques-unes portent des bracelets. Il n'existait, parmi les nations du rameau antisien, aucun corps politique, et par conséquent aucun gouvernement. Divisées par petites tribus, quel- ques-unes avaient des chefs auxquels elles ne montraient aucune soumis- sion. Chez les Yuracarès, le respect pour la liberté individuelle est tel que jamais un fils n’est contraint d’obéir à son père, qui même regarderait comme un crime d’oser réprimander ses enfans. Nous ignorons entièrement quelle est la religion des nations antisiennes, Homme améri- cain. ee ———— ( 460 ) à l'exception de celle des Yuracarès, peut-être l’une des plus compliquées. I n'est pas étonnant que l'homme vivant au sein d’une si belle nature ait senti s'élever son esprit, et que l’exaltation de son génie lui ait fait créer de gracieuses fictions sur son origine comme sur celle des autres nations. Les Yuracarès ont une mythologie aussi curieuse qu'étendue, remplie de faits bizarres et originaux sur l'origine des peuples; mais ce qu'il y a de singulier en eux, cest.leur facilité à concilier l'indépendance la plus complète avec ces croyances religieuses , avec ces superstitions sans nombre, rapportées à toutes les choses animées et inanimées, à toutes les circonstances de leur vie. Ils n’adorent rien, ne craignent rien, croient homme indéfiniment libre dans toutes ses actions, pensant que les choses se sont formées d’elles-mêmes; aussi n’attendent- ils rien de Pavenir et ne conservent-ils aucune connaissance du passé. L'époque de la nubilité des jeunes filles est marquée chez eux par des cérémonies san- glantes. En résumant les faits que nous venons d’énoncer, on pourra voir que la teinte claire, jointe à l'identité d'habitation et du fond des mœurs, sont les seuls caractères généraux des Antisiens; mais, pour peu qu'on les compare aux autres rameaux des peuples montagnards, on les trouvera toujours en oppo- sition avec ces derniers. Les Yuracarès, qui, par les traits, se rapprochent davantage des Péruviens, sont, en effet, ceux qui s’en éloignent le plus par les formes, par la couleur, par la taille, par la douceur du langage, par le caractère, par l'esprit d'indépendance, par la religion; tandis que la nation dont les traits diffèrent le plus des Péruviens, comme celle des Tacanas, est, sous le rapport de la dureté de la langue, la nation qu’on en pourrait le plus naturellement rapprocher. En un mot, le rameau antisien tient au rameau péruvien par les traits des Yuracarès; au rameau araucanien par ceux de leurs autres nations; tandis que l’esprit d'indépendance des Yuracarès et leur mode d'éducation sont analogues à ceux des Araucaniens; et, au contraire, la soumission des Mocéténès et Apolistas, ainsi que leurs carac- tères, les placent près des Péruviens. Les Antisiens serviraient donc, d’un côté, d'intermédiaires entre les Péruviens et les Chiliens; de l'autre, entre les montagnards et les peuples des plaines. ( 161 ) NATION YURACARÈS. Le nom des Yuracarès paraît venir de la langue quichua ou inca, et signifie hommes blancs, de yurak (blanc) et de kart (hommes). Il a néanmoins été admis par quel- ques indigènes de la nation, qui le prononcent Furujuré, mais seulement par imita- tion; car, entr'eux, il est constant qu’ils se divisent en deux tribus ennemies depuis des siècles, les Solostos, ceux de l’est, et les Mansiños, ceux des montagnes de l’ouest. Nous croyons aussi que les Oromos, détruits par la tribu des Mansiños, appartenaient à la même nation. De plus, à différentes époques, ils furent connus sous divers noms de sections, comme ceux de Cons et de Cuchus, cités dans un manuscrit de 1796, par le naturaliste Haink, et qui, sans aucun doute, venaient du lieu où ils vivaient; et celui d’Énétès, consigné dans une carte manuscrite du même naturaliste. Le nom de Yuracarès est universellement consacré dans le pays par les Espagnols, tandis que les autres ne sont pas connus hors de la nation même. Les Solostos, réunis à la Mission de San- Carlos, reçoivent le nom de Mages des habitans de Santa-Cruz. Les Yuracarès habitent le pied des derniers contreforts des Andes orientales et les forêts des plaines qui les bordent, sur toute la surface comprise entre Santa-Cruz de la Sierra, à l’est, jusque par la longitude de Cochabamba, à l’ouest, sur une large bande est et ouest, de forêts des plus humides et des plus chaudes, qui s’étend , sur une lar- geur de vingt à trente lieues, depuis le 67.° jusqu’au 69.° degré de longitude ouest de Paris, et par les 16.° et 17. degrés de latitude sud. Ce sont les derniers peuples des mon- tagnes boliviennes, dont, le plus souvent, ils n’habitent que le pied, disséminés qu’ils sont par petites familles, au sein des bois les plus épais, près des sources d’une mul- titude d’affluens du Mamoré. Leurs voisins, au nord, sont les Moxos; au nord-est, les Sirionos; à l’ouest, les Mocéténès des montagnes; au sud-est, les Chiriguanos; et au sud-ouest, les Quichuas de Cochabamba. Aujourd’hui, tous les Mansiños sont sauvages dans les lieux mêmes où ils vivaient jadis, et les Solostos sont réunis dans la Mission de San-Carlos, près de Santa-Cruz de la Sierra. Les Mansiños sont à peu près au nombre de 1000:; les Solostos de San-Carlos s'élèvent à 3372; ainsi leur nombre total serait de 1337. La couleur des Yuracarès pourrait être regardée comme une anomalie, si elle n’était pas aussi celle des Mocéténès et des Tacanas, qui habitent des pays absolument ana- logues. Les Quichuas ou Incas les avaient appelés Yurakari (hommes blancs). En effet, leur couleur n’est en rien celle des Quichuas et des autres habitans des mon- tagnes découvertes; elle est presque blanche, comparativement à celle des Incas, et 1. Ce chiffre est celui que nous a donné le Père Lacueva, qui, pendant dix-neuf ans, a prêché sans succès le christianisme à ces peuples. 2, Selon le recensement que nous avons fait faire en 1832, en tout le même que celui pré- senté au gouvernement par le préfet. IV. Homme. 21 Homme ameéri- «ain. Homme améri- ain. ( 162 ) beaucoup des hommes bruns des parties méridionales de l'Europe ne sont pas plus blancs qu'eux. Cette couleur ne contient que très-peu de jaune; c’est une teinte légèrement basa- née, beaucoup plus claire que celle de toutes les nations de la race pampéenne, et même de toutes les nations des montagnes. Grand nombre d’entr'eux ont la figure et le corps couverts de larges taches presque blanches, ce qui les rend comme tapirés. Nous croyons pouvoir attribuer cette singularité à quelque maladie cutanée qui détruit l’épiderme, anomalie remarquée du reste chez toutes les nations de ce rameau. Nous avons cru reconnaître, dans la couleur claire des Yuracarès, un effet prolongé de leur habita- tion : entourés de nations dont les teintes sont bien plus foncées , on doit attribuer l’affaiblissement de la leur à l'influence continue des ombrages perpétuels sous lesquels ils vivent au sein de forêts touffues, où il pleut presque continuellement; tandis que les montagnards, leurs voisins, habitent des pays accidentés, toujours dépourvus d'ombre et dont la température est des plus sèche. 1 Bien qu'ils appartiennent aux races ando-péruviennes, leur taille est belle et approche beaucoup de celle des nations des plaines : en effet, les Yuracarès sont, sans contredit, les plus grands de tous les peuples montagnards. Ils atteignent jusqu’à 1 mètre 76 centimètres (5 pieds 5 pouces); et ceux que nous avons mesurés, ont pu nous faire croire que leur taille moyenne n’est pas au-dessous de { mètre 66 centimètres (5 pieds 1; pouce). Les femmes sont dans de belles proportions relatives et toutes plutôt grandes que de stature ordinaire; leur taille moyenne est à peu près de 1 mètre 530 millimètres. Les Yuracarès ont de très-belles formes, l'air vigoureux, les épaules larges, la poitrine bombée, le corps assez svelte, les membres replets et bien musclés. Tout annonce chez eux la force, la souplesse. Ils sont droits, bien plantés; leur démarche fière et arrogante s'accorde parfaitement avec leur caractère et la haute idée qu’ils ont d'eux-mêmes. Nous les croyons les mieux faits entre toutes les nations que nous avons vues. Les femmes sont aussi très-bien faites, plus fortes et plus robustes à proportion que les hommes; leurs membres sont replets et musclés, sans que leurs formes cessent d’être gracieuses. Les Yuracarès offrent encore, pour les traits, une anomalie difficile à expliquer: lorsqu'on les compare aux autres nations des montagnes boisées, qui ont leurs teintes, ces traits sont tout à fait différens, tandis qu'ils ont du rapport avec ceux des Incas ou Quichuas, dont la couleur et les formes sont si distinctes des leurs; ce serait peut-être une preuve de l'influence des localités sur Ha couleur et sur les formes. Leur face est presqu'ovale, leurs pommettes sont peu saillantes, leur front est court, légèrement bombé, leur nez assez long, souvent aquilin, pas trop épaté ni trop large à sa base, leurs narines sont peu ouvertes; leur bouche est médiocre, leurs lèvres assez minces; 1. On ne peut attribuer le peu d’intensité de leur teint au croisement des races; car ils sont encore sauvages; et, sous peine de duels interminables, ils ne se marient qu'avec leurs plus proches parentes, sans jamais s’allier aux autres tribus de leur nation, et à plus forte raison avec des femmes blanches, qu’ils regardent comme de beaucoup au-dessous d’eux. 0 (165 ) leurs yeux noirs, très-petits et horizontaux; leurs oreilles petites, leurs sourcils étroits et arqués, quand ils ne les suppriment pas; leur barbe paraît droite, peu fournie, pous- sant tard, et seulement au-dessus de la lèvre supérieure et au menton : ils se l’arrachent. Leurs cheveux sont noirs, droits et longs. Leur physionomie est fine, remplie de vivacité, de fierté, et ne manque pas d’une certaine gaîté expressive. La figure, chez les hommes, est plutôt bien que mal; elle est peu efféminée. Les femmes ont les mêmes traits, mais moins prononcés; leur figure est plus arrondie, l'expression en est plus douce; on peut même les dire jolies. La langue yuracarès est euphonique, et diffère essentiellement, sous ce rapport, des durs idiomes des nations des montagnes, par exemple de ceux des Quichuas et des Aymaras des Andes. Elle n’a aucune complication de sons des consonnes ni aucunes finales dures. La seule consonne qui termine les mots est l’s; ainsi, à cet égard, aucune dureté, aucune des lettres françaises, comme le z, l’u ou l’e muet. Tous les mots peuvent être écrits avec la prononciation de l'espagnol, d'autant plus nécessaire que le j de cette langue, avec sa gutturation, est assez commun. L’f est la seule lettre qui manque à la langue yuracarès. Il n’y a aucune analogie pour les noms des parties du corps. Les adjectifs sont différens selon le sexe, et les pluriels distincts des singuliers. Le système de numération est étendu jusqu’à cent, par divisions décimales et n’a aucun rapport avec les noms des doigts. Les manières des Yuracarès sont telles qu’on devait les attendre de la nation la plus fière et la plus vaine de son indépendance sauvage : leur caractère offre la réunion la plus monstrueuse de tous les défauts que puisse amener, chez l’homme sans instruction et superstitieux, une éducation à tous les âges affranchie du frein des réprimandes et même des plus simples conseils. Les Yuracarès sont assez gais, ont une pénétration facile, de l'esprit même et beaucoup de finesse; ils se croient les premiers des hommes; hautains, insolens, hardis, entreprenans, ils ne redoutent rien. Cruels autant pour eux-mêmes que pour les autres, endurcis aux souffrances physiques, leur insensibilité est extrème, habitués qu'ils sont, dans chacune des occasions que leur offrent des superstitions sans nombre, à se couvrir de blessures, à martyriser leurs femmes et leurs enfans. Ils n’ont aucun attachement pour leurs pères, qu’ils abandonnent souvent, et immolent dé sang-froid leurs enfans , dans le seul but de s'affranchir de l'embarras de les élever. Ennemis de toute espèce de société qui pourrait leur ôter un peu de leur indépendance, ils ne vivent que par familles, et encore, dans celles-ci même, ne connait-on ni les égards mutuels ni la subordination, chaque individu ne vivant que pour soi. Les femmes partagent le caractère des hommes, et chez elles on ne trouve même pas toujours le sentiment maternel; elles immolent fréquemment la moitié de leurs enfans, tout en restant esclaves de ceux qu’elles élèvent. 1 1. On trouve, jusqu’à un certain point, des rapports entre le caractère des Yuracarès et celui des Aucas ou Araucanos, par l'esprit d'indépendance et par le système d'éducation qui leur sont communs, Homme améri- ain. ——— Homme ameri- — ain. ( 164 ) Les mœurs des Yuracarès sont tout à fait analogues à leur caractère; ils se montrent encore aujourd'hui ce qu'ils étaient avant l’arrivée des Espagnols, et n'ont en rien modifié leurs coutumes et leurs usages, par le contact avec la civilisation qui les entoure, vivant toujours au plus épais des bois, disséminés par petites familles ambulantes, qui se fuient, et cherchant plus que jamais à s'éloigner des lieux habités par les Chré- tiens. Marié après une orgie, un Yuracarès se sépare aussitôt de ses parens et va s'établir avec sa femme près d’un ruisseau, au sein des plus sombres forêts : là, aidé des siens, qu'il a invités à le joindre dans cette circonstance, il abat des arbres, construit une vaste cabane couverte en feuilles de palmiers, ensemence un champ; et, en attendant la récolte, vit de chasse et de pèche. Il y séjourne quelques années, puis quitte la place pour aller se fixer à peu de distance : la femme alors se charge de tout le bagage, renfermé dans une espèce de filet, dont tout le poids pèse sur le front; et de plus, de ses jeunes enfans, tandis que son mari ne porte que son arc et ses flèches. Visiteurs infatigables, les Yuracarès n'arrivent jamais chez leurs voisins sans les prévenir de loin par des fanfares ou par des sifflemens ; ils se traitent les uns les autres avec beaucoup de cérémonial, ont des conférences très-prolongées, sans jamais se regarder en parlant. Ces réunions amènent presque toujours des orgies de boissons fermentées et des danses monotones : elles se renouvellent à diverses époques de leur existence, à la nubilité d'une jeune fille, par exemple, et ne se terminent jamais sans que chacun ait arrosé la terre de son sang, en se faisant de nombreuses blessures aux bras et aux jambes. Les femmes vont accoucher au milieu des bois, au bord d’un ruisseau, dans lequel elles se baignent immédiatement et reviennent à leur maison reprendre leurs travaux ordinaires; mais souvent elles tuent de suite leur enfant, soit parce qu’elles en ont assez, soit parce que leurs premiers n’ont pas vécu. Les hommes pratiquent le suicide et se battent souvent en duel à coups de flèches. En réunion, ils mangent ensemble, el leurs repas, comme leur chasse et leur pêche, sont assujettis à une foule de super- slilions. Les malades sont traités, souvent au milieu des bois, par des saignées locales ou par des cérémonies superstitieuses. À la mort de l’un d’eux, tout ce qui appartenait au défunt est anéanti : on abandonne sa cabane et son champ, puis on l’enterre; mais son souvenir se conserve long-temps dans sa famille. Les Yuracarès ont pour règle générale de ne jamais réprimander leurs enfans et même de ne leur faire aucune observation. : Ils se piquent d’être tous de très-grands orateurs et parlent quelquefois des heures entières. | Leur industrie se borne à la fabrication des ares et des flèches, qu’ils soignent beau- coup, et à la décoration de leurs chemises d’écorce d'arbre, dont les ornemens consistent toujours en peintures régulières, en lignes droites et courbes, ne représentant jamais ni animaux ni plantes. Ils se servent, pour imprimer leurs dessins, de planches en 1. La relation historique de notre voyage contiendra tous les détails désirables sur les mœurs singulières et compliquées des Yuracarès. (165 ) bois sculptées '. Avant leurs relations avec les Moxéens, ils ne connaissaient pas la Homme navigation, et l'ont apprise de ces derniers. Adroits chasseurs, tout leur art est dans "4 leur dextérité à manier la flèche, qui leur sert aussi pour pècher. Ils ne connaissent ni le tissage ni l’usage du hamac. Les femmes fabriquent la poterie, avec beaucoup de cérémonies superstitieuses; elles font aussi les boissons fermentées et cultivent la terre; sur elles seules roule tout le travail intérieur de la maison et celui des changemens de domicile; alors, avec les bagages et les vivres, elles portent encore leurs enfans et leurs animaux domestiques. Leur costume consiste en tuniques sans manches, faites d’écorces de mürier et de Jicus, sur lesquelles sont imprimés des dessins réguliers rouges et violets, ne manquant pas de goùt?2. Les hommes coupent leurs cheveux carrément sur le front, le reste tombant en queue par derrière. Ils s’arrachent les sourcils et se peignent la figure de rouge et de noir, surtout le nez et le front; les jours de danse, ils se parent de coiffures en plumes, ou, lors de leurs visites, se couvrent la tête du duvet blanc de la grande harpie, qu'ils élèvent à cet effet. De plus, ils suspendent à une bandoulière leurs sifflets et quelques autres ornemens; leur couteau est attaché aux cheveux par derrière. Les femmes ont la tunique sans peintures, et, lors des danses, elles s’ornent les épaules de houppes de plumes de couleur. Leur gouvernement est tout à fait négatif : ils ont un chef par famille, auquel ils n’obéissent même pas; tous indépendans, ils sont disséminés par très-petites sections, entre les membres desquelles ne règne aucune subordination. On peut dire qu'ils ne connaissent pas de nationalité. La religion des Yuracarès est des plus singulière’: ils n’adorent ni ne respectent aucune divinité, et néanmoins sont plus superstitieux que tous leurs voisins. Ils croient que les choses se sont formées d’elles-mêmes dans la nature, et qu’ainsi ils ne doivent en remercier personne; qu'ils. n’ont rien à attendre d’une conduite plus ou moins vicieuse, l’homme naissant le maître absolu de ses actions bonnes ou mauvaises, sans que jamais rien doive le retenir. Ils ont néanmoins une histoire mythologique des plus compliquée, remplie de fictions gracieuses$, dans laquelle un assez grand nombre de dieux ou d'êtres fabuleux apparaissent tour à tour. Le Sararuma cause un incendie général des forêts, qui remplace le déluge des autres nations, dont un seul homme se sauve en se cachant dans une caverne. Le même Sararuma lui donne des graines qui lui servent à repeupler la terre de ses arbres; après quoi plusieurs êtres se succèdent dans le monde et y jouent un grand rôle : c’est Ulé, qui de l'arbre le plus brillant des forêts, qu'il était d’abord, se métamorphose en homme, à la prière d’une jeune fille; c’est Ziri qu'élève 1. Ilest curieux de rencontrer parmi les Indiens les plus sauvages la connaissance de l'impression, tañdis que les Incas, leurs voisins, déjà civilisés, et les autres nations qui les entourent, l’ignorent entièrement. 2. Voyez Costumes, planche 2, partie historique. 3. Voyez la partie historique. Homme améri- ain, ( 166 ) la femelle d’un jaguar, après l'avoir arraché du sein de cette même jeune fille, devenue mère; cest Caru qui rendit les hommes mortels; c’est Tiri encore qui fit sortir du creux d’un arbre toutes les nations connues des Yuracarès, et qui le referma, dès qu'il vit la terre assez peuplée. Les Yuracarès savent tous l’histoire mythologique de leur pays, mais ne révèrent aucun des êtres qu'ils y placent; au contraire, ils les détestent et se plaignent d’eux. Il en est de même du dieu du tonnerre, Mororoma, qui, du haut des montagnes , leur lance ses foudres; ils le menacent de leurs flèches , le défiant lorsqu'il tonne; de Pepezu, qui les enlève du milieu des bois, et de CÆunchu, dieu de la guerre. Leur demande-t-on quel est leur divinité bienfaisante? ils montrent leur arc et leurs flèches, armes auxquelles ils doivent leur nourriture. Ils croient à une autre vie, dans laquelle ils auront abondance de chasse, et où tous, sans exception, doivent se retrouver. Leurs superstilions se transmettent de père en fils : ils en connaissent peu pour les maladies; mais ce qui a rapport à la chasse, à la pêche, aux alimens, leur en inspire beaucoup et des plus absurdes : ils craignent qu’en offensant les animaux tués, ceux-ci ne veuillent plus se présenter à leurs coups. Ils en ont aussi de relatives à l'agriculture et aux plantes. L'époque de la nubilité des jeunes filles est marquée par des fètes sanglantes, où, après avoir dansé, les assistans de tout àge se couvrent les bras de profondes blessures, les hommes pour devenir plus adroits, les femmes pour se forti- fier, les enfans pour grandir. En résumé, les Yuracarès présentent, sous plusieurs points de vue, une anomalie sin- gulière avec les peuples des montagnes : leur couleur presque blanche contraste avec celle des Incas et des Aymaras, leurs voisins; et, comme ils ont le nez aquilin de ceux-ci, on pourrait croire que les régions chaudes, humides et continuellement ombragées où ils vivent, ont influé sur leur teinte. Leur couleur est celle de toutes les nations placées dans les mêmes circonstances, les Mocéténès, ainsi que les Guarayos. Leur taille est aussi beaucoup plus élevée que celle des autres habitans des montagnes, ce qui ferait penser que l'influence seule de la raréfaction de l'air peut changer beaucoup la taille et les formes. Leur langage n’a aucun rapport avec celui des montagnards; leur caractère Indocile et fier, ainsi que leurs coutumes barbares, rappellent les nations du grand Chaco, auxquelles ils ressemblent pour le gouvernement, mais non pour la reli- gion, chez eux bien plus compliquée, et annonçant, au milieu d’une nation de chasseurs sauvages, un génie plus élevé, des vues d’une bien plus vaste portée qu’on ne devait naturellement s’y attendre. ( 167 ) NATION MOCÉTÉNÈS. Sous le nom de HMocéténès existe, dans les montagnes, une nation que les Yuracarès nomment Maniquiés, et que les Espagnols de Bolivia, tout en lui conservant la première dénomination, appellent aussi, mais très-improprement, Chunchos, nom appliqué déjà depuis des siècles à des nations qui vivent à l’est de Lima. On nomme encore Magdalenos, Chimanisas où Chimanis, ceux qui vivent au confluent du Rio Coendo; Muchanis, ceux du Rio Béni, et Tucupi, ceux du confluent du Rio Bogpi et du Rio Béni. Les Mocéténès habitent le fond des ravins le long du Rio Béni et de ses affluens, depuis le Rio de la Réunion, au nord de Cochabamba, jusqu’au nord de la Paz, sur une étendue d’à peu près 30 à 50 lieues géographiques, de montagnes comprises entre les 15. et 16.° degrés de latitude sud et les 69.° à 71.° degrés de longitude ouest de Paris. Ils n’occupent, pour ainsi dire, qu’une large bande circonscrite au nord-est par la chaine de Yuracarès, qui les sépare des plaines de Moxos, et au sud-ouest par les hautes mon- tagnes du versant oriental des Andes boliviennes. Ils sont divisés en plusieurs tribus, formant des villages sous de sombres forêts, au bord de torrens ombragés, qui déchargent leurs eaux dans le Béni. Leurs voisins sont, au nord, les Apolistas; à l’ouest, les Aymaras; au sud, lés Quichuas; à l’est, les Moxos et les Yuracarès. Plusieurs de ces tribus sont encore sauvages, tandis que quelques autres ont tout récemment été formées en Missions, sous les noms de Santa-Ana et de San-Miguel. Leur nombre est peut-être de 800: pour ceux qui sont encore sauvages, et d’à peu près le double pour ceux qui sont réunis en Missions; on pourrait ainsi en évaluer approximativement le total à 2,400. 2 La couleur des Mocéténès est absolument celle des Yuracarè ès, brune ou légèrement basanée, mais assez claire pour paraître presque blanche, comparativement aux Aymaras et aux autres nations des montagnes : nous avons cru remarquer qu'elle était peut-être un peu plus mélangée de jaune que celle des Yuracarès. De même que cette nation, les Mocéténès sont presque tous tapirés ou couverts de grandes taches irrégulières, moins foncées sur le corps et sur la figure, ce qui leur donne un aspect bizarre. Leur taille, en général, nous a paru différente de celle des Yuracarès; elle est beau- coup moins élevée et annonce déjà l’influence des montagnes : sur un assez bon nombre de Mocéténès que nous avons rencontrés dans nos voyages au nord des montagnes de Cochabamba et dans la province de Yungas, le plus grand ne passait pas 1 mètre 68 centi- mètres (5 pieds 2 pouces) , et leur taille moyenne ne nous parut point s'élever au-dessus de 1 mètre 65 centimètres (5 pieds { pouce). Leurs formes sont aussi quelque peu différentes : elles ont bien cette vigueur qui plait chez les Yuracarès; mais si les épaules sont larges, si la poitrine est bombée, le 1. Ce nombre est celui qui nous a été indiqué par les Mocéténès eux-mêmes. 2. Le chiffre des Mocéténès réduits nous a été donné par un des missionnaires qui s’occupaient de la conversion de la nation. Homme améri- ain. ( 168 ) Homme corps, un peu élargi, n’est plus aussi élancé. Les Mocéténès ont les membres replets, améri- can. arrondis ; ils sont droits; leur démarche est aisée et fière. Leurs traits n'ont aucun rapport avec ceux des Yuracarès : leur face est ronde, assez pleine, les pommettes sont peu apparentes, le front moyen, le nez très-court, un peu élargi, les narines peu ouvertes, la bouche médiocre, les lèvres assez minces, les yeux noirs, petits, horizontaux; les oreilles petites, les sourcils arqués et étroits. Nous ne leur avons pas vu de barbe; il est vrai qu’ils s’arrachent tout ce qu’ils peuvent en avoir. Leurs cheveux sont noirs, droits et longs; leur physionomie est gaie, douce, expressive; leur figure très-efféminée peut facilement faire prendre un homme pour une femme; car les deux sexes présentent la même expression et la même régularité dans les traits. La langue mocéténès, dont nous n’avons pu écrire de vocabulaire, est très-eupho- nique : elle nous à paru n'avoir ni gutturation ni redondance de sons; différente, néanmoins, de celle des Yuracarès, à ce que nous ont assuré ceux-ci et par ce que nous en avons entendu. Leur caractère paraît doux, sans manquer de fierté. Les Mocéténès ont de la gaîté, sont confians, bons, faciles à tromper et paraissent s'aimer entr'eux. Jamais ils n’ont refusé de se soumettre au christianisme, et toutes les fois qu’on a envoyé des missionnaires dans leurs demeures, dont laceès est souvent fort difficile à cause des précipices et. des accidens du terrain qui les défendent, ils se sont soumis volontiers. Les Mocéténès vivent le long des torrens ombragés de leurs montagnes, couvertes d'une végétation active, continuellement ranimée par des pluies abondantes; ils sont répartis par petits villages, principalement aux confluens des rivières, qu’ils parcourent incessamment pour chasser et pêcher à la flèche. Ces villages sont quelquefois com- posés de plusieurs familles, ce qui prouve chez eux plus de sociabilité que chez les Yuracarès. Leurs cabanes, faites de roseaux et couvertes en feuilles de palmier, sont, lorsque les accidens du sol le permettent, entourées de champs de yuca et de bananiers. Là, paisible, le Mocéténès vit en famille, abandonnant souvent sa femme et ses enfans pour suivre les cours d’eau, en chassant les’singes et les pécaris, au milieu des bois, ou pour épier, au sein d’une ônde cristalline, les poissons, qu’il perce de ses flèches aiguës. Si la chasse est abondante, il la boucane et revient chargé de provisions. Sou- vent sur de légers radeaux il. remonte les torrens, après avoir pris soin de renfermer ses provisions dans des outres : précaution indispensable sur ses frêles embarcations, fréquemment submergées par la violence des courans. Il se rend ainsi chez les habitans de Yungas de la Paz, afin d'y prendre des couteaux et des haches, en échange de ses plumes chamarrées de vives couleurs. Les femmes des Mocéténès ne voyagent jamais, tant ils sont jaloux. Quoique peu belliqueux, ils ne souffrent pas qu’on les attaque. Une partie de leur industrie est peut-être venue de leur contact avec les Chrétiens ou avec les Incas. Les hommes cultivent la terre, chassent, pêchent, fabriquent leurs armes et leurs ornemens de plumes; les femmes filent le coton et le tissent, habiles ( 169 ) à tendre leurs tissus de couleurs brillantes qu’elles tirent du suc des plantes de leurs forêts. Ils ne font point de pirogues; leur seul mode de navigation est l'emploi de légers troncs d'arbres, qu’ils unissent au moyen de lianes; leurs armes sont l'arc et la flèche. Leur costume consiste en tuniques sans manches, d’une belle couleur violette, bordées de rouge, faites d’un tissu assez fin en coton : ces tuniques leur descendent jus- qu'aux genoux. Ils ont les cheveux coupés carrément en avant et réunis par derrière en une queue, à laquelle ils suspendent leur couteau; ils ne s’arrachent pas les sour- als; leur figure est peinte ou, pour mieux dire, mârquée de trois raies bleues, l’une en arc, et qui passe des joues à la lèvre supérieure; la seconde, au-dessous de la lèvre inférieure , et une troisième sur le nez. Ils portent des boucles d'oreilles; et, pour danser , s’ornent la tête de plumes d’ailes de perroquets; en voyage tous portent sur l'épaule gauche, un bissac de toile. Leur gouvernement paraît se réduire à l’autorité purement nominale de certains chefs auxquels ils n’obéissent pas toujours; seulement ils les suivent à la guerre, et il y en a autant que de villages. Nous n'avons rien appris du système de leur religion primitive; nous savons seule- ment que ceux d’entr'eux qui ont adopté le christianisme montrent peu de ferveur. En résumé, les Mocéténès, avec une teinte analogue et,des taches par tout le corps, comme les Yuracarès, en diffèrent par un nez court, une figure plus efféminée , par une taille moins élevée et des mœurs plus douces; caractères qui se retrouvent tous chez les nations dont nous allons parler. Ils n’ont des peuples des régions élevées que le corps un peu trapu et les jambes courtes à proportion. IV. Homme, 22 Homme améri- “ain. (170 ) NATION TACANA. Tacana est le nom que cette nation donne à la langue qu’elle parle; ainsi nous avons dû croire qu'il était plus naturel de le lui conserver, que de la placer sous le nom d'Atenianos, donné par les Espagnols à ceux de la Mission d’A4ten, à ceux d’/siamas et de Cavinas, qui ne sont aussi que des dénominations locales. Leurs tribus encore sauvages portent le nom de Zoromonas. 4 Les Tacanas habitent le fond des ravins du versant occidental du Rio Béni, au sein des montagnes boisées et humides qui couvrent les pentes orientales des Andes boli- viennes, depuis le 13.° jusqu’au 15.° degré de latitude sud; et, en longitude, depuis le 70° jusqu'au 71°, à l’ouest de Paris, sur une large bande nord-nord-ouest et sud-sud- est, bornée à l’est par le Rio Béni, et à l’ouest par les Andes orientales. Ils sont divisés en plusieurs tribus, les unes sauvages, les autres réunies en Missions; les premières, sous le nom de Toromonas, vivent en villages, au sein des forêts; les secondes, devenues chrétiennes, composent les villages d’4ten, de Cavinas, de Tumupasa et d’/siamas. Leurs voisins sont, de l’autre côté du Béni, à l’est-nord-est, les Maropas de Reyes; au sud, les Mocéténés ; au nord, les nations sauvages des Æuacanahuas, des Suriguas; à l'ouest les Apolistas et les Aymaras. 4 La nation est divisée comme il suit : Tacanas de la Mission d’Aten. . . . ... . . 2,033 de la Mission d’Isiamas . . . . . . . 1,028 de la Mission de Cavinas . . . . . . 1,000: 5,304: (Chrétiens). de la Mission de Tumupasa. . . . . 1,170 de San=:osé SE ARR Re 73 Toromonas (sauvages) "Or EC Er CP ODUr Toraz . . . 6,304 âmes. La couleur des Tacanas, un peu plus foncée que celle des Mocéténès, l’est moins que celle des Apolistas et, à plus forte raison, des Aymaras, qui les regardent compa- ralivement comme blancs. Les Tacanas, de même que les Mocéténès et les Yuracarès, sont presque tous lapirés ou tachetés en clair sur le corps et sur la figure. La taille des Tacanas les rapproche des Yuracarès ou du moins est la même que celle des Mocéténès : quelques hommes atteignent 1 mètre 70 centimètres (5 pieds 2 ou 3 pouces); mais nous croyons que leur taille moyenne est au-dessous de 5 pieds 1 pouce (1 mètre 65 centimètres). Leurs formes paraissent en tout celles des Mocéténès : leur corps est aussi robuste et bien fait; leurs membres sont replets et arrondis; leur démarche est aisée et gracieuse. 1. Ces chiffres sont ceux d’un manuscrit de 1832, sur la province de Caupolican ou Apolo- bamba, et résultent du recensement fait par les curés. 2. Chiffre approximatif, admis par les habitans. (171 ) Leurs traits, auxquels les femmes participent, tout en reproduisant, pour les détails, Homme améri- ceux des Mocéténès, sont moins délicats, moins efféminés; leur nez est toujours court ‘,; et épaté; leur physionomie régulière, gaie, fine, sans être très-agréable; leurs yeux sont médiocres, horizontaux, vifs, expressifs; leurs cheveux noirs et longs. La langue tacana paraît être une des plus gutturales et des plus saccadées de l’'Amé- rique, si nous en jugeons par ce qu'en dit l’auteur d’un mémoire sur la province d’Apolobambat, qui parlait laymara et trouvait encore la tacana plus dure?; mais comme nous n'avons pu nous en procurer de vocabulaire, nous nous bornons à rap- porter ce que nous en ont dit les habitans mêmes de la province d’Apolobamba. Les Tacanas ont le caractère entier, irritable, rempli de hauteur et sans beaucoup de gaïté. Ils se soumirent néanmoins facilement au christiänisme et leurs hordes encore sauvages n’attendent que des missionnaires pour se constituer en Missions. Les Tacanas sauvages vivent en tribus au sein des forêts humides des dernières mon- tagnes du versant oriental des Andes; ceux qui sont Chrétiens forment de grands villages situés dans les vallées des mêmes montagnes boisées. Ils ont été et sont encore agriculteurs, chasseurs et pêcheurs; mais, riches par la fertilité de leur sol, ils ne cul- tivent qu’autant qu'il le faut pour se nourrir et pour se procurer quelques ornemens. Chaque homme doit bâtir à lur seul la maison qu'il veut habiter plus tard avec sa famille; eh manquant à cet usage, 1l se couvre d’opprobre. Tout à fait arriérée, l’industrie, chez cette nation, est bien au-dessous de celle des Missions de Moxos. Les femmes tissent assez grossièrement le coton, et les hommes sauvages se font des ornemens üssus de plumes, dont les couleurs, agréablement nuancées, annoncent qu'ils ne manquent pas de goût. Leur costume, à l’état sauvage, se réduit à quelques toques de plumes pour la danse; ils vont d’ailleurs entièrement nus. Les Tacanas des Missions ne se couvrent pas la tête; ils portent une chemise de laine à manches courtes, qui leur descend jusqu’au genou. Les femmes mettent plus de recherche dans leurs habits, et surtout dans leur parure. Jeunes, elles s’entourent de bracelets le poignet et le dessus du coude, répétant cet ornement au bas de la jambe et au-dessous du genou; elles portent encore la chemise sans manches des Missions et s’ornent le cou de beaucoup de verroteries et de bijouteries. Comme chez les autres Américains, les deux sexes vont pieds nus. Leur gouvernement, à l’état sauvage, consiste à reconnaître des chefs de petites sections, qui les conduisent à la guerre ou dans les expéditions lointaines; mais ils n’ont pas de corps de nation. Nous n’avons rien appris de leur religion primitive. Les Tacanas, en résumé, ne nous présentent aucun caractère physiologique différent de ceux des Mocéténès, nation à laquelle ils ressemblent le plus, ne s’en distinguant que par une langue très-dure et par plus de fierté. 1. À la page 14 du manuscrit, il dit: Su guluracion es fuerte y golpeada (sa gutturation est forte et saccadée). 2, L’aymara qu'on parle à la Paz est peut-être, par sa gutturation, l’une des langues les plus dures du monde. Homme améri- cain. (172) NATION MAROPA. Nous citons, sous le nom de Maropas, une nation qui, tout en faisant partie de la province de Moxos, appartient encore au rameau Antisien; elle se donne elle-même le nom par lequel nous la désignons. Avant de constituer une Mission, les Maropas occupaient le grand bassin du Rio Béni, au pied des montagnes boisées et humides des derniers contreforts des Andes boliviennes. Dans le courant du siècle dernier, les Jésuites les rassemblèrent et en formèrent la Mission de Æeyes, située non loin du cours du Béni, sur sa rive orientale, par 13° 50! de latitude sud et par 70 degrés de longitude ouest de Paris. Ils vivaient sur le cours mème du Béni, ayant pour voisins, au sud et à l’ouest, les Tacanas; à l’est, les Cayuvavas de Moxos; au nord, des tribus sauvages peu connues. Leur nombre à la Mission de Reyes est de 9001 hommes, tous Chrétiens. Les Maropas que nous avons vus, ont tous, à peu de chose près, la couleur des Mocéténès ; seulement ils sont plus foncés en brun, sans approcher pourtant de la teinte propre aux Moxos. Leur taille n’est pas plus élevée que celle des Tacanas; ils ne passent point { mètre 65 centimètres (5 pieds { pouce), terme moyen. Leurs formes sont aussi celles des Tacanas et des Mocéténès. Leurs traits, beaucoup plus efféminés que ceux des Tacanas, le sont au-moins autant que ceux des Mocéténès. Ils ont, comme ces derniers, une expression de douceur remarquable, une face arrondie et un ensemble de figure passable. La langue maropa nous à paru assez douce; quelques mots que nous en avons obtenus, nous feraient croire qu’elle diffère de celle des Mocéténès. Pour la douceur et la docilité du caractère, pour les mœurs et les coutumes, les Maropas ressemblent aux Mocéténès. Nous croyons que si, sous certains rapports, ils ont modifié leurs usages, ces modifications ne sont dues qu’au régime d’uniformité établi par les Jésuites dans les Missions de Moxos, dont ils dépendent. La substitution, chez eux, de la navigation en pirogues à celle des radeaux, aussi bien que les avantages qu'ils tirent de leur peu d'industrie, tiennent sans doute au même principe. Leur cos- tume est également modifié : ils portent la chemise sans manches; mais cette chemise beaucoup plus courte que celle des Moxéens et en tissu de laine. Nous ne savons rien sur le gouvernement ni sur la religion primitive de cette nation, que tous ses caractères physiologiques placent près des Mocéténès, et par conséquent, dans le rameau Antisien. 1. D'après le recensement de 1831, fait tandis que nous étions à Moxos. (173) NATION APOLISTA. » Le nom d’Apolista est celui sous lequel les Espagnols des environs connaissent cette nation. Nous ne saurions dire si ce sont les Apolistas qui ont donné leur nom à la province d’Apolobamba , ou si cette province a communiqué le sien à la nation; fait, d’ailleurs, d’un intérêt secondaire. Nous ignorons de même où vivaient les Apolistas avant leur soumission au christia- nisme; néanmoins nous sommes porté à croire qu’ils n’ont fait que se réunir sur un seul point, sans abandonner les lieux qu'ils occupaient à l’état sauvage. Tous sont aujourd’hui Chrétiens dans le bourg d’Apolobamba, jadis Mission, situé au milieu d’une grande vallée traversée par le Rio d’Apolo, qui coule entre des montagnes élevées et va, non loin de là, se réunir au Rio Béni, à peu près au 15.° degré de latitude sud et au 71 degré de longitude ouest de Paris. Leurs voisins sont, au sud, les Mocéténès; au nord, les Tacanas, et à l’ouest, les Aymaras, séparés qu’ils sont de ces nations par de hautes montagnes. Leur nombre est de 27751 à Apolobamba; c’est au moins la population de ce bourg, à laquelle se mêlent à peine quelques blancs ou quelques métis; et celle de Santa-Cruz étant évaluée à 841 âmes, le tout présente un total de 3616. La couleur des Apolistas est plus foncée que celle des Mocéténès et des Yuracarès, les rapprochant beaucoup des Aymaras et des Quichuas des Andes; elle est basanée ou brun-foncé, mélangé de jaune. Leur taille, d’après ceyx que nous avons vus, et d’après ce que nous avons appris des personnes qui ont vécu long-temps avec eux, serait moindre que celle de toutes les autres nations antisiennes; elle s’élèverait peu au-dessus de f mètre 62 centimètres (5 pieds), ce qui montrerait déjà l'influence des montagnes comme habitation. Leurs formes sont celles des Mocéténès, à cette différence près que leur corps vigou- reux est plus large et plus long que celui des Yuracarès; leurs membres sont courts, replets et arrondis. Leurs traits sont moins efféminés que ceux des Mocéténès; leur couleur, ainsi que leurs formes, les indiquent comme faisant transition aux nations des plateaux élevés des Andes. Cependant le nez des Apolistas est encore court, épaté; les détails de leurs traits rappellent les Mocéténès. Leur physionomie est douce, expressive, pleine de gaîté. Leur langue n’est pas très-dure; et, suivant les missionnaires, diffère en tout de celle des Mocéténès et des Tacanas. Le caractère des Apolistas est on ne peut plus doux et docile; ils aiment le plaisir, et sont néanmoins soumis et laborieux. Tout annonce en eux des dispositions à une civilisation plus avancée. Nous ne savons rien de leurs mœurs primitives. Entièrement réduits aujourd’hui au 1. Ce chiffre se trouve dans un mémoire manuscrit rédigé en 1832, sur la province d’Apolo- bamba, par un habitant d’Apolo. Homme améri- cain, Homme améri- ain. ( 174 ) régime des Missions, ils ont du goût pour l’agriculture, pour la chasse, pour la pêche ; les nombreuses fêtes du christianisme leur ménagent de fréquentes occasions de réunions, de danses joyeuses, toujours stimulées par des boissons fermentées, dont ils abusent jusqu'à perdre la raison. Industrieux, ils fabriquent tout ce qu’on fait habituellement dans les Missions. Ils ont pris le costume des Indiens actuels des Andes, mélange du costume primitif et du costume espagnol. Nous ne savons rien de leur gouvernement ni du système de leur religion primitive; ils sont aujourd’hui catholiques jusqu’au fanatisme. En résumé, les Apolistas, par leur couleur foncée, leur taille peu élevée et leurs formes, ont beaucoup de rapports avec les nations des plateaux des Andes; mais, par leurs traits efféminés, par leur nez court et par leur langue peu dure, ils se rapprochent des nations des montagnes chaudes ; aussi leurs caractères et le lieu qu’ils habitent font-ils le passage entre les Antisiens et les Péruviens. Osenvariox. Il nous paraît présumable que beaucoup d’autres nations sauvages peu connues, qui habitent les contreforts et le pied oriental des Andes péruviennes, au nord de celles dont nous venons de parler, doivent aussi faire partie de ce rameau; mais nous n’avons pu les visiter, et leurs noms seuls sont parvenus jusqu’à nous. Ce sont les Zuacanahuas, les Suri- guas, les Machuis, cités comme peuples guerriers; les Ultume-Cuanas, les Chontaquiros, les Chunchos et même les Quixos, les Chayayitos des parties encore plus septentrionales. Peut-être ce rameau s’étend-il sur tout le versant oriental des Andes, jusqu'au pied méridional des plateaux de Cundinamarca. (76 } TROISIÈME RAMEAU. ARAUCANIEN. Couleur : brun-olivâtre peu foncé. Taille moyenne, À metre GA milli- metres. Formes massives; tronc un peu long, comparé à l'ensemble. Front peu élevé; face presque circulaire; nez très-court, épaté; yeux horizontaux; bouche médiocre; lèvres minces; pommettes saillantes ; traits efféminés; physionomie sérieuse, froide. * Nous avons donné à ce rameau le nom des Araucanos, peuples indomp- tables, qui, de tout temps, résistèrent aux armes des Incas et des Espagnols. Il s'étend, sur le versant occidental des Andes, depuis le 30. degré de latitude sud jusqu’à lextrémité de la Terre-du-Feu; puis des vallées supérieures et des plaines, à l’est des Cordillères, du 33.° au 42.° degré, sur les montagnes et leurs versans ; borné, au nord, par les Changos et par les Atacamas; au sud et à louest, par la mer; à l'est, par les Puelches et par les Patagons des Pampas. La surface qu'habitent les Araucaniens est assez variée dans sa composition et dans son aspect : sur la côte du grand Océan, vers le nord, nous aperce- vons des terrains accidentés à peine couverts de buissons épineux ; nous avan- cons-nous vers le sud, la végétation augmente peu à peu, et finit par former, au 41. degré, d'immenses fourrés, des bois épais où croît Paraucaria. Marchons- nous encore plus au sud, les bois continuent toujours; mais le froid les empêche bientôt de prendre leur accroissement ; et, arrivé au détroit de Magellan, nous ne voyons plus que des arbres rabougris, disparaissant tout à fait sur les nom- breuses îles de la Terre-du-Feu. Au nord, les vallées des montagnes offrent à l'Araucano des pâturages pour ses bestiaux; mais, à mesure qu'il avance vers les régions méridionales, la neige le chassant des sommets, il se voit avant peu forcé d’habiter les rivages, seuls points de la Terre-du-Feu où puisse séjourner l’homme jeté sur ces plages stériles et glacées; aussi ne tarde-t-il pas à devenir spécialement ichthyophage. A Pest des Andes, il descend dans les plaines dont 1. Les Araucaniens se rapprochent plus que les Péruviens des peuples de Océanie, sans qu’on puisse néanmoins dire qu'ils font partie de la race de ces derniers, dont nous les croyons aussi distincts par leurs caractères physiques que par leurs mœurs. Homme améri- cain. (176) Homme rien ne borne l'horizon; et dans ces lieux le tableau triste et sauvage de la améri- ain, nature, présente à l'œil du voyageur le contraste le plus frappant avec cette ——— belle végétation des ravins où le chasseur antisien vit au bord des torrens, avec ces plateaux élevés où le Péruvien civilisé a fixé sa demeure. Les nations que nous réunissons dans ce rameau, ne sont qu’au nombre de deux : la première, composée des fiers Araucanos; la seconde, des Fuégiens pêcheurs. Le tableau suivant indiquera leur population respective. NOMBRE DES INDIVIDUS NOMS DES NATIONS. ——, TOTAL. CHRÉTIENS. SAUVAGES, Araucanos ou Aucas..... og 30,000 30,000 Fuégiens . . see. ses sste so os eee 4,000 4,000 TorTaux. 34,000 34,000 Notre rameau araucanien n'offre donc que des hommes libres maintenant comme ils Pétaient avant la découverte de l'Amérique. Toutefois il existe une grande différence entre les deux nations; et, si les Araucanos ne cédèrent Jamais ni au fer ni à la persuasion, nous expliquons état actuel des Fuégiens moins par leur caractère national que par la nature du terrain qu’ils habitent ct par lexcès du froid qu'ils y éprouvent. Comme nous n'avons que deux nations dans ce rameau, et que les géné- ralités, poussées plus loin, ne feraient que reproduire les faits contenus dans les descriptions spéciales, nous croyons inutile d'en donner l’ensemble, et nous renyoyons aux articles qui suivent sur les Araucanos et les Fuégiens. (4177) NATION AUCA OU ARAUCANA. _ Il est peu de nations qui aient autant de noms différens que celle-ci et dont la syno- nymie soit plus embrouillée. Ses diverses dénominations tiennent souvent aux lieux que les Indiens fréquentent, ou aux chefs qu’ils suivent. Falconer ! est l’auteur qui lui en a le plus donné; mais la plupart n’en sont réellement pas; car celles de Zuiliches (hommes du sud) , de zut, sud, et de che, homme; de Picunches (hommes du nord); de Puelches (hommes de l'est), qu’il divise encore en Talahuets et Diuihets, selon le point qu'ils habitent, ne sont que des indications relatives à la position de ceux qui les donnent. Les Æuiliches (hommes du sud) pour les Indiens des parties plus septentrionales, seront en effet les Picunches (hommes du nord) pour les Indiens du sud, et il en sera de même des tribus qui occupent, de l’est à l’ouest, toute la largeur de l'Amérique méri- dionale, depuis les côtes du Chili jusqu’à celles de la république Argentine. Les autres noms donnés par cet auteur proviennent tous du lieu où vit, plus habituellement, chaque tribu; ainsi les Chonos sont les Aucas des parties les plus méridionales des côtes du Chili, sur les rivages de l'archipel de ce nom; et la dénomination de Moluches (hommes guerriers), par laquelle il désigne à tort la nation entière, est peu connue. . Il divise les Chiliens en Pencos, Tucapels et Araucos, des lieux qu’ils habitent dans les parties méridionales du versant occidental. Ses Péhuenches où hommes du pays des Araucarias (espèce de conifères) nommés Pehuen, vivent dans les montagnes seulement, toujours confondus avec les Puelches, nation distincte; et, enfin, le nom qu’il donne à ses Leuvuches (de leuvu, rivière, et de cke, homme), hommes des rivières, peut s’ap- pliquer à toutes les tribus qui campent tour à tour près des cours d’eau ?. Molina, qui ne connaissait que les Indiens du Chili proprement dit, les divise en Araucanos, vivant dans le pays d’Arauco; en Cunches, en Boroanos, dont il parle comme d’hommes blancs; en Péhuelques (peut-être Péhuenches, nom estropié); en Æuiliches (hommes du sud), nom qui n’est aussi que relatif; en Puelches (hommes de l’est), qui ne sont que 1. Falconer, Description des terres magellaniques. Nous avons cherché long-temps à reconnaitre, parmi cette multitude de noms, ceux qui pouvaient appartenir à telle ou telle nation. Nous avons, à cet effet, rapproché les mots qu’il indique comme distinctifs; et nous nous sommes convaincu qu’il avait complétement confondu les Puelches, les Patagons et les Aucas, ce qui est excusable; car on sait que ce religieux n’a écrit que de mémoire, long-temps après son retour en Europe. 2. On trouve dans Garcilaso de la Vega, Com. real de los Incas, p. 249, les noms des Pincu, Cauqui et Antalli, comme tribus des Araucanos existant au quinzième siècle au Chili, lorsque l’/nca Fupanqui fit la conquête d’une partie de cette contrée. 3. Histoire naturelle du Chili. D QI IV. Homme, Homme améri- «ain. Honme améri- cam —————— ( 178 ) les Péhuenches des Andes. Villarino?, dans son Voyage aux sources.du Rio negro, parle seulement des {ucas ou Aucaces des plaines et des Péhuenches des montagnes. Louis de la Cruz?, dans son Voyage au travers des Pampas, de Valdivia à Santa-Fe, ne parle égale ment que des Péhuenches montagnards, des Æanqueles ou Ranquelinos des plaines et de petites tribus, qui se nommaient alors Malalquinos, parce qu’elles habitaient les rives du Malalqui, Mamilmapu, comme vivant au lieu nommé Mamil3. Si nous ajoutons, à celte nomenclature, les noms-de Pampas et de Chilenos, donnés par les Espagnols à cette nation, celui de Facach, que lui appliquent les Patagons, et celui de Æuinca, qui leur est consacré par les Puelches, on pourra juger combien cette synonymie américaine si embrouillée des noms américains, rend difficile la distinction des nations d’avec les simples tribus. Nous conservons à la nation deux dénominations distinctes : 1.” Celle d’'Yraucanos, pour les Indiens qui vivent à l'occident des Andes chiliennes et dans les Andes, les seuls de cette nation qui soient plus sédentaires. On peut les diviser en Chonos (ceux qui vivent au sud de Valdivia) ; en Æraucanos proprement dits (ceux du pays d’Arauco), et en Péhuenches (tous les montagnards des Andes) : ce sont, au reste, les noms sous lesquels on les connaît dans le pays. 2. Celle d’Aucas, pour toutes les tribus qui errent sur les Pampas, à l’est des Aëde; Ces derniers se divisent maintenant en ARanqueles, habitant les Pampas, et en Chïlenos, qui se trouvent vers les sources du Rio negro, sous le chef chilien Pincheira. Il y a ensuite, dans chacune de ces deux divisions, un nom particulier par lequel se désigne chaque petite section, selon le cacique qu’elle reconnaît pour chef, ou le lieu de son habitation momentanée. Considérée dans son ensemble, la nation habitait depuis Coquimbo, au 30.° degré, jusqu’à l'archipel de Chonos, au 50.° degré sud; mais, en longitude, elle s’étendait des rives de l’océan atlantique au grand Océan, c’est-à-dire du 60.° au 76° degré de longi- tude ouest de Paris. | Au temps de la conquête, les 4raucanos proprement dits couvraient toutes les vallées du versant occidental des Andes, depuis Coquimbo jusqu’à l'archipel de Chonos. Refoulés vers les parties méridionales du Chili, ils n’occupent plus aujourd’hui que les vallées situées au sud du Rio Maule. Les Péhuenches vivent toujours sur la chaîne mème des Andes, depuis Mendoza jusqu’au Rio negro: ces deux tribus s'étendent en des vallées particulières, où elles sont fixées; les Péhuenches seulement font de fré- quentes incursions sur le territoire des Pampas, revenant toujours aux mêmes lieux, si le manque de päturages pour leurs bestiaux ne les oblige pas à changer momentané- ment; tandis que les Chonos sont ambulans et navigateurs sur les côtes méridionales du Chili. Quant aux Aucas, voyageurs par excellence, on les trouve alternativement, 1. Ouvrage manuscrit, dont nous possédons original, intitulé : Viage sobre el Rio negro en la costa Patagonica. 2. Manuscrit intéressant, dont nous avons également l'original. 3. Mapu veut dire terre ou parage. ( #79] depuis Buenos-Ayres, Santa-Fe et Mendoza, au nord, jusqu'aux rives du Rio negro Homme améri- vers le sud, et de l’est à l’ouest, depuis l’océan atlantique jusqu’au pied des Andes, sur in. toute l'étendue des Pampas, du 34° au 41. degré de latitude sud. Les premiers, les Araucanos, habitent donc toujours les montagnes, tandis que les seconds, les Aucas, ne vivent que dans les plaines. Nous montrerons, plus tard, l'influence de la localité sur la manière de vivre des deux grandes sections de cette nation, dont elle a modifié non- seulement les coutumes, les mœurs, mais encore essentiellement le physique. Les Aucas et les Araucanos ont eu, jadis, de fréquentes communications avec les Incas, et l’on en trouve des traces dans leur industrie?, dans leur langageÿ; main- tenant ils sont souvent en contact, par les Pampas, avec les Mbocobis, au nord, avec les Patagons et les Puelches, au sud. Le chiffre total des Araucanos et des Aucas nous paraît bien difficile à obtenir; et si le nombre des caciques nous a conduit à croire que les Aucas des Pampas et les Péhuenches réunis peuvent s'élever à 20,000, nous n'avons aucune donnée précise sur celui des Araucanos du sud du Chili. Dire qu'il peut s'élever à la moitié de celui des orientaux, ce ne serait faire encore qu’une supposition basée d’une part sur les rapports des caciques ou chefs péhuenches que nous avons vus, de l’autre sur la superficie du terrain, déduction faite, pour ce pays montagneux, des parties inhabitables. Il y aurait donc 30,000 Araucanos et Aucas; mais, nous le répétons, ce ne sont là que des approxi- mations exagérées ou trop faibles. Les Aucas et les Araucanos ont la couleur moins foncée que les Péruviens, quoiqu’elle soit absolument la même, pour la teinte brun-olivatre päle ou olivätre. La grande quantité de captives blanches avec lesquelles ils se croisent journellement tend à diminuer encore peu à peu lintensité de la couleur naturelle. Les jeunes gens des deux sexes sont beau- coup moins foncés que les adultes. 4 La taille n’est pas toujours un caractère distinctif des nations, comme nous le prou- veraient les Araucanos ou Aucas, qui sont en général petits; leur taille moyenne atteint à peine 1 mètre 620 millimètres (5 pieds). Cependant il y a des exceptions 1. Lors de la conquête de l’Inca Yupanqui. Garcilaso de la Vega, Com. de los Incas, p. 249. 2. Nul doute que les Incas n’aient appris le tissage aux Araucanos. Une des preuves en est le nom des vêtemens et des ornemens, identique dans la langue inca; celui de topu, par exemple, pour l’aiguille d'argent qui retient la mante en avant. 3. Les Aucas ont emprunté aux Incas leurs nombres, pataca, cent, et guaranca, mille. Voyez le Dictionnaire quichua. 4: Nous ne croyons pas ce que dit Molina ( Saggio sulla storia del Chili, 2.° édit., p. 293) des Boroas, qui auraient les yeux bleus et le teint blanc. M. Lesson (Complément des Œuvres de Buffon, t. H, Paris, 1828, p. 159) les indique comme cuivrés ; mais , ayant vécu huit mois au milieu d’eux et les ayant vus tout à notre aise, nous croyons pouvoir affirmer qu’ils ont la teinte que nous avons déterminée. 5. Les mesures prises par M. Rollin (Voyage de Lapeyrouse ) sur des Chiliens donnent 1 mètre 650 millimètres de taille, mesure qui diffère peu des nôtres. : Homme améeri- ain, ( 180 ) tenant peut-être à l'influence des localités. Les Chilenos et les Péhuenches, qui vivent dans les montagnes !, ont rarement plus de 1 mètre 67 à 70 centimètres (5 pieds 2 ou 3 pouces), tandis que la plupart sont au-dessous de 1 mètre 62 centimètres (5 pieds). Parmi les Ranqueles spéciaux aux plaines, on voit des hommes de 1 mètre 70 à 73 centimètres (5 pieds 5 ou 6 pouces). Les formes des premiers sont massives, celles des autres plus élancées. 11 paraît que la même chose arrive pour les Araucanos des plaines des côtes du Chili; ils sont aussi d’une belle taille. Nous croyons pouvoir en conclure, comme nous l'avons déjà dit, que les Indiens montagnards, en Amérique, sont généralement petits, tandis que ceux des plaines sont plus sveltes. Il est curieux de trouver cette influence (due peut-être à la raréfaction de l'air) parmi des tribus d'une même nation; cela ne ferait-1l pas supposer qu'il y a bien long-temps que les Ranqueles occupent les plaines ou que l'influence est assez prompte sur ce change- ment de conformation? Leur taille moyenne nous a paru de 1 mètre 62 centimètres (5 pieds) seulement; les femmes sont des plus petites, et leur taille moyenne est, tout au plus, de { mètre 46 centimètres (4/ pieds); beaucoup d’entr'elles n’atteignant même que 4 pieds. Les formes des Aucas ne’ sont pas svelles, comme quelques auteurs l'ont avancé; au contraire .…. ainsi que toutes les nations des montagnes élevées des Andes, ils sont trapus et petits; leurs épaules sont larges, carrées, leur poitrine effacée et des plus bombée, leur corps est tout d’une venue, avec les membres inférieurs des plus courts et rarement proportionnés au tronc; les articulations sont grosses, les mains et les pieds très- petits, ces derniers en dedans; ce qui gène la marche. Sans être sujets à l'obésité, leurs membres sont bien fournis, arrondis et ne montrent jamais de muscles saillans; fait qu'on doit attribuer plutôt à leur conformation qu’au peu d'usage qu’ils font de leurs forces. En général, ils sont robustes; jamais nous n’avons vu parmi eux de jeunes gens minces et élancés, comme chez les nations d'Europe : dès leur jeunesse ils ont les mêmes proportions. Les Ranqueles, tout en présentant les mêmes caractères, sont moins trapus etont, pro- portionnellement, les épaules moins larges. Les femmes offrent des formes identiques; elles sont courtes et massives, ont les épaules et la poitrine très-larges, le corps presqu'égal sur sa longueur, sans que les membres prennent jamais plus de largeur que les épaules ; elles ont beaucoup de gorge, et celle-ci, dans la jeunesse, est parfaitement placée, par- faitement bien faite; leurs membres sont replets et arrondis; mais elles ne possèdent rien de ce qui caractérise, en Europe, la beauté des femmes : tournure svelte, taille fine, 1. Ainsi, quand Molina dit (Histoire naturelle du Chili, p. 314), que les montagnards sont grands et en fait des Patagons, il veut probablement parler de Puelches qui seraient venus de l'est, au travers des Andes, Il est positif pour nous qu'aucun des habitans des montagnes, des lieux que nous avons vus, n’a de belles formes, ni une haute taille. Cet auteur soutient au reste la méme chose que Frézier (Relation du voyage de la mer du sud, p. 68), qui était loin d’être au courant sur les Araucanos , qu’il n’a vus que très-superficiellement. ( 181 ) démarche gracieuse. Tout leur extérieur annonce des femmes robustes, propres à rem- Homme plir parfaitement les conditions de leur sexe; aussi n’entend-on jamais parler, chez elles, FES d’accidens de couches ni d’enfans mal nourris. Les Araucanos ont généralement la tête grosse, à proportion du corps; leur figure est pleine, arrondie, à pommettes saillantes, leur bouche assez grande; mais leurs lèvres sont beaucoup moins épaisses que chez les nations des Pampas. Ils ont les dents belles et résistant à l’âge; le nez épaté, assez court, les narines assez ouvertes, les yeux horizontaux et bien fendus, le front peu large et peu élevé, le menton élargi et court. L'ensemble des traits est quelquefois assez bien dans la jeunesse, où les hommes se confondent avec les femmes, par leur figure presque cireulaire et efféminée; mais, à vingt-cinq ans, les pommettes commencent à se prononcer, et à cet âge, chacun des deux sexes prend les traits qu’il doit conserver toute la vie. La physionomie est variable: le plus souvent, un aspect sérieux, réfléchi, froid se remarque chez les hommes; mais on y trouve aussi de l'esprit, de la douceur. Quelques-unes des femmes sont jolies dans la très- grande jeunesse; plus âgées, elles ressemblent en tout aux hommes. Les cheveux, chez les deux sexes, sont longs, noirs, assez durs, comme chez tous les peuples américains. Les hommes s’épilent une partie des sourcils, ainsi que le peu de barbe qui leur vient au menton. La langue n’a point de sons gutturaux; remplie de voyelles longues, elle est on ne peut plus douce, étendue, mesurée; plus euphonique qu'aucune de celles des peuples montagnards et contrastant, sous ce rapport, avec celle des Patagons, des Puelches, des Incas, leurs voisins. La nation met un soin tout particulier à parler avec pureté; les talens oratoires sont toujours d'autant plus, chez elle, le but de l'ambition qu'il faut être orateur pour obtenir le moindre crédit politique. Les Aucas ont aussi des poëtes et des chansonniers. Dans la langue auca ou araucana la diction oratoire est scandée par versets, et, pour ainsi dire, chantée. On n’y connaît ni le ÿ espagnol, ni aucun son compliqué formé de consonnes. La plupart des mots sont terminés par des voyelles toujours longues; mais quand ils le sont par des consonnes, ce sont toujours les moins dures, par exemple l, ln, VI, Vr et très-rarement lf, le p ou le g. Nous retrouvons, dans la langue araucana, la prononciation de notre c4 français, et en même temps, quelques-unes de nos diphthongues, comme eu et ain. Le système de numération est décimal; mais les nombres cent et mille sont empruntés à la langue des Incas. Le caractère de cette nation est surtout fier, indépendant, courageux, inconstant, dissimulé, rancuneux, peu jovial, souvent taciturne; c’est, au reste, le même que celui des Patagons et des Puelches des plaines; et, parmi les nations de montagnards, nous ne lui trouvons d’analogie qu’avec celle des Yuracarès pour l'indépendance, à cette seule différence près, que les Aucas sont moins sanguinaires, plus sociables, et surtout bons pères, bons époux. Guerriers indomptables, infatigables voyageurs , aussi libres aujour- d'hui qu’au temps de la conquête, ils ne se sont jamais soumis au christianisme. Les mœurs, dans la nation auca, ne sont pas aussi uniformes que le caractère et le (182) Homme langage; les différens lieux habités par les tribus, ont beaucoup modifié leurs habi- améri- cain. tudes. Les Aucas ou les orientaux des plaines sont, comme les Patagons, comme les Puelches, constämment en marche, essentiellement vagabonds, se nourrissant seulement de leur chasse et de la chair de leurs troupeaux, vivant sous des tentes de cuir, qu’ils transportent avec eux. Toujours à cheval, ils sont devenus les meilleurs écuyers de l'Amérique méridionale. Dans les attaques diurnes, qui sont rares, le clair de lune étant presque toujours l'instant qu’ils choisissent pour attaquer, ils se cachent quelquefois sur le côté de leur cheval. Les Araucanos du sud du Chili, au contraire, fixés dans des vallées, y cultivent des grains, y élèvent des bestiaux et habitent des maisons?. On voit combien leurs tribus diffèrent sous ce point de vue, tout en se ressemblant sous les autres rapports; aussi belliqueux les uns que les autres, et tous disposés à comploter contre les Chrétiens, auxquels jamais ils ne se soumirent, et contre les nations voisines, pour eux objet d’une rivalité constante. Ils se réunissent, à cet effet, armés de leurs bolas?, de leurs frondes, de leurs lances que forme un roseau flexible, long de 15 à 18 pieds; partent avec leurs femmes, avec leurs enfans, sous la direction d’un chef ora- teur et guerrier, s’approchent du lieu qu'ils veulent attaquer, envoient des éclaireurs pour le reconnaître, et la nuit suivante, comme un torrent débordé, tombent sur l'ennemi, le surprennent, l’assaillent avec impétuosité, Les femmes et les enfans enlèvent les bestiaux et pillent tout pendant le combat. Après avoir tué les hommes, les vain- queurs emmènent en esclavage les femmes, les enfans, et regagnent à petites journées leur point de départ. Chargées dans ces courses des soins domestiques et des bagages, les femmes sont néanmoins bien traitées par leurs maris; et l’on a dit à tort que ceux-ci les obligent même à seller leurs chevaux. Altaqués depuis les Incas, qui ne purent les soumettre#, par Almagro, par Valdiviaÿ, par tous les Espagnols du Chili et de Buenos-Ayres, ils n’ont jamais cédé ni à la force de leurs armes, ni aux suggestions de leurs missionnaires 6, conservant jusqu’à aujour- d'hui leur liberté, leurs coutumes, leur religion primitive. Ce sont, on peut le dire, les plus déterminés de tous les Américains, et ceux qui entendent le mieux l’art de la guerre. 1. Père Lozano , Hist. de la com. de Jesus en la prov. del Paraguay, 1.1, p.147, cite ce fait pour les Araucanos du Chili. 2. Nous avons décrit cette arme, partie historique, t. 1, p. 129. Ce sont trois boules auxquelles sont attachées autant de courroies de deux tiers de mètre de longueur, qui se féunissent à un centre commun et qui se lancent; et non pas, comme l’a dit M. Lesson (Compl. des Œuvres de Buffon, Homme, t. IT ,p. 165), des boules attachées à l'extrémité d’une longue courroie, dont le cavalier retiendrait l'extrémité, 3. Lesson, Complément des Œuvres de Buffon, races humaines, t. II, p. 162, avait été très-mal informé sur ce point. 4. Lors de l’expédition de Yupanqui, avant la conquête de l'Amérique. 5. Garcilaso de la Vega, Coment. real de los Incas, p. 249. 6. Funes, Ensayo de la historia del Paraguay, t WE, p. 20. (185) Leurs amusemens consistent en jeux de balles, assez curieux, puisque c’est la poitrine Homme améri- qui doit recevoir la balle quand celle-ci a passé sous la jambe; et quelquefois en rondes en. monotones !, qui ne sont en rien lascives et imitatives, quoi qu’on en ait dit?. Parmi eux la polygamie 5 est tolérée, chacun des chefs possède un grand nombre de concubines, cette condition étant le sort des prisonnières; leur mariage n’est, en quelque sorte, que l'achat d’une femme à très-haut prix, ce qui empêche beaucoup d'individus de se marier. - Ils ne sont pas plus navigateurs que les Patagons; néanmoins ceux qui avoisinent l'archipel de Chonos se servent de radeaux grossièrement construits. Les progrès de Pindustrie, un peu plus avancée que celle des autres nations du sud, sont dus, sans aucun doute, aux rapports qu'ils ont eu long-temps avec les Incas. Les hommes, comme tous les sauvages, ne s'occupent que de leurs armes, tandis que les femmes filent la laine de leurs moutons et la tissent, pour s’en faire des vête- mens. Ces tissus sont variés de diverses couleurs, au moyen de certaines teintures. Ils peignent aussi les peaux dont ils se font des couvertures; mais nous avons remarqué que leurs dessins, au lieu de reproduire, comme ceux de presque tous les hommes qui se rapprochent le plus de la nature, l’image d'êtres animés ou fantastiques, repré- sentent simplement des grecques de formes variées. Le costume des hommes est le poncho, le chilipa, adopté par les habitans de la campagne de Buenos-Ayres, consistant en une pièce d’étoffe qui s'attache autour du corps et couvre jusqu’au dessous du genou; celui des femmes est composé d’une pièce de tissu qui s'attache sous les bras, et d’une autre qui couvre les épaules, retenue en avant par une épingle, le topu des Incas. Pour le reste, les cheveux divisés en deux queues, les colliers, les peintures rouges de la figure, hommes et femmes suivent les habitudes des Patagons et des Puelches. À l’armée les hommes portent une cotte-de-mailles en cuir, comme les Patagons. 4 Le gouvernement des Aucas est, en tout, semblable à celui des Patagons. Leurs chefs, choisis dans une assemblée, les guident à la guerre et deviennent presque leurs égaux, lorsqu'ils rentrent sous leurs tentes. Point de soumission à leur père, à leur cacique; point de châtimens pour les crimes; seulement, les parens d’un homme assassiné peuvent, s'ils sont puissans, tirer vengeance de l'assassinat sur le meurtrier, 1. Padre Ovalle. Pedro de Oña, 4rauco domado, canto IT, octava XII, folio 20. 2 M. Lesson, Loc. cit., p. 165, parle de la Sapatera comme d’une danse des Araucanos, tan- dis que c’est une danse exclusivement propre aux Espagnols, ce qu’indique assez son nom ; d’ail- leurs, notre long séjour chez cette nation nous en a fourni la preuve certaine. 3. Lozano, Hist. de la comp. de Jesus en la prov. del Paraguay, t. Y, p. 155, dit, comme nous l'avons vu, qu’ils sont polygames. 4. Le père Lozano, Loc. cit., 1.1, p. 144, dit que ceux du Chili la portent aussi. 5. Le père Lozano, Loc. cit. (1754), p. 142, l'avait appris aussi au Chili. (184) Homme Ce qui amène, entre les familles, des querelles interminables et provoque des divisions améri- cain. sans fin et des haines mortelles entre les tribus. On peut dire en somme qu'il n’y a aucun corps de nation. La religion des Aucas et des Araucanos est, pour le fond, absolument la même que celle des Patagons : ils craignent leur Quecubu où malin esprit, et admettent un être créateur de toutes choses, obligé de les protéger, de leur donner tout ce qu’ils désirent, sans qu'ils lui doivent aucune adoration, aucune prière. Ils croient l’homme libre de toutes ses actions; ne pensant même pas que leurs crimes puissent influer sur les faveurs d’un créateur ni sur le mal que leur fait le Quecubu. Les machis ou médecins ! sont les agens du malin esprit, et interprètent une foule de choses, comme les rêves, les hurlemens des chiens, le chant d’un oiseau nocturne, etc. Ils font mille jongleries pour guérir les malades; et, s'ils n’y réussissent pas, ils interprètent la mort et presque toujours en rejettent la faute sur d’autres Indiens; de là encore poursuite et meurtre de ceux-ci par les parens du défunt; de là ces inimitiés héréditaires, tant individuelles que nationales. Ils croient à l’immortalité de l'ame, et comptent, après la mort, se retrouver dans un lieu de délices de l’autre côté des mers. On enterre avec eux ce qu'ils ont de plus précieux, pour qu'ils puissent se montrer dignement dans le séjour des morts; on tue les chevaux du défunt sur sa tombe; mais on ne détruit pas entièrement tout ce qui lui appartenait; aussi existe-t-il pour la nation une source de richesses, une tendance à la civilisation. Leurs morts sont enterrés assis, les genoux pliés sur la poi- trine. Ils ont aussi, à l’occasion de l’âge de nubilité des jeunes filles, des cérémonies superstitieuses, mais ils ne leur font aucune blessure. Nous ne croyons pas que les Aucas ou Araucanos soient, plus que les autres Améri- cains, rapprochés de la grande race jaune océanienne. Ils ont, pour l’ensemble du carac- tère, des mœurs, de la religion, l’analogie la plus directe avec les Patagons, les Puelches, les Fuégiens; et il est impossible de les en séparer entièrement sous ce rapport, non- obstant mème les petites nuances observées. Pour les caractères physiques, ils diffèrent essentiellement de ces mêmes Patagons, de ces mêmes Puelches, par une stature beau- coup moins élevée, des formes plus massives, un corps plus raccourci, plus large, une figure moins aplatie, des pommettes un peu plus saillantes. Ils ont la taille, la confor- mation caractéristique de tout le rameau des Américains montagnards; se rapprochent beaucoup, sous ce point de vue, des Fuégiens et surtout des Péruviens; mais leurs traits sont tout à fait différens de ceux des derniers, ainsi que leur langage, et s’en distinguent surtout par la douceur, par l’euphonie des sons. De tout cela nous concluons que les Aucas ou Araucanos appartiennent à la race des peuples montagnards; mais comme rameau particulier, servant, pour ainsi dire, d’intermédiaire entre les peuples des mon- tagnes et ceux des plaines. 1. Ovalle, liv. VIT, ch. V, p. 281, et Lozano, Hist. de la comp. de Jesus en la prov. del Paraguay, t. 1, p.154, disent que les Araucanos du Chili ont aussi des prêtres du même genre. ( 185 ) NATION FUÉGIENNE. Si nous examinons les noms divers que les voyageurs ont donnés à cette nation, nous verrons qu'il est impossible de trouver entr’eux aucune analogie. Olivier de Noort dit? qu’elle se divise en plusieurs tribus, celles des Æ£noo, des Kemenettes, des Kennekas, des Karaïkes. Beauchène-Gouin? n’en forme que deux, celle des Zaguediches, à l'est, et celle des 4veguediches, à ouest du détroit. Bougainville les nomme Péchérais5, parce qu’il leur entend souvent prononcer ce mot. Molina les appelle Caucaui ; et Falconer, qui ne les connaissait pas, donne le nom de Xey-Fus ou Keyos à ceux qui sont à l’ouest du détroit de Magellan, le nom de Yacana-Cunny à ceux de l’est, confondant ainsi les nations du nord et du sud, de manière à ne laisser aucune ligne de démarcation entre les vrais Patagons et les Fuégiens. Enfin, en 1822, le capitaine Weddel5 leur imposa le nom de Fuégiens, nom par lequel nous croyons devoir continuer à désigner cette nation, comme spécifiant mieux sa principale résidence. Les Fuégiens habitent toutes les côtes de la Terre-du-Feu et des deux rives du détroit de Magellan , depuis l'ile Élisabeth ét le port Famine, vers l’est, jusqu’à cette multitude d’iles qui couvrent toutes les parties occidentales au nord et au sud du détroit; ils sont séparés des Patagons par la mer et par la chaine de montagnes constituant listhme qui réunit la péninsule de Brunswick au continent. C’est toujours entre ces limites que les navigateurs ont aperçu les hommes qu'ils ont décrits comme des Patagons de petite taille. On en pourra juger par le tableau comparatif des voyages que nous don- nons à l’article Patagon7. Les Fuégiens peuvent donc communiquer d’un côté avec les Patagons, à l’est du port Famine, ou avec la tribu des Araucanos, qui habite l'archipel .de Chonos, sur la côte occidentale de l'Amérique, ce que prouvent, au reste, les mots espagnols que le capitaine Weddel8 leur a entendu prononcer. Leur genre de vie et les glaces des pays montueux qu'ils habitent, les forcent à se tenir exclusivement sur les côtes. Il nous est impossible de donner une idée exacte du nombre d'individus qui com- posent cette nation; en le portant à 4000, nous pourrions craindre de rester au-des- sous de la vérité; c’est néanmoins à peu près le chiffre de population que les Patagons leur attribuent. 1. De Brosse, Histoire des navigations aux Terres australes, 1. 1, p. 298. 2. Ibidem, t. II, p.120. | 3. Bougainville, Étoile et Boudeuse, p. 147. 4. Molina, Histoire naturelle du Chili, p. 318. 5. Terres magellaniques, 1. IT, p. 38 et p. 66. 6.. Voyage towards the south pole. 7. Voyez l’article Patagon , plus loin. 8. Voyage towards, etc., p. 152 et suiv. IV. Homme. D ++ Homme améri- ain ( 186 ) La couleur des Fuégiens est olivätre ou basanée, mais plus pàle que celle des Péruviens et de leurs voisins les Araucanos. ! Nous avons vu, au Carmen, un jeune homme de cette nation dont les caractères physiques étaient parfaitement en rapport avec ceux que donnent les voyageurs, qui tous, à l'exception d’un seul, depuis Magellan jusqu’à nos jours, s'accordent à leur attribuer, dans les descriptions qu’ils en font, une taille tout à fait ordinaire; un seul, disons-nous, Sébald de Weert, en compagnie de Simon de Cord?, bien qu'il ne les ait pas approchés, en fait des hommes de 10 à 11 pieds de hauteur; mais il est inutile de discuter la véracité de ce récit, puisque tous les observateurs qui l'ont précédé ou suivi, sont unanimes relativement à la question de la taille, et puisque d’ailleurs les mesures données par Wallis, par Forster et par Weddel ne varient entr’elles que de { mètre 620 à { mètre 670 millimètres (5 pieds à 5 pieds 3 pouces français). On peut donc, sans crainte, porter leur taille moyenne à { mètre 663 millimètres (5 pieds 1 pouce).3 Leur corps est peu svelte, comme chez presque tous les Américains; ils ont les formes massives, la poitrine large, et sont néanmoins assez bien. La diversité d’opi- nion des voyageurs qui les ont vus robustes et ayant les membres bien fournis, comme Brak, Narborough, Degennes, Cook et Weddel, tandis que Duclos Guyot et Bougainville, au contraire, les représentent comme maigres, vient probablement de la saison où ils auront été aperçus, l'hiver devant avoir une grande influence sur l’abondance de leur nourriture. Leur démarche chancelante tient sans doute à ce que leurs jambes sont arquées, forme déterminée par la manière dont ils s’asseyent à terre, les jambes croisées à la manière des Orientaux; cette coutume porte naturellement les pieds en dedans. Les femmes paraissent avoir les mêmes formes que les hommes, et l’on cherche- rait vainement en elles les proportions consacrées par les arts de l'Europe. Leurs traits annoncent du rapport avec les Araucanos , dont ils sont voisins; leur tête est assez grosse, leur visage arrondi; ils ont le nez court et un peu élargi, les narines ouvertes, les yeux petits, noirs et horizontaux; la bouche grande, à grosses lèvres, les dents blanches, bien rangées; les oreilles petites et les pommettes peu saillantes. Ils paraissent n'avoir que très-peu de barbe, et l’arrachent, ainsi que leurs sourcils. Leurs cheveux sont ceux de tous les Américains, noirs, longs et plats. Avec cet ensemble de traits on ne remarque jamais chez eux cet air féroce qui caractérise quelques nations de chasseurs; ils ont au contraire le sourire doux, plein de naïveté; leur caractère répond, au reste, parfaitement à leur extérieur : ils sont obligeans; et aucun navigateur ne s’en est plaint, tandis que beaucoup ont eu à s’en louer. 1. M. Bory de Saint-Vincent a été induit en erreur par les renseignemens qu’il a reçus, lors- qu’il décrit les Fuégiens comme entièrement noirs. L’Homme (Homo ), Essai zoologique sur le genre humain, t W, XIV espèce, mélanienne, p. 104. 2. Recueil de la Compagnie des Indes ; Rouen, 1725, t. II, p. 300. 3. On voit qu’il y a loin encore de là à ces prétendus nains du pôle sud, représentans des Lapons du pôle nord, et que plusieurs auteurs s’obstinent à trouver dans les Fuégiens. ( 187 ) Leur langage est guttural; et, d’après le peu de mots que nous en ont donnés les Homme améri- . , , , 4 voyageurs, nous croyons pouvoir affirmer qu’il n’a d’autres caractères communs avec ‘in. celui des Patagons, que de présenter aussi beaucoup de sons d’une prononciation diffi- cile, et surtout beaucoup de ceux qui nécessitent l'emploi du 4. Ces rapprochemens seuls nous paraissent justes; mais si l’on compare ces mots à ceux de la langue des Araucanos, on trouvera entr'eux quelque analogie, non dans les sons ni pour la dureté du langage, mais dans le sens; car la finale cke, qui veut dire Lomme en araucano, se trouve, comme nous l'avons vu, dans les mots Laguedi-che et Aveguedi-che donnés par Beauchêne-Gouin, ce qui est tout à fait en rapport avec les traits, avec la taille, et les place très-près de ces derniers. Essentiellement ambulans et vagabonds, leurs conditions d’existence ne leur per- mettent pas de se former en grandes sociétés. Ne vivant que de chasse et de pêche, ils vont toujours en petit nombre d’un lieu à un autre, changeant de séjour, dès qu’ils ont épuisé les animaux et surtout les coquillages des côtes. Comme ils habitent une terre morcelée en une multitude d'îles, ils sont devenus navigateurs, différant com- plètement en cela des nations qui les avoisinent; car les Patagons n’ont jamais eu la pensée de se construire un radeau pour passer une rivière. Les Fuégiens parcourent donc incessamment toutes les plages de la Terre-du-Feu et des contrées situées à l’ouest du détroit : on les voit réunis par deux ou trois familles ou quelquefois moins, se construire des pirogues d’écorce d'arbre, cousues avec des tendons d'animaux, leur don- ner jusqu'à douze ou quinze pieds de long, sur trois de large, boucher les joints avec du jonc, soutenir le dedans par des branches, et enduire le dehors de résine; le tout sans autres outils que des coquilles ou des morceaux de silex; puis ils aban- donnent leurs cabanes, qui sont coniques, construites en branchages fichés circulaire- ment en terre et réunis à leur sommet. Souvent établies à quelques pieds sous terre, elles sont recouvertes d’argile ou de peaux de loup marin; et vers leur centre, s'allume un feu dont la fumée ne peut sortir que par une seule ouverture basse qui leur sert de porte. Hommes, femmes, enfans et nombre de chiens s’'embarquent dans la frèle nacelle. Les femmes rament, les hommes restent inactifs, toujours prêts, néanmoins, à percer le poisson qu'ils aperçoivent, d’un dard armé d’une pierre aiguë à son extré- mité. Ils arrivent ainsi à une autre île : de suite les femmes sont chargées de la sur- veillance des pirogues, de la pêche des coquillages, tandis que les hommes songent à chasser à la fronde, et à l'arc avec des flèches armées d’un morceau de silex. Ils construisent ensuite une nouvelle cabane et y séjournent quelque temps; mais, dès que la chasse et la pêche deviennent moins abondantes, la famille se rembarque et va s'établir ailleurs. Chaque famille est ainsi constamment exposée aux dangers de la mer, aux intempéries d’une région presque toujours glacée et cela, pour ainsi dire, sans vêtemens : un morceau de peau de loup marin vient à peine couvrir les épaules de homme, tandis que la femme n’a qu'un petit tablier de même nature, ou, en hiver, des morceaux de peau de guanacos. Au sein de cette indigence, qui ne s’étonnerait de voir régner, parmi les Fuégiens, une sorte de recherche et de coquetterie? Ils se chargent le cou, Homme ameri- cain. ( 188 ) les bras, les jambes de colifichets ou de coquilles; ils se peignent le corps et plus souvent la figure, de divers dessins blancs, noirs et rouges, usage commun aux Pata- gons !; les hommes s’ornent quelquefois la tête d’un bonnet de plumes. Tous portent des espèces de bottines faites de peau de loup marin. Comme les peuples chasseurs, ils ont fréquemment entr'eux des querelles, de petites guerres, qui durent peu, mais paraissent se renouveler souvent. Misérables par suite du climat, ils vivent principalement de coquillages cuits et crus, de poissons, d'oiseaux, de loups marins, dont ils mangent la graisse crue, partageant leur nourriture avec leurs chiens, qui les accompagnent en tout lieu. Ils passent ainsi la saison la plus rigoureuse, non pas sous terre, comme les habitans du pôle nord, mais sans que leur genre de vie éprouve la moindre influence de la température; chez eux, comme chez tant d’autres nations sauvages, la femme, que la civilisation dispense des travaux pénibles, est contrainte, outre les charges naturelles à son sexe, outre ses devoirs de mère, de vaquer aux occupations les plus fatigantes : elle rame, pêche, construit les cabanes, et brave jusque dans l’eau l'extrême rigueur du froid. En un mot, les Fuégiennes sont peut-être, de toutes les femmes sauvages de l'Amérique, celles dont le sort est le plus dur. La religion des Fuégiens, d’après le peu qu’en ont pu dire les navigateurs, serait, au fond, celle des Patagons. Ils croiraient, de même, à une autre vie, marqueraient l'instant de la mort par un deuil et par des cérémonies superstitieuses. Malades, ils ont, comme les Patagons, comme les Araucanos, des jongleries pratiquées par une femme?; pression du ventre, succion des diverses parties du corps, paroles magiques adressées à un être invisible... Seulement le médecin-prêtre a les cheveux poudrés et la tête ornée de deux plumes blanches; ce qu’on ne voit pas chez les Patagons. Bien que rapportés à la race d’hommes noirs qui couvrent une partie de la Terre de Diémen 5, les Fuégiens n’ont, ainsi que l'avait pensé Forster, aucun des traits caractéristiques de la race du grand Océan; ils appartiennent bien certainement à la race américaine; pour les traits, pour les formes, 1ls ont beaucoup d’analogie avec les Arauca- nos; leur langage se rapproche, pour les sons, de celui des Patagons et des Puelches, de celui des Araucanos pour les formes. Leurs armes, leur religion, les peintures de leur visage, sont aussi celles des trois nations voisines; mais ils s’en distinguent par l’idiome. Leurs caractères physiques nous semblent en tout les rattacher au rameau des Aucas ou Araucanos du Chili. 1. Tous les voyageurs se sont accordés dans la description des Fuégiens quant à leur toilette, à la construction de leurs cabanes, à la forme de leurs pirogues. Voir à cet égard, pour plus ou moins de détails, Drake, Sébald de Weert, L’Hermite, Narborough, Degennes, Duclos-Guyot, Byron, Bougainville, Cook , Weddel et le capitaine King, dont nous citons les ouvrages à l’article des Patagons. 2, Bougainville, p. 19. 3. M. Bory de Saint-Vincent, dans son ouvrage sur l'Homme, les rapporte à son Espèce méla- nienne , t II, p. 105. 4. Forster, Observations, p. 244 et 249. (:489:) DEUXIÈME RACE. PAMPÉENNE. CARACTÈRES GÉNÉRAUX. Coureur BRUN-ouIvATRE. TAILLE SOUVENT Trës- ÉLEVÉE. FRONT BOMBÉ, NON FUYANT. YEUX HORIZONTAUX , QUELQUEFOIS BRIDÉS A LEUR ANGLE EXTÉRIEUR. PREMIER RAMEAU. PAMPÉEN. Couleur : brun-olivâtre ou marron foncé. Taille moyenne, À metre G88 millimetres. Formes herculéennes. Front bombé. Face large, aplatie. Nez très-court, très-épaté, à narines larges, ouvertes. Bouche tres-grande. Lèvres grosses, très-saillantes. Yeux horizontaux, quelquefois bridés à leur angle extérieur. Pommettes saillantes. Traits mâles et prononcés. Physionomie froide, souvent féroce. Le rameau de la race pampéenne auquel nous avons imposé le nom de Pampéen, parce que les Pampas ou terrains unis des parties australes de l'Amérique ont été le berceau du plus grand nombre des nations qui le com- posent, est peut-être, de toute l'Amérique méridionale, celui qui couvre la plus grande superficie. En effet, il commence au détroit de Magellan, au 53." degré de latitude sud, sur les terrains arides et froids de la Patagonie, s'étend sur la totalité des immenses Pampas ; et, de là, suit les plaines tem- pérées, chaudes et quelquefois ombragées du grand Chaco, jusqu'aux pre- mières collines de la province de Chiquitos, au 19.° degré. Ses limites sont, à l’ouest, les derniers contreforts des Andes ; à l’est, la mer, du détroit de Magellan au 33.° degré; de là, les montagnes de la Banda oriental, le cours du Rio Uruguay, vers le 50.° degré, puis les rives du Parana et du Para- guay jusqu'à Chiquitos, embrassant ainsi le sol horizontal de la Patagonie, les Pampas de Buenos-AÂyres, de la Banda oriental, de la Plata, de la pro- vince d'Entre-Rios et du grand Chaco; le tout équivalant à une surface d’au moins 88,000 lieues marines, surface dont la forme allongée est comme resserrée entre la race ando-péruvienne, à l’ouest, et la race brasilio-guara- nienne , à l'est. Homme améri- cain. Homme améri- can. ( 190 ) Les pays habités par les Pampéens sont d’une grande uniformité, quant aux accidens du terrain : partout des plaines sans horizon, où l’homme chasseur devient naturellement vagabond, n'étant arrêté, dans ses excur- sions, par aucun obstacle; plaines où, dès-lors, toutes les tribus se con- naissent. Au sud, une aridité désolante influe sur les migrations annuelles des peuples chasseurs; dans les Pampas, moins d’aridité; mais le manque d’eau, qui contraint le gibier à changer de lieu, obligerait souvent homme à voyager pour le poursuivre, s’il ne le faisait par habitude. Plus au nord, dans le Chaco, encore des plaines ; mais celles-ci, inondées à la saison des pluies, sont privées d’eau pendant les sécheresses, et ces deux causes contraires obligent leurs habitans à changer fréquemment de place; aussi, quoiqu'il y ait d'assez grandes différences entre le sol uni de la Patagonie et des Pampas et celui du Chaco, dont quelques bouquets de bois viennent au moins rompre Puniformité, homme s’y trouve conduit à un genre de vie à peu près analogue, qui n’est peut-être pas sans influence sur ses caractères physiques. Dans le rameau qui nous occupe, plus d'agriculteurs fixés et paisibles, comme ceux des impénétrables et sombres forêts des collines de Chiquitos, lesquels peuvent vivre ignorés, quoique voisins les uns des autres; plus de naviga- teurs intrépides, comme à Moxos, où les mille méandres de nombreuses rivières et des inondations périodiques offrent à l’industrieux indigène, au sein des forêts et des plaines, des moyens de communication dont ne pourraient jouir la plupart des Pampéens, faute de matières premières pour se construire des pirogues. Le rameau pampéen, au contraire, réunit des hommes presque toujours errans, belliqueux et cruels, en qui lon trouve plus d’uniformité de caractères physiologiques, de mœurs, de croyances religieuses, que dans toutes les autres parties de Amérique, où des obstacles se sont opposés à la fréquence des communications. Comme preuve, nous allons rassembler , sous un seul point de vue, les caractères qui unissent les différentes nations dont se compose le rameau pampéen. Ces nations, infiniment moins nombreuses que celles indiquées par les auteurs, se réduisent, pour nous, à dix, dont sept nous sont bien connues: les Patagons ou Téhuelches des parties les plus australes, les Puelches des Pampas, les Charruas de la Banda oriental et de la province d’Entre-Rios, les Mbocobis ou Tobas, les Abipones les Lenguas et les Mataguayos du grand Chaco. Les trois autres, que nous croyons y pouvoir rapporter sans les avoir vues, sont les Payaguas, les Mbayas et les Guaycurus, décrits par Azara, et que nous nous contentons de citer à la suite des nations que nous avons (1H ) étudiées par nous-même. On sera peut-être étonné de n’en voir figurer ici Homme améri- cain. qu'un nombre si peu élevé, tandis qu'il faudrait un volume pour trans- crire les noms différens qui surchargent les cartes ou qui figurent dans les écrits sur le Chaco‘ et sur les Pampas*; mais un travail long et pénible nous a fait acquérir la conviction que cette multitude de dénominations devait se réduire à dix. Ces recherches nous ont, en même temps, fait connaître d’où provenait cette nomenclature si compliquée, et nous croyons pouvoir l’attri- buer : 1.” au mépris qu'on a toujours fait de l'étude des langues, comme moyen d'arriver à réduire les tribus en nations; 2.” à la corruption des mêmes mots qui se reproduisent avec une orthographe différente et finissent par être regardés comme désignant des nations distinctes; 3. au fait que ces noms changent continuellement, selon les historiens et les voyageurs, d’où cette multitude de nations prétendues éteintes, bien qu’elles existent toujours: les Espagnols donnent journellement de nouveaux noms, tenant aux lieux habités par les tribus ou aux caciques qui les commandent; puis chaque nation, chaque tribu ou même chaque famille indigène en donne aussi, dans sa langue, à chacune des autres réunions d'hommes dispersées au sein des déserts; et, comme ces tribus sont souvent ambulantes, leurs dénomina- tions changent suivant les endroits qu’elles habitent ou suivant le nouveau chef qu’elles se sont choisi. Nous ne pouvons offrir une meilleure preuve de ce que nous avancons, que celle que nous fournissent trois rapports ofliciels faits au vice-roi de Buenos-Ayres, sur les expéditions® des gouver- 1. Sources principales : 1° Dans son énumération des nations du grand Chaco (Descripcion chorographica del gran Chaco Gualamba, p. 51), le père Lozano cite d’abord un très-grand nombre de nations; mais, dans les pages suivantes, il en cite beaucoup d’autres, entièrement différentes, comme 36, tirées d’un manuscrit pris dans les archives de Cordova (même ouvrage, p- 52), puis tant de tribus de chaque nation, qu’il est extrêmement difficile de s’y reconnaitre. 2.° Le père Fernandez (Relacion historial de los Chiquitos, 1723) indique, p. 419, dans le grand Chaco, 400 hameaux de différentes nations. 3.° Une relation insérée dans l’intéressant ouvrage de M. Are- nales (Noticias historicas sobre el gran pays del Chaco, p. 86) parle de 54 nations. 2. Nous avons montré, aux descriptions partielles des nations, combien Falconer avait mul- tiplié celles des Pampas. 3. Dans ces rapports, dont nous possédons les originaux : 1.” le gouverneur de Salta nomme les Mataguayos, les Matacos , les Chunupies , les Malvalaes et Signipies ; 2° le gouverneur du Para- guay parle des Mbocobis, des Tobas, des Pitilagas, des Lenguas, des Guaycurus, des Enimagas, des Gentusés, des Chunupies et des Vilelas ; 3.° le gouverneur de Santa-Fe indique d’autres noms: les Mabataras, les Lules, les Aquilotes, les Amulalaes, les Callagaes ; les Palomos, les Torquicines, ies sistines, les Oristines, les Frentones, les Tobas, les Mbocobis, les Toquistines, les Abipones, les Calchaquies et les Naticas. Homme améri- cain. ( 192 ) neurs de Salta, du Paraguay et de Santa-Fe, qui, en 1790, furent dirigées simultanément vers un même point, sur le cours du Rio Vermejo, et qui n’en ont pas moins donné une nomenclature tout à fait différenté des nations qu’elles ont rencontrées.” Le nombre des habitans des Pampas et du Chaco west pas, dans les historiens, moins exagéré que celui des nations : dans une relation que conservent les archives de Cordova”, une liste de 54 nations du Chaco offri- rait un total de 103,230 âmes; dans une autre, également du Chaco seul et publiée par le père Lozano”, figurent les noms de 40 nations, dont la popu- lation serait de 62,650 âmes; mais, si l’on considère que cette dernière liste donne 12,000 âmes aux Guaycurus, tandis qu'Azara* dit positivement qu’en 1801 il ne restait plus qu’un seul homme de cette nation, on pourra se faire une idée de la discordance des opinions sur le nombre des individus qui peuplent encore le Chaco et les Pampas. Le tableau suivant présente les chiffres aux- quels nous nous sommes arrêté, d’après les approximations les plus rigou- reuses. NOMBRE DES INDIVIDUS DE CHAQUE NATION RÉDUITS AU ENCORE CHRISTIANISME. SAUVAGES. NOMBRE NOMS DES NATIONS. Patagons ou Téhuelches....... Puelches ... .......... Charruas.. ... À Mbocobis ou Tobas Mataguayos .....,......e...e. Abipones.....,,..., éamate 5 Lenguas”*... 10,000 ? 600 ? 1,500 ? 14,000 ? 6,000 ? 100 ? 300 ? 32,500 1. Le cours du Rio Vermejo n’est plus, depuis long-temps , habité que par les tribus des Mata- guayos et des Mbocobis ou Tobas. . 2. Voyez p. 86 de l’intéressant ouvrage de M. Arenales, Moticias historicas, etc. 3. Descrip. chorog. del gran Chaco, p. 52. 4. Voy. dans l’'Amér. mér., t. I, p. 146. 9. Nous ne faisons figurer ici que les nations qui appartiennent , par leurs caractères, à notre rameau pampéen, et celles que nous avons vues ; ainsi les Araucanos des Pampas vont avec la race ando -péruvienne, les Chiriguanos du Chaco avec la race guaranienne; et nous ne cilons pas des Payaguas, des Mbayas, des Guaycurus, décrits par Azara, quoique devant rentrer dans ce rameau ; parce que nous ne les avons pas vus. ( 193 ) Nous ne donnons aucun de ces chiffres comme positif; c’est une simple approximation obtenue des nations elles-mêmes et que de minutieuses recher- ches, faites sur les lieux, pour arriver à une solution satisfaisante, nous font croire voisine de la vérité. Peut-être, malheureusement, se passera-t-il bien des siècles avant qu’on puisse se procurer des données positives sur les nations du rameau pampéen, toutes encore à l’état sauvage. La couleur est, dans ce rameau, d’une assez grande uniformité : les hommes qui le composent sont, sans aucun doute, de tous les Américains que nous connaissons, les plus foncés en teinte; leur couleur, en effet, n’a rien de cuivré; la sépia ou le brun-olivâtre la rappelle le mieux; elle tient beau- coup de celle des mulâtres. Toutes les nations du Chaco présentent une intensité de teinte égale à celle des Patagons. Les Charruas et les Puelches seuls nous ont paru plus foncés que les autres; les premiers peut-être un peu marron. Si nous avons trouvé de luniformité dans la couleur des nations de ce rameau, nous en rencontrons beaucoup moins dans leur taille; surtout en nous rappelant qu’elles comprennent les fameux Patagons, ces géans de la fable, renouvelés par les auteurs. Néanmoins, en ramenant les choses à leur juste valeur, il y a beaucoup moins de disproportion qu’on ne le pense entre la taille des nations du rameau pampéen, ce qui vient de ce que toutes renferment les plus beaux hommes des parties de PAmérique méridionale que nous avons visitées. Nous trouvons aux Patagons une taille moyenne de 1 mètre 730 centimètres (cinq pieds quatre pouces), et nous n’en avons pas vus qui passassent À mètre 92 centimètres (cinq pieds onze pouces). Si nous leur comparons les Mataguayos, les plus petits des nations pampéennes, nous aurons encore pour taille moyenne de ces derniers 1 mètre 67 centi- mètres (près de cinq pieds deux pouces), et 1 mètre 76 centimètres (cinq pieds cinq pouces) pour les plus grands. Dès-lors la moyenne entre toutes les nations serait de 4 mètre 688 millimètres (près de cinq pieds deux pouces et demi), taille incomparablement plus avantageuse que celle des autres rameaux de cette race. La décroissance de la taille suit une marche régu- lière; des plaines du sud à celles du nord on la voit successivement diminuer des Patagons aux Puelches, des Puelches aux Charruas. À partir de ceux-ci, elle devient stationnaire dans les plaines du Chaco; et baisse de nouveau pour les Mataguayos, en approchant des peuples montagnards. Tirera-t-on de cette remarque la conséquence que les Patagons sont le type, la souche prinütive de la race, qui, s’'avançant vers le nord et se mêlant aux autres r [= 1V. Homme. 29 Homme améri- ain. Homme améri- “ain. ( 194 ) nations , aurait diminué de taille; ou que les hommes, en passant des pays tempérés à la zone torride, ont subi des modifications d’influences qui les ont empêchés de prendre une stature semblable? Nous sommes loin de vouloir résoudre cette question, qui ne serait qu'hypothétique et sortirait des faits positifs, base de notre travail. Parmi toutes les nations pampéennes, la taille des femmes est en général plus élevée qu’elle ne Fest en Europe, compara- tivement à celle des hommes sur ce continent. Les formes des Pampéens sont le type de la force réellement athlétique. Ils ont le tronc large et robuste, presqu'égal sur sa longueur; les épaules effacées, la poitrine saillante, les membres replets, arrondis, ce qui concourt à donner à ces peuples une apparence herculéenne. Néanmoins il ne faut pas chercher chez eux de muscles apparens : leurs membres sont bien four- nis, mais il ne s'y manifeste aucune saillie musculaire; caractère particulier à la race, ou qui tient au peu d'emploi qu'ils font de leurs forces. Les femmes participent à cette complexion vigoureuse; aussi ne présentent-elles jamais de formes gracieuses : avec tous les signes de la force, elles sont trop robustes, trop larges, pour être bien faites; la nature les a douées, en revanche, de tous les avantages désirables pour le genre d'existence auquel elles sont appe- lées. Elles ont, pour la plupart, la main et le pied petits; leur gorge n’est pas trop volumineuse. Les traits des diverses nations de ce rameau ont certainement entr’eux une analogie sensible. Chez les Patagons, la tête est grosse, la face large, aplatie; les pommettes sont plus ou moins saillantes, notamment dans la vieillesse; chez les nations du Chaco, les yeux sont petits, noirs, horizontaux, quel- quefois légerement bridés à lextérieur; le nez court, épaté, large, à narines ouvertes; la bouche grande; les lèvres grosses et saillantes; les dents bien placées et belles; le front bombé; le menton court; les sourcils étroits et arqués ; la barbe rare, non frisée, poussant seulement à la lèvre supérieure et au menton; les cheveux noirs, longs et plats. La physionomie, constam- ment sérieuse, est froide, réservée, souvent féroce ; et si chez quelques nations on trouve une Jeunesse Joyeuse, et des traits efféminés dans les deux sexes, comme chez les Patagons, il en est chez lesquelles les jeunes gens participent à la taciturnité et à la tristesse de l’homme adulte. La différence à cet égard est énorme entre ces hommes et leurs voisins, les Chiquitéens, toujours prêts à rire et à s'amuser d’un rien. Les femmes ont presque toujours le même aspect que les hommes : très-peu sont passables dans la jeunesse, et toutes deviennent repoussantes dans l'âge de la décrépitude, chez elles fort prématuré. (195 ) Les langues du rameau pampéen ont entr’elles une très-grande analogie Homme de sons et de formes, quoique tout à fait distinctes pour le fond : elles sont principalement caractérisées par des sons du nez, par une gutturation forte, un manque total d’euphonie, et surtout par une redondance de consonnes qui les rendent on ne peut plus dures, telles que #z, nd, mb, zl, dl, etc. Le caractère commun à ces langues est notamment ce grand nombre de termi- naisons des mots en zC, eC, OC, aC, Ou en 4p, eg, aq, qu'on retrouve dans toutes, surtout dans celles du Chaco; car elles ne sont qu'indiquées dans celle des Patagons. La gutturation du 7 espagnol est souvent remplacée, chez les Patagons, chez les Puelches, chez les Tobas, par Pr, fortement pro- noncée du gosier. Lx nasal se trouve dans les langues patagone et puelche. Les mêmes langues possèdent notre ck, et la patagone seule notre z. Si l’on rencontre, dans la langue des Patagons et des Puelches, un système de numé- ration étendu, tandis qu'à peine va-t-il à cinq ou même moins dans les autres langues, on doit, à ce que nous avons reconnu par leur nombre 400 et 1000, l'attribuer au contact avec les Araucanos , qui avaient eux-mêmes emprunté ces nombres aux Incas. Un autre point de ressemblance, c’est que le son de Vf est inconnu chez toutes ces nations. Au reste la seule langue puelche offre une anomalie pour les noms des parties du corps, qui commencent tous par un y. Les trois mots suivans, dans les diverses langues, pourront en faire juger, et serviront de termes de comparaison avec les mots correspondans dans les autres rameaux de la race pampéenne. NOMS NOMS NOMS NOMS NOMS MBOCOBIS FRANÇAIS. PATAGONS. PUELCHES. bis MATAGUAYOS. (o) BAS. Joue. Capenca. Yacaléré. Oreille. Guter. Yatitco. Equetela. Noquiote. Yeux. Jéné. Yaxyexké. Yacte. Notelo. Le caractère des peuples du rameau pampéen forme un contraste frappant avec celui des Chiquitéens : autant le premier est triste, sérieux, froid et réservé, autant le second est gai, ouvert, expansif et enjoué; aussi les uns, fiers, indomptables, ont toujours conservé leur indépendance sauvage; tan- dis que tous les autres se sont soumis au christianisme. En un mot, les Pam- améri- cain. es ot — je ht re TE ir Ge CT notes ( 196 ) llomme péens, depuis les régions glacées de la Patagonie jusqu'aux plaines chaudes «mneri- du grand Chaco, furent et sont encore aujourd’hui les hommes les plus fiers, les plus intraitables guerriers des nations américaines : ils se sont laissé décimer par les Espagnols plutôt que de jamais se soumettre à leurs lois; d'où vient qu'ils sont aussi libres aujourd’hui qu'ils étaient lors de la conquête. On a vu les Charruas, les Payaguas, les Abipones, les Guaycurus, s’'anéantir peu à peu, sans se ranger sous la domination de étranger. Tous sont cepen- dant bons pères et bons maris. Il y a encore, entre les nations de ce rameau, assez d’analogie pour les mœurs : en effet les Patagons, les Puelches, les Charruas sont continuelle- ment vagabonds, errans, et vivent sous des tentes de peaux d'animaux, qu'ils transportent partout avec eux; les Mbocobis, les Lenguas, les Abi- pones, les Mataguayos, sont souvent ambulans aussi; mais le plus ordi- nairement ils se fixent sous des cabanes couvertes en paille. Les premiers ne sont que chasseurs et pasteurs; les derniers sont chasseurs, pasteurs et quelquefois agriculteurs. Sauf ces différences, ils ont tous beaucoup d’analogie de coutumes; car tous habitent des plaines, tous sont chasseurs aussi passionnés que guerriers intrépides, ce qui les force à vivre disséminés par petites tribus, au sein des vastes déserts, et à s’éviter pour ne pas compromettre mutuelle- ment le succès de leur chasse. À la guerre, la surprise est toute leur tactique: ils ont pour armes Parc, la flèche, la lance, la fronde, les bolas meurtrières et souvent la tranchante massue. E Leur industrie est on ne peut plus bornée : quelques-unes de leurs nations seulement doivent au contact des péuples montagnards Part du tissage de la laine; encore lexécutent-elles assez grossièrement. Aucune d'elles ne se sert de hamac. Généralement les‘hommes ne s’occupent que de fabriquer leurs armes, tandis que les femmes confectionnent les vêtemens, font la cuisine, et, lors des changemens de domicile, servent de bêtes de somme, en transportant tout le bagage. Elles sont souvent aussi chargées de ce qui regarde Pagricul- ture, Parmi ces nations, les Payaguas seuls étaient navigateurs, et celles du Chaco, plus industrieuses que celles des Pampas, joignent la pêche à la chasse, Leur costume a quelque chose d’analogue : toutes les nations vont tête nue, les unes relevant ou tressant leurs cheveux ; les autres $’en coupant une partie au ras de la tête; toutes ont la coutume de se peindre la figure de diverses couleurs, de s’arracher les sourcils, les cils, la barbe; et, parmi celles du Chaco, on est étonné de rencontrer le tatouage, si commun parmi la ( 497 ) race jaune de l'Océanie; cet usage n'existe que chez les femmes par suite Homme d’une coutume superstitieuse, pratiquée à Pinstant de la nubilité. Tous ces peuples s’attachent une pièce d’étoffe ou de peau autour des hanches et se couvrent les épaules d'un manteau de peaux. d'animaux, sur lequel, du côté opposé au poil, ils figurent des grecques irrégulières et variées. On pourrait dire que les nations pampéennes n’ont aucun gouvernement ; car on ne peut regarder comme tel lautorité momentanée de caciques ou chefs qui, en temps de guerre, conduisent au combat les tribus de chaque nation, et n'ont plus aucun pouvoir, quand ils rentrent dans état de paix. Il existe, en effet, aucune subordination entre les simples Indiens et leurs chefs, pas plus qu’entre le fils et le père : la liberté mdividuelle est illimitée ; et aucun des peuples de ce rameau ne forme un corps de nation. Les chefs ne sont jamais revêtus de fonctions religieuses. . On dirait leurs croyances religieuses calquées les unes sur les autres et d'une origine commune, tant elles ont de rapport entr’elles. Tous redoutent un génie malfaisant, cause du mal, et ayant pour interprètes de vieilles femmes qui prétendent guérir les malades par une foule de jongleries supersti- tieuses, mais surtout par des suceions. Ces nations croient à limmortalité de Pâme; celles qui, comme les Patagons et les Mataguayos, ne brûlent pas ce qui appartient au défunt ,‘enterrent tout avec lui, et tuent sur sa tombe son meilleur cheval, pour qu'il le retrouve dans Pautre vie. L'âge de nubilité, chez les femmes, est marqué par des cérémonies compliquées ; et chez les nations du Chaco, celles-ci recoivent alors, par le tatouage d’une partie de la figure ou de la poitrine, les marques ineffaçables de leur sexe. Si les croyances religieuses n’amènent jamais les Patagons et les Puelches à exécuter aucune scène sanglante, il n’en est pas ainsi des nations du Chaco, qui, par suite de superstitions, se livrent, à la mort d’un des leurs, à des jeûnes rigoureux ou se mutilent de la manière la plus barbare, en se coupant une articulation des doigts ou en se couvrant les bras, les jambes, les flancs, et même le sein, chez les femmes, d’un grand nombre de bles- sures, dont les cicatrices restent toujours; le tout, sans doute, comme chez les peuples chasseurs et guérriers, pour montrer leur courage. En nous résumant, après avoir fait connaître les traits de ressemblance des diverses nations, il ne nous reste plus qu’à montrer les différences frap- pantes qui existent entre les Chiquitéens et les Pampéens. Les premiers sont, en effet, petits de taille, moins foncés en couleur; bons, gais, sociables, soumis ; leurs langues sont euphoniques, leurs coutumes douces, tandis que améri- cain. PRIS ES EE A CP Ve (198) Homme les Pampéens, à la figure aplatie, sérieuse et froide, sont d’une taille élevée, “ain d'une teinte foncée, d’un caractère hautain et indocile, d’une taciturnité remarquable; leurs langues sont aussi dures, aussi gutturales, aussi sacca- dées que leurs mœurs sont sauvages ; néanmoins, par la couleur et par les caractères physiques, ces deux rameaux appartiennent à la même race, dont les Pampéens, et surtout les Patagons, seraient les types. NATION PATAGONE OU TÉHUELCHE. Ce que nous avons à dire de ce peuple se divisera naturellement en deux paragraphes distincts : le premier présentera un coup d’œil historique et critique sur la fameuse question qu'ont soulevée, parmi les auteurs, les exagérations contradictoires dans lesquelles ils sont tombés sur sa taille, en le confondant d’ailleurs avec les Fuégiens ou habitans de la Terre-du-Feu; le second résumera nos observations personnelles sur ses caractères physiques et sur ses mœurs, pendant le séjour que nous avons fait dans son sein. S. 1.” Coup d'œil historique et critique sur ce que les auteurs ont dit des géans des parties australes de l'Amérique méridionale. L'existence; dans les parties australes, de l'Amérique d’hommes tour à tour géans ou de taille médiocre, ayant occupé, plusieurs siècles, les savans et les philosophes, et étant devenue, pour eux, tout ce temps et jusqu'à nos jours, le sujet d’une lutte opiniätre; nous avons pensé qu’une résidence de huit mois parmi ces nations nous permettrait d'essayer enfin de résoudre pour toujours cette question si controversée. Il nous a semblé que ce serait rendre un assez grand service à la science et à la cause de la vérité; mais pour atteindre ce but, il a fallu nous condamner à un travail long et fastidieux, dans lequel le désir d’être utile pouvait seul nous soutenir. Nous avons dû passer successivement en revue tous les voyageurs qui ont parlé des prétendus géans; analyser sévèrement leurs récits, y séparer le vrai du faux, retrancher tout ce qui appar- tenait à l’exagération du siècle où ils écrivaient; mettre, enfin, à part ce qui concerne les Patagons et ce qui concerne les Fuégiens, que l'insuffisance de connaissances géogra- phiques locales avait constamment fait confondre, de manière à ce qu'il ne füt plus possible de s’y reconnaitre. Les premières notions sur ces hommes gigantesques furent recueillies en 1520, par le voyage de l’immortel Magellan (WMagallanes ou mieux Magalhaes), dont les détails nous ont été transmis par le chevalier Pigafetta. Cet intrépide voyageur toucha à l’em- bouchure de la Plata, par 34° 40!, où, sans doute, l'envie de trouver quelque chose d’extraordinaire lui fit voir dans les Charruas, qui habitaient alors ces rives, des can- nibales, des géans. L'un d'eux, ditl, d’une figure gigantesque et dont la voix ressem- blait à celle d'un taureau ?. Et plus loin : {ls faisaient de si grandes enjambées, que, 1. Herrera, Dec. IL, p. 235. 2. Pigafetta, Voyage autour du monde, trad. franç., p. 22; et édition originale de 1536, (. 8: Uno grande como un gigante, che havea una voce come di un toro. (Ouvrage dont nous devons la communication à l'extrême complaisance de M. Ternaux. ) Homme améri- cain. ( 200 ) Homme méme en courant et en sautant, nous ne pûmés jamais parvenir à les joindre. Les Charruas améri- cain sont trop connus, surtout depuis qu'on en a vu à Paris, pour que ces indications ne prouvent pas une tendance à l’exagération, commune au siècle où chaque voyageur pouvait mentir impunément. Une longue relâche au port Saint-Julien, au 49° 30! sud, fit enfin voir aux Espagnols ces géans auxquels Magellan, à cause de leurs pieds, donna le nom de Patagons?, qu'ils ont conservé jusqu’à nos jours. Pigafetta dit, en parlant du premier de ces géans : Cet homme élait si grand, que notre tête touchait à peine à sa ceinture 5. N dit ensuite que ces hommes couraient aussi vite qu'un cheval au galop, et buvaient un demi-seau d’eau d’une haleine. Il observa leur costume, leurs mœurs, et recueillit, par signes, un court xocabulaire d’un Patagon que lescadre emmena avec elle4. Si l’on retranche du récit de Pigafetta ce qu'il y a de trop dans la taille qu'il indique, on reconnaîtra dans tout le reste de ces détails, une exacti- tude remarquable, en raison de l’époque. Les vêtemens, les peintures de la figure, etc., sont bien décrits, ce qui donnait plus de poids à la fable des géans; mais ayant manifesté une tendance prononcée à ce genre d’exagération dans la description des Charruas, il était encore plus pardonnable de la reproduire à l'égard des Patagons, incomparablement plus grands que les der ers. Une autre preuve de mélange du faux avec le vrai, se trouve dans la description de flè empoisonnées chez les Patagons, fait évidemment imaginé pour donner une plus haute idée des dangers courus par les navigateurs; car cette espèce d’armes n'existait pas là, reléguée qu’elle était, dans l’'Amé- rique méridionale, seulement aux rives de l'Orénoaue et de Amazone. Dans le récit de Magellan, imprimé en 1557, par Oviedoÿ, l'historien raconte, en 1. Pigafetta, Voyage autour du monde, p. 23. Il était tout naturel que, pour expliquer la mort de Solis, tué dans ces lieux, on exagérât la taille de ses assassins; et quoique les historiens qui ont précédé Pigafetta ne parlent pas de la stature des Charruas , il est positif que le récit de ce voyageur se ressent un peu de celui des compagnons du malheureux aventurier. 2 Patagon, dans la langue espagnole, signifie tout simplement grand pied ; ainsi ce nom n’a pas été donné à la mation à cause de la ressemblance de son pied chaussé avec la patte d’un ours, comme le dit Debry, 4mericæ, liv. IV, p. 66; et Blumenbach, De l'unité de la race humaine, p. 255; ni, selon Harris (dans son abrégé de la relation de Magellan), parce que ces géans avaient cinq coudées de haut. On s'étonne de voir Buffon (édit. de Sonnini, t. XX , p. 400 ) demander en quelle langue le mot Patagon veut dire haute taille. Le premier dictionnaire espagnol eüt levé toutes les difficultés sur son étymologie. 3. Voyez traduction française, p. 26, qui n’est que le sens littéral de Costui era cosi grande, che li nostri non li arrivavano alla cintura, de l'édition originale de 1536, . 10; mais il ne dit pas, comme l’assure l’auteur des Navigations aux Terres australes (1. 1, p. 129), qu'ils ont dix palmes ou sept pieds de haut. 4. La comparaison du vocabulaire avec celui que nous avons recueilli au Rio Negro, nous à fait reconnaitre que nous ayons vu les mêmes hommes que Pigafetta. Voyez plus loin la description des Patagons. 5. Oviedo, Coronica de las Indias occidentales, liv. XX, fol. VI. Nous devons à M. Ternaux la communication de ce livre extrémement rare. Herrera, Dec. LIL, lib, VII ; de Brosse, Vavigations aux Terres australes, 1. T, p. 151 ( 201 ) parlant des Patagons, qu’ils ont douze ou treize palmes de haut. Ce qu'il dit du reste Homme améri- des tentes couvertes de peaux, est on ne peut plus juste; seulement on y reconnaît, comme dans Pigafetta, une exagération qui tient à l’époque. Dans le voyage de Jofre Loaysa, en 1525 et 1526, publié par Oviedo, on voit encore une suite de l’idée fixe de l’historien. & Ils rencontrèrent, dit-il2, plusieurs cabanes « de Patagons, hommes de treize palmes de haut; leurs femmes sont de la même « taille; ” et plus loin : « les Chrétiens qui s’y trouvèrent n’arrivaient pas avec leurs | « têtes à la partie supérieure de leurs cuisses.5? Il serait possible que ce qu’en dit Oviedo, | ne füt que la suite de ce qu'il avait avancé dans la relation de Magellan; cependant | on ne saurait y voir autre chose qu’une exagération manifeste, prouvée d’ailleurs par | ce qu'il dit plus loin, en parlant des Fuégiens, que l’expédition aperçoit dans leurs | pirogues d’écorce, et auxquels il donne, comme aux Patagons, la qualité de géans.4 | ’écrivain est, jusqu’à un certain point, excusable; car il déclare n’avoir pas vu de près | ces derniers. Alcaçobaÿ, dans son voyage au détroit de Magellan en 1535, voit les Fuégiens et les | Patagons et ne parle pas de leur taille. Dans celui de Drake, fait en 15786, les Anglais abordent au port Saint-Julien, le lieu mème où était arrivé Magellan, cinquante-huit ans avant eux; ils rencontrent ces | mêmes Patagons, qui n'ont plus la taille gigantesque que leur donnaient Pigafetta et Oviedo; aussi dit-on dans la relation publiée par Edwards Cliffe7 : 4 Ces hommes Ï « ne sont point d'aussi grande taille que les Espagnols le pensent, il y a des Anglais | « plus grands que le plus haut d’entr’eux.f” Dès-lors, les Patagons prirent à peu près | 1. Oviedo, Coronica de las Indias occidentales, liv. XX, fol. VI. L'auteur s'exprime ainsi : 1 Vieron algunos Indios de doce o treze palmos de alto. Herrera, Dec. IT, lib. VIT; de Brosse, Navig. aux Terres austr., t. 1, p. 151. | | 2. Oviedo, liv. XX, fol. 22, ch. IV. Hallaron muchos ranchos y chocas de los Patagones , que son hombres de treze palmos de alto, y sus mugères son de la misma altura. 3. Oviedo, fol. 23 et 25. Los christianos (que alli se hallaron) , no legavan con las cabezas a sus miembros vergoncosos. Cest, d’après la relation du père Juan d’Areycaga qu’'Oviedo écrit cette relation, où il traite partout les Patagons de géans. 4. Idem, fol. 28. 5. Herrera, Dec. V, lib. VIT, p. 161, et copie Histoire des navigations aux Terres australes, t I, p. 164. 6. Voyez-en l'extrait dans de Brosse, Histoire des navigations aux Terres australes, t. 1, p. 178. 7. Même ouvrage, t. I, p. 193. | 8. Argensola, Conquista de las Molucas, liv. IT, p. 105, fait dire à Drake que ce sont des géans : 4qui aparecieron ocho Indios gigantes, que dexavan baxo el mas alto Ingles. (Ici appa- rurent huit Indiens géans, qui firent paraitre petit le plus grand Anglais.) On voit combien 5 Argensola citait juste. | L'auteur du discours préliminaire de la Relation du voyage de Pernetti, 1. 1, p. 36, cite à son tour Argensola et lui fait dire que ceux-ci sont petits comme des Lapons; opinion aussi fausse ; que celle d’Argensola même. | IV. Homme. 26 RE TE RE ET dé à CARRE er on Homme améri- can, ( 202 ) leur véritable stature, bien différens des naturels de la Terre-du-Feu, décrits dans le même voyage, lorsque Drake arrive à l'extrémité occidentale du détroit. La relation de Pedro Sarmiento, en 1579, était peut-être assez véridique, avant qu'Argensola?, son historien, y eût placé des colosses de trois varas? de haut, qui ressem- blaient à des cyelopes, avec des villes et des temples sur les côtes du détroit de Magellan. Cette relation renferme effectivement beaucoup de faits véritables attestant l'esprit d'observation. Ce que l’auteur dit de la taille des habitans, reste donc au-dessous de toute critique; mais ses remarques sur les Fuégiens qu'il rencontre dans larchipel de l'embouchure occidentale du détroit, sont très-judicieuses. $ Cavendish, dans son premier voyage en 15864, vit des Patagons au port Désiré : il ne parle pas de leur taille; et, suivant la remarque de Pretty, son silence ferait croire qu'il n'en a pas été frappé. Sa description des sépultures annonce pourtant bien qu'il a vu les Patagons. Il les distingue des Fuégiens qu'il rencontre dans la baie Élisabeth. © Dans son second voyage, en 1592, Cavendish vit encore, au port Désiré, des naturels, que la relation publiée par son secrétaire? dit être grands et robustes, sans spécifier leur taille. On peut avoir quelque confiance en cette relation; mais on n’en doit accorder aucune à celle de Knivetô, qui faisait aussi partie de l'expédition. Ce dernier, aban- donné sur les côtes du Brésil, y resta long-temps avant de revenir en Europe; et son récil, fait seulement de mémoire, est plein de faits exagérés, écrits dans le seul but de divertir le lecteur, Il ne donne que cinq ou six empans aux habitans du port Famine ou Fuégiens, en accorde quinze ou seize aux Patagons du port Désiré, par lui gratifiés d'un pied quatre fois long comme le nôtre; et en attribue quatorze aux squelettes. C'est lui qui parle des quartiers de rochers que les géans lancent au voyageur; faits évidemment empruntés au souvenir classique des fables d'Homère, d’Ovide et de Virgile, sur les Lestrigons et sur les Cyclopes. La seule conclusion que nous puissions 1. Voyez Argensola, Historia de la conquista de las Molucas , liv. HI, p. 125, et l'extrait qu’en donne de Brosse, Hist. des navig. aux Terres austr., L. 1, p. 210, où ce dernier écrivain met trois aunes, au lieu de trois varas, ce qui double presque la mesure. Quoique Sarmiento eût exagéré, en décrivant le détroit, afin de décider le roi d’Espagne à lui permettre d’y fonder une colonie, il est évident pour nous que tous les détails purement imaginaires sont du fait de son interprète Argensola, qui à tout prix voulait du merveilleux. Tiene cada uno de estos mas de tres varas (près de trois mètres), liv. IT, p. 125. 19 3. Argensola, Conquista de las Molucas, Liv. WT, p. 117. 4. Harckluyt, 1. IT, p. 803, et la traduction dans de Brosse, loc. cit., t. I, p. 221. 5. Relation des voyages de Cavendish. . En ce lieu les Anglais, que les naturels engagent, par des signes de paix, à pénétrer dans les D verres, leur tirent un coup de canon qui en tue plusieurs. . 7. Collection d’Harckluyt, t. IT, p. 842, et traduction dans de Brosse, ist. des naig., t. 1, p. 228. 8. Collection de Purchas, t. IV, liv. VE, ch. VIL ( 203 ) ürer des voyages de Cavendish, c’est que les Patagons sont d’une belle taille; ce qui est de la plus exacte vérité. John Chidley mouille, en 1590, au port Famine, où les sauvages Fuégiens lui tuent plusieurs hommes. Il les indique comme de taille ordinaire. ! L’Anglais Richard Hawkins (1593) dit que les Patagons du port Saint-Julien sont de haute taille, de véritables géans : il paraît, du reste, n’en parler que par ouï-dire.? Sébald de Weert, dans la compagnie de Simon de Cord, vit en 1598 des naturels en pirogue, à l'entrée occidentale du détroit. Ceux-ci étaient petits : on en amena un en Hollande. C’étaient évidemment des Fuégiens. II rencontra, près de la baie Verte, «sept « canots de sauvages hauts de dix à onze pieds, autant qu’on en put juger; car on « ne les approcha pas : on tira dessus, on en tua quatre ou cinq; le reste, épouvanté, « retourna à terre. Là, ces géans arrachèrent de leurs mains des arbres qui paraissaient « de l’épaisseur d’un empan, et s'en firent des retranchemens.... Le vice-amiral « abandonna ces hommes sanguinaires à leurs propres fureurs.4” Cette relation est évidemment fausse en plusieurs points. Sébald de Weert, en donnant aux naturels une taille aussi élevée, dit qu’il ne les approcha pas; on peut en conséquence douter de l’exactitude de sa mesure; mais il y a plus... Les Patagons n’ont jamais été et ne sont pas encore navigateurs. Toute cette histoire est donc basée sur une rencontre avec les habitans fuégiens, et leur taille si élevée n’exista jamais que dans limagination de écrivain. Olivier de Noort, Hollandais, vit en 1599, au port Désiré, des Patagons de grande stature, qu’il ne désigne pasÿ, tout en décrivant bien leurs armes. À l’ouest du détroit de Magellan il s’empara de plusieurs enfans des sauvages; et, plus tard, apprit de lun d’eux qu’il était de la nation d’£noo ; que, parmi les habitans du détroit, il y avait plusieurs autres tribus de la même race de peuples navigateurs et de moyenne taille; que ceux-ci se nommaient Xemenettes, Kennekas et Karaïkes; que les Patagons ou grands hommes étaient connus d'eux sous le nom de Tiremenen. D’après cette relation, il était assez facile de distinguer les véritables Patagons des Fuégiens, nation de petite taille du détroit; et dès-lors la confusion, à cet égard, n’aurait pas dû régner jusqu'à nos jours. En 1610, Turner fit voir à la cour de Londres le ferur d’un géant du Mexique, dont les proportions étaient démesurées; il dit que près de la Plata, des géans allaient 1. Voyez la relation écrite par Guil. Magoths, dans le recueil d'Harckluyt, t. IT, p. 839. 2. Collection de Purchas, t. IV, liv. VIT, ch. V. Il fait descendre les Patagons des Anglais, du prince Owen Guineth, dont les enfans s’embarquèrent au 12. siècle et se perdirent. 3. Renneville, Recueil de la Compagnie des Indes, imprimé à Rouen, 1725, t. II, p. 300; de Brosse, Hist. des navig., t. 1”, p. 283. 4. Quelle naïveté dans ce récit! Ne pourrait-on pas se demander lequel est le plus barbare ou le plus sanguinaire, de celui qui répand le sang d’hommes inoffensifs, ou de ceux qui cherchent à se défendre, lorsqu'on les attaque aussi brusquement ? 5. Voyez de Brosse, Hist. des navig., 1. 1, p. 296, 298. 6. Introduction générale aux voyages de Byron, Wallis, ete., trad. franç., t. L”, p. 56. Homme améri- ain, Homme améri- “ain. ( 204 ) tout nus, qu'il en avait vu un de douze pieds de haut, lequel, à la vérité, était le plus grand de la contrée, IT est probable que|l’ossement était celui d’un mastodonte, et les géans de la Plata étaient de l'invention de Turner ou calqués sur ceux de Pigafetta; car , à la rive nord de l'entrée de la Plata, il n’y avait que les Charruas; et sur l’autre rive les Puelches, qui ne sont rien moins que des géans. En 1614, George Spilberg! dit qu'étant à son bord, dans le détroit de Magellan, il aperçut, sur la Terre-du-Feu, un homme de grande taille, qui se montra plusieurs fois sur les collines. N'y aurait-il pas eu ici un peu d'illusion? Ce serait le seul exemple d’un homme de haute stature rencontré à la Terre-du-Feu, habitée seulement par des races d’une taille peu avantageuse. Il trouva deux tombeaux, l’un contenant des ossemens d'une taille ordinaire, l’autre de beaucoup plus grands. Dans les lieux où Olivier de Noort avait vu les Patagons de haute stature, les Hollan- dais Lemaire et Schouten? ne trouvèrent, en 1615, que des sépultures, dont les ossemens leur firent croire que les habitans devaient avoir dix à onze pieds de haut. N fallait que l'esprit d’exagération fûtalors poussé bien loin, pour reconnaître, d’après des ossemens qui montrent toujours une taille inférieure à celle de l’homme vivant, une stature de dix à onze pieds; aussi ne chercherons-nous point à discuter quel fond on doit faire sur le récit de ces voyageurs, qui pourraient bien avoir pris des ossemens fossiles pour des ossemens d'hommes. : L'Espagnol Garcia de Nodal5, en passant par le détroit de Lemaire, en 1618, ne vit que les Fuégiens, qu'il a représentés comme des hommes pleins de douceur. Le Hollandais Jacques l'Ermite, passant par le détroit de Lemaire, aperçut aussi, en 16244, les habitans de la Terre-du-Feu. Son voyage est le premier où cette nation soit bien décrite pour la stature et pour le costume; c’est aussi celui qui présente le plus de faits vraisemblables. Les Anglais Narborough et Wood abordent, en 1670, au port Saint-Julien, y ren- contrent des hommes de moyenne taille, dont ils décrivent si bien le costume et les armes, qu'il est impossible de douter que ce ne soient des Patagons. Ils voient aussi les Fuégiens près de l'ile Élisabeth, et remarquent qu’ils répètent souvent le mot Ursac. Ils nient absolument l'existence de Patagons géans; et leur opinion à d'autant plus de poids, que tout, dans leur relation, est marqué du sceau de la vérité. Degennes, part de la Rochelle en 1696, voit des Fuégiens au port Faminef, et annonce 1. Spilberg, p. 22 et 23; Recueil de la Compagnie des Indes, t. VI, p. 29 à 31, et de Brosse, Hist. des navig., 1. 1.”, liv. III, p. 344. 2. Rec. de la Comp. des Indes, 1725 ,t. VIII, p. 128 ; de Brosse, Hist. des nav.,t. 1, liv. IL, p. 353. 3. De Brosse, Hist. des navig. aux Terres austr., t. 1, p. 423. 4. Hist. des navig., t. T, p. 442. C’est un voyage des plus véridique. 5. Voyez en l'extrait, Hist. des navig., t. I, p. 21; Voy. de Coreal, t. I, p. 231-284 : c’est le voyage le plus judicieux pour tout ce qu’il décrit. 6. Voyage de M. Degennes, par Froger , en 1700, édit. in-12, p. 97, et Hist. des navig., t. II, p. 109. (205 ) que ceux-ci habitent les deux rives du détroit. Il les décrit assez bien et dit que le plus Homme grand n'avait pas six pieds. Beauchesne-Gouin', parti du mème port, voit, en 1699, les Fuégiens seulement; 1 —— rapporte aussi que ces peuples couvrent les deux rives du détroit; mais qu’ils sont divisés en deux tribus, celle des Zaguediche, habitant depuis l'entrée occidentale jus- qu'à Saint-Sébastien, et celle des 4eguediche, s'étendant du cap Saint-Jérôme au cap Gate; il les indique comme étant de moyenne taille. Frézier, en 1712, passe en dehors de la Terre-du-Feu. On ne peut trouver que de vagues renseignemens dans tout ce qu’on a fait dire à cet auteur sur les Patagons, puisqu'il dit lui-même ne les avoir pas vus, et avoir appris des Chonos, qui les appellent Caucahues , qu'ils existent à l’est des Cordillères. À ce propos, il cite? le capitaine Harenton, de Saint-Malo, qui, en 1704, les aperçut au cap Grégoire; le Carman, de Mar- seille, qui les vit à la baie Possession; et, d’après ces autorités, rapporte que leur {aille est de neuf à dix pieds. Il est facile de juger que l'opinion de Frézier, si long-temps d’un grand poids dans la discussion, se base sur des ouï-dire de marins, et non sur ses propres observations; ce qui est bien différent. Il fait l'historique abrégé de ceux qui ont vu les Patagons géans, et les grandit encore. En 1745, les pères Cardiel et Quiroga”, envoyés pour reconnaître la côte de Patagonie à l'effet d’y fonder une colonie, ne rencontrent point de Patagons; mais au port Saint- Julien, ils voient un tombeau, et reconnaissent que les corps sont de stature ordinaire. Le tombeau était bien cependant celui d’un Patagon, avec des chevaux tués autour. Le président de Brosse, dans son Æistoire des navigations aux Terres australes, vas- semble les rapports des voyageurs sur les Patagons, discute leurs relations, et finit par croire à leur existence en qualité de géans4; mais les considère très-judicieusement, comme bien distincts des nations de navigateurs du détroit, toutes de moyenne taille, Suivant lui, la raison qui empécha les premiers de se montrer au dix-septième siècle, c’est qu'ils se sont retirés dans l’intérieur , de peur des navires, ou qu’ils ne viennent que par intervalles vers la côte. L'amiral Anson, en 1741, ne vit pas d’Américains à l’extrémité australe de l’'Amé- rique ; mais les officiers du #ager rencontrèrent les Fuégiens 5 sur la côte ouest de l'Amérique dans le détroitt, et aperçurent de loin les Patagons à cheval, un peu au 1. La relation de cette expédition, écrite par Villefort, enseigne de vaisseau, est imprimée, mais seulement en extrait, dans l'Hist. des navig. aux Terres austr., t. IL, p. 113. 2. Voyage de Frézier, p.78; mais les citations des deux capitaines ne sont faites que d’après des rapports verbaux de marins ; car nulle part ces relations n’ont été imprimées; elles ont cepen- dant servi de base à beaucoup d’auteurs. 3. Voyez Charlevoix, Histoire du Paraguay, t. WI, p. 271, et Collection de M. d’Angelis, t. 1; Viage de los padres Quiroga y Cardiel, p. 28,16-20, et padre Guevara , Historia del Paraguay, p.31. 4. Hist. des navig. aux Terres austr., t. IL, liv. V, p. 331. 5. Voyage du Wager, ad. franç., p. 27. 6. Même ouvrage, p. 63. améri- cain. |! Pr SP ( 206 ) Homme nord du cap Sainte-Marie. Quant aux autres nations des Pampas dont ils donnent la améri- “ain. taille’, ce sont les Péhuenches et non les Patagons. En 1762, Bernardo Hañez? dit n'avoir jamais rencontré de Patagons qui passassent deux varas et trois pouces (à peu près 5 pieds 9 pouces). Byron, en 1764, s'arrêta à l'entrée orientale du détroit : il descendit à terre, vit des Patagons, dont le chef, qui vint le visiter, élait un géant au milieu des autres. ,; Je ne « le mesurai point, dit-il$; mais si je puis juger de sa hauteur par comparaison de sa « taille à la mienne, elle n’était guère au-dessous de sept pieds.” — 4 Is étaient presque , tous d’une taille égale à celle du chef;” et plus loin, en parlant de M. Cuming : « Cet officier, qui avait six pieds, se voyait pour ainsi dire transformé en pygmée à , côté de ces géans; car on doit dire des Patagons qu’ils sont plutôt des géans que des . hommes de haute taille. On peut donc aisément s'imaginer l'impression que dut faire , sur nous la vue de cinq cents hommes, dont les plus pelits étaient au moins de six « pieds six pouces, el dont la grosseur des membres répondait parfaitement à cette « hauteur gigantesque.4?” Il dit, de plus, que ces géans ont de très-petits chevaux, très- viles à la course. En admettant l'indication de la taille de cette relation, tout approximative, puisqu'elle n’est que le résultat de comparaisons et non celui de mesures rigoureuses, on trouvera que sept pieds anglais, indiqués pour les plus grands, ne donneraient encore que six pieds sept pouces français à peu près, proportions peu d’ac- cord avec celles de très-petits chevaux, qui porteraient cependant leurs cavaliers avec vitesse. Il faut plutôt croire que la taille a été exagérée, et qu'elle se fût renfermée en des bornes plus raisonnables, si elle avait été mesurée. Byron voit, plus avant dans le détroit, les Fuégiens avec leurs pirogues d’écorce. En 1765, M. de Bougainville va des îles Malouines au détroit de Magellan : il ren- contre aussi les Fuégiens près du port Famine.5 En 1766, MM. Duclos Guyot et La Giraudais pénètrent dans le détroit de Magellan. À son entrée orientale, un peu en dedans du cap Possession, ils rencontrent des Pata- gons. M. Duclos Guyot dit 6 : ; On mesura le plus petit ou le moins haut, et il se trouva « de cinq pieds sept pouces; les autres étaient beaucoup plus hauts.” Au reste, 1l décrit bien les armes des sauvages. Les différens mots espagnols qu'il leur entend pro- noncer 7 annoncent les fréquentes communications qu’ils avaient pu avoir avec les 1. Voyage du Wager, trad. franç., p. 128. . 2. Reino jesuitico, p. 238. 3. Voyage de Byron, trad. frane., 1. 1, p. 64. 4. Tel est le récit de la traduction française, édition de 1774, la seule que nous connaissions. Elle diffère beaucoup du texte imprimé dans les Philosoph. trans., vol. LVIT, p. 78, lequel donne aux Patagons une taille moyenne de huit pieds, et la plus haute de neuf pieds et plus; en traitant d'ailleurs leur langage « de jargon confus, sans mélange de portugais et d'espagnol.» >. Lettre de M. de Bougainville à M, Pernetty. Pernetty, Histoire d’un voyage aux iles Malouines , t M, 402. 6. Pernetty, loc. cit., t. IE, p. 106. 7. P. 108. ( 207 ) établissemens des Jésuites, commencés dans les Pampas dès 17391, ou plutôt avec la colonie espagnole, fondée en 1747? sur le Rio Negro, où nous avons vu les Patagons; ainsi nul doute que ces hommes ne soient ceux que nous avons retrouvés en 1828. Ce voyage leur attribue une taille semblable à celle que nous leur avons assignée. Plus loin le voyageur rencontre, dans leurs pirogues, les mêmes Indiens qu'il avait vus en 1765, remarque combien ils diffèrent des Patagonsÿ, en donne une bonne description, et fait judicieusement observer qu'ils sont vagabonds. La relation de M. de La Giraudais s'accorde en tout parfaitement avec celle de M. Duclos Guyot; il a recueilli, sans en connaître la signification, quelques-uns des mots patagons le plus souvent répétés par eux 4. En comparant ces mots à ceux que nous avons recueillis nous-même, nous les reconnaissons tous comme patagons, et notre vocabulaire? nous présente l'explication de, plusieurs d’entr'eux. En 1767, M. de Bougainville6.passa le détroit avec l'Étoile et la Boudeuse; il vit et ses marins reconnurent les Patagons visités l’année d'avant, dans le même lieu, par M. Duclos Guyot. « Aucun, dit-il, n’était au-dessous de cinq pieds neuf à dix pouces.” —, L'Étoile les avait vus de six pieds;” et le savant Commerson, qui accompagnait Bougainville, dit7 «que les Patagons ne sont que d’une taille un peu au-dessus de la notre ordinaire, « Cest-à-dire communément de cinq pieds huit pouces à six pieds quatre pouces.” Mais, comme M. de Bougainville, ce qu’il trouve de plus extraordinaire, c’est la corpulence de ces hommes; au reste, nous ne doutons, en aucune manière, que ce ne soient les mêmes Indiens que ceux que nous connaissons, et nous ne pouvons qu’applaudir à l’exactitude des descriptions données par ces voyageurs instruits, qui de même trouvent, chez les Patagons, beaucoup de mots espagnols, signes certains de leurs fréquentes com- munications avec les établissemens de ces derniers. M. de Bougainville les a nommés Chaouaë , parce qu’il leur avait souvent entendu prononcer ce mot. Au cap Galant ce voyageur vit ensuite les Fuégiens avec leurs pirogues; il les a nommés Pécherais, pour la même raison qui lui avait fait donner aux Patagons le nom de Chaoua9. Il rapporte 1. Funes, Ensayo de la historia del Paraguay, 4 MH, p. 396. 2. Idem, 1. III, p. 24. 3. Pernetty, loc. cit., 1. IT, p. 114. 4. Idem, 1. T, p. 124, et Journal des Savans, 1767, t. XXV, p. 33, dans lequel il ne leur donne que six pieds. 5. Entr'autres ahi, qui veut dire avaler ; ohi peut-être oki et qui veut dire marcher ; quecallé, sans doute Xécagné, quatre, etc. 6. Voyage autour du monde de la frégate la Boudeuse, p. 129, in-4.° 7. Voyage autour du monde, in-8, t. I, p. 87. 8. Nous ne trouvons d’analogue à ce mot, dans notre vocabulaire, que le mot chalua ou chaloua, qui veut dire poisson. | 9. Ne serait-ce pas Pachpachéré, que M. Duclos Guyot dit signifier homme dans la langue de ces naturels P Homme améri- cain. ( 208 ) Homme d'eux ce qu'ont mentionné tous les voyageurs! : « ces sauvages sont, dit-il, petits, vilains, ameri ain. maigres; ” néanmoins il décrit on ne peut mieux leur costume et quelques-uns de leurs usages. En 1767, Wallis avec le Dauphin, et Carteret, commandant un autre navire, abor- dèrent un peu au nord du lieu même où le capitaine Byron avait vu ses Patagons; mais ces observateurs véridiques ne les trouvèrent pas aussi grands que leur compatriote. Wallis dit2:, Nous primes la mesure de ceux qui étaient les plus grands; l’un d’eux , avait six pieds sept pouces, plusieurs autres avaient six pieds cinq pouces; mais la . taille du plus grand nombre était de cinq pieds dix pouces à six pieds. ” Il est évident que si l'on réduit les mesures anglaises aux nôtres, la taille des hommes mesurés rentrera parfaitement dans celle qu'a donnée M. de Bougainville; car six pieds sept pouces, pour les plus grands, se réduiraient seulement à un peu plus de six pieds, tandis que la majorité aurait cinq pieds cinq pouces. Ces résultats sont encore si loin de la stature indiquée par Byron, que nous pouvons douter de l'exactitude de la relation de ce dernier. Wallis entendit les Patagons prononcer plusieurs mots espagnols; il décrit assez bien leur costume et ce qu’il a pu observer de leurs usages. Comme tous les autres cireum-navigateurs, il fit rencontre, à la pointe d’York et plus à l’ouest, de Fuégiens, auxquels il ne trouva que cinq pieds six pouces de haut, ce qui équivaut à peu près à cinq pieds un à deux pouces français. À cette époque chacun croyait de son devoir de faire l’histoire des Patagons; ainsi l’auteur de l’Introduction aux Voyages de Byron et de Wallis fait aussi la sienne d’après de Brosse : il récapitule ce qui a été dit sur les Patagons#; il copie les opinions de ce premier compilateur, en disant judicieusement que tous les géans ont été vus à l’est du détroit à la côte Saint-Julien, tandis que ceux qui ont aperçu de petits hommes, n’ont vu que les habitans du détroit. Il en conclut qu'il y a deux nations, finissant aussi par croire à l'existence des géans. Il cite à l'appui l’opinion de Frézier, qui n’a pas vu les Patagons”, et transcrit l'opinion d’Anson, qui n’a pas été davantage à portée de les voir. Suivant ce dernier, les Patagons vivent au pied des Cordillères, ne venant à la côte qu'à des époques données. En 1767, Pauw£, qui, avant d'étudier les Américains, avait imaginé que l'Amérique ne devait produire que des êtres dégénérés, dénature quelquefois les relations pour établir son opinion : il reprend les auteurs, souvent avec justesse; mais sa critique serait bien plus judicieuse, s’il n'avait confondu les Fuégiens avec les Patagons7, et s’il n’eût, dès- lors, trouvé fabuleux tout ce qui pouvait faire croire qu’il existait des hommes de grande 1. Voyage autour du monde, in-4°, p. 154. 2. Traduction française, 1. 3, p. 24. 3. Page 62. 4. Introduction aux voyages de Byron, Wallis, ete., LI, p. 49, trad. franc. 5. Même ouvrage, p. 67. 6. Recherches philosophiques sur les Américains. 7. Page 366, édition de l’an 3. ( 209 ) taille, près des extrémités sud de l'Amérique. D'ailleurs l’idée qu’il s’était faite des Amé- Homme ricains est tout à fait rendue par ce passage : « Malgré leur faiblesse et leur làcheté, ils « Sirritent, ainsi que les animaux, contre quiconque les offense; et se laissent captiver « par les caresses. ? Cet écrivain examine successivement les voyageurs, combat Pigafetta, cite Drake comme véridique, attaque avec raison Sarmiento, Knivet, Spilberg, Byron; approuve Cavendish; et, après une revue commentée, finit par nier l’existence de Pata- gons géans. L'auteur de la nouvelle édition de Pernetty!, rappelle, dans un discours préliminaire, tout ce qui a été dit sur les géans : il annonce d’abord qu’il croit à la réalité de colosses humains : pour la prouver, il remonte au temps fabuleux des Incas?, afin de parler des géans sodomites, dont l'existence prétendue s'explique par la découverte probable d'os de mastodontes; et pour arriver à démontrer le contraire de Pauw, il dénature aussi toutes les relations des voyageurs. À l’occasion du voyage de Cavendish, il ne parle que de la relation de Knivet; à l’occasion de celui de Byron, que de l'édition $ qui assigne neuf dl q 2 5 pieds et plus de hauteur aux Patagons. Il élague tout ce qui pourrait démontrer la non- existence de géans, et ne distingue jamais les Fuégiens des Patagons. Sa critique est amère, surtout contre Pauw, parce que ce dernier n’admet pas le géant de Spilberg, qui saute d’une colline à lautre4. Il finit par dire que, puisqu'il y a des Albinos au Sénégal, des Hottentotes à tabliers, et surtout à Manille, des Nègres à queue, il peut bien y avoir des géans en Patagonie, et il y en reconnaît du double de notre taille. Pernetty lui-même réfute Pauw sur les Patagons; il ne conçoit pas comment cet auteur a pu entreprendre « d’anéantir l'existence de Patagons géans.°” Il cite aussi, mais avec partialité, toutes les autorités, et surtout Duclos Guyot, qui aurait embarqué un squelette de douze à treize pieds6. Comme il n’est pas question de squelette dans la relation de Duclos Guyot, nous pouvons croire que Pernetty a voulu rendre les Patagons bien plus grands que ce voyageur ne les avait vus dans ses voyages. D'ailleurs, le squelette qu'il fait recueillir à Duclos Guyot, ne pourrait être celui d’un homme. Il y a évidemment exagération de part et d'autre. Pauw réfute à son tour Pernetty7. On reconnaît sans peine qu’à cette époque Pauw fait la part des Patagons et celle des Fuégiens, qu’il ne confond plus. Il croit que M. de La Giraudais est le plus véridique pour la question de la taille, et admet enfin une horde de taille élevée. Buffon, dans son Æistoire de l'homme, commence par citer l’opinion de Commerson, qui voit, dans les Patagons, des hommes un peu plus grands que nous, mais non pas . Histoire d’un voyage aux îles Malouines, 1770. . Voyez Garcilaso de la Vega. . Elle ne ressemble en rien à l'édition de 1774, in-12. . Discours préliminaire à la nouvelle édition de Pernetty, t. L®, p. 51. . Imprimé à la suite de Pauw, t& IE, p. 57. . Page 84. . Œuvres de Pauw, lan HI, t. HT, p. 383, 394. NN OO Cr ù © NO 1V. Homme. . 2" améri- cain. ( 210 ) lomme des géans'. Il les croit nomades, ajoute foi à la relation de Byron, et admet une améri- rain. race distincte des Fuégiens; il cite aussi, en abrégé, toutes les autorités que nous avons indiquées, s'étend seulement sur celle de Pigafetta, finissant par dire? que les voyageurs n'ont pas vu les mêmes hommes, et qu'il paraît que les grands Patagons habitent depuis le 22.° degré jusqu’au 40.° ou 45°, ce qui est évidemment faux5. 11 admet que les Patagons, s'ils existent, peuvent avoir, dans leurs grandes dimensions, jusqu'à neuf et dix pieds de haut. Cook, dans son premier voyage, en 1769, passe, avec Banks et Solander, le détroit de Lemaire, où il voit les Fuégiens4, qu'il décrit bien, et qu’il trouve de cinq pieds huit à dix pouces anglais. Le Jésuite Falconer (ou mieux Falkner), qui a long-temps vécu dans les Pampas de Buenos-Ayres, parmi les nations auca et puelche, eut de fréquentes communications avec des députations de chefs patagons. Il dit, sans doute d’après les Puelches ou les Aucas, que la nation la plus australe du continent se nomme Yacana cunny$; la considère comme faisant partie de celle des Telhuelhets où Téhuelches , et la croit la plus nombreuse et la plus vagabonde. Il n’admet point pour eux cette taille de géant. {Ils ont rarement, « dit-il, des hommes de sept pieds anglais de haut; le plus grand nombre n’en a que six.6” D'après la relation de cet auteur, où l’on trouve beaucoup de choses vraies, on voit qu'il s'accorde avec Bougainville et Wallis, en donnant encore une stature moindre. Il indique, tout en mêlant quelquefois les tribus australes, qu’il y a parmi elles des nations distinctes, et les divise en trois : les Téhuelhets (parmi lesquels il range les Fuégiens), les Puelches et les Moluches (Araucanos). Dans le second voyage de Cook, en 1774, Forster? voit les habitans du cap Noël en dehors de la Terre-du-Feu : il les regarde comme une race altérée qui n'appartient pas à celle du grand Océan, mais est tout à fait américaine. W pense, comme nous, que toutes les nations australes ont été confondues par les auteurs ; et à l'exemple de tous les 1. Buflon, Histoire de l’homme (édition de Sonnini), t. II, p. 388. 2. Ibidem, p. 405. x 3. L'opinion de Buffon était probablement influencée par le récit de Pigafetta, qui crut voir des géans dans les Charruas, et par celui de Knivet, qui parle d’un homme d’une baute stature au Brésil. 4. Traduction française, t. IV, p. 12 - 35. 5. Description des Terres magellaniques (trad. franç. de Lausanne, 1787), t. II, p: 62. 6. Page 68. Il nous paraît évident qu’il parle des Patagons et non pas des habitans de la Terre- du-Feu, qu'il n’a pu voir, ceux-ci n’abandonnant jamais le bord de la mer; ainsi la citation de Forster à cet égard doit être erronée. Falconer a cependant eu des notions vagues sur les tribus les plus australes ; mais il les a confondues, n’ayant pas été à portée de vérifier les faits. On peut en juger par la taille qu’il assigne (page 70) aux Puelches, aux plus grands desquels il donne 7 pieds 6 pouces anglais, n’attribuant que six pieds aux plus petits; il n’en donnait également que six à la nation patagone. On sait que cet auteur n’a écrit que de souvenir, long-temps après son retour en Europe; la confusion est donc pardonnable, 7. Observations, p. 244 et suiv. (211 ) auteurs, il fait une récapitulation de ceux qui ont écrit sur les Patagons; mais ne cite Homme que Wallis, Bougainville, La Giraudais, Cavendish et Falconer, qui lui paraissent de "5" bonne foi. Il admet la taille des Patagons indiquée par ce dernier écrivain, décrit les Fuégiens” comme des Patagons dégradés et les appelle à tort Fanaconni d’après Falconer.? M. Gautier de Saint-Malo, faisant la pêche aux phoques à la baie de San-Blasÿ, voit, | en 1820, les mêmes Patagons que nous avons observés au Carmen, sur les rives du Rio À Negro; sa courte notice est celle d’un marin peu observateur, et nous rappelle beau- 1 coup trop les relations du seizième siècle. 11 accorde aux Patagons une taille de près de six pieds, et prétend que la fable des géans provient de la coutume qu’ils avaient de choisir le plus grand d’entr’eux, lorsqu'ils communiquaient avec les navires anglais; fait du reste entièrement controuvé. Ce voyageur dit encore : ; Dans chaque tribu de Patagons, « formée d'environ cent cinquante sauvages, il existe toujours une race particulière « d'individus qui sont au nombre de quinze à vingt, et qui vivent méprisés et séparés « des autres. Ces individus, par une bizarrerie surprenante de la nature, offrent réunis | « tous les caractères des deux sexes.4” Cette seule remarque, si peu en rapport avec | le siècle où elle a été publiée, fera juger du crédit que mérite cette notice. C’est encore d’un pêcheur qu'est venue cette autre fable, que les Patagones ont le tablier des Hottentotes. 5 En 1822 le capitaine Weddel 6 débarque en dehors de la Terre-du-Feu au cap Noël: il voit les habitans, qu’il nomme Fuëgiens, d’après le lieu qu'ils occupent; il les décrit en bon observateur, et leur assigne de cinq pieds quatre pouces, à cinq pieds cinq : | pouces anglais; il reconnaît parmi eux quelques mots espagnols, preuve incontestable | des communications fréquentes avec les Patagons ou les Chonos de l’ouest de l'Amérique; mais il ne voit point ces derniers. l En 1826, M. Lesson fit imprimer l’abrégé de ce qu'il avait lu sur les Patagons7, abrégé dans lequel, comme de Brosse et Buffon, il énumère les auteurs qui ont parlé de cette nation; il professe la même opinion sur la haute taille, et comme eux aussi explique l'apparition d'hommes plus ou moins grands par l'habitude ambulante ÿ des tribus australes, parmi lesquelles il confond les Fuégiens de Weddel et de Cook avec les Patagons de Wallis, etc. 1. Observations, p. 249. 2. Voyez la note 6 de la page 210. Î À Î t 1 | ( É % 7 3. Nouvelles annales des voyages, t. XVII, p. 277. 4. Cette fable doit sans doute son origine à l’habitude qu’ont beaucoup de devins de prendre l'habillement des femmes, et de ne se livrer à aucun des travaux de l’homme. Voyez la partie histo- rique de notre voyage, 1. II, ch. XVIII, p. 91. 5. Nouvelles annales des voyages, 1. XI, p. 282. 6. Voyage towards the south pole, 1822-1824, p. 152. 1. Archives géographiques, t. XXX, p. 231. Le même mémoire est reproduit Complément des Œuvres de Buffon, t. I, p.170, et Ællas ethnographique du globe ou Classification des peuples anciens et modernes, par M. Balbi, Paris, 1826 , tableau XXVI. 17 2 2 2 Te PRE. PANIERS MR TEC ME ME te or ME Er um RE “2 = nr Homme ameri- vain. (212) L'expédition du Beagle et de l'Adventure, sous le commandement du capitaine King, parcourt, en 1826 et 1827 ?, avec une mission spéciale, toutes les rives du détroit de Magellan. Dans la baie Saint- Grégoire, le capitaine communique plusieurs fois avec les Patagons, et rapporte que leur taille var iait de six pieds à cinq pieds dix pouces > % anglaise). Tout, dans cette relation, annonce des observations judicieuses; aussi la diffé- rence du pied anglais avec le nôtre réduirait-elle les plus hauts Patagons à cinq pieds sept pouces, et ceux de moyenne taille à cinq pieds cinq à six pouces, ce qui est, à peu de choses près, en rapport avec nos observations. Le capitaine King vit, pour la première fois, les Fuégiens à l'ouest du cap Negro?, et les retrouva ensuite sur toute la Terre-du-Feu. Après avoir passé successivement en revue tous les voyageurs et tous les écrivains qui ont traité spécialement des habitans des parties australes de l'Amérique méridionale, avant de discuter le plus ou moins de confiance qu’ils méritent, nous croyons devoir résumer, comparativement, tout ce qu’ils en ont dit, dans un tableau synoptique, pour qu'on puisse juger, par avance, des parties de leurs relations qui concernent spéciale- ment ou les Fuégiens ou les Patagons. Nous avons eu soin de désigner positivement, dans le tableau, le lieu où les voyageurs ont vu les Américains grands et petits, ce qui montrera, dès le premier coup d'œil, la véritable circonscription des Patagons et des Fuégiens, et indiquera quand ces voyageurs ont parlé des uns ou des autres. (Voir le tableau ci-contre.) Notre voyage sur les rives du Rio Negro en Patagonie n'avait pas seulement pour but de recueillir des collections et des faits relatifs à la zoologie, à la botanique et à la géo- logie de ces contrées, si long-temps ignorées; nous voulions encore chercher à débrouiller les notions si confuses admises jusqu’à ce jour sur le nombre et sur la circonscription des nations qui habitent cette partie de l'Amérique. Heureux dans nos investigations, nous avons pu observer et décrire comparativement, sur place, les traits, les mœurs le langage de chacune d’elles; et nous nous sommes convaincu que de l'embouchure de la Plata au cap Horn, en marchant du sud au nord, il en existe seulement quatre distinctes, qui parlent des langues différentes : 1. les Fuëgiens , habitant la Terre-du-Feu la partie occidentale des deux rives du détroit de Magellan (les petits Patagons des premiers voyageurs); 2.° les Patagons ou Téhuelches, qui voyagent sur les plaines com- prises entre le détroit de Magellan et le 40. degré de latitude sud, à l’est des Andes (les grands Patagons des voyageurs); 3.° les Puelches, qui vivent au nord des Patagons et dans les plaines exclusivement, confondus avec les Patagons par beaucoup d'écrivains; et 4 les Aucas où Araucanos, connus pour habiter tout le Chili et l’est des Andes, sur la totalité des Pampas, depuis Buenos-Ayres jusqu’au Rio Negro. Comme ces quatre nations n'appartiennent pas toutes au même rameau d'hommes, 1. Voyez l'extrait, Nouvelles annales des voyages, Juin 1832, t. XXIV, 2. série, p. 326 et suiv. Quant au christo dont on parle, c’est évidemment une mystification faite par les Patagons pour avoir quelque chose des Anglais; car ils n’ont aucune communication avec les missionnaires et sont loin d’être chrétiens. 2. Loc, cit., p. 333. | | LEURS NOMS. Magellan. Loaysa. Alcaçoba. Drake. Sarmiento. Sarmiento. Cavendish. John Chidley. Cavendish. Hawkins. Sébald de Weert et Simon de Coord. Olivier de Noort. Spilberg. Lemaire et Schouten. Garcia de Nodal. L’Hermite. Narborough et Wood Degennes. Beauchesne-Gouin. Carman. Frézier. Anson. Cardiel et Quiroga. Byron. Bougainville. Duclos Guyot et La Giraudais. Bougainville. Wallis et Carteret. Falconer. Cook. Cook. Gautier. Weddel. King. D'Orbigny. 1V. Homme. : LEUR NATION. ER Portugais, au serv. de l'Espagne Espagnol. Espagnol. Anglais. Espagnol. Espagnol. Anglais. Anglais. Anglais. Anglais. Hollandais. Hollandais. Hollandais. Hollandais. Espagnol. Hollandais. Anglais. Francais. Français. Français. Français. Anglais. Espagnols. Anglais. Français. Français. Français. Anglais. Anglais. Anglais. Anglais. Français. Anglais. Anglais. Français. VOYAGEURS. LEURS ÉCRIVAINS. == Pigafetta. Oviedo. Oviedo, SH. 5e) Yu) Che-Mie, Vraie Edw. Cliffe. Acensola. Argensola. Pretty. Magots. Janc, son secrétaire. Knivet, de l’expéd. Lui-même. Anonyme. Anonyme. De Maye. Le commis. se Wood. Froger. Villefort, enseigne. Point de relation. Lui-même. le “Wager. | Lozano. ait. trad. en 1774. at citée par Pernetty et Pauw. Lettre. Eux - mêmes. Lui-même. * Commerson. Lui - mème. Premier voyage. Forster. Lui-même. Lui-même. Lui-méême. Lui-même. = LIEUX où ils ont été vus. _ LEUR TAÏLLE : INDIQUÉE. + ee Terre-du-F. ,dét. de Mag. Géans. Port Famine. Entrée ©. du détroit. Entrée O. sur les îles. Port Famine. Baie Elisabeth. Port Famine. Port Famine. Port Famine. Entrée ©. du détroit. Baie verte. Ile Élisabeth. Terre-du-Feu. SAUT So l'ete ss... Cap Noël, Terre-du-Feu. Cap Noël. PortFamine, ileÉlisabeth| Médiocre. Port Famine, Terre-du-F. Plus haut,moins de6 p* PortFamine, Terre-du-F. me ins le Me Mali er (HUE Cap Noël. Détroit. Cap Quand. Port Famine. Port Famine. Port Famine, Terre-du-F. Pres de l'ile Elisabeth. Cap Noël. Cap Noël. Cap Noël. + + Taille médiocre. Petite. Aucune. Aucune. Ordinaire. Aucune. 5 ou 6 palmes. Petits. OBSERVATIONS. L’historien ne parle pas d'hommes rencontrés. Taïle exagérée. » S se © lee Description vague. D Description vague. Description vague. L'un d’eux amené en Hollande. 10 à {fn pieds. Autant|lisétaienten pirogues; donc c'étaient qu’on pouvaitenquger deloin, car on ne les approcha pas. Petite stature. Grande, surles collines e. + + Ustte Aucune. Européenne. Ordinaire. Moyenne. Moyenne. Aucune. = Commelesautr.hommes Aucune. Petits. 5 pieds 6 pouces angl. 5p.* 8 à10 p." angl. 5 piedsA à 5 p." angl. 5 pieds 1 }, pouc.moy. des Fuégiens. Enfans amenés à bord. N’en approcha pas; illusion sans doute. Description vague. Bonne description. Voyage judicieux. Taille exagérée. ere Le tde. lelre Vos. + I1 les dit vagabonds. I1 les nomme Pécherais. nie ne late Core “à ‘= a Bonne description. Bonne description. Bonne description. Premiers mots espagnols entendus chez les Fuégiens. NATIONS OBSERVÉES : PATAGONS. LIEUX où ils ont été vus. APPROXIMATIVE. MESURÉE. Notre tête chaise peine MP RCE Te 0 Port Saint-Julien. ceinture. Port Saint-Julien. Douze ou treize palmes. LE er ac ce Santa-Crur. Treize palmes. 5 re SERRE A Au nord deSaint-Julien.| 11 n’en donne pas. A 2 dr Port Saint-Julien. Il y a des Anglais plus grands. . . . . . . .. que le plus haut d’entr'eux. Entrée E. du détroit, sur Abe de trois varas. | SR RE le continent. | Port Désiré. Aucune. | HET LC CERN Port Désiré. Grands, robustes. NO CSE D 15 à 16 palmes; leur PEUE CRE ENS quatre fois le nôtre. Grande; géans. ae no ONE Port Désiré. Port Saint-Julien. nr le a tee se ls mel eu sie) CP elles ie + ner ie Neon) S. du port Désiré. Haute stature. DUO Due site ed Mo els net ee lee [nt ele ur 0e Ds slot, np eve ex Squelettes qui firent croire à] . . . . + . . . . .. des hommes de 10 à 11 pieds. ets oise, Meteo le Patrie tre Eu tale eee. e D _. S. du port Désiré. . . ns halle elle tite) Ver eus loue MR SR Ne noter here Port na Moyenne. re a ler Uée + . Baie Possession. 9 à 10 pieds franc. te ie MR Te ON Ci A RE A D D Re Port Saint-Julien. Stature ordinaire. Baie Possession. Grands, 7 pieds angl. ; 6 pieds 6 pouces. Baie Possession. Moyenne, 8 p''angl.;grands, 9p* 5 p." 7 p. franc. les plus pelits. ete a lee e Tele relier 11 are Baie Possession. Baie Possession. Baie Possession. Baie Possession. 3 Tailleun Lo au-dessus de la nôtre| 5 p.® 8 p. ‘à 6 p. Grands, 6 p. “1h de ordinaire, 5 p." 10p. a Rarement 7 pieds angl. ; plus souvent 6 pieds. ete ele, dE se Nains doit a eo € . . Dans les Pampas. Rio Negro. Six pieds français. LES DE NE Cap Grégoire. Parut de 6 pieds anglais. 5 p.10 p.“à 6 p.Ÿ angl. Plus A 5 piedsi {pouc.; Rio Negro. moyenne, 5 p. %4p.franç. petits, D ner Aucun au-dessous de 5 p.!9à10 p.15 p. “9 a10 P- les plus La | TABLEAU COMPARATIF des observations Re par les voyageurs sur la taille des Patagons et des Fuégiens, depuis la découverte de P'Arnärique Jusqu'à nos jours. Page 212. OBSERVATIONS. ls Taille exagérée, due à l'esprit de l’époque, ZTäem. Taem. I1 paraît qu’il ne fut pas frappé de leur taille. Ce sont bien les Patagons. Exagération de l'historien Argensola. Ne, vit point les Patagons. Signe que la taille ne les a pas surpris. Ne vit point les Patagons. De ces deux relations si différentes entr’ elles, nous regardons celle de Knivet, comme exagérée et fautive, écrite très-long-temps après l'expédition. que d’après les autres. Les Patagons n’ont jamais été HANEALEURE ainsi ce sont sans doute des Fuégiens. . | IL paraît qu 'il n’a pas vu de Pie et n’en parle Description vague. I1 ést évident que sur la Terre-du-Feu il ny a pas de Patagons. Sans doute des os de mastcdonte; ce lieu est rempli de débris fossiles. Ne vit point les Patagons. Ne vit pas les Patagons. Voyage très-judicieux. Ne vit pas les Patagons. Ne vit pas les Patagons. Aucune relation exacte; ouï-dire de marin, rapporté par Frézier. Ne vit pas les Patagons; en parle par oui-dire. Ne vit pas d’Américains, en parle d’après les voyageurs. Le Wager les aperçut à cheval. Patagons à cheval, première fois. Il est évident que la 2.* relation est plus exagérée en- core que la première, qui l’est déjà un peu. Ne vit pas les Patagons. Premiers mots espagnols entendus. On pourrait se deman- der pourquoi l’on ne mesura que les plus petits. Il les nomme Chaouas; ce sont évidemment les mêmes hommes que les nôtres. Au même lieu que Byron ; cesont évidemment les mêmes Patagons. Ce sont les mêmes Patagons que les nôtres. Ne vit pas les Patagons. Ne vil pas les Patagons. Relation peu étudiée; ce sont les mêmes Palagons que les nôtres. Ne vit pas les Patagons. Détails judicieux. Séjour de huit mois au milieu des Patagens. | né . | + ar | F dent Mes . | 2 shit wo F3 | “sn ( 213 ) nous renvoyons, quant à leurs descriptions comparatives, pour celles des Patagons et des Puelches, au rameau des Pampéens , qui nous occupe en ce moment, pour celles des Aucas et des Fuégiens aux peuples ando-péruviens. $. 2. Description des Patagons ou Téhuelches. Avant de parler du nom des Patagons et de leurs caractères physiques, nous croyons indispensable de démontrer qu'il existe une analogie parfaite entre les Patagons vus d’abord par Magellan, au port San-Julian, en 1520, puis revus successivement par les autres yoyageurs, et ceux avec lesquels nous avons vécu huit mois, en 1829, sur les rives du Rio Negro, au 41.° degré de latitude australe; car de ce fait dépend l’éclair- cissement de la question des géans, puisqu'il rendra manifeste les exagérations dans lesquelles plusieurs des anciens observateurs sont tombés à cet égard. Si le naïf historien du voyage de Magellan, le chevalier Pigafetta, n’eût fait, comme beaucoup des navi- gateurs qui l’ont suivi au détroit de Magellan, que donner une description des mœurs et des coutumes de ces prétendus géans, la seule identité de ces détails avec nos propres observations nous aurait amené sans peine à des résultats satisfaisans; mais ce premier circum-navigateur nous a laissé un autre moyen de vérification sans réplique. Il prit à bord de l’amiral, un de ces hommes extraordinaires; et, après l'avoir étudié pendant quelques mois, il obtint même de lui, par signes, un court vocabulaire, composé sur- tout des noms des parties du corps. La comparaison réfléchie de cette courte liste de mots avec le vocabulaire de la langue patagone que nous avons formé pendant notre séjour, à l’aide de bons interprètes parlant l'espagnol, a levé tous les doutes qui pou- vaient nous rester encore sur l'identité du sujet, et nous avons dû reconnaître que les Patagons de Magellan et les nôtres sont absolument de la même nation; seulement la série des mots de Pigafetta, recueillis par signes, désigne quelquefois une chose pour une autre, Le tableau suivant suflira, du reste, pour établir les rapports cherchés. : MOTS PATAGONS MOT D’APRÈ lt M EE OBSERVATIONS. FRANÇAIS. PIGAFETTA, D'ORBIGNY, EN 1520. EN 1829. . Jeune. Calemi. Caclem. Veut dire enfant plutôt que jeune. OEil. Oter. Guter. Nez. Or. Ho. Bouche. Chian. Ihum. Dents. For. Jor. Oreille, Sané. Jéné. Derrière. Hoï. Hoi. Veut dire dos. Main. Chéné. Chémé. “at {. Notre langue, malgré ses dictionnaires écrits, prouverait seule combien trois siècles peuvent apporter de changemens dans les mots signifiant les mêmes choses. On doit donc s'étonner de Homme améri- cain. Homme améri- ain. ( 214 ) L'identité des géans de Pigafetta et des Patagons du Rio Negro, une fois incontesta- blement établie, rien de plus facile à reconnaître que l’exagéralion d’un siècle d’igno- rance et de préjugés, où aucune relation ne se renfermait en des bornes naturelles; rien de plus facile à expliquer que les contradictions que présentent les détail uifs aux naturels, vus sur le même point, à diverses époques, par des voyageurs N À ques-uns voulaient ramener les choses à la vérité, tandis que le plus grand nombre cherchait à perpétuer la fable des géans de Pigafetta. Quoi qu’il en soit, en décrivant les Patagons tels que nous les avons vus, nous allons discuter la valeur relative des uel- récits qui les concernent, afin de dissiper pour jamais, s’il est possible, les nuages dont la crédulité, l'ignorance ou la mauvaise foi ont, jusqu’à présent, enveloppé cette question importante de l'histoire naturelle de l’homme. Le nom de Patagon, imposé à la nation en 1520 par Magellan lui-même, ainsi que nous l'avons déjà dit, est un mot espagnol, qui signifie tout simplement grand pied. C’est le nom sous lequel cette nation a toujours été connue, et nous le lui conservons. D'après Olivier de Noort2, les Fuégiens désigneraient les Patagons sous celui de Zire- menen ; les Chonos du Chili, d’après Frézier5, les appelleraient Caucahues. Bougainville 4 les nomme Chaoua, parce qu'il leur a souvent entendu prononcer ce mot. Falconerÿ, en les confondant fréquemment avec les nations voisines, les appelle Téhuelhets. Au Carmen, sur les rives du Rio Negro, les colons espagnols ne les désignent que par la dénomination de Téhuelche , la même sans doute qu’emploie Falconer; et nous croyons qu'elle leur a été imposée par la nation puelche. Les Aucas ou Araucanos les disent Huiliche® (homme du sud); enfin, les Patagons eux-mêmes prennent, comme nous avons été à portée de l’apprendre, deux noms différens, celui de Téhuelche pour ceux du nord, et celui d’Znaken pour ceux du sud. Les Patagons habitent depuis le détroit de Magellan jusqu’au Rio Negro, au 40.° degré de latitude sud; ils passent même plus au nord, jusqu'aux montagnes de la Ventana, au 19." degré sud, et de l’est à l’ouest, des bords de l’océan atlantique austral jusqu’au pied oriental des Andes, c’est-à-dire du 65° au 74. degré de longitude occidentale de Paris, mais seulement dans ‘les plaines; car ils ne sont point montagnards, comme le pensait Falconer7. Ils ne se trouvent en conséquence qu’à l’est de la péninsule de Brunswick, dans le détroit de Magellan et au port Saint-Julien, ainsi que sur toutes retrouver encore, après un laps de temps semblable, chez un peuple qui n’a que la transmission orale, autant d'identité dans les mots. L’idiome patagon a probablement changé davantage quant aux verbes. 1. Voyez page 200. 2. Olivier de Noort, de Brosse, Histoire des navigations aux Terres australes, t. 17, p. 296-298. 3. Frézier, Voyage, p. 31. 4. Voyage autour du monde, p. 129 et suiv. 5. Falconer, Description des Terres magellaniques , 1. W, p. 62. 6. Falconer, loc. cit., p. 38-62, applique mal à propos ce nom aux Aucas. 7. Terres magellaniques, 1. I, p. 62. (215) les plaines étendues du pied des Andes à la mer. Essentiellement chasseurs, et par suite Homme nomades, ils érrent du nord au sud, et de l’est à l’ouest, sans avoir, à proprement ed parler, de résidence déterminée. Il en résulte qu'on peut successivement voir les mêmes individus soit au détroit de Magellan, soit sur les rives du Rio Negro. En jetant les yeux sur notre résumé synoptique des observations comparatives des voyageurs, On se convaincra qu’ils ont toujours rencontré des hommes de grande taille au port Désiré, au port Saint-Julien, sur les côtes de l'Océan, dans la baie Possession, au cap Grégoire (détroit de Magellan), sur les parties non boisées étendues plus à l’ouest, et dépendant des plaines qui succèdent aux Pampas. Ils se divisent en une foule de petites tribus dispersées par familles au sein des vastes terres unies du sud. De tout temps ils ont eu de fréquentes communications avec les Puelches, leurs voisins du nord; avec les Aucas, leurs voisins de l’ouest, qui ne tardèrent pas à leur procurer des chevaux, et leur ont aussi probablement appris les premiers mots espagnols, recueillis au détroit par quel- ques-uns des navigateurs européens?. Leurs relations avec les Fuégiens paraissent très- rares, tandis qu’on les a vus, à plusieurs reprises, envoyer des députations au nord jusqu’au Tandil, dans les Pampas de Buenos-Ayres. Ils semblent, au reste, préférer aux bords de la mer, qu'ils ne gagnent que très-rarement, et seulement quand la saison le leur permet, le séjour de l’intérieur des terres et le voisinage des fleuves, où ils trouvent plus de gibier; ce en quoi ils diffèrent essentiellement des Fuégiens. Leur nombre, d’après ce que nous avons pu savoir des chefs, ne s’élèverait guère au-dessus de 10,000 âmes, réparties sur plus de 28,000 lieues, ce qui donnerait à peu près un homme par 3 lieues de superficie. 5 Leur couleur, plus foncée que celle des Fuégiens leurs voisins, et que celle des nations du nord-est, n’est pas cuivrée, mais brun-olivätre foncé : c’est la nuance des mulâtres et non celle qu’on a généralement assignée à la race américaine; mais elle est d’une teinte aussi intense que celle des nations du Chaco. Les seuls Américains qui soient plus foncés que les Patagons, sont les Puelches et les Charruas; mais la différence est peu sensible. La taille des Patagons fut bien long-temps un problème qui paraissait insoluble, et dont s’occupèrent avec une ardeur égale les écrivains anciens et modernes : les uns voulaient qu’ils fussent de petite taille; les autres en faisaient des géans. Quel- ques auteurs, plus sensés, supposèrent avec raison qu'il y avait confusion de nation; mais le défaut de lumières sur la géographie locale et des recherches superficielles avaient encore laissé jusqu'ici des doutes à cet égard. Le mal venait de ce que l’on confondait les Fuégiens avec les Patagons. Les voyageurs qui n’ont vu que les Fué- siens, comme Loaysa, Chidley, Sébald de Weert, Garcia de Nodal, l'Hermite, Degennes , 1. Voyez partie historique, t. II, ch. XVIII, et ch. XX, pour des détails plus étendus sur la nation patagone. 2. On a vu pour la première fois des chevaux aux Patagons lors du retour des bateaux des naufragés du Wager, compagnons infortunés de lamiral Anson, en 1740 {Wager, p. 69). 3. Voyez à cet égard la partie historique, t. IF, p. 97. (216 ) Homme Beauchène-Gouin, Frézier, Anson, Cook, Forster et Weddel', ne devaient parler que améri- cain. de petits hommes, puisqu'ils n’en avaient pas vus d’autres, et la plupañt alors nièrent absolument l'existence des géans. Une autre catégorie de voyageurs aurait pu éclaircir la question; ceux qui, ayant vu successivement les Patagons et les Fuégiens, ont parlé des uns comme d'hommes de grande taille, et des autres comme de taille ordinaire. De ce nombre sont Alcaçoba, Drake, Sarmiento, Cavendish, Olivier de Noort, Narbo- rough et Wood, Byron, Duclos Guyot, Bougainville , Wallis et King. Ces derniers spécifient les lieux invariablement les mêmes où 1ls ont rencontré des hommes différens ; il eût été dès-lors possible de se convaincre qu'il y avait deux nations distinctes, et d'établir sur cette base, ainsi que nous l'avons fait, une ligne de démarcation entre les Patagons et les Fuégiens. Si, en distinguant les nations, 1l nous à été facile d’expliquer la discordance entre certains voyageurs qui ont vu des naturels sur des points différens, le même mode de conciliation ne s'applique pas aussi bien à ceux qui, dans une même localité, ont tour à tour aperçu des colosses ou des hommes ordinaires; cependant, après avoir prouvé l'identité des géans de Pigafetta avec nos Patagons, l’exagération devient évidente; car on ne peut croire que celte nation ait dégénéré. Il est bien plus simple d'admettre qu'à mesure que le progrès des lumières nous a rapprochés de la vérité, la taille chimé- rique des Patagons est peu à peu rentrée dans les bornes naturelles. La preuve de ce fait résultera de la comparaison de la taille approximative donnée par les voyageurs anciens, et de celle qu'indiquent des observateurs plus modernes. En 1520, Magellan (selon Oviedo) disait : Ils ont de douze à treize palmes de haut. En 1520, Pigafetta disait : Votre tête touchait à peine à leur ceinture. En 1579, Sarmiento : Colosses de trois varas (3 mètres). En 1592, Knivet (voyage de Cavendish) : Quinze à seize palmes de haut ; leur pied quatre fois le nôtre. En 1593, Hawkins : Géans. En 1615, Lemaire et Schouten : Squelettes qui firent croire à des hommes de 10 à 11 pieds. En 1704, Carman : 9 à 10 pieds. En 1764, Byron : 7 pieds (anglais) les plus grands; 6 pieds 6 pouces les petits. En 1766, Duclos Guyot : 5 pieds 7 pouces (français) les plus petits. En 1767, Bougainville : 5 pieds 8 pouces à 6 pieds 4 pouces (français). En 1767, Wallis : 6 pieds 7 pouces (anglais) les plus grands; à pieds 10 pouces les hommes de taille ordinaire. En 1826, King : 5 pieds 10 pouces (anglais); pour les plus hauts, 6 pieds. Parmi les voyageurs qui dès les temps reculés critiquèrent les relations exagérées, et ramenèrent la taille des Patagons à des appréciations raisonnables, on peut citer Drake, 1. On peut voir la citation des ouvrages de chacun de ces navigateurs dans l'historique des nations australes. (217) qui en 1578, parlant des hommes vus par Magellan, dit : Z/ y a des Anglais plus grands Homme que le plus haut d’entr'eux'; et, en 1670, Narborough, judicieux observateur, les décrit rer comme ayant une taille ordinaire. Il existe parmi les auteurs modernes, un autre motif de discordance, dont on a peu tenu compte, la différence des mesures locales : ainsi, en traduisant les écrivains anglais, on a conservé le pied d'Angleterre, qui, de près d’un douzième moins grand que le nôtre, augmente la taille de cette même proportion. Cette différence appréciée, les mesures de Byron se réduisent à 6 pieds à pouces pour les plus grands, celles de Wallis à 6 pieds, et la taille moyenne à 5 pieds 5 pouces fran- çais; enfin, celles du capitaine King, données comme taille ordinaire, à 5 pieds 5 pouces, appréciation conforme à nos observations personnelles. Nous-même (et nous ne le . dissimulerons pas), nous avons été trompé plusieurs fois à l'aspect des Patagons : la largeur de leurs épaules, leur tête nue, la manière dont ils se drapent de la tête aux pieds avec des.manteaux de peaux d'animaux sauvages, cousues ensemble, nous faisaient tellement illusion, qu'avant de les mesurer, nous les aurions pris pour des hommes d’une taille extraordinaire , tandis que l'observation directe les ramenait à l’ordre com- mun. D’autres voyageurs n’ont-ils pu se laisser influencer par les apparences, sans cher- cher comme nous la vérité au moyen de mesures exactes ? En résumé, après avoir vécu huit mois au milieu des Téhuelches, après en avoir eu sous les yeux et mesuré successivement un grand nombre, et de ceux-là même qui venaient soit du port Saint-Julien, soit des rives du détroit de Magellan, nous n’en avons pas rencontré un seul qui dépassät un mètre quatre-vingt-douze centimètres (5 pieds 11 pouces métriques), leur taille moyenne ne s’élevant pas au-dessus d’un mètre soixante- treize centimètres (5 pieds 4 pouces). Cest, sans contredit, une belle taille; mais il y a loin de là au gigantisme?, si l’on veut bien nous passer ce mot. Les femmes sont presqu’aussi grandes et surtout aussi fortes que les hommes; leur taille moyenne s'élève à 1 mètre 620 millimètres. Les hommes sont remarquables par la largeur de leurs épaules et par la proéminence de leur poitrine. Leur corps est d’une venue, leurs membres sont bien fournis, leurs formes arrondies, leurs articulations grosses, leurs chairs fermes. On ne trouve pas chez eux ces constitutions efféminées des Indiens de certaines parties de la zone torride; ils sont, au contraire, massifs, bien que sans difformité. Presque tous ont la main et le pied petits comparativement au reste du corps, et méritent peu, sous ce rapport, le nom de Patagons: Leur coutume de s'asseoir à terre leur fait rentrer les pieds en dedans, et leur donne une démarche peu gracieuse. Les femmes offrent les mêmes formes que les hommes; mais leur taille élevée les fait paraître plus minces que ne le sont ordinairement les Américaines; elles ne sont pas mal faites, quoique leur extérieur soit peu féminin. 1. Histoire des navigations aux Terres australes, 1. 1.7, p. 186. 2. Les Caribes décrits par M. de Humboldt, foy., t. IX, p. 11, sont au moins aussi grands. 3. Nous n’avons pas reconnu cette disproportion observée par l'expédition du Beagle entre la longueur relative du corps et les extrémités. IV. Homme. 4 28 Homme améri ain. (28) Leur tête est grosse, leur face large, pleine, carrée, aplâtie, à pommettes peu saillantes, si ce n’est dans la vieillesse. Ils ont les yeux petits, noirs, vifs, horizontaux; le nez court, épaté, large, à narines ouvertes; la bouche grande, saillante, à grosses lèvres, montrant, lorsqu'elle s'ouvre, des dents magnifiques, blanches, bien rangées et qui résistent, mème dans la plus grande vieillesse; le front bombé, proéminent; le menton assez court, un peu saillant; le cou gros; mais (chose remarquable pour des Américains), dans leur profil le front, la bouche ou mème quelquefois le menton, saillent au point, qu'en abaissant une perpendiculaire du front aux lèvres, le nez à peine viendra l'eflleurer et la dépassera rarement. L'ensemble des traits est souvent difforme; leur aspect sévère, mais néanmoins doux plutôt que désagréable; d’où vient qu’on se sent disposé à se rapprocher d'eux, tandis qu’il est des hommes, moins laids peut-être, dont l'air féroce repousse invinciblement. Les jeunes gens des deux sexes ont la physionomie vive, spirituelle, quelquefois même la figure assez passable, pour des Patagons; il est diffi- cile d'y reconnaitre les sexes jusqu’à l'instant où les traits prennent les caractères saillans de l'adulte. Ils ont tous alors ce facies pour ainsi dire uniforme, qui distingue immédia- tement les nations les unes des autres. Leurs cheveux noirs, gros, longs et lisses, ne tombent jamais et blanchissent rarement; leur barbe parait très-peu fournie, fait dont il est, au reste, difficile de s’assurer positivement, par suite de l’usage qui leur est commun avec les autres nations australes, de se l’arracher, ainsi qu’une partie des sourcils. La langue patagone, tout à fait différente pour le fond de celle des Puelches, s’en rapproche pour les formes : elle est accentuée, gutturale, comme celle-ci, mais moins saccadée et moins dure. Elle renferme peu de sons compliqués de consonnes; les seuls qui soient durs, sont jr et le 7 espagnol dans toute sa gutturation; du reste, moins de consonnes terminales des mots, et seulement encore les suivantes : em, ex, es, ar, el, et, in, ip, et, ec. L’u nasal y est peu commun; le ck français n’y est pas rare; l'f et le v y manquent entièrement. On n’y trouve aucune anomalie pour les noms des parties du corps, comme on peut le voir par les trois mots suivans : Capenca, joues; Guler, yeux; Jene, oreille. Du reste, lemploi du # est commun. Les adjectifs s’y déclinent. Le système de numération est décimal et va jusqu’à 100,000; mais, comme dans la langue puelche, les nombres 100 et 1000 sont empruntés à la langue des Incas'. La langue patagone a aussi, dans sa dureté, des rapports avec celle des Fuégiens. Le caractère moral des Patagons est à peu près le même que celui des autres nations australes : hautains, indépendans, esclaves de leurs promesses entr’eux, serviables méme el se soutenant mutuellement; ils sont, à l'égard des Chrétiens, faux, dissimulés, rancuneux, sans aucune parole, et volent par principe d'éducation; dispositions qui viennent sans doute, comme représailles, du peu de foi des Espagnols envers les Indiens. Incapables de trahir les leurs, discrets et courageux, ils unissent à ces vertus l’astuce des pays civilisés. Bons pères, bons maris, ils laissent néanmoins peser sur leurs femmes le fardeau de presque tout le travail journalier; mais ils ne les brusquent jamais. Î. Ils ont sans aucun doute été transmis par les Araucanos dans leurs échanges réciproques. (219) L'arrivée des Européens en Amérique a grandement modifié la manière de vivre des Patagons. Avant la conquête, ils voyageaient à pied, par petites familles, s’établissant dans un lieu tant qu’ils y trouvaient du gibier; puis, la contrée dégarnie, ils se trans- portaient ailleurs, errant ainsi sans cesse. Ils voyagent plus encore aujourd’hui, parce qu’à l'intérêt de la chasse, nécessaire à leur existence, se joint, dans leurs courses actuelles, le besoin de pàturages pour leurs chevaux; et si ces animaux leur facilitent la traversée de déserts dont ils n’osaient d’abord approcher, s'ils s'emparent du gibier avec moins de peine, ils résident aussi moins long-temps en des lieux plus promptement dépeuplés. Dès qu’une famille patagone a détruit tout le gibier du canton où elle s'était établie, les femmes seules, chargées du travail du ménage, s'occupent à rouler les peaux qui, soutenues sur des pieux, forment la tente (7o/do), son humble retraite; elles empa- quètent tout, tandis que les hommes réunissent les chevaux; elles chargent leur bagage, et montent ensuite par dessus avec leurs jeunes enfans. Les hommes ne portent que leur arc, leurs flèches, armées d’un morceau de silex, comme celles des Fuégiens; ils ont aussi leur fronde et surtout leurs bolas!, la plus terrible de leurs armes. Ils se rendent ainsi, à petites journées, au canton où ils doivent séjourner de nouveau. Dès qu'ils sont arrivés, les femmes reforment la tente, allument du feu; leurs maris, comme toujours, passant à dormir tout le temps qu’ils ne donnent pas à la chasse, leur occu- pation exclusive. De plus les femmes, avec une patience extrême, écorchent les animaux tués, en préparent les peaux, les assouplissent, les cousent ensemble, quand elles sont petites, au moyen de tendons d'animaux, et en confectionnent ainsi principalement de grands manteaux ornés de peintures, qui servent d’habillement aux deux sexes, indé- pendamment d’autres pièces qui entourent la ceinture. C’est là d’ailleurs toute l’industrie des Patagons; jamais ils n’ont songé à se construire même un radeau. Essentiellement terrestre, le Patagon s’abaisse rarement à manger des coquillages, lorsque les circons- tances lui font diriger sa chasse vers les rivages maritimes. Les hommes relèvent leurs cheveux sur la tête et les attachent avec un petit ruban de tissu ou de cuir. Ils ne laissent pas fréquemment à leur figure sa couleur naturelle; ils se peignent en rouge et en noir, mettant le rouge sur les joues, le noir sous les yeux, quelquefois du blanc sur les sourcils. Les femmes emploient les mêmes couleurs, à l’exception du blanc; elles séparent leurs cheveux en deux parts, sur le milieu de la tête, les laissant ainsi flotter sur leurs épaules, ou en formant deux queues ornées de grelots et de verroteries; elles portent des boucles d’oreilles d’argent, larges de quelques pouces ?, et s’ornent les pieds de bracelets et de colliers en verroteries, qu’elles obtiennent par échange des autres nations, qui se les procurent dans les villes. Le gouvernement des Patagons n’a rien de positif : les chefs qui les mènent à la guerre, sont leurs égaux en tout autre temps. Jamais ils ne se sont soumis au joug européen , et 1. Pour plus de détails, voyez partie historique, t. IT, les chapitres XVIII et XX, où nous avons décrit tout ce qui a rapport à cette nation. 2, Voyez Coutumes, n.” 4 et 5, et Costumes, pl. 5. Homme améri- «ain. ( 220 ) Homme toujours ils surent au besoin défendre par les armes, la liberté dont ils jouissent sméri- ain. encore, Leur religion est, avec quelques modifications, celle des Puelches et des Aucas; ils redoutent plutôt qu'ils ne révèrent, leur Achekenat-hanet, tour à tour génie du mal et génie du bien. Éprouvent-ils quelqu’indisposition? Le génie est entré dans leur corps; et les devins, en même temps médecins, cherchent à l'en arracher par des succions, par mille conjurations, par mille jongleries. Égarent-ils quelque chose? C’est encore le génie qu’on accuse de la perte, sans que le bien qu'il fait soit l'équivalent du mal dont il est l’auteur. Leurs devins, déguisés en femmes, lorsqu'ils ne sont pas du sexe féminin , exercent aussi les fonctions d’interprètes du génie malfaisant, lui parlent et transmettent sa réponse à l'instant où, tout exaltés, comme les anciennes pythies des Grecs, ils sont encore remplis du dieu. Les Patagons croient à une autre vie, où ils goûteront une félicité parfaite; de là vient, chez eux, la coutume d’enterrer, avec le défunt, ses armes, ses bijoux, et même de tuer, sur sa tombe, tous les animaux qui lui ont appartenu, afin qu'il les retrouve dans le séjour de la béatitude. Ce dernier usage oppose une barrière insurmontable à toute civilisation; car ne conservant jamais rien de ce qu'ils ont pu amasser, ils demeurent toujours pauvres et ne sauraient assez multiplier les troupeaux pour subvenir à leur nourriture, ce qui les empêche de se fixer. Les plus superstitieux entre tous les sauvages, ils fêtent l’époque de la nubilité des femmes. En résumé, si les Patagons doivent former une espèce séparée des autres Américains, ce n'est pas seulement en raison de la supériorité de leur taille, comme on l’a dit jusqu’à présent. Les Patagons, au contraire, nous semblent appartenir à un rameau d’hommes distingués surtout par des formes massives, nullement efféminées, et par une taille avan- tageuse; d’hommes propres aux plaines de l’est de l'Amérique méridionale, qui, par les Puelches, passent aux Charruas, aux Mbocobis ou aux Tobas du grand Chaco. Leurs mœurs, leurs coutumes, leur religion sont celles des Puelches, surtout, et des Aucas. Sous ces divers points de vue, toutes ces nations australes ont la plus étroite analogie. Par le langage, les Patagons n’ont rien qui les rapproche des Aucas, l’idiome de ces derniers élant très-doux et très-harmonieux, tandis que celui des Téhuelches est dur. Ils paraissent, sous ce rapport, liés aux Puelches, dont la langue, plus gutturale encore, présente beaucoup des mêmes formes. On retrouve aussi, dans la manière dont prononcent les Mbocobis et les Tobas, les sons durs de la langue patagone, ce qui est un trait de ressemblance de plus. Comme le montrera la description comparative, les Patagons se distinguent des Aucas par leur taille, par leurs formes, par leurs traits, différence que nous avons trouvée partout en Amérique, entre les peuples montagnards et ceux des plaines, ( 221 ) NATION PUELCHE. Les divers auteurs 1, et même les habitans des villes ou villages voisins des lieux où vivent les Aucas et les Patagons, confondent presque toujours les Puelchesavec ces deux nations australes, sous la dénomination vague de Pampas, parce qu’ils habitent les immenses plaines de ce nom, situées au sud de Buenos-Ayres. Le nom de Puelche, que la nation se donne, lui est aussi appliqué par les Aucas; les Patagons l’appellent Fonec. C’est probablement le peuple connu sous le nom de Querendis? lors de la conquête de Buenos-A yres. 5 En contact au sud avec les Patagons, ils se mêlent fréquemment avec eux dans leurs courses. Passant pour avoir habité au seizième siècle les lieux occupés aujour- d'hui par Buenos-Ayres, il est du moins certain que depuis plus de cent ans ils sont fixés du 39.° au 41.° degré de latitude méridionale sur les plaines d’entre le Rio Negro et le Rio Colorado, mais plus particulièrement encore sur les rives de ce dernier fleuve, à quelques degrés du bord de la mer dans l’intérieur. Ils voyagent au sud jusqu’au Rio Negro et au-delà, et vers le nord jusqu’à la Sierra de la Ventana, ne quittant ces parages que pour faire des excursions sur les terres de Buenos-Ayres ou sur celles des Aucas; au reste, ils sont au moins aussi nomades que les Patagons, et toujours divisés en plusieurs tribus errantes, qui se réunissent soit pour attaquer, soit pour se défendre. De tout temps les Puelches ont eu de fréquentes relations avec les Patagons et les Aucas, souvent même ils ont eu à soutenir des guerres cruelles contre ces nations; par suite, leur nombre, d’abord de quelques milliers, était déjà considérablement diminué, lorsque, vers la fin du siècle dernier, les funestes effets de la petite vérole le réduisirent au quart; et décimés encore par les attaques journalières des Aucas, ils ne comptent plus aujourd’hui que cinq à six cents âmes4, sous les ordres de plusieurs caciques. Tout porte à croire que la nation entière sera détruite d’ici à un siècle, ou tout au moins qu’elle se fondra dans celle des Araucanos. La peau des Puelches, de la même teinte que celle des Patagons, est peut-être un peu plus foncée; leur couleur est aussi brun-olivätre plutôt que cuivrée. ———— 47" ————————— 1. Falconer (Terres magellaniques, t. I, p. 45) les confond avec les Patagons dans sa descrip- tion ; et Azara (Voyage dans l’Amér. mérid., t. I, p. 55 et suiv.), qui n’a vu aucune de ces nations australes, les mêle au contraire avec les Aucas. C’est à tort qu’on a presque toujours regardé le nom de Puelche comme identique avec celui de Péhuenche, tribu des Aucas. 2. Ce mot, qui n’est ni auca ni puelche, appartient évidemment à la langue guarani, parlée aussi près de Buenos-Ayres. 3. Rui Diaz de Guzman, Historia argentina (écrite en 1612), imprimée (Collection de Angels) à Buenos-Ayres en 1835, dit, p. 9, qu'ils sont chasseurs, et p. 33, qu’ils emploient les bolas, ce qui ferait croire que ce sont bien des Puelches. 4. En 1535, selon Schmidel, loc. cit., p. 9 , ils étaient au nombre de 3,000. Homme améri- ain. (: 2227 ) Leur taille est moins élevée que celle des Patagons; leur stature moyenne au moins de { mètre 70 centimètres (5 pieds 3 pouces). Peu d’hommes sont au-dessous de 1 mètre 62 centimètres (5 pieds), tandis que quelques-uns atteignent { mètre 75 à 80 centimètres (5 pieds 5 ou 6 pouces), et même plus. Les femmes sont presqu’aussi grandes que les hommes, et nous croyons, d’après nos mesures, que leur taille moyenne s'élève à 1 mètre 620 millimètres. Les Puelches peuvent rivaliser avec les Patagons pour la corpulence, la largeur des épaules et la force des membres. Ils leur ressemblent tellement qu’on pourrait les regarder comme des Patagons plus petits, parlant une langue différente; même figure large et sévère, même bouche saillante, très-grande, à grosses lèvres et renfermant des dents magnifiques; mêmes yeux petits, horizontaux; même nez épalé, à narines ouvertes; mêmes cheveux noirs, lisses et longs; même barbe, qu’ils arrachent également. Les pom- mettes seules sont un peu plus saillantes que chez les Patagons et annoncent la transition aux Mbocobis et aux Charruas. Les femmes participent aux traits et à la force des hommes, et n’ont que dans l’extrème jeunesse la figure de leur sexe; sous ce rap- port, elles ressemblent aussi beaucoup aux Patagones. On se fera une idée plus exacte de la tête osseuse des Puelches par l'inspection de la planche 1, fig. {, où nous en avons représenté une. On pourra trouver que, sauf la saillie des os maxillaires, ce cràne diffère peu de ceux des autres nations de l’ancien monde. La langue puelche ne se rapproche de la langue patagone qu’en ce que cette dernière a de dureté; mais elle en est tout à fait distincte par le fond; gutturale, saccadée et rude, au point qu'en nous servant des lettres espagnoles, nous n'avons pas encore trouvé de moyens d'écrire certains mots. Employant souvent le #, et remplie de sons composés que forment les consonnes {z et mz, elle est fortement accentuée. Ce qui la rend plus dure encore, c’est que la moitié des mots sont terminés par les consonnes al, ex, ec, l, am, ig, s, ep, eq, ch et {z. Le j espagnol s'emploie fréquemment; mais il est encore une articulation plus forte, celle du tr, prononcée du fond du gosier. L’u nasal est peu commun, ainsi que les diphthongues, comme ain; le ck français y est d’un fréquent usage; le son de lf tout à fait inconnu. On y remarque une anomalie dans les noms des parties du corps, qui commencent tous par un y, comme Yacaléré, joues; Fatitco, yeux; Yaxyexké, oreille; mais nous exoyons devoir attribuer cette singularité à la contraction du pronom possessif, qui entre dans le composé de ces noms. Les adjectifs ne changent pas au masculin et au féminin. Le système de numération est étendu , il va jusqu’à 100,000; mais tous les nombres au-dessus de 99 sont empruntés à la langue des Incas.! Le caractère des Puelches est identiquement celui des Patagons : même dissimulatuon, mème fierté, mèmes idées d'indépendance. 1. Voyez partie de Linguistique. La meilleure preuve qu’Azara les confond avec les Aucas, c'est qu'il dit (p. 41) que leur langue n’a aucun son nasal ni guttural; ce qui est vrai des Aucas , mais non des Puelches, dont la langue est une des plus dures de celles qui se parlent en Amérique. ( 223 ) Les mœurs de la nation qui nous occupe sont celles des Patagons : comme ceux-ci, toujours en voyage, les Puelches sont ambulans et grands chasseurs; ils possèdent maintenant beaucoup de chevaux, et se retirent sous des tentes de peaux d’animaux, qu'ils transportent partout avec eux, armés également de l’arc, de la flèche et des bolas :; ils sont tout aussi peu avancés pour l’industrie, quoiqu’ils commencent à savoir üsser. Mème costume, bien que souvent mêlé à celui des Aucas; mêmes ornemens, mêmes peintures de la figure; même paresse chez les hommes; même activité chez les femmes, chargées de tous les travaux du ménage. Les Puelches, comme les Patagons, ne vivent jamais sur les rivages de la mer, et ne sont pas plus navigateurs. Leur gouvernement est semblable à celui des Patagons : ils ont des chefs ou Ganac qui les dirigent à la guerre, mais auxquels ils n’obéissent pas en temps de paix; c’est ordi- nairement le meilleur des orateurs et le plus brave qui devient cacique. Aussi indé- pendans aujourd’hui qu’à l’époque de la conquête, ils n’ont jamais reconnu la domination espagnole. Leur religion est aussi celle des Patagons : ils croient à un génie du mal, nommé Gualichu où Arraken, qui devient quelquefois bienfaisant, sans qu’on ait besoin de le prier. Leurs devins ( Calmelache), également médecins, sont tellement redoutés, qu'après leur mort un Puelche ne passe qu’en’ silence au pied de leur tombe, dans la crainte de les réveiller. Ils croient à l’immortalité de l'âme, et, en conséquence, enterrent avec le défunt ses armes et ses bijoux les plus précieux?. Ils fêtent l'instant de la nubilité des femmes. On a vu combien il y a d’analogie, pour les caractères physiques, pour les mœurs, pour la religion, entre les Puelches et les Patagons. Nous en conclurons qu'ils appar- tiennent au même rameau d'hommes ; seulement plus petits que les Patagons, ils parlent, un langage distinct. Par les traits et le parler, ils diffèrent des Aucas, et font ainsi le passage des Patagons aux autres nations des plaines du grand Chaco, telles que les Mbocobis ou Tobas et aux Charruas de la Banda oriental de la Plata. 1. Ils s’en servirent en 1536, lors de la première fondation de Buenos-Aÿres. (Voyez Historia argentina, de Rui Diaz de Guzman, p. 34.) Ulderico Schmidel, édit. de Buenos-Ayres, p. 7, dit la même chose et parle aussi de lances armées de pointes de silex. . 2, Azara dit de cette nation, comme de toutes les autres (t. II, p. 49), qu’elle n’a pas de croyance religieuse : il fallait qu’il fût bien préoccupé de cette idée négative pour l'appliquer même aux Puelches, remarquables par la multiplicité des pratiques superstitieuses auxquelles ils se livrent. Homme améri- cain. Homme améri cain. ( 224 ) NATION CHARRUA. Le nom de Charruas, connu depuis les premiers temps de la conquête de l'Amérique, n’est cependant pas le seul sous lequel cette nation soit désignée par les historiens. Nous croyons, contre le témoignage d’Azara?, que les Winuanes, toujours confondus par les auteurs avec les Charruas ?, n’en étaient qu’une tribu, ce que nous parait prouver l’iden- tité parfaite de coutumes indiquée même par l'écrivain espagnol. Nous croyons également que les Faros$, qui vivaient entre les Charruas et les Minuanes, les Bohanes et les Chanas, leurs voisins, étaient aussi des tribus des Charruas, dont les noms ne figurent qu’au commencement de la conquête, ce qui a fait dire à Azara# qu'ils avaient été détruits par les Charruas.5 Lors de la conquête, les Charruas proprement dits s’étendaient depuis la Lagoa dos Patos , province de Rio Grande, jusqu’au débouché de l’Uruguay dans la Plata, sur tout le littoral maritime; et des côtes orientales de la Plata6 jusqu’à une trentaine de lieues dans les terres. La tribu des Winuanes se tenait entre l’Uruguay et le Parana, tandis que les Yaros, les Bohanes et les Chanas vivaient, en très-petit nombre, les premiers sur la rive orientale de l'Uruguay, près du Rio Negro; les deux autres tribus dans les îles de l'Uruguay, en face du Rio Negro. Ils étaient donc, au seizième siècle, circonscrits, vers le nord, par des déserts, sans passer le 31° degré de latitude sud; à l’est, par la mer; à l’ouest, par le Parana, et au sud par le confluent du Parana et de l’'Uruguay, sur la Plata même. Les Minuanes passèrent, vers 1730, sur la rive orientale de l'Uru- guay, se réunirent aux Charruas dans la Banda oriental et combattirent long-temps les Espagnols, qui, après la fondation de Montevideo et de la Colonia del Sacramento, les repoussèrent à leur tour. Ils s’enfuirent vers le nord, où ils furent encore attaqués; leur nombre diminua peu à peu; et, enfin, aujourd’hui les Charruas sont réduits à quelques petites tribus errantes, à l’est de l’'Uruguay, au nord du 31.° degré de latitude sud, aux frontières et même sur le territoire des anciennes Missions. Jadis ils avaient 1. Voyage dans l'Amér. mérid., t. H, p. 30. 2. On peut, à cet égard, consulter Funes, Hist. del Paraguay ; Gonzalo Doblas, Memoria histo- rica de missiones, p. 55. 3. Il est faux, d’après le manuscrit de Lastarria, art. 80, qu’ils vécussent encore en 1804 sur les rives du Rio Negro. Voyez Art de vérifier les dates, 3.° part., t. XIII, p. 181. 4. Voy. dans l’Amér. mér., t. IN, p. 7. 5. Une preuve de plus de la confusion qui règne dans la nomenclature des nations américaines , c’est le travail de M. Warden ( 4rt de vérifier les dates, t. XIII, 3 partie) qui réunit, pour le Brésil seulement, plus de 400 nations, Il est vrai que nous trouvons, parmi celles-ci, des nations vivant en dehors de cette contrée. 6. Historia argentina, p- 6, 78. ( 2% ) pour voisins, du côté de l’ouest, les Aucas et les Puelches des Pampas, dont les sépa- raient le Parana et la Plata; et, au nord, les Guaranis. Dans la dernière guerre entre Buenos-Ayres et le Brésil, en 1827, on nous assura que cinq caciques s'étaient avec cinq cents Charruas incorporés à l’armée argentine. S'il en est ainsi, comme tout paraît le prouver, il y aurait encore plus de 1,500 âmes de cette nation , jadis si formidable; mais ce nombre diminue journellement, soit par les guerres, soit par le mélange des naturels avec les Guaranis, soit parce qu’ils se sont laissé emme- ner dans les villages. Leur couleur, plus foncée que celle des Patagons, est d’un brun-olivätre souvent noiratre ou marron. C’est peut-être la nation américaine que l'intensité de la couleur rapproche le plus du noir; elle contraste même, sous ce rapport, d’une manière frap- pante avec celle des Guaranis, ses voisins. Nous avons été à portée de voir, en 1829, à Montevideo plusieurs Charruas; ils ne nous ont pas montré, malgré lallégation d’Azara!, une taille qui parût dépasser d'un pouce celle des Espagnols. Le plus grand que nous ayons vu, n'avait pas plus de 1 mètre 76 centimètres (5 pieds 5 pouces), et leur taille moyenne ne nous a pas semblé de plus de f mètre 68 centimètres (5 pieds 2 pouces). Comme chez les Puelches, les femmes sont presque aussi grandes et aussi robustes que les hommes; elles ont au moins { mètre 66 centimètres, ou 5 pieds 1 / pouce de taille moyenne. Les formes des Charruas sont, comme celles des Puelches, on ne peut plus massives; toujours très-charnus, ils n’ont jamais l'obésité des Guaranis. Leurs épaules sont larges, leur corps d’une venue, leurs membres fournis, leurs mains et leurs pieds petits. Les femmes, dans les mêmes proportions, ont la gorge bien faite, le corps large, sans que jamais la ceinture soit notablement plus étroite que le reste du corps. Les Charruas ont la tête grosse, la face large; les pommettes un peu saillantes; le nez assez étroit de la base, enfoncé dans cette partie, gros, à narines évasées et ouvertes; les sourcils saillans, fortement arqués, peu fournis; les yeux petits, noirs, enfoncés, peut-être un peu bridés, mais horizontaux; les lèvres grosses; la bouche grande; les dents belles et ne tombant jamais; la barbe rare; la lèvre supérieure et le menton en dessous, sont seuls garnis de poils droits et non frisés; leurs cheveux sont longs, noirs, gros et plats. L'ensemble des traits donne une figure des plus sérieuse, et souvent même d’un aspect dur et féroce; on trouve rarement chez leurs jeunes gens cet air enjoué et ouvert de ceux de quelques autres nations : on pourrait dire que, sous ce rapport, ils n’ont point de jeunesse. Leur maintien est toujours triste et taciturne,. Leur langue, dure et gutturale?, se rapproche en cela de celle des Puelches et des autres nations des plaines, telles que les Mbocobis ou les Tobas du grand Chaco; mais c’est la seule analogie qu’on y rencontre; car elle est d’ailleurs très-différente. Leur voix nest Jamais élevée; ils parlent même presque toujours bas. 1. Voy. dans l’Amér. mér., 4. IT, p. 8. 2. Azara dit, L IT, p. 6 : « Leur langue est si gutturale, que notre alphabet ne saurait rendre « le son de ses syllabes. » IV. Homme. 29 Homme améri- ain. Jomme amer i _ ( 226 ) Le caractère moral des Charruas est le même que celui des Puelches et des Patagons: fiers, indomptables , courageux, amis de leur liberté, guerriers par excellence, ils ont = mieux aimé combattre toujours, se faire décimer par les conquérans du nouveau monde, que de suivre l'exemple de leurs voisins ‘en se soumettant aux exigences religieuses des Jésuites; et, quoiqu'aujourd’hui réduits à une poignée d'hommes, ils font encore tous leurs efforts pour se soustraire à l'esclavage. Les Charruas sont exclusivement habitans des plaines et des pays entièrement décou- verts. Leurs mœurs ressemblent beaucoup à celles des Indiens des Pampas continuelle- ment ambulans; comme eux ils sont vagabonds, ne vivent que de chasse, sans connaître la pêche, la navigation, la culture; comme eux, ils se construisent des tentes de cuir dans tous les lieux où ils veulent s'arrêter. Infatigables guerriers, ils ne sont pas long- temps sans attaquer surtout les Chrétiens qui les gènent'. À cet éffet, ils aban- donnent momentanément leurs déserts pour s'approcher de lennemi, cachent leurs familles dans les bois, prennent leurs chevaux; envoient des éclaireurs pour décou- vrir les forces à combattre; et, vers le point du jour, les hommes seulement cherchent à surprendre leurs adversaires, tous armés d’une lance de dix à douze pieds, ou d’un arc et de flèches courtes, qu’ils mettent dans un carquois suspendu sur l'épaule. Ils s’avancent ainsi lentement, souvent couchés sur le côté de leurs chevaux; mais dès qu'ils sont très-près, ils animent leurs coursiers, tombent au grand galop sur l’ennemi, en poussant des cris furieux; et tuent tous les hommes, ne conservant que les femmes et les enfans, dont ils font des concubines et des esclaves. Ils ne partagent pas le butin. Le mariage n’est pour eux, des deux côtés, qu’une affaire de convenance. La polyga- mie leur est permise en ce sens, qu'ils prennent une jeune femme dès que la première est âgée; mais celle-ci a toujours la haute main sur les autres. Leur industrie se borne à élever des chevaux et à se faire quelques pièces de vête- mens avec des peaux d’animaux; car jamais ils n’ont su tisser. Les hommes ne s'occupent que de leurs armes, tandis que les femmes tiennent lieu de bêtes de somme, lorsqu'ils voyagent et manquent de chevaux; elles sont aussi chargées de tous les détails du ménage. Les hommes vont toujours tête nue et portent quelquefois une chemisette sans manches, faite de peaux d'animaux; les femmes se procurent, des Guaranis ou des Chré- üens , des tissus dont elles font des chemises. Les hommes s’ornent souvent de la barbote, 1. On à maintenu, jusque dans ces derniers temps, l'énoncé des anciens auteurs que les Char- ruas sont anthropophages, parce que les premiers aventuriers ont dit qu’ils avaient mangé le corps de Diaz de Solis (Funes, Ensayo de la historia del Paraguay, t. 1%, p. 3); mais depuis il a été bien reconnu que ce n’était qu’une fable; que les Charruas , même lors de l'expédition de Gaboto (en 1526) gardèrent au milieu d’eux leurs prisonniers et n’eurent jamais l'intention de les manger. Voyez Corogr. bras., 1, p. 338; Art de vérifier les dates, t. XII, p. 137. On peut donc s'étonner de voir cette fable reproduite en 1835 par M. d’Angelis, à la page 11 de la table de lHistoria argentina. ( 227 ) formée d’un morceau de bois qu’ils passent dans un trou pratiqué à la lèvre inférieure, à la base des dents. Leurs cheveux sont fréquemment relevés, et ils y posent verticale- ment des plumes blanches; les femmes les portent pendans. Elles se tatouent la figure à l’époque de la nubilité. Leur gouvernement, selon Azara, se réduirait à un conseil formé par les chefs de famille, se réunissant et s’asseyant en rond pour délibérer s’il y a lieu ou non d’atta- quer l'ennemi commun. Ils n’ont d’autres supérieurs que celui d’entreux momen- tanément chargé de diriger l'expédition ; d’ailleurs aucune soumission à personne, pas même à leurs parens. Les querelles se vident entre les parties. Leur religion, quoiqu’Azara: prétende qu’ils n’en ont aucune, est analogue à celle des Indiens des Pampas : comme ceux-ci, ils ont la coutume de marquer par une fête l’époque de la nubilité des jeunes filles, et c’est alors qu'ils tracent trois lignes bleues de tatouage, de la racine des cheveux au bout du nez, et deux autres transversales sur les tempes. Ils croient à une autre vie, ce que prouve la manière dont ils enterrent les morts, avec leurs armes et tous leurs habillemens; et, comme chez les Aucas, ils tuent leur meilleur cheval sur la tombe. Le deuil est barbare : les sœurs, les femmes et les filles se coupent, au décès de chacun des leurs, une articulation des doigts, en commençant par le petit; de plus, elles s’enfoncent, et toujours, la lance ou le couteau du parent dans la peau des bras, des seins et des flancs, de la ceinture en haut. Les hommes ne portent pas le deuil de leur femme; mais à la mort de leur père ils en observent un, plus rigoureux encore que celui des femmes : ils se font enfoncer de part en part dans la chair des morceaux de roseau, de pouce en pouce sur toute la longueur des bras, depuis le poignet jusqu’à l’épaule, et se soumettent à des jeûnes très-prolongés. Leurs médecins, également devins, ainsi qu’en Patagonie, prétendent opérer des cures au moyen de la succion des parties malades. En résumé, les Charruas, ainsi que les Puelches, parcourent les plaines en nomades ; comme eux ils sont fiers, belliqueux, indépendans, indomptables. Leur langue est aussi dure et gutturale; leurs mœurs, leur manière de se nourrir, leur gouvernement, sont à peu près les mêmes; ils vivent sous des tentes de cuir et attaquent l'ennemi à l’improviste. Le fond de leur religion présente beaucoup d’ana- logie avec celle des Puelches; ainsi, sous ces divers points de vue, les Charruas peuvent être considérés comme voisins de ces derniers, dont ils ont même encore quelques-uns des caractères physiques généraux, tels que les formes massives, la couleur foncée, les yeux horizontaux, les grosses lèvres; s’en distinguant néanmoins par un langage différent, des pratiques plus barbares dans leurs cérémonies reli- gieuses, une taille moins élevée, une teinte plus prononcée, une figure plus féroce, plus sombre, des yeux plus grands. Nous ne pouvons, en conséquence, 1. Loc. cit., p. 14: Ils n’adorent aucune divinité, et n’ont aucune religion. Telles sont les paroles de l’auteur espagnol. Ne pourrait-on pas lui demander pourquoi ces mêmes Indiens, sont, comme il le rapporte, enterrés avec leurs armes ? Homme améri- cain. — Homme améri- “ain, ( 228 ) ne pas considérer les Charruas comme appartenant au rameau américain propre aux plaines. ! 1. Nous croyons qu’on a quelquefois mêlé des Charruas à cette réunion hétérogène d’Indiens indiqués sous le nom de Guaycurus. (Voyez Art de vérifier les dates, t. XII, 3.° part., p. 147.) Les Espagnols et les Portugais donnent le nom de Guaycurus à tous les Indiens qui sont à cheval; et dès-lors cette nation, depuis long-temps éteinte, suivant Azara (4mér. mér., t. Il, p. 146), se repro- duit tous les jours; ainsi nous avons entendu appeler Guaycurus les Tobas, les Mbocobis et une foule d’autres. ( 229 ) NATION MBOCOBI OU TOBA. En confrontant les vocabulaires que nous avons recueillis de la langue des Mbocobis et de celle des Tobas, décrits par Azara! comme des nations tout à fait différentes, nous avons reconnu qu’elles n’en forment absolument qu’une, et d’après ce que nous avons appris d'eux-mêmes, il nous a été facile de nous apercevoir que bien certainement les Pitilagas? de cet auteur, ses Aguilots5, ses Mbocobys, ses Mackicuys# et ses Tobas ne sont que des tribus parlant la même langue que les Mbocobis et les Tobas. Les Tobas se nomment Guanlang dans la langue mataguaya. Les Lenguas les appellent Vatocoet et Incanabacte ; les Abipones du Chaco, Caliazec. Le père Lozanoÿ dit aussi que les Tobas, les Mbocobis et les Fapitalaguas du Chaco sont de la même nation6; mais il cite quarante- trois noms de villages, que nous nous dispenserons de reproduire ici. Ses Malbalas7 et peut-être ses Zaños 8 nous paraissent encore être des Tobas. En les réunissant aux Mbocobis, comme nous croyons le devoir faire ici, les Tobas couvrent la plus grande partie du grand Chaco, du 21.° au 32.° degré de latitude sud. Ils habitent toutes les rives du Pilcomayo, du lieu où cette rivière abandonne les derniers contreforts des Andes boliviennes jusqu'au Paraguay, le quart inférieur du cours du Rio Vermejo, près de son confluent, et de là, sous le nom de Mbocobis, le sud, jusqu'aux environs de Santa-Fe, sur les plaines élevées en dehors des marais des rives du Parana; ainsi, au nord-est, ils sont bornés par des nations de la province de Chiquitos; au nord-ouest , par les Chiriguanos de Bolivia; à l’est, par les Abipones, par le Rio Parana et le Paraguay qui les sépare des Guaranis; au sud, par les 1. Les nations du grand Chaco sont peut-être les plus embrouillées de toutes celles de lAmé- rique, et Azara lui-même (Voy. dans l’Amér. mér., t. I, p- 160 et 162) n’a pas, sous ce rapport, rendu à la science tous les services qu’on pouvait attendre d’un observateur aussi distingué; il était malheureusement, ainsi que nous l’avons déjà fréquemment reconnu, préoccupé de la double idée que les Américains ne devaient pas avoir de religion, que chaque tribu dont il n’entendait pas le langage, devait avoir un idiome tout à fait différent de tous les aulres; cette opinion il la professait sans avoir écrit les mots qui pouvaient l’amener à la conclusion contraire ; aussi ses listes de nations se sont-elles accrues à l'infini. 2. Loc. cit., p. 161. 3. Page 162. 4. Les dix-huit noms de tribus donnés par Azara (p. 155) annoncent évidemment que la langue des Machicuyÿs présentait les mêmes sons que celle des Tobas. Les terminaisons en #h, en ac et en op le démontrent sans réplique; d’ailleurs les coutumes, les traits et les autres caractères physiques sont aussi en rapport. 5. Descripcion chorographica del gran Chaco. Gualamba (1733), p. 77. 6. Lozano, Historia del Paraguay, copie quelquefois son autre ouvrage. Voy. L If, p.175, etc. 7. Lozano, Chaco, p. 83 à 85. 8. Ibidem, p. 247. Homme améri- cain. ———— ( 250 ) Homme Pampas qu'habitent les Aucas, et, à l'ouest, par les nombreuses tribus des Mataguayos, ameri- vain. enclavant peut-être quelques autres petites tribus distinctes. Cette nation est spéciale aux plaines, et paraît se plaire principalement sur les rivages des fleuves, où elle vit de chasse et élève des troupeaux. Souvent elle se fixe en un lieu, dans le but d'y cultiver la terre; mais, plus souvent encore, elle aime le changement, voyageant d’un endroit à l’autre. Ces Indiens sont peu unis entr'eux. La tribu des Mbocobis, aujourd’hui des plus puissante, fait la guerre aux autres tribus des rives du Parana, tandis qu’au contraire celles du haut Pilcomayo attaquent fréquemment les Chiriguanos, malgré la supériorité numérique de ces derniers. Il y a de plus une foule d’autres petites tribus presque toujours en querelle les unes avec les autres. Azara, en 1800, évaluait le nombre des Mbocobis seuls à 2,000 guerriers, ce qui pourrait le porter à 6,000 âmes au moins; celui des Tobas à 500 guerriers, ce qui supposerait environ 1,500 àmes; celui des Pitilagas, à 200 guerriers (ou 600 ämes); les Aguilots à 100 guerriers (300 âmes), et enfin les Machicuys à 1,200 guerriers ou 3,600 àmes, ce qui ferait un total de 12,000, pour ceux que connaissait Azara. Si l’on songe ensuite que les Tobas des Cordillères font la guerre aux Chiriguanos, qui ont à leur disposition quelques milliers de combattans, on devra penser qu’ils ne sont pas inférieurs en nombre aux Mbocobis; et pour peu qu’on y ajoute toutes les petites hordes disséminées dans le Chaco, l'on pourra, sans s'éloigner de la vérité, supposer que la nation entière se compose au moins de 14,000 individus encore indépendans. 2 La couleur des Tobas et Mbocobis, bronzée, ou plutôt brun-olivatre, moins foncée que celle des Charruas, n’est pas jaune comme chez les Guaranis; se rapprochant beau- coup de celle des Puelches, elle est beaucoup plus foncée que parmi les nations du rameau chiquitéen. Les Tobas que nous avons vus près de Corrientes sont d’une assez haute stature; on en trouve fréquemment de 1 mètre 73 à 76 centimètres (5 pieds 4 à 5 pouces), et leur taille moyenne paraît approcher de 1 mètre 68 centimètres (5 pieds 2 pouces). Celle des femmes est presque semblable, ou du moins dans de belles proportions rela- uüves (1 mètre 590 millimètres). Leur forme générale les rapproche des Charruas. Ils sont robustes, ont les jambes grosses, les épaules larges, la poitrine saillante, le corps peu svelte. Les femmes participent à leur extérieur : on ne peut plus fortes, elles sont larges des hanches et de la poitrine; leur ceinture est peu marquée; leurs seins ne sont pas trop volumi- neux, et surtout sont très-bien placés; mais c'est pour peu de temps, par suite de leur coutume de les aplatir et de se les allonger, de manière à pouvoir, en marche même, allaiter leurs enfans, qu’elles portent derrière le dos5. Nous n’avons jamais vu d’obésité parmi les Charruas. Leur démarche est peu gracieuse. ARR 1. Voy. dans l’Amér. mér., t. IH, p.162. 2. Le père Lozano, oc. cit., dit, p. 77, que cette nation forme 43 villages distincts. 3. Voyez partie historique, t L®, ch. X, p. 305, ( 251 ) Leurs traits ont aussi beaucoup de rapports avec ceux des Charruas; leur tête est grosse, leur face large sans être pleine, leur front saillant, leur nez élargi par des narines ouvertes; leurs pommettes sont prononcées dans l’âge adulte, ils ont la bouche grande, les dents magnifiques; les oreilles petites ; les yeux petits, horizontaux, comme bridés quelquefois au côté externe, ce qui les ferait croire un peu inclinés vers le haut. Les sourcils (chez ceux qui ne s’épilent pas) sont peu larges, noirs et arqués; leur barbe est très-rare et ils se l’arrachent; leurs cheveux se rapportent à ceux de tous les autres Américains. L'ensemble des traits est des plus sérieux, et s'accorde parfaitement avec la taciturnité des hommes. Les jeunes femmes montrent quelquefois un sourire gracieux et une figure intéressante; mais, le plus souvent, dès qu’elles ont atteint vingt-cinq ans, leurs traits changent, leurs pommettes deviennent saillantes, et les deux sexes sont alors d’une laideur repoussante. Leur langue, des plus facile à reconnaître par la multiplicité de ses terminaisons en ic, ec, ac, oc, ap el et, est excessivement saccadée, excessivement dure; d’autres sons, plus compliqués de consonnes, ceux, par exemple, de nd, de mb, de la double nn (la première de ces deux dernières lettres prononcée comme si elle était seule), lui donnent aussi un caractère tout particulier. La gutturation en est aussi extrêmement forte, extrémement dure; mais ce n’est pas le j espagnol, c’est l’r qu’elle grasseye et tire de la gorge. Le cz français et espagnol lui manquent, ainsi que les sons des lettres b, f, z. Quoique cette langue soit privée d’euphonie, autant au moins que celle des Puelches, elle est encore plus saccadée, et en diffère de tous points; mais elle présente une ana- logie de sons remarquable avec les autres langues du Chaco. La voix est constamment rauque chez les deux sexes. Leur caractère est aussi fier, aussi indépendant que celui des autres nations des plaines; il est de plus insouciant, et tout chez eux annonce une indolence qui ne cesse que lorsqu'il s’agit de chasse ou de guerre. Taciturnes autant que possible , ils ne rient presque jamais, et ne sont cependant pas méchans envers leurs femmes, qu'ils traitent mème souvent avec beaucoup de douceur. Jamais on n’a pu réussir à les main- tenir sous la tutelle des religieux. Les mœurs des Tobas sont singulières; ils sont à la fois, par circonstance, errans et vagabonds , ou sédentaires et alors agriculteurs; pasteurs depuis la conquête, ils furent toujours chasseurs et guerriers. On voit dès-lors qu’ils servent de transition aux autres nations septentrionales. Les habitudes ne sont pas identiques dans les diverses tribus; mais elles ont partout un fond de ressemblance. Le Toba se fixe volontiers au bord des rivières, où 1l soigne ses troupeaux el sème le maïs, les patates douces, le mani, le manioc; se contentant, le plus souvent, de faire un trou dans la terre, lorsqu'elle est dégagée des bois qui la couvraient; mais, si la récolte vient à manquer, si les troupeaux ont été volés par d’autres nations, la moitié et plus des hommes laissent leurs femmes pendant une quinzaine, vont où ils comptent rencontrer du gibier, y chassent continuellement et boucanent ce qu’ils tuent chaque jour, tant avec leurs flèches armées de bois dur, qu'avec les bolas, qu'ils manient à cheval. Lorsqu'ils ont fait leur provision, ils Homme améri- cain. (252 ) Homme reviennent à leurs cabanes, où ils se reposent jusqu'à ce que la nécessité les force méri- can. à retourner à la chasse; tandis que ceux qui étaient restés d’abord, partent pour le même objet. Leurs cabanes, ordinairement communes, sont dirigées est el ouest, et fermées du côté du sud; ouvertes aux deux bouts, elles forment de longues files, dont chaque famille possède une partie marquée extérieurement d’un seul côté par une ouverture latérale. Couchés sur des espèces de lits de camp, élevés de terre de quel- ques pieds, les couples ne se servent pas de hamacs. Au toil sont suspendus lare, la flèche, la lance et la massue du chef de la famille, ou les instrumens de pêche. En voyage, ils marchent sur une seule ligne, les vieillards en avant, les femmes les dernières ; celles-ci portent leur bagage et leurs enfans. Dans tous les endroits où ils s'arrêtent, ils se font provisoirement de petites tentes qu'ils couvrent de paille; mais ils construisent des cabanes aussitôt qu’ils peuvent se fixer dans un lieu. Les Mbocobis ont maintenant des villages, et sont d'autant plus forts, qu'ils sont unis en plus grandes familles. Essentiellement chasseurs, ils sont en mème temps guerriers; et, depuis la conquête, ils n’ont cessé que par intervalles de combattre les Espagnols et les nations voisines. Comme pour tous les Indiens, la surprise est leur seule tac- tique militaire. Leur mariage n’est qu’une affaire de convenance entre les parties inté- ressées et les familles. IIs ont souvent plusieurs femmes. Leur industrie commence à faire plus de progrès que celle de quelques-unes des nations dont nous avons parlé; ils fabriquent leurs armes, sans avoir jamais conçu la pensée de se creuser des pirogues pour naviguer sur les fleuves. Leurs femmes tissent , avec des métiers formés de deux barres de bois fixées à terre, la laine de leurs brebis, et le coton qu'ils obtiennent des autres Indiens; elles teignent leurs fils de couleurs vives, rouges et jaunes; elles fabriquent de la poterie grossière, et font des cordes très-longues el très-fortes avec des feuilles de Bromelia. Les deux sexes sèment et cultivent la terre ou élèvent leurs bestiaux; les hommes seuls chassent et pèchent. Ils commercent surtout en pelleteries, qui leur servent aussi de vêtement. Leur costume est fort simple : hommes et femmes laissent tomber leurs cheveux sur les épaules, en les divisant seulement vers la ligne médiane, d’avant en arrière; ils portent une pièce de tissu roulée autour des hanches, et se couvrent d’un manteau de tissu , ou plus souvent encore d’une grande pièce de pelleterie, ornée de dessins du côté opposé aux poils, de même que celles des Patagons; comme ceux-ci, ils se drapent à l'antique. Les femmes s’ornent le cou et les bras de perles de verre et de petites coquilles. Azara dit que les Tobas portent la barbote; mais ceux que nous avons vus, ainsi que les Mbocobis, doivent avoir perdu cette coutume; car ils n’ont aucune ouverture aux lèvres. Leur gouvernement est analogue à celui des Charruas : ils ont un conseil composé des vieillards; et chaque tribu se choisit un cacique qui la dirige à la guerre, tout en étant plutôt conseiller que chef. Leurs croyances religieuses sont bornées; ils ont cependant l'idée d’une autre vie, puisqu'ils enterrent avec les morts tout ce qui leur a appartenu. Selon le père Gue- (233 ) vara!, l'âme des morts monte au ciel par l'arbre Llagdigua, qui unit la terre aux cieux. Leurs Homme médecins pratiquent aussi des succions, des sortiléges; et, comme chez les Charruas, les pi femmes des Tobas proprement dits, à l’époque de leur nubilité, se tatouent, avec des raies noires, le haut du nez, les tempes, les joues; opération que les Mbocobis font au milieu de la poitrine. Le père Guevara? dit qu’ils reconnaissaient un dieu créateur, nommé Gdoapidolgaté. On peut croire, d’après le même auteur 5, que les Mbocobis ont, ainsi que les Patagons, un système de constellation compliqué, qui se mêle à leur histoire fabuleuse. La croix du sud est une autruche (4mnic), les étoiles qui l'entourent (Apiogo) sont des chiens qui la poursuivent; toutes les autres planètes sont, les unes des pénélopes (Bagada), les autres des tatous (Vatumnac), des perdrix (Wazalo). La lune (4dago) est un homme, le soleil (Gdazoa) est sa compagne. Ce dernier tomba du ciel, un Mbocobi le releva et le plaça où il est; mais il tomba une seconde fois et incendia toutes les forêts. Les Mbocobis se sauvèrent en se changeant en Gabiais et en Caïmans. Un homme et une femme seuls montèrent sur un arbre pour fuir le danger et voir couler les flots de feu; une flamme leur brüla le visage et ils furent changés en singes. En résumant les faits connus, on voit combien il y a de rapports entre les Tobas et Mbocobis et les Charruas, tant pour les mœurs, pour les coutumes, pour les traits, que pour la langue; il y a surtout entr’eux un trait de conformité qui ne se retrouve que parmi les nations du grand Chaco et parmi les Charruas, c’est le tatouage. On s'étonne de le voir seulement chez ceux des Américains qui vivent à l’est des Andes, tandis que, si, comme l'ont pensé quelques auteurs, les nations américaines descendaient des peuples océaniens, chez lesquels cette coutume est si commune, elle devrait, tout au moins, se montrer à l’ouest de cette chaine au milieu des nations de couleur jaunàtre, et non chez les plus foncés des indigènes du nouveau monde. Les Tobas, à notre avis, appartiennent encore au rameau des plaines, servant de passage aux Puelches par les Charruas, mais commençant à s’en éloigner par quelques-unes de leurs coutumes plus pacifiques, et par un commencement de culture. Au reste, ils diffèrent complètement du rameau guarani, établissant déjà certains rapports avec les Chiquitos. 1. Historia del Paraguay, p. 32 (Colleccion de obras y documentos). 2. Loc. cit., p. 23. 3. Loc. cit., p. 34. IV. Homme. 20 Homme améri cain. ( 254 ) NATION MATAGUAYA. Cette nation, comme toutes celles du Chaco, se divise en plusieurs tribus, que leurs noms différens avaient toujours fait considérer comme des nations distinctes, quoiqu’elles parlassent absolument la même langue. Ces tribus sont : 1. les Mataguayos1, vivant entre le Pilcomayo et le Vermejo, subdivisés en Chanès? (peut-être les mêmes que les Guanas*) ; en Vilelas ou Vélelash, et, enfin, en Yoes; 2° les Matacos du sud du Rio Vermejo, qui se divisent en Bejosos, Chunipis où Chumipis 6 et Ocoles7. Ce ne sont pas néanmoins les seules dénominations de cette nation; elle s’en donne d’autres dans sa langue; par exemple, les Mataguayos s'appellent Taglélé au singulier et Tagléléys au pluriel; les Matacos, Anal (singulier) et Analéys (pluriel); les Bejosos, Zatho (singu- lier) et Tationes (pluriel); et, en lisant avec attention le père Lozano, ce que nous n'avons pu faire sans nous armer de beaucoup de patience, nous nous sommes con- vaincu que ses Mataguayos , divisés en Coronados et en Curumatas9; ses Tentas:°, peut- être les Zaunies où Tayinuis , dont les noms ont du rapport avec ceux que se donnent les Bejosos (Zatho); ses Jsitineses ?? et ses Orystineses, sont aussi des tribus de Mataguayos. Nous pourrions augmenter beaucoup cette synonymie, si nous voulions citer la mul- ütude de noms qui couvrent les cartes géographiques, ou qu’on rencontre à chaque 1. Un vocabulaire manuscrit de la langue mataguaya, écrit par les religieux des anciennes Missions de la frontière orientale de Tarija et que nous possédons, porte en tête que les Matacos et les Bejolos parlent la même langue. 2. Padre Lozano, Descripcion chorographica del gran Cu p. 294, p. 65. 3. Azara (Voy. dans l'Amér. mér., 1. I, p. 85) cite, comme synonyme des Guanas, les Chanès. Il paraitrait alors, si c’est, comme nous le croyons, la même nation que celle des Mataguayos, qu’elle est venue en 1526 (voyez Barcia, Historiadores de las Indias, Comentarios de Alvar de Nuñes Cabeza de Baca, p. 43) du pied des Andes, avec Alexo Garcia, et qu’elle s’est fixée non loin de la rivière du Paraguay; ce qui, au reste, expliquerait parfaitement la route de cet intré- pide aventurier, et jetterait un assez grand jour sur les lieux visités par lui. 4. Padre Lozano, loc. cit., p. 89 et 399, et Azara, 1. IE, p.167. >. Ces deux noms sont employés aujourd’hui par les habitans de Salta et de Tarija. 6. Padre Lozano, p. 399; Azara, t. II, p. 167. 7. Soria, dans le journal de sa navigation du Vermejo (inséré dans l’ouvrage de M. Arenales, p. 254), dit positivement que ces deux tribus appartiennent à la nation mataguaya. Le manuscrit de Feliberto Mena (1764, Arenales, p. 96) dit la même chose. 8. Toutes ces dénominations sont empruntées au dictionnaire manuscrit que nous possédons. 9. Lozano, p. 76. 10. Idem, p. 76. 11. Zdem, p. 75. 12. Idem, p. 51 et 423. (235 ) page dans les différens récits et écrits des Jésuites’; mais nous croyons en avoir dit assez, pour ne devoir pas y ajouter ceux de l'identité desquels nous ne sommes pas certain. ? Les Mataguayos, tels que nous les considérons, c’est-à-dire dans l’ensemble de leurs tribus, couvrent une assez grande surface du Chaco. Ils habitent plus spécialement le pied oriental des Andes, ne passent point au nord du Rio Pilcomayo, ou, pour mieux dire, ne s’approchent même pas de ses rives, restant toujours au sud du 22.° degré de latitude sud, d'où ils s'étendent jusqu'aux rives du Vermejo. C'est même là qu'ils sont en plus grand nombre, sous le nom de Mataguayos, et sous celui de Chanès; se répandant sur toute la rive sud de cette rivière, et, s’avançant vers le sud jusque près du 28." degré, sous la dénomination de Matacos, de Bejosos, de Chunupis, d’'Ocoles. À l’ouest, ils sont bornés par les derniers contreforts des Andes de Salta et du Tucu- man; et à l’est, ils pénètrent dans l’intérieur du continent, sur les rives du Vermejo, qu'ils habitent jusqu’à l’ancienne Mission de Cangayé5, à peu près vers le 64.° degré de longitude occidentale de Paris, la tribu des Mataguayos restant continuellement au nord, tandis que les Chunupis ne franchissent jamais le sud du Vermejo. Les nations avec lesquelles 1ls se trouvent en contact sont : au septentrion, les Chiriguanos, tribu des Guaranis, et les Tobas, des rives du Rio Pilcomayo; à l’est et au sud, encore les Tobas et les Mbocobis, qui, pour ainsi dire, les entourent; à l’ouest, ils avaient, avant la conquête, les Quichuas ou Incas du Tucuman, remplacés aujourd’hui par des établisse- mens espagnols. . * Cette nation, comme celle des Tobas, paraît ne se plaire qu’au sein des plaines et rechercher les rivages des grands cours d’eau qui favorisent son genre de vie. Là, les Mataguayos se fixent souvent sur des tertres4 un peu plus élevés que les plaines environnantes inondées au temps des pluies : ils s’y réunissent en petits villages, qu'ils n’abandonnent qu’en partie pour aller chasser aux environs, ou lorsque leurs guerres de tribu à tribu les forcent à déserter leur demeure. Ceux du nord du Vermejo ou 1. On peut en acquérir la preuve en jetant les yeux sur les cartes françaises, anglaises, espagnoles, où se trouvent une foule de noms plus ou moins estropiés par les copies inexactes qui s’en font journellement. 2, Charlevoix, Histoire du Paraguay, t. IT, p. 170, parle aussi des Mataguayos. 3. Toutes les relations sont unanimes sur ce fait; ainsi, depuis le commencement du siècle dernier jusqu’à nos jours, ces deux tribus des Chunupis et des Mataguayos n’ont pas changé d'habitation. Voyez : 1.° la Relation de l'expédition de Filiberto Mena, en 1764 (Arenales, loc. cit., p- 96); 2° celle du gouverneur Matorras, en 1774 (même ouvrage, p. 182 et 183); 3° celle du colonel Cornejo, en 1790 (même ouvrage, p. 201, 209 et 217); et enfin, 4.° la Relation de Soria, en 1826 (p. 253 ). 4. Le père Lozano, p. 77, les dit sédentaires, sous le nom de Mataguayos, tandis qu'il les indique comme vagabonds (p. 174). Il dit aussi les Mataguayos voyageurs, ce qui annoncerait que les uns sont ambulans, tandis que les autres sont fixes. Homme améri- «ain. ( 256 ) Homme Mataguayos sont continuellement en mésintelligence avec les Chunupis de la rive améri- can opposée, et pour eux la rivière est une borne que respectivement ils n’ont pas franchie depuis des siècles. En relisant tout ce qu'on a écrit sur le Chaco, nous sommes arrivé à croire que la nalion entière des Mataguayos pouvait être évaluée à 6,000 âmes’, chiffre que nous à donné un habitant de Tarija, qui pendant long-temps a vécu chez elle. Leur couleur sépia foncée est identique à celle des Tobas et Mbocobis. Leur taille est aussi très-voisine de celle des Tobas; il paraîtrait même qu’il se trouve chez eux de très-beaux hommes?; néanmoins nous n’en avons pas vu de plus de 1 mètre 72 centimètres (5 pieds 4 pouces), et leur taille moyenne est de 1 mètre 67 centimètres, un peu moins de 5 pieds 2 pouces. On peut dire de leurs formes, comme de leur couleur, qu’elles ressemblent en tout à celles des Tobas. Les Mataguayos sont bien musclés, larges des épaules et générale- ment très-robustes; leurs traits sont aussi peu différens; néanmoins on remarque, chez eux, plus de gaité, un air plus ouvert, moins de fierté dans le regard. Quoiqu'il n’y ait pas, dans la langue mataguaya5, de mots semblables aux mots tobas , ou qui en approchent, on y reconnaît néanmoins une certaine analogie de sons et de prononciation; car cette langue a, comme celle des Tobas, beaucoup de finales dures en #, ec, oc, ac; en ag, eg, ig, at, et, etc. Elle a bien aussi des sons composés de consonnes, comme ceux de z/, dl, gt; mais elle n’a pas ceux de mb et de nd des Tobas; le 7 s’y présente très-souvent avec toute sa gutturation espagnole. Il n’y manque aucune lettre. Le singulier et le pluriel y sont différens. Le système de numération ne va que jusqu’à cinq. Leur caractère a beaucoup de rapport avec celui des Tobas; cependant on remarque, chez les Mataguayos , plus de gaîté, de franchise, d’aménité, moins de fierté, beau- coup plus de dispositions à parler; aussi en a-t-on réuni en Missions à plusieurs reprises; mais leur inconstance ne leur a permis de se maintenir que peu de temps sous ce régime. Les Mataguayos ont fait un peu plus de progrès que les Tobas dans la civilisation. Errans jadis, ils sont aujourd’hui sédentaires, agriculteurs, pasteurs et chasseurs tout à la fois, fixés près des cours d’eau, où ils se construisent des cabanes que plusieurs 1. Le père Lozano, dans une note empruntée aux archives de Cordova, dit (p. 52) que les Mataguayos sont au nombre de 2,000; plus loin (p. 76) il dit, d’après le Padre Techo, liv. VIF, ch. XV, que, sous le nom de Taunies, ils sont divisés en 188 villages; tandis que les Teutas le sont en 46 villages , les Mataguayos en 55; et, enfin (p. 109), il assure que 2,000 d’entr’eux furent baptisés en 1589. 2. Le père Lozano (p. 54) dit qu’ils sont très-grands et qu’on en a vu de deux varas et demi, ce qui équivaut à près de sept pieds français. Cette taille est, sans aucun doute, exagérée. 3. Nous possédons de cette langue un vocabulaire manuscrit assez étendu, recueilli, dans le courant du siècle dernier, par des missionnaires de Tarija. (267) familles habitent ensemble, élevant leurs troupeaux de chevaux, de vaches, de mou- tons. Lorsque les eaux se sont retirées des terrains d’atterrissement du Vermejo ou des marais du Chaco, ils y sèment du maïs, des citrouilles, quelques autres légumes; et, en attendant leurs récoltes, ils vont, aux environs de leur demeure, chasser les oiseaux et les mammifères, ou, avec leurs lignes et leurs filets, pêcher les poissons qui peuplent en grand nombre les rivières; ils se distinguent surtout dans ces derniers exercices par l'adresse et la patience. Leurs cabanes sont plus divisées que celles des Tobas; mais ils y couchent, de même que ceux-ci, sans hamacs, sur des lits de camp peu élevés de terre. Ils aiment beaucoup la danse, surtout lorsqu'ils sont animés par leur boisson de miel fermenté. Si les Mataguayos ont toujours combattu les nations voisines des lieux qu’ils habitent, s'ils se sont fait respecter des belliqueux Tobas qui les entourent, par leur nombre et par leur adresse à manier l'arc, la flèche, la petite lance, l’assommoir ou macanna, ils ne se sont que rarement armés contre les Espagnols. Ils se souviennent même d’avoir été leurs alliés; et, depuis, ils ont, du moins les Matacos et Chunipis, contracté des habitudes qui leur rendent nécessaires les communications avec les colons européens. Suivant une ancienne relation 1, l’une de leurs tribus, les Queanaes, aurait été soumise aux Chiriguanos et les aurait aidés à cultiver la terre; ce qui semble d’autant plus vraisemblable, que tous les ans encore des troupes de Matacos et de Chunipis aban- donnent momentanément leurs villages; hommes, femmes, enfans s’acheminent alors vers les frontières de Salta, de Jujui, d'Oran, de Tarija?, pour se louer, au temps des récoltes, en échange des objets dont ils ont besoin, et retournent ensuite passer le reste de l’année dans leurs déserts, où ils jouissent en paix du produit de leur travail. Rien de plus curieux que l’attirail de ces familles voyageuses : les femmes portent tous les bagages, et se chargent même des chiens. Cette demi-servitude ferait penser qu’on pourrait, sans peine, réunir cette nation en villages, en ne lui imposant que des obligations faciles à remplir ; néanmoins, jusqu’à présent, elle jouit encore de sa liberté, n’est soumise à aucunes lois, et, depuis la conquête de l'Amérique, n’a que momen- tanément changé de position. 5 Son industrie a dû naturellement gagner au contact avec les Espagnols; aussi, indé- 1. Voyez Arenales, loc, cit., p. 94, première relation des Indiens qui existent dans ia province du Chaco, etc. On y assure que les Chiriguanos avaient comme esclaves plus de 4,000 Indiens Queanaes. 2. Il n’est aucun habitant de ces provinces qui ne puisse affirmer ce fait, aussi publié par Soria. (Voyez Arenales, loc. cit., p. 253.) 3. Une partie s'était réunie à la Mission del Rosario, à l’est de Tarija, et d’autres, avec des Tobas, à celle de San-Bernardo, sur les rives du Vermejo; mais la révolution américaine à fait entièrement oublier ces établissemens, qui sont aujourd’hui tout à fait abandonnés; et les Indiens qui les formaient sont redevenus sauvages. Le père Lozano, p. 78, assure à tort, selon nous, qu'ils étaient anthropophages. Homme améri- cain. Homme améri- ain. ( 258 ) pendamment de ce que tout sauvage sait faire, c’est-à-dire ses armes, celle nation connaît le tissage de la laine, l’art de la teindre, fait des lignes de bromelia qu’elle vend aux colons, et parait même, ce qui est rare parmi les Américains encore non civilisés, pouvoir faire des espèces de filets qui lui servent à pêcher. Le plus souvent pourtant les Mataguayos se procurent le poisson à coups de flèches; mais jusqu’à ce jour, ils n'ont jamais pensé à se creuser une pirogue, ni même à confectionner un radeau pour passer les rivières; s'ils en ont une à traverser, comme tous savent nager, ils jettent dans l’eau une branche de bois léger, à laquelle les plus forts de leurs enfans se cramponnent, et les hommes ou les femmes les poussent devant eux jusqu’à l’autre rive, tandis que les plus faibles sont portés sur la tête de leurs mères. Les femmes s'occupent des soins du ménage, du labourage, et se chargent des effets dans les marches. Elles se baignent aussitôt après être accouchées. La chasse et la pêche sont exclusive- ment dans les attributions de l’homme. Leur commerce extérieur se borne à la vente de quelques tissus, de lignes, et principalement de pelleteries. Leur costume est analogue à celui des Tobas : en été ils vont nus de la ceinture à la tête; en hiver, ils se drapent avec des manteaux de peaux d'animaux sauvages, ou avec des tissus de laine fabriqués par leurs femmes. Ceux qui communiquent avec les blancs, en reçoivent des costumes dont ils ne font néanmoins que peu d’usage. Chez quelques tribus les femmes ont la coutume de se tondre les cheveux, d’avant en arrière, sur une large bande; elles se peignent souvent en rouge et toutes se tatouent de lignes noires le haut du nez et les joues. ! Le gouvernement des Mataguayos ressemble à celui des autres Indiens du Chaco; il se réduit à suivre le plus ancien d’une famille lorsqu'ils voyagent ou à se laisser, durant les guerres, diriger par un cacique. En tout autre temps, chacun est libre chez lui; la justice est personnelle. Ceux que l’on considère comme chefs n’ont que le droit de conseiller ; le père mème n’a aucune autorité sur ses enfans. Leur religion est on ne peut plus analogue à celle des Patagons?. Ils croient à une autre vie; et, à la mort d’un des leurs, brülent tout ce qui lui a appartenu, pour qu’il le retrouve dans l’autre monde. Ils ont un dieu du mal (aqua), et des médecins char- lalans et suceurs. Ils fuient les épidémies et abandonnent leurs malades. Comme tous les peuples des plaines, ils ont un système de constellation. Les éclipses sont dues, selon eux, à un grand oiseau qui, les ailes ouvertes, tue momentanément lastre éclipsé. Leurs morts sont enterrés assis, les membres ployés, comme chez les peuples méri- dionaux. D'après leurs caractères physiques, leurs traits, leurs formes, leur couleur, les Mataguayos paraissent, à tous égards, se.rapprocher des Tobas, des Charruas et même des Puelches; ils appartiennent évidemment aux races des plaines. Leurs coutumes sont aussi d'accord avec celles de cette série d’Américains; leur langage, plus que tous 1. Voyez Lozano, loc. cit., p. 76 à 80. 2. Ibidem, p.96, 97 et 100. ( 259 ) les autres caractères, les place positivement, ainsi que l'habitude du tatouage, près Homme des Tobas et dés Charruas, tandis qu’ils ont la même religion que les Patagons et les pm: Puelches des plaines du sud. Au reste, des manières plus pacifiques, des habitudes agricoles et pastorales, une disposition plus marquée à la soumission en font un peuple intermédiaire entre les fiers chasseurs des parties australes des plaines et les humbles cultivateurs des collines de Chiquitos. Homme améri- LEUL n. ( 240 ) NATION ABIPONÉS. Le père Lozano! nous a, le premier, fait connaître cette nation, à laquelle les Espa- gnols paraissent avoir imposé le nom sous lequel nous la désignons ici; ils lui donnent aussi celui de Callages. Azara? la décrit à son tour, et lui assigne comme synonymes les Méponès, les Écusgina, les Lenguas, les Quiabanabaité, les Énimagas. Les Abiponès vivaient, du 28.° au 30.° degré de latitude sud, sur la rive occidentale du Parana, dans les parties voisines du grand Chaco; ils y formèrent même une Mission; mais d'anciennes haines contre les nations voisines les contraignirent à passer le Parana, et à se réunir aux villages espagnols de las Garzas, de Goyaz, province de Cor- rientes, où nous avons eu l’occasion d’en voir quelques-uns, derniers restes d’une nation formidable, qui, sous peu, va disparaître, et dont le nom bientôt témoignera seul de son existence. Le père Lozano$ dit qu'il y avait 8,000 Abiponès dans un seul village. Azara ne parle pas de leur nombre; mais cette nation, d’abord en partie détruite par les habitans de Corrientes4, décimée ensuite par ses voisins, est, aujourd’hui, réduite à très-peu d'individus dispersés dans la province de Corrientes , dans celle d’Entre-Rios; en évaluant son chiffre actuel à cent individus, nous craignons d’être encore au-dessus de la vérité. La couleur et la stature des Abiponès sont les mêmes que celles des Tobas et Mbo- cobis, avec lesquels, du reste, ils ont les plus grands rapports; leurs formes et leurs traits sont identiques; et, en les considérant sous ces divers points de vue, il est impossible de ne pas leur croire une origine commune. Leur langage offre aussi avec celui des Tobas l’analogie d’une prononciation dure, nasale, gutturale; mais le petit nombre de mots que nous en avons recueilli, nous a prouvé qu'il diffère essentiellement des autres langues du Chaco, et qu’il a moins de redondances de consonnes. Au reste, les données nous manquent pour entrer dans plus de détails sur cette langue. La fierté et l'indépendance constituent le fond du caractère des Abiponès : sous ce rapport, ils ressemblent encore aux Mbocobis, qui, les plus forts, devaient nécessairement les anéantir. Comme eux, chasseurs, pêcheurs et agriculteurs, les Abiponès ont les mêmes armes, les mêmes coutumes guerrières, la même cruauté, et s’en rapprochent également beaucoup pour les mœurs et pour l’industrie. Leur costume est aussi à peu près semblable : les hommes vont presque nus, portant la barbote; les femmes se couvrent les épaules 1. Padre Lozano, Historia del gran Chaco, p. 89. 2. Voy. dans l'Amér. mér., 1. H, p. 164. 3. Lozano, p. 89. 4. Voyez Funes. Dans les Lettres édifiantes (Choix), t. VII; Missions de l'Amérique, t. 1, p. 17; il ÿ a une description très-largement traitée des Abiponès. ( 241 ) de manteaux de peaux, se peignent le corps, se tatouent le haut du nez et les joues à Homme améri- l'instant de la nubilité; s’arrachent les sourcils et se rasent les cheveux sur une large ‘:, bande d’avant en arrière. Leur gouvernement se borne à reconnaître, en temps de guerre, l'autorité de chefs auxquels ils n’obéissent plus en temps de paix. Quant à des croyances religieuses, tout en leur en refusant de la manière la plus absolue, Azara: leur attribue des usages qui nécessairement en font supposer quelques- unes. , Ils enterrent, dit-il, le défunt avec tout ce qui lui appartenait; ” et plus loin : « [ls « tuent même sur sa tombe les chevaux dont l’Indien se servait le plus souvent. ” L'auteur espagnol explique ces coutumes par l’horreur des Abiponès pour les morts; tandis qu’au contraire tout prouve que c’est la çroyance d’une autre vie qui les porte, comme les autres nations des plaines, à ne pas éloigner du défunt les objets qu’il affectionnait le plus pendant sa vie, afin qu’il puisse s’en servir dans l’autre monde. Les Abiponès ont aussi beaucoup d’autres croyances religieuses analogues aux supersti- tions des peuples des plaines, comme celles des vieilles femmes interprètes du mauvais génie, et enlevant, par des succions, les causes du mal renfermé dans le corps des malades. Par leurs caractères physiques, les Abiponès ne peuvent être séparés des Tobas; il en est de même de leur caractère moral, de leurs coutumes, de leur langage, de leur religion. Nous leur trouvons même, quant à cette dernière, des rapports intimes avec les Patagons et les Puelches des parties méridionales des plaines; nous croyons en conséquence, que les Abiponès font, ainsi que les Tobas et les Charruas, la transition entre les nations des Pampas et celles des Chiquitos, et qu’ils appartiennent au rameau pampéen. - 1. Voyage dans l'Amér. mér., t. II, p. 166. IV. Homme, 21 Homme améri- Cain. ( 242 ) NATION LENGUA. Ce nom fut imposé à la nation qui nous occupe par suite de l’usage qu’elle a de porter une barbote plate simulant une seconde langue. Selon Azara!, elle se nomme elle- mème Juiadgé; les Payaguas l’appellent Cadalu ; les Machicuys, Quiesmagpipo ; les Éni- magas, Cachaboth, et les Tobas, Cocoloth. Nous croyons que les Énimagas et les Gentuses d'Azara sont aussi des tribus de cette nation. Les Lenguas vivent aujourd'hui au 27. degré de latitude sud, et au 62. degré de longitude ouest de Paris, au milieu du grand Chaco. Ils sont entourés des diverses tribus de Tobas ou Mbocobis, avec lesquelles ils sont amis. Azara s’est trompé en disant que la nation, en 1794, était sur le point de s’éteindre; car nous en avons vu plusieurs individus en visite à Corrientes en 1828, et ils nous ont dit alors être encore au nombre de 300 àämes à peu près. Pour la couleur, la stature et les autres caractères physiques, les Lenguas ne diffèrent en rien des Mbocobis et des Tobas. Leur langage est varié quant au fond; mais pour la gutturation, la dureté, il a beaucoup d’analogie avec celui de ces peuples. Comme eux, les Lenguas sont agriculteurs, chasseurs et pêcheurs; leur caractère est fier; leurs coutumes sont assez barbares; ils usent d’armes semblables, vont à cheval et voyagent de même. En un mot, ils ne s’en distinguent que par l'usage de se percer les oreilles et d’y passer un morceau de bois large de quelques pouces; par leur barbote aplatie, fortement saillante, passée dans un trou transversal pratiqué à la base des gencives de la machoire inférieure, et par l’ornement de plumes d’autruches dont ils se chargent la tête. Leur croyance religieuse paraît avoir beaucoup de ressemblance avec celle des Tobas et des Abiponès; nous pensons que, sous tous les rapports, les Lenguas doivent être placés auprès de cette nation, et qu’ils appartiennent aussi au rameau pampéen. 1. Voyage dans l’Amér. mér., . W, p. 148. ( 245 ) NATIONS DU RAMEAU PAMPÉEN, NON OBSERVÉES. Indépendamment des nations que nous venons de décrire, en les réduisant à leur juste valeur, après avoir nous-même reconnu leur identité ou leur plus ou moins de rapports mutuels, il en est encore quelques autres indiquées: par différens auteurs, et dont les noms surchargent les écrits, ainsi que les cartes, publiés sur l'Amérique. Nous avons cherché à débrouiller ce chaos; et nous sommes arrivé aux résultats sui- vans, en réduisant la liste de ces nations à celles dont la description ne nous laisse aucune incertitude quant au rapprochement à faire à notre rameau pampéen; nous en indiquons aussi la synonymie. Ces nations sont : 1. Les Payaguas, anciens Agaces des historiens', nommés aussi Sarigué, Cadigue, Sracuas et Tacumbu, par Azara?, vivaient, au temps de la conquête, sur le Rio Para- guay, jusqu’à son confluent avec le Parana. Ils appartiennent évidemment au rameau des plaines; leur langue très-gutturale, le tatouage des femmes à leur nubilité, leurs mœurs ambulantes, tout concourt à les placer auprès des Tobas et des Charruas. 2. Les Mbayas, du nord du Chaco, dont le nombre, selon Azara, est de 3,800 âmes. Agriculteurs au langage doux et facile, ils se rapprochent beaucoup à cet égard des Chiquitos; néanmoins, par leurs mœurs féroces, leur religion , leurs médecins suceurs, les chevaux tués sur la tombe des morts, ils présentent quelques traits des peuples du Chaco. Nous croyons donc qu'ils doivent être intermédiaires entre les dernières nations du rameau pampéen et les premières du rameau chiquitéen. 3. Les Guaycurusk, nation éteinte ou connue maintenant sous un autre nom. Sa langue gutturale, ses mœurs ambulantes, guerrières et féroces, le tatouage des femmes 1. Historia argentina (1612) de Rui Dias de Guzman, p. 20, 37, 95. L'éditeur de cet ouvrage, M. d’Angelis, dit à la table, page 3, que les Payaguas parlaient la langue guarani, ce qui est tout à fait inexact. Ulderico Schmidel, au Rio de la Plata, édit. espagn. de Buenos-Ayres, p. 15, 18. Padre Guevara, Hist. del Parag., p. 21. 2. Azara, loc. cit., 1. I, p. 119; voyez padre Lozano, p. 55; Funes, Historia del Paraguay, E Il; p. 3, 123, 135, etc. 3. Loc. cit., 1. IT, p. 100. Schmidel les vit en 1548; il parle avec naïveté du grand nombre d'individus de celte nation tués par l’expédition d’Irala (p. 44). 4. Azara, loc. cit., t. 11, p. 146; Historia argentina de Rui Dias, p. 11, 117; padre Lozano, Historia del gran Chaco, p. 62; padre Guevara, Historia del Paraguay, p. 20; Montoya (1639), Conquista espiritual en las provincias del Paraguay, Parana, ete., fol. 10. Homme améri- vain. ( 244 ) Homme el beaucoup d'autres caractères, n’en feraient qu’une tribu des Tobas, ou tout au moins améri- “ain. une nation très-voisine. Le père Lozano! divise les Guaycurus en Codollate, Taquiyiqui, Napinyiqui et Ipiquayiqui, et dit qu’ils sont au nombre de 1,500.2 Les Brésiliens et les Espagnols donnent le nom de Guaycurus à tous les indigènes du Chaco ou de la rive occidentale du Rio Pafaguay, pour peu qu'ils soient cavaliers; ainsi nous avons entendu nommer Guaycurus les Tobas et les Lenguas; ce qui nous laisse dans le doute sur la question de savoir si les Guaycurus vus près du fort de la Coïm- bre5, sont les mêmes que décrit Azara. Quant aux autres nations indiquées, sans pouvoir nous prononcer à leur égard, nous y voyons seulement des tribus de celles que nous avons citées dans notre rameau pampéen. 1. Lozano, Loc. cit., p. 63. 2. Ibidem, p. 52. 3. Nowvelles annales des voyages, t. IX, p. 329, d’après M. Eschwege. IL est ficheux qu’on publie des renseignemens aussi faux que ceux de cet article, où les Lenguas, les Guaranis, les Chiriguanos et les Tobas paraissent confondus sous le nom de Guaycurus. ————— ( 245 ) DEUXIÈME RAMEAU. CHIQUITÉEN. Couleur : brun-olvâtre clair. Taille moyenne, environ À mètre 663 millimetres. Formes médiocrement robustes; face circulaire pleine; front bombé; nez court, peu épaté; bouche moyenne; levres minces, peu saillantes; yeux horizontaux, quelquefois légerement bridés exté- rieurement; pommettes non saillantes ; traits efféminés; physionomie enjouée, vive, gaie. Nous avons appelé Chiquitéens, tous les indigènes américains de la pro- vince de Chiquitos, qui, bien qu'appartenant évidemment, par la couleur et par les formes, à notre race centrale ou pampéenne, s’en distinguent néanmoins, par un ensemble de caractères physiques et moraux qu'il est impossible de ne pas admettre. Ce troisième rameau de la race pampéenne occupe un territoire d'environ 10,000 lieues marines de superficie, comprises entre le 15.° et le 20.° degré de latitude sud, et les 60." et 65.” degrés de longitude ouest de Paris. Ses limites sont : au nord, les collines situées au septentrion du cours du Guaporé; à Pest, le Rio du Paraguay; au sud, les plaines du Chaco; à l’ouest, les forêts qui se prolongent jusqu’au Rio Grande. Nous croyons que ce rameau s'étend également sur tout le territoire de la capitainerie générale de Cuyaba ou de Matto-Grosso, situé à l’ouest des premières collines séparant ce pays des autres parties du Brésil. Les voisins des Chiquitéens sont, au nord et à lorient, des peuples qui, tout en nous étant inconnus, nous semblent néanmoins appartenir à la race brasilio-guaranienne; au sud, les diverses nations du rameau pampéen; à loccident, quelques Guaranis, entr’eux et les nations ando-péruviennes. | La plus grande uniformité caractérise le pays habité par les Chiquitéens : partout nous n’y apercevons que des montagnes basses, la plupart primitives, formant, au centre, un large plateau d’où partent plusieurs collines qui waffectent pas de direction générale. Partout des cours d’eau diversement dirigés, partout une multitude de petits ruisseaux coulant au milieu de forêts épaisses, rarement interrompues sur les points de partage, et sur les plateaux Homme améri- cain. Homme améri- cain. ( 246 ) par quelques clairières de très-peu d’étendue. C’est là que Fhomme, trouvant des obstacles invincibles à ses migrations, a dû nécessairement fixer sa demeure au sein de la forêt qui la vu naître, sur le bord du ruisseau témoin de son enfance; c'est là que, devenu agriculteur et chasseur, il est disséminé en une multitude de petites nations, de tribus vivant isolées, souvent même ignorées les unes des autres, sans avoir néanmoins d'autre barrière que d’épaisses forêts. Dans la région qu'habite le rameau dont nous nous occupons, plus de ces plaines sans horizon, où Phomme chasseur et guerrier devient naturellement nomade, n'étant arrêté, dans ses excursions, par aucun obstacle; où dès-lors, toutes les nations se connaissent, comme chez les Pampéens. Plus d’immenses plaines traversées par de larges rivières, dont les versans, confondus par des inondations périodiques, obligent Pindustrieux Moxéen à naviguer constam- ment. L'homme chiquitéen, au contraire, n’a jamais voyagé, n’a Jamais songé à se construire une pirogue; et toujours sédentaire, toujours paisible agri- culteur, il reste au sein de ses collines ombragées, conservant des habitudes uniformes, déterminées par Pidentité d'habitation. Les nations qui appartiennent au rameau chiquitéen sont : celle des Ch- quitos, occupant tout le centre de la province de ce nom, principalement sur les plateaux et les parties sud-ouest; celles des Samucus, des Curaves, des T'apiis, des Corabécas, placés avant la conquête, au sud-est des Chi- quitos; celles des Saravécas, des Otukès, des Curuminacas, des Covarécas, des Curucanécas à leur nord-est; et, enfin, celle des Païconécas” à leur nord-ouest. Les Chiquitos, divisés en une multitude de sections, sont à eux seuls plus nombreux que tous les autres ensemble. Si la confusion qui règne dans les premiers historiens sur les noms trop multipliés des peuples de la province de Chiquitos, ne permet pas d’y recon- naître ceux qu'on doit considérer comme nation ou comme simples tribus, il est plus difficile encore d’assigner précisément le lieu de leur habitation; aussi, dans la crainte d'augmenter la confusion, ne citerons-nous les nations mdiquées d’une manière si vague par le seul historien qui s’en soit occupé”, que 1. Comme nous le dirons plus en détail, en parlant de chaque nation , nous croyons qu’on peut joindre encore à celles que nous avons vues, celles des parties voisines du Brésil. 2. Padre Fernandez, Relacion historial de las misiones de los Chiquilos. Cest à tort que M. d’Angelis, table de la Argentina de Rui Dias de Guzman , p. 40, dit que les Payaguas et les Chiquitos sont des Guaranis. (247) lorsque nous croirons pouvoir les rapporter avec certitude à nos propres obser- vations, dont nous donnons ici le résultat. Le nombre comparatif peut être évalué d’une manière presque positive; et le tableau suivant pourra donner une idée, non-seulement du chiffre de ceux qui, au sein des missions, ont été réduits au christianisme, mais encore du chiffre approximatif” des indigènes qui ont conservé leur liberté sauvage. NOMBRE DES INDIVIDUS DE CHAQUE NATION NOMBRE NOMS DES NATIONS. EE — RÉDUITS AU ENCORE CHRISTIANISME, SAUVAGES. Chiquitos Samucus. Païconécas Saravécas Otukès D’après ce tableau il est facile de juger ce qui reste aujourd’hui d'indigènes sur le territoire de la province de Chiquitos. Si nous en croyons les histo- riens, le nombre en aurait été bien plus élevé; et des nations entières, ainsi que beaucoup de tribus des Chiquitos , auraient été décimées dans les expédi- tions de découverte exécutées par ces courageux aventuriers partis du Para- guay pour chercher de l'or’; dans les incursions des Mamelucos de San-Pablo nt 1. L’énoncé du chiffre des indigènes réduits au christianisme est le résultat de renseignemens pris en 1831, pendant notre séjour à Chiquitos. Celui du chiffre des Indiens encore sauvages est déduit de renseignemens donnés par les nations voisines, et quoiqu’on puisse croire qu'il approche de la vérité, il n’est cependant qu'approximatif. 2. L'expédition d’Alvar Nuñes Cabesa de Vaca, en 1542, fit tuer beaucoup de Sucocies, évidem- ment des Chiquitos (voyez Schmidel, p. 36); celles d’Irala, en 1547 (Funes, Hist. del Parag., 1. De, p. 129), et de Nuflo de Chaves, en 1557,-coûtèrent aussi la vie à une quantité d’indigènes. Voyez père Fernandez ( Relac. histor. de las miss. de los Indios Chiquitos, p. 46), et surtout Schmidel (édit. de Buenos-Ayres, p. 52), curieux pour le calme avec lequelil parle du grand nombre d’Indiens qu'on tuait chaque jour. Homme améri- cain. Homme améri- cat. ( 248 ) du Brésil, qui chassaient les Indiens pour les vendre”; et, enfin, par une compagnie de marchands espagnols de Santa-Cruz de la Sierra”, laquelle, à limitation des Portugais, fit un instant le commerce infâme des pauvres Chiquitos avec les propriétaires des mines du Pérou. Il »y eut plus ensuite que des pestes; mais elles exercèrent des ravages affreux, dès Pinstant de l'arrivée des Jésuites sur le territoire de la province”, et continuèrent jusqu’à nos Jours, Toutes ces causes de dépopulation nous feraient croire qu’il n’existe pas maintenant plus de la moitié des habitans qui couvraient le sol de la province à l’époque de la découverte. Il est facile de s’apercevoir, en jetant les yeux sur le tableau, que la nation des Chiquitos forme, à elle seule, les six septièmes de la population du pays; tandis que, parmi les autres, celle des Samucus et celle des Païconécas ont seules encore une certaine importance; ce qui nous a déterminé à prendre le nom de Chiquitos comme type de ce rameau, auquel nous avons reconnu les caractères généraux SUIVANS : La couleur identique à celle des naturels du Chaco, quoiqu'un peu moins foncée, est bronzée, ou, pour mieux dire, d’un brun pâle, mélangé d’oli- vâtre, et non de rouge ou de jaune. Nous avons cru remarquer que les Samucus étaient plus fortement teintés que les autres nations de la province ; de si peu toutefois, qu'il faut voir beaucoup d'individus réunis pour les reconnaitre, La taille des Chiquitéens, beaucoup moins élevée que celle des habitans des plaines du Chaco et du sud, ne varie guère. La moyenne en est de 4 mètre 665 millimètres (5 pieds 1 7/ pouce), tandis que les plus grands n’ont pas plus de 1 mètre 75 à 78 centimètres (5 pieds 5 à 6 pouces). Les femmes n’atteignent pas une stature presqu'égale à celle des hommes, comme on le voit parmi les nations du sud; elles conservent seulement leurs proportions relatives. Les formes du corps sont, chez les Chiquitéens, peu différentes de celles des Indiens du Chaco; de même le trone est robuste, la poitrine saillante; les épaules sont larges; mais, en général, il y a moins de force apparente. Le corps est d’une venue; les membres sont replets, montrant des formes arrondies et Jamais demuscles apparens; du reste, les hommes sont droits, bien plantés; ils ont a T5 y alles 48e. ni fatal NN EE 1. En 1690, les Portugais de San-Pablo, sous le nom de Mamelucos, ravagèrent la province de Chiquitos. Voyez Relacion hist. de las mis. de los Chiquitos, p. 50. 2. Voyez le père Fernandez, Loc. cit., p- 99. 3. Voyez Relacion du père Fernandez. 1. En 1828, la petite vérole enleva un grand nombre des habitans de Chiquitos. ( 249 ) une démarche aisée. Les femmes, plus larges, plus massives que les hommes, Homme conservent le même diamètre sur toute la longueur du tronc; aussi mon- g-1-4 trent-elles beaucoup de vigueur, et ne présentent-elles en rien la beauté idéale des formes antiques. Les traits des Chiquitéens sont typiques; leur tête est grosse, presque ronde, non comprimée sur les côtés; la face très- pleine, arrondie; les pom- mettes ne sont nullement saillantes; le front est bas et bombé; le nez tou- Jours court, est moins épaté que celui des races des plaines; les yeux sont petits, vifs, expressifs, presque toujours horizontaux; mais, chez quel- ques individus, langle extérieur en est bridé, et annonce une tendance à se relever, comme on le voit dans la race guaranie; les lèvres sont assez minces, la bouche beaucoup moins grande que chez les nations du Chaco, et toujours prête à sourire; le menton arrondi et court; les sourcils minces et bien marqués. La barbe ne couvre que le dessous du menton, et la mous- tache, constamment peu fournie, n’est pas frisée. La physionomie est ouverte, annonce la gaîté, la franchise, beaucoup de vivacité. On ne peut néanmoins dire que les figures soient jolies; la plupart, au contraire, sont moins que passables. Les femmes ont la face plus arrondie encore que les hommes, avec beaucoup de gaîté et de naïveté dans l'expression. En général, la figure des hommes n’a rien de mâle. Les langues chiquitéennes sont aussi variées que les nations qui les parlent. Elles ne sont pas aussi gutturales que celles du Chaco ; la plupart sont même tres-douces et très-euphoniques, ne présentant ni des sons durs, ni cette redondance de consonnes si commune dans les dernières. La langue chiquita, par ses finales en ch, ainsi que la morotoca (section des Samucus) par les siennes en od et &d, offrent seules un dernier trait de ressemblance avec celles du Chaco. On retrouve le son guttural du 7 espagnol dans les langues saravéca, curuminaca, covaréca et païconéca; il manque dans toutes les autres. L’u français, prononcé du nez, se remarque dans la langue chiquita , dans Potuké, dans la curuminaca, dans la covaréca et dans la païconéca. Plu- sieurs offrent notre ch, ainsi que le son doux de notre z. Une anomalie singu- lière se présente dans la langue chiquita, où, pour beaucoup de choses, l’homme emploie des mots différens de ceux dont se sert la femme, tandis que pour les autres, la femme emploie des mots dont l’homme se sert, en se contentant d'en changer la terminaison’. Quoique ces langues soient très-compliquées, » 1. Voyez plus loin les détails spéciaux sur la langue chiquita. 1V, Homme, 32 ( 250 ) Homme surtout celles des Chiquitos, on s'étonne qu'aucune d'elles n'ait un système améri- «ain. de numération étendu, ce qui annonce peu de relations, et surtout le défaut absolu de commerce. Les Chiquitos, les Otukès, les Païconécas et, sans doute, les autres petites nations du nord-est, n’ont aucun terme numé- rique de comparaison; les Samucus et Saravécas ne vont que jusqu'à cinq ou dix, chiffre pris peut-être du nombre des doigts de lPune des mains ou des deux réunies. En un mot, il n’y a réellement aucune uniformité entre les différentes langues. Le seul trait de ressemblance que nous y trouvions, existe dans les noms des parties du corps commençant presque tous par une lettre déterminée, comme on peut le voir par le tableau suivant qui, en même temps, sera comparatif, pour les divers idiomes. NOMS NOMS CHIQUITOS. NOMS PAÏCONÉCAS. EL : NOMS NOMS NOMS « FRANÇAIS PE dis Tribu Tribu SARAVÉCAS. OTUKES. SAMUCUS. Tribu Tribu PARTIES. chiquita. cuciquia. païconéca. paunaea. Joue. Nochosté. | Oya. Nozovivi. | Ivenara. Yuréata. | Huimilo. Ipiki. Oreille. Néñémosis. | Oñumasis. | Nunihijé. | Ichaparara.| Yanoénia. | Iseñoki. Huichuca. Yeux. Nosuto. Osuto. Nohé. Ichaa, Yédodia. | Huikis. Jhuiké. Les Chiquitéens se font remarquer par une gaïîté poussée à l'extrême, par leur goût pour la musique et pour la danse, par leur bonté à toute épreuve, leur sociabilité, leur hospitalité, le peu de jalousie que leur inspirent leurs femmes et leurs filles; par leur persévérance et par la facilité avec laquelle ils se sont rangés au christianisme. Il ne faudrait cependant pas croire que toutes les nations se montrèrent également dociles ; la mort de plusieurs Jésuites”, lors de la fondation des missions, prouverait le con- traire; mais une fois chrétiennes, elles persévérèrent, et, aujourd’hui, pour rien au monde ne retourneraient dans les bois, bien différentes, sous ce rapport, du rameau des plaines, qui, loin de s'être jamais soumis à aucun joug, est encore ce qu'il était au temps de la découverte. La nation des le Chiquitos fut la plus facile à réduire et sans doute entraïna les autres par son exemple. Le caractère indépendant des Samucus, donna plus à faire ; aussi en reste-t-il encore de sauvages. Il en est de même des Païconécas, 1. Voyez Francisco Fernandez (1726) Relacion historial de los Chiquitos, p. 303 et p- 397. ( 251 ) des Covarécas et des Corabécas; les premiers et les Corabécas surtout, Homme montrèrent, quant à leur attachement à la vie sauvage, plus de rapports 7 qu'aucune des autres nations avec les habitans des plaines. En résumé, le caractère des Chiquitéens est aussi enjoué que celui des naturels du Chaco et des Pampas est taciturne et triste. Les premiers sont aussi communicatifs que les seconds le sont peu. Quant aux mœurs, elles sont identiques pour toutes leurs nations; ils vivent sur le penchant des collines, au sein de forêts épaisses, où, jadis, ils étaient tous fixés et agriculteurs; néanmoins leur goût pour la chasse dut les faire se disséminer davantage; et de là, sans doute, le grand nombre de leurs tribus, dispersées au milieu des bois. Cependant la chasse n’était pour eux qu'un délassement, et n'avait lieu qu'après les récoltes. Les Chi- quitéens en général avaient des villages, ne contenant qu’une seule famille ; mais les Chiquitos construisaient de plus des maisons communes, où vivaient ensemble tous les jeunes gens, qui, à l’âge de quatorze ans, se séparaient de leurs parens, afin d’embrasser ce nouveau genre de vie. Des plus sociables et des plus hospitalières, leurs tribus étaient continuellement en visite, ce qui motivait des fêtes, des danses, des jeux durant autant que le séjour des étrangers ou que les boissons fermentées qui les animaient. Leur industrie différait aussi de celle des peuples habitant les plaines. Les femmes filaient et tissaient soit des pièces d’étoffe pour elles, soit, pour leurs maris, le hamac, que nous n’avions jusqu'ici trouvé chez aucune autre nation. Îl n’était à usage que des hommes; les femmes se contentant d’une natte artistement tissée. Les armes (Parc, la flèche, la massue tranchante et quelquefois la lance), fabriquées par le mari, lui servaient à chasser, ou à combattre les nations voisines. Ils pêchaient au moyen de racines qui enivrent le poisson; mais n’ayant Jamais pensé à se construire une pirogue, ils ne sont pas navigateurs. Les hommes allaient nus; les femmes se couvraient d’une chemise sans manche, et s’ornaient de colliers et de bracelets. Le tatouage et les couleurs appliquées sur la peau étaient inconnus aux Chiquitéens; et si la coutume barbare de se percer les lèvres et la base du nez existait avant la conquête, elle a depuis entièrement disparu. On retrouve actuellement encore chez ces peuples le même fond de mœurs et de coutumes, seulement un peu modifiées par le christianisme. Le gouvernement était semblable à celui des nations du Chaco; il y avait des chefs pour chaque tribu; mais jamais aucun corps de nation. Les vieil- Homme amrr i ol can, ( 252 ) lards avaient une grande influence sur la nomination du chef, nomination dépendant presque toujours de la bravoure du candidat. Souvent ces chefs étaient en même temps médecins; mais leur pouvoir se trouvant toujours borné, il n’y avait pas de despotisme. La religion présentait une unité, celle de croire à une autre vie, et d’attacher des influences malignes à une foule de causes naturelles, croyance accréditée par les médecins, qui pratiquaient des succions comme chez les peuples du sud, attribuant la mort tantôt à des causes puériles, tantôt à l'intervention d'une femme, souvent sacrifiée, plus tard, par les parens. Selon les histo- riens", les Manacicas, wibu des Chiquitos, auraient professé un polythéisme compliqué, en admettant que quelque Jésuite n'ait pas supposé celui-ci, dans le but d'établir une analogie plus frappante avec le culte catholique. Aujourd’hui beaucoup de missions poussent la religion catholique jusqu'au fanatisme. Pour nous résumer, nous croyons que le rameau chiquitéen se distingue de celui des plaines par une teinte un peu moins foncée, une taille moins élevée, des pommettes moins saillantes, une figure plus ronde, plus enjouée; par un caractère gai, ouvert, bon, soumis; par des mœurs douces; par lha- bitude de se livrer à la culture, à Pombre des forêts; par la facilité avec laquelle il adopta le christianisme et se soumit au système des missions. Ses langues sont plus euphoniques que celles du Chaco et des Pampas, et présentent pour caractère général la singularité, que les noms des parties du corps commencent par une lettre spéciale, variée selon les idiomes. Si ce rameau diffère en tout point de celui des plaines, il a les plus grands rapports avec celui de Moxos, dont il ne se distingue, pour ainsi dire, que par quelques caractères physiques, et par l'ignorance de Part de la navigation, très-connu au contraire de ses voisins, qu'on voit sans cesse en pirogue. Du reste, le rameau chiquitéen fait le passage à la race brasilio-guaranienne, par cette tendance à Finclinaison des yeux, qu'on remarque chez quelques-uns des individus des nations qui le composent, ainsi que par les sons de certaines lettres de leurs idiomes; mais non par la couleur, qui est toujours différente. 1. Fernandez, Relacion historial de los Chiquitos, p. 228. 0 ( 255 ) NATION SAMUCU.: L'étude des langues nous a conduit à ce résultat, que le nom de Samucu?, par lequel nous désignons cette nation, n’est propre qu’à une de ses tribus, tandis que d’autres sections, très-nombreuses, portaient, dès l’époque de la découverte, et portent encore des noms distincts, comme les Morotocos$ ou Morotocas, que nous avons retrouvés encore sous celte même dénomination à la mission de San-Juan; les Poturerosh, que nous avons rencontrés à Santo-Corazon, et les Guarañocas, vivant à Santiago. Ce sont les quatre grandes sections encore existantes à Chiquitos, et que, dans le pays, on regarde comme distinctes, quoiqu’elles parlent bien certainement un langage identique, plus ou moins corrompu et mélangé d’idiomes différens; mais, si nous parcourons les histo- riens, nous y verrons qu'on doit encore regarder comme synonymes les Coroinos, les Caréras.,, les Ugaronos”, les Ibirayas des Jésuites, et peut-être beaucoup d’autres, qu’on ne peut y rapporter aussi sûrement, ainsi que les 4guitegnédichagas et les Ninaquiguilas d’Azara 6, qui n’en sont que des tribus désignées sous d’autres noms. Les Samucus (nous appliquerons ce nom à la nation entière) étaient, lors de la fonda- tion des missions de la province de Chiquitos, répandus sur la plus grande partie de ses frontières sud et sud-est , en contact avec les déserts du grand Chaco. Ils s’étendaient, en latitude, du 18.° au 20.° degré sud, et, en longitude, du 60."au 62.° degré ouest de Paris, sur les dernières collines couvertes de forêts impénétrables qui bornent au nord les plaines du grand Chaco, et s’approchent du cours du Rio Oxuquis, avant son confluent avec le Paraguay. Ils avaient alors pour voisins, au sud, lesnombreuses nations du Chaco, princi- palement les Guanas, les Guatos et les Curaves ; à l’est, les Xarayes du lac de ce nom, et les Otuquès ; au nord, les nations sarayéca et curuminaca; à l’ouest, les nombreuses tribus des Chiquitos, ainsi que les Paunacas et les Païconécas. La nation entière vivait au sein des forêts, où sont encore aujourd’hui quelques tribus dérobées au zèle religieux des Jésuites, principalement près de la saline de Santiago et au Rio d’Oxuquis; tandis que les Samucus et les Potureros sont réunis à la mission de Santo-Corazon, les Guarañocas à Santiago, et les Morotocas à San-Juan. Ils aiment les forêts épaisses, et surtout les collines, où ils peuvent se soutraire aux inondations si communes dans les lieux qu'ils habitent. Là ils sont à la fois chasseurs adroits, cultivateurs intelligens, 1. Prononcez Samoucou. 2. Il a été question pour la première fois de ces Indiens dans la Relacion historial de las missiones de los Indios que llaman Chiquitos, publiée en 1726 par le père Fernandez, p. 318, 373, 398, etc. 3. Voyez le père Fernandez, Loc. cit., p. 316. 4. Azara, Voyage dans l'Amér. mér., t 11, p. 83, les confond sous divers noms. 5. Père Fernandez, loc. cit., p. 316, 370, 390. 6. Loc. cit., p. 81 et 83. Homme améri- cain. Homme améri- cain. ( 254 ) et, pour ainsi dire, fixes sur le même lieu, d’où ils rayonnent seulement afin de suivre le gibier. Leurs tribus encore sauvages, réduites à peu d'individus, se cachent au sein des bois, et leur faiblesse les empêche, sans doute, d'attaquer les nations voisines. Il nous est facile de donner le chiffre presque positif des Indiens samucus existant encore dans les missions. En somme il peut s'élever à 1,250 1; et en y joignant à peu près 5002 individus sauvages de la saline de Santiago et 500 des rives du Rio Oxuquis, leur nombre total serait de 2,250, sur lesquels 1,000 encore tout à fait indépendans. La couleur générale de la nation est moins foncée que celle des Tobas et autres Indiens du Chaco; mais, au lieu du jaune des Guaranis, c’est une teinte bronzée, ou, pour mieux dire, de bistre-olivätre päle, du mème aspect que la couleur des races des plaines, avec moins d'intensité. La taille des Samucus, une des plus belles de la province de Chiquitos, est au-des- sus du médiocre, et peut rivaliser, sous ce rapport, avec celle des Européens. Nous avons mesuré un assez grand nombre d'individus, pour être à portée d’assurer que leur stature moyenne n’est pas au-dessous de { mètre 663 millimètres (5 pieds 1 / pouce). Les plus grands n’ont pas, néanmoins, plus de { mètre 760 millimètres (5 pieds 5 pouces). Les femmes, généralement grandes, sont dans des proportions relatives avec les hommes (1 mètre 535 millimètres). Les formes du corps sont belles, les hommes robustes, bien musclés, sans jamais tourner à l'obésité; ils ont les épaules larges, carrées, la poitrine élevée, les membres bien nourris; mais le corps, loin d’être, comme chez les Européens, plus étroit à la ceinture, est, au contraire, tout d’une venue. C’est surtout chez les femmes qu’on remarque ce caractère, celles-ci ayant les mêmes formes que les hommes, et se trouvant dans des proportions peu gracieuses, qui ne sauraient annoncer que beaucoup de force. Elles sont larges des épaules, et, de là, presqu’aussi grosses jusqu'aux hanches; leurs seins, sont ordinairement très-bien placés, et presque toutes les ont plutôt bien propor- lionnés que trop volumineux; les mains et les pieds sont généralement petits; le bras est assez bien fait. Les traits, dans ce rameau, prennent un caractère différent de tous ceux des nations des plaines. La tête est grosse; la face large et plus arrondie; les pommettes, non saillantes dans la jeunesse, sont à peine élevées chez les adultes; le front est très- court, peu bombé; le nez, moins large que chez les nations du Chaco, approche davantage des formes européennes , sans être jamais long; les narines, quoiqu’ou- vertes, le sont beaucoup moins; la bouche est grande; les lèvres sont peu épaisses5; 1. Ainsi répartis : à Santiago, 700 Guarañocas; à Santo-Corazon, 50 tant Potureros que Samucus ; et à San-Juan , 500 Morotocas. 2. Les données que nous avons obtenues sur les lieux nous font regarder cette évaluation comme juste. 3. Les naturels d'aujourd'hui ne se mutilent plus; mais il parait qu’au temps de la conquête ("255 ) les dents magnifiques; les yeux sont généralement petits, horizontaux, mais un peu bri- Homme dés, au côté externe, chez quelques individus seulement; les oreilles petites; les sourcils au arqués, peu larges; la barbe est noire, rare, jamais frisée, poussant seulement après vingt ans, et ne couvrant que la lèvre supérieure et la partie antérieure et inférieure du menton; les cheveux sont noirs, droits et longs. L'ensemble des traits est laid plutôt qu'agréable; néanmoins on ÿ remarque une expression de vivacité et de gaîté qui les fait distinguer de suite des nations du sud, où l'air sombre domine toujours. Les hommes ne sont pas généralement bien, les femmes sont souvent passables; la jeu- nesse offre des figures arrondies et pleines , changeant beaucoup moins dans l’âge adulte que chez les nations australes, et conservant presque toujours des traits moins repous- sans, même dans la décrépitude. Le langage accuse, dès le premier aperçu, une source tout à fait différente de celle des langues du Chaco; ce ne sont plus ces sons durs, cette sorte de croassement guttu- ral, dont l'oreille est continuellement choquée; au contraire, dans la langue samucu, on trouve une douceur remarquable, une euphonie qui plaît; on l'entend avec plaisir : c'est l'italien des déserts. Elle est remplie de terminaisons en a et en o, surtout dans les sections guarañoca et samucu ; mais la morotoca change souvent ces terminaisons en od et ad, ou en #, et dans cette dernière finale, supprime les voyelles qui la suivent. Elle présente celte particularité, que presque tous les noms des parties du corps com- mencent par la monosyllabe ya, ye, yu, comme dans Furéata, joue; Fanoénia, oreilles; Yédodia, yeux. Les Samucus ont un système de numération qui va jusqu’à dix seulement (sans doute en raison du nombre des dix doigts). Leur caractère fut toujours la fierté et l'indépendance; aussi ceux des missions donnèrent-ils beaucoup de peine aux Jésuites, qui, dans le cours de leur règne, n’ont pu soumeltre qu’une partie de chaque tribu, le surplus restant toujours sauvage au milieu des forêts. Les Samucus ont conservé, parmi les Chiquitos, une réputation de bravoure et de force; aussi sont-ils, au moins les Morotocas, les plus redoutés de toutes les missions, et commandent-ils dans tous les lieux où ils se présentent. Essentiellement bons, sociables, intègres, des plus hospitaliers, mème caressans pour les étrangers, leur abord est ouvert et gai. Tout annonce, en eux, du goût pour les plaisirs et en particulier pour la danse, que les femmes aiment passionnément. Quant aux mœurs, on trouve également une grande différence entre les Samucus et les peuples du Chaco qui les avoisinent. Chasseurs comme eux, 1ls joignent constam- ment la culture à la chasse; et par là même ne sont pas ambulans, mais bien fixes dans le lieu de leur naissance; s'ils font la guerre, ce n’est que par représaille. C’est ainsi qu'ils attaquèrent long-temps les missions de San-Juan et de Santiago. Ils se la nation samucu avait la lèvre inférieure, les oreilles et quelquefois les narines percées, afin d’y passer un gros morceau de bois: si du moins, comme tout l’annoncerait, les Tarapecocies, décrits dans les excursions de Nuñez Cabeza de Vaca de 1544 (p. 5 du recueil de Barcia historiadores primitivos de Indios, 1. 1°), appartiennent à cette nation. Homme améri- tain. ——__— ( 256 ) tiennent au sein des grandes forêts, principalement sur les coteaux, cultivant les vallons dès que les eaux s'en sont retirées. Ils sèment le manioc, le maïs, le mani, ainsi que quelques espèces de citrouilles. Leur culture est peu dispendieuse; il leur suffit presque d'abattre des arbres, d'y mettre le feu et de jeter des graines sur la terre, ou, tout au plus, de les placer dans un très-petit trou. La récolte faite, la plupart des hommes aban- donnent momentanément leurs femmes et s’enfoncent dans les bois, où, disséminés par petits groupes et vivant du miel des abeilles sauvages, ils chassent et boucanent le gibier qu'ils rapportent ensuite à leur demeure, cabane couverte en paille, au milieu de laquelle on allume le feu. Tandis que les femmes s'étendent à terre sur des nattes artistement tressées, les hommes couchent sur des hamacs faits de fils de coton. Leurs armes sont la lance, l'arc, la flèche et la massue à deux tranchans de bois très-dur, dont ils font le plus d'usage, s’en servant aussi comme de hache pour s'ouvrir une route au milieu des bois. Toujours disséminés par petits hameaux peu éloignés les uns des autres, dont chacun a son chef. Ils aiment beaucoup le plaisir et lorsque la récolte de maïs a été abondante, ils se font souvent les uns aux autres des visites qui donnent lieu à une fête. Ils composent alors de la bière de maïs, et pendant plusieurs jours ne cessent de danser et de boire, saisissant toutes les occasions possibles de s'amuser. Leurs danses singulières, imitatives et grotesques!, sont accompagnées de chant; le plus souvent un Indien agite une calebasse au milieu d’un cercle de femmes, qui répètent la chanson en sifflant, en sautant et en prenant diverses attitudes. Quant à leur mu- sique, ils ne se contentent pas de la musique vocale; tous les hommes, rangés en files, armés d’une flûte de Pan dans divers tons, trouvent, dans l’ensemble des sons produits séparément par chacun des musiciens, des mélodies sauvages qui, malgré leur monotonie, ne laissent pas que d’être assez harmonieuses?. Ce sont, en un mot, de tous les habitans de la province de Chiquitos les plus gais et les plus disposés au plaisir : riant sans cesse, ils sont toujours prèts à s'amuser d’un rien. | L'industrie des Samucus est très-bornée; les hommes confectionnent leurs armes avec assez d'adresse, tandis que les femmes filent le coton, pour en former des espèces de filets servant de hamacs à leurs maris, lorsque ces derniers vont à la chasse; elles tissent aussi la pièce d’étoffe qu’elles portent, de la ceinture au bas des jambes; elles fabriquent de la poterie assez belle. Les deux sexes travaillent à la terre et font les récoltes; les hommes seuls pêchent et chassent, tandis que les fémmes se chargent de lous les détails du ménage. Jamais cette nation n’a songé à se construire de pirogues pour naviguer sur les rivières. Soumise au christianisme dans les missions, elle à pris les coutumes générales des néophytes; les femmes seules filent, tandis que les hommes tissent et font les travaux de force. Ils ont intégralement conservé, dans l'état de demi-civilisation des missions, le caractère de leurs mœurs primitives. 1. Voyez partie historique. 2. Voir dans la partie historique, quelques morceaux de leur musique. ( 257 ) Les hommes vont entièrement nus à l’état sauvage, et les femmes, dans la tribu des Samucus proprement dits, portent une pièce de tissu de la ceinture au bas des jambes et des ornemens aux bras et au cou. Cette tribu se coupe aussi les cheveux très-courts, tandis que les autres se les laissent pousser, flottant sur les épaules. Nous n’avons vu chez elle aucun reste de tatouage ni de peinture du corps, non plus que l’usage barbare de se percer les lèvres et les oreilles; mais peut-être cette coutume a-t-elle cessé avec l'état sauvage. Ces Indiens se gouvernent par un cacique, qui jouit du droit de conseil et même d’une certaine autorité. Chacune de leurs réunions partielles a son chef; et, comme ces réunions sont nombreuses, il n'existe, en fait, aucun lien entre les diverses tribus de la nation, qui se traitent en étrangères, lorsqu'elles sont restées long-temps sans communiquer. La religion , autant que nous a permis d’en juger le peu de renseignemens que nous avons obtenus à cet égard, se bornerait à la croyance d’une autre vie, prouvée par la coutume d’enterrer les armes avec les morts. Les médecins pratiquent des suc- cions pour la guérison des malades. En résumé, nous pensons que les Samucus s’éloignent des nations du Chaco, par les traits, par la couleur moins foncée, et surtout par des mœurs plus douces, un carac- tère plus joyeux, un langage plus euphonique; nous croyons qu’ils appartiennent à un rameau particulier d'hommes propres aux collines boisées de la province de Chiquitos, qui établirait le passage des nations des plaines à celles des montagnes et aux nations guaranies brésiliennes, tenant aux premières par une teinte bistrée, aux secondes par des yeux bridés extérieurement; du reste, leur langage, quoiqu’entièrement différent, les rapproche plus des nations guaraniennes que de celles des Pampas. 1. Padre Fernandez, Loc. cil., p. 318. a — O1 Q1 IV. Homme. Homme améri- “ain. Homme améri- ( 258 ) NATION CHIQUITO. Nous allons nous occuper d’une nation fort nombreuse dont le nom a été appliqué à une province entière, Sans néanmoins être indigène; car Chiquilo veut dire petit dans la langue espagnole. Ce nom, selon les historiens, lui fut donné d’après les portes des maisons des naturels, si basses qu’on n’y pouvait entrer qu'en se trainant sur les genoux et sur les mains; ainsi cette dénomination, qui a fait croire à beaucoup d’au- teurs que les hommes auxquels elle s'applique sont de petite taille, tient à une cir- constance tout à fait étrangère à leur stature. Cependant, au milieu de cette multitude de noms propres à chacune des tribus, il eût été facile d'en choisir un indigène, et surtout plus approprié aux habitans. Peu de nations portent autant de dénominations différentes que les Chiquitos, ce qui s'explique sans peine par leur manière de vivre. Disséminés en très-faibles tribus, afin de chasser plus à l'aise, chacune de ces réunions de famille se désignait par le lieu de son habitation ou par le chef qui la commandait; de là cette multitude de noms variant sans cesse, à mesure que les tribus changeaient de demeure ou que les caciques se succédaient. On chercherait donc vainement aujourd’hui toutes les tribus mentionnées dans les premiers historiens; aussi ne trouve-t-on plus les Cercosis vus par Jrala2 en 1548, les Sacocies et les Arianicocies, vus en 1543 par Nuñez Cabeza de Bacaÿ, et qui étaient certainement des Chiquitos; ni les Piñocas , les Pénoquis, les Boxos, les Tapiquas, les Taus, les Xamaros4, les Penotos, les Tapipuicas, les Caricas , les Pequiquias , les Arupores, les Tubacis, les Puraxis, et une foule d’autres, parmi les- quels se rangent les Manacicas, à eux seuls divisés en soixante et une tribus, ayant chacune son nom, et entourées de vingt-neuf autres, se distinguant, de leur côté, par une dénomination particulière; tribus toutes citées par le père Fernandez, dans son Histoire de la province de Chiquitos, de 1696 à 17235, et dont nous ne reproduisons pas ici la liste, cette nomenclature stérile devant nous demander trop de place. En 1. Voyez Relacion historial de las missiones de los Indios que llaman Chiquitos, par le père Fernandez, p. 34. | 2. Herrera, Decadas , et Funes, Ensayo de la historia del Paraguay, 1. T, p. 131. 3. Rui Diaz de Guzman , Historia argentina, p. 45, 73 (Coleccion de obras y documentos rela- livos « la historia antigua y moderna del Rio de la Plata, por Pedro de Angelis); Barcia, Histo- riadores primitivos de Indias, t. 1 (Comentario de Alvar Nuñez Cabeza de Baca, p. 42, 45, 55); Schmidel ( Coleccion de obras, p. 29, 36-47 ). 4. Dans l'orthographe fixée par les Jésuites pour la langue chiquita, Vx ne représente pas le son du j espagnol, mais celui de notre ch français, qu'aucune lettre espagnole ne pouvait rendre. On doit donc prononcer chamaros ; observation applicable à tous les cas où cette lettre se présente. 2. Voyez surtout page 227; car il serait trop long de les énumérer toutes. ( 259 ) 1831, tandis que nous étions à Chiquitos, les sections de la nation étaient ainsi distribuées par missions : À San- Xavier vivaient cinq divisions ou Parcidlidades , comme les appellent les missionnaires, les Piococas, les Quemecas, les Quiriquias, les Punasiquias et les Xamanacas ; à Concepcion, les Mococas, les Cuciquias ?, subdivisés en Cusiquias, Vurucaritias et Tapacuracas ; à San-Miguel, les Péquicas, les Saracas, les Parahacas, les Guazorock, les Fazoros et les Guarayos?; à San-Ignacio, les Sañepicas , les Quehuciquias, les Guarayocas, les Samanucas , les Piococas, les Xurubérécas et les Punasiquias ; à Santa-Ana, les Guazorocas et les Xamanucas ; à San-Rafael, les Matahucas et les Auatasis; à San-José, les Chamanucas, les Péroquiquiaz ; à San-Juan, les Boros; à Santiago, les Macarañys, les Maxamanucas, les Matahucas et les Mataiminicas ; enfin, à Santo- Corazon, encore les Matahucas et les Boros, ainsi que beaucoup d’autres petites sections, qui, dans chacune des missions, pourraient, à leur tour, se diviser à l'infini; car chaque grande famille a, pour ainsi dire, un nom de tribu différent de sa voisine. Nous avons cru devoir donner cette nomenclature de sections, pensant qu’elle ne subira plus de changements, les mêmes noms s'étant toujours conservés depuis l'établissement définitif des missions. Les Espagnols confondent toutes les nations de la province sous la dénomination de Chiquitos. Avant d’être réunie en missions, la nation des Chiquitos habitait tout le centre de la province de ce nom, principalement sur le plateau et sur les versans des collines granitiques qui constituent le sol montueux de sa partie sud-ouest. Elle s’étendait, en latitude, du 16.° degré sud au 18.°, et, en longitude, du 60.° au 64.° degré ouest, bornée au sud-est par les collines de San-José; au sud, par le commencement des plaines du grand Chaco; à l’est, par les chaînes de San-Carlos; au nord, par la fin des collines du versant au Guaporé, et à l’ouest, par le Rio San-Miguel, occupant ainsi un terrain de figure irrégulière et rhomboïdale, dirigée nord-ouest et sud-est. Elle était divisée en une multitude de petites tribus fixées au milieu des forêts qui cou- vrent toute la province, et dont chacune, sur son petit espace, vivait entièrement séparée des autres, ne les voyant que lorsqu'elle y était forcée, à moins qu’elle ne se regardàt comme leur parente; car il y avait alors, entr'elles, de fréquentes visites, marquées par des fêtes continuelles. Sa principale tribu, celle des Manacicas, habi- tait le versant nord des montagnes; elle avait encore plus au nord les Cusiquias avec leurs tribus, tandis que les Piñocas étaient près du Rio San-Miguel; les Pénoquis, au lieu où se trouve aujourd’hui Concepcion; les Boæos, les Tapiquas et les Taus, près de San-Rafael; les Tabicas, les Boxos encore, les Pénotos etles Xamaros, occupant les parties sud de leur territoire, près de San-José. Il ne reste aujourd'hui aucun Chiquito sau- 1. Cette dernière section parle un dialecte tout à fait corrompu du chiquito, dialecte conservé jusqu’à nos jours, et certainement mélangé de mots qui appartiennent à une langue distincte, celle des Païconécas. 2. Il ne faut pas confondre cette dénomination, donnée par les Espagnols à une section des Chiquitos, avec un nom identique que porte une tribu des Guaranis dont nous parlerons plus tard. 3. Voyez père Fernandez, de la page 63 à la page 95. Homme améri- cain. Homme améri- cain ( 260 ) vage, tous ayant été réduits en missions. On les a répartis sur les différens points de la province, les mélangeant aux nalions voisines, dans le but, fondé sur leur plus grand nombre, de rendre leur langue générale, et de faire disparaître les autres idiomes; c’est ainsi qu'on en a vu, dans la liste précédente de leurs tribus, jusqu’à Santo-Corazon, bien en dehors du lieu qu'ils habitaient étant sauvages. Dans leur état de liberté, ils avaient pour voisins, à l’est, les Samucus; au sud, les nations du Chaco, comme les Guanas, les Guatos et les Tobas; à l’ouest, les Sirionos du Rio Grande et les Guarayos du nord-ouest; au septentrion, non-seulement ils étaient bornés par beaucoup de nations distinctes, telles que les Sarabécas, les Otukès, les Tapis, les Covarécas, les Païconé- cas, les Tapacuras et leurs tribus, mais encore ils en enclavaient plusieurs qui, pour ainsi dire, sous leur dépendance et vivant en bonne intelligence avec eux, n’étaient séparées les unes des autres que par un marécage ou une épaisse forêt. Nous pouvons donner un chiffre exact des Chiquitos actuels, en nous servant du recensement fait en 1830: par ordre du gouvernement. En défalquant des missions les naturels appartenant à d’autres nations, leur nombre positif serait ainsi réparti : À Buenavista de Santi-Cruz 2008, AS Te À ,San-Francisco-Xavier «de; Chiquitossli temple Men 00e 946 À la Concepcion. de-Chiquitos MERE RE ne 900 À San-Ignacio — _ RE PE 1 Re ee Le ee À San-Miguel _— — avis tags Hate Le NI À Santa-Ana _ _ st tale Pébattent NT CS RRRrnO À San-Rafael _ _ sis 64. rm eee a ODD À San-José _ _ Met nn ester 100 À San-Juan _ — RS a 379 À Santiago _ _ state bot t ER Er HO RMASE 484 À Santo-Corazon — — states de roue Sushi es 455 À Casalvasco du Brésil (enlevés par les Brésiliens) . . . . . . . . .. 300 Tomate 14,92 Réduits au christianisme par les Jésuites, tous vivent encore, au sein des missions, sous l’ancien régime institué par les pères. Leur couleur est à peu près celle des Samucus, quoiqu’un peu moins intense; mais la nuance est si peu distincte, qu’il faut en voir un grand nombre ensemble pour en juger. La teinte est bistré brun-pèle, tenant plutôt de l’olivatre que du jaune. ? 1. Nous nous sommes procuré sur les lieux tous les renseignemens relatifs à la statistique du pays, et nous croyons pouvoir en garantir l’authenticité. 2. Le père Fernandez, Loc. cit., p- 31, s'exprime ainsi sur leur couleur : El color es de azey- tuna (la couleur est celle de lolive ); il les avait donc vus comme nous, ( 261 ) La taille des Chiquitos, à peu près la même que celle des Samucus, est assez belle, et peut s'élever à la moyenne de { mètre 663 millimètres (5 pieds { / pouce). Les plus hauts ne passent pas { mètre 760 à 790 millimètres (5 pieds 5 à 6 pouces). Les femmes, sans être grandes, sont dans la proportion des hommes; quelques-unes atteignent néan- moins { mètre 635 millimètres (5 pieds 7 pouce). Les Chiquitos, en général des plus robustes, ont les épaules larges, la poitrine avancée et s’effaçant bien; le reste de leur corps, à peu près d’une venue, est des plus massif; leurs membres sont fournis, replets, sans muscles saillans. Il est rare de leur voir les extrémités amaigries. Bien plantés, se tenant très-droit, ils ont une démarche aisée; très-vigoureux seulement en apparence, ils ne résistent guère au travail. Les femmes présentent, à peu près, les mêmes formes que les hommes; excessivement larges des épaules et du corps, tout, chez elles, atteste la force; mais on y chercherait en vain des tournures .gracieuses et élancées; elles sont même plus massives que les hommes. Leurs seins sont séparés et petits; leurs bras bien faits; leurs pieds et leurs mains dans des proportions minimes. Il n’y a que très-peu de villosité aux aisselles et au pubis; encore ne paraît-elle qu’à près de vingt ans. Elles sont des plus fécondes. Les traits des Chiquitos, différens de ceux des nations du Chaco, peuvent servir de type au rameau des collines élevées du centre de Amérique. Ils ont la tête arrondie, plutôt grosse que moyenne, presque toujours circulaire, rarement comprimée des côtés ; la face ronde et pleine, les pommettes nullement saillantes; le front bas et bombé; le nez toujours court et légèrement épaté; les narines peu ouvertes, comparauvement à celles des nations australes. Les yeux, pleins d’expression et de vivacité, sont petits, hori- zontaux; cependant, chez quelques individus, ils sont légèrement bridés à l'angle extérieur, ce qui les ferait croire un peu relevés; mais le fait est exceptionnel. Les lèvres sont assez minces, les dents belles, la bouche est médiocre; le menton arrondi et court; les sourcils, bien marqués et minces, sont agréablement arqués; la barbe, peu fournie, non frisée, ne croît que dans l’âge avancé, et ne couvre jamais que la lèvre supérieure et le dessous du menton; les cheveux, longs, noirs et lisses, jaunissent dans lPextrème vieillesse, mais ne blanchissent pas. L'ensemble des traits ne se rapproche aucunement du type européen... C’est un autre genre; néanmoins quelques figures sont passables ; et l'on y remarque de la vivacité, de la gaïîté, un fond de bonté, de franchise, une naïveté qui intéresse. Nous n’avons jamais vu, chez les Chiquitos, une seule figure longue. Les femmes ont également des traits d’un ensemble assez grossier; dans la jeunesse cepen- dant, beaucoup sont assez bien, sans être précisément jolies. Leur face est beaucoup plus cireulaire , beaucoup plus pleine que celle des hommes; leur bouche petite. En souriant, elles montrent, presque toutes, deux petites fossettes aux joues et aux angles extérieurs de la bouche. Après vingt-cinq ans leurs traits deviennent semblables à ceux des hommes ; la décrépitude les rend des plus disgracieuses. La langue des Chiquitos est une des plus étendues, des plus complètes de PAmé- rique. À en croire le Jésuite auteur d’un vocabulaire in-folio de plus de cinq cents Homme améri- cain. ee ——— Homme améri- “ain. ( 262 ) pages !, elle serait fort riche et d’une fécondité illimitée, quant à la combinaison de ses particules. Elle se distingue, en tous points, des autres idiomes du Chaco et du guarani, et peut être considérée comme la souche des langues de quelques autres tribus des mêmes contrées. Néanmoins, en la considérant sous le rapport des sons, on y trouvera beaucoup de ceux qui caractérisent la langue guaranie, comme celui de notre 4, pro- noncé du nez, un peu différemment de l’ français, très-rare chez les autres peuples, ainsi que les sons prononcés du nez et de la gorge; mais ces derniers s’écartent de ceux des langues des plaines, et ce n’est jamais une gutturation analogue à celle du j espagnol. En un mot, à l'exception de l’x, plus accentué que le nôtre, la langue peut être consi- dérée comme plus douce que dure, particulièrement pour les Français accoutumés aux diphthongues. La langue chiquita n’a pas le ck espagnol. Il y est remplacé par le nôtre | qui y devient caractéristique, s’employant très-fréquemment et surtout à la fin des mots, comme dans MVapeich?, les côtes, et Paick, femme; mais toujours sans e muet après, c'est-à-dire sans prolongation de son. Une particularité de cette langue, c’est la diffé- rence d'expression des mêmes objets pour les deux sexes. Non-seulement les noms des objets indiqués par la femme ont une terminaison autre que pour les hommes, mais encore il y a souvent des mots tout à fait dissemblables; ainsi l’homme exprime père par /yà, et la femme par Fzupu (prononcez Ychoupou). Comme nous lavons fait remarquer pour la langue samucu , les noms des parties du corps commencent pres- que tous par une même lettre; dans la langue chiquita, c’est un W, exemple Nochosté, joue; Véñémosis, oreille, et Vosuto, yeux. La tribu des Cuciquias parle un dialecte du même idiome, ’est-à-dire que, dans presque tous les mots, elle supprime les finales en c4, ne se servant presque jamais de ces sons. Chez elle les noms des parties du corps ne commencent plus par un V, mais bien par un ©. Exemple : Ofñumasis, oreille; Osuto, yeux. Les Chiquitos ne savent compter que jusqu'à un ({ama), n'ayant plus ensuite que des termes de comparaison. Leur caractère consiste généralement en un fonds de bonté à toute épreuve; ils ont des goûts sociables, de la fixité dans les idées, aiment peu le changement, et se sou- mettent volontiers à tout ce qu’on leur ordonne; par de bons procédés, on peut en obtenir tout ce qu’on veut. Leur abord inspire la confiance; l'hospitalité est chez eux poussée à l’extrème. Nullement jaloux de leurs femmes, ils sont si peu rancuneux, qu’ils ont les attentions les plus délicates pour ceux-là même qui les font chätier. En un 1. Nous avons trouvé, dans les missions des Chiquitos, le dictionnaire de la langue générale , resté manuscrit et se composant de trois volumes : 1 un volume in-folio de plus de 500 pages, chiquilo-espagnol; 2° un volume in-8.° de plus de 400 pages, espagnol-chiquito ; 3° une grammaire in-8° Rien n’a été écrit de plus complet sur aucune langue américaine, et nous regardons ces trois ouvrages comme renfermant en ce genre les documens les plus précieux que nous ayons rapportés de ces contrées. | 2. Comme nous l'avons déjà fait remarquer, les dictionnaires écrits par les Espagnols rendent ces sons par un x, la langue castillane n'ayant pas de signes qui représentent notre ch. ( 265 ) mot, semblables à de grands enfans, sans volonté, ils sont doués néanmoins d’un juge- ment sain et d’un esprit naturel, qui se manifestent à chaque instant; mais aussi, comme les enfans, ils aiment peu le travail ; et libres, leur peu de prévoyance pourrait les exposer à manquer souvent du nécessaire dans les années de mauvaises récoltes. Autant ils sont peu travailleurs, autant ils sont ardens pour le plaisir, se livrant tour à tour à la danse et aux jeux d’adresse, surtout dans ces réunions motivées par le désir de boire des liqueurs fermentées, qui exaltent encore leur hilarité. Tous musiciens rés, ils composent même des airs et des chants. L’Indien chiquito passerait heureusement sa vie près d’un vase de liqueur de maïs fermenté, ne se dérangeant que pour chanter, danser, faire de la musique ou chasser; car la chasse, son exercice primitif, lui est toujours chère. Ancien- nement guerriers redoutés par leurs voisins, les Chiquitos ont conservé, dans l’état de domesticité, si l'on veut bien nous passer ce terme, leur goût pour la vie hasar- deuse du chasseur. Capables de beaucoup d’attachement et de beaucoup de dévoue- ment, ils n’ont pourtant pas tous cet amour paternel ou filial qui caractérise l’homme sauvage ; ils se séparent facilement et sans émotion de leurs enfans; habitude qui leur était déjà familière avant d’être réunis en villages.1 Les mœurs des Chiquitos diffèrent essentiellement de celles des nations du Chaco. Tous agriculteurs, ils durent nécessairement se fixer en des lieux où ils trouvaient des ressources pour la culture; mais chasseurs en même temps, ils se divisèrent en très- petites tribus, afin de ne pas se nuire mutuellement; de là leur usage constant de vivre au sein des bois, sous des ombrages protecteurs de la chasse et conservateurs d’une humidité nécessaire à la réussite de leurs travaux agricoles; de là, pour eux, l'habitude de se séparer par familles, au lieu de former un corps de nation. Telle était leur manière de vivre avant que les Jésuites les amenassent aux missions?. Leurs maisons, couvertes en paille, avaient alors une porte si basse, qu’elle ne permettait d’y entrer qu’en ram- pant, ce qu'ils avaient imaginé pour se préserver des mouches et des attaques de leurs ennemis. Chaque famille laissait ses enfans entièrement libres jusqu’à l’âge de qua- torze ans, époque à laquelle ceux-ci se séparaient de leurs parens et allaient vivre en commun dans une maison distincte, consacrée aussi à recevoir les étrangers, dont les visites déterminaient toujours des fêtes où l’on s’enivrait de bière de maïs. Les jeunes gens des deux sexes dansaient souvent la nuit. Un garçon voulait-il se marier? il allait chasser, et déposait , à son retour, sa chasse à la porte des parens de sa belle, qui lacceptaient pour leur gendre, s'ils étaient contens du produit. Les chefs seuls se permettaient la polygamie. Une fois mariée, la 1. Le padre Fernandez, Loc. cit., p. 41, dit qu’à l’époque où il écrivait (1723), les Chiquitos se vendaient. Nous avons, en 1831, retrouvé chez eux cette coutume. 2. Nous avons obtenu beaucoup de ces détails sur les lieux mêmes. Quelques-uns de ceux qui sont relatifs au temps antérieur à la conquête, sont tirés de l’ouvrage du père Fernandez, Relacion historial de los Chiquitos, et des renseignemens conservés dans le pays. Homme améri- cain. Homme améri- ain. ( 264 ) femme s'occupait de la cuisine, du ménage, filait et lissait, couchait à terre, tandis que le mari s'étendait dans son hamac, Celui-ci cultivait le champ et chassait. Tous les malins, jusqu'à ce que le soleil eût séché la rosée, il jouait de la flûte, puis commençait sa journée de travail, achevée à midi. Alors, comme à présent, l’automne était une époque où tous les Indiens se séparaient et s’enfonçaient dans les forêts, pendant plus d'un mois, pour chasser, apportant ensuite chacun sa hotte ou Panaquick remplie de chair boucanée. Intrépides guerriers, maniant avec adresse l’arc et la flèche, ils atta- quaient leurs voisins, et faisaient des esclaves, auxquels souvent leur bonté naturelle les portait à donner pour femmes jusqu’à leurs filles. [ls aiment la musique, cherchent tous les moyens possibles de s'amuser, dansent continuellement et sont toujours dis- posés à jouer. Parmi leurs jeux, il en est un caractéristique, celui du Guatorock, jeu de balle, d'autant plus singulier , que deux ou trois cents individus peuvent s’y intéresser à la fois, et que la balle est lancée par les joueurs avec la tête. Tous ces divertissemens se sont conservés dans les missions actuelles, ainsi que le fond de leurs anciennès coutumes. Dès l'instant où une femme est enceinte, elle interrompt, jusqu’à la fin de l'allaitement de son enfant, toute communication avec son mari. Avant que celte nation se soumit au christianisme, l’industrie était chez elle dans l'enfance; cependant les femmes savaient filer et tisser; les hommes fabriquaient leurs armes, chassaient à l'arc et pèchaient au moyen d’une racine qui, jetée dans l’eau, étourdit momentanément le poisson, lequel vient de suite à la surface et se laisse prendre sans peine. Jamais les Chiquitos n’ont navigué sur les rivières. Dans les missions ils ont montré de l’aptitude à tout, et maintenant on trouve parmi eux des artisans de toute espèce. Les hommes allaient nus, les femmes se couvraient d’une chemise sans manches?; el s’ornaient de bracelets et de colliers. Dans les jours de fête, avant d’être Chrétiens, les Chiquitos portaient des ceintures de plumes colorées, et comme signe de vic- toire, la queue et les plumes des oiseaux tués par eux. Ils avaient aussi une cou- tume qui n'existe plus aujourd’hui, celle de se percer les oreilles et la lèvre inférieure, afin d'y introduire des plumes de couleur. Les deux sexes ne se laissaient pousser les cheveux qu'après l’âge de vingt ans; usage encore suivi, ainsi que beaucoup d’autres, qui n’ont pas été modifiés par la demi-civilisation des missions. Le costume des femmes est toujours le même. Les Chiquitos étaient gouvernés par une foule de petits chefs ou Zriabos, élus par le conseil des vieillards, et conduisant chacun sa petite tribu, tout en remplissant les fonc- ons de médecin. Souvent ils partaient avec les leurs et attaquaient les tribus voisines , dans le seul but de se faire une réputation de bravoure qui contribuait à leur donner beaucoup d'importance; mais il n’existait entre tous aucune union dont püt résulter une force réelle. ———————————————. — — —"———_— 1. Nous avons souvent été témoin de ces jeux, un des grands divertissemens de cette nation. 2. Schmidel parle de leur costume, en 1548, lors de l'expédition d’Irala, édition de Buenos- Ayres , p. 48 à 52, ( 265 ) Ils se recherchaient peu, faisaient rarement cause commune; et, disséminés en centaines de sections, ne formaient point, à proprement parler, de corps national. Selon le père Fernandez!, leur religion se réduisait, dans l’état sauvage, à la croyance d’une autre vie, motivant l'enterrement d’armes et de vivres avec les morts. Ils craignaient un être malfaisant, appelaient la lune leur mère, sans lui rendre de culte; mais , lorsque la planète s’éclipsait, pensant que des chiens la mordaient et lui tiraient du sang, ils sortaient de leurs cabanes et lançaient contre elle des flèches jusqu’à la fin de l’éclipse. Ils se figuraient aussi que les éclairs devaient être les âmes des défunts qui descendaient du séjour des étoiles. Superstitieux à l’extrème, ils croyaient et croient même encore à l'influence des astres sur l’avenir, tirant des augures du chant des oiseaux ou de la présence d’un animal, dans certaines circonstances données. Les Iriabos pratiquaient des succions sur les malades?; ils attribuaient quelquefois la maladie à des causes futiles, comme d’avoir donné de la chair de tortue à leur chien, ce qui poussait làme de la tortue à venir venger cette injure; mais si le mal résistait, l’Iriabos l’attribuait à une femme désignée par lui; et alors les parens allaient la tuer. La section des Manacicas, selon le même auteur, aurait eu une religion bien plus compliquée et une espèce de trinité, analogue à celle des catholiques : un Dieu père, un Dieu fils et un Saint- Esprit; une déesse, femme du père; un prêtre (Manopo), rendant les oracles, quand les dieux ne descendaient pas pour les rendre eux-mêmes; un cinquième dieu, Zsituuch, dieu de l'eau, et un sixième, faisant passer le Styx. Aujourd’hui des plus religieux, les Chiquitos sont très-bons catholiques. Ils ont néanmoins conservé beaucoup des superstitions de leur état sauvage. Le résumé de tout ce qui précède est : 1. que les Chiquitos n’appartiennent pas au même rameau que les Indiens du Chaco, dont ils diffèrent par les traits, par la face beaucoup plus ronde, par la couleur moins foncée, par les mœurs, les habitudes; 2 qu'ils ne sont pas non plus de la race guaranie, dont ils se distinguent par une couleur plus brune et l’horizontalité des yeux; mais qu'avec les Samucus et quelques autres petites nations des collines du centre de l'Amérique, ils doivent constituer un rameau particulier, rapproché des nations des plaines inondées de la province de Moxos et appartenant évidemment, par la couleur, à la race pampéenne. 1. Voyez Relacion historial de los Chiquitos, p. 39; description reproduite dans le Choix de lettres édifiantes, t. VIII, p. 260, et Charlevoix, Paraguay, t. II, p. 236. 2. Relacion, etc., p. 28 et 29. 3. Loc. cit., p. 228 et suiv. Il est à craindre que cette religion ne soit apocryphe et toute d'invention; l'exposé en est fait par un Jésuite dont les récits ultérieurs semblent annoncer qu'il en impose. On en trouve une copie dans le Choix de lettres édifiantes, 1. VIII, p. 194. CO ESS 1V. Homme. Homme améri- cain. Homme améri Cain. ( 266 ) NATION SARAVÉCA. Saravéca est le nom imposé sur les lieux à une nation que nous avons rencontrée au sein des missions de la province de Chiquitos, et dont jusqu'ici aucun historien n'a fait mention. D'après ce que nous ont appris leurs vieillards, les Saravécas, avant d’être réunis dans les missions des Jésuites, vivaient au sein des forêts qui avoisinent la Réduction actuelle de Santa-Ana, vers l’est, sur les chaînes nord-est des dernières collines de la province de Chiquitos, vers le 16.° degré de latitude sud, et par le 62.° degré de longitude ouest de Paris, formant plusieurs petites tribus voisines les unes des autres, et, pour ainsi dire, enclavées par les Chiquitos sur la frontière nord-est du territoire qu’occupe cette nation. Aujourd’hui aucun Saravéca ne se trouve à l’état sauvage, tous étant soumis au christianisme, dans la mission de Santa-Ana. Au nombre encore de deux cent cinquante, au moins, à Santa-Ana, et d’un cent environ à la Réduction de Casalvasco, où les Portugais les ont menés, leur chiffre total peut, en tout, s'élever à trois cent cinquante. | Leur couleur, leur taille, leurs formes, leurs traits, sont les mêmes que ceux des Chiquitos; mêlés avec ceux-ci, on ne peut les distinguer les uns des autres; seulement nous avons cru remarquer qu’on trouve, parmi les Saravécas , les plus jolies figures de la mission de Santa-Ana, sans qu’elles présentent toutefois la moindre différence dans les caractères particuliers. Le langage seul diffère essentiellement; car la confrontation des vocabulaires écrits par nous sur les lieux, au moyen de bons interprètes, nous a fait reconnaitre que ce mélait pas une variante d’une même langue, mais bien un tout autre idiome. On ne rencontre plus, chez les Saravécas, ni le son de notre w, ni le ck final des Chiquitos, n1 le changement d'expressions selon les sexes. La langue saravéca se distingue d’une autre manière : elle présente, dans la prononciation du j espagnol, une forte guttura- lion, qu'on retrouve dans beaucoup de mots; mais c’est la seule intonation dure ou peu euphonique; car elle n’a ni diphthongues, ni son nasal. Des plus facile à écrire pour un Français espagnolisé, elle a le ck espagnol et le cz français, ainsi que le son du z de cette dernière langue, rare parmi les idiomes américains. L'emploi des voyelles, surtout de l£ final, comme dans Æjarati, les côtes, y est le plus fréquent, ainsi que celui de lx espagnol (ou des Français), comme dans 4cunéchu , femme. La même sin- gularité que dans les langues chiquito et samucu $y remarque pour la formation des noms des parties du corps; presque tous commençant, comme chez les Chiquitos, par un #; mais ils diffèrent en tout le reste, ainsi qu’on peut le voir par Vozovivi, joue; Nunihijé, oreille, et Noké, yeux. Les Saravécas n’ont d’autre système de numéra- ( 267 ) tion que les noms des cinq doigts de la main, qu'ils étendent jusqu’à cinq mains , ce qui fait vingt-cinq. Leur caractère est analogue à celui des Chiquitos; même bonté, même gaité soute- nue, même goût pour les plaisirs et les fêtes. Leurs mœurs, avant qu'ils ne fussent Chrétiens, paraissent aussi avoir été semblables à celles des Chiquitos. C’est au moins ce que nous avons cru pouvoir conclure des renseignemens, malheureusement trop vagues, que les Indiens nous ont procurés. Chrétiens, ils ressemblent absolument aux Chiquitos, soit par leur manière de vivre, soit par le costume des hommes et des femmes. Leur gouvernement devait, sans doute, être analogue. Quant à leur ancienne religion, nous n’en avons pu rien apprendre. Ainsi les caractères physiques étant les mêmes chez les Saravécas que chez les Chi- quitos, leurs mœurs et coutumes étant identiques, nous les regardons comme une nation distincte du même rameau, caractérisée seulement par une langue différente. 1. Lors de notre séjour à Santa-Ana (1831 ), quoique la langue saravéca se parlät encore entre les Indiens de cette tribu, elle commençait à disparaître et à se mélanger de chiquito; ce que nous avons su d’un vieil Indien de cette nation, interprète de l'espagnol et le seul qui la parlât purement. Nous ne doutons pas que dans quelques années, elle ne disparaisse entièrement , comme celle des Curuminacas et autres, dont nous aurons occasion de parler. Homme améri- «ain. Homme améri- ain, ( 268 ) NATION OTUKËÈS.: Cette nation se donne elle-même le nom d’Otuhés ou Otuques, que lui appliquent les autres peuples de la province de Chiquitos, ainsi que les Espagnols des missions. Elle n'a jamais été indiquée par les anciens écrivains; et nous croyons être le premier à la faire connaitre. Les Otukès, s’il faut s’en rapporter à leurs compatriotes, habiteraient les forêts épaisses couvrant les parties nord-est de la province de Chiquitos, non loin des frontières du Brésil, et formeraient une lisière qui s’étendrait du sud-est au nord-ouest, entre le 17." et le 18." degré de latitude sud, et à peu près au 60.° degré de longitude ouest de Paris, ayant pour voisins, au sud, les Samucus, et même, peut-être, des tribus des Chiquitos, qui, avec les Saravécas, et surtout les Covarécas et les Curuminacas, les enveloppaient vers l’ouest. Tous, aujourd’hui, sont réduits au christianisme dans la mission de Santo-Corazon, et aucun, au moins à ce qu'ils assurent, n’est resté sauvage. Leur nombre est d'environ cent cinquante. Les Otukès ressemblent aux Saravécas, en ce qu’ils ont la couleur, la taille, les formes et les traits des Chiquitos; mais en général, nous avons cru remarquer que, tout en ayant les mêmes figures, ils sont plus laids et moins bien faits que les autres. L'idiome des Otukès diffère essentiellement de celui des autres nations de la pro- vince. Nous en avons écrit un vocabulaire que nous avons. confronté avec toutes les langues voisines, et parmi quelques centaines de mots, nous n’en avons trouvé que quelques-uns qui se rapprochassent de la langue chiquito, ce qui peut provenir de l’oubli de leur idiome primitif et de l'habitude qu'ils ont prise de parler le chiquito?. Nous avons cru y rencontrer aussi un petit nombre de mots ayant du rapport avec ceux des Saravécas; sans qu’on puisse néanmoins en déduire d’autre conséquence que celle de rela- lions accidentelles avec ces derniers. La langue otukè n’a aucune gutturation, très-peu de diphthongues ou de sons venant du nez. Elle est des plus douce et des plus facile soit à entendre, soit à écrire; elle possède le c espagnol et le cz français; mais aucune autre inflexion ou articulation du français que l’# nasal, encore cette articulation y est-elle 1. Prononcez Otoukès. Nous n’avons changé l'orthographe usuelle d'aucun nom, dans la crainte d'augmenter la confusion, déjà beaucoup trop grande. 2. En 1831, il ne restait plus à Santo-Corazon que deux Indiens âgés qui se rappelassent cette langue, déjà oubliée par leurs enfans; aussi, peut-être, n’y a-t-il aujourd’hui d’autre trace de leur langage que le vocabulaire que nous en avons rédigé. Les Jésuites voulaient amener toutes les nations à parler une seule langue, celle des Chiquitos, en forçant les naturels à prier dans celle-ci; ce qui à fait insensiblement disparaitre tous les idiomes parlés par les moins nombreuses. ( 269 ) rare; la langue manque absolument de z et d’s simple. Ses mots ne finissent jamais par une consonne, mais-toujours par les voyelles, en a, e, 1, o, u et ou. Du reste, elle offre encore la singularité que nous avons fait remarquer dans la langue des Samucus, des Chiquitos et des Saravécas, que beaucoup des noms des parties du corps commencent par une lettre déterminée; exemple : /vérana, joue; /chaparara, oreille; /chaa, yeux. Les Otukès n’ont aucun système de numération. Leur caractère nous a paru analogue à celui des Chiquitos; à l'exception de leur gailé, que nous n’avons pas trouvée aussi franche. Ils sont plus taciturnes; et tiennent à leur liberté, au point d’avoir quelquefois regagné les bois dont ils étaient sortis, lors- qu'ils se voyaient tourmentés par un administrateur peu facile; mais aussitôt qu’on les prenait par la douceur, ils rentraient sous le joug avec une extrême docilité. Quant aux mœurs, au gouvernement et à la religion, nous ignorons entièrement ce qu'étaient les Otukès, avant leur conversion au christianisme; ils ont aujourd’hui les usages et le costume des Chiquitos. Cette nation nous semble appartenir au rameau chiquitéen par ses caractères phy- siques; se distinguant néanmoins des Chiquitos par une langue toute différente. Homme améri- cain. Homme améri- cain. ( 270 ) NATION CURUMINACA.: A la mission de Santa-Ana de Chiquitos, il existe une nation appelée Curuminaca , nom également consacré par les Chiquitos et par les Espagnols, sans que jamais il en ait été fait mention par les historiens. Les rapports des vieux Indiens feraient croire que les Curuminacas ont dû habiter vers le nord-est de la province, entre les Saravécas et les Otukès, c’est-à-dire au milieu des forêts qui couvrent les plaines et les montagnes granitiques des frontières du Brésil, par le 16.° degré de latitude sud et à peu près par le 62.° degré de longitude. Leurs tribus, peu nombreuses, communiquaient fréquemment avec les Saravécas, qu’ils sui- virent à la mission de Santa-Ana, lorsque ceux-ci embrassèrent le christianisme. Il n’en reste aucun de sauvage. Leur nombre est à peu près de cent à la mission de Santa-Ana, et peut-être de cinquante parmi les Indiens enlevés de cette mission pour peupler Casalvasco, ce qui forme un total d'environ cent cinquante. Pour tous les caractères physiques et moraux, ils ne diffèrent aucunement des Chi- quitos, avec lesquels ils sont confondus, et dont ils se regardent maintenant comme les alliés. Les Curuminacas ont oublié leur langue primitive. Un de leurs vieillards a pu seul nous en communiquer quelques mots, qui en sont les uniques vestiges. Il nous assura, d'accord avec les anciens de la mission, que la langue des Curuminacas devait se distinguer des autres langues de la province. La confrontation du peu de mots que nous avons recueillis, nous a fait reconnaître que sur quatorze, cinq avaient un peu d'analogie et dérivaient évidemment de la langue otukès, tandis que les autres diffé- raient essentiellement des idiomes chiquitéens; ce qui nous donnerait lieu de croire que cette nation a été réellement distincte; mais qu’elle a eu de fréquens rapports avec les Otukès. Il résulte du peu de mots que nous possédons, que les Curuminacas avaient dans leur langage : 1.” beaucoup de sons gutturaux et nasals, tels que le 7 espagnol et lu prononcé du nez; 2.° qu'ils avaient aussi le c4 espagnol, le cz et le z français; 3.° que leurs mots ne devaient se terminer que par des voyelles. Nous pensons donc que les Curuminacas ne sont autres qu’une très-pelite nation bien voisine des Otukès, appartenant évidemment, par tous ses caractères, au rameau chiquitéen. mo 1. En français Courouminaca. ( 271 ) NATION COVARÉCA. Sous ce nom vivait, à la mission de Santa-Ana de Chiquitos, une nation qui, selon les vieillards, y aurait été amenée par les Jésuites (du 17.° degré de latitude sud et du 61. degré de longitude ouest de Paris) en même temps que les Saravécas et les Curu- minacas, ces derniers étant leurs amis et alliés; mais les mœurs des Covarécas, caracté- risées par un goût dominant pour la vie errante du chasseur, les auraient rendus indociles aux Jésuites, qui n’en firent jamais de bons chrétiens. Plusieurs d’entr'eux, au nombre de cent environ, regagnèrent les bois d’où ils étaient sortis; et quelques autres, en s’alliant à des nations différentes, finirent par se fixer à Santa-Ana, où il en reste peut- être encore une cinquantaine. Leurs caractères physiques sont les mêmes que ceux des Chiquitos, dont on ne saurait les distinguer; mais, plus amis de leur liberté sauvage, ils furent toujours les plus incorrigibles voleurs de la province. Presque tous ceux qui existent aujour- d’hui ont échangé leur langue contre celle des Chiquitos. Ne nous en rapportant pas entièrement aux indigènes, qui nous disaient leur langage distinct de celui de tous les peuples de la province, nous avons encore consulté un très-vieil Indien qui nous en dicta quelques mots, par lesquels nous avons pu nous assurer que, comme la langue curuminaca, avec laquelle elle a de l’analogie, la langue covaréca se rap- proche, pour le tiers des mots, de celle des Otukès; ce qui pourrait faire croire, malgré le nombre des termes différens, que la nation covaréca en est peut-être une tribu, ou que, tout au moins, elle est voisine des Otukès. La langue a le son guttural du 7 espagnol, ainsi que l’x nasal des Américains, beaucoup de voyelles terminales, quel- ques-unes dans l’intérieur des mots et aucune prononciation de ck; mais, nous le répétons , nous possédons trop peu de documens pour pouvoir donner une solution positive relativement à cette langue. Le seul fait que nous soyons en mesure de garan- ur, c’est que les Covarécas appartiennent au rameau chiquitéen. Homme améri- cain. (272 ) Homme ameri- LRU LE . x NATION CURAVES.: À la mission de Santo-Corazon de Chiquitos, nous avons rencontré des indigènes portant le nom de Curavès, qui, avant d’être réunis aux autres Indiens de cette mis- sion, auraient, selon les vieillards, habité les rives du Rio Tucabaca, au-delà de l'ancien Santo-Corazon, c'est-à-dire au 19.° degré de latitude sud, entre les 59.° et 60." degrés de longitude, au milieu des forêts bornant, au sud, les dernières petites collines granitiques du plateau de Chiquitos. Aujourd’hui les Curavès peuvent être encore au nombre de cent cinquante dans la section (Parcialidad) qu'ils forment à Santo-Corazon. En les considérant sous le rapport de leurs caractères physiques, nous ne les avons nullement trouvés différens des autres indigènes de la province. Leurs mœurs nous ont également paru identiques; et nous ne les aurions pas séparés des nombreuses sec- tions des Chiquitos proprement dits, si tous les Indiens de leur nation, ainsi que les Poturéros et les Samucus, leurs voisins, ne s'étaient accordés à nous assurer qu'ils parlaient une langue distincte de celle des autres nations, ce dont nous n’avons pu nous assurer par nous-même; tous ayant entièrement oublié leur idiome primitif, par suite de l'obligation dans laquelle ils se sont trouvés de parler continuellement celui des Chiquitos. Aucun Indien même n’a su nous donner une idée de ce qu’il pouvait être. Du reste les Curavès appartiennent évidemment au rameau chiquitéen. 1. Prononcez en français Couravès. TE — ( 275 ) NATION TAPIIS. Nous avons rencontré, dans la mission de Santiago de Chiquitos la nation Tapiis, qui, pour les caractères physiques et moraux, se trouve dans les mêmes circonstances que Homme améri- cain. celle des Curayès. Tous les naturels s'accordent à dire que les Tapiis parlaient une langue * distincte des autres nations; mais comme ils l’ont entièrement oubliée, nous ne saurions dire jusqu’à quel point cette allégation doit être admise, Il y en a cinquante environ dans Santiago; et l’on doit sans doute attribuer à leur petit nombre la perte de leur langue primitive. D’après les renseignemens que nous avons obtenus, les Tapis auraient habité les forêts situées au nord-est, entre le 17.° et le 18.° degré de latitude sud, et vers le 60.° degré de longitude ouest de Paris; ils se seraient alors trouvés enclavés par les Otukès, dont ils sont peut-être une section. NATION CURUCANÉCA. Les Indiens de ce nom, au nombre d’une cinquantaine, au plus, habitent encore la mission de San-Rafael, où ils sont mêlés aux Chiquitos, dont ils ont adopté le langage, en oubliant totalement le leur, que tous les autres naturels et eux-mêmes nous ont assuré être différent. Nous n’avons aucun moyen de vérification du fait; mais les Curu- canécas ayant les traits, la couleur et les formes des Chiquitos, il nous est au moins possible d'affirmer qu’ils appartiennent au même rameau. Ils ont été amenés des forêts du nord-est de la mission (vers le 62.° degré de longitude ouest et le 16.° degré de latitude sud), et peuvent fort bien n'être qu'une tribu des nations qui occupaient cette partie, comme les Saravécas, les Otukès, les Curuminacas et les Covarécas. OY © IV. Homme. Homme ameri- can. ( 274 ) NATION CORABÉCA. Cette nation vivait au sud de San-Rafael (vers le 18.° degré de latitude sud et le 62." degré de longitude ouest), aux frontières du grand Chaco, d’où elle fut amenée à cette mission par les Jésuites; mais, toujours indociles, toujours sauvages, rigoureu- sement châtiés pour de fréquentes violations du droit des gens, les Corabécas ne devinrent jamais bons chrétiens, finirent par abandonner San-Rafael et regagnèrent les forêts d’où ils étaient sortis, et où ils sont probablement encore. Ils étaient spé- cialement chasseurs; et, d’après ce qu’un de leurs vieillards nous affirma, ils auraient eu une langue distincte de celle des autres. Quoique nous ne puissions rien dire de formel sur leurs caractères physiques, qui nous ont paru les mêmes que ceux des Chiquitos, nous pensons qu'ils appartiennent au rameau chiquitéen et nous en faisons mention, afin que d’autres voyageurs, plus heureux que nous, puissent, en les voyant, déterminer positivement ce qu’ils peuvent être. On assure qu’ils ne sont pas plus d’une centaine environ. NATION PAICONÉCA.: C'est sous ce nom que la nation qui nous occupe est connue dans la mission de Con- cepcion de Chiquitos; on l’y regarde comme distincte de toutes les autres tribus habi- tant le mème lieu; mais, en confrontant avec soin les langues, nous pensons qu’on y doit joindre les Paunacas? qui, sans doute, appartiennent à la même nation, quoique vivant plus au sud. Les Paiconécas furent amenés des forêts du nord-est à Concepcion par les Jésuites, qui les y réunirent aux Chiquitos, pour en faire des Chrétiens. Ils vivaient, divisés en peutes tribus, sur le versant nord des collines granitiques de la province de Chiquitos, le long des cours d’eau, au sein d’épaisses forêts, dont l'ombre favorisait leur culture, tout en leur permettant la chasse, leur principal délassement. L'espace qu'ils occupaient 1. Ce seraient peut-être les Paicunoes, vus par Francisco Rivera en 1543. (Voyez Barcia, Historiadores primitivos de las Indias; Comentarios de Alvar Nuñez Cabeza de Baca, p. 55.) 2. Le père Fernandez, Relacion historial de los Chiquitos, p. 296, cite une fois le nom de celte tribu; c'est, au reste, tout ce qu’on en savait avant nous. ( 275 ) était assez vaste, et leurs tribus éparses s’étendaient au 16. degré de latitude sud, et en longitude, du 63.° au 64. degré ouest, entre les sources du Rio Blanco et du Rio Verde. Ils avaient pour voisins, au sud, toutes les tribus des Chiquitos; à l’est, les Saravécas; à l’ouest, les Chapacuras de Moxos, également dispersés vers le nord, en les enveloppant, pour ainsi dire. Aujourd’hui, la plus grande partie de la nation est fixée à la mission de Concepcion; mais il n’en reste pas moins quelques tribus sau- vages, qui, après avoir déserté les missions, ont regagné leurs asiles primitifs. Quant au chiffre des individus composant la nation, parmi ceux que réunit la mission de Concepcion, on compte à peu près 360 Païconécas et 250 Paunacas, nom- bres auxquels on peut ajouter au moins celui de 300, pour représenter les indigènes vivant au sein des forêts; le total serait donc de 910 àmes. Leur couleur, semblable à celle des Chiquitos, est néanmoins un peu plus foncée ou plus olivatre. La taille des Païconécas est aussi absolument la même que celle des Chiquitos, c'est- à-dire que, terme moyen, ils peuvent avoir { mètre 663 millimètres (5 pieds 1 pouce). Les formes du corps ne diffèrent pas non plus de celles des Chiquitos. Il en est de même des traits; néanmoins on trouve, généralement, chez eux, des figures plus laides, des traits plus grossiers, le nez plus petit, et surtout une physionomie moins expres- sive et annonçant moins de gaîté dans le caractère. Également bons, et, à tous égards, différant peu des Chiquitos, ils sont seulement plus taciturnes et moins disposés à la joie; enfin, plus spécialement chasseurs, les Païconécas tiennent davantage à leur liberté. Leur langue diffère essentiellement de celle des autres nations de la province, non par des caractères qui se saisissent au premier aperçu; mais par des mots venus évidem- ment d’une source distincte, puisqu'ils ne se rapportent en rien aux autres idiomes. Le son de l’# nasal, assez commun dans le dialecte des Paunacas, manque totalement dans celui des Païconécas; le 7 espagnol se retrouve avec toute sa dureté dans les deux tribus : ce sont, au reste, les seules intonations venant du gosier. Il n’en est pas ainsi des sons nasals, qui abondent surtout dans les diphthongues, comme on, an. La langue païconéca offre fréquemment la prononciation du c4 espagnol, très-rarement celle des Français; du reste, sans rien avoir de bien caractéristique, elle ne manque pas d’euphonie. De même que les autres idiomes du rameau chiquitéen, elle présente, quoique moins régulièrement, cette singularité, que beaucoup des noms des parties du corps commencent par Z ou Æui, comme dans Zpthi, joue! ( prononcez /pukr) ; Huichuca, oreille, et Zhuiké, yeux, qui se dit Æurkis dans le dialecte Paunaca. Il n'y a , dans cette langue, aucun système de numération, qu'y remplacent à peine quelques termes de comparaison, eux-mêmes très-bornés. Les mœurs, les habitudes, et jusqu’au costume des Païconécas, sont identiques à ceux des Chiquitos, au moins quant à leur manière d’être moderne. Ils vivent au 1. Les Paunacas disent Auwimilo (prononcez howimilo ). Homme améri- cain. —— Homme iméri- ain. ( 276) milieu des forêts, y semant du maïs et diverses espèces de légumes, qui leur servent de nourriture. Ils pêchent et chassent par délassement ; et leurs femmes, au sein des bois, continuent à filer et à Usser, S’occupant en outre des autres travaux qui leur étaient connus avant l’arrivée des Espagnols, et de ceux auxquels on les a formées dans les missions. Les hommes ont repris leur coutume primitive; ils vont nus, et leurs femmes portent la chemise sans manches. Ils n’ont rétabli l'usage ni de la peinture ni de la barbote. Quant au gouvernement, il est probable qu'ils avaient jadis des chefs par tribu, puisqu'ils en conservent même encore aujourd’hui ; mais lorsque les Indiens ne sont pas soumis aux coutumes des missions, ces caciques n’ont que très-peu d’au- torité. Leur religion ancienne est tout à fait ignorée; il n’en reste plus qu'un grand nombre de superstitions. En un mot, à l'exception du langage, qui est distinct, d’un peu plus d'intensité dans la couleur olivätre, cette nation présente tous les caractères physiques et moraux des Chiquitos, aussi pour nous appartient-elle, sans aucun doute, au même rameau. Observations. Les Farayes\, Jarayes ou Xarayes?, et sans doute les Uleses5 des rives du Rio du Paraguay, près de la province de Chiquitos, étaient, en 15434, habillés de tipoy, cou- chaient dans des hamacs, étaient agriculteurs; faits qui nous portent à croire, malgré le tatouage qu'Azara leur attribue, qu'ils appartiennent au rameau chiquitéen, servant, pour ainsi dire, de chaïnon entre les nations du Chaco et celles de Chiquitos. Comme il n'existe plus maintenant de nation de ce nom, nous croyons qu’elle en a changé, et que les Farayes sont peut-être les mêmes que les Guanas ou Guatos. 1. Azara, Voy. dans l'Amér. mérid., 1. 11, p. 167, et Schmidel, Jiage al Rio de la Plata (édit. de Buenos-Ayres), p. 21, en vit en 1542, et en parle comme d’une nation civilisée. 2. Barcia, Historiadores primitivos de las Indias, Comentarios de Alvar Nuñez Cabeza de Baca (1543), p. 45, et Récit de Hernando Ribera, p. 67 (1543). 3. Récit de Hernando de Ribera, Barcia, Historiadores de Indias, Com. real de Nuñez, etc., p. 67. 4. Ibid., p. 45; Ruiz Diaz de Guzman, Historia argentina (écrite en 1612), p. 14, parle des Jarayes. Funez, Historia del Paraguay, X, p. 152, 163. —— ———— ( 277 ) TROISIÈME RAMEAU. MOXÉEN. Couleur: brun-olivätre peu foncé. Taille moyenne, 1 mètre 670 millimitres. Formes robustes. Front légèrement bombé; face ovalo-circulaire; nez court, peu large; bouche médiocre; lèvres un peu saillantes; yeux hori- zontaur non bridés; pommettes peu saillantes; physionomie peu enjouée, douce. Le rameau de la race pampéenne ou des plaines, que nous avons nommé moxéen, d'après la dénomination de la province qu'il habite, de la plus nombreuse des nations qui sy rattachent, les Moxos, ce rameau, disons-nous, est réparti sur une surface de terrain qui, formée seulement de la province de Moxos, serait d’a peu près 12,000 lieues marines, comprises entre les 11. et 17.° degrés de latitude sud, et entre les 64. et 72.° degrés de longi- tude ouest de Paris. Ce terrain est borné, au sud, par les forêts de Chiquitos et de Santa-Cruz de la Sierra, qui le séparent du-grand Chaco; au sud-ouest et à l’ouest, par les forêts qui bordent le pied oriental des Andes boliviennes; à l’est, par les collines boisées de Chiquitos et du Brésil. Circonscrit de la sorte, il forme un immense bassin, ouvert seulement au nord, vers les plaines inconnues que traverse le Rio Béni, à l’est du Pérou proprement dit, vers le cours du Rio Madeiras, jusqu’à PAmazone. Il est caractérisé par une unifor- mité de sol remarquable. On ny voit aücune colline, ni, même entre les rivières, aucuns versans, qui ne soient sujets à se confondre, au temps des pluies; ce sont d’immenses plaines inondées la moitié de l'année, entrecoupées de bouquets de bois épars, d’amas d’eaux stagnantes, traversées par deux grandes rivières, dont les débordemens causent eux-mêmes des inondations, et par une multitude de cours d’eau, dont la pente est à peine sensible. On ne trouve que de loin en lom, dans cette province, des lieux assez élevés pour ne pas y être submergé. Là, plus de forêts impénétrables, couvrant le sol entier au milieu de collines, où l’homme peut vivre ignoré, quoiqu’entouré de voisins, comme à Chiquitos; plus de plaines, dont rien ne borne horizon, Homme améri- Cain. Homme améri- ain, ( 278 ) où le sauvage entreprenant connaît jusqu'à la tribu la plus éloignée, comme dans les Pampas. À Moxos, le piéton indigène ne saurait faire quelques lieues sans être arrêté par des rivières, des lacs ou des marais; faits qui ont dû, nécessairement, exercer sur ses mœurs, sur ses coutumes, et même sur ses caractères physiques, une influence que nous allons chercher à rendre sen- sible, en résumant, sous leurs différens points de vue, les signes distinctifs des nations dont nous formons notre rameau moxéen. Les circonstances nous ayant permis de voir successivement avec détail chacune des nations de ce rameau, d'étudier leurs caractères physiques, leurs mœurs, leurs coutumes, et de rédiger un vocabulaire de chacune de leurs langues, nous donnons ici le résultat des observations que nous avons faites sur les lieux, pendant un séjour de neuf mois. On n'avait, avant nous, que quelques notions vagues et très-incertaines, sur les hommes qui vont nous occuper. Les nations à nous connues qui composent notre rameau moxéen sont actuellement, au nombre de huit: celle des Moxos, qui, avec ses tribus des Baurès et Muchojéonès, occupait et occupe encore entièrement la lisière des forêts de Pest à l’ouest, sur toutes les parties sud et sud-ouest de la pro- vince de Moxos; au sud-est, les Chapacuras; au nord, les Cayuvavas, les Pacaguaras et les Iténès; et, au milieu de ceux-ci, les Itonamas, les Cani- chanas et les Movimas. Peut-être y pourrait-on rapporter aussi les nations sauvages qui habitent toutes les plaines inondées et boisées étendues au nord jusqu’à P Amazone et ses affluens, sur des terrains analogues à ceux de Moxos; mais ne les ayant pas vues, nous ne les mentionnerons même pas, voulant nous borner à ce que nous pouvons formellement établir. Le chiffre comparatif des individus de chaque nation, que nous donnons dans le tableau suivant, est positif pour les nations réduites au christia- nisme dans les missions; il résulte de recensemens faits avec soin pendant notre séjour. Quant à celui des tribus encore sauvages, il ne peut être qu'ap- proximatif; mais nous le croyons néanmoins très-rapproché de la vérité, le tenant des nations elles-mêmes, et de la bouche de plusieurs individus différens, qui tous se sont accordés. 1. Les seuls ouvrages dans lesquels il en soit un peu question, sont : 1. un petit imprimé de 67 pages, ayant pour titre : Relacion de la mission apostolica de los Moxos, 1696 (ouvrage des plus rare, dont nous devons la connaissance à la complaisance de M. Henri Ternaux ; 2,° une lettre d’un missionnaire , insérée dans l’'abrégé des Lettres édifiantes , tome VIT, p. 66. NOMBRE DES INDIVIDUS NOMS DE CHAQUE NATION NOMBRE ET, DES NATIONS. RÉDUITS ENCORE TOTAL. AU CERISTIANISME, SAUVAGES. I OS SO MOSS Eee rene roro Le 020 1,000 13,620 Chapacuras.............. sc... 1,050 300 1,350 Itonamas ............ dorsases 4,815 = 4,815 CARICRANAS ee ce letele foie 5 É 1,939 Movimas Z 1,238 CENT NE ROME ee c 2 2,073 PaCAgUArAS +... esse se 1,012 ALÉHES 2eme senc Ho ato daÉD 1,200 TorTaux 27,247 Le rameau moxéen, pour ce que nous en connaissons, n’offrirait donc, main- tenant, qu'un total de 27,247 âmes, sur le territoire de la province de Moxos, en y comprenant les nations encore sauvages, dont les individus seraient à peu près au nombre de 3,497. Si, comme nous le pensons, on peut réunir à ce rameau les nations qui couvrent les rives du Rio Madeiras et les pays encore inconnus qu'arrose le Rio Béni, le chiffre en serait bien plus élevé. La province de Moxos a dû être beaucoup plus peuplée qu’elle ne Pest actuellement, du moins si nous en jugeons par ce que disent les historiens. En 1696, selon le père Diego de Eguiluz', le nombre des Moxos seul s'élevait à 19,789; ce qui pourrait prouver qu'au lieu d'augmenter, la population a considérablement diminué. Les Moxos proprement dits ne sont aujourd'hui qu'au nombre de 8,212°; différence attribuable seulement aux maladies épidémiques, principalement à la petite vérole; car les habitans n’ont eu à souffrir d'aucune guerre. En admettant les supputations des historiens F il resterait à peine la moitié de la population qui couvrait alors la pro- vince, Si nous comparons l'importance des nations, en raison du nombre 1. Relacion de la mission apostolica de los Moxos, p. 65. 2. Nous parlons ici des Moxos séparés des Baurès. 3. Dans sa première visite aux Moxos, en 1691, le gouverneur Don Benito de Rivera y Qui- roga avait trouvé 15,483 individus, dans les six missions fondées par les Jésuites; ce qui prou- verait l’exactitude des énoncés de ces derniers. Homme améri- cain, Homme améri can ( 280 ) des individus dont se compose chacune d'elles, les Moxos prendront le premier rang, puisqu'ils forment à eux seuls près de la moitié de la population totale de la province; les ftonamas viendront après; ensuite les Cayuvavas, les Canichanas, les Chapacuras, les Movimas, les Pacaguaras et les Iténès. Nous allons chercher à déterminer les traits caractéristiques de ce rameau. La couleur des Moxéens est brun pâle, mélangé d’olivâtre; les Chapacuras, les Itonamas et les Canichanas, nous ont paru avoir absolument la même teinte que les Chiquitéens, tandis que les Moxos et les autres nations sont un peu moins foncés, ayant peut-être un peu de jaune mélangé à la nuance des premiers; mais cette différence est si légère, qu'on ne s’en aperçoit qu'à laide d’une attention soutenue : du reste, la teinte générale, peu distincte de celle des peuples du Chaco, est seulement plus pâle ou un peu plus Jaunâtre. Dans le rameau moxéen la taille, généralement plus élevée que dans celui des Chiquitéens, se rapproche beaucoup de celle des habitans du Chaco. Les plus grands atteignent jusqu’à 4 mètre 79 centimètres (5 pieds 6 pouces), et la taille moyenne des Movimas, des Moxos, des Canichanas et des Cayu- vavas, est de plus de À mètre 677 millimètres (5 pieds 2 pouces). Les seules nations qui ne parviennent pas à la même stature, sont celles des Chapacuras et des [tonamas. On peut, jusqu'à un certain point, expliquer cette diffé- rence, chez les premiers, par le voisinage des montagnes de Chiquitos ; mais alors les derniers ne doivent être considérés que comme se trouvant dans une condition anomale. Les femmes sont en général proportionnées aux hommes. Néanmoins celles des Canichanas nous ont paru petites, tandis que chez les Movimas, comme nous l'avons déjà observé parmi les nations des Pampas, les femmes sont, au contraire, presqu'aussi grandes que leurs maris, Où au moins bien au-dessus des proportions relatives ordinaires. Les formes des Moxéens participent encore de celles des Chiquitéens et des habitans du Chaco; de même que chez ces derniers, de larges épaules, une poitrine fortement bombée, un corps des plus robuste annoncent beaucoup de force; avec cette différence néanmoins que les Moxéens, géné- ralement encore plus vigoureux que les Chiquitéens, sont aussi forts, en apparence, que les nations du Chaco; se distinguant pourtant des uns et des autres par des formes un peu plus élancées, par un corps mieux dessiné, une cemture plus marquée. Leurs membres, sans muscles saillans, sont généra- lement plus replets et plus arrondis. Ces caractères présentent une exception L2 ( 281 ) qu'on remarque chez les [tonamas, qui, avec des formes semblables aux Homme autres nations, ont constamment les membres amaigris, surtout les jambes. Les Moxéens sont bien plantés, marchent droit et avec beaucoup d’aisance. Le plus grand nombre, les Moxos en particulier, sont sujets à l’obésité. Les femmes diffèrent un peu de celles du rameau chiquitéen; elles ont les épaules et les hanches larges; mais leur corps moins d'une venue et leur ceinture un peu plus étroite, accusent une tendance à la forme svelte des Européennes. Plus agréables, en général, que les Chiquitéennes, elles sont des plus robustes, ont les seins bien placés et de médiocre grosseur; les mains et les pieds petits. Les traits sont assez différens chez les Moxéens, et se distinguent facilement de ceux des Chiquitéens. La tête est grosse, un peu allongée postérieure- ment. La face, moins pleine et moins large que chez les Chiquitéens, est un peu oblongue; les pommettes sont peu apparentes; le front est bas et peu bombé; le nez court, épaté, sans être trop large; les narines sont ouvertes; la bouche moyenne, à lèvres peu grosses ; les yeux sont généralement petits et horizontaux ; les oreilles petites; les sourcils sont étroits et arqués; le menton est arrondi; la barbe, noire, peu fournie, pousse tard, seulement au menton et à la lèvre supérieure, et n’est jamais frisée; les cheveux sont noirs, longs, gros et lisses. Tels sont les caractères généraux que nous avons remarqués chez presque toutes les nations; néanmoins nous y avons aussi reconnu plu- sieurs exceptions. Les Movimas ont le nez un peu plus large que les autres; les [tonamas, la face plus allongée, les pommettes plus saillantes; mais une nation qui nous a montré une anomalie remarquable, quoiqu’elle soit placée au centre, est celle des Canichanas, où l’on retrouve beaucoup des traits des nations du Chaco. En effet, ils ont la face oblongue, les pommettes très- apparentes , le front court, le nez épaté, fortement rentré à sa base; les narines plus ouvertes, la bouche grande, les yeux petits, enfoncés, et légère- ment relevés à leur angle extérieur. La physionomie, quoique douce et ouverte chezles Moxéens, annonce moins de gaîté que chez les Chiquitéens. Les Moxos sont, de tous, ceux qui paraissent le mieux disposés à l'hilarité, tandis que les Cayuvavas, les Ttonamas, les Tténès et les Pacaguaras ont la figure presque toujours sérieuse, comme les nations du Chaco. Les Canichanas l'ont tout à fait triste; ils ont même laspect féroce, tandis que les Itonamas offrent le type de l'astuce et de la fausseté. Les Moxéens ont une figure plus mâle que les Chiquitéens, sans qu’on puisse toutefois la comparer aux traits des Européens, ni même à celle des peuples 6 O1 1V. Homme. ( 282 ) Homme du sud, Les Itonamas Pont plus efféminée que toutes les autres nations, tandis amerit- can, que les Canichanas l'ont plus mâle. L'ensemble de leurs traits est générale- ment assez bien; beaucoup de figures sont intéressantes, et quelques-unes agréables. Les femmes sont passables, et même, chez les Moxos et les Cayu- vavas, on en voit de réellement jolies. Leur face est un peu plus arrondie que celle des hommes. [ serait dificile d'établir des caractères bien tranchés entre les langues de la province de Moxos et celles de Chiquitos et du Chaco; néanmoins il existe des nuances que nous allons chercher à faire ressortir. Les langues du rameau moxéen sont en général, bien plus dures, bien plus gutturales que celles des Chiquitéens; et, en cela, elles ont quelques rapports avec les idiomes du Chaco, à cette différence près, qu'elles ont peut-être encore plus de gutturation avec beaucoup moins de finales dures. Par un rapprochement assez singulier, la seule nation qui ait des traits féroces analogues à ceux des peuples du Chaco, la nation canichana, est aussi la seule dont beaucoup de mots soient terminés par des consonnes en ac, ec, ete. Dans les langues moxéennes, la plupart finissent par des voyelles, et même, chez les [ténès, aucun ne se termine par des consonnes. Dans d’autres langues, celles des Moxos, des Cayuva- vas, des Pacaguaras, les finales en consonnes ne donnent encore que des sons composés ou diphthongues, comme les sons en ain, on, an, des Fran- cais; tandis que, dans les autres, les terminaisons par des consonnes pré- sentent une assez grande variété. Chez les Chapacuras, c'est le #, le p, le 7; chez les Movimas, seulement PZ et Ps. Aucune langue n'offre plus de dureté, dans ce genre, que celle des Canichanas. Toutes, excepté la langue iténès, ont la prononciation gutturale du 7 espagnol. L’x nasal ne manque que chez les Tténès, les Canichanas et les Movimas, tandis qu'il est employé par toutes les autres nations. Les sons divers du ch français et du ch espagnol se retrouvent dans toutes les langues, excepté dans celle des Iténès. Le son doux du z français n'existe que chez les Moxos, les Cayuvavas et les Paca- guaras. L’e muet français est prononcé par les Moxos, les [tonamas et les Cayuvavas. Les sons compliqués de consonnes réunies, qui rendent certaines langues si dures, sont assez communs; celle qui en emploie le plus, est la movima, où lon trouve ceux de /, jn, jL, jr, chl, dont le ; espagnol a toute sa dureté, tandis qu'en d’autres langues, comme la cayuvava, les sons com- posés se réduisent au dz ou dj de la prononciation française. Les idiomes chapacura et moxo n’ont aucun son composé. Plusieurs lettres manquent dans les langues moxéennes : lf, Px ne $y trouvent jamais; PZ est inconnu au ( 283 ) Cayuvava, à l'ten, au Pacaguara; et quelques dialectes sont privés d’autres lettres. Les [ténès, par exemple, ne connaissent pas le g et le 7. Si l’on compare la dureté relative des langues moxéennes, on s’apercevra bientôt que la movima est à la fois la plus gutturale et la plus dure; que la cani- chana, la pacaguara, litonama et la chapacura sont aussi dures et gut- turales, bien qu'à un degré beaucoup moindre, tandis que la plus douce, et même peut-être la plus laconique de toutes les langues connues, est, sans contredit, celle des Iténès. En général, toutes sont peu riches. Il y en a plusieurs, comme la chapacura, litonama, la canichana, la movima et la pacaguara, où les adjectifs étant des deux genres, le singulier ne se distingue souvent pas du pluriel. Leur système de numération, très-restreint, annonce peu de commerce; chez les [tonamas, les Canichanas et les Movimas, il ne passe pas deux et quatre; chez les autres nations il va jusqu’à cinq, quel- quefois jusqu’à dix, et porte alors, le plus ordinairement, le nom des doigts. Les Cayuvavas ont dans leur numération une anomalie singulière, celle de recommencer à compter après cinq, au lieu d'aller jusqu’à dix, ainsi que nous le voyons généralement, dans les autres langues américaines. Les idiomes moxéens ne présentent pas tous, comme ceux des Chiquitéens, cette bizar- rerie de commencer les noms des parties du corps par une lettre déterminée; les seules nations qui loffrent encore, sont celles qui, par leur position géographique, sont les plus voisines des Chiquitéens, comme les Moxos, et les Chapacuras; mais si chez les premiers on trouve une anomalie sem- blable à celle qui existe chez les Chiquitéens, il n’en est pas de même chez les Chapacuras, où la finale et non linitiale garde Puniformité. La langue canichana se distingue par une particularité bien plus remarquable : non- seulement les noms des parties du corps y commencent par une lettre déterminée ; mais encore tout ce qui tient à l’homme suit la même règle; ainsi que tout ce qui appartient à la nature, comme les astres, les animaux et les plantes; mais ici la lettre est différente de celle des parties du corps. Le tableau suivant donnera Pidée des langues qui présentent cette anomalie, et servira, en même temps, de terme de comparaison avec celui des Chiqui- téens. Homme améri- cain. —— Homme améri- L ‘in. ( 284 ) ————_—_——————— LANGUES LANGUES qui ont l’anomalie des noms des parties du corps. qui manquent d’anomalie, | NOMS | ! Ne , | Français. OBS PEACE NOMS | NOMS Noms | noms | noms | noms | noms Ld EE) | Tribu baure|Tribu moxo CHAPACURAS |CANICIHANAS. D MOVIMAS, | CAYUVAVAS.| 1ITÉNÈS. | 1TONAMAS. |PACAGUARAS CID ol ? 30, RS —— ————————s nee MERE EN GRR REUTERS Kant Ichemira |Huimira- [Urutara- | Æicokéna. | Kinto. Iribuyu. |Buca. Capapana |Tamo. | raki. chi. Oreille Ichaca- |Huichara [Tapatachi| Eucomété | Lototo. {fradiké. [frini. Mochtodo Paoki. ney. F . | Yeux Ikisé. Huiki. [Tucuchi, | Eutot. Sora. Nicoyo. |To. Icachi. [Huiro. Les Moxéens, par Panomalie des mots, tiennent de près au rameau chi- quitéen : quelques-unes de leurs langues ont, par la dureté, beaucoup d’aflinités avec celles des habitans du Chaco; mais nous ne trouvons, dans cet aperçu rapide, aucun caractère qui puisse bien en embrasser la totalité et les séparer nettement des idiomes propres aux autres rameaux de la même race. Pour le caractère, les Moxéens ont beaucoup de rapport avec les Chi- quitéens, dont les rapprochent leur bonté, leur sociabilité, leur hospitalité envers les étrangers, leur persévérance, et surtout la facilité avec laquelle ils ont changé de religion, pour se soumettre au christianisme et au régime des missions. Si à Chiquitos, plusieurs missionnaires furent victimes de leur zèle, avant qu'on arrivât à convertir les indigènes, il n’en fut pas de même à Moxos, où, successivement, toutes les nations embrassèrent la religion chré- tienne, sans jamais se révolter contre les Jésuites. Les Moxéens diffèrent des Chiquitéens par un caractère moins gai, moins communicatif, plus taci- turne, bien éloigné, cependant, sous ce rapport, de celui des habitans du Chaco et des Pampas. Les Moxos, les plus superstitieux de tous, portèrent les autres nations à se soumettre au Joug de Pétranger. Les Itonamas et les Canichanas ont fait exception. Les premiers ne se firent pas chrétiens par conviction, mais par intérêt; car ils étaient bien les plus rusés, les plus fins, les plus voleurs de toute la province; les seconds, plus belliqueux, ne se convertirent que pour avoir des armes; et, en conséquence de leur position géographique, entourés qu'ils étaient de nations plus douces qu'eux, ni les uns ni les autres n’abandonnèrent entièrement leurs idées premières. Les lténès seuls, plus indépendans, plus guerriers, sont encore ce qu'ils étaient au temps de la conquête. En un mot, le caractère des Moxéens tient le milieu, pour la gaité, entre celui des Chiquitéens, qui la poussent à l'extrême, et celui des habitans du Chaco, fort taciturnes au contraire. Leur bonté, ( 285 ) ainsi que leur peu de goût pour les voyages, doivent les faire comparer aux Homme Chiquitéens. er Les Moxéens ont des mœurs fort analogues à celles des Chiquitéens, et ces mœurs sont, à peu de modifications près, les mêmes pour toutes les nations. Avant la conquête, fixés par suite de leur croyance religieuse, ils étaient divisés en villages établis tant au bord des rivières, des lacs, que dans les bois ou au milieu des plaines, dont ils croyaient descendre; partout pêcheurs, chasseurs et surtout agriculteurs. La chasse n’était pour eux qu'un délassement, la pêche une nécessité, et l’agriculture leur procurait les pro- visions et les matières premières servant aux boissons qui, de même que chez les Chiquitéens, se faisaient dans une maison commune où l’on recevait les étrangers, et où, dans certains jours, les habitans se réunissaient pour boire, chanter. et danser; mais ces diversions avaient un caractère de gra- vité qu'on ne trouvait pas chez les Chiquitos; leurs coutumes étaient aussi plus barbares. Un Moxos immolait, par superstition, sa femme, si elle avortait, et ses enfans, s'ils étaient jumeaux, tandis que de son côté la mère se débarrassait souvent de ses enfans quand ils Pennuyaient. Le mariage était une convention résoluble à la volonté des parties, et la polygamie était ordi- naire, L'habitude d’être toujours en pirogue leur faisait chercher les cours d’eau, qu'ils parcouraient incessamment, soit pour chasser, soit pour pêcher ou même pour aller à leurs champs. Ils étaient tous plus ou moins guer- riers; mais les traditions et les écrits’ ne nous ont conservé la mémoire que d'une seule nation anthropophage, mangeant ses prisonniers : C'était la cani- chana, qui, même aujourd'hui, est encore la terreur des autres. Les mœurs de cette nation ont été modifiées par le régime des missions; mais elle à conservé beaucoup de ses coutumes primitives. L'industrie était plus avancée chez les Moxéens que chez les Chiquitéens. Les hommes ornaient leurs armes, qui consistaient en arcs, flèches et lances, creusaient leurs pirogues avec des haches de pierre et du feu, pêchaient à coups de flèche, chassaient et cultivaient. Les femmes filaient le coton, et en faisaient, avec beaucoup plus de délicatesse que dans la province de Chiquitos, des tissus pour leurs vêtemens ou pour leurs hamacs, indispen- sables dans un pays presque toujours inondé. Si nous devons en croire un écrivain assez moderne*, les Moxos auraient, par des raies faites sur des 1. Relacion de la mission apostolica de los Moxos (1696), p. 34. 2. Viedma, Informe general de la provincia de Santa-Cruz, p. 89, 6. 521; manuscrit dont nous possédons l'original. ( 286 ) Homme planchettes, reproduit leurs pensées et conservé leurs annales, ce qui annon- améri- «ain. cerait un commencement de civilisation dont ils n’ont pas, du reste, conservé - la moindre trace. Aujourd’hui les Moxéens sont, sans contredit, les plus industrieux, les plus adroits de tous les indigènes du haut Pérou, pour le tissage autant que pour une foule de petits ouvrages. Ils sont bons musiciens et peintres assez habiles; mais, jusqu'à présent, ils ne font qu'imiter, et n’ont pas le génie de l'invention. Le costume annonçait jadis plus de civilisation parmi quelques nations des Moxéens que chez les Chiquitos. Les Baurès étaient complétement vêtus de chemises sans manches, faites de tissus ou d'écorces de ficus ; ‘les Moxos avaient à peu près le même costume. Toutes les nations s’ornaient la tête de plumes; presque toutes aussi avaient la coutume de se peindre la figure’, et beaucoup se perçaient la lèvre inférieure et la base des narines, afin d'y suspendre des ornemens. Les hommes portaient, au cou, les dents de leurs ennemis tués à la guerre, tandis que de petits limaçons constituaient pour les femmes des colliers du même genre. Aujourd'hui plus de peintures sur la figure, plus de percement des lèvres; le costume général, le même pour les deux sexes, consiste en une chemise sans manches. Continuellement humectés d'huile de coco, les cheveux tombent en une longue queue au milieu du dos ; le cou est orné de colliers et de chapelets. Le tatouage leur est tout à fait inconnu. Le gouvernement des Moxéens était uniforme et ressemblait à celui des Chiquitéens. Chaque nation se divisait en beaucoup de tribus; chaque tribu avait un chef, dont Pinfluence était très-faible; et il w’existait, par le fait, aucun corps de nation. Ces chefs, nommés par la tribu, guidaient les guer- riers dans les batailles, donnaient des conseils, et n'étaient jamais en même temps médecins et prêtres. | La religion était différente, non-seulement selon les nations, mais encore selon les tribus, qui toutes avaient des fêtes et des solennités sans nombre, dans lesquelles entrait pour beaucoup lusage des boissons fermentées. Leur culte était souvent celui de la nature; ils révéraient un dieu présidant à la culture, à la chasse ou à la pêche, dirigeant les nuages, le tonnerre; mais ce culte n'était pas aussi répandu que celui que leur inspirait la crainte du jaguar, auquel ils érigeaient des autels, et consacraient des offrandes, se vouant à des jeûnes rigoureux, pour devenir ses prêtres”. La religion était 1. Voyez Lettres édifiantes, t. VII, p. 70. 2. Relacion de la mission apostolica de los Moxos, p. 9. ( 287 ) basée moins sur l'amour que sur la crainte des dieux; elle n’admettait pas de Homme véritable adoration; aussi les peuples se décidèrent-ils facilement à changer pe oÿ de croyance; mais, s'ils ont abandonné leur culte extérieur, beaucoup d’en- treux conservent encore quelques-unes des nombreuses superstitions de leur état sauvage. Tous prétendaient descendre des lieux voisins de leur demeure, et suivaient à la lettre la religion de leurs pères. Les prêtres étaient, en même temps, médecins. Aujourd’hui, dans quelques-unes de leurs nations, ils sont chrétiens fanatiques, se livrent à des jeûnes rigoureux, et s’infligent les péni- tences les plus barbares et les plus sanglantes. En nous résumant, nous dirons que les Moxéens qui habitent un pays de plaines, sont intermédiaires, pour quelques-uns de leurs caractères , entre les habitans du Chaco et les Chiquitéens, tandis que, d’un autre côté, ils font le passage aux nations brasilio-guaraniennes, par une teinte géné- ralement moins foncée que celle des Chiquitéens, et par un peu de jaune mélangé dans leur couleur brune. Leur taille, leurs traits et leurs formes, au contraire, doivent les placer entre les Chiquitos et les nations du Chaco. Plus grands que les Chiquitéens, leur corps plus svelte annonce évidem- ment des rapports avec les habitans du Chaco; les Canichanas ont même tout à fait les traits de ces derniers. Le caractère est également intermédiaire; moins gai, quoiqu'aussi bon que celui des Chiquitéens, il est loin d’être aussi sombre que celui des peuples du Chaco. En dernière analyse, les Moxos se sont soumis au christianisme plus facilement encore que les Chiqui- téens; comme eux, ils ont toujours été agriculteurs, chasseurs et sédentaires ; de plus, ils sont navigateurs. Leurs langages, pour la dureté, sont voisins de ceux du Chaco; mais, bien qu'opérant la transition des Chiquitéens aux Pampéens, ils se rapprochent plus des premiers que des derniers. Homme améri- “ain. ( 288 ) NATION CHAPACURA. Nous avons rencontré, sous le nom de Chapacuras, une nation tirée, en 1794, des bois bordant les rives du Rio Blanco, pour peupler la mission du Carmen, dans la province de Moxos. Ce nom étant usité maintenant dans cette mission, nous avons cru devoir le conserver; mais ce n’est pas la dénomination que se donne la nation même, qui s'appelle, dans sa langue, Æuachi. Lorsqu'on amena ces Indiens au Carmen, on les nommait improprement Guarayos', dénomination propre à une section des Guaranis, voisine des Chiquitos; mais plus tard, le curé et l’administrateur leur donnèrent le nom de Chapacuras, venu probablement des Tapacuras, que nous retrouvons, dans les anciens auteurs?, comme rameau des Moxos. Par la comparaison des langues, nous sommes par- venu à découvrir que les Chapacuras ne parlaient pas le même idiome; mais bien celui des Quitémocas, vivant à Concepcion de Chiquitos, et, d’après les renseignemens que nous avons recueillis, venus primilivement des mêmes lieux; ainsi les Chapacuras ou Tapacuras et les Quitémocas ne doivent former qu’une seule nation. Avant d’être réunis aux missions, les Chapacuras vivaient épars sur les rives du Rio Blanco ou Baurès, non loin d’une très-grande lagune, au milieu des forêts qui séparent la province de Chiquitos de celle de Moxos, au-delà des dernières collines de la pre- mière province, à peu près par le 15.° degré de latitude sud et le 64° à 65° degré de longitude ouest de Paris. Ils avaient pour voisins éloignés, avec lesquels ils ne com- muniquaient pas, au sud les Chapacuracas et les Païconécas, et au nord les hordes de la tribu des Baurès. Aujourd’hui la plus grande partie de la nation est réunie en deux sections, aux missions des Jésuites; sous le nom de Chapacuras, à celle du Carmen de Moxos, et sous celui de Quitémocas, à celle de Concepcion de Chiquitos. Dans les lieux qu'ils habitaient jadis, il ne reste plus que très-peu d'individus non civilisés, Le nombre des Chapucuras est assez borné : au Carmen de Moxos il y en a 350; à Concepcion de Chiquitos, 700 environ; et, si l’on en croit les naturels, le nombre des individus encore sauvages doit être de 300; le total de la nation entière serait donc de 1350. Leur couleur, bronzée ou bistre mélangé de brun-verdàtre, est absolument la même que celle des Chiquitos. La taille est aussi analogue; la moyenne est de 1 mètre 663 millim. (5 pieds 1 / pouce) ; 1. Nous trouvons cette nation sous ce nom dans le procès-verbal dressé de la fondation du Carmen, par le gouverneur Zamorra, pièce que nous avons vue dans les archives de la mission. C'est probablement aussi des mêmes Indiens dont il est question dans le père Diego de Eguiluz, felacion de la mission de los Moxos (1696), p. 24, sous le nom de Huarayus. 2. Même ouvrage, p. 24. ( 289 ) les plus grands ne passent pas 1 mètre 760 millimètres (5 pieds à pouces). Les femmes sont dans les proportions relatives avec les hommes; terme moyen elles ont 1 mètre 535 millimètres. Les formes du corps sont identiques à celles des Chiquitos; néanmoins nous avons cru remarquer que généralement les hommes sont plus sveltes, plus élancés, quoi- qu'ayant les membres bien fournis, sans muscles apparens. De même la poitrine est saillante, les épaules. sont larges, carrées et les membres bien nourris... Jamais d’obésité. Les femmes sont, pour le corps, beaucoup mieux que les Chiquitéennes; leurs hanches et leurs épaules sont larges, leurs seins bien placés, jamais trop volu- mineux ; leur ceinture les rapproche des proportions européennes; leur main et leur pied sont petits. ; Leurs traits sont aussi quelque peu différens de ceux des Chiquitéens : leur tête est grosse, leur face large, mais moins pleine que celle des Chiquitos; les pommettes sont plus apparentes; le front est court et légèrement bombé; le nez court, épaté, sans être très-large; les narines sont un peu ouvertes; la bouche est moyenne; les lèvres sont peu grosses; les yeux petits, horizontaux; les oreilles petites, les sourcils étroits, arqués; la barbe, noire, non frisée, très-rare, pousse tard, et ne se montre qu’au menton et à la lèvre supérieure; les cheveux sont noirs, longs, droits et gros. Moins animée que celle des Chiquitos, leur physionomie est triste. Les hommes sont généralement laids, et les femmes n’offrent que peu de figures passables, sans néanmoins être repous- santes; mais l'aspect général des deux sexes inspire la confiance, et tout en eux annonce de la douceur. La langue est, pour la forme des mots, entièrement distincte de celles des Chiqui- téens; quoiqu’assez dure, on aime pourtant à l'entendre. Elle contient beaucoup de finales terminées par des voyelles; mais aussi quelques-unes par les consonnes #, m, t, P et j, les seules que nous ayons remarquées. Le son guttural du j espagnol y est commun, ainsi que le son nasal de l’u. Plusieurs consonnes, telles que le D, lf, le v et lz, paraissent y manquer entièrement. Le c4 espagnol y est très-souvent employé, tandis que celui du français est rare. On retrouve dans cette langue, comme dans celle des Chiquitéens, cette particularité propre aux noms des parties du corps, qui, au lieu de commencer par une lettre déterminée, sont terminés par une particule uniforme, comme dans Urutarachi, joue; Taipatachi, oreille, et Tucuchi, yeux; que les Quitémocas de Chiquitos rendent par Urutaraché, Tatiataché et Cuché, mots peu différens. Nous n’y avons pas trouvé de distinction entre le masculin et le féminin dans les adjectifs, ni de forme spéciale pour le pluriel. Leur système de numération, n’allant que jusqu’à dix, est, sans doute, dérivé du nombre des doigts. La tribu des Quitémocas possède beaucoup de termes entièrement différens de ceux des Chapacuras, ce qui provient peut-être d'anciennes relations avec quelqu’autre nation distincte. Les Chapacuras, un peu indolens par caractère, sont d’une bonté extrême, disposés à l’obéissance et même à la servilité; hospitaliers pour les étrangers, ils sont des plus sociables, mais beaucoup moins gais que les Chiquitéens. ON ] 1V. Homme, 7 Homme améri- cain. Homme améri- vain ( 290 ) Leurs mœurs ont des rapports avec celles des Chiquitos. Comme ceux-ci, ils vivaient par petites tribus éparses au sein des bois voisins des rivages du Rio Blanco ou Baurès: comme eux, ils cultivaient la terre, chassaient et se bâtissaient des cabanes couvertes en paille, où vivait chaque famille. Ils avaient les mêmes armes, l'arc, la flèche et la massue à deux tranchans, faite de bois de palmier; mais, de plus, ils se construisaient, avec des arbres creusés, des pirogues leur servant à parcourir le Rio Blanco, et les conduisant à la chasse et à la pèche, leur principale occupalion , après la récolte du maïs. Ils avaient aussi de ces réunions où l’on buvait des liqueurs fermentées, motif perpétuel de danses et de jeux beaucoup moins animés pourtant que chez les Chiquitos. Des plus pacifiques, ils n’attaquaient que rarement leurs voisins. Aujourd'hui ceux qui sont restés sauvages conservent le mème genre de vie, tandis que les Chapacuras, soumis au christianisme, suivent toutes les règles des missions. Ils sont médiocres rameurs, comparativement aux autres nations de Moxos. L'industrie des Chapacuras est assez bornée : les hommes font leurs armes, creusent leurs pirogues au moyen de la hache et du feu, chassent, pèchent et cultivent leurs champs, tandis que les femmes filent le coton, tüissent les hamacs de leurs maris, leurs vèétemens, fabriquent la poterie et sont chargées de tous les détails du ménage. Jadis le costume des hommes était fort simple; ils allaient nus, se mettaient une pièce de peau entre les jambes ou se contentaient, lorsqu'ils étaient à la pêche, d’attacher l'extrémité du prépuce. Les femmes portaient le Tipoy des Chiquitos, chemise sans manches descendant jusqu’au bas des jambes; elles se paraient d’un collier et de bracelets, qu’elles mettent encore aujourd’hui, ainsi que leur chemise, également adoptée par les hommes. Ils laissent pousser leurs cheveux, les imprègnent continuellement d'huile de coco, et les lissent, en les faisant tomber en queue par derrière. Ils ne se peignent ni ne se tatouent; et rien ne semble indiquer qu'ils se soient jamais percé les lèvres ni le nez. Ils étaient gouvernés par des chefs, dont l'autorité était bornée au conseil et au commandement de chaque tribu lors des guerres. Nous ne connaissons de leur religion que l'habitude conservée par ceux qui sont encore sauvages, d’enterrer les armes avec les morts, ce qui dénote la croyance à une autre vie. Ils ont des médecins, et sont imbus d’une foule de superstitions. Les Chapacuras ne diffèrent donc des Chiquitéens que par des formes plus élancées, une figure plus longue, des traits qui annoncent moins de gaîté; par leur langage et leur pratique de la navigation; s’en rapprochant, d’ailleurs, par tous les autres carac- tères physiques et par l’anomalie des noms des parties du corps. Nous ne les sépare- rions même pas de ces derniers, si leur position géographique ne les rattachait évi- demment à notre rameau moxéen. ( 291 ) NATION MOXO. Nous avons conservé comme nom de la nation la plus nombreuse de la province de Moxos:, celui de sa principale tribu, qui a reçu le sien de la province même. Avant d’avoir comparé les langues entr’elles, nous croyions, de même que tous les Espagnols qui connaissent le pays, que les Moxos (ainsi nommés par les Espagnols) étaient une nation distincte des autres; mais la comparaison des idiomes nous a fait reconnaitre que les Baurès? ou Bauros, regardés comme entièrement différens, n’en étaient qu’une tribu, dont la langue, tout en ne présentant qu’un huitième des mots analogues, n’est qu’une variante, ayant une origine commune. Il en est de même des Muchojéonés, qui se disent eux-mêmes alliés des Baurès. Les noms de Baurès et de Muchojéonès sont d’origine américaine; celui de Moxo paraît avoir été donné par les premiers Espagnols qui entrèrent dans la province. Chacune des grandes tribus que nous venons d’indiquer se subdivise encore en une multitude de sections portant des noms dissemblables. Les Baurès en ont à eux seuls jusqu’à vingt. 5 Cette nation, telle que nous la considérons, habitait toute la partie sud de la pro- vince de Moxos, au milieu des plaines souvent inondées qui s'étendent entre le cours du Guaporé et le Mamoré, jusqu’à la lisière des forêts du pied oriental des Andes boli- viennes, de celles de Santa-Cruz de la Sierra et de Chiquitos, sur les affluens des deux grandes rivières. Ils occupaient une large bande est et ouest, qui s’étendait du 13.° au 16. degré de latitude sud, et du 64° au 69.° degré de longitude ouest. Premiers habitans des plaines de Moxos, vers le sud, ils étaient séparés, de ce côté, des autres Américains par une centaine de lieues de forêts, inondées au temps des pluies, et réelle- ment inhabitables. Ils vivaient sur les lieux peu sujets aux inondations, sur les rives du Rio Mamoré, du Rio Apéré, du Rio Sécuri et du Rio Tijamuchi, vers l’ouest; et, à l’est, sur les bords du Rio Baurès, du Rio San-Ramon, jusqu’au Guaporé. 1. Garcilaso de la Vega, Comentario real de los Incas, p. 240, à propos d’une incursion des Incas dans la province de Musu, à est du Cusco , parle d’une expédition, faite en 1564, par Diego Aleman, dans la province de Musu, que les Espagnols nomment Moxos (p. 248). Quant à l’incur- sion des Incas, elle n’était pas assurément dirigée vers Moxos; mais Diego Aleman, parti de Cochabamba, se porta sur le pays dont nous nous occupons. Dès-lors le Musu des Incas ne serait pas, comme on l’a cru, le Moxos des Espagnols. 2. Prononcez Baourès. On trouve le nom de cette tribu indiqué par le père de Eguiluz (1696), dans sa Relacion de la mission de los Moxos, p. 24. 3. Le père Eguiluz, loc. cit., cite près de trente noms de nations, selon lui différentes, et qui ne sont probablement aussi que des tribus Moxos. Sa description est copiée dans le Choix de lettres édifiantes, t. VW; Missions de l'Amérique, 1.1, p. 308, et LIL, p. 64. Homme améri- cain. ( 292 ) Homme Leurs voisins, vers le sud, étaient les Sirionos des forêts de Santa-Cruz; au sud-est, améri- cain. les Chapacuras ; à l'ouest, les Vuracarès, et, au nord, les Movimas, les Canichanas et ———— les /onamas. Depuis long-temps les Baurès et les Moxos, séparés par des déserts, ne communiquaient plus entr'eux. Aujourd’hui la nation habite encore les lieux où elle vivait jadis; seulement elle est réunie, ainsi qu’il suit, dans les missions de la province, Muchojéonès du Carmen ..". 4... . 0... 230 Baurès du Carmen de Moxos. . . . . . ... 362 — de Concepcion de Moxos . . . . . . . 3,126 — de San-Joaquin de Moxos. . . . . .. 690 pe — encore Sauvages". ... . « . . 1.122. 1,000 Moxos de Loreto' de Moxos/, 440 nr 02745 — ‘de Trinidad 2.7, Re NT MIAIOUE 8,212 — ‘de San=NAvIer. ee 08e ei TR COR — de San-Ignacio, 1. 2 UE 0948 EGraL. 2. 4. 449.020 On voit par le tableau précédent que si la presque-totalité des Moxos est réduite au christianisme, il y en a néanmoins encore à l’état sauvage. Ceux-ci, parmi lesquels une petite partie appartenant jadis aux missions des Jésuites, s’en sont séparés lors de l'expulsion, se divisent en tribus fixées non loin du cours du Guaporé, à l’est des missions de Concepcion et du Carmen, et maintenant ne communiquent jamais avec leurs compatriotes chrétiens. On y voit aussi le nombre relatif des différentes tribus des Moxos, des Baurès et des Muchojéonès ; et, enfin, quelle importance peut avoir, au sein de ces pays inondés, une nation présentant encore un effectif de plus de 13,000 âmes. ? La couleur bronzée des Moxos, moins foncée que celle des Chiquitos et des Chapa- curas, nous à paru contenir un peu de jaune; cependant la différence est si peu tranchée, qu’on ne s’en aperçoit qu’en comparant un grand nombre d'individus réunis. Plus élevée que celle des Chapacuras, leur taille atteint souvent f mètre 785 mil- limètres (5 pieds 6 pouces); mais la moyenne ne nous a pas paru dépasser { mètre 677 millimètres (5 pieds 2 pouces). Les femmes sont dans les proportions relatives ordinaires : elles ont, terme moyen, environ 1 mètre 552 millimètres. Les formes, semblables à celles des Chapacuras, sont généralement plus sveltes, plus élancées que chez les Chiquitéens. Tout en conservant à peu près les proportions 1. Tous ces chiffres sont le résultat de renseignemens exacts, recueillis en 1831. 2. En 1696 il y avait deux missions de plus, habitées par la nation moxo, celle de San-José et celle de San-Borja; et, selon le père de Eguiluz (Relacion de la mission de los Moxos, p. 6), la seule tribu des Moxos présentait un effectif de 19,789 âmes, ce qui prouverait qu’aujourd’hui cette nation est au moins réduite à la moitié de sa population. (295 ) de ceux-ci, les Moxos sont des plus robustes, ont des membres bien plus fournis, toujours arrondis, des épaules très-larges, une poitrine bombée; ils sont même sujets à l'obésité. Les femmes participent à leurs formes; elles sont bien proportionnées; des épaules, des hanches larges annoncent en elles une constitution des plus robuste. Leurs seins, bien placés, sont de médiocre grosseur; leurs mains et leurs pieds sont petits. La ceinture est chez elles moins large que parmi les Chiquitéennes. Les traits sont ceux des Chapacuras, aussi ont-ils en général la face moins arrondie que celle des Chiquitéens, la physionomie moins gaie, quoiqu’ouverte et pleine de douceur. On trouve, chez les Moxos, des figures infiniment plus agréables que chez les Chapacuras; beaucoup d'hommes sont bien, et quelques femmes sont réellement jolies, sans que pour cela le détail des traits soit changé. Les hommes sont presque imberbes. La langue diffère essentiellement de celle des Chapacuras et des autres nations de Moxos. Loin d’être dure, on pourrait dire qu’elle est euphonique; presque tous les mots en sont fortement accentués et se terminent en a, e, ti, o, mais surtout par les trois premières voyelles. Un très-petit nombre ont une consonne; et encore ces dernières sont-elles des » et des », qui, presque toujours, forment des diphthongues en on, an, am, Sans que celles-ci soient prononcées aussi fortement que dans les langues dérivées du latin. Le son guttural du j espagnol est peu commun, celui de lx nasal est très-rare. Les seules consonnes qui manquent sont l’f et l’x. Le c français s'emploie fréquemment, ainsi que celui des Espagnols. L’e muet des Français se rencontre très- rarement, ainsi que leur z. On retrouve, dans la langue moxo, cette particularité que les noms des parties du corps commencent par une lettre déterminée, comme on en peut juger par le tableau suivant, pour les trois mots que nous avons toujours cités. NOMS BAURÉS: NOMS MOXOS: NOMS PS, | © 2m | MU CHOJÉO NS, Écrits par nous, Tirés de la gram- | Écrits par nous = Tirés écrits par nous P P P ; en 1831. Pa ne en 1831. Échonne en 1831. NOMS FRANCAIS. Joue. Ichémira. £ Huimiro-raki. Numiro. Ichémira. Oreille. Ichacaney. Chacané. Huichoca. Nuchoca. Ichacanan. Yeux. Ikisé. Kisé. Yuki. Nuuqui. Ikise. Nous avons reconnu qu’à ces mots écrits tels qu'ils le sont dans le dictionnaire, est joint un pronom possessif 1, ce qui doit exister de même pour les autres tribus. Chacune d'elles a des mots qui lui sont propres; ainsi, sur 400 mots muchojéonès, 1. Le pronom possessif nu, mon, le mien, est, sans aucun doute, joint au nom propre des P P 2 ? 2 2 parties. Voyez padre Marban, Arte de la lengua moxa, con su vocabulario ; Lima, 1701, p. 8 et 9. Homme améri- cain. ( 29% ) Homme {15 ont de l’analogie avec ceux des Baurès, et 49 leur sont identiques; tandis que, sur améri- can, le même nombre, 50 mots des Baurès ont de l’analogie avec ceux des Moxos, et quatre seulement leur sont identiques. Le système de numération, qui s'étend jusqu'à vingt chez les Baurès et chez les Muchojéonès, est représenté par les noms des doigts des mains et des pieds. Les Moxos ne comptent que jusqu’à trois. Habitués à l’obéissance, les Moxos ont le caractère bon, sociable, enjoué, patient au-dessus de toute’expression; néanmoins, autant ils sont disposés à rire d’un rien, lors- qu'ils sont livrés à eux-mêmes, autant la servitude les a rendus craintifs et taciturnes, quand ils approchent d’un chef. Ils s'aiment entr’eux et sont susceptibles de beaucoup d'attachement. L'indolence habituelle aux nations des pays très-chauds n’est pas leur défaut. Toujours occupés, ils mènent une vie on ne peut plus active; les deux sexes se ressemblent sur tous ces points. À l’état sauvage, ils étaient cruels par superstition. Les Moxos, pour les mœurs, se rapprochent, à certains égards, des Chapacuras; cependant, avant de se soumettre au christianisme, ils étaient beaucoup plus avancés que ces derniers dans la civilisation. Ils formaient de grands et nombreux villages, com- posés de cabanes basses, sur les rives des larges rivières traversant les plaines en partie inondées qui caractérisent la province, ainsi qu’au bord des lacs, des marais, au sein des plaines ou des forêts. Vivant en grandes familles dans des lieux fixes, sans jamais changer de demeure, par suite de la croyance religieuse qu’ils y étaient nés, leurs occu- pations habituelles étaient l’agriculture, la pêche et la chasse; ils semaient au milieu des bois; et, pour chasser et pêcher se servaient de longues pirogues faites d'arbres creusés, qui leur permettaient de communiquer entr’eux par les cours d’eau ou, lors des inon- dations, en traversant ce pays. Spécialement navigateurs, ils connaissaient ces inter- minables méandres des nombreuses rivières de leur territoire; et s’ils attaquaiïent leurs voisins, C'était encore sur leurs pirogues, ayant alors pour armes l'arc, la flèche et la massue. Amis des jeux et de la danse, ils étaient tous musiciens, se servant de flûtes de Pan, dont quelques-unes avaient plus de six pieds de long; l'emploi de cet instru- ment dans tous les tons procure une musique souvent originale, quoique monotone. Les réunions étaient toujours déterminées par le désir de boire des liqueurs fermentées, préparées à l'avance pour des fêtes religieuses, auxquelles les voisins étaient invilés, ainsi que tout le village. Ces fêtes avaient lieu dans une chambre commune. Le mariage n'était qu'une convention, et les deux parties se séparaient souvent pour former de nouveaux liens; néanmoins, l’adultère était rigoureusement châtié. La polygamie était admise; et, au sein de mœurs généralement douces, on s'étonne de trouver les cou- tumes les plus barbares : ils tuaient les enfans jumeaux, par suite de la pensée que les animaux seuls pouvaient avoir plusieurs petits à la fois; souvent aussi la mère enterrait ses enfans vivans, seulement parce qu'ils Pimportunaient, ou d’autres fois, à la mort de leur mère, ils étaient inhumés avec elle, s'ils étaient trop jeunes pour se passer de ses soins; les femmes qui avortaient étaient sacrifiées par le peuple’. Depuis, tous ces 1. Relacion de los Moxos, p. 11. (295 ) usages ont été abandonnés, ainsi que ceux tenant à des superstitions religieuses; mais, Homme du reste, les Moxos ont à peu de chose près conservé les mêmes mœurs. L'industrie chez eux devait être avancée, si, du moins, l’on en juge par ce qu'ils font aujourd’hui : les hommes fabriquaient leurs armes, cultivaient la terre avec des pelles de bois', chassaient, pêchaient à la flèche, et construisaient leurs pirogues : suivant un auteur peu ancien, mais remarquable par son exactitude?, ils auraient connu une espèce d'écriture, au moyen de lignes tracées sur des planchettes. Eux seuls étaient musiciens. Leurs femmes filaient et tissaient leurs vêtemens, ainsi que les hamacs, indispensables dans un pays toujours inondé. Elles confectionnaient la poterie, aidaient leurs maris dans les récoltes et s’occupaient du ménage. Assez bons dessinateurs, leurs peintures représentent non-seulement des grecques, mais encore des animaux et des plantes passablement rendus; sculpteurs, tourneurs, ébénistes, tisserands adroits, ils font beaucoup de petits ouvrages et de’tissus, qu’on importe par curiosité dans les villes du Pérou. Plusieurs ont parfaitement appris l'espagnol et le latin, et savent écrire correctement; en un mot, c’est la nation la plus susceptible de civilisation. Le costume des hommes consiste en une chemise sans manches de tissu de coton ou d’écorce d’une espèce de ficus, presque toujours peinte de diverses couleurs. Dans les fêtes ils portent sur la tête des plumes de couleurs variées5, des grelots aux pieds et dansent ainsi au son du tambourin. Les femmes ont habituellement le même cos- tume; et de plus, se parent de colliers et de boucles d'oreilles, Constamment imprégnés d'huile de coco, les cheveux, chez les deux sexes, sont longs, et attachés en une queue qui tombe sur le dos. Nous n’avons retrouvé parmi eux aucune trace de tatouage ni de peinture; néanmoins, il paraît qu’ils se peignaient la figure, et se perçaient les lèvres et les narines. 4 Leur gouvernement, si nous devions en juger par leurs coutumes actuelles, devait être des plus despotique. Un cacique, aujourd’hui, est obéi dans ses moindres caprices, exerçant un pouvoir absolu sur toute sa mission; cependant rien de semblable n'existait lorsqu'ils étaient sauvages; ils se partageaient en un grand nombre de villages, tous indé- pendans les uns des autres, et ayant un cacique ou chef, auquel ils n’obéissaient pas: 1. Robertson, Histoire d'Amérique , édit. espagn., t. Il, p. 104, se trompe tout à fait lorsqu'il dit que les Moxos ne connaissaient pas l’agriculture. 2, Francisco Viedma, {nforme general de la provincia de Santa-Cruz (manuscrit dont nous avons l'original), 1787, p. 89 : Un Indio moxo escribe los anales de su pueblo en una tabla o un pedazo de cuña por medio de varios signos, cuya inteligencia y manejo pide mucha convinacion y una memoria felis. (Un Indien écrit les annales de son village sur une planche ou un morceau de roseau , au moyen de divers signes, dont l'intelligence et l’usage demandent une grande com- binaison et une heureuse mémoire.) 3. Cet usage ne se trouve plus que dans les fêtes du christianisme. 4. Lettres édifiantes, 1. VIT, p. 70. 5. Père de Eguiluz, Loc. cit., p. 7. améri- cain. ( 296 ) Homme ainsi leur gouvernement primitif était tout à fait négatif, et il n’y avait, réellement, améri- cain. aucun corps de nation. Leur religion primitive était des plus compliquée. Ils se croyaient enfans du lac, du bois ou du bord de rivière où ils vivaient, et, pour cela, ne changeaient jamais de demeure. Chaque village, d’ailleurs, avait sa foi différente; les uns espéraient des faveurs des dieux présidant aux moissons, à la pêche ou à la chasse; d’autres redou- taient ceux du tonnerre. Les sectes étaient des plus variées. La plus générale, celle qui avait le plus de culte extérieur, révérait le jaguar, et lui élevait des autels, dont les prêtres ou Comocois étaient les individus échappés aux griffes du féroce animal. Dans leur religion, la crainte dominait l'espérance, et 1l y avait au fait beaucoup de fana- tisme. Des superstitions sans nombre influaient sur beaucoup d’actions de la vie privée. Les prêtres étaient médecins, et opéraient des succions curatives 1. Tous croyaient à une autre vie. Aujourd’hui, si les Baurès sont des Catholiques assez tièdes, les Moxos proprement dits sont les plus ardens, parmi les Indiens de la province; ils poussent même le fanatisme si loin, qu’on les voit, tous les ans, dans la semaine sainte, arroser de leur sang les places publiques, par suite des atroces flagellations qu’ils s’infligent. Ils sont aussi des plus superstitieux. En résumé, les Moxos diffèrent des Chapacuras par une couleur moins intense, une taille plus élevée, des formes plus robustes, des traits dont l’ensemble est assez agréable, une langue distincte, plus d'industrie et plus de superstitions; du reste, séparés seu- lement par des nuances presqu’insensibles, ils ont à bien peu de chose près les mêmes caractères physiques; aussi appartiennent-ils évidemment au même rameau. 1. Ces détails sont empruntés au père Eguiluz, p. 8 et 9. ( 297 ) NATION ITONAMA. Sous le nom d’Z{onama existe une des plus nombreuses nations de la province de Moxos. Cette dénomination paraît être celle que se donne la nation elle-même; et, depuis la conquête, elle n’en a pas changé. Les Itonamas sont divisés en plusieurs petites sections, portant chacune un nom différent. Ils habitent la partie nord-est de la province de Moxos, sur les rives du Rio Itonama, depuis la grande lagune jusque près de son confluent avec le Rio Machupo, c’est-à-dire du 13.° au 14.° degré de latitude sud, et du 65.° au 67.° degré de longitude ouest de Paris. Jadis disséminés en quelques groupes, sur les terrains moins inondés, et au milieu des bois qui bordent leur rivière, ils avaient, au nord, pour voisins les Ités ou Iténès; à l’est, les Baurès; à l’ouest, les Canichanas; et au sud, les Moxos. Aujourd’hui aucun d’eux n’est sauvage. Tous ayant embrassé le christianisme, ils sont divisés en deux missions, celle de Magdalena , située sur le Rio Itonama, et celle de San-Ramon, sur le Rio Machupo. Leur nombre était, en 1830, à Magdalena, de 2,831 ; à San-Ramon, de 1,984; ce qui formait un total de 4,815 individus. La couleur des Itonamas, plus foncée que celle des Moxos, nous a paru la même que celle des Chapacuras, mais appartenant toujours à la teinte bronzée. Leur taille, beaucoup au-dessous de celle des Chapacuras, est généralement la moins élevée de la province; les plus grands ont à peine 1 mètre 730 millimètres (cinq pieds quatre pouces), et leur moyenne ne passe guère { mètre 649 millimètres (cinq pieds dix lignes). Les femmes sont, dans les proportions ordinaires: elles ont, taille moyenne, à peu près { mètre 550 millimètres. Les formes des Itonamas sont aussi bien différentes de celles des autres nations de Moxos. On ne retrouve plus en eux cette structure herculéenne, cette corpulence remar- quable des autres indigènes; ils ont bien encore les épaules assez larges ; mais le reste de leur corps, maigre et mince, n’annonce aucune force. L'obésité leur est inconnue, et leurs membres sont constamment amaigris, même quand ils ont abondance de vivres. Leurs jambes sont grèles, avec les articulations assez épaisses, à tel point qu’on recon- naît immédiatement un Îtonama au milieu des autres nations. Les femmes sont égale- ment moins fortes; cependant la différence n’est pas en elles aussi frappante que parmi les hommes. Elles sont, du reste, bien faites et plus minces que chez les peuples qui les entourent. Si nous trouvons une différence remarquable dans la taille et dans les formes des Itonamas, comparées à celles des Moxos, il n’y en a pas une aussi sensible quant aux traits; néanmoins on s'aperçoit immédiatement que leur visage, moins arrondi, est beaucoup plus long, quoiqu’avec les mêmes détails de formes; que les pommettes sont plus sail- lantes; la tête plus petite, le front plus étroit. Les yeux sont petits et horizontaux. La face ré IV. Homme. 38 Homme améri- cain. ( 298 ) Homme des hommes est efféminée, et leur barbe, lorsqu'ils en ont, est on ne peut plus rare. améri- vain. Leur physionomie, annonçant peu de gaité et beaucoup de crainte, est néanmoins spiri- — luelle et présente le type de la fausseté et de l'astuce; cependant, les hommes n’ont pas les traits repoussans , et quelques-uns sont même passables. Les femmes ne sont pas, à proportion, aussi bien : elles sont généralement laides. La langue des Itonamas est tout à fait distincte de celles des autres nations de la province de Moxos; elle ne manque pas d'harmonie, et la grande quantité de voyelles qu'elle emploie la rend quelquefois euphonique, tandis qu’elle est très-dure pour beau- coup de mots: elle est accentuée et tous les mots en sont terminés par des voyelles, à quelques rares exceptions près, dans ceux que terminent un {, une », une s ou notre ch. Le j espagnol, rarement seul, y est peu commun et prend le son composé des lettres qui lui sont unies, comme jna, jle, ete. L’u nasal est rare; lf et læ manquent absolument ; le muet français se retrouve encore, mais peu fréquemment. Il n’y a aucune anomalie pour les noms des parties du corps. Le féminin et le masculin ne changent pas dans les adjectifs. Le système de numération est nul; ils ne comptent que jusqu’à deux. Le caractère offre aussi des dissemblances notables avec celui des Moxos : il n’est plus franc, loyal, sociable et bon; les défauts opposés à ces vertus en font au contraire la base. Les hommes sont égoïstes, peu lians, sournois , obséquieux jusqu’à la bassesse pour les blancs, qu'intérieurement ils détestent : ce sont les plus déterminés voleurs et les hommes les plus làches de toute la province; mais, d'autre part, ils sont laborieux et nullement jaloux de leurs femmes, ni de leurs filles. Les mœurs des Itonamas peuvent, jusqu’à un certain point, être comparées à celles des Moxos. Également distribués par grands villages, ils habitaient les rives des cours d’eau, qu'ils parcouraient incessamment avec leurs pirogues; comme eux , ils étaient agriculteurs, pêcheurs et chasseurs : les plus pacifiques des habitans de la province, ils se servaient néanmoins d’arcs, de flèches et de massues à deux tranchans; ils aimaient la musique, la danse et surtout les réunions, où ils buvaient des liqueurs fermentées. Ils ont aujourd'hui conservé leurs goûts et leurs mœurs premières, que la religion catholique n'a pu déraciner. Dénués de toute pudeur, les parens enseignent les vices à leurs enfans, dès l’âge le plus tendre; dans leurs jours d’orgies, ils changent volontiers de femmes, et celles-ci sont obligées de se livrer tour à tour à leurs proches. Leur industrie, la même que celle des Moxos, est seulement moins avancée. Ce sont pourtant les meilleurs tisserands de la province; mais leurs peintures sont inférieures à celles des autres nations. Leur costume est celui des Moxos, si ce n’est que beaucoup d’entr'eux portent leur chemise noire. Nous avons remarqué, cependant, que leurs enfans attachaient, jusqu'à l'âge de puberté, une jarretière au-dessous du genou, et une autre au cou-de-pied , quoiqu'ils fussent entièrement nus; coutume que nous avons retrouvée chez les Gua- rayos. Les filles ont, de plus, une ceinture faite de perles enfilées; elles vont entièrement nues Jusqu'à l’époque de leur mariage, & ( 299 ) Nous supposons que le gouvernement des Jtonamas devait ressembler à celui des Moxos. Il ne reste plus que quelques traces de leur religion et de leurs superstitions primi- tives. Ils croyaient à une autre vie, n’adoraient aucun dieu bienfaisant, mais craignaient beaucoup le malin esprit Chukiva. Dès qu’une personne est malade, maintenant encore, quelle que soit la distance, elle va de suite se faire soigner dans la maison où elle est née. S'il y a lieu de croire que sa.maladie soit promptement mortelle, ses parens ont grand soin de lui tenir hermétiquement fermée la bouche, les narines et les yeux, afin que la mort ne passe pas en d’autres corps, et qu’elle reste confinée dans le sien, de sorte que, le plus souvent, il leur arrive ainsi d’étouffer les pauvres malades, Ils ne suivent le catholicisme que par force et non par persuasion. Malgré linfériorité de leur taille, leur maigreur habituelle et les autres différences que nous avons remarquées entre eux et les Moxos, nous croyons qu’on ne peut les en séparer, et que leur couleur, leurs traits et leurs mœurs les rattachent au rameau moxéen. Homme améri- cain. Homme améri- ( 500 ) NATION CANICHANA. Canichana est le nom que porte, et que se donne elle-même, dans la province de Moxos, la nation la plus guerrière, la plus redoutée, la plus anomale du pays. C’est aussi la dénomination qu’elle reçoit des Espagnols des provinces voisines. Les Jésuites l'appelaient Caniciana.? D'après les traditions, les Canichanas auraient habité les rives du Rio Mamoré, près des sources du Rio Machupo, et sur tout le cours de cette dernière rivière, jusqu’au lieu où se trouve aujourd’hui la mission de San-Joaquin. Nous avons été à portée de voir, entre San-Joaquin et San-Ramon , dans les plaines de l’ouest du Machupo, des retran- chemens qu'ils avaient construits, afin de se garantir de leurs voisins. Ils habitaient un assez grand nombre de villages ?, compris entre les 13.° et 14° degrés de latitude sud, el les 67. et 68.° degrés de longitude ouest de Paris. Isolés de tous leurs voisins, qui néanmoins les serraient de très-près, ils étaient, à l’est, bornés par les Itonamas; à l’ouest eau nord, par les Ttès; au sud, par les Moxos, et au nord-ouest, par les Cayuvavas. Ils furent tous transportés par les Jésuites sur les rives du Mamoré, où ils constituèrent la mission de San-Pedro, qui, après avoir plusieurs fois changé de place, est aujourd’hui fixée à la source du Machupo, non loin du Mamoré. Leur nombre s'élevait, en 1830, à 1,939 individus. Il n’en reste aucun de sauvage. La couleur, un peu plus foncée chez les Canichanas que chez les Moxos, est à peu près celle des Chapacuras, et présente les mêmes teintes. Aussi grands que les Moxos, leur taille moyenne atteint environ 1 mètre 677 milli- mètres (5 pieds 2 pouces). Les femmes, proportionnellement aux hommes, sont de petite stature ({ mètre 550 millimètres). Les formes du corps, identiques à celles des Moxos, sont peut-être un peu plus mas- sives, moins élancées; leurs épaules sont larges et leurs membres nourris; du reste, ils . annoncent autant de force, sans jamais tourner à l'obésité. Les femmes sont dans les mêmes proportions que chez les Moxos. Si les formes du corps nous ont présenté une conformité avec les Moxos, il n’en est pas de même des traits, qui ne ressemblent en rien aux leurs. On ne trouve plus, chez le Canichana, une figure ouverte, annonçant la douceur; au contraire, il a aspect féroce et dur; la tête grosse, la face oblongue, comme celle des Tobas; les pommettes 1. Père de Eguiluz, loc. cit., p. 35, 36. 2. Le père de Eguiluz dit (p. 35) qu’ils formaient 70 villages. 3. En 1694, selon le père de Eguiluz, ils étaient au nombre de quatre à cinq mille. Il faut que les pères aient considérablement outré la population de chacune de leurs missions ou que toutes les nations se soient depuis réduites à la moitié de ce qu’elles étaient alors. ( 301 ) apparentes, le front très-court, bombé; le nez très-large, court et épaté, fortement rentré à sa base; les narines ouvertes, la bouche grande, les lèvres un peu grosses; les yeux enfoncés, petits, lésèrement inclinés, par en haut, à leur angle externe; les oreilles petites, les sourcils minces et arqués, les cheveux et la barbe comme les autres Moxéens. La physionomie est triste et d’une laideur repoussante; elle n’ex- prime pourtant pas l'abattement, mais une fierté sauvage. Les femmes ne sont pas jolies: on retrouve chez elles les mêmes traits que chez les hommes, et l'enfance même montre peu de gaïté; mais en revanche, beaucoup de méchanceté et d’indiscipline. La langue des Canichanas ne contient aucun mot ayant du rapport avec les autres langues de la province; elle est musicale, fortement accentuée, quelquefois dure à entendre, à cause des sons gutturaux et des sons composés de plusieurs consonnes unies, comme J/, {z, ts. Presque tous les mots en sont terminés par des voyelles; mais il y a quelques exceptions, toutes très-dures, comme dans les mots en ac, ec, BP, ÿ etch. Le j espagnol s'emploie très-souvent avec toute sa dureté; quelquefois il se joint à l/, et donne alors un son fort rude, comme j/a. L’u nasal n’existe point; les sons de l’f et de lz sont inconnus; le c4 français et le c. espagnol sont communs. La langue canichana est peut-être celle qui offre le plus d'anomalies sous le rapport du commencement des mots. On à vu que dans les langues chiquitéennes les parties du corps avaient une lettre déterminée; cette même singularité se retrouve dans celle-ci, comme dans £co- liéna, joue; Eucomété, oreille, et Æulot, yeux, et s'étend à tout ce qui se rapporte au physique de l’homme; mais une anomalie plus grande encore, c’est que les mots qui expriment des objets matériels appartenant à la nature, les animaux, les plantes, les minéraux, et même les astres, commencent invariablement par un VW, comme Wicolara, singe; Vitij, le coton; Wisep, un lac; Micojli, le soleil. Les autres consonnes servent seu- lement pour les pronoms et pour les verbes, etc. Les adjectifs sont des deux genres. Le système de numération ne va que jusqu'à trois. La prononciation a beaucoup de rap- port avec celle des Movimas et des Itonamas. Le caractère est aussi anomal que les traits et le langage; ce n’est plus la franchise des Moxos, et leur sociabilité, non plus que la pusillanimité des Itonamas. Hardis au-delà de toute expression, les Canichanas sont entreprenans et indépendans, froids, dissimulés, peu scrupuleux surtout, taciturnes, tristes, insociables. Aussi voleurs que les Itonamas, ils le sont avec d’autant plus de raison, que les autres nations les craignent au point de se laisser impunément piller par eux. Ils paraissent néanmoins susceptibles les uns envers les autres, d’un attachement dont ils ont donné plus d’une preuve ; mais avec un tel caractère, n'est-il pas surprenant qu'ils se soient si facilement soumis au joug des Jésuites 1? D'après ce que nous en avons appris, leurs mœurs devaient être des plus guerrières ; ils avaient une fortification formée de fossés, dans laquelle vivait une partie de la 1. Le père Eguiluz dit (p. 36) que les Canicianas se sont d’eux-mêmes réunis en grands villages, afin d'obtenir des missionnaires. Homme améri- «ain. ( 502 ) Homme nation, qui, de là, faisait des incursions sur le territoire de ses voisins, les I[ténès, les améri- Cayuvavas, et surtout chez les Itonamas, qui ont toujours excessivement redouté les Canichanas. Ils enlevaient des prisonniers, qui, si nous en devons croire les relations , auraient été mangés dans des festins solennels. Principalement chasseurs et pêcheurs, l'agriculture était chez eux très-peu avancée. Ils aimaient les liqueurs fermentées. Aujour- d'hui, au sein même des missions, ils ont conservé beaucoup de leurs usages primitifs et sont la terreur des autres nations, auxquelles ils dérobent les fruits et le produit de leurs champs, sans que celles-ci osent s’en plaindre, tant est grande la crainte qu'ils inspirent. Ils sont très-brusques et n’ont pas la moindre politesse. Seuls ils mangent les caïmans et les chassent avec adresse. Leur industrie se bornait jadis à la confection des armes et des pirogues; aujourd’hui encore ce sont les moins industrieux de tous les habitans des missions de Moxos. Ils connaissent néanmoins le tissage el tout ce qu'on fabrique dans les missions. Leur costume est celui des autres nations moxéennes : les hommes et les femmes ont le {ipoy; mais, assez habituellement, les hommes ne portent que lécorce des ficus. Leur gouvernement paraît avoir élé celui de nombreux caciques, les dirigeant lors des attaques. Leurs fortifications annonceraient parmi eux plus d'unité qu’on n’en trouve chez les autres peuples de la province; c’est bien probablement de là que sera venue la terreur qu'ils inspiraient à toutes ces tribus éparses, en dépit de leur petit nombre, comparé à celui de leurs voisins. Nous ignorons complétement ce qu'était leur religion primitive. Seulement nous avons encore retrouvé un usage religieux qui s’est conservé, malgré le christianisme, celui de marquer làge de nubilité des jeunes filles par un jeûne de huit jours que celles-ci sont obligées de subir, et de se réjouir ensuite, par des libations, de cet heureux événe- ment. Nous avons déjà vu cette coutume parmi les nations australes, et nous la retrou- vons encore sur le versant oriental des Andes boliviennes. Les Canichanas sont très- mauvais catholiques; ils redoutent toujours leur Yinijama ou génie malfaisant. Pour la couleur, les formes et la taille, les Canichanas tiennent aux Moxos; mais par les mœurs et les traits, ils se rapprochent plutôt des Tobas et des Mbocobis du Chaco. Leur langue, par ses anomalies, les place auprès des Moxos et des Chiquitéens. Nous croyons néanmoins que les Canichanas appartiennent au rameau moxéen; mais qu'ils y constituent une anomalie d'autant plus étrange, qu’ils sont entourés de peuples réunissant des caractères d’uniformité remarquables sous tous les rapports physiques. Nous pourrions peut-être trouver, dans l'influence d’un autre régime et de mœurs oppo- sées, l'explication de tout ce qui distingue les Canichanas des autres nations. ————————————————————" 1. Père de Eguiluz, p. 36. ( 305 ) NATION MOVIMA. La nation Movima qui nous occupe en ce moment porte cette dénomination dans la provincee de Moxos, et elle-même se la donne aussi. Au temps de la conquête de la province de Moxos, les Movimas habitaient les plaines de l’ouest du Mamoré, sur les rives du Rio Yacuma, à peu près par le 14.° degré de latitude sud, et par les 68.° et 69.° degrés de longitude ouest de Paris. Ils étaient divisés en nombreux villages sur les bords des rivières, ayant pour voisins, au sud et au sud- ouest, les Moxos; à l’est, les Canichanas, et au nord les Cayuvavas. Ils étaient séparés de ces nations soit par des plaines inondées, soit par des forêts. Les Movimas ont tous été réunis par les Jésuites à la mission de Santa-Ana, située près du confluent du Rio Yacuma et du Rio Rapulo, l’un des affluens du Mamoré, et il n’en reste aucun sauvage. D’après le recensement, leur nombre, en 1830, était de 1,238 individus. La couleur des Movimas est absolument la même que celle des Moxos. Leur taille, plus élevée, est en moyenne d’un mètre 690 millimètres (5 pieds 2 | pouces) ; ce sont tous de très-beaux hommes, et leurs femmes sont également remarquables par leur haute stature. Nous avons vu des jeunes filles de seize à dix-sept ans si grandes et si fortes, qu’elles pouvaient rivaliser avec l’autre sexe; et nous croyons que la taille, chez les femmes, est beaucoup au-dessus des proportions relatives qu’elles conservent ordinairement avec les hommes. Terme moyen, nous leur avons trouvé 1 mètre 620 millimètres (5 pieds). Les formes des Moyimas sont au moins aussi robustes que celles des Moxos, et en tout semblables, quant aux détails; seulement les femmes participent plus de celles des hommes. Les traits ne diffèrent en rien de ceux de la nation citée; ils annoncent beau- coup de douceur; mais, chez un grand nombre de femmes, on retrouve des traits masculins, et rarement cette délicatesse de détails qui caractérise lautre sexe. En général, le nez paraît un peu plus large chez les Movimas que chez les Moxos. La langue, quoique différente, pour le fond, des idiomes des autres nations de la province, se rapproche beaucoup , en raison de la dureté de ses sons et pour sa prononciation, de la langue des Canichanas et des Itonamas, quoiqu’elle soit plus dure encore que ces deux dernières. De même, elle a beaucoup de consonnes jointes ensemble, comme tck, ch, chl, jn, jl, jr, ÿ et ts, ce qui constitue des sons rabo- teux à l'oreille; la plupart des mots se terminent par des voyelles; néanmoins on y trouve des consonnes, comme l’/, ln, Vm, le p, ls, et les sons composés du cz fran- çais et du c4 espagnol. Le j espagnol est très-souvent employé; l’# nasal n'existe point, non plus que Ff. Au reste, cette langue n’a aucune anomalie apparente. Les adjectifs y prennent les deux genres. Le système de numération ne s'étend que jusqu’à quatre, el n’a aucun rapport avec les noms des doigts. Homme améri- cain. Homme améri- “ain. ( 504 ) Le caractère des Movimas est absolument le même que celui des Moxos; ils ont un grand fonds de bonté et sont des plus sociables. Leurs mœurs ont également dû être identiques, si lon en juge par leur genre de vie actuel; ils sont pêcheurs, chasseurs, navigateurs et agriculteurs. Leur industrie, à peu près semblable à celle des Moxos, est seulement beaucoup moins avancée, le tissage excepté. Le costume est le même que chez les autres nations de la province. Nous avons lieu de croire que l’ancien gouvernement des Movimas présentait beaucoup d’analogie avec celui des Moxos. Ils sont aujourd’hui soumis au régime dés missions. Leur religion primitive est tout à fait oubliée; 1ls se souviennent néanmoins, qu’un génie malfaisant, appelé Canibaba Kilmo , causait tous leurs malheurs; ils avaient aussi la croyance d’une autre vie. Nous avons retrouvé quelques traces de leurs superstitions premières, comme celle de ne jamais tuer un serpent, dans la crainte de devenir lépreux; ou, lorsqu'ils sont veufs, de ne jamais attaquer un jaguar, certains qu'ils sont alors de succomber. En résumé, l'entière conformité des caractères physiques et moraux des Movimas et des Moxos, nous fait penser qu'ils appartiennent au même rameau, ne se distinguant de la nation type que par un langage tout à fait différent, et peut-être par plus de force corporelle. ( 305 ) NATION CAYUVAVA. Dans la partie la plus septentrionale du cours du Rio Mamoré existe, à la mission d'Exaltacion, la nation nommée Cayuvava (prononcez Cayouvava). Quelques Espagnols écrivent Cayubaba. Cette nation, avant de se soumettre au christianisme, habitait la rive occidentale du Mamoré, à une quinzaine de lieues au-dessus de son confluent avec le Guaporé ou Iténès, sur les plaines entrecoupées de marais et de bouquets de bois qui caractérisent ces terrains. Les Cayuvavas étaient disséminés en tribus sur les bords de cette grande rivière, et sur les petits affluens des plaines de l’ouest?, du 12.° au 13.° degré de latitude sud et au 68.° degré de longitude ouest de Paris. Leurs voisins étaient, au sud, les Movimas; à l’est, les Iténès; à l’ouest, les Maropas de Reyes, et, au nord, les Pacaguaras du Rio Béni. Ils étaient séparés, surtout des deux dernières nations, par des déserts d’une immense étendue. Tous Chrétiens, ils sont actuellement réunis dans la mission d’Exaltacion, sur la rive ouest du Mamoré, à douze lieues au-dessous de l'embouchure du Rio Yacuma. Le nombre des Cayuvavas était, en 1831, de 2,073 individus. Par la couleur, la taille élevée des hommes, leurs formes robustes, leurs membres replets, leurs traits réguliers et agréables, leur douce physionomie, les Cayuvavas res- semblent aux Moxos, dont ils ne diffèrent peut-être que par plus de sérieux dans l'aspect général, réunissant, du reste, tous leurs caractères physiques. La langue cayuvava se distingue de toutes les autres langues de la province de Moxos, par le fond des mots; car, bien qu’elle présente encore un peu d’analogie avec les idiomes itonama, canichana et movima, pour la dureté de beaucoup de sons, elle est néanmoins plus euphonique. La complication des sons de consonnes réunies est assez fréquente. Celle de dz et de dj, devant des voyelles, est un peu dure; néanmoins alors la seconde consonne a toujours le son doux de la prononciation française. On retrouve encore, parmi les sons propres à cette langue, l’z légèrement nasal, le z, le muet, le ck, et des finales en an et ain, les seules, du reste, que terminent des con- sonnes, toutes les autres finissant invariablement par des voyelles. Le son guttural du j espagnol est très-commun, ainsi que le ck de cette langue, et l’Z est la seule lettre qui manque. Nous n'avons remarqué aucune anomalie. Les adjectifs sont des deux genres. Le système de numération n’a pas de rapport aux noms des doigts; mais il 1. Père de Eguiluz, p. 35. 2. Si l’on devait en croire les matériaux sur lesquels Brué a construit ses cartes de l'Amérique méridionale , les Cayubabas habiteraient, d’après celle de 1826, jusqu’au 12° degré de latitude sud, tandis que, dans celle de 1834, ils s'étendent jusqu’au 10° 3. Le père Eguiluz évaluait, en 1693 , leur population à 3,000 âmes (p. 35). IV. Homme, 9 9 Homme améri- «ain. ( 506 ) Homme offre une particularité nouvelle, Les nombres, qui ordinairement ne se joignent à d’autres améri- qu'après dix, sont joints, dans la langue cayuvava, dès le nombre six; ainsi toutes les autres langues américaines ont des noms différens jusqu’à dix; puis elles comptent dix et un, pour onze, tandis que chez les Cayuvavas les nombres ne changent que jusqu'à cinq seulement ; pour six, on dit Carata rirobo, cinq et un; Mitia rirobo, deux et cinq, pour sept, et ainsi de suite, jusqu’à dix, puis commencent les dizaines, allant seulement jusqu'à cent. Le caractère des Cayuvavas a beaucoup de rapports avec celui des Moxos; néanmoins nous le croyons meilleur. Ardens, hardis, entreprenans, industrieux, francs et loyaux, les Cayuvavas se font aimer de tous ceux qui les connaissent. Par les mœurs également, ils ne diffèrent pas des Moxos; seulement, les plus habiles rameurs de la province, les plus habiles pilotes du Mamoré, ils connaissent mieux la navigation que les autres Moxéens. Ils sont pêcheurs, chasseurs et agriculteurs. Jadis ils étaient guerriers redoutés. Sous le rapport de l'industrie, ils ne le cèdent en rien aux Moxos, surtout en ce qui a trait à l’agriculture. Le costume national est actuellement celui des Moxos. Leurs armes, lorsqu'ils étaient sauvages, étaient l'arc, la flèche et la lance. ! Nous ne savons rien de positif sur leur ancien gouvernement; mais les huit sections qui les partagent à la mission d’Exaltacion?, nous feraient croire que la nation a dû être divisée sous les ordres de chefs différens. 5 Bons Catholiques, les Cayuvavas n’ont conservé de leur religion primitive que le nom d’un être protecteur de toutes choses, l’/daapa, et celui d’un génie du mal, cause de tous les malheurs, le Maiïnajé. Ms admettaient l’immortalité de l’âme. Ayant conservé quelques-unes des superstitions de leur état sauvage, ils croient, comme les Itonamas, empêcher la mort de sortir du corps d’un malade à l’agonie, en lui fermant la bouche et le nez. Les hommes ne se livrent à aucun travail pendant la menstruation de leurs femmes, et n’osent rien entreprendre lorsqu'ils sont veufs. Les Cayuvavas, voisins des Moxos par tous leurs caractères, appartiennent évidem- ment au même rameau, comme nation distincte par le langage. 1. Père de Eguiluz, p. 35. 2. Ces sections ou Parcialidades sont les suivantes : Maïsimaé, Maïdibochoké, Maidépurupiñé , Maïrouaña, Maïauké , Maïdijibobo, Maïmajuya et Maïmosoroya. 3. C’est chez cette nation que le père de Eguiluz (p. 35) avait placé le grand Paititi, Dorado ou pays des Césars de ces contrées. en — ( 307 ) NATION ITÉ OU ITÉNÉS. Interrogée sur son nom, cette nation nous a dit s'appeler Z{é et Zen; d’où nous avons conclu qu’elle avait donné ce nom à la rivière qui vient, de l’est, se réunir au Mamoré, vers le 12.° degré sud, et que les Brésiliens connaissaient sous celui de Guaporé. Dans la province, les Ités sont connus sous celui de Guarayos, dénomination appliquée tour à tour aux Guaranis et aux Chapacuras, et qui, de même que celle de Guaycurus, donnée à toutes les nations du Chaco et à beaucoup de peuples du Brésil, a succes- sivement désigné pour les Espagnols de ces contrées, tous les indigènes encore sauvages. Les Iténès ont jusqu'ici conservé leur état primitif de liberté. Possesseurs du terri- toire compris entre le Rio Iténès et le Rio Mamoré, dans le delta formé par le confluent de ces deux rivières, jusqu’à une trentaine de lieues vers le nord, ils sont tous sau- vages, et habitent les mêmes lieux où ils ont toujours vécu. Ils vivent divisés en hameaux dans l’intérieur des terres, au milieu des bois, ou sur les rives des ruisseaux affluens du Mamoré, et de là parcourent incessamment le Rio Iténès et le Rio Mamoré, ainsi que les forêts qui s'étendent au nord du premier. Le pays qu’ils occupent est circonscrit entre les 12. et 13. degrés de latitude sud, et les 67. et 68° degrés de longitude ouest. Leurs voisins, avant la fondation des missions, étaient, au sud-est, les Canichanas; au nord-ouest, les Movimas, et à l’ouest, les Cayuvavas : ces mêmes nations les entourent encore aujourd’hui. Nous avons appris par quelques Iténès, captifs à Exaltacion, que leur nombre peut être de 1,000 à 1,200. Autant que nous en pouvons juger par trois [ténès, les seuls que nous ayons vus, la nation ne doit en rien différer des Cayuvavas et des Moxos, pour la couleur, pour les formes, pour les traits; elle semble seulement avoir plus de sérieux dans la physio- nomie. L’un des trois Iténès, encore jeune, avait une figure des plus intéressante. La langue des Ités est distincte des autres de la province, pour le fond et pour la prononciation ; mais nous supposons qu'autrefois il y aura eu contact entr'eux et les Chapacuras; car il se trouve, dans les deux langues, quelques mots dont l’étroite ana- logie ne saurait être due au hasard; néanmoins tout est différent dans chacune. Celle des Iténès est, sans aucun doute, la plus laconique, la plus douce, la plus euphonique de toutes les langues américaines; tous les mots s’y terminent par des voyelles, et aucun ne contient de consonnes dures. Les sons gutturaux et nasals n'y sont pas con- nus, et les seuls composés de consonnes résultent de la jonction du b au z français, assez communs et sans dureté. Les lettres f, g, j, !, æ manquent absolument. Il n’y a aucune anomalie dans les substantifs; les adjectifs sont en même temps des deux senres. En un mot, la langue ité est la plus simple dans sa prononciation, comme la plus laconique dans ses formes; souvent une seule émission de son suffit pour indiquer un objet quelconque. Le système de numération des [ténès ne va que jusqu’à cinq, et n’a aucun rapport aux noms des doigts. Homme améri- cain. Homme améri- “ain. ( 508 ) Leur caractère ressemble peu à celui des Moxos; mais il présente quelques rapports avec celui des Canichanas. Indépendans et fiers au-delà de toute expression, courageux jusqu'à la témérité et guerriers indomptables, ils ne paraissent pas manquer entr'eux de franchise et de bonté. Ils ont mieux aimé se voir décimer journellement depuis plus d'un siècle, que de se soumettre au zèle religieux des Jésuites ou au joug des Espagnols. Encore aujourd'hui ce qu'ils étaient au temps de la découverte, ils doivent le maintien de leur indépendance à l'union qui semble régner entr’eux. Leurs mœurs sont fort singulières. Vivant en des hameaux, au milieu de leurs déserts, défendus par d'immenses marais ou par des forêts peu accessibles, ils ne s’oc- cupent de la demi-civilisation qui les entoure, que pour se glisser, à l’aide de leurs pirogues, dans les petits aflluens du Mamoré et de l’Iténès. Là ils épient les Indiens des missions et les soldats brésiliens du fort de Beira, les attaquent à l'improviste, surtout à la faveur de la nuit, et les tuent seulement pour s'approprier des instrumens de fer. Chasseurs intrépides et pêcheurs infatigables, ils n’en sont pas moins agricul- teurs. Jamais ils n’ont été anthropophages. L'industrie chez les Iténès est assez bornée. Ils savent tisser et peindre; mais ils excellent surtout dans l’art de confectionner leurs armes; leurs flèches sont armées d'un os pointu, et ornées d’une foule de dessins qui les rendent des plus curieuses. Leurs pirogues sont très-longues et peu larges. Leur costume paraît ressembler à celui des autres Indiens de la province; de même leurs femmes portent la chemise sans manches. Ils se peignent la figure, et les jours de gala s’ornent la tête de plumes artistement placées. Leur gouvernement se réduit réellement à rien. Des caciques les conduisent au combat, sans avoir, du reste, aucune autorité. Leur religion, sur laquelle nous n’avons que des notions très-vagues, se bornerait à craindre un génie malfaisant, connu sous le nom de Tuméhé (Touméké). Tous les caractères physiques des [ténès sont les mêmes que ceux des Moxos; leurs mœurs les rapprocheraient des Canichanas, tandis que leur langage, le plus doux de toute la province, aurait, malgré ses différences de prononciation, quelques mots voi- sins de celui des Chapacuras. En résumé, les Iténès appartiennent évidemment au rameau moxéen, ( 309 ) NATION PACAGUARA. Cette nation, connue des Espagnols des missions de Moxos et des indigènes, sous le nom de Pacaguara, est appelée différemment par les Brésiliens. Nous en avons rencontré plusieurs hommes et plusieurs femmes, qui nous en ont appris le peu que nous en savons, et d’après lesquels nous avons cherché à en déterminer les caractères physiques. Les Pacaguaras qui ont habité de tout temps le confluent du Rio Béni et du Mamoré, vers le 10. degré de latitude sud et du 67. au 68.° degré de longitude ouest, forment de grands villages au sein des forêts f£rdant ces larges rivières. Ils sont, pour ainsi dire, en dehors du territoire de la province de Moxos, et appartiennent probablement à ces nombreuses nations disséminées sur les rives du Rio de Madeira, sur l'Amazone et sur ses affluens. Nous ne connaissons pas leurs voisins du nord; au sud, les plus proches étaient les Iténès et les Cayuvavas; encore n’avaient-ils de relations qu’avec ces derniers. Plusieurs fois on les amena à Exaltacion pour les convertir au christianisme ; mais, comme on les a toujours trompés, tous sont rentrés dans leur asile primitif, sauf une douzaine d’entr’eux, restée à Exaltacion. Leur nombre total peut être de 1,000 environ. Leur couleur nous a paru être, en tout, celle des Moxos. Leur taille, autant que nous ayons pu en juger, serait peut-être un peu moins élevée; mais leurs formes et leurs traits réunissent tous les caractères de ceux des Moxos, et surtout des Cayuvavas par le plus de sérieux de leur physionomie. Le langage pacaguara, tout en différant par le fond de celui des Cayuvavas, a néan- moins quelques rapports de prononciation avec ce dernier, et conséquemment par la dureté de ses sons, un peu d’analogie avec l’itonama, la canichana et la movima. On y trouve la complication de sons de consonnes réunies, tels que {z, ts, dj et jn, tantôt avec toute la gutturation de la prononciation espagnole, tantôt avec la prononciation plus douce des Français. Le z, le ck de cette dernière langue y sont fréquens; ainsi que ses diphthongues, comme on, an, et le son de lu, pourtant plus nasal. Presque tous les mots se terminent par des voyelles, et il n’y a d’exceptions que pour les sons composés en on et an, et pour le ck français, sans qu'aucun de ces sons soit dur. Trois lettres, lf, V7 et lz, ne sont pas employées. Les adjectifs sont des deux genres à la fois; et la langue ne présente aucune anomalie. Le système de numératon ne s'étend que jusqu’à dix et vient probablement du nombre des doigts. Le caractère des Pacaguaras paraît ressembler à celui des Cayuvavas : même bonté, même hospitalité, même franchise, même loyauté; toutes vertus auxquelles ils joignent de la hardiesse et un génie entreprenant. Ils ont toujours été disposés à aider les Espagnols et les Brésiliens, sans néanmoins s'occuper jamais des querelles de ces deux Homme améri- ain. (310 ) nations. S'étant plusieurs fois laissé conduire dans les missions des Jésuites, ils se montraient disposés à se soumettre sans résistance aux règles de conduite qu'on aurait voulu leur imposer. Pour les mœurs, les Pacaguaras ont aussi un grand fond de ressemblance avec les Moxos; spécialement navigateurs, chasseurs, pêcheurs et agriculteurs , ils sont très-pacifiques et ne paraissent pas chercher à indisposer leurs voisins, avec lesquels ils vivent toujours en bonne intelligence. Leur industrie se borne au tissage des étoffes pour vêtemens et à la confection d’armes et de pirogues, sem- blables à celles des Moxos. | Leurs chefs, avec très-peu d'autorité, ne sont guère que de simples conseillers. Nous n’avons obtenu d'autre notion sur leur religion que celle de leur croyance. en un être bon, nommé Æuara, et en un malin esprit nommé Yochina, pour lesquels ils n'ont pas de culte extérieur. En résumé, nous croyons qu’en raison de levxs caractères physiques et moraux, les Pacaguaras appartiennent positivement au rameau moxéen. TT A — (5) Homme améri- cain. . TROISIÈME RACE. BRASILIO-GUARANIENNE. CHPACRERES I CONERAUX Coureun dau d'unis MOYENNE. FRONT PEU BOMBÉ. YEUX OBLIQUES, RELEVÉS À L'ANGLE EXTÉRIEUR. RAMEAU UNIQUE. Couleur jaunâtre, mélangée d'un peu de rouge tres-pâle. Taille moyenne, 1 metre 620 nullimetres. Formes très-massives. Front non fuyant. Face pleine, circulaire. Nez Court, étroit. Narines étroites. Bouche moyenne, peu saillante. Levres munces. Yeux souvent obliques, tou- Jours relevés à l'angle extérieur. Pommettes peu saillantes. Traits efféminés. Physiononue douce. La race à laquelle nous avons imposé le nom de brasilio-guaranienne, du lieu qu’elle habite et du nom de la principale nation dont elle se com- pose, couvrait toute la partie orientale de Amérique méridionale, depuis les Antilles jusque près de la Plata. Étendue en latitude, du 54.° degré de latitude sud, au 23. degré de latitude nord, sur l'immense surface de 1,140 lieues marines, du nord au sud, elle occupe, de lest à l’ouest, des côtes du Brésil au pied des Andes, entre les 37.° et 65.° degrés de longitude ouest de Paris, une largeur de 560 lieues marines, ou mieux encore, presque tout le Brésil, le Paraguay, les Missions, les Guyanes et les Antilles. Elle est bornée au sud par le rameau pampéen, à l’est et au nord par la mer, à l’ouest par les Pampéens, les Chiquitéens, les Moxéens et les Antisiens. Le pays des Brasilio-Guaraniens, quoique très-étendu, a néanmoins une grande uniformité dans sa composition. Plus de ces montagnes élevées aux sommets glacés, aux plateaux tempérés habités par les Péruviens; plus de ces plaines découvertes, arides ou inondées, où vivent les Pampéens; par- tout un sol ondulé, couvert de petites collines, de petites chaînes de mon- tagnes, partout de nombreux cours d'eaux, des forêts imposantes, aussi anciennes que le monde; partout la végétation la plus active, sur un sol coupé de bouquets de bois, de petites clairières, où l’homme, divisé et sub- divisé en tribus nombreuses, vit isolément de chasse et de culture, au sein de l’abondance. (312) Homme Parmi les nations que nous avons observées, deux seulement se rattachent someri- “à ce rameau; la première, celle des Guaranis, couvrait à elle seule toute la — surface indiquée, enclavant la seconde, celle des Botocudos, et sans doute plusieurs autres qui nous sont inconnues, disséminées au sein des forêts, et sur les rives des fleuves et des rivières. Le tableau suivant indiquera la population relative de ces deux nations. NOMBRE DES INDIVIDUS DE RACE PURE NOMS DES NATIONS. DE CHAQUE NATION. RS CHRÉTIENS. SAUVAGES. LR 007 CNED MELON PC NE 7 — 06 PIS 16,100 | 238,136 4,000 4,000 222,036 20,100 | 242,136 Nous n’étendrons pas plus loin nos généralités sur les Brasilio-Guaraniens, la description de la nation guaranie les renfermant toutes à elle seule, pour les caractères physiques et moraux. Nous y renvoyons pour éviter les redites. ( 313:) NATION GUARANIE. Ce nom, porté d’abord par certaines tribus de cette grande nation, est ensuite devenu celui de la nation entière, et s’est vu, comme tel, admis dans presque toutes les langues. Nous croyons, avec ceux qui se sont trouvés plus à portée que nous d'étudier le guarani, que cette dénomination est une corruption du mot Guarini! (guerre et guerrier); car nous le retrouvons, sous d’autres formes, dans les mots Galibi? (Caribi), Caribe ou Caraïbe#, qui n’en sont que des formes plus altérées encore, s'appliquant aux diverses tribus de la nation, qui se targuaient d’être les plus guerrières. Avant de parler de l'extension du terrain occupé par cette nation, il est indispen- sable d'établir, en dehors des lieux que nous avons visités, les traces de ses migrations anciennes et modernes, en jetant, de proche en proche, des jalons dans les limites desquels on pourra renfermer la nation entière, telle que nous la comprenons. Nous partirons de la Plata, ses limites les plus méridionales, pour prendre ensuite ses points les plus occidentaux. D’après les historiens, nul doute qu'elle n’ait habité les iles du Parana à son embouchure, et le lieu nommé aujourd’hui San-Isidro$, au 34.° degré de latitude sud. Si nous suivons, en le remontant, le Rio Parana, nous retrouvons 1. Tesoro de la lengua guarani, par le père Antonio Ruiz (1639), p. 130. Guaräni, guerre (guerre); Guariny-hara, guerero (guerrier). M. d’Angelis (Table de la Argentina de Rui Diaz de Guzman, p. 40), croit que Guarani vient de gua, peinture; de ra, tacheté, et de ni, signe du pluriel, ce qui signifierait les achetés de pein- ture, où ceux qui se peignent; mais nous ne voyons pas pourquoi l’on irait dénaturer les mots, les mettre pour ainsi dire à la torture, pour trouver une étymologie autre que celle que nous donnent les Dictionnaires, écrits par des hommes qui possédaient parfaitement la langue. 2. C’est évidemment une corruption du même mot. Nous ne croyons pas que Galbi soit une transformation de Caribe; ce serait le contraire, si l’on admet notre négative. D'ailleurs il n°y a réellement, dans ce nom, d'autre changement que celui de gua en ca. 3. Caribe. D’après les observations de M. de Humboldt (t. II, p. 359), cette nation se nom- merait elle-même Carina. En supposant, comme pour les Galibis, que la première syllabe gua ait été changée en ca, comme il arrive souvent, et comme nous l'avons observé chez d’autres tribus des Guaranis, il n’y aurait d’autres différences entre Guarini ou Carini et Carina, que la termi- naison en « D'ailleurs, Rochefort lève les difficultés en disant (Hist. des Ant, p. 455) que Caribe signifie guerrier ; ce serait donc absolument le mot guarani. 4. On sait que le mot Caraïbe, adopté par les Français et par les Allemands, n’est qu’une corruption du mot caribe, admis seulement dans ces langues, et analogue au changement de London en Londres, de Paris en Parigi, etc. 5. Voyez Fundacion de la ciudad de Buenos-Ayres, por Juan de Garay, 1582 (première répar- tition des Indiens, p. 27), où l’on donne en propriété aux fondateurs les Guaranis des îles. (Collection de M. d'Angelis, et Azara, Voyage dans l'Amér. mérid., L WE, p. 53.) / IV. Homme. 40 Homme améri- cain. (514) Homme des Guaranis, sous le nom de Mbéguas' et de Timbuez?, au Barradero; plus haut, amerr- can, vers l'ancien fort de Santi-Espiritu, sous celui de Caracaras3. Nous les avons vus à Corrientes, au confluent du Rio Parana et du Paraguay, où ils se nommaient ancien- nement Zapèsi, et formaient jadis, comme maintenant encore, la masse de la popula- lion, On sait combien ils étaient nombreux sur le terriloire occupé aujourd’hui par la capitale du Paraguay où, du temps de la conquête, ils étaient plus généralement connus sous le nom de Carios5. D’après le rapport le plus unanime des historiens, c'est de ce point que vers 1541 une de leurs dernières grandes migrations traversa le Chaco, et, sous le nom de CAiriguanos, alla peupler le pied des derniers contreforts des Andes boliviennes, du 17. au 19. degré de latitude, où nous l'avons retrouvée. L'étude que nous en avons faite nous a prouvé qu’ils n’avaient rien changé à leur langue primitive. Nous pouvons en dire autant de ceux que nous avons rencontrés entre Santa-Cruz de la Sierra et Moxos, sous le nom de Sirionos, et entre Chiquitos et Moxos, sous celui de Guarayos7. Les auteurs? démontrent qu’ils habitaient encore le confluent du Rio Jaoru et du Paraguay, non loin de Matogrosso. Pour tous les points que nous venons d'indiquer, notre expérience personnelle et les rapports des écrivains nous assurent positivement que toutes ces tribus appartiennent à la souche mère du Guarani, dont elles ont les mœurs et le langage, sans presque aucune altéra- Uon; mais il nous reste à remplir une tàche plus difficile; nous avons à prouver que des Guaranis ont aussi poussé leurs migrations sur le cours de l'Amazone et de ses affluens et sur celui de lOrénoque. Indépendamment de beaucoup de traits de mœurs, nous trouvons très-haut, sur le Rio Yapura, l’un des tributaires de lAmazone, et à Porto dos Miranhas, plusieurs mots évidemment guaranis, comme celui de Tata, feu. Dans lintéressante relation de MM. Spix et Martius, et dans la langue générale (/engua geral), qui n’est que le guarani plus ou moins corrompu, que ces savans voyageurs annoncent se parler sur une partie du cours du Marañon et de l’Amazone, nous voyons des preuves certaines que, si les tribus habitant ces lieux ne sont pas elles-mêmes des Guaranis, elles ont au moins 1. Rui Diaz de Guzman, Argentina, p. 133. (Écrite en 1602, imprimée à Buenos-Ayres, en 1835.) 2. Schmidel, Viage al Rio de la Plata, en 1534. Édition de Buenos-Ayres, p. 11. 3. Rui Diaz de Guzman, p. 10, 40. 4. Idem, p. 12. Ce sont peut-être aussi les Galgaisi de Schmidel, p. 13. 5. Schmidel, p. 15, 17. 6. Rui Diaz de Guzman, p. 16. Padre Fernandez, Relacion historial de los Chiquitos, chap. LE, p. 4; Lozano, Historia del gran Chaco, p. 57. 7. Voyez plus loin la description spéciale que nous donnons de cette tribu. 8. Rui Diaz de Guzman, p. 14. (315) dû admettre dans leur sein, à des époques antérieures! ou postérieures? à la con- Homme améri- vain. quête, des migrations de cette grande nation. Du reste, en lisant l'ouvrage de Rodriguezÿ, on trouve partout soit des noms de nation qui sont évidemment guaranis, soit des noms de rivière, comme Parana Guazu et Parana Mini. À mesure que nous nous éloignons de la patrie primitive des Guaranis, que nous croyons être le Brésil et le Paraguay, nous devons accumuler les preuves de leur pré- sence sur un fleuve où ils ne pouvaient pas arriver aussi facilement que sur l'Ama- zone; nous voulons parler de lOrénoque. Nous les tirons, ces preuves, des savantes et judicieuses observations de M. de Humboldt, celui de tous les voyageurs qui a le mieux décrit ce pays; et, quoique les mœurs, les usages puissent nous les donner, nous les rechercherons aussi dans les langues des peuples, en mettant en regard quelques mots identiques, ou de source évidemment commune, comme on peut le voir par les suivans, choisis dans le petit nombre de ceux que M. de Humboldt a donnés: GUARANIS CARIBES OMAGUAS MAIPURES |TAMANAQUES PARENIS CHAIÏMAS FRANCAIS. du de de de de des affluens de Paraguay. l’Orénoque. l’'Orénoque. l’Orénoque. lOrénoque, | de l'Orénoque. Cumana. Sorcier, mé- decin. Paye‘. Psiache”. C Piache‘. Mer, grande rivière. Parana. Parana°. £ Parana ?. Paravya‘. Ê Soleil. Quaract. £ Huarassi®. | Kie ". £ Camosi . Lune. Yaci. £ Jacè®. Kejapi ”. 2 Keri ”. Eau. ÿ (pron.u). £ Ê Oueni ”. Tuna. Ut, '' oueni. Cabiaï. Capiiba. Capigua ”. = Cappiva”. 2 Tabac. Petÿ. z Pete-ma . Grand-pèreet Dieu. Tamoi. Tamussi “. 1. Les communications des Omaguas du Marañon et des Otomaques de l’Orénoque sont au moins démontrées par ce qu’en dit M. de Humboldt, oyage, édition in-8, t. VITE, p. 315. 2. MM.Spix et Martius en ont rencontré à Villa-Nova, et Texeira les a vus à l'embouchure du Rio Madeira. 3. Marañon y Amazonas. Madrid, 1684, Liv. I, chap. 11, p. 131, etc. 4. Tous ces mots sont pris du Zesoro de la lengua guarani, par le père Antonio Ruiz (Madrid, 1639), et Arte y Vocabulario de la lengua guarani, par le même (Madrid , 1639). 5. M. de Humboldt, Voyage, édit. in-8., t. IT, p. 318. 6. Idem, ibidem, p. 344; c’est le même mot dans la haute Guyane. Loc. cit., t. IT, p. 544. 7. Idem, ibidem, t. VIE, p. 3. 8. Idem, ibidem, t. I, p. 375. 9. Idem, ibidem, t. VII, p. 183. 10. Idem, ibidem, t. VII, p. 362. 11. Idem, ibidem, p. 181. Une nation nommée Paresi vit aussi, à ce que nous avons appris, au nord de Diamantino, non loin de Matogrosso; serait-ce une tribu de cette même nation? 12. M. de Humboldt, Voyage, t. VI, p. 207. 13. Idem, ibidem, t. VIII, p. 316. 14. Idem, ibidem, 1. WI, p. 323. Ce mot surtout est important; car il se rattache à d'anciennes traditions sur l’origine des Guaranis. Homme améri “ain, ( 516 ) Nous n'avons pas toujours pu nous procurer les termes correspondans dans chacune des langues que nous venons d'indiquer; et par conséquent, 1l y a là beaucoup de lacunes à remplir; nous croyons néanmoins pouvoir déduire de la comparaison de ces mots entr'eux, la conséquence toute naturelle, que, si ces nations n’appartiennent pas au grand rameau guarani, il est au moins impossible de ne pas admettre qu’elles ont eu d'anciennes communications avec les tribus qui en dépendent, et même ont reçu dans leur sein des migrations assez considérables de la nation guaranie (peut-être sous le nom de Caribes'), pour que les principaux mots de cette langue aient passé dans celles des habitans des rives de lOrénoque et de ses affluens, ainsi que dans celles des peuples de Cumana. Si nous cherchons encore plus au nord des traces de ces grandes migrations, nous en trouverons de positives sur les nombreuses îles de l'archipel des Antilles; et quoique plusieurs auteurs aient voulu prouver que les Caribes (ou Caraïbes) sont venus du continent septentrional?, tous les faits démontrent, au contraire, que les guerriers qui subjuguèrent les habitans primitifs des Antilles, en y portant leurs lois, leurs cou- tumes, leur langage, sont des Guaranis, dont le mot Caribe n’est qu’une corruption, et qui, cédant à l'impulsion générale des migrations de cette nation du sud au nord, sont arrivés du continent méridional. Plus tard, nous chercherons à le démontrer par les mœurs. Suivons maintenant les traces que nous en fournit la langue caribe. 1. M. de Humboldt, Voyage, édition in-8,, t. IX, p.15, dit: « Partout à l’Orénoque nous « avons trouvé les souvenirs de ces incursions hostiles des Caribes : elles ont été poussées jadis « depuis les sources du Carony et de l’Evevato jusqu'aux rives du Ventuari, de PAtacavi et du « Rio Negro. ” Voyage, t VII, p. 251, 255, 441. 2. Petri Martyr, p. 6. Rochefort, Hist. nat. des Antilles, p. 351 (Amsterdam, 1665), les fait venir des Æpalachites de la Floride : il oublie, sans doute, que, p. 347, il signale une grande conformité de leurs mœurs et de leur langage avec ceux de la terre ferme, et que, p. 349, il à dit que les Caraïbes s'accordent dans leur prétention à descendre des Galibis des Guyanes. C’est sans doute en s’attachant à la première énonciation de Rochefort, que M. Bory de Saint- Vincent fait venir de la Floride les Caraïbes et les Galibis (l'Homme, deuxième édition, t. IF, p. 2, 3); erreur dans laquelle sont tombés plusieurs autres auteurs. GUARANIS DU PARAGUAY | OYAMPIS GALIBIS CARIBES ET FRANCAIS. GUARAYOS DE LA BOLIVIA, | DE CAYENNE. | DE LA GUYANE, ANTILLES J A RS) Prononciation Prononciation Prononciation Prononciation Prononciation L | espagnole. française. française. française. française. OBSERVATIONS. EEE ES ee Sorcier, médecin.|Paye'. Payé. 2 Piayé 1e ’ Kia neti ”. = Mer, grande ri- k Parana°. l . k : na. Ê Balana ‘. = vière. Parana pu Balana?. | | Ce Hot capital A CR . our la COoMpParai- Grand -père, le Tamoi'? Tamoï Tamoutairi {. |Tamoussi 5°. |[Itamoulou . Ro Patte en vieux du ciel. é Tamouchit. |Tamouco*. Tamou-cailou ”. meet grand-père. Jeune, enfant. |Raï'. Rahu”. |Rahu. 2 Heu. Raheu "? 3, AREA De Ty L ; ' Blanc (couleur). Lee SRE É G 1. 2 ) [Moroti?. Moroti. 2 £ Alouti ; Hu. Hou. À - Noir (couleur). Eu: PAT |Epi Gite bourone Ou louti ”. - = L - Arc. as L RER EE jo urupapa‘. Ouraba ° ?. Oulaba ? ,. = abas: raba. Épine. MES You. Gniou. Aoura°?. Nouv = Herbe. Caas: Caa. 2 Carara ’°. Kalao "? ‘, = Chaleur brûlante, (A raa '. Araa. PAM Brûler, chaleur Jour de chaleur, {Ara ali’. Ara ali. ({Carayeu‘. Accoleou ? San d’une partie, A 3 Araali”. Temps chaud. Fièvre chaude. (Ara cu. Ara cou. 4 TES k .(Aïka %. Manger. Manger. : Ep L Acarapii. , APE Me oiss RERO Taïca cani”. Mangeaille. Pleurer. Ayaceo'. Ayaceo. 2 È Aya kouaba ‘” 13. = Toi. Nde, ne*. Ndé, né. Ê Ne” Ne ‘4 ce catent dans . ë : B CAL 2 a comp. d. mots. I1 (pronom de compos.) Ndi, ni’. Ndi, ni. z INaee Ni’. pe. Bien, bon, plus, etc. (diction affirma- Gate Catou. = 2 Catou ”?. Diction afñirmat. tive la plus employée). . Qui ou que. [Aba ? Aba. z Anac°. Aba li”. 5 1. Dictionnaire guarani ( Tesoro de lengua guarani), par Antonio Ruiz. Madrid, 1639. 2. Mots empruntés au vocabulaire que nous avons formé de la langue guaranie, telle que la parlent les Guarayos du centre de la Bolivia. 3. Mots guaranis tirés d’un Dictionnaire manuscrit des Chiriguanos, du pied des Andes boliviennes. 4. Mots de la langue des Oyampis de la Guyane française, extraits du Vocabulaire publié par M. Leprieur, dans le Bulletin de la société de géographie (avril, 1834). 5. Biet, Voyage de la France équinoxiale en l'ile de Cayenne, p. 408, 421,219, 404, 431. 6. Boyer, Véritable relation de tout ce qui s’est fait et passé, etc., au voyage de M. de Bretigny (Paris, 1654), avec vocabulaire galibi, p. 416, 404, 408, 397, 421, 430, 425. 7. Pelleprat, Relation des missions des Jésuites dans les îles et dans la terre ferme, etc. (Paris, 1655), avec dictionnaire galibi, p. 16, 21, 22. 8. Laet, p. 641. 9. Dictionnaire galibi, etc. Paris, 1763 (compilation des autres auteurs), p. 17. 10. Barrère, Nouvelle relation de la France équinoxiale, p. 77. Paris, 1743. Il indique ce mot comme désignant une espèce de luzerne. 11. Les pronoms ni et ne se voient évidemment dans leur adjonction aux verbes. Voy. Diction- naire galibi, p. 205; Biet, Boyer, Pelleprat, etc. Le dictionnaire galibi, inséré par de Préfontaine, dans sa Maison rustique de Cayenne. Paris, 1763, est une compilation de plusieurs langues distinctes. 12. P. Raymond Breton, Dictionnaire caraïbe, p. 229, 436, 450. Auxerre, 1665. 13. Rochefort, Hist. nat. des Ant. (Rotterdam, 1565), avec dictionnaire caraïbe, p.573, 574, 575, 576, 580, 581. 14. Ces pronoms se trouvent indiqués et joints aux verbes. Voyez Dict. caraïbe, p. 369 et 377. 15. Voyage à la Guyane et à Cayenne, fait en 1789 et suivantes, avec vocab. galibi, p. 372. Homme ameri “ain. (518 ) Nous espérons que la comparaison des différens mots de ce tableau en fera recon- naître la source commune, ou tout au moins y accusera la présence de la langue guaranie; car, s'il n’en était pas ainsi, pourquoi la mer, les grands fleuves porteraient-ils les mêmes noms, depuis la Plata jusqu'aux Antilles, depuis le rivage oriental de l'Océan jusqu'au pied des Andes? Il est évident, que s’il n’y eût eu ni communication ni trans- migration, ou si les peuples eussent eu une autre origine, la mer aurait porté un autre nom aux Antilles. Pourquoi aussi ces mots, qui Liennent aux croyances religieuses, qui s'appliquent à des pensées abstraites, peut-être à des souvenirs historiques, remontant au berceau de ces peuples, les mots Tamoï, Itamulou, Tamou-cailou, e grand-père, le vieux du ciel, le Dieu, se trouvent-ils les mêmes? ainsi que le nom de celui qui le servait, le Paye, Piache, sorcier, prêtre et médecin tout à la fois? Pourquoi les substan- ufs, les adjectifs, les pronoms, les verbes, les adverbes, présentent-ils tout au moins des rapports immédiats, sinon toujours une identité parfaite de sons? Pourquoi le nom des armes est-il semblable, des armes, premier attribut d’un peuple guerrier; pour- quoi tous ces rapports évidens, si ces mots n’appartiennent pas à la même langue? Nous croyons que ces comparaisons acquièrent encore une plus grande importance, et décident tout à fait la question, quand on considère que cette langue se trouve, sans interruption, sur tous les points intermédiaires, comme nous l’avons démontré pour les Oyampis, pour les Galibis de la Guyane, pour les nations des rives de l’Orénoque; qu’elle se parle sur l'immense superficie du Brésil; que d’ailleurs, les Caraïbes eux-mêmes, d’après les traditions reproduites par les anciens auteurs, conservaient le souvenir de leurs migra- lions! et avaient, dans toutes les îles, un langage et des coutumes uniformes. ? Si maintenant, abandonnant les îles, nous repassons sur le continent méridional, si nous suivons les rivages de la mer, en marchant vers le sud, pour arriver au point d'où nous sommes parti, nous y retrouvons, comme nous l'avons indiqué, des traces sensibles du passage des Guaranis. À la Guyane, les langues galibi5 et oyampi4 ne 1. Rochefort, loc. cit., p. 349, dit que les Caraïbes des Antilles s'accordent pour descendre des Galibis, et plus loin, p. 448 : «Ils ont la prononciation plus douce que les Caraïbes du « Continent; mais, d’ailleurs, ils ne diffèrent qu’en dialecte, » Raymond Breton, Dictionnaire caraïbe, p. 229 : « Les Caraïbes disent qu’ils sont venus du con- « tinent pour conquérir les îles. » 2. Oviedo, Coronica de las Indias. De la Historia general de las Indias (1547), liv. XVI, fol. CLIT, dit, à propos de la Jamaïque : « De los ritos y ceremonias de la gente de la isla de « Santiago, no hablo, porque, como he dicho, en todo tenia esta gente la costumbre y manera que « Los Indios de la isla de Hayti y de Cuba.” («Je ne parle pas des rites et cérémonies des « babitans de l'ile de Santiago (Jamaïque), attendu qu’en tout, comme je l'ai dit, ils avaient « les coutumes et les manières des Indiens de l'ile d'Haïti et de Cuba. ») Rochefort, p. 448, dit : « Tous les Caraïbes des diverses iles s'entendent entr’eux. » C’est aussi ce qu'écrit l’auteur du Dictionnaire caraïbe, le père Raymond Breton. 3. Voyez tous les Dictionnaires galibis que nous avons cités à propos de notre tableau. 4. Voyez le Dictionnaire oyampi publié par M. Leprieur, dans lequel on reconnait la langue guaranie à peine altérée. (319 ) sont que des dialectes peu différens de la langue primitive, et là des-tribus entières Homme sont déjà guaranies. Plus au sud, sur la côte du Brésil, se trouvent partout des indices "7 du guarani: les noms de rivières, de montagnes, tout ce qui tient au sol, porte encore sur les cartes des dénominations qui appartiennent à cette langue, et sur le territoire on parle presque en tous lieux la /engua geral, qui n’est autre que le guarani. D'ailleurs, les descriptions des peuples et les Dictionnaires publiés par les anciens auteurs, nous en donnent une preuve on ne peut plus concluante!. À l'embouchure de l'Amazone?, à Pernamboucÿ, et de là jusqu’à Rio de Janeiro; de ce dernier point à l'ile Sainte- Catherine’, et en suivant la côte jusqu’à la Lagoa dos Patos et Lagoa Mirim£, au 34. degré de latitude sud, il n’y avait presque partout que des tribus de Guaranis. 1. Os quaes ainda que estejam divisos, et aja entre elles diversos nomes de nacôen, todavia na semelhanca, condicam, costumes, et rilos gentilico todos sam hüûs. (Car quoiqu’ils soient divisés en plusieurs nations qui ne portent pas le même nom, leur figure, leurs mœurs, leurs coutumes et leurs cérémonies religieuses sont absolument les mêmes.) Historia da provincia Sancta- Cruz, p. 33 (Lisbonne, 1576), et traduction française de M. Henri Ternaux, p. 108. Nous devons à la complaisance toute particulière de M. Ternaux la connaissance de l'original de cet ouvrage, des plus rare. M. Noyer, Mémoire sur les naturels de la Guyane, 1824, p. 10, dit que la langue galibi s'étend sur toutes les Guyanes. 2. Padre de Acuña, Æmazonas, chap. 68. 3. Marcgrave, Historia naturalis Brasiliæ (1648), liv. VITE, p. 282, le prouve par les tribus des Tapuyis des environs de Pernambouc, dans lesquelles on retrouve les noms de Cariri vasu (les grands Guaranis), et de Cariri jou (Guaranis jaunes), etc.; et, d’ailleurs, tout ce qu'il dit de leurs mœurs s’y rapporte parfaitement. Le dictionnaire qu’il reproduit, d’après le père Joseph Anchieta, liv. VIII, p. 276, est conforme au Dictionnaire de la langue guaranie, qui se parle au Paraguay. Ce Dictionnaire est celui du père Antonio Ruiz. Pernambouc vient de Paranambu. Les Tupinambas, les premiers habitans de Pernambouc , étaient aussi des Guaranis (Roteiro geral, chap. 150), et couvraient une grande partie de la côte. (Corografia Brasilica, 1. V, p. 92, 112, etc.) 4. Voyage de Magellan, relation de Pigafetta, p. 15. Voyez dans notre Voyage dans l'Amérique méridionale, partie historique, t. 1, chap. 2, p. 28, ce que nous avons dit des habitans primitifs des environs de Rio de Janeiro, appartenant tous, sans aucun doute, à la nation guaranie. Voyez Roteiro geral, chap. 58. Brito Freyre, liv. 1, n° 61. Voyez Memorias historicas de Rio de Janeiro, Wv. T, chap. 1. Expe- dicion de Mendo da Sa (1567 ). Schmidel, édition de Buenos-Ayres, dit, p. 6, que les Tupis de Rio de Janeiro, vus par lui en 1531, avaient une langue peu différente des Carions du Paraguay. Tapis est le même mot que Tapès, nom des premiers habitans de Corrientes et des missions. 5. Comentario de Alvar Nuñez Cabeza de Baca (Barcia, Historiadores primitivos, p. 5). Rui Diaz de Guzman, p. 5. 6. Rui Diaz de Guzman, #rgentina, p. 4 et 5. Homme ameri- “ain, ( 320 ) On voit done que la nation qui nous occupe s’est étendue depuis les rives de la Plata jusqu'aux Antilles, c'est-à-dire du 34° degré de latitude sud au 23.° degré de latitude nord, ou sur l'immense surface de 1,140 lieues marines du nord au sud. Elle habite, de l’est à l'ouest, des côtes du Brésil au pied des Andes boliviennes, entre le 37." et le 65.° degré de longitude ouest de Paris, ou 560 lieues marines. En donnant ces points extrêmes comme limites des Guaranis, nous ne voulons pas faire entendre que la nation couvre entièrement de ses tribus la superficie qu'ils renferment, superficie à peine au-dessous de celle de notre Europe; aussi devons-nous chercher à distinguer la patrie originaire des Guaranis, le lieu où ils sont autocthones, des contrées qui n’ont été qu'envahies ou partiellement occupées par leurs hordes guerrières. . D'après nos propres observations, d’après les faits consignés dans les Hfétoriens du temps de la conquête du nouveau monde, nous devons supposer que la nation guaranie habitait primitivement tout ie sud du Brésil, du bord de la mer à la Laguna Mirim, où elle confinait vers le sud, avec les Charruas de la Banda oriental de la Plata, dont elle élait séparée par la Sierra de San-Ignacio, qu’elle suivait vers l’ouest, couvrant toutes les provinces actuelles du Rio Grande do Sul?, de Santa-Catalina 5, de San-Paulo#, de Rio de Janeiroÿ, ainsi que la plus grande partie de Minas Geraës, et, sous le nom de Tupi- nambas et Tupis6, ete., presque tout le littoral du Brésil7, où elle enveloppait souvent, vers le nord , des tribus qui lui étaient étrangères. Sur les possessions espagnoles les Guaranis occupaient en entier, sous le nom de Tapës, les provinces des missions, celles de Corrientes, le sud du Paraguay9, sans jamais passer à l’ouest de la rivière de ce nom. Telle est, à 1. Rui Diaz de Guzman, p. 4. 2. Vasconcellos, Chronica da compania de Jesus do estado do Brasil, iv. 1, n° 62, sous le nom de Carios; on les appelait aussi Cariges, le même nom que ceux du Paraguay. , Rui Diaz de Guzman, p. 4. . 3. Comentario de Alvar de Nuñez Cabeza de Baca (Historiadores primitivos de Barcia, p. #, à). ui Diaz de Guzman, p. 5. 4. Comentario, etc., p. 8. Rui Diaz de Guzman, p. 7, 8, 15. . Memorias historias de Rio de Janeiro, por Pizarro e Araujo, t. V, liv. 1, chap. 1 , n° 18. Schmidel, p. 6, 55. 6. Voyez Corografia Brasilica. Padre de Acuña, Æmazonas, chap. 68. 7. A lengoa de que usan toda pela costa he huna (la langue qu’on parle partout sur la côte est une). Pero de Magalhanes de Gandavo, Historia da Sunta-Cruz, p. 33. Lisboa, 1576. Voyez Vasconcellos, (. 132. 8. Rui Diaz de Guzman, p. 7. Gonzalo de Doblas, Memoria historica, geografica , politica, ete., de la provincia de Misiones, écrite en 1785, imprimée en 1836 à tee p- à. VER Corografia Brasilica, Y, p. 157. C’est sans doute une dénomination corrompue de Tupis. 9. Rui Diaz de Guzman, p. 2. Padre Guevarra, Historia del Paraguay, Rio de la Plata y Tucuman , p. 96, 6. (321 ) peu près, l'extension primitive de la nation guaranie, telles sont du moins les provinces où, tout en se divisant en une multitude de tribus distinguées par divers noms, elle formait un corps compacte d’hommes parlant tous la même langue, et se rattachant, sans aucun doute, à une origine commune. Passons aux migrations des Guaranis, aux routes qu’ils ont pu suivre, et cherchons le point où ils se sont arrêtés. Presque toujours stationnaire, l’homme que la nature a placé au sein de forêts épaisses, ne saurait se représenter des régions lointaines; aussi croyons-nous que trois circonstances locales distinctes peuvent seules engager un peuple à voyager, en lui révélant l'étendue du sol qu’il habite : 1.° le littoral de la mer dont le vaste horizon lui montre sans cesse des terres nouvelles : à peine a-t-il doublé un cap, qu'il en découvre un nouveau, et l'éloignement même de cette terre, qu’il distingue à peine, lui inspire le désir de la connaître; 2.° le cours d’un fleuve qui, par le volume de ses eaux, lui dévoile une extension immense, une contrée inconnue, qu’il poursuit soit en le remontant, soit en le descendant; 3. enfin, une plaine qui, facilement fran- chie, lui permet d’apercevoir au loin des collines, des montagnes, annonçant un pays nouveau. Stimulés par l'espoir de montrer leur courage, par le désir de conquérir de nouvelles compagnes, dont la possession était un honneur, les Guaranis ont émigré, en suivant les trois routes que nous venons de tracer. Vers le sud, nous les voyons s'arrêter au lac Mirim, parce que les fiers Charruas, plus guerriers qu'eux encore, les empèchaient d’atteindre les rives de la Plata; mais des provinces, des missions de Corrientes ou du Paraguay, ils ont descendu le cours du Paraguay et du Parana, et sont venus, par tribus, s’enclaver au milieu des nations belliqueuses des plaines. Cest ainsi, sans doute, que, sous le nom de Gualachos\, ils ont habité les îles du Rio de Coronda, au-dessous de Santa-Fe; que sous celui de Caracaras? ils se sont fixés à Santi-Espiritu; au Baradero, sous celui de Timbuëès et sous celui de Mbéguas 5; et qu’enfin ils sont arrivés jusqu'aux nombreuses îles qui obstruent la jonction du Parana et du Rio Uruguay, sur les bords de la Plata, près de Buenos-Ayres.4 C’est encore du Paraguay, mais à une époque connue (1541), qu’on vit un corps de 4,000 Guaranis traverser le Chaco, sous prétexte de fuir le chätiment dont les Portugais menaçaient les meurtriers d’Alexo Garcia®; et, franchissant les plaines, aller à près de 1. Argentina de Rui Diaz de Guzman, p. 10. Schmidel, p. 13. 2. Rui Diaz de Guzman, p. 10. 3. Idem, p. 10. Schmidel, p. 11. 4. Actas de la fondacion de Buenos-Ayres, en 1582, p. 28. Azara, Voyage dans l'Amérique méridionale, t. IH, p. 53. 5. Padre Fernandez, Relacion historial de los Chiquitos, chap. I, p. 4. 6. Padre Fernandez, Loc. cit., p. 4. Rui Diaz de Guzman, p. 17, 18. Lozano, Historia del gran Chaco, p. 67. IV. Homme. 4 LI Homme améri- cain. —————— (52 ) Homme deux cents lieues au nord-ouest se fixer, sous le nom de Chiriguanos, au pied oriental améri- “ain. ————— des Andes boliviennes, où nous les avons retrouvés. Enfin, peut-être antérieurement, les Sirionos des rives du Rio Piray, près de Santa-Cruz de la Sierra, sont-ils venus par la même route, ainsi que les Guarayos, que nous avons rencontrés au sein des forêts qui séparent les grandes nations distinctes des Chiquitos et des Moxos. La tribu qui paraît avoir habité au confluent du Rio Paraguay et du Rio Jaoru', a sans doute remonté le Rio Paraguay. Comme sur tous les points de la côte, depuis la partie primitivement habitée par les Guaranis, jusqu'à l'embouchure de l’'Amazone, nous reconnaissons des traces évidentes de cette nation, nous devons supposer qu’elle a suivi tout le littoral, et qu'ensuite, à diverses époques, soit antérieures, soit contemporaines à la con- quête, elle a, dans ses pirogues, remonté le grand fleuve et ses affluens, jusqu’au Yapura et la rivière de Madeira?. Ce sont encore des tribus de Guaranis qui, cédant à l'impulsion des migrations du sud au nord, ont suivi la côte; et, sous les noms de Galibis, de Caribes, ne pouvant s'arrêter dans leurs conquêtes, ont passé aux Guyanes, remonté l’Orénoque, et sont enfin arrivées aux Antilles, où les premiers Européens les ont rencontrés. Nous avons cru devoir nous étendre sur ce qui se rapporte au lieu d'habitation des Guaranis, leur extension et leur nombre leur faisant jouer le premier rôle parmi les nations américaines : ce fait, que le premier nous avons reconnu, jette, il nous semble, un grand jour sur les migrations des peuples. Avant de considérer la nation sous ses rapports physiques , nous ajouterons un mot sur les races avec lesquelles elle s’est trouvée en contact, et sur les nombreuses tribus qui la composent. Comme nous l'avons dit, elle avait pour voisins, au sud, les Charruas et les Que- rendis des Pampas ou Puelches; sur les rives du Parana, les Mbocobis, les Tobas; ces derniers encore sur les rives du Paraguay, où, au nord, différentes petites nations étaient enclavées dans son sein. Au Brésil, elle entourait aussi plusieurs nations distinctes, les Botocudos, par exemple, anciens Aypures, et beaucoup d’autres, dont nous ne traiterons pas, ne les ayant pas vues; tandis que, dans la Bolivia, ses tribus se trouvent entre les Quichuas, les nations du Chaco et celles de Chiquitos et de Moxos. Si nous voulons jeter un coup d’æil sur la synonymie des Guaranis, sur les noms que portaient au temps de la conquête et que portent encore leurs diverses tribus, nous serons réellement effrayé de leur nombre, et un volume de recherches suffirait à peine pour les discuter toutes convenablement; car la même tribu, changeant de lieu, de chef, changeait en même temps de dénomination : de là cette immense quantité de nations prétendues éteintes; puis chaque historien, selon la manière dont il avait l. Rui Diaz de Guzman, p. 14. 2. Hans Stade, Wahrhaftige Historia und Beschreibung einer Landschaft (Francfort, 1536), parle des Tupinambas. MM. Spix et Martius les ont rencontrés à Villa-Nova, et Texeira, en 1739, les trouva à l'embouchure du Rio de Madeira. (323 ) entendu le nom, selon l'orthographe qu’il lui donnait, en créait aussi de nouveaux, Homme ameri- cain. que les compilateurs reproduisaient en les copiant sans critique les uns les autres, en dénaturant eux-mêmes ces noms, et en ouvrant ainsi une nouvelle source d’erreurs. D'un autre côté, les Espagnols, les Portugais, les Français, les Anglais, les Hollandais, chacun suivant sa manière d'écrire, suivant le génie de sa langue, présentaient les mêmes dénominations sous une forme différente, ce qui les multipliait gratuitement. La meilleure preuve que nous puissions en donner, est la compilation, très-bonne d’ailleurs, qu’en a faite M. Warden, dans l’Art de vérifier les dates, où, pour le Brésil, ilindique 387 nationsi, et pour la Guyane française seulement 1042, ce qui en donne 491 pour les lieux où il y avait le plus de Guaranis. Nous ne croyons pas exagérer en établissant, d’après l'inspection de l’origine de ces noms de nations, que plus de 400 doivent appartenir à la nation gua- ranie, ne faisant que désigner des tribus dont les dénominations ont été dénaturées par l'orthographe. Si, indépendamment des noms de tribus déjà indiqués ,nous voulons donner une courte synonymie pour les lieux qui nous occupent plus particulièrement, nous verrons les Guaranis, sous le nom d’Arachanes, au Rio Grande do Sul5; de Mbéguas et de Timbuës, au Baradero; de Cardcards, au-dessous de Santa-Fe; de Tapès , à Misiones; de Carions, au Paraguay; de Guayanas, près de la grande cascade du Parana#; enfin, nous les avons retrouvés, sous celui de Guarayos, entre Moxos et Chiquitos en Bolivia; de Sirionos et de Chiriguanos, près de Santa-Cruz de la Sierra. Nous bornerons là cette nomenclature fastidieuse, pour embrasser un autre point de vue non moins embrouillé, celui du nombre actuel des Guaranis. En ne nous occupant que des lieux que nous avons visités ou qui les avoisinent le plus, nous voyons, qu’en 1612 Rui Diaz de Guzman * avait connaissance des chiffres suivans, sans doute approximatifs : Arachanes duifio) Grande: 0121 heu tea: 20,000 Guaranis dela; Tagoa. dos/Patos...smous.. #vemens ne 10,000 © Du Rio Ubar a San-Pablo.t, esse dd ne ent 2003000 Au Rio Paranà Pane et Aübijiba. . . . . .. ba gr maut00:000 Aux environs de l’Assomption du Paraguay . . . . .. . 27,000 A VEspititæSantoist::1ttaous NE APPRENTI 8000 365,000. 1. Art de vérifier les dates, t. XIII, p. 120 et suiv. 2. Idem, t. XV, p. 47. 3. Argentina de Rui Diaz de Guzman, p. 4. 4. Gonzalo de Doblas, Memoria historica, etc., sobre la provincia de Misiones, p. 51. M. de Humboldt, qui, près de Cumana, a rencontré une nation sous ce même nom, dit que la langue parait appartenir au grand rameau caribe. (Voyage, édit. in-8.°, p. 418.) Azara, Voyage dans l'Amérique méridionale, 1. W, p. 75, en fait à tort une nation distincte. 5. Voyez Argentina, p. 4, d, 8, 10, 97, 98. 6. M. d’Angelis, table du même ouvrage, met par erreur, sans doute, un zéro de plus, et donne 100,000 au lieu de 10,000. Homme améri- cain. ( 524 ) Ainsi cet auteur, sans parler des Guaranis du haut Pérou, élevait leur nombre à 365,000. Nous ne discuterons pas ce chiffre, qui nous semble, pour quelques points, un peu au-dessous de la vérité, mais qui, en revanche, est exagéré pour d’autres. En 1717, le père Fernandez! accordait à la seule province des Missions 121,167 Guaranis. En 1744, dans la même province, selon Gonzalo de Doblas?, on n’en comptait plus que 84,606, qui s'étaient élevés à 100,000 lors de l'expulsion des Jésuites en 1767, et à l'époque où écrivait l’auteur cité (en 1785), ce nombre était descendu à 70,000; mais si nous voulons rentrer en des limites plus modernes et plus exactes, nous les trouve- rons dans des chiffres donnés, en 1801, par Azaraÿ, auxquels nous ajoutons ceux des Guaranis du haut Pérou, dont nous avons eu des recensemens faits en 1831. Chrétiens. Sauvages. Total. Guaranis de la province des Missions et de Corrientes. 40,3554 2 40,355 — de la province du Paraguay . . . . . . . .. 26,7155 2 26,715 Chiriguanos de la Bolivia. . .............. 3,9666 15,000 - 18,966 Guarayos de Bolivia... 48 SES Lo DDn 100 1,100 Sirionos de.Boliÿia.:...t40e PRE ER z 1,000 1,000 Guaranis du, Bréail.:.:.. sa, SP RC ID URr 2 150,000 222,036 16,100 238,136 Abordons, enfin, la description physique des Guaranis. Leur couleur, dont nous avons pu juger sur un très-grand nombre d'individus, 1. Padre Fernandez, Memoria historica de los Chiquitos. Gonzalo de Doblas, Mem. hist. de la prov. de Misiones, p. 5. 2. Memor. historica sobre la prov. de Misiones, p. 5. 3. Voyage dans l’ Amérique méridionale, 1. I, p. 338 (tableau). 4. IL est positif qu'on ne pourrait retrouver les habitans de la province des Missions où il n'existe plus aucune bourgade; mais ils n’ont pu qu'être dispersés aux environs et non pas anéantis; aussi regardons-nous encore ce chiffre comme vrai. 5. Azara, dans ce recensement, n’a pas compris tous les Guaranis, à peu près aussi nom- breux, qui habitaient les villes et paroisses. 6. Nous n'avons pas non plus indiqué les Chiriguanos répartis sur les fermes et dans la ville de Santa-Cruz de la Sierra. 7. D’après les renseignemens recueillis à Lisbonne par M. Balbi, M. de Humboldt (Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent, in-8,°, t. IX, p.179, et 1. XI, p. 164) porte, en 1819, le nombre des indigènes brésiliens à 259,400 ; somme reproduite dans la Miscelanea hispaño-ame- ricana, & 1, p. 299. Si nous comparons ces données avec celles qui ont été publiées en 1822 par Veloso de Oliveira, t.[, 6. 4, lequel donne 800,000 Indiens sauvages et catéchisés, et aux rensei- gnemens que vient de nous communiquer M. le vicomte de Santarem, sur les notes que lui avait remises, antérieurement à ces époques , le père Damazo, conservateur de la bibliothèque royale de Rio de Janeiro, et d’après lesquelles les Brésiliens indigènes sont au nombre de 1,500,000, on trouvera si énormes les différences entre ces diverses sommes, qu’il en faudra conclure que nous n'avons encore rien de positif relativement à la population indigène du Brésil. Aussi, en donnant ( 525 ) tant à la frontière du Paraguay qu’en Bolivia, les distingue tout à fait des autres rameaux décrits : elle est jaunàtre, un peu rouge et très-claire'; c’est, en un mot, la teinte qu’on accorde généralement aux peuples océaniens, mais moins jaune que celle-ci. Elle n’a pas non plus cet aspect brun qui caractérise les peuples des montagnes et ceux des plaines. La nuance n’est pas partout la même, et nous avons observé que la localité influe beaucoup sur son intensité : les Guaranis de Corrientes et les Chiri- guanos de Bolivia ont une teinte infiniment plus foncée, parce qu’ils habitent les plaines ou des lieux découverts, tandis que les Guarayos et les Sirionos, qui vivent constam- ment au sein de forêts impénétrables aux rayons du soleil, ne le sont pas beaucoup plus que nombre d'hommes de nos contrées méridionales. La taille est en général peu élevée chez les Guaranis ? : dans les provinces de Corrientes et des Missions nous avons trouvé qu’en moyenne elle s'élevait rarement à 1 mètre 62 centimètres (5 pieds); les Chiriguanos nous ont offert des proportions un peu plus grandes, et chez eux il est rare de rencontrer un homme de { mètre 73 centimètres (5 pieds 4 pouces). Les Guarayos ont subi une modification qui tient peut-être aux conditions favorables d’existence des lieux qu’ils habitent 5; aussi atteignent-ils la taille moyenne de 1 mètre 66 centimètres (5 pieds 1 / pouce). Les femmes sont le plus ordi- nairement petites, et conservent des proportions souvent au-dessous de la taille relative que nous leur voyons en Europe; leur taille moyenne est de 1 mètre 490 millimètres #; la seule tribu des Guarayos fait encore une exception à cet égard; car chez elle la taille le chiffre de 150,000 comme Guaranis du Brésil, nous nous rapprochons davantage de la somme indiquée par M. de Humboldt, tout en étant bien certain d’être plutôt au-dessous qu’au-dessus de la vérité; car les provinces entières de San-Paulo et du Rio grande do Sul ne sont habitées que par des Guaranis. C’étaient aussi les premiers habitans de la plus grande partie du littoral de Pocéan atlantique jusqu'aux Guyanes, où ils se retrouvent encore, soit soumis, soit sauvages. 1. Oviedo , au seizième siècle, dans son Mémoire dédié à Charles V, De la Isla española. Barcia, Historiadores primitivos, chap. IT, p. 5, dit : Color loros claros (couleur jaune- clair). 2. Oviedo, De la Isla española. Barcia, Historiadores, chap. II, p. 5, dit: La gente de esta isla es de estatura algo menor que la de España. (Les habitans de cette ile sont de stature un peu moindre que celle des Espagnols). Chap. X, p. 12, il dit encore : « Estos Indios de tierra ferme « son de misma estatura y color que los de las islas.” (Les Indiens de la terre ferme sont de même stature et couleur que ceux des iles.) 3. La grande taille que M. de Humboldt ( Voyage, édit. in-8.°, t. IX, p. 11) a trouvée aux Caraïbes de l’Orénoque (de à pieds 6 pouces à 5 pieds 10 pouces), est sans doute une anomalie dans la nation, comme le croit cet illustre savant (1. III, p. 355); il faudrait admettre qu’ils se sont trouvés encore en des circonstances plus favorables, qui ont modifié la taille médiocre qui leur est propre. 4. La description que Rochefort donne (p. 351) des Caraïbes est parfaitement en rapport avec nos observations; il en est de même des relations suivantes. Quatuor Americi Vesputi navigationes. Navigatio prima de moribus ac eorum vivendi modis. Saint-Dié, 1507. Historia de colon., p. 20. Barcia, Historiadores primitivos. Homme améri- «ain. Homme améri ain. ( 326 ) des femmes se rapproche beaucoup de celle des hommes. Les formes du corps, chez les Guaranis, sont généralement on ne peut plus massives; la poitrine est élevée, le corps d’une venue, les épaules larges’, les hanches grosses, les membres très-replets, arrondis et sans muscles saillans; les mains et les pieds sont petits, Comparativement aux nalions des plaines, on reconnait de suite un Guarani à ses larges proportions. Les femmes présentent les mêmes formes; elles sont on ne peut plus massives, larges et courtes; elles ont tout ce qu'il faut pour être vigoureuses, pour résister aux travaux pénibles et pour être propres à la reproduction; leur gorge est toujours volumineuse et très-bien placée. Tels sont les caractères que nous avons trouvés chez les Guaranis des missions et parmi les Chiriguanos. Les Guarayos, au sein de leurs belles forêts humides, ont eu les leurs modifiés, sans doute, par l'influence locale, si puissante et si pro- ductive : les hommes et les femmes ont de belles proportions, presque européennes, quoiqu'un peu plus lourdes; la peau très-lisse et fine, le maintien en même temps fier el gracieux. Les traits des Guaranis se distinguent au premier coup d'œil de ceux des nations pampéennes : leur tête est arrondie, non comprimée latéralement; leur front ne fuit pas en arrière; il est, au contraire, élevé, et son aplatissement, dans quelques-unes des tribus, tient à des causes artificielles?. La face est presque circulaire 5, le nez court, très-peu large, à narines beaucoup moins ouvertes que celles des peuples des plaines; la bouche moyenne, quoiqu’un peu saillante; les lèvres assez minces, les yeux petits, expressifs, toujours relevés à leur angle extérieur, et quelquefois comme bridés à cette partie4; le menton rond, très-court et n’avançant jamais jusqu’à la ligne de la 1. Rochefort, Histoire naturelle des Antilles, p.351 (1665), dit, en parlant des Caraïbes, qu'ils sont de moyenne taille, et qu’ils ont les épaules larges; caractères parfaitement en rapport avec ce que nous avons vu. 2. Rochefort, Loc. cit., p. 437, dit, en parlant des Caraïbes, le front et le nez aplatis, « mais « par artifice et non pas naturellement; car leurs mères les leur pressent à leur naissance, et con- « unuellement pendant tout le temps qu’elles allaitent.” On trouvait encore des têtes aplaties chez les habitans de la Guyane. Barrère, p. 239. La même coutume avait lieu chez les Omaguas des îles du Maranhan. Corografia brasilica , t. II, p. 326. Oviedo, liv. IT, chap. 5. D'ailleurs Oviedo , au seizième siècle, disait qu’ils ont la frente ancha ( le front large). De la Española. Barcia, Historiadores primitivos de Indias, chap. IT, p. 5. 3. On peut voir des figures guaranies très-ressemblantes dans le beau Voyage au Brésil, par M. Debret, pl. 23, 24, 25. 4. Rochefort, Loc. cit., p. 351, dit des Caraïbes des Antilles : «Visage rond, ample, yeux « petits, noirs, aussi bien que les Chinois.» N'y a-t-il pas ici encore une concordance parfaite avec les Guaranis? M. Auguste de Saint-Hilaire a aussi reconnu le caractère des yeux relevés ou bridés à leur angle extérieur. Voyage, chap. XVII. ("527 ) bouche; les pommettes non prononcées dans la jeunesse, saillent un peu plus dans l’âge avancé; les sourcils sont bien arqués, très-étroits, les cheveux longs, droits, gros et noirs; la barbe, chez les tribus du Paraguay et des missions, ainsi que chez les Chiriguanos, se réduit à quelques poils courts, droits et peu nombreux au-dessus de la lèvre supérieure et au menton seulement. Nous nous sommes bien assuré que ce peu de barbe ne provient pas de la coutume de lépilation, comme chez beaucoup des tribus sauvages, l'ayant trouvée la même chez les Guaranis soumis au christianisme, et qui ont abandonné cet usage:, général parmi la nation ; mais un fait bien curieux est cette exception remarquable qui existe chez les Guarayos, tous pourvus d’une barbe longue qui couvre la lèvre supérieure, le menton et même le côté des joues2. Cette barbe pourrait se comparer à celle des Européens, si elle n’avait un caractère constant, celui de n'être jamais frisée, et d’être même aussi droite que les cheveux. La présence d’une barbe fournie chez une tribu de cette nation presque imberbe, serait-elle encore la suite de l’influence locale, qui amène, comme on l’a vu, tant d’autres modifica- üons physiques ? Nous serions tenté de répondre affirmativement; car il nous est bien prouvé, par les recherches que nous avons pu faire sur les lieux, que ce fait ne résulte pas du mélange de cette tribu aux races européennes, avec lesquelles elle n’a jamais eu de contact. Nous avons pu remarquer aussi combien la position morale influe sur la physionomie des tribus d’une même nation. Au Paraguay et à Corrientes, les Guaranis soumis, presque esclaves des colons, ont l'air triste, abattu, l’indifférence peinte sur les traits, et ne montrent extérieurement ni passions ni vivacité dans la pensée5. Les compa- rons-nous aux Guarayos libres? Nous trouvons, chez ces derniers, une figure inté- ressante, pleine de fierté, mais, en même temps, de douceur, et leur aspect dénote des hommes spirituels; tandis que les Sirionos et les Chiriguanos ont bien la fierté, mais non la douceur caractéristique des Guarayos. On voit, chez ces trois dernières tribus, chaque individu plein de la conscience de sa valeur personnelle, tandis que, dans les missions , l'esprit de servilité étouffe chez lui tout sentiment d’amour-propre et de dignité. 1. L'épilation avait lieu chez les Caraïbes (Rochefort, loc. cit., p. 439) et chez les Brésiliens. Voyez Pigafetta, Voyage de Magellan en 1519, p. 18, édit. française. Père Raymond Breton, Dictionnaire caraïbe, p. 240. Mugalhanes Gandavo, p. 34, dit la même chose. 2. C'est à tort qu'on a donné une barbe touflue aux Patagons et aux Guaranis du Paraguay. Les Patagons n’en ont pas; et Azara (t. II, p. 58), qui a donné lieu à cette erreur pour les Guaranis, dit seulement : « Les hommes ont quelquefois un peu de barbe, et même du poil sur « le corps.” Il est évident qu’il parle du peu de barbe cité par tous ses devanciers; et, quant aux poils du corps, c’est celui des parties sexuelles, qui en sont toujours pourvues, lorsqu'il ny a pas épilation. 3. Azara, Voyage dans l'Amérique méridionale, t. H, p. 60, représente tous les Guaranis comme ayant ce même aspect. On voit bien qu’il n’avait rencontré que des Guaranis soumis. Homme améri- ain. (528 ) Homme Les Guarayos seuls ont une figure mäle; les autres tribus ont toujours les traits effé- améri- vain. minés, ee qui tient probablement au manque de barbe. La langue guaranie n’est composée que de particules ou de monosyllabes combinées avec art, pour rendre même les idées abstraites; la réunion de ces particules, diverse- ment arrangées, forme les mots, variant autant que le besoin l'exige. Si les faits ne venaient prouver que la nation qui la parle n’a jamais été réunie en corps, quoiqu’elle occupàt une surface immense, on serait tenté de croire que la langue a été le produit des mûres réflexions d’une civilisation avancée, d’un esprit d’analyse réellement extraor- dinaire; mais, pour ne pas sortir icit du cercle que nous nous sommes tracé, nous ne nous étendrons pas davantage sur les principes, suivant seulement la marche compa- rative adoptée pour les autres langues. ' Le guarani, quoique rempli de sons prononcés du nez et de diphthongues, ce qui caractérise cette langue et la distingue facilement des autres idiomes américains, n’a que très-peu de gutturations, et peut même passer pour être assez douce. Les finales y étant presque toujours longues, elle est des plus accentuée. Les seules complica- tions de consonnes sont un peu dures; mais elles sont si communes, qu’elles peuvent faire reconnaitre immédiatement la langue à laquelle elles appartiennent : ce sont »#b et nd qui ont un son identique, résultant du mélange de l’une et de l’autre avant de faire sentir la voyelle qui la suit. Les mots finissent presque tous par des voyelles, notamment la et li; et seulement pour les infinitifs, et pour les adverbes nous trou- vons la terminaison en p ou en g, qui changent selon les cas. Nous avons dit que la langue contenait beaucoup de voyelles composées ; en effet, nous y reconnaissons, à chaque phrase, des sons en an, ain, en, on?, el enfin nombre de diphthongues que nous pouvons rendre facilement en français, maïs qui ont fort embarrassé les Jésuites espagnols5, Nous y voyons encore notre w, mais avec une prononciation nasale el gutturale intermédiaire entre celle de cette lettre en français, et celle de li 4; c'est même la langue où l’ se rencontre le plus souvent, et il y est toujours long. La gutturation du j espagnol n'existe pas dans la langue guaranie. Le son 1. On pourra voir, plus tard, notre travail spécial sur les langues américaines, dans lequel nous reproduirons les nombreux vocabulaires que nous avons recueillis. 2. Cette observation a été faite par tous les missionnaires jésuites; aussi Lozano, qui était un érudit dans cette langue, ne craint-il pas de dire : «Esta lengua es sin controversa, de las mas « Copiosas y elegantes que reconoce el orbe.” (Cette langue est, sans contredit, une des plus étendues et des plus élégantes du monde.) Historia de la compania de Jesus en la provincia del Paraguay, 1.1, liv. 11, chap. XIX, p. 259. 3. C’est précisément l'impossibilité de rendre ces sons avec les lettres espagnoles, qui, dans le Tesoro de la lengua guarani du père Antonio Ruiz, a contraint à employer cette multitude d’accens ou de signes de convention, dont on tient si peu de compte lorsqu'on cite ce vocabulaire. 4. Les Jésuites ont rendu ce son par 7; pour montrer qu'il devait se prononcer, en même temps, du nez et de la gorge, comme dans Paragua Y, la rivière du Paragua, corruption de Pay ‘Agua. ( 329 ) de lf, de l’/, du v, de l’x, y manque entièrement; celui du d est toujours joint à celui de l’r, comme »#d. Nous n’avons pas remarqué d’anomalie dans les noms des parües du corps. Il n’y a point de terminaison différente pour le pluriel et pour le singulier, dans les substantifs; et les adjectifs sont toujours du mème genre. La numé- ration est le nom des cinq doigts de la main; les Guarayos seuls ne comptent pas au- delà de dix : ce manque de connaissance des nombres dénote un défaut absolu de com- merce. La construction des phrases se fait ainsi : ad cherope, de aha, je vais; che, moi; ro, de og, contracté pour l’euphonie, et qui prend toujours l’r, pour rendre la phrase plus douce, maison (ma maison); et de pe, à, adverbe de mouvement. La traduction littérale est : Je vais moi maison à, qui veut dire, je vais à ma maison. Les Guaranis emploient beaucoup les contractions ou les additions de lettres, pour rendre les sons plus euphoniques:. Chaque tribu a plus ou moins modifié son langage; ainsi toutes les terminaisons’en #, sont changées en chi chez les Guarayos. Les Guaranis sont généralement bons, affables, francs, hospitaliers, faciles à per- suader, et suivant aveuglément un principe une fois adopté. On en a une grande preuve dans la manière dont ils reçurent les premiers Espagnols et les Portugais?, et dans la promptitude avec laquelle ils se soumirent à leur joug ou aux missionnaires#, tandis que d’autres nations, plus guerrières, plus jalouses de leur liberté, ne cédèrent jamais ni à la forcé des armes, ni aux efforts du prosélytisme, afin de garder leurs mœurs, leurs usages, et surtout pour ne pas servir des étrangers. Si nous prenions pour type les Guarayos que nous avons trouvés dans leur simplicité-primitive, nous dirions que les 1. Les deux langues, parlées l’une par l’homme, l’autre par la femme, chez les Caraïbes, attestent positivement qu’il y a eu invasion; et ce ne serait pas une preuve que les conquérans ne fussent pas des Caribes ou des Guaranis. Le père Raymond Breton explique ce fait d’une manière satis- faisante dans son Dictionnaire caraïbe, p. 229, en disant : & Les Caraïbes sont venus du con- « tinent pour conquérir les îles; ils tuèrent les hommes et gardèrent les femmes : de là l'origine « des deux langues. ” Voyez aussi Rochefort, p. 440. Barcia, Origen de los Indios del nuevo mundo, p. 172-175. 2. Voyez Comentario de Alvar Nuñez Cabeza de Vaca, p. 8, dans son Voyage de Sainte- Catherine au Paraguay, en 1541 (Barcia, Historiadores primitivos de Indias). Voyez Herrera, Dec. I, p. 28; premier voyage de Colon, 1492. Les habitans de la partie du Brésil vue par Cabral en 1500 , reçurent les Portugais avec une bonté toute particulière. Lettre de Pedro vas Caminha, Art de vérifier les dates, t. XII, p. 445 et suivantes. 3. Schmidel, édit. de Buenos-Ayres, p. 16, parle de la complaisance avec laquelle, en 1539, les Guaranis les aidèrent à construire le fort de l’'Assompcion. Guevarra, Hist. del Paraguay, p- 96, dit la même chose. 4. Padre Lozano, Historia de la compania de Jesus en la provincia del Paraguay, 1754 , t. 1.9, p. 57 et suiv. Pero de Magalhanes de Gandavo, 1576, tient le même langage sur les habitans du Brésil. Voy., cap. XL, p. 45. IV. l'omme, 4 2 Homme améri- cain. ( 350 ) llomme Guaranis sont ennemis du vol et de l’adultère, qu'ils punissent de la peine de mort. ! ameri- ain, Ils ne connaissent pas l'envie, sont bons pères, bons maris; et, dans leur état sauvage, ils admettent l'autorité patriarchale au sein de chaque famille. On retrouve la même hospitalité chez les Chiriguanos , et quoique les anciens écrivains les aient calomniés?, nous croyons qu'ils ont le même caractère; seulement on veut avoir tous les droits possibles de les vexer, sans les laisser se plaindre : ils ne demandaient que de la réciprocité dans les procédés; ne l'ayant pas obtenue, ils sont restés sauvages. Les Sirionos font excep- tion; ils fuient le contact des autres hommes, demeurant toujours au sein de leurs forêts. Ona surtout reproché aux Guaranis d’être cruels, sanguinaires; mais, si l’on veut fouiller les annales de l’histoire, ne trouvera-t-on pas, chez nos ancêtres, des coutumes atroces envers leurs prisonniers? Tout ce qu'on allègue contre les Guaranis, ne vient que d’un fait : la vengeance les portait, par représailles, à tourmenter les vaincus, et même, dans beaucoup de tribus, à les manger ?, après les avoir d’abord bien traités. C’est plus par- ticulièrement chez les Guaranis qu’existait cette coutume barbare, ce qui la fait attribuer à beaucoup d’autres nations qui en étaient innocentes; néanmoins l’anthropophagie n’avait lieu que pour les prisonniers de guerre, el n'allait jamais jusqu’à dévorer leurs enfans et leurs pères, comme l'ont prétendu quelques historiens exagérés#. Elle n’était pas com- mune à toutes les tribus des Guaranisÿ; elle a cessé dès l’instant de la conquête, et n’a 1. Herrera, Decad. 1, p. 29. Les Caribes des Antilles ne volèrent rien à Colon, lorsqu'un de ses navires fit naufrage en 1492, à son premier voyage. Oviedo, Historia general de las Indias, 1547, lb. V, cap. IF, fol. 4, dit aussi que les habitans d'Haïti châtiaient rigoureusement le vol. 2. Garcilaso de la Vega, Coment. real de los Incas, lib. VII, p. 244. Padre Fernandez, Relacion historial de los Chiquitos, etc. 3. Geraldini, ltinerarium , p. 186. Hist. venet., 1551, p. 83 : Insularum partem homines incolebant feri trucesque, qui puerorum et virorum carnibus, quos alüs in insulis bello aut latrocinüs cœpissent, vescebantur; à Jœminis abstinebant cannibales appellati. Pero Magalhanes Gandavo, 1576, p. 40. Pigafetta, Voy. de Magellan en 1519, p. 17, dit que les Brésiliens ne mangeaient que leurs ennemis. C'était aussi la coutume primitive des Guaranis du Paraguay (voy. Comentario de Alvar Vuñez Cabeza de Vaca (1541), p. 15; Barcia, Historiadores primitivos de las Indias, et Schmidel, p. 15) et à la côte ferme: voyez Oviedo, De la Isla Española; Barcia, Hist. primit. de Indias , cap. X, p. 15, dit que les Caribes de Carthagène et de la plus grande partie de la côte avaient cette coutume. 4. Vespucci, p. 91. Herrera, Decad. 1, p. 13. L'auteur du Nouveau monde et navigations faites par Améric de Vespuce (Paris, 1316), dit naïvement, en son vieux français, feuillet CVIIT : De ceste chouse soyez asseurez parequil a esté veu, le pere avait mengé ses enfans et ses femmes, el iay congneu ung homme auquel iay parlé, lequel se diuulguet avait mangie plus de troys cens corps humains. 5. Les Guarayos ne paraissent pas avoir jamais été anthropophages, et beaucoup d’autres tri- bus du Brésil sont dans le même cas. ( 331 ) été présentée comme existant toujours que par quelques voyageurs plus amis de l’extraor- dinaire que de la vérité. L'anthropophagie n'avait lieu en effet que sur le territoire occupé par les Guaranis, et ne s’étendait pas sur la partie occidentale de l'Amérique méridionale. Le fond du caractère des Guaranis est peu gai; on ne voit point chez eux cette hilarité de tous les instans qu’on remarque chez les Chiquitos : toujours sérieux dans leurs discours, ils sont réfléchis, parlent peu; ils ont cependant des jeux et des fêtes , et sont néanmoins loin d’être tristes. Quoiqu’on en ait voulu faire des êtres pusillanimes!, leurs longues migrations, leurs conquêtes, leurs guerres contre les Espagnols, prouvent qu'ils ont, au contraire, du courage?, et surtout beaucoup de résignation. Les mœurs des Guaranis sont presque identiques dans toutes leurs sections. Divisés par petites tribus, par familles, ils se fixent toujours au bord d’une rivière, d’un lac, à la lisière d’un bois, soit près des plaines, soit au sein des forêts : ordinairement ils sont sédentaires, agriculteursi et chasseurs en même temps; manière de vivre qui leur donnait une grande prépondérance sur les autres peuples simplement chasseurs. Les Guarayos se construisent de grandes cabanes souvent octogones#, avec une porte à chaque extrémité. Assez spacieuses pour contenir toute la famille, ce n’est que lors- qu’elles deviennent trop petites que les enfans les abandonnent, afin de s’en construire une particulière. Ils se marient jeunes. Le prétendu, dès qu'il a fait ses preuves d’apti- tude à la chasse ou à la guerre, se présente aux parens, qui l’admettent après quelques 1. Azara , Voy. dans l’Amér. mér., LI, p. 64: « Toutes les autres nations leur inspirent une « terreur panique; jamais ils ne leur font la guerre : je doute que dix ou douze Guaranis réunis « osassent tenir tête à un seul Indien des autres nations. » 2. Temerarias na guerra (téméraires à la guerre), Pero Magalhanes de Gandavo, Historia da provincia de Santa-Cruz, Lisbonne, 1576, p. 33 et 37. Il en était de même aux Antilles. Voyez Vida de Colon. Barcia, cap. 47 , 48. 3. Les Caribes des Antilles étaient agriculteurs. Voyez Oviedo, Historia, 1547, lib. V, cap. 1W; Herrera , Decad. I, lib. XI. Les Guaranis du Paraguay létaient aussi du temps de la conquête; voyez Comentario de Alvar Nuñez Cabeza de Vaca, 1541; Barcia, Historiadores primitivos de Indias , p. 5 ; ainsi que les Bré- siliens, Pero Magalhanes Gandavo, 1576, p. 36. 4. C’est la maison que décrit et figure Oviedo, Historia general de las Indias, lib. VI, cap. I, fol. LVTIT, comme étant celle des habitans primitifs de l’ile d'Haïti, aux Antilles. 5. Les maisons étaient aussi spacieuses aux Antilles. Voyez Herrera, Decad. 1, p. 24 (1492 ); premier voyage de Colon et Oviedo. Celles de la terre ferme étaient semblables. Voyez Herrera, Dec. 1W, cap. I, p. 198; Voyage d'Améric Vespuce (1499). Il en était de même à la Guyane. Wilson’s Account of Guyana; Purch. pilgr., vol. IV, p. 1263 et 1291; Barrère, Now. relat. de la France équin., p. 146 et 147. Au Brésil c'était la même chose, Lettre de vas de Caminha, voy. de Cabral (1500 ); rt de vérifier les dates, t. XI, p. 451 ; Pigafetta, Voy. de Magellan (1519), édit. franç., p. 16; Pero de Magalhanes (1576), p. 33. Homme améri- ain. (332 ) Homme formalités, à la condition qu'il fera des présens. Tous usent de la polygamie’, prenant amer «in une seconde femme quand la première est âgée; mais ils conservent toujours celle-ci comme la plus digne d'être respectée. C'est même ce désir d'avoir plusieurs femmes, grand honneur chez les Guaranis, qui les stimulait dans leurs invasions, dans leurs migrations guerrières, les prisonnières leur servant de concubines. C’est à tort qu’Azara les regarde comme tenant peu à la fidélité conjugale?; dans l'état primitif ils sont, au contraire, fort jaloux, et punissent de mort l’adultère$, Autant une jeune fille est libre de ses actions, autant, une fois mariée, elle est soumise à son mari; mais, chose singu- lière, il y a rarement entre les femmes une querelle sur la préférence que leur accorde le chef de la maison. C’est sur elles que retombe tout le travail intérieur; les hommes abattent les arbres pour faire un champ, tandis que leurs compagnes sèment, récoltent, transportent les produits à la maison et préparent des boissons fermentées pour les visi- teurs; car les Guaranis sont constamment les uns chez les autres, surtout les Chiriguanos, et chaque visite commence par des pleurs, en mémoire des parens morts4, puis amène des fêtes où les hommes boivent, et quelquefois dansent; mais toujours avec gravité. A la naissance d’un enfant, chez les Chiriguanos, c’est le père qu’on soigneÿ, tandis que la nouvelle accouchée ne suspend pas un seul instant ses travaux. L'enfant est élevé par ses parens avec la plus tendre sollicitude. Si c’est un garçon, le père lui enseigne le manie- ment des armes; si c’est une fille, la mère se charge de son éducation. À l'instant de la nubilité, la jeune fille doit subir quelques épreuves, souvent très-péniblest; d'autres fois on se contente de lui imprimer des stigmates sur la poitrine et de la tatouer 1. Cette coutume était générale aux Antilles (Oviedo , Coronica de las Indias , lib. V, cap. HE, fol. XLVIIT) à les chefs avaient jusqu’à trente femmes, ainsi qu'au Brésil (Pero Magalhanes, p. 34) et au Paraguay. Padre Montoya, Conquista espiritual en las provincias del Paraguay, ete., fol. 13. 2. Voy. dans l'Amér. mér., & H, p. 60 : &« Ils ignorent la jalousie.” C'était encore une suite du système de l’auteur. D'ailleurs il dit lui-même (p. 56) qu’il ne les a jamais vus que dans les missions , où ils ont changé leurs coutumes primitives. 3. Voyez ce que nous avons dit des Guarayos. Pigafetta, Voy. de Magellan, p. 20 , en 1519, trouva la même coutume chez les Guaranis des environs de Rio de Janeiro. 4. Montoya, Conquista espiritual en las provincias del Paraguay, ete., fol. 13. 5. Le padre Guevarra (p.17) dit, pour les Guaranis du Paraguay: Luego que paria la muger, el hombre ayunaba rigurasamente quinze dias, sin salir. (Aussitôt que la femme accouchait, le mari jeünait rigoureusement pendant quinze jours, sans sortir.) Montoya, Conquista espiritual, etc., 1639, fol. 13, dit la même chose. 6. Montoya, Congq. espirit., ete., fol. 14, parle d’un jeûne et des cheveux coupés à celte occasion. Padre Guevarra, Historia del Paraguay, écrite en 1770, imprimée à Buenos-Ayres, p. 16: Cosian las en una hamaca , dejando una pequeña abertura hacia la boca para respirar, y en esta poslura, las tenian dos o tres dias envueltas, y las obligaban a rigidisimo ayuno. (On les cousait dans un hamac, laissant une petite ouverture vis-à-vis de la bouche pour respirer; et dans cette posture on les tenait deux ou trois jours enveloppées, en les obligeant au jeûne le plus rigoureux.) (555) sur les bras : c’est une nouvelle occasion de réjouissances. À la mort d’un homme, on Homme le pare de ses vêtemens, de ses peintures de fête; il est enterré dans un vase de terre! +. ou dans une fosse garnie de clayonnage?, au milieu même de sa maison 5, où, pendant longtemps, avant le lever du soleil, la famille entière qui l’habite néanmoins, pleure, sanglote, en se rappelant ses vertus. Tous les Guaranis étaient cultivateurs par nécessité et chasseurs par goût : leur champ de culture, situé au sein des bois, leur fournissait abondamment de quoi se nourrir et de quoi faire des boissons fermentées. Sur le sol le plus fécond du monde, le travail en commun d’une famille pendant quelques jours procurait des vivres pour l’année; le reste du temps était employé à la chasse à l’arc et à la flèche, exercice dans lequel ils excellaient; en fêtes, en danses monotones et toujours sérieuses. Vivaient-ils loin des fleuves, loin de la mer? à cela se bornaient leurs occupations. Habitaient-ils au contraire près des eaux? alors, aussi habiles pêcheurs que chasseurs adroits, ils se construisaient des pirogues d’un seul tronc d'arbre creusé d’abord avec des haches de pierre et du feu, puis avec le fer que leur apportèrent les Européens; navigateurs intrépides, ils suivaient le littoral de la mer et devenaient pêcheurs à l’arc ou pêchaient en écrasant dans l’eau une racine, dont le suc étourdissait momentanément le poisson et leur per- mettait de s'en emparer4, ou bien remontaient ou descendaient les fleuves de leur voisinage; c'est mème, comme nous l'avons vu, ces routes qu'ils suivirent dans leurs migrations guerrières. Indépendamment de leurs armes, consistant en un are de quatre à cinq pieds, en flèches, en un casse-tête arrondi ou tranchant”, fait de bois de palmier, leur industrie se bornaït à la construction de leurs cabanes, de leurs pirogues, au tissage de leur hamac6 (dont toutes les tribus se servaient pour se coucher), et à celui du costume des femmes7. Ils s’occupaient beaucoup de leurs ornemens de plumes artiste- ment üssées, de colliers, de bracelets de diverses formes. Leurs meubles se bornaient à des bancs pour s'asseoir. La fabrication des vases de terre propres à contenir les bois- 1. Cet usage des Chiriguanos se retrouve sur les bords de lOrénoque (Humboldt, Foyage, in-8.°, t. VIH, p. 264) et chez les Coroados du Brésil (4rt de vérifier les dates, t. XUT, p. 214), et au Paraguay, voy. Montoya (1639), Conquista espiritual, etc. , fol. 14. 2. Cette coutume, que nous avons rencontrée chez les Guarayos, a été remarquée par M. de Humboldt à la Guyane espagnole, t. VIIT, p. 274. 3. On retrouve le même usage chez les habitans primitifs d'Haïti, Oviedo, Hist. gen. de las Indias, 1547, lib. V, cap. IF, fol. XLVIIL. 4. Ce genre de pêche que nous avons vu exécuter se faisait aussi à la Guyane et au Brésil. Piso, üib. IV, cap. LXXXVIII; Bancroft, Nat. hist. of Guyana, p.106. 5. Ces armes étaient aussi celles des naturels des Antilles. Herrera, Dec. 11, p. 35, 1493; premier voyage de Colon : Con arcos, y flechas, y espada de madera, de palma durisima. 6. La même coutume existait à l’ile d'Haïti en 1547 (voy. Oviedo, Historia general de Indias, lib. V, cap. I, fol. XLVII) , et au Brésil, Pero Magalhanes Gandavo, 1576, p. 36. 7. Aux Antilles Christophe Colon rencontra des tissus chez les habitans. Vida de Colon; Barcia, Historiadores primitivos, cap. XXIY, p. 22. Homme améri- can. ( 354 ) sons ou à placer les morts, était l'affaire des femmes, qui, bien qu'elles ne connussent pas le tour du potier, excellaient dans ce genre d'industrie, Les mèmes coutumes, la mème industrie existent encore aujourd’hui chez les Guaranis non civilisés, : Le costume était à peu près uniforme : à l’état primitif, les hommes allaient nus, ou se couvraient, seulement en voyage, les parties sexuelles; coutume encore en usage chez les Guarayos, et tenant sans doute à leurs croyances religieuses. Les femmes sont également nues, sauf une pièce de tissu qui leur couvre quelquefois des hanches à l'origine des cuisses?, ou même moins. Les Sirionos des deux sexes n’usent d’aucun vêtement. Qu'on ne croie pourtant pas que ces peuples n’aient affecté un certain luxe, même dans ce costume de la nature. Ils se couvraient le corps de peintures noires, rouges, jaunes, y mettant autant de rechercheÿ que les dames de nos cités peuvent en apporter à leur brillante toilette. Cétait la moitié du corps d’une couleur; des lignes longitudinales, transversales, des compartimens; mais toujours des lignes droites, et jamais de dessins qui représentassent des êtres naturels. Quelques tribus portaient et portent encore des bracelets, des jarretières dessinant leurs formes; des colliers, des boucles d'oreilles plus ou moins grosses; dans les fêtes, comme chez les Guarayos#, ils s'ornent la tête des plumes brillantes des oiseaux de leurs forêts, artistement tressées. Les uns ne coupaient jamais leurs cheveux; les autres, au contraire, se les coupaient carrément par devant, ou même se les enlevaient entièrement de certaines parties®. Le tatouage était connu, mais le plus souvent réservé comme signe de nubilité chez les femmes. Les hommes, pour montrer leur courage ou pour se rendre plus horribles à 1. Les Brésiliens vus par Cabral en 1500, Lettre de vas Caminha, Art de vérifier les dates, t AIT, p. 443, étaient absolument semblables aux Guarayos. Pero de Magalhanes, 1576, p. 36, dit la même chose, ainsi que Pigafetta, en 1519, édit. franç., p. 16, qui trouva les Brésiliens entièrement nus. Oviedo, Hist. de las Ind., 1547, lib. V, cap. LIL, fol. XLV III, rencontre les habitans d'Haïti également nus, et il le répète dans la lettre à Charles V. Barcia , Hist. primit. de Ind., cap. LIL, p. 6; Historia de Fernando Colon, p. 20; Barcia, Histor. primit.; Jean de Lery, Paris, 1578, p. 108. 2. C'était le costume des femmes de Pile Fernandina, vues en 1492 par Colon. Herrera, Dec. Z, p. 22 : Las mugeres cubrian las partes secretas con una faldeta de algodon desde el ombligo, hasta media muslo. 3. Les Brésiliens se peignaient. Lettre de Pedro vas de Caminha, 1500 , Art de vérifier les dates , t. XIIT, P- 449. Pigafetta, Foy. de Magellan, en 1519, p. 18. Il est curieux de remarquer le rapport des usages avec les migrations. M. de Humboldt, Voy., t. VI, p. 322, dit que ce sont les Caribes qui ont apporté, chez les peuples de lOrénoque, Pusage de se peindre; ce qui est parfaitement en rapport avec les faits que nous avons cités sur les migrations. Les Guaranis du Paraguay se peignaient aussi au temps de la conquête. Padre Guevarra , p. 12. 4. C'était également la coutume des premiers habitans du Paraguay, à ce que nous apprend Montoya, Conquista espiritual. .…. del Paraguay, 1639 , fol. 16. 5. Azara, Voy. dans l'Amér. mér., & W, p. 62, et les historiens du Brésil. ; (335) la guerre, se trouaient la lèvre inférieure pour y placer une pierre ou un os; coutume que nous avons encore retrouvée chez les Chiriguanos'. D’autres tribus plus guerrières se mutilaient toute la figure, afin d’y placer trois ou cinq ornemens de ce genre?, les uns aux côtés de la bouche, les autres aux côtés du nez, indépendamment des trous qu’elles se faisaient aux oreilles. Aujourd’hui les Guarayos ont encore le costume primitif, mais, lorsqu'ils visitent les missionnaires, les hommes se couvrent de tuniques d’écorce. Les Chiriguanos sont vêtus comme les colons montagnards, quoiqu'ils aient toujours la lèvre percée; et les Guarayos se passent encore des ornemens dans la cloison du nez.ÿ Cette nation, que nous avons vue couvrir une partie du continent méridional du nouveau monde; cette nation, à laquelle le nombre des individus qui la composent, et l'immense étendue superficielle du terrain qu’elle occupe, doivent assigner le premier rang parmi celles de l'Amérique, les Guaranis, le croira-t-on? n’avaient cependant aucun corps politique, aucune importance comme peuple; on peut dire même qu'ils n'avaient point de gouvernement; car, divisés et subdivisés en milliers de tribus distinctes, tour à tour amies et ennemies , selon les caprices de ces petits chefs de canton, maitres absolus chez eux, ou mème par suite d’un outrage personnel fait au représentant d’une nombreuse famille, ils ne pouvaient se réunir lorsqu'ils étaient menacés d’une guerre commune, ou de l’invasion des conquérans espagnols et portugais; aussi leur défaut d'ensemble les porta-t-il à se soumettre, dès le premier moment, à des hommes qui leur étaient si supérieurs, et dont l’union faisait surtout la force. Au Paraguay et dans tout le sud du territoire occupé par la nation, les Guaranis étaient on ne peut plus divisés4; et aucun chef, lors de la conquête, n’avait sous ses ordres une grande 1. C'était la coutume des Caribes des Antilles, en 1492, lors du premier voyage de Colon; Herrera, Dec. 1, p. 23. Voyez Vespuce ( Lettera al confalon. Soderini), Ramusio, t. 1, p. 131. Les Brésiliens avaient la même coutume. Voyage de Pedro Alvarez Cabral en 1500 , Lettre de Pedro vas de Caminha, Art de vérifier les dates, 1. XI, p. 449; Pero Magalhanes Gandavo , p. 34. Les anciens Guaranis du Paraguay avaient aussi cette coutume en 1535. Voyez Schmidel, p. 1à. 2. Cette coutume était répandue chez les Brésiliens vus par Magellan, en 1519, Pigafetta, p.19; chez les Guaranis du Parana , #rgentina de Rui Diaz de Guzman , p. 10. Ulderico Schmidel, p. 11, dit lavoir trouvée en 1535 chez les Tembucs de San-Pedro. Elle existait aussi à la côte ferme. Voy. Herrera , Dec. IV, p.98, Voyage d’Améric Vespuce en 1499. 3. Coutume également en usage chez les Caraïbes des Antilles. Dutertre, Histoire générale des Antilles, 1.1, p. 276, dit qu'ils s’y passaient les longues plumes de la queue des phaétons, Phaeton æthereus, Linn. 4. Voyez Padre Guevarra, Historia del Paraguay, p.9 : Mas facil seria multiplicar a mullares los reyezuelos, que los subditos de cada uno. Il en était de même au Brésil. Esta gente nam te entre si nhun rey ne outro genero de justica, sen& hû principal en cadu aldea. (Ces gens n’ont ni roi, ni souverain; cependant il y a un chef dans chaque village.) Pero de Magalhanes de Gandavo , Hist. da S. Cruz, Lisboa ,1576 ,p. 34; trad. franç. de M. Ternaux, p. 111. Oviedo, Hist. gen. de Indias, en dit autant des habitans d'Haïti. Homme améri- cain. 356") Homme circonscription. On s'étonne même que quatre mille Chiriguanos aient pu se réunir améri- ain. pour gagner le pied des Andes: il fallait probablement le passage de Garcias pour déter- miner cette réunion; mais il n’en est pas ainsi au nord du Brésil, où les Tapuyas!, les Zupis?, les Caraïbes purent former un corps assez considérable pour subjuguer toutes les autres nations qui se trouvaient sur leur passage, et arriver aux Antilles en traversant un pays habité. Les chefs sont héréditaires, n'ayant, néanmoins, en temps de paix, que le droit de conseiller et celui de diriger l'attaque en temps de guerre, habillés du reste comme tous les autres Indiens. S'agit-il d’une expédition? Les chefs subalternes se réunissent, discutent la question pendant la muit4; et le lendemain, après avoir pris préalablement un bain et s'être peints de nouveau, ils décident l’expé- dition à la pluralité des voix, désignent en même temps celui qui la conduira, et auquel tous les autres devront obéir. C’est alors surtout que les guerriers se défigurent pour faire peur à l'ennemi. - Plusieurs auteurs systématiques ÿ ont voulu prouver que les Guaranis n’avaient aucune croyance religieuse. Il eût fallu pour cela qu'ils ne fussent pas hommes; car nous avons rencontré une foi quelconque, ou tout au moins des coutumes qui en décèlent une, chez tous les Américains que nous avons été à portée d'observer. Pour se convaincre du fait, il ne s’agit que de lire les premiers historiens. La religion des Guaranis était simple comme leurs mœurs, et aussi douce que le caractère de quelques-unes de leurs tribus, si, comme nous en sommes convaincu, et comme nous pouvons même le prouver, elle était, sauf quelques modifications , presque identique sur tout l’immense territoire occupé par la nation, et pareille à celle des 1. Art de vérifier les dates, 1. XII, p.169; Diario da viagem , Roteiro giral, etc. 2. C'est la nation vue par Cabral, Lettre de vas de Caminha, Art de vérifier les dates, t. XI, p. 451. Damien de Goes, Cron., ch. LVI, p. 1; Corografia brasilia, W, p. 57, etc. Padre Guevarra, Historia del Paraguay, etc., 1770; imprimé en 1836 à Buenos-Ayres, p. 6. 3. Montoya (1639), Conquista espiritual en las provincias del Paraguay, Parana, ete., fol. 12, dit qu’il en était ainsi au Paraguay. Padre Guevarra, p. 11. Les mêmes coutumes étaient communes aux chefs des habitans des Antilles. Voyez Oviedo, Loc. cit, 1547, Ub. V, cap. 1F, fol. XLIX. Aussi à Cuba, Herrera, Dec. 1, lib. I, cap. XVI, et lib. IUT, cap. XLIV, p. 88. Vida de Colon, p. 32. Magalhanes de Gandavo, p. 34, en dit autant des Brésiliens. 4. Il en était de même chez les anciens Guaranis. Montoya, Conquista espiritual en las prov. del Paraguay, etc., fol. 16. 5. Azara, Voy. dans l'Amér. mérid., t. IT, p. 60 : «Ils ne reconnaissent ni divinité, ni récom- « penses, ni lois, ni châtimens.” C’est, au reste, ce qu'il dit de toutes les nations qu'il décrit, tout en prouvant le contraire de sa thèse par les faits mêmes qu'il allègue pour l’appuyer. M. d’Angelis, Table de La Argentina de Rui Diaz de Guzman, p. 41, en dit autant, sans doute d’après Azara. ( 337 ) Guarayos actuels. La religion, pour ces derniers, se réduit à révérer et non à craindre Homme un être bienfaisant, le Tamoï, le grand-père ou le vieux du ciel. Ce dieu, leur premier ” Fc ancêtre, après avoir vécu parmi eux, leur avoir enseigné l’agriculture, s’éleva vers le ciel, à lorient, et disparut, en leur promettant de les secourir sur la terre, et de les transporter, du haut d’un arbre consacré, dans une autre vie, où ils auraient abon- dance de chasse et se retrouveraient tous. C’est comme souvenir que les Guarayos, assis en rond dans un temple octogone?, frappent la terre avec des bambous, en chantant des hymnes 5, dans lesquelles ils engagent la nature entière à se revêtir de sa parure pour les aider à manifester l'amour qu’ils portent au Tamoï, auquel ils demandent de la pluie dans les sécheresses4 et abondance de récoltes dans la disette. Ainsi, non-seulement les Guaranis ont une religion, puisqu'ils révèrent leur premier père, mais encore ils admettent, ainsi que tous les hommes, la croyance consolante d’une autre vie. Cest afin d'y paraître dignement que les morts sont parés de tous leurs ornemens, qu’on les peint comme pour un jour de fête, que toutes leurs armes les accompagnent, et qu'on leur tourne la face vers l’orient, où ils doivent aller. Les Guaranis avaient de plus beaucoup de superstitions; leurs Payés (sorciers et médecins tout à la fois) exerçaient sur eux, particulièrement lorsqu'ils étaient malades, une puissante influence par leurs jongleries. 5 C'est aussi par suite de leur superstition que la nubilité de leurs jeunes filles, que la grossesse de leurs femmes étaient marquées par des jeûnes; que les hommes jeünaient à l’accouchement de leurs femmes, et qu’ils ne chassaient pas les bêtes féroces pendant leur grossesse. 6 En résumé, après avoir démontré que le nom de Caribe (Caraïbe) n’est qu'une cor- ruption du mot Guarani (guerre, guerrier); après avoir cherché à prouver, par la 1. Les Caribes des Antilles le connaissaient sous le nom de Tamou-caila ( Dictionnaire caraiïbe du père Raimond Breton, Auxerre, 1665, p. 450 ), ou d’/tamoulou (Rochefort, Histoire naturelle des Antilles, Rotterdam, 1665 , p. 573), et l’appelaient dieu, ancien, grand-père ou le vieux du cel. Peut-on trouver une identité plus complète de nom et d’application ? On le connaissait aussi au Brésil, où il donna son nom aux Tamoyos. Votes on Rio Janeiro, by J. Luccock, ch. X, London, 1820. 2. Le même temple était en usage chez les habitans d'Haïti, au temps de la conquête. Voyez Oviedo, Coronica general de las Indias (1547), lib. V, cap. IV, fol. 4. 3. Cette coutume se retrouvait dans les évocations des habitans primitifs de l’ile d'Haïti. Voyez Oviedo, Coronica general de las Indias, lib. V, fol. 45. 4. Un fait identique existait aussi aux Antilles. Oviedo, Loc. cit., lib. V, cap. IV, fol. 50. Les cérémonies des peuples décrits par l’auteur espagnol sont presque toutes semblables à celles que pratiquent aujourd’hui les Guarayos de l’intérieur de la Bolivia; fait on ne peut plus curieux et qui vient appuyer l'identité de nation. 5. Montoya, Conquista espiritual del Paraguay (1639), fol. 14, dit qu’ils guérissaient les malades au moyen de succions. Padre Guevarra, Historia del Paraguay, p. 27, 28, dit la même chose. 6. Padre Guevarra, Historia del Paraguay, p. 17. IV, Homme. 43 (358 ) Homme comparaison des langues, que les Guaranis ont poussé leurs migrations jusque sur les améri- can, rives de l'Orénoque et sur presque toutes les Antilles; après avoir signalé le mode de leurs migrations, les motifs qui les ont déterminées, et les traditions qui s’y rattachent, nous avons constaté une identité parfaite entre les Guaranis, les peuples brésiliens, les Caribes des Antilles, sous le rapport de leurs caractères physiques, de leur taille’, de leurs formes, de leurs traits. Passant ensuite aux rapports moraux, nous avons retrouvé cette même identité des Guaranis et des Caribes dans leur caractère, dans leurs lois, dans leurs coutumes privées, dans leurs usages, dans leurs mœurs, dans leur industrie, dans leur costume, dans leurs ornemens, dans leurs parures, dans leur gouvernement, dans l’hérédité de leurs chefs et dans leurs principes religieux. Si donc la comparaison faite et laccumulation des preuves que nous avons réunies démontrent au lecteur, comme à nous, qu'on ne saurait douter des migrations des Guaranis; si, comme nous, le lecteur admet qu'ils ont couvert une aussi grande surface du sol américain, il devra s'étonner qu'aucun écrivain, qu'aucun naturaliste, n'ait avant nous signalé ce fait; et peut-être nous saura-t-il quelque gré d’avoir, par un travail approfondi, tiré du néant la plus grande, la plus nombreuse des nations américaines, qui à elle seule occupait presque la moitié du continent méridional, et, néanmoins divisée et subdivisée à l'infini, w'avait aucun corps politique, ne formait, sous le rapport de la civilisation, qu'un dernier échelon, le plus rapproché de l’état sauvage. Avant de parler de la nation des Botocudos, nous allons donner quelques détails spéciaux sur différentes tribus des Guaranis. TRIBU DES GUARAYOS. La petite tribu des Guaranis qui porte le nom de Guarayos?, et dont aucun auteur n'a parlé jusqu'à présent, habite les immenses forêts qui séparent la province de Chi- quitos de celle de Moxos, non loin des rives du Rio San-Miguel (Bolivia), vers le 17. degré de latitude sud et le 66.° degré de longitude ouest de Paris. Les Guarayos sont bornés, au sud, par des déserts qui les séparent des Chiquitos; au nord et à l’ouest, par des forêts et par des marécages, qui les isolent entièrement des nations de Moxos. Divisés en trois petits villages et en familles répandues au sein des forêts, où néanmoins chacune est fixée, ils occupent une surface d’à peu près 40 lieues d’extension ou 1600 lieues de superficie. 1. Voyez les notes placées à chaque page sur la conformité des caractères physiques et moraux des Guaranis de ces divers points, au temps de la conquête. 2. Le nom de Guarayos, que les Indiens prononcent Guarayu, vient de Guara, tribu , nation, et de 74, jaune (tribu jaune), ou du moins plus pâle que le reste des Guaranis, ce qui est, en effet, très-vrai. (4595 Leur nombre est d'environ 1,100 àmes.1 Les Guarayos, par tradition, se rappellent encore être anciennement venus du sud-est (probablement du Paraguay), avoir eu pour amis les Chiriguanos, avec lesquels des brouilleries leur auraient fait ensuite rompre leurs relations, et cela peut-être depuis des siècles. Ce qu'il y a de certain, c'est qu’à partir du seizième siècle, ils n’ont pas changé de lieu d'habitation. Leur couleur jaunâtre est celle de la nation; mais, sous ce point de vue, ils sont extraordinaires; car cette couleur est si claire, qu'il y a peu de différence entr’eux et les blancs un peu bruns; elle contraste surtout avec celle de leurs voisins les Chiquitos. Leur taille, qui n’a rien de particulier, comparée à celle des nations pampéennes, est remarquable pour la nation guaranie. Les hommes ont généralement plus de 1 mètre 66 centimètres (5 pieds { / pouce); mais nous n’en avons pas vu au-dessus de 1 mêtre 73 centimètres (5 pieds 4 pouces). Les femmes ont aussi de belles proportions, et il semble que la nature si vigoureuse, si productive dans le pays qu'habite la nation, ait influé sur l’espèce humaine; car ces Guarayos, placés à côté des Guaranis du Paraguay et des Chiriguanos, sont bien mieux proportionnés. En effet, on trouve chez eux, dans les deux sexes, un extérieur presqu’européen, quoiqu’un peu plus massif; leur corps est robuste, leur maintien noble, ouvert; leurs formes sont gracieuses, et nous ne craignons pas d'avancer que, de tous les Américains que nous avons observés, les Guarayos sont ceux qui nous ont le plus frappé par tous leurs caractères physiques et moraux. Il est fàcheux d’avoir à dire qu’un excès d’embonpoint défigure souvent les deux sexes, et que chez les femmes, après la première jeunesse, la gorge, qu’elles ont si bien placée et si bien faite, devient beaucoup trop volumineuse et la taille trop grosse. Quant aux traits, les Guarayos sont on ne peut mieux: leur figure arrondie, presque circulaire, est toujours douce et intéressante; le nez est court, peu large, la bouche moyenne; les yeux, de médiocre grandeur, sont expressifs, spirituels, toujours légère- ment relevés à leur angle extérieur; le menton est rond, le front assez élevé; les sourcils sont bien arqués, les cheveux noirs, longs et lisses; mais ce qui les distingue des autres Guaranis, et même des autres Américains, C’est, chez les hommes, une barbe longue, souvent fournie, qui couvre tout le menton, la lèvre supérieure et une partie des côtés des joues. Cette barbe pourrait être comparée à celle de la race européenne, si elle n’était constamment droite au lieu d’être frisée; anomalie on ne peut plus remarquable au milieu d’une nation presque toujours imberbe, et qui nous semble difficile à expliquer, à moins qu’elle ne soit due à l'influence des lieux. Le langage des Guarayos est le guarani, et nous avons été étonné de le trouver peu différent de celui du Paraguay et de Corrientes, où nous avions appris les 1. Ce chiffre est celui qui nous a été donné , pendant notre séjour au milieu de cette tribu, par un missionnaire (le père Lacueba) , qui depuis neuf années vivait chez elle et cherchait à la convertir au christianisme. Il résulte de recensemens faits aussi bien dans les villages que dans les forêts et dont la rigoureuse exactitude nous a été garanlie par les caciques. Hornme améri- «ain. Homme améri- can, ( 540 ) termes les plus usuels de cette langue. En effet, depuis au moins trois siècles que les Guarayos ont abandonné les autres Guaranis, leur langue n’a subi que de très-légères modifications, qui tiennent seulement à la prononciation, et n’ont été que des change- mens de terminaisons des mots, La particule chi, par exemple, y remplace toujours le ti de la langue primitive, mais on ne peut guère y noter que quelques autres variantes aussi peu remarquables. Le caractère, chez les Guarayos, répond parfaitement aux traits. Ils offrent le type de la bonté, de l’affabilité, de la franchise, de l'honnêteté, de l’hospitalité, de la fierté de l'homme libre, qui regarde tous les autres comme au-dessous de lui, même les Chrétiens, parce qu'il les croit esclaves, et parce que ces derniers ont des vices inconnus d'eux, le vol et l’adultère; aussi, bons pères, bons maris, quoique graves par habi- tude, se croient-ils, dans leur état sauvage, au sein de l'abondance, les plus heureux des hommes; et tout ce qu'ils craignent dans l'avenir, c’est qu’on ne les force à changer de manière de vivre. Leurs vieillards sont des patriarches, l’oracle de la famille, et trouvent chez les enfans le respect et la soumission. Leurs mœurs sont aussi paisibles que leur caractère est doux; ils se divisent soit par petites familles au sein des forêts, soit par familles plus grandes en villages, près ou au milieu des bois impénétrables, où ils sont fixés. Les Guarayos se construisent des cabanes spacieuses, allongées, de forme octogone, qui par un singulier rapproche- ment sont les mêmes que celles des Caraïbes d'Haïti au temps de la conquête. Ils y vivent en particulier, s'occupent d'agriculture et se délassent à la chasse. Ils se marient jeunes; mais usent presque tous de la polygamie, à mesure que leurs premières femmes deviennent ägées. Ils sont on ne peut plus jaloux; l’adultère est puni de mort; aussi les femmes, si libres lorsqu'elles ne sont pas mariées, changent-elles de conduite dès qu'elles s'engagent ou du moins que leurs frères disposent d'elles; car c’est à eux et non à leur père qu’elles appartiennent, et ceux-ci les font payer cher par les prétendans, qui les prennent ou pour femmes ou pour un temps déterminé. Le mariage est simple: celui qui veut se marier, peint de la tête aux pieds et armé de sa Macana, va pendant plusieurs jours se promener autour de la maison de celle qu’il recherche; et, un jour de boisson, les prétendus consomment le mariage. Jamais, dans leurs ménages, on n'entend de querelle; l'envie n'étant pas connue entre les familles, il est rare qu'ils aient des différens. Toujours stimulés par des boissons fermentées, ils aiment la danse. L'industrie des Guarayos consiste en la construction de leurs maisons, solidement bâties en bois et artistement couvertes en feuilles de palmier; mais, si l'édifice a une cerlaine apparence extérieure, le mobilier y répond peu, consistant seulement en hamacs de fil de coton pour se coucher, en bancs pour s’asseoir, en vases nombreux fabriqués par les femmes, pour contenir les boissons fermentées, dont ils sont avides, et en armes : arcs de six pieds, flèches de quatre, et casse-têtes à deux tranchans. 1. Voyez Historia general de las Indias, par Oviedo, édit, de 1547, lib. VI, fol. 59, où est représentée une de ces maisons, : ( 341 ) Les armes sont faites par les hommes, les femmes tissent les hamacs et en général les costumes, qui sont d’un tissu original, mais très-grossier. Ils se font, avec des troncs d'arbres creusés, des pirogues qui ont jusqu’à trente pieds de long, sur un pied et demi de large. Le labourage est toujours un instant de plaisir. L’Indien qui a récolté beaucoup de maïs fait faire de la Chicha par ses femmes, et invite tous ses voisins à venir travailler et boire, tandis que, nonchalamment étendu sur son hamac, il dirige les travailleurs, qui, dans une demi-journée, achèvent la tâche, et passent le reste du temps à boire et à danser. Le costume est peu varié : les hommes vont entièrement nus par préjugé religieux, et ceux-là seulement qui communiquent avec les Chrétiens se couvrent quelquefois d’une tunique sans manches, faite d’écorce de ficus; les femmes sont également nues, sauf une bande de tissu de coton qui pend des hanches jusqu’à mi-cuisse. Les deux sexes se couvrent le corps de peintures noires ou rouges, exécutées avec assez de goût. Comme signe distinctif de la nation, ils portent des jarretières au-dessous des genoux; et, au-dessus de la cheville du pied, ils ont des colliers de verroterie. Lors des fêtes, les hommes s’ornent la tête de turbans artistement tissés avec les plumes les plus bril- lantes des oiseaux de leurs forêts; ils se passent des ornemens dans la cloison du nez.! Ils ne se coupent jamais les cheveux, qui tombent derrière la tête et sur les épaules; les femmes seulement se les équarrissent sur le front. Quelques lignes de tatouage sur les bras, ainsi que des cicatrices au-dessous des seins, annoncent la nubilité chez les jeunes filles. ; Leur gouvernement est tout à fait patriarchal. Chaque grande réunion de familles a son chef, dont les fonctions sont héréditaires; mais il n’a que le droit de conseiller en temps de paix, et de diriger les opérations à la guerre. Les Guarayos n’ont que deux lois sévères, l’une contre le vol, abhorré d’eux; l’autre contre l’adultère des femmes. Leur religion, simple comme leurs mœurs, est aussi douce que leur caractère. [ls révèrent un être bienfaisant, auquel ils doivent beaucoup, leur Tamoï? ou grand-père, qu’ils aiment sans le craindre. Ce dieu a vécu au milieu d’eux; il leur a enseigné l’agri- culture; et, avant de les quitter, leur a promis de les secourir, lorsqu'ils en auraient besoin, et de les transporter au ciel après leur mort; puis il s’est élevé, vers lorient, tandis que des anges frappaient la terre de tronçons de bambous, dont le son discor- dant flattait l'oreille divine. C’est en souvenir de cette ascension que les Guarayos ont des maisons octogones, où ils réclament l’accomplissement de la promesse du Tamoï. Des hommes entièrement nus, assis en rond autour de la maison consacrée, tiennent chacun un tronçon de bambou; le plus ancien, de la voix la plus lugubre et dans le 1. Voyez planche de Costumes n.° 9. Cet usage se trouvait chez les Caribes des Antilles; ceux-ci se passaient les longues plumes du paille-en-queue , suivant Dutertre, Histoire générale des Antilles, LIT, p. 276. 2. Voyez page 337. 3. Nous avons assisté à ces cérémonies lugubres, mais réellement imposantes. Homme améri- cain. ( 5342 ) Homme ton le plus bas, entonne une hymne, en frappant la terre, en mesure, de son bambou ; "ie les autres en font autant, les yeux fixés sur le sol, tandis que les femmes, debout = derrière, chantent aussi, en faisant des génuflexions en mesure. Ils demandent ainsi, en style poétique, des récoltes abondantes ou une pluie bienfaisante, et terminent loujours la cérémonie par des libations. Après leur mort, du sommet d’un arbre sacré, qu'ils plantent toujours près de leurs maisons, le Tamoï les enlève vers lorient, où ils ressuscitent et jouissent de tout ce qu’ils possédaient pendant leur vie terrestre. Lorsqu'ils sont malades, ils ont recours aux sorciers ou Payés, qui exécutent des Jon- gleries. Morts, on les enterre dans leurs maisons même, après leur avoir peint le corps comme pour un jour de fête. On leur tourne la tête vers l’est, on brüle leurs armes, el ils sont placés dans une fosse profonde, garantie de la terre par des clayonnages et par des branchages croisés’. Les parens jeûnent en signe de deuil. TRIBU DES CHIRIGUANOS. Le nom de Chiriguano? où Chirihuana, sous lequel nous avons trouvé une très-nom- breuse tribu des Guaranis au pied des derniers contreforts des Andes boliviennes, est-il le nom primitif de cette même tribu, ou celui d’une autre qui, après y avoir ancienne- ment vécu, aurait été remplacée par cette dernière ? C’est une question difficile à résoudre, mais que nous voulons néanmoins tächer d’éclaircir. Les Incas, sous Yupanqui, à peu près en 1430, cherchèrent à subjuguer les Chirihuanas; et Garcilaso de la Vega nous apprend$ qu’alors, assez nombreux pour ne pas être vaincus par les troupes quichuas, ils vivaient nus, sans maisons et étaient anthropophages; mœurs qui s'accordent assez avec celles des Sirionos, que nous décrirons plus tard4. D’un autre côté, suivant lasser- tion des historiensÿ, ne doit-on pas croire qu'un corps de Guaranis d’environ 4,000 . Oviedo (Historia general de las Indias, 1547, lib. V, cap. IV, 48) dit absolument la même chose des anciens habitans d'Haïti. 2. L'étymologie donnée dans les Lettres édifiantes (Choix), t. VIT, p. 247, serait trop forcée: elle viendrait de chiri (froid) en quichua, et de huanana (homme rebelle), et non, comme on le dit : le froid les tuera. 3. Comentarios reales de los Incas, lib. VII, p. 244. CSI . Voyez plus loin, page 347. 5. Padre Fernandez, Relacion historial de los Chiquitos, cap. I, p. 4. Lozano , Loc. cit., p. 57. Rui Diaz de Guzman (en 1612, imprimé à Buenos-Ayres en 1835), Historia argentina, p.15 à 17 : il dit que les uns furent à Tarija, les autres au Guapay. Il est curieux de voir, dans les Lettres édifiantes, t. VII, p. 247, attribuer cette migration à l'idée de ne pas se soumettre au christianisme; allégation tout à fait erronée. ( 343 ) àmes !, serait, après le meurtre d’Alexis Garcia, vers 1541, parti du Paraguay pour aller Homme s'établir au pied des Cordillères, soit dans la crainte d’être châtié par les Portugais, soit 3 parce que le pays lui aurait plu? Ces Guaranis sont bien certainement ceux qui habitent aujourd’hui les mêmes lieux; mais rien ne prouve, comme l’assure le père Lozano?, que ces nouveaux Guaranis aient entièrement anéanti les habitans qu'ils rencontrèrent; et l'unité de langage entre les deux sexes, le peu de corruption de la langue, le grand nombre de Chiriguanos actuels, nous donneraient la certitude que les Chirihuanas des Incas étaient aussi des Guaranis, auxquels se mêlèrent les nouveaux venus du Paraguay, ne faisant plus avec eux qu’une seule et même nation, qui dès-lors devint plus civilisée, se construisit des maisons, comme les Guaranis du Paraguay, et bientôt abandonna l’anthropophagie, que tous les auteurs attribuent aux Chiriguanos, quoique les relations des missionnaires prouvent au moins que dès 16905 ils avaient déjà abandonné cette coutume, répandue chez toute la nation des Guaranis, si toutefois on l'y a jamais appliquée à d’autres qu’à des prisonniers de guerre. Non-seulement les Chiriguanos habitent le pied des Cordillères du département de Santa-Cruz de la Sierra et de Chiquisaca, mais encore ils s'étendent sur le cours du Rio Grande, jusqu'aux premières forêts épaisses qui séparent la province de Santa-Cruz de celle de Chiquitos; cependant la plus grande partie est fixée au pied même des dernières collines des contreforts des Andes. Ils occupent, du 17.° au 21.° degré de latitude, et vers le 65.° degré de longitude occidentale de Paris, une immense surface de terram comprise entre le Rio Pilcomayo et le Piray. Ils sont divisés en villages nombreux dans les plaines voisines des bois. 4 Les recherches statistiques faites sur les lieux pour déterminer leur nombre, nous ont été faciles quant à ceux qui sont réduits au christianisme; mais il n’en à pas été ainsi pour la partie de la nation encore indépendante; néanmoins voici les résultats que nous avons obtenus : Chiriguanos réduits à la mission de Porongo. . . ....... 1,1735 — réduits à la mission de Santa-Rosa . . . . . . . . 800 — réduits à Bibosi de Santa-Cruz … + : . . . . . 2776 À reporter. . . . 2,749 me 1. Fernandez, loc. cit., p. 4. 2. Historia del gran Chaco, p. 57. Rui Diaz, Loc. cit., p.17, porte le nombre des Indiens détruits par les Chiriguanos à 100,000. Les Lettres édifiantes (Choix), t. VIE, p. 256, portent ce nombre à 150,000. 3. Padre Fernandez, Loc. cit., p. 12. 4. Le père Charlevoix donne aussi une copie de ce qui a été relaté par le père Fernandez, t. II, p. 221. 5. En 1787, sa population était de 1,701 âmes, selon Viedma , Informe de Santa-Cruz ( manus- crit dont nous possédons loriginal ). Homme améri- cain. TS O1 _ — sr Report. : . . 2,749 Chiriguanos réduits à Piray de la Cordillera . . ........ 252 — réduits à Cabezas de la Cordillera. . . . ..... . 421 — réduits à Abapo de la Cordillera. . . . . . . . . . 544 Toraz des Chiriguanos chrétiens. . . . . . 3,966: o ) Chiriguanos encore sauvages. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15,000 Toraz de la tribu. . . . . . 18,966 âmes. Il reste aujourd’hui, quoique le nombre en ait beaucoup diminué, près de 4,000 Chiriguanos convertis au christianisme, tandis que 15,000 environ sont encore à l’état sauvage. Nul doute que la nation entière ne se füt soumise aux conquérans, si ceux-ci n'avaient pas voulu commencer par lui faire entièrement abandonner ses coutumes, et l’astreindre à un travail auquel elle n’était pas habituée.2 La couleur des Chiriguanos, la même que celle des Guarayos, est jaune, un peu rougeätre, mais beaucoup moins claire que celle de cette dernière tribu; néanmoins elle est si loin de ressembler à celle des Indiens quichuas des plateaux, que, par rap- port à ceux-ci, les Chiriguanos sont presque blancs. Leur taille est très-ordinaire: les hommes ont, terme moyen, 1 mètre 62 centimètres (5 pieds); ils sont, dès-lors, au-dessous des Guarayos, mais plus grands que les Guaranis du Paraguay; leurs femmes conservent une laille relative. Les formes sont moins belles que celles des Guarayos, et ressemblent beaucoup plus à ce que nous avons vu à Corrientes et aux missions, c'est-à-dire qu’elles sont massives; leurs membres sont fournis, leurs épaules larges, leur corps est d’une venue; ils sont cependant loin d’être aussi lourds que les Indiens des races montagnardes. Leurs traits sont les mêmes que chez les Guaranis du Paraguay; seulement ils ont plus de fierté dans le regard, moins de servilité et moins de tristesse dans l'expression. Ils s’épilent avec soin la barbe à l’état sauvage; mais nous avons acquis, par les Chiriguanos chrétiens, la certitude qu’ils sont presqu'imberbes, et qu'ils ont à peine quelques poils aux moustaches et au-dessous du menton. 1. Ces chiffres sont le résultat du recensement rigoureux fait en 1832, tandis que nous étions à Santa-Cruz. Selon Viedma (/nforme, manuscrit) le total des Chiriguanos chrétiens était, en 1789, de 5,100 âmes, et celui des Chiriguanos sauvages (nombre approximatif) de 4,600 ; ce qui donne un total de 10,300 âmes, chiffre qui nous parait au-dessous de la vérité. D’un autre côté, Fernan- dez, en 1726 (p. 4), l’élevait à 20,000; aussi ne craignons-nous point, d’après beaucoup de don- nées recueillies dans le pays, de porter le nombre des Chiriguanos encore sauvages à 15,000, divisés au moins en trente villages. 2. Les premiers missionnaires furent envoyés en 1600 (Fernandez, p. 5); puis les Jésuites y entrèrent en 1686; mais la première mission n’eut lieu qu’en 1691 (voy. Fernandez, p. 21). Or les attaqua souvent pour les forcer à se convertir (Lozano, p. 226), et c'est ce molif qui a le plus contribué à les faire persister dans leurs anciennes idées. (345) Leur langage est le guarani très-peu altéré, et par conséquent peu différent de ce Homme améri- qu'il est aujourd'hui au Paraguay. La modification des figales # en chi semblerait ain. annoncer qu'ils sont venus à une autre époque que les Guarayos. Le caractère des Chiriguanos est un mélange de fierté sauvage et de soumission aveugle, lorsqu'ils ont une fois adopté un principe. Les Incas: et les anciens missionnaires? en faisaient des hommes terribles dans l’état de barbarie le plus complet, se mangeant les uns les autres, quand ils n’avaient pas de captifs, vivant sans abri, faux, inconstans, sans parole, sacrifiant tout à leurs intérêts. La vérité est que ce sont des hommes sensibles aux procédés, recevant les étrangers avec une hospitalité franche, cherchant en tout à leur être agréable; mais n’aimant pas qu'on abuse de leur complaisance, soit en violant envers eux le droit des gens, soit en cherchant à leur faire changer des coutumes qui font leur bonheur. Nous ne doutons pas qu’on n’eût fait des Chirigua- nos, comme des Guaranis du Paraguay, les néophytes les plus zélés, si lon se füt toujours montré juste envers eux; aussi regardons-nous les Chiriguanos comme des hommes réfléchis, doux, plutôt que méchans; bons pères, bons époux, et ayant entr'eux des mœurs tout à fait patriarchales. Ils sont divisés en un grand nombre de villages, placés dans les plaines qui avoisinent les bois au pied des dernières montagnes des Andes boliviennes. Agriculteurs et chasseurs, ils ont des cabanes spacieuses; leurs champs de culture sont dans les forêts : là, sans peine, ils grattent la terre plutôt qu'ils ne la remuent, y sèment du maïs, et quinze jours de travail par an, tout au plus, leur procurent une récolte assez abondante pour qu’ils aient des vivres, et même de quoi subvenir à leur luxe de boisson, pendant plus d’une année; d’où il résulte qu'ils passent la moitié de leur existence en visites de tribus à tribus, de villages à villages, et en fêtes, dans lesquelles ils jouent, dansent et boivent la liqueur fermentée du maïs. On comprend qu’une manière d’être aussi peu fatigante, ne les dispose pas à s’astreindre au christianisme, et qu'ils préfèrent leur liberté, leur abondance à la contrainte d’un travail forcé. Ils se marient jeunes, les chefs seuls usant de la polygamie; et une fois mariées, les femmes sont obligées à une conduite exemplaire, tout en obtenant de leurs maris des égards, qui ne vont jamais, néanmoins, jusqu’à les soulager du poids des travaux du ménage et des récoltes. Ils aiment les plaisirs, la danse, la société. La chasse n’est pour eux qu’un délassement, ou un reste de leurs coutumes pri- mitives. Naturellement peu belliqueux, ils n’attaquent pas; mais leur nation, toujours 1. Garcilaso de la Vega, Comentario de los Incas, p. 244, dit d’eux : Son peores que bestias Jieras, etc. (Ils sont pis que des bêtes féroces.) ; 2. Fernandez, loc. cit., p. 9. Lettres édifiantes (Choix) ,t. VIH, p. 256, il est dit : « Ils enlèvent les habitans, qu’ils emmènent « dans les terres, où ils les engraissent de même qu’on engraisse les bœufs en Europe; et après « quelques jours, ils les égorgent pour se repaitre de leur chair dans les fréquens festins qu'ils « se donnent. » Ce qui est évidemment faux. IV. Homme. + CSS Homme améri ain, ( 546 ) unie, a montré chaque fois qu'on l'y a forcée, qu’elle pouvait vaincre successivement les Incas, les Espagnols et les peuples voisins. Leur mariage n’est qu'une convention, souvent accompagnée de quelques cérémonies superstitieuses. Chez eux à lieu (comme on nous l'a garanti dans le pays, car nous ne l'avons pas vu) la singulière coutume en vertu de laquelle une femme, immédiatement après son accouchement, vaque à ses travaux comme d'ordinaire, tandis que son mari se met à la diète pendant plusieurs jours, couché dans son hamac, où, soigneusement garanti du contact de l'air extérieur, il devient l'objet de la plus tendre sollicitude. À la mort de l'un d’eux, on reploie ses membres, on place le corps dans un grand vase de terre? avec tout ce qui lui a appartenu, on l’enterre dans sa propre maison; et pendant long-temps toute la famille, avant le lever du soleil, pousse des gémisse- mens sur sa mort et rappelle ses actions avec douleur. Ceux d’entr’eux qui reconnaissent les lois du christianisme, sont en tout dévoués à leur nouvel état et asservis au système général des missions. Leur industrie se bornait anciennement à ce qui avait rapport à la chasse ou à l’agri- culture; ils ont pris aujourd’hui des Espagnols qui les entourent une partie de leurs habitudes de travail. Leurs maisons sont solides; leurs meubles tiennent le milieu entre l'état sauvage et la demi-civilisation des campagnes. Les femmes filent, tissent et font des vases à contenir les boissons. Les Chiriguanos élèvent des bestiaux, surtout des chevaux, qu’ils montent bien, avec un simple bàt de jonc; ils savent tanner les cuirs des animaux qu'ils tuent à la chasse. Leur costume est des plus simple : les deux sexes portent une pièce qui leur cache seulement le bas du corps; les hommes se couvrent, à cheval, d’un vêtement de cuir tanné, qui ressemble à celui des campagnards bretons. Les deux sexes aussi se peignent le corps et la figure de rouge et de noir, tandis qu’à l’homme seul est réservé l'honneur de se faire une ouverture à la lèvre inférieure, afin d’y passer la barbote, qui consiste en un bouton de plomb ou d’élain, de la grosseur d’une pièce de deux francs; lui seul encore peut s’orner la tête des plumes des oiseaux de son pays. Leur gouvernement est celui de caciques ou de chefs de famille, chefs de village, chefs de contrées; mais, quoique ceux-ci aient, en tout temps, le droit de réprimande, ils ne montrent leur pouvoir qu’à la guerre, et sont néanmoins toujours respectés; leur autorité est héréditaire. S'agit-il d’une insulte à la nation? Les chefs se réunissent de nuit, commencent par un concert de flûtes, dansent ensuite, puis se consultent et agitent la question. A la pointe du jour, ils vont se baigner (leur grand moyen pour se former le jugement), se peignent la figure, s’ornent de plumes, déjeünent et décident après ce qu'ils feront, à la majorité des voix. Leur religion paraît simple. Ils révèrent leurs ancêtres; et, autant qu'il nous a été permis d'en juger (car ils sont très-réservés sous ce rapport), ils n’ont réellement 1. M. de Humboldt à trouvé ces mêmes vases sur les bords de l’Orénoque (Foy, t. VIT, DEZN\- n0 1 © p.264); ce qui annonce des coutumes semblables. ( 347 ) aucun culte ostensible; ils se souviennent de leur premier père, auquel ils adressent quelquefois des demandes; croient à une autre vie, où ils seront toujours en fêtes; aussi, pour s'y présenter dignement, enterrent-ils avec eux tout ce qu’ils ont de plus précieux. Ceux qui ont adopté le christianisme ne sont pas plus dévots que ceux qui sont restés sauvages; ils n’ont réellement aucun véritable culte, ou demeurent fort indifférens à celui qu’ils pratiquent. TRIBU DES SIRIONOS. Moins nombreuse que celle des Guarayos, cette tribu vit au sein de forêts plus sombres encore, qui séparent le Rio Grande du Rio Piray, entre Santa-Cruz de la Sierra et la province de Moxos, du 17.° au 18.° degré de latitude sud et à peu près par 68 degrés de longitude ouest de Paris. Les Sirionos occupent une très-grande surface de terrain, quoique, d’après plusieurs captifs de cette tribu que nous avons vus à la mission de Ribosi, près de Santa-Cruz, leur nombre s’élève à peine à 1,000 individus. Aucun historien n’en a parlé; leur nom figure seulement sur quelques anciennes cartes des Jésuites; et, suivant les renseignemens que nous avons obtenus dans le pays, les Sirionos, ayant toujours, depuis la conquête, habité les mêmes forêts, sont peut-être les restes de ces anciens Chiriguanos, combattus vers le quinzième siècle par lInca Yupanqui!, et plus tard, obligés de fuir les Guaranis venus du Paraguay au com- mencement du seizième siècle?, lesquels prirent leur place, et, selon les historiensÿ, les anéantirent alors, Quoi qu'il en soit, on doit supposer que, bien antérieurement aux Chiriguanos, les Sirionos sont aussi venus du sud-est, et ont poussé leurs migrations jusqu’à ces contrées lointaines du berceau de la nation guaranie. Vivant sous les mêmes conditions que les Guarayos, ils en ont la teinte päle, à peu de chose près, la taille et les belles proportions, si nous en pouvons juger par le peu d'individus que nous avons vus. Leurs traits sont aussi les mêmes pour l’ensemble ; mais avec un air sauvage, craintif et une expression de froideur qu’on ne rencontre jamais chez les Guarayos. Ils ont l'habitude de s’épiler, en sorte que nous ne saurions dire s'ils auraient la barbe aussi fournie que ces derniers. Leur langage, comme nous nous en sommes assuré, est le guarani corrompu, mais pas assez, néanmoins, pour qu'ils ne puissent s'entendre parfaitement avec les Chiri- guanos. Quant à leur caractère, il diffère essentiellement de celui des Guarayos; ils sont si sauvages et tiennent si fort à leur indépendance primitive, qu’ils n’ont jamais voulu avoir de communications avec les Chrétiens. On n’a pu s’en approcher que les 1. Voyez Garcilaso de la Vega, Comentario real de los Incas, p. 244 et 226. 2. Padre Fernandez, 1726, Relacion historial de los Chiquitos, p. 4. Padre Lozano, Historia del Paraguay, cap. IT, lib. II. Lozano, Historia del gran Chaco, p. 57. 3. Lozano, loc. cit., p. 57, dit qu'ils mangèrent plus de 150,000 Indiens, chiffre sans aucun doute exagéré, comme beaucoup des allégations de cet auteur; Rui Diaz de Guzman dit 100,000. Homme améri- can. Homme améri- can, ( 348 ) armes à la main. Autant les premiers sont doux et affables, autant ceux-ci sont peu communicatifs. [ls vivent par familles éparses et errantes au sein des forêts les plus impénétrables, se livrant seulement à l'exercice de la chasse. Ils ne se construisent que des huttes formées de branchages, et ne connaissent aucune des commodités de la vie; tout annonce chez eux l’état sauvage le plus complet. Ils n’ont d’autre industrie que la confection de leurs armes, qui consistent en arcs de huit pieds de long et en flèches de mème longueur, dont ils se servent le plus souvent assis, s’aidant du pied et des mains pour les lancer avec plus de force; aussi ne doivent-ils chasser que le gros gibier. Les deux sexes vont entièrement nus, sans se charger en rien de vêtemens, ni même de peintures, et sans porter aucun ornement. Dans leurs courses journalières, ils ne font aucun usage de pirogues; s'ils ont une rivière à passer , ils coupent des lianes, les attachent à terre à un arbre ou à des pieux, qu'ils placent à cet effet, les enroulant autour des troncs d'arbres arrêtés par les courans au sein des eaux, et formant ainsi une espèce de pont, auquel les femmes s’ac- crochent pour passer avec leurs familles. Chaque fois qu’ils en trouvent l’occasion, ils attaquent les pirogues de Moxos qui remontent à Santa-Cruz, et tuent les rameurs, pour s'emparer des haches ou autres instrumens dont ceux-ci sont munis. C'est, du reste, tout ce que nous avons appris sur celle tribu, sans doute la plus sauvage de la nalion. TRIBU DES TUPYS. Azara? décrit sous ce nom une nation qu'il considère comme différente des Guaranis. Elle habite à l'est de la province des Missions sur les rives de l’Uruguay, vers le 27. degré de latitude sud. D’après les renseignemens que nous avons obtenus aux missions el de quelques Brésiliens de San-Paulo, ce ne serait pas une nation distincte, mais bien une simple tribu de chasseurs et d'agriculteurs, qui auraient conservé l'habitude de vivre au sein des forêts. D'ailleurs, le nom seul de Tupys est celui d’une des grandes sections des Guaranis primitifs5, et sans doute le même que celui des Tapès des missions espagnoles, TRIBU DES GUAYANAS. C'est encore une simple tribu des Guaranis, Ce que dit Gonzalo de Doblasé à ce sujet étant tout à fait concluant, Azara5 se serait encore trompé dans cette circonstance. 1. Voyez partie historique, Vues, pl. 19. 2, Voy. dans l’Amér. mér., t. I, p. 70. 3. Damien de Goes, Cron., p. 1, ch. LVI. Corografia brasilia, W, p. 57, etc.; padre Guevarra, Historia del Paraguay, 1770, p. 6; Gon- zalo de Doblas, p. 54. 4. Memoria historica, etc., sobre la provincia de Missiones, p. 51. 5. Loc. cit., p.75. FRS (SX à de) — NATION BOTOCUDO OU AYMORE. La première de ces deux dénominations vient de la langue brésilienne, et tient à l'habitude qu’a cette nation de se mettre un morceau de bois arrondi dans un trou de la lèvre inférieure; la seconde désigne, sans doute, l’une des principales tribus de la nation. Au seizième siècle! les Botocudos vivaient dans les capitaineries d’Ilheos, jusqu’à Porto Seguro, d’où ils faisaient une guerre cruelle aux colons portugais; ils habitent aujourd'hui dans l’intérieur, sur une surface parallèle à la côte de l’océan Atlantique, une zone comprise entre le Rio Doce et le Rio Pardo, du 18.° au 20." degré de latitude sud. N'ayant vu qu'un seul Botocudo, et n’ayant pas été dans le pays qu'habite cette nation, nous nous bornerons à citer nos observations personnelles, afin de suivre la marche que nous nous sommes imposée, renvoyant, du reste, pour de plus amples détails, aux savans ouvrages de MM. Spix et Martius, de M. Auguste de Saint-Hilaire et de M. le prince Maximilien de Neuwied. D’après les notes que nous devons à la complaisance de M. le vicomte de Santarem, le nombre des Botocudos ne s’élèverait pas au-dessus de 4,000 individus. La couleur jaunàtre des Botocudos nous a paru être en tout celle des Guaranis; mais, sans doute par suite de leur genre de vie au milieu des forêts, elle est un peu moins foncée que celle de la masse de la nation, et se rapproche davantage de celle des Guarayos. L’'individu que nous avons vu, de la taille ordinaire des Guaranis, leur ressemblait par ses formes et même par ses traits, sauf cette différence, que les pommettes nous ont paru plus saillantes, le nez plus court, la bouche plus grande, la physionomie plus sauvage, la barbe presque nulle, les yeux encore plus petits et plus obliques à leur angle extérieur; ce qui les fait ressembler beaucoup aux hommes de la race mongolique de Cuvier. Un vocabulaire que nous avons formé, en questionnant ce Botocudo, nous a prouvé, par à peu près deux cents mots, qu'il n’y avait aucune analogie entre sa langue et celle des Guaranis. Quelques sons demandent une prononciation nasale, mais aucun n’est guttural; et, sans l’extrême dureté des consonnes, on ne pourrait dire que la langue soit dure. Elle est fort accentuée, les finales en étant toujours longues; elle a quelques sons compliqués, comme ceux de nt et de {z, dont on prononce séparément les consonnes avant de faire sentir la voyelle qui les suit. Les trois quarts des mots finissent par une consonne : les plus employées sont Pl, l’a; les autres sont le c et le £, comme dans ie, oc, at. Les diphthongues sont très-communes, et nous retrouvons souvent tous les composés de voyelles que nous avons en français, on, ain, etc. L’u français n’est pas 1. Pero Magalhanes de Gandavo, Historia da provincia de Santa-Cruz, 1576, fol. 43. Homme améri- cain. ( 550 ) Homme en usage; mais le ck et le j de cette langue sont souvent indispensables pour bien améri- cain. rendre les mots, tandis que la manière dont on les prononce en espagnol n’est pas connue, Les lettres d, r,s, v ne sont pas non plus nécessaires; leur valeur phonétique ne se trouve pas dans la langue des Botocudos. Les noms des parties du corps ne présentent point d'anomalies. Nous ne pouvons rien dire des adjectifs, des verbes, ni du système de numération de cette langue, le manque d’interprète ne nous ayant permis de prendre à cet égard aucun renseignement positif. Le caractère des Aymores paraît rempli de fierté; mais, d’après ce que nous avons pu apercevoir, il est, à peu de chose près, semblable à celui des Guaranis; il en est de même de leurs mœurs et de leurs usages. Ils vivent au sein des forêts, par familles ou par petites tribus guerrières, qui aujourd’hui ont encore les coutumes primitives des Guaranis, tout en étant beaucoup plus sauvages. Ce sont les plus intrépides chasseurs à l'arc et à la flèche. Peu d’entr’eux se livrent à l’agriculture. En résumé, les Botocudos, bien que différant des Guaranis par le langage, se rattachent évidemment au même rameau que cette grande nation, par tous leurs caractères physiques de couleur, de formes, de traits. Il en est ainsi des coutumes et des mœurs. Si l’on prenait pour type l’inclinaison des yeux, ils seraient les plus parfaits du rameau; car leurs yeux, plus relevés à l’angle extérieur, leurs pommettes plus saillantes, leur teinte plus jaune, les font ressembler en tout aux hommes de la race jaune des côtes de la Chine. Ce sont, en un mot, des Guaranis dont les caractères physiques sont très- prononcés. NATION NUARA.: Cette nation, si toutefois elle n’est pas une tribu des Guaranis, nous paraît appartenir évidemment à la race guaranienne. NATION NALICUECA.? C'est le nom d’une nation indiquée par Azara comme vivant au 21. degré sud, à l'est de Xérès. Par le peu qu’en rapporte l’auteur espagnol , nous devons croire qu’elle appartient à la même race que les Nuaras. NATION GUASARAPO.S Cette nation nous paraît être dans le cas des deux précédentes : elle vivait à l'est du Rio Paraguay, vers le 19.° degré 46 minutes de latitude australe. . 1. Azara, Voy. dans l'Amér. mér., 1 WT, p- 77. 2. Idem, ibidem. 3. 1dem, ibidem, p. 78. ( 551 ) NATION GUATO.: Nous croyons qu’on peut aussi réunir avec certitude cette nation au rameau guara- nien. Azara, sans doute, a donné trop de créance aux rapports des Indiens, en les décrivant comme vivant au milieu des lagunes. Nous en avons beaucoup entendu parler par des habitans de Cuyaba, comme d’une nation d’agriculteurs, avec lesquels ils ont des rapports fréquens. NATIONS CABASA ET BORORO. Les Cabasas habitant les rives du Rio de ce nom, entre le Jaoru et le Rio du Para- guay, non loin de Matagrosso, ainsi que les Bororos des plaines voisines de ces deux rivières, nous paraissent également appartenir au même rameau, sans que nous puissions rien dire de positif sur leur langage. La plupart des nations du Brésil dont nous avons vu les portraits dans les beaux ouvrages de MM. Spix et Martius, de M. le prince Maximilien de Neuwied, de MM. Rugendas et Debret, appartiennent évidemment, par tous les caractères de leurs traits, à notre race brasilio-guaranienne. Tels sont les Bogres de la province de San-Paulo, les Camacans, les Puris, les Coroados et les Coropos. Quant aux Macuanis, aux Penhams de Minas- Geraes, aux Machacalis, aux Capoxos, aux Cataxos, aux Comanaxos des frontières de Porto Seguro et de Bahia, aux Cariris, aux Sabujas, aux Masacaras de Bahia; aux Geicos, aux Apogenicrans, aux Pimenteiras et aux Purecamecrans du Maragnan; aux Muras, aux Mundrucus, aux Uai- numas, aux Manaxos, aux Canna Mirim, aux Passes, aux Juris, aux Culinos, aux Catuguinas, aux Camperas, aux Maravas, aux Araquaxus, aux Cauixanas, aux Mariates, aux Maxurunas, aux Tocunas, aux Manaos, aux Bares et aux Cariays du Para et du Rio Negro, dont parlent MM. Spix et Martius, nous avons la certitude que presque tous appartiennent aussi à notre race brasilio-guaranienne, mais sans pouvoir dire si est comme nations distinctes ou comme simples tribus des Guaranis ou des autres grandes nations de la race. ‘1. Azara, Voy. dans l'Amér. mér., 1. I, p. 80. Homme améri- cain. L | LA K + LZ LA ù N : , . “s, * Fed »? & ê Y “ | LA LD t - FN 2 » d Ci, ." LL . LA * - 4° PAL ZT : e . € + CE (Me “': , \ $ . gt 1: ir t | Al + CE D | t 14 | LE e de dr Let sue SMS ss : ÿ L 38 À à : LL abaltis di à LT a ie . QA FHANE à 4 AN ( DE SE quil fe. #1 eur a PTE 148 AM) x * É vw sue ser Vi ’ LL ft in PAL je VIP N crea” AN à MON TTN TA cn “véi ete à 1j ue Ut bic ES hp -1v: 4 on RAA: | néfius st vs Mine MAINS + é | rs se a ce 21h + osier plie Lu "ar réf à + ie PR Tu lit PR 7 QU “is ua Dre" n" De LS pre “14, d% Hf x * .: . LL . .. . L] +, . ) +, - 7 » LR b mm 1 L à - "M TABLE ALPHABÉTIQUE Des noms de nations, de tribus, de leurs synonymies et des matières traitées dans cet ouvrage. 5e —— A B Abipones , nation du rameau pampéen. Pag. 240 | Barbe (généralités sur la). Pag. 62 Abondance, son influence. 49 | Bares, nation ou tribu du rameau guaranien. 351 Achekenat-kanet, malin esprit des Patagons. 220 | Baurés, tribu de la nation moxo. 291 Agaces, synonyme de la nation Payagua. 243 | Bauros, synonyme de la nation moxo. 291 Agriculture. 100, 132 | Bejosos, tribu de la nation mataguaya. 234 Aguilots , tribu de la nation mbocobi. 229 | Boanes, tribu de la nation charrua. 224 Aguitegnédichagas, tribu de la nation Samucu. 253 | Bogres, nation ou tribu du rameau guaranien. 351 Ameublement. 91 | Boroanos, tribu de la nation araucana. 177 Amulalaes , tribu du Chaco. 191 | Bororos, nation ou tribu du rameau guaranien. 351 Amusements. 95 | Boros, tribu de la nation chiquito. 259 Anal, Analeys, syÿnonymie de Mataguayo, 234 | Botocudo, nation du rameau brasilio-guaranien. 349 ANDO-PÉRUVIENNE. Race américaine. 117 | Bouche (forme de). 62 Antalli, ancienne tribu des Araucanos (note). 177 | Boxos, tribu de la nation chiquito. 258 AnTisten. Rameau de la race ando-péruvienne. 154 | Brasir10-GUARANIENNE. Race américaine. 311 Anli-suyo, partie est du royaume des Incas. 137 Apachitas, offrandes aux vents des Incas. 140 C Apogenicrans, tribu ou nation du rameau gua- Cabasas , nation ou tribu des Guaraniens. 301 ranien. 351 | Cachaboth, synonyme de la nation boba. 242 Apolista, nation du rameau antisien. 173 | Cadalu, synonyme de la nation lengua. 242 Aquilotes, tribu du Chaco. 191 | Cadigue, tribu de la nation payagua. 243 Arachanes , tribu des Guaranis. 323 | Calchaquies, tribu ou nation des pampas du Araken, génie du mal chez les Puelches. 223 grand Chaco. 191 Araquaæus, tribu ou nation du rameau guara- Caliazec, synonyme de la nation mbocobi. 229 nien. 351 | Callagaes, tribu ou nation du Chaco. 191 Araucana, nation du rameau araucanien. 177 | Callages, tribu de la nation abiponès. 2410 ARAUCANIEN. Rameau dela race ando-péruvienne. 175 | Calmelache, devin des Puelches. 223 Araucos, tribu de la nation araucana. 177 | Camacans, nation ou tribu durameauguaranien. 351 Architecture. 97, 133, 148 | Camocois, prètres de l’ancienne religion des Arianicocies, tribu ancienne des Chiquitos. 258 Moxos. 291 Armes. 134 | Camperas, nation ou tribu du rameau guaranien. 351 Arts, généralités. 96 | Canibaba-kilmo, génie malfaisant des Movimas 304 Arupores, tribu de la nation chiquito. 258 | Canichana, nation du rameau moxéen. 300 Atacama, nation du rameau péruvien. 151 | Caniciana, synonyme de la nation canichana. 300 Alenianos, tribu de la nation tacana. 170 | Canna Mirim (petit canna | en guarani |), tribu Auca, tribu de la nation araucana. 177, 178 ou nation du rameau guaranien. 351 Aucaces , tribu de la nation araucana. 178 Capoxos, nation ou tribu du rameau guaranien 351 Avagua, malin esprit des Mataguayos. 238 | Cardcard, tribu de la nation guaranie. 314, 321 Aveguediches , tribu de la nation fuégienne. 185, 205 | Caractère moral. 83 Aymara, nation du rameau péruvien. 141 | Caraïbe, synonyme de la nation guaranie 313, 315 Aymore, synonyme de Botocudo, nation du Careras , tribu ancienne de la nation samucu. 253 rameau guaranien. 349 | Cariays, tribu ou nation du rameau guaranien. 351 LV: Homme. 45 (564 ) Caribe, synonyme de la nation guaranie, Pag. 313, 315, 9317 Caribi, synonyme de la nation guaranie. Sn a Caricas, tribu ancienne de la nation samucu. 253 Carina, synonyme de la nation guaranie. 313 Carios , tribu de la nation guaranie, 314, 319 Cariris, tribu ou nation du rameau guaranien. 351 Caru, voyez Mythologie de la nation yuracarès. 166 Cataxos, nation ou tribu du rameau guaranien. 351 Caluquinas, nat. ou tribu du rameau guaranien. 351 Caucahues , synonyme de la nation patagone suivant Frener. 205, 214 Caucau, synonyme de la nation fuégienne. 185 Cauixanas, nation ou tribu du rameau guaranien 351 Cauqui, tribu ancienne des Araucanos (note). 177 Cavinas, tribu de la nation tacana. 170 Cayubaba, synonyme de la nation cayuvava. 305 Cayuvasa, nation du rameau moxéen. 305 Centres de civilisation. 105 Cercosis, tribu ancienne de la nation chiquito. 258 Chaimas, tribu citée à propos des Guaranis. 315 Chamanucas , tribu de la nation chiquito. 259 Chanas, tribu de la nation charrua. 224 Chanés , tribu de la nation mataguayo. 234 Chaoua , synonyme de Patagon, dans Bougain- ville. 207, 214 Chapacura, nation du rameau moxéen. 288 Charago, nation citée. 152 Charrua, nation du rameau pampéen. 224 Chasquis, courriers des Quichuas ou Incas. 135, 138 Chasse (État de la). 101 Chayavitos, nation du rameau antisien. 174 Chemin tracé dans les Andes, 134 Cheveux (description). 63 Chilenos, synonyme de la nation araucana. 178 Chimanis, tribu de la nation mocéténès. 167 Chimanisas , tribu de la nation mocéténès. 167 Chincha-suyo, partie nord du royaume des Incas. 137 CniquiTéen. Rameau de la race pampéenne. 245 Chiquilo, nation du rameau chiquitéen. 258 Chiriguanos, tribu de la nation guaranie. 314, 322, 342 Chirihuana , synonyme de Chiriguano. 342 Chonos, tribu de la nation araucana. 177, 178 Chontaquiros, nation du rameau antisien. 174 Chukira, malin esprit suivant les Itonamas. 299 Chumipis où Chumipies , tribu de la nation ma- taguaya. 191, 234 Chunchos, nation du rameau antisien du Rio Paro. 120, 174 Chunchu, dieu de la guerre des Yuracarès, Pag. 166 Chunipis, tribu de la nation mataguaya. 234 Cocoloth, synonyme de la nation lengua. 242 Codollate , tribu de la nation guaycurus. 214 Colla-suyo, partie sud du royaume des Incas. 137 Comanaxos, tribu ou nation du rameau gua- ranien. 391 Complexion. 67 Conis, tribu de la nation yuracarès. 161 Considérations géographiques. Ll Considérations physiologiques, 36 Considérations morales. 71 Contexture de la peau. 42 Corabéca, nation du rameau chiquitéen. 274 Coranos , synonyme de la nation samucu. 253 Coroados, tribu ou nation du rameau guaranien. 351 Coronados , tribu de la nation mataguaya. 234 Coropos, nation ou tribu du rameau guaranien. 351 Costume en général. 103 Couleur de la peau. 36 Coutumes, influences sur les formes. 58 Coutumes, généralités. nm 91 Covareca, nation du rameau chiquitéen. 271 Croyances religieuses. ’ 109 Cuchis, tribu de la nation yuracarès. 161 Cuciquias , tribu de la nation des Chiquitos. 259 Culinos , tribu ou nation du rameau guaranien. 351 Cunchès, synonyme de la nation araucana. 177 Cunli-suyo, partie ouest du royaume des Incas. 137 Curavés , nation du rameau chiquitéen. 272 Curucanécas, nation du rameau chiquitéen. 273 Curumatas , tribu de la nation mataguaya. 234 Curuminacas, nation du rameau chiquitéen. 270 L D Décès; statistique. 25, 32 Dents. 63 Dessin. 98 Diuihets, synonyme de la nation araucana. 177 Divisions en races, rameaux, nations. 5 E Écusgina, tribu de la nation abiponès suivant Azara. 240 Enfants par mariage. 22 Énimagas, nation du Chaco, tribu de la nation abiponès suivant Azara. 191, 240 ÆEnoo, tribu de la nation fuégienne. 185, 203 Éténès, synonyme de la nation yuracarës. 161 - (555) F Face (Description de la). Pag. 64 Facultés intellectuelles. 80 Formes : considérations générales. 54 Frentones, tribu du Chaco. 191 Front : généralités. 61 Fuégiens, nation du rameau araucanien. 185, 211 G Galgaisi, peut-être tribu de la nation guaranie. 314 Galibi, synonyme de la nation guaranie. 313, 317 233 Geicos, tribu ou nation du rameau guaranien. 351 Gentusés, nation du Chaco, tribu des Lenguas. 191, Gdoapidolgaté, dieu créateur des Mbocobis. 242 Gouvernements. . 105, 137 Gualachos, tribu de la nation guaranie. O2 Gualichu, génie du mal chez les Puelches. 223 Guana, tribu de la nation des Mataguayos. 234 Guanlang, synonyme de la nation mbocobi. 229 Guarani , nation de la race brasilio-guaranienne. 313 Guarañocas, tribu de la nation samucu. 253 Guarayo, synonyme de la nation iténès à Moxos. 307 Guarayo, synonyme de la nation chapacura. 288 Guarayo, tribu de la nation guaranie. 314, 317, 338 Guarayo, synonyme de la nation chiquito. 259 Guarayora, tribu de la nation chiquito. 259 Guarini, synonyme de la nation guaranie. 313 Guasarapos, nation du rameau guarani. 391 Gualoroch , jeu des Chiquitos. 264 Guatos, nation du rameau chiquitéen. 253, 276, 351 Guazoroca et Guazoroch, tribu de la nation chi- 259 323, 318 Guaycurus, nation du rameau pampéen. 243, 244 quito. Guayanas, tribu de la nation guaranie,. H Habitans par lieues carrées. 16 Huacanahuas , nation du rameau antisien. 174 Huachi, synonyme de la nation chapacura. 288 Huaïna capac, X.° Inca. Limites du royaume sous son règne. 137 Huara, génie bienfaisant des Pacaguaras. 310 Huarayus , peut-être synonyme de la nation - chapacuras. 288 Hualasis, tribu de la nation chiquitos. 259 Huiliches , synonyme de la nation patagone. 214 Huiliches, tribu de la nation araucana. 177 Huinca , synonyme de la nation araucana. 178 Humidité, son influence sur l'obésité. 57 I Ibirayas, tribu ancienne de la nation samucu. P. 253 Idaapa, bon génie des Cayuvavas. 306 Inaken , tribu de la nation patagone. 214 Inca, voyez Quichua. 119 Incanabacte, synonyme de la nation mbocobi. 229 Industrie : généralités. 96 Influence du lieu d'habitation sur la taille. 49 Influence du lieu d'habitation sur la couleur. 37 Influence de la température sur les religions. 114 Introduction. ] Jpiquayiqui, tribu de la nation guaycuru sui- vant Lozano. 244 Triabos , chefs de tribu de la nation chiquito. 264 Tsianias , tribu de la nation tacana. 170 Jsistines, synonyme de la nation mataguaya. 191 Isilineses , synonyme de la nation mataguaya. 234 Isitunch, dieu de l’eau des Chiquitos. 265 Iité, synonyme de la nation iténès. 307 Iiénés, nation du rameau moxéen. 307 Tlonama, nation du rameau moxéen. 297 J Juiadgé , tribu de la nation lengua. 242 Juris, tribu ou nation du rameau guaranien. 351 K Karaikes, tribu de la nation fuégienne. 185, 203 Kemenettes, tribu de la nation fuégienne. 185, 203 Kennekas, tribu de la nation fuégienne. 185, 203 Keyos, synonyme de la nation fuégienne. 185 Key-yus, synonyme de la nation fuégienne. 185 L Laguediches , tribu de la nation fuégienne. 185, 205 Langues : généralités (voir cet article à chaque nation). 71 Lengua, nation du rameau pampéen. 242 Lenguas, tribu des Abiponès suivant Azara. 240 Leuvuches, synonyme de la nation araucana. 177 Limites d'habitation, en tableau. 5 Lipes, synonyme de la nation alacama. 151 Llipi, synonyme de la nation atacama. 151 Lorigévité. 67 Lules , nation du Chaco. 191 M Mabatara ; nat. ou tribu des Pampéens du Chaco. 191 Macarañys , tribu de la nation chiquito. 259 Machacalis, tribu ou nation du rameau guara- nien, Pag. Machi, médecins des Araucanos. Machicuys, tribu de la nation mbocobi. Machui, nation du rameau antisien. Macuanis, tribu ou nation du rameau guaranien Magdalenos, synonyme de la nation mocélènes. Mages, tribu de la nation yuracarès. Maiauke , tribu de la nation cayuvava. Maidepurupine, idem idem. Maidibochoke , idem idem. Maidijibobo , idem idem. Maimajua , idem idem. Maimosoroya, idem idem. Mainaje, mauvais génie des Movimas. Maipures, nation citée à propos des Guaranis. Mairouaña, tribu de la nation cayuvava. Maisimae , tribu de la nation cayuvava. Maitacapac, XN. Inca. Limite du royaume. Maladies, remèdes. Malalquinos, tribu de la nation araucana. Malbalas où Malvalues, tribu de la nation mbo- cobi. 191, Mamil-mapu, tribu de la nation araucana. Manacicas , tribu de la nation chiquito. 258, Manaos, tribu ou nation du rameau guaranien. Manazxos, tribu ou nation du rameau guaranien. Mancocapae, 1.‘ Inca : son origine. Maniquies, synonyme de la nation mocéténès. Manopo, prêtre, devin des Chiquitos. Mansiños , tribu de la nation yuracarès. Maravas, tribu ou nation du rameau guaranien. Mariages pour habitans. Mariages. (Coutumes à cette occasion.) Mariates, tribu ou nation du rameau guaranien. Maropa, nation du rameau antisien. Masacaras, tribu ou nation du rameau guaranien Matacos , tribu de la nation mataguaya. Mataguaya, nation du rameau pampéen. Matahucas, tribu de la nation chiquito. Mataiminicas , tribu de la nation chiquito. Maxamanucas , tribu de la nation chiquito. Maxurunas, tribu ou nation du rameau guaranien Mbayas, nation du rameau pampéen. Mbéguas , tribu de la nation guaranie. 314, Mbocobi, nation du rameau pampéen. Mélange des races. Menton (Forme du). Méponés , tribu de la nation abiponès. ( 356 ) 301 181 229 174 351 167 161 306 306 306 306 306 306 306 315 306 306 137 93 178 229 178 265 351 351 136 167 265 161 351 21 Métaux (Emploi des). Pag. 99 Migrations. 10, 321 Minuanes , tribu de la nation charrua. 224 Mocéténés, nation du rameau antisien. 167 Mococas, tribu de la nation chiquito. 259 Mœurs : généralités. 88 Moluches, synonymes de la nation araucana. 177 Monuments. 148 Mororoma , dieu de la foudre chez les Yuracarès. 166 Morotocas , tribu de la nation samucu. 253 Mouvement de la population. 17, 20 Movimas , nation du rameau moxéen. 303 Moxéen. Rameau de la race pampéenne. 277 Moxo , nation du rameau moxéen. 291 Muchani , tribu de la nation mocéténès. 167 Muchojéonés, tribu de la nation moxo. 291 Mundrucus, tribu ou nation du rameau guaranien 351 Muras , tribu ou nation du rameau guaranien. 351 Mythologie américaine. 112 N Naissances par habitans. 23 Naissances par sexes. 27 Nalicuecas, nation ou tribu du rameau guaranien 350 Napinyiqui, tribu de la nation guaycurus. 244 Narines (Formes des). 62 Naticas, tribu du grand Chaco. 191 Nature des terrains ; leur influence sur la popu- lation. 9 Navigation; son état. 102, 135 Nez (Généralités sur le). 62 Ninaquiquilas, tribu de la nation samucu. 253 Notocoet, synonyme de la nation mbocobi. 229 Nuara, nation ou tribu des Guaranis. 350 Nubilité, cérémonies à cette occasion. 92 [à Ocoles, tribu de la nation mataguaya. 234 Odeur de la peau. 43 Olipes, synonyme de la nation atacama. 151 Omaguas, nation citée à propos des Guaranis. 315, 326 Origine des Incas. 136 Oromos, tribu détruite de la nation yuracarès. 161 Orystineses , synonyme de la nation mataguaya 234 Otukés , nation du rameau chiquitéen. 268 Otuques, synonyme de la nation otukés. 268 Oyampis, tribu de la nation guaranie. 317 ( 557 ) P Pacaguara, nation du rameau moxéen. Pag. 309 Pachacamac , dieu invisible des Incas. 139 Païconéca , nation du rameau chiquitéen. 274 Paicunoes, synonyme de la nation paiconéca. 274 Palomos , tribu du Chaco. 191 Pampas, synonyme de la nation araucana. 178 Pampas, synonyme de la nation puelche. 221 Pampéex. Rameau de la race pampéenne. 189 Pamwpéenne. Race américaine. 189 Parahacas , tribu de la nation chiquito. 259 Parenis, nation citée à propos des Guaranis. 315 Paresi, nation ou synonyme des Guaranis. 315 Passes, tribu ou nation du rameau guaranien. 351 Pasteurs américains. 100 Patagon , nation du rameau pampéen: 199, 213 Paunaca, tribu de la nation païconéca. 274 Payaguas, nation du rameau pampéen. 243 Payé, Piache, prètre et devin des Guaranis. 318, | 337 Peau, couleur. 36 Pêche (État de la). 101 Pêcherais, synonyme de la nation fuégienne185, 207 Péhuelques, synonyme de la nation araucana. 177 Péhuenches, tribu de la nation araucana. 177, 178 Pencos , tribu de la nation araucana. 177 Penhams, tribu ou nation du rameau guaranien. 351 Pénoquis , tribu de la nation chiquito. 258 Penotos, tribu de la nation chiquito. . 258 Pepezi, dieu du vent chez les Yuracarès. 166 Pequicas, tribu de la nation chiquito. 259 Pequiquias, tribu de la nation chiquito. 253 Peroquiquias, tribu de la nation chiquito. 259 Physionomie : généralités. 61, 64 Picunches , tribu de la nation araucana. 1077 Pimenteiras, tribu ou nation du rameau gua- ranien,. 351 Pincu , synonyme de la nation araucana (note) 177 Piñocas, tribu de la nation chiquito. 258 Piococas , tribu de la nation chiquito. 259 Pitilagas, tribu de la nation mbocobi. 229 Poitrine très-développée chez les Quichuas. 124 Pommettes (Formes des). 62 Population. 11, 18 Population chrétienne. 13 Population sauvage. 13 Poterie (Fabrication de la). 98, 135 Potureros, tribu de la nation samucu. 253 Pucara, forts des Quichuas. 134 Puelches, nation du rameau pampéen. Punasiquias, tribu de la nation chiquito. Puraxis, tribu de la nation chiquito. Purecamecrans , tribu ou nation du rameau gua- ranien. Puris, tribu ou nation du rameau guaranien. Q Oquichua, voyez nation quichua. Queanaes , tribu de la nation mataguaya. Quecubu, malin esprit des Araucanos. Quehuciquias, tribu de la nation chiquito. Quemecas, tribu de la nation chiquito. Querendis, ancien nom des Puelches. Quiabanabaité , tribu de la nation abiponès, sui- vant Azara. Quichua, nation du rameau péruvien. Quiesmagpipo, synonyme de la nation lengua. Quipus, écriture des Quichuas. Quiriquias, tribu de la nation chiquito. Quitemocas , tribu de la nation chapacura. Quixos, nation du rameau antisien. R RACE ANDO-PÉRUVIENNE. RACE BRASILIO-GUARANIENNE. RACE PAMPÉENNE. Races AMÉRICAINES. Caractères généraux. RAMEAU PÉRUVIEN. Ranqueles , tribu de la nation araucana. Ranquelinos , tribu de la nation araucana. Raréfaction de l'air; son influence. Raymi, fète annuelle des Incas. Religion en général. Répartition géographique. S Sabuyas, tribu ou nation du rameau guaranien. Sacocies, tribu de la nation chiquito. Samanucas, tribu de la nation chiquito. Samucu, nation du rameau chiquitéen. Sañepicas, tribu de la nation chiquito. Saracas, tribu de la nation chiquito. Sararuma, voyez mythologie des Yuracarès. Saravéca, nation du rameau chiquitéen. Sarigué, tribu de la nation payagua. Sculpture. Siacuas , tribu de la nation payagua. Signipies, tribu ou nation du grand Chaco. Pag. 221 259 258 so 301 351 258 259 253 259 259 165 266 243 97, 148 243 191 ( 358 ) Sirionos, tribu de la nation guaranie. P. 314, 321, 347 Solostos , tribu de la nation yuracarès. 161 Sourcils (Formes des). 63 Statistique américaine. 17 Superstitions en général. 111 Surface occupée. 1 Suriguas, nation du rameau antisien. 174 dl Tableau des caractères distinctifs des Américains 116 — de la taille, suivant les lieux, le sexe. 51 — des langues. 80 — des voyages au pays des Patagons. 212 Tacana, nation du rameau antisien. 170 Tacumbu, synonyme de la nation payagua. 243 Taglélé, Tagléleys, syn. de la nation mataguaya. 234 Taille : considérations générales. 43 à 54 Talahuets, synonyme de la nation araucana. 177,210 Tamanaque , nation citée à propos des Guaranis. 315 Tamoi, le vieux du ciel, le grand-père des Gua- ranis. 318, 337, 341 Taños, tribu de la nation mbocobi. 229 T'apacuracas, Wibu de la nation chiquitos. 259 Tapacuras, synonyme de la nation tapacura. 288 Tapés, tribu de la nation guaranie. 314, 320 Tapis, nation du rameau chiquitéen. 273 Tapipuicas , tribu de la nation chiquito. 258 Tapiquas, tribu de la nation chiquito. 258 Tapus, tribu de la nation guaranie. 319 Tapuyas, peut-être tribu des Guaranis. 336 Tapuyes, tribu de la nation guaranie. 319 Taquiyiqui, tribu de la nation guaycuru. 244 Tatho, Tationes, synon. de la nat. mataguaya. 234 Taunies, synonyme de la nation mataguaya. 234 Taus, tribu de la nation chiquito. 258 Tayinuis, synonyme de la nation mataguaya. 234 Tehuelche, nation du rameau pampéen. 199, 210 Tentas, synonyme de la nation mataguaya. 234 Tête (Formes de la). 59 Tête déformée. 60, 144 Timbues, tribu de la nation guaranie. 314, 321 Tiremenen, synonyme de la nation patagone 203, 214 Tiri, voyez la mythologie des Yuracarès. 165 Tissage (État du). 99 Toba , nation du rameau pampéen. 229 Tocunas, tribu ou nation du rameau guaranien. 351 Tombeaux. 149 170 Torquisines, synonyme de la nation mataguaya. 191 Toromona , tribu de la nation tacana. Traits : généralités. Tubacis, tribu de la nation chiquito. Tucapel, tribu de la nation araucana. Tucma, ancien nom de Tucuman. Tucupi, tribu de la nation mocélénés. Tuméqué où tumeké, malin esprit des Iténès. Tupinambas, tribu de la nation guaranie. Tupis, tribu de la nation guaranie, la même que Tapès. 319, 336, Tupu , épinglette d'argent des Quichuas ou Incas U Uainumas , tribu ou nation du rameau guaranien Ugaronos, tribu ancienne de la nation samucu. Ulé, voyez mythologie des Yuracarès. Uleses , nation éteinte du rameau chiquitéen. Uliume-Guana, nation du rameau antisien. Usages : généralités. Usutas, sandales des Quichuas. V Vases. 98, Velelas, tribu de la nation mataguaya. Vilélas , tribu de la nation mataguaya. x Xamanacas, tribu de la nation chiquito, Xamaros, tribu de la nation chiquito. Xarayes, synonyme de la nation yarayes. Xurubérécas , tribu de la nation chiquito. 4 Yacach, synonyme de la nation araucana. Yacana-cunny, syn. de la nation fuégienne 185, Vana-conni, synonyme de la nation patagone, d’après Forster. F'apitalaguas , synonyme de la nation mbocobi. Varayes , nation éteinte du rameau chiquitéen. Varos, tribu de la nation charrua. Vazoros, tribu de la nation chiquito. Yeux (Forme des). Yinijama , génie malfaisant des Canichanas. Pochina, malin esprit ou génie malfaisant des Pacaguaras. Poes, tribu de la nation mataguaya. Vonec, synonyme de la nation puelche. Fupanqui, V.® Inca; ses conquêtes. Vuracarès, nation du rameau antisien. Furakari, synonyme de la nation yuracarès. Vurucaritia, tribu de la nation chiquito. Furujure, synonyme de la nation yuracarès. Pag. 61 253 177 120 167 308 319 348 135 351 253 165 276 174 91 135 135 234 234 259 258 276 259 178 210 211 229 276 224 259 62 302 310 234 221 137 161 161 259 161 TABLE DES MATIÈRES DE L'HOMME AMÉRICAIN. INTRODUCTION. Pag. ] PREMIÈRE PARTIE, — GÉNÉRALITÉS. 1 Cuapiree [.% — Considérations géographiques el slalistiques. 1 Classification. 1 Surface occupée; répartition géographique. 4 Description de la surface du continent américain dont nous nous occupons. 4 Définition des nations, rameaux, races. 4 Tableau des nations étudiées avec leurs limites en latitude et longitude. 5 Analyse critique des noms employés. 6 Répartition des nations avantla conquête 7 Changemens survenus, état actuel. 8 Ordre des nations suivant l’étendue de terrain qu’elles occupent. 8 Influence de la nature des terrains sur l’extensionrespectivede chaquenation 9 Migrations. 10 Motifs et possibilités des migrations en général. 10 Routes suivies dans les migrations. 11 Population. 11 Tableau de la population relative des in- digènes actuels. 12 Comparaison du nombre des Américains soumis au christianisme et de ceux en- core sauvages. 13 Réflexions à cet égard. 14 Ordre des nations suivant leur impor- tance numérique. 15 Comparaison de la surface habitée avec lenombre d’habitans selonles terrains, les mœurs. 16 Mouvement de la population et statistique de la race américaine. 17 Population par sexe et âge de la province de Chiquitos en 1830. 18 Population par sexe et âge de la province de Moxos en 1831. 19 Individus mariés et non mariés. 20 . Mouvement de la population indigène de Moxos et de Chiquitos en 1828, 1829, 1830. 20 Mariages pour habitans; rapports. Pag. Enfans par mariages. Naissances pour habitans. Naissances comparées aux décès. Décès pour habitans. Décès masculins comparés aux décès féminins. Naissances masculines comparées aux naissances féminines. Influence des saisons sur les naissances. Influence des saisons sur les décès. Cnapirre IT. — Considérations physiologiques. Couleur de la peau. Grandes divisions de couleurs par ra- meaux, par races. Influence de la latitude. Influence du lieu d'habitation. Influence atmosphérique. Influence de la lumière. Coloration du derme suivant les diverses sensations. Albinisme et taches partielles de la peau. Contexture de la peau. Odeur de la peau. Taille. Historique de la taille des Américains. Tableau comparatif de la taille moyenne par nations, par rameaux, par races. Rapports avec nos divisions. Influence de la latitude. Influence de lélévation du lieu d’habi- tation. Influence atmosphérique de l'humidité et de la sécheresse. Influence de l'abondance ou de la disette Influence de la nature du lieu d'habitation Tableau de la décroissance de la taille moyenne des deux sexes comparée à la taille extrème des hommes, suivant l'élévation, la latitude, etc. Taille la plus élevée comparée à la moyenne. Taille moyenne des femmes. Formes générales. >= à à À À à à © CC D D = 45 46 A7 48 49 49 50 ( 360 ) Description. Pag. Modifications suivant les grandes divis.°"* Influence de la latitude. ’ Influence de l'élévation du lieu d’habi- tation. Influence de l'humidité sur l'obésité. Influence des coutumes. Formes de la tête. Formes générales. Déformation artificielle. Traits; physionomie. Traits détaillés et comparatifs. Barbe. Cheveux. Ensemble des traits. Physionomie comparative. Influence de la position sociale. Résumé des traits propres aux Américains. Figure mäle ou efféminée. Complexion; longévité. Mélange des races. Mélange avec les Espagnols. Mélange avec la race nègre. Cuarirre IL. — Considérations morales: Langues. Considérations générales. Caractères généraux. Accentuation. Numération. Anomalies. Influence des coutumes. Cas dans lesquels le rapport des langues annonce des communications. Rapports des mots avec la conformation de la voix. Premiers mots de l'enfance dans les principales langues du monde. Tableau comparatif des langues des na- tions qué nous avons observées. Facultés intellectuelles. Historique de ce qu’on en a dit. Preuves des facultés intellectuelles. Caractère. Caractère national. Rapport du caractère moral avec les caractères physiques. Influence du lieu d'habitation sur le ca- ractère, Influence de la latitude. 86 87 Passions. Pag. Moœurs. + Déterminées par les ressources locales. Influence des animaux domestiques, de la culture. Grandes sociétés, causes, impossibili- tés. _ Rapports des mœurs avec les divisions. Coutumes et usages. Rapports avec les mœurs. Habitation ; ameublement. Coutume pendant la grossesse. Époque de la nubilité des femmes. Mariage. “ Mort. Conditions respectives des deux sexes. Fêtes, amusemens. Changemens apportés dans les coutumes par le contact de la civilisation. Industrie; arts. Coup d'œil général. Architecture, Sculpture. Dessin. Fabrication de la poterie. Emploi des métaux. Tissage. Agriculture. Chasse. Pêche. Navigation. Facultés industrielles. Costume. En rapport avec la civilisation, avec les lieux. Description comparative. Centres de civilisation; gouvernement. . Coup d’œil général sur les renseignemens tirés des monumens, des traditions, etc., sur les premiers centres de civi- lisation. Gouvernement des Incas. Comparaison des différens modes de gou- vernement. Guerres ; leurs motifs. État actuel. Religion. Rapport de la religion avec l’état de la civilisation des peuples. ( 361 ) Coup d’æil sur l’ensemble des croyances religieuses. Pag. 109 Superstitions. 111 Temples, fêtes religieuses. 111 Histoire mythologique, comparée aux monumens. 112 Rapport des divisions religieuses avec les divisions physiques. 113 Rapport avec la température du lieu d’ha- bitation. 114 Modifications apportées aux religions, état actuel. 114 IL Partie. — RACES AMÉRICAINES. 115 Caractères généraux. 115 Tableau des caractères distinctifs. 116 I." RACE. — ANDO-PÉRUVIENNE. 117 L.® RAMEAU. — Péruvien. 117 Généralités. 117 Nation quichua ou inca. 119 Nation aymara. 141 Nation atacama. 151 Nation chango. 152 II.° RAMEAU. — Ænlisien. 154 Caractères. 154 Généralités. 154 Nation yuracarès. 161 Nation mocéténes. 167 Nation tacana. 170 Nation maropa. 172 Nation apolista. 173 III. RAMEAU. — Æraucanien. 175 Caractères. 175 Généralités. 175 Nation auca ou araucana. 177 Nation fuégienne. 185 JL. RACE. — PaAMPÉENNE. 189 LT RAMEAU. — Pampéen. 189 Caractères généraux. 189 Généralités. , 189 Nation patagone. 199 Coup d’œil historique et critique sur ce que les auteurs ont dit des géants des parties australes de l'Amérique méridionale. 199 Tableau comparatif des observations faites par les voyageurs sur la taille des Patagons et des Fuégiens, de- puis la découverte de l'Amérique Jusqu'à nos jours. 212 1V, Homme, Description des Patagons. Nation puelche. Nation charrua. Nation mbocobi ou toha. Nation mataguaya. Nation abiponès. Nation lengua. Nations du rameau pampéen non obser- vées. IL.° RAMEAU. — Chiquiléen. Caractères. Généralités. Nation samucu. Nation chiquito. Nation otukès. Nation curuminaca. Nation covaréca. Nation curavès. Nation tapus. Nation curucanéca. Nation corabéca. Nation paiconéca. Observations. IIL.® ramMEau. — ÂMoxéen. Caractères. Généralités. Nation chapacura. Nation moxo. Nation itonama. Nation canichana. Nation movima. Nation cayuvava. Nation ité ou iténès. Nation pacaguara. III. RACE. — BRASILIO-GUARANIENNE. RAMEAU UNIQUE. — Guaranien. Nation guaranie. Recherche sur le nom. Recherches sur leurs migrations anté- rieures et postérieures à la con- quête. Migrations à l'embouchure de la Plata 314 Migrations au pied des Andes boli- viennes. Migrations sur l’Orénoque, tableau à l'appui. Migrations jusqu'aux Antilles, sous le nom de Caribes : preuves à l'appui. 317 Extension énorme de la nation. 46 320 ” , CR LL. E LA ( 362 ) . Description avec les comparaisons Nation nuara. | Pag. 350 constantes, faites avec les Caribes Nation nalicuega. 350 des Antilles, et tous les peuples des Nation guasarapo. h 350 points intermédiaires de la Guyane è Nation guato. : " 3651 et du Brésil. Pag. 321 Nation cabasa et bororo. 351 Tribu des Guarayos. 338 Noms des diverses nations que nous Tribu des Chiriguanos. 342 croyons appartenir à la race brasilio- Tribu des Sirionos. 347 guaranienne. 351 Tribu des Tupys. 348 Table alphabétique des noms de nations, Tribu des Guayanas. 348, de tribus, de leurs synonymies et des Nation botocudo ou aymorc. 349 matières traitées dans cet ouvrage. 303 5 € N d à e mr Et —— ” ° + ‘+ L NE 5 EL) Sn: + a s k M y p SA Ÿ r D 2 - { Lan Ÿ », . D se e : / | L L ” à | +. k \ SC J », J : ê F7 ‘ | À £ 2 ] ‘SA PR ANTOINE ’ \ ’ À + pe 9 Re 2 ; ÿ NX re C 32 SE +" Xe e À ) ( RONA A ii < à de: Pete # % CLRLA . RQ À ANS te LL » 1e 3 À ÿ S + pv À 2 RS ww 4. ? x 2 x s \ - 4 © s L 1 | CNET a". À at et () ; ST TS : ; | 4 AV RE x À Fa LPS À 4 KT ) SA 4 +. ee v; ÿ ] \ Ÿ = Es LS s l'artt -2à c'e à RAC TO RP D EE ER SA NA , re À © * 7 É7 , t pe ° ‘+ " 4 £. 4H PF A Les Ê DR RE Par MAR AT (D: AA PTNOE * RS PEL we ra fe 4 À CE AUS 7 T ME CA LS ef CA,