VOYAGE L'ASTROLABE. LE VOYAGE DE L ASTROLABE se compose des parties suivantes : Çrcmifrc JDiotston. HtSTOiRE DU Voyage, rédigée par M. Dumont d'Urville; 5 volumes gi'and in-8, papier grand-raisin superfin ; avec plus de loo Vignettes en bois ou en taille-douce , 5 Cartes grand in-folio , et un Atlas de au moins 240 Planches lithographiées sur demi-feuille jésus-vélin. MÉTÉOROLOGIE, Magnétisme, Température de la Mer, etc.. Mémoire rédigé par M. Arago, de l'Académie des Sciences; i volume in-8. JDcurtcme Ilioiston. Botanique. Texte par MM. Lesson jeune et A. Richard; i volume in-S; Atlas de 80 Planches au moins en taille-douce, la plupart coloriées, sur demi-feuille jésus-vélin. Slrotatrme Dtoision. Zoologie , rédigée par MM. Quoy et Gaimard ; 5 forts volumes in-8 , avec Atlas de 200 Planches au moins, gravées en taille-douce, imprimées en couleur , relevées au pinceau ; sur demi-feuille jésus-vélin. Quatrième Ubtôion. Partie Entomologique , rédigée par M. Latreille , de l'Académie des Sciences; i volume in-8, avec 12 Planches en taille-douce, imprimées en couleur et relevées au pinceau, sur demi-feuille jésus-vélin. Cinquiftnc Utoision. Hydrographie. Atlas d'environ 53 Cartes ou Plans, gravés par les soins du gouvernement, suivi d'un volume de texte, rédigé par M. Dumont d'Urville. imprimerie de j. tastu. VOYAGE LA CORYETTE L'ASTROLABE €xknié par €)r^re Du Uoi^ PENDANT LES ANNÉES 1826-1827 - 1828-1829, sous r.E COMMANDEMENT DE M. J. DUMONT D'URVILLE, CAPITAINE DE VAISSEAU. |)ar ©lîionnanfe ie Sa ilTajestc. # HISTOIRE DU VOYAGE. TOME PREMIER. PARIS J. TASTU, ÉDITEUR-IMPRIMEUR, V" 36, RUE DE VAUGIRARD. 1830 DISCOURS PRELIMINAIRE. L'immortel Colomb venait de découvrir un nou- veau monde, et Ton savait seulement qu'un Océan immense le ceignait à Fouest comme à Test, mais on ignorait Tétendue, les limites de ce bassin, et Ton n'avait aucune idée des terres qui pouvaient se trouver sur sa surface. A peine échappée à l'ignorance du moyen-àge , FEurope était encore bien loin d'avoir atteint ce haut degré de civilisa- tion , ce noble amour des sciences et de la gloire qui la caractérise aujourd'hui , et qui a conduit plusieurs souverains à faire exécuter de nos jours tant de belles expéditions pour l'intérêt seul de la science et de l'humanité. Au commencement du seizième siècle , la soif des conquêtes et les spécu- lations mercantiles pouvaient seules déterminer les monarques ou les gouvernemens à montrer a Il DISCOURS PRELIMINAIRE. leur pavillon à Textrémité du globe, tandis que les hommes qui montaient ces vaisseaux n'étaient guère animés que par Fappât du gain et Tespoir du pillage. Des aventuriers avides ne voyaient que For pour but de leurs travaux , ils ne de- mandaient que de Tor aux terres qu'ils décou- vraient , et celles qui n'offraient point à leur cupidité ce métal précieux , cessaient à leurs yeux de mériter le plus léger intérêt. On sent qu'avec de telles dispositions et sous l'influence exclusive de pareils sentimens , ces navigateurs ne purent rendre de grands services à l'hydrographie : aussi leurs découvertes furent-elles souvent enveloppées d'incertitude et même de doutes sur leur exis- tence. L'identité des terres vues jadis par Mindana avec les îles Snlomon d'aujourd'hui était encore un fait contesté par divers géographes, quand l'in- génieux travail du sage Fleurieu répandait déjà une lumière très-vive sur ce sujet ; mais il fallut les beaux travaux de M. d'Entrecasteaux, et le témoi- gnage de divers capitaines anglais , qui passèrent près de cet archipel, pour décider la question. Combien d'îles vues jadis par Quiros, Tasman et Roggewin , ont été long-temps regardées comme imaginaires , jusqu'au moment où des navigateurs DISCOURS PRELIMINAIRE. m modernes les ont retrouvées et placées d\me ma- nière plus exacte ! Combien d'autres lies, enfin, restent à découvrir une seconde fois ! Cependant , comme il est juste de rendre à chacun ce qui lui est dû, indépendamment du motif qui a pu le o'uider, liàtons-nous d'énumérer les noms et les voyages des capitaines que Fambition ou la cupi- dité seules attirèrent dans ces mers, avant que déplus nobles sentimens y conduisissent les Européens. Le premier, traçant la route à ses successeurs, en Tan 1620, Taudacieux Magellan, s'*élance dans rOcéan-Pacifique par le détroit qui porte son nom, le traverse dans toute son étendue , n^ rencontre que trois ou quatre petites iles dont la position n''est pas encore bien connue, découvre ensuite les îles des Larrons ou les Mariannes, et enfin les Phi- lippines , où il est tué en combattant contre les naturels , et laissant un nom désormais célèbre dans les fastes de la navigation. Garcia de Loaysa, qui le suit en i525, meurt sans faire aucune découverte importante , ainsi que le fameux Sébastien del Cano son vice-amiral , qui avait ramené le vaisseau de Magellan. Leur successeur, Alfonse de Salazar, n''ajoute à la géographie que la petite île de Saint-Barthélémy ( dans les Caro- a IV DISCOURS PRELIMINAIRE. lines) et quelques îles dans Parcbipel des Larrons. En 1626, Fernand Cortez, alors gouverneur du Mexique, avide d'*étendre ses conquêtes, expédie son parent Alvar de Saavadra vers les Moluques. Sur sa route , ce voyageur découvre un groupe auquel il donne le nom à'' Iles des Rois, et, en re- venant de Tidor au Mexique , il a la première con- naissance de la Nouvelle-Guinée , île immense et destinée à rester si long-temps imparfaitement connue. On ne sait pas trop ce que peuvent être ses Iles des Barbus, à 10 à i3" de latitude N. Hurtado et Grijalva, envoyés sept ans après par le même Cortez, découvrent une île Saint— Thomas aussi mal constatée que les précédentes. Le voyage de Juan Gaétan, en 1642, offrirait un grand intérêt , puisqu''il vit une foule d''iles dans la partie septentrionale du Grand-Océan, et surtout plusieurs de celles qui prirent ensuite le nom de Carolines , comme les Jardins^ Arrezife, Matelote, Rocca-Partida, etc. Mais toutes ces dé- couvertes furent si vaguement indiquées qu'elles restèrent long-temps douteuses. Il en est de même de la reconnaissance qu'il parait avoir faite de la Nouvelle-Guinée, et dont les détails demeurèrent ignorés du reste de l'Europe par une consé- DISCOURS PREIJMINAIUE. v quence de Tesprit mystérieux du cabinet espagnol. Plus fécond en découvertes que tous les précé- dens , le voyage de Mindana parti du Pérou en 1567, procure à la géographie la connaissance de la petite île Jésus et de ces fameuses îles de Salomon qu'il explora avec tant de soin , et dont la position fut néanmoins si long-temps incertaine. Dix ans plus tard Tintrépide Drake est le pre- mier Anglais qui renouvelle Tentreprise de Magel- lan; et, comme lui, ce capitaine ne rencontre que quelques lies qu'il signale si vaguement que , par la suite, on n'a pu retrouver leur vraie position. En 1587, Thomas Candish passe des'côtes de la Californie aux îles Mariannes sans rien voir. Alvar de Mindafia , ardent à poursuivre ses pro- jets de colonisation, repart de Payta en i5g5; il ne retrouve point ses îles de Salomon^ mais dé- couvre l'archipel des Marquises ^ les îles Saint- Bernard (qu'on croit être les îles du Danger^ de Byron), l'Ile Solitaria qui est à revoir, et enfin la belle et grande île de Santa-Cruz; il tente vai- nement de fonder une colonie dans cette île où l'on perd la trace de son histoire. De Cordes et Van-Noort, en 1600, traversent l'Océan-Pacifique sans faire de découvertes, car VI DISCOURS PRELIMINAIRE. on ne peut guère deviner ce que peuvent êtrç de prétendues îles vues par le vice-amiral Beunin- gue par 16° latitude N. et habitées par des antro- pophages, à moins que ce ne soit quelqu'une des Ues Sandwich. Nous arrivons à un navigateur d\in ordre supé- rieur pour ces temps d^ignorance. La marche de son voyage, combinée avec plus de méthode, donne lieu à de nombreuses découvertes ; et des observations moins vagues que celles de ses devan- ciers ont fourni le moyen de les retrouver toutes, à peu de chose près. Je veux parler de Fernand Quiros , pilote de Mindana dans son dernier voyage, et qui, pilote encore en 1608 sous les ordres de Paz de Torres, paraît néanmoins avoir dirigé la campagne. Sa Sagittaria est certaine- ment Tciiti; Tikopia a été retrouvé , et ses îles du Saint-Esprit sont les Cyclades de Bougainville ou la partie septentrionale des Nouvelles-Hébrides. On a cru voir Encarnacion dans Pitcairn, Dezena dans Ma'itea, et Gente-Hermosa dans les îles du Danger. Enfin , Mallicolo vient d'être reproduit dans Vanikoro.^ et son île Taumako existe certaine- ment peu loin de Santa-Gruz. Une nouvelle explo- ration des îles de Tarchipel Dangereux fera con- DISCOURS PUELIMINAIHE. vu naître probablement San-Juan-Batista , Sant- Elmo., la Conversion de San-Pablo. Passons promptement sur le voyage de Spilberg en i6i5 et 1616, qui, n'ayant rencontré au nord de la ligne que deux ou trois îlots encore indé- terminés, ne devra peut-être sa triste célébrité qu'eau traitement injuste et barbare que cet amiral eut à exercer, au nom de la Compagnie, envers le célèbre et malheureux Jacques Lemaire. Celui-ci, de concert avec Schouten, venait d'im- mortaliser son nom par la découverte du détroit de Lemaire, des îles des Chiens, Sans- fond, TVater, des Mouches, des Cocos, des Traîtres, Espérance, Horn,' il avait encore reconnu les îles nommées par Tasman, Ontong-Java^ Vertes, Saint-Jean , Moise , et plusieurs autres sur la côte nord de la Nouvelle-Bretagne et de la Nouvelle-Guinée , qu'il avait laissées sans nom, car il avait prolongé pres- que entièrement toute l'étendue de cette grande terre. Je ne parlerai point ici des découvertes faites successivement de 1616 à 1629 sur divers points de la Nouvelle-Hollande par Hertog, Zeachen, Edels, Nuitz , Witt, Carpenter et Pelsart. Je mention- nerai à peine Jacques Hermite qui, en 1624, se vin DISCOURS PRELIMINAIRE. rendit d'Acapulco à Guam sans rien trouver sur sa route. Mais on doit citer avec honneur, Tasman, le plus remarquable des navigateurs du dix-sep- tième siècle, après Lemaire et Dampier. Dans un premier voyage , en 1642 et i643, il découvre la Noiwelle-Zélande , Tile des Trois-Rois , File Pyls- tart^ plusieurs des lies des Amis ^ quelques-unes des îles Viti^ les îles Antoine^ CaenSy Gardener et Vischers, et prolonge une partie de la côte-nord de la Nouvelle-Guinée. Dans un second voyage ce capitaine paraît avoir fait d''importantes décou- vertes sur la côte méridionale de cette sfrande île, mais la politique de la Compagnie hollandaise les a constamment tenues cachées au reste de PEurope. Le voyage de Cowley, en i683, ne mérite guère d'être cité que parce que ce capitaine reconnut d'une manière positive les îles Gallapa§-os jusqu'il- lors très-vaguement indiquées. En 1696, vingt-neuf habitans des îles Palaos sont jetés, par une tempête, sur les côtes de Samal, et procurent ainsi la première connaissance de leur archipel. Dans Fespace de quinze à vingt ans après cet événement, elles sont visitées par divers navires espagnols qui les déterminent d'une ma- nière assez précise pour ces temps. DISCOURS PRELIMINAIRE. ix Dampier, le plus judicieux des navigateurs de cette époque, est expédié en 1699 pour faire de nou- velles découvertes dans les mêmes parages. Son expédition n*'eut pas tout le succès qu'ion eût pu attendre d'un marin si expérimenté et d'un ob- servateur si laborieux. Cependant il vit encore la côte nord de la Nouvelle-Guinée , découvrit les iles Mathias et Orageuse ^ reconnut la côte orien- tale de la Nouvelle-Irlande , et la côte méridionale àe\si Nouvelle-Bretagne^ et, francbissant le premier le détroit qui porte son nom, sépare cette dernière île de la Nouvelle-Guinée. 11 découvre ensuite les îles du Volcan, Couronne, G. Rook, Longue, Bich, le long de cette terre. Toutes les descrip- tions de ce navigateur sont exactes : mais, comme ses prédécesseurs, privé de moyens sûrs pour dé- terminer les longitudes, son voyage ne peut que prouver Texistence de ces terres sans assurer leur position. Huit ans plus tard , il parcourt encore , en qualité de pilote, POcéan-Pacifîque avec le capitaine Rog- gers, mais sans rien trouver de nouveau. François Padilla, en 1710 , commence la recon- naissance des îles Palaos; le mauvais temps le force de les quitter sans Tavoir terminée. X DISCOURS PRELIMINAIRE. La Barbinais traverse en 1716 ce même Océan, sans rien voir. RoggeAvin, en 1722, découvre File de Pâques^ ]es i\es Pei^nicieuse , Aurore^ Vêpres, Labyrinthe y Récréation y Bauman^ Tienhoven, Groningue <ài\QS Mille-Iles. Dans ce nombre quelques-unes sont à retrouver. Là s'arrêtent les voyages de découvertes entre- pris dans Punique but de conquérir de nouvelles terres, et d'y chercher de For ou des productions précieuses. Car on ne peut placer dans cette caté- gorie le voyage d'Anson, entrepris seulement pour ravager les possessions espagnoles , saisir leurs na- vires et ruiner leur commerce ; d'ailleurs il ne produisit rien autre pour la géographie que quel- ques documens plus détaillés sur quelques mouil- lages peu connus. Plus de quarante années s'écoulent avant que le goût des grandes navigations se réveille en Eu- rope ; mais un nouvel esprit doit caractériser celles qui vont suivre. Le noble amour de la gloire , le désir de perfectionner la connaissance de notre globe, en seront le principal but; désormais des actes de cruauté souvent aussi inutiles que honteux ne signaleront plus l'apparition des Européens DISCOUUS PRELIMINAIRE. xi chez des peuples enfans. Nous devons convenir que l'Angleterre donna la première ce bel exemple aux autres nations , mais aussi nous pouvons ajou- ter que la France le suivit avec honneur. Ce fut sous de pareils auspices que Byron navi- gua dans la mer du Sud, en 1764 et 1765. Cepen- dant son voyage fut peu fructueux , et la géogra- phie n'en retira que la connaissance des petites lies Désappointement , Roi-Georges^ Prince de Galles, Duc d'York et Byron. Wallis le suit de près. En 1767, il signale les iles Pentecôte., Reine- Charlotte , Egmont, Glo- cester, Cuniherland., Prince-Henry, Osnahrugh^v'x- site Taïti, découvre celles du Duc-d'York {Eiméo), C]iarles-Sau?iders , Lord-Howe, Scilly, Boscawen ^ Keppel., J-Vcdlis^ et reconnaît les iles Pescadores. Dans la même année et dans la suivante, son com- pagnon Carteret découvre les îles Pitcairn, Evcque- d'Osnabjmck, Duc-de-Glocester ^ reconnaît les îles de la Reine-Charlotte (Santa-Cruz de Mindafia), découvrelesîlesGoç^er, iSw2yj.yo/z, Carteret, Charles- Hardy, Winchelsea, le Canal Saint-Georges, et sépare ainsi la Nouvelle-Irlande de la Nouvelle- Bretagne, la Nouvelle-Hanovre , les îles Portland, de V Amirauté, Durour, Matt)\, Stephens, Freewdl XII DISCOURS PRELIMINAIRE. et Courant. Il eut d'autant plus de mérite à exé- cuter ces nombreuses découvertes que son na- vire était fort mauvais et privé de toutes les muni- tions nécessaires à un pareil voyage. Dans les mêmes années encore , notre célèbre Bougainville, ouvrant la carrière de ces navigations aux Français, ajoute l\ la géographie les îles des Quatre-Fciccirdms^ des Lanciers y de La Harpe ^ onze îles dans Farchipel Dangereux; visite Ta'iti .^ découvre Tarchipel des Nai>igateurs ^ V Enfant- Perdu; retrouve les terres du Saint-Esprit de Quiros qu"'il nomme Cyclades', découvre les îles de la Louisiade ; reconnaît plusieurs des îles Salomon, et termine enfin ses nombreuses découvertes par les îles des Anachorètes et de VEchiquîer. Ce voyage, déjà fort important par lui-même, l'aurait été bien davantage si Ton eût pu fixer exactement la position des îles aperçues , et si les détails géo- graphiques eussent été plus soignés. A Cook était réservé Thonneur d'ouvrir une nouvelle ère pour la géographie dans ces para- fes. Non content de voir et d'annoncer de nou- velles terres, comme avaient fait ses devanciers, il détermina leur position avec soin , et cher- cha à tracer leurs gisemens et les contours de DISCOURS PRELIMINAIRE. xui leurs côtes avec toute la précision que pouvaient comporter les méthodes en usage de son temps. Aussi toutes ses découvertes sont restées authen- tiques , et il a fallu que les opérations hydro- graphiques fussent portées à un très-haut point de perfection pour qu'on pût se convaincre que ses reconnaissances laissaient encore beaucoup à dé- sirer. Toutefois on ne saurait lui refuser le titre de fondateur de la véritable géographie dans rOcéan-Pacifique ; ceux qui sont venus après lui sur les mêmes lieux n'ont pu prétendre qu'au mé- rite d'avoir plus ou moins perfectionné ses travaux. Les fruits de son premier voyage en 1769 et 1770, sont la découverte de l'ile de la Chaîne, des lies de la Société qui environnent Taïti; la reconnaissance complète de la Nouvelle-Zélande , de toute la côte orientale de la Nouvelle-Hollande, et enfin du détroit de Torrès. Ces trois derniers travaux lui valurent l'admiration générale des ma- rins et des géographes, ils relevèrent en un instant au-dessus de tous les navigateurs qui l'avaient pre'cédé , et donnèrent la mesure de ce qu'on pouvait attendre du courage inébranlable , de la profonde sagacité et de la persévérance opiniâtre de ce grand homme. svi DISCOURS PRELIMINAIRE. et tout arriéré qu'il soit pour son siècle, nous devons mentionner rapidement les découvertes de TEspa- gnol Maurelle. Parti de File Luçon , il découvre, en 1 781 , les Eremitanos, Monjos, Amargiira^ Latta, Mayorga ou Vavao , et Vasqiiez qui n'a plus été retrouvé, Consolaciouy Gra?i-Cocal et Saint-Au- gustin. Comme ses longitudes sont très-fautives, on a souvent éprouvé de Fembarras pour constater Fidentité de ces îles avec d'autres îles aperçues aux mêmes lieux par les navigateurs postérieurs à lui. Ce fut dans le même esprit que celles de Cook , et sur une échelle plus libérale encore, que le gouvernement français conçut et prépara Fexpé- dition aux ordres de notre illustre La Pérouse, en 1785. Si la fortune lui eût permis de revoir sa patrie, nul doute que ses travaux géographiques n'eussent rivalisé avec ceux de Cook , et ne les eussent surpassés en précision , grâce au perfec- tionnement des instrumens et des méthodes. Les autres sciences aussi pouvaient tout attendre du zèle infatigable et du mérite éclatant des savans qui accompagnaient cet infortuné voyageur. Nous savons du moins qu'en 1786 il découvrit dans FOcéan-Pacifique l'île Necker , et Fanne'e sui- vante plusieurs des îles des Navigateurs, indé- DISCOURS PRELIMINAIRE. xvii pendamment de ses belles explorations sur la côte nord-ouest d^ Amérique, sur celles du Japon et dans la manche de Tartarie. G. Bligh, expédié en 1787 pour aller prendre aux îles de la Société des plants d'arbres à pain, des cannes à sucre et autres plantes utiles , découvre au sud de la Nouvelle-Zélande le petit groupe des îles Bounty^ Tîle Whytoutaki. Abandonne' dans sa chaloupe, en 178g, parles mutins de son vaisseau, il parvient à opérer sur un si frêle esquif son retour à Timor, et découvre sur sa route plusieurs des îles Viti , un nouveau groupe au nord des Nouvelles- Hébrides qu'il nomme îles de Banks , et qui avaient été jadis vues par Quiros; enfin plusieurs lies nou- velles dans le détroit de Torrès. Immédiatement après son retour, Edward Ed- wards, envoyé en 1790 à la recherche des mutins du Bount}\, découvre dès Tannée suivante dans ces mers les lies Ducie^ Hood^ Carys fort ^ York, Cla- rence, Grenville ou Rotouma, Mitre et Cherry. Il avait en outre reconnu les îles des Navisfateurs , et celles de Vavao encore peu connues. Marchand, parti de Marseille pour une spécula- tion commerciale , reconnaît en juin 1791 cette partie des îles Marquises à laquelle il donne le b xvni DISCOURS PRELIMINAIRE. nom d'îles de la Résolution ^ et qui comprend les îles Noukahiva, Uahuga, Uapoa, etc., que quel- ques semaines auparavant venait de découvrir TA- méricain Ingraham. Vancouver ne peut être comparé à son maître Cook, pour Timportance et la quantité des tra- vaux , mais le surpasse beaucoup pour Fexactitude et le mérite des reconnaissances. C'est à lui que commence la bonne géographie de détail. On re- grette seulement que son voyage n'ait pas rendu les mêmes services aux autres sciences , parce qu'il manquait de collaborateurs capables de les enri- chir par leurs observations. En Polynésie , il dé- couvre dans le cours de 1791 les Embûches et Oparo j Broughton , qui commande sa conserve, découvre de son côté les îles Chatam et Vasitou. Nous ne suivrons pas les deux voyageurs dans leurs belles explorations de la côte nord-ouest d'Amérique. Le général d'Entrecasteaux est envoyé en 1791 à la recherche de La Pérouse , et pour exécuter de nouvelles reconnaissances dans cet Océan. Par leur suite, par leur exactitude, et par la confiance qu'ils peuvent inspirer , ces travaux surpassent tout ce qui avait été fait jusqu'alors , et n'ont en- DISCOURS PRELIMINAIRE. xix core été surpassés par aiiciiii de ceux qui ont été exécutés depuis. La géographie doit à la campagne de d'Entrecasteaux la reconnaissance détaillée de toute la côte occidentale de la Nouvelle-Calédo- nie , et des immenses brisans qui la ceignent au nord, de plusieurs des îles Salomon, du canal Saint- Georges , des îles de F Amirauté , de Farchipel de Santa-Cruz, de toute la partie septentrionale de la Louisiade, des îles au nord de la Nouvelle- Bretagne et d'aune partie de la Nouvelle-Guinée, près du cap de Bonne-Espérance- Dans ces belles explorations se trouve comprise la découverte d\m grand nombre d'îles et îlots inconnus jusqu'alors. L'Espagne aussi eût pu s'enorgueillir des esti- mables travaux exécutés, par Malespina, dans les mêmes mers et à peu près à la même époque. Mais le traitement odieux qu'elle fit subir à ce grand capitaine et à ses dignes compagnons de voyage lui a pour jamais ravi l'honneur qu'elle eût pu retirer de leurs observations. Ce sera même à d'autres nations qu'on devra la connaissance dé- taillée de cette expédition. Les deux voyages de Vancouver et de d'Entrecas- teaux, exécutés à peu près dans le même temps, et tous deux également estimables pour le prix et le XX DISCOURS PRELIMINAIRE. nombre des résultats , semblent avoir simultané- ment épuisé le zèle de la France et de F Angleterre. L'une et Tautre renoncent à envoyer de nouvelles expéditions scientifiques dans les mers du sud, en sorte que les découvertes qui s^ font ne sont dues qu'à des marins en retour ou à des baleiniers qui rencontrent des îles sans les chercher. Elles ne font partie d'aucun plan suivi de recherches ; aussi, par une conséquence naturelle, leurs positions re- latives laissent souvent des doutes. Cependant, grâces au perfectionnement des chronomètres et à Fexcellente précaution qu'ont les Anglais et les Américains naviguant dans ces mers, d'en être toujours pourvus , les erreurs sont resserrées dans des limites assez étroites, et il est rare que l'on ne puisse retrouver ces terres sur les indications des premiers découvreurs. C'est ainsi que l'Océan-Pacifique se peuple suc- cessivement des lies suivantes que j'ai réunies sous la for oie d'un tableau. DISCOURS PRELIMINAIRE. XXI NOMS DES ILES DÉCOtIVERTES. NOMS DES CAPITAINES ou NAVIRES QUI ONT DECOUVERT. ÉPOQUE. Mathews (rocher). Gilbert (capitaine). 1788 Charlotte (banc). Idem. Id. Gilbert (île). Idem. Id. K.nox (île). Idem. Id. Charlotte (île). Idem. Id. Mathews (ile). Idem. Id. Shortknd (ile). Shortland (capitaine). Id. Middleton (ile et banc). Idem. Id. Henderville (ile). Marshall (capitaine). Id. Hopper (île). Idem. Id. Harbottle (île). Idem. Id. Miilgraves (île). Idem. Id. Macauley et Curtis (îles). Watts (capitaine). Id. Penrhyn (île). Sever (capitaine). Id. Howe (ile). Bail (capitaine). Id. Stewart (iles). Hunter (capitaine). Ï79I Muskito (groupe). Royal- Admirai (navire). 1792 Barings (île). Idem. Id. Hunter (île). Fearn (capitaine). 1793 Seven Islands et un autre groupe. Sugar-Cane (navire). Id. Saint-Yincent (port). Kent (capitaine). Id. Durand (récif). Butler (capitaine). 1794 Walpole (île). Idem. Id. Rennel et Bellona (ile). Idem. Id. Young Williams (île). Young- jniliams (navire). 1795 Caroline (ile). Broughton (capitaine). Id. Mortlock (île). Mortlock (capitaine). 1796 Barwell (île). Barwell (na\'ire). 1798 Drummond (ile). Bishop (capitaine). 1799 Sydenham (île). Idem. Id. Penantipode (ile). i8oo Pleasant (île). Fearn (capitaine). 1801 Mattouchy (ile). Bishop (capitaine). Id. Flint (ile). Id. Palmyre (île). Sawle (capitaine). 1802 Margaret (île). Turnbull (capitaine). r8o3 Bnyers (gi-oupe). Idem. Id. Philips (ile). Idem. Id. Holt (ile). Idem. Id. Loyalty (îles). JValjwle, Britania (navires). 1 800 XXII DISCOURS PRELIMINAIRE. NOMS DES CAPITAINES NOMS DES ILES ou ÉPOQUE. DÉCOUVERTES. NAVIRES QUI ONT DECOUVERT. Océan (île). Océan (navire). 1804 Strong ou Ualan (île). Crozer. Id. Auckland (îles). Brislow (capitaine). 1806 Sydney-Shoal (écueil). Forrest (capitaine). Id. Hope (île). Elizabeth (navire). 1809 Paterson (ile). Idem. Id. Banham (île). Idem. Id. Campbell (île). Hazelburgh (capitaine). 1810 Mac([uarie (ile). 1811 Laughlan (île). Laughlan (capitaine). 1S12 Dublon (île). Dublon (capitaine). i8r4 Souworoff (ile). Lazareff (capitaine). Id. Arthur (île). r8i8 Nicliolson (deux écueils). Nicholson (capitaine). Id. Peyster (île). Peyster (capitaine). 1819 EUice (île). Idem. Id. Elisabeth (île). King (capitaine). Id. Jarvis (ile). Brown (capitaine). 1822 Minerve (ile). Minerve (navire). Id. Hunier (ile). Hunter (capitaine). 1823 Bordelaise (île). > Saliz (capitaine). 1826 Foveaux (détroit). Chase. 1809 Banks (presqu'île). Idem. Id. Dans Tannée 1792, le capitaine Bligh fit un second voyage dans la mer du Sud pour remplir la mission dans laquelle il avait échoué quelques années auparavant. Il découvrit de nouvelles îles , surtout dans Tarchipel Viti ; mais son voyage n^ayant point été publié, je ne puis en signaler exactement les résultats. D'ailleurs ce marin n\i DISCOUUS PllELlMINAIBE. xxiii jamais apporté une grande précision dans ses opé- rations. Wilson , en 1796, fut chargé de conduire des missionnaires dans les diverses îles de la Polynésie; il a le mérite d^ avoir opéré avec méthode , d'avoir visité plusieurs de ces îles , et surtout d^ivoir donné une bonne relation de son voyage. Ce navigateur découvrit, en 1797, les îles Crescent, Gamhier ^ Séries parmi les îles basses; Danger^ Middleton , Direction , Ross , Clusters et Farewell dans Farchipel Viti , le groupe de Duff^vhs Santa- Cruz, et enfin dans les Carolines les îles Tucker^ Swede, Sisters et Treize-Iles. Une nation qu'on ne s'attendait guère à voir pa- raître en lice dans ces climats, la Russie fut la pre- mière , au dix-neuvième siècle , à y renvoyer une expédition, et Krusenstern le premier promena le pavillon des czars dans la mer du Sud. Son voyage, qui s'effectua en i8o4 et i8o5, tenait plus à la diplomatie qu'à la science; il produisit cependant des résultats estimables, mais n'ajouta aucune terre nouvelle à la Polynésie. Son élève, Kotzebue , conduisit peu d'années après dans les mêmes parages le brick le Rarick , armé par la munificence du comte Romanzoff. Les XXIV DISCOURS PRELIMINAIRE. îles Romanzoff, Spiridoff, Krusenstern ^ dans Tar- chipel Dangereux, et plusieurs îles basses dans la Chaîne de Radack dans les Carolines , sont des découvertes qu'il fît en 1816. Les observations du savant Chamisso ajoutèrent un grand prix à la relation de son capitaine. • Enfin, la France, rendue à la paix après de lon- gues agitations, songe à montrer de nouveau à FOcean-Pacifique un pavillon qui plusieurs fois déjà y avait flotté avec honneur. M. de Freycinet y dirige VUranie, en 18195 mais cette expédition, plus spécialement destinée à des expériences de physique, ne rend à la géographie que de médio- cres services. Ses résultats se bornent à la recon- naissance de quelques îles Carolines , de la plus grande partie des Mariannes; le petit écueil Rose, dans Tarchipel des Navigateurs , est Tunique dé- couverte du voyage qui, du reste, produisit d'im- menses matériaux pour toutes les branches de rhistoire naturelle , grâces au zèle et au mérite de MM. Quoy, Gaimard et Gaudichaud. Presqu'au même temps, le Russe Billinghausen parcourait la même arène. Les résultats de son voyage ne me sont pas bien connus ; cependant , je puis indiquer la découverte des îles Moller, DISCOURS PRELIMINAIRE. xxv Arackeefi TVoIchonshf., Barcley de Tolly^ Nigery^ Tchitchagoff, Miloradowitch, Witgenstein ^ Greîg et Lazareffà^ns Parchipel Dangereux, et Fîle Ono avec deux petites îles voisines au sud de Farchipel Viti. M. Duperrey est expédié en 1822 pour opérer de nouvelles reconnaissances dans ces mers. En 1823 il découvre les lies Clerinont-Tonnerre et Lostange^ et il exécute diverses reconnaissances sur la Nouvelle-Irlande et les îles Schouten de la Nouvelle-Guinée. En 1824 il prolonge de près les îles Mulgraves dont il assure la position ; il visite Tile Strong ou Ualan / découvre les îles Duperrey^ d' Ur- villej il explore le groupe considérable d''Hogoleu dont on ne connaissait encore que File haute de Dablon, et y retrouve plusieurs des îles de Cantova ; il découvre Filot Bigali, reconnaît Tîle Tucker, et termine enfin ses travaux dans cet Océan par la reconnaissance de la partie de la Nouvelle-Guinée comprise entre Dorey et le cap de Bonne-Espé- rance. Du reste , cette expédition surpasse en- core celle de M. de Freycinet par la prodigieuse masse d"" objets d'histoire naturelle qu'elle rapporte au Muséum. Jaloux d'en consacrer le souvenir, le gouvernement français a fait publier l'un et XXVI DISCOURS PRELIMINAIRE. Pautre voyage sur réchelle la plus magnifique. Des expéditions russes se sont succédées à de fré- quens intervalles dans ces mêmes mers; je ne con- nais guère que les noms des commandans, savoir : Scliismareff, KotzeLue, de Wrangel et Lutke : mais je ne puis citer leurs travaux. Je sais seulement, par une note que m^a communiquée le gouverneur de Guam, que celui-ci , en 1827, avait découvert ou reconnu dans les Carolines le groupe des lies Se- niavine ^ les Valiantes de Tompson, les iles Young- Williams de Mortlock qu'il a trouvées très-nom- breuses , les îles Namolouk , les îles Pisenas vues quelques mois auparavant par James Duncan , Pi- guela (sans doute Bigali de Duperrey), Fayeou et Ualan. Enfin , dans ces dernières années, diverses îles , îlots ou récifs ont encore été signalés dans la même mer par difterens navigateurs; leurs positions ne sont pas toujours bien autbentiques , et souvent leurs prétendues découvertes s'appliquent à des terres déjà connues. Aussi me contenterai-je d'in- diquer Tîle Fanning revue dernièrement par M. le Goarant, les îles Ahgarris dont deux capitaines dif- férens m'ont donné la position sans s'être commu- niqués; Washington.) l'île aux Noix de Cocos près DISCOURS PRELIMINAIRE. xxvii Amargura , Harbuck , New-Nantucket , Massa- chuset^ Gasper^ Basker, les Récifs de Clerk où nau- fragèrent, en 1822 , les navires Pearl et Hermès, le groupe de Mitchels ., l'île Falsham^ Tîle Rourou- tou récemment découverte par le capitaine Henry, près de Mangea, etc. On a dû remarquer que je n'ai point mentionné les expéditions qui ont eu pour objet spécial les archipels de l'Asie, les côtes de l'Amérique ou celles de la Nouvelle-Hollande. C'est pourquoi j'ai passé sous silence les voyages de Baudin, Flinders, King, etc., malgré les services éminens qu'ils ont rendus à la géographie. Mais je devais me borner aux travaux exécutés dans la Polynésie , dont les archipels seuls entraient dans notre plan de cam- pagne. Bien que j'aie fait en sorte de rendre aussi com- plète qu'il m'a été possible la revue des décou- vertes ou des reconnaissances opérées par les na- vigateurs qui nous ont précédé dans l'Océan-Paci- fique , sans doute quelques documens ont échappé à ma mémoire ou ne sont point parvenus à ma connaissance; ce ne serait guère qu'en Angleterre qu'on pourrait achever cette revue sans y laisser de lacunes . De nombreux balei niers parcourent chaque XXVIII DISCOURS PRELIMINAIRE. année les divers parages de cet immense bassin, et c^est à eux qu'il sera probablement donné désormais de signaler le petit nombre d'Iles encore ignorées des Européens. Aujourd'hui le véritable but des missions scientifiques doit être plutôt de compléter la géographie des côtes imparfaitement figurées, et des archipels peu connus, surtout d'assujettir, au moyen des chronomètres , la position d'une foule d'Iles et d'écueils dont la position est encore douteuse, relativement à des points regardés comme fixés d'une manière positive par un grand nombre d'observations. Je proposai et entrepris la cam- pagne de V Astrolabe dans cet esprit qui n'a cessé de présider à mes opérations durant tout le cours du voyage. Les parties de l'Océan-Pacifique qui me sem- blaient réclamer plus impérieusement l'attention du géographe navigateur , étaient la Nouvelle- Zélande , les îles Viti , les îles Loyalty , la Nouvelle- Bretagne et la Nouvelle-Guinée ; et ce fut vers ces divers points que se dirigèrent tous mes efforts. La relation du voyage fera voir ce qu'il nous a été possible d'exécuter, et on appréciera sans doute les raisons qui nous ont contraint à laisser incom- plètes quelques parties de ce plan. DISCOURS PRELIMINAIRE. xxix Pour mettre le lecteur entièrement à même d^avoir une juste idée de notre campagne, j'ai fait précéder mon récit par les instructions que m\ivait données le ministère, et par Fexcellent mémoire explicatif qui avait été tracé pour le voyage de l'Astrolabe par les savans chefs du dé- pôt de la marine. En cela j'ai suivi Fexemple des plus illustres capitaines ; c'est avec une vive satis- faction que Ton retrouve en tête des voyages des Cook, des La Pérouse, des d'Entrecasteaux , les instructions de leurs oouvernemens. Elles sont de glorieux témoignages des sentimens nobles et désin- téressés qui animaient les souverains au nom des- quels elles furent données , et du courage persévé- rant et réfléchi de ceux qui se dévouèrent à les suivre. En outre, ces mêmes instructions peuvent par la suite offrir long-temps encore d'utiles ren- seignemens aux navigateurs que le sort conduira dans ces parages. Celles de La Pérouse , que rédi- gea l'habile Fleurieu, ont toujours été regardées comme un modèle en ce genre , et celles de V As- trolabe prouveront , je l'espère , que l'esprit de cet hydrographe célèbre revit encore chez un de ses plus estimables successeurs. La liste générale des officiers , marins et soldats XXX DISCOURS PRELIMINAIRE. composant Téquipage de V Astrolabe , avec leurs divers mouvemens durant la campagne , viendra après les instructions , et sera suivie par le rap- port de MM. les Membres de TAcadémie des sciences chargés d'examiner les travaux de la mission; puis nous passerons à la relation même du voyage. Ici je dois une explication au lecteur; jusqu'à M. de Freycinet , tous les récits de voyages ma- ritimes, constamment soumis à Tordre historique, n'étaient en quelque sorte que le journal du bord dépouillé d'une partie de sa sécheresse habituelle, et plus ou moins animé par des épisodes , par des observations sur les mœurs des naturels, et les productions du sol , et quelquefois aussi par des réflexions philosophiques. M. de Freycinet, le pre- mier , dans la rédaction du voyage de Baudin , en vertu des ordres qu'il reçut alors , adopta une autre marche , et, se contentant de faire précéder l'ouvrage d'un simple itinéraire , divisa les obser- vations faites pendant la campagne en divers cha- pitres qui ne reconnurent d'autre loi que celle des localités et des matières. Il a suivi à peu près le même système dans la publication de son voyage sur l'Uranie^ qui oifre plutôt un immense DISCOURS PRELIMINAIRE. xxxi recueil de recherches laborieuses qu'*une véri- table relation. De cette manière, il est possible de présenter sans doute un travail plus complet, et qui peut en quelques circonstances devenir plus utile à con- sulter , puisqu^ alors le narrateur ne se borne plus à ses propres observations ou à celles qui y ont un rapport direct. Les diverses relâches de la campagne deviennent ainsi en quelque sorte au- tant de sujets de dissertations que Ton peut rendre d'autant plus complètes que Ton ne néglige au- cun des auteurs ou des voyageurs qui ont traité la même matière. Mais on ne doit pas se dissimuler que d'un autre côté cette méthode entraîne de orands inconvéniens. D'abord elle nécessite dans la publication de longs retards , puisqu'il faut connaître tout ce qui a été écrit sur chaque sujet , étudier , discuter , analyser des versions sou- vent bien différentes, et faire, en quelque sorte, un traité de géographie pour chaque mouillage. Ensuite les observations du voyageur lui-même disparaissent confondues avec celles des autres personnes qu'il a fallu citer, et son ouvrage perd alors ce cachet d'originalité si agréable au lec- teur , pour les savans le meilleur garant de sa xxxii DISCOURS PRELIMINAIRE. sincérité. En même temps cesse aussi cet intérêt qui ne manque guère de se rattacher à la personne de celui qui raconte ce qu'il a vu , ce qu'il a fait , ce qu'il a observé dans ses voyages : intérêt dont la vivacité dépend sans doute à la fois du talent du narrateur, de l'importance des événemens qu'il doit retracer, ou du mérite de ses observations. Toutefois cet intérêt se retrouve jusque dans les Voyages les plus insignilians, et suffit pour les sau- ver de l'oubli. Malgré la simplicité , et l'on pour- rait dire la naïveté avec laquelle ils sont écrits , les Voyages de Dampier offrent un grand exemple de cette vérité; et qui n'a pas relu quelquefois avec plaisir les narrations si ingénues du bon Lery ! — Décidé par ces considérations et surtout jaloux de mettre sous les yeux du public , dans le plus court délai possible , le résultat de nos efforts , je suis revenu au mode adopté par la plupart de mes devanciers. Ma relation sera tout simplement le journal du voyage, et, comme je m'étais scrupu- leusement imposé la loi de retracer chaque soir les événemens et même les réflexions de la jour- née , je ferai en sorte de m'écarter le moins possi- ble des sentimens et même des expressions qui me furent inspirées par les circonstances sous Fin- DISCOURS PRELIMINAIRE. xxxiu fluence desquelles je me trouvais. Mon savant com- pagnoTi M. Quoy m'a remis un journal de son voyage dont j'ai extrait les passages les plus remar- quables pour les ajouter textuellement à mon récit, en ayant soin seulement de les renvoyer à la fin de chaque volume pour ne pas rompre le cours de la narration. Le dernier volume de Touvrage réunira les ta- bleaux des routes, les observations d'inclinaison et d'intensité magnétiques , les expériences de température à profondeur , les vocabulaires des langues sauvages, enfin tous les mémoires qui ne seront pas de nature à être insérés dans le texte. Quelquefois il m'arrivera de présenter au lecteur des documens étrangers, mais qui auront un rapport immédiat et naturel avec les lieux que nous aurons visités , et j'aurai soin de ne choisir ces documens que parmi ceux que je croirai encore inconnus ou au moins à peine connus en France; dans tous les cas, ils ne seront jamais postérieurs à Tépoque de notre voyage. Enfin, attentif à citer mes autorités, je me propose aussi de distinguer les observations des autres de celles qui me seront propres. Etat nominatif des Officiers, Officiers- Mariniers , Cornette de Sa NOMS ET PRÉNOMS. GRADES. DuMONT d'Urville (Jules-Sébas- Capitaine de frégate, commandant; tien-César), capitaine de vaisseau le 8 août 1829. Lieutenant de vaisseau, chargé du Jacquinot (Charles-Hector), détail. LoTTiN (Victor-Charles), Enseigne de vaisseau; lieutenant de vaisseau le i- velle-Zélande. Yous vous dirigerez sur le détroit de Cook, pour de la vous porter le long de la côte N. E. , afin de faire la reconnaissance de divers points de cette partie de l'île. Vers le l*^' décembre, vous partirez de la Nouvelle-Zé- lande pour vous rendre à Tonga-Tabou , où vous verrez finir l'année 1826. Laissant, dans les premiers jours de janvier 1827, les îles des Amis, vous irez reconnaître l'archipel des îles Fidji, où vous ferez en sorte de ne pas rester plus tard que l'équinoxe de mars ; et de là vous vous rendrez suc- cessivement à la Nouvelle-Calédonie et à la Louisiade, d'où vous vous dirigerez sur le cap Rodney , de la Nouvelle- Guinée. Vous emploierez cinq ou six mois à parcourir les côtes méridionales de cette dernière terre , en passant par le détroit de Torrès que vous explorerez ainsi que les régions voisines où se trouvent un grand nombre d'îles et de ca- naux à peine connus. De la Nouvelle-Guinée vous vous porterez à Amboine où vous ferez en sorte d'arriver au commencement d'oc- tobre 1827. Vous y resterez jusqu'à la fin de novembre pour ravitailler votre bâtiment , et faire reposer son équi- page. Puis, vers le l" décembre, retournant en quelque sorte sur vos pas, vous reviendrez vers les côtes de la Nouvelle -Guinée pour en reprendre l'exploration. Au LU LETTRE commencement de janvier 1828 , vous ferez une courte relâche au port Dory que vous quitterez pour aller recon- naître toute la côte septentrionale de la même terre , jus- qu'au détroit de Dampier. Dans le mois de mars suivant , vous visiterez les côtes de la Nouvelle-Bretagne , et vers le 20 avril vous irez relâcher dans l'une des îles Carolines, dont la position exactement constatée, lors de l'expédition de la Coquille , pourra servir à vérifier vos dernières explorations. Pendant un mois environ vous parcourrez la partie occi- dentale de l'archipel des Carolines jusqu'aux iles Pelew où vous relâcherez à la fin de mai, pour donner quelque repos à votre équipage. Partant des îles Pelew dans les premiers jours de juin , vous serez à Sourabaya au commencement de juillet ; vous pourrez y rester ime vingtaine de jours , et de là vous diri- ger sur l'Ile-de-France , d'où , après im séjour d'environ un mois, vous partirez au commencement d'octobre, pour passer à Bourbon, et opérer votre retour à Toulon. Vous arriverez probablement en ce port dans les pre- miers mois de l'année 1829. Cet itinéraire que vous avez vous-même tracé à Paris , de concert avec M. le contre-amiral chevalier de Rossel , se trouve développé fort en détail dans le mémoire ci-joint ( sous le n. 1 ) qui a été rédigé au dépôt des cartes et plans de la marine , et que M. le vice-amiral comte de Rosily m'a transmis comme contenant toutes les indications propres à vous diriger dans le cours de votre navigation. Il ne m'a point échappé, Monsieur, qu'en désignant les parages où l'Astrolabe devra se porter, vous n'avez eu en vue que le désir de tirer le plus grand parti du temps , et d'éviter les longues traversées que vous auriez eu à DU MINISTRE DE LA MARINE. lui faire dans des mers ouvertes, s'il se fût agi d'un voyajje de circum-navigation. Mais quoique vous n'ayez point à faire le tour du {jlobe, la campagne que vous allez entreprendre n'en sera pas moins remarquable ; elle vous donnera d'autant plus de droits à l'estime et à la reconnaissance des navigateurs, que vous aurez mis plus de soins à explorer des terres, encore peu connues , et à signaler les nombreux écueils qui en rendent l'accès difficile et dangereux. * Un autre intérêt se rattachera à votre voyage si vous parvenez à découvrir des traces de La Pérouse et de ses compagnons d'infortune. Un capitaine américain a dit avoir vu entre les mains des naturels d'une lie située dans l'intervalle de la Nou- velle-Calédonie à la Louisiade , une croix de Saint-Louis et des médailles qui lui ont paru devoir provenir du naufrage du célèbre navigateur dont la perte cause de si justes re- grets. Sans doute, ce n'est là qu'un bien faible motif d'es- pérer que des victimes de ce désastre existent encore ; cependant , Monsieur, vous donneriez à Sa Majesté une satisfaction bien vive , si , après tant d'années de misère et d'exil , quelqu'un des malheureux naufragés était rendu par vous à sa patrie ! Il suffit assurément de vous faire entrevoir la possi- bilité d'mi tel résultat de vos recherches pour que vous ne négligiez rien de ce qui pourra les rendre fruc- tueuses. Après vous avoir tracé la marche que vous avez à suivre et le plan des principales opérations auxquelles vous devez vous livrer dans l'intérêt de la marine , et pour les pro- grès de l'hydrographie , il me resterait à vous parler de ce que les savans attendent de votre expédition ; mais je Liv LETTRE me borne à vous remettre, ci-joint, n. 3, les instructions particulières qui m'ont été adressées pour vous par l'Ins- titut royal de France ; reconnaissant , d'ailleurs , votre expérience , votre savoir et le zèle éclairé de tous vos collaborateurs, j'ai la conviction que vous réaliserez com- plètement les espérances que vous avez fait naître, et qu'à votre retour, le voyage de V Astrolabe sera classé parmi ceux dont les résultats auront le plus contribué aux pro- grès des sciences. Une collection nombreuse de livres , d'instrumens , de cartes , etc., a dû vous être envoyée par les soins de M. le directeur-général du dépôt de la marine ; vous en trouverez ci-joint l'état (sous le n. 4). Il vous a de plus été envoyé récemment trente mé- dailles en argent , et quatre cent cinquante en bronze , que j'ai fait frapper pour perpétuer le souvenir de l'expé- dition de l Astrolabe ; vous pourrez les distribuer dans les pays que vous visiterez , et où vous jugerez utile de laisser des traces de votre passage. Je vous fais remettre , avec cette dépêche , des passe- ports des puissances étrangères , au moyen desquels vous recevrez , dans les divers établissemens de leur dépen- dance, un bon accueil en toute circonstance, et des secours en cas de besoin. Chez les peuples dont la civilisation est moins avancée , vous suppléerez aux recommandations officielles par le moyen des objets de traite dont j'ai ordonné que vous fussiez pourvu en suffisante quantité. A cet égard , comme pour toutes les autres dispositions propres à vous assurer des ressources dans les diverses circonstances de votre navigation, l'armement de la Coquille a dû servir de guide pour celui de V Astrolabe, sauf les seules modifications que DU MINISTUE DE LA MAIUME. lv l'expérience a fait juger nécessaires, et que vous avez vous-même indiquées. Ainsi, Monsieur, les mêmes moyens de succès vous sont donnés, et sans doute le même bonheur signalera le nou- veau voyage que vous allez exécuter. Vous avez beaucoup contribué aux bons résultats de la campagne de la Co- quille, et vous savez qu'ils ont été dus autant à l'miion qui a régné à bord , qu'aux mesures adoptées pour maintenir, parmi les marins de l'équipage , une exacte discipline , en même temps que les plus grandes précautions étaient pri- ses pour éloigner d'eux les dangers des maladies auxquelles les exposaient les fatigues de la mer et l'insalubrité de quelques-mis des pays dans lesquels ils abordaient. Je ne puis trop vous recommander de consulter à ce sujet les instructions sanitaires de M. le docteur Keraudren , ainsi qu'une note ci-jointe (n. 5) que cet inspecteur-général a rédigée spécialement pour le voyage de t Astrolabe. Les journaux, cartes, plans et autres documens qui se- ront le fruit de la campagne , devront être réunis par vos soins, et m'être adressés à votre retour à Toulon. Il en sera de même des collections de toute espèce d'ob- jets d'histoire naturelle. Aucun de ces objets ne devra être distrait de la masse des produits de l'expédition, et je vous charge expressément de me rendre compte de la manière dont chacun de vos collaborateurs aura contribué aux tra- vaux qui devront se faire en commun. Dans quelques voyages précédens, des officiers, des maîtres , et même des matelots ont acheté et gardé pour leur compte des échantillons d'histoire naturelle , qui n'é- ^ tant point entrés dans la collection destinée au cabinet du l\oi , n'ont pu être ni décrits ni publiés. Il est à désirer, dans l'intérêt de la science et pour le renom qui doit s'at- 1.VI LETTRE DU MINISTRE DE LA MARINE. tacher à l'expédition de V Astrolabe , que 1^ même chose n'ait pas heu dans cette nouvelle campagne. Vous voudrez bien faire connaître à toutes les personnes embarquées sur ce bâtiment , que les espèces rares et nouvelles d'animaux , de plantes ou de minéraux, qui entreront à bord, devront, sans aucune exception, faire partie de la collection du Roi, et resteront , à cet effet , entre les mains des naturalistes , sauf à tenir compte du prix d'achat à ceux qui en auront fait l'acquisition ; et , pour faciliter les transactions de ce genre avec les habitans des pays que vous visiterez, vous aurez soin de mettre à la disposition des naturalistes du bord une certaine quantité des objets d'échange qui ont été embarqués à Toulon. Enfin , Monsieur, je vous recom- mande de faire en sorte que les échantillons qui devront faire partie de la collection destinée au Muséum royal, soient placés à bord dans des lieux où leur conservation soit parfaitement assurée. Vous aurez soin de profiter de toutes les occasions qui s'offriront à vous pour m'adresser des détails sur votre navigation; il me sera fort agréable, Monsieur, en mettant vos rapports sous les yeux du Roi , d'avoir à faire remar- quer à Sa Majesté que vous aurez complètement justifié, par vos travaux, la confiance qu'elle a daigné vous accor- der en vous chargeant d'une mission aussi importante pour les sciences et pour la marine, qu'elle est honorable pour vous. Recevez , Monsieur , l'assurance de ma parfaite consi- dération , Le Pair de France Ministre Secrétaire d'État de la Marine et des Colonies, Signé : Comte DE CHABROL. MÉMOIRE POUR SERVIR D INSTRUCTION A M. DUMONT D URVILLE, CAriTAINE DE FREGATE, COMMAIND.VNT LA CORVETTE DU ROI l'aSTROLABE ; |)fnîiant ht campaçiiic ie JDcrouoertes bout le îlot lui II confie l'crccution. Il est probable que M. Dumont d'Urville , capitaine de frégate , à qui Sa Majesté a confié le commandement de la corvette V Astrolabe , pour faire un voyage de décou- vertes dans le Grand-Océan , et pour compléter par de nouvelles recherches l'exploration de plusiem^s parties que les navigateurs ont précédemment visitées , pourra quitter les ports de France au 1^"^ avril , ou vers le 1'^'" avril prochain. Il est essentiel que le départ de l'Astrolabe ne s'écarte pas beaucoup de cette époque. L'itinéraire de son voyage a été tracé de manière que, pendant les traversées qu'il devra faire pour se rendre d'un lieu à un autre , il puisse profiter des saisons les plus favorables. Il serait à craindre que si son départ était de plus d'un mois et demi postérieur au P' avril , il ne fût exposé à se trouver à iviu MEMOIRE D'INSTUUGTÎON. contre-saison dans quelques-uns des parages où il doit aller, et par conséquent dans le cas de ne pouvoir plus suivre le plan de sa campagne , ainsi qu'il est arrivé à quelques-uns des officiers qui ont commandé de pareilles expéditions. Ce qui vient d'être dit relativement à l'époque du départ de l'un des ports d'Europe , d'où l'expédition mettra à la voile , doit s'appliquer au départ de tous les lieux où M. Dumont d'Urville sera dans le cas de relâcher ; c'est-à-dire qu'il fera toujours en sorte de combiner ses traversées , et de ne mettre à faire les découvertes dont il sera question dans la présente instruction , que le temps nécessaire pour qu'il puisse arriver à chacun des ports de relâche , et en partir à peu près aux époques qui y sont désignées. Il est néanmoins possible que des contrariétés ou des événemens imprévus s'opposent a ce que cette partie de ses instructions puisse être aussi fidèlement rem- plie qu'il poiuTa le désirer. Alors , afin de se rattacher dans son voyage à quelques-unes des époques subsé- quentes à celle dont il aura été forcé , contre sa volonté , de s'éloigner , il négligerait plutôt quelques-unes des découvertes ou des recherches qui vont lui être recom- mandées, que d'abandonner entièrement l'ordre qui va être suivi dans ses instructions. Au reste , quoique tous les objets que l'on va indiquer comme devant fixer son attention soient très-utiles , il ne doit pas en regarder la recherche comme obligatoire. On s'en rapporte à son zèle et à ses lumières , persuadé qu'il fera toutes les re- connaissances que le temps et les circonstances lui per- mettront de compléter. Si la corvette l'Astrolabe part des ports d'Europe le l" avril t82(i, ou dans les premiers jours d'aviil , elle MEMOIRE D'INSTRIJCTION. nx pourra arriver à TénérifFe le 25 du même mois. Ou l'en- gage à observer à terre , avec beaucoup de soin , le mou- vement des montres marines. L'ile de Ténériffe a été visitée par un grand nombre de navigateurs ; sa longitude a été déterminée par des montres \xn grand nombre de fois ; néanmoins , il reste encore sur cette longitude de petites incertitudes qui proviennent de ce que les résul- tats , qui devraiient être les mêmes , diffèrent de quantités assez considérables. On doit attribuer ces différences à ce que les montres marines , exposées à un changement de température subit , n'ont pas pris au commencement des diverses campagnes la régularité de mouvement qu'elles ont eue dans la suite. Ce n'est qu'en multipliant ces sortes d'observations que l'on parviendra à obtenir la précision désirable ; certainement les résultats des trois montres de V Astrolabe nous donneront les moyens d'en approcher beaucoup, et peut-être de l'atteindre. Dix jours de relâche à Ténériffe doivent suffire pour se procurer des rafraîchisseraens , remplacer les vivres et l'eau consommés , faire les observations astronomiques pour régler les montres , et enfin pour se préparer à une très-longue traversée. L' Astrolabe partira de Ténériffe aux environs du 5 mai , et se hâtera de se rendre immé- diatement dans les parages qui doivent être le théâtre de ses principales découvertes. Ainsi on passera sans s'arrêtei' au sud du cap de Bonne-Espérance ; on traversera la mer des hides , et l'on viendra dans le détroit de Bass qui sépare la Nouvelle-Hollande de la terre de Van-Diémen , enfin on ira relâcher dans le port Dalrymple. On suppose que trois mois et dix jours suffiront pour cette traversée; ainsi l' Astrolabe arrivera aux environs du 25 août au port Dalrymple. Les accroissemens que cette nouvelle colonie Lx MEMOIRE D'INSTRUCTION. anglaise a reçus font espérer que M. d'Urville y trouvera tout ce qui est nécessaire pour procurer des rafraîchisse- mens à son équipage. Les recherches relatives aux sciences naturelles ne pourront mancpier d'être d'un très-grand intérêt. On pourra également se livrer, dans le port Dalrymple , à tous les genres d'observations propres a déterminer la position de ce lieu , la déclinaison et l'incli- naison de l'aiguille aimantée, et faire les autres gjenres d'observations dont les savans de l'Académie des sciences désirent obtenir les résultats , dans l'intention d'accroître et de perfectionner les différentes branches des connais- sances humaines. On n'a pas cru nécessaire de recommander à M. d'Ur- ville de prendre connaissance de quelques-uns des lieux qui doivent se trouver à peu de distance de la route qu'il devra parcourir après avoir doublé le cap de Bonne- Espérance , pour se rendre au détroit de Bass. Cepen- dant, comme il passera à peu de distance de quelques lieux dont la position a été déterminée pendant le voyag-e du contre-amiral d'Entrecasteaux, il ne serait pas inu- tile qu'il vînt en vue de quelques-uns des mêmes lieux pour en déterminer la longitude avec ses montres. De pareilles vérifications, qu'il aura plusieurs fois occasion de faire pendant son voyage , donneront les moyens de lier entre elles ses découvertes avec celles de plus anciens voyageurs , et d'augmenter, s'il est possible , la précision des positions tant en latitude qu'en longitude observées pendant plusieurs voyages. La position des îles Saint- Paul et Amsterdam , et principalement celle d'un des points les plus remarquables de la terre de Nuitz , se- raient très-propres à remplir cet objet. M. d'Urville fera en sorte de quitter le port Dalrymple vers le 25 août, MlvMOlUE D'lNSTl\lJCTlON. lxi pour arriver à Port- Jackson à peu près le 1*" septembre. La relâche de Port-Jackson sera de plus d'un mois ; toutes les opérations , tant pour ravitailler le bâtiment que pour faire des observations astronomiques et d'autres observations de tous genres , relatives à la vertu magné- tique et à l'histoire naturelle , devront être combinées de manière que l'on puisse partir de Port-Jackson le 6 octobre. La première terre dont on devra prendre connaissance après avoir quitté la Nouvelle-Hollande , est celle de la Nouvelle-Zélande , dont il serait utile que quelques por- tions de la cote nord-est fussent reconnues avec soin. Il semble que la route la plus avantageuse à faire pour venir chercher cette côte , serait de passer par le détroit de Cook , en allant de l'ouest à l'est ; et ensuite de remonter vers le nord, en se tenant à peu de distance de terre. M. d'Urville pourra juger, d'après les relations des dif- férens voyages qu'il a entre les mains , d'après les cartes publiées dernièrement par l'amiral Krusenstern et les dernières reconnaissances faites par M. Duperrey, c{uelles sont les parties les moins connues de cette cote , et par conséquent celles qui méritent de fixer le plus particu- lièrement son attention. Quel que soit le parti qu'il juge à propos de prendre à cet égard , il lui est recommandé de ne pas rester sur cette côte plus tard que le 1*"' décem- bre , afin de pouvoir arriver à Tonga-Tabou à peu près le 20 du même mois. Il fera dans ce dernier lieu une re- lâche de dix à onze jours. Le havre de Tonga-Tabou est un des points déterminés pendant le voyage du contre-amiral d'Entrecasteaux. Il l'avait été précédemment par le capitaine Cook. H y a lieu de penser que la longitude de Pangaïmodou , déter- minée pendant le voyage du contre-amiral français , ne ixii MEMOIRE D'INSTRUCTION. s'éloigne pas beaucoup de la véritable. Cependant on devra s'attacher à la rectifier ou à la confirmer par de nouvelles observations, mais surtout on comparera les longitudes obtenues par les montres de l'Astrolabe à celles de la montre de la frégate la Recherche, dans l'intention de lier à la longitude de Tonga-Tabou la po- sition des terres dont on aura connaissance , après avoir quitté cette île. Il serait inutile de recommander parti- culièrement de répéter, dans ce dernier lieu, autant que les circonstances et les localités pourront le permettre, tous les genres d'observation que l'on a dû faire à Port- .ïackson et au port Dalrymple. Depuis trente-sept ans que les bâtimens la Becherche et l'Espérance ont visité les habitans des îles des Amis , ces peuples ont dû avoir des communications plus ou moins fréquentes avec des bâtimens anglais et des États-Unis. On présume, d'après une relation qui a été publiée il y a plusieurs années , que le mode de gouvernement et les mœurs des naturels des îles des Amis ont éprouvé de grands changemens. Il serait curieux de faire connaître quelle a été leur nature , et de rassembler un assez grand nombre de faits pour s'assurer si la civilisation y a fait quelques progrès , et si le sort des habitans s'est amélioré, soit par la culture des terres ou toute autre espèce d'indus- trie. La connaissance que M. Dumont d'Urville a acquise des grands progrès des habitans des îles de la Société en civilisation, en morale et en industrie, peut lui fournir des points de comparaison d'un grand intérêt pour le public en général, et d'une grande utilité pour ceux qui étudient spécialement la marche que les peuples sauvages suivent, en partant de leur situation primitive, pour se rappro- cher de l'état parfait de civilisation. MEMOIRE D'INSTRUCTION. lxih V Astrolabe quittera Tonga-Tabou le 1*^' janvier 1827. 11 est fort à désirer que M. d'Urville s'occupe, après avoir quitté cette île, de visiter l'archipel des îles Fidji qui n'en est pas très-éloigné dans le nord-ouest. Krusenstern place l'île de la Tortue, la plus sud de ces îles, par 19" 48' de latitude sud, et 179" 40' de longitude orientale. Lors du séjour du contre-amiral d'Entrecasteaux à Tonga- Tabou, les insulaires lui parlèrent d'un peuple très-entre- prenant qui faisait souvent des descentes sur leurs îles avec tant de succès , qu'ils y étaiçnt singulièrement re- doutés. Les insulaires des îles des Amis s'étaient cependant défendus contre eux avec avantage. Ils lui montrèrent des prisonniers faits sur ces peuples , qu'ils avaient incor- porés dans leur nation. A en juger par ceux que l'on a vus , la race d'hommes des îles Fidji est moins belle que celle des îles des Amis. Leur stature est moins haute , les membres n'ont pas d'aussi belles proportions , et leurs traits sont moins réguliers , mais leur physionomie et leur attitude avaient quelque chose de plus caractérisé. Les ustensiles de ménage et les armes conquises par les habi- tans des îles des Amis, annonçaient un peuple plus indus- trieux quoique d'mi caractère moins doux que ceux-ci. Bien long-temps avant le voyage du contre-amiral d'Entrecasteaux , Abel Tasman , voyageur hollandais , après avoir découvert les îles Tonga-Tabou et Anamouka, auxquelles il avait donné le nom d'Amsterdam et de Rot- terdam , vit pour la première fois des îles et des récifs appartenant à l'archipel des Fidji. Les îles furent nommées par lui îles du Prince Guillaume ; et les récifs , basses du Hemskirk , nom de son vaisseau. Il se faisait alors par 16" 30' de latitude sud , et 179" 40' de longitude orientale. Lxiv MEMOIRE D'INSTRUCTION. Krusenstern croit que la partie vue par Tasman com- prend les récifs indiqués dans son Atlas sous le nom de récifs du Duff, avec les îles qui les environnent. Il serait à désirer que M. d'Urville, lorsqu'il visitera l'archipel des Fidji, pût restituer les noms du Prince Guillaume et du Hemskirk aux îles et récifs découverts par Tasman. Il serait même digne d'un navigateur français de faire reparaître sur ses cartes le nom du Hollandais célèbre qui , le pre- mier, a eu connaissance de ces îles. La seule trace qui nous reste du voyage d'Abel Tasman, se trouve dans l'ouvrage de Yalentyn. Cet auteur dit peu de chose de la découverte des îles Fidji , mais on trouve une carte qui , quoique mal dessinée et peu détaillée de cette découverte, en donne des idées plus précises que le texte du voyage. Un calque de ce fragment de l'ouvrage de Valentyn est envoyé à M. d'Urville. L'archipel des îles Fidji est d'une grande étendue ; il a plus de quatre-vingts lieues du nord au sud , depuis la petite île de la Tortue qui est la plus méridionale , jusqu'à l'île Farewell la plus au nord; et à peu près autant de l'est à l'ouest. Il comprend un grand nombre d'îles et de dangers. Si V Astrolabe peut partir de Tonga-Tabou à l'é- poque indiquée, qui est le 1*^^' janvier, il sera possible d'em- ployer soixante-dix-huit jours à la reconnaissance de cet archipel; ainsi, en supposant qu'il y arrive le 7 janvier, il en partira le 27 mars. Cette dernière époque est de rigueur, et dans aucun cas il ne devra quitter ces îles plus tard. La première partie de la carte n. 14 de l'Atlas de Kru- senstern pourra servir de guide à M. d'Urville. Les vents dominans dans ces parages sont les vents de sud-est. La Tortue , qui est l'île la plus sud , paraît donc le premier MEMOIRE D'INSTRUCTIOIS. lxv objet dont il faut prendre connaissance. Ensuite , en fai- sant route du nord-est au sud-ouest, ou dans d'autres direc- tions , suivant la position des terres et des dangers , on fera en sorte que l'espace visité soit divisé en deux parties é{>ales , par une ligne dont la direction serait à peu près nord-ouest et sud-est, laquelle passerait dans le groupe où se trouve l'ile Tongue , et se continuerait jusqu'à l'île Pago , la plus grande des îles Fidji. La reconnaissance de cet archipel n'a pas été complétée, ainsi on croit devoir re- commander de ne pas regarder les extrémités indiquées par la carte comme les véritables, et l'on engage M. d'Ur- ville à pousser ses recherches au-delà , en se tenant cepen- dant dans de certaines limites. Il est essentiel de le prévenir que la navigation entre ces îles est embarrassée par un très-grand nombre d'écueils et de récifs. Il sera nécessaire de mettre la plus grande précaution à cette reconnaissance. Les habitans , d'après les récits du peu de navigateurs qui ont eu connaissance de ces îles , confirment ce que les insulaires des îles des Amis avaient dit au contre-amiral d'Entrecasteaux de leur férocité. On a lieu de croire, néanmoins, que M. d'Ur- ville entretiendra parmi ses équipages un ordre et mic discipline tels que les communications indispensables qu'il aura avec eux seront sans danger. Il pourra obtenir de quelques-uns d'entre eux des renseignemens sur la position des îles voisines par rapport au lieu où il les aura obtenus, ainsi que sur les principaux écueils ou récifs dont elles sont environnées. Quelles que puissent être les imperfections de pareils renseignemens , ils aideront ce- pendant M. d'Urville à se diriger, mais surtout ils empê- cheront qu'il ne soit exposé à n'avoir pas connaissance de quelques-unes des îles dont cet archipel est composé ; car, ixvi MEMOIRE D INSTRUCTION. comme on l'a déjà dit , la carte de l'ouvragée de Krusen- stern est très-incomplète, de l'aveu même de son auteur. Les différentes îles y ont été placées , d'après les routes de navigateurs qui n'ont pas eu connaissance des mêmes points , et il serait très-possible que ces îles n'eussent pas absolument entre elles les positions relatives qui leur ont été données sur la carte. On a dit précédemment que M. d'Urville pourrait con- sacrer soixante-dix-huit jours à la reconnaissance de l'ar- chipel des îles Fidji, s'il part de Tonga-Tabou le 1" janvier 1827, ou plutôt s'il y arrive le 7 janvier suivant. Il serait à désirer que dans cet intervalle de temps il pût en com- pléter la reconnaissance ; mais, en raison de son étendue , des difficultés de la navigation et des contrariétés que l'on doit prévoir, il serait imprudent d'y compter. On est donc obligé , quoiqu'on lui recommande de re- connaître en entier cet archipel , de supposer qu'il ne pourra en visiter qu'une partie ; mais , dans cette supposi- tion , il s'attachera à compléter ce qu'il aura vu , et à nous en donner des cartes exactes. Il ne doit , en conséquence, passer légèrement sur aucune des parties dont il aura connaissance pour aller en reconnaître d'autres. 11 visi- tera en détail toutes les portions de cet archipel , comme s'il ne devait s'attacher qu'à celles-là, et si, le 27 mars, époque à laquelle il doit s'éloigner de ces parages, le temps ne lui a pas permis de reconnaître toutes ces îles , il doit être persuadé qu'on lui tiendra compte des travaux qu'il aura faits , comme s'il avait pu lever la carte de l'ar- chipel entier. Il est à présumer que si la corvette l'Astrolabe quitte les îles Fidji le 27 mars , elle pourra se trouver aux envi- rons de la Nouvelle-Calédonie le G avril suivant. La route MEMOIRE D INSTRUCTION. lxvii sera dirigée à l'ouest , de manière à passer en vue des îles les plus méridionales de l'archipel des Hébrides appelées Erronan et Anatom ; ensuite on se tiendra entre les paral- lèles de :?0" et 51° de latitude. Les côtes de la Nouvelle- Calédonie, et les récifs dont elles sont environnées, ont été reconnus par Cook et le contre-amiral d'Entrecas- teaux ; il serait sans objet de s'en occuper ; mais un groupe diles qui porte, sur la nouvelle carte, le nom de Loyalty- Islands , situé à environ 20*^ 50' de latitude sud , et dont l'extrémité occidentale se trouve à peu près sur le même méridien que les îles Beaupré , reconnues par d'Entre- casteaux, mérite toute l'attention de M. d'Urville. Nous n'avons aucxin détail certain sur l'étendue et la position de ces îles. Krusenstern dit qu'elles ont été vues en 1800 par le vaisseau TFalpoole , et, selon d'autres, en 1803 par le vaisseau la Britannia. Il serait utile que M. d'Urville pût nous en donner une carte complète ; mais il est impos- sible de s'en flatter parce qu'il n'aura , selon toute appa- rence , à y consacrer que dix jours ; c'est-à-dire depuis le 6 avril , époque où l'on suppose qu'il en aura con- naissance, jusqu'au 16 avril, qu'il devra continuer sa route pour remplir les autres objets de sa mission. La carte de l'Atlas de Krusenstern , où se trouve la Nouvelle-Calédonie , semblerait indiquer que les côtes occidentales des deux îles les plus méridionales des Loyalty-Islands , ainsi que les côtes sud des trois autres îles, ont été visitées. M. d'Urville tâcherait donc de venir reconnaître l'extrémité la plus sud de ces îles les plus méridionales qui se trouvent par environ 2P 32' de lati- tude, et 165'' 28' de longitude orientale. Mais cette longitude est incertaine, et ne mérite aucune confiance. En partant de l'extrémité dont on vient de parler, il LXVIII MEMOIRE D'INSTRUCTION. serait possible, avec des vents de sud-est, de prolon{;er les côtes orientales des deux îles qui se dirigent du nord au sud, et ensuite de suivre les côtes septentrionales des trois îles rangées à peu près sur une ligne est et ouest. En quittant ces îles , il serait avantageux de rattacher leur position à quelques points dont la position géographique a été antérieurement déterminée par le contre-amiral d'Entrecasteaux ; les îles Beaupré offiiront cet avantage, mais il faudrait passer au sud de ces îles , parce que c'est la partie nord qui a été vue précédemment. Il est inutile de dire que , si le temps ou les circons- tances ne permettaient pas d'aller prendre connaissance des îles Beaupré , il faudrait aller chercher un des points de la Nouvelle-Calédonie , déterminé précédemment par le contre-amiral d'Entrecasteaux. On fera en sorte de quitter, ainsi qu'on vient de le dire, les Loyalty-Islands , le 16 avril; ensuite on fera route pour attérir sur le cap de la Délivrance de la Louisiade , où l'on tâchera d'arriver le 1" mai. Cette route fait traverser un espace de mer peu connu , et dans lequel il est à présumer qu'il peut se trouver des écueils ou des îles qui n'ont point encore été décou- verts. Dernièrement un bruit a couru , fondé sur le dire d'un capitaine américain , d'après lequel on pourrait supposer que sur la ligne que l'on tirerait de l'extrémité septen- trionale des récifs de la Nouvelle-Calédonie , jusqu'au cap de la Délivrance de la Louisiade", ou dans les environs de cette ligne, il aurait découvert un groupe d'îles bien peuplées et entourées de récifs. Ce même capitaine a dit avoir eu des communications avec les habitans , et avoir vu entre leurs mains une croix de Saint-Louis et des mé- MEMOIKK D'INSTUDCTION. lxix dailles telles que La Pérouse en avait sur son expédition pour distribuer aux peuples de la mer du Sud. Ces indices lui ont fait croire que les bàtimens de l'infortuné La Pérouse avaient péri sur ces îles , et ont réveillé , dans toute l'Europe , l'espoir perdu depuis long-temps de re- trouver les traces de La Pérouse et de quelques-iuis de ses malheureux compagnons de voyage. Les récits du capi- taine américain sont si vagues , qu'il est impossible de donner aucun détail sur cette découverte à M. d'Urville. Le désir de retirer quelques Français malheureux des mains des peuples sauvages des îles de la mer du Sud , l'engagera sans doute à rechercher les îles dont il est question avec le soin que mérite un but d'hmnanité de cette importance. M. d'Urville détermmera la position géographique du cap de la Délivrance , le plus oriental de la Loui- siade , pour rattacher ses opérations à celles du contre- amiral d'Entrecasteaux; il prolongera ensuite les côtes méridionales de ces îles, d'assez près pour bien les re- connaître , mais il évitera de compromettre la sûreté de son bâtiment. Toutes les fois qu'un canal lui paraîtra na- vigable et exempt de danger, il cherchera à y pénétrer et à reconnaître quelques points antérieurement placés par le navigateur français qui nous a donné le plus de détails sur ces îles. M. d'Urville se ménagera , dans tous les cas, les moyens de retourner sur ses pas , et de venir repren- dre la reconnaissance de la partie méridionale qu'il conti- nuera jusqu'au cap Rodney que l'on croit être le plus oriental de la Nouvelle-Guinée. Lorsque M. d'Urville sera arrivé au cap Rodney , son but sera de reconnaître la côte méridionale de la Nou- velle-Guinée ; puis la corvette l'Astrolabe se rendra di- Lxx MEMOIRE D'INSTRUCTION. rectement à Amboine , où l'on suppose qu'elle pourra arriver aux environs du 10 octobre. La relâche d' Amboine offrira toutes les ressources que l'on peut désirer, tant pour procurer des rafraîchisse- mens aux équipages , remplacer les vivres , que pour faire des observations astronomiques. Amboine a été déterminée en longitude pendant le voyage du contre-amiral d'Entrecasteaux , c'est le résultat d'une observation d'occultation faite à Sourabaya , lequel a servi à déterminer toutes les longitudes absolues des lieux situés entre Sourabaya et les petites îles Mispalu qui sont à peu de distance , dans l'ouest du cap de Bonne- Espérance, de la Nouvelle -Guinée. Ce nouveau point liera les longitudes des montres de V Astrolabe aux lon- gitudes du contre-amiral d'Entrecasteairx et des autres navigateurs français qui ont relâché dans cette île. Toutes les autres expériences ou observations de nature à agrandir le domaine de nos connaissances , pourront être répétées pendant cette relâche. Il sera nécessaire d'attendre à Amboine , non-seulement que la mousson d'ouest se soit établie , mais encore que le temps orageux et les vents violens, par lesquels cette mousson commence , se soient apaisés ; ainsi V Astrolabe ne quittera Amboine que le 1'^' décembre pour aller visiter les parties de la côte de la Nouvelle-Guinée les moins connues. M. d'Urville choisira, parmi les détroits qui conduisent au nord de la Nouvelle-Guinée en sortant des Moluques, celui qu'il jugera à propos , et comme toute la côte nord de cette grande île, depuis son extrémité occi- dentale , n'a aucun danger, et d'ailleurs est bien connue , il passera légèrement le long de cette côte , et viendra relâcher au port de Dory. On croit, néanmoins, devoir MEiMOlUE D ir^SmUCTlON. lxxi lui recommaiuler parliculièi'ement de prendre connais- sance des deux petites iles Mispalu déterminées par d'Entrecasteaux , et dont la position en longitude est liée aux positions des îles Moluques et des îles de la Sonde. On admet que la corvette l'Astrolabe arrivera le 1*"^ janvier 1828 au port de Dory. Une relâche de neuf jours paraît devoir suffire pour faire dans ce port des ob- servations astronomiques et des collections d'histoire na- turelle ; ainsi on quittera Dory le 10 janvier. L'objet que l'on doit avoir principalement en vue après cette re- lâche, est la reconnaissance des côtes nord de la Nouvelle- Guinée jusqu'au détroit de Dampier. Deux routes se pré- sentent pour traverser la baie du Geelwink. L'une fei^ait passer dans le détroit de Jobie qui n'est pas très-bien connu. L'autre conduit au nord de l'île de William Schou- ten. En suivant celle-ci, on pourrait vérifier si les iles Stephen de Carteret sont les mêmes que les îles de la Pro- vidence. Il serait bon de vérifier également si les îles Freewill sont les mêmes que le Wanvick a vues en 1761. M. d'Urville trouvera dans l'ouvrage de Krusenstern les renseignemens nécessaires pour le guider dans ses vérifi- cations. Parvenu à la pointe orientale de la baie du Geel- wink , on suivra la côte de la Nouvelle-Guinée d'assez près pour la bien reconnaître. Les îles découvertes par Schou- ten seront également reconnues avec soin, et rien ne sera négligé pour déterminer leur position à l'égard de la côte la plus voisine. Il sera essentiel de lier les positions en longitude nou- vellement déterminées à celles du contre-amiral d'Entre- casteaux. Les opérations précédentes seront subordonnées au temps qu'il sera possible d'y employer , c'est-à-dire que l'on ne restera sur ces côtes que depuis le 10 janvier Lxxri MEMOIRE D'INSTRUCTION. jusqu'au 10 mars. Le temps écoulé du 10 mars au l^f avril sera employé à visiter les côtes de la Nouvelle-Bretagne , de manière à pouvoir s'assurer si ces terres sont réelle- ment séparées en deux parties au port Montague. Ensuite on remontera au nord par la route que M. d'Urville ju- gera à propos de suivre pour aller prendre connaissance d'une des îles Carolines reconnues précédemment pen- dant le voyage de la Coquille. On suppose que V Astro- labe arrivera à une de ces îles le 20 avril. Du 20 avril au 20 mai , on visitera la partie occidentale des îles Carolines jusqu'aux îles Pelew. Pendant le mois entier qu'on y con- sacrera, il sera possible de nous donner une connaissance, sinon complète , du moins très-étendue , de cette partie. Il est en conséquence recommandé à M. d'Urville de ne rien négliger de ce qui pourra contribuer à compléter cette reconnaissance, et pour qu'il ne soit pas exposé à aller chercher , au hasard de les manquer , la multitude de petites îles détachées dont cet archipel est composé , partout où il aura des communications avec les habitans, il s'enquerra soigneusement de la position des îles voi- sines, et, à l'aide de ces renseignemens, il conduira le fil de ses opérations avec l'espoir de ne rien manquer d'une certaine importance. L Astrolabe s'arrêtera du 20 mai au 5 juin à l'une des îles Pelew, où l'on pourra procurer des rafraîchissemens aux équipages et se livrer à tous les genres d'observations. ' M. d'Urville , en quittant les îles Pelew, se rendra di- rectement à Sourabaya , situé près de l'extrémité orien- tale de l'île de Java. Cette route , qui le mettra dans la nécessité de traverser les mers des Moluques et des îles de la Sonde, lui offrira un grand nombre de passages différens. 11 choisira, d'après les vents régnans, un de , MEMOIRE D'INSTRUCTION. lxxiii ceux qui, ayant été le moins fréquenté, lui donnera le plus d'espoir d'aug^menter nos connaissances hydrogra- phiques. La partie de la mer des Moluques , qui est entre Gilolo et Célèbes , principalement du côté de cette der- nière île , est celle qui a été traversée par le plus petit nombre de routes. Cependant comme il pourrait être dif- ficile de gagner vers le sud pendant cette saison , il sera important de suivre la direction la plus propre à abréger la traversée , et sm'tout il faudra combiner les routes de manière à arriver le 5 juillet à Sourabaya. Une relâche de vingt jours dans ce port paraît suffire pour réparer et approvisionner le bâtiment ; ainsi on pourra reprendre la mer le 25 juillet. La position géographique de Sourabaya a été déter- minée pendant le voyage du contre - amiral d'Entrecas- teaux , par des observations dont les résultats méritent la plus grande confiance. La latitude a été conclue par un grand nombre de hauteurs méridiennes d'étoiles , obser- vées avec un cercle astronomique. La longitude est le résultat d'une occultation calculée avec les lieux de la lune, corrigés par des observations du passage au méridien, faites à Greenwich le même jour. C'est à cette longitude , comme on l'a déjà dit , que celles de tous les lieux compris entre les méridiens de Soura- baya et des petites îles Mispalu, ont été rapportées. La comparaison des longitudes obtenues par les montres de l'Astrolabe avec celles-ci , fournira des moyens de vérifi- cation dont il sera possible de tirer de grands avantages. De Sourabaya la corvette l' Astrolabe se rendra direc- tement à rUe-de-France , où l'on suppose qu'elle arrivera le 25 août. Elle pourra quitter cette île le 1'' octobre pour revenir dans un des ports de France. Lxxvi RAPPORT compatriotes, tristes débris d'un iiauirage dans quelque ile inconnue, ou perdue au milieu de l'Océan-Pacifique ou Grand-Océan. Divers bruits de cette nature se succédèrent presque d'année en année ; mais ils parurent trop peu fondés pour mériter de fixer l'attention. Enfin, quelque temps avant le départ de M. d'Urville, un officier anglais , d'un caractère respectable , répandit dans le public les particularités suivantes . Il tenait , disait-il , d'un capitaine américain que celui-ci, après avoir décou- vert un groupe d'îles bien peuplées et entourées de récifs, avait eu des communications avec les habitans, et avait * vu entre leurs mains une croix de Saint-Louis et des mé- dailles telles que La Pérouse en avait sur son expédition. Ces indices pouvaient faire croire que les bâtimens de La Pérouse avaient péri sur ces îles. 11 ne manquait à des renseignemens aussi bien circons- tanciés que de faire connaître le nom et la position du groupe d'îles, où avaient été découverts ces témoignages irrécusables de la présence des bâtimens de La Pérouse. Quoique l'espoir de le retrouver fût presque évanoui , et que le récit du capitaine américain manquât de l'objet le plus important, c'est-à-dire de celui qui pouvait aider à diriger les recherches , on ne crut pas devoir négliger un bruit qui avait ranimé l'espérance dans tous les esprits. On se décida par cette raison à entreprendre une nou- velle campagne de découvertes qui devait , dans sa route , passer au milieu des parages où l'on pouvait supposer que devait se trouver le groupe d'îles visitées par le capitaine américain. Assurément il n'était guère possible de se flatter de le retrouver , d'après des renseignemens aussi vagues que ceux qui avaient été donnés sur sa position. DE M. DE ROSSEL. lxxvii Quelques personnes auraient même pu croire que les bruits répandus sur le témoignage de ce capitaine amé- ricain étaient dénués de fondement. Je ne serais même pas éloigné de penser qu'elles eussent eu raison , car depuis on n'a plus entendu parler ni du récit du capitaine américain , ni de la croix de Saint-Louis , ni des médailles qu'il aurait vues entre les mains des habitans du groupe d'îles dont il s'agit. C'est par des renseignemens bien plus circonstanciés, obtenus peu de temps après le départ de M. d'Urville , que nous avons enfin pu concevoir légitimement l'espérance de retrouver des traces de La Pérouse. Le récit du capitaine américain , quoiqu il laissât tant à désirer , vint à l'appui du désir que l'on avait de favoriser les progrès de l'hydrographie et des sciences en général, et contribua beaucoup à faire entreprendre une cam- pagne de découvertes dans l'Océan-Pacifique. L'on s'y détermina avec d'autant plus de chances de succès, qu'elle pouvait être confiée à un officier distingué qui avait fait précédemment plusieurs campagnes de cette nature, et avait acquis toutes les connaissances que l'expérience peut donner , ainsi que celles que l'on obtient par l'étude et la méditation. Des instructions furent rédigées de manière que M. d'Urville pût remplir ces deux objets en même temps , c'est-à-dire qu'il visitât les parages où l'on pouvait sup- poser que les bâtimens de La Pérouse avaient péri , qu'il nous fît connaître quelques-unes des parties de notre globe qui n'avaient pas encore été explorées , et où il pût , par conséquent , contribuer à l'accroissement des con- naissances dans toutes les branches des sciences natu- relles. Ce dernier but a été atteint au-delà de nos espé- Lxxviti RAPPORT rances pendant l'expédition de M. d'Urville, et, par un de ces hasards heureux qui sont hors de la prévoyance humaine , il a aussi retrouvé des traces de l'expédition de La Pérouse : que s'il n'a pas pu jouir d'un bonheur com- plet en ramenant dans leur patrie quelques-uns de ses infortunés compagnons de voyage, M. d'Urville a eu du moins la consolation de leur élever, sur le lieu même de leur désastre , un monument qui témoignera l'intérêt que leurs compatriotes ont pris à leur sort , et les regrets que leur perte n'a cessé d'inspirer dans les lieux où ils ont pris naissance. Mi d'Urville s'est attaché avec un zèle et une persévé- rance infatigables à remplir tous les objets de la mission qu'il avait reçue ; il a été secondé avec le même zèle et - une activité surprenante par tous ceux qui ont servi sous ses ordres : les résultats de sa campagne sont immenses. Cinquante-trois cartes ou plans des côtes, des ports ou mouillages, ont été rédigés pendant la campagne , douze autres plans ou cartes n'ont été qu'esquissés. Les cartes terminées ont été levées d'après les meilleures méthodes, et rédigées avec un soin digne des plus grands éloges. Elles donneront aux navigateurs qui visiteront les mêmes parages , le moyen de se conduire avec la plus grande sécurité. Les cartes ou plans incomplets auront sans doute la même précision. Les dessins destinés à faire connaître l'aspect des lieux, l'espèce d'hommes qui les habite , leurs costumes , leurs armes, leurs habitations, etc., sont très-nombreux; ils se montent à huit cent soixante-six : on les doit à M. de Sainson. Si à ce nombre déjà assez considérable on ajoute quatre cents dessins de vues de côtes , par M. Lau- vergne, la totalité des dessins qui sont le fruit de la DE M. DE ROSSEE. lxxix campagne de M. d'Urville se portera à douze cent soixante -six , consacrés seulement aux parties histori- que et nautique du Voyage. Sans doute il sera im- possible de les publier en totalité ; mais M. d'Urville , par un choix judicieux et rempli de goût , en retranchera les dessins qui offrent un moindre intérêt ; l'on peut s'en rapporter au discernement qui le guidera pour être per- suadé que les savans et les curieux n'auront rien d'essen- tiel à regretter. Je n'entrerai pas ici dans les détails de tous les differens titres sous lesquels on peut comprendre la masse considérable des dessins dont il vient d'être question ; je ne puis cependant passer sous silence les réflexions que m'a suggérées la belle collection des por- traits des habitans, composée de cent cinquante-trois figures. Dans les Voyag'es publiés jusqu'à présent , on ne trouve que des portraits isolés , et en petit nombre. Ils ont fait connaître, à la vérité, les traits et la conformation de quelques races d'hommes; mais la collection de M. d'Ur- ville offre un bien plus grand intérêt, en raison du grand nombre de portraits dont elle est composée. Cette collec- tion représente les traits et la conformation de plusieurs individus choisis dans chacune des races d'hommes qu'il a eu occasion de voir pendant son voyage. Elle nous fait connaître les grands caractères propres à disting'uer celles qui diffèrent le plus entre elles , en même temps qu'elle met sous les yeux les diverses nuances par les- quelles de légers changemens se laissent apercevoir dans plusieurs races différentes , et lient ces races entre elles , ainsi qu'il arrive à l'égard de tous les autres êtres de la nature. Cette collection , dont les dessins paraissent être d'une grande fidélité , mérite donc de fixer particuhère- Lxxx RAPPORT ment l'attention , et il est a désirer qu'elle soit publiée eu entier. Quant à la collection des cartes dont il a été question précédemment, elles ont été levées et rédigées, ainsi qu'on l'a déjà dit, d'après les meilleures méthodes, et sont assujetties aux résultats d'observations astronomiques sus- ceptibles de précision , et aux longitudes obtenues par des montres marines dont les mouvemens ont été observés avec le plus grand soin. Un examen attentif des résultats de ces observations, et la comparaison des latitudes et lon- gitudes des différens lieux placés précédemment sur le globe par d'autres navigateurs , et particulièrement pen- dant la campagne du contre-amiral d'Entrecasteaux , offrent l'accord le plus satisfaisant. On ne peut s'empê- cher de remarquer, à cet égard, que tous les travaux des campagnes où l'on a fait usage des montres marines et de l'observation des distances de la lune au soleil et aux étoiles , concourent à confirmer l'excellence de ces deux moyens de déterminer la longitude. Il n'est pas rare que des positions fixées par des observateurs ou marins éga- lement soigneux, ne diffèrent pas entre elles de plus de deux ou trois minutes de degré ou même quatre minutes. La grande précision des tables astronomiques et celle des instrumens peuvent donc faire regarder le problème des longitudes en mer comme résolu. Il n'y a que les personnes privées de la connaissance des moyens généra- lement employés , qui cherchent encore la solution de ce problème. Il n'appartient qu'aux savans du premier ordre d'améliorer les méthodes connues et pratiquées , en perfectionnant la théorie des mouvemens des corps célestes. Les artistes les plus distingués peuvent éga- lement y contribuer , en donnant un grand degré de DE M. DE KOSSEL. lxxai précision aux iiistruniens qui sortent de leurs mains. Je ne parlerai pas des dessins qui se rapportent à l'his- toire naturelle ; ils ont été vus et jugés par d'illustres savans qui leiu' ont accordé leurs suffrages : je me con- tenterai de dire que le nombre des planches est de cinq cent vingt-cinq, contenant près de quatre mille dessins. Ainsi le nombre de planches se rapportant à la partie liistorique et à l'histoire naturelle est de mille sept cent quatre-vingt-onze , nombre considérable , d'après lequel on peut juger de l'activité qui a régné dans les travaux, du zèle et de l'amour de la science dont étaient animés tous ceux qui y ont coopéré. Le récit de M. d'Urville , lu dans une des séances de l'Académie, a fait connaître la route qu'il a suivie. Userait inutile, dans ce Rapport, d'entrer dans les mêmes détails ; il suffira d'en rappeler certaines circonstances pour mettre sous les yeux l'ensemble de ses opérations, et donner une idée nette et précise des services qu'il a rendus à l'hydro- graphie. Vous avez appris qu'après le départ de l'Astrolabe du port de Toulon , M. d'Urville a relâché à Ténériffe , à la Praya, a vérifié et déterminé la position de l'ile de la Trinité située dans l'océan Atlantique, cherché inutile- ment l'ile de Saxembourg qui n'en doit pas être très- éloig-née ; qu'il a visité le port du Roi-Georges , situé à la terre de Nuitz ; qu'en passant dans le détroit de Bass , il s'est arrêté au port Western ; et enfin qu'il est arrivé à Port- Jackson. Les grandes opérations de la campagne ont commencé après le départ de Port-Jackson , sur les côtes de la Nou- velle-Zélande ; une portion de la côte nord-ouest de l'îl^ la plus sud a été reconnue. L'Astrolabe est entrée dans le / Lxxxii RAPPORT canal qui sépare cette île de celle qui est le plus au nord , et a exploré toute la côte orientale de la dernière île jus- qu'au cap Nord. Cette reconnaissance exigeait d'autant plus de fermeté et de persévérance, que la Nouvelle- Zélande est par une latitude sud assez élevée , et que les coups de vent y sont par conséquent trcs-fréquens. M. d'Urville s'est trouvé sur cette côte dans des positions très-épineuses dont il a su se tirer avec habileté. Sa navi- {yation nous procurera la connaissance entière des parties qu'il a visitées , et qui n'avaient été vues que superficiel- lement. Ses travaux sur la côte du détroit qui sépare les deux îles, en raison des baies et des canaux qu'il a décou- verts , méritent surtout de fixer l'attention. De la Nouvelle-Zélande , l'expédition est allée aux îles des Amis. C'est dans la passe qui conduit au mouillage de l'île Tonga-Tabou qu'elle a couru les plus grands dangers. Les détails que M. d'Urville a donnés de la position où s'est trouvé son bâtiment pendant plusieurs jours , et qui était telle qu'il pouvait s'attendre à tous momens à le voir perdu sans ressources , ont sans doute inspiré un grand intérêt. On a du remarquer qvie tout en s'occupant essen- tiellement de la conservation de son bâtiment , il n'a pas perdu de vue celle des fruits de sa navigation précé- dente. Les communications qui ont eu lieu avec les habitans des îles des Amis ont dû fixer aussi l'attention. Le ca- ractère de ces hommes est resté à peu près le même qu'il était lors des séjoui's du capitaine Cook et du général d'Entrecasteaux, malgré quelques progrès sensibles qu'ils paraissent avoir faits dans la civilisation. Ces hommes, en apparence si sociables , et dans le fait si séduisans , ne sont jamais plus à craindre que lorsque l'on croit pouvoir DE M. DE HOSSEL. lxxxiii vivre au milieu d'eux avec l'abandon de la plus entière confiance ; c'est alors qu'ils se livrent à des voies de fait que l'on est obligé de réprimer par des actes de rigueur. Le capitaine Cook et le contre-amiral d'Entrecasteaux , après les avoir regardés comme des amis , ont été obli- gés de sévir contre eux ; et , plus tard , provoqué par des actes de violence qui prenaient sans doute leur source dans la cupidité plutôt que dans la méchanceté ou la cruauté , M. d'Urville a été contraint à son tour de punir l'audace et l'astuce de ces insulaires. Les personnes qui ont fait partie de l'expédition à la recherche de La Pérouse ont appris, avec quelque sur- prise , que les vaisseaux de cet infortuné navigateur s'é- taient arrêtés pendant dix jours à l'ile d'Anamouka. M. d'Urville nous assure qu'il tient cette particularité de la bouche même de la reine Tamaha. A la vérité, cette reine s'était expliquée en langue du pays , ce qui serait de nature à faire naître quelques doutes sur le véritable sens de ce qu'elle a dit ; mais M. d'Urville ajoute que sa déposition fut accompagnée d'explications , de dé- tails si positifs , que ce fait lui parut à peu près dé- montré ; par conséquent il doit être adopté comme tel , d'après un témoignage aussi digne de confiance. Ce qu'il y a de certain et ce qui doit redoubler l'étonnement , c'est qu'à l'époque du séjour du contre-amiral d'Entre- casteaux qui était à Tonga-Tabou trente-cinq ans avant l'expédition de l'Astrolabe, et par conséquent à une époque beaucoup plus rapprochée du passage de La Pé- rouse à Anamouka , on n'ait rien remarqué dans les com- munications que l'on a eues avec les naturels du pays, qui ait pu faire naître l'idée d'un fait si important, et de la nature de ceux vers lesquels tous les esprits et les imagi- ixxxiv RAPPORT iiations étaient tendus, puisqu'il se rapportait au but principal de la mission. L'événement arrivé à l'Astrolabe qui a été jetée, pen- dant le calme , par des courans , sur un écueil dangereux, en occasionant la perte de la plupart de ses ancres, a en- travé singulièrement les opérations subséquentes de la campagne, et M. d'Urville, qui jusque-là s'était attaché à suivre ponctuellement ses instructions , s'est trouvé dans l'obligation de s'en écarter sur plusieurs points. Néan- moins , quoique dépourvu de câbles et d'ancres , il a entrepris la reconnaissance des îles Fidji qui lui avaient été indiquées comme composées d'un grand nombre d'iles et parsemées d'écueils très-dangereux. La reconnaissance de cet archipel présente un fil d'opérations liées entre elles , et dirigées avec un grand discernement. Elle a procuré une carte sur laquelle on peut compter que les îles et les dangers aperçus par M. d'Urville seront placés avec exactitude : nous n'avions que des connaissances impar- faites de la position de ces différentes îles. La carte que Krusenstern en a donnée est très-incomplète , de l'aveu même de son auteur, car il a été obligé d'y placer des îles vues isolément par différens navigateurs, et a été privé des moyens de rectifier les positions qui leur avaient été assignées. Nous remarquerons, en parlant des îles Fidji, que M. d'Urville s'est attaché à restituer aux îles découvertes par les navigateurs de diverses nations , les noms que leur donnent les habitans de ces îles, et qu'il l'a fait toutes les fois qu'il lui a été possible. C'est par cette raison qu'il a changé le nom des îles Fidji en celui de Viti. Néanmoins, voulant rendre hommage au célèbre navigateur hollan- dais qui a eu le premier connaissance d'îles et de dangers DE M. DE ROSSEL. i.xxxv. situés à la partie orientale de l'archipel , il a donné le nom de Tasman à une des iles , et conservé à un dan^jer pré- sumé découvert par cet illustre navigateur , le nom du bâtiment qu'il commandait. Les opérations de la campagne de l'Astr'olabe ont été liées à celles du voyage du contre-amiral d'Entrecasteaux , en prenant connaissance des îles les plus méridionales de l'archipel du Saint-Esprit ; ensuite on a reconnu et levé la carte d'un groupe d'iles nommées îles Loyalty , décou- vertes par les Anglais , et sur lesquelles ils ne nous avaient transmis que des idées très-confuses. Le travail de M. d'Ur- ville remplit cette lacune qu'ils avaient laissé subsistei dans l'hydrographie. Les îles Loyalty ne sont pas très- éloignées au sud d'un groupe de petites îles entourées d'un récif très-dangereux, appelées îles Beaupré par le contre-amiral d'Entrecasteaux qui en eut connaissance à la pointe du jour, presqu'au moment où les bâtimens qu'il commandait allaient s'y briser. Enfin on vérifia que la grande chaîne de récifs qui se prolongent au nord-ouest de la Nouvelle-Calédonie , se termine exactement aux der- niers qui ont été vus par le contre-amiral d'Entrecasteaux. Il était à présumer , d'après les bruits que le capitaine américain avait répandus relativement aux vestiges que l'on aurait retrouvés de l'expédition de La Pérouse , que les îles dont la position avait été si vaguement indiquée, devaient être aux environs de la route que l'on aurait à suivre pour se rendre de l'extrémité nord de la Nouvelle- Calédonie à la Louisiade. Aussi M. d'Urville redoubla-t-il d'attention pendant ce trajet. Il ne fit route que pendant le jour, afin qu'aucun des objets environnans ne pût lui échapper. Aucune île ne fut découverte , et les faibles espérances qu'il avait pu concevoir furent évanouies. LxxxYi RAPPORT M. d'Urville, conformément à ses instructions, avait un très-vif désir de passer entre la Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Hollande, pour revenir dans les Moluques; mais, dépourvu d'ancres et de câbles , la prudence ne lui per- mettait pas de s'engager dans un passage aussi difficile , dont l'entrée est fermée par une chaîne de brisans de l'espèce de ceux près desquels il avait couru de si grands dangers à Tonga-Tabou , et qui ne laissent que de loin en loin quelques ouvertures étroites dans lesquelles il soit possible d'entrer. Pour rendre sa route utile à l'hydro- graphie , il eût fallu chercher quelques nouvelles passes rapprochées de la Nouvelle-Guinée , avec la certitude de se trouver ensuite dans un parage parsemé de récifs de même nature , de bancs de sable et de rochers sous l'eau peut-être plus dangereux encore que les récifs, parce qu'il est impossible de les voir. M. d'Urville fut obligé de diriger ses vues d'un autre côté , et de rendre sa na- vigation utile en visitant d'autres portions de côtes mal connues. Il quitta les terres de la Louisiade, remonta au nord, et fit la reconnaissance complète des îles Laughlan ; de là il se rendit au havre Carteret de la Nouvelle-Irlande , où il fît mie courte relâche. Ensuite la côte méridionale de la Nouvelle-Bretagne , qui n'avait été vue que de très-loin par le capitaine Dampier , fut reconnue de plus près , et l'on vérifia que le passage que l'on soupçonnait pouvoir se trouver à l'anse qui avait reçu le nom de port Montague, n'existe réellement pas. On découvrit, à l'ouverture de la vaste baie dont il est question , un groupe d'îles remarquables auxquelles on donna le nom d'îles du duc d'Angoulême. C'est après avoir dépassé l'extrémité occidentale de la DE M. DE ROSSEL. ixxxvii Nouvelle-Bretagne et le détroit auquel Dampier a ilouné son nom, que M. d'Urville rendit un éminent service à l'hydrographie , en entreprenant la reconnaissance de cette longue suite de côtes comprenant l'espace qui est entre le détroit de Dampier et la baie du Geelwink , et qui borne la Nouvelle-Guinée du côté du nord. L'expédition fut favorisée par un très -beau temps; ainsi on put en lever une carte exacte sur laquelle toutes les îles qui l'avoisinent se trouveront placées avec précision. Plu- sieurs de ces îles avaient été vues précédemment; mais nous n'en avions que des notions imparfaites. Un grand nombre d'autres , très-rapprochées de la côte , ont été dé- couvertes pendant cette nouvelle reconnaissance. Ensuite on fit une relâche au port de Dorey, et l'on vint à Am- boine prendre le repos dont les équipages avaient besoin après une si longue navigation. L' Astrolabe y mouilla le 24 septembre 1827 à minuit. L'expédition quitta Amboine le 12 octobre suivant. L'intention du commandant était de rentrer dans la Mer Pacifique ou Grand-Océan , et d'y travailler à enrichir l'hydrographie par de nouvelles découvertes. Il se dirigea en conséquence sur l'extrémité méridionale de la terre de Van-Diémen , et vint mouiller dans le canal de d'Entre- casteaux. Les côtes de ce beau canal qui , en 1792 et 1793, épo- que où d'Entrecasteaux en fit la découverte , étaient dé- sertes et sauvages , mais présentaient cependant l'aspect d'une végétation vigoureuse , offrirent à M. d'Urville des plantations, des habitations agréables, qui indiquaient que des hommes civilisés étaient venus s'y établir. Une cité naissante , qui commençait à prendre de l'accroissement , venait d'être fondée dans un grand bras de mer auquel Lxxxviii RAPPORT le contre-amiral d'Entre casteaux avait donné le nom de rivière du Nord, parce qu'il se trouve au fond une rivière qui reçut ce nom. Les Anglais ont jugé à propos de le changer, et l'ont appelée rivière Derwent; ils ont nommé la ville qui est sur ses rives Hobart-Town. M. d'Urville mouilla le 20 décembre sous les murs de cette ville. C'est là qu'il apprit que le capitaine Dillon avait trouvé sur les îles Mallicolo des traces de l'infortuné La Pérouse, et que , pour la première fois , il reçut des renseignemens certains sur la route qu'il devait suivre pour remplir l'ob- jet le plus important de sa mission. Ces renseignemens obtenus à Hobart- Town lui avaient appris qu'à l'ile Ti copia il trouverait peut-être des natu- rels ou quelqu'un des étrangers dont avait parlé le ca- pitaine Dillon , qui lui indiqueraient la route à suivre pour se rendre au lieu du naufrage de l'infortuné La Pérouse. M. d'Urville se hâta de quitter Hobart - Town et de faire route pour se rendre à cette île. Il y arriva le 10 février 1828. Il trouva effectivement le Prussien Buchert qui y était arrivé depuis peu ; mais ni lui , ni aucun des naturels de l'île ne voulut consentir à lui servir de guide. Tous parurent effrayés de l'influence pernicieuse du climat ma- récageux de l'île Mallicolo, que nous appellerons désor- mais Vanikoro , parce que c'est ainsi que M. d'Urville, d'après les communications qu'il a eues avec les habitans de l'île , a jugé à propos de rectifier la prononciation de ce nom. Le 1 2 février on eut connaissance des sommités de l'île , mais ce ne fut que le 19 qu'il fut possible d'approcher les côtes, et le 21 V Astrolabe vint mouiller entre les récifs situés à la partie orientale de l'île. Des canots furent DE M. DE ROSSEL. lxxxix immédiatement expédiés dans toutes les directions pour visiter les côtes, et chercher le lieu où les bâtimens de l'ex- pédition de La Pérouse avaient fait naufrage. M. Jacqui- not, embarqué en second sous les ordres de M. d'Urville, y fut conduit par un des naturels du pays ; là il en vit les malheureux restes disséminés au fond des eaux dont la transparence lui permit de voir distinctement des ancres , des canons , des boulets , et une immense quantité de plaques de plomb , dont le témoignage ii-réfragable attes- tait qu'il se trouvait sur les lieux où nos malheureux compatriotes avaient fait naufrage. M. d'Urville, après avoir conduit l'Astrolabe dans un mouillage à l'abri de tous les vents , poursuivit ses recher- ches avec une nouvelle ardeur. La chaloupe fut expédiée pour visiter les récifs de Païou et de Vanou où les deux bâtimens étaient supposés avoir trouvé leur perte, et tâcher de recueillir quelques débris qui pussent attester que les bâtimens qui s'y étaient perdus étaient véritable- ment ceux de La Pérouse. Une ancre de dix-huit cents livres et un canon court en fonte , du calibre de 8 , tout corrodés par la rouille , ainsi que deux pierriers en cuivre assez bien conservés , confirmèrent que les débris que l'on avait sous les yeux étaient bien réellement ceux de l'expé- dition de La Pérouse ,* et renouvelèrent l'impression pro- fonde de regrets que sa perte avait occasionés. M. d'Urville voulut laisser un témoignage des sentimens qu'il avait éprouvés sur les lieux mêmes où les bâtimens de La Pérouse avaient péri ; en conséquence un monument modeste , tel que le comportaient les movens qu'il avait à sa disposition , fut érigé en l'honneur de La Pérouse et de nos infortunés compatriotes. Son inauguration eut lieu en présence de la majeure partie de l'équipage qui était des- xc RAPPORT cendu à terre, au bruit de la mousqueterie des troupes qui environnaient le monument , et de l'artillerie de l' As- trolabe, avec le recueillement et la tristesse qu'inspire une cérémonie funèbre. Quelque temps après l'arrivée de M. d'Urville à Vani- koro, l'influence pestiférée du climat se fit sentir. Qua rante hommes de l'Astrolabe étaient sur les cadres lorsque M. d'Urville quitta le mouillage où il s'était réfugié. La santé du reste de l'équipage était chancelante, et lui-même, atteint de la fièvre , avait à peine la force nécessaire pour veiller à la conduite du bâtiment dans la passe étroite et difficile par laquelle il devait s'éloigner des lieux qui ne lui avaient présenté que des images douloureuses , sources d'éternels regrets. Les renseignemens obtenus par M. d'Urville firent juger que les frégates commandées par M. de La Pérouse au- raient rencontré inopinément , dans une nuit obscure et pendant un vent violent de sud-est , les récifs qui entou- rent l'île de Vanikoro , et s'y seraient brisés. L'un d'eux serait venu heurter un de ces récifs taillé à pic et aurait coulé à fond presque immédiatement. L'autre vaisseau, plus heureux , serait entré dans une des coupures de ce récif; mais , n'ayant pas trouvé assez d'eau , il se serait échoué et aurait demeuré en place. C'est celui dont les débris aperçus au fond des eaux attestent le naufrage. Trente hommes du bâtiment coulé à fond auraient pu gagner la terre. M. d'Urville ne parle pas du sort qui leur a été réservé ; mais les récits du capitaine Dillon tendent à faire croire qu'ils auraient été massacrés par les naturels de l'île. Quant à l'équipage du bâtiment qui s'est échoué et qu'il a été impossible de relever de la côte, M. d'Urville a entendu dire qu'il aiu^ait débarqué dans le district de DE M. DE ROSSEL. xci Païou, lieu voisin du naufrajye, et aurait construit, avec les débris qu'il aurait pu sauver , un petit bâtiment à l'aide duquel tous les Français se seraient mis en mer après un séjour de sept lunes dans l'ile , pour venir dans quelques- uns des établissemens européens des Moluques ou de la Nouvelle-Hollande. On ne peut malheureusement que trop prévoir le sort qui a été réservé à ces infortunés dont depuis plus de quarante ans on n'a pas entendu parler. Quelques récits cependant assurent que deux hommes de l'équipage restèrent dans l'île , mais qu'ils mouru- rent en moins de deux années. Ainsi le fruit de toutes nos recherches a été de nous procurer quelques canons , mie ancre rongée par la rouille, qui, en nous faisant connaître le lieu du naufrage des compagnons de La Pérouse , nous enlèvent l'espoir de jamais en retrouver un seul. Si quelque chose peut adoucir les regrets de ceux qui ont accompagné le contre-amiral d'Entrecasteaux , chargé spécialement de rechercher les traces de La Pérouse, c'est que dans le cas même où ils auraient abordé à l'île Vani- koro pendant leur expédition , il est probable qu'ils n'y auraient retrouvé que les témoins muets de la perte de ses bàtimens. La seule différence qui eut existé , c'est que ces témoins n'eussent pas été endommagés par le temps. En effet les bàtimens de La Pérouse, partis de Botany-Bay au commencement de l'année 1788, doivent avoir péri sur l'île de Vanikoro dans le courant de la même année , ou au plus tard au commencement de 1789. Ce n'est qu'au mois de mai 1793, c'est-à-dire quatre ou cinq ans après l'époque présumée de la perte des bàtimens de La Pé- rouse, que le contre -amiral d'Entrecasteaux aurait pu aborder les lieux du naufrage. Les renseignemens obtenus xcii RAPPORT et transmis par M. d'Urville doivent faire supposer, s'ils ne donnent pas une entière certitude, que le contre-amiral d'Entrecasteaux serait encore arrivé trop tard pour sauver la vie à quelques-uns des malheureux naufragés , puisque deux ans après la perte des bâtimens il n'en restait plus un seul sur l'île. Qu'il me soit permis d'exprimer les regrets que doivent éprouver les personnes qui ont fait partie de l'expédition à la recherche de La Pérouse , et que je ressens aussi vive- ment qu'aucun autre. Le 19 mai 1793, les frégates la Recherche et l'Espérance ont eu connaissance du sommet de l'île Vanikoro ; elle était alors h quinze lieues au vent. Le nom de la Recherche lui fut imposé , et cette île fut alors confondue dans notre opinion avec la multitude d'autres îles que nous avions vues, et qu'il nous avait été impossible de visiter en détail. Nous étions loin de penser que c'était là où se trouvaient le but et le terme de nos re- cherches et de tous nos vœux. 11 ne peut pas rester de doute à l'égard de l'identité de l'île de Vanikoro et de l'île de la Recherche de d'Entrecasteaux. La position géographique tant en latitude qu'en longitude, assignée par M. d'Ur- ville à l'île de Vanikoro, s'accorde d'une manière surpre- nante avec la position assignée à l'île de la Recherche pendant le voyage de d'Entrecasteaux. Lorsque M. d'Urville quitta l'île de Vanikoro , le nom- bre de malades et de gens hors de service lui imposait la nécessité de se rendre par le plus court chemin dans quelque port habité par des Européens. Deux seuls offi- ciers alors n'étaient point alités , et lui-même se trouvait abattu par la maladie. Il ne pouvait donc plus songer à s'engager dans le détroit rempli d'écueils , qui sépare la Nouvelle-Hollande de la Nouvelle-Guinée, 11 fit route pour DE M. DE ROSSEL. xciu • se rendre directement à Guam, île principale de l'archipel des Mariannes. L'accueil que M. de Freycinet , comman- dant de l'Uranie, y avait reçu, les ressources qu'il y avait trouvées et la salubrité du climat , donnaient la certitude que l'éqviipage épuisé de V Astrolabe pourrait s'y rétablir en peu de temps. La route qui menait à Guam faisait traverser l'archipel des îles Carolines. On eut connaissance des îles Dublon , dont M. Duperrey, commandant la Coquille, avait reconnu la partie occidentale. Malgré le désir qu'avait M. d'Urville et la nécessité dans laquelle il se trouvait de ne point s'ar- rêter dans sa course , il crut néanmoins devoir reconnaître la partie orientale de ce groupe d'îles , et compléter la reconnaissance du navigateur qui l'avait précédé. Enfin le 2 mai 1828, à une heure après midi , V Astrolabe mouilla dans la baie d'Umata. Après une relâche de vingt-huit jours, pendant laquelle son équipage se rétablit, M. d'Urville quitta la baie d'U- mata , et fit route pour se rendre à Amboine. Plusieurs des îles qui forment la prolongation de l'ar- chipel des Carolines du côté de l'ouest, furent reconnues, et on en leva le plan. La plus importante de ces décou- vertes est un groupe que les habitans appellent Elivi , et qui , d'après leur récit , est composé d'une vingtaine d'îles. Le 7 juin , on passa à trois ou quatre milles de distance de la plus grande des îles Pelew ; ensuite , après avoir pris connaissance de la Nouvelle-Guinée, on se rendit à l'île Bourou en passant au nord de l'île Waigiow, et de là V Astrolabe vint faire une seconde relâche à Amboine. Au lieu de revenir à l'île de France par les détroits de Timor et d'Ombay, M. d'Urville acquiesça aux proposi- xcxiv RAPPORT lions que lui fit le gouverneur d'Amboine de raccompa- gner jusqu'à Ménado , situé sur l'île Célèbes , pays peu connu , et par conséquent où on pouvait espérer d'ac- croître nos connaissances en hydrographie et en histoire naturelle. Enfin , après avoir réalisé ses espérances , il mit à la voile le 4 août, fit un très-court séjour sur la rade de Batavia, et arriva le 29 septembre 1828 à l'Ile-de- France. Il est inutile que je répète , en terminant ce Rapport , ce qui a été dit au commencement , relativement à l'im- mensité des travaux accomplis dans toutes les branches de connaissances, travaux dont il avait été recommandé à l'expédition de s'occuper. Je me permettrai seulement d'insister sur le zèle et l'habileté avec lesquels ils ont été exécutés. Tous les officiers de V Astrolabe y ont contribué à l'envi les uns des autres. On doit cependant distinguer M. Jacquinot, commandant en second, qui a fait les obser- vations astronomiques avec tout le talent et l'assiduité dési- rables , malgré la multitude d'autres devoirs qu'il avait à remplir. 11 faut aussi faire mention de M. Lottin, lieutenant de vaisseau , qui a levé et rédigé plusieurs cartes ; cet offi- cier est occupé actuellement , par ordre supérieur, à y mettre la dernière main. M. Gressien , également lieute- nant de vaisseau , a levé un grand nombre de cartes , et mérite d'être honorablement cité. On doit aussi plusieurs cartes à MM. Guilbert et Paris , enseignes de vaisseau. Il est rare de voir sur un seul bâtiment un aussi grand nombre d'officiers se livrer à un même genre de travail. Tant de zèle leur fait honneur, et nous apprend avec quel talent, quel discernement, le commandant de l'expé- dition a su maintenir une si grande activité pendant une campagne où les fatigues de toute espèce , les maladies DE M. DE ROSSEL. xcxv aui'aicnl pu, non-seulement ralentir l'action de tous les individus , mais encore leur inspirer des dégoûts. M. d'Urville parle avec élo{^e de MM. Quoy et Gaimard, dont les travaux ont été hautement appréciés par les sa- vans appelés à en juger : si j'en fais mention dans ce Rapport, ce n'est que pour attirer toute l'attention sur l'ensemble , au-dessus de tout éloge , qui a régné dans les travaux de l'expédition. Nous devrions terminei' ce Rapport en exprimant le désir de voir pul^lier le plus tôt possible de si grands et de si importans travaux ; nous pourrions être assuré de l'assentiment de l'Académie : mais Sa Majesté a devancé nos vœux; elle a ordonné la publication de tous les fruits recueillis pendant la campagne de l'Astrolabe. Elle a pris , avec une bienveillance toute particulière , en con- sidération les services de M. d'Urville qui a dirigé cette expédition, en lui accordant le grade de capitaine de vaisseau. Il ne reste plus qu'un dernier vœu à former, c'est de voir que les officiers et les naturalistes qui ont secondé M. d'Urville avec tant de succès , soient jugés dignes de recevoir la récompense due à leur talent , à leur zèle et à leur persévérance. INSTITUT DE FRANCE. Paris, le 2(> octobre 182*1. Le Secrétaire perpétuel de l'Académie , pour les Sciences Naturelles , certifie que ce qui suit est extrait du procès-verbal de la séance du lundi 26 octobre 1829. L'Académie, qui a déjà entendu avec intérêt le rapport qui lui a été fait par M. de Rossel, sur le voyage de décou- vertes exécuté sous les ordres de M. le capitaine d'Urville, a désiré qu'il lui fût rendu un compte particulier des tra- vaux des naturalistes attachés à cette expédition, et elle nous a chargés , MM. Geoffroy-Saint-Hilaire , Latreille , Duméril et moi, d'en examiner la partie zoologique. Il nous a été d'autant plus facile de nous acquitter de ce devoir, que déjà quatre fois nous avons eu occasion d'en- tretenir l'Académie des envois de ces savans navigateurs , et que nous n'avons en quelque sorte aujourd'hui qu'à résumer nos rapports précédens , et à les compléter par une indication des objets qu'ils en ont déposés eux-mêmes, à leur retour, soit à l'Académie, soit au Muséum d'histoire naturelle. xcviii RAPPORT MM. Quoy et Gaimard, zoologistes de l'expédition, étaient déjà glorieusement connus de l'Académie et de tous les amis de l'histoire naturelle par leur participation au Voyage de M. le capitaine de Freycinet, et par le vo- lume plein d'observations curieuses et nouvelles dont ils ont enrichi sa Relation. On ne pouvait pas douter que l'ex- périence acquise lors de cette première expédition, et les études qui leur avaient été nécessaires pour en publier les résultats, ne les eussent mis à même de rendre la seconde encore plus profitable à la science ; et on l'espérait d'au- tant plus que le capitaine d'Urville devait se rendre dans des parages encore plus abondans en riches productions, et encore moins connus des naturalistes que ceux qu'avait traversés le capitaine de Freycinet. Ces espérances n'ont point été trompées. Malgré les malheurs et les contre-temps que l'expédition a éprouvés, et bien qu'elle n'ait pu séjourner autant qu'il eût été à désirer sur ces côtes encore presque neuves pour la science, de la Nouvelle-Guinée, MM. Quoy et Gaimard ont envoyé et rapporté des collections plus considéi'ables qu'il n'en avait été formé jusqu'à ce jour, ni par leurs prédéces- seurs, ni par eux-mêmes. Fidèlement déposées au Cabinet du Roi , il en a été fait des catalogues exacts qui spécifient classe par classe les nombres des genres, des espèces et des individus de chaque espèce ; tous ces animaux, depuis les plus grands jusqu'aux plus petits et aux plus frêles, sont d'une conservation qui annonce la plus grande habileté et la patience la plus sou- tenue. Nous ne répéterons point ici ce que nous avons dit dans nos quatre Rapports précédens, sur les nombres des espèces et des individus qui ont composé ces envois. Les catalo- DE M. eu VI EU. xcix gués les comptent par milliers, et rien ne prouve mieux l'activité de nos naturalistes, que l'embarras où se trouve l'administration du Jardin du Roi , pour placer tout ce que lui ont valu les dernières expéditions, et surtout celle dont nous rendons compte. Il a fallu descendre au rez-de- chaussée , presque dans les souterrains , et les magasins même sont aujourd'hui tellement encombrés , c'est le véritable terme , que l'on est obligé de les diviser par des cloisons, pour y multiplier les places. Nous ferons remarquer seulement que dans les catalo- gues généraux qui ont été présentés à l'Académie, ne sont pas comprises de nombreuses petites espèces contenues dans six cent cinquante bocaux, dont plusieurs en renfer- ment dix ou douze , l'examen que MM. Quoy et Gaimard en font eirx -mêmes n'ayant pas encore été terminé. Une partie des objets auxquels leur nature donnait du prix ont été achetés des deniers de ces naturalistes, et même M. Gaimard a fait à lui seul les frais de son excur- sion particulière à Madagascar. On conçoit , d'ailleurs , tout ce qu'il a dû en coi\ter de fatigue, ce qu'il leur a fallu d'attention et d'adresse pour ne rien laisser échapper de tant d'êtres fugitifs, surtout de ceux que l'œil même a peine à saisir au milieu des va- gues dont ils ne se détachent point par la couleur ; aussi se font-ils un plaisir de reconnaître que le zèle de tous les officiers, de tous les hommes de l'équipage, pour ce genre de recherches, la complaisance qu'ils ont mise à les se- conder, les ont puissamment aidés à remplir cette partie de leur mission. Le corps de la marine française est trop éclairé aujourd'hui pour dédaigner rien de ce qui se rap- porte aux sciences, et nous regarderons toujours comme un devoir de la part des naturalistes de témoigner publi- g' c RAPPORT qiiement toute la reconnaissance qu'ils lui doivent. Depuis plusieurs années, l'Uistoire naturelle, et surtout la zoologie, s'est plus enrichie peut-être par suite des ordres donnés de la part du ministère de la marine, et du zèle que MM. les officiers ont mis à les exécuter, que par les efforts particuliers d'aucun de ceux qui la cultivent, et même que par les expéditions scientifiques d'aucune des époques précédentes. Dans cette occasion, ce zèle a pu se montrer d'autant mieux , que le commandant de l'expédition , M. le capitaine d'Urville , lui-même très-profond dans plusieurs branches de la science, a partagé, autant que ses devoirs de chef le lui ont permis, les travaux des natu- ralistes; et qu'on lui doit personnellement une grande partie des insectes de la collection. On en doit aussi beau- coup à M. Lottin, l'un des officiers, et leurs contributions, pour cette partie seulement, montent à près de cinq cents espèces. A Madagascar, M. Ackermann, chirurgien-major de l'établissement français, en a usé également envers M. Gai- mard avec la plus grande générosité. Ce qui ajoute encore à la reconnaissance que les amis de l'histoire naturelle doivent au ministère de la marine et au gouvernement du Roi en général, c'est l'attention que l'on met aujourd'hui à publier aussitôt les résultats des expéditions et avec une magnificence égale, à quelque science qu'ils se rapportent. On se souvient comment tout ce qu'avaient produit le voyage de Bougainville, et le séjour de Commerson dans les mers de l'Inde, s'est trouvé dispersé. Je ne parlerai pas de l'expédition de La Pérouse, ni de celle de d'Entrecasteaux , l'une et l'autre si malheu- reusement terminées , quoique d'une manière différente ; mais Péron lui-même, dont l'activité, lors de l'expédition DE M. CUVIER. ei tle Baudiii , avait été si productive , n'a pu obtenir que la publication d'un mince atlas, et le grand nombre de des- sins qui avaient été faits sous ses yeux , ont même disparu après sa mort, sans qu'aucune autorité se soit mise en peine d'en faire la recherche. Il n'en a pas été de même des trois derniers vovages. Celui de M. de Freycinet a déjà produit , pour la seule zoologie, un volume où l'on ne peut reprendre que deux ou trois figures faites sur des dessins non vérifiés d'un artiste qui n'était pas naturaliste. Celui de M. Duperrey se publie maintenant avec encore plus de magnificence , et l'ordre a été donné de publier également celui dont nous rendons compte. Rien ne lui manquera en exactitude, sous le rapport des dessins. M. Quoy, pour beaucoup d'objets, ne s'en est reposé que sur lui-même; il s'est en quelque sorte adjoint à M. Sainson, peintre de l'expédition, et son talent , comme dessinateur , ne se montre pas moins dans les recueils que nous avons sous les yeux, que ses connaissances comme naturaliste. Tous les objets dont l'art ne pouvait entièrement préserver les formes ou les couleurs, ont été représentés d'après le vivant, ou au moms sur le frais , et , ce qui est vraiment prodigieux , ils ont tous été dessinés deux fois; les auteurs ont gardé par-devers eux les premiers dessins , et , dans la crainte d'événemens qui pourraient anéantir leurs travaux, ils ont saisi toutes les occasions d'en envoyer des copies cor- rectes à l'Académie, qui, déposées au secrétariat, leuronf été exactement remises lors de leur retour. Ces dessins, que rien ne pourrait remplacer, ne por- tent, comme cela^était natiu-el, ni sur les Mammifères, ni sur les Oiseaux, ni sur les Insectes, trois classes qui se con- cil RAPPORT servent assez bien en nature pour ne pas exiger cette pré- caution; mais ils représentent quelques Quadrupèdes (à cause de leurs attitudes), et tous les Reptiles, les Poissons, les Mollusques, les Annélides et les Zoophy tes qui ont paru offrir quelque intérêt. Ils forment cinq cent vingt-cinq planches in-4'', conte- nant trois mille trois cent cinquante figures ou détails ana- tomiques relatifs à douze cent soixante-trois espèces dif- férentes d'animaux des classes que nous venons d'indi- quer. En même temps que ces observatem^s pleins de zèle se livraient à ce pénible travail, ils consignaient dans des registres tenus dans le meilleur ordre tout ce qu'il y avait à remarquer d'intéressant sur chaque espèce. Des numéros de concordance fort exacts renvoient , de l'observation écrite, au dessin, et à l'objet même conservé en nature, en sorte que, par la combinaison de ces trois documens, on peut toujours en compléter l'histoire. L'examen de ces riches recueils est fait à la fois pour effrayer l'imagination sur les prodigieuses richesses de la nature, et pour rendre modestes les naturalistes les plus habiles, en leur apprenant combien ils sont encore reculés dans la connaissance de ces êtres dont ils prétendent dresser le catalogue. Chaque pas, chaque coup de filet, pour ainsi dire , a fourni à nos voyageurs des choses sin- gulières et inconnues. L'Académie se souvient que, dès la baie d'Algésiras, pendant un séjour que les vents con- traires les obligèrent d'y faire, ils découvrirent en quelque sorte une famille tout entière de Zoophytes, celle des Diphydes, dont on n'avait encore qu'une seule espèce et en individus mutilés. Ce sont des animaux presque incompréhensibles ^ tou- DE M. CUVIER. cm jours se tenant deux à deux, mais où les individus de chaque couple ne sont pas semblables; l'un des deux em- boîtant l'autre en partie , et fournissant une guirlande d'ovaires et de tentacules qui traverse un canal de l'em- boîté pour pendre dans la mer. Cet arrangement dont on ne se faisait aucune idée, qui ne se laisse pas même bien expliquer maintenant qu'on le connaît, se répète cepen- dant en huit ou dix espèces différentes , toutes d'une mer très-voisine de nous, et tellement communes, qu'il n'a fallu que quelques jours à nos observateurs pour les ras- sembler. Depuis lors ils en ont trouvé plusieurs autres exemples dans d'autres mers, et nous ne doutons point que les navigateurs, maintenant avertis, ne les multiplient encore beaucoup. MM. Quoy et Gaimard eux-mêmes ont découvert et décrit plusieurs genres qui conduisent par degrés de ceux- là aux Acalèphes hydrostatiques ordinaires , dont la série se termine aux Phy salies. Les formes et les combinaisons les plus extraordinaires se rencontrent dans ce groupe dont les Physsophores de Forskal ne donnent qu'une lé- gère idée. Il y en a dont les vésicules, prenant des formes stéréométriques prononcées , se rassemblent en prismes, en pyramides , en sphères. Les guirlandes de tentacules , de suçoirs, d'ovules, suspendus à ces amas de vésicules, présentent aussi les formes et les couleurs les plus variées. C'est encore là une famille d'êtres qui promet les obser- vations les plus curieuses. Marsigli , Donati , Ellis , nous avaient fait connaître les animaux du Corail, des Gorgones et des Pennatules. M. Sa- vigny avait donné des idées encore plus précises de ceux des Alcyons; mais on n'avait encore que des idées assez vagues de ceux des divers sous-genres que l'on a établis civ RAPPORT dans le genre des Madrépores, tels que les Caryophyllies, lesMéandrines , les Astrées. Nos voyageurs les ont observés avec soin , et nous en donnent des figures coloriées ; on voit que, dans les Méan- drines , ce sont des oscules ouverts çà et là dans les sil- lons ; que les Astrées ont des Polypes assez voisins des Actinies ; que dans les Caryophyllies chaque extrémité de branche fait sortir un faisceavi de tentacules. Plus de cent planches , contenant pour la plupart de nombreuses figures, sont consacrées aux animaux des Go- quilles. La conchyliologie ne sera plus réduite, comme elle l'était presque encore il y a trente ans, à jouer, comme disait Millier, avec de petites productions pierreuses, plus ou moins bien colorées. Ce qu'Adanson avait com- mencé , ce que Millier lui-même, malgré son ironie, n'a- vait pu porter bien loin , se trouve fort avancé par les observations de nos savans voyageurs. Il n'est guère de genre ni de subdivision de genre dont ils n'aient repré- senté l'animal dans toute son expansion et avec ses cou- leurs naturelles. Deux de ces genres cependant restent encore dans le doute. Ils n'ont eu du Nautile que des fragmens; encore n'est-ce que par conjecture qu'ils les supposent appartenir à cette coquille. Quant à l'Argo- naute, l'Académie a déjà appris, par une de leurs lettres, qu'un Hollandais établi depuis long-temps aux Moluques, les a assurés que cette coquille est hal:)itée par un Mollus- que dont il a fait de mémoire une esquisse , et qui paraî- trait de l'ordre des Gastéropodes ; mais MM. Quoy et Gaimard eux-mêmes n'ont vu ce Mollusque ni mort ni en vie , en sorte que ce problème , qui a tant occupé dans ces derniers temps quelques naturalistes , ne peut être encore considéré comme tout-a~fait résolu. PE M. CUVIEK. cv MM. Quoy et Gaimard , ayant bien voulu se souvenir que l'un de nous s'occupe d'un grand ouvragée sur les Poissons, ont donné une attention particulière à cette classe d'animaux. Jls lui ont consacré cent trente-six plan- ches , dont la plupart contiennent plusieurs figures , en sorte que le nombre des espèces représentées va à près de trois cents. Les auteurs se sont concertés avec leurs collègues MM. Lesson et Garnot, qui publient en ce moment la partie zoologique du Voyage du capitaine Duperrey , et avec MM. Cuvier et Valenciennes , auteurs de l'Histoire générale des Poissons, afin que les espèces qui seront représentées dans mi de ces ouvrages, ne soient pas répétées dans les deux autres, et que l'on n'y figure, autant qu'il sera possible, que des espèces qui n'aient point encore paru ailleurs, en sorte que si l'on y réunit la pai-tie zoologique du Voyage du capitaine Freycinet , la France aura produit, en peu d'années, une masse de figures de Poissons coloriées d'après le frais, qui enrichira considérablement l'ichthyologie. Parmi ceux que l'on devra à MM. Quoy et Gaimard , nous ferons remarquer particulièrement un grand nombre de grands Squales et de grandes Raies difficiles à rapporter, deux nouvelles espèces de Moles, un nouveau Sternoptyx, et cinq ou six Poissons qui forment des genres nouveaux, et dont, avec la permission de nos voyageurs, l'un de nous a déjà indiqué une partie dans la nouvelle édition de son Règne animal, mais qui exigeraient trop de détails pour être expliqués ici. Ce qui, dans cette paitie des travaux de MM. Quoy et Gaimard, plaira surtout aux amateurs, ce sera une suite de Poissons de couleurs charmantes qui n'avaient cvi RAPPORT DE M. CUVIER. point encore été rendus avec cette vivacité. On ne peut revenir de la beauté de ces inimitables assortimens de couleurs dont la nature s'est plu à revêtir des êtres des- tinés à demeurer dans les profonds abîmes de la mer. Nos naturalistes n'ont pas négligé l'anatomie des Pois- sons. Leurs planches représentent les viscères de plusieurs espèces , et ils se sont attachés surtout aux cerveaux des grands Squales et des grandes Raies. Ils ont rapporté aussi plusieurs pièces anatomiques re- latives aux animaux supérieurs , et , dans ces classes supé- rieures elles-mêmes , ils ont assez d'espèces nouvelles pour enrichir leur ouvrage de planches intéressantes. D'après cet exposé , il nous parait que les travaux exé- cutés pour la zoologie par les naturalistes de l'expédition commandée par le capitaine d'Urville , répondent parfai- tement à ce que les amis des sciences pouvaient attendre , et que l'ouvrage où ils en rendront compte ne pourra que faire honneur à la France et à son gouvernement. Signé GEOFFROY SAINT-HILAIRE, LATREILLE, DUMÉRIL, Raron G. CUVIER, rapporteur. L'Académie adopte les conclusions de ce Rapport. Certifié conforme, Ze secrétaire perpétuel, conseiller d' Etat, grand-officier de l'ordre royal de la Lé gion-d' Honneur, Signé Raron G. CUVIER. '.^ INSTITUT DE FRANCE Paris, le 16 novembre 1829 Le Secrétaire perpétuel de l'Académie , pour les Scieuces Naturelles ' certifie que ce qui suit est extrait du procès-verbal de la séance du lundi 16 novembre 1829. Les collections géologiques , faites pendant le voyage de l'Astrolabe ^ sont le résultat des recherches actives et du zèle éclairé de MM. Quoy et Gaimard, médecins de la marine royale, naturalistes de l'expédition. Elles se com- posent de cent quatre-vingt-sept espèces de Roches , ou variétés principales, qui ont été recueillies dans vingt-deux contrées chfférentes. Le nombre des échantillons est d'en- viron neuf cents. On remarque d'abord des Brèches osseuses et du Cal- caire compacte de la montagne de Gibraltar; des Grès quartzeux et de la vase marine d'Algésiras ; des Ponces , de l'Obsidienne et du Porphyre trachy tique moderne, pris dans la région supérieure du pic de Ténériffe ; et des Laves basaltiques massives ou scoriformes provenant de Santiago, l'une des iles du Cap-Vert, qui montrent le en- rviii RAPPORT rieux passage du Basalte au Verre volcanique appelé Galli- nace. La série des roches qui proviennent de l'Ascension, donne une idée très-détaillée de la constitution de cette île qui est presque entièrement volcanique. Cette série offre deux cent cinquante échantillons appartenant à cin- quante espèces ou variétés principales, parmi lesquelles une seule est étrangère au domaine du feu. Cette dernière est un Calcaire globulaire peu ancien, formé par l'agglo- mération de débris de Madrépores et de Coraux parfaite- ment arrondis et renfermant des fragmens de coquilles (Huîtres, Murex, etc.) roulées, qui ont en partie conservé leur couleur originaire; on s'en sert comme pierre de taille ; elle constitue le sol des rivages sur plusieurs points. Elle n'a d'analogues qu'à des distances immenses , c'est- à-dire à la Guadeloupe et dans l'Océanie. Les autres roches offrent une grande partie des matières volcaniques, tant pyroxéniques que feldspathiques , qu'on rencontre habi- tuellement réunies sur beaucoup d'autres points de la terre ; nous citerons, en outre de l'Obsidienne verte chatoyante, de la Gallinace , du Silex en rognons dans les Tufas, et du Gypse grenu dont il n'a pas été possible de déterminer le gissement. Les îles de Sainte-Hélène et de Bourbon , dont la nature volcanique a été constatée depuis long- temps, ont, ainsi que le cap de Bonne-Espérance , fourni plusieurs échan- tillons qui aideront à compléter les notions précédemment acquises sur ces contrées. Parmi les échantillons de Sainte- Hélène il faut distinguer une Hélice fossile qui pro- vient des amas coquilliers marins, si remarquables, qui ont été observés par M. Seale , naturaliste du pays , sur la montagne de Flagstafl-Hill, à six cent quatre-vingt-douze DE M. CORDIER. ci\ mètres au-dessus du niveau de l'Océan, et qu'on retrouve sur le penchant de la même montajjne , à des hauteurs de quatre cent onze, cinqcent vmgt-trois et cinq cent soixante- dix-neuf mètres. Plusieurs échantillons de Mimosite pris à l'Ile-aiLX- Cailles , laquelle est située près de l'ile Sainte-Marie de Madagascar, annoncent, sur ce point dont la nature était inconnue, l'existence d'un vieux terrain volcanique dé- mantelé. Cent quatre-ving-t-dix échantillons appartenant à dLx- huit espèces, ont été recueillis pendant les quatre relâ- ches qui ont été effectuées sur une étendue de côte d'en- viron sept cents lieues dans la partie méridionale de la Nouvelle-Hollande , savoir : au port du Roi-Georges , au port Western, à la baie Jervis et à Port- Jackson. Les environs du port du Roi-Georges ont offert du Granité ordinaire avec des filons de Pegmatite, du Pétrosilex talci- fère, de la Dolérite, de la Houille commune mêlée d'Anthra- cite fibreuse, du Pi-sasphalte, des Grès quartzeux mélangés d'Hydrate de fer, de l'Ocre rouge, matière dont les natu- rels du pays font un grand usage pour se peindre le corps, enfin plusieurs belles variétés de ce Calcaire madréporic[ue qui joue un si grand rôle dans toute l'Océanie, et dont la formation remonte , suivant nous , aux derniers temps de lapériode tertiaire. Les environs du port Western ont fourni des Minerais de fer hydraté stratiformes ou disséminés en rognons dans des Argiles, des Laves basaltiques et des Wackes à différens états de consistance. A la baie Jervis on a pris de beaux Grès quartzeux mêlés de Kaolin ou Métaxytes , au milieu desquels on dis- tingue des empreintes de Spirifère analogues à celles de terrains d'Europe qui appartiennent à la période Phylla- ex RAPPORT dienne ou intermédiaire. Enfin , les échantillons de Port- Jackson présentent une belle série d'empreintes de végé- taux fossiles provenant du terrain houiller, et parmi les- quels M. Quoy croit avoir reconnu des feuilles d'une es- pèce d'Eucalyptus , plante dicotylédone. Les roches recueillies à l'ile de Diémen et à la Nouvelle- Zélande, empruntent un intérêt particulier de ce que ces îles sont, dans cette partie du monde, les dernières grandes terres qu'on trouve en se rapprochant du pôle antarc- tique. Les recherches géologiques des naturalistes de l'expédi- tion n'ont pas porté seulement sur l'île de Diémen , mais aussi sur les îles Maria qui en sont au sud-est, et sur les îles Warren qui en sont au nord. Ces dernières îles ont offert des Pegmatites à très-grands cristaux de Quartz (ils ont jusqu'à trois décimètres de longueur); des Grès quartzeux de la période Phylladienne contenant des empreintes de Flustres ; des Calcaires compactes parsemés d'Entroques cylindriques ; des Dolérites intactes ou décomposées. Les îles Maria ont aussi présenté des Calcaires de la période Phylladienne, et en outre des fragmens roulés d'Agathe et de Quartz hyalin, et de très-beaux et très-grands morceaux de bois fossiles changés en Silex résinoïde , et qu'on peut regarder comme les indices de terrains peu anciens. Le nombre total des échantillons est de cinquante-six. Cent vingt-huit échantillons appartenant à trente-deux espèces ou variétés principales de roches , ont été pris sur différens points de la Nouvelle-Zélande. Ce sont , pour la partie sud, des Granités , des Pegmatites, des Leptinites , des Talcites phylladiformes et des Pétrosilex talqueux, ro- ches très-anciennes; et, pour la partie nord, des Pétrosilex à pâte terreuse , du Porphyre pétrosiliceux , des Talcites DE M. COIIDIER. cxi schistoïdcs, de l'Euphodite, de la Serpentine, du Jaspe, du Grès quartzeux argilifère dit Macigno, roches par con- séquent plus ou moins anciennes , et en outre des Grès ferrufjineux, des Congloniérats coquilliers mêlés de sable et d'argile, et qui nous paraissent être les équivalens du Cal- caire madréporique de l'Océanie, des matières volcani- ques plus ou moins récentes , telles que Pépérino , Tufa , Basalte, Scorie et Pierre ponce, enfin de la Pépérite rouge et du Soulre sublimé qui proviennent de la petite île Blanche qui se fait remarquer près de la côte septentrio- nale de la Nouvelle-Zélande par les fumerolles de la solfa- tare qu'elle renferme. Ces derniers échantillons achèvent d'attester l'existence d'mi volcan brûlant qui était à peu près inconnu. Les lies de Tikopia et de Vanikoro , désormais célèbres par le désastre de l'expédition de La Pérouse , et qui sont entourées de récifs madréporiques qu'on assure être de formation tout-à-fait moderne , n'ont offert que des ma- tières volcaniques qui, par leurs caractères, semblent ap- partenir à la période des terrains tertiaires ; ce sont des Dolérites , des Basaltes et des Pépérinos. Les environs du havre Carteret, à la Nouvelle-Irlande , ont fourni quelques échantillons de Grauwacke et des va- riétés de Calcaire madréporique qui sont remarquables par leur texture dense et compacte, et par l'absence fréquente de débris organiques. Plusieurs échantillons récoltés à l'île de Guam, l'une des Mariannes, font connaître que les Laves feldspathiques entrent dans la composition des terrains volcaniques de cet archipel. Enfin, les échantillons, au nombre de soixante, qui ont été pris dans les Moluques, aux îles Célèbes, de Ler (petite cxii RAPPORT DE M. CORDIER. île près de Batavia ) et d' Amboine , sont tous d'origine volcanique, et ne présentent que des Laves feldspathiques et des Conglomérats du même genre , tels que Trachyte , Porphyre leucostinique , Téphrine , Obsidienne , Conglo- mérat trachytique. Il faut en outre citer, parmi ces roches, une Alunite silicifère analogue à celle qu'on exploite depuis un temps immémorial à la Tolfa, dans les Etats romains. Tels sont les résultats de l'expédition de V Astrolabe en collections géologiques. On trouvera ces résultats nom- breux, si l'on veut considérer ce qu'il était possible de faire en ce genre , pendant une expédition purement ma- ritime et consacrée pendant les relâches à beaucoup d'au- tres recherches extrêmement différentes ; on les trouvera importans si l'on fait attention à la variété des lieux d'ob- servation, à leur position respective à la surface de la terre et aux grandes distances qui les séparent. Il est vive- mentàdésirer, dans l'intérêt de la géologie, que MM. Quoy et Gaimard puissent bientôt publier la description de ces collections , et faire connaître les détails précieux qu'ils ont réunis sur les gissemens et sur le rôle qu'il faut attri- buer à chaque espèce de roches dans la constitution des pays où elles ont été recueillies. Signé L. CORDIER. L'Académie adopte les conclusions de ce Rapport. Certifié conforme : Le secrétaire perpétuel, conseiller dEtat, grand-ofjicier de ï ordre royal de la Lé g ion-d' Honneur, Signé Baron G. CUVIER. INSTITUT DE FRANCE ?lfa^cmic rai)ûlf ^f!5 Remues. Paris, le 3o novembre i82i>. La partie botanique du voyage était confiée à M. Lesson jeune, second chirurgien de l'expédition. Les plantes qu'il a rapportées peuvent être évaluées à environ mille six cents espèces , qui ont été recueillies dans les localités suivantes : 1". Nouvelle-Hollande. L'expédition a fait quatre re- lâches différentes sur des points différens du continent de la Nouvelle -Hollande, savoir : P au Port du Roi- Georges, du 7 au 25 octobre 1826 ; 2" au Port-Western, du 12 au 19 novembre; 3" à la baie Jervis, du 26 au 29 novembre; i° à Port-Jackson , du 2 au 18 décembre. Le nombre des espèces, recueillies dans ces différentes lo- calités , peut se monter à environ quatre cent cinquante espèces. En général ces plantes sont dans un fort bel état de conservation. Un assez grand nombre ont été géné- reusement données à M. Lesson par M. Fraser, directeur du Jardin botanique de Sydney. Plusieurs proviennent h cxiv RAPPORT de l'intérieur de la Nouvelle-Hollande , et en particulier des environs de Rathurst et des montagnes Bleues. 2". La Nouvelle-Zélande, que l' Astrolabe visita ensuite, est un pays'presque neuf pour la botanicjue. L'île méri- dionale de la Nouvelle-Zélande , surtout la baie Tasman , où la corvette séjourna pendant quelque temps , présente ime végétation très-riche. Mais ici les Cryptogames sont presque en aussi grand nombre que les Phanérogames. Sur le bord de la mer on rencontre des Liserons, des Euphorbes, le Lin de la Nouvelle-Zélande, qu'on retrouve aussi dans les fentes des rochers. Ce sont surtout les Fou- gères qui abondent dans les forêts. Les Lichens et les Mousses sont "aussi en très-grand noml^re. Plus de deux cents espèces ont été le fruit des diverses relâches faites tant sur l'île^^méridionale , que sur l'île septentrionale de la Nouvelle-Zélande. Sur ces espèces , plusieurs sont tout- à-fait nouvelles , et toutes sont fort intéressantes en ce qu'elles nous feront connaître , du moins en partie , la végétation propre à ces deux îles. 3°. Tonga-Tabou , l'une des îles des Amis , a fourni en- viron une soixantaine de plantes au botaniste de l' Astro- labe. Parmi ces espèces, nous avons remarqué plusieurs Graminées et Fougères, qui nous paraissent nouvelles. 4°. Après avoir quitté Tonga le 20 mai , l'Astrolabe laissa tomber l'ancre le 5 juillet au soir dans le havre Car- teret , près du port Praslin , à la Nouvelle-Irlande. Ici la végétation revêt d'autres formes que dans les régions déjà visitées par l'expédition. De vastes et épaisses forêts cou- vrent l'intérieur des terres, et le luxe de la végétation annonce la situation tropicale. Néanmoins le temps a été si défavorable, à cause des pluies continuelles qui n'ont cessé de contrarier les travaux de l'expédition pendant DE M. DESFONÏAINES. cxv toute la relàclie , qu'on n'a pu conserver qu'environ soixante des espèces qui avaient été recueillies. 5*^. La végétation à la Nouvelle-Guinée se présente sous les formes les plus imposantes. Tous les végétaux y sont dans des proportions plus considérables qu'à la Nouvelle- Hollande. Mais en revanche il y a moins de variété. Ce sont de vastes forêts composées d'un petit nombre d'es- pèces d'arbres trop élevés , et souvent trop rapprochés les uns des autres , pour qu'il soit possible de les recon- naître. Cependant on remarque dans le noml^re des Bar- ringtonia , des Aréquiers , des Papayers , l'Arbre à pain , et divers Palétuviers. M. Lesson , contrarié par l'exces- sive humidité de l'atmosphère, a cependant pu conserver environ une centaine d'espèces, qui pourront nous don- ner une idée vraie du genre de végétation propre à la partie de la Nouvelle-Guinée , visitée par VJstrolahe. 6^. Plusieurs relâches ont été faites successivement sur différeus points des Moluques , à Amboine , à Guam , à Bourou. Environ cent cinquante espèces ont été rappor- tées par M. Lesson. 7". La corvette quitta les Moluques dans le courant d'octobre 1827, et arriva vers la mi-décembre de la même année à Hobart-Town , capitale de Van-Diémen. Cette île, surtout aux environs de la colonie d'Hobart-Town , présente un aspect triste et monotone. Des campagnes arides , des forêts entrecoupées de gros blocs calcaires , ne présentent qu'un petit nombre de Végétaux. Il sera très-curieux de comparer avec soin les cent espèces en- viron , qui ont été recueillies à la terre de Van-Diémen , avec celles de la Nouvelle-Hollande, afin d'observer l'ana- logie ou les différences qui peuvent exister entre ces deux points de l'Australie. cxvi KAPPORT DE M. DESFONTAINES. 8". L'île de Vanikoro ressemble beaucoup au havre Car- leret, et leur végétation est presque analogue. Environ quatre-vingts espèces ont été récoltées dans cette île. Elles ont beaucoup d'analogie avec celles de la Nouvelle- Irlande et de la Nouvelle-Guinée. Néanmoins plusieurs nous ont paru nouvelles et tout-à-fait propres à cet ar- chipel. 9°. En revenant en Europe , l'Astrolabe séjourna pen- dant quelque temps au cap de Bonne-Espérance. Dans cette relâche plus de deux cents espèces furent ajoutées aux collections de la corvette. 10°. Enfin l'île de l'Ascension fut le dernier point visité par l'expédition. Cette île , toute volcanique , est peu riche en Végétaux phanérogames. Les Cryptogames au contraire y sont en plus grand nombre. Environ soixante- dix espèces ont été le fruit des recherches de M. Lesson. En résumé on peut porter à environ quinze à seize cents le nombre des espèces recueillies dans les différen- tes stations de l'expédition commandée par le capitaine d'Urville. Parmi ces espèces , un assez grand nombre sont tout-à-fait nouvelles , et quelques-unes même pour- ront former les types de genres nouveaux. Celles de la Nouvelle-Zélande et de Van-Diémen auront un très-grand intérêt, en nous donnant une idée de la végétation de con- trées presque inconnues jusqu'à ce jour des naturalistes. On ne saurait donner trop d'éloges au zèle et aux con- naissances qu'a montrées M. Lesson jeune dans la récolte et la conservation de ces plantes, et dans la rédaction des notes qui souvent les accompagnent. Signé R. DESFONTAINES. *î '*■ VOYAGE L'ASTROLABE. CHAPITRE 1" TRAVERSEE DE TOULON A GIBRALTAR. La campagne de la Coquille y dont j'avais formé le ig25. projet et présenté le plan conjointement avec M. Dli- perrey, mon collègue, venait d'être terminée. Sa navigation ayant eu presque constamment lieu hors la vue des côtes , avait offert peu de dangers : aussi avait-elle été très-heureuse. Les sciences naturelles et la physique en avaient retiré des résultats inté- ressans. La géographie lui avait dû aussi quelques découvertes, et surtout des rectifications de points mal déterminés jusqu'alors; mais il n'y avait eu au- cune reconnaissance suivie de côtes, aucune explo- ration complète d'archipel, si ce n'est celle des îles 2 VOYAGE 1825. Gilbert et Mulgrave : la géographie réclamait donc de nouveau l'attention du navigateur dans ces mers. Quoiqu'en apparence concentré durant tout le cours du voyage dans mes travaux de botanique et d'en- tomologie , comme dans mes fonctions d'officier chargé du détail, j'étudiai néanmoins attentivement la direction des vents et des courans , la marche et l'influence des saisons ; je m'appliquai à connaître exac- tement quels progrès la géographie avait faits dans les divers archipels de la mer du Sud; en un mot, je mé- ditai le plan d'une campagne propre à rendre les plus grands services à cette science , sans nuire toutefois aux fruits que tous les autres genres de connaissances pouvaient retirer de nos travaux. Aussi à mon retour en France, ce plan se trouva tout arrêté, et je n'atten- dis plus qu'une occasion favorable pour le mettre à exécution. L'accueil honorable que je reçus du ministère alors dirigé par M. de Chabrol, et la confiance qu'il me témoigna , me déterminèrent à lui faire part sur-le- champ de mes nouveaux projets. Il prit les ordres du monarque auguste qui gouverne la France, et qui, dans cette occasion, donna une nouvelle preuve de la bienveillance particulière qu'il porte au progrès des sciences et de la navigation. Je dois ajouter que je fus bien favorisé par MM. Halgan et Tupinier, di- recteurs du personnel et du matériel de la marine* Grâces à leur influence et à la généreuse impulsion du Décembre, ministre , dès le mois de décembre 1 825, je reçus ma lettre de commandement , et l'autorisation de choisir. DE L'ASTROLABE. 3 sans aucune espèce de restriction, toutes les per- ,181.5. sonnes destinées à m'accompagner et à partager les Décembre. dangers et l'honneur de cette entreprise. Dès le moment où j'avais présenté mon projet, j'avais désigné M. Jacquinot pour me servir de se- cond. Ses talens et son dévouement m'étaient con- nus depuis longues années ; seul dans la marine il m'avait paru capable de remplir dignement un poste à la fois si important et si délicat. Par la suite, et pour de semblables raisons, MM. Lottin et Gressien furent attachés à l'expédition. Enfin M. Guilbert, qui m'a- vait écrit pour me faire connaître le vif désir qu'il avait de servir sous mes ordres , et sur le compte du- quel j'avais recueilli d'honorables rapports, compléta le nombre des officiers. Les élèves Paris , Faraguet et Dudemaine furent désignés plus tard. M. Gaimard, déjà connu par ses travaux sur l'Uranie, était destiné d'abord à remplir seul les fonctions de chirurgien-major et de zoologiste, tan- dis que M. Lesson (Adolphe), tout en l'assistant dans ses fonctions médicales , se trouvait appelé à veiller aux intérêts de la botanique. Mais, par un bonheur inespéré, M. Quoy sollicita comme une fa- veur la permission de faire la campagne ; la vaste étendue de ses connaissances en histoire naturelle m'était aussi connue que la parfaite égalité de son caractère : j'acceptai donc avec transport l'offre d'un collaborateur aussi distingué. Jamais le plus léger nuage n'a altéré même un instant les sentimens d'es- time qu'il m'avait inspirés-, et c'est à sa présence 4 VOYAGE 1825Î. que l'expédition devra ces admirables observations Décembre, de zoologic , et Ce précicux recueil d'innombrables dessins qui seuls suffiraient pour en consacrer la mémoire. Les campagnes précédentes avaient été médiocre- ment favorisées sous le rapport des gravures desti- nées à accompagner Tbistorique; Ton sait cependant tout ce que des dessins agréables , et surtout fidèles à la vérité , peuvent ajouter d'intérêt à la publication de ces voyages , particulièrement aux yeux des gens du inonde. Mon attention se porta vers le clioix d'un sujet capable de réaliser mon attente ; long-temps je restai indécis. Enfin M. de Sainson, alors commis ex- traordinaire de la marine à Roche fort, se proposa; M. Quoy, en qui j'avais toute confiance, me le re- commanda; M. de Sainson devint ainsi l'un de mes compagnons de voyage , et le public pourra juger que j'ai été admirablement secondé par ce nouveau collaborateur. Quant à la marche du voyage et à la désignation des lieux que nos recherches devaient embrasser, par une confiance bien honorable pour moi , le minis- tère me laissa entièrement maître de tracer le plan de campagne, de concert avec MM. de Rosily et de Rossel, chefs du dépôt de la marine. Dans le projet tel que je l'avais primitivement conçu, je devais me borner aux côtes de la Louisiade, delà Nouvelle-Guinée et de la Nouvelle-Bretagne, en opé- rant mon retour au travers des Carolines, par les archipels des Moluques et de la Sonde. MM. de Rosily DE L'ASTROLABE. 5 ' et de Rossel adoptèrent toutes mes vues, en se con- 1825. tentant dy ajouter la partie N. E. de la Nouvelle- i^ccembre; Zélande, les îles Tonga et Viti, et les îles Loyally. Je m en félicitai intérieurement, car la crainte seule de paraître embrasser un plan trop vaste m'avait em- pêché d'en proposer aussi la reconnaissance. Vers cette époque tous les journaux d'Europe re- tentirent des nouvelles que le contre-amiral Manby fit circuler au sujet des traces de La Pérouse, décou- vertes tout récemment par un capitaine baleinier sur des îles entre la Nouvelle-Calédonie et la Loui- siade. Il s'agissait d'une croix de Saint-Louis et de mé- dailles recueillies sur ces îles ; à ces indices venaient se joindre des détails si positifs, que l'affaire n'eût laissé aucun doute si la déposition elle-même eût été au- thentique. Autorisé à cet égard par le ministre , je me transportai chez M. Manby, à Paris, afin d'obtenir de sa propre bouche des renseignemens plus détaillés ; il se trouvait en ce moment à Chantilly, mais à la lettre que je lui adressai , il ne fit qu'une réponse assez insi- gnifiante et conçue dans les termes suivans : « Monsieur, » Vendredi je revins à Chantilly et trouvai votre M lettre du 9 décembre; et j'ai du regret de ne pouvoir » visiter Paris d'ici à quelque temps, vu que j'ai loué » ici une maison pour l'hiver. Quant au motif de votre » correspondance , j'eusse été heureux de vous don- » ner tous les renseignemens en mon pouvoir ; mais 6 VOYAGE 1825. » n'ayant rien à ajouter à ce qui a été déjà inséré dans Décembre. „ jgg papiers publics , en formant des vœux pour » votre succès et votre heureux retour ^ , » Je suis votre humble, etc. » Dès-lors je n'attachai plus aucune confiance à ces nouvelles, et je restai convaincu qu'elles n'étaient pas mieux fondées en vérité que celles qui s'étaient suc- cédées à peu près périodiquement et sous toutes les formes possibles , touchant cette grande infortune. Jusqu'alors, d'une part le désir assez ordinaire aux voyageurs de fixer un moment, et à quelque prix que ce fût , l'attention du public ; de l'autre l'in- térêt général qu'avait excité chez toutes les nations de TEurope le sort de l'infortuné La Pérouse , seuls avaient donné lieu à ces différens rapports et au crédit éphémère qu'ils obtenaient presque toujours. Je ne pouvais prévoir que , durant le cours de la cam- pagne de r Astrolabe i le sombre voile qui avait si long-temps couvert le triste sort de nos compatriotes, ' Chantilh , dec. 26 ih. 1825, Sir , / wednesdaj returned to ChantiUj , and foiind jour letter of tlie 9 ''' of december , and regret it will be some dajs before I visit Paris, as I liave let a home at this place for the tinter. On the suhject of jour corres- pondence , I should be most happy to give ail the information in my power; but having nothing more to add, that what the public journals hâve stated , with every wish for your success and saje return , 1 remain your humble servant. Jh. Manbv, Rear-admiral. DE L'ASTROLABE. 7 serait enfin soulevé, et que nous étions destinés à être i8*6. les premiers à rendre les hommages dus à leur mé- J""^'«'- moire. Toutefois le ministère me recommanda , et je me promis de ne rien épargner pour m'assurer jusqu'à quel point les nouvelles de M. Manby pouvaient être fondées. Dans son rapport sur la campagne de la Coquille^ par l'organe de son rapporteur, l'Académie des Scien- ces avait exprimé le regret que des expériences de température à de grandes profondeurs n'eussent point été exécutées. Par mes soins, et long-temps à l'a- vance , cette société fut prévenue officiellement du départ de V Astrolabe, afin qu'elle pût tenir tout prêts les instrumens qu'elle voudrait nous confier. Pour mieux remplir ses vues à cet égard, j'obtins en outre du ministère que ]M. Lottin resterait un mois après moi à Paris pour exécuter les observations préparatoires sous les yeux de M. Arago, et recevoir de sa bouche même les instructions propres à les rendre vraiment dignes de confiance. Comme j'en avais témoigné le désir , on me donna la corvette la Coquille , qui prit le nom ai Astrolabe en mémoire de jVI . de La Pérouse . Le nouveau personnel du bâtiment fut composé du même nombre d'indivi- dus, et son équipage porté à quatre-vingts hommes tout compris. Je demandai aussi un détachement de six hommes d'infanterie de marine , pour faire à bord le service de factionnaires lorsque le cas l'exigerait, ser- vice auquel le marin n'était nullement propre avant l'organisation des équipages de ligne. 8 VOYAGE r826. En même temps je faisais venir d'Angleterre les Janvier, cartcs et les ouvrages qui devaient m'être utiles. D'après le désir que j'avais exprimé, M. Gaimard vi- sitait les musées d'histoire naturelle d'Angleterre et de Hollande pour reconnaître leurs richesses et s'as- surer des objets qui pouvaient manquer au nôtre "^ les autres membres de l'expédition se préparaient aux travaux qu'ils allaient entreprendre. Il m'est doux d'avoir à rappeler que toutes les de- mandes que j'adressai au ministère dans l'intérêt de la mission , me furent incessamment accordées ; et l'ordre fut dirigé vers le port de Toulon de tenir en réserve pour V Astrolabe un équipage d'hommes d'é- lite. Par là je me flattais d'avoir prévu les obstacles et de n'avoir plus qu'un armement prompt et facile à exécuter, de manière à appareiller le \^^ avril suivant, terme que j'avais assigné pour notre départ. Dans cet espoir, je quittai la capitale et arrivai à Toulon le 28 janvier 1826. Là, je fus bien contrarié de voir qu'il n'avait pas été possible de me former un équipage de choix. Durant tout le premier mois, il me fallut procéder à l'armement avec sept ou huit hommes au plus. Les classes stériles , malgré les ordres donnés , ne produisaient personne , et je me vis enfin contraint de recevoir des sujets qui n'étaient nullement propres à une pareille campagne. Heureusement j'avais pu m entourer de bons maî- tres, et les officiers mariniers méritaient aussi quelque confiance ; ce fut sur eux , et surtout sur l'aide des officiers , que s'arrêta tout mon espoir. Ces derniers DE L'ASTROLABE. 9 ne le trahirent jamais, et c'est à leur dévouement 1826. infatigable que j'ai dû le salut de la mission et ses ^^'■*' glorieux travaux. Le 10 mars, M. Lottin arriva avec la plupart des 10. instrumens de physique et d'astronomie. Les cinq thermométrographes de Bunten, destinés à observer la température de la mer à de grandes profondeurs , furent tous cassés. L'artiste Spinelly de Marseille ne put les réparer, et j'en demandai d'autres au dépôt de la marine. Sur-le-champ M. Lottin exécuta les obser- vations d'inclinaison et d'intensité ^magnétiques re- commandées par l'Institut. Une des chaînes-câbles en fer de trois cents mètres 18. que j'avais demandée arriva le 18, et se trouva beau- coup trop pesante pour notre corvette. Sur mes re- présentations, je n'en embarquai que la moitié, et ob- tins du ministre l'autorisation d'acheter l'autre en voyage et dans la dimension que je trouverais conve- nable. Cet article de première nécessité pour les re- cherches que je me proposais , devint l'objet de mes plus vives solhcitudes; jusqu'au moment où je pus me le procurer, mon imagination, inquiète sur le suc- cès de mes efforts au travers de ces îles semées de coraux , fut sans cesse agitée de la manière la plus pénible. L'Astrolabe est conduite en rade le 28 mars ; les 28, médailles de l'expédition et mes instructions me sont remises le 13 avril. L'équipage n'est au complet que Avril. le 17, et le 22 au point du jour je me prépare à partir. 10 VOYAGE rsao. L'ancre est levée, et la corvette est déjà sous voiles, 22 avril, quand la brise d'E. S. E., jusqu'alors maniable, fraî- chit , et bientôt soulève une mer assez dure qui nous empêche de virer vent devant , au moment où nous arrivons devant le creux Saint-Georges , au seul en- droit où la rade de Toulon offre quelques roches. Menacé de tomber à la côte, je fis mouiller rapide- ment l'ancre du bossoir en carguant toutes les voiles. Bientôt le coup de vent fut déclaré et souffla durant trente heures avec une grande violence. Du reste ce retard fut heureux, car les quatre nouveaux thermo- métrographes envoyés de Paris arrivèrent dans la journée du 24, et par là l'expédition ne se vit point obligée de renoncer à des expériences curieuses qui attiraient l'attention des physiciens, et dont elle devait être la première à rapporter une suite aussi complète. 25. De bonne heure , le 25 , on releva l'ancre ; comme il faisait calme plat, les canots du port joints à nos petites embarcations nous traînèrent lentement vers l'entrée de la rade. A neuf heures il vint une petite brise d'O. S. O., qui nous permit de faire voiles, et qui ne tarda pas à devenir très-fraîche. A six heures du soir il venta grand frais, la mer devint très-grosse, et il nous fallut mettre à la cape sous la misaine et le grand hunier au bas ris. Dans la nuit le coup de vent fut furieux; les raffales, devenues très-violentes, se succédèrent presque sans relâche, et la houle devint très -fatigante. Avec un navire dont l'arme- ment s'était fait à la hâte et surchargé d'un si grand nombre d'objets étrangers aux navigations vulgai- DE L'ASTROLABE. 11 res, un assaut aussi brusque pouvait nous surpren- 1826. dre désagréablement et nous causer quelque avaiie '^'*"'- majeure. Mais tout avait été prévu ; les manœuvres nécessaires se tirent avec calme et à propos ; en un mot, on eût dit que nous étions depuis six mois à la mer. L'équipage même déploya une activité remar- quable, et qui me donna d'iieureuses espérances pour l'avenir. Aussi quand le surlendemain, le vent étant devenu plus modéré, nous eûmes la possibilité d'augmenter de voiles, nous n'eûmes aucun dommage à réparer, et l'on n'aurait pu s'imaginer que nous venions d'être secoués par une bourasque aussi impé- tueuse. Ce même jour, à trois heures après midi, il fit calme 26. plat; j'en profitai pour faire la première expérience de température à profondeur. Le thermométrographe n» 9 de Bunten fut descendu à trois cents brasses et y resta un quart-d'heure; retiré du cylindre en cuivre où l'eau n'avait nullement pénétré , l'index ne donna qu'un degré de moins que la température de la surface qui avait été de 13% 8. Cet essai me fit juger quels soins minutieux et quelles précautions il me faudrait apporter dans ces expériences, afin de prévenir autant que possible toutes les sources d'erreurs, surtout éviter la rupture de ces fragiles instrumens. Nous eûmes le 27 et le 28 les terres de Minorque as. en vue dans l'O. N. O. , à une grande distance, et nous finies peu de route. MM. Quoy et Gaimard commencèrent leurs récohes de zoologie , et glanèrenl à la surface des ondes ces mollusques bizarres que 12 VOYAGE 1826. leur fragilité et|leur substance molle , gélatineuse et si *'■ promptement décomposée, ne permettent point de conserver dans un état satisfaisant. Pour obvier à cet inconvénient, ils s'empressaient de les décrire, et même d'en fixer sur-le-cbamp les formes et les cou- leurs à l'aide du pinceau. I". Le l^r lYjai au point du jour, nous découvrons les terres de Carthagène que domine la chaîne élevée des montagnes de Grenade. Vers deux heures nous traversons un vaste espace de mer couvert de débris très-minces de pailles, de graminées et autres végétaux, indiquant probablement le lit d'un courant dirigé de l'E. àl'O. Le soir nous vîmes le cap de Gates. Le vent s'était établi à l'E., nous pûmes faire bonne route; et le jour suivant , vers cinq heures trente minutes du matin , nous n'étions qu'à sept milles de la petite île Alboran. A sept heures nous n'en étions qu'à deux milles au nord par cinquante-cinq brasses de fond, gros sable mêlé de fragmens de coquilles et de corail rouge. Cet îlot paraît entièrement sain de tous côtés, et n'offre qu'un petit rocher près de sa pointe de l'E. DE L'ASTROLABE. 13 Le sol en est très-bas, entièrement ras et dénué de 1S96. grande végétation. Des points blancs et nombreux, ^'»'- disséminés sur son étendue, indiquent probablement autant de goélands sur leurs œufs. Toujours poussés par une douce brise d'E. et E. 3. S. E. sur la plus belle des mers, dès le 3 à midi, nous découvrions les sommets du mont Gibraltar et du mont aux Singes , ces antiques colonnes d'Hercule , et nous nous flattions de sortir rapidement de la Mé- diterranée, quand la nuit nous amena le calme qui ne tarda pas à faire place aux vents contraires de l'O. Depuis cette époque , sans cesse contrariés par le vent et repoussés par le courant , nous fumes réduits à courir d'inutiles et fastidieuses bordées devant le canal entre les cotes d'Europe et d'Afrique. Durant dix-neuf jours je m'obstinai à rester sous voiles , dans l'espoir de pouvoir à la fin profiter de quelque brise plus favorable , et pour accoutumer l'équipage à ces sortes de contrariétés. Dans la navigation que j'entreprenais , je prévoyais que le sort devait souvent nous en susciter de semblables : j'étais donc bien aise de connaître ce que je pouvais attendre de nos marins. Cette épreuve m'en donna une bonne opinion, car, sauf quelques mauvais sujets que rien ne peut ramener, tous les autres se comportèrent bien. Il est vrai qu'on doit observer que tous les officiers , se modelant sur mon exemple, avaient pour eux tous les égards pos- sibles , et qu'on ne négligeait aucun moyen pour leur adoucir les peines et les fatigues inséparables du ser- vice de la marine. 14 VOYAGE 1826. Quelque bien connus que soient ces parages, il y 19 mai. règne des courans très-violens et fort irréguliers dont il est bon de se défier. Le 19 au matin, m'estimant à peu de distance et par le travers du village d'Este- pone , je me dirigeais , à l'aide d'une faible brise de N. E. , vers le rocher de Gibraltar, et de manière à en passer à une bonne distance au large. Une brume fort épaisse ne me permettait de rien distinguer à deux longueurs du navire, je me croyais même encore bien loin de terre, lorsqu'à une heure plusieurs voix d'hommes et le bruit des vagues brisant à la plage se tirent entendre très-près de nous ; quelques instans après nous entrevîmes le rivage, et la sonde donna huit brasses. Le vent tomba tout-à-fait, et le courant continuait de nous entraîner à la côte ; je fus réduit à laisser tomber l'ancre par cinq brasses , fond de sable. Nous étions au fond de la Mal-Bay, et à moins de cinq cents toises au S. E. de Torre-Nueva. Heureusement deux heures après il s'éleva un peu de vent de S. S. O., l'ancre fut relevée, et nous nous hâtâmes de nous éloigner de cette station dangereuse. Pour occasioner cet accident il fallait que le cou- rant nous eût portés dans l'espace de cinq heures de 3 milles et demi au N. O. , en opposition avec son effet habituel qui est de se diriger constamment à l'E. Quelques instans de brume de plus, ou bien si les voix de la terre ne nous eussent servi de signal , l'Astrolabe tombait infailliblement à la côte. Parmi les nombreux aspects sous lesquels nous avons eu si souvent occasion d'examiner le mont DE L'ASTROLABE. 15 (jibrallar, il en est un sous lequel il se présente sous la forme d'un double piton à base étroite et sommets très-aigus. C'est au moment où l'on passe directe- ment au sud de ce rocher célèbre qu'il présente cette apparence , et justifie en quelque sorte le surnom de Colonne d'Hercule qu'il reçut des anciens marins de la Pliénicie. Un moment après , le mont aux Singes lui-même offre une apparence semblable. iSafi. Mai. 16 VOYAGE CHAPITRE II. SÉJOUR SUR r,A RADE DE GIBRALTAR ET TRAVERSEE JUSQu'a TÉNÉRIFFE. 1826. Dégoûté des inutiles tentatives que j'avais faites 21 mai. jusqu'alors, et réfléchissant aux dangers gratuits que j'encourais en tenant plus long-temps la mer, je me décidai à relâcher et laisser tomber l'ancre au mouil- lage de Carnero (Sandy-Bay des Anglais) par vingt brasses , fond de sable et gravier. 28. Accompagné de la plupart des officiers , le jour suivant je traversai la rade et me rendis à Gibraltar où M. Sylvestre de Sacy, notre consul, et fils du savant membre de l'Académie , nous fit l'accueil le plus honnête et m'offrit tous ses services. Nous obtînmes sur-le-champ du major de la place la permission de visiter en détail les fortifications de ce rocher fameux. C'est un travail digne des Romains ou mieux encore des cyclopes de la Fable ; il semble qu'en cette occa- sion l'orgueil anglais se soit plu à faire parade de tout son pouvoir, à prouver aux nations de l'Europe qu'au- cune force humaine ne pourrait jamais le chasser d'un DE L'ASTROLABE. 17 point aussi important. En effet, caserait une entre- 1826. prise cluniéricjue que de vouloir réduire par la force ^'*'- ce rocher inaccessible , percé dans toute son étendue de casemates , de magasins et de batteries , et défendu par plus de six cents canons de gros calibre. La famine, la trahison ou la nécessité des traités pourront seules un jour remettre Gibraltar aux mains de ses maîtres légitimes et naturels. Une race de singes , la même que celle qui habile la côte d'Afrique, vit sur les flancs de ce rocher escarpé des fruits du Chamœrops hiimilis et des jeunes pousses du laitron ; les autorités locales protègent sa conservation. La végétation a beaucoup de rapport avec celle du Levant, et surtout avec celle de file de Malte. On nous fît voir la grotte de Saint-Michel, pi. r. remarquable par ses énormes stalactites et ses beaux effets de cristallisation variés sous toutes les formes. De larges crevasses sillonnent ses flancs et doivent ■ s'enfoncer à de grandes profondeurs , comme l'atteste le bruit prolongé des cailloux qu'on lance dans leurs cavités. Nous rentrâmes dans la ville par les jardins qui l'accompagnent vers le sud. Délicieux et parfaite- ment tenus , comme tout ce qui appartient aux An- glais , ils forment une promenade charmante et repo- sent bien agréablement la vue fatiguée de l'aspect sauvage et dénudé du mont qui les domine. Gibraltar compte une population de 20,000 âmes , mélangée d'Anglais , Espagnols , Génois et Juifs ; ceux-ci , dit-on , forment à eux seuls le quart de ce TOME I. 18 VOYAGE 1826. nombre, et envahissent presque tout le commerce. Mai. Lg gouverneur en titre est lord Chatam qui n'y réside que le moins qu'il peut, et le général Don, com- mandant en chef des troupes , est celui qui remplit vraiment les fonctions de gouverneur. 24. Le 23 et le 24 , je me promenai sur les bords de la baie; tout ce que j'observai me rappela parfaitement la Provence , à l'exception d'un très-petit nombre de végétaux déjà africains, et d'une culture en général bien plus négligée. 25. Jusqu'alors assez faible, quoique constante, le 25 la brise fraîchit à l'O. N. O. , vers onze heures, avec des rafales. L'ancre chassa, et voyant qu'elle ne re- prenait point, quoique nous eussions filé jusqu'à soixante-dix brasses de câble, je mis sous voiles; après avoir remis l'ancre en haut , et couru des bordées dans la rade , à sept heures du soir je PI. II. mouillai devant la ville d'Algésiras, par seize brasses vase et coquilles. Vingt-trois personnes de l'équipage parties dans le grand canot expédié à l'eau manquaient à bord, et ne le rejoignirent qu'au moment où nous eûmes laissé tomber l'ancre. 2^>- Vers dix heures, accompagné de MM. Gaimard , Lesson et Dudemahie , je fus rendre visite aux auto- rités de la ville ; la plupart des membres de ces auto- rités ne purent me recevoir, malades d'une fièvre dont ils attribuaient la cause aux vents d'ouest qui ré- gnaient depuis si long-temps. Le gouverneur actuel se trouvait être le maréchal-de-camp don Joseph de 31iranda, auparavant gouverneur de Ceuta. DE L ASTROLABE. 19 Je trouvai la ville petite, pauvre, mal bâtie, mal i8y.6. percée et malpropre ; mais les maisons en étaient ^^^'■ tout récemment recrépies à blanc , ce qui leur don- nait un certain air de fraîcheur et de nouveauté. La place est peu vaste, mais jolie et parfaitement tenue, avec une fontaine qui donne de l'eau en abondance. Cette eau est amenée dans la ville pai- un aqueduc p'- i"- qui traverse quelques ravins considérables. Sur une éminence près de la ville on me montra l'emplacement de l'ancienne cité maure rasée par les Castillans qui semèrent ensuite du sel sur ses ruines; sur une autre colline je vis un cirque en bois, entouré de palissades , destiné aux combats de taureaux , spectacle pour lequel l'Espagnol se passionne comme l'Anglais pour les courses de chevaux , le Français pour la comédie, et l'Italien pour les processions. A cette époque une contrebande très-active, qui s'exerçait à Algésiras , procurait à ses habitans une certaine aisance, tandis c[ue tout le reste de l'Espagne gémissait dans la plus profonde misère. Un brick de guerre anglais qui était appareillé ce 27. matin , après avoir couru long-temps d'inutiles bor- dées , prit enfin le parti de se faire lemorquer par le bâtiment à vapeur de Cadix, et par ce moyen il franchit assez promptement le pas difficile qui nous séparait de l'Océan. J'eusse vivement désiré trouver une occasion semblable. Le 28 fut consacré à une excursion près de la tour 28. de l'Almirante sur les bords de la rivière Palmene. Ses rives offrentun coup-d'œil assez pittoresque, et son 20 , VOYAGE ^826 cours dans ses sinuosités s'approche souvent de celui Mai. du Guarranque situé un peu plus au nord. Ce jour était un dimanche, et, pour un peuple aussi dévot, je fus surpris de voir un bon nombre d'habitans occupés à bêcher leurs champs. A l'observation que je leur fis ils ne donnèrent que cette réponse du reste bien naturelle : Nous sommes bien pauvres.] 2(j. Vers neuf heures du matin, suivi de quelques offi- ciers , j'allai débarquer au pont de la Mayorga , et de là me dirigeai vers Saint-Roch, distant d'une demi- lieue environ. Quoique sablonneuse, la route est assez belle et bordée de champs de blé. Saint-Roch n'est qu'un village perché sur le sommet d'une col- line , assez agréable , quoique dépourvu d'ombrages. Un grand nombre d'Anglais distingués de Gibraltar viennent y passer l'été , et la dépense qu'ils y font pro- cure à ses habitans des ressources inconnues à leurs voisins. Nous revînmes prendre notre canot par une route plus longue et dirigée vers l'ouest , et près de la mer, une pierre blanche élevée sur le bord du chemin m'indiqua le lieu où un directeur des postes de Saint-Roch et sa malheureuse femme avaient été fusillés , en juin 1 823 , par un parti de constitution- nels. Je sus aussi que quinze jours venaient à peine de s'écouler depuis que l'officier qui fit commettre ce crime en avait reçu le juste châtiment à Algésiras. 3o. Dès le matin une salve de treize coups de canon tirée par les forts de la ville nous annonça la fête du roi d'Espagne. A midi elle fut répétée ; les canons de l'Astrolabe saluèrent du même nombre, et à trois DE L'ASTROLABE. 21 heures, suivi de M. Gressien , je me rendis à luivita- 1826. tion du gouverneur. Les convives étaient nombreux ; ^'ï'- il régnait aussi parmi eux plus de gaieté quejen'en aurais attendu de la gravité espagnole. Malgré l'abondance et la variété des mets, et surtout des viandes, ce banquet ressemblait plus aux noces de Gamache qu'au festin d'un grand seigneur. Du reste M. le baron de Mi- randa me combla de politesses et d'offres de services, dont je lui témoignai ma reconnaissance , bien que je n'eusse absolument besoin de rien pour le moment. Le jour suivant je tentai , à l'aide d'une petite brise 3i. de S. S. E. , de mettre à la voile pour faire route ; après avoir varié en divers sens , dès une heure le vent était revenu à l'O. S. O., et ce fut avec beaucoup de peine queje me remis en position de mouiller devant le fort Sant- Antonio par quinze brasses et demie vase et coquilles. Plus de soixante-dix navires avaient comme juin. nous tenté la fortune, la plupart revinrent aussi au mouillage. Voyant les vents opiniâtrement fixés à l'ouest , je 1. me déterminai à exécuter une course sur le sommet des montagnes qui dominent Algésiras. Suivi de 31 M. Lottin et Lesson, je gravis à leur cime, et, quoiqu'un peu pénible, cette excursion me donna sujet de faire quelques observations curieuses. La zone qui s'étend depuis le rivage jusqu'aux flancs de la montagne est occupée par des champs de blé entre- mêlés de pâturages verdoyans ; elle n'offre guère d'au- tres plantes ligneuses que des buissons de Neriwniy de Cytise épineux^ de Chamœrops ^ et pas un seul 22 VOYAGE 1826. arbre. A une certaine hauteur seulement, commence Juin. ^ paraître le chêne liège , arhre assez gros et touffu , mais le plus souvent tortu , difforme et d'un aspect peu agréable. Les terrains incultes de sa pente sont couverts par la fougère commune. Quelques petites habitations se retrouvent encore à une grande hau- teur ; aux deux tiers de la montagne le liège dispa- raît entièrement pour faire place aux cistes de diverses espèces , au garou , aux fougères , aux cytises et à diverses sortes de graminées et de composées. A cin- quante toises , au plus , du sommet, règne une longue esplanade naturelle en pente douce , d'une forme très-remarquable , qui semble bordée de trois rangs de murailles. Sur une épaisseur de trois à cinq pieds, elles s'élèvent au-dessus du sol souvent à douze ou quinze pieds, dirigées du nord au sud, et inclinées de 45° environ vers l'ouest. Toutes m'ont paru, comme à Gibraltar, formées par des assises d'un calcaire grossier. En botanique , je recueillis avec plaisir une ^ fougère à tige ligneuse et grimpante , très-voisine du Davallia epiphylla; en entomologie, une jolie es- pèce du genre Psyché. Tandis que je faisais un dé- jeuner frugal sur la cime de ce mont , quatre aigles sillonnaient avec majesté les plaines aériennes , tantôt élevant leur vol rapide vers les nuages où ils dispa- raissaient presque à mes regards , tantôt s'enfon- çant dans les anfractuosités des roches suspendues sous nos pieds. De ce point l'observateur peut con- templer à la fois l'extrémité méridionale de cette Eu- rope si célèbre par ses lumières , et la partie boréale DE L'ASTROLABE. 28 de cette Afrique encore plongée dans les ténèbres de la plus profonde ignorance. Comme une barrière in- surmontable , deux lieues au plus de mer séparent ces deux continens , et semblent être pour l'intelli- gence humaine les limites de la mort et de la vie. Par les observations que firent MM. Jacquinot et Lottin dans ce jour, la hauteur de cette montagne se trouva être de sept cent quinze mètres au-dessus du niveau de la mer; et sa base est éloignée de huit mille mètres de Torre de Villa-Vieja. Le vent varia au N. et N. N. E. Encore une fois je tentai d'en profiter, et déjà l'Astrolabe se trouvait devant la tour de Gualmesi , quand l'éternel vent 1826. Juin. 3. d'ouest revint encore, soufflant assez frais. Inutile- ment je tentai de me soutenir en courant des bordées sous toutes voiles , le courant nous entraînait sensi- blement; ainsi à quatre heures je laissai porter de nouveau pour le mouillage. Après avoir passé entre le rocher de Palomes et la Perle, à moins de trente toises du premier, et contourné les brisans de Carnero, je laissai tomber l'ancre près de la pointe de Getares 24 YOYAGE 1826. par douze brasses et demie , sable et gravier. Ce fond jjuin. est d'une mauvaise tenue, car le jour suivant, dans une risée assez faible, nous chassâmes et fûmes obligés d'aller reprendre le mouillage d'Algésiras. Peu après , les deux canonnières françaises la Bojnbe et le Tocsin^ commandées par MM. Toulon etBellan- ger (Michel), laissèrent tomber l'ancre près de nous. Ces deux navires destinés pour la station de Cadix avaient employé le mois entier pour se rendre de Toulon à Gibraltar. 6. Ce matin, de nouveau séduits par une petite brise de N. E., à l'exemple de plus de quatre-vingts navires qui mettaient à. la voile , nous en faisons autant. Au moment où nous doublons la Perle, nous sommes tout-à-coup enveloppés d'une brume si épaisse qu'on distinguait à peine les objets de l'arrière à l'avant du navire. Cependant je serre la côte le plus près possible, afin d'éprouver un courant moins fort ; à onze heures , en passant à quatre-vingts toises environ de la pointe Acebuche, un coup de talon assez fort se fait sentir ; heureusement nous filions cinq à six nœuds , la corvette ne s'arrête point , le vent se soutient , nous doublons Tarifa, et le soir à quatre heures nous nous trouvons à deux lieues au nord de Tanger. Alors la brise tombe , et nous restons en calme ; je redoutais d'être encore entraîné dans l'E. durant la nuit ; mais là je trouvai la force du courant bien amortie , et j'ai lieu de croire que le jusant même y reporte sensiblement vers l'O. Vers deux heures DE L'ASTROLABE. 25 du matin, la brise s'est peu à peu établie à l'E., et nous tique. nous avons cinglé à toutes voiles dans l'océan Atlan 1826. Juin. C'est ainsi que le vent d'ouest nous a retenus du- rant trente-quatre jours à l'entrée de ce détroit , malgré la constance opiniâtre que j'ai déployée, et les efforts journaliers que je n'ai cessé de tenter pour surmonter cet obstacle. On sent tout ce qu'une con- trariété si prolongée a dû m'offrir de dégoûts et d'en- nuis au début d'une campagne comme celle que j'en- treprenais, avec le désir que j'avais de ne perdre aucun de ses momens.^Pour cette raison, et d'autres plus péremptoires encore , le capitaine qui voudra tenter une pareille entreprise, devra préférer tout autre des ports de France à celui de Toulon. Conve- nons cependant que ce triste retard fut bien mis à profit par M. Quoy qui amassa les matériaux d'un mémoire fort important sur les mollusques de la Méditerranée. Nous-mêmes nous réglâmes nos mon- tres sur le méridien d'Algésiras , et commençâmes nos observations de tout genre. iSi6. 12 juin. 26 VOYAGE Nous naviguâmes dans l'Océan avec des vents varia- bles en force et dans les divers aires du compas. A midi trente minutes , le 12, nous aperçûmes Tile la plus au nord des stériles Salvages à toute distance devant nous à l'O. S. O. De quatre à six heures nous prolongeâmes de très-près toute la partie orien- tale de ce petit groupe dont i\I . Lottin leva le plan détaillé. Celle du nord est la plus grande, bien qu'elle ait à peine trois à quatre milles de circuit ; elle peut avoir deux à trois cents mètres d'élévation , et sur sa partie de l'O. et N. O. offre quelques rochers détachés. De toute part sa côte n'est qu'une falaise escarpée et en apparence inaccessible ; la mer brise avec fureur sur ses flancs , et à la distance où nous l'avons prolongée, environ deux milles, nous n'avons discerné aucune plage, aucune crique praticable. Sa surface n'offre que quelques broussailles rampantes sur les hauteurs ; des espaces d'une couleur jau- nâtre assez prononcée semblent être des terrains argileux, tout-à-fait à nu. Des légions innombrables d'oiseaux voltigent tout alentour, et seront sans doute DE L'ASTROLABE. 27 d'ici à long-temps ses uniques habilans. L'îlot du 1826. piton n'est qu'un pic peu élevé , déchiré , noirâtre et •^"'" entouré de plusieurs autres petits rochers qui en sem- blent séparés , mais qui doivent s'y réunir par des ramifications peu profondes. A sept heures quarante minutes du soir, l'exploration de ce groupe était terminée; nous fîmes route au S. S. O. vers Tile de Ténériffe. Dès le point du jour, à cinq heures trente minutes i3. du matin, nous entrevîmes la masse entière de l'île au travers de nuages assez épais qui nous dérobaient le plus souvent la vue du pic. Poussés par une forte brise de N. E. , bientôt nous eûmes doublé la pointe de Nega ; déjà je n'étais plus qu'à une petite distance de la rade, quand, le vent fraîchissant encore, je jugeai à propos d'attendre qu'il eût calmé pour aller prendre un mouillage par lui-même peu abrité. Ainsi, je courus un bord au large; le soir 14. il surventa, je passai la nuit sous voiles. Le lende- main nous nous rapprochâmes de Sainte-Croix, et, à quatre heures après midi , nous mouillâmes par vingt- cinq brasses , sable vasard , à peu près devant le fort du nord. pi. vu. L'entrée du port nous fut accordée; j'en profitai pour aller sur-le-champ rendre ma visite aux auto- rités de la place, qui nous reçurent fort poliment. M. Bretillard, consul de notre nation en cette colonie, m'apprit que le capitaine King venait d'y passer cinq jours , et ne Tavait quittée que le 1 2 , m'ayant attendu deux jours dans lespoir de me voir arriver. Il avait 28 VOYAGE 1 826. sous ses ordres le sloop Adventiire et le brick Beagle, Juin. capitaine Stocks ; sa mission était de faire la reconnais- sance complète des terres et des îles Magellaniques ; son voyage devait durer quatre ans ; il emportait à bord pour deux ans de vivres. Sur sa route il devait toucher aux îles du Cap- Vert. DE L'ASTROLABE. 29 CHAPITRE III. EXCURSION AU ne DE TENERIFFE. Je méditais depuis long-temps le projet de gravir 1826. jusqu'au sommet du fameux pic de Ténériffe; résolu 1 5 juin. d'exécuter ce projet, je chargeai M. Bretillard de nous procurer sans retard tous les moyens de transport nécessaires à cette excursion. Je désignai pour m'ac- compagner MM. Quoy et Gaimard, regrettant beau- coup qu'une indisposition subite ne permît pas à M. de Sainson de se joindre à nous. De bon matin nous nous rendîmes chez M. Bre- 16. tillard où les montures nous attendaient ; bientôt nous commençâmes à cheminer jusqu'à Laguna. Sans être pourtant très-difficile, le chemin est assez mau- vais , mal entretenu et souvent hérissé de gros blocs volcaniques ; les campagnes environnantes sont cou- vertes de scories au travers desquelles les céréales poussent péniblement leurs chaumes; la végétation naturelle se réduit à peu près aux tiges rares et dé- pouillées des Cactus et des Eaphorbia canariensis. 30 • VOYAGE 1S26. La scène s'embellit à mesure qu'on s'approche de Juin. Laguna, ville assez grande cl bien bâlie, mais peu peuplée. L'herbe pousse dans la plupart des rues , tout annonce qu'une grande misère a dû succéder dans cette ville à l'opulence qui y régnait aux jours brillans de la monarchie espagnole. A la hauteur de Laguna, qui est de quatre cents toises environ, la température a tout-à-fait changé, et m'a rappelé le climat de la France méridionale. Aussi les plaines voisines de cette ville offrent-elles l'aspect le plus riche et le plus varié; ce sont des champs de la plus belle verdure , plantés en blés , pommes de terre , lupin , mais , etc. Dès qu'on arrive sur la côte occidentale de File, la vigne avec ses pampres ver- doyans achève de rendre l'illusion plus frappante. Il est un lieu sur la route d'où la vue domine les plaines riantes et fertiles de Tacoronte, l'un des sites les plus déhcieux de l'ile. A onze heures nous arri- vâmes à Matanza, heu célèbre par le revers insigne qu'y éprouvèrent les Espagnols combattant contre les Guanches. Cette fois au moins, ceux-ci guidés par leur valeureux chef, le dernier prince de Tahouro, firent sentir à leurs cruels oppresseurs ce que peut le courage inspiré par le désespoir. Depuis ce lieu jusqu'à l'Orotava, la nature offre la plus brillante végétation. Ce revers de l'île n'est qu'un amphithéâtre continuel de verdure, parsemé de jolies habitations semblables aux bastides des Pro- vençaux. Après avoir traversé les villages de Viloria et de Santa-Ursula , on aperçoit sur la pente de la DE L'ASTROLABE. 31 montajjne la petite ville clc l'Orotava. Mon intention 1826. étant d'abord de visiter le port , nous nous dirigeâmes '^"•"• vers les bords de la mer, en passant près du jardin de botanique. Arrivés dans la ville du port, nous nous présentâmes ebez M. Antonio Cologan pour qui M. Bietillard m'avait donné une lettre. Il nous reçut poliment et nous fit servir des rafraîcbissemens , sans cependant nous offrir fliospitalité. En conséquence , après avoir jeté vm simple coup-d'œil sur le port de l'Orotava qui n'est qu'une petite calanque sous le vent de l'île, mal abritée, et où la lame vient briser avec violence , je repris sur-le-champ le chemin de la Aille où je comptais coucher. Arrivés près du jardin de botanique , nous mimes pied à terre pour le visiter ; il est assez bien tenu , et renferme une belle collection de plantes rares et cu- rieuses. Nous y rencontrâmes M. Berthelot, ancien aspirant de la marine à Toulon, et M. Aubert, autre Français établi comme lui à la ville de l'Orotava. Ces deux messieurs s'occupent avec zèle et succès de diverses branches d'histoire naturelle , et surtout de botanique. Le premier dirige un collège dans lequel l'instruction publique est enseignée sur le même plan que dans les collèges de France. Cet établissement a prospéré durant le court règne de la constitution; mais depuis que les moines avaient recouvré une partie de leur influence, il avait beaucoup déchu et courait même le risque d'être bientôt fermé. Du reste, M. Berthelot nous offrit l'hospitalité chez lui; à la cordialité d'un compatriote il joignit le zèle 32 VOYAGE iSaG. d'un homme instruit qui s'intéresse aux progrès des J'""- sciences. Sans lui nous eussions été peut-être fort embarrassés de trouver un gîte , vu qu'il n'y a point d'hôtel à l'Orotava : ses utiles conseils nous don- nèrent en outre le moyen de rendre , à la fois , notre excursion et plus complète et plus économique. Par une rencontre heureuse , le jardin même du collège contenait cet énorme pied de Dracœna draco tant célébré par divers voyageurs ; à mon réveil ce fut le premier objet qui vint frapper mes regards. Nous mesurâmes son contour à sa base, et trouvâmes qu'il était de quarante-huit pieds : M. Berthelot nous assura que sa hauteur était de soixante-quinze pieds, bien qu'elle paraisse beaucoup moindre , eu égard à sa prodigieuse grosseur; cependant, en juin 1819, un coup de vent avait abattu près de la moitié de ce monstrueux végétal. A peu de distance , un beau dat- tier mâle balançait sa cime élégante à plus de cent pieds dans les airs. Du balcon du collège on jouit d'une vue admirable : après avoir erré sur les sites les plus pittoresques, sur les habitations les plus riantes, l'œil va se reposer sur l'immensité de l'Océan , qui , tel qu'un cadre d'azur, entoure le tableau le plus gra- cieux et le plus animé. 17. Après avoir réparé par un sommeil paisible nos forces affaiblies , et pris un utile déjeuner, vers huit heures et demie nous nous remimes en route. La petite ville de l'Orotava est bien bâtie , bien percée , mais ses rues offrent pour la plupart une pente si roide que la circulation y est très-pénible. DE L'ASTROLABE. 33 A peine hors de ses murs, nous commençâmes à 1826. monter par un chemin très-roide , et pavé de laves si J"'"- glissantes qu'on ne saurait s'y hasarder avec d'autres chevaux que ceux de l'ile ; car je redoutais à chaque instant de leur voir faire un faux pas dont la moindre suite eût été de casser le bras ou la jambe de leur cavalier. Durant trois quarts d'heure nous traver- sâmes des campagnes bien cultivées, jusqu'au mo- ment où nous arrivâmes à la région des châtaigniers, qui offre encore quelques plantations. Cette région occupe une zone d'une demi-lieue de largeur, sur deux cents toises environ de puissance en hauteur. Vers sa limite commence la région des nuages , dans laquelle le voyageur se trouve enveloppé d une brume épaisse, très-pénétrante par son humidité, qu'on dit presque perpétuelle au printemps. Là vivent encore plusieurs plantes de la plaine déjà confondues avec diverses espèces particulières à cette élévation, comme les Renoncules , le Doronic, les Cistes, etc. On enlre ensuite dans la région des bruyères qui doit avoir au moins trois cents toises de profondeur sur deux mille d'étendue ; c'est là que les nuages sont le plus concen- trés , et que la brume devient une véritable rosée. La bruyère qui lui a donné son nom est un arbrisseau de six à douze pieds de hauteur, et se trouve entremêlée dUHypericum canariense en grande abondance , de thym rabougri et de plusieurs autres arbrisseaux et plantes herbacées ; on traverse cette bande par un chemin assez agréable et peu difficile. Cependant l'atmosphère s'éclaircit peu à peu, la TOME I. 3 34 VOYAGE 1S26. verdure disparaît, les bruyères aussi, le Cytisus fo- ^"'" lïosas se montre , d'abord rare et rabougri , bientôt plus vigoureux , plus touffu à mesure que le terrain devient lui-même plus maigre et plus stérile. La région du cytise m'a semblé occuper une bonne lieue de pente sur trois cents toises au moins de bauteur. UHypericam^ le thym, de petits cistes et quelques graminées suivent le cytise jusqu'au milieu de son empire , et disparaissent enfin peu à peu. Vers le milieu de cette région dont le sol est partout jonché de laves décomposées , de scories et de ponces en pe- tite quantité , la brume disparaît entièrement , et les nuages se présentent sous vos pieds sous la forme d'une mer immense de flocons épais et blanchâtres, telles que doivent apparaître les mers toujours glacées des pôles , ou mieux encore les tourbillons écumans d'un torrent qui se précipite en cascades , et qu'une gelée intense a rendus immobiles dans leur chute. Spectacle vraiment admirable , peut-être le phénomène le plus curieux h observer dans cette longue course! — Déjà tous les animaux ont disparu, plus d'oiseaux ; seulement, reste chétif de ce règne , quelques diptères voltigent encore sur les fleurs du cytise , et une lourde pwiélie circule lentement entre les cailloux. Jusqu'alors caché par les nuages ou masqué parles montagnes de sa base, le sommet du Pic , qui de la mer ne semblait qu'un piton peu considérable, com- mence à se détacher, comme un mont conique, d'une masse imposante. La pente devient moins roide , et vous vous trouvez sur les bords de cette planie im- DE L'ASTROLABE. 35 mense légèrement ondulée, d'abord parsemée d'énor- mes blocs de laves , ensuite tapissée en grande partie d'une couche épaisse de fragmens très-divisés , de ponces et d'obsidiennes . Le S pat thim supra nubiam , ai'brisseau charmant et le plus élégant de son genre , est le seul qui rompe l'uniformité de ces vastes et tristes solitudes que les Espagnols ont nommées Ca- nadas à cause de leur affreuse nudité. Juin. En ce moment il était onze heures ; avant de passer outre, nous nous arrêtâmes dans une grotte située à l'entrée même de ces plaines, qui porte le nom de Caeva^del Pino, Nous y déjeunâmes et trou- vâmes à l'omore la température très-agréable et l'air très-facile à respirer, bien que la hauteur de cette grotte au-dessus du niveau de la mer doive s'estimer à douze cents toises au nroins. A son entrée, je remarquai avec sm'prise (|uelques plantes de nos pays, telles que l'or- tie, la pariétaire, le géranium, Tarénaire, etc., dont les graines auront sans doute été introduites en ces lieux par les Européens dans leurs fréquentes visites. Nous 3' 36 VOYAGE 1826. fîmes une longue halte pour mieux reposer nos che- juin. vaux et laisser passer l'ardeur du milieu du jour. A deux heures nous remontâmes à cheval. Nous traver- sâmes les énormes blocs de basalte qui, disposés circulairement et d'une manière assez régulière tout autour du Pitoti^ représentent l'enceinte primitive du cratère , lorsque ce volcan se trouvait dans toute son énergie, et rejeta au loin ces longues coulées de laves qui formèrent successivement toute l'île. Nous arrivâmes ensuite au milieu de ces Canadas qui occu- pent aujourd'hui le fond même de l'ancien cratère, peu à peu comblé et nivelé par les cendres et les ponces du Pic. Cette vaste enceinte peut avoir un rayon d'une lieue d'étendue, le sol est assez compacte, et les chevaux y marchent et même y galopent sans fa- tigue; mais la chaleur, qui se concentre et se réfléchit en tout sens dans ce lieu , en rend le trajet fort maus- sade. Le Spartium est le seul végétal ligneux qui puisse croître là ; je recueillis en outre un Sisijmbre à fleurs jaunes, un Hieracium, une Scrophulaire et un Ne- peta, tous très-rares et fort clairsemés. On laisse à peu de distance une petite montagne surmontée d'un cra- tère parfaitement dessiné , qui dut fumer long-temps encore après la destruction du grand volcan. Dans les ponces écrasées, jusqu'au pied du Pic, paraît cette jolie violette à fleurs jaunes récemment publiée par M. Berthelot sous le nom de Viola teydensis. Dernier effort du règne végétal , elle continue d'exister pres- que jusqu'au sommet du mont , et ne s'arrête qu'à la limite des ponces, où commence la lave nue. DE L'ASTROLABE. 37 Nous attaquâmes le cône par un monticule latéral is^e. formé par un amas de ponces sur la gauche , et ne J"'"- nous arrêtâmes à peu près qu'au tiers du mont, sur une petite esplanade connue sous le nom de Estancia de los Ingleses. Le vent qui soufflait avec force était assez gênant, mais de petits murs de pierres, adossés à de gros blocs de basalte , nous servirent d'abris, et nous nous y établîmes pour la nuit, auprès de bons feux entretenus avec les liges du Spartiuni. A cinq heures et demie du soir, le thermomètre à l'ombre marquait 15o centigrades ; à huit heures, au moment où nous nous couchâmes, il était à 1 3" ; et le matin, en nous relevant, à 9°; je ne pense pas qu'ii ait descendu au-dessous de 6^ à 7° dans la nuit. Du reste, l'air était très-pur, je n'éprouvai aucun de ces violens malaises ou de ces suffocations ressenties par divers voyageurs. M. Quoy seul souffrit des maux d'estomac, et M. Gaimard dormit toute la nuit sans rien éprouver. Pour moi , étendu près du foyer, sous ma couverture, la chaleur m'excitait souvent à mettre ma main à l'air, et chaque fois je ne tardais pas à res- sentir au petit doigt un engourdissement marqué qui s'étendait rapidement dans le reste de la main , et me forçait enfin à la cacher de nouveau. M. Aubert, à qui je communiquai ce fait, m'assura quil avait éprouvé ce même engourdissement à un degré violent , debouî et en maidiant. A cette hauteur la voix se propageait à une distance étonnante, et avec une grande clarté. Sous le rocher qui nous atjritait , je m'entretenais à demi-voix avec 38 VOYAGE 1826. M. Gainiard, tandis que M. Quoy, à plus de cinquante Juin. pas de distance , debout sur un autre rocher un peu plus élevé, entendait parfaitement tout ce que nous disions. Bien loin sous nos pieds, la mer de nuages, immo- bile et constante comme un voile impénétrable, dé- robait à nos regards tous les détails de l'île, et nous ne distinguions que quelques sommets de Canary qui dépassaient son niveau et semblaient autant d'îles semées sur sa surface. A huit heures , nous nous étendîmes tous les trois côte à côte pour dormir, mais M. Gaimard seul goûta cette douceur : dévorés par les puces, M. Quoy et moi nous ne pûmes fermer l'œil de toute la nuit. Plus aguerris contre leurs piqûres, nos conducteurs et notre guide dormaient dans d'autres enclos, avec les chevaux autour d'eux. Malgré la pureté du ciel, l'éclat des étoiles parut très-faible. 18. Dès deux heures nous étions debout; mais, comme il faisait encore complètement nuit, ce ne fut qu^à quatre heures que nous nous mîmes en route. Pré- cédés par notre guide , nous marchâmes environ une demi-heure sur les ponces écrasées , entre deux coulées de laves , avant d'arriver à une petite espla- nade connue sous le nom ^Alta-Vista. Immédiate- ment après , on se trouve obligé de faire route sur les laves nues , ce qui la rend fort pénible , bien qu'on y retrouve souvent les traces légères du sentier l'orme par les visites des voyageurs. Nous vîmes le soleil percer la voûte de nuages sus- DE L'ASTROLABE. 39 pendue sous nos pieds , et les rayons de cet astre, iSaG. réfléchis par leur surface , vinrent frapper nos yeux •^"'"■ d'un éclat éblouissant. Quoique Pair fût très-piquant, nous n'éprouvâmes aucun froid ; mais nous étions fréquemment obligés de faire halte pour reprendre haleine, essoufflés par l'extrême rapidité de la pente. En approchant du Pam-de-Sucre , on aperçoit de temps en temps, dans les crevasses des rochers, de petits amas de neige , que leur position protège contre l'action du soleil. Il faut cheminer durant une heure environ , conti- nuellement au travers des laves , pour arriver au pied du Pain-de-Sucre. Celui-ci peut avoir soixante toises de hauteur ver- ticale, tandis que le Piton tout entier en a près de six cents ; le Pain-de-Sucre couronne le Piton de même que celui-ci domine la masse entière de la montagne. Seulement bien moins vaste à proportion , la plaine qui domine le Pic n'a que deux à trois cents pas d'étendue depuis ses bords jusqu'à la base du Pain-de- Sucre , et elle se compose encore de débris de ponces et d'obsidiennes ou de gros blocs de basalte. Le Pain-de-Sucre ou Pilon offre une pente très- escarpée; les ponces mobiles qui la recouvrent en grande partie rendent son accès très-difficile, parce que ces mêmes cailloux, cédant trop facilement sous les pieds , vous permettent à peine de faire la valeur d'un pas en avant quand vous pensez avancer de deux et même de trois. Aussi nous fallut-il employer près de trois quarts d'heure avant de parvenir au sommet 40 VOYAGE 1826. de ce pelit cône. Vers le milieu de sa hauteur, j'ob- juin. servai un soupirail elliptique de quatre pouces de lon- gueur sur deux de largeur, par où s'exhalait une fumée sulfureuse très-chaude. Plongé dedans, le ther- momètre s éleva promptement de 13° à 10°. A six heures trente minutes nous arrivâmes à la cime du Pain-de-Sucre ; c'est évidemment un cratère à demi- oblitéré, à parois peu épaisses et échancrées, dont la profondeur est de soixante à quatre-vingts pieds au plus, et semé sur sa surface de fragmens d'obsidiennes ou de ponces et de blocs de lave. Des vapeurs sulfu- reuses s'exhalent de ses bords , et forment pour ainsi dire une couronne de fumée , tandis que le fond est tout-à-fait refroidi. J'observai, et je n'en fus nullement surpris, que le vent, assez fort à cette hauteur, soufflait du S. O., direction précisément opposée à celle de l'alise , à peu près constant au niveau des mers. A la cime du Pilon, le thermomètre était à 11<^; mais je soupçonne qu'il se ressentait encore de Texpo- • sition à la fumerolle; car, arrivé au fond du cratère, de 1 9° au soleil, il descendit en peu de temps à 9*^, 5 à l'ombre. Nous déjeunâmes avec autant de gaieté que de frugalité dans ce lieu, avec un morceau de pain, des fraises et quelques gouttes d'eau-de-vie. Nous nous féli- citions d'avoir terminé avec autant de succès une entre- prise dont beaucoup de voyageurs ont singulièrement exagéré les difficultés et les dangers. Nous faisions des projets pour l'avenir ; laissant de côté la France , nos pareils et nos amis , nous ne pensions qu'aux con- DE L'ASTROLABE. il trées lointaines que nous allions visiter, aux obser- i82«. vations que nous devions y faire, aux trésors en tout '^"'°- genre que nous allions conquérir pour la science ! . . . Brillantes illusions, douces chimères, nécessaires à l'esprit dans ces sortes de voyages , pour en adoucir les ennuis et en varier la triste monotonie! Du sommet de ce mont sourcilleux, nous pûmes à notre aise contempler toute la portion du Pic qui s'é- lève au-dessus des nuages, saisir au gré de notre curio- sité l'ensemble de ses divers accidens , ou les détailler l'un après l'autre, et surtout suivre à la fois de l'œil et de l'imagination les phases successives , et l'accroisse- ■ ment progressif de cet énorme protubérance du globe terrestre. Essayons en peu de mots d'en donner ici une idée succincte. Le volcan primitif, réduit pour la hauteur aux deux tiers environ de son élévation actuelle, offrait une bouche immense de deux à trois lieues de diamètre, dont les parois s'élevaient sur l'emplacement aujour- d'hui occupé par ces massifs immenses de laves qui ceignent les Canadas. Sur plusieurs points, comme autant de vieilles ruines encore debout, ils représen- tent parfaitement ce qu'ils durent être jadis. Après avoir vomi ces immenses coulées de laves qui forment la grande charpente de file , la violence des feux s'a- mortit ; les éruptions , au lieu de remplir en enlier la bouche énorme du volcan, devinrent partielles; une foule de petits volcans secondaires se formèrent dans son intérieur. Le plus grand nombre sans doute 42 VOYAGE iSafi. ne subit aucun développement ; quelques-uns, éteints '^"'"' depuis long-temps, sont encore bien dessinés. Celui qui occupait h peu près le centre resta seul en activité , et , par la suite des temps , devint ce cône énorme qui prit proprement le nom de Pic. Cependant le cratère primitif, qui dut être d'une grande profondeur , ne tarda pas à se combler peu à peu , tant par les matières que vomirent les volcans secondaires, que par les atiérissemens entraînés par les pluies aux dépens de leurs masses , et il finit pai- former ces vastes plaines, les Cafiadas, aujourd'hui presque de niveau avec les bords de l'ancien volcan . Tant que l'action des feux souterrains permit au pic de lancer des matières, il continua de s'élever jusqu'au point où commence le Paiii-de-Siic7^e. Parvenu à ce point , sans doute il y eut encore une grande inter- mittence ou du moins une diminution considérable dans le pouvoir des feux , jusqu'au moment où , rallu- més de nouveau , ils élevèrent peu à peu le pain de sucre. Enfin ils se sont tout-à-fait éteints, et de la puis- sance prodigieuse qu'ils durent avoir pour opérer d'aussi grands effets, il ne reste plus que les innocentes fumées qui couronnent les bords du Pain-de-Sucre. Telle est en abrégé, et suivant les idées que j'ai pu m'en former, l'histoire de cette énorme montagne. On voit qu'elle offre dans son accroissement successif quatre périodes séparées par trois époques ou âges bien tranchés; savoir : 1° le temps que sa base dut employer à s'élever jusqu'à la hauteur des Canadas, et durant lequel la bouche primitive produisit ou DE L'ASTROLABE. 43 donna naissance aux montagnes qui forment Tîle ; 1826. 2» le temps que le Pic dut mettre à s'élever jusqu'à J"'" la hauteur où commence le Pain-de-Sucre ou Pilon; 3° tout l'intervalle du temps durant lequel le pilon lui-même fut en activité et travailla à sa formation ; enfin le temps depuis lequel il est tout-à-fait éteint. Que de siècles durent se succéder pour amener ces divers résultats! Quel pouvoir immense put arracher des entrailles de la terre ces masses énormes pour les amonceler à sa surface ! Et quelle raison nouvelle a suspendu ce pouvoir et totalement arrêté ses effets ! . . . Cette dernière expression n'est pas littéralement exacte ; car il y a moins de trente années que des érup- tions s'opérèrent encore par les flancs du Pic , et don- nèrent lieu à des écoulemens considérables de lave qui firent dassez grands ravages dans les endroits qu'ils traversèrent. Mais ce ne sont que de faibles accidens auprès des grandes convulsions dont nous venons de parler. A sept heures nous commençâmes à redescendre, et huit à dix minutes suffirent pour nous rendre au pied du Pain-de-Sucre. Sur les bords de l'esplanade d'où le Pilon s'élance, je remarquai un rocher d'où je voyais sortir des fumées ; c'était encore une fumerolle , mais d'une température moins élevée que celle que j'ai déjà mentionnée ; car le thermomèlre n'y monta qu'à soixante degrés. Les vapeurs qui s'en dégageaient se condensaient bientôt en gouttes d'eau. A cette tempé- rature vivaient deux mousses bien organisées dont j'ai rapporté des échantillons. H VOYAGE 1828. De là notre guide nous conduisit à la Cneva de la Juin. Nieve , grotte naturellement formée au milieu des amas de lave, abaissée de dix à douze pieds au-dessous du sol, et disposée en voûte assez régulière, oblon- gue, de trente pieds de large, et peut-être triple en longueur. Nous attachâmes M. Quoy avec une corde par le milieu du corps ; il put ainsi descendre dans la grotte, tandis que nous le soutenions. Une masse d'eau, qui en occupait la majeure partie, était presque entièrement gelée, et nous offrit une espèce de con- ferve dont M. Quoy recueillit des échantillons qui furent ensuite perdus dans le voyage. De retour à neuf heures au lieu où nous avions passé la nuit, sur-le-champ nous nous remimes en route. Quelque temps je pris le devant à pied pour ramasser encore des plantes, et surtout du Viola tey- densis ; ensuite je remontai à cheval et n'en redes- cendis guère. La route avait presque entièrement dé- truit la paire de souliers que j'avais emportée , qui la veille au matin était encore fort bonne. Nous nous étendîmes sous le beau pin de doinajito (petite auge) pour faire un léger déjeuner au milieu de la région des nuages ; j'errai le long du ravin , glanant quelques plantes curieuses , et M. Quoy découvrit des Par- macelles. Ce pin, qui est le canatiensis ^ est le seul que Ton rencontre en ces lieux. En rentrant à TOrotava, nous trouvâmes la popu- lation en mouvement et dans ses habits de gala pour la fête solennelle et les processions de la Candelaria. MM. Berthelot et Aubert nous accueillirent de nou- DE L'ASTROL\BE. 4Ô veau , el nous entretinrent fort agréablement des con- 1826. naissances qu'ils avaient acquises sur les lieux. J"'"- Le premier surtout , parfaitement au courant de l'histoire des Canaries par Vieja y Clavijo , nous donna une foule de détails sur la race infortunée des Guanches, sur les cavernes funéraires qu'il avait visi- tées, sur les objets qu'il y avait trouvés et sur ce qu'il se proposait encore de faire. Dans la soirée il me donna des plantes desséchées, ainsi que des insectes du pays, et, sur le désir que je lui témoignai , il consentit à m'accompagner le len- demain à Santa-Cruz. Je préparai ensuite les plantes que j'avais recueillies et qui formaient une masse assez considérable. D'après ce que j'ai vu moi-même, et l'examen des insectes de M. Berthelot dont le petit nombre peut s'élever à cent soixante au plus , j'ai conclu que tous appartiennent à l'Europe méridionale , excepté un seul papillon que j'avais trouvé deux ans auparavant à l'Ascension. Encore M. Berthelot m'affirma que cet insecte ne se rencontre à Ténériffe que depuis que l'on y cultive \ Asclepias fruticosa. Les papillons les plus communs de l'île sont: le Cardai, le Daplidice, le Brassicœ , \Hyale et le Mœra. J'avais emporté l'un des baromètres de Bunten; mais il fut cassé dès Laguna par la sottise du guide maladroit auquel je l'avais confié , et nonobstant mes recommandations instantes. Cette perte me fâcha d'autant plus que je manquais par là l'un des princi- paux fruits (le mon voyage, la détermination précise 46 VOYAGE I 826. de la hauteur absolue du pic, el celles des diverses J"j"- zones végétales. 19- Dès huit heures trente minutes du matin nous étions remontés à cheval et sur la route de Santa- Cruz. Jusqu'à Matanza je ne mis pied à terre que deux fois : la première, pour récolter le Rmnex lu- ?ian'a et le Saccharam canariense ; l'autre, pour re- cueillir ïllex perado, au bord même du fameux ravin où les Guanches taillèrent en pièces les troupes d'A- lonzo de Lugo. Le long du chemin qui domine Taco- ronte , sur les fleurs à\i Carduus rnariana, je pris plusieurs individus superbes du Cijnaray papillon cu- rieux , rare en France, et que M. Berthelot m'assura propre à cette localité. Arrivés près d'un aqueduc à mi-chemin environ de Matanza à Laguna, il nous fit détourner vers la droite ; à deux cents toises de distance au plus, notre surprise fut extrême quand nous nous trouvâmes à l'entrée d'une belle et majestueuse forêt. On la connaît sous le nom d'Agua-Garcià ; elle est traversée par un ruis- seau très-limpide qui coule avec un doux murmure au travers des basaltes ; et de jolis sentiers bien percés en font une promenade délicieuse. De superbes lau- riers des Indes, VIlex perado, le Fiburnum glutino- sum, etc., en forment la base, tandis que d'énormes bruyères de quarante à cinquante pieds de hauteur en peuplent la lisière. Par le ton général, l'aspect et la forme des végétaux, et surtout des fougères, cette forêt rappelle parfaitement celles des îles de l'Océan-Paci- fique, de la Nouvelle -Guinée, et surtout d'LJalan,etc. DE L'ASTROIAIÎE. 47 J'y remarquai entre autres XExacmn viscosum y le iS-iO. Geianimu vitifoliiwij Blechmim radicans, Aspleniurït J'""- trichomanes canariensis, et une Clavaria, singulière et fréquente sur les lauriers. Après avoir erre une heure sous ces délicieux ombrages et rempli mon porte- feuille , je sortis entîn de ce lieu , non sans éprouver le regret de n'y pouvoir rester plus long-temps ; et je me promis bien , si la fortune me ramenait jamais à Ténériffe, de retourner visiter les bois charmans d'Agua-Garcia. Nous passâmes à Laguna ; à six heures nous étions de retour à Santa-Cruz , et à sept heures trente mi- nutes à bord *. Là j'appris avec satisfaction que toutes les observations étaient terminées, et que, confor- mément à mes ordres, JM. Jacquinot avait tenu tout prêt pour l'appareillage qui fut fixé au surlendemain. L'équipage s'était bien comporté , et le service n'avait nullement souffert de mon absence. * Voyez, la note n" i. 48 VOYAGÉ CHAPITRE IV DE TENERIFFE A LA TRINITE. 1826. Ce jour je fermai le rapport que j'adressais au 20 juin. minisLre de la marine, touchant les opérations delà campagne jusqu'à ce jour. MM. Quoy et Gaimard pré- parèrent de leur côté un Mémoire important sur les mollusques recueillis depuis le départ, pour l'Académie des Sciences, accompagné de dessins par M. Sainson, et d'une caisse de ces petits animaux conservés dans l'alcool. D'après le compte que nous a remis M. Bretillard, notre excursion au Pic a coûté à la mission soixante- douze piastres et demie , indépendamment de la nour- riture qui ne s'y trouve point comprise. On nous a assuré qu'elle coûte ordinairement à un Anglais qui l'entreprend au moins cent cinquante piastres. Le soir, M. Bretillard me conduisit chez le major Megliorini dont on m'avait vanté le cabinet d'histoire naturelle. En effet, j'y trouvai une foule d'objets, comme armes, coquilles, animaux, poissons, oiseaux DE L'ASTROLABE. 49 et tableaux divers, le tout dans un désordre assez 1826, fjrand, car le respectable major n'est qu'un curieux J"'"- qui connaît peu le prix de ce qu'il possède. Ce qui fixa le plus mon attention , dans cet amas d'objets assez bétérogènes, fut une momie complète de Guan- che, qu'on me dit être celle d'une femme. Elle était en- veloppée de plusieurs bandes de peaux cousues; les traits du visage semblaient avoir été réguliers , les mains très-grandes, et la taille de l'individu desséché atteignait encore cinq pieds quatre pouces. Du reste, ce procédé de conservation pour les cadavres est bien inférieur à celui des Nouveaux-Zélandais, vu qu'il ne reste guère du corps que la peau plus ou moins raccor- nie, comme aux momies de Palerme. Dans les grottes sépulcrales des Guanches, on a aussi rencontré des bâ- tons en bois dur à poignée ronde, tout-à-fait semblables à ceux des Nouveaux-Irlandais ; des vases en terre et en bois assez bien tournés , des espèces de petits cachets triangulaires en terre cuite, et surtout une foule de petits disques de la même matière , ayant trois lignes de diamètre, enfilés comme des chapelets (qui leur servaient peut-être au même usage que les quipos chez les Péruviens), des aiguilles en os et une sorte d'étoffe tressée de fibres ou écorces roussâtres. Cette étoffe enveloppait quelquefois les momies, mais bien plus rarement que les peaux de chèvre cousues. M. IMegliorini possédait des échantillons de tous ces objets; je contemplai avec émotion ces uniques vestiges d'une race d'humains douce, paisible et digne d'un meilleur sort, si l'on en croit les historiens qu'a TOME I. 4 50 VOYAGE iSa6. produits la nation même qui les a tous exterminés jus- jiiin. qu'au dernier. Cependant , tout en détestant la féro- cité des conquérans , il est permis de ne pas trop se passionner en faveur des Guanches ; car on a acquis la certitude que, comme parmi tous les peuples à demi- sauvages , chez ces Guanches si vantés , la caste privi- légiée affectait le plus profond mépris pour les indivi- dus de la basse classe, et souvent même les traitait de la manière la plus inhumaine. Pendant la durée du mouillage, le vent fut variable en force et en direction, quoique soufflant le plus souvent du N. E. au S. E. Du reste, le jour même où nous Tobservions, soufflant assez frais du S. O. à la cime du Pic, au mouillage il resta constamment à TE. et au N. E. assez faible. Le thermomètre, à 1 7° à quatre heures du matin, montait ordinairement à 21» et 22° au milieu du jour , et a été une fois jusqu'à 25°, tandis que la surface des eaux s'est toujours main- tenue à 2 1 o environ. Assez de navigateurs ont parlé du mouillage de Té- nériffe, de ses avantages et de ses inconvéniens; je ne répéterai point ce qu'ils en ont dit. Cette relâche nous fut très-utile pour remplacer l'eau et le bois consom- més au détroit de Gibraltar; nous prîmes , en outre, quatre pièces de vin ordinaire, contenant environ neuf cents litres. En le mêlant avec égale quantité d'eau , il contenait autant d'alcool que celui qu'avait fourni le port; et à cet état il se trouvait encore préférable, pour la salubrité, à l'eau-de-vie. 21. A huit heures et demie , mes lettres , le paquet et la DE L'ASmOLAlU:. 51 caisse de MM. Quoy et Gaimard turent expédiés chez i8-»o. le consul; au retour du canot, je mis à la voile. La •^"'"• brise incertaine et le courant nous retinrent quelque temps en suspens, je vis même le moment où j'allais tomber sur un brick portugais mouillé près de nous. Enfin, vers onze heures trente minutes, il s'éleva une jolie brise d'E. N. E., et nous fîmes route, contour- nant l'île à bonne distance, pour éviter les calmes de la cote. L'ile était enveloppée d'une brume épaisse qui nous cacha entièrement les flancs du Pic; sa cime seule se montrait de temps en temps au-dessus des nuages comme une ile suspendue dans les airs. Toute la joui-née je ressentis une lassitude extrême dans toutes les parties du corps, suite naturelle de mon excursion au Pic. Le vent fraîchit à l'E. et au N. E., et nous cin- glâmes sous toutes voiles à TO. S. O. Le 22 au matin nous vîmes encore la tète du Pic au travers des nuages, elle disparut tout-à-fait vers huit heures. Quoique le soleil se trouvât presque au zénith , la température était délicieuse. Dans la journée du 23 , nous corn- ^x mençâmes à voir flotter sur les ondes ces belles phy- sales aux reflels purpurins, qu'on rencontre si souvent entre les îles Canaries et les îles du Cap -Vert. J'ai voulu employer un des thermométrographes de Bunten, pour observer les maxima et minima de chaleur, chaque jour. Mais j'ai remarqué qu'il donnait constamment un maximum, plus élevé que le thermo- mètre de Le Noir, parce qu'il est situé dans ma cham- bre de la dunette , réchauffée toute la journée par les 4* h2 VOYAGE 1826. rayons du soleil qui donne sur le plafond, tandis Juin. qj^jg Igg autres thermomètres sont plus à Fabri de cette influence, près la barre du gouvernail. Les localités du navire ne permettent pas d'obvier à cet inconvé- nient , ainsi qu'à beaucoup d'autres , qui s'opposeront toujours à ce qu'on puisse rendre les observations de physique aussi rigoureuses qu'on le désirerait. 24. Vers quatre heures du soir , me trouvant précisé- ment vent arrière, j'ai voulu mesurer la vitesse de la lame par le moyen qu'indique Horsburgh. Elle était assez longue et d'une profondeur médiocre, ce qui la rendait peu sensible. J'ai trouvé que l'intervalle de deux lames consécutives était de cent vingt pieds , et leur vitesse de six secondes; ce qui , joint à la vitesse du navire , de six nœuds , donne environ dix-neuf nœuds pour la vitesse absolue de la houle. Il serait assez curieux de répéter ces expériences, et on le ferait sans peine sur ces bâtimens qui n'ont d'autre but dans leur navigation qu'une traversée d'Europe aux colonies, et vice veisà. 26. Jusqu'à ce jour, favorisés par de bons vents de N. E. et un temps superbe, nous avons promptement approché des îles du Cap -Vert. De brillantes phy- sales passent fréquemment le long du bord , mais le sillage est trop fort , et le remoux trop considérable pour qu'on puisse en prendre. On distingue aussi de petites velelles dont l'azur ressort au milieu de l'écume blanchissante des flots. Mon mtention était d'abord de passer entre les îles Sant- Antonio et Santa-Lucia , pour en faire la géo- DE I/ASTKOLABE. 53 graphie. Mais je me rappelai que le capitaine King 1826. pourrait encore se trouver à la Praya; que, si je l'y •^""'• rencontrais, il pourrait me donner des renseignemens précieux pour la navigation des côtes de la Nouvelle- Guinée. Cette puissante considération me détermina à passer en vue du port de la Praya, pour reconnaître s'il ne serait pas encore en ce mouillage, n'étant parti de Santa-Cruz que deux fois vingt-quatre heures avant notre arrivée. En conséquence, à trois heures je mis le cap au S. S. E. et au S. S. E. V2^-> fil^^nt sept ou huit nœuds sous les hasses voiles et les huniers. Le jour sui- *'• vaut riiorizon fut fortement embrumé, l'atmosphère épaisse, humide et d'une couleur blanchâtre. A huit heures du matin je gouvernai au sud, pour recon- naître plus vite Tile de Sal. Ne pouvant l'apercevoir, à quatre heures quarante-cinq minutes du soir, je mis le cap au S. AO'^ O., pour courir précisément dessus. Nous cherchions à la découvrir de l'avant, lorsqu'à cinq heures quarante-cinq minutes, M. Gressien vit tout-à-coup ses pitons élevés presque par notre travers 64 VOYAGE 1826. à tribord, et bientôt après une terre plus basse de Juin. l'avant que je supposai être Buena-Vista. Ces relèvemens ne cadraient nullement avec nos observations et la position de ces îles sur les caries. Il faut qu'elle soit très-défectueuse, ou que nous eus- sions nous-mêmes une grande erreur en latitude. Lorsque la nuit nous eut dérobé la vue de ces îles , je revins jusqu'au S. S. E., pour doubler au vent, et à une distance convenable , les récifs dangereux qui s'étendent assez loin à l'E. et au S. E. de Buena-Vista. La nuit fut sombre , la mer houleuse , et nous res- tâmes sous les huniers , filant cinq ou six nœuds. 28. Vers midi et demi, ayant le cap à FO., nous aper- çûmes l'île de Mai à six ou sept lieues. A trois heures, nous n'en fûmes qu'à deux milles et demi , et quatre- vingts brasses de lignes à cette distance ne trouvèrent point le fond. Nous prolongeâmes a moins de deux milles toute la côte S. E. de celte île , pour en lever le plan. Elle est nue, généralement basse , et bordée d'une ceinture de brisans qui semble s'étendre unifor- mément à une demi-encâblure au large, et sur la- quelle la mer brise avec une fureur inconcevable. A six heures nous quittâmes cette île ; à dix heures quarante-cinq minutes , m'estimant à peu près à mi- canal entre Mai et Santiago , je mis en panne pour attendre la fin de la nuit qui fut irès-sombre. 29. Au point du jour, je restai fort étonné en relevant Santiago à l'O. N. O. , et non au S. O. , comme je m'y attendais. L'île de Mai restait au N. E., et il était évident qu'un courant très-fort nous avait considéra- DE L'ASTROLABE. 55 blement portés au S. Nous mîmes le cap au N. O., en 1S26. forçant de voiles, et bientôt nous eûmes rallié la terre. ^"*"- Il ne nous fut pas difficile de distinguer le morne isolé à rO., donné comme principale reconnaissance, et qui servit à nous guider vers le mouillage. Dès sept heures un navire anglais se dirigeait éga- lement vers la baie, à trois ou quatre milles devant nous; nous-mêmes, à huit heures cinquante minutes, nous doublâmes, en la serrant de très-près, sa pointe de l'E. Le vent refusa tout- à -fait; il fallut laisser tomber l'ancre par douze brasses , fond de gros sable gris. A dix heures, j'expédiai M. Guilbert chez le gouverneur, pour lui présenter la lettre de son gou- vernement ; cet officier fut reçu avec la plus grande honnêteté, et on lui fit beaucoup d'offres de service. Ensuite les diverses personnes de l'état-major des- cendirent à terre pour vaquer chacune aux fonctions dont elles se trouvaient chargées. J'avais appris de suite que le capitaine King venait de quitter la Praya depuis trente -six heures seule- ment, après y avoir séjourné trois jours. La corvette anglaise, qui avait mouillé sur rade peu avant nous, était le Level, commandée par le capitaine Owen, et employée depuis quatre années et demie à la recon- naissance détaillée des côtes orientales de l'Afrique et de Madagascar. A onze heures il vint lui-même nous rendre visite; je fus très-flatté de faire sa connais- sance; de son côté, il parut charmé de trouver dans noire corvette un navire qui venait déjà de faire le tour du monde , el qui se préparait à de nouvelles 56 VOYAGE 1826. recherches scientifiques. Cet estimable officier, qui Juin. paraît unir la franchise d'un marin à des manières simples et même un peu originales , me fit beaucoup d'amitiés ; nous nous entretînmes long-temps de ses travaux qui étaient à leur terme, car il retournait en Angleterre. Il avait beaucoup souffert de l'inQuence pernicieuse du climat et des maladies , puisqu'il avait perdu trente-cinq officiers et plus de cent matelots. Il avait aussi dès le principe avec lui deux naturalistes qui avaient succombé ; perte irréparable, et qui rédui- sait les résultats aux seules observations géographi- ques. Du reste, il avait admirablement rempli son mandat sous ce rapport ; il me montra toutes les cartes qu'il avait dressées. Ce travail excellent méritera de prendre place à côté de ceux de Flinders et de King. C'est ainsi qu'on doit travailler quand on veut rendre de véritables services à la navigation. Outre le Level, qui était une corvette de vingt-six caronades de 32, du port de quatre cent soixante tonneaux , et montée par cent cinquante hommes d'é- quipage, M. Owen avait aussi à sa disposition un petit navire nommé le Baracouta, et une petite goélette appelée U Jlbatrosse. On sent bien qu'avec de tels moyens il lui était facile de faire beaucoup. A une heure je descendis à terre avec M. Lottin, pour aller rendre visite au gouverneur-général. Il faisait sa sieste. Alors je parcourus la ville , qui n'est qu'un méchant village composé de chétives ca- banes ; le logement du gouverneur lui - même n'a qu'une bien triste apparence. Trois maisons seule- DE L'ASTROLABE. 57 ment olVrent un aspect plus décent ; elles appar- 1826. tiennent aux consuls anglais et américain et à un né- J'"°- gociant. La ville de la Praya et son fort, qui me parut pi. viii eiix. en bien mauvais état, sont assis sur une érainence sur- montée dW plateau, et qu'entoure de tous côtés un vallon planté de quelques palmiers et cocotiers , les seuls arbres que l'on puisse y remarquer. Tout ce que la vue peut saisir des montagnes voisines respire cet air de sécheresse et d'aridité qui m'avait déjà frappé à l'Ascension. On dit qu'à peu de distance, dans l'inté- rieur, la scène change, et qu'il y a même des sites fort agréables. Mais je n'avais pas le temps de songer à y pénétrer; dégoûté du triste spectacle que j'avais sous les yeux , accablé de la chaleur que j'éprouvais , je ne restai qu'une heure à terre , et m'empressai de retourner à bord, où je respirais du moins la brise de la mer. Au mouillage nous relevions la pointe O. de la baie au N. S?** O. du compas. La pointe E. au S. 86« E., et le fort de la Praya au N. 36° O. Le thermomètre variait de 1 8° à 24°, de la nuit au jour. J'observerai ici que la relâche de la Praya me pa- raîtrait préférable à celle de Santa-Cruz sous tous les rapports, le vin seul excepté, pour un bâtiment destiné comme le nôtre à une longue campagne. Elle est plus éloignée du point de départ; l'eau s'y fait plus commodément, et l'accès de la terre est plus facile. Surtout, et il faut noter cette remarque comme un point essentiel , un navire affourché ou mouillé avec une chaîne convenable, n'a rien du tout à y redouter. 58 VOYAGE 1826. Juin. 3o. Cette dernière condition est de rigueur, attendu qu'on est fort mal sur un seul câble à cause des variations perpétuelles du vent et des courans qui tiennent sou- vent évités en travers. Les bœufs et les légumes y sont à bon compte , et le prix de la volaille le même qu'à Ténériffe *. Ayant manqué le seul but qui m'avait appelé à la Praya, l'espoir d'y rencontrer le capitaine King, je ne voulus pas y faire un plus long séjour. Dès six heures du matin V Astrolabe remit à la voile , et je prolongeai la côte méridionale de Santiago , pour en faire la géographie. Santiago dans toute son étendue offre le même ton d'aridité que la Praya ; je n'ai remar- qué qu'un petit vallon, dont l'aspect vert et riant contrastait agréablement par sa fraîcheur avec les coteaux dépouillés qui l'environnent. Nous avons par- faitement distingué une petite ville, désignée sous le nom de Santiago sur la carte de d'Après. Je me pro- posais de prolonger également la côte sud de Fogo, * Voyez note 2. DE L'ASTROLABE. 59 €t de reconnaître enfin Brava, pour lier leurs positions 1 826. entre elles avant de faire route. Mais à neuf heures , •^"'°- le vent ayant varié au N. O. et O., en mollissant, et ne voulant pas perdre plus de temps , je me déterminai à gouverner au S. S. E. Bientôt le vent revint à l'E. N. E., et, dès une heure quarante-cinq minutes, nous perdîmes la terre de vue. A cinq heures trente mi- nutes , un brick, faisant voile au sud, passa à environ un mille de l'avant à nous. Toute la journée nous n'avons éprouvé que des i'^^ juillet. brises très-faibles d'E. S. E. et de S. E. On a pris un grand nombre de mollusques, telles que Phy sales ^ Velelles, Porpitts, un petit requin, et même quelques animaux nouveaux. J'ai suivi quelque temps des yeux, entre deux eaux , un gros mollusque cylindrique d'au moins trois pieds de long, sur quatre ou cinq pouces d'épaisseur , et d'une couleur bleu clair , qui a passé sous l'arrière du navire. M. Quoy a pensé que ce devait être un Béroé. A neuf heures du matin, nous avons aperçu dans 3. le S. S. O. un navire à trois mâts qui faisait route au nord, et à dix heures a passé par notre travers à deux milles environ, sans mettre de pavillon. Depuis hier la chaleur est accablante, surtout quand le vent vient à tomber. Déjà moins régulier depuis trois jours , l'alise a tout-à-fait manqué aujourd'hui par 1 1° N. et 24° 30', longitude O., pour faire place aux folles brises de S. et S. S. O. La pluie est tombée par torrens, avec une grosse houle et de violentes chaleurs. Tel 60 VOYAGE 1826. a été rétat du ciel durant les quinze jours que nous Juillet. avons employés à franchir cette zone de vents va- riables. Ce que nous avons éprouvé touchant la limite de l'alise, concorde, ainsi qu'on peut le voir, avec les in- dications d'Horsburgh, qui désigne 1 2° pour la latitude moyenne à laquelle ces vents s'arrêtent au mois de juil- let. J'ai de fortes raisons pour croire qu'on ne gagne- rait rien à s'avancer plus à l'O. en longitude , dans le but de les conserver plus long-temps. D'un autre côté , il serait plus désavantageux encore de trop ser- rer la cote d'Afrique. 6. J'ai profité d'un calme plat de midi à trois heures , pour faire une expérience de température à profon- deur. Le thermométrographe n» 9 de Bunlen a été descendu à quatre cents brasses de profondeur, dans une direction parfaitement verticale. Bien que le cy- lindre en cuivre qui renfermait l'instrument fût à moitié rempli d'eau , lorsqu'on l'a ouvert , le mercure ne s'était nullement dérangé , et il en est résulté que la température des eaux de la mer qui était à 26°, 8 à la surface, n'était plus qu'à 5°, 2 à la profondeur de quatre cents brasses ou deux mille pieds. Cette expé- rience a prouvé combien étaient imparfaites celles que l'on faisait en se contentant de puiser l'eau à de gran- des profondeurs , et de mesurer la température lors- qu'elle était ramenée à bord ; attendu que l'index du minimum était déjà remonté de 4°, 8 à 14°, quelque diligence qu'on eût d'ailleurs employée, en retirant la sonde. L'instrument était resté une demi-heure en- DE L'ASTROLABE. 61 tière au fond, et il a fallu autant de temps pour le ra- 1826. « 1 1 Juillet. mener a bord. On peut aussi juger par là de ce que ces expériences doivent avoir de pénible pour des hommes déjà soumis aux divers travaux du bord, et la moitié du temps cou- verts d'eau sous cette zone à la fois humide et brû- lante. Ni rinstitut , ni le ministère ne peuvent assez apprécier les fatigues des marins dans de semblables campagnes. C'est une lutte perpétuelle contre les tempêtes , les écueils, les dangers et les privations de toute espèce , un fréquent assujettissement à des tra- vaux extraordinaires et souvent bien étrangers au service habituel du marin. Dans l'intérêt de la science, comme dans l'exacte équité, ne serait-il pas conve- nable de dédommager ces hommes par des récom- penses honorables et proportionnées à la nature de leurs services? Impatient d'obtenir une donnée plus positive sur la to. limite du refroidissement des couches sous-marines , ce jour-là je rais à profit un calme profond, pour ten- ter une nouvelle expérience à une très-grande profon- deur. Dix lignes de cent brasses chacune furent prépa- rées sur le pont; le thermométrographe n° 9 fut placé dans le cylindre en cuivre, de deux lignes d'épaisseur, fabriqué à l'atelier des boussoles à Toulon. J'y plaçai aussi un petit flacon d'huile d'olive pour connaître si elle se congèlerait. Un plomb de trente kilogrammes était attaché au bout des lignes, à quatre ou cinq pieds au-dessous du cylindre, et un peu au-dessus de celui- ci, une sphère en verre très-forte et creuse à l'in- G2 VOYAGE 1826. térieur, que j'avais fait faire à la verrerie de Toulon. Juillet. ^ yjjg heure cinquante-deux minutes on commença à filer, et à deux hem-es quinze minutes toutes les lignes furent à la mer. Comme elles semblaient venir ' un peu de l'arrière , je fis mettre un canot à la mer pour remorquer le navire dans cette direction, et bien- tôt la ligne devint tout-à-fait verticale. A deux heures cinquante-cinq minutes on commença à retirer la ligne ; tout l'équipage fut obligé de donner la main à ce tra- vail; le plomb ne revint à bord ([u'à quatre heures trente minutes : il n'avait point rencontré le fond. La pression des couches supérieures avait tellement com- primé le cylindre , qu'elles l'avaient complètement aplati. L'échelle en cuivre du thermométrographe était restée serrée et contournée contre ses parois, et le tube brisé en mille pièces avait disparu, ainsi que la fiole d'huile. Le globe en verre revint intact; pas une goutte d'eau n'avait pénétré à l'intérieur. Il avait néan- moins subi une pression de cent cinquante-six atmos- phères ! . . . Je regrettai beaucoup que cette expérience n'eût pas mieux réussi; car, faite avec tout le soin possible, elle nous eût donné la vraie température des mers, à cette immense profondeur de cinq mille pieds. En outre, je me vis obligé de faire construire un nouveau cylindre par notre armurier, et, pour cet objet, je destinai d'é- paisses plaques en tôle qui nous avaient été données à l'armement pour la réparation de la cuisine. Hier on avait déjà pris un requin , aujourd'hui on en a saisi deux autres de six à huit pieds. Il est diffi- DE L'ASTROLVBE. 63 file de peindre la joie, l'espèce d'ivresse qu'excitent 1826. toujours dans l'équipage ces sortes de captures. C'est J"'^'*^' réellement le ravissement du sauvage qui tient entre ses mains son plus cruel ennemi, et s'apprête à le dévorer. Ce spectacle donne une idée du surcroit de jouissance que le sentiment de la plus terrible des vengeances peut ajouter au simple appétit créé par la nature dans l'animal, comme dans Thomme , sous l'empire absolu des passions , et sur lequel la voix de l'éducation a peu ou point d'influence. La plupart de nos officiers ont toujours mangé avec plaisir la cliair du requin ; pour moi , sans être in- fluencé par aucun préjugé, et sans la trouver préci- sément mauvaise , j'ai toujours trouvé à cette cbair un goût particulier qui me déplaisait ; si bien que je lui préférais encore de bonne viande salée , malgré le peu d'attrait que ce dernier aliment a pour moi, surtout à la mer. Ames propres dépens je suis enfin convaincu que 12. Horsburgh a raison en conseillant , contre l'avis de d'Après, de passer la ligne autant que possible entre SO** et 25», et de ne rallier en aucune manière la côte de Guinée. Cette dernière manœuvre est surtout à éviter dans les mois de juillet et d'août, où l'alise du N. E. manque dès 1 1 à IS» N. , et où l'intervalle de celui-ci aux vents généraux est presque entièrement occupé par des vents de S. S. O. et S. avec une grosse mer et des grains de pluie. En effet, en suivant le conseil de d'Après , me voici parvenu par 1 8^ '/j de longitude, et 7" seulement de latitude, et, depuis hier. 64 VOYAGE 1826. nous avons éprouvé durant vingt-quatre heures près Juillet. ^g quarante milles de courant à FE. N. E. , ce qui nous laisse peu d'espoir de pouvoir nous rapprocher de la ligne. Aussi ai-je pris le parti définitif de gagner désormais à f ouest le plus que je vais pouvoir, afin de m'élever ensuite vers le sud en louvoyant. Manœuvre lente et pénible , j'en conviens , mais bien plus sûre au moins et accompagnée de moins de dangers, sur- tout moins exposée aux chances de maladies pour l'équipage, que le parti d'aller s'enfoncer dans les chaleurs brûlantes et les calmes désolans du golfe de Guinée. i4- A deux heures trente minutes après midi, nous aperçûmes droit devant nous, dans l'ouest, un brick courant au plus près tribord. A trois heures il laissa porter sur nous , en hissant pavillon russe. A quatre heures il resta en panne sur notre route, et mit son canot à la mer. Il fut bientôt le long de notre bord, et le capitaine se fit reconnaître pour celui du navire l' E7- cole, qui avait été long-temps à fancre près de nous à Sandy-Bay et à Algésiras. Il venait nous demander à vérifier sa longitude , n'ayant pas relâché depuis son départ de Gibraltar, et n'ayant vu aucune terre depuis Brava , qu'il avait reconnu le 1 9 du mois dernier. Je lui donnai le point de quatre heures; il n'avait pas moins de 6» d'erreur dans la longitude, qu'il estimait à 25°, tandis qu'elle n'était effectivement que de 1 9°, telle- ment qu'en poursuivant deux jours encore sur le même bord, il eût fort bien pu tomber inopinément sur la côte de Guinée. Je lui conseillai en outre de préférer DE L'ASTROLABE. 65 la bordée de l'ouest à l'autre , quelque mauvaise qu elle semblât au premier abord. Tant que nous fûmes dans la région des vents va- riables , les courans furent très-irréguliers. Du 11 au 1 6 ils portèrent de trente à quarante milles par jour à l'E. N. E. , à TE. et à l'E. S. E , du 16 au 17 de qua- rante-huit milles au S. O., le jour suivant de qua- rante-sept milles à TO. *|^ S. O. , et enfin le 1 9 ils nous avaient entraînés de quarante-sept milles précisément à l'ouest. D ans la soirée par 2" latitude N. , et 2 1 « longitude O . , nous avons décidément rencontré le vent général du Si E. , qui nous a ramené le beau temps , modéré la chaleur et nous a permis de gagner vers le sud. Nous avons passé la ligne entre trois et quatre 1826. Juillet. 18. 20. TOME I. 66 YOYAGE 1826. heures du matin. L'équipage a célébré joyeusement la Juillet. £^[g J^ baptême , et , malgré quelques libations assez copieuses de la part de certains individus, il n'y a eu ni querelle ni tumulte. A Toulon, pour obliger M. Robert, directeur du jardin des plantes de cette ville , je m'étais chargé de deux caisses contenant de jeunes plants d'oliviers et figuiers de choix, qu'il envoyait à M. Mac-Arthur, à Port- Jackson. Malgré les secousses de la navigation , ils ont admirablement prospéré, et sont couverts de la plus agréable verdure. Au milieu de l'assommante monotonie de l'Océan , cette végétation flatte la vue , récrée l'imagination abattue, et la ramène vers des pensées moins tristes. Si je commandais une frégate ou un vaisseau , j'aimerais à orner ma chambre de quelques caisses de fleurs , sans avoir égard à leur prix, mais pour leur verdure seulement. 25. Depuis quelques jours , au coucher du soleil , le ciel prend une teinte purpurine et violette très-remar- quable , tandis que les nuages qui passent sur ce fond se colorent en vert sale. Cet effet de lumière se dé- clare toujours du côté du couchant. Il n'y a presque plus de crépuscule ; dès que le soleil a disparu sous l'horizon , la nuit ne tarde pas à étendre ses sombres voiles. 23. A dix heures trente minutes du matin , nous filions à peine deux nœuds ; j'ai mis en panne et envoyé le thermométrographe n° 7 à deux cents brasses , pour essayer le nouveau cylindre en tôle. L'expérience a réussi , et il n'est entré qu'un demi-verre d'eau dans le DE L'ASTROLABE. 67 cylindre. La température de 23o, 2 à la surface a des- is^e. cendu à 10*', 8 à cette profondeur. juillet. Ce même jour il ne restait plus aucun malade au poste , et l'on peut affirmer que tout Tëquipage se por- tait beaucoup mieux alors qu'au départ de Toulon. 68 VOYAGE CHAPITRE V. DK LA TRINITK AU PORT Dl) BOI-HEORGES. 1826. A deux heures quinze minutes du matin, on m'a 3i juillet, prévenu qu'on apercevait la terre de l'avant, un peu à bâbord; au point du jour, nous avons clairement dis- tingué les rochers de Martin-Vaz à trois milles environ au vent, et l'île de la Trinité à dix-huit ou vingt milles sous le vent. A six heures vingt-deux minutes du malin , après une station géographique , nous fîmes route à l'ouest sur le milieu de l'ile ; à neuf heures trente minutes, ne nous trouvant plus qu'à trois milles à l'est du Pain-de-Sucre, une seconde station eut lieu ; DE L'ASTROLABE. f,9 et ie lliermomëtrographe fut envoyé à cent brasses; 1826. mais une dérive trop forte dérangea tout-à-fait l'expé- J"*'*'^^- rience. Nous fîmes servir à dix heures ; alors le vent avait un peu rangé le sud , et le courant portait le long de file; de sorte que je vis le moment où j'allais com- promettre la sûreté du navire en voulant doubler l'ile par le sud. Cependant à dix heures trente minutes nous rangeâmes à moins d'un mille les brisans qui bornent le morne immense, aride et sauvage, qui termine l'ile de ce côté , puis nous continuâmes de la contourner en nous maintenant à deux milles au plus de distance. La partie occidentale de la Trinité offre les accidens du sol les plus remarquables , savoir : à partir du sud, cette masse singulière, à arêtes très-droites , qui de loin semble un énorme édifice , et dont la base offre une ouverture à demi elliptique qui traverse sa char- pente entière, et permet d'apercevoir le jour de l'autre bord. Sur sa gauche vient ce gros rocher incliné, isolé j dépouillé, que les Anglais ont nommé le Pain- de-Sucre, de onze cents pieds de hauteur. C'est au pied de ce rocher que sont les deux seuls mouillages de l'ile, si toutefois on peut leur donner ce nom. L'un est au S. E. , et l'autre au S. O. de l'île. C'était sur les bords de la première , près de la petite plage qui l'entoure, qu'était établie la colonie portugaise qu'y trouva M. de La Pérouse en 1785. En effet, voilà le seul endroit de l'île où l'homme puisse faire quel- ques pas en droit chemin. Au N. O. on admire un rocher non moins surprenant que les précédens; 70 VOYAGE 1826. Juillet. sa forme est presque cylindrique , sa hauteur de plus de huit cents pieds sur quatre-vingts ou cent au plus de diamètre. Presque entièrement détaché de la masse de l'île , ses pans sont verticaux, et quelquefois un peu rentrans vers sa base. On dirait de loin une tour immense élevée par la main des hommes. Les sommets de l'île sont hérissés de petites pointes cylin- driques, déliées, qui paraissent souvent posées en équilibre sur les cônes qu'elles couronnent. L'île en- tière paraît très-stérile; à l'exception d'une maigre verdure aux environs de l'anse du S. E., et de quel- ques bouquets d'arbres dans les ravins près du som- met, ce ne sont que des rochers nus. ^ J'avais le dessein de tenter une excursion à la côte avec les naturalistes ; mais le ressac y était si violent, et la mer brisait avec tant de fureur sur tous ses points , que je ne jugeai pas à propos d'y hasarder une embarcation. A midi , nous trouvant sur le pa- DE L'ASTROL\BE. 71 rallèle de sa pointe nord , nous fîmes encore une sta- 1826. tion , et nous gouvernâmes ensuite au sud avec une ^°'*'*- forte brise d'E. S. E. et une grosse mer *. La chaleur diminue rapidement; le i^"^ août au i". matin nous voyons le premier pétrel damier par 22^' latitudes. Le jour suivant nous passons le tropique du Capricorne; le ciel et Tatmosphère ont quitté ce ton vaporeux et blanchâtre habituel aux régions équa- toriales, pour reprendre cette pureté, et rendre à l'ho- rizon ces lignes claires et bien arrêtées des zones tem- pérées dans le beau temps. Par 27*^ 30' S., le premier albatros paraît; les 4- damiers et les pétrels bruns sont devenus communs. Nous déverguons et ramassons peu à peu nos menues voiles , pour alléger le grément et nous préparer aux rudes secousses des mers australes. Le temps était superbe , la mer très-belle ; poussés 6. par une jolie petite brise d'E. N. E. , nous courûmes sur la position de Saxembourg. A huit heures trente minutes du soir, nous nous trouvions précisément sur celle qui lui fut assignée par les navires Colonibas et Brothers en 1808 et 1809, d'après Horsburgh. Nous ne découvrîmes rien , pas même d'indices d'au- cune nature , tels qu'oiseaux , bois ou plantes flottant sur la mer; pourtant, durant le jour, nous eussions pu distinguer, au moins à vingt milles de dislance, une terre basse , et à six ou sept milles durant la nuit qui était très-claire. * Voyez iiolc 3. 72 VOYAGE 1826. Alors je revins au vent et mis le cap à l'E. S. E. , Août. gQj^ jg prolonger encore quelque temps le parallèle de 30» 20' S. Bien que nous fussions depuis bien long- temps hors des tropiques , je donnai l'ordre de con- tinuer les distributions de café trois fois par semaine , et de punch tous les dimanches ; persuadé que ces boissons fortifiantes étaient encore plus convenables à l'équipage dans les climats frais qu'entre les tropi- ques. 9. Les damiers sont devenus nombreux ; nos marins en ont pris une douzaine à la ligne. Cet oiseau a des formes très-élégantes, et beaucoup du port du pigeon. Quelque vigoureux que soit son vol, une fois à terre, il ne peut plus s'enlever ; nous nous amusions à voir une douzaine de ces oiseaux se promener maladroite- ment sur le pont, sans pouvoir profiter de leur liberté pour s'envoler. II. Notre navigation depuis le détroit avait été en gé- néral assez tranquille , quoique souvent contra- riée par des houles assez pesantes, des grains, des vents défavorables et de grandes chaleurs. Mais nous avons atteint le trentième degré de latitude méridio- nale, et ces vastes mers de Thémisphère austral sont sujettes à de bien mauvais temps , surtout en juillet , août et septembre. Aussi, après avoir soufflé à l'O., assez frais durant quelque temps , le 1 1 11 sauta subi- tement au S. , où il souffla grand frais avec quelques gouttes de pluie. La mer devint très-grosse , le navire roulait beaucoup, il fallut mettre à la cape. Le coup de vent fut de courte durée , mais le vent DE L'ASTROI.\lîE. 73 continua de souffler avec force les jours suivans , el la ,«20. mer resta très-grosse. Le 1 3 il fit beau, le 14 aussi, et i > août, à neuf heures trente minutes du soir nous nous trou- vions sur la position précise qui a été assignée à Saxem- bourg par Galloway , celle-làjnéme qui a été adoptée dans la dernière carte publiée par le dépôt de la ma- rine. Aucun indice de terre ne s'offrit encore à nos regards. On doit en conclure que cette île n'existe pas davantage sur cette position que sur celle que lui a donnée le pilote Long du Colambiis^ et que le mieux sera de la rayer définitivement des cartes, comme ont déjà fait les Anglais. 11 serait du reste assez curieux de constater ce qui a pu donner lieu aux contes absurdes débités par Long et Galloway touchant l'existence de cette île ; mais cela ne pourrait se faire qu'à l'inspection de leurs tables de Loch. Le 15 au soir, nous eûmes un nouveau coup de 15. vent de S. O., avec une mer énorme. Il varia au S. dans la nuit, et passa au S. E. le jour suivant , où sa fureur diminua sensiblement. Il est bien digne de remarque que dans ces coups de vent que nous venons d'éprouver, et dans ceux qui suivirent, le plus souvent, le baromètre n'a subi aucune variation ; le niveau du mercure a au contraire conservé des stations très-élevées , comme 28^ 4'; 28'' 5', et même 28^ 6'. Il en résulte que ces indications of- frent bien moins d'intérêt que dans notre hémisphère; j'en vins enfin au point d'y faire peu d'attention. Dans un moment de calme le thermométrographe 74 VOYAGE Août. no 7 de Bunten fut envoyé à trois cents brasses, et la température de 17°, 5 à la surface, se trouva à cette profondeur de 10*'. L'index du maximum avait aussi monté de 4°, ce qui indique que l'instrument avait traversé une couche de fluide dont la température était de 4° supérieure à celle de la superficie. J'avais en- fermé et solidement fixé dans une simple boîte en bois de noyer un des thermométrographes de Spinelli; descendu à la profondeur de trois cents brasses, il revint broyé en mille pièces par la pression des cou- ches qui avaient pesé dessus ; le bois de la caisse , complètement imbibé d'eau , avait prodigieusement augmenté de poids. '9- Depuis quelque temps, au moyen du pendule et du cadran gradué, adaptés à notre habitacle, je me suis occupé d'observer les effets du roulis , d'après l'in- clinaison du navire et les circonstances qui en résul- tent. A 5° d'inclinaison, le roulis commence à de- venir sensible; à 10 et 15°, il suppose déjà une grosse mer et devient incommode. Il fatigue le bâti- ment à 20*^; enfin à 25 et 30° qui, jusqu'à présent, m'ont paru les limites de l'inclinaison , les porte-hau- bans sont soulevés par les lames , la cloche tinte , et les secousses sont très-dures , surtout quand le vent est droit de l'arrière , et la houle du travers , comme c'est le cas aujourd'hui. Du reste , ces grands roulis sont rares, et ne reviennent qu'à des intervalles assez éloignés , autrement ils démoliraient la corvette. Dès que le vent vient un peu de la hanche^ ils sont moins répétés. DE L'ASTROLABE. 75 Coup de vent de S. O. le 20; et le jour suivant is^fi. tourmente de S. S. O. , avec des grains de pluie, des "" ''°"' raffales très-pesantes et une mer terrible. Dans tout le voyage de la Coquille, le coup de vent que nous reçûmes vers la Nouvelle-Zélande, nous offrit seul des lames dune aussi prodigieuse hauteur. L'inclinaison du navire a été jusqu'à 33<'. Malgré ces violentes se- cousses la corvette se comporte très-bien et ne fait point d'eau. Dans la journée le temps s'embellit un peu, nous i\ avons des vents de N. O. Accablés parles mauvais temps des jours passés, nous semblons renaître à la vie, et nous goûtons vivement quelques momens de repos. Ce bien-être dure peu ; dès le jour suivant au soir, le vent souffle déjà grand frais du nord. Insensible aux tempêtes du sud , par celle-ci le baromètre descendit à ST^ 9', 5. De cette partie aussi, quoique creuse , la houle est cependant plus dure et plus pénible que celle du côté opposé; les roulis qu'elle occasione sont d'une force et d'une fréquence extraordinaire. Les paquets flottans de Laminaria pyiifera ont commencé à paraître. j["ienant en considération la longueur des nuits, la 28. rigueur de la saison et la durée de la campagne, à dater d'aujourd'hui l'équipage est mis aux trois quarts , ce qui procurera aux hommes un plus long repos , et les exposera moins aux maladies occasionées par d'exces- sives fatigues. D'un autre coté je serai obligé d'exercer une surveillance plus active, surtout de redoubler de prudence pour la voilure. 76 VOYAGE 1S26. Nouveau coup de vent de N. N. O. qui dure toute »9 août, la nuit, et qui le 30, au jour, devient une tempête des plus terribles. A onze heures elle était parvenue au plus haut degré de violence ; les lames, formant de vraies montagnes, atteignaient au moins quatre-vingts à cent pieds de hauteur. Heureusement leurs sommités seules déferlaient , autrement elles eussent promptement en- glouti la corvette. Jamais je n'avais vu une mer aussi monstrueuse, je ne croyais pas même qu'en aucune circonstance l'équilibre des eaux pût être renversé à ce point. En ce moment , nous nous trouvions , il est vrai, sur les Acores même du Banc-des- Aiguilles; et l'on sait ce que les navigateurs ont raconté des fu- rieuses tempêtes de ces parages si redoutés en hiver. Après avoir tout serré , nous avons été réduits à courir sous le petit foc seul ; la corvette s'est bien comportée , mais elle a beaucoup fatigué , et quelques paquets de mer qu'elle n'a pu éviter ont fait donner quelques cou- tures , car elle a commencé à faire de l'eau pour la pre- mière fois depuis son départ. Nous avons remarqué que les lames que nous recevions nous causaient, pour ainsi dire, l'effet d'une eau à demi tiède, ce qui indiquait, pour la sur- face de la mer, une température bien supérieure à celle de l'atmosphère. La tempête a soufflé avec une fureur égale et conti- nuelle jusqu'à six heures du soir; alors les raffales ont diminué, et le vent s'est soutenu bon frais au N. O. et O. N. O. durant deux jours, circonstance très-heu- reuse pour nous ; car terrible comme elle était , la DE L'ÂSTROLARE. 77 houle nous eût cruellement fatigués , si le calme fût 1826. aussitôt revenu. Aujourd'hui, brises faibles et variables. A dix heures i" Septembre. trente minutes du matin , presque calme. J'en profite pour envoyer le thermométrographe à cinq cent vingt brasses de profondeur parfaitement verticale , avec un plomb de vingt-quatre kilogrammes. Il revient en bon état, bien que le cylindre soit plein d'eau, jusqu'à deux pouces du bord. Au moment où on l'a ouvert, un souffle d'air très-sensible se fait sentir, une fumée légère s'en exhale , et l'eau pétille au-dedans comme du vin mousseux. L'index du minimum a descendu de 1 2o, et la température à cinq cent vingt brasses de profondeur n'était que de 5°, 4. Pour compléter l'expérience , deux heures après le même instrument est envoyé à cent dix brasses seule- ment ; cette fois l'index ne descend que de 4 à 5° ; il reste prouvé qu'à ce niveau la température de la mer s'écarte peu de celle de sa surface. Nous faisions route, àl'E. S. E., avec une faible 2. brise d'O. N. O. , et une mer assez tranquille , quand à huit heures nous crûmes apercevoir dans le sud , à peu de distance , un espace de mer où la lame brisait très-sensiblement. Examiné attentivement, et suivant toute apparence , cet objet semblait être une tête de roche ou une coque de navire élevée seulement de quelques pieds au-dessus de l'eau. Des taches blan- châtres bien marquées donnaient lieu de croire que ce devait être plutôt un rocher; en outre plusieurs hiron- delles de mer, et des nuées de petits pétrels cendrés , 78 VOYAGE 1826. prenaient leurs ébats alentour. Pour fixer toute incer- septembre. titu(je ^ jg {]§ mettre le cap directement dessus ; bientôt je ne tardai pas à m'apercevoir que notre prétendu bri- santchangeaitde position, puisil finit par disparaître en- tièrement. Alors je restai convaincu qu'une baleine de grande taille, et couverte de coquilles et de madré- pores, avait seule causé cette apparence. Nul doute, et c'est l'opinion d'Horsburgh , que d'immenses céta- cés dormant à la surface des eaux et produisant de semblables illusions, ont donné lieu à ces dangers pré- tendus, à ces rochers que divers navigateurs assu- rent avoir rencontrés dans ces mêmes parages. Les coups de vent que nous venons d'éprouver et notre température actuelle assez régulièrement de 8 à 9**, ont porté un coup funeste à ma petite pépinière. Les figuiers sont morts , et les oliviers ont considéra- blement souffert. Pour transporter avec quelques succès des végétaux vivans , les bâtimens h batterie couverte sont à peu près indispensables. 3. Par 370 1 7' latitude S. et 27° longitude O. , la brise irrégulière au S. O. nous a amené de la pluie par in- tervalles , et deux ou trois grains de grêle très-abon- dans. 4. Le jour suivant, un gros vent de S. S. O. fait mon- ter le baromètre jusqu'à 28"^ 6', 5 , ce qui justifie les observations déjà faites par divers navigateurs. 5. Du 5 au soir jusqu'au 10 inclusivement, les vents restent fixés à l'E. S. E., à l'E. N. E. et au N. E. , généralement frais et accompagnés de beau temps. Le baromètre s'élève jusqu'à 28'' 7', 28'' 8' et même 28'^ DE L'ASTROLABE. 79 y. Obligés (le serrer lèvent, bâbord amures, nous 1826. sommes très-contrariés durant tout ce temps. septembre. A raidi précis, les observations placent l' Astrolabe n. à huit ou dix milles au N. des Sondes du Brunswick sur la carte anglaise , et précisément dessus sur la française. Sans le courant qui a varié , nous passions sur le point de la carte anglaise. Du reste, rien n'an- nonce la proximité d'un haut - fond , et il vente beau- coup trop pour qu'on puisse faire une sonde considé- rable. MIM. Jacquinot, Gressien et Lottin observent et cal- 9. culent des distances lunaires , et les longitudes qui en résultent s'accordent à la minute avec la position don- née par la montre n^ 38 de Motel. Durant la nuit le vent soufflait au nord, bon frais, 12. avec quelques raffales par intervalles , un temps cou- vert et une mer houleuse. A une heure trente minutes j'avais fait carguer la grande voile , et je dormais assez profondément, lorsqu'à six heures quinze minutes je fus réveillé en sursaut par des cris lugubres et le bruit d'une manœuvre précipitée. Ayant sauté sur le pont, enveloppé de mon seul manteau, j'eus bientôt appris qu'un homme était tombé à la mer. Déjà l'officier de quart, M. Guilbert, avait exécuté toutes les manœu- vres convenables en pareille circonstance ; il avait jeté deux cages à poules à la mer, mis en travers, et travail- lait à mettre le petit canot à la mer, ce qui fut fait à fins- lant. Comme je distinguais encore à sa chemise rouge le malheureux surnageant au-dessus des flots, et qu'il n'était qu'à deux encablures du navire et à une demi- 80 VOYAGE 1826. encablure des cages , je ne doutai pas qu'il ne pût être Septembre, sauvé , ct craignis seulement pour l'embarcation dont la chaleur avait ouvert les coutures. Pour m'éloigner moins , je virai lof pour lof, et revins m'établir en panne, tribord amures, à une encablure environ, sous le vent du lieu où l'homme nous semblait surnager. En même temps le canot s'en approchait en toute hâte; mais, durant cet intervalle qui dura à peine six à huit minutes, il avait disparu. Il ne savait pas nager, ainsi que je l'appris de ses camarades, et, après avoir pu se soutenir quelques raomens sur l'eau , à l'aide de ses vêtemens , une lame aura fini sans doute par le faire couler. Après une demi-heure d'efforts et de recher- ches sans succès , quand nous fûmes convaincus qu'il ne restait plus aucun espoir, je rappelai le canot à bord , et nous continuâmes notre route , consternés de ce funeste accident. L'homme qui périt alors si malheureusement se nommait Binot (Benoît), âgé de vingt-deux ans et gabier de misaine. Au moment où il tomba à la mer , de concert avec le chef de timonnerie Jacon , il tra- vaillait k dégager un seau engagé dans les chaînes des grands porte-haubans , où une lame assez forte vint le saisir à l'improviste et l'entraîna au large. S'il eût pu se soutenir quelques minutes de plus , il eût été infailliblement sauvé!... Quelque répréhen- sible que leur conduite ail été depuis , je dois rendre justice aux matelots qui se précipitèrent dans le canot pour aller sauver Binot. Malgré le vent, la grosse mer et le danger qu'ils couraient eux-mêmes , Simonet , DE L'ASTROLABE. 81 Condriller, Gossy, Le Court, etc., déployèrent un 1826, courage et un dévouement vraiment louables. septembre. A peine le canot était hissé , que le vent fraîchit beaucoup, et, trois heures après, il ventait grand frais de N. N. O. avec des rafl'ales et une grosse mer. Malgré nos soins, malgré notre prudence, les voiles , la coque et surtout le grément commencent à se ressentir de cette opiniâtre série de temps forcés. Je me décide à relâcher au port du Roi-Georges, d'au- tant plus que ce point me promet une mine féconde à exploiter en tout genre. Le ciel au soir a pris une apparence sinistre, le 14. mauvais temps est revenu, et le jour suivant, de huit heures du matin à dix heures du soir, nous sommes obhgés de rester sous le petit foc seul. Le vent souf- flait avec fureur à l'O. S. O., accompagné de raffales impétueuses, de pluie et de grêle. Quoique moins grosse que dans la journée du 30 août, la mer était affreuse, et peut-être plus dangereuse, en ce qu'elle était bien plus dure, et déferlait souvent en entier sur la corvette. Nous n'avons pu éviter d'embarquer quel- ques lames , qui chaque fois semblaient menacer de nous engloutir , et qui ont pénétré dans toutes les parties du navire *. La fureur du vent s'apaise un peu le 16 au soir, 17. pour reparaître avec une nouvelle force dès le 17 au matin. Mais cette fois la température est plus éle- vée, les raffales sont sèches, et n'amènent ni pluie, ni * Voyez note 4. TOME I. 82 VOYA.GE 1826. grêle, ce qui les rend plus supportables. Quatre ma- septembie. tgJots se plaignent de maux d'estomac , et le quartier- maître Vignale , dans un coup de roulis , tombe sur le pont et se blesse à la tête. 19- Le vent continue de souffler sans interruption, grand frais à l'O. S. O., avec une mer très-dure et un temps sombre. Le 1 9 au soir, comme fatigué de ses ef- forts, le vent avait suspendu sa violence et laissait un court repos aux flots de la mer. En ce moment , les lames, moins irrégulières, semblaient autant de chaî- nes de coteaux mobiles, coupés par autant de vallées, et sur le dos desquels notre corvette glissait paisi- blement. Spectacle vraiment majestueux , admirable, et dont la plume la plus habile ne saurait donner qu'une faible idée ! . . . . 20. Nouvelle tempête du N. N. O . , aussi violente qu'au- cune des précédentes , et de plus accompagnée d'un ciel très-chargé et d'une pluie continuelle. La nuit a été affreuse et l'obscurité complète. Comme je gou- vernais sur le parallèle de l'île Saint-Paul, redoutant de tomber dessus inopinément, par suite d'un cou- rant imprévu ou d'une erreur très-possible dans nos montres après une si longue navigation , je pris le parti de courir des routes obliques sans quitter ce parallèle. La corvette a beaucoup fatigué sur quel- ques-uns de ces bords , principalement les amures à bâbord. 21- A six heures je mets le cap à l'E. S. E. ; à sept heures trente minutes , M. Gressien, qui se trouvait de quart , voit passer le long du bord le premier pa- DE L'ASTROLABE. 83 {\\\Q.\.àe Laminaiia pt/rife/a, el, depuis ce moment, 1826. ils ont passé avec profusion jusqu'à quatre heures du sepiembie. soir où ils ont tout-à-fait cessé. Ces fucacées , avec les albatros qui nous ont entourés en grand nombre , sont l'unique indice que nous ayons pu avoir de la proximité des îles Amsterdam et Saint-Paul ; car nous n'avons rien aperçu du tout. Cependant, en corri- geant nos routes par les latitudes observées la veille et le jour suivant , il est probable que le 21 , à six heures du matin, nous devions nous trouver à six ou huit milles au plus dans le nord de Saint-Paul. S'il n'y eût pas eu de courant , ou s'il eût porté au sud , comme le vent semblait l'annoncer, nous atterrissions précisé- ment dessus. Du reste, avec un temps aussi détes- table et un ciel aussi chargé , il n'est pas surprenant que nous n'ayons rien vu ; notre horizon s'étendait au plus à un mille dans les instans les plus lucides *. Les laminaires qui habitent ces mers ont les bulles de leurs frondes plus grosses et plus turbinées que l'espèce des Malouines. Mon intention était de visiter en canot l'île Saint-Paul , son cratère et son lagon. Je regrette vivement les observations de physique et d'histoire naturelle que ce point m'eut offertes. Surtout j'étais curieux de savoir à quel système se rapportent les végétaux qui peuvent l'habiter. La fureur du vent s'apaise, le ciel s'embellit, et 23. notre navigation s'adoucit. La mer reste très-grosse , ce qui indique que plus au sud le mauvais temps se * Voyez note 5. 6" 84 VOYAGE 1826. prolonge. La journée du 23 esl même agréable, et Septembre. gg^iJ^le annoncer le retour d'une saison plus tempérée (le printemps des régions australes commençait ce jour même). ^+- Dès le jour qui suit, le vent d'O. N. O. revient lourd et pesant, accompagné de pluie et de grêle. Le 25 nous prenons un albatros qui pesait quatorze livres et avait neuf pieds deux pouces d'envergure. A mon dîner je mange du fuligineux y dont je trouve la chair bonne , et bien préférable à celle du damier que je trouvais déjà passable. 27- Ce jour et le lendemain, coup de vent furieux d'O. et O. S. O.; temps couvert, grains et pesantes raf- fales. Le 28 à trois heures du soir, la tempête est au plus haut degré de force, la mer monstrueuse, et les lames , devenues de nouveau de vraies montagnes , secouent cruellement notre pauvre navire. Aussi fait- il en ces momens sept pouces d'eau en six heures ; l'eau pénètre par l'arrière dans ma chambre, en sorte que tous mes livres, mes cartes, mon linge, etc., sont trempés et dans un état funeste à leur conservation. 29- Le vent , quoique violent encore, devient plus ma- niable ; il se modère le 29 au soir , et le 2 octobre nous a octobre, pouvous rétablir les huniers depuis si long-temps ser- rés. Kous voyons aussi un pétrel géant {^qaebiarita- huessos), le premier de toute la campagne. 3. Enfm nous respirons, et, malgré la grande houle qui persiste, V Astrolabe poursuit une route plus tran- quille. 5. Nous filions vent arrière avec une jolie brise d'O. DE L'ASTROLABE. 8.5 et une mer assez belle, le cap à l'E. ^j^ S. K., el je tS^-C). faisais veiller avec attention l'approche de la terre. A octobre. une heure après midi le jeune Cannac aperçoit la côte du haut des barres de perroquet dans le N. E., à quinze lieues de distance environ. Celte terre appar- tenait aux caps Leuwin et Hamelin, et se montrait alors sous la forme de mondrains élevés et blanchâ- tres. A deux heures trente minutes on la vit de des- sus le pont, et la sonde donna alors quatre-vingts brasses , corail rougeâtre et gros sable blanc. Nous approchâmes pour mieux la reconnaître; à six heures du soir une grosse pointe , qui doit être celle de d'Entrecasteaux , nous restait au N. 77° E. , à pe- tite distance. Pour la nuit je gouvernai au S. E. ^/^ S., pour passer au large des écueils signalés près de ce cap. Toutes les terres que nous eûmes en vue ce jour sont assez élevées et escarpées du côté de la mer; mais en général d'un aspect aride et la plupart dépouillées de grande végétation. Depuis que nous sommes près de la côte, la température a subitement augmenté de 4 ou 5°, et l'effet en est particulièrement sensible dans les chambres. A quatre heures du matin , nous trouvons soixante- 6, cinq brasses, sable blanc et corail. Au point du jour je remets le cap à l'E. N. E. , et prolonge la côte à six ou huit milles de distance. Nous avons passé à un mille de la pointe Hilliers de Flinders, et gouverné ensuite sur le cap Howe. Près de la pointe Hilliers, les terres sont hautes , avec des plages sablonneuses à droite, et H (5 VOYAGE 1826. de belles forets à peu de dislance du rivage. En s'ap- octobre. prochant du cap Howe, la cote devient triste et stérile. A six heures du soir nous n'étions qu'à quatre milles au sud de ce promontoire , et nous distinguions par- faitement Peak-Head et File de l'Eclipsé, vraies recon- naissances du port du Roi-Georges. Là nous avions quarante-trois brasses , fond de corail et sable. Nous avons passé la nuit, partie aux petits bords et partie en panne, ayant soin de me maintenir à six ou sept milles au vent de l'entrée de la baie , et de ma- nière à donner facilement dedans au point du jour; mais le vent qui soufflait à l'O., varia au N. O. , et 7- même au N . dans la nuit. En outre, au point du jour, je reconnus avec douleur que nous nous trouvions déjà au sud du mont Gardner, le courant nous ayant en- traînés en dix heures de quatorze milles au moins dans l'est. Ainsi ceux qui ont le dessein de mouiller au port du Roi-Georges , surtout avec les vents à la partie de l'ouest , doivent avoir soin de rallier la côte à douze à quinze lieues au moins dans l'ouest , afm de recon- naître File de FEclipse , qui est une excellente remar- que, parce que c'est la seule au large, et qu'elle forme en même temps la terre la plus au sud de toute cette partie de l'Australie. La côte est saine, et peut se pro- longer sans danger à la distance de deux milles. Seu- lement il faut se défier des vents de S. O. qui battraient droit sur la plage; car l'on n'y trouverait aucun abri, s'ils étaient trop violens pour ne pas permettre de s'é- lever au vent. DE L'ASTROLABE. 87 PSous profitâmes du vent du nord pour courir une 1826. bordée à l'ouest, et nous replacer devant lentrée de la octobre. baie. De dix heures à une heure il fit calme ; la pe- tite drague, ramenée plusieurs fois à bord, procura une foule d'objets intéressans pour les naturalistes. A une heure , à l'aide d'une légère fraîcheur de S. O. , nous mimes le cap sur Bald-Head. A quatre heures nous rangions cette partie à un demi-mille de distance. Nous nous avancions paisiblement vers le beau port du Roi-Georges, et mon intention était d'aller mouiller dans le havre de la Princesse-Royale , mais le vent mollit tellement , qu'après avoir rangé File Seal et l'iIe de l'Observatoire, je m'estimai heureux de laisser tom- ber l'ancre à six heures devant l'entrée du goulet par sept brasses , fond de sable. 88 VOYAGE CHAPITRE VI. SEJOUR AU PORT TIV ROI - GEORCtS. ,g26. 11 faut avoir passé cent huit jours consécutifs à la Octobre, mer, comme nous venions de le faire , dont la moitié par des temps affreux et des mers assommantes , pour se faire une idée du bien-être que nous éprouvâmes en jouissant enfin d'un repos presque parfait. Nos membres, notre corps entier, accablés par des secousses si violentes et si prolongées, reprenaient avec délices leur assiette naturelle. En outre, une soirée charmante, la vue d'une terre verdoyante, de ses ombrages et d'une rade tranquille et sûre, contrastaient vivement avec le spectacle d'une mer presque toujours en fureur, et les tourmentes réitérées auxquelles nous venions à peine d'échapper. ^ 8. Dès deux heures après minuit le vent d'ouest se mit à souffler avec violence, et dans une raffale nous chas- sâmes. Nous filâmes soixante brasses du câble en mouil- lant l'ancre de bâbord, ce qui nous arrêta. J'eusse dé- siré entrer dans le havre de la Piincesse , mais crai- DE L'ASTROLABE. 89 ^nanl d'en être empêché par les vents d'ouest, je me 1826. décidai à reconnaître l'entrée du havre aux Huîtres, ^^ttobrc afin d'y conduire la corvette , s'il me paraissait plus facile h gagner. A sept heures du matin je m embarquai avec M. Lot- tin dans la baleinière ; nous prolongeâmes la longue plage de sable qui s'étend au nord de la presqu'île de l'Aiguade, et nous reconnûmes que l'entrée de ce havre offrait une barre sur laquelle on ne trouvait que quatre et même trois brasses dans une certaine étendue. En outre la direction du goulet est très-sinueuse, de sorte qu'il faudrait avoir vent sous vergue pour s'y hasarder sans accident avec un navire comme l' Astrolabe. Du reste le havre aux Huitres offre un superbe bassin , d'une eau très-paisible , et dont les bords sont couverts de la plus agréable végétation , excepté vers le sud-ouest, où la plage devient marécageuse. Comme un parteri'e de la plus fraîche verdure , la petite île du Jardin s'y dessine de la manière la plus pittoresque, et c'est aux buissons de mauves ou d'althées , ainsi qu'aux robustes graminées qui la couvrent , qu'elle doit cet agréable aspect. Au moment où nous en approchâmes, nous vîmes s'élever dans les airs un vol de trente à quarante pélicans. Aussitôt débarqué, je me dirigeai vers le lieu où ces oiseaux m'avaient semblé établis ; nous y trouvâmes une douzaine déjeunes pélicans que je fis ramasser par les canotiers. Après avoir déjeuné et tué quelques oiseaux de mer sur cet îlot, nous nous rembarquâmes, et je con- duisis le canot vers un endroit sur la live du hà- 90 VOYAGE 1826. vre, où les matelots m'avaient assuré avoir observé Octobre. ^^^ fumée. C'était un indice certain de la présence des naturels, avec lesquels je désirais entrer en com- munication. Effectivement , nous ne tardâmes pas k distinguer vm feu près de la grève , et peu après une PI. XVII. figure humaine, couverte d'une simple peau. Bientôt ce sauvage (car c'en était un) s'avança vers nous d'un air assez résolu ; mais à mesure qu'il s'approchait , sa hardiesse semblait l'abandonner , et , malgré mes si- gnes pour le persuader, il allait rester en suspens près du canot, quand je m'avisai de lui présenter un mor- ceau de pain. Il y mordit aussitôt à belles dents, et cet argument produisit sans doute un grand effet sur son imagination ; car ayant perdu en un instant toute sa défiance, il se mit à rire , danser, chanter, et appeler ses camarades. Il monta sans crainte dans le canot, où il se com- porta très-décemment tout le long de la route. C'était un homme de quarante ans environ , assez bien fait , à cela près des bras et des jambes toujours grêles , comme dans les habitans de la Nouvelle-Galles. Il avait absolument le même teint , les mêmes traits et les mêmes manières que ces insulaires. Sa taille était de cinq pieds deux pouces ; son nez écrasé , la cloison des narines percée , ses dents très-belles et larges; il portait des moustaches et une longue barbe au menton ; ses cheveux n'étaient nullement crépus. Il pouvait passer pour être propre dans son genre. A bord , il ne perdit pas un instant sa gaieté el sa confiance; tout le monde le combla d'à- DE L'ASTROLABE. 91 mitiés, et il fut bientôt accablé de présens qui le trans- iSi6. portèrent d'abord de joie , et ne tardèrent guère à lui Octobre. causer bientôt presque autant d'embarras pour les conserver. Il venta grand frais tout le soir, et il fut impossible de le reconduire à terre. JMais il prit joyeu- sement son parti , et dormit à merveille à bord , où on lui fît avec des voiles et des prélats le meilleur lit qu'il eût sans doute eu de sa vie. A la nuit on vit un feu à la côte , et notre hôte nous indiqua qu'il avait été al- lumé par ses compatriotes. Le vent continuant à souffler avec force à l'O . et auS . 9. O., et impatient que j'étais de pouvoir commencer nos travaux, je pris le parti d'affourcher l'Astrolabe au pj. ^^ poste même où nous nous trouvions à peu près N. et S., avec quatre-vingt-cinq brasses à bâbord et cent vingt-cinq à tribord , l'ancre de ce bord empenellée. Ce mouvement exécuté , je me rembarquai dans la baleinière, pour aller reconnaître sur la côte voisine le lieu le plus convenable pour établir notre observa- toire et la tente des ouvriers. En même temps je dé- posai à terre notre sauvage, qui, déjà inquiet de son séjour forcé à bord, se désolait, et pleurait comme un enfant. Un de ses camarades, vêtu et tourné comme lui, l'attendait au rivage, et sollicita la faveur de prendre sa place à bord. Je ne voulus point de lui, avec d'autant plus de raison que je trouvai la côte ina- bordable tout autour de la pointe des Patelles, à cause du violent ressac soulevé par les vents qui venaient de * régner. Désolé de ce contre-temps, à une heure je retournai 92 VOYAGE 1826. visiter les environs du havre aux Huîtres, tandis que Octobre, j'euvoyals MM. Jacquinot et Lottin reconnaître celui de la Princesse-Royale. Je m'assurai qu'en cas de né- cessité , un navire pourrait s'amarrer par quatre ou cinq brasses d'eau près du goulet aux Huîtres , et trouverait à peu de distance de l'eau et du bois. Mais il n'aurait pas de chasse du tout, et les vents de N. O. se feraient sentir avec la plus grande violence. Je consacrai ensuite une heure ou deux à recueillir des plantes qui sont ici aussi nombreuses qu'élégantes dans leurs formes , et variées dans leur structure et leurs couleurs. Des monceaux d'écaillés d'huîtres m'annonçaient l'existence de ces testacés , mais je n'en rencontrai aucune sur les rochers. Un gros Eu- calyptus scié par la base, et un fond de barrique planté sur un roc , me prouvèrent également que des Eu- ropéens avaient récemment paru sur ces côtes. Je remarque en passant que toutes les roches sont d'é- normes blocs d'un très-beau granit. Plus heureux que moi dans lem^s recherches , MM. Jacquinot et Lottin découvrirent sur la rive droite du goulet de la Princesse une fort belle ai- guade , et , à peu de distance, une esplanade très-com- pi. xîii. mode pour établir notre observatoire et nos tentes. J.Q Dès le point du jour, la chaloupe est allée faire de l'eau et du bois à cet endroit , et y porter les voiliers et leurs tentes. A une heure après midi, voyant tous les travaux en train, je suis descendu à terre près de la pointe des Patelles, suivi de M. Lottin, et de Simonet que j'ai DE L'ASTROLABE. 93 choisi pour compagnon de mes courses, à cause de son ts^o. adresse à tirer un coup de fusil. ISous avons parcouru octobre. le coteau qui domine la presqu'île, recueillant à cha- que pas de ces belles plantes si communes en ces con- trées. Le sol, quoique sablonneux, m'a semblé sus- ceptible de fertilité, s'il était soigneusement cultivé ; on rencontre assez fréquemment sur son chemin des lieux marécageux qui décèlent des sources dont il serait facile de réunir les eaux dans un canal. A mesure que nous avancions vers le sommet de la colline , nous enten- dions des cris qui nous annonçaient 1 approche des na- turels. En effet, dès que nous eûmes répondu à leurs voix, bientôt huit d'entre eux, tous vêtus de peaux de pi. xi et xii. kangarous, se présentèrent à nous, et parurent en- chantés de nous voir. Leur âge semblait varier depuis seize jusqu'à quarante ans; aucun n avait les cheveux 94 VOYAGE 1826. vraiment crépus , el tous offraient le vrai type austra- octobre. Jien, tel que je l'avais déjà observé à Port- Jackson , et au-delà des montagnes Bleues. Je leur fis signe de nous suivre vers l'observatoire ; ils y coururent en sautant et gambadant. Arrivés à la tente , nous vîmes trois autres sauvages qui s'y trouvaient déjà, et qui, depuis le matin , avaient tenu fidèle compagnie à nos gens. Sans doute le premier qui était venu nous voir à bord avait instruit ses camarades des mauvais effets de l'eau-de-vie dont il avait beaucoup souffert; car, non- seulement ils ne demandaient point de cette liqueur, mais s'enfuyaient même quand on leur en offrait. Leur conduite fut très-paisible, aucun d'eux ne tenta de com- mettre le moindre vol , quoique nos ouvriers prissent très-peu de soin de surveiller leurs affaires. Je jetai un coup-d'œil sur la chaloupe , et m'assurai que l'eau et le bois se faisaient avec facilité. Sous ce PI. XVI. double rapport, cette station est très-recommandable, et bien préférable à celle où s'était établi Flinders. Elle aurait encore plus d'avantages si le navire était af- fourché dans le goulet même; car alors il n'y aurait qu'à peine une encablure de distance du bord à l'aiguade. Les oiseaux paraissent très-rares sur cette partie de la cote ; je n'ai observé qu'un petit quadrupède qui s'est enfui d'entre nos jambes. On voit à la plage nombre de coquilles roulées et brisées , et surtout des pha- sianelles ; mais on ne peut guère se procurer vivans que des patelles , des lépas , des moules et de petits buccins noirs. DE L'ASTROLABE. 95 MM. Quoy, Gaimard, Guilbert et Sainson , ont 1826. employé tonte la joarnée à faire le tour entier de la octobre, baie de la Princesse, sans avoir rien observé de bien remarquable. M. Dudemaine, que la lassitude avait contraint de rester en arrière , a été obligé de passer la nuit sous la tente. Tous les sauvages ont témoigné le désir de me suivre à bord ; mais je n'ai accordé cette faveur qu'à un seul d'entre eux , content d'avoir en sa personne un garant de la conduite qu'allaient tenir ses cama- rades envers les hommes que nous laissions à terre. Ce nouvel bote, qui pouvait avoir trente-cinq ou trente-six ans, était un des mieux tournés de sa tribu. J'eus beaucoup de peine à obtenir qu'il abandonnât un cône de Banksia allumé, qui lui servait k conserver long-temps du feu, surtout à se chauffer le ventre et tout le devant du corps. Pour les sauvages c'est un objet d'une haute importance, et je ne me rappelle pas qu'avant nous aucun voyageur en ait fait l'observa- tion. Ils portent partout avec eux ces cônes enflam- més ; grâces à cette précaution , ils n'ont pas besoin de rallumer à chaque instant leur feu par le frotte- ment, procédé qui paraît même leur être peu familier. Ils se servent, en outre, de leurs cônes pour mettre par- tout sur leur passage le feu aux broussailles et aux herbes sèches ; c'est ce qui fait qu'en général les forets de la Nouvelle-Hollande sont si dégagées et d'un accès si facile. La journée a été très-pluvieuse, et le vent n'a n. cessé de souffler avec violence au N. O. Le naturel î)6 VOYAGE 1826. Octobre. 12. PI. XVIII. a passé gaiemenl son temps , buvant, mangeant et se chauffant au feu de la cuisine. Les matelots lui ont fait des cadeaux , et l'ont même habillé. Il a répondu avec intelligence aux questions qu'on kii a adressées, tant qu'elles ne l'ont pas ennuyé ; comme le premier naturel qui nous a visités , dès qu'on lui a montré un morceau d'ocre, il l'a nommé hoyel , et sur-le-champ il en a raclé avec l'ongle du pouce , puis nous l'avons vu, avec la poussière de cette substance recueillie dans le creux de sa main, se barbouiller le visage non sans quelque symétrie. Bien qu'il eûl témoigné le désir de retourner à terre , il s'était résigné d'assez bon cœur à passer une seconde nuit à bord; mais MM. Gaimard, Guilbert et Sainson m'ayant demandé à coucher sous la tente pour observer de plus près les manières des naturels , je profitai de cette circonstance pour le renvoyer avec eux , ce qui lui fit beaucoup de plai- sir. Les naturels continuent de se montrer très-paci- fiques , et l'on m'a appris qu'ils avaient déjà amené trois enfans au camp , preuve infaillible de leur con- fiance et de leurs bonnes dispositions. Vers neuf heures et demie du matin , accompagné de Lauvergne et de Simonet, je débarquai sur la longue plage de sable qui s'étend de la pointe des Patelles jusqu'au havre aux Huîtres, et me dirigeai vers les bois de l'intérieur; à un demi-mille du rivage, dans un lieu abrité des vents d'ouest, je rencontrai quelques huttes de sauvages. L'une d'elles, bien con- servée , offrait tout-à-fait l'apparence d'une ruche de trois ou quatre pieds de rayon coupée en deux par un DE L'ASTROL\BE. 97 plan vertical. De menues branches Tormaient sa char- ,Si6. pente, et des feuilles de Xanlhorrhœa la recouvraient «>i. xv. l'étendue et la fraîcheur de ces ombrages, j'y ren- 104 VOYAGE 1826. contrai peu d'oiseaux. Je suivais depuis quelque Octobre, temps uu Sentier assez battu, qui m'avait conduit à d'énormes blocs de granit arrondis et tout-k-fait dé- pouillés, quand je vis un gros kangarou s'élancer d'entre mes jambes , et s'enfuir rapidement en bondis- sant seulement sur ses jambes de derrière. Peu après, cinq naturels , dont deux à peine âgés de huit à dix ans, sortant des broussailles, se présentèrent tout- à-coup à mes yeux, en paraissant d'abord inquiets de nous voir en ces lieux. J'en conclus que leurs habita- tions et leurs femmes étaient peu éloignées ; sans af- fectation, sans paraître même beaucoup m'occuper d'eux , je continuai ma route du côté opposé , ce qui les tranquillisa bientôt. Ces sauvages ne font aucun cas de nos ustensiles , et vivent strictement au jour la journée , sans s'occu- per du lendemain. De tout ce que nous pouvions leur offrir, ils n'estimaient que le biscuit et la viande; en échange, ils donnaient volontiers leurs haches de pierre et leurs couteaux de quartz, quelque peine qu'ils eussent eue à les fabriquer. Dans ma promenade j'ai observé une espèce de Xanlhorrhœa *, remarquable par sa taille élevée de huit à dix pieds et ses épis nombreux, courts et raides. L'eau ne manque point dans ces bois ; le revers de la presqu'île de l'Aiguade, vers le nord, offre des * En parcourant à mou retour l'ouvrage du capitaine King , j'ai reconnu que c'était la même plante que M. Brown avait décrite sous le nom de Kingia anstralïs (R. Brown). Appendice de la Relation du Voyage du capitaine King, tome II, page 535. DE L'ASTROLABE. 105 étangs (l'eau douce , et alentour un sol noirâtre qu'il serait sans doute possible de cultiver avec succès. Du reste , la plupart des pâturages près de la mer ne sont guère composés que de joncées ou de restiacées, peu propres à la nourriture des bestiaux. Oclobie. Les deux baleinières anglaises sont revenues avec du poisson , des pétrels , des huîtres , un phoque fe- melle, un petit phalanger et quelques manchots bleus. Tout cela a été acquis pour la nourriture de l'équipage et pour l'histoire naturelle , moyennant un peu de poudre et du fil de caret. Les Anglais avaient à leur suite cinq Australiens, savoir : d'abord deux jeunes femmes de la terre de Van-Diémen, près du port Dal- rymple , toutes deux courtes , trapues , assez bien faites, mais avec des traits fort grossiers, le devant de la figure très-proéminent , et un teint noirâtre comme celles de Sydney. On ne peut rien prononcer sur la nature de leurs cheveux, car ils étaient coupés au ras de la tête. Une de ces femmes , assez intelligente, a 19- 106 VOYAGE 1826. donné à M. Gaimard un grand nombre de mots de son Octobre, langage. Deux autres individus , l'un mâle, l'autre fe- melle, âgés de dix-huit à vingt ans, proviennent du continent vis-à-vis l'île des Kangarous. Ceux-ci, pas- sablement proportionnés, ont un teint plus foncé, des traits réguliers , d'assez beaux yeux , et des che- veux noirs très-unis; ils sont loin d'être repoussans comme la plupart des indigènes de l'Australie, et sem- blent appartenir à une race moins dégradée. Enfin une petite fille de huit ou neuf ans, provenant du con- tinent vis-à-vis l'Ile Middle, semblait tenir le milieu, pour les traits et la constitution . entre ceux de l'ile aux Kangarous et ceux du port du Roi-Georges. Tous ces individus vivent depuis plusieurs années avec les Anglais , excepté la petite fille qu'ils n'ont que depuis sept mois. Je ne me lassais point d'admirer la bizarre réunion de ces misérables mortels, si différens d'origine et d'éducation, que le hasard s'était néanmoins plu à rassembler pour les soumettre à une existence aussi chétive, aussi précaire!... Leurs deux barques com- posaient toute leur fortune , c'était sur elles que repo- sait toute leur puissance; la perte de ces chétifs canots eût rendu la condition de ces malheureux cent fois pire que celle des sauvages mêmes de ces contrées. M. Guilbert a profité d'un temps plus beau que de coutume, pour travailler avec ardeur au plan du havre aux Huîtres. Un des Anglais a été retenu à bord , avec ses chiens, pour accompagner demain nos chasseurs à la chasse aux kangarous ; attendu que les DE L'ASTROLABE. 107 naturalistes paraissaient attacher un vif intérêt à pos- séder au moins un de ces animaux c M. Lottin, parti dès le point du jour dans la yole avec M. Faraguet, a reconnu Break-Sea, Michael- Mas et la côte voisine, en sondant avec soin tout cet espace, et n'est rentré qu'à huit heures du soir. 3IM. Gressien , Guilbert , Gaimard et Sainson , débarqués aussi dès le point du jour, avec l'Anglais et ses chiens, pour chasser le kangarou, ont poussé leur course jusqu'à la rivière des Anglais. Ils sont 1826. 20 octobre. rentrés à cinq heures, très-fatigués, sans avoir tué ni forcé aucun de ces animaux , bien qu'ils en aient fait lever cinq. Nos chasseurs croyaient avoir remonté la rivière au-delà du point où nous étions arrêtés di- manche dernier , et n'avaient presque pas vu d'oiseaux sur leur route. Après mon déjeuner, accompagné de Lauvergne et de Simonet, j'ai moi-même mis pied à terre en tête de la grande plage -, après avoir indiqué aux charpentiers tO^^5-— 1826. A onze heures vingt minutes du matin, la yole est 2 5 octobre, partie sous les ordres de M. Guilbert pour faire une ligne de sonde entre la terre ferme et file Michaelmas; et , quelques minutes après , la corvette elle-même a mis sous voiles avec un temps couvert et une forte brise d'O. S. O.; elle a couru trois bords en dérivant sous le petit soc et la voile d'étai de cape pour multi- plier les sondes de la rade , puis elle a laissé porter entre les deux îles de Break-Sea et Michaelmas. Le canal qu'elles forment n'a pas plus de six cents toises de large, mais il est tj^ès-sain ; d'ailleurs la côte des deux îles est si acore, que l'on ne rencontre pas moins de soixante à quatre-vingt brasses presqu'k toucher terre. A deux heures nous reprîmes la yole qui nous attendait à Tabri de Break-Sea , puis nous fîmes route au S. E. V4 S. Bientôt le vent refusa jusqu'au S. S. O. en fraîchissant et soulevant une grosse mer qui nous ir. DE L'ASTROLABE. 117 força de laisser porter jusqu'au S. E. situation de son bassin et à'son éloignement des forts vents du large. En hiver le contraire doit avoir lieu. 1 7. Au point du jour je me suis embarqué dans le grand canot avec MM. Quoy, Gaimard, Lesson et Gressien, et me suis dirigé cette fois vers la pointe des Sables , sur la côte occidentale de la baie. Là, le débarque- ment s'opère facilement le long d'une belle plage de sable que bordent des dunes peu élevées et couvertes d'arbres divers. Au moment où nous accostions, un phoque de grande taille prenait ses ébats à vingt-cinq pas de la mer, et nos Anglais tentèrent de le cerner; mais il fut plus fm qu'eux, et regagna l'eau avant qu'ils eussent pu le joindre. Nous parcourûmes en tout sens cette langue de terre. Hambilton et Symons avec un de leurs cama- rades de Westei'n s'attachèrent surtout à la chasse des kangarous ; mais tous leurs efforts furent infructueux, DE L'ASTROLABE. 135 bien que ces animaux soient assez nombreux sur ce iSaC. point , et que les chasseurs fussent aidés par un bon Novembre. chien. M. Gaimard, qui les suivit long-temps , rencontra un cours d'eau qui lui sembla appartenir à une rivière, quoique Teau soit encore saumâtre , et il observa des vestiges récens de la présence des naturels. Pour moi, je ne vis que quelques kangarous et des oiseaux en plus petit nombre qu a la passe de l'Est. Mais je m'y promenai avec le pkis vif plaisir, car le terrain bien dégagé offre les accidens les plus agréa- bles. Tantôt ce sont de beaux massifs d'arbres faciles à pénétrer, tantôt d immenses clairières couvertes de pelouses charmantes avec de petits sentiers bien battus, et le passage des uns aux autres est le plus souvent si régulier, si bien tranché , qu'on a peine à concevoir comment cela peut avoir lieu sans le tra- vail des hommes. Cette disposition naturelle dans la végétation m'avait souvent frappé dans les forêts vierges du Brésil , du Chili , des îles de la mer du sud; cependant nulle part elle ne s'était offerte à mes re- gards aussi fréquemment et avec une symétrie aussi parfaite que dans celte promenade. A six heures nous quittâmes le rivage , à huit heures trente minutes nous fumes de retour à bord , après avoir reçu un fort grain de pluie qui nous trempa jusqu'à la peau. Il est arrivé dans la journée de tous côtés une im- mense quantité de phasianelles , et la drague jetée le long du bord a rapporté une foule de térébratules la 136 VOYAGE 1826. plupart vides. Un petit nombre, seulement, otlrent encore l'animal. 18 novembre. Mon intention était de mettre à la voile aujourd'hui, mais un temps très-couvert et pluvieux m'a décidé à différer le départjusqu'au lendemain. On s'est contenté en conséquence de relever l'ancre de bâbord et de ^ rester sur quarante brasses de tribord. Le grand canot fut à la pêche , et ne rapporta que peu de poisson, car les marées gênent beaucoup en entraînant et renversant à chaque instant la seine avant qu'on puisse la retirer. Les trois Anglais, Hambilton, Cloney et Symons, sont partis avec leurs confrères de terre , pour aller chasser des phoques sur l'île Seal près le cap Grant ; et ils ont rapporté un phoque adulte et une douzaine d'autres encore tout jeunes. Deux de ces derniers seulement ont été réservés pour l'histoire naturelle. A sept heures du soir, le vent a passé au S. E. avec des éclairs très-vifs , et de fréquens coups de tonnerre, suivis d'une averse abondante qui a été continuelle jusqu'à minuit ; il a passé aussi quelques raffales de vent , mais de peu de durée. Si l'on fait attention au petit nombre de jours qu'il nous a été possible de donner à cette relâche , on con- viendra sans doute qu ils ont été bien mis à profit. En effet, dans un si court espace de temps, le plan de toute la partie de la baie , comprise entre l'île des Français et l'île Phillip , a été levé en détail , comme celui des deux passes de l'Est et de l'Ouest, et celui-ci a été sondé dans toute son étendue avec un soin particulier. On a DE L'ASTROLABK. 137 répété toutes les observations d'astronomie, de phy- 1826. sique et d'histoire naturelle; cette dernière science i^o^embre. s'est enrichie d'une foule de matériaux très-inté- ressans. Sous les rapports nautiques, Port-Western est du plus grand intérêt. En effet il offre un mouillage aussi facile à prendre qu'à quitter, et, par cette double raison, infiniment supérieur à celui du port Dalrymple. La tenue en est excellente , le bois abondant et facile à faire. En un mot dès qu'on aura découvert une aiguade commode (et elle se trouvera probablement), ce sera un point de relâche très-important dans un détroit comme celui de Bass , où les vents soufflent souvent avec fureur d'un même côté durant plusieurs jours de suite, et où les courans peuvent rendre la navigation dangereuse dans ces sortes de circonstances. La latitude de l'observatoire à Port- Western a été de 38° 27' 40" S. , résultat de plusieurs hauteurs cir- cum-méridiennes du soleil. La longitude de 142« 56' 8" E. , en prenant la moyenne de celles données par les montres , avec les marches de départ et d'arrivée , et la variation de l'ai- guille aimantée ( moyenne de 40 azimuts), de 7" 53' 51"N.E. 138 VOYAGE CHAPITRE VIIL DE PORT-WESTERN A PORT-JACRSOIf ET SEJOUR EN CE PORT. 1826. Le temps a été pluvieux et couvert durant la nuit, 19 novembre, ^vec le vcnt à l'O. N. O., c'est-à-dire directement con- traire. Cependant la corvette a mis sous voiles à quatre heures cinquante minutes du matin ; nous avons couru des bordées dans la passe entre Tile Phillip et les bri- sans , et soutenus par le jusant nous nous sommes assez promptement élevés. Je comptais même sortir avec la marée , lorsqu'à neuf hernies le vent qui avait molli a varié au S. S. O. et au S. S. E. Nous n'étions plus alors qu'à trois milles environ de l'entrée du port, et, craignant d'être renvoyé au dedans par le flot qui commençait à se déclarer, je laissai tomber l'ancre à mi-chenal par dix brasses sable et gravier. En prolongeant la dernière bordée vers la côte de l'ouest pour mouiller, il y a eu un instant où la sonde, après avoir rapporté régulièrement quinze , seize et dix-sept brasses de fond , n'a donné que sept et six brasses , sur le prolongement du banc qui partage ce DE L'ASTROLABE. 139 chenal en deux dans le sens de sa longueur. Dans les 1826. gros temps elles fortes marées, il serait possible que Novembre. de basse mer cet endroit fût dangereux, et il serait bon de s'en défier. De la station que nous occupions , nous avions la vue complète des deux cotes , et celle de l'ouest offrait surtout de superbes massifs d'arbres avec de jolis tapis de verdure. Cette partie du continent , plus qu'aucune de celles que j'avais jusqu'alors visitées, annonce un sol fécond et une végétation vigoureuse. J'avais envoyé M. Guilbert sonder à un demi-mille de distance tout autour du navire ; il n'a pas trouvé moins de huit brasses de fond , malgré ce que m'a- vaient affirmé Hambilton et Symons , qui me dissua- daient de mouiller en cet endroit, assurant qu'il était semé d'écueds et de hauts-fonds. . * Au mouillage , on a pris une foule de petits squales , dont un appartenait à l'espèce à sept branchies. A quatre heures du soir la mer étant étale, et la brise ayant repris au S . S . O . , nous avons remis à la voile , et trois bordées nous ont suffi pour nous porter hors des pointes, sous des torrens de pluie. Le ciel s'est dégagé dans la nuit, le vent s'est établi à l'O. S. O. , et nous avons gouverné au S. ^/^ S. E. Au point du jour nous avons aperçu les hautes terres 20. du promontoire de Wilson dans le N. E. ^/^ E., et peu après l'ile élevée de Redondo. J'ai mis le cap à TE. V4 N. E. en forçant de voiles, et une forte brise d'O. N. O. nous a rapidement rapprochés de terre. 1 40 VOYAGE 1826. Frappé des différences qu'offrent les cartes de Novembre. ^ Frcycinet et celles de Flinders, pour cette partie du détroit, j'ai voulu mettre notre passage à profit pour éclaircir ce point de géographie; ainsi chargeant M. Gressien de ce travail, j'ai dii'igé la route de ma- nière à prolonger de très-près toutes ces petites îles , et à reconnaître néanmoins les dangereux écueils du Crocodile. A neuf heures nous avons mis en panne à trois milles au sud de Redondo , îlot conique , de toutes parts escarpé à sa base , et couvert d'une végétation Irès-active. De là nous n'avons pu voir le Ci'ocodile, bien que Flinders ne le place qu'à six milles au S. E. de Redondo. Je désespérais même de pouvoir le si- gnaler, à cause d'une brise forcée d'O. N. O. et d'une grosse mer, qui ne m'eussent pas permis d'en faire une plus ample recherche , lorsqu'à neuf heures trente minutes, M. Dudemaine et Hambilton l'aper- çurent des hunes à quatre milles environ du bord dans la direction des îles Curtis , ce qui le renvoie presque à mi-distance de ces îles à Redondo. Du reste, des relèvemens exacts pris sur cet écueil l'ont placé d'une manière précise. Il est d'autant plus à redouter, qu'on ne le voit briser qu'à de longs intervalles, et que , par une mer calme , on ne doit rien distinguer du tout. Les deux îles Moncur ne sont que des rochers iso- lés et parfaitement nus , ainsi que ceux de Devil's- Tower; du reste, tout porte à croire qu'il y a grand fond à loucher ces îles. DE LASÏUOLABE. 141 A midi nous fîmes une seconde station à six milles 1826. environ dans Touest de la pointe sud d'Hooan's- Novembre. Group, ayant alors Redondo et Moncur directement à Touest du monde. Nos observations pour Redondo s'accordent très- bien avec celles de Flinders, et en diffèrent peu pour lés autres iles , tandis qu'elles ont moins de rapport avec la carte de l'expédition Baudin. Nous doublâmes au vent et à six ou sept milles de distance le groupe d'Hogan. Ces iles , au nombre de six ou sept, sont élevées, et les plus grandes sont boi- sées et paraissent habitables. Au rapport d'Ham- bilton , il y aurait un bon mouillage pour les vents d'ouest. Dans le lointain on distinguait assez claire- ment les terres du groupe plus considérable de Kent. Mais à deux heures trente minutes après midi, nous avons mis le cap à l'E. N. E., fdantcinq ou six nœuds. Le ciel s'est chargé, nous avons eu des grains, et toutes les terres et les iles du détroit ont bientôt dis- paru entièrement. Il a fait calme dans l'après-midi , nous avons sondé ar. et trouvé cent soixante-quinze brasses , sable fin et vaseux. A cette profondeur, le thermométrograplie, qui donnait à l'air 15°, 5, n'a descendu que de 1», 5, différence très-peu considérable entre les tempéra- tures de la surface, et d'un fond de près de neuf cents pieds. Le cylindre n'avait pris qu'un demi-verre d'eau. Ce soir on a commencé à discerner les montagnes qui dominent Ram-Head dans le N. N. 0., à douze à quinze lieues de distance. 142 VOYAGE 1826. Le calme a persisté avec de folles brises en tout 22 novembre, gens. On a Fcvu Ics liauteurs de Ram-Head; et, après midi , le ciel s'étant dégagé , nous avons parfaitement distingué la chaîne des hautes montagnes qui se diri- gent de ce promontoire vers celui de Wilson en sui- vant la cote. Comme une distance de vingt à vingt- cinq lieues environ nous séparait de cette côte , nous devons en conclure qu'elle est d'une grande élévation , et bien supérieure à toutes celles qui ont été obser- vées sur tous les autres points de cette grande terre. Nombre de grosses méduses roses et violettes n'ont cessé de flotter entre deux eaux. Les deux journées suivantes n'ont encore offert que des alternatives de calmes ou de brises légères et in- certaines, avec un temps superbe et une mer très- 24- belle. Cependant, le 24, nous avons réussi à nous rapprocher du cap Howe, et, de six à sept heures du soir, nous prolongeâmes à quatre ou cinq milles de distance la petite île basse qui accompagne ce pro- montoire. Le cap lui-même n'offre qu'une plage sablonneuse dominée à quelque distance du rivage par des pitons très-élevés et couronnés de bois. Sur la partie delà côte qui suit vers le nord , on voit de grands espaces de sables dénués de toute végétation. Tout le jour les terres de l'intérieur sont restées enveloppées d'im- menses tourbillons de fumée occasionés, sans doute, par les embrasemens habituels des sauvages. Les violens clapotis qui ont agité la mer aujour- d'hui , surtout dans la soirée , annoncent qu'il doit DE L'ASTROLABE. 143 exister près du cap Howe de forts courans. Tant que 1826. Pile du Cap nous est restée au nord, ils m'ont semljlé Novembre. porter au sud , et le contraire a eu lieu dès qu'elle a été doublée. Nous avions fait quelque route durant la nuit , à 25. l'aide d'une faible brise de S. : mais au jour il a fait calme , et une brume épaisse nous dérobait toute vue déterre. Vers neuf heures trente minutes, une petite brise de S. O. nous a permis de gouverner au N. O., et à midi nous avons reconnu l'entrée delà baie Tvvofold à sept ou huit milles dans le S. O. Depuis ce moment V Astrolabe a prolongé la côte à trois milles de distance pour en faire la géographie; M . Guilbert a été chargé de ce travail. Tout le développement compris depuis la baie Twofold jusqu'à une pointe voisine du mont Droma- daire court assez uniformément N. et S., sans aucun accident remarquable. En général elle est formée par une belle plage de sable , dont la monotonie n'est in- terrompue çà et là que par quelques mornes peu saillans. Le sol, à l'intérieur, couvert de beaux arbres, et tapissé d'une pelouse verdoyante, présente un coup-d'œil très-gracieux. Sous les flancs même du mont Dromadaire, on remarque des sites charmans ; la vue de ces délicieux ombrages , qui renouvelaient pour nous le supplice de Tantale , nous faisait en- core ressentir plus vivement les ennuis de notre prison flottante. Ce mont , par sa forme et son isolement , a quelque chose d'imposant , bien que son élévation n'ait rien 144 VOYAGE 1826, d'extraordinaire, puisque je l'estime à quatre ou cinq Novembre, ^eutS toiseS aU pluS. A cinq heures quarante-cinq minutes du soir, nous étions parvenus entre la pointe du Dromadaire et l'île Montagne que je comptais doubler en peu de temps, quand le calme vint me surprendre à moins de deux milles de terre. La nuit arriva, et, crai- gnant d'être contrarié par le courant, je me préparais déjà à mouiller en pleine côte par dix-neuf brasses , sable fm, quand une petite fraîcheur d'O. N. O. me permit de gouverner lentement vers le large ; nous doublâmes l'île Montagne, et à dix heures nous en étions à trois milles environ au S. La drague fut jetée et retirée plusieurs fois ; parmi divers objets curieux, M. Quoy trouva enlin une pe- tite trigonie vivante , coquille qu'il cherchait depuis long-temps à cet état, et dont il n'avait pu se pro- curer que des valves sépai^ées à Port- Western. A la nuit nous avons aperçu distinctement la lumière des feux dont la fumée seule était visible durant le jour. Un d'eux, établi à peu de dislance de la cime du Dromadaire, semblait un fanal allumé tout exprès pour nous guider dans notre navigation. 26. A trois heures du matin, M. Gressien, qui comman- dait le quart, ayant cru distinguer la terre, et en- tendre le bruit des brisans sur l'avant , je fis venir de deux quarts sur tribord : mais ce ne pouvait être qu'une illusion , car la côte en ce moment devait se trouver à deux ou trois lieues de distance au moins. Au jour, une brume très-intense nous cacha entière- DE L'ASTROLABE. 145 ment les terres; ce ne lut qu'après avoir long-temps 1826. couru au N. N. O . , et même au N. O. , que nous pûmes Novembre. les revoir vers midi , aux environs du cap Saint- Georges. Je me disposais à en reprendre l'exploration, quand le vent sauta subitement du O. N. O. au S. S. E. et au S. E. ; à une heure trente minutes il était déjà à TE. La corvette se trouvait alors précisément vis- à-vis l'entrée de la baie Jervis, à moins d'une lieue de distance. Plutôt que de m'exposer à lutter péni- blement contre des vents peu favorables , convaincu d'ailleurs que , dans une campagne du genre de la nôtre , ?e temps que l'on passe au mouillage est tou- jours bien plus utilement em})loyé que celui qu'il faut consommer sans fruit h la mer , je me décidai à con- duire V Aalrolabe dans cette baie encore si peu connue. A deux heures trente minutes nous étions par le travers du cap perpendiculaire, et peu après nous filions rapidement devant Tile Boswen , dont les flancs, taillés à pic et garnis de cordons horizontaux, imitent admirablement les murailles d'une immense pi. xxii. citadelle. Après l'avoir doublée, je laissai porter vers la partie méridionale de la baie ; à trois heures je laissai tomber l'ancre de tribord par neuf brasses , sable fm et coquilles , à trois encablures de la plage. Médiocrement ondulé et de toutes parts revêtu de p1- ^xv. beaux arbres , le rivage nous offrait le coup-d'œil le plus pittoresque. Plusieurs fumées nous indiquaient aussi la présence des naturels ; nous ne tardâmes pas à en voir paraître cinq vis-à-vis de la corvette, TOME I. 10 146 VOYAGE 1826. avec (les poissons à la main , qui semblaient attendre Novembre. j^Qtre arrivée à terre. MM. Jacquinot et Lottin allèrent sur-le-champ ob- server des angles horaires , et communiquèrent avec ces indigènes ; quelques-uns baragouinaient quelques mots anglais ; tous témoignèrent les dispositions les plus amicales. L'un d'eux a couché à bord. Près du mouillage, une roche s'avançait en saillie dans la mer, plane en dessus et percée d'une large ouverture, imitant parfaitement les ruines d'un aque- duc. Notre observatoire se trouva naturellement éta- bli sur cette plate-forme. Après mon diner je descendis à terre, où je passai la soirée à chasser , et à me promener avec délices au travers de ces majestueuses forêts. Jamais en- core je n'avais rencontré d'aussi beaux eucalyptus et un terrain aussi dégagé. La fougère seule règne quelquefois sous ces vastes ombrages, et sur les bords d'un torrent, qui pourrait offrir une aiguade en cas de besoin , croissent d'énormes touffes de Todea. Du reste , la végétation , peu variée , est représentée par les mêmes espèces qu'à Sydney, ressemblance toute naturelle. Les officiers et les naturalistes sont aussi descendus à terre; dans la soirée, deux heures de relâche à Jervis-Bay avaient déjà suffi pour enrichir singuliè- rement la mission en tout genre. 27. Au point du jour, M. Gressien dans la baleinière, MM. Guilbert et Dudemaine dans la yole, et M. Paris avec le bot, sont partis pour ti*availler de concert au DE L'ASTROLABE. 147 plan de la baie, tandis que MM. Jacquinot et Lottin 1826. s'occupaient des observations astronomiques. Novembre. J'ai encore fait une excursion dans les bois avec Simonet ; j'ai admiré de nouveau la beauté des euca- lyptus, et j'ai tué quelques oiseaux; mais les plantes et les insectes n'ont guère répondu à l'espoir que fait naître au premier abord l'aspect de ces beaux lieux. Du reste, la rareté des unes et des autres doit tenir en grande partie à ces fréquens embrasemens opérés par les naturels , qui détruisent sans doute chaque année de nombreuses espèces de plantes et d'insectes. Nos relations avec les sauvages de ce point con- tinuent d'être amicales ; cependant nous n'avons vu que des hommes de cette tribu , au nombre de sept, et deux enfans de huit à dix ans; les femmes sont restées cachées. Ces Australiens appartiennent évidemment au même type que ceux de Port- Jack- son ; mais ils sont moins laids , plus vigoureux , et surtout mieux proportionnés , avantage qui tient pro- bablement à une plus grande abondance de nour- ritui'e. Plusieurs ont un tatouage en cicatrices sur le dos , la cloison du nez percée , et les cheveux disposés en petites mèches ornés de dents ou de griffes de kangarous. Le vent a soufflé bon frais du nord , et m'a em- 28. pêche de remettre à la voile. Aussi tous les officiers ont été autorisés à descendre à terre , sous la con- dition seulement de ne point s'écarter, et de rallier promptement au premier coup de canon. Moi-même j'ai voulu encore une fois explorer ce 10* 148 VOYAGE 1826. pays, qui m'a semblé de plus en plus agréable et fer- Novembre. jj|g ^ }j^ g^ife Jes grands bois d'eucalyptus dont j'ai déjà parlé, se trouvent de belles clairières entière- ment dégagées de broussailles; j'ai remarqué que ces dernières localités offrent encore moins d'oiseaux et d'insectes que les forêts. Dans celles-ci certains espaces brûlés se sont recouverts de tapis d'une herbe verte et très-tendre ; cette végétation semble annoncer que nos céréales et nos légumes d'Europe pourraient également croître en abondance sur le sol de ces forêts. " j Les rochers de la côte nous ont offert de petites huîtres à bords plissés, fort bonnes à manger, des moules chevelues , et dans le sable se trouve une antre espèce d'huître plus grande et plus succulente. Sur cette rade, la pêche est singulièrement abondante ; un seul coup de seine rapporta une immense quantité de poisson ; aussi les naturels , émerveillés d'un spec- p). XXXIV. tacle si nouveau pour eux , se livrèrent aux dé- monstrations de la joie la plus extravagante. Quand ils virent surtout que les matelots leur abandonnaient plusieurs espèces peu délicates, comme les squales, les balistes , etc. , ils poussèrent des cris d'allégresse si perçans, que, du bord où je les entendais, je craignis qu'il ne fût arrivé quelque événement malheureux. Chaque jour deux hommes allaient dans le bot, pêcher à la ligne sous l'île Boswen , et revenaient le soir avec deux quintaux du plus beau poisson et de la qualité la plus exquise. Durant notre court séjour nous avons joui sur DE L'ASTROLABE. U9 cette rade d'une température délicieuse et d'un air iSiG. pur et très-salubre. Ces divers avantages réunis me Novembre. portent à croire que peu de mouillages méritent d'être comparés h celui-ci pour ragrément et la sécurité. Sans doute si les Anglais ont jusqu'à présent né- gligé une station si intéressante et si bien à portée de leur principal établissement de Port-Jackson, c'est qu'une foule de points leur offrent des ressour- ces d'une autre nature et qu'ils ne sont arrêtés que par l'embarras du choix. Avant de terminer ce que j'ai à dire de la baie Jervis, je dois mentionner deux huttes de sauvages établies près de notre observatoire. Leur forme élait celle d'une ruche oblongue de six à sept pieds de hauteur ; elles étaient construites en larges bandes d'écorces d'eucalyptus posées debout, l'approchées au sommet, et recouvertes de gramens et de feuilles de zostera. Propres et spacieuses à l'intérieur, cha- cune pouvait recevoir facilement une famille de huit à dix individus , et annonçait, de la part des sauvages, un degré d'intelligence supérieur à tout ce que je connaissais. Nous avons vu des esquisses de cutters et de chaloupes de lenr façon sur les rochers de grès à la côte, assez bien tracées. M. Loltin, qui avait oublié entre leurs mains une rèffle en bois de nover, la retrouva le lendemain enrichie de semblables des- sins. Dans leurs relations avec nous ils n'ont cessé de montrer réunies , une probité , une douceur, et même une circonspection très-remarquables pour cette classe d'hommes. Pas un d'eux n'a lenié le moindre lôO VOYAGE 1826. larcin , et c'est avec plaisir que nous rendons une jus- Novembre. ^^çç, complète à Icur excellente conduite. Notre observatoire était placé par 35° 8' 27" lat. S. , résultant de deux séries de hauteurs circum-méri- diennes, et 1 48« 22' 55" longitude E. , rapportée à Port- Jackson , et déduite des marches de départ et d'arri- vée, qui n'avaient point varié sensiblement dans l'espace de quatre jours. La déclinaison de l'aiguille aimantée (moyenne de 3 azimuts) s'est trouvée de 9° 38' 23" N. E. -9- A huit heures du matin nous avons appareillé avec une petite brise de S. S. O. et de S. et un temps couvert. Près du goulet , nous avons mis en panne pour embarquer la yole qui depuis trois heures pé- chait sous l'île Boswen, et avait déjà pris plus de deux cents livres d'excellent poisson. Nous éprou- vâmes quelque peine à doubler le cap perpendiculaire, avec un vent mou , un courant contraire et une houle de sud assez creuse. Puis nous prolongeâmes la côte , à trois ou quatre milles de distance, jusqu'à Crook- Haven. Ce n'est qu'une longue falaise abrupte , très- élevée, et contre laquelle un navire forcé par le vent périrait infailliblement corps et biens. Au-delà, la cote s'abaisse en s'enfonçant à l'ouest et se dessine sous des formes moins sévères , car ce sont de belles plages bien boisées sur leurs bords , et dominées par des montagnes en pente douce couronnées de la plus belle végétation. Près de la côte , un morne isolé semblable au mont Dromadaiie, mais moins élevé, offre comme lui un DE L'ASTROLABE. 151 poinl de reconnaissance utile. A peu de distance is^g. • dans le sud de cette montagne , on distingue deux ou ^"^*^'"i^''^ trois coupures à la côte, qui doivent appartenir à des rivières ou à des bras de mer. C'est là qu'en etlet la carte de Flinders indique le cours d'un fleuve consi- dérable, mais j'ignore sur quelle autorité il s'est fondé. A dix heures nous nous trouvions par vingt-cincj brasses, sable fin. Vers midi l'horizon s'est tellement embrumé, qu'on ne distinguait aucune montagne de l'intérieur, quoique nous ne fussions qu'à quatre ou cinq milles de la cote. INous avons doublé la pointe Bass ; je comptais doubler aussi Red-Point avant la nuit, car nous voyions déjà très-clairement les cinq îles, à trois ou quatre lieues devant nous; mais le vent a varié à l'E. N. E., et il a fallu prendre la bordée du large. Nous distinguions en ce moment (à peu près cinq heures du soir) trois chevaux qui paissaient tranquillement dans un vert pâturage au bord de la mer; nous en avons conclu l'existence de quelque métairie dans ces en- virons. Le vent a soufflé toute la journée au N. N. E. et N., 3o. tantôt faible et variable , tantôt frais et avec de la houle; nous avons été réduits à courir des bords le long de la terre. A sept heures du matin nous nous sommes retrouvés à cinq milles sous le vent du point que nous avions quitté hier au soir ; à midi nous avons viré à trois lieues des cinq îles ; le soir, le vent a ren- forcé au nord avec des raffales et une mer déjà dure; nous avons pris le large. 152 VOYAGE iS'iG. Sur la lisière d'un bois voisin du pâturage où pais- Novembre. raient hier les trois chevaux , nous avons découvert une longue case construite en planche , comme le sont tous les établissemens que commencent les Anglais dans ces contrées. A neuf heures du soir, un brick-goëlette faisant i" décembre, routc au S. O. a été apcrçu à bonne distance dans le S. S. O. Le vent du nord a persisté , et nous avons forcé de voiles pour revoir la terre , dont une brume très- épaisse continue de nous dérober l'aspect. A onze heures le vent a sauté subitement du N. au S. O., et peu après au S., où il n'a pas tardé à souffler grand frais avec une grosse mer. A midi trente minutes nous avons reconnu la terre près de la pointe Bass, et nous l'avons désormais suivie à quatre ou cinq milles au plus. Près des cinq îles , nous avons aperçu un petit navire qui semblait courir sur terre, mais qui, à notre vue, a fait vent arrière, et s'est mis dans nos eaux. Comme nous filions alors neuf nœuds , nous l'avons promptement perdu de vue dans la brume. A sept heures du soir, nous n'étions plus qu'à sept ou huit milles au sud du cap Soiander de Botany-Bay ; j'ai mis à la cape tribord amures , de peur de dépasser dans la nuit l'entrée de Port- Jackson. 2. Vers minuit le vent ayant un peu molli , nous avons commencé à apercevoir dans le nord le fanal de Port- Jackson qui est resté visible jusqu'au point du jour. Alors nous avons laissé porter, et suivi la côte à ud DE L'ASTROLABE. 153 mille de distance. A cinq heures trente minutes du 1826. matin , sous les falaises même du fanal , un coup de Décembre. canon a été tiré pour appeler le pilote , et à six heures pi. xxvi et xxvir. nous donnions déjà dans le goulet , quand nous avons aperçu son bateau. Je Fai bientôt reconnu pour le même Siddins qui avait entré la Coquille , homme honnête et intelligent , et marin expérimenté , qui a beaucoup navigué sur les côtes de la Nouvelle-Zélande, aux îles Fidji et au détroit de Torrès. Il a conduit la corvette ; en quelques bords et à l'aide de la marée , nous nous sommes trouvés de- vant la magnifique habitation du capitaine Piper, où nous avons mis en panne pour l'attendre, suivant les réglemens du port. Il est bientôt arrivé h bord, m'a comblé d'amitiés et d'offres de service, et m'a invité aujourd'hui même à diner, ainsi que MM . Jacqui- not et Lottin. A sept heures quarante-deux minutes nous avons mouillé près le fort Macquarie , par cinq brasses et demie, au même endroit où nous nous trouvions avec la Coquille , trente-trois mois pi. xxviir. auparavant. 154 VOYAGE 1826. Nous avons trouvé en rade le vaisseau de ligne de Décembre. 74^ /g fVav spite ^ Commande par le commodore sir James Brisbane, dangereusement malade de la dy- senterie , et les corvettes le Volage et le Success^ ca- pitaines Dundas fils de lord Melville, et Stirling. Ces deux derniers n'ont pas tardé à me venir rendre visite et à m'offrir très-obligeamment leurs services. Le premier n'a guère que vingt-cinq ans , et l'autre en a à peine trente-cinq ; du reste ce sont deux officiers d'un excellent ton , et auxquels on accorde générale- ment beaucoup de mérite. A une heure, accompagné de plusieurs personnes pi. XXIX. de l'état-raajor, je fus rendre visite au gouverneur, le major-général Dariing, homme âgé, d'une politesse assez froide, et qui me promit cependant ses bons offices pour tout ce qui dépendrait de son pouvoir. M'ayant adressé quelques questions au sujet de notre navigation , il parut étonné des diverses relâches que je venais de faire sans pilote, sur plusieins points de la Nouvelle-Hollande; il me témoigna surtout beau- coup d'inquiétude de ce que nous n'avions pas eu connaissance à Port- Western, ni dans le détroit de Bass , du brick qui était parti de Port-Jackson dans les premiers jours de novembre, pour y fonder une nouvelle colonie, ainsi qu'au port du Roi-Georges. Je vis ensuite plusieurs autres personnes en place, et partout je reçus l'accueil le plus obligeant ; je terminai ces visites par les capitaines qui comman- daient les bâtimens de guerre en rade. J'admirai leur bonne tenue et leur extrême propreté , surtout le DE L'ASTROLABE. 155 raffinement de luxe qui distinguait la corvette le Fo- 1826. / Dccembi-e. Je ni étais flatté de l'espoir de trouver ici un ancien ami, M. Cunningham, botaniste aussi instruit que zélé, et voyageur infatigable ; mais il était parti depuis trois mois pour explorer la Nouvelle-Zélande. Son absence m'affligea d'autant plus en cette occasion , qu'elle me privait à la fois d'une société agréable et des matériaux intéressans dont il eût sans doute en- ricbi la mission de l'Astiolabe. Dès le premier abord nous avons vu avec une es- pèce d'admiration combien la ville s'était accrue et embellie depuis trois ans seulement. Toute la journée a été consacrée au repos; une 3. partie de l'équipage a obtenu la permission de se pro- mener dans la ville. Je suis allé faire un tour au jardin des plantes toujours dirigé par M. Frazier, et tenu avec un soin remarquable. J'ai rencontré le capitaine Simpson avec qui j'ai eu une assez longue conver- sation. Il a commandé long-temps la station de Wel- lington dans l'intérieur, à peu près à deux cent cin- quante milles de Sydney, et ne l'a quittée que depuis six mois. J'ai su de lui que cet établissement prospérait peu en ce moment, et qu'il n'y avait plus que soixante convicts. Ce n'est pas que la terre n'y soit fertile et la campagne agréable , mais cette position est trop éloi- gnée de Sydney et des autres lieux habités dans l'état actuel de la colonie. Je me suis transporté dans l'arsenal oùje n'ai trouvé 4. que fort peu de secours , à cause de la présence des 1Ô6 VOYAGE 1826. trois bâtimens de guerre qui ont absorbé tous ses Décembre, nioyeus. Poiut de calfats , point de pontons, ni de ma- gasins disponibles. En outre, M. Nicholson, master- atteîidanl^ setrouvaitabsent,etsonsecond, M. Norry, store-keeper^ n'osait lien prendre sur lui. D'après ce que j'ai observé à bord d'un bâtiment de quatre cents tonneaux de plus grande dimension que l'Astrolabe et dont les ancres étaient de la même force que les nôtres , je me suis assuré que des cbaînes de douze lignes sont précisément celles qui nous con- viennent. M. Wemyss, commissaire-général, m'en a montré trois de ce diamètre dans les magasins du gou- vernement; mais il lui faut le consentement du gou- verneur pour me les céder, et je lui ai écrit à cet effet. Le capitaine Stirling, chez qui j'ai dîné , m'a appris qu'il devait partir dans deux mois pour la nouvelle co- lonie de Melville , et qu'il était question de la trans- férer sur la presqu'île de Cobourg dont le sol semblait plus favorable à un pareil établissement. 5. La chaloupe est allée faire de l'eau à Vaucluse près de l'habitation de M. Piper, où elle a pu remplir promptement quatre tonneaux d'eau d'mie ' assez bonne qualité, quoiqu'un peu trouble. Nous avons embarqué six milles kilogrammes de biscuit pris dans les magasins de l'Etat. C'est du biscuit d'Angleterre, déjà couvert de petits charançons du genre Calandra ; mais tel qu'il est , je le préfère encore à celui que nous prîmes dans le dernier voyage , et qui avait été con- fectionné dans la colonie. En moins de deux mois il se \ trouva gâté , soit que les boulangers de Sydney ne DE L'ASTROLABE. 157 connussent pas encore le moyen de faire de bon bis- 1826, cuit de campagne, ou, ce qui est plus probable, Décembre. qu'ils n'eussent pas eu de scrupule de nous fournir du biscuit de mauvaise qualité, sûrs de n'avoir pas à craindre de réclamations de notre part. Les calfats , en travaillant à l'extérieur du navire, 6. ont reconnu qu'un des bordages à tribord était entiè- rement pourri , ce qui donnait de l'eau dans la soute aux biscuits ; sur-le-champ on s'est occupé de le dé- livrer et de le remplacer. Tous les habitans de la colonie sont très-intrigués des relâches que j'ai faites sur divers points de la Nou- velle-Hollande. Quelques-uns pensent que j'ai la mis- sion de chercher un lieu propre h établir une colonie dans le genre de Port-Jackson ; un journal s'est avancé jusqu'à annoncer que r^Jsf/ola/?e avait planté le pavillon français dans les ports du Roi-Georges et de Western. Nous avons embarqué les légumes , le tabac et le 7- sel. La réponse équivoque du gouverneur à la de- mande que je lui ai faite, pour le prier de me céder deux chaines-càbles, me laisse à peine entrevoir la pos- sibilité d'en obtenir une seule. Dans la crainte de perdre en délais un temps précieux , et pénétré de la nécessité de me procurer ces objets indispensables , je conclus avec le capitaine du navire Regalia l'ac- quisition d'une chaîne de neuf lignes d'échantillon, moyennant cent soixante livres sterhng. Elle con- viendra parfaitement pour notre ancre moyenne, et, si le gouverneur ne veut pas m'accorder l'autre , je 158 VOYAGE 1826. suis décidé à l'acheter également k quelques-uns des capitaines sur rade. 8 décembre. Nous avous rcçu le rhum de campagne et la sa- laison. Le vent, ayant fraîchi au N. N. O., a porté l'arrière de la corvette à moins de vingt brasses de terre ; mais le havre est si bon et la tenue si forte , que nous n'avons rien à craindre. Le pilote Siddins m'a donné quelques renseigne- mens sur les iles Fidji , les mœurs et le langage des insulaires. La plupart des personnes que nous rencontrons ici nous parlent avec plaisir des relations qu'elles ont eues avec les officiers français de la Thétis et de V Es- pérance. Leur séjour à Sydney a été de deux mois et demi , et les habitans sont très-étonnés de ce que je ne veux pas m'y arrêter plus de quinze jours. 9- Le café , le sucre et le charbon de terre ont été em- barqués, et le travail des calfats à l'extérieur du na- vire terminé. 10. J'ai consacré tout ce jour à travailler à ma corres- pondance ; la pluie , qui tombe depuis quelque temps, commence à ranimer les plantes presque entière- ment consumées par une sécheresse absolue qui du- rait depuis plusieurs mois , et qui avait été suivie peu de jours avant notre arrivée d'un embrasement géné- ral de la campagne, causé par les feux des naturels. ir. Comme j'étais aujourd'hui invité à diner , ainsi que M. Gaimard, chez M. Scott, archidiacre de la co- lonie à Paramatta, nous avons accepté l'offre de M. Piper, qui nous a proposé sa voiture. Traînés par DE L'ASTROLABE. 159 quatre vigoureux chevaux, nous avons franchi en 1826. moins d\ine heure et demie les quinze milles qui se- Décembre. parent cette ville de Sydney. Aussitôt je suis allé rendre ma visite à M. Marsden, dont j'avais fait la connaissance lors de mon premier voyage. J'en ai reçu l'accueil le plus obligeant; avec toute la complaisance possible , il m'a donné d'utiles renseignemens sur la Nouvelle-Zélande et les îles des Amis. Il m'a cité les noms de quelques chefs du dé- troit de Cook qui ont vécu chez lui , notamment Tip- pahi, chef d'une ile dans le détroit, et Oroura, de la même tribu, qui parle un peu anglais. J'ai su par lui que décidément il n'existait point de missionnaires aux îles Fidji. A six heures M. Marsdern m'a conduit lui-même, dans son char-à-banc, chez M. Scott, qui habite une jolie campagne près Paramatta. Après le dîner, M. Pi- per nous ayant ramenés à Sydney, à onze heures trente minutes du soir nous étions de retour à bord. J'ai trouvé Paramatta peu changé, ou beaucoup pi. xxxni. moins en proportion que Sydney. Cette ville compte maintenant trois mille habitans, suivant M. Marsden. Il V a aujourd'hui un chapelain à Bathurst. Ce soir je me suis promené deux heures dans ces jolis 12. bosquets, qui ont pris le nom de ftiadame Macquarie, p'- ^^^• avec M. de Rossi, chef de la police à Sydney, frère d'un des officiers supérieurs de notre marine. Il m'a dit qu'il n'estimait encore qu'à cinquante mille âmes la population anglaise de la Nouvelle-Galles du sud. Maintenant les convicts qui arrivent d'Europe sont 160 VOYAGE 1826. distribués aux propriétaires libres sous certaines con- Décembre. (]it|ons , et ce u'est qu'au bout d'un temps Bxé qu'ils peuvent être admis à travailler pour leur propre compte. i3. Je reçois enfin une lettre de M. Mac-Leay, secré- taire du gouvernement , qui m'annonce que la chaîne est accordée. Aussitôt je donne l'ordre d'aller la prendre, et en même temps cinquante brasses de pe- tite chaîne pour la chaloupe. La grosse chaîne a un pouce d'échantillon et cent huit brasses de longueur; elle conviendra parfaitement à nos grosses ancres. Muni de ces objets précieux, désormais je vais entre- prendre, avec plus de confiance, les reconnaissances qui me sont imposées. Cependant je ne me dissimule pas que deux chaînes sont encore peu de chose ; il en faudrait au moins cinq ou six de diverses dimensions; c'est ce que m'écrivait avant mon départ l'habile capitaine King, qui connaissait parfaitement les dan- gers de nos explorations. Du reste, nous ferons ce que nous pourrons avec ces faibles moyens, et par notre vigilance nous tâcherons de suppléer à ce qui nous manque. Après avoir dîné chez le gouverneur , je me suis entretenu quelque temps avec le capitaine Barlow, qui arrive de l'île Melville où il a commandé près de deux ans. Le pays en est aride , l'eau et le bois y sont très-rares ; les productions sont les mêmes qu'à Sydney. Il n'y a point de palmiers. Les alligators y sont fréquens, et atteignent quinze à dix-huit pieds de longueur. On jouit en général, dans l'île , d'un très- DE L'ASTROLABE. 161 beau temps, surtout en mai, juin, juillet et août. La iSaC. colonie ne comptait que cinquante soldats et une tren- Décembre. taine de convicts. Le capitaine pensait que les convicts resteraient encore toute cette année , et doutait même qu'ils dussent être transférés comme on me l'avait as- suré, et comme je l'avais lu dans les journaux. Me trouvant à diner chez M. Mac-Leay avec i4- M. Marsden, j'ai insensiblement ramené celui-ci sur le sujet des Nouveaux-Zélandais. Il m'a raconté plu- sieurs circonstances de ses voyages parmi ces peuples extraordinaires; la parfaite concordance de ses ré- cits avec les relations qui en ont été imprimées, m'a fait le plus grand plaisir, parce qu'elle m'a confirmé l'entière confiance qu'on devait leur accorder. Ce matin M. Marsden est venu déjeuner avec moi, is. accompagné d'un autre ecclésiastique nommé M. Wil- kinson. Le premier m'a remis des lettres pour les missionnaires de Tonga -Tabou; le second m'a procuré deux crânes et quelques ossemens de deux indigènes de Sydney, l'un adulte, et l'autre enfant. Au point du jour on a reconnu que deux de nos 16. matelots nommés Jean (Jacques) et Lisnard (Antoine) s'étaient enfuis dans la nuit avec le bot, en le lais- sant ensuite aller en dérive ; heureusement on l'a re- trouvé au milieu du chenal devant la pointe de Beni- long. Quant aux matelots, ce sont d'assez mauvais su- jets , et je tiendrais peu à les ravoir pour eux-mêmes ; cependant, pour saisir l'occasion de donner un exem- ple aux autres , et ôter à leurs compagnons l'envie de les imiter par la suite, j'ai sur-le-champ demandé par TOME I. 11 162 VOYAGE 1826. écrit au secrétaire du gouvernement et au chef de la Décembre. poHce , d'ordouncr toutes les démarches possibles pour saisir les fugitifs ; je promettais, en outre, douze piastres pour chacun à celui qui les ramènerait. Toute la farine de campagne a été embarquée au- jourd'hui ; elle est contenue dans cinquante-cinq quarts en bois du pays , qu'il a fallu faire fabriquer. J'ai fait mes visites d'adieux au gouverneur et aux autres personnes de la colonie qui m'ont fait des poli- tesses. Mon rapport au ministre sur les opérations de la campagne et toutes nos lettres ont été renfermés dans un même paquet, adressés à M. l'ambassadeur de France à Londres, et portés chez M. Mac-Leay, qui s'est chargé de les faire expédier par le Regalia. Les quatre caisses d'histoire naturelle que nous en- voyions en France, avaient été remises hier, par M. Ni- cholson, à bord du même navire, et portaient la même adresse. Après midi, je suis allé me promener autour de la ville; j'ai visité la grande caserne que l'on cons- truit pour les convicts, aux portes de Sydney, près de la route du fanal. Le corps principal du bâti- ment sera arrondi, et accompagné de six ailes dispo- sées en hexagone , le tout environné d'une immense enceinte formant un carré régulier. Les murs seuls de celle-ci , qui ont quinze à vingt pieds d'élévation et une prodigieuse épaisseur , sont terminés , et Ton ne voit encore que les fondemens de la caserne. La cons- pi. XXXI. truction de l'église catholique a fait très-peu de pro- grès depuis trois ans; par un orgueil mal placé, cet DE L'ASTROLABE. 163 édifice a été entrepris sur un plan trop vaste, et les 1826. fonds ont manqué. Dans un dernier voyage à Teau la cale s'est trouvée 17 décembre. remplie. On a relevé lancre de tribord ; celle de bâ- bord , qui était prodigieusement enfoncée dans la vase, a été soulagée , puis on a tout préparé pour l'appa- reillage. Vers trois heures après midi , un habitant qui pos- sède une petite propriété de l'autre côté de la baie, nous a ramené nos deux déserteurs avec leurs effets et divers objets qu'ils avaient emportés avec eux. Cet habitant les a trouvés dans les bois à deux milles de son habitation , et s'est rendu maître de leur personne par surprise , en leur offrant de les conduire chez lui, et de les y receler jusqu'à notre départ. Les vingt-quatre dollars que j'avais promis lui ont été remis, et les deux coupables ont sur-le-champ reçu une punition propor- tionnée à leur faute. C'est ainsi que nous avons employé notre relâche à Port-Jackson. Elle a été très-utile à la mission; nous partons d'ici pour nos travaux ultérieurs , aussi bien pourvus que nous l'étions à Toulon. On pourrait même dire que nous sommes mieux disposés, puisqu'il n'y a pas un seul malade à bord , et que nous nous trouvons maintenant munis de ces précieuses chaînes qui seules peuvent assurer le salut de l'Astrolabe au travers des coraux où elle sera obligée de mouiller. On a vu cependant qu'impatient de commencer les travaux proprement dits de la campagne , j'ai réduit notre relâche au plus court délai possible. Durant ce ir 164 VOYAGE DE L'ASTROLABE. 1826. séjour, tous mes momens ont été si complètement rem- Décembre. ^\[^ ^ sQJt pQur \q^ soius Ordinaires du service , soit par les visites et les devoirs de convenance près des auto- rités locales , qu'il m'est resté bien peu de temps dis- ponible pour recueillir des notes touchant cette inté- ressante colonie. Je me bornerai donc à offrir au lecteur un résumé succinct de la fondation, des progrès et de l'état actuel de la colonie. Les deux premiers articles seront ex- traits de divers ouvrages imprimés depuis long- temps , notamment des relations de Barrington et Col- lins, et le troisième le sera principalement des journaux mêmes de Sydney, publiés peu de temps avant notre passage en cette ville. Cette digression formera l'objet en entier des deux chapitres suivans. h NOTES. NOTES. Extraits des Journaux des Officiers de l'Expédition. PAGE 47- A six heures, nous étions de retour à Santa-Cruz, et à sept heures trente minutes à bord. Le i4 nous mouillâmes dans la rade de Sainte-Croix de Té- nériffe, et eûmes de suite l'entrée sans être obligés de faire qua- rantaine. Tant de voyageurs ont parlé de cette île et de la ville où l'on aborde , que je n'aurais fait qu'indiquer notre passage et simplement mentionner un voyage que nous fîmes au sommet du Pic , s'il existait de bonnes et récentes relations sur la manière de gravir cette haute montagne. Qu'on me pardonne donc les détails, peut-être trop minutieux, dans lesquels je vais entrer, que passeront ceux qui ne doivent point y aller, mais que consulteront ceux qui doivent y monter; détails que, du reste, j'aurais été bien aise de trouver ailleurs. Le Pic étant dans la partie de l'île opposée à celle où l'on aborde , pour s'y rendre , on a besoin d'un train de conduc- teurs et de chevaux assez considérable. Il est même nécessaire d'avoir des vivres qui puissent se conserver plusieurs jours. Le consul voulut bien se charger d« nous faire avoir des 108 NOTES. chevaux; et, le 16 au matin, le commandant et son domesti- que, M. Gaimard et moi,' nous partîmes de Sainte-Croix. Notre bagage , composé de vêtemens pour le froid, de boîtes et de papiers pour l'histoire naturelle, de vivres, etc., le tout réduit au strict nécessaire, était porté par un seul cheval de bât conduit par un homme. Deux guides chargés de nos chevaux de selle suivaient à pied; l'un d'eux portait un baromètre de Bunten. On monte jusqu'à la Laguna , jolie petite ville distante de la mer de deux lieues,*! par un chemin difficile, mal entretenu et hérissé de grosses pierres volcaniques. On s'occupait cepen- dant alors à faire une chaussée depuis Sainte-Croix jusqu'au fort qui commande la route à gauche. Il faut convenir qu'on aurait une bien fausse idée de Ténériffe , si on la jugeait par ce qu'on en aperçoit de la rade, où tout paraît triste, aride et stérile , où des montagnes déchiquetées et couvertes de laves noires offrent à peine des traces de végétation. Rien n'est plus sombre , surtout la partie droite de la rade , lorsqu'elle est en- veloppée de nuages. Cet aspect est à peu près le même jusqu'à la Laguna. Les céréales ne viennent qu'au travers des scories. Mais passé ce lieu , la scène change , et l'on se croit transporté dans les plaines les plus fertiles de la France; en effet, tout était cultivé et couvert de blé. Bientôt après, en côtoyant la mer d'une lieue , plus ou moins, les vignes vinrent s'y joindre, et nous voyageâmes au milieu de la plus belle végétation , et jouissant à chaque instant des plus beaux aspects. Nous nous demandions pourquoi, au milieu de tant de moyens apparens de prospérité, tant de pauvres couverts de haillons, habitant sous des huttes plutôt faites pour des chiens que pour des hommes, et demandant sans cesse l'aumône, à tel point que le salut des enfans est de vous demander un liard (quartillo). Sur les onze heures nous nous arrêtâmes pour déjeuner à un lieu nommé Matanza , où se trouve une auberge. Il faisait très- chaud, et nos montures étaient terriblement tourmentées par les mouches. C'est là que nous eûmes le déplaisir de voir que V NOTES. 109 le baromètre venait d'être cassé par celui qui le portait. En galopant sur le cheval de l'un de nous , il l'avait heurté contre la selle. La perte de cet instrument nous fut d'autant plus spn- sible, que personne n'en avait encore porté d'aussi parfait au sommet de la montagne , et que c'était un moyen de vérifier l'exactitude de la hauteur qu'on lui donne , d'après les travaux de Borda. Le commandant d'Urville voulait aussi déterminer la hauteur à laquelle viennent certains végétaux. Matanza tire son nom d'un ravin profond que nous traver- sâmes, et dans lequel les Espagnols qui occupaient cette île furent défaits par les Guanches. Depuis ce lieu jusqu'à l'Oro- tava nous avons toujours vu la mer à droite , et quelquefois de hautes montagnes à gauche ; nous montions et descendions par des chemins très-roides et scabreux. Les cultures étaient le plus généralement en vignes et en maïs ; ce qui donnait au paysage une teinte d'un vert foncé , du milieu de laquelle ressortaient lés sommets noircis d'anciens cratères éteints. Ces particularités se remarquaient surtout dans la plaine de l'Orotava. Nous devions aller coucher à la ville de ce nom; mais, comme la journée n'était pas trop avancée , nous descendîmes visiter le port de l'Orotava. Il est peu profond, et ne reçoit que des navires tirant peu d'eau. La mer y brise avec force. La ville est propre et régulière. L'architecture des maisons, quoique particulière à l'Espagne et massive , ne laisse pas que d'avoir un certain agrément, et rien même n'est plus élégant que la belle verdure des bananiers que l'on aperçoit dans les cours de quelques-unes. Nous rendîmes visite à M. Cologan pour qui M. d'Urville avait une lettre. Cette famille Cologan a , par ses politesses envers les voyageurs français, rendu , pour ainsi dire , son nom classique. Celui qui existe maintenant est un jeune homme dont les manières sont agréables : il avait passé plusieurs années à Paris, ainsi que son épouse , et tous les deux parlaient fran- çais. » A une demi -lieue environ du port de l'Orotava est le 170 NOTES. jardin botanique, belle demeure où se trouvent d'agréables ombrages qui , il faut le dire , manquent à TénérifFe où l'on paraît avoir sacrifié l'agréable à ce qui est productif. Ce lieu , maintenant négligé par les circonstances malheureuses dans lesquelles se trouve l'Espagne, fut créé, au milieu d'une plaine dépourvue d'eau et d'arbres , par un riche habitant qui , depuis, le céda au gouvernement. 11 paraît contenir encore un assez grand nombre d'arbres et d'arbrisseaux étrangers au sol des Ca- naries. Nous y trouvâmes, par hasard, M. Berthelot, Français ha- bitant la ville de l'Orotava (qu'il ne faut pas confondre avec le port du même nom), et auquel le consul nous avait recom- mandés. Dans une ville où nous ne connaissions personne , où l'on ne trouve point d'auberge , M. Berthelot nous fut du plus grand secours, non-seulement en nous offrant sa maison, mais encore en nous procurant un guide et en nous donnant tous les renseignemens convenables pour aller au Pic : car ce n'est, à proprement parler, que de l'Orotava que commence l'ascen- sion. Sans lui nous nous fussions trouvés fort embarrassés et à la merci de nos conducteurs. Ceux que nous avions pris à Sainte-Croix ne connaissaient point le chemin de la montagne ; il fallut s'en adjoindre un autre, et de plus un cheval chargé d'eau, et son conducteur, parce que l'on n'en trouve point dans l'endroit où l'on couche. Il faut aussi que toute la troupe, hommes et animaux , aient des vivres pour deux jours. Autre- ment, je le répète, on peut manquer son voyage. On vient déjà de voir que nous nous étions presque aventurés jusqu'à l'Orotava, croyant y trouver à coucher et des guides. Le mieux est , lorsqu'on a du temps , de s'assurer de ces choses avant de partir de Sainte-Croix. M. Berthelot est créateur et directeur d'un lycée dont l'en- seignement est modelé sur ceux de France. Malheureusement pour les Canaries, on parlait de le faire fermer. Entre autres professeurs, il s'était adjoint, pour les mathématiques, M. Au- bert , Français depuis long-temps fixé en Espagne , et que les ^ NOTKS. 171 troubles de la Péninsule avaient forcé de venir à Ténériffe. Tous deux cultivaient les sciences avec succès, et joignaient celles d'agrément aux plus immédiatement utiles. C'est ainsi qu'ils sont très-bien versés dans la botanique , surtout celle du pays. M. Aubert écrit même sur la physiologie végétale , et M. Bertbelot adresse de temps en temps des Mémoires aux so- ciétés savantes. Je me souvenais parfaitement d'avoir vu de lui, dans le journal de M. de Férussac , la description d'une nou- velle espèce de violette qui ne croît que sur les flancs et au sommet du Pic, et qu'il nomme Viola teydensis. Les momens que nous avons passés dans la société de ces messieurs ont été courts, mais nous pouvons dire très-agréables. La ville d'Orotava est grande, les rues sont larges, bien pavées, mais fatigantes par la rapidité de leur pente; quel- ques maisons sont belles. Celle de notre hôte, vaste et propre à un établissement public, contient précisément, dans son jardin , le fameux dragonnier , antiquité végétale à laquelle les amateurs vont rendre visite , et qui , depuis la conquête des Canaries , n'avait varié ni en hauteur ni en épaisseur. Mais dans ces derniers temps un coup de vent avait abattu sa tète respectable. Le reste était entretenu avec beaucoup de soin. Sa circonférence est de quarante -huit pieds ; la hauteur de sa tige, jusqu'à la naissance des branches, de vingt-deux. Le lendemain matin à huit heures, notre petit équipage, composé de neuf personnes et sept chevaux, quitta la ville. Partout nous étions pris pour des Anglais : ce qui indique que ce sont eux qui font le plus souvent de ces courses. Nous com- mençâmes à monter par les chemins les plus scabreux que j'aie vus de ma vie. Mais telle était la bonté de nos chevaux que pas un ne broncha, soit en allant, soit en revenant, sur ces paA'és basaltiques qui étaient parfois très-glissans. Peu habitués à des pentes aussi rapides , nous descendions et nous voyions alors ces animaux galoper dans des sentiers en vraie forme d'escalier. Ceux de nos guides qui étaient montés ne descendaient jamais, et allaient presque toujours le trot. Les chevaux de ces îles 17â NOTES. unissent la plus grande sobriété au courage et à la solidité du pied. Peu après l'Orotava on trouve quelques fermes et des bois de marronniers francs. On entre alors dans des nuages épais qui , couronnant pendant plusieurs mois de l'année ce premier plan de hauteur, empêchent de distinguer le Pic , de la ville d'où il paraît très-majestueux lorsque les nuages n'existent pas. Après deux heures de marche nous déjeunâmes sous un grand et magnifique pin isolé, au bord d'un ravin profond et où l'on trouve de l'eau. C'est el Pino del Tornajito. La température y était très-fraîche. La végétation de ce lieu , presque toute de hautes bruyères , est assez abondante : mais , à mesure qu'on avance, ces arbrisseaux deviennent plus rares, les laves plus amoncelées, et la terre végétale moins abondante. Aux envi- rons de la caverne del Pino , on ne marche même plus que sur des scories légères. Alors on est débarrassé des nuages, et avant que d'y arriver on trouve abondamment le cytise dont les fleurs jaunes répandent dans l'atmosphère une forte odeur de baume du Pérou. A une heure on détourna un peu sur la gauche pour se re- poser dans la caverne et y mettre les chevaux à l'abri du soleil. Cette cavité , où l'on a peine à tenir debout , est à peu près la moitié du chemin pourarriverà la couchée. C'est là qu'on com- mence à voir en assez grande quantité le Spartium supra nubium . La montagne dcTuiïa rougeâtre, qui est à gauche, en a beaucoup à son sommet. Chaque pied de ce grand arbrisseau forme des touffes peu élevées qui s'étalent en rond. Sacouleurestglauque, et ses fleurs blanches exhalent la même odeur que celle de la plante précédente. Les animaux qu'on rencontre à cette hau- teur sont un martinet qui se rapproche beaucoup du nôtre, un lézard d'un gris presque noir, et sous les pierres une grosse pimélie. A deux heures nous partîmes de la caverne del Pino. La cha- leur était assez forte, mais franche et sans accabler; l'air d'une pureté et d'une transparence remarquables; les contours des corps NOTES. 173 se dessinaient avec la plus grande netteté. Me servant habituel- lement d'un verre concave pour voir à distance, j'ai cru m'apercevoir qu'à cette hauteur je n'en avais presque plus besoin : beaucoup plus haut il n'en fut pas ainsi. Nous nous détournions souvent pour voir ce qu'on nomme à juste titre la mer de nuages, dont nous allons bientôt parler. A trois heures et demie environ , nous entrâmes dans les Ca- nadas ; c'est une très-vaste plaine ondulée , ayant peu de végé- tation et remplie de soupiraux éteints , de courans et de murs de laves dirigés dans tous les sens. Le sol est entièrement cou- vert de très-petits fragmens d'obsidienne jaunâtre et fibreuse, qui ressemble beaucoup à des ponces. Nos chevaux, débarrassés des mouches et facilités par la route , allaient assez vite ; ce- pendant nous mîmes plus d'une heure à traverser ce plateau, où, nous dit- on, la chaleur est quelquefois si grande que des chevaux y périssent : tandis qu'il est une saison où il y fait tellement froid, qu'on nous montra un lieu marqué d'une croix où était morte une pauvre femme qui s'était hasardée à y aller chercher de la neige. Du milieu des Canadas on commence à apercevoir vers l'une des extrémités le dôme immense du Pic dont la forme et les teintes changent à mesure qu'on en appro- che. A cette distance on ne se doute vraiment pas de quel côté on attaquera cette montagne pour y monter. A sa gauche nous traversâmes une petite montagne dont les ondulations, aussi agréables qu'uniformes, étaient produites par de petits morceaux d'obsidienne poreuse dont la couleur jaune offrait plusieurs va- riétés de cette teinte. Les pieds des chevaux y enfonçaient assez avant. A la superficie du sol et à d'assez grandes distances les unes des autres, étaient d'énormes boules de basalte noir à cristaux de feldspath ; quelques-unes avaient de vingt à trente pieds de diamètre, et étaient fendues par le milieu; d'autres avaient quelques-unes de leurs parties façonnées en petits pris- mes. Ces blocs isolés, lancés, dans des temps bien éloignés, de l'intérieur du cratère , semblaient avoir été posés là comme avec ia main. On ne voit sur cette montagne d'autre végétal que la 174 NOTES. violette de Teyde, encore y est-elle assez rare; mais plus haut on trouve des spartium rabougris et dont les branches sont étendues sur la terre. Ils donnent abri à quelques lapins qui vivent dans ces régions. Sur les cinq heures nous étions au pied du dôme. Nous pûmes encore le gravir, monter pendant une demi-heure jus- qu'au lieu appelé la Station des Anglais (Estancha de los In- gleses). Toutefois, encore que le sentier allât en zigzag, nos chevaux , enfonçant dans de gros fragmens d'obsidienne , n'en pouvaient plus , et nous fûmes obligés de descendre. C'est dans cet endroit qu'on doit passer la nuit. Cependant on peut encore aller, avec les chevaux , coucher à quelques centaines de pas plus haut, à Alta-Vista, sous des blocs arrondis de basalte ; mais la disposition naturelle de ceux de la Station des Anglais est plus commode et l'espace plus grand. On n'y est point abrité au-dessus, et un vent fort et par raffales y souffle de toutes parts. Nos chevaux déchargés, notre premier soin fut de faire du feu dans l'emplacement où nous devions dormir. Nous nous servîmes des restes de spartium que nous pûmes trouver près de nous, et, quoique le bois fût vert, il brûlait avec la plus grande facilité en jetant de longues flammes vives; ce qui contredit manifestement ce que rapportent certains voyageurs des montagnes d'Europe, sur lesquelles la combus- tion serait lente et difficile. Cependant la hauteur à laquelle nous étions , environ mille six cents toises , égale celle de nos montagnes les plus élevées. On dit aussi que la raréfaction de l'air diminue l'intensité du son. Nous ne nous en sommes point aperçus en tirant un coup de fusil; et nous avons éprouvé, pour la voix, le phénomène contraire à un très-haut degré. Car, m'étant par hasard transpoité sur une roche un peu élevée au-dessus de notre camp , et à quarante pas environ de distance, j'entendais MM. d'Urville et Gaimard, qui causaient auprès du feu , comme si j'eusse été avec eux. J'en fis la remar- que ; ils baissèrent la voix, ainsi que moi , et nous finîmes par converser et nous entendre tout-à-fait à voix basse, de telle NOTES. 175 manière qu'en plaine il eût fallu être à dix pieds les uns des autres pour nous entendre. Après souper, nous mîmes des vêtemens plus chauds pour passer la nuit auprès de notre feu. Nos gens, de leur côté , en avaient aussi allumé. Voici quel fut l'état du thermomètre cen- tigrade. A cinq heures et demie il marquait i5°; à sept heures et demie, ii° 8 ; et le matin , à trois heures et demie, seule- ment 8°. Il est probable qu'au milieu de la nuit il avait été près de zéro. La lumière que lançaient les étoiles paraissait singu- lièrement affaiblie. Je ne pus fermer l'œil de toute la nuit, et cela par une cause dont on ne pourrait guère se douter, par des puces dont ce lieu était plein. MM. Aubert et Berthelot avaient aussi éprouvé la même incommodité que nous, ou plutôt que moi; car mes deux compagnons dormirent bien. Seul aussi j'éprouvai une gène dans la respiration , qui me for- çait toutes les cinq minutes à une forte et grande inspiration. De ma vie je n'avais ressenti ce malaise , qui tenait manifeste- ment à une moindre pression de l'atmosphère et qui disparut en descendant. Ne pouvant pas dormir, je trouvai plaisant d'écrire de ce lieu , et au crayon , à un de mes amis de France. J'ignore si ma lettre lui sera parvenue. Dès que le jour parut, à quatre heures, tous trois, sans aucun bagage que de l'eau-dc-vie et du biscuit , nous suivîmes notre bon vieux et complaisant guide Antonio. La montée, qui se fait entre deux larges et courtes coulées de laves, devient de plus en plus roide. On trouve encore parmi les obsidiennes vitreuses et fibreuses quelques bouquets de violette, rares à la vérité ; mais, arrivé à l'endroit d'où sont sortis les deux courans, toute végétation a cessé , et l'on ne marche plus qu'en passant d'un bloc de roche à un autre, dont quelques-uns sont quel- quefois vacillans. Il n'y a plus de sentier tracé. S'il peut y avoir quelque danger à monter le Pic, ce n'est que là; et ils se bornent aux fortes déchirures et contusions qu'on pourrait se faire en glissant dans ces anfractuosités. Il serait peut-être pos- sible de s'y casser une jambe , mais jamais d'y disparaître et 176 NOTES. de courir risque de la vie. Ainsi il n'y a point de précipices à craindre. Tout ce qui a été dit à ce sujet est exagéré. Nous en avions été prévenus d'avance par M. Berthelot, qui nous avait dit au juste ce qui en était de ces prétendus dangers. Nous croyons bien , par exemple , qu'il doit être difficile de passer, sans quelques chutes , parmi ces pierres amoncelées, lorsqu'elles sont m partie recouvertes par la neige ; ce qu'il n'est pas facile de constater sans en approcher. A l'époque à laquelle nous y étions, il y en avait encore assez abondamment sous les pre- mières couches de lave. Elle était en assez gros flocons cristal- lisés et agglomérés. Nous en mangeâmes. Il arrive quelquefois, d'après ce qu'on nous a dit , que le matin , avant qu'on soit joint par le soleil , le froid est vif, et devient insupportable aux mains. Pour nous, ce ne fut qu'une grande fraîcheur. Dans tous les cas , il est bon d'avoir des gants. Nous faisions de fréquentes haltes qui me convenaient d'au- tant mieux, qu'à la gène de respirer s'était joint un malaise d'estomac en tout semblable au terrible mal de mer, que je m'efforçais de vaincre vainement; il dura tout le temps que je demeurai dans ces hautes régions. Je le calmais un peu en man- geant de temps en temps des biscotins que me donnait mon ami Gaimard. Plusieurs personnes ont encore éprouvé ce symp- tôme , qui a même quelquefois été jusqu'au vomissement. Ainsi que le précédent, je ne l'avais jamais éprouvé sur les nom- breuses montagnes que j'avais gravies. Il est vrai que leur hau- teur ne dépassait pas sept ou huit cents toises. D'un certain point notre guide aperçut et salua le cône qui s'élève du milieu du grand dôme , et qu'on nomme el Pilon. Au sommet de ce grand dôme est une sorte de petite plaine hérissée de massifs de laves basaltiques. Du milieu de quelques-unes sor- tent des vapeurs aqueuses et très-chaudes, et des mousses tapis- sent ces iissurcs brûlantes. De là nous voyions s'élever devant nous ce piton que commençaient adorer les premiers rayons du soleil , et dont la pente , recouverte de petites obsidiennes mo- biles, était plus roide encore que tout ce que nous venions de NOTES. 177 franchir. Nous y parvînmes en nous aidanl des pieds et des mains. A la base on enfonce au-delà des chevilles; mais vers le milieu on est facilité par des laves basaltiques plus solides auxquelles on se cramponne. Tl est prudent d'aller tous de front, et non les uns au-dessus des autres, afin d'éviter les pierres plus ou moins grosses qu'on fait crouler avec les pieds. Près du sommet sont de petites fumerolles à odeur de chlore , dont la chaleur permet à peine d'j tenir la main. Enfin nous arrivâmes au cratère, qui est tout-à-fait au sommet du cône, à six heures et demie , c'est-à-dire deux heures et demie après notre dëpartde la couchée. Le ciel était pur, sans aucun nuage, avec cette teinte d'un bleu sombre, propre aux grandes hau- teurs. D'après le récit de divers voyageurs, on y ressent tou- jours de rapides courans d'air. Un vent de la partie du nord, qui soufflait par raffalcs, interrompait seul le calme et le silence qui régnait dans ces lieux. Quoique la température fût à iS", nous ressentions assez de froid pour rechercher le soleil. A cet efiet , nous descendîmes au fond du cratère où nous déjeu- nâmes. Cet entonnoir, qui semble maintenant réduit à sa plus petite expression, occupe tout le sommet du dôme; il se dirige obli- quement à peu près du nord au sud ; ses parois sont irrégulières et formées de gros blocs de basaltes blanchis par les émanations sulfureuses. On ne peut y pénétrer commodément que par le point où l'on arrive; encore la pente intérieure est-elle rapide. Le dedans offre un assez grand nombre d'ouvertures, ou fume- rolles, de quelques pouces de diamètre, laissant dégager une grande quantité de vapeurs à odeur de chlore. Les bords de quelques-unes sont tapissés de cristaux aciculaires de soufre , et le sol est en partie imprégné de cette substance, de même que d'efflorescences assez régulières d'alumine , et peut-être de sulfate de fer. L'alumine y forme aussi une pâte blanche sur laquelle on glisse. Le guide nous dit que les vapeurs étaient quelquefois plus intenses et sortaient avec bruit. Celles que nous voyions augmentèrent et diminuèrent pendant le peu de TOME I. " 12 178 NOTES. temps que nous y séjournâmes. A sept heures, au soleil, le thermomètre marquait 19°. C'est de ce point élevé que nous pûmes contempler à loisir cet amoncellement de nuages, qui, ceignant l'île dans tout son contour et à une certaine hauteur, formaient sous nos pieds de vastes plaines d'un blanc cotonneux , nommées avec assez de justesse mer de nuages. L'œil se reportait toujours avec plaisir sur ces flocons légers qui paraissaient immobiles dans leurs li- mites. Quelques-unes des hautes montagnes des îles environ- nantes pointaient au milieu; et, dans quelques ruptures de ces météores , nous crûmes quelquefois apercevoir la mer à sa teinte bleuâtre. Si nous eûmes ce coup-d'œil, d'un autre côté nous fûmes privés d'embrasser l'ensemble de l'île. A la droite , au-dessous de nous , nous vîmes sur un sol rougeâtre plusieurs petits cônes de neige qui n'était pas encore fondue. Ce n'est que du sommet du Pic de Teyde, qu'on peut se faire une idée bien exacte de la formation de cette montagne. Elle paraît si simple , qu'au premier aspect elle frappera tout observateur. L'île entière est volcanique , et divers systèmes de feu ont contribué à la former. Celui du Pic a été le plus consi- dérable , et la base, sur laquelle il repose sa masse ou le cône principal , a été elle-même tout un immense cratère de plu- sieurs lieues de diamètre. En effet, tout l'espace connu sous le nom de Canadas est le fond plus ou moins régulier de ce cra- tère, d'où on voit encore des débris de vastes parois parfaite- ment conservés et élevés comme des murs. Deux brisures , l'une du côte de l'Orotava , l'autre par Ico , ont donné lieu à des écoulemens de matière en fusion , d'où ont été formées ces montagnes d'élévation secondaire qui s'appuient sur les flancs de la base du Pic. En faisant entrer, comme cela doit se faire, les siècles dans la production des phénomènes qui nous occu- pent , nous aurons les mille formes et directions de laves qu'on trouve dans la plaine des Canadas. Mais une éruption , plus puissante que toutes les autres , a fait sortir le dôme du Pic avec ses basaltes et ses obsidiennes. Qui sait si à ces époques de NOTES. 179 toute-puissance qui n'existent plus , ce n'est point dans l'espace de quelques jours, dans une nuit peut-être ! Voilà deux montagnes élevées l'une sur l'autre. Mais ce dôme était lui-même en ignition. lia fourni les diverses cou- lées qui sillonnent ses flancs, dont deux surtout entre lesquelles on monte , et terminées brusquement, sont plutôt des amas basaltiques que de vraies coulées. Enfin il a produit de la même manière qu'il l'a été lui-même, le dernier cône ou le piton qui, quelque jour peut-être, remplira son cratère, et élèvera un troisième cône. L'idée aussi simple que juste qu'on doit se faire de cette formation , est représentée par les tuyaux décrois- sans d'une longue vue. Le dernier dôme ou le piton paraîtrait avoir principalement lancé de ces petites obsidiennes pulvérulentes, qu'on pren- drait facilement pour des ponces, car tout le sol des Canadas en est complètement recouvert; une petite montagne sur la- quelle on passe avant que de monter le Pic en paraît entière- ment formée, et on en trouve beaucoup sur le Pic même. Là elles sont plus volumineuses et souvent unies à l'obsidienne en verre irisé et verdâtre : ce qui , dans le même morceau , indique des degrés divers de fusion. J'avais beaucoup amassé de ces échan- tillons qui doivent être rares dans les collections; le guide qui en était chargé les perdit. Cette obsidienne en verre dont on trouve d'assez gros morceaux, variables dans leurs teintes, est remarquable par sa fragilité. En général toutes les laves du Pic se distinguent de celles qu'on voit à Sainte-Croix , en ce qu'elles ne sont point poreuses et manquent d'olivine et de pé- ridot. N'ayant point parcouru les autres parties de Ténériffe, je me suis simplement borné à donner une idée générale du Pic et des moyens d'y monter. Deux savans du premier ordre , MM. Cordier et de Buch , l'ayant exploré avec soin, ont du donner à ce sujet tous les renseignemens géologiques conve- nables. Toutefois je n'ai point encore eu connaissance de leurs relations. 42* 180 NOTES. C'est à tort qu'on prend la couleur blanche du sommet du Pic pour de la neige ; ce n'est que celle des obsidiennes. Si on en voit quelquefois dans la saison où il en tombe , ce ne peut être que sur les flancs du grand dôme. La descente del Pilon s'opère avec rapidité. C'est avec plaisir qu'en posant le pied dans ces petites obsidiennes légères, on s'j enfonce à moitié jambe. Il n'enestpas de même dans celles, plus grosses, qu'on trouve après avoir franchi les blocs de basalte, et dont quelques-unes coupent comme le verre dont elles ont l'aspect. Alors il est bon de suivre le sentier tracé. Ne le faisant pas toujours, je me fis en tombant quelques coupures aux jambes. Ayant appris et lu , dans des relations , que les chaussures étaient brûlées au sommet de la montagne par les vapeurs sul- fureuses, et mises en pièces par les rochers , nous nous en étions pourvus de rechange : c'était bien inutile, les nôtres ne furent pas le moins du monde endommagées par le feu , et seulement un peu limées par les obsidiennes. Elles'ont servi beaucoup de temps encore à d'autres courses. Il est bon d'avoir des demi- guêtres en peau ou en toile pour prévenir l'entrée des petites pierres dans les souliers. J'allais oublier de parler de la Caverne des Neiges (Cueva de las Nieves) que nous visitâmes au retour. Comme elle est pres- que sur la route , sur les flancs du grand dôme, on peut aussi bien le faire en allant. Elle est formée de grands blocs basalti- ques entassés les uns sur les autres, sans beaucoup d'ordre. Elle est spacieuse; son entrée droite et profonde a douze à quinze pieds. On m'y descendit avec une corde. J'y trouvai de la neige et une assez grande quantité d'eau gelée jusqu'à la su- perficie. De très-belles et grosses stalactites de glace pendaient à la voûte, et, pendant que je recueillais des conferves dans de l'eau à la température de zéro', le soleil qui pénétrait par l'ou- verture me brûlait le dos. Quoique ce soit là qu'on vienne quelquefois chercher la glace dont on se sert à la ville de Sainte- Croix , on ne s'est point encore avisé d'y placer une échelle à NOTES. 181 demeure au lieu des bâtons qu'on laisse pour y descendre. A six heures nous étions de retour à l'endroit où nous avions couché, et, comme nos chevaux n'avaient eu que peu à boire avec l'eau que nous avions apportée, et presque point à manger, qu'une petite quantité d'avoine , nous nous mîmes en route et gagnâmes tout d'un trait la station del Pino , dans les nuages, et qui se trouve près de l'Orotava. Avant que d'y atteindre, nous eûmes un mirage assez fort pour prendi'C des chèvres pour des chevaux. Ces animaux vivent, dans ces solitudes , dans un état demi sauvage. Ils vont jusqu'aux Caùadas, et l'on peut même en tuer pour manger sur le Pic sans que les propriétaires le trouvent très-mauvais, lorsqu'ils viennent à le savoir. A el Pino nous dînâmes, et nos chevaux trouvèrent de l'eau et de l'herbe; puis nous descendîmes jusqu'à l'Orotava en chassant. Le pavé était tellement en pente et glissant que sur des chevaux fatigués nous ne voulûmes pas nous hasarder à le parcourir. Pas un d'eux ne broncha cependant. Des hauteurs , aussitôt qu'on a laissé les nuages, le coup-d'œil est charmant. C'était fête ce jour-là à la ville, aussi eûmes-nous à en traverser toute la population. Nous couchâmes chez M. Berthelot qui , le len- demain, voulut bien nous accompagner à Sainte-Croix, et passer le jour suivant avec nous à bord. Nous laissâmes à l'Oro- tava notre guide du Pic , qui nous demanda neuf piastres. Nous dînâmes à l'hôtel de Matanza, et, arrivés en cet endroit de la route qui est traversé par un aqueduc en bois supporté par des pieux, M. Berthelot nous dit que nous n'étions qu'à cinq cents pas d'une grande forêt, et cependant nous ne voyions point d'arbres. Mais en s'élevant un peu sur la droite nous aperçûmes celle qu'on nomme d'Aguas-Garcias. Elle est magni- fique, et ressemble aux forêts vierges d'Amérique. Il y a des arbres très-gros ; ceux de l'entrée sont des bruyères d'une gros- seur et d'une élévation telles que je n'en avais point encore vu de semblables. C'est le seul lieu de notre course où nous trou- vâmes un petit ruisseau coulant sur les pierres d'un ravin. En général, l'eau manque à TénérifFe. Nous y trouvâmes des t82 NOTES. parmacelles et une ancille qui formera certainement une es- pèce nouvelle. Dans la route nous prîmes sur le Carduus-Mariana beaucoup de papillons cardinaux , belle espèce rare et imparfaite dans les parties méridionales de la France. Enfin, le soir, assez tard, chargés de roches et de plantes , et surtout très-fatigués , nous allâmes coucher à bord de la corvette , après quatre jours d'ab- sence , temps strictement nécessaire pour le voyage du Pic. En demeurant un jour de plus à l'Orotava, en descendant, on se reposerait convenablement. L'ensemble du voyage a coûté quatre cents francs, y com- pris les guides et la nourriture des hommes et des chevaux, ce qui était réglé à chaque halte, et ce dont les conducteurs étaient chargés de s'occuper. Sans l'hospitalité que nous trouvâmes chez M. Bcrthelot, les frais eussent dépassé cinq cents francs. Encore ne faut-il pas faire entrer en compte les vivres que nous avions en assez grande quantité. Ce sont les Anglais, habitués à répandre l'argent avec profusion, qui font monter si haut les dépenses de ces courses ; car les vivres et les autres denrées sont à assez bon compte, ctTénérifFe, où les fortunes sont mé- diocres, est loin d'avoir le luxe des colonies. (^Journal de M. Quoy.') PAGE 58. Les bœufs et les légumes y sont à bon compte, et le prix de la volaille le même qu'à Ténériffe. Le 27 nous eûmes connaissance des îles du Cap-Vert (celles de Bucna-Vista, de Sal et de Mai), et le 29 nous mouillâmes sur celle de Santiago (Saint-Jacques), dans le fort de la Praya, lieu d'un aspect affreux, formé de rochers abruptes et de laves noires dépourvues de végétation. La ville , qui apparaît au fond de la baie, est assise sur un de ces rochers; et, après être NOTES. 183 débarqué , il faut faire un assez grand contour pour y arriver. C'est tout ce que nous avons à dire d'un lieu qu'une courte re- lâche nous a empêché d'explorer; mais la grandeur de l'île et la hauteur des montagnes font présumer qu'ainsi qu'à Téné- riffe, les sites intérieurs doivent être plus agréables. Nous croyions aussi trouver les vivres à meilleur compte quenousne les eûmes. Il n'y avait cependant que quelques navires sur la rade, au nombre desquels s'en trouvait un avec pavillon anglais, que nous crûmes être celui du capitaine King; mais, par une seconde fatalité , il était parti depuis deux ou trois jours. C'était le capitaine Owen, qui, depuis quatre ans, était occupé de la géographie de Madagascar et de toute la côte d'Afrique, qui s'étend depuis ce point jusqu'au Sénégal. Pendant la durée de ce travail immense, ce commandant avait perdu quarante ofEciers et cent cinquante matelots. Amesure qu'il enavaitbesoin, il allait se recruter sur les navires qui passaient à l'Ile-de-France ; et ceux qui lui restaient à cette époque étaient tous de très-jeunes gens. De nos messieurs qui ont vu des travaux de cette expé- dition , les trouvent parfaits et exécutés avec tout le soin et la ténacité que savent y mettre les Anglais. Ce sentiment est celui de M. d'Urville et de trois de nos ofEciers, qui, dans notre marine , sont au nombre de ceux qui ont probablement fait le plus de bonne géographie. Le capitaine Owen , travaillant en partie pour la Compagnie des Indes, sera, nous dit-on, à son retour récompensé de ses dangers et de ses travaux par une somme de cent vingt mille francs. C'est un homme qui paraît d'une grande simplicité de mœurs; et lorsqu'il vint , dans son petit canot, visiter notre commandant , à la longue barbe qu'il portait lui et ses hommes , on eut de la peine à reconnaître un capitaine de vaisseau anglais chargé d'une semblable mission. Mais dans une pareille dépense et une si grande perte d'hommes , on n'avait pas mis tout à profit et su tirer parti d'une semblable expédition, en négligeant d'y adjoindre des na- turalistes et des personnes chargées d'observer les mœurs des peuplades nombreuses avec lesquelles on communiquait; car 184 NOTES. il n'existe sans doute aucune mer plus riche en zoophytes et en animaux marins de toute espèce. Il est vrai qu'ayant perdu quarante officiers, combien n'aurait-il pas fallu de naturalistes, qui sont plus exposés encore par la nature de leurs recherches ! Quand j'en témoignai mon étonnement à M. Owen, il répondit : « On n'a pas jugé convenable de me donner des naturalistes. » Ce qui me fait croire que ses travaux seront purement et simple- ment géographiques. Du reste, l'Angleterre, n'ayant pas comme nous de centre pour ces sortes d'études , paraît les négliger, ou du moins ne s'en occuper que d'une manière secondaire ; car le capitaine King n'avait pas non plus de ' naturalistes dans son dernier voyage au cap Horn. C'était lui qui se chargeait de- récolter le plus qu'il pouvait. M. Owen dit avoir pénétré bien avant dans une grande ri- vière , et avoir été obligé de se battre contre les sauvages afri- cains. Il louait les travaux hydrographiques de M. Roussin sur la côte d'Afrique. Le capitaine anglais avait toujours eu , pour faire les siens , deux, et même , je crois, trois navires. Il atten- dait sa conserve pour gagner sa patrie. Dans le peu d'instans que je demeurai à terre , je vis un oi- seau de proie à cou blanc et un martin-pêcheur , que je ne pus me procurer, et que je signalerai comme étant peut-être des espèces nouvelles. J'y remarquai aussi de gros corbeaux noirs. Nous ne demeurâmes pas un jour entier à la Praya , que nous laissâmes le 3o juin au matin , après y avoir fait une assez bonne collection de poissons riches en couleurs. (^Journal de M. Quoj.^ PAGE 71. Et nous gouvernâmes ensuite au sud avec une forte brise d'E. S. E. , et une grosse mer. Le 3i juillet de grand matin, nous voyons le* rochers élevés NOTES. 185 de Martin- Vaz , et bientôt après nous nous rapprochons de la Trinité, de manière à en faire le tour et la géographie complète. Cette île, qui n'a que quelques milles de circonférence, est assez élevée et ne présente aucun port. Plusieurs de ses points sont très-certainement volcaniques; mais je n'assure pas qu'il en soit de même de quelques-uns de ses pitons, un sur- tout qui s'élève du bord de la mer comme un long cylindre isolé. Nous j vîmes des Fous, des Frégates, dont on se pro- cura deux, et un grand nombre d'Hirondelles de mer blanches, qui paraissent semblables à celles du Grand-Océan. (^Journal de M. Quoy.^ PAGE 8i. Et qui ont pénétré dans toutes les parties du na- vire. Le i5, tempête de S. 0.; le vent ne mugissait pas, mais hurlait dans les manœuvres. Nous étions poussés heureusement dans une direction qui nous était assez favorable. Les jours suivans grosse mer et mauvais temps. (^Journal de M. Quoy. ) PAGE 83. Notre horizon s'étendait au plus à un mille dans les instans les plus lucides. Le 21 septembre, nous espérions, après une aussi longue traversée , être récrées par la vue de l'île Saint-Paul que nous annonçaient des fucus et de nombreux albatros fuligineux; mais un brouillard épais empêcha de la reconnaître. Un homme du bord nous dit que de l'Ile-de-France on y envoie 186 NOTES. quelquefois pour la pêcKe de la morue. Est-ce réellement de la morue? Et, dans le cas contraire, quelleest cette espèce si abon- dante de poisson? (^Journal de M. Qiioy.^ PAGE 97. Ils étaient très-contens de leur nuit et de leurs communications avec les naturels. Le 11 octobre, le commandant nous accorda la permission d'aller coucher sous la tente que nos voiliers occupaient à terre; nous voulions le lendemain commencer, à la pointe du jour, une promenade dans les forêts. Il était six heures du soir lorsque MM. Gaimard , Guilbert et moi, nous descendîmes dans le ca- not ; l'obscurité commençait, et la pluie tombait avec assez de force. Un naturel, qui avait passé la journée à bord, désira profiter de notre embarcation pour quitter le navire-. Durant le trajet , ce pauvre homme , bien que garanti par les vêtemens que les matelots lui avaient donnés , paraissait souffrir du froid, et s'apercevant que M. Gaimard allait tendre son para- pluie , il vint aussitôt se blottir près de lui. Notre débarquement offrit quelques difficultés ; une grosse houle battait les rochers de la pointe à laquelle nous allâmes aborder. Nous n'étions pas à une grande distance de la tente, mais au milieu des ténèbres qui régnaient alors nous aurions pu nous égarer. Nous chargeâmes donc notre indigène de nous guider ; il parut comprendre nos signes, et se mit à marcher assez rapidement devant nous en nous adressant sans cesse des paroles que nous prîmes pour des indications complaisantes sur le che- min que nous devions tenir. Un petit marécage se rencontra bientôt ; nous vîmes alors notre guide, pour le traverser, ôter les souliers qu'on lui avait donnés à bord , et relever soigneuse- ment le pantalon qu'il portait. Lorsque nous jugeâmes que le NOTES. 187 terme de notre course n'était pas éloigné, nous poussâmes quelques cris auxquels un assez grand nombre de voix répon- dirent j le naturel ayant crié à son tour d'une façon particu- lière, nous entendîmes des acclamations de joie et d'étonne- ment , et peu d'instans après en perçant quelques broussailles nous étions en présence des sauvages. Une douzaine d'hommes et deux jeunes garçons étaient de- bout autour d'un feu. Dès qu'ils nous découvrirent , les cris re- commencèrent ; mais lorsqu'ils vinrent à distinguer leur com- patriote couvert de vêtemens , et décoré de colliers , de miroirs, enfin de mille bagatelles dont on lui avait fait présent, il n'y eut plus de bornes à leur gaieté. Tous se mirent à hurler et à chanter à la fois , et c'était un spectacle du plus étrange effet , que ces êtres noirs et maigres éclairés par le reflet des flammes, s'agitant, sautant, et poussant des sons qui ressemblaient à des aboiemens. De temps en temps un cri aigu et général paraissait servir de refrain à leurs chants, car toutes les voix s'accordaient pour le pousser, et il était suivi d'une courte pause. Notre sauvage, cependant, était fêté, caressé, examiné par ses amis; chaque fois qu'une nouvelle merveille frappait leurs regards , les transports renaissaient plus vifs et plus bruyans encore : et lui, pour répondre à tant de politesse, poussait de longs éclats de rii'e , et s'unissait d'une façon très-énergique au bruit assour- dissant de la joie commune. (PI. 23). A ce tumulte inusité , nos voiliers et nos soldats qui habi- taient la tente jugèrent qu'il se passait quelque événement ex- traordinaire ; ils accoururent sur le lieu de la scène comme pour ajouter un contraste piquant à ce bizarre tableau. Enfin, la lassitude parut mettre fin à ce délire général , et nous nous acheminâmes vers la tente afin d'y préparer les places que nous voulions occuper durant la nuit. Sept indigènes se détachèrent bientôt du groupe principal , et vinrent établir leur siège non loin de notre factionnaire. Ils choisirent suivant leur usage l'abri d'un buisson touff"u , et s'ac- croupirent autour du feu alimenté sans cesse par de petites 188 NOTES. branches de bois sec qu'ils trouvaient à leur portée. Les voyant si près de nous , nous leur témoignâmes le désir d'augmenter leur cercle; cette proposition fut accueillie avec empressement, ils nous firent place, et alors commença pour nous une scène singulière, fertile en émotions neuves, et dont on chercherait en vain l'équivalent dans ces spectacles que la civilisation a inventés pour amuser l'esprit. C'est une singulière destinée que celle qui rassemble autour du même foyer des habitans si différens du même globe. Nous faisions involontairement cette réflexion qui en aurait amené bien d'autres si nos hôtes ne nous en eussent détournés. Peu oc- cupés d'idées philosophiques, ils obéissaient en ce moment aux impressions toutesphysiques qui agissaient sur eux. Leurs yeux brillans et expressifs nous observaient avec curiosité , et par- couraient toutes nos personnes. Leurs mains dures et maigres touchaient alternativement nos vétemens et notre peau, et chaque parole que nous prononcions excitait leur étonnement et provoquait leur l'ire. Un des moyens naturels d'entrer avec eux en conversation était de leur dire nos noms et d'apprendre les leurs. 11 fallut bien des répétitions avant qu'ils parvinssent à articuler des mots pour lesquels leurs organes semblent insuf- fisans. Les s et les r surtout échappaient à leur prononciation ; enfin , ils réussirent pourtant à retenir nos noms qu'ils défi- guraient à leur manière. M. Gaimard se nommait Kaima, M. Guilbert Kilberé , notre maître voilier, Audibert, se nom- maitpoureux Ouadibé;(\Vian\. à moi, ils m'appelaient Tainton. On pense bien que toutes ces épreuves n'avaient pas lieu sans beaucoup de bruit et de gaieté. A peine connurent-ils nos noms, qu'ils voulurent tous à la fois nous dire ceux qu'ils portaient eux-mêmes. Le plus âgé du groupe, assis près de M. Gaimard, se nommait Patêt (PI. ii). Son air était grave et réfléchi, ses yeux intelllgens; son corps, calleux aux articulations, était couvert de poussière, et d'une saleté repoussante. Un homme, encore jeune , qui paraissait affectionner particulièrement M. Guilbert, se nommait Mokoré (PI. ii); il avait une phy- NOTES. 189 sionomie ouverte et les manières plus vives qu'aucun de ses compagnons. J'eus le chagrin de ne pouvoir entendre en au- cune façon le nom que portait mon voisin ; il était composé de syllabes sourdes et gutturales, et mon interlocuteur aimait tant à causer, qu'il me fut impossible de rien saisir dans le flux de paroles dont il accompagnait ses explications. Un enfant de douze à treize ans se nommait Yalepouol (PI. Il); il nous fit entendre d'une façon fort plaisante que Patèt était son père. Cet enfant faisait à lui seul autant de bruit que tous les autres ensemble ; sa petite voix aigre et glapissante dominait toutes celles de l'assemblée , et ses discours ne taris- saient point. Nous comprîmes bientôt que nos botes voulaient cbanger leurs noms contre les nôtres. Cette coutume que les voyageurs ont trouvée répandue dans les archipels du Grand-Océan , eut lieu de nous étonner chez ces pauvres humains qui semblent si mal partagés sous le rapport de l'intelligence. Elle annonce un état de société déjà perfectionné , et nous ne pouvions pas nous attendre à la trouver établie dans une horde errante de ce pays sauvage. Quoi qu'il en soit , le changement eut lieu à leur grande satisfaction, et plusieurs d'entre eux chantèrent, à cette occasion , des chansons où nous pûmes reconnaître nos noms. Un jeune homme de la troupe paraissait jouir parmi ses compa- gnons de quelque célébrité poétique , car lorsqu'il commen- çait à chanter, le silence s'établissait, et de temps en temps un , murmure flatteur semblait l'applaudir. Leur chant monotone et d'un caractère triste commence par des notes élevées , re- tombe graduellement dans un ton grave et sourd qui s'afl'aiblit insensiblement et finit par un long murmure auquel tous les assistans se joignent à l'unisson. M. Guilbert et moi , nous leur chantâmes un air fort gai à deux voix , et nous eûmes lieu de nous enorgueillir de notre succès , car non-seulement ils obser- vèrent le plus grand silence , mais à la fin de la chanson ils daignèrent nous applaudir par leurs cris et leurs battemens de mains. Cette dernière façon d'exprimer le contentement, usitée 190 NOTES. aussi dans notre Europe, fut encore pour nous un sujet d'é- tonnement chez ce misérable peuple. Pendant que tout cela se passait, le vocabulaire de M. Gai- mard s'enrichissait d'un bon nombre de mots qui ne peuvent laisser aucun doute; car les moyens ne nous manquaient pas de renouveler nos épreuves, et la bonne volonté de nos hôtes, quoiqu'un peu bruyante , nous secondait à merveille. Nos communications avec ces indigènes nous avaient assez appris jusque-là qu'ils se souciaient peu de laisser voir leurs femmes aux étrangers. Nos nouvelles instances , dans cette soirée , furent éludées par une promesse qu'ils nous firent pour le lendemain, et qu'ils avaient certainement l'intention de ne pas tenir. A leur tour ils nous demandèrent avec les gestes les plus significatifs , si nous étions réellement tous du même sexe. Notre réponse affirmative ne parut pas les convaincre , car ils s'adressèrent assez vivement à M. Guilbert et à moi comme pour éclaircir leurs doutes. Notre jeunesse et nos mentons rasés nous rendirent probablement l'objet de cette galante curiosité. Quant à M. Gaimard qui portait d'épaisses mousta- ches et des favoris, sa dignité d'homme ne lui fut nullement contestée. Nos amis nous demandèrent la permission de relever nos manches et nos pantalons. La contexture de nos vétemens les arrêta d'abord , et en les examinant avec soin ils répétaient le motkingarou. Ce mot exprimait sans doute une opinion très- conséquente dans leurs idées, car, puisque le quadrupède qu'ils désignaient leur fournit leur unique vêtement, il s'ensuit tout naturellement pour eux que les hommes blancs ont aussi quel- que kingarou dont les dépouilles servent au même usage. La grosseur de nos membres paraissait les étonner, eux dont la charpente grêle est revêtue de muscles si débiles ; mais ce qui semblait surtout charmer leurs regards, c'était la blan- cheur de notre peau. Ils nous caressaient légèrement et pro- nonçaient de ces mots doux et flatteurs qui dans toutes les lan- gues expriment des sensations agréables. Notre couleur est-elle NOTES. 191 n^ellement pour eux un objet d'admiration? C'est une question que nous n'osons pas résoudre , bien que leurs démonstrations nous fassent pencher pour l'affirmative. Nous remarquâmes en général parmi nos hôtes des manières douces et paisibles; ils étaient bruyans, mais leurs importunités cessaient au moindre geste que nous faisions. Malgré l'exiguité de leur vêtement qui leur couvre à peine les reins, nous crûmes reconnaître en eux des habitudes de pudeur, ou du moins une décence naturelle qui paraissait voiler en quelque sorte ce que leur nudité a de choquant pour nous. La soirée s'avançait et la gaieté cédait peu à peu au besoin du sommeil ; nous nous levâmes alors pour regagner la tente sans qu'aucun indigène tentât de nous y suivre. Vers le milieu de la nuit, pendant que nous reposions sur les voiles étendues dans la tente , nous entendîmes encore les chants tristes et monotones d'un homme et de l'enfant Yale- pouol. Vers deux heures du matin tout était endormi : les sauvages accroupis, le menton sur les genoux, étaient serrés l'un contre l'autre pour résister au froid , et ne remplissaient dans cette posture qu'un très-petit espace. Le feu ne jetait plus qu'une sombre lueur, et le silence qui régnait sur toute la côte à cette heure avancée , contrastait avec les éclats joyeux dont quelques heures auparavant ces solitudes avaient retenti. A la naissance du jour quatre indigènes seulement rani- maient les restes du feu ; ils paraissaient transis de froid , et leur visage n'offrait plus que l'expression stupide de l'engour- dissement. A peine répondirent-ils quelques mots à nos ques- tions. Lorsque nous leur rappelâmes l'engagement qu'ils avaient pris de nous conduire vers leurs femmes , ils gardèrent le silence , et enfin ils nous laissèrent entrer dans le bois sans paraître s'apercevoir que nous les quittions. Nous passâmes la journée dans les forêts, nous y fîmes la- rencontre de trois naturels qui nous accompagnèrent assez long-temps. Notre chasse ne fut point heureuse , nous ne vîmes 192 NOTES. qu'un casoar de très-haute taille que nous poursuivîmes sans l'atteindre. A cinq heures nous rentrions à bord. (^Journal de M, Sainson. ) Les habitans du port du Roi-Georges, comme tous ceux des plages de la Nouvelle-Hollande , sont peu nombreux et divisés en petites tribus dont chacune paraît composée au plus d'une vingtaine d'individus. Nous ne les avons point vus entièrement réunis. Les groupes les plus nombreux avec lesquels nous ajions communiqué comptaient à peine douze à quinze hommes et quelques enfans de dix à douze ans , qui pouvaient les suivre dans leurs courses. Les femmes n'étaient jamais avec eux; et nous sommes fondés à croire que, par crainte ou par jalousie, ils les cachaient avec soin. Il paraît même qu'elles habitent assez loin des bords de la mer. Le caractère de physionomie de ces hommes nous semble à peu près le même dans toute la Nouvelle-Hollande , autant qu'on peut en juger par les relations des voyageurs que par ce que nous avons vu nous-mêmes à la baie des Chiens-Marins, à la baie Jervis et à Port-Jackson. Il peut y avoir quelques différences de localités, mais elles ne modifient pas essentiel- lement le type général. Les indigènes du port du Roi-Georges sont en général d'une taille au-dessous de la moyenne ; cependant il y en avait quel- ques-uns d'assez grands parmi vingt-cinq à trente que nous avons pu voir. Au premier aspect on est frappé de la maigreur et de l'exiguité de leurs membres inférieurs ; mais cette dispo- sition ne paraît point le caractère propre à ces peuples; elle tient à l'état de micère dans lequel ils" sont et au défaut d'une nourriture suffisante pour le développement de ces parties. Ce qui semble le prouver, c'est ce que nous avons vu dans ces pa- rages : des femmes d'une tribu de la Nouvelle-Hollande qui habite vis-à-vis l'île des Kanguroos, et d'autres du port Dal- rymple , sur l'île Van-Diémcn, prises dans cet étal d'émaciation NOTES. 19S par les Anglais qui font la pêche des Phoques , vivant avec eux, et faisant usage d'une nourriture abondante et animale, avaient leurs extrémités très-bien développées, et même dans un état d'obésité. Le même cas s'est offert chez plusieurs indi- vidus des peuplades de la Nouvelle-Galles du Sud. Quoi qu'il en soit, ce caractère d'émaciation est si marqué chez les hommes qui nous occupent, qu'il paraît singulier et vraiment extraordinaire au premier aspect, et que le dessin que M. de Sainson a fait d'un enfant semble être une vraie caricature : on dirait que ses membres inférieurs ne sont autre chose que le fémur et le tibia recouverts de la peau. Si le torse paraît plus développé et plus trapu , on ne peut l'attribuer qu'à l'esiguité des jambes, car il est généralement maigre. Les bras rentrent aussi, mais un peu moins, dans cet état de maigreur. Cependant le ventre est arrondi, et a des propensions à devenir gros; ce qui s'explique facilement par l'habitude qu'ont les peuples sauvages, exposés à de longues abstinences, de prendre des alimens outre mesure quand ils en trouvent l'occasion. Leur tête est assez grosse, la face un peu élargie trans- versalement; l'arcade soui'cilière très-saillante, d'autant plus peut-être que leurs jeux, dont la sclérotique est blanc-jaunâ- tre, sont très-enfoncés. Ils ont les narines plus ou moins apla- ties et écartées; les lèvres médiocrement grosses; les gencives blafardes ; la bouche grande , très-fendue , ornée de dents fort belles, régulières et serrées, dont l'ensemble ressemble parfai- tement à ces mâchoires artificielles que l'on voit à Paris, au Palais-Royal. Ils ont les oreilles médiocres ; les cheveux frisés sans être laineux , mais dont la couleur naturelle n'est pas facile à reconnaître , parce qu'ils sont toujours recouverts d'une couche d'ocre , excepté chez les enfans qui les ont bruns ou noirs. Leur barbe est rare et noire ainsi que les mous- taches. Leur couleur générale varie entre le noir peu intense et le noir rougeâtre. Leur maigreur est quelquefois si grande que TOME I. i3 194 NOTES. quelques-uns ont l'air de spectres. Cet état n'est point étonnant quand on sait que la terre ne fournit presque rien à la nourriture de ces hommes qui, pour toute arme, ayant de simples lances, sont obligés de parcourir de grands espaces avant de pouvoir atteindre une petite proie, telle que des Ser- pens, des Lézards, des Scinques, et parfois des Phalangers et des Péramèlcs qu'ils mangent sans les avoir fait cuire , et après s'être bornés à les présenter au feu. Nous les avons vus quel- quefois dévorer avec le même empressement les intestins de poissons que nos matelots jetaient. D'après ce qui nous a été dit par les Anglais qui font la pêche des Phoques au port du Roi-Georges, toute l'industrie qui tend à leur procurer de la nourriture, est plutôt le partage des femmes que celui des hommes : elles vont à la chasse avec des chiens du pays , font la pêche et plongent sur le bord de la mer pour avoir des coquillages. La prise d'un Kanguroo est pour eux une chose importante; et, pour cela, il est nécessaire que toute une peuplade entoure l'endroit où il est cantonné , y mette le feu, et oblige ainsi l'ani- mal à se livrer à ses coups. Outre la nourriture , le Kanguroo leur fournit , par sa peau , le seul vêtement qu'ils possèdent. Ils ont soin de l'assouplir, et le portent sur les épaules, en forme de manteau court. Le froid excessif qu'il doit faire l'hiver dans cette contrée, ne les a point encore déterminés à s'en faire des vêtemens pour les membres inférieurs; et l'usure de ceux qu'ils portaient prouve sufEsamment qu'il ne leur est pas facile de s'en procurer. Ces hommes sont très-frileux, et, pour se préserver du froid autant qu'ils le peuvent , ils portent constamment avec eux un cône de banksia desséché, enflammé, et qui brûle lentement comme do l'amadou. Chose singulière I tous le mettent pres- que à toucher leurs parties génitales , le plus souvent sous leur manteau. Ils s'en servent aussi pour enflammer en un instant, et le plus souvent sans objet en apparence , les lieux par où ils passent, ce qu'ils font avec une prestesse singulière et une ra- NOTES. 195 pidité qu'il nous serait bien difficile d'imiter. Aussi, toute cette contrée est-elle tellement brûlée qu'on ne peut y faire un pas sans être noirci de toutes parts. Les grands arbres sont char- bonnés jusque dans leur cime , tandis que le sous-bois meurt et ne pousse que des tiges rabougries. Il est cei'tain que cela doit nuire en partie à la végétation des bords de la mer, et détruire même les animaux qui pourraient servir à la nourri- ture des indigènes, tels que les Mollusques terrestres, les Lézards, etc. Leurs habitations sont des niches arrondies dans lesquelles deux ou trois hommes peuvent se tenir étendus : elles sont for- mées de branches d'arbres recourbées , recouvertes en général de feuilles de xanthoréa. On voit aux alentours les débris de la plante qu'ils ne paraissent manger qu'à défaut d'autre chose, parce qu'elle ne fournit que fort peu d'aliment; et, dans pres- que toutes ces cases de mall\eureux qui n'ont pas de quoi vivre, les premières choses qui se présentent, les seules même que l'on voie, sont des objets de toilette! Ce sont de petits morceaux d'ocre rouge dont ils se plaisent à se frotter la figure et le corps , et à se couvrir la tête en grattant ce cosmétique avec l'ongle , ce qu'ils faisaient aussitôt que nous leur en pré- sentions quelque fragment. Sans doute que cette couche sale a un autre but, celui de se garantir des Moustiques, insectes fort communs dans les lieux marécageux où ils établissent leurs cabanes. L'état de misère dans lequel ces peuplades semblent vivre n'a point anéanti autant qu'on pourrait le croire certaines des facultés propres à l'homme. Ainsi, par exemple, on ne peut pas dire que les habitans du port du Roi-Georges soient stu- pides, quoique leur existence s'écoule presque entièrement dans le repos ou à la recherche de leur nourriture. Notre présence les mettait dans une soi'te de gaieté, et ils cherchaient à nous com- muniquer leurs sensations par une loquacité à laquelle nous ne pouvions répondre , n'entendant pas leur langage. Dès que la rencontre s'opérait, ils venaient à nous les premiers en gesti- i3* 190 NOTES. culant et parlant beaucoup; ils poussaient de grands cris, et, si nous leur répondions sur le même ton, leur joie était extrême. Bientôt l'échange de nom avait lieu , et ils ne tardaient pas à demander à manger, en se frappant sur le ventre. Dans une nuit passée au milieu d'eux à terre, nous obtînmes assez faci- lement leurs mots les plus usuels, et ils ne cessèrent de nous montrer les dispositions les plus bienveillantes. Ils nous suivi- rent quelquefois dans nos courses; cependant nous devons dire que constamment ils y montrèrent un défaut d'industrie et une sorte de paresse qui ne les portaient presque jamais à nous aider dans certains travaux que d'autres hommes se seraient empressés de nous faciliter, comme, par exemple, lorsqu'il s'a- gissait de porter nos collections, de chercher des coquilles, etc. Si le besoin de la nourriture ou tout autre motif les oblige à s'éloigner du cantonnement où sont leurs cabanes, on les voit errer çà et là par petits groupes de deux, trois ou quatre, ra- rement de sept ou huit, et ils ne craignent pas de s'établir en plein air, sans aucun abri. Seulement ils allument du feu auprès duquel ils ne cessent de grelotter. Et cependant nous étions dans le printemps de l'hémisphère austral! Que doit-ce donc être l'hiver?.. Ces hommes de la nature , dont on a fait un si brillant tableau, nous paraissent parfois bien à plaindre. S'ils veulent passer la nuit quelque part, ils font très-promp- tement une petite cabane à peine suffisante pour les garantir de la pluie. Lorsqu'ils éprouvent de la peine, ils pleurent assez facile- ment; c'est ce qui arriva à un vieillard retenu involontaire- ment à bord quelques instans de plus qu'il ne voulait. Ils chantent quelquefois, ou plutôt ils psalmodient. L'amour pa- ternel paraît assez développé chez eux , comme nous l'avons vu dans notre ami Patêt : ce bon Australien prenait beaucoup de soin de son jeune fils, Yalepouol, qui l'accompagnait dans sa course , et qui vint avec lui à bord de V Astrolabe. Leurs instrumens n'annoncent pas une plus haute industrie que leurs vêtemens et la construction de leurs cabanes. Ceux NOTES. 107 de guerre sont de longues javelines minces et droites, durcies au feu , et pointues à une extrémité ; nous n'en avons pas vu d'autres. Les taches dont ils se servent ont la forme d'un grossier marteau : c'est un morceau de pierre dure , de Schiste ou de Basalte , fixé à un manche grêle , à l'aide de la résine de xanthoréa. Ils font des couteaux de la même manière, en ap- pliquant sur une même tige quatre ou cinq morceaux de Quartz réunis entre eux avec le même ciment. C'est à l'aide de pareils moyens qu'ils coupent les arbrisseaux qui les gênent dans leur route, ainsi que nous l'avons vu assez souvent. Ce qu il y a de particulier, c'est que ces abattis de hautes bruyères qui croissent dans les marais ont une forme demi-sphérique. Lorsqu'ils s'aperçurent que nous voulions avoir de leurs ins- trumcns, ils s'empressèrent d'en faire pour nous, avec cette différence qu'ils y mettaient moins de soin, puisque, dans la confection des couteaux, au lieu de Quartz ils se servaient de Feldspath qui n'offre ni la même dureté ni la même résistance. C'est une branche de commerce à laquelle notre présence les força de s'adonner. Ils obtenaient en échange nos petits cou- teaux qu'ils aimaient beaucoup , et du biscuit qu'ils aimaient encore mieux. Celui de leurs travaux pour lequel ils déploient le plus d'intelligence paraît être la construction de leurs pêche- ries, qui sont faites ou en pierres comme sur la rivière des Fran- çais, ou avec de simples petits pieux. Le poisson entre, avec la marée, par une petite ouverture qu'ils ferment aussitôt; et, s'il est abondant , la pèche devient ainsi très-facile. L'état d'a- bandon dans lequel étaient les pêcheries semblerait indiquer que cette ressource est bien piécaire. Si notre approche n'a point étonné ces tribus, si elles se sont empressées de communiquer avec nous , si nos armes à feu ne les ont point étonnées , nous devons l'attribuer à la présence des Anglais qui fréquentent et habitent ces parages pendant une grande partie de l'année, pour la pêche des Phoques. Et si nous n'avons pas vu les femmes des indigènes , il faut proba- blement encore en chercher la cause dans la présence de ces 198 NOTES. mêmes Anglais qui en ont enlevé plusicui'spour leurpropre ser- vice. Elles leur sont d'ailleurs de la plus grande utilité pour leur procurer leur subsistance, soit en prenant des poissons, des coquillages, des lézards, etc., soit en chassant avec les chiens et même avec les fusils. Elles deviennent promptement fort habiles dans ce dernier exercice. Une fois que ces mal- heureuses femmes ont perdu le souvenir de leur état de liberté , dans lequel cependant elles sont maltraitées par leurs maris , elles ne peuvent que trouver agréable la vie qu'elles mènent avec les Européens qui ont pour elles beaucoup plus d'égards. Nous tenons de plusieurs de ces pêcheurs , abandonnés par leur navire plus long-temps qu'ils ne pensaient , qu'elles leur furent d'un extrême secours , et que sans elles ils seraient peut- être morts de misère. C'est probablement à elles que nous de- vons presque tous les Scinques que nous possédons, animaux dont nous n'avions pu prendre que quelques individus, et dont les Anglais nous apportèrent un très-grand nombre contenus dans plusieurs sacs. Nous mentionnerons ici deux indigènes, homme et femme, nés dans une contrée peu éloignée du port du Roi-Georges, la partie de la Nouvelle-Hollande qui est située vis-à-vis l'île des Kanguroos. Leur caractère de physionomie ne paraissait pas le même que celui des individus que nous venons d'esquisser; il est vrai qu'il s'était amélioré par leur séjour avec les Anglais, et que ces deux indigènes n'étaient pas déguisés par les sales peintures dont les premiers se couvrent. Ils étaient noirs ; ils avaient la peau lisse; les cheveux longs, lisses et noirs. Leurs yeux n'étaient pas très-enfoncés , mais la partie inférieure de la face proéminait un peu. Ils avaient l'air plus intelligens que les naturels du port du Roi-Georges, sans qu'on puisse indi- quer par la description en quoi consistait cette différence. Les Anglais vinrent à bord avec deux femmes du port Dal- rymple, situé, comme l'on sait, sur la côte septentrionale de l'île de Van-Diémen , que quelques géographes désignent sous le nom de Tasmanie. Chez elles, le caractère de la physio- NOTES. 199 nomie était tout différent de celui des deux précédens; c'était presque celui du nègre : les pommettes larges , les lèvres grosses, proéminentes, s'alongeant en une sorte de museau. Dans l'une d'elles surtout , ce caractère était très-marqué ; ce- pendant le front ne fuyait point trop en arrière. A ces traits nous ne pouvons point réunir l'aspect et la nature des cheveux, parce que ces femmes les ont coupés très-ras, à l'exception d'un cercle qui entoure le sommet , et qui est formé de cheveux dont la longueur est à peine de quelques lignes : disposition assez justement comparée par Cook à la tonsure des moines romains. Il nous a paru toutefois qu'ils avaient de la tendance à se friser. Nul doute que le type de leur phy- sionomie ne soit pris par des observateurs superficiels ou peu attentifs pour le type nègre, quoiqu'il y ait des différences réelles. Ces deux femmes, excessivement maigres, et sembla- bles, sous ce rapport, aux indigènes du port du Roi-Georges, lorsque les Anglais les prirent, avaient acquis depuis cette époque beaucoup d'embonpoint, surtout l'une d'elles qui était presque dans un état d'obésité. C'est par elles que nous fûmes convaincus que la maigreur des habitans du port du Roi- Georges n'était point naturelle, et dépendait uniquement de leur misère. Le langage des habitans du port du Roi-Georges est exces- sivement doux : c'est une sorte de gazouillement produit par le concours des voyelles. 11 nous a paru que plusieurs lettres, telles que le^, Vs, etc., ne pouvaient être prononcées par eux, et qu'ils les changeaient, la première en /■, et la seconde en t. Ainsi , ils disaient Tainton pour Sainson , Kaima pour Gai- mard. A l'exception des noms de Quoy et de Collinet qu'ils prononçaient parfaitement, ils estropiaient presque tous les autres mots : ils disaient Tchioulérouvil et Tunnl pour d'Ur- ville, Pelante pour Bellanger, etc. Des détails plus étendus sur leur langage doivent être renvoyés plus loin, lorsqu'il sera question du vocabulaire des différens peuples que nous avons visités. (^Journal zoologique de MAL Quoy el Gaimarcl.) 200 NOTES. PAGE 11 5. Enfin, il n'est pas douteux qu'au bout de quelques années , les productions du sol , tant en grains qu'en bestiaux , ne pussent suffire amplement à leur con- sommation. Il n'est pas de contrée de grande étendue qui offre plus d'u- niformité dans son ensemble que la Nouvelle-Hollande. De Port-Jackson au port du Roi-Georges, la végétation a le même aspect, les animaux sont pour ainsi dire les mêmes, et le sol ne présente que quelques différences locales. Les Zoopliytes et les Mollusques, qui vivent dans la mer, sont les seuls qui se ressentent de l'influence des latitudes, et qui soient plus nombreux et plus brillans à mesure qu'on approche de l'équateur, etc. , etc. La base du sol du port du Roi-Georges est de Granité à gros grains avec de larges plaques de Feldspath très-souvent de cou- leur rosée. Il est des parties de la rade où le grain de cette roche, beaucoup plus fin , contient une assez grande quantité de Grenat brun , ce qui lui donne la plus grande similitude avec le Granité de Rio-Janciro, en Amérique. Toute la contrée est parsemée de collines assez élevées, et qui peuvent même pren- dre le nom de montagnes, surtout à l'entrée de la rade où l'on remarque les monts Gardner et Bald-Head. De grandes et grosses veines de schistes verdàtrcs ou presque noirs traversent le Granité qui s'offre très-souvent en blocs énormes entassés les uns sur les autres. Entre les collines et dans les lieux plats on trouve d'assez nombreux étangs d'eau douce qui presque tous vont se jeter à la mer. Il y a même des parties élevées qui sont marécageuses; ce qui est du à la natuic du Granité qui laisse fil- trer de nombreux filets d'eau. Le mont Bald-Head est le seul point qui ne soit pas grani- NOTES. 201 tique. Il est au contraire tout calcaire, mais non formé de Ma- drépores présentant encore leurs branches intactes et comme sortant de la mer, ainsi que le dit Vancouver. Nous étions im- patiens, M. Gaimard et moi, de vérifier ce qu'en dit le voya- geur anglais, et, munis des instrumens nécessaires pour enlever le plus de beaux échantillons possibles, et en faire jouir les amateurs , nous parcourûmes en vain les trois quarts du sommet de cette montagne sans apercevoir la moindre trace de Madré- pore quelconque. Seulement au bas , sur le bord de la mer, et par le seul endroit où l'on puisse gravir la montagne , nous recueillîmes quelques Coquilles incrustées dans le Calcaire , dont les analogues se trouvent aux environs. Quelques-unes ne tenaient à la roche que par un point de leur surface. Passé quelques toises en montant , et là où la mer ne pouvait plus atteindre dans ses plus grandes crues, on n'en trouvait plus. Cette faculté d'incrustation sur quelques points de la Nouvelle- Hollande est assez remarquable. Péron en a fait mention, et nous l'avons observée aussi à la baie des Chiens-Marins, dans notre précédent voyage avec M. de Freycinet. Elle s'étend jusqu'aux végétaux, et nous en avons recueilli où des ra- cines forment des noyaux de cylindres assez gros. Serait-ce cela que Vancouver aurait pris pour des Coraux fossiles? Ce- pendant en examinant avec soin le Calcaire de Bald-Head, on pourrait se ranger de l'opinion de quelques naturalistes qui pensent qu'une grande partie de cette roche doit son origine aux Zoophytcs. Le sommet de cette montagne est quelquefois à nu et déchiqueté par les météores; mais le plus souvent couvert de plantes et quelquefois de bois assez élevés. Le seul cours d'eau remarquable est la rivière des Français , qui se jette dans le fond du havre aux Huîtres. Partout ail- leurs ce ne sont que de petits ruisseaux qui se perdent dans les sables en filtrant au travers des rochers. La physionomie végétale du pays est formée par les Euca- lyptus, lesBanksias, lesXanthoréas, des Mimosas, des bruyères et quelques Casuarinas. Les forêts ne paraissent même formées 202 NOTES. que par les premiers de ces végétaux dont quelques-uns sont énormes ; mais tous paraissent plus ou moins souffrir de l'ha- bitude qu'ont tous les naturels de la Nouvelle-Hollande, de mettre le feu partout où ils passent. Et comme la plupart de ces arbres sont résineux, ou ont une écorce tomenteuse , l'in- cendie se propage avec une rapidité étonnante, gagne jusqu'aux tiges les plus élevées , et charbonne les arbres dans toute leur étendue ; de sorte qu'on revient tout noirci des courses qu'on fait dans les bois. Les arbustes y succombent. Les lieux qui n avaient pas été brûlés, dans la saison où nous nous trouvions, ressemblaient à un parterre émalllé de fleurs de toutes les cou- leurs et singulières par leurs formes variées. Des Kanguroos, des Phalangers sont les seuls Mammifères que nous y ayons vus. Parmi les premiers il s'en trouve de grande taille. Nous ne pûmes nous en procurer quoique nous les ayons chassés avec plusieurs chiens dressés à cet exer- cice. Les Kanguroos, dans leurs bonds, les laissaient toujours loin derrière eux. Si les voyageurs qui nous ont précédés n'ont trouvé que très- peu d'oiseaux, c'est qu'ils ont boi'né leurs courses au contour de la baie, où en effet ils sont rares. Mais dans les forêts qui bordent les rivières des Français et des Anglais, on en ren- contre encore un assez bon nombre , et de variés, soit parmi les Perroquets, soit dans les Philédons. Dans le journal destiné à l'histoire naturelle, nous entrerons dans plus de détails à ce sujet. Une grosse espèce de Tourterelle à ailes métalliques y est assez commune et constitue un très-bon manger. Les oiseaux de mer y sont nombreux , mais difficiles à tuer, à l'exception cependant des Goélands, des Mouettes et des Hirondelles de mer. On n'a pu approcher des Céréopsis et des Pélicans. Seulement, sur la petite île du Jardin, on en prit plusieurs jeunes qui ne pou- vaient point encore voler. On tua quelques Canards et un seul Cygne noir. Parmi les Lézards, nous eûmes de très-gros Scinques, ani- maux dont les mouvemens sont lents , et phisieurs Scrpens vc- NOTES. 203 nimeux, dont un avait près de six pieds de long. Les mauvais temps et les travaux du bord ne nous permirent point de jeter la seine, moyen de constater les variétés de poisson ; mais on en prit beaucoup à l'hameron , et des pêcheurs anglais station- nés dans ce port en échangèrent tous les jours pour du lard salé. C'était le plus souvent une grosse espèce de Daurade. Soit que la saison ne fût pas assez avancée pour les Insectes , ou que ce lieu en contienne fort peu , nos collections en ce genre ont presque été nulles. Nous avons été plus favorisés relativement aux Mollusques dont on trouve assez d'espèces variées , parmi lesquelles on re- marque les Phasianelles , coquilles élégantes, encore rares dans les collections, et qu'il est bien difficile de trouver parfaites. Nous eûmes bientôt la visite des naturels. A leur empresse- ment et au peu de défiance qu'ils montraient, nous jugeâmes qu'ils devaient avoir quelques relations avec les Européens ; ce qui ne tarda pas à se vérifier comme nous le dirons bientôt. Le commandant fut le premier qui les découvrit en visitant le havre aux Huîtres; ils s'approchèrent, et l'un d'eux, assez âgé, ne fit point de difficulté pour s'embarquer et venir à bord. De presque nu qu'il était, il fut bientôt habillé de pied en cap , et coiffi? d'un vaste bonnet noir en peau de mouton. Ce qui pa- raissait lui plaire davantage , c'étaient les alimens dont il était pourvu en abondance, et qu'il avalait presque sans mâcher. L'eau-de-vie fut pour lui une boisson trop forte , et il ne s'en trouva pas bien. Le lendemain matin les gens de sa tribu, après avoir fait un grand tour, vinrent vis-à-vis le bâtiment , et manifestèrent leur présence par leur moyen accoutumé, en mettant le feu aux broussailles. Il voulut aller les rejoindre, et, comme on tardait un peu à le porter à tei're , il se mit à pleurer et gémir comme un enfant. Du reste ce naturel montrait peu d'intelligence, et était loin de ressembler en cela à ceux que nous vîmes ensuite. Dès que ses camarades le virent si bien équipé, le ventre aussi bien tendu, et muni d'alimens au- tant qu'il en pouvait porter, c'était à qui viendrait à bord. 204 NOTES. Les peuplades du porl du Roi-Georges , habitant un pays aride , stérile , doivent être considérées, ainsi que plusieurs de celles de la Nouvelle-Hollande , comme les plus malheureuses de la terre. A leur seul aspect on reconnaît l'influence d'un sol in- grat qui refuse à ses habitans de quoi fournir à tout leur déve- loppement physique. Aussi ces naturels surprennent-ils par la maigreur de toutes leurs parties, beaucoup plus sensible aux bras et aux jambes. De loin , lorsqu'ils sont couverts de leur morceau de peau de kanguroo , et qu'ils grimpent sur les ro- chers , ils n'ont pas mal l'air de ces oiseaux de rivage ii jambes longues et grêles, qu'on nomme Echassiers. En général, ils sont de petite taille, ont la tête grosse, les orbites saillans ainsi que les pommettes, ce qui donne à la face une assez grande largeur transversale ; les lèvres grosses s'alon- gent chez quelques-uns comme un mufle ; la bouche est grande ; les dents sont parfaitement rangées, égales, courtes, et res- semblent à ces râteliers artificiels des dentistes de Paris. Leurs yeux sont petits, un peu obliques, noirs, avec la conjonctive jaunâtre ; ce qui peut tenir à ce qu'ils sont presque toujours accroupis sur les tisons. Dire que la couleur de leur teint est un noir rougeâtre, n'est pas indiquer celle qu'ils devraient avoir naturellement, car la fumée et l'ocre dont ils se frottent la tête et le corps doivent singulièrement modifier cette teinte. Toutefois c'est le noir qui domine. Leur ventre est proémi- nent, arrondi, et ils ne présentent point dans le reste de leurs membres de belles et justes proportions. Mais tout indique que ces défauts physiques dépendent de la misère et du man- que de nourriture. Ce qui le prouve , c'est que les habitans de la terre de Van-Diémen, que des pêcheurs anglais avaient avec eux, et qu'ils avaient pris dans un état de maigreur semblable, sont devenus gros , et ont fini par montrer des membres bien formés. Plusieurs des habitans de la baie Jervis, qui avoisine Port-Jackson , et qui ont de fréquentes relations avec les colons anglais, nous ont offert le même état d'amélioration; tandis que les peuplades du port du Roi-Georges, n'ayant pour tout NOTES. 205 abri sous un climat rigoureux , en hiver, que de misérables niches ouvertes à tous les vents ; pour vêtement , qu'une mince peau de kanguroo qui leur couvre les épaules, et pour toute nourriture, que des lézards ou de maigres racines, ne peu- vent que végéter sur une terre qui semble tout leur refuser. Leur seule industrie paraît se borner à la fabrication grossière de quelques pêcheries sur la rivière des Français, où ils vont à certaines époques de l'année. Mais ils ne connaissent ni l'arc et la flèche pour atteindre leur proie , ni la pirogue et l'ha- meçon , armes naturelles aux peuples riverains. Cependant ils ne sont point stupides; ils ont de la sagacité , et de la finesse dans le sourire et les manières. Ils aimaient à être avec nous , quelquefois à nous accompagner à la chasse. Presque toujours ily en a eu autour de latente que nous avions à terre. Ils se plaisaient à prendre nos noms et à nous donner le leur, usage qui se retrouve dans toutes les îles de la Poly- nésie. Mais , je le répète , cette nécessité de pourvoir sans cesse et tous les jours à une nourriture incertaine doit prendre tout leur temps, et les absorber entièrement. Quoi qu'il en soit, nous n'oublierons jamais nos amis Patêt père et fils. Leurs cabanes sont des branches d'arbres pliées en rond , et couvertes de feuilles séchées de xanthoréas. On ne peut y tenir que couché, et à peine peut-on s'y étendre. On trouve dans presque toutes une pierre qui sert à écraser de l'ocre avec la- quelle ils se frottent la tête et les joues. Est-ce par une sorte de nécessité ou par coquetterie? Nous pensons qu'il faut l'attribuer à ce dernier motif. Ils font du feu en frottant l'un contre l'autre deux morceaux de bois sec , et ils en conservent toujours dans la main en voyageant, à l'aide d'un cône de banksia qui brûle très-lentement comme une sorte d'amadou. Tous tiennent ce réchaud portatif sous leur manteau, et vis-à-vis les parties gé- nitales où ils paraissent le plus sensibles au froid. Nous nous croyions seuls avec nos sauvages dans cette soli- tude , lorsque nous ne fûmes pas peu surpris un soir de voir arriver un canot portant des Anglais pécheurs de Phoques, qui 206 NOTES. étaient cantonnés sur une des îles environnant le port. Ils avaient aperçu notre navire. Plus de huit mois s'étaient écoulés, nous dirent-ils, depuis qu'ils attendaient le bâtiment qui les avait déposés sur cette côte , et qui devait venir les prendre avec leur cargaison. Plusieurs, craignant d'être abandonnés, demandè- rent à M. d'Urville de passer à Port-Jackson , ce qui leur fut accordé. Le lendemain il nous arriva un second canot faisant aussi la pèche. Celui-ci paraissait plus content de son sort. Il y eut IX bord des échanges mutuels de peaux de Phoques ou de Kanguroos pour de l'eau-de-Vie et du tabac. Ce sont ces hommes qui nous procurèrent du poisson en abondance , des Tourterelles, un Phoque pour l'histoire naturelle, et des Pétrels noirs tout plumés en grande quantité. Ils allaient prendre ces oiseaux dans des trous, sur les îles qui sont à l'entrée de la rade. Ces pécheurs avaient avec eux des femmes des naturels de la Nouvelle-Hollande et de l'île deVan-Diémcn. Ils parais- saient avoir enlevé de force les premières , ce qui les faisait re- douter sur cette côte. Ces femmes, par leur adresse et leur industrie, étaient de la plus grande utilité pour les Anglais; c'étaient elles qui péchaient, allaient à la chasse au fusil, ou à celle du Kanguroo avec les chiens; qui plongeaient pour nous apporter des Huîtres et autres Coquilles, et qui nous procu- rèrent une grande quantité de gros Lézards qu'il eût été im- possible d'avoir sans leur secours. Elles ne devaient pas se trouver mal avec des hommes qui leur procuraient l'abon- dance, et qui avaient pour elles plus d'égards que n'en ont ceux de leur nation. Nous partîmes un matin avec le commandant pour une course sur les bords de la rivière des Fi-ançais; nous man- quâmes son entrée et donnâmes dans celle des Anglais, où nous demeurâmes à chasser. Nous fumes contrariés par la pluie; malgré cela nous tuâmes un assez bon nombre d'espèces diffé- rentes d'oiseaux. Nous étions presque toujours dans l'eau, quelquefois jusqu'à la ceinture, tandis qu'il pleuvait à verse. Nous soupâmes auprès d'un grand feu que, vu la qualité NOTES. 207 résineuse du bois, il ne nous était pas difficile d'entretenir malgré la pluie. Le soir, assez tard, nous rentrâmes à bord de la corvette avec nos collections qui nous présentaient à chaque course toujours quelque chose de nouveau. La veille de notre départ, en revenant péniblement par terre de notre excursion au mont Bald - Head , je fis une chute assez grav'e sur le genou gauche , qui me le déchira dans trois endroits. Elle fut oceasionée par ces troncs d'arbres que brûlent les naturels. L'intérieur est consumé que l'écorce est intacte : mon genou porta sur un de ces contours charbonnés ; obligé de faire trois quarts de lieue après ce petit accident , la poussière du charbon s'introduisit dans les plaies, et m'a mar- qué d'une manière indélébile. Heureusement que cela eut lieu au moment de notre départ, car, ne pouvant plus marcher, et obligé de garder le bord, j'aurais été très- contrarié de cette inactivité. {Journal de M. Quoy.) PAGE 1.37. L'histoire naturelle s'est enrichie d'une foule de matériaux très-întéressans. Le 12 novembre au matin, nous mouillâmes dans le port Western. Deux heures après nous étions à explorer le pays. Ce port, situé dans le détroit de Bass , est très-grand, et formé par deux îles considérables nommées îles des Français et des An- glais. Il y a deux issues dont l'une, celle de l'ouest, très-vaste, permet aux navires d'entrer en louvoyant; tandis que l'opposée, qui est à l'est, étroite, peu profonde et hérissée de récifs, ne peut donner passage qu'aux embarcations. Les terres , tant des îles que du continent, sont peu élevées, en général sablon- neuses, contenant sur quelques points une grande quantité d'oxide de fer très-riche en métal. L'île des Français est remar- 208 NOTES. quable surtout par des géodes arrondies de la même substance, qu'on trouve en grand nombre à l'endroit où la mer s'enfonce dans les terres et forme une fausse rivière. L'établissement an- glais qui va se former sur ce point, y trouvera facilement les moyens de s'y procurer du fer. Là , comme dans plusieurs endroits de la Nouvelle-Hol- lande , nous n'avons vu que très-peu d'eau douce , fournie par de petits ruisseaux. Cependant dans une course faite avec des pêcheurs de Phoques, M. Gaimard eut connaissance d'une ri- vière aussi large que la Seine à Paris. La végétation y est en général peu élevée, mais très-pressée, principalement sur les îles, où, quoiqu'il n'y ait pas de lianes, il est difficile de pénétrer. La partie du continent qui avoisine la passe de l'est est celle qui nous a montré les arbres les plus élevés. Tous ces végétaux , du reste , ont le même aspect , et la plupart sont de même espèce que ceux précédemment indiqués. Dans le règne animal , nous commençâmes à trouver de nombreuses différences pai'mi les oiseaux qui y sont plus nom- breux et plus variés qu'à la terre de Nuitz. Nous y trouvâmes dans ceux de mer : deux Cormorans, un petit Héron blanc et un Chevalier, que nous n'avions pas rencontrés au port du Roi- Georges. Il y existe aussi des Cygnes noirs, des Pélicans, des Vanneaux armés , des légions de Canards, etc. Relativement aux mammifères, nous ne fumes pas plus heu- reux ici qu'ailleurs pour nous procurer des Kanguroos , quoi- que nous eussions des chiens et des hommes exercés à les prendre. Mais en trouvant la tête d'un Koala, nous cons- tatâmes l'existence , sur le continent , d'un animal qu'on n'a- vait encore rencontré que sur l'île de Van-Diémen. Les pê- cheurs de Phoques , qui habitent ce port , nous procurèrent un de ces animaux adultes et une douzaine de très-jeunes. Ils allèrent les chercher, avec la certitude positive de les trouver, sur les rochers qui sont à l'entrée de la rade. Les jeunes Phoques sont aussi caressans et intéressans que les petits chiens. Ils bê- lent comme les chevreaux , et viennent facilement lorsqu'on les NOTES. 209 appelle. A cet âge leur pelage est noir. Ils sont du genre de ceux qui ont des oreilles extérieures. La mer nous a paru fournir assez de poissons. Si nous n'en avons pas beaucoup pris avec la seine , cela semble tenir à ce qu'on a jeté ce filet à marée basse. Néanmoins on pourra tou- jours fournir aux équipages de la Raie qui y est en grande abon- dance , de même qu'une petite espèce de Squale à long nez. Le naturaliste y fera une ample récolte de Mollusques , de Zoophytes , de Polypiers divers. Rien n'est plus agréable avoir que lapasse de l'est, lorsque la mer amis à découvert le sommet de ces nombreux rochers recouverts de la plus éclatante verdure. Quelques-uns n'apparaissent sur les eaux que comme de lon- gues lignes verdâtres sur lesquelles contraste la blancheur des Mouettes et des Pélicans qui viennent s'y ranger à la file. C'est ici plus que partout ailleurs qu'on trouve de ces Fucus , de ces Ulvas, dont les formes, aussi variées que les nuances, charment l'œil par le moelleux et le velouté de leurs teintes, et qu'au- cune végétation terrestre ne peut rendre. Sous ces touffes amoncelées on trouve par centaines les plus élégantes de toutes les coquilles , les jolies Phasianelles qui fuient l'éclat de la lu- mière en attendant que la mer montante les ramène dans ses profondeurs. Il semble que les poètes avaient sous leurs yeux ce brillant spectacle de la vie et du mouvement lorsqu'ils se plurent à embellir et décrire l'empire de Thétis. Les pêcheurs établis temporairement dans ce port parais- sent en avoir éloigné les naturels. Ils ont eu avec eux des dé- mêlés dont les premiers ont été victimes. Il paraîtrait que ce serait pour avoir voulu leur enlever des femmes, que les na- turels, fondant sur eux à l'improviste, en auraient tué cinq. Nous fûmes contrariés de n'en voir aucun pour les comparer aux diverses peuplades de cette terre que nous avons vues. Avant que de laisser ce lieu nous ferons observer à ceux qui fréquenteront l'île des Français de ne pas attendre, pour y aller o\i en revenir, que la mer soit basse, parce qu'elle est entourée d'une vase molle très-profonde, dans laquelle on enfonce jus- tome I. 'i4 210 NOTES. qu'à la ceinture. Nous eûmes toutes les peines du monde à nous en retirer. Nous croyons que dans l'ouvrage du capitaine Freycinet il est fait mention du même inconvénient pour l'île aux Anglais. Le 19 novembre nous laissâmes Port-Western. Les sept jours que nous j demeurâmes furent sufFisans pour nous procurer dans tous les genres une assez bonne récolte d'objets rares et nouveaux , et pour rectifier la géographie de plusieurs points qui n'avaient été vus que par les canots de l'expédition Baudin. (^Journal de M. Quoy.') PAGE i^4' flDv M. Quoy trouva enfin une petite trigonie vivante, coquille qu'il cherchait depuis long-temps à cet état, et dont il n'avait pu se procurer que des valves sé- parées à Port-Western. Nous côtoyions la côte de la Nouvelle-Hollande de très- près ; quelquefois nous n'en étions qu'à un mille ; et lorsque le calme se joignait à une petite profondeur, nous jetions la dra- gue qui nous apportait toujours quelques objets curieux pour l'histoire naturelle. C'est ainsi que sous le cap Dromadaire nous obtînmes une Trigonie vivante, dont nous n'avons trouvé que des coquilles séparées à Port-Western. Ce mollusque est remarquable en ce qu'on croyait qu'il n'existait plus dans la nature vivante, et qu'il n'était que fossile. On en trouve beau- coup à cet état dans les environs de Paris. (^Journal de M. Quoy. ) PAGE i49- C'est qu'une foule de points leur offrent des res- sources d'une autre nature, etc. En passant devant la baie Jervis, le commandant y laissa NOTES. 211 tomber l'ancre , et nous y demeurâmes trois jours. C'est un bel et vaste enfoncement dans la profondeur duquel on trouve un assez bon mouillage , d'où l'on n'aperçoit plus l'entrée. De sorte qu'on est environné de toutes parts par la terre. Il est étonnant que ce port, qui n'est qu'à environ trente lieues de Port-Jackson , n'ait pas un établissement. Celui de Cow-Pasture n'est distant de Jervis que de quinze lieues. La base du sol est un grès blanc friable. On y voit un petit ruisseau. La végétation y est belle et vigoureuse. De grandes et belles forêts dégagées de sous- bois viennent finir sur le bovd du rivage, et présentent dans leur massif naturel la disposition des jardins anglais. Elles re- cèlent beaucoup d'oiseaux, principalement la Perruche à tête bleue, et celle à face aurore; et des vols de Kakatoès noirs, espèces que l'on retrouve à Port-Jackson. Cette baie abonde en poissons qu'on peut prendre à la seine , mais qu'il est plus simple de se procurer à la ligne, aux en- virons des rochers, parce que les espèces qu'on se procure ainsi sont meilleures et plus grosses. C'est le pays des Squales. Nous nous procurâmes celui si singulier de Philipp, et un autre ayant sept ouvertures branchiales. A l'endroit du mouillage était une habitation de naturels, qu'à leur air, leur tournure et leur embonpoint, on voyait manifestement se ressentir du voisinage des Anglais. L'un d'eux parlait même cette langue assez bien pour se faire en- tendre. La construction mieux entendue de leur cabane , et une pirogue pour la pêche annonçaient un degré de civilisa- tion plus avancée , et une nourriture plus abondante et plus certaine , dont leur physique se ressentait d'une manière très- sensible , surtout lorsque nous les comparions aux habitans du port du Roi-Georges. (^Journal de M. Quoy.^ 212 NOTES. PAGE l58. La plupart des personnes que nons rencontrons ici nous parlent avec plaisir des relations qu'elles ont eues avec les officiers français de la The'tis et de l'Es- pérance. Nous apprîmes le séjour que venait de faire ici le capitaine Bougainville , et l'honorable empressement que les états-majors des deux navires qu'il commandait avaient apporté à faire élever à Botany-Bay un monument à la mémoire de La Pé- rouse. On sait que c'est de ce lieu que ce malheureux naviga- teur donna pour la dernière fois de ses nouvelles. Lorsqu'aux îles Sandwich je vis le lieu où le célèbre Cook fut tué , je fus très-étonné de voir que l'Angleterre n'avait distingué par aucun monument la place où fut versé le sang d'un des plus grands navigateurs modernes. (^Journal de M. Quof.^